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HISTOIRE
DE
L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
I.
DU MÊME AUTEUR
Histoire de l'établissement des Arabes dans l'Afrique sep
tentrionale, selon les auteurs arabes. 1 vol. grand in-8. avec deux
cartes. — Marlf, (Constantine;. — Challamel |Paris), 1875.
Le cinquantenaire de l'Algérie. — L Algérie en 1880. t vol. in-8.
— Challamel (Paris). 1880.
L'Algérie et les questions algériennes. 1 vol. in-8. — Challa-
mel. 1883.
Comment l'Afrique septentrionale a été arabisée. Brochure
in-8. — Marle. 187 i.
La bataille de Poitiers et les vraies causes du recul de
l'invasion arabe. Mémoire publié par la Bévue liistorique . —
Paris. 1878.
Constantine, avant la conquête française (1837). Notice sur
cette ville à l'époque du dernier bey (avec une carte;. — Ménioire
publié par la Société archéologique de Constantine. 1878. — Bra-
HAM. éditeur.
Constantine au XVI'^ siècle. Elévation de la famille El Feggoun.
— Société archéologique de Constantine. 1878. — Braham. éditeur.
Notice sur la confrérie des Khouan Abd-el Kader-el Dji-
lani, publiée par la Société archéologique de Constantine. 1868.
Les Arabes d'Afrique jugés par les auteurs musulmans. {Revue
africaine, n" 98. 1873.)
Examen des causes de la croisade de saint Louis contre
Tunis (1270). [Revue africaine. n^94.i
Episodes de la conquête de l'Afrique parles Arabes. Kocéïla.
La Kahena. — Mémoire publié par la Société archéologique de
Constantine, 1883.
Les Indigènes de l'Algérie. Leur situation dans le passé
et dans le présent. Revue libérale. 1884.
Le Cinquantenaire de la prise de Constantine (13 oc-
tobre 1837). Brochure in-8. — Braham, éditeur à Constantine
(Octobre 1887).
Commune de Constantine. Trois années d'administration
municipale. Brochure in-8. — Braham, éditeur à Constantine
(Octobre 1887).
CHARTRES. I.MPRI.MERIE DURAND, RUE FULBERT.
HISTOIRE
DE
L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
(BERBÉRIE)
DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS
jusqu'à la conquête française ( 1 830)
PAR
Ernest ""mercier
TOME PREMIER
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, HUE BONAPAKTE, 28
1888
PRÉFACE
Arrivé en Algérie il y a trente-quatre ans; lancé alors
au milieu d'une population que tout le inonde con-
sidérait comme arabe, ce ne fut pas sans étonnement
que je reconnus les éléments divers la composant :
Berbères, Ara])es et Berbères arabisés. Frappé du pro-
blème ethnographique et historique qui s'offrait à ma
vue, je commençai, tout en étudiant la langue du pays,
à réunir les éléments du travail que j'offre aujourd'hui
au public.
Si l'on se reporte à l'époque dont je parle, on recon-
naîtra que les moyens d'étude, les ouvrages spéciaux se
réduisaient à bien peu de chose. Cependant M. de Slane
commençait alors la publication du texte et de la tra-
duction d'Ibn-Khaldoun et de divers avitres écrivains
arabes. La Société archéologique de Constantine, la
Société historique d'Alger venaient d'être fondées, et
elles devaient rendre les plus grands services aux tra-
vailleurs locaux, tout en conservant et vulgarisant les
découvertes. Enfin, la maison Didot publiait, dans sa
collection de V Univers pittoresque, deux gros volumes
descriptifs et historiques sur l'Afrique, dus à la colla-
boration de MM. d'Avezac, Bureau de la Malle, Yanosky,
Carette, ÏNIarcel.
Un des premiers résultats de mes études, portant sur
les ouvrages des auteurs arabes, me permit de séparer
deux grands faits distincts qui dominent l'histoire et
l'ethnographie de l'Afrique septentrionale et que l'on
II
PRÉFACE
avait à peu près confondus, en attribuant au premier
les effets du second. Je veux parler de la conquête
arabe du vii" siècle, qui ne fut qu'une conquête mili-
taire, suivie d'une occupation de plus en plus restreinte
et précaire, laissant, au x*" siècle, le cliamp libre à la
race berbère, affranchie et retrempée dans son pro|)rc
sang, et de rimmigration hilalienne du xt" siècle, qui
ne fut ]jas une conquête, mais dont le résultat, obtenu
par une action lente qui se continue encore de nos jours,
a été l'arabisation de l'Afrique et la destruction de la
nationalité berbère.
Je publiai alors V Histoire de l'établissement des Arabes
dans l'Afrique septentrio)ude (1 vol. in-8. avec deux cai tes,
Mai le-Challamel, 187.")), ouviagc dans lequel je m'effor-
çai de démontrer ce que je demanderai la permission
d'appeler celte découverte historique.
Mais je n'avais traité qu'un point, important, il est vrai,
de 1 histoire africaine, et il me reslait à piésenler un
travail d'ensemble. Dans ces trente-quatre années, que
de documents, que d'ouvrages précieux avaient été mis
au jour! En France, la conquête de I Algérie avait natu-
rellement appelé l'attention des savants sur ce pays.
Nos membres de l'Institut, orientalistes, historiens, ar-
chéologues, trouvaient en Afrique une mine inépuisable,
et il suilit, pour s'en convaincre, de citer les noms de
.MM. de Slane, Reynaïul, Quatremère, Hase, AN'alcknaer,
d'Avezac, Dureau delà Malle, Marcel, Carette, Yanosky,
Fournel, de ^las-Latiie, Vivien de Saint-Martin, Léon
Rénier, Tissot, H. de Villefosse.
En Hollande, le regretté Dozy publiait ses beaux tra-
vaux sur l'Espagne musulmane. En Italie, ^I. Michèle
Amari nous donnait l'histoire des Musulmans de Sicile,
travail complet où le sujet a été entièrement épuisé.
Enfin l'Allemagne, l'Angleterre. l'Espagne fournissaient
aussi leur contingent.
Pendant ce temps, l'Algérie ne restait pas inactive,
l'n nombre considérable de travaux originaux était pro-
duit par un groupe d'érudits qui ont formé ici une véri-
table école historique. Je citerai parmi eux : MM. Ber-
PRÉFACE
III
brugger, F. Lacroix enlevé pai- la mort avant d avoii-
achevé son œuvre, Poulie, le savant président de la
Société archéologique de Gonstantine, Reboud, Cher-
bonneau, général Greuly, Mac-Carthy, l'abbé Godard,
l'abbé Bargès, Brosselard, A. Rousseau, Féraud, de
Voulx, Gorguos, Vayssettes , Tauxier, Aucapitaine ,
Guin, Robin, Moll, Ragot, Elie de la Priniaudaic, de
Graminonl, présitlont actuel de la Société d'Alger, et
bien d'autres, auxquels sont venus s'ajouter plusrécem-
ment ^LM. Boissicre, Masqucray, de la Blanclière, Bas-
set, Hondas, Fallu de Lcsserl, Poinssot, Gagnai
Grâce aux ellbi ts de ces érudits tlont nous citerons
souvent les ouvrages, un grand nombre de poinis, autre-
fois obscui s, dans l'histoii e de rAfVi([ue, ont été éclairés,
et s'il reste encore des lacunes, particulièrement poui'
l'époque bv/.anline, le xv** siècle et les siècles suivants,
surtout en ce qui a trait au Maroc, elles se comblent peu
à peu. Je ne parle pas de l'époque phénicienne : là, il
n'y a à peu près rien à cs])érer.
Gomme sources, notre bil)liolhè(|ue des auteurs an-
ciens est aussi complète qu'elle peut IV'tre. (hiant aux
écrivains arabes, vWc est égal(MiuMit à peu près com-
plète, mais il fauchait, pcuir le [)u])lic, que deux ti'aduc-
tions importantes fussent entreprises, — cl elles ne
peuvent l'être qu'avec l'appui de l'I'^tat. — Je veux parler
du grand ouvrage d lbn-el-Atliir ', (pii renferme beau-
coup de documents relatifs à l'Occident, et du Ba'iane,
d'Ibn-Adliari , dont Dozy a publié le texte aralje, enrichi
de notes.
11 est donc possible, maintenant, d'entreprendre une
histoiie d'ensemble. Je Fai essayé, voulant d'abord me
borner aux annales de FAlgéi ie; mais il est bien dillicile
de séparer l'histoire du peuple indigène qui couvre le
nord de l'Afrique, en nous conformant à nos divisions
arbitraires, et j'ai été amené à m'occuper on même temps
du Maroc, à Fouesl, et de la Tunisie et de la Tripoli-
1 . Kainil-ct-Touuii./Ji.
IV
PRÉFACE
laine , à l est. Cette fatalité s'imposera à quiconque
voudra faire ici des travaux de ce genre, car l'histoire
d un pays, c'est celle de son peuple, et ce peuple, dans
l'Afrique du Xord, c est le Berbère, dont l'aire s'étend
de l'Egypte à l'Océan, de la Méditerranée au Soudan.
Fournel, qui a passé une partie de sa longue carrière
à amasser des matériaux sur cette question, a subi la
fatalité dont je parle, et lorsqu'il a publié le résultat de
ses recherches, monument d'érudition qui s'arrête mal-
heureusement au xi*^ siècle, il n'a pu lui donner d'autre
titre que celui d'histoire des « Berbers •>■>.
Mes intentions sont beaucoup plus modestes, car je
n'ai pas écrit uniquement pour les érudits, mais pour la
masse des lecteurs français et algériens. Je me suis
a])pliqué à donner à mon livre la forme d'un manuel
pratique; mais, ne voulant pas étendre outre mesure
ses proportions, je me suis heurté à une difficulté iné-
vitable, celle de suivre en même tem|)s I histoire de
divers pays, histoire qui est quelquefois confondue,
mais le plus souvent distincte.
Dans ces conditions, je me suis vu forcé de renoncer
à la forme suivie et coulante de la grande histoire, pour
adopter celle du manuel, divisé par paragraphes dis-
tincts, dont chacun est indépendant de celui qui le pré-
cède. Ce procédé s'oppose naturellement à tout déve-
loppement d'ordre littéraire : la sécheresse est sa
condition d'être; mais il permet de mener de front, sans
interrompre l'ordre chronologique, lexposé des faits
qui se sont produits simultanément dans divers lieux. De
plus, il facilite les recherches dans un fouillis de lieux
et de noms, fait pour rebuter le lecteur le plus résolu.
Ecartant toutes les traditions douteuses transmises
par les auteurs anciens et les Musulmans, car elles au-
raient allongé inutilement le récit ou nécessité des dis-
sertations oiseuses, je n'ai retenu que les faits certains
ou présentant les plus grands caractères de probabilité.
Je me suis attaché surtout à suivre, le plus exactement
possible, le mouvement ethnographique qui a fait de la
population de la Berbérie ce qu'elle est maintenant.
PRÉFACE
V
Deux cartes de l'Afrique seplenlrionale à difTcreiUes
époques, et une de l'Espagne, faciliteront les recherches.
Enfin une table géographique complète terminera l'ou-
vrage et chaque volume aura son index des noms
propres.
Gonstanline, le 1"' Janvier 1888.
Ernest Mercier.
VI
l'RKFACE
SYSTÈME ADOPTÉ
POUR LA ï II A N S C R I P T I f ) N DES NOMS ARABES
Dans un ouvrage comme celui-ci, ne s'adressant pas
parliculièrcmcnl aux orientalisles, le système de trans-
cription du nombre considéral)le de vocables arabes et
berbères qu'il contient doit être, autant (juc possible,
simple et pialique.
La difïicullé, Fimpossibililé même, de reproduiic,
avec nos caiactères, certaines articulations sémitiques,
a eu pour conséquence de donner lieu à un grand
nombre de systèmes plus ou moins ingénieux. Divers
signes conventionnels, ajoutés à nos lettres, ont eu pour
but de les modifier théoriquement, en leur donnant une
prononciation qu'elles n'ont pas ; pour d'autres, on a
formé des groupes où 1'//, cette lettre sans valeur pho-
nétique en français, joue un grand rôle. Chaque pavs,
chaque académie a, pour ainsi dire, son système de
transcription. Mais, pour le public en général, tout cela
ne signifie rien, et si Ton a, par exemple, surmonté ou
souscrit un a d'un point, d'un espiit ou de tout autre
signe iqàa'à), l'immense majorité des lecteurs ne le pro-
noncera pas autrement que le plus ordinaire de nos a.
De même, ajoutez un h à un t, à un y ou à un k, vous
aurez augmenté, pour le profane, la dilliciilté matérielle
de lecture, mais sans donner la moindre idée de ce que
peut être la prononciation aralje des lettres que l'on
veut reproduire.
I^.nfin, en se bornant à rendre, d'une manière absolue,
une lettre arabe par celle que l'on a adoptée en français
comme équivalente, on arrive souvent à former de ces
syllal)es qui, dans notre langue, se prononcent d'une
manière sourde {ein, m, an, o/i) et ne répondent nulle-
PRih'ACE
VII
ment à raiticulation arabe. C'est ainsi qu'un Français
prononcera toujours les mots Amin, Mengoub, Ilassein,
comme s'ils étaient écrits : Amain, Maingoub, Hasscwi.
En présence de ces difficultés, je n'ai pas adopté de
système absolu, ne souffrant pas d'exception, m'efforrant
au contraire, même aux dépens de l'orthographe arabe,
de retrancher toute lettre inutile et de rendre, sous sa
forme la plus simple pour des Français, les sons, tels
qu'ils frappent notre oreille en Algérie. N'oublions pas,
en effet, qu'il s'agit des hommes et des choses de ce
pays, et non de ceux d'Egypte, de Damas ou de Djedda.
Quiconque a entendu prononcer ici le nom iyt**.*, ne
s'avisera jamais de le transcrire par Masoiid, ainsi que
l'exigeraient nos professeurs, mais bien par Meçaoud. Il
en est de môme de qui vient de la môme racine.
La meilleure reproduction consistera à le rendre par
Saad, en ajoutant un a, et non par Sad, quels que soient
les signes dont on affectera ce seul a.
J'ajouterai souvent un e muet aux noms terminés par
m, eïn, an, on, et j'écrirai Slimanc au lieu de Soulébnan
(ou Soliman), Houcéïne, Yarnioracene, etc.
Quant aux articulations qui manquent dans notre
langue, voici comment je les rendrai :
Le e>, par th, t ou ts.
Le ^, par un h; ce qui, du reste, ne reproduit nulle-
ment la prononciation de cette consonne forte, et comme
je ne figurerai jamais le s par un h, le lecteur saura
qu'il doit toujours s'efforcer de prononcer cette lettre
par une expiration s'appuyant sur la voyelle suivante.
Le^, par le kh, groupe bizarre encoie plus imparfait
que r/< seul pour la précédente lettre.
Le ^, généralement par un a lié à une des voyelles
a, i, o; ([uclquefois par une de ces lettres seules ou par
la diphthongue eu ou par Vc. Cette lettre, dont la pro-
nonciation est impossible à reproduire en français,
conserve presque toujours, dans la pratique, un premier
son rapprochant de Va et provenant de la contraction
du gosier; ce son s'appuie ensuite sur la voyelle dont
cette consonne, car c'en est une, est affectée. C'est pour-
VIII
PRÉFACE
quoi j'écrirai Chiàite au lieu de Chïïtey Saad au lieu de
Sad, etc.
Le ^, généralement par un r'. Si tout le monde gras-
seyait 1'?', il n'y aurait pas de meilleure manière de rendre
cette lettre arabe; malheureusement, il y a en arabe
Vr non grasseyé, et il faut bien les différencier. Dans
le cas où ces deux lettres se rencontrent, la prononcia-
tion de chacune s'accentue en sens inverse, et alors je
rends le ^ par un g\ Exemples : Mag'reb, Berg' ouata.
Le^3, par un /«;, comme dans Kassem, ou par un ^,
comme dans Gabcs. Cette lettre possède encore une
intonation gutturale que l'on ne peut figurer en fran-
çais.
Le », par un h. Quant au i [ta lic\ dont la pronon-
ciation est celle de notre syllabe muette at dans contrat,
je le rends par un simple a et j'écris : Louata, Djerbn,
Médéa.
Je ne parle que pour mémoire des lettres lo, ,jo, (jb.
dont il est impossible de reproduire, en français, le son
emphatique, et je les rends simplement par t, d, s, d.
INTRODUCTION
DESCRIPTION PHYSIQUE ET GÉOGRAPHIQUE
DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
Description et limites'. — Le pays dont nous allons
retracer l'histoire est la partie du continent africain qui
s'étend depuis la limite occidentale de TEgyple jusqu'à
l'Océan Atlantique, et depuis la rive méridionale de la
Méditerranée jusqu'au Soudan. Cette vaste contrée est
désignée généralement sous le nom d'vVfrique septen-
trionale, sans y comprendre l'Egypte, qui a, pour ainsi
dire, une situation à part. Les Grecs l'ont appelée Libye;
les Romains ont donné le nom Afrique à la Tunisie
actuelle, et ce vocable s'est étendu à tout le continent.
Les Arabes ont appliqué à cette région la dénomination
de Mag'reb, c'est-à-dire Occident, par rapport à leur
pays. Nous emploierons successivement ces appellations,
auxquelles nous ajouterons celle de Berbérie, ou pays
des Berbères.
Nous avons indiqué les grandes limites de l'Afrique
septentrionale. Sa situation géographique est comprise
entre les 24° et 37° de latitude nord et les 25° de lon-
gitude orientale et 19° de longitude occidentale; ainsi
le méridien de Paris, qui passe à quelques lieues à
l'ouest d'Alger, en marque à peu près le centre.
Les côtes de l'Afrique septentrionale se projettent
d'une façon irrégulière sur la Méditerranée. Du 31° de
latitude, en partant de l'Egypte, elles atteignent, au
1. Suivre sur la carte de l'Afrique spptentriouale ail xv* siècle (vol II).
X
INTRODUCTION
sommet de la Cyrénaïque, le 33°, puis s'infléchissent
brusquement, au fond de la grande Syrte, jusqu'au 30°.
De là, la côte se prolonge assez régulièrement, en
s'élevant vers le nord-ouest jusqu'au fond de la petite
Syrte (34"). Puis elle s'élève perpendiculairement au
nord et dépasse, au sommet de la Tiuiisie, le 37°. Elle
suit alors une direction ouest-sud-ouest assez régulière,
en s'abaissant jusqu'à la limite de la province d'Oran,
pour, de là, se relever encore et atteindre le 36°, au
détroit de Gibraltar.
Le littoral de l'Océan se prolonge au sud-sud-ouest,
en s'abaissant du 8° de longitude occidentale jusqu'au
19°.
La partie seplentiionalc de la Berbérie se rapproche
en deux endroits de l'Europe. C'est, au nord-est de la
Tunisie, la Sicile, distante de cent cinquante kilomètres
environ, et, à l'ouest, l'I^spagne, séparée de la pointe
du Mag'reb par le détroit de Gibraltar. Cette partie de
l'Afrique oft're, du reste, beaucoup d'analogie avec les
dites régions européennes, tant sous le rapport de l'as-
pect et des productions que sous celui du climat.
Les écarts considérables de latitude que nous avons
signalés en décrivant les côtes influent sur les condi-
tiens physiques et climatériques ; aussi le littoral des
Syrtes diffère-t-il sensiblement de la région occidentale.
Orographie. — La région comprise entre la petite
Syrte et l'Océan est couverte d'un réseau montagneux
se reliant au grand Atlas marocain, qui pénètre dans le
sud jusqu'au 30° et dont les plus hauts sommets attei-
gnent 3,500 mètres d'altitude. Toute cette contrée mon-
tagneuse jouit d'un climat tempéré et d'une fertilité
proverbiale. Les indigènes, peut-être d'après les Ro-
mains, lui ont donné le nom de Tel. Ce Tel, en Algérie
et en Tunisie, ne dépasse guère, au midi, le 35° de lati-
tude.
Dans la partie moyenne de la Barbarie, c'est-à-dire ce
qui forme actuellement l'Afrique française, la région
telienne aboutit au sud à une ligne de hauts plateaux,
INTRODUCTION
XI
dont l'altitude varie entre 600 et 1,200 mètres. Le Djebel-
Amour en marque le sommet; au delà, le pays s'abaisse
graduellement vers le sud et rapidement vers l'est, ce
qui donne lieu, dans cette dernière direction, à une série
de bas-fonds reliés par des cours d'eau aboutissant aux
lacs Melr'ir et du Djerid, près du golfe de la petite
Syrte. Cette ligne de bas-fonds est parsemée d'oasis
produisant le palmier; c'est la région dactylifère.
Des montagnes dont nous venons de parler des-
cendent des cours d'eau, au nord dans la Méditerranée,
à l'ouest dans l'Océan. Ceux du versant nord sont géné-
ralement peu importants, en raison du peu d'étendue
de leur cours : ce sont des torrents en hiver, presque
à sec en été. Les rivières du versant océanien, venant
de montagnes plus élevées et ayant un cours moins bref,
ont en général une importance plus grande.
Au delà des hauts plateaux et de la première ligne
des oasis, s'étend le grand désert ou Sahara jusqu'au
Soudan. C'est une vaste contrée généralement aride,
entrecoupée de chaînes montagneuses, de vallées, de
plateaux desséchés et pierreux et de dunes de sable.
Des régions d'oasis s'y rencontrent. Le tout est traversé
par des dépressions formant vallées, dont les unes
s'abaissent vers le Soudan et les autres se dirigent vers
le nord pour rejoindre les lacs Melr'ir et du Djerid. Les
vallées, les oasis et certaines parties montagneuses sont
seules habitées.
Dans la Tripolitaine, la région telienne est moins
élevée et a moins de profondeur; en un mot, le désert
est plus près. Cependant, derrière Tripoli se trouve un
massif montagneux assez étendu, donnant accès au Ham-
mada (plateau) tripolitain.
Le littoral de la Cyrénaïque est bordé de collines qui
forment les pentes d'un plateau semblable à celui de
Tripoli, mais moins étendu. Quelques oasis se trouvent
au sud de ce plateau. Au delà commence le grand désert
de Libye.
T. 1.
b
XI!
INTRODVCTION
MONTAGNES PRINCIPALES
De l'est à l'ouest, les principales montagnes de
l'Afrique septentrionale sont :
Cyrénaïque. — Le Djebel-el-Akhdar, dans la partie
supérieure.
Tripolitai>'e. — Le Djebel-Karïane et le Djebel-Xe-
fouça, au sud de Tripoli.
Algérie. — Le Djebel- Jonrès, s'élevant jusqu'à 2,300
mètres au midi de Gonstanline et s'abaissant au sud,
brusquement, sur la région des oasis.
Le Djebel- Amour (2,000 mètres), au midi de la pro-
vince d'Alger formant le sommet des liants plateaux.
Le Djebel-0i/are7isetiis [2^000 mètres), au nord du Djebel-
Amour, près de la ligne du méridien de Paris.
Le Djebel-Djerdjera ou grande Kabilie (2,300 mètres),
près du littoral, entre TOuad-Sahel et l isser.
Maroc. — Les montagnes du Grand Atlas ou Deren,
notamment le Djebel-Hentata , d'une altitude de 3, .500
mètres et dont les sommets sont couverts de neiges
éternelles.
PRINCIPALES RIVIÈRES
Versant méditerranéen'. — ■ V Ouad-Souf-Djine et VOuad-
Zemzem, descendant du Djebel-R arïane et du plateau
de Ilammada et venant former le marais situé au-dessous
de Mesrata, sur le littoral de la grande Syrte.
h' Oiiad-Medjerda, qui recueille les eaux du versant
nord-est de TAourès et du plateau tunisien et vient
déboucher dans le golfe de Karthage, au sommet de la
Tunisie.
\J Ouad-Seijbous, recueillant les eaux de la partie orien-
tale de la province de Gonstanline et débouchant à Bône.
INTRODUCTION
XIII
V Ouad-el-Kehir, formé de V Ouad-Reinel et de VOuad-
Bou-Merzoïtg , dont le confluent est à Gonstantine et
reinboucluire au nord de cette ville.
}j Ouad-Snliel, venant, d'un côté, du Djebel-Dira, près
d'Auniale, et, de l'autre, des plateaux situés à l'ouest de
Sélif, et débouchant, sous le nom de Somnam, dans
le golfe de Bougie, à l'est du Djerdjera.
\J Onad-Isser, à l'ouest du Djeidjera, et ayanl son em-
bouchure près de Dellis.
Le Chelif, descendant du versant nord du Djebel-
Amour et du Ouarensenis, lecevant le Nehat'-Ouacel,
venu du plateau de Seressou, au sud de cette montagne,
et après avoir décrit un coude à la hauteur de Miliana,
courant parallèlement à la côte de Test à l'ouest, pour
se jeter dans la mer à l'extrémité orientale du golfe
d'Arzeu.
\jHabra et le Sig, appelé dans son couj's supérieur
Mekerra, se réunissant pour foi iner le marais de la Makta,
au fond du golfe d'Arzeu. La plus grande partie des
eaux de la province d'Oran est lecueillic par ces deux
rivières.
La Tafna, descendant des montagnes situées au midi
de Tlemcen et qui se jette dans la mer au nord de cette
ville, après avoir recueilli Vh/i, venant de la région
d'Oudjda (Maroc).
La Moidotcïa, qui recueille les eaux du versant orien-
tal et septentrional de l'Atlas marocain et dont l'embou-
chure se trouve à l'ouest de la limite algérienne.
Vers.vnt océanien. — VOuad-el-Koi/s, qui se jette dans
la mer près d'El-Araïchc, au sommet du ^faroc.
Le Sebou, descendant du versant nord-ouest de l'vVtlas.
Le Jiou-Begreg, au midi du précédent et ayant son
embouchure non loin de lui, à Salé.
\JOiiad-Oum-er-Rebïa , grande rivière recueillant les
eaux du versant occidental de l'Atlas et traversant de
vastes plaines avant de déboucher à Azemmor.
Le Tensift, voisin du précédent, au midi.
\J Ouad-Sous, qui coule entre les deux chaînes princi-
XIV
INTRODUCTION
pales du grand Atlas méridional et traverse la province
de ce nom.
\J Ouad-Noun, débouchant près du cap du même nom.
Et enfin Y Ouad-Deraa, descendant du grand Allas au
midi et formant, dans la direction de l'ouest, une large
vallée. Ce fleuve se jette dans l'Océan vis-à-vis Tarclii-
pel des Canaries.
Yers.vnt intérieur. — VOuad-Djedi, qui prend nais-
sance au midi du Djebel-Amour, court ensuite vers 1 est,
parallèlement au Tel, et va se perdre aux environs du
lac Melr'ir.
VOuad-Mia et VOuad-lr'ar'ar, venant tous deux de
l'extrême sud et concourant à former la vallée de VOuad-
Ri?'', qui se termine au choit (lac) Melr'ir.
\J Ouad-Giiir , descendant des hauts plateaux, pour se
perdre au sud non loin de l'oasis de Touat.
Enfin Y Ouad-Ziz, qui vient de l'Atlas marocain et dis-
parait aux environs de l'oasis de Tafilala.
L.\CS
Les lacs de 1 Afrique septentrionale sont peu nom-
breux. Voici les principaux :
Le choit du Djerid, au sud de la Tunisie.
Le Me/r'ir, à l'ouest du précédent : entre eux se trouve
la dépression de Rarça.
La sebkha du Goiirara, à l'est du cours inférieur de
rOuad-Guir.
La sebhka de Daoïira, près de Tafilala.
On compte, en outre, un certain nombre de marais,
parmi lesquels nous citerons la sebkha de Zar'ez^ dans
le Hodna, et les choit oriental) elR'arbi 'occiden-
talj, dans les hauts plateaux. Ce sont souvent de vastes
dépressions, avec des berges à pic, et dont le fond est
plus ou moins marécageux, selon l'époque de l'année.
INTRODUCTION
XV
CAPS
Voici les principaux caps de l'Afrique, en suivant le
littoral de l'est à l'ouest.
Ras-Tourba et cap liozat, au sommet de la Cyrénaïque.
Cap Mesurata, près de la ville de Mesrata, à l'angle
occidental du "-olfe de la grande Svrte.
Ras-Capoiidïa (l'ancien Caput Vada), au sommet de la
petite Syrte.
Ras-Dimas (l'antique Thapsus)^ à l'angle méridional du
golfe de Ilammamet.
Ras-Adar, ou cap Bon, au sommet de la presqu'île de
Gherik, angle nord-est de la Tunisie.
Promontoire àWpollon ou cap Farina, à l'angle occi-
dental du golfe de Tunis.
Ras-el-Abiod, cap Blanc, à l'angle occidental du golfe
de Bizerte.
Cap de Garde, à l'angle occidental du golfe de Bône.
Cap de Fer, à l'angle oriental du golfe de Philippeville.
Cap Bougarone ou Sebd-Rous (les sept caps), à l'angle
occidental du môme golfe.
Cap Cavallo, à l'angle oriental du golfe de Bougie.
Cap Sigli, à l'angle opposé, c'est-à-dire au pied occiden-
tal de la grande Ivabylie (Djcrdjera).
Cap MatifoH (régulièrement Tharnan' tafoust), à l'angle
oriental du ffolfe d'Aller.
Cap Tenès, à l'est et auprès de la ville de ce nom.
Cap Carbon, à l'angle occidental du golfe d'Arzeu,
entre cette ville et Oran.
Cap Falcon, à l'angle occidental du golfe d'Oran.
Cap Tres-Forcas, à 1 ouest du golfe formé par l'embou-
chure de la Moulouïa, dominant Melila, qui est bâtie
sur le versant oriental de ce cap.
Cap de Ceuta, à la pointe orientale du détroit de Gi-
braltar.
Cap Sparlel, sur l'Océan, à l'ouest de cette pointe.
Cap Blanc, au sud de l'embouchure de l'Oum-el-Re-
bia et d'Azemmor.
Cap Caniin, un peu plus bas, au-dessus du Tensift.
XVI
INTRODUCTION
Cap Gnir, au-dessus de rembouchuie du Scbou et
d'Agadir.
Cap Noun, à reinboucluiic de la rivière de ce nom.
Cap Bojador, au-dessous de rembouchurc de l'Ouad-
Deraa.
Cap Blanc, un peu au-dessus du 20" de longitude.
DIVISIONS GÉOGR.VPHIQLES ADOPTÉES PAR LES ANCIENS
L'Algérie septentrionale. Tabye des Grecs, a formé
les divisions suivantes :
Urgion lillorale
Cyrénaïque comprenant la Marmaricpie ; depuis la
fionlière occidentale de l'Egypte juscju'au golfe de la
grande .Syrie.
Tripolitainc ; de celte limite jus({u'au golfe de la pelilc
Syi te. Bt/zacène, région au-dessus du lac Tiiton. Zeuq'i-
tane, littoral orienlal de la Tunisie aciuelle. et Afrique
propre, comprenant d'abord le territoire de Karihage
(nord de la Tunisie), puis toute la région entre la Xu-
inidie à l'ouest et la Tripolilaine à l est. La Tripolitainc.
la Byzacènc, la Zeugitanc el l'Afrique propre ont été
réunis, à l'époque romaine, sous le nom de province
proconsulaire d'Afrique.
JS'umidie ; depuis la limite occidentale de l Afi ique
propre, qui a été formée généralement par le cours su-
périeur de la Medjerda, avec une ligne partant du coude
de celle rivière pour rejoindre le litloral. et de là jus-
qu'au golfe de Bougie, c'est-à-dire environ le 3° de loii-
oiiude est. La Xumidie a été elle-même divisée en oricn-
talc et occidentale, avec l'Amsaga Ouad-Remel comme
limite séparative.
Maurétanie orientale; depuis la Numidie jusqu'au Mo-
locbat iMoulouïaV A la fin du m'' siècle de l'ère chré-
tienne, elle a été divisée en Sélifienne, comprenant la
])ai tie orientale avec Sélif, et Césariemie, formée de la
pai'tie occidentale, avec Yol-Cesarée (Cherchel) comme
capitales.
INTRODUCTION
XVII
Maurétanie occidentale ou Tingitane, comprenant le reste
de l'Afrique jusqu'à l'Océan.
Région inlérieitre
Libye déserte, comprenant la Phazanie (Fezzan), au sud
de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque.
Gétulie, au sud de la Numidie et des Maurétanies, sur
les hauts plateaux et dans le désert.
Ethiopie, comprenant la Troglody tique, au sud des deux
précédents.
Populations anciennes
Cyrénaïque et Tripolitai>e. — Libi/ens, nom géné-.
rique se transformant en Lebatài dansProcope, Ilanguan-
ten dans Corippus, et que I on peut identifier aux Ber-
bères Louata des auteurs arabes.
Ba?'cites, Asbystes, Adyrmakhides, Ghiligammes, etc., oc-
cupant le nord de la Cyrénaïque.
Nasammom, dans l'intérieur, sur la ligne des oasis et
le golfe de la grande Syrte, dont ils occupent en partie
les rivages.
Psy//^'5^ habitant en premier lieu la grande Syrte et re-
foulés ensuite vers l'est.
Makes, sur le littoral occidental de la grande Syrte.
Zaouekes (Arzugues de CorrippusV, établis sur le lit-
toral, entre les deux Syrtes. Ils ont donné leur nom plus
tard à la Zeugitane. On les identifie aux Zouar'a.
Troglodytes, dans les montagnes voisines de Tripoli.
Lotophages, dans l'île de Djerba et sur le littoral voisin.
Afrique propre. — Les Maxyes et les Ghyzantes ou
Byzantes. Ces tribus, sous ces noms divers, y compris
les Zaouèkes, paraissent être un seul et même peuple,
qui a donné son nom à la Byzacène.
Libo-Phéniciens, peuplade mixte de la province de Kar-
thage.
Numidie. — Numides, nom générique.
Nabathres, dans la région du nord-est.
XVIII INTRODUCTION
Masséssy liens, puis Massif les ; occupaient le centre de
la province. Ont été remplacés par les peuplades sui-
vantes, qu'ils ont peut-être contrilnié à formel' :
Kedamoiisiens, sur la rive gauche de l'Amsaga (Ouad-
Remel) et, de là, jusqu'à l'Aourès.
Babares ou Sababares, dans les montagnes, au nord des
précédents, jusqu'à la mer.
Malhét.vme okiknt.vle. — Maures, nom générique, au-
quel on a associé plus tard celui de Maziques.
Quinquegentiens, divisés en Isaflenses, Massinissenses et
Xababes, occupant le massif du Mons-Ferratus Djcr-
djera).
Masséssyliens, puis Massyles, au sud-est du ^Mons-P^er-
ralus. Remplacés de bonne heure par d'autres popula-
tions.
Makhoiu'èbes et Banioures, à l'ouest du AIons-Ferratus.
Makln'usiens, sur le littoral montagneux, à l'ouest des
précédents.
Naonusïi, dans la région des hauts plateaux, au midi
des précédents.
Masséssyliens, sur la rive droite du Molochath.
M.vvRÉT.\>'iE occiDEMALE. — Mauves, nom générique.
Masséssyliens, établis dans le bassin de la INIoulouia.
Maziques, sur le littoral nord et ouest.
Bacuates, établis dans le bassin du Sebou et étendant
leur domination vers l'est identifiés aux Bcrg'ouata .
Makenites, cours supérieur du Sebou (identifiés aux
Meknaça).
Autotoles, Banuires, etc., dans le bassin de l'Oum-er-
Rebia.
Daradee, bassin du Deràa.
Région intérieure
Libye déserte. — Garamanies , appelés aussi Gam-
phazantes, oasis de Garama (Djerma et Phazanie Fezzan).
Blemyes, au sud-est des précédents, vers le désert de
Libye (peuplade donnant lieu à des récits fabuleux).
INTRUDUCTION
XIX
Gétuhe. — Gélules, nom générique. Sur toute la ligne
des hauts plateaux et dans la partie septentrionale du
désert.
Mélano-Gétides [Gétules noirs), au midi des précédents.
Perorses, Pharusiens , sur la rive gauche du Darat
(Ouad-Deràa).
Ethiopie. — • Ethiopiens, terme générique, divisés en
Ethiopiens blancs et Ethiopiens noirs.
Quant aux Ethiopiens rouges ou Ganges, que les auteurs
placent au midi de la Gétulie, sur les bords de l'Océan,
nous ne pouvons nous empêcher de les rapprocher des
Iznagcn (Sanhaga des Arabes), qui ont donné leur nom
au Sénégal. Nous trouverons du reste, dans l'histoire
des Sanhaga au voile [Mouletthemine), le nom de Ouaggag,
porté encore par des chefs de ces peuplades.
DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES ADOPTÉES PAR LES ARABE^
Les Arabes, arrivant d'Orient au vu" siècle, don-
nèrent, ainsi que nous l'avons dit, à l'Afrique le nom
générique de Mag'rcb, qui s'étendit même à l'Espagne
musulmane. Mais, dans la pratique, une désignation ne
pouvait demeurer aussi vague, et les conquéranls divi-
sèrent le pays comme suit :
Paijs de Barka, la Cyrénaïque moins la Marmarique).
Ifrikiya, la Tunisie proprement dite, à laquelle on a
ajouté la Tripolitaine à l'est, et la province de Constan-
tine, jusqu'au méridien de Bougie, à l'ouest.
El-Mag'reb-el-Aouçot (ou Mag'reb central), depuis le
méridien de Bougie jusqu'à la rivière Moulouïa.
El-Mag' reb- el-Akça (ou Mag'reb extrême). Tout le reste
de l'Afrique, jusqu'à l'Océan à l'ouest et à l'Ouad-Deràa
au sud.
Sahara, toute la région désertique.
Population
Là où les anciens n'avaient vu qu'une série de peu-
XX
INTRODUCTION
plades indigènes, sans lien entre elles, les Arabes ont
reconnu un peuple, une même race qui a couvert tout le
nord de l'Afrique. Ils lui ont donné le nom de Berbère,
que nous lui conserverons dans ce livre. Cette race se
subdivisait en plusieurs grandes familles, dont nous pré-
sentons les tal)leaux complets au chapitre I" de la
deuxième partie.
ETHNOGRAPHIE
ORIGINE ET FORMATION DU PEUPLE BERBÈRE
La question de rorigine et de la formation du peuple
berbère n'a pas fait un grand pas depuis une vingtaine
d'années. Nous avons donc peu de chose à ajouter au
mémoire publié par nous en 1871, sous le titre : Notes
sur l'origine du peuple berbère \ De nouvelles hypothèses
ont été émises, mais, on peut l'atlirmer, le fond solide,
sur lequel doivent s'appuyer les données véritablement
historiques, ne s'est augmenté en rien, malgré les dé-
couvertes de l'anthropologie.
En résumé, que possédons-nous, comme traditions
historiques, sur ce sujet? Diodore, Hérodote, Strabon,
Pline, Ptoléinée, ne disent rien sur l'origine des peu-
plades dont ils parlent; ils voient là des agglomérations
de sauvages, dont ils nous transmettent les noms altérés
et dont ils retracent les mœurs primitives, sinon fan-
tastiques.
Un seul, Salluslc, s'inquiète de la formation des
peuples africains et il reproduit, à cet égard, les tradi-
tions qu'il prétend avoir recueillies dans les livres du
roi Hiemsal, « écrits en langue punique ». On connaît
son système : L'Hercule tyrien aurait entraîné jusqu'au
détroit qui a reçu son nom" des guerriers mèdes, perses
et arméniens. Ces étrangers, restés dans le pays, au-
1. Revue at'ricaiue, 1871. Ce mémoii'e a été donné eu appendice à la
lui de notre Histoire de rétahlisseinent des Arabes dans l'Afrique sep-
tentrionale.
2. Colonnes d'Hercule.
XXII
liTllNOGUAl'llIt:
raient formé la souche des Maures et des Xuinides. Ces
nouveaux noms leur auraient été donnés par les lÂhyem
dans leur jargon barbare '. Les colonies phéniciennes
établies sur le littoral auraient achevé de constituer la
population de l'Afrique, en lui ajoutant un élément nou-
veau.
Voilà, en quelques mots, le système de Salluste.
Procope, reproduisant à cet égard les données de
l'historien Josèphc, dit que l'Afrique a été peuplée par
des nations chassées de la Palestine par les Hébreux'.
Le rabbin .Maïmounide, un des |)lus célèbres commen-
tateurs du Talmud. nous apprend que les Gergéséens,
expulsés du pays de Canaan par Josué, emigrèrent en
Afiiquc.
Enfin, riiistorien arabe Iljn-Khaldoun . apiès avoir
examiné diverses hypothèses sur la question, s'exprime
comme suit : « Les Berbères sont les enfants de Canaan,
fils de Cham, fils de Noë ; leur aïeul se nommait ^lazir";
ils avaient pour frères les Gergéséens et étaient pai ents
des Philistins. Le roi, chez eux, portait le titre de Go-
liath ^Galout . Il y eut en Syrie, entre les Philistins et
les Isiaélites, des guerres, etc. ^'el■s ce temps-là, les
Berbères passèrent en Afrique'. »
Ainsi, voilà toute une séiie de tiaditions d'orioines
diverses, rappelant le souvenir d'invasions de peuples
asiatiques dans le nord de l Afrique.
Xous n'avons pas parlé des Hycsos, ces conquérants
sémites, plus ou moins mélangés de Mongols, qui, après
avoir conquis l'Egypte, renversé la XlIP dynastie et
occupé en maîtres le pays durant plusieurs siècles,
furent chassés par le Pharaon Ahmés L de la XMII"
dynastie.
En effet, l'histoire de l'Egypte nous démontre péremp-
toirement qu'autrefois sa vie a été intimement mêlée à
celle de la Berbérie. et c'est ce qui a été très bien ca-
1. Il barhîira lingua Mauros, pro Mcdis appellantes » (Salluste).
2. Procope. De hello Vandaliro.
o. Histoire des Berbères (trad. de Slauel, t. I, p. 184.
ETHNOGRAPHIE
xxiir
ractérisé par M. Zaborowski ' dans les termes suivants :
« L'action réciproque de TEgypte et de l'Afrique l'une
sur l'autre est si ancienne, elle a été si longue et si
profonde, qu'il est impossible de démêler ce que la
première a emprunté à la seconde, et réciproquement. )>
Il est donc possible que les Hycsos, vaincus, soient
passés eu partie dans le Mag'reb. Mais, en revanche,
cette même histoire nous apprend que, vers le xv° siècle
avant J.-C, sous la XIX'' dynastie, une invasion de no-
mades, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, vint de
l'ouest s'abattre sur l'Egypte.
Ces populations, que les Egyptiens confondaient avec
les Libyens et qu'ils nommaient Tamahou (hommes
blonds), d'où venaient-elles ? Arrivaient-elles d'Europe
ou étaient-elles depuis longtemps établies dans la Ber-
bérie ? Cette question est insoluble; mais, quand on
examine la quantité innombrable de dolmens qui cou-
vrent l'Afrique septentrionale, on ne peut s'empêcher
d"y voir les sépultures de ces hommes blonds ou un
usage laissé par eux. Il faut, en outre, reconnaître la
parenté étroite qui existe entre les dolmens de l'Afrique
et ceux de l'Espagne , de l ouest de la France et du
Danemarck.
Berbères, Ibères, Celtibères, voilà des peuples frères et
dont l'action réciproque des uns sur les autres est incon-
testable, sans même qu'il soit besoin d'appeler à son aide
l'identité de conformation physique ou les rapprochements
linguistiques, car ce sont des arguments d une valeur
relative et dont il est facile de tirer parti en sens divers.
A quelle époque, par quels moyens se sont établies
ces relations de races entre le midi de l'Europe et
l'Afrique septentrionale? Les invasions ont-elles eu lieu
de celle-ci en celui-là, ou de celui-là en celle-ci? Autant
de questions sur lesquelles les érudits ne parviendront
jamais à s'entendre, en l'absence de tout document pré-
cis. Pourquoi, du reste, les deux faits ne se seraient-ils
pas produits à des époques différentes ?
1. Peuples primitifs de l'Afrique. (Nouvelle revue, \" mars 1883.)
XXIV
ETIINOCnAPUlE
Mais ne nous arrêtons pas à ces détails.
Du rapide exposé qui précède résultent deux faits
que l'on peut admettre coinnie incontestables :
1° Des invasions importantes de peuples asiatiques
ont eu lieu, à différentes époques, dans l'Afrique sep-
tentrionale ;
2° Cette région a été habitée anciennement par une
race blonde, ayant de grands traits de ressemblance,
comme caractères physiologiques et comme iiKrurs,
avec certaines f)euplades européennes.
Quelle conclusion lircrons-nous maintenant de cette
constatation ?
Dirons-nous, comme certains, que la race berbère
est d'origine purement sémitique, ou, comme d'autres,
purement aryenne?
Nullement. La race berbère, en effet, peut avoir subi,
à différents degrés, cette double influence, et il peut
exister parmi elle des branches qu'il est possible do rat-
tacher à l'une et à l'autre de ces origines. Mais il n'en
est pas moins vrai que, comme ensemble, elle a persisté
avec son type spécial de race africaine, type bien connu
en Egypte dans les temps anciens, et que l'on retrouve
encore maintenant dans toute l'Afrique septentrionale.
Sans vouloir discuter la c[uestion de l'unité ou de la
pluralité de la famille humaine, il est certain qu'à une
époque très reculée, la race libyenne ou berbère s'est
trouvée formée et a occupé l'aire qui lui est propre,
toute l'Afrique du nord.
Sur ce substratum sont venues, à des époques rela-
tivement récentes, s'étendre des invasions dont l'his-
toire a conservé de vagues souvenirs, et ce contact a
laissé son empreinte dans la langue, dans les mœurs
et dans les caractères physiologiques. Les peuples ca-
nanéens, les Phéniciens ont eu une action indiscutable
sur la langue berbère; et les blonds, qui, peut-être,
étaient en grande minorité, ont imposé pendant un cer-
tain temps leur mode de sépulture aux Libyens du Tell.
Malgré l'adoption de la religion musulmane et la modi-
fication profonde subie par les populations du nord de
KTIINOCHl.U'IIIK
XXV
l'Afrique, du fait de l'inlroduction de l'élément arabe,
il existe encore en Algérie, notamment aux environs
de la Kalàa des Beni-IIammad, dans les montagnes au
nord de Mecila, des tiiijus qui construisent de véri-
tables dolmens.
Mais cette action des étrangers, que nous reconnais-
sons, a eu des effets plus apparents que profonds, et il
s'est passé en Afrique ce qui a eu lieu presque partout
et toujours, avec une régularité qui permettrait de faire
une loi de ce phénomène : la race vaincue, dominée,
asservie, a, peu à peu, par une action lente, irn|)ercep-
tible, absoilié son vainqueur en l'incorporant dans son
sein.
Le même fait s'est |)roduil au moyen âge à l'occasion
de l'invasion hilalienne, et cependant le nombre des
Arabes était relativement considérable et leur mélange
avec la race indigène avait été favorisé d'une manière
toute particulière, j)ar l'anarchie qui divisait les IJerbères
el anniiiilait leurs forces. L'élément arabe a néanmoins
été absorbé ; mais, en se fondant au milieu de la race
autoclithone disjointe, il lui a fait adopter, en beaucoup
d'endroits, sa langue et ses mœurs.
N'est-ce pas, du reste, ce qui s'est passé en Gaule :
rorcu|)alion romaine a romanisé pour de longs siècles
les provinces méridionales, sans modifier, d'une ma-
nière sensible, l'ensemble de la lace. Dans le nord, les
conquérants francks se sont ra[)idement fondus dans la
race conquise, sans laisser d'autre souvenir que leur
nom substitué à celui des vaincus. Ces effets différents
s'expliquent par le degré de civilisation des conqué-
rants, supérieur aux vaincus dans le premier cas, infé-
rieui' dans le second. En résumé, ces conquêtes, ces
changenuiiils dans les dénominations, les lois et les
UKXMirs, n'ont pas empêché la race gauloise de rester,
connue fond, celtique.
De même, malgré les influences étrangères qu'elle a
subies, la race autoclithone du nord de l'.Xfrique est
restée libyque, c'est-à-dire berbère.
PRÉCIS DE L'HISTOIRE
DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE
(BERBÉRIE)
PREMIÈRE PARTIE
PÉRIODE ANTIQUE
CHAPITRE I-"-
PÉRIODE PHÉNICIENNE
1 100 -268 AVANT J.-C.
Temps primitifs. — Les Phéniciens s'établissent en Afrique. — Fondation
de Cyrène par les Grecs. — Données géographiques d'Hérodote. — Prépon-
dérance de Karthage. — Découvertes de l'amiral Hannon. — Organisation
politique de Karthage. — Conquêtes de Karthage dans les îles et sur le
littoral de la Méditerranée. — Guerres de Sicile. — Révolte des Berbères.
— Suite des guerres de Sicile. — Agathocle, tyran de Syracuse. — Il porte
la guerre en Afrique. ~ Agathocle évacue l'Afrique. — Pyrrhus, roi de Si-
cile. — Nouvelles guerres dans cette île. — Anarchie en Sicile.
Thmi'S primitifs. — L'incertitude la plus grande règne sur les
temps primitifs de l'histoire de la Berbérie. Le nom de l'Afrique
est à peine prononcé dans la Bible, et si, dans les récits légen-
daires tels que ceux d'Homère, la notion de ce pays se trouve plu-
sieurs fois répétée, les détails qui l'accompagnent sont trop vagues
pour que l'histoire positive puisse s'en servir. Sur la façon dont
s'est formée la race aborigène de l'Afrique septentrionale, on ne
peut émettre que des conjectures, et l'hypothèse la plus généra-
lement admise est qu'à un peuple véritablement autochtone que
l'on peut appeler chamitique, s'est adjoint un double élément
arian (blond) et sémitique (brun), dont le mélange intime a formé
la race berbère, déjà constituée bien avant les temps historiques.
L'antiquité grecque n'a commencé à avoir de détails précis sur
la partie occidentale de l'Afrique du nord que par ses navigateurs,
lors de ses tentatives de colonisation en Egypte et sur les rivages
T. I. 1
2
iiisTomn ni; i. afriqce
de la Méditerranée. Hérodote est le premier auteur ancien qui ait
écrit sérieusement sur ce pays iv^ siècle av. J.-C.) ; nous exami-
nerons plus loin son système géographique.
Selon cet historien, les Libyens étaient des nomades se nour-
rissant de la chair et du lait de leurs brebis. « Leurs habitations
sont des cabanes tressées d'asphodèles et de joncs, qu'ils trans-
portent à volonté. » Plus tard, Diodore les représentera comme
« menant une existence abrutie, couchant en plein air, n'avant
qu'une nourriture sauvage; sans maisons, sans habits, se couvrant
seulement le corps de peaux de chèvres. » Ils obéissent à des rois
qui n'ont aucune notion de la justice et ne vivent que de brigan-
dage. « Ils vont au combat, dit-il encore, avec trois javelots et des
pierres dans un sac de cuir n'ayant pour but que de gagner de
vitesse l'ennemi, dans la poursuite comme dans la retraite En
général, ils n'observent, à l'égard des étrangers, ni foi ni loi. » Ce
tableau de Diodore s'applique évidemment aux Africains nomades.
Dans les pays de montagne et de petite culture, les mœurs devaient
se modifier sui% ant les lieux.
Les Phéniciens s'établissent en Afrique. — Dès le xu^ siècle
avant notre ère, les Phéniciens qui, selon Diodore, avaient déjà
des colonies, non seulement sur le littoral européen de la Médi-
terranée, mais encore sur la rive océanienne de l lbérie, explo-
rèrent les côtes de l'Afrique et les reconnurent, sans doute, jus-
qu'aux Colonnes d'Hercule. Les relations commerciales avec les
indigènes étaient le but de ces courses aventureuses et, pour
assurer la régularité des échanges, des comptoirs ne tardèrent pas
à se former. Les Berbères ne firent probablement aucune oppo-
sition à l'établissement de ces étrangers, qui, sous l'égide du com-
merce, venaient les initier à une civilisation supérieure, et dans
lesquels ils ne pouvaient entrevoir de futurs dominateurs. Il résulte
même de divers passages des auteurs anciens que les indigènes
étaient très empressés à retenir chez eux les Tyriens. Quant à
ceux-ci, ils se présentaient humblement, se reconnaissaient sans
peine les hôtes des aborigènes et se soumettaient à l'obligation de
leur payer un tribut ' .
Ainsi les colonies de Leptis (Lebida), Hadrumet |Souça), Utique,
Tunès (Tunis , Karthac/e -, Hippo-Zarytos ^Benzertl, etc., furent
1. Mommsen, Histoire romaine, trad. de Guérie, t II, p. 206 et suiv.
Voir la tradition recueillie par Trogue-Pompée et Virgile, sur la fou-
daiion de Kartliage par Didon.
2. En phénicien « la ville neuve i [Kart-hadatch] par opposition à
Utique [Uulik) « la vieille ».
PÉRIODE PIIIÎNICIENNE [vi" SIECLE AV. J.-C.)
3
successivement établies sur le continent africain, et le littoral sud
de la Méditerranée fut ouvert au commerce par les Phéniciens,
comme le rivage nord et les îles l'avaient été par les Grecs.
Fondation- de Cvrène par les Grecs. — Les rivaux des Phé-
niciens dans la colonisation du littoral méditerranéen furent
les Grecs. Depuis longtemps, ils tournaient leurs regards vers
l'Afrique, lorsque Psammetik I" combla leurs vœux en leur ou-
vrant les ports de l'Egypte. Après avoir exploré cette contrée
jusqu'à l'extrême sud, ils tirent un pas vers l'Occident, et dans le
vu" siècle une colonie de Grecs de l'île de Théra vint, sous la
conduite de son chef Aristée, surnommé Battos, s'établir à Cy-
rène. Les peuplades indigènes que les Théréens y rencontrèrent
leur ayant dit qu'elles s'appelaient Louh ou Louhim, ils donnèrent
à leur pays le nom de Libye (Aious), que l'antiquité conserva à
l'Afrique. La tradition a gardé le souvenir des luttes qui écla-
tèrent entre les Grecs de Cyrène et leurs voisins de l'Ouest, les
Phéniciens, au sujet de la limite commune de leurs possessions, et
l'histoire retrace le dévouement des deux frères Karthaginois qui
consentirent à se laisser enterrer vivants pour étendre le territoire
de leur patrie jusqu'à l'endroit que l'on a appelé en leur honneur
<( Autel des Philènes » -.
Données géographiques d'Hérodote. — - Vers 420, Hérodote,
qui avait lui-même visité l'Egypte, écrivit sur l'Afrique des détails
précis que ses successeurs ont répétés à l'envi. Ses données, très
étendues sur l'Egypte, sont assez exactes relativement à la Libye,
jusqu'au territoire de Karthage ; pour le pays situé au delà, il re-
produit les récits plus ou moins vagues des voyageurs grecs.
Pour Hérodote, la Libye comprend le « territoire situé entre
l'Egypte et le promontoire de Sole'is (sans doute le cap Cantin).
Elle est habitée par les Libyens et un grand nombre de peuples
libyques et aussi par des colonies grecques et phéniciennes établies
sur le littoral. Ce qui s'étend au-dessus de la côte est rempli de
bêtes féroces ; puis, après cette région sauvage, ce n'est plus qu'un
désert de sable prodigieusement aride et tout à fait désert » ^.
1. Ou n'est pas d'accord sur la date de la fondation de Cyrèue. Se-
lon Théophraste et Pline, il faudrait adopter 611. Solin donne une date
antérieure qui varie entre 758 et 631.
2. A l'est de Leptis, au fond de la Grande Syrte. Salluste, Bell. Jug.,
XIX, LXXVIII.
3. Lib. IV.
4
HISTOIRE DE l'Afrique
Après avoir décrit le lilloral de la Cyréiiaïque et des Svrtes,
Hérodote s'arrête au lac Triton (le Chotdu Djcrid). Il ne sait rien,
ou du moins ne parle pas spécialement de Karthage. « Au delà du
lac Triton, — dit-il, — on rencontre des montagnes boisées,
habitées par des populations de cultivateurs nommés Maxijes. »
Enfin, il a entendu dire que, bien loin, dans la même direction,
était une montagne fabuleuse nommée Atlas et dont les habitants
se nommaient Atlantes ou Alarautcs. Au midi de ces régions, au
delà des déserts, se trouve la noire Ethiopie.
Parmi les principaux noms de peuplades donnés par Hérodote,
nous citerons :
Les Adynnnkhides, les Ghiligammes, les Ashystes, les Aus-
khiseSy etc., habitant la Gyrénaïque.
Les Nasamoiis et les Psylles établis sur le littoral de la Grande
Sjrte.
Les Garamanles divisés en Gar-nmaiites du nord, habitant les
montagnes de Tripoli, et Garanumles du .sud, établis dans l'oasis
de Giirama (actuellement Djerma dans le Fezzan), dont ils ont pris
le nom.
Les Troglodytes, voisins des précédents et en guerre avec eux.
Les Lotophages, établis dans l'île de Méninx (Djerba) et sur le
littoral voisin.
Les Malihiyes, habitant le littoral jusqu'au lac Triton.
Les Maxyes, les .iœses, les Zaouekès et les Ghyzanles au nord
du lac Triton et sur le littoral en face des îles Cercina (Kerkinna)'.
Tels sont les traits principaux de la Libye d'Hérodote. Gomme
détail des mœurs de ces indigènes, il cite la vie nomade, l'absence
de toute loi, la promiscuité des femmes, etc. Il parle encore de
peuplades fabuleuses habitant l'extrême sud -.
Prépondérance de Kartiiage. — La prospérité des comptoirs
phéniciens, augmentant de jour en jour, attira de nouveaux immi-
grants, et Karthage, dont la fondation date du commencement du
X* siècle (av. J.-G.), devint la principale des colonies de Tyr et de
Sidon en Afrique. Ges métropoles envoyaient à leurs possessions
de la Méditerranée des troupes qui, chargées d'abord de les pro-
téger contre les indigènes, servirent ensuite à dompter ceux-ci.
Bientôt les villages agricoles avoisinant les colonies phéniciennes
furent soumis, et les cultivateurs berbères durent donner à leurs
1. Hérodote, 1. IV, ch. 143.
2. Vivien de Saiut-Marlin, Le Nord de l'Afrique dans l'Antiquité,
passim.
PÉRIODE PHÉNICIENNE (v^ SIECLE AV. .T.-C.)
5
anciens locataires, devenus leurs maîtres, le quart du revenu de
leurs terres, tant il est vrai que deux peuples ne peuvent vivre
côte à côte sans que le plus civilisé, fûL-il de beaucoup le moins
nombreux, arrive à imposer sa domination à l'autre.
La puissance de Karthage devint donc plus grande et s'étendit
sur les tribus du tel de la Tunisie et de la ïripolitaine. Les Ber-
bères du sud, maintenus dans une sorte de vasselage, servaient
d'intermédiaires pour le commerce de l'intérieur de l'Afrique'.
Non seulement Karthage, après avoir cessé de payer tribut aux
indigènes, en exigea un de ceux-ci, mais elle devint la capitale des
autres colonies phéniciennes, qui durent lui servir une redevance.
De plus, elle s'était peu à peu débarrassée des liens qui l'unissaient
à la mère patrie et avait conquis son autonomie à mesure que la
puissance du royaume phénicien déclinait".
En même temps les navigateurs puniques fondaient à l'ouest de
nouvelles colonies: Djidjel (Djidjeli), Snhle (Bougiel, Karlenna
(Ténès), Yol (Cherchel), Tinr/is (Tanger), etc. Les Karthaginois
conclurent avec les rois ou chefs de tribus de ces contrées éloi-
gnées, des traités de commerce et d'alliance.
Découvertes de i/amirai, Hannon. — Mais cette extension ne
suffisait pas à l'ambition des Phéniciens; il leur fallait de nou-
velles conquêtes. Entre le vi" et le v'' siècle, le gouvernement de
Karthage chargea l'amiral Hannon de reconnaître le littoral de
l'Atlantique et d'y établir des colonies. Le hardi marin partit avec
une flotte de soixante navires portant trente mille colons phé-
niciens et libyens, et les provisions nécessaires pour le voyage
et les premiers temps de l'établissement. Il franchit le détroit de
Gadès, répartit son monde sur la côte africaine de l'Océan et
s'avança jusqu'au golfe formé par la pointe qu'il appelle Corne du
Midi et que M. Vivien de Saint-^NLirlin identifie à la pointe du
golfe de Guinée. Seule, la crainte de manquer de vivres l'obligea
à s'arrêter. Il retourna sur ses pas après avoir accompli un voyage
qui ne devait être renouvelé que deux mille ans plus lard
Le succès de l'entreprise de Hannon frappa tellement ses conci-
toyens que les principales circonstances de son voyage furent rela-
tées en une inscription qu'on plaça dans le temple de Karthage.
Cette inscription, traduite plus tard par un voyageur grec, nous
1. Rngot. Snliarn, de la province de Coustantine, II" partie, p. 147
(Recueil des notices de la Société arc/i. de Coustantine, 1875).
2. Jusliii, XIX, 1,2.
3. Par les Portugais en 1462.
6
IlISTOlHi; m; L AFRIQUE
est parvenue sous le nom de Périple de Hnnnon; malheureusement
la date manque. L'on sait seulement, d'après Pline, que c'était à
l'époque de la plus grande puissance de Karthage, alors que, selon
Erathosthène, cité par Strabon, on comptait plus de trois cents
colonies phéniciennes au delà du détroit '.
Organisation politique de Kartiiage. — I.a puissance acquise
par Karthage au milieu des populations berbères était le fruit de
l'esprit d'initiative, du courage et de l'adresse dont les Phéniciens
avaient sans cesse donné des preuves pendant de longs siècles.
Chacun avait coopéré à cette conquête ; le gouvernement avait
donc été d'abord une république où le rang de chacun était égal.
Puis, les fortunes commerciales et militaires s'étant faites, les
grandes familles avaient conservé le pouvoir entre leurs mains, et
il en était résulté une oligarchie assez compliquée. Le pouvoir
exécutif était dévolu à deux rois -, assistés d'un conseil dit des
anciens, composé de vingt-huit membres, tous paraissant avoir été
élus par le peuple et pour un temps assez court. L'exécutif nom-
mait les généraux en chef, mais leur déléguait une partie de ses
pouvoirs, ce qui tendait à en faire de véritables dictateurs, tout en
offrant l'avantage de rétablir une unité nécessaire dans le com-
mandement. Pour compléter la machine gouvernementale, un
autre conseil, dit des Cent-Quatre, composé de l'aristocratie,
exerçait les fonctions judiciaires et contrôlait les actes de tous'.
Ce gouvernement impersonnel n'avait pas les avantages d'une dé-
mocratie et en avait tous les inconvénients ; il manquait d'unité
et, par suite, de force, et ouvrait la porte à toutes les intrigues et
à toutes les compétitions.
Conquête de Kartiiage dans les îles et sur le littoral de la
Méditerranée. — Dès le sixième siècle avant notre ère, les Kar-
thaginois tirent des expéditions guerrières dans les îles et sur le
rivage continental de la Méditerranée. En 543, à la suite d une
guerre contre les Phocéens, ils restèrent maîtres de l île de Corse.
Quelques années plus tard, eut lieu leur premier débarquement
en Sicile (536\
1. Vivien de Saiut-Martin. — Voir égalemeat : « Navigation d'Hanno
capitaine carthaginois aux parties d'Afrique, delà les colonnes d'Her-
cule, • par Léou l'Africain (Irad. Temporal), t. I. p. xxv et suiv.
2. Suirètcs (Chofetim) ou juges. Les auteurs anciens leur donnent le
nom de rois. Tite-Live les compare aux consuls (XXX).
3. Mommsen, Histoire romaine, t. H, p. 217 et suir. — Aristote, Polit.,
1. IL — Polybe, VI et pass.
PÉRIODE PHÉNICIENNE (v^ SIECLE AV. J.-C.)
7
Les relations amicales de Karthaf^e avec l'Italie remontent à
cette époque ; déjà les Etrusques l'avaient aidée dans sa guerre
contre les Phocéens ; en 509 fut conclu son premier traité d'al-
liance avec les Romains '.
Sous l'habile direction de Magon, la puissance punique s'étendit
sur la Méditerranée, dont tous les ri^•ages reçurent la visite des
vaisseaux de Karlhage se présentant, non plus comme de simples
trafiquants, mais comme les maîtres de la mer. Les Berbères de
l'Afrique propre sont ses vassaux ; ceux du sud et de l'ouest ses
alliés : tous lui fournissent des mercenaires pour ses campagnes
lointaines. La civilisation Karthaginoise se répandit au loin et
exerça la plus grande influence, particulièrement sur la Grèce
et le midi de l'Italie.
Gl'erhes de Sicile. — Mais ce fut contre la Sicile que Karthage
concentra ses plus grands efl'orts ; elle était attirée vers cette
conquête par la richesse et la proximité de l île, et aussi par le
désir d'ai^altre la puissance des Grecs en Occident. Alors com-
mença ce duel séculaire, qui devait avoir pour résultat d'arrêter
la colonisation grecque dans la Méditerranée, mais dont Rome
devait recueillir tous les fruits.
Alliés à Xerxès par un traité fait dans le but d'opérer simulta-
nément contre les Grecs, les Karthaginois firent passer en Sicile
une armée considérable sous la conduite d'Amilcar^, fils de Ma-
gon; mais cette alliance ne leur fut pas favorable et, tandis que
les Perses étaient écrasés à Salamine, les Phéniciens éprouraient
un véritable désastre en Sicile (vers 480).
La guerre continua pendant de longues années en Sicile, sans
que les Karthaginois y obtinssent de grands succès: les revers, la
peste, les calamités de toute sorte semblaient stimuler leur ardeur.
Néanmoins, vers la fin du v^ siècle, Hannibal et Himilcon, de la
famille de Hannon, remportèrent de grandes victoires et conquirent
aux Karthaginois près d'un tiers de l'île, avec des villes telles que
Selinonte, Hymère, Agrigente, etc.
Denys, tyran de Syracuse, les arrêta dans leurs succès et les
força à signer un traité, ou plutôt une trêve, pendant laquelle les
deux adversaires se préparèrent à une lutte plus sérieuse (404).
En 399 Denys envahit les possessions Karlhaginoises ; Himilcon,
1. Polybc.
2. C'est à tort que M. Mommsen et les Allemands orthographient
ce nom par un H. La première lettre est un Ain ( ) et non un Heth ( ).
3. Diodore.
8
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
nommé sufTète, arrive avec une flotte nombreuse devant Svracuse,
force l'entrée du jjort et coule les vaisseaux ennemis (396). L'année
suivante, il revient en force, s'empare de Motya, de Messine, de
Catane, de presque toute l'île, vient mettre le siège devant Syra-
cuse et porte le ravage dans la contrée environnante. Au moment
où il est sur le point de triompher de son ennemi, la peste éclate
dans son armée. Denys profite de cette circonstance pour attaquer
les Karthaginois démoralisés, les bat sur terre et sur mer et force
le sulTète à souscrire à une capitulation qui consacre la perte de
toutes ses conquêtes. Ainsi finit cette campagne si brillamment
commencée
Rkvolte des Berbères. — A la nouvelle de ce désastre, les
indigènes de l'Afrique croient que le moment est venu de recon-
quérir leur indépendance. Ils se réunissent en grandes masses et
viennent tumultueusement attaquer Karlhage (395). Tunis tombe
en leur pouvoir et la métropole punique se trouve exposée au
plus grand danger. Mais bientôt la discorde se met parmi ces
hordes sans chefs, qui ne veulent obéir à aucune règle, et ce ras-
seml)lement se fond et se désagrège. Ainsi nous verrons constam-
ment les Berbères profiter des malheurs dont leurs dominateurs
sont victimes pour se lever contre eux : la révolte éclate comme
la foudre; mais bientôt la dé-union et l'indiscipline font leur
œuvre, la réunion se dissout en quelques jours et les indigènes
retombent sous le joug de l'étranger -.
Suite des guerres de Sicile. — A peine Karthage avait -elle
triomphé des Berbères qu'elle envoya Magon en Sicile avec de
nouvelles forces. La guerre recommença aussitôt entre Denys et
les Karthaginois, et se prolongea avec des chances diverses pendant
plusieurs années. ALagon, ayant péri dans une bataille, fut rem-
placé par son fils portant le même nom. En 368, Denys cessa de
vivre et eut pour successeur son fils Denys le jeune. Malgré ces
changements, la guerre continuait avec acharnement de part et
d'autre : c'était comme un héritage que les pères transmettaient
en mourant à leurs enfants.
Mais si les Grecs de Sicile avaient recouvré une certaine puis-
sance sous la ferme main de Denys, le règne de son successeur ne
leur procura pas les mêmes avantages. Poussés à bout par les
vices de Denys le jeune, les Syracusains l'expulsèrent de leur ville ;
1. Diodore, 1. XXIV.
2. Diodore, 1. XIV, ch. j.xxii.
PÉRIODE PHÉNICIENNE (319 AV. .I.-C.)
9
mais comme un tyran a toujours des partisans, la guerre civile
divisa les Grecs. Karthage saisit avec empressement cette occasion
pour envoyer de nouvelles troupes en Sicile avec ^lagon, en char-
geant ce général de reprendre avec vigueur les opérations mili-
taires. ^■ers le même temps elle concluait avec Rome un nouveau
traité d'alliance tout en sa faveur, car elle imposait à celle-ci de
ne pas naviguer au delà du détroit de Gadès, à TOuest, et du cap
Bon, à l'Est, et lui interdisait même de faire du commerce en
Afrique (348).
A l'arrivée de Magon en Sicile, un groupe de citoyens de Syra-
cuse, car la ville elle-même était divisée en plusieurs camps, fit
appel aux Corinthiens fondateurs de leur cité, en implorant leur
secours. Ceux-ci envoyèrent Timoléon avec une petite armée d'un
millier d'hommes. Syracuse était alors sur le point de tomher : un
parti avait livré le port aux Karthaginois ; Denys occupait le châ-
teau ; Icelas le i-este de la \ ille. Timoléon oI)tint la soumission de
Denys et la i-emise de la citadelle et força les Karthaginois à une
trêve pendant laquelle il détacha de Magon ses auxiliaires grecs.
Celui-ci, se croyant perdu, s'embarqua précipitamment et vint
chercher un refuge à Karthage, où, pour échap[)er à un supplice
ignominieux, il se donna la mort.
Karthage, brûlant du désir de tirer vengeance de ces échecs, fit
passer, en 340, de nouvelles troupes en Sicile sous le commande-
ment de Ilannibal et de Amilcar; mais ce ne fut que pour essuyer
un nouveau et plus complet désastre. Timoléon, bien qu'il dis-
posât d'un nombre beaucoup moins grand de soldats, réussit, après
une lutte acharnée dans laquelle les Karthaginois déployèrent le
plus grand courage, à triompher d'eux. En 338 un traité fut conclu
entre les Syracusains et les Karthaginois. Timoléon fit ainsi recon-
naître l'intégrité de Syracuse et de son territoire et recula les
bornes des possessions puniques, en imposant aux Karthaginois la
défense de soutenir à l'avenir les tyrans.
Ag.VTIIOCLE , TVRAN DE SyRACUSE. II, PORTE LA GUERRE EN
Afrique. — Quelques années plus tard, un homme de la plus
basse extraction, sans mœurs, mais d'un caractère énergique et
ambitieux, parvint, avec l'appui d'.\milcar, à s'emparer par un
coup d'e force de l'autorité à Syracuse ; il mit à mort les citoyens
les plus honorables et se proclama roi des Grecs (319). Bien qu'il
eût juré.à Amilcar, pour obtenir son appui, une fidélité éternelle à
Karthage, il se considéra comme dégagé de son serment par la
mort de son ancien protecteur et envahit les possessions puniques.
Aussitôt, Karthage fit passer en Sicile une armée nombreuse sous
10
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
la conduite de Aniilcar, fils de Giscon, et ses troupes remportèrent
sur Agathocle une victoire décisive et vinrent mettre le siège
devant Syracuse.
Agathocle, réduit à la dernière extrémité, ne possédant plus que
la ville dans laquelle il est bloqué, repoussé par les Grecs auxquels
il s'est rendu odieux par sa tyrannie, conçoit le dessein hardi de
se débarrasser de ses ennemis en allant porter la p:uerre chez eux.
Il supplie les Syracusains de résister encore quelques jours, par-
vient, au moyen d un stratagème, à attirer les vaisseaux Kartha-
j;inois en dehors du port, profite de ce moment pour en sortir lui-
même avec quelques navires, et fait voile vers TAfrique. Poursuivi
par la flotte de ses ennemis, il parvient à lui échapper et, après
six jours d'une traversée des plus périlleuses, aborde dans le golfe
même de Tunis et se retranche dans les carrières, après avoir
brûlé ses vaisseaux afin d'enlever à ses troupes toute pensée de
retour [310 .
Revenus de la stupeur que leur a causée cette attaque impré-
vue, les Karthaginois appellent tous les hommes aux armes et
chari;ent les généraux Ilannon et Bomilcar de repousser l'usur-
pateur qui s'est déjà emparé de plusieurs villes. Mais le sort des
armes est funeste aux Phéniciens ; leurs troupes sont écrasées par
Agathoclc qui vient mcltre le siège devant Karthage '^309j.
Pendant que les Phéniciens démoralisés multiplient les oiTrandes
à leurs dieux pour apaiser leur courroux, en sacrifiant même leurs
propres enfants, la renommée porte de tous côtés, en Berbérie, la
nouvelle des succès de l'envahisseur et de la destruction de l'armée
Karthaginoise. Les indigènes, tributaires ou alliés, accourent
en foule au camp d'Agathocle pour l'aider à écraser leurs maîtres
ou leurs amis.
En Sicile, Amilcar a continué le siège de Syracuse: mais bientôt
le bruit des victoires des Grecs parvient aux assiégés et, par
un puissant effort, ils obligent les Karthaginois à lever le blocus
(309j. L'année suivante, Amilcar essaie en vain d'enlever Syra-
cuse ; il est vaincu, fait prisonnier et expire dans les supplices.
Cependant Agalhocle, solidement établi à Tunis, continuait de
menacer Karthage et en même temps parcourait en vainqueur le
pays, au sud et à l'est, faisant reconnaître son autorité par les Ber-
bères ; dans une seule campagne, plus de deux cents villes lui ont
fait leur soumission. Après avoir, avec une audacieuse habileté,
réprimé une révolte qui avait éclaté contre lui au milieu de ses
soldats, Agathocle entra en pourparlers avec Ophellas, roi de la
Cyréna'ique, ancien lieutenant d'Alexandre, et lui demanda son
alliance. Séduit par ses promesses, Ophellas n'hésita pas à amener
PÉRIODE PHÉNICIENNE (279 AV. .I.-C.)
11
son année au tyran ; mais Agathocle le fit assassiner et s'attacha
ses troupes. Karlhage se trouvait alors dans une situation des
plus critiques, et pour comble de malheur, la trahison et la guerre
civile paralysaient ses forces.
Agxathocle, après avoir enlevé Utique et Hippo-Zarytos laissa
le commandement de son armée à son fils Archagate, et rentra en
Sicile, où il tenait aussi à assurer son autorité (306) ; aussitôt après
son départ, les Karthaginois reprirent vigoureusement roiîensive et
réduisirent les Grecs à l'état d'assiégés. Agathocle s'empressa de
venir au secours de son fils ; mais la victoire n'est pas toujours
fidèle aux conquérants et il éprouva à son tour les revers de la
fortune.
Agathocle évacue l'Afrique. — Trahi par ses alliés berbères,
n'ayant plus autour de lui que quelques soldats épuisés et démo-
ralisés, Agathocle se décida à évacuer sa conquête ; il retourna suivi
de quelques officiers en Sicile, laissant à Tunis ses enfants, avec
l'armée ; mais les soldats, se voyant abandonnés, mirent à mort la
famille de leur prince et traitèrent avec les Karthaginois auxquels
ils abandonnèrent toutes les villes conquises par Agathocle.
Ainsi cette guerre qui avait mis Karthagc à deux doigts de sa
perte se terminait subitement au grand avantage de la métropole
punique (306). Un traité de paix ayant été conclu entre les deux
puissances, les Karthaginois purent s'appliquer à réparer leurs
désastres et à reprendre de nouvelles forces, tandis qu'Agathocle
établissait solidement son autorité à Syracuse, devenait un véri-
table roi, et s'unissait à Pyrrhus d'Epire en lui donnant sa fille en
mariage.
PvRRiius, ROI nE Sicile. — Nouvelles guerres dans cette con-
trée. — Mais la paix entre la Sicile et Karthage ne pouvait être
de longue durée. Après la mort d" Agathocle, survenue en 289,
l'île devint de nouveau la proie des factions et durant près de dix
années l'anarchie y régna seule. Enfin, en 279, les Syracusains
menacés de l'attaque imminente de Karthage appelèrent à leur
secours Pyrrhus, auquel ils avaient déjà fourni leur appui dans
ses guerres contre Rome. Malgré les victoires d'Héraclée et d'As-
culum si chèrement achetées, le roi d'Epire se trouvait dans la
plus grande indécision, car il avait dû, pour vaincre les Romains,
mettre en ligne toutes ses forces et il jugeait qu'avec les éléments
hétérogènes composant son armée il ne pourrait obtenir une
1. Benzert.
12
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
seconde fois ce ré-ultat. La discorde avait éclaté parmi ses alliés
et les Tareiitins, mêmes, qui l'avaient appelé, étaient sur le point
de se tourner contre lui. La proposition des Syracusains lui ouvrit
de nouvelles perspectives : la royauté de la Sicile était, à défaut
de Rome, une riche proie ; Pyrrhus passa donc le détroit et arriva
à Syracuse, où il fut accueilli avec le plus grand empressement.
Les Karlha;4inois avaient, deux ans auparavant, renouvelé leur
alliance avec les Romains et fourni à ceux-ci l'appui de leur flotte
dans la dernière guerre, car c'était un véritahle traité d'alliance
offensive et défensive qu'ils avaient conclu ensemhle contre Pvr-
rhus. Pendant ce temps ils avaient redoublé d'efforts pour s'em-
parer de la Sicile et recommencé le blocus de Syracuse. L'arrivée
de Pyrrhus, amenant des troupes nom])reuses et aguerries, arrêta
net leurs progrès; bientôt même ils se virent assiégés dans leur
quartier général de Lilybée. ]\Iais le temps des succès de Pvrrhus
était passé; ses troupes furent vaincues dans plusieurs rencontres
et le roi, voyant la fidélité des populations chanceler autour de lui,
voulut se la conserver par la violence ; il lit gémir l'île sous le poids
de sa tyrannie, ce qui acheva de détacher de lui les Grecs. Dans
cette conjoncture Pyrrhus, qui, du reste, était rappelé sur le conti-
nent par les Tarentins, se décida à laisser le champ libi-e aux Kar-
thaginois et, passant de nouveau la mer, rentra en Italie (2761, où
le sort ne devait pas lui être plus favorable.
Anarchie en Sicile. — Le départ du roi laissait la Sicile en
proie aux factions. Un grand nombre de mercenaires de toutes
races avaient été appelés dans l'île par Afïatliocle ou y avaient été
amenés par Pyrrhus. Abandonnés par leurs chefs, ils s'étaient
d'abord livrés au brigandage, puis avaient formé de petites colo-
nies indépendantes. La principale était celle des Mamertins ou
soldats de Mars, nom que s'était donné un g^roupe d'aventuriers
campaniens établis à ^lessine. Les Syracusains, après le départ de
Pyrrhus, avaient élu comme chef un officier de fortune nommé
Hiéron qui avait pris en main la direction de la résistance contre
les Karlhaginois et, pendant sept années, avait lutté contre eux,
non sans succès. Pendant ce temps les INLimertins, alliés à des bri-
gands de leur espèce établis à Rhige, sur la côte italienne, en face
de Messine, avaient vu leur puissance s'accroître et étaient deve-
nus un véritable danger pour les Grecs de Sicile, pour les Kartha-
ginois et même pour les Romains. Cette situation allait donner
naissance aux plus graves événements et déterminer une rupture,
depuis quelque temps imminente, entre Rome et Karthage.
CHAPITRE II
PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE
268-220
Causes de la première guerre punique. — Rupture de Rome avec Karthage. —
Première guerre punique. — Succès des Romains en Sicile. — Les Romains
portent la guerre en Afrique. — Victoire des Karthaginois à Tunis; les
Romains évacuent l'Afrique. — Reprise de la guerre en Sicile. — Grand
siège de Lilybée. — Rataille des îles Egales; fin de la première guerre
punique. — Divisions géographiques adoptées par les Romains. — Guerre
des mercenaires. — Karthage, après avoir établi son autorité en Afrique,
porte la guerre en Espagne. — Succès des Karthaginois en Espagne.
Causes de la première guerre punique. — Les échecs éprou-
vés par Pyrrhus dans l'Italie méridionale, son retour en Epire, sa
mort (272), avaient délivré Rome d'un des plus grands dangers
qu'elle eût courus. Sa puissance s'était augmentée d'autant, car
elle avait hérité de presque toutes les conquêtes du roi d'Epire.
Si donc les Romains avaient, dans le moment du danger, recherché
l'alliance des Karthaginois contre l'ennemi commun, cette union
momentanée de deux peuples ayant des intérêts absolument oppo-
sés ne pouvait subsister après la disparition des causes spéciales
qui l'avaient amenée. Maîtresse de l'Italie méridionale, Rome jetait
les yeux sur la Sicile, que Karthage considérait comme sa con-
quête, car depuis plusieurs siècles elle se consumait en efforts pour
achever de s'en approprier la possession ; c'est sur ce champ que
la lutte de la race sémitique contre la race ariane allait commencer.
Un des premiers actes des Romains, après le départ de Pyrrhus,
avait été de détruire le nid de brigands campaniens établis à
Rhige. Les Mamertins de Messine, réduits ainsi à leurs seules
forces, avaient alors été en butte aux attaques des Syracusains,
habilement dirigés par Hiéron. Vers 268, leur situation n'étant
plus tenable, ils se virent dans la nécessité de se rendre soit aux
Grecs, leurs plus grands ennemis, soit aux Karthaginois. Un cer-
tain nombre d'entre eux entrèrent en pourparlers avec ceux-ci ;
mais les autres se décidèrent à faire hommage de leur cité aux
Romains. Le Sénat de Rome, après quelque hésitation, admit les
brigands campaniens dans la confédération italique et, dès lors, la
rupture avec Karthage ne fut plus qu'une question de jours. Les
14
IIISTniRE DE L AFRIQUE
prétextes, comme cela ari-ive dans de tels cas, ne manquaient pas;
les Romains, notamment, reprochaient à Karthage d'avoir violé
plus d'une clause de leurs précédents traités et d'avoir profité des
embarras que leur causait la guerre de Pyrrhus, pour tenter de
s'emparer de Tarente et de prendre pied sur le continent.
Rli'Tlre de Rome a^ec Karthage. — Tandis que Rome adres-
sait à Iliéron l'ordre de cesser toute agression contre ses alliés les
Mamerlins, et se préparait à faire passer des troupes à Messine
(265), elle envoyait à Karthage une députalion chargée de deman-
der des explications sur l'allaire de Tarente sur^■enue sept ans au-
paravant'. C'était, en réalité, un ultimatum, et Karthage parut
essayer d éviter la guerre en désavouant les actes de son amiral.
En même temps elle entrait en pourparlers avec Iliéron; le groupe
de Mamertins dissidents amenait im rapprochement entre ces
ennemis et obtenait que Messine fût li\rée aux Syracusains, leurs
nouveaux alliés. Au moment donc où les troupes romaines réunies
à Rhège se disposaient à traverser le détroit, on apprit que la
flotte phénicienne commandée par Iliéron se trouvait dans le port
de Messine et que la forteresse de cette ville était occupée par les
Karlhaginois ("itii). Sans se laisser arrêter par cette surprise, les
Romains mirent à la \ oile et par\ inrent à s'emparer, plutôt par la
ruse que par la force, de Messine, car les chefs Karthaginois, liés
par des instructions leur recommandant la plus grande prudence
afin d'éviter une rupture, n'osèrent pas repousser les Italiens par
l'emploi de toutes leurs forces. Maintenant la rupture était con-
sommée et la guerre allait commencer avec la plus grande énergie
de part et d'autre.
Premu';ke gl eure itmqie. — Dès qu'on eut appris à Karthage
l'occupation de Messine par les Italiens, la guerre fut décidée. Une
flotte nombreuse vint, sous la conduite de Ilannon, bloquer la ville
par mer, tandis que les troupes puniques, d'un côté, et Hiéron,
avec les Syracusains, de l'autre, l'assiégeaient par terre. Mais les
Romains n'étaient pas disposés à se laisser enlever leur nouvelle
colonie. Le consul Appius Claudius étant parvenu à passer le dé-
troit contraignit bientôt les alliés à lever le siège et vint même
1. En vertu du traité d'alliance les unissant aux Romains, les Kartha-
ginois avaient envoyé à ceux-ci pour les aider dans leur guerre contre
Pyrrhus une flotte do 120 n.-\vires. Mais ou avait pris ombrage à Rome
de cet empressement et l'amiral punique avait dû reprendre la mer. C'est
alors qu'il était allé à Tarente offrir sa médiation ou peut-être ses ser-
vices à Pyrrhus. (Justin, XVIIIj.
PREMIKRE GUERRE PUNIQUE ("264 AV. .T.-C.)
15
faire une démonstration contre Syracuse. L'année suivante les
Romains remportèrent de grands succès, dont la conséquence fut
de détacher Hiéron du parti des Karthaginois et d'obtenir son
alliance contre ceux-ci (263) ' ; les colonies grecques de l'île
suivirent son exemple et dès lors Karthage se trouva isolée, sur
un sol étranger, et obligée de faire face à des ennemis s'appuyant
sur des forteresses telles que Messine et Syracuse. Bientôt les
Phéniciens en furent réduits à se retrancher derrière leurs places
fortes.
Dans ces conjonctures, les Karthaginois jugèrent qu'il y avait
lieu de tenter un grand effort : ils réunirent une armée imposante
de mercenaires liguriens, espagnols et gaulois et, l'ayant fait passer
en Sicile, la répartirent dans leurs places fortes et s'élal^lirent so-
lidement à Agrigente (Akragasl, afin de faire de cette ville le nœud
de leur résistance. Bientôt les consuls vinrent attaquer ce camp
retranché, mais, n'ayant pu l'enlever d'un coup de main, ils durent
en faire le siège régulier. Hannibal, fils de Giscon, défendait avec
habileté la ville et était aidé par Hiéron qui avait contracté une
nouvelle alliance avec les Karthaginois. Quant aux Romains, ils
recevaient constamment d'Italie des vivres et des renforts et res-
serraient chaque jour le blocus.
Succiis DES Romains en Sicile. — Sur ces entrefaites, le gé-
néral Hannon, envoyé de Karthage avec une nouvelle et puissante
armée, débarque en Sicile et vient attaquer les Romains dans leur
camp. Mais le sort des armes est favorable à ceux-ci ; les Kartha-
ginois, écrasés, laissent leur camp aux mains des vainqueurs;
Hannon parvient, non sans peine, à se réfugier dans Héracléeavec
une poignée de soldats. Cette bataille décida du sort d'Agrigente :
Hannibal s'ouvrit un passage à la pointe de l'épée, au milieu des
ennemis, et abandonna la ville aux Romains ("262). Les habitants
de la cité furent vendus comme esclaves-.
Malgré les succès des Italiens, la situation en Sicile n'était pas
désespérée pour les Karthaginois, car ils tenaient encore une
grande partie de l'île et avaient souvent l'appui des colonies
grecques. Une guerre incessante, guerre d'escarmouches et de
surprises, sur mer et sur terre, remplaça les grandes batailles. La
flotte punique, beaucoup plus puissante que celle des Romains,
causa de grands dommages sur les côtes italiennes et fit un tort
considérable au commerce. Force fut aux latins de se construire
1. Diodore, XXIII. — Polybs, 1. I.
2. Polybe, 1. I, ch. 19, 20.
16
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
des navires et de remplacer leurs barques par des quinquirèmes ',
en état de lutter avec celles de leurs ennemis. Apres avoir créé les
vaisseaux, il fallut improviser les marins, mais l'ardeur des Italiens
pourvut à tout, et, en 2(30, une lloUe imposante était prête à
tenir la mer. Le début ne fut pas heureux ; une partie des navires,
avec le consul, tomba aux mains des Kartha^inois, dans le port
de Lipari ; mais bientôt les marins italiens prirent leur revanche
dans plusieurs combats et enfin le consul Duilius remporta la
grande victoire navale de Miloe, dans laquelle la flotte karthaginoise
fut capturée ou détruite. Duilius ayant débarqué en Sicile obtint
sur les ennemis de nouveaux et importants avantaj^^es (•2()0(.
Encouragés par les succès de leur flotte, les Romains exécutèrent,
pendant les années suivantes, des descentes en Sardaigne et en
Corse et réussirent à arracher aux Karthaginois une partie des
postes qu'ils occupaient dans ces deux îles. En même temps la
guerre de Sicile suivait son cours avec des chances diverses, niais
sans amener de résultat décisif. Néanmoins, dans la campagne
de 258, les consuls A. Calatinus et S. Paterculus s'emparèrent de
villes importantes; Hippane, Canarine, Enna, Erbesse, etc.
Les Romains portent i.a gi erre en Afrique. — La guerre durait
depuis huit ans, absorbant toutes les forces des Italiens et mena-
çant de s'éterniser. Le plus sûr moyen de la terminer était d'atta-
quer les ennemis chez eux, et de transporter le théâtre de la lutte
dans leur propre pays. En 256, les Romains résolurent d'exé-
cuter ce hardi projet. Ils réunirent une flotte de trois cents galères
et firent voile vers l'Afrique sous la conduite des consuls Manlius
et Régulus. Ils rencontrèrent à Eknome les vaisseaux Karthaginois
et leur livrèrent une mémorable bataille navale qui se termina par
la victoire des Romains. Uès lors l'Afrique était ouverte. Les
consuls abordèrent à l'est de Karthage et allèrent s'établir soli-
dement à Glypée i lclibia;, pour y grouper toutes les forces, hors
de la portée de leurs ennemis. De là ils lancèrent dans l'intérieur
des expéditions qui portèrent au loin le ravage et la terreur, et
ramenèrent un grand nombre de prisonniers. Sur ces entrefaites
arriva l'ordre du Sénat de Rome, rappelant en Italie le consul
Manlius avec une grande partie des troupes et prescrivant à
Régulus de presser les opérations, au moyen de son armée réduite
à 15,000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers.
Après le premier moment de stupeur qui avait suivi à Kar-
1. La quinquirème avait jusqu'à 300 rameurs et portait le même
nombre de soldais.
PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (255 AV. J.-C.)
17
thage la nouvelle du désastre d'Eknome, on s'était préparé avec
ardeur à la résistance ; des mercenaires avaient été enrôlés et
Amilcar, rappelé de Sicile, avait ramené des forces importantes.
Mais le sort des armes fut encore défavorable aux Karthaginois :
vaincus à Adis (Radès), ils ne purent empêcher Régulus d'occuper
Tunès (Tunis) (255).
Menacée d'un siège immédiat, Ivarthage proposa la paix aux en-
vahisseurs ; mais les conditions qui lui furent faites étaient si
dures qu'elle renonça à toute pensée de transaction et se prépara
à lutter avec la dernière énergie, préférant mourir en combattant
que consommer elle-même sa ruine. Sur ces entrefaites arrivèrent
des vaisseaux chargés de mercenaires grecs, parmi lesquels se
trouvait le lacédémonien Xanthippe, officier de mérite, formé à
l'école des grands capitaines de son pays. Les Karthaginois ayant
eu l'heureuse inspiration de lui confier la direction de la défense,
le nouveau général changea complètemeiït le système qui avait
été suivi jusque-là. Au lieu de tenir les troupes derrière les mu
railles ou sur des hauteurs inaccessibles, il les fit sortir dans la
plaine et les tint constamment en haleine, les exerçant à l'art de la
guerre et leur donnant confiance en elles-mêmes et en leurs
chefs, ce qui est le gage de la victoire. Pendant ce temps Régulus
restait inactif à Tunès, n'ayant pas assez de monde pour entre-
prendre le siège de Karthage et ne pouvant se résoudre à aban-
donner sa conquête pour se replier derrière ses retranchements dé
Clypée.
Victoire des Kartuagixois a Tunis. — Les Romains évacuent
l'Afrique. — Bientôt les Karthaginois sont en état de marcher
contre leurs agresseurs ; ils les attaquent en avant de Tunis et,
grâce aux habiles dispositions prises par Xanthippe, remportent
sur eux une victoire décisive. Régulus est fait prisonnier avec
ses meilleurs soldats, tandis que les débris de son armée, deux
mille hommes à peine, se réfugient à Clypée.
C'était la perte de la campagne ; en vain les Romains envoyèrent
contre l'Afrique une nouvelle flotte qui remporta une nouvelle
victoire ; la situation n'était plus tenable ; on embarqua sur les
vaisseaux la garnison de Clypée et l'on fit voile vers la Sicile en
abandonnant à la vengeance des Karthaginois , non seulement
les prisonniers, mais les alliés indigènes qui avaient soutenu
Régulus dans sa campagne. Cette vengeance fut terrible : les tri-
bus durent payer des contributions écrasantes ; quant aux chefs,
ils périrent dans les tortures. Xanthippe avait sauvé Karthage.
Il fut largement récompensé et put quitter l'Afrique avant d'avoir
T. I. . 2
18
tiisToiRu; DE l'afrique
éprouvé les effets de l'ingratitude et de l'envie des Kartha-
ginois 1.
Reprise de la guerre en Sicile. — Après ce succès, Karthage
se trouvait en état de reprendre l'offensive en Sicile: elle le fit avec
énergie. Agrigente et plusieurs autres places tombèrent tout dabord
en son pouvoir. Mais la puissance de Rome et surtout son ardeur
étaient loin d élre abattues ; de nouveaux vaisseaux furent cons-
truits et, l'année suivante (254), la flotte romaine se réunit à Mes-
sine. De là, les consuls allèrent attaquer par mer Panorme (Pa-
ïenne 1 et s'en rendirent maîtres, après un siège vigoureusement
mené. Ils s'emparèrent en outre de presque tout le littoral sep-
tentrional de l ile, mais n'osèrent se mesurer avec l'armée kartha-
ginoise qui tenait le pays à l'intérieur. L'année suivante, les Ro-
mains, ayant voulu tenter une nouvelle descente en Afrique, virent
la tempête disperser leur flotte, ce qui les força à renoncer à ce
projet.
Pendant plusieurs années la guerre continua avec des chances
diverses, mais sans aucun résultat décisif; les ressources, de part
et d'autre, s'épuisaient et l'on pouvait prévoir, sinon la fin de ce
grand duel, au moins l'imminence d'une trêve. Les Karthaginois,
voulant tenter un effort décisif, s'adressèrent même, pour obtenir
de l'argent, à leur allié Ptolémée Philadelphe, roi d'Egypte, qui
leur refusa tout secours. Les Romains, non moins gênés, se virent
contraints de réduire le nombre de vaisseaux qu'ils avaient créés
et de renoncer à la guerre maritime.
Cependant en 250, Metellus s'étant trouvé assez fort pour lutter
contre l'armée karthaginoise, que les Romains n'avaient plus voulu
affronter depuis la défaite de Tunis, remporta une importante vic-
toire sur Asdrubal-, qui s'était audacieusement avancé jusqu'aux
portes de Palerme. Les éléphants, qui avaient puissamment con-
tribué aux succès de Xanthippe, tombèrent aux mains des vain-
queurs.
A la suite de ce nouvel échec, Karthage, après avoir mis en
croix son général, se décida à faire encore une tentative pour ob-
tenir la paix, et c'est à cette occasion que l'histoire a placé le récit
du dévouement de Régulus. De même que la première fois, les
conditions faites par les Romains furent jugées inacceptables, et la
guerre recommença (249).
1. Po]ybe, I.
2. C'est encore uue erreur d'écrire Asdrubal, en phéuicien Azrou-Baâl
i le secours de Baal », par un H.
PREMIERE GUERRE VUXIQUE (247 AV. J.-C.)
19
Grand siège de Lilybée. — Les Romains, qui avaient achevé la
conquête du littoral nord de la Sicile, voulurent profiter de leur
succès pour expulser définitivement leurs ennemis de l'île. Ils
vinrent en conséquence les attaquer dans leur place forte de Lily-
bée et commencèrent le sièj,^e de cette ville, siège aussi mémorable
par l'ardeur et le génie des assiégeants que par le courage et l'obs-
tination des assiégés, commandés par le général Ilimilcon. Pendant
plusieurs mois les machines de guerre battirent les remparts, tandis
que la flotte romaine bloquait cLroilcment le port; mais Ilimilcon
triompha par son habileté de tous les efforts des assiégeants, ren-
versant par des sorties soudaines les travaux par eux faits au prix
des plus grandes difficultés, incendiant leurs machines, déjouant
tous leurs plans ; en même temps, de hardis marins parvenaient à
faire entrer dans la ville, en passant au milieu des vaisseaux enne-
mis, des vivres et même des renforts. Sur ces entrefaites le consul
P. Claudius Pulcher, désespérant d'enlever la ville de vive force,
se contenta de la bloquer et partit subitement avec une flotte
nombreuse pour écraser les navires karthaginois à l'ancre dans le
port de Drépane. Celte fois la victoire fut pour les Karthaginois
qui prirent leur revanche de leurs précédentes défaites maritimes
en infligeant aux Romains un véritable désastre. Une tempête, qui
suivit de près cette bataille, coûta encore aux Italiens un grand
nombre de vaisseaux.
Ces nouvelles portèrent à Rome le découragement ; si Karthage
avait profité de ce moment pour pousser vigoureusement les opé-
rations, nul doute que la guerre n'eût été promptement terminée
à son avantage. Mais, soit par l'effet de la vicieuse organisation
gouvernementale, soit en raison du caractère propre aux races
sémitiques, qui ne s'inclinent que devant la nécessité immédiate,
on ne voit Karthage tenter d'efforts décisifs que quand l'ennemi
est aux portes et le danger imminent. On resta donc sur cette
victoire et la guerre continua pendant plusieurs années, consistant
en de petits combats sur terre et des courses de piraterie sur mer.
En 247, Amilcar-Barka avait pris le commandement des troupes
de Karthage en Sicile, troupes assez peu dévouées et composées
en partie de mercenaires de tous les pays. Mais Amilcar était un
général de grande valeur ; il sut tirer parti de ces éléments mau-
vais et, sans remporter de succès décisifs, empêcher tout progrès
de la part des Romains. Pour contenter ses soldats, il leur fit exé-
cuter une razia dans le Bruttium, puis il vint occuper le mont
Ercté ' qui domine Palerme, et de là, surveillant les routes, ne
1. Monte Pcllcgriiio.
20
IIISTOIRIi: DE l'aFRIQL'E
manqua aucune occasion de tomber sur ses ennemis et de couper
les convois '. De leur côté les Romains déployaient la plus grande
ténacité, si bien que les deux armées rivales en arrivèrent à recon-
naître mutuellement l'impossibilité de se vaincre.
Bataille des îles Egates. — Fin de la première guerre pu-
nique. — La guerre durait depuis vingt-deux ans et les deux
puissances rivales donnaient des signes non équivoques de lassi-
tude, quand Rome, décidée à en firiir, eut I heureuse inspiration
de se refaire une marine et d'essayer encore des luttes navales.
Au commencement de Tannée '2i'2. trois cents galères, plus un
grand nombre de bâtiments de transport, firent voile vers la Sicile.
Le consul Lutatiu? Gatulus, qui commandait, s'empara sans diffi-
culté de Drépane et de Lilybée, car les vaisseaux karthaginois
étaient absents, soit qu'ils fussent rentrés en Afrique, soit qu'ils
se trouvassent retenus dans de lointains voyages. A cette nou-
velle, Karthage se prépara à envoyer des troupes en Sicile à son
général, dont la situation devenait critique. Quatre cents vaisseaux
chargés de vivres, de munitions et d'argent partirent bientôt
d'Afrique sous la conduite de Hannon, avec mission d'éviter à
tout prix le combat et de débarquer subrepticement les secours
dans l'île; mais la vigilance de Lutatius ne put être déjouée. Avec
autant d'audace que de courage, il attaqua la flotte punique en
face d'Egusa (Favignano), une des Egales, et remporta sur les en-
nemis une victoire décisive. Cinquante galères karthaginoises
furent coulées, soixante-dix capturées, et le reste se dispersa. Ce
beau succès allait mettre fin à la campagne.
Démoralisée par sa défaite, Karthage autorisa Amilcar à traiter
comme il l'entendrait avec l'ennemi ; mais un traité dans ces con-
ditions ne pouvait être que désastreux, c'est-à-dire entraîner la
perte de la Sicile, pour la possession de laquelle les Phéniciens lut-
taient depuis si longtemps. Voici quelles furent les principales
conditions imposées à Karthage :
Restitution de tous les prisonniers romains et des transfuges,
sans rançon.
Abandon définitif de la Sicile, avec engagement de ne pas atta-
quer Hiéron ni ses alliés.
Et paiement d'une contribution considérable, dont partie sur-le-
champ, et partie en dix annuités*.
1. Polybe, 1. 1, p. 57.
2. En tout 3200 talents cuboïqiies d'argent.
PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (242 AV. J.-C.)
21
De son côté, Rome reconnaissait l'intégrité du territoire de
Karthage.
Les conséquences de la première guerre punique furent consi-
dérables, et permirent de mesurer la puissance acquise par Rome
depuis un demi-siècle. Suzeraine de l'Italie méridionale et de la
Sicile et maîtresse de la mer, voilà dans quelles conditions la lais-
sait la conclusion de la paix, ou plutôt de la trêve. Quant à Kar-
thage, sa situation était tout autre: son prestige maritime compro-
mis, ses finances ruinées, son autorité sur les Rerbères ébranlée,
tels étaient pour elle les fruits de cette fatale guerre. Certes, elle
était encore capable de grands efforts et devait le prouver avant
peu ; néanmoins ses jours de grandeur étaient passés et son déclin
approchait.
Divisions géographiques de l'Afrique adoptées par les Ro-
M^i^.g. — La guerre des Romains contre Karthage et surtout
leur descente en Afrique leur donnèrent des connaissances pré-
cises sur le continent que les Grecs avaient nommé Libye. Ils
donnèrent, les premiers, le nom d'Afrique au territoire de Kar-
thage, en conservant celui de Libye pour l'ensemble du pays,
mais, peu à peu, l'appellation d'Afrique devint générale. Ils surent
dès lors que cette vaste contrée était habitée par un grand nombre
de peuplades indigènes, dont les Phéniciens n'étaient pas partout
les maîtres, mais souvent les alliés ouïes hôtes.
'Voici quelles furent les divisions adoptées par les Romains pour
la géographie africaine :
1° Cyrénaïque ou Libye penlapole, bornée à l'est par la Mar-
marique et, à l'ouest, par la Grande-Syrte, et habitée par diffé-
rentes peuplades parmi lesquelles les Nasamons et les Psylles.
2° Région Syrtique, comprenant les deux Syrtes, et habitée par
les Troglodytes, Lothophages, Makes, etc.
3° Afrique propre ou Territoire de Karthage, correspondant
à peu près à la Tunisie actuelle, sous la domination directe des
Karthaginois. Dans la partie méridionale se trouve la grande tribu
des Musulames et, près du Triton, celle des Zouèkes.
4° Numidie, s'étendant de l'Afrique propre à la Molochath ou
Mouloeuia. Elle est divisée en deux royaumes : celui des Massi-
liens à l'est avec Hippo-Regius (Bône), ou Zama, pour capitale, et
celui des Masséssyliens à l'ouest, capitale Siga'. La ville de Kirta
1. Auprès de l'embouchure delaTafna. Il est à remarquer, du reste,
que la Massœssylie, c'est à dire le pays situé à l'ouest de l'Amsaga, cons-
tituait en réalité la partie orientale de la Maurétauie. Nous lui verrons
22
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
(ou Girta) sur l'Amsaga était, en quelque sorte, la capitale de la
Numidie occidentale.
5° Maurétanie ou Maurusie, s'étendant à l'ouest de la Numidie
jusqu'à l'Océan. Elle est habitée par un grand nombre de peu-
plades maures.
6° GétuUe, région située au sud delà Numidie et de la Maurétanie,
et formant la ligne du Sahara qui rejoint les Hauts-Plateaux. Elle
est habitée par les Gétules nomades.
7° Libye intérieure, comprenant les déserts africains. Habitée
par les Garamantes, Mélano-Gétules, Leucœthiopiens et des peu-
plades fantastiques, telles que les BJemmyes, ayant le visage au
milieu de la poitrine, et les Efjypans aux jambes de bouc. Strabon
et Pline ne tarderont pas à reproduire ces fables.
Les peuplades berbères obéissent à des chefs, véritables rois,
dont le pouvoir se transmet à leurs enfants par hérédité et que
nous allons voir entrer en scène.
Guerre des Mercenaires. — Au moment de la conclusion de la
paix, vingt mille mercenaires se trouvaient en Sicile, et il fallut,
tout d'abord, évacuer cette armée composée des éléments les plus
divers: Gaulois, Ligures, Baléares, Macédoniens et surtout
Libyens. Giscon, successeur de Amilcar, les expédia par fractions
à Karthage, où ils ne tardèrent pas à créer une situation périlleuse,
car non seulement il fallut les nourrir, mais encore payer leur
solde arriérée. Les désordres commis par cette soldatesque de-
vinrent si intolérables que le gouvernement de Karthage se décida
à donner à chaque homme une pièce d'or à la condition qu'il irait
s'établir à Sicca', sur la frontière de la Numidie. Les Phéniciens,
qui avaient espéré s'en débarrasser par ce moyen, jugèrent le mo-
ment favorable pour proposer aux mercenaires une réduction con-
sidérable sur leur solde. Aussitôt la révolte éclate: en vain Kar-
thage essaie de parlementer et dépêche aux stipendiés plusieurs
parlementaires, et enfin le général Giscon avec lequel ceux-ci
avaient demandé à traiter ; les soldats redoublent d'exigences. Au
milieu d'un tumulte elTroyable, ils élisent pour chefs deux des
leurs, le campanien Spendius et le berbère Mathos. Giscon, abreuvé
d'outrages, est arrêté par les rebelles qui adressent un appel aux
indigènes. Aussitôt la révolte se propage et l'armée des merce-
naires devient formidable*; elle se divise en deux troupes dont
prendre ce uom, aussitôt que les conquêtes des Romains leur aurout
mieux -fait connaître le pays.
1. Actuellcmeut le Kef.
2. Polybe, LI, ch. lxvii et suiv.
PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (238 AV. J.-C.)
23
l'une vient attaquer Hippo-Zarytos (Benzert) et l'autre met le
siège devant Utique (239).
Dans cette circonstance critique Karthage, au lieu de remettre
la direction de la guerre à Amilcar, le seul homme capable de la
mener à bien, préféra donner le commandement de ses troupes à
Hannon, qui avait déjà fourni la mesure de son incapacité en
Sicile. De grands efforts furent faits pour résister à l'attaque des
rebelles ; mais deux échecs successifs essuyés par le général déci-
dèrent les Karthaginois à le remplacer par Amilcar. Il était temps,
car la levée de boucliers des Berbères était générale et les jours
de Karthage semblaient comptés. L'histoire de l'Afrique fournit
de nombreux exemples de ces tumultes des indigènes, feux de
paille qui semblent devoir tout embraser et qui s'éteignent d'eux-
mêmes, si la résistance est entre des mains fermes et expérimen-
tées.
En 238, Amilcar avait pris la direction des affaires; bientôt les
rebelles furent contraints de lever le siège d'UtIque; le général
karthaginois, continuant une vigoureuse offensive, infligea aux
mercenaires une défaite sérieuse près du- fleuve Bagradas (Med-
jerda) et s'empara d'un certain nombre de villes. Cependant Tunès
était toujours aux mains des stipendiés et Mathos continuait le
siège de Hippo-Zarytos. Spendius et Antarite, chefs des Gaulois,
se détachèrent de ce blocus pour marcher contre les Karthaginois
et les mirent en grand péril ; mais l'habile Amilcar, qui connais-
sait les indigènes, était parvenu à détacher de la cause des rebelles
un Berbère nommé Naravase. Soutenu parles forces de son nouvel
allié, il attaqua résolument les mercenaires et, grâce à sa stratégie
et au courage de ses soldats, parvint encore à les vaincre ; ils lais-
sèrent un grand nombre de morts sur le champ de bataille et
quatre mille prisonniers entre les mains des vainqueurs.
Une des premières conséquences de cette défaite fut la mise à
mort de Giscon et de sept cents prisonniers karthaginois que les
mercenaires firent périr dans les tortures. Dès lors, la lutte fut,
de part et d'autre, suivie de cruautés atroces, ce qui lui valut
dans l'histoire le nom de ffuerre inexpiable. En même temps, Kar-
thage perdait la Sardaigne qu'elle avait laissée à la garde d'une
troupe de mercenaires ; ceux-ci, suivant l'exemple de leurs collè-
gues d'Afrique, massacrèrent les Phéniciens qui se trouvaient
dans l'île et, après avoir commis mille excès, l'offrirent aux Ro-
mains. Pour comble de malheur, Utique et Hippo-Zarytos, las de
résister, ouvrirent leurs portes aux rebelles. Mathos et Spendius,
encouragés par ces succès, vinrent alors, à la tête d'une grande
multitude, mettre le siège devant Karthage. La métropole punique
24
mSTniRE DE i/aFRIQUE
réduite de nouveau à la dernière extrémité se vit contrainte d im-
plorer le secours de Iliéron de Syracuse et des Romains, qui s em-
pressèrent de Taider à résister à l attaque des mercenaires ; en
même temps Amilcar, soutenu par Naravase, inquiétait les re-
belles sur leurs derrières et les attirail à des combats en plaine,
où il avait presque toujours l'avantage (237). Contraints de lever
le siège de Karthage, les stipendiés se laissèrent pousser par Amil-
car dans une sorte de défilé que les historiens appellent défilé de
la Hache, où ils se trouvèrent étroitement bloqués, et, comme ils
ne voulaient pas se rendre, ils furent bientôt en proie à la plus
affreuse famine et contraints, dit I histoire, de s'entre-dévorer. Ne
pouvant plus résister à leurs souffrances, les chefs Spendius, An-
taritc, un Berbère du nom de Zarzas et quelques autres, se pré-
sentèrent, pour traiter, à Amilcar, qui stipula que dix rebelles à
son choix seraient laissés à sa disposition et les retint prisonniers.
Puis il fit avancer ses troupes et ses éléphants contre les rebelles
et les extermina sans faire de quartier. Il en périt, dit-on, quarante
mille.
La révolte semblait domptée; mais Tunès tenait encore. Mathos
s'y était retranché avec des forces importantes. Amilcar, étant
venu l y assiéger, fut défait, ce qui ajourna pour quelque temps
encore l'issue de la campagne. Enfin Karthage, s'étant résolue à
un suprême effort, adjoignit Hannon à Amilcar en chargeant les
deux généraux d'en finir. Bientôt, en effet, les Karthaginois ame-
nèrent Malhos à tenter le sort d une bataille en rase campagne et
parvinrent à l'écraser. Cette fois, c'en était fait des mercenaires;
la révolte était domptée et Karthage échappait à un des plus
grands dangers qu'elle eût courus. L'attitude des Berbères pen-
dant cette guerre put lui prouver combien sa domination en
Afrique était précaire, car, sans leur appui et leur coopération, les
mercenaires n'auraient jamais pu tenir la campagne pendant si
longtemps et avec tant de succès'.
Karthage, après avoir rétabli son autorité en Afrique, porte
LA guerre en Espagne. — Après avoir fait rentrer sous leur obéis-
sance les villes compromises par l'appui donné aux rebelles,
et notamment L'tique et Hippo-Zarytos, qui opposèrent une
résistance désespérée, les Karthaginois firent plusieurs expé-
ditions dans l'intérieur, tant pour châtier les Berbères que pour
1. V. pour la guerre des mercenaires: Polybe, 1. I, Corn. Ncpos,
Amilcar, Tite-Live 1. XX, Justin, XXVII.
PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE (228 AV. J.-C.)
25
garantir la limite méridionale par une ligne de postes. Ils occu-
pèrent notamment, alors, la ville de Theveste (Tébessa).
Dès qu'elle ne fut plus absorbée par le soin de son salut, Kar-
thage songea aussi à réoccuper la Sardaigne; mais Rome, appre-
nant qu'elle préparait une flotte expéditionnaire, imposa son veto
absolu et, comme on ne tenait pas compte de sa défense, elle se
disposa à recommencer la guerre contre sa rivale. Mais la métro-
pole punique était encore trop meurtrie de la lutte qu'elle venait
de soutenir pour se résoudre à entreprendre une nouvelle guerre.
Force lui fut de plier devant les exigences romaines et de renon-
cer à toute prétention sur la Sardaigne (237).
Karthage tourna alors ses regards vers l'Espagne où il semblait
que Rome devait lui laisser le champ libre. Amilcar, autant pour
échapper à l'envie de ses concitoyens qui, comme récompense de
ses services, l'avaient décrété d'accusation, que pour continuer à
servir sa patrie, accepta le commandement de l'expédition dont le
prétexte était de secourir Gadès (Cadix), colonie punique alors
attaquée par ses voisins. Pour mieux surprendre ses ennemis, il
quitta Karthage en sinuilanL une expédition contre les Maures. Il
emmenait avec lui ses fils, parmi lesquels le jeune Ilannibal',
auquel il fit jurer, sur Tautel du Dieu suprême, la haine du nom
romain. Il marcha le long de la côle en emmenant un grand
nombre d'éléphants; la flotte le suivait, au large, à sa hauteur.
Parvenu à Tanger, il traversa le détroit. La victoire couronna le=)
efforts d'Amilcar; pendant neuf ans, il ne cessa de conquérir des
provinces à Karthage ; mais en 228 il trouva la mort du guerrier
dans un combat contre les Lusitaniens^.
Succiis Diîs Kartiiaginois en Espagne. — Asdrubal, gendre de
Amilcar, remplaça celui-ci dans la direction des affaires d'Espagne.
Doué d'un esprit politique supérieur, il consolida, par des alliances
et des traités avec les populations indigènes, les succès de son beau-
père, fonda la cité de Karthagène et réalisa en Espagne de grands
progrès. Tout le pays jusqu'à l'Ebre fut administré au nom du
gouvernement karthaginois, par Asdrubal, chef de la famille des
Barcides^, dont le pouvoir fut, en réalité, celui d'un vice-roi à
peu près indépendant. Karthage, recevant de riches tributs et
voyant dans les conquêtes de son généi^al une compensation à ses
pertes dans la Méditerranée, lui laissa le champ libre.
1. Henn-baal, ou Baal Henna, don de Dieu, en punique.
2. Cornélius Nepos, Amilcar, III.
3. De Barka ou Barca (surnom de Amilcar).
26
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Cependant les Romains, qui avaient cru leurs ennemis écra-
sés, ne virent pas sans la plus jurande jalousie les progrès des
Karthaginois en Espagne. Ils jugèrent bientôt qu'il était de la der-
nière importance de les arrêter, et, à cet effet, ils conclurent un
traité d'alliance avec deux colonies grecques d'Espagne, Sagonte'
et Amporia (Ampurias). Après s'être assuré ces points d'appui, ils
forcèrent Asdrubal à signer un traité par lequel il s'obligeait à res-
pecter ces colonies et à ne pas franchir l'Ebre. Malgré l'enga-
gement auquel Asdrubal avait été forcé de souscrire, la puissance
punique avait continué à s'étendre dans la péninsule ; mais le poi-
gnard d'un esclave gaulois vint arrêter l'exécution des projets de
ce grand homme ^220]. Le jeune Mannibal, qui s'était fait remarquer
à l'armée par ses brillantes et solides qualités et qui avait en outre
hérité de la popularité du nom de son père, fut appelé, par le vœu
de tous les officiers, à remplacer son beau-frère Asdrubal, et, bien
qu'il ne fût âgé que de vingt-neuf* ans, reçut le commandement
des possessions et de l'armée d'Espagne. Le Sénat de Karlhage se
vit forcé de ratifier ce choix, malgré l'opposition de la famille de
Hannon opposée à celle des Barcides. Hannon voyait dans cette
nomination la certitude de la reprise de la guerre avec les Romains.
L'événement n'allait pas tarder à lui donner raison.
1. Actuellement Murvicdes dans la province de Valence.
2. Vingt-six selon Cliton (Fasli).
CHAPITRE III
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE
2i0-201
Hannibal commence la guerre d'Espagne. Prise de Sagonte. — Hannibal
marche sur l'Italie. — Combat du Tessin; batailles de la Trébie et de Tra-
simène. — Hannibal au centre et dans le midi de l'Italie; bataille de
Cannes. — La guerre en Sicile. — Les Berbères prennent part à la lutte.
— Syphax et Massinissa. — Guerre d'Espagne. — Campagne de Hannibal
en Italie. — Succès des Romains en Espagne et en Italie; bataille du Mé-
taure. — Evénements d'Afrique; rivalité de Syphax et de Massinissa. —
Massinissa, roi de N'umidie. — Massinissa est vaincu par Syphax. — Evé-
nements d'Italie; l'invasion de l'Afrique est résolue. — Campagne de Sci-
pion en Afri(jue. — Syphax est fait prisonnier par Massinissa. — Bataille
de Zama. — Fin de la deuxième guerre punique; traité avec Rome.
Hannibal commence la guerre d'Espagne. Puise de Sagonte.
— A peine Hannibal fut-il revêtu du pouvoir qu'il se prépara à
la guerre contre les Romains. A cet effet, il vint en Afrique
faire des levées et réunit une armée considérable formée presque
en entier de Berbères : Numides, Maures, Libyens et même Gé-
lules et Etbiopiens tous attirés par l'espoir du butin. Ayant fait
passer ses mercenaires en Espagne, il commença le siège de Sa-
gonte, malgré l'opposition des Romains ; pendant huit mois, les
assiégés se défendirent avec un courage indomptable, mais, aban-
donnés à eux-mêmes, écrasés par le grand nombre de leurs en-
nemis, ils succomI)ci'ent en s'ensevelissanl sous les ruines de leur
cité que les derniers survivants incendièrent eux-mêmes (2191.
Dès lors, Rome se disposa à la lutte; néanmoins, une nouvelle
ambassade fut envoyée à Karthage pour obtenir réparation : tenta-
tive inutile dans un moment ou la victoire surexcitait l'orgueil na-
tional. La guerre, proposée par Fabius pour trancher le différend,
fut acceptée avec acclamation par les Karthaginois. Les Romains,
croyant avoir facilement raison de leurs ennemis, chargèrent le
consul Sempronius de se rendre en Sicile pour y préparer une
armée destinée à envahir l'Afrique ; mais c'est sur un autre théâtre
que la guerre allait éclater.
1. Tite-Live, XXII.
28
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Hannibal marche sur l'Italie. — Le but de Hannibal était
atteint : la çcuerre allait recommencer, et il ne lui restait qu'à ap-
pliquer un plan de campap^ne depuis lonf^temps préparé par son
père et par Asdrubal. Il ne s'agissait rien moins que de l'envahis-
sement de l'Italie par la voie de terre; la route avait été soigneu-
sement étudiée par des émissaires, et les Barcides avaient eu soin
de nouer des relations d'amitié avec les peuplades dont on devait
traverser le territoire, et de faire briller à leurs yeux l'or de Kar-
thage'. Ce ne fut donc pas une inspiration soudaine, mais un
plan parfaiLement mûri que Hannibal mit à exécution. Il com-
mença par envoyer en Afrique une vingtaine de mille hommes,
dont la plus grande partie fut chargée de garder le détroit pour
assurer les communications, le reste allant coopérer à la défense
de Karlhage ; il laissa en Espagne douze mille fantassins, deux
mille cinq cents cavaliers, une trentaine d'éléphants, le tout sous
le commandement de son frère Asdrubal. La flotte reçut la mission
de croiser dans le détroit. Des otages espagnols furent gardés en
Afrique, tandis que des Libyens des meilleures familles étaient
répartis en Espagne ou emmenés à l'armée. En même temps, on
préparait à Karthage une flotte de guerre destinée à attaquer les
côtes d'Italie et de Sicile.
Au printemps de l'année 218, Hannibal quitta Karthagène à la
tête d'une armée d'une centaine de mille hommes, et se dirigea
vers le nord. Dans sa marche, il se débarrassa des éléments faibles
et douteux, cuU^uta les peuplades indigènes qui voulurent lui ré-
sister, laissa son frère Magon entre l'Ebre et les Pyrénées et, ayant
franchi celte chaîne de montagnes, entra en Gaule avec cinquante
piille fantassins et neuf mille cavaliers, tous soldats éprouvés, les
deux tiers berbères : à sa suite marchaient trente-sept éléphants.
L'inertie inexplicable des Romains semblait laisser le champ libre
à l'audacieux Karthaginois.
Dans sa marche à travers la Gaule, Hannibal rencontra des popu-
lations diverses dont les unes se joignirent à lui comme alliées ; il
gagna les autres par ses présents, et passa sur le corps de celles
qui refusèrent de traiter. Il atteignit ainsi sans grandes difficultés
le Rhône. Non loin de Marseille, les cavaliers numides, envoyés
en éclaireurs, soutinrent un combat contre les soldats du consul
P. Scipion, parti par mer pour l'Espagne, mais qui, apprenant les
progrès de l'ennemi, s'était arrêté dans la cité phocéenne. En vain,
les Volks essayèrent de disputer aux envahisseurs le pas-age du
Rhône ; Hannibal les trompa, franchit le fleuve et se lança hardi-
1. Polybe.
fiEUXIliME GUERRE PUNIQUE (2l8 AV. J.-C.)
29
ment dans les Alpes. Par quel défilé passa l'armée karthaginoise ?
c'est un point sur lequel on discutera sans doute pendant long-
temps. Peu importe, du reste ! Ce qui est certain, c'est qu'à force
d'énergie, et au prix des plus grandes fatigues et des souffrances
les plus pénibles, car on était au mois d'octobre, Ilannibal parvint,
malgré la neige et les précipices, à traverser la terrible montagne.
Il déboucha dans le pays des Insubres avec vingt mille fantassins
et six mille cavaliers. Il avait donc perdu en route la moitié de
son armée, et c'est avec ces débris qu'il fallait conquérir l'Italie.
Combat du Tessin ; batailles de la Trébie et de Trasimène.
— D'immenses difficultés avaient été surmontées par Ilannibal,
mais celles qu'il lui restait à vaincre étaient plus grandes encore.
Les Gaulois cisalpins, qui lui avaient promis leur appui, se tenaient
dans l'expectative, et il ne pouvait décidément compter que sur
ses soldats exténués par leur marche et démoralisés par leurs
pertes. Publius Scipion arrivait sur son flanc droit. Dans ces con-
ditions, le seul espoir de salut était dans l'énergie de la lutte, et
Hannibal qui avait, comme tous les grands hommes de guerre,
l'art d'enflammer les courages, sut le persuader à ses troupes. Les
Romains étaient venus se placer en avant du Tessin pour garder le
passage. Ilannibal les fit attaquer par sa cavalerie numide. Scipion
vaincu, blessé dans le combat, se vit contraint de repasser le
fleuve, d'aller se retrancher derrière la ligne du Pô et d'y attendre
des secours.
Rome, renonçant pour le moment à la campagne d'Afrique,
s'empressa de rappeler le consul Sempronius, qui venait de s'em-
parer de l'île de Malte, et lui donna l'ordre de rejoindre au plus
vite son collègue Scipion. Quelque temps auparavant, la flotte
karthaginoise, ayant fait une démonstration contre Lilybée, avait
été écrasée par le préteur yEmilius (218).
En Espagne, où Gneius Scipion avait été envoyé par son frère,
ce général réussissait à intercepter les communications des Kartha-
ginois avec l'Italie. Hannibal ne pouvait donc compter sur aucun
secours, ni par mer, ni par terre. Heureusement pour lui, son
succès du Tessin avait décidé les Gaulois, Insubres et Boïens, à lui
fournir leur appui ; ses troupes , remises de leurs fatigues, bien
approvisionnées par leurs alliés et par leurs fourrageurs, et pleines
de confiance, ne demandaient qu'à combattre.
Le consul Sempronius ayant, par une marche de quarante jours,
au milieu d'un pays insurgé, rejoint P. Scipion les forces ro-
1. Pour les probabilités des itinéraires suivis tant pur Sempronius
30
HISTOIRE DE i/aFRIQCË
maines réunies présentèrent un effectif considérable que les
consuls jugèrent suffisant pour triompher de Tarmée karthagi-
noise. Après quelques combats sans importance, Hannibal amena
Sempronius à lui livrer une bataille décisive sur les bords de la
Trébie. L'armée romaine était forte de quarante mille hommes,
dont quatre mille cavaliers seulement. Les Karthaginois étaient
moins nombreux, mais possédaient une plus forte cavalerie ; de
plus, ils occupaient un terrain choisi et dont Hannibal tira très
habilement parti; enfin, les Romains étaient exténués par les
combats des jours précédents, mouillés par la pluie et la grêle, et
sans vivres.
La bataille fut néanmoins des plus acharnées, et l infanlerie
romaine y montra une grande solidité ; mais un mouvement tour-
nant, opéré par un corps d élite karthaginois commandé par
Hannon, frère de Hannibal, décida de la victoire. Les Romains
écrasés laissèrent trente mille hommes sur le champ de bataille ;
un corps de dix mille hommes, commandé par Sempronius, parvint
seul à se réfugier à Plaisance en culbutant les Gaulois insurgés.
Cette brillante victoire assurait à Hannibal la conquête de toute
l'Italie du nord. Elle ne lui coûtait, en outre de ses derniers élé-
phants, qu'un nombre relativement peu considérable de guerriers,
car les principales pertes avaient été supportées par les Gaulois.
Mais ces pertes furent bientôt compensées par l'arrivée d'auxi-
liaires accourant de toutes parts, et il ne tarda pas à se trouver à
la tête d'une armée de quatre-vingt-dix mille hommes. Au prin-
temps suivant, Hannibal laissant Plaisance, avec Sempronius sur
ses derrières, se jeta résolûment dans l'Apennin, et, l'ayant tra-
versé au prix des plus grandes fatigues, envahit l'Etrurie. Le
consul Flaminius attendait, dans son camp retranché d'Arrétium,
l'attaque de l'ennemi. Hannibal ne commit pas la faute d'aller l'y
chercher; il le dépassa, et comme le général romain s'était mis à
sa poursuite, il manœuvra assez habilement pour l'attirer dans une
véritable souricière, sur les bords du lac de Trasimène. L'armée
romaine, surprise par les Karthaginois cachés dans les collines en-
tourant le lac, fut entièrement détruite ; le consul y trouva la mort,
ainsi que quinze mille de ses soldats ; un nombre égal fut fait pri-
sonnier'; mais Hannibal suivant une politique constante, renvoya
sans rançon les confédérés italiens, ne conservant que les Ro-
mains (218).
que par Hannibal, consulter le bel ouvrage du commandant Hennebert,
Hist. d'Annibal.
1. Tite-Live, 1. XXII, ch. 4. Polybe, 1. IIL 85.
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE (216 AV. J.-C.)
31
Hannibal au centre et dans le midi de l'Italie. Bataille de
Cannes. — Le sort de la guerre semblait favorable aux Kartha-
ginois : TEtrurie était ouverte et Rome, s atlendant à voir paraître
Tennemi, coupait ses ponts et se préparait à la résistance. Q. Fa-
bius Maximus, nommé dictateur, l'ut chargé de la périlleuse mis-
sion de repousser les Karthaginois. Cependant llannibal, ne se
jugeant pas assez fort pour tenter un ellort décisif et ne voulant
rien livrer au hasard, était passé en Ombrie et dans le Picénum et
s'occupait à refaire son armée et à former ses auxiliaires à la tac-
tique romaine. Jusqu'alors, il avait dû ses succès à sa brillante
cavalerie berbère, mais pour triompher de la solide infanterie en-
nemie, il lui fallait avant tout des fantassins. Du Picénum, Han-
nibal descendit, en suivant l'Adriatique, vers l'Italie méridionale,
ravageant tout sur son passage. Fabius le suivait, couvrant Rome,
harcelant sans cesse l'ennemi et l'affaiblissant, mais en ayant soin
d'éviter une grande bataille, ce qui lui valut le nom de « tempo-
riseur ». Mais l'impatience populaire, habilement exploitée par les
ennemis du dictateur, ne s'accommodait pas de cette prudence ;
les armées romaines avaient remporté des succès en Espagne et
dans le nord de l'Italie ; quant à Hannibal, qui avait compté sur le
soulèvement des populations de la Grande-Grèce, il n'avait ren-
contré partout qu'hostilité et défiance ; abandonné à lui-même, il
se trouvait dans une situation en somme assez critique. C'est
pourquoi l'on réclamait à Rome une action décisive. Fabius ayant
résigné le pouvoir, le parti populaire nomma consul T. ^'arron,
tandis que la noblesse élisait Paul-Emile.
Au printemps de l'année 216, llannibal avait repris l'ofTensive
en Apulie et était venu s'emparer de la place forte de Cannes. Ce
fut là que les nouveaux consuls vinrent l'attaquer, avec une armée
forte de quatre-vingt mille hommes d'infanterie et de six mille
chevaux. Paul-Emile, élève de Fabius, ne voulait pas encore atta-
quer, mais \^arron, héros populaire sans aucun talent, tenait avant
tout à plaire à l'opinion de la masse, et comme les deux consuls
avaient, tour à tour, le commandement pendant un jour, il donna
le signal du combat. Dix mille hommes furent laissés à la garde du
camp ; le reste s'avança dans la plaine en masses profondes, dispo-
sition qui avait été adoptée par \'arron pour donner plus de soli-
dité à la résistance, mais qui lui enlevait son principal avantage en
laissant dans l'inaction une partie de ses forces.
Hannibal n'avait à mettre en ligne que cinquante mille hommes,
mais sur ce nombre il possédait dix mille cavaliers berbères, et il
sut, avec son génie habituel, disposer son armée pour envelopper
celle de l'ennemi. Après une lutte acharnée, dans laquelle la cava-
32
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
lerie numide, commandée par Asdrubal, se couvrit de gloire, la
défaite des Romains fut consommée; un très petit nombre parvint
à s"échapper. Paul-Emile et presque tous les chevaliers romains
restèrent sur le champ de bataille ; les dix mille hommes laissés à
la garde du camp furent faits prisonniers. Les pertes de Hannibal
étaient, cette fois encore, peu considérables et portaient princi-
palement sur les auxiliaires gaulois.
Conséquences de la bataille de Cannes. — • Energique résistance
DE Rome. — Après la victoire de Cannes, Hannibal ne voulut pas
encore marcher directement sur Rome; son armée, composée en
partie de mercenaires, ne lui offrait pas une confiance assez grande
pour se lancer dans les périls d'une longue route au milieu de
nations hostiles, avec cette perspective de trouver comme but une
ville puissamment fortifiée et défendue par une population résolue.
Il préféra continuer méthodiquement la guerre qui lui avait si
bien réussi jusqu'alors. Un certain nombre de villes, parmi les-
quelles Capoue, la seconde cité de l'Italie, lui offrirent leur sou-
mission. Les populations grecques résistèrent généralement; Han-
nibal se vit donc contraint d'entreprendre une série d'opérations
de détail, afin de réduire par la force les opposants. En même
temps il envoyait à Karthage son frère Magon pour demander ins-
tamment des secours; il ne pouvait en attendre d'Espagne, car
les Scipions avaient continué à y remporter des avantages et, sou-
tenus par la puissante confédération des Celtibériens, ils empê-
chaient absolument le passage des Pyrénées.
Les échecs éprouvés par les Romains, loin d'abattre leur cou-
rage, n'avaient eu pour conséquence que de surexciter leur énergie
et de leur inspirer de mâles résolutions. Le Sénat, par sa fermeté,
rendit à tous la confiance. Les forces furent réorganisées ; on
appela aux armes tous les hommes valides, même les esclaves,
même les criminels. Le préteur Marcus Claudius Marcellus reçut
la mission de sauver la patrie ; les voix qui osèrent parler de traiter
furent bientôt réduites au silence.
A Karthage, tout autre était l'attitude. Là, nul enthousiasme;
l'annonce des victoires de Hannibal ne suscitait que la jalousie du
parti de Hannon et la défiance de tous. Alors que l'envoi d'im-
portants renforts en Italie eût été nécessaire pour terminer promp-
tement la campagne, le frère de Hannibal obtint avec beaucoup de
difficulté le départ de quatre mille Berbères et de quarante élé-
phants. On autorisa, il est vrai, Magon, à lever des troupes en
Espagne, mais ce projet ne se réalisa pas (216).
Hannibal demeurait donc, pour ainsi dire, abandonné à lui-
DEUXUÎME GlTERUE PUNIQUE (2l4 AV. J.-c]
33
même, car ces secours étaient insuffisants et le temps s écoulait,
permettant chaque jour aux Romains de reprendre de nouvelles
forces sous l'habile direction de Marcellus. La confédération ita-
lique était brisée, mais la résistance était partout, chacun combat-
tant pour son compte. Dans cette conjoncture, Ilannibal, qui était
en relations avec Philippe, roi de Macédoine, sigfna avec lui un
traité d'alliance offensive et défensive, d'après lequel le roi devait
arriver en Italie avec deux cents vaisseaux ('-215).
En attendant, la position de Ilannibal, entouré par trois armées
romaines, devenait de jour en jour plus critique ; pour éviter d'être
cerné, le général karthaginois se décida même à se porter vers le
nord-est, espérant que le roi de Macédoine le rejoindrait sur les
côtes de l'Adriatique.
En Sicile, Iliéronvme, roi de Syracuse, qui avait contracté
alliance avec les Karthaginois, était vaincu par les légions échap-
pées à Cannes et périssait assassiné.
L'année 21i se passa en opérations militaires dans lesquelles les
généraux déployèrent de part et d'autre un véritable génie. Les
succès des Romains furent positifs : presque toute l'Apulie était
reconquise et Gapoue étroitement bloquée. Enfin, en Espagne, les
Romains n'avaient cessé de remporter des avantages décisifs : la
plus grande partie de la Péninsule avait été conquise par eux.
Cependant les Karthaginois tenaient encore fermement dans les
provinces du sud-est.
La guerre en Sicile. — Après la mort de Hiéronyme, Karthage
tenta de reeueillir l'héritage de son allié. Un parti avait proclamé
à Syracuse une sorte de république; mais cette ville ne pouvait
rester neutre entre les deux grandes rivales; d'habiles émissaires,
envoyés, dit-on, par Ilannibal, la décidèrent à appeler les Kartha-
ginois. A cette nouvelle, Rome chargea Marcellus de prendre la
direction des affaires en Sicile ; le brave général commença aussitôt
le siège de Syracuse; mais cette ville avait été fortifiée avec soin
par Hiéron, durant son long règne, et elle était défendue par une
population énergique, avec le génie d'Archimède pour auxiliaire ;
aussi les Romains, après six mois d'ell'orts infructueux, durent-ils
renoncer aux opérations actives et se contenter d'un blocus. En
même temps, des troupes nombreuses, dont le chiffre atteignait,
dit-on, trente mille hommes, avaient été envoyées par Karthage,
en Sicile. Bientôt la plus grande partie de l'île fut arrachée aux
Romains. Quant à Marcellus, il concentrait tous ses efforts contre
Syracuse.
Ilannibal avait compté sur le secours que Philippe s'était engagé
34
insTOIRE DE l'wrJQVE
à lui fournir par son traité, et il e?t certain que, si le roi de Macé-
doine avait envoyé en Sicile ou en Italie des secours importants
aux Karthaginois, la situation des Romains serait devenue fort
critique. Son indécision, ses retards, sa mollesse compromirent
tout, et Rome en profita habilement pour attaquer Philippe chez
lui et semer la défiance et l'esprit d'opposition parmi les confé-
dérés grecs; le secours du roi de Macédoine fut donc annulé.
En 212, Syracuse se rendit à Marcellus, qui livra la ville au
pillage. La guerre, transformée en lutte de guérillas, devint dès
lors funeste aux Karthaginois. Le consul Lœvinus leur enleva
toutes leurs conquêtes.
Les Berbères prennent part a la lutte. Syphax et Massi-
NissA. — Les Berbères étaient depuis trop d'années mêlés, par
leurs mercenaires, à la lutte de Rome et de Karlhage, pour qu'il
leur fût possible d'en demeurer plus longtemps les spectateurs
désintéressés. Gula, fils de ce Xaravase qui avait aidé Amilcar à
triompher des ^lercenaires, était chef des Massyliens. Syphax'
régnait sur les Masséssyliens, c'est-à-dire, sur la Numidie occi-
dentale. Par ses traditions, par sa situation, Gula devait s'allier
aux Karthaginois qui, du reste, lui prodiguaient leurs bons offices ;
c'est ce qu'il fit. Quant à Syphax, il accueillit, dit-on, les proposi-
tions et les promesses que les Scipions lui envoyèrent d'Espagne
et se prononça pour Rome (213). Il s'occupa d'abord à organiser
son armée sous la direction de centurions romains, et, quand il se
crut assez: fort, il se mit en marche contre les Massyliens.
Mais Gula, prévenu de ces dispositions, n'était pas resté inactif.
Son fils Massinissa, jeune homme de dix-sept ans, doué des plus
belles qualités^, marcha, à la tête de troupes massyliennes et kar-
thaginoises, à la rencontre de Syphax, le vainquit dans une grande
bataille, où celui-ci perdit, dit-on, plus de trente mille hommes,
et le contraignit à abandonner Siga, sa capitale, pour se réfugier
dans les montagnes de la Maurétanie. Syphax ayant voulu se refor-
mer avec l'appui des Maures fut de nouveau vaincu (212). Toute
la Numidie se trouva alors réunie sous le sceptre de Gula, dont le
royaume s'étendit de la Molochat à l'Afrique propre.
Gcerre d'Espagne. — Ces victoires éloignaient, pour le moment,
un danger qui avait menacé directement Karthage. Celle-ci songea
1. Il serait beaucoup plus simple d'adopter pour ce nom l'orthographe
Sifax, car rien ne nous oblige d'employer l'y et pb, sinon la traduction.
2. Tite-Live.
DEirXIl'îME GUERRE PIWIQUE (211 AV. J.-C. )
35
alors à tenter un j^rand effort en Espagne pour arrêter les succès
des Scipions. Asdrubal, qui était venu lui-même coopérer à la cam-
pagne contre Syphax, s'empressa de retourner dans la péninsule,
emmenant avec lui des renforts considérables fournis en grande
partie par les Numides, et avec eux Massinissa, dont il avait pu
apprécier la valeur.
Les Scipions appelèrent aux armes les populations espagnoles
nouvellement soumises et, comme les Karthaginois avaient divisé
leurs troupes en trois corps, ils formèrent aussi trois armées pour
les leur opposer. Le résultat fut désastreux pour eux. Publius
Scipion, abandonné par ses auxiliaires, fut d'abord défait, puis ce
fut le tour de Gnéius. Enfin les débris de l'armée furent sauvés
par Gains Marcius qui se retira derrière l'Ebre. Toute la ligne
située au sud de ce fleuve rentra ainsi en la possession des Kartha-
ginois. Massinissa et les Numides avaient puissamment contribué
à ces importants succès (212).
Les deux Scipions étaient morts en combattant et il semblait
qu'il restait peu d'efforts à faire aux Karthaginois pour débloquer
le nord de l'Espagne et porter secours à Hannibal; mais la désu-
nion qui régnait parmi les chefs phéniciens, d'autre part, l'habile
tactique de G. Marcius et la promptitude de Rome à envoyer des
secours arrêtèrent les conséquences d'une campagne si bien com-
mencée. La guerre, avec ses péripéties, reprit son cours régulier.
Massinissa d'un côté, le jeune Publius Scipion, de l'autre, se ren-
contrèrent sur ces champs de bataille.
Campagnes de Hannibal en Italie. — Pendant que la Sicile,
l'Afrique et l'Espagne étaient le théâtre de ces événements, Han-
nibal abandonné, enfermé en Italie, déployait les ressources iné-
puisables de son génie pour tenir ses ennemis en échec. Un mo-
ment, en 213, il s'était trouvé dans une situation si critique que
le Sénat, jugeant sa chute prochaine, avait cru pouvoir rappeler
deux légions et les envoyer contre Gapoue. Aussitôt, le généi'al
karthaginois avait repris l'offensive, reconquis une partie du ter-
rain perdu dans la Lucanie et le Bruttium et s'était même fort ap-
proché de Rome. Peu après, Tarente lui ouvrait ses portes (212).
Mais comme les Romains s'étaient réfugiés dans la citadelle de
cette ville, les Karthaginois furent contraints d'en entreprendre
régulièrement le siège.
En 211, pendant qu'une partie des troupes karthaginoises
étaient retenues devant la citadelle de Tarente, Hannibal se porta
par une marche rapide sur Rome, qu'il espérait surprendre par la
soudaineté de son attaque. Mais la ténacité des Romains déjouait
36
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
toutes les surprises ; il trouva tous les postes gardés et dut se con-
tenter de ravager la canipaj^ne environnante. Vers le même temps,
Capoue était réduite à capituler (211). L'année suivante se passa
en opérations dans lesquelles Hannibal obtint quelques succès;
mais cette situation ne pouvait se prolonger, s'il ne recevait promp-
tement de puissants renforts. En 209, tandis que les troupes kar-
thag-inoises étaient retenues dans le centre, le vieux consul Fabius
parvenait à rentrer en possession de Tarente; quelque temps après
le brave Marcellus, écrasé par Hannibal, trouvait sur le champ de
bataille la mort du guerrier (208).
Succès des Romains en Espagne et en Italie. Bataille du Mé-
TAURE. — Cette terrible guerre se poursuivait en Italie avec un
acharnement égal de pari et d'autre, et il était difficile d'en prévoir
le dénouement, quand les événements d'Espagne vinrent changer
la face des choses. En 209, Publius Scipion, profitant de ce que les
troupes karthaginoises étaient disséminées à l'intérieur, alla sur-
prendre et enlever Karthagène, quartier général des Phéniciens,
où il trouva des approvisionnements considérable?, un nombreux
matériel de guerre, des vaisseaux, de l'argent, des otages. Le tout
lui fut livré par le général Magon, après une résistance qui aurait pu
être plus héroïque. Pour assurer les conséquences de cet important
succès, Scipion marcha contre Asdrubal et le défit, mais il ne put
empêcher le hardi Karthaginois de prendre, avec des forces impor-
tantes, des éléphants et de l'argent, le chemin du Nord. En route,
Asdrubal reforma son armée, traversa les Pyrénées et fit invasion
en Gaule (208).
Bientôt on apprit à Rome que les Karthaginois menaçaient le
nord de l'Italie. La consternation fut grande, mais comme toujours
les viriles résolutions triomphèrent. L'argent manquait : on fit
appel au patriotisme des citoyens et des alliés ; les légions étaient
disséminées, on les fit rentrer d'Espagne et de Sicile et l'on appela
tous les hommes valides aux armes. Les consuls Marcus Livius et
Caius Néron reçurent la mission d'empêcher la jonction des Kar-
thaginois.
Hannibal, qui voyait enfin son plan sur le point d'être réalisé,
s'empressa de marcher vers le nord pour y tendre la main à son
frère, mais les consuls lui barrèrent le passage, et après plusieurs
actions dans lesquelles il n'eut pas l'avantage, il se trouva arrêté à
Canusium, en Apulie, ayant en face de lui C. Néron, tandis que
Marcus gardait la frontière du Nord. Sur ces entrefaites, un cour-
rier, envoyé par Asdrubal à son frère, étant tombé entre les mains
des Romains, les mit au courant du plan et de la situation de l'en-
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE (207 AV. J.-C.)
37
nemi. Néron laissa alors son camp à la garde d'une faible partie de
son armée et se porta, par marches forcées, avec le reste de ses
troupes, contre les Karthaginois dont il connaissait la position et
l'itinéraire. En combinant ses forces avec celles de son collègue, il
put surprendre les ennemis au moment où ils franchissaient le Mé-
taure. En vain Asdrubal essaya de se dérober par la retraite à
l'attaque des Romains, il fallut combattre, et on le fit de part et
d'autre avec un grand courage. La journée se termina par la dé-
faite des Karthaginois, dont le chef se fit bravement tuer. Qua-
torze jours après son départ, Néron rentrait dans son camp et
faisait lancer dans les lignes ennemies la tête d'Asdrubal. Ce fut
ainsi que Hannibal apprit qu'il ne lui restait plus d'espoir d'être
secouru et qu'il ne pouvait plus compter que sur lui-même (207).
Il se mit en retraite, atteignit le Bruttium, s'y retrancha et y ré-
sista pendant plusieurs années encore aux attaques des troupes
romaines.
Evénements d'Afrique. Rivalité de Massinissa et de Syphax. —
Pendant que l'Italie était le théâtre de ces événements, Scipion
poursuivait en Espagne le cours de ses succès. Vainqueur des gé-
néraux karthaginois Ilannon, j\Iagon et Asdrubal, fils de Giscon,
les Romains conquirent toute l'Espagne méridionale, de telle sorte
que les Phéniciens ne conservèrent plus que Gadès et son terri-
toire. Scipion sut en outre détacher Massinissa de la cause de ses
ennemis. On dit que ce dernier se laissa séduire par la générosité
du général romain qui avait laissé la liberté à son neveu Massiva* ;
il accepta une entrevue avec Silanus, lieutenant de Scipion, et s'at-
tacha pour toujours aux Romains. C'était une nouvelle conquête,
et l'on n'allait pas tarder à en avoir la preuve en Afrique (207).
Scipion, cela n'est pas douteux, avait déjà l'intention bien
arrêtée d'attaquer Karthage chez elle. Une condition de réussite
était d'avoir l'appui des Berbères. Il renoua donc les relations avec
Syphax qui, après avoir reconquis son royaume, avait recouvré
une grande puissance en Masséssylie et alla même audacieusement
lui rendre visite en Afrique. Asdrubal, fils de Giscon, l'avait de-
vancé auprès du prince numide; mais, malgré tous ses efforts, il
ne put empêcher Syphax de conclure avec Scipion un traité d'al-
liance contre Karthage. Rentré en Espagne après une fort courte
absence, Scipion eut une entrevue avec Massinissa et le décida à
se prononcer ouvertement contre les Phéniciens, dont il sut habi-
lement faire ressortir l'ingratitude vis-à-vis de lui, en lui rappelant
1. Titc-Live, 1. XXVII.
38
HISTOIRE DE l'aFUIQLE
qu'il leur avait rendu les plus grands services avec ses cavaliers
numides, dans la péninsule (206).
Mais Asdrubal, resté auprès de Syphax, n eut pas de peine à
tirer parti de cette circonstance pour susciter la jalousie de ce
prince berbère et le détacher des Romains. La main de sa fille, la
célèbre Sophonisbe qui, dit-on, avait autrefois été promise à Mas-
sinissa', scella la nouvelle alliance.
Massimssa, roi de Numidie. — Ce n"élait pas sans motif que
Massinissa s'était prononcé contre les Karthaji^inois ; en effet,
tandis qu'il luttait pour eux en Espai;ne, ils assistaient impassibles
à sa spoliation. Gula étant mort, le pouvoir passa, selon la cou-
tume du pays, dans les mains de son frère Desalcès, vieillard
fati<?ué, qui ne tarda pas à le suivre au tombeau. Il laissait deux
jeunes fils, Capusa et Lucumacès. Le premier hérita du pouvoir ;
mais un intrigant Massylien, nommé Mézétule, profita de sa fai-
blesse pour le renverser et faire proclamer à sa place son jeune frère
Lucumacès, en se réservent pour lui la direction des affaires.
Il était temps, pour Massinissa, de venir prendre une part active
à la lutte. En 206, il passa en Maurélanie et se rendit auprès de
Bokkar, roi de cette contrée, duquel il obtint, non sans difficulté,
une escorte pour se rendre à Massylie. Arrivé dans son pays, il
vit accourir un grand nombre de Berbères las de la tyrannie de
l'usurpateur, et ne tarda pas, avec leur appui, à entrer en lutte
ouverte contre son cousin. Lucumacès, réduit à la fuite, parvint à
se réfugier auprès de Syphax et obtint de lui un corps de troupe
considérable avec lequel il vint offrir la bataille à Massinissa ; mais
le sort des armes fut favorable à celui-ci et cette victoire lui rendit
son royaume. Il entra alors en pourparlers avec Lucumacès, lui
offrant de partager le pouvoir avec lui, ce qui fut accepté. Le
jeune prince rentra ainsi en Massylie avec Mezétule.
Massinissa est vaincu par Syphax. — Le but de Massinissa, par
cette transaction, avait été de ne pas diviser ses forces, dans la
prévision de l'attaque imminente de Syphax. Bientôt, en effet, les
Masséssylien-; envahirent, avec des forces nombreuses, son terri-
toire. En vain Massinissa essaya de tenir tête à ses ennemis :
vaincu dans un grand combat, il perdit en un jour sa couronne et
se vit réduit à fuir avec quelques cavaliers (205). Il chercha un re-
fuge dans le mont Balbus, non loin de Clypée - et, ayant été rejoint
1. Ce fait, attesté par Appien, est passé sous silence par Tite-Liye.
2. Près de la eôte orientale de la Tunisie.
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE (204 AV. J.-C.)
39
par un certain nombre d'aventuriers, y vécut pendant quelque
temps de brigandage et du produit de ses incursions sur les terres
karthaginoises. Mais un corps d'armée envoyé par Syphax, sous la
conduite de son lieutenant Bokkar, vint l'y relancer, le vainquit
en deux rencontres et dispersa ses adhérents.
Blessé dang-ereusement, Massinissa fut transporté dans une ca-
verne et échappa à la mort grâce au dévouement de quelques
hommes restés avec lui. Aussitôt qu'il fut en état de monter à
cheval, Massinissa rentra dans la Numidie où il fut bien accueilli
par les Berbères qui, avec leur inconstance habituelle, vinrent en
masse se ranger sous sa bannière. Syphax le croyait mort, lorsqu'il
apprit qu'il était campé avec un énorme rassemblement entre Cirta
et Hippone. Le roi des Masséssyliens marcha contre lui et le défit
dans une sanglante bataille, dont le gain fut en grande partie dû à
un habile mouvement tournant exécuté par Vermina, fils de
Syphax. Cette fois il ne resta à Massinissa d'autre ressource que de
gagner le pays des Garamanteset de se tenir sur la limite du désert
en attendant les événements. Nous verrons, dans tous les temps,
les agitateurs aux abois suivre cette tactique. Quant à Syphax, il
demeura maître de toute la Numidie (201). Il vint alors s'établir à
Cirta, ville qui, par son importance et sa situation centrale, était la
réelle capitale du royaume.
Evénements d'Italie. L'inv.vsion de l'Afrique est résolue. —
Tandis que l'Afrique était le théâtre de ces événements, Magon,
qui avait enfin reçu de Karthage quelques secours, quittait l'Es-
pagne et allait débarquer à Gênes dans l'espérance de pouvoir dé-
bloquer son frère Ilannibal, avec l'appui des Gaulois et des Ligu-
riens. Il obtint en effet quelques secours de ces peuplades ; mais
ce n'était pas avec de telles forces qu'il pouvait traverser l'Italie,
et il n'avait pas le prestige qui donne la confiance et supplée à la
faiblesse : après quelques tentatives infructueuses, il fut à peu
près réduit à l'inaction (205).
Pendant ce temps, Scipion qui, lui aussi, avait quitté l'Espagne,
s'efforçait de faire adopter à Rome son plan d'invasion de l'Afrique,
mais il se heurtait à une résistance invincible : les vieux sénateurs
n'avaient pas confiance dans ce jeune homme qui affectait d'adopter
les mœurs étrangères; ils oubliaient qu'il venait de conquérir
l'Espagne et disaient, pour expliquer leur refus, qu'il ne fallait pas
songer à une guerre lointaine tant que Hannibal n'aurait pas quitté
l'Italie. A force d'insistance, Scipion finit cependant par arracher
au Sénat l'autorisation d'attaquer Karthage chez elle, mais il
n'obtint pas les forces matérielles nécessaires ; on l'envoya en Sicile
40
HISTOIRE DK l'Afrique
organiser la flotte et former son armée des restes des légions de
Cannes et des aventuriers et des mercenaires qu'il pourrait réunir,
mais sans lui donner d'argent pour cela. L'activité et le génie du
général suppléèrent à tout : il se fit remettre des subsides par les
villes, mit en état la flotte, organisa l'armée et, au printemps de
l'année 20i, fit voile pour l'Afrique en emmenant trente mille
hommes.
Campagne de Scipion en Afrique. — Débarqué heureusement au
Beau-Promontoire, près d'Utique, Scipion fut rejoint par Massi-
nissa accouru avec quelques cavaliers '. Après divers engagements
heureux contre les troupes karthaginoises, le général romain vint
mettre le siège devant Utique. Mais Syphax, étant accouru avec
une puissante armée au secours de se? alliés, força Scipion à lever
le siège d'Utique et à aller prendre ses quartiers d'hiver dans un
camp retranché, entre cette ville et Karthage. Les troupes phéni-
ciennes et berbères se contentèrent de l'y bloquer étroitement. Au
printemps suivant, Scipion profita de la sécurité dans laquelle il
avait entretenu Syphax, en lui adressant des propositions de paix,
comme s'il jugeait la campagne perdue; simulant un mouvement
vers Utique, il se porta par une marche rapide sur les campements
de ses ennemis divisés en deux groupes, les Karthaginois sous le
commandement d'Asdrubal et les Berbères sous celui de Syphax,
les surprit de nuit dans leur camp, et fit incendier celui des
Numides par Lélius, son lieutenant, et par Massinissa ; quant à lui,
il se réserva l'attaque de celui des Phéniciens. Le succès de ce
coup de main fut inespéré : quarante mille ennemis périrent, dit-
on, dans cette nuit funeste, car ceux qui essayaient d'échapper aux
flammes et au tumulte tombaient dans les embuscades des Ro-
mains (203).
Sans se laisser abattre par ce désastre, Karthage s'occupa avec
activité de se refaire une armée. Quatre mille mercenaires celti-
bériens furent enrôlés, et bientôt une armée nombreuse de Ber-
bères, envoyés par Syphax, arriva à Karthage. Asdrubal, à la tète
d'une trentaine de mille hommes, marcha alors contre Scipion qui
s'avança à sa rencontre et lui livra bataille en un lieu que les his-
toi'iens appellent <( les grandes plaines ». Cette fois encore, la for-
tune se prononça pour les Romains. Scipion remporta une victoire
décisive, puis il marcha directement sur Karthage et vint se rendre
maître de Tunis.
1. Tite-Live, XXIX, 29.
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE (203 AV. J.-C.)
41
Syphax est fait prisonnier par Massinissa. — Mais avant de
porter les derniers coups à la métropole punique, Scipion juj^ea
qu'il fallait la priver de ses alliés ; Massinissa brûlait trop du désir
de tirer vengeance de son rival pour ne pas le pousser dans cette
voie. Ce fut Massinissa lui-même que Scipion chargea de ce soin,
en lui adjoignant Lélius. Syphax marcha bravement à la rencontre
de ses ennemis et leur livra bataille ; mais dans l'action, son cheval
s'étant abattu, il se bles?a et fut fait prisonnier. Après ce premier
succès, Massinissa, dépassant sans doute les instructions reçues,
marche directement avec Lélius sur Cirta, la place forte de la Nu-
midie. Il trouve la population disposée à la lutte à outrance ; mais
il montre Syphax enchaîné et profite de la stupeur des Berbères
pour se faire ouvrir les portes. Il pénètre dans la ville, court au
château et en retire Sophonisbe'. Puis on reprend le chemin de
Tunis, et Massinissa se présente à Scipion, en traînant à sa suite
Syphax captif ; Sophonisbe suivait aussi, mais dans un tout autre
équipage. Scipion, ayant appris que Massinissa se disposait à en
faire sa femme, craignit que l'influence de la belle Karthaginoise
ne détachât de lui le prince numide, et exigea, malgré les suppli-
cations de celui-ci, qu'elle lui fût livrée, sous le prétexte que tout
le butin appartenait à Rome. ]\fais Sophonisbe évita, par le poison,
la honte d'orner son triomphe; on ne remit qu'un cadavre au gé-
néral romain.
Bataille de Zama. — La chute de Syphax acheva de démoraliser
Karthage. On s'empressa d'abord de rappeler d'Italie Magon et
Hannibal ; puis, la flotte fut envoyée au secours d'Utique; mais
cette diversion, bien qu'ayant forcé Scipion à quitter son camp de
Tunis, n'eut aucune conséquence décisive. Les Karthaginois pro-
posèrent alors des ouvertures de paix que Scipion accueillit ; il fit
connaître ses conditions, et, comme elles étaient acceptablES, les
bases de la paix furent arrêtées et des envoyés partirent pour
Rome, afin de soumettre le traité à la ratification du Sénat.
Pendant ce temps, Magon et Hannibal quittaient l'Italie. Le
premier, grièvement blessé quelque temps auparavant, ne devait
jamais revoir son pays; quant à Hannibal, qui avait depuis long-
temps pris ses dispositions pour la retraite, il s'embarqua sans être
inquiété, à Crolone, après avoir massacré ses alliés italiens qui ne
voulaient pas suivre sa fortune, et débarqua heureusement à
Leptis". Pour la première fois depuis trente-six ans, il se retrouvait
1. Titc-Live, XXX, 13.
2. Actuellement Lamta.
42
HISTOIRE DE l'Afrique
dans sa patrie. De Leplis, il gagna Hadrumète, puis, se lançant
dans l'intérieur des terres, vint prendre position au midi de Kar-
thage (202). Il sut attirer à lui un certain nombre de chefs indi-
gènes parmi lesquels Mezétule, et fut rejoint par Vermina, lui
amenant les derniers soldats et alliés de son père, de sorte que son
armée présenta bientôt un effectif imposant.
Le retour de Hannibal et des troupes d'Italie rendit l'espoir aux
Karthaginois, et au mépris de la trêve, ils recommencèrent les hos-
tilités en attaquant une flotte romaine de transport et même un
vaisseau portant les ambassadeurs de Rome. Justement irrité de ce
manque de foi, Scipion se remit en campagne, saccageant et mas-
sacrant tout sur son passage. Il remonta le cours de la INIedjerda
et se trouva bientôt en présence de Hannibal, au lieu dit Zama,
que l'on place dans les environs de Souk-Ahras '. Après une
entrevue entre les deux généraux, entrevue dans laquelle ils ne
purent réussir à s'entendre, on en vint aux mains.
