Skip to main content

Full text of "Histoire de l'Afrique septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830)."

See other formats


Digitized  by  the  Internet  Archive 
in  2015 


https://archive.org/details/histoiredelafriq01merc_0 


HISTOIRE 

DE 

L'AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

I. 


DU  MÊME  AUTEUR 


Histoire  de  l'établissement  des  Arabes  dans  l'Afrique  sep 
tentrionale,  selon  les  auteurs  arabes.  1  vol.  grand  in-8.  avec  deux 
cartes.  —  Marlf,  (Constantine;.  —  Challamel  |Paris),  1875. 

Le  cinquantenaire  de  l'Algérie.  —  L  Algérie  en  1880.  t  vol.  in-8. 

—  Challamel  (Paris).  1880. 

L'Algérie  et  les  questions  algériennes.  1  vol.  in-8.  —  Challa- 
mel. 1883. 

Comment  l'Afrique  septentrionale  a  été  arabisée.  Brochure 

in-8.  —  Marle.  187  i. 
La  bataille  de  Poitiers  et  les  vraies  causes  du  recul  de 

l'invasion  arabe.  Mémoire  publié  par  la  Bévue  liistorique .  — 

Paris.  1878. 

Constantine,  avant  la  conquête  française  (1837).  Notice  sur 
cette  ville  à  l'époque  du  dernier  bey  (avec  une  carte;.  —  Ménioire 
publié  par  la  Société  archéologique  de  Constantine.  1878.  —  Bra- 
HAM.  éditeur. 

Constantine  au  XVI'^  siècle.  Elévation  de  la  famille  El  Feggoun. 

—  Société  archéologique  de  Constantine.  1878. —  Braham.  éditeur. 
Notice  sur  la  confrérie  des  Khouan  Abd-el  Kader-el  Dji- 

lani,  publiée  par  la  Société  archéologique  de  Constantine.  1868. 
Les  Arabes  d'Afrique  jugés  par  les  auteurs  musulmans.  {Revue 

africaine,  n"  98.  1873.) 
Examen  des  causes  de  la  croisade  de  saint  Louis  contre 

Tunis  (1270).  [Revue  africaine.  n^94.i 
Episodes  de  la  conquête  de  l'Afrique  parles  Arabes.  Kocéïla. 

La  Kahena.  —  Mémoire  publié  par  la  Société  archéologique  de 

Constantine,  1883. 
Les  Indigènes  de  l'Algérie.  Leur  situation  dans  le  passé 

et  dans  le  présent.  Revue  libérale.  1884. 
Le  Cinquantenaire  de  la  prise  de  Constantine  (13  oc- 
tobre 1837).  Brochure  in-8.  —  Braham,  éditeur  à  Constantine 

(Octobre  1887). 

Commune  de  Constantine.  Trois  années  d'administration 
municipale.  Brochure  in-8.  —  Braham,  éditeur  à  Constantine 
(Octobre  1887). 


CHARTRES.    I.MPRI.MERIE   DURAND,    RUE  FULBERT. 


HISTOIRE 

DE 

L'AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

(BERBÉRIE) 
DEPUIS  LES  TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS 

jusqu'à  la  conquête  française  (  1  830) 

PAR 

Ernest  ""mercier 

TOME  PREMIER 


PARIS 

ERNEST  LEROUX,  ÉDITEUR 

28,   HUE  BONAPAKTE,  28 


1888 


PRÉFACE 


Arrivé  en  Algérie  il  y  a  trente-quatre  ans;  lancé  alors 
au  milieu  d'une  population  que  tout  le  inonde  con- 
sidérait comme  arabe,  ce  ne  fut  pas  sans  étonnement 
que  je  reconnus  les  éléments  divers  la  composant  : 
Berbères,  Ara])es  et  Berbères  arabisés.  Frappé  du  pro- 
blème ethnographique  et  historique  qui  s'offrait  à  ma 
vue,  je  commençai,  tout  en  étudiant  la  langue  du  pays, 
à  réunir  les  éléments  du  travail  que  j'offre  aujourd'hui 
au  public. 

Si  l'on  se  reporte  à  l'époque  dont  je  parle,  on  recon- 
naîtra que  les  moyens  d'étude,  les  ouvrages  spéciaux  se 
réduisaient  à  bien  peu  de  chose.  Cependant  M.  de  Slane 
commençait  alors  la  publication  du  texte  et  de  la  tra- 
duction d'Ibn-Khaldoun  et  de  divers  avitres  écrivains 
arabes.  La  Société  archéologique  de  Constantine,  la 
Société  historique  d'Alger  venaient  d'être  fondées,  et 
elles  devaient  rendre  les  plus  grands  services  aux  tra- 
vailleurs locaux,  tout  en  conservant  et  vulgarisant  les 
découvertes.  Enfin,  la  maison  Didot  publiait,  dans  sa 
collection  de  V  Univers  pittoresque,  deux  gros  volumes 
descriptifs  et  historiques  sur  l'Afrique,  dus  à  la  colla- 
boration de  MM.  d'Avezac,  Bureau  de  la  Malle,  Yanosky, 
Carette,  ÏNIarcel. 

Un  des  premiers  résultats  de  mes  études,  portant  sur 
les  ouvrages  des  auteurs  arabes,  me  permit  de  séparer 
deux  grands  faits  distincts  qui  dominent  l'histoire  et 
l'ethnographie  de  l'Afrique  septentrionale  et  que  l'on 


II 


PRÉFACE 


avait  à  peu  près  confondus,  en  attribuant  au  premier 
les  effets  du  second.  Je  veux  parler  de  la  conquête 
arabe  du  vii"  siècle,  qui  ne  fut  qu'une  conquête  mili- 
taire, suivie  d'une  occupation  de  plus  en  plus  restreinte 
et  précaire,  laissant,  au  x*"  siècle,  le  cliamp  libre  à  la 
race  berbère,  affranchie  et  retrempée  dans  son  pro|)rc 
sang,  et  de  rimmigration  hilalienne  du  xt"  siècle,  qui 
ne  fut  ]jas  une  conquête,  mais  dont  le  résultat,  obtenu 
par  une  action  lente  qui  se  continue  encore  de  nos  jours, 
a  été  l'arabisation  de  l'Afrique  et  la  destruction  de  la 
nationalité  berbère. 

Je  publiai  alors  V Histoire  de  l'établissement  des  Arabes 
dans  l'Afrique  septentrio)ude  (1  vol.  in-8.  avec  deux  cai  tes, 
Mai  le-Challamel,  187.")),  ouviagc  dans  lequel  je  m'effor- 
çai de  démontrer  ce  que  je  demanderai  la  permission 
d'appeler  celte  découverte  historique. 

Mais  je  n'avais  traité  qu'un  point,  important,  il  est  vrai, 
de  1  histoire  africaine,  et  il  me  reslait  à  piésenler  un 
travail  d'ensemble.  Dans  ces  trente-quatre  années,  que 
de  documents,  que  d'ouvrages  précieux  avaient  été  mis 
au  jour!  En  France,  la  conquête  de  I  Algérie  avait  natu- 
rellement appelé  l'attention  des  savants  sur  ce  pays. 
Nos  membres  de  l'Institut,  orientalistes,  historiens,  ar- 
chéologues, trouvaient  en  Afrique  une  mine  inépuisable, 
et  il  suilit,  pour  s'en  convaincre,  de  citer  les  noms  de 
.MM.  de  Slane,  Reynaïul,  Quatremère,  Hase,  AN'alcknaer, 
d'Avezac,  Dureau  delà  Malle,  Marcel,  Carette,  Yanosky, 
Fournel,  de  ^las-Latiie,  Vivien  de  Saint-Martin,  Léon 
Rénier,  Tissot,  H.  de  Villefosse. 

En  Hollande,  le  regretté  Dozy  publiait  ses  beaux  tra- 
vaux sur  l'Espagne  musulmane.  En  Italie,  ^I.  Michèle 
Amari  nous  donnait  l'histoire  des  Musulmans  de  Sicile, 
travail  complet  où  le  sujet  a  été  entièrement  épuisé. 
Enfin  l'Allemagne,  l'Angleterre.  l'Espagne  fournissaient 
aussi  leur  contingent. 

Pendant  ce  temps,  l'Algérie  ne  restait  pas  inactive, 
l'n  nombre  considérable  de  travaux  originaux  était  pro- 
duit par  un  groupe  d'érudits  qui  ont  formé  ici  une  véri- 
table école  historique.  Je  citerai  parmi  eux  :  MM.  Ber- 


PRÉFACE 


III 


brugger,  F.  Lacroix  enlevé  pai-  la  mort  avant  d  avoii- 
achevé  son  œuvre,  Poulie,  le  savant  président  de  la 
Société  archéologique  de  Gonstantine,  Reboud,  Cher- 
bonneau,  général  Greuly,  Mac-Carthy,  l'abbé  Godard, 
l'abbé  Bargès,  Brosselard,  A.  Rousseau,  Féraud,  de 
Voulx,  Gorguos,  Vayssettes  ,  Tauxier,  Aucapitaine , 
Guin,  Robin,  Moll,  Ragot,  Elie  de  la  Priniaudaic,  de 
Graminonl,  présitlont  actuel  de  la  Société  d'Alger,  et 
bien  d'autres,  auxquels  sont  venus  s'ajouter  plusrécem- 
ment  ^LM.  Boissicre,  Masqucray,  de  la  Blanclière,  Bas- 
set, Hondas,  Fallu  de  Lcsserl,  Poinssot,  Gagnai  

Grâce  aux  ellbi  ts  de  ces  érudits  tlont  nous  citerons 
souvent  les  ouvrages,  un  grand  nombre  de  poinis,  autre- 
fois obscui  s,  dans  l'histoii  e  de  rAfVi([ue,  ont  été  éclairés, 
et  s'il  reste  encore  des  lacunes,  particulièrement  poui' 
l'époque  bv/.anline,  le  xv**  siècle  et  les  siècles  suivants, 
surtout  en  ce  qui  a  trait  au  Maroc,  elles  se  comblent  peu 
à  peu.  Je  ne  parle  pas  de  l'époque  phénicienne  :  là,  il 
n'y  a  à  peu  près  rien  à  cs])érer. 

Gomme  sources,  notre  bil)liolhè(|ue  des  auteurs  an- 
ciens est  aussi  complète  qu'elle  peut  IV'tre.  (hiant  aux 
écrivains  arabes,  vWc  est  égal(MiuMit  à  peu  près  com- 
plète, mais  il  fauchait,  pcuir  le  [)u])lic,  que  deux  ti'aduc- 
tions  importantes  fussent  entreprises,  —  cl  elles  ne 
peuvent  l'être  qu'avec  l'appui  de  l'I'^tat.  — Je  veux  parler 
du  grand  ouvrage  d  lbn-el-Atliir  ',  (pii  renferme  beau- 
coup de  documents  relatifs  à  l'Occident,  et  du  Ba'iane, 
d'Ibn-Adliari ,  dont  Dozy  a  publié  le  texte  aralje,  enrichi 
de  notes. 

11  est  donc  possible,  maintenant,  d'entreprendre  une 
histoiie  d'ensemble.  Je  Fai  essayé,  voulant  d'abord  me 
borner  aux  annales  de  FAlgéi  ie;  mais  il  est  bien  dillicile 
de  séparer  l'histoire  du  peuple  indigène  qui  couvre  le 
nord  de  l'Afrique,  en  nous  conformant  à  nos  divisions 
arbitraires,  et  j'ai  été  amené  à  m'occuper  on  même  temps 
du  Maroc,  à  Fouesl,  et  de  la  Tunisie  et  de  la  Tripoli- 


1 .  Kainil-ct-Touuii./Ji. 


IV 


PRÉFACE 


laine ,  à  l  est.  Cette  fatalité  s'imposera  à  quiconque 
voudra  faire  ici  des  travaux  de  ce  genre,  car  l'histoire 
d  un  pays,  c'est  celle  de  son  peuple,  et  ce  peuple,  dans 
l'Afrique  du  Xord,  c  est  le  Berbère,  dont  l'aire  s'étend 
de  l'Egypte  à  l'Océan,  de  la  Méditerranée  au  Soudan. 

Fournel,  qui  a  passé  une  partie  de  sa  longue  carrière 
à  amasser  des  matériaux  sur  cette  question,  a  subi  la 
fatalité  dont  je  parle,  et  lorsqu'il  a  publié  le  résultat  de 
ses  recherches,  monument  d'érudition  qui  s'arrête  mal- 
heureusement au  xi*^  siècle,  il  n'a  pu  lui  donner  d'autre 
titre  que  celui  d'histoire  des  «  Berbers  •>■>. 

Mes  intentions  sont  beaucoup  plus  modestes,  car  je 
n'ai  pas  écrit  uniquement  pour  les  érudits,  mais  pour  la 
masse  des  lecteurs  français  et  algériens.  Je  me  suis 
a])pliqué  à  donner  à  mon  livre  la  forme  d'un  manuel 
pratique;  mais,  ne  voulant  pas  étendre  outre  mesure 
ses  proportions,  je  me  suis  heurté  à  une  difficulté  iné- 
vitable, celle  de  suivre  en  même  tem|)s  I  histoire  de 
divers  pays,  histoire  qui  est  quelquefois  confondue, 
mais  le  plus  souvent  distincte. 

Dans  ces  conditions,  je  me  suis  vu  forcé  de  renoncer 
à  la  forme  suivie  et  coulante  de  la  grande  histoire,  pour 
adopter  celle  du  manuel,  divisé  par  paragraphes  dis- 
tincts, dont  chacun  est  indépendant  de  celui  qui  le  pré- 
cède. Ce  procédé  s'oppose  naturellement  à  tout  déve- 
loppement d'ordre  littéraire  :  la  sécheresse  est  sa 
condition  d'être;  mais  il  permet  de  mener  de  front,  sans 
interrompre  l'ordre  chronologique,  lexposé  des  faits 
qui  se  sont  produits  simultanément  dans  divers  lieux.  De 
plus,  il  facilite  les  recherches  dans  un  fouillis  de  lieux 
et  de  noms,  fait  pour  rebuter  le  lecteur  le  plus  résolu. 

Ecartant  toutes  les  traditions  douteuses  transmises 
par  les  auteurs  anciens  et  les  Musulmans,  car  elles  au- 
raient allongé  inutilement  le  récit  ou  nécessité  des  dis- 
sertations oiseuses,  je  n'ai  retenu  que  les  faits  certains 
ou  présentant  les  plus  grands  caractères  de  probabilité. 
Je  me  suis  attaché  surtout  à  suivre,  le  plus  exactement 
possible,  le  mouvement  ethnographique  qui  a  fait  de  la 
population  de  la  Berbérie  ce  qu'elle  est  maintenant. 


PRÉFACE 


V 


Deux  cartes  de  l'Afrique  seplenlrionale  à  difTcreiUes 
époques,  et  une  de  l'Espagne,  faciliteront  les  recherches. 
Enfin  une  table  géographique  complète  terminera  l'ou- 
vrage et  chaque  volume  aura  son  index  des  noms 
propres. 

Gonstanline,  le  1"'  Janvier  1888. 


Ernest  Mercier. 


VI 


l'RKFACE 


SYSTÈME  ADOPTÉ 

POUR    LA    ï  II  A  N  S  C  R  I  P  T  I  f  )  N    DES    NOMS  ARABES 

Dans  un  ouvrage  comme  celui-ci,  ne  s'adressant  pas 
parliculièrcmcnl  aux  orientalisles,  le  système  de  trans- 
cription du  nombre  considéral)le  de  vocables  arabes  et 
berbères  qu'il  contient  doit  être,  autant  (juc  possible, 
simple  et  pialique. 

La  difïicullé,  Fimpossibililé  même,  de  reproduiic, 
avec  nos  caiactères,  certaines  articulations  sémitiques, 
a  eu  pour  conséquence  de  donner  lieu  à  un  grand 
nombre  de  systèmes  plus  ou  moins  ingénieux.  Divers 
signes  conventionnels,  ajoutés  à  nos  lettres,  ont  eu  pour 
but  de  les  modifier  théoriquement,  en  leur  donnant  une 
prononciation  qu'elles  n'ont  pas  ;  pour  d'autres,  on  a 
formé  des  groupes  où  1'//,  cette  lettre  sans  valeur  pho- 
nétique en  français,  joue  un  grand  rôle.  Chaque  pavs, 
chaque  académie  a,  pour  ainsi  dire,  son  système  de 
transcription.  Mais,  pour  le  public  en  général,  tout  cela 
ne  signifie  rien,  et  si  Ton  a,  par  exemple,  surmonté  ou 
souscrit  un  a  d'un  point,  d'un  espiit  ou  de  tout  autre 
signe  iqàa'à),  l'immense  majorité  des  lecteurs  ne  le  pro- 
noncera pas  autrement  que  le  plus  ordinaire  de  nos  a. 

De  même,  ajoutez  un  h  à  un  t,  à  un  y  ou  à  un  k,  vous 
aurez  augmenté,  pour  le  profane,  la  dilliciilté  matérielle 
de  lecture,  mais  sans  donner  la  moindre  idée  de  ce  que 
peut  être  la  prononciation  aralje  des  lettres  que  l'on 
veut  reproduire. 

I^.nfin,  en  se  bornant  à  rendre,  d'une  manière  absolue, 
une  lettre  arabe  par  celle  que  l'on  a  adoptée  en  français 
comme  équivalente,  on  arrive  souvent  à  former  de  ces 
syllal)es  qui,  dans  notre  langue,  se  prononcent  d'une 
manière  sourde  {ein,  m,  an,  o/i)  et  ne  répondent  nulle- 


PRih'ACE 


VII 


ment  à  raiticulation  arabe.  C'est  ainsi  qu'un  Français 
prononcera  toujours  les  mots  Amin,  Mengoub,  Ilassein, 
comme  s'ils  étaient  écrits  :  Amain,  Maingoub,  Hasscwi. 

En  présence  de  ces  difficultés,  je  n'ai  pas  adopté  de 
système  absolu,  ne  souffrant  pas  d'exception,  m'efforrant 
au  contraire,  même  aux  dépens  de  l'orthographe  arabe, 
de  retrancher  toute  lettre  inutile  et  de  rendre,  sous  sa 
forme  la  plus  simple  pour  des  Français,  les  sons,  tels 
qu'ils  frappent  notre  oreille  en  Algérie.  N'oublions  pas, 
en  effet,  qu'il  s'agit  des  hommes  et  des  choses  de  ce 
pays,  et  non  de  ceux  d'Egypte,  de  Damas  ou  de  Djedda. 

Quiconque  a  entendu  prononcer  ici  le  nom  iyt**.*,  ne 
s'avisera  jamais  de  le  transcrire  par  Masoiid,  ainsi  que 
l'exigeraient  nos  professeurs,  mais  bien  par  Meçaoud.  Il 
en  est  de  môme  de  qui  vient  de  la  môme  racine. 

La  meilleure  reproduction  consistera  à  le  rendre  par 
Saad,  en  ajoutant  un  a,  et  non  par  Sad,  quels  que  soient 
les  signes  dont  on  affectera  ce  seul  a. 

J'ajouterai  souvent  un  e  muet  aux  noms  terminés  par 
m,  eïn,  an,  on,  et  j'écrirai  Slimanc  au  lieu  de  Soulébnan 
(ou  Soliman),  Houcéïne,  Yarnioracene,  etc. 

Quant  aux  articulations  qui  manquent  dans  notre 
langue,  voici  comment  je  les  rendrai  : 

Le  e>,  par  th,  t  ou  ts. 

Le  ^,  par  un  h;  ce  qui,  du  reste,  ne  reproduit  nulle- 
ment la  prononciation  de  cette  consonne  forte,  et  comme 
je  ne  figurerai  jamais  le  s  par  un  h,  le  lecteur  saura 
qu'il  doit  toujours  s'efforcer  de  prononcer  cette  lettre 
par  une  expiration  s'appuyant  sur  la  voyelle  suivante. 

Le^,  par  le  kh,  groupe  bizarre  encoie  plus  imparfait 
que  r/<  seul  pour  la  précédente  lettre. 

Le  ^,  généralement  par  un  a  lié  à  une  des  voyelles 
a,  i,  o;  ([uclquefois  par  une  de  ces  lettres  seules  ou  par 
la  diphthongue  eu  ou  par  Vc.  Cette  lettre,  dont  la  pro- 
nonciation est  impossible  à  reproduire  en  français, 
conserve  presque  toujours,  dans  la  pratique,  un  premier 
son  rapprochant  de  Va  et  provenant  de  la  contraction 
du  gosier;  ce  son  s'appuie  ensuite  sur  la  voyelle  dont 
cette  consonne,  car  c'en  est  une,  est  affectée.  C'est  pour- 


VIII 


PRÉFACE 


quoi  j'écrirai  Chiàite  au  lieu  de  Chïïtey  Saad  au  lieu  de 
Sad,  etc. 

Le  ^,  généralement  par  un  r'.  Si  tout  le  monde  gras- 
seyait 1'?',  il  n'y  aurait  pas  de  meilleure  manière  de  rendre 
cette  lettre  arabe;  malheureusement,  il  y  a  en  arabe 
Vr  non  grasseyé,  et  il  faut  bien  les  différencier.  Dans 
le  cas  où  ces  deux  lettres  se  rencontrent,  la  prononcia- 
tion de  chacune  s'accentue  en  sens  inverse,  et  alors  je 
rends  le  ^  par  un  g\  Exemples  :  Mag'reb,  Berg' ouata. 

Le^3,  par  un  /«;,  comme  dans  Kassem,  ou  par  un  ^, 
comme  dans  Gabcs.  Cette  lettre  possède  encore  une 
intonation  gutturale  que  l'on  ne  peut  figurer  en  fran- 
çais. 

Le  »,  par  un  h.  Quant  au  i  [ta  lic\  dont  la  pronon- 
ciation est  celle  de  notre  syllabe  muette  at  dans  contrat, 
je  le  rends  par  un  simple  a  et  j'écris  :  Louata,  Djerbn, 
Médéa. 

Je  ne  parle  que  pour  mémoire  des  lettres  lo,  ,jo,  (jb. 
dont  il  est  impossible  de  reproduire,  en  français,  le  son 
emphatique,  et  je  les  rends  simplement  par  t,  d,  s,  d. 


INTRODUCTION 


DESCRIPTION  PHYSIQUE  ET  GÉOGRAPHIQUE 
DE  L'AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

Description  et  limites'.  —  Le  pays  dont  nous  allons 
retracer  l'histoire  est  la  partie  du  continent  africain  qui 
s'étend  depuis  la  limite  occidentale  de  TEgyple  jusqu'à 
l'Océan  Atlantique,  et  depuis  la  rive  méridionale  de  la 
Méditerranée  jusqu'au  Soudan.  Cette  vaste  contrée  est 
désignée  généralement  sous  le  nom  d'vVfrique  septen- 
trionale, sans  y  comprendre  l'Egypte,  qui  a,  pour  ainsi 
dire,  une  situation  à  part.  Les  Grecs  l'ont  appelée  Libye; 
les  Romains  ont  donné  le  nom  Afrique  à  la  Tunisie 
actuelle,  et  ce  vocable  s'est  étendu  à  tout  le  continent. 
Les  Arabes  ont  appliqué  à  cette  région  la  dénomination 
de  Mag'reb,  c'est-à-dire  Occident,  par  rapport  à  leur 
pays.  Nous  emploierons  successivement  ces  appellations, 
auxquelles  nous  ajouterons  celle  de  Berbérie,  ou  pays 
des  Berbères. 

Nous  avons  indiqué  les  grandes  limites  de  l'Afrique 
septentrionale.  Sa  situation  géographique  est  comprise 
entre  les  24°  et  37°  de  latitude  nord  et  les  25°  de  lon- 
gitude orientale  et  19°  de  longitude  occidentale;  ainsi 
le  méridien  de  Paris,  qui  passe  à  quelques  lieues  à 
l'ouest  d'Alger,  en  marque  à  peu  près  le  centre. 

Les  côtes  de  l'Afrique  septentrionale  se  projettent 
d'une  façon  irrégulière  sur  la  Méditerranée.  Du  31°  de 
latitude,  en  partant  de  l'Egypte,  elles  atteignent,  au 


1.  Suivre  sur  la  carte  de  l'Afrique  spptentriouale  ail  xv*  siècle  (vol  II). 


X 


INTRODUCTION 


sommet  de  la  Cyrénaïque,  le  33°,  puis  s'infléchissent 
brusquement,  au  fond  de  la  grande  Syrte,  jusqu'au  30°. 

De  là,  la  côte  se  prolonge  assez  régulièrement,  en 
s'élevant  vers  le  nord-ouest  jusqu'au  fond  de  la  petite 
Syrte  (34").  Puis  elle  s'élève  perpendiculairement  au 
nord  et  dépasse,  au  sommet  de  la  Tiuiisie,  le  37°.  Elle 
suit  alors  une  direction  ouest-sud-ouest  assez  régulière, 
en  s'abaissant  jusqu'à  la  limite  de  la  province  d'Oran, 
pour,  de  là,  se  relever  encore  et  atteindre  le  36°,  au 
détroit  de  Gibraltar. 

Le  littoral  de  l'Océan  se  prolonge  au  sud-sud-ouest, 
en  s'abaissant  du  8°  de  longitude  occidentale  jusqu'au 
19°. 

La  partie  seplentiionalc  de  la  Berbérie  se  rapproche 
en  deux  endroits  de  l'Europe.  C'est,  au  nord-est  de  la 
Tunisie,  la  Sicile,  distante  de  cent  cinquante  kilomètres 
environ,  et,  à  l'ouest,  l'I^spagne,  séparée  de  la  pointe 
du  Mag'reb  par  le  détroit  de  Gibraltar.  Cette  partie  de 
l'Afrique  oft're,  du  reste,  beaucoup  d'analogie  avec  les 
dites  régions  européennes,  tant  sous  le  rapport  de  l'as- 
pect et  des  productions  que  sous  celui  du  climat. 

Les  écarts  considérables  de  latitude  que  nous  avons 
signalés  en  décrivant  les  côtes  influent  sur  les  condi- 
tiens  physiques  et  climatériques  ;  aussi  le  littoral  des 
Syrtes  diffère-t-il  sensiblement  de  la  région  occidentale. 

Orographie.  —  La  région  comprise  entre  la  petite 
Syrte  et  l'Océan  est  couverte  d'un  réseau  montagneux 
se  reliant  au  grand  Atlas  marocain,  qui  pénètre  dans  le 
sud  jusqu'au  30°  et  dont  les  plus  hauts  sommets  attei- 
gnent 3,500  mètres  d'altitude.  Toute  cette  contrée  mon- 
tagneuse jouit  d'un  climat  tempéré  et  d'une  fertilité 
proverbiale.  Les  indigènes,  peut-être  d'après  les  Ro- 
mains, lui  ont  donné  le  nom  de  Tel.  Ce  Tel,  en  Algérie 
et  en  Tunisie,  ne  dépasse  guère,  au  midi,  le  35°  de  lati- 
tude. 

Dans  la  partie  moyenne  de  la  Barbarie,  c'est-à-dire  ce 
qui  forme  actuellement  l'Afrique  française,  la  région 
telienne  aboutit  au  sud  à  une  ligne  de  hauts  plateaux, 


INTRODUCTION 


XI 


dont  l'altitude  varie  entre  600  et  1,200  mètres.  Le  Djebel- 
Amour  en  marque  le  sommet;  au  delà,  le  pays  s'abaisse 
graduellement  vers  le  sud  et  rapidement  vers  l'est,  ce 
qui  donne  lieu,  dans  cette  dernière  direction,  à  une  série 
de  bas-fonds  reliés  par  des  cours  d'eau  aboutissant  aux 
lacs  Melr'ir  et  du  Djerid,  près  du  golfe  de  la  petite 
Syrte.  Cette  ligne  de  bas-fonds  est  parsemée  d'oasis 
produisant  le  palmier;  c'est  la  région  dactylifère. 

Des  montagnes  dont  nous  venons  de  parler  des- 
cendent des  cours  d'eau,  au  nord  dans  la  Méditerranée, 
à  l'ouest  dans  l'Océan.  Ceux  du  versant  nord  sont  géné- 
ralement peu  importants,  en  raison  du  peu  d'étendue 
de  leur  cours  :  ce  sont  des  torrents  en  hiver,  presque 
à  sec  en  été.  Les  rivières  du  versant  océanien,  venant 
de  montagnes  plus  élevées  et  ayant  un  cours  moins  bref, 
ont  en  général  une  importance  plus  grande. 

Au  delà  des  hauts  plateaux  et  de  la  première  ligne 
des  oasis,  s'étend  le  grand  désert  ou  Sahara  jusqu'au 
Soudan.  C'est  une  vaste  contrée  généralement  aride, 
entrecoupée  de  chaînes  montagneuses,  de  vallées,  de 
plateaux  desséchés  et  pierreux  et  de  dunes  de  sable. 
Des  régions  d'oasis  s'y  rencontrent.  Le  tout  est  traversé 
par  des  dépressions  formant  vallées,  dont  les  unes 
s'abaissent  vers  le  Soudan  et  les  autres  se  dirigent  vers 
le  nord  pour  rejoindre  les  lacs  Melr'ir  et  du  Djerid.  Les 
vallées,  les  oasis  et  certaines  parties  montagneuses  sont 
seules  habitées. 

Dans  la  Tripolitaine,  la  région  telienne  est  moins 
élevée  et  a  moins  de  profondeur;  en  un  mot,  le  désert 
est  plus  près.  Cependant,  derrière  Tripoli  se  trouve  un 
massif  montagneux  assez  étendu,  donnant  accès  au  Ham- 
mada  (plateau)  tripolitain. 

Le  littoral  de  la  Cyrénaïque  est  bordé  de  collines  qui 
forment  les  pentes  d'un  plateau  semblable  à  celui  de 
Tripoli,  mais  moins  étendu.  Quelques  oasis  se  trouvent 
au  sud  de  ce  plateau.  Au  delà  commence  le  grand  désert 
de  Libye. 


T.  1. 


b 


XI! 


INTRODVCTION 


MONTAGNES  PRINCIPALES 

De  l'est  à  l'ouest,  les  principales  montagnes  de 
l'Afrique  septentrionale  sont  : 

Cyrénaïque.  —  Le  Djebel-el-Akhdar,  dans  la  partie 
supérieure. 

Tripolitai>'e.  —  Le  Djebel-Karïane  et  le  Djebel-Xe- 
fouça,  au  sud  de  Tripoli. 

Algérie.  —  Le  Djebel- Jonrès,  s'élevant  jusqu'à  2,300 
mètres  au  midi  de  Gonstanline  et  s'abaissant  au  sud, 
brusquement,  sur  la  région  des  oasis. 

Le  Djebel- Amour  (2,000  mètres),  au  midi  de  la  pro- 
vince d'Alger  formant  le  sommet  des  liants  plateaux. 

Le  Djebel-0i/are7isetiis  [2^000  mètres),  au  nord  du  Djebel- 
Amour,  près  de  la  ligne  du  méridien  de  Paris. 

Le  Djebel-Djerdjera  ou  grande  Kabilie  (2,300  mètres), 
près  du  littoral,  entre  TOuad-Sahel  et  l  isser. 

Maroc.  —  Les  montagnes  du  Grand  Atlas  ou  Deren, 
notamment  le  Djebel-Hentata ,  d'une  altitude  de  3, .500 
mètres  et  dont  les  sommets  sont  couverts  de  neiges 
éternelles. 

PRINCIPALES  RIVIÈRES 

Versant  méditerranéen'.  — ■  V Ouad-Souf-Djine  et  VOuad- 
Zemzem,  descendant  du  Djebel-R  arïane  et  du  plateau 
de  Ilammada  et  venant  former  le  marais  situé  au-dessous 
de  Mesrata,  sur  le  littoral  de  la  grande  Syrte. 

h' Oiiad-Medjerda,  qui  recueille  les  eaux  du  versant 
nord-est  de  TAourès  et  du  plateau  tunisien  et  vient 
déboucher  dans  le  golfe  de  Karthage,  au  sommet  de  la 
Tunisie. 

\J Ouad-Seijbous,  recueillant  les  eaux  de  la  partie  orien- 
tale de  la  province  de  Gonstanline  et  débouchant  à  Bône. 


INTRODUCTION 


XIII 


V Ouad-el-Kehir,  formé  de  V Ouad-Reinel  et  de  VOuad- 
Bou-Merzoïtg ,  dont  le  confluent  est  à  Gonstantine  et 
reinboucluire  au  nord  de  cette  ville. 

}j  Ouad-Snliel,  venant,  d'un  côté,  du  Djebel-Dira,  près 
d'Auniale,  et,  de  l'autre,  des  plateaux  situés  à  l'ouest  de 
Sélif,  et  débouchant,  sous  le  nom  de  Somnam,  dans 
le  golfe  de  Bougie,  à  l'est  du  Djerdjera. 

\J Onad-Isser,  à  l'ouest  du  Djeidjera,  et  ayanl  son  em- 
bouchure près  de  Dellis. 

Le  Chelif,  descendant  du  versant  nord  du  Djebel- 
Amour  et  du  Ouarensenis,  lecevant  le  Nehat'-Ouacel, 
venu  du  plateau  de  Seressou,  au  sud  de  cette  montagne, 
et  après  avoir  décrit  un  coude  à  la  hauteur  de  Miliana, 
courant  parallèlement  à  la  côte  de  Test  à  l'ouest,  pour 
se  jeter  dans  la  mer  à  l'extrémité  orientale  du  golfe 
d'Arzeu. 

\jHabra  et  le  Sig,  appelé  dans  son  couj's  supérieur 
Mekerra,  se  réunissant  pour  foi  iner  le  marais  de  la  Makta, 
au  fond  du  golfe  d'Arzeu.  La  plus  grande  partie  des 
eaux  de  la  province  d'Oran  est  lecueillic  par  ces  deux 
rivières. 

La  Tafna,  descendant  des  montagnes  situées  au  midi 
de  Tlemcen  et  qui  se  jette  dans  la  mer  au  nord  de  cette 
ville,  après  avoir  recueilli  Vh/i,  venant  de  la  région 
d'Oudjda  (Maroc). 

La  Moidotcïa,  qui  recueille  les  eaux  du  versant  orien- 
tal et  septentrional  de  l'Atlas  marocain  et  dont  l'embou- 
chure se  trouve  à  l'ouest  de  la  limite  algérienne. 

Vers.vnt  océanien.  —  VOuad-el-Koi/s,  qui  se  jette  dans 
la  mer  près  d'El-Araïchc,  au  sommet  du  ^faroc. 

Le  Sebou,  descendant  du  versant  nord-ouest  de  l'vVtlas. 

Le  Jiou-Begreg,  au  midi  du  précédent  et  ayant  son 
embouchure  non  loin  de  lui,  à  Salé. 

\JOiiad-Oum-er-Rebïa ,  grande  rivière  recueillant  les 
eaux  du  versant  occidental  de  l'Atlas  et  traversant  de 
vastes  plaines  avant  de  déboucher  à  Azemmor. 

Le  Tensift,  voisin  du  précédent,  au  midi. 

\J Ouad-Sous,  qui  coule  entre  les  deux  chaînes  princi- 


XIV 


INTRODUCTION 


pales  du  grand  Atlas  méridional  et  traverse  la  province 
de  ce  nom. 

\J Ouad-Noun,  débouchant  près  du  cap  du  même  nom. 

Et  enfin  Y Ouad-Deraa,  descendant  du  grand  Allas  au 
midi  et  formant,  dans  la  direction  de  l'ouest,  une  large 
vallée.  Ce  fleuve  se  jette  dans  l'Océan  vis-à-vis  Tarclii- 
pel  des  Canaries. 

Yers.vnt  intérieur.  —  VOuad-Djedi,  qui  prend  nais- 
sance au  midi  du  Djebel-Amour,  court  ensuite  vers  1  est, 
parallèlement  au  Tel,  et  va  se  perdre  aux  environs  du 
lac  Melr'ir. 

VOuad-Mia  et  VOuad-lr'ar'ar,  venant  tous  deux  de 
l'extrême  sud  et  concourant  à  former  la  vallée  de  VOuad- 
Ri?'',  qui  se  termine  au  choit  (lac)  Melr'ir. 

\J Ouad-Giiir ,  descendant  des  hauts  plateaux,  pour  se 
perdre  au  sud  non  loin  de  l'oasis  de  Touat. 

Enfin  Y Ouad-Ziz,  qui  vient  de  l'Atlas  marocain  et  dis- 
parait aux  environs  de  l'oasis  de  Tafilala. 

L.\CS 

Les  lacs  de  1  Afrique  septentrionale  sont  peu  nom- 
breux. Voici  les  principaux  : 

Le  choit  du  Djerid,  au  sud  de  la  Tunisie. 

Le  Me/r'ir,  à  l'ouest  du  précédent  :  entre  eux  se  trouve 
la  dépression  de  Rarça. 

La  sebkha  du  Goiirara,  à  l'est  du  cours  inférieur  de 
rOuad-Guir. 

La  sebhka  de  Daoïira,  près  de  Tafilala. 

On  compte,  en  outre,  un  certain  nombre  de  marais, 
parmi  lesquels  nous  citerons  la  sebkha  de  Zar'ez^  dans 
le  Hodna,  et  les  choit  oriental)  elR'arbi  'occiden- 

talj,  dans  les  hauts  plateaux.  Ce  sont  souvent  de  vastes 
dépressions,  avec  des  berges  à  pic,  et  dont  le  fond  est 
plus  ou  moins  marécageux,  selon  l'époque  de  l'année. 


INTRODUCTION 


XV 


CAPS 

Voici  les  principaux  caps  de  l'Afrique,  en  suivant  le 
littoral  de  l'est  à  l'ouest. 

Ras-Tourba  et  cap  liozat,  au  sommet  de  la  Cyrénaïque. 

Cap  Mesurata,  près  de  la  ville  de  Mesrata,  à  l'angle 
occidental  du  "-olfe  de  la  grande  Svrte. 

Ras-Capoiidïa  (l'ancien  Caput  Vada),  au  sommet  de  la 
petite  Syrte. 

Ras-Dimas  (l'antique  Thapsus)^  à  l'angle  méridional  du 
golfe  de  Ilammamet. 

Ras-Adar,  ou  cap  Bon,  au  sommet  de  la  presqu'île  de 
Gherik,  angle  nord-est  de  la  Tunisie. 

Promontoire  àWpollon  ou  cap  Farina,  à  l'angle  occi- 
dental du  golfe  de  Tunis. 

Ras-el-Abiod,  cap  Blanc,  à  l'angle  occidental  du  golfe 
de  Bizerte. 

Cap  de  Garde,  à  l'angle  occidental  du  golfe  de  Bône. 

Cap  de  Fer,  à  l'angle  oriental  du  golfe  de  Philippeville. 

Cap  Bougarone  ou  Sebd-Rous  (les  sept  caps),  à  l'angle 
occidental  du  môme  golfe. 

Cap  Cavallo,  à  l'angle  oriental  du  golfe  de  Bougie. 

Cap  Sigli,  à  l'angle  opposé,  c'est-à-dire  au  pied  occiden- 
tal de  la  grande  Ivabylie  (Djcrdjera). 

Cap  MatifoH  (régulièrement  Tharnan' tafoust),  à  l'angle 
oriental  du  ffolfe  d'Aller. 

Cap  Tenès,  à  l'est  et  auprès  de  la  ville  de  ce  nom. 

Cap  Carbon,  à  l'angle  occidental  du  golfe  d'Arzeu, 
entre  cette  ville  et  Oran. 

Cap  Falcon,  à  l'angle  occidental  du  golfe  d'Oran. 

Cap  Tres-Forcas,  à  1  ouest  du  golfe  formé  par  l'embou- 
chure de  la  Moulouïa,  dominant  Melila,  qui  est  bâtie 
sur  le  versant  oriental  de  ce  cap. 

Cap  de  Ceuta,  à  la  pointe  orientale  du  détroit  de  Gi- 
braltar. 

Cap  Sparlel,  sur  l'Océan,  à  l'ouest  de  cette  pointe. 
Cap  Blanc,  au  sud  de  l'embouchure  de  l'Oum-el-Re- 
bia  et  d'Azemmor. 

Cap  Caniin,  un  peu  plus  bas,  au-dessus  du  Tensift. 


XVI 


INTRODUCTION 


Cap  Gnir,  au-dessus  de  rembouchuie  du  Scbou  et 
d'Agadir. 

Cap  Noun,  à  reinboucluiic  de  la  rivière  de  ce  nom. 
Cap  Bojador,  au-dessous  de  rembouchurc  de  l'Ouad- 
Deraa. 

Cap  Blanc,  un  peu  au-dessus  du  20"  de  longitude. 
DIVISIONS  GÉOGR.VPHIQLES  ADOPTÉES  PAR  LES  ANCIENS 

L'Algérie  septentrionale.  Tabye  des  Grecs,  a  formé 
les  divisions  suivantes  : 

Urgion  lillorale 

Cyrénaïque  comprenant  la  Marmaricpie  ;  depuis  la 
fionlière  occidentale  de  l'Egypte  juscju'au  golfe  de  la 
grande  .Syrie. 

Tripolitainc ;  de  celte  limite  jus({u'au  golfe  de  la  pelilc 
Syi  te.  Bt/zacène,  région  au-dessus  du  lac  Tiiton.  Zeuq'i- 
tane,  littoral  orienlal  de  la  Tunisie  aciuelle.  et  Afrique 
propre,  comprenant  d'abord  le  territoire  de  Karihage 
(nord  de  la  Tunisie),  puis  toute  la  région  entre  la  Xu- 
inidie  à  l'ouest  et  la  Tripolilaine  à  l  est.  La  Tripolitainc. 
la  Byzacènc,  la  Zeugitanc  el  l'Afrique  propre  ont  été 
réunis,  à  l'époque  romaine,  sous  le  nom  de  province 
proconsulaire  d'Afrique. 

JS'umidie  ;  depuis  la  limite  occidentale  de  l  Afi  ique 
propre,  qui  a  été  formée  généralement  par  le  cours  su- 
périeur de  la  Medjerda,  avec  une  ligne  partant  du  coude 
de  celle  rivière  pour  rejoindre  le  litloral.  et  de  là  jus- 
qu'au golfe  de  Bougie,  c'est-à-dire  environ  le  3°  de  loii- 
oiiude  est.  La  Xumidie  a  été  elle-même  divisée  en  oricn- 
talc  et  occidentale,  avec  l'Amsaga  Ouad-Remel  comme 
limite  séparative. 

Maurétanie  orientale;  depuis  la  Numidie  jusqu'au  Mo- 
locbat  iMoulouïaV  A  la  fin  du  m''  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, elle  a  été  divisée  en  Sélifienne,  comprenant  la 
])ai  tie  orientale  avec  Sélif,  et  Césariemie,  formée  de  la 
pai'tie  occidentale,  avec  Yol-Cesarée  (Cherchel)  comme 
capitales. 


INTRODUCTION 


XVII 


Maurétanie  occidentale  ou  Tingitane,  comprenant  le  reste 
de  l'Afrique  jusqu'à  l'Océan. 

Région  inlérieitre 

Libye  déserte,  comprenant  la  Phazanie  (Fezzan),  au  sud 
de  la  Tripolitaine  et  de  la  Cyrénaïque. 

Gétulie,  au  sud  de  la  Numidie  et  des  Maurétanies,  sur 
les  hauts  plateaux  et  dans  le  désert. 

Ethiopie,  comprenant  la  Troglody  tique,  au  sud  des  deux 
précédents. 

Populations  anciennes 

Cyrénaïque  et  Tripolitai>e.  —  Libi/ens,  nom  géné-. 
rique  se  transformant  en  Lebatài  dansProcope,  Ilanguan- 
ten  dans  Corippus,  et  que  I  on  peut  identifier  aux  Ber- 
bères Louata  des  auteurs  arabes. 

Ba?'cites,  Asbystes,  Adyrmakhides,  Ghiligammes,  etc.,  oc- 
cupant le  nord  de  la  Cyrénaïque. 

Nasammom,  dans  l'intérieur,  sur  la  ligne  des  oasis  et 
le  golfe  de  la  grande  Syrte,  dont  ils  occupent  en  partie 
les  rivages. 

Psy//^'5^  habitant  en  premier  lieu  la  grande  Syrte  et  re- 
foulés ensuite  vers  l'est. 

Makes,  sur  le  littoral  occidental  de  la  grande  Syrte. 

Zaouekes  (Arzugues  de  CorrippusV,  établis  sur  le  lit- 
toral, entre  les  deux  Syrtes.  Ils  ont  donné  leur  nom  plus 
tard  à  la  Zeugitane.  On  les  identifie  aux  Zouar'a. 

Troglodytes,  dans  les  montagnes  voisines  de  Tripoli. 

Lotophages,  dans  l'île  de  Djerba  et  sur  le  littoral  voisin. 

Afrique  propre.  —  Les  Maxyes  et  les  Ghyzantes  ou 
Byzantes.  Ces  tribus,  sous  ces  noms  divers,  y  compris 
les  Zaouèkes,  paraissent  être  un  seul  et  même  peuple, 
qui  a  donné  son  nom  à  la  Byzacène. 

Libo-Phéniciens,  peuplade  mixte  de  la  province  de  Kar- 
thage. 

Numidie.  —  Numides,  nom  générique. 
Nabathres,  dans  la  région  du  nord-est. 


XVIII  INTRODUCTION 

Masséssy  liens,  puis  Massif  les  ;  occupaient  le  centre  de 
la  province.  Ont  été  remplacés  par  les  peuplades  sui- 
vantes, qu'ils  ont  peut-être  contrilnié  à  formel'  : 

Kedamoiisiens,  sur  la  rive  gauche  de  l'Amsaga  (Ouad- 
Remel)  et,  de  là,  jusqu'à  l'Aourès. 

Babares  ou  Sababares,  dans  les  montagnes,  au  nord  des 
précédents,  jusqu'à  la  mer. 

Malhét.vme  okiknt.vle.  —  Maures,  nom  générique,  au- 
quel on  a  associé  plus  tard  celui  de  Maziques. 

Quinquegentiens,  divisés  en  Isaflenses,  Massinissenses  et 
Xababes,  occupant  le  massif  du  Mons-Ferratus  Djcr- 
djera). 

Masséssyliens,  puis  Massyles,  au  sud-est  du  ^Mons-P^er- 
ralus.  Remplacés  de  bonne  heure  par  d'autres  popula- 
tions. 

Makhoiu'èbes  et  Banioures,  à  l'ouest  du  AIons-Ferratus. 
Makln'usiens,  sur  le  littoral  montagneux,  à  l'ouest  des 
précédents. 

Naonusïi,  dans  la  région  des  hauts  plateaux,  au  midi 
des  précédents. 

Masséssyliens,  sur  la  rive  droite  du  Molochath. 

M.vvRÉT.\>'iE  occiDEMALE.  —  Mauves,  nom  générique. 

Masséssyliens,  établis  dans  le  bassin  de  la  INIoulouia. 

Maziques,  sur  le  littoral  nord  et  ouest. 

Bacuates,  établis  dans  le  bassin  du  Sebou  et  étendant 
leur  domination  vers  l'est  identifiés  aux  Bcrg'ouata  . 

Makenites,  cours  supérieur  du  Sebou  (identifiés  aux 
Meknaça). 

Autotoles,  Banuires,  etc.,  dans  le  bassin  de  l'Oum-er- 
Rebia. 

Daradee,  bassin  du  Deràa. 

Région  intérieure 

Libye  déserte.  —  Garamanies ,  appelés  aussi  Gam- 
phazantes,  oasis  de  Garama  (Djerma  et  Phazanie  Fezzan). 

Blemyes,  au  sud-est  des  précédents,  vers  le  désert  de 
Libye  (peuplade  donnant  lieu  à  des  récits  fabuleux). 


INTRUDUCTION 


XIX 


Gétuhe.  —  Gélules,  nom  générique.  Sur  toute  la  ligne 
des  hauts  plateaux  et  dans  la  partie  septentrionale  du 
désert. 

Mélano-Gétides  [Gétules  noirs),  au  midi  des  précédents. 
Perorses,  Pharusiens ,  sur  la  rive  gauche  du  Darat 
(Ouad-Deràa). 

Ethiopie.  — •  Ethiopiens,  terme  générique,  divisés  en 
Ethiopiens  blancs  et  Ethiopiens  noirs. 

Quant  aux  Ethiopiens  rouges  ou  Ganges,  que  les  auteurs 
placent  au  midi  de  la  Gétulie,  sur  les  bords  de  l'Océan, 
nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  les  rapprocher  des 
Iznagcn  (Sanhaga  des  Arabes),  qui  ont  donné  leur  nom 
au  Sénégal.  Nous  trouverons  du  reste,  dans  l'histoire 
des  Sanhaga  au  voile  [Mouletthemine),  le  nom  de  Ouaggag, 
porté  encore  par  des  chefs  de  ces  peuplades. 

DIVISIONS  GÉOGRAPHIQUES  ADOPTÉES  PAR  LES  ARABE^ 

Les  Arabes,  arrivant  d'Orient  au  vu"  siècle,  don- 
nèrent, ainsi  que  nous  l'avons  dit,  à  l'Afrique  le  nom 
générique  de  Mag'rcb,  qui  s'étendit  même  à  l'Espagne 
musulmane.  Mais,  dans  la  pratique,  une  désignation  ne 
pouvait  demeurer  aussi  vague,  et  les  conquéranls  divi- 
sèrent le  pays  comme  suit  : 

Paijs  de  Barka,  la  Cyrénaïque  moins  la  Marmarique). 

Ifrikiya,  la  Tunisie  proprement  dite,  à  laquelle  on  a 
ajouté  la  Tripolitaine  à  l'est,  et  la  province  de  Constan- 
tine,  jusqu'au  méridien  de  Bougie,  à  l'ouest. 

El-Mag'reb-el-Aouçot  (ou  Mag'reb  central),  depuis  le 
méridien  de  Bougie  jusqu'à  la  rivière  Moulouïa. 

El-Mag' reb- el-Akça  (ou  Mag'reb  extrême).  Tout  le  reste 
de  l'Afrique,  jusqu'à  l'Océan  à  l'ouest  et  à  l'Ouad-Deràa 
au  sud. 

Sahara,  toute  la  région  désertique. 

Population 

Là  où  les  anciens  n'avaient  vu  qu'une  série  de  peu- 


XX 


INTRODUCTION 


plades  indigènes,  sans  lien  entre  elles,  les  Arabes  ont 
reconnu  un  peuple,  une  même  race  qui  a  couvert  tout  le 
nord  de  l'Afrique.  Ils  lui  ont  donné  le  nom  de  Berbère, 
que  nous  lui  conserverons  dans  ce  livre.  Cette  race  se 
subdivisait  en  plusieurs  grandes  familles,  dont  nous  pré- 
sentons les  tal)leaux  complets  au  chapitre  I"  de  la 
deuxième  partie. 


ETHNOGRAPHIE 


ORIGINE  ET  FORMATION  DU  PEUPLE  BERBÈRE 

La  question  de  rorigine  et  de  la  formation  du  peuple 
berbère  n'a  pas  fait  un  grand  pas  depuis  une  vingtaine 
d'années.  Nous  avons  donc  peu  de  chose  à  ajouter  au 
mémoire  publié  par  nous  en  1871,  sous  le  titre  :  Notes 
sur  l'origine  du  peuple  berbère  \  De  nouvelles  hypothèses 
ont  été  émises,  mais,  on  peut  l'atlirmer,  le  fond  solide, 
sur  lequel  doivent  s'appuyer  les  données  véritablement 
historiques,  ne  s'est  augmenté  en  rien,  malgré  les  dé- 
couvertes de  l'anthropologie. 

En  résumé,  que  possédons-nous,  comme  traditions 
historiques,  sur  ce  sujet?  Diodore,  Hérodote,  Strabon, 
Pline,  Ptoléinée,  ne  disent  rien  sur  l'origine  des  peu- 
plades dont  ils  parlent;  ils  voient  là  des  agglomérations 
de  sauvages,  dont  ils  nous  transmettent  les  noms  altérés 
et  dont  ils  retracent  les  mœurs  primitives,  sinon  fan- 
tastiques. 

Un  seul,  Salluslc,  s'inquiète  de  la  formation  des 
peuples  africains  et  il  reproduit,  à  cet  égard,  les  tradi- 
tions qu'il  prétend  avoir  recueillies  dans  les  livres  du 
roi  Hiemsal,  «  écrits  en  langue  punique  ».  On  connaît 
son  système  :  L'Hercule  tyrien  aurait  entraîné  jusqu'au 
détroit  qui  a  reçu  son  nom"  des  guerriers  mèdes,  perses 
et  arméniens.  Ces  étrangers,  restés  dans  le  pays,  au- 

1.  Revue  at'ricaiue,  1871.  Ce  mémoii'e  a  été  donné  eu  appendice  à  la 
lui  de  notre  Histoire  de  rétahlisseinent  des  Arabes  dans  l'Afrique  sep- 
tentrionale. 

2.  Colonnes  d'Hercule. 


XXII 


liTllNOGUAl'llIt: 


raient  formé  la  souche  des  Maures  et  des  Xuinides.  Ces 
nouveaux  noms  leur  auraient  été  donnés  par  les  lÂhyem 
dans  leur  jargon  barbare  '.  Les  colonies  phéniciennes 
établies  sur  le  littoral  auraient  achevé  de  constituer  la 
population  de  l'Afrique,  en  lui  ajoutant  un  élément  nou- 
veau. 

Voilà,  en  quelques  mots,  le  système  de  Salluste. 

Procope,  reproduisant  à  cet  égard  les  données  de 
l'historien  Josèphc,  dit  que  l'Afrique  a  été  peuplée  par 
des  nations  chassées  de  la  Palestine  par  les  Hébreux'. 
Le  rabbin  .Maïmounide,  un  des  |)lus  célèbres  commen- 
tateurs du  Talmud.  nous  apprend  que  les  Gergéséens, 
expulsés  du  pays  de  Canaan  par  Josué,  emigrèrent  en 
Afiiquc. 

Enfin,  riiistorien  arabe  Iljn-Khaldoun .  apiès  avoir 
examiné  diverses  hypothèses  sur  la  question,  s'exprime 
comme  suit  :  «  Les  Berbères  sont  les  enfants  de  Canaan, 
fils  de  Cham,  fils  de  Noë  ;  leur  aïeul  se  nommait  ^lazir"; 
ils  avaient  pour  frères  les  Gergéséens  et  étaient  pai  ents 
des  Philistins.  Le  roi,  chez  eux,  portait  le  titre  de  Go- 
liath ^Galout  .  Il  y  eut  en  Syrie,  entre  les  Philistins  et 
les  Isiaélites,  des  guerres,  etc.  ^'el■s  ce  temps-là,  les 
Berbères  passèrent  en  Afrique'.  » 

Ainsi,  voilà  toute  une  séiie  de  tiaditions  d'orioines 
diverses,  rappelant  le  souvenir  d'invasions  de  peuples 
asiatiques  dans  le  nord  de  l  Afrique. 

Xous  n'avons  pas  parlé  des  Hycsos,  ces  conquérants 
sémites,  plus  ou  moins  mélangés  de  Mongols,  qui,  après 
avoir  conquis  l'Egypte,  renversé  la  XlIP  dynastie  et 
occupé  en  maîtres  le  pays  durant  plusieurs  siècles, 
furent  chassés  par  le  Pharaon  Ahmés  L  de  la  XMII" 
dynastie. 

En  effet,  l'histoire  de  l'Egypte  nous  démontre  péremp- 
toirement qu'autrefois  sa  vie  a  été  intimement  mêlée  à 
celle  de  la  Berbérie.  et  c'est  ce  qui  a  été  très  bien  ca- 

1.  Il   barhîira  lingua  Mauros,  pro  Mcdis  appellantes  »  (Salluste). 

2.  Procope.  De  hello  Vandaliro. 

o.  Histoire  des  Berbères  (trad.  de  Slauel,  t.  I,  p.  184. 


ETHNOGRAPHIE 


xxiir 


ractérisé  par  M.  Zaborowski  '  dans  les  termes  suivants  : 
«  L'action  réciproque  de  TEgypte  et  de  l'Afrique  l'une 
sur  l'autre  est  si  ancienne,  elle  a  été  si  longue  et  si 
profonde,  qu'il  est  impossible  de  démêler  ce  que  la 
première  a  emprunté  à  la  seconde,  et  réciproquement.  )> 

Il  est  donc  possible  que  les  Hycsos,  vaincus,  soient 
passés  eu  partie  dans  le  Mag'reb.  Mais,  en  revanche, 
cette  même  histoire  nous  apprend  que,  vers  le  xv°  siècle 
avant  J.-C,  sous  la  XIX'' dynastie,  une  invasion  de  no- 
mades, aux  yeux  bleus  et  aux  cheveux  blonds,  vint  de 
l'ouest  s'abattre  sur  l'Egypte. 

Ces  populations,  que  les  Egyptiens  confondaient  avec 
les  Libyens  et  qu'ils  nommaient  Tamahou  (hommes 
blonds),  d'où  venaient-elles  ?  Arrivaient-elles  d'Europe 
ou  étaient-elles  depuis  longtemps  établies  dans  la  Ber- 
bérie  ?  Cette  question  est  insoluble;  mais,  quand  on 
examine  la  quantité  innombrable  de  dolmens  qui  cou- 
vrent l'Afrique  septentrionale,  on  ne  peut  s'empêcher 
d"y  voir  les  sépultures  de  ces  hommes  blonds  ou  un 
usage  laissé  par  eux.  Il  faut,  en  outre,  reconnaître  la 
parenté  étroite  qui  existe  entre  les  dolmens  de  l'Afrique 
et  ceux  de  l'Espagne  ,  de  l  ouest  de  la  France  et  du 
Danemarck. 

Berbères,  Ibères,  Celtibères,  voilà  des  peuples  frères  et 
dont  l'action  réciproque  des  uns  sur  les  autres  est  incon- 
testable, sans  même  qu'il  soit  besoin  d'appeler  à  son  aide 
l'identité  de  conformation  physique  ou  les  rapprochements 
linguistiques,  car  ce  sont  des  arguments  d  une  valeur 
relative  et  dont  il  est  facile  de  tirer  parti  en  sens  divers. 

A  quelle  époque,  par  quels  moyens  se  sont  établies 
ces  relations  de  races  entre  le  midi  de  l'Europe  et 
l'Afrique  septentrionale?  Les  invasions  ont-elles  eu  lieu 
de  celle-ci  en  celui-là,  ou  de  celui-là  en  celle-ci?  Autant 
de  questions  sur  lesquelles  les  érudits  ne  parviendront 
jamais  à  s'entendre,  en  l'absence  de  tout  document  pré- 
cis. Pourquoi,  du  reste,  les  deux  faits  ne  se  seraient-ils 
pas  produits  à  des  époques  différentes  ? 

1.  Peuples  primitifs  de  l'Afrique.  (Nouvelle  revue,  \"  mars  1883.) 


XXIV 


ETIINOCnAPUlE 


Mais  ne  nous  arrêtons  pas  à  ces  détails. 

Du  rapide  exposé  qui  précède  résultent  deux  faits 
que  l'on  peut  admettre  coinnie  incontestables  : 

1°  Des  invasions  importantes  de  peuples  asiatiques 
ont  eu  lieu,  à  différentes  époques,  dans  l'Afrique  sep- 
tentrionale ; 

2°  Cette  région  a  été  habitée  anciennement  par  une 
race  blonde,  ayant  de  grands  traits  de  ressemblance, 
comme  caractères  physiologiques  et  comme  iiKrurs, 
avec  certaines  f)euplades  européennes. 

Quelle  conclusion  lircrons-nous  maintenant  de  cette 
constatation  ? 

Dirons-nous,  comme  certains,  que  la  race  berbère 
est  d'origine  purement  sémitique,  ou,  comme  d'autres, 
purement  aryenne? 

Nullement.  La  race  berbère,  en  effet,  peut  avoir  subi, 
à  différents  degrés,  cette  double  influence,  et  il  peut 
exister  parmi  elle  des  branches  qu'il  est  possible  do  rat- 
tacher à  l'une  et  à  l'autre  de  ces  origines.  Mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que,  comme  ensemble,  elle  a  persisté 
avec  son  type  spécial  de  race  africaine,  type  bien  connu 
en  Egypte  dans  les  temps  anciens,  et  que  l'on  retrouve 
encore  maintenant  dans  toute  l'Afrique  septentrionale. 

Sans  vouloir  discuter  la  c[uestion  de  l'unité  ou  de  la 
pluralité  de  la  famille  humaine,  il  est  certain  qu'à  une 
époque  très  reculée,  la  race  libyenne  ou  berbère  s'est 
trouvée  formée  et  a  occupé  l'aire  qui  lui  est  propre, 
toute  l'Afrique  du  nord. 

Sur  ce  substratum  sont  venues,  à  des  époques  rela- 
tivement récentes,  s'étendre  des  invasions  dont  l'his- 
toire a  conservé  de  vagues  souvenirs,  et  ce  contact  a 
laissé  son  empreinte  dans  la  langue,  dans  les  mœurs 
et  dans  les  caractères  physiologiques.  Les  peuples  ca- 
nanéens, les  Phéniciens  ont  eu  une  action  indiscutable 
sur  la  langue  berbère;  et  les  blonds,  qui,  peut-être, 
étaient  en  grande  minorité,  ont  imposé  pendant  un  cer- 
tain temps  leur  mode  de  sépulture  aux  Libyens  du  Tell. 
Malgré  l'adoption  de  la  religion  musulmane  et  la  modi- 
fication profonde  subie  par  les  populations  du  nord  de 


KTIINOCHl.U'IIIK 


XXV 


l'Afrique,  du  fait  de  l'inlroduction  de  l'élément  arabe, 
il  existe  encore  en  Algérie,  notamment  aux  environs 
de  la  Kalàa  des  Beni-IIammad,  dans  les  montagnes  au 
nord  de  Mecila,  des  tiiijus  qui  construisent  de  véri- 
tables dolmens. 

Mais  cette  action  des  étrangers,  que  nous  reconnais- 
sons, a  eu  des  effets  plus  apparents  que  profonds,  et  il 
s'est  passé  en  Afrique  ce  qui  a  eu  lieu  presque  partout 
et  toujours,  avec  une  régularité  qui  permettrait  de  faire 
une  loi  de  ce  phénomène  :  la  race  vaincue,  dominée, 
asservie,  a,  peu  à  peu,  par  une  action  lente,  irn|)ercep- 
tible,  absoilié  son  vainqueur  en  l'incorporant  dans  son 
sein. 

Le  même  fait  s'est  |)roduil  au  moyen  âge  à  l'occasion 
de  l'invasion  hilalienne,  et  cependant  le  nombre  des 
Arabes  était  relativement  considérable  et  leur  mélange 
avec  la  race  indigène  avait  été  favorisé  d'une  manière 
toute  particulière,  j)ar  l'anarchie  qui  divisait  les  IJerbères 
el  anniiiilait  leurs  forces.  L'élément  arabe  a  néanmoins 
été  absorbé  ;  mais,  en  se  fondant  au  milieu  de  la  race 
autoclithone  disjointe,  il  lui  a  fait  adopter,  en  beaucoup 
d'endroits,  sa  langue  et  ses  mœurs. 

N'est-ce  pas,  du  reste,  ce  qui  s'est  passé  en  Gaule  : 
rorcu|)alion  romaine  a  romanisé  pour  de  longs  siècles 
les  provinces  méridionales,  sans  modifier,  d'une  ma- 
nière sensible,  l'ensemble  de  la  lace.  Dans  le  nord,  les 
conquérants  francks  se  sont  ra[)idement  fondus  dans  la 
race  conquise,  sans  laisser  d'autre  souvenir  que  leur 
nom  substitué  à  celui  des  vaincus.  Ces  effets  différents 
s'expliquent  par  le  degré  de  civilisation  des  conqué- 
rants, supérieur  aux  vaincus  dans  le  premier  cas,  infé- 
rieui'  dans  le  second.  En  résumé,  ces  conquêtes,  ces 
changenuiiils  dans  les  dénominations,  les  lois  et  les 
UKXMirs,  n'ont  pas  empêché  la  race  gauloise  de  rester, 
connue  fond,  celtique. 

De  même,  malgré  les  influences  étrangères  qu'elle  a 
subies,  la  race  autoclithone  du  nord  de  l'.Xfrique  est 
restée  libyque,  c'est-à-dire  berbère. 


PRÉCIS  DE  L'HISTOIRE 

DE  L'AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 

(BERBÉRIE) 


PREMIÈRE  PARTIE 

PÉRIODE  ANTIQUE 


CHAPITRE  I-"- 

PÉRIODE  PHÉNICIENNE 

1  100  -268  AVANT  J.-C. 

Temps  primitifs.  —  Les  Phéniciens  s'établissent  en  Afrique.  —  Fondation 
de  Cyrène  par  les  Grecs.  —  Données  géographiques  d'Hérodote.  —  Prépon- 
dérance de  Karthage. —  Découvertes  de  l'amiral  Hannon.  — Organisation 
politique  de  Karthage.  —  Conquêtes  de  Karthage  dans  les  îles  et  sur  le 
littoral  de  la  Méditerranée.  —  Guerres  de  Sicile.  —  Révolte  des  Berbères. 
—  Suite  des  guerres  de  Sicile.  —  Agathocle,  tyran  de  Syracuse.  —  Il  porte 
la  guerre  en  Afrique.  ~  Agathocle  évacue  l'Afrique.  —  Pyrrhus,  roi  de  Si- 
cile. —  Nouvelles  guerres  dans  cette  île.  —  Anarchie  en  Sicile. 

Thmi'S  primitifs.  —  L'incertitude  la  plus  grande  règne  sur  les 
temps  primitifs  de  l'histoire  de  la  Berbérie.  Le  nom  de  l'Afrique 
est  à  peine  prononcé  dans  la  Bible,  et  si,  dans  les  récits  légen- 
daires tels  que  ceux  d'Homère,  la  notion  de  ce  pays  se  trouve  plu- 
sieurs fois  répétée,  les  détails  qui  l'accompagnent  sont  trop  vagues 
pour  que  l'histoire  positive  puisse  s'en  servir.  Sur  la  façon  dont 
s'est  formée  la  race  aborigène  de  l'Afrique  septentrionale,  on  ne 
peut  émettre  que  des  conjectures,  et  l'hypothèse  la  plus  généra- 
lement admise  est  qu'à  un  peuple  véritablement  autochtone  que 
l'on  peut  appeler  chamitique,  s'est  adjoint  un  double  élément 
arian  (blond)  et  sémitique  (brun),  dont  le  mélange  intime  a  formé 
la  race  berbère,  déjà  constituée  bien  avant  les  temps  historiques. 

L'antiquité  grecque  n'a  commencé  à  avoir  de  détails  précis  sur 
la  partie  occidentale  de  l'Afrique  du  nord  que  par  ses  navigateurs, 
lors  de  ses  tentatives  de  colonisation  en  Egypte  et  sur  les  rivages 

T.   I.  1 


2 


iiisTomn  ni;  i.  afriqce 


de  la  Méditerranée.  Hérodote  est  le  premier  auteur  ancien  qui  ait 
écrit  sérieusement  sur  ce  pays  iv^  siècle  av.  J.-C.)  ;  nous  exami- 
nerons plus  loin  son  système  géographique. 

Selon  cet  historien,  les  Libyens  étaient  des  nomades  se  nour- 
rissant de  la  chair  et  du  lait  de  leurs  brebis.  «  Leurs  habitations 
sont  des  cabanes  tressées  d'asphodèles  et  de  joncs,  qu'ils  trans- 
portent à  volonté.  »  Plus  tard,  Diodore  les  représentera  comme 
«  menant  une  existence  abrutie,  couchant  en  plein  air,  n'avant 
qu'une  nourriture  sauvage;  sans  maisons,  sans  habits,  se  couvrant 
seulement  le  corps  de  peaux  de  chèvres.  »  Ils  obéissent  à  des  rois 
qui  n'ont  aucune  notion  de  la  justice  et  ne  vivent  que  de  brigan- 
dage. «  Ils  vont  au  combat,  dit-il  encore,  avec  trois  javelots  et  des 

pierres  dans  un  sac  de  cuir         n'ayant  pour  but  que  de  gagner  de 

vitesse  l'ennemi,  dans  la  poursuite  comme  dans  la  retraite   En 

général,  ils  n'observent,  à  l'égard  des  étrangers,  ni  foi  ni  loi.  »  Ce 
tableau  de  Diodore  s'applique  évidemment  aux  Africains  nomades. 
Dans  les  pays  de  montagne  et  de  petite  culture,  les  mœurs  devaient 
se  modifier  sui%  ant  les  lieux. 

Les  Phéniciens  s'établissent  en  Afrique.  —  Dès  le  xu^  siècle 
avant  notre  ère,  les  Phéniciens  qui,  selon  Diodore,  avaient  déjà 
des  colonies,  non  seulement  sur  le  littoral  européen  de  la  Médi- 
terranée, mais  encore  sur  la  rive  océanienne  de  l  lbérie,  explo- 
rèrent les  côtes  de  l'Afrique  et  les  reconnurent,  sans  doute,  jus- 
qu'aux Colonnes  d'Hercule.  Les  relations  commerciales  avec  les 
indigènes  étaient  le  but  de  ces  courses  aventureuses  et,  pour 
assurer  la  régularité  des  échanges,  des  comptoirs  ne  tardèrent  pas 
à  se  former.  Les  Berbères  ne  firent  probablement  aucune  oppo- 
sition à  l'établissement  de  ces  étrangers,  qui,  sous  l'égide  du  com- 
merce, venaient  les  initier  à  une  civilisation  supérieure,  et  dans 
lesquels  ils  ne  pouvaient  entrevoir  de  futurs  dominateurs.  Il  résulte 
même  de  divers  passages  des  auteurs  anciens  que  les  indigènes 
étaient  très  empressés  à  retenir  chez  eux  les  Tyriens.  Quant  à 
ceux-ci,  ils  se  présentaient  humblement,  se  reconnaissaient  sans 
peine  les  hôtes  des  aborigènes  et  se  soumettaient  à  l'obligation  de 
leur  payer  un  tribut  ' . 

Ainsi  les  colonies  de  Leptis  (Lebida),  Hadrumet  |Souça),  Utique, 
Tunès  (Tunis  ,  Karthac/e  -,  Hippo-Zarytos  ^Benzertl,  etc.,  furent 

1.  Mommsen,  Histoire  romaine,  trad.  de  Guérie,  t  II,  p.  206  et  suiv. 
Voir  la  tradition  recueillie  par  Trogue-Pompée  et  Virgile,  sur  la  fou- 
daiion  de  Kartliage  par  Didon. 

2.  En  phénicien  «  la  ville  neuve  i  [Kart-hadatch]  par  opposition  à 
Utique  [Uulik)  «  la  vieille  ». 


PÉRIODE  PIIIÎNICIENNE    [vi"   SIECLE    AV.  J.-C.) 


3 


successivement  établies  sur  le  continent  africain,  et  le  littoral  sud 
de  la  Méditerranée  fut  ouvert  au  commerce  par  les  Phéniciens, 
comme  le  rivage  nord  et  les  îles  l'avaient  été  par  les  Grecs. 

Fondation-  de  Cvrène  par  les  Grecs.  —  Les  rivaux  des  Phé- 
niciens dans  la  colonisation  du  littoral  méditerranéen  furent 
les  Grecs.  Depuis  longtemps,  ils  tournaient  leurs  regards  vers 
l'Afrique,  lorsque  Psammetik  I"  combla  leurs  vœux  en  leur  ou- 
vrant les  ports  de  l'Egypte.  Après  avoir  exploré  cette  contrée 
jusqu'à  l'extrême  sud,  ils  tirent  un  pas  vers  l'Occident,  et  dans  le 
vu"  siècle  une  colonie  de  Grecs  de  l'île  de  Théra  vint,  sous  la 
conduite  de  son  chef  Aristée,  surnommé  Battos,  s'établir  à  Cy- 
rène.  Les  peuplades  indigènes  que  les  Théréens  y  rencontrèrent 
leur  ayant  dit  qu'elles  s'appelaient  Louh  ou  Louhim,  ils  donnèrent 
à  leur  pays  le  nom  de  Libye  (Aious),  que  l'antiquité  conserva  à 
l'Afrique.  La  tradition  a  gardé  le  souvenir  des  luttes  qui  écla- 
tèrent entre  les  Grecs  de  Cyrène  et  leurs  voisins  de  l'Ouest,  les 
Phéniciens,  au  sujet  de  la  limite  commune  de  leurs  possessions,  et 
l'histoire  retrace  le  dévouement  des  deux  frères  Karthaginois  qui 
consentirent  à  se  laisser  enterrer  vivants  pour  étendre  le  territoire 
de  leur  patrie  jusqu'à  l'endroit  que  l'on  a  appelé  en  leur  honneur 
<(  Autel  des  Philènes  »  -. 

Données  géographiques  d'Hérodote.  — -  Vers  420,  Hérodote, 
qui  avait  lui-même  visité  l'Egypte,  écrivit  sur  l'Afrique  des  détails 
précis  que  ses  successeurs  ont  répétés  à  l'envi.  Ses  données,  très 
étendues  sur  l'Egypte,  sont  assez  exactes  relativement  à  la  Libye, 
jusqu'au  territoire  de  Karthage  ;  pour  le  pays  situé  au  delà,  il  re- 
produit les  récits  plus  ou  moins  vagues  des  voyageurs  grecs. 

Pour  Hérodote,  la  Libye  comprend  le  «  territoire  situé  entre 
l'Egypte  et  le  promontoire  de  Sole'is  (sans  doute  le  cap  Cantin). 
Elle  est  habitée  par  les  Libyens  et  un  grand  nombre  de  peuples 
libyques  et  aussi  par  des  colonies  grecques  et  phéniciennes  établies 
sur  le  littoral.  Ce  qui  s'étend  au-dessus  de  la  côte  est  rempli  de 
bêtes  féroces  ;  puis,  après  cette  région  sauvage,  ce  n'est  plus  qu'un 
désert  de  sable  prodigieusement  aride  et  tout  à  fait  désert  »  ^. 

1.  Ou  n'est  pas  d'accord  sur  la  date  de  la  fondation  de  Cyrèue.  Se- 
lon Théophraste  et  Pline,  il  faudrait  adopter  611.  Solin  donne  une  date 
antérieure  qui  varie  entre  758  et  631. 

2.  A  l'est  de  Leptis,  au  fond  de  la  Grande  Syrte.  Salluste,  Bell.  Jug., 
XIX,  LXXVIII. 

3.  Lib.  IV. 


4 


HISTOIRE  DE  l'Afrique 


Après  avoir  décrit  le  lilloral  de  la  Cyréiiaïque  et  des  Svrtes, 
Hérodote  s'arrête  au  lac  Triton  (le  Chotdu  Djcrid).  Il  ne  sait  rien, 
ou  du  moins  ne  parle  pas  spécialement  de  Karthage.  «  Au  delà  du 
lac  Triton,  —  dit-il,  —  on  rencontre  des  montagnes  boisées, 
habitées  par  des  populations  de  cultivateurs  nommés  Maxijes.  » 
Enfin,  il  a  entendu  dire  que,  bien  loin,  dans  la  même  direction, 
était  une  montagne  fabuleuse  nommée  Atlas  et  dont  les  habitants 
se  nommaient  Atlantes  ou  Alarautcs.  Au  midi  de  ces  régions,  au 
delà  des  déserts,  se  trouve  la  noire  Ethiopie. 

Parmi  les  principaux  noms  de  peuplades  donnés  par  Hérodote, 
nous  citerons  : 

Les  Adynnnkhides,  les  Ghiligammes,  les  Ashystes,  les  Aus- 
khiseSy  etc.,  habitant  la  Gyrénaïque. 

Les  Nasamoiis  et  les  Psylles  établis  sur  le  littoral  de  la  Grande 
Sjrte. 

Les  Garamanles  divisés  en  Gar-nmaiites  du  nord,  habitant  les 
montagnes  de  Tripoli,  et  Garanumles  du  .sud,  établis  dans  l'oasis 
de  Giirama  (actuellement  Djerma  dans  le  Fezzan),  dont  ils  ont  pris 
le  nom. 

Les  Troglodytes,  voisins  des  précédents  et  en  guerre  avec  eux. 

Les  Lotophages,  établis  dans  l'île  de  Méninx  (Djerba)  et  sur  le 
littoral  voisin. 

Les  Malihiyes,  habitant  le  littoral  jusqu'au  lac  Triton. 

Les  Maxyes,  les  .iœses,  les  Zaouekès  et  les  Ghyzanles  au  nord 
du  lac  Triton  et  sur  le  littoral  en  face  des  îles  Cercina  (Kerkinna)'. 

Tels  sont  les  traits  principaux  de  la  Libye  d'Hérodote.  Gomme 
détail  des  mœurs  de  ces  indigènes,  il  cite  la  vie  nomade,  l'absence 
de  toute  loi,  la  promiscuité  des  femmes,  etc.  Il  parle  encore  de 
peuplades  fabuleuses  habitant  l'extrême  sud  -. 

Prépondérance  de  Kartiiage.  —  La  prospérité  des  comptoirs 
phéniciens,  augmentant  de  jour  en  jour,  attira  de  nouveaux  immi- 
grants, et  Karthage,  dont  la  fondation  date  du  commencement  du 
X*  siècle  (av.  J.-G.),  devint  la  principale  des  colonies  de  Tyr  et  de 
Sidon  en  Afrique.  Ges  métropoles  envoyaient  à  leurs  possessions 
de  la  Méditerranée  des  troupes  qui,  chargées  d'abord  de  les  pro- 
téger contre  les  indigènes,  servirent  ensuite  à  dompter  ceux-ci. 
Bientôt  les  villages  agricoles  avoisinant  les  colonies  phéniciennes 
furent  soumis,  et  les  cultivateurs  berbères  durent  donner  à  leurs 

1.  Hérodote,  1.  IV,  ch.  143. 

2.  Vivien  de  Saiut-Marlin,  Le  Nord  de  l'Afrique  dans  l'Antiquité, 
passim. 


PÉRIODE  PHÉNICIENNE    (v^   SIECLE   AV.  .T.-C.) 


5 


anciens  locataires,  devenus  leurs  maîtres,  le  quart  du  revenu  de 
leurs  terres,  tant  il  est  vrai  que  deux  peuples  ne  peuvent  vivre 
côte  à  côte  sans  que  le  plus  civilisé,  fûL-il  de  beaucoup  le  moins 
nombreux,  arrive  à  imposer  sa  domination  à  l'autre. 

La  puissance  de  Karthage  devint  donc  plus  grande  et  s'étendit 
sur  les  tribus  du  tel  de  la  Tunisie  et  de  la  ïripolitaine.  Les  Ber- 
bères du  sud,  maintenus  dans  une  sorte  de  vasselage,  servaient 
d'intermédiaires  pour  le  commerce  de  l'intérieur  de  l'Afrique'. 
Non  seulement  Karthage,  après  avoir  cessé  de  payer  tribut  aux 
indigènes,  en  exigea  un  de  ceux-ci,  mais  elle  devint  la  capitale  des 
autres  colonies  phéniciennes,  qui  durent  lui  servir  une  redevance. 
De  plus,  elle  s'était  peu  à  peu  débarrassée  des  liens  qui  l'unissaient 
à  la  mère  patrie  et  avait  conquis  son  autonomie  à  mesure  que  la 
puissance  du  royaume  phénicien  déclinait". 

En  même  temps  les  navigateurs  puniques  fondaient  à  l'ouest  de 
nouvelles  colonies:  Djidjel  (Djidjeli),  Snhle  (Bougiel,  Karlenna 
(Ténès),  Yol  (Cherchel),  Tinr/is  (Tanger),  etc.  Les  Karthaginois 
conclurent  avec  les  rois  ou  chefs  de  tribus  de  ces  contrées  éloi- 
gnées, des  traités  de  commerce  et  d'alliance. 

Découvertes  de  i/amirai,  Hannon.  —  Mais  cette  extension  ne 
suffisait  pas  à  l'ambition  des  Phéniciens;  il  leur  fallait  de  nou- 
velles conquêtes.  Entre  le  vi"  et  le  v''  siècle,  le  gouvernement  de 
Karthage  chargea  l'amiral  Hannon  de  reconnaître  le  littoral  de 
l'Atlantique  et  d'y  établir  des  colonies.  Le  hardi  marin  partit  avec 
une  flotte  de  soixante  navires  portant  trente  mille  colons  phé- 
niciens et  libyens,  et  les  provisions  nécessaires  pour  le  voyage 
et  les  premiers  temps  de  l'établissement.  Il  franchit  le  détroit  de 
Gadès,  répartit  son  monde  sur  la  côte  africaine  de  l'Océan  et 
s'avança  jusqu'au  golfe  formé  par  la  pointe  qu'il  appelle  Corne  du 
Midi  et  que  M.  Vivien  de  Saint-^NLirlin  identifie  à  la  pointe  du 
golfe  de  Guinée.  Seule,  la  crainte  de  manquer  de  vivres  l'obligea 
à  s'arrêter.  Il  retourna  sur  ses  pas  après  avoir  accompli  un  voyage 
qui  ne  devait  être  renouvelé  que  deux  mille  ans  plus  lard 

Le  succès  de  l'entreprise  de  Hannon  frappa  tellement  ses  conci- 
toyens que  les  principales  circonstances  de  son  voyage  furent  rela- 
tées en  une  inscription  qu'on  plaça  dans  le  temple  de  Karthage. 
Cette  inscription,  traduite  plus  tard  par  un  voyageur  grec,  nous 

1.  Rngot.  Snliarn,  de  la  province  de  Coustantine,  II"  partie,  p.  147 
(Recueil  des  notices  de  la  Société  arc/i.  de  Coustantine,  1875). 

2.  Jusliii,  XIX,  1,2. 

3.  Par  les  Portugais  en  1462. 


6 


IlISTOlHi;   m;   L  AFRIQUE 


est  parvenue  sous  le  nom  de  Périple  de  Hnnnon;  malheureusement 
la  date  manque.  L'on  sait  seulement,  d'après  Pline,  que  c'était  à 
l'époque  de  la  plus  grande  puissance  de  Karthage,  alors  que,  selon 
Erathosthène,  cité  par  Strabon,  on  comptait  plus  de  trois  cents 
colonies  phéniciennes  au  delà  du  détroit  '. 

Organisation  politique  de  Kartiiage.  —  I.a  puissance  acquise 
par  Karthage  au  milieu  des  populations  berbères  était  le  fruit  de 
l'esprit  d'initiative,  du  courage  et  de  l'adresse  dont  les  Phéniciens 
avaient  sans  cesse  donné  des  preuves  pendant  de  longs  siècles. 
Chacun  avait  coopéré  à  cette  conquête  ;  le  gouvernement  avait 
donc  été  d'abord  une  république  où  le  rang  de  chacun  était  égal. 
Puis,  les  fortunes  commerciales  et  militaires  s'étant  faites,  les 
grandes  familles  avaient  conservé  le  pouvoir  entre  leurs  mains,  et 
il  en  était  résulté  une  oligarchie  assez  compliquée.  Le  pouvoir 
exécutif  était  dévolu  à  deux  rois  -,  assistés  d'un  conseil  dit  des 
anciens,  composé  de  vingt-huit  membres,  tous  paraissant  avoir  été 
élus  par  le  peuple  et  pour  un  temps  assez  court.  L'exécutif  nom- 
mait les  généraux  en  chef,  mais  leur  déléguait  une  partie  de  ses 
pouvoirs,  ce  qui  tendait  à  en  faire  de  véritables  dictateurs,  tout  en 
offrant  l'avantage  de  rétablir  une  unité  nécessaire  dans  le  com- 
mandement. Pour  compléter  la  machine  gouvernementale,  un 
autre  conseil,  dit  des  Cent-Quatre,  composé  de  l'aristocratie, 
exerçait  les  fonctions  judiciaires  et  contrôlait  les  actes  de  tous'. 
Ce  gouvernement  impersonnel  n'avait  pas  les  avantages  d'une  dé- 
mocratie et  en  avait  tous  les  inconvénients  ;  il  manquait  d'unité 
et,  par  suite,  de  force,  et  ouvrait  la  porte  à  toutes  les  intrigues  et 
à  toutes  les  compétitions. 

Conquête  de  Kartiiage  dans  les  îles  et  sur  le  littoral  de  la 
Méditerranée.  —  Dès  le  sixième  siècle  avant  notre  ère,  les  Kar- 
thaginois  tirent  des  expéditions  guerrières  dans  les  îles  et  sur  le 
rivage  continental  de  la  Méditerranée.  En  543,  à  la  suite  d  une 
guerre  contre  les  Phocéens,  ils  restèrent  maîtres  de  l  île  de  Corse. 
Quelques  années  plus  tard,  eut  lieu  leur  premier  débarquement 
en  Sicile  (536\ 

1.  Vivien  de  Saiut-Martin.  —  Voir  égalemeat  :  «  Navigation  d'Hanno 
capitaine  carthaginois  aux  parties  d'Afrique,  delà  les  colonnes  d'Her- 
cule, •  par  Léou  l'Africain  (Irad.  Temporal),  t.  I.  p.  xxv  et  suiv. 

2.  Suirètcs  (Chofetim)  ou  juges.  Les  auteurs  anciens  leur  donnent  le 
nom  de  rois.  Tite-Live  les  compare  aux  consuls  (XXX). 

3.  Mommsen,  Histoire  romaine,  t.  H,  p.  217  et  suir.  — Aristote,  Polit., 
1.  IL  —  Polybe,  VI  et  pass. 


PÉRIODE  PHÉNICIENNE    (v^   SIECLE   AV.  J.-C.) 


7 


Les  relations  amicales  de  Karthaf^e  avec  l'Italie  remontent  à 
cette  époque  ;  déjà  les  Etrusques  l'avaient  aidée  dans  sa  guerre 
contre  les  Phocéens  ;  en  509  fut  conclu  son  premier  traité  d'al- 
liance avec  les  Romains  '. 

Sous  l'habile  direction  de  Magon,  la  puissance  punique  s'étendit 
sur  la  Méditerranée,  dont  tous  les  ri^•ages  reçurent  la  visite  des 
vaisseaux  de  Karlhage  se  présentant,  non  plus  comme  de  simples 
trafiquants,  mais  comme  les  maîtres  de  la  mer.  Les  Berbères  de 
l'Afrique  propre  sont  ses  vassaux  ;  ceux  du  sud  et  de  l'ouest  ses 
alliés  :  tous  lui  fournissent  des  mercenaires  pour  ses  campagnes 
lointaines.  La  civilisation  Karthaginoise  se  répandit  au  loin  et 
exerça  la  plus  grande  influence,  particulièrement  sur  la  Grèce 
et  le  midi  de  l'Italie. 

Gl'erhes  de  Sicile.  —  Mais  ce  fut  contre  la  Sicile  que  Karthage 
concentra  ses  plus  grands  efl'orts  ;  elle  était  attirée  vers  cette 
conquête  par  la  richesse  et  la  proximité  de  l  île,  et  aussi  par  le 
désir  d'ai^altre  la  puissance  des  Grecs  en  Occident.  Alors  com- 
mença ce  duel  séculaire,  qui  devait  avoir  pour  résultat  d'arrêter 
la  colonisation  grecque  dans  la  Méditerranée,  mais  dont  Rome 
devait  recueillir  tous  les  fruits. 

Alliés  à  Xerxès  par  un  traité  fait  dans  le  but  d'opérer  simulta- 
nément contre  les  Grecs,  les  Karthaginois  firent  passer  en  Sicile 
une  armée  considérable  sous  la  conduite  d'Amilcar^,  fils  de  Ma- 
gon;  mais  cette  alliance  ne  leur  fut  pas  favorable  et,  tandis  que 
les  Perses  étaient  écrasés  à  Salamine,  les  Phéniciens  éprouraient 
un  véritable  désastre  en  Sicile  (vers  480). 

La  guerre  continua  pendant  de  longues  années  en  Sicile,  sans 
que  les  Karthaginois  y  obtinssent  de  grands  succès:  les  revers,  la 
peste,  les  calamités  de  toute  sorte  semblaient  stimuler  leur  ardeur. 
Néanmoins,  vers  la  fin  du  v^  siècle,  Hannibal  et  Himilcon,  de  la 
famille  de  Hannon,  remportèrent  de  grandes  victoires  et  conquirent 
aux  Karthaginois  près  d'un  tiers  de  l'île,  avec  des  villes  telles  que 
Selinonte,  Hymère,  Agrigente,  etc. 

Denys,  tyran  de  Syracuse,  les  arrêta  dans  leurs  succès  et  les 
força  à  signer  un  traité,  ou  plutôt  une  trêve,  pendant  laquelle  les 
deux  adversaires  se  préparèrent  à  une  lutte  plus  sérieuse  (404). 

En  399  Denys  envahit  les  possessions  Karlhaginoises  ;  Himilcon, 

1.  Polybc. 

2.  C'est  à  tort  que  M.  Mommsen  et  les  Allemands  orthographient 
ce  nom  par  un  H.  La  première  lettre  est  un  Ain  (  )  et  non  un  Heth  (  ). 

3.  Diodore. 


8 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


nommé  sufTète,  arrive  avec  une  flotte  nombreuse  devant  Svracuse, 
force  l'entrée  du  jjort  et  coule  les  vaisseaux  ennemis  (396).  L'année 
suivante,  il  revient  en  force,  s'empare  de  Motya,  de  Messine,  de 
Catane,  de  presque  toute  l'île,  vient  mettre  le  siège  devant  Syra- 
cuse et  porte  le  ravage  dans  la  contrée  environnante.  Au  moment 
où  il  est  sur  le  point  de  triompher  de  son  ennemi,  la  peste  éclate 
dans  son  armée.  Denys  profite  de  cette  circonstance  pour  attaquer 
les  Karthaginois  démoralisés,  les  bat  sur  terre  et  sur  mer  et  force 
le  sulTète  à  souscrire  à  une  capitulation  qui  consacre  la  perte  de 
toutes  ses  conquêtes.  Ainsi  finit  cette  campagne  si  brillamment 
commencée 

Rkvolte  des  Berbères.  —  A  la  nouvelle  de  ce  désastre,  les 
indigènes  de  l'Afrique  croient  que  le  moment  est  venu  de  recon- 
quérir leur  indépendance.  Ils  se  réunissent  en  grandes  masses  et 
viennent  tumultueusement  attaquer  Karlhage  (395).  Tunis  tombe 
en  leur  pouvoir  et  la  métropole  punique  se  trouve  exposée  au 
plus  grand  danger.  Mais  bientôt  la  discorde  se  met  parmi  ces 
hordes  sans  chefs,  qui  ne  veulent  obéir  à  aucune  règle,  et  ce  ras- 
seml)lement  se  fond  et  se  désagrège.  Ainsi  nous  verrons  constam- 
ment les  Berbères  profiter  des  malheurs  dont  leurs  dominateurs 
sont  victimes  pour  se  lever  contre  eux  :  la  révolte  éclate  comme 
la  foudre;  mais  bientôt  la  dé-union  et  l'indiscipline  font  leur 
œuvre,  la  réunion  se  dissout  en  quelques  jours  et  les  indigènes 
retombent  sous  le  joug  de  l'étranger  -. 

Suite  des  guerres  de  Sicile.  —  A  peine  Karthage  avait -elle 
triomphé  des  Berbères  qu'elle  envoya  Magon  en  Sicile  avec  de 
nouvelles  forces.  La  guerre  recommença  aussitôt  entre  Denys  et 
les  Karthaginois,  et  se  prolongea  avec  des  chances  diverses  pendant 
plusieurs  années.  ALagon,  ayant  péri  dans  une  bataille,  fut  rem- 
placé par  son  fils  portant  le  même  nom.  En  368,  Denys  cessa  de 
vivre  et  eut  pour  successeur  son  fils  Denys  le  jeune.  Malgré  ces 
changements,  la  guerre  continuait  avec  acharnement  de  part  et 
d'autre  :  c'était  comme  un  héritage  que  les  pères  transmettaient 
en  mourant  à  leurs  enfants. 

Mais  si  les  Grecs  de  Sicile  avaient  recouvré  une  certaine  puis- 
sance sous  la  ferme  main  de  Denys,  le  règne  de  son  successeur  ne 
leur  procura  pas  les  mêmes  avantages.  Poussés  à  bout  par  les 
vices  de  Denys  le  jeune,  les  Syracusains  l'expulsèrent  de  leur  ville  ; 

1.  Diodore,  1.  XXIV. 

2.  Diodore,  1.  XIV,  ch.  j.xxii. 


PÉRIODE  PHÉNICIENNE    (319  AV.  .I.-C.) 


9 


mais  comme  un  tyran  a  toujours  des  partisans,  la  guerre  civile 
divisa  les  Grecs.  Karthage  saisit  avec  empressement  cette  occasion 
pour  envoyer  de  nouvelles  troupes  en  Sicile  avec  ^lagon,  en  char- 
geant ce  général  de  reprendre  avec  vigueur  les  opérations  mili- 
taires. ^■ers  le  même  temps  elle  concluait  avec  Rome  un  nouveau 
traité  d'alliance  tout  en  sa  faveur,  car  elle  imposait  à  celle-ci  de 
ne  pas  naviguer  au  delà  du  détroit  de  Gadès,  à  TOuest,  et  du  cap 
Bon,  à  l'Est,  et  lui  interdisait  même  de  faire  du  commerce  en 
Afrique  (348). 

A  l'arrivée  de  Magon  en  Sicile,  un  groupe  de  citoyens  de  Syra- 
cuse, car  la  ville  elle-même  était  divisée  en  plusieurs  camps,  fit 
appel  aux  Corinthiens  fondateurs  de  leur  cité,  en  implorant  leur 
secours.  Ceux-ci  envoyèrent  Timoléon  avec  une  petite  armée  d'un 
millier  d'hommes.  Syracuse  était  alors  sur  le  point  de  tomher  :  un 
parti  avait  livré  le  port  aux  Karthaginois  ;  Denys  occupait  le  châ- 
teau ;  Icelas  le  i-este  de  la  \  ille.  Timoléon  oI)tint  la  soumission  de 
Denys  et  la  i-emise  de  la  citadelle  et  força  les  Karthaginois  à  une 
trêve  pendant  laquelle  il  détacha  de  Magon  ses  auxiliaires  grecs. 
Celui-ci,  se  croyant  perdu,  s'embarqua  précipitamment  et  vint 
chercher  un  refuge  à  Karthage,  où,  pour  échap[)er  à  un  supplice 
ignominieux,  il  se  donna  la  mort. 

Karthage,  brûlant  du  désir  de  tirer  vengeance  de  ces  échecs,  fit 
passer,  en  340,  de  nouvelles  troupes  en  Sicile  sous  le  commande- 
ment de  Ilannibal  et  de  Amilcar;  mais  ce  ne  fut  que  pour  essuyer 
un  nouveau  et  plus  complet  désastre.  Timoléon,  bien  qu'il  dis- 
posât d'un  nombre  beaucoup  moins  grand  de  soldats,  réussit,  après 
une  lutte  acharnée  dans  laquelle  les  Karthaginois  déployèrent  le 
plus  grand  courage,  à  triompher  d'eux.  En  338  un  traité  fut  conclu 
entre  les  Syracusains  et  les  Karthaginois.  Timoléon  fit  ainsi  recon- 
naître l'intégrité  de  Syracuse  et  de  son  territoire  et  recula  les 
bornes  des  possessions  puniques,  en  imposant  aux  Karthaginois  la 
défense  de  soutenir  à  l'avenir  les  tyrans. 

Ag.VTIIOCLE  ,    TVRAN    DE    SyRACUSE.    II,    PORTE    LA    GUERRE  EN 

Afrique.  —  Quelques  années  plus  tard,  un  homme  de  la  plus 
basse  extraction,  sans  mœurs,  mais  d'un  caractère  énergique  et 
ambitieux,  parvint,  avec  l'appui  d'.\milcar,  à  s'emparer  par  un 
coup  d'e  force  de  l'autorité  à  Syracuse  ;  il  mit  à  mort  les  citoyens 
les  plus  honorables  et  se  proclama  roi  des  Grecs  (319).  Bien  qu'il 
eût  juré.à  Amilcar,  pour  obtenir  son  appui,  une  fidélité  éternelle  à 
Karthage,  il  se  considéra  comme  dégagé  de  son  serment  par  la 
mort  de  son  ancien  protecteur  et  envahit  les  possessions  puniques. 
Aussitôt,  Karthage  fit  passer  en  Sicile  une  armée  nombreuse  sous 


10 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


la  conduite  de  Aniilcar,  fils  de  Giscon,  et  ses  troupes  remportèrent 
sur  Agathocle  une  victoire  décisive  et  vinrent  mettre  le  siège 
devant  Syracuse. 

Agathocle,  réduit  à  la  dernière  extrémité,  ne  possédant  plus  que 
la  ville  dans  laquelle  il  est  bloqué,  repoussé  par  les  Grecs  auxquels 
il  s'est  rendu  odieux  par  sa  tyrannie,  conçoit  le  dessein  hardi  de 
se  débarrasser  de  ses  ennemis  en  allant  porter  la  p:uerre  chez  eux. 
Il  supplie  les  Syracusains  de  résister  encore  quelques  jours,  par- 
vient, au  moyen  d  un  stratagème,  à  attirer  les  vaisseaux  Kartha- 
j;inois  en  dehors  du  port,  profite  de  ce  moment  pour  en  sortir  lui- 
même  avec  quelques  navires,  et  fait  voile  vers  TAfrique.  Poursuivi 
par  la  flotte  de  ses  ennemis,  il  parvient  à  lui  échapper  et,  après 
six  jours  d'une  traversée  des  plus  périlleuses,  aborde  dans  le  golfe 
même  de  Tunis  et  se  retranche  dans  les  carrières,  après  avoir 
brûlé  ses  vaisseaux  afin  d'enlever  à  ses  troupes  toute  pensée  de 
retour  [310  . 

Revenus  de  la  stupeur  que  leur  a  causée  cette  attaque  impré- 
vue, les  Karthaginois  appellent  tous  les  hommes  aux  armes  et 
chari;ent  les  généraux  Ilannon  et  Bomilcar  de  repousser  l'usur- 
pateur qui  s'est  déjà  emparé  de  plusieurs  villes.  Mais  le  sort  des 
armes  est  funeste  aux  Phéniciens  ;  leurs  troupes  sont  écrasées  par 
Agathoclc  qui  vient  mcltre  le  siège  devant  Karthage  '^309j. 

Pendant  que  les  Phéniciens  démoralisés  multiplient  les  oiTrandes 
à  leurs  dieux  pour  apaiser  leur  courroux,  en  sacrifiant  même  leurs 
propres  enfants,  la  renommée  porte  de  tous  côtés,  en  Berbérie,  la 
nouvelle  des  succès  de  l'envahisseur  et  de  la  destruction  de  l'armée 
Karthaginoise.  Les  indigènes,  tributaires  ou  alliés,  accourent 
en  foule  au  camp  d'Agathocle  pour  l'aider  à  écraser  leurs  maîtres 
ou  leurs  amis. 

En  Sicile,  Amilcar  a  continué  le  siège  de  Syracuse:  mais  bientôt 
le  bruit  des  victoires  des  Grecs  parvient  aux  assiégés  et,  par 
un  puissant  effort,  ils  obligent  les  Karthaginois  à  lever  le  blocus 
(309j.  L'année  suivante,  Amilcar  essaie  en  vain  d'enlever  Syra- 
cuse ;  il  est  vaincu,  fait  prisonnier  et  expire  dans  les  supplices. 

Cependant  Agalhocle,  solidement  établi  à  Tunis,  continuait  de 
menacer  Karthage  et  en  même  temps  parcourait  en  vainqueur  le 
pays,  au  sud  et  à  l'est,  faisant  reconnaître  son  autorité  par  les  Ber- 
bères ;  dans  une  seule  campagne,  plus  de  deux  cents  villes  lui  ont 
fait  leur  soumission.  Après  avoir,  avec  une  audacieuse  habileté, 
réprimé  une  révolte  qui  avait  éclaté  contre  lui  au  milieu  de  ses 
soldats,  Agathocle  entra  en  pourparlers  avec  Ophellas,  roi  de  la 
Cyréna'ique,  ancien  lieutenant  d'Alexandre,  et  lui  demanda  son 
alliance.  Séduit  par  ses  promesses,  Ophellas  n'hésita  pas  à  amener 


PÉRIODE  PHÉNICIENNE    (279   AV.  .I.-C.) 


11 


son  année  au  tyran  ;  mais  Agathocle  le  fit  assassiner  et  s'attacha 
ses  troupes.  Karlhage  se  trouvait  alors  dans  une  situation  des 
plus  critiques,  et  pour  comble  de  malheur,  la  trahison  et  la  guerre 
civile  paralysaient  ses  forces. 

Agxathocle,  après  avoir  enlevé  Utique  et  Hippo-Zarytos laissa 
le  commandement  de  son  armée  à  son  fils  Archagate,  et  rentra  en 
Sicile,  où  il  tenait  aussi  à  assurer  son  autorité  (306)  ;  aussitôt  après 
son  départ,  les  Karthaginois  reprirent  vigoureusement  roiîensive  et 
réduisirent  les  Grecs  à  l'état  d'assiégés.  Agathocle  s'empressa  de 
venir  au  secours  de  son  fils  ;  mais  la  victoire  n'est  pas  toujours 
fidèle  aux  conquérants  et  il  éprouva  à  son  tour  les  revers  de  la 
fortune. 

Agathocle  évacue  l'Afrique.  —  Trahi  par  ses  alliés  berbères, 
n'ayant  plus  autour  de  lui  que  quelques  soldats  épuisés  et  démo- 
ralisés, Agathocle  se  décida  à  évacuer  sa  conquête  ;  il  retourna  suivi 
de  quelques  officiers  en  Sicile,  laissant  à  Tunis  ses  enfants,  avec 
l'armée  ;  mais  les  soldats,  se  voyant  abandonnés,  mirent  à  mort  la 
famille  de  leur  prince  et  traitèrent  avec  les  Karthaginois  auxquels 
ils  abandonnèrent  toutes  les  villes  conquises  par  Agathocle. 

Ainsi  cette  guerre  qui  avait  mis  Karthagc  à  deux  doigts  de  sa 
perte  se  terminait  subitement  au  grand  avantage  de  la  métropole 
punique  (306).  Un  traité  de  paix  ayant  été  conclu  entre  les  deux 
puissances,  les  Karthaginois  purent  s'appliquer  à  réparer  leurs 
désastres  et  à  reprendre  de  nouvelles  forces,  tandis  qu'Agathocle 
établissait  solidement  son  autorité  à  Syracuse,  devenait  un  véri- 
table roi,  et  s'unissait  à  Pyrrhus  d'Epire  en  lui  donnant  sa  fille  en 
mariage. 

PvRRiius,  ROI  nE  Sicile.  —  Nouvelles  guerres  dans  cette  con- 
trée. —  Mais  la  paix  entre  la  Sicile  et  Karthage  ne  pouvait  être 
de  longue  durée.  Après  la  mort  d" Agathocle,  survenue  en  289, 
l'île  devint  de  nouveau  la  proie  des  factions  et  durant  près  de  dix 
années  l'anarchie  y  régna  seule.  Enfin,  en  279,  les  Syracusains 
menacés  de  l'attaque  imminente  de  Karthage  appelèrent  à  leur 
secours  Pyrrhus,  auquel  ils  avaient  déjà  fourni  leur  appui  dans 
ses  guerres  contre  Rome.  Malgré  les  victoires  d'Héraclée  et  d'As- 
culum  si  chèrement  achetées,  le  roi  d'Epire  se  trouvait  dans  la 
plus  grande  indécision,  car  il  avait  dû,  pour  vaincre  les  Romains, 
mettre  en  ligne  toutes  ses  forces  et  il  jugeait  qu'avec  les  éléments 
hétérogènes  composant  son  armée  il  ne  pourrait  obtenir  une 


1.  Benzert. 


12 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


seconde  fois  ce  ré-ultat.  La  discorde  avait  éclaté  parmi  ses  alliés 
et  les  Tareiitins,  mêmes,  qui  l'avaient  appelé,  étaient  sur  le  point 
de  se  tourner  contre  lui.  La  proposition  des  Syracusains  lui  ouvrit 
de  nouvelles  perspectives  :  la  royauté  de  la  Sicile  était,  à  défaut 
de  Rome,  une  riche  proie  ;  Pyrrhus  passa  donc  le  détroit  et  arriva 
à  Syracuse,  où  il  fut  accueilli  avec  le  plus  grand  empressement. 

Les  Karlha;4inois  avaient,  deux  ans  auparavant,  renouvelé  leur 
alliance  avec  les  Romains  et  fourni  à  ceux-ci  l'appui  de  leur  flotte 
dans  la  dernière  guerre,  car  c'était  un  véritahle  traité  d'alliance 
offensive  et  défensive  qu'ils  avaient  conclu  ensemhle  contre  Pvr- 
rhus.  Pendant  ce  temps  ils  avaient  redoublé  d'efforts  pour  s'em- 
parer de  la  Sicile  et  recommencé  le  blocus  de  Syracuse.  L'arrivée 
de  Pyrrhus,  amenant  des  troupes  nom])reuses  et  aguerries,  arrêta 
net  leurs  progrès;  bientôt  même  ils  se  virent  assiégés  dans  leur 
quartier  général  de  Lilybée.  ]\Iais  le  temps  des  succès  de  Pvrrhus 
était  passé;  ses  troupes  furent  vaincues  dans  plusieurs  rencontres 
et  le  roi,  voyant  la  fidélité  des  populations  chanceler  autour  de  lui, 
voulut  se  la  conserver  par  la  violence  ;  il  lit  gémir  l'île  sous  le  poids 
de  sa  tyrannie,  ce  qui  acheva  de  détacher  de  lui  les  Grecs.  Dans 
cette  conjoncture  Pyrrhus,  qui,  du  reste,  était  rappelé  sur  le  conti- 
nent par  les  Tarentins,  se  décida  à  laisser  le  champ  libi-e  aux  Kar- 
thaginois  et,  passant  de  nouveau  la  mer,  rentra  en  Italie  (2761,  où 
le  sort  ne  devait  pas  lui  être  plus  favorable. 

Anarchie  en  Sicile.  —  Le  départ  du  roi  laissait  la  Sicile  en 
proie  aux  factions.  Un  grand  nombre  de  mercenaires  de  toutes 
races  avaient  été  appelés  dans  l'île  par  Afïatliocle  ou  y  avaient  été 
amenés  par  Pyrrhus.  Abandonnés  par  leurs  chefs,  ils  s'étaient 
d'abord  livrés  au  brigandage,  puis  avaient  formé  de  petites  colo- 
nies indépendantes.  La  principale  était  celle  des  Mamertins  ou 
soldats  de  Mars,  nom  que  s'était  donné  un  g^roupe  d'aventuriers 
campaniens  établis  à  ^lessine.  Les  Syracusains,  après  le  départ  de 
Pyrrhus,  avaient  élu  comme  chef  un  officier  de  fortune  nommé 
Hiéron  qui  avait  pris  en  main  la  direction  de  la  résistance  contre 
les  Karlhaginois  et,  pendant  sept  années,  avait  lutté  contre  eux, 
non  sans  succès.  Pendant  ce  temps  les  INLimertins,  alliés  à  des  bri- 
gands de  leur  espèce  établis  à  Rhige,  sur  la  côte  italienne,  en  face 
de  Messine,  avaient  vu  leur  puissance  s'accroître  et  étaient  deve- 
nus un  véritable  danger  pour  les  Grecs  de  Sicile,  pour  les  Kartha- 
ginois  et  même  pour  les  Romains.  Cette  situation  allait  donner 
naissance  aux  plus  graves  événements  et  déterminer  une  rupture, 
depuis  quelque  temps  imminente,  entre  Rome  et  Karthage. 


CHAPITRE  II 


PREMIÈRE  GUERRE  PUNIQUE 

268-220 

Causes  de  la  première  guerre  punique.  —  Rupture  de  Rome  avec  Karthage. — 
Première  guerre  punique.  —  Succès  des  Romains  en  Sicile. —  Les  Romains 
portent  la  guerre  en  Afrique.  —  Victoire  des  Karthaginois  à  Tunis;  les 
Romains  évacuent  l'Afrique.  —  Reprise  de  la  guerre  en  Sicile.  —  Grand 
siège  de  Lilybée.  —  Rataille  des  îles  Egales;  fin  de  la  première  guerre 
punique.  —  Divisions  géographiques  adoptées  par  les  Romains.  —  Guerre 
des  mercenaires.  —  Karthage,  après  avoir  établi  son  autorité  en  Afrique, 
porte  la  guerre  en  Espagne.  —  Succès  des  Karthaginois  en  Espagne. 

Causes  de  la  première  guerre  punique.  —  Les  échecs  éprou- 
vés par  Pyrrhus  dans  l'Italie  méridionale,  son  retour  en  Epire,  sa 
mort  (272),  avaient  délivré  Rome  d'un  des  plus  grands  dangers 
qu'elle  eût  courus.  Sa  puissance  s'était  augmentée  d'autant,  car 
elle  avait  hérité  de  presque  toutes  les  conquêtes  du  roi  d'Epire. 
Si  donc  les  Romains  avaient,  dans  le  moment  du  danger,  recherché 
l'alliance  des  Karthaginois  contre  l'ennemi  commun,  cette  union 
momentanée  de  deux  peuples  ayant  des  intérêts  absolument  oppo- 
sés ne  pouvait  subsister  après  la  disparition  des  causes  spéciales 
qui  l'avaient  amenée.  Maîtresse  de  l'Italie  méridionale,  Rome  jetait 
les  yeux  sur  la  Sicile,  que  Karthage  considérait  comme  sa  con- 
quête, car  depuis  plusieurs  siècles  elle  se  consumait  en  efforts  pour 
achever  de  s'en  approprier  la  possession  ;  c'est  sur  ce  champ  que 
la  lutte  de  la  race  sémitique  contre  la  race  ariane  allait  commencer. 

Un  des  premiers  actes  des  Romains,  après  le  départ  de  Pyrrhus, 
avait  été  de  détruire  le  nid  de  brigands  campaniens  établis  à 
Rhige.  Les  Mamertins  de  Messine,  réduits  ainsi  à  leurs  seules 
forces,  avaient  alors  été  en  butte  aux  attaques  des  Syracusains, 
habilement  dirigés  par  Hiéron.  Vers  268,  leur  situation  n'étant 
plus  tenable,  ils  se  virent  dans  la  nécessité  de  se  rendre  soit  aux 
Grecs,  leurs  plus  grands  ennemis,  soit  aux  Karthaginois.  Un  cer- 
tain nombre  d'entre  eux  entrèrent  en  pourparlers  avec  ceux-ci  ; 
mais  les  autres  se  décidèrent  à  faire  hommage  de  leur  cité  aux 
Romains.  Le  Sénat  de  Rome,  après  quelque  hésitation,  admit  les 
brigands  campaniens  dans  la  confédération  italique  et,  dès  lors,  la 
rupture  avec  Karthage  ne  fut  plus  qu'une  question  de  jours.  Les 


14 


IIISTniRE  DE  L  AFRIQUE 


prétextes,  comme  cela  ari-ive  dans  de  tels  cas,  ne  manquaient  pas; 
les  Romains,  notamment,  reprochaient  à  Karthage  d'avoir  violé 
plus  d'une  clause  de  leurs  précédents  traités  et  d'avoir  profité  des 
embarras  que  leur  causait  la  guerre  de  Pyrrhus,  pour  tenter  de 
s'emparer  de  Tarente  et  de  prendre  pied  sur  le  continent. 

Rli'Tlre  de  Rome  a^ec  Karthage.  —  Tandis  que  Rome  adres- 
sait à  Iliéron  l'ordre  de  cesser  toute  agression  contre  ses  alliés  les 
Mamerlins,  et  se  préparait  à  faire  passer  des  troupes  à  Messine 
(265),  elle  envoyait  à  Karthage  une  députalion  chargée  de  deman- 
der des  explications  sur  l'allaire  de  Tarente  sur^■enue  sept  ans  au- 
paravant'. C'était,  en  réalité,  un  ultimatum,  et  Karthage  parut 
essayer  d  éviter  la  guerre  en  désavouant  les  actes  de  son  amiral. 
En  même  temps  elle  entrait  en  pourparlers  avec  Iliéron;  le  groupe 
de  Mamertins  dissidents  amenait  im  rapprochement  entre  ces 
ennemis  et  obtenait  que  Messine  fût  li\rée  aux  Syracusains,  leurs 
nouveaux  alliés.  Au  moment  donc  où  les  troupes  romaines  réunies 
à  Rhège  se  disposaient  à  traverser  le  détroit,  on  apprit  que  la 
flotte  phénicienne  commandée  par  Iliéron  se  trouvait  dans  le  port 
de  Messine  et  que  la  forteresse  de  cette  ville  était  occupée  par  les 
Karlhaginois  ("itii).  Sans  se  laisser  arrêter  par  cette  surprise,  les 
Romains  mirent  à  la  \  oile  et  par\  inrent  à  s'emparer,  plutôt  par  la 
ruse  que  par  la  force,  de  Messine,  car  les  chefs  Karthaginois,  liés 
par  des  instructions  leur  recommandant  la  plus  grande  prudence 
afin  d'éviter  une  rupture,  n'osèrent  pas  repousser  les  Italiens  par 
l'emploi  de  toutes  leurs  forces.  Maintenant  la  rupture  était  con- 
sommée et  la  guerre  allait  commencer  avec  la  plus  grande  énergie 
de  part  et  d'autre. 

Premu';ke  gl  eure  itmqie.  —  Dès  qu'on  eut  appris  à  Karthage 
l'occupation  de  Messine  par  les  Italiens,  la  guerre  fut  décidée.  Une 
flotte  nombreuse  vint,  sous  la  conduite  de  Ilannon,  bloquer  la  ville 
par  mer,  tandis  que  les  troupes  puniques,  d'un  côté,  et  Hiéron, 
avec  les  Syracusains,  de  l'autre,  l'assiégeaient  par  terre.  Mais  les 
Romains  n'étaient  pas  disposés  à  se  laisser  enlever  leur  nouvelle 
colonie.  Le  consul  Appius  Claudius  étant  parvenu  à  passer  le  dé- 
troit contraignit  bientôt  les  alliés  à  lever  le  siège  et  vint  même 

1.  En  vertu  du  traité  d'alliance  les  unissant  aux  Romains,  les  Kartha- 
ginois avaient  envoyé  à  ceux-ci  pour  les  aider  dans  leur  guerre  contre 
Pyrrhus  une  flotte  do  120  n.-\vires.  Mais  ou  avait  pris  ombrage  à  Rome 
de  cet  empressement  et  l'amiral  punique  avait  dû  reprendre  la  mer.  C'est 
alors  qu'il  était  allé  à  Tarente  offrir  sa  médiation  ou  peut-être  ses  ser- 
vices à  Pyrrhus.  (Justin,  XVIIIj. 


PREMIKRE  GUERRE   PUNIQUE   ("264   AV.  .T.-C.) 


15 


faire  une  démonstration  contre  Syracuse.  L'année  suivante  les 
Romains  remportèrent  de  grands  succès,  dont  la  conséquence  fut 
de  détacher  Hiéron  du  parti  des  Karthaginois  et  d'obtenir  son 
alliance  contre  ceux-ci  (263)  '  ;  les  colonies  grecques  de  l'île 
suivirent  son  exemple  et  dès  lors  Karthage  se  trouva  isolée,  sur 
un  sol  étranger,  et  obligée  de  faire  face  à  des  ennemis  s'appuyant 
sur  des  forteresses  telles  que  Messine  et  Syracuse.  Bientôt  les 
Phéniciens  en  furent  réduits  à  se  retrancher  derrière  leurs  places 
fortes. 

Dans  ces  conjonctures,  les  Karthaginois  jugèrent  qu'il  y  avait 
lieu  de  tenter  un  grand  effort  :  ils  réunirent  une  armée  imposante 
de  mercenaires  liguriens,  espagnols  et  gaulois  et,  l'ayant  fait  passer 
en  Sicile,  la  répartirent  dans  leurs  places  fortes  et  s'élal^lirent  so- 
lidement à  Agrigente  (Akragasl,  afin  de  faire  de  cette  ville  le  nœud 
de  leur  résistance.  Bientôt  les  consuls  vinrent  attaquer  ce  camp 
retranché,  mais,  n'ayant  pu  l'enlever  d'un  coup  de  main,  ils  durent 
en  faire  le  siège  régulier.  Hannibal,  fils  de  Giscon,  défendait  avec 
habileté  la  ville  et  était  aidé  par  Hiéron  qui  avait  contracté  une 
nouvelle  alliance  avec  les  Karthaginois.  Quant  aux  Romains,  ils 
recevaient  constamment  d'Italie  des  vivres  et  des  renforts  et  res- 
serraient chaque  jour  le  blocus. 

Succiis  DES  Romains  en  Sicile.  —  Sur  ces  entrefaites,  le  gé- 
néral Hannon,  envoyé  de  Karthage  avec  une  nouvelle  et  puissante 
armée,  débarque  en  Sicile  et  vient  attaquer  les  Romains  dans  leur 
camp.  Mais  le  sort  des  armes  est  favorable  à  ceux-ci  ;  les  Kartha- 
ginois, écrasés,  laissent  leur  camp  aux  mains  des  vainqueurs; 
Hannon  parvient,  non  sans  peine,  à  se  réfugier  dans  Héracléeavec 
une  poignée  de  soldats.  Cette  bataille  décida  du  sort  d'Agrigente  : 
Hannibal  s'ouvrit  un  passage  à  la  pointe  de  l'épée,  au  milieu  des 
ennemis,  et  abandonna  la  ville  aux  Romains  ("262).  Les  habitants 
de  la  cité  furent  vendus  comme  esclaves-. 

Malgré  les  succès  des  Italiens,  la  situation  en  Sicile  n'était  pas 
désespérée  pour  les  Karthaginois,  car  ils  tenaient  encore  une 
grande  partie  de  l'île  et  avaient  souvent  l'appui  des  colonies 
grecques.  Une  guerre  incessante,  guerre  d'escarmouches  et  de 
surprises,  sur  mer  et  sur  terre,  remplaça  les  grandes  batailles.  La 
flotte  punique,  beaucoup  plus  puissante  que  celle  des  Romains, 
causa  de  grands  dommages  sur  les  côtes  italiennes  et  fit  un  tort 
considérable  au  commerce.  Force  fut  aux  latins  de  se  construire 


1.  Diodore,  XXIII.  —  Polybs,  1.  I. 

2.  Polybe,  1.  I,  ch.  19,  20. 


16 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


des  navires  et  de  remplacer  leurs  barques  par  des  quinquirèmes ', 
en  état  de  lutter  avec  celles  de  leurs  ennemis.  Apres  avoir  créé  les 
vaisseaux,  il  fallut  improviser  les  marins,  mais  l'ardeur  des  Italiens 
pourvut  à  tout,  et,  en  2(30,  une  lloUe  imposante  était  prête  à 
tenir  la  mer.  Le  début  ne  fut  pas  heureux  ;  une  partie  des  navires, 
avec  le  consul,  tomba  aux  mains  des  Kartha^inois,  dans  le  port 
de  Lipari  ;  mais  bientôt  les  marins  italiens  prirent  leur  revanche 
dans  plusieurs  combats  et  enfin  le  consul  Duilius  remporta  la 
grande  victoire  navale  de  Miloe,  dans  laquelle  la  flotte  karthaginoise 
fut  capturée  ou  détruite.  Duilius  ayant  débarqué  en  Sicile  obtint 
sur  les  ennemis  de  nouveaux  et  importants  avantaj^^es  (•2()0(. 

Encouragés  par  les  succès  de  leur  flotte,  les  Romains  exécutèrent, 
pendant  les  années  suivantes,  des  descentes  en  Sardaigne  et  en 
Corse  et  réussirent  à  arracher  aux  Karthaginois  une  partie  des 
postes  qu'ils  occupaient  dans  ces  deux  îles.  En  même  temps  la 
guerre  de  Sicile  suivait  son  cours  avec  des  chances  diverses,  niais 
sans  amener  de  résultat  décisif.  Néanmoins,  dans  la  campagne 
de  258,  les  consuls  A.  Calatinus  et  S.  Paterculus  s'emparèrent  de 
villes  importantes;  Hippane,  Canarine,  Enna,  Erbesse,  etc. 

Les  Romains  portent  i.a  gi  erre  en  Afrique.  —  La  guerre  durait 
depuis  huit  ans,  absorbant  toutes  les  forces  des  Italiens  et  mena- 
çant de  s'éterniser.  Le  plus  sûr  moyen  de  la  terminer  était  d'atta- 
quer les  ennemis  chez  eux,  et  de  transporter  le  théâtre  de  la  lutte 
dans  leur  propre  pays.  En  256,  les  Romains  résolurent  d'exé- 
cuter ce  hardi  projet.  Ils  réunirent  une  flotte  de  trois  cents  galères 
et  firent  voile  vers  l'Afrique  sous  la  conduite  des  consuls  Manlius 
et  Régulus.  Ils  rencontrèrent  à  Eknome  les  vaisseaux  Karthaginois 
et  leur  livrèrent  une  mémorable  bataille  navale  qui  se  termina  par 
la  victoire  des  Romains.  Uès  lors  l'Afrique  était  ouverte.  Les 
consuls  abordèrent  à  l'est  de  Karthage  et  allèrent  s'établir  soli- 
dement à  Glypée  i  lclibia;,  pour  y  grouper  toutes  les  forces,  hors 
de  la  portée  de  leurs  ennemis.  De  là  ils  lancèrent  dans  l'intérieur 
des  expéditions  qui  portèrent  au  loin  le  ravage  et  la  terreur,  et 
ramenèrent  un  grand  nombre  de  prisonniers.  Sur  ces  entrefaites 
arriva  l'ordre  du  Sénat  de  Rome,  rappelant  en  Italie  le  consul 
Manlius  avec  une  grande  partie  des  troupes  et  prescrivant  à 
Régulus  de  presser  les  opérations,  au  moyen  de  son  armée  réduite 
à  15,000  hommes  d'infanterie  et  500  cavaliers. 

Après  le  premier  moment  de  stupeur  qui  avait  suivi  à  Kar- 

1.  La  quinquirème  avait  jusqu'à  300  rameurs  et  portait  le  même 
nombre  de  soldais. 


PREMIÈRE   GUERRE  PUNIQUE   (255   AV.  J.-C.) 


17 


thage  la  nouvelle  du  désastre  d'Eknome,  on  s'était  préparé  avec 
ardeur  à  la  résistance  ;  des  mercenaires  avaient  été  enrôlés  et 
Amilcar,  rappelé  de  Sicile,  avait  ramené  des  forces  importantes. 
Mais  le  sort  des  armes  fut  encore  défavorable  aux  Karthaginois  : 
vaincus  à  Adis  (Radès),  ils  ne  purent  empêcher  Régulus  d'occuper 
Tunès  (Tunis)  (255). 

Menacée  d'un  siège  immédiat,  Ivarthage  proposa  la  paix  aux  en- 
vahisseurs ;  mais  les  conditions  qui  lui  furent  faites  étaient  si 
dures  qu'elle  renonça  à  toute  pensée  de  transaction  et  se  prépara 
à  lutter  avec  la  dernière  énergie,  préférant  mourir  en  combattant 
que  consommer  elle-même  sa  ruine.  Sur  ces  entrefaites  arrivèrent 
des  vaisseaux  chargés  de  mercenaires  grecs,  parmi  lesquels  se 
trouvait  le  lacédémonien  Xanthippe,  officier  de  mérite,  formé  à 
l'école  des  grands  capitaines  de  son  pays.  Les  Karthaginois  ayant 
eu  l'heureuse  inspiration  de  lui  confier  la  direction  de  la  défense, 
le  nouveau  général  changea  complètemeiït  le  système  qui  avait 
été  suivi  jusque-là.  Au  lieu  de  tenir  les  troupes  derrière  les  mu 
railles  ou  sur  des  hauteurs  inaccessibles,  il  les  fit  sortir  dans  la 
plaine  et  les  tint  constamment  en  haleine,  les  exerçant  à  l'art  de  la 
guerre  et  leur  donnant  confiance  en  elles-mêmes  et  en  leurs 
chefs,  ce  qui  est  le  gage  de  la  victoire.  Pendant  ce  temps  Régulus 
restait  inactif  à  Tunès,  n'ayant  pas  assez  de  monde  pour  entre- 
prendre le  siège  de  Karthage  et  ne  pouvant  se  résoudre  à  aban- 
donner sa  conquête  pour  se  replier  derrière  ses  retranchements  dé 
Clypée. 

Victoire  des  Kartuagixois  a  Tunis.  —  Les  Romains  évacuent 
l'Afrique.  —  Bientôt  les  Karthaginois  sont  en  état  de  marcher 
contre  leurs  agresseurs  ;  ils  les  attaquent  en  avant  de  Tunis  et, 
grâce  aux  habiles  dispositions  prises  par  Xanthippe,  remportent 
sur  eux  une  victoire  décisive.  Régulus  est  fait  prisonnier  avec 
ses  meilleurs  soldats,  tandis  que  les  débris  de  son  armée,  deux 
mille  hommes  à  peine,  se  réfugient  à  Clypée. 

C'était  la  perte  de  la  campagne  ;  en  vain  les  Romains  envoyèrent 
contre  l'Afrique  une  nouvelle  flotte  qui  remporta  une  nouvelle 
victoire  ;  la  situation  n'était  plus  tenable  ;  on  embarqua  sur  les 
vaisseaux  la  garnison  de  Clypée  et  l'on  fit  voile  vers  la  Sicile  en 
abandonnant  à  la  vengeance  des  Karthaginois ,  non  seulement 
les  prisonniers,  mais  les  alliés  indigènes  qui  avaient  soutenu 
Régulus  dans  sa  campagne.  Cette  vengeance  fut  terrible  :  les  tri- 
bus durent  payer  des  contributions  écrasantes  ;  quant  aux  chefs, 
ils  périrent  dans  les  tortures.  Xanthippe  avait  sauvé  Karthage. 
Il  fut  largement  récompensé  et  put  quitter  l'Afrique  avant  d'avoir 

T.  I.  .  2 


18 


tiisToiRu;  DE  l'afrique 


éprouvé  les  effets  de  l'ingratitude  et  de  l'envie  des  Kartha- 
ginois  1. 

Reprise  de  la  guerre  en  Sicile.  —  Après  ce  succès,  Karthage 
se  trouvait  en  état  de  reprendre  l'offensive  en  Sicile:  elle  le  fit  avec 
énergie.  Agrigente  et  plusieurs  autres  places  tombèrent  tout  dabord 
en  son  pouvoir.  Mais  la  puissance  de  Rome  et  surtout  son  ardeur 
étaient  loin  d  élre  abattues  ;  de  nouveaux  vaisseaux  furent  cons- 
truits et,  l'année  suivante  (254),  la  flotte  romaine  se  réunit  à  Mes- 
sine. De  là,  les  consuls  allèrent  attaquer  par  mer  Panorme  (Pa- 
ïenne 1  et  s'en  rendirent  maîtres,  après  un  siège  vigoureusement 
mené.  Ils  s'emparèrent  en  outre  de  presque  tout  le  littoral  sep- 
tentrional de  l  ile,  mais  n'osèrent  se  mesurer  avec  l'armée  kartha- 
ginoise  qui  tenait  le  pays  à  l'intérieur.  L'année  suivante,  les  Ro- 
mains, ayant  voulu  tenter  une  nouvelle  descente  en  Afrique,  virent 
la  tempête  disperser  leur  flotte,  ce  qui  les  força  à  renoncer  à  ce 
projet. 

Pendant  plusieurs  années  la  guerre  continua  avec  des  chances 
diverses,  mais  sans  aucun  résultat  décisif;  les  ressources,  de  part 
et  d'autre,  s'épuisaient  et  l'on  pouvait  prévoir,  sinon  la  fin  de  ce 
grand  duel,  au  moins  l'imminence  d'une  trêve.  Les  Karthaginois, 
voulant  tenter  un  effort  décisif,  s'adressèrent  même,  pour  obtenir 
de  l'argent,  à  leur  allié  Ptolémée  Philadelphe,  roi  d'Egypte,  qui 
leur  refusa  tout  secours.  Les  Romains,  non  moins  gênés,  se  virent 
contraints  de  réduire  le  nombre  de  vaisseaux  qu'ils  avaient  créés 
et  de  renoncer  à  la  guerre  maritime. 

Cependant  en  250,  Metellus  s'étant  trouvé  assez  fort  pour  lutter 
contre  l'armée  karthaginoise,  que  les  Romains  n'avaient  plus  voulu 
affronter  depuis  la  défaite  de  Tunis,  remporta  une  importante  vic- 
toire sur  Asdrubal-,  qui  s'était  audacieusement  avancé  jusqu'aux 
portes  de  Palerme.  Les  éléphants,  qui  avaient  puissamment  con- 
tribué aux  succès  de  Xanthippe,  tombèrent  aux  mains  des  vain- 
queurs. 

A  la  suite  de  ce  nouvel  échec,  Karthage,  après  avoir  mis  en 
croix  son  général,  se  décida  à  faire  encore  une  tentative  pour  ob- 
tenir la  paix,  et  c'est  à  cette  occasion  que  l'histoire  a  placé  le  récit 
du  dévouement  de  Régulus.  De  même  que  la  première  fois,  les 
conditions  faites  par  les  Romains  furent  jugées  inacceptables,  et  la 
guerre  recommença  (249). 

1.  Po]ybe,  I. 

2.  C'est  encore  uue  erreur  d'écrire  Asdrubal,  en  phéuicien  Azrou-Baâl 
i  le  secours  de  Baal  »,  par  un  H. 


PREMIERE  GUERRE  VUXIQUE    (247   AV.  J.-C.) 


19 


Grand  siège  de  Lilybée.  —  Les  Romains,  qui  avaient  achevé  la 
conquête  du  littoral  nord  de  la  Sicile,  voulurent  profiter  de  leur 
succès  pour  expulser  définitivement  leurs  ennemis  de  l'île.  Ils 
vinrent  en  conséquence  les  attaquer  dans  leur  place  forte  de  Lily- 
bée et  commencèrent  le  sièj,^e  de  cette  ville,  siège  aussi  mémorable 
par  l'ardeur  et  le  génie  des  assiégeants  que  par  le  courage  et  l'obs- 
tination des  assiégés,  commandés  par  le  général  Ilimilcon.  Pendant 
plusieurs  mois  les  machines  de  guerre  battirent  les  remparts,  tandis 
que  la  flotte  romaine  bloquait  cLroilcment  le  port;  mais  Ilimilcon 
triompha  par  son  habileté  de  tous  les  efforts  des  assiégeants,  ren- 
versant par  des  sorties  soudaines  les  travaux  par  eux  faits  au  prix 
des  plus  grandes  difficultés,  incendiant  leurs  machines,  déjouant 
tous  leurs  plans  ;  en  même  temps,  de  hardis  marins  parvenaient  à 
faire  entrer  dans  la  ville,  en  passant  au  milieu  des  vaisseaux  enne- 
mis, des  vivres  et  même  des  renforts.  Sur  ces  entrefaites  le  consul 
P.  Claudius  Pulcher,  désespérant  d'enlever  la  ville  de  vive  force, 
se  contenta  de  la  bloquer  et  partit  subitement  avec  une  flotte 
nombreuse  pour  écraser  les  navires  karthaginois  à  l'ancre  dans  le 
port  de  Drépane.  Celte  fois  la  victoire  fut  pour  les  Karthaginois 
qui  prirent  leur  revanche  de  leurs  précédentes  défaites  maritimes 
en  infligeant  aux  Romains  un  véritable  désastre.  Une  tempête,  qui 
suivit  de  près  cette  bataille,  coûta  encore  aux  Italiens  un  grand 
nombre  de  vaisseaux. 

Ces  nouvelles  portèrent  à  Rome  le  découragement  ;  si  Karthage 
avait  profité  de  ce  moment  pour  pousser  vigoureusement  les  opé- 
rations, nul  doute  que  la  guerre  n'eût  été  promptement  terminée 
à  son  avantage.  Mais,  soit  par  l'effet  de  la  vicieuse  organisation 
gouvernementale,  soit  en  raison  du  caractère  propre  aux  races 
sémitiques,  qui  ne  s'inclinent  que  devant  la  nécessité  immédiate, 
on  ne  voit  Karthage  tenter  d'efforts  décisifs  que  quand  l'ennemi 
est  aux  portes  et  le  danger  imminent.  On  resta  donc  sur  cette 
victoire  et  la  guerre  continua  pendant  plusieurs  années,  consistant 
en  de  petits  combats  sur  terre  et  des  courses  de  piraterie  sur  mer. 
En  247,  Amilcar-Barka  avait  pris  le  commandement  des  troupes 
de  Karthage  en  Sicile,  troupes  assez  peu  dévouées  et  composées 
en  partie  de  mercenaires  de  tous  les  pays.  Mais  Amilcar  était  un 
général  de  grande  valeur  ;  il  sut  tirer  parti  de  ces  éléments  mau- 
vais et,  sans  remporter  de  succès  décisifs,  empêcher  tout  progrès 
de  la  part  des  Romains.  Pour  contenter  ses  soldats,  il  leur  fit  exé- 
cuter une  razia  dans  le  Bruttium,  puis  il  vint  occuper  le  mont 
Ercté  '  qui  domine  Palerme,  et  de  là,  surveillant  les  routes,  ne 


1.  Monte  Pcllcgriiio. 


20 


IIISTOIRIi:  DE  l'aFRIQL'E 


manqua  aucune  occasion  de  tomber  sur  ses  ennemis  et  de  couper 
les  convois  '.  De  leur  côté  les  Romains  déployaient  la  plus  grande 
ténacité,  si  bien  que  les  deux  armées  rivales  en  arrivèrent  à  recon- 
naître mutuellement  l'impossibilité  de  se  vaincre. 

Bataille  des  îles  Egates.  —  Fin  de  la  première  guerre  pu- 
nique. —  La  guerre  durait  depuis  vingt-deux  ans  et  les  deux 
puissances  rivales  donnaient  des  signes  non  équivoques  de  lassi- 
tude, quand  Rome,  décidée  à  en  firiir,  eut  I  heureuse  inspiration 
de  se  refaire  une  marine  et  d'essayer  encore  des  luttes  navales. 
Au  commencement  de  Tannée  '2i'2.  trois  cents  galères,  plus  un 
grand  nombre  de  bâtiments  de  transport,  firent  voile  vers  la  Sicile. 
Le  consul  Lutatiu?  Gatulus,  qui  commandait,  s'empara  sans  diffi- 
culté de  Drépane  et  de  Lilybée,  car  les  vaisseaux  karthaginois 
étaient  absents,  soit  qu'ils  fussent  rentrés  en  Afrique,  soit  qu'ils 
se  trouvassent  retenus  dans  de  lointains  voyages.  A  cette  nou- 
velle, Karthage  se  prépara  à  envoyer  des  troupes  en  Sicile  à  son 
général,  dont  la  situation  devenait  critique.  Quatre  cents  vaisseaux 
chargés  de  vivres,  de  munitions  et  d'argent  partirent  bientôt 
d'Afrique  sous  la  conduite  de  Hannon,  avec  mission  d'éviter  à 
tout  prix  le  combat  et  de  débarquer  subrepticement  les  secours 
dans  l'île;  mais  la  vigilance  de  Lutatius  ne  put  être  déjouée.  Avec 
autant  d'audace  que  de  courage,  il  attaqua  la  flotte  punique  en 
face  d'Egusa  (Favignano),  une  des  Egales,  et  remporta  sur  les  en- 
nemis une  victoire  décisive.  Cinquante  galères  karthaginoises 
furent  coulées,  soixante-dix  capturées,  et  le  reste  se  dispersa.  Ce 
beau  succès  allait  mettre  fin  à  la  campagne. 

Démoralisée  par  sa  défaite,  Karthage  autorisa  Amilcar  à  traiter 
comme  il  l'entendrait  avec  l'ennemi  ;  mais  un  traité  dans  ces  con- 
ditions ne  pouvait  être  que  désastreux,  c'est-à-dire  entraîner  la 
perte  de  la  Sicile,  pour  la  possession  de  laquelle  les  Phéniciens  lut- 
taient depuis  si  longtemps.  Voici  quelles  furent  les  principales 
conditions  imposées  à  Karthage  : 

Restitution  de  tous  les  prisonniers  romains  et  des  transfuges, 
sans  rançon. 

Abandon  définitif  de  la  Sicile,  avec  engagement  de  ne  pas  atta- 
quer Hiéron  ni  ses  alliés. 

Et  paiement  d'une  contribution  considérable,  dont  partie  sur-le- 
champ,  et  partie  en  dix  annuités*. 

1.  Polybe,  1.  1,  p.  57. 

2.  En  tout  3200  talents  cuboïqiies  d'argent. 


PREMIÈRE  GUERRE  PUNIQUE   (242   AV.  J.-C.) 


21 


De  son  côté,  Rome  reconnaissait  l'intégrité  du  territoire  de 
Karthage. 

Les  conséquences  de  la  première  guerre  punique  furent  consi- 
dérables, et  permirent  de  mesurer  la  puissance  acquise  par  Rome 
depuis  un  demi-siècle.  Suzeraine  de  l'Italie  méridionale  et  de  la 
Sicile  et  maîtresse  de  la  mer,  voilà  dans  quelles  conditions  la  lais- 
sait la  conclusion  de  la  paix,  ou  plutôt  de  la  trêve.  Quant  à  Kar- 
thage,  sa  situation  était  tout  autre:  son  prestige  maritime  compro- 
mis, ses  finances  ruinées,  son  autorité  sur  les  Rerbères  ébranlée, 
tels  étaient  pour  elle  les  fruits  de  cette  fatale  guerre.  Certes,  elle 
était  encore  capable  de  grands  efforts  et  devait  le  prouver  avant 
peu  ;  néanmoins  ses  jours  de  grandeur  étaient  passés  et  son  déclin 
approchait. 

Divisions  géographiques  de  l'Afrique  adoptées  par  les  Ro- 
M^i^.g.  —  La  guerre  des  Romains  contre  Karthage  et  surtout 
leur  descente  en  Afrique  leur  donnèrent  des  connaissances  pré- 
cises sur  le  continent  que  les  Grecs  avaient  nommé  Libye.  Ils 
donnèrent,  les  premiers,  le  nom  d'Afrique  au  territoire  de  Kar- 
thage, en  conservant  celui  de  Libye  pour  l'ensemble  du  pays, 
mais,  peu  à  peu,  l'appellation  d'Afrique  devint  générale.  Ils  surent 
dès  lors  que  cette  vaste  contrée  était  habitée  par  un  grand  nombre 
de  peuplades  indigènes,  dont  les  Phéniciens  n'étaient  pas  partout 
les  maîtres,  mais  souvent  les  alliés  ouïes  hôtes. 

'Voici  quelles  furent  les  divisions  adoptées  par  les  Romains  pour 
la  géographie  africaine  : 

1°  Cyrénaïque  ou  Libye  penlapole,  bornée  à  l'est  par  la  Mar- 
marique  et,  à  l'ouest,  par  la  Grande-Syrte,  et  habitée  par  diffé- 
rentes peuplades  parmi  lesquelles  les  Nasamons  et  les  Psylles. 

2°  Région  Syrtique,  comprenant  les  deux  Syrtes,  et  habitée  par 
les  Troglodytes,  Lothophages,  Makes,  etc. 

3°  Afrique  propre  ou  Territoire  de  Karthage,  correspondant 
à  peu  près  à  la  Tunisie  actuelle,  sous  la  domination  directe  des 
Karthaginois.  Dans  la  partie  méridionale  se  trouve  la  grande  tribu 
des  Musulames  et,  près  du  Triton,  celle  des  Zouèkes. 

4°  Numidie,  s'étendant  de  l'Afrique  propre  à  la  Molochath  ou 
Mouloeuia.  Elle  est  divisée  en  deux  royaumes  :  celui  des  Massi- 
liens  à  l'est  avec  Hippo-Regius  (Bône),  ou  Zama,  pour  capitale,  et 
celui  des  Masséssyliens  à  l'ouest,  capitale  Siga'.  La  ville  de  Kirta 

1.  Auprès  de  l'embouchure  delaTafna.  Il  est  à  remarquer,  du  reste, 
que  la  Massœssylie,  c'est  à  dire  le  pays  situé  à  l'ouest  de  l'Amsaga,  cons- 
tituait en  réalité  la  partie  orientale  de  la  Maurétauie.  Nous  lui  verrons 


22 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


(ou  Girta)  sur  l'Amsaga  était,  en  quelque  sorte,  la  capitale  de  la 
Numidie  occidentale. 

5°  Maurétanie  ou  Maurusie,  s'étendant  à  l'ouest  de  la  Numidie 
jusqu'à  l'Océan.  Elle  est  habitée  par  un  grand  nombre  de  peu- 
plades maures. 

6°  GétuUe,  région  située  au  sud  delà  Numidie  et  de  la  Maurétanie, 
et  formant  la  ligne  du  Sahara  qui  rejoint  les  Hauts-Plateaux.  Elle 
est  habitée  par  les  Gétules  nomades. 

7°  Libye  intérieure,  comprenant  les  déserts  africains.  Habitée 
par  les  Garamantes,  Mélano-Gétules,  Leucœthiopiens  et  des  peu- 
plades fantastiques,  telles  que  les  BJemmyes,  ayant  le  visage  au 
milieu  de  la  poitrine,  et  les  Efjypans  aux  jambes  de  bouc.  Strabon 
et  Pline  ne  tarderont  pas  à  reproduire  ces  fables. 

Les  peuplades  berbères  obéissent  à  des  chefs,  véritables  rois, 
dont  le  pouvoir  se  transmet  à  leurs  enfants  par  hérédité  et  que 
nous  allons  voir  entrer  en  scène. 

Guerre  des  Mercenaires.  —  Au  moment  de  la  conclusion  de  la 
paix,  vingt  mille  mercenaires  se  trouvaient  en  Sicile,  et  il  fallut, 
tout  d'abord,  évacuer  cette  armée  composée  des  éléments  les  plus 
divers:  Gaulois,  Ligures,  Baléares,  Macédoniens  et  surtout 
Libyens.  Giscon,  successeur  de  Amilcar,  les  expédia  par  fractions 
à  Karthage,  où  ils  ne  tardèrent  pas  à  créer  une  situation  périlleuse, 
car  non  seulement  il  fallut  les  nourrir,  mais  encore  payer  leur 
solde  arriérée.  Les  désordres  commis  par  cette  soldatesque  de- 
vinrent si  intolérables  que  le  gouvernement  de  Karthage  se  décida 
à  donner  à  chaque  homme  une  pièce  d'or  à  la  condition  qu'il  irait 
s'établir  à  Sicca',  sur  la  frontière  de  la  Numidie.  Les  Phéniciens, 
qui  avaient  espéré  s'en  débarrasser  par  ce  moyen,  jugèrent  le  mo- 
ment favorable  pour  proposer  aux  mercenaires  une  réduction  con- 
sidérable sur  leur  solde.  Aussitôt  la  révolte  éclate:  en  vain  Kar- 
thage essaie  de  parlementer  et  dépêche  aux  stipendiés  plusieurs 
parlementaires,  et  enfin  le  général  Giscon  avec  lequel  ceux-ci 
avaient  demandé  à  traiter  ;  les  soldats  redoublent  d'exigences.  Au 
milieu  d'un  tumulte  elTroyable,  ils  élisent  pour  chefs  deux  des 
leurs,  le  campanien  Spendius  et  le  berbère  Mathos.  Giscon,  abreuvé 
d'outrages,  est  arrêté  par  les  rebelles  qui  adressent  un  appel  aux 
indigènes.  Aussitôt  la  révolte  se  propage  et  l'armée  des  merce- 
naires devient  formidable*;  elle  se  divise  en  deux  troupes  dont 

prendre  ce  uom,  aussitôt  que  les  conquêtes  des  Romains  leur  aurout 
mieux -fait  connaître  le  pays. 

1.  Actuellcmeut  le  Kef. 

2.  Polybe,  LI,  ch.  lxvii  et  suiv. 


PREMIÈRE   GUERRE  PUNIQUE   (238   AV.  J.-C.) 


23 


l'une  vient  attaquer  Hippo-Zarytos  (Benzert)  et  l'autre  met  le 
siège  devant  Utique  (239). 

Dans  cette  circonstance  critique  Karthage,  au  lieu  de  remettre 
la  direction  de  la  guerre  à  Amilcar,  le  seul  homme  capable  de  la 
mener  à  bien,  préféra  donner  le  commandement  de  ses  troupes  à 
Hannon,  qui  avait  déjà  fourni  la  mesure  de  son  incapacité  en 
Sicile.  De  grands  efforts  furent  faits  pour  résister  à  l'attaque  des 
rebelles  ;  mais  deux  échecs  successifs  essuyés  par  le  général  déci- 
dèrent les  Karthaginois  à  le  remplacer  par  Amilcar.  Il  était  temps, 
car  la  levée  de  boucliers  des  Berbères  était  générale  et  les  jours 
de  Karthage  semblaient  comptés.  L'histoire  de  l'Afrique  fournit 
de  nombreux  exemples  de  ces  tumultes  des  indigènes,  feux  de 
paille  qui  semblent  devoir  tout  embraser  et  qui  s'éteignent  d'eux- 
mêmes,  si  la  résistance  est  entre  des  mains  fermes  et  expérimen- 
tées. 

En  238,  Amilcar  avait  pris  la  direction  des  affaires;  bientôt  les 
rebelles  furent  contraints  de  lever  le  siège  d'UtIque;  le  général 
karthaginois,  continuant  une  vigoureuse  offensive,  infligea  aux 
mercenaires  une  défaite  sérieuse  près  du-  fleuve  Bagradas  (Med- 
jerda)  et  s'empara  d'un  certain  nombre  de  villes.  Cependant  Tunès 
était  toujours  aux  mains  des  stipendiés  et  Mathos  continuait  le 
siège  de  Hippo-Zarytos.  Spendius  et  Antarite,  chefs  des  Gaulois, 
se  détachèrent  de  ce  blocus  pour  marcher  contre  les  Karthaginois 
et  les  mirent  en  grand  péril  ;  mais  l'habile  Amilcar,  qui  connais- 
sait les  indigènes,  était  parvenu  à  détacher  de  la  cause  des  rebelles 
un  Berbère  nommé  Naravase.  Soutenu  parles  forces  de  son  nouvel 
allié,  il  attaqua  résolument  les  mercenaires  et,  grâce  à  sa  stratégie 
et  au  courage  de  ses  soldats,  parvint  encore  à  les  vaincre  ;  ils  lais- 
sèrent un  grand  nombre  de  morts  sur  le  champ  de  bataille  et 
quatre  mille  prisonniers  entre  les  mains  des  vainqueurs. 

Une  des  premières  conséquences  de  cette  défaite  fut  la  mise  à 
mort  de  Giscon  et  de  sept  cents  prisonniers  karthaginois  que  les 
mercenaires  firent  périr  dans  les  tortures.  Dès  lors,  la  lutte  fut, 
de  part  et  d'autre,  suivie  de  cruautés  atroces,  ce  qui  lui  valut 
dans  l'histoire  le  nom  de  ffuerre  inexpiable.  En  même  temps,  Kar- 
thage perdait  la  Sardaigne  qu'elle  avait  laissée  à  la  garde  d'une 
troupe  de  mercenaires  ;  ceux-ci,  suivant  l'exemple  de  leurs  collè- 
gues d'Afrique,  massacrèrent  les  Phéniciens  qui  se  trouvaient 
dans  l'île  et,  après  avoir  commis  mille  excès,  l'offrirent  aux  Ro- 
mains. Pour  comble  de  malheur,  Utique  et  Hippo-Zarytos,  las  de 
résister,  ouvrirent  leurs  portes  aux  rebelles.  Mathos  et  Spendius, 
encouragés  par  ces  succès,  vinrent  alors,  à  la  tête  d'une  grande 
multitude,  mettre  le  siège  devant  Karthage.  La  métropole  punique 


24 


mSTniRE   DE  i/aFRIQUE 


réduite  de  nouveau  à  la  dernière  extrémité  se  vit  contrainte  d  im- 
plorer  le  secours  de  Iliéron  de  Syracuse  et  des  Romains,  qui  s  em- 
pressèrent  de  Taider  à  résister  à  l  attaque  des  mercenaires  ;  en 
même  temps  Amilcar,  soutenu  par  Naravase,  inquiétait  les  re- 
belles sur  leurs  derrières  et  les  attirail  à  des  combats  en  plaine, 
où  il  avait  presque  toujours  l'avantage  (237).  Contraints  de  lever 
le  siège  de  Karthage,  les  stipendiés  se  laissèrent  pousser  par  Amil- 
car dans  une  sorte  de  défilé  que  les  historiens  appellent  défilé  de 
la  Hache,  où  ils  se  trouvèrent  étroitement  bloqués,  et,  comme  ils 
ne  voulaient  pas  se  rendre,  ils  furent  bientôt  en  proie  à  la  plus 
affreuse  famine  et  contraints,  dit  I  histoire,  de  s'entre-dévorer.  Ne 
pouvant  plus  résister  à  leurs  souffrances,  les  chefs  Spendius,  An- 
taritc,  un  Berbère  du  nom  de  Zarzas  et  quelques  autres,  se  pré- 
sentèrent, pour  traiter,  à  Amilcar,  qui  stipula  que  dix  rebelles  à 
son  choix  seraient  laissés  à  sa  disposition  et  les  retint  prisonniers. 
Puis  il  fit  avancer  ses  troupes  et  ses  éléphants  contre  les  rebelles 
et  les  extermina  sans  faire  de  quartier.  Il  en  périt,  dit-on,  quarante 
mille. 

La  révolte  semblait  domptée;  mais  Tunès  tenait  encore.  Mathos 
s'y  était  retranché  avec  des  forces  importantes.  Amilcar,  étant 
venu  l  y  assiéger,  fut  défait,  ce  qui  ajourna  pour  quelque  temps 
encore  l'issue  de  la  campagne.  Enfin  Karthage,  s'étant  résolue  à 
un  suprême  effort,  adjoignit  Hannon  à  Amilcar  en  chargeant  les 
deux  généraux  d'en  finir.  Bientôt,  en  effet,  les  Karthaginois  ame- 
nèrent Malhos  à  tenter  le  sort  d  une  bataille  en  rase  campagne  et 
parvinrent  à  l'écraser.  Cette  fois,  c'en  était  fait  des  mercenaires; 
la  révolte  était  domptée  et  Karthage  échappait  à  un  des  plus 
grands  dangers  qu'elle  eût  courus.  L'attitude  des  Berbères  pen- 
dant cette  guerre  put  lui  prouver  combien  sa  domination  en 
Afrique  était  précaire,  car,  sans  leur  appui  et  leur  coopération,  les 
mercenaires  n'auraient  jamais  pu  tenir  la  campagne  pendant  si 
longtemps  et  avec  tant  de  succès'. 

Karthage,  après  avoir  rétabli  son  autorité  en  Afrique,  porte 
LA  guerre  en  Espagne.  —  Après  avoir  fait  rentrer  sous  leur  obéis- 
sance les  villes  compromises  par  l'appui  donné  aux  rebelles, 
et  notamment  L'tique  et  Hippo-Zarytos,  qui  opposèrent  une 
résistance  désespérée,  les  Karthaginois  firent  plusieurs  expé- 
ditions dans  l'intérieur,  tant  pour  châtier  les  Berbères  que  pour 

1.  V.  pour  la  guerre  des  mercenaires:  Polybe,  1.  I,  Corn.  Ncpos, 
Amilcar,  Tite-Live  1.  XX,  Justin,  XXVII. 


PREMIÈRE  GUERRE  PUNIQUE   (228   AV.  J.-C.) 


25 


garantir  la  limite  méridionale  par  une  ligne  de  postes.  Ils  occu- 
pèrent notamment,  alors,  la  ville  de  Theveste  (Tébessa). 

Dès  qu'elle  ne  fut  plus  absorbée  par  le  soin  de  son  salut,  Kar- 
thage  songea  aussi  à  réoccuper  la  Sardaigne;  mais  Rome,  appre- 
nant qu'elle  préparait  une  flotte  expéditionnaire,  imposa  son  veto 
absolu  et,  comme  on  ne  tenait  pas  compte  de  sa  défense,  elle  se 
disposa  à  recommencer  la  guerre  contre  sa  rivale.  Mais  la  métro- 
pole punique  était  encore  trop  meurtrie  de  la  lutte  qu'elle  venait 
de  soutenir  pour  se  résoudre  à  entreprendre  une  nouvelle  guerre. 
Force  lui  fut  de  plier  devant  les  exigences  romaines  et  de  renon- 
cer à  toute  prétention  sur  la  Sardaigne  (237). 

Karthage  tourna  alors  ses  regards  vers  l'Espagne  où  il  semblait 
que  Rome  devait  lui  laisser  le  champ  libre.  Amilcar,  autant  pour 
échapper  à  l'envie  de  ses  concitoyens  qui,  comme  récompense  de 
ses  services,  l'avaient  décrété  d'accusation,  que  pour  continuer  à 
servir  sa  patrie,  accepta  le  commandement  de  l'expédition  dont  le 
prétexte  était  de  secourir  Gadès  (Cadix),  colonie  punique  alors 
attaquée  par  ses  voisins.  Pour  mieux  surprendre  ses  ennemis,  il 
quitta  Karthage  en  sinuilanL  une  expédition  contre  les  Maures.  Il 
emmenait  avec  lui  ses  fils,  parmi  lesquels  le  jeune  Ilannibal', 
auquel  il  fit  jurer,  sur  Tautel  du  Dieu  suprême,  la  haine  du  nom 
romain.  Il  marcha  le  long  de  la  côle  en  emmenant  un  grand 
nombre  d'éléphants;  la  flotte  le  suivait,  au  large,  à  sa  hauteur. 
Parvenu  à  Tanger,  il  traversa  le  détroit.  La  victoire  couronna  le=) 
efforts  d'Amilcar;  pendant  neuf  ans,  il  ne  cessa  de  conquérir  des 
provinces  à  Karthage  ;  mais  en  228  il  trouva  la  mort  du  guerrier 
dans  un  combat  contre  les  Lusitaniens^. 

Succiis  Diîs  Kartiiaginois  en  Espagne.  —  Asdrubal,  gendre  de 
Amilcar,  remplaça  celui-ci  dans  la  direction  des  affaires  d'Espagne. 
Doué  d'un  esprit  politique  supérieur,  il  consolida,  par  des  alliances 
et  des  traités  avec  les  populations  indigènes,  les  succès  de  son  beau- 
père,  fonda  la  cité  de  Karthagène  et  réalisa  en  Espagne  de  grands 
progrès.  Tout  le  pays  jusqu'à  l'Ebre  fut  administré  au  nom  du 
gouvernement  karthaginois,  par  Asdrubal,  chef  de  la  famille  des 
Barcides^,  dont  le  pouvoir  fut,  en  réalité,  celui  d'un  vice-roi  à 
peu  près  indépendant.  Karthage,  recevant  de  riches  tributs  et 
voyant  dans  les  conquêtes  de  son  généi^al  une  compensation  à  ses 
pertes  dans  la  Méditerranée,  lui  laissa  le  champ  libre. 

1.  Henn-baal,  ou  Baal  Henna,  don  de  Dieu,  en  punique. 

2.  Cornélius  Nepos,  Amilcar,  III. 

3.  De  Barka  ou  Barca  (surnom  de  Amilcar). 


26 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Cependant  les  Romains,  qui  avaient  cru  leurs  ennemis  écra- 
sés, ne  virent  pas  sans  la  plus  jurande  jalousie  les  progrès  des 
Karthaginois  en  Espagne.  Ils  jugèrent  bientôt  qu'il  était  de  la  der- 
nière importance  de  les  arrêter,  et,  à  cet  effet,  ils  conclurent  un 
traité  d'alliance  avec  deux  colonies  grecques  d'Espagne,  Sagonte' 
et  Amporia  (Ampurias).  Après  s'être  assuré  ces  points  d'appui,  ils 
forcèrent  Asdrubal  à  signer  un  traité  par  lequel  il  s'obligeait  à  res- 
pecter ces  colonies  et  à  ne  pas  franchir  l'Ebre.  Malgré  l'enga- 
gement auquel  Asdrubal  avait  été  forcé  de  souscrire,  la  puissance 
punique  avait  continué  à  s'étendre  dans  la  péninsule  ;  mais  le  poi- 
gnard d'un  esclave  gaulois  vint  arrêter  l'exécution  des  projets  de 
ce  grand  homme  ^220].  Le  jeune  Mannibal,  qui  s'était  fait  remarquer 
à  l'armée  par  ses  brillantes  et  solides  qualités  et  qui  avait  en  outre 
hérité  de  la  popularité  du  nom  de  son  père,  fut  appelé,  par  le  vœu 
de  tous  les  officiers,  à  remplacer  son  beau-frère  Asdrubal,  et,  bien 
qu'il  ne  fût  âgé  que  de  vingt-neuf*  ans,  reçut  le  commandement 
des  possessions  et  de  l'armée  d'Espagne.  Le  Sénat  de  Karlhage  se 
vit  forcé  de  ratifier  ce  choix,  malgré  l'opposition  de  la  famille  de 
Hannon  opposée  à  celle  des  Barcides.  Hannon  voyait  dans  cette 
nomination  la  certitude  de  la  reprise  de  la  guerre  avec  les  Romains. 
L'événement  n'allait  pas  tarder  à  lui  donner  raison. 

1.  Actuellement  Murvicdes  dans  la  province  de  Valence. 

2.  Vingt-six  selon  Cliton  (Fasli). 


CHAPITRE  III 


DEUXIÈME  GUERRE  PUNIQUE 

2i0-201 

Hannibal  commence  la  guerre  d'Espagne.  Prise  de  Sagonte.  —  Hannibal 
marche  sur  l'Italie.  —  Combat  du  Tessin;  batailles  de  la  Trébie  et  de  Tra- 
simène.  —  Hannibal  au  centre  et  dans  le  midi  de  l'Italie;  bataille  de 
Cannes.  —  La  guerre  en  Sicile.  —  Les  Berbères  prennent  part  à  la  lutte. 
—  Syphax  et  Massinissa.  —  Guerre  d'Espagne.  —  Campagne  de  Hannibal 
en  Italie.  —  Succès  des  Romains  en  Espagne  et  en  Italie;  bataille  du  Mé- 
taure.  —  Evénements  d'Afrique;  rivalité  de  Syphax  et  de  Massinissa.  — 
Massinissa,  roi  de  N'umidie.  —  Massinissa  est  vaincu  par  Syphax.  —  Evé- 
nements d'Italie;  l'invasion  de  l'Afrique  est  résolue.  —  Campagne  de  Sci- 
pion  en  Afri(jue.  —  Syphax  est  fait  prisonnier  par  Massinissa.  —  Bataille 
de  Zama.  —  Fin  de  la  deuxième  guerre  punique;  traité  avec  Rome. 

Hannibal  commence  la  guerre  d'Espagne.  Puise  de  Sagonte. 
—  A  peine  Hannibal  fut-il  revêtu  du  pouvoir  qu'il  se  prépara  à 
la  guerre  contre  les  Romains.  A  cet  effet,  il  vint  en  Afrique 
faire  des  levées  et  réunit  une  armée  considérable  formée  presque 
en  entier  de  Berbères  :  Numides,  Maures,  Libyens  et  même  Gé- 
lules et  Etbiopiens  tous  attirés  par  l'espoir  du  butin.  Ayant  fait 
passer  ses  mercenaires  en  Espagne,  il  commença  le  siège  de  Sa- 
gonte, malgré  l'opposition  des  Romains  ;  pendant  huit  mois,  les 
assiégés  se  défendirent  avec  un  courage  indomptable,  mais,  aban- 
donnés à  eux-mêmes,  écrasés  par  le  grand  nombre  de  leurs  en- 
nemis, ils  succomI)ci'ent  en  s'ensevelissanl  sous  les  ruines  de  leur 
cité  que  les  derniers  survivants  incendièrent  eux-mêmes  (2191. 

Dès  lors,  Rome  se  disposa  à  la  lutte;  néanmoins,  une  nouvelle 
ambassade  fut  envoyée  à  Karthage  pour  obtenir  réparation  :  tenta- 
tive inutile  dans  un  moment  ou  la  victoire  surexcitait  l'orgueil  na- 
tional. La  guerre,  proposée  par  Fabius  pour  trancher  le  différend, 
fut  acceptée  avec  acclamation  par  les  Karthaginois.  Les  Romains, 
croyant  avoir  facilement  raison  de  leurs  ennemis,  chargèrent  le 
consul  Sempronius  de  se  rendre  en  Sicile  pour  y  préparer  une 
armée  destinée  à  envahir  l'Afrique  ;  mais  c'est  sur  un  autre  théâtre 
que  la  guerre  allait  éclater. 


1.  Tite-Live,  XXII. 


28 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


Hannibal  marche  sur  l'Italie.  —  Le  but  de  Hannibal  était 
atteint  :  la  çcuerre  allait  recommencer,  et  il  ne  lui  restait  qu'à  ap- 
pliquer un  plan  de  campap^ne  depuis  lonf^temps  préparé  par  son 
père  et  par  Asdrubal.  Il  ne  s'agissait  rien  moins  que  de  l'envahis- 
sement de  l'Italie  par  la  voie  de  terre;  la  route  avait  été  soigneu- 
sement étudiée  par  des  émissaires,  et  les  Barcides  avaient  eu  soin 
de  nouer  des  relations  d'amitié  avec  les  peuplades  dont  on  devait 
traverser  le  territoire,  et  de  faire  briller  à  leurs  yeux  l'or  de  Kar- 
thage'.  Ce  ne  fut  donc  pas  une  inspiration  soudaine,  mais  un 
plan  parfaiLement  mûri  que  Hannibal  mit  à  exécution.  Il  com- 
mença par  envoyer  en  Afrique  une  vingtaine  de  mille  hommes, 
dont  la  plus  grande  partie  fut  chargée  de  garder  le  détroit  pour 
assurer  les  communications,  le  reste  allant  coopérer  à  la  défense 
de  Karlhage  ;  il  laissa  en  Espagne  douze  mille  fantassins,  deux 
mille  cinq  cents  cavaliers,  une  trentaine  d'éléphants,  le  tout  sous 
le  commandement  de  son  frère  Asdrubal.  La  flotte  reçut  la  mission 
de  croiser  dans  le  détroit.  Des  otages  espagnols  furent  gardés  en 
Afrique,  tandis  que  des  Libyens  des  meilleures  familles  étaient 
répartis  en  Espagne  ou  emmenés  à  l'armée.  En  même  temps,  on 
préparait  à  Karthage  une  flotte  de  guerre  destinée  à  attaquer  les 
côtes  d'Italie  et  de  Sicile. 

Au  printemps  de  l'année  218,  Hannibal  quitta  Karthagène  à  la 
tête  d'une  armée  d'une  centaine  de  mille  hommes,  et  se  dirigea 
vers  le  nord.  Dans  sa  marche,  il  se  débarrassa  des  éléments  faibles 
et  douteux,  cuU^uta  les  peuplades  indigènes  qui  voulurent  lui  ré- 
sister, laissa  son  frère  Magon  entre  l'Ebre  et  les  Pyrénées  et,  ayant 
franchi  celte  chaîne  de  montagnes,  entra  en  Gaule  avec  cinquante 
piille  fantassins  et  neuf  mille  cavaliers,  tous  soldats  éprouvés,  les 
deux  tiers  berbères  :  à  sa  suite  marchaient  trente-sept  éléphants. 
L'inertie  inexplicable  des  Romains  semblait  laisser  le  champ  libre 
à  l'audacieux  Karthaginois. 

Dans  sa  marche  à  travers  la  Gaule,  Hannibal  rencontra  des  popu- 
lations diverses  dont  les  unes  se  joignirent  à  lui  comme  alliées  ;  il 
gagna  les  autres  par  ses  présents,  et  passa  sur  le  corps  de  celles 
qui  refusèrent  de  traiter.  Il  atteignit  ainsi  sans  grandes  difficultés 
le  Rhône.  Non  loin  de  Marseille,  les  cavaliers  numides,  envoyés 
en  éclaireurs,  soutinrent  un  combat  contre  les  soldats  du  consul 
P.  Scipion,  parti  par  mer  pour  l'Espagne,  mais  qui,  apprenant  les 
progrès  de  l'ennemi,  s'était  arrêté  dans  la  cité  phocéenne.  En  vain, 
les  Volks  essayèrent  de  disputer  aux  envahisseurs  le  pas-age  du 
Rhône  ;  Hannibal  les  trompa,  franchit  le  fleuve  et  se  lança  hardi- 


1.  Polybe. 


fiEUXIliME  GUERRE   PUNIQUE   (2l8   AV.  J.-C.) 


29 


ment  dans  les  Alpes.  Par  quel  défilé  passa  l'armée  karthaginoise  ? 
c'est  un  point  sur  lequel  on  discutera  sans  doute  pendant  long- 
temps. Peu  importe,  du  reste  !  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'à  force 
d'énergie,  et  au  prix  des  plus  grandes  fatigues  et  des  souffrances 
les  plus  pénibles,  car  on  était  au  mois  d'octobre,  Ilannibal  parvint, 
malgré  la  neige  et  les  précipices,  à  traverser  la  terrible  montagne. 
Il  déboucha  dans  le  pays  des  Insubres  avec  vingt  mille  fantassins 
et  six  mille  cavaliers.  Il  avait  donc  perdu  en  route  la  moitié  de 
son  armée,  et  c'est  avec  ces  débris  qu'il  fallait  conquérir  l'Italie. 

Combat  du  Tessin  ;  batailles  de  la  Trébie  et  de  Trasimène. 
—  D'immenses  difficultés  avaient  été  surmontées  par  Ilannibal, 
mais  celles  qu'il  lui  restait  à  vaincre  étaient  plus  grandes  encore. 
Les  Gaulois  cisalpins,  qui  lui  avaient  promis  leur  appui,  se  tenaient 
dans  l'expectative,  et  il  ne  pouvait  décidément  compter  que  sur 
ses  soldats  exténués  par  leur  marche  et  démoralisés  par  leurs 
pertes.  Publius  Scipion  arrivait  sur  son  flanc  droit.  Dans  ces  con- 
ditions, le  seul  espoir  de  salut  était  dans  l'énergie  de  la  lutte,  et 
Hannibal  qui  avait,  comme  tous  les  grands  hommes  de  guerre, 
l'art  d'enflammer  les  courages,  sut  le  persuader  à  ses  troupes.  Les 
Romains  étaient  venus  se  placer  en  avant  du  Tessin  pour  garder  le 
passage.  Ilannibal  les  fit  attaquer  par  sa  cavalerie  numide.  Scipion 
vaincu,  blessé  dans  le  combat,  se  vit  contraint  de  repasser  le 
fleuve,  d'aller  se  retrancher  derrière  la  ligne  du  Pô  et  d'y  attendre 
des  secours. 

Rome,  renonçant  pour  le  moment  à  la  campagne  d'Afrique, 
s'empressa  de  rappeler  le  consul  Sempronius,  qui  venait  de  s'em- 
parer de  l'île  de  Malte,  et  lui  donna  l'ordre  de  rejoindre  au  plus 
vite  son  collègue  Scipion.  Quelque  temps  auparavant,  la  flotte 
karthaginoise,  ayant  fait  une  démonstration  contre  Lilybée,  avait 
été  écrasée  par  le  préteur  yEmilius  (218). 

En  Espagne,  où  Gneius  Scipion  avait  été  envoyé  par  son  frère, 
ce  général  réussissait  à  intercepter  les  communications  des  Kartha- 
ginois  avec  l'Italie.  Hannibal  ne  pouvait  donc  compter  sur  aucun 
secours,  ni  par  mer,  ni  par  terre.  Heureusement  pour  lui,  son 
succès  du  Tessin  avait  décidé  les  Gaulois,  Insubres  et  Boïens,  à  lui 
fournir  leur  appui  ;  ses  troupes ,  remises  de  leurs  fatigues,  bien 
approvisionnées  par  leurs  alliés  et  par  leurs  fourrageurs,  et  pleines 
de  confiance,  ne  demandaient  qu'à  combattre. 

Le  consul  Sempronius  ayant,  par  une  marche  de  quarante  jours, 
au  milieu  d'un  pays  insurgé,  rejoint  P.  Scipion     les  forces  ro- 

1.  Pour  les  probabilités  des  itinéraires  suivis  tant  pur  Sempronius 


30 


HISTOIRE   DE  i/aFRIQCË 


maines  réunies  présentèrent  un  effectif  considérable  que  les 
consuls  jugèrent  suffisant  pour  triompher  de  Tarmée  karthagi- 
noise.  Après  quelques  combats  sans  importance,  Hannibal  amena 
Sempronius  à  lui  livrer  une  bataille  décisive  sur  les  bords  de  la 
Trébie.  L'armée  romaine  était  forte  de  quarante  mille  hommes, 
dont  quatre  mille  cavaliers  seulement.  Les  Karthaginois  étaient 
moins  nombreux,  mais  possédaient  une  plus  forte  cavalerie  ;  de 
plus,  ils  occupaient  un  terrain  choisi  et  dont  Hannibal  tira  très 
habilement  parti;  enfin,  les  Romains  étaient  exténués  par  les 
combats  des  jours  précédents,  mouillés  par  la  pluie  et  la  grêle,  et 
sans  vivres. 

La  bataille  fut  néanmoins  des  plus  acharnées,  et  l  infanlerie 
romaine  y  montra  une  grande  solidité  ;  mais  un  mouvement  tour- 
nant, opéré  par  un  corps  d  élite  karthaginois  commandé  par 
Hannon,  frère  de  Hannibal,  décida  de  la  victoire.  Les  Romains 
écrasés  laissèrent  trente  mille  hommes  sur  le  champ  de  bataille  ; 
un  corps  de  dix  mille  hommes,  commandé  par  Sempronius,  parvint 
seul  à  se  réfugier  à  Plaisance  en  culbutant  les  Gaulois  insurgés. 

Cette  brillante  victoire  assurait  à  Hannibal  la  conquête  de  toute 
l'Italie  du  nord.  Elle  ne  lui  coûtait,  en  outre  de  ses  derniers  élé- 
phants, qu'un  nombre  relativement  peu  considérable  de  guerriers, 
car  les  principales  pertes  avaient  été  supportées  par  les  Gaulois. 
Mais  ces  pertes  furent  bientôt  compensées  par  l'arrivée  d'auxi- 
liaires accourant  de  toutes  parts,  et  il  ne  tarda  pas  à  se  trouver  à 
la  tête  d'une  armée  de  quatre-vingt-dix  mille  hommes.  Au  prin- 
temps suivant,  Hannibal  laissant  Plaisance,  avec  Sempronius  sur 
ses  derrières,  se  jeta  résolûment  dans  l'Apennin,  et,  l'ayant  tra- 
versé au  prix  des  plus  grandes  fatigues,  envahit  l'Etrurie.  Le 
consul  Flaminius  attendait,  dans  son  camp  retranché  d'Arrétium, 
l'attaque  de  l'ennemi.  Hannibal  ne  commit  pas  la  faute  d'aller  l'y 
chercher;  il  le  dépassa,  et  comme  le  général  romain  s'était  mis  à 
sa  poursuite,  il  manœuvra  assez  habilement  pour  l'attirer  dans  une 
véritable  souricière,  sur  les  bords  du  lac  de  Trasimène.  L'armée 
romaine,  surprise  par  les  Karthaginois  cachés  dans  les  collines  en- 
tourant le  lac,  fut  entièrement  détruite  ;  le  consul  y  trouva  la  mort, 
ainsi  que  quinze  mille  de  ses  soldats  ;  un  nombre  égal  fut  fait  pri- 
sonnier'; mais  Hannibal  suivant  une  politique  constante,  renvoya 
sans  rançon  les  confédérés  italiens,  ne  conservant  que  les  Ro- 
mains (218). 

que  par  Hannibal,  consulter  le  bel  ouvrage  du  commandant  Hennebert, 
Hist.  d'Annibal. 

1.  Tite-Live,  1.  XXII,  ch.  4.  Polybe,  1.  IIL  85. 


DEUXIÈME  GUERRE  PUNIQUE   (216  AV.  J.-C.) 


31 


Hannibal  au  centre  et  dans  le  midi  de  l'Italie.  Bataille  de 
Cannes.  —  Le  sort  de  la  guerre  semblait  favorable  aux  Kartha- 
ginois  :  TEtrurie  était  ouverte  et  Rome,  s  atlendant  à  voir  paraître 
Tennemi,  coupait  ses  ponts  et  se  préparait  à  la  résistance.  Q.  Fa- 
bius Maximus,  nommé  dictateur,  l'ut  chargé  de  la  périlleuse  mis- 
sion de  repousser  les  Karthaginois.  Cependant  llannibal,  ne  se 
jugeant  pas  assez  fort  pour  tenter  un  ellort  décisif  et  ne  voulant 
rien  livrer  au  hasard,  était  passé  en  Ombrie  et  dans  le  Picénum  et 
s'occupait  à  refaire  son  armée  et  à  former  ses  auxiliaires  à  la  tac- 
tique romaine.  Jusqu'alors,  il  avait  dû  ses  succès  à  sa  brillante 
cavalerie  berbère,  mais  pour  triompher  de  la  solide  infanterie  en- 
nemie, il  lui  fallait  avant  tout  des  fantassins.  Du  Picénum,  Han- 
nibal  descendit,  en  suivant  l'Adriatique,  vers  l'Italie  méridionale, 
ravageant  tout  sur  son  passage.  Fabius  le  suivait,  couvrant  Rome, 
harcelant  sans  cesse  l'ennemi  et  l'affaiblissant,  mais  en  ayant  soin 
d'éviter  une  grande  bataille,  ce  qui  lui  valut  le  nom  de  «  tempo- 
riseur  ».  Mais  l'impatience  populaire,  habilement  exploitée  par  les 
ennemis  du  dictateur,  ne  s'accommodait  pas  de  cette  prudence  ; 
les  armées  romaines  avaient  remporté  des  succès  en  Espagne  et 
dans  le  nord  de  l'Italie  ;  quant  à  Hannibal,  qui  avait  compté  sur  le 
soulèvement  des  populations  de  la  Grande-Grèce,  il  n'avait  ren- 
contré partout  qu'hostilité  et  défiance  ;  abandonné  à  lui-même,  il 
se  trouvait  dans  une  situation  en  somme  assez  critique.  C'est 
pourquoi  l'on  réclamait  à  Rome  une  action  décisive.  Fabius  ayant 
résigné  le  pouvoir,  le  parti  populaire  nomma  consul  T.  ^'arron, 
tandis  que  la  noblesse  élisait  Paul-Emile. 

Au  printemps  de  l'année  216,  llannibal  avait  repris  l'ofTensive 
en  Apulie  et  était  venu  s'emparer  de  la  place  forte  de  Cannes.  Ce 
fut  là  que  les  nouveaux  consuls  vinrent  l'attaquer,  avec  une  armée 
forte  de  quatre-vingt  mille  hommes  d'infanterie  et  de  six  mille 
chevaux.  Paul-Emile,  élève  de  Fabius,  ne  voulait  pas  encore  atta- 
quer, mais  \^arron,  héros  populaire  sans  aucun  talent,  tenait  avant 
tout  à  plaire  à  l'opinion  de  la  masse,  et  comme  les  deux  consuls 
avaient,  tour  à  tour,  le  commandement  pendant  un  jour,  il  donna 
le  signal  du  combat.  Dix  mille  hommes  furent  laissés  à  la  garde  du 
camp  ;  le  reste  s'avança  dans  la  plaine  en  masses  profondes,  dispo- 
sition qui  avait  été  adoptée  par  \'arron  pour  donner  plus  de  soli- 
dité à  la  résistance,  mais  qui  lui  enlevait  son  principal  avantage  en 
laissant  dans  l'inaction  une  partie  de  ses  forces. 

Hannibal  n'avait  à  mettre  en  ligne  que  cinquante  mille  hommes, 
mais  sur  ce  nombre  il  possédait  dix  mille  cavaliers  berbères,  et  il 
sut,  avec  son  génie  habituel,  disposer  son  armée  pour  envelopper 
celle  de  l'ennemi.  Après  une  lutte  acharnée,  dans  laquelle  la  cava- 


32 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


lerie  numide,  commandée  par  Asdrubal,  se  couvrit  de  gloire,  la 
défaite  des  Romains  fut  consommée;  un  très  petit  nombre  parvint 
à  s"échapper.  Paul-Emile  et  presque  tous  les  chevaliers  romains 
restèrent  sur  le  champ  de  bataille  ;  les  dix  mille  hommes  laissés  à 
la  garde  du  camp  furent  faits  prisonniers.  Les  pertes  de  Hannibal 
étaient,  cette  fois  encore,  peu  considérables  et  portaient  princi- 
palement sur  les  auxiliaires  gaulois. 

Conséquences  de  la  bataille  de  Cannes.  — •  Energique  résistance 
DE  Rome.  —  Après  la  victoire  de  Cannes,  Hannibal  ne  voulut  pas 
encore  marcher  directement  sur  Rome;  son  armée,  composée  en 
partie  de  mercenaires,  ne  lui  offrait  pas  une  confiance  assez  grande 
pour  se  lancer  dans  les  périls  d'une  longue  route  au  milieu  de 
nations  hostiles,  avec  cette  perspective  de  trouver  comme  but  une 
ville  puissamment  fortifiée  et  défendue  par  une  population  résolue. 
Il  préféra  continuer  méthodiquement  la  guerre  qui  lui  avait  si 
bien  réussi  jusqu'alors.  Un  certain  nombre  de  villes,  parmi  les- 
quelles Capoue,  la  seconde  cité  de  l'Italie,  lui  offrirent  leur  sou- 
mission. Les  populations  grecques  résistèrent  généralement;  Han- 
nibal se  vit  donc  contraint  d'entreprendre  une  série  d'opérations 
de  détail,  afin  de  réduire  par  la  force  les  opposants.  En  même 
temps  il  envoyait  à  Karthage  son  frère  Magon  pour  demander  ins- 
tamment des  secours;  il  ne  pouvait  en  attendre  d'Espagne,  car 
les  Scipions  avaient  continué  à  y  remporter  des  avantages  et,  sou- 
tenus par  la  puissante  confédération  des  Celtibériens,  ils  empê- 
chaient absolument  le  passage  des  Pyrénées. 

Les  échecs  éprouvés  par  les  Romains,  loin  d'abattre  leur  cou- 
rage, n'avaient  eu  pour  conséquence  que  de  surexciter  leur  énergie 
et  de  leur  inspirer  de  mâles  résolutions.  Le  Sénat,  par  sa  fermeté, 
rendit  à  tous  la  confiance.  Les  forces  furent  réorganisées  ;  on 
appela  aux  armes  tous  les  hommes  valides,  même  les  esclaves, 
même  les  criminels.  Le  préteur  Marcus  Claudius  Marcellus  reçut 
la  mission  de  sauver  la  patrie  ;  les  voix  qui  osèrent  parler  de  traiter 
furent  bientôt  réduites  au  silence. 

A  Karthage,  tout  autre  était  l'attitude.  Là,  nul  enthousiasme; 
l'annonce  des  victoires  de  Hannibal  ne  suscitait  que  la  jalousie  du 
parti  de  Hannon  et  la  défiance  de  tous.  Alors  que  l'envoi  d'im- 
portants renforts  en  Italie  eût  été  nécessaire  pour  terminer  promp- 
tement  la  campagne,  le  frère  de  Hannibal  obtint  avec  beaucoup  de 
difficulté  le  départ  de  quatre  mille  Berbères  et  de  quarante  élé- 
phants. On  autorisa,  il  est  vrai,  Magon,  à  lever  des  troupes  en 
Espagne,  mais  ce  projet  ne  se  réalisa  pas  (216). 

Hannibal  demeurait  donc,  pour  ainsi  dire,  abandonné  à  lui- 


DEUXUÎME   GlTERUE  PUNIQUE    (2l4   AV.  J.-c] 


33 


même,  car  ces  secours  étaient  insuffisants  et  le  temps  s  écoulait, 
permettant  chaque  jour  aux  Romains  de  reprendre  de  nouvelles 
forces  sous  l'habile  direction  de  Marcellus.  La  confédération  ita- 
lique était  brisée,  mais  la  résistance  était  partout,  chacun  combat- 
tant pour  son  compte.  Dans  cette  conjoncture,  Ilannibal,  qui  était 
en  relations  avec  Philippe,  roi  de  Macédoine,  sigfna  avec  lui  un 
traité  d'alliance  offensive  et  défensive,  d'après  lequel  le  roi  devait 
arriver  en  Italie  avec  deux  cents  vaisseaux  ('-215). 

En  attendant,  la  position  de  Ilannibal,  entouré  par  trois  armées 
romaines,  devenait  de  jour  en  jour  plus  critique  ;  pour  éviter  d'être 
cerné,  le  général  karthaginois  se  décida  même  à  se  porter  vers  le 
nord-est,  espérant  que  le  roi  de  Macédoine  le  rejoindrait  sur  les 
côtes  de  l'Adriatique. 

En  Sicile,  Iliéronvme,  roi  de  Syracuse,  qui  avait  contracté 
alliance  avec  les  Karthaginois,  était  vaincu  par  les  légions  échap- 
pées à  Cannes  et  périssait  assassiné. 

L'année  21i  se  passa  en  opérations  militaires  dans  lesquelles  les 
généraux  déployèrent  de  part  et  d'autre  un  véritable  génie.  Les 
succès  des  Romains  furent  positifs  :  presque  toute  l'Apulie  était 
reconquise  et  Gapoue  étroitement  bloquée.  Enfin,  en  Espagne,  les 
Romains  n'avaient  cessé  de  remporter  des  avantages  décisifs  :  la 
plus  grande  partie  de  la  Péninsule  avait  été  conquise  par  eux. 
Cependant  les  Karthaginois  tenaient  encore  fermement  dans  les 
provinces  du  sud-est. 

La  guerre  en  Sicile.  —  Après  la  mort  de  Hiéronyme,  Karthage 
tenta  de  reeueillir  l'héritage  de  son  allié.  Un  parti  avait  proclamé 
à  Syracuse  une  sorte  de  république;  mais  cette  ville  ne  pouvait 
rester  neutre  entre  les  deux  grandes  rivales;  d'habiles  émissaires, 
envoyés,  dit-on,  par  Ilannibal,  la  décidèrent  à  appeler  les  Kartha- 
ginois. A  cette  nouvelle,  Rome  chargea  Marcellus  de  prendre  la 
direction  des  affaires  en  Sicile  ;  le  brave  général  commença  aussitôt 
le  siège  de  Syracuse;  mais  cette  ville  avait  été  fortifiée  avec  soin 
par  Hiéron,  durant  son  long  règne,  et  elle  était  défendue  par  une 
population  énergique,  avec  le  génie  d'Archimède  pour  auxiliaire  ; 
aussi  les  Romains,  après  six  mois  d'ell'orts  infructueux,  durent-ils 
renoncer  aux  opérations  actives  et  se  contenter  d'un  blocus.  En 
même  temps,  des  troupes  nombreuses,  dont  le  chiffre  atteignait, 
dit-on,  trente  mille  hommes,  avaient  été  envoyées  par  Karthage, 
en  Sicile.  Bientôt  la  plus  grande  partie  de  l'île  fut  arrachée  aux 
Romains.  Quant  à  Marcellus,  il  concentrait  tous  ses  efforts  contre 
Syracuse. 

Ilannibal  avait  compté  sur  le  secours  que  Philippe  s'était  engagé 


34 


insTOIRE  DE  l'wrJQVE 


à  lui  fournir  par  son  traité,  et  il  e?t  certain  que,  si  le  roi  de  Macé- 
doine avait  envoyé  en  Sicile  ou  en  Italie  des  secours  importants 
aux  Karthaginois,  la  situation  des  Romains  serait  devenue  fort 
critique.  Son  indécision,  ses  retards,  sa  mollesse  compromirent 
tout,  et  Rome  en  profita  habilement  pour  attaquer  Philippe  chez 
lui  et  semer  la  défiance  et  l'esprit  d'opposition  parmi  les  confé- 
dérés grecs;  le  secours  du  roi  de  Macédoine  fut  donc  annulé. 

En  212,  Syracuse  se  rendit  à  Marcellus,  qui  livra  la  ville  au 
pillage.  La  guerre,  transformée  en  lutte  de  guérillas,  devint  dès 
lors  funeste  aux  Karthaginois.  Le  consul  Lœvinus  leur  enleva 
toutes  leurs  conquêtes. 

Les  Berbères  prennent  part  a  la  lutte.  Syphax  et  Massi- 
NissA.  —  Les  Berbères  étaient  depuis  trop  d'années  mêlés,  par 
leurs  mercenaires,  à  la  lutte  de  Rome  et  de  Karlhage,  pour  qu'il 
leur  fût  possible  d'en  demeurer  plus  longtemps  les  spectateurs 
désintéressés.  Gula,  fils  de  ce  Xaravase  qui  avait  aidé  Amilcar  à 
triompher  des  ^lercenaires,  était  chef  des  Massyliens.  Syphax' 
régnait  sur  les  Masséssyliens,  c'est-à-dire,  sur  la  Numidie  occi- 
dentale. Par  ses  traditions,  par  sa  situation,  Gula  devait  s'allier 
aux  Karthaginois  qui,  du  reste,  lui  prodiguaient  leurs  bons  offices  ; 
c'est  ce  qu'il  fit.  Quant  à  Syphax,  il  accueillit,  dit-on,  les  proposi- 
tions et  les  promesses  que  les  Scipions  lui  envoyèrent  d'Espagne 
et  se  prononça  pour  Rome  (213).  Il  s'occupa  d'abord  à  organiser 
son  armée  sous  la  direction  de  centurions  romains,  et,  quand  il  se 
crut  assez:  fort,  il  se  mit  en  marche  contre  les  Massyliens. 

Mais  Gula,  prévenu  de  ces  dispositions,  n'était  pas  resté  inactif. 
Son  fils  Massinissa,  jeune  homme  de  dix-sept  ans,  doué  des  plus 
belles  qualités^,  marcha,  à  la  tête  de  troupes  massyliennes  et  kar- 
thaginoises,  à  la  rencontre  de  Syphax,  le  vainquit  dans  une  grande 
bataille,  où  celui-ci  perdit,  dit-on,  plus  de  trente  mille  hommes, 
et  le  contraignit  à  abandonner  Siga,  sa  capitale,  pour  se  réfugier 
dans  les  montagnes  de  la  Maurétanie.  Syphax  ayant  voulu  se  refor- 
mer avec  l'appui  des  Maures  fut  de  nouveau  vaincu  (212).  Toute 
la  Numidie  se  trouva  alors  réunie  sous  le  sceptre  de  Gula,  dont  le 
royaume  s'étendit  de  la  Molochat  à  l'Afrique  propre. 

Gcerre  d'Espagne.  — Ces  victoires  éloignaient,  pour  le  moment, 
un  danger  qui  avait  menacé  directement  Karthage.  Celle-ci  songea 

1.  Il  serait  beaucoup  plus  simple  d'adopter  pour  ce  nom  l'orthographe 
Sifax,  car  rien  ne  nous  oblige  d'employer  l'y  et  pb,  sinon  la  traduction. 

2.  Tite-Live. 


DEirXIl'îME   GUERRE  PIWIQUE    (211    AV.   J.-C.  ) 


35 


alors  à  tenter  un  j^rand  effort  en  Espagne  pour  arrêter  les  succès 
des  Scipions.  Asdrubal,  qui  était  venu  lui-même  coopérer  à  la  cam- 
pagne contre  Syphax,  s'empressa  de  retourner  dans  la  péninsule, 
emmenant  avec  lui  des  renforts  considérables  fournis  en  grande 
partie  par  les  Numides,  et  avec  eux  Massinissa,  dont  il  avait  pu 
apprécier  la  valeur. 

Les  Scipions  appelèrent  aux  armes  les  populations  espagnoles 
nouvellement  soumises  et,  comme  les  Karthaginois  avaient  divisé 
leurs  troupes  en  trois  corps,  ils  formèrent  aussi  trois  armées  pour 
les  leur  opposer.  Le  résultat  fut  désastreux  pour  eux.  Publius 
Scipion,  abandonné  par  ses  auxiliaires,  fut  d'abord  défait,  puis  ce 
fut  le  tour  de  Gnéius.  Enfin  les  débris  de  l'armée  furent  sauvés 
par  Gains  Marcius  qui  se  retira  derrière  l'Ebre.  Toute  la  ligne 
située  au  sud  de  ce  fleuve  rentra  ainsi  en  la  possession  des  Kartha- 
ginois. Massinissa  et  les  Numides  avaient  puissamment  contribué 
à  ces  importants  succès  (212). 

Les  deux  Scipions  étaient  morts  en  combattant  et  il  semblait 
qu'il  restait  peu  d'efforts  à  faire  aux  Karthaginois  pour  débloquer 
le  nord  de  l'Espagne  et  porter  secours  à  Hannibal;  mais  la  désu- 
nion qui  régnait  parmi  les  chefs  phéniciens,  d'autre  part,  l'habile 
tactique  de  G.  Marcius  et  la  promptitude  de  Rome  à  envoyer  des 
secours  arrêtèrent  les  conséquences  d'une  campagne  si  bien  com- 
mencée. La  guerre,  avec  ses  péripéties,  reprit  son  cours  régulier. 
Massinissa  d'un  côté,  le  jeune  Publius  Scipion,  de  l'autre,  se  ren- 
contrèrent sur  ces  champs  de  bataille. 

Campagnes  de  Hannibal  en  Italie.  —  Pendant  que  la  Sicile, 
l'Afrique  et  l'Espagne  étaient  le  théâtre  de  ces  événements,  Han- 
nibal abandonné,  enfermé  en  Italie,  déployait  les  ressources  iné- 
puisables de  son  génie  pour  tenir  ses  ennemis  en  échec.  Un  mo- 
ment, en  213,  il  s'était  trouvé  dans  une  situation  si  critique  que 
le  Sénat,  jugeant  sa  chute  prochaine,  avait  cru  pouvoir  rappeler 
deux  légions  et  les  envoyer  contre  Gapoue.  Aussitôt,  le  généi'al 
karthaginois  avait  repris  l'offensive,  reconquis  une  partie  du  ter- 
rain perdu  dans  la  Lucanie  et  le  Bruttium  et  s'était  même  fort  ap- 
proché de  Rome.  Peu  après,  Tarente  lui  ouvrait  ses  portes  (212). 
Mais  comme  les  Romains  s'étaient  réfugiés  dans  la  citadelle  de 
cette  ville,  les  Karthaginois  furent  contraints  d'en  entreprendre 
régulièrement  le  siège. 

En  211,  pendant  qu'une  partie  des  troupes  karthaginoises 
étaient  retenues  devant  la  citadelle  de  Tarente,  Hannibal  se  porta 
par  une  marche  rapide  sur  Rome,  qu'il  espérait  surprendre  par  la 
soudaineté  de  son  attaque.  Mais  la  ténacité  des  Romains  déjouait 


36 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


toutes  les  surprises  ;  il  trouva  tous  les  postes  gardés  et  dut  se  con- 
tenter de  ravager  la  canipaj^ne  environnante.  Vers  le  même  temps, 
Capoue  était  réduite  à  capituler  (211).  L'année  suivante  se  passa 
en  opérations  dans  lesquelles  Hannibal  obtint  quelques  succès; 
mais  cette  situation  ne  pouvait  se  prolonger,  s'il  ne  recevait  promp- 
tement  de  puissants  renforts.  En  209,  tandis  que  les  troupes  kar- 
thag-inoises  étaient  retenues  dans  le  centre,  le  vieux  consul  Fabius 
parvenait  à  rentrer  en  possession  de  Tarente;  quelque  temps  après 
le  brave  Marcellus,  écrasé  par  Hannibal,  trouvait  sur  le  champ  de 
bataille  la  mort  du  guerrier  (208). 

Succès  des  Romains  en  Espagne  et  en  Italie.  Bataille  du  Mé- 
TAURE.  —  Cette  terrible  guerre  se  poursuivait  en  Italie  avec  un 
acharnement  égal  de  pari  et  d'autre,  et  il  était  difficile  d'en  prévoir 
le  dénouement,  quand  les  événements  d'Espagne  vinrent  changer 
la  face  des  choses.  En  209,  Publius  Scipion,  profitant  de  ce  que  les 
troupes  karthaginoises  étaient  disséminées  à  l'intérieur,  alla  sur- 
prendre et  enlever  Karthagène,  quartier  général  des  Phéniciens, 
où  il  trouva  des  approvisionnements  considérable?,  un  nombreux 
matériel  de  guerre,  des  vaisseaux,  de  l'argent,  des  otages.  Le  tout 
lui  fut  livré  par  le  général  Magon,  après  une  résistance  qui  aurait  pu 
être  plus  héroïque.  Pour  assurer  les  conséquences  de  cet  important 
succès,  Scipion  marcha  contre  Asdrubal  et  le  défit,  mais  il  ne  put 
empêcher  le  hardi  Karthaginois  de  prendre,  avec  des  forces  impor- 
tantes, des  éléphants  et  de  l'argent,  le  chemin  du  Nord.  En  route, 
Asdrubal  reforma  son  armée,  traversa  les  Pyrénées  et  fit  invasion 
en  Gaule  (208). 

Bientôt  on  apprit  à  Rome  que  les  Karthaginois  menaçaient  le 
nord  de  l'Italie.  La  consternation  fut  grande,  mais  comme  toujours 
les  viriles  résolutions  triomphèrent.  L'argent  manquait  :  on  fit 
appel  au  patriotisme  des  citoyens  et  des  alliés  ;  les  légions  étaient 
disséminées,  on  les  fit  rentrer  d'Espagne  et  de  Sicile  et  l'on  appela 
tous  les  hommes  valides  aux  armes.  Les  consuls  Marcus  Livius  et 
Caius  Néron  reçurent  la  mission  d'empêcher  la  jonction  des  Kar- 
thaginois. 

Hannibal,  qui  voyait  enfin  son  plan  sur  le  point  d'être  réalisé, 
s'empressa  de  marcher  vers  le  nord  pour  y  tendre  la  main  à  son 
frère,  mais  les  consuls  lui  barrèrent  le  passage,  et  après  plusieurs 
actions  dans  lesquelles  il  n'eut  pas  l'avantage,  il  se  trouva  arrêté  à 
Canusium,  en  Apulie,  ayant  en  face  de  lui  C.  Néron,  tandis  que 
Marcus  gardait  la  frontière  du  Nord.  Sur  ces  entrefaites,  un  cour- 
rier, envoyé  par  Asdrubal  à  son  frère,  étant  tombé  entre  les  mains 
des  Romains,  les  mit  au  courant  du  plan  et  de  la  situation  de  l'en- 


DEUXIÈME  GUERRE  PUNIQUE   (207  AV.  J.-C.) 


37 


nemi.  Néron  laissa  alors  son  camp  à  la  garde  d'une  faible  partie  de 
son  armée  et  se  porta,  par  marches  forcées,  avec  le  reste  de  ses 
troupes,  contre  les  Karthaginois  dont  il  connaissait  la  position  et 
l'itinéraire.  En  combinant  ses  forces  avec  celles  de  son  collègue,  il 
put  surprendre  les  ennemis  au  moment  où  ils  franchissaient  le  Mé- 
taure.  En  vain  Asdrubal  essaya  de  se  dérober  par  la  retraite  à 
l'attaque  des  Romains,  il  fallut  combattre,  et  on  le  fit  de  part  et 
d'autre  avec  un  grand  courage.  La  journée  se  termina  par  la  dé- 
faite des  Karthaginois,  dont  le  chef  se  fit  bravement  tuer.  Qua- 
torze jours  après  son  départ,  Néron  rentrait  dans  son  camp  et 
faisait  lancer  dans  les  lignes  ennemies  la  tête  d'Asdrubal.  Ce  fut 
ainsi  que  Hannibal  apprit  qu'il  ne  lui  restait  plus  d'espoir  d'être 
secouru  et  qu'il  ne  pouvait  plus  compter  que  sur  lui-même  (207). 
Il  se  mit  en  retraite,  atteignit  le  Bruttium,  s'y  retrancha  et  y  ré- 
sista pendant  plusieurs  années  encore  aux  attaques  des  troupes 
romaines. 

Evénements  d'Afrique.  Rivalité  de  Massinissa  et  de  Syphax.  — 
Pendant  que  l'Italie  était  le  théâtre  de  ces  événements,  Scipion 
poursuivait  en  Espagne  le  cours  de  ses  succès.  Vainqueur  des  gé- 
néraux karthaginois  Ilannon,  j\Iagon  et  Asdrubal,  fils  de  Giscon, 
les  Romains  conquirent  toute  l'Espagne  méridionale,  de  telle  sorte 
que  les  Phéniciens  ne  conservèrent  plus  que  Gadès  et  son  terri- 
toire. Scipion  sut  en  outre  détacher  Massinissa  de  la  cause  de  ses 
ennemis.  On  dit  que  ce  dernier  se  laissa  séduire  par  la  générosité 
du  général  romain  qui  avait  laissé  la  liberté  à  son  neveu  Massiva*  ; 
il  accepta  une  entrevue  avec  Silanus,  lieutenant  de  Scipion,  et  s'at- 
tacha pour  toujours  aux  Romains.  C'était  une  nouvelle  conquête, 
et  l'on  n'allait  pas  tarder  à  en  avoir  la  preuve  en  Afrique  (207). 

Scipion,  cela  n'est  pas  douteux,  avait  déjà  l'intention  bien 
arrêtée  d'attaquer  Karthage  chez  elle.  Une  condition  de  réussite 
était  d'avoir  l'appui  des  Berbères.  Il  renoua  donc  les  relations  avec 
Syphax  qui,  après  avoir  reconquis  son  royaume,  avait  recouvré 
une  grande  puissance  en  Masséssylie  et  alla  même  audacieusement 
lui  rendre  visite  en  Afrique.  Asdrubal,  fils  de  Giscon,  l'avait  de- 
vancé auprès  du  prince  numide;  mais,  malgré  tous  ses  efforts,  il 
ne  put  empêcher  Syphax  de  conclure  avec  Scipion  un  traité  d'al- 
liance contre  Karthage.  Rentré  en  Espagne  après  une  fort  courte 
absence,  Scipion  eut  une  entrevue  avec  Massinissa  et  le  décida  à 
se  prononcer  ouvertement  contre  les  Phéniciens,  dont  il  sut  habi- 
lement faire  ressortir  l'ingratitude  vis-à-vis  de  lui,  en  lui  rappelant 


1.  Titc-Live,  1.  XXVII. 


38 


HISTOIRE  DE  l'aFUIQLE 


qu'il  leur  avait  rendu  les  plus  grands  services  avec  ses  cavaliers 
numides,  dans  la  péninsule  (206). 