Hannibal couvrit son front de ses éléphants, au nombre de
quatre-vingts, et rangea son infanterie en trois lignes, en mettant
en réserve ses vétérans d'Italie, et disposant sa cavalerie sur les
ailes. Scipion prit des dispositions analogues, mais en ayant soin
de laisser dans ses lignes des espaces pour que les éléphants pus-
sent les traverser sans les rompre. Massinissa avait joint sa cava-
lerie à celle de Scipion. Dès le commencement de l'action, le
désordre fut mis dans l'armée de Hannibal par ses éléphants qui
se jetèrent sur ses ailes, puis des mercenaires karthaginois, se
croyant trahis, entrèrent en lutte contre la milice punique. Cepen-
dant l'ordre se rétablit ; les vétérans se formèrent en ligne, et l'on
combattit de part et d'autre avec le plus grand courage. Mais la
cavalerie romaine, qui s'était un peu écartée à la poursuite de celle
de l'ennemi, étant revenue vers la fin de la journée, enveloppa
l'armée de Hannibal et décida la victoire. Elle fut complète. Le
général karthaginois parvint, non sans peine, à se réfugier à Hadru-
mète, avec une poignée d'hommes. Les Romains avaient acheté
leur victoire par de cruelles pertes (202).
FiX DE LA IP GUERRE PUNIQUE. TrAITÉ AVEC RoME. Après CC
dernier échec, Karthage ne pouvait plus songer à combattre en-
core. Scipion, ayant écrasé ^^ermina, était venu reprendre ses posi-
tions à Tunis et à Utique. Quant à Hannibal il s'efforçait, à Hadru-
1. A Naraggara. Voir « Naraggara » par M. Goyl. Recueil de la soc.
arcli. de Consta/iline, 20= vol. et Rcciterclies sur le champ de bataille de
Zama, par M. Lewal, Revue afr., t. II, p. 111.
DEUXIÈME GUERRE PUNIQUE (201 AV. J.-C.)
43
mète, de reconstituer une armée, mais sans aucun espoir sur
l'issue de la lutte. Rappelé à Karthage, il conseilla énergiquement
à ses concitoyens de traiter. Une ambassade fut envoyée à Scipion
pour lui proposer la paix. Le vainqueur de Zama était maître
absolu de la situation ; mais, soit qu il eût hâte de terminer cette
guerre, parce que la fin de son consulat approchait, soit qu'il
craignît les revers de la fortune, en poussant les Karthaginois au
désespoir, il s'empressa de traiter en dictant des conditions fort
dures pour Karthage, mais qui auraient pu encore être plus désas-
treuses. Un armistice de trois mois fut conclu, à la condition que
le gouvernement punique paierait une première indemnité de
vingt-cinq mille livres d'argent, et fournirait à l'armée romaine
tout ce dont elle aurait besoin pour vivre.
Peu après, dix commissaires furent envoyés de Rome et adjoints
à Scipion pour la conclusion du traité, qui fut arrêté sur les bases
suivantes :
Karthage livrera tous les prisonniers, les transfuges, ses vais-
seaux, excepté dix, et tous ses éléphants.
Elle conservera ses lois et ses possessions en Afrique.
Elle renoncera à tous droits sur ses anciennes colonies de la
Méditerranée.
Elle paiera à Rome dix mille talents en cinquante ans et lui
livrera cent otages.
Massinissa, reconnu roi de Masséssylie, avec Cirta comme capitale,
recevra une indemnité de Karthage et sera respecté comme allié.
Enfin Karthage ne pourra lever de mercenaires ni entreprendre
de guerre sans l'autorisation de Rome.
Ce traité fut aussitôt ratifié et mis à exécution: Scipion se fit
remettre cinq cents vaisseaux qu'on incendia, par son ordre, dans
la rade de Karthage. Il reçut quatre mille prisonniers et un certain
nombre de transfuges qui périrent dans les supplices, puis il partit
pour Rome, où l'attendaient les honneurs du triomphe. Quant à
Syphax, envoyé précédemment en Italie avec le butin, il était mort
de misère et de chagrin à Albe ' (201).
La deuxième guerre punique se terminait par la ruine effective
de Karthage ; dépouillée de toutes ses forces et de ses ressources,
passée à l'état de vassale, elle a cessé d'exercer aucune prépondé-
rance sur l'Afrique. Les Berbères vont bientôt connaître de nou-
veaux maîtres.
1. Pour la fin delà 2« guerre punique, voir Tite-Live, Polybe et
Appien. Voir aussi 1' v Afrique ancienne » dans 1' « Univers pittoresque j,
édition Didot, t, II et YII,
CHAPITRE IV
TROISIÈME GUERRE PUNIQUE
201-146
Situation des Rerbères en l'an 201. — Hannibal. dictateur de Karthage; il
est contraint de fuir. Sa mort. — Empiétements de Massinissa. — Prépon-
dérance de Massinissa. — Situation de Karthage. — Karthape se prépare à
la guerre contre Massinissa. — Défaite des Karthaginois i)ar Massinissa.
Troisième guerre punique. — Héroïque résistance de Karthage. — Mort de
Massinissa. — • Suite du siège de Karthage. — Scipion prend le comman-
dement des opérations. — Chute de Karthage. — l^'Afrique province
romaine.
Situation des Berbères en l'an 201. — Jusqu'à présent, l'his-
toire de r.Afrique s'est concentrée, pour ainsi dire, dans celle de
Karthage. A mesure que la puissance phénicienne penche vers son
déclin, nous allons voir s'élever celle des princes indigènes, et les
Berbères, qui n'ont paru jusqu'ici que comme comparses, vont oc-
cuper la scène. 11 est donc utile d'examiner quelle est la situation
respective des royaumes indigènes.
Dans la Massylie, agrandie de Cirla et de son territoire, règne
Massinissa, sous la tutelle de Rome. Le prince numide jette des
regards avides sur le territoire de Karthage, sur la Byzacène et la
Tripolitaine. En attendant, il s'applique à discipliner les Berbères,
à les fixer au sol et à les initier à des procédés plus perfectionnés
de culture.
La Masséssylie occidentale, depuis l'Amsaga jusqu'à la Molochath,
obéit à Vermina, qui a fait sa soumission à Rome, et a été laissé
sur le flanc de Massinissa pour assurer sa fidélité.
La Maurélanie ou Maurusie est soumise, au moins en grande
partie, à une famille princière dont le chef porte le nom de Bokkar.
Ce pays est encore peu connu des Romains : mais les Maures (Ber-
bères de l'Ouest) ne vont pas tarder à prendre part aux alTaires de
l'Afrique.
Quant aux tribus désignées sous le nom de Gélules (Zenètes et
Sanhadja) elles continuent à errer dans les haut- plateaux et le
désert, ne perdant aucune occasion de faire des incursions dans le
Tel et de chercher à s'y établir au détriment des anciennes popu-
TROISIEME GUERRE PUN'IQUE (193 AV. .T.-C.)
45
lations. Mais leurs elForts sont isolés elles Gélules ne forment pas,
à proprement parler, un royaume.
De même, clans Test, les tribus des Nasamons, Psylles, Troglo-
dytes, etc. (Berbères de l'est), obéissant à des chefs distincts, con-
tinuent à occuper la Tripolitaine, où l'influence phénicienne est en
pleine décadence.
Hannibal dictateur de Karthage. Il est contraint de fuir ; sa
MORT. — Après la conclusion d'une paix aussi désastreuse, les dis-
sensions, les vengeances, les récriminations stériles, occupèrent
les Karthaginois. Hannibal essaya en vain de rétablir la concorde
parmi ses concitoyens, en leur représentant combien il était peu
patriotique de consumer ses forces dans des divisions intestines,
sous l'œil de l'ennemi héréditaire, au lieu de s'appliquer à réparer
les désastres et à se prémunir contre les attaques imminentes de
Massinissa. Mais le parti aristocratique, ayant à sa tête Hannon,
ennemi irréconcilial^le des Barcides, voulait avant tout la ruine de
cette famille, dût-elle entraîner celle de Karthage. Hannibal, dé-
crété d'accusation, sous le prétexte qu'il avait trahi en ne marchant
pas sur Rome après la bataille de Cannes, échappa à une condam-
nation trop certaine, par une sorte de coup d'état qu'il exécuta
avec l'appui du parti populaire. Resté maître du pouvoir, il exerça
sa dictature pour le plus grand bien de la république, rétablissant
les finances, réorganissant les forces, se créant des alliances et s'ef-
forçant de cicatricer les maux delà dernière guerre (195).
Mais les Romains suivaient d'un œil jaloux le relèvement de
Karthage, et étaient tenus par le parti aristocratique au courant
de tous les progi'ès accomplis. Déjà, ils avaient adressé plusieurs
fois des représentations aux Karthaginois, au sujet de prétendus
préparatifs militaires ; car ils craignaient toujours de voir paraître
Hannibal en Italie pendant que la plupart des légions étaient occu-
pées en Asie. Il fallait à tout prix se débarrasser du vainqueur de
Cannes. Une ambassade fut donc envoyée, sous divers prétextes, à
Karthage, dans le but réel de se saisir de Hannibal avec l'appui du
parti aristocratique. Mais le héros karthaginois, qui avait pénétré
le dessein de ses ennemis, sut leur échapper. Il partit de nuit et
gagna rapidement, au moyen de relais, la côte près de Thapsus,
où il s'embarqua sur une galère qu'il avait fait préparer, fuyant
ainsi une ingrate patrie qui le récompensait si mal de son héroïque
dévouement. Il se rendit d'abord à Tyr et de là à la cour du roi
Antiochus, et décida ce prince à entrer en lutte contre les Romains.
Il espérait que les succès des rois de Syrie auraient en Occident
un contre-coup qui permettrait à Karthage de reprendre avec fruit
46
rnsToiRE DE t/afriqut?
l'offensive. Mais de nouveaux dégoûts l y attendaient. Après avoir
en vain poussé le monarque oriental à adopter ses plans, il dut
assister à ses défaites, et quand la paix eut été conclue, se vit con-
traint de fuir. Il chercha un asile auprès de Prusias, roi de By-
thinie ; mais la haine de Rome l'y poursuivit, et ne sachant où
reposer sa tête, il échappa par le poison aux coups de la fortune
adverse (183).
Empiétements de Massinissa. — Cependant Massinissa avait,
depuis longtemps, commencé ses incursions sur le territoire
soumis à Karthage, et c est en vain que la métropole punique
avait fait parvenir ses réclamations à Rome contre le prince ber-
bère. Les Romains avaient éludé toute mesure réparatrice et, pas-
sant au rôle d'accusateurs, avaient reproché aux Karthaginois
d'entretenir des relations avec Antiochus, leur ennemi. Un parti
puissant, dont Caton n'allait pas tardera se faire l'écho, réclamait
déjà la destruction de Karthage.
Massinissa, encouragé par cette approbation tacite, fît, en 193,
une expédition sur le territoire des Emporia, au fond du golfe de
Gabès, et ravagea cette riche contrée sans pouvoir toutefois s'em-
parer d'aucune ville. Mais il renouvela bientôt ses attaques et,
après quelques années de luttes, resta maître de toute cette pro-
vince • (183).
Karthage, à force de plaintes, obtint de Rome que des commis-
saires viendraient enfin en Afrique juger le différend entre elle et
le prince numide. Publius Scipion et deux autres sénateurs arri-
vèrent à cet effet à Karthage ; mais, ■obéissant aux instructions
reçues, ils s'arrangèrent pour ne donner aucune décision, de sorte
que l'usurpation de Massinissa fut consacrée par une apparence de
légalité ^.
Prépondérance de Massinissa. — Le prince numide avait donc
le champ libre ; bien mieux, il avait pu se convaincre qu'il ne pou-
vait être plus agréable aux Romains qu'en harcelant sans trêve
Karthage. Il ne cessa dès lors de multiplier ses attaques. En vain
les Karthaginois renouvelèrent leurs plaintes à Rome et leurs pro-
testations contre la violation des traités à eux consentis. En vain
ils s'humilièrent ; en vain ils envoyèrent des vaisseaux et du blé
pour aider leurs ennemis dans leurs guerres d'Asie et de Macé-
doine. Ils n'obtinrent que des satisfactions dérisoires. Massinissa,
1. Polybe.
2. Tite-Live.
TROISIK.ME GUERRE PUXIQUE (l58 AV. J.-C. )'
47
lui aussi, en fidèle vassal, envoyait à Rome ses enfants pour offrir
en son nom des secours de toute sorte, hommes, chevaux, grains
et même des éléphants.
Peu à peu le prince de Numidie conquit toute la Tripolitaine et
soumit à son autorité les nombreuses tribus indigènes établies
entre la Gyrénaïque et TAmsaga, resserrant chaque jour le cercle
dans lequel il restreignait le territoire de Karthage. Les Berbères
de l'est purent enfin se grouper sous la main ferme de ce prince et
commencer à former une véritable nation. Il sut en outre les disci-
pliner et s'efforça de les attacher au sol et de les initier, comme
nous l'avons déjà dit, à des procédés de culture plus perfec-
tionnés'. Etabli à Cirta, sa capitale, il vivait entouré de tous les
raffinements de la civilisation romaine et grecque. Mais, tout en
adoptant ces mœurs nouvelles, il avait conservé ses qualités guer-
rières et était resté le premier cavalier de son royaume. Son luxe
semblait un hommage rendu au progrès et sa magnificence un
moyen de frapper ses sujets ; car, pour lui, il se plaisait à n'en
pas profiter et se faisait un devoir de vivre de la manière la plus
simple et la plus rude ^.
Situation de Karthage. — Pendant que la puissance du prince
berbère s'élevait, celle de Karthage penchait rapidement vers son
déclin. Trois partis s'y disputaient le pouvoir : l'aristocratie, qu'on
appelait le parti romain, était toujours prête aux plus grandes
bassesses pour conserver la paix ; le parti barcéen, ou parti na-
tional, formé du peuple et chez lequel se conservaient les dernières
traditions du patriotisme qui avait fait la grandeur de Karthage ;
et enfin le parti de Massinissa, tout disposé à ouvrir les portes de
la ville au prince numide; malgré ces dissensions intestines, le
génie commercial des Phéniciens n'avait pas tardé à ramener dans
la ville une certaine prospérité matérielle.
Les dernières spoliations de Massinissa poussèrent les Kartha-
ginois à tenter auprès de Rome un suprême effort pour obtenir
justice. La violation du droit était trop flagrante pour qu'on ne
fût pas obligé de sauver au moins les apparences. De nouveaux
commissaires furent envoyés en Afrique. Parmi eux était Marcus
Caton, vétéran des guerres contre Hannibal. Lorsqu'il vit Karthage
florissante, ses craintes patriotiques redoublèrent et il ne songea
1. Les auteurs ancieus s'accordeul à dire qu'il introduisit l'agriculture
en Numidie; uous peusons qu'il est plus juste de dire qu'il s'attacha à
1q perfectionner.
2. Polybe.
48
mSTOIRI- DE i/aFRIQUE
qu'à décider sa ruine. Massinissa, sûr des bonnes dispositions des
commissaires, se soumit à leur décision ; mais les Karthaginois,
non moins sûrs de leur mauvais vouloir, i-efusèrent de les laisser
prononcer en dernier ressort. Ils rentrèrent donc sans avoir rien
fait et les choses demeurèrent en l'état (157). De retour à Rome,
Galon commença sa campa<,nie contre la métropole punique, en
prononçant le célèbre Jelenda Carlhago.
Karthage se prépare a la guerre contre Massinissa. — Dans
cette conjoncture, Karthage était bien forcée de pourvoir à sa sé-
curité, et comme le parti populaire était revenu au pouvoir, il
réunit une forte armée de Berbères, en donna le commandement à
Ariobarzane, pelit-fils de Syphax, et lui confia la garde de la fron-
tière numide. Aussitôt que cette nouvelle fut connue à Rome,
Caton et son parti en prolitèrent pour recommencer la campagne
contre Karthage. Des commissaires furent encore chargés d'aller
en Afrique pour s'assurer du fait. Il était indéniable; cependant
les envoyés tentèrent d'amener une transaction en proposant à
Massinissa d'abandonner ses conquêtes. Mais Giscon, chef du parti
populaire et revêtu de la magistrature suprême, exigea des satis-
factions plus effectives et des garanties pour l'avenir. Les commis-
saires durent se retirer au plus vite, car un tumulte s'éleva à Kar-
thage, les partisans de Massinissa furent recherchés et expulsés de
la ville (152).
Massinissa envoya ses fils Micipsa et Gulussa à Karthage pour
obtenir que l'on rapportât le décret d'expulsion de ses adhérents,
mais les princes furent fort mal reçus et eurent même quelque
peine à se retirer sains et saufs. Il fit alors partir pour Rome Gu-
lussa qui avait déjà fait de nombreux séjours en Italie. Les intrigues
du Bei'bère, complétées par la fougue de Caton, décidèrent l'envoi
de nouveaux commissaires en Afrique. L'existence d'une armée et
d'une flotte ayant été constatée, sommation fut adressée à Kar-
thage d'avoir à se conformer aux stipulations du ti'aité, sous peine
de voir recommencer la guerre.
Défaite des Kartiiaginois par Massinissa. — Sur ces entrefaites,
Massinissa brusqua le dénouement en venant attaquer une ville
punique, nommée par les auteurs Oroscopa. Aussitôt, les troupes
karthaginoises, fortes de 25,000 fantassins et de 4,000 «cavaliers,
se mirent en campagne sous le commandement d'Asdrubal, de la
famille de Barka. Le sort des armes parut d'abord lui être favo-
rable : il remporta quelques succès et détacha de son ennemi un
fort groupe de cavaliers berbères. Mais Massinissa, par d'habiles
TROISIEME GUERRE PUNIQUE (149 AV. J.-C.)
49
manœuvres, attira les Karthaginois dans un terrain choisi et leur
livra une grande bataille. L'action fut longtemps indécise ; le vieux
chef berbère, alors âgé de quatre-vingt-huit ans, chargea lui-
même à la tête de ses troupes et combattit avec une grande bra-
voure ' . L'issue du combat ne fut pas décisive ; néanmoins Asdrubal
entra en pourparlers avec Massinissa et lui fit proposer la paix
par le jeune Scipion-Emilien qui se trouvait en Afrique, où il était
venu chercher des renforts. Asdrubal ayant refusé de rendre les
transfuges, les négociations furent rompues. Massinissa parvint
alors à entourer ses ennemis et à les bloquer si étroitement qu'ils
ne tardèrent pas à être en proie à la famine. Après avoir supporté
d'horribles souffrances et perdu plus de la moitié de son effectif,
le général karthaginois se décida à se soumettre aux exigences du
vainqueur. Il dut livrer les transfuges, s'obliger à payer cinq cents
talents d'argent en cinquante ans et s'engager à rappeler les exilés.
De plus, tous ses soldats devaient être désarmés. Pendant que les
débris de cette armée rentraient à Karthage, Gulussa fondit sur
eux à l'improviste et les tailla en pièces. Ainsi finit cette campagne
qui coûtait près de soixante mille hommes aux Karthaginois, car
des renforts incessants avaient été envoyés à Asdrubal (150).
Troisième guerre punique. — Cette fois, Rome avait le prétexte
depuis longtemps cherché : le traité était violé, puisque Karthage
avait fait la guerre à un prince allié ; elle était battue et démora-
lisée ; il fallait saisir cette occasion d'en finir avec la rivale. Le
parti de la guerre n'eut donc aucune peine à entraîner le Sénat à
décider une expédition en Afrique. A cette nouvelle, les Kartha-
ginois condamnèrent à mort Asdrubal et les autres chefs du parti
populaire et envoyèrent à Rome une ambassade pour implorer la
paix. Mais, en même temps, arrivait une députation des gens
d'Utique offrant leur soumission aux Romains. Tout semblait con-
juré contre la malheureuse Karthage. Les envoyés puniques n'ob-
tinrent qu'un silence dédaigneux. De nouveaux ambassadeurs
arrivés en Italie avec de pleins pouvoirs, car les Karthaginois
étaient prêts à toutes les concessions, supplièrent les Romains de
leur faire connaître ce qu'ils voulaient, promettant qu'ils rece-
vraient satisfaction. « Ce que nous voulons, répondit-on, vous
devez le savoir. »
En effet, les consuls Lucius Censorinus et Marcus Nepos étaient
déjà en Sicile, et l'armée allait être embarquée (149). On daigna
'cependant dire aux ambassadeurs qu'ils devaient, avant tout, en-
1. Appien, 1. 69 et suiv.
X. I.
50
IIISTOIRI-; DE I.'aFUIQL'K
voyer aux consuls Irois cents otages pris clans les premières
familles. Les Karthaginois, dans leur alFolement, s'empressèrent
de se soumettre à cette exigence, espérant encore empêcher le
départ de l'armée ; mais les consuls, après avoir expédié les otages
à Rome, ordonnèrent de mettre à la voile, en faisant connaître aux
envoyés que les autres conditions leur seraient dictées à Utique.
Les Karthaginois, ne pouvant croire à tant de duplicité, lais-
sèrent les Romains débarquer tranquillement, au nombre de
quatre-vingt mille, et s'établira Utique. Le sénat de Karthage vint
humblement se mettre aux ordres du consul. On exigea de lui la
remise de toutes les armes et de tout le matériel de guerre, et aus-
sitôt les Karthaginois livrèrent à leurs ennemis tout ce qui pouvait
servir à lutter contre eux : des armes de toute nature, deux cent
mille armures, trois mille catapultes, des vaisseaux, etc.'.
Le consul Censorinus leur fit connaître alors qu'ils devaient éva-
cuer leur ville, car ses instructions portaient destruction de
Karthage.
Héroïque résistance de Karthage. — Lorsque cette exigence
fut connue à Karthage, l'indignation populaire fit explosion et se
traduisit par une formidable insurrection. Tous ceux qui avaient
pris part à la remise des armes, tous les partisans de la paix, tous
les amis des Romains furent massacrés et l'on jura de lutter jus-
qu'à la mort. On se mit en relation avec Asdrubal, qui avait réussi
à s'échapper et se tenait à quelque distance, à la tête d'une
vingtaine de mille hommes, presque tous proscrits. Un autre
Asdrubal, petit-fils de Massinissa, par sa mère, prit le comman-
dement de la ville. Mais il fallait avant tout des armes et, pour
gagner du temps, les Karthaginois demandèrent une trêve de
trente jours aux consuls qui la leur accordèrent, persuadés que ce
temps sufïlrait à les décider à la soumission. On vit alors ce spec-
tacle admirable de toute une population, hommes, femmes, enfants,
vieillards travaillant sans relâche, nuit et jour, en secret et sans
bruit, dans les temples, dans les caves, à remplacer les armes et
le matériel livrés par la lâcheté à l'ennemi, sacrifiant tout au salut
de la patrie, transformant chaque objet en arme et remédiant, à
force de génie et d'énergie, à l'absence de moyens matériels. Bel
exemple donné par une nation qui va périr, mais qui sauve son
honneur !
A l'expiration du délai, les consuls quittèrent leur camp d'Utique
1. Strabou, 1. XVII, ch. 833. Appien, 74 et suiv. Nous suivons pas à
pas le texlc de ces auteurs pour la 3= guerre punique.
TROISIÈME GUERRE PUNIQUE (149 AV. J.-C.)
51
et marchèrent ^ur Karthage, pensant que les portes de la ville
allaient tomber devant eux. Quel ne fut par leur étonnement de
trouver toutes les entrées soigneusement fermées et les murailles
garnies de défenseurs en armes. Une tentative d'assaut fut repoussée
et les consuls purent se convaincre qu'il fallait entreprendre des
opérations régulières de siège. Les Romains s'appuyaient sur
Utique et sur une partie des places du littoral oriental ; mais As-
drubal, avec une nombreuse cavalerie, tenait l'intérieur et était en
communication avec Karthage, qu'il ravitaillait régulièrement.
Enfin une population de 700,000 âmes occupait la ville et était
décidée à une résistance héroïque. Quant à Massinissa, qui ne
voyait pas sans jalousie les Romains attaquer une ville qu'il consi-
dérait comme sa proie, il se tenait dans une réserve absolue.
Le consul Censorinus avait donc à lutter contre des difficultés
aussi grandes qu'inattendues ; néanmoins il commença avec acti-
vité le siège. Asdrubal vint établir son camp à Néphéris, de l'autre
côté du lac, et ne cessa d'inquiéter les assiégeants qui, d'autre
part, avaient à résister aux sorties des assiégés. Censorinus avait
concentré ses efforts contre le mur, plus faible, établi sur la langue
de terre {la tœnia), séparant le lac de Tunis de la mer; ayant
réussi à y faire une brèche, il ordonna l'assaut ; mais les Phéni-
ciens repoussèrent facilement leurs ennemis.
Quelque temps après, le consul Manilius, à qui était resté le
commandement, par suite du départ de Censorinus, tenta contre
le camp d'Asdrubal, à Néphéris, une attaque qui se serait terminée
par un véritable désastre pour lui, sans l'habileté et le dévoue-
ment de Scipion.
Ainsi se passèrent les premiers mois du siège, sans que les
Romains pussent obtenir un seul avantage sérieux.
Mort de Massinissa. - — Sur ces entrefaites, le vieux Massinissa,
sentant sa mort prochaine, fit venir auprès de lui le jeune Scipion
Emilien, tribun dans l'armée romaine, car il le désignait comme
son exécuteur testamentaire. Scipion se mit en roule pour Cirta,
mais, à son arrivée, le prince numide venait de mourir (fin de 149).
Cet homme remarquable laissait un grand nombre d'enfants, dont
trois seulement furent désignés comme devant hériter du pouvoir.
Ils se nommaient Micipsa, Gulussa et Manastabal. Le premier
avait reçu de Massinissa l'anneau, signe du commandement. Une
des dernières recommandations de leur pèi-e avait été de conserver
la fidélité aux Romains.
Scipion, pour éviter tout froissement entre les frères, leur laissa
le pouvoir, en conservant à tous trois le titre de roi. Micipsa eut
52
HISTOIRE DE l'aFRIQUË
cependant l autorilé principale avec Cirta comme résidence ; Gu-
lussa reçut le commandement des troupes et la direction des
choses relatives à la guerre ; enfin Manastabal fut chargé des
affaires judiciaires. Tous les trésors restèrent en commun.
Après avoir pris ces sages dispositions, Scipion revint au camp,
amenant avec lui Gulussa et une troupe de guerriers numides'.
SciTE DU SIÈGE DE IvARTiiAGE. — La situatiou dcs Romaius devant
Karthage, sans être critique, commençait à devenir difficile. Les
maladies, conséquence de l'agglomération, de la chaleur et des
privations, s'étaient mises dans le camp ; les approvisionnements
arrivaient mal et étaient souvent interceptés par l'ennemi : enfin
les sorties des assiégés et les attaques d'Asdrubal tenaient les
assiégeants sans cesse en éveil et paralysaient toutes leurs entre-
prise.-. Dans ces conjonctures, le jeune Scipion avait su par son
activité et ses talents militaires rendre les plus grands services ;
plusieurs fois il avait sauvé l armée, aussi son nom était-il devenu
trè? populaire parmi les soldats. Enfin sa connaissance du pays et
des indigènes le désignait pour le commandement suprême, dans
ce pays qui semblait être le patrimoine des Scipions.
Sur ces entrefaites, les consuls Calpurnius Pison et L. Man-
cinus vinrent prendre la direction du siège, tandis que Scipion
allait à Rome préparer son élection à l'édilité (148^. Les nouveaux
généraux trouvèrent des troupes fatiguées et démoralisées à ce
point qu'ils renoncèrent, pour le moment, à pousser les opérations
contre Karthage. Pison entreprit une expédition vers l'ouest et,
après avoir pillé quelques place- sans importance, vint mettre le
siège devant Hippône ; mais il échoua misérablement dans cette
entreprise et dut opérer une retraite désastreuse. La situation
commençait à devenir inquiétante ; la di-cipline était complète-
ment relâchée ; on ne pouvait plus compter sur les soldats ; enfin
les frères de Gulussa ne lui envoyaient aucun renfort.
Quant aux Karthaginois, ils reprenaient confiance et redou-
blaient d'activité pour se créer des ressources et des alliés. Mal-
heureusement les divisions intestines, qui avaient été si fatales à
Karthage et qui disparaissaient quand le danger était pressant,
avaient recommencé leur jeu. Le parti numide continuait ses
intrigues et, comme on lui donnait pour chef Asdrubal, pelit-flls
de Massinissa, les patriotes le mirent à mort.
Scipion prend le commandement des opérations. — Les nouvelles
l. Appieu, Pan., 185. Salluste, Jug., 5.
TROISIÈME GUERRE PUNIQUE (147 AV. J.-C.)
53
d'Afrique ne cessaient de porter à Rome le trouble et l'inquiétude.
La voix publique désignait Scipion pour la direction de cette cam-
pagne ; cependant, le jeune tribun, qui briguait alors Tédilité, ne
pouvait encore recevoir le consulat. On fit fléchir la loi ; d une
voix unanime, le peuple le nomma consul (147).
A peine arrivé à Utique, Scipion alla porter secours au consul
Mancinus qui se trouvait bloqué, dans une situation très critique,
à Karthage même, puis il vint s'établir avec toute son armée dans
un camp fortifié, non loin de cette ville, et appliqua ses premiers
soins au rétablissement de la discipline. Asdrubal le Barkide, lais-
sant son armée à Néphéris, alla, accompagné d'un chef berbère
nommé Bithya, prendre position en face du camp romain. Mais
l'on put bientôt s'apercevoir que la direction du siège était passée
dans d'autres mains. Une attaque de nuit, vigoureusement con-
duite, rendit Scipion maître du faubourg de Meggara, compris
dans l'enceinte de la ville, mais séparé d'elle par des jardins
coupés de murs et de clôtures faciles à défendre.
Cette perte causa une vive douleur aux assiégés qui, sous l'im-
pulsion de leur chef Asdrubal, massacrèrent tous leurs prisonniers
romains. Le camp karthaginois avait dû être abandonné et tous
les défenseurs se trouvaient maintenant retranchés dans la ville.
Scipion coupa toute communication entre Karthage et la terre, en
fermant par un mur le large isthme qui donne accès à la presqu'île
sur laquelle la ville est bâtie. Une double ligne de circonvallation,
formée de fossés et de palissades, complétait le blocus. La mer
restait libre et, bien que les navires romains croisassent constam-
ment devant le port, de hardis marins réussissaient à passer et à
apporter des vivres aux assiégés. Scipion entrepi-it de fermer aussi
cette voie : il fit construire un môle de pierre ayant 92 ou 9G pieds
à la base ', et allant de la tœnia jusqu'au môle, travail gigantesque
renouvelé par Louis XIll au siège de La Rochelle.
Mais les assiégés, de leur côté, ne restaient pas inactifs : pendant
que les Romains leur fermaient cette entrée, ils s'en taillaient une
autre dans le roc. En même temps on travaillait à Karthage à
faire une flotte en utilisant les bois de construction. Ainsi, au
moment où les Romains croyaient avoir achevé leur blocus, ils
virent paraître les navires puniques. Ceux-ci ne surent pas profiter
de la surprise de leurs ennemis et, quand ils se représentèrent
trois jours après, les Romains, prêts à combattre, forcèrent la flotte
à rentrer dans le port après lui avoir infligé de grandes pertes.
Scipion profita de ce succès pour s'établir dans une position avan-
1. Le pied romain était de 0 m. 296 mill.
54
HISTOIRE DE L AFRIQUE
tageuse, lui permettant d'attaquer les ouvrages qui couvraient le
second port {le Cothôn). Mais des hommes déterminés sortirent
dans la nuit de Karthage, s'approchèrent à la nage des lignes
romaines et incendièrent les machines des assiégeants.
Les succès des Romains se réduisaient encore à peu de chose et
avaient été chèrement achetés. Cependant Scipion avait atteint un
grand résultat, celui de compléter le blocus de la ville. Déjà la
famine s'y faisait sentir. En attendant l'action de ce puissant auxi-
liaire, Scipion alla avec Lélius et Gulussa attaquer le camp de
Néphéris, où se trouvait une puissante armée Karthaginoise dont
on ne s'explique pas l'inaction. Celte expédition réussit à mer-
veille : le camp fut pris et enlevé et toute l'armée ennemie taillée
en pièces. Les cantons environnants ne tardèrent pas à offrir leur
soumission aux Romains (147).
Chute de Kartiiage. — Depuis près d'un an Scipion avait pris
la direction des affaires et, bien qu'il eût obtenu de grand succès,
la ville assiégée ne semblait pas encore disposée à se rendre, malgré
la famine à laquelle elle était en proie. .Au printemps de l'année
146, le général romain se décida à frapper un grand coup en
tentant une attaque de nuit sur le Cothôn. Asdrulial, pour déjouer
son plan, incendia la partie sur laquelle il semblait que l'effort
des assiégeants allait se porter. Mais pendant ce temps Lélius
parvenait à escalader la porte ronde du Cothôn et à l'ouvrir à
l'armée qui se précipitait dans la ville. Scipion attendit sur le
forum le lever du soleil ; puis il donna l'ordre de marcher sur
Bvrsa, la colline où se trouvaient le grand temple de Baal et la cita-
delle. Trois rues bordées de hautes maisons y conduisaient; mais
à peine les soldats commencèrent-ils à s'y engager qu'ils furent
écrasés sous une grêle de traits et de projectiles de toute sorte :
l'ennemi était partout: en face, sur les côtés et en haut, car des
plates-formes tendues sur les terrasses des maisons les reliaient
entre elles. Il ne fallut pas moins de six jours de luttes acharnées
pour que l'armée romaine pût atteindre le pied du roc sur lequel
s'élevait la citadelle et où étaient réfugiés Asdrubal et ses derniers
adhérents. Scipion fit alors incendier et démolir les quartiers qui
venaient d'être conquis, et cette opération barbare coûta la vie à
un grand nombre de Karthaginois , spécialement des vieillards,
des femmes et des enfants qui se tenaient cachés dans ces cons-
tructions. "... Le mouvement et l'agitation. — dit Appien, — la
voix des hérauts, les sons éclatants de la trompette, les com-
mandements des tribuns et des centurions qui dirigeaient le tra-
vail des cohortes, tous ces bruits enfin d'une ville prise et sac-
TROISIÈME GUERRE PUMQUE (146 AV. ,Î.-C.)
55
cagée, inspiraient aux soldats une sorte d'enivrement et de fureur
qui les empêchaient de voir ce qu'il y avait d'horrible dans un
pareil spectacle. »
Depuis sept jours Scipion était maître de la ville, lorsque des
Karthaginois vinrent lui dire qu'un grand nombre d'assiégés, se
trouvant dans la citadelle, demandaient à se rendre à la condition
qu'on leur laissât la vie sauve. Le général leur accorda cette
demande, ne refusant de quartier qu'aux transfuges. Cinquante
mille personnes sortirent ainsi de Byrsa, où il ne resta que As-
drubal, sa famille et les transfuges au nombre de neuf cents envi-
ron. Tous se réfugièrent dans le temple et s'y défendirent d'abord
avec vigueur; mais peu à peu, le manque de vivres, la discorde
et l'impossibilité d'espérer le salut poussèrent ces malheureux au
désespoir. Asdrubal eut alors la lâcheté de se présenter en sup-
pliant à Scipion pour obtenir la vie, pendant que ses adhérents
incendiaient leur dernier refuge et que sa femme se précipitait
dans les flammes avec ses deux enfants pour ne pas survivre à sa
honte' (116).
L'Afrique province romaine. — Cette fois Karthage, la métro-
pole de la Méditerranée, la rivale de Rome, n'existait plus ; le
vœu de Catou était exaucé. La colonisation phénicienne en Afrique
avait vécu et allait faire place à la colonisation latine. Scipion
laissa son armée piller les ruines fumantes de la ville, pendant que
Rome célébrait par des offrandes aux dieux le succès de ses armes.
Bientôt dix commissaires, choisis parmi les patriciens, arrivèrent en
Afrique pour régler avec Scipion le sort de la nouvelle conquête.
Ils commencèrent par achever la destruction des pans de murs
qui restaient encore debout, notamment dans les quartiers de
Meggara et de Byrsa ; puis ils prononcèrent, au milieu de céré-
monies religieuses, les imprécations les plus terribles contre ceux
qui seraient tentés de venir habiter ces lieux maudits voués par
eux aux dieux infernaux.
U tique, pour prix de sa trahison, reçut le pays compris entre
Karthage et Ilippo-Zarytos ; les villes qui avaient soutenu les
Phéniciens furent, au contraire, privées de leur territoire et de leur
libertés municipales et durent payer une taxe fixe. Les princes
numides conservèrent les régions usurpées par eux dans l'Afrique
propre. La limite de la province romaine s'étendit depuis le
fleuve Tusca (0. Z'aïn ou 0. Berber), en face de la Sicile, jusqu'à
la ville de Thena; (Tina) en face des îles Kerkinna, au nord du
1. Appien, Pun.
56
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
golfe de Gabès'. Cette mince bande de terre reçut le nom de
Province romaine d'Afrique. Un gouverneur, résidant à Utique,
fut chargé de l'administration de ce territoire.
Aussitôt après sa victoire, Scipion chargea Polybe de recon-
naître les établissements phéniciens du littoral, à l'ouest de Kar-
thage. Le récit de ce voyage, qui a été écrit par Polybe, manque
dans son ouvrage, et nous n'en connaissons que l'analyse incom-
plète donnée par Pline. Cette perte est regrettable à tous les points
de vue, car nous ignorons quelle était l'action des Karthaginois
sur la civilisation berbère. Cette action est incontestable et il est
à supposer qu'elle s'exerçait par des colonies de marchands établis
dans les principales villes. C'est ce qui explique qu'à Cirta, par
exemple, existait un temple dédié à Tanit. On en a retrouvé les
vestiges à un kilomètre de la ville, ainsi qu'un grand nombre
d'inscriptions votives qui se trouvent maintenant au musée du
Louvre -.
1. Pline, H. N., V, 3, 22.
2. V. Recueil des notices et mémoires de la société archéologique de
Constantine, années 1877, 1878.
CHAPITRE V
LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME
146-89
L'élément latin s'établit en Afrique. — Règne de Micipsa. — • Première usur-
pation de Jugurtha. — Défaite et mort d'Aciherbal. — Guerre de Jugurtha
contre les Romains. — Première campagne de Métellus contre Jugurtha.
— Deuxième campagne de Métellus. — Marius prend la direction des opé-
rations. — Chute de Jugurtha. ■ — Partage de la Numidie. — Coup d'œil
sur l'histoire de la Cyrénaïque; cette province est léguée à Rome.
L'ÉLÉMENT LATIN s'établit EN Afrique. — A peine Scipion Emi-
lien avait-il quitté l'Afrique que Ton vit « affluer la troupe avide
des négociants de toute sorte, des chevaliers romains commer-
çants ou fermiers de l'Etat, qui envahissent bientôt tout le trafic
de la nouvelle province, aussi bien que des pays numides et gé-
lules, fermés jusqu'alors à leurs entreprises' ». Les Berbères, qui
n'avaient subi que l'influence de la civilisation punique, allaient
connaître les mœurs et le génie romains. Malgré les imprécations
officielles lancées contre Karthage, cette ville, dans toute la partie
avoisinant les ports, ne tarda pas à se relever de ses ruines.
Enfin, vingt-quatre ans s'étaient écoulées depuis la chute de
Karthage, lorsque Caïus Gracchus, désigné pour exécuter la loi
Rubria qui en ordonnait le rétablissement, débarqua en Afrique
avec six mille colons latins, et les établit sur l'emplacement de la
vieille cité punique à laquelle il donna le nom nouveau de Juno-
nia^. De là, les Italiens allaient rayonner dans tout le pays et
s'établir, comme artisans ou comme commerçants, dans les villes
de la Numidie. L'année suivante la loi Rubria fut rapportée; mais
Karthage, quoique déchue de son titre, n'en continua pas moins à
se relever de ses ruines et à reprendre son importance politique
et commerciale^.
1. G. Boissière, Esquisse d'une histoire de la conquête romaine , p. 183.
2. En plaçant la nouvelle colonie sous la protection de Junon, Grac-
chus rendait hommage à la divinité protectrice de Karthage, la mai-
tresse Tanit, reflet de Baal, que les Romains assimilèrent à Junon céleste.
3. Voir « Le Capitolc de Carlhage n , par M. Castan {Comptes rendus
de l'Académie des Inscr. et B. Lettres, 1885, p. 112).
58
IIISTOinn DE L AFRIQUE
RÈGNE DE MiciPSA. — Pendant que l'Afrique propre était le
théâtre de ces graves événements, Micipsa continuait à régner
paisiblement à Cirta. C'était un homme d'un caractère tranquille
et studieux, tout occupé de la philosophie grecque, et ne manifes-
tant aucune ambition. Son royaume s'étendait alors du Molochath
aux Syrtes, avec la petite enclave formée par la province romaine.
Micipsa vit successivement mourir ses deux frères et continua à
exercer seul le pouvoir, avec l aide de ses deux fils, Adherbal et
Hiemsal, et de son neveu Jugurtha, (ils naturel de Manastabal,
s'appliquant, particulièrement, à conserver l'amitié des Romains,
en remplissant ses devoirs de roi vassal. Lors du siège de Nu-
mance (133), il avait envoyé à ses maîtres une armée auxiliaire,
sous la conduite de Jugurtha. Peut-être espérait-il se débarrasser
ainsi de ce neveu dont l'ambition l'effrayait, non pour lui, mais
pour ses enfants. Or, il arriva que le prince berbère sut échapper
à tous les dangers, bien qu'il les affrontât avec le plus grand cou-
rage; ses talents lui valurent l'estime de tous et il rapporta en
Afrique la renommée d'un guerrier accompli, ce qui ne contribua
pas peu à augmenter son influence sur les Rerbères. Ainsi tout
réussissait à ce jeune hommme que Micipsa avait dû adopter en
lui accordant un rang égal à ses fils.
En 119, Micipsa, sur le point de mourir, recommanda à ses
deux fils et à son neveu de vivre en paix et unis et de s'entr'aider
pour la défense de leur royaume numide. Il s'éteignit ensuite après
un paisible règne de trente années*, pendant lequel il s'était appli-
qué à continuer l'œuvre de civilisation commencée par Massinissa,
appelant à lui les artistes et les savants étrangers, pour orner la
capitale de la Numidie. Il léguait à ses successeurs un vaste
royaume paisible et prospère.
Premiisre usurpation de Jugurtha. — A peine Micipsa avait-il
fermé les acux que des discussions s'élevèrent entre ses deux fils
et son neveu, à l'occasion du partage du royaume et des trésors.
Ce conflit se termina par une transaction dans laquelle chaque
partie se crut lésée et qu'elle n'accepta qu'avec le secret espoir
d'en violer les clauses, à la première occasion. Jugurtha dut se
contenter de la Numidie occidentale, s'élendant du Molochath à
une ligne voisine du méridien de Salda? (Bougie). Adherbal et
Hiemsal se partagèrent le reste, conservant ainsi tout le pays riche
1. Salluste, Bell. Jug., VIII et suiv. Nous suivons pour, l'usurpation
et la guerre de Jugurtha, l'-'s détails précis donnés par cet auteur et l'ap-
pendice de M. Marcus à la fin de sa traduction de Mannert.
LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME (114 AV. J.-C.)
59
et civilisé, la Numidie proprement dite, avec Cirta et toutes les
conquêtes de l'est.
Jugurtha n'était pas homme à s'accommoder d'une situation in-
férieure ; il lui fallait l'autorité suprême et, du reste, il devait son-
ger à prévenir les mauvaises dispositions de ses cousins à son
égard. Sans différer l'exécution de son plan, il fît, la même année,
assassiner à Thermida' Iliemsal, celui des deux frères qui, par son
énergie, était à craindre. Puis il envahit à la tête d'un grand nombre
de partisans la Numidie propre. Adherhal, déconcerté par une
attaque si soudaine, s'empressa de demander des secours à Rome,
et essaya, néanmoins, de tenir tête aux envahisseurs; mais il fut
vaincu en un seul combat, et contraint de chercher un refuge dans
la province romaine. ICn une seule campagne, Jugurtha se rendit
maître de la Numidie et s'assit sur le trône de Cirta.
Cependant Adherbal, qui n'avait rien pu obtenir du gouverneur
de la province d'Afrique, se rendit à Rome où il réclama à haute
voix justice contre la spoliation dont il était victime. Mais Jugur-
tha, qui connaissait parfaitement son terrain, envoyait en même
temps, en Italie, des émissaires chargés de répandre l'or en son
nom et de lui gagner des partisans parmi les principaux citoyens.
En vain Adherbal retraça en termes éloquents les malheurs de sa
famille et la perfidie de Jugurtha; il ne put rencontrer aucun
appui effectif, car chacun était favorable à la cause de son ennemi.
Néanmoins, comme la contestation était soumise au Sénat, ce corps
ne put violer ouvertement toutes les règles de la justice. Il décida
qu'une commission de dix membres serait chargée d'opérer entre
les deux princes numides le partage de leurs états". Les commis-
saires, sous la présidence de Lucius Opimius, favorable à Jugurtha,
rendirent à celui-ci toute la Numidie occidentale et replacèrent
Adherbal à la tête de la Numidie propre, décision qui n'avait pour
elle que l'apparence de l'équité, en admettant que Jugurtha, par
son crime et son usurpation, n'eût pas perdu ses droits, car il était
certain qu'Adherbal, laissé à ses propres forces, ne tarderait pas
à devenir la victime de son cousin (114).
Défaite et mort d'Adiikrbal. • — Après cette première tentative
qui n'avait réussi qu'à demi, Jugurtha s'appliqua à se mettre en
mesure de recommencer, dans de meilleures conditions. Comme
il avait vu que, malgré tout, Rome soutiendrait son cousin, il
jugea qu'il fallait se créer un point d'appui sur ses derrières et, à
1. YiUe de l:i Pi'ocoiisuliiire.
2. Sallustc, Bell. Jug., XVI.
60
HISTOIRE DE l/ AFRIQUE
cet effet, il entra en relation avec son voisin de l'ouest, Bokkus,
roi des Maures, et scella son alliance avec lui, en épousant sa fille.
Puis, il recommença ses incursions sur les terres d'Adherbal, espé-
rant le pousser à entamer la lutte contre lui, de façon à lui donner
tous les torts aux yeux des Romains. Mais ce prince était bien
résolu à tout supporter, et ce fut Jugurtha lui-même qui, perdant
patience, ouvrit les hostilités, en envahissant le territoire de Cirta,
à la tête d'une armée nombreuse.
Adherbal se porta à sa rencontre, avec toutes les troupes dont
il pouvait disposer. Arrivé en présence de ses ennemis, il avait
pris ses dispositions pour les attaquer le lendemain, lorsque, pen-
dant la nuit, les troupes de Jugurtha se jetèrent sur son camp et
l'enlevèrent par surprise. Adherbal put, avec beaucoup de peine,
se réfugier derrière les remparts de Cirta. Jugurtha l'y suivit et
commença le siège de cette place fortifiée par l'art et la nature, et
dans laquelle se trouvaient un grand nombre d'artisans et mar-
chands italiens, décidés à défendre la cause du prince légitime.
Tandis qu'il pressait ces opérations, il reçut trois députés envoyés
de Rome pour le sommer de mettre bas les armes ; il les congédia
avec force démonstrations de respect et assurances de fidélité, mais
ne tint aucun compte de leurs remontrances. Mandé, peu après, à
Utique, par de nouveaux envoyés du Sénat, il se rendit dans cette
ville, y accepta avec déférence les ordres à lui adressés ; puis il re-
vint à Cirta, dont le blocus avait été rigoureusement maintenu. Cette
ville était alors réduite à la dernière extrémité par la famine. La
nouvelle de l'échec des négociateurs romains y porta le découra-
gement et le désespoir. .Adherbal, voyant la fidélité de ses adhérents
fléchir, se décida à traiter avec son cousin. Jugurtha lui promit la
vie sauve ; mais, dès qu'il eut entre les mains les clés de la ville, il
ordonna le massacre général des habitants, sans épargner les Ita-
liens, et fit périr Adherbal dans les tourments'.
Glerre de Jugurtha contre les Romains. — Cette fois Jugurtha
restait maître incontesté du pouvoir ; il est possible que les Romains
eussent fermé les yeux sur l'origine criminelle de sa royauté; mais
des citoyens latins avaient été lâchement massacrés et il était im-
possible de tolérer cette insulte. Le parti du peuple accusa à bon
droit la noblesse d'avoir encouragé ces crimes. En vain Jugurtha
envoya à Rome son fils et deux de ses confidents : l'entrée du Sénat
leur fut interdite et l'expédition d'Afrique résolue. Calpurnius
Bestia, en ayant reçu le commandement, partit bientôt de Sicile à
1. Salluste, Bell. Jiig., XXYI.
LES ROIS BERBERES VASSAUX DE ROME (109 AV. J.-C.) 61
la tête des troupes, débarqua en Afrique, s'avança jusqu'à Badja
et remporta de g-rands succès. Bokkus, lui-même, envoya aux
Romains l'hommage de sa soumission. Jugurtha, se voyant perdu,
eut alors recours à un moyen qui lui avait toujours réussi, la cor-
ruption. Bestia, gagné par son or, consentit à signer avec lui un
traité après s'être fait livrer par le prince numide des éléphants,
des chevaux, des bestiaux et une contribution de guerre (111).
Mais, à Rome, cette compensation ne fut pas jugée suffisante
et, quand les infamies commises en Afrique eurent été dénoncées
par la voix indignée de C. Memmius, tribun du peuple, on exigea
la comparution immédiate de JugurLiia, afin de connaître la vérité
sur ce honteux traité. Lucius Cassius, envoyé en Afrique, ramena
sous son égide le prince berbère à Rome. Dans ce milieu, Jugurtha
se trouva entouré des intrigues les plus basses. C'était son véri-
table terrain. Il parvint à gagner à sa cause le tribun du peuple
C. Bebius et, lors de sa comparution devant le sénat, non seu-
lement il fut protégé par lui contre les violences de l'assemblée
indignée, mais encore, le tribun, usant de son droit de véto, lui
défendit de répondre aux accusations dont il était l'objet, lui permet-
tant ainsi d'échapper à la nécessité d'une justification impossible.
Dès lor.-, l'audace de Jugurtha ne connaît plus de bornes : un
fils de Gulussa nommé Massiva se trouvait à Rome. Il le fait assas-
siner par Bomilcar son favori, afin de couper court aux projets
d'ambition qu'il aurait pu avoir. En vain la voix publique crie
vengeance; on facilite la fuite de Bomilcar et l'on se contente d'or-
donner à Jugurtha de sortir de l'Italie. C'est alors que le prince
numide, quittant Rome, prononce ces célèbres paroles, au moins
étranges dans sa bouche : « 0 ville vénale et près de périr, si elle
« trouve un acheteur^ ! »
Cependant le propréteur Aulus, qui était resté en Afrique avec
l'armée, se disposa à prendre l'ofiensive, car le sénat avait annulé
le traité fait par Bestia; mais la rigueur de la saison et l'adresse
de Jugurtha triomphèrent bientôt de ce chef inhabile. Les troupes
romaines démoralisées, peut-être même gagnées par l'or numide,
se laissèrent surprendre dans leur camp, après avoir en vain essayé
d'enlever Suthul ^, où se trouvaient les trésors et les approvision-
nements du roi. Aulus, pour sauver sa vie, accepta une humiliante
capitulation qui l'obligeait à quitter sous dix jours la Numidie et
condamnait l'armée à passer sous le joug (109). Le Sénat ne ratifia
pas ce traité. Il envoya le consul Albinus, frère d'Aulus, prendre
1. Salluste, Bell. Jug., XXXY.
2. Acluellement Guelma.
62
iriSToiitE DK i/afriqite
la direction des opérations; mais ce chef ne sut, ne put ou ne
voulut rien entreprendre.
Première CAMPAGNE de Métellus contre Jl-gurtua. — Ces succès
devaient être les derniers du prince numide. Métellus, homme
d'une intégrité reconnue, ce qui avait motivé sa nomination, bien
qu'il appartuit au parti de la noblesse, arriva en Afrique, avec
mission de venger les affronts faits à l'honneur de Rome. Débarqué
à Utique, il s'occupa d'abord, avec activité, à rétablir la discipline
dans l'armée qui avait perdu, sous ses derniers chefs, ses anciennes
vertus de courage, d'obéissance et de fermeté. Jugurtha, connais-
sait Métellus et le savait incorruptible ; il essaya en vain de con-
jurer l'orage en offrant les plus grands témoignages de soumission.
L'heure des transactions honteuses était passée, celle de l'expiation
allait commencer.
Au printemps de l'année 108', Métellus se met en marche, oc-
cupe Vacca (Badja) et attaque Jugurtha qui l'attend de pied ferme
dans une position par lui choisie près du Muthul-. L'armée ber-
bère est divisée en deux corps: l'infanterie avec les éléphants,
sous le commandement de Bomilcar, est retranchée derrière la ri-
vière ; la cavalerie, avec le roi, est dissimulée dans les gorges en-
vironnantes. Métellus charge son lieutenant Rufus d'aller prendre
posiiton en face de Bomilcar. Aussitôt, la cavalerie ennemie se
précipite sur les flancs de la troupe romaine, mais ne peut parve-
nir à l'ébranler. Pendant ce temps, Métellus, aidé de Marins,
marche vers les collines afin d'en déloger les Berbères et de tour-
ner Bomilcar. On se battit de part et d'autre avec le plus grand
acharnement, mais, à la fin de la journée, la victoire se décida
pour les Romains. Jugurtha leur abandonna le champ de bataille
et presque tous ses éléphants.
Cette journée suffit pour prouver à Jugurtha qu'il ne pouvait se
mesurer en ligne contre les Romains ; changeant donc de tactique,
il répartit ses adhérents dans toutes les directions, et les chargea
d'inquiéter sans cesse l'ennemi, en se gardant de lui offrir l'occasion
de lutter en bataille rangée. Ainsi, au moment où Métellus voulut
recueillir les fruits de sa victoire, en achevant d'écraser l'ennemi,
il ne trouva plus personne devant lui et force lui fut de changer de
1. Nous adoptons la date acceptée par M. Mommsen (t. lY, p. 261
note), tout eu reconnaissant que la date de 109 est possible.
2. Sans doute vers Tifech, au nord de Tébessa. M. Marcus identifie
le Muthul au Hamiz. Peut-être faut-il placer cette rivière plus près de
Badja.
LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME (Ï07 AV. J.-C.) 63
tactique et de se conlenter de la guerre d'escarmouches, sans toute-
fois se laisser entraîner dans les lieux déserts et n olTrant aucune
ressource où Jugurtha prétendait l'attirer. L'armée romaine, di-
visée en deux principaux corps, l'un sous les ordres de Métellus,
et l'autre commandé par Marius, opérèrent quelque temps dans
cette région, ruinant les cultures des indigènes ennemis, et enle-
vant parla force les villes qui ne voulaient passe soumettre. Zama,
attaquée par eux, se défendit avec énergie, ce qui permit à Jugur-
tha d'accourir à son secours et de forcer les Romains à lever le
siège.
Ainsi finit cette première campagne. De grands résultats avaient
été obtenus, puisque l'armée romaine avait vu fuir devant elle le
roi numide, et cependant aucune conquête n'était conservée. Ren-
tré dans la province d'Afrique pour prendre ses quartiers d'hiver,
Métellus songea à obtenir le succès par d'autres moyens. Il parvint
à détacher secrètement Bomilcar du parti de Jugurtha, en lui pro-
mettant sa succession s'il parvenait à le livrer entre ses mains.
Bomilcar poussa donc le roi à abandonner une lutte dont l'issue
ne pouvait que lui être fatale et l'amena à entrer en pourparlers
avec Métellus. Les bases d'un traité furent arrêtées; déjà une par-
tie des clauses était exécutée par le versement d'une somme con-
sidérable et la remise d'éléphants, de transfuges, d'armes, etc.,
lorsque Jugurtha, mis en défiance par l'insistance avec laquelle on
l'invitait à se rendre au camp romain, éventa le piège dans lequel
il avait failli tomber et s'éloigna au plus vite
Deuxième campagne de Métellus. — Il fallait donc recourir de
nouveau au sort des armes. Métellus alla d'abord s'emparer de
Vacca (Badja), qui s'était révoltée après son départ, et avait mas-
sacré sa garnison romaine ; il fit subir à cette ville un châtiment
exemplaire. Sur ces entrefaites, Jugurtha, ayant découvert la tra-
hison de Bomilcar, le condamna à expirer dans les tourments.
Au printemps de l'année 107, Métellus reprit méthodiquement la
campagne et envahit la Numidie. Jugurtha, après avoir sans cesse
reculé devant lui, se décide à lui offrir le combat, mais les Ber-
bères ne tiennent pas et fuient lâchement devant les légionnaires.
Cirta ouvre alors ses portes à Métellus, tandis que Jugurtha se
réfugie dans le sud ; de là, le prince berbère revient dans le Tel et
va se retrancher, avec sa famille et ses trésors, dans une localité
fortifiée nommée Thala^. Métellus l'y poursuit, mais Jugurtha
1. Salluste, Bell. Jug., LXYIIL
2. Ce uom veut dire source en berbère ; il est commun à une foule de
64
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
s'échappe et va chercher la sécurité chez les Gélules, pendant que
les Romains font le siège régulier de la place. Après quarante jours
d'efforts, ïhala est forcée, mais les défenseurs ne livrent aux Ro-
mains que des ruines fumantes.
Pendant que Métellus était devant Thala, il reçut une députa-
tion de la colonie phénicienne de Leptis (parva) venant lui de-
mander protection contre les attaques des Berbères. Quatre co-
hortes de Liguriens allèrent prendre possession de cette localité
au nom de Rome.
Quant à Jugurtha, il mit à profit son séjour parmi les Gétules
pour les gagner à sa cause, en faisant luire à leurs yeux Tappât du
butin. Tout en s'appliquant à former ces sauvages à la discipline,
il envoya à son ijcau-père, Bokkus, des émissaires, pour l'amener
à lui fournir son appui. Le roi de Maurélanie avait, dès le début
de la guerre, adressé des protestations de dévouement aux Ro-
mains, et était peu disposé à entrer en lutte contre eux ; mais Ju-
gurtha, ayant obtenu de lui une entrevue, agit avec tant d'habileté
sur son esprit, en lui représentant que les Romains n'avaient
d'autre but que de conquérir la Maurétanie, après avoir pris la
Numidie, qu'il lui arracha son adhésion. Bientôt les alliés se
mirent en marche directement sur Cirta.
Prévenu de la ligue des deux rois, Métellus vint se placer dans
un camp solidement retranché, en avant de la capitale de la Nu-
midie, alin de couvrir cette contrée. Sur ces entrefaites, on apprit
que Marins, alors à Rome, venait d'être élevé au consulat par le
peuple ; que la mission de terminer la guerre de Jugurtha lui avait
été confiée et qu'il allait arriver avec des renforts et de l'argent.
Sans attendre son ancien lieutenant, Métellus rentra en Italie (107j.
jSL\ril's prend la direction des opérations. — Débarqué à
Utique, Marins fut bientôt sur le théâtre de la guerre. Il amenait
avec lui des renforts qui, ajoutés aux troupes déjà en campagne,
devaient porter l'effectif des forces romaines à environ 50,000
hommes-. Le mouvement offensif des rois berbères avait été arrêté
par les mesures de xMétellus. Bokkus avait en outre été travaillé
par lui, de sorte que Jugurtha savait bien qu'il ne pouvait pas
localités et il est bien difficile, malgré toutes les recherches de MM. Mar-
cus, Bureau de la Malle, Guérin, etc., d'indiquer d'une manière précise
la situation de cette ville, qui devait se trouver soit dans l'Aourès, soit
vers la limite actuelle de la Tunisie.
1. Actuellement Lamta, près de Monastir, en Tunisie.
2. Poulie, Elude sur la Maurétanie Sétifienne {Recueil de la Soc. arch.
de Constantine, 1863, p. 54).
LES ROIS DERBHllES VASSAUX DE ROME ( !22"2 AV. J.-C.)
65
compter sur son beau-père pour une action sérieuse. Le roi nu-
mide ne se hasardait plus aux batailles rangées ; à la tête des ca-
valiers gétules, il poussait des pointes hardies, jusqu'aux portes
du camp de ses ennemis, pillait les populations soumises et rega-
gnait les régions éloignées avant qu'on ait eu le temps de le com-
battre. Il avait déposé ses trésors à Capsa ' et tenait toute la ligne
du désert. Quant à Bokkus, il restait dans une prudente expecta-
tive.
Marins, voulant à tout prix sortir de cette situation, dans la-
quelle il ne faisait, pour ainsi dire, aucun progrès, se porta, par
une marche audacieuse, sur Capsa, quartier général de son ennemi,
enleva cette place, brûla et dévasta les villes voisines qui soute-
naient Jugurtha et força ce prince à évacuer le pays et à se jeter
dans rOuest. C'était ce qu'il cherchait car son plan était de re-
porter la campagne à l'Occident, en conservant Cirta comme base
d'opérations. Marins vint donc relancer son ennemi dans les con-
trées de l'Ouest, et mena avec habileté et succès cette campagne
dans le Zab et le Hodna, et les montagnes qui bordent ces plaines
au nord et à l'ouest^. 11 réussit même à s'emparer d'une forteresse
établie sur un rocher presque inaccessible, une de ces kalâa que
les Berbères savaient placer sur des pitons escarpés, où le prince
numide avait caché ses derniers trésors.
Cette habile tactique du général romain enlevait à Jugurtha tous
ses avantages. Le prince numide adressa alors un appel désespéré
à Bokkus, lui promit le tiers de la Numidie en récompense de ses
services et le décida enfin à agir. Les deux rois, ayant opéré en
secret leur jonction, fondirent à l'improviste à la tête de masses
considérables ' sur les troupes romaines. Surpris par l'impétuo-
sité de l'attaque. Marins, secondé par Sylla, qui lui a amené un
corps de cavalerie, prend d'habiles dispositions lui permettant de
résister ; on combat jusqu'au soir sans résultat. Les Berbères
entourent les Romains et passent toute la nuit à chanter et à
danser devant leurs feux, se croyant sûrs de la victoire. Mais, au
1. Gafça, dans le Djerid tunisien.
2. D'après Salluste, il se serait avancé jusqu'au Molochatli ; mais nous
considérons cette marche comme impossible et nous nous rangeons à
l'opinion de M. Poulie qui a discuté avec autorité cette question dans sou
excellent travail sur la Maurétanie sétificnne {Annuaire de la Sociélé
archéologique, 1863, pp. 40 et suiv]. Quant à l'opinion de M. Rinii {Re-
vue Africaine, n" 171), tendant à placer le Molochatli à l'est de Cirta, il
nous est impossible de l'admettre. M. Tauxier (Revue Africaine, n" 174),
propose d'identifier la Macta au Mulucha (ou Molochath).
3. 60,000 hommes, selon Paul Orose.
T. I.
5
66
IIISTOIUE DE L'AlIiiyUE
point du jour, les Romains se jettent sur les Gélules et sur les
Maures, qui viennent de céder à la fatigue, en font un carnage
horrible et mettent en fuite les survivants '.
Après cette victoire, Marins conduisit habilement son armée
vers Girta pour lui faire prendre ses quartiers d"hiver, à l'abri de
cette place. En chemin, il fut de nouveau attaqué par les rois in-
digènes, qui avaient rallié les fuyards et divisé leurs troupes en
quatre corps. Le courage de Marins et de Sylla, la prudence et
I habileté du général dans son ordre de marche, sauvèrent encore
l'armée romaine, qui dut, selon Paul Orose, lutter pendant trois
jours avec acharnement-.
GnuTE DE Jl'gurtu.v. — Ces défaites successives avaient suffi
pour dégoûter Bokkus de la guerre. Ginq jours après le dernier
combat arrivèrent à Girta les envoyés du roi de Maurétanie, char-
gés de proposer la paix. Les malheureux parlementaires, qui
avaient suivi la route du désert, sans doute pour éviter les par-
tisans de Jugurtha, avaient été entièrement dépouillés par des
pillards Gétules, et se présentèrent nus et pleins de terreur'.
Néanmoins, leurs propositions ayant été acceptées en principe, on
les lit partir pour Rome, alin qu'ils fournissent devant le sénat les
justifications de leur maître.
A la suite de ces négociations, Sylla fut envoyé vers Bokkus
avec une escorte de guerriers choisis et armés à la légère. Après
cinq jours de marche, il rencontra ^'olux, fils du roi de Mauré-
tanie, venu à sa rencontre pour lui faire escorte. Le même soir
il faillit se jeter sur le camp de Jugurtha et n'échappa à ce dan-
ger que par son audace et son énergie. Enfin, la petite troupe
atteignit le campement de Bokkus. Sylla fut fort surpris d'y trou-
ver un envoyé de Jugurtha, qui l'y avait précédé et devant lequel
il lui était difficile de traiter de l'extradition du prince numide.
Néanmoins Sylla agit avec une telle habileté qu'il finit par triom-
pher des irrésolutions de Bokkus et le décider à livrer son gendre.
Un message fut envoyé à Jugurtha pour l'engager à venir traiter
de la paix; mais le Numide était trop fin pour consentir à se livrer
ainsi aux mains de ses ennemis et il exigea tout d'abord que Sylla
lui fût remis en otage.
1. Salluste, Bell. Jug., XCY , XCVI. M. Poulie, dans l'article précité,
place le théâtre de ces combats aux environs d'El Auasser et de l'Ouad
Gaamour, à l'O. de Sétif.
2. Ilist.. 1. V, cap. 15.
3. Dell. Jug., XCIX, C.
LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME (104 AV. J.-C.) 67
Pendant plusieurs jours Bokkus hésita encore pour savoir s'il
livrerait Sylla à Jugurtha, ou Ju^urtha à Sylla. Enfin, il se pro-
nonça pour le dernier parti. Après bien des négociations, il fut
convenu que chacun se rendrait, sans armes, à un endroit dési-
gné, afin d'arrêter les conditions de la paix. Jugurtha, vaincu par
les assurances que lui prodigua son beau-père, se décida à venir
au rendez-vous ; mais, à peine était-on réuni, que des gardes, ca-
chés aux environs, se jetèrent sur le prince numide et le livrèrent
garrotté à Sylla'. Ainsi la trahison mit fin à cette guerre que le
génie de Jugurtha aurait peut-être prolongée encore. Le premier
janvier lOi, Marins fit son entrée triomphale à Rome, précédé de
Jugurtha en costume royal et couvert de chaînes ; puis le vaincu
fut jeté dans le cachot du Gapitole, où il mourut misérablement.
La guerre de Jugurtha fut en résumé l'acte de résistance le plus
sérieux des Berbères contre les Romains. Sans approuver les
crimes du prince numide, on ne saurait trop admirer les ressources
de son esprit et son indomptable énergie ; et il faut reconnaître
qu'avec lui tomba l'indépendance de son pays. Cette guerre nous
montre le caractère des indigènes tel que nous le retrouverons à
toutes les époques, qu'il s'agisse de soutenir Jugurtha, Tacfarinas,
Firmus, Abou Yezid, Ibn R ania ou Abd-el-Kader, c'est toujours
chez eux la même ardeur à l'attaque, le même découragement
après la défaite et la même ténacité à recommencer la lutte jusqu'à
ce que la trahison vienne y mettre fin.
Partage de la Numidie. — Après la chute de Jugurtha, les
Romains n'osèrent encore prendre possession de toute la Numidie.
Ils attribuèrent à Bokkus, pour le récompenser de ses services, la
Numidie occidentale, l'ancienne Masséssylie, s'étendant depuis la
Molochath jusque vers le méridien de Saldœ. Le reste, la Numi-
die proprement dite, fut donné à Gauda, frère de Jugurtha, de-
puis longtemps au service de Rome, sauf toutefois une petite
partie que l'on adjoignit à la province d'Afrique. Gauda, vieillard
chargé d'années et faible de caractère, mourut peu de temps après
son élévation au pouvoir. Les documents historiques font absolu-
ment défaut pour ce qui se rapporte à cette période. On sait seu-
lement que la Numidie propre fut de nouveau partagée entre
Hiemsal II, fils de Gauda, et Yarbas ou Hiertas, prince de la fa-
mille royale, peut-être également fils de ce dernier. Il est probable
que Hiemsal II eut pour sa part la région orientale de la Numidie
confinant à la province romaine et l'entourant au sud, et que Yar -
1. Salluste, Bell. Jug., CX.
68
IIISTOIIU: DU l'afriql'E
bas reçut la partie occidentale, s'étendant jusqu'à Saldae, limite
des possessions du roi de INIaurétanie. Peut-être, comme le pense
M. Poulie', un autre prince, du nom de Masintha, régnait-il déjà
sur la province sitifienne.
Ces rois vassaux gouvernèrent sous la tutelle directe de Rome,
exerçant un pouvoir qui n'avait en réalité d'autre but que de pré-
parer, par une transition, l'asservissement du pays au peuple-roi.
Des traités furent conclus avec les tribus gétules indépendantes,
qui furent comptées au nombre des alliés libres de Rome -, pre-
mier pas vers la soumission.
Coup d'oeil sur l'histoire de la Cyrénaique. — Cette province
EST léguée a Rome. — Nous avons jusqu'à présent négligé les faits
de l'histoire de la Cyréna'ique, car ils ne se rattachaient pas direc-
tement à celle delà Berbérie. Nous avons dit' que Cyrène fut
fondée par une colonie de Grecs Théréens, vers le vu'' siècle avant
notre ère. Après avoir vécu plus d'un siècle heureuse et prospère
sous l'autorité de ses rois de la famille de Battos, la colonie fut
vaincue et soumise par les Perses (525). A la bataille de Platée,
les Berbères libyens figurent parmi les troupes de Xerxès. Dans
le cours du v" siècle une vaste révolte des indigènes rend la liberté
à la Cyrénaïque. Le régime républicain y est proclamé*. Cyrène
atteint alors une grande prospérité. Elle se rencontre à l'ouest
avec Karthage, sa rivale ; une guerre sanglante éclate entre les
Grecs et les Karthaginois au sujet de la limite commune. La lutte
se termine par un traité consacré par le dévouement des Philènes,
deux frères Karthaginois, qui, selon la tradition, consentirent à
être enterrés vivants pour agrandir, vers l'est, le domaine de leur
patrie (350).
Lors du voyage d'Alexandre le Grand à l'oasis d'Ammon, les
Cyrénéens lui envoyèrent des ambassadeurs chargés de lui offrir
l'hommage de leur soumission et de lui remettre des présents con-
sistant en chevaux et en chars. Sans se détourner de sa route, le
grand conquérant accueillit cette démarche et admit les Cyrénéens
parmi ses tributaires, ou peut-être simplement ses alliés, car le
pays conserva son indépendance, jusqu'au jour où les Egyptiens,
appelés par une faction vaincue à la suite d'une longue guerre ci-
1. Maurétanie sétifieniie {Annuaire de la Soc. arch. de Constantine,
1863).
2. Mommsen, Hisl. Rom., t. IV, p. 272.
3. Voir Fondation de Kyrène par les Grecs, ch. I.
4. Diodore, Tluicydide, Héraclidc de Poiit.
LES ROIS BERBÈRES VASSAUX DE ROME (IGÎ AV. J.-C.) 69
vile, vinrent s'emparer du pays. Ptolémée le Lagide laissa à Cy-
rène un gouverneur et une garnison (322).
Quelque temps après, le Macédonien Oppellas, qui gouvernait la
Cyrénaïque pour le compte du souverain d'Egypte, se déclara roi
indépendant et, soutenu par ses amis de Grèce, acquit une grande
puissance. C'est alors que, cédant aux instances d'Agathocle qui
était venu porter la guerre en Afrique, il alla se joindre à lui pour
combattre les Karthaginois. Nous avons vu' que le roi de Sicile le
fit assassiner. A la suite de ces événements, Ptolémée voulut res-
saisir la Cyrénaïque, mais il dut se porter au plus vite vers l'est,
pour combattre ses mortels ennemis, Antigone et Démétrius, fils
de celui-ci, qui avait épousé la veuve d'Oppellas. Ce ne fut qu'après
avoir triomphé d'eux à la bataille d'Ipsus (301), qu'il put s'occu-
per de la soumission de la Cyrénaïque. Son beau-fils Magas accom-
plit cette mission et resta gouverneur du pays.
Ptolémée avait ramené de ses expéditions en Syrie un grand
nombre de Juifs ; il les expédia en Cyrénaïque et dans les autres
villes de la Libye ^. C'est ainsi que nous verrons, au xi'^ siècle de
notre ère, le kalife Fâtemide El Mostancer, lancer sur le Mag'reb
les Arabes hilaliens qu'il a également ramenés de ses guerres de
Syrie et dont il ne sait que faire.
A la mort de Ptolémée (285), Magas se déclara indépendant et,
après avoir tenté de renverser du trônp d'Egypte son frère utérin
Ptolémée Philadelphe, conclut avec lui un traité d'alliance et
donna à la Cyrénaïque des jours de calme et de prospérité. A sa
mort, sa fille, la célèbre Bérénice, épousa le beau Démétrius, fils
du Polyorcète, et partagea avec lui le trône de Cyrène. On connaît
la fin tragique de Démétrius et le second mariage de Bérénice,
avec Ptolémée Evergète ^. Ainsi la Cyrénaïque fut éncore une fois
réunie à la couronne d'Egypte (2i7). Mais Bérénice n'oublia pas
sa patrie : elle y fit exécuter de grands travaux et orna certames
villes avec magnificence. Son nom fut donné à la ville d'Hespéride
(Ben-Ghazi) .
A l'occasion de la querelle survenue entre les deux frères Pto-
lémée Philométor et Ptolémée Evergète, surnommé Physcon, qui
avaient partagé pendant quelque temps le trône de l'Egypte,
Rome, sollicitée par le premier (164), envoya des commissaires qui
opérèrent le partage du royaume entre les deux frères. Physcon
obtint, pour sa part, la Cyrénaïque avec la partie de la Libye y
1. Chapitre I, p. 10.
2. Josèphe.
3. Justin, Hisl., XXVL
70
HISTOIRE ns 1,'afrique
attenant'. Mécontent de son lot, il essaya en vain de décider son
frère ou Rome à réformer le partap^e. En 147, Philométor étant
mort, Physcon alla s'emparer du trône d'Eg:ypte et fit g^émir le
pays sous sa tyrannie, pendant un long règne qui ne se termina
qu'en l'année 117. Par son testament il léguait la Cyrénaïque à
son fils naturel Apion.
Pour la dernière fois la Cyréna'ique formait un royaume indé-
pendant. Apion régna paisiblement, obscurément même, pendant
vingt années, entretenant avec Rome des rapports fréquents, et,
à sa mort survenue en l'an 96, il légua son royaume au peuple-roi.
Celte nouvelle province s'étendait de l'Egypte à la grande Syrte.
Rome laissa à la Cyrénaïque ses institutions, aux villes leurs fran-
chises, et se contenta de prendre possession des biens de la cou-
ronne, dont les produits vinrent grossir les revenus du trésor pu-
blic. En réalité, le pays demeura livré à l'anarchie des factions
jusqu'au moment où Lucullus, au retour de la guerre contre Mi-
thridate, vint prendre possession de la Cyréna'ique et la réduire
en province romaine (86).
1. Polybe.
CHAPITRE VI
L'AFRIQUE PENDANT LES GUERRES CIVILES
89-46
Guerre entre Iliemsal et Yarbas. — Défaite des partisans de Marins en
Afrique; mort de Yarbas. — Expéditions de Sertorius en Maurétanie. —
Les pirates africains châtiés par Pompée. — Juba I successeur de Hiemsal.
— Il se prononce pour le parti de Pompée. — Défaite de Curion et des
Césariens par Jnba. — Les Pompéiens se concentrent en Afrique après la
bataille de Pharsale. — César débarque en Afrique. — Diversion de Sit-
tius et des rois de Maurétanie. — Bataille de Thapsus, défaite des Pom-
piens. — Mort de Juba. — La Numidie orientale est réduite en province
Romaine. — Chronologie des rois de Numidie.
Guerre entre Hiemsal H et Yarbas. — Dans la situation de
vassalité où se trouvaient les rois numides vis-à-vis de Rome, il
leur était diflicile de ne pas prendre une part, plus ou moins
directe, aux troubles qui l'agitaient. Marins, forcé de fuir, se ré-
fugia en Afrique, comptant sur le secours du roi Hiemsal H,
auprès duquel il avait envoyé son fils. Mais le Berbère voyait
poindre la fortune de Sylla. Il se prononça pour celui-ci, et le fils
de Marius, qu'il avait retenu comme prisonnier et qui n'était
parvenu à s'échapper, — s'il faut en croire Plutarque, — que grâce
à l'intérêt que lui portait une concubine de son hôte, ayant rejoint
son père, lui apprit qu'il ne lui restait qu'à fuir. Marius qui avait
été repoussé de Karthage par le proconsul Sextus, errait sur le
rivage près de la limite de la Numidie; il put cependant prendre
la mer, g'agner les îles Kerkinna, échappant ainsi aux sicaires
de Hiemsal. Il trouva ensuite un refuge chez Yarbas, qui s'était
déclaré pour lui, et y passa sans doute l'hiver de l'année 88.
Bientôt Yarbas marcha contre son parent, le défît, et s'empara
de son royaume. Ainsi le parti de Marius triomphait en Afrique,
tandis qu'en Europe il n'éprouvait que des revers.
Défaite des partisans de Marius en Afrique. Mort de Yarbas.
— La province africaine devint le refuge des partisans de Marius.
Le préteur Hadrianus en avait expulsé Métellus et Crassus, qui
essayaient en vain de rallier ce pays au parti des Optimales. Pour
augmenter ses forces, Hadrianus voulut affranchir les esclaves;
mais les marchands d'Utique se révoltèrent en masse et brûlèrent
72
iiisToiRr: nr. i/afuiqve
le préteur dans sa maison. Cependant l'Afrique resta fidèle au
parti Marianien. Domitius Ahénobarbus, gendre de Cinna, y or-
ganisa la résistance. Un camp fut formé près d"Utique et bientôt,
grâce aux renforts fournis par Yarbas, une vingtaine de mille
hommes s'y trouvèrent réunis.
Mais Sylla, sans laisser à ses ennemis le temps de se reformer,
chargea Cnéius Pompée d'une expédition en Afrique. 11 lui confia
à cet effet six légions qui partirent sur une flotte de cent vingt
galères, suivies d'un grand nombre de bateaux de transport.
Débarqué heureusement en Afrique, le général romain marcha
contre ses ennemis, qui l'attendaient dans une forte position, les
attaqua en profitant du désordre causé par un orage, les défit, et
enleva leur camp, avec leurs bagages et les éléphants du roi nu-
mide. D. Ahénobarbus tomba en combattant; quant à ses soldats,
il en fut fait un grand carnage, puisque trois mille, seulement,
d'entre eux purent s'échapper.
Yarbas avait pris la fuite avec les débris de ses Numides et
tâchait de gagner sa i-etraite, lorsqu'il se heurta contre un corps
de cavaliers maures, envoyés par le roi Bogud, fils de Bokkus, au
secours de Pompée. Gauda fils de Bogud, commandant de cette
colonne, contraignit Yarbas à se réfugier derrière les remparts de
Bulla-Regia ', sa capitale.
Pompée, qui avait envahi la Numidie, empêcha les Berbères de
porter secours à leur roi. Forcé de se rendre à Gauda, Yarbas fut
mis à mort. Hiemsal rentra ainsi en possession de son royaume et
reçut, comme récompense de sa fidélité à Sylla, le territoire du
vaincu - (81). Ces luttes avaient duré sept ans. Vers la même
époque Bokkus, roi de Maurétanie, ayant cessé de vivre, son empire
avait été partagé entre ses deux fils : Bokkus II, qui obtint la
partie orientale, avec Yol pour capitale, et Bogud, à qui échut la
partie occidentale, avec Tingis. Ce dernier avait fourni son appui
à Pompée pour écraser Yarbas.
Expéditions de Sertorius en Maurétanie. — Tandis que la Nu-
midie était le théâtre de ces guerres, Sertorius était chassé de
l'Espagne par Annius, lieutenant de Sylla. Forcé de prendre la
mer, il s'adjoignit à des pirates ciliciens et vint tenter un débar-
quement sur les côtes de la Maurétanie. Mais il fut reçu les armes
à la main par les farouches montagnards de l'ouest et parvint, non
1. Sur uû affluent de la Medjerda, eu Tunisie.
2. Florus, ffist. Rom.
i/afriqup: pkndant les guerres civiles (72 av. j.-c.) 73
sans peine, à se rembarquer. Il alla chercher un refuj^e dans les
îles Fortunées (Canaries) et, de là, attendit une occasion plus favo-
rable d'intervenir. Cette occasion ne tarda pas à se présenter. Un
certain Ascalis, soutenu par une partie des corsaires ciliciens dont
nous avons parlé, s'était mis en état de révolte contre le souve-
rain maurétanren et s'était emparé de Tanger.
Sertorius débarqua de nouveau en Afrique avec ses soldats, et
vint mettre le siège devant Tanger. Un corps de troupes romaines,
sous le commandement de Paccianus (ou Pacciaîcus), ayant été
envoyé par Sylla au secours d'Ascalis, Sertorius lui ofYrit le combat,
avant qu'il eût opéré sa jonction avec ce dernier, le défit et tua
Paccianus; puis il enleva d'assaut Tanger et fit prisonnier le pré-
tendant et sa famille (82). Encouragé par ce succès et appelé par
les Lusitaniens, Sertorius réunit ses guerriers au nombre d'environ
deux mille hommes, auxquels s'adjoignirent sept cents Berbères.
Etant passé en Espagne, il i-eçut dans son armée le contingent des
Lusitaniens et marcha contre les Romains. On sait qu'il se rendit
bientôt maître de toute l'Espagne (7H) et que sa puissance fut
assez grande pour que ÎMithridatc lui proposât une alliance; on sait
aussi qu'il fallut toute la science et les efforts combinés de Métellus
et de Pompée pour triompher de ce chef de partisans (72). Ce
fait prouve que les incursions des Berbères de l'ouest en Espagne
datent de loin.
Les pirates africains châtiés par Pompée. — Nous avons vu
plus haut des pirates s'associer à Sertorius pour faire une expédi-
tion en Maurusie. La Méditerranée était alors infestée par ces écu-
meurs de mer, précurseurs des corsaires barbaresques, à l'indus-
trie desquels la conquête de l'Algérie par la France a mis fin. Le
littoral des Syrtes et de la Cyrénaïque était un des repaires de ces
brigands qui enlevaient toute sécurité à la navigation. Les Nasa-
mons se faisaient remarquer parmi eux par leur hardiesse. Des
mercenaires et des officiers licenciés, des proscrits, épaves de
toutes les guerres civiles, des brigands de toutes les nations com-
plétaient les équipages. Plusieurs expéditions avaient déjà été en-
treprises contre eux; mais les leçons qu'on leur avait infligées
n'avaient eu, pour ainsi dire, aucun résultat. Leur audace ne con-
naissait pas de ])ornes : » l'or, la pourpre, les lapis précieux déco-
raient leurs navires; quelques-uns avaient des rames argentées, et
chaque prise était suivie de longues orgies au son des instruments
de musique' ». Ils possédaient, dit-on, plus de trois mille navires
1. Duruy, Hist. des Romains, t. II, p. 779.
74
HISTOIRE DE 1,'aFRIQUE
avec lesquels ils entreprenaient de véritables expéditions et inter-
ceptaient souvent les convois de grains venant non seulement de
l'Afrique, mais de la Sicile et de la Sardaigne. Les corsaires for-
maient un véritable état qui avait déclaré la guerre au reste du
monde. Ils avaient établi des règles d'obéissance et de hiérarchie
auxquelles tous se soumettaient; quant à leurs prises, ils les consi-
déraient comme du butin légitimement conquis par la guerre.
En 67 Pompée, chargé par décret de mettre fin à cette situation
insupportable, et ayant reçu à cet effet des forces considérables,
divisa sa flotte en treize escadres, nettoya en quarante jours les
rivages de l'Espagne et de l ltalie, accula les pirates dans la Médi-
terranée orientale, détruisit tous leurs navires, et força à la sou-
mission ceux qui n'avaient pas péri.
En 59, lors du premier triumvirat, Pompée obtint dans son lot
l'Afrique; il fit administrer cette province par des lieutenants et
conserva des relations amicales avec le prince de Numidie, qui lui
devait tout '.
JUBA I, SUCCESSEUR DE HiEMSAL II. Il SE PRONONCE POUR LE PARTI
DE Pompée. — Après les événements qui avaient rendu à Hiemsal II
son royaume, augmenté de celui de Yarbas, ce prince régna tran-
quillement pendant de longues années, aidé dans l'exercice du
pouvoir, par son fils Juba, sous le protectorat de Rome. A la suite
d'une contestation survenue avec un chef berbère du nom de Ma-
sintha, le même qui, ainsi que nous l'avons dit-, gouvernait sans
doute la Numidie occidentale, voisine de la Maurétanie, les princes
africains vinrent soumettre leur procès au Sénat. Juba, représen-
tant son père, obtint gain de cause malgré l'opposition de Cé.sar
qui, d'après Suétone, serait allé, dans son ardeur à défendre Ma-
sintha, jusqu'à saisir par la barbe son adversaire. Juba garda un
âpre ressentiment de cette violence et profita de son séjour à Rome
pour resserrer les liens qui unissaient son père au parti pompéien.
En l'an 50 Hiemsal cessa de vivre. Son fils Juba lui succéda.
C'était un homme d'un courage et d'une hardiesse remarquables ;
ses rapports avec les Romains l'avaient initié aux raffinements de
la civilisation ; mais son goût pour les choses de la guerre l'avait
empêché de tomber dans la mollesse. Persuadé qu il était appelé à
jouer un grand rôle dans la querelle qui divisait alors le peuple
romain, son premier soin, en prenant le pouvoir, fut d'organiser
ses forces, non seulement au moyen de ses guerriers numides,
1. Boissière, p. 169. ^
2. D'après M. Poulie, loc. cit.
l'aFRIQUE pendant les guerres civiles (50 AV. J.-C.) 75
mais encore en attirant à lui des aventuriers de toute race, qui,
profitant de Tanarcliie générale, s'étaient réunis en bandes et
guerroyaient pour leur compte sur divers points. Ainsi préparé, il
attendit, au cœur de son royaume, que le moment d'agir fût arrivé.
Défaite de Curion et des Césariens par Juba. — L'occasion ne
tarda pas à se présenter. Après que César eut enlevé l'Italie aux
Pompéiens, Attius ^'arus, lieutenant de Pompée, se réfugia avec
quelques forces en Afrique, y proclama l'autorité de son maître et
se mit en relations avec Juba. Curion, ennemi personnel de ce
dernier, dont il avait proposé au Sénat la dépossession, fut dépêché
par César pour réduire le rebelle et son allié numide, déclaré en-
nemi public. Après quelques opérations dans lesquelles il eut
l'avantage, il contraignit \'arus à se réfugier à Utique et commença
le siège de cette ville. La situation des Pompéiens devenait cri-
tique, lorsque Juba accourut à leur secours, à la tête d'une puis-
sante armée, ce qui contraignit Curion à lever le siège et à cher-
cher lui-même un refuge derrière les retranchements du camp
Cornélien', où rien ne lui manquait. Il aurait pu résister avec suc-
cès aux forces combinées de ses ennemis ; mais ceux-ci employèrent
la ruse pour l'en faire sortir et leur stratagène réussit. Ils répan-
dirent le bruit que Juba, rappelé dans son royaume par une révolte
subite, avait emmené la plus grande partie de ses forces, en
laissant le reste sous le commandement de son général Sabura.
Pour donner plus de sérieux à cette feinte, le roi numide se tint
en arrière avec le gros de son armée et ses éléphants et fit avancer
Sabura suivi de peu de monde.
Aussitôt Curion sortit du camp avec une partie de ses gens et
se porta sur la Medjerda (Bagradas), où il ne tarda pas à l'encontrer
l'avant- garde numide. Les prisonniers confirmant les précédents
rapports, à savoir qu'il n'avait devant lui que Sabura, le général
romain se lança imprudemment à la poursuite des guerriers indi-
gènes qui, tantôt combattant, tantôt fuyant, l'attirèrent dans un
terrain choisi, à portée des renforts de Juba. Les Césariens', ha-
rassés de fatigue, débandés, négligeant leurs précautions habi-
tuelles, car ils se croyaient sûrs de la victoire, se virent tout à
coup entourés par de nouveaux et innombrables ennemis, parmi
lesquels deux mille cavaliers espagnols et gaulois de la garde de
Juba. Il ne leur restait qu'à vendre chèrement leur vie. Enflammés
par l'exemple de Curion, qui refusa de fuir, ils combattirent avec
1. Les vestiges de ce camp se voient encore à Porto Farina.
76
HISTOIRE DE I.'aFRIQL'E
la plus grande bravoure et furent tous exterminés. La tête du gé-
néral romain fut apportée au prince berbère.
Dès que la nouvelle de cette défaite parvint au camp cornélien,
les soldats furent pris d une véritable panique, que le préteur
M. Rufus fut impuissant à calmer. Tous se précipitèrent vers le
rivage afin de s embarquer sur des navires marchands ancrés dans
le port ; mais la plupart de ces barques sombrèrent, étant sur-
chargées ; dans certains navires, les marins jetèrent à Teau les
soldats, et il en résulta que, de toute cette armée, bien peu de Cé-
sariens purent gagner la côte de Sicile, où ils arrivèrent isolés et
démoralisés. Ceux qui n'avaient pu s'embarquer se rendirent à
Juba qui les fit tous massacrer sans pitié '.
Rempli d'orgueil par ce succès, Juba entra solennellement à
Utique et commença à faire rudement sentir son arrogance aux
Pompéiens.
Les Pompéiens se concentrent en Afrique après la bataille de
Pharsale. — Mais, tandis que l'Afrique était le théâtre de ces évé-
nements, le grand duel de César et de Pompée se terminait à Phar-
sale par la défaite de celui-ci, suivie bientôt de sa mort misérable
(août-juin 18). Les débris des Pompéiens vinrent en Afrique se ré-
fugier auprès de Varus et tenter de se reformer sous la protection
de Juba.
Métellus Scipion, beau-père de Pompée, Labiénus et autres chefs
du parti pompéien, et enfin Caton, arrivé le dernier, après avoir
mis la Cyrénaïque en état de défense, se trouvèrent réunis et ne
tardèrent pas à grouper des forces respectables, tant comme effectif
que comme matériel et vaisseaux. Ils enrôlèrent aussi un grand
nombre d'indigènes et renforcèrent leurs légions au moyen d'élé-
ments divers. L'éloignement de César, retenu en Egypte, favo-
risait cette réorganisation de leurs forces. Malheureusement la
concorde était loin de régner parmi les Pompéiens : Scipion et
Varus s'y disputaient le commandement, et Juba faisait avec inso-
lence'sentir le poids de son autorité à tous. Il fallait l'énergie de
Caton pour éteindre ces discordes et rappeler chacun à son devoir.
Grâce à lui, Scipion fut reconnu général en chef des forces pom-
péiennes ; ce fut lui également qui sauva Utique de la destruction,
car Juba voulait raser cette cité comme étant attachée au parti
césarien. Il s'appliqua particulièrement à la fortifier et laissa aux
autres chefs le soin de diriger les opérations actives. Le roi ber-
bère, rempli d'orgueil par l'importance que lui donnaient les évé-
1. Appien, passim.
l'aFRIQUE pendant les guerres civiles (46 AV. J.-C.) 77
nements, s'entoura des insignes de la royauté et fit frapper des
monnaies à son effigie. Il avait imposé aux Pompéiens cette con-
dition, qu'en cas de succès, la province d'Afrique lui serait donnée,
et il se voyait déjà souverain d'un puissant empire
César débarque en Afrique. — Ainsi, il ne suffisait pas à César
d'avoir vaincu son rival à la suite d'une brillante campagne. Il
fallait recommencer une nouvelle guerre contre son parti, sur un
autre continent et avec des forces bien inférieures à celles de ses
ennemis. César accepta les nécessités de la situation avec sa déci-
sion ordinaire. Retenu à Alexandrie par les vents contraires, il
prit toutes les dispositions pour assurer la réussite de sa témé-
raire entreprise. Dans le but d'entraver le secours que Juba allait
offrir aux Pompéiens, il le proclama, ainsi que nous l'avons dit,
ennemi public, et accorda ses états aux deux rois de ^laurélanie
Bokkus et Bogud, comptant bien qu'ils attaqueraient la frontière
occidentale de la Numidie et feraient ainsi une salulaire diversion.
Au commencement de l'an 46, César débarqua non loin d'Ha-
drumète (Sousa), après une périlleuse traversée dans laquelle sa
flotte avait été dispersée. Il n'avait alors avec lui qu'environ cinq
mille fantassins et cent cinquante cavaliers gaulois. C'est avec cette
faible armée qu'il allait affronter, loin de tout secours, des forces
combinées montant à soixante mille hommes, avec une nombreuse
cavalei'ie et des éléphants. Heureusement pour le dictateur, ses
ennemis ne surent pas tirer parti de leurs avantages. Leurs nom-
breux navires restèrent à l'ancre, au lieu d'aller intercepter ses com-
munications et empêcher l'arrivée de renforts. Scipion soumis aux
caprices de Juba, se montra d'une faiblesse extrême et, pour plaire
à ce prince, laissa ses soldats ravager la province d'Afrique, ce
qui détacha de lui la population coloniale qui ne voulait à aucun
prix subir la domination d'un Berbère. Enfin les opérations de
guerre furent menées sans énergie ni cohésion.
Cependant César, après avoir en vain essayé de se rendre maître
d'Hadruniète, soit par la force, soit en achetant Considius qui dé-
fendait cette place, se vit bientôt forcé de battre en retraite, pour-
suivi dans sa marche par un grand nombre de Numides, contre les-
quels la cavalerie gauloise était obligée de faire tête à chaque
instant. Bien accueilli par les habitants de Ruspina ^, il se re-
trancha dans cette localité et reçut également la soumission de
1. Mommscn, Hist. Rom., t. VII, p. 128.
2. Mouablir, selon M. Guériii.
78
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
Leptis parva', ce qui lui procura l'avanta^ïe d'un bon port où il ne
tarda pas à recevoir des renforts et des provisions.
Bientôt arriva Labiénus à la tête d'une armée de huit mille hommes,
comprenant un grand nombre de cavaliers numides. César leur
offrit aussitôt le combat, et, grâce à une habile tactique, parvint à
repousser ses ennemis. Malgré ce succès, sa situation était des
plus critiques : Scipion arrivait avec huit légions et de nombreux
cavaliers; il n'était plus qu'à trois journées, et derrière lui s'avan-
çait le gros de l'armée de Juba, commandée par le prince berbère
en personne. Bloqué, manquant de tout. César déploya, dans cette
conjoncture critique, les ressources de son génie: construisant des
machines de guerre, démolissant des galères pour avoir le bois
nécessaire aux palissades, enfin nourrissant ses chevaux au moven
d'algues marines lavées dans l'eau douce. Heureusement Salluste,
alors préteur, parvint à surprendre l'île de Kerkinna, où avaient
été entassées de nombreuses provisions qui assurèrent le salut des
Césariens.
Diversion de Sittius et des rois de Maurétame. — Sur ces en-
trefaites, un certain P. Sittius, chef d'une bande d'aventuriers,
avec lequel César était en pourparlers depuis quelque temps, se
joignit aux troupes de Bogud, roi de la Maurétanie orientale, et
envahit la Numidie par l'ouest. Ce Sittius, Italien d'origine, com-
promis dans la conspiration de Calilina, et qui déjà, en 48, avait
aidé Cassius, lieutenant de César, à écraser Marcellus en Espagne,
avait réuni en Afrique une véritable armée de malandrins de tous
les pays avec lesquels il se mettait au service de quiconque le
pa^'ait convenablement^. Homme énergique et d'une grande audace,
son appui, surtout après sa jonction avec les troupes de Mauré-
tanie, allait être d'un grand prix pour César.
Marchant résolument sur Cirta, Sittius parvint sans empê-
chement sous les remparts de cette ville, l'enleva après un siège
de peu de jours ' et se rendit maître d'une autre place forte dont
on ignore le nom, où se trouvaient les magasins d'armes et de
vivres de Juba. Appuyé sur cette forteresse, il rayonna dans tous
les sens, menaçant les villes et les campagnes de la Numidie.
A la réception de ces graves nouvelles, Juba dut faire rétro-
grader une partie de son armée pour s'opposer aux entreprises des
envahisseurs et couvrir sa capitale. Mais bientôt un autre sujet
1. Lemta, au sud du golfe de Hammamet, selon le même.
2. Appien, De hcll. ciw, lib. IV, cap. 54. Salhiste, Catil., c. 21.
3. Hirtius, De bell. afr.
l'afrique pendant les guerres civiles (4g av. j.-c.) 79
d'inquiétude le força à porter ses regards vers le sud. Les Gétules,
travaillés par les émissaires de César, s'étaient lancés sur sa fron-
tière méridionale. Il fallut donc distraire encore de nouveaux
soldats pour contenir les nomades sahariens. Ainsi Juba, menacé
sur ses derrières et sur son flanc, fut contraint de suspendre son
mouvement et de changer ses plans. Il n'est pas douteux que ces
diversions assurèrent le salut de César.
Bataille de Thapsus, défaite des Pompéiens. — Cependant César,
après s'être solidement établi dans ses retranchements, avait
cherché à s'étendre sur le littoral, ayant en face de lui Scipion,
appuyé sur Hadrumète, Thapsus' et Thj-sdrus -. Ce général restait,
depuis deux mois, dans une inaction incompréhensible, appelant
sans cesse Juba à son secours ; mais le prince berbère avait d'autres
soucis, ainsi qu'on l'a vu. Peut-être aussi ne se souciait-il pas trop
de débarrasser les Pompéiens de leur ennemi et n'était-il pas fâché
de les laisser à la merci de César, pour arriver ensuite, écraser
celui-ci et rester maître du pays
Cédant enfin à des instances de plus en plus pressantes ou peut-
être à des promesses précises, Juba laissa le commandement des
opérations contre Sittius à son lieutenant Sabura, se porta vers
l'est et établit son camp en arrière de celui de Scipion. Les soldats
de César, effrayés de l'approche du prince numide dont la re-
nommée avait considérablement exagéré les forces, furent surpris
de constater que son armée n'était pas aussi puissante qu'on l'an-
nonçait. Le dictateur, qui venait de recevoir du renfort, profita ha-
bilement de cette impression pour prendre l'offensive et attaquer
Thapsus, ville construite sur une sorte de presqu'île. Par son
ordre, l'isthme qui reliait cette ville à la terre fut coupé et toute
communication se trouva interrompue entre les assiégés et les
Pompéiens.
Déjà les Césariens avaient remporté quelques avantages sur
terre et sur mer et repris confiance, d'autant plus que les rangs de
leurs ennemis s'éclaircissaient par la désertion. La désaffection
des populations s'accentuait chaque jour, et Juba, pour faire un
exemple, était allé détruire la ville de Vacca (Badja), dont les ha-
bitants avaient offert leur soumission à César. Scipion ne pouvant
plus persister dans son inaction, se porta au secours de Thapsus où
il fut rejoint par Juba. Bientôt César, qui avait pris toutes ses dis-
1. Ras Dimas, au sud du golfe de Hammamet.
2. El Djem.
3. Cf. Hirtius.
80
HISTOIRE DE L AFRIQLE
positions pour l offensive, fit attaquer ses ennemis coalisés. Les
Césariens déployèrent la plus grande bravoure et forcèrent les
Pompéiens à reculer. Les éléphants affolés contribuèrent au
désordre et empêchèrent la cavalerie numide de donner. Le camp
des Pompéiens et celui de Juba tombèrent successivement aux
mains des vainqueurs. Quant à l armée coalisée, naguère si nom-
breuse et si puissante, elle fuyait en désordre dans toutes les di-
rections. Les Césariens firent des vaincus un carnage horrible :
dix mille cadavres restèrent sur le champ de bataille.
Cette belle victoire assurait le succès de César. Les villes envi-
ronnantes, lladrumète, Thysdrus, qui étaient déjà pour lui, s em-
pressèrent de se rendre à ses officiers pendant que sa cavalerie
marchait sur Ltique. Caton essaya d'y organiser la résistance,
mais, on l a vu, les habitants de cette ville étaient pour César;
aussi n"eut-il bientôt d autre ressource pour échapper au vainqueur
que de se donner la mort (avril 46).
Mort de Juba ; la XL'MmiE orientale est réduite en province ro-
maine. — Après la bataille de Thapsus, les chefs pompéiens qui
échappèrent au fer du vainqueur prirent la route de l'ouest pour
tâcher d'atteindre l'Espagne. Mais Sittius, qui les attendait au pas-
sage, en arrêta un grand nombre et coula leurs vaisseaux dans le
port d'Hippone '. Scipion, repoussé en Afrique par la tempête, se
perça de son épée.
Quant à Juba, échappé de la mêlée, il évita la poursuite des
vainqueurs ; en se cachant le jour et ne marchant que la nuit, il
parvint à atteindre sa capitale Zama regia, où il avait laissé sa
famille et où il espérait trouver un refuge. Mais les habitants,
effrayés par les préparatifs de destruction générale qu'il avait faits
avant son départ, en prévision d une défaite possible, refusèrent
de lui ouvrir les portes de leur cité : ni les prières ni les menaces
ne purent les fléchir, et ils ne voulurent même pas laisser sortir la
famille de leur roi. Il fallait, pour agir ainsi, qu'ils jugeassent sa
cause bien compromise. Elle l'était en effet, car Sittius avait vaincu
et tuéSabura; le roi berbère n'avait plus un asile.
Juba se décida alors à se retirer à sa maison de campagne avec
le pompéien Pétréius et quelques serviteurs fidèles. Les Césariens,
appelés par les gens de Zama, accouraient, et il ne restait au
prince vaincu qu'à mourir. Il fit préparer un festin qu'il partagea
avec Pétréius, puis tous deux engagèrent un combat singulier où
ils devaient périr l'un et l'autre. Mais là encore la fortune fut con-
1. Florus, Hisl. rom.
l'afrique pendant les guerres civiles (46 AV. J.-C.) 81
traire au prince numide : il triompha de Pétréius, sans avoir reçu
de blessure mortelle et eu fut réduit à se plonger lui-même son
glaive dans le corps ; enfin, comme la mort n'arrivait pas, il se fit
achever par un esclave.
Ainsi finit le dernier roi de Numidie.
La partie orientale de ce royaume fut réduite en province
romaine (46) sous le nom de Nouvelle Numidie ou d'Africa nova.
César plaça Salluste à sa tête, avec le titre de proconsul. S'il faut
s'en rapporter au témoignage de Dion Cassius et de Florus, l'his-
torien de la guerre de Jugurtha, dans son court passage en Nu-
midie, s'y rendit coupable de telles exactions qu'il fut traduit en
justice et couvert de honte et d'infamie (Dion).
Les habitants de Zania, qui avaient si hardiment résisté à leur
roi, furent affranchis d'impôts.
Il restait quelqu'un à récompenser: Sittius, dont la coopération
avait été si décisive. César lui donna, ainsi qu'à ses compagnons, les
territoires environnant Cirta qu'ils avaient conquis. Ces territoires,
selon Appien, appartenaient à un certain Masanassès, ami et allié
de Juba, et père d'Arabion, qui se réfugia en Espagne. Ainsi
s'établit la colonie des Sitliens dont les lombes sont si nombreuses
à Constantine ' .
Juba laissait un fils. Le vainqueur l'épargna et l'envoya à Rome,
où il reçut une brillante éducation. Nous le verrons plus tard jouer
un rôle important dans l'histoire de l'Afrique.
Enfin Bogud I reçut, pour prix de son alliance, la partie occi-
dentale de la Numidie.
Chronologie des rois de Numidie.
Sifax, (ouSyphax), roi des Massésyliens (I vers 225
Gula, roi des Massyliens ) av. J.-G.
Massinissa, roi des Massésyliens ^
Vermina, roi des Massyliens )
Massinissa seul (?)
Micipsa ]
Gulussa [ 149
Manastabal j
Micipsa seul vers 145
1. Selon M. Poulie [Maiirétanie Sétifiennej p. 86), la colonie des Sit-
tiens ou Cirtésiens s'étendit assez loin au sud-est et se prolongea au
nord, jusque vers ChuUu (Collo). Elle comprit les colonies de Milevum
(Mila), Rusicada (Pliilippeville) et un grand nombre de bourgs.
T. I. G
82
IIISTOIUK DE I. AKRIQI E
jvers 118
av. J.-C.
Chronologie des rois de Nlmidie [Suilej.
Adherbal
Hiemsal
Jugurtha )
Adherbal )
Jugurtha )
Jugurtha seul 112
Gauda, Numidie propre )
Bokkus I, id occid )
Hiemsal II, Numidie orientale \
Yarbas id. centrale i (?)
Masintha (?) sétifienne ;
Yarbas, Numidie orientale et centrale 1 gg
Masintha (?) sétifienne )
Hiemsal, Numidie orientale et centrale /
Masintha (?) sétifienne )
Juba I, Numidie orientale et centrale }
Masanassès, sétifienne )
En 46, la Numidie orientale et centrale est réduite en province
romaine. La sétifienne est réunie à la Maurélanie orientale.
CHAPITRE VII
LES DERNIERS ROIS BERBÈRES
46 avant J.-C. — 43 après J.tC.
Les rois maurétaniens prennent parti dans les guerres civiles. — Arabion
rentre en possession de la Sétitîenne. — Lutte entre les partisans d'Antoine
et ceux d'Octave. — Arabion se prononce pour Octave. — Arabion s'allie à
Lélius lieutenant d'Antione ; sa mort. — L'Afrique sous Lépide. — Bogud II
est dépossédé de la Tingitane. Bokkus III réunit toute la Maurétanie sous
son autorité. — La Berbérie rentre sous l'autorité d'Octave. — Organisation
de l'Afrique par Auguste. — Juba II roi de iS'umidie. — Juba roi de Mau-
rétanie. — Révolte des Berbères. — Mort de Juba ; Ptolémée lui succède. —
Révolte des Tacfarinas. — Assassinat de Ptolémée. — Révolte d'.Edémon.
La Maurétanie est réduite en province Romaine. — Division et organisation
administrative de l'Afrique romaine. — CimoNOLoaiE des rois de Maurétanie.
Les rois maurétaniuns prennent parti dans les guerres civiles.
— Après lanL de secousses, la Berbérie ne recouvra pas encore la
tranquillité qui lui aurait été si nécessaire pour panser ses plaies.
Liée désormais au sort de Rome, elle devait ressentir le contre-
coup de toutes les luttes que s'y livraient les partis. Le meurtre
de César, les compétitions qui en furent la conséquence fournirent
aux Africains de nouvelles occasions d'y participer.
Bogud I, fidèle à César, avait aidé le dictateur à écraser en
Espagne les restes du parti pompéien (45) . Il était logique, ou au
moins conforme à l'usage, que Bokkus II se prononçât dans un
sens opposé ; aussi ses deux fils combattirent-ils à Munda pour
Sextus et Cnéus Pompée.
Arabion rentre en possession de la Sétifienne. — Nous avons
vu que le prince berbère Arabion, fils de Masanassès, après avoir
été dépossédé du royaume de son père (la Numidie sétifienne),
avait rejoint, en Espagne, les fils de Pompée. A la tête d'une bande
d'aventuriers, il vécut d'abord de brigandages ; puis, sa troupe
grossissant, il devint redoutable et lutta, non sans succès, contre
les cohortes du dictateur. Après la mort de César (15 mai 44)
Arabion jugea le moment favorable pour reconquérir l'héritage
de son père. Il passa en Afrique et s'appliqua à former une armée.
On dit même qu'il envoya des Numides au jeune Pompée, pour
84
HISTOIRE DE e'aFRIQUE
qu'ils apprissent, sous sa direction, à combattre à la romaine'.
Bientôt il fut en mesure d'entrer en canipaf^ne et, par son courage
et son habileté, ne tarda pas à triompher de Bokkus III qui avait
succédé à son père Bo^ud I, et à rentrer en possession du
royaume paternel. En vain Bokkus, sappuyant sur les services
passés, réclama le secours d Octave. Le jeune triumvir avait alors
d'autres occupations et ainsi toute la contrée comprise entre Saldaî
et l'Amsaga, la Numidie sétifienne, échappa au prince maure
pour rentrer en la possession de son ancien chef.
(( Arabion était actif, entreprenant, astucieux comme un Numide,
doué de qualités guerrières, avide de pouvoir-. « Il n'est pas
douteux qu'il n'ait nourri l'espoir d'expulser les Romains de la
Numidie. Son premier acte d'hostilité fut d'attirer Siltius, le spo-
liateur de son père, dans une embuscade, et de le tuer. Puis il
attendit pour voir comment ce nouvel attentat serait jugé à
Rome. Mais l'attention était absorbée dans la métropole par des
choses autrement graves que les usurpations d'un Numide.
Luttes entre les partisans d'Octave et celx d'Antoine. — A la
suite du partage effectué entre les triumvirs, l'Afrique était échue
à Octave. La Numidie était alors gouvernée par Titus Sextius,
tandis que l'ancienne province d'Afrique obéissait à Cornificius.
Octave donna à Sextius le commandement des deux provinces
réunies, et cet ofTicier voulut prendre possession de la Proconsu-
laire, mais Cornificius refusa d'évacuer l'Afrique, en déclarant qu'il
tenait son poste du sénat et qu'il n'avait cure de ce qui pouvait avoir
été fait par les dictateurs. Bientôt la guerre éclata entre eux.
Cornificius, qui disposait des forces les plus considérables, en-
vahit la Numidie nouvelle, tandis que Sextius, pour forcer l'ennemi
à la retraite, allait hardiment s'emparer d'Hadrumète et des
localités voisines. Cornificius, séparant ses forces, chargea son
lieutenant Décimus Lélius d'assiéger Cirta, avec une partie de son
armée, et confia le reste à P. Ventidius avec mission de repousser
Sextius. Cette tactique parut devoir être couronnée de succès, car
Sextius, s'étant laissé surprendre, fut battu et réduit à la fuite,
Arabion se prononce pour Octave. — Cependant Arabion, qui
était sollicité par les deux gouverneurs de se prononcer pour
chacun d'eux, gardait une attitude expectante afin de saisir le
moment d'intervenir avec profit. Craignant, s'il laissait écraser
1. Poulie, Maurclanie Sélifienne, p. 94 et passim.
2. Poulie loc. cit. Nous suivons entièrement son récit, car il est
impossible de mieux résumer cet épisode de l'histoire de la Berbérie.
LES DERNIERS ROIS BERBERES (43 AV. J.-C.)
85
Sextius, que son adversaire ne devînt trop redoutable, ou, peut-
être, prévoyant le triomphe d'Octave, le prince berbère se déclara
alors pour ce dernier, et entraîna avec lui les Sittiens. Cette nou-
velle rendit la confiance à Sextius alors assiégé par ses ennemis :
ayant enflammé le courage de ses soldats, il opéra une sortie heu-
reuse et parvint à triompher de Ventidius, qui resta sur le champ
de bataille.
La conséquence de ces événements fut la levée immédiate du
siège de Cirta et la retraite de Lélius sur Utique, où se trouvait le
camp de Cornificius. Arabion l'y poursuivit, tandis que Sextius
arrivait de l'autre côté. Ainsi le partisan d'Antoine se trouvait pris
entre deux ennemis ; mais il disposait de forces considérables et
aurait été en mesure de résister avec fruit, si la fortune ne s'était
tournée si manifestement contre lui.
Lélius envoyé en reconnaissance se heurta contre le corps de
Sextius, qui l'attaqua avec violence. Secondé par un habile mou-
vement d'Arabion, celui-ci parvint à le séparer du camp et à le
contraindre à la retraite. La cavalerie du prince numide le força de
chercher un refuge sur une montagne escarpée. Cornificius, voyant
la position critique de son lieutenant, sort du camp pour aller à
son secours. Pendant ce temps Arabion a détaché de son armée
un corps d'hommes déterminés qui escaladent par surprise les
retranchements du camp, et massacrent les soldats laissés à sa garde.
Cornificius, dans cette conjoncture critique, continue à pousser
hardiment sa marche pour opérer sa jonction avec Lélius ; mais
celui-ci ne fait rien pour le seconder, de sorte qu'il reste seul
exposé à l'attaque combinée de Sextius et d'Arabion. Bientôt,
tous ses soldats tombent autour de lui, et lui-même trouve la
mort du guerrier. Pendant ce temps, Lélius désespéré se perçait
de son épée et ses soldats démoralisés n'ess iyaient pas de résister
à leurs ennemis.
« La journée avait été bonne pour Arabion ; il avait donné une
province à Sextius et conquis le pardon de son ancienne hostilité
contre César; il rentra dans ses Etats chargés de dépouilles et
peut-être y annexa-t-il quelques cantons de la Nouvelle Numidie.
Cette heureuse campagne eut encore pour résultat de raffermir la
couronne sur «a tête et de consacrer son titre de roi ' » .
Toute l'Afrique romaine resta ainsi soumise à l'autorité de
Sextius. En 43, après la réconciliation d'Octave et d'Antoine et
la formation d'un nouveau triumvirat, Sextius fut sacrifié et rem-
1. Poulie, Maurétanie, p. 99. Appieu, de bcll. civ., lib. IV. Dion
Cassius, lib. XLVIL
86
iiiSTomi; Dr. l afhique
placé par C. F. Fan;;o. L'Afrique avait élé conservée par Octave.
Mais, à la suite de la bataille de Philippes, en 42, un nouveau
partage intervint entre les triumvirs : Antoine reçut l Orient et
dans son lot se trouvèrent la Gyrénaïque et l'Afrique propre, tandis
que la Numidie seule restait à César-Oclavien, avec les régions
de l'Occident.
Arabion s'allie a Sextius lieutenant d'Antoine. Sa mort. — La
femme d'Antoine, Fulvie, qui selon l'expression de V. Paterculus
n'avait de féminin que le corps, chargea Sextius resté en Afrique
de s'emparer de la province échue à son mari. Fango, ne cédant
qu'à la force, alla prendre le gouvernement de la Nouvelle Xumi-
die ; mais son administration ne l'avait pas rendu sympathique. Il
trouva la population en armes, et Ijientôt une révolte générale
éclata contre lui. Arabion et les Sitliens soutenaient les rebelles.
Cependant Fango parvint à rétablir son autorité et Arabion, vaincu
par lui, alla chercher un refuge auprès de Sextius.
Fango somma ce dernier de lui livrer le roi berbère et, sur son
refus, envahit des cantons de l'ancienne province et y porta le ra-
vage. Mais Sextius, secondé par Arabion et un grand nombre de
Numides, a^-ant marché contre lui, le força à une prompte retraite.
Sur ces entrefaites, Sextius fit assassiner perfidement Arabion. Les
détails fournis par Dion Cassius et Appien, sur ce fait, sont con-
tradictoires, et il est assez difficile de se rendre compte du motif
de ce meurtre. Selon ces auteurs, Sextius aurait redouté la grande
influence exercée sur les Berbères par Arabion et aurait agi sous
la double impulsion de la jalousie et de la crainte.
Quoi qu'il en fût, ce meurtre détacha de Sextius tous les cava-
liers numides, qui allèrent olfrir leurs services à Fango et le pous-
sèrent à attaquer de nouveau son rival. Mais, encore une fois, la
victoire se prononça pour Sextius : Fango vaincu et mis en déroute
se donna la mort. Zama, qui résistait encore, ne tarda pas à être ré-
duite à la soumission. Ainsi Sextius resta maître de toute l'Afrique.
Il ajouta sans doute à ses provinces l'ancien royaume d'.\rabion,
la Numidie sétifienne.
L'Afriqle sous Lépide. — En l'an 40, Lépide, qui avait reçu
l'Afrique pour son lot, vint, avec six légions détachées de l'armée
d'Antoine, en prendre possession. Sextius lui remit sans opposition
ses provinces, et durant quatre années, les deux Afriques obéirent à
son administration. Les auteurs donnent fort peu de renseignements
sur cette période. On sait seulement que Lépide retira à Karthage,
la Junonia de Gracchus, ses privilèges de colonie romaine, et lui
LES DERNIERS ROIS BERBERES (36 AV. J.-C.)
87
enleva même une partie de ses habitants qu'il déporta au loin.
Quelle fut la cause de cette sévérité ? Peut-être les colons de Kar-
thage témoignèrent-ils des sentiments peu favorables au triumvir,
peut-être celui-ci céda-t-il aux conseils des habitants d'Utique,
dont la rivalité contre la colonie voisine était un héritage des
siècles. La nouvelle Karthage était en effet devenue très florissante
sous le consulat de Marc-Antoine. On est réduit à cet égard à des
conjectures.
BOGUD II EST DÉPOSSÉDÉ DE I.A TlXGITANE. BoKKUS III RÉUNIT TOUTE
LA Maurétanie SOUS SON AUTORITÉ. — L'année 40 avait vu la mort
de Bokkus II, roi de la Tingitane, qui avait été remplacé par
Bogud II, son fils. Héritier de la haine de son père contre Octave,
Bogud céda aux instances de Lucius Antonius, alors proconsul en
Espagne, et en 38, il passa dans la péninsule avec une armée, afin
d'arracher cette province aux lieutenants d'Octave. Mais à peine
avait-il quitté l'Afrique qu'une révolte éclatait dans sa capitale, à
Tingis même.
En même temps, Bokkus III, roi de la Numidie orientale, pro-
fitait de son absence et des mauvaises dispositions de ses sujets
pour envahir son royaume et occuper les principales villes.
Rappelé en Afrique par ces graves événements, Bogud trouva
tous les ports fermés et fut repoussé partout où il se présenta. Son
absence lui coûtait sa couronne. Il alla chercher un refuge à
Alexandrie, auprès d'Antoine, qui lui donna un commandement
important. Il devait périr plus tard à Melhone ^
Bokkus III réunit ainsi sous son autorité deux les Maurétanies et
vit son usurpation ratifiée par Octave. Etabli à Yol (Cherchel), ce
Berbère, vassal de Rome, régna assez paisiblement, ou plutôt obs-
curément, pendant plusieurs années. Il mourut en 33.
La Berbérie rentre sous l'autorité d'Octave. — En 36, Lépide
appelé par Octave en Sicile pour coopérer à la guerre contre Sextus
Pompée, quitta l'Afrique à la tête de douze légions. Mais bientôt
des discussions s'élevèrent entre les deux triumvirs, et Lépide fut
dépouillé de son autorité par Octave qui envoya en Afrique, pour
le remplacer, Statilius Taurus. Les historiens parlent, mais sans
donner de détails précis, des incursions des Musulames et des Gé-
lules, populations établies sur la limite du désert, et des razzias
qu'ils opéraient alors dans le Tel. Le nouveau gouverneur dut faire
1. Agrippa, entre les mains de qui il était tombé, lui fit trancher la
tête (31).
88
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
plusieurs expéditions conlre ces pillards pour les forcer à rentrer
dans leurs limites.
En l'an 33, Octave vint lui-même en Afrique et réunit les pos-
sessions de Bokkus au domaine du peuple romain.
Kartliage avait été privée par Lépide de ses privilèges de colonie
romaine et même dépeuplée en partie. Octave s'attacha à rendre à
la colonie de Caius Gracchus toute sa splendeur et lui envova trois
mille citoyens romains. Nous avons vu "que les Romains avaient
essayé de donner à la colonie de Gracchus le nom de Junonia. Oc-
tave la consacra à Vénus, déesse protectrice de la famille Julia,
mais ce dernier vocable fut aussi éphémère que le précédent
Vers le même temps, Antoine, entièrement subjugué par les
charmes de Cléopâtre, lui rendait la Cyrénaïque, et pour la der-
nière fois cette province était rattachée à l empire d'Egypte. Mais
trois ans plus tard (en 33), il se déclarait publiquement son époux
et partageait ses provinces entre les enfants de sa femme. C'est
ainsi que la jeune Cléopâtre Séléné, dont nous aurons bientôt à
parler, reçut en dot la Cyrénaïque.
La longue rivalité d'Antoine et d'Octave se terminait, le 2 sep-
tembre 31, par la bataille d'Actium. Après sa défaite, le triumvir
songea à s'appuyer sur les quatre légions qu'il avait laissées en Cy-
rénaïque à son lieutenant Scaurus ; mais celui-ci les avait livrées,
ainsi que le pays qu'il était chargé de défendre, à Gallus, officier
d'Octavien. En vain Antoine essaya-t-il, à Parœtonium, de rap-
peler ses soldats à la fidélité ; sa voix ne fut pas écoutée et, perdant
tout espoir, il alla chercher auprès de Cléopâtre un trépas misérable.
Ainsi toute l'Afrique se trouva soumise à l'autorité d'Octave.
Organisation DE l'Afriqi e par Augi ste. — Octave avait conservé
sous son autorité directe les ^Nlaurétanies depuis la mort de Bokkus
et tenté d'y implanter une colonisation latine, pour amener insen-
siblement les indigènes à se façonner aux lois et aux usages des
Romains et les préparer à accepter sans mécontentement leur
réunion définitive à l'empire -.
Après la mort d'Antoine et de Cléopâtre, leurs enfants furent
recueillis par Octave qui les traita avec les plus grands égards.
Parmi eux se trouvait la jeune Cléopâtre Séléné ; il la donna en
mariage au fils de Juba, qui venait de combattre pour lui à Actium,
et confia à celui-ci le gouvernement de l'Egypte ^.
1. Appieu, Punie. 136. Suétone, Aug., 47.
2. Poulie, Maurétanie, p. 102.
3. La date de cette nomiuation est incertaine.
LES DERNIERS ROIS BERBERES (25 AV. J.-C.)
89
Resté maître incontesté du pouvoir, Octave s'était sérieusement
occupé de roro;anisation des provinces. Dans les dernières années
de la république, elles étaient au nombre de quatorze, gouvernées
soit par des préteurs, soit par des consulaires. Le 13 janvier de
l'an 27, au moment où il constituait le régime impérial, Auguste
maintint cette division : les provinces paisibles et depuis longtemps
conquises, où peu de forces étaient nécessaires, furent appelées
sénatoriales ou proconsulaires ; les autres, où stationnèrent parti-
culièrement les légions, furent dites prétoriennes ou de l'empereur,
général en chef des armées L'Afrique, avec la Numidie, la Cyré-
naïque avec la Crète, furent classées parmi les provinces sénato-
riales; mais ces divisions changèrent selon les circonstances.
La III'' légion (Augusta) fut chargée de tenir garnison en Afrique.
Auguste plaça son quartier permanent à Theveste (Tebessa), au
pied oriental de l Aourès, à cheval sur les roules de la province de
Karthage, de la Numidie et de la région des oasis et de la Tripo-
litaine. Elle protégeait aussi le pays colonisé contre les invasions
des Gétules.
JuBA II, ROI DE Numidie. — Vers le même temps, c'est-à-dire
entre l'an 29 et l'an 25, Auguste plaça Juba II à la tête de la Nu-
midie, non comme un simple gouverneur, mais comme roi vassaP.
C'était une nouvelle application de son système qui consistait à
chercher à se rallier les indigènes en les amenant à l'assimilation ;
il pensait ne pouvoir trouver un meilleur intermédiaire qu'un com-
patriote parfaitement romanisé.
Nous avons vu qu'après la mort de son père, le jeune Juba avait
été élevé à Rome avec le plus grand soin, sous l'œil de César. Les
maîtres les plus célèbres de la Grèce et de l'Italie l'initièrent à
toutes les connaissances de l'époque et firent de ce jeune Berbère
un savant et un raffiné ^ C'était, au dire de Plutarque, un homme
beau et gracieux ^. Ces dons naturels, rehaussés par la culture, lui
gagnèrent l'amilié d'Auguste et d'Octavie et firent sa fortune.
Hâtons-nous de dire qu'il ne trompa pas l'espoir qu'on avait placé
en lui et qjae, s'il n'amena pas, comme ses protecteurs avaient pu
l'espérer, les indigènes à l'assimilation, c'est que la tâche était beau-
coup trop difficile et ne pouvait êlre l'œuvre d'un homme.
Il est assez difficile de dire quelle fut l'action du roi indigène sur
1. Hist. des Romains par Duruy, t. IV, p. 2.
2. De la Blanclière: De rege Juba, régis Jubx filio, Paris 1883.
3. Dion Cassius, 1. Ll, ch. xv.
4. Auton, c. VII.
90
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
le territoire de la colonie des Sitliens. Il est probable que, tout en
exerçant sur lui son autorité pouvernemenlale, il lui laissa ses
franchises communales et n'administra, à proprement parler, que
la partie orientale de la Numidie, cette Africa nova que César avait
érig-ée en province après sa victoire.
Que se passa-t-il en Numidie pendant les années qui suivirent
l'élévation de Juba ? Les auteurs sont muets sur ce point, et nous
en sommes réduits à supposer que son règne fut tranquille. La
nouvelle fonction qu'Auguste va confier au prince numide semble
indiquer que son administration avait été paisible et heureuse.
Juba, roi de ^L\urétaniiî . — Nous avons vu qu'après la mort de
Bokkus le trône de Maurélanie était demeuré vacant. En l'an 17
Auguste, renonçant à l'adminislration directe qu'il exerçait sur cette
vaste contrée, relira Juba II de la Numidie et lui confia la souve-
raineté des deux Maurétanies. Le prince numide vint régner, non
sans éclat, à Yol sur un vaste territoire s étendant de Sitifis, ou
peut-être de Sald;u ^ jusqu'à l'Atlantique, et de la mer jusqu'au
désert, c'est-à-dire en englobant une partie des tribus gétules.
Les deux Afriques ne formèrent qu'une seule province sous les
ordres d'un gouverneur nommé par le Sénat. La IIP légion [Au-
ffusla) y fut maintenue comme corps permanent d'occupation.
Dans sa nouvelle capitale, à laquelle il donna le nom de Césarée,
pour complaire à son protecteur, Juba put s'adonner tout entier à
ses chères études. On le comparait aux Grecs les plus instruits et
sa renommée s'étendit jusqu'en Grèce : Athènes, selon le dire de
Pausanias, lui aurait élevé une statue^. Il composa un grand
nombre d'ouvrages d'histoire, de géographie, de botanique, etc.
Mais ses travaux scientifiques ne le détournaient pas des soins
de son gouvernement. Il aurait, paraît-il, fait explorer les îles For-
tunées (Canaries) et la découverte des îles Purpurariœ (Madère),
lui serait due Enfin il aurait entretenu des relations commer-
ciales assidues avec l'Espagne, aurait été nommé consul de Cadix
Gadès par Auguste et était magistrat municipal de Carthagène.
Révolte des Berbères. — Nous avons vu que les Gétules et les
Musulames du désert ne cessaient de faire des incursions dans le
1. Ou 25, selon Dion, LUI, 26.
2. M. Poulie, loc. ci7., penche pour la première de CCS localités et nous
croyons qu'il a raison.
3. Berbrugger, Deniicrc dynasticmaiirilaniciine, {Revue africaine. No26,
p. 82 et suiv.).
4. Pline, cité par Berbrugger.
LES DERNIERS ROIS BERBERES (6 AP. .T.-C.)
91
Tel et que Taurus avait dû les repousser plusieurs fois par les
armes. En Tan 29, L. A. Petus, et en 21, L. S. Atralinus, avaient
poursuivi, jusque clans le désert, ces turbulents indigènes. Les
succès de ces j^énéraux leur avaient valu les honneurs du triomphe;
mais bientôt de nouvelles razzias avaient été opérées par ces in-
corrigibles pillards.
Dans la Tripolitaine, le rivage des Syrtes était infesté par les
pirates Nasamons, qui oubliaient la sévère leçon donnée à leurs
pères par Pompée. L'intérieur était livré aux Garamantes dont
Tacite a dit: ç/ens indomila et inler accolas lairociniis feciinda.
En Tan 19, L. Cornélius Balbus, nommé proconsul, fut chargé de
conduire une expédition dans ces contrées ; il s'enfonça au sud de
Tripoli et, s'avançant sur la voie fréquentée par les anciens mar-
chands karthaginois, traversa le pays des Troglodytes (les monts
R'arian), seuls intermédiaires du commerce de la pierre précieuse
qui vient d'Ethiopie et atteignit Garama (Djerma) dans la Pha-
zanie (Fezzan). Cette belle campagne étendit la domination romaine
jusqu'au désert. Gomme récompense, le triomphe fut accordé à
Balbus, bien que n'étant pas citoyen romain. Pline nous a transmis
les noms fort altérés des tribus qui y figuraient ^
Cependant les Gélules étaient toujours en état de révolte, et de
nouvelles incursions ayant coïncidé avec l'élévation de Juba au
trône de Numidie, les historiens en ont inféré, généralement, qu'ils
s'étaient soulevés contre lui; mais, en considérant que l'état normal
des tribus sahariennes a toujours été, jusqu'à ces derniers temps,
l'anarchie, la guerre et le pillage, nous ne voyons pas pourquoi on
rattache ces faits l'un à l'autre. La révolte, il est vrai, s'étendit à
l'est, gagna les Musulames et se signala comme toujours par des
dévastations et le massacre de tout ce qui portait le nom de
romain. Les armées de Juba furent plusieurs fois battues et il
fallut que l'empereur envoyât de nouvelles forces en Afrique.
Cn. Corn. Cossus, chargé de réduire ces Berbères, lutta contre
eux durant de longues années et finit par en triompher et les forcer
à la soumission, en l'an 6 de notre ère. Il reçut à cette occasion le
surnom de Gétulicus. Les Garamantes et les Nasamons s'étaient
joints aux Gélules. Carinius fut spécialement chargé de les en châtier.
Ce général les poursuivit jusqu'à la Marmarique. Une partie de la
IIP légion reçut la mission de garder la frontière méridionale ^.
1. Pline.
2. Ibid., Hist. nat., V, 3.
3. Florus, 1. IV, c. 12. Tacite, Ann., passini. D. Cassiiis, Hb. LV et
suiv. P. Orose, lib. VI. V. Patcrculus, II.
92
HISTOIRE DE I, 'AFRIQUE
Mort de Jlba II; Ptolémée lii succède. — Après celte secousse
qui, peut-être, se fit sentir principalement vers l'est, le rèf;ne de
Juba s'acheva paisiblement. En l an 4, il prit part à l'expédition
d'Arabie, et d'après M. Ch. AluUer il aurait dans cette campagne
épousé ou pris pour concubine Glaphyra, fille d'Archélaiis, roi de
Cappadoce. Les renseig:nements à ce sujet sont contradictoires,
mais il paraît certain qu'il ne ramena pas cette femme à Césarée.
Cléopâtre Séléné mourut vers l'an 6 (de J.-C.) et fut enterrée
dans le maf^nifique mausolée que Juba avait fait élever à l'est de
sa capitale*, et qui est connu maintenant sous le nom de lambeau
de la Chrétienne.
Vers l'an 22 ou 23 (de J.-C), Juba lui-même cessa de vivre et
fut placé auprès de son épouse dans le mausolée. Il laissait un fils,
Ptolémée, qui lui succéda. L'histoire nous représente ce prince
comme adonné entièrement à ses plaisirs et à ses études, aban-
donnant à ses aifranchis la direction des affaires. Juba avait reçu
d'Auguste ou de Tibère le titre de citoyen romain; il était en outre
citoyen d'Athènes, duumvir de Gadès et quinquennal de Kartha-
gène ^.
Révolte de Tacfarinas. — Depuis quelques années, un Berbère
du nom de Tacfarinas avait relevé l'étendard de la révolte dans la
Gétulie. Déserteur de la légion romaine, il avait d'abord réuni
une bande d'aventuriers et vécu de pillage et de vols. Vers l'an 17,
les Musulames, alors établis dans les environs de l'Aourès*, s'étant
laissés entraîner par lui, vinrent attaquer les soldats romains dans
leurs cantonnements. La révolte s'étendit à l'est jusqu'aux Syrtes
et à l'ouest jusqu'au Hodna. Un certain Mazippa, chef des Maures,
lui fournit son appui consistant particulièrement en cavalerie. Le
proconsul M. F. Camillus rassembla aussitôt ses troupes et les
auxiliaires et, ayant marché résolument à l'ennemi, le mit en com-
plète déroute. Tacfarinas, avec ses Gétules, se jeta dans les pro-
fondeurs du désert.
L'année suivante, Tacfarinas, après avoir mis à profit son temps
pour former ses guerriers à la discipline en les habituant à com-
battre à la romaine, les uns à pied, les autres à cheval, se porte de
nouveau contre les établissements romains, pille les bourgades et
1. Num. de l'Afr. anc.
2. Moniimentum commune regix gentis Maitritanix, d'après Pompo-
nius Mêla.
3. Masqueray, Compte rendu de la thèse de M. de lu Blanchère. Voir
aussi celte thèse intitulée De rege Juba, régis Jubx filio. Thoriu, 1883.
4. C'est ce qui est établi par Ragot Sahara, 2e partie, p. 74.
LES DERNIERS ROIS BERBÎiRES (22 AP. J.-C.)
93
les fermes, fait un butin considérable et met en déroute une cohorte
romaine qui lui abandonne un poste fortifié sur le fleuve Paj^yda ' .
Plein de confiance, il entreprend le siège de Thala.
Mais le nouveau proconsul L. Apronius, ayant pris la direction
des opérations, l'attaque avec vigueur, le bat dans toutes les ren-
contres et le force à prendre encore la route du sud (20).
Bien que les honneurs du triomphe eussent été accordés à Apro-
nius, il faut croire que ses succès n'avaient pas été bien décisifs,
puisque, peu de temps après, Tacfarinas poussa l'audace jusqu'à
proposer à Tibère un traité de paix, à la condition qu'on lui donnât
des terres. Pour toute réponse, l'empereur nomma en l'an 21
Bleesus, proconsul d'Afrique, et, lui ayant fourni d'importants
i-enforts (une partie de la IX" légion), le chargea d'anéantir la puis-
sance du chef indigène. Ce fut, avec la plus grande habileté et une
parfaite notion de cette sorte de guerre, que le général romain
mena la campagne : ses forces, s'appuyant sur des postes fortifiés,
furent divisées en plusieurs corps qui, durant un an, poursuivirent
les rebelles sans relâche ni trêve. Battu chaque fois qu'il était
rejoint, Tacfarinas dut encore s'enfoncer dans les profondeurs du
désert, son refuge habituel. Il ne lui restait ni adhérents ni res-
sources d'aucune sorte, et l'on put à bon droit considérer la
guerre comme finie. Tibère s'empressa de faire rentrer en Italie
une partie des troupes (22). Blsesus reçut le titre d'imperator.
Mais Tacfarinas n'était pas homme à se laisser abattre ainsi. La
mort du roi Juba lui fournit, sur ces entrefaites, un nouveau motif
pour intriguer chez les indigènes et soulever les tribus de l'ouest.
Soutenu par les Gai'amantes et par une foule d'aventuriers, encou-
ragé par le départ de la IX'' légion, il se lança de nouveau sur le
Tel et se heurta au proconsul Dolabella, successeur de Blœsus.
Profitant du petit nombre de ses ennemis, il glissa entre leurs
cohortes et vint audacieusement mettre le siège devant Tubusuptus
(Tiklat) dans la vallée du Sahel.
Dolabella, dans cette conjoncture, voulant éviter que les tribus
de l'ouest et du sud (Musulames et Gélules) ne vinssent se joindre
au rebelle, les terrifia en mettant à mort leurs chefs ; puis il fit
garder la ligne du sud par des postes et réclama au l'oi Ptolémée
une armée de secours afin de cerner Tacfarinas. Lorsqu'il sait que
les divisions maurétaniennes sont en marche, il se jette sur Tacfa-
rinas et le force à lever le siège de Tubusuptus. Le Berbère veut
fuir vers le sud, mais les issues sont gardées; il se porte vers
l'ouest poursuivi l'épée dans les reins par Dolabella qui l'atteint à
1. Près de Lambèse, selon le même auteur.
94
HISTOIRE DE l'aFRIQUE "
Auzia (Aumale), surprend son camp par une attaque de nuit et le
Telle fut la fin de ce remarquable chef de partisans dont l'acti-
vité, l'audace et la ténacité causèrent tant de soucis aux Romains.
Cette révolte avait duré huit ans
Assassinat de Ptolémée. — A la suite de cette guerre, dans
laquelle Ptolémée avait coopéré si efficacement à réduire le rebelle,
un sénateur fut désigné pour porter au roi de Maurétanie le bâton
d'ivoire et la toge brodée, présents du Sénat, et de le saluer du
titre de roi, d'allié et d'ami.
La révolte qui venait de causer de si grandes difficultés aux
Romains décida l'empereur à fortifier la Numidie en la détachant
de la province d'.\frique pour la placer sous l'autorité d'un com-
mandant militaire, légat de rang sénatorial, qui lui obéissait direc-
tement. Quant à la province d'Afrique, s'étendant à l'est d'Hippone
jusqu'aux limites de la Cyrénaïque, elle resta sous l'autorité du
Sénat, représentée par un proconsul (37) -.
Le règne de Ptolémée se continua sans que rien de saillant se
produisît, lorsqu'en l'an 39, il fut pour son malheur appelé à Rome,
par son cousin l'empei'eur Caligula Le tyran l'accabla d'abord de
prévenances ; puis, soit qu'il fût jaloux de la magnificence du roi
maurétanien et de l'attenlion qu'il attirait sur sa personne, soit
qu'il voulût s'emparer de ses immenses richesses, soit enfin qu'il
cédât à un de ses caprices sanguinaires dont il a donné tant d'exem-
ples, il le fit assassiner. On ignore si Ptolémée fut tué à la sortie
du cirque, ou s'il fut envoyé en exil et mis à mort secrètement,
car les auteurs diffèrent dans leurs versions.
Révolte d'JEdémon. La ]\Iaurétaxie est réduite en province ro-
maine. — - La nouvelle de l'assassinat du roi Ptolémée causa la plus
grande émotion en Afrique. L'affranchi yEdemon saisit ce prétexte
pour lever l'étendard de la révolte. Les Maures et même les Gé-
tules le soutinrent, et il fallut plusieurs expéditions pour le réduire.
L'empereur Claude se laissa décerner le triomphe pour les vic-
toires de ses lieutenants.
Cependant la révolte n'était pas éteinte. En l'an 41, le préteur
Suétonius PauUinus poursuivit les rebelles jusque dans l'ouest, pé-
nétra au cœur de la Tingitane, traversa les chaînes neigeuses du
1. Tacite, Annales, 1. Il, cli. lu.
2. Mommseu, Hist. Rom.
'è. Us étaient tous deux petits-fils d'Autouia, fille de Marc-Autoine.
LES DERNIERS ROIS BERBl-RES ( 42 Al'. J.-C.)
95
Grand-Atlas et, enfin, atteignit une rivière nommé le Ger (Guir),
« à travers des solitudes couvertes d'une poussière noire d'où sur-
ce gissent çà et là des rochers qui semblent noircis par le feu ' ».
Hasidius Géta termina la conquête de la Maurétanie occidentale
en rejetant dans le désert les débris des troupes d'un certain Sa-
labus, roi des Maures, dernier adhérent d'^'Edémon.
La Maurétanie fut réduite en province romaine vers l'an 12, ou
peut-être un peu plus tard, lorsque la dernière résistance eut été
écrasée. Quant à l'ère provinciale de Maurétanie, son point de
départ doit être fixé à l'année iO, date de l'assassinat de Ptolémée^.
Yol-Césarée reçut le titre de colonie.
Division et organisation administrative de i/ Afrique romaine. —
En l'an 42, il fut procédé, par ordre de Claude, à une nouvelle di-
vision des provinces africaines. Les anciennes demeurèrent placées
sous l'autorité du Sénat. \'oici quelle fut la répartition :
1° Cyrêna'ique avec la Crète, régies par un proconsul.
2° Province proconsulaire d'Afrique, subdivisée en Bjzacène et
Zeugitane, formée de la Tripolitaine et de la Tunisie actuelles,
régie par un proconsul résidant à Karthage.
3° Numidie, régie par un légat impérial ou par le proconsul de
la province d'Afrique.
4° Maurétanie césarienne, s'étendant de Sétif à la Moulouia.
5° Et Maurétanie Tingitane, de la Moulouia à l'Océan.
Ces deux dernières provinces, faisant partie du domaine de l'em-
pereur, furent régies par de simples chevaliers, avec le titre de
procurateurs [procaratores augusti)^ ne relevant que de l'em-
pereur et ayant des pouvoirs très étendus. Elles reçurent comme
garnison des troupes de second ordre.
Jusqu'au règne de Caligula, le proconsul qui gouvernait la pro-
vince ou les provinces d'Afrique était en même temps le chef des
troupes : la nécessité obligeait de réunir les deux pouvoirs entre
les mains du même chef, alm de donner plus d'unité à la direction
des affaires. Mais cet empereur, craignant la grande influence
exercée par le proconsul L. Pison, qui disposait d'un effectif de
troupes considérable, donna le commandement de l'armée et des
(( nomades » à un lieutenant ou légat du prince, et ne laissa à
Pison que l'administration propre du pays, ce qui engendra de
1. Pline, 1. V, 14. Dion Cass., LX, 9.
2. Ce fait a été péremptoirement démontré par MM. Berbrugger Re\'.
afr., t. p. 30; Génèra\Crc\i\y Ann. de la soc. arch. de Constantine, 1857,
p. 1, et Poulie, id., 1862, p. 261.
96
HISTOIRE DE I, 'AFRIQUE
nombreux conflits'. Les empereurs craignaient toujours de laisser
trop de troupes à leurs représentants en Afrique, et nous avons vu,
lors de la révolte de Tacfarinas, Tibère s'empresser de rappeler la
IX" légion, alors que le rebelle n'était pas encore vaincu. C'est,
qu'après des victoires, le proconsul sénatorial qui, déjà, était un
personnage considérable, pouvait être proclamé imperator par ses
troupes. Cette séparation des pouvoirs fut maintenue.
Le pouvoir des proconsuls dans leurs provinces était, pour ainsi
dire, illimité. Le pays, réduit en province romaine, perdait ses an-
ciennes institutions, et le personnage chargé d'appliquer le senatus-
consulle qui ordonnait cette incorporation élaborait un ensemble
de lois spéciales à la nouvelle province. 11 était, généralement, tenu
grand compte des institutions locales. Quelquefois une commission
de sénateurs l'assistait dans ce travail. Chaque proconsul, en arri-
vant dans son commandement — et l'on sait que la durée de ses
pouvoirs n'était que d'un an — publiait un nouvel édit par lequel
il pouvait modifier, selon son caprice, la loi fondamentale. 11 réu-
nissait dans ses mains tous les pouvoirs militaire, administratif et
judiciaire. A. Thierry a dit à ce sujet: « un arbitraire presque illi-
mité pesait sur la vie comme sur la fortune des provinciaux. »
Les provinces étaient donc regardées comme les domaines et les
propriétés du peuple romain *. Les publicains et les banquiers qui
accompagnaient le proconsul complétaient son œuvre.
Sous l'empire, cette situation se modifia. Nous avons vu Auguste
placer Juba II, comme roi, à la tête de la Numidie qui venait d'être
pressurée par ses gouverneurs. Enfin Caligula décapita la puissance
des proconsuls en leur retirant le commandement militaire. L'action
de l'empereur se fit dès lors sentir directement dans les provinces,
qui cessèrent d'être pressurées aussi violemment par la métropole.
Nous n'allons pas tarder à voir celle d'Afrique exercer à son tour
une grande influence sur la capitale.
A côté des proconsuls étaient des légats impériaux, officiers
chargés de diverses fonctions militaires et administratives et qui,
bien- que soumis aux ordres généraux du gouverneur, étaient direc-
tement sous l'autorité du prince, notamment pour le comman-
dement des troupes. Un questeur était attaché au proconsul et
ajoutait à son titre celui de propréteur ; il était chargé de le sup-
pléer par délégation. « Il n'y avait de questeurs que dans les pro-
vinces du Sénat ^ ». Un intendant {procurator) était chargé de
1. V. Dion, LX, 9, et Tacite, Ann.
2. Boissière, loc. cit., p. 217. C'est ;i cet ouvrage que nous ren-
voyons pour une partie de ces détails.
3. Boissière, p. 258.
LES DERNIERS ROIS liKRlîÈRES (42 AP. J.-C.)
97
rétablissement et de la rentrée des impôts, ainsi que de l'adminis-
tration des domaines impériaux.
Ces fonctionnaires principaux avaient sous leurs ordres un grand
nombre d'agents de toute sorte.
L'autorité l'eligieuse de la province était confiée à un sacerdos
provincine africae. (i l']lu parmi les personnes les plus considérées
et les plus riches, choisi parmi celles qui avaient occupé tous les
emplois dans leurs cités ou qui avaient obtenu le rang de chevalier
romain, il présidait l'assemblée religieuse réunie, tous les ans, à
Karthage. Son emploi était annuel et, au moment de sortir de
charge, il organisait à ses frais des jeux qui étaient appelés ludi
sacerdotales ' ».
Dans certaines provinces, l'assemblée (conciliuin) était annuelle:
c'était le cas de celle d'Afrique. Des délégués des cités y prenaient
part et, après la célébration des rites du culte de l'empereur, le
concilium s'occupait de questions administratives et de vœux à
présenter dans l'intérêt de la province. Ses membres exerçaient
un contrôle sur l'administration de leur gouverneur et avaient le
droit de le mettre en accusation.
La confédération des quatre colonies cirtéennes (Cirta, Mileu,
Rusicade et Chullu), ancien domaine de Sitlius, jouissait, pour
toute chose, d'une véritable autonomie ; « elle formait, dit M. Duruy,
un véritable Etat, où l'édile municipal était investi des pouvoirs
attribués au questeur romain, dans les provinces proconsulaires' »;
elle avait un concilium particulier, dont les attributions étaient
beaucoup plus étendues que dans les provinces. Son clergé et son
culte avaient une physionomie spéciale ; ses prêtres, des deux
sexes, portaient le titre de flamina. Chaque colonie était admi-
nistrée, pour ses alfaires particulières, par un ordo, sorte de conseil
municipal
Les provinces, comme les cités, se choisissaient des patrons,
personnages influents, chargés de défendre leurs droits dans la
métropole.
Les villes étaient divisées en plusieurs catégories :
1" Les colonies romaines, dont les citoyens jouissaient de tous
les droits et privilèges du citoyen romain, notamment de l'exemp-
tion du tribut.
1 . Héron de Villefosse, Comptes rendus de l' Académie des Inscriptions,
!¥= série, t. XI, p. 216, 217.
2. Hist. des Romains, t. V, p. 360.
3. Voir l'intéressant travail de M. Fallu de Lessert, dans le Bulletin
des Antiquités africaines de M. Poinssot, année 1884. Voir également
Duruy^ Histoire des Romains, t. IV, p. 42 et suiv.
T. I. 7
98
HISTOIRE DE l'aFHIQLE
2° Les municipes , dont les habitants, tout en profitant de la
plupart des privilèges du citoyen romain, n'avaient pas le droit de
suffrage.
3° Les colonies latines, dont les habitants avaient le droit d'ac-
quérir et de transmettre la propriété quiritaire \ jns commercii],
mais qui ne possédaient pas le Jus connubii, conférant la puissance
paternelle sur les enfants. Leurs magistrats, à l'expiration de leur
charge, étaient capables du droit de cité romain.
Il y avait encore les villes alliées, les villes libres et les villes
exemptes d'impôts.
Les cités avaient, en général, la libre disposition de leurs revenus,
sous la direction d'une assemblée de magistrats municipaux : la
curie ou ordo decurionum, composée de notables qui conféraient,
à l'élection, les honneurs ou fonctions dont ils disposaient. Le can-
didat, pour s'assurer leurs suffrages, était obligé de verser des
sommes considérables dans la caisse municipale, et de promettre
des fêtes et des travaux. Une fois élu, il supportait une partie des
dépenses de la cité et était pécuniairement responsable de la
rentrée de l'impôt. Il arriva un temps où ces honneurs, autrefois si
recherchés, furent refusés et fuis par les citoyens, qui les consi-
déraient, à bon droit, comme une cause de ruine.
Les terres ayant appartenu aux princes indigènes et celles qui
provenaient de séquestre, avaient été incorporées au domaine du
peuple romain. Le reste des terres était généralement laissé aux
indigènes, mais à titre de simple occupation et à charge de payer
une redevance représentative du fermage.
Les obligations des provinciaux étaient de quatre sortes : l'impôt
personnel, l'impôt foncier, les douanes et droits régaliens, et les
réquisitions.
L'impôt foncier, payable en nature ou en argent, devait repré-
senter en général le dizième de la récolte '. L'Afrique rachetait en
général cet impôt par une indemnité fixe en argent.
La province devait fournir le blé nécessaire à la nourriture des
armées et des matelots employés à sa garde, procurer les loge-
ments nécessaires pour les soldats ^t même équiper parfois des
auxiliaires.
Ces charges étaient du reste assez variables selon les localités.
Ainsi, la plupart des villes de l'Afrique karthaginoise payaient la
capitation, même pour les femmes
1. Cet impôt se perçoit encore sur les indigènes d'Afrique sous le nom
d'Achour (Dîme).
2. Duruy, Hist. des Romains, t. II, p. 177 et suiv.
LES DI-RXllînS ROIS BERBERES (42 AI'. J.-C.)
99
Quant à la condition des personnes, elle était la même que dans
le reste des conquêtes romaines. Le citoyen romain, qu'il provînt,
soit des municipes d'Italie, soit des cohiiies romaines, était au
sommet de l'échelle. Il recevait des concessions de terres qu'il
Taisait cultiver par l'esclave ou par le paysan. Les soldats étaient
également pourvus de concessions, mais ils formaient des colonies
purement militaires, où les civils ne pénétraient pas.
Le colon ou paysan, bien qu'il ne fût pas esclave, était généra-
lement attaché à la glèbe. « Un certain nombre de gens du peuple
était assigné sur chaque propriété {iif fixas, assignalus) ; leur per-
sonne suivait la condition de la terre. Les propriétaires s'appelaient
leurs maîtres » *. Plus tard, ils recevront le nom de serfs.
La condition de l'esclave était particulièrement dure ; ceux nés
sur le domaine étaient un peu moins maltraités que ceux achetés.
Chronologie des rois de Maurétanie. — Bokkus \" règne sur
les deux Maurétanies vers l'an 106 av. J.-C.
Vers l'an 80, ses deux fils lui succèdent et se partagent son
royaume.
Bokkus II reçoit la Maurétanie orientale.
Bogud I", la Maurétanie occidentale, augmentée de la Séti-
fienne, en 46.
En 44, Bokkus III succède à son père Bogud P''. La même année
il perd la Sétifienne, qui est reprise par Arabion.
En 40, Bogud II succède à son père Bokkus II.
En 38, Bokkus III reste seul maître des deux Maurétanies. Il
meurt en 33.
La Maurétanie reste jusqu'en 25 sans roi.
Juba II est nommé roi de Maurétanie en 25, et règne jusqu'en
23 ap. J.-C.
Ptolémée règne de 23 à 40.
1. Lacroix, Revue africaine, N» 79, p. 23.
CHAPITRE VIII
L'AFRIQUE SOUS L'AUTORITÉ ROMAINE
43-297
Etfit de l'Afrique au i" siècle ; productions, commerce, relations. — Etat des
populations. — Les gouverneurs d'Afrique prennent part aux guerres
civiles. — L'Afrique sous Vespasien. — Insurreclion des Juifs de la Cyré-
naïque. — Expéditions en Tripolilaine et dans l'extrême sud. — L'Afrique
sous Trajan. — Nouvelle révolte des Juifs. — L'Afrique sous Hadrien;
insurrection des Maures. — Nouvelles révoltes sous Antonin, Marc-Aurèle
et Commode, 138-190. — Les empereurs africains : Septimc Sévère. —
Progrès de la religion chrétienne en Afrlcjne ; premières persécutions. —
Caracalla, son édit d'émancipation. — Macrin et Elagabal. — Alexandre
Sévère. — Les Gordiens ; révolte de Capellien et de Sabianus. — Période
d'anarchie; révoltes en Afrique. — Persécutions contre les chrétiens. —
Période des trente tyrans. — Uioclétien; révolte des Quinquégentiens. —
Nouvelles divisions géographiques de l'Afrique.
Etat de l'Afrique au i''' siècle ; productions, commerce, rela-
tions. — Ainsi l autorité romaine régnait sans conteste sur toute
l'Afrique du nord, la Berbérie, de l'Egypte à l'Océan". Il avait fallu
près de deux siècles et demi (232 ans) au peuple-roi pour effectuer
cette conquête ; mais nous avons vu avec quelle prudence, par
quelle suite de transitions habilement ménagées, il y était arrivé.
Au moment où la Berbérie entre dans une ère nouvelle, il con-
vient de se rendre bien compte de sa situation matérielle et de
l'état de ses populations.
L'Afrique propre, la première occupée, est couverte de colonies
latines ; « les notables des villes recevaient avec reconnaissance le
droit de cité ; leurs enfants prirent des noms romains, reçurent une
éducation romaine ; la carrière des emplois et des honneurs
s'ouvrit devant eux ' ». Dans les campagnes de cette fertile pro-
vince, les patriciens s'étaient taillé de beaux domaines et le pays
n'avait pas échappé à la formation des latifundia qui avaient eu,
en Italie, des conséquences si funestes. Mais, si « l'on y trouvait,
selon Aggenus Urbicus, des domaines privés plus vastes que ceux
de l Etat, ils étaient occupés par un grand nombre de cultivateurs;
la maison du maître était entourée de villages qui lui faisaient une
1. Hase, Sur l'établissement Romain [Rev. afr.,p. 301).
l'Afrique sous l'autoriti; romaine (43)
101
ceinture de forlifications ' ». Du reste, la petite propriété était
constituée aussi par les concessions aux vétérans, ou par la vente
ou la location à des émigrants. Ainsi les progrès de la culture^,
loin d'avoir été arrêtés par la conquête, lui durent, au contraire,
une plus grande extension. Loptis Magna, Iladrumète, Utique et
surtout Karthage, étaient les principaux ports où les céréales ve-
naient s'entasser. Là les flottes de toute l'Italie chargeaient les
grains, et c'est particulièrement de l'Afrique que Rome lirait ses
approvisionnements. Les blés d'Egypte allaient dans les autres
parties de l'Italie. Sous Auguste, sous Tibère, sous Claude, la popu-
lation romaine attendait sans cesse les arrivages d'Afrique et fai-
sait entendre ses murmures, ou se mettait en rébellion, au moindre
retard, car la conséquence immédiate était la famine. On l'avait
bien vu, lors de la lutte entre César et Pompée, quand celui-ci
avait arrêté les convois d'Afrique.
Tous les empereurs prirent des mesures afin d'assurer les arri-
vages d'Afrique, Claude accorda des immnnités particulières pour
encourager les importations de blé, Néron exempta de tout impôt
les navires servant au transport du blé. Commode créa la flotte
d'Afrique, affectée spécialement à cet usage, et ses successeurs
perfectionnèrent cette institution. Un préfet de l'Annoney résidant
en Afrique, fut chargé d'assurer les approvisionnements.
Après le blé, l'huile était une des principales branches d'expor-
tation, mais, de même que l'huile faite actuellement par nos Ka-
biles, elle était de qualité inférieure, et sa mauvaise odeur la dé-
préciait beaucoup, de sorte qu'on ne l'employait guère que dans
les gymnases.
Les fruits, surtout le raisin, les dattes et les figues, les oignons, le
sylphium, la thapsie, ^diverses sortes de jonc, les bois de l'Atlas, les
marbres, tels étaient ensuite les principaux articles d'exportation^.
A ces productions, il faut ajouter les bêtes féroces servant aux com-
bats du cirque, les chevaux et les gazelles. Quant aux éléphants, il
est à peu près démontré qu'ils n'existaient plus en Berbérie à l'état
sauvage, quoi qu'en disent Strabon, Pline, Solin et autres auteurs.
Ils étaient sans doute amenés de l'intérieur par les caravanes.
Au premier rang des villes de commerce brillait Karthage, la
métropole punique, relevée de ses ruines et toujours la reine de
1. F. Lacroix, Afrique ancienne {Rev. afr., N" 73, p. 18).
2. On sait que les Karthaginois avaient perfectionné la culture en
Afrique et que l'ouvrage de Magon servit ensuite de guide aux cultiva-
teurs italiens,
3. Cf. Hirtius, Bell, afr., Pline, Hérodote, Strabon, Appien, ^e//. cjV.j
Suétone, Yarron^ Dion Cassius^ Spartien^ Tacite.
102
niSTOIBE DE L AFRIQUE
l'Afrique par sa magnificence et sa civilisation. Dans son port. les
vaisseaux venus de tous les points de la Méditerranée se pressaient
pour charger les grains, les bois précieux, la poudre d'or, l'ivoire,
les marbres, les bêtes féroces, les chevaux numides, les nègres.
Une population punique importante dominait dans cette ville, elle
y avait conservé ses mœurs, sa langue et sa religion. Le temple
d'Astarté (Tanit), divinité phénicienne admise par les Romains
dans leur Panthéon, sous le nom de Juno Cœlestis, avait été re-
construit avec une nouvelle splendeur ; nous verrons plus tard un
empereur donner une consécration officielle à ce culte barbare
dont les divinités exigeaient des sacrifices humains.
La Cyrénaïque fournissait en quantité les blés, l'huile et les
vins. « Derrière cette province passait la roule commerciale qui
unissait l'est, le sud et l'ouest de l'Afrique. La grande caravane,
partie de la haute Egypte, traversait les oasis d'Ammon, d'Oudjela
et des Garamantes, où elle trouvait les marchands de Leptis, puis
descendait au sud par le pays des Atarantes et des Atlantes, pour
rencontrer ceux de la Xigritie ' )>.
Dans la Numidie et la Maurélanie, les principaux ports de com-
merce étaient Igilgilis (Djidjelli), Saldœ, Yol-Césarée, Siga (à
l'embouchure de la Tafnai et Tingis. Il existait, entre les ports de
l'ouest et l'Espagne, et même jusqu'en Gaule, des relations suivies
qui avaient amené des alliances de famille. Nous avons vu que
Juba II était magistrat municipal de Carthagène.
Etat des populations. — Examinons maintenant ce que devenait
le peuple indigène en présence de la colonisation romaine. La vieille
race berbère commençait à subir une transformation ; diminuée par
les guerres incessantes où elle prodiguait sçn sang avec tant de
générosité, elle était refoulée par la colonisation romaine et com-
mençait à s'assimiler ou à disparaître dans la province d'Afrique ou
la Numidie. Mais dans toute la Maurélanie et certains massifs
montagneux, comme le Mons ferralus (la grande Kabiliel, elle se
conservait intacte et se préparait à de nouvelles luttes. Sur
la ligne des hauts plateaux, se pressaient les tribus gélules, tou-
jours prêtes à envahir le Tel pour le piller et autant que possible
s'y fixer. On a pu constater cette tendance des tribus du désert,
par la demande de terres faite par Tacfarinas à Tibère. Nous les
verrons s'avancer continuellement, par un mouvement lent et irré-
sistible, pour s'étendre sur les restes des vieilles tribus berbères et
les remplacer à mesure que la puissance romaine s'affaiblira.