Mais  Asdrubal,  resté  auprès  de  Syphax,  n  eut  pas  de  peine  à 
tirer  parti  de  cette  circonstance  pour  susciter  la  jalousie  de  ce 
prince  berbère  et  le  détacher  des  Romains.  La  main  de  sa  fille,  la 
célèbre  Sophonisbe  qui,  dit-on,  avait  autrefois  été  promise  à  Mas- 
sinissa',  scella  la  nouvelle  alliance. 

Massimssa,  roi  de  Numidie.  —  Ce  n"élait  pas  sans  motif  que 
Massinissa  s'était  prononcé  contre  les  Karthaji^inois  ;  en  effet, 
tandis  qu'il  luttait  pour  eux  en  Espai;ne,  ils  assistaient  impassibles 
à  sa  spoliation.  Gula  étant  mort,  le  pouvoir  passa,  selon  la  cou- 
tume du  pays,  dans  les  mains  de  son  frère  Desalcès,  vieillard 
fati<?ué,  qui  ne  tarda  pas  à  le  suivre  au  tombeau.  Il  laissait  deux 
jeunes  fils,  Capusa  et  Lucumacès.  Le  premier  hérita  du  pouvoir  ; 
mais  un  intrigant  Massylien,  nommé  Mézétule,  profita  de  sa  fai- 
blesse pour  le  renverser  et  faire  proclamer  à  sa  place  son  jeune  frère 
Lucumacès,  en  se  réservent  pour  lui  la  direction  des  affaires. 

Il  était  temps,  pour  Massinissa,  de  venir  prendre  une  part  active 
à  la  lutte.  En  206,  il  passa  en  Maurélanie  et  se  rendit  auprès  de 
Bokkar,  roi  de  cette  contrée,  duquel  il  obtint,  non  sans  difficulté, 
une  escorte  pour  se  rendre  à  Massylie.  Arrivé  dans  son  pays,  il 
vit  accourir  un  grand  nombre  de  Berbères  las  de  la  tyrannie  de 
l'usurpateur,  et  ne  tarda  pas,  avec  leur  appui,  à  entrer  en  lutte 
ouverte  contre  son  cousin.  Lucumacès,  réduit  à  la  fuite,  parvint  à 
se  réfugier  auprès  de  Syphax  et  obtint  de  lui  un  corps  de  troupe 
considérable  avec  lequel  il  vint  offrir  la  bataille  à  Massinissa  ;  mais 
le  sort  des  armes  fut  favorable  à  celui-ci  et  cette  victoire  lui  rendit 
son  royaume.  Il  entra  alors  en  pourparlers  avec  Lucumacès,  lui 
offrant  de  partager  le  pouvoir  avec  lui,  ce  qui  fut  accepté.  Le 
jeune  prince  rentra  ainsi  en  Massylie  avec  Mezétule. 

Massinissa  est  vaincu  par  Syphax.  —  Le  but  de  Massinissa,  par 
cette  transaction,  avait  été  de  ne  pas  diviser  ses  forces,  dans  la 
prévision  de  l'attaque  imminente  de  Syphax.  Bientôt,  en  effet,  les 
Masséssylien-;  envahirent,  avec  des  forces  nombreuses,  son  terri- 
toire. En  vain  Massinissa  essaya  de  tenir  tête  à  ses  ennemis  : 
vaincu  dans  un  grand  combat,  il  perdit  en  un  jour  sa  couronne  et 
se  vit  réduit  à  fuir  avec  quelques  cavaliers  (205).  Il  chercha  un  re- 
fuge dans  le  mont  Balbus,  non  loin  de  Clypée  -  et,  ayant  été  rejoint 

1.  Ce  fait,  attesté  par  Appien,  est  passé  sous  silence  par  Tite-Liye. 

2.  Près  de  la  eôte  orientale  de  la  Tunisie. 


DEUXIÈME   GUERRE  PUNIQUE    (204   AV.  J.-C.) 


39 


par  un  certain  nombre  d'aventuriers,  y  vécut  pendant  quelque 
temps  de  brigandage  et  du  produit  de  ses  incursions  sur  les  terres 
karthaginoises.  Mais  un  corps  d'armée  envoyé  par  Syphax,  sous  la 
conduite  de  son  lieutenant  Bokkar,  vint  l'y  relancer,  le  vainquit 
en  deux  rencontres  et  dispersa  ses  adhérents. 

Blessé  dang-ereusement,  Massinissa  fut  transporté  dans  une  ca- 
verne et  échappa  à  la  mort  grâce  au  dévouement  de  quelques 
hommes  restés  avec  lui.  Aussitôt  qu'il  fut  en  état  de  monter  à 
cheval,  Massinissa  rentra  dans  la  Numidie  où  il  fut  bien  accueilli 
par  les  Berbères  qui,  avec  leur  inconstance  habituelle,  vinrent  en 
masse  se  ranger  sous  sa  bannière.  Syphax  le  croyait  mort,  lorsqu'il 
apprit  qu'il  était  campé  avec  un  énorme  rassemblement  entre  Cirta 
et  Hippone.  Le  roi  des  Masséssyliens  marcha  contre  lui  et  le  défit 
dans  une  sanglante  bataille,  dont  le  gain  fut  en  grande  partie  dû  à 
un  habile  mouvement  tournant  exécuté  par  Vermina,  fils  de 
Syphax.  Cette  fois  il  ne  resta  à  Massinissa  d'autre  ressource  que  de 
gagner  le  pays  des  Garamanteset  de  se  tenir  sur  la  limite  du  désert 
en  attendant  les  événements.  Nous  verrons,  dans  tous  les  temps, 
les  agitateurs  aux  abois  suivre  cette  tactique.  Quant  à  Syphax,  il 
demeura  maître  de  toute  la  Numidie  (201).  Il  vint  alors  s'établir  à 
Cirta,  ville  qui,  par  son  importance  et  sa  situation  centrale,  était  la 
réelle  capitale  du  royaume. 

Evénements  d'Italie.  L'inv.vsion  de  l'Afrique  est  résolue.  — 
Tandis  que  l'Afrique  était  le  théâtre  de  ces  événements,  Magon, 
qui  avait  enfin  reçu  de  Karthage  quelques  secours,  quittait  l'Es- 
pagne et  allait  débarquer  à  Gênes  dans  l'espérance  de  pouvoir  dé- 
bloquer son  frère  Ilannibal,  avec  l'appui  des  Gaulois  et  des  Ligu- 
riens. Il  obtint  en  effet  quelques  secours  de  ces  peuplades  ;  mais 
ce  n'était  pas  avec  de  telles  forces  qu'il  pouvait  traverser  l'Italie, 
et  il  n'avait  pas  le  prestige  qui  donne  la  confiance  et  supplée  à  la 
faiblesse  :  après  quelques  tentatives  infructueuses,  il  fut  à  peu 
près  réduit  à  l'inaction  (205). 

Pendant  ce  temps,  Scipion  qui,  lui  aussi,  avait  quitté  l'Espagne, 
s'efforçait  de  faire  adopter  à  Rome  son  plan  d'invasion  de  l'Afrique, 
mais  il  se  heurtait  à  une  résistance  invincible  :  les  vieux  sénateurs 
n'avaient  pas  confiance  dans  ce  jeune  homme  qui  affectait  d'adopter 
les  mœurs  étrangères;  ils  oubliaient  qu'il  venait  de  conquérir 
l'Espagne  et  disaient,  pour  expliquer  leur  refus,  qu'il  ne  fallait  pas 
songer  à  une  guerre  lointaine  tant  que  Hannibal  n'aurait  pas  quitté 
l'Italie.  A  force  d'insistance,  Scipion  finit  cependant  par  arracher 
au  Sénat  l'autorisation  d'attaquer  Karthage  chez  elle,  mais  il 
n'obtint  pas  les  forces  matérielles  nécessaires  ;  on  l'envoya  en  Sicile 


40 


HISTOIRE  DK  l'Afrique 


organiser  la  flotte  et  former  son  armée  des  restes  des  légions  de 
Cannes  et  des  aventuriers  et  des  mercenaires  qu'il  pourrait  réunir, 
mais  sans  lui  donner  d'argent  pour  cela.  L'activité  et  le  génie  du 
général  suppléèrent  à  tout  :  il  se  fit  remettre  des  subsides  par  les 
villes,  mit  en  état  la  flotte,  organisa  l'armée  et,  au  printemps  de 
l'année  20i,  fit  voile  pour  l'Afrique  en  emmenant  trente  mille 
hommes. 

Campagne  de  Scipion  en  Afrique.  —  Débarqué  heureusement  au 
Beau-Promontoire,  près  d'Utique,  Scipion  fut  rejoint  par  Massi- 
nissa  accouru  avec  quelques  cavaliers  '.  Après  divers  engagements 
heureux  contre  les  troupes  karthaginoises,  le  général  romain  vint 
mettre  le  siège  devant  Utique.  Mais  Syphax,  étant  accouru  avec 
une  puissante  armée  au  secours  de  se?  alliés,  força  Scipion  à  lever 
le  siège  d'Utique  et  à  aller  prendre  ses  quartiers  d'hiver  dans  un 
camp  retranché,  entre  cette  ville  et  Karthage.  Les  troupes  phéni- 
ciennes et  berbères  se  contentèrent  de  l'y  bloquer  étroitement.  Au 
printemps  suivant,  Scipion  profita  de  la  sécurité  dans  laquelle  il 
avait  entretenu  Syphax,  en  lui  adressant  des  propositions  de  paix, 
comme  s'il  jugeait  la  campagne  perdue;  simulant  un  mouvement 
vers  Utique,  il  se  porta  par  une  marche  rapide  sur  les  campements 
de  ses  ennemis  divisés  en  deux  groupes,  les  Karthaginois  sous  le 
commandement  d'Asdrubal  et  les  Berbères  sous  celui  de  Syphax, 
les  surprit  de  nuit  dans  leur  camp,  et  fit  incendier  celui  des 
Numides  par  Lélius,  son  lieutenant,  et  par  Massinissa  ;  quant  à  lui, 
il  se  réserva  l'attaque  de  celui  des  Phéniciens.  Le  succès  de  ce 
coup  de  main  fut  inespéré  :  quarante  mille  ennemis  périrent,  dit- 
on,  dans  cette  nuit  funeste,  car  ceux  qui  essayaient  d'échapper  aux 
flammes  et  au  tumulte  tombaient  dans  les  embuscades  des  Ro- 
mains (203). 

Sans  se  laisser  abattre  par  ce  désastre,  Karthage  s'occupa  avec 
activité  de  se  refaire  une  armée.  Quatre  mille  mercenaires  celti- 
bériens  furent  enrôlés,  et  bientôt  une  armée  nombreuse  de  Ber- 
bères, envoyés  par  Syphax,  arriva  à  Karthage.  Asdrubal,  à  la  tète 
d'une  trentaine  de  mille  hommes,  marcha  alors  contre  Scipion  qui 
s'avança  à  sa  rencontre  et  lui  livra  bataille  en  un  lieu  que  les  his- 
toi'iens  appellent  <(  les  grandes  plaines  ».  Cette  fois  encore,  la  for- 
tune se  prononça  pour  les  Romains.  Scipion  remporta  une  victoire 
décisive,  puis  il  marcha  directement  sur  Karthage  et  vint  se  rendre 
maître  de  Tunis. 


1.  Tite-Live,  XXIX,  29. 


DEUXIÈME  GUERRE  PUNIQUE   (203  AV.  J.-C.) 


41 


Syphax  est  fait  prisonnier  par  Massinissa.  —  Mais  avant  de 
porter  les  derniers  coups  à  la  métropole  punique,  Scipion  juj^ea 
qu'il  fallait  la  priver  de  ses  alliés  ;  Massinissa  brûlait  trop  du  désir 
de  tirer  vengeance  de  son  rival  pour  ne  pas  le  pousser  dans  cette 
voie.  Ce  fut  Massinissa  lui-même  que  Scipion  chargea  de  ce  soin, 
en  lui  adjoignant  Lélius.  Syphax  marcha  bravement  à  la  rencontre 
de  ses  ennemis  et  leur  livra  bataille  ;  mais  dans  l'action,  son  cheval 
s'étant  abattu,  il  se  bles?a  et  fut  fait  prisonnier.  Après  ce  premier 
succès,  Massinissa,  dépassant  sans  doute  les  instructions  reçues, 
marche  directement  avec  Lélius  sur  Cirta,  la  place  forte  de  la  Nu- 
midie.  Il  trouve  la  population  disposée  à  la  lutte  à  outrance  ;  mais 
il  montre  Syphax  enchaîné  et  profite  de  la  stupeur  des  Berbères 
pour  se  faire  ouvrir  les  portes.  Il  pénètre  dans  la  ville,  court  au 
château  et  en  retire  Sophonisbe'.  Puis  on  reprend  le  chemin  de 
Tunis,  et  Massinissa  se  présente  à  Scipion,  en  traînant  à  sa  suite 
Syphax  captif  ;  Sophonisbe  suivait  aussi,  mais  dans  un  tout  autre 
équipage.  Scipion,  ayant  appris  que  Massinissa  se  disposait  à  en 
faire  sa  femme,  craignit  que  l'influence  de  la  belle  Karthaginoise 
ne  détachât  de  lui  le  prince  numide,  et  exigea,  malgré  les  suppli- 
cations de  celui-ci,  qu'elle  lui  fût  livrée,  sous  le  prétexte  que  tout 
le  butin  appartenait  à  Rome.  ]\fais  Sophonisbe  évita,  par  le  poison, 
la  honte  d'orner  son  triomphe;  on  ne  remit  qu'un  cadavre  au  gé- 
néral romain. 

Bataille  de  Zama.  —  La  chute  de  Syphax  acheva  de  démoraliser 
Karthage.  On  s'empressa  d'abord  de  rappeler  d'Italie  Magon  et 
Hannibal  ;  puis,  la  flotte  fut  envoyée  au  secours  d'Utique;  mais 
cette  diversion,  bien  qu'ayant  forcé  Scipion  à  quitter  son  camp  de 
Tunis,  n'eut  aucune  conséquence  décisive.  Les  Karthaginois  pro- 
posèrent alors  des  ouvertures  de  paix  que  Scipion  accueillit  ;  il  fit 
connaître  ses  conditions,  et,  comme  elles  étaient  acceptablES,  les 
bases  de  la  paix  furent  arrêtées  et  des  envoyés  partirent  pour 
Rome,  afin  de  soumettre  le  traité  à  la  ratification  du  Sénat. 

Pendant  ce  temps,  Magon  et  Hannibal  quittaient  l'Italie.  Le 
premier,  grièvement  blessé  quelque  temps  auparavant,  ne  devait 
jamais  revoir  son  pays;  quant  à  Hannibal,  qui  avait  depuis  long- 
temps pris  ses  dispositions  pour  la  retraite,  il  s'embarqua  sans  être 
inquiété,  à  Crolone,  après  avoir  massacré  ses  alliés  italiens  qui  ne 
voulaient  pas  suivre  sa  fortune,  et  débarqua  heureusement  à 
Leptis".  Pour  la  première  fois  depuis  trente-six  ans,  il  se  retrouvait 


1.  Titc-Live,  XXX,  13. 

2.  Actuellement  Lamta. 


42 


HISTOIRE  DE  l'Afrique 


dans  sa  patrie.  De  Leplis,  il  gagna  Hadrumète,  puis,  se  lançant 
dans  l'intérieur  des  terres,  vint  prendre  position  au  midi  de  Kar- 
thage  (202).  Il  sut  attirer  à  lui  un  certain  nombre  de  chefs  indi- 
gènes parmi  lesquels  Mezétule,  et  fut  rejoint  par  Vermina,  lui 
amenant  les  derniers  soldats  et  alliés  de  son  père,  de  sorte  que  son 
armée  présenta  bientôt  un  effectif  imposant. 

Le  retour  de  Hannibal  et  des  troupes  d'Italie  rendit  l'espoir  aux 
Karthaginois,  et  au  mépris  de  la  trêve,  ils  recommencèrent  les  hos- 
tilités en  attaquant  une  flotte  romaine  de  transport  et  même  un 
vaisseau  portant  les  ambassadeurs  de  Rome.  Justement  irrité  de  ce 
manque  de  foi,  Scipion  se  remit  en  campagne,  saccageant  et  mas- 
sacrant tout  sur  son  passage.  Il  remonta  le  cours  de  la  INIedjerda 
et  se  trouva  bientôt  en  présence  de  Hannibal,  au  lieu  dit  Zama, 
que  l'on  place  dans  les  environs  de  Souk-Ahras  '.  Après  une 
entrevue  entre  les  deux  généraux,  entrevue  dans  laquelle  ils  ne 
purent  réussir  à  s'entendre,  on  en  vint  aux  mains. 

Hannibal  couvrit  son  front  de  ses  éléphants,  au  nombre  de 
quatre-vingts,  et  rangea  son  infanterie  en  trois  lignes,  en  mettant 
en  réserve  ses  vétérans  d'Italie,  et  disposant  sa  cavalerie  sur  les 
ailes.  Scipion  prit  des  dispositions  analogues,  mais  en  ayant  soin 
de  laisser  dans  ses  lignes  des  espaces  pour  que  les  éléphants  pus- 
sent les  traverser  sans  les  rompre.  Massinissa  avait  joint  sa  cava- 
lerie à  celle  de  Scipion.  Dès  le  commencement  de  l'action,  le 
désordre  fut  mis  dans  l'armée  de  Hannibal  par  ses  éléphants  qui 
se  jetèrent  sur  ses  ailes,  puis  des  mercenaires  karthaginois,  se 
croyant  trahis,  entrèrent  en  lutte  contre  la  milice  punique.  Cepen- 
dant l'ordre  se  rétablit  ;  les  vétérans  se  formèrent  en  ligne,  et  l'on 
combattit  de  part  et  d'autre  avec  le  plus  grand  courage.  Mais  la 
cavalerie  romaine,  qui  s'était  un  peu  écartée  à  la  poursuite  de  celle 
de  l'ennemi,  étant  revenue  vers  la  fin  de  la  journée,  enveloppa 
l'armée  de  Hannibal  et  décida  la  victoire.  Elle  fut  complète.  Le 
général  karthaginois  parvint,  non  sans  peine,  à  se  réfugier  à  Hadru- 
mète, avec  une  poignée  d'hommes.  Les  Romains  avaient  acheté 
leur  victoire  par  de  cruelles  pertes  (202). 

FiX    DE  LA   IP  GUERRE  PUNIQUE.  TrAITÉ  AVEC  RoME.    Après  CC 

dernier  échec,  Karthage  ne  pouvait  plus  songer  à  combattre  en- 
core. Scipion,  ayant  écrasé  ^^ermina,  était  venu  reprendre  ses  posi- 
tions à  Tunis  et  à  Utique.  Quant  à  Hannibal  il  s'efforçait,  à  Hadru- 

1.  A  Naraggara.  Voir  «  Naraggara  »  par  M.  Goyl.  Recueil  de  la  soc. 
arcli.  de  Consta/iline,  20=  vol.  et  Rcciterclies  sur  le  champ  de  bataille  de 
Zama,  par  M.  Lewal,  Revue  afr.,  t.  II,  p.  111. 


DEUXIÈME   GUERRE   PUNIQUE   (201    AV.  J.-C.) 


43 


mète,  de  reconstituer  une  armée,  mais  sans  aucun  espoir  sur 
l'issue  de  la  lutte.  Rappelé  à  Karthage,  il  conseilla  énergiquement 
à  ses  concitoyens  de  traiter.  Une  ambassade  fut  envoyée  à  Scipion 
pour  lui  proposer  la  paix.  Le  vainqueur  de  Zama  était  maître 
absolu  de  la  situation  ;  mais,  soit  qu  il  eût  hâte  de  terminer  cette 
guerre,  parce  que  la  fin  de  son  consulat  approchait,  soit  qu'il 
craignît  les  revers  de  la  fortune,  en  poussant  les  Karthaginois  au 
désespoir,  il  s'empressa  de  traiter  en  dictant  des  conditions  fort 
dures  pour  Karthage,  mais  qui  auraient  pu  encore  être  plus  désas- 
treuses. Un  armistice  de  trois  mois  fut  conclu,  à  la  condition  que 
le  gouvernement  punique  paierait  une  première  indemnité  de 
vingt-cinq  mille  livres  d'argent,  et  fournirait  à  l'armée  romaine 
tout  ce  dont  elle  aurait  besoin  pour  vivre. 

Peu  après,  dix  commissaires  furent  envoyés  de  Rome  et  adjoints 
à  Scipion  pour  la  conclusion  du  traité,  qui  fut  arrêté  sur  les  bases 
suivantes  : 

Karthage  livrera  tous  les  prisonniers,  les  transfuges,  ses  vais- 
seaux, excepté  dix,  et  tous  ses  éléphants. 

Elle  conservera  ses  lois  et  ses  possessions  en  Afrique. 

Elle  renoncera  à  tous  droits  sur  ses  anciennes  colonies  de  la 
Méditerranée. 

Elle  paiera  à  Rome  dix  mille  talents  en  cinquante  ans  et  lui 
livrera  cent  otages. 

Massinissa,  reconnu  roi  de  Masséssylie,  avec  Cirta  comme  capitale, 
recevra  une  indemnité  de  Karthage  et  sera  respecté  comme  allié. 

Enfin  Karthage  ne  pourra  lever  de  mercenaires  ni  entreprendre 
de  guerre  sans  l'autorisation  de  Rome. 

Ce  traité  fut  aussitôt  ratifié  et  mis  à  exécution:  Scipion  se  fit 
remettre  cinq  cents  vaisseaux  qu'on  incendia,  par  son  ordre,  dans 
la  rade  de  Karthage.  Il  reçut  quatre  mille  prisonniers  et  un  certain 
nombre  de  transfuges  qui  périrent  dans  les  supplices,  puis  il  partit 
pour  Rome,  où  l'attendaient  les  honneurs  du  triomphe.  Quant  à 
Syphax,  envoyé  précédemment  en  Italie  avec  le  butin,  il  était  mort 
de  misère  et  de  chagrin  à  Albe  '  (201). 

La  deuxième  guerre  punique  se  terminait  par  la  ruine  effective 
de  Karthage  ;  dépouillée  de  toutes  ses  forces  et  de  ses  ressources, 
passée  à  l'état  de  vassale,  elle  a  cessé  d'exercer  aucune  prépondé- 
rance sur  l'Afrique.  Les  Berbères  vont  bientôt  connaître  de  nou- 
veaux maîtres. 

1.  Pour  la  fin  delà  2«  guerre  punique,  voir  Tite-Live,  Polybe  et 
Appien.  Voir  aussi  1'  v  Afrique  ancienne  »  dans  1'  «  Univers  pittoresque  j, 
édition  Didot,  t,  II  et  YII, 


CHAPITRE  IV 


TROISIÈME  GUERRE  PUNIQUE 

201-146 

Situation  des  Rerbères  en  l'an  201.  —  Hannibal.  dictateur  de  Karthage;  il 
est  contraint  de  fuir.  Sa  mort.  —  Empiétements  de  Massinissa. —  Prépon- 
dérance de  Massinissa.  —  Situation  de  Karthage.  —  Karthape  se  prépare  à 
la  guerre  contre  Massinissa.  —  Défaite  des  Karthaginois  i)ar  Massinissa. 
Troisième  guerre  punique.  —  Héroïque  résistance  de  Karthage.  —  Mort  de 
Massinissa.  — •  Suite  du  siège  de  Karthage.  —  Scipion  prend  le  comman- 
dement des  opérations.  —  Chute  de  Karthage.  —  l^'Afrique  province 
romaine. 

Situation  des  Berbères  en  l'an  201.  —  Jusqu'à  présent,  l'his- 
toire de  r.Afrique  s'est  concentrée,  pour  ainsi  dire,  dans  celle  de 
Karthage.  A  mesure  que  la  puissance  phénicienne  penche  vers  son 
déclin,  nous  allons  voir  s'élever  celle  des  princes  indigènes,  et  les 
Berbères,  qui  n'ont  paru  jusqu'ici  que  comme  comparses,  vont  oc- 
cuper la  scène.  11  est  donc  utile  d'examiner  quelle  est  la  situation 
respective  des  royaumes  indigènes. 

Dans  la  Massylie,  agrandie  de  Cirla  et  de  son  territoire,  règne 
Massinissa,  sous  la  tutelle  de  Rome.  Le  prince  numide  jette  des 
regards  avides  sur  le  territoire  de  Karthage,  sur  la  Byzacène  et  la 
Tripolitaine.  En  attendant,  il  s'applique  à  discipliner  les  Berbères, 
à  les  fixer  au  sol  et  à  les  initier  à  des  procédés  plus  perfectionnés 
de  culture. 

La  Masséssylie  occidentale,  depuis  l'Amsaga  jusqu'à  la  Molochath, 
obéit  à  Vermina,  qui  a  fait  sa  soumission  à  Rome,  et  a  été  laissé 
sur  le  flanc  de  Massinissa  pour  assurer  sa  fidélité. 

La  Maurélanie  ou  Maurusie  est  soumise,  au  moins  en  grande 
partie,  à  une  famille  princière  dont  le  chef  porte  le  nom  de  Bokkar. 
Ce  pays  est  encore  peu  connu  des  Romains  :  mais  les  Maures  (Ber- 
bères de  l'Ouest)  ne  vont  pas  tarder  à  prendre  part  aux  alTaires  de 
l'Afrique. 

Quant  aux  tribus  désignées  sous  le  nom  de  Gélules  (Zenètes  et 
Sanhadja)  elles  continuent  à  errer  dans  les  haut-  plateaux  et  le 
désert,  ne  perdant  aucune  occasion  de  faire  des  incursions  dans  le 
Tel  et  de  chercher  à  s'y  établir  au  détriment  des  anciennes  popu- 


TROISIEME   GUERRE   PUN'IQUE    (193   AV.  .T.-C.) 


45 


lations.  Mais  leurs  elForts  sont  isolés  elles  Gélules  ne  forment  pas, 
à  proprement  parler,  un  royaume. 

De  même,  clans  Test,  les  tribus  des  Nasamons,  Psylles,  Troglo- 
dytes, etc.  (Berbères  de  l'est),  obéissant  à  des  chefs  distincts,  con- 
tinuent à  occuper  la  Tripolitaine,  où  l'influence  phénicienne  est  en 
pleine  décadence. 

Hannibal  dictateur  de  Karthage.  Il  est  contraint  de  fuir  ;  sa 
MORT.  —  Après  la  conclusion  d'une  paix  aussi  désastreuse,  les  dis- 
sensions, les  vengeances,  les  récriminations  stériles,  occupèrent 
les  Karthaginois.  Hannibal  essaya  en  vain  de  rétablir  la  concorde 
parmi  ses  concitoyens,  en  leur  représentant  combien  il  était  peu 
patriotique  de  consumer  ses  forces  dans  des  divisions  intestines, 
sous  l'œil  de  l'ennemi  héréditaire,  au  lieu  de  s'appliquer  à  réparer 
les  désastres  et  à  se  prémunir  contre  les  attaques  imminentes  de 
Massinissa.  Mais  le  parti  aristocratique,  ayant  à  sa  tête  Hannon, 
ennemi  irréconcilial^le  des  Barcides,  voulait  avant  tout  la  ruine  de 
cette  famille,  dût-elle  entraîner  celle  de  Karthage.  Hannibal,  dé- 
crété d'accusation,  sous  le  prétexte  qu'il  avait  trahi  en  ne  marchant 
pas  sur  Rome  après  la  bataille  de  Cannes,  échappa  à  une  condam- 
nation trop  certaine,  par  une  sorte  de  coup  d'état  qu'il  exécuta 
avec  l'appui  du  parti  populaire.  Resté  maître  du  pouvoir,  il  exerça 
sa  dictature  pour  le  plus  grand  bien  de  la  république,  rétablissant 
les  finances,  réorganissant  les  forces,  se  créant  des  alliances  et  s'ef- 
forçant  de  cicatricer  les  maux  delà  dernière  guerre  (195). 

Mais  les  Romains  suivaient  d'un  œil  jaloux  le  relèvement  de 
Karthage,  et  étaient  tenus  par  le  parti  aristocratique  au  courant 
de  tous  les  progi'ès  accomplis.  Déjà,  ils  avaient  adressé  plusieurs 
fois  des  représentations  aux  Karthaginois,  au  sujet  de  prétendus 
préparatifs  militaires  ;  car  ils  craignaient  toujours  de  voir  paraître 
Hannibal  en  Italie  pendant  que  la  plupart  des  légions  étaient  occu- 
pées en  Asie.  Il  fallait  à  tout  prix  se  débarrasser  du  vainqueur  de 
Cannes.  Une  ambassade  fut  donc  envoyée,  sous  divers  prétextes,  à 
Karthage,  dans  le  but  réel  de  se  saisir  de  Hannibal  avec  l'appui  du 
parti  aristocratique.  Mais  le  héros  karthaginois,  qui  avait  pénétré 
le  dessein  de  ses  ennemis,  sut  leur  échapper.  Il  partit  de  nuit  et 
gagna  rapidement,  au  moyen  de  relais,  la  côte  près  de  Thapsus, 
où  il  s'embarqua  sur  une  galère  qu'il  avait  fait  préparer,  fuyant 
ainsi  une  ingrate  patrie  qui  le  récompensait  si  mal  de  son  héroïque 
dévouement.  Il  se  rendit  d'abord  à  Tyr  et  de  là  à  la  cour  du  roi 
Antiochus,  et  décida  ce  prince  à  entrer  en  lutte  contre  les  Romains. 
Il  espérait  que  les  succès  des  rois  de  Syrie  auraient  en  Occident 
un  contre-coup  qui  permettrait  à  Karthage  de  reprendre  avec  fruit 


46 


rnsToiRE  DE  t/afriqut? 


l'offensive.  Mais  de  nouveaux  dégoûts  l  y  attendaient.  Après  avoir 
en  vain  poussé  le  monarque  oriental  à  adopter  ses  plans,  il  dut 
assister  à  ses  défaites,  et  quand  la  paix  eut  été  conclue,  se  vit  con- 
traint de  fuir.  Il  chercha  un  asile  auprès  de  Prusias,  roi  de  By- 
thinie  ;  mais  la  haine  de  Rome  l'y  poursuivit,  et  ne  sachant  où 
reposer  sa  tête,  il  échappa  par  le  poison  aux  coups  de  la  fortune 
adverse  (183). 

Empiétements  de  Massinissa.  —  Cependant  Massinissa  avait, 
depuis  longtemps,  commencé  ses  incursions  sur  le  territoire 
soumis  à  Karthage,  et  c  est  en  vain  que  la  métropole  punique 
avait  fait  parvenir  ses  réclamations  à  Rome  contre  le  prince  ber- 
bère. Les  Romains  avaient  éludé  toute  mesure  réparatrice  et,  pas- 
sant au  rôle  d'accusateurs,  avaient  reproché  aux  Karthaginois 
d'entretenir  des  relations  avec  Antiochus,  leur  ennemi.  Un  parti 
puissant,  dont  Caton  n'allait  pas  tardera  se  faire  l'écho,  réclamait 
déjà  la  destruction  de  Karthage. 

Massinissa,  encouragé  par  cette  approbation  tacite,  fît,  en  193, 
une  expédition  sur  le  territoire  des  Emporia,  au  fond  du  golfe  de 
Gabès,  et  ravagea  cette  riche  contrée  sans  pouvoir  toutefois  s'em- 
parer d'aucune  ville.  Mais  il  renouvela  bientôt  ses  attaques  et, 
après  quelques  années  de  luttes,  resta  maître  de  toute  cette  pro- 
vince •  (183). 

Karthage,  à  force  de  plaintes,  obtint  de  Rome  que  des  commis- 
saires viendraient  enfin  en  Afrique  juger  le  différend  entre  elle  et 
le  prince  numide.  Publius  Scipion  et  deux  autres  sénateurs  arri- 
vèrent à  cet  effet  à  Karthage  ;  mais,  ■obéissant  aux  instructions 
reçues,  ils  s'arrangèrent  pour  ne  donner  aucune  décision,  de  sorte 
que  l'usurpation  de  Massinissa  fut  consacrée  par  une  apparence  de 
légalité  ^. 

Prépondérance  de  Massinissa.  —  Le  prince  numide  avait  donc 
le  champ  libre  ;  bien  mieux,  il  avait  pu  se  convaincre  qu'il  ne  pou- 
vait être  plus  agréable  aux  Romains  qu'en  harcelant  sans  trêve 
Karthage.  Il  ne  cessa  dès  lors  de  multiplier  ses  attaques.  En  vain 
les  Karthaginois  renouvelèrent  leurs  plaintes  à  Rome  et  leurs  pro- 
testations contre  la  violation  des  traités  à  eux  consentis.  En  vain 
ils  s'humilièrent  ;  en  vain  ils  envoyèrent  des  vaisseaux  et  du  blé 
pour  aider  leurs  ennemis  dans  leurs  guerres  d'Asie  et  de  Macé- 
doine. Ils  n'obtinrent  que  des  satisfactions  dérisoires.  Massinissa, 

1.  Polybe. 

2.  Tite-Live. 


TROISIK.ME   GUERRE  PUXIQUE    (l58   AV.   J.-C.  )' 


47 


lui  aussi,  en  fidèle  vassal,  envoyait  à  Rome  ses  enfants  pour  offrir 
en  son  nom  des  secours  de  toute  sorte,  hommes,  chevaux,  grains 
et  même  des  éléphants. 

Peu  à  peu  le  prince  de  Numidie  conquit  toute  la  Tripolitaine  et 
soumit  à  son  autorité  les  nombreuses  tribus  indigènes  établies 
entre  la  Gyrénaïque  et  TAmsaga,  resserrant  chaque  jour  le  cercle 
dans  lequel  il  restreignait  le  territoire  de  Karthage.  Les  Berbères 
de  l'est  purent  enfin  se  grouper  sous  la  main  ferme  de  ce  prince  et 
commencer  à  former  une  véritable  nation.  Il  sut  en  outre  les  disci- 
pliner et  s'efforça  de  les  attacher  au  sol  et  de  les  initier,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  à  des  procédés  de  culture  plus  perfec- 
tionnés'. Etabli  à  Cirta,  sa  capitale,  il  vivait  entouré  de  tous  les 
raffinements  de  la  civilisation  romaine  et  grecque.  Mais,  tout  en 
adoptant  ces  mœurs  nouvelles,  il  avait  conservé  ses  qualités  guer- 
rières et  était  resté  le  premier  cavalier  de  son  royaume.  Son  luxe 
semblait  un  hommage  rendu  au  progrès  et  sa  magnificence  un 
moyen  de  frapper  ses  sujets  ;  car,  pour  lui,  il  se  plaisait  à  n'en 
pas  profiter  et  se  faisait  un  devoir  de  vivre  de  la  manière  la  plus 
simple  et  la  plus  rude  ^. 

Situation  de  Karthage.  —  Pendant  que  la  puissance  du  prince 
berbère  s'élevait,  celle  de  Karthage  penchait  rapidement  vers  son 
déclin.  Trois  partis  s'y  disputaient  le  pouvoir  :  l'aristocratie,  qu'on 
appelait  le  parti  romain,  était  toujours  prête  aux  plus  grandes 
bassesses  pour  conserver  la  paix  ;  le  parti  barcéen,  ou  parti  na- 
tional, formé  du  peuple  et  chez  lequel  se  conservaient  les  dernières 
traditions  du  patriotisme  qui  avait  fait  la  grandeur  de  Karthage  ; 
et  enfin  le  parti  de  Massinissa,  tout  disposé  à  ouvrir  les  portes  de 
la  ville  au  prince  numide;  malgré  ces  dissensions  intestines,  le 
génie  commercial  des  Phéniciens  n'avait  pas  tardé  à  ramener  dans 
la  ville  une  certaine  prospérité  matérielle. 

Les  dernières  spoliations  de  Massinissa  poussèrent  les  Kartha- 
ginois  à  tenter  auprès  de  Rome  un  suprême  effort  pour  obtenir 
justice.  La  violation  du  droit  était  trop  flagrante  pour  qu'on  ne 
fût  pas  obligé  de  sauver  au  moins  les  apparences.  De  nouveaux 
commissaires  furent  envoyés  en  Afrique.  Parmi  eux  était  Marcus 
Caton,  vétéran  des  guerres  contre  Hannibal.  Lorsqu'il  vit  Karthage 
florissante,  ses  craintes  patriotiques  redoublèrent  et  il  ne  songea 

1.  Les  auteurs  ancieus  s'accordeul  à  dire  qu'il  introduisit  l'agriculture 
en  Numidie;  uous  peusons  qu'il  est  plus  juste  de  dire  qu'il  s'attacha  à 
1q  perfectionner. 

2.  Polybe. 


48 


mSTOIRI-    DE  i/aFRIQUE 


qu'à  décider  sa  ruine.  Massinissa,  sûr  des  bonnes  dispositions  des 
commissaires,  se  soumit  à  leur  décision  ;  mais  les  Karthaginois, 
non  moins  sûrs  de  leur  mauvais  vouloir,  i-efusèrent  de  les  laisser 
prononcer  en  dernier  ressort.  Ils  rentrèrent  donc  sans  avoir  rien 
fait  et  les  choses  demeurèrent  en  l'état  (157).  De  retour  à  Rome, 
Galon  commença  sa  campa<,nie  contre  la  métropole  punique,  en 
prononçant  le  célèbre  Jelenda  Carlhago. 

Karthage  se  prépare  a  la  guerre  contre  Massinissa.  —  Dans 
cette  conjoncture,  Karthage  était  bien  forcée  de  pourvoir  à  sa  sé- 
curité, et  comme  le  parti  populaire  était  revenu  au  pouvoir,  il 
réunit  une  forte  armée  de  Berbères,  en  donna  le  commandement  à 
Ariobarzane,  pelit-fils  de  Syphax,  et  lui  confia  la  garde  de  la  fron- 
tière numide.  Aussitôt  que  cette  nouvelle  fut  connue  à  Rome, 
Caton  et  son  parti  en  prolitèrent  pour  recommencer  la  campagne 
contre  Karthage.  Des  commissaires  furent  encore  chargés  d'aller 
en  Afrique  pour  s'assurer  du  fait.  Il  était  indéniable;  cependant 
les  envoyés  tentèrent  d'amener  une  transaction  en  proposant  à 
Massinissa  d'abandonner  ses  conquêtes.  Mais  Giscon,  chef  du  parti 
populaire  et  revêtu  de  la  magistrature  suprême,  exigea  des  satis- 
factions plus  effectives  et  des  garanties  pour  l'avenir.  Les  commis- 
saires durent  se  retirer  au  plus  vite,  car  un  tumulte  s'éleva  à  Kar- 
thage, les  partisans  de  Massinissa  furent  recherchés  et  expulsés  de 
la  ville  (152). 

Massinissa  envoya  ses  fils  Micipsa  et  Gulussa  à  Karthage  pour 
obtenir  que  l'on  rapportât  le  décret  d'expulsion  de  ses  adhérents, 
mais  les  princes  furent  fort  mal  reçus  et  eurent  même  quelque 
peine  à  se  retirer  sains  et  saufs.  Il  fit  alors  partir  pour  Rome  Gu- 
lussa qui  avait  déjà  fait  de  nombreux  séjours  en  Italie.  Les  intrigues 
du  Bei'bère,  complétées  par  la  fougue  de  Caton,  décidèrent  l'envoi 
de  nouveaux  commissaires  en  Afrique.  L'existence  d'une  armée  et 
d'une  flotte  ayant  été  constatée,  sommation  fut  adressée  à  Kar- 
thage d'avoir  à  se  conformer  aux  stipulations  du  ti'aité,  sous  peine 
de  voir  recommencer  la  guerre. 

Défaite  des  Kartiiaginois  par  Massinissa.  —  Sur  ces  entrefaites, 
Massinissa  brusqua  le  dénouement  en  venant  attaquer  une  ville 
punique,  nommée  par  les  auteurs  Oroscopa.  Aussitôt,  les  troupes 
karthaginoises,  fortes  de  25,000  fantassins  et  de  4,000  «cavaliers, 
se  mirent  en  campagne  sous  le  commandement  d'Asdrubal,  de  la 
famille  de  Barka.  Le  sort  des  armes  parut  d'abord  lui  être  favo- 
rable :  il  remporta  quelques  succès  et  détacha  de  son  ennemi  un 
fort  groupe  de  cavaliers  berbères.  Mais  Massinissa,  par  d'habiles 


TROISIEME  GUERRE   PUNIQUE    (149   AV.  J.-C.) 


49 


manœuvres,  attira  les  Karthaginois  dans  un  terrain  choisi  et  leur 
livra  une  grande  bataille.  L'action  fut  longtemps  indécise  ;  le  vieux 
chef  berbère,  alors  âgé  de  quatre-vingt-huit  ans,  chargea  lui- 
même  à  la  tête  de  ses  troupes  et  combattit  avec  une  grande  bra- 
voure ' .  L'issue  du  combat  ne  fut  pas  décisive  ;  néanmoins  Asdrubal 
entra  en  pourparlers  avec  Massinissa  et  lui  fit  proposer  la  paix 
par  le  jeune  Scipion-Emilien  qui  se  trouvait  en  Afrique,  où  il  était 
venu  chercher  des  renforts.  Asdrubal  ayant  refusé  de  rendre  les 
transfuges,  les  négociations  furent  rompues.  Massinissa  parvint 
alors  à  entourer  ses  ennemis  et  à  les  bloquer  si  étroitement  qu'ils 
ne  tardèrent  pas  à  être  en  proie  à  la  famine.  Après  avoir  supporté 
d'horribles  souffrances  et  perdu  plus  de  la  moitié  de  son  effectif, 
le  général  karthaginois  se  décida  à  se  soumettre  aux  exigences  du 
vainqueur.  Il  dut  livrer  les  transfuges,  s'obliger  à  payer  cinq  cents 
talents  d'argent  en  cinquante  ans  et  s'engager  à  rappeler  les  exilés. 
De  plus,  tous  ses  soldats  devaient  être  désarmés.  Pendant  que  les 
débris  de  cette  armée  rentraient  à  Karthage,  Gulussa  fondit  sur 
eux  à  l'improviste  et  les  tailla  en  pièces.  Ainsi  finit  cette  campagne 
qui  coûtait  près  de  soixante  mille  hommes  aux  Karthaginois,  car 
des  renforts  incessants  avaient  été  envoyés  à  Asdrubal  (150). 

Troisième  guerre  punique.  —  Cette  fois,  Rome  avait  le  prétexte 
depuis  longtemps  cherché  :  le  traité  était  violé,  puisque  Karthage 
avait  fait  la  guerre  à  un  prince  allié  ;  elle  était  battue  et  démora- 
lisée ;  il  fallait  saisir  cette  occasion  d'en  finir  avec  la  rivale.  Le 
parti  de  la  guerre  n'eut  donc  aucune  peine  à  entraîner  le  Sénat  à 
décider  une  expédition  en  Afrique.  A  cette  nouvelle,  les  Kartha- 
ginois condamnèrent  à  mort  Asdrubal  et  les  autres  chefs  du  parti 
populaire  et  envoyèrent  à  Rome  une  ambassade  pour  implorer  la 
paix.  Mais,  en  même  temps,  arrivait  une  députation  des  gens 
d'Utique  offrant  leur  soumission  aux  Romains.  Tout  semblait  con- 
juré contre  la  malheureuse  Karthage.  Les  envoyés  puniques  n'ob- 
tinrent qu'un  silence  dédaigneux.  De  nouveaux  ambassadeurs 
arrivés  en  Italie  avec  de  pleins  pouvoirs,  car  les  Karthaginois 
étaient  prêts  à  toutes  les  concessions,  supplièrent  les  Romains  de 
leur  faire  connaître  ce  qu'ils  voulaient,  promettant  qu'ils  rece- 
vraient satisfaction.  «  Ce  que  nous  voulons,  répondit-on,  vous 
devez  le  savoir.  » 

En  effet,  les  consuls  Lucius  Censorinus  et  Marcus  Nepos  étaient 
déjà  en  Sicile,  et  l'armée  allait  être  embarquée  (149).  On  daigna 
'cependant  dire  aux  ambassadeurs  qu'ils  devaient,  avant  tout,  en- 


1.  Appien,  1.  69  et  suiv. 

X.  I. 


50 


IIISTOIRI-;  DE  I.'aFUIQL'K 


voyer  aux  consuls  Irois  cents  otages  pris  clans  les  premières 
familles.  Les  Karthaginois,  dans  leur  alFolement,  s'empressèrent 
de  se  soumettre  à  cette  exigence,  espérant  encore  empêcher  le 
départ  de  l'armée  ;  mais  les  consuls,  après  avoir  expédié  les  otages 
à  Rome,  ordonnèrent  de  mettre  à  la  voile,  en  faisant  connaître  aux 
envoyés  que  les  autres  conditions  leur  seraient  dictées  à  Utique. 

Les  Karthaginois,  ne  pouvant  croire  à  tant  de  duplicité,  lais- 
sèrent les  Romains  débarquer  tranquillement,  au  nombre  de 
quatre-vingt  mille,  et  s'établira  Utique.  Le  sénat  de  Karthage  vint 
humblement  se  mettre  aux  ordres  du  consul.  On  exigea  de  lui  la 
remise  de  toutes  les  armes  et  de  tout  le  matériel  de  guerre,  et  aus- 
sitôt les  Karthaginois  livrèrent  à  leurs  ennemis  tout  ce  qui  pouvait 
servir  à  lutter  contre  eux  :  des  armes  de  toute  nature,  deux  cent 
mille  armures,  trois  mille  catapultes,  des  vaisseaux,  etc.'. 

Le  consul  Censorinus  leur  fit  connaître  alors  qu'ils  devaient  éva- 
cuer leur  ville,  car  ses  instructions  portaient  destruction  de 
Karthage. 

Héroïque  résistance  de  Karthage.  —  Lorsque  cette  exigence 
fut  connue  à  Karthage,  l'indignation  populaire  fit  explosion  et  se 
traduisit  par  une  formidable  insurrection.  Tous  ceux  qui  avaient 
pris  part  à  la  remise  des  armes,  tous  les  partisans  de  la  paix,  tous 
les  amis  des  Romains  furent  massacrés  et  l'on  jura  de  lutter  jus- 
qu'à la  mort.  On  se  mit  en  relation  avec  Asdrubal,  qui  avait  réussi 
à  s'échapper  et  se  tenait  à  quelque  distance,  à  la  tête  d'une 
vingtaine  de  mille  hommes,  presque  tous  proscrits.  Un  autre 
Asdrubal,  petit-fils  de  Massinissa,  par  sa  mère,  prit  le  comman- 
dement de  la  ville.  Mais  il  fallait  avant  tout  des  armes  et,  pour 
gagner  du  temps,  les  Karthaginois  demandèrent  une  trêve  de 
trente  jours  aux  consuls  qui  la  leur  accordèrent,  persuadés  que  ce 
temps  sufïlrait  à  les  décider  à  la  soumission.  On  vit  alors  ce  spec- 
tacle admirable  de  toute  une  population,  hommes,  femmes,  enfants, 
vieillards  travaillant  sans  relâche,  nuit  et  jour,  en  secret  et  sans 
bruit,  dans  les  temples,  dans  les  caves,  à  remplacer  les  armes  et 
le  matériel  livrés  par  la  lâcheté  à  l'ennemi,  sacrifiant  tout  au  salut 
de  la  patrie,  transformant  chaque  objet  en  arme  et  remédiant,  à 
force  de  génie  et  d'énergie,  à  l'absence  de  moyens  matériels.  Bel 
exemple  donné  par  une  nation  qui  va  périr,  mais  qui  sauve  son 
honneur  ! 

A  l'expiration  du  délai,  les  consuls  quittèrent  leur  camp  d'Utique 

1.  Strabou,  1.  XVII,  ch.  833.  Appien,  74  et  suiv.  Nous  suivons  pas  à 
pas  le  texlc  de  ces  auteurs  pour  la  3=  guerre  punique. 


TROISIÈME   GUERRE   PUNIQUE    (149  AV.  J.-C.) 


51 


et  marchèrent  ^ur  Karthage,  pensant  que  les  portes  de  la  ville 
allaient  tomber  devant  eux.  Quel  ne  fut  par  leur  étonnement  de 
trouver  toutes  les  entrées  soigneusement  fermées  et  les  murailles 
garnies  de  défenseurs  en  armes.  Une  tentative  d'assaut  fut  repoussée 
et  les  consuls  purent  se  convaincre  qu'il  fallait  entreprendre  des 
opérations  régulières  de  siège.  Les  Romains  s'appuyaient  sur 
Utique  et  sur  une  partie  des  places  du  littoral  oriental  ;  mais  As- 
drubal,  avec  une  nombreuse  cavalerie,  tenait  l'intérieur  et  était  en 
communication  avec  Karthage,  qu'il  ravitaillait  régulièrement. 
Enfin  une  population  de  700,000  âmes  occupait  la  ville  et  était 
décidée  à  une  résistance  héroïque.  Quant  à  Massinissa,  qui  ne 
voyait  pas  sans  jalousie  les  Romains  attaquer  une  ville  qu'il  consi- 
dérait comme  sa  proie,  il  se  tenait  dans  une  réserve  absolue. 

Le  consul  Censorinus  avait  donc  à  lutter  contre  des  difficultés 
aussi  grandes  qu'inattendues  ;  néanmoins  il  commença  avec  acti- 
vité le  siège.  Asdrubal  vint  établir  son  camp  à  Néphéris,  de  l'autre 
côté  du  lac,  et  ne  cessa  d'inquiéter  les  assiégeants  qui,  d'autre 
part,  avaient  à  résister  aux  sorties  des  assiégés.  Censorinus  avait 
concentré  ses  efforts  contre  le  mur,  plus  faible,  établi  sur  la  langue 
de  terre  {la  tœnia),  séparant  le  lac  de  Tunis  de  la  mer;  ayant 
réussi  à  y  faire  une  brèche,  il  ordonna  l'assaut  ;  mais  les  Phéni- 
ciens repoussèrent  facilement  leurs  ennemis. 

Quelque  temps  après,  le  consul  Manilius,  à  qui  était  resté  le 
commandement,  par  suite  du  départ  de  Censorinus,  tenta  contre 
le  camp  d'Asdrubal,  à  Néphéris,  une  attaque  qui  se  serait  terminée 
par  un  véritable  désastre  pour  lui,  sans  l'habileté  et  le  dévoue- 
ment de  Scipion. 

Ainsi  se  passèrent  les  premiers  mois  du  siège,  sans  que  les 
Romains  pussent  obtenir  un  seul  avantage  sérieux. 

Mort  de  Massinissa.  - —  Sur  ces  entrefaites,  le  vieux  Massinissa, 
sentant  sa  mort  prochaine,  fit  venir  auprès  de  lui  le  jeune  Scipion 
Emilien,  tribun  dans  l'armée  romaine,  car  il  le  désignait  comme 
son  exécuteur  testamentaire.  Scipion  se  mit  en  roule  pour  Cirta, 
mais,  à  son  arrivée,  le  prince  numide  venait  de  mourir  (fin  de  149). 
Cet  homme  remarquable  laissait  un  grand  nombre  d'enfants,  dont 
trois  seulement  furent  désignés  comme  devant  hériter  du  pouvoir. 
Ils  se  nommaient  Micipsa,  Gulussa  et  Manastabal.  Le  premier 
avait  reçu  de  Massinissa  l'anneau,  signe  du  commandement.  Une 
des  dernières  recommandations  de  leur  pèi-e  avait  été  de  conserver 
la  fidélité  aux  Romains. 

Scipion,  pour  éviter  tout  froissement  entre  les  frères,  leur  laissa 
le  pouvoir,  en  conservant  à  tous  trois  le  titre  de  roi.  Micipsa  eut 


52 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUË 


cependant  l  autorilé  principale  avec  Cirta  comme  résidence  ;  Gu- 
lussa  reçut  le  commandement  des  troupes  et  la  direction  des 
choses  relatives  à  la  guerre  ;  enfin  Manastabal  fut  chargé  des 
affaires  judiciaires.  Tous  les  trésors  restèrent  en  commun. 

Après  avoir  pris  ces  sages  dispositions,  Scipion  revint  au  camp, 
amenant  avec  lui  Gulussa  et  une  troupe  de  guerriers  numides'. 

SciTE  DU  SIÈGE  DE  IvARTiiAGE.  —  La  situatiou  dcs  Romaius  devant 
Karthage,  sans  être  critique,  commençait  à  devenir  difficile.  Les 
maladies,  conséquence  de  l'agglomération,  de  la  chaleur  et  des 
privations,  s'étaient  mises  dans  le  camp  ;  les  approvisionnements 
arrivaient  mal  et  étaient  souvent  interceptés  par  l'ennemi  :  enfin 
les  sorties  des  assiégés  et  les  attaques  d'Asdrubal  tenaient  les 
assiégeants  sans  cesse  en  éveil  et  paralysaient  toutes  leurs  entre- 
prise.-. Dans  ces  conjonctures,  le  jeune  Scipion  avait  su  par  son 
activité  et  ses  talents  militaires  rendre  les  plus  grands  services  ; 
plusieurs  fois  il  avait  sauvé  l  armée,  aussi  son  nom  était-il  devenu 
trè?  populaire  parmi  les  soldats.  Enfin  sa  connaissance  du  pays  et 
des  indigènes  le  désignait  pour  le  commandement  suprême,  dans 
ce  pays  qui  semblait  être  le  patrimoine  des  Scipions. 

Sur  ces  entrefaites,  les  consuls  Calpurnius  Pison  et  L.  Man- 
cinus  vinrent  prendre  la  direction  du  siège,  tandis  que  Scipion 
allait  à  Rome  préparer  son  élection  à  l'édilité  (148^.  Les  nouveaux 
généraux  trouvèrent  des  troupes  fatiguées  et  démoralisées  à  ce 
point  qu'ils  renoncèrent,  pour  le  moment,  à  pousser  les  opérations 
contre  Karthage.  Pison  entreprit  une  expédition  vers  l'ouest  et, 
après  avoir  pillé  quelques  place-  sans  importance,  vint  mettre  le 
siège  devant  Hippône  ;  mais  il  échoua  misérablement  dans  cette 
entreprise  et  dut  opérer  une  retraite  désastreuse.  La  situation 
commençait  à  devenir  inquiétante  ;  la  di-cipline  était  complète- 
ment relâchée  ;  on  ne  pouvait  plus  compter  sur  les  soldats  ;  enfin 
les  frères  de  Gulussa  ne  lui  envoyaient  aucun  renfort. 

Quant  aux  Karthaginois,  ils  reprenaient  confiance  et  redou- 
blaient d'activité  pour  se  créer  des  ressources  et  des  alliés.  Mal- 
heureusement les  divisions  intestines,  qui  avaient  été  si  fatales  à 
Karthage  et  qui  disparaissaient  quand  le  danger  était  pressant, 
avaient  recommencé  leur  jeu.  Le  parti  numide  continuait  ses 
intrigues  et,  comme  on  lui  donnait  pour  chef  Asdrubal,  pelit-flls 
de  Massinissa,  les  patriotes  le  mirent  à  mort. 

Scipion  prend  le  commandement  des  opérations.  —  Les  nouvelles 

l.  Appieu,  Pan.,  185.  Salluste,  Jug.,  5. 


TROISIÈME  GUERRE  PUNIQUE   (147  AV.  J.-C.) 


53 


d'Afrique  ne  cessaient  de  porter  à  Rome  le  trouble  et  l'inquiétude. 
La  voix  publique  désignait  Scipion  pour  la  direction  de  cette  cam- 
pagne ;  cependant,  le  jeune  tribun,  qui  briguait  alors  Tédilité,  ne 
pouvait  encore  recevoir  le  consulat.  On  fit  fléchir  la  loi  ;  d  une 
voix  unanime,  le  peuple  le  nomma  consul  (147). 

A  peine  arrivé  à  Utique,  Scipion  alla  porter  secours  au  consul 
Mancinus  qui  se  trouvait  bloqué,  dans  une  situation  très  critique, 
à  Karthage  même,  puis  il  vint  s'établir  avec  toute  son  armée  dans 
un  camp  fortifié,  non  loin  de  cette  ville,  et  appliqua  ses  premiers 
soins  au  rétablissement  de  la  discipline.  Asdrubal  le  Barkide,  lais- 
sant son  armée  à  Néphéris,  alla,  accompagné  d'un  chef  berbère 
nommé  Bithya,  prendre  position  en  face  du  camp  romain.  Mais 
l'on  put  bientôt  s'apercevoir  que  la  direction  du  siège  était  passée 
dans  d'autres  mains.  Une  attaque  de  nuit,  vigoureusement  con- 
duite, rendit  Scipion  maître  du  faubourg  de  Meggara,  compris 
dans  l'enceinte  de  la  ville,  mais  séparé  d'elle  par  des  jardins 
coupés  de  murs  et  de  clôtures  faciles  à  défendre. 

Cette  perte  causa  une  vive  douleur  aux  assiégés  qui,  sous  l'im- 
pulsion de  leur  chef  Asdrubal,  massacrèrent  tous  leurs  prisonniers 
romains.  Le  camp  karthaginois  avait  dû  être  abandonné  et  tous 
les  défenseurs  se  trouvaient  maintenant  retranchés  dans  la  ville. 
Scipion  coupa  toute  communication  entre  Karthage  et  la  terre,  en 
fermant  par  un  mur  le  large  isthme  qui  donne  accès  à  la  presqu'île 
sur  laquelle  la  ville  est  bâtie.  Une  double  ligne  de  circonvallation, 
formée  de  fossés  et  de  palissades,  complétait  le  blocus.  La  mer 
restait  libre  et,  bien  que  les  navires  romains  croisassent  constam- 
ment devant  le  port,  de  hardis  marins  réussissaient  à  passer  et  à 
apporter  des  vivres  aux  assiégés.  Scipion  entrepi-it  de  fermer  aussi 
cette  voie  :  il  fit  construire  un  môle  de  pierre  ayant  92  ou  9G  pieds 
à  la  base  ',  et  allant  de  la  tœnia  jusqu'au  môle,  travail  gigantesque 
renouvelé  par  Louis  XIll  au  siège  de  La  Rochelle. 

Mais  les  assiégés,  de  leur  côté,  ne  restaient  pas  inactifs  :  pendant 
que  les  Romains  leur  fermaient  cette  entrée,  ils  s'en  taillaient  une 
autre  dans  le  roc.  En  même  temps  on  travaillait  à  Karthage  à 
faire  une  flotte  en  utilisant  les  bois  de  construction.  Ainsi,  au 
moment  où  les  Romains  croyaient  avoir  achevé  leur  blocus,  ils 
virent  paraître  les  navires  puniques.  Ceux-ci  ne  surent  pas  profiter 
de  la  surprise  de  leurs  ennemis  et,  quand  ils  se  représentèrent 
trois  jours  après,  les  Romains,  prêts  à  combattre,  forcèrent  la  flotte 
à  rentrer  dans  le  port  après  lui  avoir  infligé  de  grandes  pertes. 
Scipion  profita  de  ce  succès  pour  s'établir  dans  une  position  avan- 

1.  Le  pied  romain  était  de  0  m.  296  mill. 


54 


HISTOIRE   DE  L  AFRIQUE 


tageuse,  lui  permettant  d'attaquer  les  ouvrages  qui  couvraient  le 
second  port  {le  Cothôn).  Mais  des  hommes  déterminés  sortirent 
dans  la  nuit  de  Karthage,  s'approchèrent  à  la  nage  des  lignes 
romaines  et  incendièrent  les  machines  des  assiégeants. 

Les  succès  des  Romains  se  réduisaient  encore  à  peu  de  chose  et 
avaient  été  chèrement  achetés.  Cependant  Scipion  avait  atteint  un 
grand  résultat,  celui  de  compléter  le  blocus  de  la  ville.  Déjà  la 
famine  s'y  faisait  sentir.  En  attendant  l'action  de  ce  puissant  auxi- 
liaire, Scipion  alla  avec  Lélius  et  Gulussa  attaquer  le  camp  de 
Néphéris,  où  se  trouvait  une  puissante  armée  Karthaginoise  dont 
on  ne  s'explique  pas  l'inaction.  Celte  expédition  réussit  à  mer- 
veille :  le  camp  fut  pris  et  enlevé  et  toute  l'armée  ennemie  taillée 
en  pièces.  Les  cantons  environnants  ne  tardèrent  pas  à  offrir  leur 
soumission  aux  Romains  (147). 

Chute  de  Kartiiage.  —  Depuis  près  d'un  an  Scipion  avait  pris 
la  direction  des  affaires  et,  bien  qu'il  eût  obtenu  de  grand  succès, 
la  ville  assiégée  ne  semblait  pas  encore  disposée  à  se  rendre,  malgré 
la  famine  à  laquelle  elle  était  en  proie.  .Au  printemps  de  l'année 
146,  le  général  romain  se  décida  à  frapper  un  grand  coup  en 
tentant  une  attaque  de  nuit  sur  le  Cothôn.  Asdrulial,  pour  déjouer 
son  plan,  incendia  la  partie  sur  laquelle  il  semblait  que  l'effort 
des  assiégeants  allait  se  porter.  Mais  pendant  ce  temps  Lélius 
parvenait  à  escalader  la  porte  ronde  du  Cothôn  et  à  l'ouvrir  à 
l'armée  qui  se  précipitait  dans  la  ville.  Scipion  attendit  sur  le 
forum  le  lever  du  soleil  ;  puis  il  donna  l'ordre  de  marcher  sur 
Bvrsa,  la  colline  où  se  trouvaient  le  grand  temple  de  Baal  et  la  cita- 
delle. Trois  rues  bordées  de  hautes  maisons  y  conduisaient;  mais 
à  peine  les  soldats  commencèrent-ils  à  s'y  engager  qu'ils  furent 
écrasés  sous  une  grêle  de  traits  et  de  projectiles  de  toute  sorte  : 
l'ennemi  était  partout:  en  face,  sur  les  côtés  et  en  haut,  car  des 
plates-formes  tendues  sur  les  terrasses  des  maisons  les  reliaient 
entre  elles.  Il  ne  fallut  pas  moins  de  six  jours  de  luttes  acharnées 
pour  que  l'armée  romaine  pût  atteindre  le  pied  du  roc  sur  lequel 
s'élevait  la  citadelle  et  où  étaient  réfugiés  Asdrubal  et  ses  derniers 
adhérents.  Scipion  fit  alors  incendier  et  démolir  les  quartiers  qui 
venaient  d'être  conquis,  et  cette  opération  barbare  coûta  la  vie  à 
un  grand  nombre  de  Karthaginois ,  spécialement  des  vieillards, 
des  femmes  et  des  enfants  qui  se  tenaient  cachés  dans  ces  cons- 
tructions. "...  Le  mouvement  et  l'agitation.  —  dit  Appien,  —  la 
voix  des  hérauts,  les  sons  éclatants  de  la  trompette,  les  com- 
mandements des  tribuns  et  des  centurions  qui  dirigeaient  le  tra- 
vail des  cohortes,  tous  ces  bruits  enfin  d'une  ville  prise  et  sac- 


TROISIÈME  GUERRE  PUMQUE  (146  AV.  ,Î.-C.) 


55 


cagée,  inspiraient  aux  soldats  une  sorte  d'enivrement  et  de  fureur 
qui  les  empêchaient  de  voir  ce  qu'il  y  avait  d'horrible  dans  un 
pareil  spectacle.  » 

Depuis  sept  jours  Scipion  était  maître  de  la  ville,  lorsque  des 
Karthaginois  vinrent  lui  dire  qu'un  grand  nombre  d'assiégés,  se 
trouvant  dans  la  citadelle,  demandaient  à  se  rendre  à  la  condition 
qu'on  leur  laissât  la  vie  sauve.  Le  général  leur  accorda  cette 
demande,  ne  refusant  de  quartier  qu'aux  transfuges.  Cinquante 
mille  personnes  sortirent  ainsi  de  Byrsa,  où  il  ne  resta  que  As- 
drubal,  sa  famille  et  les  transfuges  au  nombre  de  neuf  cents  envi- 
ron. Tous  se  réfugièrent  dans  le  temple  et  s'y  défendirent  d'abord 
avec  vigueur;  mais  peu  à  peu,  le  manque  de  vivres,  la  discorde 
et  l'impossibilité  d'espérer  le  salut  poussèrent  ces  malheureux  au 
désespoir.  Asdrubal  eut  alors  la  lâcheté  de  se  présenter  en  sup- 
pliant à  Scipion  pour  obtenir  la  vie,  pendant  que  ses  adhérents 
incendiaient  leur  dernier  refuge  et  que  sa  femme  se  précipitait 
dans  les  flammes  avec  ses  deux  enfants  pour  ne  pas  survivre  à  sa 
honte'  (116). 

L'Afrique  province  romaine.  —  Cette  fois  Karthage,  la  métro- 
pole de  la  Méditerranée,  la  rivale  de  Rome,  n'existait  plus  ;  le 
vœu  de  Catou  était  exaucé.  La  colonisation  phénicienne  en  Afrique 
avait  vécu  et  allait  faire  place  à  la  colonisation  latine.  Scipion 
laissa  son  armée  piller  les  ruines  fumantes  de  la  ville,  pendant  que 
Rome  célébrait  par  des  offrandes  aux  dieux  le  succès  de  ses  armes. 
Bientôt  dix  commissaires,  choisis  parmi  les  patriciens,  arrivèrent  en 
Afrique  pour  régler  avec  Scipion  le  sort  de  la  nouvelle  conquête. 
Ils  commencèrent  par  achever  la  destruction  des  pans  de  murs 
qui  restaient  encore  debout,  notamment  dans  les  quartiers  de 
Meggara  et  de  Byrsa  ;  puis  ils  prononcèrent,  au  milieu  de  céré- 
monies religieuses,  les  imprécations  les  plus  terribles  contre  ceux 
qui  seraient  tentés  de  venir  habiter  ces  lieux  maudits  voués  par 
eux  aux  dieux  infernaux. 

U tique,  pour  prix  de  sa  trahison,  reçut  le  pays  compris  entre 
Karthage  et  Ilippo-Zarytos  ;  les  villes  qui  avaient  soutenu  les 
Phéniciens  furent,  au  contraire,  privées  de  leur  territoire  et  de  leur 
libertés  municipales  et  durent  payer  une  taxe  fixe.  Les  princes 
numides  conservèrent  les  régions  usurpées  par  eux  dans  l'Afrique 
propre.  La  limite  de  la  province  romaine  s'étendit  depuis  le 
fleuve  Tusca  (0.  Z'aïn  ou  0.  Berber),  en  face  de  la  Sicile,  jusqu'à 
la  ville  de  Thena;  (Tina)  en  face  des  îles  Kerkinna,  au  nord  du 


1.  Appien,  Pun. 


56 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


golfe  de  Gabès'.  Cette  mince  bande  de  terre  reçut  le  nom  de 
Province  romaine  d'Afrique.  Un  gouverneur,  résidant  à  Utique, 
fut  chargé  de  l'administration  de  ce  territoire. 

Aussitôt  après  sa  victoire,  Scipion  chargea  Polybe  de  recon- 
naître les  établissements  phéniciens  du  littoral,  à  l'ouest  de  Kar- 
thage.  Le  récit  de  ce  voyage,  qui  a  été  écrit  par  Polybe,  manque 
dans  son  ouvrage,  et  nous  n'en  connaissons  que  l'analyse  incom- 
plète donnée  par  Pline.  Cette  perte  est  regrettable  à  tous  les  points 
de  vue,  car  nous  ignorons  quelle  était  l'action  des  Karthaginois 
sur  la  civilisation  berbère.  Cette  action  est  incontestable  et  il  est 
à  supposer  qu'elle  s'exerçait  par  des  colonies  de  marchands  établis 
dans  les  principales  villes.  C'est  ce  qui  explique  qu'à  Cirta,  par 
exemple,  existait  un  temple  dédié  à  Tanit.  On  en  a  retrouvé  les 
vestiges  à  un  kilomètre  de  la  ville,  ainsi  qu'un  grand  nombre 
d'inscriptions  votives  qui  se  trouvent  maintenant  au  musée  du 
Louvre  -. 

1.  Pline,  H.  N.,  V,  3,  22. 

2.  V.  Recueil  des  notices  et  mémoires  de  la  société  archéologique  de 
Constantine,  années  1877,  1878. 


CHAPITRE  V 


LES  ROIS  BERBÈRES  VASSAUX  DE  ROME 
146-89 

L'élément  latin  s'établit  en  Afrique.  —  Règne  de  Micipsa.  — •  Première  usur- 
pation de  Jugurtha.  —  Défaite  et  mort  d'Aciherbal.  —  Guerre  de  Jugurtha 
contre  les  Romains.  —  Première  campagne  de  Métellus  contre  Jugurtha. 
—  Deuxième  campagne  de  Métellus.  —  Marius  prend  la  direction  des  opé- 
rations. —  Chute  de  Jugurtha.  ■ —  Partage  de  la  Numidie.  —  Coup  d'œil 
sur  l'histoire  de  la  Cyrénaïque;  cette  province  est  léguée  à  Rome. 

L'ÉLÉMENT  LATIN  s'établit  EN  Afrique.  —  A  peine  Scipion  Emi- 
lien  avait-il  quitté  l'Afrique  que  Ton  vit  «  affluer  la  troupe  avide 
des  négociants  de  toute  sorte,  des  chevaliers  romains  commer- 
çants ou  fermiers  de  l'Etat,  qui  envahissent  bientôt  tout  le  trafic 
de  la  nouvelle  province,  aussi  bien  que  des  pays  numides  et  gé- 
lules, fermés  jusqu'alors  à  leurs  entreprises'  ».  Les  Berbères,  qui 
n'avaient  subi  que  l'influence  de  la  civilisation  punique,  allaient 
connaître  les  mœurs  et  le  génie  romains.  Malgré  les  imprécations 
officielles  lancées  contre  Karthage,  cette  ville,  dans  toute  la  partie 
avoisinant  les  ports,  ne  tarda  pas  à  se  relever  de  ses  ruines. 

Enfin,  vingt-quatre  ans  s'étaient  écoulées  depuis  la  chute  de 
Karthage,  lorsque  Caïus  Gracchus,  désigné  pour  exécuter  la  loi 
Rubria  qui  en  ordonnait  le  rétablissement,  débarqua  en  Afrique 
avec  six  mille  colons  latins,  et  les  établit  sur  l'emplacement  de  la 
vieille  cité  punique  à  laquelle  il  donna  le  nom  nouveau  de  Juno- 
nia^.  De  là,  les  Italiens  allaient  rayonner  dans  tout  le  pays  et 
s'établir,  comme  artisans  ou  comme  commerçants,  dans  les  villes 
de  la  Numidie.  L'année  suivante  la  loi  Rubria  fut  rapportée;  mais 
Karthage,  quoique  déchue  de  son  titre,  n'en  continua  pas  moins  à 
se  relever  de  ses  ruines  et  à  reprendre  son  importance  politique 
et  commerciale^. 

1.  G.  Boissière,  Esquisse  d'une  histoire  de  la  conquête  romaine ,  p.  183. 

2.  En  plaçant  la  nouvelle  colonie  sous  la  protection  de  Junon,  Grac- 
chus rendait  hommage  à  la  divinité  protectrice  de  Karthage,  la  mai- 
tresse  Tanit,  reflet  de  Baal,  que  les  Romains  assimilèrent  à  Junon  céleste. 

3.  Voir  «  Le  Capitolc  de  Carlhage  n ,  par  M.  Castan  {Comptes  rendus 
de  l'Académie  des  Inscr.  et  B.  Lettres,  1885,  p.  112). 


58 


IIISTOinn  DE   L  AFRIQUE 


RÈGNE  DE  MiciPSA.  —  Pendant  que  l'Afrique  propre  était  le 
théâtre  de  ces  graves  événements,  Micipsa  continuait  à  régner 
paisiblement  à  Cirta.  C'était  un  homme  d'un  caractère  tranquille 
et  studieux,  tout  occupé  de  la  philosophie  grecque,  et  ne  manifes- 
tant aucune  ambition.  Son  royaume  s'étendait  alors  du  Molochath 
aux  Syrtes,  avec  la  petite  enclave  formée  par  la  province  romaine. 
Micipsa  vit  successivement  mourir  ses  deux  frères  et  continua  à 
exercer  seul  le  pouvoir,  avec  l  aide  de  ses  deux  fils,  Adherbal  et 
Hiemsal,  et  de  son  neveu  Jugurtha,  (ils  naturel  de  Manastabal, 
s'appliquant,  particulièrement,  à  conserver  l'amitié  des  Romains, 
en  remplissant  ses  devoirs  de  roi  vassal.  Lors  du  siège  de  Nu- 
mance  (133),  il  avait  envoyé  à  ses  maîtres  une  armée  auxiliaire, 
sous  la  conduite  de  Jugurtha.  Peut-être  espérait-il  se  débarrasser 
ainsi  de  ce  neveu  dont  l'ambition  l'effrayait,  non  pour  lui,  mais 
pour  ses  enfants.  Or,  il  arriva  que  le  prince  berbère  sut  échapper 
à  tous  les  dangers,  bien  qu'il  les  affrontât  avec  le  plus  grand  cou- 
rage; ses  talents  lui  valurent  l'estime  de  tous  et  il  rapporta  en 
Afrique  la  renommée  d'un  guerrier  accompli,  ce  qui  ne  contribua 
pas  peu  à  augmenter  son  influence  sur  les  Rerbères.  Ainsi  tout 
réussissait  à  ce  jeune  hommme  que  Micipsa  avait  dû  adopter  en 
lui  accordant  un  rang  égal  à  ses  fils. 

En  119,  Micipsa,  sur  le  point  de  mourir,  recommanda  à  ses 
deux  fils  et  à  son  neveu  de  vivre  en  paix  et  unis  et  de  s'entr'aider 
pour  la  défense  de  leur  royaume  numide.  Il  s'éteignit  ensuite  après 
un  paisible  règne  de  trente  années*,  pendant  lequel  il  s'était  appli- 
qué à  continuer  l'œuvre  de  civilisation  commencée  par  Massinissa, 
appelant  à  lui  les  artistes  et  les  savants  étrangers,  pour  orner  la 
capitale  de  la  Numidie.  Il  léguait  à  ses  successeurs  un  vaste 
royaume  paisible  et  prospère. 

Premiisre  usurpation  de  Jugurtha.  —  A  peine  Micipsa  avait-il 
fermé  les  acux  que  des  discussions  s'élevèrent  entre  ses  deux  fils 
et  son  neveu,  à  l'occasion  du  partage  du  royaume  et  des  trésors. 
Ce  conflit  se  termina  par  une  transaction  dans  laquelle  chaque 
partie  se  crut  lésée  et  qu'elle  n'accepta  qu'avec  le  secret  espoir 
d'en  violer  les  clauses,  à  la  première  occasion.  Jugurtha  dut  se 
contenter  de  la  Numidie  occidentale,  s'élendant  du  Molochath  à 
une  ligne  voisine  du  méridien  de  Salda?  (Bougie).  Adherbal  et 
Hiemsal  se  partagèrent  le  reste,  conservant  ainsi  tout  le  pays  riche 

1.  Salluste,  Bell.  Jug.,  VIII  et  suiv.  Nous  suivons  pour,  l'usurpation 
et  la  guerre  de  Jugurtha,  l'-'s  détails  précis  donnés  par  cet  auteur  et  l'ap- 
pendice de  M.  Marcus  à  la  fin  de  sa  traduction  de  Mannert. 


LES   ROIS   BERBÈRES   VASSAUX  DE  ROME    (114   AV.  J.-C.) 


59 


et  civilisé,  la  Numidie  proprement  dite,  avec  Cirta  et  toutes  les 
conquêtes  de  l'est. 

Jugurtha  n'était  pas  homme  à  s'accommoder  d'une  situation  in- 
férieure ;  il  lui  fallait  l'autorité  suprême  et,  du  reste,  il  devait  son- 
ger à  prévenir  les  mauvaises  dispositions  de  ses  cousins  à  son 
égard.  Sans  différer  l'exécution  de  son  plan,  il  fît,  la  même  année, 
assassiner  à  Thermida'  Iliemsal,  celui  des  deux  frères  qui,  par  son 
énergie,  était  à  craindre.  Puis  il  envahit  à  la  tête  d'un  grand  nombre 
de  partisans  la  Numidie  propre.  Adherhal,  déconcerté  par  une 
attaque  si  soudaine,  s'empressa  de  demander  des  secours  à  Rome, 
et  essaya,  néanmoins,  de  tenir  tête  aux  envahisseurs;  mais  il  fut 
vaincu  en  un  seul  combat,  et  contraint  de  chercher  un  refuge  dans 
la  province  romaine.  ICn  une  seule  campagne,  Jugurtha  se  rendit 
maître  de  la  Numidie  et  s'assit  sur  le  trône  de  Cirta. 

Cependant  Adherbal,  qui  n'avait  rien  pu  obtenir  du  gouverneur 
de  la  province  d'Afrique,  se  rendit  à  Rome  où  il  réclama  à  haute 
voix  justice  contre  la  spoliation  dont  il  était  victime.  Mais  Jugur- 
tha, qui  connaissait  parfaitement  son  terrain,  envoyait  en  même 
temps,  en  Italie,  des  émissaires  chargés  de  répandre  l'or  en  son 
nom  et  de  lui  gagner  des  partisans  parmi  les  principaux  citoyens. 
En  vain  Adherbal  retraça  en  termes  éloquents  les  malheurs  de  sa 
famille  et  la  perfidie  de  Jugurtha;  il  ne  put  rencontrer  aucun 
appui  effectif,  car  chacun  était  favorable  à  la  cause  de  son  ennemi. 
Néanmoins,  comme  la  contestation  était  soumise  au  Sénat,  ce  corps 
ne  put  violer  ouvertement  toutes  les  règles  de  la  justice.  Il  décida 
qu'une  commission  de  dix  membres  serait  chargée  d'opérer  entre 
les  deux  princes  numides  le  partage  de  leurs  états".  Les  commis- 
saires, sous  la  présidence  de  Lucius  Opimius,  favorable  à  Jugurtha, 
rendirent  à  celui-ci  toute  la  Numidie  occidentale  et  replacèrent 
Adherbal  à  la  tête  de  la  Numidie  propre,  décision  qui  n'avait  pour 
elle  que  l'apparence  de  l'équité,  en  admettant  que  Jugurtha,  par 
son  crime  et  son  usurpation,  n'eût  pas  perdu  ses  droits,  car  il  était 
certain  qu'Adherbal,  laissé  à  ses  propres  forces,  ne  tarderait  pas 
à  devenir  la  victime  de  son  cousin  (114). 

Défaite  et  mort  d'Adiikrbal.  • —  Après  cette  première  tentative 
qui  n'avait  réussi  qu'à  demi,  Jugurtha  s'appliqua  à  se  mettre  en 
mesure  de  recommencer,  dans  de  meilleures  conditions.  Comme 
il  avait  vu  que,  malgré  tout,  Rome  soutiendrait  son  cousin,  il 
jugea  qu'il  fallait  se  créer  un  point  d'appui  sur  ses  derrières  et,  à 


1.  YiUe  de  l:i  Pi'ocoiisuliiire. 

2.  Sallustc,  Bell.  Jug.,  XVI. 


60 


HISTOIRE   DE  l/ AFRIQUE 


cet  effet,  il  entra  en  relation  avec  son  voisin  de  l'ouest,  Bokkus, 
roi  des  Maures,  et  scella  son  alliance  avec  lui,  en  épousant  sa  fille. 
Puis,  il  recommença  ses  incursions  sur  les  terres  d'Adherbal,  espé- 
rant le  pousser  à  entamer  la  lutte  contre  lui,  de  façon  à  lui  donner 
tous  les  torts  aux  yeux  des  Romains.  Mais  ce  prince  était  bien 
résolu  à  tout  supporter,  et  ce  fut  Jugurtha  lui-même  qui,  perdant 
patience,  ouvrit  les  hostilités,  en  envahissant  le  territoire  de  Cirta, 
à  la  tête  d'une  armée  nombreuse. 

Adherbal  se  porta  à  sa  rencontre,  avec  toutes  les  troupes  dont 
il  pouvait  disposer.  Arrivé  en  présence  de  ses  ennemis,  il  avait 
pris  ses  dispositions  pour  les  attaquer  le  lendemain,  lorsque,  pen- 
dant la  nuit,  les  troupes  de  Jugurtha  se  jetèrent  sur  son  camp  et 
l'enlevèrent  par  surprise.  Adherbal  put,  avec  beaucoup  de  peine, 
se  réfugier  derrière  les  remparts  de  Cirta.  Jugurtha  l'y  suivit  et 
commença  le  siège  de  cette  place  fortifiée  par  l'art  et  la  nature,  et 
dans  laquelle  se  trouvaient  un  grand  nombre  d'artisans  et  mar- 
chands italiens,  décidés  à  défendre  la  cause  du  prince  légitime. 
Tandis  qu'il  pressait  ces  opérations,  il  reçut  trois  députés  envoyés 
de  Rome  pour  le  sommer  de  mettre  bas  les  armes  ;  il  les  congédia 
avec  force  démonstrations  de  respect  et  assurances  de  fidélité,  mais 
ne  tint  aucun  compte  de  leurs  remontrances.  Mandé,  peu  après,  à 
Utique,  par  de  nouveaux  envoyés  du  Sénat,  il  se  rendit  dans  cette 
ville,  y  accepta  avec  déférence  les  ordres  à  lui  adressés  ;  puis  il  re- 
vint à  Cirta,  dont  le  blocus  avait  été  rigoureusement  maintenu.  Cette 
ville  était  alors  réduite  à  la  dernière  extrémité  par  la  famine.  La 
nouvelle  de  l'échec  des  négociateurs  romains  y  porta  le  découra- 
gement et  le  désespoir.  .Adherbal,  voyant  la  fidélité  de  ses  adhérents 
fléchir,  se  décida  à  traiter  avec  son  cousin.  Jugurtha  lui  promit  la 
vie  sauve  ;  mais,  dès  qu'il  eut  entre  les  mains  les  clés  de  la  ville,  il 
ordonna  le  massacre  général  des  habitants,  sans  épargner  les  Ita- 
liens, et  fit  périr  Adherbal  dans  les  tourments'. 

Glerre  de  Jugurtha  contre  les  Romains.  —  Cette  fois  Jugurtha 
restait  maître  incontesté  du  pouvoir  ;  il  est  possible  que  les  Romains 
eussent  fermé  les  yeux  sur  l'origine  criminelle  de  sa  royauté;  mais 
des  citoyens  latins  avaient  été  lâchement  massacrés  et  il  était  im- 
possible de  tolérer  cette  insulte.  Le  parti  du  peuple  accusa  à  bon 
droit  la  noblesse  d'avoir  encouragé  ces  crimes.  En  vain  Jugurtha 
envoya  à  Rome  son  fils  et  deux  de  ses  confidents  :  l'entrée  du  Sénat 
leur  fut  interdite  et  l'expédition  d'Afrique  résolue.  Calpurnius 
Bestia,  en  ayant  reçu  le  commandement,  partit  bientôt  de  Sicile  à 


1.  Salluste,  Bell.  Jiig.,  XXYI. 


LES   ROIS  BERBERES   VASSAUX   DE   ROME    (109   AV.    J.-C.)  61 


la  tête  des  troupes,  débarqua  en  Afrique,  s'avança  jusqu'à  Badja 
et  remporta  de  g-rands  succès.  Bokkus,  lui-même,  envoya  aux 
Romains  l'hommage  de  sa  soumission.  Jugurtha,  se  voyant  perdu, 
eut  alors  recours  à  un  moyen  qui  lui  avait  toujours  réussi,  la  cor- 
ruption. Bestia,  gagné  par  son  or,  consentit  à  signer  avec  lui  un 
traité  après  s'être  fait  livrer  par  le  prince  numide  des  éléphants, 
des  chevaux,  des  bestiaux  et  une  contribution  de  guerre  (111). 

Mais,  à  Rome,  cette  compensation  ne  fut  pas  jugée  suffisante 
et,  quand  les  infamies  commises  en  Afrique  eurent  été  dénoncées 
par  la  voix  indignée  de  C.  Memmius,  tribun  du  peuple,  on  exigea 
la  comparution  immédiate  de  JugurLiia,  afin  de  connaître  la  vérité 
sur  ce  honteux  traité.  Lucius  Cassius,  envoyé  en  Afrique,  ramena 
sous  son  égide  le  prince  berbère  à  Rome.  Dans  ce  milieu,  Jugurtha 
se  trouva  entouré  des  intrigues  les  plus  basses.  C'était  son  véri- 
table terrain.  Il  parvint  à  gagner  à  sa  cause  le  tribun  du  peuple 
C.  Bebius  et,  lors  de  sa  comparution  devant  le  sénat,  non  seu- 
lement il  fut  protégé  par  lui  contre  les  violences  de  l'assemblée 
indignée,  mais  encore,  le  tribun,  usant  de  son  droit  de  véto,  lui 
défendit  de  répondre  aux  accusations  dont  il  était  l'objet,  lui  permet- 
tant ainsi  d'échapper  à  la  nécessité  d'une  justification  impossible. 

Dès  lor.-,  l'audace  de  Jugurtha  ne  connaît  plus  de  bornes  :  un 
fils  de  Gulussa  nommé  Massiva  se  trouvait  à  Rome.  Il  le  fait  assas- 
siner par  Bomilcar  son  favori,  afin  de  couper  court  aux  projets 
d'ambition  qu'il  aurait  pu  avoir.  En  vain  la  voix  publique  crie 
vengeance;  on  facilite  la  fuite  de  Bomilcar  et  l'on  se  contente  d'or- 
donner à  Jugurtha  de  sortir  de  l'Italie.  C'est  alors  que  le  prince 
numide,  quittant  Rome,  prononce  ces  célèbres  paroles,  au  moins 
étranges  dans  sa  bouche  :  «  0  ville  vénale  et  près  de  périr,  si  elle 
«  trouve  un  acheteur^  !  » 

Cependant  le  propréteur  Aulus,  qui  était  resté  en  Afrique  avec 
l'armée,  se  disposa  à  prendre  l'ofiensive,  car  le  sénat  avait  annulé 
le  traité  fait  par  Bestia;  mais  la  rigueur  de  la  saison  et  l'adresse 
de  Jugurtha  triomphèrent  bientôt  de  ce  chef  inhabile.  Les  troupes 
romaines  démoralisées,  peut-être  même  gagnées  par  l'or  numide, 
se  laissèrent  surprendre  dans  leur  camp,  après  avoir  en  vain  essayé 
d'enlever  Suthul  ^,  où  se  trouvaient  les  trésors  et  les  approvision- 
nements du  roi.  Aulus,  pour  sauver  sa  vie,  accepta  une  humiliante 
capitulation  qui  l'obligeait  à  quitter  sous  dix  jours  la  Numidie  et 
condamnait  l'armée  à  passer  sous  le  joug  (109).  Le  Sénat  ne  ratifia 
pas  ce  traité.  Il  envoya  le  consul  Albinus,  frère  d'Aulus,  prendre 


1.  Salluste,  Bell.  Jug.,  XXXY. 

2.  Acluellement  Guelma. 


62 


iriSToiitE  DK  i/afriqite 


la  direction  des  opérations;  mais  ce  chef  ne  sut,  ne  put  ou  ne 
voulut  rien  entreprendre. 

Première  CAMPAGNE  de  Métellus  contre  Jl-gurtua.  —  Ces  succès 
devaient  être  les  derniers  du  prince  numide.  Métellus,  homme 
d'une  intégrité  reconnue,  ce  qui  avait  motivé  sa  nomination,  bien 
qu'il  appartuit  au  parti  de  la  noblesse,  arriva  en  Afrique,  avec 
mission  de  venger  les  affronts  faits  à  l'honneur  de  Rome.  Débarqué 
à  Utique,  il  s'occupa  d'abord,  avec  activité,  à  rétablir  la  discipline 
dans  l'armée  qui  avait  perdu,  sous  ses  derniers  chefs,  ses  anciennes 
vertus  de  courage,  d'obéissance  et  de  fermeté.  Jugurtha,  connais- 
sait Métellus  et  le  savait  incorruptible  ;  il  essaya  en  vain  de  con- 
jurer l'orage  en  offrant  les  plus  grands  témoignages  de  soumission. 
L'heure  des  transactions  honteuses  était  passée,  celle  de  l'expiation 
allait  commencer. 

Au  printemps  de  l'année  108',  Métellus  se  met  en  marche,  oc- 
cupe Vacca  (Badja)  et  attaque  Jugurtha  qui  l'attend  de  pied  ferme 
dans  une  position  par  lui  choisie  près  du  Muthul-.  L'armée  ber- 
bère est  divisée  en  deux  corps:  l'infanterie  avec  les  éléphants, 
sous  le  commandement  de  Bomilcar,  est  retranchée  derrière  la  ri- 
vière ;  la  cavalerie,  avec  le  roi,  est  dissimulée  dans  les  gorges  en- 
vironnantes. Métellus  charge  son  lieutenant  Rufus  d'aller  prendre 
posiiton  en  face  de  Bomilcar.  Aussitôt,  la  cavalerie  ennemie  se 
précipite  sur  les  flancs  de  la  troupe  romaine,  mais  ne  peut  parve- 
nir à  l'ébranler.  Pendant  ce  temps,  Métellus,  aidé  de  Marins, 
marche  vers  les  collines  afin  d'en  déloger  les  Berbères  et  de  tour- 
ner Bomilcar.  On  se  battit  de  part  et  d'autre  avec  le  plus  grand 
acharnement,  mais,  à  la  fin  de  la  journée,  la  victoire  se  décida 
pour  les  Romains.  Jugurtha  leur  abandonna  le  champ  de  bataille 
et  presque  tous  ses  éléphants. 

Cette  journée  suffit  pour  prouver  à  Jugurtha  qu'il  ne  pouvait  se 
mesurer  en  ligne  contre  les  Romains  ;  changeant  donc  de  tactique, 
il  répartit  ses  adhérents  dans  toutes  les  directions,  et  les  chargea 
d'inquiéter  sans  cesse  l'ennemi,  en  se  gardant  de  lui  offrir  l'occasion 
de  lutter  en  bataille  rangée.  Ainsi,  au  moment  où  Métellus  voulut 
recueillir  les  fruits  de  sa  victoire,  en  achevant  d'écraser  l'ennemi, 
il  ne  trouva  plus  personne  devant  lui  et  force  lui  fut  de  changer  de 

1.  Nous  adoptons  la  date  acceptée  par  M.  Mommsen  (t.  lY,  p.  261 
note),  tout  eu  reconnaissant  que  la  date  de  109  est  possible. 

2.  Sans  doute  vers  Tifech,  au  nord  de  Tébessa.  M.  Marcus  identifie 
le  Muthul  au  Hamiz.  Peut-être  faut-il  placer  cette  rivière  plus  près  de 
Badja. 


LES  ROIS   BERBÈRES   VASSAUX   DE  ROME    (Ï07   AV.   J.-C.)  63 

tactique  et  de  se  conlenter  de  la  guerre  d'escarmouches,  sans  toute- 
fois se  laisser  entraîner  dans  les  lieux  déserts  et  n  olTrant  aucune 
ressource  où  Jugurtha  prétendait  l'attirer.  L'armée  romaine,  di- 
visée en  deux  principaux  corps,  l'un  sous  les  ordres  de  Métellus, 
et  l'autre  commandé  par  Marius,  opérèrent  quelque  temps  dans 
cette  région,  ruinant  les  cultures  des  indigènes  ennemis,  et  enle- 
vant parla  force  les  villes  qui  ne  voulaient  passe  soumettre.  Zama, 
attaquée  par  eux,  se  défendit  avec  énergie,  ce  qui  permit  à  Jugur- 
tha d'accourir  à  son  secours  et  de  forcer  les  Romains  à  lever  le 
siège. 

Ainsi  finit  cette  première  campagne.  De  grands  résultats  avaient 
été  obtenus,  puisque  l'armée  romaine  avait  vu  fuir  devant  elle  le 
roi  numide,  et  cependant  aucune  conquête  n'était  conservée.  Ren- 
tré dans  la  province  d'Afrique  pour  prendre  ses  quartiers  d'hiver, 
Métellus  songea  à  obtenir  le  succès  par  d'autres  moyens.  Il  parvint 
à  détacher  secrètement  Bomilcar  du  parti  de  Jugurtha,  en  lui  pro- 
mettant sa  succession  s'il  parvenait  à  le  livrer  entre  ses  mains. 
Bomilcar  poussa  donc  le  roi  à  abandonner  une  lutte  dont  l'issue 
ne  pouvait  que  lui  être  fatale  et  l'amena  à  entrer  en  pourparlers 
avec  Métellus.  Les  bases  d'un  traité  furent  arrêtées;  déjà  une  par- 
tie des  clauses  était  exécutée  par  le  versement  d'une  somme  con- 
sidérable et  la  remise  d'éléphants,  de  transfuges,  d'armes,  etc., 
lorsque  Jugurtha,  mis  en  défiance  par  l'insistance  avec  laquelle  on 
l'invitait  à  se  rendre  au  camp  romain,  éventa  le  piège  dans  lequel 
il  avait  failli  tomber  et  s'éloigna  au  plus  vite 

Deuxième  campagne  de  Métellus.  —  Il  fallait  donc  recourir  de 
nouveau  au  sort  des  armes.  Métellus  alla  d'abord  s'emparer  de 
Vacca  (Badja),  qui  s'était  révoltée  après  son  départ,  et  avait  mas- 
sacré sa  garnison  romaine  ;  il  fit  subir  à  cette  ville  un  châtiment 
exemplaire.  Sur  ces  entrefaites,  Jugurtha,  ayant  découvert  la  tra- 
hison de  Bomilcar,  le  condamna  à  expirer  dans  les  tourments. 

Au  printemps  de  l'année  107,  Métellus  reprit  méthodiquement  la 
campagne  et  envahit  la  Numidie.  Jugurtha,  après  avoir  sans  cesse 
reculé  devant  lui,  se  décide  à  lui  offrir  le  combat,  mais  les  Ber- 
bères ne  tiennent  pas  et  fuient  lâchement  devant  les  légionnaires. 
Cirta  ouvre  alors  ses  portes  à  Métellus,  tandis  que  Jugurtha  se 
réfugie  dans  le  sud  ;  de  là,  le  prince  berbère  revient  dans  le  Tel  et 
va  se  retrancher,  avec  sa  famille  et  ses  trésors,  dans  une  localité 
fortifiée  nommée  Thala^.  Métellus  l'y  poursuit,  mais  Jugurtha 

1.  Salluste,  Bell.  Jug.,  LXYIIL 

2.  Ce  uom  veut  dire  source  en  berbère  ;  il  est  commun  à  une  foule  de 


64 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


s'échappe  et  va  chercher  la  sécurité  chez  les  Gélules,  pendant  que 
les  Romains  font  le  siège  régulier  de  la  place.  Après  quarante  jours 
d'efforts,  ïhala  est  forcée,  mais  les  défenseurs  ne  livrent  aux  Ro- 
mains que  des  ruines  fumantes. 

Pendant  que  Métellus  était  devant  Thala,  il  reçut  une  députa- 
tion  de  la  colonie  phénicienne  de  Leptis  (parva)  venant  lui  de- 
mander protection  contre  les  attaques  des  Berbères.  Quatre  co- 
hortes de  Liguriens  allèrent  prendre  possession  de  cette  localité 
au  nom  de  Rome. 

Quant  à  Jugurtha,  il  mit  à  profit  son  séjour  parmi  les  Gétules 
pour  les  gagner  à  sa  cause,  en  faisant  luire  à  leurs  yeux  Tappât  du 
butin.  Tout  en  s'appliquant  à  former  ces  sauvages  à  la  discipline, 
il  envoya  à  son  ijcau-père,  Bokkus,  des  émissaires,  pour  l'amener 
à  lui  fournir  son  appui.  Le  roi  de  Maurélanie  avait,  dès  le  début 
de  la  guerre,  adressé  des  protestations  de  dévouement  aux  Ro- 
mains, et  était  peu  disposé  à  entrer  en  lutte  contre  eux  ;  mais  Ju- 
gurtha, ayant  obtenu  de  lui  une  entrevue,  agit  avec  tant  d'habileté 
sur  son  esprit,  en  lui  représentant  que  les  Romains  n'avaient 
d'autre  but  que  de  conquérir  la  Maurétanie,  après  avoir  pris  la 
Numidie,  qu'il  lui  arracha  son  adhésion.  Bientôt  les  alliés  se 
mirent  en  marche  directement  sur  Cirta. 

Prévenu  de  la  ligue  des  deux  rois,  Métellus  vint  se  placer  dans 
un  camp  solidement  retranché,  en  avant  de  la  capitale  de  la  Nu- 
midie, alin  de  couvrir  cette  contrée.  Sur  ces  entrefaites,  on  apprit 
que  Marins,  alors  à  Rome,  venait  d'être  élevé  au  consulat  par  le 
peuple  ;  que  la  mission  de  terminer  la  guerre  de  Jugurtha  lui  avait 
été  confiée  et  qu'il  allait  arriver  avec  des  renforts  et  de  l'argent. 
Sans  attendre  son  ancien  lieutenant,  Métellus  rentra  en  Italie  (107j. 

jSL\ril's  prend  la  direction  des  opérations.  —  Débarqué  à 
Utique,  Marins  fut  bientôt  sur  le  théâtre  de  la  guerre.  Il  amenait 
avec  lui  des  renforts  qui,  ajoutés  aux  troupes  déjà  en  campagne, 
devaient  porter  l'effectif  des  forces  romaines  à  environ  50,000 
hommes-.  Le  mouvement  offensif  des  rois  berbères  avait  été  arrêté 
par  les  mesures  de  xMétellus.  Bokkus  avait  en  outre  été  travaillé 
par  lui,  de  sorte  que  Jugurtha  savait  bien  qu'il  ne  pouvait  pas 

localités  et  il  est  bien  difficile,  malgré  toutes  les  recherches  de  MM.  Mar- 
cus,  Bureau  de  la  Malle,  Guérin,  etc.,  d'indiquer  d'une  manière  précise 
la  situation  de  cette  ville,  qui  devait  se  trouver  soit  dans  l'Aourès,  soit 
vers  la  limite  actuelle  de  la  Tunisie. 

1.  Actuellement  Lamta,  près  de  Monastir,  en  Tunisie. 

2.  Poulie,  Elude  sur  la  Maurétanie  Sétifienne  {Recueil  de  la  Soc.  arch. 
de  Constantine,  1863,  p.  54). 


LES   ROIS   DERBHllES   VASSAUX   DE   ROME   (  !22"2   AV.  J.-C.) 


65 


compter  sur  son  beau-père  pour  une  action  sérieuse.  Le  roi  nu- 
mide ne  se  hasardait  plus  aux  batailles  rangées  ;  à  la  tête  des  ca- 
valiers gétules,  il  poussait  des  pointes  hardies,  jusqu'aux  portes 
du  camp  de  ses  ennemis,  pillait  les  populations  soumises  et  rega- 
gnait les  régions  éloignées  avant  qu'on  ait  eu  le  temps  de  le  com- 
battre. Il  avait  déposé  ses  trésors  à  Capsa  '  et  tenait  toute  la  ligne 
du  désert.  Quant  à  Bokkus,  il  restait  dans  une  prudente  expecta- 
tive. 

Marins,  voulant  à  tout  prix  sortir  de  cette  situation,  dans  la- 
quelle il  ne  faisait,  pour  ainsi  dire,  aucun  progrès,  se  porta,  par 
une  marche  audacieuse,  sur  Capsa,  quartier  général  de  son  ennemi, 
enleva  cette  place,  brûla  et  dévasta  les  villes  voisines  qui  soute- 
naient Jugurtha  et  força  ce  prince  à  évacuer  le  pays  et  à  se  jeter 
dans  rOuest.  C'était  ce  qu'il  cherchait  car  son  plan  était  de  re- 
porter la  campagne  à  l'Occident,  en  conservant  Cirta  comme  base 
d'opérations.  Marins  vint  donc  relancer  son  ennemi  dans  les  con- 
trées de  l'Ouest,  et  mena  avec  habileté  et  succès  cette  campagne 
dans  le  Zab  et  le  Hodna,  et  les  montagnes  qui  bordent  ces  plaines 
au  nord  et  à  l'ouest^.  11  réussit  même  à  s'emparer  d'une  forteresse 
établie  sur  un  rocher  presque  inaccessible,  une  de  ces  kalâa  que 
les  Berbères  savaient  placer  sur  des  pitons  escarpés,  où  le  prince 
numide  avait  caché  ses  derniers  trésors. 

Cette  habile  tactique  du  général  romain  enlevait  à  Jugurtha  tous 
ses  avantages.  Le  prince  numide  adressa  alors  un  appel  désespéré 
à  Bokkus,  lui  promit  le  tiers  de  la  Numidie  en  récompense  de  ses 
services  et  le  décida  enfin  à  agir.  Les  deux  rois,  ayant  opéré  en 
secret  leur  jonction,  fondirent  à  l'improviste  à  la  tête  de  masses 
considérables  '  sur  les  troupes  romaines.  Surpris  par  l'impétuo- 
sité de  l'attaque.  Marins,  secondé  par  Sylla,  qui  lui  a  amené  un 
corps  de  cavalerie,  prend  d'habiles  dispositions  lui  permettant  de 
résister  ;  on  combat  jusqu'au  soir  sans  résultat.  Les  Berbères 
entourent  les  Romains  et  passent  toute  la  nuit  à  chanter  et  à 
danser  devant  leurs  feux,  se  croyant  sûrs  de  la  victoire.  Mais,  au 

1.  Gafça,  dans  le  Djerid  tunisien. 

2.  D'après  Salluste,  il  se  serait  avancé  jusqu'au  Molochatli  ;  mais  nous 
considérons  cette  marche  comme  impossible  et  nous  nous  rangeons  à 
l'opinion  de  M.  Poulie  qui  a  discuté  avec  autorité  cette  question  dans  sou 
excellent  travail  sur  la  Maurétanie  sétificnne  {Annuaire  de  la  Sociélé 
archéologique,  1863,  pp.  40  et  suiv].  Quant  à  l'opinion  de  M.  Rinii  {Re- 
vue Africaine,  n"  171),  tendant  à  placer  le  Molochatli  à  l'est  de  Cirta,  il 
nous  est  impossible  de  l'admettre.  M.  Tauxier  (Revue  Africaine,  n"  174), 
propose  d'identifier  la  Macta  au  Mulucha  (ou  Molochath). 

3.  60,000  hommes,  selon  Paul  Orose. 


T.  I. 


5 


66 


IIISTOIUE  DE  L'AlIiiyUE 


point  du  jour,  les  Romains  se  jettent  sur  les  Gélules  et  sur  les 
Maures,  qui  viennent  de  céder  à  la  fatigue,  en  font  un  carnage 
horrible  et  mettent  en  fuite  les  survivants  '. 

Après  cette  victoire,  Marins  conduisit  habilement  son  armée 
vers  Girta  pour  lui  faire  prendre  ses  quartiers  d"hiver,  à  l'abri  de 
cette  place.  En  chemin,  il  fut  de  nouveau  attaqué  par  les  rois  in- 
digènes, qui  avaient  rallié  les  fuyards  et  divisé  leurs  troupes  en 
quatre  corps.  Le  courage  de  Marins  et  de  Sylla,  la  prudence  et 
I  habileté  du  général  dans  son  ordre  de  marche,  sauvèrent  encore 
l'armée  romaine,  qui  dut,  selon  Paul  Orose,  lutter  pendant  trois 
jours  avec  acharnement-. 

GnuTE  DE  Jl'gurtu.v.  —  Ces  défaites  successives  avaient  suffi 
pour  dégoûter  Bokkus  de  la  guerre.  Ginq  jours  après  le  dernier 
combat  arrivèrent  à  Girta  les  envoyés  du  roi  de  Maurétanie,  char- 
gés de  proposer  la  paix.  Les  malheureux  parlementaires,  qui 
avaient  suivi  la  route  du  désert,  sans  doute  pour  éviter  les  par- 
tisans de  Jugurtha,  avaient  été  entièrement  dépouillés  par  des 
pillards  Gétules,  et  se  présentèrent  nus  et  pleins  de  terreur'. 
Néanmoins,  leurs  propositions  ayant  été  acceptées  en  principe,  on 
les  lit  partir  pour  Rome,  alin  qu'ils  fournissent  devant  le  sénat  les 
justifications  de  leur  maître. 

A  la  suite  de  ces  négociations,  Sylla  fut  envoyé  vers  Bokkus 
avec  une  escorte  de  guerriers  choisis  et  armés  à  la  légère.  Après 
cinq  jours  de  marche,  il  rencontra  ^'olux,  fils  du  roi  de  Mauré- 
tanie, venu  à  sa  rencontre  pour  lui  faire  escorte.  Le  même  soir 
il  faillit  se  jeter  sur  le  camp  de  Jugurtha  et  n'échappa  à  ce  dan- 
ger que  par  son  audace  et  son  énergie.  Enfin,  la  petite  troupe 
atteignit  le  campement  de  Bokkus.  Sylla  fut  fort  surpris  d'y  trou- 
ver un  envoyé  de  Jugurtha,  qui  l'y  avait  précédé  et  devant  lequel 
il  lui  était  difficile  de  traiter  de  l'extradition  du  prince  numide. 
Néanmoins  Sylla  agit  avec  une  telle  habileté  qu'il  finit  par  triom- 
pher des  irrésolutions  de  Bokkus  et  le  décider  à  livrer  son  gendre. 
Un  message  fut  envoyé  à  Jugurtha  pour  l'engager  à  venir  traiter 
de  la  paix;  mais  le  Numide  était  trop  fin  pour  consentir  à  se  livrer 
ainsi  aux  mains  de  ses  ennemis  et  il  exigea  tout  d'abord  que  Sylla 
lui  fût  remis  en  otage. 

1.  Salluste,  Bell.  Jug.,  XCY ,  XCVI.  M.  Poulie,  dans  l'article  précité, 
place  le  théâtre  de  ces  combats  aux  environs  d'El  Auasser  et  de  l'Ouad 
Gaamour,  à  l'O.  de  Sétif. 

2.  Ilist..  1.  V,  cap.  15. 

3.  Dell.  Jug.,  XCIX,  C. 


LES   ROIS   BERBÈRES   VASSAUX   DE   ROME    (104  AV.   J.-C.)  67 


Pendant  plusieurs  jours  Bokkus  hésita  encore  pour  savoir  s'il 
livrerait  Sylla  à  Jugurtha,  ou  Ju^urtha  à  Sylla.  Enfin,  il  se  pro- 
nonça pour  le  dernier  parti.  Après  bien  des  négociations,  il  fut 
convenu  que  chacun  se  rendrait,  sans  armes,  à  un  endroit  dési- 
gné, afin  d'arrêter  les  conditions  de  la  paix.  Jugurtha,  vaincu  par 
les  assurances  que  lui  prodigua  son  beau-père,  se  décida  à  venir 
au  rendez-vous  ;  mais,  à  peine  était-on  réuni,  que  des  gardes,  ca- 
chés aux  environs,  se  jetèrent  sur  le  prince  numide  et  le  livrèrent 
garrotté  à  Sylla'.  Ainsi  la  trahison  mit  fin  à  cette  guerre  que  le 
génie  de  Jugurtha  aurait  peut-être  prolongée  encore.  Le  premier 
janvier  lOi,  Marins  fit  son  entrée  triomphale  à  Rome,  précédé  de 
Jugurtha  en  costume  royal  et  couvert  de  chaînes  ;  puis  le  vaincu 
fut  jeté  dans  le  cachot  du  Gapitole,  où  il  mourut  misérablement. 

La  guerre  de  Jugurtha  fut  en  résumé  l'acte  de  résistance  le  plus 
sérieux  des  Berbères  contre  les  Romains.  Sans  approuver  les 
crimes  du  prince  numide,  on  ne  saurait  trop  admirer  les  ressources 
de  son  esprit  et  son  indomptable  énergie  ;  et  il  faut  reconnaître 
qu'avec  lui  tomba  l'indépendance  de  son  pays.  Cette  guerre  nous 
montre  le  caractère  des  indigènes  tel  que  nous  le  retrouverons  à 
toutes  les  époques,  qu'il  s'agisse  de  soutenir  Jugurtha,  Tacfarinas, 
Firmus,  Abou  Yezid,  Ibn  R  ania  ou  Abd-el-Kader,  c'est  toujours 
chez  eux  la  même  ardeur  à  l'attaque,  le  même  découragement 
après  la  défaite  et  la  même  ténacité  à  recommencer  la  lutte  jusqu'à 
ce  que  la  trahison  vienne  y  mettre  fin. 

Partage  de  la  Numidie.  —  Après  la  chute  de  Jugurtha,  les 
Romains  n'osèrent  encore  prendre  possession  de  toute  la  Numidie. 
Ils  attribuèrent  à  Bokkus,  pour  le  récompenser  de  ses  services,  la 
Numidie  occidentale,  l'ancienne  Masséssylie,  s'étendant  depuis  la 
Molochath  jusque  vers  le  méridien  de  Saldœ.  Le  reste,  la  Numi- 
die proprement  dite,  fut  donné  à  Gauda,  frère  de  Jugurtha,  de- 
puis longtemps  au  service  de  Rome,  sauf  toutefois  une  petite 
partie  que  l'on  adjoignit  à  la  province  d'Afrique.  Gauda,  vieillard 
chargé  d'années  et  faible  de  caractère,  mourut  peu  de  temps  après 
son  élévation  au  pouvoir.  Les  documents  historiques  font  absolu- 
ment défaut  pour  ce  qui  se  rapporte  à  cette  période.  On  sait  seu- 
lement que  la  Numidie  propre  fut  de  nouveau  partagée  entre 
Hiemsal  II,  fils  de  Gauda,  et  Yarbas  ou  Hiertas,  prince  de  la  fa- 
mille royale,  peut-être  également  fils  de  ce  dernier.  Il  est  probable 
que  Hiemsal  II  eut  pour  sa  part  la  région  orientale  de  la  Numidie 
confinant  à  la  province  romaine  et  l'entourant  au  sud,  et  que  Yar  - 


1.  Salluste,  Bell.  Jug.,  CX. 


68 


IIISTOIIU:  DU  l'afriql'E 


bas  reçut  la  partie  occidentale,  s'étendant  jusqu'à  Saldae,  limite 
des  possessions  du  roi  de  INIaurétanie.  Peut-être,  comme  le  pense 
M.  Poulie',  un  autre  prince,  du  nom  de  Masintha,  régnait-il  déjà 
sur  la  province  sitifienne. 

Ces  rois  vassaux  gouvernèrent  sous  la  tutelle  directe  de  Rome, 
exerçant  un  pouvoir  qui  n'avait  en  réalité  d'autre  but  que  de  pré- 
parer, par  une  transition,  l'asservissement  du  pays  au  peuple-roi. 

Des  traités  furent  conclus  avec  les  tribus  gétules  indépendantes, 
qui  furent  comptées  au  nombre  des  alliés  libres  de  Rome  -,  pre- 
mier pas  vers  la  soumission. 

Coup  d'oeil  sur  l'histoire  de  la  Cyrénaique.  —  Cette  province 
EST  léguée  a  Rome.  —  Nous  avons  jusqu'à  présent  négligé  les  faits 
de  l'histoire  de  la  Cyréna'ique,  car  ils  ne  se  rattachaient  pas  direc- 
tement à  celle  delà  Berbérie.  Nous  avons  dit'  que  Cyrène  fut 
fondée  par  une  colonie  de  Grecs  Théréens,  vers  le  vu''  siècle  avant 
notre  ère.  Après  avoir  vécu  plus  d'un  siècle  heureuse  et  prospère 
sous  l'autorité  de  ses  rois  de  la  famille  de  Battos,  la  colonie  fut 
vaincue  et  soumise  par  les  Perses  (525).  A  la  bataille  de  Platée, 
les  Berbères  libyens  figurent  parmi  les  troupes  de  Xerxès.  Dans 
le  cours  du  v"  siècle  une  vaste  révolte  des  indigènes  rend  la  liberté 
à  la  Cyrénaïque.  Le  régime  républicain  y  est  proclamé*.  Cyrène 
atteint  alors  une  grande  prospérité.  Elle  se  rencontre  à  l'ouest 
avec  Karthage,  sa  rivale  ;  une  guerre  sanglante  éclate  entre  les 
Grecs  et  les  Karthaginois  au  sujet  de  la  limite  commune.  La  lutte 
se  termine  par  un  traité  consacré  par  le  dévouement  des  Philènes, 
deux  frères  Karthaginois,  qui,  selon  la  tradition,  consentirent  à 
être  enterrés  vivants  pour  agrandir,  vers  l'est,  le  domaine  de  leur 
patrie  (350). 

Lors  du  voyage  d'Alexandre  le  Grand  à  l'oasis  d'Ammon,  les 
Cyrénéens  lui  envoyèrent  des  ambassadeurs  chargés  de  lui  offrir 
l'hommage  de  leur  soumission  et  de  lui  remettre  des  présents  con- 
sistant en  chevaux  et  en  chars.  Sans  se  détourner  de  sa  route,  le 
grand  conquérant  accueillit  cette  démarche  et  admit  les  Cyrénéens 
parmi  ses  tributaires,  ou  peut-être  simplement  ses  alliés,  car  le 
pays  conserva  son  indépendance,  jusqu'au  jour  où  les  Egyptiens, 
appelés  par  une  faction  vaincue  à  la  suite  d'une  longue  guerre  ci- 

1.  Maurétanie  sétifieniie  {Annuaire  de  la  Soc.  arch.  de  Constantine, 
1863). 

2.  Mommsen,  Hisl.  Rom.,  t.  IV,  p.  272. 

3.  Voir  Fondation  de  Kyrène  par  les  Grecs,  ch.  I. 

4.  Diodore,  Tluicydide,  Héraclidc  de  Poiit. 


LES   ROIS  BERBÈRES   VASSAUX   DE   ROME   (IGÎ   AV.    J.-C.)  69 


vile,  vinrent  s'emparer  du  pays.  Ptolémée  le  Lagide  laissa  à  Cy- 
rène  un  gouverneur  et  une  garnison  (322). 

Quelque  temps  après,  le  Macédonien  Oppellas,  qui  gouvernait  la 
Cyrénaïque  pour  le  compte  du  souverain  d'Egypte,  se  déclara  roi 
indépendant  et,  soutenu  par  ses  amis  de  Grèce,  acquit  une  grande 
puissance.  C'est  alors  que,  cédant  aux  instances  d'Agathocle  qui 
était  venu  porter  la  guerre  en  Afrique,  il  alla  se  joindre  à  lui  pour 
combattre  les  Karthaginois.  Nous  avons  vu'  que  le  roi  de  Sicile  le 
fit  assassiner.  A  la  suite  de  ces  événements,  Ptolémée  voulut  res- 
saisir la  Cyrénaïque,  mais  il  dut  se  porter  au  plus  vite  vers  l'est, 
pour  combattre  ses  mortels  ennemis,  Antigone  et  Démétrius,  fils 
de  celui-ci,  qui  avait  épousé  la  veuve  d'Oppellas.  Ce  ne  fut  qu'après 
avoir  triomphé  d'eux  à  la  bataille  d'Ipsus  (301),  qu'il  put  s'occu- 
per de  la  soumission  de  la  Cyrénaïque.  Son  beau-fils  Magas  accom- 
plit cette  mission  et  resta  gouverneur  du  pays. 

Ptolémée  avait  ramené  de  ses  expéditions  en  Syrie  un  grand 
nombre  de  Juifs  ;  il  les  expédia  en  Cyrénaïque  et  dans  les  autres 
villes  de  la  Libye  ^.  C'est  ainsi  que  nous  verrons,  au  xi'^  siècle  de 
notre  ère,  le  kalife  Fâtemide  El  Mostancer,  lancer  sur  le  Mag'reb 
les  Arabes  hilaliens  qu'il  a  également  ramenés  de  ses  guerres  de 
Syrie  et  dont  il  ne  sait  que  faire. 

A  la  mort  de  Ptolémée  (285),  Magas  se  déclara  indépendant  et, 
après  avoir  tenté  de  renverser  du  trônp  d'Egypte  son  frère  utérin 
Ptolémée  Philadelphe,  conclut  avec  lui  un  traité  d'alliance  et 
donna  à  la  Cyrénaïque  des  jours  de  calme  et  de  prospérité.  A  sa 
mort,  sa  fille,  la  célèbre  Bérénice,  épousa  le  beau  Démétrius,  fils 
du  Polyorcète,  et  partagea  avec  lui  le  trône  de  Cyrène.  On  connaît 
la  fin  tragique  de  Démétrius  et  le  second  mariage  de  Bérénice, 
avec  Ptolémée  Evergète  ^.  Ainsi  la  Cyrénaïque  fut  éncore  une  fois 
réunie  à  la  couronne  d'Egypte  (2i7).  Mais  Bérénice  n'oublia  pas 
sa  patrie  :  elle  y  fit  exécuter  de  grands  travaux  et  orna  certames 
villes  avec  magnificence.  Son  nom  fut  donné  à  la  ville  d'Hespéride 
(Ben-Ghazi) . 

A  l'occasion  de  la  querelle  survenue  entre  les  deux  frères  Pto- 
lémée Philométor  et  Ptolémée  Evergète,  surnommé  Physcon,  qui 
avaient  partagé  pendant  quelque  temps  le  trône  de  l'Egypte, 
Rome,  sollicitée  par  le  premier  (164),  envoya  des  commissaires  qui 
opérèrent  le  partage  du  royaume  entre  les  deux  frères.  Physcon 
obtint,  pour  sa  part,  la  Cyrénaïque  avec  la  partie  de  la  Libye  y 


1.  Chapitre  I,  p.  10. 

2.  Josèphe. 

3.  Justin,  Hisl.,  XXVL 


70 


HISTOIRE  ns  1,'afrique 


attenant'.  Mécontent  de  son  lot,  il  essaya  en  vain  de  décider  son 
frère  ou  Rome  à  réformer  le  partap^e.  En  147,  Philométor  étant 
mort,  Physcon  alla  s'emparer  du  trône  d'Eg:ypte  et  fit  g^émir  le 
pays  sous  sa  tyrannie,  pendant  un  long  règne  qui  ne  se  termina 
qu'en  l'année  117.  Par  son  testament  il  léguait  la  Cyrénaïque  à 
son  fils  naturel  Apion. 

Pour  la  dernière  fois  la  Cyréna'ique  formait  un  royaume  indé- 
pendant. Apion  régna  paisiblement,  obscurément  même,  pendant 
vingt  années,  entretenant  avec  Rome  des  rapports  fréquents,  et, 
à  sa  mort  survenue  en  l'an  96,  il  légua  son  royaume  au  peuple-roi. 
Celte  nouvelle  province  s'étendait  de  l'Egypte  à  la  grande  Syrte. 
Rome  laissa  à  la  Cyrénaïque  ses  institutions,  aux  villes  leurs  fran- 
chises, et  se  contenta  de  prendre  possession  des  biens  de  la  cou- 
ronne, dont  les  produits  vinrent  grossir  les  revenus  du  trésor  pu- 
blic. En  réalité,  le  pays  demeura  livré  à  l'anarchie  des  factions 
jusqu'au  moment  où  Lucullus,  au  retour  de  la  guerre  contre  Mi- 
thridate,  vint  prendre  possession  de  la  Cyréna'ique  et  la  réduire 
en  province  romaine  (86). 


1.  Polybe. 


CHAPITRE  VI 


L'AFRIQUE  PENDANT  LES  GUERRES  CIVILES 
89-46 

Guerre  entre  Iliemsal  et  Yarbas.  —  Défaite  des  partisans  de  Marins  en 
Afrique;  mort  de  Yarbas.  —  Expéditions  de  Sertorius  en  Maurétanie.  — 
Les  pirates  africains  châtiés  par  Pompée.  —  Juba  I  successeur  de  Hiemsal. 
—  Il  se  prononce  pour  le  parti  de  Pompée.  —  Défaite  de  Curion  et  des 
Césariens  par  Jnba.  —  Les  Pompéiens  se  concentrent  en  Afrique  après  la 
bataille  de  Pharsale.  —  César  débarque  en  Afrique.  —  Diversion  de  Sit- 
tius  et  des  rois  de  Maurétanie.  —  Bataille  de  Thapsus,  défaite  des  Pom- 
piens.  —  Mort  de  Juba.  —  La  Numidie  orientale  est  réduite  en  province 
Romaine.  —  Chronologie  des  rois  de  Numidie. 

Guerre  entre  Hiemsal  H  et  Yarbas.  —  Dans  la  situation  de 
vassalité  où  se  trouvaient  les  rois  numides  vis-à-vis  de  Rome,  il 
leur  était  diflicile  de  ne  pas  prendre  une  part,  plus  ou  moins 
directe,  aux  troubles  qui  l'agitaient.  Marins,  forcé  de  fuir,  se  ré- 
fugia en  Afrique,  comptant  sur  le  secours  du  roi  Hiemsal  H, 
auprès  duquel  il  avait  envoyé  son  fils.  Mais  le  Berbère  voyait 
poindre  la  fortune  de  Sylla.  Il  se  prononça  pour  celui-ci,  et  le  fils 
de  Marius,  qu'il  avait  retenu  comme  prisonnier  et  qui  n'était 
parvenu  à  s'échapper,  —  s'il  faut  en  croire  Plutarque,  —  que  grâce 
à  l'intérêt  que  lui  portait  une  concubine  de  son  hôte,  ayant  rejoint 
son  père,  lui  apprit  qu'il  ne  lui  restait  qu'à  fuir.  Marius  qui  avait 
été  repoussé  de  Karthage  par  le  proconsul  Sextus,  errait  sur  le 
rivage  près  de  la  limite  de  la  Numidie;  il  put  cependant  prendre 
la  mer,  g'agner  les  îles  Kerkinna,  échappant  ainsi  aux  sicaires 
de  Hiemsal.  Il  trouva  ensuite  un  refuge  chez  Yarbas,  qui  s'était 
déclaré  pour  lui,  et  y  passa  sans  doute  l'hiver  de  l'année  88. 

Bientôt  Yarbas  marcha  contre  son  parent,  le  défît,  et  s'empara 
de  son  royaume.  Ainsi  le  parti  de  Marius  triomphait  en  Afrique, 
tandis  qu'en  Europe  il  n'éprouvait  que  des  revers. 

Défaite  des  partisans  de  Marius  en  Afrique.  Mort  de  Yarbas. 
—  La  province  africaine  devint  le  refuge  des  partisans  de  Marius. 
Le  préteur  Hadrianus  en  avait  expulsé  Métellus  et  Crassus,  qui 
essayaient  en  vain  de  rallier  ce  pays  au  parti  des  Optimales.  Pour 
augmenter  ses  forces,  Hadrianus  voulut  affranchir  les  esclaves; 
mais  les  marchands  d'Utique  se  révoltèrent  en  masse  et  brûlèrent 


72 


iiisToiRr:  nr.  i/afuiqve 


le  préteur  dans  sa  maison.  Cependant  l'Afrique  resta  fidèle  au 
parti  Marianien.  Domitius  Ahénobarbus,  gendre  de  Cinna,  y  or- 
ganisa la  résistance.  Un  camp  fut  formé  près  d"Utique  et  bientôt, 
grâce  aux  renforts  fournis  par  Yarbas,  une  vingtaine  de  mille 
hommes  s'y  trouvèrent  réunis. 

Mais  Sylla,  sans  laisser  à  ses  ennemis  le  temps  de  se  reformer, 
chargea  Cnéius  Pompée  d'une  expédition  en  Afrique.  11  lui  confia 
à  cet  effet  six  légions  qui  partirent  sur  une  flotte  de  cent  vingt 
galères,  suivies  d'un  grand  nombre  de  bateaux  de  transport. 

Débarqué  heureusement  en  Afrique,  le  général  romain  marcha 
contre  ses  ennemis,  qui  l'attendaient  dans  une  forte  position,  les 
attaqua  en  profitant  du  désordre  causé  par  un  orage,  les  défit,  et 
enleva  leur  camp,  avec  leurs  bagages  et  les  éléphants  du  roi  nu- 
mide. D.  Ahénobarbus  tomba  en  combattant;  quant  à  ses  soldats, 
il  en  fut  fait  un  grand  carnage,  puisque  trois  mille,  seulement, 
d'entre  eux  purent  s'échapper. 

Yarbas  avait  pris  la  fuite  avec  les  débris  de  ses  Numides  et 
tâchait  de  gagner  sa  i-etraite,  lorsqu'il  se  heurta  contre  un  corps 
de  cavaliers  maures,  envoyés  par  le  roi  Bogud,  fils  de  Bokkus,  au 
secours  de  Pompée.  Gauda  fils  de  Bogud,  commandant  de  cette 
colonne,  contraignit  Yarbas  à  se  réfugier  derrière  les  remparts  de 
Bulla-Regia ',  sa  capitale. 

Pompée,  qui  avait  envahi  la  Numidie,  empêcha  les  Berbères  de 
porter  secours  à  leur  roi.  Forcé  de  se  rendre  à  Gauda,  Yarbas  fut 
mis  à  mort.  Hiemsal  rentra  ainsi  en  possession  de  son  royaume  et 
reçut,  comme  récompense  de  sa  fidélité  à  Sylla,  le  territoire  du 
vaincu  -  (81).  Ces  luttes  avaient  duré  sept  ans.  Vers  la  même 
époque  Bokkus,  roi  de  Maurétanie,  ayant  cessé  de  vivre,  son  empire 
avait  été  partagé  entre  ses  deux  fils  :  Bokkus  II,  qui  obtint  la 
partie  orientale,  avec  Yol  pour  capitale,  et  Bogud,  à  qui  échut  la 
partie  occidentale,  avec  Tingis.  Ce  dernier  avait  fourni  son  appui 
à  Pompée  pour  écraser  Yarbas. 

Expéditions  de  Sertorius  en  Maurétanie.  —  Tandis  que  la  Nu- 
midie était  le  théâtre  de  ces  guerres,  Sertorius  était  chassé  de 
l'Espagne  par  Annius,  lieutenant  de  Sylla.  Forcé  de  prendre  la 
mer,  il  s'adjoignit  à  des  pirates  ciliciens  et  vint  tenter  un  débar- 
quement sur  les  côtes  de  la  Maurétanie.  Mais  il  fut  reçu  les  armes 
à  la  main  par  les  farouches  montagnards  de  l'ouest  et  parvint,  non 

1.  Sur  uû  affluent  de  la  Medjerda,  eu  Tunisie. 

2.  Florus,  ffist.  Rom. 


i/afriqup:  pkndant  les  guerres  civiles  (72  av.  j.-c.)  73 

sans  peine,  à  se  rembarquer.  Il  alla  chercher  un  refuj^e  dans  les 
îles  Fortunées  (Canaries)  et,  de  là,  attendit  une  occasion  plus  favo- 
rable d'intervenir.  Cette  occasion  ne  tarda  pas  à  se  présenter.  Un 
certain  Ascalis,  soutenu  par  une  partie  des  corsaires  ciliciens  dont 
nous  avons  parlé,  s'était  mis  en  état  de  révolte  contre  le  souve- 
rain maurétanren  et  s'était  emparé  de  Tanger. 

Sertorius  débarqua  de  nouveau  en  Afrique  avec  ses  soldats,  et 
vint  mettre  le  siège  devant  Tanger.  Un  corps  de  troupes  romaines, 
sous  le  commandement  de  Paccianus  (ou  Pacciaîcus),  ayant  été 
envoyé  par  Sylla  au  secours  d'Ascalis,  Sertorius  lui  ofYrit  le  combat, 
avant  qu'il  eût  opéré  sa  jonction  avec  ce  dernier,  le  défit  et  tua 
Paccianus;  puis  il  enleva  d'assaut  Tanger  et  fit  prisonnier  le  pré- 
tendant et  sa  famille  (82).  Encouragé  par  ce  succès  et  appelé  par 
les  Lusitaniens,  Sertorius  réunit  ses  guerriers  au  nombre  d'environ 
deux  mille  hommes,  auxquels  s'adjoignirent  sept  cents  Berbères. 
Etant  passé  en  Espagne,  il  i-eçut  dans  son  armée  le  contingent  des 
Lusitaniens  et  marcha  contre  les  Romains.  On  sait  qu'il  se  rendit 
bientôt  maître  de  toute  l'Espagne  (7H)  et  que  sa  puissance  fut 
assez  grande  pour  que  ÎMithridatc  lui  proposât  une  alliance;  on  sait 
aussi  qu'il  fallut  toute  la  science  et  les  efforts  combinés  de  Métellus 
et  de  Pompée  pour  triompher  de  ce  chef  de  partisans  (72).  Ce 
fait  prouve  que  les  incursions  des  Berbères  de  l'ouest  en  Espagne 
datent  de  loin. 

Les  pirates  africains  châtiés  par  Pompée.  —  Nous  avons  vu 
plus  haut  des  pirates  s'associer  à  Sertorius  pour  faire  une  expédi- 
tion en  Maurusie.  La  Méditerranée  était  alors  infestée  par  ces  écu- 
meurs  de  mer,  précurseurs  des  corsaires  barbaresques,  à  l'indus- 
trie desquels  la  conquête  de  l'Algérie  par  la  France  a  mis  fin.  Le 
littoral  des  Syrtes  et  de  la  Cyrénaïque  était  un  des  repaires  de  ces 
brigands  qui  enlevaient  toute  sécurité  à  la  navigation.  Les  Nasa- 
mons  se  faisaient  remarquer  parmi  eux  par  leur  hardiesse.  Des 
mercenaires  et  des  officiers  licenciés,  des  proscrits,  épaves  de 
toutes  les  guerres  civiles,  des  brigands  de  toutes  les  nations  com- 
plétaient les  équipages.  Plusieurs  expéditions  avaient  déjà  été  en- 
treprises contre  eux;  mais  les  leçons  qu'on  leur  avait  infligées 
n'avaient  eu,  pour  ainsi  dire,  aucun  résultat.  Leur  audace  ne  con- 
naissait pas  de  ])ornes  :  »  l'or,  la  pourpre,  les  lapis  précieux  déco- 
raient leurs  navires;  quelques-uns  avaient  des  rames  argentées,  et 
chaque  prise  était  suivie  de  longues  orgies  au  son  des  instruments 
de  musique'  ».  Ils  possédaient,  dit-on,  plus  de  trois  mille  navires 

1.  Duruy,  Hist.  des  Romains,  t.  II,  p.  779. 


74 


HISTOIRE  DE  1,'aFRIQUE 


avec  lesquels  ils  entreprenaient  de  véritables  expéditions  et  inter- 
ceptaient souvent  les  convois  de  grains  venant  non  seulement  de 
l'Afrique,  mais  de  la  Sicile  et  de  la  Sardaigne.  Les  corsaires  for- 
maient un  véritable  état  qui  avait  déclaré  la  guerre  au  reste  du 
monde.  Ils  avaient  établi  des  règles  d'obéissance  et  de  hiérarchie 
auxquelles  tous  se  soumettaient;  quant  à  leurs  prises,  ils  les  consi- 
déraient comme  du  butin  légitimement  conquis  par  la  guerre. 

En  67  Pompée,  chargé  par  décret  de  mettre  fin  à  cette  situation 
insupportable,  et  ayant  reçu  à  cet  effet  des  forces  considérables, 
divisa  sa  flotte  en  treize  escadres,  nettoya  en  quarante  jours  les 
rivages  de  l'Espagne  et  de  l  ltalie,  accula  les  pirates  dans  la  Médi- 
terranée orientale,  détruisit  tous  leurs  navires,  et  força  à  la  sou- 
mission ceux  qui  n'avaient  pas  péri. 

En  59,  lors  du  premier  triumvirat,  Pompée  obtint  dans  son  lot 
l'Afrique;  il  fit  administrer  cette  province  par  des  lieutenants  et 
conserva  des  relations  amicales  avec  le  prince  de  Numidie,  qui  lui 
devait  tout  '. 

JUBA  I,  SUCCESSEUR  DE  HiEMSAL  II.  Il  SE  PRONONCE   POUR   LE  PARTI 

DE  Pompée.  —  Après  les  événements  qui  avaient  rendu  à  Hiemsal  II 
son  royaume,  augmenté  de  celui  de  Yarbas,  ce  prince  régna  tran- 
quillement pendant  de  longues  années,  aidé  dans  l'exercice  du 
pouvoir,  par  son  fils  Juba,  sous  le  protectorat  de  Rome.  A  la  suite 
d'une  contestation  survenue  avec  un  chef  berbère  du  nom  de  Ma- 
sintha,  le  même  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  dit-,  gouvernait  sans 
doute  la  Numidie  occidentale,  voisine  de  la  Maurétanie,  les  princes 
africains  vinrent  soumettre  leur  procès  au  Sénat.  Juba,  représen- 
tant son  père,  obtint  gain  de  cause  malgré  l'opposition  de  Cé.sar 
qui,  d'après  Suétone,  serait  allé,  dans  son  ardeur  à  défendre  Ma- 
sintha,  jusqu'à  saisir  par  la  barbe  son  adversaire.  Juba  garda  un 
âpre  ressentiment  de  cette  violence  et  profita  de  son  séjour  à  Rome 
pour  resserrer  les  liens  qui  unissaient  son  père  au  parti  pompéien. 

En  l'an  50  Hiemsal  cessa  de  vivre.  Son  fils  Juba  lui  succéda. 
C'était  un  homme  d'un  courage  et  d'une  hardiesse  remarquables  ; 
ses  rapports  avec  les  Romains  l'avaient  initié  aux  raffinements  de 
la  civilisation  ;  mais  son  goût  pour  les  choses  de  la  guerre  l'avait 
empêché  de  tomber  dans  la  mollesse.  Persuadé  qu  il  était  appelé  à 
jouer  un  grand  rôle  dans  la  querelle  qui  divisait  alors  le  peuple 
romain,  son  premier  soin,  en  prenant  le  pouvoir,  fut  d'organiser 
ses  forces,  non  seulement  au  moyen  de  ses  guerriers  numides, 

1.  Boissière,  p.  169.  ^ 

2.  D'après  M.  Poulie,  loc.  cit. 


l'aFRIQUE   pendant   les   guerres   civiles    (50  AV.   J.-C.)  75 

mais  encore  en  attirant  à  lui  des  aventuriers  de  toute  race,  qui, 
profitant  de  Tanarcliie  générale,  s'étaient  réunis  en  bandes  et 
guerroyaient  pour  leur  compte  sur  divers  points.  Ainsi  préparé,  il 
attendit,  au  cœur  de  son  royaume,  que  le  moment  d'agir  fût  arrivé. 

Défaite  de  Curion  et  des  Césariens  par  Juba.  —  L'occasion  ne 
tarda  pas  à  se  présenter.  Après  que  César  eut  enlevé  l'Italie  aux 
Pompéiens,  Attius  ^'arus,  lieutenant  de  Pompée,  se  réfugia  avec 
quelques  forces  en  Afrique,  y  proclama  l'autorité  de  son  maître  et 
se  mit  en  relations  avec  Juba.  Curion,  ennemi  personnel  de  ce 
dernier,  dont  il  avait  proposé  au  Sénat  la  dépossession,  fut  dépêché 
par  César  pour  réduire  le  rebelle  et  son  allié  numide,  déclaré  en- 
nemi public.  Après  quelques  opérations  dans  lesquelles  il  eut 
l'avantage,  il  contraignit  \'arus  à  se  réfugier  à  Utique  et  commença 
le  siège  de  cette  ville.  La  situation  des  Pompéiens  devenait  cri- 
tique, lorsque  Juba  accourut  à  leur  secours,  à  la  tête  d'une  puis- 
sante armée,  ce  qui  contraignit  Curion  à  lever  le  siège  et  à  cher- 
cher lui-même  un  refuge  derrière  les  retranchements  du  camp 
Cornélien',  où  rien  ne  lui  manquait.  Il  aurait  pu  résister  avec  suc- 
cès aux  forces  combinées  de  ses  ennemis  ;  mais  ceux-ci  employèrent 
la  ruse  pour  l'en  faire  sortir  et  leur  stratagène  réussit.  Ils  répan- 
dirent le  bruit  que  Juba,  rappelé  dans  son  royaume  par  une  révolte 
subite,  avait  emmené  la  plus  grande  partie  de  ses  forces,  en 
laissant  le  reste  sous  le  commandement  de  son  général  Sabura. 
Pour  donner  plus  de  sérieux  à  cette  feinte,  le  roi  numide  se  tint 
en  arrière  avec  le  gros  de  son  armée  et  ses  éléphants  et  fit  avancer 
Sabura  suivi  de  peu  de  monde. 

Aussitôt  Curion  sortit  du  camp  avec  une  partie  de  ses  gens  et 
se  porta  sur  la  Medjerda  (Bagradas),  où  il  ne  tarda  pas  à  l'encontrer 
l'avant- garde  numide.  Les  prisonniers  confirmant  les  précédents 
rapports,  à  savoir  qu'il  n'avait  devant  lui  que  Sabura,  le  général 
romain  se  lança  imprudemment  à  la  poursuite  des  guerriers  indi- 
gènes qui,  tantôt  combattant,  tantôt  fuyant,  l'attirèrent  dans  un 
terrain  choisi,  à  portée  des  renforts  de  Juba.  Les  Césariens',  ha- 
rassés de  fatigue,  débandés,  négligeant  leurs  précautions  habi- 
tuelles, car  ils  se  croyaient  sûrs  de  la  victoire,  se  virent  tout  à 
coup  entourés  par  de  nouveaux  et  innombrables  ennemis,  parmi 
lesquels  deux  mille  cavaliers  espagnols  et  gaulois  de  la  garde  de 
Juba.  Il  ne  leur  restait  qu'à  vendre  chèrement  leur  vie.  Enflammés 
par  l'exemple  de  Curion,  qui  refusa  de  fuir,  ils  combattirent  avec 


1.  Les  vestiges  de  ce  camp  se  voient  encore  à  Porto  Farina. 


76 


HISTOIRE  DE  I.'aFRIQL'E 


la  plus  grande  bravoure  et  furent  tous  exterminés.  La  tête  du  gé- 
néral romain  fut  apportée  au  prince  berbère. 

Dès  que  la  nouvelle  de  cette  défaite  parvint  au  camp  cornélien, 
les  soldats  furent  pris  d  une  véritable  panique,  que  le  préteur 
M.  Rufus  fut  impuissant  à  calmer.  Tous  se  précipitèrent  vers  le 
rivage  afin  de  s  embarquer  sur  des  navires  marchands  ancrés  dans 
le  port  ;  mais  la  plupart  de  ces  barques  sombrèrent,  étant  sur- 
chargées ;  dans  certains  navires,  les  marins  jetèrent  à  Teau  les 
soldats,  et  il  en  résulta  que,  de  toute  cette  armée,  bien  peu  de  Cé- 
sariens  purent  gagner  la  côte  de  Sicile,  où  ils  arrivèrent  isolés  et 
démoralisés.  Ceux  qui  n'avaient  pu  s'embarquer  se  rendirent  à 
Juba  qui  les  fit  tous  massacrer  sans  pitié  '. 

Rempli  d'orgueil  par  ce  succès,  Juba  entra  solennellement  à 
Utique  et  commença  à  faire  rudement  sentir  son  arrogance  aux 
Pompéiens. 

Les  Pompéiens  se  concentrent  en  Afrique  après  la  bataille  de 
Pharsale.  —  Mais,  tandis  que  l'Afrique  était  le  théâtre  de  ces  évé- 
nements, le  grand  duel  de  César  et  de  Pompée  se  terminait  à  Phar- 
sale par  la  défaite  de  celui-ci,  suivie  bientôt  de  sa  mort  misérable 
(août-juin  18).  Les  débris  des  Pompéiens  vinrent  en  Afrique  se  ré- 
fugier auprès  de  Varus  et  tenter  de  se  reformer  sous  la  protection 
de  Juba. 

Métellus  Scipion,  beau-père  de  Pompée,  Labiénus  et  autres  chefs 
du  parti  pompéien,  et  enfin  Caton,  arrivé  le  dernier,  après  avoir 
mis  la  Cyrénaïque  en  état  de  défense,  se  trouvèrent  réunis  et  ne 
tardèrent  pas  à  grouper  des  forces  respectables,  tant  comme  effectif 
que  comme  matériel  et  vaisseaux.  Ils  enrôlèrent  aussi  un  grand 
nombre  d'indigènes  et  renforcèrent  leurs  légions  au  moyen  d'élé- 
ments divers.  L'éloignement  de  César,  retenu  en  Egypte,  favo- 
risait cette  réorganisation  de  leurs  forces.  Malheureusement  la 
concorde  était  loin  de  régner  parmi  les  Pompéiens  :  Scipion  et 
Varus  s'y  disputaient  le  commandement,  et  Juba  faisait  avec  inso- 
lence'sentir  le  poids  de  son  autorité  à  tous.  Il  fallait  l'énergie  de 
Caton  pour  éteindre  ces  discordes  et  rappeler  chacun  à  son  devoir. 
Grâce  à  lui,  Scipion  fut  reconnu  général  en  chef  des  forces  pom- 
péiennes ;  ce  fut  lui  également  qui  sauva  Utique  de  la  destruction, 
car  Juba  voulait  raser  cette  cité  comme  étant  attachée  au  parti 
césarien.  Il  s'appliqua  particulièrement  à  la  fortifier  et  laissa  aux 
autres  chefs  le  soin  de  diriger  les  opérations  actives.  Le  roi  ber- 
bère, rempli  d'orgueil  par  l'importance  que  lui  donnaient  les  évé- 


1.  Appien,  passim. 


l'aFRIQUE   pendant   les   guerres   civiles    (46   AV.   J.-C.)  77 


nements,  s'entoura  des  insignes  de  la  royauté  et  fit  frapper  des 
monnaies  à  son  effigie.  Il  avait  imposé  aux  Pompéiens  cette  con- 
dition, qu'en  cas  de  succès,  la  province  d'Afrique  lui  serait  donnée, 
et  il  se  voyait  déjà  souverain  d'un  puissant  empire 

César  débarque  en  Afrique.  —  Ainsi,  il  ne  suffisait  pas  à  César 
d'avoir  vaincu  son  rival  à  la  suite  d'une  brillante  campagne.  Il 
fallait  recommencer  une  nouvelle  guerre  contre  son  parti,  sur  un 
autre  continent  et  avec  des  forces  bien  inférieures  à  celles  de  ses 
ennemis.  César  accepta  les  nécessités  de  la  situation  avec  sa  déci- 
sion ordinaire.  Retenu  à  Alexandrie  par  les  vents  contraires,  il 
prit  toutes  les  dispositions  pour  assurer  la  réussite  de  sa  témé- 
raire entreprise.  Dans  le  but  d'entraver  le  secours  que  Juba  allait 
offrir  aux  Pompéiens,  il  le  proclama,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
ennemi  public,  et  accorda  ses  états  aux  deux  rois  de  ^laurélanie 
Bokkus  et  Bogud,  comptant  bien  qu'ils  attaqueraient  la  frontière 
occidentale  de  la  Numidie  et  feraient  ainsi  une  salulaire  diversion. 

Au  commencement  de  l'an  46,  César  débarqua  non  loin  d'Ha- 
drumète  (Sousa),  après  une  périlleuse  traversée  dans  laquelle  sa 
flotte  avait  été  dispersée.  Il  n'avait  alors  avec  lui  qu'environ  cinq 
mille  fantassins  et  cent  cinquante  cavaliers  gaulois.  C'est  avec  cette 
faible  armée  qu'il  allait  affronter,  loin  de  tout  secours,  des  forces 
combinées  montant  à  soixante  mille  hommes,  avec  une  nombreuse 
cavalei'ie  et  des  éléphants.  Heureusement  pour  le  dictateur,  ses 
ennemis  ne  surent  pas  tirer  parti  de  leurs  avantages.  Leurs  nom- 
breux navires  restèrent  à  l'ancre,  au  lieu  d'aller  intercepter  ses  com- 
munications et  empêcher  l'arrivée  de  renforts.  Scipion  soumis  aux 
caprices  de  Juba,  se  montra  d'une  faiblesse  extrême  et,  pour  plaire 
à  ce  prince,  laissa  ses  soldats  ravager  la  province  d'Afrique,  ce 
qui  détacha  de  lui  la  population  coloniale  qui  ne  voulait  à  aucun 
prix  subir  la  domination  d'un  Berbère.  Enfin  les  opérations  de 
guerre  furent  menées  sans  énergie  ni  cohésion. 

Cependant  César,  après  avoir  en  vain  essayé  de  se  rendre  maître 
d'Hadruniète,  soit  par  la  force,  soit  en  achetant  Considius  qui  dé- 
fendait cette  place,  se  vit  bientôt  forcé  de  battre  en  retraite,  pour- 
suivi dans  sa  marche  par  un  grand  nombre  de  Numides,  contre  les- 
quels la  cavalerie  gauloise  était  obligée  de  faire  tête  à  chaque 
instant.  Bien  accueilli  par  les  habitants  de  Ruspina  ^,  il  se  re- 
trancha dans  cette  localité  et  reçut  également  la  soumission  de 

1.  Mommscn,  Hist.  Rom.,  t.  VII,  p.  128. 

2.  Mouablir,  selon  M.  Guériii. 


78 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


Leptis  parva',  ce  qui  lui  procura  l'avanta^ïe  d'un  bon  port  où  il  ne 
tarda  pas  à  recevoir  des  renforts  et  des  provisions. 

Bientôt  arriva  Labiénus  à  la  tête  d'une  armée  de  huit  mille  hommes, 
comprenant  un  grand  nombre  de  cavaliers  numides.  César  leur 
offrit  aussitôt  le  combat,  et,  grâce  à  une  habile  tactique,  parvint  à 
repousser  ses  ennemis.  Malgré  ce  succès,  sa  situation  était  des 
plus  critiques  :  Scipion  arrivait  avec  huit  légions  et  de  nombreux 
cavaliers;  il  n'était  plus  qu'à  trois  journées,  et  derrière  lui  s'avan- 
çait le  gros  de  l'armée  de  Juba,  commandée  par  le  prince  berbère 
en  personne.  Bloqué,  manquant  de  tout.  César  déploya,  dans  cette 
conjoncture  critique,  les  ressources  de  son  génie:  construisant  des 
machines  de  guerre,  démolissant  des  galères  pour  avoir  le  bois 
nécessaire  aux  palissades,  enfin  nourrissant  ses  chevaux  au  moven 
d'algues  marines  lavées  dans  l'eau  douce.  Heureusement  Salluste, 
alors  préteur,  parvint  à  surprendre  l'île  de  Kerkinna,  où  avaient 
été  entassées  de  nombreuses  provisions  qui  assurèrent  le  salut  des 
Césariens. 

Diversion  de  Sittius  et  des  rois  de  Maurétame.  —  Sur  ces  en- 
trefaites, un  certain  P.  Sittius,  chef  d'une  bande  d'aventuriers, 
avec  lequel  César  était  en  pourparlers  depuis  quelque  temps,  se 
joignit  aux  troupes  de  Bogud,  roi  de  la  Maurétanie  orientale,  et 
envahit  la  Numidie  par  l'ouest.  Ce  Sittius,  Italien  d'origine,  com- 
promis dans  la  conspiration  de  Calilina,  et  qui  déjà,  en  48,  avait 
aidé  Cassius,  lieutenant  de  César,  à  écraser  Marcellus  en  Espagne, 
avait  réuni  en  Afrique  une  véritable  armée  de  malandrins  de  tous 
les  pays  avec  lesquels  il  se  mettait  au  service  de  quiconque  le 
pa^'ait  convenablement^.  Homme  énergique  et  d'une  grande  audace, 
son  appui,  surtout  après  sa  jonction  avec  les  troupes  de  Mauré- 
tanie, allait  être  d'un  grand  prix  pour  César. 

Marchant  résolument  sur  Cirta,  Sittius  parvint  sans  empê- 
chement sous  les  remparts  de  cette  ville,  l'enleva  après  un  siège 
de  peu  de  jours  '  et  se  rendit  maître  d'une  autre  place  forte  dont 
on  ignore  le  nom,  où  se  trouvaient  les  magasins  d'armes  et  de 
vivres  de  Juba.  Appuyé  sur  cette  forteresse,  il  rayonna  dans  tous 
les  sens,  menaçant  les  villes  et  les  campagnes  de  la  Numidie. 

A  la  réception  de  ces  graves  nouvelles,  Juba  dut  faire  rétro- 
grader une  partie  de  son  armée  pour  s'opposer  aux  entreprises  des 
envahisseurs  et  couvrir  sa  capitale.  Mais  bientôt  un  autre  sujet 

1.  Lemta,  au  sud  du  golfe  de  Hammamet,  selon  le  même. 

2.  Appien,  De  hcll.  ciw,  lib.  IV,  cap.  54.  Salhiste,  Catil.,  c.  21. 

3.  Hirtius,  De  bell.  afr. 


l'afrique  pendant  les  guerres  civiles  (4g  av.  j.-c.)  79 

d'inquiétude  le  força  à  porter  ses  regards  vers  le  sud.  Les  Gétules, 
travaillés  par  les  émissaires  de  César,  s'étaient  lancés  sur  sa  fron- 
tière méridionale.  Il  fallut  donc  distraire  encore  de  nouveaux 
soldats  pour  contenir  les  nomades  sahariens.  Ainsi  Juba,  menacé 
sur  ses  derrières  et  sur  son  flanc,  fut  contraint  de  suspendre  son 
mouvement  et  de  changer  ses  plans.  Il  n'est  pas  douteux  que  ces 
diversions  assurèrent  le  salut  de  César. 

Bataille  de  Thapsus,  défaite  des  Pompéiens.  —  Cependant  César, 
après  s'être  solidement  établi  dans  ses  retranchements,  avait 
cherché  à  s'étendre  sur  le  littoral,  ayant  en  face  de  lui  Scipion, 
appuyé  sur  Hadrumète,  Thapsus'  et  Thj-sdrus -.  Ce  général  restait, 
depuis  deux  mois,  dans  une  inaction  incompréhensible,  appelant 
sans  cesse  Juba  à  son  secours  ;  mais  le  prince  berbère  avait  d'autres 
soucis,  ainsi  qu'on  l'a  vu.  Peut-être  aussi  ne  se  souciait-il  pas  trop 
de  débarrasser  les  Pompéiens  de  leur  ennemi  et  n'était-il  pas  fâché 
de  les  laisser  à  la  merci  de  César,  pour  arriver  ensuite,  écraser 
celui-ci  et  rester  maître  du  pays 

Cédant  enfin  à  des  instances  de  plus  en  plus  pressantes  ou  peut- 
être  à  des  promesses  précises,  Juba  laissa  le  commandement  des 
opérations  contre  Sittius  à  son  lieutenant  Sabura,  se  porta  vers 
l'est  et  établit  son  camp  en  arrière  de  celui  de  Scipion.  Les  soldats 
de  César,  effrayés  de  l'approche  du  prince  numide  dont  la  re- 
nommée avait  considérablement  exagéré  les  forces,  furent  surpris 
de  constater  que  son  armée  n'était  pas  aussi  puissante  qu'on  l'an- 
nonçait. Le  dictateur,  qui  venait  de  recevoir  du  renfort,  profita  ha- 
bilement de  cette  impression  pour  prendre  l'offensive  et  attaquer 
Thapsus,  ville  construite  sur  une  sorte  de  presqu'île.  Par  son 
ordre,  l'isthme  qui  reliait  cette  ville  à  la  terre  fut  coupé  et  toute 
communication  se  trouva  interrompue  entre  les  assiégés  et  les 
Pompéiens. 

Déjà  les  Césariens  avaient  remporté  quelques  avantages  sur 
terre  et  sur  mer  et  repris  confiance,  d'autant  plus  que  les  rangs  de 
leurs  ennemis  s'éclaircissaient  par  la  désertion.  La  désaffection 
des  populations  s'accentuait  chaque  jour,  et  Juba,  pour  faire  un 
exemple,  était  allé  détruire  la  ville  de  Vacca  (Badja),  dont  les  ha- 
bitants avaient  offert  leur  soumission  à  César.  Scipion  ne  pouvant 
plus  persister  dans  son  inaction,  se  porta  au  secours  de  Thapsus  où 
il  fut  rejoint  par  Juba.  Bientôt  César,  qui  avait  pris  toutes  ses  dis- 

1.  Ras  Dimas,  au  sud  du  golfe  de  Hammamet. 

2.  El  Djem. 

3.  Cf.  Hirtius. 


80 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQLE 


positions  pour  l  offensive,  fit  attaquer  ses  ennemis  coalisés.  Les 
Césariens  déployèrent  la  plus  grande  bravoure  et  forcèrent  les 
Pompéiens  à  reculer.  Les  éléphants  affolés  contribuèrent  au 
désordre  et  empêchèrent  la  cavalerie  numide  de  donner.  Le  camp 
des  Pompéiens  et  celui  de  Juba  tombèrent  successivement  aux 
mains  des  vainqueurs.  Quant  à  l  armée  coalisée,  naguère  si  nom- 
breuse et  si  puissante,  elle  fuyait  en  désordre  dans  toutes  les  di- 
rections. Les  Césariens  firent  des  vaincus  un  carnage  horrible  : 
dix  mille  cadavres  restèrent  sur  le  champ  de  bataille. 

Cette  belle  victoire  assurait  le  succès  de  César.  Les  villes  envi- 
ronnantes, lladrumète,  Thysdrus,  qui  étaient  déjà  pour  lui,  s  em- 
pressèrent  de  se  rendre  à  ses  officiers  pendant  que  sa  cavalerie 
marchait  sur  Ltique.  Caton  essaya  d'y  organiser  la  résistance, 
mais,  on  l  a  vu,  les  habitants  de  cette  ville  étaient  pour  César; 
aussi  n"eut-il  bientôt  d  autre  ressource  pour  échapper  au  vainqueur 
que  de  se  donner  la  mort  (avril  46). 

Mort  de  Juba  ;  la  XL'MmiE  orientale  est  réduite  en  province  ro- 
maine. —  Après  la  bataille  de  Thapsus,  les  chefs  pompéiens  qui 
échappèrent  au  fer  du  vainqueur  prirent  la  route  de  l'ouest  pour 
tâcher  d'atteindre  l'Espagne.  Mais  Sittius,  qui  les  attendait  au  pas- 
sage, en  arrêta  un  grand  nombre  et  coula  leurs  vaisseaux  dans  le 
port  d'Hippone  '.  Scipion,  repoussé  en  Afrique  par  la  tempête,  se 
perça  de  son  épée. 

Quant  à  Juba,  échappé  de  la  mêlée,  il  évita  la  poursuite  des 
vainqueurs  ;  en  se  cachant  le  jour  et  ne  marchant  que  la  nuit,  il 
parvint  à  atteindre  sa  capitale  Zama  regia,  où  il  avait  laissé  sa 
famille  et  où  il  espérait  trouver  un  refuge.  Mais  les  habitants, 
effrayés  par  les  préparatifs  de  destruction  générale  qu'il  avait  faits 
avant  son  départ,  en  prévision  d  une  défaite  possible,  refusèrent 
de  lui  ouvrir  les  portes  de  leur  cité  :  ni  les  prières  ni  les  menaces 
ne  purent  les  fléchir,  et  ils  ne  voulurent  même  pas  laisser  sortir  la 
famille  de  leur  roi.  Il  fallait,  pour  agir  ainsi,  qu'ils  jugeassent  sa 
cause  bien  compromise.  Elle  l'était  en  effet,  car  Sittius  avait  vaincu 
et  tuéSabura;  le  roi  berbère  n'avait  plus  un  asile. 

Juba  se  décida  alors  à  se  retirer  à  sa  maison  de  campagne  avec 
le  pompéien  Pétréius  et  quelques  serviteurs  fidèles.  Les  Césariens, 
appelés  par  les  gens  de  Zama,  accouraient,  et  il  ne  restait  au 
prince  vaincu  qu'à  mourir.  Il  fit  préparer  un  festin  qu'il  partagea 
avec  Pétréius,  puis  tous  deux  engagèrent  un  combat  singulier  où 
ils  devaient  périr  l'un  et  l'autre.  Mais  là  encore  la  fortune  fut  con- 

1.  Florus,  Hisl.  rom. 


l'afrique  pendant  les  guerres  civiles  (46  AV.  J.-C.)  81 


traire  au  prince  numide  :  il  triompha  de  Pétréius,  sans  avoir  reçu 
de  blessure  mortelle  et  eu  fut  réduit  à  se  plonger  lui-même  son 
glaive  dans  le  corps  ;  enfin,  comme  la  mort  n'arrivait  pas,  il  se  fit 
achever  par  un  esclave. 

Ainsi  finit  le  dernier  roi  de  Numidie. 

La  partie  orientale  de  ce  royaume  fut  réduite  en  province 
romaine  (46)  sous  le  nom  de  Nouvelle  Numidie  ou  d'Africa  nova. 
César  plaça  Salluste  à  sa  tête,  avec  le  titre  de  proconsul.  S'il  faut 
s'en  rapporter  au  témoignage  de  Dion  Cassius  et  de  Florus,  l'his- 
torien de  la  guerre  de  Jugurtha,  dans  son  court  passage  en  Nu- 
midie, s'y  rendit  coupable  de  telles  exactions  qu'il  fut  traduit  en 
justice  et  couvert  de  honte  et  d'infamie  (Dion). 

Les  habitants  de  Zania,  qui  avaient  si  hardiment  résisté  à  leur 
roi,  furent  affranchis  d'impôts. 

Il  restait  quelqu'un  à  récompenser:  Sittius,  dont  la  coopération 
avait  été  si  décisive.  César  lui  donna,  ainsi  qu'à  ses  compagnons,  les 
territoires  environnant  Cirta  qu'ils  avaient  conquis.  Ces  territoires, 
selon  Appien,  appartenaient  à  un  certain  Masanassès,  ami  et  allié 
de  Juba,  et  père  d'Arabion,  qui  se  réfugia  en  Espagne.  Ainsi 
s'établit  la  colonie  des  Sitliens  dont  les  lombes  sont  si  nombreuses 
à  Constantine  ' . 

Juba  laissait  un  fils.  Le  vainqueur  l'épargna  et  l'envoya  à  Rome, 
où  il  reçut  une  brillante  éducation.  Nous  le  verrons  plus  tard  jouer 
un  rôle  important  dans  l'histoire  de  l'Afrique. 

Enfin  Bogud  I  reçut,  pour  prix  de  son  alliance,  la  partie  occi- 
dentale de  la  Numidie. 


Chronologie  des  rois  de  Numidie. 


Sifax,  (ouSyphax),  roi  des  Massésyliens   (I  vers  225 

Gula,  roi  des  Massyliens   )  av.  J.-G. 

Massinissa,  roi  des  Massésyliens     ^ 

Vermina,  roi  des  Massyliens   ) 

Massinissa  seul   (?) 

Micipsa   ] 

Gulussa   [  149 

Manastabal   j 

Micipsa  seul   vers  145 


1.  Selon  M.  Poulie  [Maiirétanie  Sétifiennej  p.  86),  la  colonie  des  Sit- 
tiens  ou  Cirtésiens  s'étendit  assez  loin  au  sud-est  et  se  prolongea  au 
nord,  jusque  vers  ChuUu  (Collo).  Elle  comprit  les  colonies  de  Milevum 
(Mila),  Rusicada  (Pliilippeville)  et  un  grand  nombre  de  bourgs. 

T.  I.  G 


82 


IIISTOIUK  DE   I.  AKRIQI  E 


jvers  118 
av.  J.-C. 


Chronologie  des  rois  de  Nlmidie  [Suilej. 

Adherbal  

Hiemsal  

Jugurtha   ) 

Adherbal   ) 

Jugurtha   ) 

Jugurtha  seul   112 

Gauda,  Numidie  propre   ) 

Bokkus  I,       id      occid   ) 

Hiemsal  II,  Numidie  orientale   \ 

Yarbas  id.      centrale   i  (?) 

Masintha         (?)      sétifienne   ; 

Yarbas,  Numidie  orientale  et  centrale   1  gg 

Masintha    (?)    sétifienne   ) 

Hiemsal,  Numidie  orientale  et  centrale   / 

Masintha      (?)      sétifienne   ) 

Juba  I,  Numidie  orientale  et  centrale   } 

Masanassès,  sétifienne     ) 


En  46,  la  Numidie  orientale  et  centrale  est  réduite  en  province 
romaine.  La  sétifienne  est  réunie  à  la  Maurélanie  orientale. 


CHAPITRE  VII 


LES  DERNIERS  ROIS  BERBÈRES 

46  avant  J.-C.  —  43  après  J.tC. 

Les  rois  maurétaniens  prennent  parti  dans  les  guerres  civiles.  —  Arabion 
rentre  en  possession  de  la  Sétitîenne.  —  Lutte  entre  les  partisans  d'Antoine 
et  ceux  d'Octave.  —  Arabion  se  prononce  pour  Octave.  —  Arabion  s'allie  à 
Lélius  lieutenant  d'Antione  ;  sa  mort.  —  L'Afrique  sous  Lépide.  —  Bogud  II 
est  dépossédé  de  la  Tingitane.  Bokkus  III  réunit  toute  la  Maurétanie  sous 
son  autorité.  —  La  Berbérie  rentre  sous  l'autorité  d'Octave.  —  Organisation 
de  l'Afrique  par  Auguste.  —  Juba  II  roi  de  iS'umidie.  —  Juba  roi  de  Mau- 
rétanie. —  Révolte  des  Berbères.  —  Mort  de  Juba  ;  Ptolémée  lui  succède.  — 
Révolte  des  Tacfarinas.  —  Assassinat  de  Ptolémée.  —  Révolte  d'.Edémon. 
La  Maurétanie  est  réduite  en  province  Romaine.  —  Division  et  organisation 
administrative  de  l'Afrique  romaine.  —  CimoNOLoaiE  des  rois  de  Maurétanie. 

Les  rois  maurétaniuns  prennent  parti  dans  les  guerres  civiles. 
—  Après  lanL  de  secousses,  la  Berbérie  ne  recouvra  pas  encore  la 
tranquillité  qui  lui  aurait  été  si  nécessaire  pour  panser  ses  plaies. 
Liée  désormais  au  sort  de  Rome,  elle  devait  ressentir  le  contre- 
coup de  toutes  les  luttes  que  s'y  livraient  les  partis.  Le  meurtre 
de  César,  les  compétitions  qui  en  furent  la  conséquence  fournirent 
aux  Africains  de  nouvelles  occasions  d'y  participer. 

Bogud  I,  fidèle  à  César,  avait  aidé  le  dictateur  à  écraser  en 
Espagne  les  restes  du  parti  pompéien  (45) .  Il  était  logique,  ou  au 
moins  conforme  à  l'usage,  que  Bokkus  II  se  prononçât  dans  un 
sens  opposé  ;  aussi  ses  deux  fils  combattirent-ils  à  Munda  pour 
Sextus  et  Cnéus  Pompée. 

Arabion  rentre  en  possession  de  la  Sétifienne.  —  Nous  avons 
vu  que  le  prince  berbère  Arabion,  fils  de  Masanassès,  après  avoir 
été  dépossédé  du  royaume  de  son  père  (la  Numidie  sétifienne), 
avait  rejoint,  en  Espagne,  les  fils  de  Pompée.  A  la  tête  d'une  bande 
d'aventuriers,  il  vécut  d'abord  de  brigandages  ;  puis,  sa  troupe 
grossissant,  il  devint  redoutable  et  lutta,  non  sans  succès,  contre 
les  cohortes  du  dictateur.  Après  la  mort  de  César  (15  mai  44) 
Arabion  jugea  le  moment  favorable  pour  reconquérir  l'héritage 
de  son  père.  Il  passa  en  Afrique  et  s'appliqua  à  former  une  armée. 
On  dit  même  qu'il  envoya  des  Numides  au  jeune  Pompée,  pour 


84 


HISTOIRE   DE  e'aFRIQUE 


qu'ils  apprissent,  sous  sa  direction,  à  combattre  à  la  romaine'. 
Bientôt  il  fut  en  mesure  d'entrer  en  canipaf^ne  et,  par  son  courage 
et  son  habileté,  ne  tarda  pas  à  triompher  de  Bokkus  III  qui  avait 
succédé  à  son  père  Bo^ud  I,  et  à  rentrer  en  possession  du 
royaume  paternel.  En  vain  Bokkus,  sappuyant  sur  les  services 
passés,  réclama  le  secours  d  Octave.  Le  jeune  triumvir  avait  alors 
d'autres  occupations  et  ainsi  toute  la  contrée  comprise  entre  Saldaî 
et  l'Amsaga,  la  Numidie  sétifienne,  échappa  au  prince  maure 
pour  rentrer  en  la  possession  de  son  ancien  chef. 

((  Arabion  était  actif,  entreprenant,  astucieux  comme  un  Numide, 
doué  de  qualités  guerrières,  avide  de  pouvoir-.  «  Il  n'est  pas 
douteux  qu'il  n'ait  nourri  l'espoir  d'expulser  les  Romains  de  la 
Numidie.  Son  premier  acte  d'hostilité  fut  d'attirer  Siltius,  le  spo- 
liateur de  son  père,  dans  une  embuscade,  et  de  le  tuer.  Puis  il 
attendit  pour  voir  comment  ce  nouvel  attentat  serait  jugé  à 
Rome.  Mais  l'attention  était  absorbée  dans  la  métropole  par  des 
choses  autrement  graves  que  les  usurpations  d'un  Numide. 

Luttes  entre  les  partisans  d'Octave  et  celx  d'Antoine.  —  A  la 
suite  du  partage  effectué  entre  les  triumvirs,  l'Afrique  était  échue 
à  Octave.  La  Numidie  était  alors  gouvernée  par  Titus  Sextius, 
tandis  que  l'ancienne  province  d'Afrique  obéissait  à  Cornificius. 
Octave  donna  à  Sextius  le  commandement  des  deux  provinces 
réunies,  et  cet  ofTicier  voulut  prendre  possession  de  la  Proconsu- 
laire, mais  Cornificius  refusa  d'évacuer  l'Afrique,  en  déclarant  qu'il 
tenait  son  poste  du  sénat  et  qu'il  n'avait  cure  de  ce  qui  pouvait  avoir 
été  fait  par  les  dictateurs.  Bientôt  la  guerre  éclata  entre  eux. 

Cornificius,  qui  disposait  des  forces  les  plus  considérables,  en- 
vahit la  Numidie  nouvelle,  tandis  que  Sextius,  pour  forcer  l'ennemi 
à  la  retraite,  allait  hardiment  s'emparer  d'Hadrumète  et  des 
localités  voisines.  Cornificius,  séparant  ses  forces,  chargea  son 
lieutenant  Décimus  Lélius  d'assiéger  Cirta,  avec  une  partie  de  son 
armée,  et  confia  le  reste  à  P.  Ventidius  avec  mission  de  repousser 
Sextius.  Cette  tactique  parut  devoir  être  couronnée  de  succès,  car 
Sextius,  s'étant  laissé  surprendre,  fut  battu  et  réduit  à  la  fuite, 

Arabion  se  prononce  pour  Octave.  —  Cependant  Arabion,  qui 
était  sollicité  par  les  deux  gouverneurs  de  se  prononcer  pour 
chacun  d'eux,  gardait  une  attitude  expectante  afin  de  saisir  le 
moment  d'intervenir  avec  profit.  Craignant,  s'il  laissait  écraser 

1.  Poulie,  Maurclanie  Sélifienne,  p.  94  et  passim. 

2.  Poulie  loc.  cit.  Nous  suivons  entièrement  son  récit,  car  il  est 
impossible  de  mieux  résumer  cet  épisode  de  l'histoire  de  la  Berbérie. 


LES   DERNIERS  ROIS   BERBERES    (43   AV.  J.-C.) 


85 


Sextius,  que  son  adversaire  ne  devînt  trop  redoutable,  ou,  peut- 
être,  prévoyant  le  triomphe  d'Octave,  le  prince  berbère  se  déclara 
alors  pour  ce  dernier,  et  entraîna  avec  lui  les  Sittiens.  Cette  nou- 
velle rendit  la  confiance  à  Sextius  alors  assiégé  par  ses  ennemis  : 
ayant  enflammé  le  courage  de  ses  soldats,  il  opéra  une  sortie  heu- 
reuse et  parvint  à  triompher  de  Ventidius,  qui  resta  sur  le  champ 
de  bataille. 

La  conséquence  de  ces  événements  fut  la  levée  immédiate  du 
siège  de  Cirta  et  la  retraite  de  Lélius  sur  Utique,  où  se  trouvait  le 
camp  de  Cornificius.  Arabion  l'y  poursuivit,  tandis  que  Sextius 
arrivait  de  l'autre  côté.  Ainsi  le  partisan  d'Antoine  se  trouvait  pris 
entre  deux  ennemis  ;  mais  il  disposait  de  forces  considérables  et 
aurait  été  en  mesure  de  résister  avec  fruit,  si  la  fortune  ne  s'était 
tournée  si  manifestement  contre  lui. 

Lélius  envoyé  en  reconnaissance  se  heurta  contre  le  corps  de 
Sextius,  qui  l'attaqua  avec  violence.  Secondé  par  un  habile  mou- 
vement d'Arabion,  celui-ci  parvint  à  le  séparer  du  camp  et  à  le 
contraindre  à  la  retraite.  La  cavalerie  du  prince  numide  le  força  de 
chercher  un  refuge  sur  une  montagne  escarpée.  Cornificius,  voyant 
la  position  critique  de  son  lieutenant,  sort  du  camp  pour  aller  à 
son  secours.  Pendant  ce  temps  Arabion  a  détaché  de  son  armée 
un  corps  d'hommes  déterminés  qui  escaladent  par  surprise  les 
retranchements  du  camp,  et  massacrent  les  soldats  laissés  à  sa  garde. 

Cornificius,  dans  cette  conjoncture  critique,  continue  à  pousser 
hardiment  sa  marche  pour  opérer  sa  jonction  avec  Lélius  ;  mais 
celui-ci  ne  fait  rien  pour  le  seconder,  de  sorte  qu'il  reste  seul 
exposé  à  l'attaque  combinée  de  Sextius  et  d'Arabion.  Bientôt, 
tous  ses  soldats  tombent  autour  de  lui,  et  lui-même  trouve  la 
mort  du  guerrier.  Pendant  ce  temps,  Lélius  désespéré  se  perçait 
de  son  épée  et  ses  soldats  démoralisés  n'ess  iyaient  pas  de  résister 
à  leurs  ennemis. 

«  La  journée  avait  été  bonne  pour  Arabion  ;  il  avait  donné  une 
province  à  Sextius  et  conquis  le  pardon  de  son  ancienne  hostilité 
contre  César;  il  rentra  dans  ses  Etats  chargés  de  dépouilles  et 
peut-être  y  annexa-t-il  quelques  cantons  de  la  Nouvelle  Numidie. 
Cette  heureuse  campagne  eut  encore  pour  résultat  de  raffermir  la 
couronne  sur  «a  tête  et  de  consacrer  son  titre  de  roi  '  » . 

Toute  l'Afrique  romaine  resta  ainsi  soumise  à  l'autorité  de 
Sextius.  En  43,  après  la  réconciliation  d'Octave  et  d'Antoine  et 
la  formation  d'un  nouveau  triumvirat,  Sextius  fut  sacrifié  et  rem- 

1.  Poulie,  Maurétanie,  p.  99.  Appieu,  de  bcll.  civ.,  lib.  IV.  Dion 
Cassius,  lib.  XLVIL 


86 


iiiSTomi;  Dr.  l  afhique 


placé  par  C.  F.  Fan;;o.  L'Afrique  avait  élé  conservée  par  Octave. 
Mais,  à  la  suite  de  la  bataille  de  Philippes,  en  42,  un  nouveau 
partage  intervint  entre  les  triumvirs  :  Antoine  reçut  l  Orient  et 
dans  son  lot  se  trouvèrent  la  Gyrénaïque  et  l'Afrique  propre,  tandis 
que  la  Numidie  seule  restait  à  César-Oclavien,  avec  les  régions 
de  l'Occident. 

Arabion  s'allie  a  Sextius  lieutenant  d'Antoine.  Sa  mort.  —  La 
femme  d'Antoine,  Fulvie,  qui  selon  l'expression  de  V.  Paterculus 
n'avait  de  féminin  que  le  corps,  chargea  Sextius  resté  en  Afrique 
de  s'emparer  de  la  province  échue  à  son  mari.  Fango,  ne  cédant 
qu'à  la  force,  alla  prendre  le  gouvernement  de  la  Nouvelle  Xumi- 
die  ;  mais  son  administration  ne  l'avait  pas  rendu  sympathique.  Il 
trouva  la  population  en  armes,  et  Ijientôt  une  révolte  générale 
éclata  contre  lui.  Arabion  et  les  Sitliens  soutenaient  les  rebelles. 
Cependant  Fango  parvint  à  rétablir  son  autorité  et  Arabion,  vaincu 
par  lui,  alla  chercher  un  refuge  auprès  de  Sextius. 

Fango  somma  ce  dernier  de  lui  livrer  le  roi  berbère  et,  sur  son 
refus,  envahit  des  cantons  de  l'ancienne  province  et  y  porta  le  ra- 
vage. Mais  Sextius,  secondé  par  Arabion  et  un  grand  nombre  de 
Numides,  a^-ant  marché  contre  lui,  le  força  à  une  prompte  retraite. 
Sur  ces  entrefaites,  Sextius  fit  assassiner  perfidement  Arabion.  Les 
détails  fournis  par  Dion  Cassius  et  Appien,  sur  ce  fait,  sont  con- 
tradictoires, et  il  est  assez  difficile  de  se  rendre  compte  du  motif 
de  ce  meurtre.  Selon  ces  auteurs,  Sextius  aurait  redouté  la  grande 
influence  exercée  sur  les  Berbères  par  Arabion  et  aurait  agi  sous 
la  double  impulsion  de  la  jalousie  et  de  la  crainte. 

Quoi  qu'il  en  fût,  ce  meurtre  détacha  de  Sextius  tous  les  cava- 
liers numides,  qui  allèrent  olfrir  leurs  services  à  Fango  et  le  pous- 
sèrent à  attaquer  de  nouveau  son  rival.  Mais,  encore  une  fois,  la 
victoire  se  prononça  pour  Sextius  :  Fango  vaincu  et  mis  en  déroute 
se  donna  la  mort.  Zama,  qui  résistait  encore,  ne  tarda  pas  à  être  ré- 
duite à  la  soumission.  Ainsi  Sextius  resta  maître  de  toute  l'Afrique. 
Il  ajouta  sans  doute  à  ses  provinces  l'ancien  royaume  d'.\rabion, 
la  Numidie  sétifienne. 

L'Afriqle  sous  Lépide.  —  En  l'an  40,  Lépide,  qui  avait  reçu 
l'Afrique  pour  son  lot,  vint,  avec  six  légions  détachées  de  l'armée 
d'Antoine,  en  prendre  possession.  Sextius  lui  remit  sans  opposition 
ses  provinces,  et  durant  quatre  années,  les  deux  Afriques  obéirent  à 
son  administration.  Les  auteurs  donnent  fort  peu  de  renseignements 
sur  cette  période.  On  sait  seulement  que  Lépide  retira  à  Karthage, 
la  Junonia  de  Gracchus,  ses  privilèges  de  colonie  romaine,  et  lui 


LES   DERNIERS  ROIS   BERBERES   (36  AV.  J.-C.) 


87 


enleva  même  une  partie  de  ses  habitants  qu'il  déporta  au  loin. 
Quelle  fut  la  cause  de  cette  sévérité  ?  Peut-être  les  colons  de  Kar- 
thage  témoignèrent-ils  des  sentiments  peu  favorables  au  triumvir, 
peut-être  celui-ci  céda-t-il  aux  conseils  des  habitants  d'Utique, 
dont  la  rivalité  contre  la  colonie  voisine  était  un  héritage  des 
siècles.  La  nouvelle  Karthage  était  en  effet  devenue  très  florissante 
sous  le  consulat  de  Marc-Antoine.  On  est  réduit  à  cet  égard  à  des 
conjectures. 

BOGUD  II  EST  DÉPOSSÉDÉ  DE  I.A  TlXGITANE.  BoKKUS  III  RÉUNIT  TOUTE 

LA  Maurétanie  SOUS  SON  AUTORITÉ.  —  L'année  40  avait  vu  la  mort 
de  Bokkus  II,  roi  de  la  Tingitane,  qui  avait  été  remplacé  par 
Bogud  II,  son  fils.  Héritier  de  la  haine  de  son  père  contre  Octave, 
Bogud  céda  aux  instances  de  Lucius  Antonius,  alors  proconsul  en 
Espagne,  et  en  38,  il  passa  dans  la  péninsule  avec  une  armée,  afin 
d'arracher  cette  province  aux  lieutenants  d'Octave.  Mais  à  peine 
avait-il  quitté  l'Afrique  qu'une  révolte  éclatait  dans  sa  capitale,  à 
Tingis  même. 

En  même  temps,  Bokkus  III,  roi  de  la  Numidie  orientale,  pro- 
fitait de  son  absence  et  des  mauvaises  dispositions  de  ses  sujets 
pour  envahir  son  royaume  et  occuper  les  principales  villes. 

Rappelé  en  Afrique  par  ces  graves  événements,  Bogud  trouva 
tous  les  ports  fermés  et  fut  repoussé  partout  où  il  se  présenta.  Son 
absence  lui  coûtait  sa  couronne.  Il  alla  chercher  un  refuge  à 
Alexandrie,  auprès  d'Antoine,  qui  lui  donna  un  commandement 
important.  Il  devait  périr  plus  tard  à  Melhone  ^ 

Bokkus  III  réunit  ainsi  sous  son  autorité  deux  les  Maurétanies  et 
vit  son  usurpation  ratifiée  par  Octave.  Etabli  à  Yol  (Cherchel),  ce 
Berbère,  vassal  de  Rome,  régna  assez  paisiblement,  ou  plutôt  obs- 
curément, pendant  plusieurs  années.  Il  mourut  en  33. 

La  Berbérie  rentre  sous  l'autorité  d'Octave.  —  En  36,  Lépide 
appelé  par  Octave  en  Sicile  pour  coopérer  à  la  guerre  contre  Sextus 
Pompée,  quitta  l'Afrique  à  la  tête  de  douze  légions.  Mais  bientôt 
des  discussions  s'élevèrent  entre  les  deux  triumvirs,  et  Lépide  fut 
dépouillé  de  son  autorité  par  Octave  qui  envoya  en  Afrique,  pour 
le  remplacer,  Statilius  Taurus.  Les  historiens  parlent,  mais  sans 
donner  de  détails  précis,  des  incursions  des  Musulames  et  des  Gé- 
lules, populations  établies  sur  la  limite  du  désert,  et  des  razzias 
qu'ils  opéraient  alors  dans  le  Tel.  Le  nouveau  gouverneur  dut  faire 

1.  Agrippa,  entre  les  mains  de  qui  il  était  tombé,  lui  fit  trancher  la 
tête  (31). 


88 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


plusieurs  expéditions  conlre  ces  pillards  pour  les  forcer  à  rentrer 
dans  leurs  limites. 

En  l'an  33,  Octave  vint  lui-même  en  Afrique  et  réunit  les  pos- 
sessions de  Bokkus  au  domaine  du  peuple  romain. 

Kartliage  avait  été  privée  par  Lépide  de  ses  privilèges  de  colonie 
romaine  et  même  dépeuplée  en  partie.  Octave  s'attacha  à  rendre  à 
la  colonie  de  Caius  Gracchus  toute  sa  splendeur  et  lui  envova  trois 
mille  citoyens  romains.  Nous  avons  vu  "que  les  Romains  avaient 
essayé  de  donner  à  la  colonie  de  Gracchus  le  nom  de  Junonia.  Oc- 
tave la  consacra  à  Vénus,  déesse  protectrice  de  la  famille  Julia, 
mais  ce  dernier  vocable  fut  aussi  éphémère  que  le  précédent 

Vers  le  même  temps,  Antoine,  entièrement  subjugué  par  les 
charmes  de  Cléopâtre,  lui  rendait  la  Cyrénaïque,  et  pour  la  der- 
nière fois  cette  province  était  rattachée  à  l  empire  d'Egypte.  Mais 
trois  ans  plus  tard  (en  33),  il  se  déclarait  publiquement  son  époux 
et  partageait  ses  provinces  entre  les  enfants  de  sa  femme.  C'est 
ainsi  que  la  jeune  Cléopâtre  Séléné,  dont  nous  aurons  bientôt  à 
parler,  reçut  en  dot  la  Cyrénaïque. 

La  longue  rivalité  d'Antoine  et  d'Octave  se  terminait,  le  2  sep- 
tembre 31,  par  la  bataille  d'Actium.  Après  sa  défaite,  le  triumvir 
songea  à  s'appuyer  sur  les  quatre  légions  qu'il  avait  laissées  en  Cy- 
rénaïque à  son  lieutenant  Scaurus  ;  mais  celui-ci  les  avait  livrées, 
ainsi  que  le  pays  qu'il  était  chargé  de  défendre,  à  Gallus,  officier 
d'Octavien.  En  vain  Antoine  essaya-t-il,  à  Parœtonium,  de  rap- 
peler ses  soldats  à  la  fidélité  ;  sa  voix  ne  fut  pas  écoutée  et,  perdant 
tout  espoir,  il  alla  chercher  auprès  de  Cléopâtre  un  trépas  misérable. 

Ainsi  toute  l'Afrique  se  trouva  soumise  à  l'autorité  d'Octave. 

Organisation  DE  l'Afriqi  e  par  Augi  ste.  —  Octave  avait  conservé 
sous  son  autorité  directe  les  ^Nlaurétanies  depuis  la  mort  de  Bokkus 
et  tenté  d'y  implanter  une  colonisation  latine,  pour  amener  insen- 
siblement les  indigènes  à  se  façonner  aux  lois  et  aux  usages  des 
Romains  et  les  préparer  à  accepter  sans  mécontentement  leur 
réunion  définitive  à  l'empire  -. 

Après  la  mort  d'Antoine  et  de  Cléopâtre,  leurs  enfants  furent 
recueillis  par  Octave  qui  les  traita  avec  les  plus  grands  égards. 
Parmi  eux  se  trouvait  la  jeune  Cléopâtre  Séléné  ;  il  la  donna  en 
mariage  au  fils  de  Juba,  qui  venait  de  combattre  pour  lui  à  Actium, 
et  confia  à  celui-ci  le  gouvernement  de  l'Egypte  ^. 

1.  Appieu,  Punie.  136.  Suétone,  Aug.,  47. 

2.  Poulie,  Maurétanie,  p.  102. 

3.  La  date  de  cette  nomiuation  est  incertaine. 


LES   DERNIERS   ROIS   BERBERES    (25  AV.  J.-C.) 


89 


Resté  maître  incontesté  du  pouvoir,  Octave  s'était  sérieusement 
occupé  de  roro;anisation  des  provinces.  Dans  les  dernières  années 
de  la  république,  elles  étaient  au  nombre  de  quatorze,  gouvernées 
soit  par  des  préteurs,  soit  par  des  consulaires.  Le  13  janvier  de 
l'an  27,  au  moment  où  il  constituait  le  régime  impérial,  Auguste 
maintint  cette  division  :  les  provinces  paisibles  et  depuis  longtemps 
conquises,  où  peu  de  forces  étaient  nécessaires,  furent  appelées 
sénatoriales  ou  proconsulaires  ;  les  autres,  où  stationnèrent  parti- 
culièrement les  légions,  furent  dites  prétoriennes  ou  de  l'empereur, 
général  en  chef  des  armées  L'Afrique,  avec  la  Numidie,  la  Cyré- 
naïque  avec  la  Crète,  furent  classées  parmi  les  provinces  sénato- 
riales; mais  ces  divisions  changèrent  selon  les  circonstances. 

La  III''  légion  (Augusta)  fut  chargée  de  tenir  garnison  en  Afrique. 
Auguste  plaça  son  quartier  permanent  à  Theveste  (Tebessa),  au 
pied  oriental  de  l  Aourès,  à  cheval  sur  les  roules  de  la  province  de 
Karthage,  de  la  Numidie  et  de  la  région  des  oasis  et  de  la  Tripo- 
litaine.  Elle  protégeait  aussi  le  pays  colonisé  contre  les  invasions 
des  Gétules. 

JuBA  II,  ROI  DE  Numidie.  —  Vers  le  même  temps,  c'est-à-dire 
entre  l'an  29  et  l'an  25,  Auguste  plaça  Juba  II  à  la  tête  de  la  Nu- 
midie, non  comme  un  simple  gouverneur,  mais  comme  roi  vassaP. 
C'était  une  nouvelle  application  de  son  système  qui  consistait  à 
chercher  à  se  rallier  les  indigènes  en  les  amenant  à  l'assimilation  ; 
il  pensait  ne  pouvoir  trouver  un  meilleur  intermédiaire  qu'un  com- 
patriote parfaitement  romanisé. 

Nous  avons  vu  qu'après  la  mort  de  son  père,  le  jeune  Juba  avait 
été  élevé  à  Rome  avec  le  plus  grand  soin,  sous  l'œil  de  César.  Les 
maîtres  les  plus  célèbres  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  l'initièrent  à 
toutes  les  connaissances  de  l'époque  et  firent  de  ce  jeune  Berbère 
un  savant  et  un  raffiné  ^  C'était,  au  dire  de  Plutarque,  un  homme 
beau  et  gracieux  ^.  Ces  dons  naturels,  rehaussés  par  la  culture,  lui 
gagnèrent  l'amilié  d'Auguste  et  d'Octavie  et  firent  sa  fortune. 
Hâtons-nous  de  dire  qu'il  ne  trompa  pas  l'espoir  qu'on  avait  placé 
en  lui  et  qjae,  s'il  n'amena  pas,  comme  ses  protecteurs  avaient  pu 
l'espérer,  les  indigènes  à  l'assimilation,  c'est  que  la  tâche  était  beau- 
coup trop  difficile  et  ne  pouvait  êlre  l'œuvre  d'un  homme. 

Il  est  assez  difficile  de  dire  quelle  fut  l'action  du  roi  indigène  sur 

1.  Hist.  des  Romains  par  Duruy,  t.  IV,  p.  2. 

2.  De  la  Blanclière:  De  rege  Juba,  régis  Jubx  filio,  Paris  1883. 

3.  Dion  Cassius,  1.  Ll,  ch.  xv. 

4.  Auton,  c.  VII. 


90 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


le  territoire  de  la  colonie  des  Sitliens.  Il  est  probable  que,  tout  en 
exerçant  sur  lui  son  autorité  pouvernemenlale,  il  lui  laissa  ses 
franchises  communales  et  n'administra,  à  proprement  parler,  que 
la  partie  orientale  de  la  Numidie,  cette  Africa  nova  que  César  avait 
érig-ée  en  province  après  sa  victoire. 

Que  se  passa-t-il  en  Numidie  pendant  les  années  qui  suivirent 
l'élévation  de  Juba  ?  Les  auteurs  sont  muets  sur  ce  point,  et  nous 
en  sommes  réduits  à  supposer  que  son  règne  fut  tranquille.  La 
nouvelle  fonction  qu'Auguste  va  confier  au  prince  numide  semble 
indiquer  que  son  administration  avait  été  paisible  et  heureuse. 

Juba,  roi  de  ^L\urétaniiî .  —  Nous  avons  vu  qu'après  la  mort  de 
Bokkus  le  trône  de  Maurélanie  était  demeuré  vacant.  En  l'an  17 
Auguste,  renonçant  à  l'adminislration  directe  qu'il  exerçait  sur  cette 
vaste  contrée,  relira  Juba  II  de  la  Numidie  et  lui  confia  la  souve- 
raineté des  deux  Maurétanies.  Le  prince  numide  vint  régner,  non 
sans  éclat,  à  Yol  sur  un  vaste  territoire  s  étendant  de  Sitifis,  ou 
peut-être  de  Sald;u  ^  jusqu'à  l'Atlantique,  et  de  la  mer  jusqu'au 
désert,  c'est-à-dire  en  englobant  une  partie  des  tribus  gétules. 

Les  deux  Afriques  ne  formèrent  qu'une  seule  province  sous  les 
ordres  d'un  gouverneur  nommé  par  le  Sénat.  La  IIP  légion  [Au- 
ffusla)  y  fut  maintenue  comme  corps  permanent  d'occupation. 

Dans  sa  nouvelle  capitale,  à  laquelle  il  donna  le  nom  de  Césarée, 
pour  complaire  à  son  protecteur,  Juba  put  s'adonner  tout  entier  à 
ses  chères  études.  On  le  comparait  aux  Grecs  les  plus  instruits  et 
sa  renommée  s'étendit  jusqu'en  Grèce  :  Athènes,  selon  le  dire  de 
Pausanias,  lui  aurait  élevé  une  statue^.  Il  composa  un  grand 
nombre  d'ouvrages  d'histoire,  de  géographie,  de  botanique,  etc. 

Mais  ses  travaux  scientifiques  ne  le  détournaient  pas  des  soins 
de  son  gouvernement.  Il  aurait,  paraît-il,  fait  explorer  les  îles  For- 
tunées (Canaries)  et  la  découverte  des  îles  Purpurariœ  (Madère), 
lui  serait  due  Enfin  il  aurait  entretenu  des  relations  commer- 
ciales assidues  avec  l'Espagne,  aurait  été  nommé  consul  de  Cadix 
Gadès  par  Auguste  et  était  magistrat  municipal  de  Carthagène. 

Révolte  des  Berbères.  —  Nous  avons  vu  que  les  Gétules  et  les 
Musulames  du  désert  ne  cessaient  de  faire  des  incursions  dans  le 

1.  Ou  25,  selon  Dion,  LUI,  26. 

2.  M.  Poulie,  loc.  ci7.,  penche  pour  la  première  de  CCS  localités  et  nous 
croyons  qu'il  a  raison. 

3.  Berbrugger,  Deniicrc  dynasticmaiirilaniciine,  {Revue  africaine.  No26, 
p.  82  et  suiv.). 

4.  Pline,  cité  par  Berbrugger. 


LES   DERNIERS  ROIS   BERBERES   (6  AP.  .T.-C.) 


91 


Tel  et  que  Taurus  avait  dû  les  repousser  plusieurs  fois  par  les 
armes.  En  Tan  29,  L.  A.  Petus,  et  en  21,  L.  S.  Atralinus,  avaient 
poursuivi,  jusque  clans  le  désert,  ces  turbulents  indigènes.  Les 
succès  de  ces  j^énéraux  leur  avaient  valu  les  honneurs  du  triomphe; 
mais  bientôt  de  nouvelles  razzias  avaient  été  opérées  par  ces  in- 
corrigibles pillards. 

Dans  la  Tripolitaine,  le  rivage  des  Syrtes  était  infesté  par  les 
pirates  Nasamons,  qui  oubliaient  la  sévère  leçon  donnée  à  leurs 
pères  par  Pompée.  L'intérieur  était  livré  aux  Garamantes  dont 
Tacite  a  dit:  ç/ens  indomila  et  inler  accolas  lairociniis  feciinda. 
En  Tan  19,  L.  Cornélius  Balbus,  nommé  proconsul,  fut  chargé  de 
conduire  une  expédition  dans  ces  contrées  ;  il  s'enfonça  au  sud  de 
Tripoli  et,  s'avançant  sur  la  voie  fréquentée  par  les  anciens  mar- 
chands karthaginois,  traversa  le  pays  des  Troglodytes  (les  monts 
R'arian),  seuls  intermédiaires  du  commerce  de  la  pierre  précieuse 
qui  vient  d'Ethiopie  et  atteignit  Garama  (Djerma)  dans  la  Pha- 
zanie  (Fezzan).  Cette  belle  campagne  étendit  la  domination  romaine 
jusqu'au  désert.  Gomme  récompense,  le  triomphe  fut  accordé  à 
Balbus,  bien  que  n'étant  pas  citoyen  romain.  Pline  nous  a  transmis 
les  noms  fort  altérés  des  tribus  qui  y  figuraient  ^ 

Cependant  les  Gélules  étaient  toujours  en  état  de  révolte,  et  de 
nouvelles  incursions  ayant  coïncidé  avec  l'élévation  de  Juba  au 
trône  de  Numidie,  les  historiens  en  ont  inféré,  généralement,  qu'ils 
s'étaient  soulevés  contre  lui;  mais,  en  considérant  que  l'état  normal 
des  tribus  sahariennes  a  toujours  été,  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
l'anarchie,  la  guerre  et  le  pillage,  nous  ne  voyons  pas  pourquoi  on 
rattache  ces  faits  l'un  à  l'autre.  La  révolte,  il  est  vrai,  s'étendit  à 
l'est,  gagna  les  Musulames  et  se  signala  comme  toujours  par  des 
dévastations  et  le  massacre  de  tout  ce  qui  portait  le  nom  de 
romain.  Les  armées  de  Juba  furent  plusieurs  fois  battues  et  il 
fallut  que  l'empereur  envoyât  de  nouvelles  forces  en  Afrique. 
Cn.  Corn.  Cossus,  chargé  de  réduire  ces  Berbères,  lutta  contre 
eux  durant  de  longues  années  et  finit  par  en  triompher  et  les  forcer 
à  la  soumission,  en  l'an  6  de  notre  ère.  Il  reçut  à  cette  occasion  le 
surnom  de  Gétulicus.  Les  Garamantes  et  les  Nasamons  s'étaient 
joints  aux  Gélules.  Carinius  fut  spécialement  chargé  de  les  en  châtier. 
Ce  général  les  poursuivit  jusqu'à  la  Marmarique.  Une  partie  de  la 
IIP  légion  reçut  la  mission  de  garder  la  frontière  méridionale  ^. 

1.  Pline. 

2.  Ibid.,  Hist.  nat.,  V,  3. 

3.  Florus,  1.  IV,  c.  12.  Tacite,  Ann.,  passini.  D.  Cassiiis,  Hb.  LV  et 
suiv.  P.  Orose,  lib.  VI.  V.  Patcrculus,  II. 


92 


HISTOIRE  DE  I, 'AFRIQUE 


Mort  de  Jlba  II;  Ptolémée  lii  succède.  —  Après  celte  secousse 
qui,  peut-être,  se  fit  sentir  principalement  vers  l'est,  le  rèf;ne  de 
Juba  s'acheva  paisiblement.  En  l  an  4,  il  prit  part  à  l'expédition 
d'Arabie,  et  d'après  M.  Ch.  AluUer il  aurait  dans  cette  campagne 
épousé  ou  pris  pour  concubine  Glaphyra,  fille  d'Archélaiis,  roi  de 
Cappadoce.  Les  renseig:nements  à  ce  sujet  sont  contradictoires, 
mais  il  paraît  certain  qu'il  ne  ramena  pas  cette  femme  à  Césarée. 

Cléopâtre  Séléné  mourut  vers  l'an  6  (de  J.-C.)  et  fut  enterrée 
dans  le  maf^nifique  mausolée  que  Juba  avait  fait  élever  à  l'est  de 
sa  capitale*,  et  qui  est  connu  maintenant  sous  le  nom  de  lambeau 
de  la  Chrétienne. 

Vers  l'an  22  ou  23  (de  J.-C),  Juba  lui-même  cessa  de  vivre  et 
fut  placé  auprès  de  son  épouse  dans  le  mausolée.  Il  laissait  un  fils, 
Ptolémée,  qui  lui  succéda.  L'histoire  nous  représente  ce  prince 
comme  adonné  entièrement  à  ses  plaisirs  et  à  ses  études,  aban- 
donnant à  ses  aifranchis  la  direction  des  affaires.  Juba  avait  reçu 
d'Auguste  ou  de  Tibère  le  titre  de  citoyen  romain;  il  était  en  outre 
citoyen  d'Athènes,  duumvir  de  Gadès  et  quinquennal  de  Kartha- 
gène  ^. 

Révolte  de  Tacfarinas.  —  Depuis  quelques  années,  un  Berbère 
du  nom  de  Tacfarinas  avait  relevé  l'étendard  de  la  révolte  dans  la 
Gétulie.  Déserteur  de  la  légion  romaine,  il  avait  d'abord  réuni 
une  bande  d'aventuriers  et  vécu  de  pillage  et  de  vols.  Vers  l'an  17, 
les  Musulames,  alors  établis  dans  les  environs  de  l'Aourès*,  s'étant 
laissés  entraîner  par  lui,  vinrent  attaquer  les  soldats  romains  dans 
leurs  cantonnements.  La  révolte  s'étendit  à  l'est  jusqu'aux  Syrtes 
et  à  l'ouest  jusqu'au  Hodna.  Un  certain  Mazippa,  chef  des  Maures, 
lui  fournit  son  appui  consistant  particulièrement  en  cavalerie.  Le 
proconsul  M.  F.  Camillus  rassembla  aussitôt  ses  troupes  et  les 
auxiliaires  et,  ayant  marché  résolument  à  l'ennemi,  le  mit  en  com- 
plète déroute.  Tacfarinas,  avec  ses  Gétules,  se  jeta  dans  les  pro- 
fondeurs du  désert. 

L'année  suivante,  Tacfarinas,  après  avoir  mis  à  profit  son  temps 
pour  former  ses  guerriers  à  la  discipline  en  les  habituant  à  com- 
battre à  la  romaine,  les  uns  à  pied,  les  autres  à  cheval,  se  porte  de 
nouveau  contre  les  établissements  romains,  pille  les  bourgades  et 

1.  Num.  de  l'Afr.  anc. 

2.  Moniimentum  commune  regix  gentis  Maitritanix,  d'après  Pompo- 
nius  Mêla. 

3.  Masqueray,  Compte  rendu  de  la  thèse  de  M.  de  lu  Blanchère.  Voir 
aussi  celte  thèse  intitulée  De  rege  Juba,  régis  Jubx  filio.  Thoriu,  1883. 

4.  C'est  ce  qui  est  établi  par  Ragot  Sahara,  2e  partie,  p.  74. 


LES   DERNIERS  ROIS  BERBÎiRES    (22  AP.  J.-C.) 


93 


les  fermes,  fait  un  butin  considérable  et  met  en  déroute  une  cohorte 
romaine  qui  lui  abandonne  un  poste  fortifié  sur  le  fleuve  Paj^yda  ' . 
Plein  de  confiance,  il  entreprend  le  siège  de  Thala. 

Mais  le  nouveau  proconsul  L.  Apronius,  ayant  pris  la  direction 
des  opérations,  l'attaque  avec  vigueur,  le  bat  dans  toutes  les  ren- 
contres et  le  force  à  prendre  encore  la  route  du  sud  (20). 

Bien  que  les  honneurs  du  triomphe  eussent  été  accordés  à  Apro- 
nius, il  faut  croire  que  ses  succès  n'avaient  pas  été  bien  décisifs, 
puisque,  peu  de  temps  après,  Tacfarinas  poussa  l'audace  jusqu'à 
proposer  à  Tibère  un  traité  de  paix,  à  la  condition  qu'on  lui  donnât 
des  terres.  Pour  toute  réponse,  l'empereur  nomma  en  l'an  21 
Bleesus,  proconsul  d'Afrique,  et,  lui  ayant  fourni  d'importants 
i-enforts  (une  partie  de  la  IX"  légion),  le  chargea  d'anéantir  la  puis- 
sance du  chef  indigène.  Ce  fut,  avec  la  plus  grande  habileté  et  une 
parfaite  notion  de  cette  sorte  de  guerre,  que  le  général  romain 
mena  la  campagne  :  ses  forces,  s'appuyant  sur  des  postes  fortifiés, 
furent  divisées  en  plusieurs  corps  qui,  durant  un  an,  poursuivirent 
les  rebelles  sans  relâche  ni  trêve.  Battu  chaque  fois  qu'il  était 
rejoint,  Tacfarinas  dut  encore  s'enfoncer  dans  les  profondeurs  du 
désert,  son  refuge  habituel.  Il  ne  lui  restait  ni  adhérents  ni  res- 
sources d'aucune  sorte,  et  l'on  put  à  bon  droit  considérer  la 
guerre  comme  finie.  Tibère  s'empressa  de  faire  rentrer  en  Italie 
une  partie  des  troupes  (22).  Blsesus  reçut  le  titre  d'imperator. 

Mais  Tacfarinas  n'était  pas  homme  à  se  laisser  abattre  ainsi.  La 
mort  du  roi  Juba  lui  fournit,  sur  ces  entrefaites,  un  nouveau  motif 
pour  intriguer  chez  les  indigènes  et  soulever  les  tribus  de  l'ouest. 
Soutenu  par  les  Gai'amantes  et  par  une  foule  d'aventuriers,  encou- 
ragé par  le  départ  de  la  IX''  légion,  il  se  lança  de  nouveau  sur  le 
Tel  et  se  heurta  au  proconsul  Dolabella,  successeur  de  Blœsus. 
Profitant  du  petit  nombre  de  ses  ennemis,  il  glissa  entre  leurs 
cohortes  et  vint  audacieusement  mettre  le  siège  devant  Tubusuptus 
(Tiklat)  dans  la  vallée  du  Sahel. 

Dolabella,  dans  cette  conjoncture,  voulant  éviter  que  les  tribus 
de  l'ouest  et  du  sud  (Musulames  et  Gélules)  ne  vinssent  se  joindre 
au  rebelle,  les  terrifia  en  mettant  à  mort  leurs  chefs  ;  puis  il  fit 
garder  la  ligne  du  sud  par  des  postes  et  réclama  au  l'oi  Ptolémée 
une  armée  de  secours  afin  de  cerner  Tacfarinas.  Lorsqu'il  sait  que 
les  divisions  maurétaniennes  sont  en  marche,  il  se  jette  sur  Tacfa- 
rinas et  le  force  à  lever  le  siège  de  Tubusuptus.  Le  Berbère  veut 
fuir  vers  le  sud,  mais  les  issues  sont  gardées;  il  se  porte  vers 
l'ouest  poursuivi  l'épée  dans  les  reins  par  Dolabella  qui  l'atteint  à 


1.  Près  de  Lambèse,  selon  le  même  auteur. 


94 


HISTOIRE  DE   l'aFRIQUE  " 


Auzia  (Aumale),  surprend  son  camp  par  une  attaque  de  nuit  et  le 


Telle  fut  la  fin  de  ce  remarquable  chef  de  partisans  dont  l'acti- 
vité, l'audace  et  la  ténacité  causèrent  tant  de  soucis  aux  Romains. 
Cette  révolte  avait  duré  huit  ans 

Assassinat  de  Ptolémée.  —  A  la  suite  de  cette  guerre,  dans 
laquelle  Ptolémée  avait  coopéré  si  efficacement  à  réduire  le  rebelle, 
un  sénateur  fut  désigné  pour  porter  au  roi  de  Maurétanie  le  bâton 
d'ivoire  et  la  toge  brodée,  présents  du  Sénat,  et  de  le  saluer  du 
titre  de  roi,  d'allié  et  d'ami. 

La  révolte  qui  venait  de  causer  de  si  grandes  difficultés  aux 
Romains  décida  l'empereur  à  fortifier  la  Numidie  en  la  détachant 
de  la  province  d'.\frique  pour  la  placer  sous  l'autorité  d'un  com- 
mandant militaire,  légat  de  rang  sénatorial,  qui  lui  obéissait  direc- 
tement. Quant  à  la  province  d'Afrique,  s'étendant  à  l'est  d'Hippone 
jusqu'aux  limites  de  la  Cyrénaïque,  elle  resta  sous  l'autorité  du 
Sénat,  représentée  par  un  proconsul  (37)  -. 

Le  règne  de  Ptolémée  se  continua  sans  que  rien  de  saillant  se 
produisît,  lorsqu'en  l'an  39,  il  fut  pour  son  malheur  appelé  à  Rome, 
par  son  cousin  l'empei'eur  Caligula Le  tyran  l'accabla  d'abord  de 
prévenances  ;  puis,  soit  qu'il  fût  jaloux  de  la  magnificence  du  roi 
maurétanien  et  de  l'attenlion  qu'il  attirait  sur  sa  personne,  soit 
qu'il  voulût  s'emparer  de  ses  immenses  richesses,  soit  enfin  qu'il 
cédât  à  un  de  ses  caprices  sanguinaires  dont  il  a  donné  tant  d'exem- 
ples, il  le  fit  assassiner.  On  ignore  si  Ptolémée  fut  tué  à  la  sortie 
du  cirque,  ou  s'il  fut  envoyé  en  exil  et  mis  à  mort  secrètement, 
car  les  auteurs  diffèrent  dans  leurs  versions. 

Révolte  d'JEdémon.  La  ]\Iaurétaxie  est  réduite  en  province  ro- 
maine. — -  La  nouvelle  de  l'assassinat  du  roi  Ptolémée  causa  la  plus 
grande  émotion  en  Afrique.  L'affranchi  yEdemon  saisit  ce  prétexte 
pour  lever  l'étendard  de  la  révolte.  Les  Maures  et  même  les  Gé- 
tules  le  soutinrent,  et  il  fallut  plusieurs  expéditions  pour  le  réduire. 
L'empereur  Claude  se  laissa  décerner  le  triomphe  pour  les  vic- 
toires de  ses  lieutenants. 

Cependant  la  révolte  n'était  pas  éteinte.  En  l'an  41,  le  préteur 
Suétonius  PauUinus  poursuivit  les  rebelles  jusque  dans  l'ouest,  pé- 
nétra au  cœur  de  la  Tingitane,  traversa  les  chaînes  neigeuses  du 

1.  Tacite,  Annales,  1.  Il,  cli.  lu. 

2.  Mommseu,  Hist.  Rom. 

'è.  Us  étaient  tous  deux  petits-fils  d'Autouia,  fille  de  Marc-Autoine. 


LES  DERNIERS   ROIS   BERBl-RES    (  42   Al'.  J.-C.) 


95 


Grand-Atlas  et,  enfin,  atteignit  une  rivière  nommé  le  Ger  (Guir), 
«  à  travers  des  solitudes  couvertes  d'une  poussière  noire  d'où  sur- 
ce  gissent  çà  et  là  des  rochers  qui  semblent  noircis  par  le  feu  '  ». 

Hasidius  Géta  termina  la  conquête  de  la  Maurétanie  occidentale 
en  rejetant  dans  le  désert  les  débris  des  troupes  d'un  certain  Sa- 
labus,  roi  des  Maures,  dernier  adhérent  d'^'Edémon. 

La  Maurétanie  fut  réduite  en  province  romaine  vers  l'an  12,  ou 
peut-être  un  peu  plus  tard,  lorsque  la  dernière  résistance  eut  été 
écrasée.  Quant  à  l'ère  provinciale  de  Maurétanie,  son  point  de 
départ  doit  être  fixé  à  l'année  iO,  date  de  l'assassinat  de  Ptolémée^. 
Yol-Césarée  reçut  le  titre  de  colonie. 

Division  et  organisation  administrative  de  i/ Afrique  romaine.  — 
En  l'an  42,  il  fut  procédé,  par  ordre  de  Claude,  à  une  nouvelle  di- 
vision des  provinces  africaines.  Les  anciennes  demeurèrent  placées 
sous  l'autorité  du  Sénat.  \'oici  quelle  fut  la  répartition  : 

1°  Cyrêna'ique  avec  la  Crète,  régies  par  un  proconsul. 

2°  Province  proconsulaire  d'Afrique,  subdivisée  en  Bjzacène  et 
Zeugitane,  formée  de  la  Tripolitaine  et  de  la  Tunisie  actuelles, 
régie  par  un  proconsul  résidant  à  Karthage. 

3°  Numidie,  régie  par  un  légat  impérial  ou  par  le  proconsul  de 
la  province  d'Afrique. 

4°  Maurétanie  césarienne,  s'étendant  de  Sétif  à  la  Moulouia. 

5°  Et  Maurétanie  Tingitane,  de  la  Moulouia  à  l'Océan. 

Ces  deux  dernières  provinces,  faisant  partie  du  domaine  de  l'em- 
pereur, furent  régies  par  de  simples  chevaliers,  avec  le  titre  de 
procurateurs  [procaratores  augusti)^  ne  relevant  que  de  l'em- 
pereur et  ayant  des  pouvoirs  très  étendus.  Elles  reçurent  comme 
garnison  des  troupes  de  second  ordre. 

Jusqu'au  règne  de  Caligula,  le  proconsul  qui  gouvernait  la  pro- 
vince ou  les  provinces  d'Afrique  était  en  même  temps  le  chef  des 
troupes  :  la  nécessité  obligeait  de  réunir  les  deux  pouvoirs  entre 
les  mains  du  même  chef,  alm  de  donner  plus  d'unité  à  la  direction 
des  affaires.  Mais  cet  empereur,  craignant  la  grande  influence 
exercée  par  le  proconsul  L.  Pison,  qui  disposait  d'un  effectif  de 
troupes  considérable,  donna  le  commandement  de  l'armée  et  des 
((  nomades  »  à  un  lieutenant  ou  légat  du  prince,  et  ne  laissa  à 
Pison  que  l'administration  propre  du  pays,  ce  qui  engendra  de 

1.  Pline,  1.  V,  14.  Dion  Cass.,  LX,  9. 

2.  Ce  fait  a  été  péremptoirement  démontré  par  MM.  Berbrugger  Re\'. 
afr.,  t.  p.  30;  Génèra\Crc\i\y  Ann.  de  la  soc.  arch.  de  Constantine,  1857, 
p.  1,  et  Poulie,  id.,  1862,  p.  261. 


96 


HISTOIRE   DE   I, 'AFRIQUE 


nombreux  conflits'.  Les  empereurs  craignaient  toujours  de  laisser 
trop  de  troupes  à  leurs  représentants  en  Afrique,  et  nous  avons  vu, 
lors  de  la  révolte  de  Tacfarinas,  Tibère  s'empresser  de  rappeler  la 
IX"  légion,  alors  que  le  rebelle  n'était  pas  encore  vaincu.  C'est, 
qu'après  des  victoires,  le  proconsul  sénatorial  qui,  déjà,  était  un 
personnage  considérable,  pouvait  être  proclamé  imperator  par  ses 
troupes.  Cette  séparation  des  pouvoirs  fut  maintenue. 

Le  pouvoir  des  proconsuls  dans  leurs  provinces  était,  pour  ainsi 
dire,  illimité.  Le  pays,  réduit  en  province  romaine,  perdait  ses  an- 
ciennes institutions,  et  le  personnage  chargé  d'appliquer  le  senatus- 
consulle  qui  ordonnait  cette  incorporation  élaborait  un  ensemble 
de  lois  spéciales  à  la  nouvelle  province.  11  était,  généralement,  tenu 
grand  compte  des  institutions  locales.  Quelquefois  une  commission 
de  sénateurs  l'assistait  dans  ce  travail.  Chaque  proconsul,  en  arri- 
vant dans  son  commandement  —  et  l'on  sait  que  la  durée  de  ses 
pouvoirs  n'était  que  d'un  an  —  publiait  un  nouvel  édit  par  lequel 
il  pouvait  modifier,  selon  son  caprice,  la  loi  fondamentale.  11  réu- 
nissait dans  ses  mains  tous  les  pouvoirs  militaire,  administratif  et 
judiciaire.  A.  Thierry  a  dit  à  ce  sujet:  «  un  arbitraire  presque  illi- 
mité pesait  sur  la  vie  comme  sur  la  fortune  des  provinciaux.  » 

Les  provinces  étaient  donc  regardées  comme  les  domaines  et  les 
propriétés  du  peuple  romain  *.  Les  publicains  et  les  banquiers  qui 
accompagnaient  le  proconsul  complétaient  son  œuvre. 

Sous  l'empire,  cette  situation  se  modifia.  Nous  avons  vu  Auguste 
placer  Juba  II,  comme  roi,  à  la  tête  de  la  Numidie  qui  venait  d'être 
pressurée  par  ses  gouverneurs.  Enfin  Caligula  décapita  la  puissance 
des  proconsuls  en  leur  retirant  le  commandement  militaire.  L'action 
de  l'empereur  se  fit  dès  lors  sentir  directement  dans  les  provinces, 
qui  cessèrent  d'être  pressurées  aussi  violemment  par  la  métropole. 
Nous  n'allons  pas  tarder  à  voir  celle  d'Afrique  exercer  à  son  tour 
une  grande  influence  sur  la  capitale. 

A  côté  des  proconsuls  étaient  des  légats  impériaux,  officiers 
chargés  de  diverses  fonctions  militaires  et  administratives  et  qui, 
bien- que  soumis  aux  ordres  généraux  du  gouverneur,  étaient  direc- 
tement sous  l'autorité  du  prince,  notamment  pour  le  comman- 
dement des  troupes.  Un  questeur  était  attaché  au  proconsul  et 
ajoutait  à  son  titre  celui  de  propréteur  ;  il  était  chargé  de  le  sup- 
pléer par  délégation.  «  Il  n'y  avait  de  questeurs  que  dans  les  pro- 
vinces du  Sénat ^  ».  Un  intendant  {procurator)  était  chargé  de 

1.  V.  Dion,  LX,  9,  et  Tacite,  Ann. 

2.  Boissière,  loc.  cit.,  p.  217.  C'est  ;i  cet  ouvrage  que  nous  ren- 
voyons pour  une  partie  de  ces  détails. 

3.  Boissière,  p.  258. 


LES   DERNIERS   ROIS   liKRlîÈRES   (42   AP.  J.-C.) 


97 


rétablissement  et  de  la  rentrée  des  impôts,  ainsi  que  de  l'adminis- 
tration des  domaines  impériaux. 

Ces  fonctionnaires  principaux  avaient  sous  leurs  ordres  un  grand 
nombre  d'agents  de  toute  sorte. 

L'autorité  l'eligieuse  de  la  province  était  confiée  à  un  sacerdos 
provincine  africae.  (i  l']lu  parmi  les  personnes  les  plus  considérées 
et  les  plus  riches,  choisi  parmi  celles  qui  avaient  occupé  tous  les 
emplois  dans  leurs  cités  ou  qui  avaient  obtenu  le  rang  de  chevalier 
romain,  il  présidait  l'assemblée  religieuse  réunie,  tous  les  ans,  à 
Karthage.  Son  emploi  était  annuel  et,  au  moment  de  sortir  de 
charge,  il  organisait  à  ses  frais  des  jeux  qui  étaient  appelés  ludi 
sacerdotales  '  ». 

Dans  certaines  provinces,  l'assemblée  (conciliuin)  était  annuelle: 
c'était  le  cas  de  celle  d'Afrique.  Des  délégués  des  cités  y  prenaient 
part  et,  après  la  célébration  des  rites  du  culte  de  l'empereur,  le 
concilium  s'occupait  de  questions  administratives  et  de  vœux  à 
présenter  dans  l'intérêt  de  la  province.  Ses  membres  exerçaient 
un  contrôle  sur  l'administration  de  leur  gouverneur  et  avaient  le 
droit  de  le  mettre  en  accusation. 

La  confédération  des  quatre  colonies  cirtéennes  (Cirta,  Mileu, 
Rusicade  et  Chullu),  ancien  domaine  de  Sitlius,  jouissait,  pour 
toute  chose,  d'une  véritable  autonomie  ;  «  elle  formait,  dit  M.  Duruy, 
un  véritable  Etat,  où  l'édile  municipal  était  investi  des  pouvoirs 
attribués  au  questeur  romain,  dans  les  provinces  proconsulaires'  »; 
elle  avait  un  concilium  particulier,  dont  les  attributions  étaient 
beaucoup  plus  étendues  que  dans  les  provinces.  Son  clergé  et  son 
culte  avaient  une  physionomie  spéciale  ;  ses  prêtres,  des  deux 
sexes,  portaient  le  titre  de  flamina.  Chaque  colonie  était  admi- 
nistrée, pour  ses  alfaires  particulières,  par  un  ordo,  sorte  de  conseil 
municipal 

Les  provinces,  comme  les  cités,  se  choisissaient  des  patrons, 
personnages  influents,  chargés  de  défendre  leurs  droits  dans  la 
métropole. 

Les  villes  étaient  divisées  en  plusieurs  catégories  : 
1"  Les  colonies  romaines,  dont  les  citoyens  jouissaient  de  tous 
les  droits  et  privilèges  du  citoyen  romain,  notamment  de  l'exemp- 
tion du  tribut. 


1 .  Héron  de  Villefosse,  Comptes  rendus  de  l' Académie  des  Inscriptions, 
!¥=  série,  t.  XI,  p.  216,  217. 

2.  Hist.  des  Romains,  t.  V,  p.  360. 

3.  Voir  l'intéressant  travail  de  M.  Fallu  de  Lessert,  dans  le  Bulletin 
des  Antiquités  africaines  de  M.  Poinssot,  année  1884.  Voir  également 
Duruy^  Histoire  des  Romains,  t.  IV,  p.  42  et  suiv. 

T.  I.  7 


98 


HISTOIRE   DE  l'aFHIQLE 


2°  Les  municipes ,  dont  les  habitants,  tout  en  profitant  de  la 
plupart  des  privilèges  du  citoyen  romain,  n'avaient  pas  le  droit  de 
suffrage. 

3°  Les  colonies  latines,  dont  les  habitants  avaient  le  droit  d'ac- 
quérir et  de  transmettre  la  propriété  quiritaire  \  jns  commercii], 
mais  qui  ne  possédaient  pas  le  Jus  connubii,  conférant  la  puissance 
paternelle  sur  les  enfants.  Leurs  magistrats,  à  l'expiration  de  leur 
charge,  étaient  capables  du  droit  de  cité  romain. 

Il  y  avait  encore  les  villes  alliées,  les  villes  libres  et  les  villes 
exemptes  d'impôts. 

Les  cités  avaient,  en  général,  la  libre  disposition  de  leurs  revenus, 
sous  la  direction  d'une  assemblée  de  magistrats  municipaux  :  la 
curie  ou  ordo  decurionum,  composée  de  notables  qui  conféraient, 
à  l'élection,  les  honneurs  ou  fonctions  dont  ils  disposaient.  Le  can- 
didat, pour  s'assurer  leurs  suffrages,  était  obligé  de  verser  des 
sommes  considérables  dans  la  caisse  municipale,  et  de  promettre 
des  fêtes  et  des  travaux.  Une  fois  élu,  il  supportait  une  partie  des 
dépenses  de  la  cité  et  était  pécuniairement  responsable  de  la 
rentrée  de  l'impôt.  Il  arriva  un  temps  où  ces  honneurs,  autrefois  si 
recherchés,  furent  refusés  et  fuis  par  les  citoyens,  qui  les  consi- 
déraient, à  bon  droit,  comme  une  cause  de  ruine. 

Les  terres  ayant  appartenu  aux  princes  indigènes  et  celles  qui 
provenaient  de  séquestre,  avaient  été  incorporées  au  domaine  du 
peuple  romain.  Le  reste  des  terres  était  généralement  laissé  aux 
indigènes,  mais  à  titre  de  simple  occupation  et  à  charge  de  payer 
une  redevance  représentative  du  fermage. 

Les  obligations  des  provinciaux  étaient  de  quatre  sortes  :  l'impôt 
personnel,  l'impôt  foncier,  les  douanes  et  droits  régaliens,  et  les 
réquisitions. 

L'impôt  foncier,  payable  en  nature  ou  en  argent,  devait  repré- 
senter en  général  le  dizième  de  la  récolte  '.  L'Afrique  rachetait  en 
général  cet  impôt  par  une  indemnité  fixe  en  argent. 

La  province  devait  fournir  le  blé  nécessaire  à  la  nourriture  des 
armées  et  des  matelots  employés  à  sa  garde,  procurer  les  loge- 
ments nécessaires  pour  les  soldats  ^t  même  équiper  parfois  des 
auxiliaires. 

Ces  charges  étaient  du  reste  assez  variables  selon  les  localités. 
Ainsi,  la  plupart  des  villes  de  l'Afrique  karthaginoise  payaient  la 
capitation,  même  pour  les  femmes 

1.  Cet  impôt  se  perçoit  encore  sur  les  indigènes  d'Afrique  sous  le  nom 
d'Achour  (Dîme). 

2.  Duruy,  Hist.  des  Romains,  t.  II,  p.  177  et  suiv. 


LES   DI-RXllînS   ROIS   BERBERES    (42   AI'.  J.-C.) 


99 


Quant  à  la  condition  des  personnes,  elle  était  la  même  que  dans 
le  reste  des  conquêtes  romaines.  Le  citoyen  romain,  qu'il  provînt, 
soit  des  municipes  d'Italie,  soit  des  cohiiies  romaines,  était  au 
sommet  de  l'échelle.  Il  recevait  des  concessions  de  terres  qu'il 
Taisait  cultiver  par  l'esclave  ou  par  le  paysan.  Les  soldats  étaient 
également  pourvus  de  concessions,  mais  ils  formaient  des  colonies 
purement  militaires,  où  les  civils  ne  pénétraient  pas. 

Le  colon  ou  paysan,  bien  qu'il  ne  fût  pas  esclave,  était  généra- 
lement attaché  à  la  glèbe.  «  Un  certain  nombre  de  gens  du  peuple 
était  assigné  sur  chaque  propriété  {iif fixas,  assignalus)  ;  leur  per- 
sonne suivait  la  condition  de  la  terre.  Les  propriétaires  s'appelaient 
leurs  maîtres  »  *.  Plus  tard,  ils  recevront  le  nom  de  serfs. 

La  condition  de  l'esclave  était  particulièrement  dure  ;  ceux  nés 
sur  le  domaine  étaient  un  peu  moins  maltraités  que  ceux  achetés. 

Chronologie  des  rois  de  Maurétanie.  —  Bokkus  \"  règne  sur 
les  deux  Maurétanies  vers  l'an  106  av.  J.-C. 

Vers  l'an  80,  ses  deux  fils  lui  succèdent  et  se  partagent  son 
royaume. 

Bokkus  II  reçoit  la  Maurétanie  orientale. 

Bogud  I",  la  Maurétanie  occidentale,  augmentée  de  la  Séti- 
fienne,  en  46. 

En  44,  Bokkus  III  succède  à  son  père  Bogud  P''.  La  même  année 
il  perd  la  Sétifienne,  qui  est  reprise  par  Arabion. 

En  40,  Bogud  II  succède  à  son  père  Bokkus  II. 

En  38,  Bokkus  III  reste  seul  maître  des  deux  Maurétanies.  Il 
meurt  en  33. 

La  Maurétanie  reste  jusqu'en  25  sans  roi. 

Juba  II  est  nommé  roi  de  Maurétanie  en  25,  et  règne  jusqu'en 
23  ap.  J.-C. 

Ptolémée  règne  de  23  à  40. 

1.  Lacroix,  Revue  africaine,  N»  79,  p.  23. 


CHAPITRE  VIII 


L'AFRIQUE  SOUS  L'AUTORITÉ  ROMAINE 

43-297 

Etfit  de  l'Afrique  au  i"  siècle  ;  productions,  commerce,  relations.  —  Etat  des 
populations.  —  Les  gouverneurs  d'Afrique  prennent  part  aux  guerres 
civiles.  —  L'Afrique  sous  Vespasien.  —  Insurreclion  des  Juifs  de  la  Cyré- 
naïque.  —  Expéditions  en  Tripolilaine  et  dans  l'extrême  sud.  —  L'Afrique 
sous  Trajan.  —  Nouvelle  révolte  des  Juifs.  —  L'Afrique  sous  Hadrien; 
insurrection  des  Maures.  —  Nouvelles  révoltes  sous  Antonin,  Marc-Aurèle 
et  Commode,  138-190.  —  Les  empereurs  africains  :  Septimc  Sévère.  — 
Progrès  de  la  religion  chrétienne  en  Afrlcjne  ;  premières  persécutions.  — 
Caracalla,  son  édit  d'émancipation.  —  Macrin  et  Elagabal.  —  Alexandre 
Sévère.  —  Les  Gordiens  ;  révolte  de  Capellien  et  de  Sabianus.  —  Période 
d'anarchie;  révoltes  en  Afrique.  —  Persécutions  contre  les  chrétiens.  — 
Période  des  trente  tyrans.  —  Uioclétien;  révolte  des  Quinquégentiens.  — 
Nouvelles  divisions  géographiques  de  l'Afrique. 

Etat  de  l'Afrique  au  i'''  siècle  ;  productions,  commerce,  rela- 
tions. —  Ainsi  l  autorité  romaine  régnait  sans  conteste  sur  toute 
l'Afrique  du  nord,  la  Berbérie,  de  l'Egypte  à  l'Océan".  Il  avait  fallu 
près  de  deux  siècles  et  demi  (232  ans)  au  peuple-roi  pour  effectuer 
cette  conquête  ;  mais  nous  avons  vu  avec  quelle  prudence,  par 
quelle  suite  de  transitions  habilement  ménagées,  il  y  était  arrivé. 

Au  moment  où  la  Berbérie  entre  dans  une  ère  nouvelle,  il  con- 
vient de  se  rendre  bien  compte  de  sa  situation  matérielle  et  de 
l'état  de  ses  populations. 

L'Afrique  propre,  la  première  occupée,  est  couverte  de  colonies 
latines  ;  «  les  notables  des  villes  recevaient  avec  reconnaissance  le 
droit  de  cité  ;  leurs  enfants  prirent  des  noms  romains,  reçurent  une 
éducation  romaine  ;  la  carrière  des  emplois  et  des  honneurs 
s'ouvrit  devant  eux  '  ».  Dans  les  campagnes  de  cette  fertile  pro- 
vince, les  patriciens  s'étaient  taillé  de  beaux  domaines  et  le  pays 
n'avait  pas  échappé  à  la  formation  des  latifundia  qui  avaient  eu, 
en  Italie,  des  conséquences  si  funestes.  Mais,  si  «  l'on  y  trouvait, 
selon  Aggenus  Urbicus,  des  domaines  privés  plus  vastes  que  ceux 
de  l  Etat,  ils  étaient  occupés  par  un  grand  nombre  de  cultivateurs; 
la  maison  du  maître  était  entourée  de  villages  qui  lui  faisaient  une 

1.  Hase,  Sur  l'établissement  Romain  [Rev.  afr.,p.  301). 


l'Afrique  sous  l'autoriti;  romaine  (43) 


101 


ceinture  de  forlifications  '  ».  Du  reste,  la  petite  propriété  était 
constituée  aussi  par  les  concessions  aux  vétérans,  ou  par  la  vente 
ou  la  location  à  des  émigrants.  Ainsi  les  progrès  de  la  culture^, 
loin  d'avoir  été  arrêtés  par  la  conquête,  lui  durent,  au  contraire, 
une  plus  grande  extension.  Loptis  Magna,  Iladrumète,  Utique  et 
surtout  Karthage,  étaient  les  principaux  ports  où  les  céréales  ve- 
naient s'entasser.  Là  les  flottes  de  toute  l'Italie  chargeaient  les 
grains,  et  c'est  particulièrement  de  l'Afrique  que  Rome  lirait  ses 
approvisionnements.  Les  blés  d'Egypte  allaient  dans  les  autres 
parties  de  l'Italie.  Sous  Auguste,  sous  Tibère,  sous  Claude,  la  popu- 
lation romaine  attendait  sans  cesse  les  arrivages  d'Afrique  et  fai- 
sait entendre  ses  murmures,  ou  se  mettait  en  rébellion,  au  moindre 
retard,  car  la  conséquence  immédiate  était  la  famine.  On  l'avait 
bien  vu,  lors  de  la  lutte  entre  César  et  Pompée,  quand  celui-ci 
avait  arrêté  les  convois  d'Afrique. 

Tous  les  empereurs  prirent  des  mesures  afin  d'assurer  les  arri- 
vages d'Afrique,  Claude  accorda  des  immnnités  particulières  pour 
encourager  les  importations  de  blé,  Néron  exempta  de  tout  impôt 
les  navires  servant  au  transport  du  blé.  Commode  créa  la  flotte 
d'Afrique,  affectée  spécialement  à  cet  usage,  et  ses  successeurs 
perfectionnèrent  cette  institution.  Un  préfet  de  l'Annoney  résidant 
en  Afrique,  fut  chargé  d'assurer  les  approvisionnements. 

Après  le  blé,  l'huile  était  une  des  principales  branches  d'expor- 
tation, mais,  de  même  que  l'huile  faite  actuellement  par  nos  Ka- 
biles,  elle  était  de  qualité  inférieure,  et  sa  mauvaise  odeur  la  dé- 
préciait beaucoup,  de  sorte  qu'on  ne  l'employait  guère  que  dans 
les  gymnases. 

Les  fruits,  surtout  le  raisin,  les  dattes  et  les  figues,  les  oignons,  le 
sylphium,  la  thapsie, ^diverses  sortes  de  jonc,  les  bois  de  l'Atlas,  les 
marbres,  tels  étaient  ensuite  les  principaux  articles  d'exportation^. 
A  ces  productions,  il  faut  ajouter  les  bêtes  féroces  servant  aux  com- 
bats du  cirque,  les  chevaux  et  les  gazelles.  Quant  aux  éléphants,  il 
est  à  peu  près  démontré  qu'ils  n'existaient  plus  en  Berbérie  à  l'état 
sauvage,  quoi  qu'en  disent  Strabon,  Pline,  Solin  et  autres  auteurs. 
Ils  étaient  sans  doute  amenés  de  l'intérieur  par  les  caravanes. 

Au  premier  rang  des  villes  de  commerce  brillait  Karthage,  la 
métropole  punique,  relevée  de  ses  ruines  et  toujours  la  reine  de 

1.  F.  Lacroix,  Afrique  ancienne  {Rev.  afr.,  N"  73,  p.  18). 

2.  On  sait  que  les  Karthaginois  avaient  perfectionné  la  culture  en 
Afrique  et  que  l'ouvrage  de  Magon  servit  ensuite  de  guide  aux  cultiva- 
teurs italiens, 

3.  Cf.  Hirtius,  Bell,  afr.,  Pline,  Hérodote,  Strabon,  Appien,  ^e//.  cjV.j 
Suétone,  Yarron^  Dion  Cassius^  Spartien^  Tacite. 


102 


niSTOIBE  DE  L  AFRIQUE 


l'Afrique  par  sa  magnificence  et  sa  civilisation.  Dans  son  port.  les 
vaisseaux  venus  de  tous  les  points  de  la  Méditerranée  se  pressaient 
pour  charger  les  grains,  les  bois  précieux,  la  poudre  d'or,  l'ivoire, 
les  marbres,  les  bêtes  féroces,  les  chevaux  numides,  les  nègres. 
Une  population  punique  importante  dominait  dans  cette  ville,  elle 
y  avait  conservé  ses  mœurs,  sa  langue  et  sa  religion.  Le  temple 
d'Astarté  (Tanit),  divinité  phénicienne  admise  par  les  Romains 
dans  leur  Panthéon,  sous  le  nom  de  Juno  Cœlestis,  avait  été  re- 
construit avec  une  nouvelle  splendeur  ;  nous  verrons  plus  tard  un 
empereur  donner  une  consécration  officielle  à  ce  culte  barbare 
dont  les  divinités  exigeaient  des  sacrifices  humains. 

La  Cyrénaïque  fournissait  en  quantité  les  blés,  l'huile  et  les 
vins.  «  Derrière  cette  province  passait  la  roule  commerciale  qui 
unissait  l'est,  le  sud  et  l'ouest  de  l'Afrique.  La  grande  caravane, 
partie  de  la  haute  Egypte,  traversait  les  oasis  d'Ammon,  d'Oudjela 
et  des  Garamantes,  où  elle  trouvait  les  marchands  de  Leptis,  puis 
descendait  au  sud  par  le  pays  des  Atarantes  et  des  Atlantes,  pour 
rencontrer  ceux  de  la  Xigritie  '  )>. 

Dans  la  Numidie  et  la  Maurélanie,  les  principaux  ports  de  com- 
merce étaient  Igilgilis  (Djidjelli),  Saldœ,  Yol-Césarée,  Siga  (à 
l'embouchure  de  la  Tafnai  et  Tingis.  Il  existait,  entre  les  ports  de 
l'ouest  et  l'Espagne,  et  même  jusqu'en  Gaule,  des  relations  suivies 
qui  avaient  amené  des  alliances  de  famille.  Nous  avons  vu  que 
Juba  II  était  magistrat  municipal  de  Carthagène. 

Etat  des  populations.  —  Examinons  maintenant  ce  que  devenait 
le  peuple  indigène  en  présence  de  la  colonisation  romaine.  La  vieille 
race  berbère  commençait  à  subir  une  transformation  ;  diminuée  par 
les  guerres  incessantes  où  elle  prodiguait  sçn  sang  avec  tant  de 
générosité,  elle  était  refoulée  par  la  colonisation  romaine  et  com- 
mençait à  s'assimiler  ou  à  disparaître  dans  la  province  d'Afrique  ou 
la  Numidie.  Mais  dans  toute  la  Maurélanie  et  certains  massifs 
montagneux,  comme  le  Mons  ferralus  (la  grande  Kabiliel,  elle  se 
conservait  intacte  et  se  préparait  à  de  nouvelles  luttes.  Sur 
la  ligne  des  hauts  plateaux,  se  pressaient  les  tribus  gélules,  tou- 
jours prêtes  à  envahir  le  Tel  pour  le  piller  et  autant  que  possible 
s'y  fixer.  On  a  pu  constater  cette  tendance  des  tribus  du  désert, 
par  la  demande  de  terres  faite  par  Tacfarinas  à  Tibère.  Nous  les 
verrons  s'avancer  continuellement,  par  un  mouvement  lent  et  irré- 
sistible, pour  s'étendre  sur  les  restes  des  vieilles  tribus  berbères  et 
les  remplacer  à  mesure  que  la  puissance  romaine  s'affaiblira. 

1.  Duruy,  Hist.  des  Romains,  t.  IV,  p.  88. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (68) 


103 


Ces  Berbères,  établis  au  delà  de  la  limite  de  roccupation  ro- 
maine, reconnaissaient  en  général  la  suzeraineté  du  peuple-roi, 
particulièrement  dans  le  Tel  et  le  pays  ouvert  ;  ils  fournissaient,  en 
temps  de  paix,  certains  tributs,  et  devaient  des  services  de  guerre. 
«  On  utilisait  ainsi  les  Berbères  soumis  dans  l'intérêt  de  Bome, 
mais  on  ne  les  organisait  pas  à  la  manière  romaine,  comme  aussi 
on  ne  les  employait  pas  dans  l'armée.  En  dehors  de  leur  propre 
province,  les  irréguliers  de  Maurétanie  furent  aussi  utilisés,  plus 
tard,  en  grand  nombre,  surtout  comme  cavaliers,  tandis  qu'on  ne 
procédait  pas  ainsi  pour  les  Numides  '  ». 

En  Cyrénaïque,  la  population  n'avait  pas  subi  de  grandes  modi- 
fications. Les  Juifs,  déportés  autrefois  de  Palestine  dans  cette  pro- 
vince ^,  y  avaient  prospéré  malgré  les  mauvais  traitements  aux- 
quels ils  étaient  en  butte  de  la  part  des  Grecs  et  la  jalousie  qu'ils 
inspiraient.  Ayant  eu  recours  à  la  justice  d'Auguste  pour  être  pro- 
tégés, ce  prince  envoya  des  ordres  à  Flavius,  préteur  de  Lybie, 
pour  qu'il  veillât  à  ce  qu'ils  ne  fussent  pas  troublés  dans  leurs  biens 
et  l'exercice  de  leur  culte.  En  l'an  14  av.  J.-C,  un  rescrit  de 
Marcus  Agrippa  ordonna  «  qu'ils  seraient  maintenus  dans  l'exercice 
de  leurs  droits  et  que  si,  dans  quelque  ville,  on  avait  diverti  de 
l'argent  sacré,  il  serait  restitué  aux  Juifs  par  des  commissaires 
nommés  à  cet  effet  '  ».  Nous  verrons  avant  peu  l'esprit  d'indisci- 
pline de  ces  Juifs,  surexcité  par  les  événements  de  Judée,  leur 
attirer  de  terribles  répressions. 

Les  Gou\erneurs  d'Afrique  prennent  part  aux  guerres  civiles. 
—  Après  quelques  années  de  tranquillité,  l'Afrique  ressentit  le 
contre-coup  de  l'anarchie  qui  termina  et  suivit  le  règne  de  Néron. 
Pendant  que  Vindex  levait  l'étendard  de  la  révolte  en  Gaule,  Glo- 
dius  Macer,  légat  d'Afrique,  retenait  les  convois  de  blé  et  prenait 
le  titre  de  propréteur,  pour  bien  montrer  qu'il  avait  abandonné  le 
service  de  l'empereur.  Bientôt  il  se  proclama  indépendant  et  leva 
de  nouvelles  troupes  parmi  les  indigènes  qu'il  forma  en  légion 

Le  9  juin  68,  Néron  terminait  sa  triste  carrière  et  était  remplacé 
par  Galba,  ancien  proconsul  d'Afrique  ^.  Un  de  ses  premiers  soins 
fut  de  se  débarrasser  de  Macer,  par  l'assassinat,  et  de  licencier  la 

1.  Mommsen,  Histoire  Romaine,  t.  V,  trad.  par  M.  Fallu  de  Lessert. 

2.  A  la  suite  de  la  prise  de  Jérusalem  par  Ptolémée  Soter,  vers  320 
av.  J.-C.  V.  Josèphe,  contra  Appio,  II,  4,  cité  par  M.  Calieii  dans  son 
travail  sur  les  Juifs  {Soc.  arc/t.,  1867). 

3.  Passage  reproduit  par  d'Avezac  dans  l'Afrique  ancienne,  p.  124. 

4.  Tacite,  Ann.,  lib.  II,  cap.  xcvii. 

5.  Il  avait  reçu  cette  fonction  de  Claude  et  la  garda  deux  ans. 


104 


IIISTOIlii;   OT.   I.  AFHIQUE 


légion  Macrienne.  Il  fut  alors  reconnu  par  loules  les  troupes 
d'Afrique  et  obtint  l  appui  du  procurateur  Lucceius  Albinus  qui 
commandait  les  Maurétanies  et  disposait  de  troupes  nombreuses. 
Mais  bientôt  Galba  est  assassiné  (juin  68)  Othon  et  Vitellius  lui 
succèdent.  Ces  trois  rognes  avaient  duré  dix-huit  mois,  triste  pé- 
riode remplie  par  les  meurtres,  les  révoltes  et  l'anarchie. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  d'Othon,  L.  Albinus  essaya  de  se  dé- 
clarer indépendant  à  son  tour.  11  avait  sous  ses  ordres  dix  cohortes 
et  cinq  ailes  de  cavalerie,  sans  compter  les  auxiliaires.  C'étaient 
des  forces  imposantes,  avec  l'appui  desquelles  il  pouvait  espérer  le 
succès  ;  mais  au  moment  où  il  se  préparait  à  passer  dans  la  Tin<;i- 
tane,  pour,  de  là,  envahir  l'Espai^ne,  le  gouverneur  de  celte  pro- 
vince le  fit  assassiner,  et  ses  troupes  se  prononcèrent  pour  Vitellius, 
qui  ne  jouit  pas  longtemps  du  pouvoir  et  succomba  à  son  tour  en 
décembre  69. 

L'Afrique  sous  Vespasien.  —  Enfin  A'espasien  resta  seul  maître 
du  pouvoir.  C'était  aussi  un  ancien  proconsul  d'Afrique,  et  il 
s'était  fait  remarquer  dans  son  commandement  par  une  honnêteté 
bien  rare  pour  l'époque.  On  raconte  même  que  les  habitants  d'Ha- 
drumète,  irrités  de  sa  parcimonie  dans  les  fêtes,  l'assaillirent  un 
jour  en  lui  lançant  des  raves  à  la  tête. 

Lucius  Pison  était  alors  proconsul  d'Afrique;  il  se  tenait  sage- 
ment à  l'écart  des  factions  et  cependant  on  le  soupçonnait  d'être 
partisan  de  ^'itellius,  parce  que  beaucoup  de  ^'itclliens  s'étaient 
réfugiés  dans  sa  province.  Ce  parti  avait  encore  de  nombreux  adhé- 
rents en  Gaule  et  l'on  craignait  que  Pison  ne  fit  alliance  avec  eux, 
ce  qui  aurait  eu  pour  conséquence  immédiate  la  famine.  Le  légat 
qui  commandait  les  troupes,  ^'alérius  Festus,  cédant  à  son  ambi- 
tion, exploita  perfidement  cette  situation  en  peignant,  dans  ses 
rapports,  la  révolte  comme  imminente.  Un  certain  Papirius,  qui 
avait  déjà  pris  part  au  meurtre  de  Placer,  arrive  en  Afrique  dans 
le  but  de  tuer  le  proconsul.  Pison  prévenu  le  fait  mettre  à  mort  et 
adresse  une  proclamation  au  peuple.  Mais  bientôt  les  soldats  auxi- 
liaires dépêchés  par  Festus  pénétrent  dans  sa  demeure  et  demandent 
le  proconsul.  Un  esclave  déclare  qu'il  est  Pison  et  tombe  sous 
leurs  coups.  Ce  dévouement  ne  sauve  pas  son  maître,  qui  est 
reconnu  par  le  procurateur  B.  Massa  et  mis  à  mort. 

Ainsi  délivré  de  son  rival,  Festus  alla  au  camp,  fit  mettre  à  mort 
les  soldats  sur  la  fidélité  desquels  il  avait  des  doutes  et  l'écompensa 

1.  Il  tomba  sous  les  coups  du  procurateur  de  la  Maurétanie  liugi- 
tane,  Trobonius  Garuciauus. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (81) 


105 


les  autres.  Puis  il  se  rendit  dans  l'est  afin  de  faire  cesser  les  luîtes  qui 
divisaient  les  colons  de  Leptis  et  d'Oea  (Tripoli).  C(!ux-ci,  appuyés 
parles  Garamantes,  avaient  mis  au  pillage  Leptis  et  ses  environs  (70). 

Pour  châtier  les  Garamantes,  Festus  les  poursuivit  jusque  dans 
leur  pays,  et  afin  de  mieux:  les  surprendre  il  passa  par  les  défilés 
des  montagnes,  chemin  difficile  et  peu  usité,  mais  plus  court.  La 
Phazanie  qui  n'avait  pas  revu  les  aigles  romaines  depuis  l'expédi- 
tion de  Balhus,  fut  de  nouveau  contrainte  à  la  soumission  et  au 
paiement  d'un  tribut. 

• 

Insurrection  des  Juifs  de  la  Cyrénaïque.  —  Un  certain  Jonathas 
ayant  fait  partie  de  ces  zélateurs,  ou  sicaires,  dont  les  excès 
avaient  attiré  de  si  grands  malheurs  à  leur  nation,  vint  se  réfugier 
à  Cyrène.  Ayant  réuni  autour  de  lui  environ  deux  mille  misérables 
de  son  espèce,  il  alla  camper  au  désert  en  proclamant  son  inten- 
tion de  réformer  la  religion  juive.  Catullus  prêteur  de  Libye, 
appelé  par  les  orthodoxes  juifs,  arriva  à  la  tête  de  ses  troupes  et, 
ayant  cerné  les  rebelles,  les  massacra  presque  tous.  Jonathas,  le 
promoteur  du  mouvement,  avait  pu  s'échapper,  mais  il  fut  arrêté 
et  comme  le  préteur  voulait  le  faire  périr  il  prétendit  qu'il  avait 
des  révélations  importantes  à  lui  faire  sur  l'origine  de  la  conspira- 
tion. Catullus  qui,  au  dire  de  l'historien  Flavien  Josèphe,  était  un 
homme  corrompu,  comprit  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  son  pri- 
sonnier ;  se  faisant  désigner  par  lui  les  juifs  les  plus  riches,  il  les 
mit  à  mort  et  s'empara  de  leur  fortune.  La  plus  grande  terreur 
pesa  sur  cette  population  qui  vit  périr  en  peu  de  temps  trois  mille 
de  ses  principaux  citoyens. 

Après  celte  exécution,  Catullus  se  rendit  à  Rome  en  emmenant 
le  délateur  et  un  certain  nombre  d'Israélites  notables  d'Alexandrie, 
parmi  lesquels  Josèphe  lui-même,  désignés  comme  chefs  du  com- 
plot. Mais  Vespasien,  éclairé  par  son  fils  Titus,  ne  s'y  trompa 
point.  Il  rendit  aussitôt  la  liberté  aux  prisonniers  à  l'exception  de 
Jonathas  qu'il  fit  brûler  vif. 

Expéditions  en  Tripolu  aine  et  dans  l'extrême  sud.  —  Après  la 
mort  de  Vespasien  et  le  court  règne  de  Titus,  l'empire  échut  à 
Domitien.  Sous  son  règne,  de  nou^■elles  expéditions  furent  faites 
au  sud  de  la  Tripolitaine.  Septimius  Flaccus,  chef  des  troupes  de 
cette  province,  se  rendit  à  Garama,  puis  à  Audjela,  et  de  là  jus- 
qu'en Ethiopie. 

Quelque  temps  après  les  Nasamons  s'étant  révoltés  et  ayant 
massacré  les  collecteurs  d'imp'ôts,  le  même  général  marcha  contre 
eux  et  après  différentes  péripéties  en  fit  un  riiassacre  horrible. 


106 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


Domitien  annonça  au  Sénat  que  ces  incorrigibles  pillards  étaient 
détruits'.  Vers  la  même  époque,  Marsys,  roi  de  cette  peuplade, 
s  étant  rendu  auprès  de  Domitien,  alors  dans  les  Gaules,  le  décida 
à  faire  une  expédition  en  Ethiopie  où,  disait-il,  existaient  de 
grandes  quantités  d  or. 

Julius  Maternus,  chargé  du  commandement  de  cette  expédition, 
arriva  dans  le  pays  des  Garamantes  où  le  roi  de  cette  contrée  se  joi- 
gnit à  lui  avec  des  contingents.  Ainsi  guidées  par  les  Garamantes, 
les  troupes  romaines  atteignirent,  après  sept  mois  de  marche,  le 
pays  à'Affisymha-,  «  patrie  des  rhinocéros  »  (de  81  à  96). 

La  réussite  de  cette  aventureuse  entreprise,  dans  un  pays  in- 
connu, est  vraiment  surprenante,  et  nous  sommes  en  droit  de  nous 
demander  avec  M.  Ragot  '  si,  malgré  nos  connaissances  et  les  moyens 
dont  nous  disposons  actuellement,  nous  serions  à  même  d  en  faire 
autant.  Malheureusement  les  détails  que  nous  possédons  sur  cette 
expédition  se  réduisent  à  quelques  lignes.  L'Afrique  propi'ement 
dite  paraît  avoir  été  assez  calme  pendant  cette  période. 

L'Afrique  sous  Trajan.  —  Après  le  court  règne  de  Nerva, 
Trajan  fut  investi  du  pouvoir  suprême  (28  janvier  98). 

Ce  prince  guerrier  employa  largement  l'élément  berbère  dans 
ses  campagnes  lointaines.  En  Afrique,  il  reporta  l'occupation  mili- 
taire, qui  n'avait  guère  dépassé  la  ligne  de  Theveste-Lambèse,  jus- 
qu'au Djerid.  Il  fonda  notamment  un  établissement  militaire  au 
lieu  appelé  ad-Majores  (au  nord  de  Negrin)  point  stratégique  qui 
commandait  les  routes  du  sud  et  de  l'est*.  Thamugas,  voisine  et 
rivale  de  Lambèse,  date  également  de  cette  époque.  C'est  là  pro- 
bablement que  furent  établis  les  vétérans  de  la  XXX*^  légion.  Une 
autre  colonie  de  vétérans  était  fondée  vers  la  même  époque  à 
Sitifis,  sous  la  dénomination  de  Nerviana  Augusta  Martialis. 

Pendant  que  l'empereur  guerroyait  au  loin,  l'Afrique  demeurait 
livrée  aux  exactions  de  ses  gouverneurs.  Le  proconsul  Marins 
Priscus,  secondé  par  son  lieutenant  Hostilius  Firminus,  avait  mis 
le  pays  en  coupe  réglée,  vendant  la  justice  et  étendant  à  tout  ses 
prévarications.  Poussés  à  bout  par  tant  d'injustices,  les  habitants 
portèrent  leurs  doléances  au  Sénat  ^.  Ils  trouvèrent  comme  défen- 

1.  Zouare,  Ann.,  1.  XI. 

2.  Probablement  l'oasis  actuelle  d'Asben.  V.  Vivien  de  Saiut-Martin, 
Le  Nord  de  l'Afrique,  p.  231. 

3.  Sahara,  p.  191. 

4.  Ibid.,  p.  192. 

.5.  Déjà  eu  l'au  63  (av.  J.-C.)  la  Cyrènaiquc  avait  été  défendue  devant 
le  Sénat  et  c'est  la  grande  voix  de  Cicéron  qui  avait  plaidé  sa  cause. 


l'Afrique  sous  l'autorité  romaine  (117) 


107 


seurs  Tacite  et  Pline  le  jeune  et,  grâce  aux  efforts  de  ces  hommes 

illustres,  obtinrent  gain  de  cause  en  principe,  car  le  proconsul, 

déclaré  coupable,  fut  simplement  exilé  sans  qu'on  le  dépouillât  de 
ses  richesses  mal  acquises. 

Nouvelle  révolte  des  Juifs.  —  A  la  fin  du  règne  de  Trajan  (en 
l'an  115),  les  Juifs  de  la  Cyrénaïque,  devenus  très  nombreux  depuis 
la  destruction  du  temple  par  Titus,  fanatisés  par  leurs  malheurs  et 
irrités  par  les  mauvais  traitements  auxquels  ils  étaient  soumis,  se 
mirent  en  état  de  révolte.  Le  général  Lupus  ayant  marché  contre 
eux,  fut  vaincu  et  contraint  de  se  jeter  dans  Alexandrie.  Un  juif 
nommé  Andréas  (ou  Lucus),  était  à  la  tète  de  ce  mouvement  qui 
fut  caractérisé  par  des  cruautés  épouvantables.  Tout  ce  qui  était 
romain  et  grec  tomba  sous  les  coups  des  rebelles  ;  ce  fut  une  orgie 
de  sang.  Les  juifs  allèrent,  dit-on,  jusqu'à  manger  la  chair  de 
leurs  victimes  et  à  se  couvrir  de  leur  sang.  Par  représailles,  ils  les 
forcèrent,  à  leur  tour,  à  combattre  dans  le  cirque,  ou  les  firent  dé- 
chirer par  les  bêtes  féroces.  Dans  la  seule  Cyrénaïque,  deux  cent 
vingt  mille  personnes  auraient  ainsi  trouvé  la  mort^ 

Trajan  était  alors  retenu  en  Orient  par  la  guerre  contre  les 
Parthes,  qui  nécessitait  I  cmploi  de  toutes  ses  forces.  Ainsi  les  popu- 
lations de  la  Cyrénaïque  abandonnées  à  elles-mêmes,  étaient  sans 
force  pour  résister  aux  rebelles,  dont  le  nombre  était  considérable. 
Alliés  aux  révoltés  d'Egypte,  les  juifs  se  livrèrent  à  tous  les  excès. 
Cependant  Marcius  Turbo,  ayant  reçu  de  l'empereur  l'ordre  de 
marcher  contre  les  rebelles,  arriva  de  Libye  avec  des  forces  im- 
portantes, tant  en  infanterie  qu'en  cavalerie  et  même  une  division 
navale.  Mais  c'était  une  véritable  guerre  à  entreprendre  et  il  fallut 
toute  l'habileté  de  ce  général  pour  triompher  de  cette  révolte  qui 
se  prolongea  jusqu'à  l'avènement  d'Hadrien.  La  répression  que 
les  juifs  s'étaient  ainsi  attirée  fut  sévère,  et  il  est  probable  qu'à 
cette  occasion  un  grand  nombre  d'entre  eux  émigrèrent  dans 
l'ouest  et  se  mêlèrent  à  la  population  indigène  de  la  Berbérie. 

L'Afrique  sous  Hadrien.  Insurrections  des  Maures,  —  En  117, 
commença  le  beau  règne  d'Hadrien.  Un  soulèvement  général  des 
Maures  concorde  avec  son  élévation.  C'est  à  la  voix  d'un  Berbère 
latinisé  du  nom  de  Lusius  Quiétus  que  les  indigènes  prennent  les 
armes.  Ce  chef  avait  été  chargé  de  conduire  à  Trajan  un  corps  de 
troupes  maures,  et  il  s'était  tellement  distingué,  dans  la  guerre 
contre  les  Parthes  et  dans  celle  de  Judée,  que  l'empereur  lui  avait 

1.  Dion  Cassius. 


108 


inSTOIRK   DK  l'aFRIQI'E 


donné  le  gfouvernement  de  la  Palestine.  Rappelé  en  Afrique,  il 
renia  la  fidélité  dont  il  avait  donné  des  preuves  si  éclatantes,  pour 
entraîner  ses  compatriotes  à  la  révolte. 

Marcius  Turbo  appelé  de  la  Cyrénaïque,  et  nommé  proconsul 
d'Afrique,  reçut  la  difficile  mission  de  réduire  cette  révolte  qui 
avait  pris  des  proportions  j^énérales.  Quiétus  fut  mis  à  mort;  mais 
Turbo  ne  triompha  des  rebelles  qu'avec  beaucoup  de  peine.  Pour 
le  récompenser  de  ses  services,  il  reçut  des  honneurs  particuliers 
et  fut  ensuite  nommé  (gouverneur  de  la  Dacie. 

En  12'2  une  nouvelle  insurrection  de  la  ^Nlaurétanie  décida  l'em- 
pereur à  passer  en  Afrique*.  Après  avoir  apaisé  la  révolte,  Hadrien 
visita  la  contrée  et,  au  dire  de  Spartien,  la  combla  de  bienfaits. 
Ayant  vu  par  lui-même  ce  qui  était  nécessaire,  il  prescrivit  l'ou- 
verture de  routes  et  fit  établir  toute  une  ligne  de  postes  avancés, 
pour  préserver  les  colonies  conti'e  les  incursions  des  Maures.  Vers 
la  fin  de  123,  ou  au  commencement  de  124,  le  quartier  général  de 
la  IIP  légion  fut  transféré  à  Lambèse.  L'achèvement  de  la  route  de 
Karthage  à  Théveste,  venait  d'avoir  lieu,  et,  en  assurant  la  facilité 
des  communications,  permettait  de  reporter  les  lignes  plus  à 
l'ouest. 

En  125,  l'empereur  voyageur  visita  la  Proconsulaire.  Un  cer- 
tain nombre  de  villes  furent  élevées  par  lui  au  rang  de  colonies 
et  il  concéda  des  terres  à  ses  vétérans.  Il  imprima  une  puissante 
impulsion  à  la  colonisation  du  pays,  le  dotant  de  monuments  et  de 
routes,  si  bien  qu'il  reçut  sur  des  monnaies  le  titre  de  «  restaura- 
teur de  l'Afrique.  »  Les  villes  imitèrent  son  exemple  et  une  in- 
scription nous  apprend  que  Cirta  construisit  à  ses  frais  les  ponts 
de  la  route  de  Rusicade^.  C'est  sans  doute  dans  ce  voyage  qu'il 
parcourut  la  Cyréna'ique.  Ce  pays  était  ruiné  et  en  partie  dépeuplé 
depuis  la  révolte  des  juifs.  Il  y  amena  des  colons  et  fonda  de  nou- 
veaux établissements,  notamment  une  ville  à  laquelle  il  donna  son 
nom,  Adrianopolis. 

Hadrien  vint  sans  doute  une  troisième  fois  en  Afrique  (vers  129). 
Les  documents  à  cet  égard  manquent  de  précision.  Dans  tous  les 
cas,  il  s'occupa  avec  sollicitude  du  développement  de  la  colonisa- 
tion et  le  pays  garda  un  souvenir  durable  de  ce  prince  ainsi  que  de 
sa  belle-mère  Matidie.  A  ce  souvenir  se  joignit  une  circonstance 
particulière  qui  prouve  bien  que  les  conditions  physiques  du  pays 

1.  Une  inscription  récemment  découverte  à  SourDjouàb,  con- 
firme ce  fait.  Voir  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  ,ï\'  sé- 
rie, t.  IX,  pp.  198  et  suiv. 

2.  Duruy,  Hist.  des  Romains,  t.  V,  p.  54  et  suiv. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (190)  109 

n'ont  pas  changée  :  il  n'avait  pas  plu  depuis  cinq  ans  en  Afrique 
et  sa  venue  coïncida  avec  le  retour  des  pluies'. 

Nouvelles  révoltes  sous  Axtoxin,  jMarc-Aurèle  et  Commode 
(138-190).  —  Antonin  succéda  à  Hadrien  en  138.  Les  Maures  en 
profitèrent  pour  eavaliir  de  nouveau  les  contrées  colonisées  et 
porter  partout  le  feu  et  la  révolte.  11  est  probable  que  les  Gétules 
se  joij^nirent  à  cette  levée  de  boucliers.  La  situation  devint  si 
grave  que  l'empereur  dut  venir  en  personne  combattre  les  rebelles. 
Il  les  vainquit,  dit  Pausanias,  et  les  contraignit  à  se  réfugier  «.  aux 
extrémités  de  la  Libye,  vers  la  chaîne  du  ]Mont-Atlas  et  les 
peuples  qui  y  habitent  ».  Les  documents  fournis  par  l'histoire 
sont  si  pauvres  qu'il  est  impossible  de  se  rendre  compte  de 
cette  campagne  et  de  conjecturer  dans  quelle  direction  les  Ber- 
bères furent  repoussés.  M.  Ragot-  pense  que  l'empereur  se  dé- 
cida à  reporter  alors  la  ligne  d'occupation  et  de  fortification 
jusqu'au  delà  de  l'Aourès,  précaution  qui  de^'ait,  hélas,  être  bien 
insuffisante. 

Sous  le  règne  de  Marc-.\urèle,  nouvelle  insurrection  des  Maures 
Maziques  et  Baquates,  du  Rif,  qui  vont  porter  le  ravage  jusqu'en 
Espagne.  «  Ni  les  garnisons  romaines,  ni  le  détroit  de  Gadès, 
n'empêchèrent  les  hordes  de  l'Atlas  de  prendre  l'ofi'ensive,  de  péné- 
trer en  Europe  et  de  ravager  une  grande  partie  de  l'Espagne^.  » 
Peut-être,  comme  le  fait  remarquer  Lacroix*,  ne  s'agit-il  ici  que 
d'expéditions  maritimes.  Il  est  certain  d'autre  part,  que  les  pro- 
consuls d'Afrique  luttèrent  pour  ainsi  dire  sans  relâche  contre  les 
invasions  des  indigènes  maures  et  gétules.  «  Rome,  dit  encore 
Capilolin,  loin  d'envahir,  se  trouva  heureuse  de  préserver  ses  fron- 
tières. »  Marc-Aurèle  dut  envoyer  de  nouvelles  troupes.  L'Afrique 
cessa  d'être  une  province  sénatoriale,  et  le  gouverneur  de  la  Mau- 
rétanie  ne  fut  qu'un  légat  propréteur. 

En  188,  les  Maures  étaient  de  nouveau  en  état  de  révolte.  L'em- 
pereur Commode  parla  d'aller  les  combattre  en  personne;  mais 
après  avoir  obtenu  du  Sénat  l'argent  nécessaire,  il  préféra  l'em- 
ployer à  ses  débauches  et  se  contenta  d'envoyer  en  Afrique  des 
lieutenants".  Pertinax  dont  le  règne  éphémère  devait  faire  suite  av 
sien,  opéra  la  pacification  de  l'Afrique  (190). 

1.  Spartieu,  Hadrian.  XXII. 

2.  Loc.  cit.,  p.  194. 

3.  Jul.  Capitoliu. 

4.  Numidie  et  Maurétanie,  p.  180. 

5.  Lampride,  Couiinodey  ch.  IX  et  suiv. 


110 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Les  empereurs  africains.  Septime  Sévère.  —  Septime  Sévère, 
natif  de  Leptis  mapjna,  clans  la  Tripolilaine,  fut,  en  193,  proclamé 
empereur  par  les  légions  de  Pannonie.  Ce  prince  fît  larf^ement 
profiter  l'Afrique  de  la  puissance  dont  il  disposait.  Il  s'attacha  sur- 
tout à  punir,  et  à  repousser  dans  le  sud,  les  tribus  de  la  Tripoli- 
taine,  ayant  pu  apprécier  par  lui-même  le  tort  que  les  incursions 
des  nomades  faisaient  à  la  colonisation.  Les  troupes  romaines  pé- 
nétrèrent encore  dans  la  Phazanie  et  établirent  une  li°:ne  de  postes 
fortifiés  de  Tripoli  à  Garama'.  Karlhage  et  Leptis  reçurent  de  lui 
le  droit  italique. 

Sévère  montra  constamment  pour  l'.Afrique  une  «grande  prédi- 
lection. 11  y  fit  exécuter  des  travaux  considérables  dont  de  nom- 
breuses inscriptions  ont  conservé  le  souvenir.  A  Rome  il  s'entoura 
d'Africains  et  composa  sa  g^arde  personnelle,  en  <,^rande  partie,  de 
ses  compatriotes.  Les  Africains,  en  Italie,  se  distinj^uèrent  particu- 
lièrement dans  le  barreau  et  à  l'armée.  La  langue  punique,  ou 
peut-être  berbère,  car  les  historiens  de  l'époque  ne  paraissent  pas 
soupçonner  qu'il  en  existât  une,  était  parlée  dans  l'entourage  de 
l'empereur.  L'impératrice  Julia  Domna,  syrienne  d'origine,  était 
très  favorable  aux  orientaux.  L'Afrique  rendait  à  Sévère  l'affection 
qu'il  lui  témoignait  ;  l'on  dit  qu'après  sa  mort  les  Berbères  le  mirent 
au  rang  des  dieux  ^  ;  dans  tous  les  cas,  aucune  révolte  n'est  signalée 
sous  son  règne,  dans  cette  Afrique,  depuis  si  longtemps  en  proie 
à  l'insurrection. 

On  est  porté  à  supposer  que  ce  prince  sépara  la  Numidie  de  la 
proconsulaire,  et  envoya  à  celle-ci  un  légat  impérial,  tandis  que 
l'ancienne  Afrique  restait  sous  l'autorité  administrative  du  pro- 
consul. 

Progrès  de  la  religion  chrétienne  en  Afrique  ;  premières  persé- 
cutions. —  La  religion  chrétienne  s'était  introduite  dans  les  villes 
de  l'Afrique  à  peu  près  en  même  temps  qu'en  Italie.  La  Cyré- 
naïque  fut  une  des  premières  contrées  où  les  apôtres  allèrent 
prêcher  la  nouvelle  doctrine.  Dès  l'an  40,  saint  Marc  qui  était 
juif  cyrénéen,  vint  dans  son  pays  faire  des  prosélytes,  jusque  vers 
61,  époque  où  il  alla  à  Alexandrie,  fonder  diverses  paroisses. 
Devenu  chef  de  cette  église,  il  n'oublia  pas  sa  patrie,  y  revint 
plusieurs  fois  et  y  institua,  dit-on,  les  premiers  évêques. 

Dans  le  reste  de  l'Afrique,  le  christianisme  pénétra  avec  moins 
d'éclat  ;  néanmoins  le  nombre  des  adeptes  de  la  nouvelle  religion 

1.  Le  Docteur  Barth  en  a  retrouvé  les  traces. 

2.  Hérodien. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (200) 


111 


ne  larda  pas  à  devenir  considérable.  On  sait  quel  était  Tesprit  de 
ces  premiers  chrétiens  :  la  vieille  société  devait  disparaître  pour 
faire  place  au  règne  du  Christ.  Ce  n'était  rien  moins  qu'une  pro- 
fonde révolution  sociale  qui  se  préparait  et,  si  les  Romains  s'étaient 
montrés  très  tolérants  pour  les  dieux  des  peuples  qu'ils  avaient 
conquis,  ils  ne  pouvaient  recevoir  dans  leur  panthéon  celui  qui 
disait  :  «  Mon  royaume  n'est  pas  de  ce  monde  »,  et  qui  prêchait 
l'égalité  absolue  de  tous  les  hommes.  L'empereur,  souverain  pon- 
tife, divinisé  après  sa  mort,  était  directement  attaqué,  de  même 
que  l'état  social  reposant  sur  l'esclavage.  Enfin  les  chrétiens  refu- 
saient le  service  militaire.  11  n'est  donc  pas  surprenant  que  le 
pouvoir  cherchât  à  s'opposer  aux  progrès  de  pareils  adversaires. 
Les  empereurs  le  firent  d'abord  avec  la  plus  grande  modération. 
Domitien,  se  servant  de  la  loi  qui  avait  été  édictée  au  sujet  des 
druides,  prit  les  premières  mesures  contre  ceux  qui  christianisaient 
ou  judaisaient,  car,  dans  le  principe,  on  confondit  les  adeptes  des 
deux  religions.  Ses  successeurs,  ne  voyant  pas  le  danger  d'une 
secte  qui  ne  faisait  de  prosélytes  que  parmi  les  petites  gens,  ne 
furent  pas  plus  sévères.  Mais  la  population  des  villes,  moins  tolé- 
rante, commença  à  faire  des  exécutions  sommaires  sur  lesquelles 
on  ferma  les  yeux. 

Trajan  inscrivit  dans  le  code  le  crime  de  christianiser.  «  S'ils  sont 
accusés  et  convaincus,  - — écrivit-il  à  ses  gouverneurs,  — punissez- 
les.  »  Les  chrétiens  furent  rendus  responsables  des  troubles  qui  se 
produisaient  dans  les  cités.  Quand  un  chrétien  manifestait  publi- 
quement sa  foi,  on  le  conduisait  au  forum  et  s'il  maintenait  sa 
déclaration,  on  l'incarcérait.  Lorsque  le  gouverneur  arrivait,  il 
interrogeait  les  chrétiens  du  haut  de  son  tribunal,  en  présence  du 
peuple,  que  les  soldats  avaient  peine  à  contenir.  S'ils  persistaient, 
on  les  condamnait  à  mort  ' . 

Sous  les  règnes  d'Antonin  et  de  Marc-Aurèle,  la  religion  chré- 
tienne fit  de  grands  progrès.  Les  néophytes,  loin  d'être  terrifiés 
par  les  mauvais  traitements,  recherchaient  le  martyre.  La  crédu- 
lité publique,  les  révélations  arrachées  aux  esclaves  par  la  torture, 
étaient  cause  qu'on  les  chargeait  de  tous  les  crimes  et  jusqu'alors 
c'était  plutôt  la  vindicte  publique  que  le  représentant  de  la  loi 
qui  les  châtiait. 

Septime  Sévère  fit  poursuivre  avec  rigueur  les  chrétiens 
d'Afrique.  Quiconque  refusait  de  sacrifier  aux  dieux  et  de  rendre 
hommage  au  génie  de  l'empereur,  était  puni  de  mort.  En  l'an  200, 
douze  chrétiens,  sept  hommes  et  cinq  femmes,  ayant  été  amenés  à 


1.  Duruy,  Hist.  des  Romains. 


112 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Saturnin,  proconsul  de  la  province  d'Afrique,  subirent  le  martyre. 
On  les  considère  comme  les  douze  premiers  confesseurs  de 
l'église  d'Afrique.  Peu  après  avait  lieu  à  Karthage  le  supplice  de 
sainte  Perpétue  et  de  sainte  Félicité.  Les  chrétiens,  dès  lors,  se 
mirent  à  chercher  le  martyre  avec  avidité  et  l'on  vit  des  épouses 
résister  aux  larmes  de  leur  famille,  repousser  leurs  enfants, 
répondre  aux  exhortations,  aux  conseils  du  représentant  de  l'au- 
torité par  des  provocations,  et  ne  chercher  qu'à  apaiser  leur  soif 
de  souffrance  et  de  tourments. 

Tertullien  avait  vu  le  jour  à  Karthage  en  160.  Il  était,  à  l'époque 
de  la  mort  de  Sévère,  dans  toute  la  force  de  son  talent.  Comme 
tant  d'autres,  c'est  la  vue  de  la  constance  des  martyrs  au  milieu 
des  supplices  qui  l'avait  attiré  vers  la  religion  chrétienne.  Ainsi 
les  persécutions  allaient  directement  contre  leur  but. 

Caracalla.  Son  édit  d'émancipation.  —  Caracalla  continua  les 
travaux  commencés  en  Afrique  par  son  père  ;  aussi  ce  prince  fut-il 
cher  aux  Africains,  qui  ont  inscrit  sur  la  pierre  le  témoignage  de 
leur  l'econnaissance.  Le  pays  continua  alors  de  jouir  d  une  tran- 
quillité dont  il  avait  si  grand  besoin. 

Par  son  édit  de  216,  l'empereur  accorda  le  titre  de  citoyen  à 
tous  les  habitants  libres  des  provinces  romaines  ;  il  ne  resta  donc 
plus  en  principe  que  deux  catégories ,  le  citoyen  et  l'esclave. 
Mais,  dans  la  pratique,  on  ne  voit  pas  que  la  condition  des  per- 
sonnes en  ait  subi  un  réel  changement.  <<  Si  cet  édit'  proclamait 
une  émancipation  générale,  pourquoi  les  désignations  de  villes 
libres,  ou  municipales,  ou  coloniales,  de  droit  italique,  de  droit 
latin,  etc.,  ont-elles  continué  à  subsister?  A-t-il  empêché  les  nou- 
veaux citoyens  d'être  décapités  par  le  bourreau  ou  cloués  au  gibet  ?  » 

En  réalité  cette  mesure  n'avait  de  libéral  que  l'apparence  :  son 
but  était  de  se  procurer  de  l'argent  et  des  hommes,  en  étendant 
l'impôt  à  tous  et  en  supprimant  les  exemptions. 

Macrin  et  Elagabal.  - —  Macrin,  le  troisième  empereur  africain, 
était  né  à  Yol-Césarée.  C'était  un  avocat  que  son  audace  et  son 
succès  portèrent  au  poste  de  préfet  du  prétoire.  Le  meurtrier  de 
Caracalla  fut  d'abord  bien  accueilli  par  le  sénat  f217),  mais  bientôt 
on  apprit  qu'Elagabal,  grand-prêtre  du  soleil  à  Edesse,  âgé  seule- 
ment de  17  ans,  avait  été  proclamé  par  les  soldats  à  l'instigation 
de  Julia  Mœsa,  sœur  de  l'impératrice  Jiîlia  Domna.  Ayant  essayé 
de  lutter  contre  son  compétiteur,  Macrin  périt  avec  son  fils  Dia- 

1.  Poulie,  loc.  cit.,  p.  115. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (235) 


113 


dumène  à  Chalcédoine  (avril  218).  Dans  son  règne  aussi  court 
qu'agité,  il  avait  trouvé  le  temps  de  réduire  sensiblement  les 
impôts. 

Bassien-Elagabal  était  fils  de  Socuzis,  ancien  légat  de  la  IIP 
légion,  et  gouverneur  de  Numidie  ;  aussi  avait-il  beaucoup  de  par- 
tisans en  Afrique  Dans  le  cours  de  son  règne,  ce  prince,  qui  avait 
importé  à  Rome  les  rites  et  coutumes  de  l'Orient,  procéda  en 
grande  pompe  à  une  ridicule  cérémonie  par  laquelle  il  maria  la 
déesse  Tanit  de  Karthage,  représentée  par  une  pierre  triangulaire, 
avec  le  Dieu  Gahal  (Alah-Gabal),  un  aérolithe  rapporté  de  Syrie  ^. 

En  prenant  le  pouvoir,  le  nouvel  empereur  s'était  attribué  les 
noms  de  Marc-Aurèle  Antonin.  Après  un  court  règne  de  cinq  ans, 
il  fut  à  son  tour  mis  à  morl  par  les  soldats.  Une  révolte  avait  eu 
lieu  dans  la  Césarienne  peu  de  temps  auparavant  (222) . 

Alexandre  Sévijre.  —  L'arrivée  au  pouvoir  d'Alexandre  Sévère 
mit  fin  à  l'anarchie  que  venait  de  traverser  l'empire  et  qui  n'était 
que  le  prélude  de  nouvelles  convulsions.  Sous  la  main  ferme  de  ce 
prince  les  affaires  reprirent  leur  marche  régulière  et  chacun  dut 
revenir  à  l'obéissance.  L'Afrique  eut  beaucoup  à  se  louer  de  son 
administration.  Il  fit  ouvrir  de  nouvelles  routes  et  reporta  très 
loin  au  sud  les  frontières  de  l'occupation'.  La  Tingitane  aurait, 
paraît-il,  été  alors  le  théâtre  d  une  révolte,  mais  Lampride,  qui 
cite  ce  fait,  ne  fournit  aucun  détail. 

En  229,  Marcus  Antonius  Gordianus  avait  été  nommé  par  le 
sénat  proconsul  d'Afrique,  avec  son  fils  comme  légat.  Pendant 
sept  années,  ses  pouvoirs  lui  furent  prorogés,  et  l'Afrique  vécut 
tranquille  sous  son  autorité. 

Les  Gordiens.  Révolte  de  Capellien  et  de  Sabinianus.  —  Mais 
en  235,  Sévère  tomba  sous  le  poignard  du  Goth  Maximin,  et 
aussitôt  l'anarchie  reparut  dans  le  monde  romain.  L'Afrique 
saisit  cette  occasion  de  produire  un  empereur.  Des  citoyens  de 
Karthage,  irrités  par  la  dureté  et  les  violences  d'un  intendant  du 
fisc,  le  mirent  à  mort  et,  pour  s'assurer  l'impunité,  soulevèrent  la 
province  et  proclamèrent  empereur  le  vieux  Gordien,  leur  gou- 
verneur, alors  âgé  de  quatre  vingts  ans. 

Les  soldats  de  la  III"  légion  ratifièrent  ce  choix  et,  malgré  la 


1.  Voir  l'intéressante  communication  de  M,  L.  Renier  à  l'Académie 
des  Inscr.  et  Belles-Lettres,  séance  du  21  juin  1878. 

2.  Voir  les  Comptes-rendus  de  cette  Académie. 

3.  Ragot,  p.  200. 

t.  I.  8 


114 


niSTOnU-    Di;   I.  AFRIQUE 


résistance  du  proconsul,  lui  conférèrent  le  pouvoir,  à  Thysdrus,  en 
lui  laissant  son  fils  comme  lieutenant.  Des  députés  furent  alors 
envoyés  au  Sénat  qui  approuva  l'élection  et  déclara  Maximin 
ennemi  public  (237).  A  cette  nouvelle,  le  sénateur  Capellien  qui 
gouvernait  la  Maurélanie  et,  disposant  de  forces  importantes,  était 
chargé  de  garder  les  limites,  se  déclara  pour  Maximin.  En  même 
temps  Gordien,  avec  lequel  il  avait  eu  des  démêlés,  prononçait  sa 
destitution. 

Bientôt  Capellien  envahit  la  Numidie  à  la  lêle  de  troupes 
aguerries  depuis  longtemps  par  les  luttes  incessantes  qu'elles  sou- 
tenaient contre  les  Maures.  Pendant  ce  temps,  les  Gordiens  réunis- 
saient et  armaient  à  la  hâte  des  adhérents  nombreux,  mais  indis- 
ciplinés, et  se  portaient  bravement  à  la  rencontre  de  l'ennemi. 
La  bataille  eut  lieu  en  avant  de  Karthage,  elle  se  termina  bientôt 
par  le  triomphe  de  Capellien  et  la  mort  du  jeune  Gordien.  Pour 
ne  pas  tomber  entre  les  mains  de  son  ennemi,  le  vieil  empereur  se 
donna  la  mort  en  s'étranglant  avec  sa  ceinture,  six  semaines  après 
son  élévation. 

Capellien  s'empara  de  Karthage,  mit  cette  ville  au  pillage  et 
commit  en  Afrique  les  plus  grandes  cruautés'.  Il  suivait  en  cela 
les  ordres  de  son  maître  qui,  furieux  contre  l'Afrique,  avait  promis 
à  ses  soldats  les  biens  des  habitants  de  cette  province,  de  même 
qu'il  leur  avait  octroyé  les  propriétés  des  sénateurs.  Il  voulait 
ainsi  assouvir  sa  vengeance  contre  ceux  qui  s'étaient  prononcés 
contre  lui.  Il  est  probable  que,  pour  punir  la  III''  légion,  il  la 
licencia 

Sur  ces  entrefaites,  Maximin  fut  assassiné  par  les  soldats  lassés 
de  ses  cruautés  (238).  Le  sénat,  malgré  la  mort  des  Gordiens, 
avait  persisté  dans  son  refus  de  reconnaître  Maximin  :  deux  séna- 
teurs avaient  été  élus  empereurs  et  on  leur  avait  adjoint  comme 
césar,  un  petit-fils  de  Gordien  P"",  âgé  de  13  ans.  Après  s'être 
défaits  de  Maximin,  les  prétoriens  mirent  à  mort  les  deux  fan- 
tômes d'empereurs  et  proclamèrent  à  leur  place  le  jeune  Gordien, 
sous  le  nom  de  Gordien  III. 

Que  devint  l'Afrique  pendant  ces  guerres  civiles  ?  L'histoire  ne 
nous  le  dit  pas,  et  nous  en  sommes  réduits  aux  conjectures.  Il  est 

1.  Hérodien,  Hist.,  1.  VIII. 

2.  Ragot,  p.  205.  Cela  est  constaté  par  nue  inscription  trouvée  à  Ge- 
mellae,  et  d'où  il  résulte  que  cette  légion  fut  rétablie  en  253.  —  Voir 
l'article  de  M.  Fallu  de  Lessert  dans  le  Bulletin  des  Antiquités  africaines, 
fasc.  XII,  p.  73,  et  la  communication  de  ]M.  Cat  à  l'Académie  des  In- 
scriptions et  Belles-Lettres,  séance  du  26  mars  1886. 


l'afrique  sors  l'autorité  romaine  (260) 


115 


probable  que  la  restauration  de  la  famille  de  Gordien  fut  bien 
accueillie  dans  la  Proconsulaire.  On  ignore  le  sort  de  Gapellien, 
mais  il  n'est  pas  téméraire  de  conjecturer  qu'il  fut  mis  à  mort.  En 
240  un  certain  Sabinianus,  proconsul  d'Afrique,  suivant  son 
exemple,  se  proclama  empereur  et  voulut  soulever  sa  province. 
Le  prœses  de  la  Maurétanie  restait  fidèle  à  Gordien.  L'usurpateur 
marcha  contre  lui  et  obtint  d'abord  quelques  succès  ;  mais,  l'em- 
pereur ayant  envoyé  du  renfort  en  Maurétanie,  le  prœses  re- 
prit loirensive ,  chassa  devant  lui  les  envahisseurs,  et  vint,  à  son 
tour,  mettre  le  siège  devant  Karthage.  Les  habitants  de  cette 
ville,  pour  obtenir  leur  pardon,  livrèrent  Sabinianus  aux  troupes 
fidèles. 

Période  d'anarchie.  Révoltes  en  Afrique.  —  A  l'époque  que 
nous  avons  atteinte,  les  empei^eurs  se  succèdent  au  pouvoir  avec 
une  rapidité  qui  démontre  à  quel  état  d'anarchie  l'empire  est 
tombé. 

L'arabe  Philippe,  brigand  de  grands  chemins,  parvenu  à  l'emploi 
de  préfet  du  prétoire,  tue  Gordien  III  et  se  fait  proclamer  à  sa 
place  (244);  Decius  (219),  Gallus  (251),  le  maure  Emilien  (253), 
passent  successivement  au  pouvoir  et  périssent  tous  sous  les  coups 
des  soldats.  En  253,  Valérien  ancien  chef  de  la  III''  légion,  s'em- 
pare de  l'autorité  et  la  conserve  pendant  quelques  années,  mais 
en  260,  il  est  fait  prisonnier  par  Sapor,  roi  des  Perses. 

Que  pouvait  faire  l'Afrique  pendant  cette  anarchie?  Le  silence 
de  l'histoire  est  suppléé  ici  parles  inscriptions  relevées  en  Algérie. 
Les  tribus  indigènes,  particulièrement  celles  qui  occupaient  la 
région  montagneuse  comprise  entre  Cirta,  Sétif,  Rusucurru 
(Dellis)  et  la  mer  en  profitèrent  pour  attaquer  les  colonisations 
latines.  Les  maures  du  sud-ouest  paraissent  les  avoir  soutenues. 
En  260  un  officier  du  nom  de  Q.  Gargilius,  chef  de  la  cohorte  des 
cavaliers  auxiliaires  maures  cantonnés  à  Auzia  (Aumale),  prend  et 
met  à  mort  un  rebelle  du  nom  de  Faraxen,  chef  des  Fraxiniens. 
Après  ce  succès,  Gargilius  se  met  en  marche  vers  l'est  pour 
rejoindre  le  légat  de  la  Numidie  qui  accourt  avec  les  troupes  dis- 
ponibles, mais  il  tombe  dans  une  embuscade  dressée  par  les  Ba- 
bares  et  périt  en  combattant. 

Vers  le  même  temps,  ou  peu  après,  les  Babares  habitant  le 
massif  du  Babor,  soutenus  par  quatre  chefs  berbères,  envahirent 
les  environs  de  Mileu  (Mila)  et  de  là,  portèrent  le  ravage  jusque 
sur  la  limite  de  la  Numidie.  Le  légat  C.  M.  Decianus  propréteur 
de  Nurnidie  et  de  Norique,  les  mit  en  pièces  ;  puis  il  dut  réduire 
les  Quinquegentiens,  réunion  de  cinq  peuplades,  établies  dans  le 


116 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


territoire  de  la  g^rande  et  de  la  petite  Kabilie'.  Ces  succès  partiels 
ne  furent  pas  suivis  de  pacifications  bien  solides. 

Persécutions  contre  les  chrétiens.  —  Malgré  les  persécutions, 
la  religion  chrétienne  faisait  de  rapides  progrès  en  Afrique.  Dans 
la  Cyrénaïque  surtout,  un  clergé  organisé  relevait  directement  du 
pape.  L'édit  de  Decius,  rendu  en  250,  organisa  d'une  manière 
régulière  la  persécution  contre  ceux  qui  refusaient  de  sacrifier  aux 
Dieux.  C'est  à  la  suite  de  cette  mesure  que  saint  Denis  d'Alexan- 
drie fut  exilé  dans  une  petite  bourgade  delà  Cyrénaïque.  Valérien 
prescrivit  de  nouvelles  rigueurs  contre  les  chrétiens  et,  comme  un 
certain  nombre  de  tribus  de  la  Proconsulaire  avait  embrassé  le 
nouveau  culte,  ce  fut  une  cause  de  plus  de  troubles  en  Afrique  et 
de  résistance  au  pouvoir  central.  Les  pasteurs,  décorés  du  nom 
d'évêques,  se  réunirent  plus  d  une  fois  en  conciles  pour  traiter  des 
points  de  doctrine,  car  déjà  des  hérésies  se  produisaient  et  souvent 
le  clergé  africain  était  en  lutte  avec  ses  chefs  spirituels.  Saint 
Cyprien  qui,  à  Karthage,  avait  recueilli  l'héritage  de  TertuUien, 
était  en  butte  aux  haines  de  la  populace. 

En  254  à  Lambèse,  et  en  255  à  Karthage,  se  réunirent  deux 
conciles  d'évêques  de  la  Nuinidie  et  de  la  Maurétanie,  auxquels 
assistèrent,  pour  le  premier,  soixante  et  onze,  et,  pour  le  second, 
quatre-vingt-cinq  membres.  Plusieurs  fois  saint  Cyprien  avait 
failli  être  jeté  aux  bêtes;  sous  Valérien  il  trouva  le  martyre  ainsi 
qu'un  certain  nombre  d'évêques. 

Période  des  trente  tvrans.  —  Après  la  chute  de  Valérien,  avait 
commencé  le  règne  de  Gallien  et  la  période  dite  des  trente  tyrans. 
L'Afrique  ne  pouvait  se  dispenser  d'avoir  le  sien.  En  265  le  pro- 
consul A'ibius  Passienus  et  F.  Pomponianus  «  duc  de  la  frontière 
libyque,  »  allèrent  chercher  dans  ses  terres  un  ancien  tribun, 
nommé  Celsus,  et  l'ayant  revêtu  du  manteau  de  pourpre  de  la 
déesse  Tanit  à  Karthage,  le  proclamèrent  Auguste.  Quelques  jours 
après,  le  tyran  était  mis  à  mort  par  la  populace,  qui  l'avait  élevé, 
et  son  cadavre  livré  en  pâture  aux  chiens. 

Vers  la  même  époque,  un  parti  de  Franks,  après  avoir  ravagé  la 
Gaule  et  l'Espagne,  fit  une  descente  en  Maurétanie  :  c'était  un 
prélude  à  l'invasion  Vandale. 

En  268,  Claude  II  succède  à  Gallien,  et  est  à  son  tour  remplacé 
par  Aurélien  ^270).  On  devine  ce  que  pouvaient  faire  les  indigènes 

1.  Poulie,  Maurétaiiie,  p.  119-120.  Berbrugger,  Epoques  militaires  de 
la  grande  Kabylie,  p.  212. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (284) 


117 


de  l'Afrique  pendant  une  telle  anarchie,  quand  on  les  a  vu  tenir 
tête  à  la  puissance  romaine  sous  Hadrien  et  sous  Sévère  :  la  révolte 
fut  l'état  permanent.  «  Le  débordement  général  des  barbares  fut 
comme  une  tempête  qui  brise  tout  '  ».  L'évêque  de  Karthage  sol- 
licitait la  charité  des  fidèles  pour  racheter  les  captifs  faits  par  les 
«  barbares  »  qui  avaient  envahi  la  Numidie.  C'est  du  massif  de  la 
Grande-Kabilie  (Mons-ferratus)  habité  par  les  cinq  nations  (quin- 
quegentiens),  que  l'étincelle  était  partie.  De  là,  la  révolte  s'était 
l'épandue,  pendant  le  règne  de  Gallien  (265),  sur  la  Maurétanie 
orientale  et  la  Numidie  occidentale. 

Le  général  Probus,  après  avoir  rétabli  la  paix  dans  la  Marma- 
rique  insurgée,  arriva  dans  la  Proconsulaire,  vers  270,  avec  le 
titre  de  chef  des  troupes.  Un  Berbère,  du  nom  d'Aradion,  avait 
soulevé  les  populations  de  la  Numidie.  Tout  était  en  révolte  jus- 
qu'aux portes  de  Karthage.  Probus  attaqua  vigoureusement  les  re- 
belles, les  mit  en  déroute  et  tua  Aradion  en  combat  singulier. 
Pour  honorer  le  courage  de  ce  chef,  il  lui  fit  élever  par  ses  troupes 
un  tombeau  de  deux  cents  pieds  de  largeur^.  Il  est  assez  difficile 
de  se  rendre  compte  du  théâtre  de  cette  campagne  ;  mais  les  pro- 
babilités semblent  indiquer  que  c'est  vers  Sicca  Veneria  (le  Kef) 
que  le  chef  berbère  trouva  la  mort 

Vers  275,  des  Franks,  faits  prisonniers  par  Probus,  et  transportés 
par  lui  en  Asie-Mineure,  parvinrent  à  s'échapper  sur  quelques  na- 
vires. En  passant  devant  les  côtes  de  la  Maurétanie  césarienne,  ils 
y  firent  une  descente  et  mirent  tout  au  pillage.  Il  fallut  un  envoi 
de  troupes  de  Karthage  pour  les  forcer  à  reprendre  la  mer.  Ils  tra- 
versèrent le  détroit  et  rentrèrent  chez  eux  par  l'embouchure  du 
Rhin. 

Lorsque  Probus  eut  été  proclamé  empereur,  l'Afrique,  au  lieu 
de  se  souvenir  de  ses  services,  soutint  son  compétiteur  Florien. 
Sous  le  règne  de  son  successeur  Carus  (282),  eut  lieu  le  premier 
partage  du  monde  romain.  L'Afrique,  avec  le  reste  de  l'occident, 
fut  donnée  à  Carus. 

DiocLÉTiEN.  Révolte  des  Quinquegentiens.  —  Dioclétien  parvenu 
au  trône  en  284,  essaya  en  vain  de  gouverner  seul  :  deux  années 
plus  tard,  il  s'associa  Maximien  Hercule,  auquel  il  donna  en  apa- 
nage l'Italie,  l'Afrique  et  l'Hispanie.  Mais  ce  n'était  pas  encore 
assez  de  deux  maîtres  pour  gouverner  le  monde  romain  dans  l'état 

1.  Aurélius  Victor. 

2.  Vopiscus,  Hist.  de  Probus,  cap.  IX. 

3.  V.  Recueil  de  la  Soc.  arch.  de  Constantine,  1854-1855. 


118 


IIISÏOIHi:   Dlv   1.  AFHiyUE 


de  désagrégation  où  il  se  trouvait,  et  sous  la  pression  générale  des 
barbares  qui  Tentouraient.  Afin  d'arrêter  le  débordement,  les  deux 
augustes  s'adjoignirent  deux  césars.  Galère  et  Constance  Chlore. 
Il  fallut  partager  l'empire  en  quatre  parties.  Maximien  conserva 
l'Afrique,  moins  peut-être  la  Tingitane.  La  C^'rénaïque  et  la  Libye 
échurent  à  Dioclétien  qui  avait  l'Orient  pour  lot. 

Le  moment  était  trop  opportun  pour  que  l'Afrique  le  laissât 
échapper,  et  du  reste  la  révolte  était  pour  ainsi  dire  à  l'état  per- 
manent dans  la  ^laurétanie.  Dès  288,  la  grande  confédération  des 
Quinquégentiens  était  en  pleine  insurrection.  Le  prajses  de  la  Cé- 
sarienne, Aurélius  Litua,  obtint  contre  eux  quelques  avantages  et 
les  contraignit  à  une  soumission  éphémère. 

Mais  bientôt  les  Quinquégentiens  reprennent  les  armes  et  por- 
tent le  ravage  dans  la  Numidie.  Le  mouvement  se  propage  à  l  est. 
Un  certain  Julien,  sur  lequel  on  n"a  que  des  renseignements  vagues, 
est  proclamé  à  Karthage.  La  situation  devient  si  grave  que  Maxi- 
mien passe  lui-même  en  Afrique  pour  prendre  la  direction  des  opé- 
rations. Il  combat  les  farouches  Quinquégentiens,  les  repousse 
chez  eux  et  les  poursuit  jusque  sur  les  sommets  de  leurs  mon- 
tagnes inaccessibles.  Cette  fois  la  répression  est  sérieuse  et  la  sou- 
mission réelle.  Pour  en  assurer  les  effets.  Maximien  juge  néces- 
saire de  transporter  une  partie  de  ces  tribus  indomptées  1  (297). 

^'ers  le  même  temps,  l'usurpateur  Julien  cessait  de  vivre  ;  ce- 
pendant la  révolte  persista  encore  dans  les  Syrtes,  et  ce  fut  en 
vain  que  l'empereur  essaya  de  la  réduire. 

Nouvelles  du-isions  géograpuiques  de  l'Afrique.  —  Sous  le 
règne  de  Dioclétien,  les  divisions  administratives  de  l'empire 
furent  modifiées  et  il  en  fut  ainsi  notamment  en  Afrique.  On  sup- 
pose que  ces  remaniements  ont  été  elfectués  par  ^laximien,  après 
sa  victoire  sur  les  Quinquégentiens  (297j.  Morcelli  les  place  en  297, 
à  la  même  date  que  la  reconstitution  générale  de  l'empire.  Il  est 
probable  que  la  confédération  des  cinq  républiques  cirtéennes, 
[Cuicul  (Djemila)  avait  été  ajoutée  aux  quatre  précédentes),  fut 
dissoute  un  peu  auparavant,  car  il  n'en  est  plus  fait  mention  de- 
puis l'époque  d'Alexandre  Sévère.  La  séparation  de  la  Xumidie  en 
teri'itoire  militaire  et  territoire  civil,  fournit  naturellement  l'occa- 


1.  Eutrope,  1.  VIII,  5,  6.  Mammcrtin.  III,  17.  P.  Orose,  1.  IX,  14. 
Aurel.  Victor,  ch.  XXXIX.  On  ignore  l'endroit  où  ces  tribus  ont  été 
transportées,  M.  Fourncl  penche  pour  le  doseit,  mais  cette  conjecture 
nous  semble  peu  justifiée. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (297) 


119 


sien  de  faire  cesser  une  anomalie  qui  ne  pouvait  être  que  préjudi- 
ciable au  bon  ordre,  dans  une  époque  aussi  troublée. 

La  Maurétanie  orientale  fut  divisée  en  deux  parties  :  celle  de 
l'est  avec  Sitifis  pour  chef-lieu,  reçut  le  nom  de  Sitifîenne  ;  celle  de 
l'ouest  conservant  Césarée,  comme  siège  du  gouverneur,  continua 
à  être  appelée  Césarienne. 

Dès  lors,  l'Afrique  fut  divisée  de  la  manière  suivante  : 

1°  Gyrénaïque,  ayant  un  gouverneur  particulier,  rattachée  au 
diocèse  d'Orient. 

2°  Diocèse  d'Afrique  comprenant  : 

La  Tripolitaine  depuis  la  Gyrénaïque  jusqu'au  Triton. 

La  Bysacène  ou  Valérie,  du  Triton  jusqu'à  liorréa. 

L'Afrique  propre,  d'Horréa  àTabarka. 

La  Numidie  divisée  elle-même  en  Numidie  cirtéenne  (avecCirta), 
et  Numidie  militaire  avec  Lambèse,  comme  chef-lieu,  de  Tabarka 
à  l'Amsaga. 

La  Maurétanie  sélifienne,  de  l'Amsaga  à  Saldœ. 

Et  la  Maurélanie  césarienne  de  Salda3  à  la  Malua  (Moulouïa). 

Ges  provinces  étaient  administrées  civilement  par  des  prœses 
relevant  du  vicaire  d'Afrique.  Le  commandement  militaire  était 
confié  au  comte  cV Afrique,  ayant  sous  ses  ordres  des  prœpositi  li- 
mitam  < . 

3°  Et  la  Maurétanie  Tingitane,  rattachée  au  diocèse  d'Espagne, 
et  commandée  par  un  cornes  Tincfitanae,  relevant  directement  du 
magisler  peditum  (sorte  de  ministre  de  la  guerre)  de  Rome.  Son 
administration  civile  était  confiée  à  un  prœses  obéissant  au  vicaire 
d'Espagne.  Le  manque  de  communication  terrestre  entre  la  Tingi- 
tane et  la  Gésarienne,  ses  relations  constantes  avec  l'Hispanie,  si 
proches,  expliquent  ce  rattachement  à  l'Europe. 

1.  Fallu  de  Lessert,  loc.  cit.,  p.  81. 


CHAPITRE  IX 


L'AFRIQUE  SOUS  L'AUTORITÉ  ROMAINE  {Suite). 

297-415. 

Etat  de  l'Afrique  à  la  fin  du  m'  siècle.  —  Grandes  persécutions  contre  les 
chrétiens.  —  Tyrannie  de  Galère  en  Afrique. —  Constantin  et  Maxence, 
usurpation  d'Alexandre.  —  Triomphe  de  Jlaxence  en  Afrique  ;  ses  dévas- 
tations.—  Triomphe  de  Conslanlin. —  Cessation  des  persécutions  contre 
les  chrétiens  ;  les  Donatistes  ;  schisme  d'Arius.  —  Organisation  adminis- 
trative et  militaire  de  l'Afrique  par  Constantin.  —  Puissance  des  Dona- 
tistes. Les  Circoncellions.  —  Les  fils  de  Constantin  ;  persécution  des 
Donatistes  par  Constant. —  Constance  et  Julien  ;  excès  des  Donatistes. — 
Exactions  du  comte  Romanus. —  Révolte  de  Firmus. —  Pacification  géné- 
rale. —  L'Afrique  sous  Gratien,  Valenlinien  II  et  Théodose. —  Révolte  de 
Gildon.  —  Chute  de  Gildon.  —  L'Afrique  sous  Ilonorius. 

Etat  de  l'Afrique  a  la  fin  du  iii*^  siècle.  ■ —  Nous  avons  vu 
dans  le  chapitre  qui  précède,  combien  les  révoltes  des  indigènes 
rendaient  précaire  la  situation  de  la  colonisation  africaine.  Quatre 
siècles  et  demi  s'étaient  écoulés  depuis  la  chute  de  Kartliage,  et 
les  Romains  avaient  effectué  leur  conquête  avec  la  plus  grande 
prudence,  ménageant  les  transitions  et  n'avançant  que  méthodi- 
quement. Ils  avaient  fait  des  efforts  considérables  pour  coloniser 
l'Afrique  et  avaient  pu  croire  un  instant  au  succès  ;  mais  sous  les 
règnes  les  plus  brillants,  les  révoltes  des  Berbères  avaient  dé- 
montré la  précarité  de  cette  occupation  et,  malgré  le  déploiement 
d'un  appareil  militaire  formidable  pour  l'époque,  la  puissance  de 
l'empereur  avait  été  insultée  par  les  sauvages  africains. 

Cette  situation,  dont  le  danger  déjà  pressenti  allait  se  démontrer 
par  des  faits,  était  la  conséquence  d'une  erreur  ou  d'un  oubli  des 
maîtres  du  monde,  dans  leur  tentative  de  colonisation.  Ils  n'avaient 
pas  assez  tenu  compte  de  la  race  indigène  et,  se  contentant  de  la 
refouler  dans  les  plaines  livrées  aux  colons,  ils  l'avaient  laissée  se 
concentrer,  se  renforcer  au  milieu  d  eux,  dans  de  vastes  contrées 
comme  le  pays  des  Quinquégentiens  et  le  massif  de  l'Aourès.  Ils 
voyaient  bien  aussi  les  tribus  nomades  du  sud  se  masser  sur  la 
ligne  du  désert,  mais  ils  se  contentaient  de  renforcer  leurs  postes 
ou  de  les  reporter  plus  au  sud. 

Certes,  dans  les  plaines  et  le  Tel  de  l'Afrique  propre  et  de  l'an- 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (297) 


121 


cienne  Numidie,  la  vieille  race  indigène  avait  disparu  ou  s'était 
assimilée.  La  langue,  la  littérature  et  les  institutions  de  Rome 
avaient  été  adoptées  par  ces  Berbères.  Ceux-là  n'étaient  pas  à 
craindre  ;  mais,  tout  autour  d'eux ,  la  race  africaine  se  reconsti- 
tuait et  était  prête  à  entrer  en  lutte.  L'anarchie,  prélude  du  dé- 
membrement de  l'empire,  les  luttes  religieuses,  dont  l'Afrique 
était  sur  le  point  de  devenir  le  théâtre,  allaient  servir  merveilleu- 
sement la  reconstitution  de  la  nationalité  africaine  et  permettre 
aux  nouvelles  tribus  berbères  de  s'étendre  en  couche  épaisse  sur 
les  restes  des  anciennes.  Il  y  a  là  un  enseignement  que  les  coloni- 
sateurs actuels  de  l'Afrique  feront  bien  de  ne  pas  perdre  de  vue, 
car  ce  fait  prouve  une  fois  de  plus  que,  si  la  conquête  est  facile,  il 
n'en  est  pas  de  même  de  la  colonisation  et  que,  tant  que  la  race 
autochthone  reste  à  peu  près  intacte,  l'établissement  des  étrangers 
au  milieu  d'elle  est  précaire. 

Grandes  persécutions  contre  les  chrétiens.  —  Les  persécutions 
exercées  contre  les  chrétiens  semblaient  n'avoir  d'autre  résultat 
que  de  fortifier  la  religion  nouvelle.  Les  prosélytes  étaient  très 
nombreux  en  Afrique,  non-seulement  chez  les  colons  latins,  mais 
chez  les  indigènes  romanisés  et  même  dans  les  tribus  berbères. 
«  Il  est  imjjossible  de  ne  pas  être  frappé  de  ce  fait  concluant  que  ce 
fut  le  sang  indigène  qui  coula  ici  le  premier  pour  la  foi  chrétienne, 
car  les  victimes  inscrites  en  tête  du  martyrologe  africain  sont  bien 
des  berbères  :  Namphanio,  Miggis,  Lucita,  Sanaes  et  d'autres  encore 
dont  le  nom  seul  révélerait  la  nationalité,  si  l'histoire  n'avait  eu 
soin  de  la  constater  expressément  » 

Des  bas-fonds  populaires  où  le  christianisme  avait  d'abord  pris 
racine,  il  s'élevait  et  pénétrait  l'administration  et  l'armée.  Un  jour 
c'était  un  gardien  de  prison  qui  demandait  à  partager  le  sort  des 
condamnés  ;  une  autre  fois  c'était  un  centurion  qui,  jetant  au  loin 
le  sarment,  insigne  de  commandement,  se  dépouillant  de  sa  cui- 
rasse et  de  ses  insignes,  refusait  de  continuer  à  servir  César  pour 
entrer  dans  la  milice  du  Christ  ^  ;  ailleurs  des  hommes  enrôlés 
n'acceptaient  pas  leur  incorporation  ^.  Pour  tous  c'était  la  mort, 
mais  ils  supportaient  avec  joie  les  alTres  du  supplice. 

Le  triomphe  de  la  nouvelle  religion  était  proche.  Le  trône  des 
empereurs  en  était  ébranlé  sur  sa  base,  car  le  christianisme,  à  son 

1.  Berbriigger,  Revue  africaine,  N"51,  p.  193. 

2.  Voir  les  Actes  du  centurion  saint  Marcellus,  martyr  à  Tanger, 
30  Oct.  298.  Acta  priin.  martyr,  p.  311. 

3.  V.  Actes  de  saint  Maximilien  de  Tliévcste  (12  mars  295). 


122 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


début,  était  la  né<^alion  de  tout  pouvoir  temporel.  Depuis  l'exécu- 
tion des  édits  de  Décius  et  de  Valérien,  la  persécution,  tout  eu 
continuant,  avait  subi  une  certaine  modération.  Dioclétien  n  était 
pas  porté  aux  mesures  extrêmes  contre  les  chrétiens  ;  mais  Galère 
ne  voyait  le  salut  de  l'empire  que  dans  l'extinction  de  la  religion 
nouvelle  et  il  suppliait  l'empereur  de  prendre  les  mesures  les  plus 
énergiques.  Enfin,  en  303,  Dioclétien,  cédant  aux  instances  de  son 
césar,  promulgua  l'édit  de  persécution  connu  sous  le  nom  d'édit 
de  Nicomédie.  Les  mesures  prescrites  étaient  lerrililes  :  destruction 
des  églises  et  des  livres  et  ustensiles  du  culte  ;  mise  hors  la  loi  de 
tous  les  chrétiens  dont  les  biens  devaient  être  saisis  et  qui  devaient, 
eux-mêmes,  être  jetés  en  prison  ou  livrés  au  bourreau. 

Cet  édit  fut  immédiatement  exécuté,  sauf  dans  la  partie  du  dio- 
cèse d'Occident  qui  était  soumise  au  césar  Constance  Chlore, 
c'est-à-dire  la  Gaule,  la  Bretagne,  l'Espagne  et  la  Tingitane.  Dans 
tout  le  reste  de  l'empire,  les  persécuteurs  se  mirent  à  l'œuvre.  En 
Afrique,  ils  déployèrent  un  grand  zèle.  A  Cirta,  un  certain  Mu- 
natius  Félix,  flamine  perpétuel,  se  fit  remarquer  par  son  ardeur  et 
sa  violence.  Généralement  les  chrétiens  restèrent  fermes  dans  leur 
foi  et  des  prêtres  subirent  le  martyre  plutôt  que  de  remettre  aux 
persécuteurs  leurs  vases  et  leurs  livres  qu'ils  avaient  cachés  ;  mais 
un  grand  nombre  faiblirent,  renièrent  leur  foi  et  livrèrent  leur 
dépôt  sacré.  L'église  de  Cirta  se  signala  par  sa  faiblesse  :  son 
évêque  Paulus  se  soumit  à  tout  ce  qu'on  exigea  de  lui. 

Cette  persécution  n'était  que  le  prélude  de  violences  plus 
grandes  encore.  Il  ne  suffisait  pas  d'avoir  détruit  les  églises  et  les 
objets  extérieurs  du  culte  :  on  allait  s'en  prendre  aux  consciences. 
A  la  fin  de  l'année  303,  un  édit  adressé  au  gouverneur  de  la 
Palestine  fixait  certains  jours  pendant  lesquels  tout  homme  de- 
vait sacrifier  aux  dieux.  Ces  jours  déterminés  furent  appelés  dies 
thurificalionis  et  l'on  avouera  que  c'était  un  excellent  moyen  de 
reconnaître  les  chrétiens.  Valérius  Florus,  pra^ses  de  la  Numidiê 
miliciana,  et  Anulinus,  proconsul  de  la  Proconsulaire,  se  firent  les 
exécuteurs  de  ces  mesures.  Le  sang  des  chrétiens  coula  à  flots  en 
Afrique  pendant  cette  période  qui  fut  appelée  l'ère  des  martyrs'. 

Tyrannie  de  Galère  en  Afrique.  —  En  305,  Dioclétien  et  Maxi- 
mien Hercule  abdiquèrent  au  profit  des  deux  césars  Constance 
Chlore  et  Galère,  lesquels  s'adjoignirent  comme  césars  Sévère  et 
Maximin.  Bien  que  Constance  Chlore  eût  l'Afrique  dans  son  lot, 

1.  Voir  l'intéressante  dissertation  de  M.  Poulie  à  ce  sujet  dans  Y  An- 
nuaire delà  Société  arch.  de  Constantine,  1876-77,  pp.  484  et  suiv. 


l'afriqle  sous  l'autorité  romaine  (30G) 


123 


il  en  abandonna  radminislration  à  Galère  qui  en  confia  le  com- 
mandement au  césar  Sévère.  On  sait  qu'un  des  premiers  actes  de 
Galère,  en  prenant  le  pouvoir,  fut  de  prescrire  un  recensement 
général  des  personnes  et  des  biens  de  l'empire  afin  d'augmenter 
les  revenus  du  fisc.  «  On  procéda  à  l'exécution  de  celte  mesure 
avec  une  rigueur  qui  répandit  partout  la  tei'reur  et  la  désolation  : 
les  gens  du  peuple,  les  enfants,  les  serviteurs  étaient  réunis  et 
comptés  sur  les  places  qui  regorgeaient  de  monde.  On  excitait  à  la 
délation  le  fils  contre  le  père,  l'esclave  contre  le  maîti'e,  l'épouse 
contre  le  mari.  On  obtenait  par  les  tourments  des  déclarations  de 
biens  que  l'on  ne  possédait  pas  »  Il  est  probable  que  l'Afrique, 
qui  avait  déjà  tant  à  se  plaindre  de  Galère,  souffrit  beaucoup  de 
ces  mesures  et  de  la  façon  cruelle  dont  elles  furent  appliquées. 
Les  troupes  seules,  qui  profitaient  des  largesses  de  ce  prince, 
avaient  pour  lui  quelque  fidélité. 

Constantin  et  Maxence.  Usurpation  d'Alexandre. —  A  la  mort 
de  Constance  Chlore,  survenue  le  25  juillet  30G,  les  troupes  pro- 
clamèrent auguste  son  fils  Constantin.  De  son  côté.  Galère  donna 
le  titre  d'auguste  à  Sévère. 

Peu  de  temps  après,  Maxence,  fils  de  Maximien  Hercule  et 
gendre  de  Galère,  ayant  gagné  l'appui  du  préfet  du  prétoire 
Anulinus,  prit  aussi  la  pourpre  et  fut  acclamé  par  les  soldats 
(28  octobre  306). 

En  Afrique,  Anulinus  avait  comme  lieutenant  un  certain 
Alexandre,  qui  avait  d'abord  reçu  le  titre  de  comte  et,  après  le 
départ  du  proconsul,  avait  été  élevé  aux  fonctions  de  vicaire 
d'Afrique  (mars  305).  Il  reçut  probablement  la  mission  de  procla- 
mer l'autorité  de  Maxence,  dans  les  provinces  africaines  ;  mais, 
nous  l'avons  dit,  les  troupes  tenaient  pour  Galère.  Elle  refusèrent 
de  reconnaître  l'usurpateur  et  prirent  le  chemin  de  l'Orient,  afin 
de  rejoindre,  à  Alexandrie,  le  lieutenant  de  leur  maître.  On  ne 
sait  au  juste  quel  obstacle  elles  rencontrèrent  sur  leur  route, 
toujours  est-il  qu'elles  furent  forcées  de  rentrer  à  Karthage,  où 
elle  retrouvèrent  leur  chef  Alexandre.  A  quel  prince  obéissait 
alors  l'Afrique,  nul  ne  peut  le  dire  et  il  est  fort  probable  qu'elle 
était  dans  un  état  voisin  de  l'anarchie.  Cependant  Maxence  devait 
y  avoir  des  partisans. 

Sur  ces  entrefaites.  Galère  étant  mort,  les  troupes  exploitèrent 
habilement  un  bruit,  vrai  ou  faux,  d'après  lequel  Maxence,  doutant 
de  la  fidélité  d'Alexandre,  aurait  envoyé  des  émissaires  pour  le 


1.  Poulie,  loc.  cit.,  p.  481. 


124 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


tuer.  Bon  ^ré  mal  gré,  elles  le  proclamèrent  empereur.  Alexandre 
dont  l'origine  est  incertaine,  mais  qu'on  désigne  généralement 
comme  un  paysan  pannonien,  était  alors  un  vieillard  affaibli  par 
l'âge  au  moral  et  au  physique,  incapable  de  résistance  autant  que 
d'initiative.  Il  se  laissa  ainsi  porter  au  pouvoir,  mais  il  ne  sut 
rien  faire  pour  l'affermir  et  le  conserver  (308). 

Triomphe  de  Maxence  en  Afrique.  Ses  dévastations.  —  Cepen- 
dant Maxence,  après  avoir  défait  et  mis  à  mort  Sévère,  s'était 
emparé  de  Rome  et  de  toute  d'Italie.  Absorbé  par  le  soin  d'asseoir 
sa  puissance,  il  ne  pouvait  s'occuper  de  l'Afrique.  Alexandre 
régnait  tranquillement  à  Karthage  ;  toutes  les  provinces  avaient 
fini  par  reconnaître  son  autorité,  mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  su 
gagner  l'affection  des  populations. 

En  311,  Maxence  pouvant  détacher  quelques  troupes,  les  plaça 
sous  le  commandement  du  préfet  du  prétoire,  Rufus  Volusianus, 
et  du  général  Zénas,  et  les  envoya  en  Afrique.  Karthage  emportée 
d'assaut  fut  mise  à  feu  et  à  sang.  Quant  à  Alexandre,  il  avait  pu 
se  réfugier  derrière  les  remparts  de  Cirta.  Les  généraux  de  Ma- 
xence l'y  poursuivirent  et  s'étant  rendus  maîtres  de  cette  ville, 
s'emparèrent  de  l'usurpateur  qui  fut  étranglé'. 

Cirta,  comme  Karthage,  fut  entièrement  saccagée,  puis  brûlée 
par  les  vainqueurs.  Maxence  fit  cruellement  expier  à  l'Afrique  ce 
qu'il  appelait  son  manque  de  fidélité  :  un  grand  nombre  de  cités 
furent  livrées  aux  flammes  ;  les  principaux  citoyens  se  virent  pour- 
suivis, dépouillés  de  leurs  biens  ;  beaucoup  d'entre  eux  périrent 
dans  les  tortures,  car  toutes  les  haines,  toutes  les  rivalités  purent 
exercer  librement  leurs  vengeances,  et  le  pays  gémit  sous  la  plus 
épouvantable  terreur.  Les  campagnes,  même,  n'échappèrent  pas 
à  la  fureur  du  vainqueur  qui  se  fit  livrer  les  réserves  de  grain  et 
porta  la  dévastation  partout. 

Triomphe  de  Constantin.  —  Après  avoir  ainsi  assouvi  sa  ven- 
geance, Maxence  s'appliqua  à  retirer  de  l'Afrique  tout  ce  que  la 
contrée  pouvait  lui  fournir  en  hommes  et  en  argent,  afin  d'être  en 
mesure  de  résister  à  son  compétiteur  Constantin.  En  312,  la  lutte 
commença  entre  les  deux  empereurs  et  se  termina  bientôt  par  la 
défaite  de  Maxence  devant  Rome.  Malgré  la  supériorité  de  son 

1.  Voir,  pour  la  révolte  d'Alexaudre:  Aur.  Victor,  Epitome,  Eutrope, 
Epit.;  Zosirae.  Tilleinonl,  Hist.  des  empereurs,  etc.  Nous  avous  adopté 
en  grande  partie  les  opinions  de  M.  Poulie  {Soc.  arch.  de  Constantine), 
1876-77. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (311) 


125 


armée,  où  les  Berbères  étaient  en  grand  nombre,  il  fut  entière- 
ment vaincu  par  son  compétiteur  et  se  noya  clans  le  Tibre 
(28  octobre) . 

La  chute  de  Maxence  fut  accueillie  en  Afrique  avec  la  plus 
grande  joie  ;  on  dit  que  Constantin  envoya  la  tête  du  tyran  à 
Karthage  qui  avait  tant  eu  à  se  plaindre  de  lui.  Le  vainqueur 
s'appliqua  de  toutes  ses  forces  à  panser  les  plaies  de  la  Berbérie  : 
il  envoya  des  secours  en  argent,  diminua  les  impôts,  rendit  les 
biens  confisqués  à  leurs  propriétaires,  et  fit  relever  les  cités  dé- 
truites. 

Cirta,  reconstruite  pas  ses  ordres,  reçut  son  nom  et  nous  l'ap- 
pellerons à  l'avenir  Constantine.  Par  ces  mesures  il  mérita  la 
reconnaissance  de  ce  pays  si  maltraité  par  ses  prédécesseurs. 

Cessation  des  persécutions  contre  les  chrétiens.  Les  Dona- 
TiSTES.  Schisme  d'Arius. —  A  partir  de  l'année  305,  les  persécu- 
tions s'étaient  ralenties  ;  selon  le  témoignage  d'Eusèbe  et  de  saint 
Optât,  Maxence  les  fit  immédiatement  cesser,  dès  son  avènement. 
Le  triomphe  de  la  religion  nouvelle  était  proche,  mais,  avant 
même  qu'il  fût  assuré,  des  divisions  se  produisaient  dans  son  sein 
et  il  allait  en  résulter  de  bien  graves  événements. 

Au  mois  de  mars  305,  l'évêque  de  Cirta,  Paulus,  étant  mort, 
un  concile  se  réunit  dans  cette  ville,  chez  un  particulier,  car  les 
églises  étaient  détruites,  pour  lui  donner  un  successeur.  Dix 
évêques  de  Numidie  y  prirent  part.  A  peine  la  séance  était-elle 
ouverte,  que  des  discussions  s'élevèrent  entre  les  membres  :  on 
reprocha  à  un  certain  nombre  d'entre  eux  d'avoir  faibli  pendant 
les  persécutions  et  d'avoir  remis  les  livres  et  vases  sacrés.  Pour 
la  première  fois  l'épithète  de  «  traditeurs  »  fut  lancée.  Un  certain 
Purpurins,  que  nous  retrouverons  plus  tard,  montra  dans  l'assem- 
blée une  grande  violence.  Sylvain  avait  été  proposé  pour  le  siège 
épiscopal,  mais  il  était  traditeur  ;  grâce  à  l'appui  de  la  populace  il 
fut  élu,  tandis  que  les  hommes  les  plus  pieux  et  les  plus  éminents 
étaient  enfermés  dans  le  «  cimetière  des  martyrs.  »  Ce  fait  qui  sem- 
blerait de  peu  d'importance,  fut  le  point  de  départ  de  la  déplo- 
rable scission  qui  se  produisit  dans  l'église  d'Afrique. 

Quelque  temps  après,  en  311,  mourait  l'évêque  de  Karthage 
Mensurius,  qui  avait  su  résister  avec  autant  de  fermeté  que  de 
prudence  aux  violences  des  persécuteurs  et  conserver  les  vases  de 
son  église.  Les  fidèles  s'assemblèrent  pour  procéder  à  son  rempla- 
cement et  élurent  le  diacre  Cécilien.  Il  avait  de  nombreux  adver- 
saires, et  bientôt  l'opposition  contre  lui  se  manifesta  par  le  refus 
de  lui  remettre  les  vases  sacrés  que  son  prédécesseur  avait  cachés 


126 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


chez  les  fidèles.  Une  véritable  conspiration  ayant  à  sa  tête  Donat, 
évêque  des  Cases-Noires  en  Numidie,  s'ourdit  contre  lui  ;  les 
prêtres  de  l  inlérieur  ne  lui  pardonnaient  pas  de  s'être  fait  élire 
sans  leur  participation.  Ils  formèrent  un  groupe  de  soi.xante-dix 
prélats  à  la  tête  desquels  était  Secundus,  évêque  de  Ticisi  *.  Réunis 
en  concile,  ils  citèrent  Cécilien  à  comparaître  devant  eux;  mais, 
comme  il  s'y  refusait,  disant  qu'il  avait  été  régulièrement  sacré  et 
ajoutant  qu'il  était  prêt  à  recevoir  de  nouveau  l'imposition  des 
mains,  Purpurins,  dont  la  violence  s'était  fait  remarquer  à  Cirta, 
s'écria  :  <(  Qu'il  vienne  la  recevoir  et  on  lui  cassera  la  tête  pour 
pénitence.  » 

Le  concile  rendit  alors  une  sentence  de  condamnation  contre 
Cécilien,  fondée  sur  les  trois  points  suivants  :  1°  il  avait  refusé  de 
se  rendre  à  leur  réunion  ;  2°  il  avait  été  sacré  par  des  traditeurs  ; 
3°  il  aurait,  lors  des  persécutions,  empêché  des  fidèles  de  secourir 
les  martyrs.  Or  ces  deux  derniers  chefs  n'étaient  rien  moins  que 
prouvés  et,  dans  le  groupe  des  évêques  qui  s'érigeaient  ainsi  en 
juges,  plusieurs  s'étaient  reconnus  eux-mêmes  traditeurs.  Pour 
compléter  leur  œuvre,  ils  déclarèrent  le  siège  de  Karthage  vacant 
et  y  élevèrent  un  certain  Majorin,  simple  lecteur.  Une  intrigante, 
du  nom  de  Lucilla,  ennemie  personnelle  de  Cécilien,  avait,  par  ses 
instances  et  son  argent,  contribué  à  ce  résultat. 

Ainsi  fut  consommée  la  scission  de  l'église  d'Afrique,  au  mo- 
ment même  où  sa  cause  triomphait.  L'irritation  réciproque  des 
deux  partis  devint  extrême  et  amena  des  conflits  journaliers. 

Constantin  tenait  essentiellement  à  la  pacification  de  l'Afrique  ; 
bien  qu'inclinant  vers  le  christianisme,  il  ménagea  les  adhérents  de 
l'ancien  culte  et  fit  même  ériger  un  temple  en  l'honneur  de  la  fa- 
mille flavienne.  Il  apprit  donc  avec  peine  les  divisions  de  l'église 
d'Afrique  et  écrivit  au  proconsul  Anulinus,  pour  qu'il  tâchât  de 
les  faire  cesser.  Dans  ces  instructions  il  semble  pencher  pour  le 
parti  de  Cécilien.  Mais  les  Donatistes,  ainsi  les  appelait-on  déjà, 
n'étaient  pas  gens  à  s'incliner  devant  des  conseils  ou  même  des 
menaces;  ils  adressèrent  à  l'empereur  une  supplique  dans  laquelle 
ils  entassèrent  toutes  les  accusations  contre  leur  ennemi. 

En  présence  de  cette  réclamation,  Constantin  ordonna  la  com- 
parution des  deux  parties  devant  un  conseil  d'évêques,  et  convo- 
qua à  ce  concile  un  grand  nombre  de  prélats  de  la  Gaule  et  de 
l'Italie.  Tous  se  réunirent  à  Rome,  en  octobre  313,  sous  la  prési- 

1.  Emplacement  inconnu  au  nord  de  l  Aourès. 

2.  Actuellemcul  Tidjist  (Ain-el-Bordj),  près  de  Sigus,  au  sud  de  Cons- 
tautiue. 


l'afrique  sous  l'autoritiî  ROMAINK  (314) 


127 


dence  du  pape  Miltiade.  Cécilien  et  Majorin,  accompagnés  de 
clercs  et  de  témoins,  se  présentèrent  à  ce  concile  qui  est  dit  de 
Latran,  et  fournirent  leurs  explications  tant  sur  les  griefs  repro- 
chés par  eux  à  leur  adversaire,  que  sur  ce  qui  leur  était  imputé. 
On  devine  ce  que  purent  être  de  tels  débats.  Après  bien  des  jours 
d'audience,  le  concile  rendit  une  sentence  par  laquelle  il  recon- 
naissait Cécilien  innocent  et  validait  son  ordination.  Il  disposait 
en  outre  que  les  prêtres  ordonnés  par  Majorin  continueraient  à 
exercer  leur  ministère  et  que  si,  dans  une  localité,  il  se  trouvait 
deux  prêtres  ordonnés  l'un  par  Cécilien,  l'autre  par  Majorin,  le 
plus  ancien  serait  conservé  et  l'autre  placé  ailleurs.  Quant  à  Donat, 
on  le  condamnait  comme  «  auteur  de  tout  le  mal  et  coupable  de 
grands  crimes  ». 

A  la  suite  de  cette  décision,  Cécilien  fut  retenu  provisoirement 
en  Italie,  et  Donat  obtint  la  permission  de  rentrer  en  Numidie, 
sous  la  promesse  qu'il  ne  reparaîtrait  plus  à  Karthage.  Des  com- 
missaires ecclésiastiques  furent  envoyés  en  Afrique  pour  notifier 
cette  décision  au  clergé  et  faire  une  enquête  qui  conlirma  l'inno- 
cence de  Cécilien.  Celui-ci  rentra  peu  après  à  Karthage.  Donat, 
de  son  côté,  ne  tarda  pas  à  y  paraître,  au  mépris  de  son  serment. 
Les  luttes  recommencèrent  alors  avec  une  nouvelle  violence.  Elien, 
proconsul,  chargé  d'informer  par  l'empereur,  conclut  encore  contre 
les  Donatistes. 

Mais  ceux-ci  ayant  réclamé  le  jugement  d'un  nouveau  concile, 
l'empereur  voulut  bien  faire  convoquer  les  évêques  à  Arles,  pour 
le  mois  d'août  311.  Ce  fut  encore  un  triomphe  pour  Cécilien;  seu- 
lement le  concile  crut  devoir  donner  son  avis  sur  le  grand  diffé- 
rend qui  divisait  l'église  d'Afrique  et  il  opina  «  que  ceux  qui  se- 
raient reconnus  coupables  d'avoir  livré  les  écritures  ou  les  vases 
sacrés  ou  dénoncé  leurs  frères,  devraient  être  déposés  de  l'ordre 
du  clergé'.  »  C'était  donner  aux  Donatistes  de  nouvelles  armes. 
Cependant  ceux-ci  ne  furent  pas  encore  satisfaits  et  en  appelèrent 
à  l'empereur  qui  confirma  à  Milan,  en  315,  les  décisions  des  con- 
ciles de  Rome  et  d'Arles. 

Constantin  avait  montré  dans  toute  celte  affaire  une  très  grande 
modération;  mais,  quand  tous  les  degrés  de  juridiction  eurent  été 
épuisés,  il  prescrivit  à  Celsus,  son  vicaire  en  Afrique,  de  traiter 
avec  sévérité  toute  tentative  de  rébellion  de  la  part  des  Dona- 
tistes. Ceux-ci  se  virent  donc  bientôt  l'objet  d'une  nouvelle  per- 

1.  \J Afrique  chrétienne  par  Yauoski,  pp.  20  et  suiv.  C'est  à  cet  ou- 
vrage que  nous  avous  emprunté  la  plus  grande  partie  des  documents 
qui  précèdent. 


128 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


séculion  dans  laquelle  les  plus  marquants  d'entre  eux  furent  ban- 
nis. Mais  leurs  partisans  étaient  très  nombreux,  surtout  dans 
l'intérieur,  et  ils  gardèrent  souvent  par  la  force  leurs  positions. 

Tandis  que  cette  scission  se  produisait  en  Numidie,  un  schisme 
dont  le  succès  devait  être  encore  plus  grand  prenait  naissance  en 
Cyrénaïque.  Vers  320,  le  Libyen  Arius  se  séparait  de  l'église  ortho- 
doxe, par  suite  de  divergences  sur  des  points  d'appréciation  rela- 
tivement à  la  trinité.  Là  encore,  l'empereur  intervenait  et  essayait 
de  faire  entendre  sa  voix  pour  ramener  la  pacification  dans  l'Eglise  ; 
mais  le  schisme  arien  était  fait. 

Organisation  administrative  et  militaire  de  l'Afrique  par  Cons- 
tantin. —  En  323,  Constantin  attaqua  brusquement  son  rival, 
l'empereur  d'Orient  Licinius,  le  vainquit,  et  le  fit  mettre  à  mort. 
Resté  ainsi  seul  maître  de  l'empire,  il  s'appliqua  à  rétablir  l'unité 
de  commandement  et  à  régulariser  l'administration  des  provinces. 
L'empire  fut  divisé  en  quatre  grandes  préfectures. 

L'Afrique,  contenant  la  Tripolitaine,  la  Byzaccne,  la  Xumidie  et 
les  jNIaurétanies,  sétifienne  et  césarienne ,  fit  partie  de  la  préfecture 
d'Italie,  et  fut  placée,  pour  l'administration  civile,  sous  l'autorité 
du  préfet  du  prétoire  de  cette  préfecture. 

La  Tingitane,  rattachée  à  la  préfecture  des  Gaules,  était  sous 
l'autorité  du  préfet  du  prétoire  des  Gaules. 

La  Cyréna'ique  dépendit  de  la  préfecture  d'Orient. 

Le  préfet  du  prétoire  d'Italie  était  représenté  en  Afrique  : 

1°  Par  un  proconsul  d'Afrique,  qui  administrait  par  deux  légats 
la  proconsulaire  ; 

2°  Par  le  vicaire  d'Afrique,  qui  administrait  par  deux  consu- 
laires la  Byzacène  et  la  Numidie,  et  par  trois  prœses  la  Tripoli- 
taine, la  Sétifienne  et  la  Césarienne. 

Le  préfet  des  Gaules  était  représenté  dans  la  Tingitane  par  un 
prœses. 

Le  Comte  des  largesses  sacrées  avait  la  direction  de  tout  ce  qui 
se  rapporte  aux  finances;  et  le  Comte  des  choses  privées  était  le 
directeur  et  administrateur  des  domaines.  Ces  deux  personnages, 
qui  portaient  le  titre  d'illustres,  avaient  un  certain  nombre  de  dé- 
légués en  Afrique. 

«  L'armée  et  les  choses  militaires  relevaient  du  maffister  pe~ 
ditum,  sorte  de  ministre  de  la  guerre,  résidant  aussi  à  Rome,  et 
représenté  en  Afrique  par  deux  ducs  et  deux  comtes  :  les  ducs  de 
Maurétanie  césarienne  et  de  Tripolitaine  et  les  comtes  d'Afrique 
et  de  Tingitane. 

«  Le  comte  d'Afrique  avait  sous  ses  ordres  seize  préposés  des 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (326) 


129 


limites,  qui  commandaient  les  troupes  placées  sur  la  frontière, 
plus  les  corps  mobiles. 

«  Le  comte  de  la  Tingitane  avait  sous  son  commandement  un  pré- 
fet de  cavalerie  et  cinq  tribuns  de  cohortes,  plus  des  corps  mobiles. 

«  Le  duc  de  la  Césarienne  avait  huit  préposés  des  limites.  Il 
était  aussi  prseses  et,  pour  cette  partie  de  ses  fonctions,  devait  dé- 
pendre du  vicaire  d'Afrique. 

«  Le  duc  de  la  Tripolitaine  avait  douze  préposés  et  deux  camps 
où  étaient,  sans  doute,  les  troupes  destinées  à  tenir  la  campagne. 

«  Les  troupes,  on  le  voit,  étaient  divisées  en  deux  classes  :  les 
troupes  mobiles  et  celles  qui  gardaient  en  permanence  la  fron- 
tière*. » 

Sous  le  Bas-Empire,  l'organisation  des  assemblées  provinciales 
fut  modifiée  ;  le  culte  de  l'empereur  ayant  disparu,  leurs  attribu- 
tions religieuses  cessèrent  et  le  concilium  devint  une  assemblée 
purement  administrative,  chargée  d'éclairer  les  préfets  et  de  leur 
fournir  un  appui  moral,  car  il  n'avait  aucun  droit  exécutif.  La 
centralisation  établie  par  Constantin  fit  cesser  l'autonomie  des 
provinces.  L'empereur  voulut  tout  diriger  du  fond  de  son 
palais  et  c'est  dans  ce  but  que  les  fonctions  furent  multipliées. 
Des  curiosi,  inspecteurs  plus  ou  moins  occultes,  furent  chargés  de 
surveiller  les  fonctionnaires  et  de  rendre  compte  de  leurs  moindres 
actes  au  chef  suprême  ;  en  même  temps  les  cités  reçurent  des  de- 
fensores,  dont  la  mission  était  de  protéger  les  citoyens  contre 
l'injustice  et  la  tyrannie  des  agents  du  prince. 

Le  concilium  provinciaj  conserva  le  droit  de  présenter  des  vœux 
et  des  doléances  à  l'empereur;  sa  réunion  était  l'occasion  de  fêtes 
et  de  réjouissances  publiques;  la  convocation  était  faite  par  le  pré- 
fet. Le  sacerdos  provinciœ,  dont  la  fonction  paraît  avoir  été  con- 
servée pendant  quelque  temps  encore,  dut  céder  la  présidence  du 
concile  au  préfet  ou  à  son  vicaire.  Le  corps  des  sacerdotes,  ou 
prêtres  devenus  chrétiens,  fut  entouré  d'honneurs  et  d'immu- 
nités ;  mais  il  perdit  toute  occasion  de  s'immiscer  légalement  dans 
les  affaires  administratives^. 

Puissance  des  Donatistes.  —  Les  Circoncellions.  —  Vers  321, 
les  Donatistes  avaient  obtenu  le  rappel  de  leurs  exilés,  et  il  se 
produisit  une  sorte  d'apaisement.  En  326,  Cécilien  étant  mort  fut 


1.  U Afrique  septentrionale  après  le  partage  du  monde  romain^  par 
Berbrugger,  travail  extrait  de  la  Notice  des  dignités,  de  Bocking. 

2.  Les  Assemblées  provinciales  et  'le  culte  provincial,  par  M.  Fallu  de 
Lessert,  passim. 

T.  I.  9 


130 


IIISTOIIIE   DE  l'aFBIQUE 


remplacé  par  Rufus  :  de  leur  côté,  les  Donalistes  élirent  Donat, 
homonyme  de  l'évéque  des  Cases-Noires,  comme  successeur  de 
Majorin.  Peu  après,  les  nouveaux  élus  réunissaient  à  Karthage 
un  concile  auquel  deux  cent  soixante-dix  évêques  prirent  part  et 
où,  grâce  à  des  concessions  mutuelles,  on  put  consolider  la  trêve. 

On  sera  peut-être  étonné  du  grand  nombre  d'évêques  se  trou- 
vant alors  en  Afrique,  mais  il  faut  considérer  ces  prélats  comme 
de  simples  curés.  «  La  création  des  sièges  épiscopaux  en  Afrique 
n'a  pas  toujours  été  motivée  par  l'importance  des  localités  et  le 
chiffre  de  la  population.  L'on  observe  en  effet  dans  l'histoire  des 
Donatisles  que  ces  habiles  sectaires,  afin  d'augmenter  leur  in- 
fluence, multipliaient  le  nombre  des  évêques  et  les  préposaient  à 

de  simples  hameaux         Or,  on  conçoit  parfaitement  que  l'Eglise, 

pour  tenir  tête  aux  Donalistes,  ait  imité  cette  conduite  et  mul- 
tiplié les  évêchés  Au  surplus,  il  était  dans  l'esprit  de  l'Eglise 

d'Afi'ique  de  multiplier  les  diocèses  afin  que  leur  peu  d  étendue  en 
facilitât  l'administration*.  » 

Ainsi  les  deux  églises  vivaient  côte  à  côte  et  essayaient  de  se 
tolérer,  mais,  comme  nous  l'avons  dit,  les  Donalistes  tenaient  en 
maints  endroits  les  temples  et  nous  voyons,  en  330,  l'empereur, 
cédant  à  la  demande  de  Zezius,  évêque  de  Constantine,  ordonner 
la  construction  d'une  basilique  pour  les  orthodoxes,  attendu  que 
«  tout  ce  qui  appartenait  à  l'Eglise  catholique  était  tombé  au  pou- 
voir des  Donalistes  »  et  que  les  orthodoxes  n'avaient  aucun  local 
pour  tenir  leurs  assemblées'. 

A  côté  des  Donalistes  modérés,  qui  essayaient  de  chercher  un 
modus  vivendi  avec  les  autres  chrétiens,  se  trouvaient  les  zélés, 
les  purs.  Réunis  en  bandes  obéissant  à  un  chef,  ils  se  mirent  à 
parcourir  le  pays  dans  le  but,  disaient-ils,  de  faire  reconnaître  la 
sainteté  de  leur  foi.  Leur  cri  de  ralliement  était  Laudes  Deo 
(I^ouanges  à  Dieul),  et  il  fut  bientôt  redouté  comme  un  signal  de 
pillage  et  de  mort.  Faisant  profession  de  mépriser  les  biens  de  la 
terre  et  de  vivre  dans  la  continence,  ils  ne  tardèrent  pas  à  ériger 
la  destruction  en  principe.  Ils  n'ont  du  reste  rien  à  perdre,  car  la 
plupart  sont  des  esclaves  fugitifs,  des  malheureux  ruinés  par  les 
guerres  civiles  ou  les  exactions  du  fisc.  Ils  prétendent  établir 
l'égalité  en  détruissant  les  biens  et  faire  le  salut  des  riches  en  les 
ruinant. 

1.  Observations  sur  la  formation  des  diocèses  dans  l'ancienne  Eglise 
d'Afrique,  par  l'abbé  Léou  Godart  {Revue  africaine,  2^  année,  pp.  399 
et  suiv.) 

2.  V.  L'Africa  chrisliana  de  Morcelli,  l.  II,  p.  234.  Cette  église  se 
trouvait  dans  remplacement  occupé  actuellement  par  l'hôpital  militaire. 


l'afriql'e  sous  l'autoritû  romaine  (360) 


131 


Ces  bandes,  qui  rappellent  celles  de  la  Jacquerie,  s'attaquèrent 
d'abord  aux  fermes  isolées  ;  c'est  pourquoi  les  g-ens  qui  en  faisaient 
partie  furent  stigmatisés  du  nom  de  Circoncellions^ .  Nous  verrons 
avant  peu  à  quels  excès  ces  fanatiques  se  portèrent.  Leur  quartier 
général  était  Thamugas  (aujourd'hui  Timgad),  au  pied  del'Aourès, 
entre  Lambèse  et  Theveste  -. 

Les  fils  de  Constantin.  —  Persécution  des  Donatistes  par 
Constant.  —  A  la  mort  de  Constantin  (^37),  l'empire  se  trouva 
fractionné  en  cinq  parties  ;  niais  l^ientôt  ses  trois  fils  Constantin  II, 
Constant  et  Constance,  restèrent,  par  suite  du  meurtre  de  leurs 
deux  cousins,  seuls  maîtres  du  pouvoir.  Un  nouveau  partage  fut 
alors  opéré  entre  eux  (338).  L'Afrique  demeura  pendant  plusieurs 
années  un  sujet  de  contestation  entre  Constant  et  Constantin,  elles 
deux  frères  en  vinrent  plusieurs  fois  aux  mains.  La  mort  de  Cons- 
tantin (340)  mit  fin  à  la  lutte  en  assurant  le  triomphe  de  Constant. 

Ce  prince  fanatique  tyrannisa  d'abord  les  païens,  puis,  des  dis- 
sensions nouvelles  s'étant  produites  en  Afrique  entre  les  Dona- 
tistes et  les  orthodoxes,  il  envoya  deux  officiers,  Paul  et  Macaire, 
pour  mettre  fin  à  ces  troubles.  A  peine  étaient-ils  arrivés  à  Kar- 
thage  que  les  Donatistes  se  soulevèrent  de  toutes  parts.  Aidés  par 
les  Circoncellions,  ils  osèrent  tenir  tête  aux  armées  de  l'empereur. 
Mais  bientôt  ils  furent  vaincus  et  réduits  à  la  fuite,  et  la  persécu- 
tion commença  ;  les  évêques  compromis  furent  exilés  ou  mis  à 
mort.  Le  principal  résultat  de  ces  violences  fut  d'augmenter  le 
nombre  des  Circoncellions  et  de  redoubler  leur  fureur,  au  grand 
préjudice  de  la  colonisation. 

Constance  et  Julien.  —  Excès  des  Donatistes.  — En  350,  Cons- 
tant fut  mis  à  mort  par  Magnence,  comte  des  Gaules,  qui  s'em- 
para de  son  trône  et  étendit  son  autorité  sur  l'Afrique.  Deux  ans 
plus  tard  les  troupes  de  Constance  prenaient  possession  de 
l'Afrique  au  nom  de  leur  maître.  Elles  passèrent  ensuite  en  Es- 
pagne, de  là  en  Gaule  et  vinrent  à  Lyon  écraser  l'armée  de  Ma- 
gnence,  qui  périt  dans  la  bataille.  Ainsi  Constance  resta  seul 
maître  de  l'empire.  On  sait  qu'il  s'érigea  en  protecteur  de  l'aria- 
nisme. 

En  360,  Julien,  ayant  été  proclamé  à  Lutèce  et  reconnu  par 
l'Italie,  chercha  à  gagner  l'Afrique  à  sa  cause,  mais  ne  put  par- 

1.  De  Circumiens  cellas  (rôdant  autour  des  fermes). 

2.  Voir  sur  les  Donatistes  les  textes  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Optât. 


132 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


venir  à  la  détacher  de  sa  fidélité  au  fils  de  Constantin.  Du  reste, 
Constance  avait  pris  des  précautions  sérieuses  pour  conserver  sa 
province,  et,  bien  qu'il  fût  menacé  par  son  compétiteur  d'un  côté, 
et  par  les  Perses  de  l'autre,  il  envoya  en  Afrique  son  secrétaire 
d'état  Gaudentius  avec  ordre  de  lever  des  troupes  et  de  s'opposer 
à  tout  débarquement.  <(  Gaudentius  remplit  sa  mission  avec  fidé- 
lité, il  invita  le  comte  Cretion  et  les  gouverneurs  (rectores)  à 
faire  des  levées,  et  il  tira  des  deux  Maurétanies  une  cavalerie 
légère  excellente  avec  Uquelle  il  protégea  efficacement  tout  le  lit- 
toral conti-e  les  troupes  stationnées  en  Sicile  et  qui  n'attendaient 
qu'une  occasion  pour  faire  une  descente  en  Afrique'.  » 

L'année  suivante,  la  mort  de  Constance  laissa  Julien  seul  au 
pouvoir.  Il  se  vengea  alors  de  l'Afrique  en  accordant  ses  faveurs 
aux  Donatistes,  fort  affaiblis  par  la  persécution  macarienne.  Leurs 
évêques  leur  furent  rendus  et  une  violente  réaction  contre  les  or- 
thodoxes se  produisit.  Les  Donatistes  se  vengèrent  d  eux  par  les 
mêmes  armes:  les  spoliations,  les  dévastations,  les  meurtres.  Un 
exemple  donnera  une  idée  du  caractère  de  ces  luttes:  «  Félix  et 
Januarius,  deux  Donatistes,  se  jettent  sur  Lemelli-,  à  la  tête  d'une 
troupe  de  Circoncellions.  Ayant  trouvé  la  porte  de  la  basilique 
fermée,  ils  en  firent  le  siège  ;  les  Circoncellions  montèrent  sur  le 
toit  et,  de  là,  accablèrent  les  fidèles  sous  un  monceau  de  tuiles.  Un 
grand  nombre  fut  cruellement  blessé  ;  deux  diacres  qui  défen- 
daient l'autel  furent  tués  et  les  fastes  de  l'église  inscrivent  deux 
martyrs  de  plus^.  »  Ailleurs,  à  Typaza,  en  présence  du  gouver- 
neur, ils  maltraitent  et  expulsent  les  catholiques  ;  «  les  hommes 
sont  torturés,  les  femmes  traînées  ;  les  enfants  misa  mort  ou  étouf- 
fés dans  les  entrailles  de  leurs  mères.  » 

Du  reste  les  Donatistes  ne  tardèrent  pas  à  voir  des  schismes  se 
produire  dans  leur  sein.  Le  plus  important  fut  celui  de  Rogatus, 
évêque  de  Cartenna  *,  qui  imposait  un  nouveau  baptême  à  tous  les 
anciens  traditeurs. 

Exactions  du  comte  Romanus.  —  A  la  fin  de  363,  sousJovien,  et 
ensuite,  dans  les  premiers  temps  du  règne  de  ^'alentinien,  une  tribu 
indigène  de  la  Tripolitaine,  les  Asturiens,  ainsi  appelés  par  les  au- 
teurs ^,  causèrent  les  plus  grands  ravages  dans  cette  contrée  et 

1.  Poulie  {Soc.  arch.),  1878,  pp.  414,  415.  —  Voir  aussi  lîev.  afr. 
t.  IV,  pp.  137,  138,  et  Ammien  Marcellin,  I.  XXI,  parag.  7. 

2.  Zembia,  dans  la  Medjana. 

3.  Poulie,  Maurétanie,  p.  129. 

4.  Tenès. 

5.  Ammien  Marcellin,  1.  XXVII  et  suiv. 


l'Afrique  sous  l'autorité  romaine  (372) 


133 


vinrent  même  attaquer  les  colonies  de  Leptis  et  de  Tripoli.  Les 
colons  appelèrent  à  leur  secours  le  comte  Romanus,  nommé  depuis 
peu  maître  des  milices  d'Afrique  ;  mais  ce  général  ne  voulut  entrer 
en  campagne  que  si  on  lui  fournissait  quatre  mille  chevaux  et  une 
grande  quantité  de  vivres,  conditions  que  les  Tripolitains  ruinés 
ne  pouvaient  remplir  ;  de  sorte  que  les  Berbères  continuèrent 
leurs  déprédations.  A  l'avènement  de  Valentinien,  les  gens  de 
Leptis  envoyèrent  des  députés  à  l'empereur  pour  lui  exposer  leurs 
doléances  ;  mais  les  partisans  de  Romanus  en  atténuèrent  en  partie 
l'effet.  Cependant  l'empereur  chargea  un  administrateur  de  l'ordre 
civil,  auquel  on  confia  des  pouvoirs  militaires  extraordinaires,  de 
rétablir  la  paix. 

En  366,  nouvelle  incursion  des  Asturiens.  L'empereur  envoya 
un  tribun  nommé  Pallade  pour  faire  une  enquête  sur  les  lieux, 
mais  cet  agent  se  laissa  corrompre  et  déclara  que  les  plaintes 
n'étaient  pas  fondées.  Pour  Romanus,  c'était  le  triomphe,  l'impu- 
nité assurée;  aussi  se  livra-t-il,  sans  retenue,  à  une  prévarication 
effrénée.  Une  nouvelle  plainte  des  victimes  ayant  eu  le  même  ré- 
sultat que  la  précédente,  l'empereur  ordonna  la  mise  à  mort  des 
réclamants,  convaincus  de  calomnie.  Un  ancien  prœses  de  la  Tri- 
politaine,  nommé  Rurice,  qui  aA'ait  cherché  à  faire  triompher  la 
vérité,  fut  englobé  dans  l'accusation  et  exécuté  à  Sitifis. 

Révolte"de  Firmus.  —  Sur  ces  entrefaites,  un  des  plus  puissants 
chefs  des  Quinquégentiens  vint  à  mourir  en  laissant  plusieurs  fils, 
Firmus,  Gildon,  Mascizel,  Dius  (ou  Duis),  Salmacès  elZamma.  Ce 
dernier  était  fort  lié^ivec  Romanus,  et,  comme  son  frère  aîné, 
Firmus,  craignait  d'être  victime  d'une  spoliation,  il  fit  assassiner 
Zamma.  C'était  s'exposer  à  la  vengeance  certaine  du  comte;  aussi, 
après  avoir  essayé  en  vain  de  se  disculper  auprès  du  pouvoir  cen- 
tral, Firmus  comprit-il  qu'il  ne  lui  restait  de  salut  que  dans  la  ré- 
volte. Ces  fils  de  Nubel  étaient  tous  empreints  de  civilisation 
latine,  plusieurs  d'entre  eux  étaient  chrétiens. 

En  372,  Firmus  lève  l'étendard  de  l'insurrection"  dans  les  mon- 
tagnes du  Djerdjera.  Les  Maiirétanies  le  soutiennent  ;  les  Dona- 
tistes  lui  fournissent  leur  appui  ;  les  aventuriers,  les  gens  ruinés, 
tous  ceux  qui'recherchent  le  désordre,  des  soldats,  on  dit  même 
une  légion  entière,  viennent  se  joindre  à  lui. ^Firmus  disposant 
d'une  vingtaine  de  mille  hommes  se  met  [aussitôt  en  campagne; 
un  évêque  de  Rusagus,  bourgade  sur  la7rontière  de  la  Césarienne, 
lui  ouvrejes  portes  de  la  ville.  Les  Firmianiens,'^ continuant  leur 
marche  vers  l'ouest,  assiègent  Césarée,  s'en  rendent  maîtres  et 
réduisent  en  cendres  cette  belle  ville.  Romanus  essaie  en  vain  de 


134 


HISTOIRE   D1-:  L  AFRIQUE 


lutter;  il  est  défait  et  la  révolte  gagne  la  Xumidie.  Les  soldats  pro- 
clamèrent alors  Firmus  roi  ;  un  tribun  lui  posa  le  diadème. 

A  la  réception  de  ces  graves  nouvelles,  l'empereur  d'occident 
envoya  en  toute  hâte  des  troupes  en  Afrique  sous  le  cornman- 
dement  du  comte  Théodose,  maître  de  la  cavalerie.  Débarqué  à 
Igilgili  (Djidjelli),  cet  habile  général  gagna  Sitifis  et  convoqua 
toutes  ses  troupes  dans  un  poste  des  environs  nommé  Panchariana, 
d'où  il  devait  commencer  les  opérations  (373).  Il  avait  été  rejoint, 
tout  en  arrivant,  par  un  corps  d'auxiliaires  indigènes,  commandé 
par  Gildon,  frère  de  Firmus. 

Le  prince  indigène,  comprenant  que  la  situation  était  changée, 
essaya  de  traiter  avec  Théodose,  et  lui  fit  offrir  sa  soumission  ; 
mais  le  général  ne  voulut  rien  entendre  avant  d'avoir  reçu  des 
otages,  et  les  choses  en  restèrent  là.  Bientôt,  du  reste,  Théodose 
entra  en  campagne,  et  porta  son  camp  à  Tubusuplus  Ayant  re- 
poussé un  nouveau  message  du  rebelle,  il  attaqua  les  Tyndenses  et 
Massissenses,  commandés  par  Mascizel  et  Duis,  les  mit  en  déroute, 
et  porta  le  ravage  dans  toute  la  contrée,  sans  cependant  se  départir 
d'une  grande  prudence  et  en  s'appuyant  sur  une  place  nommée 
Lamforte.  De  là,  s'avançant  vers  l'ouest.  Théodose  défit  de  nou- 
veau Mascizel,  qui  avait  osé  l'attaquer. 

Encore  une  fois,  Firmus  fît  implorer  la  paix  par  l'intermédiaire 
de  prêtres  chrétiens,  et  Théodose  la  lui  accorda.  Le  prince  berbère 
remit  au  vainqueur  Icosium  -  et  lui  livra,  dans  cette  ville,  ses  en- 
seignes, sa  couronne,  son  butin  et  des  otages,  mais  il  ne  paraît  pas 
qu'il  soit  venu  en  personne  signer  le  traité. 

Après  avoir  obtenu  ce  résultat.  Théodose  se  rendit  à  Césarée 
et  employa  ses  légions  à  relever  cette  ville  de  ses  ruines.  Dans 
cette  localité,  il  fit  mourir  sous  les  verges  ou  décapiter  les  soldats 
qui  étaient  passés  au  service  du  rebelle. 

Sur  ces  entrefaites,  ayant  appris  que  Firmus  cherchait  de  nou- 
veau à  soulever  les  tribus,  il  se  remit  en  campagne  et  battit  les 
Maziques  et  les  Muzones.  La  tribu  des  Isaflenses,  établie  sur  le 
versant  sud  du  Djerdjera,  soutint  Firmus  et  se  battit  bravement 
sous  les  ordres  de  son  chef  ^Lizuca,  mais  elle  fut  encore  défaite  et 
son  chef,  fait  prisonnier,  hâta  sa  mort  en  déchirant  ses  blessures. 
Firmus,  réduit  encore  à  la  fuite,  se  jette  au  cœur  des  montagnes, 
puis  prend  la  direction  de  l'est,  suivi  par  les  Romains.  Au  moment 
où  ceux-ci  vont  l'atteindre,  il  leur  échappe  encore  et  revient  sur 
ses  pas.  Il  entraîne  de  nouveau  les  Isaflenses,  avec  leur  chef  Igma- 

1.  Tiklat  eu  Kabylie. 

2.  Alger. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (375) 


135 


cen  et  réunit  un  grand  nombre  d'adhérents.  Théodose,  qui  s'est 
avancé  contre  lui  et  le  croit  sans  forces,  est  subitement  attaqué 
par  vingt  mille  indigènes  ;  il  a  la  douleur  de  voir  ses  soldats  lâcher 
pied  et  ne  s'échappe  lui-même  qu'à  la  faveur  de  la  nuit  '. 

Ayant  pu,  dans  sa  déroute,  gagner  le  fort  de  Castellum  Audiense*, 
il  y  rallia  son  armée  et  s'y  retrancha.  Il  punit  ses  soldais  avec  la 
dernière  sévérité,  brûlant  les  uns,  mutilant  les  autres  ;  et  grâce  à 
son  énergie,  il  rétablit  promptement  la  discipline  et  put  résister 
aux  attaques  tumultueuses  des  indigènes.  Il  opéra  ensuite  sa  re- 
traite vers  Sitifis'.  L'année  suivante  (375),  il  s'avança,  à  la  tête  de 
forces  considérables,  contre  les  Isaflenses,  toujours  fidèles  à  Firmus, 
et  leur  fit  essuyer  une  nouvelle  défaite.  Igmacen,  leur  roi,  se  laissa 
alors  gagner  par  les  promesses  de  Théodose.  Il  cessa  toute  résis- 
tance et  arrêta  Firmus  au  moment  où  celui-ci,  devinant  sa  trahi- 
son, se  disposait  à  fuir.  Prévoyant  le  sort  qui  l'attendait,  le  prince 
berbère  se  pendit  dans  sa  prison  et  le  traître  Igmacen  ne  put  livrer 
à  ses  ennemis  qu'un  cadavre  qui  fut  apporté  à  leur  camp,  chargé 
sur  un  chameau. 

Ainsi  finit  cette  révolte  qui  avait  duré  trois  ans. 

Pacification  générale.  —  Après  avoir  obtenu  la  pacification  gé- 
nérale des  tribus  soulevées.  Théodose  s'appliqua,  par  une  série  de 
sages  mesures,  à  rétablir  la  marche  de  l'administration  et  à  faire 
oublier  les  maux  causés  par  Romanus.  Les  complices  des  exactions 
de  ce  dernier  furent  sévèrement  punis. 

Mais  le  comte  Théodose  avait  de  nombreux  ennemis  qui  le  dé- 
noncèrent à  l'empereur  Gratien,  presque  un  enfant,  successeur  de 
son  père,  'V^alentinien  (375).  On  le  présenta  comme  étant  sur  le 
point  de  se  déclarer  indépendant  et  de  lui  disputer  le  pouvoir. 
Gratien  prêtant  l'oreille  à  ces  calomnies  expédia  l'ordre  de  le 
mettre  à  mort  Le  vainqueur  de  Firmus,  celui  qui  avait  conservé 
l'Afrique  à  l'empire,  fut  décapité  à  Karthage. 

La  révolte  de  Firmus  permit  aux  Romains  de  mesurer  tout  le 
terrain  qu'ils  avaient  perdu  en  Afrique.  En  laissant  autour  de  leurs 
colonies,  si  romanisées  qu'elles  fussent,  des  tribus  indigènes  intactes, 
non  assimilées,  ils  avaient  en  quelque  sorte  préparé  pour  l'avenir 
la  ruine  de  leur  colonisation.  La  levée  de  boucliers  à  laquelle 

1.  Berbriigger,  Epoques  militaires  de  la  grande  Kahylie. 

2.  Aioun  Besscm,  au  nord  d'Aiimale. 

3.  Les  auteurs  disent  qu'il  se  relira  à  Typa/.a,  mais  cela  semble  bien 
improbable  et  nous  nous  rallious  à  l'opinion  de  MM.  Poulie  et  Berbrug- 
ger,  qui  démontrent  que  c'est  à  Sétif  que  Théodose  s'est  reformé. 

4.  Orose,  Hist.,  1.  VH,  ch.xxxm. 


136  HISTOIRE  m  l'afrique 

la  rébellion  de  Firnius  avait  servi  de  prétexte,  était  le  premier 
acte  du  drame.  Les  Donalisles  y  avaient  joué  un  rôle  trop  actif 
pour  ne  pas  porter  la  peine  de  la  défaite.  En  378,  les  édits  qui  les 
condamnaient  furent  remis  en  vigueur  et  exécutés  strictement. 

L'Afrique  sous  Gratien,  Valentinien  II  et  Tiiéodose.  —  Le 
monde  romain,  assailli  de  tous  côtés  par  les  barbares,  était  dans 
une  situation  des  plus  critiques,  et  Graticn  n"avait  ni  l'énergie  ni 
les  talents  qui  auraient  été  nécessaires  dans  un  tel  moment.  Son 
frère,  Valentinien  II,  empereur  d'Orient,  était  un  enfant  en  bas 
âge.  Pour  soulager  ses  épaules  d'un  tel  fardeau,  Gratien  s'associa 
le  général  Théodose,  lils  du  comte  Théodose,  qui  avait  été  mis  à 
mort  par  ses  ordres,  et  l'envoya  défendre  les  frontières  de  l'em- 
pire. Peu  après,  Maxime  était  proclamé  par  ses  soldats  dans  les 
Gaules  (383).  Gratien,  ayant  marché  contre  lui,  fut  vaincu  et  tué 
par  l'usurpateur,  près  de  Lyon.  On  dit  que  sa  défaite  fut  due  à  la 
défection  de  sa  cavalerie  maure. 

Théodose,  forcé  de  reconnaître  l'usurpateur,  obtint  cependant 
que  l'Italie  et  l'Afrique  fussent  attribuées  à  Valentinien  II.  Mais 
Maxime  ne  pouvait  se  contenter  d'une  position  si  secondaire.  En 
387,  il  attaqua  ^'alentinien  et  l'expulsa  de  l'Afrique.  L'année  sui- 
vante, il  était  à  son  tour  vaincu  par  Théodose  qui,  après  l'avoir 
tué,  remit  Valentinien  II  en  possession  de  l'Afrique.  Enfin,  en  392, 
Valentinien  ayant  été  assassiné,  le  trône  impérial  resta  à  Théodose. 

Mais  à  celte  époque,  les  empereurs  ne  vivaient  pas  longtemps. 
Théodose  mourut  en  395  et  l'empire  échut  à  ses  deux  lils  Arcadius 
et  Ilonorius.  Ce  dernier,  âgé  de  onze  ans,  eut  l'Occident  avec 
l'Afrique. 

Révolte  de  Gildon.  —  Pendant  ces  compétitions,  que  pouvait 
faire  l'Afrique,  sinon  se  lancer  de  nouveau  dans  la  révolte?  Nous 
avons  vu  qu'à  l'arrivée  du  comte  Théodose  en  Maurétanie,  Gildon, 
frère  de  Firmus,  s'était  mis  à  sa  disposition  et  lui  avait  amené  des 
renforts.  On  avait  été  content  de  ses  services  et  il  était  resté  sans 
doute  en  relations  intimes  avec  la  famille  de  ce  général.  Aussi, 
lorsque  le  fils  du  comte  Théodose  eut  été  associé  à  l'empire,  il 
songea  à  être  utile  à  Gildon  et  lui  fit  donner,  en  387,  le  comman- 
dement des  troupes  d'Afrique  avec  le  titre  de  grand  maître  des 
deux  milices.  Résidant  à  Karthage  auprès  du  proconsul  Probinus, 
il  joignit  à  la  puissance  dont  il  était  revêtu  l'honneur  de  s'allier  à 
la  famille  de  Théodose,  en  donnant  sa  fille  à  un  des  neveux  de 
celui-ci. 

Dès  lors,  l'orgueil  du  prince  indigène  ne  connut  plus  de  bornes. 


l'afrique  sous  l'autorité  romaine  (398) 


137 


et  le  pays  commença  à  sentir  le  poids  de  sa  tyrannie,  car  l'auto- 
rité du  proconsul  était  efTacée  par  la  sienne.  Cependant,  lors  de  la 
révolte  d'Eugène  dans  les  Gaules,  il  refusa  les  propositions  qui  lui 
furent  faites  par  cet  usurpateur  (394)  ;  mais,  d'autre  part,  il  ne 
montra  pas  grand  zèle  pour  l'empereur  et  se  dispensa  d'envoyer 
les  secours  qu'il  lui  réclamait. 

La  mort  de  Théodose  le  décida  à  lever  le  masque,  et,  pour  dé- 
clarer ses  intentions,  il  retint  dans  le  port  de  Karthage  les  blés 
destinés  à  l'alimentation  de  Rome  (395).  Cette  fois,  la  guerre  est 
inévitable,  car  la  disette  ne  permet  plus  de  faiblesses.  Gildon  est 
déclaré  ennemi  public,  et  Stilicon,  ministre  d'Honorius,  se  dis- 
posa à  le  combattre. 

Dans  cette  conjoncture,  Gildon  appelle  à  lui  le  peuple  indigène 
en  se  déclarant  restaurateur  de  son  indépendance.  Il  comble  les 
Donatistes  de  ses  faveurs  et  persécute  les  catholiques.  Mascizel, 
son  frère,  s'étant  rendu  à  Milan  pour  un  motif  inconnu,  Gildon  le 
soupçonne  d'être  allé  intriguer  contre  lui,  et,  pour  l'intimider,  il 
fait  mettre  à  mort  ses  deux  fils  '  ;  puis  il  adresse,  pour  la  forme, 
sa  soumission  à  l'empereur. 

Chute  de  Gildon.  —  C'est  à  ^lascizel,  brûlant  du  désir  de  la 
vengeance,  que  Stilicon  donna  le  commandement  de  l'expédition. 
En  398,  ce  chef  débarqua  en  Afrique  avec  cinq  mille  légionnaires 
(Gaulois,  Germains  et  auxiliaires)  et  marcha  contre  son  frère  qui 
l'attendait  à  la  tète  d'un  rassemblement  de  soixante-dix  mille  guer- 
riers, mal  armés  et  demi-nus.  Parvenu  auprès  de  Theveste,  il  se 
trouva  isolé  au  milieu  de  montagnes  escarpées  et  entouré  de  ses 
innombrables  ennemis. 

Gildon  est  au  milieu  de  ses  cavaliers  Maures  et  Gétules  et  de 
ses  montagnards  berbères  ;  en  voyant  les  faibles  forces  que  son 
frère  ose  lui  opposer,  il  donne  le  signal  du  combat  comme  celui 
d'une  exécution  en  masse.  L'action  s'engage,  et  Mascizel,  déses- 
péré, s'avance  pour  parlementer.  Alors  un  certain  tumulte  se  pro- 
duit aux  premières  lignes  :  un  porte-enseigne  tombe  devant  le  chef 
des  troupes  romaines,  et  les  Berbères  croient  à  une  trahison  ;  ce 
mot  se  propage  parmi  eux  comme  un  éclair,  et  bientôt  cette  im- 
mense armée,  prise  d'une  terreur  inexplicable,  tourne  le  dos  à 
rennemi.  En  même  temps,  les  légionnaires,  revenus  de  leur 
étonnement,  chargent  les  indigènes  et  changent  leur  retraite  en 
déroute  -. 

1.  Orose,  1.  VII,  ch.  xxxiii. 

2.  Zosime,  Ilist.,  1.  V.  Orose,  1.  VII. 


138 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


Après  cette  inexplicable  défaite,  Gildon,  abandonné  de  tous,  par- 
vint à  atteindre  le  littoral  et  à  prendre  la  mer;  il  voulait  'gagner 
Constantinople  ;  mais  les  vents  contraires  le  rejetèrent  sur  la  côte 
d'Afrique.  Arrêté  à  Tabarka,  il  fut  conduit  à  son  frère  qui  l  ac- 
cabla  de  reproches  et  le  jeta  en  prison  en  attendant  l'heure  de  son 
supplice.  Gildon  l'évita  en  s  étranglant  de  ses  propres  mains.  Il 
avait  gouverné  l'Afrique  pendant  douze  ans. 

Mascizel,  qui  A-enail  de  rétablir  si  heureusement  la  paix  en 
Afrique,  et  d'assurer  la  subsistance  de  l'Italie,  se  rendit  à  Milan, 
afin  d'obtenir  la  récompense  de  ses  services,  c'est-à-dire  sans  doute 
la  position  de  son  frère.  Mais  Stilicon  venait  de  se  convaincre  par 
la  révolte  de  Gildon  du  peu  de  confiance  que  l'on  pouvait  accorder 
aux  Africains  ;  il  se  débarrassa  du  solliciteur  en  le  faisant  noyer 
sous  ses  yeux. 

L'Afrique  sous  Honorius.  —  L'Afrique,  qui  depuis  un  an  rele- 
vait de  l'empire  d'Orient,  fut  rattachée  à  celui  d'Occident  ;  puis  on 
envoya  à  Karthage  un  proconsul  qui  réunit  au  fisc  tous  les  do- 
maines de  la  succession  de  Nubel  et  de  Gildon.  Ces  biens  étaient 
considérables  et  l'on  dut  nommer  un  fonctionnaire  spécial  pour  les 
administrer. 

La  chute  de  Gildon  fut  suivie  de  persécutions  contre  ceux  qui 
avaient  pris  part  à  sa  révolte,  et,  comme  ils  étaient  presque  tous 
donatisles,  ces  représ:iilles  prirent  la  forme  d'une  nouvelle  persé- 
cution attisée  par  les  évêques  orthodoxes.  Quiconque  était  soup- 
çonné d'avoir  eu  de  la  sympathie  pour  les  rebelles  se  voyait  dé- 
pouillé de  ses  biens  et  chassé  du  pays,  trop  heureux  s'il  échappait 
au  supplice.  L'évêque  Optatus  de  Thamugas,  qui  avait  été  un  des 
principaux  auxiliaires  de  Gildon,  fut  jeté  en  prison  et  y  périt. 
Cette  terreur  dura  dix  ans.  Ce  fut  pour  les  Circoncellions  une  oc- 
casion de  recommencer  leurs  désordres. 

En  399,  Honorius  promulgua  un  édit  par  lequel  il  prohibait 
d'une  façon  absolue  le  culte  des  idoles.  L'exécution  de  cette  me- 
sure rencontra  en  Afrique  une  vive  opposition,  car  les  païens  y 
étaient  encore  nombreux.  Le  temple  de  Tanit  à  Karthage,  qui 
avait  été  fermé  par  ordre  de  Théodose,  fut  affecté  au  culte  chré- 
tien, mais  comme  les  idolâtres  continuaient  à  y  faire  leurs  sacri- 
fices, on  se  décida  à  le  démolir. 

Cependant  l'invasion  des  peuples  du  Nord  achevait  de  se  ré- 
pandre sur  l'Europe.  Dans  les  premières  années  du  v*^  siècle,  les 
^'andales,  les  Alains  et  les  Suèves,  poussés  par  les  Huns,  partis  de 
la  Pannonie,  traversent  la  Germanie,  culbutent  les  Franks,  pénè- 
trent en  Gaule  et,  continuant  leur  marche  à  travers  les  Pyrénées, 


i,"afrique  sous  l'autorité  romaine  (il3) 


139 


s'arrêtent  en  Espagne.  En  409,  ils  opèrent  entre  eux  un  premier 
partage  du  pays.  Dans  le  cours  de  la  même  année,  les  Goths,  con- 
duits par  Alaric,  s'emparaient  de  Rome.  Assiégé  par  eux  dans 
Ravenne,  Honorius  était  obligé  d'appeler  à  son  secours  l'empereur 
d'Orient,  son  neveu  Théodose  II. 

Dans  cette  conjoncture,  l'Afi'ique  resta  fidèle  à  l'empereur  et 
continua  à  assurer  la  subsistance  de  l'Italie.  Les  Goths  firent  plu- 
sieurs tentatives  infructueuses  pour  s'en  emparer'.  Le  gouverneur, 
Héraclien,  défendit  avec  habileté  sa  province  et  la  conserva  à  l'em- 
pire ;  le  chef  des  Goths  abandonnant  ses  projets  se  contenta  de  la 
cession  d'un  territoire  dans  la  Novempopulanie.  Alaric,  de  son 
côté,  avait  des  vues  sur  l'Afrique  ;  il  se  disposait  à  se  mettre  en 
personne  à  la  tête  d'une  expédition  et  préparait  une  flotte  à  cet 
effet  ;  mais  la  tempête  détruisit  ses  navires,  et  il  dut  y  renoncer. 

Pendant  ce  temps,  les  Austrusiens  et  les  Maxyes  mettaient  la  Tri- 
polilaine  au  pillage  ;  le  commandant  militaire  qui  avait  licencié 
une  partie  de  ses  troupes  pour  s'approprier  leur  solde,  s'empressa 
de  prendre  la  mer  en  laissant  les  populations  se  défendre  comme 
elles  le  pourraient. 

En  413,  Héraclien  qui  s'était  emparé  des  biens  des  émigrants 
réfugiés  en  Afrique  pour  fuir  les  Goths,  se  déclara  indépendant  et 
commença  sa  révolte  en  retenant  les  blés.  Bientôt  il  passa  en 
Italie  à  la  tête  d'une  armée  considérable,  mais  il  fut  entièrement 
défait  près  d'Orticoli  ;  après  quoi  il  chercha  un  refuge  à  Karthage 
où  il  ne  trouva  que  la  mort. 

1.  Lebeau,  Hisloiic  du  Bas-Empire.  1.  XXVIll. 


CHAPITRE  X 

PÉRIODE  VANDALE 
415-531 


Le  christianisme  en  Afrique  au  commencement  du  v«  siècle.  —  Boniface 
gouverneur  d'Afrique;  il  traite  avec  les  Vandales.  —  Les  Vandales  enva- 
hissent l'Afrique.  —  Lutte  de  Boniface  contre  les  Vandales.  —  Fondation 
de  l'empire  vandale.  —  Nouveau  traité  de  Genseric  avec  l'empire;  orga- 
nisation de  l'Afrique  A'andale.  —  Mort  de  Valenthinien  III;  pillage  de 
Rome  par  Genséric  —  Suite  des  guerres  des  Vandales.  —  Apogée  de  la 
puissance  de  Genséric;  sa  mort.  —  Règne  de  Ilunéric  ;  persécutions 
contre  les  catholiques.  —  Révolte  des  Berbères.  —  Cruautés  de  Hunéric. 

—  Concile  de  Karthage  ;  mort  de  Ilunéric.  —  Règne  de  Goudamond. 

—  Règne  de  Trasamond.  —  Règne  de  Hildéric.  —  Révoltes  des  Ber- 
bères; usurpation  de  Gélimer. 

Le  christianisme  en  Afrique  au  commencement  du  v"  siècle.  — 
Avant  d'enlreprendre  le  récit  des  événements  qui  vont  faire  entrer 
l'histoire  de  la  Berbérie  dans  une  nouvelle  phase,  il  convient  de 
jeter  un  coup  d'œil  sur  la  situation  du  christianisme  en  Afrique  au 
commencement  du  v*^  siècle.  Si  nous  sommes  entrés  dans  des  détails 
un  peu  plus  complets  que  ne  semble  le  comporter  le  cadre  de  ce 
récit,  sur  cette  question,  c  est  que  l'établissement  de  la  religion 
chrétienne  fut  une  des  principales  causes  du  désastre  de  l'Afrique'. 
Les  premières  persécutions  commencèrent  à  porter  un  grand 
trouble  dans  la  population  coloniale  et  à  diminuer  sa  force  en  pré- 
sence de  l'élément  berbère  en  reconstitution.  Et  cependant  cette 
période  est  la  plus  belle,  car  les  chrétiens  unis  dans  un  malheur 
commun  donnent  l'exemple  de  l'union  et  de  la  concorde.  Aussitôt 
que  la  cause  pour  laquelle  ils  ont  tant  souffert  vient  à  triompher, 
une  scission  radicale,  irrémédiable,  se  produit  dans  leur  sein  et  ils 
se  traitent  avec  la  haine  la  plus  féroce.  «  Il  n'y  a  pas  de  bêtes  si 
cruelles  aux  hommes  que  la  plupart  des  chrétiens  le  sont  les  uns 

1.  C'est  l'opinion  d'un  homme  dont  ou  ne  contestera  ui  la  compétence 
ni  le  catholicisme,  M.  Lacroix.  «  Il  ne  faut  pas  se  dissimuler,  dit-il  dans 
son  ouvrage  inédit,  que  le  christianisme  eut  une  large  part  à  revendi- 
quer dans  le  désastre  de  l'Afrique  Nul  doute  que  les  déplo- 
rables dissensions  dont  la  population  créole  offrit  alors  le  triste  spec- 
tacle n'ait  hâté  la  chute  du  colosse.  »  {Re\'ue  africaine^  n"  72  et  suivants.) 


PÉRIODE   VANDALE  (415) 


141 


aux  autres.  »  Ainsi  s'exprime  Ammien  Marcellin',  qui  les  a  vus  de 
près.  Mais  ce  n'est  pas  tout  :  avec  le  succès,  leurs  mœurs  deviennent 
moins  pures  et  leurs  assemblées  servent  de  prétexte  aux  orgies,  si 
bien  que  saint  Augustin,  qui  avait  failli  être  lapidé  à  Karthage  pour 
avoir  prêché  contre  l'ivrognerie,  s'écrie  :  «  Les  martyrs  ont  horreur 
de  vos  bouteilles,  de  vos  poêles  à  frire  et  de  vos  ivrogneries  ! -.»  Il 
faut  ajouter  à  cela  les  schismes  qui  divisent  l'église  orthodoxe,  en 
outre  du  donatisme  et  de  l'arianisme,  car  tous  les  jours  il  paraît 
quelque  novateur  :  Pélage  fonde  l'hérésie  qui  porte  son  nom; 
Célestius,  son  compagnon,  la  propage  en  Afrique;  les  nouveaux 
sectaires  se  subdivisent  eux-mêmes  en  Pélagiens  et  semi-Pélagiens. 
En  Cyrénaïque  et  dans  l'est  de  la  Berbérie,  c'est  l'hérésie  de  Nes- 
torius  qui  est  en  faveur;  ailleurs  les  Manichéens  ont  la  majorité. 

Nous  avons  vu  à  quels  excès  s'étaient  portés  les  Donatistes  et 
les  orthodoxes  les  uns  contre  les  autres,  suivant  leurs  alternatives 
de  succès  ou  de  revers.  La  rage  des  Circoncellions  fut  surtout 
funeste  à  la  colonisation  romaine,  car  elle  détruisit  cette  forte  occu- 
pation des  campagnes  qui  était  le  plus  grand  obstacle  à  l'expansion 
des  indigènes;  les  fermes  étant  brûlées  et  les  colons  assassinés,  les 
campagnes  furent  toutes  prêtes  à  recevoir  de  nouveaux  occupants. 
L'histoire  n'offre  peut-être  pas  d'autre  exemple  de  l'esprit  de  des- 
truction animant  ces  sectaires,  véritables  nihilistes  qui  se  tuaient 
les  uns  les  autres,  quand  ils  avaient  fait  le  vide  autour  d'eux  et 
qu'il  ne  restait  personne  à  frapper. 

Quelques  nobles  figures  nous  reposent  dans  ce  sombre  tableau. 
La  plus  belle  est  celle  de  saint  Augustin,  né  à  Thagaste^  ;  il  étudia 
d'abord  à  Madaure*,  puis  à  Karthage.  Nous  n'avons  pas  à  faire  ici 
l'histoire  de  ce  grand  moraliste.  Disons  seulement  qu'après  un  long 
séjour  en  Italie,  il  revint  en  Afrique  en  388  et  y  écrivit  un  certain 
nombre  de  ses  ouvrages.  Il  s'appliqua  alors,  de  toutes  ses  forces, 
à  combattre,  par  sa  parole  et  par  ses  écrits,  les  Manichéens,  et 
surtout  les  Donatistes.  Il  fut  secondé  dans  cette  tâche  par  saint 
Optât,  évêque  de  Mileu,  qui  a  laissé  des  écrits  estimés  et  notam- 
ment une  histoire  des  Donatistes. 

En  410,  Honorius,  cédant  à  la  pression  des  prêtres  qui  l'entou- 
raient, rendit  un  nouvel  édit  contre  les  Donatistes.  Mais  leur 
nombre  était  trop  grand  en  Afrique  et  l'empereur  n'avait  pas  la 
force  matérielle  nécessaire  pour  faire  exécuter  ses  ordres.  Il  voulut 

1.  Lib.  XXII,  cap.  V. 

2.  Sermon  273. 

3.  Actuellement  Souk-Ahras. 

4.  Medaourouch. 


142 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


alors  essayer  de  la  conviction  et  réunit  le  16  mai  ill,  à  Karthage, 
un  concile  auquel  prirent  part  deux  cent  quatre-vingt-six  évêques 
dont  la  moitié  étaient  schismatiques,  sous  la  présidence  du  tribun 
et  notaire  Flavius  Marcellin.  Les  Donatistes  furent  encore  vaincus 
dans  ce  combat.  Ils  en  appelèrent  de  la  sentence,  mais  l'empereur 
leur  répondit  par  un  nouvel  édit  leur  retirant  toutes  les  faveurs 
qu'ils  avaient  pu  obtenir  précédemment,  et  prescrivant  contre 
eux  les  mesures  les  plus  sévères.  Contraints  encore  une  fois  de 
rentrer  dans  l'ombre,  ils  attendirent  l'occasion  de  se  venger. 

BONIFACE  GOUVERNEUR  d'AfRIQUE.  Il  TRAITE  AVEC  LES  VAN- 
DALES. —  Le  li  août  423,  Honorius  cessait  de  vivre,  en  laissant 
comme  héritier  au  trône  un  jeune  neveu,  alors  en  exil  à  Constan- 
tinople,  avec  sa  mère  la  docte  Placidie.  Aussitôt,  celle-ci  le  fit 
reconnaître  comme  empereur  d'Occident  par  les  troupes;  mais  ce 
ne  fut  qu'après  bien  des  vicissitudes  qu'il  fut  proclamé  à  Ravenne 
sous  le  nom  de  Valentinien  III.  Comme  il  n'était  âgé  que  de  six 
ans,  Placidie  s'attribua,  avec  la  régence,  le  titre  d'Augusta  et  prit 
en  main  la  direction  des  affaires. 

Le  général  Boniface,  qui  s'était  distingué  dans  une  longue  car- 
rière militaire,  dont  une  partie  passée  en  Maurétanie  comme  pré- 
posé des  limites  à  Tubuna',  avait  été  nommé  en  422,  par  Honorius, 
comte  d'Afrique.  Il  avait  su,  par  une  administration  habile  et  une 
juste  sévérité,  ramener  ou  maintenir  dans  le  devoir  les  populations 
latines,  depuis  si  longtemps  divisées  par  l'anarchie,  et  repousser 
les  indigènes  qui,  de  toutes  parts,  envahissaient  le  pays  colonisé. 
Nommé  gouverneur  de  toute  l'Afrique  par  Placidie,  il  l'aida  puis- 
samment, grâce  à  ses  conseils  et  à  l'envoi  de  secours  de  toute 
nature,  à  triompher  de  l'usurpateur  Jean.  Ces  éminents  services 
avaient  donné  à  Boniface  un  des  premiers  rangs  dans  l'empire. 

Mais  la  cour  de  ^  alentinien,  dirigée  par  une  femme  partageant 
son  temps  entre  les  lettres  et  la  religion,  était  un  terrain  propice 
aux  intrigues  de  toute  sorte.  Aétius,  autre  général,  jaloux  des 
faveurs  dont  jouissait  Boniface,  prétendit  que  le  comte  d'Afrique 
visait  à  l'indépendance  et,  comme  l'impératrice  refusait  de  le  croire, 
il  l'engagea  pour  l'éprouver  à  lui  donner  l'ordre  de  venir  immé- 
diatement se  justifier  en  personne.  Ce  conseil  ayant  été  suivi,  il 
fit  dire  indirectement  à  Boniface  qu'on  voulait  attenter  à  ses  jours. 
Cette  odieuse  machination  réussit  à  merveille.  Boniface  refusa  de 
venir  se  justifier.  Dès  lors  sa  rébellion  fut  certaine  pour  Placidie 
et  comme  on  apprit,  sur  ces  entrefaites,  que  le  comte  d'Afrique 

1.  Tobna,  dans  le  Hodna. 


PÉRIODE   VANDALE  (429) 


143 


venait  d'épouser  une  princesse  arienne  de  la  famille  du  roi  des 
Vandales  d'Espagne',  on  ne  douta  plus  de  sa  trahison. 

Aussitôt  rimpératrice  nomma  à  sa  place  Sigiswulde,  et  fit  mar- 
cher contre  lui  trois  corps  d'armée  (427)  ;  mais  Boniface  les 
repoussa  sans  peine.  Pour  cela,  il  avait  été  obligé  de  rappeler 
toutes  les  garnisons  de  l'intérieur  et  les  Berbères  en  avaient  profité 
pour  se  lancer  dans  la  révolte.  L'année  suivante  Placidie  envoya 
en  Afrique  une  nouvelle  armée  qui  ne  tarda  pas  à  s'emparer  de 
Karthage.  La  situation  devenait  critique  pour  Boniface  ;  attaqué 
par  les  forces  de  sa  souveraine,  menacé  sur  ses  derrières  par  les 
indigènes,  le  comte  prit  un  parti  désespéré  qui  allait  avoir  pour 
l'Afrique  les  plus  graves  conséquences.  Il  s'adressa  au  roi  des  Van- 
dales et  conclut  avec  lui  un  traité,  aux  termes  duquel  il  lui  cédait 
les  trois  Maurétanies,  jusqu'à  l'Amsaga,  à  la  condition  qu'il  con- 
serverait pour  lui  la  souveraineté  du  reste  de  l'Afrique*. 

Les  Vandales  envahissent  l'Afrique.  —  Les  Vandales,  après 
avoir  été  écrasés  par  les  Goths  et  rejetés  dans  les  montagnes  de  la 
Galice  (416-8),  avaient,  à  la  suite  du  départ  de  leurs  ennemis, 
reconquis  l'Andalousie,  battu  les  Alains,  et  établi  leur  prépondé- 
rance sur  l'Espagne,  malgré  les  elforts  des  Romains,  aidés  des 
Goths  (422).  Au  moyen  de  vaisseaux,  trouvés,  dit-on,  à  Carthagène, 
ils  n'avaient  pas  tardé  à  sillonner  la  Méditerranée  et  ils  avaient  pu 
jeter  des  regards  sur  cette  Afi'ique,  objet  de  convoitise  pour  les 
Barbares.  C'est  ce  qui  explique  la  facilité  avec  laquelle  la  proposi- 
tion de  Boniface  avait  été  acceptée. 

Dans  le  mois  de  mai  429',  les  Vandales  avec  leurs  alliés  Alains, 
Suèves,  Goths  et  autres  barbares,  au  nombre  de  quatre-vingt  mille 
personnes,  dont  cinquante  mille  combattants  traversèrent  le  dé- 
troit et  débarquèrent  dans  la  Tingitane.  Boniface  leur  fournit  ses 
vaisseaux  et  l'on  dit  que  les  Espagnols,  heureux  de  se  débarrasser 
d'eux,  leur  facilitèrent  de  tout  leur  pouvoir  ce  passage. 

Aussitôt  débarqués,  les  envahisseurs  se  mirent  en  marche  vers 

1.  Selon  M.  Ci-euly  (Annuaire  de  la  Soc.  arcli.  de  Conslantine,  1858-59, 
pp.  16,  17),  la  personne  épousée  par  Boniface,  nommée  Pélagie,  aurait 
été  bien  plus  probablement  une  dame  romaine  ayant  des  propriétés  en 
Afrique. 

2.  Procope,  Bell.  Vand.,  1.  I,  ch.  m,  Lebeau,  Ilist.  du  Bas-Empire, 
t.  I"V,  p.  24.  Marcus,  Hist.  des  Vandales,  p.  143.  Bureau  de  la  Malle, 
Recherches,  etc.,  p.  36. 

3.  Cette  date  varie,  selon  les  auteurs,  entre  427  et  429.  Nous  adoptons 
celle  de  Y  Art  de  vérifier  les  dates,  t.  I,  p.  403. 

4.  Ces  chiffres  donnent  également  lieu  à  des  divergences.  V.  Victor 
de  Vite,  Hisl.  pcrs.  Vand.,  p.  3,  et  Procope,  1.  I,  ch.  v. 


144 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


l'est,  s'avançant  en  masse  comme  une  trombe  qui  détruit  tout  sur 
son  passage.  Ils  étaient  conduits  par  Genseric  (ou  Gizeric}  leur  roi, 
qui  venait  d'usurper  le  pouvoir  en  faisant  assassiner  son  frère 
Gunderic,  souverain  légitime.  Les  ^'andales  étaient  ariens  et  grands 
ennemis  des  orthodoxes.  Les  Donatistes  les  accueillirent  comme 
des  libérateurs  et  facilitèrent  leur  marche.  Il  est  très  probable  que 
les  Maures,  s'ils  ne  s'allièrent  pas  à  eux,  s'avancèrent  à  leur  suite 
pour  profiter  de  leurs  conquêtes. 

Sur  ces  entrefaites,  Placidie,  aj  ant  reconnu  les  calomnies  dont 
Boniface  avait  été  victime,  se  réconcilia  avec  lui  et  lui  rendit  ses 
faveurs.  Saint  Augustin,  ami  du  comte  d'Afrique  et  qui  avait  fait 
tous  ses  efforts  pour  l'amener  à  abandonner  son  dessein,  servit  de 
médiateur  entre  le  rebelle  et  sa  souveraine.  Boniface,  qui  avait 
enfin  mesuré  les  conséquences  de  la  faute  par  lui  commise  en 
appelant  les  Vandales  en  Afrique ,  essaya  d'obtenir  la  rupture  du 
traité  conclu  avec  eux  et  leur  rentrée  en  Espagne  ;  mais  il  était  trop 
tard,  car  il  est  souvent  plus  facile  de  déchaîner  certaines  calamités 
que  de  les  arrêter.  Encouragés  par  leurs  succès  et  par  l'appui 
qu'ils  rencontraient  dans  la  population,  les  ^'andales  repoussèrent 
dédaigneusement  ses  propositions,  et,  pour  braver  ses  menaces, 
franchirent  l'Amsaga  et  envahirent  la  rSumidie. 

Lutte  de  Boniface  contre  les  V.\ndales.  —  Le  comte  d'Afrique 
ayant  marché  à  la  tête  de  ses  troupes  contre  les  envahisseurs,  leur 
livra  bataille  en  avant  de  Calama  '  ;  mais  il  fut  entièrement  défait 
et  se  vit  contraint  de  chercher  un  refuge  derrière  les  murailles 
d'Hippône -.  Les  Barbares  l'y  suivirent  (430)  et,  ayant  employé  une 
partie  de  leurs  forces  pour  investir  cette  ville,  lancèrent  le  reste 
dans  le  cœur  de  la  Numidie,  où  ils  mirent  tout  à  feu  et  à  sang. 
Guidés  sans  doute  par  les  Donatistes,  ils  s'acharnèrent  particu- 
lièrement à  détruire  les  églises  des  orthodoxes.  Constantine  résista 
à  leurs  efforts^.  Le  siège  d'Hippône  durait  depuis  longtemps  et 
l'on  dit  que  les  A'andales,  pour  démoraliser  les  assiégés  et  leur 
rendre  le  séjour  de  la  ville  intolérable,  amassaient  les  cadavres  dans 
les  fossés  et  au  pied  des  murs  et  mettaient  à  mort  leurs  prisonniers 
sur  ces  charniers  qu'ils  laissaient  se  décomposer  en  plein  air.  Saint 
Augustin,  qui  aurait  pu  fuir,  avait  préféré  rester  dans  son  évêché 
et  soutenir  l'honneur  de  cette  église  d'Afi-ique  pour  laquelle  il 

1.  Guelma. 

2.  Bône. 

3.  Lebeau,  t.  IV,  p.  49.  L.  Marcus,  pp.  130  et  suiv.  Yanoski,  Hist. 
de  la  domination  vandale  en  Afrique,  p.  12. 


PÉRIODE   VANDALE  (437) 


145 


avait  tant  lutté.  Mais  il  ne  put  résister  aux  souffrances  et  à  la 
fatigue  du  siège  et  mourut  le  28  août  430. 

Enfin,  dans  l'été  de  431,  des  secours  commandés  par  Aspar, 
général  de  l'empereur  d'Orient,  furent  envoyés  par  Placidie  à 
Hippône.  Boniface  crut  alors  pouvoir  prendre  l'offensive  et  chasser 
ses  ennemis  qui  avaient,  à  peu  près,  levé  le  siège.  Il  leur  livra 
bataille  dans  les  plaines  voisines  ;  mais  le  sort  des  armes  lui  fut 
encore  funeste.  Aspar  se  réfugia  sur  ses  vaisseaux  avec  les  débris 
de  ses  troupes,  et  Hippône  ne  fut  plus  en  état  de  résister.  Les 
Vandales  mirent  cette  ville  au  pillage  et  l'incendièrent. 

Boniface  se  décida  alors  à  abandonner  l'Afrique.  Il  alla  se  pré- 
senter devant  sa  souveraine  qui  l'accueillit  avec  honneur  et  évita 
les  récriminations  inutiles  :  tous  deux,  en  effet,  étaient  également 
responsables  de  la  perte  de  l'Afrique. 

Fondation  de  l'empire  Vandale.  —  Ainsi  la  Numidie  et  les 
Maurétanies  restaient  aux  mains  des  Vandales.  L'empereur,  absorbé 
par  d'autres  guerres,  ne  pouvait  songer  pour  le  moment  à  recon- 
quérir ces  provinces  ;  il  pensa,  dans  l'espoir  de  conserver  ce  qui 
lui  restait,  qu'il  était  préférable  de  traiter  avec  Genséric  et  lui 
envoya  un  négociateur  du  nom  de  Trigétius.  Le  11  février  435, 
un  traité  de  paix  fut  signé  entre  eux  à  Hippône.  Bien  que  les  con- 
ditions particulières  de  cet  acte  ne  soient  pas  connues,  on  sait  que 
Genséric  consentit  à  payer  un  tribut  annuel  à  l'empereur,  lui  livra 
son  fils  Hunéric  en  otage,  et  s'engagea  par  serment  à  ne  pas  fran- 
chir la  limite  orientale  de  la  contrée  qu'il  occupait  en  Afrique'. 

C'était  la  consécration  du  fait  accompli.  Genséric  donna  d'abord 
de  grands  témoignages  d'amitié  aux  Romains,  et  ceux-ci  en  furent 
tellement  touchés,  qu'ils  lui  renvoyèrent  son  fils.  Mais  l'ambitieux 
barbare  sut  employer  ce  répit  pour  préparer  de  nouvelles  con- 
quêtes. Il  avait,  du  reste,  à  assurer  sa  propre  sécurité  menacée 
par  les  partisans  de  son  frère  Gundéric.  Dans  ce  but  il  fit  massa- 
crer la  veuve  et  les  enfants  de  celui-ci  qu'il  détenait  dans  une 
étroite  captivité  et  réduisit  à  néant  les  derniers  adhérents  de  son 
frère.  Il  s'était  depuis  longtemps  déclaré  le  protecteur  des  Dona- 
tistes  et  des  Ariens  ;  les  orthodoxes  furent  cruellement  persé- 
cutés. En  437,  les  évêques  catholiques  avaient  été  sommés  par  lui 
de  se  convertir  à  l'arianisme  ;  ceux  qui  s'y  refusèrent  furent  pour- 
suivis et  exilés  et  leurs  églises  fermées.  Enfin,  il  tâcha  de  s'assurer 
le  concours  des  Berbères  et  il  est  plus  que  probable  qu'il  leur 
abandonna  sans  conteste  les  frontières  de  l'ouest  et  du  sud,  que 


1.  Fournel,  Berbers,  p  79. 

T.  I. 


10 


146 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQLE 


les  Romains  défendaient  depuis  si  longtemps  contre  leurs  inva- 
sions. 

En  même  temps,  Gensëric  suivait  avec  attention  les  événements 
d'Europe,  car  il  avait  comme  auxiliaires  contre  l'empire,  à  l'est  les 
Huns,  avec  Attila,  dont  l  atlaque  était  imminente,  et  à  l'ouest  et 
au  nord,  les  ^'izigoths  et  les  Suèves.  Dans  l'automne  de  l'année  439, 
le  roi  vandale,  profitant  de  l'éloignement  d'Aétius  retenu  dans  les 
Gaules  par  la  guerre  contre  les  Mzigoths,  marcha  inopinément 
sur  Karthage  et  se  rendit  facilement  maître  de  cette  belle  cité,  alors 
métropole  de  l'Afrique  [19  oct.).  Les  Vandales  y  trouvèrent  de 
grandes  richesses,  notamment  dans  les  églises  catholiques  qu'ils 
mirent  au  pillage.  L'évéque  Quodvultdéus  ayant  été  arrêté  avec  un 
certain  nombre  de  prêtres,  on  les  accabla  de  mauvais  traitements, 
puis  on  les  dépouilla  de  leurs  vêtements  et  on  les  plaça  sur  des 
A'aisseaux  à  moitié  brisés  qu'on  abandonna  au  gré  des  flots.  Ils 
échappèrent  néanmoins  au  trépas  et  abordèrent  sur  le  rivage  de 
Naples.  La  conquête  de  la  Byzacène  suivit  celle  de  Karthage.  Ainsi 
cette  province  échappa  aux  Romains  qui  l'occupaient  depuis  près 
de  six  siècles. 

Après  ce  succès,  Genséric,  qui  avait  des  visées  plus  hautes, 
donna  tous  ses  soins  à  l'organisation  d'une  flotte,  et  bientôt  les 
corsaires  vandales  sillonnèrent  la  Méditerranée  ;  ils  poussèrent 
même  l'audace  jusqu'à  attaquer  Palerme  ^440).  Se  voyant  menacé 
chez  lui,  Valentinien  envoya  des  troupes  pour  garder  les  côtes, 
autorisa  les  habitants  à  s'armer  et  leur  abandonna  d'avance  tout 
le  butin  qu'ils  pourraient  faire  sur  les  "N'andales.  En  442,  l'empereur 
Théodose  envoya  à  son  secours  une  flotte  ;  mais  les  navires  furent 
rappelés  avant  d'avoir  pu  combattre,  par  suite  d'une  invasion  des 
Huns. 

Nouveau  traité  de  Genséric  avec  l'empire.  —  Organisation  de 
l'Afrique  vandale.  —  ^'alentinien,  dans  l'espoir  de  préserver  son 
trône,  se  décida  à  traiter,  de  nouveau,  avec  le  roi  des  Vandales. 
Il  céda  à  Genséric  la  Byzacène  jusqu'aux  Syrtes  et  la  partie 
orientale  de  la  Xumidie,  la  limite  passant  à  l'ouest  de  Theveste, 
Sicca-Veneria  et  Vacca*.  De  son  côté,  le  roi  abandonna  à  l'em- 
pereur le  reste  de  la  Xumidie  et  les  Maurétanies.  Le  traité  fut 
signé  à  Karthage  en  442  -.  Ainsi  les  Vandales  s'emparaient  du  ter- 
ritoire le  plus  riche,  le  mieux  colonisé  et  le  moins  dévasté,  et  ils 
rendaient  aux  Romains  des  pays  ruinés,  livrés  à  eux-mêmes,  et  où 

1.  Tebessa,  le  Kef  et  Badja. 

2.  V.  de  Vite,  1.  I,  ch.  iv.  Marcus,  p.  166.  Yanoski,  p.  17. 


PÉRIODE  VANDALE  (454) 


147 


ils  n'avaient  plus  aucune  action.  En  445,  Valentinien  promulguait 
une  loi  par  laquelle  il  faisait  remise  aux  habitants  de  la  Numidie 
et  de  la  Maurétanie  des  sept  huitièmes  de  leurs  impôts.  Cela 
donne  la  mesure  de  la  destruction  de  la  richesse  publique.  Quelque 
temps  après,  il  prescrivait  d'attribuer  dans  ces  provinces  des  em- 
plois aux  fonctionnaires  destitués  par  les  Vandales. 

Genséric  divisa  son  empire  en  cinq  provinces  :  la  Byzacène,  la 
Numidie,  l'Aharitane  (territoire  situé  sur  le  haut  Bagrada,  à  l'est 
de  Tebessa),  la  Gêtulie,  comprenant  le  Djerid  et  les  pays  méri- 
dionaux, et  la  Zeugitane  ou  Consulaire.  Il  fit  raser  les  fortifications 
de  toutes  les  villes,  à  l'exception  de  Karthage,  et  se  forma  avec 
l'aide  des  indigènes  une  armée  de  quatre-vingts  cohortes.  «  Il  par- 
tagea les  terres  en  trois  lots.  Les  biens  meubles  et  immeubles  des 
plus  nobles  et  des  plus  riches,  ainsi  que  leurs  personnes,  furent 
attribués  à  ses  deux  fils  Hunéric  et  Genson  ^  Le  deuxième,  se 
composant  particulièrement  des  terres  de  la  Byzacène  et  de  la 
Zeugitane,  fut  donné  aux  soldats,  en  leur  imposant  l'obligation  du 
service  militaire.  Enfin  le  troisième  lot,  le  rebut,  fut  laissé  aux 
colons.  »  De  sévères  persécutions  contre  les  catholiques  ache- 
vèrent de  consommer  la  ruine  d'un  grand  nombre  de  cités  et  de 
colonies  latines. 

En  même  temps,  Genséric  donna  une  nouvelle  impulsion  à  la 
course,  et  les  indigènes  y  prirent  une  part  active.  Le  butin  était 
partagé  entre  le  prince  et  les  corsaires  -,  absolument  comme  nous 
le  verrons  plus  tard  sous  le  gouvernement  turc.  Enfin  il  entretint 
des  relations  d'alliance,  quelquefois  troublées  il  est  vrai,  avec  les 
Huns,  les  Vizigoths  et  autres  barbares,  qu'il  s'efforçait  d'exciter 
contre  l'empire. 

Mort  de  Valentinien  III.  Pillage  de  Rome  par  Genséric.  — 
Genséric  se  préparait  à  retirer  tout  le  fruit  des  attaques  incessantes 
des  barbares,  et  l'occasion  n'allait  pas  tarder  à  se  présenter,  pour 
lui,  d'exercer  ses  talents  sur  un  autre  théâtre.  En  450,  Théodose  II 
mourut  et  fut  remplacé  par  Marcien  ;  quelques  mois  après  (27  no- 
vembre 450),  Placidie  cessait  de  vivre,  et  Valentinien  III,  débar- 
rassé de  sa  tutelle,  prenait  en  main  un  pouvoir  pour  lequel  il 
avait  été  si  mal  préparé  par  son  éducation.  Après  avoir  commis 
de  nombreuses  folies,  il  tua,  dans  un  acte  de  rage,  Aétius  son 
dernier  soutien  (451)  ;  mais  peu  après  il  fut  à  son  tour  massacré 
par  les  sicaires  du  sénateur  Pétrone  Maxime,  qui  avait  à  venger 

1.  Poulie,  Maurétanie,  p.  146,  147. 

2.  V.  de  Vite,  1.  I,  ch.  viii. 


148 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


son  honneur:  sa  femme,  objet  des  violences  de  Valentinien,  s'était 
donné  la  mort.  Maxime  prit  ensuite  la  pourpre  et  contraignit  Eu- 
doxie,  veuve  de  l'empereur,  à  devenir  son  épouse 

Le  roi  des  Vandales  ne  laissa  pas  échapper  celte  occasion,  pa- 
tiemment attendue,  et  il  est  inutile  de  savoir  si,  comme  les  auteurs 
du  temps  l'affirment,  il  répondit  à  l'appel  d  Eudoxie.  Après  avoir 
équipé  de  nombreux  vaisseaux,  il  débarqua  en  Italie  une  armée 
dans  laquelle  les  Berbères  avaient  fourni  un  nombreux  contingent. 
A  son  approche,  Maxime  se  disposait  à  fuir,  lorsqu'il  fut  massacré 
par  ses  troupes  et  par  le  peuple  (12  juin  455). 