1. Duruy, Hist. des Romains, t. IV, p. 88.
l'afrique sous l'autorité romaine (68)
103
Ces Berbères, établis au delà de la limite de roccupation ro-
maine, reconnaissaient en général la suzeraineté du peuple-roi,
particulièrement dans le Tel et le pays ouvert ; ils fournissaient, en
temps de paix, certains tributs, et devaient des services de guerre.
« On utilisait ainsi les Berbères soumis dans l'intérêt de Bome,
mais on ne les organisait pas à la manière romaine, comme aussi
on ne les employait pas dans l'armée. En dehors de leur propre
province, les irréguliers de Maurétanie furent aussi utilisés, plus
tard, en grand nombre, surtout comme cavaliers, tandis qu'on ne
procédait pas ainsi pour les Numides ' ».
En Cyrénaïque, la population n'avait pas subi de grandes modi-
fications. Les Juifs, déportés autrefois de Palestine dans cette pro-
vince ^, y avaient prospéré malgré les mauvais traitements aux-
quels ils étaient en butte de la part des Grecs et la jalousie qu'ils
inspiraient. Ayant eu recours à la justice d'Auguste pour être pro-
tégés, ce prince envoya des ordres à Flavius, préteur de Lybie,
pour qu'il veillât à ce qu'ils ne fussent pas troublés dans leurs biens
et l'exercice de leur culte. En l'an 14 av. J.-C, un rescrit de
Marcus Agrippa ordonna « qu'ils seraient maintenus dans l'exercice
de leurs droits et que si, dans quelque ville, on avait diverti de
l'argent sacré, il serait restitué aux Juifs par des commissaires
nommés à cet effet ' ». Nous verrons avant peu l'esprit d'indisci-
pline de ces Juifs, surexcité par les événements de Judée, leur
attirer de terribles répressions.
Les Gou\erneurs d'Afrique prennent part aux guerres civiles.
— Après quelques années de tranquillité, l'Afrique ressentit le
contre-coup de l'anarchie qui termina et suivit le règne de Néron.
Pendant que Vindex levait l'étendard de la révolte en Gaule, Glo-
dius Macer, légat d'Afrique, retenait les convois de blé et prenait
le titre de propréteur, pour bien montrer qu'il avait abandonné le
service de l'empereur. Bientôt il se proclama indépendant et leva
de nouvelles troupes parmi les indigènes qu'il forma en légion
Le 9 juin 68, Néron terminait sa triste carrière et était remplacé
par Galba, ancien proconsul d'Afrique ^. Un de ses premiers soins
fut de se débarrasser de Macer, par l'assassinat, et de licencier la
1. Mommsen, Histoire Romaine, t. V, trad. par M. Fallu de Lessert.
2. A la suite de la prise de Jérusalem par Ptolémée Soter, vers 320
av. J.-C. V. Josèphe, contra Appio, II, 4, cité par M. Calieii dans son
travail sur les Juifs {Soc. arc/t., 1867).
3. Passage reproduit par d'Avezac dans l'Afrique ancienne, p. 124.
4. Tacite, Ann., lib. II, cap. xcvii.
5. Il avait reçu cette fonction de Claude et la garda deux ans.
104
IIISTOIlii; OT. I. AFHIQUE
légion Macrienne. Il fut alors reconnu par loules les troupes
d'Afrique et obtint l appui du procurateur Lucceius Albinus qui
commandait les Maurétanies et disposait de troupes nombreuses.
Mais bientôt Galba est assassiné (juin 68) Othon et Vitellius lui
succèdent. Ces trois rognes avaient duré dix-huit mois, triste pé-
riode remplie par les meurtres, les révoltes et l'anarchie.
A la nouvelle de la mort d'Othon, L. Albinus essaya de se dé-
clarer indépendant à son tour. 11 avait sous ses ordres dix cohortes
et cinq ailes de cavalerie, sans compter les auxiliaires. C'étaient
des forces imposantes, avec l'appui desquelles il pouvait espérer le
succès ; mais au moment où il se préparait à passer dans la Tin<;i-
tane, pour, de là, envahir l'Espai^ne, le gouverneur de celte pro-
vince le fit assassiner, et ses troupes se prononcèrent pour Vitellius,
qui ne jouit pas longtemps du pouvoir et succomba à son tour en
décembre 69.
L'Afrique sous Vespasien. — Enfin A'espasien resta seul maître
du pouvoir. C'était aussi un ancien proconsul d'Afrique, et il
s'était fait remarquer dans son commandement par une honnêteté
bien rare pour l'époque. On raconte même que les habitants d'Ha-
drumète, irrités de sa parcimonie dans les fêtes, l'assaillirent un
jour en lui lançant des raves à la tête.
Lucius Pison était alors proconsul d'Afrique; il se tenait sage-
ment à l'écart des factions et cependant on le soupçonnait d'être
partisan de ^'itellius, parce que beaucoup de ^'itclliens s'étaient
réfugiés dans sa province. Ce parti avait encore de nombreux adhé-
rents en Gaule et l'on craignait que Pison ne fit alliance avec eux,
ce qui aurait eu pour conséquence immédiate la famine. Le légat
qui commandait les troupes, ^'alérius Festus, cédant à son ambi-
tion, exploita perfidement cette situation en peignant, dans ses
rapports, la révolte comme imminente. Un certain Papirius, qui
avait déjà pris part au meurtre de Placer, arrive en Afrique dans
le but de tuer le proconsul. Pison prévenu le fait mettre à mort et
adresse une proclamation au peuple. Mais bientôt les soldats auxi-
liaires dépêchés par Festus pénétrent dans sa demeure et demandent
le proconsul. Un esclave déclare qu'il est Pison et tombe sous
leurs coups. Ce dévouement ne sauve pas son maître, qui est
reconnu par le procurateur B. Massa et mis à mort.
Ainsi délivré de son rival, Festus alla au camp, fit mettre à mort
les soldats sur la fidélité desquels il avait des doutes et l'écompensa
1. Il tomba sous les coups du procurateur de la Maurétanie liugi-
tane, Trobonius Garuciauus.
l'afrique sous l'autorité romaine (81)
105
les autres. Puis il se rendit dans l'est afin de faire cesser les luîtes qui
divisaient les colons de Leptis et d'Oea (Tripoli). C(!ux-ci, appuyés
parles Garamantes, avaient mis au pillage Leptis et ses environs (70).
Pour châtier les Garamantes, Festus les poursuivit jusque dans
leur pays, et afin de mieux: les surprendre il passa par les défilés
des montagnes, chemin difficile et peu usité, mais plus court. La
Phazanie qui n'avait pas revu les aigles romaines depuis l'expédi-
tion de Balhus, fut de nouveau contrainte à la soumission et au
paiement d'un tribut.
•
Insurrection des Juifs de la Cyrénaïque. — Un certain Jonathas
ayant fait partie de ces zélateurs, ou sicaires, dont les excès
avaient attiré de si grands malheurs à leur nation, vint se réfugier
à Cyrène. Ayant réuni autour de lui environ deux mille misérables
de son espèce, il alla camper au désert en proclamant son inten-
tion de réformer la religion juive. Catullus prêteur de Libye,
appelé par les orthodoxes juifs, arriva à la tête de ses troupes et,
ayant cerné les rebelles, les massacra presque tous. Jonathas, le
promoteur du mouvement, avait pu s'échapper, mais il fut arrêté
et comme le préteur voulait le faire périr il prétendit qu'il avait
des révélations importantes à lui faire sur l'origine de la conspira-
tion. Catullus qui, au dire de l'historien Flavien Josèphe, était un
homme corrompu, comprit le parti qu'il pouvait tirer de son pri-
sonnier ; se faisant désigner par lui les juifs les plus riches, il les
mit à mort et s'empara de leur fortune. La plus grande terreur
pesa sur cette population qui vit périr en peu de temps trois mille
de ses principaux citoyens.
Après celte exécution, Catullus se rendit à Rome en emmenant
le délateur et un certain nombre d'Israélites notables d'Alexandrie,
parmi lesquels Josèphe lui-même, désignés comme chefs du com-
plot. Mais Vespasien, éclairé par son fils Titus, ne s'y trompa
point. Il rendit aussitôt la liberté aux prisonniers à l'exception de
Jonathas qu'il fit brûler vif.
Expéditions en Tripolu aine et dans l'extrême sud. — Après la
mort de Vespasien et le court règne de Titus, l'empire échut à
Domitien. Sous son règne, de nou^■elles expéditions furent faites
au sud de la Tripolitaine. Septimius Flaccus, chef des troupes de
cette province, se rendit à Garama, puis à Audjela, et de là jus-
qu'en Ethiopie.
Quelque temps après les Nasamons s'étant révoltés et ayant
massacré les collecteurs d'imp'ôts, le même général marcha contre
eux et après différentes péripéties en fit un riiassacre horrible.
106
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Domitien annonça au Sénat que ces incorrigibles pillards étaient
détruits'. Vers la même époque, Marsys, roi de cette peuplade,
s étant rendu auprès de Domitien, alors dans les Gaules, le décida
à faire une expédition en Ethiopie où, disait-il, existaient de
grandes quantités d or.
Julius Maternus, chargé du commandement de cette expédition,
arriva dans le pays des Garamantes où le roi de cette contrée se joi-
gnit à lui avec des contingents. Ainsi guidées par les Garamantes,
les troupes romaines atteignirent, après sept mois de marche, le
pays à'Affisymha-, « patrie des rhinocéros » (de 81 à 96).
La réussite de cette aventureuse entreprise, dans un pays in-
connu, est vraiment surprenante, et nous sommes en droit de nous
demander avec M. Ragot ' si, malgré nos connaissances et les moyens
dont nous disposons actuellement, nous serions à même d en faire
autant. Malheureusement les détails que nous possédons sur cette
expédition se réduisent à quelques lignes. L'Afrique propi'ement
dite paraît avoir été assez calme pendant cette période.
L'Afrique sous Trajan. — Après le court règne de Nerva,
Trajan fut investi du pouvoir suprême (28 janvier 98).
Ce prince guerrier employa largement l'élément berbère dans
ses campagnes lointaines. En Afrique, il reporta l'occupation mili-
taire, qui n'avait guère dépassé la ligne de Theveste-Lambèse, jus-
qu'au Djerid. Il fonda notamment un établissement militaire au
lieu appelé ad-Majores (au nord de Negrin) point stratégique qui
commandait les routes du sud et de l'est*. Thamugas, voisine et
rivale de Lambèse, date également de cette époque. C'est là pro-
bablement que furent établis les vétérans de la XXX*^ légion. Une
autre colonie de vétérans était fondée vers la même époque à
Sitifis, sous la dénomination de Nerviana Augusta Martialis.
Pendant que l'empereur guerroyait au loin, l'Afrique demeurait
livrée aux exactions de ses gouverneurs. Le proconsul Marins
Priscus, secondé par son lieutenant Hostilius Firminus, avait mis
le pays en coupe réglée, vendant la justice et étendant à tout ses
prévarications. Poussés à bout par tant d'injustices, les habitants
portèrent leurs doléances au Sénat ^. Ils trouvèrent comme défen-
1. Zouare, Ann., 1. XI.
2. Probablement l'oasis actuelle d'Asben. V. Vivien de Saiut-Martin,
Le Nord de l'Afrique, p. 231.
3. Sahara, p. 191.
4. Ibid., p. 192.
.5. Déjà eu l'au 63 (av. J.-C.) la Cyrènaiquc avait été défendue devant
le Sénat et c'est la grande voix de Cicéron qui avait plaidé sa cause.
l'Afrique sous l'autorité romaine (117)
107
seurs Tacite et Pline le jeune et, grâce aux efforts de ces hommes
illustres, obtinrent gain de cause en principe, car le proconsul,
déclaré coupable, fut simplement exilé sans qu'on le dépouillât de
ses richesses mal acquises.
Nouvelle révolte des Juifs. — A la fin du règne de Trajan (en
l'an 115), les Juifs de la Cyrénaïque, devenus très nombreux depuis
la destruction du temple par Titus, fanatisés par leurs malheurs et
irrités par les mauvais traitements auxquels ils étaient soumis, se
mirent en état de révolte. Le général Lupus ayant marché contre
eux, fut vaincu et contraint de se jeter dans Alexandrie. Un juif
nommé Andréas (ou Lucus), était à la tète de ce mouvement qui
fut caractérisé par des cruautés épouvantables. Tout ce qui était
romain et grec tomba sous les coups des rebelles ; ce fut une orgie
de sang. Les juifs allèrent, dit-on, jusqu'à manger la chair de
leurs victimes et à se couvrir de leur sang. Par représailles, ils les
forcèrent, à leur tour, à combattre dans le cirque, ou les firent dé-
chirer par les bêtes féroces. Dans la seule Cyrénaïque, deux cent
vingt mille personnes auraient ainsi trouvé la mort^
Trajan était alors retenu en Orient par la guerre contre les
Parthes, qui nécessitait I cmploi de toutes ses forces. Ainsi les popu-
lations de la Cyrénaïque abandonnées à elles-mêmes, étaient sans
force pour résister aux rebelles, dont le nombre était considérable.
Alliés aux révoltés d'Egypte, les juifs se livrèrent à tous les excès.
Cependant Marcius Turbo, ayant reçu de l'empereur l'ordre de
marcher contre les rebelles, arriva de Libye avec des forces im-
portantes, tant en infanterie qu'en cavalerie et même une division
navale. Mais c'était une véritable guerre à entreprendre et il fallut
toute l'habileté de ce général pour triompher de cette révolte qui
se prolongea jusqu'à l'avènement d'Hadrien. La répression que
les juifs s'étaient ainsi attirée fut sévère, et il est probable qu'à
cette occasion un grand nombre d'entre eux émigrèrent dans
l'ouest et se mêlèrent à la population indigène de la Berbérie.
L'Afrique sous Hadrien. Insurrections des Maures, — En 117,
commença le beau règne d'Hadrien. Un soulèvement général des
Maures concorde avec son élévation. C'est à la voix d'un Berbère
latinisé du nom de Lusius Quiétus que les indigènes prennent les
armes. Ce chef avait été chargé de conduire à Trajan un corps de
troupes maures, et il s'était tellement distingué, dans la guerre
contre les Parthes et dans celle de Judée, que l'empereur lui avait
1. Dion Cassius.
108
inSTOIRK DK l'aFRIQI'E
donné le gfouvernement de la Palestine. Rappelé en Afrique, il
renia la fidélité dont il avait donné des preuves si éclatantes, pour
entraîner ses compatriotes à la révolte.
Marcius Turbo appelé de la Cyrénaïque, et nommé proconsul
d'Afrique, reçut la difficile mission de réduire cette révolte qui
avait pris des proportions j^énérales. Quiétus fut mis à mort; mais
Turbo ne triompha des rebelles qu'avec beaucoup de peine. Pour
le récompenser de ses services, il reçut des honneurs particuliers
et fut ensuite nommé (gouverneur de la Dacie.
En 12'2 une nouvelle insurrection de la ^Nlaurétanie décida l'em-
pereur à passer en Afrique*. Après avoir apaisé la révolte, Hadrien
visita la contrée et, au dire de Spartien, la combla de bienfaits.
Ayant vu par lui-même ce qui était nécessaire, il prescrivit l'ou-
verture de routes et fit établir toute une ligne de postes avancés,
pour préserver les colonies conti'e les incursions des Maures. Vers
la fin de 123, ou au commencement de 124, le quartier général de
la IIP légion fut transféré à Lambèse. L'achèvement de la route de
Karthage à Théveste, venait d'avoir lieu, et, en assurant la facilité
des communications, permettait de reporter les lignes plus à
l'ouest.
En 125, l'empereur voyageur visita la Proconsulaire. Un cer-
tain nombre de villes furent élevées par lui au rang de colonies
et il concéda des terres à ses vétérans. Il imprima une puissante
impulsion à la colonisation du pays, le dotant de monuments et de
routes, si bien qu'il reçut sur des monnaies le titre de « restaura-
teur de l'Afrique. » Les villes imitèrent son exemple et une in-
scription nous apprend que Cirta construisit à ses frais les ponts
de la route de Rusicade^. C'est sans doute dans ce voyage qu'il
parcourut la Cyréna'ique. Ce pays était ruiné et en partie dépeuplé
depuis la révolte des juifs. Il y amena des colons et fonda de nou-
veaux établissements, notamment une ville à laquelle il donna son
nom, Adrianopolis.
Hadrien vint sans doute une troisième fois en Afrique (vers 129).
Les documents à cet égard manquent de précision. Dans tous les
cas, il s'occupa avec sollicitude du développement de la colonisa-
tion et le pays garda un souvenir durable de ce prince ainsi que de
sa belle-mère Matidie. A ce souvenir se joignit une circonstance
particulière qui prouve bien que les conditions physiques du pays
1. Une inscription récemment découverte à SourDjouàb, con-
firme ce fait. Voir Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions ,ï\' sé-
rie, t. IX, pp. 198 et suiv.
2. Duruy, Hist. des Romains, t. V, p. 54 et suiv.
l'afrique sous l'autorité romaine (190) 109
n'ont pas changée : il n'avait pas plu depuis cinq ans en Afrique
et sa venue coïncida avec le retour des pluies'.
Nouvelles révoltes sous Axtoxin, jMarc-Aurèle et Commode
(138-190). — Antonin succéda à Hadrien en 138. Les Maures en
profitèrent pour eavaliir de nouveau les contrées colonisées et
porter partout le feu et la révolte. 11 est probable que les Gétules
se joij^nirent à cette levée de boucliers. La situation devint si
grave que l'empereur dut venir en personne combattre les rebelles.
Il les vainquit, dit Pausanias, et les contraignit à se réfugier «. aux
extrémités de la Libye, vers la chaîne du ]Mont-Atlas et les
peuples qui y habitent ». Les documents fournis par l'histoire
sont si pauvres qu'il est impossible de se rendre compte de
cette campagne et de conjecturer dans quelle direction les Ber-
bères furent repoussés. M. Ragot- pense que l'empereur se dé-
cida à reporter alors la ligne d'occupation et de fortification
jusqu'au delà de l'Aourès, précaution qui de^'ait, hélas, être bien
insuffisante.
Sous le règne de Marc-.\urèle, nouvelle insurrection des Maures
Maziques et Baquates, du Rif, qui vont porter le ravage jusqu'en
Espagne. « Ni les garnisons romaines, ni le détroit de Gadès,
n'empêchèrent les hordes de l'Atlas de prendre l'ofi'ensive, de péné-
trer en Europe et de ravager une grande partie de l'Espagne^. »
Peut-être, comme le fait remarquer Lacroix*, ne s'agit-il ici que
d'expéditions maritimes. Il est certain d'autre part, que les pro-
consuls d'Afrique luttèrent pour ainsi dire sans relâche contre les
invasions des indigènes maures et gétules. « Rome, dit encore
Capilolin, loin d'envahir, se trouva heureuse de préserver ses fron-
tières. » Marc-Aurèle dut envoyer de nouvelles troupes. L'Afrique
cessa d'être une province sénatoriale, et le gouverneur de la Mau-
rétanie ne fut qu'un légat propréteur.
En 188, les Maures étaient de nouveau en état de révolte. L'em-
pereur Commode parla d'aller les combattre en personne; mais
après avoir obtenu du Sénat l'argent nécessaire, il préféra l'em-
ployer à ses débauches et se contenta d'envoyer en Afrique des
lieutenants". Pertinax dont le règne éphémère devait faire suite av
sien, opéra la pacification de l'Afrique (190).
1. Spartieu, Hadrian. XXII.
2. Loc. cit., p. 194.
3. Jul. Capitoliu.
4. Numidie et Maurétanie, p. 180.
5. Lampride, Couiinodey ch. IX et suiv.
110
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Les empereurs africains. Septime Sévère. — Septime Sévère,
natif de Leptis mapjna, clans la Tripolilaine, fut, en 193, proclamé
empereur par les légions de Pannonie. Ce prince fît larf^ement
profiter l'Afrique de la puissance dont il disposait. Il s'attacha sur-
tout à punir, et à repousser dans le sud, les tribus de la Tripoli-
taine, ayant pu apprécier par lui-même le tort que les incursions
des nomades faisaient à la colonisation. Les troupes romaines pé-
nétrèrent encore dans la Phazanie et établirent une li°:ne de postes
fortifiés de Tripoli à Garama'. Karlhage et Leptis reçurent de lui
le droit italique.
Sévère montra constamment pour l'.Afrique une «grande prédi-
lection. 11 y fit exécuter des travaux considérables dont de nom-
breuses inscriptions ont conservé le souvenir. A Rome il s'entoura
d'Africains et composa sa g^arde personnelle, en <,^rande partie, de
ses compatriotes. Les Africains, en Italie, se distinj^uèrent particu-
lièrement dans le barreau et à l'armée. La langue punique, ou
peut-être berbère, car les historiens de l'époque ne paraissent pas
soupçonner qu'il en existât une, était parlée dans l'entourage de
l'empereur. L'impératrice Julia Domna, syrienne d'origine, était
très favorable aux orientaux. L'Afrique rendait à Sévère l'affection
qu'il lui témoignait ; l'on dit qu'après sa mort les Berbères le mirent
au rang des dieux ^ ; dans tous les cas, aucune révolte n'est signalée
sous son règne, dans cette Afrique, depuis si longtemps en proie
à l'insurrection.
On est porté à supposer que ce prince sépara la Numidie de la
proconsulaire, et envoya à celle-ci un légat impérial, tandis que
l'ancienne Afrique restait sous l'autorité administrative du pro-
consul.
Progrès de la religion chrétienne en Afrique ; premières persé-
cutions. — La religion chrétienne s'était introduite dans les villes
de l'Afrique à peu près en même temps qu'en Italie. La Cyré-
naïque fut une des premières contrées où les apôtres allèrent
prêcher la nouvelle doctrine. Dès l'an 40, saint Marc qui était
juif cyrénéen, vint dans son pays faire des prosélytes, jusque vers
61, époque où il alla à Alexandrie, fonder diverses paroisses.
Devenu chef de cette église, il n'oublia pas sa patrie, y revint
plusieurs fois et y institua, dit-on, les premiers évêques.
Dans le reste de l'Afrique, le christianisme pénétra avec moins
d'éclat ; néanmoins le nombre des adeptes de la nouvelle religion
1. Le Docteur Barth en a retrouvé les traces.
2. Hérodien.
l'afrique sous l'autorité romaine (200)
111
ne larda pas à devenir considérable. On sait quel était Tesprit de
ces premiers chrétiens : la vieille société devait disparaître pour
faire place au règne du Christ. Ce n'était rien moins qu'une pro-
fonde révolution sociale qui se préparait et, si les Romains s'étaient
montrés très tolérants pour les dieux des peuples qu'ils avaient
conquis, ils ne pouvaient recevoir dans leur panthéon celui qui
disait : « Mon royaume n'est pas de ce monde », et qui prêchait
l'égalité absolue de tous les hommes. L'empereur, souverain pon-
tife, divinisé après sa mort, était directement attaqué, de même
que l'état social reposant sur l'esclavage. Enfin les chrétiens refu-
saient le service militaire. 11 n'est donc pas surprenant que le
pouvoir cherchât à s'opposer aux progrès de pareils adversaires.
Les empereurs le firent d'abord avec la plus grande modération.
Domitien, se servant de la loi qui avait été édictée au sujet des
druides, prit les premières mesures contre ceux qui christianisaient
ou judaisaient, car, dans le principe, on confondit les adeptes des
deux religions. Ses successeurs, ne voyant pas le danger d'une
secte qui ne faisait de prosélytes que parmi les petites gens, ne
furent pas plus sévères. Mais la population des villes, moins tolé-
rante, commença à faire des exécutions sommaires sur lesquelles
on ferma les yeux.
Trajan inscrivit dans le code le crime de christianiser. « S'ils sont
accusés et convaincus, - — écrivit-il à ses gouverneurs, — punissez-
les. » Les chrétiens furent rendus responsables des troubles qui se
produisaient dans les cités. Quand un chrétien manifestait publi-
quement sa foi, on le conduisait au forum et s'il maintenait sa
déclaration, on l'incarcérait. Lorsque le gouverneur arrivait, il
interrogeait les chrétiens du haut de son tribunal, en présence du
peuple, que les soldats avaient peine à contenir. S'ils persistaient,
on les condamnait à mort ' .
Sous les règnes d'Antonin et de Marc-Aurèle, la religion chré-
tienne fit de grands progrès. Les néophytes, loin d'être terrifiés
par les mauvais traitements, recherchaient le martyre. La crédu-
lité publique, les révélations arrachées aux esclaves par la torture,
étaient cause qu'on les chargeait de tous les crimes et jusqu'alors
c'était plutôt la vindicte publique que le représentant de la loi
qui les châtiait.
Septime Sévère fit poursuivre avec rigueur les chrétiens
d'Afrique. Quiconque refusait de sacrifier aux dieux et de rendre
hommage au génie de l'empereur, était puni de mort. En l'an 200,
douze chrétiens, sept hommes et cinq femmes, ayant été amenés à
1. Duruy, Hist. des Romains.
112
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Saturnin, proconsul de la province d'Afrique, subirent le martyre.
On les considère comme les douze premiers confesseurs de
l'église d'Afrique. Peu après avait lieu à Karthage le supplice de
sainte Perpétue et de sainte Félicité. Les chrétiens, dès lors, se
mirent à chercher le martyre avec avidité et l'on vit des épouses
résister aux larmes de leur famille, repousser leurs enfants,
répondre aux exhortations, aux conseils du représentant de l'au-
torité par des provocations, et ne chercher qu'à apaiser leur soif
de souffrance et de tourments.
Tertullien avait vu le jour à Karthage en 160. Il était, à l'époque
de la mort de Sévère, dans toute la force de son talent. Comme
tant d'autres, c'est la vue de la constance des martyrs au milieu
des supplices qui l'avait attiré vers la religion chrétienne. Ainsi
les persécutions allaient directement contre leur but.
Caracalla. Son édit d'émancipation. — Caracalla continua les
travaux commencés en Afrique par son père ; aussi ce prince fut-il
cher aux Africains, qui ont inscrit sur la pierre le témoignage de
leur l'econnaissance. Le pays continua alors de jouir d une tran-
quillité dont il avait si grand besoin.
Par son édit de 216, l'empereur accorda le titre de citoyen à
tous les habitants libres des provinces romaines ; il ne resta donc
plus en principe que deux catégories , le citoyen et l'esclave.
Mais, dans la pratique, on ne voit pas que la condition des per-
sonnes en ait subi un réel changement. << Si cet édit' proclamait
une émancipation générale, pourquoi les désignations de villes
libres, ou municipales, ou coloniales, de droit italique, de droit
latin, etc., ont-elles continué à subsister? A-t-il empêché les nou-
veaux citoyens d'être décapités par le bourreau ou cloués au gibet ? »
En réalité cette mesure n'avait de libéral que l'apparence : son
but était de se procurer de l'argent et des hommes, en étendant
l'impôt à tous et en supprimant les exemptions.
Macrin et Elagabal. - — Macrin, le troisième empereur africain,
était né à Yol-Césarée. C'était un avocat que son audace et son
succès portèrent au poste de préfet du prétoire. Le meurtrier de
Caracalla fut d'abord bien accueilli par le sénat f217), mais bientôt
on apprit qu'Elagabal, grand-prêtre du soleil à Edesse, âgé seule-
ment de 17 ans, avait été proclamé par les soldats à l'instigation
de Julia Mœsa, sœur de l'impératrice Jiîlia Domna. Ayant essayé
de lutter contre son compétiteur, Macrin périt avec son fils Dia-
1. Poulie, loc. cit., p. 115.
l'afrique sous l'autorité romaine (235)
113
dumène à Chalcédoine (avril 218). Dans son règne aussi court
qu'agité, il avait trouvé le temps de réduire sensiblement les
impôts.
Bassien-Elagabal était fils de Socuzis, ancien légat de la IIP
légion, et gouverneur de Numidie ; aussi avait-il beaucoup de par-
tisans en Afrique Dans le cours de son règne, ce prince, qui avait
importé à Rome les rites et coutumes de l'Orient, procéda en
grande pompe à une ridicule cérémonie par laquelle il maria la
déesse Tanit de Karthage, représentée par une pierre triangulaire,
avec le Dieu Gahal (Alah-Gabal), un aérolithe rapporté de Syrie ^.
En prenant le pouvoir, le nouvel empereur s'était attribué les
noms de Marc-Aurèle Antonin. Après un court règne de cinq ans,
il fut à son tour mis à morl par les soldats. Une révolte avait eu
lieu dans la Césarienne peu de temps auparavant (222) .
Alexandre Sévijre. — L'arrivée au pouvoir d'Alexandre Sévère
mit fin à l'anarchie que venait de traverser l'empire et qui n'était
que le prélude de nouvelles convulsions. Sous la main ferme de ce
prince les affaires reprirent leur marche régulière et chacun dut
revenir à l'obéissance. L'Afrique eut beaucoup à se louer de son
administration. Il fit ouvrir de nouvelles routes et reporta très
loin au sud les frontières de l'occupation'. La Tingitane aurait,
paraît-il, été alors le théâtre d une révolte, mais Lampride, qui
cite ce fait, ne fournit aucun détail.
En 229, Marcus Antonius Gordianus avait été nommé par le
sénat proconsul d'Afrique, avec son fils comme légat. Pendant
sept années, ses pouvoirs lui furent prorogés, et l'Afrique vécut
tranquille sous son autorité.
Les Gordiens. Révolte de Capellien et de Sabinianus. — Mais
en 235, Sévère tomba sous le poignard du Goth Maximin, et
aussitôt l'anarchie reparut dans le monde romain. L'Afrique
saisit cette occasion de produire un empereur. Des citoyens de
Karthage, irrités par la dureté et les violences d'un intendant du
fisc, le mirent à mort et, pour s'assurer l'impunité, soulevèrent la
province et proclamèrent empereur le vieux Gordien, leur gou-
verneur, alors âgé de quatre vingts ans.
Les soldats de la III" légion ratifièrent ce choix et, malgré la
1. Voir l'intéressante communication de M, L. Renier à l'Académie
des Inscr. et Belles-Lettres, séance du 21 juin 1878.
2. Voir les Comptes-rendus de cette Académie.
3. Ragot, p. 200.
t. I. 8
114
niSTOnU- Di; I. AFRIQUE
résistance du proconsul, lui conférèrent le pouvoir, à Thysdrus, en
lui laissant son fils comme lieutenant. Des députés furent alors
envoyés au Sénat qui approuva l'élection et déclara Maximin
ennemi public (237). A cette nouvelle, le sénateur Capellien qui
gouvernait la Maurélanie et, disposant de forces importantes, était
chargé de garder les limites, se déclara pour Maximin. En même
temps Gordien, avec lequel il avait eu des démêlés, prononçait sa
destitution.
Bientôt Capellien envahit la Numidie à la lêle de troupes
aguerries depuis longtemps par les luttes incessantes qu'elles sou-
tenaient contre les Maures. Pendant ce temps, les Gordiens réunis-
saient et armaient à la hâte des adhérents nombreux, mais indis-
ciplinés, et se portaient bravement à la rencontre de l'ennemi.
La bataille eut lieu en avant de Karthage, elle se termina bientôt
par le triomphe de Capellien et la mort du jeune Gordien. Pour
ne pas tomber entre les mains de son ennemi, le vieil empereur se
donna la mort en s'étranglant avec sa ceinture, six semaines après
son élévation.
Capellien s'empara de Karthage, mit cette ville au pillage et
commit en Afrique les plus grandes cruautés'. Il suivait en cela
les ordres de son maître qui, furieux contre l'Afrique, avait promis
à ses soldats les biens des habitants de cette province, de même
qu'il leur avait octroyé les propriétés des sénateurs. Il voulait
ainsi assouvir sa vengeance contre ceux qui s'étaient prononcés
contre lui. Il est probable que, pour punir la III'' légion, il la
licencia
Sur ces entrefaites, Maximin fut assassiné par les soldats lassés
de ses cruautés (238). Le sénat, malgré la mort des Gordiens,
avait persisté dans son refus de reconnaître Maximin : deux séna-
teurs avaient été élus empereurs et on leur avait adjoint comme
césar, un petit-fils de Gordien P"", âgé de 13 ans. Après s'être
défaits de Maximin, les prétoriens mirent à mort les deux fan-
tômes d'empereurs et proclamèrent à leur place le jeune Gordien,
sous le nom de Gordien III.
Que devint l'Afrique pendant ces guerres civiles ? L'histoire ne
nous le dit pas, et nous en sommes réduits aux conjectures. Il est
1. Hérodien, Hist., 1. VIII.
2. Ragot, p. 205. Cela est constaté par nue inscription trouvée à Ge-
mellae, et d'où il résulte que cette légion fut rétablie en 253. — Voir
l'article de M. Fallu de Lessert dans le Bulletin des Antiquités africaines,
fasc. XII, p. 73, et la communication de ]M. Cat à l'Académie des In-
scriptions et Belles-Lettres, séance du 26 mars 1886.
l'afrique sors l'autorité romaine (260)
115
probable que la restauration de la famille de Gordien fut bien
accueillie dans la Proconsulaire. On ignore le sort de Gapellien,
mais il n'est pas téméraire de conjecturer qu'il fut mis à mort. En
240 un certain Sabinianus, proconsul d'Afrique, suivant son
exemple, se proclama empereur et voulut soulever sa province.
Le prœses de la Maurétanie restait fidèle à Gordien. L'usurpateur
marcha contre lui et obtint d'abord quelques succès ; mais, l'em-
pereur ayant envoyé du renfort en Maurétanie, le prœses re-
prit loirensive , chassa devant lui les envahisseurs, et vint, à son
tour, mettre le siège devant Karthage. Les habitants de cette
ville, pour obtenir leur pardon, livrèrent Sabinianus aux troupes
fidèles.
Période d'anarchie. Révoltes en Afrique. — A l'époque que
nous avons atteinte, les empei^eurs se succèdent au pouvoir avec
une rapidité qui démontre à quel état d'anarchie l'empire est
tombé.
L'arabe Philippe, brigand de grands chemins, parvenu à l'emploi
de préfet du prétoire, tue Gordien III et se fait proclamer à sa
place (244); Decius (219), Gallus (251), le maure Emilien (253),
passent successivement au pouvoir et périssent tous sous les coups
des soldats. En 253, Valérien ancien chef de la III'' légion, s'em-
pare de l'autorité et la conserve pendant quelques années, mais
en 260, il est fait prisonnier par Sapor, roi des Perses.
Que pouvait faire l'Afrique pendant cette anarchie? Le silence
de l'histoire est suppléé ici parles inscriptions relevées en Algérie.
Les tribus indigènes, particulièrement celles qui occupaient la
région montagneuse comprise entre Cirta, Sétif, Rusucurru
(Dellis) et la mer en profitèrent pour attaquer les colonisations
latines. Les maures du sud-ouest paraissent les avoir soutenues.
En 260 un officier du nom de Q. Gargilius, chef de la cohorte des
cavaliers auxiliaires maures cantonnés à Auzia (Aumale), prend et
met à mort un rebelle du nom de Faraxen, chef des Fraxiniens.
Après ce succès, Gargilius se met en marche vers l'est pour
rejoindre le légat de la Numidie qui accourt avec les troupes dis-
ponibles, mais il tombe dans une embuscade dressée par les Ba-
bares et périt en combattant.
Vers le même temps, ou peu après, les Babares habitant le
massif du Babor, soutenus par quatre chefs berbères, envahirent
les environs de Mileu (Mila) et de là, portèrent le ravage jusque
sur la limite de la Numidie. Le légat C. M. Decianus propréteur
de Nurnidie et de Norique, les mit en pièces ; puis il dut réduire
les Quinquegentiens, réunion de cinq peuplades, établies dans le
116
HISTOIRE DE L AFRIQUE
territoire de la g^rande et de la petite Kabilie'. Ces succès partiels
ne furent pas suivis de pacifications bien solides.
Persécutions contre les chrétiens. — Malgré les persécutions,
la religion chrétienne faisait de rapides progrès en Afrique. Dans
la Cyrénaïque surtout, un clergé organisé relevait directement du
pape. L'édit de Decius, rendu en 250, organisa d'une manière
régulière la persécution contre ceux qui refusaient de sacrifier aux
Dieux. C'est à la suite de cette mesure que saint Denis d'Alexan-
drie fut exilé dans une petite bourgade delà Cyrénaïque. Valérien
prescrivit de nouvelles rigueurs contre les chrétiens et, comme un
certain nombre de tribus de la Proconsulaire avait embrassé le
nouveau culte, ce fut une cause de plus de troubles en Afrique et
de résistance au pouvoir central. Les pasteurs, décorés du nom
d'évêques, se réunirent plus d une fois en conciles pour traiter des
points de doctrine, car déjà des hérésies se produisaient et souvent
le clergé africain était en lutte avec ses chefs spirituels. Saint
Cyprien qui, à Karthage, avait recueilli l'héritage de TertuUien,
était en butte aux haines de la populace.
En 254 à Lambèse, et en 255 à Karthage, se réunirent deux
conciles d'évêques de la Nuinidie et de la Maurétanie, auxquels
assistèrent, pour le premier, soixante et onze, et, pour le second,
quatre-vingt-cinq membres. Plusieurs fois saint Cyprien avait
failli être jeté aux bêtes; sous Valérien il trouva le martyre ainsi
qu'un certain nombre d'évêques.
Période des trente tvrans. — Après la chute de Valérien, avait
commencé le règne de Gallien et la période dite des trente tyrans.
L'Afrique ne pouvait se dispenser d'avoir le sien. En 265 le pro-
consul A'ibius Passienus et F. Pomponianus « duc de la frontière
libyque, » allèrent chercher dans ses terres un ancien tribun,
nommé Celsus, et l'ayant revêtu du manteau de pourpre de la
déesse Tanit à Karthage, le proclamèrent Auguste. Quelques jours
après, le tyran était mis à mort par la populace, qui l'avait élevé,
et son cadavre livré en pâture aux chiens.
Vers la même époque, un parti de Franks, après avoir ravagé la
Gaule et l'Espagne, fit une descente en Maurétanie : c'était un
prélude à l'invasion Vandale.
En 268, Claude II succède à Gallien, et est à son tour remplacé
par Aurélien ^270). On devine ce que pouvaient faire les indigènes
1. Poulie, Maurétaiiie, p. 119-120. Berbrugger, Epoques militaires de
la grande Kabylie, p. 212.
l'afrique sous l'autorité romaine (284)
117
de l'Afrique pendant une telle anarchie, quand on les a vu tenir
tête à la puissance romaine sous Hadrien et sous Sévère : la révolte
fut l'état permanent. « Le débordement général des barbares fut
comme une tempête qui brise tout ' ». L'évêque de Karthage sol-
licitait la charité des fidèles pour racheter les captifs faits par les
« barbares » qui avaient envahi la Numidie. C'est du massif de la
Grande-Kabilie (Mons-ferratus) habité par les cinq nations (quin-
quegentiens), que l'étincelle était partie. De là, la révolte s'était
l'épandue, pendant le règne de Gallien (265), sur la Maurétanie
orientale et la Numidie occidentale.
Le général Probus, après avoir rétabli la paix dans la Marma-
rique insurgée, arriva dans la Proconsulaire, vers 270, avec le
titre de chef des troupes. Un Berbère, du nom d'Aradion, avait
soulevé les populations de la Numidie. Tout était en révolte jus-
qu'aux portes de Karthage. Probus attaqua vigoureusement les re-
belles, les mit en déroute et tua Aradion en combat singulier.
Pour honorer le courage de ce chef, il lui fit élever par ses troupes
un tombeau de deux cents pieds de largeur^. Il est assez difficile
de se rendre compte du théâtre de cette campagne ; mais les pro-
babilités semblent indiquer que c'est vers Sicca Veneria (le Kef)
que le chef berbère trouva la mort
Vers 275, des Franks, faits prisonniers par Probus, et transportés
par lui en Asie-Mineure, parvinrent à s'échapper sur quelques na-
vires. En passant devant les côtes de la Maurétanie césarienne, ils
y firent une descente et mirent tout au pillage. Il fallut un envoi
de troupes de Karthage pour les forcer à reprendre la mer. Ils tra-
versèrent le détroit et rentrèrent chez eux par l'embouchure du
Rhin.
Lorsque Probus eut été proclamé empereur, l'Afrique, au lieu
de se souvenir de ses services, soutint son compétiteur Florien.
Sous le règne de son successeur Carus (282), eut lieu le premier
partage du monde romain. L'Afrique, avec le reste de l'occident,
fut donnée à Carus.
DiocLÉTiEN. Révolte des Quinquegentiens. — Dioclétien parvenu
au trône en 284, essaya en vain de gouverner seul : deux années
plus tard, il s'associa Maximien Hercule, auquel il donna en apa-
nage l'Italie, l'Afrique et l'Hispanie. Mais ce n'était pas encore
assez de deux maîtres pour gouverner le monde romain dans l'état
1. Aurélius Victor.
2. Vopiscus, Hist. de Probus, cap. IX.
3. V. Recueil de la Soc. arch. de Constantine, 1854-1855.
118
IIISÏOIHi: Dlv 1. AFHiyUE
de désagrégation où il se trouvait, et sous la pression générale des
barbares qui Tentouraient. Afin d'arrêter le débordement, les deux
augustes s'adjoignirent deux césars. Galère et Constance Chlore.
Il fallut partager l'empire en quatre parties. Maximien conserva
l'Afrique, moins peut-être la Tingitane. La C^'rénaïque et la Libye
échurent à Dioclétien qui avait l'Orient pour lot.
Le moment était trop opportun pour que l'Afrique le laissât
échapper, et du reste la révolte était pour ainsi dire à l'état per-
manent dans la ^laurétanie. Dès 288, la grande confédération des
Quinquégentiens était en pleine insurrection. Le prajses de la Cé-
sarienne, Aurélius Litua, obtint contre eux quelques avantages et
les contraignit à une soumission éphémère.
Mais bientôt les Quinquégentiens reprennent les armes et por-
tent le ravage dans la Numidie. Le mouvement se propage à l est.
Un certain Julien, sur lequel on n"a que des renseignements vagues,
est proclamé à Karthage. La situation devient si grave que Maxi-
mien passe lui-même en Afrique pour prendre la direction des opé-
rations. Il combat les farouches Quinquégentiens, les repousse
chez eux et les poursuit jusque sur les sommets de leurs mon-
tagnes inaccessibles. Cette fois la répression est sérieuse et la sou-
mission réelle. Pour en assurer les effets. Maximien juge néces-
saire de transporter une partie de ces tribus indomptées 1 (297).
^'ers le même temps, l'usurpateur Julien cessait de vivre ; ce-
pendant la révolte persista encore dans les Syrtes, et ce fut en
vain que l'empereur essaya de la réduire.
Nouvelles du-isions géograpuiques de l'Afrique. — Sous le
règne de Dioclétien, les divisions administratives de l'empire
furent modifiées et il en fut ainsi notamment en Afrique. On sup-
pose que ces remaniements ont été elfectués par ^laximien, après
sa victoire sur les Quinquégentiens (297j. Morcelli les place en 297,
à la même date que la reconstitution générale de l'empire. Il est
probable que la confédération des cinq républiques cirtéennes,
[Cuicul (Djemila) avait été ajoutée aux quatre précédentes), fut
dissoute un peu auparavant, car il n'en est plus fait mention de-
puis l'époque d'Alexandre Sévère. La séparation de la Xumidie en
teri'itoire militaire et territoire civil, fournit naturellement l'occa-
1. Eutrope, 1. VIII, 5, 6. Mammcrtin. III, 17. P. Orose, 1. IX, 14.
Aurel. Victor, ch. XXXIX. On ignore l'endroit où ces tribus ont été
transportées, M. Fourncl penche pour le doseit, mais cette conjecture
nous semble peu justifiée.
l'afrique sous l'autorité romaine (297)
119
sien de faire cesser une anomalie qui ne pouvait être que préjudi-
ciable au bon ordre, dans une époque aussi troublée.
La Maurétanie orientale fut divisée en deux parties : celle de
l'est avec Sitifis pour chef-lieu, reçut le nom de Sitifîenne ; celle de
l'ouest conservant Césarée, comme siège du gouverneur, continua
à être appelée Césarienne.
Dès lors, l'Afrique fut divisée de la manière suivante :
1° Gyrénaïque, ayant un gouverneur particulier, rattachée au
diocèse d'Orient.
2° Diocèse d'Afrique comprenant :
La Tripolitaine depuis la Gyrénaïque jusqu'au Triton.
La Bysacène ou Valérie, du Triton jusqu'à liorréa.
L'Afrique propre, d'Horréa àTabarka.
La Numidie divisée elle-même en Numidie cirtéenne (avecCirta),
et Numidie militaire avec Lambèse, comme chef-lieu, de Tabarka
à l'Amsaga.
La Maurétanie sélifienne, de l'Amsaga à Saldœ.
Et la Maurélanie césarienne de Salda3 à la Malua (Moulouïa).
Ges provinces étaient administrées civilement par des prœses
relevant du vicaire d'Afrique. Le commandement militaire était
confié au comte cV Afrique, ayant sous ses ordres des prœpositi li-
mitam < .
3° Et la Maurétanie Tingitane, rattachée au diocèse d'Espagne,
et commandée par un cornes Tincfitanae, relevant directement du
magisler peditum (sorte de ministre de la guerre) de Rome. Son
administration civile était confiée à un prœses obéissant au vicaire
d'Espagne. Le manque de communication terrestre entre la Tingi-
tane et la Gésarienne, ses relations constantes avec l'Hispanie, si
proches, expliquent ce rattachement à l'Europe.
1. Fallu de Lessert, loc. cit., p. 81.
CHAPITRE IX
L'AFRIQUE SOUS L'AUTORITÉ ROMAINE {Suite).
297-415.
Etat de l'Afrique à la fin du m' siècle. — Grandes persécutions contre les
chrétiens. — Tyrannie de Galère en Afrique. — Constantin et Maxence,
usurpation d'Alexandre. — Triomphe de Jlaxence en Afrique ; ses dévas-
tations.— Triomphe de Conslanlin. — Cessation des persécutions contre
les chrétiens ; les Donatistes ; schisme d'Arius. — Organisation adminis-
trative et militaire de l'Afrique par Constantin. — Puissance des Dona-
tistes. Les Circoncellions. — Les fils de Constantin ; persécution des
Donatistes par Constant. — Constance et Julien ; excès des Donatistes. —
Exactions du comte Romanus. — Révolte de Firmus. — Pacification géné-
rale. — L'Afrique sous Gratien, Valenlinien II et Théodose. — Révolte de
Gildon. — Chute de Gildon. — L'Afrique sous Ilonorius.
Etat de l'Afrique a la fin du iii*^ siècle. ■ — Nous avons vu
dans le chapitre qui précède, combien les révoltes des indigènes
rendaient précaire la situation de la colonisation africaine. Quatre
siècles et demi s'étaient écoulés depuis la chute de Kartliage, et
les Romains avaient effectué leur conquête avec la plus grande
prudence, ménageant les transitions et n'avançant que méthodi-
quement. Ils avaient fait des efforts considérables pour coloniser
l'Afrique et avaient pu croire un instant au succès ; mais sous les
règnes les plus brillants, les révoltes des Berbères avaient dé-
montré la précarité de cette occupation et, malgré le déploiement
d'un appareil militaire formidable pour l'époque, la puissance de
l'empereur avait été insultée par les sauvages africains.
Cette situation, dont le danger déjà pressenti allait se démontrer
par des faits, était la conséquence d'une erreur ou d'un oubli des
maîtres du monde, dans leur tentative de colonisation. Ils n'avaient
pas assez tenu compte de la race indigène et, se contentant de la
refouler dans les plaines livrées aux colons, ils l'avaient laissée se
concentrer, se renforcer au milieu d eux, dans de vastes contrées
comme le pays des Quinquégentiens et le massif de l'Aourès. Ils
voyaient bien aussi les tribus nomades du sud se masser sur la
ligne du désert, mais ils se contentaient de renforcer leurs postes
ou de les reporter plus au sud.
Certes, dans les plaines et le Tel de l'Afrique propre et de l'an-
l'afrique sous l'autorité romaine (297)
121
cienne Numidie, la vieille race indigène avait disparu ou s'était
assimilée. La langue, la littérature et les institutions de Rome
avaient été adoptées par ces Berbères. Ceux-là n'étaient pas à
craindre ; mais, tout autour d'eux , la race africaine se reconsti-
tuait et était prête à entrer en lutte. L'anarchie, prélude du dé-
membrement de l'empire, les luttes religieuses, dont l'Afrique
était sur le point de devenir le théâtre, allaient servir merveilleu-
sement la reconstitution de la nationalité africaine et permettre
aux nouvelles tribus berbères de s'étendre en couche épaisse sur
les restes des anciennes. Il y a là un enseignement que les coloni-
sateurs actuels de l'Afrique feront bien de ne pas perdre de vue,
car ce fait prouve une fois de plus que, si la conquête est facile, il
n'en est pas de même de la colonisation et que, tant que la race
autochthone reste à peu près intacte, l'établissement des étrangers
au milieu d'elle est précaire.
Grandes persécutions contre les chrétiens. — Les persécutions
exercées contre les chrétiens semblaient n'avoir d'autre résultat
que de fortifier la religion nouvelle. Les prosélytes étaient très
nombreux en Afrique, non-seulement chez les colons latins, mais
chez les indigènes romanisés et même dans les tribus berbères.
« Il est imjjossible de ne pas être frappé de ce fait concluant que ce
fut le sang indigène qui coula ici le premier pour la foi chrétienne,
car les victimes inscrites en tête du martyrologe africain sont bien
des berbères : Namphanio, Miggis, Lucita, Sanaes et d'autres encore
dont le nom seul révélerait la nationalité, si l'histoire n'avait eu
soin de la constater expressément »
Des bas-fonds populaires où le christianisme avait d'abord pris
racine, il s'élevait et pénétrait l'administration et l'armée. Un jour
c'était un gardien de prison qui demandait à partager le sort des
condamnés ; une autre fois c'était un centurion qui, jetant au loin
le sarment, insigne de commandement, se dépouillant de sa cui-
rasse et de ses insignes, refusait de continuer à servir César pour
entrer dans la milice du Christ ^ ; ailleurs des hommes enrôlés
n'acceptaient pas leur incorporation ^. Pour tous c'était la mort,
mais ils supportaient avec joie les alTres du supplice.
Le triomphe de la nouvelle religion était proche. Le trône des
empereurs en était ébranlé sur sa base, car le christianisme, à son
1. Berbriigger, Revue africaine, N"51, p. 193.
2. Voir les Actes du centurion saint Marcellus, martyr à Tanger,
30 Oct. 298. Acta priin. martyr, p. 311.
3. V. Actes de saint Maximilien de Tliévcste (12 mars 295).
122
HISTOIRE DE L AFRIQUE
début, était la né<^alion de tout pouvoir temporel. Depuis l'exécu-
tion des édits de Décius et de Valérien, la persécution, tout eu
continuant, avait subi une certaine modération. Dioclétien n était
pas porté aux mesures extrêmes contre les chrétiens ; mais Galère
ne voyait le salut de l'empire que dans l'extinction de la religion
nouvelle et il suppliait l'empereur de prendre les mesures les plus
énergiques. Enfin, en 303, Dioclétien, cédant aux instances de son
césar, promulgua l'édit de persécution connu sous le nom d'édit
de Nicomédie. Les mesures prescrites étaient lerrililes : destruction
des églises et des livres et ustensiles du culte ; mise hors la loi de
tous les chrétiens dont les biens devaient être saisis et qui devaient,
eux-mêmes, être jetés en prison ou livrés au bourreau.
Cet édit fut immédiatement exécuté, sauf dans la partie du dio-
cèse d'Occident qui était soumise au césar Constance Chlore,
c'est-à-dire la Gaule, la Bretagne, l'Espagne et la Tingitane. Dans
tout le reste de l'empire, les persécuteurs se mirent à l'œuvre. En
Afrique, ils déployèrent un grand zèle. A Cirta, un certain Mu-
natius Félix, flamine perpétuel, se fit remarquer par son ardeur et
sa violence. Généralement les chrétiens restèrent fermes dans leur
foi et des prêtres subirent le martyre plutôt que de remettre aux
persécuteurs leurs vases et leurs livres qu'ils avaient cachés ; mais
un grand nombre faiblirent, renièrent leur foi et livrèrent leur
dépôt sacré. L'église de Cirta se signala par sa faiblesse : son
évêque Paulus se soumit à tout ce qu'on exigea de lui.
Cette persécution n'était que le prélude de violences plus
grandes encore. Il ne suffisait pas d'avoir détruit les églises et les
objets extérieurs du culte : on allait s'en prendre aux consciences.
A la fin de l'année 303, un édit adressé au gouverneur de la
Palestine fixait certains jours pendant lesquels tout homme de-
vait sacrifier aux dieux. Ces jours déterminés furent appelés dies
thurificalionis et l'on avouera que c'était un excellent moyen de
reconnaître les chrétiens. Valérius Florus, pra^ses de la Numidiê
miliciana, et Anulinus, proconsul de la Proconsulaire, se firent les
exécuteurs de ces mesures. Le sang des chrétiens coula à flots en
Afrique pendant cette période qui fut appelée l'ère des martyrs'.
Tyrannie de Galère en Afrique. — En 305, Dioclétien et Maxi-
mien Hercule abdiquèrent au profit des deux césars Constance
Chlore et Galère, lesquels s'adjoignirent comme césars Sévère et
Maximin. Bien que Constance Chlore eût l'Afrique dans son lot,
1. Voir l'intéressante dissertation de M. Poulie à ce sujet dans Y An-
nuaire delà Société arch. de Constantine, 1876-77, pp. 484 et suiv.
l'afriqle sous l'autorité romaine (30G)
123
il en abandonna radminislration à Galère qui en confia le com-
mandement au césar Sévère. On sait qu'un des premiers actes de
Galère, en prenant le pouvoir, fut de prescrire un recensement
général des personnes et des biens de l'empire afin d'augmenter
les revenus du fisc. « On procéda à l'exécution de celte mesure
avec une rigueur qui répandit partout la tei'reur et la désolation :
les gens du peuple, les enfants, les serviteurs étaient réunis et
comptés sur les places qui regorgeaient de monde. On excitait à la
délation le fils contre le père, l'esclave contre le maîti'e, l'épouse
contre le mari. On obtenait par les tourments des déclarations de
biens que l'on ne possédait pas » Il est probable que l'Afrique,
qui avait déjà tant à se plaindre de Galère, souffrit beaucoup de
ces mesures et de la façon cruelle dont elles furent appliquées.
Les troupes seules, qui profitaient des largesses de ce prince,
avaient pour lui quelque fidélité.
Constantin et Maxence. Usurpation d'Alexandre. — A la mort
de Constance Chlore, survenue le 25 juillet 30G, les troupes pro-
clamèrent auguste son fils Constantin. De son côté. Galère donna
le titre d'auguste à Sévère.
Peu de temps après, Maxence, fils de Maximien Hercule et
gendre de Galère, ayant gagné l'appui du préfet du prétoire
Anulinus, prit aussi la pourpre et fut acclamé par les soldats
(28 octobre 306).
En Afrique, Anulinus avait comme lieutenant un certain
Alexandre, qui avait d'abord reçu le titre de comte et, après le
départ du proconsul, avait été élevé aux fonctions de vicaire
d'Afrique (mars 305). Il reçut probablement la mission de procla-
mer l'autorité de Maxence, dans les provinces africaines ; mais,
nous l'avons dit, les troupes tenaient pour Galère. Elle refusèrent
de reconnaître l'usurpateur et prirent le chemin de l'Orient, afin
de rejoindre, à Alexandrie, le lieutenant de leur maître. On ne
sait au juste quel obstacle elles rencontrèrent sur leur route,
toujours est-il qu'elles furent forcées de rentrer à Karthage, où
elle retrouvèrent leur chef Alexandre. A quel prince obéissait
alors l'Afrique, nul ne peut le dire et il est fort probable qu'elle
était dans un état voisin de l'anarchie. Cependant Maxence devait
y avoir des partisans.
Sur ces entrefaites. Galère étant mort, les troupes exploitèrent
habilement un bruit, vrai ou faux, d'après lequel Maxence, doutant
de la fidélité d'Alexandre, aurait envoyé des émissaires pour le
1. Poulie, loc. cit., p. 481.
124
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
tuer. Bon ^ré mal gré, elles le proclamèrent empereur. Alexandre
dont l'origine est incertaine, mais qu'on désigne généralement
comme un paysan pannonien, était alors un vieillard affaibli par
l'âge au moral et au physique, incapable de résistance autant que
d'initiative. Il se laissa ainsi porter au pouvoir, mais il ne sut
rien faire pour l'affermir et le conserver (308).
Triomphe de Maxence en Afrique. Ses dévastations. — Cepen-
dant Maxence, après avoir défait et mis à mort Sévère, s'était
emparé de Rome et de toute d'Italie. Absorbé par le soin d'asseoir
sa puissance, il ne pouvait s'occuper de l'Afrique. Alexandre
régnait tranquillement à Karthage ; toutes les provinces avaient
fini par reconnaître son autorité, mais il ne paraît pas qu'il ait su
gagner l'affection des populations.
En 311, Maxence pouvant détacher quelques troupes, les plaça
sous le commandement du préfet du prétoire, Rufus Volusianus,
et du général Zénas, et les envoya en Afrique. Karthage emportée
d'assaut fut mise à feu et à sang. Quant à Alexandre, il avait pu
se réfugier derrière les remparts de Cirta. Les généraux de Ma-
xence l'y poursuivirent et s'étant rendus maîtres de cette ville,
s'emparèrent de l'usurpateur qui fut étranglé'.
Cirta, comme Karthage, fut entièrement saccagée, puis brûlée
par les vainqueurs. Maxence fit cruellement expier à l'Afrique ce
qu'il appelait son manque de fidélité : un grand nombre de cités
furent livrées aux flammes ; les principaux citoyens se virent pour-
suivis, dépouillés de leurs biens ; beaucoup d'entre eux périrent
dans les tortures, car toutes les haines, toutes les rivalités purent
exercer librement leurs vengeances, et le pays gémit sous la plus
épouvantable terreur. Les campagnes, même, n'échappèrent pas
à la fureur du vainqueur qui se fit livrer les réserves de grain et
porta la dévastation partout.
Triomphe de Constantin. — Après avoir ainsi assouvi sa ven-
geance, Maxence s'appliqua à retirer de l'Afrique tout ce que la
contrée pouvait lui fournir en hommes et en argent, afin d'être en
mesure de résister à son compétiteur Constantin. En 312, la lutte
commença entre les deux empereurs et se termina bientôt par la
défaite de Maxence devant Rome. Malgré la supériorité de son
1. Voir, pour la révolte d'Alexaudre: Aur. Victor, Epitome, Eutrope,
Epit.; Zosirae. Tilleinonl, Hist. des empereurs, etc. Nous avous adopté
en grande partie les opinions de M. Poulie {Soc. arch. de Constantine),
1876-77.
l'afrique sous l'autorité romaine (311)
125
armée, où les Berbères étaient en grand nombre, il fut entière-
ment vaincu par son compétiteur et se noya clans le Tibre
(28 octobre) .
La chute de Maxence fut accueillie en Afrique avec la plus
grande joie ; on dit que Constantin envoya la tête du tyran à
Karthage qui avait tant eu à se plaindre de lui. Le vainqueur
s'appliqua de toutes ses forces à panser les plaies de la Berbérie :
il envoya des secours en argent, diminua les impôts, rendit les
biens confisqués à leurs propriétaires, et fit relever les cités dé-
truites.
Cirta, reconstruite pas ses ordres, reçut son nom et nous l'ap-
pellerons à l'avenir Constantine. Par ces mesures il mérita la
reconnaissance de ce pays si maltraité par ses prédécesseurs.
Cessation des persécutions contre les chrétiens. Les Dona-
TiSTES. Schisme d'Arius. — A partir de l'année 305, les persécu-
tions s'étaient ralenties ; selon le témoignage d'Eusèbe et de saint
Optât, Maxence les fit immédiatement cesser, dès son avènement.
Le triomphe de la religion nouvelle était proche, mais, avant
même qu'il fût assuré, des divisions se produisaient dans son sein
et il allait en résulter de bien graves événements.
Au mois de mars 305, l'évêque de Cirta, Paulus, étant mort,
un concile se réunit dans cette ville, chez un particulier, car les
églises étaient détruites, pour lui donner un successeur. Dix
évêques de Numidie y prirent part. A peine la séance était-elle
ouverte, que des discussions s'élevèrent entre les membres : on
reprocha à un certain nombre d'entre eux d'avoir faibli pendant
les persécutions et d'avoir remis les livres et vases sacrés. Pour
la première fois l'épithète de « traditeurs » fut lancée. Un certain
Purpurins, que nous retrouverons plus tard, montra dans l'assem-
blée une grande violence. Sylvain avait été proposé pour le siège
épiscopal, mais il était traditeur ; grâce à l'appui de la populace il
fut élu, tandis que les hommes les plus pieux et les plus éminents
étaient enfermés dans le « cimetière des martyrs. » Ce fait qui sem-
blerait de peu d'importance, fut le point de départ de la déplo-
rable scission qui se produisit dans l'église d'Afrique.
Quelque temps après, en 311, mourait l'évêque de Karthage
Mensurius, qui avait su résister avec autant de fermeté que de
prudence aux violences des persécuteurs et conserver les vases de
son église. Les fidèles s'assemblèrent pour procéder à son rempla-
cement et élurent le diacre Cécilien. Il avait de nombreux adver-
saires, et bientôt l'opposition contre lui se manifesta par le refus
de lui remettre les vases sacrés que son prédécesseur avait cachés
126
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
chez les fidèles. Une véritable conspiration ayant à sa tête Donat,
évêque des Cases-Noires en Numidie, s'ourdit contre lui ; les
prêtres de l inlérieur ne lui pardonnaient pas de s'être fait élire
sans leur participation. Ils formèrent un groupe de soi.xante-dix
prélats à la tête desquels était Secundus, évêque de Ticisi *. Réunis
en concile, ils citèrent Cécilien à comparaître devant eux; mais,
comme il s'y refusait, disant qu'il avait été régulièrement sacré et
ajoutant qu'il était prêt à recevoir de nouveau l'imposition des
mains, Purpurins, dont la violence s'était fait remarquer à Cirta,
s'écria : <( Qu'il vienne la recevoir et on lui cassera la tête pour
pénitence. »
Le concile rendit alors une sentence de condamnation contre
Cécilien, fondée sur les trois points suivants : 1° il avait refusé de
se rendre à leur réunion ; 2° il avait été sacré par des traditeurs ;
3° il aurait, lors des persécutions, empêché des fidèles de secourir
les martyrs. Or ces deux derniers chefs n'étaient rien moins que
prouvés et, dans le groupe des évêques qui s'érigeaient ainsi en
juges, plusieurs s'étaient reconnus eux-mêmes traditeurs. Pour
compléter leur œuvre, ils déclarèrent le siège de Karthage vacant
et y élevèrent un certain Majorin, simple lecteur. Une intrigante,
du nom de Lucilla, ennemie personnelle de Cécilien, avait, par ses
instances et son argent, contribué à ce résultat.
Ainsi fut consommée la scission de l'église d'Afrique, au mo-
ment même où sa cause triomphait. L'irritation réciproque des
deux partis devint extrême et amena des conflits journaliers.
Constantin tenait essentiellement à la pacification de l'Afrique ;
bien qu'inclinant vers le christianisme, il ménagea les adhérents de
l'ancien culte et fit même ériger un temple en l'honneur de la fa-
mille flavienne. Il apprit donc avec peine les divisions de l'église
d'Afrique et écrivit au proconsul Anulinus, pour qu'il tâchât de
les faire cesser. Dans ces instructions il semble pencher pour le
parti de Cécilien. Mais les Donatistes, ainsi les appelait-on déjà,
n'étaient pas gens à s'incliner devant des conseils ou même des
menaces; ils adressèrent à l'empereur une supplique dans laquelle
ils entassèrent toutes les accusations contre leur ennemi.
En présence de cette réclamation, Constantin ordonna la com-
parution des deux parties devant un conseil d'évêques, et convo-
qua à ce concile un grand nombre de prélats de la Gaule et de
l'Italie. Tous se réunirent à Rome, en octobre 313, sous la prési-
1. Emplacement inconnu au nord de l Aourès.
2. Actuellemcul Tidjist (Ain-el-Bordj), près de Sigus, au sud de Cons-
tautiue.
l'afrique sous l'autoritiî ROMAINK (314)
127
dence du pape Miltiade. Cécilien et Majorin, accompagnés de
clercs et de témoins, se présentèrent à ce concile qui est dit de
Latran, et fournirent leurs explications tant sur les griefs repro-
chés par eux à leur adversaire, que sur ce qui leur était imputé.
On devine ce que purent être de tels débats. Après bien des jours
d'audience, le concile rendit une sentence par laquelle il recon-
naissait Cécilien innocent et validait son ordination. Il disposait
en outre que les prêtres ordonnés par Majorin continueraient à
exercer leur ministère et que si, dans une localité, il se trouvait
deux prêtres ordonnés l'un par Cécilien, l'autre par Majorin, le
plus ancien serait conservé et l'autre placé ailleurs. Quant à Donat,
on le condamnait comme « auteur de tout le mal et coupable de
grands crimes ».
A la suite de cette décision, Cécilien fut retenu provisoirement
en Italie, et Donat obtint la permission de rentrer en Numidie,
sous la promesse qu'il ne reparaîtrait plus à Karthage. Des com-
missaires ecclésiastiques furent envoyés en Afrique pour notifier
cette décision au clergé et faire une enquête qui conlirma l'inno-
cence de Cécilien. Celui-ci rentra peu après à Karthage. Donat,
de son côté, ne tarda pas à y paraître, au mépris de son serment.
Les luttes recommencèrent alors avec une nouvelle violence. Elien,
proconsul, chargé d'informer par l'empereur, conclut encore contre
les Donatistes.
Mais ceux-ci ayant réclamé le jugement d'un nouveau concile,
l'empereur voulut bien faire convoquer les évêques à Arles, pour
le mois d'août 311. Ce fut encore un triomphe pour Cécilien; seu-
lement le concile crut devoir donner son avis sur le grand diffé-
rend qui divisait l'église d'Afrique et il opina « que ceux qui se-
raient reconnus coupables d'avoir livré les écritures ou les vases
sacrés ou dénoncé leurs frères, devraient être déposés de l'ordre
du clergé'. » C'était donner aux Donatistes de nouvelles armes.
Cependant ceux-ci ne furent pas encore satisfaits et en appelèrent
à l'empereur qui confirma à Milan, en 315, les décisions des con-
ciles de Rome et d'Arles.
Constantin avait montré dans toute celte affaire une très grande
modération; mais, quand tous les degrés de juridiction eurent été
épuisés, il prescrivit à Celsus, son vicaire en Afrique, de traiter
avec sévérité toute tentative de rébellion de la part des Dona-
tistes. Ceux-ci se virent donc bientôt l'objet d'une nouvelle per-
1. \J Afrique chrétienne par Yauoski, pp. 20 et suiv. C'est à cet ou-
vrage que nous avous emprunté la plus grande partie des documents
qui précèdent.
128
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
séculion dans laquelle les plus marquants d'entre eux furent ban-
nis. Mais leurs partisans étaient très nombreux, surtout dans
l'intérieur, et ils gardèrent souvent par la force leurs positions.
Tandis que cette scission se produisait en Numidie, un schisme
dont le succès devait être encore plus grand prenait naissance en
Cyrénaïque. Vers 320, le Libyen Arius se séparait de l'église ortho-
doxe, par suite de divergences sur des points d'appréciation rela-
tivement à la trinité. Là encore, l'empereur intervenait et essayait
de faire entendre sa voix pour ramener la pacification dans l'Eglise ;
mais le schisme arien était fait.
Organisation administrative et militaire de l'Afrique par Cons-
tantin. — En 323, Constantin attaqua brusquement son rival,
l'empereur d'Orient Licinius, le vainquit, et le fit mettre à mort.
Resté ainsi seul maître de l'empire, il s'appliqua à rétablir l'unité
de commandement et à régulariser l'administration des provinces.
L'empire fut divisé en quatre grandes préfectures.
L'Afrique, contenant la Tripolitaine, la Byzaccne, la Xumidie et
les jNIaurétanies, sétifienne et césarienne , fit partie de la préfecture
d'Italie, et fut placée, pour l'administration civile, sous l'autorité
du préfet du prétoire de cette préfecture.
La Tingitane, rattachée à la préfecture des Gaules, était sous
l'autorité du préfet du prétoire des Gaules.
La Cyréna'ique dépendit de la préfecture d'Orient.
Le préfet du prétoire d'Italie était représenté en Afrique :
1° Par un proconsul d'Afrique, qui administrait par deux légats
la proconsulaire ;
2° Par le vicaire d'Afrique, qui administrait par deux consu-
laires la Byzacène et la Numidie, et par trois prœses la Tripoli-
taine, la Sétifienne et la Césarienne.
Le préfet des Gaules était représenté dans la Tingitane par un
prœses.
Le Comte des largesses sacrées avait la direction de tout ce qui
se rapporte aux finances; et le Comte des choses privées était le
directeur et administrateur des domaines. Ces deux personnages,
qui portaient le titre d'illustres, avaient un certain nombre de dé-
légués en Afrique.
« L'armée et les choses militaires relevaient du maffister pe~
ditum, sorte de ministre de la guerre, résidant aussi à Rome, et
représenté en Afrique par deux ducs et deux comtes : les ducs de
Maurétanie césarienne et de Tripolitaine et les comtes d'Afrique
et de Tingitane.
« Le comte d'Afrique avait sous ses ordres seize préposés des
l'afrique sous l'autorité romaine (326)
129
limites, qui commandaient les troupes placées sur la frontière,
plus les corps mobiles.
« Le comte de la Tingitane avait sous son commandement un pré-
fet de cavalerie et cinq tribuns de cohortes, plus des corps mobiles.
« Le duc de la Césarienne avait huit préposés des limites. Il
était aussi prseses et, pour cette partie de ses fonctions, devait dé-
pendre du vicaire d'Afrique.
« Le duc de la Tripolitaine avait douze préposés et deux camps
où étaient, sans doute, les troupes destinées à tenir la campagne.
« Les troupes, on le voit, étaient divisées en deux classes : les
troupes mobiles et celles qui gardaient en permanence la fron-
tière*. »
Sous le Bas-Empire, l'organisation des assemblées provinciales
fut modifiée ; le culte de l'empereur ayant disparu, leurs attribu-
tions religieuses cessèrent et le concilium devint une assemblée
purement administrative, chargée d'éclairer les préfets et de leur
fournir un appui moral, car il n'avait aucun droit exécutif. La
centralisation établie par Constantin fit cesser l'autonomie des
provinces. L'empereur voulut tout diriger du fond de son
palais et c'est dans ce but que les fonctions furent multipliées.
Des curiosi, inspecteurs plus ou moins occultes, furent chargés de
surveiller les fonctionnaires et de rendre compte de leurs moindres
actes au chef suprême ; en même temps les cités reçurent des de-
fensores, dont la mission était de protéger les citoyens contre
l'injustice et la tyrannie des agents du prince.
Le concilium provinciaj conserva le droit de présenter des vœux
et des doléances à l'empereur; sa réunion était l'occasion de fêtes
et de réjouissances publiques; la convocation était faite par le pré-
fet. Le sacerdos provinciœ, dont la fonction paraît avoir été con-
servée pendant quelque temps encore, dut céder la présidence du
concile au préfet ou à son vicaire. Le corps des sacerdotes, ou
prêtres devenus chrétiens, fut entouré d'honneurs et d'immu-
nités ; mais il perdit toute occasion de s'immiscer légalement dans
les affaires administratives^.
Puissance des Donatistes. — Les Circoncellions. — Vers 321,
les Donatistes avaient obtenu le rappel de leurs exilés, et il se
produisit une sorte d'apaisement. En 326, Cécilien étant mort fut
1. U Afrique septentrionale après le partage du monde romain^ par
Berbrugger, travail extrait de la Notice des dignités, de Bocking.
2. Les Assemblées provinciales et 'le culte provincial, par M. Fallu de
Lessert, passim.
T. I. 9
130
IIISTOIIIE DE l'aFBIQUE
remplacé par Rufus : de leur côté, les Donalistes élirent Donat,
homonyme de l'évéque des Cases-Noires, comme successeur de
Majorin. Peu après, les nouveaux élus réunissaient à Karthage
un concile auquel deux cent soixante-dix évêques prirent part et
où, grâce à des concessions mutuelles, on put consolider la trêve.
On sera peut-être étonné du grand nombre d'évêques se trou-
vant alors en Afrique, mais il faut considérer ces prélats comme
de simples curés. « La création des sièges épiscopaux en Afrique
n'a pas toujours été motivée par l'importance des localités et le
chiffre de la population. L'on observe en effet dans l'histoire des
Donatisles que ces habiles sectaires, afin d'augmenter leur in-
fluence, multipliaient le nombre des évêques et les préposaient à
de simples hameaux Or, on conçoit parfaitement que l'Eglise,
pour tenir tête aux Donalistes, ait imité cette conduite et mul-
tiplié les évêchés Au surplus, il était dans l'esprit de l'Eglise
d'Afi'ique de multiplier les diocèses afin que leur peu d étendue en
facilitât l'administration*. »
Ainsi les deux églises vivaient côte à côte et essayaient de se
tolérer, mais, comme nous l'avons dit, les Donalistes tenaient en
maints endroits les temples et nous voyons, en 330, l'empereur,
cédant à la demande de Zezius, évêque de Constantine, ordonner
la construction d'une basilique pour les orthodoxes, attendu que
« tout ce qui appartenait à l'Eglise catholique était tombé au pou-
voir des Donalistes » et que les orthodoxes n'avaient aucun local
pour tenir leurs assemblées'.
A côté des Donalistes modérés, qui essayaient de chercher un
modus vivendi avec les autres chrétiens, se trouvaient les zélés,
les purs. Réunis en bandes obéissant à un chef, ils se mirent à
parcourir le pays dans le but, disaient-ils, de faire reconnaître la
sainteté de leur foi. Leur cri de ralliement était Laudes Deo
(I^ouanges à Dieul), et il fut bientôt redouté comme un signal de
pillage et de mort. Faisant profession de mépriser les biens de la
terre et de vivre dans la continence, ils ne tardèrent pas à ériger
la destruction en principe. Ils n'ont du reste rien à perdre, car la
plupart sont des esclaves fugitifs, des malheureux ruinés par les
guerres civiles ou les exactions du fisc. Ils prétendent établir
l'égalité en détruissant les biens et faire le salut des riches en les
ruinant.
1. Observations sur la formation des diocèses dans l'ancienne Eglise
d'Afrique, par l'abbé Léou Godart {Revue africaine, 2^ année, pp. 399
et suiv.)
2. V. L'Africa chrisliana de Morcelli, l. II, p. 234. Cette église se
trouvait dans remplacement occupé actuellement par l'hôpital militaire.
l'afriql'e sous l'autoritû romaine (360)
131
Ces bandes, qui rappellent celles de la Jacquerie, s'attaquèrent
d'abord aux fermes isolées ; c'est pourquoi les g-ens qui en faisaient
partie furent stigmatisés du nom de Circoncellions^ . Nous verrons
avant peu à quels excès ces fanatiques se portèrent. Leur quartier
général était Thamugas (aujourd'hui Timgad), au pied del'Aourès,
entre Lambèse et Theveste -.
Les fils de Constantin. — Persécution des Donatistes par
Constant. — A la mort de Constantin (^37), l'empire se trouva
fractionné en cinq parties ; niais l^ientôt ses trois fils Constantin II,
Constant et Constance, restèrent, par suite du meurtre de leurs
deux cousins, seuls maîtres du pouvoir. Un nouveau partage fut
alors opéré entre eux (338). L'Afrique demeura pendant plusieurs
années un sujet de contestation entre Constant et Constantin, elles
deux frères en vinrent plusieurs fois aux mains. La mort de Cons-
tantin (340) mit fin à la lutte en assurant le triomphe de Constant.
Ce prince fanatique tyrannisa d'abord les païens, puis, des dis-
sensions nouvelles s'étant produites en Afrique entre les Dona-
tistes et les orthodoxes, il envoya deux officiers, Paul et Macaire,
pour mettre fin à ces troubles. A peine étaient-ils arrivés à Kar-
thage que les Donatistes se soulevèrent de toutes parts. Aidés par
les Circoncellions, ils osèrent tenir tête aux armées de l'empereur.
Mais bientôt ils furent vaincus et réduits à la fuite, et la persécu-
tion commença ; les évêques compromis furent exilés ou mis à
mort. Le principal résultat de ces violences fut d'augmenter le
nombre des Circoncellions et de redoubler leur fureur, au grand
préjudice de la colonisation.
Constance et Julien. — Excès des Donatistes. — En 350, Cons-
tant fut mis à mort par Magnence, comte des Gaules, qui s'em-
para de son trône et étendit son autorité sur l'Afrique. Deux ans
plus tard les troupes de Constance prenaient possession de
l'Afrique au nom de leur maître. Elles passèrent ensuite en Es-
pagne, de là en Gaule et vinrent à Lyon écraser l'armée de Ma-
gnence, qui périt dans la bataille. Ainsi Constance resta seul
maître de l'empire. On sait qu'il s'érigea en protecteur de l'aria-
nisme.
En 360, Julien, ayant été proclamé à Lutèce et reconnu par
l'Italie, chercha à gagner l'Afrique à sa cause, mais ne put par-
1. De Circumiens cellas (rôdant autour des fermes).
2. Voir sur les Donatistes les textes de saint Augustin et de saint
Optât.
132
HISTOIRE DE L AFRIQUE
venir à la détacher de sa fidélité au fils de Constantin. Du reste,
Constance avait pris des précautions sérieuses pour conserver sa
province, et, bien qu'il fût menacé par son compétiteur d'un côté,
et par les Perses de l'autre, il envoya en Afrique son secrétaire
d'état Gaudentius avec ordre de lever des troupes et de s'opposer
à tout débarquement. <( Gaudentius remplit sa mission avec fidé-
lité, il invita le comte Cretion et les gouverneurs (rectores) à
faire des levées, et il tira des deux Maurétanies une cavalerie
légère excellente avec Uquelle il protégea efficacement tout le lit-
toral conti-e les troupes stationnées en Sicile et qui n'attendaient
qu'une occasion pour faire une descente en Afrique'. »
L'année suivante, la mort de Constance laissa Julien seul au
pouvoir. Il se vengea alors de l'Afrique en accordant ses faveurs
aux Donatistes, fort affaiblis par la persécution macarienne. Leurs
évêques leur furent rendus et une violente réaction contre les or-
thodoxes se produisit. Les Donatistes se vengèrent d eux par les
mêmes armes: les spoliations, les dévastations, les meurtres. Un
exemple donnera une idée du caractère de ces luttes: « Félix et
Januarius, deux Donatistes, se jettent sur Lemelli-, à la tête d'une
troupe de Circoncellions. Ayant trouvé la porte de la basilique
fermée, ils en firent le siège ; les Circoncellions montèrent sur le
toit et, de là, accablèrent les fidèles sous un monceau de tuiles. Un
grand nombre fut cruellement blessé ; deux diacres qui défen-
daient l'autel furent tués et les fastes de l'église inscrivent deux
martyrs de plus^. » Ailleurs, à Typaza, en présence du gouver-
neur, ils maltraitent et expulsent les catholiques ; « les hommes
sont torturés, les femmes traînées ; les enfants misa mort ou étouf-
fés dans les entrailles de leurs mères. »
Du reste les Donatistes ne tardèrent pas à voir des schismes se
produire dans leur sein. Le plus important fut celui de Rogatus,
évêque de Cartenna *, qui imposait un nouveau baptême à tous les
anciens traditeurs.
Exactions du comte Romanus. — A la fin de 363, sousJovien, et
ensuite, dans les premiers temps du règne de ^'alentinien, une tribu
indigène de la Tripolitaine, les Asturiens, ainsi appelés par les au-
teurs ^, causèrent les plus grands ravages dans cette contrée et
1. Poulie {Soc. arch.), 1878, pp. 414, 415. — Voir aussi lîev. afr.
t. IV, pp. 137, 138, et Ammien Marcellin, I. XXI, parag. 7.
2. Zembia, dans la Medjana.
3. Poulie, Maurétanie, p. 129.
4. Tenès.
5. Ammien Marcellin, 1. XXVII et suiv.
l'Afrique sous l'autorité romaine (372)
133
vinrent même attaquer les colonies de Leptis et de Tripoli. Les
colons appelèrent à leur secours le comte Romanus, nommé depuis
peu maître des milices d'Afrique ; mais ce général ne voulut entrer
en campagne que si on lui fournissait quatre mille chevaux et une
grande quantité de vivres, conditions que les Tripolitains ruinés
ne pouvaient remplir ; de sorte que les Berbères continuèrent
leurs déprédations. A l'avènement de Valentinien, les gens de
Leptis envoyèrent des députés à l'empereur pour lui exposer leurs
doléances ; mais les partisans de Romanus en atténuèrent en partie
l'effet. Cependant l'empereur chargea un administrateur de l'ordre
civil, auquel on confia des pouvoirs militaires extraordinaires, de
rétablir la paix.
En 366, nouvelle incursion des Asturiens. L'empereur envoya
un tribun nommé Pallade pour faire une enquête sur les lieux,
mais cet agent se laissa corrompre et déclara que les plaintes
n'étaient pas fondées. Pour Romanus, c'était le triomphe, l'impu-
nité assurée; aussi se livra-t-il, sans retenue, à une prévarication
effrénée. Une nouvelle plainte des victimes ayant eu le même ré-
sultat que la précédente, l'empereur ordonna la mise à mort des
réclamants, convaincus de calomnie. Un ancien prœses de la Tri-
politaine, nommé Rurice, qui aA'ait cherché à faire triompher la
vérité, fut englobé dans l'accusation et exécuté à Sitifis.
Révolte"de Firmus. — Sur ces entrefaites, un des plus puissants
chefs des Quinquégentiens vint à mourir en laissant plusieurs fils,
Firmus, Gildon, Mascizel, Dius (ou Duis), Salmacès elZamma. Ce
dernier était fort lié^ivec Romanus, et, comme son frère aîné,
Firmus, craignait d'être victime d'une spoliation, il fit assassiner
Zamma. C'était s'exposer à la vengeance certaine du comte; aussi,
après avoir essayé en vain de se disculper auprès du pouvoir cen-
tral, Firmus comprit-il qu'il ne lui restait de salut que dans la ré-
volte. Ces fils de Nubel étaient tous empreints de civilisation
latine, plusieurs d'entre eux étaient chrétiens.
En 372, Firmus lève l'étendard de l'insurrection" dans les mon-
tagnes du Djerdjera. Les Maiirétanies le soutiennent ; les Dona-
tistes lui fournissent leur appui ; les aventuriers, les gens ruinés,
tous ceux qui'recherchent le désordre, des soldats, on dit même
une légion entière, viennent se joindre à lui. ^Firmus disposant
d'une vingtaine de mille hommes se met [aussitôt en campagne;
un évêque de Rusagus, bourgade sur la7rontière de la Césarienne,
lui ouvrejes portes de la ville. Les Firmianiens,'^ continuant leur
marche vers l'ouest, assiègent Césarée, s'en rendent maîtres et
réduisent en cendres cette belle ville. Romanus essaie en vain de
134
HISTOIRE D1-: L AFRIQUE
lutter; il est défait et la révolte gagne la Xumidie. Les soldats pro-
clamèrent alors Firmus roi ; un tribun lui posa le diadème.
A la réception de ces graves nouvelles, l'empereur d'occident
envoya en toute hâte des troupes en Afrique sous le cornman-
dement du comte Théodose, maître de la cavalerie. Débarqué à
Igilgili (Djidjelli), cet habile général gagna Sitifis et convoqua
toutes ses troupes dans un poste des environs nommé Panchariana,
d'où il devait commencer les opérations (373). Il avait été rejoint,
tout en arrivant, par un corps d'auxiliaires indigènes, commandé
par Gildon, frère de Firmus.
Le prince indigène, comprenant que la situation était changée,
essaya de traiter avec Théodose, et lui fit offrir sa soumission ;
mais le général ne voulut rien entendre avant d'avoir reçu des
otages, et les choses en restèrent là. Bientôt, du reste, Théodose
entra en campagne, et porta son camp à Tubusuplus Ayant re-
poussé un nouveau message du rebelle, il attaqua les Tyndenses et
Massissenses, commandés par Mascizel et Duis, les mit en déroute,
et porta le ravage dans toute la contrée, sans cependant se départir
d'une grande prudence et en s'appuyant sur une place nommée
Lamforte. De là, s'avançant vers l'ouest. Théodose défit de nou-
veau Mascizel, qui avait osé l'attaquer.
Encore une fois, Firmus fît implorer la paix par l'intermédiaire
de prêtres chrétiens, et Théodose la lui accorda. Le prince berbère
remit au vainqueur Icosium - et lui livra, dans cette ville, ses en-
seignes, sa couronne, son butin et des otages, mais il ne paraît pas
qu'il soit venu en personne signer le traité.
Après avoir obtenu ce résultat. Théodose se rendit à Césarée
et employa ses légions à relever cette ville de ses ruines. Dans
cette localité, il fit mourir sous les verges ou décapiter les soldats
qui étaient passés au service du rebelle.
Sur ces entrefaites, ayant appris que Firmus cherchait de nou-
veau à soulever les tribus, il se remit en campagne et battit les
Maziques et les Muzones. La tribu des Isaflenses, établie sur le
versant sud du Djerdjera, soutint Firmus et se battit bravement
sous les ordres de son chef ^Lizuca, mais elle fut encore défaite et
son chef, fait prisonnier, hâta sa mort en déchirant ses blessures.
Firmus, réduit encore à la fuite, se jette au cœur des montagnes,
puis prend la direction de l'est, suivi par les Romains. Au moment
où ceux-ci vont l'atteindre, il leur échappe encore et revient sur
ses pas. Il entraîne de nouveau les Isaflenses, avec leur chef Igma-
1. Tiklat eu Kabylie.
2. Alger.
l'afrique sous l'autorité romaine (375)
135
cen et réunit un grand nombre d'adhérents. Théodose, qui s'est
avancé contre lui et le croit sans forces, est subitement attaqué
par vingt mille indigènes ; il a la douleur de voir ses soldats lâcher
pied et ne s'échappe lui-même qu'à la faveur de la nuit '.
Ayant pu, dans sa déroute, gagner le fort de Castellum Audiense*,
il y rallia son armée et s'y retrancha. Il punit ses soldais avec la
dernière sévérité, brûlant les uns, mutilant les autres ; et grâce à
son énergie, il rétablit promptement la discipline et put résister
aux attaques tumultueuses des indigènes. Il opéra ensuite sa re-
traite vers Sitifis'. L'année suivante (375), il s'avança, à la tête de
forces considérables, contre les Isaflenses, toujours fidèles à Firmus,
et leur fit essuyer une nouvelle défaite. Igmacen, leur roi, se laissa
alors gagner par les promesses de Théodose. Il cessa toute résis-
tance et arrêta Firmus au moment où celui-ci, devinant sa trahi-
son, se disposait à fuir. Prévoyant le sort qui l'attendait, le prince
berbère se pendit dans sa prison et le traître Igmacen ne put livrer
à ses ennemis qu'un cadavre qui fut apporté à leur camp, chargé
sur un chameau.
Ainsi finit cette révolte qui avait duré trois ans.
Pacification générale. — Après avoir obtenu la pacification gé-
nérale des tribus soulevées. Théodose s'appliqua, par une série de
sages mesures, à rétablir la marche de l'administration et à faire
oublier les maux causés par Romanus. Les complices des exactions
de ce dernier furent sévèrement punis.
Mais le comte Théodose avait de nombreux ennemis qui le dé-
noncèrent à l'empereur Gratien, presque un enfant, successeur de
son père, 'V^alentinien (375). On le présenta comme étant sur le
point de se déclarer indépendant et de lui disputer le pouvoir.
Gratien prêtant l'oreille à ces calomnies expédia l'ordre de le
mettre à mort Le vainqueur de Firmus, celui qui avait conservé
l'Afrique à l'empire, fut décapité à Karthage.
La révolte de Firmus permit aux Romains de mesurer tout le
terrain qu'ils avaient perdu en Afrique. En laissant autour de leurs
colonies, si romanisées qu'elles fussent, des tribus indigènes intactes,
non assimilées, ils avaient en quelque sorte préparé pour l'avenir
la ruine de leur colonisation. La levée de boucliers à laquelle
1. Berbriigger, Epoques militaires de la grande Kahylie.
2. Aioun Besscm, au nord d'Aiimale.
3. Les auteurs disent qu'il se relira à Typa/.a, mais cela semble bien
improbable et nous nous rallious à l'opinion de MM. Poulie et Berbrug-
ger, qui démontrent que c'est à Sétif que Théodose s'est reformé.
4. Orose, Hist., 1. VH, ch.xxxm.
136 HISTOIRE m l'afrique
la rébellion de Firnius avait servi de prétexte, était le premier
acte du drame. Les Donalisles y avaient joué un rôle trop actif
pour ne pas porter la peine de la défaite. En 378, les édits qui les
condamnaient furent remis en vigueur et exécutés strictement.
L'Afrique sous Gratien, Valentinien II et Tiiéodose. — Le
monde romain, assailli de tous côtés par les barbares, était dans
une situation des plus critiques, et Graticn n"avait ni l'énergie ni
les talents qui auraient été nécessaires dans un tel moment. Son
frère, Valentinien II, empereur d'Orient, était un enfant en bas
âge. Pour soulager ses épaules d'un tel fardeau, Gratien s'associa
le général Théodose, lils du comte Théodose, qui avait été mis à
mort par ses ordres, et l'envoya défendre les frontières de l'em-
pire. Peu après, Maxime était proclamé par ses soldats dans les
Gaules (383). Gratien, ayant marché contre lui, fut vaincu et tué
par l'usurpateur, près de Lyon. On dit que sa défaite fut due à la
défection de sa cavalerie maure.
Théodose, forcé de reconnaître l'usurpateur, obtint cependant
que l'Italie et l'Afrique fussent attribuées à Valentinien II. Mais
Maxime ne pouvait se contenter d'une position si secondaire. En
387, il attaqua ^'alentinien et l'expulsa de l'Afrique. L'année sui-
vante, il était à son tour vaincu par Théodose qui, après l'avoir
tué, remit Valentinien II en possession de l'Afrique. Enfin, en 392,
Valentinien ayant été assassiné, le trône impérial resta à Théodose.
Mais à celte époque, les empereurs ne vivaient pas longtemps.
Théodose mourut en 395 et l'empire échut à ses deux lils Arcadius
et Ilonorius. Ce dernier, âgé de onze ans, eut l'Occident avec
l'Afrique.
Révolte de Gildon. — Pendant ces compétitions, que pouvait
faire l'Afrique, sinon se lancer de nouveau dans la révolte? Nous
avons vu qu'à l'arrivée du comte Théodose en Maurétanie, Gildon,
frère de Firmus, s'était mis à sa disposition et lui avait amené des
renforts. On avait été content de ses services et il était resté sans
doute en relations intimes avec la famille de ce général. Aussi,
lorsque le fils du comte Théodose eut été associé à l'empire, il
songea à être utile à Gildon et lui fit donner, en 387, le comman-
dement des troupes d'Afrique avec le titre de grand maître des
deux milices. Résidant à Karthage auprès du proconsul Probinus,
il joignit à la puissance dont il était revêtu l'honneur de s'allier à
la famille de Théodose, en donnant sa fille à un des neveux de
celui-ci.
Dès lors, l'orgueil du prince indigène ne connut plus de bornes.
l'afrique sous l'autorité romaine (398)
137
et le pays commença à sentir le poids de sa tyrannie, car l'auto-
rité du proconsul était efTacée par la sienne. Cependant, lors de la
révolte d'Eugène dans les Gaules, il refusa les propositions qui lui
furent faites par cet usurpateur (394) ; mais, d'autre part, il ne
montra pas grand zèle pour l'empereur et se dispensa d'envoyer
les secours qu'il lui réclamait.
La mort de Théodose le décida à lever le masque, et, pour dé-
clarer ses intentions, il retint dans le port de Karthage les blés
destinés à l'alimentation de Rome (395). Cette fois, la guerre est
inévitable, car la disette ne permet plus de faiblesses. Gildon est
déclaré ennemi public, et Stilicon, ministre d'Honorius, se dis-
posa à le combattre.
Dans cette conjoncture, Gildon appelle à lui le peuple indigène
en se déclarant restaurateur de son indépendance. Il comble les
Donatistes de ses faveurs et persécute les catholiques. Mascizel,
son frère, s'étant rendu à Milan pour un motif inconnu, Gildon le
soupçonne d'être allé intriguer contre lui, et, pour l'intimider, il
fait mettre à mort ses deux fils ' ; puis il adresse, pour la forme,
sa soumission à l'empereur.
Chute de Gildon. — C'est à ^lascizel, brûlant du désir de la
vengeance, que Stilicon donna le commandement de l'expédition.
En 398, ce chef débarqua en Afrique avec cinq mille légionnaires
(Gaulois, Germains et auxiliaires) et marcha contre son frère qui
l'attendait à la tète d'un rassemblement de soixante-dix mille guer-
riers, mal armés et demi-nus. Parvenu auprès de Theveste, il se
trouva isolé au milieu de montagnes escarpées et entouré de ses
innombrables ennemis.
Gildon est au milieu de ses cavaliers Maures et Gétules et de
ses montagnards berbères ; en voyant les faibles forces que son
frère ose lui opposer, il donne le signal du combat comme celui
d'une exécution en masse. L'action s'engage, et Mascizel, déses-
péré, s'avance pour parlementer. Alors un certain tumulte se pro-
duit aux premières lignes : un porte-enseigne tombe devant le chef
des troupes romaines, et les Berbères croient à une trahison ; ce
mot se propage parmi eux comme un éclair, et bientôt cette im-
mense armée, prise d'une terreur inexplicable, tourne le dos à
rennemi. En même temps, les légionnaires, revenus de leur
étonnement, chargent les indigènes et changent leur retraite en
déroute -.
1. Orose, 1. VII, ch. xxxiii.
2. Zosime, Ilist., 1. V. Orose, 1. VII.
138
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Après cette inexplicable défaite, Gildon, abandonné de tous, par-
vint à atteindre le littoral et à prendre la mer; il voulait 'gagner
Constantinople ; mais les vents contraires le rejetèrent sur la côte
d'Afrique. Arrêté à Tabarka, il fut conduit à son frère qui l ac-
cabla de reproches et le jeta en prison en attendant l'heure de son
supplice. Gildon l'évita en s étranglant de ses propres mains. Il
avait gouverné l'Afrique pendant douze ans.
Mascizel, qui A-enail de rétablir si heureusement la paix en
Afrique, et d'assurer la subsistance de l'Italie, se rendit à Milan,
afin d'obtenir la récompense de ses services, c'est-à-dire sans doute
la position de son frère. Mais Stilicon venait de se convaincre par
la révolte de Gildon du peu de confiance que l'on pouvait accorder
aux Africains ; il se débarrassa du solliciteur en le faisant noyer
sous ses yeux.
L'Afrique sous Honorius. — L'Afrique, qui depuis un an rele-
vait de l'empire d'Orient, fut rattachée à celui d'Occident ; puis on
envoya à Karthage un proconsul qui réunit au fisc tous les do-
maines de la succession de Nubel et de Gildon. Ces biens étaient
considérables et l'on dut nommer un fonctionnaire spécial pour les
administrer.
La chute de Gildon fut suivie de persécutions contre ceux qui
avaient pris part à sa révolte, et, comme ils étaient presque tous
donatisles, ces représ:iilles prirent la forme d'une nouvelle persé-
cution attisée par les évêques orthodoxes. Quiconque était soup-
çonné d'avoir eu de la sympathie pour les rebelles se voyait dé-
pouillé de ses biens et chassé du pays, trop heureux s'il échappait
au supplice. L'évêque Optatus de Thamugas, qui avait été un des
principaux auxiliaires de Gildon, fut jeté en prison et y périt.
Cette terreur dura dix ans. Ce fut pour les Circoncellions une oc-
casion de recommencer leurs désordres.
En 399, Honorius promulgua un édit par lequel il prohibait
d'une façon absolue le culte des idoles. L'exécution de cette me-
sure rencontra en Afrique une vive opposition, car les païens y
étaient encore nombreux. Le temple de Tanit à Karthage, qui
avait été fermé par ordre de Théodose, fut affecté au culte chré-
tien, mais comme les idolâtres continuaient à y faire leurs sacri-
fices, on se décida à le démolir.
Cependant l'invasion des peuples du Nord achevait de se ré-
pandre sur l'Europe. Dans les premières années du v*^ siècle, les
^'andales, les Alains et les Suèves, poussés par les Huns, partis de
la Pannonie, traversent la Germanie, culbutent les Franks, pénè-
trent en Gaule et, continuant leur marche à travers les Pyrénées,
i,"afrique sous l'autorité romaine (il3)
139
s'arrêtent en Espagne. En 409, ils opèrent entre eux un premier
partage du pays. Dans le cours de la même année, les Goths, con-
duits par Alaric, s'emparaient de Rome. Assiégé par eux dans
Ravenne, Honorius était obligé d'appeler à son secours l'empereur
d'Orient, son neveu Théodose II.
Dans cette conjoncture, l'Afi'ique resta fidèle à l'empereur et
continua à assurer la subsistance de l'Italie. Les Goths firent plu-
sieurs tentatives infructueuses pour s'en emparer'. Le gouverneur,
Héraclien, défendit avec habileté sa province et la conserva à l'em-
pire ; le chef des Goths abandonnant ses projets se contenta de la
cession d'un territoire dans la Novempopulanie. Alaric, de son
côté, avait des vues sur l'Afrique ; il se disposait à se mettre en
personne à la tête d'une expédition et préparait une flotte à cet
effet ; mais la tempête détruisit ses navires, et il dut y renoncer.
Pendant ce temps, les Austrusiens et les Maxyes mettaient la Tri-
polilaine au pillage ; le commandant militaire qui avait licencié
une partie de ses troupes pour s'approprier leur solde, s'empressa
de prendre la mer en laissant les populations se défendre comme
elles le pourraient.
En 413, Héraclien qui s'était emparé des biens des émigrants
réfugiés en Afrique pour fuir les Goths, se déclara indépendant et
commença sa révolte en retenant les blés. Bientôt il passa en
Italie à la tête d'une armée considérable, mais il fut entièrement
défait près d'Orticoli ; après quoi il chercha un refuge à Karthage
où il ne trouva que la mort.
1. Lebeau, Hisloiic du Bas-Empire. 1. XXVIll.
CHAPITRE X
PÉRIODE VANDALE
415-531
Le christianisme en Afrique au commencement du v« siècle. — Boniface
gouverneur d'Afrique; il traite avec les Vandales. — Les Vandales enva-
hissent l'Afrique. — Lutte de Boniface contre les Vandales. — Fondation
de l'empire vandale. — Nouveau traité de Genseric avec l'empire; orga-
nisation de l'Afrique A'andale. — Mort de Valenthinien III; pillage de
Rome par Genséric — Suite des guerres des Vandales. — Apogée de la
puissance de Genséric; sa mort. — Règne de Ilunéric ; persécutions
contre les catholiques. — Révolte des Berbères. — Cruautés de Hunéric.
— Concile de Karthage ; mort de Ilunéric. — Règne de Goudamond.
— Règne de Trasamond. — Règne de Hildéric. — Révoltes des Ber-
bères; usurpation de Gélimer.
Le christianisme en Afrique au commencement du v" siècle. —
Avant d'enlreprendre le récit des événements qui vont faire entrer
l'histoire de la Berbérie dans une nouvelle phase, il convient de
jeter un coup d'œil sur la situation du christianisme en Afrique au
commencement du v*^ siècle. Si nous sommes entrés dans des détails
un peu plus complets que ne semble le comporter le cadre de ce
récit, sur cette question, c est que l'établissement de la religion
chrétienne fut une des principales causes du désastre de l'Afrique'.
Les premières persécutions commencèrent à porter un grand
trouble dans la population coloniale et à diminuer sa force en pré-
sence de l'élément berbère en reconstitution. Et cependant cette
période est la plus belle, car les chrétiens unis dans un malheur
commun donnent l'exemple de l'union et de la concorde. Aussitôt
que la cause pour laquelle ils ont tant souffert vient à triompher,
une scission radicale, irrémédiable, se produit dans leur sein et ils
se traitent avec la haine la plus féroce. « Il n'y a pas de bêtes si
cruelles aux hommes que la plupart des chrétiens le sont les uns
1. C'est l'opinion d'un homme dont ou ne contestera ui la compétence
ni le catholicisme, M. Lacroix. « Il ne faut pas se dissimuler, dit-il dans
son ouvrage inédit, que le christianisme eut une large part à revendi-
quer dans le désastre de l'Afrique Nul doute que les déplo-
rables dissensions dont la population créole offrit alors le triste spec-
tacle n'ait hâté la chute du colosse. » {Re\'ue africaine^ n" 72 et suivants.)
PÉRIODE VANDALE (415)
141
aux autres. » Ainsi s'exprime Ammien Marcellin', qui les a vus de
près. Mais ce n'est pas tout : avec le succès, leurs mœurs deviennent
moins pures et leurs assemblées servent de prétexte aux orgies, si
bien que saint Augustin, qui avait failli être lapidé à Karthage pour
avoir prêché contre l'ivrognerie, s'écrie : « Les martyrs ont horreur
de vos bouteilles, de vos poêles à frire et de vos ivrogneries ! -.» Il
faut ajouter à cela les schismes qui divisent l'église orthodoxe, en
outre du donatisme et de l'arianisme, car tous les jours il paraît
quelque novateur : Pélage fonde l'hérésie qui porte son nom;
Célestius, son compagnon, la propage en Afrique; les nouveaux
sectaires se subdivisent eux-mêmes en Pélagiens et semi-Pélagiens.
En Cyrénaïque et dans l'est de la Berbérie, c'est l'hérésie de Nes-
torius qui est en faveur; ailleurs les Manichéens ont la majorité.
Nous avons vu à quels excès s'étaient portés les Donatistes et
les orthodoxes les uns contre les autres, suivant leurs alternatives
de succès ou de revers. La rage des Circoncellions fut surtout
funeste à la colonisation romaine, car elle détruisit cette forte occu-
pation des campagnes qui était le plus grand obstacle à l'expansion
des indigènes; les fermes étant brûlées et les colons assassinés, les
campagnes furent toutes prêtes à recevoir de nouveaux occupants.
L'histoire n'offre peut-être pas d'autre exemple de l'esprit de des-
truction animant ces sectaires, véritables nihilistes qui se tuaient
les uns les autres, quand ils avaient fait le vide autour d'eux et
qu'il ne restait personne à frapper.
Quelques nobles figures nous reposent dans ce sombre tableau.
La plus belle est celle de saint Augustin, né à Thagaste^ ; il étudia
d'abord à Madaure*, puis à Karthage. Nous n'avons pas à faire ici
l'histoire de ce grand moraliste. Disons seulement qu'après un long
séjour en Italie, il revint en Afrique en 388 et y écrivit un certain
nombre de ses ouvrages. Il s'appliqua alors, de toutes ses forces,
à combattre, par sa parole et par ses écrits, les Manichéens, et
surtout les Donatistes. Il fut secondé dans cette tâche par saint
Optât, évêque de Mileu, qui a laissé des écrits estimés et notam-
ment une histoire des Donatistes.
En 410, Honorius, cédant à la pression des prêtres qui l'entou-
raient, rendit un nouvel édit contre les Donatistes. Mais leur
nombre était trop grand en Afrique et l'empereur n'avait pas la
force matérielle nécessaire pour faire exécuter ses ordres. Il voulut
1. Lib. XXII, cap. V.
2. Sermon 273.
3. Actuellement Souk-Ahras.
4. Medaourouch.
142
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
alors essayer de la conviction et réunit le 16 mai ill, à Karthage,
un concile auquel prirent part deux cent quatre-vingt-six évêques
dont la moitié étaient schismatiques, sous la présidence du tribun
et notaire Flavius Marcellin. Les Donatistes furent encore vaincus
dans ce combat. Ils en appelèrent de la sentence, mais l'empereur
leur répondit par un nouvel édit leur retirant toutes les faveurs
qu'ils avaient pu obtenir précédemment, et prescrivant contre
eux les mesures les plus sévères. Contraints encore une fois de
rentrer dans l'ombre, ils attendirent l'occasion de se venger.
BONIFACE GOUVERNEUR d'AfRIQUE. Il TRAITE AVEC LES VAN-
DALES. — Le li août 423, Honorius cessait de vivre, en laissant
comme héritier au trône un jeune neveu, alors en exil à Constan-
tinople, avec sa mère la docte Placidie. Aussitôt, celle-ci le fit
reconnaître comme empereur d'Occident par les troupes; mais ce
ne fut qu'après bien des vicissitudes qu'il fut proclamé à Ravenne
sous le nom de Valentinien III. Comme il n'était âgé que de six
ans, Placidie s'attribua, avec la régence, le titre d'Augusta et prit
en main la direction des affaires.
Le général Boniface, qui s'était distingué dans une longue car-
rière militaire, dont une partie passée en Maurétanie comme pré-
posé des limites à Tubuna', avait été nommé en 422, par Honorius,
comte d'Afrique. Il avait su, par une administration habile et une
juste sévérité, ramener ou maintenir dans le devoir les populations
latines, depuis si longtemps divisées par l'anarchie, et repousser
les indigènes qui, de toutes parts, envahissaient le pays colonisé.
Nommé gouverneur de toute l'Afrique par Placidie, il l'aida puis-
samment, grâce à ses conseils et à l'envoi de secours de toute
nature, à triompher de l'usurpateur Jean. Ces éminents services
avaient donné à Boniface un des premiers rangs dans l'empire.
Mais la cour de ^ alentinien, dirigée par une femme partageant
son temps entre les lettres et la religion, était un terrain propice
aux intrigues de toute sorte. Aétius, autre général, jaloux des
faveurs dont jouissait Boniface, prétendit que le comte d'Afrique
visait à l'indépendance et, comme l'impératrice refusait de le croire,
il l'engagea pour l'éprouver à lui donner l'ordre de venir immé-
diatement se justifier en personne. Ce conseil ayant été suivi, il
fit dire indirectement à Boniface qu'on voulait attenter à ses jours.
Cette odieuse machination réussit à merveille. Boniface refusa de
venir se justifier. Dès lors sa rébellion fut certaine pour Placidie
et comme on apprit, sur ces entrefaites, que le comte d'Afrique
1. Tobna, dans le Hodna.
PÉRIODE VANDALE (429)
143
venait d'épouser une princesse arienne de la famille du roi des
Vandales d'Espagne', on ne douta plus de sa trahison.
Aussitôt rimpératrice nomma à sa place Sigiswulde, et fit mar-
cher contre lui trois corps d'armée (427) ; mais Boniface les
repoussa sans peine. Pour cela, il avait été obligé de rappeler
toutes les garnisons de l'intérieur et les Berbères en avaient profité
pour se lancer dans la révolte. L'année suivante Placidie envoya
en Afrique une nouvelle armée qui ne tarda pas à s'emparer de
Karthage. La situation devenait critique pour Boniface ; attaqué
par les forces de sa souveraine, menacé sur ses derrières par les
indigènes, le comte prit un parti désespéré qui allait avoir pour
l'Afrique les plus graves conséquences. Il s'adressa au roi des Van-
dales et conclut avec lui un traité, aux termes duquel il lui cédait
les trois Maurétanies, jusqu'à l'Amsaga, à la condition qu'il con-
serverait pour lui la souveraineté du reste de l'Afrique*.
Les Vandales envahissent l'Afrique. — Les Vandales, après
avoir été écrasés par les Goths et rejetés dans les montagnes de la
Galice (416-8), avaient, à la suite du départ de leurs ennemis,
reconquis l'Andalousie, battu les Alains, et établi leur prépondé-
rance sur l'Espagne, malgré les elforts des Romains, aidés des
Goths (422). Au moyen de vaisseaux, trouvés, dit-on, à Carthagène,
ils n'avaient pas tardé à sillonner la Méditerranée et ils avaient pu
jeter des regards sur cette Afi'ique, objet de convoitise pour les
Barbares. C'est ce qui explique la facilité avec laquelle la proposi-
tion de Boniface avait été acceptée.
Dans le mois de mai 429', les Vandales avec leurs alliés Alains,
Suèves, Goths et autres barbares, au nombre de quatre-vingt mille
personnes, dont cinquante mille combattants traversèrent le dé-
troit et débarquèrent dans la Tingitane. Boniface leur fournit ses
vaisseaux et l'on dit que les Espagnols, heureux de se débarrasser
d'eux, leur facilitèrent de tout leur pouvoir ce passage.
Aussitôt débarqués, les envahisseurs se mirent en marche vers
1. Selon M. Ci-euly (Annuaire de la Soc. arcli. de Conslantine, 1858-59,
pp. 16, 17), la personne épousée par Boniface, nommée Pélagie, aurait
été bien plus probablement une dame romaine ayant des propriétés en
Afrique.
2. Procope, Bell. Vand., 1. I, ch. m, Lebeau, Ilist. du Bas-Empire,
t. I"V, p. 24. Marcus, Hist. des Vandales, p. 143. Bureau de la Malle,
Recherches, etc., p. 36.
3. Cette date varie, selon les auteurs, entre 427 et 429. Nous adoptons
celle de Y Art de vérifier les dates, t. I, p. 403.
4. Ces chiffres donnent également lieu à des divergences. V. Victor
de Vite, Hisl. pcrs. Vand., p. 3, et Procope, 1. I, ch. v.
144
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
l'est, s'avançant en masse comme une trombe qui détruit tout sur
son passage. Ils étaient conduits par Genseric (ou Gizeric} leur roi,
qui venait d'usurper le pouvoir en faisant assassiner son frère
Gunderic, souverain légitime. Les ^'andales étaient ariens et grands
ennemis des orthodoxes. Les Donatistes les accueillirent comme
des libérateurs et facilitèrent leur marche. Il est très probable que
les Maures, s'ils ne s'allièrent pas à eux, s'avancèrent à leur suite
pour profiter de leurs conquêtes.
Sur ces entrefaites, Placidie, aj ant reconnu les calomnies dont
Boniface avait été victime, se réconcilia avec lui et lui rendit ses
faveurs. Saint Augustin, ami du comte d'Afrique et qui avait fait
tous ses efforts pour l'amener à abandonner son dessein, servit de
médiateur entre le rebelle et sa souveraine. Boniface, qui avait
enfin mesuré les conséquences de la faute par lui commise en
appelant les Vandales en Afrique , essaya d'obtenir la rupture du
traité conclu avec eux et leur rentrée en Espagne ; mais il était trop
tard, car il est souvent plus facile de déchaîner certaines calamités
que de les arrêter. Encouragés par leurs succès et par l'appui
qu'ils rencontraient dans la population, les ^'andales repoussèrent
dédaigneusement ses propositions, et, pour braver ses menaces,
franchirent l'Amsaga et envahirent la rSumidie.
Lutte de Boniface contre les V.\ndales. — Le comte d'Afrique
ayant marché à la tête de ses troupes contre les envahisseurs, leur
livra bataille en avant de Calama ' ; mais il fut entièrement défait
et se vit contraint de chercher un refuge derrière les murailles
d'Hippône -. Les Barbares l'y suivirent (430) et, ayant employé une
partie de leurs forces pour investir cette ville, lancèrent le reste
dans le cœur de la Numidie, où ils mirent tout à feu et à sang.
Guidés sans doute par les Donatistes, ils s'acharnèrent particu-
lièrement à détruire les églises des orthodoxes. Constantine résista
à leurs efforts^. Le siège d'Hippône durait depuis longtemps et
l'on dit que les A'andales, pour démoraliser les assiégés et leur
rendre le séjour de la ville intolérable, amassaient les cadavres dans
les fossés et au pied des murs et mettaient à mort leurs prisonniers
sur ces charniers qu'ils laissaient se décomposer en plein air. Saint
Augustin, qui aurait pu fuir, avait préféré rester dans son évêché
et soutenir l'honneur de cette église d'Afi-ique pour laquelle il
1. Guelma.
2. Bône.
3. Lebeau, t. IV, p. 49. L. Marcus, pp. 130 et suiv. Yanoski, Hist.
de la domination vandale en Afrique, p. 12.
PÉRIODE VANDALE (437)
145
avait tant lutté. Mais il ne put résister aux souffrances et à la
fatigue du siège et mourut le 28 août 430.
Enfin, dans l'été de 431, des secours commandés par Aspar,
général de l'empereur d'Orient, furent envoyés par Placidie à
Hippône. Boniface crut alors pouvoir prendre l'offensive et chasser
ses ennemis qui avaient, à peu près, levé le siège. Il leur livra
bataille dans les plaines voisines ; mais le sort des armes lui fut
encore funeste. Aspar se réfugia sur ses vaisseaux avec les débris
de ses troupes, et Hippône ne fut plus en état de résister. Les
Vandales mirent cette ville au pillage et l'incendièrent.
Boniface se décida alors à abandonner l'Afrique. Il alla se pré-
senter devant sa souveraine qui l'accueillit avec honneur et évita
les récriminations inutiles : tous deux, en effet, étaient également
responsables de la perte de l'Afrique.
Fondation de l'empire Vandale. — Ainsi la Numidie et les
Maurétanies restaient aux mains des Vandales. L'empereur, absorbé
par d'autres guerres, ne pouvait songer pour le moment à recon-
quérir ces provinces ; il pensa, dans l'espoir de conserver ce qui
lui restait, qu'il était préférable de traiter avec Genséric et lui
envoya un négociateur du nom de Trigétius. Le 11 février 435,
un traité de paix fut signé entre eux à Hippône. Bien que les con-
ditions particulières de cet acte ne soient pas connues, on sait que
Genséric consentit à payer un tribut annuel à l'empereur, lui livra
son fils Hunéric en otage, et s'engagea par serment à ne pas fran-
chir la limite orientale de la contrée qu'il occupait en Afrique'.
C'était la consécration du fait accompli. Genséric donna d'abord
de grands témoignages d'amitié aux Romains, et ceux-ci en furent
tellement touchés, qu'ils lui renvoyèrent son fils. Mais l'ambitieux
barbare sut employer ce répit pour préparer de nouvelles con-
quêtes. Il avait, du reste, à assurer sa propre sécurité menacée
par les partisans de son frère Gundéric. Dans ce but il fit massa-
crer la veuve et les enfants de celui-ci qu'il détenait dans une
étroite captivité et réduisit à néant les derniers adhérents de son
frère. Il s'était depuis longtemps déclaré le protecteur des Dona-
tistes et des Ariens ; les orthodoxes furent cruellement persé-
cutés. En 437, les évêques catholiques avaient été sommés par lui
de se convertir à l'arianisme ; ceux qui s'y refusèrent furent pour-
suivis et exilés et leurs églises fermées. Enfin, il tâcha de s'assurer
le concours des Berbères et il est plus que probable qu'il leur
abandonna sans conteste les frontières de l'ouest et du sud, que
1. Fournel, Berbers, p 79.
T. I.
10
146
HISTOIRE DE L AFRIQLE
les Romains défendaient depuis si longtemps contre leurs inva-
sions.
En même temps, Gensëric suivait avec attention les événements
d'Europe, car il avait comme auxiliaires contre l'empire, à l'est les
Huns, avec Attila, dont l atlaque était imminente, et à l'ouest et
au nord, les ^'izigoths et les Suèves. Dans l'automne de l'année 439,
le roi vandale, profitant de l'éloignement d'Aétius retenu dans les
Gaules par la guerre contre les Mzigoths, marcha inopinément
sur Karthage et se rendit facilement maître de cette belle cité, alors
métropole de l'Afrique [19 oct.). Les Vandales y trouvèrent de
grandes richesses, notamment dans les églises catholiques qu'ils
mirent au pillage. L'évéque Quodvultdéus ayant été arrêté avec un
certain nombre de prêtres, on les accabla de mauvais traitements,
puis on les dépouilla de leurs vêtements et on les plaça sur des
A'aisseaux à moitié brisés qu'on abandonna au gré des flots. Ils
échappèrent néanmoins au trépas et abordèrent sur le rivage de
Naples. La conquête de la Byzacène suivit celle de Karthage. Ainsi
cette province échappa aux Romains qui l'occupaient depuis près
de six siècles.
Après ce succès, Genséric, qui avait des visées plus hautes,
donna tous ses soins à l'organisation d'une flotte, et bientôt les
corsaires vandales sillonnèrent la Méditerranée ; ils poussèrent
même l'audace jusqu'à attaquer Palerme ^440). Se voyant menacé
chez lui, Valentinien envoya des troupes pour garder les côtes,
autorisa les habitants à s'armer et leur abandonna d'avance tout
le butin qu'ils pourraient faire sur les "N'andales. En 442, l'empereur
Théodose envoya à son secours une flotte ; mais les navires furent
rappelés avant d'avoir pu combattre, par suite d'une invasion des
Huns.
Nouveau traité de Genséric avec l'empire. — Organisation de
l'Afrique vandale. — ^'alentinien, dans l'espoir de préserver son
trône, se décida à traiter, de nouveau, avec le roi des Vandales.
Il céda à Genséric la Byzacène jusqu'aux Syrtes et la partie
orientale de la Xumidie, la limite passant à l'ouest de Theveste,
Sicca-Veneria et Vacca*. De son côté, le roi abandonna à l'em-
pereur le reste de la Xumidie et les Maurétanies. Le traité fut
signé à Karthage en 442 -. Ainsi les Vandales s'emparaient du ter-
ritoire le plus riche, le mieux colonisé et le moins dévasté, et ils
rendaient aux Romains des pays ruinés, livrés à eux-mêmes, et où
1. Tebessa, le Kef et Badja.
2. V. de Vite, 1. I, ch. iv. Marcus, p. 166. Yanoski, p. 17.
PÉRIODE VANDALE (454)
147
ils n'avaient plus aucune action. En 445, Valentinien promulguait
une loi par laquelle il faisait remise aux habitants de la Numidie
et de la Maurétanie des sept huitièmes de leurs impôts. Cela
donne la mesure de la destruction de la richesse publique. Quelque
temps après, il prescrivait d'attribuer dans ces provinces des em-
plois aux fonctionnaires destitués par les Vandales.
Genséric divisa son empire en cinq provinces : la Byzacène, la
Numidie, l'Aharitane (territoire situé sur le haut Bagrada, à l'est
de Tebessa), la Gêtulie, comprenant le Djerid et les pays méri-
dionaux, et la Zeugitane ou Consulaire. Il fit raser les fortifications
de toutes les villes, à l'exception de Karthage, et se forma avec
l'aide des indigènes une armée de quatre-vingts cohortes. « Il par-
tagea les terres en trois lots. Les biens meubles et immeubles des
plus nobles et des plus riches, ainsi que leurs personnes, furent
attribués à ses deux fils Hunéric et Genson ^ Le deuxième, se
composant particulièrement des terres de la Byzacène et de la
Zeugitane, fut donné aux soldats, en leur imposant l'obligation du
service militaire. Enfin le troisième lot, le rebut, fut laissé aux
colons. » De sévères persécutions contre les catholiques ache-
vèrent de consommer la ruine d'un grand nombre de cités et de
colonies latines.
En même temps, Genséric donna une nouvelle impulsion à la
course, et les indigènes y prirent une part active. Le butin était
partagé entre le prince et les corsaires -, absolument comme nous
le verrons plus tard sous le gouvernement turc. Enfin il entretint
des relations d'alliance, quelquefois troublées il est vrai, avec les
Huns, les Vizigoths et autres barbares, qu'il s'efforçait d'exciter
contre l'empire.
Mort de Valentinien III. Pillage de Rome par Genséric. —
Genséric se préparait à retirer tout le fruit des attaques incessantes
des barbares, et l'occasion n'allait pas tarder à se présenter, pour
lui, d'exercer ses talents sur un autre théâtre. En 450, Théodose II
mourut et fut remplacé par Marcien ; quelques mois après (27 no-
vembre 450), Placidie cessait de vivre, et Valentinien III, débar-
rassé de sa tutelle, prenait en main un pouvoir pour lequel il
avait été si mal préparé par son éducation. Après avoir commis
de nombreuses folies, il tua, dans un acte de rage, Aétius son
dernier soutien (451) ; mais peu après il fut à son tour massacré
par les sicaires du sénateur Pétrone Maxime, qui avait à venger
1. Poulie, Maurétanie, p. 146, 147.
2. V. de Vite, 1. I, ch. viii.
148
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
son honneur: sa femme, objet des violences de Valentinien, s'était
donné la mort. Maxime prit ensuite la pourpre et contraignit Eu-
doxie, veuve de l'empereur, à devenir son épouse
Le roi des Vandales ne laissa pas échapper celte occasion, pa-
tiemment attendue, et il est inutile de savoir si, comme les auteurs
du temps l'affirment, il répondit à l'appel d Eudoxie. Après avoir
équipé de nombreux vaisseaux, il débarqua en Italie une armée
dans laquelle les Berbères avaient fourni un nombreux contingent.
A son approche, Maxime se disposait à fuir, lorsqu'il fut massacré
par ses troupes et par le peuple (12 juin 455).
Trois jours après, Genséric se présenta devant Rome et, bien
qu'il n'eût éprouvé aucune résistance, la ville éternelle demeura
livrée pendant quatorze jours à la fureur des ^'andales et des
Maures. Le vainqueur fit charger sur ses vaisseaux toutes les ri-
chesses enlevées aux monuments publics et aux habitations pri-
vées, et un grand nombre de prisonniers, membres des principales
familles, qui furent réduits à l'état d'esclaves. Le tout fut amené à
Karthage et partagé entre le prince et les soldats. Genséric eut no-
tamment pour sa part le trésor de Jérusalem qui avait été rapporté
de Rome par Titus. Il ramena en outre à Karthage Eudoxie et
ses deux filles, et donna l'une de celles-ci en mariage à son fils
Hunéric *.
Suite des guerres des Vandales. — La conquête de Rome avait
non seulement donné aux Vandales de grandes richesses, elle leur
avait acquis la souveraineté de toute l'Afrique. Il y a lieu de re-
marquer à cette occasion combien le roi barbare fut prudent en ne
restant pas en Italie, après sa victoire. Rentré dans sa capitale, il
compléta l'organisation de son empire et s'appliqua à entretenir
chez ses sujets le goût des courses sur mer, qui avaient ce double
résultat de tenir les guerriers en haleine et de remplir le trésor.
Les rivages baignés par la ^léditerranée furent alors en butte aux
incursions continuelles des corsaires vandales. Malte et les petites
îles voisines du littoral africain durent reconnaître leur autorité ;
ils occupèrent même une partie de la Corse. Mais Récimer, gé-
néral de l'empire d'Occident, ayant été chargé de purger la Médi-
terranée de ces corsaires, fit subir aux Vandales de sérieuses dé-
faites navales et les expulsa de la Corse.
En avril 457, l'empereur Majorien monta sur le trône. C'était un
homme actif et énergique, et les Vandales ne tardèrent pas à s'en
1. Procope, 1. I, ch. iv.
2. Ibid., 1. I, ch. V.
PÉRIODE VANDALE (476)
149
apercevoir, car il s'attacha à les combattre. Après leur avoir in-
fligé de sérieux échecs, il se crut assez fort pour leur arracher
l'Afrique. A cet effet, il réunit à Carthagène une flotte de trois
cents galères et dirigea sur cette ville une armée considérable des-
tinée à l'expédition (458).
A l'annonce de ces préparatifs, Genséric, qui avait en vain
essayé, par des propositions de paix, de conjurer l'orage, se crut
perdu. Pour retarder ou rendre impossible la marche de l'armée
romaine, il donna l'ordre de ravager les Maurétanies. Mais ces dé-
vastations étaient bien inutiles, et la trahison allait faire triompher
sans danger l'heureux chef des ^'^andales. Des divisions habilement
fomentées par ses émissaires dans le camp romain, amenèrent les
auxiliaires Goths à lui livrer la flotte qui fut entièrement détruite.
Majorien se vit forcé d'ajourner ses projets ; mais en 462 il périt
assassiné et, dès lors, Genséric put recommencer ses courses.
Il se rendit maître de la Corse et de la Sardaigne et poussa
même l'audace jusqu'à porter le ravage sur les côtes de la Grèce.
Pour venger cet affront, l'empereur d'Orient, qui se considérait
encore comme suzerain de l'Afrique, fit marcher par l'Egypte une
armée contre les Vandales, tandis qu'il envoyait d'autres forces
par mer sous le commandement de Basiliscus.
L'armée de terre, conduite par Héraclius, ayant traversé la Gy-
réna'i'que, tomba à l'improviste sur Tripoli et s'en empara, puis elle
marcha sur Karlhage. Pendant ce temps, Basiliscus avait expulsé
les Vandales de Sardaigne, puis était venu débarquer non loin de
Karthage. La situation de Genséric devenait critique, mais son
esprit était assez fertile en intrigues pour lui permettre encore de
se tirer de ce mauvais pas : profitant habilement des tergiversations
de ses ennemis, semant parmi eux la défiance, corrompant ceux
qu'il pouvait acheter, il parvint à annuler leurs efforts, et, les
ayant attaqués en détail, à les mettre en déroute. Basiliscus se
sauva avec quelques navires en Sicile, tandis qu'Héraclius gagnait
par terre l'Egypte ' (470).
Apogée de la puissance de Genséric ; sa mort. — Ainsi, tous les
efforts tentés pour abattre la puissance vandale n'amenaient d'autre
résultat que de l'affermir. Après ses récentes victoires, Genséric,
plus audacieux que jamais, avait de nouveau lancé ses corsaires
dans la Méditerranée et reconquis la Sardaigne et la Sicile. Allié
avec les Ostrogoths, il les poussait à attaquer l'empereur d'Orient,
ce qui forçait celui-ci à lui laisser le champ libre. Au mois
1. Procope, 1. I, ch. vi.
150
HISTOIRE DE i/aFRIQUE
d'août 476, il eut la satisfaction de voir la chute de l'empire d'Oc-
cident, qui tomba avec Romulus Augustule. Odoacre, roi des Hé-
rules, recueillit son héritage.
Cependant, soit que sentant sa fin prochaine, il voulût assurer à
ses enfants l'empire qu'il avait fondé, soit qu'il fût las de guerres
et de combats, Genséric signa des traités de paix perpétuelle avec
Zenon, empereur d'Orient, et avec Odoacre. Il céda même au roi
des Hérules une partie de la Sicile, à charge par celui-ci de lui
servir un tribut annuel. Ces souverains consacraient les succès de
Genséric en lui reconnaissant la souveraineté de l'Afrique et des
îles de la Méditerranée occidentale (476).
Peu de temps après, c'est-à-dire au mois de janvier 477, Gen-
séric mourut, dans toute sa gloire, après une longue vie qui
n'avait été qu'une suite non interrompue de succès. Ce prince est
une des grandes figures de l'histoire d'Afrique et, s'il est permis
de ne pas admirer la nature de son génie, on ne peut en mécon-
naître la puissance. Si nous nous en rapportons au portrait qui
nous a été laissé de lui par Jornandès', « Giseric était de taille
moyenne, et une chute de cheval l avait rendu boiteux. Profond
dans ses desseins, parlant peu, méprisant le luxe, colère à en
perdre la raison, avide de richesses, plein d'art et de prévoyance
pour solliciter les peuples, il était infatigable à semer les germes
de division ». Les historiens catholiques se sont plu à entasser les
accusations contre le roi des ^'andales, et il est certain qu'il ne fut
pas doux pour eux ; mais en faisant la part de la dureté des mœurs
de l'époque, il ne paraît pas que l'Afrique eût été malheureuse
sous son autorité. Après l'anarchie des périodes précédentes, c'était
presque le repos.
Les conséquences de la conquête vandale furent considérables
pour la colonisation latine qui reçut un coup dont elle ne se releva
pas ; mais sa ruine profita immédiatement à la population indigène ;
elle fit un pas énorme vers la reconstitution de sa nationalité, et si
une main comme celle de Genséric était capable de contenir les
Berbères en les maintenant au rôle de sujets, il était facile de pré-
voir qu'au premier acte de faiblesse ils se présenteraient en
maîtres ^.
RiiGNE DE HUNÉRIC. PERSECUTION CONTRE LES CaTHOLIQUES .
La succession du roi des Vandales échut à son fils Hunéric. Ce
prince n'avait aucune des qualités qui distinguaient son père, et
1. Histoire des Goths, ch. xxxiii.
2. Fournel, Berbers, p. 86.
PÉRIODE VANDALE (483]
151
l'on n'allait pas tarder à s'en apercevoir. A peine était-il monté
sur le trône que des difficultés s'élevèrent entre lui et la cour de
Byzance au sujet de diverses réclamations dont Genséric avait
toujours su ajourner l'examen. Hunéric céda sur tous les points,
car il voulait la paix, pour s'occuper des affaires religieuses et
surtout de l'intérêt de l'arianisme.
Il avait paru, d'abord, vouloir diminuer les rigueurs édictées
par son père contre les catholiques ; mais les persécutions aux-
quelles les Ariens étaient en butte dans d'autres contrées l'irri-
tèrent profondément et lui servirent de prétexte pour se lancer
dans la voie opposée. Il prescrivit des mesures d'une cruauté jus-
qu'alors inconnue ; quiconque persista dans la foi catholique fut
mis hors la loi, spolié, martyrisé; les femmes de la plus noble nais-
sance ne trouvèrent pas grâce devant lui : on les suspendait nues
et on les frappait de verges ou on les brûlait par tout le corps au
fer rouge. Les hommes étaient soumis à des mutilations horribles
et conduits ensuite au bûcher'. En 183, des évêques, prêtres et
diacres catholiques au nombre de quatre mille neuf cent soixante-
seize furent réunis à Sicca " et de là conduits au désert, dans le
pays des Maures, c'est-à-dire au trépas.
Révolte des Berbères. — • Le résultat d'une telle politique fut
une insurrection générale des Berbères. Des déserts de la Tripo-
litaine, de la frontière méridionale de la Byzacène, des montagnes
de l'Aourès et des hauts plateaux qui s'étendent de ce massif au
Djebel-Amour, les indigènes se précipitèrent sur les pays colo-
nisés. Ce fut une suite ininterrompue de courses et de razias.
Après quelques tentatives pour s'opposer à ce mouvement, Hu-
néric se convainquit de son impuissance. Tout le massif de l'Aourès
échappa dès lors à l'autorité vandale, et les tribus indépendantes
se donnèrent la main depuis cette montagne jusqu'au Djerdjera,
de sorte que l'empire vandale se trouva réduit aux régions litto-
rales de la Numidie et de la Proconsulaire et à quelques parties de
l'intérieur de ces provinces. Dressés à la guerre par Genséric, les
indigènes étaient devenus des adversaires redoutables et, du reste,
il ne manquait pas, parmi les colons ruinés ou les officiers persé-
cutés pour leur religion, de chefs habiles capables de les conduire.
Cruautés de Hunéric. — Mais Hunéric se préoccupait peu de
faire respecter les limites de son empire : le soin de satisfaire ses
1. Victor de Vite, 1. I, ch. xvii. Procope, 1. I, p. 8.
2. Le Kef.
152
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
passions sanguinaires l'absorbait uniquement et, après avoir per-
sécuté les catholiques, il persécutait ses proches et ses amis. Gen-
séric avait institué comme règle pour la succession au trône van-
dale, que le pouvoir appartiendrait toujours à l'homme le plus âgé
de la famille, au décès du prince régnant, même au détriment de
ses fils. Soit pour modifier les elTets de cette clause, soit par
crainte des compétitions, Hunéric s'attacha à diminuer le nombre
des membres de sa famille. La femme et le fils aîné de son frère
Théodoric, accusés d'un crime imaginaire, furent décapités par
son ordre. Un autre fils et deux filles de Théodoric furent livrés
aux bêtes. Ce n'était pas assez; Théodoric, lui-même, Genzon,
autre frère du roi, et un de ses neveux, furent exilés et maltraités
avec une dureté inouïe. Si les proches parents du prince étaient
traités de cette façon, on peut deviner comment il agissait envers
ses serviteurs ou ses officiers : pour un soupçon, pour un caprice,
il les faisait périr dans les tourments. Jocundus, évêque arien de
Karthage, ayant essayé de rappeler le roi à des sentiments d'hu-
manité fut, par son ordre, brûlé en présence de la population'.
Concile de Karthage. Mort de Hunéric. — Zénon, empereur
d'Orient, ayant adressé à Hunéric des représentations au sujet des
souffrances de la religion catholique, le roi convoqua, en 584, à
Karthage, un concile où tous les évêques orthodoxes, donatistes
et ariens de l'Afrique furent appelés. Il est inutile de dire qu'ils
ne purent s'entendre, et comme les Ariens étaient en majorité, les
catholiques furent condamnés. Flunéric, s'appuyant sur cette dé-
cision, rendit alors un édil longuement motivé, où la main des
prêtres se reconnaît, car il contient comme préambule une longue
controverse sur des questions de dogme et la condamnation offi-
cielle du principe de la consubstantialité du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. Comme sanction, il édicté de nouvelles mesures de
coercition contre les catholiques. Cet édit fut exécuté avec la plus
grande rigueur. Les églises catholiques furent remises aux prêtres
ariens.
Enfin, le 13 décembre 48i, le régime de terreur, qui durait de-
puis huit années, prit fin par la mort de Hunéric. Les écrivains
catholiques prétendent qu'il mourut rongé par les vers.
RÈGNE de Gondamond. — Gondamoud ou Gunthamund, fils de
Genzon, succéda à son oncle Hunéric, en vertu des règles posées
par Genséric. Il se trouva aussitôt aux prises avec les révoltes des
1. Yanoski, Vandales, p. 34.
PÉRIODE VANDALE (520)
153
Berbères et ne put empêcher les indigènes de recouvrer entiè-
rement leur indépendance sur toute la ligne des frontières du Sud
et de l'Ouest. Les Gétules s'avancèrent même jusqu'auprès de
Kapça'.
Après avoir continué, pendant quelque temps, les persécutions
contre les catholiques, Gondamond se départit de sa rigueur et
finit, vers 487, par les laisser entièrement libres. Les orthodoxes
rentrèrent d'exil et reprirent peu à peu possession de leurs biens et
de leurs églises. La lutte contre les Berbères absorbait presque
tout son temps et ses forces ; aussi, pour être tranquille du côté de
l'Europe, se décida-t-il à conclure avec Théodoric, souverain de
l'Italie, un traité par lequel il lui abandonna le reste de la Sicile.
Au mois de septembre 496, la mort termina brusquement sa
carrière.
Règne de Trasamond. — Après la mort de Gondamond, son
frère Trasamond hérita de la royauté vandale. Ce prince continua
l'œuvre d'apaisement commencée par son prédécesseur, et, bien
qu'il fût ennemi du catholicisme, il ne persécuta plus les sectateurs
de cette religion par la violence, et se borna à chercher à les en
détacher en offrant des avantages matériels à ceux qui étaient dis-
posés à entrer dans le giron de l'arianisme et en refusant tout em-
ploi aux autres. Mais il ne permit pas la réorganisation de l'église
orthodoxe et il exila en Sardaigne des évêques qui s'étaient permis
de faire des nominations.
Il resserra, dans le cours de son règne assez paisible, les liens
qui unissaient la cour vandale à celle des Ostrogoths, et leurs
bonnes relations furent scellées par son mariage avec Amalafrid,
propre sœur de Théodoric. Cela ne l'empêcha pas en 510 de
prêter son appui à Gesalic.
Cependant l'attitude des Berbères devenait de plus en plus me-
naçante : ce n'étaient plus des sujets rebelles, c'étaient des ennemis
de la domination vandale qu'il fallait combattre. Dans la Tripoli-
taine, la situation était devenue fort critique. Vers 520, un indi-
gène de cette contrée, nommé Gabaon, s'était mis à la tête des
Berbères et attaquait incessamment la frontière méridionale de la
Byzacène.
Trasamond fit marcher contre eux un corps de troupes composé
en grande partie de cavalerie, et la rencontre eut lieu en avant de
Tripoli ; mais Gabaon employa contre eux une stratégie dont nous
verrons les tribus arabes se servir fréquemment plus tard. Il cou-
1. Gafsa.
154
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
vrit son front, auquel il donna la forme d'un demi-cercle, d'une
décuple ran<^ée de chameaux et fit placer ses archers entre les
jambes de ces animaux, tandis que le gros de ses guerriers et ses
bagages étaient abrités au milieu de cette forteresse vivante.
Lorsque les Vandales voulurent charger l'ennemi, ils ne surent où
frapper, et leurs chevaux, effrayés par l'odeur des chameaux, por-
tèrent le désordre dans leurs propres lignes. Pendant ce temps,
les archers les criblaient de traits. Les guerriers de Gabaon, sor-
tant de leur retraite, achevèrent de mettre en déroute leurs en-
nemis. De toute l'armée vandale, il ne rentra à Karthage que
quelques fuyards isolés '.
En 523, Trasamond cessa de vivre. On dit que, sur le point de
mourir, il recommanda à son successeur Hildéric d'user de tolé-
rance envers les catholiques.
Règne de Hildéric. — Hildéric, fils d'Hunéric, succéda à Tra-
samond. Son premier soin fut de rendre aux catholiques les faveurs
du pouvoir et de s'attacher à les réconcilier avec les ariens. Dans
ce but, il convoqua, en 524, à Karthage, un nouveau concile ;
mais, comme dans les précédents, il fut impossible aux évêques
d'arriver à une entente, et la controverse à laquelle ils se livrèrent
démontra une fois de plus l'impossibilité d une réconciliation.
Amalafrid, veuve de Trasamond, était l'ennemie du roi ; avec
l'appui des Goths qui se trouvaient à la cour, elle tenta de sus-
citer une révolte qui fut promptement apaisée. Arrêtée, tandis
qu elle cherchait, avec ses adhérents, un refuge chez les Maures,
elle fut jetée en prison ; les Goths furent exécutés, et elle-même
périt quelque temps après de la main du bourreau. Il en résulta
une rupture avec les Ostrogoths d'Italie; mais ceux-ci étaient trop
occupés chez eux pour qu'on eût lieu de les craindre.
Hildéric se rapprocha alors de la cour d'Orient. Justinien, avec
lequel il s'était lié pendant son séjour à Constantinople, venait de
monter sur le trône. Il sollicita son appui et ne craignit pas de
faire envers lui hommage de vassalité. Pour lui prouver son zèle,
il voulut que ses propres monnaies portassent l'effigie de l'em-
pereur.
Révoltes des Berbères. Usurpation de Gélimer. — Hildéric,
doué d'un caractère timide, était ennemi de la guerre et laissait
d'une manière absolue la direction des.affaires militaires à son gé-
néral Oamer, appelé l'Achille vandale. Les indigènes de la Byza-
1. Procope, 1. I, ch. ix.
PERIODE VANDALE (531)
155
cène s'étant mis en état de révolte, Oamer marcha contre eux,
mais il fut défait en bataille rangée par ces Berbères commandés
parleur chef Antallas. Toute la Byzacène recouvra son indépen-
dance, et les villes du nord, menacées par les rebelles, durent im-
proviser des retranchements pour résister à leurs attaques immi-
nentes.
Cet échec acheva de porter à son comble le mécontentement
g-énéral, déjà provoqué par la protection accordée aux catholiques,
par la rupture avec les Ostrof^oths et par I hommage de soumission
fait à l'empire : Gélimer, petit-fils de Genzon, profitait de ces cir-
constances pour se créer un parti. Chargé de combattre les Maures,
il remporta sur eux quelques avantages qui augmentèrent son as-
cendant sur l'armée. Il saisit cette occasion pour faire proclamer
par les soldats la déchéance d'Hildéric et obtenir la royauté à sa
place. Ayant marché sur Karthage, il s'en empara. Hildéric fut
jeté en prison (531).
Lorsque Justinien apprit cette nouvelle, il était absorbé par sa
guerre contre les Perses et ne pouvait s'occuper efficacement de
porter secours à son ami et vassal. Il dut se contenter d'envoyer
une ambassade à Gélimer pour l'engagera restituer la liberté et le
trône au prince captif. Le seul résultat qu'obtinrent les envoyés
fut de rendre plus dure la captivité d'Hildéric. Puis, par une sorte
de bravade, Gélimer fit crever les yeux à Oamer.
L'empereur d'Orient écrivit alors à Gélimer une lettre dans la-
quelle il l'invitait à laisser Hildéric et ses parents se réfugier en
Orient, à sa cour, le menaçant d'intervenir par les armes, s'il re-
fusait de le faire. Gélimer lui répondit dans des termes hautains
que Procope nous a transmis : « Je ne dois point ma royauté à la
violence Hildéric complotait contre sa propre famille : c'est la
haine de tous les Vandales qui l'a renversé. Le trône était vacant;
je m'y suis assis en vertu de mon âge et de la loi de succession. »
Après cette déclaration, il ajoutait comme réponse aux menaces:
« Un prince agit sagement lorsque, livré tout entier à l'adminis-
tration de son royaume, il ne porte pas ses regards au dehors et
ne cherche pas à s'immiscer dans les affaires des autres états. Si
tu romps les traités qui nous unissent, j'opposerai la force à la
force ».
Cette fière déclaration allait avoir pour conséquence la chute de
la royauté vandale et la soumission de l'Afrique à de nouveaux
maîtres.
CHAPITRE XI
PÉRIODE BYZANTINE
53i-6'i2
Justinien prépare l'expédition d'Afrique. — Départ de l'expédition. Bélisaire
débarque à Caput-Vada. — Première pliase de la campagne. — Défaite des
Vandales conduits par Ammalas et Gibamond. — Succès de Bélisaire. Il
arrive à Karthage. — Bélisaire à Karthage. — Retour des Vandales de Sar-
daigne. Gélimer marche sur Karthage. — Bataille de Tricamara. — Fuite
de Gélimer. — Conquêtes de Bélisaire. — Gélimer se rend aux Grecs. —
Disparition des Vandales d'Afrique. — Organisation de l'Afrique byzan-
tine; état des Berbères. — Luttes de Salomon contre les Berbères. —
Révolte de Stozas. — Expéditions de Salomon. — Révolte des Levathes;
mort de Salomon. — Période, d'anarchie. — Jean Troglita gouverneur
d'Afrique; il rétablit la paix. — Etat de l'Afrique au milieu du vi» siècle.
— L'Afrique pendant la deuxième moitié du vi' siècle. — Derniers jours
de la domination byzantine. — Appendice: Chronologie des rois Vandales.
Justinien priîpare l'expédition d'Afrique. — Seul héritier de
l'empire romain, Justinien nourrissait l'ambition de le rétablir dans
son intégrité et d'arracher aux barbares leurs conquêtes de l'Occi-
dent. C'est pourquoi l'hommage d'Hildéric avait été accueilli à la
cour de Byzance avec la plus grande faveur: la chute du royaume
vandale, en livrant à l'empereur la belle et fertile Afrique, était
aussi une première étape vers la reconstitution de l'empire. La
nouvelle de l'usurpation de Gélimer, arrivant sur ces entrefaites,
émut Justinien « comme si on lui avait arraché une de ses pro-
vinces » ' . Renonçant à poursuivre la guerre dispendieuse qu'il sou-
tenait contre les Perses depuis cinq ans, il leur acheta la paix
moyennant un tribut évalué à onze millions de francs, et s'appliqua
à préparer l'expédition d'Afrique malgré l'opposition qu'il ren-
contra chez ses ministres, effrayés de la grandeur de l'entreprise.
On dit même qu'il fut un instant sur le point d'y renoncer et que
c'est la prédiction d'un évêque d'Orient, saint Sabas, lui promet-
tant le succès, qui le décida à réaliser son projet. Il apprit alors
qu'un Africain, du nom de Pudentius, venait de s'emparer de Tri-
poli et lui offrait d'entreprendre pour lui des conquêtes, s'il rece-
vait l'appui de quelques troupes. En même temps un certain
1. Yanoski, Vandales, p. 41.
PÉRIODE BYZANTINE (533)
157
Godas, chef goth, qui commandait en Sardaigne pour les Van-
dales, se mettait en état de révolte et offrait aussi son concours à
l'empire.
Tous ces symptômes indiquaient que le moment d'agir était
arrivé. Justinicn le comprit et organisa immédiatement l'expédition
dont le commandement fut confié à Bélisaire, habile général, jouis-
sant d'une grande autorité sur les troupes et d'une réelle influence
à la cour par sa femme Antonina, amie de l'impératrice. Des sol-
dats réguliers, des volontaires de divers pays, et même des bar-
bares, Hérules et Huns, accoururent avec enthousiasme au camp
du général, où bientôt une quinzaine de mille hommes, dont un
tiers de cavaliers, se trouvèrent réunis. On s'arrêta à ce chiffre,
jugeant, avec raison, qu'une petite armée solide et bien dirigée
était préférable à un grand rassemblement sans cohésion. Les offi-
ciers furent choisis avec soin par le général, parmi eux se trou-
vaient Jean l'Arménien, préfet du prétoire, et Salomon, dont les
noms reviendront sous notre plume; presque tous les autres offi-
ciers étaient originaires de la Thraee. Le patrice Archelaûs fut
adjoint à l'expédition comme questeur ou trésorier. Cinq cents
vaisseaux de toute grandeur furent rassemblés pour le transport
de l'expédition; vingt mille marins les montaient.
Départ de l'expédition. Bélisaire débarque a Caput-Vada. —
En 533, « vers le solstice d'été on donna l'ordre de l'embar-
quement et ce fut l'occasion d'une imposante cérémonie à laquelle
présida l'empereur. L'archevêque Epiphanius, en présence du
peuple et de l'armée bénit le vaisseau où s'embarqua Bélisaire,
accompagné de sa femme et de Procope, son secrétaire, qui nous
a retracé l'histoire si complète de cette expédition. L'immense
flotte se mit en route et voyagea lentement, troublée quelquefois
dans sa marche par la tempête, et faisant souvent escale dans les
ports situés sur son chemin, pour se remettre de ces secousses, ou
se ravitailler. Bélisaire montra dans ce voyage autant d'habileté
que de fermeté ; comme tous les hommes de guerre, il savait qu'il
n'y a pas d'armée sans discipline et réprimait avec la dernière
rigueur toute infraction aux règles, sans s'arrêter aux murmures
ou aux menaces des auxiliaires.
Enfin on atteignit le port de Zacinthe en Sicile, où l'armée, qui
soufi'rait cruellement de la mauvaise qualité des vivres et de l'eau,
put se refaire. Bélisaire manquait de nouvelles sur la situation et
les dispositions des Vandales et était fort incertain sur le choix du
1. Procope, Bell. Vand., lib. I, cap. xii.
158
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
point de débarquement. Il chargea Procope de se rendre à Syra-
cuse pour tâcher d'obtenir des renseignements et en même temps
passer un marché avec les Ostrogoths pour l'approvisionnement
delà flotte et de l'armée. L'envoyé fut assez heureux pour apprendre
d'une manière sûre que les Vandales, ne s'attendant nullement à
une attaque de l'empire, avaient envoyé presque toutes leurs forces
en Sardaigne à l'effet de réduire Godas. Quant à Gélimer, il s'était
retiré à Hermione, ville de la Byzacène, et ne songeait nullement
à défendre Karthage.
Ainsi renseigné, Bélisaire donna l'ordre de mettre à la voile en
se dirigeant à l'ouest de Malte. Parvenue à la hauteur de cette île,
la flotte fut poussée par le vent vers la côte d'Afrique, en face du
sommet du golfe de Gabès ; elle était partie depuis trois mois.
Avant de procéder au débarquement, le général en chef fit mettre
en panne et convoqua un conseil de guerre des principaux officiers
à son bord. Archélaûs, effrayé de l'éloignement de la localité et du
manque de ports pour abriter les navires, voulait que l'on remît à
la voile et qu'on allùt directement à Karthage. ÎNIais Bélisaire
n'était pas de cet avis ; il redoutait la rencontre de la flotte van-
dale, et craignait que son armée ne perdît ses avantages dans un
combat naval. Son opinion ayant prévalu, il ordonna aussitôt le
débarquement, qui s'opéra sans encombre au lieu dit Caput-Vada
Des soldats furent laissés à la garde des navires qui furent en outre
disposés dans un ordre permettant la résistance à une attaque de
l'ennemi. A terre, le général s'attacha à couvrir son camp de
retranchements et à se garder soigneusement par des avant-postes;
toute tentative de pillage ou de maraudage fut sévèrement répri-
mée. Cette prudence, cette observation constante des règles de la
guerre, allaient assurer le succès de l'expédition.
Première phase de la campagne. — Cependant Gélimer, toujours
à Hermione, ignorait encore le danger qui le menaçait. Les nou-
velles données par Procope étaient exactes. Après la double perte
de la Tripolitaine et de la Sardaigne, le prince vandale, remettant
à plus tard le soin de faire rentrer sous son autorité la province
orientale, réunit cinq mille soldats et les envoya en Sardaigne
sous le commandement de son frère Tzazon, un des meilleurs offi-
ciers vandales. Une flotte de cent vingt vaisseaux les conduisit
dans cette île, et aussitôt les opérations commencèrent contre
Godas.
Le roi vandale suivait attentivement les phases de l'expédition
1. Actuellement Capoudia.
PÉRIODE BYZANTINE (533)
159
de Sicile, lorsqu'il apprit enfin le débarquement de l'armée byzan-
tine en Afrique, et sa marche sur ses derrières. Bélisaire, en effet,
après s'être emparé sans coup férir de la petite place de Sylectum ',
avait marché, dans un bel ordre, vers le nord, accompagné au
large par la flotte, et avait pris successivement possession de Leptis
parva et d'Hadrumète -, accueilli comme un libérateur par les
populations. Il paraît même que les Berbères de la Numidie et de
la Maurétanie lui envoyèrent des députations, offrant leur sou-
mission à l'empereur et donnant comme otages les enfants de leurs
chefs. En même temps, le général byzantin adressait aux princi-
pales familles vandales un manifeste de Justinien protestant qu'il
ne faisait pas la guerre à leur nation, mais qu'il combattait seule-
ment l'usurpateur Gélimer.
Bientôt l'on apprit que l'armée envahissante n'était plus qu'à
quatre journées de Karthage. Gélimer écrivit à son frère Ammatas,
resté dans cette ville, en lui donnant l'ordre de mettre à mort
Hildéric et ses partisans, et d'appeler aux armes tous les hommes
valides. Oamer était mort. Hildéric fut massacré avec tous les
gens soupçonnés d'être ses amis. Puis Ammatas conduisit ses
troupes en avant de Karthage, dans les gorges de Décimum, à une
quinzaine de kilomètres de cette ville. Gélimer, qui opérait sur son
tlanc avec une autre armée, devait tenter de tourner l'ennemi,
tandis que Gibamund, neveu du roi, avait pour mission d'attaquer
le flanc gauche des envahisseurs à la tête de deux mille Vandales.
Ce plan était assez bien combiné et aurait pu avoir des suites
fâcheuses pour l'armée de Bélisaire, si l'on avait su le réaliser.
Défaites des Vandales conduits par Ammatas et Gibamund. —
Ammatas avait donné à ses troupes l'ordre du départ, mais,
comme il était d'un caractère ardent et téméraire, il se porta à
l'avant-garde et hâta la marche de la tête de colonne, sans s'in-
quiéter s'il était suivi par le reste de l'armée. Il arriva vers midi à
Décimum, à la tête de peu de monde et y rencontra l'avant-garde
des Byzantins, commandée par Jean l'Arménien. Aussitôt, on en
vint aux mains : malgré le courage d'Ammatas, qui combattit
comme un lion et tomba percé de coups, les Vandales ne tardèrent
pas à tourner le dos. Jean les poursuivit l'épée dans les reins et
rencontra bientôt le reste des soldats, qui arrivaient par groupes
isolés. II en fit un grand carnage et s'avança jusqu'aux portes
de Karthage.
1. Selecta, au nord du golfe de Gabès.
2. Lemt.a et Souça.
160
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Pendant ce temps, Gibamund s'approchait avec ses deux mille
hommes pour attaquer le flanc gauche, lorsqu'il rencontra, dans la
plaine qui avoisine la Saline (Sebkha de Soukkara), le corps des
Huns envoyé en reconnaissance. A la vue de ces farouches guer-
riers, les Vandales sentirent leur courage faiblir; ils rompirent
leurs rangs et furent bientôt en déroute, en laissant la plupart des
leurs sur le champ de bataille.
Succès de Bélisaire. Il arrive a Kartiiage. — Bélisaire, igno-
rant le double succès de son avant-garde et de ses flanqueurs,
s'arrêta en arrière de Décimum et plaça son camp dans une posi-
tion avantageuse où il se fortifia. Le lendemain, laissant dans le
camp son infanterie, ses impedimenta et sa femme Antonina, il se
mit à la tête d'une forte colonne de cavalerie et alla pousser une
reconnaissance sur Décimum. Les cadavres des Vandales lui firent
deviner la victoire de son avant-garde et les informations qu'il
prit sur place confirmèrent cette présomption, mais il ne put avoir
aucune nouvelle précise de Jean l'Arménien.
Au même moment Gélimer débouchait dans la plaine où il espé-
rait retrouver son frère. 11 était à la tête d'un corps nombreux de
cavalerie. Ayant rencontré les coureurs de Bélisaire, disséminés
par petits groupes, il les attaqua avec vigueur et les mit en déroute.
Puis, parvenu à Décimum, il trouva, lui aussi, les preuves de la
défaite de son frère et le corps de celui-ci. Rempli de douleur, ne
sachant ce qui se passait à Karthage, il demeura dans l'inaction, au
lieu de compléter son succès en écrasant les ennemis peu nom-
breux qu'il avait devant lui et qui étaient démoralisés par leur
premier échec.
Tandis que Gélimer s'occupait des fénérailles de son frère, le
général byzantin, voyant le grand danger auquel il était exposé,
ralliait ses fuyards, relevait leur courage en leur annonçant les
succès déjà remportés sur lesquels il était enfin renseigné, et, ten-
tant un eifort désespéré, les entraînait dans une charge furieuse
contre les Vandales. Gélimer, surpris par cette attaque imprévue,
n'eut pas le temps de former ses lignes et vit bientôt toute son
armée en déroute. Il alla se réfugier à Bulla. Le lendemain, toute
l'armée byzantine campa à Décimum, y compris l'avant-garde et le
corps des Huns. Le manque de décision de Gélimer avait consommé
sa perte au moment où il tenait la victoire'. Bélisaire marcha
aussitôt sur Karthage.
1. M. Marcus {Hist. des Vandales, p. 378), cherche à excuser Gélimer
de la graude faute par lui commise eu laissant à Bélisaire le temps de
PÉRIODE BYZANTINE (533)
161
Bélisaire a Kartiiage. — L'arrivée des fuyards de Décimum
avait apporté à Karthage la nouvelle des succès de l'armée d'Orient.
Aussitôt le vieux parti romain avait relevé la tête et, aidé des
ennemis de Gélimer, s'était emparé du pouvoir en forçant à la
fuite les adhérents de l'usurpateur. Sur ces entrefaites la flotte
grecque, doublant le cap de Mercure, parut au large. Le questeur
Archélaûs, ignorant les succès du général et les dispositions bien-
veillantes de la population de Karthage, fit entrer tous ses navires
dans le golfe de Tunis. Un seul vaisseau, commandé par Calonyme,
s'écarta, au mépris des ordres donnés, du gros de la flotte, et alla
se présenter devant le Mandracium, premier port de Karthage,
qu'il trouva ouvert. Le capitaine y ayant pénéti'é mit ses hommes
à terre et employa toute la nuit au pillage des marchands, étrangers
pour la plupart, établis aux alentours du port.
Le lendemain, Bélisaire, averti de l'arrivée de sa flotte, entra
dans Karthage sans rencontrer de résistance et, ayant traversé la
ville, monta sur la colline de Byrsa où se trouvait le palais royal.
« Comme représentant de JusLinien, il s'assit sur le trône de Gé-
limer* » et prononça sa déchéance. Fidèle au principe suivi dans
cette remarquable campagne, Bélisaire veilla avec le plus grand
soin à ce qu'aucun pillage ne fût commis, et il fit restituer aux
marchands ce qui leur avait été pris par Calonyme et ses hommes
(septembre 533). Un grand nombre de Vandales avaient cherché
un refuge dans les églises. Le général leur permit de sortir sans être
inquiétés ; puis il s'appliqua à relever les fortifications de Kar-
thage, qui étaient fort délabrées et à mettre cette ville en état
de défense.
Bien que les Vandales tinssent encore la campagne et qu'il y
eût lieu de craindre le retour de Tzazon avec l'armée de Sardaigne,
on pouvait, dès lors, considérer le succès de l'expédition comme
assuré. La province d'Afrique rentrait dans le giron de l'empire
et sa belle capitale allait refleurir sous la protection de Justinien,
dont elle devait prendre le nom. Les églises catholiques que les
Ariens occupaient rentrèrent aussitôt en la possession des ortho-
doxes, qui célébrèrent avec éclat les victoires de Bélisaire « si
manifestement secondé par la protection divine. » Les chefs indi-
gènes qui, nous l'avons vu, avaient d'abord envoyé leur hommage
rallier ses fuyards, au lieu de l'écraser et de rentrer ensuite à Karthage.
Il estime que le roi vandale était trop peu sûr de la population de cette
ville pour venir ainsi se mettre à sa discrétion ; et cependant il était cer-
tain qu'en l'abandonnant, il la livrait à ses ennemis.
1. Yauoski, Vandales, p. 56.
T. I, 11
162
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
au représentant de l'empereur, s'étaient ensuite tenus dans l'expec-
tative afin de ne pas se compromettre. Après l'entrée de Bélisaire
à Karthage, ils ouvrirent auprès de lui de nouvelles négociations,
à l'effet d'obtenir une investiture officielle. Le général accueillit
avec faveur ces ouvertures et envoya pour chacun d'eux : « une ba-
guette d'argent doré, un bonnet d'argent en forme de couronne,
un manteau blanc qu'une agrafe d'or attachait sur l'épaule droite,
une tunique qui, sur un fond blanc, offrait des dessins variés, et des
chaussures travaillées avec un tissu d'or. Il joignit à ces orne-
ments de grosses sommes d'argent'. »
Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur
Karthage. — Cependant Gélimer ne restait pas inactif, bien qu'il
continuât à se tenir à dislance. Il reformait son armée et encou-
rageait les pillards indigènes à harceler sans cesse les environs de
Karthage ; il alla même jusqu'à leur payer chaque tète de soldat
grec qui lui serait apportée.