Trois  jours  après,  Genséric  se  présenta  devant  Rome  et,  bien 
qu'il  n'eût  éprouvé  aucune  résistance,  la  ville  éternelle  demeura 
livrée  pendant  quatorze  jours  à  la  fureur  des  ^'andales  et  des 
Maures.  Le  vainqueur  fit  charger  sur  ses  vaisseaux  toutes  les  ri- 
chesses enlevées  aux  monuments  publics  et  aux  habitations  pri- 
vées, et  un  grand  nombre  de  prisonniers,  membres  des  principales 
familles,  qui  furent  réduits  à  l'état  d'esclaves.  Le  tout  fut  amené  à 
Karthage  et  partagé  entre  le  prince  et  les  soldats.  Genséric  eut  no- 
tamment pour  sa  part  le  trésor  de  Jérusalem  qui  avait  été  rapporté 
de  Rome  par  Titus.  Il  ramena  en  outre  à  Karthage  Eudoxie  et 
ses  deux  filles,  et  donna  l'une  de  celles-ci  en  mariage  à  son  fils 
Hunéric  *. 

Suite  des  guerres  des  Vandales.  —  La  conquête  de  Rome  avait 
non  seulement  donné  aux  Vandales  de  grandes  richesses,  elle  leur 
avait  acquis  la  souveraineté  de  toute  l'Afrique.  Il  y  a  lieu  de  re- 
marquer à  cette  occasion  combien  le  roi  barbare  fut  prudent  en  ne 
restant  pas  en  Italie,  après  sa  victoire.  Rentré  dans  sa  capitale,  il 
compléta  l'organisation  de  son  empire  et  s'appliqua  à  entretenir 
chez  ses  sujets  le  goût  des  courses  sur  mer,  qui  avaient  ce  double 
résultat  de  tenir  les  guerriers  en  haleine  et  de  remplir  le  trésor. 
Les  rivages  baignés  par  la  ^léditerranée  furent  alors  en  butte  aux 
incursions  continuelles  des  corsaires  vandales.  Malte  et  les  petites 
îles  voisines  du  littoral  africain  durent  reconnaître  leur  autorité  ; 
ils  occupèrent  même  une  partie  de  la  Corse.  Mais  Récimer,  gé- 
néral de  l'empire  d'Occident,  ayant  été  chargé  de  purger  la  Médi- 
terranée de  ces  corsaires,  fit  subir  aux  Vandales  de  sérieuses  dé- 
faites navales  et  les  expulsa  de  la  Corse. 

En  avril  457,  l'empereur  Majorien  monta  sur  le  trône.  C'était  un 
homme  actif  et  énergique,  et  les  Vandales  ne  tardèrent  pas  à  s'en 

1.  Procope,  1.  I,  ch.  iv. 

2.  Ibid.,  1.  I,  ch.  V. 


PÉRIODE  VANDALE  (476) 


149 


apercevoir,  car  il  s'attacha  à  les  combattre.  Après  leur  avoir  in- 
fligé de  sérieux  échecs,  il  se  crut  assez  fort  pour  leur  arracher 
l'Afrique.  A  cet  effet,  il  réunit  à  Carthagène  une  flotte  de  trois 
cents  galères  et  dirigea  sur  cette  ville  une  armée  considérable  des- 
tinée à  l'expédition  (458). 

A  l'annonce  de  ces  préparatifs,  Genséric,  qui  avait  en  vain 
essayé,  par  des  propositions  de  paix,  de  conjurer  l'orage,  se  crut 
perdu.  Pour  retarder  ou  rendre  impossible  la  marche  de  l'armée 
romaine,  il  donna  l'ordre  de  ravager  les  Maurétanies.  Mais  ces  dé- 
vastations étaient  bien  inutiles,  et  la  trahison  allait  faire  triompher 
sans  danger  l'heureux  chef  des  ^'^andales.  Des  divisions  habilement 
fomentées  par  ses  émissaires  dans  le  camp  romain,  amenèrent  les 
auxiliaires  Goths  à  lui  livrer  la  flotte  qui  fut  entièrement  détruite. 
Majorien  se  vit  forcé  d'ajourner  ses  projets  ;  mais  en  462  il  périt 
assassiné  et,  dès  lors,  Genséric  put  recommencer  ses  courses. 

Il  se  rendit  maître  de  la  Corse  et  de  la  Sardaigne  et  poussa 
même  l'audace  jusqu'à  porter  le  ravage  sur  les  côtes  de  la  Grèce. 
Pour  venger  cet  affront,  l'empereur  d'Orient,  qui  se  considérait 
encore  comme  suzerain  de  l'Afrique,  fit  marcher  par  l'Egypte  une 
armée  contre  les  Vandales,  tandis  qu'il  envoyait  d'autres  forces 
par  mer  sous  le  commandement  de  Basiliscus. 

L'armée  de  terre,  conduite  par  Héraclius,  ayant  traversé  la  Gy- 
réna'i'que,  tomba  à  l'improviste  sur  Tripoli  et  s'en  empara,  puis  elle 
marcha  sur  Karlhage.  Pendant  ce  temps,  Basiliscus  avait  expulsé 
les  Vandales  de  Sardaigne,  puis  était  venu  débarquer  non  loin  de 
Karthage.  La  situation  de  Genséric  devenait  critique,  mais  son 
esprit  était  assez  fertile  en  intrigues  pour  lui  permettre  encore  de 
se  tirer  de  ce  mauvais  pas  :  profitant  habilement  des  tergiversations 
de  ses  ennemis,  semant  parmi  eux  la  défiance,  corrompant  ceux 
qu'il  pouvait  acheter,  il  parvint  à  annuler  leurs  efforts,  et,  les 
ayant  attaqués  en  détail,  à  les  mettre  en  déroute.  Basiliscus  se 
sauva  avec  quelques  navires  en  Sicile,  tandis  qu'Héraclius  gagnait 
par  terre  l'Egypte  '  (470). 

Apogée  de  la  puissance  de  Genséric  ;  sa  mort.  —  Ainsi,  tous  les 
efforts  tentés  pour  abattre  la  puissance  vandale  n'amenaient  d'autre 
résultat  que  de  l'affermir.  Après  ses  récentes  victoires,  Genséric, 
plus  audacieux  que  jamais,  avait  de  nouveau  lancé  ses  corsaires 
dans  la  Méditerranée  et  reconquis  la  Sardaigne  et  la  Sicile.  Allié 
avec  les  Ostrogoths,  il  les  poussait  à  attaquer  l'empereur  d'Orient, 
ce  qui  forçait  celui-ci  à  lui  laisser  le  champ  libre.  Au  mois 


1.  Procope,  1.  I,  ch.  vi. 


150 


HISTOIRE   DE  i/aFRIQUE 


d'août  476,  il  eut  la  satisfaction  de  voir  la  chute  de  l'empire  d'Oc- 
cident, qui  tomba  avec  Romulus  Augustule.  Odoacre,  roi  des  Hé- 
rules,  recueillit  son  héritage. 

Cependant,  soit  que  sentant  sa  fin  prochaine,  il  voulût  assurer  à 
ses  enfants  l'empire  qu'il  avait  fondé,  soit  qu'il  fût  las  de  guerres 
et  de  combats,  Genséric  signa  des  traités  de  paix  perpétuelle  avec 
Zenon,  empereur  d'Orient,  et  avec  Odoacre.  Il  céda  même  au  roi 
des  Hérules  une  partie  de  la  Sicile,  à  charge  par  celui-ci  de  lui 
servir  un  tribut  annuel.  Ces  souverains  consacraient  les  succès  de 
Genséric  en  lui  reconnaissant  la  souveraineté  de  l'Afrique  et  des 
îles  de  la  Méditerranée  occidentale  (476). 

Peu  de  temps  après,  c'est-à-dire  au  mois  de  janvier  477,  Gen- 
séric mourut,  dans  toute  sa  gloire,  après  une  longue  vie  qui 
n'avait  été  qu'une  suite  non  interrompue  de  succès.  Ce  prince  est 
une  des  grandes  figures  de  l'histoire  d'Afrique  et,  s'il  est  permis 
de  ne  pas  admirer  la  nature  de  son  génie,  on  ne  peut  en  mécon- 
naître la  puissance.  Si  nous  nous  en  rapportons  au  portrait  qui 
nous  a  été  laissé  de  lui  par  Jornandès',  «  Giseric  était  de  taille 
moyenne,  et  une  chute  de  cheval  l  avait  rendu  boiteux.  Profond 
dans  ses  desseins,  parlant  peu,  méprisant  le  luxe,  colère  à  en 
perdre  la  raison,  avide  de  richesses,  plein  d'art  et  de  prévoyance 
pour  solliciter  les  peuples,  il  était  infatigable  à  semer  les  germes 
de  division  ».  Les  historiens  catholiques  se  sont  plu  à  entasser  les 
accusations  contre  le  roi  des  ^'andales,  et  il  est  certain  qu'il  ne  fut 
pas  doux  pour  eux  ;  mais  en  faisant  la  part  de  la  dureté  des  mœurs 
de  l'époque,  il  ne  paraît  pas  que  l'Afrique  eût  été  malheureuse 
sous  son  autorité.  Après  l'anarchie  des  périodes  précédentes,  c'était 
presque  le  repos. 

Les  conséquences  de  la  conquête  vandale  furent  considérables 
pour  la  colonisation  latine  qui  reçut  un  coup  dont  elle  ne  se  releva 
pas  ;  mais  sa  ruine  profita  immédiatement  à  la  population  indigène  ; 
elle  fit  un  pas  énorme  vers  la  reconstitution  de  sa  nationalité,  et  si 
une  main  comme  celle  de  Genséric  était  capable  de  contenir  les 
Berbères  en  les  maintenant  au  rôle  de  sujets,  il  était  facile  de  pré- 
voir qu'au  premier  acte  de  faiblesse  ils  se  présenteraient  en 
maîtres  ^. 

RiiGNE  DE  HUNÉRIC.    PERSECUTION  CONTRE  LES  CaTHOLIQUES .   

La  succession  du  roi  des  Vandales  échut  à  son  fils  Hunéric.  Ce 
prince  n'avait  aucune  des  qualités  qui  distinguaient  son  père,  et 

1.  Histoire  des  Goths,  ch.  xxxiii. 

2.  Fournel,  Berbers,  p.  86. 


PÉRIODE  VANDALE  (483] 


151 


l'on  n'allait  pas  tarder  à  s'en  apercevoir.  A  peine  était-il  monté 
sur  le  trône  que  des  difficultés  s'élevèrent  entre  lui  et  la  cour  de 
Byzance  au  sujet  de  diverses  réclamations  dont  Genséric  avait 
toujours  su  ajourner  l'examen.  Hunéric  céda  sur  tous  les  points, 
car  il  voulait  la  paix,  pour  s'occuper  des  affaires  religieuses  et 
surtout  de  l'intérêt  de  l'arianisme. 

Il  avait  paru,  d'abord,  vouloir  diminuer  les  rigueurs  édictées 
par  son  père  contre  les  catholiques  ;  mais  les  persécutions  aux- 
quelles les  Ariens  étaient  en  butte  dans  d'autres  contrées  l'irri- 
tèrent profondément  et  lui  servirent  de  prétexte  pour  se  lancer 
dans  la  voie  opposée.  Il  prescrivit  des  mesures  d'une  cruauté  jus- 
qu'alors inconnue  ;  quiconque  persista  dans  la  foi  catholique  fut 
mis  hors  la  loi,  spolié,  martyrisé;  les  femmes  de  la  plus  noble  nais- 
sance ne  trouvèrent  pas  grâce  devant  lui  :  on  les  suspendait  nues 
et  on  les  frappait  de  verges  ou  on  les  brûlait  par  tout  le  corps  au 
fer  rouge.  Les  hommes  étaient  soumis  à  des  mutilations  horribles 
et  conduits  ensuite  au  bûcher'.  En  183,  des  évêques,  prêtres  et 
diacres  catholiques  au  nombre  de  quatre  mille  neuf  cent  soixante- 
seize  furent  réunis  à  Sicca  "  et  de  là  conduits  au  désert,  dans  le 
pays  des  Maures,  c'est-à-dire  au  trépas. 

Révolte  des  Berbères.  — •  Le  résultat  d'une  telle  politique  fut 
une  insurrection  générale  des  Berbères.  Des  déserts  de  la  Tripo- 
litaine,  de  la  frontière  méridionale  de  la  Byzacène,  des  montagnes 
de  l'Aourès  et  des  hauts  plateaux  qui  s'étendent  de  ce  massif  au 
Djebel-Amour,  les  indigènes  se  précipitèrent  sur  les  pays  colo- 
nisés. Ce  fut  une  suite  ininterrompue  de  courses  et  de  razias. 
Après  quelques  tentatives  pour  s'opposer  à  ce  mouvement,  Hu- 
néric se  convainquit  de  son  impuissance.  Tout  le  massif  de  l'Aourès 
échappa  dès  lors  à  l'autorité  vandale,  et  les  tribus  indépendantes 
se  donnèrent  la  main  depuis  cette  montagne  jusqu'au  Djerdjera, 
de  sorte  que  l'empire  vandale  se  trouva  réduit  aux  régions  litto- 
rales de  la  Numidie  et  de  la  Proconsulaire  et  à  quelques  parties  de 
l'intérieur  de  ces  provinces.  Dressés  à  la  guerre  par  Genséric,  les 
indigènes  étaient  devenus  des  adversaires  redoutables  et,  du  reste, 
il  ne  manquait  pas,  parmi  les  colons  ruinés  ou  les  officiers  persé- 
cutés pour  leur  religion,  de  chefs  habiles  capables  de  les  conduire. 

Cruautés  de  Hunéric.  —  Mais  Hunéric  se  préoccupait  peu  de 
faire  respecter  les  limites  de  son  empire  :  le  soin  de  satisfaire  ses 

1.  Victor  de  Vite,  1.  I,  ch.  xvii.  Procope,  1.  I,  p.  8. 

2.  Le  Kef. 


152 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


passions  sanguinaires  l'absorbait  uniquement  et,  après  avoir  per- 
sécuté les  catholiques,  il  persécutait  ses  proches  et  ses  amis.  Gen- 
séric  avait  institué  comme  règle  pour  la  succession  au  trône  van- 
dale, que  le  pouvoir  appartiendrait  toujours  à  l'homme  le  plus  âgé 
de  la  famille,  au  décès  du  prince  régnant,  même  au  détriment  de 
ses  fils.  Soit  pour  modifier  les  elTets  de  cette  clause,  soit  par 
crainte  des  compétitions,  Hunéric  s'attacha  à  diminuer  le  nombre 
des  membres  de  sa  famille.  La  femme  et  le  fils  aîné  de  son  frère 
Théodoric,  accusés  d'un  crime  imaginaire,  furent  décapités  par 
son  ordre.  Un  autre  fils  et  deux  filles  de  Théodoric  furent  livrés 
aux  bêtes.  Ce  n'était  pas  assez;  Théodoric,  lui-même,  Genzon, 
autre  frère  du  roi,  et  un  de  ses  neveux,  furent  exilés  et  maltraités 
avec  une  dureté  inouïe.  Si  les  proches  parents  du  prince  étaient 
traités  de  cette  façon,  on  peut  deviner  comment  il  agissait  envers 
ses  serviteurs  ou  ses  officiers  :  pour  un  soupçon,  pour  un  caprice, 
il  les  faisait  périr  dans  les  tourments.  Jocundus,  évêque  arien  de 
Karthage,  ayant  essayé  de  rappeler  le  roi  à  des  sentiments  d'hu- 
manité fut,  par  son  ordre,  brûlé  en  présence  de  la  population'. 

Concile  de  Karthage.  Mort  de  Hunéric.  —  Zénon,  empereur 
d'Orient,  ayant  adressé  à  Hunéric  des  représentations  au  sujet  des 
souffrances  de  la  religion  catholique,  le  roi  convoqua,  en  584,  à 
Karthage,  un  concile  où  tous  les  évêques  orthodoxes,  donatistes 
et  ariens  de  l'Afrique  furent  appelés.  Il  est  inutile  de  dire  qu'ils 
ne  purent  s'entendre,  et  comme  les  Ariens  étaient  en  majorité,  les 
catholiques  furent  condamnés.  Flunéric,  s'appuyant  sur  cette  dé- 
cision, rendit  alors  un  édil  longuement  motivé,  où  la  main  des 
prêtres  se  reconnaît,  car  il  contient  comme  préambule  une  longue 
controverse  sur  des  questions  de  dogme  et  la  condamnation  offi- 
cielle du  principe  de  la  consubstantialité  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Comme  sanction,  il  édicté  de  nouvelles  mesures  de 
coercition  contre  les  catholiques.  Cet  édit  fut  exécuté  avec  la  plus 
grande  rigueur.  Les  églises  catholiques  furent  remises  aux  prêtres 
ariens. 

Enfin,  le  13  décembre  48i,  le  régime  de  terreur,  qui  durait  de- 
puis huit  années,  prit  fin  par  la  mort  de  Hunéric.  Les  écrivains 
catholiques  prétendent  qu'il  mourut  rongé  par  les  vers. 

RÈGNE  de  Gondamond.  —  Gondamoud  ou  Gunthamund,  fils  de 
Genzon,  succéda  à  son  oncle  Hunéric,  en  vertu  des  règles  posées 
par  Genséric.  Il  se  trouva  aussitôt  aux  prises  avec  les  révoltes  des 


1.  Yanoski,  Vandales,  p.  34. 


PÉRIODE   VANDALE  (520) 


153 


Berbères  et  ne  put  empêcher  les  indigènes  de  recouvrer  entiè- 
rement leur  indépendance  sur  toute  la  ligne  des  frontières  du  Sud 
et  de  l'Ouest.  Les  Gétules  s'avancèrent  même  jusqu'auprès  de 
Kapça'. 

Après  avoir  continué,  pendant  quelque  temps,  les  persécutions 
contre  les  catholiques,  Gondamond  se  départit  de  sa  rigueur  et 
finit,  vers  487,  par  les  laisser  entièrement  libres.  Les  orthodoxes 
rentrèrent  d'exil  et  reprirent  peu  à  peu  possession  de  leurs  biens  et 
de  leurs  églises.  La  lutte  contre  les  Berbères  absorbait  presque 
tout  son  temps  et  ses  forces  ;  aussi,  pour  être  tranquille  du  côté  de 
l'Europe,  se  décida-t-il  à  conclure  avec  Théodoric,  souverain  de 
l'Italie,  un  traité  par  lequel  il  lui  abandonna  le  reste  de  la  Sicile. 

Au  mois  de  septembre  496,  la  mort  termina  brusquement  sa 
carrière. 

Règne  de  Trasamond.  —  Après  la  mort  de  Gondamond,  son 
frère  Trasamond  hérita  de  la  royauté  vandale.  Ce  prince  continua 
l'œuvre  d'apaisement  commencée  par  son  prédécesseur,  et,  bien 
qu'il  fût  ennemi  du  catholicisme,  il  ne  persécuta  plus  les  sectateurs 
de  cette  religion  par  la  violence,  et  se  borna  à  chercher  à  les  en 
détacher  en  offrant  des  avantages  matériels  à  ceux  qui  étaient  dis- 
posés à  entrer  dans  le  giron  de  l'arianisme  et  en  refusant  tout  em- 
ploi aux  autres.  Mais  il  ne  permit  pas  la  réorganisation  de  l'église 
orthodoxe  et  il  exila  en  Sardaigne  des  évêques  qui  s'étaient  permis 
de  faire  des  nominations. 

Il  resserra,  dans  le  cours  de  son  règne  assez  paisible,  les  liens 
qui  unissaient  la  cour  vandale  à  celle  des  Ostrogoths,  et  leurs 
bonnes  relations  furent  scellées  par  son  mariage  avec  Amalafrid, 
propre  sœur  de  Théodoric.  Cela  ne  l'empêcha  pas  en  510  de 
prêter  son  appui  à  Gesalic. 

Cependant  l'attitude  des  Berbères  devenait  de  plus  en  plus  me- 
naçante :  ce  n'étaient  plus  des  sujets  rebelles,  c'étaient  des  ennemis 
de  la  domination  vandale  qu'il  fallait  combattre.  Dans  la  Tripoli- 
taine,  la  situation  était  devenue  fort  critique.  Vers  520,  un  indi- 
gène de  cette  contrée,  nommé  Gabaon,  s'était  mis  à  la  tête  des 
Berbères  et  attaquait  incessamment  la  frontière  méridionale  de  la 
Byzacène. 

Trasamond  fit  marcher  contre  eux  un  corps  de  troupes  composé 
en  grande  partie  de  cavalerie,  et  la  rencontre  eut  lieu  en  avant  de 
Tripoli  ;  mais  Gabaon  employa  contre  eux  une  stratégie  dont  nous 
verrons  les  tribus  arabes  se  servir  fréquemment  plus  tard.  Il  cou- 


1.  Gafsa. 


154 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


vrit  son  front,  auquel  il  donna  la  forme  d'un  demi-cercle,  d'une 
décuple  ran<^ée  de  chameaux  et  fit  placer  ses  archers  entre  les 
jambes  de  ces  animaux,  tandis  que  le  gros  de  ses  guerriers  et  ses 
bagages  étaient  abrités  au  milieu  de  cette  forteresse  vivante. 
Lorsque  les  Vandales  voulurent  charger  l'ennemi,  ils  ne  surent  où 
frapper,  et  leurs  chevaux,  effrayés  par  l'odeur  des  chameaux,  por- 
tèrent le  désordre  dans  leurs  propres  lignes.  Pendant  ce  temps, 
les  archers  les  criblaient  de  traits.  Les  guerriers  de  Gabaon,  sor- 
tant de  leur  retraite,  achevèrent  de  mettre  en  déroute  leurs  en- 
nemis. De  toute  l'armée  vandale,  il  ne  rentra  à  Karthage  que 
quelques  fuyards  isolés  '. 

En  523,  Trasamond  cessa  de  vivre.  On  dit  que,  sur  le  point  de 
mourir,  il  recommanda  à  son  successeur  Hildéric  d'user  de  tolé- 
rance envers  les  catholiques. 

Règne  de  Hildéric.  —  Hildéric,  fils  d'Hunéric,  succéda  à  Tra- 
samond. Son  premier  soin  fut  de  rendre  aux  catholiques  les  faveurs 
du  pouvoir  et  de  s'attacher  à  les  réconcilier  avec  les  ariens.  Dans 
ce  but,  il  convoqua,  en  524,  à  Karthage,  un  nouveau  concile  ; 
mais,  comme  dans  les  précédents,  il  fut  impossible  aux  évêques 
d'arriver  à  une  entente,  et  la  controverse  à  laquelle  ils  se  livrèrent 
démontra  une  fois  de  plus  l'impossibilité  d  une  réconciliation. 

Amalafrid,  veuve  de  Trasamond,  était  l'ennemie  du  roi  ;  avec 
l'appui  des  Goths  qui  se  trouvaient  à  la  cour,  elle  tenta  de  sus- 
citer une  révolte  qui  fut  promptement  apaisée.  Arrêtée,  tandis 
qu  elle  cherchait,  avec  ses  adhérents,  un  refuge  chez  les  Maures, 
elle  fut  jetée  en  prison  ;  les  Goths  furent  exécutés,  et  elle-même 
périt  quelque  temps  après  de  la  main  du  bourreau.  Il  en  résulta 
une  rupture  avec  les  Ostrogoths  d'Italie;  mais  ceux-ci  étaient  trop 
occupés  chez  eux  pour  qu'on  eût  lieu  de  les  craindre. 

Hildéric  se  rapprocha  alors  de  la  cour  d'Orient.  Justinien,  avec 
lequel  il  s'était  lié  pendant  son  séjour  à  Constantinople,  venait  de 
monter  sur  le  trône.  Il  sollicita  son  appui  et  ne  craignit  pas  de 
faire  envers  lui  hommage  de  vassalité.  Pour  lui  prouver  son  zèle, 
il  voulut  que  ses  propres  monnaies  portassent  l'effigie  de  l'em- 
pereur. 

Révoltes  des  Berbères.  Usurpation  de  Gélimer.  —  Hildéric, 
doué  d'un  caractère  timide,  était  ennemi  de  la  guerre  et  laissait 
d'une  manière  absolue  la  direction  des.affaires  militaires  à  son  gé- 
néral Oamer,  appelé  l'Achille  vandale.  Les  indigènes  de  la  Byza- 


1.  Procope,  1.  I,  ch.  ix. 


PERIODE   VANDALE  (531) 


155 


cène  s'étant  mis  en  état  de  révolte,  Oamer  marcha  contre  eux, 
mais  il  fut  défait  en  bataille  rangée  par  ces  Berbères  commandés 
parleur  chef  Antallas.  Toute  la  Byzacène  recouvra  son  indépen- 
dance, et  les  villes  du  nord,  menacées  par  les  rebelles,  durent  im- 
proviser des  retranchements  pour  résister  à  leurs  attaques  immi- 
nentes. 

Cet  échec  acheva  de  porter  à  son  comble  le  mécontentement 
g-énéral,  déjà  provoqué  par  la  protection  accordée  aux  catholiques, 
par  la  rupture  avec  les  Ostrof^oths  et  par  I  hommage  de  soumission 
fait  à  l'empire  :  Gélimer,  petit-fils  de  Genzon,  profitait  de  ces  cir- 
constances pour  se  créer  un  parti.  Chargé  de  combattre  les  Maures, 
il  remporta  sur  eux  quelques  avantages  qui  augmentèrent  son  as- 
cendant sur  l'armée.  Il  saisit  cette  occasion  pour  faire  proclamer 
par  les  soldats  la  déchéance  d'Hildéric  et  obtenir  la  royauté  à  sa 
place.  Ayant  marché  sur  Karthage,  il  s'en  empara.  Hildéric  fut 
jeté  en  prison  (531). 

Lorsque  Justinien  apprit  cette  nouvelle,  il  était  absorbé  par  sa 
guerre  contre  les  Perses  et  ne  pouvait  s'occuper  efficacement  de 
porter  secours  à  son  ami  et  vassal.  Il  dut  se  contenter  d'envoyer 
une  ambassade  à  Gélimer  pour  l'engagera  restituer  la  liberté  et  le 
trône  au  prince  captif.  Le  seul  résultat  qu'obtinrent  les  envoyés 
fut  de  rendre  plus  dure  la  captivité  d'Hildéric.  Puis,  par  une  sorte 
de  bravade,  Gélimer  fit  crever  les  yeux  à  Oamer. 

L'empereur  d'Orient  écrivit  alors  à  Gélimer  une  lettre  dans  la- 
quelle il  l'invitait  à  laisser  Hildéric  et  ses  parents  se  réfugier  en 
Orient,  à  sa  cour,  le  menaçant  d'intervenir  par  les  armes,  s'il  re- 
fusait de  le  faire.  Gélimer  lui  répondit  dans  des  termes  hautains 
que  Procope  nous  a  transmis  :  «  Je  ne  dois  point  ma  royauté  à  la 

violence        Hildéric  complotait  contre  sa  propre  famille  :  c'est  la 

haine  de  tous  les  Vandales  qui  l'a  renversé.  Le  trône  était  vacant; 
je  m'y  suis  assis  en  vertu  de  mon  âge  et  de  la  loi  de  succession.  » 
Après  cette  déclaration,  il  ajoutait  comme  réponse  aux  menaces: 
«  Un  prince  agit  sagement  lorsque,  livré  tout  entier  à  l'adminis- 
tration de  son  royaume,  il  ne  porte  pas  ses  regards  au  dehors  et 
ne  cherche  pas  à  s'immiscer  dans  les  affaires  des  autres  états.  Si 
tu  romps  les  traités  qui  nous  unissent,  j'opposerai  la  force  à  la 
force   ». 

Cette  fière  déclaration  allait  avoir  pour  conséquence  la  chute  de 
la  royauté  vandale  et  la  soumission  de  l'Afrique  à  de  nouveaux 
maîtres. 


CHAPITRE  XI 

PÉRIODE  BYZANTINE 

53i-6'i2 

Justinien  prépare  l'expédition  d'Afrique.  —  Départ  de  l'expédition.  Bélisaire 
débarque  à  Caput-Vada.  —  Première  pliase  de  la  campagne.  —  Défaite  des 
Vandales  conduits  par  Ammalas  et  Gibamond.  —  Succès  de  Bélisaire.  Il 
arrive  à  Karthage.  —  Bélisaire  à  Karthage.  —  Retour  des  Vandales  de  Sar- 
daigne.  Gélimer  marche  sur  Karthage.  —  Bataille  de  Tricamara.  —  Fuite 
de  Gélimer.  —  Conquêtes  de  Bélisaire.  —  Gélimer  se  rend  aux  Grecs.  — 
Disparition  des  Vandales  d'Afrique.  —  Organisation  de  l'Afrique  byzan- 
tine; état  des  Berbères.  —  Luttes  de  Salomon  contre  les  Berbères.  — 
Révolte  de  Stozas.  —  Expéditions  de  Salomon.  —  Révolte  des  Levathes; 
mort  de  Salomon.  —  Période,  d'anarchie.  —  Jean  Troglita  gouverneur 
d'Afrique;  il  rétablit  la  paix.  —  Etat  de  l'Afrique  au  milieu  du  vi»  siècle. 
—  L'Afrique  pendant  la  deuxième  moitié  du  vi'  siècle.  —  Derniers  jours 
de  la  domination  byzantine.  —  Appendice:  Chronologie  des  rois  Vandales. 

Justinien  priîpare  l'expédition  d'Afrique.  —  Seul  héritier  de 
l'empire  romain,  Justinien  nourrissait  l'ambition  de  le  rétablir  dans 
son  intégrité  et  d'arracher  aux  barbares  leurs  conquêtes  de  l'Occi- 
dent. C'est  pourquoi  l'hommage  d'Hildéric  avait  été  accueilli  à  la 
cour  de  Byzance  avec  la  plus  grande  faveur:  la  chute  du  royaume 
vandale,  en  livrant  à  l'empereur  la  belle  et  fertile  Afrique,  était 
aussi  une  première  étape  vers  la  reconstitution  de  l'empire.  La 
nouvelle  de  l'usurpation  de  Gélimer,  arrivant  sur  ces  entrefaites, 
émut  Justinien  «  comme  si  on  lui  avait  arraché  une  de  ses  pro- 
vinces »  ' .  Renonçant  à  poursuivre  la  guerre  dispendieuse  qu'il  sou- 
tenait contre  les  Perses  depuis  cinq  ans,  il  leur  acheta  la  paix 
moyennant  un  tribut  évalué  à  onze  millions  de  francs,  et  s'appliqua 
à  préparer  l'expédition  d'Afrique  malgré  l'opposition  qu'il  ren- 
contra chez  ses  ministres,  effrayés  de  la  grandeur  de  l'entreprise. 
On  dit  même  qu'il  fut  un  instant  sur  le  point  d'y  renoncer  et  que 
c'est  la  prédiction  d'un  évêque  d'Orient,  saint  Sabas,  lui  promet- 
tant le  succès,  qui  le  décida  à  réaliser  son  projet.  Il  apprit  alors 
qu'un  Africain,  du  nom  de  Pudentius,  venait  de  s'emparer  de  Tri- 
poli et  lui  offrait  d'entreprendre  pour  lui  des  conquêtes,  s'il  rece- 
vait l'appui  de  quelques  troupes.  En  même  temps  un  certain 

1.  Yanoski,  Vandales,  p.  41. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (533) 


157 


Godas,  chef  goth,  qui  commandait  en  Sardaigne  pour  les  Van- 
dales, se  mettait  en  état  de  révolte  et  offrait  aussi  son  concours  à 
l'empire. 

Tous  ces  symptômes  indiquaient  que  le  moment  d'agir  était 
arrivé.  Justinicn  le  comprit  et  organisa  immédiatement  l'expédition 
dont  le  commandement  fut  confié  à  Bélisaire,  habile  général,  jouis- 
sant d'une  grande  autorité  sur  les  troupes  et  d'une  réelle  influence 
à  la  cour  par  sa  femme  Antonina,  amie  de  l'impératrice.  Des  sol- 
dats réguliers,  des  volontaires  de  divers  pays,  et  même  des  bar- 
bares, Hérules  et  Huns,  accoururent  avec  enthousiasme  au  camp 
du  général,  où  bientôt  une  quinzaine  de  mille  hommes,  dont  un 
tiers  de  cavaliers,  se  trouvèrent  réunis.  On  s'arrêta  à  ce  chiffre, 
jugeant,  avec  raison,  qu'une  petite  armée  solide  et  bien  dirigée 
était  préférable  à  un  grand  rassemblement  sans  cohésion.  Les  offi- 
ciers furent  choisis  avec  soin  par  le  général,  parmi  eux  se  trou- 
vaient Jean  l'Arménien,  préfet  du  prétoire,  et  Salomon,  dont  les 
noms  reviendront  sous  notre  plume;  presque  tous  les  autres  offi- 
ciers étaient  originaires  de  la  Thraee.  Le  patrice  Archelaûs  fut 
adjoint  à  l'expédition  comme  questeur  ou  trésorier.  Cinq  cents 
vaisseaux  de  toute  grandeur  furent  rassemblés  pour  le  transport 
de  l'expédition;  vingt  mille  marins  les  montaient. 

Départ  de  l'expédition.  Bélisaire  débarque  a  Caput-Vada.  — 
En  533,  «  vers  le  solstice  d'été  on  donna  l'ordre  de  l'embar- 
quement et  ce  fut  l'occasion  d'une  imposante  cérémonie  à  laquelle 
présida  l'empereur.  L'archevêque  Epiphanius,  en  présence  du 
peuple  et  de  l'armée  bénit  le  vaisseau  où  s'embarqua  Bélisaire, 
accompagné  de  sa  femme  et  de  Procope,  son  secrétaire,  qui  nous 
a  retracé  l'histoire  si  complète  de  cette  expédition.  L'immense 
flotte  se  mit  en  route  et  voyagea  lentement,  troublée  quelquefois 
dans  sa  marche  par  la  tempête,  et  faisant  souvent  escale  dans  les 
ports  situés  sur  son  chemin,  pour  se  remettre  de  ces  secousses,  ou 
se  ravitailler.  Bélisaire  montra  dans  ce  voyage  autant  d'habileté 
que  de  fermeté  ;  comme  tous  les  hommes  de  guerre,  il  savait  qu'il 
n'y  a  pas  d'armée  sans  discipline  et  réprimait  avec  la  dernière 
rigueur  toute  infraction  aux  règles,  sans  s'arrêter  aux  murmures 
ou  aux  menaces  des  auxiliaires. 

Enfin  on  atteignit  le  port  de  Zacinthe  en  Sicile,  où  l'armée,  qui 
soufi'rait  cruellement  de  la  mauvaise  qualité  des  vivres  et  de  l'eau, 
put  se  refaire.  Bélisaire  manquait  de  nouvelles  sur  la  situation  et 
les  dispositions  des  Vandales  et  était  fort  incertain  sur  le  choix  du 

1.  Procope,  Bell.  Vand.,  lib.  I,  cap.  xii. 


158 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


point  de  débarquement.  Il  chargea  Procope  de  se  rendre  à  Syra- 
cuse pour  tâcher  d'obtenir  des  renseignements  et  en  même  temps 
passer  un  marché  avec  les  Ostrogoths  pour  l'approvisionnement 
delà  flotte  et  de  l'armée.  L'envoyé  fut  assez  heureux  pour  apprendre 
d'une  manière  sûre  que  les  Vandales,  ne  s'attendant  nullement  à 
une  attaque  de  l'empire,  avaient  envoyé  presque  toutes  leurs  forces 
en  Sardaigne  à  l'effet  de  réduire  Godas.  Quant  à  Gélimer,  il  s'était 
retiré  à  Hermione,  ville  de  la  Byzacène,  et  ne  songeait  nullement 
à  défendre  Karthage. 

Ainsi  renseigné,  Bélisaire  donna  l'ordre  de  mettre  à  la  voile  en 
se  dirigeant  à  l'ouest  de  Malte.  Parvenue  à  la  hauteur  de  cette  île, 
la  flotte  fut  poussée  par  le  vent  vers  la  côte  d'Afrique,  en  face  du 
sommet  du  golfe  de  Gabès  ;  elle  était  partie  depuis  trois  mois. 
Avant  de  procéder  au  débarquement,  le  général  en  chef  fit  mettre 
en  panne  et  convoqua  un  conseil  de  guerre  des  principaux  officiers 
à  son  bord.  Archélaûs,  effrayé  de  l'éloignement  de  la  localité  et  du 
manque  de  ports  pour  abriter  les  navires,  voulait  que  l'on  remît  à 
la  voile  et  qu'on  allùt  directement  à  Karthage.  ÎNIais  Bélisaire 
n'était  pas  de  cet  avis  ;  il  redoutait  la  rencontre  de  la  flotte  van- 
dale, et  craignait  que  son  armée  ne  perdît  ses  avantages  dans  un 
combat  naval.  Son  opinion  ayant  prévalu,  il  ordonna  aussitôt  le 
débarquement,  qui  s'opéra  sans  encombre  au  lieu  dit  Caput-Vada 
Des  soldats  furent  laissés  à  la  garde  des  navires  qui  furent  en  outre 
disposés  dans  un  ordre  permettant  la  résistance  à  une  attaque  de 
l'ennemi.  A  terre,  le  général  s'attacha  à  couvrir  son  camp  de 
retranchements  et  à  se  garder  soigneusement  par  des  avant-postes; 
toute  tentative  de  pillage  ou  de  maraudage  fut  sévèrement  répri- 
mée. Cette  prudence,  cette  observation  constante  des  règles  de  la 
guerre,  allaient  assurer  le  succès  de  l'expédition. 

Première  phase  de  la  campagne. —  Cependant  Gélimer,  toujours 
à  Hermione,  ignorait  encore  le  danger  qui  le  menaçait.  Les  nou- 
velles données  par  Procope  étaient  exactes.  Après  la  double  perte 
de  la  Tripolitaine  et  de  la  Sardaigne,  le  prince  vandale,  remettant 
à  plus  tard  le  soin  de  faire  rentrer  sous  son  autorité  la  province 
orientale,  réunit  cinq  mille  soldats  et  les  envoya  en  Sardaigne 
sous  le  commandement  de  son  frère  Tzazon,  un  des  meilleurs  offi- 
ciers vandales.  Une  flotte  de  cent  vingt  vaisseaux  les  conduisit 
dans  cette  île,  et  aussitôt  les  opérations  commencèrent  contre 
Godas. 

Le  roi  vandale  suivait  attentivement  les  phases  de  l'expédition 


1.  Actuellement  Capoudia. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (533) 


159 


de  Sicile,  lorsqu'il  apprit  enfin  le  débarquement  de  l'armée  byzan- 
tine en  Afrique,  et  sa  marche  sur  ses  derrières.  Bélisaire,  en  effet, 
après  s'être  emparé  sans  coup  férir  de  la  petite  place  de  Sylectum  ', 
avait  marché,  dans  un  bel  ordre,  vers  le  nord,  accompagné  au 
large  par  la  flotte,  et  avait  pris  successivement  possession  de  Leptis 
parva  et  d'Hadrumète -,  accueilli  comme  un  libérateur  par  les 
populations.  Il  paraît  même  que  les  Berbères  de  la  Numidie  et  de 
la  Maurétanie  lui  envoyèrent  des  députations,  offrant  leur  sou- 
mission à  l'empereur  et  donnant  comme  otages  les  enfants  de  leurs 
chefs.  En  même  temps,  le  général  byzantin  adressait  aux  princi- 
pales familles  vandales  un  manifeste  de  Justinien  protestant  qu'il 
ne  faisait  pas  la  guerre  à  leur  nation,  mais  qu'il  combattait  seule- 
ment l'usurpateur  Gélimer. 

Bientôt  l'on  apprit  que  l'armée  envahissante  n'était  plus  qu'à 
quatre  journées  de  Karthage.  Gélimer  écrivit  à  son  frère  Ammatas, 
resté  dans  cette  ville,  en  lui  donnant  l'ordre  de  mettre  à  mort 
Hildéric  et  ses  partisans,  et  d'appeler  aux  armes  tous  les  hommes 
valides.  Oamer  était  mort.  Hildéric  fut  massacré  avec  tous  les 
gens  soupçonnés  d'être  ses  amis.  Puis  Ammatas  conduisit  ses 
troupes  en  avant  de  Karthage,  dans  les  gorges  de  Décimum,  à  une 
quinzaine  de  kilomètres  de  cette  ville.  Gélimer,  qui  opérait  sur  son 
tlanc  avec  une  autre  armée,  devait  tenter  de  tourner  l'ennemi, 
tandis  que  Gibamund,  neveu  du  roi,  avait  pour  mission  d'attaquer 
le  flanc  gauche  des  envahisseurs  à  la  tête  de  deux  mille  Vandales. 
Ce  plan  était  assez  bien  combiné  et  aurait  pu  avoir  des  suites 
fâcheuses  pour  l'armée  de  Bélisaire,  si  l'on  avait  su  le  réaliser. 

Défaites  des  Vandales  conduits  par  Ammatas  et  Gibamund.  — 
Ammatas  avait  donné  à  ses  troupes  l'ordre  du  départ,  mais, 
comme  il  était  d'un  caractère  ardent  et  téméraire,  il  se  porta  à 
l'avant-garde  et  hâta  la  marche  de  la  tête  de  colonne,  sans  s'in- 
quiéter s'il  était  suivi  par  le  reste  de  l'armée.  Il  arriva  vers  midi  à 
Décimum,  à  la  tête  de  peu  de  monde  et  y  rencontra  l'avant-garde 
des  Byzantins,  commandée  par  Jean  l'Arménien.  Aussitôt,  on  en 
vint  aux  mains  :  malgré  le  courage  d'Ammatas,  qui  combattit 
comme  un  lion  et  tomba  percé  de  coups,  les  Vandales  ne  tardèrent 
pas  à  tourner  le  dos.  Jean  les  poursuivit  l'épée  dans  les  reins  et 
rencontra  bientôt  le  reste  des  soldats,  qui  arrivaient  par  groupes 
isolés.  II  en  fit  un  grand  carnage  et  s'avança  jusqu'aux  portes 
de  Karthage. 

1.  Selecta,  au  nord  du  golfe  de  Gabès. 

2.  Lemt.a  et  Souça. 


160 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


Pendant  ce  temps,  Gibamund  s'approchait  avec  ses  deux  mille 
hommes  pour  attaquer  le  flanc  gauche,  lorsqu'il  rencontra,  dans  la 
plaine  qui  avoisine  la  Saline  (Sebkha  de  Soukkara),  le  corps  des 
Huns  envoyé  en  reconnaissance.  A  la  vue  de  ces  farouches  guer- 
riers, les  Vandales  sentirent  leur  courage  faiblir;  ils  rompirent 
leurs  rangs  et  furent  bientôt  en  déroute,  en  laissant  la  plupart  des 
leurs  sur  le  champ  de  bataille. 

Succès  de  Bélisaire.  Il  arrive  a  Kartiiage.  —  Bélisaire,  igno- 
rant le  double  succès  de  son  avant-garde  et  de  ses  flanqueurs, 
s'arrêta  en  arrière  de  Décimum  et  plaça  son  camp  dans  une  posi- 
tion avantageuse  où  il  se  fortifia.  Le  lendemain,  laissant  dans  le 
camp  son  infanterie,  ses  impedimenta  et  sa  femme  Antonina,  il  se 
mit  à  la  tête  d'une  forte  colonne  de  cavalerie  et  alla  pousser  une 
reconnaissance  sur  Décimum.  Les  cadavres  des  Vandales  lui  firent 
deviner  la  victoire  de  son  avant-garde  et  les  informations  qu'il 
prit  sur  place  confirmèrent  cette  présomption,  mais  il  ne  put  avoir 
aucune  nouvelle  précise  de  Jean  l'Arménien. 

Au  même  moment  Gélimer  débouchait  dans  la  plaine  où  il  espé- 
rait retrouver  son  frère.  11  était  à  la  tête  d'un  corps  nombreux  de 
cavalerie.  Ayant  rencontré  les  coureurs  de  Bélisaire,  disséminés 
par  petits  groupes,  il  les  attaqua  avec  vigueur  et  les  mit  en  déroute. 
Puis,  parvenu  à  Décimum,  il  trouva,  lui  aussi,  les  preuves  de  la 
défaite  de  son  frère  et  le  corps  de  celui-ci.  Rempli  de  douleur,  ne 
sachant  ce  qui  se  passait  à  Karthage,  il  demeura  dans  l'inaction,  au 
lieu  de  compléter  son  succès  en  écrasant  les  ennemis  peu  nom- 
breux qu'il  avait  devant  lui  et  qui  étaient  démoralisés  par  leur 
premier  échec. 

Tandis  que  Gélimer  s'occupait  des  fénérailles  de  son  frère,  le 
général  byzantin,  voyant  le  grand  danger  auquel  il  était  exposé, 
ralliait  ses  fuyards,  relevait  leur  courage  en  leur  annonçant  les 
succès  déjà  remportés  sur  lesquels  il  était  enfin  renseigné,  et,  ten- 
tant un  eifort  désespéré,  les  entraînait  dans  une  charge  furieuse 
contre  les  Vandales.  Gélimer,  surpris  par  cette  attaque  imprévue, 
n'eut  pas  le  temps  de  former  ses  lignes  et  vit  bientôt  toute  son 
armée  en  déroute.  Il  alla  se  réfugier  à  Bulla.  Le  lendemain,  toute 
l'armée  byzantine  campa  à  Décimum,  y  compris  l'avant-garde  et  le 
corps  des  Huns.  Le  manque  de  décision  de  Gélimer  avait  consommé 
sa  perte  au  moment  où  il  tenait  la  victoire'.  Bélisaire  marcha 
aussitôt  sur  Karthage. 

1.  M.  Marcus  {Hist.  des  Vandales,  p.  378),  cherche  à  excuser  Gélimer 
de  la  graude  faute  par  lui  commise  eu  laissant  à  Bélisaire  le  temps  de 


PÉRIODE  BYZANTINE  (533) 


161 


Bélisaire  a  Kartiiage.  —  L'arrivée  des  fuyards  de  Décimum 
avait  apporté  à  Karthage  la  nouvelle  des  succès  de  l'armée  d'Orient. 
Aussitôt  le  vieux  parti  romain  avait  relevé  la  tête  et,  aidé  des 
ennemis  de  Gélimer,  s'était  emparé  du  pouvoir  en  forçant  à  la 
fuite  les  adhérents  de  l'usurpateur.  Sur  ces  entrefaites  la  flotte 
grecque,  doublant  le  cap  de  Mercure,  parut  au  large.  Le  questeur 
Archélaûs,  ignorant  les  succès  du  général  et  les  dispositions  bien- 
veillantes de  la  population  de  Karthage,  fit  entrer  tous  ses  navires 
dans  le  golfe  de  Tunis.  Un  seul  vaisseau,  commandé  par  Calonyme, 
s'écarta,  au  mépris  des  ordres  donnés,  du  gros  de  la  flotte,  et  alla 
se  présenter  devant  le  Mandracium,  premier  port  de  Karthage, 
qu'il  trouva  ouvert.  Le  capitaine  y  ayant  pénéti'é  mit  ses  hommes 
à  terre  et  employa  toute  la  nuit  au  pillage  des  marchands,  étrangers 
pour  la  plupart,  établis  aux  alentours  du  port. 

Le  lendemain,  Bélisaire,  averti  de  l'arrivée  de  sa  flotte,  entra 
dans  Karthage  sans  rencontrer  de  résistance  et,  ayant  traversé  la 
ville,  monta  sur  la  colline  de  Byrsa  où  se  trouvait  le  palais  royal. 
«  Comme  représentant  de  JusLinien,  il  s'assit  sur  le  trône  de  Gé- 
limer* »  et  prononça  sa  déchéance.  Fidèle  au  principe  suivi  dans 
cette  remarquable  campagne,  Bélisaire  veilla  avec  le  plus  grand 
soin  à  ce  qu'aucun  pillage  ne  fût  commis,  et  il  fit  restituer  aux 
marchands  ce  qui  leur  avait  été  pris  par  Calonyme  et  ses  hommes 
(septembre  533).  Un  grand  nombre  de  Vandales  avaient  cherché 
un  refuge  dans  les  églises.  Le  général  leur  permit  de  sortir  sans  être 
inquiétés  ;  puis  il  s'appliqua  à  relever  les  fortifications  de  Kar- 
thage, qui  étaient  fort  délabrées  et  à  mettre  cette  ville  en  état 
de  défense. 

Bien  que  les  Vandales  tinssent  encore  la  campagne  et  qu'il  y 
eût  lieu  de  craindre  le  retour  de  Tzazon  avec  l'armée  de  Sardaigne, 
on  pouvait,  dès  lors,  considérer  le  succès  de  l'expédition  comme 
assuré.  La  province  d'Afrique  rentrait  dans  le  giron  de  l'empire 
et  sa  belle  capitale  allait  refleurir  sous  la  protection  de  Justinien, 
dont  elle  devait  prendre  le  nom.  Les  églises  catholiques  que  les 
Ariens  occupaient  rentrèrent  aussitôt  en  la  possession  des  ortho- 
doxes, qui  célébrèrent  avec  éclat  les  victoires  de  Bélisaire  «  si 
manifestement  secondé  par  la  protection  divine.  »  Les  chefs  indi- 
gènes qui,  nous  l'avons  vu,  avaient  d'abord  envoyé  leur  hommage 


rallier  ses  fuyards,  au  lieu  de  l'écraser  et  de  rentrer  ensuite  à  Karthage. 
Il  estime  que  le  roi  vandale  était  trop  peu  sûr  de  la  population  de  cette 
ville  pour  venir  ainsi  se  mettre  à  sa  discrétion  ;  et  cependant  il  était  cer- 
tain qu'en  l'abandonnant,  il  la  livrait  à  ses  ennemis. 
1.  Yauoski,  Vandales,  p.  56. 

T.   I,  11 


162 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


au  représentant  de  l'empereur,  s'étaient  ensuite  tenus  dans  l'expec- 
tative afin  de  ne  pas  se  compromettre.  Après  l'entrée  de  Bélisaire 
à  Karthage,  ils  ouvrirent  auprès  de  lui  de  nouvelles  négociations, 
à  l'effet  d'obtenir  une  investiture  officielle.  Le  général  accueillit 
avec  faveur  ces  ouvertures  et  envoya  pour  chacun  d'eux  :  «  une  ba- 
guette d'argent  doré,  un  bonnet  d'argent  en  forme  de  couronne, 
un  manteau  blanc  qu'une  agrafe  d'or  attachait  sur  l'épaule  droite, 
une  tunique  qui,  sur  un  fond  blanc,  offrait  des  dessins  variés,  et  des 
chaussures  travaillées  avec  un  tissu  d'or.  Il  joignit  à  ces  orne- 
ments de  grosses  sommes  d'argent'.  » 

Retour  des  Vandales  de  Sardaigne.  Gélimer  marche  sur 
Karthage.  —  Cependant  Gélimer  ne  restait  pas  inactif,  bien  qu'il 
continuât  à  se  tenir  à  dislance.  Il  reformait  son  armée  et  encou- 
rageait les  pillards  indigènes  à  harceler  sans  cesse  les  environs  de 
Karthage  ;  il  alla  même  jusqu'à  leur  payer  chaque  tète  de  soldat 
grec  qui  lui  serait  apportée. 

En  même  temps,  il  adressait  à  son  frère  Tzazon  une  lettre  pres- 
sante, dans  laquelle  il  lui  rendait  compte  des  événements  survenus 
en  Afrique  et  l'invitait  à  revenir  au  plus  vite.  Ce  général,  avec  ses 
cinq  mille  guerriers  choisis,  avait  obtenu  de  brillants  succès  en 
Sardaigne,  vaincu  et  mis  à  mort  Godas  et  replacé  l  île  sous  l  auto- 
rité  vandale.  Il  avait  bien  entendu  dire  qu'une  flotte  grecque  avait 
tenté  une  expédition  en  Afrique,  mais  il  était  persuadé  que  cette 
attaque  avait  été  facilement  repoussée.  Aussi  avait-il  envoyé  à 
Karthage  même,  au  «  roi  des  Vandales  et  des  Alains  »,  un  député 
chargé  de  rendre  compte  de  ses  victoires,  et  c  est  Bélisaire  qui 
avait  reçu  sa  lettre  ! 

Sans  se  laisser  abattre  par  la  nouvelle  des  prodigieux  événe- 
ments qui  avaient  mis  Karthage  aux  mains  des  Grecs,  ni  rien 
cacher  à  ses  soldats,  Tzazon  fit  embarquer  aussitôt  son  armée  et 
vint  prendre  terre  sur  un  point  de  la  côte  «  où  se  rencontrent  les 
frontières  de  la  Numidie  et  de  la  Maurétanie  *  »,  puis  il  se  porta 
rapidement  sur  BuUa,  où  les  deux  frères  opérèrent  leur  jonction. 

Les  forces  vandales,  grâce  à  ce  renfort,  devenaient  respectables. 
Peu  après  Gélimer  fit  un  mouvement  en  avant,  coupa  l'aqueduc 
de  Karthage  et  opéra  diverses  reconnaissances  offensives  dans  le 
but  d'attirer  Bélisaire  sur  un  terrain  choisi.  En  même  temps,  il 
chercha  à  fomenter  des  trahisons  à  Tunis  et  entra  en  pourparlers 
avec  les  Huns,  afin  de  les  détacher  de  leurs  alliés. 

1.  Yanoski,  Vandales,  p.  62. 

2.  Saus  doute  entre  Djidjeli  et  Collo. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (533) 


163 


Mais  Bélisaire  élait  au  courant  de  tout,  et  ne  se  laissait  pas 
prendre  aux  feintes  des  Vandales.  Il  tâcha  de  ramener  à  lui  les 
Huns,  mais  ne  put  obtenir  d'eux  que  la  promesse  de  rester  neutres. 

B.\TAiLLE  DE  Tricamara.  —  Vcrs  le  milieu  de  décembre,  Béli- 
saire se  décida  à  marcher  à  l'ennemi.  Les  deux  armées  se  trouvèrent 
en  présence  au  lieu  dit  Tricamara,  à  environ  sept  lieues  de  Karthage, 
et  prirent  position,  chacune  sur  une  des  rives  d'un  petit  ruisseau. 
Bélisaire  plaça  au  centre  de  son  front  Jean  l'Arménien  avec  les 
cavaliers  d'élite  et  le  drapeau.  Les  Huns  se  tenaient  à  l'écai't,  afin 
de  voir  quelle  tournure  allait  prendre  la  bataille,  pour  se  joindre 
au  vainqueur.  Les  Vandales,  de  leur  côté,  présentaient  un  fi'ont 
au  centre  duquel  étaient  le  roi,  Tzazon  et  les  soldats  d'élite.  En 
arrière  se  tenait  un  corps  de  cavaliers  maures  dans  les  mêmes  dis- 
positions que  les  Huns.  Les  femmes,  les  impedimenta  et  toutes  les 
richesses  avaient  été  laissées  dans  le  camp  par  les  Vandales. 

Les  ennemis  s'observèrent  pendant  un  certain  temps;  puis  Jean 
l'Arménien  entama  l'action  en  faisant  passer  le  ruisseau  à  sa  divi- 
sion :  deux  fois  il  fut  contraint  à  la  retraite,  mais  ayant  enflammé 
le  courage  de  ses  troupes,  il  les  ramena  à  l'assaut  une  troisième 
fois  et  on  lutta  de  part  et  d'autre  avec  le  plus  grand  courage,  jus- 
qu'au moment  où,  Tzazon  ayant  été  tué,  les  Vandales  commen- 
cèrent à  faiblir.  Bélisaire  saisit  avec  habileté  cet  avantage  pour 
faire  donner  sa  cavalerie.  Alors  les  ailes  se  replièrent  en  désordre; 
ce  que  voyant,  les  Huns  chargèrent  à  leur  tour  et  déterminèrent 
la  retraite  de  l'armée  vandale,  qui  se  réfugia  dans  son  camp,  en 
laissant  huit  cents  cadavres  sur  le  terrain. 

Sur  ces  entrefaites,  comme  l'infanterie  grecque  était  arrivée, 
Bélisaire  donna  l'ordre  de  marcher  sur  le  camp  vandale.  Gélimer 
occupant  une  position  fortifiée  et  ayant  encore  un  grand  nombre 
d'adhérents  était  en  état  de  résister.  Mais  les  malheurs  qu'il  venait 
d'éprouver  l'avaient  complètement  démoralisé,  car  son  âme  n'était 
pas  de  la  trempe  de  celles  dont  l'énergie  esi  doublée  par  les  revers; 
à  l'approche  de  l'ennemi,  il  abandonna  lâchement  ses  adhérents  et 
s'enfuit  à  cheval,  comme  un  malfaiteur,  suivi  à  peine  de  quelques 
serviteurs  dévoués.  Lorsque  cette  nouvelle  fut  connue  dans  son 
camp,  ce  fut  une  explosion  d'imprécations  et  de  cris  de  désespoir; 
les  femmes,  les  enfants  se  répandirent  en  tous  sens  en  pleurant,  et 
bientôt  chacun  chercha  son  salut  dans  la  fuite,  sans  s'occuper  de 
son  voisin. 

L'armée  grecque,  survenant  alors,  s'empara,  sans  coup  férir,  du 
camp  et  fit  un  massacre  horrible  des  fuyards.  Les  vainqueurs  se 
portèrent  aux  plus  grands  excès  que  Bélisaire  ne  put  absolument 


164 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


empêcher  (15  décembre  533).  Le  camp  vandale  renfermait  un  butin 
considérable:  c'était  le  produit  de  cinquante  années  de  pillage. 
L'armée  victorieuse  resta  débandée  toute  la  nuit  et  ce  ne  fut  qu'au 
jour  que  le  général  put  commencer  à  rallier  ses  soldats.  Si  un 
homme  courageux,  réunissant  les  Vandales,  avait  tenté  un  retour 
offensif,  c'en  était  fait  de  l'armée  de  l'empire. 

Fuite  de  Gélimer.  —  Quand  Bélisaire  fut  parvenu  à  calmer 
l'effervescence  de  ses  troupes,  il  montra  une  grande  bienveillance 
aux  vaincus,  et  empêcha  qu'on  n'exerçât  des  représailles  inutiles. 

Jean  l'Arménien  avait  été  lancé,  à  la  têle  d'une  troupe  de  deux 
cents  cavaliers,  à  la  poursuite  de  Gélimer.  Pendant  cinq  jours  il 
suivit  ses  traces  et  était  sur  le  point  de  l'atteindre,  lorsqu'un  évé- 
nement imprévu  permit  au  roi  détrôné  d'échapper  à  ses  ennemis. 
Un  officier  grec  du  nom  d'Uliaris,  qui,  pendant  la  station  à  l'étape, 
avait  trouvé  le  loisir  de  s'enivrer,  voulut,  au  moment  de  partir, 
tirer  une  flèche  sur  un  oiseau  ;  mais  le  projectile,  mal  dirigé,  alla 
frapper  à  la  tête  Jean  l'Arménien  et  causa  sa  mort.  La  poursuite 
fut  suspendue.  Les  cavaliers,  qui  aimaient  beaucoup  leur  chef,  s'ar- 
rêtèrent pour  lui  rendre  les  devoirs  funéraires  et  firent  porter  la 
triste  nouvelle  au  général  en  chef.  Bélisaire  arriva  bientôt  et 
témoigna,  au  nom  de  l'armée,  les  plus  vifs  regrets  de  la  perte  de 
son  lieutenant.  Il  voulait  faire  périr  Uliaris,  mais  les  cavaliers 
l'assurèrent  que  les  dernières  paroles  de  Jean  avaient  été  pour 
implorer  le  pardon  de  son  meurtrier,  et  il  se  décida  à  lui  accorder 
sa  grâce. 

Conquêtes  de  Bélisaire.  —  Le  roi  s'était  réfugié  dans  le  mont 
Pappua,  montagne  escarpée,  située  sur  les  confins  de  la  Numidie 
et  de  la  Maurétanie'.  Il  avait  obtenu  l'appui  des  indigènes  de 
cette  contrée  qui  lui  avaient  ouvert  leur  ville  principale,  nommée 
Midènos.  Bélisaire  renonça  pour  le  moment  à  le  poursuivre.  11 
marcha  sur  Hippône  et  s'empara  de  cette  ville.  Un  grand  nombre 
de  Vandales  s'y  trouvaient  et,  pour  échapper  au  trépas  qu'ils 
redoutaient,  s'étaient  réfugiés   dans  les   églises.   Bélisaire  les 

1.  La  situation  du  Pappua  a  donné  lieu  à  de  nombreuses  controverses, 
La  commission  de  l'Académie  avait  d'abord  identifié  cette  montagne  à 
l'Edough,  près  de  Bône.  Berbrugger  (Rev.  afr. ,  vol.  6,  p.  475),  puis 
M.  Papier  {Recueil  de  la  Soc.  arch.  de  Conslanline,  1879-80,  pp.  83  et 
suiv.),  ont  démontré  l'impossibilité  de  cette  synonymie.  Il  est  plus  diffi- 
cile de  dire  où  était  réellement  le  Pappua.  ftL  Papier,  se  fondant  sur  une 
inscription,  penche  pour  le  Nador;  mais,  en  vérité,  nous  ne  sommes  pas 
là  sur  les  confins  de  la  Numidie  et  de  la  Maurétanie. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (534) 


165 


fit  conduire  à  Karthage  où  ils  furent  réunis  aux  autres  prison- 
niers. Au  moment  où  les  affaires  semblaient  prendre  une  mau- 
vaise tournure  pour  lui,  Gélimer  avait  envoyé  à  Hippône  tous 
ses  trésors,  en  les  confiant  à  un  serviteur  fidèle  du  nom  de  Boni- 
face.  Celui-ci  voulut  les  soustraire  au  vainqueur  enfuyant  sur  mer, 
mais  les  vents  contraires  le  rejetèrent  à  Hippone  et  tout  ce  qu'il 
portait  devint  la  proie  des  Grecs. 

Après  ces  succès,  Bélisaire,  rentré  à  Karthage,  envoya  par  mer 
des  officiers  prendre  possession  de  Césarée  et  de  Ceula,  points 
importants  sous  le  double  rapport  politique  et  commercial.  Un 
autre  s'empara  des  Baléares  ;  enfin  des  secours  furent  envoyés  à 
Pudentius  qui,  à  Tripoli,  était  pressé  par  les  indigènes  en  révolte. 
Une  forte  division  alla,  sous  les  ordres  de  Cyrille,  reconquérir  la 
Sardaigne.  Enfin  une  autre  expédition  partit  pour  la  Sicile,  afin 
de  revendiquer  par  les  armes  la  partie  de  cette  île  qui  avait  appar- 
tenu aux  Vandales  ;  mais  les  Goths  la  repoussèrent  et  ne  lais- 
sèrent pas  entamer  le  domaine  d'Atalaric. 

Gélimer  se  rend  aux  Grecs.  — Bélisaire  ayant  appris  le  lieu  où 
s'était  réfugié  Gélimer,  de  la  bouche  de  son  serviteur  Boniface, 
envoya  pour  le  réduire  un  Hérule,  du  nom  de  Fara,  avec  une 
troupe  de  cavaliers  de  sa  nation.  Après  avoir  en  vain  essayé  d'en- 
lever Midènos  de  vive  force,  Fara  dut  se  borner  à  entourer  cette 
ville  d'un  blocus  rigoureux.  Gélimer,  qui  avait  avec  lui  quelques 
membres  de  sa  famille  et  ses  derniers  adhérents  fidèles,  manquait 
de  tout  et  ne  pouvait  se  faire  à  la  dure  vie  des  indigènes  dans  un 
pays  élevé,  où  le  froid  se  faisait  cruellement  sentir.  Néanmoins,  il 
résista  durant  trois  mois  à  toutes  les  privations,  et  ce  ne  fut  qu'à 
la  fin  de  l'hiver  qu'il  se  décida  à  se  rendre,  à  la  condition  que 
Bélisaire  lui  garantît  la  vie  sauve. 

Cette  proposition,  transmise  par  Fara  au  général,  fut  accueillie 
avec  empressement.  Bélisaire  dépêcha  à  Midènos  des  officiers  char- 
gés de  lui  donner  sa  promesse  et  de  le  ramener  sain  et  sauf. 
Gélimer  fut  reçu  à  l'entrée  de  Karthage  par  son  vainqueur  (534). 
Peu  après,  Bélisaire  s'embarquait  pour  Byzance,  afin  de  remettre 
lui-même  son  prisonnier  à  l'empereur.  Son  but  était  non  seulement 
de  recevoir  des  honneurs  bien  mérités,  mais  encore  de  se  justifier 
des  accusations  que  les  envieux  avaient  produites  contre  lui.  En 
quittant  l'Afrique,  il  laissa  le  commandement  suprême  à  Salomon 
avec  une  partie  de  ses  vétérans. 

Justinien,  plein  de  reconnaissance  pour  celui  qui  avait  rendu 
l'Afrique  à  l'empire,  lui  décerna  le  triomphe,  honneur  qui  n'avait 
été  donné  à  aucun  général  depuis  cinq  siècles.  Gélimer,  revêtu 


166 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


d'un  manteau  de  pourpre,  fut  placé  dans  le  cortège  et  dut,  arrivé 
devant  l'empereur,  se  dépouiller  de  cet  insigne,  se  prosterner  et 
adorer  son  maître.  Bélisaire  reçut  le  titre  de  consul.  Quant  à 
Gélimer,  on  lui  assigna  un  riche  domaine  en  Galatie,  dans  l'Asie 
^lineure,  et  le  dernier  roi  vandale  y  finit  tranquillement  et  obscu- 
rément sa  vie. 

Disparition  des  Vandales  d'Afrique.  —  En  moins  de  six  mois 
l'Afrique  avait  cessé  d'être  vandale,  ce  qui  prouve  combien  peu 
de  racines  cette  occupation  avait  poussées  dans  le  pays.  Après  la 
brillante  conquête  qui  leur  avait  livré  la  Berbérie,  les  Vandales 
s'étaient  concentrés  dans  le  nord  de  l'Afrique  propre  et  de  là 
s'étaient  lancés  dans  des  courses  aventureuses  qui  les  avaient  con- 
duits en  Italie  et  dans  toutes  les  îles  de  la  Méditerranée.  Ainsi, 
malgré  le  partage  des  terres  qu  ils  avaient  opéré,  ils  n  avaient  pas 
fait,  en  réalité,  de  colonisation.  Ils  s'étaient  prodigués  dans  des 
guerres  qui  n'avaient  d'autre  but  que  le  pillage  et,  tandis  qu'ils 
augmentaient  leui's  richesses  et  leur  puissance  d'un  jour,  ils  dimi- 
nuaient, en  réalité,  leur  force  comme  nation.  Aucune  assimilation 
ne  s'était  faite  entre  eux  et  les  colons  romains  ;  quant  aux  indi- 
gènes, ils  continuaient  à  se  reformer  et  l'on  peut  dire  qu'il  n'y 
avait  plus  rien  de  commun  entre  eux  et  les  étrangers  établis  sur 
leur  sol. 

Cela  explique  comment,  après  une  occupation  qui  avait  duré  un 
siècle,  l'élément  vandale  disparut  subitement  de  l'Afrique.  Un 
assez  grand  nombre  de  guerriers  étaient  morts  dans  la  dernière 
guerre  ;  d'autres  avaient  été  emmenés  comme  prisonniers  en  Orient 
par  Bélisaire  et  entrèrent  au  service  de  l'empire  Or,  les  Vandales 
étaient  essentiellement  un  peuple  militaire  et  ainsi  l'élément 
actif  se  trouva  absorbé,  car,  nous  le  répétons,  il  s'était  trop  pro- 
digué pour  avoir  augmenté  en  nombre,  quoi  qu'en  aient  dit  cer- 
tains auteurs.  Quant  au  reste  de  la  nation,  une  partie  demeura  en 
Afrique  et  se  fondit  bientôt  dans  la  population  coloniale  ou  s'unit 
aux  Byzantins,  tandis  que  les  autres,  émigrant  isolément,  allèrent 
chercher  un  asile  ailleurs. 

Les  Vandales  d'Afrique  ne  laissèrent  d'autre  souvenir  dans  le 
pays  que  celui  de  leurs  dévastations.  Cela  démontre  une  fois  de 
plus  combien  est  fragile  une  conquête  qui  ne  se  complète  pas  par 
une  forte  colonisation  et  se  borne  à  une  simple  occupation, 
quelque  solide  qu'elle  paraisse. 

• 

1.  Gibbon,  Hist,  de  la  décadence  de  Vempire  romain,  ch.  41. 


l'ÉltlODE   BYZANTINE  (535) 


167 


Organisation  de  l'Afrique  Byzantine.  Etat  des  Berbères.  — 
Salomon',  premier  gouverneur  de  l'Afrique,  avait  reçu  la  lourde 
charge  d'achever  la  conquête  et  d'organiser  l'administration  du 
pays.  Par  l'ordre  de  l'empereur  on  forma  sept  provinces  :  la  Con- 
sulaire, la  Bjzacène,  la  Tripolitaine,  la  Tingitane  gouvernées  par 
des  consuls,  et  la  Numidie,  la  Maurétanie  et  laSardaigne  comman- 
dées par  des  prseses.  Mais  cette  organisation  était  plus  théorique 
que  réelle.  Sur  bien  des  points  le  pays  restait  absolument  livré  à 
lui-même.  Ainsi,  dans  la  Tingitane  et  même  dans  la  plus  grande 
partie  de  la  Césarienne,  l'occupation  se  réduisait  à  quelques  points 
du  littoral.  Des  garnisons  furent  envoyées  dans  l'intérieur  de  la 
Numidie.  Elles  trouvèrent  les  villes  en  ruines  et  s'appliquèrent  à 
élever  des  retranchements,  au  moyen  des  pierres  éparses  prove- 
nant des  anciens  édifices-.  Quelques  colons  se  hasardèrent  à  la 
suite  des  soldats.  «  Que  nos  officiers  s'efforcent  avant  tout  de  pré- 
server nos  sujets  des  incursions  de  l'ennemi  et  d'étendre  nos  pro- 
vinces jusqu'au  point  où  la  république  romaine,  avant  les  invasions 

des  Maures  et  des  Vandales,  avait  fixé  ses  frontières  »  telles 

étaient  les  instructions  données  par  l'empereur'. 

En  même  temps,  la  religion  catholique  fut  rétablie  dans  tous 
ses  privilèges  ;  par  un  édit  de  535  les  Ariens  furent  mis  hors  la  loi, 
dépouillés  de  leurs  biens  et  exclus  de  toute  fonction.  La  pratique 
de  leur  culte  fut  sévèi'ement  interdite.  Les  Donatistes  et  autres 
dissidents  et  les  Juifs  furent  également  l'objet  de  mesures  de  pros- 
cription. C'était  encore  semer  des  germes  de  mécontentement  et 
de  haine  qui  ne  devaient  pas  contribuer  à  asseoir  solidement  l'au- 
torité byzantine. 

Justinien  voulait  rendre  aux  provinces  d'Afriq^ue  leurs  anciennes 
limites;  mais  la  situation  du  pays  était  profondément  modifiée  et, 
si  les  Vandales  avaient  disparu,  il  restait  la  population  berbère 
qui  avait  reconquis  peu  à  peu  une  partie  des  territoires  abandon- 
nés par  les  colons,  à  la  suite  de  longs  siècles  de  guerres  et  d'anar- 
chie, et  qui,  réunie  maintenant  en  corps  de  nation,  n'était  nullement 
disposée  à  laisser  la  colonisation  reprendre  son  domaine.  Bien  au 
contraire,  l'élément  indigène  se  resserrait  de  toute  part,  autour 
de  l'occupation  étrangère. 

1.  Sur  les  inscriptions  d'Afrique  où  le  nom  de  ce  général  est  cité,  il 
est  toujours  écrit  Solomou.  Nous  adoptons  l'ortliographe  des  historiens 
byzantins. 

2.  Poulie,  Ruines  de  Becliilga  {Revue  africaine,  n"  27,  p.  199). 

3.  Voir,  dans  Y  Afrique  ancienne  de  D'Avezac,  le  texte  curieux  des  deux 
rescrits  adressés,  le  13  avril  534,  par  l'empereur  àArchélaiis  pour  l'or- 
gauisatiou  militaire  et  administrative  de  l'Afrique. 


168 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


Les  Berbères,  groupés  par  confédérations  de  tribus,  avaient  main- 
tenant des  rois  prêts  à  les  conduire  au  combat  et  au  pillage.  Anfalas 
était  chef  des  Maures  de  la  Byzacène.  Yahdas  était  roi  indépendant 
du  massif  de  l'Aourès,  ayant  à  l'est  Cutzinas  et  à  l'ouest  Orlhaïas, 
dont  l'autorité  s'étendait  jusqu'au  Hodna.  Enfin  les  tribus  de  la 
Maurétanie  obéissaient  à  Massinas.  Voilà  les  chefs  de  la  nation 
indigène  contre  lesquels  les  troupes  de  l'empereur  allaient  avoir  à 
lutter. 

Cette  reconstitution  de  la  nationalité  berbère  a  été  très  bien 
caractérisée  par  M.  Lacroix  auteur  que  nous  ne  saurions  trop  citer: 
«  Les  Bomains,  dit-il,  ce  peuple  si  puissant,  si  habile,  si  formi- 
dable par  sa  civilisation  et  sa  force  conquérante  ne  s'étaient  jamais 
assimilé  les  indigènes,  dans  le  sens  qu'on  attache  à  ce  mot.  Le 
Berbère  des  villes,  des  plaines  et  des  vallées  voisines  des  centres 
de  population,  fut  absorbé  par  les  conquérants,  cela  va  sans  dire; 
mais  l'indigène  du  Sahara  et  des  montagnes  ne  fut  jamais  pénétré 
par  l'influence  romaine.  Après  sept  siècles  de  domination  italienne, 
je  retrouve  la  race  autochtone  ce  qu'elle  était  avant  l'occupa- 
tion. Les  insurgés  qui,  au  vi'^  siècle,  se  firent  châtier  par  Salomon 
et  Jean,  dans  l'Aurès,  dans  l'Edough  et  dans  la  Byzacène,  étaient 
les  mêmes  hommes  qui  combattaient  six  cents  ans  auparavant  sous 
la  bannière  de  Jugurtlia.  Mêmes  mœurs,  mêmes  usages,  même  haine 
de  l'étranger,  même  amour  de  l'indépendance,  même  manière  de 

combattre         Cette  population  était  restée  intacte,  imperméable 

à  toute  action  extérieure         Le  nombre  immense  des  insurgés 

qui  tinrent  en  échec  la  puissance  de  Justinien,  après  l'expulsion 
des  Vandales,  et  l'impossibilité,  pour  les  Bomains,  de  rétablir  leur 
autorité  dans  les  parties  occidentales  de  leurs  anciennes  posses- 
sions, prouvent  clairement  que  ce  fut,  non  point  une  faible  partie, 
mais  la  grande  masse  des  indigènes  qui  resta  impénétrable'.  » 

Luttes  de  Salomon  contre  les  Berbères.  —  Ce  fut  la  Byzacène 
qui  donna  le  signal  delà  révolte.  Deux  officiers  grecs  Bufin  et  Aigan 
furent  envoyés  contre  les  rebelles.  Ils  avaient  obtenu  quelques 
succès  partiels,  lorsqu'ils  se  virent  entourés  par  des  masses  de 
guerriers  berbères  commandés  par  Cutzinas.  Les  Byzantins  se 
mirent  en  retraite  jusque  sur  un  massif  rocheux,  d'où  ils  se  défen- 
dirent avec  la  plus  grande  opiniâtreté;  mais  leurs  flèches  étant 
épuisées,  ils  finirent  par  être  tous  massacrés. 

Salomon,  ayant  reçu  des  renforts,  marcha  en  personne  contre  les 

1.  Bévue  africaine,  no  72  et  suiv.  Voilà  des  euseiguements  qui  ne 
doivent  pas  être  perdus  pour  nous,  conquérants  du  xix«  siècle. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (536) 


169 


rebelles  et  leur  infligea  une  sanglante  défaite,  dans  la  plaine  de 
Mamma  (535),  où  les  indigènes  l'avaient  attendu  derrière  leurs 
chameaux,  fortei'esse  vivante  de  douze  rangs  d'épaisseur.  Il  fit  un 
butin  considérable  et  croyait  avoir  triomphé  de  la  révolte;  mais 
à  peine  était-il  rentré  à  Karthage  qu'il  apprenait  que  les  Berbères 
avaient  de  nouveau  envahi  et  pillé  la  Byzacène.  C'était  une  cam- 
pagne à  recommencer.  Cette  fois  le  gouverneur  s'avança  vers  le  sud 
jusqu'à  une  montagne  appelée  par  Procope  le  mont  Burgaon*,  où 
les  ennemis  s'étaient  retranchés,  et  obtint  sur  eux  un  nouveau 
et  décisif  succès,  dans  lequel  il  fut  fait  un  grand  carnage  de 
Maures'. 

Pendant  ce  temps,  Yabdas,  roi  de  l'Aourès,  allié  à  Massinas, 
portait  le  ravage  dans  la  Numidie.  L'histoire  rapporte  que  Yabdas, 
revenant  d'une  razia  et  poussant  devant  lui  un  butin  considérable , 
s'arrêta  devant  la  petite  place  de  Ticisi^,  où  s'était  porté  un  officier 
byzantin  du  nom  d'Athias,  qui  commandait  le  poste  de  Centuria, 
à  la  tête  de  soixante-dix  cavaliers  huns,  pour  lui  disputer  l'accès 
de  l'eau.  Yabdas  lui  offrit,  dit-on,  le  tiers  de  son  butin  ;  mais 
Athias  refusa  et  proposa  au  roi  berbère  un  combat  singulier  qui 
fut  accepté  et  eut  lieu  en  présence  des  troupes.  Yabdas  vaincu 
abandonna  tout  son  butin  et  regagna  ses  montagnes*. 

Après  la  défaite  du  mont  Burgaon,  les  fuyards  et  les  tribus  com- 
promises vinrent  chercher  asile  auprès  d'Yabdas,  et  lui  offrirent 
leurs  services.  Vers  le  même  temps,  Orthaias,  qui  avait  à  se  plaindre 
du  roi  de  l'Aourès,  et  d'autres  chefs  indigènes  mécontents  offraient 
à  Salomon  leur  appui  contre  Yabdas,  et  lui  proposaient  de  le  guider 
dans  l'expédition  qu'il  préparait.  Le  général  byzantin  s'avança 
jusque  sur  l'Abigas  "  et  ayant  pénétré  dans  les  montagnes  parvint 
jusqu'au  mont  Aspidis",  sans  rencontrer  l'ennemi  qui  s'était 
retranché  au  cœur  du  pays.  Manquant  de  vivres  et  voyant  l'hiver 
approcher,  Salomon  n'osa  pas  s'engager  davantage  et  rentra  à 
Karthage  sans  avoir  obtenu  le  moindre  succès. 

Révolte  de  Stozas.  —  Au  printemps  de  l'année  536,  Salomon 
préparait  une  grande  expédition  contre  l'Aourès,  lorsqu'il  faillit 
tomber  sous  le  poignard  de  ses  soldats  révoltés.  La  sévérité  des 

1.  Saus  doute  le  Djebel-Bou-Glianem,  à  l'est  de  Tébessa. 

2.  Procope,  Bc  bell.  varid..  1.  II,  cap.  xii. 

3.  Au  sud  de  Constautine,  à  Aïu-el-Bordj,  non  loin  du  village  de  Sigus. 

4.  Cet  épisode  a  été  rappelé  par  M.  Poulie  dans  le  Recueil  de  la  Soc. 
arch.  de  Constautine,  1878,  p.  375. 

5.  La  rivière  de  Kheachela,  selon  Ragot  [loc.  cit.,  p.  301). 

6.  Le  Djebel-Clielia. 


170 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


mesures  prises  contre  les  Ariens  paraît  avoir  été  la  cause  de  cette 
rébellion  à  la  tête  de  laquelle  était  un  simple  garde  nommé  Stozas. 

Salomon,  après  avoir  échappé  aux  révoltés,  parvint  à  s'embar- 
quer et  à  passer  en  Sicile,  où  Bélisaire  avait  été  envoyé  depuis 
l'année  précédente  par  l'empereur.  La  soldatesque,  qui  s'était 
livrée  à  tous  les  excès,  fut  réunie  par  Stozas  dans  un  camp,  non 
loin  de  Karthage.  Les  Vandales,  des  aventuriers  de  toute  origine 
y  accoururent  et  bientôt  Stozas  se  trouva  à  la  tête  de  huit  mille 
hommes,  avec  lesquels  il  marcha  sur  Karlhage.  Mais  en  même 
temps,  Bélisaire  débarquait  en  Afrique,  avec  un  corps  de  cent 
hommes  choisis.  La  présence  du  grand  général  ranima  le  courage 
de  tous  et  fit  rentrer  les  hésitants  dans  le  devoir.  Ayant  formé  un 
corps  de  deux  mille  hommes,  il  marcha  contre  les  rebelles  qui 
rétrogradèrent  jusqu'à  Membresa,  sur  la  Medjerda',  et  leur  livra 
bataille.  Mais  les  soldats  de  Stozas  se  dispersèrent  dans  toutes  les 
directions,  après  un  simulacre  de  résistance. 

Bélisaire  voulait  s'appliquer  à  tout  remettre  en  ordre  dans  sa 
conquête,  lorsqu'il  appi'it  que  son  armée  venait  de  se  révolter  en 
Sicile.  Contraint  de  retourner  dans  cette  île,  il  laissa  le  comman- 
dement de  l'Afrique  à  deux  ofTiciers  :  Ildigeret  Théodore.  Aussitôt 
Stozas  qui  se  tenait  à  Gazauphyla,  à  deux  journées  de  Constantine, 
dans  la  Numidie,  où  les  fuyards  l'avaient  rejoint,  releva  la  tête.  Le 
gouverneur  de  cette  province  marcha  contre  lui,  à  la  tête  de  forces 
importantes,  mais  Stozas  sut  entraîner  sous  ses  étendards  la  plus 
grande  partie  des  soldats  byzantins.  Les  oITiciers  furent  massacrés 
et  le  pays  demeura  livré  à  l'anarchie  (536). 

Germain,  neveu  de  l'empereur,  fut  chargé  de  rétablir  son  auto- 
rité en  Afrique.  Etant  arrivé,  il  s'appliqua  à  relever  la  discipline 
et  à  reconstituer  son  armée.  Il  en  était  temps,  car  Stozas  marchait 
sur  Karthage  et  ne  se  trouvait  plus  qu'à  une  vingtaine  de  kilo- 
mètres. Germain  sortit  bravement  à  sa  rencontre  et,  comme  Stozas 
avait  en  vain  essayé  de  débaucher  ses  soldats,  il  n'osa  pas  soutenir 
leur  choc  et  se  mit  en  retraite  poursuivi  par  Germain  jusqu'au  lieu 
dit  Cellas-Vatari  ^.  Là,  se  tenaient  Yabdas  et  Orthaias  avec  leurs 
contingents,  et,  comme  Stozas  croyait  pouvoir  compter  sur  leur 
appui,  il  offrit  la  bataille  à  Germain;  mais  ses  soldats,  sans  cohé- 
sion, ne  tardèrent  pas  à  plier,  ce  que  voyant,  les  deux  rois  maures 

1.  A  McJjez-cl-Bab,  à  75  kil.  cJc  K:irlliage. 

2.  M.  D'Avezac  place  cette  localité  vers  Tifcch  {Afrique  ancienne, 
p.  250).  M.  Ragot,  qui  appelle  cotte  localité  Seules  Veteres,  pense,  en 
raison  de  la  présence  d  Orthaias,  roi  du  Hodna,  qu'elle  devait  se  trou- 
ver au  sud  de  Coiistaui.iue  (/oc.  cit.,  p.  303}. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (539) 


171 


se  jetèrent  sur  son  camp  pour  le  livrer  au  pilla{:fe  et  achevèrent 
la  déroute  de  son  armée.  Slozas  se  réfugia  dans  la  Maurétanie  et 
Germain  put  s'apppliquer  à  rétablir  Tordre  en  Afrique. 

Expéditions  de  Salomon.  —  En  539  Germain  fut  rappelé  par 
l'empereur  et  remplacé  par  Salomon  élevé,  pour  la  seconde  fois, 
aux  fonctions  de  gouverneur.  Son  premier  soin,  dès  son  arrivée  en 
Afrique,  fut  de  reprendre  l'organisation  de  l'expédition  de  l'Aourès, 
que  la  révolte  avait  interrompue  trois  ans  auparavant.  Pour  s'as- 
surer la  neutralité  des  Maures  de  laByzacène,  il  aurait,  paraît-il', 
attribué  à  Anlalas,  le  commandement  de  tous  les  Berbères  de  l'est, 
en  lui  assignant  une  solde  et  le  titre  de  fédéré.  Au  printemps  de 
l'année  suivante,  il  se  mit  en  marche.  La  campagne  débuta  mal. 
Un  officier  du  nom  de  Gontharis,  ayant  poussé  une  reconnaissance 
jusque  sur  l'Ouad-Abigas,  se  heurta  à  un  fort  rassemblement  et  fut 
contraint  de  chercher  un  refuge  derrière  les  murailles  de  la  ville 
déserte  de  Baghaï.  Les  indigènes,  se  servant  des  canaux  d'irriga- 
tion, purent  inonder  son  camp  et  rendre  sa  situation  intolérable. 
Il  fallut  que  Salomon  lui-même  vînt  le  délivrer.  Puis  les  troupes 
byzantines,  pénétrant  dans  la  montagne,  mirent  en  déroute  Yabdas 
et  ses  Berbères,  malgré  leur  grand  nombre  et  la  force  des  posi- 
tions qu'ils  occupaient. 

Le  roi  maure  s'était  réfugié  à  Zerbula.  Salomon  vint  l'y  bloquer, 
après  avoir  ravagé  Thamugas.  Forcé  de  fuir  encore,  Yabdas  gagna 
Thumar,  «  position  défendue  de  tous  côtés  par  des  précipices  et 
des  rochers  taillés  à  pic  ».  Le  général  byzantin  l'y  relança  et,  ne 
pouvant  songer  à  l'escalade,  dut  se  contenter  de  bloquer  étroite- 
ment l'ennemi.  Ce  siège  se  prolongea  et  les  troupes  souffraient 
beaucoup  du  manque  d'eau  et  de  provisions,  lorsque  des  soldats 
réussirent  à  s'emparer  d'un  passage  mal  gardé  par  les  Maures  : 
secondés  par  un  assaut  de  l'armée,  ils  parvinrent  à  enlever  la  posi- 
tion. Yabdas  blessé  put  néanmoins  s'échapper  et  se  réfugier  en 
Maurétanie. 

Cette  fois  les  Byzantins  étaient  maîtres  de  l'Aourès  ;  ils  y  trou- 
vèrent les  trésors  du  prince  berbère.  Après  avoir  fait  occuper  deux 
points  stratégiques  dans  ces  montagnes,  Salomon  se  porta  dans  le 
Zab  et  de  là  dans  le  Hodna  et  la  région  de  Sitifis,  forçant  partout 
les  indigènes  à  la  soumission  et  relevant  les  ruines  des  cités  et  des 
forteresses.  Le  souvenir  de  ses  travaux  dans  la  région  sitifienne 
a  été  conservé  par  les  inscriptions.  Zabi-,  la  métropole  du  Hodna, 

1.  Tauxier,  Notice  sur  la  Joliannidc  {Rcv.  afr.,  u."  118,  p.  293). 

2.  Actuellement  Mecila. 


172 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


fut  réédifiée  par  lui  et  reçut  le  nom  de  Justiniana'.  Delà,  Salomon 
s'avança  sans  doute,  vers  Touest,  jusque  dans  la  région  du  haut 
Mina,  car  le  récit  de  cette  expédition  se  trouve  retracé  sur  une 
pierre,  dont  l'inscription  est  relatée  par  les  auteurs  arabes  *  et  a  été 
retrouvée  près  de  Frenda. 

Ainsi  Salomon  acheva  la  conquête  de  l'Afrique  que  Bélisaire 
avait  enlevée  aux  ^'andales,  mais  qu  il  fallait  reprendre  aux  indi- 
gènes. Une  tradition  berbère  qui  annonçait  la  conquête  de  l'Afrique 
par  un  homme  sans  barbe  se  trouva  réalisée,  car  on  sait  que 
Salomon  était  eunuque  et  avait  le  visage  glabre.  Après  avoir  ter- 
miné les  opérations  militaires,  le  gouverneur  s'appliqua  à  régula- 
riser la  marche  de  l'administration  et  mérita  par  sa  justice  la 
reconnaissance  des  populations  depuis  si  longtemps  opprimées. 

Révolte  des  Levathes.  Mort  de  Salomon.  —  En  54.3,  l'empe- 
reur détacha  la  Pentapole  et  la  Tripolitaine  de  l'Afrique  ;  il, 
s'était  appliqué  à  relever  les  villes  de  la  Cyrénaïque  de  leurs 
ruines  et  plaça  à  la  tête  de  cette  province,  comme  gouverneur  de 
la  Pentapole,  Cyrus,  neveu  de  Salomon.  Sergius,  autre  neveu  de 
Salomon,  reçut  le  commandement  de  la  Tripolitaine,  où  se  trou- 
vait toujours  Pudentius. 

Peu  de  temps  après,  quatre-vingts  cheikhs  de  la  grande  tribu  des 
Levathes'  étant  venus  à  Leptis  magna,  où  se  trouvait  Sergius, 
pour  recevoir  selon  l  usage  l'investiture  de  leur  commandement 
et  présenter  leurs  doléances,  ces  malheureux  furent  massacrés 
dans  la  salle  où  ils  étaient  réunis,  parce  que,  dit-on,  ils  étaient 
soupçonnés  d  un  complot.  Un  seul  d'entre  eux  s'échappa  et  appela 
aux  armes  les  guerriers  de  la  tribu  qui  s'étaient  rapprochés.  Sergius 
marcha  contre  eux,  les  mit  en  déroute  et  s'empara  de  tout  leur 
butin,  ainsi  que  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants.  Pudentius 
avait  trouvé  la  mort  dans  le  combat. 

Ce  fut  l'occasion  d  une  levée  générale  de  boucliers  chez  les 
Berbères  de  la  Tripolitaine.  Antalas,  auquel,  selon  M.  Tauxier, 
Salomon  avait  retiré  sa  solde  et  ses  avantages,  se  joignit  à  eux, 
avec  ses  guerriei's,  et  tous  marchèrent  vers  le  nord.  Salomon  se 
rendit  à  Tébessa  pour  les  arrêter  dans  leur  marche.  Il  devait  s'y 
rencontrer  avec  Coutzinas  et  les  Maures  alliés  et  Pelagius,  duc  de 
Tripolitaine.  Mais  ces  deux  chefs  furent  vaincus  isolément  ;  le 
dernier  périt  même  dans  la  bataille  et  il  en  résulta  que  Salomon 

1.  Poulie,  Bev.  afr.,  n"  27,  pp.  190  et  suiv. 

2.  Ibii-Klialdoun,  trad.  de  Slaue,  t.  I,  p.  234,  II,  p.  540. 

3.  Les  Louata  des  auteurs  arabes. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (546) 


173 


se  trouva  seul  avec  un  faible  corps  de  troupes.  Il  proposa  aux 
rebelles  de  traiter,  mais  les  Berbères,  qui  se  sentaient  en  forces, 
entamèrent  le  combat  et  ne  tardèrent  pas  à  mettre  en  fuite  les 
Byzantins.  Salomon  entraîné  dans  la  déroute,  ayant  été  désarçonné, 
fut  massacré  parles  indigènes. 

Les  Levathes  et  leurs  alliés  s'avancèrent  alors  jusqu'à  Laribus; 
mais  ils  se  retirèrent  après  avoir  reçu  des  habitants  de  cette  ville 
une  rançon  de  trois  mille  écus  d'or  (545). 

Période  d'anarchie.  —  Sergius,  l'auteur  de  ces  désastres,  fut 
nommé  par  Justinien  gouverneur  de  l'Afrique.  On  ne  pouvait  faire 
un  plus  mauvais  choix.  Bientôt  il  sut  tourner  tout  le  monde 
contre  lui  et  l'anarchie  devint  générale. 

Stozas,  qui  avait  quitté  la  Maurétanie  et  s'était  joint  à  Antalas 
portait  le  ravage  et  la  désolation  dans  les  malheureuses  campagnes 
de  la  Byzacène  et  de  la  Numidie,  sans  que  Sergius  prît  les  moindres 
mesures  pour  protéger  les  colons.  Il  en  résulta  une  véritable  émi- 
gration :  les  populations  quittèrent  non  seulement  les  campagnes, 
mais  l'Afrique,  et  allèrent  se  réfugier  dans  les  îles  de  la  Méditer- 
ranée et  même  en  Orient.  Ce  fut  une  des  périodes  les  plus  funestes 
à  la  colonisation  africaine.  Stozas  poussa  l'audace  jusqu'à  proposer 
à  Justinien  de  rétablir  la  paix,  si  Sergius  était  rappelé.  L'empereur, 
sans  daigner  répondre  à  cette  proposition,  envoya  en  Afrique  un 
sénateur  du  nom  d'Aréobinde,  absolument  étranger  au  métier  des 
armes,  en  le  chargeant  de  combattre  les  Maures  de  la  Numidie, 
tandis  que  Sergius  réduirait  ceux  de  la  Byzacène. 

Stozas,  qui  avait  augmenté  son  armée  d'un  grand  nombre  d'aven- 
turiers et  de  transfuges,  se  tenait,  avec  Antalas  et  les  Maures,  aux 
environs  de  Sicca-Veneria  ' .  Aréobinde  fit  marcher  contre  lui  un 
de  ses  meilleurs  officiers,  du  nom  de  Jean.  Les  deux  troupes  en 
vinrent  aux  mains  et,  dans  le  combat,  Jean  et  Stozas  trouvèrent  la 
mort.  Les  Byzantins  se  retirèrent  en  désordre,  tandis  que  les 
rebelles  élisaient  un  autre  chef. 

Ce  nouvel  échec  décida  Justinien  à  rappeler  Sergius  (546). 
Aréobinde  restait  seul  et  il  n'était  pas  de  taille  à  tenir  tête  aux 
difficultés  du  moment,  car  l'anarchie  était  à  son  comble  et  la 
révolte  partout.  Gontharis,  ancien  officier  de  Salomon,  entra  alors 
en  pourparlers  avec  les  principaux  chefs  berbères  :  Yabdas, 
Cutzinas  et  Antalas,  et  les  poussa  à  exécuter  une  attaque  générale, 
de  concert  avec  les  bandes  de  Stozas.  A  l'approche  de  l'ennemi, 
Aréobinde  fit  rentrer  toutes  ses  garnisons  et  confia  le  commande- 


1.  Le  Kef. 


17i 


mSTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


ment  des  troupes  à  Gontharis  lui-même.  Peu  de  jours  après,  le 
traître,  ayant  fomenté  une  sédition  parmi  les  soldats,  en  profita 
pour  assassiner  le  gouverneur  et  s'emparer  du  pouvoir. 

Gontharis  avait  promis  à  Antalas  la  moitié  de  l'Afrique,  mais, 
une  fois  maître  de  l'autorité,  il  refusa  de  tenir  ses  promesses,  et  il 
en  résulta  une  rupture  entre  lui  et  le  chef  maure.  Par  haine  de 
celui-ci,  Cutzinas  vint  se  joindre  à  Gontharis  en  lui  amenant  les 
soldats  de  Stozas,  Vandales,  Romains  et  Massagètes.  Antalas  fut 
battu  par  un  officier  arménien  du  nom  d'Artabane  qui,  peu  après, 
assassina  Gontharis  dans  un  festin  (546)  ;  trente-six  jours  s'étaient 
écoulés  depuis  le  meurtre  d'Aréobinde. 

Jean  Troglita  gouverneur  d'Afrique.  Il  rétablit  la  paix.  — 
Justinicn  voulut  récompenser  Artabane  en  le  nommant  gouver- 
neur de  l'Afrique,  mais  cet  officier,  ayant  d'autres  projets,  déclina 
l'honneur  qui  lui  était  offert*.  L'empereur  choisit  alors  un  autre 
officier  du  nom  de  Jean  Troglita,  qui  se  trouvait  à  la  guerre  de 
Mésopotamie  et  auquel  il  donna  le  commandement  de  toute 
l'Afrique.  Jean  avait  servi  avec  distinction  en  Berbérie,  sous  les 
ordres  de  Bélisaire  et  de  Germain  ;  il  connaissait  donc  les  hommes 
et  les  choses  du  pays  et,  comme  il  était  dçué  de  remarquables  qua- 
lités militaires,  le  choix  de  l'empereur  était  fort  heureux;  l'on 
n'allait  pas  tarder  à  s'en  apercevoir. 

Débarqué  à  Caput-Vada,  avec  une  très  faible  armée,  Jean  se 
porta  en  trois  jours  jusqu'auprès  de  Karthage  et  recueillit  dans 
son  camp  tous  les  soldats  dispersés,  capables  de  rendre  quelques 
services.  Puis  il  alla  attaquer  Antalas  et  ses  bandes  qui  bloquaient 
la  ville.  ((  Les  Berbères  s'étaient  rangés  en  bataille  et,  de  plus, 
selon  une  tactique  qui  leur  était  familière,  ils  s'étaient,  en  cas 
d'insuccès,  ménagé  un  réduit  dans  une  enceinte  carrée  formée  de 
plusieurs  rangs  de  chameaux  et  de  bêtes  de  somme.  Ces  précau- 
tions, pourtant,  ne  les  sauvèrent  pas  d'une  défaite  complète.  Jerna, 
grand-prêlre  de  Louata,  en  essayant  de  sauver  du  pillage  l  idole 
adorée  par  ces  peuples,  s'attarda  dans  la  déroute  et  fut  tué  par  un 
cavalier  romain-.  »  Antalas  chercha  un  refuge  dans  le  désert. 

Karthage  était  débloquée  et  la  Byzacène  reconquise;  mais  les 
Berbères  étaient  loin  d'avoir  été  abattus.  Bientôt  Jean  apprit  que 
les  Louata  (Levathes),  alliés  aux  Nasamons  et  aux  Garamantes, 
accouraient  vers  le  nord  sous  le  commandement  d'un  nouveau  et 
terrible  chef,  dont  Corrippus  nous  a  transmis  le  nom  sous  la  forme 

1.  Fournel,  Berhcrs,  p.  101. 

2.  Tau.xier,  Jolianiiide,  {loc.  cit.),  p.  296. 


PÉRIODE  BYZANTINE  (548) 


175 


de  Carcasan'.  On  était  alors  au  cœur  de  l  été  de  Tannée  547.  Jean 
se  porta  contre  les  envahisseurs,  mais  il  essuya  une  défaite  et  dut 
se  réfugier  derrière  les  remparts  de  Laribus.  La  situation  était 
critique.  Jean  n'hésita  pas  à  faire  appel  aux  indigènes,  en  tirant 
parti  de  l'esprit  de  rivalité  qui  a  toujours  été  si  fatal  aux  Berbères. 
Cutzinas,  Ifisdias,  chefs  d'une  partie  de  l'Aourès,  et  Yabdas  lui- 
même  lui  promirent  leur  appui. 

Cependant  les  hordes  d'Antalas  dévastaient  la  Byzacène  et  arri- 
vaient jusqu'aux  portes  de  Karthage.  Troglita,  assuré  sur  ses  der- 
rières et  ayant  reçu  d'importants  renforts,  quitta  sa  position  fortifiée 
et  alla  chercher  Antalas  dans  la  plaine.  Les  deux  armées  se  ren- 
contrèrent au  lieu  dit  le  champ  de  Caton,  et  la  victoire  des  Byzan- 
tins fut  complète.  Un  grand  nombre  d'indigènes  restèrent  sur 
le  champ  de  bataille.  Dix-sept  chefs  de  tribus,  parmi  lesquels  le 
terrible  Carcasan,  furent  tués  et  l'on  promena  leurs  dépouilles 
dans  les  rues  de  Karthage.  Antalas  lit  sa  soumission  (548). 

Etat  de  l'Afrique  au  milieu  du  vi^  siècle.  —  La  nation  bei'bère 
se  trouvait  encore  une  fois  vaincue  et,  grâce  aux  succès  de  Troglita, 
l'empire  conservait  sa  province  d'Afrique  ;  mais  combien  était  pré- 
caire la  situation  de  cette  colonie,  réduite  à  une  partie  de  la 
Tunisie  et  de  la  province  de  Constantine  actuelles.  Partout  l'élé- 
ment indigène  avait  repris  son  indépendance  et  ce  n'était  que 
grâce  à  l'appui  des  principicules  berbèi'es,  véritables  rois  tribu- 
taires, que  les  Byzantins  se  maintenaient  en  Afrique.  Les  campagnes 
étaient  absolument  ruinées:  «  Lorsque  Pi'ocope  débarqua  en  Afrique 
pour  la  première  fois,  il  admira  la  population  des  villes  et  des  cam- 
pagnes et  l'activité  du  commerce  et  de  l'agriculture.  En  moins  de 
vingt  ans,  ce  pays  n'offrit  plus  qu'une  immense  solitude;  les 
citoyens  opulents  se  réfugièi'ent  en  Sicile  et  à  Constantinople  et 
Procope  assure  que  les  guerres  et  le  gouvernement  de  Juslinien 
coûtèrent  cinq  millions  d'hommes  à  l'Afrique*.  » 

Selon  Procope,  les  Maures,  après  les  victoires  de  Troglita,  sem- 
blaient de  véritables  esclaves^,  et  l'on  vit  un  grand  nombre  d'entre 
eux,  qui  étaient  redevenus  pa'iens,  se  convertir  au  christianisme. 
Mais  nous  pensons  qu'il  parle  d'une  manière  trop  générale,  et  que 
ces  faits  ne  peuvent  s'appliquer  qu'aux  indigènes  voisins  des  postes 
de  l'Afrique  propre  et  de  la  Numidie.  La  race  berbère  prise  dans 

1.  Johannide,  poème  en  l'hoiiucur  de  Jean  Troglita,  par  Fl.  Cres. 
Corippus,  lib.V. 

2.  Gibbon,  Hist.  de  la  décadence  de  l'Empire  romain,  t.  II,  ch.  xliii. 

3.  Anecdotes^  ch.  xviii. 


176 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


son  ensemble  avait  trop  bien  reconquis  son  indépendance  pour 
qu'on  puisse  croire  que  l'action  du  gouverneur  byzantin  s'exerçât 
à  ce  point  sur  elle,  et  ce  serait  une  grave  erreur  de  ranger  dans 
celte  catégorie  les  Louata  de  la  Tripolitaine,  les  Berbères  de 
l'Aourès  et  les  Maures  de  l'Ouest. 

Troglita  fit  tous  ses  efforts  pour  assurer  son  occupation  et  se 
garantir  des  incursions  indigènes  par  des  postes  fortifiés:  avec  les 
ruines  des  cités  détruites,  on  construisit  des  retranchements  et  des 
forteresses  derrière  lesquels  les  garnisons  byzantines  s'abritèrent, 
et  quelques  colons  cherchèrent  sous  leur  protection  à  rentrer  en 
possession  de  leurs  champs  dévastés. 

L'Afrique  pendant  la  deuxième  moitié  du  vi°  siècle.  —  Privés  des 
documents  si  précis  laissés  par  Procope,  nous  ne  possédons,  sur  la 
phase  de  l'histoire  africaine  par  nous  atteinte,  que  des  détails  épars 
et  sans  suite.  C'est  ainsi  qu'on  ignore  l'époque  du  départ  de  Jean 
Troglita. 

En  563,  Rogathinus,  préfet  du  prétoire  d'Afrique,  fit  traîtreuse- 
ment assassiner  Cutzinas,  chef  de  la  région  orientale  de  l'Aourès, 
qui  était  venu  à  Kartliage  réclamer  au  sujet  d'immunités  dont  on 
l'avait  frustré.  Les  services  rendus  par  ce  chef  eussent  dû  lui 
épargner  un  semblable  traitement  ;  aussi  la  nouvelle  de  sa  mort 
fut-elle  le  signal  d'une  levée  de  boucliers  des  Berbères,  appelés 
aux  armes  par  ses  fils.  Justinien  dut  envoyer  en  Afrique  son  neveu 
Marcien,  maître  de  la  milice  qui  contraignit  les  rebelles  à  la 
soumission. 

Justinien  termina  sa  longue  carrière  le  14  novembre  565,  sans 
avoir  pu  réaliser  le  vaste  projet  qu'il  avait  conçu.  Sa  mort  paraît 
avoir  été  le  signal  de  nouvelles  révoltes  en  Berbérie.  Un  certain 
Gasmul,  roi  des  Maures,  entre  en  scène  et  se  fait  remarquer  par 
son  ardeur  à  combattre  l'étranger.  Dans  ces  luttes  périssent  suc- 
cessivement: Théodore,  préfet  d'Afrique  (568),  Théoctiste,  maître 
de  la  milice  (569),  et  Amabilis,  successeur  du  précédent  (570). 

C'est  Gasmul  qui  obtient  ces  succès.  «  Devenu  tout  puissant  par 
ses  victoires,  Gasmul,  en  574,  donne  à  ses  tribus  errantes  des 
établissements  fixes,  et  s'empare  peut-être  de  Césarée.  L'année 
suivante  (575),  il  marche  contre  les  Fi-ancs  et  tente  l'invasion  des 
Gaules,  mais  il  échoue  dans  cette  entreprise  ^  »  Si  ces  faits  sont 

1.  D'Avezac,  Afrique  ancienne,  p.  256. 

2.  Morcelli  et  Travaux  de  l'Académie  des  Inscriptions,  apud  Ragot, 
(/oc.  cit.,  p.  317). 


PÉRIODE  BYZANTINE  (618) 


177 


exacts,  oa  ne  saurait  trop  regretter  l'absence  de  documents  histo- 
riques précis  à  cet  égard. 

Cet  état  de  rébellion  permanente  durait  toujours  lorsque  l'em- 
pereur Tibère  II,  qui  venait  de  succéder  c'i  Justin  II,  nomma 
comme  exarque  de  l'Alrique  un  olBcier  du  nom  de  Gennadius, 
militaire  d'une  réelle  valeur.  Dès  lors  la  situation  changea.  En  580, 
ce  général  attaqua  Gasmul,  le  tua  de  sa  propre  main,  massacra  un 
grand  nombre  de  Maures,  et  leur  reprit  toutes  les  conquêtes  qu'ils 
avaient  faites. 

Gennadius  fut  nommé  préfet  du  prétoire  d'.\frique,  et  il  est 
probable  que,  sous  sa  main  ferme,  le  pays  retrouva  quelques  jours 
de  tranquillité.  Cependant,  selon  le  rapport  de  Théophane,  un 
soulèvement  général  des  Berbères  aurait  eu  lieu  en  588  ;  mais 
nous  ne  possédons  aucun  détail  sur  ce  fait.  Il  est  probable,  en 
raison  de  l'état  d'alfaiblissemcnt  où  était  tombé  l'empire,  que  les 
gouverneurs  byzantins  de  l'Afrique  étaient  à  peu  près  abandonnés 
<à  eux-mêmes,  et  que  les  Berbères,  réellement  maîtres  du  pays, 
continuaient  leur  mouvement  d'expansion  et  de  reconstitution. 

En  597,  nouvelle  révolte  des  Berbères:  ils  viennent  tumul- 
tueusement assiéger  Karthage,  ce  qui  indique  suiïisamment  qu'ils 
sont  à  peu  près  maîtres  du  reste  du  pays.  Gennadius,  manquant 
de  soldats  pour  entreprendre  une  lutte  ouverte,  feint  d'être  dis- 
posé à  traiter  avec  les  indigènes,  et  à  accepter  leurs  exigences.  Il 
leur  envoie  des  vivres  et  du  vin  et,  profitant  du  moment  où  les 
Berbères  se  livrent  à  la  joie  et  font  bombance,  il  les  attaque  à 
l'improviste  et  les  massacre  sans  peine'. 

Voilà  quelle  était  la  situation  de  l'Afrique  à  la  fin  du  vi*^  siècle. 

Derniers  jours  de  la  domination  byzantine.  —  Le  16  novembre 
602,  le  centurion  Phocas  avait  assassiné  l'empereur  Maurice  et 
s'était  emparé  du  pouvoir.  Il  en  résulta  des  révoltes  et  de  longues 
luttes  dans  les  provinces. 

L'exarque  Méraclius,  qui  commandait  en  Afrique  avec  le  patrice 
Grégoire,  comme  légat,  se  mit  en  état  de  révolte  (608)  et  retint  les 
blés  destinés  à  l'Orient.  Deux  ans  plus  tard,  le  fils  d'Héraclius, 
portant  le  même  nom  que  son  père,  partait  par  mer  pour  Constan- 
tinople,  en  même  temps  que  le  fils  de  Grégoire  s'y  rendait  par 
terre,  en  passant  par  l'Egypte  et  la  Syrie.  Arrivé  le  premier, 
Héraclius  mettait  fin  à  la  tyrannie  de  Phocas  et  s'emparait  de  l'au- 
torité souveraine.  En  618,  il  fut  sur  le  point  d'abandonner  son 
empire,  alors  ravagé  par  la  famine  et  par  la  peste,  et  de  retourner 


1.  Fournel,  Dcrbcis,  p.  107- 

T.  I. 


12 


178 


IIISTOIRK   DE  l'aI-RIQUE 


dans  celle  Afrique  qu'il  rcf,n-eUail  el  que  la  conquêle  arabe  allait 
bienlôt  arracher  de  sa  couronne.  On  dil  qu'il  ne  se  décidai  reslcr 
qu'en  cédant  aux  supplications  et  aux  larmes  de  ses  sujets. 

Héraclius  ne  larda  pas  à  entreprendre  une  longue  série  de  guerres 
dans  lesquelles  les  Africains  lui  fournirent  des  contingents  impor- 
tants. En  G41,  l'empereur  mourait  après  avoir  eu  la  douleur  de 
voir  la  Syrie  el  la  Palestine,  cl  enfin  l'Kgypte,  tomber  aux  mains 
des  conquérants  arabes. 

Les  premières  courses  des  Arabes  en  Afrique  datent  de  cette 
époque.  L'histoire  de  la  Berbérie  va  entrer  dans  une  autre  phase. 


APPENDICE 


CHRONOLOGIE   DKS   ROIS  VANDALES 


Genséric...  11  février  435   janvier  477. 

Hunéric  ....  Janvier  477   13  décembre  484. 

Gondamond  .  13  décembre  484   septembre  49G. 

Trasamond..  Septembre  496    523. 

Hildéric...  523    531. 

Gélimer  ....  531    534. 


FIN   DE   LA    rREMlicUE  PARTIE 


DEUXIÈME  PARTIE 

PÉRIODE   ARABE  ET  B  E  1^  B  È  R  E 
Gll  —  10i5 


CHAPITRE  P-- 

LES  BERBÈUES  ET  LES  ARABES 

Le  peuple  berbère;  mœurs  et  rcligiou.  —  Organisation  politique.  —  Grou- 
pement des  familles  de  la  l'ace.  —  Division  des  tribus  berbères.  —  Posi- 
tion de  ces  tribus.  —  Les  Arabes  ;  notice  sur  ce  peuple.  —  Mœurs  et 
religions  des  Arabes  anté-islami((uos. —  Mahomet;  fondation  de  l'isla- 
misme.—  Abou  lieker,  deuxième  Idmiife;  ses  conquêtes. —  Khalifat  d'Omar  ; 
conquête  de  l'Egypte. 

Le  peuple  nERBÈRE.  Moeurs  et  religion.  —  Nous  nous  sommes 
efforcé,  dans  la  première  partie,  de  suivre  les  vicissitudes  tra- 
versées par  la  race  indigène  et  d'indiquer  les  transformations 
survenues  dans  ses  éléments  conslitulifs,  de  façon  k  relier  la 
chaîne  de  son  histoire,  si  négligée  par  les  historiens  de  l'antiquité, 
avec  la  période  qui  va  suivre.  Grâce  aux  auteurs  arabes,  tout  ce 
qui  se  rapporte  à  la  nation  qu'ils  ont  nommée  eux-mêmes  Ber- 
bère, en  lui  restituant  son  unité,  va  devenir  précis,  et  il  convient, 
avant  de  reprendre  le  récit  des  faits,  d'entrer  dans  quelques  détails 
sur  ce  peuple  et  d'indiquer  sa  division  en  tribus,  et  les  positions 
respectives  occupées  par  les  groupes.  Ainsi,  aux  désignations 
vagues  de  Numides,  de  Maures  et  de  Gélules,  vont  succéder  des 
appellations  précises.  Les  noms  appliqués  aux  localités  vont 
changer  également  et  c'est  bien  dans  une  nouvelle  phase  qu'entre 
l'histoire  de  l'Afrique  septentrionale. 

Les  Berbères  formaient  un  grand  nombre  de  groupes  que  les 
Arabes  appelèrent  tribus,  par  analogie  avec  les  peuplades  de 
l'Orient.  Ils  avaient  des  mœurs  et  des  habitudes  diverses,  selon 
les  lieux  que  les  vicissitudes  de  leur  histoire  leur  avaient  assignés 


1.  Voir,  nu  commencement  du  livre,  la  notice  gcograpliique. 


180 


HISTOIRE  DE  I.'aFRIQL'E 


comme  demeure  :  cultivateurs  sur  le  littoral  et  clans  les  montagnes, 
ils  vivaient  attachés  au  sol,  habitant  des  cabanes  de  branchages 
ou  de  pierres  couvertes  en  chaume  ;  pasteurs  dans  l'intérieur,  ils 
menaient  la  vie  semi-nomade,  couchant  sous  la  lente  et  parcourant 
avec  leurs  troupeaux  les  hauts  plateaux  du  Tel  jusqu'à  la  limite 
du  désert,  selon  la  saison  ;  enfin,  dans  le  Sahara,  leurs  conditions 
normales  d'existence  étaient,  en  outre  de  l'accompagnement  des 
caravanes,  la  guerre  et  le  pillage,  tant  aux  dépens  de  leurs  frères 
les  Berbères  pasteurs  du  nord  que  des  populations  nègres  du 
sud.  ((  La  classe  des  Berbères  qui  vit  en  nomade,  dit  Ibn-Khal- 
doun',  parcourt  le  pays  avec  ses  chameaux  et,  toujours  la  lance 
en  main,  elle  s'occupe  également  à  multiplier  ses  troupeaux  et  à 
dévaliser  les  voyageurs.  »  Telle  csL  encore,  de  nos  jours,  la  ma- 
nière d'être  des  habitants  du  désert. 

Le  costume  des  Berbères  se  composait  d'un  vêtement  de  dessous 
rayé,  dont  ils  rejetaient  un  pan  sur  l'épaule  gauche,  et  d'un  jjur- 
nous  noir  mis  par-dessus.  Ils  se  l'aisaienL  raser  la  tête  et  ne  por- 
taient souvent  aucune  coiffure-.  Dans  le  Sahara,  ils  se  cachaient 
la  figure  au  moyen  d'un  voile,  le  litham,  encore  usité  par  les 
Touareg  et  autres  Berbères  de  l'extrême  sud.  Quant  à  leur  langue, 
elle  se  composait  de  plusieurs  dialectes  aux  racines  non  sémitiques, 
se  rattachant  à  la  même  souche.  C'est  celle  qui  se  parle  de  nos 
jours  dans  le  désert  sous  le  nom  de  Tamacher'i  et  dont  les  diffé- 
rents idiomes,  plus  ou  moins  arabisés,  s'appellent  en  Algérie,  en 
Tunisie,  auMaroc  et  jusqu'au  Sénégal:  Chelha,  ZenaCiya,  Chaouïa, 
Kehaïlïya,  Zenaga,  Tifinar,  etc. 

Comme  religion,  ils  professaient  généralement  l'idolâtrie  et  le 
culte  du  feu  ;  cependant  dans  les  plaines  avoisinant  les  pays 
autrefois  romanisés,  et  où  la  religion  chrétienne  avait  régné,  deux 
siècles  auparavant,  sans  conteste,  il  restait  encore  un  grand  nombre 
d  indigènes  chrétiens.  Ailleurs,  des  tribus  entières  étaient  juives. 
Enfin  des  peuplades  avaient  conservé  le  souvenir  des  rites  importés 
par  les  Phéniciens,  et  s'il  faut  en  croire  Corippus,  elles  offraient  en- 
core, au  sixième  siècle,  des  sacrifices  humains  à  Gurzil,  Mastiman 
et  autres  divinités  barbares.  Nous  avons  vu  que  certaines  tribus 
avaient  une  idole  spéciale  confiée  au  soin  d'un  grand-prêtre. 

Organisation  politique.  —  Chaque  tribu  nommait  un  roi,  ou 
chef,  et  souvent  plusieurs  tribus  formaient  une  confédération 
soumise  au  commandement  suprême  du  même  prince.  Ce  droit  de 

1.  Ilist.  des  Berbères,  trad.  de  Slane,  t.  I,  p.  166. 

2.  Ibid.,  p.  167. 


LES   BERBÈRES   ET  LES   ARABES   (641  ) 


181 


commandement  était  spécial  à  certaines  tribus  qui  exerçaient  une 
sorte  de  suprématie  sur  les  autres.  Il  est  probable  que  chaque 
groupe  de  la  nation  possédait,  à  défaut  de  lois  fixes,  des  coutumes 
dont  le  souvenir  s'est  perpétué  en  Algérie  dans  les  Kanouns  de 
nos  Kabiles'.  Au  septième  siècle,  n'ayant  pas  encore  profilé  de  la 
civilisation  arabe,  les  Berbères  étaient,  en  maints  endroits,  fort 
sauvages,  mais  leurs  qualités  ne  devaient  pas  tarder  à  se  déve- 
lopper et  c'est  avec  raison  qu'Ibn-Klialdoun  a  pu  dire  d'eux  :  «  Les 
Berbères  ont  toujours  été  un  peuple  puissant,  redoutable,  brave 
et  nombreux  ;  un  vrai  peuple  comme  tant  d'autres,  dans  ce  monde, 

tels  que  les  Arabes,  les  Persans,  les  Grecs  et  les  Romains^  » 

«  On  a  vu,  des  Berbères,  des  choses  tellement  hors  du  commun, 
des  fiiits  tellement  ad  nirables  —  ajoute-t-il  —  qu'il  est  impos- 
sible de  méconnaître  le  grand  soin  que  Dieu  a  eu  de  cette  nation.  » 

Groupement  et  situation  des  familles  de  la  race.  —  Les  auteurs 
arabes  ont  divisé  les  Berbères  en  deux  familles  principales:  les 
Bo(r^  descendants  de  ]\Iadghis-El-Abter,  et  les  Branès,  descendants 
de  Bernés.  Les  Zennla,  qui  sont  quelquefois  placés  à  part,  sont 
compris  en  général  dans  les  Bolr.  Mais  ces  distinctions,  qui  ont 
pu  avoir  leur  raison  d'être  à  une  époque  reculée,  sont  devenues 
bien  arbitraires,  par  suite  du  mélange  intime  des  divers  éléments 
et  de  la  constitution  d'une  race  unique.  A  peine  peut-on  placer  à 
part  les  tribus  de  race  Zénète,  qui  semblent  présenter  des  diffé- 
rences de  traits  et  de  mœurs  avec  les  vieux  Berbères,  et  parais- 
sent d'origine  plus  récente.  Nous  admettrions  volontiers  qu'elles 
sont  le  produit  d'une  invasion  venue  de  l'Orient,  car  elles  se  sont 
insinuées  comme  un  coin  au  milieu  de  la  vieille  race,  et  se  tiennent 
sur  la  limite  du  désert,  prêtes  à  pénétrer  dans  le  Tel,  comme  le 
feront  les  Arabes  Ililaliens  quatre  siècles  plus  tard. 

Renonçant  à  reproduire  les  généalogies  plus  ou  moins  ingé- 
nieuses des  auteurs  arabes,  nous  ne  tiendrons  compte  que  de  la 
situation  générale  de  la  race  au  moment  que  nous  avons  atteint, 
et,  à  défaut  d'autre  classification,  nous  proposerons  de  diviser  les 
Berbères  en  trois  groupes  principaux  de  la  manière  suivante  : 

1°  Berbères  de  l'est  ou  Race  de  Loua^,  représentant  les  anciens 

1.  Voir  l'ouvr.it^c  sur  la  Kabylie,  de  MM.  Lctoiirneux  et  Ilanoteau. 
Voir  aussi:  Couluincs  kabyles,  par  M.  Féraiid  [Revue  africaine,  n"^  34, 
36,  37.  38). 

2.  T.  I,  p.  199  et  suiv. 

3.  Selon  les  auteurs  arabes  Loua  est  l'aiicètro  des  Louata,  des  Nef- 
zaoua,  des  Ourfeddjounia,  etc.  Voir  Ibn-Klialdouii,  t.  I,  p.  171 ,  citant  Ibn- 
Hazm  et  Ibn-el-Kelbi. 


182 


HISTOIRE  Dl£  l'aFRIQUE 


Libyens,  les  Ilasguas  et  ILiiiguanlen  de  Procope  et  de  Corippus. 
Elle  couvre  le  pays  de  Barka,  la  Tripolilaine  cl  ses  déserts,  et  le 
midi  de  la  Tunisie. 

2"  Berbères  de  l  ouesl  ou  Race  Sanh;i(/a  \  répondant  aux  Gé- 
lules et  aux  Maures.  Elle  s'étend  sur  les  deux  Mag'reb,  et  leur 
désert  jusqu";i.u  Soudan. 

3°  Race  Zenèle.  Elle  est  établie  dans  le  désert,  depuis  l'ouest 
de  la  Tinpolitaine  jusque  vers  le  méridien  d'Alyer,  en  couvrant 
partie  de  TAourès,  l  Uuad  Kir',  le  Zab  méridional  et  les  bauts 
plateaux  du  Racbed  (Djebel  Amour)  -. 

Divisions  des  thibl's  beruères.  —  \'oici  comment  se  divisaient 
les  tribus  berbères.  Nous  en  donnons  le  tableau  complet,  bien 
qu'au  vii'=  siècle  la  plupart  des  subdivisions  n'existassent  pas 
encore,  mais  afin  de  ne  pas  avoir  à  y  revenir  et  pour  que  le  lecteur, 
dans  ses  recherches,  les  trouve  toutes  groupées. 


I.  —  Berbères  de  l'Est. 


LoLiala 


/  St'drala 
AIrouza 
Airoura 
Djermana 
Mar'ar'a 
Zenara 


Il  ou  ara 
(Issus  des  Aourir'a) 


Ouorgha 

Kemlan 

Melila 

IVarian 

Zeggaoua 

Mcccllata 

Modjoris 


Bciii-Kici 
Ourtagnt 
lleiouara 


Aourir"a 


Maouès 
Azcmmor 
Kcba 
Jlcsraï 

Onridjcn  (Onriguen) 
Jlondaça 
Keikouda 
Kosmana 


1.  Telle  e^l  l'orLliograplie  la  plus  régulière  de  ce  nom. 

2.  Jean  Léou  l'Africaiii,  qui  avait  des  notions  très  précises  sur  les 
populations  africaines,  divise  les  «blancs  d'Afrique»  en  cinq  peuples: 
Sanhagia,  Masmuda,  Zàicta,  Haoara  et  Gumcra  (t.  I,  p.  36  et  suiv.). 


LES   BERBÈRES   ET  LES   ARABES  (641) 


183 


Aourir'a 
(suite) 


Oiirstif 

Biata 

Bel 

Melila 

Satate 

Ourl'cl 

Ouacil 

Mesrata 


Nefouça 


Nefzaoua 


Aonreba 


Beni-Azemmor 

Beni-Meskour 

Metouça 


R'assaça 
Meklata 
Merniça 
Zehila 
Sou  mata 
Zalima 
Oulhaça 
Jfcdjera 
\  0  lire  if 


Beni-Ouriagol 
Gueziiaïa 
Beni-Isliten 
Beni-Dinar  ou  Rihoun. 
B.  Seraïne 


Ourtedin 
Ourfedjouma 


Zeggoula  ou 
Zeddjala 


Ledjaïa  (ou  Lcgaïa) 

Anfaça 

Nidja 

Zchkoudja 

Mcziala 

Reghioua 

Dikouça 


II.  —  Berbères  de  l'Ouest. 


Fclaça 
Denhadja 
Malouça 
Latana 
Ouricen 
Messala 

Kalden  !  Inaou 

Maad  <  Intacen 

Ketama  (  Lehiça  (  Aïan 

Djemila 
B'asman 
Messalta 

Iddjana  (Oudjana  ou  Addjana) 
Beni-Zcldoui 
llechtioua 
Beni-Istilen 
Beni-Kancila 


184 


IIISTOIRK  DE  l'aFRIQL'E 


Ketania 
(suite) 


Sedouikecli 


Anciennes 

(  Siline 

I  Tarsoun  (Darsoun) 
Torghian 
Moulit 
Kacha 
El  m  aï 
Gaïaza 
II.  Zalan 
El-Boiiéïi'a 
B.  Merouan 
Ouarmekcen 
B.  Eïad 
Meklala 
Righa 


\onvelIes 


0.  Mohammed 


0.  Meluli 


0.  Aziz 


0.  Brahim 


B.  Thabet 


Zouauua 


Medjc'sta 
Mellikch 
Beni-Koufi 
Mocheddala 
B.  Zcrikol" 
B.  Gouzit 
Kcresfina 
Ouzeldja 
Jloudja 
Zcglaoua 
\  B.  McM'ana 


NouTelles 

B.  Idjcr 

B.  MengucUal 

B.  Urouiî 

B.  Yen  ni 

B.  Bou-B'ardan 

B.  llrour' 

B.  Bou-Yoïiriif 

B.  Chaïb 

B.  Eïci 

B.  Sedka 

B.  Bobrin 

B.  Giiecliloula 


Senhadja 


/  ilefennano 
Ouennoura'a 
B.  Olhman 
B.  Mozr'anna 
B.  njàad 
Telkala 
Botouïa 
B.  Aïfaoun 
B.  Kkalil 


Dariça 


Azdadja  (ou  Ouzdaga  ]  B.  Mesgucn 

Mccetlaça 

Adjiça 


B.  Faten 


LES   BERBÈRES  ET  LES   ARABES  (641) 


185 


B.  F.alcn 
(suite) 


Zanaga 


t  Melzouza 

]  Kechana  (ou  Kechata) 
(  Douna 

Bolouïa 
Medjekça 
B.  Ouarliu 
Lokaï 


B.  Ouriagol 

Fechiala 

Afechia 

B.  Ilamid 

B.  Amran,  etc. 


Ou  rscUif 


Mikiia(;a 


(_)ni1andja 


Augina  ou 
Mc'gnia 


Moualat 

B.  Ilouat  (ou  llaral) 
B.  Ourflas 

B.  Ouridous  (ou  Ourtedous) 

Kansara 

Ouriflula 

Ourlifa 

Soderdja 
Mckccla 
Bclàlça 
Kern  i  la 

B.  Islilcn 
B.  Toulalin 
n.  'J'ei'iii 
B.  Idjerlen 


R'omara  ou 
Gliomara 


Ji.  llamid 

Meliona 

Bcni-Nal 

Ar'saoua 

J{.  Ou-Zcroual 

Mr(ljek(;a 


Bcrg'ouala.  —  Formanl  divci^^cs  IVaclions 
heure. 

Ilerglia 
)lenlala 
Tinemellal 
Gucdniioua 
Guenfiça 
Ourika 
Begraga 
llezmira 
Dokkala 
Haha 
Assaden 
B.  Ouazguit 
B.  Maguer 
lléïlana 


loiiU's disparu  de  lionne 


Masmouda 


I  Sekrioua 


Mesfaoua 
Mar'ous 


(  Dor'ar'a 
(  Youlanan 


186 


iiisromE  DE  i,'ai-riqi"I': 


Heskoura 

Guezoula  (Forme  de 
Lamta 


Sanhailja  au  I.ilham 
(Voile) 


Mcsiaoua 
l  IVodjdama 
\  Ketouaka 
/  Zemraoua 
)  Aïnlil'l 
I  Aïnoultal 
(  B.  Sekour 

nombreuses  branches) 

Zegguen 
Lakhès 

I  Guedala 
Lemtouna 
Messoufa 
Outziki 

Targa  (Touareg) 

Zcgaoua 

I.amia 


JV 

Ikala 

Mesrala 

B. 

Aoureth 

B. 

Mecheli 

B. 

Dekliir 

B. 

Ziyad 

B. 

Moussa 

B. 

Le  m  as 

B. 

Keclilal 

III. 


Race  Zenète. 


Hrene 


licmmer 


Mag"raoua  (anciens) 


.Merendjiça 
Ouarghou 


B.  Ournid 
B.  Ourlanline 
B.  B'arzoul 
B.  Toufourt 
Ourgiiia 
^  Zouar'a 

B.  lient 
B.  Zeddjak  ou 
B.  Ourak 
Ourlezniar 
B.  Bou-Saïd 
B.  Ourcifen 
Lar"ouate 
B.  Biiiha 


B.  Berzal 
B.  Isdourine 
B.  Sar'mar 
B.  Iloueft 


Zendak 


LES   BERBÈRES   ET   EES   ARABES  (641) 


187 


,  ;'  Sindjas 
Mag'raoua  (anciens)    ^  q^^^,,,,^ 

(*"''^)  (  13.  Ourladjen 

Ii'nïani! 
Djeraoua 

Ouagdiguen  (Oiiadjidjen 
Ouar'mcrl  ou  U'omort  (Ghomra) 
Ouargla  —  B.  Zendak 
Ouemannou 
Iloumene  (ou  Iloumi) 


li.  liadine. 

Ouacine 
(Magr'aoua)  Vi.  liachod 


.\|jd-EI-Ouad 
Toudjine 
'  li.  Mfizab 
l>.  ,\zei'daiic  ou  j 
Zcrdal 


lî.  Idieten 
B.  Ncmzi 
I  B.  Madoun 
B.  Mcdcn        {  B.  Zendali 
B.  Oucil 
B.  Kadi 
B.  Mamel 


iB.  Tigherine 
B.  Irnaten 
B.  Mengoucli 


li.  Merine 


lî.  ttiirladjun 
'  B.  Ouallas 


Position  de  ci:s  thibi's.  —  ^'oici  mainlenanl  la  silualion  géné- 


rale de  ces  tribus,  par  provinces,  au  vu"  siècle. 


Barka  et  Tripolilaine. 

Iloiiara  et  Aourira.  —  Pays  de  Barka,  midi  de  la  TripoliLaine, 
Fezzan  :  s'avancent  jusque  vers  le  Djerid. 

Louata.  —  Région  syrtiqne,  environs  de  Tripoli  et  de  là  jusque 
vers  Gabès. 

Nefouça.  —  Région  montagneuse  de  ce  nom,  au  midi  de 
Tripoli. 

Zouar'a  et  Ourgma  (Zcnctcs  Demmer),  à  l'ouest  de  Tripoli. 


188 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


Ifrikiya  proprement  dite. 
(Tunisie.) 

Xefzaoua.  —  Djerid  et  intérieur  de  la  Tunisie. 
Merendjica  et  Ouarf/ou  (Ifrene),  régions  méridionales. 


Ifrihya  occidentale. 
(Province  de  Constantine.) 

Nefzaoua.  —  Plaines  de  l  est  de  la  province. 
Djeraoua.  —  Djebel-Aourès. 
Aoureba.  —  Région  au  nord  du  Zab. 

T frêne.  Macjraoua.  —  Ilodna,  Zab  et  région  méridionale  de 
l'Aourès. 

Oaargla,  Oaacine.  —  Ouad-Rir"  et  Sahara. 

Ketâma.  —  Cette  grande  tribu  occupe  toute  la  région  littorale, 
depuis  Bône  jusqu'à  Tembouchure  de  TOuad-Sahel  et  s'avance 
dans  l'intérieur,  jusqu'à  Constantine  et  Sétif. 


Marfreh  central. 
Zouaoua.  —  Massif  de  la  grande  Kabilie. 

Sanhndja.  —  Se  rencontrent  à  l'ouest  et  au  nord  avec  les 
Zouaoua  el  s'étendent  jusqu'à  l'embouchure  du  Chelit",  occupant 
ainsi  le  littoral  et  une  partie  du  centre. 

B.  Faten.  —  Font  suite  aux  Sanhadja,  à  l'ouest,  jusqu'à  la 
Moulouïa,  couvrant  le  littoral  et  le  centre  de  la  province  d'Oran. 

Lemaïa  el  Matmntu,  aux  environs  du  Guezoul  et  du  Ouarensenis. 

Mar'ila,  sur  la  rive  droite  du  Chelil". 

Azdadja  (des  Dariça),  aux  environs  d'Oran. 

Koumïa  et  Mediouna,  au  nord  et  à  l'ouest  de  Tlemcen. 

Adjiça  (Dariça),  au  sud  des  Zouaoua. 

Les  tribus  Zenètes  anciennes  couvrent  les  hauts  plateaux. 

Oaemannou  et  Houmi,  à  l'ouest  du  lîodua. 

Oiiar'mert,  dans  le  Rached  Djebel-Amour). 

Oarnid,  à  l'ouest  de  cette  montagne. 

Irniane,  au  sud  de  Tlemcen. 


LES  nERIilîRES   ET   LES   ARAIÎES  (641) 


189 


Mag'reh  extrême . 

R'omara.  —  Occupent  la  région  lilLorale  du  Rif,  de  l'embou- 
chure de  la  Moulaïa  à  Tanj^er. 

Miknaça,  Ourlaiidja  et  Aiigma,  région  centrale. 

Zanacfa.  —  Se  rencontrent  avec  les  précédents  et  occupent  les 
premiers  contreforts  de  l'Atlas. 

Matr'ara.  — Vers  la  limite  du  Mag'reh  central,  où  ils  se  rejoi- 
gnent aux  autres  Fatene. 

Berçjhouata.  —  Sur  le  littoral  de  l'Océan,  depuis  Tanger  jusqu'à 
l'embouchure  du  Sebou. 

Masmouda.  —  Tout  le  versant  occidental  de  l'Atlas,  les  plaines 
et  le  littoral  de  l'Océan,  du  Sebou  à  l'Ouad-Sous. 

Hesîtoura.  —  Les  montagnes  du  Grand-Atlas. 

Guezoula  et  Lamta.  —  La  rive  gauche  de  l'Ouad-Sous  jusqu'à 
l'Ouad-Deraa. 

Aucune  tribu  zénète  n'a  encore  pénétré  dans  le  Mag'reh 
extrême. 


Grand-Désert. 

Sanhadja  na  Lithain  [Messoufa  Giiedala,  Lemtouna,  Lamta, 
etc.),  occupant  toute  la  région  saharienne  jusqu'au  Niger. 


Ainsi  était  répartie  la  race  berbère  dans  l'Afrique  septentrionale. 

Il  restait  en  outre  quelques  débris  de  la  population  coloniale 
dans  le  nord  de  l'Ifrikiya  et  aux  alentours  des  postes  occupés  par 
les  Byzantins. 


Les  Arabes.  Notice  sur  ce  peuple.  —  Le  peuple  arabe  devant 
désormais  mêler  son  histoire  à  celle  de  la  Berbérie,  il  convient 
encore,  avant  de  reprendre  notre  récit,  d'entrer  dans  quelques 
détails  sur  cette  nation. 

La  population  de  l'Arabie  était  divisée  en  deux  groupes  dis- 
tincts : 

1°  Les  Arabes  de  race  pure  ou  ancienne,  descendant,  selon  les 
généalogistes,  de  Kahtan^  le  Yectan  de  la  Bible.  Etablis  depuis 
une  haute  antiquité  dans  la  partie  méridionale  du  pays,  V Arabie 


190 


iiisToiiii:  DI-;  l'afuiqce 


heureuse,  riénien,  ils  l'ormèrent  deux  grandes  tribus,  celles  de 
Kehlan  et  de  Ilimyer.  On  les  désignait  sous  le  terme  général 
d'Iéménitos  ; 

2°  Et  les  Arabes  de  race  mélangée,  descendants  de  Adnan,  et 
beaucoup  plus  nombreux  que  les  précédents.  Ils  ont  formé  les 

tribus  de  Moder,  Rcbïa,  Maad,  etc        Nous  les  désignerons  sous 

le  nom  de  Maadites.  Ils  occupaient  les  vastes  solitudes  qui  s'éten- 
dent de  la  Palestine  à  l'Iémen,  ayant  au  centre  le  plateau  du  \edjd 
et  le  Iledjaz  sur  le  littoral'. 

Une  rivalité  implacable  divisait  ces  deux  races  et  nous  verrons 
ces  traditions  de  haine  les  suivre  en  Afrique  et  en  Espagne.  C'est 
que  la  première,  habitant  des  régions  fertiles,  établie  en  partie 
dans  des  Ailles,  se  livrait  à  la  culture  et  au  commerce  et  vivait 
dans  l'abondance  ;  tandis  que  l'autre,  réduite  à  l'existence  précaire 
du  nomade,  dans  des  régions  désertes,  n'avait  d'autre  ressource, 
en  dehors  du  produit  de  maigres  troupeaux,  que  la  guerre  et  le 
brigandage.  Cette  rivalité  n"a\ait  au  fond  d'autre  mobile  que  le 
combat  pour  la  vie. 

En  outre  de  ces  deux  grandes  divisions,  chaque  groupe  se  par- 
tage en  citadins  et  gens  des  steppes  {bédouins). 

INIoEURS  ET  Ri'LiGioN  DES  Arabes  anté-islamiques .  —  La  coudition 
propre  de  l'Arabe,  c'est  la  vie  en  tribu,  la  famille  agrandie,  à  la 
tête  de  laquelle  est  le  cheikh,  vieillard  renommé  par  sa  sagesse 
dans  le  conseil,  sa  bravoure  dans  le  combat.  Une  grande  solidarité 
règne  entre  les  gens  d'une  même  tribu,  mais  aucun  lien  ne  réunit 
les  tribus  entre  elles.  Bien  au  contraire,  elles  ont  toutes  des  sujets 
de  haine  particulière  les  unes  contre  les  autres,  car  la  vengeance 
est  un  culte  pour  ces  âmes  ardentes.  «  Une  infinité  de  tribus,  les 
unes  sédentaires,  le  plus  grand  nombre  constamment  nomades, 
sans  communauté  d'intérêts,  sans  centre  commun,  ordinairement 
en  guerre  les  unes  contre  les  autres,  voilà  l'Arabie  au  temps  de 
Mahomet".  »  Les  Arabes  ne  vivent  que  pour  la  guerre,  car  sans 
cela  «  pas  de  butin,  et  c'est  le  butin  surtout  qui  fait  vivre  les 
Bédouins.  »  Aussi  la  bravoure  est-elle  estimée  au-dessus  de  tout. 
Les  femmes  suivent  les  guerriers  dans  les  combats  pour  les  encou- 
rager, faire  honte  aux  fuyards  et  même  les  marquer  d'un  signe 

1.  Voir  Abou-l-feda,  Rois  des  Arabes  avant  l'Islamisme .  —  Hamza 
d'Ispalian,  Annales  des  Himyérites.  —  Eu-Nouéïri,  Histoire  des  rois  de 
Kahtan.  —  Messaoudi,  Les  prairies  d'or.  —  Ibii-Klialdouii,  Histoire  des 
Berbères  et  Prolégomènes.  —  Ibu-EI-Alhir,  Histoire,  passim. 

2.  Dozy,  Histoire  des  Musulmans  d'Espagne,  t.  I,  p.  16. 


LES  BERBÈRES  ET   LES  ARABES  (641) 


191 


d'ignominie.  «  Les  braves  qni  font  face  à  l'ennemi,  disent-elles, 
nous  les  pressons  dans  nos  bras;  les  làcbes  qui  fuient  nous  les 
délaissons  et  nous  leur  refusons  notre  amour'.  »  L'éloquence  et 
la  poésie  sont  honorées  après  la  bravoure. 

Les  habitants  des  villes  du  littoral,  ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
s'adonnaient  avec  succès  au  commerce,  et  conservaient  des  rela- 
tions avec  les  Bédouins,  leurs  parents  ou  leurs  alliés. 

La  ]\Iekke,  ville  située  près  du  littoral  du  golfe  arabique,  était 
un  grand  centre  commercial  et  religieux.  Les  Koréichites,  famille 
de  la  race  d'Adnan,  y  dominaient.  C'étaient  des  marchands  fort 
entendus  aux  affaires.  Ils  gouvernaient  la  cité  par  un  conseil  dit 
des  Sadate  (pluriel  de  Sid)  qui  avait  entre  ses  mains  tous  les  pou- 
voirs -. 

Les  Arabes  pratiquaient  différents  cultes  :  certaines  tribus  ado- 
raient les  astres,  d'autres  se  faisaient  des  idoles  de  pierre  ou  de 
bois.  Les  Juifs  avaient,  en  Arabie,  de  très  nombreux  sectateurs; 
enfin,  le  chiffre  des  chrétiens  établis,  surtout  dans  les  villes,  était 
assez  considérable.  Mais  la  religion  nationale  était  une  sorte  d'ido- 
lâtrie. La  Mekke  était  déjà  la  ville  sainte  :  on  y  conservait,  dans 
le  temple  de  la  Kaaba,  une  pierre  noire,  sans  doute  un  aérolithe, 
et  la  construction  du  temple  était  attribuée  à  Abraham  par  une 
ancienne  tradition.  Un  grand  nombre  d'idoles  y  étaient  en  outre 
enfermées.  La  tribu  de  Koréich  avait  le  privilège  de  fournir  le 
grand-prêtre. 

«  Le  naturel  farouche  des  Arabes- —  a  dit  Ibn-Khaldoun  ^,  — 
en  a  fait  une  race  de  pillards  et  de  brigands.  Toutes  les  fois  qu'ils 
peuvent  enlever  un  butin,  sans  courir  un  danger  ou  soutenir  une 
lutte,  ils  n'hésitent  pas  à  s'en  emparer  et  à  rentrer  au  plus  vite 
dans  le  Désert.  »  C'est  la  razia,  le  mode  de  combattre  particvdier 
à  l'Arabe.  «  Les  habitudes  et  les  usages  de  la  vie  nomade,  — ajoute 
notre  auteur,  —  ont  fait  des  Arabes  un  peuple  rude  et  farouche. 
La  grossièreté  des  mœurs  est  devenue  pour  eux  une  seconde 
nature  Si  les  Arabes  ont  besoin  de  pierres  pour  servir  d'ap- 
puis à  leurs  marmites,  ils  dégradent  les  bâtiments  afin  de  se  les  pro- 
curer; s'il  leur  faut  du  bois  pour  en  faire  des  piquets  ou  des  sou- 
tiens de  tente,  ils  détruisent  les  toits  des  maisons  pour  en  avoir. 
Par  la  nature  même  de  leur  vie,  ils  sont  hostiles  à  tout  ce  qui  est 
édifice        Ajoutons  que,  par  leur  disposition  naturelle,  ils  sont 

1.  Poésie  citée  par  Caussin  de  Perceval  dans  sou  bel  Essai  sur  l'his- 
toire des  Arabes  avant  l'Islamisme,  t.  III,  p.  99. 

2.  Michèle  Amari,  Storia  dei  Musulmani  di  Sicilia,  t.  I,  p.  47  et  suiv. 

3.  Prolégomènes,  1. 1,  delà  trad.,  p.  309  et  suiv. 


192 


insTOinE  DE  i.'afriqce 


toujours  prêts  à  enlever  de  force  le  bien  d'autrui,  à  chercher  les 
richesses  les  armes  à  la  main,  et  à  piller  sans  mesure  et  sans 
retenue.  » 

Tels  sont,  dépeints  par  un  de  leurs  compatriotes,  les  hommes 
qui  vont  prendre  une  part  prépondérante  à  l'histoire  de  l'Afrique. 

M.\H0MET.  —  Fondation  de  l  Isi.amismk.  —  En  570  naquit 
Mahomet  (Mohammed^,  de  la  tribu  de  Koreich.  Resté  orphelin  de 
bonne  heure,  il  fut  élevé  par  son  oncle,  Abou-Taleb,  et  envoyé 
par  lui  dans  une  triiju  bédouine  selon  l  usage.  C'était  un  jeune 
homme  faible  de  corps,  sujet  à  des  attaques  nerveuses,  parlant 
peu  et  restant  de  longues  heures  plongé  dans  la  méditation.  A 
l'inverse  de  ses  compatriotes,  il  avait  peu  de  goùl  pour  la  poésie, 
bien  qu'il  eût  l'imagination  assez  développée.  11  se  vantait  de 
ne  pas  savoir  écrire. 

Mahomet  avait  quarante  ans  lorsqu'il  commença  à  prophétiser 
et  à  prétendre  qu'il  recevait  des  révélations  de  Dieu,  par  l'inter- 
médiaire de  l'ange  Gabriel  :  ses  concitoyens  l'accueillirent  par  des 
moqueries  et  tournèrent  en  dérision  ses  prédications.  Rien  ne 
l'arrêta,  ni  les  injures,  ni  les  violences,  et  il  finit  par  gagner  à  sa 
cause  quelques  prosélytes.  Mais  si,  après  onze  années  d'apostolat, 
Mahomet  avait  obtenu  un  si  mince  succès  chez  ses  concitoyens,  il 
avait  rencontré  à  Yatrib,  ville  rivale,  habitée  par  des  gens  de  race 
yéménite,  des  esprits  mieu\  disposés  à  accueillir  la  nouvelle  reli- 
gion, et  s'y  était  créé  des  adhérents  dévoués.  Menacé  dans  son 
existence  par  les  Mekkois,  le  prophète  se  décida  à  fuir  et  alla,  en 
62"2,  chercher  un  refuge  chez  ses  amis  les  Aous  et  les  Khazradj, 
de  Yatrib,  qui  reçut  le  nom  de  Médine  (la  ville  par  excellence). 
De  cette  fuite  [Hégire)  date  l'ère  musulmane.  Les  adhérents  de 
Mahomet  lui  prêtèrent  à  Médine  un  solennel  serment  et  furent 
appelés  ses  défenseurs  (Ansar  .  On  nommait  émigrés  les  ^Mekkois 
qui  l'avaient  suivi  dans  sa  fuite.  Aussitôt  la  lutte  commença  entre 
eux  et  les  Mekkois,  et  après  difTérentes  péripéties,  Mahomet  entra 
en  vainqueur  à  la  Mekke.  Cette  fois,  c'était  le  triomphe.  Par  la 
persuasion  ou  par  la  force,  les  Arabes  durent  adopter  le  nouveau 
culte.  L'islamisme  était  fondé.  Nous  croyons  inutile  d'analyser 
ici  cette  religion  dont  chacun  connaît  les  dogmes  et  qui  a  pour 
code  le  Koran.  L'Iman,  chef  de  la  religion,  était  en  même  temps 
souverain  politique  de  tous  les  musulmans.  La  Guerre  sainte 
imposée  aux  vrais  croyants,  comme  une  obligation  étroite,  allait 
ouvrir  la  voie  aux  conquêtes 

1.  Yoii"  le  Ivoran  et  les  Iladith  ou  traditions  sur  Mahomet. 


LES   BERBERES   ET   I.ES   ARABES  (640) 


193 


AbOU-BeKER,    DEUXIÈME   KHALIFE.    SeS   CONQUETES.           Ell  632, 

Mahomet  cessa  de  vivre.  Les  Arabes  n'avaient  pas  attendu  sa 
mort  pour  apostasier  et  se  lancer  dans  la  révolte.  Le  Nedjd,  l'ié- 
men,  même,  étaient  au  pouvoir  d'un  rival  Aïhala  le  Noir;  l'insur- 
rection devint  alors  générale. 

Mahomet,  peut-être  à  dessein,  n'avait  pas  fixé  les  règles  de  la 
succession  au  khalifat Son  oncle  Abou-Beker  qui,  par  son  dé- 
vouement à  toute  épreuve,  avait  été  le  plus  ferme  soutien  du 
prophète,  fut  appelé  à  lui  succéder.  C'était  un  homme  d'une  rare 
énergie  et  dont  la  violence  se  traduisait  par  d'implacables  cruau- 
tés. Faisant  énergiquement  tête  aux  ennemis,  il  sut  ramener  la 
confiance  parmi  les  siens  et  put  ainsi  battre  les  insurgés  les  uns 
après  les  autres.  Ses  victoires  furent  suivies  d'horribles  massacres. 
Quiconque  apostasiait  ou  refusait  de  se  convertir  était  aussitôt 
mis  à  mort.  Les  nouveaux  musulmans  trouvaient  au  contraire 
toutes  les  satisfactions  de  leurs  passions  :  la  guerre  et  le  pillage. 
Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  sous  la  direction  d'Abou-Beker 
l'islamisme  eût  fait  de  si  grands  progrès.  Les  compagnons  de 
Mahomet,  les  défenseurs  et  les  émicfrés  étaient  comblés  d'hon- 
neurs et  investis  de  commandements  ;  ils  formaient  en  quelque 
sorte  une  nouvelle  noblesse.  Tout  en  luttant  contre  les  révol- 
tés, Abou-Beker  entreprenait  la  guerre  de  conquête  ;  dès  la  fin 
de  633,  ses  généraux  enlevaient  l'Irak  aux  Perses  et  une  partie  de 
la  Syrie  aux  Byzantins. 

KiiALiFAT  d'Omar.  Conquê:te  de  l'Egypte.  —  Dans  le  mois 
d'août  634,  Abou-Beker  mourut  au  milieu  de  toute  sa  gloire.  Il 
désigna  pour  son  successeur  Omar-ben-el-Khattab,  qui  prit  le  titre 
à' Emir-el-Moumenin  (Prince  des  croyants).  Peu  après,  Damas 
et  le  reste  de  la  Syrie  tombaient  au  pouvoir  des  Arabes.  La  Méso- 
potamie et  la  Palestine  subissaient  bientôt  le  même  sort  (638-40). 

En  640,  le  général  Amer-ben-el-Aci  enleva  l'Egypte  au  repré- 
sentant d'Héraclius.  L'incendie  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie 
éclaira  les  vertigineux  succès  des  Arabes.  En  quelques  années  une 
peuplade  à  peine  connue  avait  fondé  un  vaste  royaume.  Nous 
allons  voir  les  Arabes  transporter  au  Mag'reb,  le  théâtre  de  leurs 
exploits. 

1.  Ses  successeurs  reçurent  le  titre  de  Khalifes  (successeurs),  d'où 
l'on  a  formé  le  mot  de  Khalifat  pour  désigner  leur  trône. 


T.  I. 


13 


CHAPITRE  II. 


CONQUÊTE  ARABE 

641  -709 

Campagnes  de  Amer  en  Cyrénaïque  et  en  Tripolitaine.  —  Le  Khalife  Othman 
prépare  Texpèdition  do  l'Ifrikiya. —  Usurpation  du  palrice  Grégoire.  Il  se 
prépare  à  la  lutte.  —  Défaite  et  mort  de  Grégoire.  —  Les  Arabes  traitent 
avec  les  Grecs  et  évacuent  l'Ifrilciya. —  Guerres  civiles  en  Arabie. —  Les 
Kharedjiles;  origine  de  ce  schisme.  —  Mort  d'Ali  ;  triomphe  des  Oméïades. 
—  Etal  de  la  Berbérie  ;  nouvelles  courses  des  Arabes.  —  Suite  des  expé- 
ditions arabes  en  Jlag'reb.  —  Okba  gouverneur  de  l'Ifrikiya  ;  fondation  de 
Kaïrouan.  —  Gouvernement  de  Dinar.  —  .Vbou-el-Mohadjer. — 2e  gouver- 
nement d'Okba  ;  sa  grande  expédition  en  Mag  reb.  —  Défaite  de  Tehouda; 
mort  d'Okba.  —  La  Berbérie  sous  l'autorité  de  Koçé'ila.  —  Nouvelles  guer- 
res civiles  en  Arabie. —  Les  Kharedjites  et  les  Ch'ia'ites. —  Victoire  de 
Zohé'ir  sur  les  Berbères  ;  mort  de  Ko(;é'ila.  —  Zohé'ir  évacue  l'Ifrikiya.  — 
Mort  du  fils  de  Zobé'tr  ;  triomphe  d'Abd-el-Malek.  —  Situation  de  l'Afrique; 
la  Kahéna.  —  La  Kahéna  reine  des  Berbères  :  ses  destructions.  —  Défaite 
et  mort  de  la  Kahéna.  —  Conquête  et  organisation  de  l'Ifrikiya  par  Ila- 
çane.  —  Mouça-ben-Nocéir  achève  la  conquête  de  la  Berbérie. 

Campagnes  de  Amer  en  Cyrénaiqie  et  en  Tripolitaine.  —  Aus- 
sitôt après  avoir  effectué  la  conquête  de  l  Efivpte,  Amer  poussa 
une  pointe  vers  l'Ouest,  jusqu'au  pays  de  Barka.  Les  Houara  et 
Louata  de  cette  contrée  furent  contraints  de  se  soumettre  et,  afin 
d'éviter  l'esclavage,  durent  se  racheter  au  prix  d'une  contribution 
de  treize  mille  pièces  d'or.  Ils  vendirent,  dit-on,  tout  ce  qu'ils 
possédaient,  et  même,  en  certains  endroits,  leurs  enfants  pour 
s'acquitter'.  Après  cette  fructueuse  razia.  Amer  rentra  en  Egypte 
(641).  Pendant  ce  temps,  un  de  ses  lieutenants,  Okba-ben-\afa, 
parcourait  les  régions  méridionales  et  s'avançait  en  vainqueur  jus- 
qu'à Zouila  dans  le  Fezzan. 

Les  campagnes  dans  l'Ouest  étaient  trop  fructueuses  pour  que 
les  guerriers  de  l'Islam  ne  fussent  pas  tentés  d'y  effectuer  de  nou- 
velles courses.  En  6i"2,  Amer  ayant  organisé  une  expédition  vint 
mettre  le  siège  devant  Tripoli  et  s'empara  de  cette  ville,  qui  fut 
livrée  au  pillage.  On  y  trouva  un  riche  butin  qui  fut  réparti  entre 
les  soldats.  Les  habitants  qui  purent  se  réfugier  sur  les  vaisseaux 

1.  Ibn-Abd-el-Hakera  (apud  Ibn-Kbaldouu,  t.  I,  p.  302  et  suiv.).  En- 
Nouéiri.  id.,  p.  313.  El-Kairouaui,  p.  36  et  suiv. 


CONQUÊTE  ARABE  (646) 


195 


et  gagner  le  large  furent  épargnés;  quant  aux  autres,  ils  n'obtinrent 
aucun  quartier.  De  cette  place,  le  général  arabe  envoya  une  recon- 
naisance  de  cavalerie  sur  Sabra,  tandis  qu'un  corps  de  troupes 
allait  de  nouveau  vers  le  Fezzan,  et  s'avançait  jusqu'à  Ouaddan. 

En  vain,  Amer  sollicita  de  son  maître  l'autorisation  d'envahir 
rifrikiya  ;  mais  ces  opérations  dans  l'Ouest  étaient  faites  contre  le 
gré  du  khalife  qui  n'avait  aucune  confiance  dans  ce  «  lointain  per- 
fide »,  comme  il  se  plaisait,  par  un  jeu  de  mots,  à  appeler  le  Ma- 
g'reb  ;  de  plus  il  craignait  un  retour  offensif  des  Byzantins  en 
Egypte.  Ces  prévisions  n'étaient  que  trop  justifiées  ;  on  apprit  tout 
à  coup  qu'une  flotte  grecque  venait  de  s'emparer  d'Alexandrie. 
Aussitôt  Amer  se  porta  contre  l'ennemi  à  la  tète  de  forces  impo- 
santes et  força  les  chrétiens  à  la  retraite. 

Le  kuAi.iFE  Othman  puépare  i/expédition  d'Ifrikiva.  —  J>c  31  oc- 
tobre 614,  Omar  fut  poignardé  par  un  esclave  ou  artisan  de 
Koufa.  Avant  de  mourir,  il  désigna,  comme  candidats  à  sa  succes- 
sion, six  des  plus  anciens  compagnons  de  Mahomet.  Ceux-ci, 
après  trois  jours  de  discussion,  finirent  par  charger  l'un  d  eux,  qui 
s'était  désisté,  de  prononcer  entre  eux.  Le  Meklvois  Othman-ben- 
Offan  fut  proclamé  khalife,  au  grand  désappointement  des  trois 
autres  candidats.  Ali,  gendre  du  prophète,  qui  se  considérait  déjà 
comme  ayant  été  frustré  par  les  précédents  khalifes,  fut  surtout 
très  irrité  de  ce  nouvel  échec.  Deux  autres  candidats,  Zobéïr  et 
Talha  devaient  également  faire  parler  d'eux. 

Othman  appartenait  à  la  famille  des  Beni-Oméïa  qui  s'était  mon- 
trée l'adversaire  acharnée  de  Mahomet  ;  son  triomphe  était  celui 
du  parti  mekkois.  C'était  un  vieillard  affaibli  par  l'âge  qui  se  laissait 
entièrement  diriger  par  ses  parents.  Un  des  premiers  actes  du  nou- 
veau kalife  fut  de  rappeler  Amer  et  de  confier  le  commandement 
de  l'Egypte  à  son  frère  de  lait  Abd-Allah-ben-Abou-Sarh.  Vers 
646  *,  ce  général  envoya  des  reconnaissances  qui  lui  rapportèrent 
des  renseignements  précis  sur  la  situation  de  l'Ifrikiya,  et,  lorsqu'il 
eut  réuni  tous  les  documents,  il  pressa  le  khalife  d'entreprendre 
cette  conquête  qui,  disait-il,  devait  donner  aux  Musulmans  une 
nouvelle  gloire  et  un  abondant  butin.  Mais,  en  Orient,  on  ne  voyait 
pas  l'entreprise  sous  un  jour  aussi  favorable  ;  le  conseil  réuni  plu- 
sieurs fois  hésita  à  l'autoriser  et  ce  ne  fut  qu'à  force  d'insistance  que 
le  khalife  finit  par  rallier  les  esprits  et  faire  décider  l'expédition. 

La  guerre  sainte  fut  alors  proclamée  et,  un  camp  ayant  été 
dressé  à  El-Djorf,  près  de  Médine,  la  fleur  des  guerriers  de  l'Islam 


1.  On  sait  que  ces  premières  dates  sont  incertaines. 


196 


lUSTOIRI;   DE   I. "AFRIQUE 


vint  s'y  réunir*.  Les  tribus  yéménites  et  maadites  y  envoyèrent 
leur  contingent.  Othman  contribua  de  ses  deniers  à  l'organisation 
de  l'armée,  qui  se  trouva  prête  dans  l'automne  de  l'année  647.  Au 
mois  d'octobre  le  khalife  vint  la  haranguer,  puis  ces  troupes,  plei- 
nes d'ardeur,  se  mirent  en  route  sous  la  direction  d'El-Harith.  De 
son  côté,  le  gouverneur  de  l'Egypte  avait  réuni  toutes  les  forces 
dont  il  pouvait  disposer.  Lorsque  les  troupes  d'Orient  furent  arri- 
vées, il  leur  adjoignit  les  siennes  et  forma  ainsi  une  armée  d'en- 
viron cent  vingt  mille  hommes,  composée  d'autant  de  cavaliers  que 
de  fantassins.  Laissant  le  commandement  de  l'Egypte  à  Okba,  il 
entraîna  ses  guerriers  à  la  conquête  des  pays  de  l'Ouest,  depuis  si 
longtemps  convoités  par  les  Musulmans. 

USURP.\TI0N   DU  PATRICE   GrÉGOIRE.   Il   SE  PREPARE  A  LA  LUTTE.   

En  présence  des  préparatifs  des  Arabes,  que  faisaient  les  Byzantins 
d'Afrique  "?  Nous  avons  vu,  à  la  fin  de  la  première  partie,  quo 
l'empereur  Héraclius  était  mort  après  avoir  eu  la  douleur  de  voir 
l'Egypte  lui  échapper.  A  cette  nouvelle,  le  patrice  Grégoire,  fils 
du  Grégoire  dont  il  a  été  également  parlé,  qui  gouvernait  l'Afrique 
au  nom  de  l'empire,  jugea  le  moment  favorable  pour  se  déclarer 
indépendant.  11  prit  la  pourpre,  s'entoura  des  insignes  de  la  royauté 
et  choisit  Sbé'itla*,  comme  siège  de  son  empire. 

Karthage  abandonnée  fut  occupée  par  un  nouvel  exarque,  venu 
de  Constantinople,  et  autour  duquel  se  groupèrent  les  chrétiens 
restés  fidèles.  Bien  que  les  détails  fassent  complètement  défaut  sur 
les  conditions  dans  lesquelles  l'usurpation  de  Grégoire  s'est  effec- 
tuée, il  est  probable  que  ce  chef  a  été  appuyé  par  les  indigènes  ; 
le  choix  de  Sbéïtla  comme  capitale  semble  l'indiquer.  Ainsi,  au 
moment  où  les  Byzantins  auraient  dû  grouper  toutes  leurs  forces 
pour  résister  à  l'étranger,  ils  étaient  divisés  par  la  guerre 
civile.  C'est  ce  qui  explique  que,  lors  des  premières  razzias  des 
Arabes,  ils  abandonnèrent  la  ïripolitaine  à  elle-même. 

Cependant,  Grégoire,  averti  de  la  prochaine  attaque  des  Arabes, 
n'était  pas  resté  inactif  :  il  avait  adressé  un  appel  pressant  aux 
débris  de  la  population  coloniale  et  aux  Berbères.  Les  tribus  in- 
digènes de  cette  région,  qui  savaient,  par  ouï-dire,  ce  qu'était  la 
rapacité  des  Arabes  et  se  voyaient  menacés  dans  leur  exis- 
tence et  dans  leurs  biens,  accoururent  en  foule  sous  ses  étendards. 
Le  patrice  se  trouva  bientôt  entouré  d'un  rassemblement  considé- 

1.  En-Nouéiri  doune  les  noms  des  principaux  guerriers,  presque  tous 
compagnons  de  Mahomet  (p.  314,  315). 

2.  L'antique  SufTotula,  au  sud  de  Kairouan. 


CONQUÉTIÎ   ARABIÎ  (647) 


197 


rable  dont  les  auteurs  arabes  portent  le  chiffre  à  plus  cent  mille 
combattants,  ce  qui  est  évidemment  exagéré.  A  la  tête  de  cette  ar- 
mée il  se  porta  en  avant  de  Sbéïtla  et  attendit,  dans  une  position 
retranchée,  le  choc  de  l'ennemi'. 

Défaite  et  mort  de  Grégoire.  —  Les  guerriers  arabes  ne  tar- 
dèrent pas  à  paraître  ;  conduits  par  Abd-Allah,  ils  vinrent  prendre 
position  au  lieu  dit  Akouba,  en  face  du  camp  de  ceux  qu'ils  appe- 
laient les  infidèles.  Dans  leur  marche,  ils  avaient  laissé  de  côté  les 
villes  du  littoral  où  des  sièges  longs  et  difficiles  les  auraient  rete- 
nus, et  étaient  venus  attaquer  leurs  ennemis  au  centre  de  leur 
puissance.  Quelques  jours  se  passèrent  d'abord  en  pourparlers.  Abd- 
Allah  proposait  à  Grégoire  de  se  convertir  à  l'islamisme,  de  recon- 
naître la  suzeraineté  du  khalifat  et  de  payer  tribut.  Mais  le  prince 
grec  refusa  péremptoirement,  et  il  fallut  en  venir  aux  mains.  Les 
premières  rencontres  n'eurent  rien  de  décisif  ;  chaque  matin,  dit 
En-Nouéïri-,  on  combattait  entre  les  deux  camps,  jusqu'au  milieu 
du  jour,  puis  on  rentrait  de  part  et  d'autre  dans  ses  lignes  pour 
prendre  du  repos  et  recommencer  le  lendemain.  Les  Grecs  répa- 
raient leurs  pertes  par  des  renforts  qu'ils  recevaient  chaque  jour, 
et  les  Arabes  commençaient  à  douter  du  succès  lorsqu'un  événe- 
ment imprévu  vint  à  leur  aide. 

Le  khalife  Othman,  ne  recevant  pas  de  nouvelles  de  ses  guerriers, 
avait  dépêché  vers  ceux-ci  un  do  ses  otTiciers  nommé  Abd-Allah- 
ben-Zobéïr.  Ce  chef  parvint  au  camp  à  la  tête  de  quelques  cava- 
liers seulement  ;  mais  le  bruit  causé  par  sa  réception  fit  croire  aux 
Grecs  que  leurs  ennemis  avaient  reçu  de  puissants  renforts,  ce 
qui  leur  causa  un  certain  découragement.  Les  Arabes,  tenus  au 
courant  par  leurs  espions,  en  profitèrent  avec  une  grande  habileté. 
11  fut  convenu  entre  Abd-Allah  et  ben-Zobéïr  que,  le  lendemain,  on 
n'enverrait  au  combat  que  peu  de  monde,  que  les  meilleurs  guer- 
riers se  tiendraient  sous  les  tentes  et  qu'ils  profiteraient  de  la 
trêve  journalière  suivant  la  bataille,  pour  attaquer  le  camp  des 
infidèles,  tandis  qu'ils  seraient  plongés  dans  une  fausse  sécurité. 

Il  fut  fait  ainsi  qu'il  avait  été  convenu.  Les  chrétiens,  s'atten- 
dant  à  une  attaque  sérieuse,  sortirent  en  foule  et  fondirent  sur  les 
Musulmans,  qui  étaient  conduits  par  Abd-Allah  en  personne.  On 
combattit  avec  un  grand  acharnement.  Grégoire,  le  diadème  en 

1.  Lebeaii,  Hist.  du  Bas-Empire,  t.  II,  p.  319  et  suiv.  Ibn-Kliald, 
Hisl.  des  Berhcres,  l.  I,  p.  208,  209.  E  n-I\'ouéiri,  p.  317  et  suiv.  El-Kai- 
rouani,  p.  39. 

2.  l.oc.  cit. 


198 


HISTOIRE   I)i:   L  AFRIQUE 


tête  et  ayant  auprès  de  lui  l  étendard  surmonté  de  la  croix,  diri- 
geait en  personne  ses  troupes.  Les  chefs  arabes  surent  faire  durer 
la  bataille  plus  lonj^temps  que  d"habitude  et,  enfin,  les  combattants, 
fatigués  par  l'excessive  chaleur  du  jour,  rentrèrent  dans  leur  camp. 
Ce  fut  alors  que,  profitant  du  moment  où  les  chrétiens  avaient  re- 
tiré leurs  armures  pour  se  reposer,  ,\bd-Allah  et  Ben-Zobéïr  firent 
sortir  leurs  guerriers  et,  à  la  tête  de  ces  troupes  fraîches,  se 
précipitèrent  sur  le  camp  ennemi  aux  cris  de  :  <<  Dieu  est  grand  ! 
Il  n'y  a  d'autre  Dieu  que  lui  I  »  Les  chrétiens,  surpris  à  l  impro- 
viste,  sans  avoir  le  temps  de  s  armer  ni  de  se  mettre  en  selle,  sont 
renversés  par  les  cavaliers  arabes,  et  bientôt  l  armée,  prise  d'une 
terreur  panique,  fuit  en  désordre  dans  toutes  les  directions.  Les 
Musulmans,  las  de  tuer,  mettent  le  camp  au  pillage. 

Ainsi  fut  détruite  cette  armée  qui  était  bien  supérieure  en  nom- 
bre à  celle  des  assaillants.  Le  patrice  Grégoire  périt  dans  l'action, 
frappé  par  une  main  inconnue'. 

Les  .\r.\ues  traitent  avec  les  Grecs  et  évacuent  l'Ifrikiya. 
—  Les  Arabes,  après  leur  victoire,  poursuivirent  les  infidèles  qui 
s'étaient  réfugiés  à  Sbéïtla  et  s'emparèrent  de  cette  capitale  éphé- 
mère. Elle  était  remplie  de  richesses  entassées  tant  par  Grégoire 
que  par  la  population  coloniale.  .Après  le  pillage  et  le  massacre, 
conséquence  habituelle  des  victoires  arabes,  on  réunit  l'immense 
butin  qui  avait  été  fait,  et  le  général  en  chef  en  préleva  le  quint, 
selon  la  règle  musulmane  ;  puis  le  reste  fut  partagé  entre  les  guer- 
riers, la  part  du  cavalier  étant  triple  de  celle  d'un  fantassin.  De 
Sbéïtla  où  il  s'était  établi,  Abd-Allah  lança  ses  bandes  vers  l'inté- 
rieur de  l'Ifrikiya.  Les  Arabes  portèrent  ainsi  la  dévastation  jus- 
qu'aux bourgades  de  Gafça  et  au  Djerid,  et  de  là,  revenant  vers 
le  nord,  ils  s'avancèrent  jusqu'à  Mermadjenna -. 

Les  Grecs,  après  la  défaite  de  Sbéïtla,  s'étaient  réfugiés  dans  les 
places  fortes  de  la  Byzacène  et  particulièrement  autour  de  Kar- 
thage,  où  s'étaient  groupés  les  derniers  restes  de  la  population 
coloniale.  Or,  les  .\rabes  ne  tenaient  nullement  à  entreprendre  de 
nouveaux  sièges  ;  ils  songeaient  encore  moins  à  s'établir  dans  le 
pays,  la  plupart  brûlant  au  contraire  du  désir  de  retourner  en 
Orient  pour  montrer  leur  butin  et  raconter  leurs  prouesses.  Dans 
de  telles  dispositions,  des  propositions  d'arrangement  que  leur 

1.  Nous  croyons  inutile  de  reproduire  les  traditions  qui  le  font  mou- 
rir de  la  main  de  Ben-Zobeir,  ainsi  que  l'histoire  trop  romanesque  de 
sa  fille. 

2.  A  une  dizaine  de  lieues  au  N.-E.  de  Tébcssa. 


CONQUÊTE   ARABE  (656) 


199 


firent  les  chrétiens  furent  accueillies  avec  empressement.  Ils 
conclurent  avec  eux  une  convention  par  laquelle  ils  s'obligeaient 
à  se  retirer  contre  le  versement  d  une  contribution  de  trois  cents 
kintars  d"or,  selon  les  auteurs  arabes.  Peut-être  ce  tribut  énorme 
ne  fut-il  pas  versé  par  les  Grecs  seuls  ;  il  est  fort  possible  que  les 
Arabes  aient  traité  aussi  avec  les  chefs  de  tribus  berbères  ou  des 
régions  qu'ils  avaient  parcourues,  comme  le  Djerid  par  exemple. 
Ibn-Khaldoun  dit  positivement  que  les  cheikhs  berbères  furent 
bien  traités  par  Abd-AUah  et  que  l'un  d'eux,  Soulat-ben-Ouazniar, 
qui  avait  été  l'ait  prisonnier,  fut  entouré  d'honneurs  et  retourna  li- 
brement dans  sa  tribu  (les  Mag'raoua),  après  s'être  converti  à 
l'islamisme  ' . 

Pendant  que  le  général  en  chef  réglait  ces  questions,  Ben-Zobéïr 
partait  en  hâte  pour  Médine  afin  d"y  porter  la  nouvelle  des  succès 
de  l'Islam.  Il  fit  le  trajet  en  vingt-quatre  ou  vingt-sept  jours  et, 
par  l'ordre  d'Othman,  il  raconta  en  pleine  chaire,  au  peuple,  les 
détails,  quelque  peu  embellis,  de  la  conquête  de  l'Ifrikiya-. 

Enfin  les  Musulmans  évacuèrent  la  Berbérie.  Abd-Allah  laissa  à 
Sbéïtia  un  certain  Djenaha'',  comme  représentant  du  khalifat, 
mais  sans  forces  militaires,  ni  autorité  réelle,  car  aucune  idée 
d'occupation  permanente  ne  paraît  avoir  été  le  mobile  de  ces  pre- 
mières guerres  :  c'étaient  de  véritables  razias 

Guerres  civiles  en  Aradie.  —  Les  événements  d'Orient  vinrent 
distraire  les  Arabes  de  leurs  entreprises  contre  l'Ifrikiya,  et  la  con- 
séquence fut  de  laisser  quelques  années  de  répit  à  la  Berbérie.  La 
partialité  du  khalife,  qui  n'était  guidé  dans  le  choix  des  gouverneurs 
que  par  des  intérêts  de  famille,  avait  suscité  xl'ardentes  haines  que 
les  candidats  au  trône  surent  habilement  exploiter.  Bientôt  Othman 
fut  assiégé  dans  son  propre  palais,  à  Médine,  et,  comme  il  résistait 
avec  une  grande  fermeté  aux  sommations  qui  lui  étaient  adressées, 
les  sicaires  pénétrèrent  chez  lui  par  une  maison  voisine  et  le  mi- 
rent à  mort  (juin  656).  Ali,  l'un  des  promoteurs  du  meurtre,  fut 
élevé  au  khalifat  par  les  Défenseurs.  C'était  le  triomphe  du  parti 

1.  Hist.  des  Berbères,  t.  1,  p.  120,  t.  II,  p.  228. 

2.  Amari  (Storia,  t.  I,  p.  110,  111),  donne  une  partie  du  texte  du 
discours . 

3.  Habaliia,  selon  le  Baian. 

4.  Nous  avons  suivi  dans  le  récit  qui  précède  le  texte  d'En-Nouéiri, 
(p.  314  et  suiv.),  complété  par  les  documents  fournis  par  Ibn-Abd-El- 
Hakem,  Ibn-Klialdoun,  El-Kairouani,  leBaiaii  Pour  les  dates,  nous  avons 
adopté  celles  données  par  M.  Fournel,  /lisloire  des  Berbcrs,  p.  110  et 
suiv. 


200 


IIISTOIHI':   Di:   I.  AFRIQUE 


des  orthodoxes,  des  gens  de  Médine  contre  les  nobles  et  les  Mek- 
kois,  triomphe  bien  précaire  et  qui  allait  donner  lieu  à  de  san- 
glantes représailles. 

Ali  avait  destitué  tous  les  gouverneurs  en  les  remplaçant  par 
des  Défenseurs  et  des  hommes  d'un  dévouement  à  toute  épreuve; 
mais  l'un  d  eux,  jMoaouïa-ben-Abou-Sofiane,  surnommé  le  Fils  de 
la.  manç/euse  de  foie\  gouverneur  de  la  Syrie,  qui  avait  acquis 
une  grande  puissance  sous  les  précédents  khalifes,  refusa  péremp- 
toirement de  le  reconnaître.  D'autre  part,  ses  complices  Zobéïr  et 
Talha,  qui  avaient  compté  obtenir  le  khalifat.  se  retirèrent  a  La 
Mekke  et,  excités  par  Aïcha,  la  veuve  du  prophète,  femme  perfide 
et  ambitieuse,  se  mirent  en  état  de  révolte.  Ils  appelèrent  à  eux 
les  partisans  d'Othman,  avides  de  A-enger  le  meurtre  de  ce  vieillard, 
et  exploitant  les  rivalités  qui  divisaient  les  tribus,  réunirent 
bientôt  un  nombre  considérable  de  guerriers.  Ali  n'était  soutenu 
que  par  les  Défenseurs  et  les  meurtriers  d'Othman  ;  mais  il  parvint 
à  gagner  l'appui  des  Arabes  de  Koufa.  Il  marcha  alors  contre  les 
rebelles  et  remporta  contre  eux  la  bataille  dite  du  Chameau,  qui 
coûta  la  vie  à  Talha  (8  décembre  656).  Zobéïr  périt  assassiné  dans 
sa  fuite.  Aïcha,  échappée  à  la  mort,  était  restée  sur  le  champ  de 
bataille  auprès  de  son  chameau  criblé  de  traits  ;  elle  implora  son 
pardon  du  A'ainqueur,  qui  le  lui  accorda. 

Ali  était  maître  de  l'Arabie  et  de  l'Egypte,  mais  la  Syrie  refusait 
toujours  de  le  reconnaître,  et  Moaouïa  aspirait  ouvertement  au 
khalifat.  De  Koufa,  où  il  avait  transporté  le  siège  de  l'empire,  Ali 
marcha  à  la  tête  de  quatre-vingt-dix  mille  hommes  contre  le  re- 
belle et,  après  une  campagne  longue  et  meurtrière ,  il  fut  décidé 
qu'un  arbitrage  trancherait  la  question  entre  les  deux  compé- 
titeurs. En  vain  Ali  avait  fait  tous  ses  efforts  pour  éviter  de  verser 
le  sang  musulman,  il  avait  même  proposé  à  Moaouïa  de  vider  leur 
querelle  en  combat  singulier  ;  mais  celui-ci  préféra  l'emploi  d  une 
diplomatie  tortueuse,  aboutissant  à  l'arbitrage  qui  devait,  sans 
danger,  lui  conférer  le  pouvoir.  Ali,  trahi  par  une  partie  de  ses 
adhérents,  s'était  retiré  à  Koufa;  il  refusa,  non  sans  raison,  de  re- 
connaître la  légalité  de  la  sentence  qui  le  déposait. 

Les  Kharedjites  ;  ohigixe  de  ce  schisme.  —  Lorsqu'Ali  s'était 
décidé  à  accepter  l'arbitrage,  douze  mille  de  ses  soldats,  après  avoir 
en  vain  essayé  de  l'en  détourner,  avaient  déserté  sa  cause  et 

1.  Sa  mère,  la  féroce  Hind,  avait,  dit-ou,  ouvert  le  veutre  de  Hnmza. 
oucle  du  prophète,  à  la  suile  de  la  bataille  d'Oliod,  et,  en  ayant  retire 
le  foie,  l'avait  dccliirc  avec  ses  dents. 


CONQUÊTE   ARABE  (661) 


201 


s'étaient  eux-mêmes  séparés  de  la  religion  officielle.  Le  nom  de 
Kharedjites  (non-conformistes)  leur  fut  appliqué  à  cette  occasion. 
C'étaient  des  puritains  austères,  fidèles  aux  premières  prédications 
de  Mahomet  et  considérant  tous  les  nouveaux  convertis  comme  de 
purs  infidèles.  Le  caractère  propre  de  leur  doctrine  était  l'ég-alité 
absolue  du  croyant.  «  Tous  les  Musulmans  sont  frères,  répétaient- 
«  ils,  d'après  le  Koran.  Ne  nous  demandez  pas  si  nous  descendons 
«  de  Kaïs  ou  bien  de  Temim  ;  nous  sommes  tous  fils  de  l'islamisme, 
«  tous  nous  rendons  hommage  à  l'unité  de  Dieu,  et  celui  que  Dieu 
«  préfère  aux  autres,  c'est  celui  qui  lui  montre  le  mieux  sa  grati- 
«  tude  '  ».  Ces  principes  ne  plaisaient  guère  aux  Arabes,  si  par- 
tisans des  castes  et  des  droits  de  la  naissance,  et  qui  prenaient  des 
doctrines  de  l'islamisme  ce  qui  leur  plaisait,  en  s'arrogeant  le  droit 
de  juger  les  paroles  du  prophète.  Les  Kharedjites  ne  l'entendaient 
pas  ainsi  :  pour  eux,  le  demi-croyant  était  pire  que  l'infidèle,  et 
comme  ils  se  recrutaient  parmi  les  plus  basses  classes  de  la  société, 
le  dissentiment  religieux  se  complétait  d'une  rivalité  sociale. 

Ces  dissidents  en  arrivèrent  bientôt  à  contester  aux  Koréïchites 
le  droit  exclusif  au  khalifat.  Ils  prétendaient  que  le  chef  des  Mu- 
sulmans pouvait  être  pris  dans  tout  le  corps  des  fidèles,  sans  dis- 
tinction d'origine  ni  de  race,  même  parmi  les  esclaves.  Du  reste, 
le  rôle  du  khalife,  selon  eux,  devait  se  borner  à  contenir  les  mé- 
chants ;  quant  aux  hommes  vertueux,  ils  n'avaient  pas  besoin  de 
chef.  Tels  étaient  les  principes  de  ces  schismatiques  que  nous  ver- 
rons jouer  un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  de  l'Afrique. 

]\L)KT  d'Ali.  Tiiio.mphe  des  Oméïades.  —  Les  fidèles  adhérents 
d'Ali  étaient  devenus  ses  ennemis.  Il  marcha  contre  eux  et  en  fit 
un  carnage  épouvantable  à  la  bataille  de  Nehrouan  (659).  Pendant 
ce  temps,  les  lieutenants  de  Moaouïa  s'emparaient  de  l'Egypte  et 
de  la  Mésopotamie,  et  le  Hedjaz  était  envahi.  Ali  se  multiplia  pour 
repousser  les  attaques  des  Syriens,  mais  il  avait  d'autres  ennemis. 
Les  Kharedjites,  qu'il  avait  cru  exterminer,  se  reformaient  dans 
l'ombre  ;  ne  pouvant  entrer  en  lutte  ouverte,  ils  employaient  pour 
se  venger  une  autre  arme.  Dans  le  mois  de  janvier  661,  Ali  tomba 
sous  le  poignard  d'un  de  ces  sectaires.  Son  fils  El-Haçane  recueillit 
son  héritage  ;  mais  cette  charge  était  trop  lourde  pour  lui,  et  peu 
après  il  abdiquait  en  faveur  de  Moaouïa  et  allait  se  retirer  à  jNIé- 
dine,  avec  son  frère  El-Houcéïne.  C'était  la  défaite  des  Défenseurs 
et  le  triomphe  définitif  des  Oméïades  et  du  parti  mekkois. 

Les  Syriens,  qui  avaient  tant  contribué  au  succès  de  Moaouïa, 

1.  Moubarred,  p.  588.  (Cité  par  Dozy,  t.  I,  p.  142.) 


202 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


acquirent  des  lors  une  influence  incontestée.  Un  grand  nombre  de 
tribus  Yéménites  s'étaient  fixées  dans  cette  province  quelques  an- 
nées auparavant.  Elles  s'y  trouvèrent  en  rivalité  avec  celles  de  race 
maadite  et  déterminèrent  l'émigration  d'une  partie  de  celles-ci  en 
Irak.  Cependant  les  Kaïsistes  restèrent  dans  le  paj-s,  et  entrèrent 
en  lutte  avec  les  Kelbites,  une  des  principales  tribus  Yéménites. 
Leur  rivalité  prit  bientôt  un  caractère  d'acuité  extrême  qui  se  tra- 
duisit par  des  luttes  acharnées 

Cependant,  l'Egypte  demeurait  livrée  à  la  fureur  des  factions. 
Les  vengeurs  d'Othman  s'y  étaient  mis  en  état  de  révolte  ouverte, 
puis  Ali  s'y  était  créé  un  parti,  ^'ers  la  lin  de  0)9.  Moaou'ia  envoya 
en  Egypte  .\mer-ben-El-Aci,  avec  des  forces  imposantes,  et  ce  gé- 
néral parvint  à  placer  toute  la  contrée  sous  l'autorité  des  Omé'iades. 

Etat  de  la  Berbérie.  Nou\"ei,les  courses  des  Arabes.  —  Les 
vingt  années  de  guerre  civile  qui  venaient  de  désoler  l'Orient 
avaient  eu  pour  conséquence  de  laisser  à  la  Berbérie  un  moment 
de  répit  que  les  Grecs  et  les  indigènes  auraient  dû  employer  pour 
organiser  sérieusement  leur  résistance.  Un  rapprochement  semblait 
s'être  opéré  entre  les  Berbères  et  les  Byzantins  après  le  départ  des 
Arabes,  mais  il  fallait  rentrer  dans  les  sommes  versées  aux  enva- 
hisseurs, et  bientôt  l'avidité  des  agents  du  fisc  impérial,  les  exac- 
tions des  gouverneurs  avaient  entièrement  détaché  d  eux  les  indi- 
gènes. 

Depuis  longtemps  les  Arabes  avaient  fait  des  courses  sur  mer  et 
s'étaient  avancés  jusque  dans  la  Méditerranée  antérieure.  En  648, 
la  flotte  de  Moaouïa,  envoyée  de  Syrie,  avait  opéré  une  descente 
à  Chypre;  deux  ans  plus  tard,  son  armée  navale  s'emparait  de 
Rhodes,  puis  venait  faire  une  expédition  en  Sicile  et  rentrait  en 
Orient  chargée  de  butin  et  de  captives*. 

Le  gouverneur  de  l'Egypte,  Amer,  qui  avait  toujours  conservé 
l'espoir  d'effectuer  la  conquête  du  ^lag'reb,  envoya  de  nouvelles 
expéditions,  tant  par  terre  que  par  mer,  contre  ce  pays  et  les  îles, 
mais  les  détails  font  absolument  défaut  relativement  à  ces  entre- 
prises que  sa  mort  vint  arrêter  (063). 

Suite  des  expéditions  arabes  en  ^L\g'reb.  —  Vers  l'an  665,  Dje- 
naha,  cet  agent  qui  avait  été  laissé  par  les  Arabes  à  Sbéïtla,  s'étant 
rendu  en  Orient  auprès  de  Moaou'ia,  le  décida  à  tenter  une  nou- 
velle expédition  en  ^Lig'reb.  Le  khalife  confia  le  commandement  à 

1.  Dozy,  Hist.  des  Mus.  d'Espagne,  t.  I,  p.  114  et  suiv. 

2.  Amari,  Storia,  t.  I,  p.  79  et  suiv. 


CONQUÊTr:   ARABE  (669) 


203 


Moaouïa-ben-Hodaïdj  (ou  Khodaïdj)  ;  et  ce  général  partit  pour 
l'Ouest,  à  la  tête  d'une  armée  de  dix  mille  hommes',  composée  de 
guerriers  choisis.  L'empereur,  averti  de  cette  expédition,  envoya 
en  Afrique  des  renforts  sous  le  commandement  du  patrice  Nicé- 
phore. 

Parvenus  en  Ifrikiya,  les  Arabes  vinrent  prendre  position  en  un 
lieu  appelé  depuis  Mamtour,  non  loin  de  l'emplacement  que  de- 
vait occuper  Kaïrouan.  Les  Grecs,  arrivés  sans  doute  avant  eux, 
avaient  débarqué  à  Souça  et  s'étaient  établis  on  avant  de  cette 
ville.  Une  forte  colonne,  envoyée  contre  eux  par  Moaouïa,  les  at- 
taqua avec  l'impétuosité  habituelle  des  Arabes  ;  les  Byzantins  cé- 
dèrent sur  toute  la  ligne,  et,  ayant  regagné  en  hâte  le  littoral,  se 
rembarquèrent  sur  leurs  vaisseaux  et  rentrèrent  en  Orient.  Après 
ce  succès,  les  Musulmans  s'emparèrent  de  Djeloula,  qu'ils  mirent 
au  pillage  et  où  ils  trouvèrent  un  butin  considérable.  Des  dis- 
cussions s'élevèrent  alors  entre  les  vainqueurs  au  sujet  du  partage 
des  prises,  et  il  fallut  en  référer  au  khalife  pour  trancher  ces  dif- 
férends. 

D'autres  expéditions  furent  effectuées  simultanément,  ou,  dans 
tous  les  cas,  suivirent  immédiatement  celle  de  Moaouïa.  Le  gé- 
néral Okba-ben-Nafa ,  qui  avait  déjà  joué  un  rôle  dans  les  pre- 
mières guerres  d'Afrique,  parcourut  de  nouveau  le  Fezzan,  imposa 
aux  vaincus  l'obligation  d'embrasser  l'islamisme,  leva  des  tributs 
considérables  sur  toutes  les  populations  du  sud,  et  revint  vers 
Barka- après  une  campagne  de  cinq  mois,  dans  laquelle  les  plus 
grandes  cruautés  avaient  été  commises  par  les  Arabes.  Vers  le 
même  temps,  un  défenseur  du  nom  de  Rouaïfi,  après  avoir  réduit 
les  localités  du  littoral  de  la  Tripolitaine,  s'emparait  de  l'île  de 
Djerba.  Enfin,  en  668,  Abd-Allah-ben-Kaïs ,  de  la  tribu  de  Fezara 
(Kaïs),  partait  d'Alexandrie  avec  deux  cents  navires,  abordait  en 
Sicile,  mettait  au  pillage  Syracuse,  el  rapportait  en  Orient  des  ri- 
chesses immenses.  On  dit  que  le  khalife  lit  revendre  dans  l'Inde 
les  statues  d'or  et  d'argent  apportées  de  Sicile,  dans  l'espoir  d'en 
obtenir  un  meilleur  prix,  et  que  ce  commerce  d'idoles  causa  un 
grand  scandale  aux  Musulmans  -. 

Okba,  gouv  erneur  de  l'Ifrikiva.  Fondation  de  Kaïrouan.  —  Le 
khalife  nomma  alors  Okba-ben-Nafa  gouverneur  de  l'Ifrikiya,  en 
formant  de  cette  contrée  une  nouvelle  province  de  l'empire  (669). 
Ce  général,  qui  était  resté  sans  doute  dans  les  environs  de  Barka, 

1.  Selon  EI-IvairoLKiiii,  p.  40. 

2.  Amari,  Sloria,  t.  I,  p.  99. 


204 


HISTOIRE  DE   E  AFRIQUE 


reçut  d'Orient  des  renforts,  et.  à  la  tête  d  une  arméo  d'une  dizaine 
de  mille  hommes,  dans  laquelle  fiiruraient  pour  la  première  fois 
des  Berbères  convertis,  se  mit  en  roule  vers  l'ouest.  Il  parcourut 
d'abord  le  Djerid,  et  s'empara  de  Gafsa  et  de  quelques  places  du 
pays  de  Kastiliya  où  les  chrétiens  tenaient  encore.  Selon  son  habi- 
tude, il  montra  une  rigueur  extrême  contre  les  infidèles  et  ré- 
pandit en  Afrique  la  terreur  de  son  nom. 

Du  Djerid,  Okba  vint  s'établir  à  l'endroit  où  son  prédécesseur 
Moaouïa  avait  campé,  et  y  posa  les  fondations  d  une  ville  destinée 
à  servir  de  centre  religieux  et  politique  dans  le  Mag  reb.  Il  traça 
lui-même  le  plan  des  édifices  publics  de  la  nouvelle  métropole 
qu'il  établit  dans  des  proportions  grandioses.  Il  lui  donna  le  nom 
de  Kaïrounn,  sur  le  sens  duquel  on  n'est  pas  d'accord.  L'empla- 
cement était  aride  et  désert  et  il  fallut  d'abord  en  expulser  les  bêtes 
sauvages  et  les  serpents.  Les  ruines  des  cités  romaines  environ- 
nantes, et  particulièrement  celles  d'une  ville  appelée  Kamounïa  ou 
Kaniouda,  lui  fournirent  des  matériaux  en  abondance.  Tout  en  ap- 
portant ses  soins  à  l'éditication  de  Kaïrouan,  Okba  étendait  son 
influence  en  Ifrikiya  et  envoyait  ses  guerriers  en  reconnaissance 
vers  l'ouest.  Des  habitants  ne  tardèrent  pas  à  venir  se  grouper 
autour  de  la  nouvelle  cité. 

Gouvernement  de  Dinar-Ahou-el-Mohadjer.  —  Sur  ces  entre- 
faites, le  khalife  ayant  replacé  l  lfrikiya  sous  l'autorité  du  défenseur 
Meslama-ben-Mokhalled,  gouverneur  de  l'Egypte,  celui-ci  envoya 
dans  le  Mag'reb  un  de  ses  affranchis,  nommé  Dinar,  et  surnommé 
Abou-el-Mohadjer,  pour  en  prendre  le  commandement  'vers  675). 
C'est  ainsi  que  l'on  récompensait  Okba  des  importants  services 
rendus,  et  cette  manière  d'agir  paraîtrait  inexplicable,  si  l'on  n'y 
retrouvait  l'eilet  d  une  de  ces  rivalités  de  race  et  d'opinion  qui 
divisaient  si  profondément  les  Arabes. 

Dès  son  arrivée.  Dinar  fit,  dit-on,  arrêter  Okba  et  l'accabla  d'hu- 
miliations, exécutant  ainsi  les  instructions  qui  lui  avaient  été  don- 
nées par  son  maître.  Mais  la  vengeance  n'aurait  pas  été  complète 
si  l'on  ne  s'était  pas  attaché  à  détruire  l'œuvre  du  rival.  Par  l'ordre 
de  Dinar,  les  constructions  de  Ka'irouan  furent  renversées  et  la 
ville  nouvelle  rasée.  Okba  ayant  pu,  peu  après,  se  rendre  en  Orient, 
exposa  ses  doléances  au  khalife,  mais  ne  put  obtenir  de  lui  aucune 
réparation  et  dut  dévorer  en  silence  son  humiliation. 

Une  levée  de  boucliers  des  Berbères  coïncida  avec  le  départ 
d'Okba.  A  leur  tête  était  Koçéïla,  chef  de  la  grande  tribu  des  Aou- 
reba.  Il  est  certain  que  ces  indigènes  avaient  été  en  relations  avec 
Okba,  peut-être  même  avaient-ils  déjà  accepté  l'islamisme.  Dinar- 


CONQUÊTE   ARABE  (681) 


•205 


Abou-el-Mohadjcr  marcha  contre  eux  el  les  poussa  devant  lui  jus- 
qu'aux environs  de  l'emplacement  de  Tlemcen.  Les  ayant  forcés 
d'accepter  le  combat  dans  ce  lieu,  il  leur  infligea  une  défaite  dans 
laquelle  leur  chef  fut  fait  prisonnier.  Pour  éviter  la  mort,  Koçéïla  dut 
se  convertir  à  la  religion  de  Mahomet  ;  il  fut  traité  alors  avec  bien- 
veillance, mais  conservé  par  le  vainqueur  dans  une  demi-captivité. 
Après  avoir  apaisé  tous  les  gfermes  de  sédition,  IJinar  rentra  en 
Ifrikiya  et  organisa  quelques  expéditions  contre  les  Grecs,  re- 
tranchés dans  les  places  du  nord.  On  dit  qu'à  la  suite  de  ces  opé- 
rations, les  adversaires  conclurent  un  traité  aux  termes  duquel  la 
presqu  île  de  Cherik  fut  abandonnée  aux  chrétiens  '. 

Deuxième  gouvernementd'Okba.  Sa  grande  expédition  en  Mag'heb. 
—  Moaou'ia  étant  mort  le  7  avi-il  680,  son  fils  Yézid,  qu'il  avait  déjà 
désigné  comme  héritier  présomptif,  lui  succéda.  Peu  après,  Okba 
obtenait  la  réparation  de  l'injustice  qu'il  avait  éprouvée  et  était 
nommé,  pour  la  seconde  fois,  gouverneur  de  l'Ifrikiya. 

A  la  lin  de  l'année  681,  Okba  arriva  à  Kaïrouan  et,  à  son  tour, 
il  jeta  Dinar  dans  les  fers,  renversa  les  constructions  qu'il  avait 
élevées  et  entreprit  la  réédification  de  Kaïrouan,  où  il  établit  de 
nouveau  une  population.  Koçéïla  partagea  la  mauvaise  fortune  de 
Dinar,  avec  lequel  il  avait  fini  par  se  lier  d'amitié. 

Après  avoir  savouré  la  volupté  de  la  vengeance,  Okba,  dont  le 
fanatisme  ardent  ne  pouvait  s'accommoder  du  repos,  décida  une 
grande  expédition  dans  le  Mag'reb,  afin  de  soumettre  à  son  auto- 
rité tous  les  Berbères  de  l'Afrique  septentrionale.  Il  réunit  en  con- 
séquence ses  meilleurs  guerriers  et,  ayant  laissé  Zohéïr-ben-Kaïs, 
avec  quelques  troupes,  à  Kaïrouan,  il  donna  le  signal  du  départ. 
Avant  de  se  mettre  en  route,  il  adressa  à  ceux  qu'il  laissait  der- 
rière lui,  et  notamment  à  ses  fils,  une  allocution  dans  laquelle  il 
déclara  qu'il  s'engageait  à  ne  s'arrêter  que  lorsqu'il  ne  rencon- 
trerait plus  d'infidèles  devant  lui. 

Le  général  conduisit  les  troupes  vers  l'Aourès,  afin  de  réduii'e 
les  populations  zenèles  qui,  alliées  aux  Grecs,  restaient  dans 
l'indépendance.  11  vint  d'abord  prendre  position  auprès  de  Bar'aï 
et  livra  aux  indigènes  un  combat  sanglant  dans  lequel  ils  eu- 
rent le  désavantage;  mais  ceux-ci  s'étant  réfugiés  dans  la  citadelle, 
Okba  n'osa  en  entreprendre  le  siège.  11  se  dirigea  vers  Lambèse  et 
eut  à  supporter  une  vigoureuse  sortie  des  Berbères  et  des  chré- 
tiens, qui  vinrent  attaquer  son  camp  et  faillirent  s'en  rendre  maî- 
tres. Les  Arabes  parvinrent  cependant  à  repousser  l'ennemi  ;  mais 

i.  Fouruel,  Beibers,  p.  163.  Amari,  Sloria,  t.  I,  p.  611. 


206 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQUE 


Okba  renonça  à  courir  les  liasards  de  nouvelles  luîtes  avec  de  tels 
adversaires.  Il  se  dirig^ea  vers  le  Zab,  alors  habité  par  de  nom- 
breuses tribus  zenètes  ;  dans  les  oasis  se  trouvaient  aussi  des  po- 
pulations chrétiennes  et  quelques  soldats  gérées.  Après  plusieurs 
combats,  la  victoire  resta  aux  Musulmans,  mais  ces  succès,  chè- 
rement achetés,  n'avaient  pas  pour  conséquence  cette  soumission 
générale  qui  était  le  but  de  Texpédition. 

Okba.  continuant  néanmoins  sa  route,  arriva  devant  Tiharet 
où  il  trouva  les  Berbères  réunis  en  grand  nombre.  Avec  eux  étaient 
quelques  troupes  grecques.  Il  les  attaqua  et  les  défit  dans  une  san- 
glante bataille.  De  là,  le  général  musulman  conduisit  son  armée 
dans  le  Mag  reb  extrême  et,  ayant  traversé,  sans  rencontrer  une 
grande  opposition,  la  région  maritime  occupée  par  les  Romara, 
parvint  à  Ceula,  le  seul  point  qui,  dans  ces  régions  éloignées,  re- 
connût encore  l'autorité  de  Byzance.  Le  comte  Julien,  qui  y  com- 
mandait, entretenait  des  relations  beaucoup  plus  fréquentes  avec 
les  Wisigoths  d'Espagne  qu'avec  l'empereur.  Il  vint  au  devant 
d  Okba,  lui  fit  bon  accueil  et  lui  donna  des  renseignements  précis 
sur  l'intérieur  de  la  contrée.  Il  lui  apprit  qu'il  ne  trouverait  plus 
de  pays  soumis  aux  chrétiens,  mais  que,  dans  les  montagnes  et  les 
plaines  du  ]\Iag'reb,  vivaient  de  nombreuses  populations  berbères 
ne  reconnaissant  aucune  autorité. 

Muni  de  ces  renseignements.  Okba  s'enfonça  dans  le  cœur  des 
montagnes  marocaines,  en  passant  par  Oulili  d'emplacement  de 
Fès).  Les  Berbères  Masmouda  et  Zanaga  qui  habitaient  ces  loca- 
lités lui  opposèrent  une  vive  résistance  et  il  se  trouva  un  moment 
cerné  au  milieu  d'elles.  Un  secours  qui  lui  fut  envoyé  par  les  Ma- 
g  raoua  lui  permit  de  se  dégager.  Reprenant  l'offensive,  il  s'em- 
para de  Nefis,  métropole  des  Masmouda,  où  il  trouva  un  riche 
butin.  Selon  El-Bekri,  il  y  construisit  une  mosquée.  De  là,  il  des- 
cendit vers  le  Sous,  défit  les  Heskoura,  Guezoula  et  Lamta  de  ces 
régions,  et  atteignit  enfin  le  rivage  de  l'Océan.  On  rapporte  qu'ayant 
fait  entrer  son  cheval  dans  la  mer,  il  prit  Dieu  à  témoin  qu'il  avait 
accompli  son  serment,  puisqu'il  ne  trouvait  plus  devant  lui  d'en- 
nemi de  sa  religion  à  combattre-. 

DÉFAITE  DE  Tehol-da.  Mort  d'Okba.  —  Lcs  Musulmaus  reprirent 

1.  C'est  de  l'ancienne  ville  de  ce  uom  qu'il  est  question. 

2.  Pour  toute  cette  campagne  nous  avons  suivi  Ibn-Khaldoun,  Hist. 
des  Berbères,  t.  I,  p.  212  et  suiv.,  287  et  suiv.  En-Noueiri  (loc.  cit., 
p.  332  et  suiv.).  El-Bekri,  passim.  El-Kairouani,  p.  44  et  suiv.  Le  Baian, 
t.  I,  p.  211  et  suiv.  Ibu-El-Alhir,  t.  IV,  passim. 


CONQUÊTE   ARAnU  (683) 


207 


alors  le  chemin  de  l'est,  traînant  à  leur  suite  de  noml^reux  esclaves 
et  rapportant  le  butin  fait  dans  cette  belle  campaj^ne.  Okba  avait 
amené  avec  lui,  dans  le  Mag'reb,  Koçéïla  et  Dinar,  et  n'avait  né- 
gligé aucune  occasion  de  les  mortifier.  Un  jour,  il  ordonna  au 
prince  berbère  d'écorcher  un  mouton  en  sa  présence  ;  contraint  de 
remplir  ainsi  le  rôle  d'un  esclave,  Koçéïla  passait  de  temps  en 
temps  sa  main  ensanglantée  sur  sa  barbe  en  regardant  Okba  d'une 
étrange  façon.  «  Que  signifie  ce  geste  ?  »  demanda  le  gouverneur. 
<i  Rien,  répondit  le  Berbère,  c'est  que  le  sang  fortifie  la  barbe  !  » 

Les  assistants  expliquèrent  à  Okba  qu'il  fallait  y  voir  une  me- 
nace, et  Dinar  lui  reprocha  de  traiter  avec  autant  d'injustice  un 
homme  d'un  rang  élevé  parmi  les  siens,  lui  prédisant  qu'il  pourrait 
bien  s'en  repentir.  Mais  Okba,  gonflé  d'orgueil  par  ses  succès, 
voyant  les  populations  indigènes  s'ouvrir  devant  lui  avec  crainte, 
ne  pouvait  se  croire  menacé  d'un  danger  immédiat  ;  et  cepen- 
dant une  vaste  conspiration  s'ourdissait  autour  de  lui.  Koçéïla 
avait  pu  envoyer  des  émissaires  aux  gens  de  sa  tribu  et  à  ses  alliés, 
et  tout  était  préparé  pour  la  révolte. 

Parvenu  dans  le  Zab,  Okba,  qui  considérait  tout  le  Mag'reb 
comme  soumis,  renvoya  son  armée  par  détachements  vers  sa  ca- 
pitale. Quant  à  lui,  ne  conservant  qu'un  petit  corps  de  cavalerie, 
il  voulut  reconnaître  ces  forteresses  des  environs  de  l'Aourès  où  il 
avait  éprouvé  une  résistance  inattendue,  afin  d'étudier  les  moyens 
de  les  réduire.  Mais  il  avait  compté  sans  la  vengeance  de  Koçéïla. 
Parvenu  à  Tehouda,  au  nord-est  de  Biskra,  le  général  qui,  depuis 
quelque  temps,  était  suivi  par  les  Berbères,  se  trouva  tout  à  coup 
face  à  face  avec  d'autres  ennemis,  commandés  par  des  chefs  chré- 
tiens. La  victoire,  comme  la  fuite,  était  impossible,  il  ne  restait 
aux  Arabes  qu'à  mourir  en  braves.  Ils  s'y  résolurent  sans  fai- 
blesse et,  ayant  brisé  les  fourreaux  de  leurs  épées,  attendirent  le 
choc  de  l'ennemi.  Dinar,  auquel  la  liberté  avait  été  rendue  et  qui 
pouvait  fuir,  voulut  partager  le  sort  de  ses  compatriotes.  Le 
combat  ne  fut  pas  long  ;  enveloppés  de  toute  part,  les  guerriers 
arabes  furent  bientôt  anéantis  ;  un  très  petit  nombre  fut  fait  pri- 
sonnier (G83) . 

Ainsi  périt  au  milieu  de  sa  gloire  Okba-ben-Nafa,  le  chef  qui  a 
le  plus  contribué  à  la  conquête  de  l'Afrique  parles  Arabes,  l'apôtre 
farouche  de  l'islamisme  chez  les  Berbères.  D'un  caractère  vindi- 
catif, fanatique  à  l'excès,  sanguinaire  sans  nécessité,  il  faisait  suivre 
ses  victoires  de  massacres  inutiles.  Son  tombeau  est  encore  un 
objet  de  vénération  pour  les  fidèles  et  a  donné  son  nom  à  l'oasis 
qui  le  renferme. 


208 


HISTOIRE   DK   L  AFRIQUE 


La  Berbérie  libre  sors  l'autorité  de  Koçéïla.  —  Un  seul  cri  de 
guerre  poussé  par  les  indigènes  accueillit  la  nouvelle  du  massacre 
de  Tehouda.  En  un  instant,  tous  les  Berbères  furent  en  armes, 
prêts  à  se  ranger  sous  la  bannière  de  Koçéïla,  pour  expulser  leurs 
oppresseurs.  Les  débris  des  populations  coloniales  firent  cause 
commune  avec  eux. 

Zohéïr-ben-Kaïs  essaya  d'organiser  la  résistance,  mais  ses  guer- 
riers avaient  perdu  toute  confiance  et  n'aspiraient  qu'à  rentrer  en 
Orient.  Force  lui  fut  d'évacuer  Kaïrouan  ;  il  alla,  suivi  d'une 
partie  des  habitants  de  cette  ville,  se  réfugier  à  Barka.  Bientôt 
Koçéïla,  à  la  tête  d'une  foule  immense,  se  présenta  devant  Kaï- 
rouan dont  les  portes  lui  furent  ouvertes  par  les  habitants.  Grâce 
aux  ordres  sévères  donnés  par  le  roi  indigène,  aucun  pillage,  aucun 
excès  ne  fut  commis,  rare  exemple  de  modération  que  les  Musul- 
mans n'avaient  pas  donné  et  qu'ils  se  garderont  bien  d'imiter. 

La  Berbérie  avait,  en  un  jour,  recouvré  son  indépendance.  Ko- 
çéïla, reconnu  par  tous  comme  roi,  établit  le  siège  de  son  gouver- 
nement dans  ce  Kaïrouan  que  les  envahisseurs  avaient  construit 
pour  une  tout  autre  destination.  L  ue  alliance  étroite  fut  cimentée 
entre  lui  et  les  chrétiens,  qui  reconnurent  même  son  autorité. 
Quant  aux  Berbères,  en  reprenant  leur  liberté,  ils  s'étaient  em- 
pressés de  répudier  le  mahométisme,  devenu  pour  eux  le  symbole 
de  l'asservissement. 

Pendant  cinq  années  (de  683  à  688),  Koçé'ila  régna  sur  le  Ma- 
g  i'eb,  avec  une  justice  que  ses  ennemis  mêmes  durent  reconnaître'. 
La  paix  et  la  tranquillité  étendirent  pendant  quelque  temps  leurs 
bienfaits  dans  ce  pays  désolé  par  la  guerre  ;  mais  ce  répit  devait 
être  de  courte  durée. 

Nouvelles  guerres  civiles  en  Arabie.  —  La  guerre  civile,  qui 
avait  de  nouveau  éclaté  en  Orient,  ne  laissait  pas  aux  Arabes  le 
loisir  de  s'occuper  de  la  Berbérie.  Le  khalife  Yézid  était  entouré 
d'ennemis,  ou  plutôt  de  compétiteurs.  Le  premier  qui  leva  l'éten- 
dard de  la  révolte  fut  El-IIoucéïn,  deuxième  fils  d'Ali.  Il  comptait 
sur  l'appui  des  Arabes  de  l'Irak,  mais  il  périt  dans  le  combat  de 
Kerbela  (le  10  octobre  680).  Abd-Allah,  fils  de  Zobé'ir,  dont  il  a 
été  déjà  plusieurs  fois  question,  avait  été  le  promoteur  de  la  ré- 
volte d'El-Houcéïn  ;  il  recueillit  son  héritage  et  sut  gagner  à  sa 
cause  un  grand  nombre  à'Emigrés  et  de  parents  ou  d'amis  du 
prophète.  La  Mekke  devint  le  centre  de  cette  révolte;  bientôt  Mé- 

1.  Ibn-Khaldouu,  Hist.  des  Berbères,  t.  I,  p.  208  et  suiv.  Eu-Nouéiri, 
p,  334  et  suiv.  El-Kairouani,  p.  44  et  suiv. 


CONQUÊTE   ARABE  (684) 


209 


dine  fut  entraînée  dans  la  conjuration,  et  les  Oméïades  se  virent 
expulsés  de  cette  ville.  Après  avoir  en  vain  essayé  de  traiter  avec 
les  rebelles,  le  khalife  envoya  dans  le  sud  une  armée  qui  rentra  en 
possession  de  Médina  ;  cette  ville  fut  livrée  au  pillage  et  les  habi- 
tants emmenés  comme  esclaves.  Ainsi  les  Syriens  trouvaient  l'oc- 
casion d'assouvir  leur  haine  contre  les  Défenseurs. 

La  Mekke,  assiégée  par  l'armée  du  khalife,  résistait  avec  vigueur, 
lorsque,  le  10  novembre  683,Yezid  cessa  de  vivre.  A  cette  nou- 
velle, les  assiégeants  démoralisés  levèrent  le  siège,  le  fils  de  Zobé'ir 
prit  alors  le  titre  de  khalife,  reçut  le  serment  des  provinces  méri- 
dionales, rentra  en  possession  de  Médine  et  envoya  des  gou- 
verneurs en  Irak  et  en  Egypte. 

Pendant  ce  temps,  l'anarchie  était  à  son  comble  en  Syrie. 
Moaou'ia,  fils  aîné  de  Yezid,  semblait  désigné  pour  être  son  suc- 
cesseur ;  mais  aucune  précaution  n'avait  été  prise,  et,  conformément 
aux  principes  posés  par  Omar,  le  khalifat  devait  se  transmettre 
par  élection  et  non  par  hérédité.  Une  autre  cause  venait  aug- 
menter le  trouble  :  Moaou'ia  étant  petit-fils  d'un  kelbite,  les  ka'i- 
sites  refusaient  de  le  reconnaître,  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  pro- 
noncer pour  Abd-Allah-ben-Zobé'ir. 

Sur  ces  entrefaites,  Moaou'ia  vint  à  mourir,  et  l'on  vit  les  pré- 
tendants surgir  de  toute  part  et  trouver  toujours  une  tribu  prête 
à  les  appuyer.  Dahhak-ben-Ka'is  avait  été  élu  par  les  kaïsites, 
l'oméïade  Merouan-ljen-cl-Hakem  fut  proclamé  par  les  kelbites 
(juillet  68 i).  Peu  après,  kelbites  et  ka'isites  en  vinrent  aux  mains 
dans  la  bataille  dite  de  la  Prairie,  où  Dahhak  trouva  la  mort.  Me- 
rouan  était  maître  de  la  Syrie,  et  les  kelbites  triomphaient;  la  sou- 
mission de  l'Egypte  fut  obtenue  par  lui  peu  après,  mais,  dans  le 
Hedjaz,  le  fils  de  Zobé'ir  continuait  à  résister.  Une  armée  de 
quatre  mille  hommes  envoyée  pour  surprendre  Médine  fut  taillée 
en  pièces  en  avant  de  cette  ville  par  Abd-AUah. 

Merouan  étant  mort  subitement,  son  fils  Abd-el-Malek  lui  suc- 
céda. Il  prenait  le  pouvoir  dans  des  conditions  particulièrement 
difficiles,  car,  en  outre  du  puissant  compétiteur  contre  lequel  il 
avait  à  lutter,  et  de  l'anarchie  qui  s'étendait  partout,  il  avait  à  ré- 
duire deux  redoutables  ennemis,  deux  sectes  religieuses  sur  les- 
quelles nous  devons  entrer  dans  quelques  détails,  en  raison  du 
rôle  qu'elles  sont  appelées  à  jouer  en  Afrique. 

Les  Kharedjites  et  les  CiiiA'ixEs.  - —  Nous  avons  indiqué  précé- 
demment dans  quelles  conditions  le  schisme  des  Kharedjites  s'était 
formé.  Se  posant  en  réformateurs  puritains,  ne  tenant  aucun 
compte  des  motifs  de  rivalité  qui  divisaient  les  Arabes,  ils  consi- 

T.  I.  14 


210 


mSTOIRK  I)i;  I,  AFRigi  E 


déraient  ceux  qui  n'étaient  pas  de  leur  secte  comme  des  infidèles, 
et  étaient  ainsi  les  ennemis  de  tous.  On  a  vu  avec  quelle  rifjueur 
ils  furent  traités.  Retirés  dans  l  Ahouaz,  ils  rompirent  toutes  rela- 
tions avec  les  autres  Arabes  et,  s"appuyant  sur  ce  passage  du 
Koran  :  «  Seigneur,  ne  laisse  subsister  sur  la  terre  aucune  famille 
infidèle,  car  si  tu  en  laissais,  ils  séduiraient  tes  serviteurs  et  n  en- 
fanteraient  que  des  impies  et  des  incrédules  !  »,  ils  décidèrent 
bientôt  le  massacre  de  tous  les  infidèles.  Ils  vinrent,  en  répandant 
des  torrents  de  sang  sur  leur  passage,  assiéger  Basra  ;  la  terreur 
que  ces  télés  rasées  '  inspiraient  était  si  grande  que  les  gens  de 
Basra  envoyèrent  leur  hommage  au  fils  de  Zobéïr,  en  implorant 
son  secours. 

L'autre  secte,  celle  des  Chiaïles,  avait  ét«  formée  par  les  par- 
tisans d'Ali  et  de  ses  fils.  Ils  prétendaient  que  le  khalife  ne  pouvait 
être  pris  que  dans  la  descendance  de  Mahomet  par  sa  fille  Fatima 
(épouse  d'Ali).  Ils  accordaient,  du  reste,  au  fondateur  de  l'isla- 
misme des  attributs  divins  et  prêchaient  la  soumission  absolue  à 
ses  paroles.  C'était  une  secte  essentiellement  persane,  se  recrutant 
de  préférence  parmi  les  affranchis  originaires  de  cette  nation  ^. 
«  Nulle  autre  secte  —  dit  encore  l'auteur  que  nous  citons  — 
n'était  aussi  simple  et  crédule,  nulle  autre  n'avait  ce  caractère 
d'obéissance  passive  ».  Leur  chef  Mokhtar  arracha,  par  un  hardi 
coup  de  main,  Koufa  au  lieutenant  de  Ben-Zobé'i'r  i'686),  puis  il 
marcha  contre  les  Syriens  qui  s'avançaient  et  les  mit  en  déroute. 
Peu  après,  les  Chia'ites  étaient  défaits  à  leur  tour  par  les  troupes 
du  fils  de  Zobé'ir  ;  c'était  un  grand  service  rendu  à  son  compétiteur 
Abd-el-Malek.  Celui-ci,  ayant  repris  l'offensive  contre  les  Chia'ites, 
obtint  sur  eux  quelques  succès  qui  les  décidèrent  à  traiter  avec 
lui,  et  bientôt  l'Irak  reconnut  son  autorité. 

\'lCTOIRE   DE   ZoHÉ'lR   SUR    LES    BeRBI-RES.    ^IoRT    DE  KoCElLA.   

Malgré  les  difficultés  auxquelles  Abd-El-Malek  avait  à  faire  face,  il 
ne  cessait  de  tourner  s^es  regards  vers  la  Berbérie.  Il  recevait  du 
reste  des  appels  pressants  du  gouverneur  de  l'Egypte,  auquel 
Zohé'ir  demandait  des  renforts  pour  reprendre  l'offensive.  A'ers  688, 
un  corps  de  plusieurs  milliers  d'Arabes  lui  fut  envoyé,  ainsi  que  des 
secours  en  argent.  Zohé'ir  se  mit  alors  en  marche  vers  l'Ifrikiya. 
Kocé'ila  jugeant  la  position  de  Ka'irouan  peu  favorable  pour  la 
défense,  s'était  retiré  à  Mems,  à  l'est  de  Sebiba,  près  de  la  branche 
orientale  de  la  Medjerda  et  y  attendait,  dans  une  position  retran- 

1.  Conformément  à  une  prescription  de  leur  secte. 

2.  Dozy,  Hist.  fies  Mus.  d'Espagne,  I.  I,  p.  158. 


CONQUÊTE  ARABE  (690) 


211 


chée,  l'attaque  de  rennemi;  des  contingents  grecs  et  des  colons 
latins  étaient  venus  l'y  rejoindre. 

Zohéïr  rentra,  sans  coup  férir,  en  possession  de  Kaïrouan,  puis, 
après  avoir  donné  trois  jours  de  repos  à  ses  troupes,  il  marcha 
contre  l'ennemi.  La  bataille  fut  longue  et  acharnée;  mais  les 
indigènes,  ayant  vu  tomber  Kocéïla  et  les  principaux  chefs  chré- 
tiens, commencèrent  à  plier.  Les  Musulmans  redoublèrent  alors 
d'ardeur  et  la  victoire  se  décida  pour  eux.  La  déroute  fut  désas- 
treuse. Poursuivis  l'épée  dans  les  reins,  les  Berbères  se  jetèrent 
en  partie  dans  l'Aourès;  les  autres  gagnèrent  le  Zab,  où  les  Arabes 
les  relancèrent.  La  tribu  des  Aoureba  fut  à  peu  près  détruite;  ses 
débris  cherchèrent  un  refuge  dans  le  Mag'reb  central  et  se  fixèrent 
dans  les  montagnes  qui  environnent  Fès,  où  ils  se  fondirent  parmi 
les  autres  Berbères.  C'est  un  nom  que  nous  n'aurons  plus  l'occa- 
sion de  prononcer. 

Zohéïr  évacue  l'IfruvIya.  —  Zohé'ir  rétablit  ainsi  l'autorité  arabe 
en  Mag'reb;  mais  cette  victoire  était  précaire,  car  le  peuple 
indigène,  malgré  ses  pertes,  restait  à  peu  près  intact,  et  son  hos- 
tilité n'attendait  qu'une  occasion  pour  se  manifester.  Le  général 
arabe  manquait  de  troupes  pour  compléter  sa  conquête  et  le  khalife 
n'était  certes  pas  en  mesure  de  lui  en  envoyer.  Il  n'est  donc  pas  sur- 
prenant que  Zohé'ir  ait  songé  à  la  retraite  ;  de  plus,  les  auteurs  nous 
le  représentent  comme  un  musulman  fervent,  n'ayant  pas  les 
qualités  administratives  nécessaires  dans  sa  situation.  Et  puis,  il 
était  bien  loin  pour  suivre  les  événements  d'Orient;  or,  tous  ces 
premiers  conquérants  avaient  les  yeux  tournés  vers  l'est.  El- 
Kairouani  prétend  que  «  Zohé'ir  ne  tarda  pas  à  reconnaître  combien 
était  lourd  le  fardeau. dont  il  était  chargé  et  craignit  que  son  cœur 
ne  se  corrompît  au  sein  de  la  puissance  et  de  l'abondance  dont  il 
jouissait  enifrikiya'  ».  Quoi  qu'il  en  soit,  il  quitta  Ka'irouan  avec 
ses  principaux  guerriers.  Parvenu  à  Barka,  il  se  heurta  contre  une 
troupe  de  Grecs  qui  venaient  de  faire  une  descente  et  de  ravager  le 
pays.  Il  les  attaqua  aussitôt,  malgré  la  supériorité  de  leur  nombre, 
et  périt  avec  toute  son  escorte  (690). 

Mort  du  fils  de  Zobé'ir.  Triomphe  d'Abd-el-Malek.  —  Abd-el- 
Malek  reçut  la  nouvelle  du  désastre  d'Afrique  alors  qu'il  était 
occupé  à  réduire  les  Chia'ites.  Après  avoir  traité  avec  eux  et  soumis 
l'Irak  à  son  autorité,  il  ne  pouvait  encore  se  tourner  vers  l'Afrique, 
car  il  fallait,  avant  tout,  vaincre  son  compétiteur  Abd-Allah.  Celui- 


1.  P.  51. 


212 


HISTOIRE   DU  1,'aFRIQUE 


ci  se  flattait  que  le  khalife  n'oserait  pas  assiéger  La  Mekke.  Il  se 
trompait.  Bientôt  l'armée  syrienne,  commandée  par  El-Hadjadj, 
parut  sous  les  murs  de  la  ville  sainte  et  en  commença  l'investissement 
(692).  Durant  de  longs  mois,  les  assiégés  résistèrent  avec  énergie  à 
toutes  les  attaques  et  supportèrent  les  tourments  de  la  famine.  Le 
courage  d'Abd-Allah  était  soutenu  par  sa  mère,  âgée  de  près  de 
cent  ans  ;  lorsque  tout  moyen  de  résister  fut  épuisé,  elle  répondit 
sto'iquement  à  son  fils  qui  lui  demandait  ce  qu'il  lui  restait  à  faire: 
«  mourir!  ».  Peu  d'instants  après,  Abd-Allah,  s'étant  armé  de  pied 
en  cap,  vint  dii'e  un  dernier  adieu  à  sa  mère  ;  mais  celle-ci,  aperce- 
vant qu'il  portait  une  cotte  de  maille,  la  lui  fit  enlever  en  disant: 
«  Quand  on  est  d 'cidé  à  mourir,  on  n'a  pas  besoin  de  cela.  »  Le 
fils  de  Zohéïr,  après  avoir  combattu  bravement,  tomba  percé  de 
coups;  sa  tête  fut  envoyée  au  khalife  (oct.  692).  Ainsi  finit  cette 
révolte  qui  durait  depuis  de  longues  années.  Abd-el-j\Ialek  restait 
maître  incontesté  du  khalifat,  mais  de  quelles  difficultés  n'était-il 
pas  environné?  Les  Kharedjifes  étaient  toujours  en  insurrection  et 
l'Irak  sans  cesse  menacé.  Plusieurs  armées  envoyées  contre  eux 
avaient  subi  de  honteuses  défaites,  suivies  de  cruautés  épouvan- 
tables, car  la  férocité  de  ces  sectaires  contre  les  païens  s'accrois- 
sait avec  les  difficultés  qu'ils  rencontraient.  Enfin  El-Hadjadj,  le 
vainqueur  du  fils  de  Zobéïr,  fut  chargé  de  réduire  les  rebelles  et, 
après  deux  années  de  luttes,  il  parvint,  grâce  à  son  énergie,  à  les 
forcer  de  mettre  bas  les  armes  (696) .  Les  Kelbites  avaient  contribué 
pour  beaucoup  au  triomphe  du  khalife  et  faisaient  valoir  avec  arro- 
gance leurs  services.  Abd-el-Malek ,  irrité  de  leurs  exigences, 
accorda  toutes  ses  faveurs  aux  Kaïsites,  et  accabla  d'humiliations 
leurs  rivaux. 

Situation  de  l'Afrique.  La  Kahéna.  —  Libre  enfin,  le  khalife 
tourna  ses  regards  vers  l'Afrique  et  se  disposa  à  tirer  vengeance 
de  la  défaite  et  de  la  mort  de  son  lieutenant. 

Après  la  fuite  des  Arabes,  la  révolte  s'était  répandue  de  nouveau 
chez  les  Berbères:  les  Aoureba  étaient  détruits,  et  chaque  tribu  pré- 
tendait imposer  son  chef  aux  autres  ;  de  là  des  luttes  interminables. 
Dans  les  derniers  temps  une  sorte  d'apaisement  s'était  produit  et 
les  indigènes  de  l'Ifrikiya  avaient  reconnu  l'autorité  d'une  femme 
Dihia  ou  Damïa,  fille  de  Tabeta,  fils  d'Enfak,  reine  des  Djeraoua 
(Zénètes)  de  l'Aourès.  Cette  femme  remarquable  appartenait, 
dit  El-Kaïrouani,  à  une  des  plus  nobles  familles  berbères  ayant 
régné  en  Afrique.  «  Elle  avait  trois  fils,  héritiers  du  commande- 
ment de  la  tribu  et,  comme  elle  les  avait  élevés  sous  ses  yeux,  elle 
les  dirigeait  à  sa  fantaisie  et  gouvernait,  par  leur  intermédiaire. 


CONQUÊTE  ARABE  (696) 


213 


toute  la  tribu.  Sachant  par  divination  la  tournure  que  chaque  affaire 
importante  devait  prendre,  elle  avait  fini  par  obtenir,  pour  elle- 
même,  le  commandement  ' .  »  Cette  prétendue  faculté  de  divination 
fît  donner  à  Dihia,  par  les  Arabes,  le  surnom  d'El-Kahéna.  (la 
devineresse).  Sa  tribu  élait  juive,  ainsi  que  Tafflrme  Ibn-Khaldoun  ^, 
et  il  est  possible  que  ce  nom  de  Kahéna,  que  les  Musulmans  lui  appli- 
quaient, avec  un  certain  mépris,  ait  été,  au  contraire,  parmi  les 
siens,  une  qualité  quasi-sacerdotale. 

Les  relations  de  la  Kahéna  avec  Kocéïla  et  la  part  active  qu'elle 
prit  à  la  conspiration  qui  se  dénoua  à  Tehouda,  sont  affirmées  par 
les  auteurs.  Après  la  mort  de  Kocéïla,  un  grand  nombre  de  Ber- 
bères se  joignirent  à  elle,  dans  ses  retraites  fortifiées  de  TAourès. 
Ainsi  le  drapeau  de  l'indépendance  berbère  avait  été  relevé  par 
une  femme  qui  avait  su  rallier  les  forces  éparses  de  ce  peuple, 
calmer  les  rivalités  et  imposer  son  autorité  même  aux  Grecs.  La 
situation  avait  donc  changé  de  face  en  Berbérie  et  les  Arabes  allaient 
en  faire  l'épreuve. 

Expédition  de  Haçane  en  Mag'keb.  Victoire  de  La  Kahéna.  — 
En  696,  le  khalife  ayant  réuni  une  armée  de  quarante  mille  hommes 
en  confia  le  commandement  à  Haçane-ben-Nomane,  le  Ghassanide, 
et  l'envoya  en  Egypte,  où  son  autorité  était  encore  méconnue  en 
maints  endroits.  I^  année  suivante,  il  lui  expédia  l'ordre  de  mar- 
cher sur  le  Mag'reb.  «  Je  te  laisse  les  mains  libres,  lui  écrivit-il, 
puise  dans  les  trésors  de  l'Egypte  et  distribue  des  gratifications  à 
tes  compagnons  et  à  ceux  qui  se  joindront  à  toi.  Ensuite,  va  faire 
la  guerre  sainte  en  Ifrikiya  et  que  la  bénédiction  de  Dieu  soit 
avec  toi  » 

Parvenu  en  Mag'reb  avec  son  immense  armée,  Haçane  entra  à 
Ka'irouan,  dont  la  possession  ne  lui  fut  pas  disputée  ;  puis  il  alla 
attaquer  et  enlever  Karthage.  Les  habitants  eurent  en  partie  le 
temps  de  se  réfugier  sur  leurs  navires  et  de  gagner  les  îles  de  la 
Méditerranée.  Quant  aux  trou[)es  grecques,  elles  essayèrent  de  se 
rallier  à  Satfoura,  près  de  Benzert,  mais  ce  fut  pour  essuyer  un 
véritable  désastre.  Sur  ces  entrefaites,  une  ffotte  ])yzantine,  envoyée 
de  Constantinopl  ",  sous  le  commandement  du  patrice  Jean,  aborda 
à  Karthage.  Appuyés  par  les  indigènes  et  des  aventuriers  de  toute 
race,  les  Grecs  rentrèrent  facilement  en  possession  de  cette  ville. 

1.  El-Kairouaiii.  p.  5.3.  Ibu-Khaldoun,  t.  I.  p.  213  t.  III,  p.  193. 
En-Nouéiri,  p.  338  et  suiv. 

2.  T.  I,  p.  208. 

3.  En-Nouéïri,  p.  338. 


214 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQLE 


Mais  aussitôt  le  khalife  équipa  et  expédia  une  flotte  considérable 
qui  ne  tarda  pas  à  arriver  en  Afrique  ;  en  même  temps  Haçane 
revenait  mettre  le  siège  devant  Karthage.  Ces  deux  forces  com- 
binées eurent  facilement  raison  des  chrétiens,  dont  les  débris  se 
rembarquèrent  et  regagnèrent  l  Orient  (698).  Ce  fut  la  dernière 
tentative  de  l'empire  pour  conserver  sa  colonie  africaine.  Dès  lors 
les  chrétiens  restés  en  Ifrikiya  se  virent  forcés  d'unir  intimement 
leur  sort  à  celui  des  indigènes.  Après  ces  campagnes,  Haçane  dut 
se  retirer  à  Kaïrouan,  pour  donner  quelque  repos  à  ses  troupes 
et  se  reformer  avant  d'entreprendre  l'expédition  de  l'Aourès. 

Pendant  ce  temps,  la  Kahéna  se  préparait  activement  à  la  lutte 
en  appelant  aux  armes  les  Berbères  et  en  enflammant  leur  courage. 
Ayant  appris  que  Haçane  s'était  mis  en  marche,  elle  descendit  de 
ses  montagnes  et  alla  détruire  les  remparts  de  Bar  aï,  soit  pour  que 
le  général  arabe  ne  s'attardât  pas  à  en  faire  le  siège  et  vînt  directe- 
ment attaquer  les  Berbères  dans  le  terrain  qu'elle  avait  choisi, 
soit  pour  qu'il  ne  pût  s'appuyer  sur  aucun  retranchement,  s'il  était 
parvenu  à  l'enlever. 

Haçane  marchant  directement  contre  son  ennemi  lui  livra  bataille 
sur  les  bords  de  l'Ouad-Xini,  près  de  Bar  aï'.  .Au  point  du  jour 
on  en  vint  aux  mains.  L'avant-garde  berbère,  commandée  par  un 
ancien  général  de  Kocéïla,  obtint  les  premiers  succès  et,  après  une 
lutte  acharnée,  les  .Arabes  furent  enfoncés  de  toutes  parts  et  mis 
en  pleine  déroute.  Haçane,  avec  les  débris  de  ses  troupes,  prit  la 
fuite  vers  l  est,  poursuivi  l'épée  dans  les  reins  jusqu'à  Gabès:  il 
ne  s'arrêta  que  dans  la  province  de  Barka,  où  il  s'établit  dans  des 
postes  retranchés  qui  reçurent  son  nom:  Koçoar  Haçane. 

La  Kaiiéxa  reine  des  Berbères.  Ses  destructions.  —  Les  Arabes 
avaient  laissé  sur  le  champ  de  bataille  un  grand  nombre  d'entre 
eux  ;  de  plus,  quatre-vingts  prisonniers,  presque  tous  nobles, 
étaient  aux  mains  des  vainqueurs.  La  Kahéna  les  traita  avec  bonté 
et  les  mit  en  liberté,  à  l'exception  d'un  seul,  Khaled,  fils  de  Yézid, 
de  la  tribu  de  Kaïs,  jeune  homme  d'une  grande  beauté,  qu'elle 
combla  de  présents  et  qu'elle  adopta  en  faisant  le  simulacre  de 
l'allaiter,  coutume  qui,  selon  le  Ba'ian,  consacrait  l'adoption  chez 
les  Berbères.  Nous  verrons  plus  loin  de  quelle  façon  Khaled 
reconnut  ces  procédés.  .Ainsi,  pour  la  deuxième  fois,  les  sauvages 
Berbères  donnaient  une  leçon  d'humanité  à  ceux  qui  se  présentaient 

1.  Ibn-Khaldoun  doune  la  Meskiaiia  comme  le  théâtre  de  cette  ba- 
taille; mais  nous  adoptons  l'indication  d'Eu-Noiiéiri  qui  est  la  plus 
plausible. 


CONQUÊTE  ARABE  (703) 


215 


comme  les  apôtres  du  vrai  Dieu  el  qui  n'employaient  d'autres 
moyens  que  la  violence,  le  meurtre  et  la  dévastation. 

L'Ifrikiya  et  même,  s'il  faut  en  croire  les  auteurs  arabes,  tout  le 
Mag'reb,  reconnurent  alors  l'autorité  de  la  Kahéna.  De  quelle 
façon  exerça-t-elle  le  pouvoir  suprême?  D'après  un  passage  d'En- 
Nouéïri,  la  Kahéna  aurait  tyrannisé  les  Berbères.  Il  est  certain  que, 
prévoyant  le  retour  des  Arabes,  elle  chercha  à  les  éloigner  en 
faisant  le  vide  devant  eux.  «  Les  Arabes  veulent  s'emparer  des 
villes,  de  l'or  et  de  l'argent,  tandis  que  nous,  nous  ne  désirons 
posséder  que  des  champs  pour  la  culture  et  le  pâturage.  Je  pense 
donc  qu'il  n'y  a  qu'un  plan  à  suivre:  c'est  de  ruiner  le  pays  pour 
les  décourager'.  »  Tel  fut  son  raisonnement  et,  passant  aussitôt  à 
l'exécution,  elle  envoya  des  agents  dans  toutes  les  directions,  ruiner 
les  villes,  renverser  les  édifices,  détruire  et  incendier  les  jardins. 
De  Tunis  à  Tanger,  le  pays  qui,  au  dire  des  auteurs,  n'était  qu'une 
succession  de  bosquets,  fut  transformé  en  désert. 

Ce  sacrifice  était  liéroïque.  Il  a  été  pratiqué  plus  d'une  fois  par 
des  patriotes  préférant  leur  propre  ruine  à  la  servitude;  mais  les 
Berbères  n'ont  jamais  su  sacrifier  au  salut  de  la  patrie  leurs  intérêts 
immédiats,  l'^t  puis,  il  y  avait',  dans  la  rigueur  de  cette  mesure, 
comme  une  sorte  de  vengeance  du  nomade  habitant  des  hauts 
plateaux  dénudés,  contre  les  gens  du  littoral  établis  dans  les  cam- 
pagnes om])ragécs  et  fraîches.  Rien  ne  pouvait  être  plus  sensible 
à  ces  petits  cultivateurs  cpie  de  voir  disparaître  en  ini  jour,  avec 
leur  fortune,  le  fruit  d'ell'orts  séculaires.  Aussi  furent-ils  profon- 
dément irrités  et  se  détachèrent-ils  de  la  Kahéna. 

Défaite  et  mort  de  i.a  KAnÉXA.  —  Après  sa  retraite,  Haçane 
était  resté  à  Barka,  oii  il  avait  reçu  du  khalife  l'ordre  d'attendre  des 
renforts.  Mais  le  Khoraçan  venait  de  se  mettre  en  révolte  (700)  ; 
un  Kaïsite  du  nom  de  .\I3d-er-Hahman  s'était  fait  proclamer  khalife 
et  bientôt  Basra  et  Koufa  étaient  tombées  aux  mains  des  rebelles. 
En  703,  Abd-er-Rahman  ayant  été  tué,  la  révolte  ne  tarda  pas  à 
être  apaisée  et  le  khalife  put  s'occuper  du  Mag'reb. 

Haçane,  après  a\(iir  reçu  des  renforts  et  de  l'argent,  se  mit  en 
marche,  parfaitement  renseigné  sur  la  situation  en  Berbérie  par 
les  nouvelles  que  lui  faisait  parvenir  l'Arabe  Khaled,  fils  adoptif  de 
la  Kahéna,  au  moyen  d'émissaires  secrets. 

A  l'approche  de  l'ennemi,  la  Kahéna  ne  se  fit  pas  d'illusion  sur 
le  sort  qui  l'attendait,  et  l'on  ne  manqua  pas  d'attribuer  à  des  pra- 
tiques divinatoires  ce  que  sa  perspicacité  lui  faisait  entrevoir. 

1.  Eu-Nouéiri,  p.  3i0. 


216 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


Ayant  réuni  ses  fils,  elle  leur  dit  :  «  Je  sais  que  ma  tin  approche  ; 
lorsque  je  re^^arde  TOrienl,  j'éprouve  à  la  téte  des  battements  qui 
m"en  avertissent  '  »  ;  elle  leur  ordonna  de  faire  leur  soumission 
au  général  arabe  et  de  se  mettre  à  son  service,  ce  qui  semble  indi- 
quer une  intention  de  se  ven;;er  des  Berbères,  dont  la  lâcheté 
allait  causer  sa  perte.  On  insistait  autour  d'elle  pour  qu'elle  prît 
la  fuite,  mais  elle  repousssa  avec  indi^niation  ce  conseil.  «  Celle 
qui  a  commandé  aux  chrétiens,  aux  Arabes  et  aux  Berbères,  dit- 
elle,  doit  savoir  mourir  en  reine  !  » 

Dans  quelle  localité  la  Kahéna  attendit-elle  le  choc  des  Arabes? 
S'il  faut  en  croire  El-Bekri,  elle  se  serait  retranchée  dans  le  châ- 
teau d'El-Djem,  qui  aurait  été  appelé  pour  cela  Kasr-el-Kahena  ; 
mais  il  est  plus  probable  qu'elle  se  retira  dans  l'Aourès,  car  il 
résulte  de  l'élude  comparée  des  auteurs  que  Ilaçanc  marcha  direc- 
tement vers  cette  monta<,nie,  en  passant  par  Gabès,  Gafça  et  le  pays 
de  Kastiliya.  Quand  il  fut  proche  du  campement  de  la  reine  ber- 
bèi'e,  il  vit  venir  au  devant  de  lui  les  deux  fils  de  celle-ci,  accom- 
pagnés de  l'Arabe  Khaled.  Les  deux  chefs  indigènes  furent  conduits 
par  son  ordre  à  l'arrière-garde  ;  quant  à  Khaled,  il  reçut  le  com- 
mandement d'un  corps  d'attaque. 

La  bataille  fut  longue  et  acharnée  et,  pendant  un  instant,  le 
succès  parut  se  prononcer  pour  les  Berbères;  mais,  dit  En-Nouéiri, 
Dieu  vint  au  secours  des  Musulmans,  qui  finirent  par  remporter  la 
victoire.  La  Kahéna  y  périt  glorieusement.  Selon  une  autre  version, 
elle  aurait  été  entraînée  dans  la  déroute  et  atteinte  par  les  Arabes 
dans  une  localité  qui  fut  appelée  en  coniinéinoration  Bir-el-Kahéna. 
Sa  tête  fut  envoyée  à  .\bd-el-^Lilek  '.  Telle  fut  la  fin  de  cette 
femme  remarqualjle.  et  l'on  peut  dire  qu'avec  elle  tomba  l'indé- 
pendance berbère 

CONQLÊTE  ET  ORGANISATION  DE  L'IfrIKIYA  PAR  HaÇANE.           Après  la 

défaite  de  leur  reine,  les  Berbères  de  cette  région  se  soumirent  en 
masse  au  vainqueur  et  acceptèrent  l'islamisme.  Ils  fournirent  à 
Haçane  un  corps  de  douze  mille  auxiliaires  à  la  tète  desquels  les 
fils  de  la  Kahéna  furent  placés.  Grâce  à  ce  renfort,  le  général 
arabe  put  compléter  sa  victoire  en  réduisant  les  autres  centres  de 
résistance  où  les  Grecs,  aidés  des  indigènes,  tenaient  encore  :  puis 
il  rentra  à  Kaïrouan.  Il  s'occupa  alors  de  régler  les  détails  de 

1.  El-Kairouani,  p.  54. 

2.  Ibid. 

3.  Ibn-Klialdouii,  t.  I,  p.  207  et  suiv..  t.  III,  p.  193  et  suiv.  Eii-Xouéiri, 
p.  339  et  suiv.  El-Bekri,  trad.  de  Slane,  p.  76,  77. 


CONQUÊTE  ARABE  (705) 


217 


radministration,  et  nolamnient  de  la  fixation  de  l'impôt  foncier 
[kharadj],  auquel  il  soumit  les  populations  berbères  et  celles  d'ori- 
|;ine  chrétienne 

Ce  fut,  sans  doute,  vers  cette  époque  qu'il  établit  à  Tunis  une 
colonie  de  mille  familles  coptes  venues  d'Egypte".  Mais  c'est  en  vain 
que  Ilaçane  s'était  mérité  le  surnon  de  «  vieillard  intègre  ».  Les 
grandes  richesses  rapportées  de  ses  expéditions,  et  conservées  par 
lui  pour  le  khalife,  faisaient  des  envieux  et  bientôt  il  se  vit  dépos- 
sédé de  son  commandement  par  le  gouverneur  de  l'Egypte  et 
reçut  l'ordre  de  se  rendre  en  Orient.  Il  partit  en  emportant  tout  ce 
butin  qui  avait  servi  de  prétexte  à  sa  révocation  et  dont  on  le 
dépouilla  à  son  passage  en  Egypte.  Mais  il  avait  su  conserver  ce 
qu'il  possédait  de  plus  précieux  et  put  enfin  le  remettre  au  khalife, 
en  se  justifiant  de  toute  inculpation.  On  voulut  lui  restituer  son 
commandement,  mais  il  protesta  qu'il  ne  servirait  plus  la  dynastie 
omé'iade. 

MoUÇA-BEN-NoCl';'lR  ACHEVE  LA  CONQUETE  DE  LA  BeRBÉrIE.          En  705, 

Mouça-ben-Nocéir  arriva  à  Kaïrouan  avec  le  titre  de  gouverneur 
de  rifrikiya.  Cette  province  releva  directement  du  khalifat  et  fut 
dès  lors  indépendante  de  ri*]gypte.  Il  trouva  un  commencement 
d'organisation  en  Ifrikiya,  mais  dans  les  deux  Mag'reb  l'anarchie 
était  à  son  comble  :  les  tribus  berbères  étaient  toutes  en  lutte  les 
unes  contre  les  autres.  Les  MagVaoua  en  profitaient  pour  s'étendre 
au  nord  et  à  l'ouest,  au  détriment  des  Sanhadja.  «  Conquérir 
l'Afrique  est  chose  impossible,  avait  écrit  le  précédent  gouverneur 
au  khalife  ;  à  peine  une  tril)u  berijère  est-elle  exterminée,  qu'une 
autre  vient  prendre  sa  place  ^.  »  Le  Mag'reb  était  couvert  de 
ruines  et  changé  en  solitude. 

Les  détails  fournis  par  les  auteurs  arabes  sur  les  premiers  actes 
du  gouvernement  de  Mouça  sont  contradictoires.  Il  paraît  probable 
qu'il  commença  par  rétablir  la  tranquillité  dans  l'Ifrikiya  et  le 
Mag'reb  central,  au  moyen  d'expéditions  dans  lesquelles  il  déploya 
la  plus  grande  rigueur.  En  même  temps  il  s'appliquait  à  former  de 
bonnes  troupes  indigènes  et  à  organiser  une  flotte  au  moyen  de 
laquelle  il  pût  piller  les  îles  de  la  Méditerranée.  Cela  fait,  il  en- 
treprit une  campagne  dans  l'ouest,  où  les  Berbères  n'avaient  pas 
revu  d'Arabes  depuis  Okba  ;  aussi  avaient-ils  repris  leur  liberté  et 
répudié  le  culte  musulman.  Il  intligea  d'abord  une  défaite  aux 

1.  Ibu-Klialdoun,  t.  I,  p.  215. 

2.  El-Kaïrouani,  p.  55. 

3.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  1,  p.  229. 


218 


HISTOIRE   DU   L  AFRIQUE 


R  omara,  mais,  par\enu  à  Ceuta,  il  trouva  cette  ville  en  état  de 
défense,  sous  le  commandement  du  comte  Julien,  et  essaya  en  vain 
de  la  réduire.  Il  fit  des  razzias  aux.  environs,  espérant  affamer  la 
place  ;  mais  Julien  recevait  par  mer  des  vivres  d'Espaf,me,  et 
chaque  fois  qu  il  se  mesurait  avec  les  Musulmans  leur  faisait 
éprouver  de  rudes  échecs'.  Abandonnant  ce  siège,  Mouça  pénétra 
au  cœur  de  l'Atlas  et  attaqua  e!  réduisit  les  tribus  masmoudiennes. 
Après  s  être  avancé  jusqu'au  Sous,  il  traversa  le  pays  de  Derâ  et 
porta  ses  armes  victorieuses  jusqu'aux  oasis  de  Sidjilmassa  -. 
Ayant  soumis  toutes  ces  contrées  et  exigé  des  otages  de  chaque 
tribu,  il  revint  vers  Tanger  et  s'empara  de  cette  ville. 

Le  gouverneur  plaça  à  Tanger  un  berbère  converti  du  nom  de 
Tarik,  auquel  il  laissa  un  corps  nombreux  de  cavaliers  inrligènes. 
Vingt-sept  Arabes  restèrent  également  dans  la  contrée  pour  ins- 
truire les  Berbères  dans  la  religion  musulmane.  Xcrs  708,  le  gou- 
verneur rentra  à  Kaïrou-in  en  rapportant  un  i)utin  considérable 
dont  le  quint  fut  envoyé  au  khalife.  Il  s'occupa  avec  activité  des 
intérêts  de  la  religion.  <•  Toutes  les  anciennes  églises  des  chrétiens 
furent  transformées  en  mosquées  »,  dit  l'auteur  du  Baïan.  La  con- 
quête de  r.\frique  septentrionale  était  terminée  ;  mais  ce  théâtre 
n'était  déjà  plus  assez  vaste  pour  les  Arabes;  ils  allaient  reporter 
sur  l'Europe  leur  ardeur  el  faire  trembler  la  chrétienté  dans  ses 
fondements.  Déjà,  depuis  quelques  années,  ils  exécutaient  d'auda- 
cieuses courses  sur  mer  et  portaient  la  dévastation  sur  les  rivages 
de  la  Sicile,  de  la  Sardaigne  et  des  Baléares. 

Ainsi,  en  un  peu  plus  de  cinquante  ans,  fut  consommé  l'asser- 
vissement du  peuple  berbère  aux  Arabes,  et  l'Afrique  devint  mu- 
sulmane. Mais,  si  la  Berbérie  avait  changé  de  maîtres,  aucun  élé- 
ment nouveau  de  population  n'y  avait  été  introduit.  Le  gouverneur 
arabe  de  Ka'irouan  remplaçait  le  patrice  byzantin  de  Karthage. 
De  petites  garnisons  laissées  dans  les  postes  importants,  des  mis- 
sionnaires parcourant  les  tribus  pour  répandre  l'islamisme,  ce  fut 
à  quoi  se  borna  l'occupation.  Le  Mag'reb,  tout  en  se  laissant  exté- 
rieurement arabiser,  demeura  purement  berbère.  La  faiblesse  de 
l'occupation,  qui  ne  fut  pas  complétée  par  une  immigration  colo- 
niale, devait  permettre  aux  indigènes  de  se  débarrasser  bientôt  de 
la  domination  du  khalifal. 

1.  Aklibar  Madjouiiia,  np  id  Dozy,  Reclierches  sur  l'histoire  de  l'Es- 
pagne, t.  I,  p.  45. 

2.  Tafilala. 


CHAPITRE  III 


CONQUÊTE  DE  L'ESPAGNE.  —  RÉVOLTE  KIIAREDJITE 

709  —  750 

Le  comte  Julien  pousse  les  Arabes  à  la  romiuèle  de  l'Espagne.  —  Con- 
quête de  l'Espagne  ])af  Tarik  et  Mouça.  Destitution  de  Mou(;a.  —  Situation 
de  l'Afrique  et  de  l'Espagne.  —  Gouvernemeul  de  Molianinu'd-licn-Yezid.  — 
Gouvernement  d'Isinaïl - hen -Ahd -Allah.  —  Gouvernement  de  Yezid-ben- 
Abou-Moslem  ;  il  est  assassiné.  —  Gouvernement  d'Obéïd-.\llah-ben-El- 
llabhab.  —  Gouvernement  do  Dichr-ben-Safouane.  —  Incursions  (b^s  Jlusnl- 
mans  en  Gaule;  bataille  de  Poitiers.  —  Despotisme  et  exactions  diïs  Arabes. 

—  Révolte  de  Meieera,  soulèvement  général  des  Rerbères.  —  Défaite  de 
Koltoum  à  rOuad-Sebou.  —  Victoires  de  llendhala  sur  les  Kliaredjites.  — 
Révolte  de  l'Espagne  ;  les  Syriens  y  sont  transportés.  — Abd-er-Ilahman- 
ben-Ilabib  usurpe  le  gouvernement  de  l'IfriUiya.  —  Chute  de  la  dynastie 
oméïade  :  établissement  de  la  dynastie  abbasside. 

Le  comte  Julien  pousse  les  Arabes  a  la  conquête  de  l'Espagne. 

—  Si  toute  résistance  ouverte  avait  cessé  en  Afrique,  le  pays  ne 
pouvait  cependant  pas  être  considéré  comme  soumis  d'une  façon 
définitive.  Les  Berl)ères  étaient  plutôt  épuisés  que  domptés,  et  l'on 
devait  s'attendre  à  de  nouvelles  révoltes,  aussitôt  qu'ils  auraient 
eu  le  temps  de  reprendre  haleine.  Un  événement  inattendu  vint  en 
ajourner  l'explosion,  en  fournissant  un  aliment  aux  forces  actives 
berbères. 

En  709,  ^^'iUi/,a,  roi  des  Goths  d'Espagne,  élant  morl,  un  de  ses 
guerriers,  nommé  Hoderik,  s'empara  du  pouvoir,  ou  peut-être  y 
fut  porté  par  acclamation,  au  détriment  des  fils  de  son  prédé- 
cesseur, nommés  Sisebert  et  Oppas'.  Ceux-ci  vinrent  à  Geuta 
demander  asile  au  comte  Julien  et  furent  rejoints  en  Afrique  par 
les  partisans  tle  la  famille  spoliée.  Peut-être  faut-il  ajouter  à  cela 
la  tradition  d'après  laquelle  une  fille  de  Julien,  qui  se  trouvait  à 
la  cour  des  rois  j^oths,  aurait  été  outragée  par  Roderik.  Toujours 
est-il  que  Julien  devint  l'ennemi  le  plus  acharné  de  cette  dynastie 
et  ne  songea  qu'à  tirer  de  son  chef  la  plus  éclatante  vengeance. 
Entré  en  relations  avec  Tarik,  gouverneur  de  Tanger,  il  ouvrit  à 
ce  Berbère  son  petit  royaume  et  le  poussa  à  envahir  l'Espagne,  lui 

1.  Akhbar  Madjouina,  loc.  cil.,  p.  46. 


220 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


offrant  de  lui  servir  de  guide  et  lui  donnant  des  renseignements 
précieux  sur  l'intérieur  du  pay.-. 

Le  khalife  Abd-el-Malek  était  mort  et  avait  été  remplacé  par  son 
fils  El-Oualid,  en  705.  Mouça  ne  pouvait  se  lancer  dans  une  entre- 
prise telle  que  la  conquête  de  l'Espagne,  sans  lui  demander  son 
assentiment;  mais  le  khalife  voulut  avant  tout  qu'on  reconnût  bien 
les  lieux.  «  Faites  explorer  l'Espagne  par  des  troupes  légères,  mais 
«  gardez-vous  d'exposer  les  Musulmans  aux  périls  d'une  mer  ora- 
«  geuse,  »  telles  furent  ses  instructions.  En  conséquence,  Mouça 
chargea  un  de  ses  clients  nommé  Tarif  d'aller  faire  une  reconnais- 
sance, et  lui  confia  dans  ce  but  quatre  cents  hommes  et  cent 
chevaux  1.  Ayant  abordé  à  l'île  qui  reçut  son  nom  (Tarifa),  ce 
général  occupa  Algésiras  et  reconnut  que  sa  baie  était  fort  pro- 
pice à  un  débarquement.  Il  rentra  en  Afrique  avec  un  riche  butin 
et  de  belles  captives  (710). 

Conquête  de  l'Espagne  par  Tarik  et  Mouça.  —  Le  khalife  ayant 
alors  autorisé  l'expédition,  on  établit  un  camp  près  de  Tanger  et 
bientôt  une  armée  de  sept  ou  huit  mille  Berbères  convertis,  avec 
trois  cents  Arabes  -  comme  chefs,  s'y  trouva  concentrée.  En  mai 
711,  l'armée  traversa  le  détroit,  au  moyen  de  quatre  navires  four- 
nis sans  doute  par  Julien,  et  aborda  au  pied  du  mont  Calpé,  qui 
fut  appelé  du  nom  du  chef  de  l'expédition  Djehel  Tarik.  Ce  géné- 
ral reçut  encore  un  renfort  de  cinq  mille  Berbères,  puis,  ayant 
brûlé  ses  vaisseaux,  il  pénétra  dans  l'intérieur  du  pays,  guidé  par 
le  comte  Julien. 

Roderik  était  occupé  à  combattre  les  Basques,  dans  le  nord  de 
son  royaume.  En  apprenant  l'invasion  des  Arabes,  il  réunit  des 
forces  s'élevant,  dit-on,  à  cent  mille  hommes,  et  marcha  contre 
les  ennemis.  La  rencontre  eut  lieu  en  un  endroit  appelé  par 
certains  auteurs  arabes  Ouad-Bekka',  et  les  ennemis  en  vinrent 
aux  mains  le  17  juillet.  Pendant  huit  ou  neuf  jours  consécutifs,  il 
y  eut  une  suite  de  combats,  mais  les  ailes  de  l'armée  des  Visigoths 

1.  Akhhar  Madjouma,  loc.  cit..  p.  47. 

2.  On  a  beaucoup  discuté  sur  le  cliIIFre  et  hi  composiliou  de  celte  ar- 
mée expéditionuaire.  Nous  adoptons  les  renseignements  fournis  à  cet 
égard  par  En-Nouéiri,  p.  344  et  suiv.,  Ibu-Khaldoun.  t.  I,  p.  245,  et  El- 
Kaïrouani,  p.  58.  h' Akhhar  Madjouma  donne  le  chiffre  de  7,000  Berbères. 

3.  D'autres  ont  écrit  ouad  Leka,  et  cette  rivière  a  été  assimilée  au 
Guadalete.  Mais  Dozy  a  établi  qu'il  faut  adopter  Ouad-Bekka,  contrée 
qui  se  trouve  «  à  une  lieue  au  nord  do  l'embouchure  du  Barbate,  non 
loin  du  cap  Trafalgar,  entre  Vejor  de  la  Froutera  et  Cornil.  •  {Recherches 
sur  l'histoire  de  V Espagne,  t.  I,  p.  314  et  suiv.). 


CONQUÊTE  DE   l'eSPAGNE  (713) 


221 


ayant  lâché  pied,  le  centre,  où  se  trouvait  le  roi,  eut  à  supporter 
tout  l'effort  des  Musulmans.  Roderiiv  mourut  en  combattant  et  son 
armée  se  débanda.  D'après  la  chronique  que  nous  avons  plusieurs 
fois  citée,  le  roi  goth  aurait  confié  le  commandement  des  deux 
ailes  de  son  armée  aux  fils  de  Wittiza,  réconciliés  avec  lui  ;  mais 
ceux-ci,  pour  se  venger  de  l'usurpateur,  l'auraient  trahi  en  entraî- 
nant les  troupes  confiées  à  leurs  ordres'. 

Les  chrétiens,  s'étant  ralliés  auprès  d'Ejiça,  y  essuyèrent  une 
nouvelle  défaite.  Ce  double  succès  mit  fin  à  l'empire  des  Goths  et 
ouvrit  l'Espagne  aux  Musulmans. 

Tarik,  sans  tenir  compte  des  ordres  de  Mouça  qui  lui  avait  fait 
dire  de  l'attendre,  continua  sa  marche  victorieuse  sur  Tolède, 
alors  capitale  de  l'Espagne,  tandis  que  trois  corps  détachés  allaient 
prendre  possession  de  Grenade,  de  Malaga  et  d'Elvira.  S'étant 
rendu  maître  de  Tolède,  il  y  réunit  toutes  ses  prises,  qui  étaient 
considérables,  pour  les  remettre  au  gouverneur  de  l'Afrique. 
Lorsqu'une  ville  était  enlevée,  les  Musulmans  armaient  les  Juifs  s'y 
trouvant  et  les  chargeaient  de  la  défendre  ;  puis  ils  continuaient 
leur  route  ^. 

Mouça  avait  appris  avec  une  vive  jalousie  les  succès  de  son 
lieutenant,  et  il  s'était  décidé  aussitôt,  malgré  son  grand  âge,  à  se 
rendre  en  Espagne.  C'était  un  homme  de  très  basse  extraction, 
dominé  par  la  soif  de  l'or,  et  cette  passion  n'avait  pas  été  sans  lui 
attirer  de  graves  affaires.  Ayant  réuni  une  armée  de  quinze  à  dix- 
huit  mille  guerriers,  tant  arabes  que  berbères,  il  partit  pour 
l'Espagne,  en  laissant  l'Ifrikiya  sous  le  commandement  de  son 
fils  Abd-AUah  et  débarqua  à  Algésiras  pendant  le  mois  de  ramadan 
93  (juin-juillet  712).  Au  lieu  de  traverser  les  pays  conquis  par 
Tarik,  Mouça  voulut  suivre  une  nouvelle  voie  et  conquérir  aussi 
des  lauriers  ;  des  chrétiens  lui  servirent,  dit-on,  de  guides.  Car- 
mona  et  Séville  tombèrent  en  son  pouvoir,  mais  il  fut  arrêté  par 
Mérida  ^,  ville  somptueuse  qui  contenait  un  nombre  considérable 
d'habitants,  et  dont  il  dut  entreprendre  un  siège  régulier.  Ce  ne 
fut  qu'en  juin  713  qu'il  parvint  à  se  l'endre  maître  de  Mérida, 
après  une  résistance  héroïque  des  assiégés. 

Sur  ces  entrefaites,  Mouça,  s'étant  rendu  à  Tolède,  se  rencontra 
auprès  de  cette  ville  avec  Tarik.  Il  avait  conçu  contre  celui-ci 
une  violente  jalousie  qui  s'était  transformée  en  haine  ardente  ; 
aussi,  bien  que  son  lieutenant  se  présentât  avec  l'attitude  la  plus 


1.  Akhar  Madjouma. 

2.  Ibid.,  p.  55. 

3.  L'antique  Emerila-Augusta. 


222 


HISTOIRE   DE   I.  AFRIQUE 


respectueuse,  il  l'accabla  d  injures  et  de  reproches  et,  dans  sa  vio- 
lence, alla  jusqu'à  le  frapper  au  visag'e  ;  puis  il  le  fit  jeter  dans 
les  fers  et  aurait  ordonné  sa  mort,  si  des  officiers  ne  s'étaient  inter- 
posés. Cette  conduite  souleva  contre  lui  une  véritable  réprobation, 
dont  l'expression  fut  portée  au  khalife'. 

DESTiTL  rioN  Di;  Moi  çA.  —  Taiulis  que  les  Berbères,  conduits  par 
les  Arabes,  conquéraient  rKspag:ne  au  khalifat,  les  armées  musul- 
manes s'emparaient  de  Samarkand,  et  s'avançaient  victorieuses 
vers  l'est,  à  travers  1  Inde,  jusqu'à  l'Himalaya.  L'histoire  n'offre 
peut-être  pas  d'autre  exemple  de  succès  aussi  fjrands  dans  un  règ^ne 
aussi  court  que  celui  d'El-Oualid.  Mais  ce  prince  n'entendait  pas 
partager  sa  puissance  avec  ses  généraux,  et  il  trouvait  que  les  con- 
trées sur  lesquelles  s'étendait  l'autorité  de  Mouça  étaient  bien 
grandes.  Aussi,  saisit-il  avec  empressement  l'occasion  fournie  par 
l'odieuse  conduite  de  son  lieutenant,  pour  lui  intimer  l'ordre  de  se 
présenter  devant  lui. 

Mouça,  qui  venait  de  s'avancer  en  vainqueur  jusqu'aux  Pyrénées, 
ne  voulut  pas  croire  qu'on  le  rappelait  et  il  fallut  qu'un  nouvel 
émissaire  vint  prendre  par  la  bride  sa  monture,  pour  le  décider  à 
s'arrêter.  Le  gouverneur,  laissant,  en  Espagne,  le  commandement  à 
son  fils  Abd-el-Aziz,  rentra  à  Kairoqan  pour  se  préparer  au  dé- 
part. Son  troisième  fils,  Abd-el-Malek ,  fut  placé  à  Ceuta,  afin  de 
commander  le  détroit.  En  715,  Mouça  partit  pour  l'Orient,  em- 
portant un  butin  considérable,  enlevé  aux  palais  et  aux  églises  de 
la  péninsule.  A  sa  suite  marchaient  enchaînées  trente  mille  escla- 
ves chrétiennes*.  Ces  riches  présents  ne  purent  désarmer  la  colère 
du  khalife  qui  l'accabla  de  reproches  et  le  frappa  d'une  forteamende. 
Peu  de  jours  après,  El-Oualid  cessait  de  vivre  et  était  remplacé 
par  son  frère  Solé'iman.  C'était  la  chute  des  ka'isites  ;  mais 
Mouça,  bien  que  kelbile,  n'en  profita  pas  et  resta  dans  l'ombre 
jusqu'à  sa  mort. 

Situation  de  l'Afrique  et  de  l'Espagne.  —  Cependant,  en  Afri- 
que, les  Berbères  continuaient  à  se  jeter  en  foule  sur  l'Espagne. 
La  vue  des  prises  rapportées  par  Mouça  avait  enflammé  leur 
cupidité  et  redoublé  l'ardeur  des  néophytes.  Aussitôt  qu'un  groupe 
était  prêt,  on  l'envoyait  à  la  guerre  sainte,  et  ce  courant  ininter- 

1.  Ibu-Kli:ildauu,  t.  I,  p.  216,  348.  Eii-Nouéiri,  p.  345.  El-Kairouani. 
p.  57  et  suiv.  El-Marrakchi  [Hist.  des  Almohades,  édit.  arabe  de  Dozy, 
Leyde,  1847,  p.  6  et  suiv.). 

2.  11  est  inutile  de  faire  ressortir  l'exagération  de  ce  chiffre. 


CONQUÊTE  DE   l"esI>AGNE  |715) 


•223 


rompu  permettait  de  se  porter  en  avant,  car  les  premiers  arrivés 
s'étaient  établis  clans  le  territoire  conquis.  Les  Arabes,  profitant  de 
la  conquéLe  faite  par  les  Berbères,  avaient  commencé  par  garder 
pour  eux  la  fertile  Andalousie.  Quant  aux  Africains,  on  les  avait 
relégués  dans  les  plaines  arides  de  la  Manche  et  de  l'Estramadure, 
dans  les  âpres  montagnes  de  Léon,  de  Galice,  d'Asturie,  où  il 
fallait  escarmoucher  sans  cesse  contre  les  chrétiens  mal  domptés'. 
Les  Musulmans,  poussés  par  derrière  par  les  arrivées  incessantes, 
n'allaient  pas  tarder  à  franchir  les  Pyrénées.  Des  chefs  arabes  les 
conduisaient  au  pillage  de  la  chrétienté. 

Mouça  avait  partagé  entre  ses  guerriers  les  terres  et  le  butin 
conquis  par  les  armes,  en  réservant  toutefois  le  cinquième  pour 
le  prince.  Les  terres  ainsi  réservées  formèrent  le  domaine  public 
et  furent  cultivées  par  des  indigènes,  chrétiens  ou  convertis,  qui 
reçurent  comme  salaire  le  cinquième  des  récoltes,  en  raison  de 
quoi  ils  furent  appelés  kheinmns.  Dans  les  localités  oii  les  popu- 
lations s'étaient  soumises  en  vertu  de  traités,  les  chrétiens  conser- 
vèrent leurs  terres  et  leurs  arbres,  à  charge  de  payer  un  impôt 
foncier.  Du  reste,  un  grand  nombre  de  chrétiens  embrassèrent 
l'islamisme,  soit  pour  conserver  leurs  biens,  soit  pour  échapper 
aux  mauvais  traitements.  Selon  une  chronique  latine,  ces  apostats 
répondaient  aux  reproches  de  leurs  prêtres  :  «  Si  le  catholicisme 
était  la  vi'aie  religion,  pourquoi  Dieu  aurait-il  livré  notre  pays,  qui 
pourtant  était  chrétien,  aux  sectateurs  d'un  faux  prophète  ?  Pour- 
quoi les  miracles  que  vous  nous  racontez  ne  se  sont-ils  pas  renou- 
velés, alors  qu'ils  auraient  pu  sauver  notre  patrie  ?  »-. 

Abd-el-Aziz,  en  Espagne,  avait  continué  à  étendre  les  conquêtes 
des  Musulmans.  Séduit  par  les  charmes  de  la  belle  Egilone,  veuve 
de  Roderik,  il  l'avait  épousée,  bien  qu'elle  fût  chrétienne.  Il  vivait 
en  roi  à  Séville,  nouvelle  capitale  du  pays,  et  traitait  les  popula- 
tions chrétiennes  avec  une  grande  douceur.  Cette  bienveillance 

1.  Dozy,  Musulmans  d' Espagne,  t.  I,  p.  255. 

2.  Dozy,  Recherches  sur  t'hisl.  de  l'Espagne,  t.  l,  p.  19  et  passim. 

La  loi  musulmane  dispose  que  tous  les  biens  mobiliers  ou  immobiliers 
conquis  les  armes  à  la  muiu  appartiennent  aux  vainqueurs,  déduction 
faite  du  cinquième  revenant  au  prince.  Les  terres  appartiennent  au  prince 
seul,  loisqu'eiles  sont  acquises  par  traité  ou  échange.  Les  Inlidèles 
peuvent  acheter  la  faveur  de  continuer  à  les  exploiter,  en  payant  la  Dja- 
zia  (tribut).  Ceux  qui  occupent  les  teires  conquises  sont  frappés  d'uu 
cens  déterminé,  appelé  ÀVia/'flf?/.  L'infidèle  se  débarrasse  de  ces  charges 
en  devenant  musulman.  Le  cinquième  prélevé  sur  les  dépouilles  doit  être 
employé  par  le  prince  en  dépenses  d'intérêt  général.  \ oir  Institutions  du 
droit  musulman  relatives  à  la  guerre  sainte,  par  Reland,  trad.  Solvet  (Al- 
ger, 1838),  et  Koran,  sour.  8,  v.  42. 


224 


iiiSTomn:  dk  l  Afrique 


irritait  le  fanatisme  des  Musulmans,  qui  l'attribuaient  à  Tinfluence 
d'Egilone,  et  les  ennemis  du  gouverneur  répétaient  qu'il  était  sur 
le  point  d'abandonner  l'islamisme  et  de  se  déclarer  roi  indépendant. 

GoL  VERNEMENT  DE  M(HiAMMED-iiEN-YEZiD.  —  Cependant  le  khalife 
Soléïman,  après  avoir  cherché  un  homme  digne  de  sa  confiance, 
nomma  comme  gouverneur  de  l'Ifrikiya  Mohammed-ben-Yezid, 
et  le  chargea  de  réclamer  aux  fils  de  Mouça  des  sommes  considé- 
rables, sous  le  prétexte  que  leur  père  ne  s'était  pas  acquitté  des 
amendes  à  lui  imposées.  Dès  son  arrivée  en  Afrique,  le  nouveau 
gouverneur  fit  arrêter  Abd-Allah  et  Abd-cl-Malek  et  les  tint  dans 
une  étroite  captivité  ;  El-Kairouani  prétend  même  qu'ils  furent 
mis  à  mort. 

Ces  procédés  n'étaient  pas  faits  pour  rattacher  Abd-el-Aziz  au 
khalife.  On  dit  qu'il  rompit  entièrement  avec  lui.  Ne  pouvant  son- 
ger à  l'attaquer  ouvertement,  Solé'iman  écrivit  secrètement  à  El- 
Habib-ben-Abou-Obéïda,  petit-fils  du  grand  Okba,  qui  se  trouvait 
en  Espagne,  et  le  chargea  de  le  débarrasser  de  ce  compétiteur 
par  l'assassinat.  Une  conspiration  s'ourdit  autour  d'Abd-el-Aziz  et 
les  conjurés  le  mirent  à  mort  en  pleine  mosquée,  pendant  qu'il 
prononçait  la  prière  du  vendredi.  Sa  tête  fut  envoyée  au  khalife' 
(août-septembre  715\  Le  commandement  de  l'Espagne  resta  quel- 
que temps  entre  les  mains  d'un  neveu  de  Mouça -ben-Xocé'ir, 
nommé  Ayoub  ;  peu  après,  Mohammed-ben-Yezid,  qui  avait  pris 
en  mains  l'administration  de  toutes  les  conquêtes  de  l'ouest, 
envoya  comme  lieutenant  dans  la  péninsule.  El-Horr-ben-Abd-er- 
Rahman. 

Gouvernement  d'Isma'il-ben- Abd-Allah.  —  En  octobre  717,  le 
khalife  Soléïman,  étant  mort,  fut  remplacé  par  Omar  II.  Peu  après, 
Mohammed-ben-Yezid  était  rappelé  et  Isma'il-ben-Abd-AUah, 
petit  fils  d'Abou-el-Mehadjer,  venait  prendre  le  commandemant 
du  Mag'reb.  Il  arriva  avec  l'ordre  d'appliquer  tous  ses  soins  à 
achever  la  conversion  des  Berbères.  Il  paraît  même  que  le  khalife 
adressa  aux  indigènes  du  Mag  reb  un  manifeste  qui  fut  répandu 
dans  toute  la  contrée  et  qui  eut  pour  conséquence  d'entraîner  un 
grand  nombre  de  conversions".  Des  missionnaires  envoyés  dans 
les  régions  reculées  furent  chargés  d'éclairer  les  néophytes  sur  la 
pratique  et  les  obligations  de  leur  nouveau  culte,  car  ils  étaient 
fort  ignorants  sur  ces  matières  ;  on  obtint  des  résultats  réels. 

1.  Eu-Nouéiri,  p.  379. 

2.  Fotouh-El-Boldaue,  cité  par  Fourjiel,  Beibers,  p.  270. 


CONQUÊTE   DE   l'eSPAGNE  (720) 


225 


Jusqu'alors  un  certain  nombre  de  Grecs  et  d'indigènes  chrétiens 
avaient  pu,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  continuer  à  résider  dans 
leurs  territoires  et  à  pratiquer  leur  culte,  en  payant  la  capitation. 
Mais,  soit  que  les  ordres  du  khalife  n'aient  plus  autorisé  cette  to- 
lérance, soit  que  les  prêtres  jacobites  d'Alexandrie  aient  entretenu 
des  intrigues  parmi  ces  populations,  en  les  poussant  à  la  révolte, 
ainsi  que  l'affirme  El-Kaïrouani ',  les  privilèges  accordés  aux  chré- 
tiens leur  furent  retirés,  et  ils  durent  se  convertir  ou  émigrer.- 

Ces  mesures  de  coercition  commencèrent  à  amener  de  la  fer- 
mentation chez  les  Berbères  qui  étaient  travaillés  depuis  quelque 
temps  par  des  réfugiés  kharedjites. 

En  Espagne,  où  Es-Samah  avait  remplacé  El-Horr,  les  Musul- 
mans avaient  achevé  la  conquête  des  pays  et  commençaient  à  se 
lancer  dans  les  déOlés  des  Pyrénées. 

Gouvernement  de  Yezid-ben-Abou-Moslem.  Il  est  assassiné.  — • 
Le  règne  d'Omar  II  ne  fut  pas  plus  long  que  celui  de  son  prédéces- 
seur. En  février  720,  ce  prince  mourait  et  Yezid  II  lui  succédait. 
Avec  ce  khalife,  le  parti  kaïsite  revenait  au  pouvoir.  Yezid-bcn- 
Abou-Moslem,  affranchi  d'El-IIadjadj,  fut  retiré  de  la  prison  où  il 
avait  été  détenu  pendant  les  l'ègnes  précédents,  et  nommé  au  gou- 
vernement du  ]\Iag"reb.  Ce  chef,  qui,  étant  vizir  de  Syrie,  avait 
traité  avec  une  grande  rigueur  les  populations  de  cette  contrée, 
pensa  qu'il  pourrait  agir  de  même  à  l'égard  des  Berbères.  Il  com- 
mença à  mettre  en  pratique  tout  un  système  de  vexations  contre 
eux  et  voulut  leur  imposer,  en  outre  des  autres  charges,  la  capi- 
tation. Les  indigènes  protestèrent,  déclarant  qu'ils  étaient  Musul- 
mans et,  par  conséquent,  alfranchis  de  cette  charge  ;  mais  leurs 
doléances  furent  brutalement  repoussées.  Le  gouverneur  s'était 
entouré  d'une  garde  berbère  et  il  comptait  s'assurer,  par  des  fa- 
veurs, sa  fidélité.  Ayant  voulu  imposer  à  ses  soldats  l'obligation 
de  porter  des  inscriptions  tatouées  sur  les  mains-,  selon  l'usage  des 
Grecs,  les  gardes,  irrités  de  ce  qu'ils  considéraient  comme  une 
humiliation,  assassinèrent  le  gouverneur  pendant  qu'il  faisait  la 
prière  du  soir,  dans  la  mosquée.  Les  Berbères  écrivirent  alors  au 
khalife  pour  protester  de  leur  dévouement  et  demander  qu'on  leur 
rendît  leur  ancien  gouverneur  Mohammed-ben-Yezid.  Peut-être 
celui  exei'ça-t-il,  durant  quelques  jours,  le  pouvoir. 

Pendant  ce  temps,  les  Musulmans  d'Espagne,  sous  la  conduite 


1.  P.  63. 

2.  Sur  la  main  droite  le  nom  de  l'individu;  sur  la  gauche  le  mot 
s  garde  >  [Beibers,  p.  272). 

T,  I,  15 


226 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQLE 


de  leur  gouverneur  Es-Samah',  avaient  fait  une  expédition  dans 
les  Gaules.  Parvenus  sous  les  murs  de  Toulouse,  ils  se  heurtèrent 
contre  Eude,  duc  d'Aquitaine,  et  essuyèrent  une  défaite  dans 
laquelle  presque  tous  les  guerriers  restèrent  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah  ramena  'en  Espagne  les 
restes  de  l'armée  (721).  Dans  la  Galice,  un  noyau  de  résistance  na- 
tionale s'était  formé,  à  la  voix  de  Pélage,  qui  avait  été  proclamé 
roi  par  ses  compatriotes. 

Gouvernement  de  Biciir-ben-Safouane.  —  Sur  ces  entrefaites,  le 
khalife  ayant  nommé  au  gouvernement  de  l'Afrique  Bichr-ben-Sa- 
fouane  de  la  tribu  de  Kell),  ce  général  arriva  à  Ka'irouan  et  un  de 
ses  premiers  actes  fut  d'envoyer  en  Espagne  Anbaça  le  kelbite, 
avec  mission  de  relever  les  armes  musulmanes,  et  surtout  d'aug- 
menter le  tribut  fourni  au  khalifat  par  cette  province  (721).  Pour 
obtenir  ce  résultat,  le  gouverneur  ne  trouva  rien  de  mieux  que 
de  faire  payer  aux  chrétiens  un  double  impôt". 

Après  avoir  apaisé  les  séditions  qui  s'étaient  produites  sur  diffé- 
rents points  de  la  Berbérie,  Bichr  alla  en  Orient  présenter  ses 
hommages  et  ses  présents  au  nouveau  khdife  Hicham,  qui  avait 
remplacé  son  frère  Yezid  II,  mort  en  721.  Confirmé  dans  ses  fonc- 
tions, le  gouverneur  revint  à  Ka'irouan.  Peu  après,  Anbaça 
étant  mort,  il  nomma  à  sa  place  Yah'ia-ben-Selama  le  kelbite.  Cet 
officier  s'attacha  à  faire  restituer  aux  chrétiens  les  biens  qui  leur 
avaient  été  enlevés  par  son  prédécesseur. 

En  727,  Bichr  fit  une  expédition  en  Sicile  et  revint  chargé  de 
butin.  Quelques  mois  après,  le  gouverneur  cessait  de  vivre;  avant 
de  mourir,  il  avait  désigné  pour  lui  succéder  un  de  ses  compatriotes, 
espérant  que  le  khalife  ratifierait  son  choix  ;  mais  il  n'en  fut  pas 
ainsi  et  le  kelbite  se  disposa  à  résister,  même  par  les  armes,  au 
nouveau  chef. 

Gouvernement  de  Obéïda-ben-Abd-er-Rahman.  —  Hicham,  qui 
depuis  le  commencement  de  son  règne  avait  favorisé  les  Yémé- 
nites, sembla,  à  partir  de  ce  moment,  faire  pencher  la  balance 
pour  leurs  rivaux.  Ce  fui  ainsi  qu'il  nomma  au  gouvernement  de 
l'Afrique  un  ka'isite  nommé  Obeïda-ben-Abd-er-Rahman.  Cet  of- 
ficier, prévenu  des  dispositions  hostiles  de  la  population  de  Ka'i- 

1.  Ce  chef  avait  dû  être  nomme  eu  Espagne,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  en  remplacement  d'El-Horr  ;  cependant  En-Nouéiri  attribue  à  celui-ci 
les  faits  que  nous  retraçons  (p.  357). 

2.  Dozy,  Miisulina/is  d'Espagne,  t.  I,  p.  227. 


CONQUÊTE   DE   l'eSPAGNE  (732) 


227 


rouan,  arriva  à  l'improviste  devant  celle  ville,  à  la  têle  d'une 
troupe  de  gens  de  sa  tribu,  et  s'en  empara  par  surprise.  «  II  sévit 
contre  leskelbites,  avec  une  cruauté  sans  égale.  Après  les  avoir  fait 
jeter  dans  les  cachots,  il  les  mit  à  la  torture  et,  afin  de  contenter  la 
cupidité  de  son  souverain,  il  leur  extorqua  des  sommes  énormes  » 

L'influence  des  kelbites  avait,  jusqu'alors,  régné  à  peu  près 
sa  s  conteste  en  Espagne.  Obéïda  envoya  dans  la  péninsule  plu- 
sieurs officiers  qui  ne  purent  parvenir  à  se  faire  accepter.  Enfin, 
en  729,  le  kaïsile  Ilaïtham-ben-Obéïd  arriva  en  Espagne  avec  des 
forces  sullisanles  et  se  fit  l'exécuteur  de  toutes  les  iiaines  de  sa 
tribu  :  quiconque  avait  un  nom  ou  une  fortune  fut  livré  au  sup- 
plice, et  le  pays  gémit  pendant  près  d'un  an  sous  la  tyrannie  la 
plus  affreuse.  Enfin,  les  plaintes  des  opprimés  parvinrent  à  la  cour 
d'Orient,  et,  en  présence  de  tels  excès,  le  khalife  n'hésita  pas  à 
destituer  Haïlham.  Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah,  yéménile  de 
race,  fut  nommé  gouverneur  à  sa  place.  Quant  à  Haïlham,  il  fut 
accablé  d'opprobres  et  renvoyé,  chargé  de  fers,  à  Obéïda,  qui  se 
contenta  de  le  lenir  en  prison,  malgré  les  ordres  du  khalife.  Les 
Kelbites  attendaient  sa  mort  comme  réparation  à  eux  légitimement 
due;  voyant  qu'il  allait  échapper  à  leur  vengeance,  ils  adressèrent 
à  Hicham  une  pièce  de  vers  dans  laquelle  ils  lui  exposèrent  élo- 
quemment  leurs  doléances,  en  lui  laissant  entendre  qu'un  tel  déni 
de  justice  aurait  pour  conséquence  de  les  pousser  à  la  révolte. 

Le  khalife  tenait  avant  tout  à  conserver  l'Espagne  ;  il  destitua 
Obéïda  et  lui  envoya  l'ordre  d'avoir  à  se  présenter  devant  lui  -. 

Incursions  des  Musue.mans  en  Gaule.  Bataille  de  Poitiers.  — 
Le  premier  soin  d'Abd-er-Rahman,  nommé  au  commandement 
de  l'Espagne,  avait  été  de  préparer  une  grande  expédition  contre 
les  Gaules.  Il  tenait  à  venger  les  désastres  de  Toulouse,  et  il  était 
attiré  par  la  richesse  de  ces  campagnes,  qu'il  avait  parcourues 
avec  Samah.  Un  certain  Othman,  oflîcier  berbère  qui  commandait 
la  limite  septentrionale,  était  entré  en  relations  avec  Eude  et  avait 
obtenu  sa  fille  en  mariage.  Abd-er-Rahman,  considérant  ce  fait 
comme  une  trahison,  vint,  en  731,  attaquer  Othman,  le  défit  et 
envoya  au  khahfe  la  tête  du  traître  et  sa  femme.  Le  duc  d'Aqui- 
taine, occupé  alors  à  repousser  une  invasion  de  Karl,  duc  des 
Franks,  n'avait  pu  venir  en  aide  à  son  gendre^. 

1.  Dozy,  Hist.  des  Musulmans  d'Espagne,  t.  I,  p.  220. 

2.  Voir  pour  l'Iiist.  des  gouv.  d'Esp.  EL  Marrakchi  (Ed.  or.  de  Dozy, 
p.  6  à  11). 

3.  Heuri  Martin,  Histoire  de  Fi  ance,  l.  II,  p.  190  et  suiv. 


228 


IllSTOIHIÎ   DE  i/aFHIQUE 


En  732,  Abd-er-Râhman,  ayant  reçu  de  puissants  renforts 
d'Afrique  et  réuni  une  armée  considérable,  traverse  les  Pyrénées 
et  inonde  l'Aquitaine.  Marchant  droit  devant  lui,  il  arrive  sous 
les  murs  de  Bordeaux.  Eude  l'y  attend  avec  toutes  ses  forces, 
mais  la  fortune  est  infidèle  au  prince  chrétien  :  son  armée  est 
écrasée  et,  s'il  échappe  au  désastre,  c'est  pour  voir,  dans  sa  fuite, 
les  flammes  dévorant  sa  métropole.  Après  avoir  saccagé  l'Aqui- 
taine, les  Musulmans  passent  la  Loire,  enlèvent  et  pillent  Poitiers 
et  marchent  sur  Tours,  où,  leur  a-t-on  dit,  se  trouve  la  plus  riche 
basilique  de  la  Gaule. 

Cependant,  Karl  n'est  pas  resté  inactif  ;  il  a  publié  le  ban  de 
guerre  et  tout  le  monde  a  répondu  à  son  appel.  «  Les  plus  impra- 
ticables marécages  de  la  mer  du  Nord,  les  plus  sauvages  profon- 
deurs delà  Forêt-Noire  vomirent  des  flots  de  combattants  demi-nus 
qui  se  précipitèi'ent  vers  la  Loire,  à  la  suite  des  lourds  escadrons 
austrasiens  tout  chargés  de  fer'.  »  Eude  s'est  joint  à  Karl  en  lui  fai- 
sant hommage  de  vassalité  et  lui  a  amené  les  débris  de  ses  troupes. 

Dans  le  mois  d'octobre,  les  deux  armées  se  trouvèrent  en  pré- 
sence en  avant  de  Poitiers.  On  passa  plusieurs  jours  à  s'observer 
et,  enfin,  les  Musulmans  se  développèrent  dans  la  plaine  et  atta- 
quèrent les  Franks  avec  leur  impétuosité  habituelle.  Mais  les 
guerriers  austrasiens,  tenus  en  haleine  par  vingt  années  de  guerres 
incessantes,  essuyèrent,  sans  broncher,  cet  assaut  tumultueux,  et, 
pendant  toute  la  journée,  restèi-ent  inébranlables  sous  la  grêle  de 
traits  de  leurs  ennemis.  Vers  le  soir,  Eude  et  les  Aquitains,  ayant 
attaqué  de  flanc  le  camp  des  ^lusulmans,  ceux-ci  se  retournèrent 
pour  voler  à  la  défense  du  butin  amoncelé  dans  les  tentes.  Aussitôt 
les  escadrons  austrasiens  s'ébranlent  et  fondent  comme  la  foudre 
sur  leurs  ennemis,  dont  ils  font  un  carnage  horrible.  En  vain  Abd- 
er-Rahman  essaye  de  rallier  ses  guerriers  ;  il  tombe  avec  eux 
sous  les  coups  du  vainqueur. 

La  nuit  avait  interrompu  la  lutte,  de  sorte  que  les  Chrétiens 
n'avaient  pas  pu  juger  de  l'importance  de  leur  victoire.  Mais  le 
lendemain,  alors  qu'ils  se  disposaient  à  attaquer  le  camp,  ils  s'aper- 
çurent qu'il  était  vide.  Les  Musulmans  avaient  fui  pendant  la  nuit, 
en  abandonnant  tout  leur  butin  aux  mains  des  guei'riers  du  Nord. 

Cette  belle  victoire  sauvait,  pour  le  moment,  la  chrétienté,  mais 
il  est  probable  que  les  Mulsulmans  n'auraient  pas  tardé  à  repa- 
raître plus  nombreux  en  Gaule,  si  l'émigration  berbère  n'avait  pas 
été  arrêtée  par  les  événements  dont  l'Afrique  va  être  le  théâtre. 

1.  Henri  Martin,  Histoire  de  France,  t.  II,  p.  202. 


CONQUÊTE   DE   l'eSPAGNE  (734) 


229 


Gouvernement  d'Obéïd- Allah -ren-el- Haiîiiab.  —  Nous  avons 
vu  que  le  gouverneur  Obéïda  avait  été  rappelé  en  Orient  par  le 
khalife.  Après  son  départ  l'autorité  fut  exercée  d'une  façon  tempo- 
raire par  Okba-ben-Kodama.  Celte  situation  se  prolongea  pendant 
dix-huit  mois,  et  ce  ne  fut  qu'à  la  fin  du  printemps  de  l'année  734 
que  le  titulaire  fut  nommé.  C'était  un  kaïsite  du  nom  d'Obéïd- 
Allah-ben-el-Habhab,  très  dévoué  à  sa  tribu  et  à  son  souverain, 
mais  méprisant  profondément  les  populations  vaincues.  Il  arriva 
en  Afrique  pénétré  de  ces  idées  et  traita  les  Berbères  avec  la  plus 
grande  injustice. 

Sur  ces  entrefaites,  un  certain  Abd-el-Malek,  qui  avait  succédé 
à  Abd-er-Rahman  dans  le  commandement  de  l'Espagne,  essuya 
une  nouvelle  défaite  dans  les  Pyrénées.  Le  gouverneiu'  en  profita 
pour  le  remplacer  par  Okba-ben-el-Hadjadj  et,  sous  l'impulsion 
de  ce  chef,  les  Musulmans  opérèrent  de  nouvelles  razias  en  Gaule. 
Alliés  au  comte  de  Provence,  jNIauronle,  ils  pénétrèrent  dans  la 
vallée  du  Rhône  et  vinrent  prendre  et  saccager  la  ville  de  Lyon. 
Remontant  le  cours  de  la  Saône,  ils  dépouillèrent  les  cités  et  les 
monastères  sans  que  les  populations  terrifiées  songeassent  à  leur 
résister.  Mais  bientôt  Karl  et  ses  Franks  parurent,  et  les  Musul- 
mans regagnèrent  en  hâte  les  régions  du  midi.  Après  avoir  tenté 
une  faible  résistance  à  Avignon,  ce  fut  derrière  les  remparts  de 
Narbonne  qu'ils  concentrèrent  toutes  leurs  forces,  et  Karl  essaya 
en  vain  de  prendre  cette  ville. 

Despotisme  et  exactions  des  arabes.  —  A  Kaïrouan,  Obéïd- 
Allah  continuait  à  faire  peser  son  despotisme  sur  les  Berbères. 
Non  content  de  leur  enlever  leurs  filles  pour  en  peupler  les  sérails 
de  Syrie,  il  s'amusait  à  décimer  leurs  troupeaux  pour  chercher 
dans  les  entrailles  des  brebis  des  agneaux  à  duvet  fin  couleur  de 
miel*.  Le  peuple  frémissait  sous  cette  tyrannie  et  sa  colère  con- 
tenue n'allait  pas  tarder  à  faire  explosion.  Le  gouverneur  avait 
nommé  son  fils  Ismaïl  au  commandement  du  Mag'reb  extrême.  De 
Tanger,  Ismaïl  avait  fait  plusieurs  expéditions  dans  l'intérieur  et 
notamment  dans  le  Sous,  où  il  avait  frappé  de  lourdes  contribu- 
tions. Obé'id-Allah,  alléelié  par  le  succès  de  cette  campagne, 
nomma  commandant  de  Tanger  un  certain  Omar-el-Moradi  et 
envoya  son  fils  Ismaïl  dans  le  Sous,  en  lui  adjoignant  le  général 
El  -  Habib -ben-Abou- Obéïda  et  en  le  chargeant  d'exécuter  une 
grande  reconnaissance  dans  l'cxlrème  sud.  Les  Arabes  parcou- 
rurent alors  tout  le  désert,  contraignirent  les  Sanhadja-au-voile  à 


1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  p.  234.  Ibii-Klialdoun,  t.  I,  p.  337. 


230 


HISTOIRE   DE   I,  AFRIQI  E 


recevoir  rislamisme,  et  s'avancèrent  jusqu'au  Soudan.  Ils  ren- 
trèrent dans  le  Maj^  reb  en  ramenant  un  nombre  considérable 
d'esclaves  et  en  rapportant  un  riche  butin. 

Ces  succès  avaient  porté  l'audace  des  Arabes  à  son  comble;  les 
excès  que  nous  avons  retracés  n'étaient  pas  suffisants  :  Ismaïl,  de 
concert  avec  Omar-el-Moradi,  prétendit  prélever,  en  outre  des 
impôts  réguliers,  le  quint  sur  les  populations  soumises.  Cette  fois 
la  mesure  était  comble.  En  710,  Obéïd-AUah  rappela  du  Mag'reb 
une  partie  des  troupes  et  les  envoya  contre  la  Sicile,  sous  le  com- 
mandement d'El-Habib.  L'occasion  attendue  par  les  Berbères  se 
présentait  enfin  ;  ils  ne  la  laissèrent  pas  échapper. 

Révolte  de  Méïcera.  —  Soulèvement  général  des  Berbères.  — 
Un  chef  de  la  tribu  des  !Matr"ara  (Falen),  nommé  Méïcera,  se  fit 
le  promoteur  de  la  révolte.  Les  Berbères  du  ^Lifj'reb,  Matr'ara, 
Miknaça,  Berg'ouata  et  autres,  accoururent  à  sa  voix.  Tous 
avaient  adopté  dans  les  dernières  années  les  doctrines  kha- 
redjites  et  s'étaient  affiliés  principalement  à  la  secte  sofrite,  de 
sorte  que  le  soulèvement  national  se  doublait  d'une  révolte  reli- 
gieuse. 

Ce  grand  rassemblement,  s'étant  porté  sur  Tanger,  se  rendit 
facilement  maître  de  cette  ville.  Omar-el-Moradi  y  fut  mis  à  mort. 
De  là,  les  rebelles  marchèrent  vers  le  Sous  et,  s'étant  emparés 
d'Ismaïl,  lui  infligèrent  le  même  sort.  Ces  événements  eurent  un 
retentissement  énorme  en  Afrique.  Les  Kharedjites  de  l'Ifrikiya, 
appartenant  en  général  à  la  secte  éïbadite,  répondirent  à  l'appel 
de  leurs  frères  du  ^Lig  reb,  et  le  feu  de  la  révolte  se  répandit 
partout.  Méïcera  proclama  l'indépendance  berbère  et  l'obligation 
du  culte  kharedjite,  seul  orthodoxe. 

Dès  qu'il  eut  reçu  ces  importantes  nouvelles,  Obé'id-Allah  s'em- 
pressa de  rappeler  les  troupes  de  l'expédition  de  Sicile  et  de 
donner  l'ordre  à  Okba,  gouverneur  de  l'Espagne,  d'aller  en  Mag'reb 
combattre  les  rebelles.  En  même  temps,  il  réunit  tous  ses  soldats 
de  race  arabe  et  les  fit  partir  pour  l'Ouest,  sous  le  commandement 
de  Khaled-ben-el-Habib.  Mé'icera  offrit  le  combat  aux  Arabes  en 
avant  de  Tanger  ;  mais,  après  une  lutte  longue  et  meurtrière,  les 
Berbères  durent  chercher  un  refuge  dans  la  ville.  Méïcera,  accusé 
d'impéritie  ou  de  vues  ambitieuses,  fut  tué  dans  une  sédition. 
Bientôt  la  lutte  contre  les  Arabes  recommença  et,  comme  les 
Berbères  reçurent,  pendant  le  combat,  un  renfort  de  Zenètes, 
commandé  par  Khaled-ben-Hamid,  la  victoire  ne  tarda  pas  à  se 
prononcer  pour  eux.  Tous  les  Arabes  y  périrent  et  cette  bataille 
fut  appelée  par  eux  «  la  journée  des  nobles  ».  Khaled-ben-Hamid, 


CONQUÊTE  DE   l'eSPAGNE  (741) 


231 


qui  avait  si  heureusement  déterminé  la  victoire,  fut  élu  chef  des 
rebelles 

La  nouvelle  de  ce  succès  eut  un  elfet  immense  et  la  révolte  se 
propagea  aussitôt  en  Espagne.  Okba  avait  essayé,  sans  succès,  de 
combattre  les  rebelles  du  Mag'reb  ;  il  fut  déposé  par  un  mouve- 
ment populaire  et  remplacé  par  son  prédécesseur  Abd-el-Melek, 
et  alla  mourir  à  Narbonne  (fin  décembre  740). 

Défaite  de  Koltou.m  a  i/Ol'ad-Sebou.  —  Lorsque  ces  événe- 
ments furent  connus  en  Orient,  le  khalife  Hicham  entra  dans  une 
violente  colère  :  «  Par  Dieu!  dit-il,  je  ferai  sentir  à  ces  rebelles  le 
poids  de  la  colère  d'un  Arabe  !  Je  leur  enverrai  une  armée  telle 
qu'ils  n'en  virent  jamais  dans  leur  pays  :  la  tête  de  colonne  sera 
chez  eux,  pendant  que  la  queue  en  sera  encore  chez  moi.  J'éta- 
blirai un  camp  de  guerriers  arabes  à  côté  de  chaque  château  ber- 
bère-! 1)  Il  rappela  sur-le-champ  Obéïd-AUah  et  s'occupa  de  la 
formation  d'une  armée  expéditionnaire.  A  cet  elTet  il  tira  des  mi- 
lices de  Syrie  un  corps  considérable  de  cavalerie  et  en  confia  le 
commandement  au  kaïsite  Koltoun-ben-Aïad.  Dans  le  courant  de 
l'été  741,  ce  général  arriva  en  Ifrikiya,  après  avoir  rallié  les  contin- 
gents de  l'Egypte,  de  Barka  et  de  la  Tripolitaine.  L'elfeclif  de  son 
armée  s'élevait  à  une  trentaine  de  mille  hommes.  Le  khalife  avait 
recommandé  à  ces  troupes  de  commettre  en  Afrique  les  plus 
grandes  dévastations. 

Parvenu  à  Kaïrouan,  Koltoum  y  fut  très  mal  reçu  par  la  colonie 
arabe  qui  détestait  les  Syriens.  Quand  El-Habib  avait  reçu,  en 
Sicile,  l'ordre  de  rentrer,  il  venait  de  s'emparer  de  Syracuse  et  de 
remporter  de  grands  succès  qui  pouvaient  faire  présager  la  con- 
quête de  toute  l'île'.  Dès  son  retour  il  s'était  porté  avec  toutes  ses 
forces  jusqu'à  la  hauteur  de  Tiharet  pour  contenir  les  Berbères  et 
couvrir  Kaïrouan;  lorsque  l'armée  d'Orient  l'eut  rejoint,  les  deux 
troupes  faillirent  en  venir  aux  mains.  Baleg,  qui  commandait 
l  avant-garde  des  Syriens,  avait  donné  le  signal  du  combat,  mais 
des  officiers  s'interposant  parvinrent  à  empêcher  la  lutte. 

L'armée  continua  sa  marche  vers  l'ouest  sans  rencontrer  aucun 
ennemi  ;  elle  pénétra  dans  le  Mag'reb  extrême,  et  enfin  trouva  les 
Kharedjites  sur  les  bords  du  Sebou,  dans  une  position  qu'ils 

1.  Nous  adoptons  ici  une  opinion  qui  s'écarte  do  cello  de  M.  Dozy 
(t.  I,  p.  242)  et  de  M.  Fouruel  (p.  228);  mais  il  est  peu  probable  que 
Khaled  eût  été  élu  chef  de  la  révolte  avant  d'avoir  déterminé  la  victoire 
de  la  journée  des  nobles. 

2.  En  Nouéiri,  p.  360,  361. 

3.  Michèle  Auiari,  Sloria,  t.  I,  p.  173  et  suiv. 


232 


iiisToiRi;  DK  l'afriqle 


avaient  choisie,  à  Bakdoura.  Ils  étaient  là  en  nombre  considérable, 
presque  nus,  la  tête  rasée,  remplis  d'enthousiasme.  El-IIabib 
voulut  faire  entendre  quelques  conseils  que  sa  longue  pratique  des 
Berbères  lui  donnait  le  droit  de  présenter.  Mais  l'impétueux  Baleg 
repoussa  dédainneusement  son  offre.  Koltoum  confia  à  Baleg  le 
commandement  de  la  cavalerie  syrienne,  se  réserva  celui  de  1  in- 
fanterie du  centre  et  mit  deux  autres  chefs  à  la  tête  des  troupes 
d'Afrique,  de  sorte  qu'El-IIabib  ne  dut  combattre  que  comme  un 
simple  guerrier. 

La  brillante  cavalerie  syrienne,  ayant  entamé  l'action,  fut 
accueillie  par  le  cri  de  guerre  des  Kharedjites.  Selon  Ibn- 
Khaldoun,  les  Berbères  portèrent  le  désordre  dans  le  camp  des 
Syriens  en  lançant  au  milieu  d'eux  des  chevaux  affolés,  à  la  queue 
desquels  ils  avaient  attaché  des  outres  remplies  de  pierres.  Malgré 
les  pertes  qu'il  avait  éprouvées,  Baleg  ramena  au  combat  environ 
sept  mille  de  ses  cavaliers  et,  les  ayant  entraînés  dans  une  charge 
furieuse,  parvint  à  traverser  toutes  les  lignes  des  Berbères;  mais 
ceux-ci  étaient  si  nombreux  qu'une  partie  des  leurs,  faisant  volte- 
face,  lui  tinrent  tête  pendant  que  le  reste  luttait  corps  à  corps 
avec  les  fantassins  de  Koltoum  et  les  troupes  d'Afrique.  El-Habib 
et  les  principaux  chefs  étant  morts,  ces  troupes  se  mirent  en 
retraite,  abandonnant  les  Syriens  abhorrés  à  leur  malheureux 
sort.  Koltoum  lutta  avec  la  plus  grande  vaillance,  en  récitant  des 
versets  du  Koran  jusqu'au  moment  où  il  tomba  percé  de  coups. 
La  bataille  était  perdue.  Les  Kharedjites  poursuivirent  les  fuyards 
et  en  firent  un  grand  massacre.  Quant  aux  cavaliers  syriens  de 
Baleg,  ils  furent  bientôt  forcés,  malgré  tout  leur  courage,  de  se 
mettre  en  retraite  vers  le  nord-ouest,  puisque  le  chemin  opposé 
leur  était  coupé.  Ils  gagnèrent  avec  beaucoup  de  peine  Tanger  où 
ils  ne  purent  pénétrer  et  de  là  se  réfugièrent  à  Ceuta  (742)'. 

^'ICT0IRES  DE  HaNDUALA  SUR  LES  KuAREDJITES  DE  l'IfHIKIVA.    Dès 

que  la  nouvelle  de  ce  succès  parvint  dans  l  est,  les  tribus  de 
rifrikiya  se  mirent  en  état  de  révolte.  Un  certain  Okacha-ben- 
A'ioub,  de  la  tribu  des  Houara,  essaya  même  de  soulever  Gabès. 
Mais  le  général  Abd-er-Rahman-ben-Okba,  qui  commandait  à 
Ka'irouan  où  il  avait  rallié  les  fuyards  de  l'Ouad-Sebou,  marcha 
contre  les  rebelles  et  les  contraignit  à  chercher  un  refuge  dans  le 
sud.  Okacha  y  rejoignit  Abd-el-Ouahad-ben-Yezid,  qui  était  à  la 

1.  Ibii-Khaldoun,  l.  I,  p.  216,  235  et  suiv.  Eu-Nouciri,  p.  360.  El- 
Kairouaui,  p.  69. 


corvQuÊTE  DE  l'espagne  (742) 


233 


tête  des  autres  tribus  houarides,  et  tous  deux  s'appliquèrent  à 
soulever  les  tribus  du  sud  de  rifrikiya,  jusqu'au  Zab. 

Cependant  le  khalife  avait  expédié  au  kelbite  Handhala-ben- 
Safouan,  gouverneur  de  l'Egypte,  l'ordre  de  se  porter  au  plus  vite 
en  Ifrikyia,  avec  toutes  les  forces  disponibles.  Ce  général  parvint 
à  Kaïrouan  dans  le  courant  du  printemps  et  s'occupa  aussitôt  de 
l'organisation  de  son  armée. 

Mais  bientôt  il  apprit  que  les  Kharedjites,  divisés  en  deux  corps, 
s'avançaient  contre  lui  et  que  l'un  d  eux,  commandé  par  Okacha, 
avait  pénétré  dans  la  plaine  et  était  venu  prendre  position  à  El- 
Karn,  entre  Djeloula  et  Kaïrouan.  Le  seul  espoir  de  succès 
consistait  à  attaquer  séparément  les  re]:)elles  ;  Handhala  le  comprit 
et,  sans  perdre  un  instant,  il  marcha  sur  El-Karn,  attaqua  ses 
ennemis  avec  la  plus  grande  vigueur,  les  mit  en  déroute,  s'empara 
de  leur  camp  et  fit  prisonnier  Okacha.  Mais  ce  n'était  là  que  la 
partie  la  plus  facile  de  la  tâche.  Abd-el-Ouahad  était  descendu  du 
Zab  à  la  tête  d'un  rassemlîlement  considérable  et  avait  déjà  atteint 
Badja,  où  les  fuyards  d'El-Karn  l'avaient  rallié. 

Handhala  lança  contre  lui  sa  cavalerie  pour  le  contenir,  tandis 
qu'à  Kaïrouan  on  armait  tous  les  hommes  valides.  Les  Kharedjites 
repoussèrent  facilement  les  troupes  envoyées  contre  eux,  puis  ils 
s'avancèrent  jusqu'à  Tunis,  où  Abd-el-Ouahad  se  fit,  dit-on,  pro- 
clamer khalife.  De  là,  les  rebelles  vinrent  prendre  position  à  El- 
Asnam,  dans  le  canton  de  Djeloula;  leur  armée  présentait,  si  l'on 
en  croit  les  auteurs  arabes,  un  ellectif  de  300,000  combattants, 
mais  ce  chitTre  est  évidemment  exagéré. 

La  situation  était  fort  critique  pour  les  Arabes.  Handhala  enrô- 
lait tous  les  hommes  valides,  en  offrant  même  une  prime  à  ceux 
dont  le  patriotisme  n'était  pas  assez  ardent;  il  put  réunir  ainsi  dix 
mille  recrues  qui,  jointes  à  ses  vieilles  troupes,  lui  constituèrent 
une  ainiiée  assez  nombreuse.  On  passa  la  nuit  à  armer  les  volon- 
taires, à  la  lueur  des  flambeaux,  et  le  lendemain,  ces  soldats  pleins 
d'ardeur,  ayant  brisé  les  fourreaux  de  leurs  épées,  marchèrent  à 
l'ennemi.  Dès  le  premier  choc,  l'aile  gauche  des  Kharedjites  fléchit; 
la  gauche  des  Arabes,  qui  avait  perdu  du  terrain,  revint  alors  à  la 
charge  et  bientôt  toute  la  ligne  des  Berbères  fut  enfoncée.  Ce  fut 
alors  une  mêlée  affreuse  qui  se  termina  par  la  victoire  des  Arabes. 
Selon  En-Nouéïri,  cent  quatre-vingt  mille  Kharedjites  restèrent 
sur  le  champ  de  bataille.  Abd-el-Ouahad  y  trouva  la  mort,  Okacha, 
moins  heureux  fut  livré  au  bourreau  (mai  742). 

Ce  beau  succès  permettait  aux  Arabes  de  se  maintenir  à  Kaï- 
rouan et  de  se  préparer  à  de  nouvelles  luttes  contre  les  Khared- 
jites du  Mag  reb,  demeurés  dans  l'indépendance  absolue. 


234 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Révolte  de  l'Espagne.  Les  Syriens  y  sont  transportés.  — 
Les  Syriens  qui,  avec  Baleg,  s'étaient  réfugiés  à  Ceuta,  après  la 
défaite  du  Sebou,  ne  tardèrent  pas  à  se  trouver  dans  une  situation 
très  critique.  Bloqués  de  tous  côtés  par  les  Berbères,  et  manquant 
de  vivres,  ils  s'adressèrent  au  gouverneur  de  l'Espagne  en  le  sup- 
pliant de  venir  à  leur  aide,  ou  de  leur  fournir  le  moyen  de  tra- 
verser le  détroit.  Mais  Abd-el-Malek  était  Médinois;  il  avait  lutté 
autrefois  contre  les  Syriens  et,  vaincu  par  eux,  avait  assisté  aux 
excès  dont  ils  avaient  souillé  leur  victoire.  Il  repoussa  avec  hauteur 
les  demandes  de  Baleg  et  défendit,  sous  les  peines  les  plus  sévères, 
qu'on  envoyât  des  secours  aux  Syriens.  Un  .\rabe  de  la  tribu  de 
Lakhm,  leur  ayant  fait  passer  deux  barques  chargées  de  blé,  périt 
dans  les  tortures'.  Ainsi  les  Syriens  restaient  à  Ceuta,  en  proie 
aux  souffrances  de  la  faim;  ils  avaient  mangé  leurs  chevaux  et 
semblaient  voués  à  un  trépas  certain,  lorsque  des  circonstances 
imprévues  vinrent  changer  la  face  des  choses. 

Nous  avons  vu  que  les  Berbères,  en  Espagne,  n'avaient  pas  été 
favorisés  lors  du  partage  des  terres,  bien  qu'ils  eussent  été  les- 
véritables  conquérants.  Il  en  était  résulté  chez  eux  une  grande 
irritation  contre  les  Arabes  et,  comme  ils  avaient  adopté,  de  même 
que  leurs  frères  du  Mag  reb,  les  doctrines  kharedjites,  la  révolte 
de  Meïcera  fut  saluée  chez  eux  par  un  seul  cri  d'enthousiasme, 
suivi  d'une. levée  de  boucliers.  L'insurrection,  partie  de  la  Galice, 
devint  bientôt  générale.  Partout  les  Arabes  furent  expulsés  et 
durent  chercher  un  refuge  dans  l'Andalousie.  Les  Berbères  élurent 
alors  un  chef,  ou  imam,  et  divisèrent  leurs  forces  en  trois  corps 
qui  devaient  marcher  simultanément  sur  Tolède,  Cordoue  et  Algé- 
siras.  De  cette  dernière  ville,  où  se  trouvait  la  flotte,  on  serait 
allé  en  Mag'reb  chercher  des  renforts  berbères. 

Les  Arabes  étaient  peu  nombreux  en  Espagne  et  tiraient  toutes 
leurs  forces  des  Africains.  La  situation  devenait  critique  et,  dans 
cette  conjoncture,  Abd-el-Malek  ne  vil  son  salut  que  dans  l'appui 
de  ces  Syriens  qu'il  avait  juré  de  laisser  mourir  de  faim.  Il  entra 
de  nouveau  en  pourparlers  avec  eux  et  conclut  un  traité  par  lequel 
il  fut  stipulé  que  les  Syriens  lui  fourniraient  leur  aide  pour  com- 
battre la  révolte  des  Berbères;  qu'après  l'avoir  domptée,  ils  éva- 
cueraient l'Espagne  et  qu'un  certain  nombre  d'otages,  choisis 
parmi  les  chefs,  seraient  gardés  dans  une  île  pour  assurer  l'exécu- 
tion de  ces  conventions.  De  son  côté,  Baleg  exigea  que,  lorsque  ses 
hommes  seraient  rapatriés,  ils  fussent  emmenés  tous  ensemble  et 
déposés  dans  une  contrée  d'Afrique  soumise  à  l'autorité  arabe. 

1.  Dozy,  Miistilmcms  d'Espagne,  t.  I,  p.  254. 


CONQUÊTE  DE   l'eSPAGNE  (742) 


235 


Les  Syriens  débarquèrent  en  Espag'ne  dans  le  plus  triste  état  et 
il  fallut  d'abord  les  habiller  et  leur  donner  à  manger;  mais  ils 
furent  bientôt  refaits  et,  comme  la  colonne  berbère  marchant  sur 
Algésiras  était  déjà  à  Médina-Sidonia,  ils  se  portèrent  contre  elle 
avec  toutes  les  forces  arabes  et  la  mirent  en  déroute.  Ils  atta- 
quèrent ensuite  celle  qui  avait  Cordoue  pour  oI)jectif,  et  lui  infli- 
gèrent le  même  sort.  La  troisième  armée  berbère  assiégeait  Tolède 
depuis  près  d'un  mois;  les  Syriens  la  forcèrent  à  lever  le  siège  de 
cette  ville  et,  malgré  le  grand  nombre  des  rebelles,  parvinrent 
encore  à  en  triompher'. 

Ainsi  la  domination  arabe  en  Espagne  était  sauvée  ;  mais  de  nou- 
velles difllcultés  allaient  naître  du  succès  même  des  Syriens.  Baleg, 
invité  par  Abd-el-Malek  à  se  retirer,  conformément  aux  clauses 
du  traite,  éluda  l'exécution  de  sa  promesse  ;  il  se  sentait  maître  de 
la  position,  était  gorgé  de  butin  et  ne  se  souciait  nullement  de 
courir  de  nouveaux  hasards.  Des  contestations  s'élevèrent,  on 
s'aigrit,  on  se  menaça  de  part  et  d'autre,  et  enfin  Baleg,  levant  le 
masque,  chassa  Abd-el-Malek  de  son  palais  et  se  fit  proclamer 
gouverneur  à  Cordoue.  Les  Syriens,  méconnaissant  la  voix  de  leur 
chef,  se  saisirent  d'Abd-el-Malek,  alors  nonagénaire,  et  lui  firent 
endurer  un  supplice  aussi  ignominieux  que  celui  infligé  par  lui  à 
l'homme  qui  leur  avait  envoyé  des  vivres  à  Ceuta  (742). 

Le  meurtre  d'Abd-el-Malek  eut  un  grand  retentissement  en 
Espagne.  Tous  les  Arabes,  même  ceux  qui  étaient  en  France, 
accoururent  en  Andalousie.  Abd-er-Rahman,  gouverneur  de  Nar- 
bonne,  ayant  réuni  ses  forces  à  celles  d'Abd-er-Rahman-ben- 
Habib,  marcha  contre  les  Syriens  et  tua  Baleg  de  sa  propre  main. 
Néanmoins  la  victoire  resta  cà  ces  étrangers.  Taâleba,  qui  avait  pris 
le  commandement,  surprit  les  Arabes  pendant  qu'ils  célébraient 
une  fête-,  en  fit  un  grand  massacre  et  réduisit  en  esclavage  dix 
mille  prisonniers. 

Les  Arabes  d'Espagne  ayant  appris  que  les  Syriens  se  dispo- 
saient à  massacrer  tous  leurs  prisonniers  adressèrent  à  Hendhala 
un  pressant  appel,  et  cet  émir  envoya  en  Espagne  un  officier  du 
nom  d'Abou-el-Khaltar,  avec  quelques  troupes.  11  arriva  à  Cor- 
doue au  moment  où  les  Syriens,  avant  de  préluder  au  massacre  de 
leurs  esclaves,  les  vendaient  au  rabais,  pour  un  chien  ou  pour  un 
bouc.  Malgré  l'opposition  de  Taideba  il  fit  mettre  en  liberté  tous 
ces  Musulmans  ;  puis  il  éloigna  successivement  les  chefs  turbulents, 

1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  I,  p.  257  et  suiv. 

2.  Dans  les  guerres  entre  musulmans,  les  jours  de  fête  étaient  toujours 
des  trêves  strictement  observées. 


236 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


tels  que  Taâleba  et  Abd-cr-Rahman-bcn-Habib,  et  enfin,  il  dis- 
tribua aux  Syriens  des  terres  et  les  répartit  dans  les  districts 
d  Ocsonoba,  de  Béja,  de  Murcie,  de  Niébla,  de  Séville,  de  Sidona, 
d'Algesiras,  de  Regio,  d'Elvira  et  de  Jaën.  Les  tenanciers  établis 
sur  ces  terres  reçurent  l'ordre  de  donner  à  ces  nouveaux  maîtres 
le  tiers  de  leurs  récoltes,  qu'ils  versaient  précédemment  à  l'Etat'. 
L'oblip^ation  de  fournir  le  service  militaire  fut  imposée  aux  Syriens 
et  on  les  forma  en  milices  ou  Djond. 

L'introduction  de  ce  nouvel  élément  en  Espagne  mit  fin  à  la 
suprématie  des  fils  des  Défenseurs.  La  fusion  de  ces  diverses 
races  :  berbère,  arabe  et  syrienne,  devait  former  plus  tard  cette 
belle  et  intelligente  nation  maure  d'Espagne  :  mais  avant  d'arriver 
à  cette  cohésion  elle  avait  à  traverser  encore  de  longues  années 
de  guerres  civiles  et  d'anarchie. 

Les  nouvelles  conditions  dans  lesquelles  se  trouvaient  l'Espagne 
et  l'Afrique  depuis  la  révolte  kharedjite  font  comprendre  pourquoi 
la  belle  victoire  de  Karl  à  Poitiers  sufiît  à  délivrer  la  Gaule  de 
l'invasion  musulmane.  La  marche  des  Berbères  vers  le  sud  ayant 
dégarni  les  provinces  du  nord  de  l'Espagne,  les  chrétiens  en  pro- 
fitèrent pour  reconquérir  de  vastes  régions  dans  la  direction  du 
midi. 

Abd-er-Raiiman-ben-Habib  usurpe  le  gouvernement  de  l'Ifrikiya. 
—  Nous  avons  dit  qu'Abd-er-Rahman-ben-Habib,  petit-fils  d'Okba, 
avait  quitté  l'Espagne;  peut-être  avait-il  été  éloigné  par  le  nou- 
veau gouverneur,  peut-être  aussi,  comme  l'afiîrment  certains 
auteurs,  avait-il  pris  la  fuite.  Il  se  réfugia  en  Tunisie  et  se  tint 
dans  l'expectative,  entouré  d'un  certain  nombre  d'adhérents.  Sur 
ces  entrefaites,  le  khalife  Hicham  étant  mort  (février  743),  l'Orient 
devint  le  théâtre  de  nouveaux  troubles  sous  les  règnes  éphémères 
de  ses  successeurs  Oualid  II,  Yezid  III  et  Ibrahim. 

Abd-er-Rahman  profita  de  cette  anarchie  pour  lever  le  masque 
et  revendiquer  le  gouvernement  de  l'Ifrikiya.  Il  écrivit  à  Hendhala 
en  le  sommant  avec  hauteur  de  lui  céder  le  pouvoir.  Ce  dernier 
était  parfaitement  en  mesure  de  résister  à  de  pareilles  prétentions, 
mais,  soit  qu'il  lui  répugnât  de  verser  le  sang  musulman,  ainsi 
que  l'affirme  En-Nouéïri,  et  de  donner  aux  schismatiques  le 
spectacle  d'une  guerre  entre  orthodoxes,  soit  qu'il  ne  fût  pas  sûr 
de  ses  troupes,  il  préféra  tenter  les  moyens  de  conciliation  et 
envoya  à  Abd-er-Rahman  une  députation  de  notables,  chargés  de 
lui  faire  entendre  la  voix  de  la  raison.  Cet  acte  de  faiblesse  ne 

1.  Dozy,  loc.  cit.,  p.  268.  El-Ivaïroiiani,  p.  70 


CONQUÊTE   DE   l'eSPAGNE  (750) 


237 


servit  qu'à  augmenter  l'arrogance  du  rebelle  :  il  fit  mettre  les 
envoyés  aux  fers  et  adressa  à  Ilendiiala  une  nouvelle  et  pressante 
sommation.  Ce  chef  préféra  alors  se  démettre  du  pouvoir.  Il  con- 
voqua le  cadi  et  les  notables  de  Kaïrouan,  ouvrit  en  leur  présence 
le  trésor  public,  en  retira  la  somme  nécessaire  à  son  voyage  et, 
étant  sorti  de  la  ville,  prit  la  route  de  l'Orient.  Abd-er-Rahman 
fit  alors  son  entrée  à  Kaïrouan  et  prit  possession  du  gouvernement 
de  l'Ifrikiya. 

Les  populations  arabes  établies  sur  le  littoral  de  la  Tripolitaine 
et  de  la  Tunisie  se  déclarèrent  contre  l'usurpateur,  et,  ayant  fait 
alliance  avec  les  Berbères,  se  mirent  bientôt  en  révolte  ouverte. 
Deux  chefs  des  Houara,  Abd-el-Djebbar  et  El-Hareth,  s'avancèrent 
avec  leurs  bandes  jusqu'aux  portes  de  Tripoli.  Mais  Abd-er- 
Rahman  ne  se  laissa  point  intimider;  il  attaqua  en  détail  tous  ses 
ennemis,  les  défit  et  les  contraignit  de  rentrer  dans  l'obéissance'. 

Chute  de  la  dynastie  oméïade.  Etablissement  de  la  dynastie 
abbasside.  —  L'anarchie  continuait  à  désoler  l'Orient.  Un  nouveau 
khalife  oméïade,  du  nom  de  Merouan,  avait  renversé  l'infâme 
Ibrahim  et  pris  le  pouvoir;  mais  il  avait  à  lutter  contre  les  kha- 
redjites  et  les  chiaïtes  et,  en  outre,  contre  les  descendants  d'El- 
Abbas,  oncle  du  prophète,  qui  s'étaient  transmis,  de  père  en  fils, 
le  titre  d'imam.  Après  plusieurs  années  de  luttes  acharnées,  Abou- 
l'Abbas-es-Saffah  fut  proclamé  khalife  par  les  abbassides  (30  oc- 
tobre 749).  Merouan,  ayant  marché  contre  ses  troupes,  essuya 
plusieurs  défaites  et  trouva  la  mort  dans  un  dernier  combat 
(août  750).  Avec  lui  finit  la  dynastie  des  oméïades.  Abou-el- 
Abbas-es-Saifah  s'assit  alors  sur  le  trône  de  Damas  et  ainsi  la 
dynastie  des  abbassides  succéda  à  celle  qui  avait  été  fondée  quatre- 
vingt-dix  ans  auparavant  par  le  Mekkois  Moaouïa. 

Abd-er-Rahman  fit  aussitôt  reconnaître  en  Ifrikiya  l'autorité 
abbasside  et  fut  confirmé  par  le  nouveau  khalife  dans  les  fonctions 
qu'il  avait  usurpées. 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  I,  p.  219,  276.  En-Nouéiri,  p.  364  et  siiiv. 


CHAPITRE  IV 

RKVOLTE  KIIAIIEDJITE.  FONDATIONS  DE  ROYAUMES  INDÉPENDANTS 

750  -772 

Situation  des  Rerljères  <lu  Mag'reij  au  milieu  du  viii«  siècle.  —  Victoire  de 
Abd-er-Rahinan  ;  il  se  déclare  indépendant.  —  Assassinai  de  Abd-er- 
Rahman.  —  Lutte  entre  Ei-Yas  et  El-Iiahib.  —  Prise  et  pillape  de  Kaïrouan 
par  les  Ourfeddjouma.  —  Les  MiUnaca  fondent  nn  royaume  <à  Sidjilmassa. 
—  Guerres  civiles  en  Espaf^ne.  — •  L'oméiade  Abd-er-Rahman  débarque  en 
Espagne.  —  Fondation  de  l'empire  oméïade  d'Espagne.  —  Les  Ourfed- 
djouma sont  vaincus  par  les  Eïljadites  de  l'Ifrikiya.  —  Défaites  des  Khare- 
djites  par  Ibn-Aclrath.  —  Ibn-Achath  rétablit  à  Kaïrouan  le  siège  du 
gouvernement.  —  F'ondalion  de  la  dynastie  rostemide.  —  Gouvernement 
d'El-Ar'leb-ben-Salem.  —  Gouvernement  d'Omar-ben-IIafs  dit  Ilazarmed.  — 
Mort  d'Omar.  —  Prise  de  Kaïrouan  par  les  kliaredjites.  . 

Situation  des  Berbères  du  Mag  reb  au  milieu  du  \m'^  siècle. 
—  Après  la  mort  de  Klialed,  chef  des  Zenala,  le  commandement 
de  ces  tribus  était  échu  à  Abou-Korra,  des  Beni-Ifrene.  Ces  schis- 
matiques,  toujours  en  révolte  contre  le  khalifat,  s'étaient  établis 
<à  Tlemcen  et  exerçaient  leur  suprématie  sur  la  partie  méridionale 
et  occidentale  du  Mag'reb  central'. 

Le  Mag'reb  extrême  était  également  indépendant.  Dans  la  vallée 
de  la  Moulouia,  dominait  la  tribu  des  Miknaça,  dont  l  influence 
d  étendait  jusque  sur  les  oasis  du  désert  marocain  -. 

Enfin,  sur  le  littoral  de  l'Atlantique,  les  Berg'ouata  avaient 
acquis  une  grande  puissance.  Un  certain  Salah,  fils  de  Tarif,  venait 
s'y  créer  un  nouveau  schisme.  Il  se  faisait  passer  pour  prophète 
et  avait  composé  en  langue  berbère  un  nouveau  Koran.  Un  certain 
nombre  de  pratiques  du  culte  avaient  été  modifiées  par  lui.  Nous 
verrons,  sous  les  descendants  de  ce  prophète,  ce  schisme  devenir 
un  sujet  de  guerres  implacables  entre  les  Berbères^. 

Ainsi,  de  toutes  parts,  des  tribus  se  disposent  à  entrer  en  scène 
et  à  jouer  un  rôle  prépondérant,  jusqu'à  ce  qu'elles  soient  rem- 
placées par  d'autres,  après  s'être  usées  dans  les  luttes  politiques. 

1.  Ibu-Khaldoun,  t.  III,  p.  199. 

2.  lùid.,  t.  I,  p.  259. 

3.  Ihid.,  t.  II,  p.  125  et  suiv.  El  Bekri,  passim. 


RÉVOLTE   KIIAREDJITE  (754) 


239 


Victoires  de  Acd-er-Rahman  ;  il  se  déclare  indépendant.  — 
L'Ifrikiya  avait  été  sinon  pacifiée,  du  moins  réduite  au  silence  ; 
mais  tout  le  Mag'reb  était  encore  en  pleine  insurrection.  Abd-er- 
Rahman  se  décida  à  y  faire  une  expédition  et,  vers  752,  il  alla 
attaquer  Abou-Korra  auprès  de  Tlemcen,  ville  fondée  depuis  peu 
parles  Beni-Ifrene.  Abou-Korra,  soutenu  par  les  tribus  zenètes, 
essaya  en  vain  de  résister;  il  fut  vaincu  et  contraint  d'abandonner 
sa  capitale  aux  Arabes.  Poursuivant  ses  succès,  Abd-er-Rahman 
pénétra  dans  le  Mag'reb  extrême  et  obtint  une  soumission  à  peu 
près  générale  des  Berbères.  Il  est  probable  cependant  que  les 
Berg'ouata  ne  reconnurent  pas  son  autorité,  car  ils  étaient  deve- 
nus fort  puissants.  Salah,  qui  avait  succédé  à  son  père  Tarif,  dans 
le  commandement  de  la  tribu,  s'était  arrogé  le  titre  de  prophète 
et  avait  obtenu  beaucoup  d'adhésions  à  la  nouvelle  doctrine 

De  retour  en  Ifrikiya,  après  avoir  laissé  son  fils  El-Habib  pour 
le  représenter  dans  le  Mag'reb,  Abd-er-Rahman  lança  ses  troupes 
contre  la  Sicile  et  la  Sardaigne.  Les  rivages  de  ces  îles  furent 
livrés  au  pillage  et  les  populations  soumises,  dit-on,  à  la  capita- 
tion. 

Cependant,  en  Orient,  le  khalife  Abou-r3jâfer-el-Mansour  II  avait 
succédé  à  son  frère  Abou-l'Abbas,  décédé  le  9  juin  754.  Le  nou- 
veau khalife  s'empressa  de  confirmer  Abd-er-Rahman  dans  son 
commandement;  mais  les  grands  succès  remportés  par  le  gouver- 
neur, son  éloignement  du  siège  du  khalifat,  avaient  sans  doute 
réveillé  en  lui  des  idées  d'indépendance.  Il  envoya  à  son  souverain 
des  cadeaux  sans  valeur  et  s'excusa  de  ne  pas  lui  offrir  d'esclaves, 
sous  le  prétexte  que  la  Berbérie  n'en  fournissait  pas,  puisque  les 
populations  étaient  musulmanes.  Le  khalife  fut  très  irrité  de  ce 
procédé  et,  après  un  échange  d'observations,  il  adressa  à  son  lieu- 
tenant une  lettre  conçue  dans  des  termes  injurieux  et  menaçants. 
Le  petit-fils  d'Okba  résolut  alors  de  rompre  toute  relation  avec 
son  suzerain  :  s'étant  rendu  en  grande  pompe  à  la  mosquée,  il  y 
prononça  la  prière  publique  ;  puis  il  se  répandit  en  invectives 
contre  le  khalife  abbasside,  se  déclara  délié  de  tout  serment  envers 
lui  et  déchira  les  vêtements  d'investiture  qu'il  avait  reçus  d'Orient. 
Lançant  au  loin  ses  sandales,  il  s'écria  :  «  Je  rejette  aujourd'hui 
son  autorité  comme  je  rejette  ces  sandales.  »  Il  adressa  ensuite, 
dans  toutes  ses  provinces,  un  manifeste  annonçant  sa  déclaration 
d'indépendance. 

Assassinat  d'Abd-er-Rahman.  —  Abd-er-Rahman  avait  pacifié 
1.  Ibu-Khaldouii,  t.  II,  p.l26etsuiv. 


240 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQL'E 


la  Berbérie  et  secoué  le  joug^  du  khalifat;  il  semblait  au  comble  de 
la  puissance,  mais  un  complot  se  tramait  autour  de  lui  et  ses 
propres  frères  préparaient  son  assassinat.  Une  première  conjura- 
tion, dont  les  auteurs  étaient  des  réfugiés  oméïades,  fut  décou- 
verte et  sévèrement  réprimée.  El-Yas,  frère  de  l  émir,  avait 
épousé  la  sœur  d'un  des  conjurés  et  cette  femme  le  poussait  à  la 
vengeance  et  excitait  les  sentiments  de  jalousie  qu'il  éprouvait  en 
voyant  son  frère  tout  disposer  pour  léguer  le  pouvoir  à  son  fils 
El-Habib.  El-Yas  prêta  Toreilleà  ces  incitations  :  il  s'assura  l'appui 
d'un  certain  nombre  d'habitants  de  Kaïrouan,  fit  entrer  dans  le 
complot  son  frère  Abd-el-Ouareth,  et  il  ne  resta  qu'à  attendre  le 
moment  opportun  pour  frapper. 

Un  soir,  El-Yas,  qui  n'avait  voulu  confier  à  personne  le  soin  de 
tuer  son  frère,  demanda  à  être  introduit  dans  ses  appartements. 
Abd-er-Rahman  était  à  moitié  déshabillé,  tenant  sur  ses  genoux 
un  de  ses  jeunes  enfants,  lorsqu'El-Yas  pénétra  auprès  de  lui.  Les 
deux  frères  causèrent  pendant  un  certain  temps,  sans  que  l'assassin 
osât  perpétrer  son  meurtre;  enfin,  cédant  aux  encouragements 
muets  d'Abd-el-Ouareth  qui  se  tenait  derrière  une  portière, 
El-Yas  se  leva,  puis,  se  penchant  comme  pour  embrasser  son 
frère,  enfonça  entre  ses  épaules  un  poignard  qui  lui  traversa 
la  poitrine  ;  Abd-er-Rahman,  bien  que  frappé  à  mort,  essaya  de 
lutter  contre  son  meurtrier,  mais  il  eut  la  main  abattue  en  voulant 
parer  les  coups  et  ne  tarda  pas  à  expirer  couvert  de  blessures. 
Après  cette  horrible  scène,  El-Yas  s'enfuyait  égaré,  lorsque  son 
frère  et  les  conjurés  le  rappelèrent  à  la  réalité  en  lui  demandant 
la  tête  de  la  victime,  afin  que  le  peuple  ne  doutât  pas  de  sa  mort. 
Le  meurtrier  et  .\bd-el-Ouareth  rentrèrent  alors  dans  la  chambre 
et  décapitèrent  le  cadavre  (755). 

Ainsi  périt  cet  homme  remarquable  qui  eût  sans  doute  affermi 
l'empire  indépendant  de  la  Berbérie,  si  le  poignard  fraternel 
n'avait  arrêté  sa  carrière.  Son  fils  El-Habib  alla  à  Tunis  se  réfu- 
gier auprès  de  son  oncle  Ami'an  ' . 

Lutte  entre  El-Yas  et  El-Habib.  —  Dès  que  la  nouvelle  de 
la  mort  d'Abd-Er-Rahman  fut  connue,  le  peuple  se  porta  en  foule 
au  palais  et  El-Yas  se  fit  facilement  reconnaître  pour  son  succes- 
seur ;  pendant  ce  temps,  les  partisans  d'El-Habib  se  réunissaient 
autour  de  lui  à  Tunis.  Bientôt  El-Yas  marcha  sur  cette  ville,  et 


1.  Ibn-Khaldoun,  Hist.  de  l'Afr.  et  de  la  Sicile,  p.  47  delà  trad.  En^ 
Noueiri,  p.  368,  369. 


RÉVOLTE  KIIAREDJITE  (756) 


241 


El-Habib  se  porta  à  sa  rencontre  jusqu'au  lieu  dit  Semindja'.  Les 
armées  se  trouvaient  en  présence  et  l'on  allait  en  venir  aux  mains, 
lorsque  les  deux  parties  acceptèrent  un  arrangement  aux  termes 
duquel  l'autorité  serait  partagée  de  la  manière  suivante  entre  les 
contractants  :  El-Habib  rentrerait  à  Kaïrouan  et  aurait  la  posses- 
sion de  la  région  s'étendant  au  midi  de  cette  ville,  en  y  compre- 
nant le  Djerid  et  le  pays  de  Kasliliya.  Son  oncle  Amran  garderait 
Tunis  et  les  régions  environnantes,  et  El-Yas  aurait  le  comman- 
dement du  reste  de  l'Ifrikiya  et  du  Mag'reb. 

Mais  cette  pacification  froissait  trop  d'ambitions  pour  être 
durable.  El-Yas  commença  par  attaquer  Amran  à  l'improviste  ; 
s'étant  emparé  de  lui,  il  le  lit  mettre  à  mort,  ainsi  que  ses  principaux 
partisans-.  Selon  le  Baïan,  il  se  serait  contenté  de  les  embarquer 
pour  l'Espagne  ;  mais  nous  pensons  qu'il  en  fit  courir  la  nouvelle, 
afin  de  pousser  El-Habib  à  fuir  pour  rejoindre  son  oncle  dans  la 
péninsule.  Celui-ci,  soit  qu'il  fût  tombé  dans  le  piège,  soit  qu'il 
craignît  pour  sa  sécurité,  s'il  restait  dans  le  pays,  se  décida  à 
prendre  la  mer  ;  mais  les  vents  contraires  le  forcèrent  de  descendre 
à  Tabarka.  Aidé  par  des  partisans  de  son  père,  il  s'empara  de  cette 
ville,  et  y  fut  rejoint  par  un  grand  nombre  d'adbérents  qui  le 
poussèrent  à  tenter  le  sort  des  armes  contre  l'usurpateur. 

El-Habib  commença  les  hostilités  en  s'emparant  d'El-Orbos 
(Laribus).  El-Yas  accourut  au  plus  vite  pour  lui  livrer  bataille 
(décembre  755-janvier  75G).  Lorsque  les  deux  partis  se  trouvèrent 
de  nouveau  en  présence  et  au  moment  où  l'action  allait  s'engager, 
El-Habib  s'avança  vers  son  oncle  El-Yas,  et  lui  proposa  de  vider 
leur  querelle  toute  personnelle  par  un  combat  singulier  :  «  Si  tu 
me  tues,  lui  dit-il,  tu  n'auras  fait  que  m'envoyer  rejoindre  mon 
père,  et  si  je  te  tue,  j'aurai  vengé  sa  mort^  » 

El-Yas  essaya  d'abord  de  repousser  cette  proposition,  mais, 
comme  les  yeux  de  tous  étaient  fixés  sur  lui  et  que  chacun  l'accu- 
sait hautement  de  lâcheté,  il  dut,  bon  gré  mal  gré,  accepter  le  duel. 
Les  deux  adversaires  s'étant  donc  précipités  l'un  sur  l'autre, 
El-Yas  porta  à  El-Habib  un  coup  d'épée  qui  s'engagea  dans  sa 
cotte  de  mailles  ;  mais  ce  dernier,  par  une  prompte  riposte,  désar- 
çonna son  oncle  et,  se  jetant  sur  lui  avant  qu'il  eût  eu  le  temps  de 
se  relever,  lui  coupa  la  tête.  Abd-er-Rahman  était  vengé. 

El-Habib,  resté  ainsi  seul  maître  du  pouvoir,  fit  exécuter  les 


1.  A  une  dizaine  de  lieues  au  sud  de  Tuuis,  daus  la  direction  de  Za- 
ghouan. 

2.  En-Nouéïri,  p.  370. 
8.  Ibid.,  p.  371. 

T.  I.  16 


242 


HISTOIRE   I)K  1,'AFRIQrE 


partisans  les  plus  compromis  de  son  oncle,  et  rentra  à  Kaïrouan 
rapportant  comme  trophées  les  têtes  de  ses  ennemis,  presque 
tous  ses  proches  parents.  Quant  à  Abd-el-Ouareth,  il  put  se  réfu- 
gier avec  quelques  partisans  chez  les  Ourfeddjouma. 

Prise  et  pillage  de  Kaïrouan  par  les  Ocrfeddjolma.  — 
C'est  en  vain  qu'El-Habib  avait  pu  compter,  après  son  succès, 
sur  un  peu  de  tranquillité;  les  haines  qui  divisaient  sa  famille 
devaient  poursuivre  jusqu'au  bout  leur  œuvre  destructive  ;  aussi 
les  Musulmans  y  voyaient-ils  un  effet  de  la  malédiction  lancée 
par  le  pieux  Handhala ,  après  avoir  été  déposé  par  Abd-er- 
Rahman. 

Abd-el-Ouareth,  bien  accueilli  par  Acem-ben-Djemil,  chef  des 
Ourfeddjouma,  proclama  l'autorité  du  khalife  El-Mansour,  et  appela 
aux  armes  les  Musulmans.  El-Habib  somma  inutilement  Acem  de 
livrer  son  hôte  ;  il  n'essuya  que  de  dédaigneux  refus  et  se  décida 
à  marcher  en  personne  contre  les  rebelles.  Ayant  laissé  le  com- 
mandement de  Kaïrouan  au  cadi  Abou-Koréïb,  il  partit,  en  757, 
à  la  tète  de  ses  troupes  pour  combattre  les  Ourfeddjouma,  qui 
marchaient  directement  sur  sa  capitale.  Le  sort  des  armes  lui  fut 
funeste  :  après  avoir  vu  son  armée  mise  en  déroute,  il  dut  cher- 
cher un  refuge  à  Gabès.  De  nouvelles  troupes  furent  envoyées  à 
son  secours  par  Abou-Koréïb,  mais  elles  passèrent  sans  coup  férir 
dans  les  rangs  des  rebelles,  alin  de  faire  acte  d'adhésion  au  khalife 
abbasside. 

Acem,  laissant  de  côté  Gabès,  se  porta  rapidement  sur  Kaïrouan. 
Abou-Koréïb,  à  la  tète  d'une  poignée  de  braves,  sortit  pour  les 
repousser,  tandis  que  les  habitants  de  la  ville  se  réfugiaient  dans 
leurs  maisons.  Les  Ourfeddjouma  passèrent  sur  le  corps  de  la 
petite  troupe  d'Abou-Koréïb,  et  l'on  vit  ces  Berbères-kharedjites, 
portant  la  bannière  du  khalife  abbasside,  se  ruer  dans  la  ville  sainte 
d'Okba,  la  profaner  et  se  livrer  à  tous  les  excès.  Acem,  qui  avait 
gardé  le  commandement  pendant  toute  cette  campagne,  car  les 
annales  ne  parlent  plu-  d'Abd-el-Ouareth,  marcha  alors  contre 
El-Habib.  Celui-ci  l'attira  dans  l'Aourès,  où  il  avait  cherché  un 
refuge,  le  défit  et  le  mit  à  mort.  Prenant  ensuite  l'offensive, 
El-Habib  se  porta  sur  Kaïrouan,  mais  il  fut  à  son  tour  défait  et 
tué  par  les  Ourfeddjouma  (mai-juin  757). 

Restés  maîtres  de  Kaïrouan,  les  sauvages  hérétiques  s'attachè- 
rent à  profaner  les  lieux  consacrés  par  les  orthodoxes  :  ils  trans- 
formèrent leurs  mosquées  en  écuries,  soumirent  les  Arabes  aux 
plus  épouvantables  traitements  et  firent  régner  une  terreur  si 
grande  qu'une  partie  de  la  population  se  décida  à  émigrer.  Abd- 


RH-\'OLTE   KIIAREDJITE  (758) 


243 


el-Malek-ben-Abou-el-Djaâda,  qui  avait  remplacé  Acem  comme 
ciief  de  la  tribu,  encourageait  ces  excès 

Les  Miknaça  fondent  un  royaume  a  Sidjilmassa.  —  Pendant 
que  rifrikiya  était  le  théâtre  de  ces  luttes,  le  Mag'reb  demeurait 
livré  à  lui-même.  Les  Berg'ouata  hérétiques  continuaient  à  étendre 
leur  autorité  sur  les  rives  de  TAtlantique  et  jusqu'au  versant  occi- 
dental de  l'Atlas.  Plus  à  l'est,  les  Miknaça  occupaient,  de  plus  en 
plus  fortement,  la  vallée  de  la  Moulouïa,  et  une  partie  de  cette 
tribu  dominait  dans  les  oasis  de  l'Ouad-Ziz.  Ils  avaient  adopté 
depuis  longtemps  les  doctrines  kharcdjites  et,  sous  l'impulsion 
d'un  de  leurs  contribules,  nommé  Bel-Kassem-Semgou,  ils  formè- 
rent à  Sidjilmassa  une  communauté  d'adeptes  de  la  secte  sofrite. 
Vers  758,  ils  se  donnèi'ent  comme  chef  un  certain  Aïça-ben-Yezid, 
le  Noir,  et  construisirent  la  ville  de  Sidjilmassa,  capitale  de  cette 
petite  royauté  indépendante'^. 

Guerres  civiles  en  Espagne.  —  Nous  avons  vu  dans  le  cha- 
pitre précédent  qu'Abou-l'Khattar  avait  rétabli  en  Espagne  la  paix 
entre  les  Musulmans;  mais  les  rivalités  étaient  trop  violentes  pour 
que  cette  pacification  fût  de  longue  durée.  Un  kaïsite  du  nom 
de  Soumaïl-ben-Hatem,  allié  à  Touaba-ben-Selama ,  chef  des 
Djodham,  tribu  yéménite,  leva  l'étendard  de  la  révolte  dans  le 
district  de  Sidona.  Abou-l'Khattar,  ayant  marché  contre  eux,  fut 
vaincu  et  fait  prisonnier  (mai  745).  Touaba  exerça  alors  le  com- 
mandement avec  l'assistance  de  Soumaïl  ;  l'année  suivante  il 
mourut  et  la  lutte  entre  Kelbites  et  Kaïsites  recommença.  Un 
descendant  d'Okba,  nommé  Youçof,  ayant  été  proclamé  gou- 
verneur à  l'instigation  de  Soumaïl,  les  Kelbites  replacèrent  à  leur 
tête  Abou-l'Khattar  ;  mais,  en  747,  celui-ci  fut  fait  prisonnier  et 
mis  à  mort,  après  un  combat  acharné.  Youçof  resta  ainsi  en  pos- 
session d'un  pouvoir  précaire,  tandis  que  les  luttes  fratricides,  les 
vengeances  et  les  meurtres  continuaient  à  décimer  la  race  arabe 
en  Espagne,  au  profit  de  l'élément  bei'bère,  qui  prenait  part  à  ces 
guerres  comme  allié  de  l'un  ou  de  l'autre  parti.  Les  chrétiens,  de 
leur  côté,  n'étaient  pas  sans  tirer  avantage  de  cette  situation.  En 
751,  Pélage  mourut  et  fut  remplacé  par  Alphonse,  fils  de  Pédro, 
qui  forma  la  souche  des  rois  de  Galice  ^ 

1.  En-Nouéïri,  p.  372,  373.  Ibn-Khaldouu,  t.  I,  p.  219. 

2.  El-Bekri,  passim.  Ibn-IChaldoun,  t.  I,  p.  261. 

3.  Dozy,  Hist.  des  Musulmans  d'Espagne,  p.  273  et  suiv.  et  Recherches 
sur  l'hist.  de  l'Espagne,  p.  100.  Rosseuw  Saiut-Hilaire,  Histoire  d'Es- 
pagne, t.  I  et  IL 


244 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


L'oMÉÏADE  Abd-er-Rahman  débarque  en  Espagne.  —  Mais  la  face 
des  choses  allait  changer  profondément  en  Espagne,  par  rétablis- 
sement d'une  nouvelle  dynastie.  Après  le  triomphe  des  Abbassides 
en  Orient,  les  membres  et  les  partisans  de  la  famille  oméïade  qui 
avaient  échappé  à  la  mort  dans  les  combats  furent  recherchés 
avec  le  plus  grand  soin  et  impitoyablement  massacrés.  L'un  d'eux, 
nommé  Abd-er-Rahman,  fils  de  Moaouïa-ben-Hecham,  parvint 
cependant  à  échapper  à  ses  ennemis  '  et  à  passer  en  Afrique,  ac- 
compagné d'un  affranchi  du  nom  de  Bedr  (750).  Après  avoir  sé- 
journé quelque  temps,  caché  dans  une  localité  du  pays  de  Barka, 
il  profita  de  la  déclaration  d'indépendance  d'Abd-er-Rahman- 
ben-Habib  pour  se  rendre  en  Ifrikiya,  puisque  l'autorité  abbasside 
n'y  était  pas  reconnue.  Il  fut  probablement  reçu  à  la  cour  de  ce 
prince,  mais  la  conspiration  des  réfugiés  oméïades  ayant  alors  pro- 
voqué des  mesures  de  rigueur  contre  les  partisans  de  cette  dy- 
nastie, Abd-er-Rahman  fut  encore  obligé  de  fuir.  Il  gagna  les  ré- 
gions de  l'ouest  et  séjourna  à  Tiharet,  puis  chez  les  Mar'ila  ;  il  erra 
ainsi  pendant  cinq  années  et  se  fit  des  amis  parmi  les  tribus  zenètes. 
Ces  Berbères  étaient  en  relation  avec  leurs  compatriotes  d'Espagne 
et,  par  eux,  Abd-er-Rahman  fut  mis  au  courant  des  événements 
dont  cette  contrée  était  le  théâtre.  La  dynastie  oméïade  y  avait  de 
nombreux  partisans  qui  s'empressèrent  d'appeler  chez  eux  le  des- 
cendant de  leurs  princes.  Après  avoir  fait  sonder  le  terrain  et 
même  envoyé  à  Youçof  des  propositions  qui  furent  repoussées  par 
Soumai'l,  Abd-er-Rahman  se  décida  à  passer  en  Espagne.  Il  s'em- 
barqua avec  un  certain  nombre  de  guerriers  zenètes,  sur  un  bateau 
envoyé  par  ses  partisans  de  la  péninsule.  Ce  fut  d'un  point  du  lit- 
toral de  la  province  d'Oran,  occupé  par  la  tribu  des  Mar'ila,  qu'il 
mit  à  la  voile  ^. 

Dans  le  mois  de  septembre  755,  Abd-er-Rahman  débarqua  à 
Almufiecar,  à  égale  distance  de  Grenade  et  de  Malaga.  Youçof  re- 
venait alors  d'une  expédition  à  Saragosse,  expédition  dans  laquelle 
il  avait  commis  de  grandes  cruautés,  à  l'instigation  de  Soumaïl,  et 
soulevé  la  réprobation  générale. 

Fondation  de  l'empire  oméïade  d'Espagne.  —  Cependant  Abd-er- 
Rahman  se  préparait  à  la  lutte,  en  enrôlant  des  guerriers  et  en  se 
ménageant  des  intelligences  dans  le  pays.  Au  printemps  de  l'an- 
née 756,  il  se  mit  en  marche  et  reçut  la  soumission  de  Malaga,  de 

1.  Voir  les  détails  romanesques  de  sa  fuite,  dans  VHist.  des  Musul- 
mans d'Espagne,  p.  229  et  suiv.  et  El  Marrakchi,  édit.  Dozy,  p.  11  et  suiv. 

2.  Ibn-Khaldoun,  t.  \,  p.  249. 


RÉVOLTE   KIlAREn.IITK  (759) 


245 


Xérès,  de  Ronda  et  enfin  de  Séville.  De  là,  il  marcha  sur  Cor- 
doue. 

Youçof,  de  son  côté,  se  préparait  à  la  lutte  ;  il  était  appuyé  par 
la  grande  majorité  des  kaïsites  et  une  partie  des  Berbères.  Tous 
les  Yéménites,  quelques  kaïsites  et  le  reste  des  Berbères  étaient 
avec  Abd-er-Rahman. 

Les  deux  armées  se  rencontrèrent  sur  les  bords  du  Guadalquivir 
et,  séparées  par  ce  fleuve  grossi  par  les  pluies,  tâchèrent  l'une  et 
l'autre  de  gagner  Cordoue  ;  enfin,  le  14  mai,  les  eaux  ayant  baissé, 
Abd-er-Rahman  fit  passer  le  fleuve  à  ses  troupes  sans  être  inquiété 
par  Youçof,  avec  lequel  il  avait  entamé  des  négociations.  Le  len- 
demain ,  le  prétendant  disposa  ses  troupes  pour  la  bataille,  et 
Youçof  essaya  bravement  de  lui  tenir  tête  ;  mais  la  victoire  se  dé- 
cida bientôt  pour  Abd-er-Rahman.  Youçof  et  Soumaïl  échappèrent 
par  la  fuite,  tandis  que  le  prétendant  entrait  en  triomphateur  à 
Cordoue.  Il  montra  une  grande  modération  dans  le  succès. 

Ainsi  se  trouva  fondée  la  dynastie  des  Oméïades  d'Espagne  qui 
devait  briller  d'un  grand  éclat  dans  le  moyen  âge  barbare.  Cette 
province  était  à  jamais  perdue  pour  le  khalifat. 

Youçof  et  Soumaïl  tenaient  encore  la  campagne;  ils  réussirent 
même  à  mettre  en  ligne  une  armée  sérieuse  et  obtinrent  quelques 
avantages.  Mais  la  victoire  demeura  au  prince  oméïade.  En  758, 
Youçof  fut  tué  dans  une  déroute,  et  Soumaïl,  ayant  été  fait  pri- 
sonnier, mourut  dans  un  cachot'.  Ainsi,  Abd-er-Rahman  resta 
seul  maître  du  pouvoir  et  s'appliqua  à  faire  cesser  l'anarchie,  rude 
tâche  dans  un  pays  où  les  Musulmans  étaient  divisés  par  des  haines 
traditionnelles  et  des  rivalités  de  race  et  d'intérêt.  Les  Yéménites, 
auxquels  il  devait  son  succès,  essayèrent  alors  de  reprendre  la  su- 
prématie, et  il  dut  résister  à  leurs  exigences,  en  attendant  qu'il  eût 
à  combattre  leurs  révoltes. 

Les  courses  des  Musulmans  en  Gaule  avaient  à  peu  près  cessé  ; 
cependant  ils  occupaient  encore  la  Septimanie,  avec  Narbonne 
comme  capitale.  En  739  et  740,  Karl  les  avait  expulsés  de  la  Pro- 
vence, après  avoir  défait  et  tué  leur  allié  le  comte  Mauronte.  Peppin 
le  Bref,  ne  leur  laissant  aucune  trêve,  les  chassa  du  pays  ouvert  et 
vint  les  assiéger  dans  Narbonne.  Ils  y  résistèrent  pendant  sept  an- 
nées; enfin,  en  759,  cette  ville  tomba  au  pouvoir  des  Franks,  et  les 
dernières  bandes  musulmanes  rejoignirent,  au  delà  des  Pyrénées, 
leurs  coréligionnaires. 

Les  Ourfeddjouma  sont  vaincus  par  les  Eibadites  de  l'Ifrikiya. 


1.  Makkari,  t.  II,  p.  24. 


246 


HISTOIRE   DK  I,  AHiHjlK 


—  Nous  avons  laissé  les  Oiirfeddjouma  maîtres  de  Kaïrouan  et  se 
livrant  à  toutes  les  violences,  dans  l'ivresse  de  leur  succès.  L'excès 
du  mal,  ou  peut-être  la  jalousie  des  autres  Berbères,  allait  amener 
une  réaction.  Les  Houara,  soulevés  à  la  voix  d'un  Arabe  nommé 
Abou-l'Khattab-el-Moafri,  firent  alliance  avec  des  tribus  zenètes 
voisines  et  vinrent  s'emparer  de  Tripoli.  Ces  tribus  étaient  kha- 
redjites-éïbadites.  Abou-l'Khattab  ayant  marché  sur  Ka'irouan, 
rencontra  Abd-el-Malck  qui  s'était  avancé  au  devant  de  lui,  le 
délit  et  le  tua  dans  une  sanj;lante  bataille  et  s'empara  de  Kaïrouan. 
Les  Ourfeddjouma  et  Xefzaoua,  restés  dans  le  pays,  furent  tous 
massacrés  ;  ils  occupaient  la  capitale  depuis  quatorze  mois  (758-59)'. 

Abou-l'Khattab  nomma  Abd-cr-Rahman-ben-Rostem  gouver- 
neur de  Kaïrouan  ;  puis  il  rentra  à  Tripoli  et,  de  là,  établit  son  au- 
torité sur  toute  la  partie  orientale  de  l'Ifrikiya.  C'était  le  triomphe 
de  la  race  berbère  et  du  culte  kharedjite-éïbadite  ;  après  le  Mag'reb, 
après  l'Espagne,  l'Ifrikiya  secouait  le  joug  des  Arabes,  et  l'on  ne 
comprendrait  pas  pourquoi  le  khalifal  abandonnait  ainsi  les  pro- 
vinces de  l'Ouest,  si  l'on  ne  savait  que  l'Orient  était  encore  le 
théâtre  de  troubles  provoqués  par  des  sectaires. 

Défaite  des  Kiiaredjites  par  Ibn-Aciiatii. —  En  760,  Mohammed- 
ben-Achath,  gouverneur  de  l'Egypte,  fit  marcher  contre  les  re- 
belles de  l'Ifrikiya  une  armée  commandée  par  le  général  Abou- 
rriaouas;  mais  Abou-l'Khattab,  chef  des  éïbadites,  sortit  à  sa 
rencontre  et  lui  infligea  une  défaite  complète,  au  lieu  dit  Mikdas, 
au  fond  de  la  grande  Syrte. 

A  la  nouvelle  de  ce  désastre,  le  khalife  El-Mansour  résolut  d'en 
linir  avec  les  rebelles  d'Occident.  Il  nomma  Ibn-Achath  lui-même 
au  gouvernement  de  l'Afrique  et  lui  envoya  une  armée  de  qua- 
rante mille  hommes  -  fournie  par  les  colonies  militaires  de  Syrie, 
et  plusieurs  oHîciers  distingués,  parmi  lesquels  El-Ar'beb-ben- 
Salem  qui  devait  prendre  le  commandement  dans  le  cas  où  la  cam- 
pagne serait  ftitale  au  gouverneur.  En  761,  l'armée  partit  pour  le 
Mag'reb. 

Abou-l'Khattab,  au  courant  de  ces  préparatifs,  avait  appelé  les 
Berbères  aux  armes,  et  un  grand  nombre  de  contingents  houarides 
et  zenètes  étaient  accourus  sous  ses  étendards.  Il  vint  alors  prendre 
position  à  Sort,  pour  barrer  le  passage  à  l'ennemi,  et  y  fut  rejoint 
par  Ibn-Rostem,  lui  amenant  les  guerriers  de  la  Tunisie.  Un  im- 

1.  Ibu-Khaldouu,  t.  I,  p.220ctsuiv.  Eii-Nouciri,  p.  373.  El-Ivairouani, 
p.  77. 

2.  20.000,  selon  El-Adhari. 


RI^^■OLTE  KHAREDJITI-;  (762) 


247 


meiise  rassemblement,  que  les  auteurs  arabes  portent  à  deux  cent 
mille  bommes,  se  trouva  ainsi  formé.  Ibn-Achatli  n'osa  pas  se  me- 
surer contre  de  pareilles  forces  et  se  contenta  de  rester  en  obser- 
vation, attendant  une  occasion  favorable.  La  désunion,  si  fatale 
aux  Berbères,  vint  alors  à  son  secours.  A  la  suite  d'un  crime 
commis  sur  un  Zenète,  la  discorde  éclata  entre  ses  contribules  et 
les  Houara.  Les  Zenètes  crièrent  à  la  trabison  et  parlèrent  de  se  re- 
tirer, et  l'armée  berbère  désunie  perdit  la  confiance  en  elle-même. 

Ibn-Achatb  profita  babilement  de  la  situation:  après  avoir  laissé 
croire  qu'il  allait  attaquer  les  Berbères,  il  fit  courir  le  bruit  qu'il 
était  rappelé  en  Orient,  leva  précipitamment  son  camp  et  se  mit 
en  retraite.  A  cette  vue,  un  f^rand  nombre  de  Berbères  reprirent 
la  route  de  leur  pays,  tandis  que  les  autres  suivaient  l'armée  arabe. 
Pendant  trois  jours,  Ibn-Acbatli  continua  son  mouvement  de  re- 
traite, suivi  à  distance  par  les  Kbarcdjites,  dont  le  nombre  dimi- 
nuait constamment,  et  qui  néf^lig'eaient  les  précautions  usitées  en 
guerre.  Mais  le  quatrième  jour,  au  matin,  Ibn-Achath,  qui  était 
revenu  sur  ses  pas  pendant  la  nuit,  à  la  tète  de  ses  meilleurs  guer- 
riers, fondit  sur  le  camp  jjerbère  ploni;é  dans  la  sécurité.  En  vain 
Abou-l'Khattab  essaya  de  rallier  ses  soldats,  qui,  surpris  dans  leur 
sommeil  et  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  s'armer,  fuyaient  dans  tous 
les  sens.  En  un  instant  le  camp  fut  pillé  et  l'armée  mise  en  dé- 
route. Les  Arabes  passèrent  au  fil  de  l'épée  tous  les  Kharedjites 
qu'ils  purent  atteindre.  Abou-l'Kbattab  et,  dit-on,  quarante  mille 
Berbères  restèrent  sur  le  cbamp  de  bataille. 

IbN-AcHATH  rétablit  .V  KaÏROUAN  le  siège    du   GOin  ERNEMENT.   

Sans  perdre  un  instant,  Ibn-Achath  se  mit  en  marche  sur  Tripoli, 
tandis  qu'il  envoyait  un  de  ses  lieutenants  poursuivre  les  Houara 
jusqu'au  Fezzan.  Les  contingents  zenètes  s'étant  ralliés  et  ayant 
voulu  faire  tète  furent  mis  en  déroîite,  et  rien  ne  s'opposa  plus  à 
la  marche  des  Arabes.  Après  s'être  emparé  de  Tripoli  sans  coup 
férir,  Ibn-Achath  s'avança  vers  Kaïrouan.  Abd-cr-Rahman-ben- 
Rostem  avait  essayé  d'y  rentrer  après  la  défaite  des  Kharedjites, 
mais  la  population  de  la  ville  l'ayant  repoussé,  il  avait  dû  continuer 
sa  route  vers  l'ouest. 

Ibn-Achath  fut  reçu  à  Kaïrouan  comme  un  libérateur  (fin  jan- 
vier 762).  Il  compléta  la  pacification  de  l'Ifrikiya,  extermina  les 
Kharedjites  et  les  força  à  la  fuite  ou  à  l'abjuration.  Le  général  El- 
Ar'leb,  envoyé  par  lui  dans  le  Zab,  fut  chargé  de  faire  rentrer  les 
populations  zenètes  dans  l'obéissance. 

Le  siège  du  gouvernement  rétabli  à  Kaïrouan,  l'autoi'ité  abbas- 
side  régna  de  nouveau  sur  l'Ifrilviya.  Ibn-.\chath  s'appliqua  à  faire 


248 


insTOiRn  DE  l'afrique 


disparaître  les  traces  des  dévastations  commises  par  les  Kharedjites 
à  Kaïrouan  ;  il  entoura  la  ville  d  une  muraille  en  terre  épaisse  de 
dix  coudées  '  et  compléta  cette  fortification  d'un  large  fossé.  Les 
habitants  rentrèrent  dans  la  capitale,  qui  brilla  d'une  nouvelle 
splendeur. 

Fondation  de  la  dynastie  rostemide  a  Tiiiaret.  —  Cependant 
Abd-er-Rahman-ben-Rostcm,  ayant  continué  sa  route  vers  l'ouest, 
atteignit  Tiharet,  où  il  fut  rejoint  par  un  grand  nombre  de  khared- 
jites des  tribus  de  Nefzaoua,  Louata,  Houara  et  Lemai'a.  Il  se  fit 
reconnaître  par  eux  comme  chef,  et  avec  leur  aide  jeta  les  fonde- 
ments d'une  nouvelle  cité  sur  le  versant  du  Djebel-Guezoul.  Cette 
ville,  qui  fut  nommée  Tiharet  la  neuve,  reçut  sa  famille  et  ses 
trésors  et  devint  la  capitale  de  sa  dynastie  et  le  centre  du  khare- 
djisme  éïbadite  (761).  Ainsi  un  nouveau  royaume  berbère  indé- 
pendant était  formé  dans  le  Mag'reb  central 

Dans  le  Rif  marocain,  la  ville  de  Xokour  avait  été  fondée  quel- 
ques années  auparavant  par  un  chef  arabe,  Salah-ben-Mansour, 
qui  en  avait  fait  un  centre  religieux  orthodoxe.  Les  tribus  r'oma- 
riennes  des  environs,  après  avoir  accepté  sa  foi,  lui  avaient  cons- 
titué une  population  de  sujets  dévoués  qui  avaient  conservé  le 
culte  orthodoxe,  entre  les  hérétiques  Berg'ouata  et  les  kharedjites^. 

Gouvernement  d'El-Arleb-Ijen-Salem.  —  Ibn-.Achath  gouvernait 
depuis  près  de  quatre  ans  l'Ifrikiya,  appliqué  à  rétablir  la  bonne 
marche  de  l'administration  et  à  faire  disparaître  les  traces  de  la 
guerre,  lorsqu'une  révolte  de  sa  propre  milice,  composée  en  ma- 
jorité de  modhèrites,  tandis  qu'il  était  yéménite,  le  força  à  des- 
cendre du  pouvoir  (mai  765).  Un  certain  Aïssa-ben-Moussa,  mi- 
licien khoraçanite,  fut  élu  à  sa  place  par  les  soldats  ;  mais  le  khalife 
El-Mansour,  tout  en  ratiliant  la  déposition  d'Ibn-Achath,  envoya 
le  diplôme  de  gouverneur  à  El-Ar'leb-ben-Salem,  qui  était  resté  à 
Tobna,  aiin  de  garder  la  frontière  méridionale  contre  les  entre- 
prises des  tribus  zenètes.  Il  lui  traça  des  instructions  fort  sages, 
lui  recommandant  de  ménager  la  milice,  sa  seule  force  au  milieu 
des  Berbères,  et  de  combattre  ceux-ci  sans  .  relâche.  El-Ar'leb 
chassa  du  palais  le  gouverneur  d'un  jour  et,  s'étant  emparé  du 
pouvoir,  donna  tous  ses  soins  à  la  mise  en  pratique  des  instructions 
du  khalife  ;  mais  il  avait  à  lutter  contre  une  double  difficulté  : 

1.  El-Kaïrouaui,  p.  78.  El-Bekri,  p.  24  du  texte  arabe. 

2.  Ibii-Khaldoun,  t.  I,  p.  341  et  suiv. 

3.  Ibid.,  t.  II,  p.  137  et  suiv. 


RÉVOLTi::   KIIAREDJITE  (768) 


249 


rindiscipline  de  la  milice,  qui  se  sentait  toute-puissante,  et  l'esprit 
de  révolte  des  Berbères  surexcité  par  le  fanatisme  religieux. 

Nous  avons  vu  précédemment  que  les  Beni-Ifrene,  sous  l'im- 
pulsion de  leur  chef  Abou-Korra,  avaient  fondé  une  sorte  de 
royaume  indépendant  à  Tlemcen.  Les  guerres  civiles,  qui  depuis 
longtemps  absorbaient  les  forces  des  Arabes,  avaient  favorisé  le 
développement  de  la  puissance  des  Beni-Ifrene.  La  présence  d"El- 
Ar'leb  dans  le  Zab  avait  contenu  les  Zenètes,  mais,  en  767,  Abou- 
Korra  leva  l'étendard  de  la  révolte  et,  après  avoir  forcé  ses  voisins 
à  accepter  la  doctrine  sofrile  (kharedjite),  il  les  entraîna  vers  l'est 
par  les  chemins  des  hauts  plateaux  à  la  conquête  de  l'Ifrikiya. 

El-Arleb  marcha  contre  lui,  à  la  tête  de  ses  meilleurs  soldats, 
mais  les  Berbères  ne  l'attendirent  pas  et  cherchèrent  un  refuge 
vers  l'ouest.  Le  général  arabe  était  parvenu  dans  le  Zab  et  voulait 
poursuivre  les  rebelles  jusqu'au  fond  du  Mag'reb,  lorsque  ses 
troupes  se  mutinèrent  et  refusèrent  péremptoirement  de  le  suivre; 
puis  elles  rentrèrent  en  débandade  à  Kaïrouan,  le  laissant  seul 
avec  quelques  officiers  dévoués. 

Dans  l'est,  la  situation  était  grave  :  à  peine  le  gouverneur  avait- 
il  quitté  l'Ifrikiya,  que  le  commandant  de  Tunis,  El-Hassan-ben- 
Harb,  s'était  mis  en  état  de  révolte  et  avait  chassé  de  Kai'rouan 
le  représentant  du  gouverneur.  El-Ar'leb,  accouru  en  toute  hâte, 
réunit  à  Gabès  tous  ses  adhérents  et  se  mit  en  marche  sur  Kaïrouan. 
On  en  vint  aux  mains  non  loin  de  la  ville  et  la  bataille  se  termina 
parla  défaite  et  la  fuite  d'El-Hassan.  Le  gouverneur  rentra  ainsi  en 
possession  de  sa  capitale  ;  mais  bientôt  son  compétiteur,  qui  avait 
formé  une  nouvelle  armée  à  Tunis,  revint  lui  livrer  bataille  sous  les 
murs  mêmes  de  Kaïrouan.  Après  une  lutte  acharnée,  dans  laquelle 
El-Ar'leb  trouva  la  mort,  les  rebelles  furent  complètement  écrasés. 
El-Mokharek,  qui  avait  pris  le  commandement  après  la  mort  du 
gouverneur,  poursuivit  les  fuyards  dans  toutes  les  directions  : 
peu  après  El-Hassan,  qui  avait  d'abord  trouvé  un  asile  chez  les 
Ketama,  fut  mis  à  mort  (sept.  767)  '. 

Gouvernement  d'Omar-ben-Hafs,  dit  IIazarmed. —  En  mars  768, 
Omar-ben-Hafs,  surnommé  Hezarmed^,  désigné  par  le  khalife 
comme  gouverneur  de  l'Ifrikiya,  arriva  à  Kaïrouan  à  la  tête  de 
cinq  cents  cavaliers  et  fut  reçu  par  les  notables  de  la  ville,  sortis  à 
sa  rencontre.  Quelque  temps  après,  il  se  rendit  dans  le  Zab,  afin  d'y 
maintenir  la  tranquillité  et  de  relever  les  murs  de  Tobna,  selon  les 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  I,  p.  220.  En-Noiicïri,  p.  377  et  suiv. 

2.  Ce  mot  signifie  mille  hommes  eu  persan. 


250 


IIISTOIUE   DE   L  AFRIQUE 


ordres  du  khalife.  Cette  position  couvrait  le  sud  contre  les  entre- 
prises des  Zenètes. 

A  peine  le  gouverneur  se  fut-il  éloigné  de  la  Tunisie,  que  les 
tribus  de  la  Tripolitaine  se  révoltèrent,  en  prenant  comme  chef 
Abou-Hatem-Yakoub.  Un  corps  de  cavalerie,  envoyé  contre  eux 
par  le  commandant  de  Tripoli,  fut  défait,  et  un  renfort  arrivé  de 
Zab  éprouva  le  même  sort.  En  même  temps  le  gouverneur  avait  à 
tenir  tête  à  une  attaque  générale  des  Berbères  du  Mag'reb  central, 
entraînés  par  Abou-Korra.  Il  détacha  cependant  son  général  So- 
léïman  et  Tenvoya  contre  les  rebelles  de  Test  ;  mais  Abou-Halem 
le  vainquit  près  de  Gabès  et  vint  mettre  le  siège  devant  Kaïrouan, 
dont  les  fortifications  l'arrêtèrent  (771). 

Dans  le  Zab,  la  situation  d'Omar  devenait  fort  critique  ;  il  s'était 
retranché  à  Tobna  avec  sa  petite  armée  de  cinq  ou  six  mille  cava- 
liers', et  y  était  bloqué  par  des  nuées  de  Kharedjiles.  Abou- 
Korra  avait  amené  quarante  mille  sofrites  fournis  par  les  Beni- 
Ifrene.  Ibn-Rostem,  seigneur  de  Tiharet,  était  là  avec  six  mille 
Eïbadites;  dix  mille  Zenètes  éïbadites  étaient  commandés  par  El- 
Miçouer  ;  enfin  les  Sanhadja,  Ketama,  Mediouna,  etc.,  avaient 
donné  des  contingents.  Omar,  jugeant  que  le  sort  des  armes  ne  lui 
offrait  aucune  chance  de  salut,  employa  la  division  et  la  corruption 
pour  se  débarrasser  de  ses  ennemis.  Il  fit  offrir  à  Abou-Korra  un 
cadeau  de  10,000  dinars  (pièces  d'or),  à  titre  de  rançon  et,  grâce  à 
l'intervention  du  fils  de  celui-ci,  que  son  envoyé  sut  intéresser  par 
des  cadeaux,  il  réussit  à  se  débarrasser  des  Beni-Ifrene,  qui  for- 
maient à  eux  seuls  la  moitié  des  assaillants*. 

Tandis  que  l'armée  kharedjite  était  démoralisée  par  la  nouvelle 
de  cette  trahison,  Omar  envoya  un  corps  de  1,300  hommes  atta- 
quer Ibn-Rostem,  qui  occupait  Tehouda.  Mis  en  déroute,  le  sei- 
gneur de  Tiharet  regagna  comme  il  put  sa  capitale,  avec  les  débris 
de  ses  troupes.  Les  autres  contingents  se  retirèrent  et,  ainsi,  se 
fondit  ce  grand  rassemblement.  Omar,  ayant  enfin  le  passage  libre, 
sortit  de  Tobna,  où  il  laissa  un  corps  de  troupes,  et  se  porta,  à 
marches  forcées,  au  secours  de  Ka'irouan.  Depuis  huit  mois,  cette 
ville,  étroitement  bloquée,  avait  supporté  les  fatigues  d'un  siège 
et  était  livrée  aux  horreurs  de  la  famine.  La  garnison,  épuisée  et 
décimée,  soutenait  chaque  jour  des  combats  pour  repousser  les 
assiégeants.  Déjà  un  certain  nombre  d'habitants,  considérant  la 

1.  D'après  le  B;ii;in,  il  aurait  eu  avec  lui  un  cfTectif  de  15.500  hommes  ; 
mais  les  chitTres  précédents,  dounjs  par  En-îS'ouéiri,  paraissent  plus 
probables. 

2.  Ibn-Khaldoun,  t  I,  p.  223.  t.  III,  p.  200.  Eu-Nouéiri,  p.  379  et  suiv. 


Rlh'OI.TK   KIIAHEDJITE  (771) 


251 


situalion  comme  désespérée,  étaient  allés  i-ejoindre  le  camp  des 
assiégeants. 

Arapproche  du  gouverneur,  Abou-Hatem,  abandonnant  le  siège, 
se  porta  à  sa  rencontre,  mais  Omar,  après  avoir  feint  d'être  dis- 
posé à  lui  offrir  le  combat  près  de  Tunis,  parvint  à  l'éviter  et  put 
opérer  sa  jonction  avec  son  frère  utérin  Djeniil-ben-Saker,  sorti 
de  Kaïrouan.  Tous  deux  rentrèrent  dans  la  ville  et  l'arrivée  du 
gouverneur,  bien  qu'il  n'amenât  qu'un  faible  renfort,  ranima  le 
courage  des  Arabes. 

Mort  d'Omar.  Prise  de  Kaïrouan  par  les  Kharedjites. —  Abou- 
Hâtem  revint  bientôt  à  Kaïrouan  à  la  tête  d'une  nombreuse  armée 
renforcée  des  contingents  d'Abou-Korra  qui,  après  avoir  inutile- 
ment essayé  d'enlever  Tobna,  était  venu  rejoindre  les  Eïbadites  de 
la  Tunisie.  Les  Aral)es  tentèrent  en  A'ain  de  tenir  la  campagne  ;  ils 
furent  forcés  de  se  réfugier  derrière  les  murailles  de  Kaïrouan, 
dont  la  force  et  la  solidité  préserva  la  ville  d  une  chute  immédiate. 
Un  grand  nombre  de  Berbères  accoururent  de  toutes  parts  pour 
se  joindre  aux  assiégeants  et,  selon  les  chroniques,  350,000  Kared- 
jites  se  trouvèrent  réunis  à  Kaïrouan'.  Le  courage  des  assiégés 
fut  inébranlable,  mais  la  famine  vint  augmenter  les  chances  de 
leurs  ennemis.  Lorsque  les  bêtes  de  somme  et  même  les  animaux 
immondes  furent  dévorés,  et  qu'il  fut  reconnu  que  la  position 
n'était  plus  tenable,  Omar  voulut  tenter  une  sortie  pour  se  procu- 
rer des  vivres,  mais  ses  soldats  refusèrent  de  le  laisser  partir,  pré- 
tendant qu'il  se  disposait  à  les  abandonner  et  ne  voulurent  pas 
tenter  eux-mêmes  l'aventure.  «  Eh  bien  !  leur  dit  Omar,  enflammé 
de  colère,  je  vous  enverrai  tous  à  l'alDreuvoir  de  la  mort  !  » 

Sur  ces  entrefaites,  un  messager,  ayant  pu  pénétrer  dans  la  ville, 
apporta  la  nouvelle  que  le  khalife,  irrité  contre  Omar,  se  préparait 
à  envoyer  un  nouveau  général  avec  des  troupes  fraîches,  en  Ifri- 
kiya.  Le  gouverneur  résolut  aussitôt  d'éviter  par  la  mort  l'amer- 
tume d'une  telle  injustice.  Ayant  pris  ses  dernières  dispositions,  il 
se  jeta  comme  «  un  chameau  enragé  »  sur  les  assiégeants,  et  après 
en  avoir  abattu  un  grand  nombre,  il  trouva  la  mort  qu'il  cherchait 
(novembre  771). 

Djemil-ben-Saker,  auquel  le  commandement  avait  été  dévolu, 
entra  alors  en  pourparlers  avec  Abou-Hâtem  et  signa  une  capitula- 
tion par  laquelle  il  lui  livrait  la  ville.  Les  assiégés  avaient  la  liberté 
de  se  retirer  avec  leurs  armes  et  leurs  insignes,  et  le  respect  des 
personnes  et  des  biens  était  garanti.  Djemil  se  dirigea  vers  l'Orient, 


1.  Tous  CCS  chiffres  paraissent  fortement  exagérés. 


252 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


tandis  qu'une  partie  de  la  milice  prenait  la  route  de  Tobna  et  que 
quelques  ofTiciers  passaient  au  service  d'Abou-Hatem. 

Pour  la  deuxième  fois,  en  quelques  années,  les  Karedjiles  ber- 
bères entraient  en  vainqueurs  dans  la  ville  sainte  d  Okba.  Celte 
fois,  il  n"y  eut  pas  de  pillage  ;  Abou-Halem  se  contenta  de  déman- 
teler les  fortifications  de  Kaïrouan.  Du  reste,  il  n"eut  pas  le  loisir 
de  jouir  lontemps  de  ses  succès. 


CHAPITRE  V 


DERNIERS  GOUVERNEURS  ARABES 
772-800 

Yezid-ben  llatem  rétablit  l'autorité  arabe  en  Ifrikiya.  —  Gouvernement  de 
Yezid-ben-Hatem. —  Les  petits  royaumes  berbères  indépendants. —  L'Es- 
pagne sous  le  premier  khalife  oméïade  ;  expédition  de  Charmelagne.  — 
Intérim  de  Daoud-ben-Yezid  ;  gouvernement  de  Rouh-ben-Hatem. —  Edris- 
ben-Abd-Allah  fonde  à  Oulili  la  dynastie  édricide.  —  Conquêtes  d'Edris  ; 
sa  mort. —  Gouvernements  d'En-Nasr-ben-el-lIabib  et  d'El-Fadel-ben-Rouh. 
—  Anarchie  en  Ifrikiya.  —  Gouvernement  de  llertema-ben-Aïan.  —  Gouver- 
nement de  Mohammed-ben-Mokatel. —  Ibrahim-ben-el-Ar'leb  apaise  la  ré- 
volte de  la  milice.  —  Ibrahim-ben-el-Ar'leb,  nommé  gouverneur  indépen- 
dant, fonde  la  dynastie  ar'lebite. —  Naissance  d'Edris  II. —  L'Espagne 
sous  Ilicham  et  El-Hakem.  —  Chronologie  des  gouverneurs  de  l'Afrique. 

Yezid-ben-H.\tem  rétablit  l'ai  torité  arabe  en  Ifrikiya.  —  Lors- 
que la  nouvelle  des  désastres  dont  l  lfrikiya  avait  été  le  théâtre 
parvint  en  Orient,  elle  y  excita  la  plus  violente  indignation.  Le  kha- 
life EI-Mansour  réunit  aussitôt  une  armée  considérable,  formée  de 
troupes  prises  dans  les  colonies  militaires  du  Khorassan,  de  l'Irak 
et  de  Syrie,  en  donna  le  commandement  à  Yezid-ben-Hatem  et  le 
fit  partir  pour  l'Occident  (772). 

Abou-Hatem,  de  son  côté,  réunit  ses  contingents  et,  laissant  le 
commandement  de  Kaïrouan  à  Abd-el-Aziz-el-Moafri,  il  se  mit 
en  marche  sur  Tripoli.  Mais,  à  peine  avait-il  quitté  sa  capitale,  que 
les  miliciens  se  révoltèrent,  chassèrent  Abd-el-Aziz  et  placèrent  à 
leur  tête  Omar-ben-Othman.  Abou-IIatem  revint  sur  ses  pas,  défit 
les  rebelles  et  lança  à  leur  poursuite  un  de  ses  lieutenants  nommé 
Djerid.  Omar,  avec  une  partie  de  ses  miliciens,  avait  cherché  un 
refuge  près  de  Djidjel,  dans  le  pays  des  Ketama.  Djerid  voulut  l'y 
poursuivre,  mais  il  tomba  dans  une  embuscade  et  fut  défait  et  tué. 
Quant  aux  autres  miliciens,  ils  avaient  rejoint  l'armée  arabe  à 
Sort. 

Cependant  Abou-Hatem  s'était  avancé  jusque  vers  Tripoli,  mais, 
lorsqu'il  connut  la  force  de  l'armée  de  Yezid,  il  renonça  à  lutter  con- 
tre elle  en  bataille  rangée  et  alla  se  retrancher  dans  les  montagnes 
de  Nefouça.  Il  occupait  une  position  très  forte  et  ne  craignit  pas 
d'attaquer  l'avant-garde  des  Arabes.  Les  Kharedjites  la  rejetèrent 


254 


IIISTOIHE   DH   I,  AFRIQUE 


sur  le  corps  principal,  puis  ils  regagnèrent  leurs  montagnes.  Yezid 
marcha  alors  contre  les  rebelles  avec  toutes  ses  troupes,  attaqua 
de  front  leurs  retranchements  et  les  enleva  l  un  après  l'autre.  Une 
dernière  et  sanglante  bataille  dans  laquelle  Abou-Hatem  trouva  la 
mort,  consacra  le  triomphe  des  Arabes  (mars  772).  Les  débris  des 
contingents  berbères  tâchèrent  de  regagner  leurs  tribus,  mais  la 
cavalerie  arabe,  lancée  à  leur  poursuite  dans  toutes  les  directions, 
fit  un  grand  carnage  des  karedjites.  Abou-Korra  put  cependant 
rentrer  à  Tlemcen.  En  même  temps,  Abd-er-Rahman,  fds  d"El- 
Habib,  le  seul  officier  arabe  resté  fidèle  à  la  cause  d"Abou-IIalem, 
se  réfugia  avec  un  certain  nombre  d'adhérents  dans  les  montagnes 
de  Ketama'. 

Gouvernement  de  Yezid-ben-Hatem.  —  Vers  la  fin  de  mai,  Yezid, 
qui  avait  assuré  la  pacification  des  provinces  méridionales  en 
noyant  la  révolte  dans  le  sang,  fit  son  entrée  à  Ka'irouan.  Il  s'ap- 
pliqua à  rendre  à  la  ville  toute  sa  splendeur  et  à  faire  oublier  la 
domination  des  Kharedjites. 

Abd-er-Rahman  tint  encore  la  campagne  pendant  huit  mois, 
dans  le  pays  des  Ketama  ;  mais  il  finit  par  succomber  avec  ses 
partisans,  sous  les  efforts  combinés  des  généraux  arabes.  La  ré- 
volte kharedjile  qui,  en  réalité,  était  le  réveil  de  l'esprit  national 
berbère,  semblait  domptée  ;  plus  de  trois  cents  combats  avaient 
été  livrés  et  les  indigènes  avaient  toujours  supporté  le  poids  de  la 
défaite  et  la  sanglante  vengeance  de  leurs  vainqueurs.  Cependant, 
les  Houara  se  soulevèrent  encore,  à  la  voix  d'un  de  leurs  chefs, 
nommé  Abou-Vahïa-ben-Afounas.  Le  commandant  de  Tripoli, 
ayant  marché  contre  eux,  les  défit  non  loin  de  cette  ville.  L'année 
suivante  (773),  un  certain  Abou-Zerhouna  parvint  à  entraîner  les 
turbulents  Ourfeddjounia  à  la  révolte  contre  l'autorité  arabe.  Une 
armée  envoyée  contre  eux  par  Yezid  fut  d'abord  défaite.  Alors 
Mohelleb,  fils  du  gouverneur  qui  commandait  le  poste  de  Tobna, 
sollicita  l'honneur  de  réduire  les  rebelles.  Ayant  reçu  de  son  père 
un  important  renfort,  il  attaqua  vigoureusement  les  Ourfeddjounia, 
les  délogea  de  toutes  leui's  positions  et  en  fit  «  un  massacre  épou- 
vantable. » 

Cette  fois,  les  révoltés  kharedjites  étaient,  sinon  domptés,  du 
moins  réduits  à  l'impuissance.  L'Ifrikiya  put  profiter  de  quelques 
années  de  paix  que  le  gouverneur  employa  aux  embellissements 
de  Ka'irouan.  «  En  774,  dit  En-Nouéïri,  il  fit  rebâtir  la  grande 
mosquée  de  Ka'irouan  et  construire  des  bazars  pour  chaque  mé- 


1.  Ibu-Khaldouu,  t.  I,  p.  222.  t.  III,  p.  200.  Eu-Nouéiri,  p.  384. 


DERNIERS   GOUVERNEURS   ARABES  (792) 


255 


lier.  Ainsi,  on  pourrait  dire,  sans  trop  s'écarler  de  la  vérité,  qu'il 
en  fut  le  fondateur.  »  En  même  temps  il  rétablissait,  par  son  es- 
prit de  justice,  la  sécurité  des  transactions.  El-Kaïrouani  rapporte, 
d'après  rhislorien  Sahnoun,  que  Yezid  se  plaisait  à  dire  :  «  Je  ne 
crains  rien  tant  sur  la  terre  que  d'avoir  été  injuste  envers  quelqu'un 
de  mes  administrés,  quoique  je  sache  cependant  que  Dieu  seul  est 
infaillible'.  » 

Les  petits  royaumes  liERUÈRES  INDÉPENDANTS.  —  Nous  u'avons  pas 
voulu  interrompre  le  cours  des  événements  importants  dont  l'Ilri- 
kiya  était  le  théâtre  ;  mais  il  convient  de  retourner  de  quelques 
années  en  arrière,  pour  reprendi'e  l'historique  des  petites  royau- 
tés du  Mag'reb. 

A  Sidjilmassa,  le  premier  roi  que  la  communauté  des  Miknaça 
s'était  donné,  Aïca-ben-Yezid,  fut  déposé,  en  772,  après  quinze 
années  de  règne,  et  mis  à  mort  par  la  populace.  Abou-l'Kassem- 
Semgou-ben-Ouaçoul,  véritable  fondateur  du  royaume,  fut  élu  à 
sa  place.  Il  forma  la  souche  des  Beni-Ouaçoul,  souvei'ains  de  Sid- 
jilmassa. Cette  oasis  continua  à  être  le  centre  d'une  secte  khared- 
jite  tenant  de  l'éïbadisme  et  du  sofrisme.  Ces  liérétiques  pronon- 
çaient la  prière  au  nom  du  khalife  abbasside,  dont  ils  se  déclaraient 
les  vassaux-. 

Les  Berg'ouata,  dirigés  par  leur  prophète,  le  mehdi'  Salah, 
continuaient  à  vivre  indépendants,  dans  le  Mag'reb  exti-ême,  et  à 
propager  leurs  doctrines  hérétiques.  Après  un  long  règne  de  près 
d'un  demi-siècle,  Salah  mourut  (vers  792),  en  laissant  le  pouvoir 
à  son  fds  El-Yas*. 

Dans  le  Rif  marocain,  à  Nokour,  Saïd,  petit-fds  d'un  autre  Salah, 
était  en  possession  de  l'autorité  et  maintenait  l'exercice  du  culte 
orthodoxe  sur  le  littoral  de  la  Méditerranée  ^. 

A  Tlemcen  et  dans  le  sud  du  Mag'reb  central,  les  Beni-Ifrene 
régnaient  en  maîtres  et  étendaient  chaque  jour  leur  influence. 
Leurs  cousins,  les  Mag'raoua,  commençaient  à  envahir  les  plaines 
de  cette  région  et  à  devenir  redoutables  par  leur  nombre  et  leur 
puissance. 

Enfin,  Abd-er-Rahman-ben-Rostem,  à  Tiharet,  avait  continué 

1.  Él-Kaïrouani,  p.  79.  Eii-Nouéïrl,  p.  385. 

2.  Ibn-Khaldoun,  L.  I,  p.  262.  El-Bekri,  p.  149  du  texte  arabe. 

3.  Ce  titre,  que  nous  reverrous  souvent  apparaître,  a  été  pris  par  un 
grand  nombre  d'agitateurs  musulmans:  on  peut  le  rendre  par:  Messie. 

4.  Ibn-Khaldonn,  t.  II,  p.  125  et  suiv.  El-Bekri,  passim. 

5.  Ihid.,  t.  II,  p.  138,  139. 


256 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


à  recueillir  les  réfugiés  de  toutes  les  tribus  appartenant  à  la  secte 
éïbadite,  dont  il  était  le  chef  reconnu. 

Partout  ailleurs,  dans  les  deux  Mag'reb,  les  tribus  berbères 
vivaient  dans  l'indépendance  la  plus  complète.  ^lais  on  voit,  par 
ce  qui  précède,  que  cette  race  tendait  à  abandonner  l'état  démo- 
cratique pour  grouper  ses  forces  en  formant  de  petites  royautés 
autonomes. 

L'Espagne  sous  le  premier  khalife  oméaïde.  Expédition  de  Char- 
LEMAGNE.  —  Nous  avous  laissé  l  oméiade  Abd-er-Rahman  seul 
maître  du  pouvoir  à  Gordoue,  après  avoir  triomphé  de  Youçof.  Il 
n'eut  pas  le  loisir.de  jouir  longtemps  de  son  succès,  car  l'anarchie 
était  devenue  un  état  normal  pour  les  Musulmans  d'Espagne  et  ils 
avaient  perdu  l'habitude  d'obéir  à  un  seul  maître.  Ce  ne  fut,  du- 
rant des  années,  qu'une  suite  de  révoltes  :  Yéménites,  Berbères, 
Fihrites  (descendants  d'Okbal,  s'évertuèrent  à  renverser  le  trône 
oméïade  à  peine  assis. 

En  763,  El-Ala-ben-Moghit,  nommé  gouverneur  de  l'Espagne 
par  le  khalife  El-Mansour,  débarqua  dans  la  province  de  Béja  et 
arbora  le  drapeau  noir  des  abbassides.  Aussitôt ,  yéménites  et 
fihrites  accourent  se  ranger  autour  du  représentant  de  l'autorité 
légitime,  et  tous  viennent  assiéger  Abd-er-Rahman  qui  s'était 
retranché  dans  la  place  forte  de  Carmona.  Le  siège  durait  depuis 
deux  mois  et  la  situation  des  assiégés  était  des  plus  critiques, 
lorsque  le  prince  oméïade,  prenant  une  résolution  désespérée,  se 
mit  à  la  tête  de  ses  meilleurs  guerriers,  sortit  de  la  ville  et,  se 
jetant  avec  impétuosité  sur  le  camp  des  assiégeants,  s'en  rendit 
maître  et  tailla  en  pièces  ses  ennemis.  On  dit  qu'ayant  coupé  les 
têtes  des  principaux  chefs,  parmi  lesquels  El-Ala,  il  les  fit  saler, 
après  avoir  attaché  à  l'oreille  une  étiquette  indiquant  le  nom  de 
chacun,  et  expédia  le  tout,  roulé  dans  les  débris  du  drapeau  noir 
et  enveloppé  d'un  sac,  au  khalife  abbasside.  En  recevant  le  funèbre 
envoi,  El-Mansour  se  serait  écrié  :  «  Je  rends  grâce  à  Dieu  de  ce 
qu'il  y  a  une  mer  entre  moi  et  un  tel  ennemi  !  '  »  Abd-er-Rahman 
triompha  ensuite  de  cette  révolte  et  traita  avec  la  dernière  rigueur 
ceux  qui  s'y  étaient  compromis. 

En  706,  une  grande  in>urrection  éclata  parmi  les  Berbères  à  la 
voix  d'un  illuminé  du  nom  de  Chakia,  qui  se  faisait  passer  pour  un 
descendant  du  prophète  et  avait  pris  le  nom  de  Abd-AUah-ben- 
Mohammed.  Il  était  originaire  d'une  fraction  des  Miknaça,  passée 
en  Espagne  lors  de  la  première  invasion  et  devenue  très  puissante. 

1.  Dozy,  Hisl.  des  Musulmans  d' Espagne,  p.  367. 


DEiîNiEns  Gou\'i;[{Ni:ifns  ARAuns  (777)  257 

Il  proclama  l'autorité  abbasside,  obtint  de  grands  succès  et, 
durant  neuf  années,  tint  en  échec  la  puissance  d'Abd-cr-Rahman. 
Ce  prince  parvint  enfin  à  écraser  ses  adhérents  et  à  le  faire 
assassiner. 

Sur  ces  entrefaites,  trois  chefs  arabes  formèrent  un  nouveau 
complot,  c'étaient  :  le  kelbite  el-Arbi,  gouverneur  de  Barcelone, 
le  fihrite  Abd-er-Rahman-ben-Habib,  surnommé  le  Slave,  gendre 
de  Youçof,  et  un  fils  de  Youçof,  appelé  Abou-el-Asouad.  La  gloire 
de  Charlemagne  étantparvenue  jusqu'à  eux,  ils  résolurent  de  solli- 
citer son  concours  et,  à  cet  effet,  se  rendirent,  en  777,  à  Pader- 
born  et  proposèrent  au  grand  conquérant  de  lui  ouvrir  l'Espagne. 
Charles  accueillit  leurs  ouvertures  et  leur  promit  de  conduire  une 
armée  dans  la  péninsule.  El-Arbi  devait  l'appuyer  avec  tous  ses 
adhérents,  au  nord  de  l'Ebre,  et  le  faire  reconnaître  comme  sou- 
verain de  cette  région,  tandis  que  le  Slave  irait  chercher  des 
Berbères  en  Afrique  et  occuperait  avec  eux  la  province  de  Murcie. 

Ce  plan,  si  bien  combiné,  pécha  dans  l'exécution  :  le  Slave  arriva 
le  premier,  avec  un  certain  nombre  de  Berbères,  et  demanda  des 
secours  à  El-Arbi;  mais  celui-ci  lui  objecta  que,  selon  leur  traité, 
il  ne  devait  pas  franchir  l'Ebre.  Irrité  de  ce  qu'il  appelait  une 
trahison,  le  Slave  marcha  contre  El-Arbi,  fut  battu  et  forcé  de 
rentrer  dans  la  province  de  Murcie,  où  il  périt  assassiné. 

Lorsque  Charlemagne  eut  franchi  les  Pyrénées,  il  ne  trouva,  pour 
l'appuyer,  qu'El-Arbi  et  quelques  ofTiciers,  tels  qu'Abou-Thaur, 
Abou-l'Asouad  et  le  comte  de  Cerdagne.  Au  lieu  de  voir,  comme 
on  le  lui  avait  promis,  toutes  les  places  lui  ouvrir  leurs  portes,  il 
dut  commencer  par  entreprendre  le  siège  de  Saragosse,  où  com- 
mandait un  fanatique,  ne  voulant  aucune  alliance  avec  les  chré- 
tiens. Tandis  qu'il  était  devant  cette  place,  il  reçut  la  nouvelle  que 
Witekind  et  les  Saxons  avaient  repris  les  armes  et  menaçaient 
Cologne.  Force  lui  fut  de  lever  le  siège  et  de  reprendre  au  plus 
vite  la  route  du  Nord;  il  passa  par  la  vallée  de  Roncevaux,  où  son 
arrière-garde  tomba  dans  une  embuscade  tendue  par  les  Basques. 

Ainsi  Abd-er-Rahman  avait  échappé  au  plus  grave  danger  qu'il 
eût  encore  couru,  et  cela  sans  faire  aucun  effort  personnel.  .Après 
le  départ  des  Franks,  il  s'appliqua  à  combattre  isolément  tous  ses 
adversaires  et,  par  sa  persévérance  et  son  implacable  cruauté, 
arriva  enfin  à  briser  toutes  les  résistances.  Ne  pouvant  compter 
sur  les  Musulmans  d'Espagne,  il  appela  d'Afrique  un  grand  nombre 
de  Berbères  et  même  de  nègres  et  en  forma  une  armée  dévouée, 
sans  aucun  lien  avec  les  gens  du  pays  ^ 


1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t   I  p.  370  et  suiv. 

T.  I. 


17 


258 


HISTOIRE   DE   L  Af  RIQI  E 


Pendant  que  le  khalife  oméïade  était  absorbé  par  ces  luttes, 
Alphonse,  roi  des  Asturies,  étendait  les  limites  de  ses  provinces  et 
arrachait  la  Galice  aux  Musulmans.  Ce  prince  termina  son  glorieux 
règne  en  759,  et  fut  remplacé  par  son  fils  Froïla.  Lugo,  Porto, 
Zamora,  Saiamanque  et  une  partie  de  la  Castille  étaient  en  son 
pouvoir.  Il  mourut  en  769,  léguant  la  couronne  à  son  fils  Aurélio'. 

Intérim  de  Daoud-ben-Yezid.  —  Gouvernement  de  Rouh-ben- 
Hatem.  —  En  787,  Yezid-Ben-Hatem  cessa  de  vivre,  après  avoir 
exercé  le  pouvoir  durant  près  de  quinze  années.  L'Afrique  avait 
joui  d'une  période  de  tranquillité  bien  nécessaire  après  tant  de 
luttes.  Aussitôt  après  la  mort  du  gouverneur,  les  Nefzaoua  se  révol- 
tèrent et,  conduits  par  l'un  des  leurs,  nommé  Salah-ben-Nacir, 
attaquèrent  leurs  voisins  et  les  contraignirent  à  adopter  la  doctrine 
éïbadite,  puis  ils  envahirent  le  Tel  et  s'avancèrent  jusqu'à  Badja. 
Le  commandant  de  Tobna  ayant  marché  contre  eux  fut  défait  près 
de  cette  ville. 

Daoud,  fils  de  Yezid,  qui  avait  pris  la  direction  des  affaires 
après  la  mort  de  son  père,  envoya  alors  contre  les  insurgés  le 
général  Soléïman  avec  dix  mille  cavaliers.  Les  Kharedjites,  vaincus 
dans  une  première  rencontre,  se  reformèrent  à  Sikka  (le  Kef)  ; 
mais  Soléïman  les  y  poursuivit  et  les  dispersa,  après  en  avoir  tué 
un  grand  nombre.  Ainsi  la  révolte  se  trouva  encore  une  fois  apaisée. 
Daoud  administrait  depuis  plus  de  neuf  mois  l  lfrikiya,  lorsque  le 
khalife  Haroun-cr-Rachid  le  remplaça  par  son  oncle  Rouh-ben- 
Hatem,  et,  pour  le  récompenser  de  ses  serviçes,  lui  conféra  le  gou- 
vernement de  l'Egypte. 

Au  commencement  de  l'année  788,  Rouh  arriva  à  Kaïrouan  et 
prit  en  main  l'autorité.  C'était  un  homme  prudent  et  expérimenté 
qui,  au  lieu  de  pousser  les  indigènes  à  la  révolte  par  de  durs  trai- 
tements, jugea  préférable  de  composer  avec  eux.  Abd-er-Rahman- 
ben-Rostem  était  mort  à  Tiharet,  quelque  temps  auparavant,  et 
avait  été  remplacé  par  son  fils  Abd-el-Ouahab.  Ce  chef  adressa  au 
gouverneur  de  Kaïrouan  des  propositions  d'alliance  qui  furent 
acceptées,  et  un  traité  de  paix  fut  signé  entre  le  représentant  du 
khalife  et  le  chef  du  kharedjisme  éïbadite". 

Edris-ben-Abdai.i,ah  fonde  a  Oclili  la  dynastie  edriside.  — 
Ainsi  l'autorité  arabe  s'affaiblissait  chaque  jour  en  Afrique  ;  une 

1.  Dozy,  Recherches  sur  l'hist.  de  l'Espagne,  p.  101. 

2.  Ibu-Khaldoun,  t.  I,  p.  224.  Eii-Noueiri.  p.  387,  388. 


DERNIERS   GOL'VERNErKS   ARABES  (788) 


239 


nouvelle  dynastie  allait  s'établir  dans  le  Mag'reb  et  consacrer  la 
perte  définitive  de  cette  contrée  pour  le  khalifat. 

Nous  avons  vu  précédemment  qu'après  l'assassinat  du  khalife 
Ali,  gendre  de  Mahomet,  ses  partisans  avaient  en  vain  essayé  de 
faire  obtenir  le  trône  à  ses  enfants.  Vaincus,  les  Alides  n'avaient 
pu  empêcher  rétablissement  de  la  dynastie  oméïade;  mais  ils 
avaient  formé  une  vaste  société  secrète  et  s'étaient  donné  le  nom 
de  Chiaïtes  fco-ayants-droit).  Ils  avaient  continué  à  compter  en 
secret  le  rèj^ne  des  descendants  d'Ali,  seuls  khalifes  légitimes,  et 
n'avaient  cessé  d'attendre  le  moment  de  reconquérir  le  pouvoir. 
Sous  le  règne  de  l'abbasside  El-Mansour,  deux  des  descendants 
d'Ali,  croyant  l'heure  arrivée,  avaient  levé  les  armes  ;  mais  la  victoire 
s'était  prononcée  pour  leur  adversaire  et  la  révolte  avait  été 
étouffée  dans  le  sang.  Après  la  mort  d'El-Mansour,  un  alide  du 
nom  de  Hocéïne,  petit-fils  de  Ilaçan  II,  se  mit  en  révolte  contre 
le  khalife  El-Mehdi  ;  mais  il  l'ut  vaincu  et  tué  à  la  bataille  de  Fekh, 
près  de  La  Mekke,  et  presque  tous  ses  adhérents  périrent  mas- 
sacrés (787). 