En même temps, il adressait à son frère Tzazon une lettre pres-
sante, dans laquelle il lui rendait compte des événements survenus
en Afrique et l'invitait à revenir au plus vite. Ce général, avec ses
cinq mille guerriers choisis, avait obtenu de brillants succès en
Sardaigne, vaincu et mis à mort Godas et replacé l île sous l auto-
rité vandale. Il avait bien entendu dire qu'une flotte grecque avait
tenté une expédition en Afrique, mais il était persuadé que cette
attaque avait été facilement repoussée. Aussi avait-il envoyé à
Karthage même, au « roi des Vandales et des Alains », un député
chargé de rendre compte de ses victoires, et c est Bélisaire qui
avait reçu sa lettre !
Sans se laisser abattre par la nouvelle des prodigieux événe-
ments qui avaient mis Karthage aux mains des Grecs, ni rien
cacher à ses soldats, Tzazon fit embarquer aussitôt son armée et
vint prendre terre sur un point de la côte « où se rencontrent les
frontières de la Numidie et de la Maurétanie * », puis il se porta
rapidement sur BuUa, où les deux frères opérèrent leur jonction.
Les forces vandales, grâce à ce renfort, devenaient respectables.
Peu après Gélimer fit un mouvement en avant, coupa l'aqueduc
de Karthage et opéra diverses reconnaissances offensives dans le
but d'attirer Bélisaire sur un terrain choisi. En même temps, il
chercha à fomenter des trahisons à Tunis et entra en pourparlers
avec les Huns, afin de les détacher de leurs alliés.
1. Yanoski, Vandales, p. 62.
2. Saus doute entre Djidjeli et Collo.
PÉRIODE BYZANTINE (533)
163
Mais Bélisaire élait au courant de tout, et ne se laissait pas
prendre aux feintes des Vandales. Il tâcha de ramener à lui les
Huns, mais ne put obtenir d'eux que la promesse de rester neutres.
B.\TAiLLE DE Tricamara. — Vcrs le milieu de décembre, Béli-
saire se décida à marcher à l'ennemi. Les deux armées se trouvèrent
en présence au lieu dit Tricamara, à environ sept lieues de Karthage,
et prirent position, chacune sur une des rives d'un petit ruisseau.
Bélisaire plaça au centre de son front Jean l'Arménien avec les
cavaliers d'élite et le drapeau. Les Huns se tenaient à l'écai't, afin
de voir quelle tournure allait prendre la bataille, pour se joindre
au vainqueur. Les Vandales, de leur côté, présentaient un fi'ont
au centre duquel étaient le roi, Tzazon et les soldats d'élite. En
arrière se tenait un corps de cavaliers maures dans les mêmes dis-
positions que les Huns. Les femmes, les impedimenta et toutes les
richesses avaient été laissées dans le camp par les Vandales.
Les ennemis s'observèrent pendant un certain temps; puis Jean
l'Arménien entama l'action en faisant passer le ruisseau à sa divi-
sion : deux fois il fut contraint à la retraite, mais ayant enflammé
le courage de ses troupes, il les ramena à l'assaut une troisième
fois et on lutta de part et d'autre avec le plus grand courage, jus-
qu'au moment où, Tzazon ayant été tué, les Vandales commen-
cèrent à faiblir. Bélisaire saisit avec habileté cet avantage pour
faire donner sa cavalerie. Alors les ailes se replièrent en désordre;
ce que voyant, les Huns chargèrent à leur tour et déterminèrent
la retraite de l'armée vandale, qui se réfugia dans son camp, en
laissant huit cents cadavres sur le terrain.
Sur ces entrefaites, comme l'infanterie grecque était arrivée,
Bélisaire donna l'ordre de marcher sur le camp vandale. Gélimer
occupant une position fortifiée et ayant encore un grand nombre
d'adhérents était en état de résister. Mais les malheurs qu'il venait
d'éprouver l'avaient complètement démoralisé, car son âme n'était
pas de la trempe de celles dont l'énergie esi doublée par les revers;
à l'approche de l'ennemi, il abandonna lâchement ses adhérents et
s'enfuit à cheval, comme un malfaiteur, suivi à peine de quelques
serviteurs dévoués. Lorsque cette nouvelle fut connue dans son
camp, ce fut une explosion d'imprécations et de cris de désespoir;
les femmes, les enfants se répandirent en tous sens en pleurant, et
bientôt chacun chercha son salut dans la fuite, sans s'occuper de
son voisin.
L'armée grecque, survenant alors, s'empara, sans coup férir, du
camp et fit un massacre horrible des fuyards. Les vainqueurs se
portèrent aux plus grands excès que Bélisaire ne put absolument
164
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
empêcher (15 décembre 533). Le camp vandale renfermait un butin
considérable: c'était le produit de cinquante années de pillage.
L'armée victorieuse resta débandée toute la nuit et ce ne fut qu'au
jour que le général put commencer à rallier ses soldats. Si un
homme courageux, réunissant les Vandales, avait tenté un retour
offensif, c'en était fait de l'armée de l'empire.
Fuite de Gélimer. — Quand Bélisaire fut parvenu à calmer
l'effervescence de ses troupes, il montra une grande bienveillance
aux vaincus, et empêcha qu'on n'exerçât des représailles inutiles.
Jean l'Arménien avait été lancé, à la têle d'une troupe de deux
cents cavaliers, à la poursuite de Gélimer. Pendant cinq jours il
suivit ses traces et était sur le point de l'atteindre, lorsqu'un évé-
nement imprévu permit au roi détrôné d'échapper à ses ennemis.
Un officier grec du nom d'Uliaris, qui, pendant la station à l'étape,
avait trouvé le loisir de s'enivrer, voulut, au moment de partir,
tirer une flèche sur un oiseau ; mais le projectile, mal dirigé, alla
frapper à la tête Jean l'Arménien et causa sa mort. La poursuite
fut suspendue. Les cavaliers, qui aimaient beaucoup leur chef, s'ar-
rêtèrent pour lui rendre les devoirs funéraires et firent porter la
triste nouvelle au général en chef. Bélisaire arriva bientôt et
témoigna, au nom de l'armée, les plus vifs regrets de la perte de
son lieutenant. Il voulait faire périr Uliaris, mais les cavaliers
l'assurèrent que les dernières paroles de Jean avaient été pour
implorer le pardon de son meurtrier, et il se décida à lui accorder
sa grâce.
Conquêtes de Bélisaire. — Le roi s'était réfugié dans le mont
Pappua, montagne escarpée, située sur les confins de la Numidie
et de la Maurétanie'. Il avait obtenu l'appui des indigènes de
cette contrée qui lui avaient ouvert leur ville principale, nommée
Midènos. Bélisaire renonça pour le moment à le poursuivre. 11
marcha sur Hippône et s'empara de cette ville. Un grand nombre
de Vandales s'y trouvaient et, pour échapper au trépas qu'ils
redoutaient, s'étaient réfugiés dans les églises. Bélisaire les
1. La situation du Pappua a donné lieu à de nombreuses controverses,
La commission de l'Académie avait d'abord identifié cette montagne à
l'Edough, près de Bône. Berbrugger (Rev. afr. , vol. 6, p. 475), puis
M. Papier {Recueil de la Soc. arch. de Conslanline, 1879-80, pp. 83 et
suiv.), ont démontré l'impossibilité de cette synonymie. Il est plus diffi-
cile de dire où était réellement le Pappua. ftL Papier, se fondant sur une
inscription, penche pour le Nador; mais, en vérité, nous ne sommes pas
là sur les confins de la Numidie et de la Maurétanie.
PÉRIODE BYZANTINE (534)
165
fit conduire à Karthage où ils furent réunis aux autres prison-
niers. Au moment où les affaires semblaient prendre une mau-
vaise tournure pour lui, Gélimer avait envoyé à Hippône tous
ses trésors, en les confiant à un serviteur fidèle du nom de Boni-
face. Celui-ci voulut les soustraire au vainqueur enfuyant sur mer,
mais les vents contraires le rejetèrent à Hippone et tout ce qu'il
portait devint la proie des Grecs.
Après ces succès, Bélisaire, rentré à Karthage, envoya par mer
des officiers prendre possession de Césarée et de Ceula, points
importants sous le double rapport politique et commercial. Un
autre s'empara des Baléares ; enfin des secours furent envoyés à
Pudentius qui, à Tripoli, était pressé par les indigènes en révolte.
Une forte division alla, sous les ordres de Cyrille, reconquérir la
Sardaigne. Enfin une autre expédition partit pour la Sicile, afin
de revendiquer par les armes la partie de cette île qui avait appar-
tenu aux Vandales ; mais les Goths la repoussèrent et ne lais-
sèrent pas entamer le domaine d'Atalaric.
Gélimer se rend aux Grecs. — Bélisaire ayant appris le lieu où
s'était réfugié Gélimer, de la bouche de son serviteur Boniface,
envoya pour le réduire un Hérule, du nom de Fara, avec une
troupe de cavaliers de sa nation. Après avoir en vain essayé d'en-
lever Midènos de vive force, Fara dut se borner à entourer cette
ville d'un blocus rigoureux. Gélimer, qui avait avec lui quelques
membres de sa famille et ses derniers adhérents fidèles, manquait
de tout et ne pouvait se faire à la dure vie des indigènes dans un
pays élevé, où le froid se faisait cruellement sentir. Néanmoins, il
résista durant trois mois à toutes les privations, et ce ne fut qu'à
la fin de l'hiver qu'il se décida à se rendre, à la condition que
Bélisaire lui garantît la vie sauve.
Cette proposition, transmise par Fara au général, fut accueillie
avec empressement. Bélisaire dépêcha à Midènos des officiers char-
gés de lui donner sa promesse et de le ramener sain et sauf.
Gélimer fut reçu à l'entrée de Karthage par son vainqueur (534).
Peu après, Bélisaire s'embarquait pour Byzance, afin de remettre
lui-même son prisonnier à l'empereur. Son but était non seulement
de recevoir des honneurs bien mérités, mais encore de se justifier
des accusations que les envieux avaient produites contre lui. En
quittant l'Afrique, il laissa le commandement suprême à Salomon
avec une partie de ses vétérans.
Justinien, plein de reconnaissance pour celui qui avait rendu
l'Afrique à l'empire, lui décerna le triomphe, honneur qui n'avait
été donné à aucun général depuis cinq siècles. Gélimer, revêtu
166
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
d'un manteau de pourpre, fut placé dans le cortège et dut, arrivé
devant l'empereur, se dépouiller de cet insigne, se prosterner et
adorer son maître. Bélisaire reçut le titre de consul. Quant à
Gélimer, on lui assigna un riche domaine en Galatie, dans l'Asie
^lineure, et le dernier roi vandale y finit tranquillement et obscu-
rément sa vie.
Disparition des Vandales d'Afrique. — En moins de six mois
l'Afrique avait cessé d'être vandale, ce qui prouve combien peu
de racines cette occupation avait poussées dans le pays. Après la
brillante conquête qui leur avait livré la Berbérie, les Vandales
s'étaient concentrés dans le nord de l'Afrique propre et de là
s'étaient lancés dans des courses aventureuses qui les avaient con-
duits en Italie et dans toutes les îles de la Méditerranée. Ainsi,
malgré le partage des terres qu ils avaient opéré, ils n avaient pas
fait, en réalité, de colonisation. Ils s'étaient prodigués dans des
guerres qui n'avaient d'autre but que le pillage et, tandis qu'ils
augmentaient leui's richesses et leur puissance d'un jour, ils dimi-
nuaient, en réalité, leur force comme nation. Aucune assimilation
ne s'était faite entre eux et les colons romains ; quant aux indi-
gènes, ils continuaient à se reformer et l'on peut dire qu'il n'y
avait plus rien de commun entre eux et les étrangers établis sur
leur sol.
Cela explique comment, après une occupation qui avait duré un
siècle, l'élément vandale disparut subitement de l'Afrique. Un
assez grand nombre de guerriers étaient morts dans la dernière
guerre ; d'autres avaient été emmenés comme prisonniers en Orient
par Bélisaire et entrèrent au service de l'empire Or, les Vandales
étaient essentiellement un peuple militaire et ainsi l'élément
actif se trouva absorbé, car, nous le répétons, il s'était trop pro-
digué pour avoir augmenté en nombre, quoi qu'en aient dit cer-
tains auteurs. Quant au reste de la nation, une partie demeura en
Afrique et se fondit bientôt dans la population coloniale ou s'unit
aux Byzantins, tandis que les autres, émigrant isolément, allèrent
chercher un asile ailleurs.
Les Vandales d'Afrique ne laissèrent d'autre souvenir dans le
pays que celui de leurs dévastations. Cela démontre une fois de
plus combien est fragile une conquête qui ne se complète pas par
une forte colonisation et se borne à une simple occupation,
quelque solide qu'elle paraisse.
•
1. Gibbon, Hist, de la décadence de Vempire romain, ch. 41.
l'ÉltlODE BYZANTINE (535)
167
Organisation de l'Afrique Byzantine. Etat des Berbères. —
Salomon', premier gouverneur de l'Afrique, avait reçu la lourde
charge d'achever la conquête et d'organiser l'administration du
pays. Par l'ordre de l'empereur on forma sept provinces : la Con-
sulaire, la Bjzacène, la Tripolitaine, la Tingitane gouvernées par
des consuls, et la Numidie, la Maurétanie et laSardaigne comman-
dées par des prseses. Mais cette organisation était plus théorique
que réelle. Sur bien des points le pays restait absolument livré à
lui-même. Ainsi, dans la Tingitane et même dans la plus grande
partie de la Césarienne, l'occupation se réduisait à quelques points
du littoral. Des garnisons furent envoyées dans l'intérieur de la
Numidie. Elles trouvèrent les villes en ruines et s'appliquèrent à
élever des retranchements, au moyen des pierres éparses prove-
nant des anciens édifices-. Quelques colons se hasardèrent à la
suite des soldats. « Que nos officiers s'efforcent avant tout de pré-
server nos sujets des incursions de l'ennemi et d'étendre nos pro-
vinces jusqu'au point où la république romaine, avant les invasions
des Maures et des Vandales, avait fixé ses frontières » telles
étaient les instructions données par l'empereur'.
En même temps, la religion catholique fut rétablie dans tous
ses privilèges ; par un édit de 535 les Ariens furent mis hors la loi,
dépouillés de leurs biens et exclus de toute fonction. La pratique
de leur culte fut sévèi'ement interdite. Les Donatistes et autres
dissidents et les Juifs furent également l'objet de mesures de pros-
cription. C'était encore semer des germes de mécontentement et
de haine qui ne devaient pas contribuer à asseoir solidement l'au-
torité byzantine.
Justinien voulait rendre aux provinces d'Afriq^ue leurs anciennes
limites; mais la situation du pays était profondément modifiée et,
si les Vandales avaient disparu, il restait la population berbère
qui avait reconquis peu à peu une partie des territoires abandon-
nés par les colons, à la suite de longs siècles de guerres et d'anar-
chie, et qui, réunie maintenant en corps de nation, n'était nullement
disposée à laisser la colonisation reprendre son domaine. Bien au
contraire, l'élément indigène se resserrait de toute part, autour
de l'occupation étrangère.
1. Sur les inscriptions d'Afrique où le nom de ce général est cité, il
est toujours écrit Solomou. Nous adoptons l'ortliographe des historiens
byzantins.
2. Poulie, Ruines de Becliilga {Revue africaine, n" 27, p. 199).
3. Voir, dans Y Afrique ancienne de D'Avezac, le texte curieux des deux
rescrits adressés, le 13 avril 534, par l'empereur àArchélaiis pour l'or-
gauisatiou militaire et administrative de l'Afrique.
168
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Les Berbères, groupés par confédérations de tribus, avaient main-
tenant des rois prêts à les conduire au combat et au pillage. Anfalas
était chef des Maures de la Byzacène. Yahdas était roi indépendant
du massif de l'Aourès, ayant à l'est Cutzinas et à l'ouest Orlhaïas,
dont l'autorité s'étendait jusqu'au Hodna. Enfin les tribus de la
Maurétanie obéissaient à Massinas. Voilà les chefs de la nation
indigène contre lesquels les troupes de l'empereur allaient avoir à
lutter.
Cette reconstitution de la nationalité berbère a été très bien
caractérisée par M. Lacroix auteur que nous ne saurions trop citer:
« Les Bomains, dit-il, ce peuple si puissant, si habile, si formi-
dable par sa civilisation et sa force conquérante ne s'étaient jamais
assimilé les indigènes, dans le sens qu'on attache à ce mot. Le
Berbère des villes, des plaines et des vallées voisines des centres
de population, fut absorbé par les conquérants, cela va sans dire;
mais l'indigène du Sahara et des montagnes ne fut jamais pénétré
par l'influence romaine. Après sept siècles de domination italienne,
je retrouve la race autochtone ce qu'elle était avant l'occupa-
tion. Les insurgés qui, au vi'^ siècle, se firent châtier par Salomon
et Jean, dans l'Aurès, dans l'Edough et dans la Byzacène, étaient
les mêmes hommes qui combattaient six cents ans auparavant sous
la bannière de Jugurtlia. Mêmes mœurs, mêmes usages, même haine
de l'étranger, même amour de l'indépendance, même manière de
combattre Cette population était restée intacte, imperméable
à toute action extérieure Le nombre immense des insurgés
qui tinrent en échec la puissance de Justinien, après l'expulsion
des Vandales, et l'impossibilité, pour les Bomains, de rétablir leur
autorité dans les parties occidentales de leurs anciennes posses-
sions, prouvent clairement que ce fut, non point une faible partie,
mais la grande masse des indigènes qui resta impénétrable'. »
Luttes de Salomon contre les Berbères. — Ce fut la Byzacène
qui donna le signal delà révolte. Deux officiers grecs Bufin et Aigan
furent envoyés contre les rebelles. Ils avaient obtenu quelques
succès partiels, lorsqu'ils se virent entourés par des masses de
guerriers berbères commandés par Cutzinas. Les Byzantins se
mirent en retraite jusque sur un massif rocheux, d'où ils se défen-
dirent avec la plus grande opiniâtreté; mais leurs flèches étant
épuisées, ils finirent par être tous massacrés.
Salomon, ayant reçu des renforts, marcha en personne contre les
1. Bévue africaine, no 72 et suiv. Voilà des euseiguements qui ne
doivent pas être perdus pour nous, conquérants du xix« siècle.
PÉRIODE BYZANTINE (536)
169
rebelles et leur infligea une sanglante défaite, dans la plaine de
Mamma (535), où les indigènes l'avaient attendu derrière leurs
chameaux, fortei'esse vivante de douze rangs d'épaisseur. Il fit un
butin considérable et croyait avoir triomphé de la révolte; mais
à peine était-il rentré à Karthage qu'il apprenait que les Berbères
avaient de nouveau envahi et pillé la Byzacène. C'était une cam-
pagne à recommencer. Cette fois le gouverneur s'avança vers le sud
jusqu'à une montagne appelée par Procope le mont Burgaon*, où
les ennemis s'étaient retranchés, et obtint sur eux un nouveau
et décisif succès, dans lequel il fut fait un grand carnage de
Maures'.
Pendant ce temps, Yabdas, roi de l'Aourès, allié à Massinas,
portait le ravage dans la Numidie. L'histoire rapporte que Yabdas,
revenant d'une razia et poussant devant lui un butin considérable ,
s'arrêta devant la petite place de Ticisi^, où s'était porté un officier
byzantin du nom d'Athias, qui commandait le poste de Centuria,
à la tête de soixante-dix cavaliers huns, pour lui disputer l'accès
de l'eau. Yabdas lui offrit, dit-on, le tiers de son butin ; mais
Athias refusa et proposa au roi berbère un combat singulier qui
fut accepté et eut lieu en présence des troupes. Yabdas vaincu
abandonna tout son butin et regagna ses montagnes*.
Après la défaite du mont Burgaon, les fuyards et les tribus com-
promises vinrent chercher asile auprès d'Yabdas, et lui offrirent
leurs services. Vers le même temps, Orthaias, qui avait à se plaindre
du roi de l'Aourès, et d'autres chefs indigènes mécontents offraient
à Salomon leur appui contre Yabdas, et lui proposaient de le guider
dans l'expédition qu'il préparait. Le général byzantin s'avança
jusque sur l'Abigas " et ayant pénétré dans les montagnes parvint
jusqu'au mont Aspidis", sans rencontrer l'ennemi qui s'était
retranché au cœur du pays. Manquant de vivres et voyant l'hiver
approcher, Salomon n'osa pas s'engager davantage et rentra à
Karthage sans avoir obtenu le moindre succès.
Révolte de Stozas. — Au printemps de l'année 536, Salomon
préparait une grande expédition contre l'Aourès, lorsqu'il faillit
tomber sous le poignard de ses soldats révoltés. La sévérité des
1. Saus doute le Djebel-Bou-Glianem, à l'est de Tébessa.
2. Procope, Bc bell. varid.. 1. II, cap. xii.
3. Au sud de Constautine, à Aïu-el-Bordj, non loin du village de Sigus.
4. Cet épisode a été rappelé par M. Poulie dans le Recueil de la Soc.
arch. de Constautine, 1878, p. 375.
5. La rivière de Kheachela, selon Ragot [loc. cit., p. 301).
6. Le Djebel-Clielia.
170
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
mesures prises contre les Ariens paraît avoir été la cause de cette
rébellion à la tête de laquelle était un simple garde nommé Stozas.
Salomon, après avoir échappé aux révoltés, parvint à s'embar-
quer et à passer en Sicile, où Bélisaire avait été envoyé depuis
l'année précédente par l'empereur. La soldatesque, qui s'était
livrée à tous les excès, fut réunie par Stozas dans un camp, non
loin de Karthage. Les Vandales, des aventuriers de toute origine
y accoururent et bientôt Stozas se trouva à la tête de huit mille
hommes, avec lesquels il marcha sur Karlhage. Mais en même
temps, Bélisaire débarquait en Afrique, avec un corps de cent
hommes choisis. La présence du grand général ranima le courage
de tous et fit rentrer les hésitants dans le devoir. Ayant formé un
corps de deux mille hommes, il marcha contre les rebelles qui
rétrogradèrent jusqu'à Membresa, sur la Medjerda', et leur livra
bataille. Mais les soldats de Stozas se dispersèrent dans toutes les
directions, après un simulacre de résistance.
Bélisaire voulait s'appliquer à tout remettre en ordre dans sa
conquête, lorsqu'il appi'it que son armée venait de se révolter en
Sicile. Contraint de retourner dans cette île, il laissa le comman-
dement de l'Afrique à deux ofTiciers : Ildigeret Théodore. Aussitôt
Stozas qui se tenait à Gazauphyla, à deux journées de Constantine,
dans la Numidie, où les fuyards l'avaient rejoint, releva la tête. Le
gouverneur de cette province marcha contre lui, à la tête de forces
importantes, mais Stozas sut entraîner sous ses étendards la plus
grande partie des soldats byzantins. Les oITiciers furent massacrés
et le pays demeura livré à l'anarchie (536).
Germain, neveu de l'empereur, fut chargé de rétablir son auto-
rité en Afrique. Etant arrivé, il s'appliqua à relever la discipline
et à reconstituer son armée. Il en était temps, car Stozas marchait
sur Karthage et ne se trouvait plus qu'à une vingtaine de kilo-
mètres. Germain sortit bravement à sa rencontre et, comme Stozas
avait en vain essayé de débaucher ses soldats, il n'osa pas soutenir
leur choc et se mit en retraite poursuivi par Germain jusqu'au lieu
dit Cellas-Vatari ^. Là, se tenaient Yabdas et Orthaias avec leurs
contingents, et, comme Stozas croyait pouvoir compter sur leur
appui, il offrit la bataille à Germain; mais ses soldats, sans cohé-
sion, ne tardèrent pas à plier, ce que voyant, les deux rois maures
1. A McJjez-cl-Bab, à 75 kil. cJc K:irlliage.
2. M. D'Avezac place cette localité vers Tifcch {Afrique ancienne,
p. 250). M. Ragot, qui appelle cotte localité Seules Veteres, pense, en
raison de la présence d Orthaias, roi du Hodna, qu'elle devait se trou-
ver au sud de Coiistaui.iue (/oc. cit., p. 303}.
PÉRIODE BYZANTINE (539)
171
se jetèrent sur son camp pour le livrer au pilla{:fe et achevèrent
la déroute de son armée. Slozas se réfugia dans la Maurétanie et
Germain put s'apppliquer à rétablir Tordre en Afrique.
Expéditions de Salomon. — En 539 Germain fut rappelé par
l'empereur et remplacé par Salomon élevé, pour la seconde fois,
aux fonctions de gouverneur. Son premier soin, dès son arrivée en
Afrique, fut de reprendre l'organisation de l'expédition de l'Aourès,
que la révolte avait interrompue trois ans auparavant. Pour s'as-
surer la neutralité des Maures de laByzacène, il aurait, paraît-il',
attribué à Anlalas, le commandement de tous les Berbères de l'est,
en lui assignant une solde et le titre de fédéré. Au printemps de
l'année suivante, il se mit en marche. La campagne débuta mal.
Un officier du nom de Gontharis, ayant poussé une reconnaissance
jusque sur l'Ouad-Abigas, se heurta à un fort rassemblement et fut
contraint de chercher un refuge derrière les murailles de la ville
déserte de Baghaï. Les indigènes, se servant des canaux d'irriga-
tion, purent inonder son camp et rendre sa situation intolérable.
Il fallut que Salomon lui-même vînt le délivrer. Puis les troupes
byzantines, pénétrant dans la montagne, mirent en déroute Yabdas
et ses Berbères, malgré leur grand nombre et la force des posi-
tions qu'ils occupaient.
Le roi maure s'était réfugié à Zerbula. Salomon vint l'y bloquer,
après avoir ravagé Thamugas. Forcé de fuir encore, Yabdas gagna
Thumar, « position défendue de tous côtés par des précipices et
des rochers taillés à pic ». Le général byzantin l'y relança et, ne
pouvant songer à l'escalade, dut se contenter de bloquer étroite-
ment l'ennemi. Ce siège se prolongea et les troupes souffraient
beaucoup du manque d'eau et de provisions, lorsque des soldats
réussirent à s'emparer d'un passage mal gardé par les Maures :
secondés par un assaut de l'armée, ils parvinrent à enlever la posi-
tion. Yabdas blessé put néanmoins s'échapper et se réfugier en
Maurétanie.
Cette fois les Byzantins étaient maîtres de l'Aourès ; ils y trou-
vèrent les trésors du prince berbère. Après avoir fait occuper deux
points stratégiques dans ces montagnes, Salomon se porta dans le
Zab et de là dans le Hodna et la région de Sitifis, forçant partout
les indigènes à la soumission et relevant les ruines des cités et des
forteresses. Le souvenir de ses travaux dans la région sitifienne
a été conservé par les inscriptions. Zabi-, la métropole du Hodna,
1. Tauxier, Notice sur la Joliannidc {Rcv. afr., u." 118, p. 293).
2. Actuellement Mecila.
172
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
fut réédifiée par lui et reçut le nom de Justiniana'. Delà, Salomon
s'avança sans doute, vers Touest, jusque dans la région du haut
Mina, car le récit de cette expédition se trouve retracé sur une
pierre, dont l'inscription est relatée par les auteurs arabes * et a été
retrouvée près de Frenda.
Ainsi Salomon acheva la conquête de l'Afrique que Bélisaire
avait enlevée aux ^'andales, mais qu il fallait reprendre aux indi-
gènes. Une tradition berbère qui annonçait la conquête de l'Afrique
par un homme sans barbe se trouva réalisée, car on sait que
Salomon était eunuque et avait le visage glabre. Après avoir ter-
miné les opérations militaires, le gouverneur s'appliqua à régula-
riser la marche de l'administration et mérita par sa justice la
reconnaissance des populations depuis si longtemps opprimées.
Révolte des Levathes. Mort de Salomon. — En 54.3, l'empe-
reur détacha la Pentapole et la Tripolitaine de l'Afrique ; il,
s'était appliqué à relever les villes de la Cyrénaïque de leurs
ruines et plaça à la tête de cette province, comme gouverneur de
la Pentapole, Cyrus, neveu de Salomon. Sergius, autre neveu de
Salomon, reçut le commandement de la Tripolitaine, où se trou-
vait toujours Pudentius.
Peu de temps après, quatre-vingts cheikhs de la grande tribu des
Levathes' étant venus à Leptis magna, où se trouvait Sergius,
pour recevoir selon l usage l'investiture de leur commandement
et présenter leurs doléances, ces malheureux furent massacrés
dans la salle où ils étaient réunis, parce que, dit-on, ils étaient
soupçonnés d un complot. Un seul d'entre eux s'échappa et appela
aux armes les guerriers de la tribu qui s'étaient rapprochés. Sergius
marcha contre eux, les mit en déroute et s'empara de tout leur
butin, ainsi que de leurs femmes et de leurs enfants. Pudentius
avait trouvé la mort dans le combat.
Ce fut l'occasion d une levée générale de boucliers chez les
Berbères de la Tripolitaine. Antalas, auquel, selon M. Tauxier,
Salomon avait retiré sa solde et ses avantages, se joignit à eux,
avec ses guerriei's, et tous marchèrent vers le nord. Salomon se
rendit à Tébessa pour les arrêter dans leur marche. Il devait s'y
rencontrer avec Coutzinas et les Maures alliés et Pelagius, duc de
Tripolitaine. Mais ces deux chefs furent vaincus isolément ; le
dernier périt même dans la bataille et il en résulta que Salomon
1. Poulie, Bev. afr., n" 27, pp. 190 et suiv.
2. Ibii-Klialdoun, trad. de Slaue, t. I, p. 234, II, p. 540.
3. Les Louata des auteurs arabes.
PÉRIODE BYZANTINE (546)
173
se trouva seul avec un faible corps de troupes. Il proposa aux
rebelles de traiter, mais les Berbères, qui se sentaient en forces,
entamèrent le combat et ne tardèrent pas à mettre en fuite les
Byzantins. Salomon entraîné dans la déroute, ayant été désarçonné,
fut massacré parles indigènes.
Les Levathes et leurs alliés s'avancèrent alors jusqu'à Laribus;
mais ils se retirèrent après avoir reçu des habitants de cette ville
une rançon de trois mille écus d'or (545).
Période d'anarchie. — Sergius, l'auteur de ces désastres, fut
nommé par Justinien gouverneur de l'Afrique. On ne pouvait faire
un plus mauvais choix. Bientôt il sut tourner tout le monde
contre lui et l'anarchie devint générale.
Stozas, qui avait quitté la Maurétanie et s'était joint à Antalas
portait le ravage et la désolation dans les malheureuses campagnes
de la Byzacène et de la Numidie, sans que Sergius prît les moindres
mesures pour protéger les colons. Il en résulta une véritable émi-
gration : les populations quittèrent non seulement les campagnes,
mais l'Afrique, et allèrent se réfugier dans les îles de la Méditer-
ranée et même en Orient. Ce fut une des périodes les plus funestes
à la colonisation africaine. Stozas poussa l'audace jusqu'à proposer
à Justinien de rétablir la paix, si Sergius était rappelé. L'empereur,
sans daigner répondre à cette proposition, envoya en Afrique un
sénateur du nom d'Aréobinde, absolument étranger au métier des
armes, en le chargeant de combattre les Maures de la Numidie,
tandis que Sergius réduirait ceux de la Byzacène.
Stozas, qui avait augmenté son armée d'un grand nombre d'aven-
turiers et de transfuges, se tenait, avec Antalas et les Maures, aux
environs de Sicca-Veneria ' . Aréobinde fit marcher contre lui un
de ses meilleurs officiers, du nom de Jean. Les deux troupes en
vinrent aux mains et, dans le combat, Jean et Stozas trouvèrent la
mort. Les Byzantins se retirèrent en désordre, tandis que les
rebelles élisaient un autre chef.
Ce nouvel échec décida Justinien à rappeler Sergius (546).
Aréobinde restait seul et il n'était pas de taille à tenir tête aux
difficultés du moment, car l'anarchie était à son comble et la
révolte partout. Gontharis, ancien officier de Salomon, entra alors
en pourparlers avec les principaux chefs berbères : Yabdas,
Cutzinas et Antalas, et les poussa à exécuter une attaque générale,
de concert avec les bandes de Stozas. A l'approche de l'ennemi,
Aréobinde fit rentrer toutes ses garnisons et confia le commande-
1. Le Kef.
17i
mSTOIRE DE l'aFRIQUE
ment des troupes à Gontharis lui-même. Peu de jours après, le
traître, ayant fomenté une sédition parmi les soldats, en profita
pour assassiner le gouverneur et s'emparer du pouvoir.
Gontharis avait promis à Antalas la moitié de l'Afrique, mais,
une fois maître de l'autorité, il refusa de tenir ses promesses, et il
en résulta une rupture entre lui et le chef maure. Par haine de
celui-ci, Cutzinas vint se joindre à Gontharis en lui amenant les
soldats de Stozas, Vandales, Romains et Massagètes. Antalas fut
battu par un officier arménien du nom d'Artabane qui, peu après,
assassina Gontharis dans un festin (546) ; trente-six jours s'étaient
écoulés depuis le meurtre d'Aréobinde.
Jean Troglita gouverneur d'Afrique. Il rétablit la paix. —
Justinicn voulut récompenser Artabane en le nommant gouver-
neur de l'Afrique, mais cet officier, ayant d'autres projets, déclina
l'honneur qui lui était offert*. L'empereur choisit alors un autre
officier du nom de Jean Troglita, qui se trouvait à la guerre de
Mésopotamie et auquel il donna le commandement de toute
l'Afrique. Jean avait servi avec distinction en Berbérie, sous les
ordres de Bélisaire et de Germain ; il connaissait donc les hommes
et les choses du pays et, comme il était dçué de remarquables qua-
lités militaires, le choix de l'empereur était fort heureux; l'on
n'allait pas tarder à s'en apercevoir.
Débarqué à Caput-Vada, avec une très faible armée, Jean se
porta en trois jours jusqu'auprès de Karthage et recueillit dans
son camp tous les soldats dispersés, capables de rendre quelques
services. Puis il alla attaquer Antalas et ses bandes qui bloquaient
la ville. (( Les Berbères s'étaient rangés en bataille et, de plus,
selon une tactique qui leur était familière, ils s'étaient, en cas
d'insuccès, ménagé un réduit dans une enceinte carrée formée de
plusieurs rangs de chameaux et de bêtes de somme. Ces précau-
tions, pourtant, ne les sauvèrent pas d'une défaite complète. Jerna,
grand-prêlre de Louata, en essayant de sauver du pillage l idole
adorée par ces peuples, s'attarda dans la déroute et fut tué par un
cavalier romain-. » Antalas chercha un refuge dans le désert.
Karthage était débloquée et la Byzacène reconquise; mais les
Berbères étaient loin d'avoir été abattus. Bientôt Jean apprit que
les Louata (Levathes), alliés aux Nasamons et aux Garamantes,
accouraient vers le nord sous le commandement d'un nouveau et
terrible chef, dont Corrippus nous a transmis le nom sous la forme
1. Fournel, Berhcrs, p. 101.
2. Tau.xier, Jolianiiide, {loc. cit.), p. 296.
PÉRIODE BYZANTINE (548)
175
de Carcasan'. On était alors au cœur de l été de Tannée 547. Jean
se porta contre les envahisseurs, mais il essuya une défaite et dut
se réfugier derrière les remparts de Laribus. La situation était
critique. Jean n'hésita pas à faire appel aux indigènes, en tirant
parti de l'esprit de rivalité qui a toujours été si fatal aux Berbères.
Cutzinas, Ifisdias, chefs d'une partie de l'Aourès, et Yabdas lui-
même lui promirent leur appui.
Cependant les hordes d'Antalas dévastaient la Byzacène et arri-
vaient jusqu'aux portes de Karthage. Troglita, assuré sur ses der-
rières et ayant reçu d'importants renforts, quitta sa position fortifiée
et alla chercher Antalas dans la plaine. Les deux armées se ren-
contrèrent au lieu dit le champ de Caton, et la victoire des Byzan-
tins fut complète. Un grand nombre d'indigènes restèrent sur
le champ de bataille. Dix-sept chefs de tribus, parmi lesquels le
terrible Carcasan, furent tués et l'on promena leurs dépouilles
dans les rues de Karthage. Antalas lit sa soumission (548).
Etat de l'Afrique au milieu du vi^ siècle. — La nation bei'bère
se trouvait encore une fois vaincue et, grâce aux succès de Troglita,
l'empire conservait sa province d'Afrique ; mais combien était pré-
caire la situation de cette colonie, réduite à une partie de la
Tunisie et de la province de Constantine actuelles. Partout l'élé-
ment indigène avait repris son indépendance et ce n'était que
grâce à l'appui des principicules berbèi'es, véritables rois tribu-
taires, que les Byzantins se maintenaient en Afrique. Les campagnes
étaient absolument ruinées: « Lorsque Pi'ocope débarqua en Afrique
pour la première fois, il admira la population des villes et des cam-
pagnes et l'activité du commerce et de l'agriculture. En moins de
vingt ans, ce pays n'offrit plus qu'une immense solitude; les
citoyens opulents se réfugièi'ent en Sicile et à Constantinople et
Procope assure que les guerres et le gouvernement de Juslinien
coûtèrent cinq millions d'hommes à l'Afrique*. »
Selon Procope, les Maures, après les victoires de Troglita, sem-
blaient de véritables esclaves^, et l'on vit un grand nombre d'entre
eux, qui étaient redevenus pa'iens, se convertir au christianisme.
Mais nous pensons qu'il parle d'une manière trop générale, et que
ces faits ne peuvent s'appliquer qu'aux indigènes voisins des postes
de l'Afrique propre et de la Numidie. La race berbère prise dans
1. Johannide, poème en l'hoiiucur de Jean Troglita, par Fl. Cres.
Corippus, lib.V.
2. Gibbon, Hist. de la décadence de l'Empire romain, t. II, ch. xliii.
3. Anecdotes^ ch. xviii.
176
HISTOIRE DE L AFRIQUE
son ensemble avait trop bien reconquis son indépendance pour
qu'on puisse croire que l'action du gouverneur byzantin s'exerçât
à ce point sur elle, et ce serait une grave erreur de ranger dans
celte catégorie les Louata de la Tripolitaine, les Berbères de
l'Aourès et les Maures de l'Ouest.
Troglita fit tous ses efforts pour assurer son occupation et se
garantir des incursions indigènes par des postes fortifiés: avec les
ruines des cités détruites, on construisit des retranchements et des
forteresses derrière lesquels les garnisons byzantines s'abritèrent,
et quelques colons cherchèrent sous leur protection à rentrer en
possession de leurs champs dévastés.
L'Afrique pendant la deuxième moitié du vi° siècle. — Privés des
documents si précis laissés par Procope, nous ne possédons, sur la
phase de l'histoire africaine par nous atteinte, que des détails épars
et sans suite. C'est ainsi qu'on ignore l'époque du départ de Jean
Troglita.
En 563, Rogathinus, préfet du prétoire d'Afrique, fit traîtreuse-
ment assassiner Cutzinas, chef de la région orientale de l'Aourès,
qui était venu à Kartliage réclamer au sujet d'immunités dont on
l'avait frustré. Les services rendus par ce chef eussent dû lui
épargner un semblable traitement ; aussi la nouvelle de sa mort
fut-elle le signal d'une levée de boucliers des Berbères, appelés
aux armes par ses fils. Justinien dut envoyer en Afrique son neveu
Marcien, maître de la milice qui contraignit les rebelles à la
soumission.
Justinien termina sa longue carrière le 14 novembre 565, sans
avoir pu réaliser le vaste projet qu'il avait conçu. Sa mort paraît
avoir été le signal de nouvelles révoltes en Berbérie. Un certain
Gasmul, roi des Maures, entre en scène et se fait remarquer par
son ardeur à combattre l'étranger. Dans ces luttes périssent suc-
cessivement: Théodore, préfet d'Afrique (568), Théoctiste, maître
de la milice (569), et Amabilis, successeur du précédent (570).
C'est Gasmul qui obtient ces succès. « Devenu tout puissant par
ses victoires, Gasmul, en 574, donne à ses tribus errantes des
établissements fixes, et s'empare peut-être de Césarée. L'année
suivante (575), il marche contre les Fi-ancs et tente l'invasion des
Gaules, mais il échoue dans cette entreprise ^ » Si ces faits sont
1. D'Avezac, Afrique ancienne, p. 256.
2. Morcelli et Travaux de l'Académie des Inscriptions, apud Ragot,
(/oc. cit., p. 317).
PÉRIODE BYZANTINE (618)
177
exacts, oa ne saurait trop regretter l'absence de documents histo-
riques précis à cet égard.
Cet état de rébellion permanente durait toujours lorsque l'em-
pereur Tibère II, qui venait de succéder c'i Justin II, nomma
comme exarque de l'Alrique un olBcier du nom de Gennadius,
militaire d'une réelle valeur. Dès lors la situation changea. En 580,
ce général attaqua Gasmul, le tua de sa propre main, massacra un
grand nombre de Maures, et leur reprit toutes les conquêtes qu'ils
avaient faites.
Gennadius fut nommé préfet du prétoire d'.\frique, et il est
probable que, sous sa main ferme, le pays retrouva quelques jours
de tranquillité. Cependant, selon le rapport de Théophane, un
soulèvement général des Berbères aurait eu lieu en 588 ; mais
nous ne possédons aucun détail sur ce fait. Il est probable, en
raison de l'état d'alfaiblissemcnt où était tombé l'empire, que les
gouverneurs byzantins de l'Afrique étaient à peu près abandonnés
<à eux-mêmes, et que les Berbères, réellement maîtres du pays,
continuaient leur mouvement d'expansion et de reconstitution.
En 597, nouvelle révolte des Berbères: ils viennent tumul-
tueusement assiéger Karthage, ce qui indique suiïisamment qu'ils
sont à peu près maîtres du reste du pays. Gennadius, manquant
de soldats pour entreprendre une lutte ouverte, feint d'être dis-
posé à traiter avec les indigènes, et à accepter leurs exigences. Il
leur envoie des vivres et du vin et, profitant du moment où les
Berbères se livrent à la joie et font bombance, il les attaque à
l'improviste et les massacre sans peine'.
Voilà quelle était la situation de l'Afrique à la fin du vi*^ siècle.
Derniers jours de la domination byzantine. — Le 16 novembre
602, le centurion Phocas avait assassiné l'empereur Maurice et
s'était emparé du pouvoir. Il en résulta des révoltes et de longues
luttes dans les provinces.
L'exarque Méraclius, qui commandait en Afrique avec le patrice
Grégoire, comme légat, se mit en état de révolte (608) et retint les
blés destinés à l'Orient. Deux ans plus tard, le fils d'Héraclius,
portant le même nom que son père, partait par mer pour Constan-
tinople, en même temps que le fils de Grégoire s'y rendait par
terre, en passant par l'Egypte et la Syrie. Arrivé le premier,
Héraclius mettait fin à la tyrannie de Phocas et s'emparait de l'au-
torité souveraine. En 618, il fut sur le point d'abandonner son
empire, alors ravagé par la famine et par la peste, et de retourner
1. Fournel, Dcrbcis, p. 107-
T. I.
12
178
IIISTOIRK DE l'aI-RIQUE
dans celle Afrique qu'il rcf,n-eUail el que la conquêle arabe allait
bienlôt arracher de sa couronne. On dil qu'il ne se décidai reslcr
qu'en cédant aux supplications et aux larmes de ses sujets.
Héraclius ne larda pas à entreprendre une longue série de guerres
dans lesquelles les Africains lui fournirent des contingents impor-
tants. En G41, l'empereur mourait après avoir eu la douleur de
voir la Syrie el la Palestine, cl enfin l'Kgypte, tomber aux mains
des conquérants arabes.
Les premières courses des Arabes en Afrique datent de cette
époque. L'histoire de la Berbérie va entrer dans une autre phase.
APPENDICE
CHRONOLOGIE DKS ROIS VANDALES
Genséric... 11 février 435 janvier 477.
Hunéric .... Janvier 477 13 décembre 484.
Gondamond . 13 décembre 484 septembre 49G.
Trasamond.. Septembre 496 523.
Hildéric... 523 531.
Gélimer .... 531 534.
FIN DE LA rREMlicUE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
PÉRIODE ARABE ET B E 1^ B È R E
Gll — 10i5
CHAPITRE P--
LES BERBÈUES ET LES ARABES
Le peuple berbère; mœurs et rcligiou. — Organisation politique. — Grou-
pement des familles de la l'ace. — Division des tribus berbères. — Posi-
tion de ces tribus. — Les Arabes ; notice sur ce peuple. — Mœurs et
religions des Arabes anté-islami((uos. — Mahomet; fondation de l'isla-
misme.— Abou lieker, deuxième Idmiife; ses conquêtes. — Khalifat d'Omar ;
conquête de l'Egypte.
Le peuple nERBÈRE. Moeurs et religion. — Nous nous sommes
efforcé, dans la première partie, de suivre les vicissitudes tra-
versées par la race indigène et d'indiquer les transformations
survenues dans ses éléments conslitulifs, de façon k relier la
chaîne de son histoire, si négligée par les historiens de l'antiquité,
avec la période qui va suivre. Grâce aux auteurs arabes, tout ce
qui se rapporte à la nation qu'ils ont nommée eux-mêmes Ber-
bère, en lui restituant son unité, va devenir précis, et il convient,
avant de reprendre le récit des faits, d'entrer dans quelques détails
sur ce peuple et d'indiquer sa division en tribus, et les positions
respectives occupées par les groupes. Ainsi, aux désignations
vagues de Numides, de Maures et de Gélules, vont succéder des
appellations précises. Les noms appliqués aux localités vont
changer également et c'est bien dans une nouvelle phase qu'entre
l'histoire de l'Afrique septentrionale.
Les Berbères formaient un grand nombre de groupes que les
Arabes appelèrent tribus, par analogie avec les peuplades de
l'Orient. Ils avaient des mœurs et des habitudes diverses, selon
les lieux que les vicissitudes de leur histoire leur avaient assignés
1. Voir, nu commencement du livre, la notice gcograpliique.
180
HISTOIRE DE I.'aFRIQL'E
comme demeure : cultivateurs sur le littoral et clans les montagnes,
ils vivaient attachés au sol, habitant des cabanes de branchages
ou de pierres couvertes en chaume ; pasteurs dans l'intérieur, ils
menaient la vie semi-nomade, couchant sous la lente et parcourant
avec leurs troupeaux les hauts plateaux du Tel jusqu'à la limite
du désert, selon la saison ; enfin, dans le Sahara, leurs conditions
normales d'existence étaient, en outre de l'accompagnement des
caravanes, la guerre et le pillage, tant aux dépens de leurs frères
les Berbères pasteurs du nord que des populations nègres du
sud. (( La classe des Berbères qui vit en nomade, dit Ibn-Khal-
doun', parcourt le pays avec ses chameaux et, toujours la lance
en main, elle s'occupe également à multiplier ses troupeaux et à
dévaliser les voyageurs. » Telle csL encore, de nos jours, la ma-
nière d'être des habitants du désert.
Le costume des Berbères se composait d'un vêtement de dessous
rayé, dont ils rejetaient un pan sur l'épaule gauche, et d'un jjur-
nous noir mis par-dessus. Ils se l'aisaienL raser la tête et ne por-
taient souvent aucune coiffure-. Dans le Sahara, ils se cachaient
la figure au moyen d'un voile, le litham, encore usité par les
Touareg et autres Berbères de l'extrême sud. Quant à leur langue,
elle se composait de plusieurs dialectes aux racines non sémitiques,
se rattachant à la même souche. C'est celle qui se parle de nos
jours dans le désert sous le nom de Tamacher'i et dont les diffé-
rents idiomes, plus ou moins arabisés, s'appellent en Algérie, en
Tunisie, auMaroc et jusqu'au Sénégal: Chelha, ZenaCiya, Chaouïa,
Kehaïlïya, Zenaga, Tifinar, etc.
Comme religion, ils professaient généralement l'idolâtrie et le
culte du feu ; cependant dans les plaines avoisinant les pays
autrefois romanisés, et où la religion chrétienne avait régné, deux
siècles auparavant, sans conteste, il restait encore un grand nombre
d indigènes chrétiens. Ailleurs, des tribus entières étaient juives.
Enfin des peuplades avaient conservé le souvenir des rites importés
par les Phéniciens, et s'il faut en croire Corippus, elles offraient en-
core, au sixième siècle, des sacrifices humains à Gurzil, Mastiman
et autres divinités barbares. Nous avons vu que certaines tribus
avaient une idole spéciale confiée au soin d'un grand-prêtre.
Organisation politique. — Chaque tribu nommait un roi, ou
chef, et souvent plusieurs tribus formaient une confédération
soumise au commandement suprême du même prince. Ce droit de
1. Ilist. des Berbères, trad. de Slane, t. I, p. 166.
2. Ibid., p. 167.
LES BERBÈRES ET LES ARABES (641 )
181
commandement était spécial à certaines tribus qui exerçaient une
sorte de suprématie sur les autres. Il est probable que chaque
groupe de la nation possédait, à défaut de lois fixes, des coutumes
dont le souvenir s'est perpétué en Algérie dans les Kanouns de
nos Kabiles'. Au septième siècle, n'ayant pas encore profilé de la
civilisation arabe, les Berbères étaient, en maints endroits, fort
sauvages, mais leurs qualités ne devaient pas tarder à se déve-
lopper et c'est avec raison qu'Ibn-Klialdoun a pu dire d'eux : « Les
Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave
et nombreux ; un vrai peuple comme tant d'autres, dans ce monde,
tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains^ »
« On a vu, des Berbères, des choses tellement hors du commun,
des fiiits tellement ad nirables — ajoute-t-il — qu'il est impos-
sible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation. »
Groupement et situation des familles de la race. — Les auteurs
arabes ont divisé les Berbères en deux familles principales: les
Bo(r^ descendants de ]\Iadghis-El-Abter, et les Branès, descendants
de Bernés. Les Zennla, qui sont quelquefois placés à part, sont
compris en général dans les Bolr. Mais ces distinctions, qui ont
pu avoir leur raison d'être à une époque reculée, sont devenues
bien arbitraires, par suite du mélange intime des divers éléments
et de la constitution d'une race unique. A peine peut-on placer à
part les tribus de race Zénète, qui semblent présenter des diffé-
rences de traits et de mœurs avec les vieux Berbères, et parais-
sent d'origine plus récente. Nous admettrions volontiers qu'elles
sont le produit d'une invasion venue de l'Orient, car elles se sont
insinuées comme un coin au milieu de la vieille race, et se tiennent
sur la limite du désert, prêtes à pénétrer dans le Tel, comme le
feront les Arabes Ililaliens quatre siècles plus tard.
Renonçant à reproduire les généalogies plus ou moins ingé-
nieuses des auteurs arabes, nous ne tiendrons compte que de la
situation générale de la race au moment que nous avons atteint,
et, à défaut d'autre classification, nous proposerons de diviser les
Berbères en trois groupes principaux de la manière suivante :
1° Berbères de l'est ou Race de Loua^, représentant les anciens
1. Voir l'ouvr.it^c sur la Kabylie, de MM. Lctoiirneux et Ilanoteau.
Voir aussi: Couluincs kabyles, par M. Féraiid [Revue africaine, n"^ 34,
36, 37. 38).
2. T. I, p. 199 et suiv.
3. Selon les auteurs arabes Loua est l'aiicètro des Louata, des Nef-
zaoua, des Ourfeddjounia, etc. Voir Ibn-Klialdouii, t. I, p. 171 , citant Ibn-
Hazm et Ibn-el-Kelbi.
182
HISTOIRE Dl£ l'aFRIQUE
Libyens, les Ilasguas et ILiiiguanlen de Procope et de Corippus.
Elle couvre le pays de Barka, la Tripolilaine cl ses déserts, et le
midi de la Tunisie.
2" Berbères de l ouesl ou Race Sanh;i(/a \ répondant aux Gé-
lules et aux Maures. Elle s'étend sur les deux Mag'reb, et leur
désert jusqu";i.u Soudan.
3° Race Zenèle. Elle est établie dans le désert, depuis l'ouest
de la Tinpolitaine jusque vers le méridien d'Alyer, en couvrant
partie de TAourès, l Uuad Kir', le Zab méridional et les bauts
plateaux du Racbed (Djebel Amour) -.
Divisions des thibl's beruères. — \'oici comment se divisaient
les tribus berbères. Nous en donnons le tableau complet, bien
qu'au vii'= siècle la plupart des subdivisions n'existassent pas
encore, mais afin de ne pas avoir à y revenir et pour que le lecteur,
dans ses recherches, les trouve toutes groupées.
I. — Berbères de l'Est.
LoLiala
/ St'drala
AIrouza
Airoura
Djermana
Mar'ar'a
Zenara
Il ou ara
(Issus des Aourir'a)
Ouorgha
Kemlan
Melila
IVarian
Zeggaoua
Mcccllata
Modjoris
Bciii-Kici
Ourtagnt
lleiouara
Aourir"a
Maouès
Azcmmor
Kcba
Jlcsraï
Onridjcn (Onriguen)
Jlondaça
Keikouda
Kosmana
1. Telle e^l l'orLliograplie la plus régulière de ce nom.
2. Jean Léou l'Africaiii, qui avait des notions très précises sur les
populations africaines, divise les «blancs d'Afrique» en cinq peuples:
Sanhagia, Masmuda, Zàicta, Haoara et Gumcra (t. I, p. 36 et suiv.).
LES BERBÈRES ET LES ARABES (641)
183
Aourir'a
(suite)
Oiirstif
Biata
Bel
Melila
Satate
Ourl'cl
Ouacil
Mesrata
Nefouça
Nefzaoua
Aonreba
Beni-Azemmor
Beni-Meskour
Metouça
R'assaça
Meklata
Merniça
Zehila
Sou mata
Zalima
Oulhaça
Jfcdjera
\ 0 lire if
Beni-Ouriagol
Gueziiaïa
Beni-Isliten
Beni-Dinar ou Rihoun.
B. Seraïne
Ourtedin
Ourfedjouma
Zeggoula ou
Zeddjala
Ledjaïa (ou Lcgaïa)
Anfaça
Nidja
Zchkoudja
Mcziala
Reghioua
Dikouça
II. — Berbères de l'Ouest.
Fclaça
Denhadja
Malouça
Latana
Ouricen
Messala
Kalden ! Inaou
Maad < Intacen
Ketama ( Lehiça ( Aïan
Djemila
B'asman
Messalta
Iddjana (Oudjana ou Addjana)
Beni-Zcldoui
llechtioua
Beni-Istilen
Beni-Kancila
184
IIISTOIRK DE l'aFRIQL'E
Ketania
(suite)
Sedouikecli
Anciennes
( Siline
I Tarsoun (Darsoun)
Torghian
Moulit
Kacha
El m aï
Gaïaza
II. Zalan
El-Boiiéïi'a
B. Merouan
Ouarmekcen
B. Eïad
Meklala
Righa
\onvelIes
0. Mohammed
0. Meluli
0. Aziz
0. Brahim
B. Thabet
Zouauua
Medjc'sta
Mellikch
Beni-Koufi
Mocheddala
B. Zcrikol"
B. Gouzit
Kcresfina
Ouzeldja
Jloudja
Zcglaoua
\ B. McM'ana
NouTelles
B. Idjcr
B. MengucUal
B. Urouiî
B. Yen ni
B. Bou-B'ardan
B. llrour'
B. Bou-Yoïiriif
B. Chaïb
B. Eïci
B. Sedka
B. Bobrin
B. Giiecliloula
Senhadja
/ ilefennano
Ouennoura'a
B. Olhman
B. Mozr'anna
B. njàad
Telkala
Botouïa
B. Aïfaoun
B. Kkalil
Dariça
Azdadja (ou Ouzdaga ] B. Mesgucn
Mccetlaça
Adjiça
B. Faten
LES BERBÈRES ET LES ARABES (641)
185
B. F.alcn
(suite)
Zanaga
t Melzouza
] Kechana (ou Kechata)
( Douna
Bolouïa
Medjekça
B. Ouarliu
Lokaï
B. Ouriagol
Fechiala
Afechia
B. Ilamid
B. Amran, etc.
Ou rscUif
Mikiia(;a
(_)ni1andja
Augina ou
Mc'gnia
Moualat
B. Ilouat (ou llaral)
B. Ourflas
B. Ouridous (ou Ourtedous)
Kansara
Ouriflula
Ourlifa
Soderdja
Mckccla
Bclàlça
Kern i la
B. Islilcn
B. Toulalin
n. 'J'ei'iii
B. Idjerlen
R'omara ou
Gliomara
Ji. llamid
Meliona
Bcni-Nal
Ar'saoua
J{. Ou-Zcroual
Mr(ljek(;a
Bcrg'ouala. — Formanl divci^^cs IVaclions
heure.
Ilerglia
)lenlala
Tinemellal
Gucdniioua
Guenfiça
Ourika
Begraga
llezmira
Dokkala
Haha
Assaden
B. Ouazguit
B. Maguer
lléïlana
loiiU's disparu de lionne
Masmouda
I Sekrioua
Mesfaoua
Mar'ous
( Dor'ar'a
( Youlanan
186
iiisromE DE i,'ai-riqi"I':
Heskoura
Guezoula (Forme de
Lamta
Sanhailja au I.ilham
(Voile)
Mcsiaoua
l IVodjdama
\ Ketouaka
/ Zemraoua
) Aïnlil'l
I Aïnoultal
( B. Sekour
nombreuses branches)
Zegguen
Lakhès
I Guedala
Lemtouna
Messoufa
Outziki
Targa (Touareg)
Zcgaoua
I.amia
JV
Ikala
Mesrala
B.
Aoureth
B.
Mecheli
B.
Dekliir
B.
Ziyad
B.
Moussa
B.
Le m as
B.
Keclilal
III.
Race Zenète.
Hrene
licmmer
Mag"raoua (anciens)
.Merendjiça
Ouarghou
B. Ournid
B. Ourlanline
B. B'arzoul
B. Toufourt
Ourgiiia
^ Zouar'a
B. lient
B. Zeddjak ou
B. Ourak
Ourlezniar
B. Bou-Saïd
B. Ourcifen
Lar"ouate
B. Biiiha
B. Berzal
B. Isdourine
B. Sar'mar
B. Iloueft
Zendak
LES BERBÈRES ET EES ARABES (641)
187
, ;' Sindjas
Mag'raoua (anciens) ^ q^^^,,,,^
(*"''^) ( 13. Ourladjen
Ii'nïani!
Djeraoua
Ouagdiguen (Oiiadjidjen
Ouar'mcrl ou U'omort (Ghomra)
Ouargla — B. Zendak
Ouemannou
Iloumene (ou Iloumi)
li. liadine.
Ouacine
(Magr'aoua) Vi. liachod
.\|jd-EI-Ouad
Toudjine
' li. Mfizab
l>. ,\zei'daiic ou j
Zcrdal
lî. Idieten
B. Ncmzi
I B. Madoun
B. Mcdcn { B. Zendali
B. Oucil
B. Kadi
B. Mamel
iB. Tigherine
B. Irnaten
B. Mengoucli
li. Merine
lî. ttiirladjun
' B. Ouallas
Position de ci:s thibi's. — ^'oici mainlenanl la silualion géné-
rale de ces tribus, par provinces, au vu" siècle.
Barka et Tripolilaine.
Iloiiara et Aourira. — Pays de Barka, midi de la TripoliLaine,
Fezzan : s'avancent jusque vers le Djerid.
Louata. — Région syrtiqne, environs de Tripoli et de là jusque
vers Gabès.
Nefouça. — Région montagneuse de ce nom, au midi de
Tripoli.
Zouar'a et Ourgma (Zcnctcs Demmer), à l'ouest de Tripoli.
188
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Ifrikiya proprement dite.
(Tunisie.)
Xefzaoua. — Djerid et intérieur de la Tunisie.
Merendjica et Ouarf/ou (Ifrene), régions méridionales.
Ifrihya occidentale.
(Province de Constantine.)
Nefzaoua. — Plaines de l est de la province.
Djeraoua. — Djebel-Aourès.
Aoureba. — Région au nord du Zab.
T frêne. Macjraoua. — Ilodna, Zab et région méridionale de
l'Aourès.
Oaargla, Oaacine. — Ouad-Rir" et Sahara.
Ketâma. — Cette grande tribu occupe toute la région littorale,
depuis Bône jusqu'à Tembouchure de TOuad-Sahel et s'avance
dans l'intérieur, jusqu'à Constantine et Sétif.
Marfreh central.
Zouaoua. — Massif de la grande Kabilie.
Sanhndja. — Se rencontrent à l'ouest et au nord avec les
Zouaoua el s'étendent jusqu'à l'embouchure du Chelit", occupant
ainsi le littoral et une partie du centre.
B. Faten. — Font suite aux Sanhadja, à l'ouest, jusqu'à la
Moulouïa, couvrant le littoral et le centre de la province d'Oran.
Lemaïa el Matmntu, aux environs du Guezoul et du Ouarensenis.
Mar'ila, sur la rive droite du Chelil".
Azdadja (des Dariça), aux environs d'Oran.
Koumïa et Mediouna, au nord et à l'ouest de Tlemcen.
Adjiça (Dariça), au sud des Zouaoua.
Les tribus Zenètes anciennes couvrent les hauts plateaux.
Oaemannou et Houmi, à l'ouest du lîodua.
Oiiar'mert, dans le Rached Djebel-Amour).
Oarnid, à l'ouest de cette montagne.
Irniane, au sud de Tlemcen.
LES nERIilîRES ET LES ARAIÎES (641)
189
Mag'reh extrême .
R'omara. — Occupent la région lilLorale du Rif, de l'embou-
chure de la Moulaïa à Tanj^er.
Miknaça, Ourlaiidja et Aiigma, région centrale.
Zanacfa. — Se rencontrent avec les précédents et occupent les
premiers contreforts de l'Atlas.
Matr'ara. — Vers la limite du Mag'reh central, où ils se rejoi-
gnent aux autres Fatene.
Berçjhouata. — Sur le littoral de l'Océan, depuis Tanger jusqu'à
l'embouchure du Sebou.
Masmouda. — Tout le versant occidental de l'Atlas, les plaines
et le littoral de l'Océan, du Sebou à l'Ouad-Sous.
Hesîtoura. — Les montagnes du Grand-Atlas.
Guezoula et Lamta. — La rive gauche de l'Ouad-Sous jusqu'à
l'Ouad-Deraa.
Aucune tribu zénète n'a encore pénétré dans le Mag'reh
extrême.
Grand-Désert.
Sanhadja na Lithain [Messoufa Giiedala, Lemtouna, Lamta,
etc.), occupant toute la région saharienne jusqu'au Niger.
Ainsi était répartie la race berbère dans l'Afrique septentrionale.
Il restait en outre quelques débris de la population coloniale
dans le nord de l'Ifrikiya et aux alentours des postes occupés par
les Byzantins.
Les Arabes. Notice sur ce peuple. — Le peuple arabe devant
désormais mêler son histoire à celle de la Berbérie, il convient
encore, avant de reprendre notre récit, d'entrer dans quelques
détails sur cette nation.
La population de l'Arabie était divisée en deux groupes dis-
tincts :
1° Les Arabes de race pure ou ancienne, descendant, selon les
généalogistes, de Kahtan^ le Yectan de la Bible. Etablis depuis
une haute antiquité dans la partie méridionale du pays, V Arabie
190
iiisToiiii: DI-; l'afuiqce
heureuse, riénien, ils l'ormèrent deux grandes tribus, celles de
Kehlan et de Ilimyer. On les désignait sous le terme général
d'Iéménitos ;
2° Et les Arabes de race mélangée, descendants de Adnan, et
beaucoup plus nombreux que les précédents. Ils ont formé les
tribus de Moder, Rcbïa, Maad, etc Nous les désignerons sous
le nom de Maadites. Ils occupaient les vastes solitudes qui s'éten-
dent de la Palestine à l'Iémen, ayant au centre le plateau du \edjd
et le Iledjaz sur le littoral'.
Une rivalité implacable divisait ces deux races et nous verrons
ces traditions de haine les suivre en Afrique et en Espagne. C'est
que la première, habitant des régions fertiles, établie en partie
dans des Ailles, se livrait à la culture et au commerce et vivait
dans l'abondance ; tandis que l'autre, réduite à l'existence précaire
du nomade, dans des régions désertes, n'avait d'autre ressource,
en dehors du produit de maigres troupeaux, que la guerre et le
brigandage. Cette rivalité n"a\ait au fond d'autre mobile que le
combat pour la vie.
En outre de ces deux grandes divisions, chaque groupe se par-
tage en citadins et gens des steppes {bédouins).
INIoEURS ET Ri'LiGioN DES Arabes anté-islamiques . — La coudition
propre de l'Arabe, c'est la vie en tribu, la famille agrandie, à la
tête de laquelle est le cheikh, vieillard renommé par sa sagesse
dans le conseil, sa bravoure dans le combat. Une grande solidarité
règne entre les gens d'une même tribu, mais aucun lien ne réunit
les tribus entre elles. Bien au contraire, elles ont toutes des sujets
de haine particulière les unes contre les autres, car la vengeance
est un culte pour ces âmes ardentes. « Une infinité de tribus, les
unes sédentaires, le plus grand nombre constamment nomades,
sans communauté d'intérêts, sans centre commun, ordinairement
en guerre les unes contre les autres, voilà l'Arabie au temps de
Mahomet". » Les Arabes ne vivent que pour la guerre, car sans
cela « pas de butin, et c'est le butin surtout qui fait vivre les
Bédouins. » Aussi la bravoure est-elle estimée au-dessus de tout.
Les femmes suivent les guerriers dans les combats pour les encou-
rager, faire honte aux fuyards et même les marquer d'un signe
1. Voir Abou-l-feda, Rois des Arabes avant l'Islamisme . — Hamza
d'Ispalian, Annales des Himyérites. — Eu-Nouéïri, Histoire des rois de
Kahtan. — Messaoudi, Les prairies d'or. — Ibii-Klialdouii, Histoire des
Berbères et Prolégomènes. — Ibu-EI-Alhir, Histoire, passim.
2. Dozy, Histoire des Musulmans d'Espagne, t. I, p. 16.
LES BERBÈRES ET LES ARABES (641)
191
d'ignominie. « Les braves qni font face à l'ennemi, disent-elles,
nous les pressons dans nos bras; les làcbes qui fuient nous les
délaissons et nous leur refusons notre amour'. » L'éloquence et
la poésie sont honorées après la bravoure.
Les habitants des villes du littoral, ainsi que nous l'avons dit,
s'adonnaient avec succès au commerce, et conservaient des rela-
tions avec les Bédouins, leurs parents ou leurs alliés.
La ]\Iekke, ville située près du littoral du golfe arabique, était
un grand centre commercial et religieux. Les Koréichites, famille
de la race d'Adnan, y dominaient. C'étaient des marchands fort
entendus aux affaires. Ils gouvernaient la cité par un conseil dit
des Sadate (pluriel de Sid) qui avait entre ses mains tous les pou-
voirs -.
Les Arabes pratiquaient différents cultes : certaines tribus ado-
raient les astres, d'autres se faisaient des idoles de pierre ou de
bois. Les Juifs avaient, en Arabie, de très nombreux sectateurs;
enfin, le chiffre des chrétiens établis, surtout dans les villes, était
assez considérable. Mais la religion nationale était une sorte d'ido-
lâtrie. La Mekke était déjà la ville sainte : on y conservait, dans
le temple de la Kaaba, une pierre noire, sans doute un aérolithe,
et la construction du temple était attribuée à Abraham par une
ancienne tradition. Un grand nombre d'idoles y étaient en outre
enfermées. La tribu de Koréich avait le privilège de fournir le
grand-prêtre.
« Le naturel farouche des Arabes- — a dit Ibn-Khaldoun ^, —
en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu'ils
peuvent enlever un butin, sans courir un danger ou soutenir une
lutte, ils n'hésitent pas à s'en emparer et à rentrer au plus vite
dans le Désert. » C'est la razia, le mode de combattre particvdier
à l'Arabe. « Les habitudes et les usages de la vie nomade, — ajoute
notre auteur, — ont fait des Arabes un peuple rude et farouche.
La grossièreté des mœurs est devenue pour eux une seconde
nature Si les Arabes ont besoin de pierres pour servir d'ap-
puis à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de se les pro-
curer; s'il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des sou-
tiens de tente, ils détruisent les toits des maisons pour en avoir.
Par la nature même de leur vie, ils sont hostiles à tout ce qui est
édifice Ajoutons que, par leur disposition naturelle, ils sont
1. Poésie citée par Caussin de Perceval dans sou bel Essai sur l'his-
toire des Arabes avant l'Islamisme, t. III, p. 99.
2. Michèle Amari, Storia dei Musulmani di Sicilia, t. I, p. 47 et suiv.
3. Prolégomènes, 1. 1, delà trad., p. 309 et suiv.
192
insTOinE DE i.'afriqce
toujours prêts à enlever de force le bien d'autrui, à chercher les
richesses les armes à la main, et à piller sans mesure et sans
retenue. »
Tels sont, dépeints par un de leurs compatriotes, les hommes
qui vont prendre une part prépondérante à l'histoire de l'Afrique.
M.\H0MET. — Fondation de l Isi.amismk. — En 570 naquit
Mahomet (Mohammed^, de la tribu de Koreich. Resté orphelin de
bonne heure, il fut élevé par son oncle, Abou-Taleb, et envoyé
par lui dans une triiju bédouine selon l usage. C'était un jeune
homme faible de corps, sujet à des attaques nerveuses, parlant
peu et restant de longues heures plongé dans la méditation. A
l'inverse de ses compatriotes, il avait peu de goùl pour la poésie,
bien qu'il eût l'imagination assez développée. 11 se vantait de
ne pas savoir écrire.
Mahomet avait quarante ans lorsqu'il commença à prophétiser
et à prétendre qu'il recevait des révélations de Dieu, par l'inter-
médiaire de l'ange Gabriel : ses concitoyens l'accueillirent par des
moqueries et tournèrent en dérision ses prédications. Rien ne
l'arrêta, ni les injures, ni les violences, et il finit par gagner à sa
cause quelques prosélytes. Mais si, après onze années d'apostolat,
Mahomet avait obtenu un si mince succès chez ses concitoyens, il
avait rencontré à Yatrib, ville rivale, habitée par des gens de race
yéménite, des esprits mieu\ disposés à accueillir la nouvelle reli-
gion, et s'y était créé des adhérents dévoués. Menacé dans son
existence par les Mekkois, le prophète se décida à fuir et alla, en
62"2, chercher un refuge chez ses amis les Aous et les Khazradj,
de Yatrib, qui reçut le nom de Médine (la ville par excellence).
De cette fuite [Hégire) date l'ère musulmane. Les adhérents de
Mahomet lui prêtèrent à Médine un solennel serment et furent
appelés ses défenseurs (Ansar . On nommait émigrés les ^Mekkois
qui l'avaient suivi dans sa fuite. Aussitôt la lutte commença entre
eux et les Mekkois, et après difTérentes péripéties, Mahomet entra
en vainqueur à la Mekke. Cette fois, c'était le triomphe. Par la
persuasion ou par la force, les Arabes durent adopter le nouveau
culte. L'islamisme était fondé. Nous croyons inutile d'analyser
ici cette religion dont chacun connaît les dogmes et qui a pour
code le Koran. L'Iman, chef de la religion, était en même temps
souverain politique de tous les musulmans. La Guerre sainte
imposée aux vrais croyants, comme une obligation étroite, allait
ouvrir la voie aux conquêtes
1. Yoii" le Ivoran et les Iladith ou traditions sur Mahomet.
LES BERBERES ET I.ES ARABES (640)
193
AbOU-BeKER, DEUXIÈME KHALIFE. SeS CONQUETES. Ell 632,
Mahomet cessa de vivre. Les Arabes n'avaient pas attendu sa
mort pour apostasier et se lancer dans la révolte. Le Nedjd, l'ié-
men, même, étaient au pouvoir d'un rival Aïhala le Noir; l'insur-
rection devint alors générale.
Mahomet, peut-être à dessein, n'avait pas fixé les règles de la
succession au khalifat Son oncle Abou-Beker qui, par son dé-
vouement à toute épreuve, avait été le plus ferme soutien du
prophète, fut appelé à lui succéder. C'était un homme d'une rare
énergie et dont la violence se traduisait par d'implacables cruau-
tés. Faisant énergiquement tête aux ennemis, il sut ramener la
confiance parmi les siens et put ainsi battre les insurgés les uns
après les autres. Ses victoires furent suivies d'horribles massacres.
Quiconque apostasiait ou refusait de se convertir était aussitôt
mis à mort. Les nouveaux musulmans trouvaient au contraire
toutes les satisfactions de leurs passions : la guerre et le pillage.
Il n'est donc pas surprenant que sous la direction d'Abou-Beker
l'islamisme eût fait de si grands progrès. Les compagnons de
Mahomet, les défenseurs et les émicfrés étaient comblés d'hon-
neurs et investis de commandements ; ils formaient en quelque
sorte une nouvelle noblesse. Tout en luttant contre les révol-
tés, Abou-Beker entreprenait la guerre de conquête ; dès la fin
de 633, ses généraux enlevaient l'Irak aux Perses et une partie de
la Syrie aux Byzantins.
KiiALiFAT d'Omar. Conquê:te de l'Egypte. — Dans le mois
d'août 634, Abou-Beker mourut au milieu de toute sa gloire. Il
désigna pour son successeur Omar-ben-el-Khattab, qui prit le titre
à' Emir-el-Moumenin (Prince des croyants). Peu après, Damas
et le reste de la Syrie tombaient au pouvoir des Arabes. La Méso-
potamie et la Palestine subissaient bientôt le même sort (638-40).
En 640, le général Amer-ben-el-Aci enleva l'Egypte au repré-
sentant d'Héraclius. L'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie
éclaira les vertigineux succès des Arabes. En quelques années une
peuplade à peine connue avait fondé un vaste royaume. Nous
allons voir les Arabes transporter au Mag'reb, le théâtre de leurs
exploits.
1. Ses successeurs reçurent le titre de Khalifes (successeurs), d'où
l'on a formé le mot de Khalifat pour désigner leur trône.
T. I.
13
CHAPITRE II.
CONQUÊTE ARABE
641 -709
Campagnes de Amer en Cyrénaïque et en Tripolitaine. — Le Khalife Othman
prépare Texpèdition do l'Ifrikiya. — Usurpation du palrice Grégoire. Il se
prépare à la lutte. — Défaite et mort de Grégoire. — Les Arabes traitent
avec les Grecs et évacuent l'Ifrilciya. — Guerres civiles en Arabie. — Les
Kharedjiles; origine de ce schisme. — Mort d'Ali ; triomphe des Oméïades.
— Etal de la Berbérie ; nouvelles courses des Arabes. — Suite des expé-
ditions arabes en Jlag'reb. — Okba gouverneur de l'Ifrikiya ; fondation de
Kaïrouan. — Gouvernement de Dinar. — .Vbou-el-Mohadjer. — 2e gouver-
nement d'Okba ; sa grande expédition en Mag reb. — Défaite de Tehouda;
mort d'Okba. — La Berbérie sous l'autorité de Koçé'ila. — Nouvelles guer-
res civiles en Arabie. — Les Kharedjites et les Ch'ia'ites. — Victoire de
Zohé'ir sur les Berbères ; mort de Ko(;é'ila. — Zohé'ir évacue l'Ifrikiya. —
Mort du fils de Zobé'tr ; triomphe d'Abd-el-Malek. — Situation de l'Afrique;
la Kahéna. — La Kahéna reine des Berbères : ses destructions. — Défaite
et mort de la Kahéna. — Conquête et organisation de l'Ifrikiya par Ila-
çane. — Mouça-ben-Nocéir achève la conquête de la Berbérie.
Campagnes de Amer en Cyrénaiqie et en Tripolitaine. — Aus-
sitôt après avoir effectué la conquête de l Efivpte, Amer poussa
une pointe vers l'Ouest, jusqu'au pays de Barka. Les Houara et
Louata de cette contrée furent contraints de se soumettre et, afin
d'éviter l'esclavage, durent se racheter au prix d'une contribution
de treize mille pièces d'or. Ils vendirent, dit-on, tout ce qu'ils
possédaient, et même, en certains endroits, leurs enfants pour
s'acquitter'. Après cette fructueuse razia. Amer rentra en Egypte
(641). Pendant ce temps, un de ses lieutenants, Okba-ben-\afa,
parcourait les régions méridionales et s'avançait en vainqueur jus-
qu'à Zouila dans le Fezzan.
Les campagnes dans l'Ouest étaient trop fructueuses pour que
les guerriers de l'Islam ne fussent pas tentés d'y effectuer de nou-
velles courses. En 6i"2, Amer ayant organisé une expédition vint
mettre le siège devant Tripoli et s'empara de cette ville, qui fut
livrée au pillage. On y trouva un riche butin qui fut réparti entre
les soldats. Les habitants qui purent se réfugier sur les vaisseaux
1. Ibn-Abd-el-Hakera (apud Ibn-Kbaldouu, t. I, p. 302 et suiv.). En-
Nouéiri. id., p. 313. El-Kairouaui, p. 36 et suiv.
CONQUÊTE ARABE (646)
195
et gagner le large furent épargnés; quant aux autres, ils n'obtinrent
aucun quartier. De cette place, le général arabe envoya une recon-
naisance de cavalerie sur Sabra, tandis qu'un corps de troupes
allait de nouveau vers le Fezzan, et s'avançait jusqu'à Ouaddan.
En vain, Amer sollicita de son maître l'autorisation d'envahir
rifrikiya ; mais ces opérations dans l'Ouest étaient faites contre le
gré du khalife qui n'avait aucune confiance dans ce « lointain per-
fide », comme il se plaisait, par un jeu de mots, à appeler le Ma-
g'reb ; de plus il craignait un retour offensif des Byzantins en
Egypte. Ces prévisions n'étaient que trop justifiées ; on apprit tout
à coup qu'une flotte grecque venait de s'emparer d'Alexandrie.
Aussitôt Amer se porta contre l'ennemi à la tète de forces impo-
santes et força les chrétiens à la retraite.
Le kuAi.iFE Othman puépare i/expédition d'Ifrikiva. — J>c 31 oc-
tobre 614, Omar fut poignardé par un esclave ou artisan de
Koufa. Avant de mourir, il désigna, comme candidats à sa succes-
sion, six des plus anciens compagnons de Mahomet. Ceux-ci,
après trois jours de discussion, finirent par charger l'un d eux, qui
s'était désisté, de prononcer entre eux. Le Meklvois Othman-ben-
Offan fut proclamé khalife, au grand désappointement des trois
autres candidats. Ali, gendre du prophète, qui se considérait déjà
comme ayant été frustré par les précédents khalifes, fut surtout
très irrité de ce nouvel échec. Deux autres candidats, Zobéïr et
Talha devaient également faire parler d'eux.
Othman appartenait à la famille des Beni-Oméïa qui s'était mon-
trée l'adversaire acharnée de Mahomet ; son triomphe était celui
du parti mekkois. C'était un vieillard affaibli par l'âge qui se laissait
entièrement diriger par ses parents. Un des premiers actes du nou-
veau kalife fut de rappeler Amer et de confier le commandement
de l'Egypte à son frère de lait Abd-Allah-ben-Abou-Sarh. Vers
646 *, ce général envoya des reconnaissances qui lui rapportèrent
des renseignements précis sur la situation de l'Ifrikiya, et, lorsqu'il
eut réuni tous les documents, il pressa le khalife d'entreprendre
cette conquête qui, disait-il, devait donner aux Musulmans une
nouvelle gloire et un abondant butin. Mais, en Orient, on ne voyait
pas l'entreprise sous un jour aussi favorable ; le conseil réuni plu-
sieurs fois hésita à l'autoriser et ce ne fut qu'à force d'insistance que
le khalife finit par rallier les esprits et faire décider l'expédition.
La guerre sainte fut alors proclamée et, un camp ayant été
dressé à El-Djorf, près de Médine, la fleur des guerriers de l'Islam
1. On sait que ces premières dates sont incertaines.
196
lUSTOIRI; DE I. "AFRIQUE
vint s'y réunir*. Les tribus yéménites et maadites y envoyèrent
leur contingent. Othman contribua de ses deniers à l'organisation
de l'armée, qui se trouva prête dans l'automne de l'année 647. Au
mois d'octobre le khalife vint la haranguer, puis ces troupes, plei-
nes d'ardeur, se mirent en route sous la direction d'El-Harith. De
son côté, le gouverneur de l'Egypte avait réuni toutes les forces
dont il pouvait disposer. Lorsque les troupes d'Orient furent arri-
vées, il leur adjoignit les siennes et forma ainsi une armée d'en-
viron cent vingt mille hommes, composée d'autant de cavaliers que
de fantassins. Laissant le commandement de l'Egypte à Okba, il
entraîna ses guerriers à la conquête des pays de l'Ouest, depuis si
longtemps convoités par les Musulmans.
USURP.\TI0N DU PATRICE GrÉGOIRE. Il SE PREPARE A LA LUTTE.
En présence des préparatifs des Arabes, que faisaient les Byzantins
d'Afrique "? Nous avons vu, à la fin de la première partie, quo
l'empereur Héraclius était mort après avoir eu la douleur de voir
l'Egypte lui échapper. A cette nouvelle, le patrice Grégoire, fils
du Grégoire dont il a été également parlé, qui gouvernait l'Afrique
au nom de l'empire, jugea le moment favorable pour se déclarer
indépendant. 11 prit la pourpre, s'entoura des insignes de la royauté
et choisit Sbé'itla*, comme siège de son empire.
Karthage abandonnée fut occupée par un nouvel exarque, venu
de Constantinople, et autour duquel se groupèrent les chrétiens
restés fidèles. Bien que les détails fassent complètement défaut sur
les conditions dans lesquelles l'usurpation de Grégoire s'est effec-
tuée, il est probable que ce chef a été appuyé par les indigènes ;
le choix de Sbéïtla comme capitale semble l'indiquer. Ainsi, au
moment où les Byzantins auraient dû grouper toutes leurs forces
pour résister à l'étranger, ils étaient divisés par la guerre
civile. C'est ce qui explique que, lors des premières razzias des
Arabes, ils abandonnèrent la ïripolitaine à elle-même.
Cependant, Grégoire, averti de la prochaine attaque des Arabes,
n'était pas resté inactif : il avait adressé un appel pressant aux
débris de la population coloniale et aux Berbères. Les tribus in-
digènes de cette région, qui savaient, par ouï-dire, ce qu'était la
rapacité des Arabes et se voyaient menacés dans leur exis-
tence et dans leurs biens, accoururent en foule sous ses étendards.
Le patrice se trouva bientôt entouré d'un rassemblement considé-
1. En-Nouéiri doune les noms des principaux guerriers, presque tous
compagnons de Mahomet (p. 314, 315).
2. L'antique SufTotula, au sud de Kairouan.
CONQUÉTIÎ ARABIÎ (647)
197
rable dont les auteurs arabes portent le chiffre à plus cent mille
combattants, ce qui est évidemment exagéré. A la tête de cette ar-
mée il se porta en avant de Sbéïtla et attendit, dans une position
retranchée, le choc de l'ennemi'.
Défaite et mort de Grégoire. — Les guerriers arabes ne tar-
dèrent pas à paraître ; conduits par Abd-Allah, ils vinrent prendre
position au lieu dit Akouba, en face du camp de ceux qu'ils appe-
laient les infidèles. Dans leur marche, ils avaient laissé de côté les
villes du littoral où des sièges longs et difficiles les auraient rete-
nus, et étaient venus attaquer leurs ennemis au centre de leur
puissance. Quelques jours se passèrent d'abord en pourparlers. Abd-
Allah proposait à Grégoire de se convertir à l'islamisme, de recon-
naître la suzeraineté du khalifat et de payer tribut. Mais le prince
grec refusa péremptoirement, et il fallut en venir aux mains. Les
premières rencontres n'eurent rien de décisif ; chaque matin, dit
En-Nouéïri-, on combattait entre les deux camps, jusqu'au milieu
du jour, puis on rentrait de part et d'autre dans ses lignes pour
prendre du repos et recommencer le lendemain. Les Grecs répa-
raient leurs pertes par des renforts qu'ils recevaient chaque jour,
et les Arabes commençaient à douter du succès lorsqu'un événe-
ment imprévu vint à leur aide.
Le khalife Othman, ne recevant pas de nouvelles de ses guerriers,
avait dépêché vers ceux-ci un do ses otTiciers nommé Abd-Allah-
ben-Zobéïr. Ce chef parvint au camp à la tête de quelques cava-
liers seulement ; mais le bruit causé par sa réception fit croire aux
Grecs que leurs ennemis avaient reçu de puissants renforts, ce
qui leur causa un certain découragement. Les Arabes, tenus au
courant par leurs espions, en profitèrent avec une grande habileté.
11 fut convenu entre Abd-Allah et ben-Zobéïr que, le lendemain, on
n'enverrait au combat que peu de monde, que les meilleurs guer-
riers se tiendraient sous les tentes et qu'ils profiteraient de la
trêve journalière suivant la bataille, pour attaquer le camp des
infidèles, tandis qu'ils seraient plongés dans une fausse sécurité.
Il fut fait ainsi qu'il avait été convenu. Les chrétiens, s'atten-
dant à une attaque sérieuse, sortirent en foule et fondirent sur les
Musulmans, qui étaient conduits par Abd-Allah en personne. On
combattit avec un grand acharnement. Grégoire, le diadème en
1. Lebeaii, Hist. du Bas-Empire, t. II, p. 319 et suiv. Ibn-Kliald,
Hisl. des Berhcres, l. I, p. 208, 209. E n-I\'ouéiri, p. 317 et suiv. El-Kai-
rouani, p. 39.
2. l.oc. cit.
198
HISTOIRE I)i: L AFRIQUE
tête et ayant auprès de lui l étendard surmonté de la croix, diri-
geait en personne ses troupes. Les chefs arabes surent faire durer
la bataille plus lonj^temps que d"habitude et, enfin, les combattants,
fatigués par l'excessive chaleur du jour, rentrèrent dans leur camp.
Ce fut alors que, profitant du moment où les chrétiens avaient re-
tiré leurs armures pour se reposer, ,\bd-Allah et Ben-Zobéïr firent
sortir leurs guerriers et, à la tête de ces troupes fraîches, se
précipitèrent sur le camp ennemi aux cris de : << Dieu est grand !
Il n'y a d'autre Dieu que lui I » Les chrétiens, surpris à l impro-
viste, sans avoir le temps de s armer ni de se mettre en selle, sont
renversés par les cavaliers arabes, et bientôt l armée, prise d'une
terreur panique, fuit en désordre dans toutes les directions. Les
Musulmans, las de tuer, mettent le camp au pillage.
Ainsi fut détruite cette armée qui était bien supérieure en nom-
bre à celle des assaillants. Le patrice Grégoire périt dans l'action,
frappé par une main inconnue'.
Les .\r.\ues traitent avec les Grecs et évacuent l'Ifrikiya.
— Les Arabes, après leur victoire, poursuivirent les infidèles qui
s'étaient réfugiés à Sbéïtla et s'emparèrent de cette capitale éphé-
mère. Elle était remplie de richesses entassées tant par Grégoire
que par la population coloniale. .Après le pillage et le massacre,
conséquence habituelle des victoires arabes, on réunit l'immense
butin qui avait été fait, et le général en chef en préleva le quint,
selon la règle musulmane ; puis le reste fut partagé entre les guer-
riers, la part du cavalier étant triple de celle d'un fantassin. De
Sbéïtla où il s'était établi, Abd-Allah lança ses bandes vers l'inté-
rieur de l'Ifrikiya. Les Arabes portèrent ainsi la dévastation jus-
qu'aux bourgades de Gafça et au Djerid, et de là, revenant vers
le nord, ils s'avancèrent jusqu'à Mermadjenna -.
Les Grecs, après la défaite de Sbéïtla, s'étaient réfugiés dans les
places fortes de la Byzacène et particulièrement autour de Kar-
thage, où s'étaient groupés les derniers restes de la population
coloniale. Or, les .\rabes ne tenaient nullement à entreprendre de
nouveaux sièges ; ils songeaient encore moins à s'établir dans le
pays, la plupart brûlant au contraire du désir de retourner en
Orient pour montrer leur butin et raconter leurs prouesses. Dans
de telles dispositions, des propositions d'arrangement que leur
1. Nous croyons inutile de reproduire les traditions qui le font mou-
rir de la main de Ben-Zobeir, ainsi que l'histoire trop romanesque de
sa fille.
2. A une dizaine de lieues au N.-E. de Tébcssa.
CONQUÊTE ARABE (656)
199
firent les chrétiens furent accueillies avec empressement. Ils
conclurent avec eux une convention par laquelle ils s'obligeaient
à se retirer contre le versement d une contribution de trois cents
kintars d"or, selon les auteurs arabes. Peut-être ce tribut énorme
ne fut-il pas versé par les Grecs seuls ; il est fort possible que les
Arabes aient traité aussi avec les chefs de tribus berbères ou des
régions qu'ils avaient parcourues, comme le Djerid par exemple.
Ibn-Khaldoun dit positivement que les cheikhs berbères furent
bien traités par Abd-AUah et que l'un d'eux, Soulat-ben-Ouazniar,
qui avait été l'ait prisonnier, fut entouré d'honneurs et retourna li-
brement dans sa tribu (les Mag'raoua), après s'être converti à
l'islamisme ' .
Pendant que le général en chef réglait ces questions, Ben-Zobéïr
partait en hâte pour Médine afin d"y porter la nouvelle des succès
de l'Islam. Il fit le trajet en vingt-quatre ou vingt-sept jours et,
par l'ordre d'Othman, il raconta en pleine chaire, au peuple, les
détails, quelque peu embellis, de la conquête de l'Ifrikiya-.
Enfin les Musulmans évacuèrent la Berbérie. Abd-Allah laissa à
Sbéïtia un certain Djenaha'', comme représentant du khalifat,
mais sans forces militaires, ni autorité réelle, car aucune idée
d'occupation permanente ne paraît avoir été le mobile de ces pre-
mières guerres : c'étaient de véritables razias
Guerres civiles en Aradie. — Les événements d'Orient vinrent
distraire les Arabes de leurs entreprises contre l'Ifrikiya, et la con-
séquence fut de laisser quelques années de répit à la Berbérie. La
partialité du khalife, qui n'était guidé dans le choix des gouverneurs
que par des intérêts de famille, avait suscité xl'ardentes haines que
les candidats au trône surent habilement exploiter. Bientôt Othman
fut assiégé dans son propre palais, à Médine, et, comme il résistait
avec une grande fermeté aux sommations qui lui étaient adressées,
les sicaires pénétrèrent chez lui par une maison voisine et le mi-
rent à mort (juin 656). Ali, l'un des promoteurs du meurtre, fut
élevé au khalifat par les Défenseurs. C'était le triomphe du parti
1. Hist. des Berbères, t. 1, p. 120, t. II, p. 228.
2. Amari (Storia, t. I, p. 110, 111), donne une partie du texte du
discours .
3. Habaliia, selon le Baian.
4. Nous avons suivi dans le récit qui précède le texte d'En-Nouéiri,
(p. 314 et suiv.), complété par les documents fournis par Ibn-Abd-El-
Hakem, Ibn-Klialdoun, El-Kairouani, leBaiaii Pour les dates, nous avons
adopté celles données par M. Fournel, /lisloire des Berbcrs, p. 110 et
suiv.
200
IIISTOIHI': Di: I. AFRIQUE
des orthodoxes, des gens de Médine contre les nobles et les Mek-
kois, triomphe bien précaire et qui allait donner lieu à de san-
glantes représailles.
Ali avait destitué tous les gouverneurs en les remplaçant par
des Défenseurs et des hommes d'un dévouement à toute épreuve;
mais l'un d eux, jMoaouïa-ben-Abou-Sofiane, surnommé le Fils de
la. manç/euse de foie\ gouverneur de la Syrie, qui avait acquis
une grande puissance sous les précédents khalifes, refusa péremp-
toirement de le reconnaître. D'autre part, ses complices Zobéïr et
Talha, qui avaient compté obtenir le khalifat. se retirèrent a La
Mekke et, excités par Aïcha, la veuve du prophète, femme perfide
et ambitieuse, se mirent en état de révolte. Ils appelèrent à eux
les partisans d'Othman, avides de A-enger le meurtre de ce vieillard,
et exploitant les rivalités qui divisaient les tribus, réunirent
bientôt un nombre considérable de guerriers. Ali n'était soutenu
que par les Défenseurs et les meurtriers d'Othman ; mais il parvint
à gagner l'appui des Arabes de Koufa. Il marcha alors contre les
rebelles et remporta contre eux la bataille dite du Chameau, qui
coûta la vie à Talha (8 décembre 656). Zobéïr périt assassiné dans
sa fuite. Aïcha, échappée à la mort, était restée sur le champ de
bataille auprès de son chameau criblé de traits ; elle implora son
pardon du A'ainqueur, qui le lui accorda.
Ali était maître de l'Arabie et de l'Egypte, mais la Syrie refusait
toujours de le reconnaître, et Moaouïa aspirait ouvertement au
khalifat. De Koufa, où il avait transporté le siège de l'empire, Ali
marcha à la tête de quatre-vingt-dix mille hommes contre le re-
belle et, après une campagne longue et meurtrière , il fut décidé
qu'un arbitrage trancherait la question entre les deux compé-
titeurs. En vain Ali avait fait tous ses efforts pour éviter de verser
le sang musulman, il avait même proposé à Moaouïa de vider leur
querelle en combat singulier ; mais celui-ci préféra l'emploi d une
diplomatie tortueuse, aboutissant à l'arbitrage qui devait, sans
danger, lui conférer le pouvoir. Ali, trahi par une partie de ses
adhérents, s'était retiré à Koufa; il refusa, non sans raison, de re-
connaître la légalité de la sentence qui le déposait.
Les Kharedjites ; ohigixe de ce schisme. — Lorsqu'Ali s'était
décidé à accepter l'arbitrage, douze mille de ses soldats, après avoir
en vain essayé de l'en détourner, avaient déserté sa cause et
1. Sa mère, la féroce Hind, avait, dit-ou, ouvert le veutre de Hnmza.
oucle du prophète, à la suile de la bataille d'Oliod, et, en ayant retire
le foie, l'avait dccliirc avec ses dents.
CONQUÊTE ARABE (661)
201
s'étaient eux-mêmes séparés de la religion officielle. Le nom de
Kharedjites (non-conformistes) leur fut appliqué à cette occasion.
C'étaient des puritains austères, fidèles aux premières prédications
de Mahomet et considérant tous les nouveaux convertis comme de
purs infidèles. Le caractère propre de leur doctrine était l'ég-alité
absolue du croyant. « Tous les Musulmans sont frères, répétaient-
« ils, d'après le Koran. Ne nous demandez pas si nous descendons
« de Kaïs ou bien de Temim ; nous sommes tous fils de l'islamisme,
« tous nous rendons hommage à l'unité de Dieu, et celui que Dieu
« préfère aux autres, c'est celui qui lui montre le mieux sa grati-
« tude ' ». Ces principes ne plaisaient guère aux Arabes, si par-
tisans des castes et des droits de la naissance, et qui prenaient des
doctrines de l'islamisme ce qui leur plaisait, en s'arrogeant le droit
de juger les paroles du prophète. Les Kharedjites ne l'entendaient
pas ainsi : pour eux, le demi-croyant était pire que l'infidèle, et
comme ils se recrutaient parmi les plus basses classes de la société,
le dissentiment religieux se complétait d'une rivalité sociale.
Ces dissidents en arrivèrent bientôt à contester aux Koréïchites
le droit exclusif au khalifat. Ils prétendaient que le chef des Mu-
sulmans pouvait être pris dans tout le corps des fidèles, sans dis-
tinction d'origine ni de race, même parmi les esclaves. Du reste,
le rôle du khalife, selon eux, devait se borner à contenir les mé-
chants ; quant aux hommes vertueux, ils n'avaient pas besoin de
chef. Tels étaient les principes de ces schismatiques que nous ver-
rons jouer un si grand rôle dans l'histoire de l'Afrique.
]\L)KT d'Ali. Tiiio.mphe des Oméïades. — Les fidèles adhérents
d'Ali étaient devenus ses ennemis. Il marcha contre eux et en fit
un carnage épouvantable à la bataille de Nehrouan (659). Pendant
ce temps, les lieutenants de Moaouïa s'emparaient de l'Egypte et
de la Mésopotamie, et le Hedjaz était envahi. Ali se multiplia pour
repousser les attaques des Syriens, mais il avait d'autres ennemis.
Les Kharedjites, qu'il avait cru exterminer, se reformaient dans
l'ombre ; ne pouvant entrer en lutte ouverte, ils employaient pour
se venger une autre arme. Dans le mois de janvier 661, Ali tomba
sous le poignard d'un de ces sectaires. Son fils El-Haçane recueillit
son héritage ; mais cette charge était trop lourde pour lui, et peu
après il abdiquait en faveur de Moaouïa et allait se retirer à jNIé-
dine, avec son frère El-Houcéïne. C'était la défaite des Défenseurs
et le triomphe définitif des Oméïades et du parti mekkois.
Les Syriens, qui avaient tant contribué au succès de Moaouïa,
1. Moubarred, p. 588. (Cité par Dozy, t. I, p. 142.)
202
HISTOIRE DE L AFRIQUE
acquirent des lors une influence incontestée. Un grand nombre de
tribus Yéménites s'étaient fixées dans cette province quelques an-
nées auparavant. Elles s'y trouvèrent en rivalité avec celles de race
maadite et déterminèrent l'émigration d'une partie de celles-ci en
Irak. Cependant les Kaïsistes restèrent dans le paj-s, et entrèrent
en lutte avec les Kelbites, une des principales tribus Yéménites.
Leur rivalité prit bientôt un caractère d'acuité extrême qui se tra-
duisit par des luttes acharnées
Cependant, l'Egypte demeurait livrée à la fureur des factions.
Les vengeurs d'Othman s'y étaient mis en état de révolte ouverte,
puis Ali s'y était créé un parti, ^'ers la lin de 0)9. Moaou'ia envoya
en Egypte .\mer-ben-El-Aci, avec des forces imposantes, et ce gé-
néral parvint à placer toute la contrée sous l'autorité des Omé'iades.
Etat de la Berbérie. Nou\"ei,les courses des Arabes. — Les
vingt années de guerre civile qui venaient de désoler l'Orient
avaient eu pour conséquence de laisser à la Berbérie un moment
de répit que les Grecs et les indigènes auraient dû employer pour
organiser sérieusement leur résistance. Un rapprochement semblait
s'être opéré entre les Berbères et les Byzantins après le départ des
Arabes, mais il fallait rentrer dans les sommes versées aux enva-
hisseurs, et bientôt l'avidité des agents du fisc impérial, les exac-
tions des gouverneurs avaient entièrement détaché d eux les indi-
gènes.
Depuis longtemps les Arabes avaient fait des courses sur mer et
s'étaient avancés jusque dans la Méditerranée antérieure. En 648,
la flotte de Moaouïa, envoyée de Syrie, avait opéré une descente
à Chypre; deux ans plus tard, son armée navale s'emparait de
Rhodes, puis venait faire une expédition en Sicile et rentrait en
Orient chargée de butin et de captives*.
Le gouverneur de l'Egypte, Amer, qui avait toujours conservé
l'espoir d'effectuer la conquête du ^lag'reb, envoya de nouvelles
expéditions, tant par terre que par mer, contre ce pays et les îles,
mais les détails font absolument défaut relativement à ces entre-
prises que sa mort vint arrêter (063).
Suite des expéditions arabes en ^L\g'reb. — Vers l'an 665, Dje-
naha, cet agent qui avait été laissé par les Arabes à Sbéïtla, s'étant
rendu en Orient auprès de Moaou'ia, le décida à tenter une nou-
velle expédition en ^Lig'reb. Le khalife confia le commandement à
1. Dozy, Hist. des Mus. d'Espagne, t. I, p. 114 et suiv.
2. Amari, Storia, t. I, p. 79 et suiv.
CONQUÊTr: ARABE (669)
203
Moaouïa-ben-Hodaïdj (ou Khodaïdj) ; et ce général partit pour
l'Ouest, à la tête d'une armée de dix mille hommes', composée de
guerriers choisis. L'empereur, averti de cette expédition, envoya
en Afrique des renforts sous le commandement du patrice Nicé-
phore.
Parvenus en Ifrikiya, les Arabes vinrent prendre position en un
lieu appelé depuis Mamtour, non loin de l'emplacement que de-
vait occuper Kaïrouan. Les Grecs, arrivés sans doute avant eux,
avaient débarqué à Souça et s'étaient établis on avant de cette
ville. Une forte colonne, envoyée contre eux par Moaouïa, les at-
taqua avec l'impétuosité habituelle des Arabes ; les Byzantins cé-
dèrent sur toute la ligne, et, ayant regagné en hâte le littoral, se
rembarquèrent sur leurs vaisseaux et rentrèrent en Orient. Après
ce succès, les Musulmans s'emparèrent de Djeloula, qu'ils mirent
au pillage et où ils trouvèrent un butin considérable. Des dis-
cussions s'élevèrent alors entre les vainqueurs au sujet du partage
des prises, et il fallut en référer au khalife pour trancher ces dif-
férends.
D'autres expéditions furent effectuées simultanément, ou, dans
tous les cas, suivirent immédiatement celle de Moaouïa. Le gé-
néral Okba-ben-Nafa , qui avait déjà joué un rôle dans les pre-
mières guerres d'Afrique, parcourut de nouveau le Fezzan, imposa
aux vaincus l'obligation d'embrasser l'islamisme, leva des tributs
considérables sur toutes les populations du sud, et revint vers
Barka- après une campagne de cinq mois, dans laquelle les plus
grandes cruautés avaient été commises par les Arabes. Vers le
même temps, un défenseur du nom de Rouaïfi, après avoir réduit
les localités du littoral de la Tripolitaine, s'emparait de l'île de
Djerba. Enfin, en 668, Abd-Allah-ben-Kaïs , de la tribu de Fezara
(Kaïs), partait d'Alexandrie avec deux cents navires, abordait en
Sicile, mettait au pillage Syracuse, el rapportait en Orient des ri-
chesses immenses. On dit que le khalife lit revendre dans l'Inde
les statues d'or et d'argent apportées de Sicile, dans l'espoir d'en
obtenir un meilleur prix, et que ce commerce d'idoles causa un
grand scandale aux Musulmans -.
Okba, gouv erneur de l'Ifrikiva. Fondation de Kaïrouan. — Le
khalife nomma alors Okba-ben-Nafa gouverneur de l'Ifrikiya, en
formant de cette contrée une nouvelle province de l'empire (669).
Ce général, qui était resté sans doute dans les environs de Barka,
1. Selon EI-IvairoLKiiii, p. 40.
2. Amari, Sloria, t. I, p. 99.
204
HISTOIRE DE E AFRIQUE
reçut d'Orient des renforts, et. à la tête d une arméo d'une dizaine
de mille hommes, dans laquelle fiiruraient pour la première fois
des Berbères convertis, se mit en roule vers l'ouest. Il parcourut
d'abord le Djerid, et s'empara de Gafsa et de quelques places du
pays de Kastiliya où les chrétiens tenaient encore. Selon son habi-
tude, il montra une rigueur extrême contre les infidèles et ré-
pandit en Afrique la terreur de son nom.
Du Djerid, Okba vint s'établir à l'endroit où son prédécesseur
Moaouïa avait campé, et y posa les fondations d une ville destinée
à servir de centre religieux et politique dans le Mag reb. Il traça
lui-même le plan des édifices publics de la nouvelle métropole
qu'il établit dans des proportions grandioses. Il lui donna le nom
de Kaïrounn, sur le sens duquel on n'est pas d'accord. L'empla-
cement était aride et désert et il fallut d'abord en expulser les bêtes
sauvages et les serpents. Les ruines des cités romaines environ-
nantes, et particulièrement celles d'une ville appelée Kamounïa ou
Kaniouda, lui fournirent des matériaux en abondance. Tout en ap-
portant ses soins à l'éditication de Kaïrouan, Okba étendait son
influence en Ifrikiya et envoyait ses guerriers en reconnaissance
vers l'ouest. Des habitants ne tardèrent pas à venir se grouper
autour de la nouvelle cité.
Gouvernement de Dinar-Ahou-el-Mohadjer. — Sur ces entre-
faites, le khalife ayant replacé l lfrikiya sous l'autorité du défenseur
Meslama-ben-Mokhalled, gouverneur de l'Egypte, celui-ci envoya
dans le Mag'reb un de ses affranchis, nommé Dinar, et surnommé
Abou-el-Mohadjer, pour en prendre le commandement 'vers 675).
C'est ainsi que l'on récompensait Okba des importants services
rendus, et cette manière d'agir paraîtrait inexplicable, si l'on n'y
retrouvait l'eilet d une de ces rivalités de race et d'opinion qui
divisaient si profondément les Arabes.
Dès son arrivée. Dinar fit, dit-on, arrêter Okba et l'accabla d'hu-
miliations, exécutant ainsi les instructions qui lui avaient été don-
nées par son maître. Mais la vengeance n'aurait pas été complète
si l'on ne s'était pas attaché à détruire l'œuvre du rival. Par l'ordre
de Dinar, les constructions de Ka'irouan furent renversées et la
ville nouvelle rasée. Okba ayant pu, peu après, se rendre en Orient,
exposa ses doléances au khalife, mais ne put obtenir de lui aucune
réparation et dut dévorer en silence son humiliation.
Une levée de boucliers des Berbères coïncida avec le départ
d'Okba. A leur tête était Koçéïla, chef de la grande tribu des Aou-
reba. Il est certain que ces indigènes avaient été en relations avec
Okba, peut-être même avaient-ils déjà accepté l'islamisme. Dinar-
CONQUÊTE ARABE (681)
•205
Abou-el-Mohadjcr marcha contre eux el les poussa devant lui jus-
qu'aux environs de l'emplacement de Tlemcen. Les ayant forcés
d'accepter le combat dans ce lieu, il leur infligea une défaite dans
laquelle leur chef fut fait prisonnier. Pour éviter la mort, Koçéïla dut
se convertir à la religion de Mahomet ; il fut traité alors avec bien-
veillance, mais conservé par le vainqueur dans une demi-captivité.
Après avoir apaisé tous les gfermes de sédition, IJinar rentra en
Ifrikiya et organisa quelques expéditions contre les Grecs, re-
tranchés dans les places du nord. On dit qu'à la suite de ces opé-
rations, les adversaires conclurent un traité aux termes duquel la
presqu île de Cherik fut abandonnée aux chrétiens '.
Deuxième gouvernementd'Okba. Sa grande expédition en Mag'heb.
— Moaou'ia étant mort le 7 avi-il 680, son fils Yézid, qu'il avait déjà
désigné comme héritier présomptif, lui succéda. Peu après, Okba
obtenait la réparation de l'injustice qu'il avait éprouvée et était
nommé, pour la seconde fois, gouverneur de l'Ifrikiya.
A la lin de l'année 681, Okba arriva à Kaïrouan et, à son tour,
il jeta Dinar dans les fers, renversa les constructions qu'il avait
élevées et entreprit la réédification de Kaïrouan, où il établit de
nouveau une population. Koçéïla partagea la mauvaise fortune de
Dinar, avec lequel il avait fini par se lier d'amitié.
Après avoir savouré la volupté de la vengeance, Okba, dont le
fanatisme ardent ne pouvait s'accommoder du repos, décida une
grande expédition dans le Mag'reb, afin de soumettre à son auto-
rité tous les Berbères de l'Afrique septentrionale. Il réunit en con-
séquence ses meilleurs guerriers et, ayant laissé Zohéïr-ben-Kaïs,
avec quelques troupes, à Kaïrouan, il donna le signal du départ.
Avant de se mettre en route, il adressa à ceux qu'il laissait der-
rière lui, et notamment à ses fils, une allocution dans laquelle il
déclara qu'il s'engageait à ne s'arrêter que lorsqu'il ne rencon-
trerait plus d'infidèles devant lui.
Le général conduisit les troupes vers l'Aourès, afin de réduii'e
les populations zenèles qui, alliées aux Grecs, restaient dans
l'indépendance. 11 vint d'abord prendre position auprès de Bar'aï
et livra aux indigènes un combat sanglant dans lequel ils eu-
rent le désavantage; mais ceux-ci s'étant réfugiés dans la citadelle,
Okba n'osa en entreprendre le siège. 11 se dirigea vers Lambèse et
eut à supporter une vigoureuse sortie des Berbères et des chré-
tiens, qui vinrent attaquer son camp et faillirent s'en rendre maî-
tres. Les Arabes parvinrent cependant à repousser l'ennemi ; mais
i. Fouruel, Beibers, p. 163. Amari, Sloria, t. I, p. 611.
206
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Okba renonça à courir les liasards de nouvelles luîtes avec de tels
adversaires. Il se dirig^ea vers le Zab, alors habité par de nom-
breuses tribus zenètes ; dans les oasis se trouvaient aussi des po-
pulations chrétiennes et quelques soldats gérées. Après plusieurs
combats, la victoire resta aux Musulmans, mais ces succès, chè-
rement achetés, n'avaient pas pour conséquence cette soumission
générale qui était le but de Texpédition.
Okba. continuant néanmoins sa route, arriva devant Tiharet
où il trouva les Berbères réunis en grand nombre. Avec eux étaient
quelques troupes grecques. Il les attaqua et les défit dans une san-
glante bataille. De là, le général musulman conduisit son armée
dans le Mag reb extrême et, ayant traversé, sans rencontrer une
grande opposition, la région maritime occupée par les Romara,
parvint à Ceula, le seul point qui, dans ces régions éloignées, re-
connût encore l'autorité de Byzance. Le comte Julien, qui y com-
mandait, entretenait des relations beaucoup plus fréquentes avec
les Wisigoths d'Espagne qu'avec l'empereur. Il vint au devant
d Okba, lui fit bon accueil et lui donna des renseignements précis
sur l'intérieur de la contrée. Il lui apprit qu'il ne trouverait plus
de pays soumis aux chrétiens, mais que, dans les montagnes et les
plaines du ]\Iag'reb, vivaient de nombreuses populations berbères
ne reconnaissant aucune autorité.
Muni de ces renseignements. Okba s'enfonça dans le cœur des
montagnes marocaines, en passant par Oulili d'emplacement de
Fès). Les Berbères Masmouda et Zanaga qui habitaient ces loca-
lités lui opposèrent une vive résistance et il se trouva un moment
cerné au milieu d'elles. Un secours qui lui fut envoyé par les Ma-
g raoua lui permit de se dégager. Reprenant l'offensive, il s'em-
para de Nefis, métropole des Masmouda, où il trouva un riche
butin. Selon El-Bekri, il y construisit une mosquée. De là, il des-
cendit vers le Sous, défit les Heskoura, Guezoula et Lamta de ces
régions, et atteignit enfin le rivage de l'Océan. On rapporte qu'ayant
fait entrer son cheval dans la mer, il prit Dieu à témoin qu'il avait
accompli son serment, puisqu'il ne trouvait plus devant lui d'en-
nemi de sa religion à combattre-.
DÉFAITE DE Tehol-da. Mort d'Okba. — Lcs Musulmaus reprirent
1. C'est de l'ancienne ville de ce uom qu'il est question.
2. Pour toute cette campagne nous avons suivi Ibn-Khaldoun, Hist.
des Berbères, t. I, p. 212 et suiv., 287 et suiv. En-Noueiri (loc. cit.,
p. 332 et suiv.). El-Bekri, passim. El-Kairouani, p. 44 et suiv. Le Baian,
t. I, p. 211 et suiv. Ibu-El-Alhir, t. IV, passim.
CONQUÊTE ARAnU (683)
207
alors le chemin de l'est, traînant à leur suite de noml^reux esclaves
et rapportant le butin fait dans cette belle campaj^ne. Okba avait
amené avec lui, dans le Mag'reb, Koçéïla et Dinar, et n'avait né-
gligé aucune occasion de les mortifier. Un jour, il ordonna au
prince berbère d'écorcher un mouton en sa présence ; contraint de
remplir ainsi le rôle d'un esclave, Koçéïla passait de temps en
temps sa main ensanglantée sur sa barbe en regardant Okba d'une
étrange façon. « Que signifie ce geste ? » demanda le gouverneur.
<i Rien, répondit le Berbère, c'est que le sang fortifie la barbe ! »
Les assistants expliquèrent à Okba qu'il fallait y voir une me-
nace, et Dinar lui reprocha de traiter avec autant d'injustice un
homme d'un rang élevé parmi les siens, lui prédisant qu'il pourrait
bien s'en repentir. Mais Okba, gonflé d'orgueil par ses succès,
voyant les populations indigènes s'ouvrir devant lui avec crainte,
ne pouvait se croire menacé d'un danger immédiat ; et cepen-
dant une vaste conspiration s'ourdissait autour de lui. Koçéïla
avait pu envoyer des émissaires aux gens de sa tribu et à ses alliés,
et tout était préparé pour la révolte.
Parvenu dans le Zab, Okba, qui considérait tout le Mag'reb
comme soumis, renvoya son armée par détachements vers sa ca-
pitale. Quant à lui, ne conservant qu'un petit corps de cavalerie,
il voulut reconnaître ces forteresses des environs de l'Aourès où il
avait éprouvé une résistance inattendue, afin d'étudier les moyens
de les réduire. Mais il avait compté sans la vengeance de Koçéïla.
Parvenu à Tehouda, au nord-est de Biskra, le général qui, depuis
quelque temps, était suivi par les Berbères, se trouva tout à coup
face à face avec d'autres ennemis, commandés par des chefs chré-
tiens. La victoire, comme la fuite, était impossible, il ne restait
aux Arabes qu'à mourir en braves. Ils s'y résolurent sans fai-
blesse et, ayant brisé les fourreaux de leurs épées, attendirent le
choc de l'ennemi. Dinar, auquel la liberté avait été rendue et qui
pouvait fuir, voulut partager le sort de ses compatriotes. Le
combat ne fut pas long ; enveloppés de toute part, les guerriers
arabes furent bientôt anéantis ; un très petit nombre fut fait pri-
sonnier (G83) .
Ainsi périt au milieu de sa gloire Okba-ben-Nafa, le chef qui a
le plus contribué à la conquête de l'Afrique parles Arabes, l'apôtre
farouche de l'islamisme chez les Berbères. D'un caractère vindi-
catif, fanatique à l'excès, sanguinaire sans nécessité, il faisait suivre
ses victoires de massacres inutiles. Son tombeau est encore un
objet de vénération pour les fidèles et a donné son nom à l'oasis
qui le renferme.
208
HISTOIRE DK L AFRIQUE
La Berbérie libre sors l'autorité de Koçéïla. — Un seul cri de
guerre poussé par les indigènes accueillit la nouvelle du massacre
de Tehouda. En un instant, tous les Berbères furent en armes,
prêts à se ranger sous la bannière de Koçéïla, pour expulser leurs
oppresseurs. Les débris des populations coloniales firent cause
commune avec eux.
Zohéïr-ben-Kaïs essaya d'organiser la résistance, mais ses guer-
riers avaient perdu toute confiance et n'aspiraient qu'à rentrer en
Orient. Force lui fut d'évacuer Kaïrouan ; il alla, suivi d'une
partie des habitants de cette ville, se réfugier à Barka. Bientôt
Koçéïla, à la tête d'une foule immense, se présenta devant Kaï-
rouan dont les portes lui furent ouvertes par les habitants. Grâce
aux ordres sévères donnés par le roi indigène, aucun pillage, aucun
excès ne fut commis, rare exemple de modération que les Musul-
mans n'avaient pas donné et qu'ils se garderont bien d'imiter.
La Berbérie avait, en un jour, recouvré son indépendance. Ko-
çéïla, reconnu par tous comme roi, établit le siège de son gouver-
nement dans ce Kaïrouan que les envahisseurs avaient construit
pour une tout autre destination. L ue alliance étroite fut cimentée
entre lui et les chrétiens, qui reconnurent même son autorité.
Quant aux Berbères, en reprenant leur liberté, ils s'étaient em-
pressés de répudier le mahométisme, devenu pour eux le symbole
de l'asservissement.
Pendant cinq années (de 683 à 688), Koçé'ila régna sur le Ma-
g i'eb, avec une justice que ses ennemis mêmes durent reconnaître'.
La paix et la tranquillité étendirent pendant quelque temps leurs
bienfaits dans ce pays désolé par la guerre ; mais ce répit devait
être de courte durée.
Nouvelles guerres civiles en Arabie. — La guerre civile, qui
avait de nouveau éclaté en Orient, ne laissait pas aux Arabes le
loisir de s'occuper de la Berbérie. Le khalife Yézid était entouré
d'ennemis, ou plutôt de compétiteurs. Le premier qui leva l'éten-
dard de la révolte fut El-IIoucéïn, deuxième fils d'Ali. Il comptait
sur l'appui des Arabes de l'Irak, mais il périt dans le combat de
Kerbela (le 10 octobre 680). Abd-Allah, fils de Zobé'ir, dont il a
été déjà plusieurs fois question, avait été le promoteur de la ré-
volte d'El-Houcéïn ; il recueillit son héritage et sut gagner à sa
cause un grand nombre à'Emigrés et de parents ou d'amis du
prophète. La Mekke devint le centre de cette révolte; bientôt Mé-
1. Ibn-Khaldouu, Hist. des Berbères, t. I, p. 208 et suiv. Eu-Nouéiri,
p, 334 et suiv. El-Kairouani, p. 44 et suiv.
CONQUÊTE ARABE (684)
209
dine fut entraînée dans la conjuration, et les Oméïades se virent
expulsés de cette ville. Après avoir en vain essayé de traiter avec
les rebelles, le khalife envoya dans le sud une armée qui rentra en
possession de Médina ; cette ville fut livrée au pillage et les habi-
tants emmenés comme esclaves. Ainsi les Syriens trouvaient l'oc-
casion d'assouvir leur haine contre les Défenseurs.
La Mekke, assiégée par l'armée du khalife, résistait avec vigueur,
lorsque, le 10 novembre 683,Yezid cessa de vivre. A cette nou-
velle, les assiégeants démoralisés levèrent le siège, le fils de Zobé'ir
prit alors le titre de khalife, reçut le serment des provinces méri-
dionales, rentra en possession de Médine et envoya des gou-
verneurs en Irak et en Egypte.
Pendant ce temps, l'anarchie était à son comble en Syrie.
Moaou'ia, fils aîné de Yezid, semblait désigné pour être son suc-
cesseur ; mais aucune précaution n'avait été prise, et, conformément
aux principes posés par Omar, le khalifat devait se transmettre
par élection et non par hérédité. Une autre cause venait aug-
menter le trouble : Moaou'ia étant petit-fils d'un kelbite, les ka'i-
sites refusaient de le reconnaître, et ils ne tardèrent pas à se pro-
noncer pour Abd-Allah-ben-Zobé'ir.
Sur ces entrefaites, Moaou'ia vint à mourir, et l'on vit les pré-
tendants surgir de toute part et trouver toujours une tribu prête
à les appuyer. Dahhak-ben-Ka'is avait été élu par les kaïsites,
l'oméïade Merouan-ljen-cl-Hakem fut proclamé par les kelbites
(juillet 68 i). Peu après, kelbites et ka'isites en vinrent aux mains
dans la bataille dite de la Prairie, où Dahhak trouva la mort. Me-
rouan était maître de la Syrie, et les kelbites triomphaient; la sou-
mission de l'Egypte fut obtenue par lui peu après, mais, dans le
Hedjaz, le fils de Zobé'ir continuait à résister. Une armée de
quatre mille hommes envoyée pour surprendre Médine fut taillée
en pièces en avant de cette ville par Abd-AUah.
Merouan étant mort subitement, son fils Abd-el-Malek lui suc-
céda. Il prenait le pouvoir dans des conditions particulièrement
difficiles, car, en outre du puissant compétiteur contre lequel il
avait à lutter, et de l'anarchie qui s'étendait partout, il avait à ré-
duire deux redoutables ennemis, deux sectes religieuses sur les-
quelles nous devons entrer dans quelques détails, en raison du
rôle qu'elles sont appelées à jouer en Afrique.
Les Kharedjites et les CiiiA'ixEs. - — Nous avons indiqué précé-
demment dans quelles conditions le schisme des Kharedjites s'était
formé. Se posant en réformateurs puritains, ne tenant aucun
compte des motifs de rivalité qui divisaient les Arabes, ils consi-
T. I. 14
210
mSTOIRK I)i; I, AFRigi E
déraient ceux qui n'étaient pas de leur secte comme des infidèles,
et étaient ainsi les ennemis de tous. On a vu avec quelle rifjueur
ils furent traités. Retirés dans l Ahouaz, ils rompirent toutes rela-
tions avec les autres Arabes et, s"appuyant sur ce passage du
Koran : « Seigneur, ne laisse subsister sur la terre aucune famille
infidèle, car si tu en laissais, ils séduiraient tes serviteurs et n en-
fanteraient que des impies et des incrédules ! », ils décidèrent
bientôt le massacre de tous les infidèles. Ils vinrent, en répandant
des torrents de sang sur leur passage, assiéger Basra ; la terreur
que ces télés rasées ' inspiraient était si grande que les gens de
Basra envoyèrent leur hommage au fils de Zobéïr, en implorant
son secours.
L'autre secte, celle des Chiaïles, avait ét« formée par les par-
tisans d'Ali et de ses fils. Ils prétendaient que le khalife ne pouvait
être pris que dans la descendance de Mahomet par sa fille Fatima
(épouse d'Ali). Ils accordaient, du reste, au fondateur de l'isla-
misme des attributs divins et prêchaient la soumission absolue à
ses paroles. C'était une secte essentiellement persane, se recrutant
de préférence parmi les affranchis originaires de cette nation ^.
« Nulle autre secte — dit encore l'auteur que nous citons —
n'était aussi simple et crédule, nulle autre n'avait ce caractère
d'obéissance passive ». Leur chef Mokhtar arracha, par un hardi
coup de main, Koufa au lieutenant de Ben-Zobé'i'r i'686), puis il
marcha contre les Syriens qui s'avançaient et les mit en déroute.
Peu après, les Chia'ites étaient défaits à leur tour par les troupes
du fils de Zobé'ir ; c'était un grand service rendu à son compétiteur
Abd-el-Malek. Celui-ci, ayant repris l'offensive contre les Chia'ites,
obtint sur eux quelques succès qui les décidèrent à traiter avec
lui, et bientôt l'Irak reconnut son autorité.
\'lCTOIRE DE ZoHÉ'lR SUR LES BeRBI-RES. ^IoRT DE KoCElLA.
Malgré les difficultés auxquelles Abd-El-Malek avait à faire face, il
ne cessait de tourner s^es regards vers la Berbérie. Il recevait du
reste des appels pressants du gouverneur de l'Egypte, auquel
Zohé'ir demandait des renforts pour reprendre l'offensive. A'ers 688,
un corps de plusieurs milliers d'Arabes lui fut envoyé, ainsi que des
secours en argent. Zohé'ir se mit alors en marche vers l'Ifrikiya.
Kocé'ila jugeant la position de Ka'irouan peu favorable pour la
défense, s'était retiré à Mems, à l'est de Sebiba, près de la branche
orientale de la Medjerda et y attendait, dans une position retran-
1. Conformément à une prescription de leur secte.
2. Dozy, Hist. fies Mus. d'Espagne, I. I, p. 158.
CONQUÊTE ARABE (690)
211
chée, l'attaque de rennemi; des contingents grecs et des colons
latins étaient venus l'y rejoindre.
Zohéïr rentra, sans coup férir, en possession de Kaïrouan, puis,
après avoir donné trois jours de repos à ses troupes, il marcha
contre l'ennemi. La bataille fut longue et acharnée; mais les
indigènes, ayant vu tomber Kocéïla et les principaux chefs chré-
tiens, commencèrent à plier. Les Musulmans redoublèrent alors
d'ardeur et la victoire se décida pour eux. La déroute fut désas-
treuse. Poursuivis l'épée dans les reins, les Berbères se jetèrent
en partie dans l'Aourès; les autres gagnèrent le Zab, où les Arabes
les relancèrent. La tribu des Aoureba fut à peu près détruite; ses
débris cherchèrent un refuge dans le Mag'reb central et se fixèrent
dans les montagnes qui environnent Fès, où ils se fondirent parmi
les autres Berbères. C'est un nom que nous n'aurons plus l'occa-
sion de prononcer.
Zohéïr évacue l'IfruvIya. — Zohé'ir rétablit ainsi l'autorité arabe
en Mag'reb; mais cette victoire était précaire, car le peuple
indigène, malgré ses pertes, restait à peu près intact, et son hos-
tilité n'attendait qu'une occasion pour se manifester. Le général
arabe manquait de troupes pour compléter sa conquête et le khalife
n'était certes pas en mesure de lui en envoyer. Il n'est donc pas sur-
prenant que Zohé'ir ait songé à la retraite ; de plus, les auteurs nous
le représentent comme un musulman fervent, n'ayant pas les
qualités administratives nécessaires dans sa situation. Et puis, il
était bien loin pour suivre les événements d'Orient; or, tous ces
premiers conquérants avaient les yeux tournés vers l'est. El-
Kairouani prétend que « Zohé'ir ne tarda pas à reconnaître combien
était lourd le fardeau. dont il était chargé et craignit que son cœur
ne se corrompît au sein de la puissance et de l'abondance dont il
jouissait enifrikiya' ». Quoi qu'il en soit, il quitta Ka'irouan avec
ses principaux guerriers. Parvenu à Barka, il se heurta contre une
troupe de Grecs qui venaient de faire une descente et de ravager le
pays. Il les attaqua aussitôt, malgré la supériorité de leur nombre,
et périt avec toute son escorte (690).
Mort du fils de Zobé'ir. Triomphe d'Abd-el-Malek. — Abd-el-
Malek reçut la nouvelle du désastre d'Afrique alors qu'il était
occupé à réduire les Chia'ites. Après avoir traité avec eux et soumis
l'Irak à son autorité, il ne pouvait encore se tourner vers l'Afrique,
car il fallait, avant tout, vaincre son compétiteur Abd-Allah. Celui-
1. P. 51.
212
HISTOIRE DU 1,'aFRIQUE
ci se flattait que le khalife n'oserait pas assiéger La Mekke. Il se
trompait. Bientôt l'armée syrienne, commandée par El-Hadjadj,
parut sous les murs de la ville sainte et en commença l'investissement
(692). Durant de longs mois, les assiégés résistèrent avec énergie à
toutes les attaques et supportèrent les tourments de la famine. Le
courage d'Abd-Allah était soutenu par sa mère, âgée de près de
cent ans ; lorsque tout moyen de résister fut épuisé, elle répondit
sto'iquement à son fils qui lui demandait ce qu'il lui restait à faire:
« mourir! ». Peu d'instants après, Abd-Allah, s'étant armé de pied
en cap, vint dii'e un dernier adieu à sa mère ; mais celle-ci, aperce-
vant qu'il portait une cotte de maille, la lui fit enlever en disant:
« Quand on est d 'cidé à mourir, on n'a pas besoin de cela. » Le
fils de Zohéïr, après avoir combattu bravement, tomba percé de
coups; sa tête fut envoyée au khalife (oct. 692). Ainsi finit cette
révolte qui durait depuis de longues années. Abd-el-j\Ialek restait
maître incontesté du khalifat, mais de quelles difficultés n'était-il
pas environné? Les Kharedjifes étaient toujours en insurrection et
l'Irak sans cesse menacé. Plusieurs armées envoyées contre eux
avaient subi de honteuses défaites, suivies de cruautés épouvan-
tables, car la férocité de ces sectaires contre les païens s'accrois-
sait avec les difficultés qu'ils rencontraient. Enfin El-Hadjadj, le
vainqueur du fils de Zobéïr, fut chargé de réduire les rebelles et,
après deux années de luttes, il parvint, grâce à son énergie, à les
forcer de mettre bas les armes (696) . Les Kelbites avaient contribué
pour beaucoup au triomphe du khalife et faisaient valoir avec arro-
gance leurs services. Abd-el-Malek , irrité de leurs exigences,
accorda toutes ses faveurs aux Kaïsites, et accabla d'humiliations
leurs rivaux.
Situation de l'Afrique. La Kahéna. — Libre enfin, le khalife
tourna ses regards vers l'Afrique et se disposa à tirer vengeance
de la défaite et de la mort de son lieutenant.
Après la fuite des Arabes, la révolte s'était répandue de nouveau
chez les Berbères: les Aoureba étaient détruits, et chaque tribu pré-
tendait imposer son chef aux autres ; de là des luttes interminables.
Dans les derniers temps une sorte d'apaisement s'était produit et
les indigènes de l'Ifrikiya avaient reconnu l'autorité d'une femme
Dihia ou Damïa, fille de Tabeta, fils d'Enfak, reine des Djeraoua
(Zénètes) de l'Aourès. Cette femme remarquable appartenait,
dit El-Kaïrouani, à une des plus nobles familles berbères ayant
régné en Afrique. « Elle avait trois fils, héritiers du commande-
ment de la tribu et, comme elle les avait élevés sous ses yeux, elle
les dirigeait à sa fantaisie et gouvernait, par leur intermédiaire.
CONQUÊTE ARABE (696)
213
toute la tribu. Sachant par divination la tournure que chaque affaire
importante devait prendre, elle avait fini par obtenir, pour elle-
même, le commandement ' . » Cette prétendue faculté de divination
fît donner à Dihia, par les Arabes, le surnom d'El-Kahéna. (la
devineresse). Sa tribu élait juive, ainsi que Tafflrme Ibn-Khaldoun ^,
et il est possible que ce nom de Kahéna, que les Musulmans lui appli-
quaient, avec un certain mépris, ait été, au contraire, parmi les
siens, une qualité quasi-sacerdotale.
Les relations de la Kahéna avec Kocéïla et la part active qu'elle
prit à la conspiration qui se dénoua à Tehouda, sont affirmées par
les auteurs. Après la mort de Kocéïla, un grand nombre de Ber-
bères se joignirent à elle, dans ses retraites fortifiées de TAourès.
Ainsi le drapeau de l'indépendance berbère avait été relevé par
une femme qui avait su rallier les forces éparses de ce peuple,
calmer les rivalités et imposer son autorité même aux Grecs. La
situation avait donc changé de face en Berbérie et les Arabes allaient
en faire l'épreuve.
Expédition de Haçane en Mag'keb. Victoire de La Kahéna. —
En 696, le khalife ayant réuni une armée de quarante mille hommes
en confia le commandement à Haçane-ben-Nomane, le Ghassanide,
et l'envoya en Egypte, où son autorité était encore méconnue en
maints endroits. I^ année suivante, il lui expédia l'ordre de mar-
cher sur le Mag'reb. « Je te laisse les mains libres, lui écrivit-il,
puise dans les trésors de l'Egypte et distribue des gratifications à
tes compagnons et à ceux qui se joindront à toi. Ensuite, va faire
la guerre sainte en Ifrikiya et que la bénédiction de Dieu soit
avec toi »
Parvenu en Mag'reb avec son immense armée, Haçane entra à
Ka'irouan, dont la possession ne lui fut pas disputée ; puis il alla
attaquer et enlever Karthage. Les habitants eurent en partie le
temps de se réfugier sur leurs navires et de gagner les îles de la
Méditerranée. Quant aux trou[)es grecques, elles essayèrent de se
rallier à Satfoura, près de Benzert, mais ce fut pour essuyer un
véritable désastre. Sur ces entrefaites, une ffotte ])yzantine, envoyée
de Constantinopl ", sous le commandement du patrice Jean, aborda
à Karthage. Appuyés par les indigènes et des aventuriers de toute
race, les Grecs rentrèrent facilement en possession de cette ville.
1. El-Kairouaiii. p. 5.3. Ibu-Khaldoun, t. I. p. 213 t. III, p. 193.
En-Nouéiri, p. 338 et suiv.
2. T. I, p. 208.
3. En-Nouéïri, p. 338.
214
HISTOIRE DE L AFRIQLE
Mais aussitôt le khalife équipa et expédia une flotte considérable
qui ne tarda pas à arriver en Afrique ; en même temps Haçane
revenait mettre le siège devant Karthage. Ces deux forces com-
binées eurent facilement raison des chrétiens, dont les débris se
rembarquèrent et regagnèrent l Orient (698). Ce fut la dernière
tentative de l'empire pour conserver sa colonie africaine. Dès lors
les chrétiens restés en Ifrikiya se virent forcés d'unir intimement
leur sort à celui des indigènes. Après ces campagnes, Haçane dut
se retirer à Kaïrouan, pour donner quelque repos à ses troupes
et se reformer avant d'entreprendre l'expédition de l'Aourès.
Pendant ce temps, la Kahéna se préparait activement à la lutte
en appelant aux armes les Berbères et en enflammant leur courage.
Ayant appris que Haçane s'était mis en marche, elle descendit de
ses montagnes et alla détruire les remparts de Bar aï, soit pour que
le général arabe ne s'attardât pas à en faire le siège et vînt directe-
ment attaquer les Berbères dans le terrain qu'elle avait choisi,
soit pour qu'il ne pût s'appuyer sur aucun retranchement, s'il était
parvenu à l'enlever.
Haçane marchant directement contre son ennemi lui livra bataille
sur les bords de l'Ouad-Xini, près de Bar aï'. .Au point du jour
on en vint aux mains. L'avant-garde berbère, commandée par un
ancien général de Kocéïla, obtint les premiers succès et, après une
lutte acharnée, les .Arabes furent enfoncés de toutes parts et mis
en pleine déroute. Haçane, avec les débris de ses troupes, prit la
fuite vers l est, poursuivi l'épée dans les reins jusqu'à Gabès: il
ne s'arrêta que dans la province de Barka, où il s'établit dans des
postes retranchés qui reçurent son nom: Koçoar Haçane.
La Kaiiéxa reine des Berbères. Ses destructions. — Les Arabes
avaient laissé sur le champ de bataille un grand nombre d'entre
eux ; de plus, quatre-vingts prisonniers, presque tous nobles,
étaient aux mains des vainqueurs. La Kahéna les traita avec bonté
et les mit en liberté, à l'exception d'un seul, Khaled, fils de Yézid,
de la tribu de Kaïs, jeune homme d'une grande beauté, qu'elle
combla de présents et qu'elle adopta en faisant le simulacre de
l'allaiter, coutume qui, selon le Ba'ian, consacrait l'adoption chez
les Berbères. Nous verrons plus loin de quelle façon Khaled
reconnut ces procédés. .Ainsi, pour la deuxième fois, les sauvages
Berbères donnaient une leçon d'humanité à ceux qui se présentaient
1. Ibn-Khaldoun doune la Meskiaiia comme le théâtre de cette ba-
taille; mais nous adoptons l'indication d'Eu-Noiiéiri qui est la plus
plausible.
CONQUÊTE ARABE (703)
215
comme les apôtres du vrai Dieu el qui n'employaient d'autres
moyens que la violence, le meurtre et la dévastation.
L'Ifrikiya et même, s'il faut en croire les auteurs arabes, tout le
Mag'reb, reconnurent alors l'autorité de la Kahéna. De quelle
façon exerça-t-elle le pouvoir suprême? D'après un passage d'En-
Nouéïri, la Kahéna aurait tyrannisé les Berbères. Il est certain que,
prévoyant le retour des Arabes, elle chercha à les éloigner en
faisant le vide devant eux. « Les Arabes veulent s'emparer des
villes, de l'or et de l'argent, tandis que nous, nous ne désirons
posséder que des champs pour la culture et le pâturage. Je pense
donc qu'il n'y a qu'un plan à suivre: c'est de ruiner le pays pour
les décourager'. » Tel fut son raisonnement et, passant aussitôt à
l'exécution, elle envoya des agents dans toutes les directions, ruiner
les villes, renverser les édifices, détruire et incendier les jardins.
De Tunis à Tanger, le pays qui, au dire des auteurs, n'était qu'une
succession de bosquets, fut transformé en désert.
Ce sacrifice était liéroïque. Il a été pratiqué plus d'une fois par
des patriotes préférant leur propre ruine à la servitude; mais les
Berbères n'ont jamais su sacrifier au salut de la patrie leurs intérêts
immédiats, l'^t puis, il y avait', dans la rigueur de cette mesure,
comme une sorte de vengeance du nomade habitant des hauts
plateaux dénudés, contre les gens du littoral établis dans les cam-
pagnes om])ragécs et fraîches. Rien ne pouvait être plus sensible
à ces petits cultivateurs cpie de voir disparaître en ini jour, avec
leur fortune, le fruit d'ell'orts séculaires. Aussi furent-ils profon-
dément irrités et se détachèrent-ils de la Kahéna.
Défaite et mort de i.a KAnÉXA. — Après sa retraite, Haçane
était resté à Barka, oii il avait reçu du khalife l'ordre d'attendre des
renforts. Mais le Khoraçan venait de se mettre en révolte (700) ;
un Kaïsite du nom de .\I3d-er-Hahman s'était fait proclamer khalife
et bientôt Basra et Koufa étaient tombées aux mains des rebelles.
En 703, Abd-er-Rahman ayant été tué, la révolte ne tarda pas à
être apaisée et le khalife put s'occuper du Mag'reb.
Haçane, après a\(iir reçu des renforts et de l'argent, se mit en
marche, parfaitement renseigné sur la situation en Berbérie par
les nouvelles que lui faisait parvenir l'Arabe Khaled, fils adoptif de
la Kahéna, au moyen d'émissaires secrets.
A l'approche de l'ennemi, la Kahéna ne se fit pas d'illusion sur
le sort qui l'attendait, et l'on ne manqua pas d'attribuer à des pra-
tiques divinatoires ce que sa perspicacité lui faisait entrevoir.
1. Eu-Nouéiri, p. 3i0.
216
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Ayant réuni ses fils, elle leur dit : « Je sais que ma tin approche ;
lorsque je re^^arde TOrienl, j'éprouve à la téte des battements qui
m"en avertissent ' » ; elle leur ordonna de faire leur soumission
au général arabe et de se mettre à son service, ce qui semble indi-
quer une intention de se ven;;er des Berbères, dont la lâcheté
allait causer sa perte. On insistait autour d'elle pour qu'elle prît
la fuite, mais elle repousssa avec indi^niation ce conseil. « Celle
qui a commandé aux chrétiens, aux Arabes et aux Berbères, dit-
elle, doit savoir mourir en reine ! »
Dans quelle localité la Kahéna attendit-elle le choc des Arabes?
S'il faut en croire El-Bekri, elle se serait retranchée dans le châ-
teau d'El-Djem, qui aurait été appelé pour cela Kasr-el-Kahena ;
mais il est plus probable qu'elle se retira dans l'Aourès, car il
résulte de l'élude comparée des auteurs que Ilaçanc marcha direc-
tement vers cette monta<,nie, en passant par Gabès, Gafça et le pays
de Kastiliya. Quand il fut proche du campement de la reine ber-
bèi'e, il vit venir au devant de lui les deux fils de celle-ci, accom-
pagnés de l'Arabe Khaled. Les deux chefs indigènes furent conduits
par son ordre à l'arrière-garde ; quant à Khaled, il reçut le com-
mandement d'un corps d'attaque.
La bataille fut longue et acharnée et, pendant un instant, le
succès parut se prononcer pour les Berbères; mais, dit En-Nouéiri,
Dieu vint au secours des Musulmans, qui finirent par remporter la
victoire. La Kahéna y périt glorieusement. Selon une autre version,
elle aurait été entraînée dans la déroute et atteinte par les Arabes
dans une localité qui fut appelée en coniinéinoration Bir-el-Kahéna.
Sa tête fut envoyée à .\bd-el-^Lilek '. Telle fut la fin de cette
femme remarqualjle. et l'on peut dire qu'avec elle tomba l'indé-
pendance berbère
CONQLÊTE ET ORGANISATION DE L'IfrIKIYA PAR HaÇANE. Après la
défaite de leur reine, les Berbères de cette région se soumirent en
masse au vainqueur et acceptèrent l'islamisme. Ils fournirent à
Haçane un corps de douze mille auxiliaires à la tète desquels les
fils de la Kahéna furent placés. Grâce à ce renfort, le général
arabe put compléter sa victoire en réduisant les autres centres de
résistance où les Grecs, aidés des indigènes, tenaient encore : puis
il rentra à Kaïrouan. Il s'occupa alors de régler les détails de
1. El-Kairouani, p. 54.
2. Ibid.
3. Ibn-Klialdouii, t. I, p. 207 et suiv.. t. III, p. 193 et suiv. Eii-Xouéiri,
p. 339 et suiv. El-Bekri, trad. de Slane, p. 76, 77.
CONQUÊTE ARABE (705)
217
radministration, et nolamnient de la fixation de l'impôt foncier
[kharadj], auquel il soumit les populations berbères et celles d'ori-
|;ine chrétienne
Ce fut, sans doute, vers cette époque qu'il établit à Tunis une
colonie de mille familles coptes venues d'Egypte". Mais c'est en vain
que Ilaçane s'était mérité le surnon de « vieillard intègre ». Les
grandes richesses rapportées de ses expéditions, et conservées par
lui pour le khalife, faisaient des envieux et bientôt il se vit dépos-
sédé de son commandement par le gouverneur de l'Egypte et
reçut l'ordre de se rendre en Orient. Il partit en emportant tout ce
butin qui avait servi de prétexte à sa révocation et dont on le
dépouilla à son passage en Egypte. Mais il avait su conserver ce
qu'il possédait de plus précieux et put enfin le remettre au khalife,
en se justifiant de toute inculpation. On voulut lui restituer son
commandement, mais il protesta qu'il ne servirait plus la dynastie
omé'iade.
MoUÇA-BEN-NoCl';'lR ACHEVE LA CONQUETE DE LA BeRBÉrIE. En 705,
Mouça-ben-Nocéir arriva à Kaïrouan avec le titre de gouverneur
de rifrikiya. Cette province releva directement du khalifat et fut
dès lors indépendante de ri*]gypte. Il trouva un commencement
d'organisation en Ifrikiya, mais dans les deux Mag'reb l'anarchie
était à son comble : les tribus berbères étaient toutes en lutte les
unes contre les autres. Les MagVaoua en profitaient pour s'étendre
au nord et à l'ouest, au détriment des Sanhadja. « Conquérir
l'Afrique est chose impossible, avait écrit le précédent gouverneur
au khalife ; à peine une tril)u berijère est-elle exterminée, qu'une
autre vient prendre sa place ^. » Le Mag'reb était couvert de
ruines et changé en solitude.
Les détails fournis par les auteurs arabes sur les premiers actes
du gouvernement de Mouça sont contradictoires. Il paraît probable
qu'il commença par rétablir la tranquillité dans l'Ifrikiya et le
Mag'reb central, au moyen d'expéditions dans lesquelles il déploya
la plus grande rigueur. En même temps il s'appliquait à former de
bonnes troupes indigènes et à organiser une flotte au moyen de
laquelle il pût piller les îles de la Méditerranée. Cela fait, il en-
treprit une campagne dans l'ouest, où les Berbères n'avaient pas
revu d'Arabes depuis Okba ; aussi avaient-ils repris leur liberté et
répudié le culte musulman. Il intligea d'abord une défaite aux
1. Ibu-Klialdoun, t. I, p. 215.
2. El-Kaïrouani, p. 55.
3. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. 1, p. 229.
218
HISTOIRE DU L AFRIQUE
R omara, mais, par\enu à Ceuta, il trouva cette ville en état de
défense, sous le commandement du comte Julien, et essaya en vain
de la réduire. Il fit des razzias aux. environs, espérant affamer la
place ; mais Julien recevait par mer des vivres d'Espaf,me, et
chaque fois qu il se mesurait avec les Musulmans leur faisait
éprouver de rudes échecs'. Abandonnant ce siège, Mouça pénétra
au cœur de l'Atlas et attaqua e! réduisit les tribus masmoudiennes.
Après s être avancé jusqu'au Sous, il traversa le pays de Derâ et
porta ses armes victorieuses jusqu'aux oasis de Sidjilmassa -.
Ayant soumis toutes ces contrées et exigé des otages de chaque
tribu, il revint vers Tanger et s'empara de cette ville.
Le gouverneur plaça à Tanger un berbère converti du nom de
Tarik, auquel il laissa un corps nombreux de cavaliers inrligènes.
Vingt-sept Arabes restèrent également dans la contrée pour ins-
truire les Berbères dans la religion musulmane. Xcrs 708, le gou-
verneur rentra à Kaïrou-in en rapportant un i)utin considérable
dont le quint fut envoyé au khalife. Il s'occupa avec activité des
intérêts de la religion. <• Toutes les anciennes églises des chrétiens
furent transformées en mosquées », dit l'auteur du Baïan. La con-
quête de r.\frique septentrionale était terminée ; mais ce théâtre
n'était déjà plus assez vaste pour les Arabes; ils allaient reporter
sur l'Europe leur ardeur el faire trembler la chrétienté dans ses
fondements. Déjà, depuis quelques années, ils exécutaient d'auda-
cieuses courses sur mer et portaient la dévastation sur les rivages
de la Sicile, de la Sardaigne et des Baléares.
Ainsi, en un peu plus de cinquante ans, fut consommé l'asser-
vissement du peuple berbère aux Arabes, et l'Afrique devint mu-
sulmane. Mais, si la Berbérie avait changé de maîtres, aucun élé-
ment nouveau de population n'y avait été introduit. Le gouverneur
arabe de Ka'irouan remplaçait le patrice byzantin de Karthage.
De petites garnisons laissées dans les postes importants, des mis-
sionnaires parcourant les tribus pour répandre l'islamisme, ce fut
à quoi se borna l'occupation. Le Mag'reb, tout en se laissant exté-
rieurement arabiser, demeura purement berbère. La faiblesse de
l'occupation, qui ne fut pas complétée par une immigration colo-
niale, devait permettre aux indigènes de se débarrasser bientôt de
la domination du khalifal.
1. Aklibar Madjouiiia, np id Dozy, Reclierches sur l'histoire de l'Es-
pagne, t. I, p. 45.
2. Tafilala.
CHAPITRE III
CONQUÊTE DE L'ESPAGNE. — RÉVOLTE KIIAREDJITE
709 — 750
Le comte Julien pousse les Arabes à la romiuèle de l'Espagne. — Con-
quête de l'Espagne ])af Tarik et Mouça. Destitution de Mou(;a. — Situation
de l'Afrique et de l'Espagne. — Gouvernemeul de Molianinu'd-licn-Yezid. —
Gouvernement d'Isinaïl - hen -Ahd -Allah. — Gouvernement de Yezid-ben-
Abou-Moslem ; il est assassiné. — Gouvernement d'Obéïd-.\llah-ben-El-
llabhab. — Gouvernement do Dichr-ben-Safouane. — Incursions (b^s Jlusnl-
mans en Gaule; bataille de Poitiers. — Despotisme et exactions diïs Arabes.
— Révolte de Meieera, soulèvement général des Rerbères. — Défaite de
Koltoum à rOuad-Sebou. — Victoires de llendhala sur les Kliaredjites. —
Révolte de l'Espagne ; les Syriens y sont transportés. — Abd-er-Ilahman-
ben-Ilabib usurpe le gouvernement de l'IfriUiya. — Chute de la dynastie
oméïade : établissement de la dynastie abbasside.
Le comte Julien pousse les Arabes a la conquête de l'Espagne.
— Si toute résistance ouverte avait cessé en Afrique, le pays ne
pouvait cependant pas être considéré comme soumis d'une façon
définitive. Les Berl)ères étaient plutôt épuisés que domptés, et l'on
devait s'attendre à de nouvelles révoltes, aussitôt qu'ils auraient
eu le temps de reprendre haleine. Un événement inattendu vint en
ajourner l'explosion, en fournissant un aliment aux forces actives
berbères.
En 709, ^^'iUi/,a, roi des Goths d'Espagne, élant morl, un de ses
guerriers, nommé Hoderik, s'empara du pouvoir, ou peut-être y
fut porté par acclamation, au détriment des fils de son prédé-
cesseur, nommés Sisebert et Oppas'. Ceux-ci vinrent à Geuta
demander asile au comte Julien et furent rejoints en Afrique par
les partisans tle la famille spoliée. Peut-être faut-il ajouter à cela
la tradition d'après laquelle une fille de Julien, qui se trouvait à
la cour des rois j^oths, aurait été outragée par Roderik. Toujours
est-il que Julien devint l'ennemi le plus acharné de cette dynastie
et ne songea qu'à tirer de son chef la plus éclatante vengeance.
Entré en relations avec Tarik, gouverneur de Tanger, il ouvrit à
ce Berbère son petit royaume et le poussa à envahir l'Espagne, lui
1. Akhbar Madjouina, loc. cil., p. 46.
220
HISTOIRE DE L AFRIQUE
offrant de lui servir de guide et lui donnant des renseignements
précieux sur l'intérieur du pay.-.
Le khalife Abd-el-Malek était mort et avait été remplacé par son
fils El-Oualid, en 705. Mouça ne pouvait se lancer dans une entre-
prise telle que la conquête de l'Espagne, sans lui demander son
assentiment; mais le khalife voulut avant tout qu'on reconnût bien
les lieux. « Faites explorer l'Espagne par des troupes légères, mais
« gardez-vous d'exposer les Musulmans aux périls d'une mer ora-
« geuse, » telles furent ses instructions. En conséquence, Mouça
chargea un de ses clients nommé Tarif d'aller faire une reconnais-
sance, et lui confia dans ce but quatre cents hommes et cent
chevaux 1. Ayant abordé à l'île qui reçut son nom (Tarifa), ce
général occupa Algésiras et reconnut que sa baie était fort pro-
pice à un débarquement. Il rentra en Afrique avec un riche butin
et de belles captives (710).
Conquête de l'Espagne par Tarik et Mouça. — Le khalife ayant
alors autorisé l'expédition, on établit un camp près de Tanger et
bientôt une armée de sept ou huit mille Berbères convertis, avec
trois cents Arabes - comme chefs, s'y trouva concentrée. En mai
711, l'armée traversa le détroit, au moyen de quatre navires four-
nis sans doute par Julien, et aborda au pied du mont Calpé, qui
fut appelé du nom du chef de l'expédition Djehel Tarik. Ce géné-
ral reçut encore un renfort de cinq mille Berbères, puis, ayant
brûlé ses vaisseaux, il pénétra dans l'intérieur du pays, guidé par
le comte Julien.
Roderik était occupé à combattre les Basques, dans le nord de
son royaume. En apprenant l'invasion des Arabes, il réunit des
forces s'élevant, dit-on, à cent mille hommes, et marcha contre
les ennemis. La rencontre eut lieu en un endroit appelé par
certains auteurs arabes Ouad-Bekka', et les ennemis en vinrent
aux mains le 17 juillet. Pendant huit ou neuf jours consécutifs, il
y eut une suite de combats, mais les ailes de l'armée des Visigoths
1. Akhhar Madjouma, loc. cit.. p. 47.
2. On a beaucoup discuté sur le cliIIFre et hi composiliou de celte ar-
mée expéditionuaire. Nous adoptons les renseignements fournis à cet
égard par En-Nouéiri, p. 344 et suiv., Ibu-Khaldoun. t. I, p. 245, et El-
Kaïrouani, p. 58. h' Akhhar Madjouma donne le chiffre de 7,000 Berbères.
3. D'autres ont écrit ouad Leka, et cette rivière a été assimilée au
Guadalete. Mais Dozy a établi qu'il faut adopter Ouad-Bekka, contrée
qui se trouve « à une lieue au nord do l'embouchure du Barbate, non
loin du cap Trafalgar, entre Vejor de la Froutera et Cornil. • {Recherches
sur l'histoire de V Espagne, t. I, p. 314 et suiv.).
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (713)
221
ayant lâché pied, le centre, où se trouvait le roi, eut à supporter
tout l'effort des Musulmans. Roderiiv mourut en combattant et son
armée se débanda. D'après la chronique que nous avons plusieurs
fois citée, le roi goth aurait confié le commandement des deux
ailes de son armée aux fils de Wittiza, réconciliés avec lui ; mais
ceux-ci, pour se venger de l'usurpateur, l'auraient trahi en entraî-
nant les troupes confiées à leurs ordres'.
Les chrétiens, s'étant ralliés auprès d'Ejiça, y essuyèrent une
nouvelle défaite. Ce double succès mit fin à l'empire des Goths et
ouvrit l'Espagne aux Musulmans.
Tarik, sans tenir compte des ordres de Mouça qui lui avait fait
dire de l'attendre, continua sa marche victorieuse sur Tolède,
alors capitale de l'Espagne, tandis que trois corps détachés allaient
prendre possession de Grenade, de Malaga et d'Elvira. S'étant
rendu maître de Tolède, il y réunit toutes ses prises, qui étaient
considérables, pour les remettre au gouverneur de l'Afrique.
Lorsqu'une ville était enlevée, les Musulmans armaient les Juifs s'y
trouvant et les chargeaient de la défendre ; puis ils continuaient
leur route ^.
Mouça avait appris avec une vive jalousie les succès de son
lieutenant, et il s'était décidé aussitôt, malgré son grand âge, à se
rendre en Espagne. C'était un homme de très basse extraction,
dominé par la soif de l'or, et cette passion n'avait pas été sans lui
attirer de graves affaires. Ayant réuni une armée de quinze à dix-
huit mille guerriers, tant arabes que berbères, il partit pour
l'Espagne, en laissant l'Ifrikiya sous le commandement de son
fils Abd-AUah et débarqua à Algésiras pendant le mois de ramadan
93 (juin-juillet 712). Au lieu de traverser les pays conquis par
Tarik, Mouça voulut suivre une nouvelle voie et conquérir aussi
des lauriers ; des chrétiens lui servirent, dit-on, de guides. Car-
mona et Séville tombèrent en son pouvoir, mais il fut arrêté par
Mérida ^, ville somptueuse qui contenait un nombre considérable
d'habitants, et dont il dut entreprendre un siège régulier. Ce ne
fut qu'en juin 713 qu'il parvint à se l'endre maître de Mérida,
après une résistance héroïque des assiégés.
Sur ces entrefaites, Mouça, s'étant rendu à Tolède, se rencontra
auprès de cette ville avec Tarik. Il avait conçu contre celui-ci
une violente jalousie qui s'était transformée en haine ardente ;
aussi, bien que son lieutenant se présentât avec l'attitude la plus
1. Akhar Madjouma.
2. Ibid., p. 55.
3. L'antique Emerila-Augusta.
222
HISTOIRE DE I. AFRIQUE
respectueuse, il l'accabla d injures et de reproches et, dans sa vio-
lence, alla jusqu'à le frapper au visag'e ; puis il le fit jeter dans
les fers et aurait ordonné sa mort, si des officiers ne s'étaient inter-
posés. Cette conduite souleva contre lui une véritable réprobation,
dont l'expression fut portée au khalife'.
DESTiTL rioN Di; Moi çA. — Taiulis que les Berbères, conduits par
les Arabes, conquéraient rKspag:ne au khalifat, les armées musul-
manes s'emparaient de Samarkand, et s'avançaient victorieuses
vers l'est, à travers 1 Inde, jusqu'à l'Himalaya. L'histoire n'offre
peut-être pas d'autre exemple de succès aussi fjrands dans un règ^ne
aussi court que celui d'El-Oualid. Mais ce prince n'entendait pas
partager sa puissance avec ses généraux, et il trouvait que les con-
trées sur lesquelles s'étendait l'autorité de Mouça étaient bien
grandes. Aussi, saisit-il avec empressement l'occasion fournie par
l'odieuse conduite de son lieutenant, pour lui intimer l'ordre de se
présenter devant lui.
Mouça, qui venait de s'avancer en vainqueur jusqu'aux Pyrénées,
ne voulut pas croire qu'on le rappelait et il fallut qu'un nouvel
émissaire vint prendre par la bride sa monture, pour le décider à
s'arrêter. Le gouverneur, laissant, en Espagne, le commandement à
son fils Abd-el-Aziz, rentra à Kairoqan pour se préparer au dé-
part. Son troisième fils, Abd-el-Malek , fut placé à Ceuta, afin de
commander le détroit. En 715, Mouça partit pour l'Orient, em-
portant un butin considérable, enlevé aux palais et aux églises de
la péninsule. A sa suite marchaient enchaînées trente mille escla-
ves chrétiennes*. Ces riches présents ne purent désarmer la colère
du khalife qui l'accabla de reproches et le frappa d'une forteamende.
Peu de jours après, El-Oualid cessait de vivre et était remplacé
par son frère Solé'iman. C'était la chute des ka'isites ; mais
Mouça, bien que kelbile, n'en profita pas et resta dans l'ombre
jusqu'à sa mort.
Situation de l'Afrique et de l'Espagne. — Cependant, en Afri-
que, les Berbères continuaient à se jeter en foule sur l'Espagne.
La vue des prises rapportées par Mouça avait enflammé leur
cupidité et redoublé l'ardeur des néophytes. Aussitôt qu'un groupe
était prêt, on l'envoyait à la guerre sainte, et ce courant ininter-
1. Ibu-Kli:ildauu, t. I, p. 216, 348. Eii-Nouéiri, p. 345. El-Kairouani.
p. 57 et suiv. El-Marrakchi [Hist. des Almohades, édit. arabe de Dozy,
Leyde, 1847, p. 6 et suiv.).
2. 11 est inutile de faire ressortir l'exagération de ce chiffre.
CONQUÊTE DE l"esI>AGNE |715)
•223
rompu permettait de se porter en avant, car les premiers arrivés
s'étaient établis clans le territoire conquis. Les Arabes, profitant de
la conquéLe faite par les Berbères, avaient commencé par garder
pour eux la fertile Andalousie. Quant aux Africains, on les avait
relégués dans les plaines arides de la Manche et de l'Estramadure,
dans les âpres montagnes de Léon, de Galice, d'Asturie, où il
fallait escarmoucher sans cesse contre les chrétiens mal domptés'.
Les Musulmans, poussés par derrière par les arrivées incessantes,
n'allaient pas tarder à franchir les Pyrénées. Des chefs arabes les
conduisaient au pillage de la chrétienté.
Mouça avait partagé entre ses guerriers les terres et le butin
conquis par les armes, en réservant toutefois le cinquième pour
le prince. Les terres ainsi réservées formèrent le domaine public
et furent cultivées par des indigènes, chrétiens ou convertis, qui
reçurent comme salaire le cinquième des récoltes, en raison de
quoi ils furent appelés kheinmns. Dans les localités oii les popu-
lations s'étaient soumises en vertu de traités, les chrétiens conser-
vèrent leurs terres et leurs arbres, à charge de payer un impôt
foncier. Du reste, un grand nombre de chrétiens embrassèrent
l'islamisme, soit pour conserver leurs biens, soit pour échapper
aux mauvais traitements. Selon une chronique latine, ces apostats
répondaient aux reproches de leurs prêtres : « Si le catholicisme
était la vi'aie religion, pourquoi Dieu aurait-il livré notre pays, qui
pourtant était chrétien, aux sectateurs d'un faux prophète ? Pour-
quoi les miracles que vous nous racontez ne se sont-ils pas renou-
velés, alors qu'ils auraient pu sauver notre patrie ? »-.