Un  oncle  deHocéïn,  nommé  Edris-ben-Abd-Allah,  avait  échappé 
au  désastre  de  Fekh  ;  il  se  tint  soigneusement  caché  et  put  se 
soustraire  aux  minutieuses  recherches  ordonnées  par  le  khalife. 
Son  signalement  avait  été  envoyé  à  tous  les  commandants  militaires, 
et  des  postes  furent  établis  sur  les  routes  afin  de  l'arrêter  s'il  ten- 
tait de  sortir  de  l'Arabie.  En  dépit  de  ces  précautions,  Edris  parvint, 
grâce  au  dévouement  de  son  afFranchi  Rached,  à  gagner  l'Egypte  ; 
de  là,  il  partit  pour  l'ouest,  vêtu  d'une  robe  de  laine  et  coiffé  d'un 
turban  grossier.  Pour  mieux  tromper  les  agents  du  khalife,  Rached 
lui  donnait  des  ordres  comme  à  un  domestique,  et  il  put  sous  ce 
déguisement  atteindre  le  fond  du  Mag'reb.  Après  avoir  séjourné  à 
Tanger,  il  gagna  Oulili',  près  d'une  des  sources  du  Sebou,  dans 
les  montagnes  des  Aoureba,  et  fut  bien  accueilli  par  ces  Berbères, 
dont  le  chef  Abou-Léïla-Ishak  lui  jura  fidélité.  Ainsi,  c'était  loin 
de  sa  patrie,  et  au  milieu  de  populations  sauvages,  que  le  des- 
cendant de  Mahomet  trouvait  la  sécurité  et  pouvait  faire  recon- 
naître ses  droits.  \'ers  la  fin  de  l'année  788,  Edris  se  proclama 
indépendant  et  obtint  l'appui  des  Zouar'a,  Louata,  Seddrata,  Riatha, 
Nefza,  Mar'ila,  Miknaca  et  même  d'une  partie  des  R'omara-. 

Ayant  reçu  des  contingents  de  ces  tribus,  Edris  étendit  son 

1.  L'antique  Volubilis,  où  fut  ensuite  construite  la  ville  de  Fès. 

2.  Ibu-Khaldoun,  t.  I,  p.  209,  239,  290,  t.  II,  p.  559  et  suiv.  Roudh- 
El-Karlas,  trad.  Benumier,  p.  12  et  suiv.  El-Bekri,  trad.  de  Slaue,  art. 
Idiicides. 


260 


IIISTOIIΠ  m:   I.  Al'lUQCE 


autorité  sur  les  régions  du  Mag  reb.  Quelques  populations  d'orig^ine 
ancienne,  débris  de  vieilles  tribus,  les  Fendelaoua,  Behloula, 
Fazaz,  etc.,  avaient  trouvé  un  refuge  dans  ces  montagnes  reculées, 
et  y  avaient  conservé  le  culte  Israélite  ou  chrétien.  Le  descendant 
du  prophète  les  força  à  professer  l  islamisme.  Il  alla  ensuite  réduire 
les  populations  de  Mediouna,  au  delà  de  la  Moulouïa,  puis  passa 
dans  le  Temesna  et  en  fit  la  conquête,  ainsi  que  de  Tedla  et  de  la 
ville  de  Chella,  régions  dans  lesquelles  le  paganisme  avait  encore 
des  adeptes. 

Conquêtes  d'Edris  ;  sa  mort.  —  Devenu  ainsi  maître  d'un  vaste 
territoire,  Edris  s'y  fit  proclamer  khalife,  et  imam  ou  chef  de  la 
religion  orthodoxe.  L'année  suivante,  il  marcha  vers  l'est,  contre 
les  Beni-Ifren  et  Mag'raoua  hérétiques  et,  par  conséquent,  enne- 
mis. Parvenu  auprès  de  Tlemcen,  il  reçut  la  soumission  du  chef  de 
ces  ZenèLes,  Mohammed-ben-Khazer,  qui  avait  remplacé  Abou- 
Korra.  Edris  entra  dans  Tlemcen  sans  coup  férir  et  séjourna  un 
certain  nombre  de  mois  dans  celte  ville,  où  il  construisit  la  mosquée 
qui  porta  son  nom.  Après  avoir  fait  une  tentative  infructueuse 
pour  aballre  la  puissance  des  RosLemides  de  Tiharct,  il  reprit  le 
chemin  d'Oulili,  laissant  à  Tlemcen,  pour  le  représenter,  son  frère 
Soleïman  (790). 

Mais,  tandis  que  le  nouveau  souverain  de  Mag'reb  se  disposait 
à  poursuivre  ses  conquêtes,  sa  perte  se  tramait  en  Orient.  Le 
khalife  Haroun-er-Rachid  ne  pouvant  le  combattre  par  les  armes, 
dans  ce  pays  éloigné,  résolut  de  s'en  débarrasser  par  un  moyen 
qui  lui  était  familier,  l'assassinat.  Un  certain  Soléïman-ben-Horéïz, 
surnommé  Ech-Chemmakh,  alTilié  à  la  secte  des  Za'i'diya,  fut  envoyé 
par  lui,  dans  ce  but,  en  Mag'reb.  Il  se  présenta  à  la  cour  d'Edris 
comme  médecin  et  comme  déserteur  du  parti  abbasside  ;  ayant,  au 
moyen  de  ce  double  titre,  capté  la  confiance  d'Edris,  il  parvint  un 
jour  à  éloigner  le  fidèle  Rached,  et  en  profila  pour  empoisonner 
son  maître.  Lorsqu'il  fut  certain  de  sa  mort,  il  monta  à  cheval  et 
reprit  en  toute  hâte  la  route  de  l'est;  mai?  Rached  fut  bientôt  sur 
ses  traces  et,  l'ayant  atteint  près  de  la  jMoulouïa,  engagea  avec  lui 
un  combat  dans  lequel  chacun  des  adversaires  reçut  plusieurs 
blessures.  Ech-Chemmakh  put  néanmoins  traverser  la  rivière  et, 
tout  sanglant,  continuer  sa  route. 

Edris  fut  enterré  à  Oulili  (793).  II  ne  laissait  pas  d'enfants,  et  le 
khalife  pouvait  croire  cette  dynastie  éteinte.  Mais  nous  verrons 
plus  tard  qu'une  de  ses  concubines,  la  Berbère  Kenza,  était  enceinte 
et  que,  grâce  à  l'adresse  et  à  la  prudence  de  Rached,  le  royaume 
cdricide  fut  conservé  à  l'enfant  posthume  de  son  fondateur. 


DKRMKRS  GorvERNrrns  ARAItnS  (794)  2()1 

Gouvernements  D"EN-NAsn-nEN-EL-HABiR  et  d'El-Fadel-ben  - 
RouH.  —  En  Ifrikiya,  le  vieux  gouverneur  Rouh-ben-Hatem  était 
mort  (791),  et  avait  désigné  pour  lui  succéder  son  fils  Kabiça.  Mais 
Haroun-er-Rachid  n'entendait  pas  que  la  fonction  de  gouverneur 
se  transmît  par  hérédité  dans  son  empire  :  prévenu  de  la  fin  pro- 
chaine de  Rouh,  il  envoya,  pour  le  remplacer  en  Ifrikiya,  Nasr- 
ben-el-Habib.  Cet  officier  arriva  à  Kaïrouan  au  moment  où  Kabiça 
venait  de  se  faire  reconnaître  comme  émir;  ayant  montré  son 
diplôme,  il  reçut  le  serment  de  la  population  et  des  troupes.  Il 
exerça,  pendant  deux  ans,  le  pouvoir  avec  équité;  mais,  en  793, 
El-Fadel,  autre  fils  de  Rouh,  obtint  du  khalife  sa  nomination  au 
poste  qui  avait  été  occupé  par  son  père,  et  vint  prendre  possession 
du  commandement  à  Kaïrouan  (mai  793). 

Peu  de  temps  après,  la  milice  syrienne  en  garnison  à  Tunis  se 
révolta  contre  le  gouverneur  de  cette  ville,  El-Moréïra-ben-Bachir, 
neveu  d'El-Fadel,  dont  la  conduite  imprudente  et  les  exactions 
avaient  soulevé  l'opinion  publique.  Le  chef  de  celte  sédition,  Abd- 
AUah-ben-Djaroud,  écrivit  à  EI-Fadel  pour  faire  connaître  les 
griefs  de  la  population,  et  aussitôt  un  autre  commandant  fut 
envoyé  à  Tunis  ;  mais  les  gens  qui  s'étaient  portés  à.  sa  rencontre 
le  mirent  à  mort  et  cette  sédition  se  changea  en  révolte  ouverte. 
Les  commandants  des  places  voisine^,  gagnés  par  les  promesses  ou 
par  l'argent,  firent  cause  commune  avec  les  rebelles.  El-Fadel, 
ayant  marché  avec  ses  troupes  contre  Abd-Allah,  fut  défait  par 
celui-ci  et  ne  put  l'empêcher  de  s'emparer  de  Kaïrouan.  Ayant 
été  lui-même  fait  prisonnier,  il  fut  massacré  par  les  soldats,  malgré 
l'opposition  d'Ibn-el-Djaroud  (794). 

Anarchie  en  Ifrikiya.  —  Cependant  le  commandant  d'El- 
Oi'bos,  nommé  Chemdoun,  se  déclara  hautement  contre  les  re- 
belles, fit  alliance  avec  plusieurs  autres  chefs,  parmi  lesquels  son 
collègue  de  jNIila,  et  recueillit  Moréïra  et  tous  les  adhérents  de  la 
cause  légitime,  .\yant  marché  contre  l'usurpateur,  il  éprouva  une 
première  défaite  ;  mais,  bientôt,  El-.\la-ben-Sa'id,  gouverneur  du 
Zab,  vint  le  rejoindre  avec  de  nouveaux  contingents,  et  tous  mar- 
chèrent sur  Kaïrouan. 

Sur  ces  entrefaites,  Ibn-Djaroud,  ayant  appris  que  le  khalife  avait 
nommé  comme  gouverneur  de  l'Ifrikiya  Ilertema-ben-Aïan,  et 
qu'en  attendant  son  arrivée,  un  officier  du  nom  de  Yaktin  allait 
venir  avec  la  mission  de  pacifier  la  milice,  se  porta  au  devant  de 
l'envoyé  pour  tâcher  de  transiger  avec  lui  ou  de  détourner  le 
coup  qui  le  menaçait.  En  vain,  Yaktin  pressa  le  rebelle  de  déposer 
les  armes  :  Ibn-Djaroud  refusa  sous  le  prétexte  que,  s'il  abandon- 


262 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


nait  Kaïrouan,  cette  ville  serait  livrée  au  pillafrc  par  les  Berbères 
au  service  de  ses  ennemis.  Ne  pouvant  rien  obtenir  de  lui,  Yaktin 
s'appliqua  à  détacher  de  sa  cause  un  certain  nombre  d  adhérents. 

Peu  après,  Yahia-ben-Moussa,  lieutenant  de  Hertema,  se  mit 
en  marche  vers  l'ouest  à  la  tête  d'un  corps  d'armée  et  s'empara 
de  Tripoli.  Quant  au  gouverneur,  il  était  resté  en  observation  à 
Barka.  En  même  temps,  El-Ala.  gouverneur  du  Zab,  revint,  avec 
ses  Berbères,  mettre  le  siège  devant  Kaïrouan.  Ibn-Djaroud,  se 
voyant  perdu,  écrivit  en  hâte  à  Yahïa  pour  lui  offrir  sa  soumis- 
sion ;  puis  il  sortit  de  la  capitale,  où  il  avait  commandé  pendant 
sept  mois,  et  vint  se  remettre  entre. ses  mains.  Aussitôt  Kl-Ala  fit 
son  entrée  à  Kaïrouan  et  massacra  tous  les  partisans  du  chef 
révolté.  Yahia-ben-Moussa  arriva  à  son  tour  l'mars-avril  795)  et 
obtint,  non  sans  peine,  qu'El-Ala  renvoyât  ses  troupes,  dont  les 
excès  allaient  croissant.  Le  chef  qui  se  prétendait  le  sauveur  de 
l'autorité  du  klialife  se  retira  à  Tripoli  et.  de  là,  écrivit  à  Hertema 
pour  réclamer  le  prix  de  ses  services.  Il  est  à  supposer  que  sa 
puissance  était  fort  à  craindre,  car  le  khalife  Er-Rachid  lui  écrivit 
lui-même,  en  le  félicitant,  et  en  lui  envoyant  une  forte  gratifica- 
tion. On  put  ainsi  le  décider  à  partir  pour  l'Orient'. 

GouvERNE.MENT  DE  Herte.ma-iîen- AÏAN .  —  Daus  le  mois  de 
juin  795,  Hertema  fit  son  entrée  à  Kaïrouan.  Il  proclama  une 
amnistie  générale  et  s'occupa  de  mettre  en  état  de  défense  les 
fortifications  de  plusieurs  villes  de  la  côte,  notamment  Monastir 
et  Tripoli.  Mais  l'esprit  de  révolte  agitait  partout  les  populations 
indigènes  et  le  gouverneur  ne  pouvait  compter  sur  sa  milice,  pour 
laquelle  l'indiscipline  était  devenue  une  habitude.  Se  sentant  trop 
faible  et  trop  isolé  pour  mener  à  bien  la  rude  tâche  qu'on  lui  avait 
confiée,  il  sollicita  lui-même  du  khalife  son  rappel.  Ilaroun-er- 
Rachid  désigna  alors  son  propre  frère  de  lait  Alohammed-ben- 
Mokatel  pour  occuper  le  poste  important  de  gouverneur  de 
rifrikiya.  L'on  s'explique  difficilement  pourquoi  le  choix  du  khalife 
tomba  sur  un  homme  aussi  incapable,  dans  un  moment  où  la  situa- 
tion réclamait  un  esprit  particulièrement  habile  et  expérimenté. 

Gouvernement  de  MoiiAMMED-nEN-MoKATEi..  —  Arrivé  à  Kaïrouan 
dans  le  mois  de  ramadan  181  (octobre  797),  le  gouverneur  donna 
aussitôt  la  mesure  de  son  incapacité,  ne  comprenant  rien  à  la 
situation,  et  se  livrant  à  toutes  les  fantaisies  d'un  despote  grisé 
par  son  pouvoir.  Un  an  s'était  à  peine  écoulé  depuis  son  arrivée, 

1.  Eii-Nouéiri,  p.  389  et  suiv.  , 


DERNIERS   GOUVERNErnS   ARABES  (800) 


263 


que  les  miliciens  syriens  et  khoraçanites  se  mettaient  en  état  de 
révolte  et  plaçaient  à  leur  tête  Morra-ben-Makhled.  Un  corps  de 
troupes  envoyé  contre  les  rebelles  les  réduisit  au  silence;  leur 
chef  fut  mis  à  mort. 

Peu  de  temps  après,  Temmam-ben-Temim,  commandant  de 
Tunis,  releva  l'étendard  de  la  révolte  et,  ayant  réuni  tous  les  mé- 
contents, marcha  sur  Kaïrouan  (octobre  799). 

Ibn-Mokatel  sortit  à  sa  rencontre  et  lui  livra  bataille  à  Moniat- 
el-Kheïl  ;  mais  il  fut  complètement  défait  et  n'obtint  la  vie 
sauve  qu'en  promettant  de  quitter  la  place.  Il  se  réfugia  eu  effet 
avec  sa  famille  à  Tripoli,  tandis  que  Temmam  faisait  son  entrée  à 
Kaïrouan. 

iBRAniM-BEN-EL-AR'LEB   APAISE   I.A   REVOLTE  DE   LA   MILICE.           A  Ce 

moment,  le  commandement  du  Zab  était  confié  à  un  fils  de  l'an- 
cien gouverneur  El-Ar'leb,  nommé  Ibrahim,  qui  avait  acquis  une 
grande  autorité  dans  cette  situation.  Dès  qu'il  eut  appris  les  évé- 
nements d'Ifrikiya,  Ibrahim  se  mit  en  marche,  à  la  tête  de  ses 
contingents,  pour  combattre  l'usurpateur.  Mais  Temmam  ne  l'at- 
tendit pas;  il  évacua  la  ville,  et  le  fils  d'El-Ar'leb,  ayant  pris 
possession  de  Kaïrouan,  annonça  en  chaire  qu'Ibn-Mokatel  était 
toujours  le  seul  gouverneur  de  l'Ifrikiya.  Ce  dernier  rentra  en 
toute  hâte  dans  sa  capitale. 

Quant  à  Temmam,  qui  s'était  réfugié  à  Tunis,  il  tenta  de  semer 
la  désunion  parmi  les  troupes  fidèles  et  même  d'indisposer  le 
gouverneur  contre  Ibrahim  ;  mais  toutes  ses  manœuvres  échouè- 
rent et  il  apprit  bientôt  que  celui-ci  marchait  contre  lui. 

Au  commencement  de  février  800,  Ibn-el-Ar'leb  infligea  à  Tem- 
mam une  défaite  qui  le  força  à  rentrer  à  Tunis  ;  il  se  disposait  à 
entreprendre  le  siège  de  cette  ville,  lorsque  Temmam  lui  offrit  sa 
soumission,  à  condition  que  lui  et  ses  frères  auraient  la  vie  sauve. 
Cette  demande  lui  ayant  été  accordée,  il  se  rendit  à  discrétion  et 
fut  conduit  à  Kaïrouan,  d'où  on  l'expédia  en  Orient  comme  pri- 
sonnier d'état  avec  les  chefs  les  plus  compromis  1. 

IbrAHIM-BEN-EL-Ar'lEB,  nommé   GOUVERNEUR   INDEPENDANT,  FONDE  LA 

DYNASTIE  ar'lébite.  —  Cependant,  le  khalife  Haroun-er-Rachid, 
ayant  appris  les  tristes  exploits  de  son  frère  de  lait,  se  convainquit 
de  la  nécessité  de  le  remplacer  en  Ifrikiya.  Dans  l'état  des  choses, 
Ibrahim  était  l'homme  de  la  situation  et  son  choix  s'imposait.  Le 
khalife  ayant  consulté  à  ce  sujet  Hertema-ben-Aïan,  dont  il  appré- 


1.  En-Noueiri,  p.  397. 


264 


IlISTOIRE   DE  l"aFRIQLE 


ciait  fort  rexpéricnce,  obtint  celte  réponse  :  «  Vous  n'avez  per- 
(<  sonne  de  plus  aimé,  de  plus  dévoué  et  de  plus  dig-ne  d'exercer 
«  le  pouvoir  qu'Ibrahim-ben-el-Ar'leb,  dont  la  conduite  passée  est 
«  garante  de  l'avenir.  »  Ces  paroles  achevèrent  de  décider  le  khalife 
qui  avait  reçu  d'Ibn-el-Ar'leb  une  lettre  par  laquelle  il  sollicitait 
pour  lui  le  gouvernement  de  l  lfrikiya,  offrant  non  seulement  de 
renoncer  à  la  subvention  de  cent  mille  dinars  fournie  par  le  gou- 
vernement de  l'Egypte,  mais  encore  de  payer  au  souverain  un 
tribut  de  quarante  mille  dinars. 

Cette  solution,  qui  allait  débarrasser  le  khalifat  d'ennuis  tou- 
jours renaissants  et  retarder  de  plus  d'un  siècle  la  chute  de  l'au- 
torité arabe  en  Afrique,  permettait  néanmoins  de  mesurer  tout  le 
terrain  perdu  dans  le  Mag'reb.  Dès  lors,  en  effet,  le  gouvernement 
central  n'aurait  plus  à  intervenir  dans  l'administration  du  pays 
qu'il  consentait  à  abandonner,  moyennant  fermage,  à  des  vice-rois 
formant  une  dynastie  vassale,  et  chez  lesquels  le  pouvoir  se 
transmettrait  par  voie  d'hérédité.  Ainsi,  cette  brillante  conquête 
qui  avait  coûté  si  cher  aux  Arabes  s'était  détachée  d'eux,  province 
par  province,  dans  l'espace  de  moins  d'un  siècle,  et  il  ne  restait 
au  khalifat  qu'une  suzeraineté  presque  nominale  sur  l'Ifrikiya. 

Ibrahim  apprit  officieusement  sa  nomination;  mais,  lorsque  le 
courrier  porteur  des  brevets  arriva  en  Afrique,  Ibn-Mokatel,  qui 
se  trouvait  à  Tripoli,  les  intercepta  au  passage  et  fit  parvenir  à 
Kaïrouan  une  fausse  lettre  le  maintenant  au  poste  de  gouverneur. 
En  recevant  cette  missive,  l'Ar'lebite  devina  la  supercherie  ; 
néanmoins  il  céda  la  place  et  reprit  avec  ses  troupes  le  chemin  du 
Zab.  Mais  le  khalife,  à  l'annonce  de  cette  incartade  de  son  frère  de 
lait,  entra  dans  une  violente  colère  et  intima  à  Ibn-Mokatel,  qui 
se  disposait  à  revenir  à  Kaïrouan,  l'ordre  formel  de  résigner  ses 
fonctions  entre  les  mains  d'Ibrahim.  Celui-ci  revint  aussitôt  du 
Zab  et,  dans  les  premiers  jours  de  juillet  800,  il  prit  définitive- 
ment la  direction  des  affaires  '. 

N.\iss.\NCE  d'Edris  II.  —  Pendant  que  l'Ifrikiya  était  le  théâtre 
de  ces  événements  importants,  la  dynastie  cdricide,  que  le  khalife 
Haroun  avait  cru  écraser  dans  son  germe,  renaissait  pour  ainsi 
dire  de  ses  cendres. 

Nous  avons  vu  qu'Edris,  en  mourant,  avait  laissé  une  de  ses 
concubines,  nommée  Kenza,  enceinte.  Après  les  funérailles  du 
prince,  le  fidèle  Rached  réunit  les  principaux  chefs  des  tribus 

1.  Eii-Nouéiri,  p.  395  et  siiiv. 


DERMKRS   GOrVKRNninS   ARAnES    (800)  285 

berbères  et  leur  dit  :  «  L'imam  Edris  est  mort  sans  enfants,  mais 
<(  Kenza,  sa  femme,  est  enceinte  de  sept  mois,  et,  si  vous  le  voulez 
<<  bien,  nous  attendrons  jusqu  au  jour  de  son  accouchement  pour 
<(  prendre  un  parti  :  s"il  naît  un  garçon,  nous  l  élèverons,  et  quand 
«  il  sera  homme,  nous  le  proclamerons  souverain  :  car,  descen- 
<(  dant  du  prophète  de  Dieu,  il  apportera  avec  lui  la  bénédiction 
((  de  la  famille  sacrée  * .  » 

Cette  proposition  fut  acceptée  avec  acclamation  par  les  Ber- 
bères, et  en  septembre  793,  Kenza  donna  le  jour  à  un  enfant  mâle 
«  d'une  ressemblance  frappante  avec  son  père  ».  Rached  le  pré- 
senta aux  cheiks  indigènes  qui  s'écrièrent  en  le  voyant  :  «  C'est 
Edris  lui-même,  l'imam  n'a  pas  cessé  de  vivre  !  » 

On  laissa  à  Rached  le  soin  de  l'élever  et  de  gouverner  en  son 
nom,  jusqu'à  sa  majorité,  et  les  chroniques  rapportent  que  ce 
tuteur  ne  négligea  rien  pour  donner  à  Edris  II  une  brillante  ins- 
truction et  faire  de  lui  un  redoutable  guerrier. 

L'Espagne  sous  Hicham  et  el-Hakem.  —  En  Espagne,  le  khalife 
oméïde  Abd-er-Rahman  était  mort  en  septembre  788,  après  un 
règne  de  plus  de  trente-trois  années  employées  presque  entièrement 
à  l'afTermissement  de  son  pouvoir.  Il  laissa  trois  fils  :  Soleïman, 
Abd-AUah  et  Hicham.  Ce  dernier,  bien  que  le  plus  jeune,  lui 
succéda  après  une  courte  lulte  avec  son  aîné  Sole'iman.  Pour 
assurer  sa  tranquillité,  il  acheta  à  ses  deux  frères  leur  renonciation 
au  trône  et,  en  vertu  de  leur  convention,  ceux-ci  se  retirèrent  au 
Mag'reb. 

Après  un  règne  de  près  de  huit  années,  Hicham  cessa  de  vivre 
et  fut  remplacé  par  son  fils  El-IIakem  (avril  796).  Soleïman  et 
Abd-Allah,  ses  oncles,  ne  tardèrent  pas  à  quitter  le  Mag'reb  en 
amenant  une  armée  de  Berbères  pour  lui  disputer  le  pouvoir. 
Après  deux  années  de  luttes,  Soleïman  ayant  été  tué,  la  victoire 
resta  définitivement  à  El-IIakem  (800). 

Pendant  le  règne  de  Hicham,  des  expéditions  heureuses  avaient 
été  faites  par  les  Musulmans  en  Galice,  et  les  chrétiens  avaient 
été  humiliés  par  des  défaites  qui  leur  avaient  arraché  une  partie 
de  leurs  conquêtes  -.  Plusieurs  souverains  avaient  succédé  à 
Alphonse  I'=^  A  la  fin  du  vnie  siècle,  Alphonse  II,  dit  le  Chaste, 
roi  des  Asturies,  ne  put  empêcher  les  Musulmans  de  pénétrer 
jusque  dans  les  montagnes  de  son  royaume. 

1.  Kartas,  p.  23.  Ibn-Klialdouu,  Berbères,  p.  561.  El-Bckri, /</;«c«e?cs. 

2.  Dozy,  Recherches  sur  l'hisl.  de  l'Espagne,  p.  101-139  et  suiv.  El  Mar- 
rakclii  (Dozy),  p.  17  et  suiv. 


266 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Chronologie  des  gouverneurs  de  l'Afrique. 

Date  de  la  Domination. 


Okba-ben-Nafa       vers  669 

Dinar-Abou-el-Mohadjer .  .  .  ,   vers  675 

Okba-ben-Nafa   681 

Zoheïr-ben-Kais   vers  688 

Haçane-ben-Nomane   vers  697 

Mouça-ben-Noceïr   705 

Mohammed-ben-Yezid   715 

Ismaïl-ben-Abd-Allah   718 

Yezid-ben-Abou-Moslem   720 

Bichr-ben-Safouane   721 

Obeïda-bcn-Abd-er-Rahman   728 

Okba-ben-Kodama   732 

Obeïd-Allah-ben-el-Habhab   734 

Koltoum-ben-Aïad   741 

Hendhala-ben-Sofiane   742 

Abd-er-Rahman-ben-Habib   744 

El-Yas-ben-Habib   755 

El-IIabib-ben-Abd-er-Rahman   756 

Mohammed-ben-Achath   761 

El-Ar"leb-ben-Salem   765 

Omar-ben-Hafs-Hazarmed   768 

Yezid-!)en-IIatem   772 

Daoud-ben-Yezid   787 

Rouh-ben-IIatem   788 

En-Nasr-ben-el-Habib   791 

El-Fadel-bcii-Rouh   793 

Mertema-ben-Aïau   795 

Mohammed-ben-Mokatel   797 

Ibrahini-])en-el-Ar'leb   800 


CHAPITRE  VI 


L'IFRIKIYA  SOUS  LES  AR'LEBITES.  CONQUÊTE  DE  LA  SICILE 

800-838 

Ibrahim  établit  solidement  son  autorité  en  Ifrikiya.  —  Edris  II  est  pro- 
clamé par  les  Berbères.  —  Fondation  de  Fez  par  Edris  II.  —  Révoltes  en 
Ifriiviya.  —  Mort  d'Ibrahim.  —  Abou-l'Abbas-Abd-Allah  succède  à  son 
père  Itirahim.  —  Conquêtes  d'Edris  II.  —  Mort  de  Abd-Allah;  son  frère 
Ziadet-Allah  le  remplace.  —  EspaRne  :  Révolte  du  faubourg.  Mort  d'El- 
Ilakem.  —  Luttes  de  Ziadet-Allah  contre  les  révoltes.  —  Mort  d'Edris  II; 
partage  de  son  empire.  —  Etat  de  la  Sicile  au  commencement  du 
ixe  siècle.  —  Euphémius  appelle  les  Arabes  en  Sicile;  expédition  du 
cadi  Aced.  —  Conquête  de  la  Sicile.  —  Mort  de  Ziadet-Allah;  son  frère, 
Abou-Eïkal-el-Ar'leb.  lui  succède.  —  Guerres  entre  les  descendants 
d'Edris  11.  —  Les  Midrarides  à  Sidjilmassa.  —  L'Espagne  sous  Abd-er- 
Rahman  II. 

InRAIIIM  KTABLIT   SOLIDEMENT    SON    .VUTORITÉ    EN    IrRIKIV.V.    Le 

choix  d'Ibrahim-ben-el-Ar'leb,  comme  vice-roi  de  l'Ifrikiya,  était 
le  meilleur  que  le  khalife  pût  faire;  lui  seul,  par  son  habileté  et  la 
pratique  qu'il  possédait  des  affaires  du  pays,  était  capable  d'étouffer 
les  germes  de  révolte,  et  de  contenir  les  Berbères  sans  se  soumettre 
aux  caprices  de  la  milice.  L'anarchie  des  dernières  années  pro- 
venait surtout  de  ce  que  le  «gouverneur  n'avait  aucune  force  sur 
laquelle  il  put  compter,  en  dehors  des  miliciens  d'Orient.  Ceux-ci, 
se  sentant  nécessaires,  devenaient  intraitables.  Pour  remédier  à 
cet  inconvénient,  il  ne  fallait  pas  penser  à  former  des  corps  ber- 
bères; ce  fut  aux  nègres  cju'il  eut  recours  pour  contrebalancer  la 
force  des  Syriens.  Ayant  acheté  un  grand  nombre  d'esclaves 
noirs,  il  les  habitua  à  porter  les  armes,  en  laissant  croire  aux  mili- 
ciens qu'il  destinait  ces  nègres  à.  être  employés  dans  les  postes  les 
plus  périlleux. 

En  même  temps,  pour  s'assurer  une  retraite  sûre,  en  cas  de 
révolte,  il  fit  construii'e,  à  trois  milles  de  Kaïrouan,  la  place  forte 
d'I^l-Aljbassïa  où  il  déposa  ses  trésors  et  une  grande  quantité 
d'armes.  Puis  il  se  disposa  à  aller  s'établir  dans  cette  résidence, 
qu'on  appela,  plus  tard,  El-Kasr-el-Kcdim  (le  vieux  château).  Ce 
fut  là  qu'il  reçut  les  envoyés  de  Charlemagne  qui  avaient  été 
chargés  de  prendre  à  Karthage,  à  leur  retour  d'Orient,  les  reliques 


268 


IIISTOIRI-    DE   I,  AFRIQUE 


de  plusieurs  martyrs  chrétiens.  En  même  temps,  Ibrahim  envoyait 
une  ambassade  à  l'empereur,  alors  à  Pavie  iSOl)'. 

L'année  suivante  (802),  Ibrahim  eut  à  lutter  contre  son  repré- 
sentant à  Tunis,  Hamdis-ben-Abd-er-Rahman-el-Kindi,  qui  se 
révolta  en  appelant  à  lui  les  mécontents  arabes  et  berbères. 
Amran-ben-Mokhaled,  général  du  gouverneur  ar'lebite,  ayant 
marché  contre  les  rebelles,  leur  livra  une  sanglante  bataille,  dans 
laquelle  leur  chef  fut  tué,  et  les  mit  en  déroute.  Ibrahim  s'appliqua 
alors  à  rétablir  la  paix  en  Ifrikiya,  puis  il  tourna  ses  regards  vers 
le  Mag  reb,  où  le  souvenir  de  l'autorité  arabe  disparaissait  de 
jour  en  jour. 

EdRIS   II  EST  PROCLAMÉ   PAR   LES   BeRBÈRES.    A    OuHH,    le  fils 

d'Edris  I  grandissait  sous  la  tutelle  éclairée  de  Rached  et  la  pro- 
tection des  Aoureba,  tandis  qu'à  Tlemcen,  son  oncle  Soleïman 
exerçait  le  pouvoir  en  son  nom.  Ibrahim,  considérant  avec  raison 
que  l'empire  edricide  était  le  plus  grand  obstacle  à  la  réalisation 
de  ses  vues  ambitieuses  sur  le  Mag  reb,  espéra  l'anéantir  en  faisant 
assassiner  Rached.  Mais  ce  crime  tardif  fut  inutile  et  eut  pour 
conséquence  de  resserrer  les  Berbères  autour  du  jeune  prince  802  ; 
l'un  d  eux,  Abou-Khaled-Yezid,  se  chargea  de  remplacer  Rached, 
comme  tuteur  d'Edris,  alors  âgé  de  neuf  ans.  En  mars  803,  les 
Aoureba  et  les  représentants  des  tribus  voisines,  réunis  à  Oulili, 
dans  la  mosquée  de  cette  ville,  prêtèrent  serment  solennel  de  fidé- 
lité à  Edris  II. 

Ce  prince,  qui  avait  alors  onze  ans  et  montrait  une  intelligence 
très  précoce,  commença  à  gouverner  sous  la  tutelle  d'Abou-Khaled. 
Ainsi  se  consolidait  l'empire  edricide,  malgré  les  intrigues  entre- 
tenues en  Mag  reb  par  le  vice-roi  ar'lebite.  L'attitude  énergique 
et  dévouée  des  Berbères,  plus  que  la  supplique  adressée  par  Edris 
à  Ibrahim,  décida  ce  dernier  à  ajourner  la  réalisation  de  ses  plans 
sur  l'Occident  ^.  Du  reste,  Ibn-el-Ar'leb  fut  bientôt  absorbé  par 
d'autres  soins.  En  803,  la  garnison  de  Tripoli  se  révolta,  chassa 
son  commandant  et  se  donna  comme  chef  Ibrahim-ben-Sofian. 
Arabe  de  la  tribu  de  Temim.  Ibrahim  dut  employer  toutes  ses 
forces  pour  apaiser  cette  sédition  qui  ne  fut  domptée  qu'au  com- 
mencement de  806. 

Fondation  de  Fés  par  Edris  II.  —  A  Oulili,  le  jeune  Edris 

1.  Founicl.  Bcibers,  p.  453. 

2.  Ibii-Kli;ildoiiii,  Berbères,  t.  II,  p.  563.  Eu-Nouéiri,  p.  401.  Kartas, 
p.  18.  El-Bekri,  Idncides. 


l'ifrikiya  sors  les  ar'lebiti:s  (811) 


260 


grandissait  au  milieu  des  intrigues  encouragées  par  son  jeune  âge 
et  son  inexpérience.  Un  certain  nombre  d'Arabes  étaient  venus, 
tant  de  l'Espagne  que  de  rirrikiya,Iui  offrir  leurs  services  et  avaient 
été  bien  accueillis  par  lui  ;  l'un  d'eux,  Oma'ir-ben-Moçaab,  avait 
même  reçu  le  titre  de  vizir  en  remplacement  d'Abou-Yezid 

Ainsi  l'influence  arabe  dominait  à  Oulili  et  allait  pousser  Edris 
à  un  acte  autrement  grave.  En  808,  il  lit  mourir  Abou-Le'ila-Ishak, 
chef  des  Aoureba,  qui  avait  été  le  protecteur  de  son  père  et  le 
sien.  Il  est  probable  que  ce  chef  avait  laissé  entrevoir  son  ressen- 
timent de  la  protection  accordée  aux  Arabes.  Ibn-Khaldoun,  pour 
excuser  l'ingratitude  d'Edris,  prétend  qu'il  avait  découvert  que  6e 
chef  entretenait  des  intelligences  avec  l'ar'lebite  Ibrahim  -.  Les 
Berbères,  froissés  dans  leurs  sentiments  les  plus  intimes,  suppor- 
tèrent cependant  ces  injustices  sans  protestation. 

Edris  II,  voyant  chaque  jour  sa  puissance  s'accroître,  jugea  que 
sa  résidence  d'Oulili  ne  lui  sufTisait  plus  et  résolut  de  construire 
une  capitale  digne  de  son  empire.  Après  avoir  cherché  longtemps, 
il  se  décida  pour  un  emplacement  traversé  par  un  des  affluents  du 
Sebou,  et  occupé  par  des  Berbères  de  la  tribu  de  Zouar'a.  La 
nouvelle  ville  se  trouvait  ainsi  divisée  naturellement  en  deux 
quartiers.  Edris  jeta  en  808  les  fondements  de  celui  qui  devait  être 
appelé  «  des  Andalous  »,  et,  l'année  suivante,  il  fit  con-truire  l'autre, 
nommé  plus  tard  «  des  Kaïrouaniles  ».  Il  dota  sa  capitale  de  nom- 
breux édifices  et  notamment  de  la  mosquée  dite  «  des  Cher  ifs  ». 

Lorsqu'Edris  eut  atteint  sa  majorité,  c'est-à-dire  vers  810,  les 
tribus  berbères  lui  renouvelèrent  leur  serment  de  fidélité,  et  il 
reçut  la  soumission  des  principales  contrées  du  Mag'reb'. 

Révoltes  en  Ifruviva.  Mort  d'Ibrahim.  —  Pendant  ce  temps, 
Ibrahim-ben-el-Ar'leb  était  encore  aux  prises  avec  la  révolte.  Les 
miliciens  arabes  avaient  vu,  avec  beaucoup  de  jalousie,  les  pré- 
cautions prises  contre  eux  par  le  vice-roi  ;  lorsqu'il  se  fut  établi 
définitivement  à  El-Abbass'ia,  sous  la  protection  de  sa  garde  noire, 
leur  irritation  ne  connut  plus  de  bornes,  et  bientôt  le  général 
Amrane  donna  le  signal  de  la  révolte  (811).  Maître  de  Ka'irouan, 
il  appela  à  lui  tous  les  mécontents  et  vint  assiéger  Ibrahim  dans 
sa  forteresse. 

Pendant  un  an,  on  combattit  sans  grand  avantage  de  part  et 

d'autre.  Enfin  Ibrahim,  ayant  appris  qu'on  lui  envoyait  d'Egypte 

• 

1.  Knrtas,  p.  30. 

2.  l'erhères,  t.  III,  p.  561. 

3.  Bekri,  Idricidcs. 


•270 


nisTomn  de  i.  afriql'k 


un  secours  en  arp:ent,  dépêcha  son  fils.  Abd-Allah,  vers  Tripoli 
pour  arrêter  la  somme  au  passaf;e.  Puis  il  fit  répandre  la  nouvelle 
de  la  prochaine  arrivée  des  fonds.  Aussitôt  la  milice,  qui  n'avait 
pas  touché  de  solde  depuis  qu  elle  avait  embrassé  la  cause  de  la 
révolte,  commença  à  s'agiter  dans  Kaïrouan.  et  Amrane,  dépourvu 
de  ressources,  se  convainquit  qu  il  ne  pouvait  plus  lutter  contre 
ce  nouvel  ennemi.  11  sortit  nuitamment  de  la  ville  et  courut  se 
réfuj;ier  dans  le  Zab. 

Ibrahim  venait  de  triompher  de  cette  longue  révolte  et  était 
occupé  à  démanteler  les  fortifications  de  Kaïrouan,  lorsqu  il  apprit 
que  son  fils  Abd-Allah  avait  été  chassé  de  Tripoli  par  les  troupes 
occupant  cette  place.  Il  lui  envoya  des  fonds  au  moyen  desquels 
Abd-Allah  put  enrôler  un  grand  nombre  de  Berbères  et  rentrer 
en  possession  de  Tripoli.  Ce  furent  alors  ces  mêmes  indigènes, 
appartenant  à  la  tribu  des  Ilouara,  qui  se  lancèrent  dans  la  révolte. 
Conduits  par  leur  chef,  Aïad-ben-Ouahh,  ils  vinrent  attaquer 
Tripoli  qui  était  défendu  par  le  général  Sofiane,  se  rendirent  maîtres 
de  celte  ville  et  la  renversèrent  presque  entièrement.  Abd-.\llah, 
envoyé  en  toute  hâte  par  son  père,  à  la  tête  d  une  armée  de  treize 
mille  hommes,  défit  les  Berbères  et,  étant  rentré  à  Tripoli,  s'oc- 
cupa à  relever  les  fortifications  de  cette  ville  811  '. 

Sur  ces  entrefaites,  Abd-el-Ouahab-ben-Rostem,  roi  deTiharet, 
arrivé  de  l'Ouest  avec  de  nombreux  contingents,  rallia  les  Houara 
et  iS'efouça  et  vint  mettre  le  siège  devant  Tripoli.  Il  fit,  avec  soin, 
garder  une  des  issues  de  la  place  et  pressa  l'autre  avec  la  plus 
grande  vigueur.  Abd-.-VUah  était  sur  le  point  de  succomber,  lors- 
qu'on reçut  la  nouvelle  de  la  mort  d'Ibrahim  qui  était  décédé  à 
l'âge  de  56  ans  juillet  81"2;,  dans  son  château  d'El-Abbassïa. 

Abou-l'Abbas-Abd-Allah  si  ccéde  a  son  père  Ibrahim.  —  Aussitôt 
que  la  mort  d'Ibrahim  fut  connue,  Abd-Allah,  qui  avait  été  dési- 
gné par  lui  pour  lui  succéder,  se  hâta  de  proposer  à  Ibn-Rostem 
de  conclure  le  paix.  Il  fut  convenu  entre  eux  que  le  prince  de 
Tiharet  se  retirerait  dans  les  montagnes  des  Nefouça  et  que  Tri- 
poli resterait  aux  Ar'lebites  ;  mais  toutes  les  plaines  de  la  Tripoli- 
taine  furent  abandonnées  aux  Kharedjites. 

Pendant  que  cette  paix  boiteuse  se  signait  à  Tripoli,  Ziadet- 
AUah,  second  fils  d'Ibrahim,  recevait,  selon  les  dispositions  prises 
par  son  père,  le  serment  des  principaux  citoyens  de  Kaïrouan. 

1.  Les  détails  donnés  par  les  auteurs  arabes  sur  les  diiïerentes  phases 
de  cette  révolte  sont  assez  embrouillés,  et  il  est  possible  qu' Abd-Allah 
n  ait  repris  qu'  une  seule  fois  Tripoli. 


l'ifrikiya  socs  les  ar'i.ebites 


271 


Dans  le  mois  d'octobre  812,  Abou-l'Abbas-Abd-Allah  arriva  dans 
sa  capitale.  Son  frère,  Ziadet-AUah,  s'était  porté  au  devant  de  lui 
pour  le  saluer  comme  souverain,  mais  il  fut  reçu  avec  la  plus 
grande  dureté.  Pour  la  première  fois,  le  fils  d'un  gouverneur  de 
rifrikiya  succédait  à  son  père  sans  l'intervention  du  khalifat 

liaroun-er-Rachid  était  mort  en  809,  laissant  le  trône  à  son  fils 
El-Mamoun.  Le  nouveau  khalife  se  borna  à  l'atifier  l'élévation  du 
vice-roi  de  Ka'irouan. 

CoNQuiÎTES  d'Euris  II.  —  Daus  le  Mag'reb,  Edris  II  continuait 
à  affermir  son  trône.  Voulant  sans  doute  faire  oublier  aux  Aoureba 
l'ingratitude  qu'il  avait  montrée  à  leur  chef,  il  leur  confia  des 
commandements  importants;  puis,  s  enfonçant  dans  les  montagnes 
du  sud-ouest,  il  attaqua  les  tribus  masmoudiennes,  les  vainquit 
et  soumit  l'Atlas  à  son  autorité.  Après  s'être  avancé  en  vainqueur 
jusqu'à  Nefis,  près  de  la  montagne  de  Tine-Mellal  dans  le  Sous, 
il  rentra  à  Fès  (812).  C'est  sans  doute  vers  cette  époque  qu'Edris 
commença  à  combattre  le  kharedjisme,  dont  il  décréta  l'abolition 
dans  ses  états  ;  mais  ce  schisme  avait  pénétré  trop  profondément 
la  nation  berbère,  pour  pouvoir  être  supprimé  d'un  trait  de  plume  ; 
aussi  ne  devait-il  disparaître  de  l'Afrique,  où  il  avait  déjà  fait 
couler  tant  de  sang,  qu'après  de  longues  et  nouvelles  convulsions. 

Quelque  temps  après  ^  Edris  marcha  sur  Tlemcen,  qui  s'était 
alfranchie  de  son  autorité.  Il  y  entra  en  vainqueur  et  reçut  l'hom- 
mage des  Beni-Ifrene  et  Mag'raoua  qui  y  dominaient.  Il  séjourna 
quelque  temps  à  Tlemcen  et  de  là  dirigea  quelques  expéditions 
heureuses  contre  les  peuplades  zenatienes  et  autres  berbères.  Ses 
troupes  s'avancèrent  ainsi  jusqu'au  Chelif.  Cependant,  il  ne  paraît 
pas  qu'il  eût  osé  se  mesurer  contre  les  Rostemides  de  Tiharet.  Selon 
Ibn-Khaldoun,  il  passa  à  Tlemcen  trois  années,  pendant  lesquelles 
il  s'appliqua  à  embellir  cette  ville  et  à  orner  la  mosquée  construite 
par  son  père.  En  partant,  il  laissa  le  commandement  de  la  pro- 
vince, avec  suprématie  sur  les  tribus  des  Beni-Ifrene  et  Mag'raoua, 
à  son  cousin  Mohammed,  fils  de  Soleïman,  qu'Edris  I  avait  pré- 
posé au  commandement  de  Tlemcen. 

Rentré  à  Fès,  il  recueillit  huit  mille  Musulmans  d'Espagne, 
expulsés  de  Cordoue  par  El-Hakem  à  la  suite  de  la  révolte  dite  du 
faubourg  [Ribad'),  et  les  établit  dans  sa  capitale,  où  ils  formèrent 
le  quartier  des  Andalous.  Les  émigrés  de  Cordoue  étaient  presque 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  I,  p.  243,  277.  Eu-Noueiri,  p.  403. 

2.  Soit  dans  la  même  année,  soit  en  814,  les  auteurs  n'étant  pas  d'ac- 
cord sur  cette  date. 


■272 


HISTOIRE   Dr.   L  AFRIQl'E 


tous  des  gens  d  onirine  celto-romaine ,  qui  avaient  été  contraints 
d'embrasser  l'islamisme  après  la  conquête  de  l  Espaïne  par  les 
Arabes.  L'arrivée  de  cette  population  Iré-  civilisée  fut  une  bonne 
fortune  pour  la  nouvelle  capitale,  et  contribua  à  la  faire  briller 
d'une  réelle  splendeur  dans  les  arts,  les  lettres  et  les  sciences  '. 

Mort  de  Abd-Ai.i,.\u.  —  Sun  frère  Ziadet-Ali.au  le  remplace. 
—  A  Kaïrouan,  Aboul'-Abbas-Abd-Allah.  lils  d  lbrabim,  loin 
d'imiter  la  prudence  de  son  père  cl  de  chercher  à  arrêter  les  pro- 
jxros  du  prince  de  Fès,  n'avait  réussi  qu'à  indisposer  les  esprits 
contre  lui.  V  iolent  et  cruel,  même  envers  les  membres  de  sa 
famille,  sacrillant  tout  à  la  milice,  accablant  le  peuple  de  charp:es, 
il  combla  la  mesure  des  fautes  en  frappant  la  culture  faite  par 
chaque  charrue  d'une  taxe  uniforme  de  huit  dinars  pièces  d'or). 
Cet  impôt,  énorme  pour  l'époque,  remplaça  la  dime  achour),  qui 
précédemment  se  payait  en  nature  et  était  proportionnée  à  l'abon- 
dance de  la  récolte.  De  toutes  parts  s'élevèrent  des  réclamations: 
mais  le  prince  resta  sourd  aux  prières  et  le  peuple  continua  à 
gémir  sous  son  oppression. 

Eniin,  par  un  bonheur  inespéré,  Abd-Allah  mourut  presque 
subitement,  d'une  aifection  charbonneuse  juin  817  .  Ce  prince, 
«  le  plus  bel  homme  de  son  temps  »,  avait  exercé  le  pouvoir  pen- 
dant un  peu  plus  de  cinq  ans. 

Abou  -  Mohammed  -  Ziadet  -  .\llah  succéda  à  son  frère,  et, 
employant  des  procédés  de  gouvernement  tout  dilTérents,  s'at- 
tacha à  réduire  les  prérogatives  de  la  milice  et  à  maltraiter  et 
abaisser  de  toutes  les  façons  les  miliciens-. 

Esp.\GXE  :  —  Révolte  dc  faubourg.  Mort  d'El-Hakem.  —  En 
Espagne,  le  khalife  El-Hakem,  avait  entrepris,  avec  des  chances 
diverses,  plusieurs  campagnes  au  delà  des  Pyrénées.  L'alliance 
de  ses  oncles  avec  Charlemagne  et  Alphonse  IL  roi  des  Asturies, 
l'avait  contraint  à  déployer  toutes  ses  forces  contre  la  coalition. 
Quelques-unes  de  ses  raruTS  furent  couronnées  de  succès.  Alphonse, 
de  son  côté,  poussa  une  pointe  jusqu'à  Lisbonne  et  mit  cette  ville 
au  pillage.  Pour  rendre  compte  à  son  allié  Charlemagne  du  succès 
de  cette  expédition,  il  lui  envoya  «  sept  Musulmans  de  distinction, 
»  avec  leurs  armes  et  leurs  mulets''  ». 

1.  Dozy,  Hist.  des  .Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  70  et  suiv.  El-Be- 
kri,  Idricides.  Ibu-Klialdoun,  t.  II,  p.  560,  t.  III,  p.  229. 

2.  En-Nouéïri,  p.  40i,  405. 

3.  Dozy,  Rec/ieiches  sur  t'/iist.  de  l'Espagne,  p.  149. 


l'ifrikiya  sous  i.es  ar'i,ebites  (823) 


273 


Après  avoir  conclu  un  traité  de  paix  avec  les  princes  chrétiens, 
El-Hakem  se  renferma  dans  Cordoue  et  y  vécut  de  la  vie  des 
despotes  musulmans  de  cette  époque,  jusqu'à  la  grande  révolte 
dite  du  faubourg  {Rihnd'),  qui  mit  sa  vie  en  danger  et  dont  il 
triompha  par  son  indomptable  énergie.  Sa  victoire  fut  suivie  de 
trois  jours  de  massacres,  et  quand  ses  soldats  furent  las  de  tuer, 
sa  vengeance  n'était  pas  encore  satisfaite  ;  il  ordonna  aux  survi- 
vants de  quitter  l'Espagne  sans  délai.  On  vit  alors  cette  malheu- 
reuse population,  décimée,  ruinée,  se  diriger  à  pied,  par  groupes, 
vers  les  ports  du  littoral.  Quinze  mille  Cordouans  firent  voile 
pour  l'Egypte  :  ils  abordèrent  à  Alexandrie  et  s'y  maintinrent,  avec 
l'appui  d'une  tribu  arabe,  jusqu'en  820.  Le  khalife  El-Mamoun  les 
ayant  alors  forcés  à  capituler,  leur  chef  les  conduisit  à  la  conquête 
de  l'île  de  Crète,  qu'ils  arrachèrent  aux  Byzantins  et  où  ils  fondè- 
rent une  république  indépendante.  Les  autres  réfugiés,  au  nombre 
de  huit  mille,  passèrent  au  Mag'reb  et  furent  bien  accueillis  par 
Edris  II,  qui  les  établit,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  dans  sa  nou- 
velle capitale.  A  Fès,  ils  furent  groupés  dans  le  quartier  des  An- 
dalous  '.  El-Hakem  mourut  le  22  mai  822  et  fut  remplacé  par  son 
fds  Abd-er-Rahman  II. 

Luttes  de  Ziadet-Allau  contre  les  révoltes.  —  Pendant  que 
l'Espagne  était  le  théâtre  de  ces  événements,  l'ar'lebite  Ziadet- 
AUah  se  livrait  à  Kaïrouan  à  tous  les  caprices  de  son  caractère 
bizarre  et  cruel.  Adonné  au  vin,  comme  le  furent  presque  tous  les 
princes  de  sa  famille,  il  prescrivait  dans  ses  moments  d'ivresse  les 
mesures  les  plus  sanguinaires,  qui  retombaient  presque  toujours 
sur  la  milice.  Dès  le  début  de  son  règne  il  avait  failli  rompre, 
sans  raison  plausible,  avec  le  khalife  El-Mamoun  et  avait  même 
poussé  l'insolence  jusqu'à  adresser  à  son  suzerain  des  dinars  edri- 
sides,  pour  lui  faire  entendre  qu'il  était  disposé  à  se  rallier  à  cette 
dynastie. 

De  tels  procédés  de  gouvernement  ne  pouvaient  aboutir  qu'à 
des  révoltes.  En  822,  une  première  sédition  fut  assez  facilement 
apaisée;  l'année  suivante,  le  commandant  de  Kasreïne  ^,  place  forte 
du  Sud,  nommé  Omar-ben-Moaouïa,  de  la  tribu  de  Kaïs,  leva  de 
nouveau  l'étendard  de  la  révolte.  Ayant  été  fait  prisonnier  après 
une  courte  campagne,  il  fut  mis  à  mort  ainsi  que  ses  deux  fils  par 

1.  Dozy,  Hist.  des  Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  76  et  suiv.  Ibn- 
Khaldoun,  t.  II,  p.  562.  El-Bekri,  Idricidcs.  Nous  n'indiquons  aucune 
date  pour  hi  révolte  du  faubourg,  en  raison  de  l'incertitude  à  laquelle  les 
chroniques  donnent  lieu  à  ce  sujet.  Il  faut  la  placer  entre  814  et  817. 

2.  Au  sud-ouest  de  Sebaitla. 


T.  I. 


18 


274 


UISTOmiî  DE  i.'afkiql'e 


ordre  du  vice-roi  :  on  fit  endurer  à  ces  malheureux  les  plus  atroces 
souffrances.  Cette  cruauté  envers  un  personnage  des  plus  respectés 
par  la  colonie  arabe  excita  la  colère  de  la  milice. 

Mançour-ben-Nacer-et-Tonbodi,  fjouverneur  de  Tripoli,  avant 
laissé  publiquement  éclater  son  indigjnation  et  manifesté  devant 
ses  troupes  l'intention  de  se  révolter,  fut  bientôt  arrêté  et  con- 
duit à  Kaïrouan.  Mis  en  liberté,  f^ràce  à  l'intercession  de  son  ami 
R  alboun,  cousin  de  Ziadet-Allah,  Mansour  se  réfugia  dans  son 
château  de  Tonboda,  non  loin  de  Tunis,  et  une  fois  à  l'abri  de 
ses  murailles,  il  renoua  les  intrigues  qu'il  avait  entretenues  avec 
les  ofTiciers  de  la  milice  et  ne  cessa  de  les  pousser  à  la  révolte,  en 
leur  retraçant  tous  leurs  griefs  contre  le  prince.  Mais  Ziadet-Allah, 
ayant  encore  une  fois  mis  la  main  sur  la  trame,  dépêcha  vers 
Tunis  son  général  Mohammed  ben-Hamza,  à  la  tête  de  cinq  cents 
cavaliers,  avec  l'ordre  d'arrêter  inopinément  Mansour. 

De  Tunis,  le  général  envoya  au  rebelle  une  dépulation  conduite 
par  le  cadi  de  la  ville  pour  l'engager  à  venir  se  remettre  entre  ses 
mains.  ÎNIansour  reçut  la  dépulation  avec  honneur,  se  montra 
disposé  à  obéir  aux  ordres  du  vice-roi  et,  en  attendant,  fit  porter 
aux  soldats  de  Mohammed-ben-Hamza  des  vivres  et  du  vin. 
Lorsque  la  nuit  fut  venue,  il  garrotta  le  cadi  et  ses  compagnons, 
s'empara  de  leurs  chevaux,  et,  réunissant  tous  ses  cavaliers,  se 
porta  rapidement  sur  Tunis.  Les  soldats  de  Mohammed  étaient 
occupés  à  faire  bonne  chère  avec  les  vivres  de  Mansour;  plusieurs 
même  étaient  déjà  plongés  dans  l'ivresse.  Attaqués  à  l  improviste 
par  les  rebelles,  ils  furent  bientôt  massacrés  ou  dispersés. 

A  l'annonce  de  ces  événements,  tous  les  miliciens  se  trouvant 
dans  cette  région  accoururent  se  ranger  sous  la  bannière  de 
Mansour.  Le  rebelle  fit  mettre  à  mort  le  gouverneur  de  Tunis  et 
s'installa  dans  cette  ville.  Presque  aussitôt  Ziadet-Allah  envoya 
contre  les  rebelles  l'élite  de  ses  troupes,  sous  la  conduite  de  son 
cousin  R  alboun,  le  chef  le  plus  aimé  des  miliciens.  A  leur  départ, 
le  vice-roi  leur  adressa  des  menaces  humiliantes  et  intempestives, 
annonçant  que  quiconque  oserait  fuir  serait  puni  de  mort.  R  alboun 
eut  beaucoup  de  peine  à  calmer  l'irritation  de  ses  hommes;  mais  les 
paroles  imprudentes  du  maître  avaient  produit  leur  effet  et  il  ne 
put  empêcher  les  miliciens  d'entrer  secrètement  en  relation  avec 
le  rebelle.  Lorsque,  dans  le  mois  de  juillet  824,  les  deux  troupes 
furent  en  présence,  près  de  la  Sebkha  de  Tunis,  R  alboun  vit  ses 
soldats  prendre  la  fuite  et  se  trouva  bientôt  seul  avec  ses  officiers. 
Ceux-ci  étaient  restés  fidèles,  mais  on  ne  put  les  décider  à  rentrer 
à  Ka'irouan,  car  ils  connaissaient  trop  bien  la  violence  de  Ziadet- 
Allah  pour  aller  s'exposer  à  ses  coups.  Ils  se  retirèrent  dans 


T.'lFKIKIV.V   sors   LES   Ar'lFHITES  (825) 


275 


diverses  localités,   semant  l'anarchie  et  Tindécision  ,  tandis  que 
Tarmée  d'El-Mansour  recevait  sans  cesse  des  transfuges. 

Ziadet-Allah,  mis  au  courant  de  la  ffravité  de  la  situation, 
envoya  partout  des  courriers  pour  annoncer  qu'il  ne  songeait  pas 
à  punir  les  miliciens  :  mais  il  était  trop  tard;  l'impulsion  était 
donnée  et  la  défection  de  la  milice  devint  fjénérale.  Retranché 
dans  son  palais  d'El-Abbassia,  tandis  que  les  rebelles  marchaient 
sur  Kaïrouan,  le  p^ouverneur  put  encore  former  une  troupe  nom- 
breuse, composée  de  sa  garde  nègre  et  des  gens  de  sa  maison  ; 
il  en  confia  le  commandement  à  son  neveu  ^fohammed  et  la  lança 
contre  l'armée  d'El-Mansour.  Mais  la  fortune  le  trahit  encore  : 
son  armée  fut  anéantie,  après  avoir  perdu  ses  principaux  chefs. 
Cette  victoire  fit  entrer  dans  le  parti  de  Mansour  les  hal)ilants  de 
Kaïrouan,  qui  lui  ouvrirent  leur  ville  et  lui  envoyèrent  des 
secours  de  toute  sorte. 

Ne  pouvant  plus  compter  que  sur  lui  seul,  Ziadet-Allah  réunit 
ses  derniers  soldats  fidèles  et,  s'étant  mis  bravement  à  leur  tête, 
vint  prendre  position  entre  son  château  et  Kaïrouan.  Durant  une 
quarantaine  de  jours,  ce  ne  fut  qu'une  série  de  combats  qui  se  ter- 
minèrent, en  général,  à  l'avantage  du  vice-roi.  L'armée  de  Mansour 
se  débanda  après  une  dernière  défaite,  et  Ziadet-Allah  put  rentrer 
en  possession  de  Kaïrouan.  Contre  son  habitude,  il  accorda  l'am- 
nistie aux  habitants  et  se  contenta  de  raser  les  fortifications  de  la 
ville  (septembre-octobre  82  i). 

El-Mansour  avait  gagné  le  sud  ;  il  raUia  ses  partisans  et  infligea, 
auprès  de  Sebiba,  une  nouvelle  défaite  aux  troupes  du  gouverneur. 
La  route  du  nord  lui  étant  ouverte,  il  se  rapprocha  de  Kaïrouan 
afin  de  faciliter  la  sortie  de  cette  ville  aux  familles  des  miliciens 
révoltés;  puis  il  retourna  à  Tunis  et  s'y  installa  en  maître  (825). 

Ziadet-Allah  se  trouvait  dans  une  position  très  critique,  car  tout 
son  royaume  était  en  insurrection  ;  fort  abattu,  il  se  disposait 
même  à  capituler,  lorsque  la  désunion  éclata  entre  les  rebelles  et 
vint  à  son  aide. 

Ameur-ben-Nafa,  le  meilleur  officier  de  Mansour,  ayant  rompu 
avec  lui,  accourut  l'assiéger  dans  son  château  de  Tonboda.  Man- 
sour n'avait  pas  le  moyen  de  résister  :  il  prit  la  fuite  vers  El- 
Orbos  ;  mais,  ayant  été  rejoint  par  ses  ennemis,  il  fut  forcé  de  se 
rendre.  Ameur,  au  mépris  de  sa  promesse  de  lui  laisser  la  vie  sauve 
et  de  lui  faciliter  le  moyen  de  se  retirer  en  Orient,  lui  fit  trancher 
la  tète.  En  même  temps,  une  troupe  de  cavalerie  envoyée  dans  le 
sud  par  Ziadet-Allah  obtenait,  avec  l'appui  des  populations,  quel- 
ques succès  contre  les  reljelles  et  rétablissait  son  autorité  dans  le 
pays  de  Kastiliya. 


•276 


IIISTOIIiF.   IH:   L  AFRIQI  E 


La  cause  de  la  révolte  perdit  dès  lors,  de  jour  en  jour,  des  par- 
tisans et  Ameur  eut  à  lutter,  à  son  tour,  contre  son  lieutenant  Abd- 
es-Selam-ben-Feredj,  qui  le  força  à  se  réfu<i:ier  à  Karna,  dans  le 
voisinage  de  Badja.  Ameur  étant  mort  sur  ces  entrefaites,  ses  fils 
et  ses  derniers  adhérents  allèrent,  selon  sa  recommandation,  faire 
leur  soumission  à  Ziadet-AUah,  qui  les  accueillit  avec  bonté  (8'28). 
Abd-es-Selam  continua  à  tenir  la  campagne,  mais  il  cessa  bientôt 
d'être  dangereux,  et  Ziadet-Allah  put  s'occuper  de  l'expédition  de 
Sicile,  dont  nous  allons  parler  plus  loin  '. 

Mort  d'Edris  II;  partage  de  son  empire.  —  En  8^28,  Edris  II 
mourut  subitement  à  Fès.  Il  s'étouffa,  dit-on,  en  avalant  un  grain 
de  raisin.  Ce  prince  n'avait  que  trente-trois  ans,  et  si  la  mort 
n'était  venue  prématurément  arrêter  sa  carrière,  on  ne  peut  pré- 
voir où  se  seraient  arrêtées  ses  conquêtes.  Son  royaume  comprenait 
alors  tout  le  Mag'reb  extrême  et  s'étendait,  dans  le  Mag'reb  cen- 
tral, jusqu'à  la  Mina.  Il  avait  combattu  avec  ardeur  le  kharedjisme, 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  et  abattu  l'orgueil  des  Beni- 
Ifrene  et  Mag'raoua.  Mais,  dans  la  vallée  du  haut  Moulouïa,  les 
iSIiknaça  régnaient  toujours  en  maîtres,  et  la  dynastie  des  Beni- 
Uuaçoul  à  Sidjilmassa  protégeait  ouvertement  le  schisme.  Fès  était 
devenue  une  brillante  capitale  où  les  savants  et  les  artistes  étaient 
certains  de  rencontrer  un  accueil  empressé. 

Ainsi,  au  fond  de  la  Berbérie,  florissait  un  centre  de  pure  civi- 
lisation arabe,  tout  entouré  de  sauvages  indigènes. 

Edris  laissa  douze  fds.  L'aîné  d'entre  eux,  Mohammed,  lui  suc- 
céda à  Fès.  Peu  après,  ce  prince,  suivant  le  conseil  de  son  aïeule 
Kenza,  partagea  son  empire  avec  sept  de  ses  frères,  en  âge  de  ré- 
gner. Ayant  conservé  pour  lui  Fès  et  son  territoire,  il  donna  : 

A  El-Kassem  :  les  villes  de  Tanger,  Basra,  Ceuta,  Tetouane  et 
les  contrées  maritimes  qui  en  dépendaient  ; 

A  Omar  :  la  région  maritime  du  Rif,  avec  Tikiça  et  Tergha, 
contrée  habitée  par  les  R'omara  ; 

A  Daoud  :  Taza,  Teçoul,  Meknas  et  toutes  les  possessions  edri- 
sides  de  l'est,  jusqu'à  la  Mina,  pays  comprenant  les  Riatha, 
Houara,  etc.  ; 

A  Abdallah  :  les  régions  du  sud,  comprenant  le  Sous  et  les  mon- 
tagnes de  l'Atlas,  avec  les  villes  d'Ar'mat  et  d'Anfis,  pays  habité 
par  les  Masmouda  et  Lamta  ; 

1.  Ibn-Khaldouii,  Hist.  de  l'ifrikiya  et  de  la  Sicile,  1.  11,  12  et  13.  En- 
Nouéiri,  p.  406  et  suiv.  El-Kairouaui,  p.  83.  Baian,  t.  I,  passim. 


CONQUÊTE   DE   LA   SICILE  (828) 


277 


A  Yahïa  :  les  villes  d'Azila  et  d"El-Arai'ch,  avec  la  région  mari- 
time environnant  ces  ports,  sur  l'Océan,  et  habitée  par  les  Ouergha  ; 

A  Aïça  :  les  villes  de  Salé  et  Azemmor,  sur  l'Océan,  et  le  pays 
de  Tamesna,  avec  les  tribus  qui  en  dépendaient  ; 

Enfin  Hamza  eut  Oulili  et  la  contrée  environnante. 

Tlemcen,  avec  son  territoire,  fut  placée  sous  l'autorité  de  Aïça, 
fils  de  Soleïman,  son  oncle. 

Ainsi  l'empire  edriside  se  trouvait  fractionné  en  neuf  comman- 
dements; ce  démembrement  ne  pouvait  que  lui  être  fatal,  car  c'est 
en  vain  que  Mohammed  avait  espéré  conserver  une  suprématie  sur 
le  royaume  et  prévenir  toute  tentative  d'usurpation  de  la  part  de 
ses  frères.  La  jalousie  et  l'ambition  de  ces  princes  allaient  bientôt 
être  fatales  à  la  dynastie  edriside'. 

Etat  de  la  Sicile  au  commencement  du  ix''  siècle.  — •  Nous  allons 
quitter  un  instant  la  terre  d'Afrique  pour  nous  transporter  en  Si- 
cile, où  les  armes  musulmanes  vont  cueillir  de  nouveaux  lauriers; 
mais  il  convient,  avant  de  commencer  ce  récit,  d'examiner  quelle 
était  la  situation  de  cette  île  au  ix^  siècle. 

Depuis  longtemps,  nous  l'avons  vu,  les  Musulmans  convoitaient 
la  Sicile  et  avaient  exécuté  contre  cette  grande  île  diverses  expé- 
ditions ;  l'une  d'elles  se  serait  certainement  terminée  par  la  con- 
quête du  pays,  si  la  révolte  kharedjite  n'avait  forcé  le  gouverneur 
arabe  à  rappeler  toutes  ses  forces  pour  les  conduire  en  INIag'reb  -. 
En  présence  de  cette  menace,  les  empereurs  byzantins  s'étaient 
efforcés  de  mettre  la  Sicile  en  état  de  défense  et  d'y  envoyer  des 
troupes,  car  ils  tenaient  à  conserver  ce  boulevard  de  leur  puissance 
en  Occident.  Mais  la  période  d'anarchie  que  traversa  l'empire 
d'Orient  pendant  le  vin"  siècle,  les  guerres  qu'il  eut  à  soutenir,  les 
révoltes  qu'il  dut  réprimer,  son  déplorable  système  administratif 
qui  consistait  à  pressurer  les  populations  et  à  les  livrer  à  la  rapa- 
cité de  leurs  patrices,  les  persécutions  religieuses,  à  la  suite  des 
hérésies  des  MonothélUes  et  des  Iconoclastes^  et  enfin  les  consé- 
quences de  l'hostilité  du  pape,  qui  s'était  déclaré  en  quelque  sorte 
souverain  indépendant,  en  posant  les  bases  de  son  pouvoir  tem- 
porel ;  toutes  ces  conditions  avaient  eu  pour  résultat  de  rendre  la 
situation  de  la  Sicile  très  critique,  au  commencement  du  ix^  siècle. 
La  haine  des  populations  contre  l'Empire  était  portée  à  son  comble 


1.  Ibu-Klialdouu,  Berbères,  t.  Il,  p.  563.  El-Bekri,  Idricides.  Kartas, 
p.  61  et  suiv. 

2.  V.  ci-devant,  ch.  m  (Révolte  de  Meicera). 


278 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


et,  comme  les  souverains  de  Byzance  avaient  pris  rhabiliide  d'exiler 
en  Sicile  les  personnages  disgraciés,  il  en  résultait  des  rébellions 
continuelles,  alVaiblissant  de  jour  en  jour  l'autorité  bvzanline '. 
Plusieurs  fois,  les  rebelles  avaient  cherché  un  appui  ou  un  refuge 
auprès  des  princes  arabes  de  Kairouan.  Du  reste,  les  courses  des 
Musulmans  d'Afrique  et  d'Espagne  contre  les  îles  de  la  ^léditer- 
ranée  étaient  pour  ainsi  dire  incessantes,  et  répandaient  la  terreur 
parmi  les  populations  de  ces  rivages,  au  mépris  des  traités  parti- 
culiers, souscrits  de  temps  à  auti'e,  dans  l'intérêt  du  commerce, 
entre  les  gouvernements  omé'iade,  edriside  ou  ar'lebite  et  le  patrice 
de  Sicile,  le  pape  ou  les  républiques  maritimes. 

El'piiémils  appelle  les  Arabes  en  Sicile.  —  Expédition  dc  caui 
AcED.  —  A  la  fin  de  l'année  820,  [Michel  le  Bègue,  qui  allait  être 
livré  au  bourreau,  est  porté  par  une  révolution  de  palais  au  trône 
de  l'empire.  A  cette  nouvelle,  les  Syracusains,  ayant  à  leur  tète  un 
certain  Euphémius,  mettent  à  mort  le  patrice  Grégoire  qui  gou- 
vernait l'île  et  se  déclarent  indépendants  ;  mais  l'empereur  envoie 
en  Sicile  une  armée  qui  défait  les  Syracusains  et  écrase  cette  ré- 
volte. Euphémius  se  réfugie  en  Afrique,  avec  sa  famille,  et  offre  à 
Ziadct-AUah  la  suzeraineté  de  la  Sicile,  s'il  veut  l'aider  à  y  re- 
prendre le  pouvoir,  assurant  qu  il  a  de  nombreux  partisans  dans 
l'armée  et  la  population  et  que  la  conquête  sera  facile  (820y. 

Ziadet-Allah  était  alors  absorbé  par  ses  luttes  contre  les  rebelles. 
Cependant,  après  la  mort  d'El-Mansour,  sa  sécurité  étant  assurée, 
il  s'occupa  des  propositions  d'Euphémius  et,  comme  il  avait  reçu 
de  Platha,  gouverneur  de  Sicile,  des  communications  destinées  à 
le  détourner  de  cette  entreprise,  il  convoqua  une  assemblée  de  no- 
tables et  lui  soumit  la  question.  Plusieurs  membres  répugnaient  à 
cette  expédition,  ne  voulant  pas  rompre  une  trêve  conclue  en  813; 
mais  Euphémius  fit  ressortir  que  ce  traité  était  détruit,  ipso  fnclo, 
puisque  des  Musulmans  étaient  détenus  en  Sicile,  et  le  cadi  Aced, 
prenant  la  parole,  insista  avec  tant  de  force  pour  que  l'aventure 
fût  tentée,  qu'il  finit  par  décider  l'assemblée  à  autoriser  l'expé- 
dition, comme  une  opération  isolée,  et  non  dans  un  but  de  con- 
quête. Aced,  s'étant  proposé  pour  diriger  cette  entreprise,  fut 
nommé,  par  Ziadet-Allah,  cadi-émir  chef  de  l'expédition. 

La  guerre  sainte  fut  proclamée  et  l'expédition  se  prépara  à 
Souça,  sous  les  yeux  d'Euphémius  et  d'Aced.  Un  grand  nombre  de 

1.  Amari,  Storia  dei  Musulinani  di  Sicilia,  t.  I,  p.  76etsiiiv.,  178  et 
suiv.,  194  et  suiv. 


CONQUIÎTE  m-:  LA   SICILE  (828) 


279 


Berbères,  particulièrement  de  la  tribu  de  Ilouara,  des  réfugiés  es- 
pagnols, des  miliciens,  accoururent  à  Souça,  et  bientôt  une  armée 
de  mille  cavaliers  et  de  cinq  cents  fantassins  s"y  trouva  réunie'.  On 
ne  saurait  trop  remarquer  l'analogie  de  cette  expédition  avec  celle 
qui  livra,  un  peu  plus  d'un  siècle  auparavant,  l'Espagne  aux  Mu- 
sulmans :  ce  sont  les  mêmes  causes  et  les  mêmes  procédés  d'exé- 
cution ;  jusqu'à  l'elfectir  de  l'armée  qui  est  sensiblement  le  même; 
enfin,  la  guerre  de  Sicile  va  absorber  les  forces  actives  des  Musul- 
mans de  rifrikija  et  consolider  la  puissance  des  Ar'lebites  en  ar- 
rêtant l'ère  des  révoltes. 

Conquête  de  la  Sicile.  —  Le  13  juin  827,  selon  En-Nouéïri,  la 
flotte,  composée  d'une  centaine  de  barques  portant  l'armée  expé- 
ditionnaire, leva  l'ancre  et  le  lendemain  aborda  àMazara.  Dès  lors, 
Aced  écarta  Euphéinius  et  se  réserva  pour  lui  seul  la  direction  des 
opérations  ;  un  rameau  placé  sur  le  heaume  des  Musulmans  leur 
servit  de  signe  de  ralliement. 

Bientôt  Platha  s'avança  contre  les  envahisseurs  à  la  tête  de 
toutes  les  forces  chrétiennes,  que  les  auteurs  arabes  portent,  avec 
leur  exagération  habituelle,  à  cent  cinquante  mille  hommes.  Le 
15  juillet,  l'action  fut  engagée  par  Aced,  qui  attaqua  bravement 
les  Grecs  en  avant  de  Mazara.  Entrahiés  par  l'exemple  de  leurs 
chefs,  les  Musulmans  traversent  les  lignes  ennemies ,  culbutent 
partout  les  chrétiens  et  remportent  une  grande  victoire.  La  Sicile 
était  ouverte. 

Tandis  que  Platha  cherchait  un  refuge  en  Calabre,  Aced,  après 
avoir  assuré  sa  base  d'opérations,  marcha  contre  la  capitale,  en  re- 
cevant sur  sa  route  l'hommage  des  populations.  A  la  fin  du  mois 
de  juillet,  il  commença  le  siège  de  Syracuse  ;  mais  cette  ville  se 
défendit  avec  vigueur  et  reçut  des  secours  d'Orient  et  de  Venise. 
Dans  l'été  de  828,  Syracuse  était  sur  le  point  de  tomber  aux  mains 
des  Musulmans  et  avait  déjà  fait  des  offres  de  reddition,  d'ailleurs 
repoussées,  lorsque  Aced  mourut.  Dès  lors  la  fortune  abandonna 
les  Musulmans.  Mohammed-ijen-el-Djouari,  successeur  d'Aced, 
eut  à  lutter  contre  des  séditions  et  vit  partout  la  résistance  s'orga- 
niser. En  même  temps,  le  comte  de  Lacques  faisait  une  descente 
sur  les  côtes  de  Tunisie  et  empêchait  le  gouverneur  ar'lebite  d'en- 
voyer des  secours  à  l'expédition.  Forcés  de  lever  le  siège  de  Syra- 
cuse, les  Musulmans  tentèrent  d'aliord  de  fuir  par  mer;  mais,  la 
flotte  ennemie  leur  ayant  coupé  le  chemin,  ils  descendirent  à  terre, 
incendièrent  leurs  vaisseaux  et  se  réfugièrent  dans  des  montagnes 

1.  Ibn-Klialdoun,  t.  I,  p.  277.  Amari,  Storia,  t.  I,  p.  258  et  suiv. 


280 


IIlSTOnilC   IJE   I,  AKHKJL'E 


escarpées,  avec  Euphcmius  qui  avait  pris  le  litre  d'empereur.  Re- 
prenant ensuite  roiïensive,  ils  s'emparèrent  de  Minée,  deGirgenti 
et  de  Castro-Giovanni  (Enna),  où  ils  mirent  à  mort  Euphémius, 
soupçonne  d'être  entré  en  pourparlers  avec  l'ennemi.  Mohammed- 
el-Djouari  fit  alors  battre  monnaie  à  son  )iom  ;  il  mourut  en  829 
et  fut  remplacé  par  Zohe'ir-ben-li'aouth. 

La  situation  des  ^lusulmans,  réduits  à  la  possession  de  Mazara 
et  de  ]\Iinée,  était  assez  précaire,  lorsque,  dans  l'été  de  H30,  une 
flotte  arriva  d'Afrique  avec  trente  mille  hommes:  Berbères,  Ara- 
bes, aventuriers  espagnols  et  autres,  envoyés  par  Ziadet-AUah, 
pour  reconquérir  le  terrain  perdu.  Les  Musulmans  reprirent  une 
vigoureuse  oH'ensive  et  vinrent  assiéger  Palerme.  .\près  une  hé- 
ro'ique  résistance  de  plus  d'un  an,  cette  ville  capitula  dans  l'au- 
tomne de  831  et  les  habitants  qui  avaient  échappé  aux  dangers 
et  aux  privations  du  siège  furent  réduits  en  esclavage.  Ainsi  les 
Musulmans  étaient  maîtres  d  une  grande  partie  de  la  Sicile.  Ils 
s'établirent  solidement  à  Palerme  et  fondèrent  une  colonie  où  ac- 
coururent Africains  et  Espagnols.  Ziadet-Allah  nomma  de  ses  pa- 
rents comme  gouverneurs  de  l  île,  et  la  guerre  suivit  son  cours 
entre  les  musulmans  et  les  chrétiens,  avec  les  alternatives  ordi- 
naires de  succès  et  de  revers". 

Mort  ni-  Ziadet-Allah.  —  Son  kki-ke  Abou-Eïkal-el-Ar  leb  lui 
SUCCÈDE.  —  Pendant  que  la  Sicile  était  le  théâtre  de  ces  événements, 
le  rebelle  Abd-es-Selam  continuait  à  tenir  la  campagne  en  Ifrikiya. 
Un  certain  Fadel  avant,  en  833,  levé  l'étendard  de  la  révolte,  dans 
la  péninsule  de  Cherik,  Abd-es-Selam  opéra  avec  lui  sa  jonction  ; 
mais  les  troupes  du  gouverneur  les  mirent  en  déroule,  et  la  paix 
se  trouva  enfin  rétablie  d'une  manière  définitive  (830l. 

Le  vice-roi  put  alors  se  consacrer  entièrement  à  la  direction  de 
la  guerre  sainte  et  aux  travaux  d'embellissement  qu'il  avait  entre- 
pris à  Ka'irouan.  Selon  En-\ouéïri,  il  rebâtit  la  mosquée  qui  avait 
été  construite  par  Yezid-ben-Halem,  fit  établir  un  pont  à  la  porte 
d'Abou-Piebia  et  compléta  les  fortifications  de  Souça.  Le  10  juin  838, 
la  mort  vint  le  surprendre  au  milieu  de  ces  travaux.  Il  était  âgé  de 
cinquante  et  un  ans  et  avait  exercé  le  pouvoir  pendant  vingt  et 
un  ans,  sept  mois  et  huit  jours.  Malgré  les  difTicultés  toujours  re- 
naissantes contre  lesquelles  il  avait  eu  à  lutter,  son  règne,  illustré 

1.  Ibn-cl-Alliir  douuc  à  cet  cvénemeiU  la  date  do  832.  Eii-Nouéiri  et 
Elie  de  la  Primaudaic,  (Arabes  et  Normands  en  Sicile  et  en  Italie),  835. 
Nous  adoptons  la  date  donnée  par  M.  Aniari,  t.  I.  p.  290. 

2.  Ainari,  t.  I,  p.  294  et  siiiv. 


CONQUÊTE   DE   LA   SICILE  (836) 


281 


par  la  conquête  de  la  Sicile,  fut  un  des  plus  glorieux  de  sa  dy- 
nastie. Ce  prince,  après  s'être  montré  cruel  et  injuste,  donna,  sur 
la  fin  de  son  règne,  de  beaux  exemples  de  générosité  et  de  gran- 
deur de  caractère  ;  seule,  la  milice  ne  pouvait  trouver  grâce  de- 
vant lui.  Il  était  doué  d  un  esprit  cultivé  et  faisait  assez  bien  les 
vers,  mais  sa  passion  pour  le  vin  le  poussait  trop  souvent  à  com- 
mettre des  excentricités.  C'est  ainsi  que,  se  trouvant  un  jour  en 
état  d'ivresse,  il  adressa  au  khalife  El-Mamoun  des  vers  incon- 
venants et  menaçants  qu'il  s'empressa  de  désavouer  quand  il  eut 
repris  son  bon  sens.  Son  frère  Abou-Eïkal-el-Ar'leb,  surnommé 
Khazer,  lui  succéda  ' .  Il  était  depuis  longtemps  son  premier  ministre. 

Guerres  entre  les  descendants  d'Edris  II.  —  Dans  le  Mag'reb, 
la  guerre  n'avait  pas  tardé  à  éclater  entre  les  fds  d'Edris  II.  Aïça, 
à  Azemmor,  s'était  d'abord  mis  en  état  de  révolte.  Mohammed, 
usant  de  son  droit  de  suzeraineté,  chargea  alors  ses  frères  El-Kassem 
et  Omar  de  le  combattre  ;  mais  ce  dernier  seul  y  consentit.  Ayant 
marché  contre  le  rebelle,  il  le  mit  en  déroute,  le  força  à  se 
réfugiera  Salé  et  s'empara  de  ses  états.  Il  reçut  ensuite  de  Mo- 
hammed l'ordre  de  réduire  son  autre  frère  El-Kassem  qui  persistait 
dans  sa  désobéissance  et,  lui  ayant  fait  subir  le  même  sort,  adjoi- 
gnit encore  sa  province  à  la  sienne,  de  sorte  qu'il  se  trouva  en 
possession  de  toutes  les  régions  maritimes  de  l'Océan.  El-Kassem 
se  réfugia  dans  un  couvent  auprès  d'Azila  et  se  consacra  entiè- 
rement à  la  dévotion. 

Omar,  qui  paraissait  avoir  hérité  des  qualités  guerrières  de  son 
père,  mourut  prématurément  en  835.  Ce  prince  est  l'aïeul  de  la 
dynastie  des  Edrisides-Hammoudites,  dont  nous  aurons  à  parler 
plus  tard  ;  son  iils  Ali  lui  succéda. 

L'année  suivante  (836^>,  Mohammed  cessa  de  vivre,  à  Fès,  laissant 
un  iils  nommé  Ali,  âgé  seulement  de  onze  ans,  auquel  les  Aoureba 
prêtèrent  serment  de  fidélité  -.  Ainsi  disparaissaient,  l'un  après 
l'autre,  les  chefs  de  cette  brillante  famille  et  se  fractionnait  l'em- 
pire fondé  par  Edris.  Les  survivants  régnèrent  obscurément  dans 
leurs  provinces,  et  comme  les  événements  de  leur  histoire  ne  pré- 
sentèrent rien  de  saillant  pendant  quelques  années,  nous  cesserons 
pour  le  moment  de  nous  occuper  des  Edrisides. 

Les  Midrarides  a  Sidjilmassa.  —  A  Sidjilmassa,  les  Beni-Ouaçoul 

t.  Eii-Nouéiri,  p.  412.  El-Kairouani,  p.  84.  Ibu-Khaldoun,  Histoire 
(te  L'Ifr.  et  de  la  Sic,  p.  110. 

2.  Ibii-Kliaidouii,  DcrbèreSj  t.  II,  p.  564.  El-Bekri,  Idricides. 


282 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


continiiaienl  à  exercer  le  pouvoir;  El-Moiitaoar-cl-Yaçâa,  surnommé 
Midrar,  qui  avait  succédé  à  Abou-l'Kaccm,  subjugua  les  Berbères 
du  Sahara,  rebelles  à  son  autorité,  et  conquit  les  mines  de  Deraa, 
dont  il  se  fit  attribuer  le  cinquième.  Ce  prince  donna  un  véritable 
lustre  à  sa  dynastie  qui  fut  désij^née  sous  le  nom  de  Beni-Midrar. 
Il  rechercha  l'alliance  des  Rostemides  de  Tiharet  et  obtint  une  de 
leurs  filles  en  mariage.  Les  Kharedjites  persécutés  par  les  Edri- 
sides  trouvèrent,  à  Sidjilmassa,  un  refuge  assuré.  El-Montaçar 
était  occupé  à  entourer  sa  capitale  de  retranchemenls,  lorsqu'il 
mourut  (824).  Son  fils,  nommé  aussi  El-Montaçar,  lui  succéda  et 
vit  son  règne  troublé  par  la  révolte  de  ses  fils.  L'un  d'eux,  nommé 
JMeïmoun,  s'empara  du  pouvoir  ou  l'exerça  simultanément  avec 
son  père  '. 

L'Espagne  sors  AnD-Eu-RAiiMAX  IL  —  En  Espagne,  Abd-er- 
Rahman  II  continuait  à  régner.  Il  avait  rétabli  la  paix  dans  son 
royaume  et  vivait  somptueusement  dans  sa  capitale.  «  Jamais  — 
«  dit  Dozy  -  — ,  la  cour  des  sultans  d'Espagne  n'avait  été  aussi 
Il  brillante  qu'elle  le  de\int  sous  le  règne  d'Abd-er-Rahman  IL 
<i  Amoureux  de  la  supcri^e  prodigalité  des  khalifes  de  Bagdad,  de 
(I  leur  vie  de  pompe  cl  d'apparat,  ce  monarque  s'entoura  d'une 
«  nombreuse  domeslicilé,  emiiellil  sa  capitale,  fit  construire  à 
<i  grands  frais  des  ponts,  des  mosquées,  des  palais  et  créa  de  vastes 
«  et  magnifiques  jardins,  sur  lesquels  des  canaux  répartissaient  les 
«  torrenls  des  montagnes.  Il  aimait  la  poésie,  et  si  les  vers  qu'il 
«  faisait  passer  pour  les  siens  n'étaient  pas  toujours  de  lui,  du 
Il  moins  il  récompensait  généreusement  les  poètes  qui  lui  venaient 
<i  en  aide.  Au  reste,  il  était  doux,  facile  et  bon  jusqu'à  la  fai- 
<i  blesse.  » 

En  828,  les  habitants  de  Mérida  s'étant  révoltés,  le  khalife  fit 
marcher  contre  eux  une  armée.  Ils  se  soumirent  alors  et  livrèrent 
des  otages  ;  mais  quand  ils  virent  qu'on  démolissait  les  remparts 
de  leur  cité,  ils  se  soulevèrent  de  nouveau  et  restèrent  indépendants 
jusqu'en  833  ^. 

1.  Ibii-Klialdouii,  t.  I,  p.  262.  El-Bekri,  passim. 

2.  Musulmans  d' Espagne,  t.  IL  P-  87. 

3.  Dozy,  licc/ierc/ies  sur  l'histoire  de  l' Espagne ,  p.  158.  El-Marrakclii 
(Dozy),  p.  14  et  suiv. 


CHAPITRE  VII 


LES  DERNIERS  AR'LERITES 

838-902 

Gouvernement  d'Aljou-Eikal.  —  Gouvernement  d'Ahou-l'Aljbas-Mohammed. 
—  Gouvernement  d'At>ou-lbrahim-Ahmed.  —  Evénements  d'Espagne.  — 
Gouvernements  de  Ziadcl-Allah  le  jeune  et  d'Abou-el-R'aranik.  —  Guerre 
de  Sicile.  —  Mort  d'Abou-cl-R'aranik.  —  Gouvernement  d'Ibrahim-ben- 
Ahmed.  —  Les  souverains  edrisides  de  Fès.  —  Succès  des  Jlusulmans  en 
Sicile.  —  Ibrahim  repousse  l'invasion  d'El-Abbas-ben-Touloun.  —  Révoltes 
en  Ifrikiya;  cruautés  d'Ibrahim.  —  Progrès  de  la  secte  chiaïle  en  Ber- 
bérie;  ari'ivéo  d'Abou-Abd-Allah.  — Nouvelles  billes  d'Ibrahim  contre  les 
révoltés.  —  Expédition  d'Ibrahim  contre  les  Toulounides.  — Abdication 
d'Ibrahim.  —  Evénements  de  Sicile.  —  Evénements  d'Espagne. 

GoL'VERN'EMicNT  d'Abou-Eïkal.  —  Lc  règiie  d'Abou-Eïkal,  frère  et 
successeur  de  Ziadel-Allah,  fut  fort  court.  Ce  prince,  que  les  his- 
toriens comparent  à  son  aïeul  El-Ar"leb,  s'attacha  à  faire  fleurir 
dans  son  gouvernement  la  paix  et  la  justice.  Il  abolit  les  impôts 
qui  n'étaient  pas  conformes  à  la  loi  relijjieuse  et  une  foule  de  taxes 
particulières  établies,  dans  diverses  localités,  parles  "fouverneurs, 
qui  reçurent  alors  un  traitement  fixe,  et  auxquels  il  fut  défendu 
sévèrement  de  se  créer  aucune  autre  source  de  revenus.  Il  pros- 
crivit il  Kaïrouan  l'usage  du  vin,  afin  d'éviter  les  abus  dont  son 
frère  avait  donné  de  si  tristes  exemples.  Il  aurait  également,  selon 
Cardonne,  assigné  une  paie  régulière  à  la  milice  qui,  jusque-là, 
avait  vécu  surtout  des  ressources  qu'elle  se  procurait  en  campagne. 
La  milice,  bien  traitée  par  lui,  se  tint  tranquille  et  oublia  pour 
quelque  temps  ses  traditions  d'indiscipline 

Abou-Eïkal  ne  négligea  pas  la  guerre  de  Sicile  et,  grâce  aux 
renforts  qu'il  expédia  dans  cette  île,  les  Musulmans  reprirent  ac- 
tivement la  campagne  et  s'emparèrent  d'un  grand  nombre  de 
places.  Sur  ces  entrefaites,  le  prince  longobard  de  Bénévent  ayant 
attaqué  la  république  de  Naples,  le  consul  de  cette  ville,  Sicard, 
demanda  des  secours  aux  Arabes  de  cette  ville,  qui  lui  envoyèrent 
une  petite  ai^mée,  avec  laquelle  il  repoussa  les  agresseurs.  Il  en  ré- 

1.  En-Nouéiri,  p.  414,  415. 


284  HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 

sulta  une  lig'iie  entre  Naples  et  les  émirs  de  Sicile,  ligue  qui  dura 
cinquante  ans  ' . 

Après  un  règne  paisible  de  deux  ans  el  neuf  mois,  Abou-Eïkal 
cessa  de  vivre  (février  8 il). 

Gouvernement  uAnor-L'AnnAS-MoiiAMMED.  —  Abou-l'Abbas- 
Mohammed  succéda  à  Abou-Eïkal,  son  père,  sans  hériter  de  sa 
sagesse.  Négligeant  le  soin  des  airaires  publiques  pour  se  livrer  à 
ses  plaisirs,  il  choisit  comme  ministres  les  deux  frères  Abou-Abd- 
Allah  el  Abou-IIoniéïd,  et  les  laissa  diriger  le  gouvernement  selon 
leur  bon  plaisir.  Abou-Djafer,  frère  du  vice-roi,  fut  profondément 
blessé  de  cette  préférence  qui  le  reléguait  au  second  plan,  et 
résolut  de  s'emparer  du  pouvoir.  Lorsque  le  complot,  ourdi  en 
secret,  eut  été  préparé,  les  conjurés  montèrent  à  cheval  à  midi, 
au  moment  où  tout  le  monde  se  reposait,  et  pénétrèrent  dans  le 
palais  du  gouvernement,  après  avoir  culbuté  la  garde.  Ils  se  sai- 
sirent d'abord  du  vizir  Abou-Abdallali  et  le  mirent  à  mort. 

Cependant  quelques  serviteurs,  étant  revenus  de  leur  surprise, 
se  jetèrent  au  devant  des  agresseurs  et  leur  tinrent  tête  un  moment, 
ce  qui  permit  à  Abou-l'.-Vbbas  de  se  retrancher  dans  le  réduit.  Le 
chef  des  révoltés  protesta  alors  qu'il  n'en  voulait  qu'aux  ministres, 
et,  devant  ces  assurances,  le  gouverneur  consentit  à  se  rendre  dans 
la  salle  d'audience.  S  élant  assis  sur  son  trône,  il  donna  l'ordre 
d'introduire  le  peuple,  en  feignant  d'ignorer  ce  qui  s'était  passé. 
Abou-Djafer  entra  le  premier  à  la  tête  des  mutins  et  reprocha  à 
son  frère,  en  termes  assez  violents,  de  se  laisser  conduire  par  les 
fils  de  Iloméïd,  et  de  fermer  les  yeux  sur  leurs  actes.  Abou-l'Abbas 
était  dans  une  situation  trop  critique  pour  se  montrer  arrogant.  Il 
consentit  à  livrer  ,\bou-Homéïd  à  son  frère,  après  avoir  reçu  de 
lui  la  promesse  qu'on  n'attenterait  pas  à  sa  vie. 

Moyennant  cette  concession,  Abou-Djafer  jura  de  ne  faire  au- 
cune tentative  pour  renverser  son  frère,  mais  il  profita  de  cette  oc- 
casion pour  s'emparer  de  la  direction  des  affaires  de  l'état  ;  il  de- 
vint donc  le  véritable  gouverneur,  tandis  que  Mohammed  n'en 
conservait  que  le  titre.  Durant  quelque  temps,  Abou-Djafer  tint 
d'une  main  ferme  les  rênes  du  gouvernement  ;  puis,  lorsqu'il  fut 
rassasié  du  pouvoir,  il  commença  à  se  relâcher  de  son  active  sur- 
veillance pour  se  lancer  dans  les  mêmes  écarts  que  son  frère  et 
s'adonner  particulièrement  au  vin.  Par  une  bizarre  coïncidence, 
Abou-l'.Abbas,  faisant  alors  un  retour  sur  lui-même,  se  trouva  las 


1.  Amari,  t.  I,  p.  309  et  suiv. 


LES   DERNIERS   Ak'i.EIîITES  (850) 


285 


du  rôle  secondaire  auquel  il  était  réduit  et  prit  la  virile  résolution 
de  ressaisir  l'autorité. 

Après  avoir  noué  des  relations  avec  quelques  chefs  mécontents, 
Mohammed  fit  entrer  dans  son  parti  un  certain  Ahmed-ben-So- 
fiane,  cheikh  très  influent  à  Kaïrouan,  qui  devint  son  principal 
agent.  Bientôt  la  conjuration  l'ut  orf^anisée.  .Abou-Djater,  en  ayant 
été  prévenu  par  un  traître,  refusa  d'y  croire,  car  Abou-l'Abbas  pa- 
raissait de  plus  en  plus  ai:)sorbé  par  ses  débauches.  Au  jour  fixé 
pour  l'exécution  du  complot,  un  j^rand  nomi^re  de  conjurés  dé- 
j^uisés  en  esclaves  s'introduisirent  dans  la  forteresse.  Ahmed-ben- 
Sofiane  leur  distribua  des  armes,  ainsi  qu'aux  esclaves  et  aux  af- 
franchis dont  il  était  sûr,  et  les  fit  cacher.  Averti  une  deuxième  et 
une  troisième  fois,  Abou-Djafer  envoya  une  patrouille  faire  une 
reconnaissance  au  dehors;  mais  les  soldais  n'ayant  rien  trouvé 
d'extraordinaire,  il  reprit  sa  tranquillité. 

Au  coucher  du  soleil,  un  fjroupe  de  conjurés  se  précipita  sur  les 
f^ardesde  la  porte  qu'on  avait  pris  le  soin  d'enivrer  et  les  massacra. 
Ayant  ensuite  placé  sur  le  toit  du  réduit  un  feu  devant  servir  de 
signal  aux  gens  de  la  ville,  les  partisans  du  gouverneur  légitime 
attaquèrent  ceux  d'Abou-Djafer.  On  se  battit  pendant  une  partie 
de  la  nuit,  jusqu'à  l'arrivée  des  habitants  de  Kaïrouan,  dont  le 
grand  nombre  assura  la  victoire.  Abou-Djafer,  réfugié  dans  son 
palais,  fit  demander  sa  grâce  à  Abou-l'Abbas  qui  lui  pardonna  gé- 
néreusement. Il  se  contenta  de  lui  reprocher  en  public  sa  conduite 
et  de  l'exiler  du  pays,  après  lui  avoir  confisqué  ses  trésors  (846). 
Abou-Djafer  se  réfugia  en  Orient,  où  il  mourut. 
^  Délivré  de  la  tyrannie  de  son  frère,  le  gouverneur  ÎMohaninied 
eut  bientôt  à  lutter  contre  d'autres  révoltes.  En  8iS,  Amer,  fils  de 
Selim-ben-R'alboun,  voulant  venger  son  père  qui  avait  été  mis  à 
mort  par  l'ordre  du  prince,  à  la  suite  d'une  tentative  de  révolte, 
répudia  l'autorité  de  son  maître  et  se  proclama  indépendant  à 
Tunis.  Durant  deux  ans,  le  gouverneur  essaya  en  vain  de  le  ré- 
duire ;  enfin,  le  20  septembre  850,  Tunis  fut  enlevée  d'assaut,  et 
Amer  ayant  été  pris  fut  décapité.  La  révolte  était  domptée 

Abou-l'Abbas  paraît  ensuite  avoir  tourné  ses  regards  vers  l'ouest 
et  essayé  de  s'opposer  aux  empiétements  des  Rostemides  de  Ti- 
haret,  en  faisant  construire  non  loin  de  cette  ville  une  place  forte 
qu'il  nomma  El-Abbassïa,  s'appuyant  sur  une  ligne  de  postes  avan- 
cés ;  mais  il  était  trop  tard  pour  pouvoir  ressaisir  une  autorité  à 
jamais  perdue  ;  avant  peu  la  nouvelle  ville  devait  être  brûlée  par 


1.  Eu-Nouéiri,  p.  417. 


■2m 


HISTOIRE   DI-  i/aFRIQUIÎ 


Afia,  fils  d'Alxl-el-Ouahab-ljcn-Rostem,  poussé  à  cela  parle  khalife 
d'Espagne 

Le  11  mai  856,  Abou-l'Abbas  mourut  à  Kaïrouan^.  Quelque 
temps  auparavant,  avait  eu  lieu  le  décès  de  Sahnoun,  un  des  plus 
grands  docteurs  selon  le  rite  malekite. 

Gouvernement  d'Abol-Ibraiiim-Aiimed.  —  Abou-lbrahini-Ahmed 
succéda  à  son  frère  Abou-l'Abbas.  Il  régna  paisiblement  pendant 
trois  ans.  Vers  859,  les  Berbères  des  environs  de  Tripoli  s'étant 
refusés  d'acquitter  l'impôt,  Abd-Allah,  gouverneur  de  cette  ville, 
marcha  contre  eux.  Mais,  après  avoir  essujé  plusieurs  défaites, 
il  dut  se  renfermer  derrière  les  remparts  de  Tripoli  et  demander 
du  secours  au  gouverneur  de  Kaïrouan.  Ziadet-Allah,  frère  d'Abou- 
Ibrahim,  accouru  en  tonte  hâte  à  la  tête  d'une  armée,  fit  rentrer 
les  rebelles  dans  le  devoir,  après  leur  avoir  infligé  une  sévère  pu- 
nition. 

Abou-Ibrahim  continua  à  s'occuper  de  travaux  d'utilité  publique 
pour  lesquels  il  avait  un  grand  goût,  et  en  fit  profiler  non  seule- 
ment sa  capitale,  mais  encore  Souça  et  plusieurs  autres  localités. 
Il  s'attacha  surtout  aux  travaux  hydrauliques  cl  dota  Kaïrouan 
de  plusieurs  citernes,  notamment  de  celle  appelée  El-Madjel-el-Ke- 
bir  établie  près  de  la  porte  de  Tunis  ^, 

Ces  soins  ne  l'empêchèrent  pas  de  continuer  la  guerre  de  Sicile. 
Abou-l'Abl^as-Ibn-Abou-Fezara  avait  succédé  comme  comman- 
dant militaire  à  Abou-l'Ar'leb,  mort  en  851 .  Ce  général  poussa  acti- 
vement les  opérations  militaires  et  remporta  de  réels  succès  qui 
furent  accompagnés  des  plus  grandes  cruautés.  En  858,-  il  s'em- 
para de  Céfalu.  Le  24  janvier  de  l'année  suivante,  il  se  rendit  maître 
de  la  forteresse  de  Castrogiovanni,  qui  résistait  depuis  trente 
ans  et  où  les  Siciliens  avaient  réuni  de  grandes  richesses.  Cette 
perte  causa  dans  l'île  une  véritable  stupeur,  dont  profitèrent  les 
Musulmans. 

Vers  860,  l'empereur  Michel  III,  l'ivrogne,  envoya  une  nouvelle 
expédition  en  Sicile.  A  l'approche  des  Byzantins,  plusieurs  can- 
tons se  soulevèrent,  mais  Abbas,  ayant  écrasé  l'armée  impériale  et 
forcé  ses  débris  à  reprendre  la  mer,  ne  tarda  pas,  grâce  à  son 
énergie,  à  rétablir  la  paix  dans  son  territoire.  Il  mourut  le  18 
août  861  \ 

1.  Ibn-Klialdoun,  t.  I,  p.  419.  Ibu-El-Atliir,  passim. 

2.  El-Kairouani  donne  la  date  de  854. 

3.  Eu-Nouéiri,  p.  420. 

4.  Michèle  Amari,  Storia,  t.  I,  p.  320  et  suiv. 


LES   DERNIERS   Ali 'l-EIilTES  (862) 


287 


En  décembre  863,  Abou-Ibrahim,  qui  avait  su  par  sa  justice  et 
sa  bonté,  s'attirer  rafTection  de  ses  sujets,  tomba  malade  et  mou- 
rut le  28  dudit  mois,  après  avoir  réf^né  huit  ans.  On  rapporte 
que,  pendant  sa  maladie,  on  achevait  la  citerne  du  vieux  château 
et  qu'il  s'informait  chaque  jour,  avec  intérêt,  de  l'état  des  travaux. 
Enfin  on  lui  apporta  une  coupe  pleine  de  l'eau  de  la  citerne  :  il  la 
but  avec  empressement  et  mourut  presque  aussitôt.  Il  n'était  âgé 
que  de  vinj^t-neuf  ans. 

Evénements  d'Espagne.  —  En  Espagne,  Ahd-er-Rahman  II 
était  mort  subitement  le  22  septembre  852.  Il  laissait  deux  fils  : 
Mohammed  et  Abdallah  qui  aspiraient  l'un  et  l'autre  à  lui  succéder, 
car  leur  père  n'avait  pris  aucune  disposition  précise  à  ce  sujet. 
Appuyé  par  les  eunuques,  ^lohammed  parvint  à  s'emparer  du 
pouvoir.  C'était  un  homme  médiocre,  entièrement  livré  à  la  dé- 
bauche. Il  ne  tarda  pas  à  éloigner  de  lui  la  masse  de  ses  sujets  et 
ne  sut  plaire  qu'à  la  caste  des  clercs,  ou  fakihs,  dont  il  flatta  le 
fanatisme  en  persécutant  les  chrétiens. 

Les  habitants  de  Tolède  s'étantmis  en  état  de  révolte  appelèrent 
à  leur  secours  les  chrétiens  du  royaume  de  Léon,  et  Ordoïïo  \" 
envoya  une  armée  pour  les  soutenir.  Mais  Mohammed  aj-ant,  en 
personne,  marché  contre  eux,  attira  les  confédérés  dans  une  em- 
buscade, les  vainquit  et  en  fit  un  carnage  épouvantable  :  huit  mille 
têtes  furent  coupées  et  envoyées  dans  les  principales  villes  d'Es- 
pagne et  même  d'Afrique.  Cependant  Tolède  continua  à  rester  en 
état  de  révolte,  et,  comme  les  Musulmans  accusaient  les  chrétiens 
d'être  les  fauteurs  de  celte  rébellion,  les  persécutions  redoublèrent 
contre  eux.  Bientôt,  du  reste,  une  levée  de  boucliers  des  chré- 
tiens et  des  renégats  se  produisit  dans  les  montagnes  de  Regio. 

Sur  ces  entrefaites,  un  chef  d'origine  wisigothe,  Moussa  II,  qui 
avait  formé  dans  le  noi'd  un  état  indépendant,  appelé  la  frontière 
supérieure^  et  dont  la  puissance  avait  contrebalancé  celle  de  l'émir 
de  Cordoue,  vint  à  mourir  (862).  Mohammed  rentra  alors  en  pos- 
session de  Tudèle  et  de  Sarragosse,  ainsi  que  d'une  partie  de  la 
frontière  supérieure  ;  mais  le  reste,  de  même  que  Tolède,  demeura 
dans  l'indépendance  sous  la  protection  du  roi  de  Léon  '. 

Vers  cette  époque,  les  Normands,  qui  avaient  déjà  pillé  et  brûlé 
Séville,  en  844,  firent  de  nouvelles  incursions  dans  la  péninsule  en 
remontant  les  fleuves.  Le  fameux  Ilasting  parcourut,  avec  une 
flotte  de  cent  voiles,  la  Méditerranée  et  ravagea  le  littoral  de  la 


1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  158  et  suiv. 


288 


HISTOIRE   DE   I.  AFRIQUE 


Maiirc'lanie,  de  l  Espag^ne  et  des  îles,  vers  860.  La  ville  de  Nokour 
eut  particulièrement  à  souffrir  de  leurs  excès 

Gouvernement  de  Ziadet-Ali.aii,  dit  le  jeune,  et  d  Arou-el-R'a- 
RANiK.  —  A  Kaïrouan,  Abou-Mohammed-Ziadet-Allah,  le  jeune, 
avait  succédé  à  son  frère  Ahmed  'décembre  S(33i.  Ce  prince  parais- 
sait bien  doué,  mais  la  mort  le  surprit  le  22  décembre  864,  après 
un  an  de  rèfjne.  Son  neveu  Abou-Abd-Allah-Mohammed,  surnommé 
Abou-el-R"aranik  (rhomnie  aux  ^'■ruesi  lui  succéda.  Le  jjoût  de  ce 
prince  pour  la  chasse  aux  grues  lui  avait  valu  ce  surnom. 

Une  révolte  des  Berbères  sig:nala  les  premiers  jours  de  son 
rè^ne,  Biskra,  Tehouda,  les  Ilouara,  voisins  du  territoire  des  Ros- 
teniides,  toutes  les  populations  du  Zab  et  du  Hodna,  régions  qui 
formaient  alors  la  limite  du  sud-ouest,  se  lançèrent  dans  la  rébel- 
lion. Le  général  Abou-Khafadja-ben-Ahmed,  envoyé  par  le  prince 
contre  les  révoltés,  leur  infligea  de  nombreuses  défaites  et  les  con- 
traignit à  la  soumission.  Seuls,  les  Houara  résistaient  encore.  Abou- 
Khafadja  ayant  opéré  sa  jonction  avec  le  général  Haï-ben-Malek, 
qui  commandait  un  autre  corps  d'armée,  pénétra  dans  le  Hodna  et 
atteignit  les  Houara.  Les  indigènes  essayèrent  en  vain  d'obtenir 
leur  pardon  en  se  soumettant  aux  conditions  qu'on  voudrait  leur 
imposer,  Abou-Khafadja,  inflexible,  donna  le  signal  de  l'attaque.  Les 
Houara,  sans  espoir  de  salut,  combattirent  avec  le  dernier  achar- 
nement et,  contre  toute  attente,  les  guerriers  arabes  commencèrent 
à  plier  ;  bientôt,  Haï-ben-Malek  prit  la  fuite,  en  entraînant  la  cava- 
lerie. Abou-Khafadja,  voyant  la  victoire  lui  échapper,  se  fit  brave- 
ment tuer  avec  presque  toute  son  escorte.  Les  débris  de  ses  troupes 
se  réfugièrent  à  Tobna.  Il  ne  paraît  pas  qu'.Abou-l'R'aranik  ait 
cherché  à  tirer  vengeance  de  cet  échec". 

Guerre  de  Sicile.  —  Pendant  que  l'.Afrique  était  le  théâtre  de 
ces  événements,  les  armes  arabes  obtenaient  de  nouveaux  succès  en 
Sicile.  En  867,  Basile  le  Macédonien,  étant  monté  sur  le  trône  im- 
périal, s'appliqua  à  réorganiser  l'armée  et,  dans  la  même  année, 
envoya  une  expédition  en  Sicile.  Une  certaine  anarchie  divisait  les 
Musulmans,  depuis  la  mort  de  Abbas  ;  les  Berbères  étaient  jaloux 
des  Arabes,  et  ceux-ci  étaient  toujours  divisés  par  les  rivalités  des 
Yéménites  et  des  Modhérites.  Les  troupes  impériales  obtinrent 

1.  El-Bekri,  p.  92  du  texte  arabe.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  159.  Baian, 
t.  II,  p.  44.  Dozy,  Recherches  sur  l'histoire  de  l'Espagne,  t.  I  et  II, 
passim. 

2.  En-Noueiri.  p.  422. 


LES   DERNIERS   Ar'i.ERITES  (875) 


289 


quelques  succès  et  paraissent  s'être  emparées  de  Castrof^iovanni  ; 
mais  bientôt  les  Musulmans  reprirent  l'avantage  et  portèrent  le 
ravage  dans  les  environs  de  Syracuse.  En  868,  Khafadja-ben-Sofian 
qui  avait  pris  le  commandement,  défit  une  nouvelle  armée  byzan- 
tine envoyée  par  Basile  ;  mais  il  loml^a  peu  après  sous  le  poi<;nard 
d'un  Berbère  houari. 

L'année  suivante  (869i,  Ahmed-ben-(  )mar-ben-El-Ar"leb  s'empara 
de  l'île  de  Malte.  Les  Byzantins,  accourus  en  toute  hâte,  arra- 
chèrent aux  Ar'lebites  leur  nouvelle  conquête.  Mais,  au  mois  de 
juin  870,  la  flotte  musulmane  envoyée  de  Sicile  débarqua  à  ALnlte 
une  nouvelle  armée  qui  reprit  l'ile  aux  chrétiens  '. 

Mort  d'Abou-el-R".vranik.  —  Gouvernement  d'Ibrauim-ben- 
AiiMED.  —  Abou-El-R'aranik  mourut  le  16  février  875,  après  avoir 
ré<îné  une  dizaine  d'années.  Il  n'était  âgé  que  de  vingt-quatre 
ans,  et  avait  une  si  mauvaise  santé  qu'il  avait  passé  plusieurs  fois 
pour  mort,  ce  qui  lui  avait  valu  le  surnom  d'El-Mïït.  Comme  la 
plupart  des  membres  de  la  famille  ar'lebite,  ce  prince  se  distin- 
guait par  la  bonté  et  la  générosité  ;  mais  aussi  il  avait  les  défauts 
de  ses  devanciers,  qui  tous  mouraient  si  jeunes  ;  esclave  de  ses 
passions,  il  était  dominé  par  le  goût  des  plaisirs,  de  la  chasse  et 
surtout  de  la  débauche  et  du  vin.  Sa  prodigalité  était  si  grande 
qu'il  laissa  le  trésor  complètement  à  sec.  Son  frère,  Abou-Ishak- 
Ibrahim,  qui  dirigeait  les  alTaires  comme  premier  ministre,  était 
impuissant  à  le  modérer  dans  ses  dépenses. 

Avant  de  mourir,  Abou-el-R'aranik  avait  désigné,  pour  lui 
succéder,  son  fils  Ahmed-Abou-L'Eïkal,  et,  comme  il  redoutait 
l'influence  de  son  frère  Ibrahim  et  ses  visées  ambitieuses,  il  l'avait 
contraint  à  jurer  solennellement,  cinquante  fois  de  suite,  dans  la 
grande  mosquée,  qu'il  ne  tenterait  pas  de  s'emparer  du  pouvoir. 
Mais  cette  précaution  fut  absolument  inutile  :  aussitôt  que  la  mort 
du  gouverneur  fut  connue,  le  peuple  se  porta  en  foule  auprès 
d'Ibrahim  et  le  força  à  se  rendre  au  château  et  à  prendre  en  main 
les  rênes  du  gouvernement. 

Ibrahim  essaya  de  résister  en  représentant  qu'il  était  lié  envers 
son  frère  par  un  engagement  solennel.  Mais,  quand  il  vit  le  peuple 
décidé  à  n'accepter  en  aucune  manière  le  règne  d'un  enfant,  il  se 
décida  à  prendre  le  pouvoir.  Etant  monté  à  cheval,  il  pénétra  de 
force  dans  le  vieux  château  et  y  reçut  l'hommage  des  principaux 
citoyens. 

Le  nouveau  gouverneur  s'occupa  ensuite  de  l'édification  d'un 


1.  Amari,  Storia,  p.  341  et  suiv. 

T.  I. 


19 


290 


HISTOIRE   Di;  1.  AFRIQUE 


vaste  château  au  lieu  dit  RaUkatla,  à  quatre  milles  de  Kaïrouan, 
dans  une  localité  privilot;iée  comme  climat.  Son  but  était  d'en 
faire  sa  demeure  et  d'abandonner  le  vieux  château.  Il  employa  les 
premières  années  de  son  règne  à  diverses  autres  constructions, 
tout  en  dirigeant  la  guerre  de  Sicile  et  d'Italie,  sur  laquelle  nous 
allons  entrer  plus  loin  dans  des  détails.  En  878,  les  ail'ranchis,  des- 
cendants des  troupes  nègres  formées  par  El-Ar'leb,  se  révoltèrent 
dans  le  vieux  château  et  osèrent  même  interrompre  les  communi- 
cations a\  ec  Rakkada  ;  mais  ils  furent  bientôt  forcés  de  se  rendre, 
et  Ibraiiim  les  lit  périr  sous  le  fouet,  ou  crucifier,  donnant  ainsi  le 
premier  exemple  de  l'incroyable  férocité  qu'il  de\  ait  montrer  plus 
tard.  Il  ht  ensuite  acheter  d'autres  esclaves  au  Soudan  et  forma 
une  nouvelle  garde  nègre  qui  se  distingua,  plus  tard,  par  sa  bra- 
voure et  son  aveugle  hdélité 

Les  Soi  vER.viNs  edrisides  de  Fez.  —  C'est  sans  doute  vers  cette 
époque  que  l'edriside  Yahia  mourut  à  Fès  et  fut  remplacé  par  son 
lils  nommé,  comme  lui,  ^  ahïa.  Ce  prince,  par  sa  conduite  disso- 
lue, indisposa  contre  lui  la  population  de  la  capitale  ;  à  la  suite  d'un 
dernier  scandale,  la  révolte  éclata,  à  la  voix  d'un  nommé  Abder- 
Uahman-el-Djadami.  Expulsé  du  quartier  des  Kairouanides,  Ya- 
hia se  réfugia  dans  celui  des  Andalous,  où  il  mourut  la  même  nuit. 
Ali,  fils  d"Edris-ben-Omar,  souverain  du  Rif,  cédant  aux  sollicita- 
tions des  partisans  de  sa  famille  qui  étaient  venus  lui  porter  une 
adresse,  se  rendit  à  Fès,  y  prit  en  main  le  pouvoir  et  reçut  le  ser- 
ment de  fidélité  des  chefs  du  Mag  reb  extrême. 

Mais,  peu  de  temps  après,  un  kharedjite  sofrite  nommé  .\bd-er- 
Rezzak,  natif  d'Espagne,  parvint  à  soulever  les  indigènes  des  mon- 
tagnes de  Mediouna,  au  sud  de  Fès.  Après  plusieurs  combats,  il 
remporta  sur  Ali  une  victoire  décisive  qui  lui  donna  la  possession 
du  quartier  des  Andalous  ;  il  força  ensuite  Ali  à  se  réfugier  dans 
le  territoire  des  Aoureba,  ces  fidèles  amis  de  sa  famille.  Les  habi- 
tants du  quartier  des  Ka'irouanides  ayant  alors  proclamé  roi  ^  ah'ia, 
fils  de  Kacem-ben-Edris,  ce  prince  réunit  une  armée  et,  étant  par- 
venu à  renverser  l'usurpateur,  conserva  seul  le  pouvoir-. 

Slccès  des  Musulmans  en  Sicile.  —  Tandis  que  le  ^lag'reb  était 
le  théâtre  de  ces  événements,  le  gouverneur  Ibrahim  se  trouvait 
absorbé  par  d'autres  soins  et  surtout  par  la  guerre  de  Sicile.  Aus- 

1.  En-Nouéïri,  p.  424  et  suiv. 

2.  El-Bekri,  trad.  arl.  Idricides.  Ibu-Khaldoun,  t.  II,  p.  566-567.  Le 
Kartas,  p.  103  et  suiv. 


LES   DERNIERS   AR  LEBITES  (878) 


291 


sitôt  après  son  avènement,  il  y  avait  envoyé  de  nouvelles  troupes 
et  les  Musulmans  avaient  repris,  contre  les  Grecs,  une  vigoureuse 
olFensive.  Sous  le  commandement  de  Djafer-ben-Mohammed,  ils 
vinrent,  dans  Tété  877,  mettre  le  siège  devant  Syracuse,  et  dé- 
ployèrent pour  réduire  cette  place  autant  d'habileté  stratégique 
que  d  ardeur.  La  Hotte  grecque,  ayant  été  envoyée  au  secours  de  la 
ville,  fut  vaincue  par  celle  des  Ar'lebites  qui  purent  ensuite  com- 
pléter le  blocus  par  mer.  Syracuse  endura  avec  la  plus  grande  fer- 
meté les  tortures  d'une  épouvantable  famine  et  pendant  ce  temps 
Basile,  occupé  à  construire  une  église  à  Constantinople,  restait 
impassible.  Etant  enfin  sorti  de  son  inertie,  il  envoya  une  nouvelle 
flotte  qui  fut  retenue  par  son  chef  dans  un  port  du  Péloponnèse 
pour  y  attendre  lèvent.  Le  2  mai  878,  Syracuse  fut  emportée  d'as- 
saut, malgré  l'héro'ique  défense  des  assiégés.  Les  chrétiens  furent 
massacrés  ou  réduits  en  esclavage,  et  la  ville  subit  le  plus  complet 
pillage.  Après  quoi,  les  Musulmans  l'incendièrent  et  se  retirèrent, 
ne  laissant  à  la  place  de  cette  riche  cité  qu'un  monceau  de  ruines 
fumantes.  Peu  après  les  Grecs  reprirent  l'oifensive  et  obtinrent  un 
succès  près  de  Taormina  (879)  '. 

Mais  en  881,  les  ^lusulmans  furent  vainqueurs  à  leur  tour  et  en 
882  ils  s'empai-èrent  de  Polizzi  «  la  ville  du  roi  ».  Il  ne  resta  alors 
aux  chrétiens  en  Sicile  que  les  monts  Peloriade,  l'Etna  et  la  vallée 
intermédiaire. 

Ibrahim  repousse  l'invasion  d'El-Abbas-ben-Touloun.  —  Les 
événements  dont  l'Afrique,  l'Espagne  et  la  Sicile  étaient  le  théâtre, 
nous  ont  depuis  longtemps  fait  perdre  de  vue  l'Orient.  Cela  prouve, 
entre  autres  choses,  que  l'inlluence  du  khalifat  disparaissait  de 
plus  en  plus  en  Occident.  La  dynastie  abbasside  penchait  déjà 
vers  son  déclin,  et  son  vaste  empire  était  en  proie  à  l'anarchie. 
Pendant  que  les  khalifes  se  succédaient  après  de  courts  règnes 
terminés  par  l'assassinat,  pendant  que  leur  capitale  demeurait 
abandonnée  aux  factions,  leurs  provinces  se  détachaient.  Depuis 
quelques  années,  l'Egypte,  un  des  plus  beaux  fleurons  de  la  cou- 
ronne, était  aux  mains  d'un  chef  indépendant  de  fait,  Ahmed-ben- 
Touloun.  —  En  878,  Ibn-Touloun  entreprit  la  conquête  de  la  Syrie 
et  laissa  l'Egypte  sous  le  commandement  de  son  fils  El-Abbas. 
Mais  celui-ci  profita  de  son  absence  pour  se  mettre  en  état  de 
révolte  et  s'approprier  les  l'éserves  du  trésor.  Puis  il  réunit  une 
armée  et  partit  vers  l'ouest,  à  la  conquête  de  l'Ifrikiya.  A  cette 
nouvelle,  le  gouverneur  ar'lebite  fît  marcher  contre  lui  un  corps 

1.  Amari,  Storia,  t.  I,  p.  393  et  suiv. 


292 


HISTOIRE   DE   I,  AFRIQUE 


de  troupes  sous  la  conduite  de  son  général  Ibn-Korhob  (879).  Les 
deux  armées  en  vinrent  aux  mains  près  de  TOuad-Ourdaça,  non 
loin  de  Lebida,  et  la  journée  se  termina  par  la  déroute  d'Ibn- 
Korhob.  El-Abbas,  soutenu  sans  doute  par  les  indig^ènes,  pour- 
suivit ses  ennemis  jusqu  à  Lebida,  s"empara  de  cette  ville,  puis  vint 
entreprendre  le  siège  de  Tripoli.  Il  était  urgent  d'arrêter  les  succès 
de  ce  conquérant.  Ibrahim  se  mit  aussitôt  en  marche  contre  lui  ; 
mais,  parvenu  à  (îabès,  il  apprit  qu'El-Abbas  avait  été  entière- 
ment défait  et  réduit  à  la  fuite,  ^'oici  ce  qui  s'était  passé  :  les 
gens  de  Lebida,  irrités  des  excès  commis  par  les  vainqueurs, 
avaient  appelé  à  leur  aide  El-Yas-ben-Mansour,  chef  des  Khared- 
jites  des  monts  Nefouça,  et  ce  cheikh  était  descendu  de  ses  mon- 
tagnes à  la  tête  de  12,000  Berbères.  El-.\bbas  avait  essayé  en  vain 
de  leur  tenir  lêtc;  il  avait  dû  prendre  la  fuite  et  avait  été  pour- 
suivi par  Ibn-Korhob.  Réfugié  à  Barka,  El-Abbas  fut  arrêté  par 
les  troupes  de  son  père  et  ramené  en  Egypte  (881). 

Révoltes  en  Ifhikiva.  —  Cruautés  d  Irraiiim. — Diverses  révoltes 
partielles  des  Berbères  suivirent  cette  échaufî'ourée.  Ce  furent 
d'abord  les  Ouzdadja  de  l'Aourès  qui  chassèrent  leur  gouverneur 
et  refusèrent  l'impôt.  Ibn-Korhob,  envoyé  contre  eux  par  le  gou- 
verneur, les  força  à  la  soumission  après  plusieurs  combats.  De  là, 
le  général  ar'lebite  se  porta  contre  les  Houara  qui  s'étaient  aussi 
lancés  dans  la  rébellion.  Après  les  avoir  en  vain  sommés  de  se 
rendre,  il  se  mit  à  ravager  et  à  incendier  leur  pays  et  les  contrai- 
gnit par  ce  moyen  à  demander  la  paix. 

C'est  à  partir  de  cette  époque  que  le  caractère  d'Ibrahim 
changea.  Naturellement  soupçonneux,  irrité  par  les  résistances 
qu'il  rencontrait  autour  de  lui,  ou  peut-être  perverti  par  l'exercice 
du  pouvoir,  il  devint  d'une  cruauté  inouïe  et  se  mit  à  verser  le 
sang  comme  par  plaisir,  disposition  qui  le  porta  plus  tard  à  com- 
mettre tant  de  crimes,  même  sur  ses  proches.  En  même  temps, 
son  amour  des  richesses  se  manifesta,  et,  par  une  étrange  contra- 
diction, ajjrès  avoir,  dans  le  commencement  de  son  règne,  cherché 
à  alléger  les  impôts,  il  devait  avant  peu  employer  tous  les  moyens 
pour  s'approprier  le  bien  d'autrui. 

En  882,  les  Louata  se  lancèrent  à  leur  tour  dans  la  révolte, 
s'emparèrent  de  la  ville  de  Karna,  la  mirent  au  pillage  et  vinrent 
attaquer  Badja  et  Ksar-el-Ifriki,  près  de  Tifcch.  Le  général  Ibn- 
Korhob  ayant  marché  contre  eux  essuya  une  défaite,  et,  dans  sa 
fuite,  tomba  au  pouvoir  des  rebelles,  qui  le  mirent  à  mort  (juillet). 
Irrité  au  plus  haut  point  de  cet  échec,  Ibrahim  chargea  son  fils, 
Abou-l'Abbas,  de  châtier  les  rebelles  et  lui  confia  à  cet  effet  sa 


LES  DERNIERS   Ar'i.EBITES  (882) 


293 


milice,  la  garde  nègre  et  des  contingents  de  tribus  alliées.  Mais 
les  Louata  ne  l'attendirent  pas  ;  Abou-l'Abbas  les  poursuivit 
jusque  dans  le  sud,  en  leur  tuant  du  monde  et  les  forçant  d'aban- 
donner leurs  prises.  Dans  le  cours  de  cette  année,  882,  une  affreuse 
disette  désola  l'Afrique.  Le  blé  avait  atteint  des  prix  excessifs,  et 
les  malheureuses  populations  s'étaient  vues,  en  maints  endroits, 
réduites  à  manger  de  la  chair  humaine  *. 

A  la  suite  des  sanglantes  luttes  que  nous  avons  retracées,  une 
tranquillité  apparente,  sinon  réelle,  régna  durant  quelques  années, 
et  Ibrahim  put  donner  libre  carrière  à  ses  cruels  instincts.  En- 
Noueïri  retrace  longuement  les  cruautés  raffinées  qu'il  savait 
inventer  et  qu'il  exerçait  autour  de  lui  au  moindre  soupçon^. 

Progrès  de  la  secte  culute  en  Berbérie.  —  Arri\'Ée  d'Arou- 
Abd-Allaii.  —  Tandis  qu'Ibrahim  se  livrait  aux  écarts  de  son 
étrange  caractère,  donnant  tour  à  tour  l'exemple  d'une  certaine 
grandeur  d'àme  ou  d  une  basse  cruauté,  un  nouvel  élément  de 
discorde  s'introduisait  en  Afrique.  Nous  avons  indiqué  ci-devant* 
de  quelle  façon  se  forma  la  secte  des  chiaïtes,  après  la  mort  d'Ali. 
Ecrasés  en  787  à  la  bataille  de  Fekh,  ils  durent  rentrer  dans 
l'ombre.  Ils  se  formèrent  alors  en  société  secrète  et  envoyèrent 
des  émissaires  dans  toutes  les  directions,  même  en  Berbérie, 
malgré  la  surveillance  exercée  par  les  Abbassides. 

Le  schisme  chiaïte  se  divisait  en  plusieurs  sectes,  parmi  lesquelles 
nous  ne  nous  occuperons  que  des  Imamïa,  formant  les  Ethna- 
Acheria  (Duodécémains)  et  les  Ismaïlia  (Ismaïliens). 

Les  Duodéc'jmains  comptaient  douze  imam  ayant  régné  après 
Ali,  et  enseignaient  que  le  douzième,  ayant  disparu  mystérieuse- 
ment, devait  reparaître  plus  tard  pour  faire  renaître  la  justice  sur 
la  terre  et  qu'il  serait  le  Mehdi,  ou  être  dirigé,  prédit  par  Mahomet  *. 
Les  Ismaïliens  ne  comptaient  que  six  imam;  le  septième,  Ismaïl, 
désigné  [)our  succéder  à  son  père,  était,  selon  eux,  mort  avant 
lui.  A  partir  de  ce  septième,  leurs  imam  étaient  dits  cachés 
(Mektoum),  ne  transmettant  leurs  ordres  au  monde  que  par  l'in- 
termédiaire des  daï  (missionnaires) 

1.  Comme  dans  un  récent  exemple  dont  nous  avons  été  témoins,  la 
famine  de  1867-1868. 

2.  Eu-Nouéiri,  p.  427.  436. 

3.  Chapitre  ii,  Mort  d'Ali,  et  Kliaredjites  et  Chiaïtes. 

4.  Telle  est  la  tradition  sur  laquelle  s'appuient  tous  les  Mehdi  que 
nous  verrons  paraître  dans  l'histoire  et  qui  se  produisent  encore  de  nos 
jours. 

5.  Ibu-Ivlialdoun,  t.  II,  append.  ii. 


294 


HISTOIRE   DE   T,  AFRIQUE 


Le  troisième  imam  cache,  nommé  Mohammed-el-IIabib.  vivait 
à  Salemïa,  ville  du  territoire  d  Emesse,  en  Syrie,  dans  les  premières 
années  du  rè^me  (ril)raliim.  De  là  il  lançait  des  daï,  dont  les  uns 
s'avancèrent  en  f;uerriers  jusque  dans  l'Inde,  d'autres  pifjnèrent 
l'Afrique.  I/un  d'eux  s'établit  à  Mermadjenna,  au  nord-est  de 
Tebcssa  ;  un  autre  dans  le  pays  des  Ketama.  non  loin  de  l'Oued- 
Remel,  appelé  alors,  en  langue  indigène,  Souf-Djimnr.  Ils  firent 
de  nombreux  prosélytes  et  décidèrent  plusieurs  de  leurs  adeptes  à 
elFectuer  le  pèlerinage  de  Salemia. 

En  présence  de  ces  résultats,  Mohammed-el-Habib  résolut  d'en- 
voyer en  Mag'reb  un  de  ses  plus  fidèles  adhérents,  nommé  Abou- 
Abd-AUah-el-IIocéin.  Cet  homme  de  mérite,  qui  devait  rendre  de 
si  grands  services  à  la  cause  fatemide,  avait  été  d'abord  mohtncih 
ou  receveur  d'impôts  à  Basra,  puis  il  avait  enseigné  publique- 
ment les  doctrines  des  Imamiens,  ce  qui  lui  avait  valu  le  surnom 
d'EI-M,iciUem  (le  maître)  Il  partit  pour  le  ^lag'reb,  en  compa- 
gnie des  chefs  ketamiens  ;  pour  éviter  les  postes  placés  par  les 
Abbassides  sur  toutes  les  routes,  ils  passèrent  par  les  déserts  et, 
grâce  à  leur  prudence,  parvinrent  à  atteindre  les  chaînes  des 
Ketama,  et  s'établirent  à  Guédjal,  dans  le  territoire  occupé  actuel- 
lement par  les  Djimela,  près  de  Sétif.  Le  chef  de  ces  indigènes, 
]Mouça-beii-rioreïth,  un  de  ceux  qui  revenaient  d'Orient,  protégea 
l'établissement  du  missionnaire  dans  cette  localité  qui  fut  appelée 
par  lui  :  Le  col  des  gens  de  bien  \Fedj-el-Al\hiar).  Ce  nom 
n'avait  pas  été  pris  au  hasard:  Abou-Abd-Allah  annonça,  en  eifet, 
que  le  Mehdi  lui  avait  révélé  qu'il  serait  forcé  de  fuir  son  pays  et, 
de  même  que  le  prophète,  d'avoir  une  hégire,  et  qu'il  serait  sou- 
tenu par  des  gens  de  bien  (ses  Ansars),  dont  le  nom  serait  un 
dérivé  du  verbe  hafama  (cacher). 

Ces  moyens,  habilement  choisis,  devaient  réussir  auprès  de 
gens  ignorants  tels  que  les  montagnards  du  Mag'reb.  Aussi  les 
Ketama,  flattés  d'être  choisis  pour  le  rôle  d'Ansars  du  nouveau  pro- 
phète, vinrent-ils  en  foule  se  ranger  sous  la  bannière  du  da'i 
chiaïte.  Ces  faits  se  passèrent  sans  doute  entre  les  années  890  et 
893,  car  la  date  de  l'arrivée  d'Abou-Abd-AUah  en  Afrique  est 
incertaine. 

XorVELLES   LUTTES   d'IbRAHIM   CONTRE    LES    REVOLTES.    ^'erS  le 

même  temps,  le  gouverneur  ar'lebile  Ibrahim,  qui  venait  de  faire 
périr  ses  propres  filles,  ses  favorites  et  un  grand  nombre  de  ser- 

1.  Ibii-Klialdoun,  t.  II,  p.  509,  et  Ibii-Hammad,  frad.  Cherbonneau, 
Rev.  afr.,  nos  72-78. 


LES   DERNIERS   AR  I.EniTES  (894 


295 


viteurs,  attira  par  ses  promesses  les  principaux  chefs  du  Zab  et  de 
Bellezma,  à  Rakkada  ;  puis  il  les  fit  massacrer  et  s'empara  de 
leurs  richesses.  Un  millier  d'indigènes  périrent,  dit-on,  dans  ce 
pruet-à-pens,  qui  eut  pour  effet  de  jeter  un  grand  nombre  de 
Berbères,  et  particulièrement  des  Ketama,  dans  les  bras  du  chiaïte, 
car  les  gens  de  Bellezma  étaient  leurs  suzerains  '. 

Cependant  Ibrahim,  apprenant  la  propagande  que  faisait  Abou- 
Abd-AUah,  lui  écrivit  pour  lui  enjoindre  d'avoir  à  cesser  toute 
prédication.  Le  chiaïte  répondit  par  une  lettre  injurieuse.  Le 
prince  ar'lebite  donna  aussitôt  aux  commandants  des  contrées 
voisines  l'ordre  de  marcher  contre  les  rebelles.  A  l'approche  du 
danger,  les  Ketama  commencèrent  à  se  repentir  de  leur  audace,  et 
plusieurs  chefs  émirent  l'avis  d'expulser  le  chiaïte;  mais  les 
Djimela  prirent  sa  défense,  et,  soutenu  par  eux,  Abou-Abd-Allah 
vint  se  retrancher  à  Tazrout,  non  loin  de  Mila  où  habitait  la  tribu 
ketamienne  de  R'asman-. 

Tandis  que  ces  événements  s'accomplissaient  dans  les  montagnes 
des  Ketama,  une  révolte  importante  éclatait  aux  en^'irons  de 
Tunis.  La  péninsule  de  Cherik,  la  ville  de  Tunis,  celles  de  Badja 
et  d'El-Orbos,  enfin  la  ville  et  la  montagne  de  Gammouda,  au  sud 
de  Kaïrouan,  s'étaient  lancés  dans  la  rébellion.  Inquiet  des  pro- 
portions que  prenait  ce  soulèvement.  Il)rahim  fit  renforcer  d'abord 
les  retranchements  de  Rakkada,  afin  d'y  trouver  un  refuge  contre 
toute  éventualité,  puis  il  envoya  dans  la  péninsule  de  Cherik  une 
armée  qui  dispersa  les  insurgés  ;  leur  chef  fut  mis  en  croix.  En 
même  temps,  deux  généraux,  l'eunuque  Meïmoun  et  le  général 
Ibn-Naked  commençaient  le  siège  de  Tunis,  pendant  que  l'eu- 
nuque Salah  allait  faire  rentrer  dans  le  devoir  la  province  de 
Gammouda. 

Bientôt,  les  troupes  ar'lebites  entrèrent  victorieuses  à  Tunis  et 
mirent  cette  ville  au  pillage.  Douze  cents  des  principaux  citoyens 
furent  réduits  en  esclavage  et  envoyés  à  Kaïrouan.  Quand,  à  Tunis, 
on  fut  las  de  tuer,  les  cadavres  furent,  par  l'ordre  d'Ibrahim, 
chargés  sur  des  charrettes  pour  être  promenés  dans  les  rues  de 
la  capitale,  aux  yeux  des  habitants  (mars  894) 

Expédition  d'Ibrahim  contre  les  Toulounides  d'Egypte.  —  Peu 
de  temps  après,  Ibrahim  transporta  le  siège  de  son  gouvernement 

1.  Selou  le  Baian,  les  habitants  de  Bellezma  étaient  de  race  arabe  et 
descendaient  des  miliciens  qui  y  avaient  été  placés  eu  garnison. 

2.  Ibn-Klialdouu,  t.  II,  p.  512  et  suiv. 

3.  Eu-Nouéiri,  p.  429. 


296 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


à  Tunis  et  construisit,  à  cette  occasion,  plusieurs  châteaux  dans 
cette  ville.  Deux  ans  plus  tard,  il  résolut  de  mettre  à  exécution 
un  projet  qu'il  méditait  depuis  longtemps  et  qui  n'était  rien  moins 
que  l'invasion  de  l'Egypte.  Cette  province  était  alors  gouvernée 
par  Djaïch,  petit-fils  d'Ahmed-ben-Touloun,  et  l'on  se  demande 
si  le  prince  ar  lebite  voulait  tirer  une  vengeance  tardive  de  l'agres- 
sion d'El-Abbas,  ou  s'il  avait  réellement  la  pensée  de  conquérir 
l'Egypte. 

Ayant  rassemblé  une  armée  nombreuse,  il  se  mit  à  sa  tête  et 
prit  la  route  de  l  est  (896).  Parvenu  dans  la  province  de  Tripoli, 
il  se  heurta  contre  les  Nefouça  en  armes  et  disposés  à  lui  barrer 
le  passage.  Un  combat  sanglant  s'ensuivit,  et,  comme  les  héré- 
tiques berbères  avaient  l'avantage  de  la  position,  les  troupes  ar'le- 
bites  plièrent,  après  avoir  vu  tomber  leur  chef  Meïmoun.  Mais 
Ibrahim,  ayant  lui-même  rallié  ses  soldats,  attaqua  les  rebelles 
avec  impétuosité  et  les  mit  en  déroute.  Le  plus  grand  carnage 
suivit  cette  victoire  ;  le  gouverneur  se  fit  amener  les  principaux 
chefs  prisonniers  et  s'amusa  à  les  percer  lui-même  de  son  javelot; 
il  ne  s'arrêta,  dit-on,  qu'au  chiffre  de  cinq  cents  selon  En-Noue'iri 
et  de  trois  cents  d'après  le  Baïaii. 

Ibrahim  fit  alors  son  entrée  à  Tripoli.  Cette  ville  était  com- 
mandée par  son  cousin  Abou-l'Abbas-Mohammed,  fils  de  Ziadet- 
Allah  II,  homme  instruit,  d'un  esprit  élevé  et  qui  jouissait  d'une 
certaine  influence.  Sans  aucun  autre  motif  que  la  jalousie,  Ibrahim 
le  fil  mettre  en  croix.  On  dit  cependant  qu'il  avait  reçu  du  khalife 
El-Motadhed  une  missive  lui  reprochant  ses  cruautés  et  lui  ordon- 
nant de  remettre  le  pouvoir  à  son  cousin  et  qu'il  aurait  répondu 
à  cette  injonction  par  le  meurtre  du  malheureux  Abou-l'Abbas  et 
de  sa  famille.  Mais  ces  faits,  rapportés  par  le  Baïan,  seul,  ne  sem- 
blent pas  probables  et  l'on  doit  croire  plutôt  que  le  prince  ar'le- 
bite  a  cédé,  une  fois  de  plus,  à  un  de  ses  caprices  sanguinaires. 

Continuant  sa  roule  vers  l'est,  Ibrahim  parvint  jusqu'à  Aïn- 
Taourglia,  au  fond  du  golfe  de  la  grande  Syrie.  Son  armée  irritée 
et  en"rayée  des  cruautés  qu  elle  lui  avait  vu  commettre  à  Tripoli 
ne  le  suivait  qu'à  contre-cœur.  De  nouvelles  violences  achevèrent 
de  détacher  de  lui  ses  soldats  et  il  se  vil  abandonné  par  la  plus 
grande  partie  de  l'armée.  F"orce  lui  fui  alors  de  rebrousser  chemin 
et  de  rentrer  à  Tunis.  Son  fils,  Abou-l'Abbas-Abd-AUah  resta  en 
Tripolitaine  pour  achever  la  soumission  des  Nefouça. 

Abdication  d'Ibrahim.  —  En  l'année  901,  les  habitants  de  Tunis, 


1.  En-Nouéiri,  p.  430. 


LES   DERNIERS   Ar'lEBITES  (901) 


297 


qui  avaient  tant  souffert  de  la  tyrannie  d'Ibrahim,  réussirent  à 
faire  entendre  leurs  léf^itimes  réclamations  par  le  khalife.  La  sup- 
plique qu'ils  lui  adressèrent  à  cette  occasion  était  si  éloquente 
qu'El-Motadhed  envoya  aussitôt  un  officier  en  Ifrikiya,  pour 
enjoindre  à  Ibrahim  de  déposer  le  pouvoir  et  le  transmettre  à  son 
fils  Abou-l'Abbas,  après  quoi  il  aurait  à  se  rendre  à  Bagdad  pour 
expliquer  sa  conduite.  Le  gouverneur  ar'lebite  reçut  ces  ordres  à 
Tunis,  vers  la  fin  de  l'année  901  ;  il  fit  au  délégué  le  plus  brillant 
accueil  et  rappela  de  Sicile  son  fils  pour  lui  remettre  le  pouvoir. 
Il  prétendit  alors  avoir  été  touché  de  la  grâce  divine,  se  revêtit 
de  vêtements  grossiers,  fit  mettre  en  liberté  les  malheureux  qui 
remplissaient  les  prisons,  et  se  prépara  à  effectuer  le  pèlerinage 
imposé  à  tout  musulman.  Ayant  abdiqué  au  profit  d'Abou-l'Abbas 
(février-mars  9021,  il  prit  la  roule  de  l'Orient;  mais,  parvenu  à 
Souça,  il  suspendit  sa  marche,  séjourna  dans  une  petite  localité 
voisine,  nommée  Nouba,  incertain  sans  doute  sur  le  parti  qu'il 
prendrait;  puis,  dans  le  mois  de  juin,  il  s'embarqua  pour  la  Sicile 
et  aborda  heureusement  à  Trapani  '. 

Evénements  de  Sicn.E.  • —  Les  révoltes  dont  l'Ifrikiya  était  le 
théâtre  avaient  entravé,  dans  les  dernières  années,  les  succès  des 
Musulmans  en  Sicile,  et  les  rivalités  qui  divisaient  les  Berbères  et 
les  Arabes  a\'aient  causé  le  salut  des  chrétiens,  car,  sans  cela,  ils 
se  seraient  vus  expulsés  de  leurs  derniers  refuges.  Vers  l'an  895,  une 
sorte  de  Ivéve  fut  conclue  entre  eux  et  les  Musulmans,  puis,  tous 
unis  dans  le  même  sentiment,  se  mirent  en  révolte  contre  l'autorité 
ar'lebite.  Ibrahim  était  alors  trop  occupé  en  Afrique  pour  avoir  le 
loisir  de  combattre  les  rebelles  de  Sicile  ;  aussi,  durant  trois  an- 
nées, restèrent-ils  dans  l'indépendance.  Mais,  en  898,  des  discus- 
sions s'élevèrent  entre  eux  et  eurent  pour  résultat  de  les  pousser 
à  livrer  leurs  chefs  au  gouverneur  ar'lebite  qui  les  fil  périr.  Ibrahim 
envoya  comme  gouverneur,  en  Sicile,  un  de  ses  parents,  nommé 
Abou-Malek,  homme  de  nulle  valeur  ;  aussitôt  la  guerre  civile  re- 
commença et  désola  l'île  pendant  toute  l'année  899.  Abou-l'Abbas, 
fils  d'Ibrahim,  nommé  gouverneur,  arriva  en  Sicile,  dans  le  cou- 
rant de  l'été  900,  à  la  tête  d'une  puissante  armée.  Au  mois  de  sep- 
tembre suivant,  il  entrait  en  triomphateur  à  Palcrme,  après  une 
campagne  brillamment  conduite. 

Pour  occuper  les  Musulmans,  Abbou-l'Abbas  attaque  les  chré- 
tiens de  Taorniina  et  assiège  Calane,  mais  sans  succès.  En  901,  il 
porte  son  camp  à  Demona,  d'où  il  est  bientôt  délogé  par  une  armée 


1.  Eu-Nouéiri,  p.  431  et  suiv.  Ainari,  Storia,  t.  11,  p.  76  et  suiv. 


298 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQrE 


byzantine  arrivée  d'Orient.  Il  va  alors  surprendre  et  enlever  Mes- 
sine, où  il  fait  17,000  prisonniers,  et  s'empare  d'un  butin  considé- 
rable. Au  mois  de  juillet  suivant,  il  fait  une  expédition  en  Italie 
et  revient  à  la  fin  de  l'année  dans  l'île.  Sous  la  main  ferme  de  ce 
prince,  la  Sicile  avait  recouvré  un  peu  de  tranquillité,  lorsqu'en 
902,  il  fut  appelé  en  Afrique  pour  prendre  le  fardeau  de  l'autorité 
suprême  ' . 

Evénements  d'Espagne.  —  En  Espagne,  le  sultan  Mohammed  avait 
continué  à  ré;;ner  sans  f^loire.  occupé  à  lutter  contre  les  chefs  indé- 
pendants qui,  de  tous  côtés,  profitaient  de  l'affaiblissement  de 
l'autorité  centrale,  pour  se  créer  de  petites  royautés,  le  plus  sou- 
vent avec  l'appui  des  chrétiens.  Le  midi  restait  soumis  à  l'autorité 
des  oméïades,  lorsque,  vers  881,  un  certain  Omar-ben-Hafçoun, 
d'une  famille  d'nrif;ine  wisijïolhe,  réunit  une  armée  de  partisans 
presque  tous  rcnéfjats,  las  du  joujx  musulman,  et  tint  la  campa^^ne 
contre  le  sultan.  Dans  le  courant  de  l'été  886,  Moundhir,  héritier 
présomptif  du  trône  oméïade,  diriy-ea  une  expédition  heureuse  contre 
ces  aventuriers  et  était  sur  le  point  de  les  forcer  dans  leur  dernière 
retraite,  lorsqu'il  apprit  la  mort  de  son  père  (4  août  .  Forcé  de 
lever  le  siège  pour  aller  prendre  possession  du  trône,  il  dut  laisser 
le  champ  libre  à  Omar,  qui  se  fit  reconnaître  comme  souverain  par 
la  plus  j;rande  partie  des  populations  du  midi.  Une  truerre  acharnée 
contre  ce  compétiteur  occupa  tout  le  règne  de  Moundhir,  qui 
mourut  le  29  juin  888,  pendant  qu'il  assiégeait  encore  Omar.  Aus- 
sitôt, l'armée  prit,  en  désordre,  la  route  de  Cordoue. 

Abd-Allah  succéda  à  son  frère  Moundhir.  Il  prenait  le  pouvoir 
dans  des  circonstances  très  critiques,  car,  non  seulement  les  pro- 
vinces, les  cantons,  les  villes  tendaient  à  se  déclarer  indépendants, 
mais  encore  l'aristocratie  arabe  relevait  la  tète  dans  la  capitale 
même. 

Pour  être  entièrement  à  l'abri  des  entreprises  d  Ibn-Hafçoun, 
le  sultan  lui  olfrit  le  gouvernement  de  Regio,  à  la  condition  qu'il 
reconnaîtrait  le  prince  oméïade  comme  son  suzerain.  Cette  ten- 
dance au  fractionnement,  qui  devait  être  si  préjudiciable  à  la  domi- 
nation musulmane,  n'était  que  l'elTet  de  la  réaction  des  indigènes, 
devenus  sectateurs  de  l'Islam,  et  des  Berbères,  contre  la  domi- 
nation des  Arabes  d'Orient. 

A  chaque  instant,  des  massacres,  comme  ceux  d'Elvira  et  de  Sé- 
ville-,  manifestaient  le  sentiment  général  et  la  persistance  de  la  ri- 

1.  Amari,  Storia  dei  Mus.,  t.  II,  p.  52  et  suiv. 

2.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  II.  p.  210  et  suiv.,  243  et  suiv. 


LES   DERNIERS   Ar'lEBITES  (891) 


299 


valité  desmaadites  et  des  Yéménites  empêchait  les  Arabes  de  s'unir 
pour  résister  à  l'ennemi  commun.  Bientôt  la  lutte  prit  un  caractère 
d'extermination  féroce;  Espagnols  et  Arabes s'entretuèrent  et  Ibn- 
Hal'çoun,  comme  on  peut  le  deviner,  prit  une  part  active  à  la 
guerre  civile.  «  A  cette  époque  —  (^91)  dit  Dozy  '  —  presque 
toute  l'Espagne  musulmane  [moins  Séville),  s'était  affranchie  de  la 
sujétion.  Chaque  seigneur  arabe,  berbère  ou  espagnol,  s'était  ap- 
proprié sa  part  de  l'héritage  des  Oméïades.  Celle  des  Arabes 
avait  été  la  plus  petite.  Ils  n'étaient  puissants  qu'à  Séville,  partout 
ailleurs  ils  avaient  beaucoup  de  peine  à  se  maintenir  contre  les 
deux  autres  races  ».  Telle  était  la  situation  de  l'Espagne  à  la  fin 
du  ix"  siècle. 

En  870,  Ibn-Hafçoun,  après  être  entré  en  pourparlers  avec  le 
gouverneur  ar'lebite  et  le  khalife  lui-même,  leur  offrant  de  rétablir 
l'autorité  abbasside  en  Espagne,  attaqua  le  prince  oméiade,  mais  il 
fut  vaincu  dans  une  sanglante  bataille  (avril  891).  Cette  victoire 
avait  rendu  à  Abd-Allah  quelques  places.  Cependant  Ibn-Hafçoun, 
qui  avait  en  vain  réclamé  des  secours  des  ar'lebites,  ne  tarda  pas  à 
reprendre  l'olfensive  et  le  succès  couronna  de  nouveau  ses  armes. 
Pendant  de  longues  années  on  lutta  de  part  et  d'autre  avec  des 
chances  diverses  et  enfin,  dans  les  premières  années  du  x'^  siècle, 
le  prince  oméïade  finit  par  triompher  de  ses  ennemis  et  ralfermir 
son  trône-. 

1.  Dozy,  /.  c,  p.  2.59. 

2.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  311  et  siiiv.  El-Marrakchi, 
Dozy,  p.  17  et  suiv. 


CHAPITRE  VIII 


ÉTABLISSEMENT  DE  L  EMPIRE  OBÉIDITE  ;  CHUTE  DE  L  AUTORITÉ 
ARABE  EN  IFRIKIYA 

902-909 

Coup  d'œil  sur  les  événements  antérieurs  et  la  situation  de  l'Italie  méri- 
dionale. —  Ibrahim  porte  la  guerre  en  Italie.  —  Progrès  des  Chiaïtes. 

—  Victoire  d'Abou-Abd-Allah  chez  les  Ketama.  —  Court  règne  d'Abou- 
l'Abbas;  son  fils  Ziadet-Allah  lui  succède.  —  Le  mehdi  Obeïd-Allah  passe 
en  Mag'reb.  —  Campagnes  d"Abou-Abd-Allah  contre  les  Ar'lebites,  ses 
succès.  —  Les  Chiaïtes  marchent  sur  la  Tunisie.  Fuite  de  Ziadet-AUah  IIL 

—  Abou-Abd-AUah  prend  possession  de  la  Tunisie.  —  Les  Chiaïtes  vont 
délivrer  le  mehdi  à  Sidjilmassa.  —  Retour  du  mehdi  Obeïd-Allah  en 
Tunisie;  fondation  de  l'empire  obéidite. 


APPENDICE 

C  11  R  0  .N  0  L  0  G  Ii;   DES   GOUVERNEURS  AR'LEBITES 


Corp  d'ccil  sl'r  les  événements  antérieurs  et  la  situation  de 
l'Italie  méridionale.  —  Au  moment  où  renchaînement  des  faits 
va  nous  amener  en  Italie,  il  est  nécessaire  de  jeter  un  rapide  coup 
d'œil  sur  les  événements  survenus  depuis  un  demi-siècle  dans  cette 
péninsule,  afin  de  bien  préciser  les  conditions  dans  lesquelles  elle 
se  trouvait.  Nous  avons  vu  précédemment  que  la  situation  de 
l'empire,  dans  le  midi  de  l'Italie,  était  devenue  fort  précaire;  un 
grand  nombre  de  principautés  composées  le  plus  souvent  d'un 
canton  ou  de  républiques  constituées  par  une  ville  et  sa  banlieue, 
s'étaient  formées  dans  la  rétcion  centrale. 

Attaqués  au  nord  par  les  Longobards,  au  midi  par  les  Byzan- 
tins, exposés  à  l'ouest  aux  incursions  des  Musulmans  de  Sicile,  en 
guerre  les  uns  contre  les  autres,  ces  petits  états  se  trouvaient 
souvent  dans  une  situation  critique  qui  les  forçait  à  se  jeter 
dans  les  bras  de  leurs  ennemis.  C'est  ainsi  qu'en  830  les 
Musulmans  de  Sicile  portèrent  secours  à  Naples  contre  les  Longo- 
bards. Appelés  de  nouveau  en  Italie,  à  la  suite  de  la  guerre  entre 
Bénévent  d  une  part,  et  Salerne  et  Capoue  de  l'autre,  les  .Arabes 


ÉTABLISSEMENT   DE   l'eMPIRE   OBÉIDITE  (867) 


301 


conquirent  des  places  dans  la  Calabre,  s'emparèrent  de  Tarente  et, 
remontant  l'Adriatique,  firent  des  incursions  jusqu'aux  bouches 
du  Pô 

Après  plusieurs  années  de  luttes,  avec  des  péripéties  diverses, 
les  Musulmans,  alliés  au  duc  de  Bénévent,  conservent  Bari,  sur  la 
terre  ferme,  et  y  fondent  une  colonie.  Appuyés  sur  cette  place,  les 
Arabes  de  Sicile  font  de  nombreuses  incursions  sur  le  continent; 
vers  846,  ils  osent  attaquer  Rome,  mais  sont  repoussés  sans  avoir 
obtenu  d'autre  satisfaction  que  de  saccager  la  basilique  de  Saint- 
Pierre-et-Saint-Paul-hors-les-Murs.  Une  seconde  fois,  en  849,  ils 
préparent  une  nouvelle  et  formidable  expédition  contre  la  ville 
éternelle,  mais  la  tempête  disperse  et  détruit  leur  flotte,  et  leur 
entreprise  se  termine  par  un  véritable  désastre-. 

En  851  les  guerres  intestines  qui  divisaient  les  chrétiens  pren- 
nent fin.  L'ancien  état  de  Bénévent  est  divisé  en  deux  princi- 
pautés, Salerne  et  Bénévent,  et  il  est  décidé  qu'on  ne  recourra 
plus  au  secours  des  Musulmans.  Le  gouverneur  de  Sicile  accourt 
pour  protéger  les  Arabes  d'Italie  ;  il  obtient  de  grands  succès  et 
ne  rentre  dans  l'île  qu'après  avoir  assuré  la  sécurité  de  Bari.  Le 
chef  de  cette  colonie,  Mouferredj-ben-Salem,  prend  alors  le  litre 
de  sultan  et  s'adresse  au  khalife  abbasside  pour  être  reconnu  indé- 
pendant. Bari  devient  le  refuge  de  tous  les  aventuriers,  de  tous 
les  brigands  musulmans  ;  de  ce  repaire,  partent  des  bandes  qui 
portent  sans  cesse  le  ravage  dans  l'Italie  et,  pendant  ce  temps, 
Bénévent  lutte  contre  Salerne,  Naples  contre  Capoue,  Capoue 
contre  Salerne,  les  Gapouans,  les  uns  contre  les  autres. 

L'empereur  Lodewig  appelé  comme  un  libérateur  arrive  en 
867  en  Italie,  à  la  tête  d'une  armée  nombreuse,  met  le  siège  devant 
Bari  et  presse  en  vain,  pendant  deux  ans,  cette  ville  sans  cesse 
ravitaillée  par  mer.  Il  s'allie,  dans  l'espoir  d'en  triompher,  avec 
l'empereur  d'Orient  et  avec  Venise,  afin  de  pouvoir  agir  sur  mer. 
Mais  les  Napolitains  envoient  secrètement  des  secours  à  Bari  ;  en 
même  temps,  la  discorde  ayant  éclaté  parmi  les  alliés,  les  Byzantins 
se  retirent.  Lodewig,  qui  n'a  plus  avec  lui  qu'une  poignée 
d'hommes,  se  jette  en  désespéré  à  l'assaut  de  Bari,  enlève  cette 
ville  et  fait  le  sultan  prisonnier.  Pour  assurer  les  effets  de  sa  vic- 
toire, il  se  dispose  à  poursuivre  les  Musulmans  dans  leurs  repaires 
et  à  punir  Naples  de  sa  trahison  ;  mais  une  nouvelle  ligue  est  con- 
clue contre  lui  entre  Bénévent,  Salerne  et  Naples.  Abandonné  de 
tous,  Lodewig  est,  à  son  tour,  vaincu  et  fait  prisonnier. 

1.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  I,  p.  358  et  suiv. 

2.  Muralori,  Vie  de  Léon  IV,  t.  IIL 


30-2 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


En  871,  les  Ar  lebites  de  Sicile  effectuèrent  une  garantie  expédi- 
tion en  Italie,  dans  l'espoir  de  récupérer  leur  conquête  ;  mais  le 
résultat  fut  peu  favorable  et  ils  eurent  encore  à  lutter  contre  les 
troupes  envoyées  par  Lodewig-  au  secours  des  Capouans  et  des 
Salernitains. 

A'ers  S75,  les  Byzantins  tenaient  une  partie  de  la  Calabre  et  le 
territoire  d'Olrante,  le  reste  de  cette  province  était  aux  Musul- 
mans. De  là,  jusqu'aux  confins  de  l'Etat  de  rEf,dise,  le  prince  de 
Bénévent  occupait  le  versant  oriental  de  l'Apennin.  Le  versant 
occidental  était  tenu,  au  midi,  par  la  principauté  de  Salerne,  au 
nord  par  celle  de  Capoue,  et  au  milieu  d'elles  vivaient  indépen- 
dantes les  républiques  de  Xaples,  Amalii,  Gaëte.  soit  six  Etats  en 
guerre  les  uns  contre  les  autres  '. 

De  876  à  880,  les  Musulmans,  soutenus  par  Xaples,  Amalfi  et 
Gaëte,  luttent  avec  acharnement  contre  les  Byzantins  ;  mais 
ceux-ci,  habilement  commandés  par  Xicéphore  Phocas,  les  chas- 
sent successivement  de  la  Calabre  et  d'une  partie  de  la  Fouille. 
Dans  le  même  temps,  les  gens  de  Capoue,  soutenus  par  les  Mu- 
sulmans, luttent  contre  le  pape  et  ravagent  la  campagne  de  Rome. 
Amalfi,  Gaëte,  Naples,  Spolète,  Bénévent,  se  battent  ensemble  avec 
rage.  Les  Arabes,  dont  l'alliance  est  fort  recherchée,  en  profitent 
pour  établir  une  nouvelle  colonie  à  Carigliano,  et  de  là,  porter  le 
ravage  dans  la  Terre  de  labour.  L'abbaye  du  Mont-Cassin ,  qui 
avait  toujours  été  respectée,  est  mise  à  sac  et  brûlée.  Le  Mont- 
Cassin  est  bientôt  relevé  de  ses  ruines  et  devient  un  monastère 
fortifié  dont  l'abbé  a  un  petit  état  confinant  à  celui  du  Saint-Siège. 

A  la  fin  du  ix*  siècle,  des  groupes  de  condottiers  musulmans, 
venus  d'Afrique  ou  de  Sicile,  restent  établis  dans  le  pays,  vivant 
de  rapines  et  offrant  leurs  bras  aux  tyrans'. 

Ibrahim  porte  la  guerre  en  Italie.  —  Sa  .mort.  —  Débarqué 
à  Trapani,  à  la  lin  de  mai  902,  Ibrahim-ben-el-Ar'leb  commença 
par  réorganiser  l'armée.  Dans  le  mois  de  juillet,  il  marcha  sur 
Taormina,  qui  était  alors  la  capitale  byzantine,  et  l'enleva  d'assaut, 
le  août,  malgré  l'héroïque  défense  des  chrétiens.  Il  fit  faire  un 
massacre  horrible  de  la  population  et  incendia  la  ville.  Après  ce 
succès,  Ibrahim  divisa  ses  forces  en  quatre  corps,  de  façon  à  enve- 
lopper les  dernières  possessions  chrétiennes  ;  mais  il  fut  alors 
appelé  en  Italie  et,  le  3  septembre,  traversa  le  détroit.  Débarqué 

1.  Amari,  Musiilrna/is  de  Sicile,  t.  I,  p.  434  et  suiv. 

2.  Ibid.,  t.  I,  p.  458  et  suiv. 


ÉTABLISSEMENT   DE   l'kMPIUE   OliÉlDITE  (902) 


303 


en  Galabre  avec  son  armée,  il  arriva  devant  Coscnza.  Des  envoyés 
chrétiens  étant  venus  humblement  solliciter  la  paix,  il  leur  dit  : 
(i  Retournez  auprès  des  vôtres,  et  dites-leur  que  je  vais  m  occuper 
«  de  toute  l'Italie  et  disposer  de  ses  habitants  comme  il  me  plaira. 
«  Les  princes.  Grecs  ou  Francs,  espèrent  peut-être  me  résister  et 
«  m'attendent,  à  cet  elYet,  avec  toutes  leurs  troupes.  Restez  donc 
«  dans  vos  villes.  Rome  aussi,  la  cité  du  vieux  Pierre,  m'attend 
«  avec  ses  soldats  «germains;  j'y  passerai  éj^alement,  puis  ce  sera 
«  le  tour  de  Gonstanlinople.  » 

Tout  le  monde  s'enfuit  devant  lui,  et  la  terreur  s'étendit  jusqu'à 
Naples.  Le  l"  octobre,  Ibrahim  commença  le  siè<;e  de  Gosenza  ; 
mais  la  maladie  était  dans  l'armée  et,  malj^ré  toute  son  ardeur,  le 
vieux  gouverneur  ne  put  se  rendre  maître  de  la  place.  Atteint  lui- 
même  par  l'épidémie,  il  mourut  le  23  octobre,  dans  sa  cinquante- 
quatrième  année  «  après  vinj;t-six  ans  de  tyrannie  et  six  mois  de 
pénitence  »,  dit  M.  Amari 

Aussitôt  après  sa  mort,  les  capitaines  se  mutinèrent  et  élurent 
son  petit-fils,  Ziadet-Allah,  en  le  chargeant  de  les  ramener  en 
Afrique.  Ce  prince  qui  avait,  paraît-il,  été  désigné  par  son  aïeul, 
n'accepta  le  pouvoir  qu'avec  une  grande  répugnance;  il  s'empressa 
d'accorder  la  paix  aux  gens  de  Gosenza,  puis  il  passa  en  Sicile  et 
rentra  en  Il'rikiya  Le  corps  d'Ibrahim  fut  rapporté  en  Afrique 
et  enterré  à  Kaïrouan. 

Progrès  des  Chiaïtes.- — Victoires  D'Anou-AnD-ALLAn  chez  les 
Ketama.  —  Pendant  que  ces  faits  se  passaient  en  Europe,  l'Afrique 
était  le  théâtre  d'événements  non  moins  graves.  Après  le  mouvement 
hostile  qui  s'était  prononcé  parmi  les  Ketama  contre  Abou-Abd- 
AUah,  sous  l'empire  de  la  terreur  causée  par  l'annonce  de  l'attaque 
prochaine  des  Ar'lebites,  plusieurs  combats  avaient  été  livrés  entre 
les  tribus  fidèles  et  les  partisans  du  chia'ite.  L'avantage  était  resté 
à  ce  dernier;  il  avait  vu  le  noyau  de  ses  adhérents  se  grossir  de 
ces  masses  qui  suivent  toujours  le  vainqueur.  Les  gens  de  Bellezma, 
les  Lehiça,  les  Addjana,  fractions  ketamiennes,  quelques  groupes 
de  Sanhadja,  tribu  restée  jusqu'alors  fidèle  aux  Ar'lebites,  et  enfin 
une  partie  des  Zouaoua,  montagnards  du  Djerdjera,  se  déclarè- 
rent pour  Abou-Abd-AUah. 

Pendant  que  le  chia'ite  recueillait  ces  soumissions,  un  chef  de 
la  fraction  ketamienne  des  Latana,  nommé  Ftali-ben-Yahïa,  qui 
s  était  montré  l'adversaire  déclaré  du  novateur,  se  rendit  à  Rak- 

1.  Amari,  /.  c,  t.  II,  p.  93. 

2.  Eu-Nouéïri,  p.  431  et  suiv. 


304 


HISTOIRE   DE  i/aFRIQUE 


kada,  dans  l'espoir  de  déterminer  le  {gouverneur  à  entreprendre 
une  campar;ne  sérieuse  contre  les  rebelles.  Au  même  moment, 
Abou-Abd-Allah  s'emparait  par  trahison  de  Mila  et  mettait  à 
mort  le  commandant  de  ce  poste.  Le  fds  de  ce  chef,  qui  avait  par 
la  fuite  évité  le  sort  de  son  père,  vint  à  Kaïrouan,  où  il  retrouva 
P^tah,  et  tous  deux  redoublèrent  d'efforts  pour  obtenir  vengeance. 
Cédant  à  leurs  instances,  Abou-l'Abbas  se  décida  à  envoyer  contre 
les  Ketama  un  corps  de  troupes,  sous  la  conduite  de  son  fils  Abou- 
TKaoual  (902). 

Abou-.\bd-.\llah  fit  marcher  à  la  rencontre  de  l'ennemi  un 
groupe  de  ses  adhérents,  mais  les  troupes  régulières  les  ayant 
dispersés  sans  peine,  il  dut  évacuer  précipitamment  la  place  forte 
de  Tazrout  pour  se  réfugier  dans  son  quartier-général  de  Guédjal, 
situé  au  milieu  d'un  pays  coupé  et  d'accès  diffîcile 

Abou-l'Kaoual,  après  avoir  démantelé  Tazrout,  essaya  de  relancer 
son  ennemi  dans  sa  retraite,  mais  en  s'avançant  au  milieu  du  dé- 
dale des  montagnes  ketamiennes,  il  reconnut  bientôt  qu'il  ne 
pourrait,  sans  s'exposer  à  une  perte  certaine,  continuer  la  cam- 
pagne dans  un  tel  terrain.  Les  Berbères  surent  profiter  habilement 
de  son  indécision  et  du  découragement  qui  gagnait  son  armée  pour 
le  harceler,  surprendre  les  corps  isolés,  et  enfin  le  forcer  à  évacuer 
le  pays.  Débarrassé  de  ses  ennemis,  le  daï  chiaïle  s'établit,  d'une 
façon  définitive,  à  Guédjal,  dont  il  fit  sa  ville  sainte  et  qu'il  appela 
Diir-el-IIidjera  (la  maison  du  refuge). 

Court  règne  d' Abou-l'Abbas.  —  Son  fils  Ziadet- .Allah  lui 
SUCCÈDE.  —  La  défaite  des  troupes  ar'lebites  coincida  avec  le  décès 
d'Ibrahim. 

Le  prince  Abou-l'Abbas  ne  prit  oiïîciellement  le  titre  de  gou- 
verneur qu'après  la  mort  de  son  père.  11  gouverna  avec  une 
grande  modération,  et  l'on  put  croire  qu'une  ère  de  justice  allait 
succéder  à  la  terreur  du  règne  précédent.  Malheureusement  il  fut 
bientôt  obligé  de  sévir  contre  son  propre  fils,  Ziadet- Allah,  qui, 
se  fondant  sur  les  dispositions  prises  devant  Cosenza,  lors  du  décès 
de  son  aïeul,  aspirait  directement  au  trône.  Il  fut  jeté  dans  les 
fers,  avec  un  grand  nombre  de  ses  partisans,  pour  prévenir  un 
attentat  qui  ne  devait  que  trop  bien  se  réaliser  plus  tard^ 

Malgré  les  embarras  qui  l'assaillirent  au  début  de  son  règne, 
Abou-l'Abbas,  comprenant  toute   la   gravité   des   progrès  des 

1.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  513  et  suiv. 

2.  En-Noiiéïri,  p.  439. 


ÉTABLISSEMENT  DE   l'eMPIRE  OBÉIDITE  (903) 


305 


Chiaïtes,  envoya  contre  eux,  pour  la  seconde  fois,  son  autre  fils 
Abou-l'Kaoual  ;  mais  le  jeune  prince  n'eut  pas  plus  de  succès  dans 
celte  campagne  que  dans  la  précédente,  et  dut  se  contenter  de 
s'établir  dans  un  poste  d'observation  près  de  Sétif 

Peu  de  temps  après,  c'est-à-dire  le  27  juillet  903,  le  gouverneur 
ar'lebite  tomba,  à  Tunis,  sous  les  poignards  de  trois  de  ses  eunu- 
ques, poussés  à  ce  crime  par  son  fils  Ziadet-Allah,  du  fond  de  sa 
prison.  Après  avoir  accompli  leur  forfait,  les  assassins  vinrent 
annoncer  à  celui  qui  les  avait  gagnés  que  son  père  n'existait  plus, 
mais  le  parricide,  craignant  quelque  piège,  ne  voulut  pas  se  laisser 
mettre  en  liberté  avant  d'avoir  la  certitude  du  meurtre.  Les 
eunuques,  étant  donc  retournés  auprès  du  cadavre,  lui  coupèrent 
la  tête  et  l'apportèrent  à  Ziadet-Allah,  qui,  devant  cette  preuve 
irrécusable,  consentit  à  ce  qu'on  brisât  ses  fers.  Abou-l  Abbas 
avait  montré,  pendant  son  court  séjour  aux  affaires,  des  qualités 
remarquables.  C'était  un  prince  instruit  et  d'un  esprit  élevé,  digne 
en  tout  point  du  nom  ar'lebite. 

Quant  à  Ziadet-Allah,  qui  n'avait  pas  craint  de  parvenir  au 
trône  par  le  meurtre  de  son  père,  il  était  facile  de  prévoir  ce  que 
serait  son  règne.  Un  de  ses  premiers  actes  fut  d'ordonner  le  sup- 
plice des  eunuques  qui  avaient  assassiné  Abou-l'Abbas.  Il  fit  pro- 
clamer son  avènement  dans  les  mosquées  de  Tunis  et  envoya  aux 
gouverneurs  des  provinces  l'ordre  de  l'annoncer  officiellement.  Il 
se  livra  ensuite  à  tous  les  déportements  de  son  caractère,  qui  avait 
la  férocité  de  celui  d'Ibrahim,  sans  en  avoir  le  courage,  ^'ingt- 
neuf  de  ses  frères  et  cousins  furent,  par  son  ordre,  déportés  dans 
l  île  de  Korrath-,  puis  mis  à  mort.  Cela  fait,  il  envoya  à  son  frère 
Abou-l  Kaoual,  qui  opérait  dans  le  pays  des  Ketama,  une  lettre  écrite 
au  nom  de  leur  père,  lui  enjoignant  de  rentrer.  Le  malheureux 
prince,  ayant  obtempéré  à  cet  ordre,  subit  le  sort  de  ses  parents^. 

Le  meiidi  Obéïd-Allau  passe  en  Mag'reb.  —  Quelque  temps 
avant  les  événements  que  nous  venons  de  rapporter,  Mohammed- 
el-Habib,  troisième  imam-caché,  était  mort  en  Orient,  laissant 
son  héritage  à  son  fils  Obeïd-.Allah.  Se  sentant  près  de  sa  fin,  il 
lui  avait  adressé  ces  paroles  :  <(  C'est  toi  qui  es  le  Mehdi  j  après 
«  ma  mort,  tu  dois  te  réfugier  dans  un  pays  lointain  où  tu  auras 
«  à  subir  de  rudes  épreuves  *  !  » 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  514. 

2.  Yis-à-vis  l'extrémité  occidentale  du  golfe  de  Tuuis. 

3.  En-Nouéïri,  p.  440  et  suiv. 

1.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  515.  II  est  à  remarquer  que  la  flu 
des  siècles  de  l'hégire  est  toujours  favorable  à  l'apparition  des  Mcdhi. 

T.  I.  20 


306 


msToiRi;  DE  l'afrique 


Pour  se  conformer  à  sa  destinée,  Obéïd-Allah,  qui  était  alors 
âgé  de  dix-neuf  ans,  quitta,  après  le  décès  de  son  père,  la  ville  de 
Salemïa  et  voulut  d'abord  se  diriger  vers  l  lémen.  Il  était  accom- 
pagné de  son  jeune  Hls,  Abou-l  Kacem  et  de  quelques  serviteurs. 
En  chemin,  il  apprit  que  les  partisans  de  son  père  en  Arabie 
avaient  presque  abandonné  sa  doctrine,  et  ne  paraissaient  nulle- 
ment disposés  à  le  recevoir.  11  était  donc  fort  indécis,  lorsqu'il 
reçut  un  message  d'Abou-Abd-AUah,  apporté  de  Mag  reb  par 
Abou-l'Abbas,  frère  de  celui-ci,  accompagné  de  quelques  chefs 
ketamiens.  Le  fidèle  missionnaire  le  félicitait  de  son  avènement, 
comme  imam,  et  l'engageait  à  venir  le  rejoindre  en  Afrique,  où 
son  parti  devenait  de  jour  en  jour  plus  puissant. 

Ces  bonnes  nouvelles  décidèrent  Obeïd-Allah  à  gagner  l'Occi- 
dent. Mais  l'annonce  de  1  apparition  du  Mehdi  attendu  par  les 
Chia'ites  s'était  répandue.  Le  khalife,  El-Moktefi,  ordonna  de  le 
rechercher  avec  le  plus  grand  soin  ;  son  nom  et  son  signalement 
furent  adressés  aux  gouverneurs  des  provinces  les  plus  reculées,  et 
ordre  fut  donné  de  le  saisir  partout  où  on  le  découvrirait. 

Obéïd-Allah  parvint  cependant  à  passer  en  Egypte,  sous  l'habit 
d'un  marchand,  car,  selon  l'énergique  expression  arabe,  «  les 
«  yeux  étaient  aiguisés  sur  lui  '  ».  Arrêtés  au  Caire  par  le  gouver- 
neur de  cette  ville,  les  voyageurs  ne  recouvrèrent  leur  liberté  que 
grâce  à  l'habileté  de  leurs  réponses;  ils  purent  alors  continuer 
leur  route,  mais  en  redoublant  de  prudence.  Lorsqu'ils  furent 
arrivés  à  la  hauteur  de  Tripoli,  le  mehdi  garda  avec  lui  son  fds,  et 
envoya  en  avant  ses  compagnons  et  sa  mère,  sous  la  conduite 
d'-A-bou-l'Abbas,  frère  d'Abou-Abd-Allah.  afin  d'annoncer  son 
arrivée  aux  Ketama. 

La  petite  caravane,  grossie  de  quelques  marchands,  négligea 
toute  précaution,  et  au  lieu  de  prendre  la  route  du  sud,  vint 
passer  à  Kaïrouan.  Mais  les  ordres  donnés  étaient  tellement 
sévères,  que  personne  ne  pouvait  demeurer  inaperçu.  Abou- 
l  Abbas  fut  arrêté  avec  tout  son  monde  et  conduit  à  Ziadet-Allah. 
Devant  ce  prince  le  daï  fut  impénétrable  :  ni  menaces,  ni  pro- 
messes, ne  purent  lui  arracher  son  secret.  Quelqu'un  de  la  suite 
ayant  déclaré  qu'il  venait  de  Tripoli,  le  gouverneur  ar'lebite 
devina  sans  doute  que  le  mehdi  devait  être  dans  cette  région,  car 
il  donna  l'ordre  de  l'arrêter-. 

Cette  fois  encore,  Obéïd-Allah,  prévenu  à  temps,  put  échapper 

1.  Ibu-Hammad,  dout  Cherbonueau  a  douué  une  traduction  dans  le 
Journal  asiatique  et  dans  la  Revue  africaine,  n"  72. 

2.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  516. 


ÉTABLISSEMENT  DE  i/eMPIRE   OBÉIDITE  (903) 


307 


par  une  prompte  fuite.  Il  gagna  probablement  Tintérieur  et,  repre- 
nant sa  marche  vers  l'ouest,  traversa  le  pays  de  Kastiliya,  et  vint 
passer  près  de  Constantine.  De  là  il  aurait  pu,  sans  doute,  se 
rendre  chez  les  Ketama,  et  cependant  il  continua  sa  fuite,  ne  vou- 
lant pas,  s'il  se  découvrait,  saciùfier  Abou-l'Abbas  qui  était  resté 
entre  les  mains  de  Ziadet-Allah'.  Ne  devail-il  pas,  du  reste, 
accomplir  la  prophétie  de  son  père  :  «  ...Tu  dois  te  réfugier 
dans  un  pays  lointain,  où  lu  subiras  de  rudes  épreuves  !  »  Il  fal- 
lait au  mehdi  des  aventures  extraordinaires,  et,  opérer  sa  jonction 
avec  Abou-Abd-Allah,  c'eût  été  le  triomphe  sans  les  épreuves.  Il 
continua  donc  à  errer  en  proscrit. 

Campagnes  d'Abou-Abd-Allaii  contre  les  ar'leisites.  Ses  succès. 
—  Pendant  ce  temps,  Abou-Allah-Allah  achevait  de  conquérir  au 
mehdi  un  empire.  —  Après  le  départ  d'Abou-l'Kaoual,  seul  obs- 
tacle qui  s'opposât  à  sa  marche,  il  réunit  tous  ses  adhérents  et 
vint  audacieusement  mettre  le  siège  devant  Sétif.  Le  gouverneur 
de  cette  ville,  soutenu,  dit-on,  par  quelques  chefs  ketaniens 
demeurés  fidèles,  essaya  une  résistance  désespérée  ;  mais  lorsque 
tous  furent  morts  en  combattant,  la  place  capitula  et  fut  rasée 
par  les  Chia'ites  vainqueurs. 

A  cette  nouvelle,  le  prince  ar'lebite  envoya,  contre  les  rebelles, 
un  de  ses  parents,  nommé  Ibn-Hobaïch,  avec  une  très  nombreuse 
armée.  Ces  troupes  vinrent  se  masser  près  de  Constantine,  où 
elles  perdirent  un  temps  précieux  ;  puis,  elles  s'avancèrent  jusqu'à 
Bellezma,  et,  près  de  cette  localité,  offrirent  la  bataille  aux  Ketama, 
qui  avaient  marché  en  masse  à  leur  rencontre.  La  victoire  se  dé- 
clara pour  les  Chiaïtes.  Ibn-Hobaïch  se  replia  en  désordre,  avec 
les  débris  de  son  armée,  à  Bar'aï,  d'où  il  gagna  ensuite  Kaïrouan. 

Profitant  de  ses  avantages,  Abou-Abd-Allah  se  porta  surTobna 
avec  une  partie  de  son  armée  et  divisa  le  reste  en  deux  corps, 
qu'il  envoya  opérer  sur  ses  flancs.  Tobna,  puis  Bellezma,  tombè- 
rent en  son  pouvoir.  En  même  temps,  un  de  ses  généraux  s'em- 
parait de  la  place  de  Tidjist^,  et  accordait  à  la  garnison  une  capi- 
tulation honorable.  En  revanche,  le  général  Ilaroun-et-Tobni, 
ayant  poussé  une  pointe  audacieuse  sur  les  derrières  des  Chiaïtes, 
vint  surprendre  et  brûler  la  place  de  Dar-Melloul,  près  de 
Tobna . 

En  somme,  la  cause  des  Chiaïtes  obtenait  de  constants  avan- 
tages, et  les  populations,  attirées  autant  par  l'appât  de  la  nou- 

1.  C'est  du  moins  l'opinion  d'Ibn-el-Athir. 

2.  L'antique  Tigisis  (ou  Ticisis),  à  une  douzaine  de  lieues  au  sud  de 
Constantine. 


308 


IlISTOIRI-    DE  l'aFRIQUE 


veauté,  que  par  la  clémence  et  la  justice  d'Abou-Abd-Allah, 
accouraient  ?e  ranger  autour  de  lui.  Le  ijouverneur  ar  lebite. 
voyait  le  danger  approcher,  mais  ses  prédécesseurs  avaient  négligé 
d'écraser  l'ennemi  quand  il  n'avait  aucune  force,  et  maintenant  il 
était  trop  lard.  Les  rebelles  tenaient  déjà  les  principales  places  de 
l'ouest,  et  Ziadet-.\llah  pouvait  s'attendre  à  les  voir  paraître  d'un 
jour  à  l'autre  et  mettre  le  siège  devant  sa  capitale.  Dans  celte 
prévision,  il  lit  réparer  les  fortifications  de  Kaïrouan  et  des  places 
environnantes  ;  en  même  temps,  il  vidait  le  trésor  public  pour 
lever  des  troupes  et  les  opposer  à  l'ennemi. 

En  907,  le  gouverneur  ar'lebile  se  porta,  avec  une  armée,  contre 
les  Chiaïtes,  qui  opéraient  sur  les  versants  de  l'Aourès.  Mais, 
parvenu  à  El-Orbos,  il  ne  jugea  pas  prudent  de  s'avancer  davan- 
lage  et  rentra  à  Rokkada,  laissant  le  général  Ibrahim-ben-el-Ar'leb 
en  observation  avec  un  corps  de  troupes.  Ziadet-AUah  fit  renforcer 
les  fortifications  de  son  château  et,  sans  se  préoccuper  davantage 
du  danger  qui  le  menaçait,  il  se  plongea  de  plus  en  plus  dans  la 
débauche. 

Sur  ces  entrefaites,  Abou-Abd-Allah  s'empara  successivement 
de  Bar'a'i  et  de  Mermadjenna  ;  puis  il  réduisit  les  Iribus  nef- 
zaouiennes  et  s'avança  jusqu'à  Tifech  dont  il  reçut  la  soumis- 
sion. Il  rentra  alors  dans  son  centre  d'opérations,  afin  de  préparer 
une  nouvelle  campagne;  mais  aussitôt,  le  général  Ibrahim,  arrivant 
à  sa  suite,  reprit  une  partie  du  territoire  conquis,  avec  Tifech. 

Bientôt,  le  daï  chia'ite  reparut  dans  l'est  ;  laissant  derrière  lui 
Constantine,  qu'il  n'osa  attaquer,  en  raison  de  sa  position  inexpu- 
gnable, il  vint  enlever  la  Meskiana  et  Tebessa.  Pénétrant  ensuite 
en  Tunisie,  il  réduisit  la  ville  et  le  canton  de  Gammouda  et  s'avança 
sur  Rokkada.  jNIais  il  avait  trop  présumé  de  ses  forces.  Bientôt, 
en  effet,  le  général  Ibrahim,  accouru  avec  toutes  ses  troupes  dispo- 
nibles, lui  livra  bataille  et  le  mit  en  déroute;  les  Chia'ites  s'enfui- 
rent en  désordre  par  tous  les  défilés.  Abou-Abd-Allah,  lui-même, 
ne  s'arrêta  qu'à  Guédjal.  Cette  victoire  des  Ar'lebites  eut  pour 
résultat  de  faire  rentrer  momentanément  sous  leur  domination  la 
plupart  des  places  conquises  par  les  rebelles,  y  compris  Bar'aï. 

Mais  l'échec  des  Chia'ites,  qui  aurait  pu  avoir  les  suites  les  plus 
graves,  si  leurs  adversaires  avaient  su  profiter  du  succès  en  repre- 
nant vigoureusement  l'offensive,  ne  devait  retarder  que  de  bien 
peu  de  jours  la  chute  définitive  du  trône  ar'lebite.  Sitôt,  en  effet, 
qu'Abou-Abd-AUah  eut  appris  qu'Ibrahim,  au  lieu  de  le  pour- 
suivre, était  rentré  dans  son  poste  d'observation  à  El-Orbos,  il 

1.  L'antique  Tipaza  de  l'est,  près  de  Souk-Aliras. 


ÉTABLISSEMENT  DE   l'emPIRE  OBÉIDITE  (909) 


309 


vint  mettre  le  sièj^e  devant  Constantine  et  s'empara  de  cette  ville 
et  du  pays  environnant  ;  puis  il  alla  reprendre  Bar'aï,  et  après  y 
avoir  laissé  un  commandant,  rentra  dans  son  quartier  de  Guédjal. 
Ibrahim  marcha  alors  sur  Bar'aï,  mais  il  se  heurta  à  un  corps  de 
douze  mille  Ghiaïtes  qui  le  repoussa'. 

Les  Cuiaïtes  marcuent  sur  i.a  Tunisie.  —  Fuite  de  Ziadet- 
Ai.LAii  III.  —  Cependant,  Abou-Abd-Allah,  comprenant  que  le 
moment  décisif  était  arrivé,  ne  restait  pas  inactif  à  Guédjal.  Il 
avait  adressé  un  appel  à  tous  ses  adhérents  ou  alliés,  et  s'occupait 
de  réunir  une  armée  formidable.  De  tous  côtés  arrivaient  les  con- 
tingents :  Zouaoua  du  Djerdjera,  Sanhadja  du  Maj^'reb-Gentral, 
Zenata  du  Zab,  Nefzaoua  de  l'Aourès,  venaient  se  joindre  aux 
vieilles  bandes  ketamiennes. 

Au  mois  de  mars  909  ^,  Abou-Abd-.\llah  se  mit  en  marche,  à  la 
tête  d'une  armée  dont  le  chiffre  est  porté  par  les  chroniques  à 
deux  cent  mille  hommes,  divisés  en  sept  corps.  Avec  de  telles 
forces,  il  se  porta  en  droite  ligne  sur  la  capitale  de  son  ennemi. 

En  vain  le  général  Ibrahim  essaya  de  faire  tête  aux  Ghiaïtes  ; 
vaincu  dans  plusieurs  rencontres,  il  dut  abandonner  son  camp  et 
se  replier  sur  Kaïrouan,  où  se  trouvait  le  gouverneur  ar'lebile. 
L'armée  d'Abou-Abd-Allah  s'arrêta  à  El-Orbos  le  temps  néces- 
saire pour  mettre  cette  ville  au  pillage',  puis  pénétra  comme  un 
torrent  en  Tunisie. 

Dans  cette  circonstance  solennelle,  Ziadet-Allah  se  montra  ce 
qu'il  avait  toujours  été  :  lâche,  cruel  et  incapable.  Lorsqu'il  eut 
appris  la  défaite  de  son  général  et  qu'il  fut  convaincu  qu'il  ne 
pouvait  résister  à  la  tourbe  de  ses  ennemis,  il  fit  courir,  à  Rok- 
kada,  le  bruit  que  ses  troupes  avaient  remporté  la  victoire  ;  puis 
il  ordonna  de  meltre  à  mort  toutes  les  personnes  qu'il  détenait 
dans  les  cachots,  et  de  promener  leurs  têtes  à  Kaïrouan,  au  vieux 
château  et  à  Rokkada,  en  annonçant  qu'elles  provenaient  des 
cadavres  des  ennemis.  En  même  temps,  il  s'empressa  de  réunir 
tous  les  objets  précieux  et  les  trésors  qu'il  possédait,  et  se  prépara 
k  fuir  avec  ses  courtisans  et  ses  favorites. 

En  vain,  un  de  ses  meilleurs  ollîcicrs,  nommé  Ibn-es-Saïr',  s'ef- 
força de  le  retenir  et  de  l'exhorter  à  la  résistance,  en  lui  rappelant 
les  exploits  de  ses  aïeux.  Le  dernier  des  Ar'lebites  ne  répondit  à 

1.  En-Nouéiri,  p.  440-441.  Il)n-Kiialdoun,  t.  II,  p.  515  et  suiv.  El- 
Kaïrouaiii,  p.  88.  Ibu-Hainmad,  loc.  cit. 

2.  C'est  par  erreur  qu'Ibu-Hammad  donne  907. 

3.  Selon  l']l-Bekri,  les  liabitants  réCugiés  dans  la  mosquée  auraient  clé 
impitoyablement  massacrés. 


310 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQUE 


ces  généreux  efforts  que  par  des  paroles  de  défiance  et  de  menace. 

Bientôt,  tout  fut  prêt  pour  le  départ;  les  plus  fidèles  serviteurs 
esclavons  reçurent  chacun  une  ceinture  contenant  mille  pièces 
d"or;  on  plaça  les  autres  objets  précieux  et  les  femmes  sur  des 
mulets,  et  à  la  nuit  close,  Ziadet-Allah  sortit  de  Rokkada  et  prit 
la  route  de  l'Egypte  :  «  A  l'heure  du  coucher  du  soleil,  —  dit 
«  En-Noueïri,  —  il  avait  appris  la  défaite  de  ses  troupes  ;  à  celle 
((  de  la  prière  d' El-Acha  (de  huit  à  neuf  heures  du  soir)  il  était 
«  parti  ».  —  «  Il  prit  la  nuit  pour  monture  »  dit,  de  son  côté, 
Ibn-Hammad. 

Ce  fut  ainsi  que  le  dernier  des  Ar'lebites  descendit  du  pouvoir. 
La  population  de  Rokkada  l'accompagna  pendant  quelque  temps, 
à  la  lueur  des  flambeaux  :  un  certain  nombre  d'habitants  suivit 
même  sa  fortune. 

.\bol-Abd-Allah  prend  possession  de  la  Tlnisie.  —  Aussitôt 
que  la  nouvelle  de  la  fuite  du  gouverneur  fut  connue  à  Ka'irouan, 
le  peuple  se  porta  en  foule  à  Rokkada  et  mit  le  palais  au  pillage. 
En  même  temps  arrivait  le  général  Ibrahim,  ramenant  les  débris 
de  ses  troupes  qui  achevèrent  de  se  débander,  en  apprenant  la 
fuite  de  Ziadet-Allah.  Malgré  l'état  désespéré  des  affaires,  Ibrahim 
voulut  tenter  un  dernier  effort.  S'étant  rendu  au  Divan,  à  la  tête 
de  partisans  dévoués,  il  se  fit  proclamer  gouverneur  et  adressa  à 
la  population  des  paroles  pleines  de  cœur  pour  l'engager  à  la 
résistance.  Mais  la  terreur  des  règnes  précédents  avaient  éteint 
tout  sentiment  d'honneur  chez  ce  peuple  opprimé;  après  avoir 
d'abord  obtenu  l'adhésion  de  la  foule,  le  général  la  vit  bientôt  se 
tourner  contre  lui  et  dut,  pour  sauver  sa  vie,  s'ouvrir  un  passage 
à  la  pointe  de  son  épée.  Il  partit  alors  avec  ses  compagnons  sur 
les  traces  de  Ziadet-Allah. 

Sur  ces  entrefaites,  l'avant-garde  des  Chia'ites,  commandée  par 
Arouba-ben-Youçof  et  El-Haçen-ben-bou-Khanzir,  chefs  keta- 
miens,  apparut  sous  les  murs  de  Rokkada.  Il  ne  fallut  rien  moins 
que  la  terreur  inspirée  par  les  farouches  berbères,  pour  faire  cesser 
le  pillage  qui  durait  depuis  huit  jours. 

Peu  après,  dans  le  mois  d'avril  909,  Abou-Abd-Allah  fit  son 
entrée  triomphale  dans  cette  place.  Il  était  précédé  d'un  crieur 
psalmodiant  ces  versets  du  Koran  '  :  «  C'est  lui  qui  a  chassé  les  in- 
fidèles de  sa  maison   Combien  de  jardins  et  de  fontaines  aban- 
données !  »  etc. 

Les  gens  de  Kaïrouan  lui  avaient  envoyé  une  députalion  des 


1.  Sourate  de  la  fumée. 


ÉTABLISSEMENT   DE   i/e.MPIRE   OUÉIDITE  (909) 


311 


citoyens  les  plus  honorables,  pour  lui  oil'rir  leur  soumission  cl 
lui  demander  l'aman  ;  l'avant-f^arde  des  (^liiaïtes  entra  donc  sans 
coup  férir  dans  cette  ville,  mais,  comme  un  grand  nombre  d'ha- 
bitants s'étaient  enfuis,  Abou-Abd-AUah  proclama  une  amnistie 
générale,  qui  rassura  les  esprits  et  fit  rentrer  les  émigrés.  Un  de 
ses  premiers  soins  fut  de  mettre  en  liberté  son  frère  Abou-l'Abbas 
et  la  mère  du  mehdi  cjui,  jusqu'alors,  étaient  restés  en  prison.  S'il 
continua  à  se  montrer  modéré  dans  sa  victoire,  sa  clémence  n'alla 
pas  jusqu'à  faire  grâce  aux  soldats  de  la  garde  noire  ar'lel)ite. 
Tous  ceux  qu'on  put  arrêter  furent  impitovaljlement  mis  à  mort. 

Les  adhérents  du  gouverneur  déchu  étaient  venus  se  grouper 
autour  de  lui  à  Tripoli.  Ibrahim,  qui  l'avait  également  rejoint, 
dut  aussitôt  prendre  la  fuite  pour  éviter  le  supplice  que  Ziadet- 
Allah  voulait  lui  infliger,  comme  coupable  de  tentative  d'usurpation 
du  pouvoir.  .Vprès  avoir  passé  à  Tripoli  dix-sept  jours ,  pendant 
lesquels  il  fit  trancher  la  tète  d'Ibn-es-Sa'ir,  le  ministre  qui  avait 
commis  le  crime  de  tenter  d'arrêter  sa  fuite,  le  gouverneur  se 
remit  en  route.  Parvenu  au  Caire,  il  écrivit  au  khalife  El-Mok- 
tader-b'Illah,  en  sollicitant  une  entrevue.  Pour  toute  réponse,  il 
reçut  Tordre  de  se  rendre  à  Rakka,  en  Syrie,  et  d'y  attendre  ses 
instructions.  Quelque  temps  après,  il  obtint  l'autorisation  de 
rentrer  en  Egypte,  et  il  y  acheva  misérablement  sa  vie  dans  les 
plus  honteuses  débauches. 

.-Vinsi  finit  la  dynastie  ar'lebile,  qui  avait  donné  à  l'Afrique  des 
princes  si  remarquables.  Avec  elle  disparaissait  le  dernier  reste 
de  l'autorité  arabe,  imposée  aux  Berbères  deux  siècles  et  demi 
auparavant.  Le  Mag'reb  avait  déjà  repris  possession  de  lui-même  ; 
rifrikiya,  à  son  tour,  était  délivrée  de  la  domination  du  khalifat, 
et  les  indigènes  allaient  former  maintenant  de  puissants  empires 
autonomes.  Ce  succès  était  particulièrement  le  triomphe  de  la 
tribu  des  Ketama,  dont  la  suprématie  s'établissait  sur  les  autres 
gi'oupes  de  la  race  et  sur  les  restes  des  colonies  arabes. 

Après  sa  rapide  victoire,  Abou-Abd- Allah  s'occupa  de  l'organi- 
sation de  l'empire  par  lui  conquis.  A  cet  effet,  il  envoya  dans 
toutes  les  provinces  des  gouverneurs  fournis  par  la  tribu  des 
Ketama.  Il  congédia  les  auxiliaires,  qui  retournèrent  chez  eux 
chargés  de  butin,  puis  il  s'appliqua  à  rappeler  à  Kaïrouan  et  à 
Rokkada  même  les  populations  émigrées.  Etabli  dans  le  palais 
des  princes  ar'lebites,  il  s'entoura  des  insignes  du  pouvoir,  fit 
frapper  des  monnaies  nouvelles  '  et  s'occupa  de  l'organisation  des 

1.  Ces  monnaies  portaient  les  inscriptions  suivautes  :  d'un  côté^l 


312 


HISTOIRE  DE  l'aFRIQLE 


troupes  régulières,  auxquelles  il  donna  des  étendards  portant  des 
inscriptions  à  la  louanc^e  des  Fatemides. 

Après  avoir,  avec  autant  de  prudence  que  d'habileté,  établi  sur 
des  bases  solides  le  gouvernement,  il  songea  à  faire  profiter  de  ses 
conquêtes  celui  pour  lequel  il  avait  travaillé,  son  maître,  le  mehdi 
Obéïd-AUah. 

Les  Ciiiaïtes  vont  délivrer  le  meiidi  a  Sidjil.massa.  —  Tandis 
que  le  nom  du  nouveau  souverain  de  l'Afrique  était  proclamé  dans 
toutes  les  mosquées,  celui-ci  gémissait  au  fond  d'une  prison  dans 
une  oasis  saharienne. 

Nous  l'avons  laissé  près  de  Constanline.  continuant  son  chemin 
vers  le  sud-ouest,  au  lieu  de  donner  la  main  à  son  daï.  Il  ne  cessa 
d'errer  en  proscrit,  toujours  accompagné  de  son  jeune  fils,  et  tenu, 
dit-on,  au  courant  des  succès  de  ses  partisans  par  des  émissaires 
secrets.  Il  arriva  enfin  à  l'oasis  de  Sidjilmassa.  au  fond  du  Mag  reb. 
Nous  savons  que  ce  territoire  était  le  siège  de  la  petite  royauté 
des  Beni-Midrar,  exerçant  leur  autorité  sur  les  tribus  mikna- 
ciennes  du  haut  Moulouïa. 

Bien  que  ces  Berbères  fussent  des  kharedjites-sofrilcs,  très 
fervents,  ils  reconnaissaient  la  souveraineté  du  khalife  abbasside.Le 
prince  régnant.  El-Içàa,  avait  reçu  de  Bagdad  l'ordre  de  saisir  le 
mehdi,  s'il  pénétrait  dans  ses  états.  Les  deux  voyageurs  lui  ayant 
été  signalés,  il  devina  leur  caractère  et  les  fit  arrêter.  Ainsi,  après 
avoir  échappé  pendant  sept  années,  à  travers  deux  continents,  aux 
poursuites  de  ses  ennemis.  Obeïd-Allah  trouvait  la  captivité  dans 
une  oasis  de  l'extrême  sud  du  Mag'reb,  à  plus  de  douze  cents  lieues 
de  son  point  de  départ;  c'était  la  continuation  des  épreuves  annon- 
cées par  son  père  ' . 