Abd-el-Aziz, en Espagne, avait continué à étendre les conquêtes
des Musulmans. Séduit par les charmes de la belle Egilone, veuve
de Roderik, il l'avait épousée, bien qu'elle fût chrétienne. Il vivait
en roi à Séville, nouvelle capitale du pays, et traitait les popula-
tions chrétiennes avec une grande douceur. Cette bienveillance
1. Dozy, Musulmans d' Espagne, t. I, p. 255.
2. Dozy, Recherches sur t'hisl. de l'Espagne, t. l, p. 19 et passim.
La loi musulmane dispose que tous les biens mobiliers ou immobiliers
conquis les armes à la muiu appartiennent aux vainqueurs, déduction
faite du cinquième revenant au prince. Les terres appartiennent au prince
seul, loisqu'eiles sont acquises par traité ou échange. Les Inlidèles
peuvent acheter la faveur de continuer à les exploiter, en payant la Dja-
zia (tribut). Ceux qui occupent les teires conquises sont frappés d'uu
cens déterminé, appelé ÀVia/'flf?/. L'infidèle se débarrasse de ces charges
en devenant musulman. Le cinquième prélevé sur les dépouilles doit être
employé par le prince en dépenses d'intérêt général. \ oir Institutions du
droit musulman relatives à la guerre sainte, par Reland, trad. Solvet (Al-
ger, 1838), et Koran, sour. 8, v. 42.
224
iiiSTomn: dk l Afrique
irritait le fanatisme des Musulmans, qui l'attribuaient à Tinfluence
d'Egilone, et les ennemis du gouverneur répétaient qu'il était sur
le point d'abandonner l'islamisme et de se déclarer roi indépendant.
GoL VERNEMENT DE M(HiAMMED-iiEN-YEZiD. — Cependant le khalife
Soléïman, après avoir cherché un homme digne de sa confiance,
nomma comme gouverneur de l'Ifrikiya Mohammed-ben-Yezid,
et le chargea de réclamer aux fils de Mouça des sommes considé-
rables, sous le prétexte que leur père ne s'était pas acquitté des
amendes à lui imposées. Dès son arrivée en Afrique, le nouveau
gouverneur fit arrêter Abd-Allah et Abd-cl-Malek et les tint dans
une étroite captivité ; El-Kairouani prétend même qu'ils furent
mis à mort.
Ces procédés n'étaient pas faits pour rattacher Abd-el-Aziz au
khalife. On dit qu'il rompit entièrement avec lui. Ne pouvant son-
ger à l'attaquer ouvertement, Solé'iman écrivit secrètement à El-
Habib-ben-Abou-Obéïda, petit-fils du grand Okba, qui se trouvait
en Espagne, et le chargea de le débarrasser de ce compétiteur
par l'assassinat. Une conspiration s'ourdit autour d'Abd-el-Aziz et
les conjurés le mirent à mort en pleine mosquée, pendant qu'il
prononçait la prière du vendredi. Sa tête fut envoyée au khalife'
(août-septembre 715\ Le commandement de l'Espagne resta quel-
que temps entre les mains d'un neveu de Mouça -ben-Xocé'ir,
nommé Ayoub ; peu après, Mohammed-ben-Yezid, qui avait pris
en mains l'administration de toutes les conquêtes de l'ouest,
envoya comme lieutenant dans la péninsule. El-Horr-ben-Abd-er-
Rahman.
Gouvernement d'Isma'il-ben- Abd-Allah. — En octobre 717, le
khalife Soléïman, étant mort, fut remplacé par Omar II. Peu après,
Mohammed-ben-Yezid était rappelé et Isma'il-ben-Abd-AUah,
petit fils d'Abou-el-Mehadjer, venait prendre le commandemant
du Mag'reb. Il arriva avec l'ordre d'appliquer tous ses soins à
achever la conversion des Berbères. Il paraît même que le khalife
adressa aux indigènes du Mag reb un manifeste qui fut répandu
dans toute la contrée et qui eut pour conséquence d'entraîner un
grand nombre de conversions". Des missionnaires envoyés dans
les régions reculées furent chargés d'éclairer les néophytes sur la
pratique et les obligations de leur nouveau culte, car ils étaient
fort ignorants sur ces matières ; on obtint des résultats réels.
1. Eu-Nouéiri, p. 379.
2. Fotouh-El-Boldaue, cité par Fourjiel, Beibers, p. 270.
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (720)
225
Jusqu'alors un certain nombre de Grecs et d'indigènes chrétiens
avaient pu, ainsi que nous l'avons dit, continuer à résider dans
leurs territoires et à pratiquer leur culte, en payant la capitation.
Mais, soit que les ordres du khalife n'aient plus autorisé cette to-
lérance, soit que les prêtres jacobites d'Alexandrie aient entretenu
des intrigues parmi ces populations, en les poussant à la révolte,
ainsi que l'affirme El-Kaïrouani ', les privilèges accordés aux chré-
tiens leur furent retirés, et ils durent se convertir ou émigrer.-
Ces mesures de coercition commencèrent à amener de la fer-
mentation chez les Berbères qui étaient travaillés depuis quelque
temps par des réfugiés kharedjites.
En Espagne, où Es-Samah avait remplacé El-Horr, les Musul-
mans avaient achevé la conquête des pays et commençaient à se
lancer dans les déOlés des Pyrénées.
Gouvernement de Yezid-ben-Abou-Moslem. Il est assassiné. — •
Le règne d'Omar II ne fut pas plus long que celui de son prédéces-
seur. En février 720, ce prince mourait et Yezid II lui succédait.
Avec ce khalife, le parti kaïsite revenait au pouvoir. Yezid-bcn-
Abou-Moslem, affranchi d'El-IIadjadj, fut retiré de la prison où il
avait été détenu pendant les l'ègnes précédents, et nommé au gou-
vernement du ]\Iag"reb. Ce chef, qui, étant vizir de Syrie, avait
traité avec une grande rigueur les populations de cette contrée,
pensa qu'il pourrait agir de même à l'égard des Berbères. Il com-
mença à mettre en pratique tout un système de vexations contre
eux et voulut leur imposer, en outre des autres charges, la capi-
tation. Les indigènes protestèrent, déclarant qu'ils étaient Musul-
mans et, par conséquent, alfranchis de cette charge ; mais leurs
doléances furent brutalement repoussées. Le gouverneur s'était
entouré d'une garde berbère et il comptait s'assurer, par des fa-
veurs, sa fidélité. Ayant voulu imposer à ses soldats l'obligation
de porter des inscriptions tatouées sur les mains-, selon l'usage des
Grecs, les gardes, irrités de ce qu'ils considéraient comme une
humiliation, assassinèrent le gouverneur pendant qu'il faisait la
prière du soir, dans la mosquée. Les Berbères écrivirent alors au
khalife pour protester de leur dévouement et demander qu'on leur
rendît leur ancien gouverneur Mohammed-ben-Yezid. Peut-être
celui exei'ça-t-il, durant quelques jours, le pouvoir.
Pendant ce temps, les Musulmans d'Espagne, sous la conduite
1. P. 63.
2. Sur la main droite le nom de l'individu; sur la gauche le mot
s garde > [Beibers, p. 272).
T, I, 15
226
HISTOIRE DE l'aFRIQLE
de leur gouverneur Es-Samah', avaient fait une expédition dans
les Gaules. Parvenus sous les murs de Toulouse, ils se heurtèrent
contre Eude, duc d'Aquitaine, et essuyèrent une défaite dans
laquelle presque tous les guerriers restèrent sur le champ de ba-
taille. Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah ramena 'en Espagne les
restes de l'armée (721). Dans la Galice, un noyau de résistance na-
tionale s'était formé, à la voix de Pélage, qui avait été proclamé
roi par ses compatriotes.
Gouvernement de Biciir-ben-Safouane. — Sur ces entrefaites, le
khalife ayant nommé au gouvernement de l'Afrique Bichr-ben-Sa-
fouane de la tribu de Kell), ce général arriva à Ka'irouan et un de
ses premiers actes fut d'envoyer en Espagne Anbaça le kelbite,
avec mission de relever les armes musulmanes, et surtout d'aug-
menter le tribut fourni au khalifat par cette province (721). Pour
obtenir ce résultat, le gouverneur ne trouva rien de mieux que
de faire payer aux chrétiens un double impôt".
Après avoir apaisé les séditions qui s'étaient produites sur diffé-
rents points de la Berbérie, Bichr alla en Orient présenter ses
hommages et ses présents au nouveau khdife Hicham, qui avait
remplacé son frère Yezid II, mort en 721. Confirmé dans ses fonc-
tions, le gouverneur revint à Ka'irouan. Peu après, Anbaça
étant mort, il nomma à sa place Yah'ia-ben-Selama le kelbite. Cet
officier s'attacha à faire restituer aux chrétiens les biens qui leur
avaient été enlevés par son prédécesseur.
En 727, Bichr fit une expédition en Sicile et revint chargé de
butin. Quelques mois après, le gouverneur cessait de vivre; avant
de mourir, il avait désigné pour lui succéder un de ses compatriotes,
espérant que le khalife ratifierait son choix ; mais il n'en fut pas
ainsi et le kelbite se disposa à résister, même par les armes, au
nouveau chef.
Gouvernement de Obéïda-ben-Abd-er-Rahman. — Hicham, qui
depuis le commencement de son règne avait favorisé les Yémé-
nites, sembla, à partir de ce moment, faire pencher la balance
pour leurs rivaux. Ce fui ainsi qu'il nomma au gouvernement de
l'Afrique un ka'isite nommé Obeïda-ben-Abd-er-Rahman. Cet of-
ficier, prévenu des dispositions hostiles de la population de Ka'i-
1. Ce chef avait dû être nomme eu Espagne, ainsi que nous l'avons
dit, en remplacement d'El-Horr ; cependant En-Nouéiri attribue à celui-ci
les faits que nous retraçons (p. 357).
2. Dozy, Miisulina/is d'Espagne, t. I, p. 227.
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (732)
227
rouan, arriva à l'improviste devant celle ville, à la têle d'une
troupe de gens de sa tribu, et s'en empara par surprise. « II sévit
contre leskelbites, avec une cruauté sans égale. Après les avoir fait
jeter dans les cachots, il les mit à la torture et, afin de contenter la
cupidité de son souverain, il leur extorqua des sommes énormes »
L'influence des kelbites avait, jusqu'alors, régné à peu près
sa s conteste en Espagne. Obéïda envoya dans la péninsule plu-
sieurs officiers qui ne purent parvenir à se faire accepter. Enfin,
en 729, le kaïsile Ilaïtham-ben-Obéïd arriva en Espagne avec des
forces sullisanles et se fit l'exécuteur de toutes les iiaines de sa
tribu : quiconque avait un nom ou une fortune fut livré au sup-
plice, et le pays gémit pendant près d'un an sous la tyrannie la
plus affreuse. Enfin, les plaintes des opprimés parvinrent à la cour
d'Orient, et, en présence de tels excès, le khalife n'hésita pas à
destituer Haïlham. Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah, yéménile de
race, fut nommé gouverneur à sa place. Quant à Haïlham, il fut
accablé d'opprobres et renvoyé, chargé de fers, à Obéïda, qui se
contenta de le lenir en prison, malgré les ordres du khalife. Les
Kelbites attendaient sa mort comme réparation à eux légitimement
due; voyant qu'il allait échapper à leur vengeance, ils adressèrent
à Hicham une pièce de vers dans laquelle ils lui exposèrent élo-
quemment leurs doléances, en lui laissant entendre qu'un tel déni
de justice aurait pour conséquence de les pousser à la révolte.
Le khalife tenait avant tout à conserver l'Espagne ; il destitua
Obéïda et lui envoya l'ordre d'avoir à se présenter devant lui -.
Incursions des Musue.mans en Gaule. Bataille de Poitiers. —
Le premier soin d'Abd-er-Rahman, nommé au commandement
de l'Espagne, avait été de préparer une grande expédition contre
les Gaules. Il tenait à venger les désastres de Toulouse, et il était
attiré par la richesse de ces campagnes, qu'il avait parcourues
avec Samah. Un certain Othman, oflîcier berbère qui commandait
la limite septentrionale, était entré en relations avec Eude et avait
obtenu sa fille en mariage. Abd-er-Rahman, considérant ce fait
comme une trahison, vint, en 731, attaquer Othman, le défit et
envoya au khahfe la tête du traître et sa femme. Le duc d'Aqui-
taine, occupé alors à repousser une invasion de Karl, duc des
Franks, n'avait pu venir en aide à son gendre^.
1. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. I, p. 220.
2. Voir pour l'Iiist. des gouv. d'Esp. EL Marrakchi (Ed. or. de Dozy,
p. 6 à 11).
3. Heuri Martin, Histoire de Fi ance, l. II, p. 190 et suiv.
228
IllSTOIHIÎ DE i/aFHIQUE
En 732, Abd-er-Râhman, ayant reçu de puissants renforts
d'Afrique et réuni une armée considérable, traverse les Pyrénées
et inonde l'Aquitaine. Marchant droit devant lui, il arrive sous
les murs de Bordeaux. Eude l'y attend avec toutes ses forces,
mais la fortune est infidèle au prince chrétien : son armée est
écrasée et, s'il échappe au désastre, c'est pour voir, dans sa fuite,
les flammes dévorant sa métropole. Après avoir saccagé l'Aqui-
taine, les Musulmans passent la Loire, enlèvent et pillent Poitiers
et marchent sur Tours, où, leur a-t-on dit, se trouve la plus riche
basilique de la Gaule.
Cependant, Karl n'est pas resté inactif ; il a publié le ban de
guerre et tout le monde a répondu à son appel. « Les plus impra-
ticables marécages de la mer du Nord, les plus sauvages profon-
deurs delà Forêt-Noire vomirent des flots de combattants demi-nus
qui se précipitèi'ent vers la Loire, à la suite des lourds escadrons
austrasiens tout chargés de fer'. » Eude s'est joint à Karl en lui fai-
sant hommage de vassalité et lui a amené les débris de ses troupes.
Dans le mois d'octobre, les deux armées se trouvèrent en pré-
sence en avant de Poitiers. On passa plusieurs jours à s'observer
et, enfin, les Musulmans se développèrent dans la plaine et atta-
quèrent les Franks avec leur impétuosité habituelle. Mais les
guerriers austrasiens, tenus en haleine par vingt années de guerres
incessantes, essuyèrent, sans broncher, cet assaut tumultueux, et,
pendant toute la journée, restèi-ent inébranlables sous la grêle de
traits de leurs ennemis. Vers le soir, Eude et les Aquitains, ayant
attaqué de flanc le camp des ^lusulmans, ceux-ci se retournèrent
pour voler à la défense du butin amoncelé dans les tentes. Aussitôt
les escadrons austrasiens s'ébranlent et fondent comme la foudre
sur leurs ennemis, dont ils font un carnage horrible. En vain Abd-
er-Rahman essaye de rallier ses guerriers ; il tombe avec eux
sous les coups du vainqueur.
La nuit avait interrompu la lutte, de sorte que les Chrétiens
n'avaient pas pu juger de l'importance de leur victoire. Mais le
lendemain, alors qu'ils se disposaient à attaquer le camp, ils s'aper-
çurent qu'il était vide. Les Musulmans avaient fui pendant la nuit,
en abandonnant tout leur butin aux mains des guei'riers du Nord.
Cette belle victoire sauvait, pour le moment, la chrétienté, mais
il est probable que les Mulsulmans n'auraient pas tardé à repa-
raître plus nombreux en Gaule, si l'émigration berbère n'avait pas
été arrêtée par les événements dont l'Afrique va être le théâtre.
1. Henri Martin, Histoire de France, t. II, p. 202.
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (734)
229
Gouvernement d'Obéïd- Allah -ren-el- Haiîiiab. — Nous avons
vu que le gouverneur Obéïda avait été rappelé en Orient par le
khalife. Après son départ l'autorité fut exercée d'une façon tempo-
raire par Okba-ben-Kodama. Celte situation se prolongea pendant
dix-huit mois, et ce ne fut qu'à la fin du printemps de l'année 734
que le titulaire fut nommé. C'était un kaïsite du nom d'Obéïd-
Allah-ben-el-Habhab, très dévoué à sa tribu et à son souverain,
mais méprisant profondément les populations vaincues. Il arriva
en Afrique pénétré de ces idées et traita les Berbères avec la plus
grande injustice.
Sur ces entrefaites, un certain Abd-el-Malek, qui avait succédé
à Abd-er-Rahman dans le commandement de l'Espagne, essuya
une nouvelle défaite dans les Pyrénées. Le gouverneiu' en profita
pour le remplacer par Okba-ben-el-Hadjadj et, sous l'impulsion
de ce chef, les Musulmans opérèrent de nouvelles razias en Gaule.
Alliés au comte de Provence, jNIauronle, ils pénétrèrent dans la
vallée du Rhône et vinrent prendre et saccager la ville de Lyon.
Remontant le cours de la Saône, ils dépouillèrent les cités et les
monastères sans que les populations terrifiées songeassent à leur
résister. Mais bientôt Karl et ses Franks parurent, et les Musul-
mans regagnèrent en hâte les régions du midi. Après avoir tenté
une faible résistance à Avignon, ce fut derrière les remparts de
Narbonne qu'ils concentrèrent toutes leurs forces, et Karl essaya
en vain de prendre cette ville.
Despotisme et exactions des arabes. — A Kaïrouan, Obéïd-
Allah continuait à faire peser son despotisme sur les Berbères.
Non content de leur enlever leurs filles pour en peupler les sérails
de Syrie, il s'amusait à décimer leurs troupeaux pour chercher
dans les entrailles des brebis des agneaux à duvet fin couleur de
miel*. Le peuple frémissait sous cette tyrannie et sa colère con-
tenue n'allait pas tarder à faire explosion. Le gouverneur avait
nommé son fils Ismaïl au commandement du Mag'reb extrême. De
Tanger, Ismaïl avait fait plusieurs expéditions dans l'intérieur et
notamment dans le Sous, où il avait frappé de lourdes contribu-
tions. Obé'id-Allah, alléelié par le succès de cette campagne,
nomma commandant de Tanger un certain Omar-el-Moradi et
envoya son fils Ismaïl dans le Sous, en lui adjoignant le général
El - Habib -ben-Abou- Obéïda et en le chargeant d'exécuter une
grande reconnaissance dans l'cxlrème sud. Les Arabes parcou-
rurent alors tout le désert, contraignirent les Sanhadja-au-voile à
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, p. 234. Ibii-Klialdoun, t. I, p. 337.
230
HISTOIRE DE I, AFRIQI E
recevoir rislamisme, et s'avancèrent jusqu'au Soudan. Ils ren-
trèrent dans le Maj^ reb en ramenant un nombre considérable
d'esclaves et en rapportant un riche butin.
Ces succès avaient porté l'audace des Arabes à son comble; les
excès que nous avons retracés n'étaient pas suffisants : Ismaïl, de
concert avec Omar-el-Moradi, prétendit prélever, en outre des
impôts réguliers, le quint sur les populations soumises. Cette fois
la mesure était comble. En 710, Obéïd-AUah rappela du Mag'reb
une partie des troupes et les envoya contre la Sicile, sous le com-
mandement d'El-Habib. L'occasion attendue par les Berbères se
présentait enfin ; ils ne la laissèrent pas échapper.
Révolte de Méïcera. — Soulèvement général des Berbères. —
Un chef de la tribu des !Matr"ara (Falen), nommé Méïcera, se fit
le promoteur de la révolte. Les Berbères du ^Lifj'reb, Matr'ara,
Miknaça, Berg'ouata et autres, accoururent à sa voix. Tous
avaient adopté dans les dernières années les doctrines kha-
redjites et s'étaient affiliés principalement à la secte sofrite, de
sorte que le soulèvement national se doublait d'une révolte reli-
gieuse.
Ce grand rassemblement, s'étant porté sur Tanger, se rendit
facilement maître de cette ville. Omar-el-Moradi y fut mis à mort.
De là, les rebelles marchèrent vers le Sous et, s'étant emparés
d'Ismaïl, lui infligèrent le même sort. Ces événements eurent un
retentissement énorme en Afrique. Les Kharedjites de l'Ifrikiya,
appartenant en général à la secte éïbadite, répondirent à l'appel
de leurs frères du ^Lig reb, et le feu de la révolte se répandit
partout. Méïcera proclama l'indépendance berbère et l'obligation
du culte kharedjite, seul orthodoxe.
Dès qu'il eut reçu ces importantes nouvelles, Obé'id-Allah s'em-
pressa de rappeler les troupes de l'expédition de Sicile et de
donner l'ordre à Okba, gouverneur de l'Espagne, d'aller en Mag'reb
combattre les rebelles. En même temps, il réunit tous ses soldats
de race arabe et les fit partir pour l'Ouest, sous le commandement
de Khaled-ben-el-Habib. Mé'icera offrit le combat aux Arabes en
avant de Tanger ; mais, après une lutte longue et meurtrière, les
Berbères durent chercher un refuge dans la ville. Méïcera, accusé
d'impéritie ou de vues ambitieuses, fut tué dans une sédition.
Bientôt la lutte contre les Arabes recommença et, comme les
Berbères reçurent, pendant le combat, un renfort de Zenètes,
commandé par Khaled-ben-Hamid, la victoire ne tarda pas à se
prononcer pour eux. Tous les Arabes y périrent et cette bataille
fut appelée par eux « la journée des nobles ». Khaled-ben-Hamid,
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (741)
231
qui avait si heureusement déterminé la victoire, fut élu chef des
rebelles
La nouvelle de ce succès eut un elfet immense et la révolte se
propagea aussitôt en Espagne. Okba avait essayé, sans succès, de
combattre les rebelles du Mag'reb ; il fut déposé par un mouve-
ment populaire et remplacé par son prédécesseur Abd-el-Melek,
et alla mourir à Narbonne (fin décembre 740).
Défaite de Koltou.m a i/Ol'ad-Sebou. — Lorsque ces événe-
ments furent connus en Orient, le khalife Hicham entra dans une
violente colère : « Par Dieu! dit-il, je ferai sentir à ces rebelles le
poids de la colère d'un Arabe ! Je leur enverrai une armée telle
qu'ils n'en virent jamais dans leur pays : la tête de colonne sera
chez eux, pendant que la queue en sera encore chez moi. J'éta-
blirai un camp de guerriers arabes à côté de chaque château ber-
bère-! 1) Il rappela sur-le-champ Obéïd-AUah et s'occupa de la
formation d'une armée expéditionnaire. A cet elTet il tira des mi-
lices de Syrie un corps considérable de cavalerie et en confia le
commandement au kaïsite Koltoun-ben-Aïad. Dans le courant de
l'été 741, ce général arriva en Ifrikiya, après avoir rallié les contin-
gents de l'Egypte, de Barka et de la Tripolitaine. L'elfeclif de son
armée s'élevait à une trentaine de mille hommes. Le khalife avait
recommandé à ces troupes de commettre en Afrique les plus
grandes dévastations.
Parvenu à Kaïrouan, Koltoum y fut très mal reçu par la colonie
arabe qui détestait les Syriens. Quand El-Habib avait reçu, en
Sicile, l'ordre de rentrer, il venait de s'emparer de Syracuse et de
remporter de grands succès qui pouvaient faire présager la con-
quête de toute l'île'. Dès son retour il s'était porté avec toutes ses
forces jusqu'à la hauteur de Tiharet pour contenir les Berbères et
couvrir Kaïrouan; lorsque l'armée d'Orient l'eut rejoint, les deux
troupes faillirent en venir aux mains. Baleg, qui commandait
l avant-garde des Syriens, avait donné le signal du combat, mais
des officiers s'interposant parvinrent à empêcher la lutte.
L'armée continua sa marche vers l'ouest sans rencontrer aucun
ennemi ; elle pénétra dans le Mag'reb extrême, et enfin trouva les
Kharedjites sur les bords du Sebou, dans une position qu'ils
1. Nous adoptons ici une opinion qui s'écarte do cello de M. Dozy
(t. I, p. 242) et de M. Fouruel (p. 228); mais il est peu probable que
Khaled eût été élu chef de la révolte avant d'avoir déterminé la victoire
de la journée des nobles.
2. En Nouéiri, p. 360, 361.
3. Michèle Auiari, Sloria, t. I, p. 173 et suiv.
232
iiisToiRi; DK l'afriqle
avaient choisie, à Bakdoura. Ils étaient là en nombre considérable,
presque nus, la tête rasée, remplis d'enthousiasme. El-IIabib
voulut faire entendre quelques conseils que sa longue pratique des
Berbères lui donnait le droit de présenter. Mais l'impétueux Baleg
repoussa dédainneusement son offre. Koltoum confia à Baleg le
commandement de la cavalerie syrienne, se réserva celui de 1 in-
fanterie du centre et mit deux autres chefs à la tête des troupes
d'Afrique, de sorte qu'El-IIabib ne dut combattre que comme un
simple guerrier.
La brillante cavalerie syrienne, ayant entamé l'action, fut
accueillie par le cri de guerre des Kharedjites. Selon Ibn-
Khaldoun, les Berbères portèrent le désordre dans le camp des
Syriens en lançant au milieu d'eux des chevaux affolés, à la queue
desquels ils avaient attaché des outres remplies de pierres. Malgré
les pertes qu'il avait éprouvées, Baleg ramena au combat environ
sept mille de ses cavaliers et, les ayant entraînés dans une charge
furieuse, parvint à traverser toutes les lignes des Berbères; mais
ceux-ci étaient si nombreux qu'une partie des leurs, faisant volte-
face, lui tinrent tête pendant que le reste luttait corps à corps
avec les fantassins de Koltoum et les troupes d'Afrique. El-Habib
et les principaux chefs étant morts, ces troupes se mirent en
retraite, abandonnant les Syriens abhorrés à leur malheureux
sort. Koltoum lutta avec la plus grande vaillance, en récitant des
versets du Koran jusqu'au moment où il tomba percé de coups.
La bataille était perdue. Les Kharedjites poursuivirent les fuyards
et en firent un grand massacre. Quant aux cavaliers syriens de
Baleg, ils furent bientôt forcés, malgré tout leur courage, de se
mettre en retraite vers le nord-ouest, puisque le chemin opposé
leur était coupé. Ils gagnèrent avec beaucoup de peine Tanger où
ils ne purent pénétrer et de là se réfugièrent à Ceuta (742)'.
^'ICT0IRES DE HaNDUALA SUR LES KuAREDJITES DE l'IfHIKIVA. Dès
que la nouvelle de ce succès parvint dans l est, les tribus de
rifrikiya se mirent en état de révolte. Un certain Okacha-ben-
A'ioub, de la tribu des Houara, essaya même de soulever Gabès.
Mais le général Abd-er-Rahman-ben-Okba, qui commandait à
Ka'irouan où il avait rallié les fuyards de l'Ouad-Sebou, marcha
contre les rebelles et les contraignit à chercher un refuge dans le
sud. Okacha y rejoignit Abd-el-Ouahad-ben-Yezid, qui était à la
1. Ibii-Khaldoun, l. I, p. 216, 235 et suiv. Eu-Nouciri, p. 360. El-
Kairouaui, p. 69.
corvQuÊTE DE l'espagne (742)
233
tête des autres tribus houarides, et tous deux s'appliquèrent à
soulever les tribus du sud de rifrikiya, jusqu'au Zab.
Cependant le khalife avait expédié au kelbite Handhala-ben-
Safouan, gouverneur de l'Egypte, l'ordre de se porter au plus vite
en Ifrikyia, avec toutes les forces disponibles. Ce général parvint
à Kaïrouan dans le courant du printemps et s'occupa aussitôt de
l'organisation de son armée.
Mais bientôt il apprit que les Kharedjites, divisés en deux corps,
s'avançaient contre lui et que l'un d eux, commandé par Okacha,
avait pénétré dans la plaine et était venu prendre position à El-
Karn, entre Djeloula et Kaïrouan. Le seul espoir de succès
consistait à attaquer séparément les re]:)elles ; Handhala le comprit
et, sans perdre un instant, il marcha sur El-Karn, attaqua ses
ennemis avec la plus grande vigueur, les mit en déroute, s'empara
de leur camp et fit prisonnier Okacha. Mais ce n'était là que la
partie la plus facile de la tâche. Abd-el-Ouahad était descendu du
Zab à la tête d'un rassemlîlement considérable et avait déjà atteint
Badja, où les fuyards d'El-Karn l'avaient rallié.
Handhala lança contre lui sa cavalerie pour le contenir, tandis
qu'à Kaïrouan on armait tous les hommes valides. Les Kharedjites
repoussèrent facilement les troupes envoyées contre eux, puis ils
s'avancèrent jusqu'à Tunis, où Abd-el-Ouahad se fit, dit-on, pro-
clamer khalife. De là, les rebelles vinrent prendre position à El-
Asnam, dans le canton de Djeloula; leur armée présentait, si l'on
en croit les auteurs arabes, un ellectif de 300,000 combattants,
mais ce chitTre est évidemment exagéré.
La situation était fort critique pour les Arabes. Handhala enrô-
lait tous les hommes valides, en offrant même une prime à ceux
dont le patriotisme n'était pas assez ardent; il put réunir ainsi dix
mille recrues qui, jointes à ses vieilles troupes, lui constituèrent
une ainiiée assez nombreuse. On passa la nuit à armer les volon-
taires, à la lueur des flambeaux, et le lendemain, ces soldats pleins
d'ardeur, ayant brisé les fourreaux de leurs épées, marchèrent à
l'ennemi. Dès le premier choc, l'aile gauche des Kharedjites fléchit;
la gauche des Arabes, qui avait perdu du terrain, revint alors à la
charge et bientôt toute la ligne des Berbères fut enfoncée. Ce fut
alors une mêlée affreuse qui se termina par la victoire des Arabes.
Selon En-Nouéïri, cent quatre-vingt mille Kharedjites restèrent
sur le champ de bataille. Abd-el-Ouahad y trouva la mort, Okacha,
moins heureux fut livré au bourreau (mai 742).
Ce beau succès permettait aux Arabes de se maintenir à Kaï-
rouan et de se préparer à de nouvelles luttes contre les Khared-
jites du Mag reb, demeurés dans l'indépendance absolue.
234
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Révolte de l'Espagne. Les Syriens y sont transportés. —
Les Syriens qui, avec Baleg, s'étaient réfugiés à Ceuta, après la
défaite du Sebou, ne tardèrent pas à se trouver dans une situation
très critique. Bloqués de tous côtés par les Berbères, et manquant
de vivres, ils s'adressèrent au gouverneur de l'Espagne en le sup-
pliant de venir à leur aide, ou de leur fournir le moyen de tra-
verser le détroit. Mais Abd-el-Malek était Médinois; il avait lutté
autrefois contre les Syriens et, vaincu par eux, avait assisté aux
excès dont ils avaient souillé leur victoire. Il repoussa avec hauteur
les demandes de Baleg et défendit, sous les peines les plus sévères,
qu'on envoyât des secours aux Syriens. Un .\rabe de la tribu de
Lakhm, leur ayant fait passer deux barques chargées de blé, périt
dans les tortures'. Ainsi les Syriens restaient à Ceuta, en proie
aux souffrances de la faim; ils avaient mangé leurs chevaux et
semblaient voués à un trépas certain, lorsque des circonstances
imprévues vinrent changer la face des choses.
Nous avons vu que les Berbères, en Espagne, n'avaient pas été
favorisés lors du partage des terres, bien qu'ils eussent été les-
véritables conquérants. Il en était résulté chez eux une grande
irritation contre les Arabes et, comme ils avaient adopté, de même
que leurs frères du Mag reb, les doctrines kharedjites, la révolte
de Meïcera fut saluée chez eux par un seul cri d'enthousiasme,
suivi d'une. levée de boucliers. L'insurrection, partie de la Galice,
devint bientôt générale. Partout les Arabes furent expulsés et
durent chercher un refuge dans l'Andalousie. Les Berbères élurent
alors un chef, ou imam, et divisèrent leurs forces en trois corps
qui devaient marcher simultanément sur Tolède, Cordoue et Algé-
siras. De cette dernière ville, où se trouvait la flotte, on serait
allé en Mag'reb chercher des renforts berbères.
Les Arabes étaient peu nombreux en Espagne et tiraient toutes
leurs forces des Africains. La situation devenait critique et, dans
cette conjoncture, Abd-el-Malek ne vil son salut que dans l'appui
de ces Syriens qu'il avait juré de laisser mourir de faim. Il entra
de nouveau en pourparlers avec eux et conclut un traité par lequel
il fut stipulé que les Syriens lui fourniraient leur aide pour com-
battre la révolte des Berbères; qu'après l'avoir domptée, ils éva-
cueraient l'Espagne et qu'un certain nombre d'otages, choisis
parmi les chefs, seraient gardés dans une île pour assurer l'exécu-
tion de ces conventions. De son côté, Baleg exigea que, lorsque ses
hommes seraient rapatriés, ils fussent emmenés tous ensemble et
déposés dans une contrée d'Afrique soumise à l'autorité arabe.
1. Dozy, Miistilmcms d'Espagne, t. I, p. 254.
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (742)
235
Les Syriens débarquèrent en Espag'ne dans le plus triste état et
il fallut d'abord les habiller et leur donner à manger; mais ils
furent bientôt refaits et, comme la colonne berbère marchant sur
Algésiras était déjà à Médina-Sidonia, ils se portèrent contre elle
avec toutes les forces arabes et la mirent en déroute. Ils atta-
quèrent ensuite celle qui avait Cordoue pour oI)jectif, et lui infli-
gèrent le même sort. La troisième armée berbère assiégeait Tolède
depuis près d'un mois; les Syriens la forcèrent à lever le siège de
cette ville et, malgré le grand nombre des rebelles, parvinrent
encore à en triompher'.
Ainsi la domination arabe en Espagne était sauvée ; mais de nou-
velles difllcultés allaient naître du succès même des Syriens. Baleg,
invité par Abd-el-Malek à se retirer, conformément aux clauses
du traite, éluda l'exécution de sa promesse ; il se sentait maître de
la position, était gorgé de butin et ne se souciait nullement de
courir de nouveaux hasards. Des contestations s'élevèrent, on
s'aigrit, on se menaça de part et d'autre, et enfin Baleg, levant le
masque, chassa Abd-el-Malek de son palais et se fit proclamer
gouverneur à Cordoue. Les Syriens, méconnaissant la voix de leur
chef, se saisirent d'Abd-el-Malek, alors nonagénaire, et lui firent
endurer un supplice aussi ignominieux que celui infligé par lui à
l'homme qui leur avait envoyé des vivres à Ceuta (742).
Le meurtre d'Abd-el-Malek eut un grand retentissement en
Espagne. Tous les Arabes, même ceux qui étaient en France,
accoururent en Andalousie. Abd-er-Rahman, gouverneur de Nar-
bonne, ayant réuni ses forces à celles d'Abd-er-Rahman-ben-
Habib, marcha contre les Syriens et tua Baleg de sa propre main.
Néanmoins la victoire resta cà ces étrangers. Taâleba, qui avait pris
le commandement, surprit les Arabes pendant qu'ils célébraient
une fête-, en fit un grand massacre et réduisit en esclavage dix
mille prisonniers.
Les Arabes d'Espagne ayant appris que les Syriens se dispo-
saient à massacrer tous leurs prisonniers adressèrent à Hendhala
un pressant appel, et cet émir envoya en Espagne un officier du
nom d'Abou-el-Khaltar, avec quelques troupes. 11 arriva à Cor-
doue au moment où les Syriens, avant de préluder au massacre de
leurs esclaves, les vendaient au rabais, pour un chien ou pour un
bouc. Malgré l'opposition de Taideba il fit mettre en liberté tous
ces Musulmans ; puis il éloigna successivement les chefs turbulents,
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 257 et suiv.
2. Dans les guerres entre musulmans, les jours de fête étaient toujours
des trêves strictement observées.
236
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
tels que Taâleba et Abd-cr-Rahman-bcn-Habib, et enfin, il dis-
tribua aux Syriens des terres et les répartit dans les districts
d Ocsonoba, de Béja, de Murcie, de Niébla, de Séville, de Sidona,
d'Algesiras, de Regio, d'Elvira et de Jaën. Les tenanciers établis
sur ces terres reçurent l'ordre de donner à ces nouveaux maîtres
le tiers de leurs récoltes, qu'ils versaient précédemment à l'Etat'.
L'oblip^ation de fournir le service militaire fut imposée aux Syriens
et on les forma en milices ou Djond.
L'introduction de ce nouvel élément en Espagne mit fin à la
suprématie des fils des Défenseurs. La fusion de ces diverses
races : berbère, arabe et syrienne, devait former plus tard cette
belle et intelligente nation maure d'Espagne : mais avant d'arriver
à cette cohésion elle avait à traverser encore de longues années
de guerres civiles et d'anarchie.
Les nouvelles conditions dans lesquelles se trouvaient l'Espagne
et l'Afrique depuis la révolte kharedjite font comprendre pourquoi
la belle victoire de Karl à Poitiers sufiît à délivrer la Gaule de
l'invasion musulmane. La marche des Berbères vers le sud ayant
dégarni les provinces du nord de l'Espagne, les chrétiens en pro-
fitèrent pour reconquérir de vastes régions dans la direction du
midi.
Abd-er-Raiiman-ben-Habib usurpe le gouvernement de l'Ifrikiya.
— Nous avons dit qu'Abd-er-Rahman-ben-Habib, petit-fils d'Okba,
avait quitté l'Espagne; peut-être avait-il été éloigné par le nou-
veau gouverneur, peut-être aussi, comme l'afiîrment certains
auteurs, avait-il pris la fuite. Il se réfugia en Tunisie et se tint
dans l'expectative, entouré d'un certain nombre d'adhérents. Sur
ces entrefaites, le khalife Hicham étant mort (février 743), l'Orient
devint le théâtre de nouveaux troubles sous les règnes éphémères
de ses successeurs Oualid II, Yezid III et Ibrahim.
Abd-er-Rahman profita de cette anarchie pour lever le masque
et revendiquer le gouvernement de l'Ifrikiya. Il écrivit à Hendhala
en le sommant avec hauteur de lui céder le pouvoir. Ce dernier
était parfaitement en mesure de résister à de pareilles prétentions,
mais, soit qu'il lui répugnât de verser le sang musulman, ainsi
que l'affirme En-Nouéïri, et de donner aux schismatiques le
spectacle d'une guerre entre orthodoxes, soit qu'il ne fût pas sûr
de ses troupes, il préféra tenter les moyens de conciliation et
envoya à Abd-er-Rahman une députation de notables, chargés de
lui faire entendre la voix de la raison. Cet acte de faiblesse ne
1. Dozy, loc. cit., p. 268. El-Ivaïroiiani, p. 70
CONQUÊTE DE l'eSPAGNE (750)
237
servit qu'à augmenter l'arrogance du rebelle : il fit mettre les
envoyés aux fers et adressa à Ilendiiala une nouvelle et pressante
sommation. Ce chef préféra alors se démettre du pouvoir. Il con-
voqua le cadi et les notables de Kaïrouan, ouvrit en leur présence
le trésor public, en retira la somme nécessaire à son voyage et,
étant sorti de la ville, prit la route de l'Orient. Abd-er-Rahman
fit alors son entrée à Kaïrouan et prit possession du gouvernement
de l'Ifrikiya.
Les populations arabes établies sur le littoral de la Tripolitaine
et de la Tunisie se déclarèrent contre l'usurpateur, et, ayant fait
alliance avec les Berbères, se mirent bientôt en révolte ouverte.
Deux chefs des Houara, Abd-el-Djebbar et El-Hareth, s'avancèrent
avec leurs bandes jusqu'aux portes de Tripoli. Mais Abd-er-
Rahman ne se laissa point intimider; il attaqua en détail tous ses
ennemis, les défit et les contraignit de rentrer dans l'obéissance'.
Chute de la dynastie oméïade. Etablissement de la dynastie
abbasside. — L'anarchie continuait à désoler l'Orient. Un nouveau
khalife oméïade, du nom de Merouan, avait renversé l'infâme
Ibrahim et pris le pouvoir; mais il avait à lutter contre les kha-
redjites et les chiaïtes et, en outre, contre les descendants d'El-
Abbas, oncle du prophète, qui s'étaient transmis, de père en fils,
le titre d'imam. Après plusieurs années de luttes acharnées, Abou-
l'Abbas-es-Saffah fut proclamé khalife par les abbassides (30 oc-
tobre 749). Merouan, ayant marché contre ses troupes, essuya
plusieurs défaites et trouva la mort dans un dernier combat
(août 750). Avec lui finit la dynastie des oméïades. Abou-el-
Abbas-es-Saifah s'assit alors sur le trône de Damas et ainsi la
dynastie des abbassides succéda à celle qui avait été fondée quatre-
vingt-dix ans auparavant par le Mekkois Moaouïa.
Abd-er-Rahman fit aussitôt reconnaître en Ifrikiya l'autorité
abbasside et fut confirmé par le nouveau khalife dans les fonctions
qu'il avait usurpées.
1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 219, 276. En-Nouéiri, p. 364 et siiiv.
CHAPITRE IV
RKVOLTE KIIAIIEDJITE. FONDATIONS DE ROYAUMES INDÉPENDANTS
750 -772
Situation des Rerljères <lu Mag'reij au milieu du viii« siècle. — Victoire de
Abd-er-Rahinan ; il se déclare indépendant. — Assassinai de Abd-er-
Rahman. — Lutte entre Ei-Yas et El-Iiahib. — Prise et pillape de Kaïrouan
par les Ourfeddjouma. — Les MiUnaca fondent nn royaume <à Sidjilmassa.
— Guerres civiles en Espaf^ne. — • L'oméiade Abd-er-Rahman débarque en
Espagne. — Fondation de l'empire oméïade d'Espagne. — Les Ourfed-
djouma sont vaincus par les Eïljadites de l'Ifrikiya. — Défaites des Khare-
djites par Ibn-Aclrath. — Ibn-Achath rétablit à Kaïrouan le siège du
gouvernement. — F'ondalion de la dynastie rostemide. — Gouvernement
d'El-Ar'leb-ben-Salem. — Gouvernement d'Omar-ben-IIafs dit Ilazarmed. —
Mort d'Omar. — Prise de Kaïrouan par les kliaredjites. .
Situation des Berbères du Mag reb au milieu du \m'^ siècle.
— Après la mort de Klialed, chef des Zenala, le commandement
de ces tribus était échu à Abou-Korra, des Beni-Ifrene. Ces schis-
matiques, toujours en révolte contre le khalifat, s'étaient établis
<à Tlemcen et exerçaient leur suprématie sur la partie méridionale
et occidentale du Mag'reb central'.
Le Mag'reb extrême était également indépendant. Dans la vallée
de la Moulouia, dominait la tribu des Miknaça, dont l influence
d étendait jusque sur les oasis du désert marocain -.
Enfin, sur le littoral de l'Atlantique, les Berg'ouata avaient
acquis une grande puissance. Un certain Salah, fils de Tarif, venait
s'y créer un nouveau schisme. Il se faisait passer pour prophète
et avait composé en langue berbère un nouveau Koran. Un certain
nombre de pratiques du culte avaient été modifiées par lui. Nous
verrons, sous les descendants de ce prophète, ce schisme devenir
un sujet de guerres implacables entre les Berbères^.
Ainsi, de toutes parts, des tribus se disposent à entrer en scène
et à jouer un rôle prépondérant, jusqu'à ce qu'elles soient rem-
placées par d'autres, après s'être usées dans les luttes politiques.
1. Ibu-Khaldoun, t. III, p. 199.
2. lùid., t. I, p. 259.
3. Ihid., t. II, p. 125 et suiv. El Bekri, passim.
RÉVOLTE KIIAREDJITE (754)
239
Victoires de Acd-er-Rahman ; il se déclare indépendant. —
L'Ifrikiya avait été sinon pacifiée, du moins réduite au silence ;
mais tout le Mag'reb était encore en pleine insurrection. Abd-er-
Rahman se décida à y faire une expédition et, vers 752, il alla
attaquer Abou-Korra auprès de Tlemcen, ville fondée depuis peu
parles Beni-Ifrene. Abou-Korra, soutenu par les tribus zenètes,
essaya en vain de résister; il fut vaincu et contraint d'abandonner
sa capitale aux Arabes. Poursuivant ses succès, Abd-er-Rahman
pénétra dans le Mag'reb extrême et obtint une soumission à peu
près générale des Berbères. Il est probable cependant que les
Berg'ouata ne reconnurent pas son autorité, car ils étaient deve-
nus fort puissants. Salah, qui avait succédé à son père Tarif, dans
le commandement de la tribu, s'était arrogé le titre de prophète
et avait obtenu beaucoup d'adhésions à la nouvelle doctrine
De retour en Ifrikiya, après avoir laissé son fils El-Habib pour
le représenter dans le Mag'reb, Abd-er-Rahman lança ses troupes
contre la Sicile et la Sardaigne. Les rivages de ces îles furent
livrés au pillage et les populations soumises, dit-on, à la capita-
tion.
Cependant, en Orient, le khalife Abou-r3jâfer-el-Mansour II avait
succédé à son frère Abou-l'Abbas, décédé le 9 juin 754. Le nou-
veau khalife s'empressa de confirmer Abd-er-Rahman dans son
commandement; mais les grands succès remportés par le gouver-
neur, son éloignement du siège du khalifat, avaient sans doute
réveillé en lui des idées d'indépendance. Il envoya à son souverain
des cadeaux sans valeur et s'excusa de ne pas lui offrir d'esclaves,
sous le prétexte que la Berbérie n'en fournissait pas, puisque les
populations étaient musulmanes. Le khalife fut très irrité de ce
procédé et, après un échange d'observations, il adressa à son lieu-
tenant une lettre conçue dans des termes injurieux et menaçants.
Le petit-fils d'Okba résolut alors de rompre toute relation avec
son suzerain : s'étant rendu en grande pompe à la mosquée, il y
prononça la prière publique ; puis il se répandit en invectives
contre le khalife abbasside, se déclara délié de tout serment envers
lui et déchira les vêtements d'investiture qu'il avait reçus d'Orient.
Lançant au loin ses sandales, il s'écria : « Je rejette aujourd'hui
son autorité comme je rejette ces sandales. » Il adressa ensuite,
dans toutes ses provinces, un manifeste annonçant sa déclaration
d'indépendance.
Assassinat d'Abd-er-Rahman. — Abd-er-Rahman avait pacifié
1. Ibu-Khaldouii, t. II, p.l26etsuiv.
240
HISTOIRE DE l'aFRIQL'E
la Berbérie et secoué le joug^ du khalifat; il semblait au comble de
la puissance, mais un complot se tramait autour de lui et ses
propres frères préparaient son assassinat. Une première conjura-
tion, dont les auteurs étaient des réfugiés oméïades, fut décou-
verte et sévèrement réprimée. El-Yas, frère de l émir, avait
épousé la sœur d'un des conjurés et cette femme le poussait à la
vengeance et excitait les sentiments de jalousie qu'il éprouvait en
voyant son frère tout disposer pour léguer le pouvoir à son fils
El-Habib. El-Yas prêta Toreilleà ces incitations : il s'assura l'appui
d'un certain nombre d'habitants de Kaïrouan, fit entrer dans le
complot son frère Abd-el-Ouareth, et il ne resta qu'à attendre le
moment opportun pour frapper.
Un soir, El-Yas, qui n'avait voulu confier à personne le soin de
tuer son frère, demanda à être introduit dans ses appartements.
Abd-er-Rahman était à moitié déshabillé, tenant sur ses genoux
un de ses jeunes enfants, lorsqu'El-Yas pénétra auprès de lui. Les
deux frères causèrent pendant un certain temps, sans que l'assassin
osât perpétrer son meurtre; enfin, cédant aux encouragements
muets d'Abd-el-Ouareth qui se tenait derrière une portière,
El-Yas se leva, puis, se penchant comme pour embrasser son
frère, enfonça entre ses épaules un poignard qui lui traversa
la poitrine ; Abd-er-Rahman, bien que frappé à mort, essaya de
lutter contre son meurtrier, mais il eut la main abattue en voulant
parer les coups et ne tarda pas à expirer couvert de blessures.
Après cette horrible scène, El-Yas s'enfuyait égaré, lorsque son
frère et les conjurés le rappelèrent à la réalité en lui demandant
la tête de la victime, afin que le peuple ne doutât pas de sa mort.
Le meurtrier et .\bd-el-Ouareth rentrèrent alors dans la chambre
et décapitèrent le cadavre (755).
Ainsi périt cet homme remarquable qui eût sans doute affermi
l'empire indépendant de la Berbérie, si le poignard fraternel
n'avait arrêté sa carrière. Son fils El-Habib alla à Tunis se réfu-
gier auprès de son oncle Ami'an ' .
Lutte entre El-Yas et El-Habib. — Dès que la nouvelle de
la mort d'Abd-Er-Rahman fut connue, le peuple se porta en foule
au palais et El-Yas se fit facilement reconnaître pour son succes-
seur ; pendant ce temps, les partisans d'El-Habib se réunissaient
autour de lui à Tunis. Bientôt El-Yas marcha sur cette ville, et
1. Ibn-Khaldoun, Hist. de l'Afr. et de la Sicile, p. 47 delà trad. En^
Noueiri, p. 368, 369.
RÉVOLTE KIIAREDJITE (756)
241
El-Habib se porta à sa rencontre jusqu'au lieu dit Semindja'. Les
armées se trouvaient en présence et l'on allait en venir aux mains,
lorsque les deux parties acceptèrent un arrangement aux termes
duquel l'autorité serait partagée de la manière suivante entre les
contractants : El-Habib rentrerait à Kaïrouan et aurait la posses-
sion de la région s'étendant au midi de cette ville, en y compre-
nant le Djerid et le pays de Kasliliya. Son oncle Amran garderait
Tunis et les régions environnantes, et El-Yas aurait le comman-
dement du reste de l'Ifrikiya et du Mag'reb.
Mais cette pacification froissait trop d'ambitions pour être
durable. El-Yas commença par attaquer Amran à l'improviste ;
s'étant emparé de lui, il le lit mettre à mort, ainsi que ses principaux
partisans-. Selon le Baïan, il se serait contenté de les embarquer
pour l'Espagne ; mais nous pensons qu'il en fit courir la nouvelle,
afin de pousser El-Habib à fuir pour rejoindre son oncle dans la
péninsule. Celui-ci, soit qu'il fût tombé dans le piège, soit qu'il
craignît pour sa sécurité, s'il restait dans le pays, se décida à
prendre la mer ; mais les vents contraires le forcèrent de descendre
à Tabarka. Aidé par des partisans de son père, il s'empara de cette
ville, et y fut rejoint par un grand nombre d'adbérents qui le
poussèrent à tenter le sort des armes contre l'usurpateur.
El-Habib commença les hostilités en s'emparant d'El-Orbos
(Laribus). El-Yas accourut au plus vite pour lui livrer bataille
(décembre 755-janvier 75G). Lorsque les deux partis se trouvèrent
de nouveau en présence et au moment où l'action allait s'engager,
El-Habib s'avança vers son oncle El-Yas, et lui proposa de vider
leur querelle toute personnelle par un combat singulier : « Si tu
me tues, lui dit-il, tu n'auras fait que m'envoyer rejoindre mon
père, et si je te tue, j'aurai vengé sa mort^ »
El-Yas essaya d'abord de repousser cette proposition, mais,
comme les yeux de tous étaient fixés sur lui et que chacun l'accu-
sait hautement de lâcheté, il dut, bon gré mal gré, accepter le duel.
Les deux adversaires s'étant donc précipités l'un sur l'autre,
El-Yas porta à El-Habib un coup d'épée qui s'engagea dans sa
cotte de mailles ; mais ce dernier, par une prompte riposte, désar-
çonna son oncle et, se jetant sur lui avant qu'il eût eu le temps de
se relever, lui coupa la tête. Abd-er-Rahman était vengé.
El-Habib, resté ainsi seul maître du pouvoir, fit exécuter les
1. A une dizaine de lieues au sud de Tuuis, daus la direction de Za-
ghouan.
2. En-Nouéïri, p. 370.
8. Ibid., p. 371.
T. I. 16
242
HISTOIRE I)K 1,'AFRIQrE
partisans les plus compromis de son oncle, et rentra à Kaïrouan
rapportant comme trophées les têtes de ses ennemis, presque
tous ses proches parents. Quant à Abd-el-Ouareth, il put se réfu-
gier avec quelques partisans chez les Ourfeddjouma.
Prise et pillage de Kaïrouan par les Ocrfeddjolma. —
C'est en vain qu'El-Habib avait pu compter, après son succès,
sur un peu de tranquillité; les haines qui divisaient sa famille
devaient poursuivre jusqu'au bout leur œuvre destructive ; aussi
les Musulmans y voyaient-ils un effet de la malédiction lancée
par le pieux Handhala , après avoir été déposé par Abd-er-
Rahman.
Abd-el-Ouareth, bien accueilli par Acem-ben-Djemil, chef des
Ourfeddjouma, proclama l'autorité du khalife El-Mansour, et appela
aux armes les Musulmans. El-Habib somma inutilement Acem de
livrer son hôte ; il n'essuya que de dédaigneux refus et se décida
à marcher en personne contre les rebelles. Ayant laissé le com-
mandement de Kaïrouan au cadi Abou-Koréïb, il partit, en 757,
à la tète de ses troupes pour combattre les Ourfeddjouma, qui
marchaient directement sur sa capitale. Le sort des armes lui fut
funeste : après avoir vu son armée mise en déroute, il dut cher-
cher un refuge à Gabès. De nouvelles troupes furent envoyées à
son secours par Abou-Koréïb, mais elles passèrent sans coup férir
dans les rangs des rebelles, alin de faire acte d'adhésion au khalife
abbasside.
Acem, laissant de côté Gabès, se porta rapidement sur Kaïrouan.
Abou-Koréïb, à la tète d'une poignée de braves, sortit pour les
repousser, tandis que les habitants de la ville se réfugiaient dans
leurs maisons. Les Ourfeddjouma passèrent sur le corps de la
petite troupe d'Abou-Koréïb, et l'on vit ces Berbères-kharedjites,
portant la bannière du khalife abbasside, se ruer dans la ville sainte
d'Okba, la profaner et se livrer à tous les excès. Acem, qui avait
gardé le commandement pendant toute cette campagne, car les
annales ne parlent plu- d'Abd-el-Ouareth, marcha alors contre
El-Habib. Celui-ci l'attira dans l'Aourès, où il avait cherché un
refuge, le défit et le mit à mort. Prenant ensuite l'offensive,
El-Habib se porta sur Kaïrouan, mais il fut à son tour défait et
tué par les Ourfeddjouma (mai-juin 757).
Restés maîtres de Kaïrouan, les sauvages hérétiques s'attachè-
rent à profaner les lieux consacrés par les orthodoxes : ils trans-
formèrent leurs mosquées en écuries, soumirent les Arabes aux
plus épouvantables traitements et firent régner une terreur si
grande qu'une partie de la population se décida à émigrer. Abd-
RH-\'OLTE KIIAREDJITE (758)
243
el-Malek-ben-Abou-el-Djaâda, qui avait remplacé Acem comme
ciief de la tribu, encourageait ces excès
Les Miknaça fondent un royaume a Sidjilmassa. — Pendant
que rifrikiya était le théâtre de ces luttes, le Mag'reb demeurait
livré à lui-même. Les Berg'ouata hérétiques continuaient à étendre
leur autorité sur les rives de TAtlantique et jusqu'au versant occi-
dental de l'Atlas. Plus à l'est, les Miknaça occupaient, de plus en
plus fortement, la vallée de la Moulouïa, et une partie de cette
tribu dominait dans les oasis de l'Ouad-Ziz. Ils avaient adopté
depuis longtemps les doctrines kharcdjites et, sous l'impulsion
d'un de leurs contribules, nommé Bel-Kassem-Semgou, ils formè-
rent à Sidjilmassa une communauté d'adeptes de la secte sofrite.
Vers 758, ils se donnèi'ent comme chef un certain Aïça-ben-Yezid,
le Noir, et construisirent la ville de Sidjilmassa, capitale de cette
petite royauté indépendante'^.
Guerres civiles en Espagne. — Nous avons vu dans le cha-
pitre précédent qu'Abou-l'Khattar avait rétabli en Espagne la paix
entre les Musulmans; mais les rivalités étaient trop violentes pour
que cette pacification fût de longue durée. Un kaïsite du nom
de Soumaïl-ben-Hatem, allié à Touaba-ben-Selama , chef des
Djodham, tribu yéménite, leva l'étendard de la révolte dans le
district de Sidona. Abou-l'Khattar, ayant marché contre eux, fut
vaincu et fait prisonnier (mai 745). Touaba exerça alors le com-
mandement avec l'assistance de Soumaïl ; l'année suivante il
mourut et la lutte entre Kelbites et Kaïsites recommença. Un
descendant d'Okba, nommé Youçof, ayant été proclamé gou-
verneur à l'instigation de Soumaïl, les Kelbites replacèrent à leur
tête Abou-l'Khattar ; mais, en 747, celui-ci fut fait prisonnier et
mis à mort, après un combat acharné. Youçof resta ainsi en pos-
session d'un pouvoir précaire, tandis que les luttes fratricides, les
vengeances et les meurtres continuaient à décimer la race arabe
en Espagne, au profit de l'élément bei'bère, qui prenait part à ces
guerres comme allié de l'un ou de l'autre parti. Les chrétiens, de
leur côté, n'étaient pas sans tirer avantage de cette situation. En
751, Pélage mourut et fut remplacé par Alphonse, fils de Pédro,
qui forma la souche des rois de Galice ^
1. En-Nouéïri, p. 372, 373. Ibn-Khaldouu, t. I, p. 219.
2. El-Bekri, passim. Ibn-IChaldoun, t. I, p. 261.
3. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, p. 273 et suiv. et Recherches
sur l'hist. de l'Espagne, p. 100. Rosseuw Saiut-Hilaire, Histoire d'Es-
pagne, t. I et IL
244
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
L'oMÉÏADE Abd-er-Rahman débarque en Espagne. — Mais la face
des choses allait changer profondément en Espagne, par rétablis-
sement d'une nouvelle dynastie. Après le triomphe des Abbassides
en Orient, les membres et les partisans de la famille oméïade qui
avaient échappé à la mort dans les combats furent recherchés
avec le plus grand soin et impitoyablement massacrés. L'un d'eux,
nommé Abd-er-Rahman, fils de Moaouïa-ben-Hecham, parvint
cependant à échapper à ses ennemis ' et à passer en Afrique, ac-
compagné d'un affranchi du nom de Bedr (750). Après avoir sé-
journé quelque temps, caché dans une localité du pays de Barka,
il profita de la déclaration d'indépendance d'Abd-er-Rahman-
ben-Habib pour se rendre en Ifrikiya, puisque l'autorité abbasside
n'y était pas reconnue. Il fut probablement reçu à la cour de ce
prince, mais la conspiration des réfugiés oméïades ayant alors pro-
voqué des mesures de rigueur contre les partisans de cette dy-
nastie, Abd-er-Rahman fut encore obligé de fuir. Il gagna les ré-
gions de l'ouest et séjourna à Tiharet, puis chez les Mar'ila ; il erra
ainsi pendant cinq années et se fit des amis parmi les tribus zenètes.
Ces Berbères étaient en relation avec leurs compatriotes d'Espagne
et, par eux, Abd-er-Rahman fut mis au courant des événements
dont cette contrée était le théâtre. La dynastie oméïade y avait de
nombreux partisans qui s'empressèrent d'appeler chez eux le des-
cendant de leurs princes. Après avoir fait sonder le terrain et
même envoyé à Youçof des propositions qui furent repoussées par
Soumai'l, Abd-er-Rahman se décida à passer en Espagne. Il s'em-
barqua avec un certain nombre de guerriers zenètes, sur un bateau
envoyé par ses partisans de la péninsule. Ce fut d'un point du lit-
toral de la province d'Oran, occupé par la tribu des Mar'ila, qu'il
mit à la voile ^.
Dans le mois de septembre 755, Abd-er-Rahman débarqua à
Almufiecar, à égale distance de Grenade et de Malaga. Youçof re-
venait alors d'une expédition à Saragosse, expédition dans laquelle
il avait commis de grandes cruautés, à l'instigation de Soumaïl, et
soulevé la réprobation générale.
Fondation de l'empire oméïade d'Espagne. — Cependant Abd-er-
Rahman se préparait à la lutte, en enrôlant des guerriers et en se
ménageant des intelligences dans le pays. Au printemps de l'an-
née 756, il se mit en marche et reçut la soumission de Malaga, de
1. Voir les détails romanesques de sa fuite, dans VHist. des Musul-
mans d'Espagne, p. 229 et suiv. et El Marrakchi, édit. Dozy, p. 11 et suiv.
2. Ibn-Khaldoun, t. \, p. 249.
RÉVOLTE KIlAREn.IITK (759)
245
Xérès, de Ronda et enfin de Séville. De là, il marcha sur Cor-
doue.
Youçof, de son côté, se préparait à la lutte ; il était appuyé par
la grande majorité des kaïsites et une partie des Berbères. Tous
les Yéménites, quelques kaïsites et le reste des Berbères étaient
avec Abd-er-Rahman.
Les deux armées se rencontrèrent sur les bords du Guadalquivir
et, séparées par ce fleuve grossi par les pluies, tâchèrent l'une et
l'autre de gagner Cordoue ; enfin, le 14 mai, les eaux ayant baissé,
Abd-er-Rahman fit passer le fleuve à ses troupes sans être inquiété
par Youçof, avec lequel il avait entamé des négociations. Le len-
demain , le prétendant disposa ses troupes pour la bataille, et
Youçof essaya bravement de lui tenir tête ; mais la victoire se dé-
cida bientôt pour Abd-er-Rahman. Youçof et Soumaïl échappèrent
par la fuite, tandis que le prétendant entrait en triomphateur à
Cordoue. Il montra une grande modération dans le succès.
Ainsi se trouva fondée la dynastie des Oméïades d'Espagne qui
devait briller d'un grand éclat dans le moyen âge barbare. Cette
province était à jamais perdue pour le khalifat.
Youçof et Soumaïl tenaient encore la campagne; ils réussirent
même à mettre en ligne une armée sérieuse et obtinrent quelques
avantages. Mais la victoire demeura au prince oméïade. En 758,
Youçof fut tué dans une déroute, et Soumaïl, ayant été fait pri-
sonnier, mourut dans un cachot'. Ainsi, Abd-er-Rahman resta
seul maître du pouvoir et s'appliqua à faire cesser l'anarchie, rude
tâche dans un pays où les Musulmans étaient divisés par des haines
traditionnelles et des rivalités de race et d'intérêt. Les Yéménites,
auxquels il devait son succès, essayèrent alors de reprendre la su-
prématie, et il dut résister à leurs exigences, en attendant qu'il eût
à combattre leurs révoltes.
Les courses des Musulmans en Gaule avaient à peu près cessé ;
cependant ils occupaient encore la Septimanie, avec Narbonne
comme capitale. En 739 et 740, Karl les avait expulsés de la Pro-
vence, après avoir défait et tué leur allié le comte Mauronte. Peppin
le Bref, ne leur laissant aucune trêve, les chassa du pays ouvert et
vint les assiéger dans Narbonne. Ils y résistèrent pendant sept an-
nées; enfin, en 759, cette ville tomba au pouvoir des Franks, et les
dernières bandes musulmanes rejoignirent, au delà des Pyrénées,
leurs coréligionnaires.
Les Ourfeddjouma sont vaincus par les Eibadites de l'Ifrikiya.
1. Makkari, t. II, p. 24.
246
HISTOIRE DK I, AHiHjlK
— Nous avons laissé les Oiirfeddjouma maîtres de Kaïrouan et se
livrant à toutes les violences, dans l'ivresse de leur succès. L'excès
du mal, ou peut-être la jalousie des autres Berbères, allait amener
une réaction. Les Houara, soulevés à la voix d'un Arabe nommé
Abou-l'Khattab-el-Moafri, firent alliance avec des tribus zenètes
voisines et vinrent s'emparer de Tripoli. Ces tribus étaient kha-
redjites-éïbadites. Abou-l'Khattab ayant marché sur Ka'irouan,
rencontra Abd-el-Malck qui s'était avancé au devant de lui, le
délit et le tua dans une sanj;lante bataille et s'empara de Kaïrouan.
Les Ourfeddjouma et Xefzaoua, restés dans le pays, furent tous
massacrés ; ils occupaient la capitale depuis quatorze mois (758-59)'.
Abou-l'Khattab nomma Abd-cr-Rahman-ben-Rostem gouver-
neur de Kaïrouan ; puis il rentra à Tripoli et, de là, établit son au-
torité sur toute la partie orientale de l'Ifrikiya. C'était le triomphe
de la race berbère et du culte kharedjite-éïbadite ; après le Mag'reb,
après l'Espagne, l'Ifrikiya secouait le joug des Arabes, et l'on ne
comprendrait pas pourquoi le khalifal abandonnait ainsi les pro-
vinces de l'Ouest, si l'on ne savait que l'Orient était encore le
théâtre de troubles provoqués par des sectaires.
Défaite des Kiiaredjites par Ibn-Aciiatii. — En 760, Mohammed-
ben-Achath, gouverneur de l'Egypte, fit marcher contre les re-
belles de l'Ifrikiya une armée commandée par le général Abou-
rriaouas; mais Abou-l'Khattab, chef des éïbadites, sortit à sa
rencontre et lui infligea une défaite complète, au lieu dit Mikdas,
au fond de la grande Syrte.
A la nouvelle de ce désastre, le khalife El-Mansour résolut d'en
linir avec les rebelles d'Occident. Il nomma Ibn-Achath lui-même
au gouvernement de l'Afrique et lui envoya une armée de qua-
rante mille hommes - fournie par les colonies militaires de Syrie,
et plusieurs oHîciers distingués, parmi lesquels El-Ar'beb-ben-
Salem qui devait prendre le commandement dans le cas où la cam-
pagne serait ftitale au gouverneur. En 761, l'armée partit pour le
Mag'reb.
Abou-l'Khattab, au courant de ces préparatifs, avait appelé les
Berbères aux armes, et un grand nombre de contingents houarides
et zenètes étaient accourus sous ses étendards. Il vint alors prendre
position à Sort, pour barrer le passage à l'ennemi, et y fut rejoint
par Ibn-Rostem, lui amenant les guerriers de la Tunisie. Un im-
1. Ibu-Khaldouu, t. I, p.220ctsuiv. Eii-Nouciri, p. 373. El-Ivairouani,
p. 77.
2. 20.000, selon El-Adhari.
RI^^■OLTE KHAREDJITI-; (762)
247
meiise rassemblement, que les auteurs arabes portent à deux cent
mille bommes, se trouva ainsi formé. Ibn-Achatli n'osa pas se me-
surer contre de pareilles forces et se contenta de rester en obser-
vation, attendant une occasion favorable. La désunion, si fatale
aux Berbères, vint alors à son secours. A la suite d'un crime
commis sur un Zenète, la discorde éclata entre ses contribules et
les Houara. Les Zenètes crièrent à la trabison et parlèrent de se re-
tirer, et l'armée berbère désunie perdit la confiance en elle-même.
Ibn-Achatb profita babilement de la situation: après avoir laissé
croire qu'il allait attaquer les Berbères, il fit courir le bruit qu'il
était rappelé en Orient, leva précipitamment son camp et se mit
en retraite. A cette vue, un f^rand nombre de Berbères reprirent
la route de leur pays, tandis que les autres suivaient l'armée arabe.
Pendant trois jours, Ibn-Acbatli continua son mouvement de re-
traite, suivi à distance par les Kbarcdjites, dont le nombre dimi-
nuait constamment, et qui néf^lig'eaient les précautions usitées en
guerre. Mais le quatrième jour, au matin, Ibn-Achath, qui était
revenu sur ses pas pendant la nuit, à la tète de ses meilleurs guer-
riers, fondit sur le camp jjerbère ploni;é dans la sécurité. En vain
Abou-l'Khattab essaya de rallier ses soldats, qui, surpris dans leur
sommeil et n'ayant pas eu le temps de s'armer, fuyaient dans tous
les sens. En un instant le camp fut pillé et l'armée mise en dé-
route. Les Arabes passèrent au fil de l'épée tous les Kharedjites
qu'ils purent atteindre. Abou-l'Kbattab et, dit-on, quarante mille
Berbères restèrent sur le cbamp de bataille.
IbN-AcHATH rétablit .V KaÏROUAN le siège du GOin ERNEMENT.
Sans perdre un instant, Ibn-Achath se mit en marche sur Tripoli,
tandis qu'il envoyait un de ses lieutenants poursuivre les Houara
jusqu'au Fezzan. Les contingents zenètes s'étant ralliés et ayant
voulu faire tète furent mis en déroîite, et rien ne s'opposa plus à
la marche des Arabes. Après s'être emparé de Tripoli sans coup
férir, Ibn-Achath s'avança vers Kaïrouan. Abd-cr-Rahman-ben-
Rostem avait essayé d'y rentrer après la défaite des Kharedjites,
mais la population de la ville l'ayant repoussé, il avait dû continuer
sa route vers l'ouest.
Ibn-Achath fut reçu à Kaïrouan comme un libérateur (fin jan-
vier 762). Il compléta la pacification de l'Ifrikiya, extermina les
Kharedjites et les força à la fuite ou à l'abjuration. Le général El-
Ar'leb, envoyé par lui dans le Zab, fut chargé de faire rentrer les
populations zenètes dans l'obéissance.
Le siège du gouvernement rétabli à Kaïrouan, l'autoi'ité abbas-
side régna de nouveau sur l'Ifrilviya. Ibn-.\chath s'appliqua à faire
248
insTOiRn DE l'afrique
disparaître les traces des dévastations commises par les Kharedjites
à Kaïrouan ; il entoura la ville d une muraille en terre épaisse de
dix coudées ' et compléta cette fortification d'un large fossé. Les
habitants rentrèrent dans la capitale, qui brilla d'une nouvelle
splendeur.
Fondation de la dynastie rostemide a Tiiiaret. — Cependant
Abd-er-Rahman-ben-Rostcm, ayant continué sa route vers l'ouest,
atteignit Tiharet, où il fut rejoint par un grand nombre de khared-
jites des tribus de Nefzaoua, Louata, Houara et Lemai'a. Il se fit
reconnaître par eux comme chef, et avec leur aide jeta les fonde-
ments d'une nouvelle cité sur le versant du Djebel-Guezoul. Cette
ville, qui fut nommée Tiharet la neuve, reçut sa famille et ses
trésors et devint la capitale de sa dynastie et le centre du khare-
djisme éïbadite (761). Ainsi un nouveau royaume berbère indé-
pendant était formé dans le Mag'reb central
Dans le Rif marocain, la ville de Xokour avait été fondée quel-
ques années auparavant par un chef arabe, Salah-ben-Mansour,
qui en avait fait un centre religieux orthodoxe. Les tribus r'oma-
riennes des environs, après avoir accepté sa foi, lui avaient cons-
titué une population de sujets dévoués qui avaient conservé le
culte orthodoxe, entre les hérétiques Berg'ouata et les kharedjites^.
Gouvernement d'El-Arleb-Ijen-Salem. — Ibn-.Achath gouvernait
depuis près de quatre ans l'Ifrikiya, appliqué à rétablir la bonne
marche de l'administration et à faire disparaître les traces de la
guerre, lorsqu'une révolte de sa propre milice, composée en ma-
jorité de modhèrites, tandis qu'il était yéménite, le força à des-
cendre du pouvoir (mai 765). Un certain Aïssa-ben-Moussa, mi-
licien khoraçanite, fut élu à sa place par les soldats ; mais le khalife
El-Mansour, tout en ratiliant la déposition d'Ibn-Achath, envoya
le diplôme de gouverneur à El-Ar'leb-ben-Salem, qui était resté à
Tobna, aiin de garder la frontière méridionale contre les entre-
prises des tribus zenètes. Il lui traça des instructions fort sages,
lui recommandant de ménager la milice, sa seule force au milieu
des Berbères, et de combattre ceux-ci sans . relâche. El-Ar'leb
chassa du palais le gouverneur d'un jour et, s'étant emparé du
pouvoir, donna tous ses soins à la mise en pratique des instructions
du khalife ; mais il avait à lutter contre une double difficulté :
1. El-Kaïrouaui, p. 78. El-Bekri, p. 24 du texte arabe.
2. Ibii-Khaldoun, t. I, p. 341 et suiv.
3. Ibid., t. II, p. 137 et suiv.
RÉVOLTi:: KIIAREDJITE (768)
249
rindiscipline de la milice, qui se sentait toute-puissante, et l'esprit
de révolte des Berbères surexcité par le fanatisme religieux.
Nous avons vu précédemment que les Beni-Ifrene, sous l'im-
pulsion de leur chef Abou-Korra, avaient fondé une sorte de
royaume indépendant à Tlemcen. Les guerres civiles, qui depuis
longtemps absorbaient les forces des Arabes, avaient favorisé le
développement de la puissance des Beni-Ifrene. La présence d"El-
Ar'leb dans le Zab avait contenu les Zenètes, mais, en 767, Abou-
Korra leva l'étendard de la révolte et, après avoir forcé ses voisins
à accepter la doctrine sofrile (kharedjite), il les entraîna vers l'est
par les chemins des hauts plateaux à la conquête de l'Ifrikiya.
El-Arleb marcha contre lui, à la tête de ses meilleurs soldats,
mais les Berbères ne l'attendirent pas et cherchèrent un refuge
vers l'ouest. Le général arabe était parvenu dans le Zab et voulait
poursuivre les rebelles jusqu'au fond du Mag'reb, lorsque ses
troupes se mutinèrent et refusèrent péremptoirement de le suivre;
puis elles rentrèrent en débandade à Kaïrouan, le laissant seul
avec quelques officiers dévoués.
Dans l'est, la situation était grave : à peine le gouverneur avait-
il quitté l'Ifrikiya, que le commandant de Tunis, El-Hassan-ben-
Harb, s'était mis en état de révolte et avait chassé de Kai'rouan
le représentant du gouverneur. El-Ar'leb, accouru en toute hâte,
réunit à Gabès tous ses adhérents et se mit en marche sur Kaïrouan.
On en vint aux mains non loin de la ville et la bataille se termina
parla défaite et la fuite d'El-Hassan. Le gouverneur rentra ainsi en
possession de sa capitale ; mais bientôt son compétiteur, qui avait
formé une nouvelle armée à Tunis, revint lui livrer bataille sous les
murs mêmes de Kaïrouan. Après une lutte acharnée, dans laquelle
El-Ar'leb trouva la mort, les rebelles furent complètement écrasés.
El-Mokharek, qui avait pris le commandement après la mort du
gouverneur, poursuivit les fuyards dans toutes les directions :
peu après El-Hassan, qui avait d'abord trouvé un asile chez les
Ketama, fut mis à mort (sept. 767) '.
Gouvernement d'Omar-ben-Hafs, dit IIazarmed. — En mars 768,
Omar-ben-Hafs, surnommé Hezarmed^, désigné par le khalife
comme gouverneur de l'Ifrikiya, arriva à Kaïrouan à la tête de
cinq cents cavaliers et fut reçu par les notables de la ville, sortis à
sa rencontre. Quelque temps après, il se rendit dans le Zab, afin d'y
maintenir la tranquillité et de relever les murs de Tobna, selon les
1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 220. En-Noiicïri, p. 377 et suiv.
2. Ce mot signifie mille hommes eu persan.
250
IIISTOIUE DE L AFRIQUE
ordres du khalife. Cette position couvrait le sud contre les entre-
prises des Zenètes.
A peine le gouverneur se fut-il éloigné de la Tunisie, que les
tribus de la Tripolitaine se révoltèrent, en prenant comme chef
Abou-Hatem-Yakoub. Un corps de cavalerie, envoyé contre eux
par le commandant de Tripoli, fut défait, et un renfort arrivé de
Zab éprouva le même sort. En même temps le gouverneur avait à
tenir tête à une attaque générale des Berbères du Mag'reb central,
entraînés par Abou-Korra. Il détacha cependant son général So-
léïman et Tenvoya contre les rebelles de Test ; mais Abou-Halem
le vainquit près de Gabès et vint mettre le siège devant Kaïrouan,
dont les fortifications l'arrêtèrent (771).
Dans le Zab, la situation d'Omar devenait fort critique ; il s'était
retranché à Tobna avec sa petite armée de cinq ou six mille cava-
liers', et y était bloqué par des nuées de Kharedjiles. Abou-
Korra avait amené quarante mille sofrites fournis par les Beni-
Ifrene. Ibn-Rostem, seigneur de Tiharet, était là avec six mille
Eïbadites; dix mille Zenètes éïbadites étaient commandés par El-
Miçouer ; enfin les Sanhadja, Ketama, Mediouna, etc., avaient
donné des contingents. Omar, jugeant que le sort des armes ne lui
offrait aucune chance de salut, employa la division et la corruption
pour se débarrasser de ses ennemis. Il fit offrir à Abou-Korra un
cadeau de 10,000 dinars (pièces d'or), à titre de rançon et, grâce à
l'intervention du fils de celui-ci, que son envoyé sut intéresser par
des cadeaux, il réussit à se débarrasser des Beni-Ifrene, qui for-
maient à eux seuls la moitié des assaillants*.
Tandis que l'armée kharedjite était démoralisée par la nouvelle
de cette trahison, Omar envoya un corps de 1,300 hommes atta-
quer Ibn-Rostem, qui occupait Tehouda. Mis en déroute, le sei-
gneur de Tiharet regagna comme il put sa capitale, avec les débris
de ses troupes. Les autres contingents se retirèrent et, ainsi, se
fondit ce grand rassemblement. Omar, ayant enfin le passage libre,
sortit de Tobna, où il laissa un corps de troupes, et se porta, à
marches forcées, au secours de Ka'irouan. Depuis huit mois, cette
ville, étroitement bloquée, avait supporté les fatigues d'un siège
et était livrée aux horreurs de la famine. La garnison, épuisée et
décimée, soutenait chaque jour des combats pour repousser les
assiégeants. Déjà un certain nombre d'habitants, considérant la
1. D'après le B;ii;in, il aurait eu avec lui un cfTectif de 15.500 hommes ;
mais les chitTres précédents, dounjs par En-îS'ouéiri, paraissent plus
probables.
2. Ibn-Khaldoun, t I, p. 223. t. III, p. 200. Eu-Nouéiri, p. 379 et suiv.
Rlh'OI.TK KIIAHEDJITE (771)
251
situalion comme désespérée, étaient allés i-ejoindre le camp des
assiégeants.
Arapproche du gouverneur, Abou-Hatem, abandonnant le siège,
se porta à sa rencontre, mais Omar, après avoir feint d'être dis-
posé à lui offrir le combat près de Tunis, parvint à l'éviter et put
opérer sa jonction avec son frère utérin Djeniil-ben-Saker, sorti
de Kaïrouan. Tous deux rentrèrent dans la ville et l'arrivée du
gouverneur, bien qu'il n'amenât qu'un faible renfort, ranima le
courage des Arabes.
Mort d'Omar. Prise de Kaïrouan par les Kharedjites. — Abou-
Hâtem revint bientôt à Kaïrouan à la tête d'une nombreuse armée
renforcée des contingents d'Abou-Korra qui, après avoir inutile-
ment essayé d'enlever Tobna, était venu rejoindre les Eïbadites de
la Tunisie. Les Aral)es tentèrent en A'ain de tenir la campagne ; ils
furent forcés de se réfugier derrière les murailles de Kaïrouan,
dont la force et la solidité préserva la ville d une chute immédiate.
Un grand nombre de Berbères accoururent de toutes parts pour
se joindre aux assiégeants et, selon les chroniques, 350,000 Kared-
jites se trouvèrent réunis à Kaïrouan'. Le courage des assiégés
fut inébranlable, mais la famine vint augmenter les chances de
leurs ennemis. Lorsque les bêtes de somme et même les animaux
immondes furent dévorés, et qu'il fut reconnu que la position
n'était plus tenable, Omar voulut tenter une sortie pour se procu-
rer des vivres, mais ses soldats refusèrent de le laisser partir, pré-
tendant qu'il se disposait à les abandonner et ne voulurent pas
tenter eux-mêmes l'aventure. « Eh bien ! leur dit Omar, enflammé
de colère, je vous enverrai tous à l'alDreuvoir de la mort ! »
Sur ces entrefaites, un messager, ayant pu pénétrer dans la ville,
apporta la nouvelle que le khalife, irrité contre Omar, se préparait
à envoyer un nouveau général avec des troupes fraîches, en Ifri-
kiya. Le gouverneur résolut aussitôt d'éviter par la mort l'amer-
tume d'une telle injustice. Ayant pris ses dernières dispositions, il
se jeta comme « un chameau enragé » sur les assiégeants, et après
en avoir abattu un grand nombre, il trouva la mort qu'il cherchait
(novembre 771).
Djemil-ben-Saker, auquel le commandement avait été dévolu,
entra alors en pourparlers avec Abou-Hâtem et signa une capitula-
tion par laquelle il lui livrait la ville. Les assiégés avaient la liberté
de se retirer avec leurs armes et leurs insignes, et le respect des
personnes et des biens était garanti. Djemil se dirigea vers l'Orient,
1. Tous CCS chiffres paraissent fortement exagérés.
252
HISTOIRE DE L AFRIQUE
tandis qu'une partie de la milice prenait la route de Tobna et que
quelques ofTiciers passaient au service d'Abou-Hatem.
Pour la deuxième fois, en quelques années, les Karedjiles ber-
bères entraient en vainqueurs dans la ville sainte d Okba. Celte
fois, il n"y eut pas de pillage ; Abou-Halem se contenta de déman-
teler les fortifications de Kaïrouan. Du reste, il n"eut pas le loisir
de jouir lontemps de ses succès.
CHAPITRE V
DERNIERS GOUVERNEURS ARABES
772-800
Yezid-ben llatem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya. — Gouvernement de
Yezid-ben-Hatem. — Les petits royaumes berbères indépendants. — L'Es-
pagne sous le premier khalife oméïade ; expédition de Charmelagne. —
Intérim de Daoud-ben-Yezid ; gouvernement de Rouh-ben-Hatem. — Edris-
ben-Abd-Allah fonde à Oulili la dynastie édricide. — Conquêtes d'Edris ;
sa mort. — Gouvernements d'En-Nasr-ben-el-lIabib et d'El-Fadel-ben-Rouh.
— Anarchie en Ifrikiya. — Gouvernement de llertema-ben-Aïan. — Gouver-
nement de Mohammed-ben-Mokatel. — Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la ré-
volte de la milice. — Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépen-
dant, fonde la dynastie ar'lebite. — Naissance d'Edris II. — L'Espagne
sous Ilicham et El-Hakem. — Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.
Yezid-ben-H.\tem rétablit l'ai torité arabe en Ifrikiya. — Lors-
que la nouvelle des désastres dont l lfrikiya avait été le théâtre
parvint en Orient, elle y excita la plus violente indignation. Le kha-
life EI-Mansour réunit aussitôt une armée considérable, formée de
troupes prises dans les colonies militaires du Khorassan, de l'Irak
et de Syrie, en donna le commandement à Yezid-ben-Hatem et le
fit partir pour l'Occident (772).
Abou-Hatem, de son côté, réunit ses contingents et, laissant le
commandement de Kaïrouan à Abd-el-Aziz-el-Moafri, il se mit
en marche sur Tripoli. Mais, à peine avait-il quitté sa capitale, que
les miliciens se révoltèrent, chassèrent Abd-el-Aziz et placèrent à
leur tête Omar-ben-Othman. Abou-IIatem revint sur ses pas, défit
les rebelles et lança à leur poursuite un de ses lieutenants nommé
Djerid. Omar, avec une partie de ses miliciens, avait cherché un
refuge près de Djidjel, dans le pays des Ketama. Djerid voulut l'y
poursuivre, mais il tomba dans une embuscade et fut défait et tué.
Quant aux autres miliciens, ils avaient rejoint l'armée arabe à
Sort.
Cependant Abou-Hatem s'était avancé jusque vers Tripoli, mais,
lorsqu'il connut la force de l'armée de Yezid, il renonça à lutter con-
tre elle en bataille rangée et alla se retrancher dans les montagnes
de Nefouça. Il occupait une position très forte et ne craignit pas
d'attaquer l'avant-garde des Arabes. Les Kharedjites la rejetèrent
254
IIISTOIHE DH I, AFRIQUE
sur le corps principal, puis ils regagnèrent leurs montagnes. Yezid
marcha alors contre les rebelles avec toutes ses troupes, attaqua
de front leurs retranchements et les enleva l un après l'autre. Une
dernière et sanglante bataille dans laquelle Abou-Hatem trouva la
mort, consacra le triomphe des Arabes (mars 772). Les débris des
contingents berbères tâchèrent de regagner leurs tribus, mais la
cavalerie arabe, lancée à leur poursuite dans toutes les directions,
fit un grand carnage des karedjites. Abou-Korra put cependant
rentrer à Tlemcen. En même temps, Abd-er-Rahman, fds d"El-
Habib, le seul officier arabe resté fidèle à la cause d"Abou-IIalem,
se réfugia avec un certain nombre d'adhérents dans les montagnes
de Ketama'.
Gouvernement de Yezid-ben-Hatem. — Vers la fin de mai, Yezid,
qui avait assuré la pacification des provinces méridionales en
noyant la révolte dans le sang, fit son entrée à Ka'irouan. Il s'ap-
pliqua à rendre à la ville toute sa splendeur et à faire oublier la
domination des Kharedjites.
Abd-er-Rahman tint encore la campagne pendant huit mois,
dans le pays des Ketama ; mais il finit par succomber avec ses
partisans, sous les efforts combinés des généraux arabes. La ré-
volte kharedjile qui, en réalité, était le réveil de l'esprit national
berbère, semblait domptée ; plus de trois cents combats avaient
été livrés et les indigènes avaient toujours supporté le poids de la
défaite et la sanglante vengeance de leurs vainqueurs. Cependant,
les Houara se soulevèrent encore, à la voix d'un de leurs chefs,
nommé Abou-Vahïa-ben-Afounas. Le commandant de Tripoli,
ayant marché contre eux, les défit non loin de cette ville. L'année
suivante (773), un certain Abou-Zerhouna parvint à entraîner les
turbulents Ourfeddjounia à la révolte contre l'autorité arabe. Une
armée envoyée contre eux par Yezid fut d'abord défaite. Alors
Mohelleb, fils du gouverneur qui commandait le poste de Tobna,
sollicita l'honneur de réduire les rebelles. Ayant reçu de son père
un important renfort, il attaqua vigoureusement les Ourfeddjounia,
les délogea de toutes leui's positions et en fit « un massacre épou-
vantable. »
Cette fois, les révoltés kharedjites étaient, sinon domptés, du
moins réduits à l'impuissance. L'Ifrikiya put profiter de quelques
années de paix que le gouverneur employa aux embellissements
de Ka'irouan. « En 774, dit En-Nouéïri, il fit rebâtir la grande
mosquée de Ka'irouan et construire des bazars pour chaque mé-
1. Ibu-Khaldouu, t. I, p. 222. t. III, p. 200. Eu-Nouéiri, p. 384.
DERNIERS GOUVERNEURS ARABES (792)
255
lier. Ainsi, on pourrait dire, sans trop s'écarler de la vérité, qu'il
en fut le fondateur. » En même temps il rétablissait, par son es-
prit de justice, la sécurité des transactions. El-Kaïrouani rapporte,
d'après rhislorien Sahnoun, que Yezid se plaisait à dire : « Je ne
crains rien tant sur la terre que d'avoir été injuste envers quelqu'un
de mes administrés, quoique je sache cependant que Dieu seul est
infaillible'. »
Les petits royaumes liERUÈRES INDÉPENDANTS. — Nous u'avons pas
voulu interrompre le cours des événements importants dont l'Ilri-
kiya était le théâtre ; mais il convient de retourner de quelques
années en arrière, pour reprendi'e l'historique des petites royau-
tés du Mag'reb.
A Sidjilmassa, le premier roi que la communauté des Miknaça
s'était donné, Aïca-ben-Yezid, fut déposé, en 772, après quinze
années de règne, et mis à mort par la populace. Abou-l'Kassem-
Semgou-ben-Ouaçoul, véritable fondateur du royaume, fut élu à
sa place. Il forma la souche des Beni-Ouaçoul, souvei'ains de Sid-
jilmassa. Cette oasis continua à être le centre d'une secte khared-
jite tenant de l'éïbadisme et du sofrisme. Ces liérétiques pronon-
çaient la prière au nom du khalife abbasside, dont ils se déclaraient
les vassaux-.
Les Berg'ouata, dirigés par leur prophète, le mehdi' Salah,
continuaient à vivre indépendants, dans le Mag'reb exti-ême, et à
propager leurs doctrines hérétiques. Après un long règne de près
d'un demi-siècle, Salah mourut (vers 792), en laissant le pouvoir
à son fds El-Yas*.
Dans le Rif marocain, à Nokour, Saïd, petit-fds d'un autre Salah,
était en possession de l'autorité et maintenait l'exercice du culte
orthodoxe sur le littoral de la Méditerranée ^.
A Tlemcen et dans le sud du Mag'reb central, les Beni-Ifrene
régnaient en maîtres et étendaient chaque jour leur influence.
Leurs cousins, les Mag'raoua, commençaient à envahir les plaines
de cette région et à devenir redoutables par leur nombre et leur
puissance.
Enfin, Abd-er-Rahman-ben-Rostem, à Tiharet, avait continué
1. Él-Kaïrouani, p. 79. Eii-Nouéïrl, p. 385.
2. Ibn-Khaldoun, L. I, p. 262. El-Bekri, p. 149 du texte arabe.
3. Ce titre, que nous reverrous souvent apparaître, a été pris par un
grand nombre d'agitateurs musulmans: on peut le rendre par: Messie.
4. Ibn-Khaldonn, t. II, p. 125 et suiv. El-Bekri, passim.
5. Ihid., t. II, p. 138, 139.
256
HISTOIRE DE L AFRIQUE
à recueillir les réfugiés de toutes les tribus appartenant à la secte
éïbadite, dont il était le chef reconnu.
Partout ailleurs, dans les deux Mag'reb, les tribus berbères
vivaient dans l'indépendance la plus complète. ^lais on voit, par
ce qui précède, que cette race tendait à abandonner l'état démo-
cratique pour grouper ses forces en formant de petites royautés
autonomes.
L'Espagne sous le premier khalife oméaïde. Expédition de Char-
LEMAGNE. — Nous avous laissé l oméiade Abd-er-Rahman seul
maître du pouvoir à Gordoue, après avoir triomphé de Youçof. Il
n'eut pas le loisir.de jouir longtemps de son succès, car l'anarchie
était devenue un état normal pour les Musulmans d'Espagne et ils
avaient perdu l'habitude d'obéir à un seul maître. Ce ne fut, du-
rant des années, qu'une suite de révoltes : Yéménites, Berbères,
Fihrites (descendants d'Okbal, s'évertuèrent à renverser le trône
oméïade à peine assis.
En 763, El-Ala-ben-Moghit, nommé gouverneur de l'Espagne
par le khalife El-Mansour, débarqua dans la province de Béja et
arbora le drapeau noir des abbassides. Aussitôt , yéménites et
fihrites accourent se ranger autour du représentant de l'autorité
légitime, et tous viennent assiéger Abd-er-Rahman qui s'était
retranché dans la place forte de Carmona. Le siège durait depuis
deux mois et la situation des assiégés était des plus critiques,
lorsque le prince oméïade, prenant une résolution désespérée, se
mit à la tête de ses meilleurs guerriers, sortit de la ville et, se
jetant avec impétuosité sur le camp des assiégeants, s'en rendit
maître et tailla en pièces ses ennemis. On dit qu'ayant coupé les
têtes des principaux chefs, parmi lesquels El-Ala, il les fit saler,
après avoir attaché à l'oreille une étiquette indiquant le nom de
chacun, et expédia le tout, roulé dans les débris du drapeau noir
et enveloppé d'un sac, au khalife abbasside. En recevant le funèbre
envoi, El-Mansour se serait écrié : « Je rends grâce à Dieu de ce
qu'il y a une mer entre moi et un tel ennemi ! ' » Abd-er-Rahman
triompha ensuite de cette révolte et traita avec la dernière rigueur
ceux qui s'y étaient compromis.
En 706, une grande in>urrection éclata parmi les Berbères à la
voix d'un illuminé du nom de Chakia, qui se faisait passer pour un
descendant du prophète et avait pris le nom de Abd-AUah-ben-
Mohammed. Il était originaire d'une fraction des Miknaça, passée
en Espagne lors de la première invasion et devenue très puissante.
1. Dozy, Hisl. des Musulmans d' Espagne, p. 367.
DEiîNiEns Gou\'i;[{Ni:ifns ARAuns (777) 257
Il proclama l'autorité abbasside, obtint de grands succès et,
durant neuf années, tint en échec la puissance d'Abd-cr-Rahman.
Ce prince parvint enfin à écraser ses adhérents et à le faire
assassiner.
Sur ces entrefaites, trois chefs arabes formèrent un nouveau
complot, c'étaient : le kelbite el-Arbi, gouverneur de Barcelone,
le fihrite Abd-er-Rahman-ben-Habib, surnommé le Slave, gendre
de Youçof, et un fils de Youçof, appelé Abou-el-Asouad. La gloire
de Charlemagne étantparvenue jusqu'à eux, ils résolurent de solli-
citer son concours et, à cet effet, se rendirent, en 777, à Pader-
born et proposèrent au grand conquérant de lui ouvrir l'Espagne.
Charles accueillit leurs ouvertures et leur promit de conduire une
armée dans la péninsule. El-Arbi devait l'appuyer avec tous ses
adhérents, au nord de l'Ebre, et le faire reconnaître comme sou-
verain de cette région, tandis que le Slave irait chercher des
Berbères en Afrique et occuperait avec eux la province de Murcie.
Ce plan, si bien combiné, pécha dans l'exécution : le Slave arriva
le premier, avec un certain nombre de Berbères, et demanda des
secours à El-Arbi; mais celui-ci lui objecta que, selon leur traité,
il ne devait pas franchir l'Ebre. Irrité de ce qu'il appelait une
trahison, le Slave marcha contre El-Arbi, fut battu et forcé de
rentrer dans la province de Murcie, où il périt assassiné.
Lorsque Charlemagne eut franchi les Pyrénées, il ne trouva, pour
l'appuyer, qu'El-Arbi et quelques ofTiciers, tels qu'Abou-Thaur,
Abou-l'Asouad et le comte de Cerdagne. Au lieu de voir, comme
on le lui avait promis, toutes les places lui ouvrir leurs portes, il
dut commencer par entreprendre le siège de Saragosse, où com-
mandait un fanatique, ne voulant aucune alliance avec les chré-
tiens. Tandis qu'il était devant cette place, il reçut la nouvelle que
Witekind et les Saxons avaient repris les armes et menaçaient
Cologne. Force lui fut de lever le siège et de reprendre au plus
vite la route du Nord; il passa par la vallée de Roncevaux, où son
arrière-garde tomba dans une embuscade tendue par les Basques.
Ainsi Abd-er-Rahman avait échappé au plus grave danger qu'il
eût encore couru, et cela sans faire aucun effort personnel. .Après
le départ des Franks, il s'appliqua à combattre isolément tous ses
adversaires et, par sa persévérance et son implacable cruauté,
arriva enfin à briser toutes les résistances. Ne pouvant compter
sur les Musulmans d'Espagne, il appela d'Afrique un grand nombre
de Berbères et même de nègres et en forma une armée dévouée,
sans aucun lien avec les gens du pays ^
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t I p. 370 et suiv.
T. I.
17
258
HISTOIRE DE L Af RIQI E
Pendant que le khalife oméïade était absorbé par ces luttes,
Alphonse, roi des Asturies, étendait les limites de ses provinces et
arrachait la Galice aux Musulmans. Ce prince termina son glorieux
règne en 759, et fut remplacé par son fils Froïla. Lugo, Porto,
Zamora, Saiamanque et une partie de la Castille étaient en son
pouvoir. Il mourut en 769, léguant la couronne à son fils Aurélio'.
Intérim de Daoud-ben-Yezid. — Gouvernement de Rouh-ben-
Hatem. — En 787, Yezid-Ben-Hatem cessa de vivre, après avoir
exercé le pouvoir durant près de quinze années. L'Afrique avait
joui d'une période de tranquillité bien nécessaire après tant de
luttes. Aussitôt après la mort du gouverneur, les Nefzaoua se révol-
tèrent et, conduits par l'un des leurs, nommé Salah-ben-Nacir,
attaquèrent leurs voisins et les contraignirent à adopter la doctrine
éïbadite, puis ils envahirent le Tel et s'avancèrent jusqu'à Badja.
Le commandant de Tobna ayant marché contre eux fut défait près
de cette ville.
Daoud, fils de Yezid, qui avait pris la direction des affaires
après la mort de son père, envoya alors contre les insurgés le
général Soléïman avec dix mille cavaliers. Les Kharedjites, vaincus
dans une première rencontre, se reformèrent à Sikka (le Kef) ;
mais Soléïman les y poursuivit et les dispersa, après en avoir tué
un grand nombre. Ainsi la révolte se trouva encore une fois apaisée.
Daoud administrait depuis plus de neuf mois l lfrikiya, lorsque le
khalife Haroun-cr-Rachid le remplaça par son oncle Rouh-ben-
Hatem, et, pour le récompenser de ses serviçes, lui conféra le gou-
vernement de l'Egypte.
Au commencement de l'année 788, Rouh arriva à Kaïrouan et
prit en main l'autorité. C'était un homme prudent et expérimenté
qui, au lieu de pousser les indigènes à la révolte par de durs trai-
tements, jugea préférable de composer avec eux. Abd-er-Rahman-
ben-Rostem était mort à Tiharet, quelque temps auparavant, et
avait été remplacé par son fils Abd-el-Ouahab. Ce chef adressa au
gouverneur de Kaïrouan des propositions d'alliance qui furent
acceptées, et un traité de paix fut signé entre le représentant du
khalife et le chef du kharedjisme éïbadite".
Edris-ben-Abdai.i,ah fonde a Oclili la dynastie edriside. —
Ainsi l'autorité arabe s'affaiblissait chaque jour en Afrique ; une
1. Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 101.
2. Ibu-Khaldoun, t. I, p. 224. Eii-Noueiri. p. 387, 388.
DERNIERS GOL'VERNErKS ARABES (788)
239
nouvelle dynastie allait s'établir dans le Mag'reb et consacrer la
perte définitive de cette contrée pour le khalifat.
Nous avons vu précédemment qu'après l'assassinat du khalife
Ali, gendre de Mahomet, ses partisans avaient en vain essayé de
faire obtenir le trône à ses enfants. Vaincus, les Alides n'avaient
pu empêcher rétablissement de la dynastie oméïade; mais ils
avaient formé une vaste société secrète et s'étaient donné le nom
de Chiaïtes fco-ayants-droit). Ils avaient continué à compter en
secret le rèj^ne des descendants d'Ali, seuls khalifes légitimes, et
n'avaient cessé d'attendre le moment de reconquérir le pouvoir.
Sous le règne de l'abbasside El-Mansour, deux des descendants
d'Ali, croyant l'heure arrivée, avaient levé les armes ; mais la victoire
s'était prononcée pour leur adversaire et la révolte avait été
étouffée dans le sang. Après la mort d'El-Mansour, un alide du
nom de Hocéïne, petit-fils de Ilaçan II, se mit en révolte contre
le khalife El-Mehdi ; mais il l'ut vaincu et tué à la bataille de Fekh,
près de La Mekke, et presque tous ses adhérents périrent mas-
sacrés (787).
Un oncle deHocéïn, nommé Edris-ben-Abd-Allah, avait échappé
au désastre de Fekh ; il se tint soigneusement caché et put se
soustraire aux minutieuses recherches ordonnées par le khalife.
Son signalement avait été envoyé à tous les commandants militaires,
et des postes furent établis sur les routes afin de l'arrêter s'il ten-
tait de sortir de l'Arabie. En dépit de ces précautions, Edris parvint,
grâce au dévouement de son afFranchi Rached, à gagner l'Egypte ;
de là, il partit pour l'ouest, vêtu d'une robe de laine et coiffé d'un
turban grossier. Pour mieux tromper les agents du khalife, Rached
lui donnait des ordres comme à un domestique, et il put sous ce
déguisement atteindre le fond du Mag'reb. Après avoir séjourné à
Tanger, il gagna Oulili', près d'une des sources du Sebou, dans
les montagnes des Aoureba, et fut bien accueilli par ces Berbères,
dont le chef Abou-Léïla-Ishak lui jura fidélité. Ainsi, c'était loin
de sa patrie, et au milieu de populations sauvages, que le des-
cendant de Mahomet trouvait la sécurité et pouvait faire recon-
naître ses droits. \'ers la fin de l'année 788, Edris se proclama
indépendant et obtint l'appui des Zouar'a, Louata, Seddrata, Riatha,
Nefza, Mar'ila, Miknaca et même d'une partie des R'omara-.
Ayant reçu des contingents de ces tribus, Edris étendit son
1. L'antique Volubilis, où fut ensuite construite la ville de Fès.
2. Ibu-Khaldoun, t. I, p. 209, 239, 290, t. II, p. 559 et suiv. Roudh-
El-Karlas, trad. Benumier, p. 12 et suiv. El-Bekri, trad. de Slaue, art.
Idiicides.
260
IIISTOIIŒ m: I. Al'lUQCE
autorité sur les régions du Mag reb. Quelques populations d'orig^ine
ancienne, débris de vieilles tribus, les Fendelaoua, Behloula,
Fazaz, etc., avaient trouvé un refuge dans ces montagnes reculées,
et y avaient conservé le culte Israélite ou chrétien. Le descendant
du prophète les força à professer l islamisme. Il alla ensuite réduire
les populations de Mediouna, au delà de la Moulouïa, puis passa
dans le Temesna et en fit la conquête, ainsi que de Tedla et de la
ville de Chella, régions dans lesquelles le paganisme avait encore
des adeptes.
Conquêtes d'Edris ; sa mort. — Devenu ainsi maître d'un vaste
territoire, Edris s'y fit proclamer khalife, et imam ou chef de la
religion orthodoxe. L'année suivante, il marcha vers l'est, contre
les Beni-Ifren et Mag'raoua hérétiques et, par conséquent, enne-
mis. Parvenu auprès de Tlemcen, il reçut la soumission du chef de
ces ZenèLes, Mohammed-ben-Khazer, qui avait remplacé Abou-
Korra. Edris entra dans Tlemcen sans coup férir et séjourna un
certain nombre de mois dans celte ville, où il construisit la mosquée
qui porta son nom. Après avoir fait une tentative infructueuse
pour aballre la puissance des RosLemides de Tiharct, il reprit le
chemin d'Oulili, laissant à Tlemcen, pour le représenter, son frère
Soleïman (790).
Mais, tandis que le nouveau souverain de Mag'reb se disposait
à poursuivre ses conquêtes, sa perte se tramait en Orient. Le
khalife Haroun-er-Rachid ne pouvant le combattre par les armes,
dans ce pays éloigné, résolut de s'en débarrasser par un moyen
qui lui était familier, l'assassinat. Un certain Soléïman-ben-Horéïz,
surnommé Ech-Chemmakh, alTilié à la secte des Za'i'diya, fut envoyé
par lui, dans ce but, en Mag'reb. Il se présenta à la cour d'Edris
comme médecin et comme déserteur du parti abbasside ; ayant, au
moyen de ce double titre, capté la confiance d'Edris, il parvint un
jour à éloigner le fidèle Rached, et en profila pour empoisonner
son maître. Lorsqu'il fut certain de sa mort, il monta à cheval et
reprit en toute hâte la route de l'est; mai? Rached fut bientôt sur
ses traces et, l'ayant atteint près de la jMoulouïa, engagea avec lui
un combat dans lequel chacun des adversaires reçut plusieurs
blessures. Ech-Chemmakh put néanmoins traverser la rivière et,
tout sanglant, continuer sa route.
Edris fut enterré à Oulili (793). II ne laissait pas d'enfants, et le
khalife pouvait croire cette dynastie éteinte. Mais nous verrons
plus tard qu'une de ses concubines, la Berbère Kenza, était enceinte
et que, grâce à l'adresse et à la prudence de Rached, le royaume
cdricide fut conservé à l'enfant posthume de son fondateur.
DKRMKRS GorvERNrrns ARAItnS (794) 2()1
Gouvernements D"EN-NAsn-nEN-EL-HABiR et d'El-Fadel-ben -
RouH. — En Ifrikiya, le vieux gouverneur Rouh-ben-Hatem était
mort (791), et avait désigné pour lui succéder son fils Kabiça. Mais
Haroun-er-Rachid n'entendait pas que la fonction de gouverneur
se transmît par hérédité dans son empire : prévenu de la fin pro-
chaine de Rouh, il envoya, pour le remplacer en Ifrikiya, Nasr-
ben-el-Habib. Cet officier arriva à Kaïrouan au moment où Kabiça
venait de se faire reconnaître comme émir; ayant montré son
diplôme, il reçut le serment de la population et des troupes. Il
exerça, pendant deux ans, le pouvoir avec équité; mais, en 793,
El-Fadel, autre fils de Rouh, obtint du khalife sa nomination au
poste qui avait été occupé par son père, et vint prendre possession
du commandement à Kaïrouan (mai 793).
Peu de temps après, la milice syrienne en garnison à Tunis se
révolta contre le gouverneur de cette ville, El-Moréïra-ben-Bachir,
neveu d'El-Fadel, dont la conduite imprudente et les exactions
avaient soulevé l'opinion publique. Le chef de celte sédition, Abd-
AUah-ben-Djaroud, écrivit à EI-Fadel pour faire connaître les
griefs de la population, et aussitôt un autre commandant fut
envoyé à Tunis ; mais les gens qui s'étaient portés à. sa rencontre
le mirent à mort et cette sédition se changea en révolte ouverte.
Les commandants des places voisine^, gagnés par les promesses ou
par l'argent, firent cause commune avec les rebelles. El-Fadel,
ayant marché avec ses troupes contre Abd-Allah, fut défait par
celui-ci et ne put l'empêcher de s'emparer de Kaïrouan. Ayant
été lui-même fait prisonnier, il fut massacré par les soldats, malgré
l'opposition d'Ibn-el-Djaroud (794).
Anarchie en Ifrikiya. — Cependant le commandant d'El-
Oi'bos, nommé Chemdoun, se déclara hautement contre les re-
belles, fit alliance avec plusieurs autres chefs, parmi lesquels son
collègue de jNIila, et recueillit Moréïra et tous les adhérents de la
cause légitime, .\yant marché contre l'usurpateur, il éprouva une
première défaite ; mais, bientôt, El-.\la-ben-Sa'id, gouverneur du
Zab, vint le rejoindre avec de nouveaux contingents, et tous mar-
chèrent sur Kaïrouan.
Sur ces entrefaites, Ibn-Djaroud, ayant appris que le khalife avait
nommé comme gouverneur de l'Ifrikiya Ilertema-ben-Aïan, et
qu'en attendant son arrivée, un officier du nom de Yaktin allait
venir avec la mission de pacifier la milice, se porta au devant de
l'envoyé pour tâcher de transiger avec lui ou de détourner le
coup qui le menaçait. En vain, Yaktin pressa le rebelle de déposer
les armes : Ibn-Djaroud refusa sous le prétexte que, s'il abandon-
262
HISTOIRE DE L AFRIQUE
nait Kaïrouan, cette ville serait livrée au pillafrc par les Berbères
au service de ses ennemis. Ne pouvant rien obtenir de lui, Yaktin
s'appliqua à détacher de sa cause un certain nombre d adhérents.
Peu après, Yahia-ben-Moussa, lieutenant de Hertema, se mit
en marche vers l'ouest à la tête d'un corps d'armée et s'empara
de Tripoli. Quant au gouverneur, il était resté en observation à
Barka. En même temps, El-Ala. gouverneur du Zab, revint, avec
ses Berbères, mettre le siège devant Kaïrouan. Ibn-Djaroud, se
voyant perdu, écrivit en hâte à Yahïa pour lui offrir sa soumis-
sion ; puis il sortit de la capitale, où il avait commandé pendant
sept mois, et vint se remettre entre. ses mains. Aussitôt Kl-Ala fit
son entrée à Kaïrouan et massacra tous les partisans du chef
révolté. Yahia-ben-Moussa arriva à son tour l'mars-avril 795) et
obtint, non sans peine, qu'El-Ala renvoyât ses troupes, dont les
excès allaient croissant. Le chef qui se prétendait le sauveur de
l'autorité du klialife se retira à Tripoli et. de là, écrivit à Hertema
pour réclamer le prix de ses services. Il est à supposer que sa
puissance était fort à craindre, car le khalife Er-Rachid lui écrivit
lui-même, en le félicitant, et en lui envoyant une forte gratifica-
tion. On put ainsi le décider à partir pour l'Orient'.
GouvERNE.MENT DE Herte.ma-iîen- AÏAN . — Daus le mois de
juin 795, Hertema fit son entrée à Kaïrouan. Il proclama une
amnistie générale et s'occupa de mettre en état de défense les
fortifications de plusieurs villes de la côte, notamment Monastir
et Tripoli. Mais l'esprit de révolte agitait partout les populations
indigènes et le gouverneur ne pouvait compter sur sa milice, pour
laquelle l'indiscipline était devenue une habitude. Se sentant trop
faible et trop isolé pour mener à bien la rude tâche qu'on lui avait
confiée, il sollicita lui-même du khalife son rappel. Ilaroun-er-
Rachid désigna alors son propre frère de lait Alohammed-ben-
Mokatel pour occuper le poste important de gouverneur de
rifrikiya. L'on s'explique difficilement pourquoi le choix du khalife
tomba sur un homme aussi incapable, dans un moment où la situa-
tion réclamait un esprit particulièrement habile et expérimenté.
Gouvernement de MoiiAMMED-nEN-MoKATEi.. — Arrivé à Kaïrouan
dans le mois de ramadan 181 (octobre 797), le gouverneur donna
aussitôt la mesure de son incapacité, ne comprenant rien à la
situation, et se livrant à toutes les fantaisies d'un despote grisé
par son pouvoir. Un an s'était à peine écoulé depuis son arrivée,
1. Eii-Nouéiri, p. 389 et suiv. ,
DERNIERS GOUVERNErnS ARABES (800)
263
que les miliciens syriens et khoraçanites se mettaient en état de
révolte et plaçaient à leur tête Morra-ben-Makhled. Un corps de
troupes envoyé contre les rebelles les réduisit au silence; leur
chef fut mis à mort.
Peu de temps après, Temmam-ben-Temim, commandant de
Tunis, releva l'étendard de la révolte et, ayant réuni tous les mé-
contents, marcha sur Kaïrouan (octobre 799).
Ibn-Mokatel sortit à sa rencontre et lui livra bataille à Moniat-
el-Kheïl ; mais il fut complètement défait et n'obtint la vie
sauve qu'en promettant de quitter la place. Il se réfugia eu effet
avec sa famille à Tripoli, tandis que Temmam faisait son entrée à
Kaïrouan.
iBRAniM-BEN-EL-AR'LEB APAISE I.A REVOLTE DE LA MILICE. A Ce
moment, le commandement du Zab était confié à un fils de l'an-
cien gouverneur El-Ar'leb, nommé Ibrahim, qui avait acquis une
grande autorité dans cette situation. Dès qu'il eut appris les évé-
nements d'Ifrikiya, Ibrahim se mit en marche, à la tête de ses
contingents, pour combattre l'usurpateur. Mais Temmam ne l'at-
tendit pas; il évacua la ville, et le fils d'El-Ar'leb, ayant pris
possession de Kaïrouan, annonça en chaire qu'Ibn-Mokatel était
toujours le seul gouverneur de l'Ifrikiya. Ce dernier rentra en
toute hâte dans sa capitale.
Quant à Temmam, qui s'était réfugié à Tunis, il tenta de semer
la désunion parmi les troupes fidèles et même d'indisposer le
gouverneur contre Ibrahim ; mais toutes ses manœuvres échouè-
rent et il apprit bientôt que celui-ci marchait contre lui.
Au commencement de février 800, Ibn-el-Ar'leb infligea à Tem-
mam une défaite qui le força à rentrer à Tunis ; il se disposait à
entreprendre le siège de cette ville, lorsque Temmam lui offrit sa
soumission, à condition que lui et ses frères auraient la vie sauve.
Cette demande lui ayant été accordée, il se rendit à discrétion et
fut conduit à Kaïrouan, d'où on l'expédia en Orient comme pri-
sonnier d'état avec les chefs les plus compromis 1.
IbrAHIM-BEN-EL-Ar'lEB, nommé GOUVERNEUR INDEPENDANT, FONDE LA
DYNASTIE ar'lébite. — Cependant, le khalife Haroun-er-Rachid,
ayant appris les tristes exploits de son frère de lait, se convainquit
de la nécessité de le remplacer en Ifrikiya. Dans l'état des choses,
Ibrahim était l'homme de la situation et son choix s'imposait. Le
khalife ayant consulté à ce sujet Hertema-ben-Aïan, dont il appré-
1. En-Noueiri, p. 397.
264
IlISTOIRE DE l"aFRIQLE
ciait fort rexpéricnce, obtint celte réponse : « Vous n'avez per-
(< sonne de plus aimé, de plus dévoué et de plus dig-ne d'exercer
« le pouvoir qu'Ibrahim-ben-el-Ar'leb, dont la conduite passée est
« garante de l'avenir. » Ces paroles achevèrent de décider le khalife
qui avait reçu d'Ibn-el-Ar'leb une lettre par laquelle il sollicitait
pour lui le gouvernement de l lfrikiya, offrant non seulement de
renoncer à la subvention de cent mille dinars fournie par le gou-
vernement de l'Egypte, mais encore de payer au souverain un
tribut de quarante mille dinars.
Cette solution, qui allait débarrasser le khalifat d'ennuis tou-
jours renaissants et retarder de plus d'un siècle la chute de l'au-
torité arabe en Afrique, permettait néanmoins de mesurer tout le
terrain perdu dans le Mag'reb. Dès lors, en effet, le gouvernement
central n'aurait plus à intervenir dans l'administration du pays
qu'il consentait à abandonner, moyennant fermage, à des vice-rois
formant une dynastie vassale, et chez lesquels le pouvoir se
transmettrait par voie d'hérédité. Ainsi, cette brillante conquête
qui avait coûté si cher aux Arabes s'était détachée d'eux, province
par province, dans l'espace de moins d'un siècle, et il ne restait
au khalifat qu'une suzeraineté presque nominale sur l'Ifrikiya.
Ibrahim apprit officieusement sa nomination; mais, lorsque le
courrier porteur des brevets arriva en Afrique, Ibn-Mokatel, qui
se trouvait à Tripoli, les intercepta au passage et fit parvenir à
Kaïrouan une fausse lettre le maintenant au poste de gouverneur.
En recevant cette missive, l'Ar'lebite devina la supercherie ;
néanmoins il céda la place et reprit avec ses troupes le chemin du
Zab. Mais le khalife, à l'annonce de cette incartade de son frère de
lait, entra dans une violente colère et intima à Ibn-Mokatel, qui
se disposait à revenir à Kaïrouan, l'ordre formel de résigner ses
fonctions entre les mains d'Ibrahim. Celui-ci revint aussitôt du
Zab et, dans les premiers jours de juillet 800, il prit définitive-
ment la direction des affaires '.
N.\iss.\NCE d'Edris II. — Pendant que l'Ifrikiya était le théâtre
de ces événements importants, la dynastie cdricide, que le khalife
Haroun avait cru écraser dans son germe, renaissait pour ainsi
dire de ses cendres.
Nous avons vu qu'Edris, en mourant, avait laissé une de ses
concubines, nommée Kenza, enceinte. Après les funérailles du
prince, le fidèle Rached réunit les principaux chefs des tribus
1. Eii-Nouéiri, p. 395 et siiiv.
DERMKRS GOrVKRNninS ARAnES (800) 285
berbères et leur dit : « L'imam Edris est mort sans enfants, mais
<( Kenza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez
<< bien, nous attendrons jusqu au jour de son accouchement pour
<( prendre un parti : s"il naît un garçon, nous l élèverons, et quand
« il sera homme, nous le proclamerons souverain : car, descen-
<( dant du prophète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction
(( de la famille sacrée * . »
Cette proposition fut acceptée avec acclamation par les Ber-
bères, et en septembre 793, Kenza donna le jour à un enfant mâle
« d'une ressemblance frappante avec son père ». Rached le pré-
senta aux cheiks indigènes qui s'écrièrent en le voyant : « C'est
Edris lui-même, l'imam n'a pas cessé de vivre ! »
On laissa à Rached le soin de l'élever et de gouverner en son
nom, jusqu'à sa majorité, et les chroniques rapportent que ce
tuteur ne négligea rien pour donner à Edris II une brillante ins-
truction et faire de lui un redoutable guerrier.
L'Espagne sous Hicham et el-Hakem. — En Espagne, le khalife
oméïde Abd-er-Rahman était mort en septembre 788, après un
règne de plus de trente-trois années employées presque entièrement
à l'afTermissement de son pouvoir. Il laissa trois fils : Soleïman,
Abd-AUah et Hicham. Ce dernier, bien que le plus jeune, lui
succéda après une courte lulte avec son aîné Sole'iman. Pour
assurer sa tranquillité, il acheta à ses deux frères leur renonciation
au trône et, en vertu de leur convention, ceux-ci se retirèrent au
Mag'reb.
Après un règne de près de huit années, Hicham cessa de vivre
et fut remplacé par son fils El-IIakem (avril 796). Soleïman et
Abd-Allah, ses oncles, ne tardèrent pas à quitter le Mag'reb en
amenant une armée de Berbères pour lui disputer le pouvoir.
Après deux années de luttes, Soleïman ayant été tué, la victoire
resta définitivement à El-IIakem (800).
Pendant le règne de Hicham, des expéditions heureuses avaient
été faites par les Musulmans en Galice, et les chrétiens avaient
été humiliés par des défaites qui leur avaient arraché une partie
de leurs conquêtes -. Plusieurs souverains avaient succédé à
Alphonse I'=^ A la fin du vnie siècle, Alphonse II, dit le Chaste,
roi des Asturies, ne put empêcher les Musulmans de pénétrer
jusque dans les montagnes de son royaume.
1. Kartas, p. 23. Ibn-Klialdouu, Berbères, p. 561. El-Bckri, /</;«c«e?cs.
2. Dozy, Recherches sur l'hisl. de l'Espagne, p. 101-139 et suiv. El Mar-
rakclii (Dozy), p. 17 et suiv.
266
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.
Date de la Domination.
Okba-ben-Nafa vers 669
Dinar-Abou-el-Mohadjer . . . , vers 675
Okba-ben-Nafa 681
Zoheïr-ben-Kais vers 688
Haçane-ben-Nomane vers 697
Mouça-ben-Noceïr 705
Mohammed-ben-Yezid 715
Ismaïl-ben-Abd-Allah 718
Yezid-ben-Abou-Moslem 720
Bichr-ben-Safouane 721
Obeïda-bcn-Abd-er-Rahman 728
Okba-ben-Kodama 732
Obeïd-Allah-ben-el-Habhab 734
Koltoum-ben-Aïad 741
Hendhala-ben-Sofiane 742
Abd-er-Rahman-ben-Habib 744
El-Yas-ben-Habib 755
El-IIabib-ben-Abd-er-Rahman 756
Mohammed-ben-Achath 761
El-Ar"leb-ben-Salem 765
Omar-ben-Hafs-Hazarmed 768
Yezid-!)en-IIatem 772
Daoud-ben-Yezid 787
Rouh-ben-IIatem 788
En-Nasr-ben-el-Habib 791
El-Fadel-bcii-Rouh 793
Mertema-ben-Aïau 795
Mohammed-ben-Mokatel 797
Ibrahini-])en-el-Ar'leb 800
CHAPITRE VI
L'IFRIKIYA SOUS LES AR'LEBITES. CONQUÊTE DE LA SICILE
800-838
Ibrahim établit solidement son autorité en Ifrikiya. — Edris II est pro-
clamé par les Berbères. — Fondation de Fez par Edris II. — Révoltes en
Ifriiviya. — Mort d'Ibrahim. — Abou-l'Abbas-Abd-Allah succède à son
père Itirahim. — Conquêtes d'Edris II. — Mort de Abd-Allah; son frère
Ziadet-Allah le remplace. — EspaRne : Révolte du faubourg. Mort d'El-
Ilakem. — Luttes de Ziadet-Allah contre les révoltes. — Mort d'Edris II;
partage de son empire. — Etat de la Sicile au commencement du
ixe siècle. — Euphémius appelle les Arabes en Sicile; expédition du
cadi Aced. — Conquête de la Sicile. — Mort de Ziadet-Allah; son frère,
Abou-Eïkal-el-Ar'leb. lui succède. — Guerres entre les descendants
d'Edris 11. — Les Midrarides à Sidjilmassa. — L'Espagne sous Abd-er-
Rahman II.
InRAIIIM KTABLIT SOLIDEMENT SON .VUTORITÉ EN IrRIKIV.V. Le
choix d'Ibrahim-ben-el-Ar'leb, comme vice-roi de l'Ifrikiya, était
le meilleur que le khalife pût faire; lui seul, par son habileté et la
pratique qu'il possédait des affaires du pays, était capable d'étouffer
les germes de révolte, et de contenir les Berbères sans se soumettre
aux caprices de la milice. L'anarchie des dernières années pro-
venait surtout de ce que le «gouverneur n'avait aucune force sur
laquelle il put compter, en dehors des miliciens d'Orient. Ceux-ci,
se sentant nécessaires, devenaient intraitables. Pour remédier à
cet inconvénient, il ne fallait pas penser à former des corps ber-
bères; ce fut aux nègres cju'il eut recours pour contrebalancer la
force des Syriens. Ayant acheté un grand nombre d'esclaves
noirs, il les habitua à porter les armes, en laissant croire aux mili-
ciens qu'il destinait ces nègres à. être employés dans les postes les
plus périlleux.
En même temps, pour s'assurer une retraite sûre, en cas de
révolte, il fit construii'e, à trois milles de Kaïrouan, la place forte
d'I^l-Aljbassïa où il déposa ses trésors et une grande quantité
d'armes. Puis il se disposa à aller s'établir dans cette résidence,
qu'on appela, plus tard, El-Kasr-el-Kcdim (le vieux château). Ce
fut là qu'il reçut les envoyés de Charlemagne qui avaient été
chargés de prendre à Karthage, à leur retour d'Orient, les reliques
268
IIISTOIRI- DE I, AFRIQUE
de plusieurs martyrs chrétiens. En même temps, Ibrahim envoyait
une ambassade à l'empereur, alors à Pavie iSOl)'.
L'année suivante (802), Ibrahim eut à lutter contre son repré-
sentant à Tunis, Hamdis-ben-Abd-er-Rahman-el-Kindi, qui se
révolta en appelant à lui les mécontents arabes et berbères.
Amran-ben-Mokhaled, général du gouverneur ar'lebite, ayant
marché contre les rebelles, leur livra une sanglante bataille, dans
laquelle leur chef fut tué, et les mit en déroute. Ibrahim s'appliqua
alors à rétablir la paix en Ifrikiya, puis il tourna ses regards vers
le Mag reb, où le souvenir de l'autorité arabe disparaissait de
jour en jour.
EdRIS II EST PROCLAMÉ PAR LES BeRBÈRES. A OuHH, le fils
d'Edris I grandissait sous la tutelle éclairée de Rached et la pro-
tection des Aoureba, tandis qu'à Tlemcen, son oncle Soleïman
exerçait le pouvoir en son nom. Ibrahim, considérant avec raison
que l'empire edricide était le plus grand obstacle à la réalisation
de ses vues ambitieuses sur le Mag reb, espéra l'anéantir en faisant
assassiner Rached. Mais ce crime tardif fut inutile et eut pour
conséquence de resserrer les Berbères autour du jeune prince 802 ;
l'un d eux, Abou-Khaled-Yezid, se chargea de remplacer Rached,
comme tuteur d'Edris, alors âgé de neuf ans. En mars 803, les
Aoureba et les représentants des tribus voisines, réunis à Oulili,
dans la mosquée de cette ville, prêtèrent serment solennel de fidé-
lité à Edris II.
Ce prince, qui avait alors onze ans et montrait une intelligence
très précoce, commença à gouverner sous la tutelle d'Abou-Khaled.
Ainsi se consolidait l'empire edricide, malgré les intrigues entre-
tenues en Mag reb par le vice-roi ar'lebite. L'attitude énergique
et dévouée des Berbères, plus que la supplique adressée par Edris
à Ibrahim, décida ce dernier à ajourner la réalisation de ses plans
sur l'Occident ^. Du reste, Ibn-el-Ar'leb fut bientôt absorbé par
d'autres soins. En 803, la garnison de Tripoli se révolta, chassa
son commandant et se donna comme chef Ibrahim-ben-Sofian.
Arabe de la tribu de Temim. Ibrahim dut employer toutes ses
forces pour apaiser cette sédition qui ne fut domptée qu'au com-
mencement de 806.
Fondation de Fés par Edris II. — A Oulili, le jeune Edris
1. Founicl. Bcibers, p. 453.
2. Ibii-Kli;ildoiiii, Berbères, t. II, p. 563. Eu-Nouéiri, p. 401. Kartas,
p. 18. El-Bekri, Idncides.
l'ifrikiya sors les ar'lebiti:s (811)
260
grandissait au milieu des intrigues encouragées par son jeune âge
et son inexpérience. Un certain nombre d'Arabes étaient venus,
tant de l'Espagne que de rirrikiya,Iui offrir leurs services et avaient
été bien accueillis par lui ; l'un d'eux, Oma'ir-ben-Moçaab, avait
même reçu le titre de vizir en remplacement d'Abou-Yezid
Ainsi l'influence arabe dominait à Oulili et allait pousser Edris
à un acte autrement grave. En 808, il lit mourir Abou-Le'ila-Ishak,
chef des Aoureba, qui avait été le protecteur de son père et le
sien. Il est probable que ce chef avait laissé entrevoir son ressen-
timent de la protection accordée aux Arabes. Ibn-Khaldoun, pour
excuser l'ingratitude d'Edris, prétend qu'il avait découvert que 6e
chef entretenait des intelligences avec l'ar'lebite Ibrahim -. Les
Berbères, froissés dans leurs sentiments les plus intimes, suppor-
tèrent cependant ces injustices sans protestation.
Edris II, voyant chaque jour sa puissance s'accroître, jugea que
sa résidence d'Oulili ne lui sufTisait plus et résolut de construire
une capitale digne de son empire. Après avoir cherché longtemps,
il se décida pour un emplacement traversé par un des affluents du
Sebou, et occupé par des Berbères de la tribu de Zouar'a. La
nouvelle ville se trouvait ainsi divisée naturellement en deux
quartiers. Edris jeta en 808 les fondements de celui qui devait être
appelé « des Andalous », et, l'année suivante, il fit con-truire l'autre,
nommé plus tard « des Kaïrouaniles ». Il dota sa capitale de nom-
breux édifices et notamment de la mosquée dite « des Cher ifs ».
Lorsqu'Edris eut atteint sa majorité, c'est-à-dire vers 810, les
tribus berbères lui renouvelèrent leur serment de fidélité, et il
reçut la soumission des principales contrées du Mag'reb'.
Révoltes en Ifruviva. Mort d'Ibrahim. — Pendant ce temps,
Ibrahim-ben-el-Ar'leb était encore aux prises avec la révolte. Les
miliciens arabes avaient vu, avec beaucoup de jalousie, les pré-
cautions prises contre eux par le vice-roi ; lorsqu'il se fut établi
définitivement à El-Abbass'ia, sous la protection de sa garde noire,
leur irritation ne connut plus de bornes, et bientôt le général
Amrane donna le signal de la révolte (811). Maître de Ka'irouan,
il appela à lui tous les mécontents et vint assiéger Ibrahim dans
sa forteresse.
Pendant un an, on combattit sans grand avantage de part et
d'autre. Enfin Ibrahim, ayant appris qu'on lui envoyait d'Egypte
•
1. Knrtas, p. 30.
2. l'erhères, t. III, p. 561.
3. Bekri, Idricidcs.
•270
nisTomn de i. afriql'k
un secours en arp:ent, dépêcha son fils. Abd-Allah, vers Tripoli
pour arrêter la somme au passaf;e. Puis il fit répandre la nouvelle
de la prochaine arrivée des fonds. Aussitôt la milice, qui n'avait
pas touché de solde depuis qu elle avait embrassé la cause de la
révolte, commença à s'agiter dans Kaïrouan. et Amrane, dépourvu
de ressources, se convainquit qu il ne pouvait plus lutter contre
ce nouvel ennemi. 11 sortit nuitamment de la ville et courut se
réfuj;ier dans le Zab.
Ibrahim venait de triompher de cette longue révolte et était
occupé à démanteler les fortifications de Kaïrouan, lorsqu il apprit
que son fils Abd-Allah avait été chassé de Tripoli par les troupes
occupant cette place. Il lui envoya des fonds au moyen desquels
Abd-Allah put enrôler un grand nombre de Berbères et rentrer
en possession de Tripoli. Ce furent alors ces mêmes indigènes,
appartenant à la tribu des Ilouara, qui se lancèrent dans la révolte.
Conduits par leur chef, Aïad-ben-Ouahh, ils vinrent attaquer
Tripoli qui était défendu par le général Sofiane, se rendirent maîtres
de celte ville et la renversèrent presque entièrement. Abd-.\llah,
envoyé en toute hâte par son père, à la tête d une armée de treize
mille hommes, défit les Berbères et, étant rentré à Tripoli, s'oc-
cupa à relever les fortifications de cette ville 811 '.
Sur ces entrefaites, Abd-el-Ouahab-ben-Rostem, roi deTiharet,
arrivé de l'Ouest avec de nombreux contingents, rallia les Houara
et iS'efouça et vint mettre le siège devant Tripoli. Il fit, avec soin,
garder une des issues de la place et pressa l'autre avec la plus
grande vigueur. Abd-.-VUah était sur le point de succomber, lors-
qu'on reçut la nouvelle de la mort d'Ibrahim qui était décédé à
l'âge de 56 ans juillet 81"2;, dans son château d'El-Abbassïa.
Abou-l'Abbas-Abd-Allah si ccéde a son père Ibrahim. — Aussitôt
que la mort d'Ibrahim fut connue, Abd-Allah, qui avait été dési-
gné par lui pour lui succéder, se hâta de proposer à Ibn-Rostem
de conclure le paix. Il fut convenu entre eux que le prince de
Tiharet se retirerait dans les montagnes des Nefouça et que Tri-
poli resterait aux Ar'lebites ; mais toutes les plaines de la Tripoli-
taine furent abandonnées aux Kharedjites.
Pendant que cette paix boiteuse se signait à Tripoli, Ziadet-
AUah, second fils d'Ibrahim, recevait, selon les dispositions prises
par son père, le serment des principaux citoyens de Kaïrouan.
1. Les détails donnés par les auteurs arabes sur les diiïerentes phases
de cette révolte sont assez embrouillés, et il est possible qu' Abd-Allah
n ait repris qu' une seule fois Tripoli.
l'ifrikiya socs les ar'i.ebites
271
Dans le mois d'octobre 812, Abou-l'Abbas-Abd-Allah arriva dans
sa capitale. Son frère, Ziadet-AUah, s'était porté au devant de lui
pour le saluer comme souverain, mais il fut reçu avec la plus
grande dureté. Pour la première fois, le fils d'un gouverneur de
rifrikiya succédait à son père sans l'intervention du khalifat
liaroun-er-Rachid était mort en 809, laissant le trône à son fils
El-Mamoun. Le nouveau khalife se borna à l'atifier l'élévation du
vice-roi de Ka'irouan.
CoNQuiÎTES d'Euris II. — Daus le Mag'reb, Edris II continuait
à affermir son trône. Voulant sans doute faire oublier aux Aoureba
l'ingratitude qu'il avait montrée à leur chef, il leur confia des
commandements importants; puis, s enfonçant dans les montagnes
du sud-ouest, il attaqua les tribus masmoudiennes, les vainquit
et soumit l'Atlas à son autorité. Après s'être avancé en vainqueur
jusqu'à Nefis, près de la montagne de Tine-Mellal dans le Sous,
il rentra à Fès (812). C'est sans doute vers cette époque qu'Edris
commença à combattre le kharedjisme, dont il décréta l'abolition
dans ses états ; mais ce schisme avait pénétré trop profondément
la nation berbère, pour pouvoir être supprimé d'un trait de plume ;
aussi ne devait-il disparaître de l'Afrique, où il avait déjà fait
couler tant de sang, qu'après de longues et nouvelles convulsions.
Quelque temps après ^ Edris marcha sur Tlemcen, qui s'était
alfranchie de son autorité. Il y entra en vainqueur et reçut l'hom-
mage des Beni-Ifrene et Mag'raoua qui y dominaient. Il séjourna
quelque temps à Tlemcen et de là dirigea quelques expéditions
heureuses contre les peuplades zenatienes et autres berbères. Ses
troupes s'avancèrent ainsi jusqu'au Chelif. Cependant, il ne paraît
pas qu'il eût osé se mesurer contre les Rostemides de Tiharet. Selon
Ibn-Khaldoun, il passa à Tlemcen trois années, pendant lesquelles
il s'appliqua à embellir cette ville et à orner la mosquée construite
par son père. En partant, il laissa le commandement de la pro-
vince, avec suprématie sur les tribus des Beni-Ifrene et Mag'raoua,
à son cousin Mohammed, fils de Soleïman, qu'Edris I avait pré-
posé au commandement de Tlemcen.
Rentré à Fès, il recueillit huit mille Musulmans d'Espagne,
expulsés de Cordoue par El-Hakem à la suite de la révolte dite du
faubourg [Ribad'), et les établit dans sa capitale, où ils formèrent
le quartier des Andalous. Les émigrés de Cordoue étaient presque
1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 243, 277. Eu-Noueiri, p. 403.
2. Soit dans la même année, soit en 814, les auteurs n'étant pas d'ac-
cord sur cette date.
■272
HISTOIRE Dr. L AFRIQl'E
tous des gens d onirine celto-romaine , qui avaient été contraints
d'embrasser l'islamisme après la conquête de l Espaïne par les
Arabes. L'arrivée de cette population Iré- civilisée fut une bonne
fortune pour la nouvelle capitale, et contribua à la faire briller
d'une réelle splendeur dans les arts, les lettres et les sciences '.
Mort de Abd-Ai.i,.\u. — Sun frère Ziadet-Ali.au le remplace.
— A Kaïrouan, Aboul'-Abbas-Abd-Allah. lils d lbrabim, loin
d'imiter la prudence de son père cl de chercher à arrêter les pro-
jxros du prince de Fès, n'avait réussi qu'à indisposer les esprits
contre lui. V iolent et cruel, même envers les membres de sa
famille, sacrillant tout à la milice, accablant le peuple de charp:es,
il combla la mesure des fautes en frappant la culture faite par
chaque charrue d'une taxe uniforme de huit dinars pièces d'or).
Cet impôt, énorme pour l'époque, remplaça la dime achour), qui
précédemment se payait en nature et était proportionnée à l'abon-
dance de la récolte. De toutes parts s'élevèrent des réclamations:
mais le prince resta sourd aux prières et le peuple continua à
gémir sous son oppression.
Eniin, par un bonheur inespéré, Abd-Allah mourut presque
subitement, d'une aifection charbonneuse juin 817 . Ce prince,
« le plus bel homme de son temps », avait exercé le pouvoir pen-
dant un peu plus de cinq ans.
Abou - Mohammed - Ziadet - .\llah succéda à son frère, et,
employant des procédés de gouvernement tout dilTérents, s'at-
tacha à réduire les prérogatives de la milice et à maltraiter et
abaisser de toutes les façons les miliciens-.
Esp.\GXE : — Révolte dc faubourg. Mort d'El-Hakem. — En
Espagne, le khalife El-Hakem, avait entrepris, avec des chances
diverses, plusieurs campagnes au delà des Pyrénées. L'alliance
de ses oncles avec Charlemagne et Alphonse IL roi des Asturies,
l'avait contraint à déployer toutes ses forces contre la coalition.
Quelques-unes de ses raruTS furent couronnées de succès. Alphonse,
de son côté, poussa une pointe jusqu'à Lisbonne et mit cette ville
au pillage. Pour rendre compte à son allié Charlemagne du succès
de cette expédition, il lui envoya « sept Musulmans de distinction,
» avec leurs armes et leurs mulets'' ».
1. Dozy, Hist. des .Musulmans d'Espagne, t. II, p. 70 et suiv. El-Be-
kri, Idricides. Ibu-Klialdoun, t. II, p. 560, t. III, p. 229.
2. En-Nouéïri, p. 40i, 405.
3. Dozy, Rec/ieiches sur t'/iist. de l'Espagne, p. 149.
l'ifrikiya sous i.es ar'i,ebites (823)
273
Après avoir conclu un traité de paix avec les princes chrétiens,
El-Hakem se renferma dans Cordoue et y vécut de la vie des
despotes musulmans de cette époque, jusqu'à la grande révolte
dite du faubourg {Rihnd'), qui mit sa vie en danger et dont il
triompha par son indomptable énergie. Sa victoire fut suivie de
trois jours de massacres, et quand ses soldats furent las de tuer,
sa vengeance n'était pas encore satisfaite ; il ordonna aux survi-
vants de quitter l'Espagne sans délai. On vit alors cette malheu-
reuse population, décimée, ruinée, se diriger à pied, par groupes,
vers les ports du littoral. Quinze mille Cordouans firent voile
pour l'Egypte : ils abordèrent à Alexandrie et s'y maintinrent, avec
l'appui d'une tribu arabe, jusqu'en 820. Le khalife El-Mamoun les
ayant alors forcés à capituler, leur chef les conduisit à la conquête
de l'île de Crète, qu'ils arrachèrent aux Byzantins et où ils fondè-
rent une république indépendante. Les autres réfugiés, au nombre
de huit mille, passèrent au Mag'reb et furent bien accueillis par
Edris II, qui les établit, ainsi que nous l'avons vu, dans sa nou-
velle capitale. A Fès, ils furent groupés dans le quartier des An-
dalous '. El-Hakem mourut le 22 mai 822 et fut remplacé par son
fds Abd-er-Rahman II.
Luttes de Ziadet-Allau contre les révoltes. — Pendant que
l'Espagne était le théâtre de ces événements, l'ar'lebite Ziadet-
AUah se livrait à Kaïrouan à tous les caprices de son caractère
bizarre et cruel. Adonné au vin, comme le furent presque tous les
princes de sa famille, il prescrivait dans ses moments d'ivresse les
mesures les plus sanguinaires, qui retombaient presque toujours
sur la milice. Dès le début de son règne il avait failli rompre,
sans raison plausible, avec le khalife El-Mamoun et avait même
poussé l'insolence jusqu'à adresser à son suzerain des dinars edri-
sides, pour lui faire entendre qu'il était disposé à se rallier à cette
dynastie.
De tels procédés de gouvernement ne pouvaient aboutir qu'à
des révoltes. En 822, une première sédition fut assez facilement
apaisée; l'année suivante, le commandant de Kasreïne ^, place forte
du Sud, nommé Omar-ben-Moaouïa, de la tribu de Kaïs, leva de
nouveau l'étendard de la révolte. Ayant été fait prisonnier après
une courte campagne, il fut mis à mort ainsi que ses deux fils par
1. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. II, p. 76 et suiv. Ibn-
Khaldoun, t. II, p. 562. El-Bekri, Idricidcs. Nous n'indiquons aucune
date pour hi révolte du faubourg, en raison de l'incertitude à laquelle les
chroniques donnent lieu à ce sujet. Il faut la placer entre 814 et 817.
2. Au sud-ouest de Sebaitla.
T. I.
18
274
UISTOmiî DE i.'afkiql'e
ordre du vice-roi : on fit endurer à ces malheureux les plus atroces
souffrances. Cette cruauté envers un personnage des plus respectés
par la colonie arabe excita la colère de la milice.
Mançour-ben-Nacer-et-Tonbodi, fjouverneur de Tripoli, avant
laissé publiquement éclater son indigjnation et manifesté devant
ses troupes l'intention de se révolter, fut bientôt arrêté et con-
duit à Kaïrouan. Mis en liberté, f^ràce à l'intercession de son ami
R alboun, cousin de Ziadet-Allah, Mansour se réfugia dans son
château de Tonboda, non loin de Tunis, et une fois à l'abri de
ses murailles, il renoua les intrigues qu'il avait entretenues avec
les ofTiciers de la milice et ne cessa de les pousser à la révolte, en
leur retraçant tous leurs griefs contre le prince. Mais Ziadet-Allah,
ayant encore une fois mis la main sur la trame, dépêcha vers
Tunis son général Mohammed ben-Hamza, à la tête de cinq cents
cavaliers, avec l'ordre d'arrêter inopinément Mansour.
De Tunis, le général envoya au rebelle une dépulation conduite
par le cadi de la ville pour l'engager à venir se remettre entre ses
mains. ÎNIansour reçut la dépulation avec honneur, se montra
disposé à obéir aux ordres du vice-roi et, en attendant, fit porter
aux soldats de Mohammed-ben-Hamza des vivres et du vin.
Lorsque la nuit fut venue, il garrotta le cadi et ses compagnons,
s'empara de leurs chevaux, et, réunissant tous ses cavaliers, se
porta rapidement sur Tunis. Les soldats de Mohammed étaient
occupés à faire bonne chère avec les vivres de Mansour; plusieurs
même étaient déjà plongés dans l'ivresse. Attaqués à l improviste
par les rebelles, ils furent bientôt massacrés ou dispersés.
A l'annonce de ces événements, tous les miliciens se trouvant
dans cette région accoururent se ranger sous la bannière de
Mansour. Le rebelle fit mettre à mort le gouverneur de Tunis et
s'installa dans cette ville. Presque aussitôt Ziadet-Allah envoya
contre les rebelles l'élite de ses troupes, sous la conduite de son
cousin R alboun, le chef le plus aimé des miliciens. A leur départ,
le vice-roi leur adressa des menaces humiliantes et intempestives,
annonçant que quiconque oserait fuir serait puni de mort. R alboun
eut beaucoup de peine à calmer l'irritation de ses hommes; mais les
paroles imprudentes du maître avaient produit leur effet et il ne
put empêcher les miliciens d'entrer secrètement en relation avec
le rebelle. Lorsque, dans le mois de juillet 824, les deux troupes
furent en présence, près de la Sebkha de Tunis, R alboun vit ses
soldats prendre la fuite et se trouva bientôt seul avec ses officiers.
Ceux-ci étaient restés fidèles, mais on ne put les décider à rentrer
à Ka'irouan, car ils connaissaient trop bien la violence de Ziadet-
Allah pour aller s'exposer à ses coups. Ils se retirèrent dans
T.'lFKIKIV.V sors LES Ar'lFHITES (825)
275
diverses localités, semant l'anarchie et Tindécision , tandis que
Tarmée d'El-Mansour recevait sans cesse des transfuges.
Ziadet-Allah, mis au courant de la ffravité de la situation,
envoya partout des courriers pour annoncer qu'il ne songeait pas
à punir les miliciens : mais il était trop tard; l'impulsion était
donnée et la défection de la milice devint fjénérale. Retranché
dans son palais d'El-Abbassia, tandis que les rebelles marchaient
sur Kaïrouan, le p^ouverneur put encore former une troupe nom-
breuse, composée de sa garde nègre et des gens de sa maison ;
il en confia le commandement à son neveu ^fohammed et la lança
contre l'armée d'El-Mansour. Mais la fortune le trahit encore :
son armée fut anéantie, après avoir perdu ses principaux chefs.
Cette victoire fit entrer dans le parti de Mansour les hal)ilants de
Kaïrouan, qui lui ouvrirent leur ville et lui envoyèrent des
secours de toute sorte.
Ne pouvant plus compter que sur lui seul, Ziadet-Allah réunit
ses derniers soldats fidèles et, s'étant mis bravement à leur tête,
vint prendre position entre son château et Kaïrouan. Durant une
quarantaine de jours, ce ne fut qu'une série de combats qui se ter-
minèrent, en général, à l'avantage du vice-roi. L'armée de Mansour
se débanda après une dernière défaite, et Ziadet-Allah put rentrer
en possession de Kaïrouan. Contre son habitude, il accorda l'am-
nistie aux habitants et se contenta de raser les fortifications de la
ville (septembre-octobre 82 i).
El-Mansour avait gagné le sud ; il raUia ses partisans et infligea,
auprès de Sebiba, une nouvelle défaite aux troupes du gouverneur.
La route du nord lui étant ouverte, il se rapprocha de Kaïrouan
afin de faciliter la sortie de cette ville aux familles des miliciens
révoltés; puis il retourna à Tunis et s'y installa en maître (825).
Ziadet-Allah se trouvait dans une position très critique, car tout
son royaume était en insurrection ; fort abattu, il se disposait
même à capituler, lorsque la désunion éclata entre les rebelles et
vint à son aide.
Ameur-ben-Nafa, le meilleur officier de Mansour, ayant rompu
avec lui, accourut l'assiéger dans son château de Tonboda. Man-
sour n'avait pas le moyen de résister : il prit la fuite vers El-
Orbos ; mais, ayant été rejoint par ses ennemis, il fut forcé de se
rendre. Ameur, au mépris de sa promesse de lui laisser la vie sauve
et de lui faciliter le moyen de se retirer en Orient, lui fit trancher
la tète. En même temps, une troupe de cavalerie envoyée dans le
sud par Ziadet-Allah obtenait, avec l'appui des populations, quel-
ques succès contre les reljelles et rétablissait son autorité dans le
pays de Kastiliya.
•276
IIISTOIIiF. IH: L AFRIQI E
La cause de la révolte perdit dès lors, de jour en jour, des par-
tisans et Ameur eut à lutter, à son tour, contre son lieutenant Abd-
es-Selam-ben-Feredj, qui le força à se réfu<i:ier à Karna, dans le
voisinage de Badja. Ameur étant mort sur ces entrefaites, ses fils
et ses derniers adhérents allèrent, selon sa recommandation, faire
leur soumission à Ziadet-AUah, qui les accueillit avec bonté (8'28).
Abd-es-Selam continua à tenir la campagne, mais il cessa bientôt
d'être dangereux, et Ziadet-Allah put s'occuper de l'expédition de
Sicile, dont nous allons parler plus loin '.
Mort d'Edris II; partage de son empire. — En 8^28, Edris II
mourut subitement à Fès. Il s'étouffa, dit-on, en avalant un grain
de raisin. Ce prince n'avait que trente-trois ans, et si la mort
n'était venue prématurément arrêter sa carrière, on ne peut pré-
voir où se seraient arrêtées ses conquêtes. Son royaume comprenait
alors tout le Mag'reb extrême et s'étendait, dans le Mag'reb cen-
tral, jusqu'à la Mina. Il avait combattu avec ardeur le kharedjisme,
dans les dernières années de sa vie, et abattu l'orgueil des Beni-
Ifrene et Mag'raoua. Mais, dans la vallée du haut Moulouïa, les
iSIiknaça régnaient toujours en maîtres, et la dynastie des Beni-
Uuaçoul à Sidjilmassa protégeait ouvertement le schisme. Fès était
devenue une brillante capitale où les savants et les artistes étaient
certains de rencontrer un accueil empressé.
Ainsi, au fond de la Berbérie, florissait un centre de pure civi-
lisation arabe, tout entouré de sauvages indigènes.
Edris laissa douze fds. L'aîné d'entre eux, Mohammed, lui suc-
céda à Fès. Peu après, ce prince, suivant le conseil de son aïeule
Kenza, partagea son empire avec sept de ses frères, en âge de ré-
gner. Ayant conservé pour lui Fès et son territoire, il donna :
A El-Kassem : les villes de Tanger, Basra, Ceuta, Tetouane et
les contrées maritimes qui en dépendaient ;
A Omar : la région maritime du Rif, avec Tikiça et Tergha,
contrée habitée par les R'omara ;
A Daoud : Taza, Teçoul, Meknas et toutes les possessions edri-
sides de l'est, jusqu'à la Mina, pays comprenant les Riatha,
Houara, etc. ;
A Abdallah : les régions du sud, comprenant le Sous et les mon-
tagnes de l'Atlas, avec les villes d'Ar'mat et d'Anfis, pays habité
par les Masmouda et Lamta ;
1. Ibn-Khaldouii, Hist. de l'ifrikiya et de la Sicile, 1. 11, 12 et 13. En-
Nouéiri, p. 406 et suiv. El-Kairouaui, p. 83. Baian, t. I, passim.
CONQUÊTE DE LA SICILE (828)
277
A Yahïa : les villes d'Azila et d"El-Arai'ch, avec la région mari-
time environnant ces ports, sur l'Océan, et habitée par les Ouergha ;
A Aïça : les villes de Salé et Azemmor, sur l'Océan, et le pays
de Tamesna, avec les tribus qui en dépendaient ;
Enfin Hamza eut Oulili et la contrée environnante.
Tlemcen, avec son territoire, fut placée sous l'autorité de Aïça,
fils de Soleïman, son oncle.
Ainsi l'empire edriside se trouvait fractionné en neuf comman-
dements; ce démembrement ne pouvait que lui être fatal, car c'est
en vain que Mohammed avait espéré conserver une suprématie sur
le royaume et prévenir toute tentative d'usurpation de la part de
ses frères. La jalousie et l'ambition de ces princes allaient bientôt
être fatales à la dynastie edriside'.
Etat de la Sicile au commencement du ix'' siècle. — • Nous allons
quitter un instant la terre d'Afrique pour nous transporter en Si-
cile, où les armes musulmanes vont cueillir de nouveaux lauriers;
mais il convient, avant de commencer ce récit, d'examiner quelle
était la situation de cette île au ix^ siècle.
Depuis longtemps, nous l'avons vu, les Musulmans convoitaient
la Sicile et avaient exécuté contre cette grande île diverses expé-
ditions ; l'une d'elles se serait certainement terminée par la con-
quête du pays, si la révolte kharedjite n'avait forcé le gouverneur
arabe à rappeler toutes ses forces pour les conduire en INIag'reb -.
En présence de cette menace, les empereurs byzantins s'étaient
efforcés de mettre la Sicile en état de défense et d'y envoyer des
troupes, car ils tenaient à conserver ce boulevard de leur puissance
en Occident. Mais la période d'anarchie que traversa l'empire
d'Orient pendant le vin" siècle, les guerres qu'il eut à soutenir, les
révoltes qu'il dut réprimer, son déplorable système administratif
qui consistait à pressurer les populations et à les livrer à la rapa-
cité de leurs patrices, les persécutions religieuses, à la suite des
hérésies des MonothélUes et des Iconoclastes^ et enfin les consé-
quences de l'hostilité du pape, qui s'était déclaré en quelque sorte
souverain indépendant, en posant les bases de son pouvoir tem-
porel ; toutes ces conditions avaient eu pour résultat de rendre la
situation de la Sicile très critique, au commencement du ix^ siècle.
La haine des populations contre l'Empire était portée à son comble
1. Ibu-Klialdouu, Berbères, t. Il, p. 563. El-Bekri, Idricides. Kartas,
p. 61 et suiv.
2. V. ci-devant, ch. m (Révolte de Meicera).
278
HISTOIRE DE L AFRIQUE
et, comme les souverains de Byzance avaient pris rhabiliide d'exiler
en Sicile les personnages disgraciés, il en résultait des rébellions
continuelles, alVaiblissant de jour en jour l'autorité bvzanline '.
Plusieurs fois, les rebelles avaient cherché un appui ou un refuge
auprès des princes arabes de Kairouan. Du reste, les courses des
Musulmans d'Afrique et d'Espagne contre les îles de la ^léditer-
ranée étaient pour ainsi dire incessantes, et répandaient la terreur
parmi les populations de ces rivages, au mépris des traités parti-
culiers, souscrits de temps à auti'e, dans l'intérêt du commerce,
entre les gouvernements omé'iade, edriside ou ar'lebite et le patrice
de Sicile, le pape ou les républiques maritimes.
El'piiémils appelle les Arabes en Sicile. — Expédition dc caui
AcED. — A la fin de l'année 820, [Michel le Bègue, qui allait être
livré au bourreau, est porté par une révolution de palais au trône
de l'empire. A cette nouvelle, les Syracusains, ayant à leur tète un
certain Euphémius, mettent à mort le patrice Grégoire qui gou-
vernait l'île et se déclarent indépendants ; mais l'empereur envoie
en Sicile une armée qui défait les Syracusains et écrase cette ré-
volte. Euphémius se réfugie en Afrique, avec sa famille, et offre à
Ziadct-AUah la suzeraineté de la Sicile, s'il veut l'aider à y re-
prendre le pouvoir, assurant qu il a de nombreux partisans dans
l'armée et la population et que la conquête sera facile (820y.
Ziadet-Allah était alors absorbé par ses luttes contre les rebelles.
Cependant, après la mort d'El-Mansour, sa sécurité étant assurée,
il s'occupa des propositions d'Euphémius et, comme il avait reçu
de Platha, gouverneur de Sicile, des communications destinées à
le détourner de cette entreprise, il convoqua une assemblée de no-
tables et lui soumit la question. Plusieurs membres répugnaient à
cette expédition, ne voulant pas rompre une trêve conclue en 813;
mais Euphémius fit ressortir que ce traité était détruit, ipso fnclo,
puisque des Musulmans étaient détenus en Sicile, et le cadi Aced,
prenant la parole, insista avec tant de force pour que l'aventure
fût tentée, qu'il finit par décider l'assemblée à autoriser l'expé-
dition, comme une opération isolée, et non dans un but de con-
quête. Aced, s'étant proposé pour diriger cette entreprise, fut
nommé, par Ziadet-Allah, cadi-émir chef de l'expédition.
La guerre sainte fut proclamée et l'expédition se prépara à
Souça, sous les yeux d'Euphémius et d'Aced. Un grand nombre de
1. Amari, Storia dei Musulinani di Sicilia, t. I, p. 76etsiiiv., 178 et
suiv., 194 et suiv.
CONQUIÎTE m-: LA SICILE (828)
279
Berbères, particulièrement de la tribu de Ilouara, des réfugiés es-
pagnols, des miliciens, accoururent à Souça, et bientôt une armée
de mille cavaliers et de cinq cents fantassins s"y trouva réunie'. On
ne saurait trop remarquer l'analogie de cette expédition avec celle
qui livra, un peu plus d'un siècle auparavant, l'Espagne aux Mu-
sulmans : ce sont les mêmes causes et les mêmes procédés d'exé-
cution ; jusqu'à l'elfectir de l'armée qui est sensiblement le même;
enfin, la guerre de Sicile va absorber les forces actives des Musul-
mans de rifrikija et consolider la puissance des Ar'lebites en ar-
rêtant l'ère des révoltes.
Conquête de la Sicile. — Le 13 juin 827, selon En-Nouéïri, la
flotte, composée d'une centaine de barques portant l'armée expé-
ditionnaire, leva l'ancre et le lendemain aborda àMazara. Dès lors,
Aced écarta Euphéinius et se réserva pour lui seul la direction des
opérations ; un rameau placé sur le heaume des Musulmans leur
servit de signe de ralliement.
Bientôt Platha s'avança contre les envahisseurs à la tête de
toutes les forces chrétiennes, que les auteurs arabes portent, avec
leur exagération habituelle, à cent cinquante mille hommes. Le
15 juillet, l'action fut engagée par Aced, qui attaqua bravement
les Grecs en avant de Mazara. Entrahiés par l'exemple de leurs
chefs, les Musulmans traversent les lignes ennemies , culbutent
partout les chrétiens et remportent une grande victoire. La Sicile
était ouverte.
Tandis que Platha cherchait un refuge en Calabre, Aced, après
avoir assuré sa base d'opérations, marcha contre la capitale, en re-
cevant sur sa route l'hommage des populations. A la fin du mois
de juillet, il commença le siège de Syracuse ; mais cette ville se
défendit avec vigueur et reçut des secours d'Orient et de Venise.
Dans l'été de 828, Syracuse était sur le point de tomber aux mains
des Musulmans et avait déjà fait des offres de reddition, d'ailleurs
repoussées, lorsque Aced mourut. Dès lors la fortune abandonna
les Musulmans. Mohammed-ijen-el-Djouari, successeur d'Aced,
eut à lutter contre des séditions et vit partout la résistance s'orga-
niser. En même temps, le comte de Lacques faisait une descente
sur les côtes de Tunisie et empêchait le gouverneur ar'lebite d'en-
voyer des secours à l'expédition. Forcés de lever le siège de Syra-
cuse, les Musulmans tentèrent d'aliord de fuir par mer; mais, la
flotte ennemie leur ayant coupé le chemin, ils descendirent à terre,
incendièrent leurs vaisseaux et se réfugièrent dans des montagnes
1. Ibn-Klialdoun, t. I, p. 277. Amari, Storia, t. I, p. 258 et suiv.
280
IIlSTOnilC IJE I, AKHKJL'E
escarpées, avec Euphcmius qui avait pris le litre d'empereur. Re-
prenant ensuite roiïensive, ils s'emparèrent de Minée, deGirgenti
et de Castro-Giovanni (Enna), où ils mirent à mort Euphémius,
soupçonne d'être entré en pourparlers avec l'ennemi. Mohammed-
el-Djouari fit alors battre monnaie à son )iom ; il mourut en 829
et fut remplacé par Zohe'ir-ben-li'aouth.
La situation des ^lusulmans, réduits à la possession de Mazara
et de ]\Iinée, était assez précaire, lorsque, dans l'été de H30, une
flotte arriva d'Afrique avec trente mille hommes: Berbères, Ara-
bes, aventuriers espagnols et autres, envoyés par Ziadet-AUah,
pour reconquérir le terrain perdu. Les Musulmans reprirent une
vigoureuse oH'ensive et vinrent assiéger Palerme. .\près une hé-
ro'ique résistance de plus d'un an, cette ville capitula dans l'au-
tomne de 831 et les habitants qui avaient échappé aux dangers
et aux privations du siège furent réduits en esclavage. Ainsi les
Musulmans étaient maîtres d une grande partie de la Sicile. Ils
s'établirent solidement à Palerme et fondèrent une colonie où ac-
coururent Africains et Espagnols. Ziadet-Allah nomma de ses pa-
rents comme gouverneurs de l île, et la guerre suivit son cours
entre les musulmans et les chrétiens, avec les alternatives ordi-
naires de succès et de revers".
Mort ni- Ziadet-Allah. — Son kki-ke Abou-Eïkal-el-Ar leb lui
SUCCÈDE. — Pendant que la Sicile était le théâtre de ces événements,
le rebelle Abd-es-Selam continuait à tenir la campagne en Ifrikiya.
Un certain Fadel avant, en 833, levé l'étendard de la révolte, dans
la péninsule de Cherik, Abd-es-Selam opéra avec lui sa jonction ;
mais les troupes du gouverneur les mirent en déroule, et la paix
se trouva enfin rétablie d'une manière définitive (830l.
Le vice-roi put alors se consacrer entièrement à la direction de
la guerre sainte et aux travaux d'embellissement qu'il avait entre-
pris à Ka'irouan. Selon En-\ouéïri, il rebâtit la mosquée qui avait
été construite par Yezid-ben-Halem, fit établir un pont à la porte
d'Abou-Piebia et compléta les fortifications de Souça. Le 10 juin 838,
la mort vint le surprendre au milieu de ces travaux. Il était âgé de
cinquante et un ans et avait exercé le pouvoir pendant vingt et
un ans, sept mois et huit jours. Malgré les difTicultés toujours re-
naissantes contre lesquelles il avait eu à lutter, son règne, illustré
1. Ibn-cl-Alliir douuc à cet cvénemeiU la date do 832. Eii-Nouéiri et
Elie de la Primaudaic, (Arabes et Normands en Sicile et en Italie), 835.
Nous adoptons la date donnée par M. Aniari, t. I. p. 290.
2. Ainari, t. I, p. 294 et siiiv.
CONQUÊTE DE LA SICILE (836)
281
par la conquête de la Sicile, fut un des plus glorieux de sa dy-
nastie. Ce prince, après s'être montré cruel et injuste, donna, sur
la fin de son règne, de beaux exemples de générosité et de gran-
deur de caractère ; seule, la milice ne pouvait trouver grâce de-
vant lui. Il était doué d un esprit cultivé et faisait assez bien les
vers, mais sa passion pour le vin le poussait trop souvent à com-
mettre des excentricités. C'est ainsi que, se trouvant un jour en
état d'ivresse, il adressa au khalife El-Mamoun des vers incon-
venants et menaçants qu'il s'empressa de désavouer quand il eut
repris son bon sens. Son frère Abou-Eïkal-el-Ar'leb, surnommé
Khazer, lui succéda ' . Il était depuis longtemps son premier ministre.
Guerres entre les descendants d'Edris II. — Dans le Mag'reb,
la guerre n'avait pas tardé à éclater entre les fds d'Edris II. Aïça,
à Azemmor, s'était d'abord mis en état de révolte. Mohammed,
usant de son droit de suzeraineté, chargea alors ses frères El-Kassem
et Omar de le combattre ; mais ce dernier seul y consentit. Ayant
marché contre le rebelle, il le mit en déroute, le força à se
réfugiera Salé et s'empara de ses états. Il reçut ensuite de Mo-
hammed l'ordre de réduire son autre frère El-Kassem qui persistait
dans sa désobéissance et, lui ayant fait subir le même sort, adjoi-
gnit encore sa province à la sienne, de sorte qu'il se trouva en
possession de toutes les régions maritimes de l'Océan. El-Kassem
se réfugia dans un couvent auprès d'Azila et se consacra entiè-
rement à la dévotion.
Omar, qui paraissait avoir hérité des qualités guerrières de son
père, mourut prématurément en 835. Ce prince est l'aïeul de la
dynastie des Edrisides-Hammoudites, dont nous aurons à parler
plus tard ; son iils Ali lui succéda.
L'année suivante (836^>, Mohammed cessa de vivre, à Fès, laissant
un iils nommé Ali, âgé seulement de onze ans, auquel les Aoureba
prêtèrent serment de fidélité -. Ainsi disparaissaient, l'un après
l'autre, les chefs de cette brillante famille et se fractionnait l'em-
pire fondé par Edris. Les survivants régnèrent obscurément dans
leurs provinces, et comme les événements de leur histoire ne pré-
sentèrent rien de saillant pendant quelques années, nous cesserons
pour le moment de nous occuper des Edrisides.
Les Midrarides a Sidjilmassa. — A Sidjilmassa, les Beni-Ouaçoul
t. Eii-Nouéiri, p. 412. El-Kairouani, p. 84. Ibu-Khaldoun, Histoire
(te L'Ifr. et de la Sic, p. 110.
2. Ibii-Kliaidouii, DcrbèreSj t. II, p. 564. El-Bekri, Idricides.
282
HISTOIRE DE L AFRIQUE
continiiaienl à exercer le pouvoir; El-Moiitaoar-cl-Yaçâa, surnommé
Midrar, qui avait succédé à Abou-l'Kaccm, subjugua les Berbères
du Sahara, rebelles à son autorité, et conquit les mines de Deraa,
dont il se fit attribuer le cinquième. Ce prince donna un véritable
lustre à sa dynastie qui fut désij^née sous le nom de Beni-Midrar.
Il rechercha l'alliance des Rostemides de Tiharet et obtint une de
leurs filles en mariage. Les Kharedjites persécutés par les Edri-
sides trouvèrent, à Sidjilmassa, un refuge assuré. El-Montaçar
était occupé à entourer sa capitale de retranchemenls, lorsqu'il
mourut (824). Son fils, nommé aussi El-Montaçar, lui succéda et
vit son règne troublé par la révolte de ses fils. L'un d'eux, nommé
JMeïmoun, s'empara du pouvoir ou l'exerça simultanément avec
son père '.
L'Espagne sors AnD-Eu-RAiiMAX IL — En Espagne, Abd-er-
Rahman II continuait à régner. Il avait rétabli la paix dans son
royaume et vivait somptueusement dans sa capitale. « Jamais —
« dit Dozy - — , la cour des sultans d'Espagne n'avait été aussi
Il brillante qu'elle le de\int sous le règne d'Abd-er-Rahman IL
<i Amoureux de la supcri^e prodigalité des khalifes de Bagdad, de
(I leur vie de pompe cl d'apparat, ce monarque s'entoura d'une
« nombreuse domeslicilé, emiiellil sa capitale, fit construire à
<i grands frais des ponts, des mosquées, des palais et créa de vastes
« et magnifiques jardins, sur lesquels des canaux répartissaient les
« torrenls des montagnes. Il aimait la poésie, et si les vers qu'il
« faisait passer pour les siens n'étaient pas toujours de lui, du
Il moins il récompensait généreusement les poètes qui lui venaient
<i en aide. Au reste, il était doux, facile et bon jusqu'à la fai-
<i blesse. »
En 828, les habitants de Mérida s'étant révoltés, le khalife fit
marcher contre eux une armée. Ils se soumirent alors et livrèrent
des otages ; mais quand ils virent qu'on démolissait les remparts
de leur cité, ils se soulevèrent de nouveau et restèrent indépendants
jusqu'en 833 ^.
1. Ibii-Klialdouii, t. I, p. 262. El-Bekri, passim.
2. Musulmans d' Espagne, t. IL P- 87.
3. Dozy, licc/ierc/ies sur l'histoire de l' Espagne , p. 158. El-Marrakclii
(Dozy), p. 14 et suiv.
CHAPITRE VII
LES DERNIERS AR'LERITES
838-902
Gouvernement d'Aljou-Eikal. — Gouvernement d'Ahou-l'Aljbas-Mohammed.
— Gouvernement d'At>ou-lbrahim-Ahmed. — Evénements d'Espagne. —
Gouvernements de Ziadcl-Allah le jeune et d'Abou-el-R'aranik. — Guerre
de Sicile. — Mort d'Abou-cl-R'aranik. — Gouvernement d'Ibrahim-ben-
Ahmed. — Les souverains edrisides de Fès. — Succès des Jlusulmans en
Sicile. — Ibrahim repousse l'invasion d'El-Abbas-ben-Touloun. — Révoltes
en Ifrikiya; cruautés d'Ibrahim. — Progrès de la secte chiaïle en Ber-
bérie; ari'ivéo d'Abou-Abd-Allah. — Nouvelles billes d'Ibrahim contre les
révoltés. — Expédition d'Ibrahim contre les Toulounides. — Abdication
d'Ibrahim. — Evénements de Sicile. — Evénements d'Espagne.
GoL'VERN'EMicNT d'Abou-Eïkal. — Lc règiie d'Abou-Eïkal, frère et
successeur de Ziadel-Allah, fut fort court. Ce prince, que les his-
toriens comparent à son aïeul El-Ar"leb, s'attacha à faire fleurir
dans son gouvernement la paix et la justice. Il abolit les impôts
qui n'étaient pas conformes à la loi relijjieuse et une foule de taxes
particulières établies, dans diverses localités, parles "fouverneurs,
qui reçurent alors un traitement fixe, et auxquels il fut défendu
sévèrement de se créer aucune autre source de revenus. Il pros-
crivit il Kaïrouan l'usage du vin, afin d'éviter les abus dont son
frère avait donné de si tristes exemples. Il aurait également, selon
Cardonne, assigné une paie régulière à la milice qui, jusque-là,
avait vécu surtout des ressources qu'elle se procurait en campagne.
La milice, bien traitée par lui, se tint tranquille et oublia pour
quelque temps ses traditions d'indiscipline
Abou-Eïkal ne négligea pas la guerre de Sicile et, grâce aux
renforts qu'il expédia dans cette île, les Musulmans reprirent ac-
tivement la campagne et s'emparèrent d'un grand nombre de
places. Sur ces entrefaites, le prince longobard de Bénévent ayant
attaqué la république de Naples, le consul de cette ville, Sicard,
demanda des secours aux Arabes de cette ville, qui lui envoyèrent
une petite ai^mée, avec laquelle il repoussa les agresseurs. Il en ré-
1. En-Nouéiri, p. 414, 415.
284 HISTOIRE DE L AFRIQUE
sulta une lig'iie entre Naples et les émirs de Sicile, ligue qui dura
cinquante ans ' .
Après un règne paisible de deux ans el neuf mois, Abou-Eïkal
cessa de vivre (février 8 il).
Gouvernement uAnor-L'AnnAS-MoiiAMMED. — Abou-l'Abbas-
Mohammed succéda à Abou-Eïkal, son père, sans hériter de sa
sagesse. Négligeant le soin des airaires publiques pour se livrer à
ses plaisirs, il choisit comme ministres les deux frères Abou-Abd-
Allah el Abou-IIoniéïd, et les laissa diriger le gouvernement selon
leur bon plaisir. Abou-Djafer, frère du vice-roi, fut profondément
blessé de cette préférence qui le reléguait au second plan, et
résolut de s'emparer du pouvoir. Lorsque le complot, ourdi en
secret, eut été préparé, les conjurés montèrent à cheval à midi,
au moment où tout le monde se reposait, et pénétrèrent dans le
palais du gouvernement, après avoir culbuté la garde. Ils se sai-
sirent d'abord du vizir Abou-Abdallali et le mirent à mort.
Cependant quelques serviteurs, étant revenus de leur surprise,
se jetèrent au devant des agresseurs et leur tinrent tête un moment,
ce qui permit à Abou-l'.-Vbbas de se retrancher dans le réduit. Le
chef des révoltés protesta alors qu'il n'en voulait qu'aux ministres,
et, devant ces assurances, le gouverneur consentit à se rendre dans
la salle d'audience. S élant assis sur son trône, il donna l'ordre
d'introduire le peuple, en feignant d'ignorer ce qui s'était passé.
Abou-Djafer entra le premier à la tête des mutins et reprocha à
son frère, en termes assez violents, de se laisser conduire par les
fils de Iloméïd, et de fermer les yeux sur leurs actes. Abou-l'Abbas
était dans une situation trop critique pour se montrer arrogant. Il
consentit à livrer ,\bou-Homéïd à son frère, après avoir reçu de
lui la promesse qu'on n'attenterait pas à sa vie.
Moyennant cette concession, Abou-Djafer jura de ne faire au-
cune tentative pour renverser son frère, mais il profita de cette oc-
casion pour s'emparer de la direction des affaires de l'état ; il de-
vint donc le véritable gouverneur, tandis que Mohammed n'en
conservait que le titre. Durant quelque temps, Abou-Djafer tint
d'une main ferme les rênes du gouvernement ; puis, lorsqu'il fut
rassasié du pouvoir, il commença à se relâcher de son active sur-
veillance pour se lancer dans les mêmes écarts que son frère et
s'adonner particulièrement au vin. Par une bizarre coïncidence,
Abou-l'.Abbas, faisant alors un retour sur lui-même, se trouva las
1. Amari, t. I, p. 309 et suiv.
LES DERNIERS Ak'i.EIîITES (850)
285
du rôle secondaire auquel il était réduit et prit la virile résolution
de ressaisir l'autorité.
Après avoir noué des relations avec quelques chefs mécontents,
Mohammed fit entrer dans son parti un certain Ahmed-ben-So-
fiane, cheikh très influent à Kaïrouan, qui devint son principal
agent. Bientôt la conjuration l'ut orf^anisée. .Abou-Djater, en ayant
été prévenu par un traître, refusa d'y croire, car Abou-l'Abbas pa-
raissait de plus en plus ai:)sorbé par ses débauches. Au jour fixé
pour l'exécution du complot, un j^rand nomi^re de conjurés dé-
j^uisés en esclaves s'introduisirent dans la forteresse. Ahmed-ben-
Sofiane leur distribua des armes, ainsi qu'aux esclaves et aux af-
franchis dont il était sûr, et les fit cacher. Averti une deuxième et
une troisième fois, Abou-Djafer envoya une patrouille faire une
reconnaissance au dehors; mais les soldais n'ayant rien trouvé
d'extraordinaire, il reprit sa tranquillité.
Au coucher du soleil, un fjroupe de conjurés se précipita sur les
f^ardesde la porte qu'on avait pris le soin d'enivrer et les massacra.
Ayant ensuite placé sur le toit du réduit un feu devant servir de
signal aux gens de la ville, les partisans du gouverneur légitime
attaquèrent ceux d'Abou-Djafer. On se battit pendant une partie
de la nuit, jusqu'à l'arrivée des habitants de Kaïrouan, dont le
grand nombre assura la victoire. Abou-Djafer, réfugié dans son
palais, fit demander sa grâce à Abou-l'Abbas qui lui pardonna gé-
néreusement. Il se contenta de lui reprocher en public sa conduite
et de l'exiler du pays, après lui avoir confisqué ses trésors (846).
Abou-Djafer se réfugia en Orient, où il mourut.
^ Délivré de la tyrannie de son frère, le gouverneur ÎMohaninied
eut bientôt à lutter contre d'autres révoltes. En 8iS, Amer, fils de
Selim-ben-R'alboun, voulant venger son père qui avait été mis à
mort par l'ordre du prince, à la suite d'une tentative de révolte,
répudia l'autorité de son maître et se proclama indépendant à
Tunis. Durant deux ans, le gouverneur essaya en vain de le ré-
duire ; enfin, le 20 septembre 850, Tunis fut enlevée d'assaut, et
Amer ayant été pris fut décapité. La révolte était domptée
Abou-l'Abbas paraît ensuite avoir tourné ses regards vers l'ouest
et essayé de s'opposer aux empiétements des Rostemides de Ti-
haret, en faisant construire non loin de cette ville une place forte
qu'il nomma El-Abbassïa, s'appuyant sur une ligne de postes avan-
cés ; mais il était trop tard pour pouvoir ressaisir une autorité à
jamais perdue ; avant peu la nouvelle ville devait être brûlée par
1. Eu-Nouéiri, p. 417.
■2m
HISTOIRE DI- i/aFRIQUIÎ
Afia, fils d'Alxl-el-Ouahab-ljcn-Rostem, poussé à cela parle khalife
d'Espagne
Le 11 mai 856, Abou-l'Abbas mourut à Kaïrouan^. Quelque
temps auparavant, avait eu lieu le décès de Sahnoun, un des plus
grands docteurs selon le rite malekite.
Gouvernement d'Abol-Ibraiiim-Aiimed. — Abou-lbrahini-Ahmed
succéda à son frère Abou-l'Abbas. Il régna paisiblement pendant
trois ans. Vers 859, les Berbères des environs de Tripoli s'étant
refusés d'acquitter l'impôt, Abd-Allah, gouverneur de cette ville,
marcha contre eux. Mais, après avoir essujé plusieurs défaites,
il dut se renfermer derrière les remparts de Tripoli et demander
du secours au gouverneur de Kaïrouan. Ziadet-Allah, frère d'Abou-
Ibrahim, accouru en tonte hâte à la tête d'une armée, fit rentrer
les rebelles dans le devoir, après leur avoir infligé une sévère pu-
nition.
Abou-Ibrahim continua à s'occuper de travaux d'utilité publique
pour lesquels il avait un grand goût, et en fit profiler non seule-
ment sa capitale, mais encore Souça et plusieurs autres localités.
Il s'attacha surtout aux travaux hydrauliques cl dota Kaïrouan
de plusieurs citernes, notamment de celle appelée El-Madjel-el-Ke-
bir établie près de la porte de Tunis ^,
Ces soins ne l'empêchèrent pas de continuer la guerre de Sicile.
Abou-l'Abl^as-Ibn-Abou-Fezara avait succédé comme comman-
dant militaire à Abou-l'Ar'leb, mort en 851 . Ce général poussa acti-
vement les opérations militaires et remporta de réels succès qui
furent accompagnés des plus grandes cruautés. En 858,- il s'em-
para de Céfalu. Le 24 janvier de l'année suivante, il se rendit maître
de la forteresse de Castrogiovanni, qui résistait depuis trente
ans et où les Siciliens avaient réuni de grandes richesses. Cette
perte causa dans l'île une véritable stupeur, dont profitèrent les
Musulmans.
Vers 860, l'empereur Michel III, l'ivrogne, envoya une nouvelle
expédition en Sicile. A l'approche des Byzantins, plusieurs can-
tons se soulevèrent, mais Abbas, ayant écrasé l'armée impériale et
forcé ses débris à reprendre la mer, ne tarda pas, grâce à son
énergie, à rétablir la paix dans son territoire. Il mourut le 18
août 861 \
1. Ibn-Klialdoun, t. I, p. 419. Ibu-El-Atliir, passim.
2. El-Kairouani donne la date de 854.
3. Eu-Nouéiri, p. 420.
4. Michèle Amari, Storia, t. I, p. 320 et suiv.
LES DERNIERS Ali 'l-EIilTES (862)
287
En décembre 863, Abou-Ibrahim, qui avait su par sa justice et
sa bonté, s'attirer rafTection de ses sujets, tomba malade et mou-
rut le 28 dudit mois, après avoir réf^né huit ans. On rapporte
que, pendant sa maladie, on achevait la citerne du vieux château
et qu'il s'informait chaque jour, avec intérêt, de l'état des travaux.
Enfin on lui apporta une coupe pleine de l'eau de la citerne : il la
but avec empressement et mourut presque aussitôt. Il n'était âgé
que de vinj^t-neuf ans.
Evénements d'Espagne. — En Espagne, Ahd-er-Rahman II
était mort subitement le 22 septembre 852. Il laissait deux fils :
Mohammed et Abdallah qui aspiraient l'un et l'autre à lui succéder,
car leur père n'avait pris aucune disposition précise à ce sujet.
Appuyé par les eunuques, ^lohammed parvint à s'emparer du
pouvoir. C'était un homme médiocre, entièrement livré à la dé-
bauche. Il ne tarda pas à éloigner de lui la masse de ses sujets et
ne sut plaire qu'à la caste des clercs, ou fakihs, dont il flatta le
fanatisme en persécutant les chrétiens.
Les habitants de Tolède s'étantmis en état de révolte appelèrent
à leur secours les chrétiens du royaume de Léon, et Ordoïïo \"
envoya une armée pour les soutenir. Mais Mohammed aj-ant, en
personne, marché contre eux, attira les confédérés dans une em-
buscade, les vainquit et en fit un carnage épouvantable : huit mille
têtes furent coupées et envoyées dans les principales villes d'Es-
pagne et même d'Afrique. Cependant Tolède continua à rester en
état de révolte, et, comme les Musulmans accusaient les chrétiens
d'être les fauteurs de celte rébellion, les persécutions redoublèrent
contre eux. Bientôt, du reste, une levée de boucliers des chré-
tiens et des renégats se produisit dans les montagnes de Regio.
Sur ces entrefaites, un chef d'origine wisigothe, Moussa II, qui
avait formé dans le noi'd un état indépendant, appelé la frontière
supérieure^ et dont la puissance avait contrebalancé celle de l'émir
de Cordoue, vint à mourir (862). Mohammed rentra alors en pos-
session de Tudèle et de Sarragosse, ainsi que d'une partie de la
frontière supérieure ; mais le reste, de même que Tolède, demeura
dans l'indépendance sous la protection du roi de Léon '.
Vers cette époque, les Normands, qui avaient déjà pillé et brûlé
Séville, en 844, firent de nouvelles incursions dans la péninsule en
remontant les fleuves. Le fameux Ilasting parcourut, avec une
flotte de cent voiles, la Méditerranée et ravagea le littoral de la
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 158 et suiv.
288
HISTOIRE DE I. AFRIQUE
Maiirc'lanie, de l Espag^ne et des îles, vers 860. La ville de Nokour
eut particulièrement à souffrir de leurs excès
Gouvernement de Ziadet-Ali.aii, dit le jeune, et d Arou-el-R'a-
RANiK. — A Kaïrouan, Abou-Mohammed-Ziadet-Allah, le jeune,
avait succédé à son frère Ahmed 'décembre S(33i. Ce prince parais-
sait bien doué, mais la mort le surprit le 22 décembre 864, après
un an de rèfjne. Son neveu Abou-Abd-Allah-Mohammed, surnommé
Abou-el-R"aranik (rhomnie aux ^'■ruesi lui succéda. Le jjoût de ce
prince pour la chasse aux grues lui avait valu ce surnom.
Une révolte des Berbères sig:nala les premiers jours de son
rè^ne, Biskra, Tehouda, les Ilouara, voisins du territoire des Ros-
teniides, toutes les populations du Zab et du Hodna, régions qui
formaient alors la limite du sud-ouest, se lançèrent dans la rébel-
lion. Le général Abou-Khafadja-ben-Ahmed, envoyé par le prince
contre les révoltés, leur infligea de nombreuses défaites et les con-
traignit à la soumission. Seuls, les Houara résistaient encore. Abou-
Khafadja ayant opéré sa jonction avec le général Haï-ben-Malek,
qui commandait un autre corps d'armée, pénétra dans le Hodna et
atteignit les Houara. Les indigènes essayèrent en vain d'obtenir
leur pardon en se soumettant aux conditions qu'on voudrait leur
imposer, Abou-Khafadja, inflexible, donna le signal de l'attaque. Les
Houara, sans espoir de salut, combattirent avec le dernier achar-
nement et, contre toute attente, les guerriers arabes commencèrent
à plier ; bientôt, Haï-ben-Malek prit la fuite, en entraînant la cava-
lerie. Abou-Khafadja, voyant la victoire lui échapper, se fit brave-
ment tuer avec presque toute son escorte. Les débris de ses troupes
se réfugièrent à Tobna. Il ne paraît pas qu'.Abou-l'R'aranik ait
cherché à tirer vengeance de cet échec".
Guerre de Sicile. — Pendant que l'.Afrique était le théâtre de
ces événements, les armes arabes obtenaient de nouveaux succès en
Sicile. En 867, Basile le Macédonien, étant monté sur le trône im-
périal, s'appliqua à réorganiser l'armée et, dans la même année,
envoya une expédition en Sicile. Une certaine anarchie divisait les
Musulmans, depuis la mort de Abbas ; les Berbères étaient jaloux
des Arabes, et ceux-ci étaient toujours divisés par les rivalités des
Yéménites et des Modhérites. Les troupes impériales obtinrent
1. El-Bekri, p. 92 du texte arabe. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 159. Baian,
t. II, p. 44. Dozy, Recherches sur l'histoire de l'Espagne, t. I et II,
passim.
2. En-Noueiri. p. 422.
LES DERNIERS Ar'i.ERITES (875)
289
quelques succès et paraissent s'être emparées de Castrof^iovanni ;
mais bientôt les Musulmans reprirent l'avantage et portèrent le
ravage dans les environs de Syracuse. En 868, Khafadja-ben-Sofian
qui avait pris le commandement, défit une nouvelle armée byzan-
tine envoyée par Basile ; mais il loml^a peu après sous le poi<;nard
d'un Berbère houari.
L'année suivante (869i, Ahmed-ben-( )mar-ben-El-Ar"leb s'empara
de l'île de Malte. Les Byzantins, accourus en toute hâte, arra-
chèrent aux Ar'lebites leur nouvelle conquête. Mais, au mois de
juin 870, la flotte musulmane envoyée de Sicile débarqua à ALnlte
une nouvelle armée qui reprit l'ile aux chrétiens '.
Mort d'Abou-el-R".vranik. — Gouvernement d'Ibrauim-ben-
AiiMED. — Abou-El-R'aranik mourut le 16 février 875, après avoir
ré<îné une dizaine d'années. Il n'était âgé que de vingt-quatre
ans, et avait une si mauvaise santé qu'il avait passé plusieurs fois
pour mort, ce qui lui avait valu le surnom d'El-Mïït. Comme la
plupart des membres de la famille ar'lebite, ce prince se distin-
guait par la bonté et la générosité ; mais aussi il avait les défauts
de ses devanciers, qui tous mouraient si jeunes ; esclave de ses
passions, il était dominé par le goût des plaisirs, de la chasse et
surtout de la débauche et du vin. Sa prodigalité était si grande
qu'il laissa le trésor complètement à sec. Son frère, Abou-Ishak-
Ibrahim, qui dirigeait les alTaires comme premier ministre, était
impuissant à le modérer dans ses dépenses.
Avant de mourir, Abou-el-R'aranik avait désigné, pour lui
succéder, son fils Ahmed-Abou-L'Eïkal, et, comme il redoutait
l'influence de son frère Ibrahim et ses visées ambitieuses, il l'avait
contraint à jurer solennellement, cinquante fois de suite, dans la
grande mosquée, qu'il ne tenterait pas de s'emparer du pouvoir.
Mais cette précaution fut absolument inutile : aussitôt que la mort
du gouverneur fut connue, le peuple se porta en foule auprès
d'Ibrahim et le força à se rendre au château et à prendre en main
les rênes du gouvernement.
Ibrahim essaya de résister en représentant qu'il était lié envers
son frère par un engagement solennel. Mais, quand il vit le peuple
décidé à n'accepter en aucune manière le règne d'un enfant, il se
décida à prendre le pouvoir. Etant monté à cheval, il pénétra de
force dans le vieux château et y reçut l'hommage des principaux
citoyens.
Le nouveau gouverneur s'occupa ensuite de l'édification d'un
1. Amari, Storia, p. 341 et suiv.
T. I.
19
290
HISTOIRE Di; 1. AFRIQUE
vaste château au lieu dit RaUkatla, à quatre milles de Kaïrouan,
dans une localité privilot;iée comme climat. Son but était d'en
faire sa demeure et d'abandonner le vieux château. Il employa les
premières années de son règne à diverses autres constructions,
tout en dirigeant la guerre de Sicile et d'Italie, sur laquelle nous
allons entrer plus loin dans des détails. En 878, les ail'ranchis, des-
cendants des troupes nègres formées par El-Ar'leb, se révoltèrent
dans le vieux château et osèrent même interrompre les communi-
cations a\ ec Rakkada ; mais ils furent bientôt forcés de se rendre,
et Ibraiiim les lit périr sous le fouet, ou crucifier, donnant ainsi le
premier exemple de l'incroyable férocité qu'il de\ ait montrer plus
tard. Il ht ensuite acheter d'autres esclaves au Soudan et forma
une nouvelle garde nègre qui se distingua, plus tard, par sa bra-
voure et son aveugle hdélité
Les Soi vER.viNs edrisides de Fez. — C'est sans doute vers cette
époque que l'edriside Yahia mourut à Fès et fut remplacé par son
lils nommé, comme lui, ^ ahïa. Ce prince, par sa conduite disso-
lue, indisposa contre lui la population de la capitale ; à la suite d'un
dernier scandale, la révolte éclata, à la voix d'un nommé Abder-
Uahman-el-Djadami. Expulsé du quartier des Kairouanides, Ya-
hia se réfugia dans celui des Andalous, où il mourut la même nuit.
Ali, fils d"Edris-ben-Omar, souverain du Rif, cédant aux sollicita-
tions des partisans de sa famille qui étaient venus lui porter une
adresse, se rendit à Fès, y prit en main le pouvoir et reçut le ser-
ment de fidélité des chefs du Mag reb extrême.
Mais, peu de temps après, un kharedjite sofrite nommé .\bd-er-
Rezzak, natif d'Espagne, parvint à soulever les indigènes des mon-
tagnes de Mediouna, au sud de Fès. Après plusieurs combats, il
remporta sur Ali une victoire décisive qui lui donna la possession
du quartier des Andalous ; il força ensuite Ali à se réfugier dans
le territoire des Aoureba, ces fidèles amis de sa famille. Les habi-
tants du quartier des Ka'irouanides ayant alors proclamé roi ^ ah'ia,
fils de Kacem-ben-Edris, ce prince réunit une armée et, étant par-
venu à renverser l'usurpateur, conserva seul le pouvoir-.
Slccès des Musulmans en Sicile. — Tandis que le ^lag'reb était
le théâtre de ces événements, le gouverneur Ibrahim se trouvait
absorbé par d'autres soins et surtout par la guerre de Sicile. Aus-
1. En-Nouéïri, p. 424 et suiv.
2. El-Bekri, trad. arl. Idricides. Ibu-Khaldoun, t. II, p. 566-567. Le
Kartas, p. 103 et suiv.
LES DERNIERS AR LEBITES (878)
291
sitôt après son avènement, il y avait envoyé de nouvelles troupes
et les Musulmans avaient repris, contre les Grecs, une vigoureuse
olFensive. Sous le commandement de Djafer-ben-Mohammed, ils
vinrent, dans Tété 877, mettre le siège devant Syracuse, et dé-
ployèrent pour réduire cette place autant d'habileté stratégique
que d ardeur. La Hotte grecque, ayant été envoyée au secours de la
ville, fut vaincue par celle des Ar'lebites qui purent ensuite com-
pléter le blocus par mer. Syracuse endura avec la plus grande fer-
meté les tortures d'une épouvantable famine et pendant ce temps
Basile, occupé à construire une église à Constantinople, restait
impassible. Etant enfin sorti de son inertie, il envoya une nouvelle
flotte qui fut retenue par son chef dans un port du Péloponnèse
pour y attendre lèvent. Le 2 mai 878, Syracuse fut emportée d'as-
saut, malgré l'héro'ique défense des assiégés. Les chrétiens furent
massacrés ou réduits en esclavage, et la ville subit le plus complet
pillage. Après quoi, les Musulmans l'incendièrent et se retirèrent,
ne laissant à la place de cette riche cité qu'un monceau de ruines
fumantes. Peu après les Grecs reprirent l'oifensive et obtinrent un
succès près de Taormina (879) '.
Mais en 881, les ^lusulmans furent vainqueurs à leur tour et en
882 ils s'empai-èrent de Polizzi « la ville du roi ». Il ne resta alors
aux chrétiens en Sicile que les monts Peloriade, l'Etna et la vallée
intermédiaire.
Ibrahim repousse l'invasion d'El-Abbas-ben-Touloun. — Les
événements dont l'Afrique, l'Espagne et la Sicile étaient le théâtre,
nous ont depuis longtemps fait perdre de vue l'Orient. Cela prouve,
entre autres choses, que l'inlluence du khalifat disparaissait de
plus en plus en Occident. La dynastie abbasside penchait déjà
vers son déclin, et son vaste empire était en proie à l'anarchie.
Pendant que les khalifes se succédaient après de courts règnes
terminés par l'assassinat, pendant que leur capitale demeurait
abandonnée aux factions, leurs provinces se détachaient. Depuis
quelques années, l'Egypte, un des plus beaux fleurons de la cou-
ronne, était aux mains d'un chef indépendant de fait, Ahmed-ben-
Touloun. — En 878, Ibn-Touloun entreprit la conquête de la Syrie
et laissa l'Egypte sous le commandement de son fils El-Abbas.
Mais celui-ci profita de son absence pour se mettre en état de
révolte et s'approprier les l'éserves du trésor. Puis il réunit une
armée et partit vers l'ouest, à la conquête de l'Ifrikiya. A cette
nouvelle, le gouverneur ar'lebite fît marcher contre lui un corps
1. Amari, Storia, t. I, p. 393 et suiv.
292
HISTOIRE DE I, AFRIQUE
de troupes sous la conduite de son général Ibn-Korhob (879). Les
deux armées en vinrent aux mains près de TOuad-Ourdaça, non
loin de Lebida, et la journée se termina par la déroute d'Ibn-
Korhob. El-Abbas, soutenu sans doute par les indig^ènes, pour-
suivit ses ennemis jusqu à Lebida, s"empara de cette ville, puis vint
entreprendre le siège de Tripoli. Il était urgent d'arrêter les succès
de ce conquérant. Ibrahim se mit aussitôt en marche contre lui ;
mais, parvenu à (îabès, il apprit qu'El-Abbas avait été entière-
ment défait et réduit à la fuite, ^'oici ce qui s'était passé : les
gens de Lebida, irrités des excès commis par les vainqueurs,
avaient appelé à leur aide El-Yas-ben-Mansour, chef des Khared-
jites des monts Nefouça, et ce cheikh était descendu de ses mon-
tagnes à la tête de 12,000 Berbères. El-.\bbas avait essayé en vain
de leur tenir lêtc; il avait dû prendre la fuite et avait été pour-
suivi par Ibn-Korhob. Réfugié à Barka, El-Abbas fut arrêté par
les troupes de son père et ramené en Egypte (881).
Révoltes en Ifhikiva. — Cruautés d Irraiiim. — Diverses révoltes
partielles des Berbères suivirent cette échaufî'ourée. Ce furent
d'abord les Ouzdadja de l'Aourès qui chassèrent leur gouverneur
et refusèrent l'impôt. Ibn-Korhob, envoyé contre eux par le gou-
verneur, les força à la soumission après plusieurs combats. De là,
le général ar'lebite se porta contre les Houara qui s'étaient aussi
lancés dans la rébellion. Après les avoir en vain sommés de se
rendre, il se mit à ravager et à incendier leur pays et les contrai-
gnit par ce moyen à demander la paix.
C'est à partir de cette époque que le caractère d'Ibrahim
changea. Naturellement soupçonneux, irrité par les résistances
qu'il rencontrait autour de lui, ou peut-être perverti par l'exercice
du pouvoir, il devint d'une cruauté inouïe et se mit à verser le
sang comme par plaisir, disposition qui le porta plus tard à com-
mettre tant de crimes, même sur ses proches. En même temps,
son amour des richesses se manifesta, et, par une étrange contra-
diction, ajjrès avoir, dans le commencement de son règne, cherché
à alléger les impôts, il devait avant peu employer tous les moyens
pour s'approprier le bien d'autrui.
En 882, les Louata se lancèrent à leur tour dans la révolte,
s'emparèrent de la ville de Karna, la mirent au pillage et vinrent
attaquer Badja et Ksar-el-Ifriki, près de Tifcch. Le général Ibn-
Korhob ayant marché contre eux essuya une défaite, et, dans sa
fuite, tomba au pouvoir des rebelles, qui le mirent à mort (juillet).
Irrité au plus haut point de cet échec, Ibrahim chargea son fils,
Abou-l'Abbas, de châtier les rebelles et lui confia à cet effet sa
LES DERNIERS Ar'i.EBITES (882)
293
milice, la garde nègre et des contingents de tribus alliées. Mais
les Louata ne l'attendirent pas ; Abou-l'Abbas les poursuivit
jusque dans le sud, en leur tuant du monde et les forçant d'aban-
donner leurs prises. Dans le cours de cette année, 882, une affreuse
disette désola l'Afrique. Le blé avait atteint des prix excessifs, et
les malheureuses populations s'étaient vues, en maints endroits,
réduites à manger de la chair humaine *.
A la suite des sanglantes luttes que nous avons retracées, une
tranquillité apparente, sinon réelle, régna durant quelques années,
et Ibrahim put donner libre carrière à ses cruels instincts. En-
Noueïri retrace longuement les cruautés raffinées qu'il savait
inventer et qu'il exerçait autour de lui au moindre soupçon^.
Progrès de la secte culute en Berbérie. — Arri\'Ée d'Arou-
Abd-Allaii. — Tandis qu'Ibrahim se livrait aux écarts de son
étrange caractère, donnant tour à tour l'exemple d'une certaine
grandeur d'àme ou d une basse cruauté, un nouvel élément de
discorde s'introduisait en Afrique. Nous avons indiqué ci-devant*
de quelle façon se forma la secte des chiaïtes, après la mort d'Ali.
Ecrasés en 787 à la bataille de Fekh, ils durent rentrer dans
l'ombre. Ils se formèrent alors en société secrète et envoyèrent
des émissaires dans toutes les directions, même en Berbérie,
malgré la surveillance exercée par les Abbassides.
Le schisme chiaïte se divisait en plusieurs sectes, parmi lesquelles
nous ne nous occuperons que des Imamïa, formant les Ethna-
Acheria (Duodécémains) et les Ismaïlia (Ismaïliens).
Les Duodéc'jmains comptaient douze imam ayant régné après
Ali, et enseignaient que le douzième, ayant disparu mystérieuse-
ment, devait reparaître plus tard pour faire renaître la justice sur
la terre et qu'il serait le Mehdi, ou être dirigé, prédit par Mahomet *.
Les Ismaïliens ne comptaient que six imam; le septième, Ismaïl,
désigné [)our succéder à son père, était, selon eux, mort avant
lui. A partir de ce septième, leurs imam étaient dits cachés
(Mektoum), ne transmettant leurs ordres au monde que par l'in-
termédiaire des daï (missionnaires)
1. Comme dans un récent exemple dont nous avons été témoins, la
famine de 1867-1868.
2. Eu-Nouéiri, p. 427. 436.
3. Chapitre ii, Mort d'Ali, et Kliaredjites et Chiaïtes.
4. Telle est la tradition sur laquelle s'appuient tous les Mehdi que
nous verrons paraître dans l'histoire et qui se produisent encore de nos
jours.
5. Ibu-Ivlialdoun, t. II, append. ii.
294
HISTOIRE DE T, AFRIQUE
Le troisième imam cache, nommé Mohammed-el-IIabib. vivait
à Salemïa, ville du territoire d Emesse, en Syrie, dans les premières
années du rè^me (ril)raliim. De là il lançait des daï, dont les uns
s'avancèrent en f;uerriers jusque dans l'Inde, d'autres pifjnèrent
l'Afrique. I/un d'eux s'établit à Mermadjenna, au nord-est de
Tebcssa ; un autre dans le pays des Ketama. non loin de l'Oued-
Remel, appelé alors, en langue indigène, Souf-Djimnr. Ils firent
de nombreux prosélytes et décidèrent plusieurs de leurs adeptes à
elFectuer le pèlerinage de Salemia.
En présence de ces résultats, Mohammed-el-Habib résolut d'en-
voyer en Mag'reb un de ses plus fidèles adhérents, nommé Abou-
Abd-AUah-el-IIocéin. Cet homme de mérite, qui devait rendre de
si grands services à la cause fatemide, avait été d'abord mohtncih
ou receveur d'impôts à Basra, puis il avait enseigné publique-
ment les doctrines des Imamiens, ce qui lui avait valu le surnom
d'EI-M,iciUem (le maître) Il partit pour le ^lag'reb, en compa-
gnie des chefs ketamiens ; pour éviter les postes placés par les
Abbassides sur toutes les routes, ils passèrent par les déserts et,
grâce à leur prudence, parvinrent à atteindre les chaînes des
Ketama, et s'établirent à Guédjal, dans le territoire occupé actuel-
lement par les Djimela, près de Sétif. Le chef de ces indigènes,
]Mouça-beii-rioreïth, un de ceux qui revenaient d'Orient, protégea
l'établissement du missionnaire dans cette localité qui fut appelée
par lui : Le col des gens de bien \Fedj-el-Al\hiar). Ce nom
n'avait pas été pris au hasard: Abou-Abd-Allah annonça, en eifet,
que le Mehdi lui avait révélé qu'il serait forcé de fuir son pays et,
de même que le prophète, d'avoir une hégire, et qu'il serait sou-
tenu par des gens de bien (ses Ansars), dont le nom serait un
dérivé du verbe hafama (cacher).
Ces moyens, habilement choisis, devaient réussir auprès de
gens ignorants tels que les montagnards du Mag'reb. Aussi les
Ketama, flattés d'être choisis pour le rôle d'Ansars du nouveau pro-
phète, vinrent-ils en foule se ranger sous la bannière du da'i
chiaïte. Ces faits se passèrent sans doute entre les années 890 et
893, car la date de l'arrivée d'Abou-Abd-AUah en Afrique est
incertaine.
XorVELLES LUTTES d'IbRAHIM CONTRE LES REVOLTES. ^'erS le
même temps, le gouverneur ar'lebile Ibrahim, qui venait de faire
périr ses propres filles, ses favorites et un grand nombre de ser-
1. Ibii-Klialdoun, t. II, p. 509, et Ibii-Hammad, frad. Cherbonneau,
Rev. afr., nos 72-78.
LES DERNIERS AR I.EniTES (894
295
viteurs, attira par ses promesses les principaux chefs du Zab et de
Bellezma, à Rakkada ; puis il les fit massacrer et s'empara de
leurs richesses. Un millier d'indigènes périrent, dit-on, dans ce
pruet-à-pens, qui eut pour effet de jeter un grand nombre de
Berbères, et particulièrement des Ketama, dans les bras du chiaïte,
car les gens de Bellezma étaient leurs suzerains '.
Cependant Ibrahim, apprenant la propagande que faisait Abou-
Abd-AUah, lui écrivit pour lui enjoindre d'avoir à cesser toute
prédication. Le chiaïte répondit par une lettre injurieuse. Le
prince ar'lebite donna aussitôt aux commandants des contrées
voisines l'ordre de marcher contre les rebelles. A l'approche du
danger, les Ketama commencèrent à se repentir de leur audace, et
plusieurs chefs émirent l'avis d'expulser le chiaïte; mais les
Djimela prirent sa défense, et, soutenu par eux, Abou-Abd-Allah
vint se retrancher à Tazrout, non loin de Mila où habitait la tribu
ketamienne de R'asman-.
Tandis que ces événements s'accomplissaient dans les montagnes
des Ketama, une révolte importante éclatait aux en^'irons de
Tunis. La péninsule de Cherik, la ville de Tunis, celles de Badja
et d'El-Orbos, enfin la ville et la montagne de Gammouda, au sud
de Kaïrouan, s'étaient lancés dans la rébellion. Inquiet des pro-
portions que prenait ce soulèvement. Il)rahim fit renforcer d'abord
les retranchements de Rakkada, afin d'y trouver un refuge contre
toute éventualité, puis il envoya dans la péninsule de Cherik une
armée qui dispersa les insurgés ; leur chef fut mis en croix. En
même temps, deux généraux, l'eunuque Meïmoun et le général
Ibn-Naked commençaient le siège de Tunis, pendant que l'eu-
nuque Salah allait faire rentrer dans le devoir la province de
Gammouda.
Bientôt, les troupes ar'lebites entrèrent victorieuses à Tunis et
mirent cette ville au pillage. Douze cents des principaux citoyens
furent réduits en esclavage et envoyés à Kaïrouan. Quand, à Tunis,
on fut las de tuer, les cadavres furent, par l'ordre d'Ibrahim,
chargés sur des charrettes pour être promenés dans les rues de
la capitale, aux yeux des habitants (mars 894)
Expédition d'Ibrahim contre les Toulounides d'Egypte. — Peu
de temps après, Ibrahim transporta le siège de son gouvernement
1. Selou le Baian, les habitants de Bellezma étaient de race arabe et
descendaient des miliciens qui y avaient été placés eu garnison.
2. Ibn-Klialdouu, t. II, p. 512 et suiv.
3. Eu-Nouéiri, p. 429.
296
HISTOIRE DE L AFRIQUE
à Tunis et construisit, à cette occasion, plusieurs châteaux dans
cette ville. Deux ans plus tard, il résolut de mettre à exécution
un projet qu'il méditait depuis longtemps et qui n'était rien moins
que l'invasion de l'Egypte. Cette province était alors gouvernée
par Djaïch, petit-fils d'Ahmed-ben-Touloun, et l'on se demande
si le prince ar lebite voulait tirer une vengeance tardive de l'agres-
sion d'El-Abbas, ou s'il avait réellement la pensée de conquérir
l'Egypte.
Ayant rassemblé une armée nombreuse, il se mit à sa tête et
prit la route de l est (896). Parvenu dans la province de Tripoli,
il se heurta contre les Nefouça en armes et disposés à lui barrer
le passage. Un combat sanglant s'ensuivit, et, comme les héré-
tiques berbères avaient l'avantage de la position, les troupes ar'le-
bites plièrent, après avoir vu tomber leur chef Meïmoun. Mais
Ibrahim, ayant lui-même rallié ses soldats, attaqua les rebelles
avec impétuosité et les mit en déroute. Le plus grand carnage
suivit cette victoire ; le gouverneur se fit amener les principaux
chefs prisonniers et s'amusa à les percer lui-même de son javelot;
il ne s'arrêta, dit-on, qu'au chiffre de cinq cents selon En-Noue'iri
et de trois cents d'après le Baïaii.
Ibrahim fit alors son entrée à Tripoli. Cette ville était com-
mandée par son cousin Abou-l'Abbas-Mohammed, fils de Ziadet-
Allah II, homme instruit, d'un esprit élevé et qui jouissait d'une
certaine influence. Sans aucun autre motif que la jalousie, Ibrahim
le fil mettre en croix. On dit cependant qu'il avait reçu du khalife
El-Motadhed une missive lui reprochant ses cruautés et lui ordon-
nant de remettre le pouvoir à son cousin et qu'il aurait répondu
à cette injonction par le meurtre du malheureux Abou-l'Abbas et
de sa famille. Mais ces faits, rapportés par le Baïan, seul, ne sem-
blent pas probables et l'on doit croire plutôt que le prince ar'le-
bite a cédé, une fois de plus, à un de ses caprices sanguinaires.
Continuant sa roule vers l'est, Ibrahim parvint jusqu'à Aïn-
Taourglia, au fond du golfe de la grande Syrie. Son armée irritée
et en"rayée des cruautés qu elle lui avait vu commettre à Tripoli
ne le suivait qu'à contre-cœur. De nouvelles violences achevèrent
de détacher de lui ses soldats et il se vil abandonné par la plus
grande partie de l'armée. F"orce lui fui alors de rebrousser chemin
et de rentrer à Tunis. Son fils, Abou-l'Abbas-Abd-AUah resta en
Tripolitaine pour achever la soumission des Nefouça.
Abdication d'Ibrahim. — En l'année 901, les habitants de Tunis,
1. En-Nouéiri, p. 430.
LES DERNIERS Ar'lEBITES (901)
297
qui avaient tant souffert de la tyrannie d'Ibrahim, réussirent à
faire entendre leurs léf^itimes réclamations par le khalife. La sup-
plique qu'ils lui adressèrent à cette occasion était si éloquente
qu'El-Motadhed envoya aussitôt un officier en Ifrikiya, pour
enjoindre à Ibrahim de déposer le pouvoir et le transmettre à son
fils Abou-l'Abbas, après quoi il aurait à se rendre à Bagdad pour
expliquer sa conduite. Le gouverneur ar'lebite reçut ces ordres à
Tunis, vers la fin de l'année 901 ; il fit au délégué le plus brillant
accueil et rappela de Sicile son fils pour lui remettre le pouvoir.
Il prétendit alors avoir été touché de la grâce divine, se revêtit
de vêtements grossiers, fit mettre en liberté les malheureux qui
remplissaient les prisons, et se prépara à effectuer le pèlerinage
imposé à tout musulman. Ayant abdiqué au profit d'Abou-l'Abbas
(février-mars 9021, il prit la roule de l'Orient; mais, parvenu à
Souça, il suspendit sa marche, séjourna dans une petite localité
voisine, nommée Nouba, incertain sans doute sur le parti qu'il
prendrait; puis, dans le mois de juin, il s'embarqua pour la Sicile
et aborda heureusement à Trapani '.
Evénements de Sicn.E. • — Les révoltes dont l'Ifrikiya était le
théâtre avaient entravé, dans les dernières années, les succès des
Musulmans en Sicile, et les rivalités qui divisaient les Berbères et
les Arabes a\'aient causé le salut des chrétiens, car, sans cela, ils
se seraient vus expulsés de leurs derniers refuges. Vers l'an 895, une
sorte de Ivéve fut conclue entre eux et les Musulmans, puis, tous
unis dans le même sentiment, se mirent en révolte contre l'autorité
ar'lebite. Ibrahim était alors trop occupé en Afrique pour avoir le
loisir de combattre les rebelles de Sicile ; aussi, durant trois an-
nées, restèrent-ils dans l'indépendance. Mais, en 898, des discus-
sions s'élevèrent entre eux et eurent pour résultat de les pousser
à livrer leurs chefs au gouverneur ar'lebite qui les fil périr. Ibrahim
envoya comme gouverneur, en Sicile, un de ses parents, nommé
Abou-Malek, homme de nulle valeur ; aussitôt la guerre civile re-
commença et désola l'île pendant toute l'année 899. Abou-l'Abbas,
fils d'Ibrahim, nommé gouverneur, arriva en Sicile, dans le cou-
rant de l'été 900, à la tête d'une puissante armée. Au mois de sep-
tembre suivant, il entrait en triomphateur à Palcrme, après une
campagne brillamment conduite.
Pour occuper les Musulmans, Abbou-l'Abbas attaque les chré-
tiens de Taorniina et assiège Calane, mais sans succès. En 901, il
porte son camp à Demona, d'où il est bientôt délogé par une armée
1. Eu-Nouéiri, p. 431 et suiv. Ainari, Storia, t. 11, p. 76 et suiv.
298
HISTOIRE DE L AFRIQrE
byzantine arrivée d'Orient. Il va alors surprendre et enlever Mes-
sine, où il fait 17,000 prisonniers, et s'empare d'un butin considé-
rable. Au mois de juillet suivant, il fait une expédition en Italie
et revient à la fin de l'année dans l'île. Sous la main ferme de ce
prince, la Sicile avait recouvré un peu de tranquillité, lorsqu'en
902, il fut appelé en Afrique pour prendre le fardeau de l'autorité
suprême ' .
Evénements d'Espagne. — En Espagne, le sultan Mohammed avait
continué à ré;;ner sans f^loire. occupé à lutter contre les chefs indé-
pendants qui, de tous côtés, profitaient de l'affaiblissement de
l'autorité centrale, pour se créer de petites royautés, le plus sou-
vent avec l'appui des chrétiens. Le midi restait soumis à l'autorité
des oméïades, lorsque, vers 881, un certain Omar-ben-Hafçoun,
d'une famille d'nrif;ine wisijïolhe, réunit une armée de partisans
presque tous rcnéfjats, las du joujx musulman, et tint la campa^^ne
contre le sultan. Dans le courant de l'été 886, Moundhir, héritier
présomptif du trône oméïade, diriy-ea une expédition heureuse contre
ces aventuriers et était sur le point de les forcer dans leur dernière
retraite, lorsqu'il apprit la mort de son père (4 août . Forcé de
lever le siège pour aller prendre possession du trône, il dut laisser
le champ libre à Omar, qui se fit reconnaître comme souverain par
la plus j;rande partie des populations du midi. Une truerre acharnée
contre ce compétiteur occupa tout le règne de Moundhir, qui
mourut le 29 juin 888, pendant qu'il assiégeait encore Omar. Aus-
sitôt, l'armée prit, en désordre, la route de Cordoue.
Abd-Allah succéda à son frère Moundhir. Il prenait le pouvoir
dans des circonstances très critiques, car, non seulement les pro-
vinces, les cantons, les villes tendaient à se déclarer indépendants,
mais encore l'aristocratie arabe relevait la tète dans la capitale
même.
Pour être entièrement à l'abri des entreprises d Ibn-Hafçoun,
le sultan lui olfrit le gouvernement de Regio, à la condition qu'il
reconnaîtrait le prince oméïade comme son suzerain. Cette ten-
dance au fractionnement, qui devait être si préjudiciable à la domi-
nation musulmane, n'était que l'elTet de la réaction des indigènes,
devenus sectateurs de l'Islam, et des Berbères, contre la domi-
nation des Arabes d'Orient.
A chaque instant, des massacres, comme ceux d'Elvira et de Sé-
ville-, manifestaient le sentiment général et la persistance de la ri-
1. Amari, Storia dei Mus., t. II, p. 52 et suiv.
2. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II. p. 210 et suiv., 243 et suiv.
LES DERNIERS Ar'lEBITES (891)
299
valité desmaadites et des Yéménites empêchait les Arabes de s'unir
pour résister à l'ennemi commun. Bientôt la lutte prit un caractère
d'extermination féroce; Espagnols et Arabes s'entretuèrent et Ibn-
Hal'çoun, comme on peut le deviner, prit une part active à la
guerre civile. « A cette époque — (^91) dit Dozy ' — presque
toute l'Espagne musulmane [moins Séville), s'était affranchie de la
sujétion. Chaque seigneur arabe, berbère ou espagnol, s'était ap-
proprié sa part de l'héritage des Oméïades. Celle des Arabes
avait été la plus petite. Ils n'étaient puissants qu'à Séville, partout
ailleurs ils avaient beaucoup de peine à se maintenir contre les
deux autres races ». Telle était la situation de l'Espagne à la fin
du ix" siècle.
En 870, Ibn-Hafçoun, après être entré en pourparlers avec le
gouverneur ar'lebite et le khalife lui-même, leur offrant de rétablir
l'autorité abbasside en Espagne, attaqua le prince oméiade, mais il
fut vaincu dans une sanglante bataille (avril 891). Cette victoire
avait rendu à Abd-Allah quelques places. Cependant Ibn-Hafçoun,
qui avait en vain réclamé des secours des ar'lebites, ne tarda pas à
reprendre l'olfensive et le succès couronna de nouveau ses armes.
Pendant de longues années on lutta de part et d'autre avec des
chances diverses et enfin, dans les premières années du x'^ siècle,
le prince oméïade finit par triompher de ses ennemis et ralfermir
son trône-.
1. Dozy, /. c, p. 2.59.
2. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 311 et siiiv. El-Marrakchi,
Dozy, p. 17 et suiv.
CHAPITRE VIII
ÉTABLISSEMENT DE L EMPIRE OBÉIDITE ; CHUTE DE L AUTORITÉ
ARABE EN IFRIKIYA
902-909
Coup d'œil sur les événements antérieurs et la situation de l'Italie méri-
dionale. — Ibrahim porte la guerre en Italie. — Progrès des Chiaïtes.
— Victoire d'Abou-Abd-Allah chez les Ketama. — Court règne d'Abou-
l'Abbas; son fils Ziadet-Allah lui succède. — Le mehdi Obeïd-Allah passe
en Mag'reb. — Campagnes d"Abou-Abd-Allah contre les Ar'lebites, ses
succès. — Les Chiaïtes marchent sur la Tunisie. Fuite de Ziadet-AUah IIL
— Abou-Abd-AUah prend possession de la Tunisie. — Les Chiaïtes vont
délivrer le mehdi à Sidjilmassa. — Retour du mehdi Obeïd-Allah en
Tunisie; fondation de l'empire obéidite.
APPENDICE
C 11 R 0 .N 0 L 0 G Ii; DES GOUVERNEURS AR'LEBITES
Corp d'ccil sl'r les événements antérieurs et la situation de
l'Italie méridionale. — Au moment où renchaînement des faits
va nous amener en Italie, il est nécessaire de jeter un rapide coup
d'œil sur les événements survenus depuis un demi-siècle dans cette
péninsule, afin de bien préciser les conditions dans lesquelles elle
se trouvait. Nous avons vu précédemment que la situation de
l'empire, dans le midi de l'Italie, était devenue fort précaire; un
grand nombre de principautés composées le plus souvent d'un
canton ou de républiques constituées par une ville et sa banlieue,
s'étaient formées dans la rétcion centrale.
Attaqués au nord par les Longobards, au midi par les Byzan-
tins, exposés à l'ouest aux incursions des Musulmans de Sicile, en
guerre les uns contre les autres, ces petits états se trouvaient
souvent dans une situation critique qui les forçait à se jeter
dans les bras de leurs ennemis. C'est ainsi qu'en 830 les
Musulmans de Sicile portèrent secours à Naples contre les Longo-
bards. Appelés de nouveau en Italie, à la suite de la guerre entre
Bénévent d une part, et Salerne et Capoue de l'autre, les .Arabes
ÉTABLISSEMENT DE l'eMPIRE OBÉIDITE (867)
301
conquirent des places dans la Calabre, s'emparèrent de Tarente et,
remontant l'Adriatique, firent des incursions jusqu'aux bouches
du Pô
Après plusieurs années de luttes, avec des péripéties diverses,
les Musulmans, alliés au duc de Bénévent, conservent Bari, sur la
terre ferme, et y fondent une colonie. Appuyés sur cette place, les
Arabes de Sicile font de nombreuses incursions sur le continent;
vers 846, ils osent attaquer Rome, mais sont repoussés sans avoir
obtenu d'autre satisfaction que de saccager la basilique de Saint-
Pierre-et-Saint-Paul-hors-les-Murs. Une seconde fois, en 849, ils
préparent une nouvelle et formidable expédition contre la ville
éternelle, mais la tempête disperse et détruit leur flotte, et leur
entreprise se termine par un véritable désastre-.
En 851 les guerres intestines qui divisaient les chrétiens pren-
nent fin. L'ancien état de Bénévent est divisé en deux princi-
pautés, Salerne et Bénévent, et il est décidé qu'on ne recourra
plus au secours des Musulmans. Le gouverneur de Sicile accourt
pour protéger les Arabes d'Italie ; il obtient de grands succès et
ne rentre dans l'île qu'après avoir assuré la sécurité de Bari. Le
chef de cette colonie, Mouferredj-ben-Salem, prend alors le litre
de sultan et s'adresse au khalife abbasside pour être reconnu indé-
pendant. Bari devient le refuge de tous les aventuriers, de tous
les brigands musulmans ; de ce repaire, partent des bandes qui
portent sans cesse le ravage dans l'Italie et, pendant ce temps,
Bénévent lutte contre Salerne, Naples contre Capoue, Capoue
contre Salerne, les Gapouans, les uns contre les autres.
L'empereur Lodewig appelé comme un libérateur arrive en
867 en Italie, à la tête d'une armée nombreuse, met le siège devant
Bari et presse en vain, pendant deux ans, cette ville sans cesse
ravitaillée par mer. Il s'allie, dans l'espoir d'en triompher, avec
l'empereur d'Orient et avec Venise, afin de pouvoir agir sur mer.
Mais les Napolitains envoient secrètement des secours à Bari ; en
même temps, la discorde ayant éclaté parmi les alliés, les Byzantins
se retirent. Lodewig, qui n'a plus avec lui qu'une poignée
d'hommes, se jette en désespéré à l'assaut de Bari, enlève cette
ville et fait le sultan prisonnier. Pour assurer les effets de sa vic-
toire, il se dispose à poursuivre les Musulmans dans leurs repaires
et à punir Naples de sa trahison ; mais une nouvelle ligue est con-
clue contre lui entre Bénévent, Salerne et Naples. Abandonné de
tous, Lodewig est, à son tour, vaincu et fait prisonnier.
1. Amari, Musulmans de Sicile, t. I, p. 358 et suiv.
2. Muralori, Vie de Léon IV, t. IIL
30-2
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
En 871, les Ar lebites de Sicile effectuèrent une garantie expédi-
tion en Italie, dans l'espoir de récupérer leur conquête ; mais le
résultat fut peu favorable et ils eurent encore à lutter contre les
troupes envoyées par Lodewig- au secours des Capouans et des
Salernitains.
A'ers S75, les Byzantins tenaient une partie de la Calabre et le
territoire d'Olrante, le reste de cette province était aux Musul-
mans. De là, jusqu'aux confins de l'Etat de rEf,dise, le prince de
Bénévent occupait le versant oriental de l'Apennin. Le versant
occidental était tenu, au midi, par la principauté de Salerne, au
nord par celle de Capoue, et au milieu d'elles vivaient indépen-
dantes les républiques de Xaples, Amalii, Gaëte. soit six Etats en
guerre les uns contre les autres '.
De 876 à 880, les Musulmans, soutenus par Xaples, Amalfi et
Gaëte, luttent avec acharnement contre les Byzantins ; mais
ceux-ci, habilement commandés par Xicéphore Phocas, les chas-
sent successivement de la Calabre et d'une partie de la Fouille.
Dans le même temps, les gens de Capoue, soutenus par les Mu-
sulmans, luttent contre le pape et ravagent la campagne de Rome.
Amalfi, Gaëte, Naples, Spolète, Bénévent, se battent ensemble avec
rage. Les Arabes, dont l'alliance est fort recherchée, en profitent
pour établir une nouvelle colonie à Carigliano, et de là, porter le
ravage dans la Terre de labour. L'abbaye du Mont-Cassin , qui
avait toujours été respectée, est mise à sac et brûlée. Le Mont-
Cassin est bientôt relevé de ses ruines et devient un monastère
fortifié dont l'abbé a un petit état confinant à celui du Saint-Siège.
A la fin du ix* siècle, des groupes de condottiers musulmans,
venus d'Afrique ou de Sicile, restent établis dans le pays, vivant
de rapines et offrant leurs bras aux tyrans'.
Ibrahim porte la guerre en Italie. — Sa .mort. — Débarqué
à Trapani, à la lin de mai 902, Ibrahim-ben-el-Ar'leb commença
par réorganiser l'armée. Dans le mois de juillet, il marcha sur
Taormina, qui était alors la capitale byzantine, et l'enleva d'assaut,
le août, malgré l'héroïque défense des chrétiens. Il fit faire un
massacre horrible de la population et incendia la ville. Après ce
succès, Ibrahim divisa ses forces en quatre corps, de façon à enve-
lopper les dernières possessions chrétiennes ; mais il fut alors
appelé en Italie et, le 3 septembre, traversa le détroit. Débarqué
1. Amari, Musiilrna/is de Sicile, t. I, p. 434 et suiv.
2. Ibid., t. I, p. 458 et suiv.
ÉTABLISSEMENT DE l'kMPIUE OliÉlDITE (902)
303
en Galabre avec son armée, il arriva devant Coscnza. Des envoyés
chrétiens étant venus humblement solliciter la paix, il leur dit :
(i Retournez auprès des vôtres, et dites-leur que je vais m occuper
« de toute l'Italie et disposer de ses habitants comme il me plaira.
« Les princes. Grecs ou Francs, espèrent peut-être me résister et
« m'attendent, à cet elYet, avec toutes leurs troupes. Restez donc
« dans vos villes. Rome aussi, la cité du vieux Pierre, m'attend
« avec ses soldats «germains; j'y passerai éj^alement, puis ce sera
« le tour de Gonstanlinople. »
Tout le monde s'enfuit devant lui, et la terreur s'étendit jusqu'à
Naples. Le l" octobre, Ibrahim commença le siè<;e de Gosenza ;
mais la maladie était dans l'armée et, malj^ré toute son ardeur, le
vieux gouverneur ne put se rendre maître de la place. Atteint lui-
même par l'épidémie, il mourut le 23 octobre, dans sa cinquante-
quatrième année « après vinj;t-six ans de tyrannie et six mois de
pénitence », dit M. Amari
Aussitôt après sa mort, les capitaines se mutinèrent et élurent
son petit-fils, Ziadet-Allah, en le chargeant de les ramener en
Afrique. Ce prince qui avait, paraît-il, été désigné par son aïeul,
n'accepta le pouvoir qu'avec une grande répugnance; il s'empressa
d'accorder la paix aux gens de Gosenza, puis il passa en Sicile et
rentra en Il'rikiya Le corps d'Ibrahim fut rapporté en Afrique
et enterré à Kaïrouan.
Progrès des Chiaïtes.- — Victoires D'Anou-AnD-ALLAn chez les
Ketama. — Pendant que ces faits se passaient en Europe, l'Afrique
était le théâtre d'événements non moins graves. Après le mouvement
hostile qui s'était prononcé parmi les Ketama contre Abou-Abd-
AUah, sous l'empire de la terreur causée par l'annonce de l'attaque
prochaine des Ar'lebites, plusieurs combats avaient été livrés entre
les tribus fidèles et les partisans du chia'ite. L'avantage était resté
à ce dernier; il avait vu le noyau de ses adhérents se grossir de
ces masses qui suivent toujours le vainqueur. Les gens de Bellezma,
les Lehiça, les Addjana, fractions ketamiennes, quelques groupes
de Sanhadja, tribu restée jusqu'alors fidèle aux Ar'lebites, et enfin
une partie des Zouaoua, montagnards du Djerdjera, se déclarè-
rent pour Abou-Abd-AUah.
Pendant que le chia'ite recueillait ces soumissions, un chef de
la fraction ketamienne des Latana, nommé Ftali-ben-Yahïa, qui
s était montré l'adversaire déclaré du novateur, se rendit à Rak-
1. Amari, /. c, t. II, p. 93.
2. Eu-Nouéïri, p. 431 et suiv.
304
HISTOIRE DE i/aFRIQUE
kada, dans l'espoir de déterminer le {gouverneur à entreprendre
une campar;ne sérieuse contre les rebelles. Au même moment,
Abou-Abd-Allah s'emparait par trahison de Mila et mettait à
mort le commandant de ce poste. Le fds de ce chef, qui avait par
la fuite évité le sort de son père, vint à Kaïrouan, où il retrouva
P^tah, et tous deux redoublèrent d'efforts pour obtenir vengeance.
Cédant à leurs instances, Abou-l'Abbas se décida à envoyer contre
les Ketama un corps de troupes, sous la conduite de son fils Abou-
TKaoual (902).
Abou-.\bd-.\llah fit marcher à la rencontre de l'ennemi un
groupe de ses adhérents, mais les troupes régulières les ayant
dispersés sans peine, il dut évacuer précipitamment la place forte
de Tazrout pour se réfugier dans son quartier-général de Guédjal,
situé au milieu d'un pays coupé et d'accès diffîcile
Abou-l'Kaoual, après avoir démantelé Tazrout, essaya de relancer
son ennemi dans sa retraite, mais en s'avançant au milieu du dé-
dale des montagnes ketamiennes, il reconnut bientôt qu'il ne
pourrait, sans s'exposer à une perte certaine, continuer la cam-
pagne dans un tel terrain. Les Berbères surent profiter habilement
de son indécision et du découragement qui gagnait son armée pour
le harceler, surprendre les corps isolés, et enfin le forcer à évacuer
le pays. Débarrassé de ses ennemis, le daï chiaïle s'établit, d'une
façon définitive, à Guédjal, dont il fit sa ville sainte et qu'il appela
Diir-el-IIidjera (la maison du refuge).
Court règne d' Abou-l'Abbas. — Son fils Ziadet- .Allah lui
SUCCÈDE. — La défaite des troupes ar'lebites coincida avec le décès
d'Ibrahim.
Le prince Abou-l'Abbas ne prit oiïîciellement le titre de gou-
verneur qu'après la mort de son père. 11 gouverna avec une
grande modération, et l'on put croire qu'une ère de justice allait
succéder à la terreur du règne précédent. Malheureusement il fut
bientôt obligé de sévir contre son propre fils, Ziadet- Allah, qui,
se fondant sur les dispositions prises devant Cosenza, lors du décès
de son aïeul, aspirait directement au trône. Il fut jeté dans les
fers, avec un grand nombre de ses partisans, pour prévenir un
attentat qui ne devait que trop bien se réaliser plus tard^
Malgré les embarras qui l'assaillirent au début de son règne,
Abou-l'Abbas, comprenant toute la gravité des progrès des
1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 513 et suiv.
2. En-Noiiéïri, p. 439.
ÉTABLISSEMENT DE l'eMPIRE OBÉIDITE (903)
305
Chiaïtes, envoya contre eux, pour la seconde fois, son autre fils
Abou-l'Kaoual ; mais le jeune prince n'eut pas plus de succès dans
celte campagne que dans la précédente, et dut se contenter de
s'établir dans un poste d'observation près de Sétif
Peu de temps après, c'est-à-dire le 27 juillet 903, le gouverneur
ar'lebite tomba, à Tunis, sous les poignards de trois de ses eunu-
ques, poussés à ce crime par son fils Ziadet-Allah, du fond de sa
prison. Après avoir accompli leur forfait, les assassins vinrent
annoncer à celui qui les avait gagnés que son père n'existait plus,
mais le parricide, craignant quelque piège, ne voulut pas se laisser
mettre en liberté avant d'avoir la certitude du meurtre. Les
eunuques, étant donc retournés auprès du cadavre, lui coupèrent
la tête et l'apportèrent à Ziadet-Allah, qui, devant cette preuve
irrécusable, consentit à ce qu'on brisât ses fers. Abou-l Abbas
avait montré, pendant son court séjour aux affaires, des qualités
remarquables. C'était un prince instruit et d'un esprit élevé, digne
en tout point du nom ar'lebite.
Quant à Ziadet-Allah, qui n'avait pas craint de parvenir au
trône par le meurtre de son père, il était facile de prévoir ce que
serait son règne. Un de ses premiers actes fut d'ordonner le sup-
plice des eunuques qui avaient assassiné Abou-l'Abbas. Il fit pro-
clamer son avènement dans les mosquées de Tunis et envoya aux
gouverneurs des provinces l'ordre de l'annoncer officiellement. Il
se livra ensuite à tous les déportements de son caractère, qui avait
la férocité de celui d'Ibrahim, sans en avoir le courage, ^'ingt-
neuf de ses frères et cousins furent, par son ordre, déportés dans
l île de Korrath-, puis mis à mort. Cela fait, il envoya à son frère
Abou-l Kaoual, qui opérait dans le pays des Ketama, une lettre écrite
au nom de leur père, lui enjoignant de rentrer. Le malheureux
prince, ayant obtempéré à cet ordre, subit le sort de ses parents^.
Le meiidi Obéïd-Allau passe en Mag'reb. — Quelque temps
avant les événements que nous venons de rapporter, Mohammed-
el-Habib, troisième imam-caché, était mort en Orient, laissant
son héritage à son fils Obeïd-.Allah. Se sentant près de sa fin, il
lui avait adressé ces paroles : <( C'est toi qui es le Mehdi j après
« ma mort, tu dois te réfugier dans un pays lointain où tu auras
« à subir de rudes épreuves * ! »
1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 514.
2. Yis-à-vis l'extrémité occidentale du golfe de Tuuis.
3. En-Nouéïri, p. 440 et suiv.
1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 515. II est à remarquer que la flu
des siècles de l'hégire est toujours favorable à l'apparition des Mcdhi.
T. I. 20
306
msToiRi; DE l'afrique
Pour se conformer à sa destinée, Obéïd-Allah, qui était alors
âgé de dix-neuf ans, quitta, après le décès de son père, la ville de
Salemïa et voulut d'abord se diriger vers l lémen. Il était accom-
pagné de son jeune Hls, Abou-l Kacem et de quelques serviteurs.
En chemin, il apprit que les partisans de son père en Arabie
avaient presque abandonné sa doctrine, et ne paraissaient nulle-
ment disposés à le recevoir. 11 était donc fort indécis, lorsqu'il
reçut un message d'Abou-Abd-AUah, apporté de Mag reb par
Abou-l'Abbas, frère de celui-ci, accompagné de quelques chefs
ketamiens. Le fidèle missionnaire le félicitait de son avènement,
comme imam, et l'engageait à venir le rejoindre en Afrique, où
son parti devenait de jour en jour plus puissant.
Ces bonnes nouvelles décidèrent Obeïd-Allah à gagner l'Occi-
dent. Mais l'annonce de 1 apparition du Mehdi attendu par les
Chia'ites s'était répandue. Le khalife, El-Moktefi, ordonna de le
rechercher avec le plus grand soin ; son nom et son signalement
furent adressés aux gouverneurs des provinces les plus reculées, et
ordre fut donné de le saisir partout où on le découvrirait.
Obéïd-Allah parvint cependant à passer en Egypte, sous l'habit
d'un marchand, car, selon l'énergique expression arabe, « les
« yeux étaient aiguisés sur lui ' ». Arrêtés au Caire par le gouver-
neur de cette ville, les voyageurs ne recouvrèrent leur liberté que
grâce à l'habileté de leurs réponses; ils purent alors continuer
leur route, mais en redoublant de prudence. Lorsqu'ils furent
arrivés à la hauteur de Tripoli, le mehdi garda avec lui son fds, et
envoya en avant ses compagnons et sa mère, sous la conduite
d'-A-bou-l'Abbas, frère d'Abou-Abd-Allah. afin d'annoncer son
arrivée aux Ketama.
La petite caravane, grossie de quelques marchands, négligea
toute précaution, et au lieu de prendre la route du sud, vint
passer à Kaïrouan. Mais les ordres donnés étaient tellement
sévères, que personne ne pouvait demeurer inaperçu. Abou-
l Abbas fut arrêté avec tout son monde et conduit à Ziadet-Allah.
Devant ce prince le daï fut impénétrable : ni menaces, ni pro-
messes, ne purent lui arracher son secret. Quelqu'un de la suite
ayant déclaré qu'il venait de Tripoli, le gouverneur ar'lebite
devina sans doute que le mehdi devait être dans cette région, car
il donna l'ordre de l'arrêter-.
Cette fois encore, Obéïd-Allah, prévenu à temps, put échapper
1. Ibu-Hammad, dout Cherbonueau a douué une traduction dans le
Journal asiatique et dans la Revue africaine, n" 72.
2. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 516.
ÉTABLISSEMENT DE i/eMPIRE OBÉIDITE (903)
307
par une prompte fuite. Il gagna probablement Tintérieur et, repre-
nant sa marche vers l'ouest, traversa le pays de Kastiliya, et vint
passer près de Constantine. De là il aurait pu, sans doute, se
rendre chez les Ketama, et cependant il continua sa fuite, ne vou-
lant pas, s'il se découvrait, saciùfier Abou-l'Abbas qui était resté
entre les mains de Ziadet-Allah'. Ne devail-il pas, du reste,
accomplir la prophétie de son père : « ...Tu dois te réfugier
dans un pays lointain, où lu subiras de rudes épreuves ! » Il fal-
lait au mehdi des aventures extraordinaires, et, opérer sa jonction
avec Abou-Abd-Allah, c'eût été le triomphe sans les épreuves. Il
continua donc à errer en proscrit.
Campagnes d'Abou-Abd-Allaii contre les ar'leisites. Ses succès.
— Pendant ce temps, Abou-Allah-Allah achevait de conquérir au
mehdi un empire. — Après le départ d'Abou-l'Kaoual, seul obs-
tacle qui s'opposât à sa marche, il réunit tous ses adhérents et
vint audacieusement mettre le siège devant Sétif. Le gouverneur
de cette ville, soutenu, dit-on, par quelques chefs ketaniens
demeurés fidèles, essaya une résistance désespérée ; mais lorsque
tous furent morts en combattant, la place capitula et fut rasée
par les Chia'ites vainqueurs.
A cette nouvelle, le prince ar'lebite envoya, contre les rebelles,
un de ses parents, nommé Ibn-Hobaïch, avec une très nombreuse
armée. Ces troupes vinrent se masser près de Constantine, où
elles perdirent un temps précieux ; puis, elles s'avancèrent jusqu'à
Bellezma, et, près de cette localité, offrirent la bataille aux Ketama,
qui avaient marché en masse à leur rencontre. La victoire se dé-
clara pour les Chiaïtes. Ibn-Hobaïch se replia en désordre, avec
les débris de son armée, à Bar'aï, d'où il gagna ensuite Kaïrouan.
Profitant de ses avantages, Abou-Abd-Allah se porta surTobna
avec une partie de son armée et divisa le reste en deux corps,
qu'il envoya opérer sur ses flancs. Tobna, puis Bellezma, tombè-
rent en son pouvoir. En même temps, un de ses généraux s'em-
parait de la place de Tidjist^, et accordait à la garnison une capi-
tulation honorable. En revanche, le général Ilaroun-et-Tobni,
ayant poussé une pointe audacieuse sur les derrières des Chiaïtes,
vint surprendre et brûler la place de Dar-Melloul, près de
Tobna .
En somme, la cause des Chiaïtes obtenait de constants avan-
tages, et les populations, attirées autant par l'appât de la nou-
1. C'est du moins l'opinion d'Ibn-el-Athir.
2. L'antique Tigisis (ou Ticisis), à une douzaine de lieues au sud de
Constantine.
308
IlISTOIRI- DE l'aFRIQUE
veauté, que par la clémence et la justice d'Abou-Abd-Allah,
accouraient ?e ranger autour de lui. Le ijouverneur ar lebite.
voyait le danger approcher, mais ses prédécesseurs avaient négligé
d'écraser l'ennemi quand il n'avait aucune force, et maintenant il
était trop lard. Les rebelles tenaient déjà les principales places de
l'ouest, et Ziadet-.\llah pouvait s'attendre à les voir paraître d'un
jour à l'autre et mettre le siège devant sa capitale. Dans celte
prévision, il lit réparer les fortifications de Kaïrouan et des places
environnantes ; en même temps, il vidait le trésor public pour
lever des troupes et les opposer à l'ennemi.
En 907, le gouverneur ar'lebile se porta, avec une armée, contre
les Chiaïtes, qui opéraient sur les versants de l'Aourès. Mais,
parvenu à El-Orbos, il ne jugea pas prudent de s'avancer davan-
lage et rentra à Rokkada, laissant le général Ibrahim-ben-el-Ar'leb
en observation avec un corps de troupes. Ziadet-AUah fit renforcer
les fortifications de son château et, sans se préoccuper davantage
du danger qui le menaçait, il se plongea de plus en plus dans la
débauche.
Sur ces entrefaites, Abou-Abd-Allah s'empara successivement
de Bar'a'i et de Mermadjenna ; puis il réduisit les Iribus nef-
zaouiennes et s'avança jusqu'à Tifech dont il reçut la soumis-
sion. Il rentra alors dans son centre d'opérations, afin de préparer
une nouvelle campagne; mais aussitôt, le général Ibrahim, arrivant
à sa suite, reprit une partie du territoire conquis, avec Tifech.
Bientôt, le daï chia'ite reparut dans l'est ; laissant derrière lui
Constantine, qu'il n'osa attaquer, en raison de sa position inexpu-
gnable, il vint enlever la Meskiana et Tebessa. Pénétrant ensuite
en Tunisie, il réduisit la ville et le canton de Gammouda et s'avança
sur Rokkada. jNIais il avait trop présumé de ses forces. Bientôt,
en effet, le général Ibrahim, accouru avec toutes ses troupes dispo-
nibles, lui livra bataille et le mit en déroute; les Chia'ites s'enfui-
rent en désordre par tous les défilés. Abou-Abd-Allah, lui-même,
ne s'arrêta qu'à Guédjal. Cette victoire des Ar'lebites eut pour
résultat de faire rentrer momentanément sous leur domination la
plupart des places conquises par les rebelles, y compris Bar'aï.
Mais l'échec des Chia'ites, qui aurait pu avoir les suites les plus
graves, si leurs adversaires avaient su profiter du succès en repre-
nant vigoureusement l'offensive, ne devait retarder que de bien
peu de jours la chute définitive du trône ar'lebite. Sitôt, en effet,
qu'Abou-Abd-AUah eut appris qu'Ibrahim, au lieu de le pour-
suivre, était rentré dans son poste d'observation à El-Orbos, il
1. L'antique Tipaza de l'est, près de Souk-Aliras.
ÉTABLISSEMENT DE l'emPIRE OBÉIDITE (909)
309
vint mettre le sièj^e devant Constantine et s'empara de cette ville
et du pays environnant ; puis il alla reprendre Bar'aï, et après y
avoir laissé un commandant, rentra dans son quartier de Guédjal.
Ibrahim marcha alors sur Bar'aï, mais il se heurta à un corps de
douze mille Ghiaïtes qui le repoussa'.
Les Cuiaïtes marcuent sur i.a Tunisie. — Fuite de Ziadet-
Ai.LAii III. — Cependant, Abou-Abd-Allah, comprenant que le
moment décisif était arrivé, ne restait pas inactif à Guédjal. Il
avait adressé un appel à tous ses adhérents ou alliés, et s'occupait
de réunir une armée formidable. De tous côtés arrivaient les con-
tingents : Zouaoua du Djerdjera, Sanhadja du Maj^'reb-Gentral,
Zenata du Zab, Nefzaoua de l'Aourès, venaient se joindre aux
vieilles bandes ketamiennes.
Au mois de mars 909 ^, Abou-Abd-.\llah se mit en marche, à la
tête d'une armée dont le chiffre est porté par les chroniques à
deux cent mille hommes, divisés en sept corps. Avec de telles
forces, il se porta en droite ligne sur la capitale de son ennemi.
En vain le général Ibrahim essaya de faire tête aux Ghiaïtes ;
vaincu dans plusieurs rencontres, il dut abandonner son camp et
se replier sur Kaïrouan, où se trouvait le gouverneur ar'lebile.
L'armée d'Abou-Abd-Allah s'arrêta à El-Orbos le temps néces-
saire pour mettre cette ville au pillage', puis pénétra comme un
torrent en Tunisie.
Dans cette circonstance solennelle, Ziadet-Allah se montra ce
qu'il avait toujours été : lâche, cruel et incapable. Lorsqu'il eut
appris la défaite de son général et qu'il fut convaincu qu'il ne
pouvait résister à la tourbe de ses ennemis, il fit courir, à Rok-
kada, le bruit que ses troupes avaient remporté la victoire ; puis
il ordonna de meltre à mort toutes les personnes qu'il détenait
dans les cachots, et de promener leurs têtes à Kaïrouan, au vieux
château et à Rokkada, en annonçant qu'elles provenaient des
cadavres des ennemis. En même temps, il s'empressa de réunir
tous les objets précieux et les trésors qu'il possédait, et se prépara
k fuir avec ses courtisans et ses favorites.
En vain, un de ses meilleurs ollîcicrs, nommé Ibn-es-Saïr', s'ef-
força de le retenir et de l'exhorter à la résistance, en lui rappelant
les exploits de ses aïeux. Le dernier des Ar'lebites ne répondit à
1. En-Nouéiri, p. 440-441. Il)n-Kiialdoun, t. II, p. 515 et suiv. El-
Kaïrouaiii, p. 88. Ibu-Hainmad, loc. cit.
2. C'est par erreur qu'Ibu-Hammad donne 907.
3. Selon l']l-Bekri, les liabitants réCugiés dans la mosquée auraient clé
impitoyablement massacrés.
310
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
ces généreux efforts que par des paroles de défiance et de menace.
Bientôt, tout fut prêt pour le départ; les plus fidèles serviteurs
esclavons reçurent chacun une ceinture contenant mille pièces
d"or; on plaça les autres objets précieux et les femmes sur des
mulets, et à la nuit close, Ziadet-Allah sortit de Rokkada et prit
la route de l'Egypte : « A l'heure du coucher du soleil, — dit
« En-Noueïri, — il avait appris la défaite de ses troupes ; à celle
(( de la prière d' El-Acha (de huit à neuf heures du soir) il était
« parti ». — « Il prit la nuit pour monture » dit, de son côté,
Ibn-Hammad.
Ce fut ainsi que le dernier des Ar'lebites descendit du pouvoir.
La population de Rokkada l'accompagna pendant quelque temps,
à la lueur des flambeaux : un certain nombre d'habitants suivit
même sa fortune.
.\bol-Abd-Allah prend possession de la Tlnisie. — Aussitôt
que la nouvelle de la fuite du gouverneur fut connue à Ka'irouan,
le peuple se porta en foule à Rokkada et mit le palais au pillage.
En même temps arrivait le général Ibrahim, ramenant les débris
de ses troupes qui achevèrent de se débander, en apprenant la
fuite de Ziadet-Allah. Malgré l'état désespéré des affaires, Ibrahim
voulut tenter un dernier effort. S'étant rendu au Divan, à la tête
de partisans dévoués, il se fit proclamer gouverneur et adressa à
la population des paroles pleines de cœur pour l'engager à la
résistance. Mais la terreur des règnes précédents avaient éteint
tout sentiment d'honneur chez ce peuple opprimé; après avoir
d'abord obtenu l'adhésion de la foule, le général la vit bientôt se
tourner contre lui et dut, pour sauver sa vie, s'ouvrir un passage
à la pointe de son épée. Il partit alors avec ses compagnons sur
les traces de Ziadet-Allah.
Sur ces entrefaites, l'avant-garde des Chia'ites, commandée par
Arouba-ben-Youçof et El-Haçen-ben-bou-Khanzir, chefs keta-
miens, apparut sous les murs de Rokkada. Il ne fallut rien moins
que la terreur inspirée par les farouches berbères, pour faire cesser
le pillage qui durait depuis huit jours.
Peu après, dans le mois d'avril 909, Abou-Abd-Allah fit son
entrée triomphale dans cette place. Il était précédé d'un crieur
psalmodiant ces versets du Koran ' : « C'est lui qui a chassé les in-
fidèles de sa maison Combien de jardins et de fontaines aban-
données ! » etc.
Les gens de Kaïrouan lui avaient envoyé une députalion des
1. Sourate de la fumée.
ÉTABLISSEMENT DE i/e.MPIRE OUÉIDITE (909)
311
citoyens les plus honorables, pour lui oil'rir leur soumission cl
lui demander l'aman ; l'avant-f^arde des (^liiaïtes entra donc sans
coup férir dans cette ville, mais, comme un grand nombre d'ha-
bitants s'étaient enfuis, Abou-Abd-AUah proclama une amnistie
générale, qui rassura les esprits et fit rentrer les émigrés. Un de
ses premiers soins fut de mettre en liberté son frère Abou-l'Abbas
et la mère du mehdi cjui, jusqu'alors, étaient restés en prison. S'il
continua à se montrer modéré dans sa victoire, sa clémence n'alla
pas jusqu'à faire grâce aux soldats de la garde noire ar'lel)ite.
Tous ceux qu'on put arrêter furent impitovaljlement mis à mort.
Les adhérents du gouverneur déchu étaient venus se grouper
autour de lui à Tripoli. Ibrahim, qui l'avait également rejoint,
dut aussitôt prendre la fuite pour éviter le supplice que Ziadet-
Allah voulait lui infliger, comme coupable de tentative d'usurpation
du pouvoir. .Vprès avoir passé à Tripoli dix-sept jours , pendant
lesquels il fit trancher la tète d'Ibn-es-Sa'ir, le ministre qui avait
commis le crime de tenter d'arrêter sa fuite, le gouverneur se
remit en route. Parvenu au Caire, il écrivit au khalife El-Mok-
tader-b'Illah, en sollicitant une entrevue. Pour toute réponse, il
reçut Tordre de se rendre à Rakka, en Syrie, et d'y attendre ses
instructions. Quelque temps après, il obtint l'autorisation de
rentrer en Egypte, et il y acheva misérablement sa vie dans les
plus honteuses débauches.
.-Vinsi finit la dynastie ar'lebile, qui avait donné à l'Afrique des
princes si remarquables. Avec elle disparaissait le dernier reste
de l'autorité arabe, imposée aux Berbères deux siècles et demi
auparavant. Le Mag'reb avait déjà repris possession de lui-même ;
rifrikiya, à son tour, était délivrée de la domination du khalifat,
et les indigènes allaient former maintenant de puissants empires
autonomes. Ce succès était particulièrement le triomphe de la
tribu des Ketama, dont la suprématie s'établissait sur les autres
gi'oupes de la race et sur les restes des colonies arabes.
Après sa rapide victoire, Abou-Abd- Allah s'occupa de l'organi-
sation de l'empire par lui conquis. A cet effet, il envoya dans
toutes les provinces des gouverneurs fournis par la tribu des
Ketama. Il congédia les auxiliaires, qui retournèrent chez eux
chargés de butin, puis il s'appliqua à rappeler à Kaïrouan et à
Rokkada même les populations émigrées. Etabli dans le palais
des princes ar'lebites, il s'entoura des insignes du pouvoir, fit
frapper des monnaies nouvelles ' et s'occupa de l'organisation des
1. Ces monnaies portaient les inscriptions suivautes : d'un côté^l
312
HISTOIRE DE l'aFRIQLE
troupes régulières, auxquelles il donna des étendards portant des
inscriptions à la louanc^e des Fatemides.
Après avoir, avec autant de prudence que d'habileté, établi sur
des bases solides le gouvernement, il songea à faire profiter de ses
conquêtes celui pour lequel il avait travaillé, son maître, le mehdi
Obéïd-AUah.
Les Ciiiaïtes vont délivrer le meiidi a Sidjil.massa. — Tandis
que le nom du nouveau souverain de l'Afrique était proclamé dans
toutes les mosquées, celui-ci gémissait au fond d'une prison dans
une oasis saharienne.
Nous l'avons laissé près de Constanline. continuant son chemin
vers le sud-ouest, au lieu de donner la main à son daï. Il ne cessa
d'errer en proscrit, toujours accompagné de son jeune fils, et tenu,
dit-on, au courant des succès de ses partisans par des émissaires
secrets. Il arriva enfin à l'oasis de Sidjilmassa. au fond du Mag reb.
Nous savons que ce territoire était le siège de la petite royauté
des Beni-Midrar, exerçant leur autorité sur les tribus mikna-
ciennes du haut Moulouïa.
Bien que ces Berbères fussent des kharedjites-sofrilcs, très
fervents, ils reconnaissaient la souveraineté du khalife abbasside.Le
prince régnant. El-Içàa, avait reçu de Bagdad l'ordre de saisir le
mehdi, s'il pénétrait dans ses états. Les deux voyageurs lui ayant
été signalés, il devina leur caractère et les fit arrêter. Ainsi, après
avoir échappé pendant sept années, à travers deux continents, aux
poursuites de ses ennemis. Obeïd-Allah trouvait la captivité dans
une oasis de l'extrême sud du Mag'reb, à plus de douze cents lieues
de son point de départ; c'était la continuation des épreuves annon-
cées par son père ' .
Aussitôt qu"Abou-Abd-.\llah eut alTermi l'organisation du nouvel
empire, il se prépara à aller délivrer son maître. Ayant réuni une
armée « dont le nombre inondait la terre » selon l'expression
d'Ibn-Hammad, il laissa à Kaïrouan son frère Abou-l'Abbas, assisté
du chef kctamien Abou-Zaki-Temmam, puis il se mit en route
vers l'ouest ^juin 909;. Les populations zenètes que les Chiaïtes
rencontrèrent sur leur passage se retirèrent devant eux ou olfri-
rent leur soumission et, enfin, l'armée parvint sous les murs de
Sidjilmassa. Abou-.\bd-Allah ayant envoyé à El-IçAa un message
pour l'engager à éviter les chances d'un combat, en rendant les
[la prcicc (le DieiO et do l'autre <OJÎ il<Xffi j^Ai' (7'"" ^''^ ciiiiciiiis de
Dieu soient disperses .')
1. Ibii-Ivlialdoun, t. I, p. 263, l. II, p. 520. Ibn-Hammad, loc. cit. El-
Kairouaui, p. 89 et suivantes.
ÉTABLISSEMENT DE i/eMPIRE OBÉIDITE (910)
313
prisonniers, le prince midraride, pour toute réponse, fit mettre à
mort les parlementaires.
Après cette infructueuse tentative, on en vint aux mains, non
loin de la ville, car les Miknaça, sous la conduite de leur roi,
avaient bravement marché à la renconlre de leurs ennemis. Dès
les premiers engagements, le succès se déclara pour les Chiaïtes;
les troupes d"El-Içâa furent taillées en pièces, et ce prince dut
prendre la fuite, suivi seulement de quelques serviteurs. Le len-
demain de la bataille, les principaux habitants de la ville vinrent
au camp des assiégeants implorer leur clémence et leur olTrir de
les mener à la prison où était détenu le mehdi.
Abou-Abd-Allah se réserva le soin de mettre en liberté les pri-
sonniers. Il les revêtit d hal^its somptueux, les lit monter sur des
chevaux de parade et salua Obéïd-AUah du titre d'imam. Puis il
le conduisit au camp, en marchant à pied devant lui, et pendant
le chemin il s'écriait, en versant des larmes de joie : « Voici voire
« imam, voici voire .scif/netir ! » C'était, pour le mehdi, le
triomphe après les épreuves.
Les troupes ketamiennes ne tardèrent pas à se saisir d'El-Içâa
qui fut mis à mort. Sidjilmassa avait été livrée au pillage et in-
cendiée ' .
Retour du meiu:)! OnÉïu-ALi.An en Tunisie. — Fondation de
i/emi>ire oni'iÏDiTE. — Après un repos de quarante jours, à Sidjil-
massa, l'armée reçut l'ordre du retour. En quittant la ville, le
mehdi y laissa, comme gouverneur, le ketamieu lijrahim-ben-
R'âleb, avec un corps de Chia'ites. A son retour, l'armée passa
par Guédjal. Le fidèle AI)ou-Abd-Allah remit alors à son maître
les trésors qu'il avait amassés dans cette place, et qui provenaient
du butin des précédentes campagnes. 7^out avait été religieuse-
ment conservé, pour cjue le mehdi en opérât lui-même le partage.
Dans le mois de décembre 909, ou au commencement de jan-
vier 910, Obéïd-Allah, suivi de son tils Abou-l'Kacem, fit son
entrée à Rokkada. Quelques jours après, il reçut, dans une séance
d'inauguration solennelle, le serment des habitants de Kaïrouan.
En attendant qu'il eût bâti une ville pour lui servir de résidence
royale', Obéïd-Allah s'établit dans le palais du Rokkada. 11 prit
1. Noire récit, dans les pages (jiii piocèdoiit, s'éloigne, sar un grand
nombre de points, de celui de P'ourncl {Bcrbers, t. II, de la page 30 à
la page 98) ([ui s'appuie, pour ainsi dire exclusivement, sur le texte du
Baïau. Les données d'Ibii-Klialdoun et d'En-Nouéiri sont presque tou-
jours ccai'tées par cet auteur, qui, en outre, paraît ne pas avoir connu
le texte si intéressant d'Ihn-IIauimad.
314
HISTOIRE DE L AFRIQUE
alors ofTicielleinent le Litre de mehdi et fit frapper des monnaies
où ce nom était inscrit.
Son empire se composait de la plus grande partie du Mag reb
central, de toute l'Ifrikiya et de la Sicile. Vingt années à peine
avaient sufTi pour arracher aux Ar lebites cet immense territoire ;
mais, en raison même de la rapidité de cette conquête, la fidélité
des populations n'était rien moins que bien établie et, en mains
endroits, l'autorité cliiaïle n'était pas officiellement reconnue.
C'est pourquoi le mehdi envoya, dans toutes les provinces, des
agents ketamiens chargés de sommer les populations de faire acte
d'adhésion au nouveau souverain. Grâce à ces mesures et à la sé-
vérité déployée dans leur application, car tout opposant était mis
à mort, l'ordre fut rétabli et le fonctionnement de l'administration
assuré. Ainsi se trouva accomplie une prédiction colportée par
les Fatemides et annonçant, pour la fin du iii*^ siècle de l'hégire, la
chute de la domination arabe dans l'Ouest: << Le soleil se lèvera à
« l'Occident », tel était le texte ambigi'i de cette prédiction, qu'on
faisait remonter à Mahomet -.
Pour trancher complètement avec le régime tombé, les an-
ciennes places fortes, sièges des commandants ar lebites, furent
rasées, et les préfets fatemides s'établirent dans d'autres localités,
élevées au rang de chefs-lieux.
La tribu des Ketama fut comblée de faveurs ; elle fournit les
premiers officiers du gouvernement et les généraux pour les postes
importants. C'est en s'appuyant sur un mouvement religieux que
la cause d'Obé'id-.AUah avait réussi. Les Berbères, adoptant la
nouvelle secte, en avaient fait un signe de ralliement pour chasser
1 étranger.
C'est ce qui s'était passé, deux siècles auparavant, à l'égard du
kharedjisme. Malgré la persécution dont il avait été l'objet, ce
schisme possédait encore beaucoup d'adhérents, et nous n'allons
pas tarder à voir s'engager une lutte suprême entre la doctrine
fatemide et l'hérésie kharedjite, au grand détriment de la vieille
race berbère.
1. El-Mclulia (voir plus loin .
2. Carette, Migrations des tribus algcricnrics, p. 386. citaiil d'Hcr-
belot.
ÉTABLISSEMENT DE i/eMI'IRE OBÉIDITE (909) 315
APPENDICE
CIIRONOI. OGIE BES GOUA'ERNEURS ARI. EBITES
Ibrahim-ben-El-Ar"leb 800
Abou-l'Abbas-Abd-Allah 812
Ziadet-Allah 1 817
Abou-Eikal-el-Arieb 838
Abou-rAbbas-Mohammed 8 il
Abou-IlDrahim-Ahmcd 856
Ziadel- Allah II 863
Abou-cl-R'ai-anik 86 i
Ibrahim II ben-Ahmed 875
Abou-Abd-Allah 902
Ziadet-AlIah III 903
Chute de Ziadet-Allah III 909
CHAPITRE IX
L'AFRIQUE SOUS LES FATEMIDES
910-934
Silualion du Mag'rel) en 910. — Conquêtes des Fatemides dans le Mafj'rel)
central; chute dm Rostemides. — Le mchdi fait périr Abou-Abd-Allali et
écrase les germes de rébellion. — Evénements de Sicile. — Evénements
d'Espagne. — Révoltes contre Obeïd-Allali. — Fondation d'El-Melidia par
Obeïd-Allali. — Expédition des Fatemides en Egypte, son insuccès. —
L'autorité du molidi est rétablie en Sicile. — Première campagne de Mes-
sala en Mag'i-eb pour les F'atemides. — Nouvelle expédition falemide
contre l'Egypte. — tlonquêles de ilessala en Mag'reb. — Expéditions fa-
temides en Sicile, en Tripolitaine et en Egypte. — Succès des Mag'raoua;
mort de Messala. — El-Hassan relève à Fès le trône edriside; sa mort.
— Expédilion d'Abou-l'Kacem dans le Mag'reb central. — Succès d'ibn-
Abou-l'Afia. — .Mou(;a se prononce pour les Oméïades ; il est vaincu par
les troupes falemides. — Mort d'Obeïd-Allah, le mehdi. — Expéditions
fatemides en Italie.
Situation du Mag'reb en 910. — Au moment où le triomphe
des Fatemides va faire entrer l'histoire de l'Afrique dans une nou-
velle phase, il est opportun de jeter un coup d'œil général sur
l'état du pays et de passer en revue les événements survenus en
Mag'reb; car le récit des révolutions dont Tlfrikiya a été le
théâtre nous en a forcément détournés.
A Fès, Yahïa-l3en-Kacem-ben-Edris continua de régner paisi-
blement jusqu'en l'année 90i. La guerre ayant alors éclaté entre
lui et son neveu Yahïa-ben-Edris-ben-Omar, souverain du Rif, il
périt dans un combat livré contre lui par Rebïa-ben-Sliman, gé-
néral de son adversaire. A la suite de celte victoire, Yahïa-ben-
Edris s'empara de l'autorité dans le ]\Iag re'j et fit briller d un der-
nier éclat le trône de Fès '.
La grande tribu des Miknaça avait profilé, dans ces dernières
années, de l'alfaiblissemenl de la dynastie edriside et se préparait
à s'élever sur ses débris. Sous la conduite de leur chef, Messala-
ben-IIal)bous, ces Berbères avaient soumis à leur autorité tout le
territoire compris entre Teçoul, Taza cl Lokaï, c est-à-dire, la fron-
1. Ibii-K!i:\l(l()\ui, t. II, p. 566, 567. Le Kartas, p. 106. El-Bekri, trad.
article Idricidcs.
I. 'AFRIQUE sors LKS FATEMIDES (010)
317
tière orientale du jMafif'reb extrême. Le reste de la tribu était à
Sidjilmassa, où la royauté qu'elle y avait fondée venait d'être ren-
versée par les Chia'ites '.
Dans le Magf'reb central, les Beni-Ifrene conservaient encore
l'autorité sur Tlemcen et les plaines situées à l'est de celte ville.
Auprès d'eux étaient leurs frères les Ma^î'raoua, dont la puissance
avait «grandement aui;nienté et qui étendaient leur autorité dans
les réi^ions sabariennes et sur les plaines du nord. Leur cbef,
Mobammed-ben-Kbazer était un f^uerrier redoutable que nous
allons voir entrer en scène -.
Les souverains oméïades d'Espagne chercbaientà établir leur in-
fluence sur le littoral du Maj^'reb central. "S ers 902, ils y envoyè-
rent une expédition. Les f;:énéraux ^lohammed-ijen-Bou-Aoun et
Ibn-Abdoun, qui la commandaient, conclurent avec les Beni-
Mesguen, fraction des Azdadja, un traité par lequel ceux-ci livrè-
rent un territoire, où ils fondèrent la x'iWc d'Oran ^ Ce fut la pre-
mière colonie oniéïade en Maj^'rel).
Enfin, à Tiliaret, réj^nait encore la dynastie des Bostemides,
mais fort alTaiblie et chercbant, dans l'alliance des souverains es-
paj^nols, un secours capable de la proléger contre les ennemis
qui l'entouraient '*.
Conquête des Fatemides dans i.e Mag'reb central. — Chute
DES Bostemides. — Lors du retour de l'armée chiaïte, après la
délivrance du mehdi, un corps d'armée avait été laissé dans le
Mag'reb central, sous le commandement du kelamien Arouba-ben-
Youçof. Ce général ayant attaqué Yaklhan, souverain de Tiharet,
s'empara de cette ville et fit mettre à mort le prince Rostemide.
Ainsi s'éteignait cette petite dynastie. En même temps, Tiharet
cessa d'être le centre du kharedjisme eïbadite ; les sectaires de ce
schisme, poursuivis sans relâche par les Fatemides, durent émi-
grer vers le sud et chercher un refuge dans la vallée de l'Oued-
Rir", en plein désert (910). Ils paraissent avoir été accueillis par
les Beni-Mezab qui adoptèrent leurs doctrines.
Arouba combattit ensuite les tribus voisines, et les força à la
soumission et à la conversion ; puis il alla réduire une révolte qui
avait éclaté dans le pays des Ketama, sous l'inspiration de quel-
ques mécontents.
1. Ibn-Khaldoun t. I, p. 263.
2. Ibid, t. III, p. 198, 229.
3. Ibid., t. I, p. 283.
4. Ilnd., t. I, p. 243.
318
inSTOIRIi DE L AFRIQUE
Douas-hen-Soulat, ollîcier ketamien, laissé comme gouverneur
à Tiharet, entra alors en relations avec les Beni-Mes<juen, des
environs d'Oran. Ceux-ci, ayant rompu avec les Oméïades, lui
offrirent de lui livrer cette ville. Leurs propositions furent
accueillies avec faveur et, peu après, les troupes fatemides s'em-
paraient d'Oran. Mohammed-ben-bou-Aoun, qui avait contribué
à leur succès, en fut nommé j^ouverneur (910).
Il est assez difficile, au milieu de la confusion qui rèfjne à ce
sujet dans les chroniques arabes, de dire si cette expédition fut
conduite par Douas ou par Arouba. Toujours est-il que le général
du mehdi étendit l'autorité de son maître sur les tribus des Mat-
mata, Louata, Lemaia et Azdadja de la province d'Oran. Peut-être
même entrait-il, dès lors, en relations avec Messala-ben-Habbous,
chef des Miknaça, qui devait être avant peu un des principaux
auxiliaires des Fatemides dans le Mag'reb.
Vers le même temps, les habitants de Sidjilmassa se révoltaient
contre les Fatemides et massacraient leur gouverneur, Ibrahim,
ainsi que toute sa garde de Ketama.
Le mehdi fait périr Abou-Abd-Allaii et écrase les germes de
RÉBELLION. — Cependant un grave dissentiment s'était élevé entre
le mehdi et son fidèle serviteur Abou-Abd-Allah. Ce dernier,
cédant, dit-on, à l'influence de son frère, Abou-l'Abbas, avait
voulu s'appuyer sur les services rendus, pour conserver une
grande influence dans la direction des affaires. Mais Obéïd-Allah
n'entendait nullement partager son autorité avec qui que ce fût
Irrité de voir ses avis brutalement repoussés, Abou-Abd-Allah
montra d'abord une grande froideur vis-à-vis de son maître; puis
il se mit, avec plusieurs de ses chefs, à conspirer sourdement
contre lui. Ces mécontents répandirent le bruit que le mehdi
n'était pas l'instrument de la volonté divine, l'être surnaturel,
dont le caractère devait se révéler aux humains par des miracles.
« Nous nous sommes trompés à son sujet, — disaient-ils, — car,
<• il devrait avoir des signes pour se faire reconnaître ; le vrai
« Imam doit faire des miracles et imprimer son sceau dans la
<(. pierre, comme d'autres le feraient dans la cire' ».
Ils l'accusaient en outre d'avoir gardé pour lui seul les trésors
de Guédjal. La plupart des chefs kctamiens, qui avaient toute
confiance en Abou-Abd-Allah, prêtèrent l'oreille à ces discours et
chargèrent leur grand cheikh de faire des remontrances à Obé'id-
Allah lui-même.
1. Ibn-Hanimad, loc. cit.
i. AriuyuK sous i.i:s fatkmides C-'IO)
Le danger était pressant pour le mehdi, puisque ses adhérents
commençaient à s'apercevoir que celui qu ils avaient soutenu
comme un être surnaturel n'était qu'un homme comme eux.
Obeïd-Allah comprit que sa seule porte de salut était l'énergie,
qui impose toujours aux masses, et, pour toute réponse, il fit
mettre à mort le grand cheikh des Ketama. Afin d'achever d'anéan-
tir la conspiration, il envoya les principaux chefs occuper des
commandements éloignés, de sorte qu'ils se trouvèrent dispersés
et sans force, avant d'avoir eu le temps d'agir. Les plus compro-
mis furent tués au loin et sans bruit par des émissaires dévoués.
L'auteur de la conspiration restait à punir; le medhi, étouffant
tout sentiment de reconnaissance, n'hésita pas à sacrifier à sa
sécurité l'homme auquel il devait le pouvoir.
Dans le mois de janvier 911, Abou-Abd-Allah se promenait avec
son frère Abou-l'Abbas, dans le jardin du palais, lorsque deux
autres frères, Arouba et Ilobacha, enfants de Youçof, sortirent des
massifs et se précipitèrent sur eux. Abou-l'Abbas fut frappé le
premier. Kn vain Abou-Abd-AlIah essaya d'imposer son autorité
aux deux chefs qui avaient été autrefois ses lieutenants : « Celui
« auquel tu nous a ordonné d'obéir nous commande de te tuer ' »,
répondirent-ils, et Abou-Abd-Allah tomba percé de coups sur le
cadavre de son frère.
Obéïd-Allah fit enterrer avec honneur les deux frères : il pré-
sida lui-même au lavage de leurs corps ; puis, après la récitation
des prières, il dit à haute voix en s'adressant au cadavre d'Abou-
Abd-Allah : « Que Dieu te pardonne et qu'il te récompense dans
« l'autre vie, car tu as travaillé pour moi avec un grand zèle ! »
— Se tournant ensuite vers Abou-l'Abbas : « Quant à toi, — dit-il,
« — qu'il ne t'accorde aucune pitié, car tu es cause des égare-
« ments de ton frère ; c'est toi qui l'as conduit aux abreuvoirs
« du trépas ! »
Les deux victimes furent enterrées au lieu même où elles
étaient tombées sous le poignard des assassins -. Quant à ceux-ci,
l'un d'eux, Ilobacha, fut nommé gouverneur de Barka et de la
région de l'est ; l'autre, Arouba, reçut le commandement de Bar'aï
et de la frontière sud-ouest. Des troubles partiels chez les Ketama
suivirent ces exécutions, mais ils furent promptement étouffés
dans le sang de leurs promoteurs. Grâce à ces mesures énergiques,
le pouvoir d'Obéïd-Allah, loin de ressentir aucune atteinte, se
1. Ibu-Khaldoiin, t. II, p. 522.
2. Ibii-H,'imm;id, loc. cit.
320
IIISTOIRI- DE i/aFRIQUE
renforça de tout l elTet produit par récrasement de ceux qui
avaient voulu le renverser.
livÉNEMi-NTS DE SiciLE. — Pendant le cours des luttes qui avaient
amené la chute de la dynastie ar lebite, l'anarchie, ainsi qu'on
peut le prévoir, avait divisé les Musulman^ de Sicile. I.es chré-
tiens en prolltèront pour se fortifier au ^'al-Demone. Un certain
nombre d'Arabes nobles, émigrés d'Afrique, relevèrent un peu la
situation de la colonie, et cherchèrent à proclamer l'indépendance
de la Sicile, au nom des Ar'lebites. Mais, aussitôt que le mehdi
eût assuré son pouvoir, il envoya dans l'île un de ses principaux
officiers, le ketamien Hassan-ben-Kolé'ib, surnommé Ben-bou-
Khanzir.
Débarqué en 910, le nouveau gouverneur fit proclamer partout
le nom du mehdi, et imposa aux Gadis l'obligation d'abandonner
le rite sonnite, pour rendre la justice selon la doctrine fatemide.
Puis, il fit une heureuse expédition au Val-Demone et répandit
partout la terreur de son nom. Mais bientôt son extrême cruauté
indisposa contre lui ses plus fidèles adhérents, qui l'arrêtèrent par
surprise et l'expédièrent au mehdi. Il fut remplacé par Ali-ben-
Omar-el-Beloui (912)
Evénements d'Espagne. — Nous as ons vu précédemment que le
khalife Abd-Allah était arrivé, au commencement du siècle, après
de longues années de lutte, à rétablir l'autorité oméïade en Es-
pagne et à tenir en respect les petites royautés, qui se formaient
de toute part. Le succès continua à couronner ses efforts, surtout
dans le midi : « En 903, son armée prit Jaën ; en 905, elle gagna
la bataille du Guadalballou, sur Ibn-Hafçoun et Ibn-Maslana ; en
906, elle enleva Cafiete, aux Beni-el-Ivhali ; en 907, elle força
Archidona à payer tribut ; en 910, elle prit Baeza, et l'année sui-
vante, les habitants d'Iznajar se révoltèrent contre leur seigneur et
envoyèrent sa tête au sultan. Même dans le nord il y avait une
amélioration notable". »
Sur ces entrefaites, Abd-Allah cessa de vivre (15 octobre 912),
après un règne de vingt-quatre ans.
Abd-er-Rahman III, son petit-fils, lui succéda. C'était un jeune
homme de vingt-deux ans et, si l'on put craindre d'abord, qu'en
raison de sa jeunesse, il ne fût pas à la hauteur de sa mission, il ne
1. Ibn-Klialdoun, t. II, p. 521. Amari, Musulmans de Sicile, t. II,
p. 141 et suiv.
2. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 318, citant Ibu-Haian.
l'afrique sous les f.vtemides (912)
321
tarda pas à démontrer lui-même, que pour le courage et l'habileté
politique, il ne le cédait à personne.
Attaquant résolument ce qui restait de chefs rebelles, il en con-
traignit une partie à la soumission. Mais Ibn-Hafçoun, qui se fai-
sait appeler Samuel, depuis sa conversion, maintenait ferme à Bo-
bastro le drapeau de l'indépendance nationale et du christianisme.
Les Berbères de Magr'eb, particulièrement de la province de
Tanger, prenaient part à ces luttes comme mercenaires. S'étant mis
à la tête de l'armée, Abd-er-Rahman parcourut en maître les pro-
vinces d'Elvira et de Jaën, recevant partout des soumissions, et
brisant les résistances qu'il rencontrait. Il se présenta enfin devant
Séville, dont les notables lui ouvi-irent les portes (décembre 913) 1.
Les années suivantes furent non moins favorables, et, en 917,
Ibn-Hafçoun rendait le dernier soupir. L'unité de l'empire oméïade
se trouvait rétablie et un grand règne allait commencer.
Révoltes contre Obéïd-Allah. — En Ifrikiya, le nouvel empire,
à peine assis, était ébranlé par les révoltes indigènes ; mais l'éner-
gie du mehdi sufiisait à tout. Ce fut d'abord dans la région de Tri-
poli, que les Houara et Louata prirent les armes. Les généraux
obéïdites étouffèrent dans le sang cette sédition ; on dit que les
têtes des promoteurs furent expédiées à Kaïrouan et exposées sur
les remparts.
Dans l'ouest, Mohammed-ben-Khazer avait entraîné ses Zenètes
à l'attaque de Tiharet, s'était emparé de cette ville et avait con-
traint le gouverneur. Douas, à chercher un refuge dans le vieux
Tiharet. Une armée nombreuse, envoyée par le mehdi, délogea les
Zenètes de leur nouvelle conquête, les poursuivit et en fit un grand
carnage. Il est probable que Messala -ben-Habbous, chef des
Miknaça, qui, nous l'avons vu, avait déjà contracté alliance avec
les Obéïdites, les aida à écraser les Zenètes, car Messala reçut,
comme récompense, le commandement de Tiharet et la mission de
protéger la frontière occidentale.
Les Ketama avaient été douloureusement frappés par la mise à
mort d'Abou-Abd-Allah ; de son côté, le mehdi, craignant les
effets de leur rancune, leur avait retiré sa confiance. Les habitants
de Kaïrouan détestaient ces sauvages étrangers, dont l'insolence
était sans bornes.
La situation devenait critique pour eux. Dans le mois d'avril
912, la population de Kaïrouan, saisissant un prétexte, se jeta
sur eux et en fit un véritable massacre. Plus de mille cadavres de
Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 325 et suiv.
T. I. 21
322
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Ketama jonchèrent, paraît-il, les rues et l'on s'empressa de les
faire disparaître en les jetant dans les éf^oûls.
En apprenant la façon dont leurs conlribules étaient traités en
Ifrikya, les Ketama se mirent en révolte ouverte, placèrent à
leur tête un des leurs, auquel ils donnèrent le titre de rnehdi, et
envahirent le Zab. La situation était grave. Obéïd-AUah fit marcher
contre les rebelles son fils Abou-l Kassem, avec les meilleures
troupes ; mais il fallut une campagne de près d'un an pour les ré-
duire. Le faux niehdi, ayant été pris, fut ramené à Kaïrouan et
exécuté à Rokkada, après avoir été promené, revêtu d'un accou-
trement ridicule, sur un chameau'.
Pendant que le Mag'reb était le théâtre de la révolte keta-
mienne, les gens de Tripoli, imitant ceux de Kaïrouan, massa-
craient les Ketama, chassaient leur gouverneur et se déclaraient
indépendants. Le mehdi envoya d'abord sa flotte qui réussit à sur-
• prendre, dans le port de Tripoli, les navires des révoltés et les dé-
truisit. On investit ensuite la ville par terre, et, après quelques
mois de blocus, les Tripolitains, qui avaient souffert les horreurs
de la famine, se décidèrent à se rendre à Abou-l'Kassem. Selon
Ibn-Khaldoun, les habitants furent massacrés et la ville livrée au
pillage ; une forte contribution de guerre fut frappée sur les sur-
vivants*.
Fondation d'El-Mehdia par Obeid-Allaii. — C'est probablement
vers cette époque qu'Obe'id-Allah, après avoir visité le littoral,
depuis Tunis et Karthage jusqu'à la petite Syrte, arrêta son choix
sur une petite presqu'île, située à soixante milles de Kaïrouan,
et nommée par les indigènes El-Hamma, ou Djeziret-el-Far. Une
mince langue de terre la reliait au rivage, du côté de l'ouest. Les
ruines de l'antique Africa couvraient cet emplacement, que le
mehdi choisit pour y construire sa capitale.
La presqu'île avait, disent les auteurs arabes, « la forme d'une
main avec son poignet. » De solides fortifications établies sur
l'isthme ne laissaient qu'une seule entrée, qu'on ferma au moyen
d'une porte de fer. Dans ce vaste enclos, Obeïd-AUah fit construire
des palais pour lui et des logements pour ses soldats. Des citernes
et des silos y furent creusés, et des travaux exécutés afin de rendre
plus sûr le port naturel ; il pouvait, dit-on, contenir cent galères.
1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 523-524. Arib, in Nicholson, apud Four,
nel, Berbers, t. II, p. 111.
2. ibn-Klialdouu, t. II, p. 524.
l'afrique sous les fatemides (914)
323
En face, sur la terre ferme, se fonda le faubourg de Zouïla, où
le peuple et les marchands vinrent s'établir'.
Expédition des Fatemides en Egypte, son insuccès. — Si Obeïd-
AUah cherchait à se faire un refuge inexpugnable en Ifrikiya, c'est
qu'il sentait son trône encore bien vacillant ; de tous côtés, les
têtes fermentaient. En Sicile, après quelque temps d'anarchie,
l'esprit de résistance s'était réveillé, et les Musulmans avaient
placé à leur tête le chef ar'lebite Ahmed-ben-Korhob, dont le pre-
mier acte avait été de retrancher de la khotba (prône) le nom du
mehdi et de proclamer l'autorité du khalife abasside, El-Moktader ;
sa soumission fut accueillie, en Orient, avec faveur et il reçut les
emblèmes du commandement : « Drapeaux et robes noirs, colliers
et bracelets-. »
Obeïd-AUah, du reste, considérait son séjour en Ifrikiya comme
une simple station. C'est vers l'Orient qu'il tournait ses regards
et il n'aspirait qu'à se transporter sur un autre théâtre. La pre-
mière étape devait être l'Egypte et il en décida audacieusement la
conquête. Ayant réuni une armée nombreuse de Ketama, il en
donna le commandement à son fds Abou-l'Kassem et le lança vers
l'est. Le jeune prince traversa facilement la Tripolitaine et fit
rentrer dans l'obéissance le pays de Barka. De là, il marcha direc-
tement sur Alexandrie et commença le siège de cette ville. En
même temps, une flotte de deux cents navires, sous le comman-
dement de Hobacha, venait la bloquer par mer (914). Après s'être
emparés d'Alexandrie, Abou-l'Kassem et Hobacha s'avancèrent
dans l'intérieur, envahirent la province de Faïoum et marchèrent
sur le vieux Caire.
Mais le gouverneur de l'Egypte, Tikine-el-Khezari, ayant reçu
du khalife un renfort important, commandé par l'eunuque Mounês,
qu'on appelait le maître de la victoire, marcha contre les envahis-
seurs, les battit dans plusieurs combats et les força à la retraite.
Abou-l'Kassem dut abandonner tout le pays conquis dans sa
brillante campagne et se réfugier à Barka.
La flotte du mehdi venait à peine de rentrer d'Orient et se trou-
vait dans le port de Lamta', lorsque les vaissaux siciliens, lancés
par Ibn-Korhob, vinrentaudacieusement l'attaquer. Mohammed, fils
d'Ibn-Korhob, qui commandait l'expédition, dispersa ou coula les
1. Ibn-Klialdoun, Berhères, t. II, p. 325. El-Bekri, pnssim. El-Kaï-
roiiani, p. 95.
2. Amari, Musulm., t. II, p. 149.
3. L'antique Leptis parva, dans le golfe de Monastir.
324
HISTOIniî I)K 1,'afrique
navires chiaïtes ; puis, ayant opéré son débarquement, mit en dé-
route les troupes envoyées contre lui de Rakkada. Marchant en-
suite sur Sfaks, il mit cette ville au pillage et, enfin, se présenta
devant Tripoli, où il trouva Abou-l'Kassem, revenant d'Egypte avec
les débris de ses troupes. Il se décida alors à se rembarquer et
rentra en Sicile chargé de butin.
Les insuccès militaires ont toujours pour résultat de provoquer la
suspicion contre les généraux malheureux. A son retour, Hobacha
fut jeté en prison ; son frère, craignant le même sort, prit la fuite
et essaya de gagner le pays des Ketama, pour le soulever à son
profit ; mais il fut arrêté et livré à Obéïd-Allah, qui fit trancher la
tête aux deux frères'.
L'Autorité DU Mehdi est rétablie en Sicile. — En Sicile, Ibn-
Korhob avait à combattre l'indiscipline des Berbères, des Arabes,
des légistes, des nobles et des intrigants de toute sorte, qui ne
cessaient de lutter les uns contre les autres. Le succès de l'expé-
dition de son fils Mohammed n'avait fait qu'exciter la cupidité des
Musulmans ; aussi Ibn-Korhob dut-il céder à leurs instances et
organiser une razia sur la terre ferme. Débarquée en Calabre,
l'armée expéditionnaire ravagea une partie de cette province. Mais
une tempête détruisit la flotte, et les Musulmans qui échappèrent
au naufrage regagnèrent comme ils purent l'île. Ne possédant
plus de navires, Ibn-Korliob ne put résister aux attaques cons-
tantes des vaisseaux du mehdi.
Sur ces entrefaites, Timpéralrice Zoé, régente pendant la mino-
rité de son fils, prescrivait à son lieutenant, en Calabre, de faire
la paix avec les Musulmans, car elle craignait l'attaque des Bul-
gares et avait besoin de toutes ses forces. Un traité fut alors con-
clu, par lequel les Byzantins s'engagèrent à verser à l'émir de
Sicile un tribut annuel de vingt-deux mille pièces d'or (fin 915)*.
Bientôt, une nouvelle révolte ayant éclaté en Sicile, Ibn-Korhob
se démit du pouvoir et voulut se réfugier en Espagne (juillet
916) ; mais les révoltés assaillirent son vaisseau et, s'étant emparés
de l'émir, l'envoyèrent au mehdi : « Qui t'a poussé, — lui dit ce
prince, — à méconnaître les droits sacrés de la maison d'Ali, en te
révoltant contre nous ?» — « Les Siciliens, — répondit le prison-
nier, — m'ont élevé au pouvoir malgré moi et, malgré moi, m'en
1. Ibn-Klialdoun, t. II, p. 524 et suiv. El-Kairouani. p. 95-96. Ibn-
Hammad, passim.
2. Amari, t. II, p. 153.
l'afrique snus i.fs fatemides (917)
325
ont fait descendre. » Le souverain fatemide l'envoya au supplice'.
Abou-Saïd-Moussa, dit Ed-D'aïf, fut chargé par le mehdi de
prendre le commandement en Sicile. Ce général éteignit dans
leur germe toutes les révoltes et déploya une grande sévérité :
s'étant rendu maître de Palerme, le 12 mars 917, il fit un massacre
général de la population. Enfin, une amnistie fut proclamée, au
nom du chef de l'empire obcïdite, et Abou-Saïd rentra à Kaïrouan,
en laissant dans l'île, comme gouverneur, Saïd-ben-Aced avec des
forces ketamiennes".
Première campagne de Messala dans le Mag'reb pour les Fate-
mides. — Les difTicultés auxquelles le mehdi avait à faire face dans
l'Est ne l'empêchaient pas de tourner ses regards vers l'Occident.
Messala-ben-IIabbous, préposé par lui à la garde de Tiharet, le
poussait à entreprendre des campagnes dans le INIag'reb. Sur ces
entrefaites, Saïd, le descendant de la petite royauté des Beni-Salah
à Nokour, s'étant allié aux Edrisides, et ayant refusé obéissance
aux Fatemides, Obéïd-Allah jugea que le moment d'agir était
arrivé, et il donna à Messala l'ordre de se mettre en marche.
Le chef des Miknaça partit de Tiharet au prin(emps de l'année
917. Saïd l'attendait, en avant de Nokour, dans un camp retran-
ché, mais la clef de la position ayant été livrée par un traître,
Saïd fit transporter sa famille et ses objets précieux dans une île
voisine du port, puis, se jetant en désespéré sur les ennemis, il
tomba percé de coups. Messala livra le camp et la ville au pillage
et envoya au Mehdi la tête de l'infortuné Saïd. Sa famille parvint
à gagner l'Espagne et fut reçue avec honneur par Abd-er-Rah-
man IIP.
Pour affermir sa conquête, Messala guerroya encore pendant
plusieurs mois dans le territoire de Nokour, puis il reprit le che-
min de l'est en laissant une garnison dans cette ville. Peu de
temps après, les fils de Saïd, soutenus par les Berbères, rentrèrent
en possession de leur petit royaume, et l'un d'eux, nommé Salah,
fut reconnu comme prince régnant. Un de ses premiers actes con-
sista à proclamer l'autorité du khalife oméïade d'Espagne, dans
cette partie du Mag'reb. Le mehdi ne se sentit pas assez fort
pour entrer en lutte contre Abd-er-Rahman.
1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 526.
2. Amari, Musulmans de Sicile, t. III, p. 157.
3. El-Bckri, passim. Ibu-Klialdoun, Berbères, t. II, p. 141. Dozy,
Musulmans d' Espagne, l. III, p. 37 et suiv.
326 HISTOIRE DE l'afriql'e
Nouvelle expédition fatemide contre l'Egypte. • — Obeïd-Allah
reprit alors ses plans de campag-ne en Orient. Ayant réuni une
armée formidable, dont les auteurs arabes, avec leur exagération
habituelle, portent le chiffre à cinq cent mille hommes, il en confia
le commandement à son fils Abou-l'Kassem et la lança contre
l'Egypte. Au printemps de l'année 919, cet immense rassemble-
ment, dont les Ketama formaient l'élite, se mit en marche. L'Egypte
était alors dégarnie de troupes ; aussi les Chia'ites se rendirent-ils
facilement maîtres d'Alexandrie qu'ils livrèrent au pillage, puis ils
envahirent le Faïoum et une partie du Sa'id. Le gouverneur n'avait
pas osé lutter en rase campagne; retranché à Djiza, il ne cessait
de demander des secours au khalife. ^Liis le but du mehdi n'était
pas seulement de conquérir celte riche contrée : c'était l'Orient,
sa patrie, qu'il convoitait, et il voulait reparaître en vainqueur là
où il avait été persécuté. Abou-l'Kassem écrivit aux habitants de la
Mekke pour les sommer de se rendre à lui.
Cependant, la situation des Chiaïles ne laissait pas d'être cri-
tique : coupés de leur base d'opérations, décimés par la peste, ils
attendaient avec impatience des secours d'Ifriki\a. Le gouverneur
abbasside étant moii avait été remplacé par Takin qui avait déjà
eu la gloire de repousser la première invasion ; des troupes lui
avaient été envoyées et enfin, l'eunuque nègre Mounès, rentré en
grâce près de son souverain, se préparait à accourir pour jeter son
épée dans la balance.
Sur ces entrefaites, une flotte de 80 vaisseaux, envoyée par le
mehdi au secours de son fils, arriva en Egypte; mais les navires
abbassides lancés contre elle par ÎNIonnès réussirent à l'incendier à
Rosette. En 920, Mounès arriva avec les troupes de l'Irak et, dès
lors, la face des choses changea ; Abou-fKassem se vit enlever une
à une toutes ses conquêtes et, en 921, il dut reprendre la route
de l'Ifrikiya. Celte relraile, bien qu'effectuée en assez bon ordre,
fut désastreuse; dans le mois de novembre, le prince obéïdile
rentra à Ka'i'rouan, ne ramenant, dit-on, qu'une quinzaine de mille
hommes, le reste avait péri par le fer ou la maladie, était prison-
nier ou s'était dispersé*.
Conquêtes de Messala en Mag'ueb. — Pendant que l'Orient
était le théâtre de ces événements, Messala recevait du mehdi
l'ordre d'entreprendre une nouvelle campagne dans le Mag'reb.
En 920, le chef des Miknaça, soutenu par un corps de Ketamiens,
1. Ibii-Ivhaldouu, Berbères, t. II, p. 526. Ibn-Hammad, passim. El-
Kairouaui, p. 96.
l'afrique sous les fatemides (923)
327
marcha directement contre la capitale des Edrisides. Yahïa-ben-
Edris ayant réuni ses guerriers arabes, son corps d'affranchis et
tous les contingents berbères dont ils disposait et parmi lesquels
les Aoureba tenaient toujours le premier rang, s'avança contre
l'ennemi. Mais il essuya une défaite et dut rentrer dans Fès, sa
capitale, pour s'y retrancher. Messala, arrivé sur ses traces, com-
mença le siège de la ville, et bientôt le descendant d'Edris se vit
forcé de traiter avec son ennemi. Il reconnut la suzeraineté du
sultan fatemide et consentit à accepter la position secondaire de
lieutenant du mehdi à Fès. Avant de rentrer à Tiharet, Messala
confia à son cousin Mouça-ben-Abou-l'Afia, le commandement des
régions du ^lag'reb, jusqu'auprès de Fès.
L'année suivante, des contestations survenues entre Mouça et le
prince edriside, soutenu par les Beni-Khazer et autres tribus ma-
graouiennes, ne tardèrent pas à amener une rupture. Aussitôt
Messala accourut avec ses troupes dans le Mag'reb. Etant entré à
Fès, il destitua Yahïa-ben-Edris, l'interna dans la ville d'Azila
(près de Tanger), et s'empara de ses trésors (921). De là il se
porta sur Sidjilmassa, où les descendants des Beni-Midrar avaient,
depuis longtemps, repris en main l'autorité. Ahmed-ben-Me'imoun,
le souverain midraride, essaya en vain de lui résister, il fut pris et
mis à mort. Messala, ayant rétabli dans le sud l'autorité fatemide,
laissa comme gouverneur El-Moatez, neveu du précédent roi, et
rentra à Tiharet d'où il se rendit à El-Mehdïa pour recevoir les
félicitations de son maître '.
Expéditions fatemides en Sicile en Tripolitaine et en Egypte.
— En Ifrikiya, le souverain fatemide, établi dans sa capitale d'El-
Mehdïa, continuait à diriger des expéditions contre les chrétiens
de Sicile, pendant que son lieutenant lui conquérait le Mag'reb.
Selon M. Amari-, Siméon, roi des Bulgares, aurait recherché
l'alliance du mehdi, en l'invitant à l'aider dans ses entreprises
contre Byzance. La générosité de l'impératrice Zoé, qui mit en
liberté ses ambassadeurs tombés entre les mains de ses troupes,
désarma Siméon et fit échouer le projet.
Sur ces entrefaites, une révolte des Nefouça, toujours impa-
tients du joug, tint en échec pendant de longs mois les armées
fatemides, et ce ne fut qu'à la fin de 923 que leur dernier retran-
chement fut enlevé et qu'ils se virent forcés à la soumission.
1. Ibn-Khaldouii, Berbères, t. I, p. 264, t. II, p. 526 et suiv., t. III,
p. 230. Knrtas, p. 106 et suiv. El-Bekri, Idricides.
2. Miisutmans de Sicile, t. II, p. 173.
328
HISTOIRE DE l'aFRIQUE
Selon le Baïan, une nouvelle expédition aurait été effectuée en
Egypte, sous le commandement du général fatemide Mesrour, en
l'année 924, mais les détails précis manquent sur cette campagne
qui, dans tous les cas, n'eut pour la cause du mehdi aucun résultat
effectif.
Succès des Mag'raoua. — Mort de Messai.a. — Nous avons
vu que les Mag'raoua, sous le commandement d'Ihn-Khazer, ne
cessaient de se poser en ennemis de la dynastie fatemide et saisis-
saient toutes les occasions d'attaquer ses frontières ou de s'allier
à ses ennemis. Selon Ibn-Khaldoun Messala aurait péri en les
combattant dans le cours de l'année 921, mais nous avons vu plus
haut qu'après être rentré de son expédition de Sidjilmassa, ce gé-
néral était allé saluer son suzerain à El-Mehdïa. L'étude compa-
rative des auteurs nous conduit à reporter cet événement à
l'année 924. Les Beni-Khazcr et autres tribus zenètes s étant lan-
cées dans la révolte, Messala marcha contre elles et après plusieurs
combats, il se laissa surprendre par Ibn-Khazer qui le tua de sa
propre main (novembre 924). Celte perte fut vivement ressentie
par le mehdi.
Une nouvelle armée ketamienne, sous le commandement de
Bou-Arous et Ben-Khalifa^, arrivée de l'est, fut complètement
détruite par les Zenètes. Grâce à ces succès, Ibn-Khazer acquit
l'adhésion de presque toutes les tribus des hauts plateaux du
Mag'reb central ; mais au delà de la Moulouïa, Mouça-ben-Bou-
l'Afia continuait à exercer le pouvoir au nom des Fatemides jusqu à
la limite extrême du territoire de Fès.
El-Haçan relève, a Fès, le trône edriside. — Sa mort. — Le
contre-coup des échecs éprouvés par les armes du mehdi se fît
aussitôt sentir en Mag'reb. Un membre de la famille edriside,
nommé El-IIaçan, dit El-IIadjam^, prince d'une grande bravoure,
releva, dans la montagne des Djeraoua, l'étendard de sa dynastie.
Marchant sur Fès, il s'empara par surprise de cette ville et en
chassa le gouverneur Rihan, le ketamien.
Aussitôt Mouça-ben-Abou-l'Afia se porta contre Fès à la tête
de toutes ses forces disponibles. El-IIaçan s'avança bravement au
devant de lui et la rencontre eut lieu entre Fès et Taza, près d'un
1. Hisloirc des Berbères, l. II, p. 527 et t. III, p. 230.
2. Selon Ibn-Hainmad.
3. Le phlébotomiste, parce qu'il avait, dit-on, l'Iiabitude de frapper
son ennemi à la veine du bras.
l'afrique sous les fatemides (927)
329
ruisseau appelé Ouad-el-Metalien. La lutte fut acharnée et la vic-
toire se prononça pour l'edriside qui contraig^nit Mouça à fuir, en
abandonnant sur le champ de bataille deux mille Miknaça, parmi
lesquels son propre fils. El-Haçan soumit alors à son autorité les
régions de Safraoua, Mediouna, Meknès, Basra, etc., c'est-à-dire la
partie centrale du Mag'reb ' (926).
En même temps, El-Moatez répudiait la suzeraineté fatemide à
Sidjilmassa, et se déclarait indépendant. C'est également vers cette
époque qu'il faut placer l'occupation de ^lelila par les Oméïades
d'Espagne. Ainsi Abd-er-Rahman prenait pied sur cette terre
d'Afrique où il cherchait depuis longtemps à exercer son influence.
Ses agents entrèrent en pourparlers avec Ibn-Khazer et un traité
d'alliance fut conclu entre le chef des Mag raoua et le khalife
d'Espagne.
Sur ces entrefaites, l'edriside El-Haçan, victime d'une sédi-
tion, fut arrêté et jeté en prison. Aussitôt Mouça-ben-Abou-l'Afia
accourut à Fès et entreprit le siège du quartier des Andalous,
resté fidèle aux Edrisides. Après une lutte acharnée, la victoire
resta aux Miknaça. Mouça voulait qu'El-Haçan lui fut livré, mais
on facilita sa fuite en essayant de lui faire escalader le rempart.
Dans sa chute, El-Haçan se brisa la cuisse et mourut misérable-
ment.
Expédition d'Abou-l'Kassem dans le Mag'reb central. — Les
succès d'Ibn-Khazer dans le Mag'reb central, l'alliance de ce chef
avec les Oméïades, décidèrent le mehdi à y faire une nouvelle
campagne et à en confier la direction à son fils. Au printemps de
l'année 927, le prince Abou-l'Kassem se mit en route à la tête d'une
puissante armée. Il passa par les montagnes des Ketama et se
heurta contre la tribu des Beni-Berzal, qui essaya de lui barrer le
passage et contre laquelle il dut entreprendre toute une série
d'opérations gênées par le mauvais temps. Ayant contraint les
rebelles à la soumission, il continua sa route vers l'ouest et dut
réduire diverses tribus telles que les Houara, et les Lemaïa, chez
lesquelles le schisme kharedjile-sofrite s'était conservé. Il est
assez difficile de dire jusqu'à quel point il s'avança dans le Mag'reb ;
ce qui paraît certain, c'est que les Mag'raoua se retirèrent dans
le sud pour éviter son attaque.
Après avoir confirmé Mouça-ben-Abou-l'Afia dans son comman-
dement, Abou-l'Kassem revint sur ses pas et s'arrêta à Mecila, dans
1. Ibn-Ivlialdoun, l. I, p. 267, l. II, p. 527, 568. El-Bekri, arl. Idri-
cidi's. Le Kartas, p. 110 et suiv. Ibu-Hammad.
330
iiisToinn: de i/ Afrique
le Hodna. Les Beni-Kemlan, tribu voisine, lui ayant manifesté de
rhostilité, il les réduisit à la soumission et, pour les punir, les
déporta à Kaïrouan. De même que les grénéraux byzantins avaient
songé à établir dans cette localité une place forte qu ils appelèrent
Justiniana-Zabi, Abou-l'Kassem traça sur les bords de TOued-Sehar
une ville destinée à couvrir la frontière du sud-ouest contre les in-
cursions des Zenètes. Il lui donna le nom de Mohammedïa, mais
l'ancienne appellation de Mecila prévalut. Le commandement de
cette place forte fut donné par lui à l'andalousien Ali-ben-Ham-
doun, qui avait été, dit-on, un des premiers partisans du mehdi et
aurait même partap^é sa captivité à Sidjilmassa. Tout le Zab fut
placé sous les ordres de cet odicier et Ton accumula dans la nou-
velle place forte des approvisionnements et des armes '.
Abou-l'Kassem rentra ensuite en Ifrikiya où l'appelait le soin
de conserver ses droits d'héritier présomptif (928).
^'ers le même temps (927|, vingt pirates maures, d'Espagne,
jetés par la (empête sur les côtes de Provence, s'établissaient au
Fraxinel et, ayant été rejoints par dos aventuriers de toute race,
fondaient une petite république qui ne tarda pas à devenir un
objet de terreur pour les régions environnantes; ces brigands par-
coururent en maîtres les .\lpes, l'Italie septentrionale, la Suisse,
et poussèrent l'audace jusqu'à venir assiéger Milan.
Succès d'Ibn-Abou-l'Afia. — Nous avons laissé dans le jMag'reb
Mouça-ben-Abou-l'Afîa maître de Fès. Après avoir reçu la sou-
mission des régions environnantes. Mouça. plaçant à Fès son fils
Medin, s'attacha à poursuivre les descendants de la famille edri-
side et leurs partisans dans les retraites où ils s'étaient réfugiés.
Les montagnes du Rif et le pays des R'omara étaient le dernier
rempart de cette dynastie déchue. Une forteresse élevée sur un
piton, au milieu de montagnes escarpées, était maintenant leur
capitale. On l'appelait Hadj ar-en-Xecer (le rocher de l'aigle . A
la mort d'El-Hadjam, la royauté était échue à Ibrahim, fils de
Mohammed-ben-Kassem. .Après avoir essayé en vain de réduire ses
adversaires dans une retraite aussi difficile d'accès, Mouça se décida
à laisser en observation son général Ibn-Abou-el-Fetah - ; quant à
lui, il alla enlever Xokour où régnait un descendant de Salah,
nommé El-Mouaïed. Les vainqueurs mirent cette malheureuse ville
au pillage et achevèrent l'œuvre de destruction commencée,
1. Ibu-Klialdoun, t. II, p. 527-553. Ibu-Hammad, passim. El-Kai-
rouani, p. 96.
2. Abou-Komah, scion El-Bekri.
l'afrique sous i,es fatemides (933)
331
quelques années auparavant, par ]\Ies?ala. Le chef des Miknaça
envahit ensuite la province de Tlemcen, où se trouvait un prince
edriside du nom d'El-Hacen, descendant de Soleïman, qui prit la
fuite à son approche et alla se réfugier à Melila (931). ]Mouça
entra vainqueur à Tlemcen.
Ce n'était pas sans motif que Mouça avait abandonné le Mag'reb.
Nous avons vu plus haut qu'Ibn-Khazer avait conclu une alliance
avec Abd-er-Rhaman III, khalife d'Espagne, surnommé En-Nacer
(le victorieux), en raison de ses grands succès sur les princes de
Léon'. Stimulé par les agents de ce prince, il avait reparu dans
le Mag'reb central, après le départ d'Abou-l'Kassem, et soumis pour
les Omeïades tout le pays compris entre Ténès et Oran. Il est
probable que l'arrivée du chef victorieux des Miknaça, maître
d'une grande partie du Mag'reb, força Ibn-Khazer à regagner les
solitudes du désert, son refuge habituel.
Pendant ce temps, le khalife d'Espagne, ne dissimulant plus ses
plans de conquête en ÎNIag'reb, enlevait Ceuta par un coup de
main. Cette ville tenait encore pour les Edrisides et sa perte fut
vivement ressentie par les derniers représentants de cette dy-
nastie (931).
^loUÇA SE PRONONCE POUR LES OmÉÏADES. Il EST VAINCU PAR LES
TROUPES FATEMIDES. — Une fois maîtrcs de Ceuta, les généraux
oméïades entrèrent en pourparlers avec Mouça-ben-Abou-l'Afia
qui se disposait à marcher contre eux, et lui transmirent de la
part de leur maître des offres très séduisantes, s'il consentait à
l'accepter pour suzerain. Le chef des Miknaça avait-il à se plaindre
du mehdi, ou jugea-t-il simplement qu'il était préférable pour lui
de s'attacher à la fortune du brillant En-Nacer? Nous l'ignorons ;
dans tous les cas, il accueillit les ouvertures à lui faites et se dé-
cida à répudier la suzeraineté fatemide pour laquelle il avait com-
battu jusqu'alors. S'étant déclaré le vassal du khalife d'Espagne,
il fit proclamer l'autorité oméïade dans le Mag'reb.
Dès que ces graves nouvelles furent parvenues en Ifrikiya, le
mehdi expédia au gouverneur de Tiharet l'ordre de marcher contre
ses ennemis du Mag'reb; mais les descendants de Messala, qui y
commandaient, ne possédaient pas de forces suffisantes pour entre-
prendre une campagne sérieuse, et l'année 932 se passa en escar-
mouches sans importance. L'année suivante (933), une armée fate-
mide se mit en route vers l'ouest, sous le commandement de
Homeïd-ben-Isliten, neveu de Messala, traversa sans peine le
1. Dozy, Musulmans d' Espagne, t. III, p. 49 et suiv.
332
HISTOIRE DE L AFRIQUE
INIag'reb central et pénétra dans le Ma^Veb extrême. Mouça atten-
dait ses ennemis en avant de Taza, sur la rive franche de la Mou-
louïa, au lieu dit Messoun. Après plusieurs jours de lutte, les
troupes fatemides parvinrent à se rendre maîtresses du camp
ennemi, ce qui contraignit Mouça à se jeter dans Teçoul, et à
appeler à son aide le général Ibn-Abou-rPetah, resté en observa-
tion devant Hadjar-en-Necer. Aussitôt Tedriside Ibrahim et ses
partisans reprirent l'ofTensive et vinrent attaquer les derrières de
Mouça. Au prollt de cette diversion, qui immobilisait le chef
miknacien, Homeïd continua sa marche sur Fès, où il entra sans
coup férir, car Medin, fils de Mouça, avait abandonné la ville à
son approche. Après avoir rétabli l'autorité fatcmide en ^lagVeb,
Homeïd reprit la route de l lfrikiya en laissant comme gouverneur
à Fès Hàmed-ben-Hamdoun '.
Mort d'Obéïd-Ai.lah, le meiidi. — Peu de temps après le retour
de l'armée, Obéïd-AUah mourut à El-Mehdïa (3 mars 934). Il était
âgé de soixante-trois ans et avait régné près de vingt-cinq ans. Il
laissait sept fils et huit filles. Les astrologues de la cour pré-
tendirent qu'au moment de sa mort la lune avait subi une éclipse
totale.
Ce prince laissait à son fils un immense empire qui s'étendait
de la grande Syrte au cœur du Mag'reb. Il faut reconnaître qu'une
rare fortune avait secondé l'ambition de ce messie (mehdi), qui,
après avoir erré en proscrit, durant de longues années, était venu
s'asseoir en triomphateur sur le trône préparé par un disciple dont
l'abnégation égalait le dévouement. Grâce à son énergie invin-
cible, Obéïd-Allah sut conserver, étendre et établir sur des bases
durables un pouvoir assez précaire au début. Nul doute que, sans
les mesures rigoureuses qu'il prit et dont les premières consé-
quences furent de sacrifier ceux auxquels il devait tout, il eût été
renversé après un court règne.
Et cependant l'ambition constante du mehdi, le désir de toute
sa vie n'était pas réalisé. C'est vers l'Orient qu'il avait les yeux
tournés et c'est sur le trône des khalifes, où son ancêtre Ali
n'avait pu se maintenir, qu'il voulait s'asseoir. Après l'insuccès de
ses tentatives militaires en Egypte, il dut se borner à employer
l'intrigue, et ce fut, dit -on, par un de ses émissaires que le
khalife El-Moktader fut tué pendant les guerres qui suivirent la
révolte de Mounès. Suivant l'historien Es-Saouli, cité par Ibn-
1. Ihn-Klialdoun, ncrhères, t. I, p. 268, t. II, p. 528, 569, t. III, p. 231.
Kartas, p. 111 et suiv. Bekri, passim.
1,'aI'RIQue sous les fatemiues (933)
333
Hammad, il aurait même annoncé ofTicielIement cette nouvelle
dans une assemblée politique où il reçut les félicitations du
peuple.
Le mehdi établit quelques modifications de rite dans la pratique
de la religion musulmane. La révolte des Karmates, qui ensan-
glanta rOrient pendant la fin de son règne, favorisa ces innova-
tions. Le pèlerinage, une des bases de la religion islamique, était
devenu impossible depuis que les farouches sectaires avaient mis
la ville sainte au pillage et enlevé la pierre noire de la Kaâba'.
Expéditions des Fatemides en Italie. — Avant de terminer ce
chapitre, nous devons passer une rapide revue des expéditions
faites en Europe pendant les dernières années du règne du mehdi.
A la suite d'une alliance conclue avec les ambassadeurs slaves
venus de Dalmatie en Afrique, une expédition fut faite, vers 925,
de concert avec eux, dans le midi de l'Italie. Les alliés s'emparè-
rent d'un certain nombre de villes détachées de l'obéissance de
l'empire, et notamment d'Otrante. Saïn, chef des Slaves, força
Naples et Salerne à lui verser une rançon, puis il fit payer tribut
à la Galabre et retourna à Palerme avec un riche butin. Les Slaves
avaient en effet pris l'habitude d'hiverner dans cette ville, dont
un quartier conserva leur nom. Beaucoup d'entre eux passèrent
en Espagne et entrèrent au service des princes omé'iades.
Malgré l'appui prêté par les Fatemides à Saïn dans son expédi-
tion d'Italie, le tribut stipulé par les précédents traités fut régu-
lièrement servi à Obé'id-Allah jusqu'à sa mort, par les Byzantins.
En 933, une flotte envoyée contre Gênes par le mehdi porta le
ravage dans les environs de cette ville".
1. Ibu-Klialdoun, t. II, p. 529 et suiv. Ihn-IIammad, passim. Ef-Kai-
rouaui, p. 96,
2. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 176 et suiv. Dozy, Musul-
mans d'Espagne, t. III, p. 61.
CHAPITRE X
SUITE DES FATEMIDES. lU'lVOLTE DE L'HOMME A L'AXE
931-947.
Règne d'El-Kaïm; premières révoltes. — Succès de Meïçour, général falemide,
en Mag"reb; Mouça, vaincu, se réfugie dans le désert. — Expéditions
fatemides en Italie et en Egypte. — Puissance des Sanhadja; Ziri-ben-
Menad. — Succès des Kdrisides; mort de Mouça-ben-Abou-rAfia. — Révolte
d'Aboii-Yezid, l'homme à l'âne. — Succès d'Abou-Yezid : il marche sur l lfri-
kiya. — Prise de Kaïrouan par Abou-Yezid. — Nouvelle victoire d'Abou-
Yezid, suivie d'inaction. — Siège d'Ei-Medhia par Abou-Yezid. — Levée
du siège d"El-Melidïa. — Mort d'El-Kaïni : règne d'Ismaïl-el-Mançour.
— Défaites d'Abou-Yezid. — Poursuite d'Abou-Yezid par Ismaïl. — Chute
d'Al)OU-Yezid.
RtcNE d'El-Ka^ïm ; PREMIÈRES REVOLTES. — Le princc Abou-
I Kassem avait pris, depuis lonfïtenips, en main la direction des
affaires de l'empire fateniide; il lui fut donc possible de tenir
secrète la mort de son père pendant un certain temps'. Il envoya
dans l est et dans l'ouest des forces suffisantes pour étouffer dans
leur germe les rébellions qui auraient pu se produire à la nouvelle
du décès du mehdi. Après avoir pris ces habiles dispositions, il
annonça le fatal événement et se fit proclamer sous le nom d'El-
K;iïm-hi-Amr-AUah (celui qui exécute les ordres de Dieu;. Il
ordonna alors un deuil public en l'honneur du mehdi et manifesta
le plus grand chagrin de sa mort, s'abstenant de passer à cheval
dans les rues d'El-Mehd'ia.
El-Ka'im, c'est ainsi que nous le désignerons maintenant, était
alors un homme de quarante-deux à quarante-trois ans. Il avait,
quelque temps auparavant, institué à El-Mehd'ia un véritable céré-
monial de cour et pris l'habitude de ne sortir qu'avec le parasol,
qui devint l'emblème de la dynastie fatemide. Selon Ibn-Hammad,
ce parasol, semblable à un bouclier fiché au bout d'une lance, était
porté au-dessus de sa tête par un cavalier.
A peine la nouvelle de la mort du souverain fatemide se fut-elle
répandue qu'une révolte éclata dans la province de Tripoli, à la
voix d'un aventurier, Ibn-Talout, qui se faisait passer pour le fils
1. Les auteurs varient entre un mois et un an.
SUITE DES FATEMIDES (934) 335
du mehdi. Entouré d'un grand nombre de partisans, cet agitateur
poussa l'audace jusqu'à attaquer Tripoli, mais son ardeur s'usa
contre les remparts de cette place et bientôt ses adeptes se tour-
nèrent contre lui, le mirent à mort et envoyèrent sa tête à El-Kaïm.
Dans la province de Kastilija, un agitateur religieux du nom
d'Abou-Yezid commençait ses prédications. Ce marabout allait,
avant peu, mettre l'empire fatcmide à deux doigts de sa perte'.
Succès de Meiçour, général fatemide, en Mag'reb. — Mouça,
VAINCU, SE RÉFUGIE DANS LE DESERT. — • Lorsquc, daus le Mag'rcb,
Mouça-ben-Abou-l'Afia apprit la mort du mehdi, il sortit de sa
retraite, et, avec l'appui des forces oméïades, se rendit maître de
Fès. Après avoir fait mourir Ilàmed-ben-IIamdoun, il se porta
dans le Rif avec l'espoir de tirer une éclatante vengeance de ses
ennemis les Edrisides, qu'il rendait responsables de ses dernières
défaites.
Cependant, l'armée fatemide, envoyée dans l'ouest, sous le
commandement de l'eunuque Me'içour, avait commencé par ré-
duire à la soumission les populations des environs de Tiharet qui,
après avoir mis à mort leur gouverneur, s'étaient placées sous la
protection de ÎMohamed-ben-Abou-Aoun, commandant d'Oran
pour les Oméïades. Ce dernier, attaqué à son tour, avait dû égale-
ment se soumettre au vainqueur. Ayant ainsi assuré ses derrières,
Me'içour n'hésita pas à marcher directement sur Fès. Il mit le
siège devant cette ville, mais il y rencontra une résistance déses-
pérée et fut retenu sous ses murailles pendant de longs mois.
El-Kaïm, ne recevant plus de nouvelles de son armée, lui
expédia du renfort sous le commandement de son nègre Sandal.
Cet officier, parvenu dans le Mag'reb, commença par se rendre
maître de Nokour, que les descendants des Beni-Salah avaient
relevée de ses ruines; puis, il opéra sa jonction à Meïçour. Les
princes edrisides entrèrent alors en pourparlers avec ce dernier et
lui proposèrent de le soutenir s'il voulait attaquer leur ennemi
mortel, Mouça. Cette démarche devait consacrer une rupture
définitive entre eux et les Oméïades. Mais, que pouvaient-ils
attendre d'Abd-er-Rahman, représenté en jNIag'reb par Ben-Abou-
l'Afia ?
Meïçour, qui, depuis sept mois, assiégeait inutilement Fès,
accepta les propositions des Edrisides et se décida à traiter avec
les assiégés. Ceux-ci reconnurent, pour la forme, l'autorité fate-
1. Ibii-Hanimad, passim. Ibu-Khalduuu, Berbères, t. 11^ p 328 et
suiv. et t. III, p. 201 et suiv.
336
HISTOIRE DE L AFRIQUE
mide. Meïçour, ayant alors réuni toutes ses forces et reçu dans
ses rangs le contingent edriside, se mit à la poursuite de Mouça,
le vainquit dans toutes les rencontres, le chassa de toutes ses
retraites et le contraignit à chercher un refuge dans le désert.
Après avoir obtenu ce résultat, Meïçour donna à El-Kacem-ben-
Edris, surnommé Kennoun, alors chef de la famille edriside, le
commandement de tout le pays conquis sur Mouça. Cependant
Fès fut réservé et les Edrisides ne rentrèrent pas encore dans la
métropole fondée par leur aïeul. Ils continuèrent à faire de Ilad-
jar-en-Nacer leur capitale provisoire.
Meïçour rentra à El-Mehdia en 936 '.
Expéditions fatemides ex Italie et en Egypte. — Pendant que
ces événements se passaient dans le MagVeb, El-Kaïm obtenait
de brillants résultats sur un autre théâtre. Une nouvelle expédition
marilime envoyée d"El-Mehdia contre Gènes remportait un grand
succès. Les soldats fatemides, après avoir enlevé d assaut cette
ville, la mirent au pillage et ramenèrent des captifs nombreux. A
leur retour, ils portèrent le ravage sur les côtes de Sardaigne et
peut-être de Corse, et rentrèrent à El-Mehdia avec un riche butin
et un millier de femmes chrétiennes captives (935^ -.
En Sicile, où quelques troubles avaient éclaté, le khalife fate-
mide envoya comme gouverneur un certain Khalil-ben-Ouerd,
homme d une rare énergie, qui ne tarda pas à rétablir la paix et
put s'appliquer tout entier à l embellissement de Palerme.
Mais El-Kaïm avait, comme son père, les yeux tournés vers
rOrient, et il faut avouer que le moment semblait favorable pour
y exécuter de nouvelles tentatives. Après la mort du khalife
El-Moktader, on avait proclamé El-Kaher-b lUah à Bagdad; mais
son règne avait été fort troublé et de courte durée. Déposé en
934, il fut remplacé par son neveu Er-Radi, fils d'El-Moklader.
Ce prince nomma alors au gouvernement de l Egypte un ofTicier
d'origine turque nommé Abou-Beker-ben-Bordj et qui prit le
titre à'Ikhchid (roi des rois). En réalité, l'Egypte devenait une
vice-royauté presque indépendante, et, comme elle était très divisée
par la guerre civile, il était naturel qu'El-Kaïm songeât à y
intervenir.
1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 142, 145, 529. Kartas, p. 117.
El-Bekri, Idricides.
2. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 529. Amari, Musulmans de Sicile,
t. III, p. 180 et suiv.
3. Il ne faut pas perdre de vue que les Turcs habilaient alors le centre
de l'Asie.
SUlTir DES KATEMIDES (935)
337
L'affranchi Zeïdane, général fatemide, partit pour l'Egypte à la
tête d'une armée et entra en vainqueur à Alexandrie, mais, Ikhchid
étant accouru avec des forces imposantes, Zeïdane ne jugea pas
prudent de se mesurer avec lui ; il s'empressa d'évacuer le pays
conquis et de rentrer en Ifrikiya.
Puissance des Sanuadja. — Ziki-ben-Menad. — La grande tribu
des Sanhadja, qui occupait la majeure partie du Tell du Mag'reb
central, n'a, jusqu'à présent, joué aucun rôle actif dans l'histoire.
Son territoire confrontait à l'est aux Ketama, au nord aux
Zouaoua du Djerdjera, et s'étendait à l'ouest jusque vers le méri-
dien de Ténès ; il renfermait des localités importantes telles que
Hamza, Djezaïr-beni-Mez'ranna (Alger), Médéa et Miliana. La
race des Sanhadja constituait une des plus anciennes souches ber-
bères. La tribu des Telkata * avait la prééminence sur les autres.
Les Mag raoua, qui confrontaient au sud et à l'ouest aux Sanhadja,
étaient en luttes constantes avec eux.
Vers le commencement du x" siècle, vivait chez les Sanhadja un
certain Menad, sorte de marabout dont la famille était venue
quelque temps auparavant s'établir dans la tribu et y avait fondé
une mosquée. Il avait un fils nommé Ziri, dont les auteurs disent :
« ...Qu'on n'avait jamais vu un si bel enfant à l'âge de dix ans,
il paraissait en avoir vingt pour la force et la vigueur'^ ». Ses ins-
tincts belliqueux s'étaient révélés de bonne heure ; aussi, dès qu'il
eut atteint l'âge d'homme, il rassembla une bande de jeunes gens
déterminés et alla faire des expéditions et des razias chez les Ma-
g'raoua. Son audace et son courage, que le succès favorisa, lui
procurèrent bientôt une grande influence parmi les Sanhadja. Il
put alors exécuter une razia très fructueuse sur les Mar'ila, établis
dans le bas Ghelif, non loin de Mazouna. Retranché dans la mon-
tagne de Titeri, au sud de Médéa, il y emmagasina son butin et y
logea ses chevaux. Malgré l'opposition de quelques rivaux, il ne
tarda pas à devenir le chef incontesté des Sanhadja. Ayant envoyé
sa soumission à El-Kaïm, il reçut de ce prince l'investiture du
commandement de sa tribu.
Ziri songea alors à se construire une capitale digne de lui et
reçut à cette occasion les conseils et les secours du souverain
fatemide, trop heureux de voir s'établir une puissance rivale
de celle des Mag'raoua et destinée à servir de rempart contre eux.
Le fils de Menad choisit l'emplacement de sa capitale dans le
1. Voir au cliap. i, 2" partie, les subdivisions de cette tribu.
2. Eu-Nouéiri, apad Ibii-Klialdoun, t. II, p. 487.
T. I. 22
338
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Djebel-el -Akhdar (Titeri), près de Médéa, et lui donna le nom
d'Achir. Lorsqu'elle fut achevée, il fit appel aux habitants de
Tobna, de Mecila et de Hamza pour la peupler '.
Succès des Edrisides ; mort de Mouça-ben-Abou-l Afia. — Dans
le Mag reb, les Edrisides consolidaient le pouvoir qu'ils avaient
recouvré et l'autorité qu'ils tenaient du f^énéral falemide. En 936,
Kaceni-Kennoun, chef de celle dynastie, s'emparait d'Azila et,
pendant ce temps, son cousin El-Hassen rentrait en vainqueur à
Tlemcen. Mouça, réduit à l'impuissance, suivait de loin ces évé-
nements, en guettant l'occasion de reprendre l'offensive.
Abd-er-Rahman-en-Nacer était alors retenu par ses guerres
contre les rois de Galice et de Léon. La fortune, jusqu'alors fidèle,
l'avait trahi, et il avait essuyé de sérieux échecs qu'il brûlait du
désir de venger. C'est ce qui explique que ses parlisans du Mag'-
reb restaient abandonnés à eux-mêmes".