Aussitôt  qu"Abou-Abd-.\llah  eut  alTermi  l'organisation  du  nouvel 
empire,  il  se  prépara  à  aller  délivrer  son  maître.  Ayant  réuni  une 
armée  «  dont  le  nombre  inondait  la  terre  »  selon  l'expression 
d'Ibn-Hammad,  il  laissa  à  Kaïrouan  son  frère  Abou-l'Abbas,  assisté 
du  chef  kctamien  Abou-Zaki-Temmam,  puis  il  se  mit  en  route 
vers  l'ouest  ^juin  909;.  Les  populations  zenètes  que  les  Chiaïtes 
rencontrèrent  sur  leur  passage  se  retirèrent  devant  eux  ou  olfri- 
rent  leur  soumission  et,  enfin,  l'armée  parvint  sous  les  murs  de 
Sidjilmassa.  Abou-.\bd-Allah  ayant  envoyé  à  El-IçAa  un  message 
pour  l'engager  à  éviter  les  chances  d'un  combat,  en  rendant  les 

[la  prcicc  (le  DieiO  et  do  l'autre  <OJÎ  il<Xffi j^Ai'  (7'""  ^''^  ciiiiciiiis  de 
Dieu  soient  disperses  .') 

1.  Ibii-Ivlialdoun,  t.  I,  p.  263,  l.  II,  p.  520.  Ibn-Hammad,  loc.  cit.  El- 
Kairouaui,  p.  89  et  suivantes. 


ÉTABLISSEMENT  DE   i/eMPIRE   OBÉIDITE  (910) 


313 


prisonniers,  le  prince  midraride,  pour  toute  réponse,  fit  mettre  à 
mort  les  parlementaires. 

Après  cette  infructueuse  tentative,  on  en  vint  aux  mains,  non 
loin  de  la  ville,  car  les  Miknaça,  sous  la  conduite  de  leur  roi, 
avaient  bravement  marché  à  la  renconlre  de  leurs  ennemis.  Dès 
les  premiers  engagements,  le  succès  se  déclara  pour  les  Chiaïtes; 
les  troupes  d"El-Içâa  furent  taillées  en  pièces,  et  ce  prince  dut 
prendre  la  fuite,  suivi  seulement  de  quelques  serviteurs.  Le  len- 
demain de  la  bataille,  les  principaux  habitants  de  la  ville  vinrent 
au  camp  des  assiégeants  implorer  leur  clémence  et  leur  olTrir  de 
les  mener  à  la  prison  où  était  détenu  le  mehdi. 

Abou-Abd-Allah  se  réserva  le  soin  de  mettre  en  liberté  les  pri- 
sonniers. Il  les  revêtit  d  hal^its  somptueux,  les  lit  monter  sur  des 
chevaux  de  parade  et  salua  Obéïd-AUah  du  titre  d'imam.  Puis  il 
le  conduisit  au  camp,  en  marchant  à  pied  devant  lui,  et  pendant 
le  chemin  il  s'écriait,  en  versant  des  larmes  de  joie  :  «  Voici  voire 
«  imam,  voici  voire  .scif/netir  !  »  C'était,  pour  le  mehdi,  le 
triomphe  après  les  épreuves. 

Les  troupes  ketamiennes  ne  tardèrent  pas  à  se  saisir  d'El-Içâa 
qui  fut  mis  à  mort.  Sidjilmassa  avait  été  livrée  au  pillage  et  in- 
cendiée ' . 

Retour  du  meiu:)!  OnÉïu-ALi.An  en  Tunisie.  —  Fondation  de 
i/emi>ire  oni'iÏDiTE.  —  Après  un  repos  de  quarante  jours,  à  Sidjil- 
massa, l'armée  reçut  l'ordre  du  retour.  En  quittant  la  ville,  le 
mehdi  y  laissa,  comme  gouverneur,  le  ketamieu  lijrahim-ben- 
R'âleb,  avec  un  corps  de  Chia'ites.  A  son  retour,  l'armée  passa 
par  Guédjal.  Le  fidèle  AI)ou-Abd-Allah  remit  alors  à  son  maître 
les  trésors  qu'il  avait  amassés  dans  cette  place,  et  qui  provenaient 
du  butin  des  précédentes  campagnes.  7^out  avait  été  religieuse- 
ment conservé,  pour  cjue  le  mehdi  en  opérât  lui-même  le  partage. 

Dans  le  mois  de  décembre  909,  ou  au  commencement  de  jan- 
vier 910,  Obéïd-Allah,  suivi  de  son  tils  Abou-l'Kacem,  fit  son 
entrée  à  Rokkada.  Quelques  jours  après,  il  reçut,  dans  une  séance 
d'inauguration  solennelle,  le  serment  des  habitants  de  Kaïrouan. 
En  attendant  qu'il  eût  bâti  une  ville  pour  lui  servir  de  résidence 
royale',  Obéïd-Allah  s'établit  dans  le  palais  du  Rokkada.  11  prit 

1.  Noire  récit,  dans  les  pages  (jiii  piocèdoiit,  s'éloigne,  sar  un  grand 
nombre  de  points,  de  celui  de  P'ourncl  {Bcrbers,  t.  II,  de  la  page  30  à 
la  page  98)  ([ui  s'appuie,  pour  ainsi  dire  exclusivement,  sur  le  texte  du 
Baïau.  Les  données  d'Ibii-Klialdoun  et  d'En-Nouéiri  sont  presque  tou- 
jours ccai'tées  par  cet  auteur,  qui,  en  outre,  paraît  ne  pas  avoir  connu 
le  texte  si  intéressant  d'Ihn-IIauimad. 


314 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


alors  ofTicielleinent  le  Litre  de  mehdi  et  fit  frapper  des  monnaies 
où  ce  nom  était  inscrit. 

Son  empire  se  composait  de  la  plus  grande  partie  du  Mag  reb 
central,  de  toute  l'Ifrikiya  et  de  la  Sicile.  Vingt  années  à  peine 
avaient  sufTi  pour  arracher  aux  Ar  lebites  cet  immense  territoire  ; 
mais,  en  raison  même  de  la  rapidité  de  cette  conquête,  la  fidélité 
des  populations  n'était  rien  moins  que  bien  établie  et,  en  mains 
endroits,  l'autorité  cliiaïle  n'était  pas  officiellement  reconnue. 
C'est  pourquoi  le  mehdi  envoya,  dans  toutes  les  provinces,  des 
agents  ketamiens  chargés  de  sommer  les  populations  de  faire  acte 
d'adhésion  au  nouveau  souverain.  Grâce  à  ces  mesures  et  à  la  sé- 
vérité déployée  dans  leur  application,  car  tout  opposant  était  mis 
à  mort,  l'ordre  fut  rétabli  et  le  fonctionnement  de  l'administration 
assuré.  Ainsi  se  trouva  accomplie  une  prédiction  colportée  par 
les  Fatemides  et  annonçant,  pour  la  fin  du  iii*^  siècle  de  l'hégire,  la 
chute  de  la  domination  arabe  dans  l'Ouest:  <<  Le  soleil  se  lèvera  à 
«  l'Occident  »,  tel  était  le  texte  ambigi'i  de  cette  prédiction,  qu'on 
faisait  remonter  à  Mahomet  -. 

Pour  trancher  complètement  avec  le  régime  tombé,  les  an- 
ciennes places  fortes,  sièges  des  commandants  ar  lebites,  furent 
rasées,  et  les  préfets  fatemides  s'établirent  dans  d'autres  localités, 
élevées  au  rang  de  chefs-lieux. 

La  tribu  des  Ketama  fut  comblée  de  faveurs  ;  elle  fournit  les 
premiers  officiers  du  gouvernement  et  les  généraux  pour  les  postes 
importants.  C'est  en  s'appuyant  sur  un  mouvement  religieux  que 
la  cause  d'Obé'id-.AUah  avait  réussi.  Les  Berbères,  adoptant  la 
nouvelle  secte,  en  avaient  fait  un  signe  de  ralliement  pour  chasser 
1  étranger. 

C'est  ce  qui  s'était  passé,  deux  siècles  auparavant,  à  l'égard  du 
kharedjisme.  Malgré  la  persécution  dont  il  avait  été  l'objet,  ce 
schisme  possédait  encore  beaucoup  d'adhérents,  et  nous  n'allons 
pas  tarder  à  voir  s'engager  une  lutte  suprême  entre  la  doctrine 
fatemide  et  l'hérésie  kharedjite,  au  grand  détriment  de  la  vieille 
race  berbère. 

1.  El-Mclulia  (voir  plus  loin  . 

2.  Carette,  Migrations  des  tribus  algcricnrics,  p.  386.  citaiil  d'Hcr- 
belot. 


ÉTABLISSEMENT  DE   i/eMI'IRE   OBÉIDITE    (909)  315 

APPENDICE 


CIIRONOI.  OGIE    BES    GOUA'ERNEURS    ARI.  EBITES 

Ibrahim-ben-El-Ar"leb   800 

Abou-l'Abbas-Abd-Allah   812 

Ziadet-Allah  1   817 

Abou-Eikal-el-Arieb   838 

Abou-rAbbas-Mohammed   8  il 

Abou-IlDrahim-Ahmcd   856 

Ziadel- Allah  II   863 

Abou-cl-R'ai-anik   86  i 

Ibrahim  II  ben-Ahmed   875 

Abou-Abd-Allah   902 

Ziadet-AlIah  III   903 

Chute  de  Ziadet-Allah  III   909 


CHAPITRE  IX 


L'AFRIQUE  SOUS  LES  FATEMIDES 
910-934 

Silualion  du  Mag'rel)  en  910.  —  Conquêtes  des  Fatemides  dans  le  Mafj'rel) 
central;  chute  dm  Rostemides.  —  Le  mchdi  fait  périr  Abou-Abd-Allali  et 
écrase  les  germes  de  rébellion.  —  Evénements  de  Sicile.  —  Evénements 
d'Espagne.  —  Révoltes  contre  Obeïd-Allali.  —  Fondation  d'El-Melidia  par 
Obeïd-Allali.  —  Expédition  des  Fatemides  en  Egypte,  son  insuccès.  — 
L'autorité  du  molidi  est  rétablie  en  Sicile.  —  Première  campagne  de  Mes- 
sala  en  Mag'i-eb  pour  les  F'atemides.  —  Nouvelle  expédition  falemide 
contre  l'Egypte.  —  tlonquêles  de  ilessala  en  Mag'reb.  —  Expéditions  fa- 
temides en  Sicile,  en  Tripolitaine  et  en  Egypte. — Succès  des  Mag'raoua; 
mort  de  Messala.  —  El-Hassan  relève  à  Fès  le  trône  edriside;  sa  mort. 
—  Expédilion  d'Abou-l'Kacem  dans  le  Mag'reb  central.  —  Succès  d'ibn- 
Abou-l'Afia.  —  .Mou(;a  se  prononce  pour  les  Oméïades  ;  il  est  vaincu  par 
les  troupes  falemides.  —  Mort  d'Obeïd-Allah,  le  mehdi.  —  Expéditions 
fatemides  en  Italie. 

Situation  du  Mag'reb  en  910.  —  Au  moment  où  le  triomphe 
des  Fatemides  va  faire  entrer  l'histoire  de  l'Afrique  dans  une  nou- 
velle phase,  il  est  opportun  de  jeter  un  coup  d'œil  général  sur 
l'état  du  pays  et  de  passer  en  revue  les  événements  survenus  en 
Mag'reb;  car  le  récit  des  révolutions  dont  Tlfrikiya  a  été  le 
théâtre  nous  en  a  forcément  détournés. 

A  Fès,  Yahïa-l3en-Kacem-ben-Edris  continua  de  régner  paisi- 
blement jusqu'en  l'année  90i.  La  guerre  ayant  alors  éclaté  entre 
lui  et  son  neveu  Yahïa-ben-Edris-ben-Omar,  souverain  du  Rif,  il 
périt  dans  un  combat  livré  contre  lui  par  Rebïa-ben-Sliman,  gé- 
néral de  son  adversaire.  A  la  suite  de  celte  victoire,  Yahïa-ben- 
Edris  s'empara  de  l'autorité  dans  le  ]\Iag  re'j  et  fit  briller  d  un  der- 
nier éclat  le  trône  de  Fès  '. 

La  grande  tribu  des  Miknaça  avait  profilé,  dans  ces  dernières 
années,  de  l'alfaiblissemenl  de  la  dynastie  edriside  et  se  préparait 
à  s'élever  sur  ses  débris.  Sous  la  conduite  de  leur  chef,  Messala- 
ben-IIal)bous,  ces  Berbères  avaient  soumis  à  leur  autorité  tout  le 
territoire  compris  entre  Teçoul,  Taza  cl  Lokaï,  c  est-à-dire,  la  fron- 

1.  Ibii-K!i:\l(l()\ui,  t.  II,  p.  566,  567.  Le  Kartas,  p.  106.  El-Bekri,  trad. 
article  Idricidcs. 


I. 'AFRIQUE   sors   LKS   FATEMIDES  (010) 


317 


tière  orientale  du  jMafif'reb  extrême.  Le  reste  de  la  tribu  était  à 
Sidjilmassa,  où  la  royauté  qu'elle  y  avait  fondée  venait  d'être  ren- 
versée par  les  Chia'ites  '. 

Dans  le  Magf'reb  central,  les  Beni-Ifrene  conservaient  encore 
l'autorité  sur  Tlemcen  et  les  plaines  situées  à  l'est  de  celte  ville. 
Auprès  d'eux  étaient  leurs  frères  les  Ma^î'raoua,  dont  la  puissance 
avait  «grandement  aui;nienté  et  qui  étendaient  leur  autorité  dans 
les  réi^ions  sabariennes  et  sur  les  plaines  du  nord.  Leur  cbef, 
Mobammed-ben-Kbazer  était  un  f^uerrier  redoutable  que  nous 
allons  voir  entrer  en  scène  -. 

Les  souverains  oméïades  d'Espagne  chercbaientà  établir  leur  in- 
fluence sur  le  littoral  du  Maj^'reb  central.  "S  ers  902,  ils  y  envoyè- 
rent une  expédition.  Les  f;:énéraux  ^lohammed-ijen-Bou-Aoun  et 
Ibn-Abdoun,  qui  la  commandaient,  conclurent  avec  les  Beni- 
Mesguen,  fraction  des  Azdadja,  un  traité  par  lequel  ceux-ci  livrè- 
rent un  territoire,  où  ils  fondèrent  la  x'iWc  d'Oran  ^  Ce  fut  la  pre- 
mière colonie  oniéïade  en  Maj^'rel). 

Enfin,  à  Tiliaret,  réj^nait  encore  la  dynastie  des  Bostemides, 
mais  fort  alTaiblie  et  chercbant,  dans  l'alliance  des  souverains  es- 
paj^nols,  un  secours  capable  de  la  proléger  contre  les  ennemis 
qui  l'entouraient  '*. 

Conquête  des  Fatemides  dans  i.e  Mag'reb  central.  —  Chute 
DES  Bostemides.  —  Lors  du  retour  de  l'armée  chiaïte,  après  la 
délivrance  du  mehdi,  un  corps  d'armée  avait  été  laissé  dans  le 
Mag'reb  central,  sous  le  commandement  du  kelamien  Arouba-ben- 
Youçof.  Ce  général  ayant  attaqué  Yaklhan,  souverain  de  Tiharet, 
s'empara  de  cette  ville  et  fit  mettre  à  mort  le  prince  Rostemide. 
Ainsi  s'éteignait  cette  petite  dynastie.  En  même  temps,  Tiharet 
cessa  d'être  le  centre  du  kharedjisme  eïbadite  ;  les  sectaires  de  ce 
schisme,  poursuivis  sans  relâche  par  les  Fatemides,  durent  émi- 
grer  vers  le  sud  et  chercher  un  refuge  dans  la  vallée  de  l'Oued- 
Rir",  en  plein  désert  (910).  Ils  paraissent  avoir  été  accueillis  par 
les  Beni-Mezab  qui  adoptèrent  leurs  doctrines. 

Arouba  combattit  ensuite  les  tribus  voisines,  et  les  força  à  la 
soumission  et  à  la  conversion  ;  puis  il  alla  réduire  une  révolte  qui 
avait  éclaté  dans  le  pays  des  Ketama,  sous  l'inspiration  de  quel- 
ques mécontents. 

1.  Ibn-Khaldoun   t.  I,  p.  263. 

2.  Ibid,  t.  III,  p.  198,  229. 

3.  Ibid.,  t.  I,  p.  283. 

4.  Ilnd.,  t.  I,  p.  243. 


318 


inSTOIRIi  DE  L  AFRIQUE 


Douas-hen-Soulat,  ollîcier  ketamien,  laissé  comme  gouverneur 
à  Tiharet,  entra  alors  en  relations  avec  les  Beni-Mes<juen,  des 
environs  d'Oran.  Ceux-ci,  ayant  rompu  avec  les  Oméïades,  lui 
offrirent  de  lui  livrer  cette  ville.  Leurs  propositions  furent 
accueillies  avec  faveur  et,  peu  après,  les  troupes  fatemides  s'em- 
paraient d'Oran.  Mohammed-ben-bou-Aoun,  qui  avait  contribué 
à  leur  succès,  en  fut  nommé  j^ouverneur  (910). 

Il  est  assez  difficile,  au  milieu  de  la  confusion  qui  rèfjne  à  ce 
sujet  dans  les  chroniques  arabes,  de  dire  si  cette  expédition  fut 
conduite  par  Douas  ou  par  Arouba.  Toujours  est-il  que  le  général 
du  mehdi  étendit  l'autorité  de  son  maître  sur  les  tribus  des  Mat- 
mata,  Louata,  Lemaia  et  Azdadja  de  la  province  d'Oran.  Peut-être 
même  entrait-il,  dès  lors,  en  relations  avec  Messala-ben-Habbous, 
chef  des  Miknaça,  qui  devait  être  avant  peu  un  des  principaux 
auxiliaires  des  Fatemides  dans  le  Mag'reb. 

Vers  le  même  temps,  les  habitants  de  Sidjilmassa  se  révoltaient 
contre  les  Fatemides  et  massacraient  leur  gouverneur,  Ibrahim, 
ainsi  que  toute  sa  garde  de  Ketama. 

Le  mehdi  fait  périr  Abou-Abd-Allaii  et  écrase  les  germes  de 
RÉBELLION.  —  Cependant  un  grave  dissentiment  s'était  élevé  entre 
le  mehdi  et  son  fidèle  serviteur  Abou-Abd-Allah.  Ce  dernier, 
cédant,  dit-on,  à  l'influence  de  son  frère,  Abou-l'Abbas,  avait 
voulu  s'appuyer  sur  les  services  rendus,  pour  conserver  une 
grande  influence  dans  la  direction  des  affaires.  Mais  Obéïd-Allah 
n'entendait  nullement  partager  son  autorité  avec  qui  que  ce  fût 
Irrité  de  voir  ses  avis  brutalement  repoussés,  Abou-Abd-Allah 
montra  d'abord  une  grande  froideur  vis-à-vis  de  son  maître;  puis 
il  se  mit,  avec  plusieurs  de  ses  chefs,  à  conspirer  sourdement 
contre  lui.  Ces  mécontents  répandirent  le  bruit  que  le  mehdi 
n'était  pas  l'instrument  de  la  volonté  divine,  l'être  surnaturel, 
dont  le  caractère  devait  se  révéler  aux  humains  par  des  miracles. 
«  Nous  nous  sommes  trompés  à  son  sujet,  —  disaient-ils,  —  car, 
<•  il  devrait  avoir  des  signes  pour  se  faire  reconnaître  ;  le  vrai 
«  Imam  doit  faire  des  miracles  et  imprimer  son  sceau  dans  la 
<(.  pierre,  comme  d'autres  le  feraient  dans  la  cire'  ». 

Ils  l'accusaient  en  outre  d'avoir  gardé  pour  lui  seul  les  trésors 
de  Guédjal.  La  plupart  des  chefs  kctamiens,  qui  avaient  toute 
confiance  en  Abou-Abd-Allah,  prêtèrent  l'oreille  à  ces  discours  et 
chargèrent  leur  grand  cheikh  de  faire  des  remontrances  à  Obé'id- 
Allah  lui-même. 


1.  Ibn-Hanimad,  loc.  cit. 


i.  AriuyuK  sous  i.i:s  fatkmides  C-'IO) 


Le  danger  était  pressant  pour  le  mehdi,  puisque  ses  adhérents 
commençaient  à  s'apercevoir  que  celui  qu  ils  avaient  soutenu 
comme  un  être  surnaturel  n'était  qu'un  homme  comme  eux. 
Obeïd-Allah  comprit  que  sa  seule  porte  de  salut  était  l'énergie, 
qui  impose  toujours  aux  masses,  et,  pour  toute  réponse,  il  fit 
mettre  à  mort  le  grand  cheikh  des  Ketama.  Afin  d'achever  d'anéan- 
tir la  conspiration,  il  envoya  les  principaux  chefs  occuper  des 
commandements  éloignés,  de  sorte  qu'ils  se  trouvèrent  dispersés 
et  sans  force,  avant  d'avoir  eu  le  temps  d'agir.  Les  plus  compro- 
mis furent  tués  au  loin  et  sans  bruit  par  des  émissaires  dévoués. 
L'auteur  de  la  conspiration  restait  à  punir;  le  medhi,  étouffant 
tout  sentiment  de  reconnaissance,  n'hésita  pas  à  sacrifier  à  sa 
sécurité  l'homme  auquel  il  devait  le  pouvoir. 

Dans  le  mois  de  janvier  911,  Abou-Abd-Allah  se  promenait  avec 
son  frère  Abou-l'Abbas,  dans  le  jardin  du  palais,  lorsque  deux 
autres  frères,  Arouba  et  Ilobacha,  enfants  de  Youçof,  sortirent  des 
massifs  et  se  précipitèrent  sur  eux.  Abou-l'Abbas  fut  frappé  le 
premier.  Kn  vain  Abou-Abd-AlIah  essaya  d'imposer  son  autorité 
aux  deux  chefs  qui  avaient  été  autrefois  ses  lieutenants  :  «  Celui 
«  auquel  tu  nous  a  ordonné  d'obéir  nous  commande  de  te  tuer  '  », 
répondirent-ils,  et  Abou-Abd-Allah  tomba  percé  de  coups  sur  le 
cadavre  de  son  frère. 

Obéïd-Allah  fit  enterrer  avec  honneur  les  deux  frères  :  il  pré- 
sida lui-même  au  lavage  de  leurs  corps  ;  puis,  après  la  récitation 
des  prières,  il  dit  à  haute  voix  en  s'adressant  au  cadavre  d'Abou- 
Abd-Allah  :  «  Que  Dieu  te  pardonne  et  qu'il  te  récompense  dans 
«  l'autre  vie,  car  tu  as  travaillé  pour  moi  avec  un  grand  zèle  !  » 
—  Se  tournant  ensuite  vers  Abou-l'Abbas  :  «  Quant  à  toi,  —  dit-il, 
«  —  qu'il  ne  t'accorde  aucune  pitié,  car  tu  es  cause  des  égare- 
«  ments  de  ton  frère  ;  c'est  toi  qui  l'as  conduit  aux  abreuvoirs 
«  du  trépas  !  » 

Les  deux  victimes  furent  enterrées  au  lieu  même  où  elles 
étaient  tombées  sous  le  poignard  des  assassins  -.  Quant  à  ceux-ci, 
l'un  d'eux,  Ilobacha,  fut  nommé  gouverneur  de  Barka  et  de  la 
région  de  l'est  ;  l'autre,  Arouba,  reçut  le  commandement  de  Bar'aï 
et  de  la  frontière  sud-ouest.  Des  troubles  partiels  chez  les  Ketama 
suivirent  ces  exécutions,  mais  ils  furent  promptement  étouffés 
dans  le  sang  de  leurs  promoteurs.  Grâce  à  ces  mesures  énergiques, 
le  pouvoir  d'Obéïd-Allah,  loin  de  ressentir  aucune  atteinte,  se 


1.  Ibu-Khaldoiin,  t.  II,  p.  522. 

2.  Ibii-H,'imm;id,  loc.  cit. 


320 


IIISTOIRI-    DE  i/aFRIQUE 


renforça  de  tout  l  elTet  produit  par  récrasement  de  ceux  qui 
avaient  voulu  le  renverser. 

livÉNEMi-NTS  DE  SiciLE.  —  Pendant  le  cours  des  luttes  qui  avaient 
amené  la  chute  de  la  dynastie  ar  lebite,  l'anarchie,  ainsi  qu'on 
peut  le  prévoir,  avait  divisé  les  Musulman^  de  Sicile.  I.es  chré- 
tiens en  prolltèront  pour  se  fortifier  au  ^'al-Demone.  Un  certain 
nombre  d'Arabes  nobles,  émigrés  d'Afrique,  relevèrent  un  peu  la 
situation  de  la  colonie,  et  cherchèrent  à  proclamer  l'indépendance 
de  la  Sicile,  au  nom  des  Ar'lebites.  Mais,  aussitôt  que  le  mehdi 
eût  assuré  son  pouvoir,  il  envoya  dans  l'île  un  de  ses  principaux 
officiers,  le  ketamien  Hassan-ben-Kolé'ib,  surnommé  Ben-bou- 
Khanzir. 

Débarqué  en  910,  le  nouveau  gouverneur  fit  proclamer  partout 
le  nom  du  mehdi,  et  imposa  aux  Gadis  l'obligation  d'abandonner 
le  rite  sonnite,  pour  rendre  la  justice  selon  la  doctrine  fatemide. 
Puis,  il  fit  une  heureuse  expédition  au  Val-Demone  et  répandit 
partout  la  terreur  de  son  nom.  Mais  bientôt  son  extrême  cruauté 
indisposa  contre  lui  ses  plus  fidèles  adhérents,  qui  l'arrêtèrent  par 
surprise  et  l'expédièrent  au  mehdi.  Il  fut  remplacé  par  Ali-ben- 
Omar-el-Beloui  (912) 

Evénements  d'Espagne.  —  Nous  as  ons  vu  précédemment  que  le 
khalife  Abd-Allah  était  arrivé,  au  commencement  du  siècle,  après 
de  longues  années  de  lutte,  à  rétablir  l'autorité  oméïade  en  Es- 
pagne et  à  tenir  en  respect  les  petites  royautés,  qui  se  formaient 
de  toute  part.  Le  succès  continua  à  couronner  ses  efforts,  surtout 
dans  le  midi  :  «  En  903,  son  armée  prit  Jaën  ;  en  905,  elle  gagna 
la  bataille  du  Guadalballou,  sur  Ibn-Hafçoun  et  Ibn-Maslana  ;  en 
906,  elle  enleva  Cafiete,  aux  Beni-el-Ivhali  ;  en  907,  elle  força 
Archidona  à  payer  tribut  ;  en  910,  elle  prit  Baeza,  et  l'année  sui- 
vante, les  habitants  d'Iznajar  se  révoltèrent  contre  leur  seigneur  et 
envoyèrent  sa  tête  au  sultan.  Même  dans  le  nord  il  y  avait  une 
amélioration  notable".  » 

Sur  ces  entrefaites,  Abd-Allah  cessa  de  vivre  (15  octobre  912), 
après  un  règne  de  vingt-quatre  ans. 

Abd-er-Rahman  III,  son  petit-fils,  lui  succéda.  C'était  un  jeune 
homme  de  vingt-deux  ans  et,  si  l'on  put  craindre  d'abord,  qu'en 
raison  de  sa  jeunesse,  il  ne  fût  pas  à  la  hauteur  de  sa  mission,  il  ne 

1.  Ibn-Klialdoun,  t.  II,  p.  521.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II, 
p.  141  et  suiv. 

2.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  318,  citant  Ibu-Haian. 


l'afrique  sous  les  f.vtemides  (912) 


321 


tarda  pas  à  démontrer  lui-même,  que  pour  le  courage  et  l'habileté 
politique,  il  ne  le  cédait  à  personne. 

Attaquant  résolument  ce  qui  restait  de  chefs  rebelles,  il  en  con- 
traignit une  partie  à  la  soumission.  Mais  Ibn-Hafçoun,  qui  se  fai- 
sait appeler  Samuel,  depuis  sa  conversion,  maintenait  ferme  à  Bo- 
bastro  le  drapeau  de  l'indépendance  nationale  et  du  christianisme. 

Les  Berbères  de  Magr'eb,  particulièrement  de  la  province  de 
Tanger,  prenaient  part  à  ces  luttes  comme  mercenaires.  S'étant  mis 
à  la  tête  de  l'armée,  Abd-er-Rahman  parcourut  en  maître  les  pro- 
vinces d'Elvira  et  de  Jaën,  recevant  partout  des  soumissions,  et 
brisant  les  résistances  qu'il  rencontrait.  Il  se  présenta  enfin  devant 
Séville,  dont  les  notables  lui  ouvi-irent  les  portes  (décembre  913)  1. 

Les  années  suivantes  furent  non  moins  favorables,  et,  en  917, 
Ibn-Hafçoun  rendait  le  dernier  soupir.  L'unité  de  l'empire  oméïade 
se  trouvait  rétablie  et  un  grand  règne  allait  commencer. 

Révoltes  contre  Obéïd-Allah. —  En  Ifrikiya,  le  nouvel  empire, 
à  peine  assis,  était  ébranlé  par  les  révoltes  indigènes  ;  mais  l'éner- 
gie du  mehdi  sufiisait  à  tout.  Ce  fut  d'abord  dans  la  région  de  Tri- 
poli, que  les  Houara  et  Louata  prirent  les  armes.  Les  généraux 
obéïdites  étouffèrent  dans  le  sang  cette  sédition  ;  on  dit  que  les 
têtes  des  promoteurs  furent  expédiées  à  Kaïrouan  et  exposées  sur 
les  remparts. 

Dans  l'ouest,  Mohammed-ben-Khazer  avait  entraîné  ses  Zenètes 
à  l'attaque  de  Tiharet,  s'était  emparé  de  cette  ville  et  avait  con- 
traint le  gouverneur.  Douas,  à  chercher  un  refuge  dans  le  vieux 
Tiharet.  Une  armée  nombreuse,  envoyée  par  le  mehdi,  délogea  les 
Zenètes  de  leur  nouvelle  conquête,  les  poursuivit  et  en  fit  un  grand 
carnage.  Il  est  probable  que  Messala -ben-Habbous,  chef  des 
Miknaça,  qui,  nous  l'avons  vu,  avait  déjà  contracté  alliance  avec 
les  Obéïdites,  les  aida  à  écraser  les  Zenètes,  car  Messala  reçut, 
comme  récompense,  le  commandement  de  Tiharet  et  la  mission  de 
protéger  la  frontière  occidentale. 

Les  Ketama  avaient  été  douloureusement  frappés  par  la  mise  à 
mort  d'Abou-Abd-Allah  ;  de  son  côté,  le  mehdi,  craignant  les 
effets  de  leur  rancune,  leur  avait  retiré  sa  confiance.  Les  habitants 
de  Kaïrouan  détestaient  ces  sauvages  étrangers,  dont  l'insolence 
était  sans  bornes. 

La  situation  devenait  critique  pour  eux.  Dans  le  mois  d'avril 
912,  la  population  de  Kaïrouan,  saisissant  un  prétexte,  se  jeta 
sur  eux  et  en  fit  un  véritable  massacre.  Plus  de  mille  cadavres  de 


Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  II,  p.  325  et  suiv. 

T.  I.  21 


322 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQUE 


Ketama  jonchèrent,  paraît-il,  les  rues  et  l'on  s'empressa  de  les 
faire  disparaître  en  les  jetant  dans  les  éf^oûls. 

En  apprenant  la  façon  dont  leurs  conlribules  étaient  traités  en 
Ifrikya,  les  Ketama  se  mirent  en  révolte  ouverte,  placèrent  à 
leur  tête  un  des  leurs,  auquel  ils  donnèrent  le  titre  de  rnehdi,  et 
envahirent  le  Zab.  La  situation  était  grave.  Obéïd-AUah  fit  marcher 
contre  les  rebelles  son  fils  Abou-l  Kassem,  avec  les  meilleures 
troupes  ;  mais  il  fallut  une  campagne  de  près  d'un  an  pour  les  ré- 
duire. Le  faux  niehdi,  ayant  été  pris,  fut  ramené  à  Kaïrouan  et 
exécuté  à  Rokkada,  après  avoir  été  promené,  revêtu  d'un  accou- 
trement ridicule,  sur  un  chameau'. 

Pendant  que  le  Mag'reb  était  le  théâtre  de  la  révolte  keta- 
mienne,  les  gens  de  Tripoli,  imitant  ceux  de  Kaïrouan,  massa- 
craient les  Ketama,  chassaient  leur  gouverneur  et  se  déclaraient 
indépendants.  Le  mehdi  envoya  d'abord  sa  flotte  qui  réussit  à  sur- 
•  prendre,  dans  le  port  de  Tripoli,  les  navires  des  révoltés  et  les  dé- 
truisit. On  investit  ensuite  la  ville  par  terre,  et,  après  quelques 
mois  de  blocus,  les  Tripolitains,  qui  avaient  souffert  les  horreurs 
de  la  famine,  se  décidèrent  à  se  rendre  à  Abou-l'Kassem.  Selon 
Ibn-Khaldoun,  les  habitants  furent  massacrés  et  la  ville  livrée  au 
pillage  ;  une  forte  contribution  de  guerre  fut  frappée  sur  les  sur- 
vivants*. 

Fondation  d'El-Mehdia  par  Obeid-Allaii. —  C'est  probablement 
vers  cette  époque  qu'Obe'id-Allah,  après  avoir  visité  le  littoral, 
depuis  Tunis  et  Karthage  jusqu'à  la  petite  Syrte,  arrêta  son  choix 
sur  une  petite  presqu'île,  située  à  soixante  milles  de  Kaïrouan, 
et  nommée  par  les  indigènes  El-Hamma,  ou  Djeziret-el-Far.  Une 
mince  langue  de  terre  la  reliait  au  rivage,  du  côté  de  l'ouest.  Les 
ruines  de  l'antique  Africa  couvraient  cet  emplacement,  que  le 
mehdi  choisit  pour  y  construire  sa  capitale. 

La  presqu'île  avait,  disent  les  auteurs  arabes,  «  la  forme  d'une 
main  avec  son  poignet.  »  De  solides  fortifications  établies  sur 
l'isthme  ne  laissaient  qu'une  seule  entrée,  qu'on  ferma  au  moyen 
d'une  porte  de  fer.  Dans  ce  vaste  enclos,  Obeïd-AUah  fit  construire 
des  palais  pour  lui  et  des  logements  pour  ses  soldats.  Des  citernes 
et  des  silos  y  furent  creusés,  et  des  travaux  exécutés  afin  de  rendre 
plus  sûr  le  port  naturel  ;  il  pouvait,  dit-on,  contenir  cent  galères. 


1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  523-524.  Arib,  in  Nicholson,  apud  Four, 
nel,  Berbers,  t.  II,  p.  111. 

2.  ibn-Klialdouu,  t.  II,  p.  524. 


l'afrique  sous  les  fatemides  (914) 


323 


En  face,  sur  la  terre  ferme,  se  fonda  le  faubourg  de  Zouïla,  où 
le  peuple  et  les  marchands  vinrent  s'établir'. 

Expédition  des  Fatemides  en  Egypte,  son  insuccès.  —  Si  Obeïd- 
AUah  cherchait  à  se  faire  un  refuge  inexpugnable  en  Ifrikiya,  c'est 
qu'il  sentait  son  trône  encore  bien  vacillant  ;  de  tous  côtés,  les 
têtes  fermentaient.  En  Sicile,  après  quelque  temps  d'anarchie, 
l'esprit  de  résistance  s'était  réveillé,  et  les  Musulmans  avaient 
placé  à  leur  tête  le  chef  ar'lebite  Ahmed-ben-Korhob,  dont  le  pre- 
mier acte  avait  été  de  retrancher  de  la  khotba  (prône)  le  nom  du 
mehdi  et  de  proclamer  l'autorité  du  khalife  abasside,  El-Moktader  ; 
sa  soumission  fut  accueillie,  en  Orient,  avec  faveur  et  il  reçut  les 
emblèmes  du  commandement  :  «  Drapeaux  et  robes  noirs,  colliers 
et  bracelets-.  » 

Obeïd-AUah,  du  reste,  considérait  son  séjour  en  Ifrikiya  comme 
une  simple  station.  C'est  vers  l'Orient  qu'il  tournait  ses  regards 
et  il  n'aspirait  qu'à  se  transporter  sur  un  autre  théâtre.  La  pre- 
mière étape  devait  être  l'Egypte  et  il  en  décida  audacieusement  la 
conquête.  Ayant  réuni  une  armée  nombreuse  de  Ketama,  il  en 
donna  le  commandement  à  son  fds  Abou-l'Kassem  et  le  lança  vers 
l'est.  Le  jeune  prince  traversa  facilement  la  Tripolitaine  et  fit 
rentrer  dans  l'obéissance  le  pays  de  Barka.  De  là,  il  marcha  direc- 
tement sur  Alexandrie  et  commença  le  siège  de  cette  ville.  En 
même  temps,  une  flotte  de  deux  cents  navires,  sous  le  comman- 
dement de  Hobacha,  venait  la  bloquer  par  mer  (914).  Après  s'être 
emparés  d'Alexandrie,  Abou-l'Kassem  et  Hobacha  s'avancèrent 
dans  l'intérieur,  envahirent  la  province  de  Faïoum  et  marchèrent 
sur  le  vieux  Caire. 

Mais  le  gouverneur  de  l'Egypte,  Tikine-el-Khezari,  ayant  reçu 
du  khalife  un  renfort  important,  commandé  par  l'eunuque  Mounês, 
qu'on  appelait  le  maître  de  la  victoire,  marcha  contre  les  envahis- 
seurs, les  battit  dans  plusieurs  combats  et  les  força  à  la  retraite. 
Abou-l'Kassem  dut  abandonner  tout  le  pays  conquis  dans  sa 
brillante  campagne  et  se  réfugier  à  Barka. 

La  flotte  du  mehdi  venait  à  peine  de  rentrer  d'Orient  et  se  trou- 
vait dans  le  port  de  Lamta',  lorsque  les  vaissaux  siciliens,  lancés 
par  Ibn-Korhob,  vinrentaudacieusement l'attaquer.  Mohammed,  fils 
d'Ibn-Korhob,  qui  commandait  l'expédition,  dispersa  ou  coula  les 

1.  Ibn-Klialdoun,  Berhères,  t.  II,  p.  325.  El-Bekri,  pnssim.  El-Kaï- 
roiiani,  p.  95. 

2.  Amari,  Musulm.,  t.  II,  p.  149. 

3.  L'antique  Leptis  parva,  dans  le  golfe  de  Monastir. 


324 


HISTOIniî  I)K  1,'afrique 


navires  chiaïtes  ;  puis,  ayant  opéré  son  débarquement,  mit  en  dé- 
route les  troupes  envoyées  contre  lui  de  Rakkada.  Marchant  en- 
suite sur  Sfaks,  il  mit  cette  ville  au  pillage  et,  enfin,  se  présenta 
devant  Tripoli,  où  il  trouva  Abou-l'Kassem,  revenant  d'Egypte  avec 
les  débris  de  ses  troupes.  Il  se  décida  alors  à  se  rembarquer  et 
rentra  en  Sicile  chargé  de  butin. 

Les  insuccès  militaires  ont  toujours  pour  résultat  de  provoquer  la 
suspicion  contre  les  généraux  malheureux.  A  son  retour,  Hobacha 
fut  jeté  en  prison  ;  son  frère,  craignant  le  même  sort,  prit  la  fuite 
et  essaya  de  gagner  le  pays  des  Ketama,  pour  le  soulever  à  son 
profit  ;  mais  il  fut  arrêté  et  livré  à  Obéïd-Allah,  qui  fit  trancher  la 
tête  aux  deux  frères'. 

L'Autorité  DU  Mehdi  est  rétablie  en  Sicile.  —  En  Sicile,  Ibn- 
Korhob  avait  à  combattre  l'indiscipline  des  Berbères,  des  Arabes, 
des  légistes,  des  nobles  et  des  intrigants  de  toute  sorte,  qui  ne 
cessaient  de  lutter  les  uns  contre  les  autres.  Le  succès  de  l'expé- 
dition de  son  fils  Mohammed  n'avait  fait  qu'exciter  la  cupidité  des 
Musulmans  ;  aussi  Ibn-Korhob  dut-il  céder  à  leurs  instances  et 
organiser  une  razia  sur  la  terre  ferme.  Débarquée  en  Calabre, 
l'armée  expéditionnaire  ravagea  une  partie  de  cette  province.  Mais 
une  tempête  détruisit  la  flotte,  et  les  Musulmans  qui  échappèrent 
au  naufrage  regagnèrent  comme  ils  purent  l'île.  Ne  possédant 
plus  de  navires,  Ibn-Korliob  ne  put  résister  aux  attaques  cons- 
tantes des  vaisseaux  du  mehdi. 

Sur  ces  entrefaites,  Timpéralrice  Zoé,  régente  pendant  la  mino- 
rité de  son  fils,  prescrivait  à  son  lieutenant,  en  Calabre,  de  faire 
la  paix  avec  les  Musulmans,  car  elle  craignait  l'attaque  des  Bul- 
gares et  avait  besoin  de  toutes  ses  forces.  Un  traité  fut  alors  con- 
clu, par  lequel  les  Byzantins  s'engagèrent  à  verser  à  l'émir  de 
Sicile  un  tribut  annuel  de  vingt-deux  mille  pièces  d'or  (fin  915)*. 

Bientôt,  une  nouvelle  révolte  ayant  éclaté  en  Sicile,  Ibn-Korhob 
se  démit  du  pouvoir  et  voulut  se  réfugier  en  Espagne  (juillet 
916)  ;  mais  les  révoltés  assaillirent  son  vaisseau  et,  s'étant  emparés 
de  l'émir,  l'envoyèrent  au  mehdi  :  «  Qui  t'a  poussé,  —  lui  dit  ce 
prince,  —  à  méconnaître  les  droits  sacrés  de  la  maison  d'Ali,  en  te 
révoltant  contre  nous  ?»  —  «  Les  Siciliens,  —  répondit  le  prison- 
nier, —  m'ont  élevé  au  pouvoir  malgré  moi  et,  malgré  moi,  m'en 

1.  Ibn-Klialdoun,  t.  II,  p.  524  et  suiv.  El-Kairouani.  p.  95-96.  Ibn- 
Hammad,  passim. 

2.  Amari,  t.  II,  p.  153. 


l'afrique  snus  i.fs  fatemides  (917) 


325 


ont  fait  descendre.  »  Le  souverain  fatemide  l'envoya  au  supplice'. 

Abou-Saïd-Moussa,  dit  Ed-D'aïf,  fut  chargé  par  le  mehdi  de 
prendre  le  commandement  en  Sicile.  Ce  général  éteignit  dans 
leur  germe  toutes  les  révoltes  et  déploya  une  grande  sévérité  : 
s'étant  rendu  maître  de  Palerme,  le  12  mars  917,  il  fit  un  massacre 
général  de  la  population.  Enfin,  une  amnistie  fut  proclamée,  au 
nom  du  chef  de  l'empire  obcïdite,  et  Abou-Saïd  rentra  à  Kaïrouan, 
en  laissant  dans  l'île,  comme  gouverneur,  Saïd-ben-Aced  avec  des 
forces  ketamiennes". 

Première  campagne  de  Messala  dans  le  Mag'reb  pour  les  Fate- 
mides. —  Les  difTicultés  auxquelles  le  mehdi  avait  à  faire  face  dans 
l'Est  ne  l'empêchaient  pas  de  tourner  ses  regards  vers  l'Occident. 
Messala-ben-IIabbous,  préposé  par  lui  à  la  garde  de  Tiharet,  le 
poussait  à  entreprendre  des  campagnes  dans  le  INIag'reb.  Sur  ces 
entrefaites,  Saïd,  le  descendant  de  la  petite  royauté  des  Beni-Salah 
à  Nokour,  s'étant  allié  aux  Edrisides,  et  ayant  refusé  obéissance 
aux  Fatemides,  Obéïd-Allah  jugea  que  le  moment  d'agir  était 
arrivé,  et  il  donna  à  Messala  l'ordre  de  se  mettre  en  marche. 

Le  chef  des  Miknaça  partit  de  Tiharet  au  prin(emps  de  l'année 
917.  Saïd  l'attendait,  en  avant  de  Nokour,  dans  un  camp  retran- 
ché, mais  la  clef  de  la  position  ayant  été  livrée  par  un  traître, 
Saïd  fit  transporter  sa  famille  et  ses  objets  précieux  dans  une  île 
voisine  du  port,  puis,  se  jetant  en  désespéré  sur  les  ennemis,  il 
tomba  percé  de  coups.  Messala  livra  le  camp  et  la  ville  au  pillage 
et  envoya  au  Mehdi  la  tête  de  l'infortuné  Saïd.  Sa  famille  parvint 
à  gagner  l'Espagne  et  fut  reçue  avec  honneur  par  Abd-er-Rah- 
man  IIP. 

Pour  affermir  sa  conquête,  Messala  guerroya  encore  pendant 
plusieurs  mois  dans  le  territoire  de  Nokour,  puis  il  reprit  le  che- 
min de  l'est  en  laissant  une  garnison  dans  cette  ville.  Peu  de 
temps  après,  les  fils  de  Saïd,  soutenus  par  les  Berbères,  rentrèrent 
en  possession  de  leur  petit  royaume,  et  l'un  d'eux,  nommé  Salah, 
fut  reconnu  comme  prince  régnant.  Un  de  ses  premiers  actes  con- 
sista à  proclamer  l'autorité  du  khalife  oméïade  d'Espagne,  dans 
cette  partie  du  Mag'reb.  Le  mehdi  ne  se  sentit  pas  assez  fort 
pour  entrer  en  lutte  contre  Abd-er-Rahman. 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  526. 

2.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  III,  p.  157. 

3.  El-Bckri,  passim.  Ibu-Klialdoun,  Berbères,  t.  II,  p.  141.  Dozy, 
Musulmans  d' Espagne,  l.  III,  p.  37  et  suiv. 


326  HISTOIRE  DE  l'afriql'e 

Nouvelle  expédition  fatemide  contre  l'Egypte.  • —  Obeïd-Allah 
reprit  alors  ses  plans  de  campag-ne  en  Orient.  Ayant  réuni  une 
armée  formidable,  dont  les  auteurs  arabes,  avec  leur  exagération 
habituelle,  portent  le  chiffre  à  cinq  cent  mille  hommes,  il  en  confia 
le  commandement  à  son  fils  Abou-l'Kassem  et  la  lança  contre 
l'Egypte.  Au  printemps  de  l'année  919,  cet  immense  rassemble- 
ment, dont  les  Ketama  formaient  l'élite,  se  mit  en  marche.  L'Egypte 
était  alors  dégarnie  de  troupes  ;  aussi  les  Chia'ites  se  rendirent-ils 
facilement  maîtres  d'Alexandrie  qu'ils  livrèrent  au  pillage,  puis  ils 
envahirent  le  Faïoum  et  une  partie  du  Sa'id.  Le  gouverneur  n'avait 
pas  osé  lutter  en  rase  campagne;  retranché  à  Djiza,  il  ne  cessait 
de  demander  des  secours  au  khalife.  ^Liis  le  but  du  mehdi  n'était 
pas  seulement  de  conquérir  celte  riche  contrée  :  c'était  l'Orient, 
sa  patrie,  qu'il  convoitait,  et  il  voulait  reparaître  en  vainqueur  là 
où  il  avait  été  persécuté.  Abou-l'Kassem  écrivit  aux  habitants  de  la 
Mekke  pour  les  sommer  de  se  rendre  à  lui. 

Cependant,  la  situation  des  Chiaïles  ne  laissait  pas  d'être  cri- 
tique :  coupés  de  leur  base  d'opérations,  décimés  par  la  peste,  ils 
attendaient  avec  impatience  des  secours  d'Ifriki\a.  Le  gouverneur 
abbasside  étant  moii  avait  été  remplacé  par  Takin  qui  avait  déjà 
eu  la  gloire  de  repousser  la  première  invasion  ;  des  troupes  lui 
avaient  été  envoyées  et  enfin,  l'eunuque  nègre  Mounès,  rentré  en 
grâce  près  de  son  souverain,  se  préparait  à  accourir  pour  jeter  son 
épée  dans  la  balance. 

Sur  ces  entrefaites,  une  flotte  de  80  vaisseaux,  envoyée  par  le 
mehdi  au  secours  de  son  fils,  arriva  en  Egypte;  mais  les  navires 
abbassides  lancés  contre  elle  par  ÎNIonnès  réussirent  à  l'incendier  à 
Rosette.  En  920,  Mounès  arriva  avec  les  troupes  de  l'Irak  et,  dès 
lors,  la  face  des  choses  changea  ;  Abou-fKassem  se  vit  enlever  une 
à  une  toutes  ses  conquêtes  et,  en  921,  il  dut  reprendre  la  route 
de  l'Ifrikiya.  Celte  relraile,  bien  qu'effectuée  en  assez  bon  ordre, 
fut  désastreuse;  dans  le  mois  de  novembre,  le  prince  obéïdile 
rentra  à  Ka'i'rouan,  ne  ramenant,  dit-on,  qu'une  quinzaine  de  mille 
hommes,  le  reste  avait  péri  par  le  fer  ou  la  maladie,  était  prison- 
nier ou  s'était  dispersé*. 

Conquêtes  de  Messala  en  Mag'ueb.  —  Pendant  que  l'Orient 
était  le  théâtre  de  ces  événements,  Messala  recevait  du  mehdi 
l'ordre  d'entreprendre  une  nouvelle  campagne  dans  le  Mag'reb. 
En  920,  le  chef  des  Miknaça,  soutenu  par  un  corps  de  Ketamiens, 

1.  Ibii-Ivhaldouu,  Berbères,  t.  II,  p.  526.  Ibn-Hammad,  passim.  El- 
Kairouaui,  p.  96. 


l'afrique  sous  les  fatemides  (923) 


327 


marcha  directement  contre  la  capitale  des  Edrisides.  Yahïa-ben- 
Edris  ayant  réuni  ses  guerriers  arabes,  son  corps  d'affranchis  et 
tous  les  contingents  berbères  dont  ils  disposait  et  parmi  lesquels 
les  Aoureba  tenaient  toujours  le  premier  rang,  s'avança  contre 
l'ennemi.  Mais  il  essuya  une  défaite  et  dut  rentrer  dans  Fès,  sa 
capitale,  pour  s'y  retrancher.  Messala,  arrivé  sur  ses  traces,  com- 
mença le  siège  de  la  ville,  et  bientôt  le  descendant  d'Edris  se  vit 
forcé  de  traiter  avec  son  ennemi.  Il  reconnut  la  suzeraineté  du 
sultan  fatemide  et  consentit  à  accepter  la  position  secondaire  de 
lieutenant  du  mehdi  à  Fès.  Avant  de  rentrer  à  Tiharet,  Messala 
confia  à  son  cousin  Mouça-ben-Abou-l'Afia,  le  commandement  des 
régions  du  ^lag'reb,  jusqu'auprès  de  Fès. 

L'année  suivante,  des  contestations  survenues  entre  Mouça  et  le 
prince  edriside,  soutenu  par  les  Beni-Khazer  et  autres  tribus  ma- 
graouiennes,  ne  tardèrent  pas  à  amener  une  rupture.  Aussitôt 
Messala  accourut  avec  ses  troupes  dans  le  Mag'reb.  Etant  entré  à 
Fès,  il  destitua  Yahïa-ben-Edris,  l'interna  dans  la  ville  d'Azila 
(près  de  Tanger),  et  s'empara  de  ses  trésors  (921).  De  là  il  se 
porta  sur  Sidjilmassa,  où  les  descendants  des  Beni-Midrar  avaient, 
depuis  longtemps,  repris  en  main  l'autorité.  Ahmed-ben-Me'imoun, 
le  souverain  midraride,  essaya  en  vain  de  lui  résister,  il  fut  pris  et 
mis  à  mort.  Messala,  ayant  rétabli  dans  le  sud  l'autorité  fatemide, 
laissa  comme  gouverneur  El-Moatez,  neveu  du  précédent  roi,  et 
rentra  à  Tiharet  d'où  il  se  rendit  à  El-Mehdïa  pour  recevoir  les 
félicitations  de  son  maître  '. 

Expéditions  fatemides  en  Sicile  en  Tripolitaine  et  en  Egypte. 
—  En  Ifrikiya,  le  souverain  fatemide,  établi  dans  sa  capitale  d'El- 
Mehdïa,  continuait  à  diriger  des  expéditions  contre  les  chrétiens 
de  Sicile,  pendant  que  son  lieutenant  lui  conquérait  le  Mag'reb. 
Selon  M.  Amari-,  Siméon,  roi  des  Bulgares,  aurait  recherché 
l'alliance  du  mehdi,  en  l'invitant  à  l'aider  dans  ses  entreprises 
contre  Byzance.  La  générosité  de  l'impératrice  Zoé,  qui  mit  en 
liberté  ses  ambassadeurs  tombés  entre  les  mains  de  ses  troupes, 
désarma  Siméon  et  fit  échouer  le  projet. 

Sur  ces  entrefaites,  une  révolte  des  Nefouça,  toujours  impa- 
tients du  joug,  tint  en  échec  pendant  de  longs  mois  les  armées 
fatemides,  et  ce  ne  fut  qu'à  la  fin  de  923  que  leur  dernier  retran- 
chement fut  enlevé  et  qu'ils  se  virent  forcés  à  la  soumission. 

1.  Ibn-Khaldouii,  Berbères,  t.  I,  p.  264,  t.  II,  p.  526  et  suiv.,  t.  III, 
p.  230.  Knrtas,  p.  106  et  suiv.  El-Bekri,  Idricides. 

2.  Miisutmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  173. 


328 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQUE 


Selon  le  Baïan,  une  nouvelle  expédition  aurait  été  effectuée  en 
Egypte,  sous  le  commandement  du  général  fatemide  Mesrour,  en 
l'année  924,  mais  les  détails  précis  manquent  sur  cette  campagne 
qui,  dans  tous  les  cas,  n'eut  pour  la  cause  du  mehdi  aucun  résultat 
effectif. 

Succès  des  Mag'raoua.  —  Mort  de  Messai.a.  —  Nous  avons 
vu  que  les  Mag'raoua,  sous  le  commandement  d'Ihn-Khazer,  ne 
cessaient  de  se  poser  en  ennemis  de  la  dynastie  fatemide  et  saisis- 
saient toutes  les  occasions  d'attaquer  ses  frontières  ou  de  s'allier 
à  ses  ennemis.  Selon  Ibn-Khaldoun  Messala  aurait  péri  en  les 
combattant  dans  le  cours  de  l'année  921,  mais  nous  avons  vu  plus 
haut  qu'après  être  rentré  de  son  expédition  de  Sidjilmassa,  ce  gé- 
néral était  allé  saluer  son  suzerain  à  El-Mehdïa.  L'étude  compa- 
rative des  auteurs  nous  conduit  à  reporter  cet  événement  à 
l'année  924.  Les  Beni-Khazcr  et  autres  tribus  zenètes  s  étant  lan- 
cées dans  la  révolte,  Messala  marcha  contre  elles  et  après  plusieurs 
combats,  il  se  laissa  surprendre  par  Ibn-Khazer  qui  le  tua  de  sa 
propre  main  (novembre  924).  Celte  perte  fut  vivement  ressentie 
par  le  mehdi. 

Une  nouvelle  armée  ketamienne,  sous  le  commandement  de 
Bou-Arous  et  Ben-Khalifa^,  arrivée  de  l'est,  fut  complètement 
détruite  par  les  Zenètes.  Grâce  à  ces  succès,  Ibn-Khazer  acquit 
l'adhésion  de  presque  toutes  les  tribus  des  hauts  plateaux  du 
Mag'reb  central  ;  mais  au  delà  de  la  Moulouïa,  Mouça-ben-Bou- 
l'Afia  continuait  à  exercer  le  pouvoir  au  nom  des  Fatemides  jusqu  à 
la  limite  extrême  du  territoire  de  Fès. 

El-Haçan  relève,  a  Fès,  le  trône  edriside.  —  Sa  mort. —  Le 
contre-coup  des  échecs  éprouvés  par  les  armes  du  mehdi  se  fît 
aussitôt  sentir  en  Mag'reb.  Un  membre  de  la  famille  edriside, 
nommé  El-IIaçan,  dit  El-IIadjam^,  prince  d'une  grande  bravoure, 
releva,  dans  la  montagne  des  Djeraoua,  l'étendard  de  sa  dynastie. 
Marchant  sur  Fès,  il  s'empara  par  surprise  de  cette  ville  et  en 
chassa  le  gouverneur  Rihan,  le  ketamien. 

Aussitôt  Mouça-ben-Abou-l'Afia  se  porta  contre  Fès  à  la  tête 
de  toutes  ses  forces  disponibles.  El-IIaçan  s'avança  bravement  au 
devant  de  lui  et  la  rencontre  eut  lieu  entre  Fès  et  Taza,  près  d'un 

1.  Hisloirc  des  Berbères,  l.  II,  p.  527  et  t.  III,  p.  230. 

2.  Selon  Ibn-Hainmad. 

3.  Le  phlébotomiste,  parce  qu'il  avait,  dit-on,  l'Iiabitude  de  frapper 
son  ennemi  à  la  veine  du  bras. 


l'afrique  sous  les  fatemides  (927) 


329 


ruisseau  appelé  Ouad-el-Metalien.  La  lutte  fut  acharnée  et  la  vic- 
toire se  prononça  pour  l'edriside  qui  contraig^nit  Mouça  à  fuir,  en 
abandonnant  sur  le  champ  de  bataille  deux  mille  Miknaça,  parmi 
lesquels  son  propre  fils.  El-Haçan  soumit  alors  à  son  autorité  les 
régions  de  Safraoua,  Mediouna,  Meknès,  Basra,  etc.,  c'est-à-dire  la 
partie  centrale  du  Mag'reb  '  (926). 

En  même  temps,  El-Moatez  répudiait  la  suzeraineté  fatemide  à 
Sidjilmassa,  et  se  déclarait  indépendant.  C'est  également  vers  cette 
époque  qu'il  faut  placer  l'occupation  de  ^lelila  par  les  Oméïades 
d'Espagne.  Ainsi  Abd-er-Rahman  prenait  pied  sur  cette  terre 
d'Afrique  où  il  cherchait  depuis  longtemps  à  exercer  son  influence. 
Ses  agents  entrèrent  en  pourparlers  avec  Ibn-Khazer  et  un  traité 
d'alliance  fut  conclu  entre  le  chef  des  Mag  raoua  et  le  khalife 
d'Espagne. 

Sur  ces  entrefaites,  l'edriside  El-Haçan,  victime  d'une  sédi- 
tion, fut  arrêté  et  jeté  en  prison.  Aussitôt  Mouça-ben-Abou-l'Afia 
accourut  à  Fès  et  entreprit  le  siège  du  quartier  des  Andalous, 
resté  fidèle  aux  Edrisides.  Après  une  lutte  acharnée,  la  victoire 
resta  aux  Miknaça.  Mouça  voulait  qu'El-Haçan  lui  fut  livré,  mais 
on  facilita  sa  fuite  en  essayant  de  lui  faire  escalader  le  rempart. 
Dans  sa  chute,  El-Haçan  se  brisa  la  cuisse  et  mourut  misérable- 
ment. 

Expédition  d'Abou-l'Kassem  dans  le  Mag'reb  central.  —  Les 
succès  d'Ibn-Khazer  dans  le  Mag'reb  central,  l'alliance  de  ce  chef 
avec  les  Oméïades,  décidèrent  le  mehdi  à  y  faire  une  nouvelle 
campagne  et  à  en  confier  la  direction  à  son  fils.  Au  printemps  de 
l'année  927,  le  prince  Abou-l'Kassem  se  mit  en  route  à  la  tête  d'une 
puissante  armée.  Il  passa  par  les  montagnes  des  Ketama  et  se 
heurta  contre  la  tribu  des  Beni-Berzal,  qui  essaya  de  lui  barrer  le 
passage  et  contre  laquelle  il  dut  entreprendre  toute  une  série 
d'opérations  gênées  par  le  mauvais  temps.  Ayant  contraint  les 
rebelles  à  la  soumission,  il  continua  sa  route  vers  l'ouest  et  dut 
réduire  diverses  tribus  telles  que  les  Houara,  et  les  Lemaïa,  chez 
lesquelles  le  schisme  kharedjile-sofrite  s'était  conservé.  Il  est 
assez  difficile  de  dire  jusqu'à  quel  point  il  s'avança  dans  le  Mag'reb  ; 
ce  qui  paraît  certain,  c'est  que  les  Mag'raoua  se  retirèrent  dans 
le  sud  pour  éviter  son  attaque. 

Après  avoir  confirmé  Mouça-ben-Abou-l'Afia  dans  son  comman- 
dement, Abou-l'Kassem  revint  sur  ses  pas  et  s'arrêta  à  Mecila,  dans 

1.  Ibn-Ivlialdoun,  l.  I,  p.  267,  l.  II,  p.  527,  568.  El-Bekri,  arl.  Idri- 
cidi's.  Le  Kartas,  p.  110  et  suiv.  Ibu-Hammad. 


330 


iiisToinn:  de  i/ Afrique 


le  Hodna.  Les  Beni-Kemlan,  tribu  voisine,  lui  ayant  manifesté  de 
rhostilité,  il  les  réduisit  à  la  soumission  et,  pour  les  punir,  les 
déporta  à  Kaïrouan.  De  même  que  les  grénéraux  byzantins  avaient 
songé  à  établir  dans  cette  localité  une  place  forte  qu  ils  appelèrent 
Justiniana-Zabi,  Abou-l'Kassem  traça  sur  les  bords  de  TOued-Sehar 
une  ville  destinée  à  couvrir  la  frontière  du  sud-ouest  contre  les  in- 
cursions des  Zenètes.  Il  lui  donna  le  nom  de  Mohammedïa,  mais 
l'ancienne  appellation  de  Mecila  prévalut.  Le  commandement  de 
cette  place  forte  fut  donné  par  lui  à  l'andalousien  Ali-ben-Ham- 
doun,  qui  avait  été,  dit-on,  un  des  premiers  partisans  du  mehdi  et 
aurait  même  partap^é  sa  captivité  à  Sidjilmassa.  Tout  le  Zab  fut 
placé  sous  les  ordres  de  cet  odicier  et  Ton  accumula  dans  la  nou- 
velle place  forte  des  approvisionnements  et  des  armes  '. 

Abou-l'Kassem  rentra  ensuite  en  Ifrikiya  où  l'appelait  le  soin 
de  conserver  ses  droits  d'héritier  présomptif  (928). 

^'ers  le  même  temps  (927|,  vingt  pirates  maures,  d'Espagne, 
jetés  par  la  (empête  sur  les  côtes  de  Provence,  s'établissaient  au 
Fraxinel  et,  ayant  été  rejoints  par  dos  aventuriers  de  toute  race, 
fondaient  une  petite  république  qui  ne  tarda  pas  à  devenir  un 
objet  de  terreur  pour  les  régions  environnantes;  ces  brigands  par- 
coururent en  maîtres  les  .\lpes,  l'Italie  septentrionale,  la  Suisse, 
et  poussèrent  l'audace  jusqu'à  venir  assiéger  Milan. 

Succès  d'Ibn-Abou-l'Afia.  —  Nous  avons  laissé  dans  le  jMag'reb 
Mouça-ben-Abou-l'Afîa  maître  de  Fès.  Après  avoir  reçu  la  sou- 
mission des  régions  environnantes.  Mouça.  plaçant  à  Fès  son  fils 
Medin,  s'attacha  à  poursuivre  les  descendants  de  la  famille  edri- 
side  et  leurs  partisans  dans  les  retraites  où  ils  s'étaient  réfugiés. 
Les  montagnes  du  Rif  et  le  pays  des  R'omara  étaient  le  dernier 
rempart  de  cette  dynastie  déchue.  Une  forteresse  élevée  sur  un 
piton,  au  milieu  de  montagnes  escarpées,  était  maintenant  leur 
capitale.  On  l'appelait  Hadj ar-en-Xecer  (le  rocher  de  l'aigle  .  A 
la  mort  d'El-Hadjam,  la  royauté  était  échue  à  Ibrahim,  fils  de 
Mohammed-ben-Kassem.  .Après  avoir  essayé  en  vain  de  réduire  ses 
adversaires  dans  une  retraite  aussi  difficile  d'accès,  Mouça  se  décida 
à  laisser  en  observation  son  général  Ibn-Abou-el-Fetah  -  ;  quant  à 
lui,  il  alla  enlever  Xokour  où  régnait  un  descendant  de  Salah, 
nommé  El-Mouaïed.  Les  vainqueurs  mirent  cette  malheureuse  ville 
au  pillage  et  achevèrent  l'œuvre   de  destruction  commencée, 

1.  Ibu-Klialdoun,  t.  II,  p.  527-553.  Ibu-Hammad,  passim.  El-Kai- 
rouani,  p.  96. 

2.  Abou-Komah,  scion  El-Bekri. 


l'afrique  sous  i,es  fatemides  (933) 


331 


quelques  années  auparavant,  par  ]\Ies?ala.  Le  chef  des  Miknaça 
envahit  ensuite  la  province  de  Tlemcen,  où  se  trouvait  un  prince 
edriside  du  nom  d'El-Hacen,  descendant  de  Soleïman,  qui  prit  la 
fuite  à  son  approche  et  alla  se  réfugier  à  Melila  (931).  ]Mouça 
entra  vainqueur  à  Tlemcen. 

Ce  n'était  pas  sans  motif  que  Mouça  avait  abandonné  le  Mag'reb. 
Nous  avons  vu  plus  haut  qu'Ibn-Khazer  avait  conclu  une  alliance 
avec  Abd-er-Rhaman  III,  khalife  d'Espagne,  surnommé  En-Nacer 
(le  victorieux),  en  raison  de  ses  grands  succès  sur  les  princes  de 
Léon'.  Stimulé  par  les  agents  de  ce  prince,  il  avait  reparu  dans 
le  Mag'reb  central,  après  le  départ  d'Abou-l'Kassem,  et  soumis  pour 
les  Omeïades  tout  le  pays  compris  entre  Ténès  et  Oran.  Il  est 
probable  que  l'arrivée  du  chef  victorieux  des  Miknaça,  maître 
d'une  grande  partie  du  Mag'reb,  força  Ibn-Khazer  à  regagner  les 
solitudes  du  désert,  son  refuge  habituel. 

Pendant  ce  temps,  le  khalife  d'Espagne,  ne  dissimulant  plus  ses 
plans  de  conquête  en  ÎNIag'reb,  enlevait  Ceuta  par  un  coup  de 
main.  Cette  ville  tenait  encore  pour  les  Edrisides  et  sa  perte  fut 
vivement  ressentie  par  les  derniers  représentants  de  cette  dy- 
nastie (931). 

^loUÇA   SE   PRONONCE   POUR   LES   OmÉÏADES.    Il    EST   VAINCU   PAR  LES 

TROUPES  FATEMIDES.  —  Une  fois  maîtrcs  de  Ceuta,  les  généraux 
oméïades  entrèrent  en  pourparlers  avec  Mouça-ben-Abou-l'Afia 
qui  se  disposait  à  marcher  contre  eux,  et  lui  transmirent  de  la 
part  de  leur  maître  des  offres  très  séduisantes,  s'il  consentait  à 
l'accepter  pour  suzerain.  Le  chef  des  Miknaça  avait-il  à  se  plaindre 
du  mehdi,  ou  jugea-t-il  simplement  qu'il  était  préférable  pour  lui 
de  s'attacher  à  la  fortune  du  brillant  En-Nacer?  Nous  l'ignorons  ; 
dans  tous  les  cas,  il  accueillit  les  ouvertures  à  lui  faites  et  se  dé- 
cida à  répudier  la  suzeraineté  fatemide  pour  laquelle  il  avait  com- 
battu jusqu'alors.  S'étant  déclaré  le  vassal  du  khalife  d'Espagne, 
il  fit  proclamer  l'autorité  oméïade  dans  le  Mag'reb. 

Dès  que  ces  graves  nouvelles  furent  parvenues  en  Ifrikiya,  le 
mehdi  expédia  au  gouverneur  de  Tiharet  l'ordre  de  marcher  contre 
ses  ennemis  du  Mag'reb;  mais  les  descendants  de  Messala,  qui  y 
commandaient,  ne  possédaient  pas  de  forces  suffisantes  pour  entre- 
prendre une  campagne  sérieuse,  et  l'année  932  se  passa  en  escar- 
mouches sans  importance.  L'année  suivante  (933),  une  armée  fate- 
mide se  mit  en  route  vers  l'ouest,  sous  le  commandement  de 
Homeïd-ben-Isliten,  neveu  de  Messala,  traversa  sans  peine  le 

1.  Dozy,  Musulmans  d' Espagne,  t.  III,  p.  49  et  suiv. 


332 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


INIag'reb  central  et  pénétra  dans  le  Ma^Veb  extrême.  Mouça  atten- 
dait ses  ennemis  en  avant  de  Taza,  sur  la  rive  franche  de  la  Mou- 
louïa,  au  lieu  dit  Messoun.  Après  plusieurs  jours  de  lutte,  les 
troupes  fatemides  parvinrent  à  se  rendre  maîtresses  du  camp 
ennemi,  ce  qui  contraignit  Mouça  à  se  jeter  dans  Teçoul,  et  à 
appeler  à  son  aide  le  général  Ibn-Abou-rPetah,  resté  en  observa- 
tion devant  Hadjar-en-Necer.  Aussitôt  Tedriside  Ibrahim  et  ses 
partisans  reprirent  l'ofTensive  et  vinrent  attaquer  les  derrières  de 
Mouça.  Au  prollt  de  cette  diversion,  qui  immobilisait  le  chef 
miknacien,  Homeïd  continua  sa  marche  sur  Fès,  où  il  entra  sans 
coup  férir,  car  Medin,  fils  de  Mouça,  avait  abandonné  la  ville  à 
son  approche.  Après  avoir  rétabli  l'autorité  fatcmide  en  ^lagVeb, 
Homeïd  reprit  la  route  de  l  lfrikiya  en  laissant  comme  gouverneur 
à  Fès  Hàmed-ben-Hamdoun '. 

Mort  d'Obéïd-Ai.lah,  le  meiidi.  —  Peu  de  temps  après  le  retour 
de  l'armée,  Obéïd-AUah  mourut  à  El-Mehdïa  (3  mars  934).  Il  était 
âgé  de  soixante-trois  ans  et  avait  régné  près  de  vingt-cinq  ans.  Il 
laissait  sept  fils  et  huit  filles.  Les  astrologues  de  la  cour  pré- 
tendirent qu'au  moment  de  sa  mort  la  lune  avait  subi  une  éclipse 
totale. 

Ce  prince  laissait  à  son  fils  un  immense  empire  qui  s'étendait 
de  la  grande  Syrte  au  cœur  du  Mag'reb.  Il  faut  reconnaître  qu'une 
rare  fortune  avait  secondé  l'ambition  de  ce  messie  (mehdi),  qui, 
après  avoir  erré  en  proscrit,  durant  de  longues  années,  était  venu 
s'asseoir  en  triomphateur  sur  le  trône  préparé  par  un  disciple  dont 
l'abnégation  égalait  le  dévouement.  Grâce  à  son  énergie  invin- 
cible, Obéïd-Allah  sut  conserver,  étendre  et  établir  sur  des  bases 
durables  un  pouvoir  assez  précaire  au  début.  Nul  doute  que,  sans 
les  mesures  rigoureuses  qu'il  prit  et  dont  les  premières  consé- 
quences furent  de  sacrifier  ceux  auxquels  il  devait  tout,  il  eût  été 
renversé  après  un  court  règne. 

Et  cependant  l'ambition  constante  du  mehdi,  le  désir  de  toute 
sa  vie  n'était  pas  réalisé.  C'est  vers  l'Orient  qu'il  avait  les  yeux 
tournés  et  c'est  sur  le  trône  des  khalifes,  où  son  ancêtre  Ali 
n'avait  pu  se  maintenir,  qu'il  voulait  s'asseoir.  Après  l'insuccès  de 
ses  tentatives  militaires  en  Egypte,  il  dut  se  borner  à  employer 
l'intrigue,  et  ce  fut,  dit -on,  par  un  de  ses  émissaires  que  le 
khalife  El-Moktader  fut  tué  pendant  les  guerres  qui  suivirent  la 
révolte  de  Mounès.  Suivant  l'historien  Es-Saouli,  cité  par  Ibn- 

1.  Ihn-Klialdoun,  ncrhères,  t.  I,  p.  268,  t.  II,  p.  528,  569,  t.  III,  p.  231. 
Kartas,  p.  111  et  suiv.  Bekri,  passim. 


1,'aI'RIQue  sous  les  fatemiues  (933) 


333 


Hammad,  il  aurait  même  annoncé  ofTicielIement  cette  nouvelle 
dans  une  assemblée  politique  où  il  reçut  les  félicitations  du 
peuple. 

Le  mehdi  établit  quelques  modifications  de  rite  dans  la  pratique 
de  la  religion  musulmane.  La  révolte  des  Karmates,  qui  ensan- 
glanta rOrient  pendant  la  fin  de  son  règne,  favorisa  ces  innova- 
tions. Le  pèlerinage,  une  des  bases  de  la  religion  islamique,  était 
devenu  impossible  depuis  que  les  farouches  sectaires  avaient  mis 
la  ville  sainte  au  pillage  et  enlevé  la  pierre  noire  de  la  Kaâba'. 

Expéditions  des  Fatemides  en  Italie.  —  Avant  de  terminer  ce 
chapitre,  nous  devons  passer  une  rapide  revue  des  expéditions 
faites  en  Europe  pendant  les  dernières  années  du  règne  du  mehdi. 
A  la  suite  d'une  alliance  conclue  avec  les  ambassadeurs  slaves 
venus  de  Dalmatie  en  Afrique,  une  expédition  fut  faite,  vers  925, 
de  concert  avec  eux,  dans  le  midi  de  l'Italie.  Les  alliés  s'emparè- 
rent d'un  certain  nombre  de  villes  détachées  de  l'obéissance  de 
l'empire,  et  notamment  d'Otrante.  Saïn,  chef  des  Slaves,  força 
Naples  et  Salerne  à  lui  verser  une  rançon,  puis  il  fit  payer  tribut 
à  la  Galabre  et  retourna  à  Palerme  avec  un  riche  butin.  Les  Slaves 
avaient  en  effet  pris  l'habitude  d'hiverner  dans  cette  ville,  dont 
un  quartier  conserva  leur  nom.  Beaucoup  d'entre  eux  passèrent 
en  Espagne  et  entrèrent  au  service  des  princes  omé'iades. 

Malgré  l'appui  prêté  par  les  Fatemides  à  Saïn  dans  son  expédi- 
tion d'Italie,  le  tribut  stipulé  par  les  précédents  traités  fut  régu- 
lièrement servi  à  Obé'id-Allah  jusqu'à  sa  mort,  par  les  Byzantins. 

En  933,  une  flotte  envoyée  contre  Gênes  par  le  mehdi  porta  le 
ravage  dans  les  environs  de  cette  ville". 

1.  Ibu-Klialdoun,  t.  II,  p.  529  et  suiv.  Ihn-IIammad,  passim.  Ef-Kai- 
rouaui,  p.  96, 

2.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  176  et  suiv.  Dozy,  Musul- 
mans d'Espagne,  t.  III,  p.  61. 


CHAPITRE  X 


SUITE  DES  FATEMIDES.  lU'lVOLTE  DE  L'HOMME  A  L'AXE 

931-947. 

Règne  d'El-Kaïm;  premières  révoltes.  —  Succès  de  Meïçour,  général  falemide, 
en  Mag"reb;  Mouça,  vaincu,  se  réfugie  dans  le  désert. —  Expéditions 
fatemides  en  Italie  et  en  Egypte.  —  Puissance  des  Sanhadja;  Ziri-ben- 
Menad. —  Succès  des  Kdrisides;  mort  de  Mouça-ben-Abou-rAfia.  —  Révolte 
d'Aboii-Yezid,  l'homme  à  l'âne. —  Succès  d'Abou-Yezid  :  il  marche  sur  l  lfri- 
kiya.  —  Prise  de  Kaïrouan  par  Abou-Yezid.  —  Nouvelle  victoire  d'Abou- 
Yezid,  suivie  d'inaction.  —  Siège  d'Ei-Medhia  par  Abou-Yezid.  —  Levée 
du  siège  d"El-Melidïa.  —  Mort  d'El-Kaïni  :  règne  d'Ismaïl-el-Mançour. 
—  Défaites  d'Abou-Yezid.  —  Poursuite  d'Abou-Yezid  par  Ismaïl.  —  Chute 
d'Al)OU-Yezid. 

RtcNE  d'El-Ka^ïm  ;  PREMIÈRES  REVOLTES.  —  Le  princc  Abou- 
I  Kassem  avait  pris,  depuis  lonfïtenips,  en  main  la  direction  des 
affaires  de  l'empire  fateniide;  il  lui  fut  donc  possible  de  tenir 
secrète  la  mort  de  son  père  pendant  un  certain  temps'.  Il  envoya 
dans  l  est  et  dans  l'ouest  des  forces  suffisantes  pour  étouffer  dans 
leur  germe  les  rébellions  qui  auraient  pu  se  produire  à  la  nouvelle 
du  décès  du  mehdi.  Après  avoir  pris  ces  habiles  dispositions,  il 
annonça  le  fatal  événement  et  se  fit  proclamer  sous  le  nom  d'El- 
K;iïm-hi-Amr-AUah  (celui  qui  exécute  les  ordres  de  Dieu;.  Il 
ordonna  alors  un  deuil  public  en  l'honneur  du  mehdi  et  manifesta 
le  plus  grand  chagrin  de  sa  mort,  s'abstenant  de  passer  à  cheval 
dans  les  rues  d'El-Mehd'ia. 

El-Ka'im,  c'est  ainsi  que  nous  le  désignerons  maintenant,  était 
alors  un  homme  de  quarante-deux  à  quarante-trois  ans.  Il  avait, 
quelque  temps  auparavant,  institué  à  El-Mehd'ia  un  véritable  céré- 
monial de  cour  et  pris  l'habitude  de  ne  sortir  qu'avec  le  parasol, 
qui  devint  l'emblème  de  la  dynastie  fatemide.  Selon  Ibn-Hammad, 
ce  parasol,  semblable  à  un  bouclier  fiché  au  bout  d'une  lance,  était 
porté  au-dessus  de  sa  tête  par  un  cavalier. 

A  peine  la  nouvelle  de  la  mort  du  souverain  fatemide  se  fut-elle 
répandue  qu'une  révolte  éclata  dans  la  province  de  Tripoli,  à  la 
voix  d'un  aventurier,  Ibn-Talout,  qui  se  faisait  passer  pour  le  fils 

1.  Les  auteurs  varient  entre  un  mois  et  un  an. 


SUITE   DES   FATEMIDES    (934)  335 

du  mehdi.  Entouré  d'un  grand  nombre  de  partisans,  cet  agitateur 
poussa  l'audace  jusqu'à  attaquer  Tripoli,  mais  son  ardeur  s'usa 
contre  les  remparts  de  cette  place  et  bientôt  ses  adeptes  se  tour- 
nèrent contre  lui,  le  mirent  à  mort  et  envoyèrent  sa  tête  à  El-Kaïm. 

Dans  la  province  de  Kastilija,  un  agitateur  religieux  du  nom 
d'Abou-Yezid  commençait  ses  prédications.  Ce  marabout  allait, 
avant  peu,  mettre  l'empire  fatcmide  à  deux  doigts  de  sa  perte'. 

Succès  de  Meiçour,  général  fatemide,  en  Mag'reb.  —  Mouça, 
VAINCU,  SE  RÉFUGIE  DANS  LE  DESERT.  — •  Lorsquc,  daus  le  Mag'rcb, 
Mouça-ben-Abou-l'Afia  apprit  la  mort  du  mehdi,  il  sortit  de  sa 
retraite,  et,  avec  l'appui  des  forces  oméïades,  se  rendit  maître  de 
Fès.  Après  avoir  fait  mourir  Ilàmed-ben-IIamdoun,  il  se  porta 
dans  le  Rif  avec  l'espoir  de  tirer  une  éclatante  vengeance  de  ses 
ennemis  les  Edrisides,  qu'il  rendait  responsables  de  ses  dernières 
défaites. 

Cependant,  l'armée  fatemide,  envoyée  dans  l'ouest,  sous  le 
commandement  de  l'eunuque  Me'içour,  avait  commencé  par  ré- 
duire à  la  soumission  les  populations  des  environs  de  Tiharet  qui, 
après  avoir  mis  à  mort  leur  gouverneur,  s'étaient  placées  sous  la 
protection  de  ÎMohamed-ben-Abou-Aoun,  commandant  d'Oran 
pour  les  Oméïades.  Ce  dernier,  attaqué  à  son  tour,  avait  dû  égale- 
ment se  soumettre  au  vainqueur.  Ayant  ainsi  assuré  ses  derrières, 
Me'içour  n'hésita  pas  à  marcher  directement  sur  Fès.  Il  mit  le 
siège  devant  cette  ville,  mais  il  y  rencontra  une  résistance  déses- 
pérée et  fut  retenu  sous  ses  murailles  pendant  de  longs  mois. 

El-Kaïm,  ne  recevant  plus  de  nouvelles  de  son  armée,  lui 
expédia  du  renfort  sous  le  commandement  de  son  nègre  Sandal. 
Cet  officier,  parvenu  dans  le  Mag'reb,  commença  par  se  rendre 
maître  de  Nokour,  que  les  descendants  des  Beni-Salah  avaient 
relevée  de  ses  ruines;  puis,  il  opéra  sa  jonction  à  Meïçour.  Les 
princes  edrisides  entrèrent  alors  en  pourparlers  avec  ce  dernier  et 
lui  proposèrent  de  le  soutenir  s'il  voulait  attaquer  leur  ennemi 
mortel,  Mouça.  Cette  démarche  devait  consacrer  une  rupture 
définitive  entre  eux  et  les  Oméïades.  Mais,  que  pouvaient-ils 
attendre  d'Abd-er-Rahman,  représenté  en  jNIag'reb  par  Ben-Abou- 
l'Afia  ? 

Meïçour,  qui,  depuis  sept  mois,  assiégeait  inutilement  Fès, 
accepta  les  propositions  des  Edrisides  et  se  décida  à  traiter  avec 
les  assiégés.  Ceux-ci  reconnurent,  pour  la  forme,  l'autorité  fate- 

1.  Ibii-Hanimad,  passim.  Ibu-Khalduuu,  Berbères,  t.  11^  p  328  et 
suiv.  et  t.  III,  p.  201  et  suiv. 


336 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


mide.  Meïçour,  ayant  alors  réuni  toutes  ses  forces  et  reçu  dans 
ses  rangs  le  contingent  edriside,  se  mit  à  la  poursuite  de  Mouça, 
le  vainquit  dans  toutes  les  rencontres,  le  chassa  de  toutes  ses 
retraites  et  le  contraignit  à  chercher  un  refuge  dans  le  désert. 

Après  avoir  obtenu  ce  résultat,  Meïçour  donna  à  El-Kacem-ben- 
Edris,  surnommé  Kennoun,  alors  chef  de  la  famille  edriside,  le 
commandement  de  tout  le  pays  conquis  sur  Mouça.  Cependant 
Fès  fut  réservé  et  les  Edrisides  ne  rentrèrent  pas  encore  dans  la 
métropole  fondée  par  leur  aïeul.  Ils  continuèrent  à  faire  de  Ilad- 
jar-en-Nacer  leur  capitale  provisoire. 

Meïçour  rentra  à  El-Mehdia  en  936  '. 

Expéditions  fatemides  ex  Italie  et  en  Egypte. —  Pendant  que 
ces  événements  se  passaient  dans  le  MagVeb,  El-Kaïm  obtenait 
de  brillants  résultats  sur  un  autre  théâtre.  Une  nouvelle  expédition 
marilime  envoyée  d"El-Mehdia  contre  Gènes  remportait  un  grand 
succès.  Les  soldats  fatemides,  après  avoir  enlevé  d  assaut  cette 
ville,  la  mirent  au  pillage  et  ramenèrent  des  captifs  nombreux.  A 
leur  retour,  ils  portèrent  le  ravage  sur  les  côtes  de  Sardaigne  et 
peut-être  de  Corse,  et  rentrèrent  à  El-Mehdia  avec  un  riche  butin 
et  un  millier  de  femmes  chrétiennes  captives  (935^  -. 

En  Sicile,  où  quelques  troubles  avaient  éclaté,  le  khalife  fate- 
mide  envoya  comme  gouverneur  un  certain  Khalil-ben-Ouerd, 
homme  d  une  rare  énergie,  qui  ne  tarda  pas  à  rétablir  la  paix  et 
put  s'appliquer  tout  entier  à  l  embellissement  de  Palerme. 

Mais  El-Kaïm  avait,  comme  son  père,  les  yeux  tournés  vers 
rOrient,  et  il  faut  avouer  que  le  moment  semblait  favorable  pour 
y  exécuter  de  nouvelles  tentatives.  Après  la  mort  du  khalife 
El-Moktader,  on  avait  proclamé  El-Kaher-b  lUah  à  Bagdad;  mais 
son  règne  avait  été  fort  troublé  et  de  courte  durée.  Déposé  en 
934,  il  fut  remplacé  par  son  neveu  Er-Radi,  fils  d'El-Moklader. 
Ce  prince  nomma  alors  au  gouvernement  de  l  Egypte  un  ofTicier 
d'origine  turque  nommé  Abou-Beker-ben-Bordj  et  qui  prit  le 
titre  à'Ikhchid  (roi  des  rois).  En  réalité,  l'Egypte  devenait  une 
vice-royauté  presque  indépendante,  et,  comme  elle  était  très  divisée 
par  la  guerre  civile,  il  était  naturel  qu'El-Kaïm  songeât  à  y 
intervenir. 

1.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  142,  145,  529.  Kartas,  p.  117. 
El-Bekri,  Idricides. 

2.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  529.  Amari,  Musulmans  de  Sicile, 
t.  III,  p.  180  et  suiv. 

3.  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  les  Turcs  habilaient  alors  le  centre 
de  l'Asie. 


SUlTir   DES   KATEMIDES  (935) 


337 


L'affranchi  Zeïdane,  général  fatemide,  partit  pour  l'Egypte  à  la 
tête  d'une  armée  et  entra  en  vainqueur  à  Alexandrie,  mais,  Ikhchid 
étant  accouru  avec  des  forces  imposantes,  Zeïdane  ne  jugea  pas 
prudent  de  se  mesurer  avec  lui  ;  il  s'empressa  d'évacuer  le  pays 
conquis  et  de  rentrer  en  Ifrikiya. 

Puissance  des  Sanuadja.  —  Ziki-ben-Menad. —  La  grande  tribu 
des  Sanhadja,  qui  occupait  la  majeure  partie  du  Tell  du  Mag'reb 
central,  n'a,  jusqu'à  présent,  joué  aucun  rôle  actif  dans  l'histoire. 
Son  territoire  confrontait  à  l'est  aux  Ketama,  au  nord  aux 
Zouaoua  du  Djerdjera,  et  s'étendait  à  l'ouest  jusque  vers  le  méri- 
dien de  Ténès  ;  il  renfermait  des  localités  importantes  telles  que 
Hamza,  Djezaïr-beni-Mez'ranna  (Alger),  Médéa  et  Miliana.  La 
race  des  Sanhadja  constituait  une  des  plus  anciennes  souches  ber- 
bères. La  tribu  des  Telkata  *  avait  la  prééminence  sur  les  autres. 
Les  Mag  raoua,  qui  confrontaient  au  sud  et  à  l'ouest  aux  Sanhadja, 
étaient  en  luttes  constantes  avec  eux. 

Vers  le  commencement  du  x"  siècle,  vivait  chez  les  Sanhadja  un 
certain  Menad,  sorte  de  marabout  dont  la  famille  était  venue 
quelque  temps  auparavant  s'établir  dans  la  tribu  et  y  avait  fondé 
une  mosquée.  Il  avait  un  fils  nommé  Ziri,  dont  les  auteurs  disent  : 

«  ...Qu'on  n'avait  jamais  vu  un  si  bel  enfant  à  l'âge  de  dix  ans, 

il  paraissait  en  avoir  vingt  pour  la  force  et  la  vigueur'^  ».  Ses  ins- 
tincts belliqueux  s'étaient  révélés  de  bonne  heure  ;  aussi,  dès  qu'il 
eut  atteint  l'âge  d'homme,  il  rassembla  une  bande  de  jeunes  gens 
déterminés  et  alla  faire  des  expéditions  et  des  razias  chez  les  Ma- 
g'raoua.  Son  audace  et  son  courage,  que  le  succès  favorisa,  lui 
procurèrent  bientôt  une  grande  influence  parmi  les  Sanhadja.  Il 
put  alors  exécuter  une  razia  très  fructueuse  sur  les  Mar'ila,  établis 
dans  le  bas  Ghelif,  non  loin  de  Mazouna.  Retranché  dans  la  mon- 
tagne de  Titeri,  au  sud  de  Médéa,  il  y  emmagasina  son  butin  et  y 
logea  ses  chevaux.  Malgré  l'opposition  de  quelques  rivaux,  il  ne 
tarda  pas  à  devenir  le  chef  incontesté  des  Sanhadja.  Ayant  envoyé 
sa  soumission  à  El-Kaïm,  il  reçut  de  ce  prince  l'investiture  du 
commandement  de  sa  tribu. 

Ziri  songea  alors  à  se  construire  une  capitale  digne  de  lui  et 
reçut  à  cette  occasion  les  conseils  et  les  secours  du  souverain 
fatemide,  trop  heureux  de  voir  s'établir  une  puissance  rivale 
de  celle  des  Mag'raoua  et  destinée  à  servir  de  rempart  contre  eux. 

Le  fils  de  Menad  choisit  l'emplacement  de  sa  capitale  dans  le 


1.  Voir  au  cliap.  i,  2"  partie,  les  subdivisions  de  cette  tribu. 

2.  Eu-Nouéiri,  apad  Ibii-Klialdoun,  t.  II,  p.  487. 

T.  I.  22 


338 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


Djebel-el -Akhdar  (Titeri),  près  de  Médéa,  et  lui  donna  le  nom 
d'Achir.  Lorsqu'elle  fut  achevée,  il  fit  appel  aux  habitants  de 
Tobna,  de  Mecila  et  de  Hamza  pour  la  peupler  '. 

Succès  des  Edrisides  ;  mort  de  Mouça-ben-Abou-l  Afia.  —  Dans 
le  Mag  reb,  les  Edrisides  consolidaient  le  pouvoir  qu'ils  avaient 
recouvré  et  l'autorité  qu'ils  tenaient  du  f^énéral  falemide.  En  936, 
Kaceni-Kennoun,  chef  de  celle  dynastie,  s'emparait  d'Azila  et, 
pendant  ce  temps,  son  cousin  El-Hassen  rentrait  en  vainqueur  à 
Tlemcen.  Mouça,  réduit  à  l'impuissance,  suivait  de  loin  ces  évé- 
nements, en  guettant  l'occasion  de  reprendre  l'offensive. 

Abd-er-Rahman-en-Nacer  était  alors  retenu  par  ses  guerres 
contre  les  rois  de  Galice  et  de  Léon.  La  fortune,  jusqu'alors  fidèle, 
l'avait  trahi,  et  il  avait  essuyé  de  sérieux  échecs  qu'il  brûlait  du 
désir  de  venger.  C'est  ce  qui  explique  que  ses  parlisans  du  Mag'- 
reb  restaient  abandonnés  à  eux-mêmes". 

En  938,  eut  lieu  la  mort  de  Mouça,  «  pendant  qu'il  travaillait, 
dit  Ibn-Khaldoun,  de  concert  avec  son  puissant  voisin  (Ibn-Kha- 
zer),  à  fortifier  la  cause  des  Oméïades  ».  On  ignore  s'il  fut  tué  dans 
un  combat  ou  s'il  mourut  de  maladie.  Son  fils  Medine  recueillit  sa 
succession  et  reçut  du  khalife  oméïade  le  titre  platonique  de  gou- 
verneur du  Mag'reb.  Il  contracta  avec  El-Kheir,  fils  de  Moham- 
med-ben-Khazer,  une  alliance  semblable  à  celle  qui  avait  existé 
entre  leurs  pères,  d'où  il  y  a  lieu  de  conjecturer  que  ce  dernier 
était  mort  vers  la  même  époque. 

Révolte  d'Aboi-Yezid,  l'homme  a  l'ane.  —  Abou-Yezid,  fils  de 
Makhled-ben-Keïdad,  zenète  de  la  tribu  des  Beni-Ifrene,  fraction 
des  Ouargou,  avait  été  élevé  à  Takious,  dans  le  pays  de  Kastiliya. 
Il  était  né,  dit-on,  au  Soudan,  du  commerce  de  son  père  avec  une 
négresse,  dans  un  voyage  effectué  par  Makhled  pour  ses  affaires. 
Il  avait  fait  ses  études  à  Takious  et  à  Touzer,  où  il  avait  reçu 
les  leçons  du  Mokaddem  [évéque)  des  eïbadites  Abou-Ammar, 
l'aveugle.  Il  s'était  ainsi  pénétré,  dès  son  jeune  âge,  des  principes 
de  ces  sectaires  et  particulièrement  de  la  fraction  qui  était  dési- 
gnée sous  le  nom  de  Xekkariens.  C'étaient  des  puritains  militants 
qui  permettaient  le  meurtre,  le  viol  et  la  spoliation  sur  tous  ceux 
qui  n'appartenaient  pas  à  leur  secte. 

Abou-Yezid  était  contrefait,  boiteux  de  naissance  et  fort  laid, 
mais,  dans  cette  enveloppe  frêle  et  disgracieuse,  brûlait  une  âme 

1.  Ibn-Khaldouu,  Berbères,  t.  II,  p.  4  et  suiv.  En-Noueiri,  loc.  cit. 
El-Bekri,  art.  Acbir. 

2.  Dozy,  Musuli/ians  d'Espagne,  I.  II,  p.  64  et  suiv. 


IlÉVOLTE   DE   l'homme   A   l'aXE  (942) 


339 


ardente  et  d'une  énergie  invincible.  Il  possédait  à  un  haut  degré 
l'éloquence  qui  entraîne  les  masses.  Dès  qu'il  eut  atteint  l'âge 
d'homme,  il  s'adonna  à  l'enseignement,  c'est-à-dire  qu'il  s'ap- 
pliqua à  répandre  les  doctrines  de  sa  secte,  et  ses  prédications 
enflammées  n'avaient  qu'un  but  :  pousser  à  la  révolte  contre  l'au- 
torité constituée.  Il  parcourut  les  tribus  kharedjites  en  pratiquant 
le  métier  d'apôtre ,  et  se  trouvait  à  Tiharet  au  moment  du 
triomphe  du  mehdi.  Il  se  posa,  dès  lors,  en  adversaire  résolu  de 
la  dynastie  fatemide.  Foret  de  i'uir  de  Tiharet,  il  rentra  dans  le 
pays  de  Kastiliya  et  ne  tarda  pas  à  se  faire  mettre  hors  la  loi  par  les 
magistrats  de  cette  province.  Il  tenta  alors  d'elTecluer  le  pèleri- 
nage, mais  il  ne  paraît  pas  qu'il  eût  réalisé  ce  projet,  qui  n'était 
peut-être  qu'une  ruse  de  sa  part  pour  détourner  l'attention. 

Vers  928,  il  était  de  retour  à  Takious  et,  dès  l'année  suivante, 
commençait  à  grouper  autour  de  lui  des  partisans  prêts  à  le 
soutenir  dans  la  lutte  ouverte  qu'il  allait  entamer.  En  934,  il  se 
crut  assez  fort  pour  lever  l'étendard  de  la  révolte  à  Takious,  mais 
le  souverain  fatemide  s'étant  décidé  à  agir  sérieusement  contre 
lui,  Abou-Yezid  dut  encore  prendre  la  fuite.  Il  renouvela  sa  tac- 
tique et  simula  ou  effectua  un  voyage  en  Orient.  Après  quelques 
années  de  silence,  il  rentrait  à  la  faveur  d'un  déguisement  à  Touzer 
(938)  ;  mais  ayant  été  reconnu,  il  fut  arrêté  par  le  gouverneur  et 
jeté  en  prison.  A  cette  nouvelle,  son  ancien  précepteur  Abou- 
Ammar,  l'aveugle,  niokaddem  des  Nekkariens,  cédant  aux  ins- 
tances de  deux  des  fils  d  Abou-Yezid,  nommés  Fadel  et  Yezid, 
réunit  un  groupe  de  ses  adeptes  et  alla  délivrer  le  prisonnier. 

Cette  fois,  il  n'y  avait  plus  à  tergiverser  et  il  ne  restait  à  Abou- 
Yezid  qu'à  combattre  ouvertement.  Il  se  réfugia  dans  le  sud  chez 
les  Beni-Zendak,  tribu  zenète,  et,  de  là,  essaya  d'agir  sur  les  po- 
pulations zenètes  de  l'Aourès  et  du  Zab  et  notamment  sur  les 
Beni-Berzal.  Il  avait  soixante  ans,  mais  son  ardeur  n'était  nulle- 
ment diminuée,  malgré  l'âge  et  les  infirmités.  Après  plusieurs 
années  d'efforts  persévérants,  il  parvint  à  décider  ces  populations 
à  la  lutte.  Vers  9i2,  il  réunit  ses  principaux  adhérents  dans  l'Aou- 
rès, se  fit  proclamer  par  eux  cheikh  des  vr,iis  croyants,  leur  fit 
jurer  haine  à  mort  aux  Fatemides  et  les  invita  à  reconnaître  la 
suprématie  des  Oméïades  d'Espagne.  Il  leur  promit  en  outre 
qu'après  la  victoire,  le  peuple  berbère  serait  administré,  sous  la 
forme  républicaine,  par  un  conseil  de  douze  cheiks.  L'homicide  et 
la  spoliation  étaient  déclarés  licites  à  l'encontre  des  prétendus 
orthodoxes,  dont  les  familles  devaient  être  réduites  en  esclavage'. 

1.  Ibii-Klialdoun,  Berbères,  t.  II,  p.  530  et  suiv.,  t.  III,  p.  201  et  suiv. 


340  iii.stoihf:  di-  i/afiuqie 

Succès  d'Abou-Yezid.  Ii,  marche  sur  i.  Ifrikiva.  —  En  942,  Abou- 
Yezid  profita  de  l'absence  du  gouverneur  de  Bar'aï  pour  venir,  à 
la  tête  de  ses  partisans,  ravager  les  environs  de  cette  place  forte. 
Une  nouvelle  course  dans  la  même  direction  fut  moins  heureuse, 
car  le  gouverneur,  qui,  cette  fois,  était  sur  ses  gardes,  repoussa 
les  Nekkariens  et  les  poursuivit  dans  la  montagne;  mais,  s'étant 
engagé  dans  des  défilés  escarpés,  il  se  vit  entouré  de  kharedjites 
et  forcé  de  chercher  un  refuge  derrière  les  remparts  de  sa  citadelle. 

Abou-Yezid  essaya  en  vain  de  le  réduire  ;  manquant  de  moyens 
pour  faire,  avec  succès,  le  siège  de  Bar  aï,  il  changea  de  tactique. 
Des  ordres,  expédiés  par  lui  aux  Beni-Ouacin,  ses  serviteurs  spi- 
rituels, établis  dans  la  partie  méridionale  du  pays  de  Kastiliya, 
leur  prescrivirent  d'entreprendre  le  siège  de  Touzer  et  des  princi- 
pales villes  du  Djerid.  Cette  feinte  réussit  à  merveille,  et,  tandis 
que  toutes  les  troupes  des  postes  du  sud  se  portaient  vers  les 
points  menacés,  Abou-Yezid  venait  s'emparer  sans  coup  férir  de 
Tebessa  et  de  Medjana.  La  place  de  Mermadjenna  éprouva  bientôt 
le  même  sort  ;  dans  cette  localité,  le  chef  de  la  révolte  reçut  en 
présent  un  âne  gris  dont  il  fit  sa  monture.  C'est  pourquoi  on  le 
désigna  ensuite  sous  le  sobriquet  de  l'homme  à  l'âne. 

De  là,  Abou-Yezid  se  porta  sur  El-Orbos,  et,  après  avoir  mis 
en  déroute  le  corps  de  troupes  kotamiennes  qui  protégeait  cette 
place,  il  s'en  empara  et  la  livra  au  pillage  :  toute  la  population 
réfugiée  dans  la  grande  mosquée  fut  massacrée  par  ses  troupes, 
qui  se  livrèrent  aux  plus  grands  excès.  Ainsi,  un  succès  inespéré 
couronnait  les  efforts  de  l'apôtre.  L'homme  à  l'âne  prit  alors  le 
titre  de  Cheikh  des  Croyants  :  vêtu  de  la  grossière  chemise  de 
laine  à  manches  courtes  usitée  dans  le  sud,  il  affectait  une  grande 
humilité,  n'avait  comme  arme  qu'un  bâton  et  comme  monture 
qu'un  âne. 

En  présence  du  danger  qui  le  menaçait,  El-Kaïm,  sans  s'émou- 
voir, réunit  des  troupes  et  les  envoya  renforcer  les  garnisons  des 
places  fortes.  Avec  le  reste  de  ses  soldats,  il  forma  trois  corps 
dont  il  donna  le  commandement  en  chef  à  Meïçour.  L'esclavon 
Bochra  partit  à  la  tète  d'une  de  ces  divisions  pour  couvrir  Badja, 
menacée  par  les  Nekkariens.  Le  général  Khalil-ben-Ishak  alla 
occuper  Kaïrouan  et  Rakkada,  avec  le  second  corps.  Enfin  Meï- 
çour  demeura  avec  le  dernier  à  la  garde  d'El-Mehdïa. 

Ibn-Hammad,  passim.  El-Bekri,  art.  Abou-Yezid.  El-Kairouani,  p.  98 
et  suiv.  Voir  aussi  rétude  publiée  par  Cherbonneau  daus  la  Revue  afri- 
caine, sous  le  titre  Documents  inédits  sur  l'hérétique  Abou-Yezid,  n"  78 
et  dans  le  Journal  asiatique,  passim. 


RÉvoLTi;  m-:  i/iio.mme  a  l'ane  (1)44) 


341 


Abou-Yezid  marcha  directement  sur  Badja  et  fit  attaquer  de 
front  l'armée  de  Bochra  par  un  de  ses  lieutenants  nommé  Aïoub. 
Celui-ci  n'ayant  pu  soutenir  le  choc  des  troupes  régulières, 
l'Homme  à  l'âne  effectua  en  personne  un  mouvement  tournant  qui 
livra  aux  Kharedjites  le  camp  ennemi  et  changea  la  défaite  en  vic- 
toire. La  ville  de  Badja  fut  mise  à  feu  et  à  sang  par  les  vainqueurs. 
Les  hommes,  les  enfants  mêmes  furent  passés  au  fil  de  l'épée,  les 
femmes  réduites  en  esclavage.  Cette  nouvelle  victoire  eut  le  plus 
grand  retentissement  dans  le  pays  et,  de  partout,  accoururent, 
sous  la  bannière  d'Abou-Yezid,  de  nouveaux  adhérents,  autant 
pour  échapper  à  ses  coups  que  dans  l'espoir  de  participer  au  butin. 

Les  Beni-Ifrene  et  autres  tribus  zenètes  formaient  l'élite  de  son 
armée.  L'Homme  à  l'âne  s'efforça  de  donner  une  organisation  à  ces 
hordes  indisciplinées  qui  reçurent  des  officiers,  des  étendards,  du 
matériel  et  des  tentes  ;  quant  à  lui,  il  conserva  encore  la  simplicité 
de  son  accoutrement. 

Prise  de  Kaïrouan  par  Ahou-Yezio.  —  De  Tunis,  où  il  s'était  ré- 
fugié, Bochra  envoya  contre  les  Nekkariens  de  nouvelles  troupes, 
mais  elles  essuyèrent  encore  une  défaite  à  la  suite  de  laquelle  ce 
général,  contraint  d'évacuer  Tunis,  alla  se  réfugier  à  Souça. 

L'Homme  à  l'âne,  après  avoir  fait  une  entrée  triomphale  à  Tunis, 
alla  établir  son  camp  sur  les  bords  de  la  Medjerda,  pour  y  at- 
tendre de  nouveaux  renforts,  afin  d'attaquer  le  souverain  fatemide 
au  cœur  de  sa  puissance.  Les  populations  restées  fidèles  à  cette 
dynastie  se  réfugièrent  sous  les  murs  de  Kaïrouan.  I^e  moment 
décisif  approchait.  En  attendant  qu'il  pût  investir  El-Medhïa, 
Abou-Yezid,  pour  tenir  ses  Groupes  en  haleine,  les  envoya  par 
petits  corps  faire  des  incursions  sur  les  territoires  non  soumis. 
Ces  partis  répandirent  la  dévastation  dans  les  contrées  environ- 
nantes et  rapportèrent  un  butin  considérable. 

Enfin  l'Homme  à  l'âne  donna  le  signal  de  la  marche  sur  la  capitale. 
En  avant  de  Souça,  l'avant-garde,  commandée  par  Aïoub^  se  heurta 
contre  Bochra  et  ses  guerriers  brûlant  de  prendre  une  revanche. 
Les  Kharedjites  furent  entièrement  défaits:  quatre  mille  d'entre 
eux  restèrent  sur  le  champ  de  bataille  et  un  grand  nombre  de 
prisonniers  furent  conduits  à  El-Medhïa,  où  le  prince  ordonna  leur 
supplice. 

Cet  échec,  tout  sensible  qu'il  fût,  n'était  pas  sufTisant  pour  arrêter 
l'ardeur  des  Nekkariens  avides  de  pillage.  Bientôt,  en  effet,  renforcés 
de  nouveaux  volontaires,  ils  reprirent  leur  marche  vers  le  sud  et 
arrivèrent  sous  les  murs  deRakkada.  A  leur  approche,  les  troupes 
aI)andonncrent  cette  place  et  allèrent  se  renfermer  dans  Kaïrouan. 


342 


iiisToinic  m:  l  Afrique 


Après  être  entré  sans  coup  férir  dans  Rakkada,  Abou-Yezid  se 
porta  sur  Kaïrouan,  qu'il  investit  avec  les  cent  mille  hommes  dont 
il  était  suivi. 

Khalil-ben-Ishak,  qui  n'avait  rien  fait  pour  empêcher  l'investis- 
sement de  la  ville  dont  il  avait  le  commandement,  ne  sut  pas  mieux 
la  défendre  pendant  le  siège.  Dans  l'espoir  de  sauver  sa  vie,  il 
entra  en  pourparlers  avec  Abou-Yezid  et  poussa  l'imprudence 
jusqu'à  venir  à  son  camp.  L'homme  à  l'âne  le  jeta  dans  les  fers  et 
bientôt  le  fit  mettre  à  mort,  malgré  les  représentations  que  lui 
adressa  Abou-Amniar  contre  cet  acte  de  lâcheté.  Pressée  de  toutes 
parts  et  privée  de  chef,  la  ville  ne  tarda  pas  à  ouvrir  ses  portes  aux 
assiéf^eants  (milieu  d'octobre  9ii).  Suivant  leur  habitude,  les 
Kharedjites  livrèrent  Kaïrouan  au  pillaj;e;  les  principaux  citoyens, 
les  savants,  les  légistes  étant  venus  implorer  la  clémence  du  vain- 
queur, n'obtinrent  que  d  humiliants  refus  ;  ils  auraient  même,  selon 
Ibn-Khaldoun reçu  l'ordre  de  se  joindre  aux  Kharedjites  et  de 
les  aider  à  massacrer  les  habitants  de  la  ville  et  les  troupes  fale- 
mides. 

On  dit  qu'en  faisant  son  entrée  dans  la  ville,  Abou-Yezid  criait 
au  peuple:  <(  \'ous  hésitez  à  comb  itlre  les  Obéïdites  ?  \'oyez  cepen- 
dant mon  maître  Abou-Ammar  et  moi  ;  l'un  est  aveugle,  l'autre 
boiteux  :  Dieu  nous  a  donc,  1  un  et  l'autre,  dispensés  de  verser  notre 
sang  dans  les  combats,  mais  nous  ne  nous  en  dispensons  pas! 

Nouvelle  a  ictuire  d'Abou-^  ezid  suivie  d'inaction.  —  Dans  toute 
cette  première  partie  de  la  campagne,  les  généraux  fatemides 
semblent  avoir  lutté  d'incapacité,  en  se  laissant  successivement 
écraser  sans  se  prêter  aucun  appui.. Après  la  chute  de  Kaïrouan, 
Meïçour,  sortant  de  son  inaction,  vint,  à  la  tête  d'une  nombreuse 
armée,  attaquer  le  camp  des  Kharedjites.  La  bataille  eût  lieu  au 
col  d'El-Akouïne,  en  avant  de  la  ville  sainte,  et  elle  parut,  d'abord, 
devoir  être  favorable  aux  Fatemides,  lorsque  le  contingent  de  la 
tribu  houaride  des  Beni-Kemlane  de  l'Aourès,  transportée  quelques 
années  auparavant  dans  l'Ifrikyia,  passa  dans  les  rangs  kharedjites 
et,  se  retournant  contre  les  troupes  fatemides,  y  jeta  le  désordre, 
suivi  bientôt  de  la  défaite.  Meïçour  reçut  la  mort  de  la  main  des 
Beni-Kemlane  qui  portèrent  sa  tête  au  chef  de  la  révolte.  Les  tentes 
et  les  étendards  obeïdites  tombèrent  aux  mains  des  Nekkariens.  La 
tête  de  Meïçour,  après  avoir  été  traînée  dans  les  rues  de  Kaïrouan, 
fut  envoyée  en  Mag'reb  avec  la  nouvelle  de  la  victoire. 

1.  Berbc-res,  t.  III,  p.  206. 

2.  Ibii-Hammad,  /oc.  cil. 


RÉVOLTE   DE   l"iIOMME  A   l'aNE  (914) 


343 


Abou-Yezid  s'installa  clans  le  camp  de  Meïçour,  et,  suivant  son 
plan  de  campagne,  au  lieu  de  profiter  de  la  terreur  répandue  par 
sa  dernière  victoire  pour  marcher  sur  El-Mehdïa,  il  lança  ses  guer- 
riers par  groupes  sur  les  provinces  de  Tlfrikiya.  Les  farouches 
sectaires  portèrent  alors  le  ravage  et  la  mort  dans  tout  le  pays, 
qu'ils  couvrirent  de  sang  et  de  ruines.  Parmi  les  plus  acharnés  à 
commettre  ces  excès,  se  distinguèrent  les  Beni-Kemlane.  L'autorité 
d'Abou-Yezid  s'étendit  au  loin.  Plusieurs  places  fortes  tombèrent 
en  son  pouvoir  et  notamment  Souça,  où  les  plus  épouvantables 
cruautés  furent  commises'. 

Ce  fut  sans  doute  vers  ce  moment  qu'Abou-Yezid  envoya  à 
l'oméïade  En-Nacer,  khalife  de  Cordoue,  une  ambassade  pour  lui 
offrir  son  hommage  de  fidélité.  Cette  démarche,  il  est  inutile  de  le 
dire,  fut  fort  bien  accueillie  par  la  cour  d'Espagne.  La  municipalité 
de  Kaïrouan  avait,  dit-on,  insisté,  pour  qu'il  la  fit.  Afin  de  lui 
plaire,  Abou-Yezid  avait  rétabli  dans  cette  ville  le  culte  ortho- 
doxe ^. 

L'Homme  à  l'âne,  sur  le  point  de  réussir,  agissait  déjà  en  souve- 
rain. Enivré  par  ses  succès,  il  ne  tarda  pas  à  rejeter  sa  robe  de 
mendiant  pour  se  vêtir  d'iiabillements  princiers  et  s'entourer  des 
attributs  de  la  royauté.  Il  allait  au  combat  monté  sur  un  cheval 
de  race.  Ce  n'était  plus  l'homme  à  l'àne.  Pendant  ce  temps,  El- 
Kaïm  occupait  ses  troupes  à  couvrir  sa  capitale  de  solides  retran- 
chements, car  il  s'attendait  tous  les  jours  à  voir  paraître  l'ennemi 
sous  ses  murs.  En  même  temps,  il  put  faire  passer  un  message  aux 
Ketamiens,  toujours  fidèles,  et  à  leurs  voisins  les  Sanhadja.  Cesder- 
niers  accueillirent  favoral^lement  sa  demande  de  secours.  Leur  chef 
Ziri-ben-Menad,  que  des  généalogistes  complaisants  rattachèrent 
à  la  filiation  du  prophète,  s'était,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  déclaré  l'ami  des 
Fatemides  ;  la  rivalité  de  sa  tribu  avec  celle  des  Zenètes-^Iag'raoua 
était  une  raison  de  plus  pour  combattre  la  révolte  des  Zenètes- 
Kharedjites.  Des  contingents  fournis  par  les  Ketama  et  les  San- 
hadja vinrent  harceler  les  derrières  de  l'armée  nekkarienne,  tandis 
que  des  forces  plus  considérables  se  concentraient  à  Constantine. 

Siège  d'El-Meiidïa  par  Abou-Yezid.  —  Après  être  resté  pendant 
70  jours  dans  une  inaction  inexplicable,  Abou-Yezid  vint  mettre 
le  siège  devant  El-Mehdïa.  Le  faubourg  de  Zouïla  tomba  en  sa 

1.  Ibu-Khaldouu,  Berbères,  l.  II,  p.  532,  t.  III,  p.  207.  El-Kaironani , 
p.  100. 

2.  Amaii,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  200  et  suiv.  Dozy,  Histoire 
des  Musulmans  d' Espagne,  t.  III,  p.  67. 


3i4 


HISTOIRE  DU  L  AKRIQLE 


possession,  à  la  suite  trune  série  de  combats  qui  durèrent  plusieurs 
jours,  et  il  s'avança  jusqu  à  la  Meçolla,  à  une  portée  de  ilèche  de 
la  ville  (janvier  945).  Ainsi  se  trouva  réalisée  une  prédiction 
attribuée  au  mehdi.  Abou-Yezid,  dans  son  ardeur,  avait  failli  se 
faire  prendre,  il  reconnut  que  la  ville  ne  pouvait  être  enlevée  par 
un  coup  de  main  et,  ayant  établi  un  vaste  camp  retranché  au- 
dessus  de  Zouïla,  au  lieu  dit  Fehas-Terennout,  il  entreprit  le  siège 
régulier  d"El-Mehdïa. 

Ce  fut  alors  que  les  Ketania  et  Sanhadja,  pour  opérer  une  diver- 
sion, sortirent  de  leur  camp  de  Constantine  et  vinrent  attaquer,  à 
revers,  larmée  kharedjite.  Mais,  Abou-Yezid  lança  contre  eux 
les  Ourfeddjouma,  pous  la  conduite  de  Ze^gou-el-Mezati,  et  ces 
troupes  parvinrent  à  les  repousser,  .\insi,  El-Kaïm  demeura 
abandonné  à  lui-même,  n'ayant  d  autre  espoir  de  salut  que  dans 
son  courage  et  sa  ténacité.  .Abou-Yezid  pressa  le  siège,  livrant  de 
nombreux  assauts  à  la  ville;  les  Fatemides,  de  leur  côté,  firent  de 
continuelles  sorties.  L'issue  de  ces  engagements  était  générale- 
ment indécise,  car  les  assiégeants,  en  raison  de  la  configuration  du 
terrain,  ne  pouvaient  mettre  en  ligne  toutes  leurs  forces  et  per- 
daient l'avantage  du  nombre.  L'Homme  à  l'âne  se  multipliait, 
conduisant  lui-même  ses  guerriers  au  combat  et  il  faillit  trouver 
la  mort  dans  une  de  ces  luttes,  où  l'acharnement  était  égal  de  part 
et  d'autre. 

Il  fallut  dès  lors  renoncer  à  enlever  la  place  de  vive  force  et  se 
contenter  de  maintenir  un  blocus  rigoureux.  Pour  employer  une 
partie  de  ses  troupes  et  se  procurer  des  approvisionnements,  .Abou- 
Yezid  les  envoyait  fourrager  dans  l'intérieur.  Bientôt  la  famine 
vint  ajouter  à  la  détresse  des  assiégés,  entassés  dans  El-Mehdïa,  et 
El-Ka'im  dut  se  décider  à  expulser  les  non-combattants  qui  étaient 
venus  s'y  réfugier  lors  de  l'approche  des  Kharedjitcs.  Ces  mal- 
heureux, femmes,  vieillards  et  enfants  furent  impitoyablement 
massacrés  par  les  Nekkariens,  qui  leur  ouvraient  le  ventre  pour 
chercher,  dans  leurs  entrailles,  les  bijoux  et  monnaies  qu'ils  sup- 
posaient avoir  été  avalés  par  les  fuyards  l.  Abou-Yezid  donnait 
lui-même  l'exemple  de  la  cruauté  :  tout  prisonnier  était  torturé. 
Les  Obé'idites,  de  leur  côté,  ne  faisaient  aucun  quartier. 

Le  siège  traînait  en  longueur;  les  Fatemides  avaient  trouvé  de 
nouvelles  ressources,  soit  dans  les  magasins  d'approvisionnement, 
soit  par  suite  d'un  ravitaillement  exécuté  par  Ziri-ben-Menad,  selon 
Ibn-Khaldoun ce  qui  semble  peu  probable,  à  moins  qu'il  n'ait 

1.  Ibu-Hammud,  Ibn-Klia!doiiu,  El-Kairouaiii  rapportent  ce  trait. 

2.  ncrbcres,  t.  II,  p.  56. 


Rli\OLTE   DE  L  IIOM.ME   A   l'aNE  (945) 


345 


été  opéré  par  mer.  Dans  les  premiers  jours,  des  rassemblements 
considérables  de  Berbères  arrivant  du  Djebel-Nefouça,  du  Zab, 
ou  même  du  Mag'reb,  venaient  sans  cesse  grossir  l'armée  des 
Nekkariens.  Mais  cette  armée,  par  sa  composition  hétérogène,  ne 
pouvait  subsister  qu'à  la  condition  d'agir  et  surtout  de  piller. 
L'inaction,  les  privations  ne  pouvaient  convenir  à  ces  montagnards 
accourus  à  la  curée.  L'Homme  à  l'âne  essayait  de  les  lancer  sur  les 
contrées  de  l'intérieur;  mais  à  une  grande  distance,  il  ne  restait 
plus  rien  ;  tout  avait  été  pillé.  Les  guerriers  nekkariens  commen- 
cèrent à  murmurer;  bientôt  des  bandes  entières  reprirent  le  chemin 
de  leur  pays  et,  une  l'ois  cette  impulsion  donnée,  l'immense  rassem- 
blement ne  tarda  pas  à  se  fondre.  Promptement,  Abou-Yezid 
n'eut  plus  autour  de  lui  que  les  contingents  des  Houara  de  l'Aourès 
et  des  Beni-Kemlane  et  quelques  Beni-II'rene.  El-Ka'im  profita  de 
l'afl'aiblissement  de  son  ennemi  pour  effectuer  une  sortie  énergique 
qui  rejeta  l'assiégeant  dans  son  camp.  En  même  temps,  des  émis- 
saires habiles  suscitèrent  le  mécontentement  parmi  les  derniers 
adhérents  d'Abou-Yezid,  en  faisant  ressortir  combien  son  luxe  et 
sa  conduite  déréglée  étaient  indignes  de  son  caractère. 

Levée  du  siège  d'El-Mehdia.  —  Incapable  de  résister  à  une  nou- 
velle sortie  et  ne  pouvant  même  plus  compter  sur  ses  derniers 
soldats,  Abou-Yezid  se  vit  forcé  de  lever  le  siège  au  plus  vite  et 
d'opérer  sa  retraite  sur  Kaïrouan,  en  abandonnant  son  camp  aux 
assiégés.  Selon  El-Kaïrouani,  trente  hommes  seulement  l'accom- 
pagnaient dans  sa  fuite'  (août  945). 

El-Mehdïa  se  trouva  ainsi  délivrée  au  moment  où  les  rigueurs 
du  blocus  l'avaient  réduite  à  la  dernière  extrémité.  Depuis  long- 
temps, les  vivres  étaient  épuisées  ;  on  avait  dû  manger  la  chair 
des  animaux  domestiques  et  même  celle  des  cadavres.  Les  assiégés 
trouvèrent  dans  le  camp  kharedjite  des  vivres  en  abondance  et  des 
approvisionnements  de  toute  sorte.  Aussitôt,  le  khalife  El-Kaïm- 
reprit  l'offensive.  Tunis,  Souça  et  autres  places  rentrèrent  en  sa  pos- 
session, car  la  retraite  des  Nekkariens  avait  été  le  signal  d'un  toile 
général  de  la  part  des  populations  victimes  de  leurs  excès. 

Quant  à  Abi)U-Yezid,  il  avait  été  reçu  avec  le  dernier  mépris 
par  les  habitants  de  Ka'irouan,  lorsqu'ils  avaient  vu  sa  faiblesse. 
L'Homme  à  l'âne,  en  éprouvant  la  rigueur  de  la  mauvaise  fortune, 
changea  complètement  de  genre  de  vie,  il  revint  à  la  simplicité  des 
premiers  jours  et  reprit  la  chemise  de  laine  et  le  bâton,  simple 
livrée  sous  laquelle  il  avait  obtenu  tous  ses  succès.  En  même 


1.  Page  102. 


346 


HISTOIRE   DE   I,  AFRIQUE 


temps,  des  ofTiciers  dévoués  lui  amenèrent  des  troupes  fidèles  qui 
occupaient  différents  postes.  Il  se  mit  à  leur  tête  et  porta  le  rava^^c 
et  la  désolation  dans  les  campa^jnes  environnantes. 

Sur  ces  entrefaites,  Ali-ben-Hamdoun,  fjouverneur  de  Mecila, 
ayant  réuni  un  corps  de  troupe,  opéra  sa  jonction  avec  les  contin- 
gents des  Ketama  et  Sanhadja  et  s'avança  à  marches  forcées  au 
secours  des  Fatemides.  Les  garnisons  de  Constantine  et  de  Sicca 
Veneria  (le  Kefl  se  joignirent  à  eux.  Mais  Aïoub,  fils  d"Abou-Ye- 
zid,  suivait  depuis  Badja  tous  leurs  mouvements,  et,  une  nuit,  il 
attaqua  à  l  improviste  Ibn-Hamdoun  dans  son  camp.  Les  confé- 
dérés, surpris  avant  d'avoir  pu  se  mettre  en  état  de  défense,  se 
trouvèrent  bientôt  on  déroule  et  les  Nekkariens  en  firent  un  grand 
carnage.  Ali-ben-IIamdoun,  lui-même,  tomba,  en  fuyant,  dans  un 
précipice  où  il  trouva  la  mort'.  Les  débris  de  l'armée,  sans  penser 
à  se  rallier,  rentrèrent  dans  leur  cantonnement. 

Tunis  était  tombée,  quelques  jours  auparavant,  au  pouvoir  de 
Hacen-ben-Ali,  général  d'El-Kaïm,  qui  avait  fait  un  grand  mas- 
sacre des  Kharedjites  et  de  leurs  partisans. 

Aussitôt  après  sa  victoire,  Aïoub  se  porta  sur  Tunis,  mais  le 
gouverneur  Hacen  étant  sorti  à  sa  rencontre,  plusieurs  engage- 
ments eurent  lieu  avec  des  chances  diverses.  A'ioub  finit  cependant 
par  écraser  les  forces  de  son  ennemi  et  le  couper  do  Tunis,  où  les 
Nekkariens  entrèrent  de  nouveau  en  vainqueurs.  Hacen,  qui  s'était 
réfugié  sous  la  protection  de  Constantine,  toujours  fidèle,  entre- 
prit de  là  plusieurs  expéditions  contre  les  tribus  de  l'Aourès. 

Kncouragé  par  ce  regain  de  succès,  Abou-Yezid  voulut  tenter 
un  grand  coup.  Dans  le  mois  de  janvier  Oiti,  il  alla,  à  la  tète  d'un 
rassemblement  considérable,  attaquer  Souça,  et,  pendant  plusieurs 
mois,  pressa  cette  place  avec  un  acharnement  qui  n'eut  d'égal  que 
la  résistance  des  assiégés. 

Mort  d'El-Kai.m.  Régne  d'Ismaïl-ei.-^Lxnsolr.  —  Sur  ces  entre- 
faites, un  dimanche,  le  18  mai  OiO,  le  khalife  Abou-l'Kacem-el- 
Kaïm  cessa  de  vivre  à  El-Mehdia.  Il  était  âgé  de  55  ans.  Avant  sa 
mort ,  il  désigna  comme  successeur  son  fils  Abou-Tahar-Ismaïl 
qui  devait  plus  tard  recevoir  le  surnom  d'El-Mansour  (le  victo- 
rieux .  Selon  El-Kaïrouani,  El-lvaïm  aurait,  un  mois  avant  sa 
mort,  abdiqué  en  faveur  de  son  iils-. 


1.  Histoire  des  Beni-Hamdoun  (Appendice  III  au  t.  Il  de  V Histoire  des 
Berbères,  p.  554.) 

2.  Page  103. 


Rli\'OLTE  DE   L  IIO.MMIC   A   i/a>E  (946) 


347 


Ismaïl,  le  nouveau  khalife  faleniide,  était  âf^é  de  32  ans.  C'était 
un  homme  courageux,  instruit  el  distingué. 

Il  s'élevait,  dit  Ibn-Hammad,  au-dessus  de  tous  les  princes  de 
la  famille  obéïdite  par  la  bravoure,  le  savoir  et  l'éloquence.  Dans 
les  circonstances  où  il  prenait  le  pouvoir,  il  lui  fallait  autant  de 
prudence  que  de  décision  ;  aussi,  pour  éviter  de  fournir  un  nou- 
veau sujet  de  perturbation,  coniniença-t-il  par  tenir  secrète  la 
mort  de  son  père.  Rien,  à  l'extérieur,  ne  laissa  supposer  le  chan- 
gement de  règne. 

Souça  était  alors  réduite  à  la  dernière  extrémité.  Le  premier 
acte  d'Ismaïl  fut  d'envoyer  une  Hotte  porter  des  provisions  et  un 
puissant  renfort  aux  assiégés.  Les  généraux  Rachik  et  Yakoub- 
bcn-Ishak,  qui  commandaient  cette  expédition,  abordèrent  heureu- 
sement et,  secondés  par  les  troupes  de  la  garnison,  vinrent  avec 
impétuosité  attaquer  le  camp  des  Nekkariens,  au  moment  où  ceux- 
ci  se  croyaient  sûrs  de  la  victoire.  Après  une  courte  lutte,  les 
kharedjites  furent  mis  en  déroute  et  leur  camp  demeura  aux  mains 
des  Fatemides.  Souça  était  sauvée. 

Abou-Yezid  chercha  un  refuge  à  Kaïrouan,  où  se  trouvaient  ses 
femmes  et  le  fidèle  Abou-Ammar.  Mais  les  habitants  de  la  ville, 
indisposés  contre  lui  à  cause  de  ses  cruautés,  et  voyant  son  étoile 
sur  le  point  d'être  éclipsée,  fermèrent  les  portes  à  son  approche  et 
refusèrent  de  le  recevoir.  Il  se  retira  à  Sebiba,  suivi  seulement  de 
quelques  partisans.  En  même  temps,  le  khalife  Isma'il,  après  avoir 
passé  par  Souça,  faisait  son  entrée  à  Kaïrouan  (tin  mai  Î)i6).  Il 
accorda  une  amnistie  générale  aux  habitants  de  cette  ville.  Les 
femmes  et  les  enfants  d'Abou-Yezid  furent  respectés,  et  le  prince 
lit  pourvoir  à  leurs  besoins. 

DÉi  AiTES  u'Aiî(ir-YEzm. —  Cependant,  l'Ibjmme  à  l'âne,  qui  avait 
obtenu  quelques  succès  sur  des  corps  isolés,  réunit  encore  une  ar- 
mée et  vint,  avec  confiance,  se  présenter  devant  Kaïrouan  ;  il  at- 
taqua même  le  camp  d'Ismaïl  qui  se  trouvait  en  dehors  de  la  ville. 
On  combattit  pendant  plusieurs  jours  avec  des  alternatives  di- 
verses; enfin  le  khalife,  ayant  reçu  des  renforts  et  pris  une  vigou- 
reuse offensive,  repoussa  les  kharedjites  dans  le  sud. 

Abou-Yezid  envoya  alors  des  corps  isolés  inquiéter  les  environs 
de  Kaïrouan  et  couper  la  route  de  cette  ville  à  1^1-Mehdïa  et  à 
Souça.  Le  chef  de  la  révolte  seml)iait  néanmoius  à  bout  de  forces  ; 
Ibrahim  crut  pouvoir  entrer  en  pourparlers  avec  lui  et  lui  offrir  de 
lui  rendre  ses  femmes  à  condition  qu'il  s'éloignerait  pour  toujours. 
L'Homme  à  l'âne  accepta  et  reçut  le  pardon  pour  lui  et  ses  par 
tisans. 


348 


HISTOIRE   Di;   I.  AFRIQLi; 


yi'dis  c  est  en  vain  que  le  prince  fatemide  avait  espéré  obtenir  la 
paix  en  traitant  le  rebelle  avec  cette  fîénérosité.  A  peine  Abou- 
Yezid  fut-il  rentré  en  possession  de  son  harem  qu  il  revint  attaquer 
les  F'atemides  plongés  dans  une  trompeuse  sécurité  (août  9i6i .  Le 
khalile  résolut  alors  d  en  finir  par  la  force  avec  ce  lâche  ennemi. 
Ayant  réuni  un  corps  nombreux  de  troupes  réf^ulières  et  d  auxi- 
liaires  Ketama  et  Berbères  et  de  l  est,  il  se  mit  à  leur  tête  et  vint 
attaquer  les  Ivharedjites  qui,  en  masses  tumultueuses,  se  prépa- 
raient à  renouveler  leurs  agressions.  Lorsqu  on  fut  en  présence, 
Ismaïl  disposa  sa  ligne  de  bataille  en  se  plaçant  au  centre  avec  les 
troupes  régulières  et  en  formant  son  aile  droite  avec  les  contin- 
gents de  rifrikiya  et  son  aile  gauche  avec  les  Ketama.  Il  attendit 
dans  cet  ordre  le  choc  de  ses  ennemis. 

Abou-Yezid  vint  attaquer  impétueusement  les  Berbères  de  l'aile 
droite  et,  les  ayant  mis  en  déroute,  se  heurta  contre  le  centre  qui 
l'attendit  de  pied  ferme  sans  se  laisser  entamer.  Après  avoir  laissé 
aux  Karedjites  le  temps  d'épuiser  leur  ardeur,  Ismaïl  charge  a  la 
tête  de  sa  réserve  et  force  1  ennemi  à  la  retraite.  Bientôt  les 
adhérents  d"AI)ou-Yezid  sont  en  déroute  :  ils  fuient  dans  tous  les 
sens  en  abandonnant  leur  camp  et  les  vainqueurs  en  font  le  plus 
grand  carnage.  Dix  mille  têtes  de  ces  partisans  furent,  dit-on. 
envoyées  à  Kaïrouan,  où  elles  servirent  d'amusement  à  la  lie  du 
peuple. 

Ce  fut  alors  qu'Ismaïl  traça  le  plan  de  la  ville  de  Sabra  à  un 
mille  au  sud-ouest  de  Kaïrouan.  Celte  place,  qui  devait  être  la 
capitale  de  l'empire  obéïdite,  reçut  le  nom  de  son  fondateur  : 
Mansouria  la  ville  de  Mansour  .  Après  sa  défaite.  Abou-Yezid  avait 
en  vain  essayé  de  se  jeter  dans  Sebiba.  De  là,  il  prit  la  route  de 
l'ouest  et  se  présenta  devant  Bar'aï;  cette  forteresse,  qu'il  n'avait  pu 
enlever  au  début  de  la  campagne,  lui  ferma  de  nouveau  ses  portes 
et  il  dut  en  commencer  le  siège. 

^lais  il  avait  affaire  à  un  ennemi  dont  les  qualités  militaires  se 
développaient  avec  les  diilîcultés  de  la  campagne.  Sans  lui  laisser 
aucun  répit,  Ismaïl  confia  le  commandement  de  Kaïrouan  à  l'es- 
clavon  Merah,  et,  se  mettant  à  la  tête  des  troupes,  alla  établir  son 
camp  à  Saguïet-Menis.  où  il  reçut  les  contingents  des  Ketama  et 
ceux  des  cavaliers  nomades  du  sud  et  de  l'est  (octobre  946). 

PiURsirri-:  d'.Ahiil-Yezid  v\i\  Ismaïl.  —  Alors  commença  cette 
chasse  mémorable  qui  devait  se  terminer  par  la  chute  de  l'agita- 
teur. Ismaïl  marcha  d'abord  sur  Bar'aï.  A  son  approche,  .\bou- 
Yezid  prit  la  fuite  à  travers  les  montagnes,  vers  l'ouest,  en  passant 
par  Bollezma  el  Xegaous  ;  il  pensait  pouvoir  résister  dans  la  place 


RÉVOLTE  HE   I, 'homme   A   l/.\>'E  (946) 


3 19 


forte  de  Tobnn,  mais  le  khalife  arriva  sur  ses  talons  et  il  fallut  fuir 
encore. 

Dans  cette  localité,  Djafer-ben-Hamdoun,  [gouverneur  de  IMe- 
cila  et  du  Zab,  vint  apporter  des  présents  à  son  souverain  et  lui 
présenter  ses  hommages.  Il  lui  amenait  aussi  un  jeune  chef  de 
partisans  qui  se  disait  le  Mehdi  et  qu'on  avait  fait  prisonnier  dans 
l'Aourès,  à  la  tête  d'une  bande.  J.c  khalife  ordonna  de  l  écorcher 
vif.  «  Ainsi  faisait-il  de  tous  ceux  qu'il  prenait  »,  dit  Ibn-Hammad, 
ce  qui  lui  valut  le  surnom  de  Vécorcheur.  D'autres  prisonniers 
eurent  les  mains  et  les  pieds  coupés. 

Ismaïl  reçut  également  de  iNIohammed,  fils  d'El-Kheir-ben- 
Khazer,  chef  des  Mag'raoua,  un  messafi^e  amical.  Ce  prince,  allié 
des  Oméïades  d"Es[)ag'ne,  avait,  au  profit  de  l'anarchie,  étendu  son 
autorité  jusqu'à  Tiharet  et  exerçait  sa  prépondérance  sur  tout  le 
Mag'reb  central.  Jusqu'alors  il  avait  soutenu  l'Homme  à  l'âne, 
mais  la  cause  de  l'agitateur  devenait  par  trop  mauvaise,  et  le  chef 
des  Mag'raoua  se  hâtait  de  l'abandonner  avant  qu'elle  fût  tout  à 
fait  perdue. 

Abou-Yezid,  ne  sachant  où  trouver  un  appui,  dépêcha  son  fils 
Aïoub  en  Espagne  pour  tâcher  d'obtenir  une  diversion  des 
Oméïades.  En  attendant  leur  secours,  il  se  jeta  dans  les  mon- 
tagnes de  Salât,  sur  les  confins  occidentaux  du  Hodna.  Ce  pays 
était  occupé  par  les  Beni-Bcrzal,  fraction  des  Demmer,  qui  pro- 
fessaient ses  doctrines.  Grâce  à  l'appui  de  ces  indigènes,  il  put 
atteindre  la  montagne  abrupte  de  Kiana'.  Mais  le  khalife  l'y 
poursuivit,  força  les  Beni-Berzal  à  la  soumission  et  mit  en  déroute 
les  adhérents  de  l'agitateur. 

Abou-Yezid,  qui  avait  gagné  le  désert,  y  resta  peu  de  temps  et 
reparut  dans  le  pays  des  B'omert,  au  sud  du  Hodna.  Ismaïl  vint 
l'y  relancer,  et  l'Homme  à  l'âne  chercha  en  vain  à  rentrer  dans  le 
pâté  montagneux  de  Salât.  Rejeté  vers  le  sud,  il  entraîna  à  sa 
poursuite  les  troupes  fatemides,  qui  reçurent,  des  mains  des  Ilouara 
de  Redir,  Abou-Ammar  l'aveugle  et  un  autre  partisan  qu'ils  avaient 
arrêtés*.  L'armée  du  khalife  éprouva  les  plus  grandes  privations 
dans  cette  marche,  tant  par  le  fait  des  intempéries  que  par  le 
manque  de  vivres,  et  elle  perdit  beaucoup  d'hommes  et  de  matériel. 

Ismaïl  pénétra  alors  dans  le  pays  des  Sanhadja,  où  il  fut  reçu 
par  Ziri-ben-Menad  avec  les  honneurs  dus  à  un  suzerain.  Pour 
reconnaître  sa  fidélité,  le  khalife  le  nomma  gouverneur  de  toute 

1.  Actuellement  le  Djebel-Mezita  «  ii  12  milles  de  Mecila  »,  dit  Ibu- 
Hammad. 

2.  Ce  fait,  avancé  par  Ibu-Hammad,  est  contredit  par  Ibn-Klialdouu. 


350 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQIE 


la  région,  au  nom  des  Fatemides,  et  lui  accorda  l'autoripation 
d  achever  la  ville  d'Achir,  dont  il  avait  commencé  la  construction 
dans  le  Djebel-el-Akhdar     pour  en  faire  sa  capitale. 

Après  être  arrivé  à  Hamza,  Ismaïl  tomba  malade  et  dut  séjour- 
ner quelque  temps  dans  le  pays  des  Sanhadja.  On  avait  complète- 
ment perdu  la  trace  d  Abou-Yezid,  lorsque  tout  à  coup  on  apprit 
qu  il  était  venu,  à  la  tête  d  un  rassemblement  de  Houara  et  de 
lieni-Kemlane,  mettre  le  sièp:e  devant  Mecila.  Ismaïl,  qui  se  dis- 
posait à  pousser  jusqu'à  Tiharet,  se  hâta  d'accourir  au  secours 
d'Ibu-Hamdoun  (fin  janvier  9 il).  Bientôt  Abou-Yezid  fut  délog^é 
de  ses  positions:  ayant  été  abandonné  par  ses  partisans,  las  de 
partaj^^er  sa  mauvaise  fortune,  il  n'eut  d'autre  ressource  que  de  se 
jeter  encore  dans  les  montagnes  de  Kiana. 

Culte  d'Abol-Yezid.  —  Après  s'être  ravitaillé  à  Mecila,  Isma'il, 
en  attendant  des  renforts,  alla  bloquer  la  montagne  où  s'était  ré- 
fugié son  ennemi.  Mais  celui-ci  recevait  des  vivres  de  Banlious  et 
autres  oasis  du  Zab,  et  ne  soulîrait  nullement  du  blocus.  Les 
contingents  des  tribus  alliées  étant  enfin  arrivés,  l'armée  fatemide 
attaqua  la  montagne;  le  combat  fut  rude;  mais  à  force  d'énergie, 
les  défilés  gardés  par  les  kharedjites  furent  tous  enlevés  et  les 
rebelles  se  dispersèrent  en  désordre. 

Abou-Yezid,  entraîné  dans  la  déroute,  reçut  un  coup  de  lance 
qui  le  jeta  en  bas  de  son  cheval.  Ceux  qui  le  poursuivaient,  et  en 
tête  desquels  étaient,  dit-on,  Ziri-ben-Menad,  se  précipitèrent  sur 
lui  pour  le  prendre  vivant  ;  mais  son  fils  Younès  et  ses  partisans 
accoururent  à  son  secours,  et  un  nouveau  combat  acharné  s'en- 
gagea sur  son  corps.  Les  Nekkariens  purent  enfin  emporter  leur 
chef  blessé.  Un  grand  nombre  de  kharedjites  avaient  été  tués. 
On  décapita  tous  les  cadavres,  ce  qui  valut  à  cette  bataille  le  nom 
de  journée  des  têtes'. 

L'Homme  à  l'àne  avait  pu  gagner  le  sommet  de  la  montagne  de 
Kiana  et  se  renfermer  dans  une  citadelle  établie  sur  un  piton  ap- 
pelé Tacfarhoucet  (l'arçon).  Isma'il  l'y  poursuivit,  mais  le  refuge 
du  rebelle  était  dans  une  position  tellement  escarpée  qu'il  dut  re- 
noncer à  l'enlever  sur-le-champ.  Il  planta  ses  tentes  au  lieu  dit 
En-Xador  (l'observatoire),  sur  un  des  contreforts  de  la  montagne, 
et  y  commença  le  Ramadan  le  vendredi  !26  mars  947.  Le  lende- 
main, il  ordonna  l'assaut,  mais  Abou-Yezid,  entouré  de  ses  fils 

1.  \o\r  Revue  africaine,  74. 

2.  Ibn-Hammad. 

3.  Selon  Ibn-Khaldoun,  Abou-Ammar  était  aussi  avec  lui. 


RÉVOLTE   m   I.'hOMMIÎ   A   I.'aNE  (947) 


351 


s'y  défendit  avec  le  courage  du  désespoir.  En  vain  les  assiéfieanls 
s'avancèrent,  en  traversant  des  ravins  escarpés  et  en  escaladant 
les  roches,  jusqu'au  pied  du  dernier  escarpement,  malgré  la  grêle 
de  pierres  et  de  projectiles  que  leur  lançaient  les  assiégés,  ils  ne 
purent  arriver  au  sommet,  et  la  nuit  les  surprit  avant  qu'ils  eussent 
achevé  d'assurer  leur  victoire.  Pendant  la  nuit,  Ibrahim  fit  incen- 
dier les  broussailles  qui  environnaient  le  fort,  afin  qu'elles  ne  pus- 
sent favoriser  la  fuite  de  son  ennemi.  Les  Houara,  dont  les  habi- 
tations avaient  été  brûlées  et  les  bestiaux  enlevés,  vinrent  le 
soir  même  faire  leur  soumission. 

Ismaïl  avait  pu  se  convaincre,  dans  ces  journées  de  luttes,  qu'il 
n'avait  pas  assez  de  troupes  pour  réduire  son  ennemi.  Il  demanda 
des  soldats  réguliers  à  Kaïrouan  et,  en  attendant  leur  arrivée, 
s'installa  à  son  camp  du  Nador.  «  Tant  que  je  n'aurai  pas  triomphé 
de  mon  ennemi,  disait-il  ',  mon  trône  sera  où  je  campe.  »  Le  khalife 
passa  ainsi  de  longs  mois,  pendant  lesquels  il  employa  les  troupes 
que  le  blocus  laissait  disponibles  à  pacifier  la  contrée. 

Enfin  les  renforts  arrivés  par  mer  parvinrent  au  camp  du  Nador 
et  l'on  donna  l'assaut.  Celte  fois,  la  forteresse  fut  enlevée.  Abou- 
Yezid,  ses  fils  et  quelques  serviteurs  dévoués,  s'étaient  réfugiés 
dans  une  sorte  de  réduit  où  ils  tenaient  encore.  Un  finit  par  y 
pénétrer,  mais  l'agitateur  n'y  était  plus;  il  était  sorti  par  un  pas- 
sage secret  et  fuyait  au  milieu  des  roches,  porté  par  trois  hommes, 
car  il  était  couvert  de  blessures.  Peut-être  aurait-il  échappé  en- 
core si  ceux  qui  le  portaient  ne  l'avaient  laissé  rouler  dans  un 
ravin  profond,  d'où  il  fut  impossible  de  le  retirer. 

Les  vainqueurs  finirent  par  le  trouver  à  demi-mort.  Ils  l'appor- 
tèrent au  khalife,  qui  l'accabla  de  reproches  sur  son  manque  de  foi 
et  sa  conduite  envers  lui;  néanmoins,  comme  il  le  réservait  pour 
son  triomphe,  il  fit  soigner  ses  blessures;  mais,  quelques  jours 
après,  l'Homme  à  l'âne  rendait  le  dernier  soupir  (août  917).  Son 
corps  fut  écorché  et  sa  peau  bourrée  de  paille  pour  être  rap- 
portée à  El-Mehdïa.  Sa  chair  et  les  têtes  de  ses  principaux 
adhérents  ayant  été  salées,  furent  expédiées  à  El-Mehdïa.  Du  haut 
de  la  chaire,  on  y  annonça  la  victoire  du  khalife,  et  les  preuves 
sanglantes  en  furent  livrées  à  la  populace. 

La  chute  d'Abou-Yezid  fut  le  dernier  coup  porté  aux  Nekka- 
riens.  A'ioub  et  Fadel,  fils  de  l'homme  à  l'âne,  qui  avaient  pu 
échapper,  tentèrent  de  rallier  les  débris  des  adhérents  de  leur 
père.  S'étant  associés  à  un  ambitieux  de  la  famille  d'Ibn-Ivhazer, 


1 .  Selon  Ibii-Hammad. 


352 


HISTOIRE   DE  I.'aFRIQCE 


nommé  Màbed,  ils  parvinrent  à  réunir  une  armée  et  allèrent  atta- 
quer Tobna  et  même  Biskra.  Mais  le  khalife  ayant  envoyé  contre 
eux  ses  généraux  Chala  et  Kaïcer,  soutenus  par  les  continijenfs 
des  Sanhadja  avec  Ziri-ben-Menad,  les  aj^ilateurs  furent  défaits 
et  durent  se  réfugier  dans  les  profondeurs  du  désert. 

Ainsi  se  termina  la  révolte  de  l'Homme  à  l'âne,  sous  les  coups 
de  laquelle  l'empire  fatemide  avait  failli  s'écrouler.  .Abou-Yezid, 
dont  on  ne  saurait  trop  admirer  la  ténacité,  l'indomptable  énergie 
et  même  les  talents  militaires,  se  laissa,  comme  beaucoup  d'autres, 
griser  par  le  succès.  Par  la  seule  faute  qu'il  commit,  en  ne  mar- 
chant pas  sur  El-Mehd'ia  après  la  prise  de  Ka'irouan,  il  perdit  à 
jamais  sa  cause.  Doit-on  le  regretter?  Nous  n'osons  alTirmer  que 
son  succès  aurait  été  bien  avantageux  pour  r.\frique 

1.  Nous  avons  suivi,  pour  tout  le  récit  de  la  révollc  d'Abou-Ye/Jd,  les 
auteurs  suivants  :  Ibn-Klialdoun,  Berbères,  t.  II,  p.  530-542,  t.  III, 
p.  201-213.  El-Bekri,  passiui.  Ibn-Hanimad,  passiin.  El-Kaïrouani,  p,  98 
et  suivantes.  Documents  sur  l'hérétique  Abou-Yczid,  par  Clierbonneau. 
Eevue  africaine,  u°  78,  et  collection  du  Journal  asiatique. 


CHAPITRE  XI 


FIN  DE  LA  DOMINATION  FATEMIDE 

947-973  ' 

Etal  (lu  Mag'reb  et  de  l'Espagne.  —  Expédition  d'EI-ilansoiir  à  Tiharet.  — 
Retour  d'El-Mansour  en  Ifrikiya.  —  Situation  de  la  Sicile;  victoires  de 
rOuali  Ilassan-bon-Ali  en  Ilalic.  —  Mort  d'El-Mansour,  avènement  d'El- 
Moëzz.  —  Les  deux  Mag'reb  reconnaisscnl  la  suprcniatie  omcïadc.  —  Les 
Mag'raoua  appellent  h  leur  aide  le  khalife  falemidc.  —  lluplurc  entre  les 
Oméïades  et  les  Fateinides.  —  Campagne  de  Djoulier  dans  le  Mag'reb;  il 
soumet  ce  pays  à  l'autorité  faleniide.  —  duerre  (ritalie  et  de  Sicile.  — 
Evénements  d'Espagne;  mort  d'Abd-er-Raliman-en-Nacer ;  son  (ils  El- 
llakeni  II  lui  succède.  —  Succès  des  Musulmans  en  Italie  et  en  Sicile.  — 
Progrès  de  l'inlluenrc  oméïade  en  Mag'reb.  —  Etat  de  l'Orient;  El-.Moczz 
prépare  son  expédition.  —  Conquête  de  l'Egypte  par  Djouher.  —  Ucvolles 
en  Afri<|ue;  Ziri-ben-Mcnad  écrase  les  Zenèles. —  Mortde  Ziri-ben-JIenad  ; 
succès  de  son  fds  Bologguine  dans  le  Mag'reb.  —  El-Moëzz  se  dispose  à 
([uitter  rifrikiya.  —  El-Moëzz  transporte  le  siège  de  la  dynastie  faleniide 
en  Egypte.  —  Appendice.  Chronologie  des  Falemides  d'Afrique. 

Etat  du  M.vg  reb  et  de  i. "Espagne. —  Il  n'avait  pas  l'allu  à  Ismaïl 
moins  de  deux  années  de  luttes  incessantes  pour  triompher  de  la 
terrible  révolte  de  l  llomme  à  l'âne.  C'était  un  f^rand  résultat, 
obtenu  grâce  à  l'éneri^ie  du  khalife,  et  le  surnom  d'Ed-Mansour 
qui  lui  l'ut  donné,  il  faut  le  reconnaître,  était  mérité.  Mais,  si  le 
principal  ennemi  était  abattu,  il  restait  bien  des  plaies  à  fermer. 
Pendant  celte  crise,  l'autorité  fatemide  avait  perdu  tout  son  pres- 
tige dans  l'ouest,  au  profit  des  Oméïades  d'Espaone.  Le  Mag'reb 
et  Akça,  en  entier,  leur  obéissait  déjà.  Les  lils  de  Ben-Abou-l'-.Alîa, 
nommés  El-Bouri,  Mcdien  et  Abou-cl-Monkad,  y  gouvernaient 
en  leur  nom.  Les  Edricides,  toujours  cantonnés  dans  le  pays  des 
R'omara  et  obéissant  à  leur  chef  Kennoun,  se  tenaient  seuls  éloi- 
gnés du  khalife  espagnol,  mais  en  se  gardant  bien  de  témoigner 
contre  lui  la  moindre  hostilité. 

Auprès  de  Tlemcen,  les  Beni-Ifrene  avaient  peu  à  peu  étendu 
leur  domination  sur  leurs  voisins;  ayant  pris  une  part  active  à  la 
révolte  d'Abou-Yezid,  ils  avaient  profité  de  la  période  de  succès 
de  cet  agitateur  pour  augmenter  leur  empire.  Le  khalife  En-Nacer, 
par  une  habile  politique,  avait  nommé  leur  chef,  Yala-ben-Moham- 
med,  gouverneur  du  Mag'reb  central.  Enfin,  à  Tiharet,  comman- 
dait Hamid-ben-Habbous  pour  les  Oméi'ades. 

T.  I.  23 


354  iiisToiRi:  DE  i.'afhiquk 

Eli  Espagne,  Abd-er-liahnian-en-Xacer  avait  obtenu,  dans  le 
nord,  de  non  moins  grands  succès,  en  profitant  de  la  discorde  qui 
paralysait  les  forces  des  chrétiens  ;  Gastille  et  Léon  étaient  en 
guerre.  Les  Castillans,  sous  le  commandement  de  Ferdinand 
Gonzalez,  surnommé  rexccllent  Comte,  avaient  cherché  à  s'af- 
franchir du  joug  un  peu  lourd  de  Ramirc  II,  prince  de  Léon  ; 
mais  la  fortune  avait  Iralii  Ferdinand  :  fait  prisonnier  par  son 
ennemi,  il  avait  été  tenu  dans  une  dure  captivité  et  n'avait  obtenu 
la  liberté  qu'en  renonçant  à  exercer  aucun  commandement.  Les 
Musulmans,  pendant  ces  luttes  fratricides,  avaient  reporté  leur 
frontière  jusqu'au  delà  de  Medina-Céli  '. 

ExpÉDiTif)N  i>'l"j.-M.\NS()LR  A  TiiiAHKT.  —  Le  khalife  Ismaïl  voulut 
profiter  de  son  séjour  dans  l'ouest  pour  tâcher  d'y  rétablir  son 
autorité.  Ayant  convoqué  ses  alliés  à  Souk-Hamza -,  il  fut  rejoint 
dans  cette  localité  par  Zin-jjen-Mcnad  avec  ses  Sanhadja.  Dans 
le  mois  de  septembre  9i7,  l'armée  s'ébranla  et  marcha  directement 
sur  Tiharet;  Ilàmid  prit  la  fuite  à  son  approche  et  gagna  Ténès, 
d'où  il  s'embarqua  pour  l'Espagne. 

Une  fois  maître  de  Tiharet,  le  sou\erain  fatemide  ne  jugea  pas 
à  propos  de  s'enfoncer  davantage  dans  l'ouest,  il  préféra  entrer  en 
pourparlers  avec  ^  ala,  le  puissant  chef  des  Beni-lfreii.  Afin  de  le 
détacher  de  la  cause  oméïade,  il  lui  offrit  de  le  reconnaître  comme 
son  représentant  dans  le  Mag'reb  central,  avec  la  suprématie  sur 
toutes  les  tribus  zenètes.  Yala  accueillit  ces  ouvertures  et  adressa 
à  El-Mansour  un  hommage  plus  ou  moins  sincère  de  soumission. 
Tranquille  de  ce  côté,  le  khalife  alla  châtier  les  tribus  louatiennes 
de  la  vallée  de  la  Mina,  lesquelles  étaient  infectées  de  khared- 
jisme.  Après  les  avoir  contraintes  à  la  soumission,  il  se  disposa  à 
rentrer  en  Ifrikiya;  mais,  auparavant,  il  renouvela  l'octroi  de  ses 
faveurs  à  Ziri-ben-Menad,  dont  le  secours  lui  avait  été  si  utile,  et 
lui  confirma  l'investiture  de  chef  des  tribus  sanhadjiennes  et  de 
tout  le  territoire  occupé  par  elles  jusqu'à  Tiharet.  Cette  vaste 
région  comprenait,  en  outre  des  villes  d'Achir  et  de  Hamza,  celles 
de  Lemdia  (Médéa),  Miliana,  et  enfin  une  bourgade  à  peine  connue 
auparavant,  mais  qui  avait  pris,  depuis  peu,  un  grand  développe- 
ment et  était  destinée  au  plus  brillant  avenir,  nous  avons  nommé 

1.  Do7.y,  Musiilniarts  d' /''spagiir,  t.  III,  p.  64  et  stiiv.  Kartas.  p.  417. 
Ibn-Klialdoun,  Berbères,  t.  I,  p.  270,  t.  II,  p.  148-569,  t.  III,  p.  213  cl 
suiv.  El  Bekri,  trad.,  art.  Idricidcs.  Ibn-Haramad,  loc.  cit.  El  Mar- 
racki,  éd.  Dozy,  p.  27  et  suiv. 

2.  Actuellement  Bouira,  au  N.-E.  d'Auinale. 


FIN   DE   LA   DOMINATION   FATEMIDE  (948) 


355 


Djeza'ir-hcni-Mezr'anna  (Alf;er).  Bologguinc,  fils  de  Ziri,  fut  in- 
vesti par  son  père  du  commandement  de  ces  trois  dernières 
places  '. 

Retour  d'El-Mansouiî  en  Ifrikiva.  —  Avant  de  reprendre  le 
chemin  de  l'est,  le  khalife  adressa  en  Ifrikiva  des  lettres  par  les- 
quelles il  annonçait  la  mort  de  son  père  et  son  avènement  sous  le 
titre  à' El-M;in^our-l)i-Amcr-AUnh  (le  vainqueur  par  Tordre  de 
Dieu).  Le  18  janvier  918,  il  faisait  son  entrée  triomphale  à 
Kaïrouan,  précédé  par  un  chameau  sur  lequel  était  placé  le  man- 
nequin d  Ahou-Yczid,  soutenu  par  un  homme.  De  chaque  côté, 
deux  siuf^es,  qui  avaient  été  dressés  à  cet  office,  lui  donnaient  des 
soulllets  et  le  tiraient  par  la  barbe-.  Les  plus  j^rands  honneurs 
furent  prodij;ués  au  souverain  victorieux. 

Peu  de  temps  après,  on  reçut  la  nouvelle  que  Ividel,  fils  d  Abou- 
Yezid,  était  sorti  du  Sahara  à  la  tête  d'une  bande  de  pillards,  qu'il 
ravageait  l'Aourès  et  était  venu  mettre  le  sièj^'-e  devant  Bar'aï. 
^lais  bientôt  il  fut  mis  à  mort  par  un  chef  zenatien,  qui  envoya  sa 
tête  au  kalife.  Celui-ci  fit  expédier  en  Sicile  la  peau  d'Abou-Yezid 
et  la  tête  de  son  fils,  mais  le  vaisseau  qui  portait  ces  tristes  restes 
fil  naufrage  et  tout  le  monde  périt.  Seul  le  mannequin  de  l'Homme 
à  l'âne  fut  rejeté  sur  le  rivage;  on  l'attacha  à  une  potence,  où  il 
resta  jusqu'à  ce  qu'il  eût  été  mis  en  lambeaux  par  les  éléments. 
Aioub,  l'autre  fils  de  l'apôtre  nekkarien,  fut  également  assassiné 
par  un  chef  zenète,  et  ainsi  la  famille  de  l'agitateur  se  trouva  en- 
tièrement détruite;  ses  cendres  mêmes  furent  dispersées. 

Situation  de  la  Sicile;  ^•ICTOIRl:s  de  l'Oi  ali  ILvssan-el-Kelri  en 
Italie.  —  Pendant  les  années  d'anarchie  qui  avaient  été  la  consé- 
quence de  la  révolte  d'Abou-Yezid,  la  Sicile  était  demeurée  aban- 
donnée aux  aventuriers  berbères  amenés  par  Khalil.  Personne  n'y 
exerçait  effectivement  l'autorité,  et  les  chrétiens  en  avaient  pro- 
filé pour  cesser  de  payer  le  tribut.  Ceux-ci  tenaient,  en  réalité,  la 
partie  méridionale  de  l'île,  mais  ils  étaient  misérables  et  vivaient 
dans  un  état  de  luttes  permanentes,  incertains  du  lendemain. 
Beaucoup  de  villes,  tributaires  des  Musulmans, .  avaient  rompu 
tout  lien  avec  l'empire.  A  Palerme,  la  famille  des  Beni-Tabari, 
d'origine  persane,  avait  usurpé  peu  à  peu  l'autorité. 

Un  des  premiers  soins  d'El-Mansour  fut  de  placer  à  la  tête  de 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  6. 

2.  Ibn-Hammad,  loc.  cit. 


356 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQUE 


l'île  un  do  ses  plus  fidèles  soutiens,  dont  la  famille  s'était  distin- 
guée en  Mag'reb  et  en  Espaj^ne,  l'arabe  kelbite  Hassan-ben-Ali. 
Il  lui  conféra  le  titre  d'Ouali  igouverneur),  qui  devint  ensuite  hé- 
réditaire dans  sa  famille  (9i8).  Hassan  trouva  Païenne  en  état  de 
révolte,  mais  il  parvint  à  y  pénétrer  par  ruse,  et,  s'élanl  saisi  des 
Tabari,  les  fit  mettre  à  mort. 

Hassan  entreprit  alors  de  châtier  les  chrétiens  qui  avaient  secoué 
le  joun;.  Sur  ces  entrefaites,  Constantin  Porphyroj^énète,  qui  occu- 
pait le  trône  de  l'empire,  las  de  payer  un  tribut  aux  Musulmans, 
envoya  des  troupes  en  Calabre  pour  reconquérir  l'indépendance. 
Hassan,  de  son  côté,  ayant  reçu  des  renforts  d'El-Mansour,  alla 
attaquer  Reggio  avec  une  armée  nombreuse  ['.).'30i,  puis  mettre  le 
siège  devant  Gerace.  Les  Grecs  étant  arrivés,  l'ouali  les  battit  et 
les  força  de  se  réfugier  à  Otrante  et  à  Bari;  puis  il  rentra  à  Pa- 
ïenne. Deux  ans  plus  tard,  Hassan  passa  de  nouveau  en  Italie,  où 
des  troupes  nombreuses  avaient  été  amenées,  et  y  remporta  de 
grandes  victoires.  Les  tètes  des  vaincus  furent  expédiées  dans  les 
villes  de  Sicile  et  d'Afrique  (mai  83'2  . 

Dans  l'été  do  la  même  année,  l'ouali  de  Sicile  signa  avec  l'en- 
voyé de  l'empereur  une  trêve  reconnaissant  aux  Musulmans  le 
droit  de  percevoir  le  tribut.  Hassan  établit  une  mosquée  à 
Reggio'. 

Mort  d'Ei.-M.vnsoi  r.  .\vl;ne.ment  d'El-Moezz.  —  Le  khalife  avait 
transporté  sa  demeure  à  Sabra,  vaste  château  situé  près  de  Ka'i- 
rouan,  qu'on  appelait  El-Mansouria,  du  nom  de  son  fondateur. 
De  là,  il  dirigeait  la  guerre  d'Italie  et  suivait  les  événements  de 
Mag  reb,  où  l'influence  fatemide  avait  entièrement  cessé  pour  faire 
place  à  la  suprématie  oméïade. 

Au  commencement  de  l'année  953,  El-Mansour  tomba  malade, 
à  la  suite  d'une  partie  de  plaisir  où  il  avait  pris  un  refroidisse- 
ment. Dans  le  mois  de  mars  -,  il  rendait  le  dernier  soupir.  Il 
n'était  âgé  que  de  trente-neuf  ans,  sur  lesquels  il  en  avait  régné 
sept. 

Son  fils  Maâd  [.\bou-Teiniin) ,  qui  avait  été  désigné  par  lui 
comme  héritier  présomptif  parmi  ses  dix  enfants,  lui  succéda  et 
prit  le  nom  d'El-Moëzz  li  dine  Allah  (celui  qui  exalte  la  religion 
de  Dieu).  C'était  un  jeune  homme  de  vingt-deux  ans,  doué  d'un 

1.  Amai  i,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  203-248.  Ibu-Klialdoun,  t.  II, 
p.  540-541. 

2.  Le  27  jauvier,  selon  Ibu-Klialdoun,  en  désaccord  sur  ce  point  avec 
tous  les  autres  auteurs. 


FIN  DE   LA   DOMINATION   FATEMIDE  (953) 


357 


esprit  mûr  et  ferme.  Le  "25  avril,  il  reçut  le  serment  de  ses  ofTi- 
ciers,  et  s  appliqua  immédiatement  à  la  direction  des  affaires  de 
l'état.  Il  alla  ensuite  faire  une  tournée  dans  ses  provinces,  afin 
de  s'assurer  de  la  fidélité  de  ses  gouverneurs  et  de  l'état  de  défense 
des  frontières  '. 

Les  deux  ALxg  reb  reconnaissent  la  suprématie  oméiade.  —  De 
graves  événements  s'étaient  accomplis  en  Mag'reb,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit. 

Le  chef  de  la  famille  cdricide,  Kacem-Kennoun,  étant  mort  en 
949,  avait  été  remplacé  par  son  fils  Abou-rAïch-Ahmed,  sur- 
nommé El-F;'idel  (l'homme  de  mérite).  Ce  prince,  qui  entretenait 
des  relations  avec  la  cour  oméïade,  s'empressa  de  faire  hommage  de 
vassalité  à  En-Nacer  et  de  rompre  avec  les  fatemides.  Les  autres 
branches  de  la  famille  cdricide  envoyèrent  également  des  dépu- 
tations  au  souverain  de  l'Espagne  musulmane,  et  ainsi  toute  la 
région  septentrionale  du  Mag'reb  extrême  se  trouva  placée  sous  sa 
suzeraineté.  Mais  il  ne  suffisait  pas  à  En-Nacer  que  l'on  y  prononçât 
la  prière  en  son  nom  ;  il  lui  fallait  des  gages  plus  sérieux  et  il  de- 
manda bientôt  à  l'imprudent  El-Fâdel  de  lui  céder  les  places  de 
Tanger  et  de  Ceuta-. 

Dans  le  Mag'reb  central,  Yâla-ben-Mohammed,  chef  des  Beni- 
Ifrene,  et  Mohammed-ben-Khazer,  émir  des  Mag'raoua,  avaient 
été  complètement  détachés,  par  les  agents  d'En-Nacer,  de  la 
cause  fatemide,  et  avaient  reçu  l'investiture  du  gouvernement 
oméïade.  Ils  s'étaient  alors  partagé  le  pays  :  Ibn-Khazcr  avait  eu 
pour  son  lot  la  région  orientale  ;  il  était  venu  s'installer  à  Tiharet, 
et,  sur  celte  frontière,  s'était  rencontré  avec  les  Sanhadja,  enne- 
mis héréditaires  des  Mag'raoua.  Aussi,  les  luttes  n'avaient  pas 
tardé  à  recommencer  entre  ces  deux  tribus.  Quant  à  Yâla,  il  avait 
conservé  la  région  de  l'ouest  et  étendu  sa  suprématie  sur  les  po- 
pulations du  nord  jusqu'à  Oran  ;  pour  se  créer  un  refuge  et  un 
point  d'appui,  il  se  construisit,  dans  les  hauts  plateaux,  à  une 
journée  à  l'ouest  de  Maskara,  une  capitale  qui  reçut  le  nom  d'If- 
gane  ;  les  villes  environnantes  en  fournirent  les  premiers  habi- 
tants ^ 

Ainsi,  les  deux  Mag'i'eb  reconnaissaient  la  suprématie  oméïade. 
Fès,  même,  avait  reçu  un  gouverneur  envoyé  au  nom  du  khalife. 

1.  Ibu-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  142. 

2.  Kartas,  p.  117,  118.  Ibu-Klialdoun,  t.  II,  p.  147,  569.  El-Bekri, 
Idricidcs. 

3.  Ibn-Klialdouii,  Berbères,  t.  II,  p.  148,  t.  III,  p.  213,  t.  I"V,  p.  2. 
El-Bekri,  passim. 


358 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQL'E 


Seule,  l  oasis  de  Sidjilmassa,  où  réj^nail  un  descendant  de  la  fa- 
mille miknacienne  des  Beni-Ouaçoul,  nommé  Mohammed-ben-el- 
Fetah,  refusa  de  suivre  l'exemple  du  reste  du  pays.  Ce  prince 
répudia  même  les  doctrines  kharedjites  et  se  déclara  indépendant 
en  prenant  le  nom  A' Ech-Chaker-V lUah  (le  reconnaissant  envers 
Dieu)'. 

La  «Jurande  tribu  des  Miknaça,  qui  avait  toujours  à  sa  tête  des 
descendants  de  Ben-Abou-l'Afia,  était  restée  fidèle  à  la  cause 
oméïade,  malgré  les  revers  qu'elle  avait  éprouvés. 

Les  Mag'haola  aitellent  a  leur  aide  ee  khalife  iatemide.  — 
Nous  avons  vu  qu'En-Nacer  avait  réclamé  aux  Edricides  la 
possession  de  Tanj^er  et  de  Ceuta,  les  clefs  du  détroit.  Ayant  es- 
suyé un  refus,  il  profita  des  dissensions  survenues  parmi  les 
membres  de  cette  famille  pour  intervenir  en  Maj^  reb.  Un  corps 
d'armée  envoyé  dans  le  Rif,  sous  le  commandement  de  cet  Homéid 
qui  avait  été  précédemment  expulsé  de  Tiharet  par  les  P'atemides, 
remporta  de  {grandes  victoires,  s'empara  de  Tanifer  et  força  El- 
Fàdel  à  la  soumission  (951).  Chassé  de  Hadjar-en-Xecer,  il  ne 
resta  à  celui-ci  que  la  ville  d'Azila  sur  le  littoral. 

Ilomc'id  reçut  ensuite  le  commandement  de  Tlemcen  et  le  khalife 
ome'iade  envoya  à  Yàla,  chef  des  Beni-Ifrene,  de  nouveaux  lémoi- 
j^nages  de  son  amitié.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  exciter  la 
jalousie  d  IIjn-Kha/.cr,  auquel  le  •;ouvernement  Iatemide  venait 
de  donner  un  paj^e  en  faisant  mettre  à  mort  ce  Mâbed  qui  avait 
soutenu  autrefois  les  fils  d'Abou-Vezid,  et  qui  visait  ouvertement 
à  l'usurpalion  de  l'autorité  sur  les  Maj;"raoua.  Bientôt  Yala  poussa 
l'audace  jusqu'à  venir  enlever  Tiharet  aux  Maj^'raoua,  puis  Oran,  à 
Ben-.Abou-Aoun.  Mohammed-ben-Khazer,  rompant  alors  d'une 
manière  définitive  avec  les  Oméïades,  alla,  de  sa  personne,  en  Ifri- 
kiva  porter  ses  doléances.  Le  khalife  El-Moëzz  le  reçut  avec  les 
plus  farauds  honneurs,  accepta  son  hommaLje  de  vassalité  et  se  fit 
donner  par  lui  les  renseignement  les  plus  précis  sur  l'état  du 
Mag'reb  (95  i). 

Dans  le  cours  de  la  même  année,  El-Moëzz  appela  à  Kaïrouan 
le  chef  des  Sanhadja,  et  renouvela  avec  lui  les  traités  d'alliance 
cjui  le  liaient  à  son  père.  De  grandes  réjouissances  furent  données 
en  l'honneur  de  ce  chef  qui  rentra,  comblé  de  présents,  dans  son 
pays,  avec  l'ordre  de  se  tenir  prêt  à  accompagner  et  soutenir  les 
troupes  qui  seraient  envoyées  dans  le  Mag'reb. 

1.  lbn-Ivli;ildoun,  Bcrbtres,  t.  I,  p.  264. 


FIN   DE   LA   DOMINATION   KATEMIDIÎ  (958) 


359 


RUPTL'RIÎ    ENTRE   LES  OmÉIADES  ET  LES   FaTEMIDES.    Eli    955,  le 

khalife  oméïade,  ayant  conclu  une  trêve  avec  Ordono  III,  fils  et 
successeur  de  Ramire,  et  une  autre  avec  Gonzalez,  pour  la  Castille, 
se  décida  à  intervenir  plus  activement  en  Afrique  et  commença 
les  hostilités  contre  la  dynastie  fatemide,  en  faisant,  sans  aucun 
autre  préambule,  saisir  un  courrier  allant  de  Sicile  en  Ifrikiya. 
Comme  reprc'sailles,  VA-Moih./.  donna  à  El-Hacen-le-Kelbi,  gou- 
verneur de  Sicile,  Tordre  de  tenter,  avec  la  flotte,  une  descente  en 
Espagne.  Ce  chef,  ayant  pu  aborder  auprès  d'Alméria,  porta  le 
ravage  dans  la  contrée  et  rentra  chargé  de  butin. 

Pour  tirer,  à  son  tour,  vengeance  de  cet  allVont,  En-Nacer  lança, 
peu  après,  sa  flotte,  commandée  par  son  alfranchi  R'aleb,  contre 
rifrikya.  Mais,  des  mauvais  temps  et  l  inhospitalité  des  côtes  afri- 
caines ne  lui  ayant  pas  permis  de  débarquer,  il  dut  rentrer  dans  les 
ports  d'Espagne.  L'année  suivante,  il  revint  avec  une  flotte  de 
soixante-dix  navires,  opéra  son  débarquement  à  Merça-El-Kharez 
(La  Calle),  et,  de  ce  point,  alla  ravager  le  pays  jusqu'aux  environs 
de  Tabarka.  Cela  fait,  il  rentra  en  Espagne. 

Mais  ces  escarmouches  n'étaient  que  des  préludes  d'actions  plus 
sérieuses.  Le  khalife  En-Nacer  voulait  attaquer  l'empire  fatemide 
au  cœur  de  sa  puissance  et  préparait  une  grande  expédition,  lors- 
qu'il apprit  la  mort  d'Ordoiio  III  (957)  et  son  remplacement  par 
son  frère  Sancho,  dont  le  premier  acte  avait  été  la  rupture  du  traité 
conclu  avec  les  Oméiades.  Forcé  de  voler  au  secours  de  la  frontière 
septentrionale,  En-Nacer  dut  ajourner  ses  projets  sur  l'Afrique'. 

Campagne  de  Djoimieu  dans  le  Mag'reb  ;  il  soumet  ce  pays  a  l'au- 
torité FATEMIDE.  —  El-Moëzz  jugca  aloi's  Ic  moment  opportun  pour 
réaliser  l'expédition  en  Mag'reb  qu'il  méditait  depuis  longtemps. 
Ayant  donc  réuni  une  armée  imposante,  il  en  confia  le  comman- 
dement à  son  secrétaire  (kateh),  l'afl'ranchi  chrétien  Djouher  dont 
la  renommée,  comme  général,  n'était  pas  à  faire.  En  958,  Djouher 
partit  à  la  tète  des  troupes.  Parvenu  à  Mecila,  il  y  prit  un  contin- 
gent commandé  par  Djâfer,  fils  de  Ali-ben-IIamdoun,  et  fut  rejoint 
par  Ziri-ben-Menad,  amenant  ses  guerriers.  Mohammed-bcn- 
Khazer  se  joignit  également  à  la  colonne,  avec  quelques  Mag'raoua. 

C'est  à  la  tête  de  ces  forces  considérables  que  Djouher  pénétra 
dans  le  Mag'reb.  Yàla  s'avança  à  sa  rencontre  avec  les  Beni-Ifrcne 
et  il  est  possible,  comme  le  dit  Ibn-Khaldoun,  que  les  deux  chefs 
entrèrent  en  pourparlers  et  qu'Ibn-Khazer  essaya  encore  de  se 

1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III,  p.  73  et  suiv.  Amari,  Musul- 
mans de  Sicile,  t.  II,  p.  249.  Ibii-Klialdoun,  t.  Il,  p.  542. 


360 


HISTOIRE  DE  L  AFRIQUE 


sauver  par  une  souinis?;ioii  plus  ou  moins  sincère.  Selon  la  version 
du  Kartas,  il  y  eut  de  san;:jlants  combats  livrés  auprès  de  Tiharet. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Vàla  fut  tué  par  les  Ketama  et  Sanhadja,  qui 
voulaient  f^ai,'ner  la  prime  promise  par  le  général  fatemide.  Sa  tête 
fut  expédiée  au  khalife  en  Ifrikiya. 

Djoulier  s  attacha  ensuite  à  poursuivre  les  Beni-Ifrene  ;  il  écrasa 
leur  puissance  et  dévasta  Ifgane  leur  capitale.  De  là,  il  marcha  sur 
Fés  où  commandait  Ahmed-hen-Beker  el-Djodami ,  pour  les 
Ûméïades.  11  dut  entreprendre  le  sièj;e  de  cette  ville  qui  était  bien 
fortifiée  et  pourvue  d  un  f;rand  nombre  de  défenseurs.  Après  quel- 
ques elforts,  voyant  que  les  assiéj^és  tenaient  avec  avantaj^e,  il 
se  décida  à  décamper  et  à  marcher  sur  Sidjilmassa,  où  le  prince 
Mohammed-Chaker-l'-lllah  s'était  déclaré  indépendant,  sous  la 
suprématie  abasside  et  avait  frappé  des  monnaies  à  son  nom.  Ce 
roitelet  lui  ayant  été  livré,  Djouher  le  chargea  de  chanies  ;  puis, 
après  avoir  rétabli  dans  ces  contrées  lointaines  l'autorité  fate- 
mide, il  conduisit  son  armée  vers  l'ouest  et  s'avança  jusqu'à 
l'Océan,  en  soumettant  sur  son  passage  les  populations  sahariennes. 
On  dit  que,  des  bords  de  l'Océan,  il  envoya  à  son  maître  des 
plantes  marines  et  des  poissons  de  mer  dans  des  urnes. 

De  là,  Djouher  revint  devant  P'ès  et,  à  force  de  persévérance  et 
de  courage,  réussit  à  enlever  d'assaut  celte  ville,  où  Ziri-ben-Me- 
nad  pénétra  un  des  premiers  par  la  brèche.  Ahmed-ben-Beker  fut 
fait  prisonnier  et  la  ville  livrée  au  pillage.  Après  y  avoir  passé 
quelques  jours,  Djouher  y  laissa  un  gouverneur,  et  partit  pour  le 
liif  afin  de  soumettre  les  Kdrisides.  Abou-l'Aïch-el-Fadel  était 
mort  et  c'était  El-IIassan-ben-Kennoun  qui  l'avait  remplacé. 
Pour  conjurer  le  danger,  ce  prince  se  réfugia  dans  le  château  de 
,  Iladjar-en-Xecer  et,  de  là,  envoya  sa  soumission  au  général  fate- 
mide, en  protestant  que  l'alliance  de  sa  famille  avec  les  Omé'iades 
avait  été  une  nécessité  de  circonstance.  Djouher  accepta  cette 
soumission  et  confirma  Hassan  dans  son  commandement  du  lîif  et 
du  pavs  des  R  omara,  en  lui  assignant  comme  capitale  la  ville  de 
Basra. 

Après  avoir  soumis  toute  cette  partie  du  Mag  reb  et  expulsé,  ou 
réduit  au  silence,  les  partisans  des  Oméïades,  Djouher  laissa,  comme 
représentant  de  son  maître  dans  cette  région,  les  alTranchis  Kaïcer 
et  Modaffer,  puis  il  reprit  la  route  de  l'est.  En  passant  à  Tiharet, 
il  donna  cette  ville  comme  limite  de  ses  états  à  Ziri-ben-Menad,  en 
récompense  de  sa  fidélité. 

A  son  arrivée  à  Ka'irouan,  le  général  fatemide  fit  une  entrée 
triomphale  et  reçut  les  plus  grands  honneurs.  11  traînait  à  sa  suite, 
enfermés  dans  des  cages  de  fer,  Mohammed-ben-Ouaçoul,  le  sou- 


FIN   DE  LA   DOMINATION  FATEMIDE  (959) 


361 


vcrain  détrôné  Sidjilniassa  et  Ahmed-beii-Beker,  l'ancien  gouver- 
neur de  Fcs  (959)  '. 

Guerre  d'Italiiî  et  de  Sicile.  —  Pendant  c[ue  l'autorité  fatcmide 
obtenait  en  May  rcb  ces  succès  inespérés,  la  guerre  avait  recom- 
mencé en  Italie  entre  les  Byzantins  et  les  Arabes.  L'empereur 
Constantin  avant  romjiu  la  trêve  en  95t),  avait  envoyé,  contre  les 
Musulmans  d'Italie,  des  troupes  tliraces  et  macédoniennes.  Le 
patrice  Argirius  était  alors  venu  mettre  le  siège  devant  Naples, 
pour  punir  celte  ville  de  son  alliance  avec  les  inlidèles.  Ammar, 
i'rère  de  Hassan,  opéra  une  diversion  en  Calabre. 

Mais,  l'année  suivante,  Reggio  est  surpris  par  un  capitaine 
byzantin  nommé  Basile,  la  colonie  anéantie  et  la  mosquée  détruite. 
De  là,  Basile  va  attaquer  Mazara  en  Sicile  et  défait  Hassan  qui 
était  accouru  avec  ses  troupes,  puis  il  se  retire. 

lin  95S,  Hassan,  ayant  rejoint  Ammar  en  Calabre,  alla,  avec 
toutes  ses  forces  navales,  attaquer  à  Otrante  la  Hotte  byzantine. 
Un  coup  de  vent  favorisa  la  fuite  des  navires  impériaux  et  poussa 
ceux  des  Musulmans  sur  les  côtes  de  Sicile,  oii  plusieurs  firent 
naufrage.  En  9()0,  une  trêve  fut  conclue  avec  l'empire  et  dura 
jusqu'à  l'élévation  de  Nicéphore  Phocas-. 

E\  ÉNEMENTS    d"1']s1'AGNE.    MoRT    d  AiîD-EU-RaIIMAN  III    (EN  NaCEr)  . 

Son  fils  El-IIake.m  II  lui  succède.  ■ —  En  Espagne  le  roi  Sancho 
avait  été  détrôné  et  remplacé  par  Ordono  l\\  qui  devait  être  sur- 
nommé le  Mauvais  (958).  La  grand'mère  de  Sancbo,  Tota,  reine 
de  Navarre,  se  rendit  elle-même  à  Cordoue,  pour  déterminer  le 
khalife  omé'iade  à  rétablir  son  (ils  sur  le  trône.  lùi-Nacer  accepta, 
à  la  condition  que  dix  forteresses  lui  fussent  livrées,  et  bientôt 
l'armée  musulmane  marcha  contre  le  royaume  de  Léon.  Au  mois 
d'avril  859,  Sancho  était  maître  de  la  plus  grande  partie  de  son 
royaume;  l'année  suivante,  le  comte  Ferdinand  tombait  aux  mains 
des  Navarrais  ;  la  révolte  était  vaincue  et  Ordono  I\'  cherchait  un 
refuge  à  Burgos. 

Les  a\'antages  ol^tenus  dans  le  nord  étaient  pour  le  kiialife  une 
bien  faible  compensation  de  ses  perles  en  Africpie.  Il  avait  vu  en 
quelques  mois  disparaître  les  résultais  de  longues  années  d'efTorts 
persévérants.  Dominé  par  le  chagrin  qu'il  en  ressentit,  all'aibli 

1.  Ibn-Klialdouii,  Bcrijcrcx,  t.  I,  p.  265,  t.  II,  p.  8,  543,  555,  t.  III, 
p.  2l!o  et  siiiv.  Le  K;irt;\s,  p.  121,  122.  El-Bckri,  pnssim.  Ei-K;iirou;uii, 
p.  106,  107. 

2.  Amari,  Musiiliitaits  de  Sicile,  t.  II,  p.  250  cl  suiv. 


362 


iiisToinn:  di:  i.'afrique 


par  l'âge,  Abd-er-Raliman-en-\acer  tomba  malade  et  rendit  le 
dernier  soupir  le  16  octobre  9fil,  à  1  âge  de  soixante-dix  ans.  Ce 
prince  avait  régné  pendant  quarante-neuf  ans  et,  sauf  en  Mag  reb, 
la  fortune  lui  avait  presque  toujours  été  favorable.  Après  avoir 
pris  un  pouvoir  disputé,  un  royaume  réduit  presque  à  rien,  il 
laissait  l'empire  musulman  d'Espagne  dans  l'état  le  plus  florissant, 
le  trésor  rempli,  les  fronlièros  respectées.  Cordoue,  sa  brillante 
capitale,  avait  alors  un  demi-million  d'habitants,  trois  mille  mos- 
quées, de  superbes  palais,  cent  treize  mille  maisons,  trois  cents 
maisons  de  bain,  vingt-huit  faubourgs'  ». 

El-Hakem  II,  fils  d'.\bd-er-Rahman,  lui  succéda.  Aussitôt,  le  roi 
de  Léon,  qui  était  humilié  de  la  protection  des  Musulmans,  com- 
mença à  relever  la  téle  et  il  fut  facile  de  prévoir  que  la  paix  ne 
serait  plus  de  longue  durée'. 

Succiis  DES  Mlsl'lmans  ex  Sicile  et  en  Italie.  —  l^n  Sicile,  le 
gouverneur  kelbite  avait  entrepris  d'arracher  aux  chrétiens  les 
places  qu'ils  tenaient  encore.  Vers  la  fin  de  962,  son  fils  Ahmed  se 
rendit  maître  de  Taormina,  qui  avait  opposé  une  héroïque  résistance 
de  six  mois.  Un  grand  nombre  de  captifs  furent  envoyés  en  Afrique 
et  la  ville  reçut  le  nom  d'Kl-Moëzzïa  en  l'honneur  du  khalife.  Dans 
toute  l'île,  la  seule  place  de  Rametla  restait  aux  chrétiens.  EntXiS, 
Ilassan-ben-Ammar  vint  l'assiéger  et  la  pressa  en  vain,  pendant 
de  longs  mois.  Sur  le  point  de  succomber,  les  chrétiens  purent 
faire  parvenir  un  appel  désespéré  à  Byzance. 

De  graves  événements  venaient  de  se  produire  dans  la  métropole 
chrétienne  de  l'Orient.  L'empereur  Romain  II,  faible  souverain, 
qui  ne  régnait  que  de  nom,  était  mort,  le  15  mars  963,  et  avait 
été  remplacé  par  deux  enfants  en  bas  âge,  sous  la  tutelle  de  leur 
mère  et  d'un  eunuque.  Quelques  mois  après,  le  général  Nicéphore 
Phocas,  qui  avait  acquis  un  grand  renom  par  la  conquête  de  l'île 
de  Crète  (en  mai  961),  et  qui  disposait  de  l'armée,  s'empara  du 
pouvoir. 

Le  nouvel  empereur  répondil  à  l'appel  des  Siciliens  en  leur 
envovant  une  armée  de  i(),00(>  hommes,  tous  vétérans  de  la  cam- 
pagne de  Crète,  sous  le  commandement  de  Xicétas  et  de  son  neveu 
Manuel  Phocas.  De  son  côté,  El-Moëzz  renvoya  Hassan  en  Sicile 
avec  des  renforts  beri)ères  (septembre-octobre  964).  La  flotte 
byzantine  ayant  occupé  Messine,  l'armée  s'y  retrancha,  et  de  cette 
base  les  généraux  rayonnèrent  dans  l'inlérieur.  Manuel  Phocas 

1.  Dozy,  Miisulniafis  d' Espagne,  t.  III,  p.  91.  92. 

•1.  Ibid..  p.  95.  El-M;iri;ikclii  (éd.  Dozy),  p.  28  et  suiv. 


FIN   DE   LA   DOMINATION   FATEMIDK  (965) 


363 


all  i  lui-même  au  secours  de  Ramelta  et  li\'ra,  près  de  celle  ville, 
une  grande  bataille  aux  Musulmans  ("24  octobre).  L'action  fut 
longtemps  indécise,  mais  la  victoire  se  décida  enlin  pour  ces  der- 
niers. Manuel  Pliocas  et  dix:  mille  de  ses  guerriers  y  trouvèrent 
la  mort.  Le  butin  fait  dans  cette  journée  fut  considérable.  Hassan 
mourut  dans  le  mois  de  novembre  suivant. 

Ramelta  continua  à  se  défendre  avec  héroïsme  pendant  une 
année  entière.  Enfin,  en  novembre  Oo,"),  les  assiégés,  réduits  à  la 
dernière  extrémité,  ne  purent  empêcher  les  Musulmans  de  péné- 
trer par  la  brèche.  Les  hommes  lurent  massacrés,  les  femmes  et 
les  enfants  réduits  en  esclavage,  et  la  ville  pillée.  A'crs  le  même 
temps,  Ahmed  atteignait  la  ilotte  byzantine  à  Reggio,  l'incendiait 
et  faisait  prisonnier  l'amiral  Nicétas  et  un  grand  nomijre  de  per- 
sonnages de  marque  cpii  furent  envoyés  à  El-Mehdïa. 

Ahmed  attaqua  ensuite  les  villes  grecques  de  la  Calabre,  les 
soumit  au  tribut  et  les  contraignit  à  signer  une  trè\'e 

PiioGiu'cs  DK  L  iM  i.i'KNCE  f)Mi':iADi-:  EN  MAG'in:ii.  —  Pendant  cpie  le 
kalife  fatemide  était  absorbé  par  la  guerre  de  Sicile  et  d'Italie,  le 
Mag  rel),  à  peine  reconquis,  demeurait  livré  à  lui-même,  et  les 
Oméïades  cherchaient  par  tous  les  moyens  à  y  reprendre  de 
l'inlluence.  Les  généraux  Kaïcer  et  ModaU'er,  qui,  nous  l'avons 
vu,  avaient  été  laissés  comme  réprésentants  du  khalife  dans  ces 
régions,  prêtèrent-ils  l'oreille  aux  émissaires  d'Espagne,  ou  furent- 
ils  victimes  de  calomnies?  Nous  l'ignorons.  Toujours  est-il  ([u'El- 
Moëzz  les  fit  mettre  à  mort  comme  traîtres  (96r). 

Peu  après,  Sidjilmassa  répudiait  encore  une  fois  la  suprématie 
fatemide  et  ouvrait  ses  portes  à  un  fils  d'Ech-Chaker,  ([ui  se 
faisait  reconnaître  sous  le  nom  d  lil-Mostancer-l'IUah.  .Ainsi  la 
dynastie  des  Beni-Ouaçoul  reprenait  le  commandement  des  régions 
du  sud.  En  l)6i,  le  nou\'ea;i  sou\'erain  était  mis  à  mort  par  son 
frère  Abou-Mohammed.  Ce  prince,  qui  s'était  donné  le  titre  d'El- 
Moâtezz-l'Illah,  proclama  de  nouveau  l'autorité  omé'iade,  dans  le 
sud  du  ^Lig'rei),  et  la  fit  reconnaître  par  les  tribus  du  haut  Mou- 
lou'ia. 

Dans  le  Rif,  les  Edrisides  étaient  comblés  de  cadeaux  par  le 
souverain  d'Espagne,  qui  ne  négligeait  rien  pour  les  rattacher  à  sa 
cause.  En  même  temps,  El-Hakem  faisiiit  réparer  et  compléter  les 
fortifications  de  Ceuta,  où  il  entretenait  une  forte  iiarnison-. 

1.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  259  et  siiiv. 

2.  EI-Bokri,  passim.  Ibii-Klialdouu,  t.  I,  p.  265,  l.  II,  p.  544.  569. 
Karlas,  p.  125,  12G. 


364 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


Etat  de  l'Orient.  Ee-Moezz  prépare  son  expédition.  —  Les  sou- 
verains de  la  dynastie  fatemide,  suivant  l'exemple  donné  par  son 
fondateur,  n'avaient  cessé  d'avoir  les  yeux  tournés  vers  l'Orient; 
c'est  sur  l'Arabie  qu'ils  devaient  régner,  et  il  avait  fallu  des  motifs 
aussi  graves  que  la  révolte  d'Abou-Yezid  et  la  nécessité  de  défendre 
le  Mag'reb  contre  les  entreprises  des  Oniéïades,  pour  faire  ajourner 
ces  projets.  El-Moëzz  les  avait  à  cœur,  au  moins  autant  que  ses 
devanciers,  et  il  faut  reconnaître  que,  depuis  longtemps,  le  moment 
d'agir  n'avait  paru  aussi  favorable. 

L'empereur  d'tJrient,  dégoûté  par  l'insuccès  de  ses  tentatives 
en  Sicile  et  en  Italie,  menacé  dans  la  péninsule  par  Othon  de  Saxe 
et  occupé,  du  reste,  par  ses  conquêtes  en  Asie,  tendait  à  se 
rapprocher  d'El-Moëzz,  et  même  à  s'unir  avec  lui  dans  un  intérêt 
commun.  Le  khalife  abbasside,  ayant  perdu  presque  toutes  ses  pro- 
vinces, était  réduit  à  la  possession  de  Bagdad  et  d'un  faible  rayon 
alentour.  Les  Bou'ides  tenaient  la  Perse:  les  Byzantins  étaient 
maîtres  de  l'Asie  Mineure.  Enlin,  les  Karmales,  ces  terribles 
sectaires'  qui  avaient  ravagé  la  MekUe,  parcouraient  les  provinces 
de  l'Arabie  et  commençaient  à  en  déborder.  La  Syrie  et  l'Egypte 
obéissaient  aux  Ikhchidites. 

Rapprochés  par  un  intérêt  commun,  El-Moëzz  et  Phocas  con- 
clurent, en  U67,  une  paix  qu'ils  estimaient  devoir  être  avantageuse 
pour  chacun  d'eux.  Le  khalife  fatemide  intima  alors  à  l'émir  de 
Sicile  l'ordre  de  cesser  toute  hostilité  et  d'appliquer  ses  soins  à  la 
colonisation  et  à  l'administration  de  l'îJe. 

Libre  de  ce  côté,  l'empereur  envoya  toutes  ses  troupes  en  Asie. 
Il  enleva  aux  Ikhchidites  les  places  du  nord  de  la  Syrie,  tandis  que 
les  Karmates  envahissaient  cette  province  par  le  midi.  Sur  ces 
entrefaites,  Ikhchid  vint  à  mourir  (968),  en  laissant  comme  suc- 
cesseur un  enfant  de  onze  ans,  sous  la  tutelle  de  l'aifranchi  Kafour. 
La  révolte,  cette  compagne  des  défaites,  éclatait  partout.  Les 
événements,  on  le  voit,  favorisaient  à  souhait  les  projets  d'El-Moëzz. 

Le  khalife,  voulant  à  tout  prix  éviter  les  échecs  que  ses  a'ieux 
avaient  éprouvés  dans  l'est,  résolut  de  ne  se  mettre  en  route 
qu'après  avoir  assuré,  par  ses  précautions,  la  réussite  de  l'entre- 
prise. Par  son  ordre,  des  puits  furent  creusés  et  des  approvision- 
nements amassés  sur  le  trajet  que  devait  suivre  l'ariiiée.  En  même 
temps,  comme  il  voulait  assurer  ses  derrières,  Djouher  fut  envoyé 

1.  Les  Karmates  admettaient  l'usage  du  vin,  réduisaient  les  jours  de 
jeûne  à  deux  par  an,  prescrivaient  cinquante  prières  par  jour  au  lien  de 
ci:iq.  cL  enfin  avaient  modifié  à  leur  guise  presque  toutes  les  prescrip- 
tions de  la  religion  musulmane. 


FIN   DE   h\  DOMINATION   FATEMIDE  (969) 


365 


avec  une  armée  dans  le  Mag-"reb.  En  outre  des  intrigues  oméïades 
dont  nous  avons  parlé,  et  qu'il  fallait  réduire  à  néant,  le  j^énéral 
fatemide  avait  pour  mission  de  rétablir  la  paix  entre  les  Sanhadja 
et  les  Mag'raoua,  toujours  rivaux.  Mohammed-ben-Khazcr  était 
mort  depuis  quelques  années,  et  le  système  des  razias  avait  re- 
commencé. Djouher  passa,  dit-on,  deux  ans  dans  le  Mag'reb  et  ne 
revint  en  It'rikiya  qu'après  avoir  tout  rétabli  dans  l'ordre,  fait  ren- 
trer les  impôts  et  recruté  une  nombreuse  et  solide  armée'  (968). 

CoNQuiîTE  DE  i.'Egypte  PAR  DjouiiER.  —  Au  mouicnt  où  tout  était 
prêt  pour  le  départ,  un  événement  imprévu  vint  encore  favoriser 
les  projets  d'El-Moezz.  Kafour,  qui,  en  réalité,  gouvernait  depuis 
deux  ans  l'empire  ikhcbidite,  mourut  (968),  et  le  pays  demeura  en 
proie  aux  factions  et  à  l'anarchie.  De  pressants  appels  furent 
adressés  d'Egypte  au  khalife.  Au  commencement  de  février  969, 
l'immense  armée,  qui  ne  comptait,  dit-on,  pas  moins  de  cent  mille 
cavaliers,  partit  pour  l'Orient  sous  le  commandement  de  Djouher. 
Le  khalife,  entouré  de  sa  maison  et  de  ses  principaux  oilîciers, 
vint  à  Rakkada  faire  ses  adieux  à  l'armée  et  à  son  brave  chef. 

Parvenu  sans  encombre  en  Egypte,  Djouher  reçut,  auprès 
d'Alexandrie,  une  députation  de  notables  venus  du  vieux  Caire 
pour  lui  offrir  la  soumission  de  la  ville.  Les  troupes  restées  fidèles 
se  trouvaient  alors  en  Syrie  (juin  967).  ALiis,  après  le  départ  des 
envoyés,  un  mouvement  populaire  s'était  produit  au  Caire  et  cha- 
cun se  prétendait  prêt  à  combattre.  Djouher  reprit  donc  sa  marche 
et,  ayant  rencontré  l'ennemi  en  avant  de  la  capitale,  il  le  culbuta 
sans  peine  et  fit  son  entrée  au  Caire  le  6  juillet  969.  La  souverai- 
neté des  fatemides  fut  alors  proclamée  dans  toute  l'I'lgypte,  en 
même  temps  que  la  déchéance  des  Ikhchidites.  Ce  fut  en  très  peu 
de  temps,  et  pour  ainsi  dire  sans  combattre,  que  le  descendant  du 
mehdi  devint  maître  de  ce  beau  royaume,  depuis  si  longtemps  con- 
voité, et  pour  lequel  ses  ancêtres  avaient  fait  tant  d'efforts  stériles. 

Après  avoir  tracé,  à  son  camp  de  Fostat,  le  plan  d'une  vaste 
citadelle  qu'il  appela  El-Kahera  {la  Triomphante i-^  Djouher  jugea 
indispensable  d'agir  en  Syrie,  où  les  partisans  de  la  dynastie  dé- 
chue s'étaient  réunis  en  forces  assez  considérables.  Il  y  envoj'a  un 
de  ses  généraux,  le  ketamien  Djafer-ben-Falah,  avec  une  partie  de 
l'armée.  Ramla,  puis  Damas  tombèrent  au  pouvoir  de  l'armée 
fatemide  (novembre-décembre  969). 

1.  Amari,  Musdlmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  274  et  suiv.  Ihii-Khaldoun, 
Berbères,  t.  II,  p.  34't  et  suiv.,  t.  III,  p.  233  et  suiv.,  El-Kairouaui, 
p.  107  et  suiv. 

2.  C'est  de  ce  nom  qu'où  a  fait  Le  Caire. 


366 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


Djouher  s'était  présenté  en  Ep^ypte  comme  un  pacificateur.  Il 
continua  ce  rôle  après  la  victoire,  rétablit  la  marche  régulière  de 
Tadministration,  en  plaçant  partout  des  fonctionnaires  pris  parmi 
les  Ketama  et  Sanhadja,  et  s  appliqua  surtout  à  ne  pas  froisser  les 
convictions  relif;ieuses  et  à  maintenir  les  usa<,'os  qui  n'étaient  pas 
contraires  à  la  Sonna  et  au  Koran.  Il  jeta,  dit-on,  les  fondations 
de  la  fameuse  mosquée  El-Azhar'. 

Révoltes  en  Afrique.  Ziri-ben-Mexad  écrase  les  Zenétes.  — 
Dans  le  Mag'reb,  la  cause  fatemide  était  loin  d'obtenir  d'aussi 
brillants  succès.  Aussitôt  après  le  départ  de  Djouher,  le  feu  de  la 
révolte  y  avait  de  nouveau  éclaté.  La  rivalité  cjui  existait  entre  les 
Maj^  raoua ,  commandés  par  Mohammcd-ben-el-Kheïr ,  petit-fils 
d'Ibn-Khazer,  et  Ziri-be|i-Menad,  avait  été  habilement  exploitée 
par  le  khalife  El-IIakem.  Les  agents  oméïadcs  avaient  également 
réussi  à  exciter  Diàfer-ben-IIamdoun  contre  Ziri,  en  lui  faisant 
remarquer  combien  il  était  humiliant  pour  lui  de  voir  les  faveurs 
du  souverain  fatemide  être  toutes  pour  le  chef  des  Sanhadja. 
IJientôt  la  révolte  éclatait  sur  un  autre  jioint  c(,  tandis  que  Djou- 
her parlait  pour  l'Egypte,  un  certain  .Abou-Djàfer  se  jetait  dans 
l'Aourès,  en  appelant  à  lui  les  mécontents  et  en  ralliant  les  débris 
des  Nekkaricns.  El-Moëzz,  en  personne,  marcha  contre  le  rebelle, 
mais,  à  son  approche,  les  Nekkariens  se  débandèrent,  et  Abou- 
Djàfer  n'eut  d'autre  salut  que  dans  la  fuite.  Le  khalife,  qui  s'était 
avancé  jusqu'à  Bar'aï,  chargea  Bologguine,  fils  de  Ziri,  de  pour- 
suivre les  révoltés  et  rentra  dans  sa  capitale.  Peu  après,  .Abou- 
Djàfer  faisait  sa  soumission. 