En 938, eut lieu la mort de Mouça, « pendant qu'il travaillait,
dit Ibn-Khaldoun, de concert avec son puissant voisin (Ibn-Kha-
zer), à fortifier la cause des Oméïades ». On ignore s'il fut tué dans
un combat ou s'il mourut de maladie. Son fils Medine recueillit sa
succession et reçut du khalife oméïade le titre platonique de gou-
verneur du Mag'reb. Il contracta avec El-Kheir, fils de Moham-
med-ben-Khazer, une alliance semblable à celle qui avait existé
entre leurs pères, d'où il y a lieu de conjecturer que ce dernier
était mort vers la même époque.
Révolte d'Aboi-Yezid, l'homme a l'ane. — Abou-Yezid, fils de
Makhled-ben-Keïdad, zenète de la tribu des Beni-Ifrene, fraction
des Ouargou, avait été élevé à Takious, dans le pays de Kastiliya.
Il était né, dit-on, au Soudan, du commerce de son père avec une
négresse, dans un voyage effectué par Makhled pour ses affaires.
Il avait fait ses études à Takious et à Touzer, où il avait reçu
les leçons du Mokaddem [évéque) des eïbadites Abou-Ammar,
l'aveugle. Il s'était ainsi pénétré, dès son jeune âge, des principes
de ces sectaires et particulièrement de la fraction qui était dési-
gnée sous le nom de Xekkariens. C'étaient des puritains militants
qui permettaient le meurtre, le viol et la spoliation sur tous ceux
qui n'appartenaient pas à leur secte.
Abou-Yezid était contrefait, boiteux de naissance et fort laid,
mais, dans cette enveloppe frêle et disgracieuse, brûlait une âme
1. Ibn-Khaldouu, Berbères, t. II, p. 4 et suiv. En-Noueiri, loc. cit.
El-Bekri, art. Acbir.
2. Dozy, Musuli/ians d'Espagne, I. II, p. 64 et suiv.
IlÉVOLTE DE l'homme A l'aXE (942)
339
ardente et d'une énergie invincible. Il possédait à un haut degré
l'éloquence qui entraîne les masses. Dès qu'il eut atteint l'âge
d'homme, il s'adonna à l'enseignement, c'est-à-dire qu'il s'ap-
pliqua à répandre les doctrines de sa secte, et ses prédications
enflammées n'avaient qu'un but : pousser à la révolte contre l'au-
torité constituée. Il parcourut les tribus kharedjites en pratiquant
le métier d'apôtre , et se trouvait à Tiharet au moment du
triomphe du mehdi. Il se posa, dès lors, en adversaire résolu de
la dynastie fatemide. Foret de i'uir de Tiharet, il rentra dans le
pays de Kastiliya et ne tarda pas à se faire mettre hors la loi par les
magistrats de cette province. Il tenta alors d'elTecluer le pèleri-
nage, mais il ne paraît pas qu'il eût réalisé ce projet, qui n'était
peut-être qu'une ruse de sa part pour détourner l'attention.
Vers 928, il était de retour à Takious et, dès l'année suivante,
commençait à grouper autour de lui des partisans prêts à le
soutenir dans la lutte ouverte qu'il allait entamer. En 934, il se
crut assez fort pour lever l'étendard de la révolte à Takious, mais
le souverain fatemide s'étant décidé à agir sérieusement contre
lui, Abou-Yezid dut encore prendre la fuite. Il renouvela sa tac-
tique et simula ou effectua un voyage en Orient. Après quelques
années de silence, il rentrait à la faveur d'un déguisement à Touzer
(938) ; mais ayant été reconnu, il fut arrêté par le gouverneur et
jeté en prison. A cette nouvelle, son ancien précepteur Abou-
Ammar, l'aveugle, niokaddem des Nekkariens, cédant aux ins-
tances de deux des fils d Abou-Yezid, nommés Fadel et Yezid,
réunit un groupe de ses adeptes et alla délivrer le prisonnier.
Cette fois, il n'y avait plus à tergiverser et il ne restait à Abou-
Yezid qu'à combattre ouvertement. Il se réfugia dans le sud chez
les Beni-Zendak, tribu zenète, et, de là, essaya d'agir sur les po-
pulations zenètes de l'Aourès et du Zab et notamment sur les
Beni-Berzal. Il avait soixante ans, mais son ardeur n'était nulle-
ment diminuée, malgré l'âge et les infirmités. Après plusieurs
années d'efforts persévérants, il parvint à décider ces populations
à la lutte. Vers 9i2, il réunit ses principaux adhérents dans l'Aou-
rès, se fit proclamer par eux cheikh des vr,iis croyants, leur fit
jurer haine à mort aux Fatemides et les invita à reconnaître la
suprématie des Oméïades d'Espagne. Il leur promit en outre
qu'après la victoire, le peuple berbère serait administré, sous la
forme républicaine, par un conseil de douze cheiks. L'homicide et
la spoliation étaient déclarés licites à l'encontre des prétendus
orthodoxes, dont les familles devaient être réduites en esclavage'.
1. Ibii-Klialdoun, Berbères, t. II, p. 530 et suiv., t. III, p. 201 et suiv.
340 iii.stoihf: di- i/afiuqie
Succès d'Abou-Yezid. Ii, marche sur i. Ifrikiva. — En 942, Abou-
Yezid profita de l'absence du gouverneur de Bar'aï pour venir, à
la tête de ses partisans, ravager les environs de cette place forte.
Une nouvelle course dans la même direction fut moins heureuse,
car le gouverneur, qui, cette fois, était sur ses gardes, repoussa
les Nekkariens et les poursuivit dans la montagne; mais, s'étant
engagé dans des défilés escarpés, il se vit entouré de kharedjites
et forcé de chercher un refuge derrière les remparts de sa citadelle.
Abou-Yezid essaya en vain de le réduire ; manquant de moyens
pour faire, avec succès, le siège de Bar aï, il changea de tactique.
Des ordres, expédiés par lui aux Beni-Ouacin, ses serviteurs spi-
rituels, établis dans la partie méridionale du pays de Kastiliya,
leur prescrivirent d'entreprendre le siège de Touzer et des princi-
pales villes du Djerid. Cette feinte réussit à merveille, et, tandis
que toutes les troupes des postes du sud se portaient vers les
points menacés, Abou-Yezid venait s'emparer sans coup férir de
Tebessa et de Medjana. La place de Mermadjenna éprouva bientôt
le même sort ; dans cette localité, le chef de la révolte reçut en
présent un âne gris dont il fit sa monture. C'est pourquoi on le
désigna ensuite sous le sobriquet de l'homme à l'âne.
De là, Abou-Yezid se porta sur El-Orbos, et, après avoir mis
en déroute le corps de troupes kotamiennes qui protégeait cette
place, il s'en empara et la livra au pillage : toute la population
réfugiée dans la grande mosquée fut massacrée par ses troupes,
qui se livrèrent aux plus grands excès. Ainsi, un succès inespéré
couronnait les efforts de l'apôtre. L'homme à l'âne prit alors le
titre de Cheikh des Croyants : vêtu de la grossière chemise de
laine à manches courtes usitée dans le sud, il affectait une grande
humilité, n'avait comme arme qu'un bâton et comme monture
qu'un âne.
En présence du danger qui le menaçait, El-Kaïm, sans s'émou-
voir, réunit des troupes et les envoya renforcer les garnisons des
places fortes. Avec le reste de ses soldats, il forma trois corps
dont il donna le commandement en chef à Meïçour. L'esclavon
Bochra partit à la tète d'une de ces divisions pour couvrir Badja,
menacée par les Nekkariens. Le général Khalil-ben-Ishak alla
occuper Kaïrouan et Rakkada, avec le second corps. Enfin Meï-
çour demeura avec le dernier à la garde d'El-Mehdïa.
Ibn-Hammad, passim. El-Bekri, art. Abou-Yezid. El-Kairouani, p. 98
et suiv. Voir aussi rétude publiée par Cherbonneau daus la Revue afri-
caine, sous le titre Documents inédits sur l'hérétique Abou-Yezid, n" 78
et dans le Journal asiatique, passim.
RÉvoLTi; m-: i/iio.mme a l'ane (1)44)
341
Abou-Yezid marcha directement sur Badja et fit attaquer de
front l'armée de Bochra par un de ses lieutenants nommé Aïoub.
Celui-ci n'ayant pu soutenir le choc des troupes régulières,
l'Homme à l'âne effectua en personne un mouvement tournant qui
livra aux Kharedjites le camp ennemi et changea la défaite en vic-
toire. La ville de Badja fut mise à feu et à sang par les vainqueurs.
Les hommes, les enfants mêmes furent passés au fil de l'épée, les
femmes réduites en esclavage. Cette nouvelle victoire eut le plus
grand retentissement dans le pays et, de partout, accoururent,
sous la bannière d'Abou-Yezid, de nouveaux adhérents, autant
pour échapper à ses coups que dans l'espoir de participer au butin.
Les Beni-Ifrene et autres tribus zenètes formaient l'élite de son
armée. L'Homme à l'âne s'efforça de donner une organisation à ces
hordes indisciplinées qui reçurent des officiers, des étendards, du
matériel et des tentes ; quant à lui, il conserva encore la simplicité
de son accoutrement.
Prise de Kaïrouan par Ahou-Yezio. — De Tunis, où il s'était ré-
fugié, Bochra envoya contre les Nekkariens de nouvelles troupes,
mais elles essuyèrent encore une défaite à la suite de laquelle ce
général, contraint d'évacuer Tunis, alla se réfugier à Souça.
L'Homme à l'âne, après avoir fait une entrée triomphale à Tunis,
alla établir son camp sur les bords de la Medjerda, pour y at-
tendre de nouveaux renforts, afin d'attaquer le souverain fatemide
au cœur de sa puissance. Les populations restées fidèles à cette
dynastie se réfugièrent sous les murs de Kaïrouan. I^e moment
décisif approchait. En attendant qu'il pût investir El-Medhïa,
Abou-Yezid, pour tenir ses Groupes en haleine, les envoya par
petits corps faire des incursions sur les territoires non soumis.
Ces partis répandirent la dévastation dans les contrées environ-
nantes et rapportèrent un butin considérable.
Enfin l'Homme à l'âne donna le signal de la marche sur la capitale.
En avant de Souça, l'avant-garde, commandée par Aïoub^ se heurta
contre Bochra et ses guerriers brûlant de prendre une revanche.
Les Kharedjites furent entièrement défaits: quatre mille d'entre
eux restèrent sur le champ de bataille et un grand nombre de
prisonniers furent conduits à El-Medhïa, où le prince ordonna leur
supplice.
Cet échec, tout sensible qu'il fût, n'était pas sufTisant pour arrêter
l'ardeur des Nekkariens avides de pillage. Bientôt, en effet, renforcés
de nouveaux volontaires, ils reprirent leur marche vers le sud et
arrivèrent sous les murs deRakkada. A leur approche, les troupes
aI)andonncrent cette place et allèrent se renfermer dans Kaïrouan.
342
iiisToinic m: l Afrique
Après être entré sans coup férir dans Rakkada, Abou-Yezid se
porta sur Kaïrouan, qu'il investit avec les cent mille hommes dont
il était suivi.
Khalil-ben-Ishak, qui n'avait rien fait pour empêcher l'investis-
sement de la ville dont il avait le commandement, ne sut pas mieux
la défendre pendant le siège. Dans l'espoir de sauver sa vie, il
entra en pourparlers avec Abou-Yezid et poussa l'imprudence
jusqu'à venir à son camp. L'homme à l'âne le jeta dans les fers et
bientôt le fit mettre à mort, malgré les représentations que lui
adressa Abou-Amniar contre cet acte de lâcheté. Pressée de toutes
parts et privée de chef, la ville ne tarda pas à ouvrir ses portes aux
assiéf^eants (milieu d'octobre 9ii). Suivant leur habitude, les
Kharedjites livrèrent Kaïrouan au pillaj;e; les principaux citoyens,
les savants, les légistes étant venus implorer la clémence du vain-
queur, n'obtinrent que d humiliants refus ; ils auraient même, selon
Ibn-Khaldoun reçu l'ordre de se joindre aux Kharedjites et de
les aider à massacrer les habitants de la ville et les troupes fale-
mides.
On dit qu'en faisant son entrée dans la ville, Abou-Yezid criait
au peuple: <( \'ous hésitez à comb itlre les Obéïdites ? \'oyez cepen-
dant mon maître Abou-Ammar et moi ; l'un est aveugle, l'autre
boiteux : Dieu nous a donc, 1 un et l'autre, dispensés de verser notre
sang dans les combats, mais nous ne nous en dispensons pas!
Nouvelle a ictuire d'Abou-^ ezid suivie d'inaction. — Dans toute
cette première partie de la campagne, les généraux fatemides
semblent avoir lutté d'incapacité, en se laissant successivement
écraser sans se prêter aucun appui.. Après la chute de Kaïrouan,
Meïçour, sortant de son inaction, vint, à la tête d'une nombreuse
armée, attaquer le camp des Kharedjites. La bataille eût lieu au
col d'El-Akouïne, en avant de la ville sainte, et elle parut, d'abord,
devoir être favorable aux Fatemides, lorsque le contingent de la
tribu houaride des Beni-Kemlane de l'Aourès, transportée quelques
années auparavant dans l'Ifrikyia, passa dans les rangs kharedjites
et, se retournant contre les troupes fatemides, y jeta le désordre,
suivi bientôt de la défaite. Meïçour reçut la mort de la main des
Beni-Kemlane qui portèrent sa tête au chef de la révolte. Les tentes
et les étendards obeïdites tombèrent aux mains des Nekkariens. La
tête de Meïçour, après avoir été traînée dans les rues de Kaïrouan,
fut envoyée en Mag'reb avec la nouvelle de la victoire.
1. Berbc-res, t. III, p. 206.
2. Ibii-Hammad, /oc. cil.
RÉVOLTE DE l"iIOMME A l'aNE (914)
343
Abou-Yezid s'installa clans le camp de Meïçour, et, suivant son
plan de campagne, au lieu de profiter de la terreur répandue par
sa dernière victoire pour marcher sur El-Mehdïa, il lança ses guer-
riers par groupes sur les provinces de Tlfrikiya. Les farouches
sectaires portèrent alors le ravage et la mort dans tout le pays,
qu'ils couvrirent de sang et de ruines. Parmi les plus acharnés à
commettre ces excès, se distinguèrent les Beni-Kemlane. L'autorité
d'Abou-Yezid s'étendit au loin. Plusieurs places fortes tombèrent
en son pouvoir et notamment Souça, où les plus épouvantables
cruautés furent commises'.
Ce fut sans doute vers ce moment qu'Abou-Yezid envoya à
l'oméïade En-Nacer, khalife de Cordoue, une ambassade pour lui
offrir son hommage de fidélité. Cette démarche, il est inutile de le
dire, fut fort bien accueillie par la cour d'Espagne. La municipalité
de Kaïrouan avait, dit-on, insisté, pour qu'il la fit. Afin de lui
plaire, Abou-Yezid avait rétabli dans cette ville le culte ortho-
doxe ^.
L'Homme à l'âne, sur le point de réussir, agissait déjà en souve-
rain. Enivré par ses succès, il ne tarda pas à rejeter sa robe de
mendiant pour se vêtir d'iiabillements princiers et s'entourer des
attributs de la royauté. Il allait au combat monté sur un cheval
de race. Ce n'était plus l'homme à l'àne. Pendant ce temps, El-
Kaïm occupait ses troupes à couvrir sa capitale de solides retran-
chements, car il s'attendait tous les jours à voir paraître l'ennemi
sous ses murs. En même temps, il put faire passer un message aux
Ketamiens, toujours fidèles, et à leurs voisins les Sanhadja. Cesder-
niers accueillirent favoral^lement sa demande de secours. Leur chef
Ziri-ben-Menad, que des généalogistes complaisants rattachèrent
à la filiation du prophète, s'était, ainsi qu'on l'a vu, déclaré l'ami des
Fatemides ; la rivalité de sa tribu avec celle des Zenètes-^Iag'raoua
était une raison de plus pour combattre la révolte des Zenètes-
Kharedjites. Des contingents fournis par les Ketama et les San-
hadja vinrent harceler les derrières de l'armée nekkarienne, tandis
que des forces plus considérables se concentraient à Constantine.
Siège d'El-Meiidïa par Abou-Yezid. — Après être resté pendant
70 jours dans une inaction inexplicable, Abou-Yezid vint mettre
le siège devant El-Mehdïa. Le faubourg de Zouïla tomba en sa
1. Ibu-Khaldouu, Berbères, l. II, p. 532, t. III, p. 207. El-Kaironani ,
p. 100.
2. Amaii, Musulmans de Sicile, t. II, p. 200 et suiv. Dozy, Histoire
des Musulmans d' Espagne, t. III, p. 67.
3i4
HISTOIRE DU L AKRIQLE
possession, à la suite trune série de combats qui durèrent plusieurs
jours, et il s'avança jusqu à la Meçolla, à une portée de ilèche de
la ville (janvier 945). Ainsi se trouva réalisée une prédiction
attribuée au mehdi. Abou-Yezid, dans son ardeur, avait failli se
faire prendre, il reconnut que la ville ne pouvait être enlevée par
un coup de main et, ayant établi un vaste camp retranché au-
dessus de Zouïla, au lieu dit Fehas-Terennout, il entreprit le siège
régulier d"El-Mehdïa.
Ce fut alors que les Ketania et Sanhadja, pour opérer une diver-
sion, sortirent de leur camp de Constantine et vinrent attaquer, à
revers, larmée kharedjite. Mais, Abou-Yezid lança contre eux
les Ourfeddjouma, pous la conduite de Ze^gou-el-Mezati, et ces
troupes parvinrent à les repousser, .\insi, El-Kaïm demeura
abandonné à lui-même, n'ayant d autre espoir de salut que dans
son courage et sa ténacité. .Abou-Yezid pressa le siège, livrant de
nombreux assauts à la ville; les Fatemides, de leur côté, firent de
continuelles sorties. L'issue de ces engagements était générale-
ment indécise, car les assiégeants, en raison de la configuration du
terrain, ne pouvaient mettre en ligne toutes leurs forces et per-
daient l'avantage du nombre. L'Homme à l'âne se multipliait,
conduisant lui-même ses guerriers au combat et il faillit trouver
la mort dans une de ces luttes, où l'acharnement était égal de part
et d'autre.
Il fallut dès lors renoncer à enlever la place de vive force et se
contenter de maintenir un blocus rigoureux. Pour employer une
partie de ses troupes et se procurer des approvisionnements, .Abou-
Yezid les envoyait fourrager dans l'intérieur. Bientôt la famine
vint ajouter à la détresse des assiégés, entassés dans El-Mehdïa, et
El-Ka'im dut se décider à expulser les non-combattants qui étaient
venus s'y réfugier lors de l'approche des Kharedjitcs. Ces mal-
heureux, femmes, vieillards et enfants furent impitoyablement
massacrés par les Nekkariens, qui leur ouvraient le ventre pour
chercher, dans leurs entrailles, les bijoux et monnaies qu'ils sup-
posaient avoir été avalés par les fuyards l. Abou-Yezid donnait
lui-même l'exemple de la cruauté : tout prisonnier était torturé.
Les Obé'idites, de leur côté, ne faisaient aucun quartier.
Le siège traînait en longueur; les Fatemides avaient trouvé de
nouvelles ressources, soit dans les magasins d'approvisionnement,
soit par suite d'un ravitaillement exécuté par Ziri-ben-Menad, selon
Ibn-Khaldoun ce qui semble peu probable, à moins qu'il n'ait
1. Ibu-Hammud, Ibn-Klia!doiiu, El-Kairouaiii rapportent ce trait.
2. ncrbcres, t. II, p. 56.
Rli\OLTE DE L IIOM.ME A l'aNE (945)
345
été opéré par mer. Dans les premiers jours, des rassemblements
considérables de Berbères arrivant du Djebel-Nefouça, du Zab,
ou même du Mag'reb, venaient sans cesse grossir l'armée des
Nekkariens. Mais cette armée, par sa composition hétérogène, ne
pouvait subsister qu'à la condition d'agir et surtout de piller.
L'inaction, les privations ne pouvaient convenir à ces montagnards
accourus à la curée. L'Homme à l'âne essayait de les lancer sur les
contrées de l'intérieur; mais à une grande distance, il ne restait
plus rien ; tout avait été pillé. Les guerriers nekkariens commen-
cèrent à murmurer; bientôt des bandes entières reprirent le chemin
de leur pays et, une l'ois cette impulsion donnée, l'immense rassem-
blement ne tarda pas à se fondre. Promptement, Abou-Yezid
n'eut plus autour de lui que les contingents des Houara de l'Aourès
et des Beni-Kemlane et quelques Beni-II'rene. El-Ka'im profita de
l'afl'aiblissement de son ennemi pour effectuer une sortie énergique
qui rejeta l'assiégeant dans son camp. En même temps, des émis-
saires habiles suscitèrent le mécontentement parmi les derniers
adhérents d'Abou-Yezid, en faisant ressortir combien son luxe et
sa conduite déréglée étaient indignes de son caractère.
Levée du siège d'El-Mehdia. — Incapable de résister à une nou-
velle sortie et ne pouvant même plus compter sur ses derniers
soldats, Abou-Yezid se vit forcé de lever le siège au plus vite et
d'opérer sa retraite sur Kaïrouan, en abandonnant son camp aux
assiégés. Selon El-Kaïrouani, trente hommes seulement l'accom-
pagnaient dans sa fuite' (août 945).
El-Mehdïa se trouva ainsi délivrée au moment où les rigueurs
du blocus l'avaient réduite à la dernière extrémité. Depuis long-
temps, les vivres étaient épuisées ; on avait dû manger la chair
des animaux domestiques et même celle des cadavres. Les assiégés
trouvèrent dans le camp kharedjite des vivres en abondance et des
approvisionnements de toute sorte. Aussitôt, le khalife El-Kaïm-
reprit l'offensive. Tunis, Souça et autres places rentrèrent en sa pos-
session, car la retraite des Nekkariens avait été le signal d'un toile
général de la part des populations victimes de leurs excès.
Quant à Abi)U-Yezid, il avait été reçu avec le dernier mépris
par les habitants de Ka'irouan, lorsqu'ils avaient vu sa faiblesse.
L'Homme à l'âne, en éprouvant la rigueur de la mauvaise fortune,
changea complètement de genre de vie, il revint à la simplicité des
premiers jours et reprit la chemise de laine et le bâton, simple
livrée sous laquelle il avait obtenu tous ses succès. En même
1. Page 102.
346
HISTOIRE DE I, AFRIQUE
temps, des ofTiciers dévoués lui amenèrent des troupes fidèles qui
occupaient différents postes. Il se mit à leur tête et porta le rava^^c
et la désolation dans les campa^jnes environnantes.
Sur ces entrefaites, Ali-ben-Hamdoun, fjouverneur de Mecila,
ayant réuni un corps de troupe, opéra sa jonction avec les contin-
gents des Ketama et Sanhadja et s'avança à marches forcées au
secours des Fatemides. Les garnisons de Constantine et de Sicca
Veneria (le Kefl se joignirent à eux. Mais Aïoub, fils d"Abou-Ye-
zid, suivait depuis Badja tous leurs mouvements, et, une nuit, il
attaqua à l improviste Ibn-Hamdoun dans son camp. Les confé-
dérés, surpris avant d'avoir pu se mettre en état de défense, se
trouvèrent bientôt on déroule et les Nekkariens en firent un grand
carnage. Ali-ben-IIamdoun, lui-même, tomba, en fuyant, dans un
précipice où il trouva la mort'. Les débris de l'armée, sans penser
à se rallier, rentrèrent dans leur cantonnement.
Tunis était tombée, quelques jours auparavant, au pouvoir de
Hacen-ben-Ali, général d'El-Kaïm, qui avait fait un grand mas-
sacre des Kharedjites et de leurs partisans.
Aussitôt après sa victoire, Aïoub se porta sur Tunis, mais le
gouverneur Hacen étant sorti à sa rencontre, plusieurs engage-
ments eurent lieu avec des chances diverses. A'ioub finit cependant
par écraser les forces de son ennemi et le couper do Tunis, où les
Nekkariens entrèrent de nouveau en vainqueurs. Hacen, qui s'était
réfugié sous la protection de Constantine, toujours fidèle, entre-
prit de là plusieurs expéditions contre les tribus de l'Aourès.
Kncouragé par ce regain de succès, Abou-Yezid voulut tenter
un grand coup. Dans le mois de janvier Oiti, il alla, à la tète d'un
rassemblement considérable, attaquer Souça, et, pendant plusieurs
mois, pressa cette place avec un acharnement qui n'eut d'égal que
la résistance des assiégés.
Mort d'El-Kai.m. Régne d'Ismaïl-ei.-^Lxnsolr. — Sur ces entre-
faites, un dimanche, le 18 mai OiO, le khalife Abou-l'Kacem-el-
Kaïm cessa de vivre à El-Mehdia. Il était âgé de 55 ans. Avant sa
mort , il désigna comme successeur son fils Abou-Tahar-Ismaïl
qui devait plus tard recevoir le surnom d'El-Mansour (le victo-
rieux . Selon El-Kaïrouani, El-lvaïm aurait, un mois avant sa
mort, abdiqué en faveur de son iils-.
1. Histoire des Beni-Hamdoun (Appendice III au t. Il de V Histoire des
Berbères, p. 554.)
2. Page 103.
Rli\'OLTE DE L IIO.MMIC A i/a>E (946)
347
Ismaïl, le nouveau khalife faleniide, était âf^é de 32 ans. C'était
un homme courageux, instruit el distingué.
Il s'élevait, dit Ibn-Hammad, au-dessus de tous les princes de
la famille obéïdite par la bravoure, le savoir et l'éloquence. Dans
les circonstances où il prenait le pouvoir, il lui fallait autant de
prudence que de décision ; aussi, pour éviter de fournir un nou-
veau sujet de perturbation, coniniença-t-il par tenir secrète la
mort de son père. Rien, à l'extérieur, ne laissa supposer le chan-
gement de règne.
Souça était alors réduite à la dernière extrémité. Le premier
acte d'Ismaïl fut d'envoyer une Hotte porter des provisions et un
puissant renfort aux assiégés. Les généraux Rachik et Yakoub-
bcn-Ishak, qui commandaient cette expédition, abordèrent heureu-
sement et, secondés par les troupes de la garnison, vinrent avec
impétuosité attaquer le camp des Nekkariens, au moment où ceux-
ci se croyaient sûrs de la victoire. Après une courte lutte, les
kharedjites furent mis en déroute et leur camp demeura aux mains
des Fatemides. Souça était sauvée.
Abou-Yezid chercha un refuge à Kaïrouan, où se trouvaient ses
femmes et le fidèle Abou-Ammar. Mais les habitants de la ville,
indisposés contre lui à cause de ses cruautés, et voyant son étoile
sur le point d'être éclipsée, fermèrent les portes à son approche et
refusèrent de le recevoir. Il se retira à Sebiba, suivi seulement de
quelques partisans. En même temps, le khalife Isma'il, après avoir
passé par Souça, faisait son entrée à Kaïrouan (tin mai Î)i6). Il
accorda une amnistie générale aux habitants de cette ville. Les
femmes et les enfants d'Abou-Yezid furent respectés, et le prince
lit pourvoir à leurs besoins.
DÉi AiTES u'Aiî(ir-YEzm. — Cependant, l'Ibjmme à l'âne, qui avait
obtenu quelques succès sur des corps isolés, réunit encore une ar-
mée et vint, avec confiance, se présenter devant Kaïrouan ; il at-
taqua même le camp d'Ismaïl qui se trouvait en dehors de la ville.
On combattit pendant plusieurs jours avec des alternatives di-
verses; enfin le khalife, ayant reçu des renforts et pris une vigou-
reuse offensive, repoussa les kharedjites dans le sud.
Abou-Yezid envoya alors des corps isolés inquiéter les environs
de Kaïrouan et couper la route de cette ville à 1^1-Mehdïa et à
Souça. Le chef de la révolte seml)iait néanmoius à bout de forces ;
Ibrahim crut pouvoir entrer en pourparlers avec lui et lui offrir de
lui rendre ses femmes à condition qu'il s'éloignerait pour toujours.
L'Homme à l'âne accepta et reçut le pardon pour lui et ses par
tisans.
348
HISTOIRE Di; I. AFRIQLi;
yi'dis c est en vain que le prince fatemide avait espéré obtenir la
paix en traitant le rebelle avec cette fîénérosité. A peine Abou-
Yezid fut-il rentré en possession de son harem qu il revint attaquer
les F'atemides plongés dans une trompeuse sécurité (août 9i6i . Le
khalile résolut alors d en finir par la force avec ce lâche ennemi.
Ayant réuni un corps nombreux de troupes réf^ulières et d auxi-
liaires Ketama et Berbères et de l est, il se mit à leur tête et vint
attaquer les Ivharedjites qui, en masses tumultueuses, se prépa-
raient à renouveler leurs agressions. Lorsqu on fut en présence,
Ismaïl disposa sa ligne de bataille en se plaçant au centre avec les
troupes régulières et en formant son aile droite avec les contin-
gents de rifrikiya et son aile gauche avec les Ketama. Il attendit
dans cet ordre le choc de ses ennemis.
Abou-Yezid vint attaquer impétueusement les Berbères de l'aile
droite et, les ayant mis en déroute, se heurta contre le centre qui
l'attendit de pied ferme sans se laisser entamer. Après avoir laissé
aux Karedjites le temps d'épuiser leur ardeur, Ismaïl charge a la
tête de sa réserve et force 1 ennemi à la retraite. Bientôt les
adhérents d"AI)ou-Yezid sont en déroute : ils fuient dans tous les
sens en abandonnant leur camp et les vainqueurs en font le plus
grand carnage. Dix mille têtes de ces partisans furent, dit-on.
envoyées à Kaïrouan, où elles servirent d'amusement à la lie du
peuple.
Ce fut alors qu'Ismaïl traça le plan de la ville de Sabra à un
mille au sud-ouest de Kaïrouan. Celte place, qui devait être la
capitale de l'empire obéïdite, reçut le nom de son fondateur :
Mansouria la ville de Mansour . Après sa défaite. Abou-Yezid avait
en vain essayé de se jeter dans Sebiba. De là, il prit la route de
l'ouest et se présenta devant Bar'aï; cette forteresse, qu'il n'avait pu
enlever au début de la campagne, lui ferma de nouveau ses portes
et il dut en commencer le siège.
^lais il avait affaire à un ennemi dont les qualités militaires se
développaient avec les diilîcultés de la campagne. Sans lui laisser
aucun répit, Ismaïl confia le commandement de Kaïrouan à l'es-
clavon Merah, et, se mettant à la tête des troupes, alla établir son
camp à Saguïet-Menis. où il reçut les contingents des Ketama et
ceux des cavaliers nomades du sud et de l'est (octobre 946).
PiURsirri-: d'.Ahiil-Yezid v\i\ Ismaïl. — Alors commença cette
chasse mémorable qui devait se terminer par la chute de l'agita-
teur. Ismaïl marcha d'abord sur Bar'aï. A son approche, .\bou-
Yezid prit la fuite à travers les montagnes, vers l'ouest, en passant
par Bollezma el Xegaous ; il pensait pouvoir résister dans la place
RÉVOLTE HE I, 'homme A l/.\>'E (946)
3 19
forte de Tobnn, mais le khalife arriva sur ses talons et il fallut fuir
encore.
Dans cette localité, Djafer-ben-Hamdoun, [gouverneur de IMe-
cila et du Zab, vint apporter des présents à son souverain et lui
présenter ses hommages. Il lui amenait aussi un jeune chef de
partisans qui se disait le Mehdi et qu'on avait fait prisonnier dans
l'Aourès, à la tête d'une bande. J.c khalife ordonna de l écorcher
vif. « Ainsi faisait-il de tous ceux qu'il prenait », dit Ibn-Hammad,
ce qui lui valut le surnom de Vécorcheur. D'autres prisonniers
eurent les mains et les pieds coupés.
Ismaïl reçut également de iNIohammed, fils d'El-Kheir-ben-
Khazer, chef des Mag'raoua, un messafi^e amical. Ce prince, allié
des Oméïades d"Es[)ag'ne, avait, au profit de l'anarchie, étendu son
autorité jusqu'à Tiharet et exerçait sa prépondérance sur tout le
Mag'reb central. Jusqu'alors il avait soutenu l'Homme à l'âne,
mais la cause de l'agitateur devenait par trop mauvaise, et le chef
des Mag'raoua se hâtait de l'abandonner avant qu'elle fût tout à
fait perdue.
Abou-Yezid, ne sachant où trouver un appui, dépêcha son fils
Aïoub en Espagne pour tâcher d'obtenir une diversion des
Oméïades. En attendant leur secours, il se jeta dans les mon-
tagnes de Salât, sur les confins occidentaux du Hodna. Ce pays
était occupé par les Beni-Bcrzal, fraction des Demmer, qui pro-
fessaient ses doctrines. Grâce à l'appui de ces indigènes, il put
atteindre la montagne abrupte de Kiana'. Mais le khalife l'y
poursuivit, força les Beni-Berzal à la soumission et mit en déroute
les adhérents de l'agitateur.
Abou-Yezid, qui avait gagné le désert, y resta peu de temps et
reparut dans le pays des B'omert, au sud du Hodna. Ismaïl vint
l'y relancer, et l'Homme à l'âne chercha en vain à rentrer dans le
pâté montagneux de Salât. Rejeté vers le sud, il entraîna à sa
poursuite les troupes fatemides, qui reçurent, des mains des Ilouara
de Redir, Abou-Ammar l'aveugle et un autre partisan qu'ils avaient
arrêtés*. L'armée du khalife éprouva les plus grandes privations
dans cette marche, tant par le fait des intempéries que par le
manque de vivres, et elle perdit beaucoup d'hommes et de matériel.
Ismaïl pénétra alors dans le pays des Sanhadja, où il fut reçu
par Ziri-ben-Menad avec les honneurs dus à un suzerain. Pour
reconnaître sa fidélité, le khalife le nomma gouverneur de toute
1. Actuellement le Djebel-Mezita « ii 12 milles de Mecila », dit Ibu-
Hammad.
2. Ce fait, avancé par Ibu-Hammad, est contredit par Ibn-Klialdouu.
350
HISTOIRE DE l'aFRIQIE
la région, au nom des Fatemides, et lui accorda l'autoripation
d achever la ville d'Achir, dont il avait commencé la construction
dans le Djebel-el-Akhdar pour en faire sa capitale.
Après être arrivé à Hamza, Ismaïl tomba malade et dut séjour-
ner quelque temps dans le pays des Sanhadja. On avait complète-
ment perdu la trace d Abou-Yezid, lorsque tout à coup on apprit
qu il était venu, à la tête d un rassemblement de Houara et de
lieni-Kemlane, mettre le sièp:e devant Mecila. Ismaïl, qui se dis-
posait à pousser jusqu'à Tiharet, se hâta d'accourir au secours
d'Ibu-Hamdoun (fin janvier 9 il). Bientôt Abou-Yezid fut délog^é
de ses positions: ayant été abandonné par ses partisans, las de
partaj^^er sa mauvaise fortune, il n'eut d'autre ressource que de se
jeter encore dans les montagnes de Kiana.
Culte d'Abol-Yezid. — Après s'être ravitaillé à Mecila, Isma'il,
en attendant des renforts, alla bloquer la montagne où s'était ré-
fugié son ennemi. Mais celui-ci recevait des vivres de Banlious et
autres oasis du Zab, et ne soulîrait nullement du blocus. Les
contingents des tribus alliées étant enfin arrivés, l'armée fatemide
attaqua la montagne; le combat fut rude; mais à force d'énergie,
les défilés gardés par les kharedjites furent tous enlevés et les
rebelles se dispersèrent en désordre.
Abou-Yezid, entraîné dans la déroute, reçut un coup de lance
qui le jeta en bas de son cheval. Ceux qui le poursuivaient, et en
tête desquels étaient, dit-on, Ziri-ben-Menad, se précipitèrent sur
lui pour le prendre vivant ; mais son fils Younès et ses partisans
accoururent à son secours, et un nouveau combat acharné s'en-
gagea sur son corps. Les Nekkariens purent enfin emporter leur
chef blessé. Un grand nombre de kharedjites avaient été tués.
On décapita tous les cadavres, ce qui valut à cette bataille le nom
de journée des têtes'.
L'Homme à l'àne avait pu gagner le sommet de la montagne de
Kiana et se renfermer dans une citadelle établie sur un piton ap-
pelé Tacfarhoucet (l'arçon). Isma'il l'y poursuivit, mais le refuge
du rebelle était dans une position tellement escarpée qu'il dut re-
noncer à l'enlever sur-le-champ. Il planta ses tentes au lieu dit
En-Xador (l'observatoire), sur un des contreforts de la montagne,
et y commença le Ramadan le vendredi !26 mars 947. Le lende-
main, il ordonna l'assaut, mais Abou-Yezid, entouré de ses fils
1. \o\r Revue africaine, 74.
2. Ibn-Hammad.
3. Selon Ibn-Khaldoun, Abou-Ammar était aussi avec lui.
RÉVOLTE m I.'hOMMIÎ A I.'aNE (947)
351
s'y défendit avec le courage du désespoir. En vain les assiéfieanls
s'avancèrent, en traversant des ravins escarpés et en escaladant
les roches, jusqu'au pied du dernier escarpement, malgré la grêle
de pierres et de projectiles que leur lançaient les assiégés, ils ne
purent arriver au sommet, et la nuit les surprit avant qu'ils eussent
achevé d'assurer leur victoire. Pendant la nuit, Ibrahim fit incen-
dier les broussailles qui environnaient le fort, afin qu'elles ne pus-
sent favoriser la fuite de son ennemi. Les Houara, dont les habi-
tations avaient été brûlées et les bestiaux enlevés, vinrent le
soir même faire leur soumission.
Ismaïl avait pu se convaincre, dans ces journées de luttes, qu'il
n'avait pas assez de troupes pour réduire son ennemi. Il demanda
des soldats réguliers à Kaïrouan et, en attendant leur arrivée,
s'installa à son camp du Nador. « Tant que je n'aurai pas triomphé
de mon ennemi, disait-il ', mon trône sera où je campe. » Le khalife
passa ainsi de longs mois, pendant lesquels il employa les troupes
que le blocus laissait disponibles à pacifier la contrée.
Enfin les renforts arrivés par mer parvinrent au camp du Nador
et l'on donna l'assaut. Celte fois, la forteresse fut enlevée. Abou-
Yezid, ses fils et quelques serviteurs dévoués, s'étaient réfugiés
dans une sorte de réduit où ils tenaient encore. Un finit par y
pénétrer, mais l'agitateur n'y était plus; il était sorti par un pas-
sage secret et fuyait au milieu des roches, porté par trois hommes,
car il était couvert de blessures. Peut-être aurait-il échappé en-
core si ceux qui le portaient ne l'avaient laissé rouler dans un
ravin profond, d'où il fut impossible de le retirer.
Les vainqueurs finirent par le trouver à demi-mort. Ils l'appor-
tèrent au khalife, qui l'accabla de reproches sur son manque de foi
et sa conduite envers lui; néanmoins, comme il le réservait pour
son triomphe, il fit soigner ses blessures; mais, quelques jours
après, l'Homme à l'âne rendait le dernier soupir (août 917). Son
corps fut écorché et sa peau bourrée de paille pour être rap-
portée à El-Mehdïa. Sa chair et les têtes de ses principaux
adhérents ayant été salées, furent expédiées à El-Mehdïa. Du haut
de la chaire, on y annonça la victoire du khalife, et les preuves
sanglantes en furent livrées à la populace.
La chute d'Abou-Yezid fut le dernier coup porté aux Nekka-
riens. A'ioub et Fadel, fils de l'homme à l'âne, qui avaient pu
échapper, tentèrent de rallier les débris des adhérents de leur
père. S'étant associés à un ambitieux de la famille d'Ibn-Ivhazer,
1 . Selon Ibii-Hammad.
352
HISTOIRE DE I.'aFRIQCE
nommé Màbed, ils parvinrent à réunir une armée et allèrent atta-
quer Tobna et même Biskra. Mais le khalife ayant envoyé contre
eux ses généraux Chala et Kaïcer, soutenus par les continijenfs
des Sanhadja avec Ziri-ben-Menad, les aj^ilateurs furent défaits
et durent se réfugier dans les profondeurs du désert.
Ainsi se termina la révolte de l'Homme à l'âne, sous les coups
de laquelle l'empire fatemide avait failli s'écrouler. .Abou-Yezid,
dont on ne saurait trop admirer la ténacité, l'indomptable énergie
et même les talents militaires, se laissa, comme beaucoup d'autres,
griser par le succès. Par la seule faute qu'il commit, en ne mar-
chant pas sur El-Mehd'ia après la prise de Ka'irouan, il perdit à
jamais sa cause. Doit-on le regretter? Nous n'osons alTirmer que
son succès aurait été bien avantageux pour r.\frique
1. Nous avons suivi, pour tout le récit de la révollc d'Abou-Ye/Jd, les
auteurs suivants : Ibn-Klialdoun, Berbères, t. II, p. 530-542, t. III,
p. 201-213. El-Bekri, passiui. Ibn-Hanimad, passiin. El-Kaïrouani, p, 98
et suivantes. Documents sur l'hérétique Abou-Yczid, par Clierbonneau.
Eevue africaine, u° 78, et collection du Journal asiatique.
CHAPITRE XI
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE
947-973 '
Etal (lu Mag'reb et de l'Espagne. — Expédition d'EI-ilansoiir à Tiharet. —
Retour d'El-Mansour en Ifrikiya. — Situation de la Sicile; victoires de
rOuali Ilassan-bon-Ali en Ilalic. — Mort d'El-Mansour, avènement d'El-
Moëzz. — Les deux Mag'reb reconnaisscnl la suprcniatie omcïadc. — Les
Mag'raoua appellent h leur aide le khalife falemidc. — lluplurc entre les
Oméïades et les Fateinides. — Campagne de Djoulier dans le Mag'reb; il
soumet ce pays à l'autorité faleniide. — duerre (ritalie et de Sicile. —
Evénements d'Espagne; mort d'Abd-er-Raliman-en-Nacer ; son (ils El-
llakeni II lui succède. — Succès des Musulmans en Italie et en Sicile. —
Progrès de l'inlluenrc oméïade en Mag'reb. — Etat de l'Orient; El-.Moczz
prépare son expédition. — Conquête de l'Egypte par Djouher. — Ucvolles
en Afri<|ue; Ziri-ben-Mcnad écrase les Zenèles. — Mortde Ziri-ben-JIenad ;
succès de son fds Bologguine dans le Mag'reb. — El-Moëzz se dispose à
([uitter rifrikiya. — El-Moëzz transporte le siège de la dynastie faleniide
en Egypte. — Appendice. Chronologie des Falemides d'Afrique.
Etat du M.vg reb et de i. "Espagne. — Il n'avait pas l'allu à Ismaïl
moins de deux années de luttes incessantes pour triompher de la
terrible révolte de l llomme à l'âne. C'était un f^rand résultat,
obtenu grâce à l'éneri^ie du khalife, et le surnom d'Ed-Mansour
qui lui l'ut donné, il faut le reconnaître, était mérité. Mais, si le
principal ennemi était abattu, il restait bien des plaies à fermer.
Pendant celte crise, l'autorité fatemide avait perdu tout son pres-
tige dans l'ouest, au profit des Oméïades d'Espaone. Le Mag'reb
et Akça, en entier, leur obéissait déjà. Les lils de Ben-Abou-l'-.Alîa,
nommés El-Bouri, Mcdien et Abou-cl-Monkad, y gouvernaient
en leur nom. Les Edricides, toujours cantonnés dans le pays des
R'omara et obéissant à leur chef Kennoun, se tenaient seuls éloi-
gnés du khalife espagnol, mais en se gardant bien de témoigner
contre lui la moindre hostilité.
Auprès de Tlemcen, les Beni-Ifrene avaient peu à peu étendu
leur domination sur leurs voisins; ayant pris une part active à la
révolte d'Abou-Yezid, ils avaient profité de la période de succès
de cet agitateur pour augmenter leur empire. Le khalife En-Nacer,
par une habile politique, avait nommé leur chef, Yala-ben-Moham-
med, gouverneur du Mag'reb central. Enfin, à Tiharet, comman-
dait Hamid-ben-Habbous pour les Oméi'ades.
T. I. 23
354 iiisToiRi: DE i.'afhiquk
Eli Espagne, Abd-er-liahnian-en-Xacer avait obtenu, dans le
nord, de non moins grands succès, en profitant de la discorde qui
paralysait les forces des chrétiens ; Gastille et Léon étaient en
guerre. Les Castillans, sous le commandement de Ferdinand
Gonzalez, surnommé rexccllent Comte, avaient cherché à s'af-
franchir du joug un peu lourd de Ramirc II, prince de Léon ;
mais la fortune avait Iralii Ferdinand : fait prisonnier par son
ennemi, il avait été tenu dans une dure captivité et n'avait obtenu
la liberté qu'en renonçant à exercer aucun commandement. Les
Musulmans, pendant ces luttes fratricides, avaient reporté leur
frontière jusqu'au delà de Medina-Céli '.
ExpÉDiTif)N i>'l"j.-M.\NS()LR A TiiiAHKT. — Le khalife Ismaïl voulut
profiter de son séjour dans l'ouest pour tâcher d'y rétablir son
autorité. Ayant convoqué ses alliés à Souk-Hamza -, il fut rejoint
dans cette localité par Zin-jjen-Mcnad avec ses Sanhadja. Dans
le mois de septembre 9i7, l'armée s'ébranla et marcha directement
sur Tiharet; Ilàmid prit la fuite à son approche et gagna Ténès,
d'où il s'embarqua pour l'Espagne.
Une fois maître de Tiharet, le sou\erain fatemide ne jugea pas
à propos de s'enfoncer davantage dans l'ouest, il préféra entrer en
pourparlers avec ^ ala, le puissant chef des Beni-lfreii. Afin de le
détacher de la cause oméïade, il lui offrit de le reconnaître comme
son représentant dans le Mag'reb central, avec la suprématie sur
toutes les tribus zenètes. Yala accueillit ces ouvertures et adressa
à El-Mansour un hommage plus ou moins sincère de soumission.
Tranquille de ce côté, le khalife alla châtier les tribus louatiennes
de la vallée de la Mina, lesquelles étaient infectées de khared-
jisme. Après les avoir contraintes à la soumission, il se disposa à
rentrer en Ifrikiya; mais, auparavant, il renouvela l'octroi de ses
faveurs à Ziri-ben-Menad, dont le secours lui avait été si utile, et
lui confirma l'investiture de chef des tribus sanhadjiennes et de
tout le territoire occupé par elles jusqu'à Tiharet. Cette vaste
région comprenait, en outre des villes d'Achir et de Hamza, celles
de Lemdia (Médéa), Miliana, et enfin une bourgade à peine connue
auparavant, mais qui avait pris, depuis peu, un grand développe-
ment et était destinée au plus brillant avenir, nous avons nommé
1. Do7.y, Musiilniarts d' /''spagiir, t. III, p. 64 et stiiv. Kartas. p. 417.
Ibn-Klialdoun, Berbères, t. I, p. 270, t. II, p. 148-569, t. III, p. 213 cl
suiv. El Bekri, trad., art. Idricidcs. Ibn-Haramad, loc. cit. El Mar-
racki, éd. Dozy, p. 27 et suiv.
2. Actuellement Bouira, au N.-E. d'Auinale.
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE (948)
355
Djeza'ir-hcni-Mezr'anna (Alf;er). Bologguinc, fils de Ziri, fut in-
vesti par son père du commandement de ces trois dernières
places '.
Retour d'El-Mansouiî en Ifrikiva. — Avant de reprendre le
chemin de l'est, le khalife adressa en Ifrikiva des lettres par les-
quelles il annonçait la mort de son père et son avènement sous le
titre à' El-M;in^our-l)i-Amcr-AUnh (le vainqueur par Tordre de
Dieu). Le 18 janvier 918, il faisait son entrée triomphale à
Kaïrouan, précédé par un chameau sur lequel était placé le man-
nequin d Ahou-Yczid, soutenu par un homme. De chaque côté,
deux siuf^es, qui avaient été dressés à cet office, lui donnaient des
soulllets et le tiraient par la barbe-. Les plus j^rands honneurs
furent prodij;ués au souverain victorieux.
Peu de temps après, on reçut la nouvelle que Ividel, fils d Abou-
Yezid, était sorti du Sahara à la tête d'une bande de pillards, qu'il
ravageait l'Aourès et était venu mettre le sièj^'-e devant Bar'aï.
^lais bientôt il fut mis à mort par un chef zenatien, qui envoya sa
tête au kalife. Celui-ci fit expédier en Sicile la peau d'Abou-Yezid
et la tête de son fils, mais le vaisseau qui portait ces tristes restes
fil naufrage et tout le monde périt. Seul le mannequin de l'Homme
à l'âne fut rejeté sur le rivage; on l'attacha à une potence, où il
resta jusqu'à ce qu'il eût été mis en lambeaux par les éléments.
Aioub, l'autre fils de l'apôtre nekkarien, fut également assassiné
par un chef zenète, et ainsi la famille de l'agitateur se trouva en-
tièrement détruite; ses cendres mêmes furent dispersées.
Situation de la Sicile; ^•ICTOIRl:s de l'Oi ali ILvssan-el-Kelri en
Italie. — Pendant les années d'anarchie qui avaient été la consé-
quence de la révolte d'Abou-Yezid, la Sicile était demeurée aban-
donnée aux aventuriers berbères amenés par Khalil. Personne n'y
exerçait effectivement l'autorité, et les chrétiens en avaient pro-
filé pour cesser de payer le tribut. Ceux-ci tenaient, en réalité, la
partie méridionale de l'île, mais ils étaient misérables et vivaient
dans un état de luttes permanentes, incertains du lendemain.
Beaucoup de villes, tributaires des Musulmans, . avaient rompu
tout lien avec l'empire. A Palerme, la famille des Beni-Tabari,
d'origine persane, avait usurpé peu à peu l'autorité.
Un des premiers soins d'El-Mansour fut de placer à la tête de
1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 6.
2. Ibn-Hammad, loc. cit.
356
HISTOIRE DE L AFRIQUE
l'île un do ses plus fidèles soutiens, dont la famille s'était distin-
guée en Mag'reb et en Espaj^ne, l'arabe kelbite Hassan-ben-Ali.
Il lui conféra le titre d'Ouali igouverneur), qui devint ensuite hé-
réditaire dans sa famille (9i8). Hassan trouva Païenne en état de
révolte, mais il parvint à y pénétrer par ruse, et, s'élanl saisi des
Tabari, les fit mettre à mort.
Hassan entreprit alors de châtier les chrétiens qui avaient secoué
le joun;. Sur ces entrefaites, Constantin Porphyroj^énète, qui occu-
pait le trône de l'empire, las de payer un tribut aux Musulmans,
envoya des troupes en Calabre pour reconquérir l'indépendance.
Hassan, de son côté, ayant reçu des renforts d'El-Mansour, alla
attaquer Reggio avec une armée nombreuse ['.).'30i, puis mettre le
siège devant Gerace. Les Grecs étant arrivés, l'ouali les battit et
les força de se réfugier à Otrante et à Bari; puis il rentra à Pa-
ïenne. Deux ans plus tard, Hassan passa de nouveau en Italie, où
des troupes nombreuses avaient été amenées, et y remporta de
grandes victoires. Les tètes des vaincus furent expédiées dans les
villes de Sicile et d'Afrique (mai 83'2 .
Dans l'été do la même année, l'ouali de Sicile signa avec l'en-
voyé de l'empereur une trêve reconnaissant aux Musulmans le
droit de percevoir le tribut. Hassan établit une mosquée à
Reggio'.
Mort d'Ei.-M.vnsoi r. .\vl;ne.ment d'El-Moezz. — Le khalife avait
transporté sa demeure à Sabra, vaste château situé près de Ka'i-
rouan, qu'on appelait El-Mansouria, du nom de son fondateur.
De là, il dirigeait la guerre d'Italie et suivait les événements de
Mag reb, où l'influence fatemide avait entièrement cessé pour faire
place à la suprématie oméïade.
Au commencement de l'année 953, El-Mansour tomba malade,
à la suite d'une partie de plaisir où il avait pris un refroidisse-
ment. Dans le mois de mars -, il rendait le dernier soupir. Il
n'était âgé que de trente-neuf ans, sur lesquels il en avait régné
sept.
Son fils Maâd [.\bou-Teiniin) , qui avait été désigné par lui
comme héritier présomptif parmi ses dix enfants, lui succéda et
prit le nom d'El-Moëzz li dine Allah (celui qui exalte la religion
de Dieu). C'était un jeune homme de vingt-deux ans, doué d'un
1. Amai i, Musulmans de Sicile, t. II, p. 203-248. Ibu-Klialdoun, t. II,
p. 540-541.
2. Le 27 jauvier, selon Ibu-Klialdoun, en désaccord sur ce point avec
tous les autres auteurs.
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE (953)
357
esprit mûr et ferme. Le "25 avril, il reçut le serment de ses ofTi-
ciers, et s appliqua immédiatement à la direction des affaires de
l'état. Il alla ensuite faire une tournée dans ses provinces, afin
de s'assurer de la fidélité de ses gouverneurs et de l'état de défense
des frontières '.
Les deux ALxg reb reconnaissent la suprématie oméiade. — De
graves événements s'étaient accomplis en Mag'reb, ainsi que nous
l'avons dit.
Le chef de la famille cdricide, Kacem-Kennoun, étant mort en
949, avait été remplacé par son fils Abou-rAïch-Ahmed, sur-
nommé El-F;'idel (l'homme de mérite). Ce prince, qui entretenait
des relations avec la cour oméïade, s'empressa de faire hommage de
vassalité à En-Nacer et de rompre avec les fatemides. Les autres
branches de la famille cdricide envoyèrent également des dépu-
tations au souverain de l'Espagne musulmane, et ainsi toute la
région septentrionale du Mag'reb extrême se trouva placée sous sa
suzeraineté. Mais il ne suffisait pas à En-Nacer que l'on y prononçât
la prière en son nom ; il lui fallait des gages plus sérieux et il de-
manda bientôt à l'imprudent El-Fâdel de lui céder les places de
Tanger et de Ceuta-.
Dans le Mag'reb central, Yâla-ben-Mohammed, chef des Beni-
Ifrene, et Mohammed-ben-Khazer, émir des Mag'raoua, avaient
été complètement détachés, par les agents d'En-Nacer, de la
cause fatemide, et avaient reçu l'investiture du gouvernement
oméïade. Ils s'étaient alors partagé le pays : Ibn-Khazcr avait eu
pour son lot la région orientale ; il était venu s'installer à Tiharet,
et, sur celte frontière, s'était rencontré avec les Sanhadja, enne-
mis héréditaires des Mag'raoua. Aussi, les luttes n'avaient pas
tardé à recommencer entre ces deux tribus. Quant à Yâla, il avait
conservé la région de l'ouest et étendu sa suprématie sur les po-
pulations du nord jusqu'à Oran ; pour se créer un refuge et un
point d'appui, il se construisit, dans les hauts plateaux, à une
journée à l'ouest de Maskara, une capitale qui reçut le nom d'If-
gane ; les villes environnantes en fournirent les premiers habi-
tants ^
Ainsi, les deux Mag'i'eb reconnaissaient la suprématie oméïade.
Fès, même, avait reçu un gouverneur envoyé au nom du khalife.
1. Ibu-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 142.
2. Kartas, p. 117, 118. Ibu-Klialdoun, t. II, p. 147, 569. El-Bekri,
Idricidcs.
3. Ibn-Klialdouii, Berbères, t. II, p. 148, t. III, p. 213, t. I"V, p. 2.
El-Bekri, passim.
358
HISTOIRE DE L AFRIQL'E
Seule, l oasis de Sidjilmassa, où réj^nail un descendant de la fa-
mille miknacienne des Beni-Ouaçoul, nommé Mohammed-ben-el-
Fetah, refusa de suivre l'exemple du reste du pays. Ce prince
répudia même les doctrines kharedjites et se déclara indépendant
en prenant le nom A' Ech-Chaker-V lUah (le reconnaissant envers
Dieu)'.
La «Jurande tribu des Miknaça, qui avait toujours à sa tête des
descendants de Ben-Abou-l'Afia, était restée fidèle à la cause
oméïade, malgré les revers qu'elle avait éprouvés.
Les Mag'haola aitellent a leur aide ee khalife iatemide. —
Nous avons vu qu'En-Nacer avait réclamé aux Edricides la
possession de Tanj^er et de Ceuta, les clefs du détroit. Ayant es-
suyé un refus, il profita des dissensions survenues parmi les
membres de cette famille pour intervenir en Maj^ reb. Un corps
d'armée envoyé dans le Rif, sous le commandement de cet Homéid
qui avait été précédemment expulsé de Tiharet par les P'atemides,
remporta de {grandes victoires, s'empara de Tanifer et força El-
Fàdel à la soumission (951). Chassé de Hadjar-en-Xecer, il ne
resta à celui-ci que la ville d'Azila sur le littoral.
Ilomc'id reçut ensuite le commandement de Tlemcen et le khalife
ome'iade envoya à Yàla, chef des Beni-Ifrene, de nouveaux lémoi-
j^nages de son amitié. Il n'en fallut pas davantage pour exciter la
jalousie d IIjn-Kha/.cr, auquel le •;ouvernement Iatemide venait
de donner un paj^e en faisant mettre à mort ce Mâbed qui avait
soutenu autrefois les fils d'Abou-Vezid, et qui visait ouvertement
à l'usurpalion de l'autorité sur les Maj;"raoua. Bientôt Yala poussa
l'audace jusqu'à venir enlever Tiharet aux Maj^'raoua, puis Oran, à
Ben-.Abou-Aoun. Mohammed-ben-Khazer, rompant alors d'une
manière définitive avec les Oméïades, alla, de sa personne, en Ifri-
kiva porter ses doléances. Le khalife El-Moëzz le reçut avec les
plus farauds honneurs, accepta son hommaLje de vassalité et se fit
donner par lui les renseignement les plus précis sur l'état du
Mag'reb (95 i).
Dans le cours de la même année, El-Moëzz appela à Kaïrouan
le chef des Sanhadja, et renouvela avec lui les traités d'alliance
cjui le liaient à son père. De grandes réjouissances furent données
en l'honneur de ce chef qui rentra, comblé de présents, dans son
pays, avec l'ordre de se tenir prêt à accompagner et soutenir les
troupes qui seraient envoyées dans le Mag'reb.
1. lbn-Ivli;ildoun, Bcrbtres, t. I, p. 264.
FIN DE LA DOMINATION KATEMIDIÎ (958)
359
RUPTL'RIÎ ENTRE LES OmÉIADES ET LES FaTEMIDES. Eli 955, le
khalife oméïade, ayant conclu une trêve avec Ordono III, fils et
successeur de Ramire, et une autre avec Gonzalez, pour la Castille,
se décida à intervenir plus activement en Afrique et commença
les hostilités contre la dynastie fatemide, en faisant, sans aucun
autre préambule, saisir un courrier allant de Sicile en Ifrikiya.
Comme reprc'sailles, VA-Moih./. donna à El-Hacen-le-Kelbi, gou-
verneur de Sicile, Tordre de tenter, avec la flotte, une descente en
Espagne. Ce chef, ayant pu aborder auprès d'Alméria, porta le
ravage dans la contrée et rentra chargé de butin.
Pour tirer, à son tour, vengeance de cet allVont, En-Nacer lança,
peu après, sa flotte, commandée par son alfranchi R'aleb, contre
rifrikya. Mais, des mauvais temps et l inhospitalité des côtes afri-
caines ne lui ayant pas permis de débarquer, il dut rentrer dans les
ports d'Espagne. L'année suivante, il revint avec une flotte de
soixante-dix navires, opéra son débarquement à Merça-El-Kharez
(La Calle), et, de ce point, alla ravager le pays jusqu'aux environs
de Tabarka. Cela fait, il rentra en Espagne.
Mais ces escarmouches n'étaient que des préludes d'actions plus
sérieuses. Le khalife En-Nacer voulait attaquer l'empire fatemide
au cœur de sa puissance et préparait une grande expédition, lors-
qu'il apprit la mort d'Ordoiio III (957) et son remplacement par
son frère Sancho, dont le premier acte avait été la rupture du traité
conclu avec les Oméiades. Forcé de voler au secours de la frontière
septentrionale, En-Nacer dut ajourner ses projets sur l'Afrique'.
Campagne de Djoimieu dans le Mag'reb ; il soumet ce pays a l'au-
torité FATEMIDE. — El-Moëzz jugca aloi's Ic moment opportun pour
réaliser l'expédition en Mag'reb qu'il méditait depuis longtemps.
Ayant donc réuni une armée imposante, il en confia le comman-
dement à son secrétaire (kateh), l'afl'ranchi chrétien Djouher dont
la renommée, comme général, n'était pas à faire. En 958, Djouher
partit à la tète des troupes. Parvenu à Mecila, il y prit un contin-
gent commandé par Djâfer, fils de Ali-ben-IIamdoun, et fut rejoint
par Ziri-ben-Menad, amenant ses guerriers. Mohammed-bcn-
Khazer se joignit également à la colonne, avec quelques Mag'raoua.
C'est à la tête de ces forces considérables que Djouher pénétra
dans le Mag'reb. Yàla s'avança à sa rencontre avec les Beni-Ifrcne
et il est possible, comme le dit Ibn-Khaldoun, que les deux chefs
entrèrent en pourparlers et qu'Ibn-Khazer essaya encore de se
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 73 et suiv. Amari, Musul-
mans de Sicile, t. II, p. 249. Ibii-Klialdoun, t. Il, p. 542.
360
HISTOIRE DE L AFRIQUE
sauver par une souinis?;ioii plus ou moins sincère. Selon la version
du Kartas, il y eut de san;:jlants combats livrés auprès de Tiharet.
Quoi qu'il en soit, Vàla fut tué par les Ketama et Sanhadja, qui
voulaient f^ai,'ner la prime promise par le général fatemide. Sa tête
fut expédiée au khalife en Ifrikiya.
Djoulier s attacha ensuite à poursuivre les Beni-Ifrene ; il écrasa
leur puissance et dévasta Ifgane leur capitale. De là, il marcha sur
Fés où commandait Ahmed-hen-Beker el-Djodami , pour les
Ûméïades. 11 dut entreprendre le sièj;e de cette ville qui était bien
fortifiée et pourvue d un f;rand nombre de défenseurs. Après quel-
ques elforts, voyant que les assiéj^és tenaient avec avantaj^e, il
se décida à décamper et à marcher sur Sidjilmassa, où le prince
Mohammed-Chaker-l'-lllah s'était déclaré indépendant, sous la
suprématie abasside et avait frappé des monnaies à son nom. Ce
roitelet lui ayant été livré, Djouher le chargea de chanies ; puis,
après avoir rétabli dans ces contrées lointaines l'autorité fate-
mide, il conduisit son armée vers l'ouest et s'avança jusqu'à
l'Océan, en soumettant sur son passage les populations sahariennes.
On dit que, des bords de l'Océan, il envoya à son maître des
plantes marines et des poissons de mer dans des urnes.
De là, Djouher revint devant P'ès et, à force de persévérance et
de courage, réussit à enlever d'assaut celte ville, où Ziri-ben-Me-
nad pénétra un des premiers par la brèche. Ahmed-ben-Beker fut
fait prisonnier et la ville livrée au pillage. Après y avoir passé
quelques jours, Djouher y laissa un gouverneur, et partit pour le
liif afin de soumettre les Kdrisides. Abou-l'Aïch-el-Fadel était
mort et c'était El-IIassan-ben-Kennoun qui l'avait remplacé.
Pour conjurer le danger, ce prince se réfugia dans le château de
, Iladjar-en-Xecer et, de là, envoya sa soumission au général fate-
mide, en protestant que l'alliance de sa famille avec les Omé'iades
avait été une nécessité de circonstance. Djouher accepta cette
soumission et confirma Hassan dans son commandement du lîif et
du pavs des R omara, en lui assignant comme capitale la ville de
Basra.
Après avoir soumis toute cette partie du Mag reb et expulsé, ou
réduit au silence, les partisans des Oméïades, Djouher laissa, comme
représentant de son maître dans cette région, les alTranchis Kaïcer
et Modaffer, puis il reprit la route de l'est. En passant à Tiharet,
il donna cette ville comme limite de ses états à Ziri-ben-Menad, en
récompense de sa fidélité.
A son arrivée à Ka'irouan, le général fatemide fit une entrée
triomphale et reçut les plus grands honneurs. 11 traînait à sa suite,
enfermés dans des cages de fer, Mohammed-ben-Ouaçoul, le sou-
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE (959)
361
vcrain détrôné Sidjilniassa et Ahmed-beii-Beker, l'ancien gouver-
neur de Fcs (959) '.
Guerre d'Italiiî et de Sicile. — Pendant c[ue l'autorité fatcmide
obtenait en May rcb ces succès inespérés, la guerre avait recom-
mencé en Italie entre les Byzantins et les Arabes. L'empereur
Constantin avant romjiu la trêve en 95t), avait envoyé, contre les
Musulmans d'Italie, des troupes tliraces et macédoniennes. Le
patrice Argirius était alors venu mettre le siège devant Naples,
pour punir celte ville de son alliance avec les inlidèles. Ammar,
i'rère de Hassan, opéra une diversion en Calabre.
Mais, l'année suivante, Reggio est surpris par un capitaine
byzantin nommé Basile, la colonie anéantie et la mosquée détruite.
De là, Basile va attaquer Mazara en Sicile et défait Hassan qui
était accouru avec ses troupes, puis il se retire.
lin 95S, Hassan, ayant rejoint Ammar en Calabre, alla, avec
toutes ses forces navales, attaquer à Otrante la Hotte byzantine.
Un coup de vent favorisa la fuite des navires impériaux et poussa
ceux des Musulmans sur les côtes de Sicile, oii plusieurs firent
naufrage. En 9()0, une trêve fut conclue avec l'empire et dura
jusqu'à l'élévation de Nicéphore Phocas-.
E\ ÉNEMENTS d"1']s1'AGNE. MoRT d AiîD-EU-RaIIMAN III (EN NaCEr) .
Son fils El-IIake.m II lui succède. ■ — En Espagne le roi Sancho
avait été détrôné et remplacé par Ordono l\\ qui devait être sur-
nommé le Mauvais (958). La grand'mère de Sancbo, Tota, reine
de Navarre, se rendit elle-même à Cordoue, pour déterminer le
khalife omé'iade à rétablir son (ils sur le trône. lùi-Nacer accepta,
à la condition que dix forteresses lui fussent livrées, et bientôt
l'armée musulmane marcha contre le royaume de Léon. Au mois
d'avril 859, Sancho était maître de la plus grande partie de son
royaume; l'année suivante, le comte Ferdinand tombait aux mains
des Navarrais ; la révolte était vaincue et Ordono I\' cherchait un
refuge à Burgos.
Les a\'antages ol^tenus dans le nord étaient pour le kiialife une
bien faible compensation de ses perles en Africpie. Il avait vu en
quelques mois disparaître les résultais de longues années d'efTorts
persévérants. Dominé par le chagrin qu'il en ressentit, all'aibli
1. Ibn-Klialdouii, Bcrijcrcx, t. I, p. 265, t. II, p. 8, 543, 555, t. III,
p. 2l!o et siiiv. Le K;irt;\s, p. 121, 122. El-Bckri, pnssim. Ei-K;iirou;uii,
p. 106, 107.
2. Amari, Musiiliitaits de Sicile, t. II, p. 250 cl suiv.
362
iiisToinn: di: i.'afrique
par l'âge, Abd-er-Raliman-en-\acer tomba malade et rendit le
dernier soupir le 16 octobre 9fil, à 1 âge de soixante-dix ans. Ce
prince avait régné pendant quarante-neuf ans et, sauf en Mag reb,
la fortune lui avait presque toujours été favorable. Après avoir
pris un pouvoir disputé, un royaume réduit presque à rien, il
laissait l'empire musulman d'Espagne dans l'état le plus florissant,
le trésor rempli, les fronlièros respectées. Cordoue, sa brillante
capitale, avait alors un demi-million d'habitants, trois mille mos-
quées, de superbes palais, cent treize mille maisons, trois cents
maisons de bain, vingt-huit faubourgs' ».
El-Hakem II, fils d'.\bd-er-Rahman, lui succéda. Aussitôt, le roi
de Léon, qui était humilié de la protection des Musulmans, com-
mença à relever la téle et il fut facile de prévoir que la paix ne
serait plus de longue durée'.
Succiis DES Mlsl'lmans ex Sicile et en Italie. — l^n Sicile, le
gouverneur kelbite avait entrepris d'arracher aux chrétiens les
places qu'ils tenaient encore. Vers la fin de 962, son fils Ahmed se
rendit maître de Taormina, qui avait opposé une héroïque résistance
de six mois. Un grand nombre de captifs furent envoyés en Afrique
et la ville reçut le nom d'Kl-Moëzzïa en l'honneur du khalife. Dans
toute l'île, la seule place de Rametla restait aux chrétiens. EntXiS,
Ilassan-ben-Ammar vint l'assiéger et la pressa en vain, pendant
de longs mois. Sur le point de succomber, les chrétiens purent
faire parvenir un appel désespéré à Byzance.
De graves événements venaient de se produire dans la métropole
chrétienne de l'Orient. L'empereur Romain II, faible souverain,
qui ne régnait que de nom, était mort, le 15 mars 963, et avait
été remplacé par deux enfants en bas âge, sous la tutelle de leur
mère et d'un eunuque. Quelques mois après, le général Nicéphore
Phocas, qui avait acquis un grand renom par la conquête de l'île
de Crète (en mai 961), et qui disposait de l'armée, s'empara du
pouvoir.
Le nouvel empereur répondil à l'appel des Siciliens en leur
envovant une armée de i(),00(> hommes, tous vétérans de la cam-
pagne de Crète, sous le commandement de Xicétas et de son neveu
Manuel Phocas. De son côté, El-Moëzz renvoya Hassan en Sicile
avec des renforts beri)ères (septembre-octobre 964). La flotte
byzantine ayant occupé Messine, l'armée s'y retrancha, et de cette
base les généraux rayonnèrent dans l'inlérieur. Manuel Phocas
1. Dozy, Miisulniafis d' Espagne, t. III, p. 91. 92.
•1. Ibid.. p. 95. El-M;iri;ikclii (éd. Dozy), p. 28 et suiv.
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDK (965)
363
all i lui-même au secours de Ramelta et li\'ra, près de celle ville,
une grande bataille aux Musulmans ("24 octobre). L'action fut
longtemps indécise, mais la victoire se décida enlin pour ces der-
niers. Manuel Pliocas et dix: mille de ses guerriers y trouvèrent
la mort. Le butin fait dans cette journée fut considérable. Hassan
mourut dans le mois de novembre suivant.
Ramelta continua à se défendre avec héroïsme pendant une
année entière. Enfin, en novembre Oo,"), les assiégés, réduits à la
dernière extrémité, ne purent empêcher les Musulmans de péné-
trer par la brèche. Les hommes lurent massacrés, les femmes et
les enfants réduits en esclavage, et la ville pillée. A'crs le même
temps, Ahmed atteignait la ilotte byzantine à Reggio, l'incendiait
et faisait prisonnier l'amiral Nicétas et un grand nomijre de per-
sonnages de marque cpii furent envoyés à El-Mehdïa.
Ahmed attaqua ensuite les villes grecques de la Calabre, les
soumit au tribut et les contraignit à signer une trè\'e
PiioGiu'cs DK L iM i.i'KNCE f)Mi':iADi-: EN MAG'in:ii. — Pendant cpie le
kalife fatemide était absorbé par la guerre de Sicile et d'Italie, le
Mag rel), à peine reconquis, demeurait livré à lui-même, et les
Oméïades cherchaient par tous les moyens à y reprendre de
l'inlluence. Les généraux Kaïcer et ModaU'er, qui, nous l'avons
vu, avaient été laissés comme réprésentants du khalife dans ces
régions, prêtèrent-ils l'oreille aux émissaires d'Espagne, ou furent-
ils victimes de calomnies? Nous l'ignorons. Toujours est-il ([u'El-
Moëzz les fit mettre à mort comme traîtres (96r).
Peu après, Sidjilmassa répudiait encore une fois la suprématie
fatemide et ouvrait ses portes à un fils d'Ech-Chaker, ([ui se
faisait reconnaître sous le nom d lil-Mostancer-l'IUah. .Ainsi la
dynastie des Beni-Ouaçoul reprenait le commandement des régions
du sud. En l)6i, le nou\'ea;i sou\'erain était mis à mort par son
frère Abou-Mohammed. Ce prince, qui s'était donné le titre d'El-
Moâtezz-l'Illah, proclama de nouveau l'autorité omé'iade, dans le
sud du ^Lig'rei), et la fit reconnaître par les tribus du haut Mou-
lou'ia.
Dans le Rif, les Edrisides étaient comblés de cadeaux par le
souverain d'Espagne, qui ne négligeait rien pour les rattacher à sa
cause. En même temps, El-Hakem faisiiit réparer et compléter les
fortifications de Ceuta, où il entretenait une forte iiarnison-.
1. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 259 et siiiv.
2. EI-Bokri, passim. Ibii-Klialdouu, t. I, p. 265, l. II, p. 544. 569.
Karlas, p. 125, 12G.
364
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Etat de l'Orient. Ee-Moezz prépare son expédition. — Les sou-
verains de la dynastie fatemide, suivant l'exemple donné par son
fondateur, n'avaient cessé d'avoir les yeux tournés vers l'Orient;
c'est sur l'Arabie qu'ils devaient régner, et il avait fallu des motifs
aussi graves que la révolte d'Abou-Yezid et la nécessité de défendre
le Mag'reb contre les entreprises des Oniéïades, pour faire ajourner
ces projets. El-Moëzz les avait à cœur, au moins autant que ses
devanciers, et il faut reconnaître que, depuis longtemps, le moment
d'agir n'avait paru aussi favorable.
L'empereur d'tJrient, dégoûté par l'insuccès de ses tentatives
en Sicile et en Italie, menacé dans la péninsule par Othon de Saxe
et occupé, du reste, par ses conquêtes en Asie, tendait à se
rapprocher d'El-Moëzz, et même à s'unir avec lui dans un intérêt
commun. Le khalife abbasside, ayant perdu presque toutes ses pro-
vinces, était réduit à la possession de Bagdad et d'un faible rayon
alentour. Les Bou'ides tenaient la Perse: les Byzantins étaient
maîtres de l'Asie Mineure. Enlin, les Karmales, ces terribles
sectaires' qui avaient ravagé la MekUe, parcouraient les provinces
de l'Arabie et commençaient à en déborder. La Syrie et l'Egypte
obéissaient aux Ikhchidites.
Rapprochés par un intérêt commun, El-Moëzz et Phocas con-
clurent, en U67, une paix qu'ils estimaient devoir être avantageuse
pour chacun d'eux. Le khalife fatemide intima alors à l'émir de
Sicile l'ordre de cesser toute hostilité et d'appliquer ses soins à la
colonisation et à l'administration de l'îJe.
Libre de ce côté, l'empereur envoya toutes ses troupes en Asie.
Il enleva aux Ikhchidites les places du nord de la Syrie, tandis que
les Karmates envahissaient cette province par le midi. Sur ces
entrefaites, Ikhchid vint à mourir (968), en laissant comme suc-
cesseur un enfant de onze ans, sous la tutelle de l'aifranchi Kafour.
La révolte, cette compagne des défaites, éclatait partout. Les
événements, on le voit, favorisaient à souhait les projets d'El-Moëzz.
Le khalife, voulant à tout prix éviter les échecs que ses a'ieux
avaient éprouvés dans l'est, résolut de ne se mettre en route
qu'après avoir assuré, par ses précautions, la réussite de l'entre-
prise. Par son ordre, des puits furent creusés et des approvision-
nements amassés sur le trajet que devait suivre l'ariiiée. En même
temps, comme il voulait assurer ses derrières, Djouher fut envoyé
1. Les Karmates admettaient l'usage du vin, réduisaient les jours de
jeûne à deux par an, prescrivaient cinquante prières par jour au lien de
ci:iq. cL enfin avaient modifié à leur guise presque toutes les prescrip-
tions de la religion musulmane.
FIN DE h\ DOMINATION FATEMIDE (969)
365
avec une armée dans le Mag-"reb. En outre des intrigues oméïades
dont nous avons parlé, et qu'il fallait réduire à néant, le j^énéral
fatemide avait pour mission de rétablir la paix entre les Sanhadja
et les Mag'raoua, toujours rivaux. Mohammed-ben-Khazcr était
mort depuis quelques années, et le système des razias avait re-
commencé. Djouher passa, dit-on, deux ans dans le Mag'reb et ne
revint en It'rikiya qu'après avoir tout rétabli dans l'ordre, fait ren-
trer les impôts et recruté une nombreuse et solide armée' (968).
CoNQuiîTE DE i.'Egypte PAR DjouiiER. — Au mouicnt où tout était
prêt pour le départ, un événement imprévu vint encore favoriser
les projets d'El-Moezz. Kafour, qui, en réalité, gouvernait depuis
deux ans l'empire ikhcbidite, mourut (968), et le pays demeura en
proie aux factions et à l'anarchie. De pressants appels furent
adressés d'Egypte au khalife. Au commencement de février 969,
l'immense armée, qui ne comptait, dit-on, pas moins de cent mille
cavaliers, partit pour l'Orient sous le commandement de Djouher.
Le khalife, entouré de sa maison et de ses principaux oilîciers,
vint à Rakkada faire ses adieux à l'armée et à son brave chef.
Parvenu sans encombre en Egypte, Djouher reçut, auprès
d'Alexandrie, une députation de notables venus du vieux Caire
pour lui offrir la soumission de la ville. Les troupes restées fidèles
se trouvaient alors en Syrie (juin 967). ALiis, après le départ des
envoyés, un mouvement populaire s'était produit au Caire et cha-
cun se prétendait prêt à combattre. Djouher reprit donc sa marche
et, ayant rencontré l'ennemi en avant de la capitale, il le culbuta
sans peine et fit son entrée au Caire le 6 juillet 969. La souverai-
neté des fatemides fut alors proclamée dans toute l'I'lgypte, en
même temps que la déchéance des Ikhchidites. Ce fut en très peu
de temps, et pour ainsi dire sans combattre, que le descendant du
mehdi devint maître de ce beau royaume, depuis si longtemps con-
voité, et pour lequel ses ancêtres avaient fait tant d'efforts stériles.
Après avoir tracé, à son camp de Fostat, le plan d'une vaste
citadelle qu'il appela El-Kahera {la Triomphante i-^ Djouher jugea
indispensable d'agir en Syrie, où les partisans de la dynastie dé-
chue s'étaient réunis en forces assez considérables. Il y envoj'a un
de ses généraux, le ketamien Djafer-ben-Falah, avec une partie de
l'armée. Ramla, puis Damas tombèrent au pouvoir de l'armée
fatemide (novembre-décembre 969).
1. Amari, Musdlmans de Sicile, t. II, p. 274 et suiv. Ihii-Khaldoun,
Berbères, t. II, p. 34't et suiv., t. III, p. 233 et suiv., El-Kairouaui,
p. 107 et suiv.
2. C'est de ce nom qu'où a fait Le Caire.
366
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Djouher s'était présenté en Ep^ypte comme un pacificateur. Il
continua ce rôle après la victoire, rétablit la marche régulière de
Tadministration, en plaçant partout des fonctionnaires pris parmi
les Ketama et Sanhadja, et s appliqua surtout à ne pas froisser les
convictions relif;ieuses et à maintenir les usa<,'os qui n'étaient pas
contraires à la Sonna et au Koran. Il jeta, dit-on, les fondations
de la fameuse mosquée El-Azhar'.
Révoltes en Afrique. Ziri-ben-Mexad écrase les Zenétes. —
Dans le Mag'reb, la cause fatemide était loin d'obtenir d'aussi
brillants succès. Aussitôt après le départ de Djouher, le feu de la
révolte y avait de nouveau éclaté. La rivalité cjui existait entre les
Maj^ raoua , commandés par Mohammcd-ben-el-Kheïr , petit-fils
d'Ibn-Khazer, et Ziri-be|i-Menad, avait été habilement exploitée
par le khalife El-IIakem. Les agents oméïadcs avaient également
réussi à exciter Diàfer-ben-IIamdoun contre Ziri, en lui faisant
remarquer combien il était humiliant pour lui de voir les faveurs
du souverain fatemide être toutes pour le chef des Sanhadja.
IJientôt la révolte éclatait sur un autre jioint c(, tandis que Djou-
her parlait pour l'Egypte, un certain .Abou-Djàfer se jetait dans
l'Aourès, en appelant à lui les mécontents et en ralliant les débris
des Nekkaricns. El-Moëzz, en personne, marcha contre le rebelle,
mais, à son approche, les Nekkariens se débandèrent, et Abou-
Djàfer n'eut d'autre salut que dans la fuite. Le khalife, qui s'était
avancé jusqu'à Bar'aï, chargea Bologguine, fils de Ziri, de pour-
suivre les révoltés et rentra dans sa capitale. Peu après, .Abou-
Djàfer faisait sa soumission.
La rivalité entre les Sanhadja et les Mag'raoua s'était trans-
formée en un état d'hostilité permanente. Sur ces entrefaites,
Mohammed-ben-el-Kheir, chef de ces derniers, contracta alliance
avec les autres tribus zenètes, toutes dévouées aux Oméïades, et
leva l'étendard de la révolte.
Les partisans avérés des Fatemides furent massacrés et on pro-
clama, dans tout le Mag'reb, l'autorité d'El-Hakem. Tandis que
les ^lag'raoua et Zenata se préparaient à prendre l'offensive, Ziri-
ben-Menad fondit sur eux à l'improviste à la tête de ses meilleurs
guerriers sanhadja. Sou fils Bologguine commandait l avant-garde.
Le premier moment de surprise passé, les .Zenètes confédérés
essayèrent de reformer leurs lignes, et un combat acharné s'en-
gagea. Enfin les Beni-Ifrene lâchèrent pied en abandonnant les
Mag'raoua. Ceux-ci, entlammés par l'exemple de leur chef, se
1. Amari, Musulmans de Sicile, t. IL p- 284 el suiv.
DE I.A DOMINATION l ATIîMIDE (971)
367
firent tuer jusqu au dernier. j\Iohanimecl-l3en-cl-Klicïr, après avoir
vu tomber tous ses guerriers, se perça lui-même de son épée. Les
pertes (les Zenètes, et surtout des Mag raoua, furent considérables.
On expédia à Kaïrouan les têtes des principaux chefs (970). Le
résultat de cette victoire fut de rétablir, pour un instant, l'auto-
rité fatemide dans le Mag reb ' .
Mort de Ziri-iîen-Menad. Succès de son fils Boi.ogguine dans i.e
Mag'reb. — Kl-Moëzz n élait pas sans inquiétude sur les intentions
de Djàfer-ljcn-Hamdoun, dont la jalousie \'cnait d'être excitée par
les derniers succès de Ziri. 11 le manda amicalement à sa cour;
mais le gouverneur de jMecila, craignant quelque piège, leva le
masque et alla rejoindre les Zenètes, qui avaient été ralliés par
El-Kheïr, lils de Mohammed-ben-Khazer-, lirûlant du désir de tirer
vengeance de la mort de son père. Bientôt ces deux chefs enva-
hirent le pays des Sanhadja, à la tête d'une armée considérable.
Ziri-ben-Menad, pris à son tour au dépourvu et séparé de son fils
Bologguine, rassembla à la hâte ses guerriers et marcha contre
l'ennemi avec sa bravoure habituelle. Celte fois la victoire se dé-
clara contre lui. Après un engagement sanglant, les Sanhadja
commencèrent à prendre la fuite. En vain Ziri tenta de les ral-
lier : son cheval s étant abattu, il fut aussitôt percé de coups par
ses adversaire-, qui se ])récipilèrent sur son corps et le décapi-
tèrent (juillet 971]. Yahïa, frère de Djâfer-ben-IIamdoun , fut
chargé de porter à Cordoue la tète de Ziri. On l'exposa sur le
marché de la ville.
A la nouvelle de ce désastre, Bologguine accourut pour ven-
ger son père et préserver ses provinces. Il atteignit bientôt les
Zenètes et leur infligea une entière défaite. Il reçut alors du
khalife le diplôme d'investiture, en remplacement de son père, et
l'ordre de continuer la campagne si bien commencée. A la tète
d'une armée composée de guerriers choisis, Bologguine se porta
d'abord dans le Zab, pour en expulser les partisans d'Ibn-IIam-
doun, et s'avança jusqu'à Tobna et Biskra; puis, reprenant la di-
rection de l'ouest, il chassa devant lui tous les Zenètes dissidents.
Après un séjour à Tiharet, il se lança résolument dans le désert,
où El-Klieïr et ses Zenètes avaient cherché un refuge, et les pour-
suivit jusqu'auprès de Sidjilmassa. Les ayant atteints, il les mit de
nouveau en déroule; El-Kheïr, fait prisonnier, fut mis à mort.
1. Ibii-Kli:ildouii, Berbères, t. II, p. 7, 149, 549, t. III, p. 234 et suiv.
El-Kairouani, p. 125. El-Bekri, passini.
2. Nous suivons ici l'usage indigène consistant à doinier le nom de
l'aïeul, devenu patronymique, en supprimant celui du père.
368
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Quant à Djâfer, il alla demander un asile en Espa^jne, auprès
d'El-Hakem.
Traversant alors le Maj^ reb extrême, Bologf^uine revint vers le
Rif, où les Edrisides s'étaient de nouveau déclarés les champions
de la cause oméïade. El-Hacen-ben-Kennoun dut, encore une fois,
changer de drapeau et jurer fidélité au khalife fatemide. Après
cette courte et brillante campagne, dans laquelle les Mag raoua et
Bcni-Ifrene avaient été en partie dispersés, au point qu'un certain
nombre d'entre eux étaient allés chercher un refuge en Espagne,
Bologguine se disposa à revenir vers l'est ; auparavant, il défendit
aux Berbères du Mag'reb de se livrer à l'élève des chevaux, et,
pour compléter I cfTet de cette mesure, ramena avec lui toutes les
montures qu'on put saisir'.
1mi passant à Tlemcen, il déporta une partie de la population de
cette ville et la fit conduire à Achir -.
El-Moezz se prépare a quitter l'Ifrikiva. — Pendant que la
cause fatemide obtenait ces succès en Mag'reb, ses armées, habi-
lement conduites, achevaient de détruire en Syrie la résistance
des derniers partisans de la dynastie ikhchidite. Le fds de Djouher
conduisit lui-même à Ka'irouan les membres de cette famille faits
prisonniers. Le khalife les reçut avec une grande pompe, couronne
en tête, et leur rendit la liberté.
Mais les Fatemides trouvèrent bientôt devant eux, en Syrie,
des adversaires autrement redoutables; les Karmates, sous le com-
mandement d'El-Hassan-ben-Ahmed, avaient conquis une partie
de ce pays et s'avançaient menaçants. Le général ketamien Djàfer-
ben-Felah, envoyé contre eux, fut entièrement défait et perdit la
vie dans la rencontre. Damas tomba aux mains des Karmates, qui
marchèrent ensuite contre l'Egypte.
Les brillantes victoires remportées par les Fatemides risquaient
d'être annihilées, comme elTet, si une main puissante ne venait
prendre le commandement dans la nouvelle conquête. Djouher
pressait depuis longtemps le khalife de transporter en Egypte le
siège de l'empire: mais El-Moëzz, au moment de réaliser le rêve
de sa famille, hésitait à quitter cette Ifrikiya, berceau de la puis-
sance fondée par le mehdi. En présence des complications surve-
nues en Syrie Djouher redoubla d'instances, et comme, en même
1. El-Kairouaui, p. 127.
2. Ibu-Khaldouu, t. II. p. 8, 150, 548, t. III, p. 234 235, 255. Kartas,
p. 125. El-Bekri, Idiicides, passim.
FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE (972) 369
temps, arriva à Kaïrouan la nouvelle de la pacification du MagVeb
par Boloyguine, Kl-Moëzz se décida à partir pour l'Orient. Il
établit son camp à Sardenia, entre Kaïrouan et Djeloula, y réunit
les troupes qu'il devait emmener, et s'occupa de prendre toutes
les dispositions nécessaires en vue de l'abandon définitif du pays.
La faraude dilliculté était de pouvoir laisser l'IfriUiya dans des
mains sûres. Afin de ne pas donner trop de puissance à son représen-
tant, il divisa le pouvoir entre plusieurs fonctionnaires. Le Kela-
mien AI)d-Allab-ben-Ikhelef fut nommé <;ouverncur de la province
de Tripoli. En Sicile, la famille des Ben-el-Kelbi avait conservé
le commandement; I'>l-Moëzz craignit que l'influence énorme dont
elle jouissait la poussât à se déclarer indépendante. 11 rappela de
l'île le j;'ouverncur .\bmed-ben-cl-Kelbi, et charj;ea un allVanchi,
du nom de laïch, de la direction des aiïaires. Mais, à peine celui-ci
était-il arrivé, que la révolte éclatait et que le prince s'empressait
d'envoyer dansl ile, commegouverneur, Bel-Kassem-el-Kelbi. Quant
au poste quasi-royal de "gouverneur de l'Ifrikiya et du Maj^'reb
résidant à Ka'irouan, le khalife le réserva à Bolopguine, fils de Ziri,
dont rintellif;ence et le dévouement lui étaient connus. La per-
ception de l'impôt fut confiée à deux fonctionnaires, sous les ordres
directs du khalife; le cadi et quelques chefs de la milice furent
également réservés à sa nomination; enfin, un conseil de grands
olliciers fut chargé d'assister Bologguine '.
El.-MOEZZ TRANSPORTE LE SIEGE DE LA DYNASTIE FATEMIDE EN EgYPTE.
— Au commencement de l'automne de l'année 972, Bologguine
rentra de son heureuse expédition. Le khalife l'accueillit avec les
plus grands honneurs et lui accorda les titres honorifiques de Sif-
ed-Daoula (l'épée de l'empire'j et d'Ahou-el-Felouh (l'homme aux
victoires] ; il voulut en outre qu'il prît le nom de Youçof. Lui
ayant annoncé son intention de le nommer gouverneur de l'Afrique,
il lui traça sa ligne de conduite, et lui recommanda surtout de ne
cesser de faire sentir aux Berbères une main ferme, de ne pas
exempter les nomades d'impôts, et de ne jamais donner de com-
mandement important à une personne de sa famille, qui serait
amenée à vouloir partager l'autorité avec lui. Il lui prescrivit en-
core de combattre sans cesse l'influence des Oméïades dans le
Mag'reb et de faire son possible pour expulser définitivement leurs
adhérents du pays.
1. Ibii-Khaldoun. t. Il, p. 9, 10, 549, 550. El-Kaïrouani, p. 110. Ibn-
El-Athii-, passiiii. De Quatremère, Vie d' El-Mocz. Amari, Musulmans
de Sicile. \>. 287 et s\iiv.
ï. I. 24
370
IIISTUIRl; Dl: I, AlRIQL'n
Dans le mois de novembre 972, El-Moëzz se mit en route et fut
accompaf^né jusqu'à Sfaks par Bologguine. Le khalife emportait
avec lui les cendres de ses ancêtres et tous ses trésors fondus en
lingots. C'était bien l'abandon définitif d'un pays que les Fatemides
avaient toujours considéré comme lieu de séjour temporaire.
El-Moëzz arriva à Alexandrie dans le mois de mai 973. Le 10 juin
suivant, il fit son entrée triomphale au vieux Caire (Misr) et alla
fixer sa résidence au nouveau Caire (El-Kahera-el-Moëzzïa' . Nous
perdrons de vue, maintenant, les laits particuliers à sa dynastie
en Eg-ypte, pour ne suivre que le cours des événements accomplis
en Mag'reb ' .
Ainsi les derniers souverains de race arabe ont quitté la Ber-
bérie, car nous ne comptons plus les Edrisides dispersés et sans
forces et dont la dynastie est sur le point de disparaître de
l'Afrique. Partout le peuple berbère a repris son autonomie; il
n'obéit plus à des étrangers; il va fonder de puissants empires et
avoir ses jours de grandeur.
APPENDICE
CHRONOLOGIE DES FATEMIDES d'aFRIQL'E
Date Je l'avènement
Obé'id-Allah-el-:Mehdi Janvier 910.
Abou-l'-Kacem-el-Kaïm 3 mars 934.
Ismaïl-el-Mansour 18 mai 946.
Maad-el-Moëzz Mars 953.
Son départ pour l'Egypte Décembre 972.
1. Ibn-Khaldoun, t. II. p. 10. 550. 551. El-Kairouani. p. 111, 124. El-
Bekri, passim. Amari, Musulmans de Sicile, p. 287 et suiv.
CHAPITRE XII
L IFRIKIYA SOLS LES ZIRIDES (SAMIAD.TA). — \.K MAfiT.EB
SOUS LES OMELVDKS
973-997
.Modificalions ellinofii-aphiques dans lo JFag'reb cenfraL — Succès des
Oniçïades dans le Mag'reb; chute des Edrisides; mori d'El-Ilakem. — Ex-
l>éditions des Mag'raoïia contre Sidjilmassa et contre les Berg'ouata. —
Expédition de Holofîguine dans le Mag'i'eb; ses succès. — Bologguine, ar-
rêté à Ccula par les Oméïades. envahit le pays des Berg'ouata. — Mort de
liologguine; son lils El-Mansour lui succède. — Guerre d'Italie. — Les
Oméïades d'Espagne étendent de nouveau leur autorité sur le Mag'reb. —
llévolles des Kelaina réprimées par El-Mansour. — Les deux Mag'reb sou-
mis à l'autorité oméïade; luttes entre les Mag'raoua et les Ueni-Ifrene. —
Puissance de Ziri-ben-Atiya; abaissement des lieni-Il'rene. — Mort du
gouverneur El-Mansour; avènement de son fils Radis. — Puissance des
gouverneurs kelbites en Sicile. — Rupture de Ziri-ben-Atiya avec les
Oméïades d'Espagne.
Modifications ethnogr.\phiques dans le Mag'reb central. — Les
résultats des dernières campagnes de Djouheret de Bologguine en
Mag'reb avaient été très importants pour l'ethnographie de cette
contrée. Les Mag'raoua et Beni-Ifrene vaincus, dispersés, rejetés
vers l'ouest, durent céder la place, dans les plaines du Mag'reb
central, à leurs cousins les Ouemannou et Ilounii, qui, jusque-là,
n'avaient guère fait parler d'eux. Sur les Zenètes expulsés, un
grand nombre, et, parmi eux, les Beni-Berzal, allèrent se réfugier
en Espagne el fournirent d'excellents soldats au khalife omé'iade.
D'autres se placèrent sous les remparts de Ceuta
Les Sanhadja, au comble de la puissance, étendirent leurs limites
et leur influence jusque dans la province d'Oran.
Un autre mouvement s'était produit dans les régions saha-
riennes. La grande tribu zenète des Beni-Ouacine s'avança dans le
désert de la province d'Oran et se massa entre le mont Rached ^,
ainsi nommé d'une de ses fractions, et le haut Moulouïa jusqu'à
Sidjilmassa, prête à pénétrer, à son tour, dans le Tell ^.
1. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 236, 294.
2. Actuollement Djebel-Amour.
3. Ibn-Khaldoun, ^crôf/fs, t. III, p. 327, t. IV, p. 2, 5, 25.
IlISlOIIilC 1)K I. AIHKJl l-:
Les débris des j\Iaj;"raoua, ralliés autour de la famille d"Ibn-
Khazcr, passèrent le Moulouïa et s"avancèrent du côté de Fès, en
usurpant peu à peu les conquêtes des Miknaça '.
Succès des Omioïades en Mag'reu ; chute des Edrisides; mort
d'Ei.-IIake.m. — El-IIakcm voulut profiter du départ d'El-Moëzz
pour rcf;aj;ner le terrain perdu en Map'reh, et, tandis que le kha-
life fatemide s'éloif^nait vers l est, une armée oméïade, commandée
par le vi/ir Mohammed-bcn-Tamlés, débar(|uait à Ceuta, avec la
mission de châtier le prince edriside pour sa défection. Cette fois,
El-IIassan, décidé à combattre, s'avança à la rencontre de ses en-
nemis et les défit complètement en avant de Tanjjer. Les débris
de ces troupes. Africains et Maures d"Espagne, se réfugièrent à
Ceuta et demandèrent du secours à El-IIakem. Le khalife, plein
du désir de tirer une éclatante vengeance de cet aifront, réunit une
nouvelle et formidable armée, en conlia le commandement à son
célèbre général R'aleb et l envoya en ^lag reb. Il lui recommanda,
s'il ne pouvait vaincre, de savoir mourir en combattant, et lui
déclara qu il ne voulait le revoir (pie victorieux. Des sommes
d arf^ent considérables furent mises à sa disposition. La campagne
devait commencer par la destruction du royaume edriside.
Cependant l edriside El-Hassan, tenu au courant de ces prépa-
ratifs, s'empressa de renfermer ce qu'il possédait de plus précieux
dans sa forteresse imprenable de ILuljar-en-Necer, puis il évacua
Basra, sa capitale, et se retrancha à Kçar-Masmouda, place forte
située entre Ceuta et Tanger. R'aleb ne tarda pas à venir l'atta-
quer et, durant plusieurs jours, on escarmoucha sans grand avan-
tage de part ni d'autre. Le général oméïade parvint alors à cor-
rompre, à force d'or, les principaux adhérents d'El-IIassan, et
celui-ci se vit tout à coup abandonné par ses meilleurs othciers et
contraint de se réfugier à Ilad jar-en-Necer.
R'aleb l'y suivit et entreprit le siège du nid d'aujle. La position
défiait toute attaque et ce n'était que par un blocus rigoureux
qu'on pouvait la réduire. Pour cela, du reste, des renforts étaient
nécessaires, et bientôt arriva dans le Rif une nouvelle armée
oméïade, commandée par Yahïa-ben-Mohainmed-et-Todjibi, gé-
néral qui était investi précédemment du commandement de la
frontière supérieure en Espagne. Avec de telles forces, le siège fut
mené vigoureusement et il ne resta à El-Hassan d'autre parti que
de se rendre à la condition d'avoir la vie sauve (octobre 973). Ainsi
disparut ce qui restait du royaume edriside.
1. I.oc. cit., t. I, p. 265, (, III, p. 235.
I.llHIKI VA SOUS M;S ZIlilDI-S (Î^'/O)
373
Après la chule de II:uljar-en-Neccr, R'aleb rechercha partout
les derniers descendants et partisans de la dynastie d Edris, dans
le Rif et le pays des R'oniara. De là, il pénétra dans l'intérieur du
Mag'reb. Arrivé à Fès, il y rétablit l'autorité oniéïade et laissa
deux gouverneurs : l'un dans le quartier des Kaïrouanides et
l'autre dans celui des Aiulalous. R'aleb parcourut ainsi le Mag'reb
septentrional et laissa partout des représentants de l'autorité
oméïade.
Après a\'oir rempli si bien son mandat , R'aleb nomma gou-
verneur général du Mag'reb '^'ahïa-et-Todjibi , et rentra en
l^spagne, traînant à sa suite les membres de la i'amille edriside, des
prisonniers de distinction et une foule de Rerbères qui avaient
suivi ses drapeaux. Le khalife El-IIakem, suivi de tous les notables
de Cordoue, vint au devant du général victorieux, le combla
d'honneurs, et reçut avec distinction El-IIassan-ben-Kennoun et
ses parents. Il fit des cadeaux à ces princes et leur assigna des pen-
sions (septembre 971).
Peu de jours après, El-IIakem, atteint d'une grave maladie, re-
mettait la direction des alfaires de l'état à son xi/.'ir, Moushafi.
Presque aussitôt, ce minisire se débarrassa des Edrisides, dont l'en-
tretien était ruineux pour le trésor, en les expédiant vers l'Orient.
On les débarqua à Alexandrie, où ils furent bien accueillis par le
souverain fatemide. La maladie d'El-IIakem avait eu, en outre,
pour conséquence, de redonner de l'espoir aux chrétiens du nord,
et, comme la frontière avait été dégarnie de troupes, ils l'atta-
quèrent en dilTérents endroits. Dans cette conjecture, le vizir n'hé-
sita pas à rappeler d'Afrique le brave Yah'ia-et-Todjibi pour l'en-
voyer reprendre son conmiandement dans le nord. Djâfer-ben-
Hamdoun, chargé de le remplacer en Mag'reb, emmena avec lui
pour l'assister son frère Yahïa.
El-Hakem, sentant sa fin prochaine, réunit, le 5 février 976,
tous les grands du royaume et leur fit signer un acte par lequel
son jeune fils Ilicham était reconnu pour son successeur. Le pre-
mier octobre suivant, le khalife mourait et l'empire passait aux
mains d'un mineur : c'était la porte ouverte à toutes les compé-
titions et, par voie de conséquence, le salut du Mag'reb'.
Vers la même époque (97.")), Guillaume de Provence mettait fin
à la petite république musulmane du Fraxinet. Depuis cinquante
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III. p. 124 et suiv. Ibn-Khaldoun,
t. II, p. 151, .556, 559 570. Kuri.Ts, p, 125 et siiiv,, 140 et suiv, El-Be-
kri, passira. El-Marrakclii (éd. Dozy), p. 29 et suiv.
374
HISTOIRE DE L AFRIQUE
ans ces brif;ands répandaieiil la terreur en Provence, dans le Dau-
phiné, en Suisse, dans le nord de l'Italie et sur mer
MxpÉLirrioNS i)i;s Mag raola contre Siujil.massa et C(i.ntri; i,es
Berg ol ata. — Arrivé en Ma>;"rel3. à la fin de l'année 975, Djafer-
ben-IIamdoun s'appliqua à apaiser les discussions qui avaient
éclaté entre les Mag'raoua, Beni-Ifrene et Miknaça, et qui étaient la
conséquence de la récente ininiit;ration des tribus zenétes. Pour
les occuper, il permit aux Ma<;'raoua de tenter une expédition
contre Sidjilmassa, où réj^nait toujours le Midraride Abou-Mo-
bammed-el-Moatezz.
L'année suivante, un i;rand nombre de Maji'raoua et de Beni-
Ifrene, sous la conduite d'un prince de la famille de Khazer,
nommé Khazroun-ben-Felfoul, se portèrent sur Sidjilmassa, et,
après avoir défait les troupes d'El-Moatezz, qui s'était avancé en
personne contre ses ennemis, s'emparèrent de l'oasis ; El-Moa-
tezz ayant été mis à mort, sa tète fut envoyée à Cordoue. Khaz-
roun, qui s'était emparé de tousses trésors, fut nommé chef du
pays pour le compte du khalife d'Espa-jne, dont la suprématie fut
proclamée dans ces contrées éloii;nées. Ainsi à Sidjilmassa, comme
sur le cours du bas-Moulouïa, les .Miknaça durent céder la place aux
Zenètes-Mag'raoua, qui s'inslallèrent définitivemeut dans le Ma-
jj;'reb extrême.
Quelque temps après, une querelle s'éleva entre Djàfer-ben-
Ilamduun et son frère '^ahïa. Ce dernier vint alors, avec un cer-
tain nombre de Zenètes, se retrancher dans la ville de Basra, non
loin de Ceula, oii résidait un commandant omé'i'ade. Djafer voulait
marcher contre lui ; mais, voyant ses troupes peu disposées à en-
treprendre une campaf;ne dans le Hif et, en partie, sur le point de
l'abandonner, il les entraîna vers l'ouest, contre les Ber<;"ouata.
Cette {j,Tande tribu masmoudienne, cantonnée au pied des versants
occidentaux de l'Atlas et sur les bords de l'Océan, était devenue le
centre d'un schisme religieux, qui y avait pris naissance environ
un siècle et demi auparavant, à la voix d'un réformateur nommé
El- Vas. Après la mort de ce marabout, son fils Younos avait réuni
tous ses adhérents et contraint par la force ses compatriotes à
accepter la nouvelle doctrine ^. De grandes g^uerres avaient désolé
alors le sud du Mag reb ; deux cent quatre-vingt-sept villes avaient
été ruinées. La puissance des Berg ouata était devenue redou-
1. Voir Raynaud. Expvditions des Sarrasins dans le midi de la
France, pass. ot Elie de la Priiriaudaie, Arabes et ^\onnands. passim.
2. Voir ci-dovanl. p. 238, 255.
I.'u'ltlKIVA SOIS I.I-S ZIRIDES (979)
375
table, et, plusieurs fois, les Eclrisides et les descendants de Ben-
Abou-l'Afia avaient tenté, mais en vain, de réduire ces hérétiques '.
Ce fut du nom de guerre sainte que Djâfer colora son expédition
contre les Berg"ouata. Il s'avança jusqu'au cœur de leur pays, mais
alors, ces indi<;fènes, s'élant rassemblés en grand nombre, écra-
sèrent son armée composée de Mag'raoua et autres Zenètes ; les
débris de ces troupes se réfugièrent à Basra, et Djâfer rentra en
Espagne. Le ^'izir, qui craignait l'influence de ce général en Ma-
g'reb, confirma, pour l'affaiblir, son frère Yahïa dans le comman-
dement de la ville de Basra et du Rif, et n'inquiéta pas celui-ci, au
sujet de sa défection qui avait été si préjudiciable à Djâfer-.
EXPIÎDITIOX DE BoLOGGUINE DANS LE Mag'rEB ; SES SUCCES. Bolog-
guine, en Ifrikiya, suivait avec attention les événements dont le
Mag'reb était le théâtre et attendait le moment favorable pour in-
tervenir ; mais il devait au préalable assurer sa position à Kaï-
rouan, et l'on ne saurait trop admirer la prudence et l'esprit
politique dont le chef berbère lit preuve en cette circonstance. Son
protecteur, le khalife lîl-Moëzz, était mort peu de temps après son
arrivée au Caire (9751 et avait été remplacé par son fils El-Aziz-
Nizar. Bologguine oI)lint de lui, en 977, la suppression du gouver-
nement isolé de la Tripolitaine, tel qu'il avait été établi par El-
Moëzz, lors de son départ. Ainsi, le prince berbère étendit son
autorité jusqu'à l'Egypte et, tranquille du côté de l'est, il put se
préparer à intervenir activement en Mag'reb.
En 979, Bologguine, à la lêle d'une armée considéraI:)le, partit
pour les régions de l'Occident. Il traversa sans diiliculté le Mag'reb
central, et, ayant franchi la Moulouïa, trouva déserts les pays oc-
cupés alors par les tribus zenètes, celles-ci s'étant réfugiées, à son
approciic, soit dans le sud, soit sous les murs de Ceuta. Il s'a-
vança ainsi, sans coup férir jusqu'à Vès, entra en maître dans cette
ville et, de là, se porta vers le sud. Ayant remonté le cours de la
Moulouïa, il parvint, en chassant devant lui les Mag'raoua, jus-
qu'à Sidjilmassa. Cette oasis lui ouvrit ses portes. El-Kheïr-ben-
Khazer, ayant été pris, fut mis à mort. Les familles de Yâla l'ifre-
mide, d'Atiya-ben-Khazer et des Beni-Khazroun trouvèrent un
refuge à Ceuta. Bologguine, laissant des oOiciers dans les pro-
vinces qu'il venait de conquérir, reprit la route du nord, pour y
1. Ibii-lvhaldoun, t. II, p. 125 et suiv. El-Bekri, Berghouala. Ibn-
Haukal, passim.
2. Ibn-Klialdoun, t. I, p. 265. t. II, p. 156, 556, 557, t. III, p. 218,
235 et suiv. Kartas, p. liO. El-Bekri, passim.
376
IIISTOIRIv Di: L AFRIQUE
relancer les Zenèles, ses ennemis cl les souliens de la cause oméïatle.
La province de IlebeL étant tombée en son pouvoir, il se disposa
à marcher sur Ceula.
BoLOGGLINK, ARRÈTIÎ A Cl£LTA PAR LES O.MHÏADES, ENVAHIT LE PAYS
DES BEHO ofATA. — Mais, pendant que ces succès couronnaient les
armes du lieutenant des Katemides, les Oméïades d Espaj^ne ne res-
taient pasinaclifs. Le vizir Kl-Mansour-ben-Abou-Amer, qui avait
supplanté, quelque temps auparavant El-Meshati, dirigeait habile-
ment les affaires du royaume et tenait dans une tutelle absolue le
souverain Ilicham II. Décidé à disputer à Bologguine la domina-
lion du Ma;;"reb, El-Mansour ne vit, autour de lui, aucun chef plus
digne de lui être opposé que Djàfer-ben-Hamdoun, son mortel
ennemi. L'ayant placé à la tête d une armée considérable, il mit,
(iil-on, à sa disposition cent charges d'or et l'envoya en Afrique.
Aussitôt après son débarquement, ce général rallia autour de lui
les principaux chefs zenètcs avec leurs contingents, et les fit
camper aux en\ irons de Ceula. Bientôt, d'autres renforts, arrivés
d'Espagne, portèrent l'clfeclif de l'armée oméïade à un clulfre
considérable.
Pendant ce temps, Bologguine continuait sa marche sur Ceuta.
Il s'était jeté dans les montagnes de Tétouan et y avait rencontré
les plus grandes dillicullés pour la marche de ses troupes. Enfin,
à force de coui-age et de persévérance, la dernière montagne l'ut
gravie et le gouverneur sanhadjien put voir à ses pieds la ville de
Ceuta. Cet aspect, loin de le récompenser de ses peines par l'espoir
d'un facile succès, le jeta dans le découragement. I n immense ras-
semt)lement était concentré sous la ville, cl des coin ois arrivaient
(le toutes les directions pour ravitailler ces camps.
.-Mtacjuer à ce moment eût été insensé. Bologguine y renonça
sur-le-champ; ramenant son armée sur ses pas, il alla détruire la
ville de Basra et, de là, envahit le pays des Berg'ouata, qu'il avait
déjà rencontrés dans sa précédente campagne. Ces schismatiques
s'avancèrent bravement à sa rencontre, sous la conduite de leur
roi Abou-Mansour-A'iça. Mais les Sanhadja se lancèrent contre
eux avec tant d'impétuosité qu'ils les mirent en pleine déroute
après avoir tué leur chef.
Mt>RT DE BoLOGGL'INE. SnN IILS El-MaNSOIR LII SICCÈDE.
L'éloignement de Bologguine avait renversé tous les plans de
1. Ibn-lvhaldoun, Bcrbcrcs. t. II, ]). 12. 131. 557. t. III, p. 218. 236.
237. El-Bekri, Bcrghoiiata. Dozy. Musulmciiis d' Espagne , t. III, p. 183.
i,"iiuiKivA yoL's i.iis ziniDi-s (984)
377
Djâfer. Bientôt les Berbères, entassés ;'i Ceuta, manquèrent de
vivres cl, avec la disette, la mésintelli;j;ence entra dans le camp.
Le vizir El-Mansour, qui avait besoin, en Espagne, de troupes
déterminées afin d'écraser les factions adverses, en profita pour
attirer dans la péninsule un grand nombre d'Africains.
Pendant ce temps, Bologguine continuait ses expéditions dans
le pays des Berg'ouata. Ces farouches sectaires qui, depuis des
siècles, vivaient indépendants, avaient dù se soumettre et leurs
principaux chefs, chargés de fers, avaient été expédiés en Ifrikiya.
Dans le cours de l'année 983, Bolog'guine se décida à rentrer à
Kaïrouan, mais comme Ouanoudine, de la famille mag raouienne
des Beni-Khazroun, avait réussi à s'emparer de l'autorité à Sidjil-
massa, il résolut de pousser d'abord une pointe dans le sud. A
son approche, Ouanoudine prit la fuite. Peut-être Bologguine
n'alla-t-il pas jusqu'à Sidjilmassa; sentant sans doute les atteintes
du mal qui allait l'emporter, il ordonna le retour vers le nord, par
la route deTlemcen. Mais, parvenu au lieu dit Ouarekcen, au sud
de celte ville, Bologguine, fils de Ziri, cessa de vivre (mai 984).
Son allranchi Abou-\ or'bel en\ oja aussitôt la nouvelle de cette
mort à El-Mansour. fils de Bologguine et son héritier pré-
somptif, qui commandait et résidait à Achir, puis l'armée continua
sa route vers l'est.
El-]\Iansour se rendit à Kaïrouan et re^'ut en route une députa-
tion des habitants de cette ville, venus pour le saluer. Il leur
donna l'assurance qu'il continuerait à employer pour gouverner
la voie de la douceur et de la justice. A Sabra il reçut le diplôme
du khalife El-Aziz lui conférant le commandement exercé avec tant
de fidélité par son père. lil-Mansour répondit par l'envoi d'un
million de dinars (pièces d'or) à son suzerain. Il confia le comman-
dement de Tiharet à son oncle Abou-l'Behar et celui d'Achir à son
frère Itouefl ' .
GuuRiii; u'Italii;. — Pendant cpie le Mag'reb était le théâtre des
luttes que nous venons île retracer, les émirs kelbites de Sicile,
maîtres incontestés de l'ile, avaient reporté tous leurs ell'orts sur
la terre ferme. L'empereur Othon I était mort, en 973, et avait
été remplacé par son fils Othon II. Ce prince, guerrier et sangui-
naire, profita de l'aU'aiblissement de l'autorité de ses deux cousins
de Constantinople, pour envahir l'Italie méridionale. Benevent et
Salerne tombèrent en son pouvoir, et les empereurs ne virent
1. El-Kaïrouaiii, p. 131, 132. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 11,
12, 130, t. III, p. 218, 235. Kartas, p. 140- El-Bekri, passim.
378
iiisroiRi: DU I. AKIliyCI-
d'autre chance de salut, dans cette conjonture, que d'appeler les
Musulmans.
Au printemps de l'année 982, Othon, ayant reçu de nombreux
renforts, entra dans les possessions byzantines à la tête d une
armée composée de Saxons, Bavarois et autres Allemands, d'Ita-
liens des provinces supérieures et de Lonf,^obards, conduits par
les g^rands vassaux de l'empire. Tarente, mal défendue par les
Grecs, fut enlevée, ainsi que Brindes. Mais le fiouverneur kelbite
Abou-l'Kacem, accouru avec son armée, vient oll'rir le combat aux
envahisseurs. Après une rude bataille dans laquelle Abou-rKacem
trouve la mort du g;uerrier, l'armée allemande est en pleine
déroute, laissant quatre mille morts sur le terrain. Othon, presque
seul, peut à p^rand'peine s'enfuir sur une «galère jrrecque. Il
regag^ne le nord de l'Italie et meurt à Rome le 7 décembre 9H,3.
Djaber, fils d'Abou-1 Kacem, rentra en Sicile avec un riche butin,
sans poursuivre la campagne. Son élévation fut ratifiée par le
khalife El-Aziz'.
Les Ome'ÏADES d'Esi'A(;NE étendent de Nf)f\EAl' LEtR ALTORITÉ SIR
i.E Mag'reb. — Revenons en Mag'reb. A peine Bolo|2r<ïuine avait-il
quitté les réf^ions du sud, que Ouanoudine, chef des Mag;'raoua du
sud, était rentré en maître à Sidjilmassa.
En Espaj^ne, la révolte qui se préparait depuis longtemps contre
l'omnipotence du vizir El-Mansour-ben-Abou-Anier. avait éclaté.
Le célèbre g^énéral R'aleb se mit à la tête de ceux qui voulaient
rendre au sou^■erain ses prérogratives, mais il succomlia dans une
émeute et Ibn-.\bou-Amer resta seul maître de l'autorité (981).
Djâfer-ben-Hamdoun le gênait encore par son influence : il le fit
assassiner (janvier 983 ■ .
Pendant ce temps, l'edriside El-Hassan-ben-Kennoun quittait
l'Eojypte et rentrait en Ifrikiya, avec une recommandation du
khalife pour son lieutenant. Celui-ci lui donna une escorte de.ïuer-
riers sanhadjiens avec lesquels il atteignit le Mag'reb (mai 9841.
Il entra aussitôt en relations avec les chefs des Beni-Ifrene, dont
Yeddou-ben-Yâla était le prince, et conclut avec eux un traité
d'alliance contre les Omé'iades. Dès lors, la guerre de partisans
recommença dans le Mag'reb.
Le vizir Ibn-Abou-Amer, qui venait de remporter de grands
avantages dans le nord de l'Espagne, voulut mettre un terme aux
1. Ibu-El-Atliir, p;issim. Amari, Musulmans de Sicile, t. II. p. 322
et suiv. Elie de la Primaudaic, Arabes et Xormands en Sicile el en Ita-
lie, p. 154 el suiv.
LE MAG lîEB SOCS LES OMEIAUES (9861
379
succès des Edrisides, et, à cel effet, envoya en Afrique un certain
nombre de troupes sous le commandement de son cousin Abou-
el-Hakem, surnommé Azkeladja. Ce général, après avoir reçu le
contingent des Magr'aoua, s'avança contre Tedriside. Aussitôt
les Beni-Ifrene abandonnèrent El-Hassan, qui n'eut d'autre parti
à prendre que de s'en remettre à la générosité de son vainqueur.
Azkeladja promit la vie au prince edriside et l'envoya au vizir
en Espagne ; mais celui-ci, au mépris de la promesse donnée, le fit
mettre aussitôt à mort, et, comme il avait appris que son cousin
Azkeladja avait ouvertement blâmé cet acte, il le rappela de Mag'reb
et lui fit subir le même sort (oct.-nov. 985). Une sentence d'exil
frappa en outre les derniers descendants de la famille d'Edris'.
Dans la même année, Itoueft, frère d'El-Mansour, fut envoyé
en expédition par celui-ci dans le Mag'reb. Il se heurta contre
Ziri-ben-Atiya, chef des Mag'raoua, qui le défit complètement et
le força à rétrograder au plus %ite.
Le vizir Ibn-Abou-Amer nomma au gouvernement du Mag'reb
Hassen-ben-Ahmed-es-Selmi, et l'envoya à Fès avec ordre de pro-
téger les princes mag'raouiens de la famille d'Ibn-Khazer, et de
les opposer aux Ifrenides qui manifestaient de plus en plus d'éloi-
gnement à l'égard de la dynastie oméïade. Le nouveau gouverneur
arriva à Fès en 980 et, par son habileté et sa fermeté dans l'exécu-
tion des instructions reçues, ne tarda pas à rétablir la paix dans
le Mag'reb. Ziri-ben-Atiya fut comblé d'honneurs, ce qui acheva
d'indisposer Yeddou-ben-'\ âla, chef des Beni-lfrene, et le décida
à lever le masque dès qu'une occasion favorable se présenterait.
Révoltes des Ketama réprimées p.\r El-j\Iansol'r. — Tandis que
l'inlluence fatemide s'alfaiblissait de plus en plus dans le Mag'reb,
les séditions intestines retenaient El-Mansourà Kaïrouan et absor-
baient toutes ses forces. La grande tribu des Ketama, si honorée
sous le gouvernement fatemide, en raison des immenses services
par elle rendus à cette dynastie, voyait, avec la plus vive jalousie,
celle des Sanhadja se substituer à elle et absorber successivement
tous les emplois. Déjà un grand nombre de Ketamiens étaient
partis pour l'Egypte avec El-Moëzz et s'y étaient fixés; des rap-
ports constants s'établirent entre ces émigrés et leurs frères du
Mag'reb, et ils se firent les intermédiaires de ces derniers pour
présenter leurs doléances au khalife. Fatigué de leurs récrimina-
tions, El-Aziz-\izar envoya à Kaïrouan un agent secret du nom
d'Abou-l'Fahm-ben-Nasrouïa, avec mission de tout étudier par
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 201 et suiv.
380
IIISTOIHE 1)K I. AHUyi l-
lui-même. Cel émissaire fut adressé par le khalife à "^'oueof, fils
d"Abd-Allah-el-Kaleb, ancien oflicier de Bolon<;uine, personnage
très influent, qui avait acquis, dans ses divers emplois, une fortune
scandaleuse, et dont El-Mansour n'avait osé se défaire à cause de
sa puissance.
Ainsi protégé dans l'entourage même du gouverneur, Abou-
l'Fahm, après avoir séjourné quelque temps à Ka'irouan, gagna
le pays des Ketama, où il commença à prêcher la révolte à ces
Berbères. Cependant El-Mansour, ayant été instruit de toutes ces
intrigues, fit tomber Abd-AUah-el-Ivatcb et son fils Youçof dans un
guet-apens où ils trouvèrent la mort i987]. Il les frappa, dit-on,
de sa propre main. Débarrassé de ces dangereux ennemis, il se
disposa à combattre l'agitateur, qui avait pleinement réussi à
soulever les Ketama et déjà battait monnaie en son nom.
Sur ces entrefaites, arrivèrent d'I-^gypte deux envoyés, appor-
tant, de la part du khalife El-.Aziz, un message par lequel il défen-
dait à El-Mansour de s'opposer aux actes d'Abou-l'Fahm et le
menaçait du poids de sa colère s'il transgressait cet ordre; les
messagers déclarèrent même que, dans ce cas, ils devraient le con-
duire, la corde au cou, à leur maître. Ces menaces causèrent au
(ils de Bologguinc la plus violente indignation et eurent un effet
tout opposé à celui qu'on en attendait. .\u lieu de se conformer
aux ordres d'un suzerain qui recoimaissait si mal les services de sa
famille, El-Mansour commença par séquestrer les deux oilîciers,
puis il pressa de toutes ses forces les préparatifs de la campagne.
Bientôt, il se mit en marche et vint directement enlever Mila,
qu'il livra au pillage. Les Ketama avaient fui : il porta la destruc-
lion dans tous leurs villages, atteignit Abou-l'Ealim non loin de
Sétif et le mit en déroule. L'agitateur chercha un refuge dans une
montagne escarpée, mais il fut pris et conduit au gouverneur.
El-Mansour ordonna de le mettre en pièces devant les envoyés du
khalife El-Aziz, qu'il avait traînés à sa suite dans la campagne; des
esclaves nègres, après avoir dépecé le corps d'Abou-l'Fahm, le
firent cuire et en mangèrent les morceaux en leur présence. Les
envoyés reçurent alors licence de retourner au Caire; ils y arri-
vèrent terrifiés et racontèrent à leur maître ce dont ils avaient
été témoins, déclarant qu' « Us revenaient de chez des démons
mangeurs d'hommes et non d'an pays habité par des humains ' ».
Au mois de mai 988, El-Mansour rentra à Ka'irouan.
L'année suivante, un Juif, du nom d'Abou-l'Feredj, réussit en-
core, en se faisant passer pour un petit-fils d'El-Kaïm, à soulever
1. Eii-Nouéiri, apud Il^ii-lvlialdouu, t. Il, p. 14, 15.
i.K MA(i'iii:ii soi's i.i:.s fiMi';ÏAi)r,s (9911
381
les Ketania. Mais celle révolle fui Ijlenlôl éloulFée par El-I\Iansour
lui-même, qui lU meltre à mort l'iiiiposleur et inflif;ea de nouvelles
punitions à la tribu où ce dernier avait trouvé asile. De là, il se
porta à Tiharet en poursuivant son oncle Abou-l Behar, qui venait
de se déclarer conlre lui; celui-ci n'eut alors d'autre ressource
que de se joler dans les bras des ^Nlaj^'raoua. lîl-Mansour, après
êlre resté quelque temps à Tiiiaret, y laissa comme {gouverneur
son frère lloueft, puis il alla à Acliir recevoir la soumission de
Saïd-ben-Kliazroun, auquel il donna le commandement de Tobna.
Il rentra ensuite à Kaïi'ouan [9S',))
Les devx MAc'anii soi'mis a i.'Ai'roniTiî omi';ïade; i.itti-s entre les
Mag"ra(ji'a et les Beni-1i iu:n'e. — Dans le Mag'reb, Ziri-ben-Atiya,
reslé seul clief des Mag'raoua, avait vu s'accroître son autorité et
son inlluence aux dépens de ^ eddou-bcn-^ âla. Kn *J87, il fut ap-
pelé à Cordoue par le vizir Ibii-Abou-Amer, qui venait de rem-
porter sur les chrétiens de jurandes victoires. Bermude, roi de
Léon, avait vu jusqu'à sa capitale tomber aux mains des Musul-
mans et n'avait conservé que quelques cantons voisins de la mer.
Le vizir fit à Ziri une réception pi incière.
Yeddou aurait, paraît-il, été également invité à se rendre en
Espagne, mais il ne jugea pas prudent d'aller se livrer aux mains
de ses rivaux. Selon Ibn-Khaldoun, il se serait même écrié : » />t*
]'izir cri)tl-il que l'on/ir/re .se laisse mener chez le doiuplcur de
cheuaux? » C'était la rupture définitive. Il leva l'étendard de la
révolte (991) et débuta en attaquant et dépouillant les tribus fidèles
aux Oméïades. Le gouverneur, Hassen-ben-Ahmed, réunit alors
une armée à laquelle se joignirent les contingents de Ziri, rentré
d'Espagne, puis il marcha contre le rebelle ; mais ce dernier avait
eu le temps de rassembler un grand nombre d'adhérents, avec
lesquels il vint courageusement à la rencontre de l'armée oméïade.
L'ayant attaquée, il la mit en déroute. Ilassen et une masse de
guerriers mag'raoua restèrent sur le champ de bataille. Yeddou,
marchant alors sur Fès, enleva celle ville d'assaut et étendit son
autorité sur une partie des deux Mag'rel).
A l'annonce de la défaite et de la mort de son lieutenant, le
vizir Ibn -.Abou - Amer nomma Ziri-ben-Atiya gouverneur du
Mag'reb, avec ordre de reprendre Fès et d'en faire sa capitale.
Ziri s'occupa d'abord de rallier les débris de la milice oméïade,
puis il appela de nouveau ses Mag'raoua à la guerre. Sur ces entre-
faites, Abou-l'Behar, oncle d'I'^l-Mansour, qui , nous l'avons vu.
1. lbn-I\li:il(I()uii, t. II, p. 15, t. III, p. 238, 259. El-Kairouani, p. 1
38-2
iiisTniiîi: i)K i.'afhiqi'e
avait échappé à la poursuite de son neveu, vint avec un assez
grand nombre dadhérents se joindre à Ziri. Ces deux chefs atta-
quèrent aussitôt Yeddou-ben-Yâla et, après une campagne san-
glante, dans laquelle ils prirent et perdirent deux fois Fès, ils
Unirent par rester maîtres du terrain, après avoir réduit Ycddou
au silence.
Pendant cette guerre, Khalouf-ben-Abou-Beker, ancien gouver-
neur de Tiharet pour les Fatcmides, et son frère Atiya, avaient
achevé de détacher de l'autorité d'El-Mansour la région comprise
entre les monts Ouarensenis et Oran, et y avaient fait prononcer
la prière au nom du khalife oméïade. Comme ils avaient agi sous
l impulsion d Abou-l'Behar, le vizir espagnol, pour récompenser
celui-ci de ces importants résultats, dont il lui attribuait le mérite,
le nomma chef des contrées du Mag'reb central et laissa à Ziri le
commandement du Mag'reb extrême.
Mais, peu de temps après, Khalouf, irrité de voir que la récom-
pense qu il avait méritée avait été recueillie par un autre, aban-
donna le parti des Omé'iades pour rentrer dans celui d'El-Mansour.
Ziri-ben-.\tiya pressa en vain .^bouI-l'Behar de marcher contre le
transfuge. N'ayant pu 1 y décider, il se mit lui-même à sa pour-
suite, l'atteignit, mit ses adhérents en déroute et le tua: Atiya
put s'échapper et se réfugier, suivi de quelques cavaliers, dans le
désert (novembre 991}
Puissance de Znîi-ncN-.ATivA ; abaissement des Beni-Ifrene. —
Débarrassé de cet ennemi, Ziri, qui avait reçu à sa solde une partie
de ses adhérents, expulsa tous les Beni-Ifrene de ses provinces et
s'installa fortement à Fès avec ses Mag'raoua, auxquels il donna
les contrées environnantes. Le refus d'-Abou-l Behar de concourir
à la dernière campagne amena entre les deux chefs une mésintel-
ligence qui se transforma bientôt en conflit. Ils en vinrent aux
mains, et Abou-l'Behar, battu, se vit contraint de chercher un
refuge auprès de la garnison omé'iade de Ceuta. Il écrivit, de là,
à la cour d'Espagne, pour demander réparation: en même temps,
il envoyait un émissaire à Ka'irouan afin d'offrir sa soumission à
son neveu El-Mansour. .\ussi, lorsque le vizir oméïade, qui consi-
dérait ce personnage comme un homme très influent qu'il tenait à
ménager, lui eut envoyé à Ceuta son propre secrétaire pour rece-
voir ses explications et ses plaintes, Abou-l'Behar évita de le ren-
contrer et, peu après, gagna le chemin de l'est.
1. Ibii-Klialdoun, t. II. p. 15 et suiv., t. III, p. 220, 221, 240, 241.
Kartas, p. 141, 142. Ei-Bekri, passim.
I.K M,\(i'lU;ii SOIS LES OMHIADKS (001)1
Aussitôt, le vizir Ibn-Abou-Amer accorda à Ziri le p;ouverne-
ment des deux Mag rcb, avec ordre de combattre cet ennemi. Ziri
vint alors attaquer Abou-rBehar, lui prit Tlemcen et toute la
contrée jusqu'à Tiharet, et le contraignit à la fuite. Ce chef, s'étant
rendu à Kaïrouan, fut bien accueilli par son neveu El-Mansour,
qui lui confia de nouveau le commandement de Tiharet.
Maître enfin, sans conteste, des deux Mag'reb, Ziri-ben-Atiya
y régna plutôt en prince indépendant, qu'en représentant des
khalifes de Cordoue. Après la mort de Yeddou, les Beni-Ifrene
s'étaient ralliés autour de son neveu Ilabbous, mais bientôt ce
chef avait été, à son tour, assassiné, et le commandement avait
été pris par Ilammama, petil-fils de Yâla, qui avait emmené les
débris de la Iribu dans le territoire de Salé et était venu s'im-
planter entre cette ville et Tedla.
En l'an 90 i, Ziri, qui avait pu juger par lui-même de l'inconvé-
nient qu'offrait la ville de Fès, comme capitale, en cas d'attaque,
fonda, près de l'Oued-Isli, la ville d'Oudjda, où il s'établit avec sa
famille et ses trésors. En outre de la force de la position, il comptait
sur les montagnes voisines pour lui servir de refuge, s'il était
vaincu.
Mort du gouverneur El-Mansour. Avi^nement de son fils Badis.
— Quelque temps après, El Mansour mourut à Kaïrouan (fin mars
996), et fut inhumé dans le grand château de Sabra; il avait ré-
gné treize ans. Son fils Badis, qu'il avait précédemment désigné
comme héritier présomptif, lui succéda en prenant le nom d'Ahou-
Menad-Xacir-ed-Duoula. Il confia à ses deux oncles, Ilammad et
Itoueft, les charges et les commandements les plus importants.
Ayant reçu du Caire un diplôme confirmant son élévation, Badis
se serait écrié : « .le tiens ce royaume de mon père et de mon
« grand-père : un diplôme ne peut me le donner, ni un rescrit me
« le retirer' ». Six mois après la mort d'El-Mansour, eut lieu
celle du khalife fatemide El-Aziz. Son fils El-Hakem-bi-Amer-
Allah lui succéda. C'était un enfant en bas âge, que les Ketama
proclamèrent sous la tutelle de l'un des leurs, Hassan-ben-Ammar,
qui prit le titre à'Ouacila ou de Amin-ed-Daoula {intermédiaire
ou intendant de l'empire).
Dans les dernières années, la cour du Caire, loin de tenir rigueur
au vassal de Kaïrouan, avait tout fait pour resserrer les liens l'unis-
sant à elle et empêcher une rupture trop facile à prévoir. Parmi
les présents envoyés du Caire en 983 par le khalife à El-Mansour,
1. Baian, t. I.
381
I1ISTOIHI-; m: i. AFiuyi'i-
se trouvait un éléphant qui excita, à Kaïrouan. la curiosité pu-
blique au plus haut clej,n-é et que le i;ouverneur eut soin de faire
fio^urer dans les fêtes
Puissance des uouverneurs kelbites en Sicile. — Pendant que
l'Afrique était le théâtre de tous ces événements, la Sicile deve-
nait florissante sous le commandement des émirs kelbites. Djaber,
se livrant à la débauche et ayant laissé péricliter Tétat, avait été
bientôt déposé par le khalife du Caire et remplacé par Djàfer-ben-
Abd-AUah. Celui-ci, après avoir «gouverné avec intelli^jence et
équité, mourut en US6. Son frère et successeur, Abd-Allah. qui
suivit sa voie, eut éj^alement un rè<;ne très court. Après sa mort,
survenue en décembre 9S9, il fut remplacé par son fils .\bou-
rFetouh-"\ oussof. Sous Téuide de ce prince, la Sicile, soumise et
tranquille, fleurit et devint le séjour favori des poètes et des lettrés.
^'ers la lin du siècle, les Byzantins reconquirent sans peine la
Calabre et la Pouille. et placèrent le siè;;e de leur commandement
à Bari : le gouverneur prit le titre de Katapan. Mais bientôt, les
exactions des Grecs indisposèrent les populations qui appelèrent
souvent à leur aide les Musulmans. Ainsi, les j^ouverneurs de
Sicile se trouvaient ramenés, pour ainsi dire, malgré eux, sur cette
terre d ltalie, oi'i ils avaient combattu depuis près de deux siècles
sans conser\ er de leurs victoires de réels avantajjes matériels -.
Ri PTi RE de Ziri avec i.es Oméïades d'Espagne. — Dans ces der-
nières années, rEspaj;ne avait vu une tentative du souverain légi-
time Hicham II. agissant sous l'impulsion de sa mère Aurore,
pour reprendre le pouvoir des mains du vizir Ibn-Abou-.Amer.
Cette femme ambitieuse et énergique avait compté sur l'émir des
Mag'raoua, le berjjère Ziri-ben-.\liya, pour l'appuyer dans son
dessein, au milieu d'une cour elTéminée et courbée sous le despo-
tisme. Ziri avait, en ell'et. soutenu les revendications du prince
légitime dont il avait proclamé le nom en .\frique, en même temps
que la déchéance du ^ izir.
^lais le chef bei-bère avait compté sans la hardiesse d'Ibn-Abou-
Amer et l'influence qu'il exerçait sur son souverain. Celui-ci n'a-
vait pas tardé à regretter son éclair d'énergie, et, de lui-même,
s'était replacé sous le joug. Le A'izir était sorti de cette épreuve
1. El-Kairouani, p. 115, 133, 134, 135. Ibu-Klialdoun, t. II, p. 15 et
suiv.
2. Am.Tii, Miisiilma/is de Sicile, l. II, p. 330 et suiv. Elio de la Pri-
luaiulaio, Arabes et Xorma.'iels de Sicile, p. 158.
LE MAG REB SOUS LES OMÉIADES (996)
385
plus fort que jamais; pour en donner la preuve, il commença par
supprimer à Ziri tous ses subsides, puis il appela aux armes les
Berbères dépossédés : Beni-Khazer, Miknaça, Azdadja, Beni-
Berzal, etc.; il en forma une armée, destinée à opérer en Mag reb,
et en confia le commandement à l airranchi Ouadah. En même
temps, il prépara une expédition contre Bermude et tous ses
ennemis de la Péninsule. Cette fois, c'était la basilique de saint
Jacques de Gompostelle, célèbre dans toute la chrétienté, qui
devait lui servir d'objectif (fin 996)
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 222 etsuiv. Ibn-Klialdouu,
t. III, p. 243, 244. El-Bekri, passim.
T, I.
25
CHAPITRE XIll
AFFAIBLISSEMENT DES EMI'IHES MUSULMANS EN AFIilQl K, EN ESPAGNE
ET EN SICILE.
997 - 1043.
Ziri-l)L'ii-Aliya est dùfail par l'oméïade El-ModalTer. — Victoires de Ziri-ben-
Aliya dans le Mag'relj centraL — Oiicrres de Bndis contre ses oncles et
contre FelfouL — Mort de Ziri-ben-.Uiya ; fondation de la Kalaa par Ilam-
inad. — Espagne : Mort du vizir Ben-Aboii-.Vmer. El-Moëzz, lils de Ziri, est
nommé gouverneur du Mag'reb. — Guerres civiles en Espagne ; les Berbères
et les chrcliens y piennent part. — Triomphe des liei hères et d"EI-Moslaïn
en Espagne. — Luttes de lîadis contre les Beni-Kliazroun ; Ilammad se
déclare indépendant à la Kalaa. — Guerre entre Badis et Ilammad. —
Mort de Badis, avènement d'El-Jloozz. — Gondusion de la paix entre El-
Moi'zz el Ilammad. — Espagne : Ghute des Oméïades; l'edi iside Ali-ben-
llaiiimoud monte sur le tiône. — Anarchie en Espagne; fractionnement
de l'empire musulman. — Guerres entre les Mag'raoua el les Beni-Ifrene.
— Luttes du sanhadjen El-Moëzz contre les Beni-Khazroun de Tripoli;
préludes de sa rupture avec les Fatemides. — Guerres entre les Mag'raoua
et les Beni-Ifrene. — Evénements de Sicile et d'Italie; chute des Kelbites.
— Exploits des Normands en Italie el en Sicile ; llobert Wiscard. — Rup-
ture entre El-Moëzz et le hammadite El-Kaïd.
Z1RI-BEN-.A.TIVA EST DÉFAIT PAR l'omUI'aDE El-MoDAFFER. Elî
rompant courageusement avec le vizir omé'iade, Ziri avait peut-
être beaucoup présumé de ses forces; il se prépara néanmoins, de
son mieux, à lutter contre lui. Débarqué à Tanger, le général
Ouadah entra aussitôt en campagne (9U7i. Pendant trois ou quatre
mois ce fut une série d'escarmouches sans action décisive ; Ouadah
parvint alors à surprendre de nuit le camp de Ziri, près d"Azila, et
à s'en emparer. Le chef berbère dut opérer sa retraite vers l'inté-
rieur, tandis que Nokour et Azila tombaient au pouvoir des troupes
omé'iades.
Ces succès étaient bien insignifiants aux yeux d Ibn-Abou-Amer.
et, comme Ziri avait repris l olTensive et forcé Ouadah à la retraite,
le vizir se décida à envoyer dans le Mag reb de nouvelles troupes,
sous le commandement de son fils Abd-el-Malek-el-Modaffer, et
vint lui-même s'établir à Algésiras, afin de surveiller de plus près
le départ des renforts. L'arrivée du fils du puissant vizir en Afrique
produisit le plus grand effet sur l'esprit si versatile des Berbères.
De toutes paris, les chefs des tribus, entraînant une partie de leurs
Al'FAlBI.ISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS (998)
387
gens, désertèrent la cause de Ziri, pour se ranger sous les éten-
dards oméïades.
Malgré ces défections, Ziri, dont l âme ne se laissait pas facile-
ment abattre, attendit l'ennemi dans la province de Tanger et se
prépara, avec une armée fort nombreuse, à soulenir son choc.
Quand El-Modaffer eut réuni toutes les ressources dont il pouvait
disposer, il se mit en marche pour attaquer son adversaire. Celui-
ci s'avança bravement à sa rencontre, et, en octobre 998, les deux
armées se heurtèrent au sud de Tanger. La bataille s'engagea aus-
sitôt, acharnée et meurtrière; longtemps, l'issue en demeura indé-
cise; enfin les troupes oméïades commençaient à plier, lorsque
Ziri, qui se trouvait au plus fort de l'action, fut frappé de trois
coups de lance par un de ses propres serviteurs, un nègre dont il
avait fait tuer le frère. Le meurtrier accourut aussitôt dans les rangs
ennemis porter la nouvelle de la mort de l'émir des Mag'raoua.
Cependant Ziri, bien que grièvement blessé au cou, n'était pas
tombé et son étendard tenait encore debout, de sorte qu'EI-Modalfer
ne savait ce qu'il devait croire des rapports du ti-ansfuge ou du
témoignage de ses yeux. Ayant alors remarqué un certain désordre
parmi les Mag'raoua, il entrauia une dernière fois ses guerriers
dans une charge furieuse, et parvint à mettre en déroute l'en-
nemi.
Les Mag'raoua et leurs alliés se dispersèrent dans tous les sens;
quant à Ziri, on le transporta tout sanglant à Fès, où se trouvait
alors sa famille; mais le« habitants refusèrent de le recevoir, et ce
fut avec beaucoup de peine qu'on put obtenir d'eux la l'emise de
son harem. Ziri ne trouva de sécurité pour lui et les siens qu'eu se
réfugiant dans les profondeurs du désert.
Cette seule victoire rendit le Mag'reb aux Oméïades. Aussi,
lorsque la nouvelle en parvint c'i Cordoue, le A'izir ordonna-t-il des
réjouissances publiques. Il envoya ensuite à son fils El-Modaffer
le diplôme de gouverneur du Mag'reb. Ce prince confia le com-
mandement des provinces à ses principaux ofliciers, puis il s'oc-
cupa de faire rentrer les contributions qu'il avait frappées sur les
populations rebelles. Sidjilmassa avait été évacuée par les Beni-
Khazroun; le gouverneur oméïade y envoya, pour le représenter,
un officier du nom de Hamid-ben-Yezcl '.
Victoires de Ziri-ben-Atiya dans le Mag'reb central. — Lorsque
1. Ibu-Klialdoun, Berbères, t. III, p. 244 etsuiv., 257. Kartas, p. 147
el suiv. Dozy, Musulmans d' Espagne, t. III, p. 235 et suiv. El-Bekri,
passim .
388
HiSToinr: de l AFRiyi E
Ziri-ben-Atiya fut à peu près guéri de ses blessures, il rallia au-
tour de lui les Beni-Khazroun et autres tribus dépossédées et
repartit en guerre; mais, n'osant s'attaquer aux Oniéïades, ce fut
contre les Sanhadja qu'il tourna ses armes. Il envahit leur pays et
mit en déroute Itoueft et Hammad, qui avaient voulu lui barrer le
passage. Il vint alors assiéger Tiharet, où Itoueft s'était réfugié.
Sur ces entrefaites, les oncles de Badis, ayant à leur tête Makcen
et Zaoui, deux d'entre eux, se mirent en état de révolte, et leur
exemple fut suivi par leur parent Felfoul-ben-Khazroun, fils et suc-
cesseur du commandant de Tobna. Itoueft, Hammad et Abou-
rBehar restèrent fidèles au gouverneur. Ces graves événements
décidèrent Badis à marcher en personne contre les ennemis. En
999, il se porta sur Tiharet, débloqua cette ville et força Ziri à la
retraite; mais, en même temps, Felfoul-ben-Khazroun s'avançait
vers l'est et entrait en Ifrikiya. Force fut à Badis de revenir sur
ses pas pour garantir le siège de son commandement, sans avoir
pu compléter sa victoire. Ziri reprit alors l'offensive, et après avoir
de nouveau défait Itoueft et Hammad, s'empara de Tiharet et de
Mecila, puis, se portant vers le nord, il conquit Clielif, Ténès et
Oran. Dans toutes ces villes, de même qu'à Tlemcen qu'il avait
consei'vée, il fit célébrer la prière au nom de Hicham II et de son
vizir.
Encouragé par ses succès, Ziri pénétra au cœur du pays des
Sanhadja et vint mettre le siège devant Achir. En même temps, il
écrivit au vizir de Cordoue pour lui rendre compte de ses victoires
et lui demander pardon de sa rébellion. Ceux des oncles de Badis
que Ziri avait recueillis furent chargés de porter le message en
Espagne. Ils y arrivèrent en l'an 1000 et furent bien reçus par
Ibn-Abou-Amer ; le vizir parut oublier les fautes de Ziri; il rap-
pela son fils El-Modaffer, permit aux Beni-Ouanoudine de rentrer
à Sidjilmassa et nomma le général Ouadah gouverneur résidant à
Fè?. Quant à Ziri, il lui abandonna le commandement des provinces
conquises dans le Mag'reb central '.
Guerres de Badis contre ses oncles et contre Felfol'l-ben-
KiiAZROLN. — En Ifrikiya, Felfoul-ben-Khazroun était venu mettre
le siège devant Bar'a'i. De là il avait, dit-on, demandé des secours
en Orient au khalife fatemide, alors en froid avec le gouverneur
de Kaïrouan. Celui-ci lui aurait expédié Yah'ia-ben-Hamdoun, ré-
1. Ibu-Khaldoun, t. II, p. 16, 17, t. III, p. 246, 247, 260, 261. Kar-
tas, p. 147, 148. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 237. Baiane,
passim.
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS (1001)
389
fugié en Egypte depuis l'assassinat de son frère; mais ce chef,
accompagné de quelques troupes, n'aurait pu traverser le pays de
Barka, occupé par la tribu hilalienne des Beni-Korra, récemment
transportée de Syrie, et ainsi Felfoul serait demeuré réduit à ses
propres forces.
Cependant, la panique était grande à Kaïrouan, et déjà l'on
barricadait les rues pour se défendre, mais Badis, arrivant à
marches forcées, obligea Felfoul à lever le siège de Bar'aï et à
rétrograder vers l'ouest. Makcen, oncle de Badis, et ses adhérents,
se joignirent alors à Felfoul, et les confédérés firent une nouvelle
expédition contre Tebessa, mais ils furent repoussés. Makcen resta
seul avec Felfoul, ses autres frères étant allés rejoindre Ziri-ben-
Atiya.
En 1001, Ilammad marcha contre les rebelles, les attaqua vigou-
reusement et les mit en pleine déroute. ^lakcen et ses enfants,
étant tombés aux mains du vainqueur, furent livrés par lui à des
chiens affamés qui les mirent en pièces. Ilammad poursuivit les
fuyards jusque dans le mont Chenoua, près de Cherchel, où ils
s'étaient réfugiés, et les obligea à se rendre, à la condition qu'on
leur permît de passer en Espagne.
Mort de Ziri-ben-Ativa. Fondation de la Kalaa par IIammad. —
Au moment oii Ilammad obtenait ces succès, Ziri-ben-Atiya ren-
dait le dernier soupir sous les murs de la ville d'Achir, qu'il assié-
geait depuis longtemps sans succès. On dit que sa mort fut causée
par les blessures que lui avait faites le nègre et qui s'étaient incom-
plètement guéries. Son fils El-Moëzz prit alors le commandement
et offrit au gouvernement de Cordoue une forte somme d'argent,
avec son fils Moannecer comme otage, pour se faire nommer gou-
verneur du Mag'reb.
Mais Ilammad s'avançait à marches forcées, et El-Moëzz ne
jugea pas prudent de l'attendre, car son ennemi culbutait tout
devant lui et semblait précédé par la victoire. Achir délivrée,
Hamza et Mecila rentrèrent aussi au pouvoir du général sanha-
djien, qui rendit à l'empire ses anciennes limites. Il rasa un grand
nombre de villes infidèles ou difficiles à défendre et vint fonder,
dans les montagnes abruptes de Kiana, au nord de Mecila ', une
ville forte qu'il appela la Kalâa (le château), et qu'il peupla avec
les habitants des cités détruites.
1. Les ruines de la Kalàa (Galàa, selon la prononciation locale) se
voient encore dans le Djebel-Nechar, qui ferme, au nord, le bassin du
Hodna.
390
msToiuE ui; l afkiql'e
Badis, de son coté, n'élait pas resté inaclif ; sans laisser de répit
à Felfoul, il l avait contraint à se jeter dans le désert. Voyant sa
route coupée, le chef niag'raouien chercha un refufje dans la pro-
vince de Tripoli, alors en proie à l'anarchie, car le khalife du Caire
y envoyait des i;ouverneurs que son représentant de Kaïrouan re-
fusait de reconnaître. Il entra en maître à Tripoli , dont les
habitants l'accueillirent en liljérateur. Un certain nombre de
^la^'raoua le rejoif^nirent dans cette localité '.
La peste et la famine ravaf;eaient alors l'Afrique et faisaient des
milliers de victimes-.
Espagne : Mduï du vizik Ibn-Aisoi -Amer. lii.-MoEzz, rn^s de Ziki,
EST NOMMÉ Goi vERNEVR DU ^Iag'keiî. — Daus le mois d'août 1002,
le vizir El-Mansour-ben-Abou-Amer, qui venait de rentrer d'une
dernière expédition en Castille, mourut à Medina-Céli. Le rôle
qu'il a joué dans l'histoire des Musulmans d'Espaf^ne est considé-
rable ; par son indomptable énergie, il a retardé le démembrement
de l'empire bmé'iade, et, par son audacieuse activité, étendu ses
frontières jusqu'au c(i.'urdes pays chrétiens. Les Musulmans avaient
maintenant trois capitales : Léon, Pampelune et Barcelone; les
basiliques les plus célèbres avaient été pillées ou détruites, le culte
du Christ aboli. Aussi les populations chrétiennes accueillirent-
elles avec un soupir de soula-jenient la nouvelle de la mort du ter-
rible vizir.
Avant de mourir, Ibn-Abou-Anier avait fait venir son fils, Abd-
el-Malek, et lui avait fait les plus minutieuses recommandations,
car il sentait bien que, malgré l'apparence de la force, son pouvoir
était précaire et résultait surtout de la manière dont il l'exerçait.
A son arrivée à Cordoue, El-Modaifcr trouva le peuple soulevé et
réclamant à grands cris son souverain. Or, Hicham II ne tenait
nullement à se charger des soucis du gouvernement, et, grâce à
ces dispositions, le vizir parvint assez rapidement à faire recon-
naître son autorité. Suivant alors l'exemple de son père, il donna
tous ses soins à la guerre smnie ^.
El-ModalTer avait trouvé dans sa capitale l'ambassade envoyée
du Mag'reb par El-Moëzz, fds de Ziri. Il accueillit avec empresse-
ment ses propositions, qui lui laissaient plus de liberté d'action
pour ses entreprises contre les chrétiens. Le général Ouadah fut
1. Ibu-Ivhaldouii, t. II. p. 16, 17, t. III, p. 248, 263. Kartas, p. 148.
El-Bckri, passim, Ibn-el-Athir, année 386.
2. Ihn-cr-Rakik. cité par les auteurs musulmans.
3. Dozy, Musuhiians d'Espagne, t. III, p. 238 et sujv.
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS (1009) 391
rappelé par lui de Fès, et il envoya à El-Moëzz un diplôme daté
d'août lOOG, lui conférant le titre de gouverneur du Mag'reb pour
la dynastie oméïade'. Sidjilmassa resta sous l autorité particu-
lière de Ouanoudine-ben-Kazroun.
El-Moëzz, fils de Ziri-ben-Atiya, s'établit alors ù Fès et prit en
main la direction des affaires.
Guerres civiles en Espagne. Les Berbères et les chrétiens y
PRENNENT PART. — El-Modaffer était parvenu à rétablir la paix en
Espagne, et, sous sa direction, les affaires de l'empire musulman
continuaient à être florissantes, lorsqu'il mourut subitement (oc-
tobre 1008j. 11 laissait un frère du nom d"Abd-er-Rahman, issu de
l'union de son père avec une cbrétienne, fille d'un Sancho de Na-
varre ou de Castille. Ce jeune homme était détesté, et on lui don-
nait par dérision le nom de Sanchol (le petit Sanchoj. Plein de
présomption, il prétendait néanmoins se faire décerner le titre
d'héritier présomptif, que son père et son frère n'avaient osé
pi'endre; aussitôt la guerre civile éclata dans la péninsule. Des
ambitieux firent passer pour mort le khalife Ilicham II, procla-
mèrent, comme son successeur, un arrière-petit-llls d"Abd-er-
Rahman III, nommé Mohammed, et ayant réuni une bande
d'hommes déterminés, vinrent attaquer le palais du khalife. Ils
arrachèrent facilement à ce prince son acte d'abdication ; le château
de Zahira tomba ensuite au pouvoir de Mohammed, qui se fit pro-
clamer khalife sous le nom à' El-Mehdi-b' Ilhih (le dirigé par Dieu).
Sanchol ( Abd-er-Rahman), qui se trouvait à Tolède, voulut
marcher à la tête de ses troupes, composées en grande partie de
Berbères, contre celu,i qu'il appelait l'usurpateur; mais ses soldats
l'abandonnèrent. Pèu après, il toml^ait aux mains de ses ennemis
et était massacré. Son cadavre fut mis en croix à Gordoue (1009).
On croyait qu'après cette crise la tranquillité allait renaître;
malheureusement, le nouveau khalife n'avait pas les qualités né-
cessaires pour conserver le pouvoir dans un tel moment. Bientôt
une nouvelle révolte éclata; un petit-fils d'Abd-er-Rahman III,
nommé Ilicham, se fit proclamer khalife, el, soutenu principale-
ment par les Berbères, vint attaquer El-Mehdi; mais celui-ci, avec
l aide de la population de Gordoue, triompha de son compétiteur
et le fit décapiter. Un grand massacre des familles berbères suivit
cette victoire.
Zaoui, oncle du gouverneur sanhadjien de Kaïrouan, qui s'était
1. Voir le texte de ce diplôme. Ibii-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 248,
249, 250.
392
HISTOIRE DS l'aFHIQUE
précédemment réfugié en Espagne, rallia les Berbères, brûlant du
désir de tirer vengeance des Cordouans, et leur fit proclamer un
nouveau khalife, Soleïman, neveu du malheureux Hicham, sous le
nom A' El-Mostaïn-V Illah (qui implore le secours de Dieu).
Puis les Africains, conduits par ces chefs, allèrent s'emparer de
Medina-Céli ; mais bientôt ils y furent bloqués et se virent réduits
à implorer l'assistance de Sancho, comte de Castille. Une ambas-
sade lui avait été envoyée par El-Mehdi dans le même but, avec
l offre de lui abandonner de nombreuses places s'il l'aidait à écraser
son compétiteur. Ainsi, il avait suffi de quelques années de guerre
civile pour faire perdre aux Musulmans tous les avantages qu'ils
avaient obtenu sur les chrélicns par de longues années de luttes.
Le comte de Castille se prononça pour les Berbères, leur envoya
un ravitaillement et vint, en personne, se joindre à eux avec ses
guerriers. Les confédérés marchèrent alors sur Cordoue (juillet
1009), défirent le général Ouadah, qui avait voulu les prendre à
revers, et furent bientôt en vue de la capitale. El-Mehdi sortit
bravement à leur rencontre et leur olfrit le combat. 11 fut entière-
ment défait : ses soldats furent massacrés par milliers, tandis que
Ouadah regagnait la frontière du nord et que le khalife cherchait
un refuge dans son palais. \'oyant sa situation désespérée. 1^1-Medlii
se décida à rendre le trône à Hicham II, qu'il avait fait passer
pour mort quelque temps auparavant. Mais les Berbères, victo-
rieux, n'étaient pas gens à tomber dans ce piège ; ils entrèrent en
vainqueurs à Cordoue et, aidés des Castillans, mirent cette ville
au pillage. Zaoui put alors enlever le crâne de son père Ziri-ben-
Menad du crochet où il avait été ignominieusement suspendu, le
long de la muraille du château.
El-Mehdi avait pu fuir et gagner Tolède : ses partisans étaient
encore nombreux; Ouadah, dans le nord, était en pourparlers avec
les comtes de Barcelone et d'Urgel. El-Mostai'n, ne pouvant rete-
nir les Castillans en les récompensant, comme il s'y était engagé,
par des cessions de territoire, ceux-ci regagnèrent , chargés de
butin, leur province. Sur ces entrefaites, Ouadah, accompagné
d'une armée catalane, commandée par les comtes Raymond et Er-
mcngaud, opéra sa jonction avec le Mehdi à Tolède. Puis, le kha-
life, à la tète de toutes ses forces, marcha sur Cordoue, défit l'ar-
mée d'El-Mostain et rentra en maître dans sa capitale, qui fut de
nouveau livrée au pillage par les Catalans (juin 1010 .
Les Berbères s'étaient mis en retraite vers le sud. El-Mehdi les
poursuivit, et, les ayant atteints près du confluent du Guadaira
avec le Guadalquivir. leur offrit le combat. Cette fois, les Africains
prirent une éclatante revanche. L'armée d'El-Mehdi fut mise en
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS (1013) 393
déroute et plus de trois mille Catalans restèrent sur le champ de
bataille. Les survivants de l'armée chrétienne, rentrés à Cordoue,
s'y conduisirent avec une cruauté inouïe. Enfin les Catalans s'éloi-
gnèrent; peu après, El-Mehdi tombait sous les coups des oiïiciers
slaves à son service, qui rétablirent sur le trône Hicham II, ce
fantôme de khalife. Ouadah, un des chefs de la conspiration, s'ad-
jugea le poste de premier ministre
Triomphe des Berbères et d'El-Mosta'i'n en Espagne. — Cette
révolution à Cordoue ne résolvait rien, car les Berbères, victo-
torieux, restaient dans le midi avec El-Mostaïn, et n'étaient nulle-
ment disposés à se soumettre au slave Ouadah. Celui-ci, dans cette
conjoncture, se tourna de nouveau vers le comte de Castiile, en
implorant son secours; mais Sancho voulut au préalable des gages,
c'est-à-dire la remise entre ses mains des places conquises par Ibn-
Abou-Amer, menaçant, en cas de refus, de se joindre aux Ber-
bères. Ces conditions élaient dures ; cependant Ouadah, ayant
perdu tout autre espoir de salut, se décida à les accepter. Dans le
mois de septembre 1010, fut signé le traité qui rendait aux chré-
tiens presque toutes les conquêtes des règnes précédents.
Cependant les Berbères a\'aient l'cpris la campagne; durant l'au-
tomne et l'hiver suivants, ils répandirent dans toutes les provinces
musulmanes la dévastation et la mort. Cordoue fut bloquée, et la
peste vint bientôt joindre ses ravages à ceux de la guerre. Dans le
mois d'octobre 101 1 , Ouadah fut mis à mort par les soldats révoltés.
Cependant Cordoue resta encore aux mains des soldats slaves jus-
qu'au mois d'avril 1013. Quant aux Castillans, ils étaient rentrés,
sans coup férir, en possession de leurs provinces, et ne paraissent
pas s'être souciés de tenir strictement leurs promesses.
Le 29 avril, Cordoue tomba aux mains des Berbères; la plus
horrible boucherie, le viol, le pillage et enfin l'incendie furent les
conséquences de leur succès. Soleïman-el-Mostaïn restait enfin
maître du pouvoir et obtenait du malheureux Ilicham II une nou-
velle abdication. <( Le triomphe des Berbères, dit M. Dozy, porta
le dernier coup à l'unité de l'empire. Les généraux slaves s'empa-
rèrent des grandes villes de l'est ; les chefs berbères, auxquels les
Amirides (vizirs) avaient donné des fiefs et des provinces à gou-
verner, jouissaient aussi d'une indépendance complète, et le peu
1. Do/.y, Musulmans d' Espagne, t. III, p. 268 et suiv. Le même, Re-
cherches sur l'hist. de r Espagne, t. I, p. 205 et suiv. Ibn-Klialdoun, t. II,
p. 60 et suiv., 153 et suiv. El-Marrakclii (éd. Dozy), p. 29 et suiv.
394
lIISTOUil-: Di: I, AFUIQUE
de familles arabes qui claient encore assez puissantes pour se faire
valoir n'obéissaient pas davanta^^e au nouveau khalife '. »
En Espa^'ne comme en Afrique, l élément berbère reprenait la
prépondérance, au détriment des petits-fils des conquérants arabes.
Luttes de Badis contre les Bem-Khazkoin. IIamma» se déclahe
INDÉPENDANT A LA Kalaa. — Pendant que l'Espagne était le théâtre
de ces événements, sur lesquels nous nous sommes étendus en rai-
son de leur imjwrlance pour l'histoire de la domination musul-
mane dans la Péninsule, les Berbères d'Afrique voyaient leur puis-
sance s'affaiblir par l'anarchie, au moment où l'union leur aurait
été si nécessaire pour résister à l'invasion hilalienne près de
s'abattre sur eux.
Badis avait lutté en vain pour anéantir le royaume maf^'raouien
fondé à Tripoli par Felfoul-ben-Kazroun. Ce chef avait résisté avec
avantage et était parvenu à conserver le pays conquis. Abandonné
par le khalife fatemide du Caire, il avait proclamé la suzeraineté
des Oméïades et était mort en l'an 1010. Son frère Ouerrou avait
recueilli son héritage et offert sa soumission à Badis, mais bientôt
la guerre avait recommencé dans la Tripolitaine et le Djerid entre
lui, plusieurs de ses parents et les olliciers sanhadjiens. En vain
le gouverneur essaya de s'interposer et de rétablir la paix, Ouerrou
conserva Tripoli et y commanda en chef indépendant.
Dans le ÎMag'reb central, la situation était autrement grave.
Hammad, après avoir soumis la partie occidentale de l'empire
sanhadjien, s'était occupé activement de la construction de sa ca-
pitale; bientôt la Kalâa, peuplée des meilleurs artisans et ornée
des richesses enlevées aux villes voisines, était devenue une cité
de premier ordre. Son fondateur y commandait en roi, exerçant
une autorité indépendante sur le Zab, Constanline et le pays propre
des Sanhadja, avec Achir, l'ancienne capitale. D'après M. de Mas-
Latrie*, un groupe important de Berbères chrétiens contribua à
former la population de la Kalâa. Des privilèges leur furent accordés
pour le libre exercice de leur culte et un évêque leur fut donné
plus tard par le pape Grégoire ^TL Les historiens musulmans
sont muets sur ce ])oinl.
La jalousie de Badis, excitée par les ennemis de son oncle, qui
présentaient le fondateur de la Kalâa comme visant à l'indépen-
dance, ne tarda pas à amener entre eux une rupture. El-Moëzz,
1. Musiiliiiaris d' ICspagne, t. III, p. 212.
2. Trailcs de paix et de comiuerce concciiianl les relations des Chrétiens
avec les Arabes de l'Afrif/iie septentrionale au Moyen Age. T. I, p. 52 et siiiv.
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS (10161
395
fils de Badis, venait d'être reconnu par le khalife comme héritier
présomptif de son père ; celui-ci invita alors son oncle Hammad à
remettre au jeune prince le commandement de la réj^ion de Cons-
tantine.
Cette décision, qui cachait peu les sentiments de défiance de
Badis, fut très mal accueillie par Hammad. Il y répondit par un
refus formel. En même temps, il se déclara indépendant, répudia
hautement la suzeraineté des Fatemides, massacra leurs partisans
et fit proclamer dans les mosquées la suprématie des Abijassides.
La doctrine chiaïle fut proscrite de ses états et le culte sonnite
déclaré seul orthodoxe flOlii '. La réaction des Sonnites contre les
Chiaïtes commença à se manifester dans les villes habitées par des
populations d orif^ine arabe. L'entouraj^e même du jeune El-Moczz
ressentit les elFets de ce mouvement des esprits, le précepteur du
prince étant orliiodoxe. Bientôt un massacre général des Chiaïtes
eut lieu en Ifrikiya -.
Guerre entre Badis et Hammad. Mcjrt de Badis. Avènejient
d'El-Moezz. — Prenant alors l oirensive, Hammad fit irruption en
Ifrikiya, à la tête de nombreux contingents des tribus sanhad-
jiennes et de quelques Zenètes :Ouadjidjen, Ouar'mert), et vint
enlever la ville de Badja, à l ouest de Tunis. Badis envoya contre
lui son oncle Brahim ; mais celui-ci passa du côté de son frère,
et le gouverneur n'eut d'autre ressource que de se mettre lui-
même à la tête de ses troupes. A son approche, l'armée envahis-
sante se débanda et Hammad se vit contraint de fuir. Il se réfugia
d'une traite derrière le Chelif.
Badis le p'oursuivit l'épée dans les reins, entra en vainqueur à
Achir, pénétra dans les hauts plateaux, reçut la soumission des
tribus zenètes, telles que les Beni-Toudjine, et s'avança jusqu'au
plateau de Seressou. Renforcé par un contingent de trois mille
Beni-Toudjne, commandés par Yedder, fils de leur chef Lokmane,
le gouverneur descendit dans la plaine, passa le Chelif et attaqua
son oncle Hammad qui l'attendait dans une position retranchée.
Cette fois encore, la victoire se prononça pour Badis, une partie
des adhérents de son compétiteur l'ayant abandonné et le reste
ayant été facilement dispersé.
Hammad se réfugia, non sans peine, dans sa Kalàa, mais Badis
1. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 18, 44, t. III, p. 263, 264. El-Kaïrouani,
p. 136, 137.
2. Ibn-el-Atliir, année 407.
396
HISTOIRE DE L AFRIQUE
ne tarda pas à venir camper dans la plaine de Mecila, et, de là, fit
commencer le blocus de la capitale de son oncle. Pendant les opé-
rations de ce siège, Badis mourut subitement dans sa tente
(juin 1016). Comme la peste avait reparu en Afrique, il est pos-
sible qu'il succomba au fléau. Cet événement porta le désordre
dans l'armée assiégeante composée d'éléments hétérogènes; les
auxiliaires s'étant débandés, la Kalâa fut débloquée. Les officiers
proclamèrent le jeune El-Moëzz, fils de Badis, âgé seulement de
huit ans, et le conduisirent à Kaïrouan pendant que son oncle
Kerama essayait de couvrir Achir. Les restes de Badis furent
rapportés à Ka'irouan, puis on procéda à l'inauguration de son suc-
cesseur dont l'extrême jeunesse allait favoriser si bien les projets
ambitieux de son grand-oncle. El-Moëzz reçut d'Orient un diplôme
où le titre de Cher f-ed-Daoula (noblesse de l'empire) lui était
donné ' .
Conclusion de la paix entre El-Moezz et Hammad. — Ham-
mad avait repris vigousement l'offensive; après être rentré en pos-
session de son ancien territoire, il vint mettre le siège devant
Bar'aï. Mais il avait trop présumé de ses forces ; son neveu ayant
marché contre lui le mit en déroute et le réduisit encore à la der-
nière extrémité (1017). Hammad s'était réfugié derrière les rem-
paris de sa Kalâa, tandis que le vainqueur s'avançait jusqu'à Sétif ;
il fit proposer à celui-ci un arrangement que le jeune El-Moëzz,
bien conseillé, refusa.
Le gouverneur était rentré à Kaïrouan, mais la situation de son
grand-oncle ne restait pas moins critique : abandonné de tous,
sans argent, il se décida à faire une nouvelle démarche auprès de
son petit-neveu et lui dépêcha en Ifrikiya son propre fils El'Ka'id,
porteur de riches présents. L'ambassade fut accueillie avec de
grands honneurs et, enfin, on arriva à conclure un traité de paix
par lequel Hammad reçut le gouvernement du Zab et du pays des
Sanhadja, avec les villes de Tobna, Mecila, Achir, Tiharet et tout
ce qu'il pourrait conquérir à l'ouest. C'était la consécration du
démembrement de l'empire fondé par Bologguine. El-Kaïd reçut
aussi un commandement et revint à la Kalâa avec des cadeaux
somptueux pour son père (1017).
Espagne, chute des Omk'i'ades : l'édriside Ali-ben-Hammoud monte
SUR LE trône. — Pendant que ces événements se passaient en
1. Ibn-el-Athir, année 403.
AFFAIBLISSEMENT DES ËMPIRI-S Ml'SUl.MANS ( 1018') 397
Afrique, l'Espagne était le théâtre d une nouvelle révolution. El-
Mostaïn, parvenu au trône avec l'appui des Berbères et des chré-
tiens, n'avait aucune sympathie parmi la population musulmane
espagnole; quant aux Berbères, ils ne lui accordaient qu'une con-
fiance relative et ne reconnaissaient, en réalité, que leurs propres
chefs, parmi lesquels le sanhad jien Zaoui, gouverneur de Grenade,
et Tedriside Ali-ben-Hammoud, commandant de Tanger, avaient
la plus grande influence. Les Slaves, qui constituaient un élé-
ment important dans l'armée, conservaient toute leur fidélité à
Hicham II, bien qu'en réalité personne ne sût s'il était encore
vivant.
Khéïrane, chef des Slaves, ayant conclu une alliance avec Ali-
ben-Hammoud, celui-ci traversa le détroit, à la tête de ses parti-
sans, avec l'aide de son frère Kacem, gouverneur d'Algésiras ;
après avoir rejoint les Slaves, il marcha directement sur la capi-
tale. Zaoui se prononça aussitôt pour lui. Le f'' juillet 1016, Ali-
ben-Hammoud entra en maîti-e à Cordoue. El-Mosta'in et ses
parents furent mis à mort, et, quand on eut acquis la certitude
que Hicham n'existait plus, tout le monde se rallia à .\li, qui fut
proclamé khalife, sous le nom d' El-Melaoukkel-li-Dïiie-Allah
(celui qui s'appuie sur la religion de Dieu). Ainsi finit la dynastie
omé'iade, qui régnait sur l'Espagne depuis près de trois siècles et
qui avait donné à l'empire musulman de si beaux jours de gloire.
Un Arabe de race, dont la famille, bien que d'origine cherifienne,
était devenue berbère, et qui lui-même ne parlait que très mal
l'arabe, monta sur le trône de Cordoue.
Ali avait espéré, paraît-il, rendre à l'Espagne la paix et le bon-
heur, mais il comptait sans les factions. Khe'irane, le chef des
Slaves, voulut jouer le rôle de premier ministre tout-puissant ;
mais le prince edriside n'entendait nullement partager son auto-
rité. Déçu dans ses espérances, le chef des Slaves se mit à cons-
pirer et entraîna dans son parti ses compatriotes et les Andalous.
Il fallait un khalife : on trouva un petit-fils d"Abd-er-Rhaman III,
que l'on para de ce titre. Moundir, ouali de Saragosse, soutenu par
son allié Raymond, comte de Barcelone, se joignit aux rebelles et,
au printemps de l'année 1017, tous marchèrent contre le souve-
rain. Ali, qui jusque là avait écarté les Berbères et résisté à leurs
prétentions, se jeta dans leurs bras et, avec leur appui, triompha
sans peine de ses ennemis. Dès lors, il renonça à faire le bonheur
des Andalous, qui reconnaissaient si mal ses bonnes intentions ;
le pays fut livré de nouveau à la tyrannie des Berbères, et le kha-
life donna lui-même l'exemple de l'avidité et de la cruauté. Peu
398
HISTOIRE DE L AFRIQUE
de temps après, il fut assassiné par trois Slaves, au moment où il
préparait une grande expédition 17 avril 1018^,
Anarchie en Espagne: Fractionnement de l'empire mlsllman. —
Ali laissa deux lils, dont l ainé. Yahïa, était ofouverneur de Ceuta,
mais Kacem, frère d'Ali, avait une plus grande notoriété et ce fut
lui que les Berbères proclamèrent. De leur côté, Khéïrane et
Moundir élirent le petit-fils d'En-Xacer. sous le nom d'Abd-er-
Rahman \\\ avec le titre d'El-Mor(nda l'agréé de Dieu \ Zaoui,
le sanhadjien. dont la puissance était grande, restait dans l'expec-
tative. Les adhérents du prétendant oniéiade essayèrent de l'en-
traîner dans leur parti et. n'ayant pu y parvenir, marchèrent contre
lui, mais ils furent défaits et. peu après. El-Morlada était assassiné
par ses partisans. Kacem, resté ainsi seul maître du pouvoir,
essaya de rendre un peu de tranquillité à la malheureuse Espagne.
Pour cela, il fit la paix avec Khe'irane et les principaux chefs slaves
et andalous et leur donna le commandement de villes ou de pro-
vinces, où ils s'établirent en maîtres. Ainsi la paix ne s'obtenait
que par le morcellement de l'empire musulman.
Vers cette époque (10201, Zaoui abandonna le commandement
de la province de Grenade à ?on fils et rentra à Kaïrouan. après
une absence de vingt années; il y fut reçu avec de grands hon-
neurs par son neveu El-Moëzz-.
Mais bientôt, Yahia, fils d'Ali, leva l'étendard de la révolte et,
soutenu par les Berbères et les Slaves, marcha sur la capitale.
.Abandonné de tous, Kacem dut céder la place (août 1021'. Yah'ia
ne tarda pas à éprouver à son tour le même revers de fortune, et
Kacem remonta sur le trône i février 1023 . Dès lors, la guerre de-
vint incessante entre les Edrisides. et s'étendit jusqu'au Mag'reb
où un de leurs parents, du nom d'Edris, allié à Yahïa, parvint à
s'emparer de Tanger. L'Espagne se trouva encore livrée aux fureurs
de la guerre civile. Yahïa, ayant triomphé une dernière fois de
son oncle, le tint dans une étroite captivité; mais alors, les Cor-
douans, profitant de ce que Yahïa avait choisi Malaga comme ré-
sidence, proclamèrent un prince oméïade. Abd-er-Rahman V, sous
lî nom d'El-Mosiad'hir : c'était la réaction de la noblesse arabe
contre l'élément berbère. Mais cette société caduque et corrom-
1. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 313 et saiv. Ibn-Klialdoun,
t. II, p. 61, 153, 154. El-Bekri, trad. art, Idricides. El-Marrakchi
(éd. Dozy^. p. 42 et siiiv.
2. Ibii-Klialdoiiii. t. II. p. Gl, 62.
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES ML'sri.MANS (1026) '.VM)
pue était incapable de se gouverner; bientôt une nouvelle sédition
renversa El-Mostad'hir et le remplaça par El-Moktafa, sans pour
cela ramener la pai\, si bien que les Cordouans se décidèrent à
appeler chez eux Yahïa, afin de mettre un terme à cette anarchie.
Yahïa leur envoya un de ses généraux (novembre 1025). Quelques
mois après, une nouvelle émeute plaçait sur le trône de Cordoue
un souverain éphémère du nom de Hicham III, appartenant à la
famille oméïade
Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene. — Dans le
Mag'reb, El-Moëzz, lils de Ziri-ben-Atija, chef des Mag raoua,
ayant voulu arracher Sidjilmassa des mains des Beni-Khazroun,
qui s'étaient déclarés indépendants, avait été entièrement défait
et contraint de rentrer dans Fès, après avoir perdu presque toute
son armée (1016). Dès lors la puissance des Mag'raoua de Fès fut
contrebalancée par celle de leurs cousins du sud. Ils se lirent une
guerre incessante, dont le résultat fut préjudiciable à El-Moëzz.
Son adversaire, Ouanoudine, s'empara de la vallée de la Moulouïa,
mit des officiers dans toutes les places fortes et vint même enlever
Sol'raoua, une des dépendances de Fès. En 10"26, El-Moëzz cessa
de vivre et fut remplacé par son cousin Hammama. Sous l'éner-
gique direction de ce chef, les ^lag'raoua se relevèrent de leurs
humiliations en faisant subir de nombreuses défaites aux Beni-
Khazroun de Sidjilmassa.
Les Beni-Ifrene étaient, en partie, passés en Espagne ; mais un
groupe important, resté dans le Mag'reb, se réunit à Tlemcen,
autour des descendants de Yeddou-ben-Yâla. Après avoir étendu
de nouveau leur autorité sur le Mag'reb central, ils attaquèrent
les Mag'raoua de Fès, mais sans réussir à les vaincre; conduits
par leur chef Temim, petit-lils de Yâla, ils se portèrent alors sur
Salé, enlevèrent cette ville et, de là, allèrent guerroyer contre les
Berg'ouata hérétiques -.
Luttes du Samiadjien El-Moezz contre les Beni-Kiiazroun de
Tripoli. Préludes de sa rupture avec les Fatemides. — En Ifri-
kiya , la puissance du gouverneur sanhadjien continuait à dé-
cliner. Renonçant, pour ainsi dire, aux régions de l'ouest, aban-
données de fait à Hammad, El-Moëzz ne s'occupait guère que des
1. Ibn-Khaldomi, t. II, p. 19, G2, 154. Do/.y, Musulmans d' Espagne,
l. m, p. 351 et suiv. El-Bekri, JJiicidcs.
2. Ibii-Klialdouii, t. 11, p. 131, l. III, p. 215, 224, 235, 257, 271. El-
Rekri, pas.siin.
400
HISTOIHK DE L AFRIQI E
Beni-Khazroun de la province de Tripoli. L'anarchie y était en
permanence. Ouerrou, l'rére de Felfoul, étant mort en 1015, son
fils Khalifa voulut prendre le commandement des Zenètes, mais
ces Berbères se divisèrent, et une partie suivit les étendards de
Khazroun, frère de Ouerrou.
-Après une courte lutte, celui-ci resta maître de l'autorité et
entraîna ses adhérents à des incursions sur les territoires de Gabès
et de Tripoli, où un jxouverneur, du nom d'Abd-.\llah-bcn-
Hacen, commandait pour El-Moëzz. En 1026, cet Abd-Allah. dont
le frère venait d'être mis à mort à Ka'irouan, par l'ordre du
ojouverneur, livra, pour se venger, Tripoli à Khalifa, chef des
Zenètes, et celui-ci, étant ainsi devenu maître de cette place,
en expulsa Abd-Allah et fit massacrer tous les Sanhadja qui s'y
trouvaient.
El-Moëzz, bien qu'ayant été élevé dans les principes de la doc-
trine chiaïte, s'était rattaché à la secte de Malek et n'avait pas
tardé à persécuter ses anciens corelig^ionnaires. A El-Mehdïa, à
Kaïrouan, les Chiaïtes étaient poursuivis, molestés, torturés même.
Leur sang avait coulé à flots et ces mauvais traitements les
avaient forcés, en maints endroits, à l'exil volontaire. La Sicile
et l'Orient avaient vu arriver ces malheureux dans le plus triste
état. Cette attitude n'était rien moins que la révolte contre
les khalifes d'Egypte. En vain El-Hakem, qui régnait alors,
essaya de ramener à l'obéissance son représentant de Kaïrouan,
en le comblant de cadeaux ; il ne réussit qu'à retarder une rupture
inévitable.
Khalifa, de Tripoli, exploitant la situation, entra en rapports
avec la cour du Caire et reçut du khalife un diplôme lui confé-
rant le commandement de la Tripolitaine. C'était, entre les deux
cours, un échange d'hostilités indirectes, prélude d'actes plus
décisifs.
En 1028, Hammad mourut à la Kalàa, et fut remplacé par son
fils El-Kaïd, qui confia à ses frères les grands commandements de
son empire. Les bons rapports continuèrent pendant quelque temps
entre lui et son cousin de Kaïrouan, mais, de ce côté aussi, une
rupture était imminente '.
Guerre entre les Mag'raoc.\ et les Beni-Ifrexe. — A Fès, Ham-
1. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 30, t. II, p. 20, 21, 45, 131, t. III, p. 266, 267.
El-Kairouani, p. 140, 141. El-Bekri, passim. Amari, Musulmans de Si-
cile, t. II, p. .>d7 et suiv.
AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSl'I.MANS ( 1026)
401
marna, roi des Mafï'raoua, coiilinuail à réf^ner au milieu d'une cour
brillanle, et, pendant ce temps, les Beni-Ifrene, commandés par
Temim, guerroyaient contre les Berg'ouata et devenaient redou-
tables. En 1033, ils vinrent, avec l aide d'autres tribus zenèles,
mettre le siège devant Fès. Le chel des Mag'raoua leur livra une
grande bataille sous les murs de la ville; mais, après une lutte
acharnée où tombèrent ses meilleurs guerriers, il fut entièrement
défait. Les Beni-Ifrene entrèrent victorieux à Fès, qu'ils mirent au
pillage. Le quartier des juifs, surtout, attira leur convoitise, car il
était rempli de richesses; les vainqueurs massacrèrent les hommes
et réduisirent les femmes en esclavage.
Temim s'installa en souvei'ain dans Fès, tandis que llammama
se réfugiait à Oudjda et s'occupait avec activité à réunir ses
adhérents, afin de prendre sa revanche. Peu de temps après, il fut
en mesure de commencer les hostilités et, en 1038, il arrachait sa
capitale des mains des Beni-Ifrene. Ceux-ci rentrèrent dans leurs
anciens territoires; Temim se retrancha à Chella
Après celte \icloire, Hammania se crut assez fort pour entre-
prendre d'autres conquêtes. A la lêle d'une armée zenatienne, il
se mit en marche vers l'est et envahit le territoire sanhadjien.
El-Kai'd, seigneur de la Kalâa, s'avança à sa rencontre; mais, se
sentant moins fort, il n'osa pas engager le combat, et préféra em-
ployer l'intrigue et la corruption pour détourner les adhérents de
son adversaire. .\bandonné par son armée, llammama n'eut bien-
tôt d'autre parti à prendre que d'accepter la paix et de rentrer
chez lui. Il mourut l'annéç suivante (lOiO), laissant le pouvoir à
son fils ; mais la guerre civile divisa alors les Mag'raoua ; et Fès fui,
pendant de longues années, le théâtre de luttes et de compéti-
tions dans lesquelles les forces des Mag'raoua s'épuisèrenl.
Evénements de Sicile et d'Italie. Chute des Kelbites. — Ab-
sorbés par l'histoire de l'Afrique et de l'Espagne, nous avons perdu
de vue la Sicile et l'Italie, et il convient de revenir sur nos pas
afin de passer une rapide revue des événements survenus dans ces
contrées.
La Sicile, indépendante de fait sous les émirs kelbites, qui re-
connaissaient pour la forme l'autorité des khalifes fatemides, pro-
fila d'une période de paix, pendant laquelle fleurirent les lettres
1. Le Kartas donne pour date à cet événement l'année 1041. Nous
adoptons la date et la leçon d'Ibn-Klialdoun qui pacaisseut plus pro-
bables.
T. I.
26
i02
HISTOIRE DH I, AFRIQl'I-:
et les arts. Toutes les forces vives des Musulmans s'étaient repor-
tées sur l'Italie. Les villes de Cafjliari et de Pise avaient été pillées
par les Sarrasins (1002). En 1004, le do^^e de Venise, P. Orseolo, vint
au secours de Bari, assiégée par le renégat Safi, et força les Musul-
mans à la retraite. En 1005, les Pisans remportèrent 1 importante
bataille navale de Reggio. En 1009, les Musulmans, prenant leur
revanche, s'emparèrent de Cosenza.
En 1015, une expédition musulmane assiégeait Salerne, et cette
ville, pour éviter de plus grands maux, se disposait à accepter les
exigences des Arabes, lorsque quarante chevaliers normands reve-
nant de Terre sainte, qui se trouvaient de passage dans la localité,
scandalisés de voir des chrétiens ainsi malmenés par des infidèles,
entraînèrent à leur suite quelques hommes de cœur et forcèrent
les Musulmans à se rembarquer, après avoir pillé leur camp. Refu-
sant ensuite toutes les offres qui leur étaient faites, ils conti-
nuèrent leur chemin. Mais le prince de Salerne les fit accompagner
par un envoyé chargé de ramener des champions de leur pays, en
les attirant par les prome-ses les plus séduisantes.
Le caïd de Sicile, Youssof-el-Kelbi, ayant été frappé d'hémi-
plégie, avait résigné quelque temps auparavant le pouvoir entre
les mains de son fils Djàfer, qui avait reçu d'El-Hakem l'investi-
ture, avec le titre de Seïf-ed-Daoïiln . ¥.n 1015. Ali, frère de Dja fer,
appuyé par les Berbères, se mit en état de révolte, mais il fut
vaincu et tué par son frère, qui expulsa une masse de Berbères de
l'île. Djâfer, vivant dans le luxe, abandonna la direction des affaires
à l'Africain Hassan, de Bar aï, et ce ministre, pour subvenir aux
dépenses de son maître, ne trouva rien de mieux que d'augmenter
les impôts, en percevant le cinquième sur les fruits, alors que les
terres étaient déjà grevées d'une taxe foncière. 11 en résulta une
révolte générale (mai 1019j. Djàfer fut déposé, transporté en Egypte
et remplacé par son frère Ahmed-ben-el-Akehal.
Le nouveau gouverneur, après avoir rétabli la paix en Sicile,
entreprit des expéditions en Italie. L'empereur Basile, qui avait
tenu sous le joug les Musulmans d'Orient, les Russes et les Bul-
gares, se prépara, malgré ses soixante-huit ans, à faire une descente
en Sicile. Son aide de camp Ûreste le précéda avec une nombreuse
armée et chassa de Calabre tous les Musulmans ; il attendait
l'empereur pour passer en Sicile lorsque celui-ci mourut (dé-
cembre 1025 .
Averti du péril qui menaçait la Sicile, El-Moëzz offrit son aide
à El-Akehal, qui l'accepta. Mais la flotte envoyée d'Afrique fut
détruite par une tempête (1026). Oreste, débarqué en Sicile, ne sut
pas tirer parti des circonstances; il laissa affaiblir son armée par la
A1-IAIBI.ISSI:.M1-NT DKS I-.MIMRI-S .Ml'SUI.MANS (10.35)
103
maladie et, lorsque les Musulmans al laquèrent, il se trouva hors
d'état de leur résister.
Toutes les tentatives tournaient au profit des Musulmans. Les
flottes combinées d'El-Moëzz et d"El-Akehal sillonnèrent alors les
mers du Levant et allèrent porter le ravage sur les côtes d'Illyrie,
des îles de la Grèce, des Cyclades et de la Thrace. Mais, dans la
Méditerranée, les chrétiens, oubliant leurs dissensions particu-
lières, s'unissaient partout pour combattre l'influence musulmane.
C'est ainsi que les Pisans, aidés sans doule des Génois, armèrent
en 1031 une flotte imposante et efîectuèrenl une descente en
Afrique. Bône, objectif de l'expédition, fut prise et pillée par les
chrétiens. En 103,"), la cour de Byzance envoya des ambassadeurs
à El-Moëzz pour traiter delà paix. Sur ces entrefaites, une révolte
éclata en Sicile contre El-Akehal, qui avait voulu encore augmen-
ter les impôts pour subvenir aux frais de la guerre. La situation
devenant périlleuse, ce prince se hâta de faire la paix avec l'em-
pire et d'accepter le titre de maître^ qui impliquait une sorte de
vasselage; il demanda alors des secours aux Byzantins, tandis que
les rebelles appelaient à leur aide El-Moëzz.
Le gouverneur de Kaïrouan leur envoya son propre fds Abd-
.\llah, avec trois mille cavaliers et autant de fantassins. En 10.3G,
Léon Opus, qui commandait en Calabre, passa en Sicile pour se-
courir le nouveau vassal de l'empire et défit l'armée berbère; mais,
craignant. des embûches, il ne profila pas de sa victoire et rentra
en Italie, accompagné de quinze mille chrétiens qui avaient suivi
sa fortune. Bientôt El-Akehal fut assassiné, et Abd-Allah resta seul
maître de l'autorité
Exploits des Normands en It.vi.ie et en Sicile. Robert Wiscard.
— Nous avons vu que le prince de Salerne, enthousiasmé des ex-
ploits des Normands, avait député une ambassade pour décider
leurs compatriotes à lui prêter l'appui de leurs bras. Son appel fut
entendu, et bientôt une petite compagnie d'aventuriers normands
arriva en Italie, sous la conduite d'un certain Drengot (1017).
Présentés au pape Benoît \'III, ils furent encouragés parle pontife
à lutter contre les Byzantins, qui se rendaient odieux par leur
tyrannie et dont l'ambition portait ombrage à tous les souve-
rains de l'Italie centrale. Après avoir, tout d'abord, infligé aux
Grecs des pertes sensibles , les Normands ressentirent à leur
tour les efTets de la fortune adverse et furent cruellement éprou-
1. Amari, Musulmans de Sicile, t. Il, p. 341 el suiv. Elie de hi Pri-
maiidaie, Arnhes et Normands, p. 159 et suiv.
404
IIISiniHi: l)K I, AFKlyi'E
vés par le fer de l ennemi. Le katapan Boïannès les expulsa de
toutes leurs conquêles et rétablit l autorité de l empire jusque sur
IxApulie.
Le pape Benoît A'III appela alors à son aide l'empereur Henri IL
qui envahit l llalie à la tête d'une nombreuse armée; les Normands
se joignirent à lui et l'aidèrent à triompher des Grecs. Mais bientôt
l'armée allemande reprit la route de son pays, et les Normands
demeurèrent livrés à eux-mêmes sans ressources, et se virent
forcés de vivre de brigandage el d'ollVir leurs bras aux princes ou
aux républiques qui voudraient bien les employer.
Sur CCS entrefaites, arriva de Normandie une nouvelle troupe
commandée par de braves chevaliers, 111s d'un homme noble des
environs de Coutances, nommé Tancrède de Ilauleville, qui, à
défaut d'autre patrimoine, avait donné à ses douze fds l'éducation
militaire de son temps. C'était un puissant renfort que de tels
hommes, et, comme la guerre venait d'éclater entre le prince de
Salerne et celui de Capoue, ils trouvèrent immédiatement à s'em-
ployer. Plus tard, ils s'attachèrent aux uns et aux autres avec des
chances diverses.
Vers 1036, le général Georges Maniakès débarqua en Italie à la
tête d'une armée byzantine considérable; il réussit à s'adjoindre
les Normands du comté de Salerne el passa en Sicile (1038).
Débarqués à Messine, les chrétiens ne lardèrent pas à rencon-
trer les Musulmans; ils les mirent en déroule, après un rude
combat, dans lequel Guillaume Brai de fer, un des fils de Tan-
crède, fil des prodiges de valeur à la léte des Normands. Messine
capitule; puis on assiège Ramella, où les Musulmans ont con-
centré leurs forces. Maniakès triomphe sur tous les points. Les
chrétiens mettent alors le siège devant Syracuse; mais celte ville
résiste avec énergie. Abd-Allah reçoit des renforts d".\frique et
porte son camp sur les plateaux de Tra'iana. au nord de l'Etna.
Mais l'habile Maniakès, secondé par les Normands, met encore
une fois en déroule les Musulmans.
Sur ces entrefaites, une brouille étant survenue entre Maniakès
et le Lombard Ardoin, qui avait le commandement de la compa-
gnie normande, ce chef ramena ses hommes en Italie et appela le
peuple aux armes contre les Byzantins. Cependant Syracuse était
tombée aux mains du général grec, el bientôt il allait achever la
conquête de toute l'île, lorsque, par suite d'intrigues, il fut rap-
pelé en Orient el jeté dans les fers. La révolte éclata dans la
Fouille sous l'impulsion des Normands; une partie des troupes
impériales furent rappelées de Sicile el les Musulmans respi-
rèrent.
AITAIBI.ISSIiMHNT DUS I-MI'IRKS Ml'SUL.MANS (1043)
405
En 10 iO, les Musulmans so lancent é<^alement dans la rébellion,
et Ahd-AUah, après avoir vu tomber la plupart de ses adhérents,
est contraint de rentrer à Kaïrouan, en abandonnant la Sicile à son
compétiteur Simsam, frère d'El-Akehal. Les Byzantins sont bientôt
expulsés de Tile (10i"2). Mais la Sicile se divise en un grand
nombre de principautés indépendantes, obéissant à des officiers
d'origine diverse, souvent obscure.
En Italie, les Normands avaient obtenu de grands succès et
conquis un vaste territoire dont ils s'étaient partagé les villes.
Amalfi, neutralisée, devint la capitale de ce petit royaume, et
Guillaume en fut nommé chef, sous le nom de comte de la Fouille.
Mais en 1012, Maniakès, qui avait recouvré la liberté, reparut en
Italie, et, comme toujours, la victoire couronna ses armes. Par
bonheur pour les Normands, il se lit proclamer empereur et passa
en Grèce, où il fut tué par surprise. La ligue normande acquit dès
lors une gi'ande puissance. A la mort de Guillaume, survenue en
1016, les frères de Ilauteville se disputèrent sa succession, et la
ligue fut rompue. Le plus jeune d'entre eux, nommé Robert,
arrivé depuis peu en Italie, ayant trouvé tous les bons postes
occupés, se distingua par sa hardiesse et les ressources de son
esprit; il reçut pour cela le surnom de Wiscard ou Guiscard (fort
et prudent). Après avoir guerroyé avec succès en Calabre, il se
forma un groupe de compagnons dévoués et courageux. Nous
verrons avant peu quel parti il en tira.
Quelques années plus tard, les forces combinées de Gènes, de
Pise et du Saint-Siège parviennent à expulser les Musulmans de
la Sardaigne (1050j. Cet île obéissait aux émirs espagnols et la
lutte avait duré de longues années
RuPTLRi: icNTiii- lu.-MoEzz ET i.E 1 1 A.M.M AiiiTE Ei.-K.\ÏD. — Pendant
que l'Italie et la Sicile étaient le théâtre de ces événements, une
rupture, depuis longtemps imminente, éclatait entre El-Moëzz et
son parent El-Kaïd, de la Kalâa, qui s'était rendu entièrement
indépendant du gouverneur de Kaïrouan. Par esprit d'opposition,
El-Kaïd refusait en outre de suivre El-Moëzz dans son hostilité
contre les khalifes du Caire.
Le gouverneur, s'étant mis à la tête de ses troupes, vint lui-
même assiéger la Kalàa ; mais cette place, par sa forte position,
défiait toute surprise. Aussi, après l'avoir tenue longtemps blo-
1. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 367 et suiv. Elle de la Pri-
maudaie, Arabes et Normands^ p. 166 et suiv. De Mas Latrie, Traités
(le paix, etc., p. 21 el suiv.
i06
IlISTdIRIî DE I. AFRIQl'K
quée, El-Moëzz se décida-t-il à sij^ner avec El-Kaïd une sorte de
trêve. Il leva le siè;^e, mais au lieu de rentrer en IlVikiya, il alla
guerroyer du côté d'Achir (i04'2-i3 .
Comme en Sicile, comme en Espagne, la désunion des Musul-
mans d Afriquc, en paralysant leurs forces, allait avoir les consé-
quences les plus graves et i'avoriser 1 arrivée d'un nouvel élément,
ethnographique ' .
1. lljii-Klialdouii, t. Il, j). 20 cl i6.
IIN Dli I, A 1) i; L .\ 1 1. M i; PAUTIi;
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Préface m
Système adopté pour la transcription des noms arabes vi
Introduction : Description physique et géographique de l'Afrique
septentrionale. ix
Divisions géographiques adoptées par les anciens xvi
Divisions géographiques adoptées par les Arabes xix
Ethnographie. — Origine et formation du peuple berbère xxi
PREMIÈRE PARTIE
période antique
(Jusqu'en '"'42 Je l'ère chrétienne)
Chapitre I. — Période phénicienne (1100-268 av. J.-C.)
Sommaire :
Temps primitifs '
Les Phéniciens s'établissent en Afrique
Fondation de Cyrène par les Grecs
Données géographiques d'Hérodote
Prépondérance de Karthnpe
Découvertes de l'amiral llannon
Organisation politique de Karthage
Conquête de Karlhage dans les îles et sur le littoral de la Mé-
diterranée
Guerres de Sicile
Révolte des Berbères
Suite des guerres de Sicile
Agalhocle, tyran de Syracuse. — Il porte la guerre en Afrique.
Agalhocle évacue l'Afrique
Pyrrlius, roi de Sicile. — Nouvelles guerres dans cette contrée
Anarchie en Sicile
G
7
8
S
9
11
U
12
408 iiisToiiii: i.'ahiiql'ic
Pages.
CiiAPiruE II. — Prcniièrc guerre intiiitjue (268-220) 13
SomiiiMii-c :
(Causes (le la premirri' jiucrrc pnnii|iii' 13
Itiiptiirc (le Home {wcv K.iiih.iLrr li
Première f,'iierre |)unii|iic. li
Succès des ll(jinaiiis en Sicile |;,
Les Honiains portent la guerre en Afri(iue , Ifi
Victoire des Kartiiaginois il Tunis. — Les lioiuains (AacuenI
rArri(iue 17
Ile|)i'ise de la guerre en Sicile 18
(Irand sii'ge de Lylibéc 10
liataille des îles Kirates. - Lin de la preniièic lincrre iiunique :.'()
Divisions géogra|>lii(|nes de IMi icpie adoptées pai- les lioniains •_'!
Cuerre des Mercenaires •>•>,
Kai'lliagc, après avoir rétahli son anloi'itc en .\t'ri(|iu\ poi-te la
guerre en Espagne -Jl
Succès des Kartiiaginois en l^spagiie •>'.>
Ch.vimtki; III. — Deuxième guerre jiuiiiiiue (220-201) 27
Soniiuaire :
llaiinibal conniience la guerre (rLspagn<'. l'ri-e de Sagonle... 27
llaiinibal marche sur l'Italie 2S
tlombat du Tessin; batailles de la Tréhie et de Trasiniène 29
llannibal au centre et dans le midi de l'Italie: bataille de
(;annes 31
(Jonsé((uences de la liataille de Cannes. — Knergi(|ue résistance
de llonie 32
La guerre en Sicile 33
Les Berbères prennent part à la lutte. Syphax et Massinissa. . . 31
(iuerre d'Kspagne 3't
Campagne de llannibal en Italie 3.'j
Succès des Komains en Kspagne et en Italie: bataille du Mé-
laure 3()
Evénements d\\fri(|ue: rivalité deS\|diax et de .Massinissa... 37
Massinissa, roi de Nuniidie 3S
Massinissa est vaincu iiarS\pha\ 3S
Kvénements d'Italie; l'invasion de l'Alrifiue est résolue 3'.)
Campagne de Scipion en Afriiiue 4(1
Syphax est fait prisonnier par Massinissa il
Ijalaille de Zama il
Lin de la deu.xième guerre puni(|ue: traité avec Home 12
Ch.^i'itiie IY. — Troisième guerre punique (20I-li6) 44
Sommaire :
Situation des Berbères en l'an 201 44
llannibal, dictateur de Karthage; il est contraint de fuir. Sa
mort i.j
Empiétements de Massinissa 46
Prépondérance de Massinissa 46
TABLE DES MATILRES iOO
l'ages.
Situation de Karthage 47
Karthage se prépare à la guerre eontre Massinissa 4S
Défaite (les Karthaginois par Massinissa iS
Troisième guerre punique 49
lléroKiue résistance de Karthage jO
Jlort de Massinissa M
Suite du siège de Karthage j"2
Scipion prend le conimandenient des opérations ô'2
Chute de Karthage o4
L'AIVifiue province l'oniaine .j5
CnAi'iTiiE V. — Les rois berbires vassaux de Nome (146-89j 57
Sommaire :
L'élément latin s'élahlil en Arriquc 'il
Hègne de Micipsa ô8
l'i'emière usurpation de .lugurtiia .">X
Défaite et mort d'Adherlial oO
(Jiierre de .lugurlha contre les Romains (iO
Première campagne de Métellus contre .Tugurtha
Deuxième campagne de Métellus 63
Marins prend la direction des opérations 64
(lliute de .lugurlha ()6
Partage tle la Numidie 67
Coup d'o'il sur l'histoire (le la Cyrénaï(|ue; cette province est
léguée à Home 68
CuAi'iruE VI. — l.' Afri<iuc ixitduiU les guerres civiles (89-46) 71
Siiinmairi' :
Cucrrc entre lliemsal 11 et Varbas 71
Défaite des partisans de Marius en Afrique; nioit de Yarbas. .. 71
Expéditions de Sertorius en Maurétanie 72
Les pirates africains châtiés par Pompée 73
.hiba I successeur de lliemsal il. — Il se prononce poui' le parti
de Pompée 7 4
Défaite de (Uiriou et des Césariens par .luba !'■)
Les Pompéiens se concentrent en Afi'ique après la bataille de
Pharsale 7(i
César débaripie eu Afri(|ue 77
Diversion de Sittius et des rois de Maurétanie 78
liataille de Thapsus,- défaite des Pom[)éiens 7!)
Mort de Jnba. — La N'umidie orientale est réduite en province
romaine 80
Chronologie des rois de Numidie 81
410
HISTOIRE Ui: I, AFRIQUE
Pages.
Chapitre VII. — Les derniers rois berbères (46 avant J.-C. —
43 après J.-C.) 83
Sommaire :
Les rois maurélanieiis pi-eniienl i)arti dans les guerres civiles. 83
.Vrabion rentre en possession de la Sélifienne. 83
Lutte entre les partisans d'Antoine et ceux d'Octave 84
.Vrabion se prononce pour Octave 8i
Arabion s'allie à Sextius, lieutenant d'Antoine; sa mort 80
L'Afrique sous Lépide 86
Bogud II est dépossédé de la ïingitanc. liokkus III réunit toute
la Maurétanie sous son autorité 87
La Berbérie rentre sous l'autorité d'Octave 87
Organisation de l'.Urique par Auguste 88
Juba II roi de N'umidie 81)
.luba roi de Maurétanie 90
Révolte des Berbères 90
Mort de Juba II; l'tolémée lui succède 92
llévolte des Tacfarinas 92
Assassinat de Ptolémée 9i
Révolte d'iEdémon. La Maurétanie est réduite en province
romaine 94
Division et organisation administrative de l'.Vl'rique romaine... 95
Chronologie de.s rois de M.\urét.\nie 99
Chapitre YIII. — L'Afrique sous l'auLorili- romaine (43-297). . . . 100
Sommaire :
Etat de l'Afrique au \" siècle ; productions, commerce, relations 100
Etat des populations 102
Les gouverneurs d'Afrique prennent part aux guerres civiles.. . 103
L'Afrique sous Yespasien lOi
Insurrection des Juifs de la Cyrénaïque 105
Expéditions en Tripolitaine et dans l'extrême sud 105
L'Afrique sous Trajan 106
Nouvelle révolte des Juifs 107
L'Afrique sous Hadrien; insurrection des Maures 107
Nouvelles révoltes sous Anlonin. Îlarc-Aurèle et Commode,
138-190 109
Les empereurs africains : Seplime Sévère 110
Progrès de la religion chrétienne en Afrique; premières per-
sécutions 110
Caracalla, son édil d'émancipation 112
Macrin et Elagabal 112
Alexandre Sévère 113
Les Gordiens; révolte de Capellien et de Sabinianus 113
Période d'anarchie; révoltes en Afrique 115
Persécutions contre les chrétiens 110
Période des trente tyrans , 116
Dioclétien; révolte des Quinquegentiens 117
Nouvelles divisions géographiques de l'Afrique 118
TAULE DES MATIERES 411
Page .
Chapitre IX. — L'Afrique sous l'auloiité romaine, suite (297-415) 120
Sommaire :
Ktat de l'Afrique à la fin du iii^ siècle 120
Grandes persécutions contre les chrétiens 12i
Tyrannie de Galère en Afrique 122
Constantin et Maxence, usurpation d'Alexandre 123
Triomphe de Maxence en Afrique ; ses dévastations 12i
Triomphe de Conslanlin 121
Cessation des persécutions contre les chrétiens; leslJonatistes ;
schisme d'Arius l2o
Organisation administrative et militaire de l'Afi'ique par Cons-
tantin 128
Puissance des Donatisles. Les Circoncellions 12'.)
I,es tîls de Constantin; persécution des Uonatistes par Constant
Constance et Julien ; excès des Uonatistes i;jl
Exactions du comte Uomanus 132
Révolte de Firmus 133
Pacification générale 13.j
L'Afrique sous Gralien , \ alentinien 11 et Théodose 130
Kévolte de Gildon 130
Chute de Gildon 137
L'Afri((iie sous llonorius 138
Chapitre X. — Période vandale (415-531) 140
Sommaire :
Le christianisme eu Al'i'ique au commencement du siècle.. liO
Honiface gouverneur d'Afrique; il traite avec les Vandales.... 142
Les Vandales envahissent l'Afrique 143
Lutte de Bonil'ace contre les A'andaies 14i
Fondation de l'empire vandale 14.j
.Nouveau traité de Genséric avec l'empire; organisation de
l'Afrique Aandalc 110
Mort de Valentinien 111; pillage de Home par Genséric 117
Suite des guerres des Vandales 118
Apogée de la puissance de Genséric; sa mort 14'J
Règne de Ilunéric; persécutions contre les catholiques I.jO
Révolte des Rerbères loi
Cruautés de Ilunéric 151
Concile de Karthage; mort de Ilunéric 152
Règne de Gondamond 1.52
Règne de Trasamond 153
Règne de Hildéric : 154
Révoltes des Berbères; usurpation de Gélimer 15i
Chapitre XI. — Période byzantine (531-642) 156
Sommaire :
Justinien prépare l'expédition d'Afi i(iue 156
Départ de l'expédition, lîélisaire dél)ar(|ue à Caput-Vada 157
-112 HISTOIRE DE I. AFRIQUE
Pages.
Première phase de la campagne Iô8
Défaite des Vandales conduits par Ammatas et Gibamiiiid I.j0
Succès de Bélisaire. Il arrive à Karthage 160
Hélisaire à Kartliage 101
Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur Kar-
tliage 102
liataille de ïricamara 103
Fuite de Gélimer 161
Conquêtes de Bélisaire 16i
Gélimer se rend aux Grecs lO.j
Disparition des Vandales d'Afrique 160
Organisation de l'Afrique byzantine; état des Berbères 167
I,uttes de Salomon contre les Berbères 168
Révolte de Stozas 169
Expéditions de Salomon 171
Révolte des Levathes; mort de Salomon 172
Période d'anarchie 173
Jean Troglita, gouverneur d'Afri(jue : il rétablit la paix I7i
Etat de l'Afrique au milieu du vi" siècle 17o
L'Afrique pendant la deuxième moitié du vi* siècle 17()
Derniers jours de la domination byzantine 177
Appendice: Chronologie des rois Vandales 178
FIN DE LA PIîKMIKRb; l'ARTIE
TABLE DKS .MATIKRKS -tl3
DEUXIÈME PARTIE
PÉRIODE ARAUIi T. T H E R li K IS E
fi il —
Pages.
Chapitre I. • — Les Berbères et les Arabes 179
Somma ire :
1,0 peuple berbère; mœurs et religion 179
Organisalion politique 180
Groupement des familles de la race 181
Divisions des tribus berbères 182
Position de ces tribus •. 187
Les Arabes ; notice sur ce peuple 189
Mœurs et religions des Arabes anté-islamiques 190
Mahomet; fondation de l'islamisme 192
Abou liekor, deuxième khalife; ses conquêtes 193
Khalifat d'Omar: coïKjuète de l'Egypte 193
Chapitre II. — Conquête arabe (641-709) 194
Sommaire :
Oampagnes de Amer en Cyrénaï(jue et en Tripolitaine 194
Le lilialife Ùlhmane prépare l'expédition d'Ifrikiya 19Ô
l surpation du palrice Grégoire; il se prépare à la lutte 196
Défaite et mort de Grégoire 197
Les Arabes traitent avec les Grecs et évacuent l'Ifrikiya 198
Guerres civiles en Arabie 199
Les Kharedjites. Origine de ce schisme '200
Mort de Ali; triomphe des Oméïades 201
Ktat de la Berbérie. Nouvelles courses des .Vi'abes 202
Suite des expéditions arabes en Mag'reb 202
Okba, gouverneur de l'Ifrikiya. Fondation de Kaïrouaii 203
Gouvernement de Dinar Abou-el-Mohadjer 2l)i
Deuxième gouvernement d'Okba. Sa grande exjiédition en
Mag'reb 20.j
Défaite de Tehouda. Mort d'Oklja 200
La lierbérie libre sous l'autorité de Kocéïla 208
.N(juvelles guerres civiles en Arabie 208
Los Khareiljitcs et les Chiaïles 209
Victoire de Zohéïr sur les Herbores Mort de Kocéïla • 210
Zohéïr évacue l'Ifrikiya , 211
Mort du fils de Zohéïr. Triomphe d'Abd-el-Malek 211
Situation de l'Afrique. La Kahéna 212
Expédition de lla(;ane en Mag'reb. Victoire de La Kahéna 213
La Kahéna reine des Berbères. Ses destructions 21 i
Défaite et mort de la Kahéna 215
Gonquète et organisation de l'Ifrikiya par Haçane 216
Mouça-ben-Nocéïr achève la conquête de la Berbérie 217
4li niSTOIR£ DE L AFRIQL'E
Pages.
Chapitre III. — Conquête de l'Espagne. Révolte khaiedjile
(709-750) 219
Sommaire :
Le comte Julien pousse les .\rahes à la ronquùle de l'Espagne. 219
Con(|uète de l'Espatme par TariU et Mouça 220
Deslilntion de Moura 222
Situation de IWfricjue et de l'Espagne 222
Gouvernement de Mohammed-ben-Yezid 221
Gouvernement d'lsmaïl-i)en-.\ljd-.\llali 22i
(iouvernemenl de Yezid-ben-Abou-Moslem : il est assassiné 220
Tiouvernement de Bichr-ben-Safouane 22(>
Gouvernement de Obéïda-ben-Abd-er-Rahman 226
Incursions des Musulmans en Gaule: l)alaille de Poitiers 227
(îouvernement d'Obéïd-Allali-bon-cl-Habliab 229
Despotisme et exactions des Arabes 229
liévolle de Meïcera. soulèvement «lénéral des Berbères 230
Iléfaite de Koltoum à l'Ouad-Sebou 231
Victoires de ll.mdhala sur les Kharedjiles de l'Ifrikiya 232
llévolte de l'Espagne: les Syriens y sont transportés 231
.Vbd-er-Rahman-i)en-l[abib usurpe le gouvernement de l'Ifrikiya 230
Ghute de la dynasiie omé'iade : établissement de la dynastie
abbasside 237
Chapitiîe IV. — I{i}\'ollc kliaredjilc . Fondations de royaumes indé-
pendants (750-772) 238
Sommaire :
Situation des Berbères du Mag'reb au milieu du via» siècle... 238
Victoires de Abd-er-Rahman : il se déclare indépendant 239
Assassinat de Abd-er-Rahman 239
I.ulte entre El-Yas et El-llabib 240
l'rise et pillage de K.a'irouan par les Ourfeddjouma 2i2
Les Miknaca fondent un royaume à Sidjilmassa 2i3
Guerres civiles en Espagne 243
1,'omé'iade Aixl-er-Rahman débar([ue en Espagne 24i
Fondation de l'empire oméïade il'Espagne 244
Les Ourfeddjouma sont vaincus par les E'ibadiles de l'Ifrikiya.. 24Ô
béfailes des Khared.jites par Ibn-Achath 240
Ibn-Achath rétablit à Ka'irouan le siège du gouvernement 247
Fondation de la dynastie rostemide à Tiharet 218
Gouvernement d'El-.\r'Ieb-ben-Salem 248
Gouvernement d'Omar-ben-Hafs dit llazarmed 249
Mort d'Omar. Prise de Ka'irouan par les kharedjiles. . 2.")l
Ch.\.pitre V. — Derniers gouverneurs arabes (772-800) 253
Sommaire :
Vezid-ben llalem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya 253
Gouvernement de Yezid-ben-Hatem 254
Les petits royaumes berbères indépendants 255
TABLE DES M.VTIKRRS il5
Pages.
L'Espagne sous le premier klialife oméïade ; expédition de
Charmelagne 256
Intérim de naoud-ben-Yezid ; goiivernemeni de Rouli-iien-Ilalem 258
Kdris-ben-Abd-Allah fonde à Oulili la dynastie edriside 258
Coniiuêtes d'Edris; sa mort 260
Oouverneiiients d'En-Xasr-Iten-el-llaijilj et d'I^l-Kadel-iien-Uonh . 261
Anarchie en Ifrikiva 261
(ioiivernement de llerlema-ben-Aïan 262
Gouvernement de Mohammed-ben-Mokalel. 262
Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la révolte de la milice 263
Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépendant. IVinde
la dynastie ai''lebite 263
Naissance d'Edris II , 26i
L'Espagne sous Ilicham et El-llakem 265
Chronologie des gouverneurs de l'Atrique. 266
Chapitre VI. — L'Ifrilùya sous les Ar'lehilrs. Conr/uete de la Si-
cile (800-838) 267
Sommaire :
Ibrahim établit solidement son autorité en Ifrikiya 267
Edris II est proclamé par les Berbères 268
Fondation tle Fès par Edris II 268
Uévolles en Ifrikiya. Mort d'Ibrahim 269
Abou-l'Abbas-Abd-Allah succède à son père Ibrahim 270
(lonciuctes d'Edris II 271
Mort de Abd-Allah. Son frère Ziadet-.Vllah le remplace 272
Espagne: Révolte du faubourg. Mort d'El-IIakem 272
Luttes de Ziadet-Allah contre les révoltes 273
Mort d'Edris II; partage de son empire 276
Etat de la Sicile au commencement du i\' siècle 277
Euphémius appelle les Arabes eu Sicile. Expédition ilu cadi
Aced 278
(Conquête de la Si<-,ile 279
Mort de Ziadet-.Vllali. Son frère Abou-Eïkal-el-Ar'leb lui succède. 280
(luerres entre les descendants d'Edris II.. 281
Les Midrarides à Sidjilniassa. . . 281
L'Espagne sous Abd-er-Ilahman II 282
Chapitre VIT. — f.cs derniers Ar'lehites (838-902), 283
Sommaire :
Gouvernement d'Abou-EïkaI 283
Gouvernement d'Abou-l Abbas-Mohammed 284
Gouvernement d'Abou-Ibrahim-.Vhmed 286
Evénements d'Espagne 287
Gouvernement de Ziadet-Allah, dit le jeune, et d'Abou-el-R'aranik 288
Guerre de Sicile 288
Mort d'.\bou-el-R'aranik. Gouvernement d'lbrahim-ben-.\hmed.. 289
Les souverains edrisides de Fez 290
Succès des Musidmans en Sicile 290
416 HISTOIRE DF, i/aFRICjCE
Pages.
Ibrahim repousse l'invasion d'Kl-Abras-ben-Tonloun 291
Révoltes en Ifrikiya. Cruaulés d'Ibrahim 29"2
Progrés de la secte ch'ia'ite en Herbérie. Arrivée d'Abou-Abd-Allah 293
Nouvelles luttes d'Ibrahim contre les révoltes 29i
Kxpédilion d'Ibrahim contre les Toulounides d'Kpypte 295
Abdication d'Ibrahim 290
Kvénements de Sicile 297
Kvénemenis d'Kspagne 29X
Chapitre VIII. — Elahlisseinent de l'empire ohéidilc. Cliiile de
Vaulorilc arabe en Ifril.iya (902-909) 300
Sommaire :
Coup d'u'il sur les événements anléi'ieurs et la situation de
l'Italie méridionale 300
Ibrahim porte la guerre en Italie. Sa moit 302
Progrès des Chiaites. Victoires d'.Vbou-Abd-Allah clie/ les Ketama 303
Court l'égne d'Abou-l'Abbas. Son fils Ziadcl-Allali lui suci-éde... 301
Le mehdi Obéid-Allah passe en Mag'reb 30Ô
(Campagnes d'Abou-Abd-.\llah contre les Ar'Iebites. Ses succès.. 31*7
l.es Chiaites marchent sur la Tunisie. Fuite de Ziadet-Allah III 309
Abou-.\bd-Ailali prend possession de la Tunisie 310
Les Chiaites vont délivrer le mehdi à Sidjilmassa 312
Uetour du mehdi Obéid-Allah en Tunisie. Fondation de l'empire
obéidite 313
Chronologie des gr>u\ cj'neurs ai'Iebitcs 3l.'j
Chapitre IX. — /.'.ifrif/iie sous les l'alrinides (9l0-93'j1 316
Sommaire :
Situation du Mag'reb en 910 316
Con(|uéte des Fatemides (lan< le Mag'reb central, (^luile dc<
llostemides 317
Le mehdi fait périr Abou-Abd-Allali et écrase les germes de
rébellion 3IS
Evénements de Sicile. 320
Kvénements d'Espagne 320
Itévoltes contre Obéid-Allah 321
Fondation d'Kl-Mehdia par Obéid-Allah 322
Expédition des Fatemides en F^gypte. s<ui insuccès 323
L'autorité du Mehdi est rétablie en Sicile 32't
Première campagne de Messala dans le Mag'reb jiour les Fate-
mides . 32.")
Nouvelle ex|)édition latemide contre l'Egypte 326
Conquêtes de .Messala en Mag'reb 326
Expéditions fatemides en Sicile, en Tripolitaine et en Egypte.. 327
Succès des Mag'raoua. Mort de Messala 328
El-IIaçan i-elève, à F'ès, le trône edriside. Sa mort 328
Expédition d'.Vbou-l'Kaceni dans le Mag'reb central 329
Succès d'Ibn-Abou-l'Afia ; 330
TABI.R DES MATIKRES 4l7
Mouça se prononce pour les Oméïades. Il est vaincu par les Pages.
troupes fatemides 331
Mort d'Obéïd-Allah, le mehdi 332
Expéditions des Fatemides en Italie 333
Chapitre X. — Suite des Fatemides. Révolte de l'Homme à l'une
(934-947) 334
Sommaire :
Règne d'El-Kaïm ; premières révoltes 33i
Succès de Meïço\ir, général falemide, en Mag'reb. Mouça, vaincu,
se réfugie dans le désert 33Ô
Expéditions fatemides en Italie et en Egypte 336
Puissance des Sanhadja. Ziri-ben-Menad 337
Succès des Edrisides; mort de Mouça-ben-Abou-l'Afia 338
Révolte d'Abou-Yezid, Vllomme à l'âne 338
Succès d'Abou-Ye/.id. Il marche sur rifrikiya 3iO
Prise de Kaïrouan par Abou-Yezid 3'tl
Nouvelle victoire d'Abou-Yezid suivie d'inaction . 3i2
Siège d'El-Mehdïa par Abou-Yezid 343
Levée du siège d'El-Mehdia. 3i5
Mort d'El-Kaïm. Règne d'Ismaïl-el-Mansoui- 3i6
Défaites d'Abou-Yezid 347
Poursuite d'Abou-Yezid par Isinaïl 348
(Ihute d'Abou-Yezid 350
Chapitre XI. — Fin de la domination falemide (947-973) 353
Sommaire :
Etat du Mag'reb et de l'Espagne. 353
Expédition d'El-Mansour à Tiharel 354
Retour d'El-Mansour en Ifrikiya 355
Situation de la Sicile; victoires de l'Ouali llassan-cl-Kelbi eu
Italie 3.55
Mort d'p;i-Mansour. Avènement d'EI-Moëzz 350
Les deux Mag'reb reconnaissent la suprématie oméïadc 357
Les Mag'raoua appellent à leur aide le khalife falemide 350
Rupture entre les Oméïades et les Fatemides 3.59
(Campagne de Djouher dans le Mag'reb; il soumet ce pays à
l'autorité falemide 359
Guerre d'Italie et de Sicile 301
Evénements d'Espagne. Mort d'Abd-er-Rahman III (en Nàcer).
Son fils El-Ilakem II lui succède 361
Succès des Musulmans en Sicile et en Italie 362
Progrès de l'influence oméïade en Mag'reb 363
Etal de l'Orient. El-Moëzz prépare son expédition 304
Conquête de l'Egypte par Djouher 305
Révoltes en Afrique. Ziri-ben-Menad écrase les Zenètes 300
Mort de Ziri-ben-Menad. Succès de son fils Bologguine dans ly
Mag'reb 307
T. I. 27
418
IIISTOIRK DE I. AKIilyl'K
Pages.
El-Moëzz se prépare à quitter l'Ifrikiya 368
Kl-Moëzz transporte le siège de la dynastie falemide en Egypte.. 369
Chronologie des Fatemides d'.^fritpie 370
Chapitre XII. — L'Ifrikiya sous les Zirides (Sanhadjà). f.e Mag'reb
sous les Oinéïades (973-997) 599
Sommaire :
Modifications ethnographiques dans le Mag"reb central 371
Succès des Oniéïades en ,Mag"rel); chute des Edrisides; mort
d'El-IIakem 372
Expéditions des Mag'raoua contre Sidjilniassa et contre les
Berg'ouata 374
E.vpédition de Bologguine dans le Mag'reb; ses succès 375
Bologguine, arrêté à Ceuta par les Oméiades, envahit le pays
des Berg'ouata 376
Mort de Bologguine. Son lils El-Mansour lui succède 376
Guerre d'Italie 377
Les Oméiades d'Espagne étendent de nouveau leur autorité
sur le Mag'reb 378
Révoltes des Ketama réprimées par El-Mansour 379
Les deux Mag'reb soumis à Tautorité oméïade ; luttes entre les
Mag'raoua et les Beni-Ifrene 381
Puissance de Ziri-ben-Atiya; abaissement des Beni-Ifrene 382
Mort du gouverneur El-Mansour. Avènement de son fils Badis. 383
Puissance des gouverneurs kelbites en Sicile 38i
lîuptnre de Ziri avec les Oméiades d'Espagne 38i
Chapitre XIII. — Affaiblissement des empires musulmans en
Afrique, en Espagne et en Sicile (997-1045) 386
Sommaire :
Ziri-ben-Atiya est défait par loméiade El-Modall'ei- 386
Victoires de Ziri-ben-Atiya dans le Mag'reb central 387
("luerres de Badis contre ses oncles et contre Kelfoul-ben-
Khazroun 388
Mort de Ziri-ben-Atiya. Fondation de la Kalàa par Hamniad. . . 389
Espagne: Mort du vizir Ben-Abou-.Vmcr. El-Moëzz. fils de Ziri.
est nommé gouverneur du Mag"reb 390
Guerres civiles en Espagne. Les Berbères et les Chrétiens y
prennent part 391
Triomphe des Berbères et d'El-Mostaïn en Espagne 393
Luttes de Badis contre les Beni-Khazroun. Hammad se déclare
indépendant à la Kalàa 394
Guerre entre Badis et Ilammad. Mort de Badis. Avènement
d'El-Moëzz 395
Conclusion de la paix entre El-Moëzz et Hammad 396
Espagne : Chute des Oméiades. L'edriside Ali-ben-Ilaminoud
monte sur le trône 396
Anarchie en Espagne. Fractionnement de l'empire musulman.. 397
TAIil.i: lil-S MATIl'-RES 119
fiiuM'res enlre les Mag'raoïia el les Beni-lfrcnc -^99
Luîtes du Sanhadjien El-Moëzz contre les Beni-Khazroun de Tri-
poli. Préludes de sa rupture avec les Fatemides 399
Guerre entre les Mag'raoua et les Bcni-Il'rene iOO
Evénements de Sicile et d'Ilalie. Chute des Kelhiles 4(11
Exploits des Normands en Italie et en Sicile. Robert Wiscard.. i03
Rupture enlre El-Moëzz et le Ilammaditc El-Kaïd i0.j
i-iN hv. i,\ [iF,r\n':Mi: i'aptu'.
Carlo de l'Afrique septentrionale au ii" siècle.
Carte do l'Espagne.
FIN DU PliEMIER VOI.U.ME
INDEX DES NOMS PROPRES
SE TROUVANT DANS CE VOLUME
Nota. — Les noms d'ailleurs ou d'ouvrages ne s'y trouvent pas compris.
Quant aux noms tels que Afrique, Mag'reb, Berbères, etc., qui se rencontrent
à presque toutes les pages, ils sont simplement recensés ; mais il a fallu
renoncer à indiquer les numéros de toutes les pages où ils se trouvent.
A
Abbassia (el), près Tiharet. 285.
Abbassia (de Tunisie). 207, 269.
Abbassidc (dynastie). 237, 395, et s.
Abaritane. 147.
Al)igas (rivière). 109, 171.
Abii-AlIah-ben-Abd-Allah (le Kelbite
de Sicile). 384, 404 et suiv.
Abd-AUah-ben-Abd-er-Rahman (l'O-
mé'iade). 287.
Abd-Allah-ben-Abou-Sarli. 195.
Abd-Allah-ben-Ujaroud. 201.
Abd-AlIah-ben-lIacen. 399.
Abd-AUah-ben-Ibrahim (i'Ar'lebile).
270.
Abd-Allah-ben--Ikhelef (le Ketamien).
309.
Abd-Allah-ben-Kaïs. 203.
Abd-Allah-ben-.Mohammed (l'Oméïa-
de). 298.
Abd - Allah - bcn- Wouça - ben - Nocéïr.
221.
Abd-AUah-ben-Zobéïr. 197 et suiv.
208 et suiv. jusqu'à 212.
Abd-AUah-el-Kateb. 380.
Abd-AIlah, Tils d'Edris II. 276.
Abd-Allah, fils d'El-Hakem. 265 et s.
Abd-Allali, 111s d'El-Moëzz (le Sanha-
djien). 403.
.Vbd - el-Aziz - ben-Mouça-ben-Nocé'ir.
222, 223.
Abd-el-Aziz-el-Moafri. 253.
Abd-el-Ujebbar. 237.
Abd-el-Malek-ben-Abou-Djaada. 243.
Abd-el-Malek-ben Mouça. 222.
Abd-el-Malek-el-ModalTer, lîls d'Ibn-
Abou-Amer. 386, 390, 391.
Abd-el-Malek, khalife oméïade. 209 à
220.
Abd-el-Malek (le Médinois),229 à235.
Abd-el-Ouad (tribu). 187.
Abd-el-Ouahad-ben-Yezid. 232.
Abd-el-Ouahab-ben-Rostem. 258 el s.
à 270.
Abd-el-Ouarelh-ben -Abd-er-Rahman.
240.
Abd-er-Rahman I (fondateur de la
dyn. oméïade d'Espagne). 244 et s.
Abd-er-Rahman II. 273, 282, 287.
Abd-er-Rahman III (dit En-Nacer).
330 et s. à 362.
Abd-er-Rahman IV (dit El-Mosta-
d'hir). 378.
Abd-er-Rahman V (dit El-Morteda).
398.
Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah. 226,
227.
Abd-er-Rahman-ben- Habib (dit le
Slave). 257.
422
Ab(l-er-R:ihinan-ljeii-llal)il). 'l'io ei s.
jusciii'à '2iO.
Abd-er-lUianian-ben-lïosleni. '2iO et
siiiv. 2jj à 2à8.
Aljd-er-Ualiiiian-ul-l)jo(lami. 290.
Alxl-er-Rahman, fils (J"Kl-lIabilj. 2.jI.
Abd-er-Hahman (ramérite), surnom-
mé Sanchol. 391 et sniv.
Abd-er-Rahinan le Kaïsile. 21o.
Abd-er-Rezzak (le Kliaredjite). 290.
Abd-es- Selah-ben-Feredj. 27C et s.
Abou-Abd-Allah-el-Iloceïn(leChiaïle).
294, 303 et suiv., 318, 319.
Aboii-Abd-AUah-Mohamnicd. dit Aboii
el-R aranik (l'Ai-'Iebite). 288, 289.
Abou-Abd-Allah (vizir ar'lebilej. 28i.
Abou-Animar (T-^veugle). 338.
Abou-Beker (khalife). 193.
.Vbou-Beker-ben-Bordj le liur (dit
Ikhchid). 336 et suiv., 36i.
Abou-Djàfer (l'Ar'lebite). 281.
Abou-Djàfer (le Nekkarieii). 330.
Abou-Eïkal-ei-Arleb, dit Khazer. 281
à 28 i.
Abuii-llàtein-Yakoiib. 'IM à 2(ii.
Abou-lloniéïd (vizir ar'lebilej. 281.
Abou - Ibrahim - Ahmed (l'Ar lebile).
28(i.
Abou-Ishak-lbiaiiim (l Ar'lebilei. 289.
Abou-Kharadja-ijen-Alimed (Lrénéral
ar"leb.). 288.
Aboii-Khàled-Yczùl. 208.
Aboii-Komah. 330.
Abou-Koreïb (cadi). 242.
Abou-Korra (Tifrenide). 238 et suiv.
Abou-lAbbas-Abd-Allah (lArlebite).
270 et suiv.
Abou-l'Abbas-ben-Abou-l-ezara. 280.
Abou-l'Abbas-es-SalTah (khalife aba-;-
side). 237.
Abou-l'Abbas, lils d'll>raliini (l Ar le-
bite). 292 à 303.
Abou-l'Abbas le chia'ile, 300 à 319.
Abou-l'Abbas-Mohammed (l'Ar'lebite).
284 à 286.
Abou-rAbbas-Mohammed. tils de Zia-
det-Allah II. 296.
Abou-l A'ieh-Ahmed: dit lll-l'adel d'K-
dricide). 307 à 300.
Abou-l'Asouad, ills de Youeuf. 2Ô7.
Abou-rBehar-ben-bou-el-Alia. 353.
Abou-l'Fahm-ben-Nasrou'ia. 379 et s.
Abou-Leila-Ishak. ■>:/.), 209.
Abou-l'Keredj, le Juif. 380.
Abou-l'Ketouli-Youssof (le Kelbile).
38 i.
Abou-rilakem. dit Azkeladja. 378 el
suiv.
Abou-l'Kaoual (l Ar lebite). 30i.
Abou-l'Kassem (le Kelbile). 378.
Abou-l'Kassem (ou Kacem), Ills (le
Mehdi-Ubé'id-Allah (voir Kl-Kaïml.
Abou-rKassem-Semtrou-ben-Ouàeoul.
2:j.'j.
AI)Ou-I KIiallah-el-.\lualri. 2iO.
Abou-l'Khatlar. 23.j;i2i3.
Abou - r - .Moiikad - ben - bou el-Alia.
253.
Abou-.Malek ( l'Ar'lebite). 297.
Abou-.Mausour-A'iea (le Bertr'ouali).
37(1.
Abou-Menad - .Nacii'-ed - liaoula (v(jir
Badis).
Abou-Moliammed-Ziadel-Allali (vfiir
Zia<let-Allah).
Abou-l'R'aranick (voii' AhoLi-Alid-Ai-
lah-Moliaiiimed ).
Abou-Saïd-Moussa. dit Eil-Kaïf (j-'éii.
obéïdite). 32j.
Abou-Tahar-Ismaïl ( voir EI-.Maiisour).
Abou-Taleii. 192 el suiv.
Abou-'l'emini-.Maad (voir Kl-Moëzz).
Abou-Tliaur. 2"i7.
Abou-Yah'ia-beii-Arouiias. 2ji.
.\bou-Yezid, l'hoinme a l'âne. 07. 335.
338 el suiv. à 352, 3.55.
A bo u-Z ak i -Te m m a m . 312.
Abou-Zerhouna. 25i.
Abou-Zor'bel (l'aH'iauelii). 377.
Aced (le cadi). 278.
Acein-ben-Djemil. 242.
Aciiir. 338, 350. 308. 377. 381 et suiv.
388 el suiv., 394, i05.
Aclium. 88.
Addjana (tribu). 183. 303.
Adherbàl. 57 à 82.
Adjiea (tribu). 184.
Adis (Rades). 17.
Adnane (tribu). 190 el suiv.
Adriati(|ue. 31, 33 et sui\ .
Adv rmakhides. 4.
Aedémon. 94, 95.
Aemilius. 29.
Aélius. 132, liO, 147.
IN'UE\ DES NOMS rUOl'KES
423
Alla, fils tl'Ab-cl-Ou;iliab-ben-Uoslem.
285.
Africa(noni ancitm (l'EI-Medhïa). 322.
Afi'ica nova. 81.
Afrique (diocèse d'). 110.
Afrique (préfecture). 128.
Afrique propre. 21, 119.
.Vfrique (province ])roconsulaire d').
<Xj.
Africiue seplenli'iDiiale (Bei'ljérie). 1
et suiv.
Agathocle. 9 à 69.
Agisymba. 106.
Agoura. 182.
Agrigente. 7, 18 (voir Akragas).
Agripa (Marcus"). 103.
Ahénobarbus (I)oniilius), 72.
Ahmed-Abou-l'Eikal (l'Ar'lebile). 289.
Ahmed-ben-Beker-el-I)joilanii. 360 et
suiv.
Ahmed-ben-el-Akehal. 402.
Ahmed-ben-Korhob. 323.
Ahmed-ben-Umar (général ar"leljite).
289.
Ahmed-ben-Meinioun (le Midrariile).
327.
Ahmed-ben-Soliane. 28j.
Ahmed-ben-IIassan-el-Kelbi. 362 à 369.
Ahmed-ben-Touloun. 291.
.Viad-ben-Ouahb. 270.
Aïan (tribu). 183.
.\ïça-ben-Jloussa. 248.
Aïça-ben-Yezid, le Noir. 2i3, 2jj.
Aïca,fils de Soleïnian l'Edriside. 277.
Aïça, fils d'Edris II. 277, 281.
Aïcha (veuve du Prophète). 200.
Aïfaoun (tribu). 183.
Aigan. 168.
Aïhala le Noir. 173.
Aïnoutlal (tribu). I8.j.
Aïnlift (tribu). 18.5.
Aioub, flls d'Abou-Yezid. 346 à 3j2.
Akhouïne (el), 3i2.
Akouba. 196.
Akragas (Agrigente). 9, 1.5.
Algésiras. 220 et suiv., 23i, 386, 397
et suiv.
Ala-(el)-ben-Moghit. 206.
Ala-(el)-ben-Saïd. 261.
Alains. 138 et suiv.
Alaric. 139, 143.
Albe. 43.
Albinus. 61.
Albinus (L.). 101.
Alexandre le Grand. 10, 69, 77, 87.
Alexandre (le tyran). 123, 12i.
-Vlexandrie. 77, 105 et suiv., 110 et
suiv., 32.5, 365, 370, 370.
Ali - ben - llamdoun ( l'Andalousien ).
330 à 3i6.
Ali-ben-llamnioud (l'Edriside). 296.
Ali-ben-Mohammed (l'Edric). 281.
Ali-ben-Oniar-el-Beloui (oIT.obeïdite).
320.
.Ui-ben-Omar (l'Edriside). 281 à 290.
Ali (gendre du Prophète). 195 à 201,
2.59, 293.
.Vlides. 259 et suiv.
Alpes (les), 29, 330.
iVlphonse I, fils de Pedro. 243, 258.
Alphonse II (dit le Chaste). 265,
272.
.Vlméi'ia. 359.
Amabilis (préfet). 176.
Amalafrid. 15i.
Ainalfi. 302, iOi.
Amcr-ben-Selini-ben-U'alboun. 285.
Amer-ben-cl-Aci. 193.
Ameur-ben-Nafà. 275.
Amilcar-Barka. 17, 23 à Si.
Amilcar, fils de Magon. 7 à 10.
Amirides (vizirs esp.). 293.
.\inmar le Kelbite. 301.
Ammatas. 159.
Ammon (oasis d'), 08, 102.
Aniporia (Ainpurias). 26.
Amrane (beni). 185.
Amran-ben-Ilabib. 2i0.
Amran-ben-Mokalled. 268, 269.
Amsaga (fi.). 22, 44, 47, 84, 119, 143,
144.
Anbaça le Kcibilc. 226.
Andalous ((|uartiei' des). 269 el suiv.,
273, 329, 373.
Andalousie. 223, 234 et suiv.
Andréas (ou Lucus). 107.
Anfaça (Iribu). 183.
Anfis, 277.
Annius. 72.
Ansars (les). 1S2 et suiv., 294.
Anlallas. 155, 168, 171 et suiv.
Antarite. 23.
Antigone. 69.
Antiochus. 45, 46.
424
IIISfOIHK D12 L AKKIQL'E
Antoine (Marc). 8i à 88.
Antonin (emp.). 109, 111.
Antonina. 157, 160.
.Vnloniiis (Lucius). 87.
Anulinus. 122 à 12(3.
Apennin. 30, 302.
Apion. 7.
Appiiis Claiidius. 1 i.
Aproniiis (L.). 93.
Apulie. 31, 30, 403.
.\quitaiiie. 228 et suiv.
Aoureba (Irihu). 183 à 211. 2VJ, 208.
281, 327.
Aoiuès (Mont ou Djebel). 92, 109, 120,
Ijl, 169 et suiv., 205, 211 el suiv.,
355 et suiv.
•Voureth (beni). 180.
Aourir'a (Iribu) 182.
.Vous (tribu). 192.
•Vrabes. 189 et suiv.
Arabes Ililaliens. 181.
Arabie. 189 et suiv.
Arabion.81 à 80, 99.
Araïch (el). 277.
Arbi (el) le Kelbile. 257.
Arcadius. 136.
.Vrchagale. 11.
Archélaiis. 157 à 101.
Archidona. 320.
.Vrchimède. 33.
.Vrdoin le Lombard. 401.
Aréobinde. 173.
.Vrgirius (patrice). 301.
.Vriobarzane. 48.
-Vristée. 3.
.Vriens. 145 et suiv., 152, 101. 1(>7.
Arius. 128.
Ar'leb-(el)-ben-Saleni. 240, 248 el
suiv.
Ar'lebites (les). 264 et suiv., 279.
Ar'mat. 277.
Arouba-ben-Youçof. 310.
.Vrrétium (camp d'). 30.
.Vrsaoua (tribu). 185.
.\rlabane. 17i.
-Vsbystes. -4.
.Vscalis. 72.
Asculum. 11.
Asdrubàl, fils de Giscon. 37, 38, 40.
.-Vsdrubàl, gendre d'.Vmilcar. 25 à 31.
Asdrubàl (gêner, karth.). 18.
Asdrubàl le Barkide. 48, 53.
Asnam (el). 233.
Aspar. 145.
-Vspidis. 169.
Assaden (tribu). 185).
.\starté (Tanil). 102.
Asluries (les). 223.
Asturiens. 132, 133.
.Vtalaric. 165.
Ataranles. 102.
Athias. 169.
Atiya-ben-Abou-Beker. 382.
Aliya-ben-Khàzer. 375.
Allas (grand). 4 et suiv., 218 el
suiv.
Atlantes. 102.
Atralinus (L.-S.). 90.
AIrouza (tribu). 182.
Attila. 140.
Atlius Varns. 75.
Audjela (oasis de). 102, 105.
.Vugma ou Megna (tribu). 185.
Augusia (légion lllj. 89.
Auguste (emp.). 88 à 96.
Augustin (S'.). I 41 et suiv.
.Vulus. 61 .
-Vurélien (einj).). 116.
Aurelio (roi des .Vsturies). 2-58.
Aurore (mère de liicluim II). 384.
Auses (tribu). 4.
Auskliyses (Iribn). 4.
Ausirusiens (tribu). 139.
Autel des l'hilènes. 3.
Auzia (.Vumale). 94, 115.
Avignon. 229.
Ayoul), neveu de .Moura-ben-Nocéïr.
22 i.
Azdadja (tribu), 184, 217, 385.
Azemmor (tribu). 182.
Azemmor (ville). 277.
Azerdane ou Zerdal. 187.
.Vzliar (mosquée d"KI). 360.
Azkeladja (voir .Vbou-rilakeni).
Azila. 277, 327, 358, 38(1.
Aziz (el)-Nizar (khalil'e fatemide).
375 à 379.
Aziz (Oulad). 184.
B
Haal (temple de). 54.
Babares (tribu). 115.
INDEX l>i;S MJMS I'K(J1-KES
125
Babor (mont). 1 1 o.
Badine (beni). J87.
Badis-ben-Mansoiir le Sanhadjicn,
383 et suiv., 388 à 390.
Badja ou Béja. (51, 62, 233, 2d8, 270,
292 et suiv., 3iO, 39.^.
Baeza. 320.
Bagdad, l'assim, 3(14.
Baghaïa ou Bar'aï. 171 et suiv. (voir
Bar'aï).
Bapradas (voir Medjcrda).
Bakdoura. 232.
Baléares (îles). 168, 218.
Baleg (le Syi'ien). 231 et suiv.
Balbus (Cornélius). 91, lO.j.
Balbus (mont). 38.
Banlious (oasis). 3.'j0.
Baquales (tribu). 109.
Bar'aï (Baghaïa). 20j et suiv., 21 4 i l
suiv., 307 et suiv., 3i0 et suiv.,
3i8, 35Ô et suiv., 388, 390.
Barcelone. 257, 390.
Bari. 301 et suiv., 350. 384, iOl.
Barka (pays de). 180 et suiv., 194 et
suiv., 389 et suiv.
Basile (ca])itaine byzantin). 301.
Basile (empereur). 402.
Basile le Macédonien (enip.). 288 à
291.
Basiliscus. 119.
Basra (du Mafi ieb). 27(i, 329, 300,
372, 374.
Bassien-Elagabal (voir Elagabal).
Battos. 68.
Beau pi'omonloire. 40.
Bebius (Gains), (il .
Bedoins. 190 et suiv .
Bedr (l'airranchi). 244.
Behloula. 260.
Béja (Ksp.). 236, 2:.0.
Bel (Iribn). 183.
Bélisaire. 157 et suiv., 106, 170.
Bel-Kasseni-el-Kelbi. 309.
Bel-Kassem-Semgou. 243.
Bellezma. 293, 303 et suiv., 348.
Bénévent. 300, 377.
Ben-Ghazi. C9.
Beni-el-Khâli. 320.
Ben-Klialifa (général ketaniien). 328.
Benoît VIII (pape). 403.
Ben-Zobéïi'. 197 et suiv.
Benzert (Bizcrle). 213.
Berbères. Passini.
Berbères de l'iist. 182 et suiv., 348.
Berbères de l'Ouest. 182 et suiv.
Berbérie (Al'ri(iue septentrionale).
Passim.
Berber (Ouàd).
Bérénice. 09.
Berg'ouata (tribu), 18o et suiv., 230,
238 et suiv., 2.jo, 374 et suiv., 399.
Bermude. 381, 38.j.
BerzaI (beni). 186, 329, 339 et suiv.,
349 et suiv., 371, 38.j.
Bestia (Calpurnius). 60, 01.
Belalça (tribu). 185.
Bïata (tribu). 183.
Bichr-ben-Safouane. 22(1.
Bir-el-Kahéna. 210.
Biskra. 207, 288, 352, 307.
Bitbya. 53.
Blésus. 93.
Bobastro. 321.
Bochra (l'Esclavon). 340.
Bogud. I. 72 à 84, 99.
Bogud II. 87. 99.
lioïannès (le Kata|)aii). 403.
Boïens. 29.
Bokkar. 38 et suiv.
Bokkus I. 60 à 67, 82, 99.
Bokkus II. 72 à 82, 99.
Bokkus III. 84 à 88, 99.
Bologguine, lils de Ziri-ben-Menad le
Sanhadjien. 355, 366 et suiv., 375 à
377.
lîomilcar. 10.
Bomikar. 01 à 63.
Bône (llippône). 402 (v(iii' llipiMuie).
Boniface (général). 142 et suiv.
Boniface (serv. de Gélimer). 165.
Bordeaux. 228.
Bolouïa (tribu). 181, 185.
Botr, iilur. d'Aider (peuple). 181.
Bou-Arous (général ketainien). 328.
Bouéïra (el) (tribu) 184.
Bouïdes (lés). 364.
Bouira (ville). 354.
Bou-R'ardane (beni). 184.
Bouri (el)-ben-bou-rAria. 353.
Bou-Saïd (beni). 186.
Bou-Youçof (beni). 184.
Brahim le Sanhadjien. 395.
Brahim (Oulad). 184).
Branès, ])lur. de Bernés (|)euple). 181.
126
IIISTOim; l)V. L Al-UIQUE
Brindes. 378.
Brutliuni. 19, 35, 37.
Bulla (regia). 72, KiO, l(i-2.
Burgaon (mont). 160.
Burgos. 301.
Byrsa. 54, 55, 101.
Bithynie. 40.
Byzacène. 4i, 95, 119, 128. 110 ul s..
153 et siiiv.
Byzance. 145 et suiv.. 157 et Mii\..
198, passini.
C
Caire (le) el-Kalu-ra. 305, 170, 383 el<.
Caire (le vieux). 306, 32'2. 320, 370.
Caïus Gracchus. 57.
Calabre. 279, 301, 32i, 333, 350, 361.
384, 402.
Calama (Guelnui). lii.
Calatinus. 16.
Caligula (eiiip.). 94 ;i 9().
Calonyme. 161.
Calpé (mont). 220.
Camillus (M.-F.). 92.
Canaries (iles Fortunées). 90.
Canarine. 16.
Canete. 320.
Cannes. 31 à 33, 40. 4.5.
Canusium. 30.
Capellien. 114, 115.
Capoue. 32 à 36, 300 el suiv., lOi.
Capsa (Gafsa). 65, 153 (voir Gafsal.
Capusa. 38.
Capul-Vada. 158, 17 i.
Caracalla (emp.). 112.
Carcassan. 175.
Carigliano. 302.
Carinus. 91.
Carmona. 2.50.
Carlenna (ïenès). 132 (voir Tenés).
Carlhagène. 28, 36, 90, li3, U9.
Carus (emp.). 118.
Cases-Noires (les). 120. 130.
Cassius (Lucius). 61, 78.
Castellum Audiense (Aïoun-Bessem).
135.
Castillans (les). 392 el suiv.
Castille. 258, 35i.
Castro-Giovanni. 280. 286, 289.
Catalans (les). 392 et suiv.
Catane. 8, 297.
Caton (le Censeur). 16 h 48.
Caton (dTlique). 70 à 80.
(latilinn. 78.
Calullus. 105.
Céeilien. 125 h 129.
Cefalii. 280.
Célestius. 141.
Cellas-Valari. 170.
Ceisus. 110, 127.
Celtibériens. 32.
Censorinus (Lucius), 49, .50, 51.
Cenluria. 169.
César (.Iules). 71 à 85.
César (Oclavien). 80.
Césarée (Yol). 90, 92, 133 et suiv.,
165. 176.
Ceuta. 165. 200, 218. 222, 234, 276.
331, 357, 363, 371, 375 el suiv., 382
et suiv., 397.
Chafa (général fatemide). 352.
Chaïlj (beni). 18i.
Cliakia. 256.
Cliarlemagne. 257 cl suiv., 267, 272.
Ciielir in.). 271, 337, 395.
Chelif (ville). 388.
Chella. 200, 401.
Chemdoun. 201.
Chemmakh (ecli.). 200.
Chenoua (mont). 389.
Cherchel. 380 (voir Yol el CésaréeK
Clierik (presqu'île de). 205, 280, 295.
Chiaïtes. 210 et suiv.. 2.59. 303 et s.,
400.
Chullu (Collo). 81.
C.inna. 72.
Circoncellions. 131 à 141.
Cirla (Conslantine). 22, 39, 41, 47, 51
à 66, 81 à 85. 97, 108, 115.
Cirlésiens. 81.
Cyrille. 165.
Claude (emp.). 94, i)5, 101.
Claude II. 116.
Cléopàtre. 88.
Cléopâlre Séléné. 88, 92.
Clypée (lelibiya). 16, 17, 38.
Colonnes d'Hercule (les). 2.
Commode (emp.). 101, 107.
Considius. 77.
Constance (emp.). 131, 132.
Constance Chlore (César). 118, 122,
123.
INDEX Dl-S NO.MS l'ROl'lîKS
127
ConslaiU (emp.)- 131.
Conslanlin I, 1-23 à 12'J.
Constantin II. 131.
Conslanliii l'oiTiliyi''i>ii'n'jlt'- 3ù(!, 3(>l,
39 i.
Coiislantinc (ville). SI, \i:<. .Ml (.-t
suiv., 312, 3i3, 310 et sui\.
Constanline (pro\;in( i' de). 188 et s.
Consulaire (province). 117.
Cordoue. 23i, 2i5, 2.j6, 271, 273. 287,
298, 3G1, 3C7, 373, 381, 387, 3'JI et
suiv., 397.
Cornélien (camp). 7.j.
Cornilicius. 8i, 8o.
Corse. 6, 148, 330.
Cosenza. 303 et suiv., 101.
Cossus (Cornélius). Ul .
Colhon (le), h'i.
Crassus. 71.
Crête (la). 89, 273, 302.
Crétion. 132.
Crotone. 41.
(Uirion. 71, Ib.
Cutzinas (ou Cout/.inas). I()8 et suiv..
172 et suiv., 170.
Cyclades (iles). 402.
Cyprien (saint). 110.
Cyrénaïque. 21, 47, 9o el suiv.. lOj,
107 et suiv., 119, 128 et sui\.
Cyrène. 3, 08, O'.i.
Cyrus (généi'al jjy/.aiitin). 172.
D
Dahhali-hen-Kaïs. 209.
Dai (niissioiuiaire). 2i,'3 el suiv.
Damas. 3(w, 308.
Damïa. 212.
Dar-el-IIidjera. 30i.
Dariça (triiju). 181.
Dar-Melloul. 307.
Dai'soun (tribu). 181.
l)aoud-l)en-Ye/.id. 2.j8.
Daoud, lils d'Kdris II. 27(;.
Uauphiné. 37ii.
Uécianus (C.-M.). Ii:>.
Uécimuni. Iù9, 100.
Uécius (emp.). 1 1 ô, 110.
Défenseurs (les Anaars). 192.
Dekhir (beni). 180.
Démélrius. 69.
Demona. 297.
Demmer (tribu). 180.
Denliadja (li'ibu). 183.
Denis (saint) d'Alexandrie. 110.
Denys l'Ancien. 78.
Denys li- .leiine. 89.
Désalcés. 38.
Diadumène. 1 13.
Dihïa (la Kaliéna). 212.
Dikouçn (tribu). 183.
Dinar (Ahou-el-.Mohadjei-). 201 et s.
Dinar (beni). 183.
Dioclélien (emp.). 117 à 122.
Djaad (beni). 18i.
Djaber-ben-Abou-rKareni. le Kelbite.
378, 381.
Djàfer-ben-Abd-AUali, le Kelbite. 38 4.
Djàfer-ben-Kelah. 30j, 3(i8.
Djàfer-ben-llamdoun. 319 et sui\.,
359, 360 et suiv. à 378.
Djàfer-ben-Mohammed. 291.
Djàl'er, lils de Youçof-cl-Kelbi. 401.
Djai<-li le Toulounide. 290.
Djebel-Anionr. l.M.
Djebel-el-Akhdar, 338, 3jO.
Djebel-Djerdjera. I.jI, 303 et suiv.
I )j e bc l-G u ezou 1 . 218.
Djebel-.Nechar. 389.
D.jebel-.Nelouça. l'assim, 345.
Djebel-Tarik (Gibrallar). 220.
D.jeloula. 203, 233, 309.
DJeniila (Iribu). 183.
DJeniil-ben-Saker. 2jl.
Djenaha. 199, 202.
Djeraona. 187, 212, 328.
Djerba (ile). 203.
Djerid (province du). 100, 117, 198,
20i, 3i0et suiv., 394 el suiv.
Djerid (lieulenanl d'Vbou-lIalem ).
2. ';i3.
Djernumui (Iribu). 182.
Djezaïi--beni-Mezr'anna (Alf,'ei'), 337,
3. "i 1 .
Djeziret-el-Kai'. 322.
Djidjel (Djidjeli). b.
Djimela. 291, 29.j el sui\.
Djiza. 326.
Djodliam (Iribu Yém.). 213.
Djonil. 23(i.
Djouher-ol-Kateb (général fat.). 3.59
et suiv., 304 et suiv. à 371.
Dokkala (Iribu). 185.
428
HISTOIRE DI-: L AFKIQl'U
Dolabella. 93.
Domitien (emp.). 105, 106, 111.
Domna (.Iulia). 110, 112.
Donat. 126, 127, 130.
Donatistes. 127 à 14i et suiv.. 167.
Uor'ar'a (tribu). 18.5.
Douas-ben-Soulat (olI. ket.). 317.
Donna (tribu). 18.j.
Drengol (le Normand). i03.
Drépane. 19, 20.
Dius (ou Duis). 133.
Dnilius. 16.
Duodécemains. 293.
E
Kbre. 26, 28, 257.
Ech-Chaker-l'Illah (voir Mohaiiinicd-
ben-el-Fetah).
Kdris I ben-Abd-Allah, 259 et suiv.
Edris II. 264 et suiv.. 268 à 276.
Kdrisides. 259 et suiv.. 338, 353, 360,
363, 36», 370. 372.
Kgilone. 223.
Egales (lies). 20.
Egussa (Favignano). 20.
Egypans. 22.
Egypte. I,3elsuiv.,70,76,291 elsuiv..
323etsuiv., 326et suiv..368et suiv.
Eïad (tribu). 184.
Eïbadisine. 2.55.
Eïbadites (Kharedjites). 246 el suiv.,
338.
Eïci (tribu). 184.
Ejiça. 221.
Eknone. 16, 17.
Elagabal (Bassien. einp.). 112. 113.
EI-Djem. 79, 216.
Elmaï (ou Lemaï) (tribu). 184.
El vira. 221, 236, 298, 321.
Emigrés (les Mehadjer). 192.
Einilien (le Maure). 115.
Emporia (territoire des). 46.
Enna. 16, 280.
Epiphanius. 157.
?>atosthène. 6.
Erbesse. 16.
Errté (mont l'ellégi ino). 19.
Ei-mengaud (le comte). 392.
Ki-Uadi. fils d^El-Moklader (klial.
abb.). 336.
Espagne. 24 et suiv., 36 et suiv., 73,
119 et suiv., 143 et suiv., 218 el
suiv.. 320, 354, 361, 390 et suiv.,
396 et suiv.
Es-Samah. 225.
Estradamure. 223.
Elhna-.Vcherïa (Uuodecémains). 293.
Etna. 291, 40i.
Et ru rie. 30, 31.
Etrusques (les). 7.
Eude (duc d'.Vquilaine). 226 et suiv.
Eudoxie (imp.). 148.
Eugène. 137.
Euphémius. 278 à 280.
F
Fabius (Maximus). 27, 31 et suiv.
Fàdel (révolté tunis.). 280.
Fàdel(cl)rEdriside(voirAbou-l"Aïcli).
Fàdel (el) ben-Bouh. 261.
Fàdel, nis d'Abou-Yezid. 339, 351, 355.
Fango (C.-F.). 86.
Faïoum. 323, 326.
Fara (l'ilérule). 165.
Faraxen. 115.
Fatemides (les). 312 et suiv., 343 et
suiv., 370.
Faten (beni). 184 et suiv.
Fatima (fille du Prophète). 210.
Fazaz. 260.
Fechtal (beni). 186.
Feclilala (beni). 185.
Fedj-el-Akhiar. 294.
Fehas-Terennou. 344.
Fekh (bataille de). 259, 293.
Felaça (tribu). 183.
Felfoul-ben-Kliazroiin. 388 et suiv.,
394 et suiv.
Félicité (sainte). 112.
Félix. 132.
Fendelaoua. 260.
Ferralus (Mons). 102 et suiv.
Fès. 269 et suiv., 290 et suiv., 317 et
suiv., 327 et suiv., 332, 357, 360 et
suiv.. 371 et suiv., 379 et suiv., 387
et suiv., 391 et suiv., 399 el suiv.
Feslus Valérius. 104, 105.
Fetouaka (tribu). 185.
Fezzan. Passim, 247.
Firmianiens. 133.
INI>i;\ DRS NOMS l'ROPRI-S
429
Firmus. 67, 133 et siiiv.
Fihrites. 256.
Flacciis (Septimius). 105.
Faubourg (ré voile du). 273.
Flaminius. 30.
Flavius. 103.
Florien. 117.
Florus (Valcrius). 122.
Fortunées (îles Canaries). 73, 90.
Fostat. 365.
Franks. 117.
Fraxinet(républi(|uo musulmane du).
330, 373.
Fraxiniens. 115.
Frenda. 172.
Froïla (roi des Asluries). 258.
Flah-ben-Yahïa. 303.
Fulvie. 86.
G
Gabaon. 153.
Gabès. 158, 214 et suiv., 242 et suiv.,
399.
Gabès (goll'c de). 46.
Gadès (Cadix). 25, 37, 90.
Gaële. 302.
Gafça. 198, 204, 216 et suiv.
Gaïaza (tribu). 184.
Galba (enip.). 103, 104.
Galère (emp.). 118, 122, 123.
Galice. 223, 243, 258, 265.
Gallien (emp.). 116, 117.
Gallus (oir. rom.). 88.
Gallus (emp.). 115.
Gammouda(ou Ka m monda). 295,308.
Garama (Djerma). i, 91, 105, 110.
Garamantes. 4, 22, 39, 91, 93, 102,
105, 106, 174.
Gargilius (Q.). 115.
Gasmul. 176, 177.
Gauda (roi de Xum.). 67, 68, 82.
Gauda, fils de Bokkus. 72.
Gaudentius. 132.
Gaules (les) 28, 122, 131, 136, 227 et s.
Gaules (préfecture des). 128.
Gaulois, 22, 29 et suiv., 77 et suiv.,
137 et suiv.
Gazauphyla. 170.
Gélimer. 154 et suiv. ii 165.
Gênes. 333, 336.
Geniiadius. 177.
Génois (les). 402.
Genson (ou Genzon). Ii7, 152.
Genseric (ou Gizeric). 143 et suiv. à
150.
Ger (Ouâd-Guir). 95.
Gerace. 356.
Germain. 170, 171.
Gesalic. 153.
Géta (Ilasidius). 95.
Gélules. 44 cl passim.
(lélulie. 22 et passim.
Ghiligamnies. 4.
Ghomara (voir U'omara).
Ghyzanles. 4.
(iibamund. 159.
Gildon. 133, 136, 1.38.
Girgenti. 280.
Giscon (général karth.). 22, 23, 37.
Giscon (chef karlh.). 48.
Glaphyra. 92.
Godas. 157, 158, 182.
Gondamond (ou Gunlhnmund). 152.
Gontharis. 171, 173.
(ionzaiès (Ferdinand), l'excellent
corn le. 354, 359, 301.
Gordianus (Marcus-Antoninus). 113.
Gordiens (les). 113, lli, 115.
Gordien 1 (l'ancien). 113.
Gordien 11 (le jeune). 114.
Gordien 111. 114, 115.
Golhs (les). 138 et suiv., 1 43 et suiv.,
154, 218 et suiv.
Gouzit (ijeni). 184.
Gracchus (Caïus). 57, 88.
Grand-Déserl. 189 et passim.
Grande-Grèce. 31.
Gralien (emp.). 135, 136.
Grèce. 402.
Grégoire YII (pape). 394.
Grégoire (légal). 177.
Grégoire (palrice). 177, 196 et suiv.
Grenade. 221, 397 et suiv.
Guadaira. 392.
Guadalballou (bal. de). 320.
Guadalquivir. 245, 392.
Guechloula (Iribu). 184.
Guedala (tribu). 186.
Gucdjal. 294 et suiv., 30i et suiv. à
313.
Guedmioua (Iribu). 185.
Guenflça (tribu). 185,
iiisToiiiE ni- I. AFruQi rc
(iiii'/.ii;iïa (li'ilm). \K.i.
(;u(v.oiil,i ((ril)n). 180, 20(5.
(Inill.nunio Uras-dc-Kor. Wi.
(luillauine de l'rovcncc. 371).
(liila. 3i, IjS. si.
(liilussa. iS à ."li. (>l. SI.
(liiiKh'i'ic. lil.
Cnivil. ISd.
H
Ilahili (cli Ik'ii- \lMl-ci--r.aliniaM. 23'.».
llahib-hcn-AlHiii-dlicHla. -JiS. -J-.'O à
.)■>.)
Ihx.an II. 259.
llaran-bcii-.Nùmanc. ■2\'-\r\ suiv .à 217.
Ilaran (cl). Kil li-idi'. dil Kl-llad.iniii.
;!2S. 329.
Ilaraii ((.'!). d'Ali. 2i)l.
Ilaccn-licn- Ali (i^riirral l'a I l'in . ). 3 Ki.
3.")9.
Ilaccii d'il Ih'ii- \|]iiii-Kliaii/ir. 310.
Ilaceii ((d). (!(•<(■. de S()lt'''inifui-lion-
Kdris. 331).
Hache (d(dilc de la). 24.
Iladjadj (ol). 212.
lladJar-on-Ncccr. 33(1 (d suiv.. 3."iS id
>uiv.. 3G0. 372.
Iladrianus (procnnsid ). 71.
Iladi-icn (('ni|i.). 107. lOS.
lladnmii'dL' (Sniiça). 2. i2. 77 à SO.
Si. 101, 101, 1Ô9 (\(iii- Simca).
Ilaha (Iribii). lO.j.
lla'i'-hcn-ilahdv (liénéral arl.1. 2SS.
Ilailliani-Iien-Oho'id. 227.
llaUem ((d) I (klial. nm.). 2(i.'j ol siu\ .
à 273.
Ilakem (ol) II. 3()2 cd siiiv. à 373.
Ilalccm (cd) lii-AiiuM'-.\llali iklial. l'ai.).
383 ;i iOO.
llanulis-l)(Mi-Alid-er-l!alinian -cl-Kin-
(11. 2(;S.
Ilànii'd-licii-llaniddiin. 332. 33.'j.
Ilàmid (liciii). 18.!).
llàmid-hcn-IIablious. 3à3.
IIAinid-bcn-Yozel. 387.
llamnia (ol). 332.
Ilammad le Saidiadjieii. .383. 388. 394
ol suiv. à iOO.
Ilaniniamn (l'irreiiide). 383.
Ilaniniama (le Mag"raoviiçn). 399 à
101.
llaininaiiKd (fjolfe de'). 79.
Ilamnioiidiles (Kdi-isides). 281.
llamza (lils (rKdris II). 277.
Ilainza (ville cl réfrion). 337 (d siiiv..
3dn, 389 et siiiv.
llandala-bcn-Safoiian. 233.
Ilannibal (famille de Ilaniion). 79.
Ilannibal (le Haiki(le). 2.j à 33 cl s.
Ilannon (amiral kartli.). .">.
Ilannon (général karlli). 10.
llaniKin (^'énéivd karih.). 20 à 30.
ilainKin (fils de (liseon'). 37.
Ilannon (ehef de pai-li). 'to.
Ilarclh (el). 2;!7.
Ilarilh (el). 19(i.
IIaronn-er-|{a( liid (klial. ab.). 2.j8 el
llaroiin-el-ÏDbni (fjénéral ar'l.). 307.
llassan-ben-Ali (le Kelbile). 356 el s.
Ilassandii'ii-Animar (le K(damien).
3So.
llassan-ben-Ammar (le Kelbile). 302.
Ilassan-ben-Koléïb. dit lien-boii-
Khan/.ir. 320.
Hassan de liar a'i. 102.
Hassan (el) ben-Alimed (< ln'f des Kar-
males). 3{)8.
Hassan (el) ben-llarb. 249.
Hassan (ou Ilaeen) (el) ben-Kennonn
(l ediiside). 300, 308, 372, 378.
llassen-ben-Abd-es-Selim. 379 cl s.
llastinfî. 287.
Ikuileville (Taneréde de). 'i03.
Ilebel (province). 37.">.
lleehtiona (tribu). IS3.
Ilé}.'ire. 192.
Ileilana (Iribn). I8:>.
Iléïoiiara (Iribn). 182.
Henri II (enip.). i03.
Iléraclée. 11, \:>.
Iléraclien. 139.
Iléraclins (emp.). 177. 19j. 190.
Iléraclius (exar(|ue). 177.
Iléraclius (général). 149.
Ilergha (tribu). l8o.
Hermione. 158. 159.
Ilertema-ben-.V'i'an. 201 et sniv.
Ilérules. 150. 157.
Ileskoura (li ibii). 180, 200.
Ilespéride. 09. ^
llezmira (Irihu). 185.
llicham (khal. ab.). 226, 231.
INDEX uns NOMS l'ROPKKS
431
llkliam I (khal. om.)- 265.
Hicham (on ilecliam) II. 373, .38i, 390
et suiv.
llii hani (ou lleihani) III. 398.
Ilicham (pelil-lils dAlxl-er-h. III).
391.
Hiemsal I. 82.
Hiemsal II. 67 à 74, 82.
Hiéron. 12 à ib et suiv.
Hiéron. 23, 33.
Iliéronyme. 33.
Hiertas (ou Yai lias). (17.
llilaliens (.Vrabes). 181.
llildéric. lôi, lo9.
Ilimilcon (général karth.). 7.
Ilimilcon (général karUi.). 19.
Ilimyer (tribu). 190.
Ilind (la Mangeuse de foie). 200.
Ilippône (ou llippo-Hégius). 9, 21, 39,
42, 80, 94, 14i, I6i, l().j(voir Hone).
llippo-Zarytosdienzerl). 2, II, 23, 21,
.").").
llobacha-ben-'\ iiiirof (gén. oliéïdile).
319.
Hocéïne (Alide). 2.j9.
Ilodna. Gj et suiv.. 171,288.330,319
et suiv., 389.
Iloméïd-ben-Islilen. 311, 358.
Homme (F) à l'àne (voir Abou-Yé/.id).
Honorius (emp.). 136, 138, 140, lil.
Ilorr (cl) ben-Abd-er-liahman). 22i.
Ilorréa. 119.
lloslilius (Kirminus).
llouara (tribu). 182 et suiv., 232, 246
et suiv., 2.j4, 270 et suiv.. 279. 288,
292, 321, 329, 34,". et suiv.
Houat (ou Ilaral) -beni. I8."j.
Iloucéïn (el), tils .l'Ali. 201 c\ suiv..
208.
Ilunéric. 14.j, 117 ;i l,")2.
Huns. 138 et suiv.
Hymère. 7.
I
laïcli (l'allVanchi). 369.
Ibn-.Vbdoun. 317.
Ibn-Abou-Amer (le vizir) (voir Man-
sour [el].
Ibn-Abou-l'Fetah. 330.
Ibn-.Vchath (voir Mohanimed-ben-
Achath).
Ibn-l)jaroud (voir Abil-Allah-ben-ltJa-
roud).
Ibn-es-Saïr". 309, 310.
Ibn-llalçoun (dit Samuel). 321.
Ibn-llobaich (Ar'lebite). 307.
Ilin-Kôrhob (général lnuloiin.). 291.
Ibn-Mastana. 320.
Ibn-Naked (général ar'l.). 29o.
Ibn-U'anïa. 67.
Ibn-Uoslem (voir Abil-cr-lîaliiuan-
ben-Uos(eni).
Ibn-Talout. 335.
Ibraliim (khalife). 236, 237.
Ibrahim II ben-Ahmed (rAr'Iebile).
289 el suiv. à 303.
Ibrahim I ben-el-Ar'leb. 263 et suiv.
il 270.
Ibi'ahim-ben-el-Ar leb (général). 308.
Ibraliim-bcii-li'aleb (le Ketamien).
313.
Ibrahim-ben-Soliane. 268.
Ibrahim, lils de .Mohammed-beu-Ka-
cem (l'edr.). 330 et suiv.
leaa (el) (le .Midraridc). 312 el suiv.
Icélas. 9.
Irlïbïa (Clypée). 16.
Iconoflastes. 277.
Irosium (Alger). I3i.
Iddjana (tribu). 183.
Idjer (beni). 184.
Idjerten (beni). 185.
Idlleten (tribu). 187.
lémen. 190 el suiv.
Ifgane. 157, 360.
Ilisdias. 175.
Ifrikiya. 188 etpassim.
Ifrikiya occidentale. 188.
Ifrene (Iribu). 186 el suiv., 2i9 el
suiv., 255, 260 cl suiv., 271 et s.,
276, 317 el suiv., 339 et suiv., 353,
366 et suiv., 371 et suiv., 378, 399
cl suiv.
Igilgibs (njidjeli). 102, 13i.
Igmacen. 13i.
Ikhchid (voirAbou-Beker-ben-Bordj).
Ikhchidilcs. 364 el suiv., 368.
llanguanlen-. 182.
Ilasguas. 182.
Ildiger. 170.
lient (tribu). 180.
Iloumen (ou Iloumi). 187, 371
Iniamïa (secte). 293.
43-2
nisToiRK Dr: i, afriqit
Inaou (tribu). 183.
Insubres. 29.
Intacen (tribu). 183.
Ipsus (bataille d"). (ÎO.
Irnaten (tribu). 187.
Irnïane (tribu). 187.
Isaflenses. 134.
Isdourine (tribu). 186.
Isliten (beni). 183, 18o.
Ismaïl-ben-Abd-Allah. 221.
Ismaïl-ben-0!)éïd-Allah. 229.
Ismaïl-el-Mansour (khal. fat.) (voir
Kl-.Mansou r).
Ismaïliens (Ismaïlia). 293.
istiten (beni). 182.
Italie. 7 et suiv., 13 et suiv., 28 et
suiv.. 101 et suiv., Ii8 et suiv., 300
et suiv., 333, 361 et suiv., 377 et
suiv., 401 et suiv.
Itoueft (beni). 186.
Itoueft (le Sanliadjien). 377. 370 et
suiv., 383, 388 et suiv.
Itroune (beni). 18t.
Itrour' (beni). 181.
Izna.jar. 320.
J
Jaën. 236, 321.
.lanuarius. 132.
Jean (r.Vrménien). 157 et suiv.. loi.
Jean (l'usurpateur). 142.
Jean (oIT. byzantin). 173.
Jean (pat rire). 213.
Jernn. 174.
Jocundus. 152.
Jonathas. lO.j.
Josèphe. lOb.
Journée des nobles (la). 230.
Jovien. 132.
Juba I, 74 à 82.
Juba II, 89 à 92, 96, 99.
Jugurlha. 57 à 07, 81, 82.
Juifs (les). 105, 107, 167, 191, 221.
Julien (emp.). 131.
Julien (le comte). 206, 218 et suiv.
Julien (l'usurpateur). 118.
Junonia de Grarohus (Karthape). 86.
88.
Justin II (emp.). 177.
Justiniana-Zabi (Mecila). 172, 330.
Justinien. 154 et sniv., 167 et suiv.,
175.
K
Kaaba (la). 191 et suiv.
Kabiça, fils de Rouh. 261.
Kacem-ben-Hammoud (l'edric.). 397
et suiv.
Kacem (el) ben-Edris (dit k'ennoun).
336 et suiv., 357.
Kacha (tribu). 18 i.
K.-idi (beni). 187.
Kafour(rikhchidite). 364.
Kaher (el) b'illah (khal. ab.). 330.
Kahéna (la). 212 et sniv. à 216.
Kahtan. 189.
Kaïcer (général fatera.). 352, 360, 363.
Kaid (el), fils de Hammad (le Sanh.).
396, iOO et suiv., 405.
Kaïm (el) Abou-l'Kacem (khal. obéï-
dite). 306 et suiv.. 322 el suiv., 329
et sniv.. 334 à 346.
Kaïrouan. 203 et suiv.. pass.
Kaïrouanites (quartier des). 269, 273.
Kaïs (tribu). 201 et suiv.
Kaïsites. 202 et suiv., 212 et suiv.,
243 et suiv.
Kalàa (la) des Beni-llammad. 389 et
suiv., 394 et suiv., 405.
Kancila (beni). 183.
Kansara (tribu). 185.
Karl (Martel). 227 et suiv., 245.
Karmates (les). 332, 364. 'm.
Karna. 276, 292.
Karn (el). 233.
Kartena (Tenès). 5 (voir Ténès).
Karlhage. 2, 5 et suiv., 47 et suiv..
55, 56 el suiv., 101 et suiv., 110 et
suiv.. 160 et suiv., 177 et suiv.
Karthagène (voir Carthagène).
Kassem (el) (l'Edriside). 276, 280.
Kasréïne. 273.
Kasliliya (pays de). 204, 216, 276. 307.
325.
Keba (tribu). 182.
Kcchana (ou Kecliala) (tribu'». 185.
Kehian (tribu). 190.
Kelb (tribu). 202.
Kelbites. 202 et suiv., 213 et suiv.
243 et suiv.
INDEX DES NOMS PROPRES
433
Kelbiles (de Sirile). 384.
Kemian (hcni). 182, 330, 312 et suiv.,
3ô0.
Kenza (la Herbère). 260, 26i, 26:..
Kerama (le Sanhadjien). 396.
Kerbela (bataille de). 208.
Kerkinna (îles). 57, 71, 78.
Kcrkouda (tribu). 182.
Kernila (tribu). 18.^.
Kelania (tribu). 183, 2.j0, 2.>i, 29i el,
suiv., 303 et s\iiv., 321, 343, 318,
379 et suiv.
Ketama (pays des). 294, 329.
Khal'adja- ben-Sofiane (gén. arl. ).
289.
Khaled-ben-el-Ilaljib. 230.
Khaled-ben-llamid. 230.
Khaled-ben-Yezid. 21 i et suiv.
Klialil'a-ben-Oueri'ou. 399 et suiv.
Khalil (béni). 18i.
Klialil-ben-Ishak. 340 et suiv.
Klialil-i)en-()ucrd. 336.
Klialoiif-ben-.\bou-lioker. 382.
Kharedjisme. 201 et suiv., 271, 3.j4 et
suiv.
Kharedjites. 201 et suiv., 230 et suiv.
à 2.jo, 239 et suiv.
Khazer (beui). 327, 328,.37(i et suiv.,
38.j.
Khazradj (tribu). 192.
Khazroun-ben-l''cII'oul. 374 el suiv.
Khazroun-ben-Kha/.roun. 399.
Khazi-oun (beni). 387, 399 et suiv.
Kheirane (le Slave). 397 et suiv.
Kheïr (el) ben-Mohanimed-ljcn-Klia-
zer. 338 el suiv.
Kheïr (el) ben-Mohammed-ljen-el-
Klieïr-ben-Khazer. 367 et suiv., 37."».
Kiana (moul) 3i9 et, suiv., 389.
Kici (beui). 182.
Kirta (Cirla). 21.
Kocéïla. 204 el suiv. ;i211.
Koeour-llassan. 21 i.
Koltouni-ben-Aïad. 231.
Korra (beni). 389.
Koréïchites. 191 et suiv.
Korralh (île de). 30.j.
Kosmana (tribu). 182.
Koufi (beni). 184.
Koumïa (tribu). 184.
Ksar-el-lfriki. 292.
Ksar-el-Kahéua. 210.
T. 1.
Ksar-el-Kedim (el). 267.
Ksar-Masmouda. 372.
L
Labiénus. 76, 78.
Laevinus (consul). 34.
Lakhès (tribu). 186.
Lakhm (tribu ar.). 234.
banibèse. 100, 108, ll.j, 119.
Lani forte. 134.
Lamta (Leplis parva). 78, 323.
Lamla (tribu). 186, 206, 277.
Tiaribus. 173 (voir EI-0r])0s).
Lar'ouate (tribu). 186.
batana (tribu). 183, 303.
Lebida. 292.
l.edjaïa (ou Legaïa). 183.
Lehiça (tribu). 183, 303.
Lélius. 40, 47, 54.
Lélius (Décimus). 84, 85.
I.emaïa (tribu). 184, 318, 329.
I.cnias (tribu). 186.
l.emdïa (voir Médéa).
Lemelli. 182.
Lemla. 78 (voir Lamta).
1-emlouna (tribu). 186.
Léon (royaume de). 223, 287, 35
361, 390.
bépide. 86, 87, 88.
bcptis magna. 2,41, 101, 105, 133.
Leplis parva (Lamta). 64, 78, 159.
Leucoethiopiens. 22.
Levalhes (Louala). 172 cl suiv.
Libye. 3 el passim.
Libyens. 3 el passim.
Libye penlapole. 21.
Libye intérieure. 22.
Licinius. 128.
Liguriens. 64.
Lilybée. 12, 19, 20, 29.
Lipari, 16.
Lisbonne. 272.
Litua (.Vurélius). 118.
Lodewig (emp.). 301.
Loire (fl.). 228.
Lokaï (tribu). 185, 316.
Longobards (les). 300 el suiv.
Lolhophages. 4, 21.
Loua (race de). 181.
Louala (tribu). 174 et suiv., 182
suiv., 259, 292 et suiv., 318.
28
434
HISTOIRE DE l'aFRIQLE
Lucanie. 35.
Lucilla. 126.
I-ucila. 121.
LucuUus. 70.
J.iigo. 258.
Lupus. 107.
Lusitaniens (les). 25, 73.
Lutatius Calulus. 20.
Lyon. 229.
M
Jlaad (tritiu). 190.
Maad-el-Moëzz (voir El-Moëzz).
Maadites (les). 190, 299.
Màbed-ben-Khazer. 3.52, 358.
Macaire. 131.
Macer (Clodius). 103, lOi.
Macrin. 112.
Madaure. 141.
Madghis-el-Abter. 181.
Madoun (beni). 187.
Magas. 69.
Magnence. 131.
Jlagon (am. karlh.). 17,89 et suiv.
Magon (frère de llannibal). 28. 32,
36, 39, 41.
Magon (fils de Giscon). 37.
Mag'raoua (tribu). 186 et suiv., 206,
217 et suiv., 255, 260 et suiv., 271
et suiv., 317, 328 elsuiv., 337, 349,
357 et suiv., 365 et suiv., 371 et s.,
378 et suiv., 381 et suiv., 387, 399
et suiv.
Mag'reb. 182 et passim.
Mag'reb central. 188 et suiv., 354, 357
et passim.
Mag'reb extrême. 189 cl suiv., 357 et
suiv.
Maguer (i)eni). 185.
Mahomet. 192 et suiv.
Majores (ad). 106.
Majorien. 148.
Majorin. 126, 127, 130.
Makcen le Sanhadjien. 388 et suiv.
Makes. 21.
Makhled-ben-Keïdad. 338.
Makhlies. 4.
Malaga. 221, 2j4, 378.
Malte. 29, 148, 158, 289.
Malua, Malva (voir Molochalli).
Mamertins. 12, 13, 14.
Mamet (beni). 187.
.Mamma (plaine de). 169.
Mamoun (el) (khal. abb.). 271.
Mamtour. 203.
.Manastabal. 51, 52, 58, 81.
-Manche (prov. esp.). 223.
Mancinus (Lucius). 52, .53.
Mandraciuni. 161.
Maniakés (Georges). 404.
Manichéens. 141.
Manilius. 51.
Manlius. 16.
Mansour-ben-Nacer-et-Tonbodi. 274.
Mansour (el) Abou-Taliar-Ismaïl (khal.
fat.). 346 à 3.50.
-Mansour (el) Ijen-Abou-Amer (vi/ir
om.). 375 à 390.
-Mansour II (el) Abou-Djàfer (khal.
abb.). 239.
Mansour (el), fils de Bologguine le
Sanhadjien. 377 à 383.
Mansourïa (el) (Sabra). 348, 356.
Mar'ar'a (tribu). 182.
Marc-Aurèle (emp.). 109, 111.
-Marc-Auréle-Anlonin (voir Elagabal).
Marcellin (Flavius). 142.
Marcellus (M.-CI.). 32, 33, 36, 78.
Marcellus (S'). 121.
Marcien. 147.
Marcien (i)yz.). 176.
Marcius (Caius). 35.
Marcus Livius. 36.
Mar'ila (tribu). 184, 244, 2.59, 337.
Marins. 57, 62 à 66, 67, 71.
3Iarius Priscus. 106.
Mar'ous (tribu). 185.
Marseille. 28.
Marsys. 106.
-Mascizel. 133, 137.
Jlasintha. 68, 74, 82.
Maskara. 357.
-Masmouda. 185, 206, 277.
Massa (B.). 104.
Massanassès. 82, 82.
Massinas. 168.
Massinissa. 33 à 49, 81.
Massissenses. 134.
Massiva. 37, 61.
Mastiman. 180.
Maternus (J.). 106.
Mathos. 22, 23.
INDEX DES NOMS PROPRES
435
Matidie. 108.
Matmata (tritni). 134, 318.
Malouça flrilju). 183.
Matr'ara (Iribu). 18i, 229.
Maures. 3 et passim, 99 et suiv.
Maurélanie ou Maurusie. 3 et pas.
Maurétanie césarienne. 95 et suiv.
Maurélanie orientale (césarienne et
sétilîenne). 119, 128.
Ma-urétanie sétilienne. 119 et suiv.
Maurétanie tingitane. 95, 119 et
suiv., 128.
Maurice (emp.). 177.
Mauronte. 229, 2i5.
Maurusie (Maurélanie). 22.
Maxime (emp.). 136.
Maxence (emp.). 123 à 125.
Maximien Hercule. 117, 118, 122.
Maximin (le César). 122.
Maximin (le Golh). 113, 114.
Maximilien (S'.). 121.
Maxyes. 139.
Mazara. 279, 361.
Mazippa. 92.
Maziques. 109, 134.
Mazouna. 337.
Mazuca. 13i.
Mecellala (tribu). 182.
Mecheddala (Iril)u). 184.
Mecheli (beni). 186.
Médita (tribu). 184.
Mecila (anc. Zabi). 329, 338, 350 et
suiv., 359, 367, 388, 389 et suiv.,
395.
Meçolla (la). 344.
Médéa (Lemdia). 337, 354.
Meden (beni). 187.
Medien ou Medin-ben-bou-l'Alia. 330,
338, 3.53.
Médina-Céli (ville). 354, 390, 392.
Médine. 192 (anc. Yatrib).
Médina-Sidonia. 235.
Medionna (mont). 290, 329.
Mediouna (tribu). 184, 250.
Méditerranée 1 et passim.
Medjana (vile). 340.
Medjek(;a (tribu). 185.
Medjera (tribu). 1X3.
Medjerda (11.), anc. Bagi'adas. 32, 72,
75.
Medjeris (tribu). 183.
Megna (voir Augma).
Meggara. 53, 55.
Medhi (el) B'IUah (voir Moh. petit-
fils d'Abder-Rahman III.
Mclidi (el), kalife abb. 259.
Medhi (beni). 184.
Medhi (Messie). 293.
Medhi (le). Voir Obéïd-AUah.
Meddïa (el). 322 et suiv., 327, 332 et
suiv., 340 et suiv., 343 et suiv.,
351, 363, 400.
Méïcera, 230.
Meïcour (gén. fat.), 335 et suiv., 340,
342.
Meïnioun (gén. fat.). 295.
Meïmoun (le Midraride). 282.
Mekceta (tribu). 185.
MekUe (la). 191 et suiv., 364.
Mekkois. 192.
Meklata (tribu). 183, 184.
Meknès ou Meknas. 276, 320.
Mcktoum (iman-caché). 293.
Mélano-Gétules, 22.
Melila (beni). 182, 183.
Mellikch (beni). 184.
Mellila (ville). 329 et suiv.
Melzouza (tribu). 185.
Membresa. 170.
Memmius (Caius). 61.
Mems. 219.
Menad, le Sanhadjien. 337.
Mengouch (beni). 187.
Menguellat (beni). 184.
Meninx (ile de). 4.
Mensurius. 125.
Merah (l'Esclavon). 348.
Merana (beni). 184.
Merça-l'Karez (lo Galle). 359.
Mercure (cap de). 161.
Merendjiça (tribu). 186.
Merida. 221.
Merine (beni). 187.
Mermadjenna. 198, 294, 308, 340.
Merniça (tribu). 183.
Merouane (beni). 184.
Merouanc (khal. om.). 237 et suiv.
Merouane-ben-el-Hakem. 209.
Mesfaoua (tribu). 185.
Meskiana. 214, 308.
Meskour (beni). 183.
Meslama-ben-Mokhalled. 204.
Mesraï (tribu). 182.
Mesrata (tribu). 183, 186.
436
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Mesl'oiir (gùn. fal.)- 3"28.
Messala (tribu). 183.
Messala-bcn-ilabl)Oiis, 310, 325 à 3"28.
Messalla (Iribu). 183.
Messine. 8. 12, 13, 298, 302, 404.
Messoul'a (tribu). 180.
Messoun. 331.
Mestaoua (tribu). 18.j.
Metaoukkel (el) ii-Uine-Allah (voir
Ali-ben-llaniinoud, rKtlricide).
Métaiire (bataille de). 30. 37.
Mételius. 18, 57, 02 à 64, 71.
Métellus-Scipion. 70.
Metennane (tribu). 181.
Métlione. 87.
.Metiona (tribu). 18.j.
Melouça (tribu). 183.
Mezab (beni). 187,317.
Mèzélule. 38, 42.
Mezguen (beni). 317.
Meziata (tribu). 183.
Mezila (Djebel). 349.
Mezr'anna (beni). 18i.
Michelin, rivrogne (eni|).). 280.
Micipsa. 48, 51, 57.58, 81.
Miçouer (el). 250.
Midènos. 164, 165.
Midrar (beni). 281, 312, 327.
Miggis. 120.
Mikdas (tribu). 240.
Miknaça (tribu). 185, 230, 238 el s.,
256, 259, 276, 316, 329, 358. 372,
374 el suiv., 385.
Mila. 261, 295, 203 el suiv., 380.
Milévum ou Mileu (Mila). 81. 97. 115.
Miliana. 337, 354.
Miloé. 10.
Miitiade ip^ip*?)-
Mina (riv.). 172, 276, 354.
Minée. 280.
Mithridate. 73.
Moannecer, fils d"El-Moézz-ben-Aliya.
389 et suiv.
Moaouïa-ben-Abou-Sofiane. 200 à 205.
Moaouïa-ben-Hodaïdj. 203 et suiv.
Moaouïa, fils du khalife Yezid. 209.
Moatez(el), le Midraride. 227.
Moatez (el) Tlllah (Abou-Molianimed).
363, 374.
Modafi'er (el), voir Abd-el-Malek (l af-
franchi). 360, 363.
Moder (tribu ar.). 190.
Modériles (ou Modhéritesj. 256, pas-
sim, 288.
Moesa (Julia). 112.
Moëzz (el)-Abou-ïemim-Maad (khalife
fat.). 356 et suiv. à 370, 375.
Moëzz(el), fils de Kadis le Sanhailjien.
394 el suiv., 400 el suiv., 405.
Moëzz (el), fils de Ziri-ben-Aliya. 389
et suiv., 399 et suiv.
Moezzia (el). 362.
Mohammed (i>eni). 184.
Mohamniedïa (Mecila). 330.
Mohammed - ben - Abd - er- Hahman
(l'oméiade). 287.
Muhanimed-ben-Achalh. 240 et suiv.
Mohammed-ben-liou-Aoun. 317 el s..
335.
Mohammed-ben-Edris II. 270, 280.
Mohammed-ben-el-Khei)'. 366.
Mohammed-ben-el-Kheir-ben-Kazer.
3i9.
Mohammed-ben-el-l)jouari. 279.
Mohammed-ben-el-llabib. 291, 305.
Mohammed-ben-el-Fetah (ech-Chaker
le Midr.). 3.58, 360.
Mohanimed-ben-Hamza. 27 i.
Mohammed-ben-Khazer. 260 à 317.
Mohammed-ben-Khazer. 358 à 365.
Muhammed-ben-Mokatel. 202 el suiv.
Mohammed-ben-Tanilès (gén. om. .
372 el suiv.
Mohammed-ben-Yezid; 224.
Mohammed. Ills d'Ibn-Korhob. 323 el
suiv.
Mohammed, lils de Sidéïman iTEdr.).
271.
Mohammed, j)etil-Iils d'Ad-er-Rah-
man 111 (EI-Mehdi-rillah). 191,
192, 193.
Mohelleb. 25 i.
Mokhlar (chef des Chiaïtes). 210.
Moktader (el) b'illah, Khal. abb.)311
à 322.
Moktafa (el). 398.
Mokteli (el), khal. abb. 306.
Molochath (Malva, Malua, Moulouïal.
21, 3i, 45, 58, 67, 119 (voir Mou-
louïa).
Monastir. 77. 262.
Monïa-l-el-Kheïl. 203.
Monothéliles. 277.
Mons-Kerratus (le Djerdjera). 1 17.
437
Monlaçar (cl) cl \:\r:\:i. 282.
Monlaçai- (cl), son fils. 282.
Mont-Cassin. 302.
Jlor'eïra-ben-l!achir. 2151 .
Morra-ben-Makliled. 203.
Mostaïn (cl), voir Solcïmaii.
MosLancer (el), (khal. fat.) 09 et suiv.
Moslancer (el) b'IUali. 303.
Moladhed (el), (khal. abb.) 290.
Molya. 8.
Moiialat (Iribii). 185.
Moiiaïetl (el) ben Salali. 330.
Mouça-ben-bou-r.\fia. 327 à 338.
Moiiça-ben-IIorcïlh. 29 i.
Aloiiça-ben-Nocéïr. 217 à 222.
Moiidja (Iribu). 184.
Moues (Iribu). 182.
Moul'erredj-ben-Salcni. 301 .
Moulil (tribu). 18i.
Moulouïa (n.). 21, 238 et suiv., 2ii(l,
270, 312, 328, 331, 371, 37:>, 389.
Moundhir. 298.
Moundir (ouali csp.). 397.
Mounès (reunu(iuc). 323.
Moussa (beni). 180.
Moussa II (chef csp.). 287.
Moushali (el), vizir om. 373.
Munatius (Félix). 122.
Munda. 83.
Murcic. 320.
Musoncs. 13i.
Musulamcs. 87, 'JO à 1)2.
Muthul. 02.
N
Nador (mont). Kii.
Nador (Kn) robservaloirc. 3.1i(l.
N'ai (beni). 183.
Namphamo. 121.
Naples. 300 et suiv., 333, 301.
Naravasc. 23, 2i, 3i.
Narbonne. 229, 2i5.
Nasanions. 4, 21, ij, 73, 91, lO.j, 271.
Nasr.-ben-Habib. 261.
Navarre. 301.
Nedjd. 192 et suiv.
Nefouça (monts). 292.
Nefouça (tribu). 183 et suiv., 2.j3, 270,
290, 327.
Nefis. 200, 271.
Nef/a. 2.j9.
Ncf/.acjuM, (Iribu). 183 et suiv., 2i0,
2.j8, 309.
Ncgaous. 483.
Nehrouane (bat. de). 201.
.Nekkariens. 338 à 3.^2, 300.
Ncm/i (beni). 187.
>'éphcris. .jl, à3, Ô4.
Népos (Marcus). 49.
Néron (Caius). 30, 37.
Néron (emp.). 101, 103.
Ncrviana (aug. mari. col.). lOti.
Nestorius. lU.
Nicéi)hore (patrice). 202.
Nicctas (gcn. byz.). 3()2.
.N'idja (tribu). 183.
Nicbla. 23(i.
Nini (Ouad). 21i.
Nokour. 248, 253, 288, 32:), 330, 380.
Normands (les). 287.
Normands (de Sicile). 401 à iO-j.
Nouba. 297.
Novempopulanie. 139.
Nubel. 133.
Numance. 38.
Numidie, 21, 3i et suiv., ijtJ, 93 cl
suiv., 128 el suiv.
Numidie cirléene. 119.
N'uniidi(! militaire. 1 19.
o
Oamei'. 13i, 1.39.
Obéïda-ben-Abd-ci'-lihaïuaii. 220.
()béïd-.\llali-bcn-llabluib. 229 à 231.
Obéïd-Allah le Mehdi. 303 et suiv.,
312 et suiv. 318 à 332.
(tbéïdites. 242 et suiv.
Océan Atlantique. 3 et suiv., 200 el
suiv., 300.
Octave (Ccsar-Oclavieu). 8i à 89.
Oclavie. 89.
Odoacre. 1.30.
Oea (Tripoli). 103.
Okacha-bcn-Aïuub. 232.
Okba-ben-el-lladjadj. 220.
Okba-ben-Kodama. 229.
Okba-ben-Nala. 194, 203 et suiv. à 207.
Omaïr-ben-Mo(;aal). 209.
Omar II. 224.
Omar-bcn-el-Kliatlab (3" khalife). 193,
194.
438
lIISTOllîi: 1)1- I, AFRIyCE
()iii;u--ben-n;if<;oim. -J'.W.
(tni;u -l)cn-[lars. dil IIc/mi-mumI. -.''i'.) el
Slli V.
()in;ir-!>pn-(Mhnian. 253.
Oinar-ljen-Moaoïiïa. 273.
Omar-el-Moiadi. 229.
Omar fils d'Edris IF. 270, 280.
((ml)rie. 31.
Oinéïades (d'()|-ii'iil). 201 el suiv.
Oinéïades (d'Kspagne). 24.Ô el, siiiv.,
319, 353, 372, 378 et siiiv., 388 el
suiv., 397.
(tphellas, 10.
Opimius (Liicius). 59.
Oppas. 218.
Oppeilas. 09.
Optât (S'.), évè(|iie. l 'i l.
Oplatus (év.). 138.
Opus (Léon). i03
Oran. 317, 331, 335, 357, 358, 371.
382, 388.
(»ri)os (el) (Larilms). 251. 2(il. 275,
295, 307, 3i0 el siilv.
Ordono f. 287.
Ordofio II. 359.
Ordono IV (le Mauvais). 301.
Orpste (gén. Uyz.). i02.
Orienl (préfecture d'I. 128.
Oroscopa. 48.
Orséolo (P.), doge, iOI.
Orlhaïas. 168 et suiv.
Osirogolhs. 149, 151.
Olliniane (f khnlilV). 195, 190 à
200.
Olliniane (beni). 18i.
Othniane (olT. berbère). 227.
Olhon I (de Saxe). 30i, 377.
Olho'n II. 377.
Olhon (enip. rom.). 103.
Otranle.302, 350.
Onacil (tribu). 183.
Ouacine (beni). 187, 371.
Ouaeoul (beiii). 255, 27(), 281, 358,
303.
Ouadah I airi ani bi igén. oni.». 388 à
392.
Ouad (ou Oued) BekUa. 200.
Ouad-el-Melahen. 329.
Onad-Isli. 383.
Ouad-Heniel. 295.
Ouad-Rir". 317.
Onad-Snliar. 330.
Ouad-Ziz. 2i3.
Ouaddane. 195.
Onadjdidjen ou Ouagdigiien (tribu).
187,395.
Oualid (khal. oui.). 220.
Onanoudine (beni). 388.
Oiianoudine-ben-Klia/.rouii. 377 el
suiv., 399.
Ouarekcen. 377.
Ouarensenis (mont). 382.
Ouarghou (tribu). 180, 338.
Ouargla (tribu). 187.
Ouarmekcen (tribu). 18i.
Ouar'merl (tribu). 187, 395.
Ouarlene (beni). 185.
Oualtas (tribu). 185.
Ouazguil (beni). 187.
Oneil (beni). 185.
Oudjana (tribu). 183.
Oudjda (ville). 383, iOO.
Oiieniannou (tribu). 187, 271.
Ouennour'a (Iribu). 18i.
Ouergha (tribu). 182, 277.
Ouerrou-ben-Kliazroun. 391 et suiv.
(Milhaea (tribu). 183.
Oulili. 200, 259 et suiv. 208 et suiv..
277.
Ourak (tribu). 180.
Ouirif (tribu). 183.
Ourcil'en (tribu). 180.
Ourfeddjouma (Irlbu). 183, 2i2, 2i5,
25i.
Ourfel (tribu). 183.
Ourflas (tribu). 185.
Oui-gnia (tribu). 180.
Ouriagol (beni). 183.
Ourieen (tribu).
Ouridjen (Ouriguen). tribu. 182.
Ouridous (tribu). 185.
Ourinela (B.). 185.
Ourika (B.). 185.
Ournid (B.). 186.
Oursettif (tribu). 185.
Ourslif (tribu). 183.
Ourtadjou (beni). 187.
Ourtagol (beni). 182.
Ourland.ja (tribu). 185.
Ourtantine (tribu). 180.
Ourtedine (Iribu). 183.
Ourteilous (Iribu). 185.
Ourtezniar (tribu). 180.
Ourlila (Iribul. 185.
IM>K.\ DES NOMS PROPRES
i39
Oulzila (tribu). 18C.
Oiiziladja (tribu). J8i, 292.
Ouzeklja (tribu). 18i, 292.
(lu-Zeroual (tieni). 18.j.
P
l'acciaiuis (ou l'arciu'ciis). 72.
i'agida (fi.). 92.
l'alerme. 146, 280, 297, 32.:), 333, 33(),
355 et suiv.
l'allade. 133.
Panipelune. 390.
l'anchariana. 13i.
l'auorme. 18 (voir l'alcriuc).
l'apirius. iOi.
l'appua (mont). l('>l.
l'arœloniuin. 88.
l'assiénus (Vil)ius). IIC.
i'aul (olT. byz.). 131.
l'aul-Emile. 31, 32.
l'aullinus (Suelonius). 91.
l'aulus (évêque). 122, 12.").
Péiage (Esp.). 220, 213.
Pélagie. 143 (uote).
Péiagiens et Seini-i'ékigiciis. l'il,
l'riagius. 172.
Péloriade (moûts). 291.
Pcppin le Href. 2i5.
Périple de llaiinon. ti.
Perpétue (Sle). 112.
Pertinax. 109.
Pétréius. 80.
Pétrone Maxime. 1 17.
Pétus (L.-A.). 91.
Pharsale. 71, (ij.
l'hazanie (Fezzaii). 91, 10.").
Pliilèiies (autel des). ()8.
Philippe (l'.Vrabe). 115.
Philippe (roi de Maeédoine). 33.
l'iiilippes (bataille de). 115.
Phocas (centurion). 117.
Phocas Manuel. 302.
Phocas iS'icéphore. 302, 301, 302, 30i.
Phocéens (les), (i, 7.
Physcon. 09, 70.
Picj^Mium. 31 .
Pisans (les). 401 et suiv.
Pison (Calpui'uius). 52.
Pison (L.). 95, lOi.
Placidie. 1 i2, 1 i".
Plaisance. 30.
Platée (bat. de). 68.
Platha. 278 et suiv.
Pline. 56.
Pline le jeune. 107.
Pô (fl.). 29.
Poitiers. 228.
Polizzi. 291.
Polybe. 60.
Polyorcèle. 69.
Pompée. 7 1 , 7'i, 7()
Pompée (Cnéius). 72, 83.
Pompée (Sextus). 87.
Pomponianus (Vibius). 116.
Porto. 258.
Porto Farina. 75.
Pouille. 302, 384, 401.
Prairie (bal. de la). 209.
Probinus (i)r()C.). 136.
Probiis. 117.
Proconsulaire. 89 et suiv., 95 et
suiv., 151.
Procope. 157.
Provence. 229, 330, 374.
Prusias. 4().
Psammélik I. 3.
l'sylles. 4, 45.
Ptolémée-Kvei'gèle. 09.
Ptoléinée le Lagide. 09.
Ptolémée-Philadelphe. 18, 79.
Ptolémée-Philoniélor. 69. 70.
Ptolémée (roi de Maurélaiiie). U2 ;i
95, 99.
l'udenlius. 1."j6, I(i5, 172.
Pulcher (Claudius). 19.
Pnrpuraria' (Madère). 90.
Purpurins. 125, 12(i.
Pyrénées. 18. 32, 30, 222, et suiv.
257, 272.
l'yrrhns. 11. 12, 13 cl suiv.
Q
Ouiétus (Lusius). 107, 108.
Quini|uégenliens. 115 à 120, 133.
Quodvuldéus (év.). I i6.
R
llaclied (bcni). 189.
440
IIISTOIHI-; DE l'aiiuql'e
Haclicil l'.ilViaiiclii. 2.VJ, 200 et siiiv.,
2(i8.
Raclu!(l (moni). 371.
Hacliik (giMi. falrm.). 3i7.
Rakka. 31 1.
«akkada (ou Uokkada). 290, 303, 308
el siiiv., 3i0 et suiv.,3Gj.
R'allioiin (larlobite). 27i.
R'alel) (rairranchi). 359, 372, 378.
Rainelta. 3(12 cl siiiv. 40i.
Raniii(î IF (ilo lA'on). 3j4.
Raiula.
Rapidi (Sour Djoiiali). lOS.
R'ai'iano (iiionls). 91.
R'ariatie (Lribu). 182.
R'ai'zoul (béni). 180.
Ras-Diinas. 79.
R'asinan (tribu), 183, 29.j .
R'assacja (Iribu). 183, 29.').
Raymoud (conilc de Barcelone). 392.
397.
Rel)ia (Iribu). 190.
Rebia ben Sliinan (>rén. arl.). 310.
Récimer. 1 18.
Retourcn (l.iibu). 183.
R'edir. 319.
Regliioua (I i-ibu). 183.
Regio (Ksp.). 230, 298.
Refîgio (liai.). 350,301, 303, 101.
Région Syrlique. 21 et suiv.
Regraga (tribu). 185.
Régulus. 10 à 18.
Rhige. 12, 13.
Rhône. 28, 229.
Riatha. 259, 270.
Rif, passini. 2i8. 255, 270, et suiv.,
310, 330, 335, 358 et suiv., 303,
308, 372 et suiv.
Righa (beni). 180.
Rihan le Ketaniicn. 328.
Robert de Ilauleville.dit Wiscard. i05.
R'obrine (beni). 18i.
Roderik (leGolli). 218.
R'odjania (Iribu). 180.
Rogaliiinus. 170.
Rogalus. 132.
Rokkada (voir (Rakkada).
Romain II (emp.). 302.
Romanus (le comte). 133.
R'omara (pays de>). 330 el suiv.
R'omara (tribu). 185, 205, 218, 275,
270, 313, 300, 372 el suiv.
Rome. 4 el suiv. (toulc la 1"' partie)
147, 301, 378.
R'omerl (pays des). 349.
R'omerl (Iribu). 187.
Romulus (Augustule). 150.
Roncevaux. 257.
Ronda. 245.
Roselle. 320.
Roslemide (dynastie). 248 el suiv..
200, 271, 282, 307.
Rouaifi. 203.
Rouli-ben-llàtem. 258 el suiv.
Ruiin. 108.
Rufus (.M.). 02, 70.
Rufus Volusianus, 124, 130.
Rurice. 133.
Rusagus. 133.
Rusicada (l'iiilipiievilie). 81, 97, lOS.
Ruspiua. 77.
Husucurni (l)ellis). 1 15.
S
Sabas (S'.). 150.
Sabiiiianus. 115.
Sabra. 195. 348, 350, 377.
Sabura. 75, 79.
Sadale (les). 191.
Sadina (tribu). 184.
Sali (le renégat). 401.
Safraoua (ou Sofroï). 327, 399.
Sagonle. 20. 27.
Saguïel-Mems. 348.
Saïd-ben Aced. 325.
Saïd-ben-Khazroun, 381.
Saïd (petil-lils de Salah-ben-Man-
sour). 255.
Saïd (descendant dudil). 325.
Saïd (province d'Kgypte). 320.
Saïn le Slave. 333.
Sainl-Siége (étal du). 301 et suiv.
Salabus. 95.
Salah (beni) de Nokour.o35.
Salah-ben-Mansour. 248.
Salah-ben-.Nacir. 258.
Salali, lils de Saïd de Nokour. 325.
Salah, lils de Tarif. 238, 255.
Salah (reuiuHiue), général ar'lebite.
295.
Salamaufiue. 258.
Salamine. 7.
INDEX DES NOMS PKOI'RES
lil
Salai (mont.). 319.
Salat-ben-Ouazmar. 199.
Saldé (iîoufiie). 5, 58, 67, 68, Si, 90,
102, 119.
Salé. 277, 281, 383, 399.
Salemïa. 29i.
Salerne. 300, 363, 377, iOl, iUi.
Saline (la). 160.
Salluste. 78, 81.
Salniacès. 133.
Salomon (gén. inz.). 157, 165, 167,
169 à 172.
Saniah (es). 225.
Sanaës. 121.
Sancho (de Caslille). 359. 361, 392.
Sancliol (voir Abd-cr-Rahnum).
Sandal (le .Nègre). 335.
Sanliaga (race). 182 et suiv.
Sanhadja (Iribu). il, 184, 217, 250,
303 et siiiv., 337 et siiiv., 3i3, 317,
357, 365 et s., 371 el s., 388 el siiiv.
Sanhadja-au-lithain (voile). 186, 229.
Saône (lleiive). 229.
Saragosse. 244. 257, 397.
Sardaigne. 23,25 el suiv., H9, 1.58
el suiv., 218, 336.
Sardenia. 369.
Sar'mar (beiii). 186.
Salale (Iribu). 183.
Salfoura. 213.
Salurnin. 112.
Sbéilla. 196 et suiv.
Scaurus. 88.
Scipion ((Inéius). 3f).
Scipion (lùnilion). 19, 51. 57.
Scipion (Mélellus). 76, 78.
Scipion (l'ublius). 28, 29, 35 à 'i3, Î6.
51 à 56.
Sebiba. 210, 3i7.
Sebkha de Tunis. 27 1.
Sebou (riv.). 231,2.59, 269.
Secundus. 126.
Sedjerda (tribu). 185.
Sedka (tribu). 184.
Sedouikech (tribu). 184.
Scdrala (Iril)u). 182, 259.
Sekijioua (Iribu). 185.
Sekour (Ijeni). 186.
Selinonte. 7.
Semindja. 241.
Seinpronius. 27, 29, 30.
Septinianie. 245.
Seressou (plalcMU du). 395.
Sergius. 172, 173.
Serlorius. 71, 72, 73.
Selif. 115, 294, 305, 307, 380.
Sévère (Alexandre), emp. 113.
Sévère (Sepliine), onip. 110 à 112.
122, 124.
Se ville. 236, 245, 298, 321.
Sextius (T.), proconsul. 71, 83 à 86.
Sfax. 324, 370.
Sicard (de Xaplos). 283.
Sicca (ou Sicca-Vénéria) (le kef). 22,
146, 1.50. 173. 258.
Sicile. 10 et suiv.. 1 i9. 1.53, 203 el
sui\.. 2IS. 221), 231, 271 el suiv.,
297 cl 301, 320, 323 el suiv.,
336, 355 el suiv., 361 el suiv., 377
el suiv., 384 et sui\.. 401 el suiv.
Sidjilmassa (Talilala). 218, 243, 255,
281,312 elsuiv., 327 el suiv., 357
elsuiv., 3(i0 el suiv., 367, 371 et s.,
387 el suiv., 399 et suiv., 404.
Sidon. i.
Sidoiia (.Médina). 236.
Siga. 21, 34, 102.
Sigiswulde. 143.
Sikka (voir Sicca).
Siline (bcni). 184.
Siniéon (roi des Hidgares). 327.
Sinisain le Kelbile, 404.
Sindjas (beni). 187.
Sisebert. 218.
Sitilis. 90. 133. 134. 171 (\oir Selil').
Sittiens. 81, 85. 8(i, 90.
Siltius (P. Nueérinus). 71, 7S, 80, 81,
Si.
Slav(^ (le), \oir .Vl)d-ci-lialinuin-ben-
llabib.
Slaves (les). 333, 396.
Socuzis. 1 13.
Soliane (général ar'l.). 270.
Sofriles (Khareiljides). 255.
Sofrisnie. 355.
Soléïnian-ben-lloréïz (dit Kcli.(;hcm-
niakb). 260.
Soléïnian (génci-al ai'abc). 258.
Soléïnian (frère d'Kdris). 260.
Soléïnian (khal. oni.). 222.
Soléïnian-el-Mosta n rillali. 392, 396.
Soléïs (|)roniont()ire de). 3.
Soplionisbe. 38, 11.
Sort. 240.
442
HISTOIRE DE L AFRIQUE
Souça. 203 et suiv., 278, 297, 3il et s.
Soudan, l'assim, 230.
Souf-Djiniai- (0. Remel). 291.
Sonk-.Vhras. 42.
Souk-llamza, voir ilanr/.a.
Soumala (tribu). 183.
Soumaïl-ljen-IIàtem. 243.
Sous. 218, 229, 276.
Spendius. 22, 23.
Spolète. 302.
Stllicon. 137.
Stozas. 169, 170, 173.
SufTete. 6.
Suèves. 138, 143.
Suisse. 331, 373.
Suthul. 61.
Sylectuin. Iô9.
Sylla. 65 à 67, 71, 72.
Sylvain. 125.
Syphax (ou Sifax). 34 et suiv. à 42,
48, 81.
Syracuse. 8, 33, i:.8. 203. 231. 279,
289, 291, 404.
Syrie. Passim, 364, 368 et suiv.
Syriens. 231 et suiv.
Syrthes. 4 et passim.
Syrtes (Grande). 3 et pas.
Syrie (Petite). Ibid.
Syrlique (région). 21 et suiv.
T
Taaieba. 235.
ïabari (beni). 35o.
Tabarka. 119, 138, 241, 359.
Tacfarinas. 67, 92 à 96.
Tacite. 106.
Tafilala (voir Sidjilniassa).
Tagarboucet (mont). 350.
Takin. 326.
Takious. 338.
Talha. 195 à 200.
Tamesna. 277.
Tanger. 25, 73, 215, 218 et suiv. 229,
259, 321, 357, 372 et suiv., 386 et
suiv., 396.
Tan il. 56.
Taormina. 291, 297. 302, 362.
Taourgha. 296.
Tarenle. 14, 35, 36, 301, 378.
Targa (touareg). 186.
Tarif. 208.
Tarifa. 220.
Tarik. 218 et suiv.
Tarsoun (Darsoun). 184.
Taurus (Statilius). 87, 91, 102.
Taza. 276, 316, 328, 331.
Tazroul. 295, 304.
Tebessa (Théveste). 172 et suiv., 308,
340 et suiv., 389.
Teçoul. 276, 316, 331.
Tedla. 260, 383.
Tchouda. 206 et suiv., 2.50, 288.
Tcilvata (tribu). 184, 185, 337.
Temesna. 260.
Temim-ben-Yàla (l'Ifrenide). 399 et s.
Te m m a n- be n -Te m i m . 263 .
Tenès. 331, 388 (voir Cartonna).
Tergha. 276.
Terin (beni). 185.
Tertullien. 112.
Tessin (combat du). 29.
Telouane. 276, 376.
Thabel (beni). 184.
Thagaste (Souk-Ahran). 141.
Thala. 63, 64, 93.
Thamugas (Timgad). 106, 131, 138.
171.
Tliapsus. 45, 71, 79, 80.
Thénœ (Tina). 55.
Tbéoctiste. 176.
Théodore (offic. byz.). 170.
Tliéodore (préf. byz.). 176.
Tliéodoric. 152, 153.
Théodose (comte). 134, 135.
Théodose (général puis empereur).
136.
Théodose II (emp.). 139, 147.
Théra (ile de). 3.
Théérens (Grecs). 68.
Thermida. 89.
Theveste (Tébessa). 25, 89, 106, 108,
137, 146 (v. Tébessa).
Thrace. 402.
Thumar. 71.
Thydrus (El-l)jem). 79, 80, 113 (voir
El-l)jeni).
Tibère (emp.). 91, 93, 96, 102.
Tibère II (emp.). 177.
Ticisi (ou Tigisis). 120, 169.
Tidjist. 307.
Tifech. 292. 308.
Tiglierine (beni). 187.
INDEX DES NOMS PROPRES
443
Tiharet. 20G cl suiv., 231, 2i4, 2i8 et
suiv.. 255, 260, 271, 317, 321, 335,
349 et suiv., 360, 367, 377, 380,
388 cl suiv., 3'JO.
Tikiça. 276.
Tikine-el-Khezari. 323.
Timoléon. 9.
Tinemellal (monls). 271.
Tinemellal (Iribu). 185.
Tingis (Tanger). 5, 72, 87, 102 (voir
Tanger).
Tipaza de l'Ksl. 309.
Tileri (mont. de). 337.
Titus (emp.). 105.
Tlemcen. 205, 238 et suiv.. 2.55, 200,
271, 277, 317, 330, 338, 3.53, 368,
382, 399.
Tobna. 2i8, 250 el suiv., 2.5i, 258,
288, 307, 338, 319 et suiv., 3()7,
388, 396.
Tolède. 221, 23i, 287, 391 et suiv.
Tonboda (château de). 27i.
Torghian (tribu). 18i.
Tota (reine de iSavarre). 361.
Touaba-ben-Selama. 243.
Toudjine (beni). 185, 395.
Toufourt (beni). 186.
Toulaline (beni). 185.
Toulounites (les). 291, 295.
Toulouse. 226.
Touzer. 338 el suiv.
Traïana. 401.
Trajan (emp.). 106, 107, III.
Trapani. 302.
Trasamond. 153.
Trasimène (bat. de). 29, 30.
Trébie (bat. de). 29. 30.
Tricamara (bat. de). 163.
Trigétius. Ii5.
Tripoli (Oea). 110 et suiv., 187, 321,
334, 369, 390, 399.
Tripolilaine. 95 el suiv., 119, 128,
187 et suiv., 375.
Triton (lac de), 4, 29, 119.
Troglita (Jean). 174 et suiv.
Troglodytes. 4, 21, 45, 91.
Tubuna (Tobna). 142 (voir Tobna).
Tubusuptus (Tiklat). 193, 134.
Tunès (Tunis). 2, 17, 23, 40,32, 51.
Tunis (Tunès). 162 et suiv., 215 et
suiv., 295 et suiv., 341, 3i0 et s.
Turbo (Marcius). 107, 108.
Tusca (11.). 55.
Typaza. 132.
Tyr. 4, 45.
Tyriens (les). 2.
Tzazon. 158 et suiv., 163.
U
riiai'is (o(T. grec). IGi.
Lltiquc. 2, U, 23, 24, 40 à 42, 49 à
.55, 60, 62, 64, 72, 74, 75, 80, 85.
V
Vacca (Badja). 62, 63, 79, 146 (voir
Hadja).
Val Demone. 320.
Valentinien I (emp.). 133.
Valenlinien II (emp.). 135.
Valentinien III. 142, 146, 147.
Valérie (voir Byzacène).
Valérien (emp.)., 115, IKi.
Vandales. 138, 140 à 167.
Varron. 31.
Varus (Attius). 75, 7(;.
Venise, 279.
Vcntidius (P.). 84, 85.
Vermina. 39, 42, 44, 81.
Vespasicn (emp.). 104, 105.
Vindex. 103.
Vilellius (emp.). 104.
Vizigollis (ou Wizigolhs). I46elsuiv.
Volks. 28.
Volux. 66.
W
Witekind. 257.
Wittizn. 218.
X
Xanthippe (gén. lac). 17, 18.
Xérès. 245.
Xerxès. 7, 68.
Y
Yabdas. 168 el suiv.
Yahïa-bcn-IIamdoun. 367 cl suiv.,
373, 388 cl suiv.
44i
nisToiRi- DE l'Afrique
Yahïa-ben-Mohamnied-et-Tofljil)i (gé-
néral om.). 372 et suiv.
Yahïa-ben-.Moussa. 262. .
Yahïa-ben-Selama (le Kelbile). 226.
Vahïa.rilsd'Ali-ben-nammoiul(rKflri.)
397 et suiv.
Yahïa, fils d'Edris II. 277, 390.
Yahïa, fils du précèdent. 2'JO, 316. 327.
Yahïa, fils d'Edris-ben-Oniar. 310.
Yahïa, fils de Kacem-ben-Edris. 290.
Yakoub-ben-Ishak (gén. fat.). 3i7.
Yaktan (le Roslem.). 317.
Yaktin. 261.
Yala-bcn-Mohammed. 3.33. 3.j7 à 37.j:
Yarbas (ou llierlas). 07, 71, 72, 82.
Yas-(el)-ben-Abd-cr-I',ahman. 210.
Yas-(el)- ben-Mansour. 292.
Yas (el), fils de Salah. 255, 371.
Yatrib (Medine). 192 el suiv.
Yectan. 189.
Yedder-ben-Lokman. 395.
Yeddou-bon-Yàla. 378.
Yéménites (passim), 245 et suiv., 256.
288, 299.
Y'enni (beni). 18i.
Yezid I (khal.). 205 à 209.
Yezid II. 225.
Yezid-ben-Abou-Moslem. 225.
Yezid-ben-llàtem. 253 à 258.
Yezid, fils d Abou-Yezid. 339.
Yol et Yol-Césaréc (Cherchel). 5. 72,
87, 90, 95. 102. 112.
Youçof (descendant d'Okba). 2i3.
Youçof-el-Kelbi. 402.
Youçof, filsd'Abd-AUah-ben-el-Kateb.
379 et suiv.
Younos, fils d"El-Yas. 371
Youlanan (tribu). 185.
Z
Zab. 05. 171 el suiv., 200, 21 1 el s.. 330.
339 et suiv., 350 et suiv.. 3(>7, 394-
Zabi (Mecila). 171.
Zacinlhe. 157.
Zahira (le château de). 391.
Zaïdiya. 200.
Zaïn (ouad). 55.
Zama. 21, 41 à 43, 03. 80 à 80.
Zalane (beni). 184.
Zamora. 258.
Zamnia. 133.
Zanaga. 200.
Zaouèkes. 4.
Zaoui le Sanhadjien. 388, 391 et s.,
390 et suiv.
Zarzas. 24.
Zalinia (tribu). 183.
Zeddjak (beni). 186.
Zeddjala (tribu). 183.
Zeggaoua (tribu). 182, 186.
Zeglaoua (tribu). 184.
Zeggou-el-Mezali. 344.
Zeggoula (tribu). 183.
Zegguen (tribu). 186.
Zehila (Iribu). 182.
Zehkoudja (Iribu). 183.
Zeïdane (l'alTr.). 337.
Zeldoui (Irilm). 183.
Zembia. 132.
Zemraoua (tribu). 186.
Zenara (Iribu). 182.
Zenas. 124.
Zenala (race). 181 el suiv.
Zendak (beni). 186, 187, 339.
Zenètes. 44, 181 et suiv.
Zènon (emp.). 150, 152.
Zerbnla. 171.
Zerdal (tribu). 187.
Zerikof (Iribu). 184.
Zeugilane. 95, 147.
Zézius (év.). 130.
Ziadel-Allah I d'ar'!.). 270, 272 à 280.
Ziadet-Allah II (le jeune). 28«.
Ziadel-Allah III. 303 à 310.
Ziadet-Allah (frère d"Ab.ou-Ibrahim).
286.
Ziri-ben-Atiya. 379 et suiv., 384 à 389.
Ziri-ben-Menad. 337, 343, 344,347, 350,
352 et suiv., 359 et suiv., 367, 392.
Ziyad (beni). 180.
Zobéïr. 195 et suiv. à 200.
Zoé (impér.). 324, 327.
Zohéïr-ben-Kaïs. 205, 210.
Zohéïr-ben-R"aoulh. 200.
Zouaoua (Iribu). 184, 303.
Zouar'a (tribu). 180, 2.59, 209.
Zouïla (faub. d El-Mehdïa). 323, 343
et suiv.
Zouïla du Fezzan. 194.
Chuitrrs. — Imprimerie Dcraud, rue Fulbert.
I
i