La  rivalité  entre  les  Sanhadja  et  les  Mag'raoua  s'était  trans- 
formée en  un  état  d'hostilité  permanente.  Sur  ces  entrefaites, 
Mohammed-ben-el-Kheir,  chef  de  ces  derniers,  contracta  alliance 
avec  les  autres  tribus  zenètes,  toutes  dévouées  aux  Oméïades,  et 
leva  l'étendard  de  la  révolte. 

Les  partisans  avérés  des  Fatemides  furent  massacrés  et  on  pro- 
clama, dans  tout  le  Mag'reb,  l'autorité  d'El-Hakem.  Tandis  que 
les  ^lag'raoua  et  Zenata  se  préparaient  à  prendre  l'offensive,  Ziri- 
ben-Menad  fondit  sur  eux  à  l'improviste  à  la  tête  de  ses  meilleurs 
guerriers  sanhadja.  Sou  fils  Bologguine  commandait  l  avant-garde. 
Le  premier  moment  de  surprise  passé,  les  .Zenètes  confédérés 
essayèrent  de  reformer  leurs  lignes,  et  un  combat  acharné  s'en- 
gagea. Enfin  les  Beni-Ifrene  lâchèrent  pied  en  abandonnant  les 
Mag'raoua.  Ceux-ci,  entlammés  par  l'exemple  de  leur  chef,  se 

1.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  IL  p-  284  el  suiv. 


DE   I.A   DOMINATION   l  ATIîMIDE  (971) 


367 


firent  tuer  jusqu  au  dernier.  j\Iohanimecl-l3en-cl-Klicïr,  après  avoir 
vu  tomber  tous  ses  guerriers,  se  perça  lui-même  de  son  épée.  Les 
pertes  (les  Zenètes,  et  surtout  des  Mag  raoua,  furent  considérables. 
On  expédia  à  Kaïrouan  les  têtes  des  principaux  chefs  (970).  Le 
résultat  de  cette  victoire  fut  de  rétablir,  pour  un  instant,  l'auto- 
rité fatemide  dans  le  Mag  reb  ' . 

Mort  de  Ziri-iîen-Menad.  Succès  de  son  fils  Boi.ogguine  dans  i.e 
Mag'reb.  —  Kl-Moëzz  n  élait  pas  sans  inquiétude  sur  les  intentions 
de  Djàfer-ljcn-Hamdoun,  dont  la  jalousie  \'cnait  d'être  excitée  par 
les  derniers  succès  de  Ziri.  11  le  manda  amicalement  à  sa  cour; 
mais  le  gouverneur  de  jMecila,  craignant  quelque  piège,  leva  le 
masque  et  alla  rejoindre  les  Zenètes,  qui  avaient  été  ralliés  par 
El-Kheïr,  lils  de  Mohammed-ben-Khazer-,  lirûlant  du  désir  de  tirer 
vengeance  de  la  mort  de  son  père.  Bientôt  ces  deux  chefs  enva- 
hirent le  pays  des  Sanhadja,  à  la  tête  d'une  armée  considérable. 
Ziri-ben-Menad,  pris  à  son  tour  au  dépourvu  et  séparé  de  son  fils 
Bologguine,  rassembla  à  la  hâte  ses  guerriers  et  marcha  contre 
l'ennemi  avec  sa  bravoure  habituelle.  Celte  fois  la  victoire  se  dé- 
clara contre  lui.  Après  un  engagement  sanglant,  les  Sanhadja 
commencèrent  à  prendre  la  fuite.  En  vain  Ziri  tenta  de  les  ral- 
lier :  son  cheval  s  étant  abattu,  il  fut  aussitôt  percé  de  coups  par 
ses  adversaire-,  qui  se  ])récipilèrent  sur  son  corps  et  le  décapi- 
tèrent (juillet  971].  Yahïa,  frère  de  Djâfer-ben-IIamdoun ,  fut 
chargé  de  porter  à  Cordoue  la  tète  de  Ziri.  On  l'exposa  sur  le 
marché  de  la  ville. 

A  la  nouvelle  de  ce  désastre,  Bologguine  accourut  pour  ven- 
ger son  père  et  préserver  ses  provinces.  Il  atteignit  bientôt  les 
Zenètes  et  leur  infligea  une  entière  défaite.  Il  reçut  alors  du 
khalife  le  diplôme  d'investiture,  en  remplacement  de  son  père,  et 
l'ordre  de  continuer  la  campagne  si  bien  commencée.  A  la  tète 
d'une  armée  composée  de  guerriers  choisis,  Bologguine  se  porta 
d'abord  dans  le  Zab,  pour  en  expulser  les  partisans  d'Ibn-IIam- 
doun,  et  s'avança  jusqu'à  Tobna  et  Biskra;  puis,  reprenant  la  di- 
rection de  l'ouest,  il  chassa  devant  lui  tous  les  Zenètes  dissidents. 
Après  un  séjour  à  Tiharet,  il  se  lança  résolument  dans  le  désert, 
où  El-Klieïr  et  ses  Zenètes  avaient  cherché  un  refuge,  et  les  pour- 
suivit jusqu'auprès  de  Sidjilmassa.  Les  ayant  atteints,  il  les  mit  de 
nouveau  en  déroule;  El-Kheïr,  fait  prisonnier,  fut  mis  à  mort. 

1.  Ibii-Kli:ildouii,  Berbères,  t.  II,  p.  7,  149,  549,  t.  III,  p.  234  et  suiv. 
El-Kairouani,  p.  125.  El-Bekri,  passini. 

2.  Nous  suivons  ici  l'usage  indigène  consistant  à  doinier  le  nom  de 
l'aïeul,  devenu  patronymique,  en  supprimant  celui  du  père. 


368 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


Quant  à  Djâfer,  il  alla  demander  un  asile  en  Espa^jne,  auprès 
d'El-Hakem. 

Traversant  alors  le  Maj^  reb  extrême,  Bologf^uine  revint  vers  le 
Rif,  où  les  Edrisides  s'étaient  de  nouveau  déclarés  les  champions 
de  la  cause  oméïade.  El-Hacen-ben-Kennoun  dut,  encore  une  fois, 
changer  de  drapeau  et  jurer  fidélité  au  khalife  fatemide.  Après 
cette  courte  et  brillante  campagne,  dans  laquelle  les  Mag  raoua  et 
Bcni-Ifrene  avaient  été  en  partie  dispersés,  au  point  qu'un  certain 
nombre  d'entre  eux  étaient  allés  chercher  un  refuge  en  Espagne, 
Bologguine  se  disposa  à  revenir  vers  l'est  ;  auparavant,  il  défendit 
aux  Berbères  du  Mag'reb  de  se  livrer  à  l'élève  des  chevaux,  et, 
pour  compléter  I  cfTet  de  cette  mesure,  ramena  avec  lui  toutes  les 
montures  qu'on  put  saisir'. 

1mi  passant  à  Tlemcen,  il  déporta  une  partie  de  la  population  de 
cette  ville  et  la  fit  conduire  à  Achir  -. 

El-Moezz  se  prépare  a  quitter  l'Ifrikiva.  —  Pendant  que  la 
cause  fatemide  obtenait  ces  succès  en  Mag'reb,  ses  armées,  habi- 
lement conduites,  achevaient  de  détruire  en  Syrie  la  résistance 
des  derniers  partisans  de  la  dynastie  ikhchidite.  Le  fds  de  Djouher 
conduisit  lui-même  à  Ka'irouan  les  membres  de  cette  famille  faits 
prisonniers.  Le  khalife  les  reçut  avec  une  grande  pompe,  couronne 
en  tête,  et  leur  rendit  la  liberté. 

Mais  les  Fatemides  trouvèrent  bientôt  devant  eux,  en  Syrie, 
des  adversaires  autrement  redoutables;  les  Karmates,  sous  le  com- 
mandement d'El-Hassan-ben-Ahmed,  avaient  conquis  une  partie 
de  ce  pays  et  s'avançaient  menaçants.  Le  général  ketamien  Djàfer- 
ben-Felah,  envoyé  contre  eux,  fut  entièrement  défait  et  perdit  la 
vie  dans  la  rencontre.  Damas  tomba  aux  mains  des  Karmates,  qui 
marchèrent  ensuite  contre  l'Egypte. 

Les  brillantes  victoires  remportées  par  les  Fatemides  risquaient 
d'être  annihilées,  comme  elTet,  si  une  main  puissante  ne  venait 
prendre  le  commandement  dans  la  nouvelle  conquête.  Djouher 
pressait  depuis  longtemps  le  khalife  de  transporter  en  Egypte  le 
siège  de  l'empire:  mais  El-Moëzz,  au  moment  de  réaliser  le  rêve 
de  sa  famille,  hésitait  à  quitter  cette  Ifrikiya,  berceau  de  la  puis- 
sance fondée  par  le  mehdi.  En  présence  des  complications  surve- 
nues en  Syrie  Djouher  redoubla  d'instances,  et  comme,  en  même 

1.  El-Kairouaui,  p.  127. 

2.  Ibu-Khaldouu,  t.  II.  p.  8,  150,  548,  t.  III,  p.  234  235,  255.  Kartas, 
p.  125.  El-Bekri,  Idiicides,  passim. 


FIN   DE   LA    DOMINATION   FATEMIDE   (972)  369 

temps,  arriva  à  Kaïrouan  la  nouvelle  de  la  pacification  du  MagVeb 
par  Boloyguine,  Kl-Moëzz  se  décida  à  partir  pour  l'Orient.  Il 
établit  son  camp  à  Sardenia,  entre  Kaïrouan  et  Djeloula,  y  réunit 
les  troupes  qu'il  devait  emmener,  et  s'occupa  de  prendre  toutes 
les  dispositions  nécessaires  en  vue  de  l'abandon  définitif  du  pays. 

La  faraude  dilliculté  était  de  pouvoir  laisser  l'IfriUiya  dans  des 
mains  sûres.  Afin  de  ne  pas  donner  trop  de  puissance  à  son  représen- 
tant, il  divisa  le  pouvoir  entre  plusieurs  fonctionnaires.  Le  Kela- 
mien  AI)d-Allab-ben-Ikhelef  fut  nommé  <;ouverncur  de  la  province 
de  Tripoli.  En  Sicile,  la  famille  des  Ben-el-Kelbi  avait  conservé 
le  commandement;  I'>l-Moëzz  craignit  que  l'influence  énorme  dont 
elle  jouissait  la  poussât  à  se  déclarer  indépendante.  11  rappela  de 
l'île  le  j;'ouverncur  .\bmed-ben-cl-Kelbi,  et  charj;ea  un  allVanchi, 
du  nom  de  laïch,  de  la  direction  des  aiïaires.  Mais,  à  peine  celui-ci 
était-il  arrivé,  que  la  révolte  éclatait  et  que  le  prince  s'empressait 
d'envoyer dansl  ile,  commegouverneur,  Bel-Kassem-el-Kelbi.  Quant 
au  poste  quasi-royal  de  "gouverneur  de  l'Ifrikiya  et  du  Maj^'reb 
résidant  à  Ka'irouan,  le  khalife  le  réserva  à  Bolopguine,  fils  de  Ziri, 
dont  rintellif;ence  et  le  dévouement  lui  étaient  connus.  La  per- 
ception de  l'impôt  fut  confiée  à  deux  fonctionnaires,  sous  les  ordres 
directs  du  khalife;  le  cadi  et  quelques  chefs  de  la  milice  furent 
également  réservés  à  sa  nomination;  enfin,  un  conseil  de  grands 
olliciers  fut  chargé  d'assister  Bologguine  '. 

El.-MOEZZ  TRANSPORTE  LE  SIEGE  DE  LA  DYNASTIE  FATEMIDE  EN  EgYPTE. 

—  Au  commencement  de  l'automne  de  l'année  972,  Bologguine 
rentra  de  son  heureuse  expédition.  Le  khalife  l'accueillit  avec  les 
plus  grands  honneurs  et  lui  accorda  les  titres  honorifiques  de  Sif- 
ed-Daoula  (l'épée  de  l'empire'j  et  d'Ahou-el-Felouh  (l'homme  aux 
victoires]  ;  il  voulut  en  outre  qu'il  prît  le  nom  de  Youçof.  Lui 
ayant  annoncé  son  intention  de  le  nommer  gouverneur  de  l'Afrique, 
il  lui  traça  sa  ligne  de  conduite,  et  lui  recommanda  surtout  de  ne 
cesser  de  faire  sentir  aux  Berbères  une  main  ferme,  de  ne  pas 
exempter  les  nomades  d'impôts,  et  de  ne  jamais  donner  de  com- 
mandement important  à  une  personne  de  sa  famille,  qui  serait 
amenée  à  vouloir  partager  l'autorité  avec  lui.  Il  lui  prescrivit  en- 
core de  combattre  sans  cesse  l'influence  des  Oméïades  dans  le 
Mag'reb  et  de  faire  son  possible  pour  expulser  définitivement  leurs 
adhérents  du  pays. 


1.  Ibii-Khaldoun.  t.  Il,  p.  9,  10,  549,  550.  El-Kaïrouani,  p.  110.  Ibn- 
El-Athii-,  passiiii.  De  Quatremère,  Vie  d' El-Mocz.  Amari,  Musulmans 
de  Sicile.  \>.  287  et  s\iiv. 

ï.  I.  24 


370 


IIISTUIRl;    Dl:    I,  AlRIQL'n 


Dans  le  mois  de  novembre  972,  El-Moëzz  se  mit  en  route  et  fut 
accompaf^né  jusqu'à  Sfaks  par  Bologguine.  Le  khalife  emportait 
avec  lui  les  cendres  de  ses  ancêtres  et  tous  ses  trésors  fondus  en 
lingots.  C'était  bien  l'abandon  définitif  d'un  pays  que  les  Fatemides 
avaient  toujours  considéré  comme  lieu  de  séjour  temporaire. 

El-Moëzz  arriva  à  Alexandrie  dans  le  mois  de  mai  973.  Le  10  juin 
suivant,  il  fit  son  entrée  triomphale  au  vieux  Caire  (Misr)  et  alla 
fixer  sa  résidence  au  nouveau  Caire  (El-Kahera-el-Moëzzïa' .  Nous 
perdrons  de  vue,  maintenant,  les  laits  particuliers  à  sa  dynastie 
en  Eg-ypte,  pour  ne  suivre  que  le  cours  des  événements  accomplis 
en  Mag'reb  ' . 

Ainsi  les  derniers  souverains  de  race  arabe  ont  quitté  la  Ber- 
bérie,  car  nous  ne  comptons  plus  les  Edrisides  dispersés  et  sans 
forces  et  dont  la  dynastie  est  sur  le  point  de  disparaître  de 
l'Afrique.  Partout  le  peuple  berbère  a  repris  son  autonomie;  il 
n'obéit  plus  à  des  étrangers;  il  va  fonder  de  puissants  empires  et 
avoir  ses  jours  de  grandeur. 


APPENDICE 


CHRONOLOGIE    DES    FATEMIDES  d'aFRIQL'E 


Date  Je  l'avènement 

Obé'id-Allah-el-:Mehdi   Janvier  910. 

Abou-l'-Kacem-el-Kaïm   3  mars  934. 

Ismaïl-el-Mansour   18  mai  946. 

Maad-el-Moëzz   Mars  953. 

Son  départ  pour  l'Egypte   Décembre  972. 


1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II.  p.  10.  550.  551.  El-Kairouani.  p.  111,  124.  El- 
Bekri,  passim.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  p.  287  et  suiv. 


CHAPITRE  XII 


L  IFRIKIYA  SOLS  LES  ZIRIDES  (SAMIAD.TA).  —  \.K  MAfiT.EB 
SOUS  LES  OMELVDKS 

973-997 

.Modificalions  ellinofii-aphiques  dans  lo  JFag'reb  cenfraL  —  Succès  des 
Oniçïades  dans  le  Mag'reb;  chute  des  Edrisides;  mori  d'El-Ilakem.  —  Ex- 
l>éditions  des  Mag'raoïia  contre  Sidjilmassa  et  contre  les  Berg'ouata.  — 
Expédition  de  Holofîguine  dans  le  Mag'i'eb;  ses  succès.  —  Bologguine,  ar- 
rêté à  Ccula  par  les  Oméïades.  envahit  le  pays  des  Berg'ouata.  —  Mort  de 
liologguine;  son  lils  El-Mansour  lui  succède.  —  Guerre  d'Italie.  —  Les 
Oméïades  d'Espagne  étendent  de  nouveau  leur  autorité  sur  le  Mag'reb.  — 
llévolles  des  Kelaina  réprimées  par  El-Mansour.  —  Les  deux  Mag'reb  sou- 
mis à  l'autorité  oméïade;  luttes  entre  les  Mag'raoua  et  les  Ueni-Ifrene.  — 
Puissance  de  Ziri-ben-Atiya;  abaissement  des  lieni-Il'rene.  —  Mort  du 
gouverneur  El-Mansour;  avènement  de  son  fils  Radis.  —  Puissance  des 
gouverneurs  kelbites  en  Sicile.  —  Rupture  de  Ziri-ben-Atiya  avec  les 
Oméïades  d'Espagne. 

Modifications  ethnogr.\phiques  dans  le  Mag'reb  central.  —  Les 
résultats  des  dernières  campagnes  de  Djouheret  de  Bologguine  en 
Mag'reb  avaient  été  très  importants  pour  l'ethnographie  de  cette 
contrée.  Les  Mag'raoua  et  Beni-Ifrene  vaincus,  dispersés,  rejetés 
vers  l'ouest,  durent  céder  la  place,  dans  les  plaines  du  Mag'reb 
central,  à  leurs  cousins  les  Ouemannou  et  Ilounii,  qui,  jusque-là, 
n'avaient  guère  fait  parler  d'eux.  Sur  les  Zenètes  expulsés,  un 
grand  nombre,  et,  parmi  eux,  les  Beni-Berzal,  allèrent  se  réfugier 
en  Espagne  el  fournirent  d'excellents  soldats  au  khalife  omé'iade. 
D'autres  se  placèrent  sous  les  remparts  de  Ceuta 

Les  Sanhadja,  au  comble  de  la  puissance,  étendirent  leurs  limites 
et  leur  influence  jusque  dans  la  province  d'Oran. 

Un  autre  mouvement  s'était  produit  dans  les  régions  saha- 
riennes. La  grande  tribu  zenète  des  Beni-Ouacine  s'avança  dans  le 
désert  de  la  province  d'Oran  et  se  massa  entre  le  mont  Rached  ^, 
ainsi  nommé  d'une  de  ses  fractions,  et  le  haut  Moulouïa  jusqu'à 
Sidjilmassa,  prête  à  pénétrer,  à  son  tour,  dans  le  Tell  ^. 

1.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  III,  p.  236,  294. 

2.  Actuollement  Djebel-Amour. 

3.  Ibn-Khaldoun,  ^crôf/fs,  t.  III,  p.  327,  t.  IV,  p.  2,  5,  25. 


IlISlOIIilC    1)K    I.  AIHKJl  l-: 


Les  débris  des  j\Iaj;"raoua,  ralliés  autour  de  la  famille  d"Ibn- 
Khazcr,  passèrent  le  Moulouïa  et  s"avancèrent  du  côté  de  Fès,  en 
usurpant  peu  à  peu  les  conquêtes  des  Miknaça  '. 

Succès  des  Omioïades  en  Mag'reu  ;  chute  des  Edrisides;  mort 
d'Ei.-IIake.m.  —  El-IIakcm  voulut  profiter  du  départ  d'El-Moëzz 
pour  rcf;aj;ner  le  terrain  perdu  en  Map'reh,  et,  tandis  que  le  kha- 
life fatemide  s'éloif^nait  vers  l  est,  une  armée  oméïade,  commandée 
par  le  vi/ir  Mohammed-bcn-Tamlés,  débar(|uait  à  Ceuta,  avec  la 
mission  de  châtier  le  prince  edriside  pour  sa  défection.  Cette  fois, 
El-IIassan,  décidé  à  combattre,  s'avança  à  la  rencontre  de  ses  en- 
nemis et  les  défit  complètement  en  avant  de  Tanjjer.  Les  débris 
de  ces  troupes.  Africains  et  Maures  d"Espagne,  se  réfugièrent  à 
Ceuta  et  demandèrent  du  secours  à  El-IIakem.  Le  khalife,  plein 
du  désir  de  tirer  une  éclatante  vengeance  de  cet  aifront,  réunit  une 
nouvelle  et  formidable  armée,  en  conlia  le  commandement  à  son 
célèbre  général  R'aleb  et  l  envoya  en  ^lag  reb.  Il  lui  recommanda, 
s'il  ne  pouvait  vaincre,  de  savoir  mourir  en  combattant,  et  lui 
déclara  qu  il  ne  voulait  le  revoir  (pie  victorieux.  Des  sommes 
d  arf^ent  considérables  furent  mises  à  sa  disposition.  La  campagne 
devait  commencer  par  la  destruction  du  royaume  edriside. 

Cependant  l  edriside  El-Hassan,  tenu  au  courant  de  ces  prépa- 
ratifs, s'empressa  de  renfermer  ce  qu'il  possédait  de  plus  précieux 
dans  sa  forteresse  imprenable  de  ILuljar-en-Necer,  puis  il  évacua 
Basra,  sa  capitale,  et  se  retrancha  à  Kçar-Masmouda,  place  forte 
située  entre  Ceuta  et  Tanger.  R'aleb  ne  tarda  pas  à  venir  l'atta- 
quer et,  durant  plusieurs  jours,  on  escarmoucha  sans  grand  avan- 
tage de  part  ni  d'autre.  Le  général  oméïade  parvint  alors  à  cor- 
rompre, à  force  d'or,  les  principaux  adhérents  d'El-IIassan,  et 
celui-ci  se  vit  tout  à  coup  abandonné  par  ses  meilleurs  othciers  et 
contraint  de  se  réfugier  à  Ilad jar-en-Necer. 

R'aleb  l'y  suivit  et  entreprit  le  siège  du  nid  d'aujle.  La  position 
défiait  toute  attaque  et  ce  n'était  que  par  un  blocus  rigoureux 
qu'on  pouvait  la  réduire.  Pour  cela,  du  reste,  des  renforts  étaient 
nécessaires,  et  bientôt  arriva  dans  le  Rif  une  nouvelle  armée 
oméïade,  commandée  par  Yahïa-ben-Mohainmed-et-Todjibi,  gé- 
néral qui  était  investi  précédemment  du  commandement  de  la 
frontière  supérieure  en  Espagne.  Avec  de  telles  forces,  le  siège  fut 
mené  vigoureusement  et  il  ne  resta  à  El-Hassan  d'autre  parti  que 
de  se  rendre  à  la  condition  d'avoir  la  vie  sauve  (octobre  973).  Ainsi 
disparut  ce  qui  restait  du  royaume  edriside. 


1.  I.oc.  cit.,  t.  I,  p.  265,  (,  III,  p.  235. 


I.llHIKI  VA   SOUS  M;S  ZIlilDI-S  (Î^'/O) 


373 


Après  la  chule  de  II:uljar-en-Neccr,  R'aleb  rechercha  partout 
les  derniers  descendants  et  partisans  de  la  dynastie  d  Edris,  dans 
le  Rif  et  le  pays  des  R'oniara.  De  là,  il  pénétra  dans  l'intérieur  du 
Mag'reb.  Arrivé  à  Fès,  il  y  rétablit  l'autorité  oniéïade  et  laissa 
deux  gouverneurs  :  l'un  dans  le  quartier  des  Kaïrouanides  et 
l'autre  dans  celui  des  Aiulalous.  R'aleb  parcourut  ainsi  le  Mag'reb 
septentrional  et  laissa  partout  des  représentants  de  l'autorité 
oméïade. 

Après  a\'oir  rempli  si  bien  son  mandat  ,  R'aleb  nomma  gou- 
verneur général  du  Mag'reb  '^'ahïa-et-Todjibi ,  et  rentra  en 
l^spagne,  traînant  à  sa  suite  les  membres  de  la  i'amille  edriside,  des 
prisonniers  de  distinction  et  une  foule  de  Rerbères  qui  avaient 
suivi  ses  drapeaux.  Le  khalife  El-IIakem,  suivi  de  tous  les  notables 
de  Cordoue,  vint  au  devant  du  général  victorieux,  le  combla 
d'honneurs,  et  reçut  avec  distinction  El-IIassan-ben-Kennoun  et 
ses  parents.  Il  fit  des  cadeaux  à  ces  princes  et  leur  assigna  des  pen- 
sions (septembre  971). 

Peu  de  jours  après,  El-IIakem,  atteint  d'une  grave  maladie,  re- 
mettait la  direction  des  alfaires  de  l'état  à  son  xi/.'ir,  Moushafi. 
Presque  aussitôt,  ce  minisire  se  débarrassa  des  Edrisides,  dont  l'en- 
tretien était  ruineux  pour  le  trésor,  en  les  expédiant  vers  l'Orient. 
On  les  débarqua  à  Alexandrie,  où  ils  furent  bien  accueillis  par  le 
souverain  fatemide.  La  maladie  d'El-IIakem  avait  eu,  en  outre, 
pour  conséquence,  de  redonner  de  l'espoir  aux  chrétiens  du  nord, 
et,  comme  la  frontière  avait  été  dégarnie  de  troupes,  ils  l'atta- 
quèrent en  dilTérents  endroits.  Dans  cette  conjecture,  le  vizir  n'hé- 
sita pas  à  rappeler  d'Afrique  le  brave  Yah'ia-et-Todjibi  pour  l'en- 
voyer reprendre  son  conmiandement  dans  le  nord.  Djâfer-ben- 
Hamdoun,  chargé  de  le  remplacer  en  Mag'reb,  emmena  avec  lui 
pour  l'assister  son  frère  Yahïa. 

El-Hakem,  sentant  sa  fin  prochaine,  réunit,  le  5  février  976, 
tous  les  grands  du  royaume  et  leur  fit  signer  un  acte  par  lequel 
son  jeune  fils  Ilicham  était  reconnu  pour  son  successeur.  Le  pre- 
mier octobre  suivant,  le  khalife  mourait  et  l'empire  passait  aux 
mains  d'un  mineur  :  c'était  la  porte  ouverte  à  toutes  les  compé- 
titions et,  par  voie  de  conséquence,  le  salut  du  Mag'reb'. 

Vers  la  même  époque  (97.")),  Guillaume  de  Provence  mettait  fin 
à  la  petite  république  musulmane  du  Fraxinet.  Depuis  cinquante 


1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III.  p.  124  et  suiv.  Ibn-Khaldoun, 
t.  II,  p.  151,  .556,  559  570.  Kuri.Ts,  p,  125  et  siiiv,,  140  et  suiv,  El-Be- 
kri,  passira.  El-Marrakclii  (éd.  Dozy),  p.  29  et  suiv. 


374 


HISTOIRE   DE   L  AFRIQUE 


ans  ces  brif;ands  répandaieiil  la  terreur  en  Provence,  dans  le  Dau- 
phiné,  en  Suisse,  dans  le  nord  de  l'Italie  et  sur  mer 

MxpÉLirrioNS  i)i;s  Mag  raola  contre  Siujil.massa  et  C(i.ntri;  i,es 
Berg  ol  ata.  —  Arrivé  en  Ma>;"rel3.  à  la  fin  de  l'année  975,  Djafer- 
ben-IIamdoun  s'appliqua  à  apaiser  les  discussions  qui  avaient 
éclaté  entre  les  Mag'raoua,  Beni-Ifrene  et  Miknaça,  et  qui  étaient  la 
conséquence  de  la  récente  ininiit;ration  des  tribus  zenétes.  Pour 
les  occuper,  il  permit  aux  Ma<;'raoua  de  tenter  une  expédition 
contre  Sidjilmassa,  où  réj^nait  toujours  le  Midraride  Abou-Mo- 
bammed-el-Moatezz. 

L'année  suivante,  un  i;rand  nombre  de  Maji'raoua  et  de  Beni- 
Ifrene,  sous  la  conduite  d'un  prince  de  la  famille  de  Khazer, 
nommé  Khazroun-ben-Felfoul,  se  portèrent  sur  Sidjilmassa,  et, 
après  avoir  défait  les  troupes  d'El-Moatezz,  qui  s'était  avancé  en 
personne  contre  ses  ennemis,  s'emparèrent  de  l'oasis  ;  El-Moa- 
tezz  ayant  été  mis  à  mort,  sa  tète  fut  envoyée  à  Cordoue.  Khaz- 
roun,  qui  s'était  emparé  de  tousses  trésors,  fut  nommé  chef  du 
pays  pour  le  compte  du  khalife  d'Espa-jne,  dont  la  suprématie  fut 
proclamée  dans  ces  contrées  éloii;nées.  Ainsi  à  Sidjilmassa,  comme 
sur  le  cours  du  bas-Moulouïa,  les  .Miknaça  durent  céder  la  place  aux 
Zenètes-Mag'raoua,  qui  s'inslallèrent  définitivemeut  dans  le  Ma- 
jj;'reb  extrême. 

Quelque  temps  après,  une  querelle  s'éleva  entre  Djàfer-ben- 
Ilamduun  et  son  frère  '^ahïa.  Ce  dernier  vint  alors,  avec  un  cer- 
tain nombre  de  Zenètes,  se  retrancher  dans  la  ville  de  Basra,  non 
loin  de  Ceula,  oii  résidait  un  commandant  omé'i'ade.  Djafer  voulait 
marcher  contre  lui  ;  mais,  voyant  ses  troupes  peu  disposées  à  en- 
treprendre une  campaf;ne  dans  le  Hif  et,  en  partie,  sur  le  point  de 
l'abandonner,  il  les  entraîna  vers  l'ouest,  contre  les  Ber<;"ouata. 
Cette  {j,Tande  tribu  masmoudienne,  cantonnée  au  pied  des  versants 
occidentaux  de  l'Atlas  et  sur  les  bords  de  l'Océan,  était  devenue  le 
centre  d'un  schisme  religieux,  qui  y  avait  pris  naissance  environ 
un  siècle  et  demi  auparavant,  à  la  voix  d'un  réformateur  nommé 
El- Vas.  Après  la  mort  de  ce  marabout,  son  fils  Younos  avait  réuni 
tous  ses  adhérents  et  contraint  par  la  force  ses  compatriotes  à 
accepter  la  nouvelle  doctrine  ^.  De  grandes  g^uerres  avaient  désolé 
alors  le  sud  du  Mag  reb  ;  deux  cent  quatre-vingt-sept  villes  avaient 
été  ruinées.  La  puissance  des  Berg  ouata  était  devenue  redou- 

1.  Voir  Raynaud.  Expvditions  des  Sarrasins  dans  le  midi  de  la 
France,  pass.  ot  Elie  de  la  Priiriaudaie,  Arabes  et  ^\onnands.  passim. 

2.  Voir  ci-dovanl.  p.  238,  255. 


I.'u'ltlKIVA   SOIS   I.I-S   ZIRIDES  (979) 


375 


table,  et,  plusieurs  fois,  les  Eclrisides  et  les  descendants  de  Ben- 
Abou-l'Afia  avaient  tenté,  mais  en  vain,  de  réduire  ces  hérétiques  '. 

Ce  fut  du  nom  de  guerre  sainte  que  Djâfer  colora  son  expédition 
contre  les  Berg"ouata.  Il  s'avança  jusqu'au  cœur  de  leur  pays,  mais 
alors,  ces  indi<;fènes,  s'élant  rassemblés  en  grand  nombre,  écra- 
sèrent son  armée  composée  de  Mag'raoua  et  autres  Zenètes  ;  les 
débris  de  ces  troupes  se  réfugièrent  à  Basra,  et  Djâfer  rentra  en 
Espagne.  Le  ^'izir,  qui  craignait  l'influence  de  ce  général  en  Ma- 
g'reb,  confirma,  pour  l'affaiblir,  son  frère  Yahïa  dans  le  comman- 
dement de  la  ville  de  Basra  et  du  Rif,  et  n'inquiéta  pas  celui-ci,  au 
sujet  de  sa  défection  qui  avait  été  si  préjudiciable  à  Djâfer-. 

EXPIÎDITIOX  DE  BoLOGGUINE  DANS  LE  Mag'rEB  ;  SES  SUCCES.   Bolog- 

guine,  en  Ifrikiya,  suivait  avec  attention  les  événements  dont  le 
Mag'reb  était  le  théâtre  et  attendait  le  moment  favorable  pour  in- 
tervenir ;  mais  il  devait  au  préalable  assurer  sa  position  à  Kaï- 
rouan,  et  l'on  ne  saurait  trop  admirer  la  prudence  et  l'esprit 
politique  dont  le  chef  berbère  lit  preuve  en  cette  circonstance.  Son 
protecteur,  le  khalife  lîl-Moëzz,  était  mort  peu  de  temps  après  son 
arrivée  au  Caire  (9751  et  avait  été  remplacé  par  son  fils  El-Aziz- 
Nizar.  Bologguine  oI)lint  de  lui,  en  977,  la  suppression  du  gouver- 
nement isolé  de  la  Tripolitaine,  tel  qu'il  avait  été  établi  par  El- 
Moëzz,  lors  de  son  départ.  Ainsi,  le  prince  berbère  étendit  son 
autorité  jusqu'à  l'Egypte  et,  tranquille  du  côté  de  l'est,  il  put  se 
préparer  à  intervenir  activement  en  Mag'reb. 

En  979,  Bologguine,  à  la  lêle  d'une  armée  considéraI:)le,  partit 
pour  les  régions  de  l'Occident.  Il  traversa  sans  diiliculté  le  Mag'reb 
central,  et,  ayant  franchi  la  Moulouïa,  trouva  déserts  les  pays  oc- 
cupés alors  par  les  tribus  zenètes,  celles-ci  s'étant  réfugiées,  à  son 
approciic,  soit  dans  le  sud,  soit  sous  les  murs  de  Ceuta.  Il  s'a- 
vança ainsi,  sans  coup  férir  jusqu'à  Vès,  entra  en  maître  dans  cette 
ville  et,  de  là,  se  porta  vers  le  sud.  Ayant  remonté  le  cours  de  la 
Moulouïa,  il  parvint,  en  chassant  devant  lui  les  Mag'raoua,  jus- 
qu'à Sidjilmassa.  Cette  oasis  lui  ouvrit  ses  portes.  El-Kheïr-ben- 
Khazer,  ayant  été  pris,  fut  mis  à  mort.  Les  familles  de  Yâla  l'ifre- 
mide,  d'Atiya-ben-Khazer  et  des  Beni-Khazroun  trouvèrent  un 
refuge  à  Ceuta.  Bologguine,  laissant  des  oOiciers  dans  les  pro- 
vinces qu'il  venait  de  conquérir,  reprit  la  route  du  nord,  pour  y 

1.  Ibii-lvhaldoun,  t.  II,  p.  125  et  suiv.  El-Bekri,  Berghouala.  Ibn- 
Haukal,  passim. 

2.  Ibn-Klialdoun,  t.  I,  p.  265.  t.  II,  p.  156,  556,  557,  t.  III,  p.  218, 
235  et  suiv.  Kartas,  p.  liO.  El-Bekri,  passim. 


376 


IIISTOIRIv   Di:   L  AFRIQUE 


relancer  les  Zenèles,  ses  ennemis  cl  les  souliens  de  la  cause  oméïatle. 
La  province  de  IlebeL  étant  tombée  en  son  pouvoir,  il  se  disposa 
à  marcher  sur  Ceula. 

BoLOGGLINK,  ARRÈTIÎ  A  Cl£LTA  PAR  LES   O.MHÏADES,  ENVAHIT  LE  PAYS 

DES  BEHO  ofATA.  —  Mais,  pendant  que  ces  succès  couronnaient  les 
armes  du  lieutenant  des  Katemides,  les  Oméïades  d  Espaj^ne  ne  res- 
taient pasinaclifs.  Le  vizir  Kl-Mansour-ben-Abou-Amer,  qui  avait 
supplanté,  quelque  temps  auparavant  El-Meshati,  dirigeait  habile- 
ment les  affaires  du  royaume  et  tenait  dans  une  tutelle  absolue  le 
souverain  Ilicham  II.  Décidé  à  disputer  à  Bologguine  la  domina- 
lion  du  Ma;;"reb,  El-Mansour  ne  vit,  autour  de  lui,  aucun  chef  plus 
digne  de  lui  être  opposé  que  Djàfer-ben-Hamdoun,  son  mortel 
ennemi.  L'ayant  placé  à  la  tête  d  une  armée  considérable,  il  mit, 
(iil-on,  à  sa  disposition  cent  charges  d'or  et  l'envoya  en  Afrique. 
Aussitôt  après  son  débarquement,  ce  général  rallia  autour  de  lui 
les  principaux  chefs  zenètcs  avec  leurs  contingents,  et  les  fit 
camper  aux  en\  irons  de  Ceula.  Bientôt,  d'autres  renforts,  arrivés 
d'Espagne,  portèrent  l'clfeclif  de  l'armée  oméïade  à  un  clulfre 
considérable. 

Pendant  ce  temps,  Bologguine  continuait  sa  marche  sur  Ceuta. 
Il  s'était  jeté  dans  les  montagnes  de  Tétouan  et  y  avait  rencontré 
les  plus  grandes  dillicullés  pour  la  marche  de  ses  troupes.  Enfin, 
à  force  de  coui-age  et  de  persévérance,  la  dernière  montagne  l'ut 
gravie  et  le  gouverneur  sanhadjien  put  voir  à  ses  pieds  la  ville  de 
Ceuta.  Cet  aspect,  loin  de  le  récompenser  de  ses  peines  par  l'espoir 
d'un  facile  succès,  le  jeta  dans  le  découragement.  I  n  immense  ras- 
semt)lement  était  concentré  sous  la  ville,  cl  des  coin  ois  arrivaient 
(le  toutes  les  directions  pour  ravitailler  ces  camps. 

.-Mtacjuer  à  ce  moment  eût  été  insensé.  Bologguine  y  renonça 
sur-le-champ;  ramenant  son  armée  sur  ses  pas,  il  alla  détruire  la 
ville  de  Basra  et,  de  là,  envahit  le  pays  des  Berg'ouata,  qu'il  avait 
déjà  rencontrés  dans  sa  précédente  campagne.  Ces  schismatiques 
s'avancèrent  bravement  à  sa  rencontre,  sous  la  conduite  de  leur 
roi  Abou-Mansour-A'iça.  Mais  les  Sanhadja  se  lancèrent  contre 
eux  avec  tant  d'impétuosité  qu'ils  les  mirent  en  pleine  déroute 
après  avoir  tué  leur  chef. 

Mt>RT    DE    BoLOGGL'INE.    SnN    IILS    El-MaNSOIR    LII  SICCÈDE.   

L'éloignement  de  Bologguine  avait  renversé  tous  les  plans  de 

1.  Ibn-lvhaldoun,  Bcrbcrcs.  t.  II,  ]).  12.  131.  557.  t.  III,  p.  218.  236. 
237.  El-Bekri,  Bcrghoiiata.  Dozy.  Musulmciiis  d' Espagne ,  t.  III,  p.  183. 


i,"iiuiKivA  yoL's  i.iis  ziniDi-s  (984) 


377 


Djâfer.  Bientôt  les  Berbères,  entassés  ;'i  Ceuta,  manquèrent  de 
vivres  cl,  avec  la  disette,  la  mésintelli;j;ence  entra  dans  le  camp. 
Le  vizir  El-Mansour,  qui  avait  besoin,  en  Espagne,  de  troupes 
déterminées  afin  d'écraser  les  factions  adverses,  en  profita  pour 
attirer  dans  la  péninsule  un  grand  nombre  d'Africains. 

Pendant  ce  temps,  Bologguine  continuait  ses  expéditions  dans 
le  pays  des  Berg'ouata.  Ces  farouches  sectaires  qui,  depuis  des 
siècles,  vivaient  indépendants,  avaient  dù  se  soumettre  et  leurs 
principaux  chefs,  chargés  de  fers,  avaient  été  expédiés  en  Ifrikiya. 
Dans  le  cours  de  l'année  983,  Bolog'guine  se  décida  à  rentrer  à 
Kaïrouan,  mais  comme  Ouanoudine,  de  la  famille  mag  raouienne 
des  Beni-Khazroun,  avait  réussi  à  s'emparer  de  l'autorité  à  Sidjil- 
massa,  il  résolut  de  pousser  d'abord  une  pointe  dans  le  sud.  A 
son  approche,  Ouanoudine  prit  la  fuite.  Peut-être  Bologguine 
n'alla-t-il  pas  jusqu'à  Sidjilmassa;  sentant  sans  doute  les  atteintes 
du  mal  qui  allait  l'emporter,  il  ordonna  le  retour  vers  le  nord,  par 
la  route  deTlemcen.  Mais,  parvenu  au  lieu  dit  Ouarekcen,  au  sud 
de  celte  ville,  Bologguine,  fils  de  Ziri,  cessa  de  vivre  (mai  984). 
Son  allranchi  Abou-\  or'bel  en\  oja  aussitôt  la  nouvelle  de  cette 
mort  à  El-Mansour.  fils  de  Bologguine  et  son  héritier  pré- 
somptif, qui  commandait  et  résidait  à  Achir,  puis  l'armée  continua 
sa  route  vers  l'est. 

El-]\Iansour  se  rendit  à  Kaïrouan  et  re^'ut  en  route  une  députa- 
tion  des  habitants  de  cette  ville,  venus  pour  le  saluer.  Il  leur 
donna  l'assurance  qu'il  continuerait  à  employer  pour  gouverner 
la  voie  de  la  douceur  et  de  la  justice.  A  Sabra  il  reçut  le  diplôme 
du  khalife  El-Aziz  lui  conférant  le  commandement  exercé  avec  tant 
de  fidélité  par  son  père.  lil-Mansour  répondit  par  l'envoi  d'un 
million  de  dinars  (pièces  d'or)  à  son  suzerain.  Il  confia  le  comman- 
dement de  Tiharet  à  son  oncle  Abou-l'Behar  et  celui  d'Achir  à  son 
frère  Itouefl  ' . 

GuuRiii;  u'Italii;.  —  Pendant  cpie  le  Mag'reb  était  le  théâtre  des 
luttes  que  nous  venons  île  retracer,  les  émirs  kelbites  de  Sicile, 
maîtres  incontestés  de  l'ile,  avaient  reporté  tous  leurs  ell'orts  sur 
la  terre  ferme.  L'empereur  Othon  I  était  mort,  en  973,  et  avait 
été  remplacé  par  son  fils  Othon  II.  Ce  prince,  guerrier  et  sangui- 
naire, profita  de  l'aU'aiblissement  de  l'autorité  de  ses  deux  cousins 
de  Constantinople,  pour  envahir  l'Italie  méridionale.  Benevent  et 
Salerne  tombèrent  en  son  pouvoir,  et  les  empereurs  ne  virent 

1.  El-Kaïrouaiii,  p.  131,  132.  Ibn-Khaldoun,  Berbères,  t.  II,  p.  11, 
12,  130,  t.  III,  p.  218,  235.  Kartas,  p.  140-  El-Bekri,  passim. 


378 


iiisroiRi:  DU  I.  AKIliyCI- 


d'autre  chance  de  salut,  dans  cette  conjonture,  que  d'appeler  les 
Musulmans. 

Au  printemps  de  l'année  982,  Othon,  ayant  reçu  de  nombreux 
renforts,  entra  dans  les  possessions  byzantines  à  la  tête  d  une 
armée  composée  de  Saxons,  Bavarois  et  autres  Allemands,  d'Ita- 
liens des  provinces  supérieures  et  de  Lonf,^obards,  conduits  par 
les  g^rands  vassaux  de  l'empire.  Tarente,  mal  défendue  par  les 
Grecs,  fut  enlevée,  ainsi  que  Brindes.  Mais  le  fiouverneur  kelbite 
Abou-l'Kacem,  accouru  avec  son  armée,  vient  oll'rir  le  combat  aux 
envahisseurs.  Après  une  rude  bataille  dans  laquelle  Abou-rKacem 
trouve  la  mort  du  g;uerrier,  l'armée  allemande  est  en  pleine 
déroute,  laissant  quatre  mille  morts  sur  le  terrain.  Othon,  presque 
seul,  peut  à  p^rand'peine  s'enfuir  sur  une  «galère  jrrecque.  Il 
regag^ne  le  nord  de  l'Italie  et  meurt  à  Rome  le  7  décembre  9H,3. 

Djaber,  fils  d'Abou-1  Kacem,  rentra  en  Sicile  avec  un  riche  butin, 
sans  poursuivre  la  campagne.  Son  élévation  fut  ratifiée  par  le 
khalife  El-Aziz'. 

Les  Ome'ÏADES  d'Esi'A(;NE  étendent   de  Nf)f\EAl'  LEtR  ALTORITÉ  SIR 

i.E  Mag'reb. —  Revenons  en  Mag'reb.  A  peine  Bolo|2r<ïuine  avait-il 
quitté  les  réf^ions  du  sud,  que  Ouanoudine,  chef  des  Mag;'raoua  du 
sud,  était  rentré  en  maître  à  Sidjilmassa. 

En  Espaj^ne,  la  révolte  qui  se  préparait  depuis  longtemps  contre 
l'omnipotence  du  vizir  El-Mansour-ben-Abou-Anier.  avait  éclaté. 
Le  célèbre  g^énéral  R'aleb  se  mit  à  la  tête  de  ceux  qui  voulaient 
rendre  au  sou^■erain  ses  prérogratives,  mais  il  succomlia  dans  une 
émeute  et  Ibn-.\bou-Amer  resta  seul  maître  de  l'autorité  (981). 
Djâfer-ben-Hamdoun  le  gênait  encore  par  son  influence  :  il  le  fit 
assassiner  (janvier  983  ■ . 

Pendant  ce  temps,  l'edriside  El-Hassan-ben-Kennoun  quittait 
l'Eojypte  et  rentrait  en  Ifrikiya,  avec  une  recommandation  du 
khalife  pour  son  lieutenant.  Celui-ci  lui  donna  une  escorte  de.ïuer- 
riers  sanhadjiens  avec  lesquels  il  atteignit  le  Mag'reb  (mai  9841. 
Il  entra  aussitôt  en  relations  avec  les  chefs  des  Beni-Ifrene,  dont 
Yeddou-ben-Yâla  était  le  prince,  et  conclut  avec  eux  un  traité 
d'alliance  contre  les  Omé'iades.  Dès  lors,  la  guerre  de  partisans 
recommença  dans  le  Mag'reb. 

Le  vizir  Ibn-Abou-Amer,  qui  venait  de  remporter  de  grands 
avantages  dans  le  nord  de  l'Espagne,  voulut  mettre  un  terme  aux 

1.  Ibu-El-Atliir,  p;issim.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II.  p.  322 
et  suiv.  Elie  de  la  Primaudaic,  Arabes  et  Xormands  en  Sicile  el  en  Ita- 
lie, p.  154  el  suiv. 


LE   MAG  lîEB   SOCS   LES   OMEIAUES  (9861 


379 


succès  des  Edrisides,  et,  à  cel  effet,  envoya  en  Afrique  un  certain 
nombre  de  troupes  sous  le  commandement  de  son  cousin  Abou- 
el-Hakem,  surnommé  Azkeladja.  Ce  général,  après  avoir  reçu  le 
contingent  des  Magr'aoua,  s'avança  contre  Tedriside.  Aussitôt 
les  Beni-Ifrene  abandonnèrent  El-Hassan,  qui  n'eut  d'autre  parti 
à  prendre  que  de  s'en  remettre  à  la  générosité  de  son  vainqueur. 

Azkeladja  promit  la  vie  au  prince  edriside  et  l'envoya  au  vizir 
en  Espagne  ;  mais  celui-ci,  au  mépris  de  la  promesse  donnée,  le  fit 
mettre  aussitôt  à  mort,  et,  comme  il  avait  appris  que  son  cousin 
Azkeladja  avait  ouvertement  blâmé  cet  acte,  il  le  rappela  de  Mag'reb 
et  lui  fit  subir  le  même  sort  (oct.-nov.  985).  Une  sentence  d'exil 
frappa  en  outre  les  derniers  descendants  de  la  famille  d'Edris'. 

Dans  la  même  année,  Itoueft,  frère  d'El-Mansour,  fut  envoyé 
en  expédition  par  celui-ci  dans  le  Mag'reb.  Il  se  heurta  contre 
Ziri-ben-Atiya,  chef  des  Mag'raoua,  qui  le  défit  complètement  et 
le  força  à  rétrograder  au  plus  %ite. 

Le  vizir  Ibn-Abou-Amer  nomma  au  gouvernement  du  Mag'reb 
Hassen-ben-Ahmed-es-Selmi,  et  l'envoya  à  Fès  avec  ordre  de  pro- 
téger les  princes  mag'raouiens  de  la  famille  d'Ibn-Khazer,  et  de 
les  opposer  aux  Ifrenides  qui  manifestaient  de  plus  en  plus  d'éloi- 
gnement  à  l'égard  de  la  dynastie  oméïade.  Le  nouveau  gouverneur 
arriva  à  Fès  en  980  et,  par  son  habileté  et  sa  fermeté  dans  l'exécu- 
tion des  instructions  reçues,  ne  tarda  pas  à  rétablir  la  paix  dans 
le  Mag'reb.  Ziri-ben-Atiya  fut  comblé  d'honneurs,  ce  qui  acheva 
d'indisposer  Yeddou-ben-'\  âla,  chef  des  Beni-lfrene,  et  le  décida 
à  lever  le  masque  dès  qu'une  occasion  favorable  se  présenterait. 

Révoltes  des  Ketama  réprimées  p.\r  El-j\Iansol'r.  —  Tandis  que 
l'inlluence  fatemide  s'alfaiblissait  de  plus  en  plus  dans  le  Mag'reb, 
les  séditions  intestines  retenaient  El-Mansourà  Kaïrouan  et  absor- 
baient toutes  ses  forces.  La  grande  tribu  des  Ketama,  si  honorée 
sous  le  gouvernement  fatemide,  en  raison  des  immenses  services 
par  elle  rendus  à  cette  dynastie,  voyait,  avec  la  plus  vive  jalousie, 
celle  des  Sanhadja  se  substituer  à  elle  et  absorber  successivement 
tous  les  emplois.  Déjà  un  grand  nombre  de  Ketamiens  étaient 
partis  pour  l'Egypte  avec  El-Moëzz  et  s'y  étaient  fixés;  des  rap- 
ports constants  s'établirent  entre  ces  émigrés  et  leurs  frères  du 
Mag'reb,  et  ils  se  firent  les  intermédiaires  de  ces  derniers  pour 
présenter  leurs  doléances  au  khalife.  Fatigué  de  leurs  récrimina- 
tions, El-Aziz-\izar  envoya  à  Kaïrouan  un  agent  secret  du  nom 
d'Abou-l'Fahm-ben-Nasrouïa,  avec  mission  de  tout  étudier  par 

1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III,  p.  201  et  suiv. 


380 


IIISTOIHE   1)K   I.  AHUyi  l- 


lui-même.  Cel  émissaire  fut  adressé  par  le  khalife  à  "^'oueof,  fils 
d"Abd-Allah-el-Kaleb,  ancien  oflicier  de  Bolon<;uine,  personnage 
très  influent,  qui  avait  acquis,  dans  ses  divers  emplois,  une  fortune 
scandaleuse,  et  dont  El-Mansour  n'avait  osé  se  défaire  à  cause  de 
sa  puissance. 

Ainsi  protégé  dans  l'entourage  même  du  gouverneur,  Abou- 
l'Fahm,  après  avoir  séjourné  quelque  temps  à  Ka'irouan,  gagna 
le  pays  des  Ketama,  où  il  commença  à  prêcher  la  révolte  à  ces 
Berbères.  Cependant  El-Mansour,  ayant  été  instruit  de  toutes  ces 
intrigues,  fit  tomber  Abd-AUah-el-Ivatcb  et  son  fils  Youçof  dans  un 
guet-apens  où  ils  trouvèrent  la  mort  i987].  Il  les  frappa,  dit-on, 
de  sa  propre  main.  Débarrassé  de  ces  dangereux  ennemis,  il  se 
disposa  à  combattre  l'agitateur,  qui  avait  pleinement  réussi  à 
soulever  les  Ketama  et  déjà  battait  monnaie  en  son  nom. 

Sur  ces  entrefaites,  arrivèrent  d'I-^gypte  deux  envoyés,  appor- 
tant, de  la  part  du  khalife  El-.Aziz,  un  message  par  lequel  il  défen- 
dait à  El-Mansour  de  s'opposer  aux  actes  d'Abou-l'Fahm  et  le 
menaçait  du  poids  de  sa  colère  s'il  transgressait  cet  ordre;  les 
messagers  déclarèrent  même  que,  dans  ce  cas,  ils  devraient  le  con- 
duire, la  corde  au  cou,  à  leur  maître.  Ces  menaces  causèrent  au 
(ils  de  Bologguinc  la  plus  violente  indignation  et  eurent  un  effet 
tout  opposé  à  celui  qu'on  en  attendait.  .\u  lieu  de  se  conformer 
aux  ordres  d'un  suzerain  qui  recoimaissait  si  mal  les  services  de  sa 
famille,  El-Mansour  commença  par  séquestrer  les  deux  oilîciers, 
puis  il  pressa  de  toutes  ses  forces  les  préparatifs  de  la  campagne. 
Bientôt,  il  se  mit  en  marche  et  vint  directement  enlever  Mila, 
qu'il  livra  au  pillage.  Les  Ketama  avaient  fui  :  il  porta  la  destruc- 
lion  dans  tous  leurs  villages,  atteignit  Abou-l'Ealim  non  loin  de 
Sétif  et  le  mit  en  déroule.  L'agitateur  chercha  un  refuge  dans  une 
montagne  escarpée,  mais  il  fut  pris  et  conduit  au  gouverneur. 
El-Mansour  ordonna  de  le  mettre  en  pièces  devant  les  envoyés  du 
khalife  El-Aziz,  qu'il  avait  traînés  à  sa  suite  dans  la  campagne;  des 
esclaves  nègres,  après  avoir  dépecé  le  corps  d'Abou-l'Fahm,  le 
firent  cuire  et  en  mangèrent  les  morceaux  en  leur  présence.  Les 
envoyés  reçurent  alors  licence  de  retourner  au  Caire;  ils  y  arri- 
vèrent terrifiés  et  racontèrent  à  leur  maître  ce  dont  ils  avaient 
été  témoins,  déclarant  qu'  «  Us  revenaient  de  chez  des  démons 
mangeurs  d'hommes  et  non  d'an  pays  habité  par  des  humains  '  ». 

Au  mois  de  mai  988,  El-Mansour  rentra  à  Ka'irouan. 

L'année  suivante,  un  Juif,  du  nom  d'Abou-l'Feredj,  réussit  en- 
core, en  se  faisant  passer  pour  un  petit-fils  d'El-Kaïm,  à  soulever 

1.  Eii-Nouéiri,  apud  Il^ii-lvlialdouu,  t.  Il,  p.  14,  15. 


i.K  MA(i'iii:ii  soi's  i.i:.s  fiMi';ÏAi)r,s  (9911 


381 


les  Ketania.  Mais  celle  révolle  fui  Ijlenlôl  éloulFée  par  El-I\Iansour 
lui-même,  qui  lU  meltre  à  mort  l'iiiiposleur  et  inflif;ea  de  nouvelles 
punitions  à  la  tribu  où  ce  dernier  avait  trouvé  asile.  De  là,  il  se 
porta  à  Tiharet  en  poursuivant  son  oncle  Abou-l  Behar,  qui  venait 
de  se  déclarer  conlre  lui;  celui-ci  n'eut  alors  d'autre  ressource 
que  de  se  joler  dans  les  bras  des  ^Nlaj^'raoua.  lîl-Mansour,  après 
êlre  resté  quelque  temps  à  Tiiiaret,  y  laissa  comme  {gouverneur 
son  frère  lloueft,  puis  il  alla  à  Acliir  recevoir  la  soumission  de 
Saïd-ben-Kliazroun,  auquel  il  donna  le  commandement  de  Tobna. 
Il  rentra  ensuite  à  Kaïi'ouan  [9S',)) 

Les  devx  MAc'anii  soi'mis  a  i.'Ai'roniTiî  omi';ïade;  i.itti-s  entre  les 
Mag"ra(ji'a  et  les  Beni-1i  iu:n'e.  —  Dans  le  Mag'reb,  Ziri-ben-Atiya, 
reslé  seul  clief  des  Mag'raoua,  avait  vu  s'accroître  son  autorité  et 
son  inlluence  aux  dépens  de  ^  eddou-bcn-^  âla.  Kn  *J87,  il  fut  ap- 
pelé à  Cordoue  par  le  vizir  Ibii-Abou-Amer,  qui  venait  de  rem- 
porter sur  les  chrétiens  de  jurandes  victoires.  Bermude,  roi  de 
Léon,  avait  vu  jusqu'à  sa  capitale  tomber  aux  mains  des  Musul- 
mans et  n'avait  conservé  que  quelques  cantons  voisins  de  la  mer. 
Le  vizir  fit  à  Ziri  une  réception  pi  incière. 

Yeddou  aurait,  paraît-il,  été  également  invité  à  se  rendre  en 
Espagne,  mais  il  ne  jugea  pas  prudent  d'aller  se  livrer  aux  mains 
de  ses  rivaux.  Selon  Ibn-Khaldoun,  il  se  serait  même  écrié  :  »  />t* 
]'izir  cri)tl-il  que  l'on/ir/re  .se  laisse  mener  chez  le  doiuplcur  de 
cheuaux?  »  C'était  la  rupture  définitive.  Il  leva  l'étendard  de  la 
révolte  (991)  et  débuta  en  attaquant  et  dépouillant  les  tribus  fidèles 
aux  Oméïades.  Le  gouverneur,  Hassen-ben-Ahmed,  réunit  alors 
une  armée  à  laquelle  se  joignirent  les  contingents  de  Ziri,  rentré 
d'Espagne,  puis  il  marcha  contre  le  rebelle  ;  mais  ce  dernier  avait 
eu  le  temps  de  rassembler  un  grand  nombre  d'adhérents,  avec 
lesquels  il  vint  courageusement  à  la  rencontre  de  l'armée  oméïade. 
L'ayant  attaquée,  il  la  mit  en  déroute.  Ilassen  et  une  masse  de 
guerriers  mag'raoua  restèrent  sur  le  champ  de  bataille.  Yeddou, 
marchant  alors  sur  Fès,  enleva  celle  ville  d'assaut  et  étendit  son 
autorité  sur  une  partie  des  deux  Mag'rel). 

A  l'annonce  de  la  défaite  et  de  la  mort  de  son  lieutenant,  le 
vizir  Ibn -.Abou  -  Amer  nomma  Ziri-ben-Atiya  gouverneur  du 
Mag'reb,  avec  ordre  de  reprendre  Fès  et  d'en  faire  sa  capitale. 
Ziri  s'occupa  d'abord  de  rallier  les  débris  de  la  milice  oméïade, 
puis  il  appela  de  nouveau  ses  Mag'raoua  à  la  guerre.  Sur  ces  entre- 
faites, Abou-l'Behar,  oncle  d'I'^l-Mansour,  qui ,  nous  l'avons  vu. 


1.  lbn-I\li:il(I()uii,  t.  II,  p.  15,  t.  III,  p.  238,  259.  El-Kairouani,  p.  1 


38-2 


iiisTniiîi:  i)K  i.'afhiqi'e 


avait  échappé  à  la  poursuite  de  son  neveu,  vint  avec  un  assez 
grand  nombre  dadhérents  se  joindre  à  Ziri.  Ces  deux  chefs  atta- 
quèrent aussitôt  Yeddou-ben-Yâla  et,  après  une  campagne  san- 
glante, dans  laquelle  ils  prirent  et  perdirent  deux  fois  Fès,  ils 
Unirent  par  rester  maîtres  du  terrain,  après  avoir  réduit  Ycddou 
au  silence. 

Pendant  cette  guerre,  Khalouf-ben-Abou-Beker,  ancien  gouver- 
neur de  Tiharet  pour  les  Fatcmides,  et  son  frère  Atiya,  avaient 
achevé  de  détacher  de  l'autorité  d'El-Mansour  la  région  comprise 
entre  les  monts  Ouarensenis  et  Oran,  et  y  avaient  fait  prononcer 
la  prière  au  nom  du  khalife  oméïade.  Comme  ils  avaient  agi  sous 
l  impulsion  d  Abou-l'Behar,  le  vizir  espagnol,  pour  récompenser 
celui-ci  de  ces  importants  résultats,  dont  il  lui  attribuait  le  mérite, 
le  nomma  chef  des  contrées  du  Mag'reb  central  et  laissa  à  Ziri  le 
commandement  du  Mag'reb  extrême. 

Mais,  peu  de  temps  après,  Khalouf,  irrité  de  voir  que  la  récom- 
pense qu  il  avait  méritée  avait  été  recueillie  par  un  autre,  aban- 
donna le  parti  des  Omé'iades  pour  rentrer  dans  celui  d'El-Mansour. 
Ziri-ben-.\tiya  pressa  en  vain  .^bouI-l'Behar  de  marcher  contre  le 
transfuge.  N'ayant  pu  1  y  décider,  il  se  mit  lui-même  à  sa  pour- 
suite, l'atteignit,  mit  ses  adhérents  en  déroute  et  le  tua:  Atiya 
put  s'échapper  et  se  réfugier,  suivi  de  quelques  cavaliers,  dans  le 
désert  (novembre  991} 

Puissance  de  Znîi-ncN-.ATivA  ;  abaissement  des  Beni-Ifrene.  — 
Débarrassé  de  cet  ennemi,  Ziri,  qui  avait  reçu  à  sa  solde  une  partie 
de  ses  adhérents,  expulsa  tous  les  Beni-Ifrene  de  ses  provinces  et 
s'installa  fortement  à  Fès  avec  ses  Mag'raoua,  auxquels  il  donna 
les  contrées  environnantes.  Le  refus  d'-Abou-l  Behar  de  concourir 
à  la  dernière  campagne  amena  entre  les  deux  chefs  une  mésintel- 
ligence qui  se  transforma  bientôt  en  conflit.  Ils  en  vinrent  aux 
mains,  et  Abou-l'Behar,  battu,  se  vit  contraint  de  chercher  un 
refuge  auprès  de  la  garnison  omé'iade  de  Ceuta.  Il  écrivit,  de  là, 
à  la  cour  d'Espagne,  pour  demander  réparation:  en  même  temps, 
il  envoyait  un  émissaire  à  Ka'irouan  afin  d'offrir  sa  soumission  à 
son  neveu  El-Mansour.  .\ussi,  lorsque  le  vizir  oméïade,  qui  consi- 
dérait ce  personnage  comme  un  homme  très  influent  qu'il  tenait  à 
ménager,  lui  eut  envoyé  à  Ceuta  son  propre  secrétaire  pour  rece- 
voir ses  explications  et  ses  plaintes,  Abou-l'Behar  évita  de  le  ren- 
contrer et,  peu  après,  gagna  le  chemin  de  l'est. 

1.  Ibii-Klialdoun,  t.  II.  p.  15  et  suiv.,  t.  III,  p.  220,  221,  240,  241. 
Kartas,  p.  141,  142.  Ei-Bekri,  passim. 


I.K   M,\(i'lU;ii   SOIS    LES   OMHIADKS  (001)1 


Aussitôt,  le  vizir  Ibn-Abou-Amer  accorda  à  Ziri  le  p;ouverne- 
ment  des  deux  Mag  rcb,  avec  ordre  de  combattre  cet  ennemi.  Ziri 
vint  alors  attaquer  Abou-rBehar,  lui  prit  Tlemcen  et  toute  la 
contrée  jusqu'à  Tiharet,  et  le  contraignit  à  la  fuite.  Ce  chef,  s'étant 
rendu  à  Kaïrouan,  fut  bien  accueilli  par  son  neveu  El-Mansour, 
qui  lui  confia  de  nouveau  le  commandement  de  Tiharet. 

Maître  enfin,  sans  conteste,  des  deux  Mag'reb,  Ziri-ben-Atiya 
y  régna  plutôt  en  prince  indépendant,  qu'en  représentant  des 
khalifes  de  Cordoue.  Après  la  mort  de  Yeddou,  les  Beni-Ifrene 
s'étaient  ralliés  autour  de  son  neveu  Ilabbous,  mais  bientôt  ce 
chef  avait  été,  à  son  tour,  assassiné,  et  le  commandement  avait 
été  pris  par  Ilammama,  petil-fils  de  Yâla,  qui  avait  emmené  les 
débris  de  la  Iribu  dans  le  territoire  de  Salé  et  était  venu  s'im- 
planter entre  cette  ville  et  Tedla. 

En  l'an  90 i,  Ziri,  qui  avait  pu  juger  par  lui-même  de  l'inconvé- 
nient qu'offrait  la  ville  de  Fès,  comme  capitale,  en  cas  d'attaque, 
fonda,  près  de  l'Oued-Isli,  la  ville  d'Oudjda,  où  il  s'établit  avec  sa 
famille  et  ses  trésors.  En  outre  de  la  force  de  la  position,  il  comptait 
sur  les  montagnes  voisines  pour  lui  servir  de  refuge,  s'il  était 
vaincu. 

Mort  du  gouverneur  El-Mansour.  Avi^nement  de  son  fils  Badis. 
—  Quelque  temps  après,  El  Mansour  mourut  à  Kaïrouan  (fin  mars 
996),  et  fut  inhumé  dans  le  grand  château  de  Sabra;  il  avait  ré- 
gné treize  ans.  Son  fils  Badis,  qu'il  avait  précédemment  désigné 
comme  héritier  présomptif,  lui  succéda  en  prenant  le  nom  d'Ahou- 
Menad-Xacir-ed-Duoula.  Il  confia  à  ses  deux  oncles,  Ilammad  et 
Itoueft,  les  charges  et  les  commandements  les  plus  importants. 
Ayant  reçu  du  Caire  un  diplôme  confirmant  son  élévation,  Badis 
se  serait  écrié  :  «  .le  tiens  ce  royaume  de  mon  père  et  de  mon 
«  grand-père  :  un  diplôme  ne  peut  me  le  donner,  ni  un  rescrit  me 
«  le  retirer'  ».  Six  mois  après  la  mort  d'El-Mansour,  eut  lieu 
celle  du  khalife  fatemide  El-Aziz.  Son  fils  El-Hakem-bi-Amer- 
Allah  lui  succéda.  C'était  un  enfant  en  bas  âge,  que  les  Ketama 
proclamèrent  sous  la  tutelle  de  l'un  des  leurs,  Hassan-ben-Ammar, 
qui  prit  le  titre  à'Ouacila  ou  de  Amin-ed-Daoula  {intermédiaire 
ou  intendant  de  l'empire). 

Dans  les  dernières  années,  la  cour  du  Caire,  loin  de  tenir  rigueur 
au  vassal  de  Kaïrouan,  avait  tout  fait  pour  resserrer  les  liens  l'unis- 
sant à  elle  et  empêcher  une  rupture  trop  facile  à  prévoir.  Parmi 
les  présents  envoyés  du  Caire  en  983  par  le  khalife  à  El-Mansour, 


1.  Baian,  t.  I. 


381 


I1ISTOIHI-;  m:  i.  AFiuyi'i- 


se  trouvait  un  éléphant  qui  excita,  à  Kaïrouan.  la  curiosité  pu- 
blique au  plus  haut  clej,n-é  et  que  le  i;ouverneur  eut  soin  de  faire 
fio^urer  dans  les  fêtes 

Puissance  des  uouverneurs  kelbites  en  Sicile.  —  Pendant  que 
l'Afrique  était  le  théâtre  de  tous  ces  événements,  la  Sicile  deve- 
nait florissante  sous  le  commandement  des  émirs  kelbites.  Djaber, 
se  livrant  à  la  débauche  et  ayant  laissé  péricliter  Tétat,  avait  été 
bientôt  déposé  par  le  khalife  du  Caire  et  remplacé  par  Djàfer-ben- 
Abd-AUah.  Celui-ci,  après  avoir  «gouverné  avec  intelli^jence  et 
équité,  mourut  en  US6.  Son  frère  et  successeur,  Abd-Allah.  qui 
suivit  sa  voie,  eut  éj^alement  un  rè<;ne  très  court.  Après  sa  mort, 
survenue  en  décembre  9S9,  il  fut  remplacé  par  son  fils  .\bou- 
rFetouh-"\  oussof.  Sous  Téuide  de  ce  prince,  la  Sicile,  soumise  et 
tranquille,  fleurit  et  devint  le  séjour  favori  des  poètes  et  des  lettrés. 

^'ers  la  lin  du  siècle,  les  Byzantins  reconquirent  sans  peine  la 
Calabre  et  la  Pouille.  et  placèrent  le  siè;;e  de  leur  commandement 
à  Bari  :  le  gouverneur  prit  le  titre  de  Katapan.  Mais  bientôt,  les 
exactions  des  Grecs  indisposèrent  les  populations  qui  appelèrent 
souvent  à  leur  aide  les  Musulmans.  Ainsi,  les  j^ouverneurs  de 
Sicile  se  trouvaient  ramenés,  pour  ainsi  dire,  malgré  eux,  sur  cette 
terre  d  ltalie,  oi'i  ils  avaient  combattu  depuis  près  de  deux  siècles 
sans  conser\  er  de  leurs  victoires  de  réels  avantajjes  matériels  -. 

Ri  PTi  RE  de  Ziri  avec  i.es  Oméïades  d'Espagne.  —  Dans  ces  der- 
nières années,  rEspaj;ne  avait  vu  une  tentative  du  souverain  légi- 
time Hicham  II.  agissant  sous  l'impulsion  de  sa  mère  Aurore, 
pour  reprendre  le  pouvoir  des  mains  du  vizir  Ibn-Abou-.Amer. 
Cette  femme  ambitieuse  et  énergique  avait  compté  sur  l'émir  des 
Mag'raoua,  le  berjjère  Ziri-ben-.\liya,  pour  l'appuyer  dans  son 
dessein,  au  milieu  d'une  cour  elTéminée  et  courbée  sous  le  despo- 
tisme. Ziri  avait,  en  ell'et.  soutenu  les  revendications  du  prince 
légitime  dont  il  avait  proclamé  le  nom  en  .\frique,  en  même  temps 
que  la  déchéance  du  ^  izir. 

^lais  le  chef  bei-bère  avait  compté  sans  la  hardiesse  d'Ibn-Abou- 
Amer  et  l'influence  qu'il  exerçait  sur  son  souverain.  Celui-ci  n'a- 
vait pas  tardé  à  regretter  son  éclair  d'énergie,  et,  de  lui-même, 
s'était  replacé  sous  le  joug.  Le  A'izir  était  sorti  de  cette  épreuve 

1.  El-Kairouani,  p.  115,  133,  134,  135.  Ibu-Klialdoun,  t.  II,  p.  15  et 
suiv. 

2.  Am.Tii,  Miisiilma/is  de  Sicile,  l.  II,  p.  330  et  suiv.  Elio  de  la  Pri- 
luaiulaio,  Arabes  et  Xorma.'iels  de  Sicile,  p.  158. 


LE   MAG  REB   SOUS   LES   OMÉIADES  (996) 


385 


plus  fort  que  jamais;  pour  en  donner  la  preuve,  il  commença  par 
supprimer  à  Ziri  tous  ses  subsides,  puis  il  appela  aux  armes  les 
Berbères  dépossédés  :  Beni-Khazer,  Miknaça,  Azdadja,  Beni- 
Berzal,  etc.;  il  en  forma  une  armée,  destinée  à  opérer  en  Mag  reb, 
et  en  confia  le  commandement  à  l  airranchi  Ouadah.  En  même 
temps,  il  prépara  une  expédition  contre  Bermude  et  tous  ses 
ennemis  de  la  Péninsule.  Cette  fois,  c'était  la  basilique  de  saint 
Jacques  de  Gompostelle,  célèbre  dans  toute  la  chrétienté,  qui 
devait  lui  servir  d'objectif  (fin  996) 

1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III,  p.  222  etsuiv.  Ibn-Klialdouu, 
t.  III,  p.  243,  244.  El-Bekri,  passim. 


T,  I. 


25 


CHAPITRE  XIll 


AFFAIBLISSEMENT  DES  EMI'IHES  MUSULMANS  EN  AFIilQl  K,  EN  ESPAGNE 

ET  EN  SICILE. 

997  -  1043. 

Ziri-l)L'ii-Aliya  est  dùfail  par  l'oméïade  El-ModalTer.  —  Victoires  de  Ziri-ben- 
Aliya  dans  le  Mag'relj  centraL  —  Oiicrres  de  Bndis  contre  ses  oncles  et 
contre  FelfouL  —  Mort  de  Ziri-ben-.Uiya  ;  fondation  de  la  Kalaa  par  Ilam- 
inad.  —  Espagne  :  Mort  du  vizir  Ben-Aboii-.Vmer.  El-Moëzz,  lils  de  Ziri,  est 
nommé  gouverneur  du  Mag'reb.  —  Guerres  civiles  en  Espagne  ;  les  Berbères 
et  les  chrcliens  y  piennent  part. —  Triomphe  des  liei  hères  et  d"EI-Moslaïn 
en  Espagne.  —  Luttes  de  lîadis  contre  les  Beni-Kliazroun  ;  Ilammad  se 
déclare  indépendant  à  la  Kalaa.  —  Guerre  entre  Badis  et  Ilammad.  — 
Mort  de  Badis,  avènement  d'El-Jloozz.  —  Gondusion  de  la  paix  entre  El- 
Moi'zz  el  Ilammad.  —  Espagne  :  Ghute  des  Oméïades;  l'edi  iside  Ali-ben- 
llaiiimoud  monte  sur  le  tiône.  —  Anarchie  en  Espagne;  fractionnement 
de  l'empire  musulman.  —  Guerres  entre  les  Mag'raoua  el  les  Beni-Ifrene. 

—  Luttes  du  sanhadjen  El-Moëzz  contre  les  Beni-Khazroun  de  Tripoli; 
préludes  de  sa  rupture  avec  les  Fatemides. — Guerres  entre  les  Mag'raoua 
et  les  Beni-Ifrene.  —  Evénements  de  Sicile  et  d'Italie;  chute  des  Kelbites. 

—  Exploits  des  Normands  en  Italie  el  en  Sicile  ;  llobert  Wiscard. —  Rup- 
ture entre  El-Moëzz  et  le  hammadite  El-Kaïd. 

Z1RI-BEN-.A.TIVA    EST    DÉFAIT    PAR    l'omUI'aDE    El-MoDAFFER.    Elî 

rompant  courageusement  avec  le  vizir  omé'iade,  Ziri  avait  peut- 
être  beaucoup  présumé  de  ses  forces;  il  se  prépara  néanmoins,  de 
son  mieux,  à  lutter  contre  lui.  Débarqué  à  Tanger,  le  général 
Ouadah  entra  aussitôt  en  campagne  (9U7i.  Pendant  trois  ou  quatre 
mois  ce  fut  une  série  d'escarmouches  sans  action  décisive  ;  Ouadah 
parvint  alors  à  surprendre  de  nuit  le  camp  de  Ziri,  près  d"Azila,  et 
à  s'en  emparer.  Le  chef  berbère  dut  opérer  sa  retraite  vers  l'inté- 
rieur, tandis  que  Nokour  et  Azila  tombaient  au  pouvoir  des  troupes 
omé'iades. 

Ces  succès  étaient  bien  insignifiants  aux  yeux  d  Ibn-Abou-Amer. 
et,  comme  Ziri  avait  repris  l  olTensive  et  forcé  Ouadah  à  la  retraite, 
le  vizir  se  décida  à  envoyer  dans  le  Mag  reb  de  nouvelles  troupes, 
sous  le  commandement  de  son  fils  Abd-el-Malek-el-Modaffer,  et 
vint  lui-même  s'établir  à  Algésiras,  afin  de  surveiller  de  plus  près 
le  départ  des  renforts.  L'arrivée  du  fils  du  puissant  vizir  en  Afrique 
produisit  le  plus  grand  effet  sur  l'esprit  si  versatile  des  Berbères. 
De  toutes  paris,  les  chefs  des  tribus,  entraînant  une  partie  de  leurs 


Al'FAlBI.ISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSULMANS  (998) 


387 


gens,  désertèrent  la  cause  de  Ziri,  pour  se  ranger  sous  les  éten- 
dards oméïades. 

Malgré  ces  défections,  Ziri,  dont  l  âme  ne  se  laissait  pas  facile- 
ment abattre,  attendit  l'ennemi  dans  la  province  de  Tanger  et  se 
prépara,  avec  une  armée  fort  nombreuse,  à  soulenir  son  choc. 
Quand  El-Modaffer  eut  réuni  toutes  les  ressources  dont  il  pouvait 
disposer,  il  se  mit  en  marche  pour  attaquer  son  adversaire.  Celui- 
ci  s'avança  bravement  à  sa  rencontre,  et,  en  octobre  998,  les  deux 
armées  se  heurtèrent  au  sud  de  Tanger.  La  bataille  s'engagea  aus- 
sitôt, acharnée  et  meurtrière;  longtemps,  l'issue  en  demeura  indé- 
cise; enfin  les  troupes  oméïades  commençaient  à  plier,  lorsque 
Ziri,  qui  se  trouvait  au  plus  fort  de  l'action,  fut  frappé  de  trois 
coups  de  lance  par  un  de  ses  propres  serviteurs,  un  nègre  dont  il 
avait  fait  tuer  le  frère.  Le  meurtrier  accourut  aussitôt  dans  les  rangs 
ennemis  porter  la  nouvelle  de  la  mort  de  l'émir  des  Mag'raoua. 
Cependant  Ziri,  bien  que  grièvement  blessé  au  cou,  n'était  pas 
tombé  et  son  étendard  tenait  encore  debout,  de  sorte  qu'EI-Modalfer 
ne  savait  ce  qu'il  devait  croire  des  rapports  du  ti-ansfuge  ou  du 
témoignage  de  ses  yeux.  Ayant  alors  remarqué  un  certain  désordre 
parmi  les  Mag'raoua,  il  entrauia  une  dernière  fois  ses  guerriers 
dans  une  charge  furieuse,  et  parvint  à  mettre  en  déroute  l'en- 
nemi. 

Les  Mag'raoua  et  leurs  alliés  se  dispersèrent  dans  tous  les  sens; 
quant  à  Ziri,  on  le  transporta  tout  sanglant  à  Fès,  où  se  trouvait 
alors  sa  famille;  mais  le«  habitants  refusèrent  de  le  recevoir,  et  ce 
fut  avec  beaucoup  de  peine  qu'on  put  obtenir  d'eux  la  l'emise  de 
son  harem.  Ziri  ne  trouva  de  sécurité  pour  lui  et  les  siens  qu'eu  se 
réfugiant  dans  les  profondeurs  du  désert. 

Cette  seule  victoire  rendit  le  Mag'reb  aux  Oméïades.  Aussi, 
lorsque  la  nouvelle  en  parvint  c'i  Cordoue,  le  A'izir  ordonna-t-il  des 
réjouissances  publiques.  Il  envoya  ensuite  à  son  fils  El-Modaffer 
le  diplôme  de  gouverneur  du  Mag'reb.  Ce  prince  confia  le  com- 
mandement des  provinces  à  ses  principaux  ofliciers,  puis  il  s'oc- 
cupa de  faire  rentrer  les  contributions  qu'il  avait  frappées  sur  les 
populations  rebelles.  Sidjilmassa  avait  été  évacuée  par  les  Beni- 
Khazroun;  le  gouverneur  oméïade  y  envoya,  pour  le  représenter, 
un  officier  du  nom  de  Hamid-ben-Yezcl  '. 

Victoires  de  Ziri-ben-Atiya  dans  le  Mag'reb  central.  —  Lorsque 

1.  Ibu-Klialdoun,  Berbères,  t.  III,  p.  244  etsuiv.,  257.  Kartas,  p.  147 
el  suiv.  Dozy,  Musulmans  d' Espagne,  t.  III,  p.  235  et  suiv.  El-Bekri, 
passim . 


388 


HiSToinr:  de  l  AFRiyi  E 


Ziri-ben-Atiya  fut  à  peu  près  guéri  de  ses  blessures,  il  rallia  au- 
tour de  lui  les  Beni-Khazroun  et  autres  tribus  dépossédées  et 
repartit  en  guerre;  mais,  n'osant  s'attaquer  aux  Oniéïades,  ce  fut 
contre  les  Sanhadja  qu'il  tourna  ses  armes.  Il  envahit  leur  pays  et 
mit  en  déroute  Itoueft  et  Hammad,  qui  avaient  voulu  lui  barrer  le 
passage.  Il  vint  alors  assiéger  Tiharet,  où  Itoueft  s'était  réfugié. 

Sur  ces  entrefaites,  les  oncles  de  Badis,  ayant  à  leur  tête  Makcen 
et  Zaoui,  deux  d'entre  eux,  se  mirent  en  état  de  révolte,  et  leur 
exemple  fut  suivi  par  leur  parent  Felfoul-ben-Khazroun,  fils  et  suc- 
cesseur du  commandant  de  Tobna.  Itoueft,  Hammad  et  Abou- 
rBehar  restèrent  fidèles  au  gouverneur.  Ces  graves  événements 
décidèrent  Badis  à  marcher  en  personne  contre  les  ennemis.  En 
999,  il  se  porta  sur  Tiharet,  débloqua  cette  ville  et  força  Ziri  à  la 
retraite;  mais,  en  même  temps,  Felfoul-ben-Khazroun  s'avançait 
vers  l'est  et  entrait  en  Ifrikiya.  Force  fut  à  Badis  de  revenir  sur 
ses  pas  pour  garantir  le  siège  de  son  commandement,  sans  avoir 
pu  compléter  sa  victoire.  Ziri  reprit  alors  l'offensive,  et  après  avoir 
de  nouveau  défait  Itoueft  et  Hammad,  s'empara  de  Tiharet  et  de 
Mecila,  puis,  se  portant  vers  le  nord,  il  conquit  Clielif,  Ténès  et 
Oran.  Dans  toutes  ces  villes,  de  même  qu'à  Tlemcen  qu'il  avait 
consei'vée,  il  fit  célébrer  la  prière  au  nom  de  Hicham  II  et  de  son 
vizir. 

Encouragé  par  ses  succès,  Ziri  pénétra  au  cœur  du  pays  des 
Sanhadja  et  vint  mettre  le  siège  devant  Achir.  En  même  temps,  il 
écrivit  au  vizir  de  Cordoue  pour  lui  rendre  compte  de  ses  victoires 
et  lui  demander  pardon  de  sa  rébellion.  Ceux  des  oncles  de  Badis 
que  Ziri  avait  recueillis  furent  chargés  de  porter  le  message  en 
Espagne.  Ils  y  arrivèrent  en  l'an  1000  et  furent  bien  reçus  par 
Ibn-Abou-Amer ;  le  vizir  parut  oublier  les  fautes  de  Ziri;  il  rap- 
pela son  fils  El-Modaffer,  permit  aux  Beni-Ouanoudine  de  rentrer 
à  Sidjilmassa  et  nomma  le  général  Ouadah  gouverneur  résidant  à 
Fè?.  Quant  à  Ziri,  il  lui  abandonna  le  commandement  des  provinces 
conquises  dans  le  Mag'reb  central  '. 

Guerres  de  Badis  contre  ses  oncles  et  contre  Felfol'l-ben- 
KiiAZROLN.  —  En  Ifrikiya,  Felfoul-ben-Khazroun  était  venu  mettre 
le  siège  devant  Bar'a'i.  De  là  il  avait,  dit-on,  demandé  des  secours 
en  Orient  au  khalife  fatemide,  alors  en  froid  avec  le  gouverneur 
de  Kaïrouan.  Celui-ci  lui  aurait  expédié  Yah'ia-ben-Hamdoun,  ré- 

1.  Ibu-Khaldoun,  t.  II,  p.  16,  17,  t.  III,  p.  246,  247,  260,  261.  Kar- 
tas,  p.  147,  148.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III,  p.  237.  Baiane, 
passim. 


AFFAIBLISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSULMANS  (1001) 


389 


fugié  en  Egypte  depuis  l'assassinat  de  son  frère;  mais  ce  chef, 
accompagné  de  quelques  troupes,  n'aurait  pu  traverser  le  pays  de 
Barka,  occupé  par  la  tribu  hilalienne  des  Beni-Korra,  récemment 
transportée  de  Syrie,  et  ainsi  Felfoul  serait  demeuré  réduit  à  ses 
propres  forces. 

Cependant,  la  panique  était  grande  à  Kaïrouan,  et  déjà  l'on 
barricadait  les  rues  pour  se  défendre,  mais  Badis,  arrivant  à 
marches  forcées,  obligea  Felfoul  à  lever  le  siège  de  Bar'aï  et  à 
rétrograder  vers  l'ouest.  Makcen,  oncle  de  Badis,  et  ses  adhérents, 
se  joignirent  alors  à  Felfoul,  et  les  confédérés  firent  une  nouvelle 
expédition  contre  Tebessa,  mais  ils  furent  repoussés.  Makcen  resta 
seul  avec  Felfoul,  ses  autres  frères  étant  allés  rejoindre  Ziri-ben- 
Atiya. 

En  1001,  Ilammad  marcha  contre  les  rebelles,  les  attaqua  vigou- 
reusement et  les  mit  en  pleine  déroute.  ^lakcen  et  ses  enfants, 
étant  tombés  aux  mains  du  vainqueur,  furent  livrés  par  lui  à  des 
chiens  affamés  qui  les  mirent  en  pièces.  Ilammad  poursuivit  les 
fuyards  jusque  dans  le  mont  Chenoua,  près  de  Cherchel,  où  ils 
s'étaient  réfugiés,  et  les  obligea  à  se  rendre,  à  la  condition  qu'on 
leur  permît  de  passer  en  Espagne. 

Mort  de  Ziri-ben-Ativa.  Fondation  de  la  Kalaa  par  IIammad.  — 
Au  moment  oii  Ilammad  obtenait  ces  succès,  Ziri-ben-Atiya  ren- 
dait le  dernier  soupir  sous  les  murs  de  la  ville  d'Achir,  qu'il  assié- 
geait depuis  longtemps  sans  succès.  On  dit  que  sa  mort  fut  causée 
par  les  blessures  que  lui  avait  faites  le  nègre  et  qui  s'étaient  incom- 
plètement guéries.  Son  fils  El-Moëzz  prit  alors  le  commandement 
et  offrit  au  gouvernement  de  Cordoue  une  forte  somme  d'argent, 
avec  son  fils  Moannecer  comme  otage,  pour  se  faire  nommer  gou- 
verneur du  Mag'reb. 

Mais  Ilammad  s'avançait  à  marches  forcées,  et  El-Moëzz  ne 
jugea  pas  prudent  de  l'attendre,  car  son  ennemi  culbutait  tout 
devant  lui  et  semblait  précédé  par  la  victoire.  Achir  délivrée, 
Hamza  et  Mecila  rentrèrent  aussi  au  pouvoir  du  général  sanha- 
djien,  qui  rendit  à  l'empire  ses  anciennes  limites.  Il  rasa  un  grand 
nombre  de  villes  infidèles  ou  difficiles  à  défendre  et  vint  fonder, 
dans  les  montagnes  abruptes  de  Kiana,  au  nord  de  Mecila  ',  une 
ville  forte  qu'il  appela  la  Kalâa  (le  château),  et  qu'il  peupla  avec 
les  habitants  des  cités  détruites. 

1.  Les  ruines  de  la  Kalàa  (Galàa,  selon  la  prononciation  locale)  se 
voient  encore  dans  le  Djebel-Nechar,  qui  ferme,  au  nord,  le  bassin  du 
Hodna. 


390 


msToiuE  ui;  l  afkiql'e 


Badis,  de  son  coté,  n'élait  pas  resté  inaclif  ;  sans  laisser  de  répit 
à  Felfoul,  il  l  avait  contraint  à  se  jeter  dans  le  désert.  Voyant  sa 
route  coupée,  le  chef  niag'raouien  chercha  un  refufje  dans  la  pro- 
vince de  Tripoli,  alors  en  proie  à  l'anarchie,  car  le  khalife  du  Caire 
y  envoyait  des  i;ouverneurs  que  son  représentant  de  Kaïrouan  re- 
fusait de  reconnaître.  Il  entra  en  maître  à  Tripoli ,  dont  les 
habitants  l'accueillirent  en  liljérateur.  Un  certain  nombre  de 
^la^'raoua  le  rejoif^nirent  dans  cette  localité  '. 

La  peste  et  la  famine  ravaf;eaient  alors  l'Afrique  et  faisaient  des 
milliers  de  victimes-. 

Espagne  :  Mduï  du  vizik  Ibn-Aisoi -Amer.  lii.-MoEzz,  rn^s  de  Ziki, 
EST  NOMMÉ  Goi  vERNEVR  DU  ^Iag'keiî.  —  Daus  le  mois  d'août  1002, 
le  vizir  El-Mansour-ben-Abou-Amer,  qui  venait  de  rentrer  d'une 
dernière  expédition  en  Castille,  mourut  à  Medina-Céli.  Le  rôle 
qu'il  a  joué  dans  l'histoire  des  Musulmans  d'Espaf^ne  est  considé- 
rable ;  par  son  indomptable  énergie,  il  a  retardé  le  démembrement 
de  l'empire  bmé'iade,  et,  par  son  audacieuse  activité,  étendu  ses 
frontières  jusqu'au  c(i.'urdes  pays  chrétiens.  Les  Musulmans  avaient 
maintenant  trois  capitales  :  Léon,  Pampelune  et  Barcelone;  les 
basiliques  les  plus  célèbres  avaient  été  pillées  ou  détruites,  le  culte 
du  Christ  aboli.  Aussi  les  populations  chrétiennes  accueillirent- 
elles  avec  un  soupir  de  soula-jenient  la  nouvelle  de  la  mort  du  ter- 
rible vizir. 

Avant  de  mourir,  Ibn-Abou-Anier  avait  fait  venir  son  fils,  Abd- 
el-Malek,  et  lui  avait  fait  les  plus  minutieuses  recommandations, 
car  il  sentait  bien  que,  malgré  l'apparence  de  la  force,  son  pouvoir 
était  précaire  et  résultait  surtout  de  la  manière  dont  il  l'exerçait. 
A  son  arrivée  à  Cordoue,  El-Modaifcr  trouva  le  peuple  soulevé  et 
réclamant  à  grands  cris  son  souverain.  Or,  Hicham  II  ne  tenait 
nullement  à  se  charger  des  soucis  du  gouvernement,  et,  grâce  à 
ces  dispositions,  le  vizir  parvint  assez  rapidement  à  faire  recon- 
naître son  autorité.  Suivant  alors  l'exemple  de  son  père,  il  donna 
tous  ses  soins  à  la  guerre  smnie  ^. 

El-ModalTer  avait  trouvé  dans  sa  capitale  l'ambassade  envoyée 
du  Mag'reb  par  El-Moëzz,  fds  de  Ziri.  Il  accueillit  avec  empresse- 
ment ses  propositions,  qui  lui  laissaient  plus  de  liberté  d'action 
pour  ses  entreprises  contre  les  chrétiens.  Le  général  Ouadah  fut 

1.  Ibu-Ivhaldouii,  t.  II.  p.  16,  17,  t.  III,  p.  248,  263.  Kartas,  p.  148. 
El-Bckri,  passim,  Ibn-el-Athir,  année  386. 

2.  Ihn-cr-Rakik.  cité  par  les  auteurs  musulmans. 

3.  Dozy,  Musuhiians  d'Espagne,  t.  III,  p.  238  et  sujv. 


AFFAIBLISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSULMANS    (1009)  391 


rappelé  par  lui  de  Fès,  et  il  envoya  à  El-Moëzz  un  diplôme  daté 
d'août  lOOG,  lui  conférant  le  titre  de  gouverneur  du  Mag'reb  pour 
la  dynastie  oméïade'.  Sidjilmassa  resta  sous  l  autorité  particu- 
lière de  Ouanoudine-ben-Kazroun. 

El-Moëzz,  fils  de  Ziri-ben-Atiya,  s'établit  alors  ù  Fès  et  prit  en 
main  la  direction  des  affaires. 

Guerres  civiles  en  Espagne.  Les  Berbères  et  les  chrétiens  y 
PRENNENT  PART.  —  El-Modaffer  était  parvenu  à  rétablir  la  paix  en 
Espagne,  et,  sous  sa  direction,  les  affaires  de  l'empire  musulman 
continuaient  à  être  florissantes,  lorsqu'il  mourut  subitement  (oc- 
tobre 1008j.  11  laissait  un  frère  du  nom  d"Abd-er-Rahman,  issu  de 
l'union  de  son  père  avec  une  cbrétienne,  fille  d'un  Sancho  de  Na- 
varre ou  de  Castille.  Ce  jeune  homme  était  détesté,  et  on  lui  don- 
nait par  dérision  le  nom  de  Sanchol  (le  petit  Sanchoj.  Plein  de 
présomption,  il  prétendait  néanmoins  se  faire  décerner  le  titre 
d'héritier  présomptif,  que  son  père  et  son  frère  n'avaient  osé 
pi'endre;  aussitôt  la  guerre  civile  éclata  dans  la  péninsule.  Des 
ambitieux  firent  passer  pour  mort  le  khalife  Ilicham  II,  procla- 
mèrent, comme  son  successeur,  un  arrière-petit-llls  d"Abd-er- 
Rahman  III,  nommé  Mohammed,  et  ayant  réuni  une  bande 
d'hommes  déterminés,  vinrent  attaquer  le  palais  du  khalife.  Ils 
arrachèrent  facilement  à  ce  prince  son  acte  d'abdication  ;  le  château 
de  Zahira  tomba  ensuite  au  pouvoir  de  Mohammed,  qui  se  fit  pro- 
clamer khalife  sous  le  nom  à' El-Mehdi-b' Ilhih  (le  dirigé  par  Dieu). 

Sanchol  (  Abd-er-Rahman),  qui  se  trouvait  à  Tolède,  voulut 
marcher  à  la  tête  de  ses  troupes,  composées  en  grande  partie  de 
Berbères,  contre  celu,i  qu'il  appelait  l'usurpateur;  mais  ses  soldats 
l'abandonnèrent.  Pèu  après,  il  toml^ait  aux  mains  de  ses  ennemis 
et  était  massacré.  Son  cadavre  fut  mis  en  croix  à  Gordoue  (1009). 

On  croyait  qu'après  cette  crise  la  tranquillité  allait  renaître; 
malheureusement,  le  nouveau  khalife  n'avait  pas  les  qualités  né- 
cessaires pour  conserver  le  pouvoir  dans  un  tel  moment.  Bientôt 
une  nouvelle  révolte  éclata;  un  petit-fils  d'Abd-er-Rahman  III, 
nommé  Ilicham,  se  fit  proclamer  khalife,  el,  soutenu  principale- 
ment par  les  Berbères,  vint  attaquer  El-Mehdi;  mais  celui-ci,  avec 
l  aide  de  la  population  de  Gordoue,  triompha  de  son  compétiteur 
et  le  fit  décapiter.  Un  grand  massacre  des  familles  berbères  suivit 
cette  victoire. 

Zaoui,  oncle  du  gouverneur  sanhadjien  de  Kaïrouan,  qui  s'était 

1.  Voir  le  texte  de  ce  diplôme.  Ibii-Khaldoun,  Berbères,  t.  III,  p.  248, 
249,  250. 


392 


HISTOIRE   DS  l'aFHIQUE 


précédemment  réfugié  en  Espagne,  rallia  les  Berbères,  brûlant  du 
désir  de  tirer  vengeance  des  Cordouans,  et  leur  fit  proclamer  un 
nouveau  khalife,  Soleïman,  neveu  du  malheureux  Hicham,  sous  le 
nom  A' El-Mostaïn-V Illah  (qui  implore  le  secours  de  Dieu). 

Puis  les  Africains,  conduits  par  ces  chefs,  allèrent  s'emparer  de 
Medina-Céli  ;  mais  bientôt  ils  y  furent  bloqués  et  se  virent  réduits 
à  implorer  l'assistance  de  Sancho,  comte  de  Castille.  Une  ambas- 
sade lui  avait  été  envoyée  par  El-Mehdi  dans  le  même  but,  avec 
l  offre  de  lui  abandonner  de  nombreuses  places  s'il  l'aidait  à  écraser 
son  compétiteur.  Ainsi,  il  avait  suffi  de  quelques  années  de  guerre 
civile  pour  faire  perdre  aux  Musulmans  tous  les  avantages  qu'ils 
avaient  obtenu  sur  les  chrélicns  par  de  longues  années  de  luttes. 

Le  comte  de  Castille  se  prononça  pour  les  Berbères,  leur  envoya 
un  ravitaillement  et  vint,  en  personne,  se  joindre  à  eux  avec  ses 
guerriers.  Les  confédérés  marchèrent  alors  sur  Cordoue  (juillet 
1009),  défirent  le  général  Ouadah,  qui  avait  voulu  les  prendre  à 
revers,  et  furent  bientôt  en  vue  de  la  capitale.  El-Mehdi  sortit 
bravement  à  leur  rencontre  et  leur  olfrit  le  combat.  11  fut  entière- 
ment défait  :  ses  soldats  furent  massacrés  par  milliers,  tandis  que 
Ouadah  regagnait  la  frontière  du  nord  et  que  le  khalife  cherchait 
un  refuge  dans  son  palais.  \'oyant  sa  situation  désespérée.  1^1-Medlii 
se  décida  à  rendre  le  trône  à  Hicham  II,  qu'il  avait  fait  passer 
pour  mort  quelque  temps  auparavant.  Mais  les  Berbères,  victo- 
rieux, n'étaient  pas  gens  à  tomber  dans  ce  piège  ;  ils  entrèrent  en 
vainqueurs  à  Cordoue  et,  aidés  des  Castillans,  mirent  cette  ville 
au  pillage.  Zaoui  put  alors  enlever  le  crâne  de  son  père  Ziri-ben- 
Menad  du  crochet  où  il  avait  été  ignominieusement  suspendu,  le 
long  de  la  muraille  du  château. 

El-Mehdi  avait  pu  fuir  et  gagner  Tolède  :  ses  partisans  étaient 
encore  nombreux;  Ouadah,  dans  le  nord,  était  en  pourparlers  avec 
les  comtes  de  Barcelone  et  d'Urgel.  El-Mostai'n,  ne  pouvant  rete- 
nir les  Castillans  en  les  récompensant,  comme  il  s'y  était  engagé, 
par  des  cessions  de  territoire,  ceux-ci  regagnèrent ,  chargés  de 
butin,  leur  province.  Sur  ces  entrefaites,  Ouadah,  accompagné 
d'une  armée  catalane,  commandée  par  les  comtes  Raymond  et  Er- 
mcngaud,  opéra  sa  jonction  avec  le  Mehdi  à  Tolède.  Puis,  le  kha- 
life, à  la  tète  de  toutes  ses  forces,  marcha  sur  Cordoue,  défit  l'ar- 
mée d'El-Mostain  et  rentra  en  maître  dans  sa  capitale,  qui  fut  de 
nouveau  livrée  au  pillage  par  les  Catalans  (juin  1010  . 

Les  Berbères  s'étaient  mis  en  retraite  vers  le  sud.  El-Mehdi  les 
poursuivit,  et,  les  ayant  atteints  près  du  confluent  du  Guadaira 
avec  le  Guadalquivir.  leur  offrit  le  combat.  Cette  fois,  les  Africains 
prirent  une  éclatante  revanche.  L'armée  d'El-Mehdi  fut  mise  en 


AFFAIBLISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSULMANS   (1013)  393 


déroute  et  plus  de  trois  mille  Catalans  restèrent  sur  le  champ  de 
bataille.  Les  survivants  de  l'armée  chrétienne,  rentrés  à  Cordoue, 
s'y  conduisirent  avec  une  cruauté  inouïe.  Enfin  les  Catalans  s'éloi- 
gnèrent; peu  après,  El-Mehdi  tombait  sous  les  coups  des  oiïiciers 
slaves  à  son  service,  qui  rétablirent  sur  le  trône  Hicham  II,  ce 
fantôme  de  khalife.  Ouadah,  un  des  chefs  de  la  conspiration,  s'ad- 
jugea le  poste  de  premier  ministre 

Triomphe  des  Berbères  et  d'El-Mosta'i'n  en  Espagne.  —  Cette 
révolution  à  Cordoue  ne  résolvait  rien,  car  les  Berbères,  victo- 
torieux,  restaient  dans  le  midi  avec  El-Mostaïn,  et  n'étaient  nulle- 
ment disposés  à  se  soumettre  au  slave  Ouadah.  Celui-ci,  dans  cette 
conjoncture,  se  tourna  de  nouveau  vers  le  comte  de  Castiile,  en 
implorant  son  secours;  mais  Sancho  voulut  au  préalable  des  gages, 
c'est-à-dire  la  remise  entre  ses  mains  des  places  conquises  par  Ibn- 
Abou-Amer,  menaçant,  en  cas  de  refus,  de  se  joindre  aux  Ber- 
bères. Ces  conditions  élaient  dures  ;  cependant  Ouadah,  ayant 
perdu  tout  autre  espoir  de  salut,  se  décida  à  les  accepter.  Dans  le 
mois  de  septembre  1010,  fut  signé  le  traité  qui  rendait  aux  chré- 
tiens presque  toutes  les  conquêtes  des  règnes  précédents. 

Cependant  les  Berbères  a\'aient  l'cpris  la  campagne;  durant  l'au- 
tomne et  l'hiver  suivants,  ils  répandirent  dans  toutes  les  provinces 
musulmanes  la  dévastation  et  la  mort.  Cordoue  fut  bloquée,  et  la 
peste  vint  bientôt  joindre  ses  ravages  à  ceux  de  la  guerre.  Dans  le 
mois  d'octobre  101 1 ,  Ouadah  fut  mis  à  mort  par  les  soldats  révoltés. 
Cependant  Cordoue  resta  encore  aux  mains  des  soldats  slaves  jus- 
qu'au mois  d'avril  1013.  Quant  aux  Castillans,  ils  étaient  rentrés, 
sans  coup  férir,  en  possession  de  leurs  provinces,  et  ne  paraissent 
pas  s'être  souciés  de  tenir  strictement  leurs  promesses. 

Le  29  avril,  Cordoue  tomba  aux  mains  des  Berbères;  la  plus 
horrible  boucherie,  le  viol,  le  pillage  et  enfin  l'incendie  furent  les 
conséquences  de  leur  succès.  Soleïman-el-Mostaïn  restait  enfin 
maître  du  pouvoir  et  obtenait  du  malheureux  Ilicham  II  une  nou- 
velle abdication.  <(  Le  triomphe  des  Berbères,  dit  M.  Dozy,  porta 
le  dernier  coup  à  l'unité  de  l'empire.  Les  généraux  slaves  s'empa- 
rèrent des  grandes  villes  de  l'est  ;  les  chefs  berbères,  auxquels  les 
Amirides  (vizirs)  avaient  donné  des  fiefs  et  des  provinces  à  gou- 
verner, jouissaient  aussi  d'une  indépendance  complète,  et  le  peu 


1.  Do/.y,  Musulmans  d' Espagne,  t.  III,  p.  268  et  suiv.  Le  même,  Re- 
cherches sur  l'hist.  de  r Espagne,  t.  I,  p.  205  et  suiv.  Ibn-Klialdoun,  t.  II, 
p.  60  et  suiv.,  153  et  suiv.  El-Marrakclii  (éd.  Dozy),  p.  29  et  suiv. 


394 


lIISTOUil-:   Di:   I,  AFUIQUE 


de  familles  arabes  qui  claient  encore  assez  puissantes  pour  se  faire 
valoir  n'obéissaient  pas  davanta^^e  au  nouveau  khalife  '.  » 

En  Espa^'ne  comme  en  Afrique,  l  élément  berbère  reprenait  la 
prépondérance,  au  détriment  des  petits-fils  des  conquérants  arabes. 

Luttes  de  Badis  contre  les  Bem-Khazkoin.  IIamma»  se  déclahe 
INDÉPENDANT  A  LA  Kalaa.  —  Pendant  que  l'Espagne  était  le  théâtre 
de  ces  événements,  sur  lesquels  nous  nous  sommes  étendus  en  rai- 
son de  leur  imjwrlance  pour  l'histoire  de  la  domination  musul- 
mane dans  la  Péninsule,  les  Berbères  d'Afrique  voyaient  leur  puis- 
sance s'affaiblir  par  l'anarchie,  au  moment  où  l'union  leur  aurait 
été  si  nécessaire  pour  résister  à  l'invasion  hilalienne  près  de 
s'abattre  sur  eux. 

Badis  avait  lutté  en  vain  pour  anéantir  le  royaume  maf^'raouien 
fondé  à  Tripoli  par  Felfoul-ben-Kazroun.  Ce  chef  avait  résisté  avec 
avantage  et  était  parvenu  à  conserver  le  pays  conquis.  Abandonné 
par  le  khalife  fatemide  du  Caire,  il  avait  proclamé  la  suzeraineté 
des  Oméïades  et  était  mort  en  l'an  1010.  Son  frère  Ouerrou  avait 
recueilli  son  héritage  et  offert  sa  soumission  à  Badis,  mais  bientôt 
la  guerre  avait  recommencé  dans  la  Tripolitaine  et  le  Djerid  entre 
lui,  plusieurs  de  ses  parents  et  les  olliciers  sanhadjiens.  En  vain 
le  gouverneur  essaya  de  s'interposer  et  de  rétablir  la  paix,  Ouerrou 
conserva  Tripoli  et  y  commanda  en  chef  indépendant. 

Dans  le  ÎMag'reb  central,  la  situation  était  autrement  grave. 
Hammad,  après  avoir  soumis  la  partie  occidentale  de  l'empire 
sanhadjien,  s'était  occupé  activement  de  la  construction  de  sa  ca- 
pitale; bientôt  la  Kalâa,  peuplée  des  meilleurs  artisans  et  ornée 
des  richesses  enlevées  aux  villes  voisines,  était  devenue  une  cité 
de  premier  ordre.  Son  fondateur  y  commandait  en  roi,  exerçant 
une  autorité  indépendante  sur  le  Zab,  Constanline  et  le  pays  propre 
des  Sanhadja,  avec  Achir,  l'ancienne  capitale.  D'après  M.  de  Mas- 
Latrie*,  un  groupe  important  de  Berbères  chrétiens  contribua  à 
former  la  population  de  la  Kalâa.  Des  privilèges  leur  furent  accordés 
pour  le  libre  exercice  de  leur  culte  et  un  évêque  leur  fut  donné 
plus  tard  par  le  pape  Grégoire  ^TL  Les  historiens  musulmans 
sont  muets  sur  ce  ])oinl. 

La  jalousie  de  Badis,  excitée  par  les  ennemis  de  son  oncle,  qui 
présentaient  le  fondateur  de  la  Kalâa  comme  visant  à  l'indépen- 
dance, ne  tarda  pas  à  amener  entre  eux  une  rupture.  El-Moëzz, 

1.  Musiiliiiaris  d' ICspagne,  t.  III,  p.  212. 

2.  Trailcs  de  paix  et  de  comiuerce  concciiianl  les  relations  des  Chrétiens 
avec  les  Arabes  de  l'Afrif/iie  septentrionale  au  Moyen  Age.  T.  I,  p.  52  et  siiiv. 


AFFAIBLISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSULMANS  (10161 


395 


fils  de  Badis,  venait  d'être  reconnu  par  le  khalife  comme  héritier 
présomptif  de  son  père  ;  celui-ci  invita  alors  son  oncle  Hammad  à 
remettre  au  jeune  prince  le  commandement  de  la  réj^ion  de  Cons- 
tantine. 

Cette  décision,  qui  cachait  peu  les  sentiments  de  défiance  de 
Badis,  fut  très  mal  accueillie  par  Hammad.  Il  y  répondit  par  un 
refus  formel.  En  même  temps,  il  se  déclara  indépendant,  répudia 
hautement  la  suzeraineté  des  Fatemides,  massacra  leurs  partisans 
et  fit  proclamer  dans  les  mosquées  la  suprématie  des  Abijassides. 
La  doctrine  chiaïle  fut  proscrite  de  ses  états  et  le  culte  sonnite 
déclaré  seul  orthodoxe  flOlii  '.  La  réaction  des  Sonnites  contre  les 
Chiaïtes  commença  à  se  manifester  dans  les  villes  habitées  par  des 
populations  d  orif^ine  arabe.  L'entouraj^e  même  du  jeune  El-Moczz 
ressentit  les  elFets  de  ce  mouvement  des  esprits,  le  précepteur  du 
prince  étant  orliiodoxe.  Bientôt  un  massacre  général  des  Chiaïtes 
eut  lieu  en  Ifrikiya  -. 

Guerre  entre  Badis  et  Hammad.  Mcjrt  de  Badis.  Avènejient 
d'El-Moezz.  —  Prenant  alors  l  oirensive,  Hammad  fit  irruption  en 
Ifrikiya,  à  la  tête  de  nombreux  contingents  des  tribus  sanhad- 
jiennes  et  de  quelques  Zenètes  :Ouadjidjen,  Ouar'mert),  et  vint 
enlever  la  ville  de  Badja,  à  l  ouest  de  Tunis.  Badis  envoya  contre 
lui  son  oncle  Brahim  ;  mais  celui-ci  passa  du  côté  de  son  frère, 
et  le  gouverneur  n'eut  d'autre  ressource  que  de  se  mettre  lui- 
même  à  la  tête  de  ses  troupes.  A  son  approche,  l'armée  envahis- 
sante se  débanda  et  Hammad  se  vit  contraint  de  fuir.  Il  se  réfugia 
d'une  traite  derrière  le  Chelif. 

Badis  le  p'oursuivit  l'épée  dans  les  reins,  entra  en  vainqueur  à 
Achir,  pénétra  dans  les  hauts  plateaux,  reçut  la  soumission  des 
tribus  zenètes,  telles  que  les  Beni-Toudjine,  et  s'avança  jusqu'au 
plateau  de  Seressou.  Renforcé  par  un  contingent  de  trois  mille 
Beni-Toudjne,  commandés  par  Yedder,  fils  de  leur  chef  Lokmane, 
le  gouverneur  descendit  dans  la  plaine,  passa  le  Chelif  et  attaqua 
son  oncle  Hammad  qui  l'attendait  dans  une  position  retranchée. 
Cette  fois  encore,  la  victoire  se  prononça  pour  Badis,  une  partie 
des  adhérents  de  son  compétiteur  l'ayant  abandonné  et  le  reste 
ayant  été  facilement  dispersé. 

Hammad  se  réfugia,  non  sans  peine,  dans  sa  Kalàa,  mais  Badis 


1.  Ibn-Khaldoun,  t.  II,  p.  18,  44,  t.  III,  p.  263,  264.  El-Kaïrouani, 
p.  136,  137. 

2.  Ibn-el-Atliir,  année  407. 


396 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


ne  tarda  pas  à  venir  camper  dans  la  plaine  de  Mecila,  et,  de  là,  fit 
commencer  le  blocus  de  la  capitale  de  son  oncle.  Pendant  les  opé- 
rations de  ce  siège,  Badis  mourut  subitement  dans  sa  tente 
(juin  1016).  Comme  la  peste  avait  reparu  en  Afrique,  il  est  pos- 
sible qu'il  succomba  au  fléau.  Cet  événement  porta  le  désordre 
dans  l'armée  assiégeante  composée  d'éléments  hétérogènes;  les 
auxiliaires  s'étant  débandés,  la  Kalâa  fut  débloquée.  Les  officiers 
proclamèrent  le  jeune  El-Moëzz,  fils  de  Badis,  âgé  seulement  de 
huit  ans,  et  le  conduisirent  à  Kaïrouan  pendant  que  son  oncle 
Kerama  essayait  de  couvrir  Achir.  Les  restes  de  Badis  furent 
rapportés  à  Ka'irouan,  puis  on  procéda  à  l'inauguration  de  son  suc- 
cesseur dont  l'extrême  jeunesse  allait  favoriser  si  bien  les  projets 
ambitieux  de  son  grand-oncle.  El-Moëzz  reçut  d'Orient  un  diplôme 
où  le  titre  de  Cher f-ed-Daoula  (noblesse  de  l'empire)  lui  était 
donné  ' . 

Conclusion  de  la  paix  entre  El-Moezz  et  Hammad.  —  Ham- 
mad  avait  repris  vigousement  l'offensive;  après  être  rentré  en  pos- 
session de  son  ancien  territoire,  il  vint  mettre  le  siège  devant 
Bar'aï.  Mais  il  avait  trop  présumé  de  ses  forces  ;  son  neveu  ayant 
marché  contre  lui  le  mit  en  déroute  et  le  réduisit  encore  à  la  der- 
nière extrémité  (1017).  Hammad  s'était  réfugié  derrière  les  rem- 
paris  de  sa  Kalâa,  tandis  que  le  vainqueur  s'avançait  jusqu'à  Sétif  ; 
il  fit  proposer  à  celui-ci  un  arrangement  que  le  jeune  El-Moëzz, 
bien  conseillé,  refusa. 

Le  gouverneur  était  rentré  à  Kaïrouan,  mais  la  situation  de  son 
grand-oncle  ne  restait  pas  moins  critique  :  abandonné  de  tous, 
sans  argent,  il  se  décida  à  faire  une  nouvelle  démarche  auprès  de 
son  petit-neveu  et  lui  dépêcha  en  Ifrikiya  son  propre  fils  El'Ka'id, 
porteur  de  riches  présents.  L'ambassade  fut  accueillie  avec  de 
grands  honneurs  et,  enfin,  on  arriva  à  conclure  un  traité  de  paix 
par  lequel  Hammad  reçut  le  gouvernement  du  Zab  et  du  pays  des 
Sanhadja,  avec  les  villes  de  Tobna,  Mecila,  Achir,  Tiharet  et  tout 
ce  qu'il  pourrait  conquérir  à  l'ouest.  C'était  la  consécration  du 
démembrement  de  l'empire  fondé  par  Bologguine.  El-Kaïd  reçut 
aussi  un  commandement  et  revint  à  la  Kalâa  avec  des  cadeaux 
somptueux  pour  son  père  (1017). 

Espagne,  chute  des  Omk'i'ades  :  l'édriside  Ali-ben-Hammoud  monte 
SUR  LE  trône.  —  Pendant  que  ces  événements  se  passaient  en 

1.  Ibn-el-Athir,  année  403. 


AFFAIBLISSEMENT  DES   ËMPIRI-S   Ml'SUl.MANS  (  1018')  397 

Afrique,  l'Espagne  était  le  théâtre  d  une  nouvelle  révolution.  El- 
Mostaïn,  parvenu  au  trône  avec  l'appui  des  Berbères  et  des  chré- 
tiens, n'avait  aucune  sympathie  parmi  la  population  musulmane 
espagnole;  quant  aux  Berbères,  ils  ne  lui  accordaient  qu'une  con- 
fiance relative  et  ne  reconnaissaient,  en  réalité,  que  leurs  propres 
chefs,  parmi  lesquels  le  sanhad  jien  Zaoui,  gouverneur  de  Grenade, 
et  Tedriside  Ali-ben-Hammoud,  commandant  de  Tanger,  avaient 
la  plus  grande  influence.  Les  Slaves,  qui  constituaient  un  élé- 
ment important  dans  l'armée,  conservaient  toute  leur  fidélité  à 
Hicham  II,  bien  qu'en  réalité  personne  ne  sût  s'il  était  encore 
vivant. 

Khéïrane,  chef  des  Slaves,  ayant  conclu  une  alliance  avec  Ali- 
ben-Hammoud,  celui-ci  traversa  le  détroit,  à  la  tête  de  ses  parti- 
sans, avec  l'aide  de  son  frère  Kacem,  gouverneur  d'Algésiras  ; 
après  avoir  rejoint  les  Slaves,  il  marcha  directement  sur  la  capi- 
tale. Zaoui  se  prononça  aussitôt  pour  lui.  Le  f'' juillet  1016,  Ali- 
ben-Hammoud  entra  en  maîti-e  à  Cordoue.  El-Mosta'in  et  ses 
parents  furent  mis  à  mort,  et,  quand  on  eut  acquis  la  certitude 
que  Hicham  n'existait  plus,  tout  le  monde  se  rallia  à  .\li,  qui  fut 
proclamé  khalife,  sous  le  nom  d' El-Melaoukkel-li-Dïiie-Allah 
(celui  qui  s'appuie  sur  la  religion  de  Dieu).  Ainsi  finit  la  dynastie 
omé'iade,  qui  régnait  sur  l'Espagne  depuis  près  de  trois  siècles  et 
qui  avait  donné  à  l'empire  musulman  de  si  beaux  jours  de  gloire. 
Un  Arabe  de  race,  dont  la  famille,  bien  que  d'origine  cherifienne, 
était  devenue  berbère,  et  qui  lui-même  ne  parlait  que  très  mal 
l'arabe,  monta  sur  le  trône  de  Cordoue. 

Ali  avait  espéré,  paraît-il,  rendre  à  l'Espagne  la  paix  et  le  bon- 
heur, mais  il  comptait  sans  les  factions.  Khe'irane,  le  chef  des 
Slaves,  voulut  jouer  le  rôle  de  premier  ministre  tout-puissant  ; 
mais  le  prince  edriside  n'entendait  nullement  partager  son  auto- 
rité. Déçu  dans  ses  espérances,  le  chef  des  Slaves  se  mit  à  cons- 
pirer et  entraîna  dans  son  parti  ses  compatriotes  et  les  Andalous. 
Il  fallait  un  khalife  :  on  trouva  un  petit-fils  d"Abd-er-Rhaman  III, 
que  l'on  para  de  ce  titre.  Moundir,  ouali  de  Saragosse,  soutenu  par 
son  allié  Raymond,  comte  de  Barcelone,  se  joignit  aux  rebelles  et, 
au  printemps  de  l'année  1017,  tous  marchèrent  contre  le  souve- 
rain. Ali,  qui  jusque  là  avait  écarté  les  Berbères  et  résisté  à  leurs 
prétentions,  se  jeta  dans  leurs  bras  et,  avec  leur  appui,  triompha 
sans  peine  de  ses  ennemis.  Dès  lors,  il  renonça  à  faire  le  bonheur 
des  Andalous,  qui  reconnaissaient  si  mal  ses  bonnes  intentions  ; 
le  pays  fut  livré  de  nouveau  à  la  tyrannie  des  Berbères,  et  le  kha- 
life donna  lui-même  l'exemple  de  l'avidité  et  de  la  cruauté.  Peu 


398 


HISTOIRE   DE  L  AFRIQUE 


de  temps  après,  il  fut  assassiné  par  trois  Slaves,  au  moment  où  il 
préparait  une  grande  expédition   17  avril  1018^, 

Anarchie  en  Espagne:  Fractionnement  de  l'empire  mlsllman. — 
Ali  laissa  deux  lils,  dont  l  ainé.  Yahïa,  était  ofouverneur  de  Ceuta, 
mais  Kacem,  frère  d'Ali,  avait  une  plus  grande  notoriété  et  ce  fut 
lui  que  les  Berbères  proclamèrent.  De  leur  côté,  Khéïrane  et 
Moundir  élirent  le  petit-fils  d'En-Xacer.  sous  le  nom  d'Abd-er- 
Rahman  \\\  avec  le  titre  d'El-Mor(nda  l'agréé  de  Dieu \  Zaoui, 
le  sanhadjien.  dont  la  puissance  était  grande,  restait  dans  l'expec- 
tative. Les  adhérents  du  prétendant  oniéiade  essayèrent  de  l'en- 
traîner dans  leur  parti  et.  n'ayant  pu  y  parvenir,  marchèrent  contre 
lui,  mais  ils  furent  défaits  et.  peu  après.  El-Morlada  était  assassiné 
par  ses  partisans.  Kacem,  resté  ainsi  seul  maître  du  pouvoir, 
essaya  de  rendre  un  peu  de  tranquillité  à  la  malheureuse  Espagne. 
Pour  cela,  il  fit  la  paix  avec  Khe'irane  et  les  principaux  chefs  slaves 
et  andalous  et  leur  donna  le  commandement  de  villes  ou  de  pro- 
vinces, où  ils  s'établirent  en  maîtres.  Ainsi  la  paix  ne  s'obtenait 
que  par  le  morcellement  de  l'empire  musulman. 

Vers  cette  époque  (10201,  Zaoui  abandonna  le  commandement 
de  la  province  de  Grenade  à  ?on  fils  et  rentra  à  Kaïrouan.  après 
une  absence  de  vingt  années;  il  y  fut  reçu  avec  de  grands  hon- 
neurs par  son  neveu  El-Moëzz-. 

Mais  bientôt,  Yahia,  fils  d'Ali,  leva  l'étendard  de  la  révolte  et, 
soutenu  par  les  Berbères  et  les  Slaves,  marcha  sur  la  capitale. 
.Abandonné  de  tous,  Kacem  dut  céder  la  place  (août  1021'.  Yah'ia 
ne  tarda  pas  à  éprouver  à  son  tour  le  même  revers  de  fortune,  et 
Kacem  remonta  sur  le  trône  i février  1023  .  Dès  lors,  la  guerre  de- 
vint incessante  entre  les  Edrisides.  et  s'étendit  jusqu'au  Mag'reb 
où  un  de  leurs  parents,  du  nom  d'Edris,  allié  à  Yahïa,  parvint  à 
s'emparer  de  Tanger.  L'Espagne  se  trouva  encore  livrée  aux  fureurs 
de  la  guerre  civile.  Yahïa,  ayant  triomphé  une  dernière  fois  de 
son  oncle,  le  tint  dans  une  étroite  captivité;  mais  alors,  les  Cor- 
douans,  profitant  de  ce  que  Yahïa  avait  choisi  Malaga  comme  ré- 
sidence, proclamèrent  un  prince  oméïade.  Abd-er-Rahman  V,  sous 
lî  nom  d'El-Mosiad'hir  :  c'était  la  réaction  de  la  noblesse  arabe 
contre  l'élément  berbère.  Mais  cette  société  caduque  et  corrom- 


1.  Dozy,  Musulmans  d'Espagne,  t.  III,  p.  313  et  saiv.  Ibn-Klialdoun, 
t.  II,  p.  61,  153,  154.  El-Bekri,  trad.  art,  Idricides.  El-Marrakchi 
(éd.  Dozy^.  p.  42  et  siiiv. 

2.  Ibii-Klialdoiiii.  t.  II.  p.  Gl,  62. 


AFFAIBLISSEMENT  DES   EMPIRES   ML'sri.MANS    (1026)  '.VM) 

pue  était  incapable  de  se  gouverner;  bientôt  une  nouvelle  sédition 
renversa  El-Mostad'hir  et  le  remplaça  par  El-Moktafa,  sans  pour 
cela  ramener  la  pai\,  si  bien  que  les  Cordouans  se  décidèrent  à 
appeler  chez  eux  Yahïa,  afin  de  mettre  un  terme  à  cette  anarchie. 
Yahïa  leur  envoya  un  de  ses  généraux  (novembre  1025).  Quelques 
mois  après,  une  nouvelle  émeute  plaçait  sur  le  trône  de  Cordoue 
un  souverain  éphémère  du  nom  de  Hicham  III,  appartenant  à  la 
famille  oméïade 

Guerres  entre  les  Mag'raoua  et  les  Beni-Ifrene.  —  Dans  le 
Mag'reb,  El-Moëzz,  lils  de  Ziri-ben-Atija,  chef  des  Mag  raoua, 
ayant  voulu  arracher  Sidjilmassa  des  mains  des  Beni-Khazroun, 
qui  s'étaient  déclarés  indépendants,  avait  été  entièrement  défait 
et  contraint  de  rentrer  dans  Fès,  après  avoir  perdu  presque  toute 
son  armée  (1016).  Dès  lors  la  puissance  des  Mag'raoua  de  Fès  fut 
contrebalancée  par  celle  de  leurs  cousins  du  sud.  Ils  se  lirent  une 
guerre  incessante,  dont  le  résultat  fut  préjudiciable  à  El-Moëzz. 
Son  adversaire,  Ouanoudine,  s'empara  de  la  vallée  de  la  Moulouïa, 
mit  des  officiers  dans  toutes  les  places  fortes  et  vint  même  enlever 
Sol'raoua,  une  des  dépendances  de  Fès.  En  10"26,  El-Moëzz  cessa 
de  vivre  et  fut  remplacé  par  son  cousin  Hammama.  Sous  l'éner- 
gique direction  de  ce  chef,  les  ^lag'raoua  se  relevèrent  de  leurs 
humiliations  en  faisant  subir  de  nombreuses  défaites  aux  Beni- 
Khazroun  de  Sidjilmassa. 

Les  Beni-Ifrene  étaient,  en  partie,  passés  en  Espagne  ;  mais  un 
groupe  important,  resté  dans  le  Mag'reb,  se  réunit  à  Tlemcen, 
autour  des  descendants  de  Yeddou-ben-Yâla.  Après  avoir  étendu 
de  nouveau  leur  autorité  sur  le  Mag'reb  central,  ils  attaquèrent 
les  Mag'raoua  de  Fès,  mais  sans  réussir  à  les  vaincre;  conduits 
par  leur  chef  Temim,  petit-lils  de  Yâla,  ils  se  portèrent  alors  sur 
Salé,  enlevèrent  cette  ville  et,  de  là,  allèrent  guerroyer  contre  les 
Berg'ouata  hérétiques  -. 

Luttes  du  Samiadjien  El-Moezz  contre  les  Beni-Kiiazroun  de 
Tripoli.  Préludes  de  sa  rupture  avec  les  Fatemides.  —  En  Ifri- 
kiya ,  la  puissance  du  gouverneur  sanhadjien  continuait  à  dé- 
cliner. Renonçant,  pour  ainsi  dire,  aux  régions  de  l'ouest,  aban- 
données de  fait  à  Hammad,  El-Moëzz  ne  s'occupait  guère  que  des 

1.  Ibn-Khaldomi,  t.  II,  p.  19,  G2,  154.  Do/.y,  Musulmans  d' Espagne, 
l.  m,  p.  351  et  suiv.  El-Bekri,  JJiicidcs. 

2.  Ibii-Klialdouii,  t.  11,  p.  131,  l.  III,  p.  215,  224,  235,  257,  271.  El- 
Rekri,  pas.siin. 


400 


HISTOIHK  DE  L  AFRIQI  E 


Beni-Khazroun  de  la  province  de  Tripoli.  L'anarchie  y  était  en 
permanence.  Ouerrou,  l'rére  de  Felfoul,  étant  mort  en  1015,  son 
fils  Khalifa  voulut  prendre  le  commandement  des  Zenètes,  mais 
ces  Berbères  se  divisèrent,  et  une  partie  suivit  les  étendards  de 
Khazroun,  frère  de  Ouerrou. 

-Après  une  courte  lutte,  celui-ci  resta  maître  de  l'autorité  et 
entraîna  ses  adhérents  à  des  incursions  sur  les  territoires  de  Gabès 
et  de  Tripoli,  où  un  jxouverneur,  du  nom  d'Abd-.\llah-bcn- 
Hacen,  commandait  pour  El-Moëzz.  En  1026,  cet  Abd-Allah.  dont 
le  frère  venait  d'être  mis  à  mort  à  Ka'irouan,  par  l'ordre  du 
ojouverneur,  livra,  pour  se  venger,  Tripoli  à  Khalifa,  chef  des 
Zenètes,  et  celui-ci,  étant  ainsi  devenu  maître  de  cette  place, 
en  expulsa  Abd-Allah  et  fit  massacrer  tous  les  Sanhadja  qui  s'y 
trouvaient. 

El-Moëzz,  bien  qu'ayant  été  élevé  dans  les  principes  de  la  doc- 
trine chiaïte,  s'était  rattaché  à  la  secte  de  Malek  et  n'avait  pas 
tardé  à  persécuter  ses  anciens  corelig^ionnaires.  A  El-Mehdïa,  à 
Kaïrouan,  les  Chiaïtes  étaient  poursuivis,  molestés,  torturés  même. 
Leur  sang  avait  coulé  à  flots  et  ces  mauvais  traitements  les 
avaient  forcés,  en  maints  endroits,  à  l'exil  volontaire.  La  Sicile 
et  l'Orient  avaient  vu  arriver  ces  malheureux  dans  le  plus  triste 
état.  Cette  attitude  n'était  rien  moins  que  la  révolte  contre 
les  khalifes  d'Egypte.  En  vain  El-Hakem,  qui  régnait  alors, 
essaya  de  ramener  à  l'obéissance  son  représentant  de  Kaïrouan, 
en  le  comblant  de  cadeaux  ;  il  ne  réussit  qu'à  retarder  une  rupture 
inévitable. 

Khalifa,  de  Tripoli,  exploitant  la  situation,  entra  en  rapports 
avec  la  cour  du  Caire  et  reçut  du  khalife  un  diplôme  lui  confé- 
rant le  commandement  de  la  Tripolitaine.  C'était,  entre  les  deux 
cours,  un  échange  d'hostilités  indirectes,  prélude  d'actes  plus 
décisifs. 

En  1028,  Hammad  mourut  à  la  Kalàa,  et  fut  remplacé  par  son 
fils  El-Kaïd,  qui  confia  à  ses  frères  les  grands  commandements  de 
son  empire.  Les  bons  rapports  continuèrent  pendant  quelque  temps 
entre  lui  et  son  cousin  de  Kaïrouan,  mais,  de  ce  côté  aussi,  une 
rupture  était  imminente  '. 

Guerre  entre  les  Mag'raoc.\  et  les  Beni-Ifrexe.  —  A  Fès,  Ham- 

1.  Ibn-Khaldoun,  t.  I,  p.  30,  t.  II,  p.  20,  21,  45, 131,  t.  III,  p.  266,  267. 
El-Kairouani,  p.  140,  141.  El-Bekri,  passim.  Amari,  Musulmans  de  Si- 
cile, t.  II,  p.  .>d7  et  suiv. 


AFFAIBLISSEMENT   DES   EMPIRES   MUSl'I.MANS    (  1026) 


401 


marna,  roi  des  Mafï'raoua,  coiilinuail  à  réf^ner  au  milieu  d'une  cour 
brillanle,  et,  pendant  ce  temps,  les  Beni-Ifrene,  commandés  par 
Temim,  guerroyaient  contre  les  Berg'ouata  et  devenaient  redou- 
tables. En  1033,  ils  vinrent,  avec  l  aide  d'autres  tribus  zenèles, 
mettre  le  siège  devant  Fès.  Le  chel  des  Mag'raoua  leur  livra  une 
grande  bataille  sous  les  murs  de  la  ville;  mais,  après  une  lutte 
acharnée  où  tombèrent  ses  meilleurs  guerriers,  il  fut  entièrement 
défait.  Les  Beni-Ifrene  entrèrent  victorieux  à  Fès,  qu'ils  mirent  au 
pillage.  Le  quartier  des  juifs,  surtout,  attira  leur  convoitise,  car  il 
était  rempli  de  richesses;  les  vainqueurs  massacrèrent  les  hommes 
et  réduisirent  les  femmes  en  esclavage. 

Temim  s'installa  en  souvei'ain  dans  Fès,  tandis  que  llammama 
se  réfugiait  à  Oudjda  et  s'occupait  avec  activité  à  réunir  ses 
adhérents,  afin  de  prendre  sa  revanche.  Peu  de  temps  après,  il  fut 
en  mesure  de  commencer  les  hostilités  et,  en  1038,  il  arrachait  sa 
capitale  des  mains  des  Beni-Ifrene.  Ceux-ci  rentrèrent  dans  leurs 
anciens  territoires;  Temim  se  retrancha  à  Chella 

Après  celte  \icloire,  Hammania  se  crut  assez  fort  pour  entre- 
prendre d'autres  conquêtes.  A  la  lêle  d'une  armée  zenatienne,  il 
se  mit  en  marche  vers  l'est  et  envahit  le  territoire  sanhadjien. 
El-Kai'd,  seigneur  de  la  Kalâa,  s'avança  à  sa  rencontre;  mais,  se 
sentant  moins  fort,  il  n'osa  pas  engager  le  combat,  et  préféra  em- 
ployer l'intrigue  et  la  corruption  pour  détourner  les  adhérents  de 
son  adversaire.  .\bandonné  par  son  armée,  llammama  n'eut  bien- 
tôt d'autre  parti  à  prendre  que  d'accepter  la  paix  et  de  rentrer 
chez  lui.  Il  mourut  l'annéç  suivante  (lOiO),  laissant  le  pouvoir  à 
son  fils  ;  mais  la  guerre  civile  divisa  alors  les  Mag'raoua  ;  et  Fès  fui, 
pendant  de  longues  années,  le  théâtre  de  luttes  et  de  compéti- 
tions dans  lesquelles  les  forces  des  Mag'raoua  s'épuisèrenl. 

Evénements  de  Sicile  et  d'Italie.  Chute  des  Kelbites.  —  Ab- 
sorbés par  l'histoire  de  l'Afrique  et  de  l'Espagne,  nous  avons  perdu 
de  vue  la  Sicile  et  l'Italie,  et  il  convient  de  revenir  sur  nos  pas 
afin  de  passer  une  rapide  revue  des  événements  survenus  dans  ces 
contrées. 

La  Sicile,  indépendante  de  fait  sous  les  émirs  kelbites,  qui  re- 
connaissaient pour  la  forme  l'autorité  des  khalifes  fatemides,  pro- 
fila d'une  période  de  paix,  pendant  laquelle  fleurirent  les  lettres 


1.  Le  Kartas  donne  pour  date  à  cet  événement  l'année  1041.  Nous 
adoptons  la  date  et  la  leçon  d'Ibn-Klialdoun  qui  pacaisseut  plus  pro- 
bables. 


T.  I. 


26 


i02 


HISTOIRE   DH   I,  AFRIQl'I-: 


et  les  arts.  Toutes  les  forces  vives  des  Musulmans  s'étaient  repor- 
tées sur  l'Italie.  Les  villes  de  Cafjliari  et  de  Pise  avaient  été  pillées 
par  les  Sarrasins  (1002).  En  1004,  le  do^^e  de  Venise,  P.  Orseolo,  vint 
au  secours  de  Bari,  assiégée  par  le  renégat  Safi,  et  força  les  Musul- 
mans à  la  retraite.  En  1005,  les  Pisans  remportèrent  1  importante 
bataille  navale  de  Reggio.  En  1009,  les  Musulmans,  prenant  leur 
revanche,  s'emparèrent  de  Cosenza. 

En  1015,  une  expédition  musulmane  assiégeait  Salerne,  et  cette 
ville,  pour  éviter  de  plus  grands  maux,  se  disposait  à  accepter  les 
exigences  des  Arabes,  lorsque  quarante  chevaliers  normands  reve- 
nant de  Terre  sainte,  qui  se  trouvaient  de  passage  dans  la  localité, 
scandalisés  de  voir  des  chrétiens  ainsi  malmenés  par  des  infidèles, 
entraînèrent  à  leur  suite  quelques  hommes  de  cœur  et  forcèrent 
les  Musulmans  à  se  rembarquer,  après  avoir  pillé  leur  camp.  Refu- 
sant ensuite  toutes  les  offres  qui  leur  étaient  faites,  ils  conti- 
nuèrent leur  chemin.  Mais  le  prince  de  Salerne  les  fit  accompagner 
par  un  envoyé  chargé  de  ramener  des  champions  de  leur  pays,  en 
les  attirant  par  les  prome-ses  les  plus  séduisantes. 

Le  caïd  de  Sicile,  Youssof-el-Kelbi,  ayant  été  frappé  d'hémi- 
plégie, avait  résigné  quelque  temps  auparavant  le  pouvoir  entre 
les  mains  de  son  fils  Djàfer,  qui  avait  reçu  d'El-Hakem  l'investi- 
ture, avec  le  titre  de  Seïf-ed-Daoïiln .  ¥.n  1015.  Ali,  frère  de  Dja fer, 
appuyé  par  les  Berbères,  se  mit  en  état  de  révolte,  mais  il  fut 
vaincu  et  tué  par  son  frère,  qui  expulsa  une  masse  de  Berbères  de 
l'île.  Djâfer,  vivant  dans  le  luxe,  abandonna  la  direction  des  affaires 
à  l'Africain  Hassan,  de  Bar  aï,  et  ce  ministre,  pour  subvenir  aux 
dépenses  de  son  maître,  ne  trouva  rien  de  mieux  que  d'augmenter 
les  impôts,  en  percevant  le  cinquième  sur  les  fruits,  alors  que  les 
terres  étaient  déjà  grevées  d'une  taxe  foncière.  11  en  résulta  une 
révolte  générale  (mai  1019j.  Djàfer  fut  déposé,  transporté  en  Egypte 
et  remplacé  par  son  frère  Ahmed-ben-el-Akehal. 

Le  nouveau  gouverneur,  après  avoir  rétabli  la  paix  en  Sicile, 
entreprit  des  expéditions  en  Italie.  L'empereur  Basile,  qui  avait 
tenu  sous  le  joug  les  Musulmans  d'Orient,  les  Russes  et  les  Bul- 
gares, se  prépara,  malgré  ses  soixante-huit  ans,  à  faire  une  descente 
en  Sicile.  Son  aide  de  camp  Ûreste  le  précéda  avec  une  nombreuse 
armée  et  chassa  de  Calabre  tous  les  Musulmans  ;  il  attendait 
l'empereur  pour  passer  en  Sicile  lorsque  celui-ci  mourut  (dé- 
cembre 1025  . 

Averti  du  péril  qui  menaçait  la  Sicile,  El-Moëzz  offrit  son  aide 
à  El-Akehal,  qui  l'accepta.  Mais  la  flotte  envoyée  d'Afrique  fut 
détruite  par  une  tempête  (1026).  Oreste,  débarqué  en  Sicile,  ne  sut 
pas  tirer  parti  des  circonstances;  il  laissa  affaiblir  son  armée  par  la 


A1-IAIBI.ISSI:.M1-NT   DKS   I-.MIMRI-S  .Ml'SUI.MANS  (10.35) 


103 


maladie  et,  lorsque  les  Musulmans  al  laquèrent,  il  se  trouva  hors 
d'état  de  leur  résister. 

Toutes  les  tentatives  tournaient  au  profit  des  Musulmans.  Les 
flottes  combinées  d'El-Moëzz  et  d"El-Akehal  sillonnèrent  alors  les 
mers  du  Levant  et  allèrent  porter  le  ravage  sur  les  côtes  d'Illyrie, 
des  îles  de  la  Grèce,  des  Cyclades  et  de  la  Thrace.  Mais,  dans  la 
Méditerranée,  les  chrétiens,  oubliant  leurs  dissensions  particu- 
lières, s'unissaient  partout  pour  combattre  l'influence  musulmane. 
C'est  ainsi  que  les  Pisans,  aidés  sans  doule  des  Génois,  armèrent 
en  1031  une  flotte  imposante  et  efîectuèrenl  une  descente  en 
Afrique.  Bône,  objectif  de  l'expédition,  fut  prise  et  pillée  par  les 
chrétiens.  En  103,"),  la  cour  de  Byzance  envoya  des  ambassadeurs 
à  El-Moëzz  pour  traiter  delà  paix.  Sur  ces  entrefaites,  une  révolte 
éclata  en  Sicile  contre  El-Akehal,  qui  avait  voulu  encore  augmen- 
ter les  impôts  pour  subvenir  aux  frais  de  la  guerre.  La  situation 
devenant  périlleuse,  ce  prince  se  hâta  de  faire  la  paix  avec  l'em- 
pire et  d'accepter  le  titre  de  maître^  qui  impliquait  une  sorte  de 
vasselage;  il  demanda  alors  des  secours  aux  Byzantins,  tandis  que 
les  rebelles  appelaient  à  leur  aide  El-Moëzz. 

Le  gouverneur  de  Kaïrouan  leur  envoya  son  propre  fds  Abd- 
.\llah,  avec  trois  mille  cavaliers  et  autant  de  fantassins.  En  10.3G, 
Léon  Opus,  qui  commandait  en  Calabre,  passa  en  Sicile  pour  se- 
courir le  nouveau  vassal  de  l'empire  et  défit  l'armée  berbère;  mais, 
craignant. des  embûches,  il  ne  profila  pas  de  sa  victoire  et  rentra 
en  Italie,  accompagné  de  quinze  mille  chrétiens  qui  avaient  suivi 
sa  fortune.  Bientôt  El-Akehal  fut  assassiné,  et  Abd-Allah  resta  seul 
maître  de  l'autorité 

Exploits  des  Normands  en  It.vi.ie  et  en  Sicile.  Robert  Wiscard. 
—  Nous  avons  vu  que  le  prince  de  Salerne,  enthousiasmé  des  ex- 
ploits des  Normands,  avait  député  une  ambassade  pour  décider 
leurs  compatriotes  à  lui  prêter  l'appui  de  leurs  bras.  Son  appel  fut 
entendu,  et  bientôt  une  petite  compagnie  d'aventuriers  normands 
arriva  en  Italie,  sous  la  conduite  d'un  certain  Drengot  (1017). 
Présentés  au  pape  Benoît  \'III,  ils  furent  encouragés  parle  pontife 
à  lutter  contre  les  Byzantins,  qui  se  rendaient  odieux  par  leur 
tyrannie  et  dont  l'ambition  portait  ombrage  à  tous  les  souve- 
rains de  l'Italie  centrale.  Après  avoir,  tout  d'abord,  infligé  aux 
Grecs  des  pertes  sensibles ,  les  Normands  ressentirent  à  leur 
tour  les  efTets  de  la  fortune  adverse  et  furent  cruellement  éprou- 

1.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  Il,  p.  341  el  suiv.  Elie  de  hi  Pri- 
maiidaie,  Arnhes  et  Normands,  p.  159  et  suiv. 


404 


IIISiniHi:  l)K  I,  AFKlyi'E 


vés  par  le  fer  de  l  ennemi.  Le  katapan  Boïannès  les  expulsa  de 
toutes  leurs  conquêles  et  rétablit  l  autorité  de  l  empire  jusque  sur 
IxApulie. 

Le  pape  Benoît  A'III  appela  alors  à  son  aide  l'empereur  Henri  IL 
qui  envahit  l  llalie  à  la  tête  d'une  nombreuse  armée;  les  Normands 
se  joignirent  à  lui  et  l'aidèrent  à  triompher  des  Grecs.  Mais  bientôt 
l'armée  allemande  reprit  la  route  de  son  pays,  et  les  Normands 
demeurèrent  livrés  à  eux-mêmes  sans  ressources,  et  se  virent 
forcés  de  vivre  de  brigandage  el  d'ollVir  leurs  bras  aux  princes  ou 
aux  républiques  qui  voudraient  bien  les  employer. 

Sur  CCS  entrefaites,  arriva  de  Normandie  une  nouvelle  troupe 
commandée  par  de  braves  chevaliers,  111s  d'un  homme  noble  des 
environs  de  Coutances,  nommé  Tancrède  de  Ilauleville,  qui,  à 
défaut  d'autre  patrimoine,  avait  donné  à  ses  douze  fds  l'éducation 
militaire  de  son  temps.  C'était  un  puissant  renfort  que  de  tels 
hommes,  et,  comme  la  guerre  venait  d'éclater  entre  le  prince  de 
Salerne  et  celui  de  Capoue,  ils  trouvèrent  immédiatement  à  s'em- 
ployer. Plus  tard,  ils  s'attachèrent  aux  uns  et  aux  autres  avec  des 
chances  diverses. 

Vers  1036,  le  général  Georges  Maniakès  débarqua  en  Italie  à  la 
tête  d'une  armée  byzantine  considérable;  il  réussit  à  s'adjoindre 
les  Normands  du  comté  de  Salerne  el  passa  en  Sicile  (1038). 
Débarqués  à  Messine,  les  chrétiens  ne  lardèrent  pas  à  rencon- 
trer les  Musulmans;  ils  les  mirent  en  déroule,  après  un  rude 
combat,  dans  lequel  Guillaume  Brai  de  fer,  un  des  fils  de  Tan- 
crède, fil  des  prodiges  de  valeur  à  la  léte  des  Normands.  Messine 
capitule;  puis  on  assiège  Ramella,  où  les  Musulmans  ont  con- 
centré leurs  forces.  Maniakès  triomphe  sur  tous  les  points.  Les 
chrétiens  mettent  alors  le  siège  devant  Syracuse;  mais  celte  ville 
résiste  avec  énergie.  Abd-Allah  reçoit  des  renforts  d".\frique  et 
porte  son  camp  sur  les  plateaux  de  Tra'iana.  au  nord  de  l'Etna. 
Mais  l'habile  Maniakès,  secondé  par  les  Normands,  met  encore 
une  fois  en  déroule  les  Musulmans. 

Sur  ces  entrefaites,  une  brouille  étant  survenue  entre  Maniakès 
et  le  Lombard  Ardoin,  qui  avait  le  commandement  de  la  compa- 
gnie normande,  ce  chef  ramena  ses  hommes  en  Italie  et  appela  le 
peuple  aux  armes  contre  les  Byzantins.  Cependant  Syracuse  était 
tombée  aux  mains  du  général  grec,  el  bientôt  il  allait  achever  la 
conquête  de  toute  l'île,  lorsque,  par  suite  d'intrigues,  il  fut  rap- 
pelé en  Orient  el  jeté  dans  les  fers.  La  révolte  éclata  dans  la 
Fouille  sous  l'impulsion  des  Normands;  une  partie  des  troupes 
impériales  furent  rappelées  de  Sicile  el  les  Musulmans  respi- 
rèrent. 


AITAIBI.ISSIiMHNT   DUS   I-MI'IRKS   Ml'SUL.MANS  (1043) 


405 


En  10 iO,  les  Musulmans  so  lancent  é<^alement  dans  la  rébellion, 
et  Ahd-AUah,  après  avoir  vu  tomber  la  plupart  de  ses  adhérents, 
est  contraint  de  rentrer  à  Kaïrouan,  en  abandonnant  la  Sicile  à  son 
compétiteur  Simsam,  frère  d'El-Akehal.  Les  Byzantins  sont  bientôt 
expulsés  de  Tile  (10i"2).  Mais  la  Sicile  se  divise  en  un  grand 
nombre  de  principautés  indépendantes,  obéissant  à  des  officiers 
d'origine  diverse,  souvent  obscure. 

En  Italie,  les  Normands  avaient  obtenu  de  grands  succès  et 
conquis  un  vaste  territoire  dont  ils  s'étaient  partagé  les  villes. 
Amalfi,  neutralisée,  devint  la  capitale  de  ce  petit  royaume,  et 
Guillaume  en  fut  nommé  chef,  sous  le  nom  de  comte  de  la  Fouille. 
Mais  en  1012,  Maniakès,  qui  avait  recouvré  la  liberté,  reparut  en 
Italie,  et,  comme  toujours,  la  victoire  couronna  ses  armes.  Par 
bonheur  pour  les  Normands,  il  se  lit  proclamer  empereur  et  passa 
en  Grèce,  où  il  fut  tué  par  surprise.  La  ligue  normande  acquit  dès 
lors  une  gi'ande  puissance.  A  la  mort  de  Guillaume,  survenue  en 
1016,  les  frères  de  Ilauteville  se  disputèrent  sa  succession,  et  la 
ligue  fut  rompue.  Le  plus  jeune  d'entre  eux,  nommé  Robert, 
arrivé  depuis  peu  en  Italie,  ayant  trouvé  tous  les  bons  postes 
occupés,  se  distingua  par  sa  hardiesse  et  les  ressources  de  son 
esprit;  il  reçut  pour  cela  le  surnom  de  Wiscard  ou  Guiscard  (fort 
et  prudent).  Après  avoir  guerroyé  avec  succès  en  Calabre,  il  se 
forma  un  groupe  de  compagnons  dévoués  et  courageux.  Nous 
verrons  avant  peu  quel  parti  il  en  tira. 

Quelques  années  plus  tard,  les  forces  combinées  de  Gènes,  de 
Pise  et  du  Saint-Siège  parviennent  à  expulser  les  Musulmans  de 
la  Sardaigne  (1050j.  Cet  île  obéissait  aux  émirs  espagnols  et  la 
lutte  avait  duré  de  longues  années 

RuPTLRi:  icNTiii-  lu.-MoEzz  ET  i.E  1 1 A.M.M AiiiTE  Ei.-K.\ÏD.  —  Pendant 
que  l'Italie  et  la  Sicile  étaient  le  théâtre  de  ces  événements,  une 
rupture,  depuis  longtemps  imminente,  éclatait  entre  El-Moëzz  et 
son  parent  El-Kaïd,  de  la  Kalâa,  qui  s'était  rendu  entièrement 
indépendant  du  gouverneur  de  Kaïrouan.  Par  esprit  d'opposition, 
El-Kaïd  refusait  en  outre  de  suivre  El-Moëzz  dans  son  hostilité 
contre  les  khalifes  du  Caire. 

Le  gouverneur,  s'étant  mis  à  la  tête  de  ses  troupes,  vint  lui- 
même  assiéger  la  Kalàa  ;  mais  cette  place,  par  sa  forte  position, 
défiait  toute  surprise.  Aussi,  après  l'avoir  tenue  longtemps  blo- 

1.  Amari,  Musulmans  de  Sicile,  t.  II,  p.  367  et  suiv.  Elle  de  la  Pri- 
maudaie,  Arabes  et  Normands^  p.  166  et  suiv.  De  Mas  Latrie,  Traités 
(le  paix,  etc.,  p.  21  el  suiv. 


i06 


IlISTdIRIî   DE   I.  AFRIQl'K 


quée,  El-Moëzz  se  décida-t-il  à  sij^ner  avec  El-Kaïd  une  sorte  de 
trêve.  Il  leva  le  siè;^e,  mais  au  lieu  de  rentrer  en  IlVikiya,  il  alla 
guerroyer  du  côté  d'Achir  (i04'2-i3  . 

Comme  en  Sicile,  comme  en  Espagne,  la  désunion  des  Musul- 
mans d  Afriquc,  en  paralysant  leurs  forces,  allait  avoir  les  consé- 
quences les  plus  graves  et  i'avoriser  1  arrivée  d'un  nouvel  élément, 
ethnographique  ' . 

1.  lljii-Klialdouii,  t.  Il,  j).  20  cl  i6. 


IIN  Dli    I,  A   1)  i;  L  .\  1  1.  M  i;  PAUTIi; 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

Préface      m 

Système  adopté  pour  la  transcription  des  noms  arabes   vi 

Introduction  :  Description  physique  et  géographique  de  l'Afrique 

septentrionale.   ix 

Divisions  géographiques  adoptées  par  les  anciens   xvi 

Divisions  géographiques  adoptées  par  les  Arabes   xix 

Ethnographie.  —  Origine  et  formation  du  peuple  berbère   xxi 


PREMIÈRE  PARTIE 

période  antique 
(Jusqu'en  '"'42  Je  l'ère  chrétienne) 

Chapitre  I.  — Période  phénicienne  (1100-268  av.  J.-C.)  

Sommaire  : 

Temps  primitifs  '  

Les  Phéniciens  s'établissent  en  Afrique  

Fondation  de  Cyrène  par  les  Grecs  

Données  géographiques  d'Hérodote  

Prépondérance  de  Karthnpe  

Découvertes  de  l'amiral  llannon  

Organisation  politique  de  Karthage    

Conquête  de  Karlhage  dans  les  îles  et  sur  le  littoral  de  la  Mé- 
diterranée  

Guerres  de  Sicile  

Révolte  des  Berbères  

Suite  des  guerres  de  Sicile  

Agalhocle,  tyran  de  Syracuse.  —  Il  porte  la  guerre  en  Afrique. 

Agalhocle  évacue  l'Afrique  

Pyrrlius,  roi  de  Sicile.  —  Nouvelles  guerres  dans  cette  contrée 
Anarchie  en  Sicile  


G 
7 
8 
S 
9 
11 
U 
12 


408  iiisToiiii:  i.'ahiiql'ic 

Pages. 

CiiAPiruE  II.  —  Prcniièrc  guerre  intiiitjue  (268-220)   13 

SomiiiMii-c  : 

(Causes  (le  la  premirri'  jiucrrc  pnnii|iii'   13 

Itiiptiirc  (le  Home  {wcv  K.iiih.iLrr   li 

Première  f,'iierre  |)unii|iic.    li 

Succès  des  ll(jinaiiis  en  Sicile   |;, 

Les  Honiains  portent  la  guerre  en  Afri(iue  ,   Ifi 

Victoire  des  Kartiiaginois  il  Tunis.  —  Les  lioiuains  (AacuenI 

rArri(iue   17 

Ile|)i'ise  de  la  guerre  en  Sicile   18 

(Irand  sii'ge  de  Lylibéc   10 

liataille  des  îles  Kirates.   -  Lin  de  la  preniièic  lincrre  iiunique  :.'() 

Divisions  géogra|>lii(|nes  de  IMi  icpie  adoptées  pai- les  lioniains  •_'! 

Cuerre  des  Mercenaires   •>•>, 

Kai'lliagc,  après  avoir  rétahli  son  anloi'itc  en  .\t'ri(|iu\  poi-te  la 

guerre  en  Espagne   -Jl 

Succès  des  Kartiiaginois  en  l^spagiie   •>'.> 

Ch.vimtki;  III.  —  Deuxième  guerre  jiuiiiiiue  (220-201)   27 

Soniiuaire  : 

llaiinibal  conniience  la  guerre  (rLspagn<'.  l'ri-e  de  Sagonle...  27 

llaiinibal  marche  sur  l'Italie   2S 

tlombat  du  Tessin;  batailles  de  la  Tréhie  et  de  Trasiniène   29 

llannibal  au  centre  et   dans  le  midi  de  l'Italie:   bataille  de 

(;annes   31 

(Jonsé((uences  de  la  liataille  de  Cannes.  —  Knergi(|ue  résistance 

de  llonie   32 

La  guerre  en  Sicile   33 

Les  Berbères  prennent  part  à  la  lutte.  Syphax  et  Massinissa. . .  31 

(iuerre  d'Kspagne   3't 

Campagne  de  llannibal  en  Italie   3.'j 

Succès  des  Komains  en  Kspagne  et  en  Italie:  bataille  du  Mé- 

laure   3() 

Evénements  d\\fri(|ue:  rivalité  deS\|diax  et  de  .Massinissa...  37 

Massinissa,  roi  de  Nuniidie   3S 

Massinissa  est  vaincu  iiarS\pha\   3S 

Kvénements  d'Italie;  l'invasion  de  l'Alrifiue  est  résolue   3'.) 

Campagne  de  Scipion  en  Afriiiue   4(1 

Syphax  est  fait  prisonnier  par  Massinissa   il 

Ijalaille  de  Zama   il 

Lin  de  la  deu.xième  guerre  puni(|ue:  traité  avec  Home   12 

Ch.^i'itiie  IY.  —  Troisième  guerre  punique  (20I-li6)   44 

Sommaire  : 

Situation  des  Berbères  en  l'an  201   44 

llannibal,  dictateur  de  Karthage;  il  est  contraint  de  fuir.  Sa 

mort   i.j 

Empiétements  de  Massinissa   46 

Prépondérance  de  Massinissa   46 


TABLE   DES   MATILRES  iOO 

l'ages. 

Situation  de  Karthage   47 

Karthage  se  prépare  à  la  guerre  eontre  Massinissa   4S 

Défaite  (les  Karthaginois  par  Massinissa   iS 

Troisième  guerre  punique   49 

lléroKiue  résistance  de  Karthage   jO 

Jlort  de  Massinissa   M 

Suite  du  siège  de  Karthage   j"2 

Scipion  prend  le  conimandenient  des  opérations   ô'2 

Chute  de  Karthage   o4 

L'AIVifiue  province  l'oniaine   .j5 


CnAi'iTiiE  V.  —  Les  rois  berbires  vassaux  de  Nome  (146-89j   57 

Sommaire  : 

L'élément  latin  s'élahlil  en  Arriquc   'il 

Hègne  de  Micipsa   ô8 

l'i'emière  usurpation  de  .lugurtiia   .">X 

Défaite  et  mort  d'Adherlial   oO 

(Jiierre  de  .lugurlha  contre  les  Romains   (iO 

Première  campagne  de  Métellus  contre  .Tugurtha  

Deuxième  campagne  de  Métellus   63 

Marins  prend  la  direction  des  opérations   64 

(lliute  de  .lugurlha   ()6 

Partage  tle  la  Numidie   67 

Coup  d'o'il  sur  l'histoire  (le  la  Cyrénaï(|ue;  cette  province  est 

léguée  à  Home   68 

CuAi'iruE  VI.  —  l.' Afri<iuc  ixitduiU  les  guerres  civiles  (89-46)   71 

Siiinmairi'  : 

Cucrrc  entre  lliemsal  11  et  Varbas   71 

Défaite  des  partisans  de  Marius  en  Afrique;  nioit  de  Yarbas.  ..  71 

Expéditions  de  Sertorius  en  Maurétanie   72 

Les  pirates  africains  châtiés  par  Pompée   73 

.hiba  I  successeur  de  lliemsal  il.  — Il  se  prononce  poui'  le  parti 

de  Pompée   7  4 

Défaite  de  (Uiriou  et  des  Césariens  par  .luba   !'■) 

Les  Pompéiens  se  concentrent  en  Afi'ique  après  la  bataille  de 

Pharsale   7(i 

César  débaripie  eu  Afri(|ue   77 

Diversion  de  Sittius  et  des  rois  de  Maurétanie   78 

liataille  de  Thapsus,- défaite  des  Pom[)éiens   7!) 

Mort  de  Jnba.  —  La  N'umidie  orientale  est  réduite  en  province 

romaine   80 

Chronologie  des  rois  de  Numidie   81 


410 


HISTOIRE   Ui:   I,  AFRIQUE 


Pages. 

Chapitre  VII.  —  Les  derniers  rois  berbères  (46  avant  J.-C.  — 


43  après  J.-C.)   83 

Sommaire  : 

Les  rois  maurélanieiis  pi-eniienl  i)arti  dans  les  guerres  civiles.  83 

.Vrabion  rentre  en  possession  de  la  Sélifienne.   83 

Lutte  entre  les  partisans  d'Antoine  et  ceux  d'Octave   84 

.Vrabion  se  prononce  pour  Octave   8i 

Arabion  s'allie  à  Sextius,  lieutenant  d'Antoine;  sa  mort   80 

L'Afrique  sous  Lépide   86 

Bogud  II  est  dépossédé  de  la  ïingitanc.  liokkus  III  réunit  toute 

la  Maurétanie  sous  son  autorité   87 

La  Berbérie  rentre  sous  l'autorité  d'Octave   87 

Organisation  de  l'.Urique  par  Auguste   88 

Juba  II  roi  de  N'umidie   81) 

.luba  roi  de  Maurétanie   90 

Révolte  des  Berbères   90 

Mort  de  Juba  II;  l'tolémée  lui  succède   92 

llévolte  des  Tacfarinas   92 

Assassinat  de  Ptolémée   9i 

Révolte  d'iEdémon.  La  Maurétanie  est   réduite  en  province 

romaine   94 

Division  et  organisation  administrative  de  l'.Vl'rique  romaine...  95 

Chronologie  de.s  rois  de  M.\urét.\nie   99 

Chapitre  YIII.  —  L'Afrique  sous  l'auLorili-  romaine  (43-297). .   . .  100 

Sommaire  : 

Etat  de  l'Afrique  au  \"  siècle  ;  productions,  commerce,  relations  100 

Etat  des  populations   102 

Les  gouverneurs  d'Afrique  prennent  part  aux  guerres  civiles.. .  103 

L'Afrique  sous  Yespasien   lOi 

Insurrection  des  Juifs  de  la  Cyrénaïque   105 

Expéditions  en  Tripolitaine  et  dans  l'extrême  sud   105 

L'Afrique  sous  Trajan   106 

Nouvelle  révolte  des  Juifs     107 

L'Afrique  sous  Hadrien;  insurrection  des  Maures   107 

Nouvelles  révoltes  sous  Anlonin.  Îlarc-Aurèle  et  Commode, 

138-190   109 

Les  empereurs  africains  :  Seplime  Sévère   110 

Progrès  de  la  religion  chrétienne  en  Afrique;  premières  per- 
sécutions   110 

Caracalla,  son  édil  d'émancipation   112 

Macrin  et  Elagabal    112 

Alexandre  Sévère   113 

Les  Gordiens;  révolte  de  Capellien  et  de  Sabinianus   113 

Période  d'anarchie;  révoltes  en  Afrique     115 

Persécutions  contre  les  chrétiens   110 

Période  des  trente  tyrans  ,   116 

Dioclétien;  révolte  des  Quinquegentiens   117 

Nouvelles  divisions  géographiques  de  l'Afrique   118 


TAULE   DES   MATIERES  411 

Page  . 

Chapitre  IX.  —  L'Afrique  sous  l'auloiité  romaine,  suite  (297-415)  120 
Sommaire  : 

Ktat  de  l'Afrique  à  la  fin  du  iii^  siècle   120 

Grandes  persécutions  contre  les  chrétiens   12i 

Tyrannie  de  Galère  en  Afrique   122 

Constantin  et  Maxence,  usurpation  d'Alexandre   123 

Triomphe  de  Maxence  en  Afrique  ;  ses  dévastations   12i 

Triomphe  de  Conslanlin   121 

Cessation  des  persécutions  contre  les  chrétiens;  leslJonatistes ; 

schisme  d'Arius   l2o 

Organisation  administrative  et  militaire  de  l'Afi'ique  par  Cons- 
tantin   128 

Puissance  des  Donatisles.  Les  Circoncellions   12'.) 

I,es  tîls  de  Constantin;  persécution  des  Uonatistes  par  Constant 

Constance  et  Julien  ;  excès  des  Uonatistes   i;jl 

Exactions  du  comte  Uomanus   132 

Révolte  de  Firmus   133 

Pacification  générale   13.j 

L'Afrique  sous  Gralien  ,  \  alentinien  11  et  Théodose   130 

Kévolte  de  Gildon   130 

Chute  de  Gildon   137 

L'Afri((iie  sous  llonorius   138 

Chapitre  X.  —  Période  vandale  (415-531)   140 

Sommaire  : 

Le  christianisme  eu  Al'i'ique  au  commencement  du      siècle..  liO 

Honiface  gouverneur  d'Afrique;  il  traite  avec  les  Vandales....  142 

Les  Vandales  envahissent  l'Afrique   143 

Lutte  de  Bonil'ace  contre  les  A'andaies   14i 

Fondation  de  l'empire  vandale   14.j 

.Nouveau  traité  de  Genséric  avec  l'empire;  organisation  de 

l'Afrique  Aandalc   110 

Mort  de  Valentinien  111;  pillage  de  Home  par  Genséric   117 

Suite  des  guerres  des  Vandales   118 

Apogée  de  la  puissance  de  Genséric;  sa  mort   14'J 

Règne  de  Ilunéric;  persécutions  contre  les  catholiques   I.jO 

Révolte  des  Rerbères   loi 

Cruautés  de  Ilunéric   151 

Concile  de  Karthage;  mort  de  Ilunéric   152 

Règne  de  Gondamond   1.52 

Règne  de  Trasamond   153 

Règne  de  Hildéric  :   154 

Révoltes  des  Berbères;  usurpation  de  Gélimer   15i 

Chapitre  XI.  —  Période  byzantine  (531-642)   156 

Sommaire  : 

Justinien  prépare  l'expédition  d'Afi  i(iue   156 

Départ  de  l'expédition,  lîélisaire  dél)ar(|ue  à  Caput-Vada   157 


-112  HISTOIRE  DE  I.  AFRIQUE 

Pages. 

Première  phase  de  la  campagne   Iô8 

Défaite  des  Vandales  conduits  par  Ammatas  et  Gibamiiiid   I.j0 

Succès  de  Bélisaire.  Il  arrive  à  Karthage   160 

Hélisaire  à  Kartliage   101 

Retour  des  Vandales  de  Sardaigne.  Gélimer  marche  sur  Kar- 
tliage  102 

liataille  de  ïricamara   103 

Fuite  de  Gélimer   161 

Conquêtes  de  Bélisaire   16i 

Gélimer  se  rend  aux  Grecs   lO.j 

Disparition  des  Vandales  d'Afrique   160 

Organisation  de  l'Afrique  byzantine;  état  des  Berbères   167 

I,uttes  de  Salomon  contre  les  Berbères   168 

Révolte  de  Stozas   169 

Expéditions  de  Salomon    171 

Révolte  des  Levathes;  mort  de  Salomon   172 

Période  d'anarchie   173 

Jean  Troglita,  gouverneur  d'Afri(jue  :  il  rétablit  la  paix   I7i 

Etat  de  l'Afrique  au  milieu  du  vi"  siècle   17o 

L'Afrique  pendant  la  deuxième  moitié  du  vi*  siècle   17() 

Derniers  jours  de  la  domination  byzantine   177 

Appendice:  Chronologie  des  rois  Vandales   178 


FIN  DE  LA  PIîKMIKRb;  l'ARTIE 


TABLE  DKS   .MATIKRKS  -tl3 


DEUXIÈME  PARTIE 

PÉRIODE    ARAUIi    T.  T   H  E  R  li  K  IS  E 

fi  il  — 

Pages. 

Chapitre  I.  • —  Les  Berbères  et  les  Arabes   179 

Somma  ire  : 

1,0  peuple  berbère;  mœurs  et  religion   179 

Organisalion  politique   180 

Groupement  des  familles  de  la  race   181 

Divisions  des  tribus  berbères   182 

Position  de  ces  tribus  •.   187 

Les  Arabes  ;  notice  sur  ce  peuple   189 

Mœurs  et  religions  des  Arabes  anté-islamiques   190 

Mahomet;  fondation  de  l'islamisme   192 

Abou  liekor,  deuxième  khalife;  ses  conquêtes   193 

Khalifat  d'Omar:  coïKjuète  de  l'Egypte   193 

Chapitre  II.  —  Conquête  arabe  (641-709)   194 

Sommaire  : 

Oampagnes  de  Amer  en  Cyrénaï(jue  et  en  Tripolitaine   194 

Le  lilialife  Ùlhmane  prépare  l'expédition  d'Ifrikiya   19Ô 

l  surpation  du  palrice  Grégoire;  il  se  prépare  à  la  lutte   196 

Défaite  et  mort  de  Grégoire   197 

Les  Arabes  traitent  avec  les  Grecs  et  évacuent  l'Ifrikiya   198 

Guerres  civiles  en  Arabie   199 

Les  Kharedjites.  Origine  de  ce  schisme   '200 

Mort  de  Ali;  triomphe  des  Oméïades   201 

Ktat  de  la  Berbérie.  Nouvelles  courses  des  .Vi'abes   202 

Suite  des  expéditions  arabes  en  Mag'reb   202 

Okba,  gouverneur  de  l'Ifrikiya.  Fondation  de  Kaïrouaii   203 

Gouvernement  de  Dinar  Abou-el-Mohadjer   2l)i 

Deuxième  gouvernement  d'Okba.  Sa  grande   exjiédition  en 

Mag'reb   20.j 

Défaite  de  Tehouda.  Mort  d'Oklja   200 

La  lierbérie  libre  sous  l'autorité  de  Kocéïla   208 

.N(juvelles  guerres  civiles  en  Arabie    208 

Los  Khareiljitcs  et  les  Chiaïles   209 

Victoire  de  Zohéïr  sur  les  Herbores  Mort  de  Kocéïla  •  210 

Zohéïr  évacue  l'Ifrikiya  ,   211 

Mort  du  fils  de  Zohéïr.  Triomphe  d'Abd-el-Malek   211 

Situation  de  l'Afrique.  La  Kahéna   212 

Expédition  de  lla(;ane  en  Mag'reb.  Victoire  de  La  Kahéna   213 

La  Kahéna  reine  des  Berbères.  Ses  destructions   21  i 

Défaite  et  mort  de  la  Kahéna   215 

Gonquète  et  organisation  de  l'Ifrikiya  par  Haçane   216 

Mouça-ben-Nocéïr  achève  la  conquête  de  la  Berbérie   217 


4li  niSTOIR£   DE  L  AFRIQL'E 

Pages. 


Chapitre  III.    —    Conquête   de    l'Espagne.    Révolte  khaiedjile 

(709-750)   219 

Sommaire  : 

Le  comte  Julien  pousse  les  .\rahes  à  la  ronquùle  de  l'Espagne.  219 

Con(|uète  de  l'Espatme  par  TariU  et  Mouça   220 

Deslilntion  de  Moura   222 

Situation  de  IWfricjue  et  de  l'Espagne   222 

Gouvernement  de  Mohammed-ben-Yezid   221 

Gouvernement  d'lsmaïl-i)en-.\ljd-.\llali   22i 

(iouvernemenl  de  Yezid-ben-Abou-Moslem  :  il  est  assassiné   220 

Tiouvernement  de  Bichr-ben-Safouane   22(> 

Gouvernement  de  Obéïda-ben-Abd-er-Rahman   226 

Incursions  des  Musulmans  en  Gaule:  l)alaille  de  Poitiers   227 

(îouvernement  d'Obéïd-Allali-bon-cl-Habliab   229 

Despotisme  et  exactions  des  Arabes   229 

liévolle  de  Meïcera.  soulèvement  «lénéral  des  Berbères   230 

Iléfaite  de  Koltoum  à  l'Ouad-Sebou   231 

Victoires  de  ll.mdhala  sur  les  Kharedjiles  de  l'Ifrikiya   232 

llévolte  de  l'Espagne:  les  Syriens  y  sont  transportés   231 

.Vbd-er-Rahman-i)en-l[abib  usurpe  le  gouvernement  de  l'Ifrikiya  230 
Ghute  de  la  dynasiie  omé'iade  :  établissement  de  la  dynastie 

abbasside   237 


Chapitiîe  IV.  —  I{i}\'ollc  kliaredjilc .  Fondations  de  royaumes  indé- 
pendants (750-772)   238 

Sommaire  : 

Situation  des  Berbères  du  Mag'reb  au  milieu  du  via»  siècle...  238 

Victoires  de  Abd-er-Rahman  :  il  se  déclare  indépendant   239 

Assassinat  de  Abd-er-Rahman   239 

I.ulte  entre  El-Yas  et  El-llabib   240 

l'rise  et  pillage  de  K.a'irouan  par  les  Ourfeddjouma   2i2 

Les  Miknaca  fondent  un  royaume  à  Sidjilmassa   2i3 

Guerres  civiles  en  Espagne   243 

1,'omé'iade  Aixl-er-Rahman  débar([ue  en  Espagne   24i 

Fondation  de  l'empire  oméïade  il'Espagne   244 

Les  Ourfeddjouma  sont  vaincus  par  les  E'ibadiles  de  l'Ifrikiya..  24Ô 

béfailes  des  Khared.jites  par  Ibn-Achath   240 

Ibn-Achath  rétablit  à  Ka'irouan  le  siège  du  gouvernement   247 

Fondation  de  la  dynastie  rostemide  à  Tiharet   218 

Gouvernement  d'El-.\r'Ieb-ben-Salem   248 

Gouvernement  d'Omar-ben-Hafs  dit  llazarmed   249 

Mort  d'Omar.  Prise  de  Ka'irouan  par  les  kharedjiles. .    2.")l 


Ch.\.pitre  V.  —  Derniers  gouverneurs  arabes  (772-800)   253 

Sommaire  : 

Vezid-ben  llalem  rétablit  l'autorité  arabe  en  Ifrikiya   253 

Gouvernement  de  Yezid-ben-Hatem   254 

Les  petits  royaumes  berbères  indépendants   255 


TABLE  DES   M.VTIKRRS  il5 

Pages. 

L'Espagne  sous  le  premier  klialife  oméïade  ;  expédition  de 

Charmelagne   256 

Intérim  de  naoud-ben-Yezid  ;  goiivernemeni  de  Rouli-iien-Ilalem  258 

Kdris-ben-Abd-Allah  fonde  à  Oulili  la  dynastie  edriside   258 

Coniiuêtes  d'Edris;  sa  mort   260 

Oouverneiiients  d'En-Xasr-Iten-el-llaijilj  et  d'I^l-Kadel-iien-Uonh .  261 

Anarchie  en  Ifrikiva   261 

(ioiivernement  de  llerlema-ben-Aïan   262 

Gouvernement  de  Mohammed-ben-Mokalel.   262 

Ibrahim-ben-el-Ar'leb  apaise  la  révolte  de  la  milice   263 

Ibrahim-ben-el-Ar'leb,  nommé  gouverneur  indépendant.  IVinde 

la  dynastie  ai''lebite    263 

Naissance  d'Edris  II  ,   26i 

L'Espagne  sous  Ilicham  et  El-llakem   265 

Chronologie  des  gouverneurs  de  l'Atrique.   266 

Chapitre  VI.  —  L'Ifrilùya  sous  les  Ar'lehilrs.  Conr/uete  de  la  Si- 
cile (800-838)   267 

Sommaire  : 

Ibrahim  établit  solidement  son  autorité  en  Ifrikiya   267 

Edris  II  est  proclamé  par  les  Berbères   268 

Fondation  tle  Fès  par  Edris  II   268 

Uévolles  en  Ifrikiya.  Mort  d'Ibrahim   269 

Abou-l'Abbas-Abd-Allah  succède  à  son  père  Ibrahim     270 

(lonciuctes  d'Edris  II   271 

Mort  de  Abd-Allah.  Son  frère  Ziadet-.Vllah  le  remplace   272 

Espagne:  Révolte  du  faubourg.  Mort  d'El-IIakem   272 

Luttes  de  Ziadet-Allah  contre  les  révoltes   273 

Mort  d'Edris  II;  partage  de  son  empire   276 

Etat  de  la  Sicile  au  commencement  du  i\'  siècle   277 

Euphémius  appelle  les  Arabes  eu  Sicile.  Expédition  ilu  cadi 

Aced   278 

(Conquête  de  la  Si<-,ile   279 

Mort  de  Ziadet-.Vllali.  Son  frère  Abou-Eïkal-el-Ar'leb  lui  succède.  280 

(luerres  entre  les  descendants  d'Edris  II..    281 

Les  Midrarides  à  Sidjilniassa. . .   281 

L'Espagne  sous  Abd-er-Ilahman  II   282 

Chapitre  VIT.  —  f.cs  derniers  Ar'lehites  (838-902),   283 

Sommaire  : 

Gouvernement  d'Abou-EïkaI   283 

Gouvernement  d'Abou-l  Abbas-Mohammed   284 

Gouvernement  d'Abou-Ibrahim-.Vhmed   286 

Evénements  d'Espagne   287 

Gouvernement  de  Ziadet-Allah,  dit  le  jeune,  et  d'Abou-el-R'aranik  288 

Guerre  de  Sicile   288 

Mort  d'.\bou-el-R'aranik.  Gouvernement  d'lbrahim-ben-.\hmed..  289 

Les  souverains  edrisides  de  Fez   290 

Succès  des  Musidmans  en  Sicile   290 


416  HISTOIRE   DF,  i/aFRICjCE 

Pages. 

Ibrahim  repousse  l'invasion  d'Kl-Abras-ben-Tonloun   291 

Révoltes  en  Ifrikiya.  Cruaulés  d'Ibrahim   29"2 

Progrés  de  la  secte  ch'ia'ite  en  Herbérie.  Arrivée  d'Abou-Abd-Allah  293 

Nouvelles  luttes  d'Ibrahim  contre  les  révoltes   29i 

Kxpédilion  d'Ibrahim  contre  les  Toulounides  d'Kpypte   295 

Abdication  d'Ibrahim   290 

Kvénements  de  Sicile   297 

Kvénemenis  d'Kspagne   29X 

Chapitre  VIII.  —   Elahlisseinent  de  l'empire  ohéidilc.    Cliiile  de 

Vaulorilc  arabe  en  Ifril.iya  (902-909)   300 

Sommaire  : 

Coup  d'u'il  sur  les  événements  anléi'ieurs  et  la  situation  de 

l'Italie  méridionale   300 

Ibrahim  porte  la  guerre  en  Italie.  Sa  moit   302 

Progrès  des  Chiaites.  Victoires  d'.Vbou-Abd-Allah  clie/  les  Ketama  303 

Court  l'égne  d'Abou-l'Abbas.  Son  fils  Ziadcl-Allali  lui  suci-éde...  301 

Le  mehdi  Obéid-Allah  passe  en  Mag'reb   30Ô 

(Campagnes  d'Abou-Abd-.\llah  contre  les  Ar'Iebites.  Ses  succès..  31*7 

l.es  Chiaites  marchent  sur  la  Tunisie.  Fuite  de  Ziadet-Allah  III  309 

Abou-.\bd-Ailali  prend  possession  de  la  Tunisie   310 

Les  Chiaites  vont  délivrer  le  mehdi  à  Sidjilmassa   312 

Uetour  du  mehdi  Obéid-Allah  en  Tunisie.  Fondation  de  l'empire 

obéidite   313 

Chronologie  des  gr>u\ cj'neurs  ai'Iebitcs   3l.'j 

Chapitre  IX.  —  /.'.ifrif/iie  sous  les  l'alrinides  (9l0-93'j1   316 

Sommaire  : 

Situation  du  Mag'reb  en  910   316 

Con(|uéte  des  Fatemides  (lan<  le  Mag'reb  central,  (^luile  dc< 

llostemides   317 

Le  mehdi  fait  périr  Abou-Abd-Allali  et  écrase  les  germes  de 

rébellion   3IS 

Evénements  de  Sicile.   320 

Kvénements  d'Espagne   320 

Itévoltes  contre  Obéid-Allah   321 

Fondation  d'Kl-Mehdia  par  Obéid-Allah   322 

Expédition  des  Fatemides  en  F^gypte.  s<ui  insuccès   323 

L'autorité  du  Mehdi  est  rétablie  en  Sicile   32't 

Première  campagne  de  Messala  dans  le  Mag'reb  jiour  les  Fate- 
mides                                                                              .  32.") 

Nouvelle  ex|)édition  latemide  contre  l'Egypte   326 

Conquêtes  de  .Messala  en  Mag'reb   326 

Expéditions  fatemides  en  Sicile,  en  Tripolitaine  et  en  Egypte..  327 

Succès  des  Mag'raoua.  Mort  de  Messala   328 

El-IIaçan  i-elève,  à  F'ès,  le  trône  edriside.  Sa  mort   328 

Expédition  d'.Vbou-l'Kaceni  dans  le  Mag'reb  central   329 

Succès  d'Ibn-Abou-l'Afia  ;   330 


TABI.R  DES   MATIKRES  4l7 

Mouça  se  prononce  pour  les  Oméïades.  Il  est  vaincu  par  les  Pages. 

troupes  fatemides   331 

Mort  d'Obéïd-Allah,  le  mehdi   332 

Expéditions  des  Fatemides  en  Italie   333 

Chapitre  X.  —  Suite  des  Fatemides.  Révolte  de  l'Homme  à  l'une 

(934-947)    334 

Sommaire  : 

Règne  d'El-Kaïm  ;  premières  révoltes   33i 

Succès  de  Meïço\ir,  général  falemide,  en  Mag'reb.  Mouça,  vaincu, 

se  réfugie  dans  le  désert   33Ô 

Expéditions  fatemides  en  Italie  et  en  Egypte   336 

Puissance  des  Sanhadja.  Ziri-ben-Menad   337 

Succès  des  Edrisides;  mort  de  Mouça-ben-Abou-l'Afia   338 

Révolte  d'Abou-Yezid,  Vllomme  à  l'âne   338 

Succès  d'Abou-Ye/.id.  Il  marche  sur  rifrikiya    3iO 

Prise  de  Kaïrouan  par  Abou-Yezid   3'tl 

Nouvelle  victoire  d'Abou-Yezid  suivie  d'inaction                      .  3i2 

Siège  d'El-Mehdïa  par  Abou-Yezid   343 

Levée  du  siège  d'El-Mehdia.   3i5 

Mort  d'El-Kaïm.  Règne  d'Ismaïl-el-Mansoui-   3i6 

Défaites  d'Abou-Yezid   347 

Poursuite  d'Abou-Yezid  par  Isinaïl   348 

(Ihute  d'Abou-Yezid     350 

Chapitre  XI.  —  Fin  de  la  domination  falemide  (947-973)   353 

Sommaire  : 

Etat  du  Mag'reb  et  de  l'Espagne.   353 

Expédition  d'El-Mansour  à  Tiharel   354 

Retour  d'El-Mansour  en  Ifrikiya   355 

Situation  de  la  Sicile;  victoires  de  l'Ouali  llassan-cl-Kelbi  eu 

Italie   3.55 

Mort  d'p;i-Mansour.  Avènement  d'EI-Moëzz   350 

Les  deux  Mag'reb  reconnaissent  la  suprématie  oméïadc    357 

Les  Mag'raoua  appellent  à  leur  aide  le  khalife  falemide   350 

Rupture  entre  les  Oméïades  et  les  Fatemides   3.59 

(Campagne  de  Djouher  dans  le  Mag'reb;  il  soumet  ce  pays  à 

l'autorité  falemide   359 

Guerre  d'Italie  et  de  Sicile   301 

Evénements  d'Espagne.  Mort  d'Abd-er-Rahman  III  (en  Nàcer). 

Son  fils  El-Ilakem  II  lui  succède   361 

Succès  des  Musulmans  en  Sicile  et  en  Italie   362 

Progrès  de  l'influence  oméïade  en  Mag'reb   363 

Etal  de  l'Orient.  El-Moëzz  prépare  son  expédition   304 

Conquête  de  l'Egypte  par  Djouher   305 

Révoltes  en  Afrique.  Ziri-ben-Menad  écrase  les  Zenètes   300 

Mort  de  Ziri-ben-Menad.  Succès  de  son  fils  Bologguine  dans  ly 

Mag'reb   307 

T.  I.  27 


418 


IIISTOIRK   DE   I.  AKIilyl'K 


Pages. 

El-Moëzz  se  prépare  à  quitter  l'Ifrikiya   368 

Kl-Moëzz  transporte  le  siège  de  la  dynastie  falemide  en  Egypte..  369 
Chronologie  des  Fatemides  d'.^fritpie   370 


Chapitre  XII. —  L'Ifrikiya  sous  les  Zirides  (Sanhadjà).  f.e  Mag'reb 


sous  les  Oinéïades  (973-997)   599 

Sommaire  : 

Modifications  ethnographiques  dans  le  Mag"reb  central   371 

Succès  des  Oniéïades  en  ,Mag"rel);  chute  des  Edrisides;  mort 

d'El-IIakem   372 

Expéditions  des  Mag'raoua  contre  Sidjilniassa  et  contre  les 

Berg'ouata   374 

E.vpédition  de  Bologguine  dans  le  Mag'reb;  ses  succès   375 

Bologguine,  arrêté  à  Ceuta  par  les  Oméiades,  envahit  le  pays 

des  Berg'ouata   376 

Mort  de  Bologguine.  Son  lils  El-Mansour  lui  succède   376 

Guerre  d'Italie   377 

Les  Oméiades  d'Espagne  étendent  de  nouveau  leur  autorité 

sur  le  Mag'reb     378 

Révoltes  des  Ketama  réprimées  par  El-Mansour   379 

Les  deux  Mag'reb  soumis  à  Tautorité  oméïade  ;  luttes  entre  les 

Mag'raoua  et  les  Beni-Ifrene   381 

Puissance  de  Ziri-ben-Atiya;  abaissement  des  Beni-Ifrene   382 

Mort  du  gouverneur  El-Mansour.  Avènement  de  son  fils  Badis.  383 

Puissance  des  gouverneurs  kelbites  en  Sicile   38i 

lîuptnre  de  Ziri  avec  les  Oméiades  d'Espagne   38i 

Chapitre  XIII.  —   Affaiblissement   des  empires  musulmans  en 

Afrique,  en  Espagne  et  en  Sicile  (997-1045)   386 

Sommaire  : 

Ziri-ben-Atiya  est  défait  par  loméiade  El-Modall'ei-   386 

Victoires  de  Ziri-ben-Atiya  dans  le  Mag'reb  central   387 

("luerres  de  Badis  contre  ses   oncles  et  contre  Kelfoul-ben- 

Khazroun   388 

Mort  de  Ziri-ben-Atiya.  Fondation  de  la  Kalàa  par  Hamniad.  . .  389 
Espagne:  Mort  du  vizir  Ben-Abou-.Vmcr.  El-Moëzz.  fils  de  Ziri. 

est  nommé  gouverneur  du  Mag"reb   390 

Guerres  civiles  en  Espagne.  Les  Berbères  et  les  Chrétiens  y 

prennent  part   391 

Triomphe  des  Berbères  et  d'El-Mostaïn  en  Espagne   393 

Luttes  de  Badis  contre  les  Beni-Khazroun.  Hammad  se  déclare 

indépendant  à  la  Kalàa   394 

Guerre  entre  Badis  et  Ilammad.  Mort  de  Badis.  Avènement 

d'El-Moëzz     395 

Conclusion  de  la  paix  entre  El-Moëzz  et  Hammad   396 

Espagne  :  Chute  des  Oméiades.  L'edriside  Ali-ben-Ilaminoud 

monte  sur  le  trône   396 

Anarchie  en  Espagne.  Fractionnement  de  l'empire  musulman..  397 


TAIil.i:   lil-S   MATIl'-RES  119 

fiiuM'res  enlre  les  Mag'raoïia  el  les  Beni-lfrcnc   -^99 

Luîtes  du  Sanhadjien  El-Moëzz  contre  les  Beni-Khazroun  de  Tri- 
poli. Préludes  de  sa  rupture  avec  les  Fatemides   399 

Guerre  entre  les  Mag'raoua  et  les  Bcni-Il'rene   iOO 

Evénements  de  Sicile  et  d'Ilalie.  Chute  des  Kelhiles   4(11 

Exploits  des  Normands  en  Italie  et  en  Sicile.  Robert  Wiscard..  i03 

Rupture  enlre  El-Moëzz  et  le  Ilammaditc  El-Kaïd   i0.j 


i-iN  hv.  i,\  [iF,r\n':Mi:  i'aptu'. 


Carlo  de  l'Afrique  septentrionale  au  ii"  siècle. 
Carte  do  l'Espagne. 


FIN    DU    PliEMIER  VOI.U.ME 


INDEX  DES  NOMS  PROPRES 

SE  TROUVANT  DANS  CE  VOLUME 


Nota.  —  Les  noms  d'ailleurs  ou  d'ouvrages  ne  s'y  trouvent  pas  compris. 
Quant  aux  noms  tels  que  Afrique,  Mag'reb,  Berbères,  etc.,  qui  se  rencontrent 
à  presque  toutes  les  pages,  ils  sont  simplement  recensés  ;  mais  il  a  fallu 
renoncer  à  indiquer  les  numéros  de  toutes  les  pages  où  ils  se  trouvent. 


A 

Abbassia  (el),  près  Tiharet.  285. 
Abbassia  (de  Tunisie).  207,  269. 
Abbassidc  (dynastie).  237,  395,  et  s. 
Abaritane.  147. 
Al)igas  (rivière).  109,  171. 
Abii-AlIah-ben-Abd-Allah  (le  Kelbite 

de  Sicile).  384,  404  et  suiv. 
Abd-AUah-ben-Abd-er-Rahman  (l'O- 

mé'iade).  287. 
Abd-Allah-ben-Abou-Sarli.  195. 
Abd-Allah-ben-Ujaroud.  201. 
Abd-AlIah-ben-lIacen.  399. 
Abd-AUah-ben-Ibrahim  (i'Ar'lebile). 

270. 

Abd-Allah-ben--Ikhelef  (le  Ketamien). 
309. 

Abd-Allah-ben-Kaïs.  203. 
Abd-Allah-ben-.Mohammed  (l'Oméïa- 
de).  298. 

Abd  -  Allah  -  bcn-  Wouça  -  ben  -  Nocéïr. 
221. 

Abd-AUah-ben-Zobéïr.    197  et  suiv. 

208  et  suiv.  jusqu'à  212. 
Abd-AUah-el-Kateb.  380. 
Abd-AIlah,  Tils  d'Edris  II.  276. 
Abd-Allah,  fils  d'El-Hakem.  265  et  s. 
Abd-Allali,  111s  d'El-Moëzz  (le  Sanha- 

djien).  403. 


.Vbd  -  el-Aziz  -  ben-Mouça-ben-Nocé'ir. 

222,  223. 
Abd-el-Aziz-el-Moafri.  253. 
Abd-el-Ujebbar.  237. 
Abd-el-Malek-ben-Abou-Djaada.  243. 
Abd-el-Malek-ben  Mouça.  222. 
Abd-el-Malek-el-ModalTer,  lîls  d'Ibn- 

Abou-Amer.  386,  390,  391. 
Abd-el-Malek,  khalife  oméïade.  209  à 

220. 

Abd-el-Malek  (le  Médinois),229  à235. 
Abd-el-Ouad  (tribu).  187. 
Abd-el-Ouahad-ben-Yezid.  232. 
Abd-el-Ouahab-ben-Rostem.  258  el  s. 
à  270. 

Abd-el-Ouarelh-ben  -Abd-er-Rahman. 
240. 

Abd-er-Rahman  I  (fondateur  de  la 

dyn.  oméïade  d'Espagne).  244  et  s. 
Abd-er-Rahman  II.  273,  282,  287. 
Abd-er-Rahman   III  (dit  En-Nacer). 

330  et  s.  à  362. 
Abd-er-Rahman  IV  (dit  El-Mosta- 

d'hir).  378. 
Abd-er-Rahman  V  (dit  El-Morteda). 

398. 

Abd-er-Rahman-ben-Abd-Allah.  226, 
227. 

Abd-er-Rahman-ben- Habib  (dit  le 
Slave).  257. 


422 


Ab(l-er-R:ihinan-ljeii-llal)il).  'l'io  ei  s. 

jusciii'à  '2iO. 
Abd-er-lUianian-ben-lïosleni.  '2iO  et 

siiiv.  2jj  à  2à8. 
Aljd-er-Ualiiiian-ul-l)jo(lami.  290. 
Alxl-er-Rahman,  fils  (J"Kl-lIabilj.  2.jI. 
Abd-er-Hahman  (ramérite),  surnom- 
mé Sanchol.  391  et  sniv. 
Abd-er-Rahinan  le  Kaïsile.  21o. 
Abd-er-Rezzak  (le  Kliaredjite).  290. 
Abd-es-  Selah-ben-Feredj.  27C  et  s. 
Abou-Abd-Allah-el-Iloceïn(leChiaïle). 

294,  303  et  suiv.,  318,  319. 
Aboii-Abd-AUah-Mohamnicd.  dit  Aboii 

el-R  aranik  (l'Ai-'Iebite).  288,  289. 
Abou-Abd-Allah  (vizir  ar'lebilej.  28i. 
Abou-Animar  (T-^veugle).  338. 
Abou-Beker  (khalife).  193. 
.Vbou-Beker-ben-Bordj   le    liur  (dit 

Ikhchid).  336  et  suiv.,  36i. 
Abou-Djàfer  (l'Ar'lebite).  281. 
Abou-Djàfer  (le  Nekkarieii).  330. 
Abou-Eïkal-ei-Arleb,  dit  Khazer.  281 

à  28  i. 

Abuii-llàtein-Yakoiib.  'IM  à  2(ii. 
Abou-lloniéïd  (vizir  ar'lebilej.  281. 
Abou  -  Ibrahim  -  Ahmed    (l'Ar  lebile). 
28(i. 

Abou-Ishak-lbiaiiim  (l  Ar'lebilei.  289. 
Abou-Kharadja-ijen-Alimed  (Lrénéral 

ar"leb.).  288. 
Aboii-Khàled-Yczùl.  208. 
Aboii-Komah.  330. 
Abou-Koreïb  (cadi).  242. 
Abou-Korra (Tifrenide).  238  et  suiv. 
Abou-lAbbas-Abd-Allah  (lArlebite). 

270  et  suiv. 
Abou-l'Abbas-ben-Abou-l-ezara.  280. 
Abou-l'Abbas-es-SalTah  (khalife  aba-;- 

side).  237. 
Abou-l'Abbas,  lils  d'll>raliini  (l  Ar  le- 
bite). 292  à  303. 
Abou-l'Abbas  le  chia'ile,  300  à  319. 
Abou-l'Abbas-Mohammed  (l'Ar'lebite). 

284  à  286. 
Abou-rAbbas-Mohammed.  tils  de  Zia- 

det-Allah  II.  296. 
Abou-l  A'ieh-Ahmed:  dit  lll-l'adel  d'K- 

dricide).  307  à  300. 
Abou-l'Asouad,  ills  de  Youeuf.  2Ô7. 
Abou-rBehar-ben-bou-el-Alia.  353. 
Abou-l'Fahm-ben-Nasrou'ia.  379  et  s. 


Abou-Leila-Ishak.  ■>:/.),  209. 
Abou-l'Keredj,  le  Juif.  380. 
Abou-l'Ketouli-Youssof  (le  Kelbile). 
38  i. 

Abou-rilakem.  dit  Azkeladja.  378  el 
suiv. 

Abou-l'Kaoual  (l  Ar  lebite).  30i. 
Abou-l'Kassem  (le  Kelbile).  378. 
Abou-l'Kassem  (ou  Kacem),  Ills  (le 

Mehdi-Ubé'id-Allah  (voir  Kl-Kaïml. 
Abou-rKassem-Semtrou-ben-Ouàeoul. 

2:j.'j. 

AI)Ou-I  KIiallah-el-.\lualri.  2iO. 
Abou-l'Khatlar.  23.j;i2i3. 
Abou  -  r  -  .Moiikad  -  ben  -  bou  el-Alia. 
253. 

Abou-.Malek  ( l'Ar'lebite).  297. 
Abou-.Mausour-A'iea  (le  Bertr'ouali). 
37(1. 

Abou-Menad  -  .Nacii'-ed  -  liaoula  (v(jir 
Badis). 

Abou-Moliammed-Ziadel-Allali  (vfiir 

Zia<let-Allah). 
Abou-l'R'aranick  (voii'  AhoLi-Alid-Ai- 

lah-Moliaiiimed  ). 
Abou-Saïd-Moussa.  dit  Eil-Kaïf  (j-'éii. 

obéïdite).  32j. 
Abou-Tahar-Ismaïl  (  voir  EI-.Maiisour). 
Abou-Taleii.  192  el  suiv. 
Abou-'l'emini-.Maad  (voir  Kl-Moëzz). 
Abou-Tliaur.  2"i7. 
Abou-Yah'ia-beii-Arouiias.  2ji. 
.\bou-Yezid,  l'hoinme  a  l'âne.  07.  335. 

338  el  suiv.  à  352,  3.55. 
A  bo  u-Z  ak  i  -Te  m  m  a  m .  312. 
Abou-Zerhouna.  25i. 
Abou-Zor'bel  (l'aH'iauelii).  377. 
Aced  (le  cadi).  278. 
Acein-ben-Djemil.  242. 
Aciiir.  338,  350.  308.  377.  381  et  suiv. 

388  el  suiv.,  394,  i05. 
Aclium.  88. 

Addjana  (tribu).  183.  303. 
Adherbàl.  57  à  82. 
Adjiea  (tribu).  184. 
Adis  (Rades).  17. 
Adnane  (tribu).  190  el  suiv. 
Adriati(|ue.  31,  33  et  sui\  . 
Adv  rmakhides.  4. 
Aedémon.  94,  95. 
Aemilius.  29. 
Aélius.  132,  liO,  147. 


IN'UE\   DES   NOMS  rUOl'KES 


423 


Alla,  fils  tl'Ab-cl-Ou;iliab-ben-Uoslem. 
285. 

Africa(noni  ancitm  (l'EI-Medhïa).  322. 
Afi'ica  nova.  81. 
Afrique  (diocèse  d').  110. 
Afrique  (préfecture).  128. 
Afrique  propre.  21,  119. 
.Vfrique  (province  ])roconsulaire  d'). 
<Xj. 

Africiue  seplenli'iDiiale  (Bei'ljérie).  1 

et  suiv. 
Agathocle.  9  à  69. 
Agisymba.  106. 
Agoura.  182. 

Agrigente.  7,  18  (voir  Akragas). 
Agripa  (Marcus").  103. 
Ahénobarbus  (I)oniilius),  72. 
Ahmed-Abou-l'Eikal  (l'Ar'lebile).  289. 
Ahmed-ben-Beker-el-I)joilanii.  360  et 
suiv. 

Ahmed-ben-el-Akehal.  402. 
Ahmed-ben-Korhob.  323. 
Ahmed-ben-Umar  (général  ar"leljite). 
289. 

Ahmed-ben-Meinioun  (le  Midrariile). 
327. 

Ahmed-ben-Soliane.  28j. 
Ahmed-ben-IIassan-el-Kelbi.  362  à  369. 
Ahmed-ben-Touloun.  291. 
.Viad-ben-Ouahb.  270. 
Aïan  (tribu).  183. 
.\ïça-ben-Jloussa.  248. 
Aïça-ben-Yezid,  le  Noir.  2i3,  2jj. 
Aïca,fils  de  Soleïnian  l'Edriside.  277. 
Aïça,  fils  d'Edris  II.  277,  281. 
Aïcha  (veuve  du  Prophète).  200. 
Aïfaoun  (tribu).  183. 
Aigan.  168. 
Aïhala  le  Noir.  173. 
Aïnoutlal  (tribu).  I8.j. 
Aïnlift  (tribu).  18.5. 
Aioub,  flls  d'Abou-Yezid.  346  à  3j2. 
Akhouïne  (el),  3i2. 
Akouba.  196. 

Akragas  (Agrigente).  9,  1.5. 
Algésiras.  220  et  suiv.,  23i,  386,  397 

et  suiv. 
Ala-(el)-ben-Moghit.  206. 
Ala-(el)-ben-Saïd.  261. 
Alains.  138  et  suiv. 
Alaric.  139, 143. 
Albe.  43. 


Albinus.  61. 
Albinus  (L.).  101. 

Alexandre  le  Grand.  10,  69,  77,  87. 
Alexandre  (le  tyran).  123,  12i. 
-Vlexandrie.  77,  105  et  suiv.,  110  et 

suiv.,  32.5,  365,  370,  370. 
Ali  -  ben  -  llamdoun   (  l'Andalousien  ). 

330  à  3i6. 
Ali-ben-llamnioud  (l'Edriside).  296. 
Ali-ben-Mohammed  (l'Edric).  281. 
Ali-ben-Oniar-el-Beloui  (oIT.obeïdite). 

320. 

.Ui-ben-Omar  (l'Edriside).  281  à  290. 
Ali  (gendre  du  Prophète).  195  à  201, 

2.59,  293. 
.Vlides.  259  et  suiv. 
Alpes  (les),  29,  330. 
iVlphonse  I,  fils  de  Pedro.  243,  258. 
Alphonse   II  (dit  le  Chaste).  265, 

272. 
.Vlméi'ia.  359. 
Amabilis  (préfet).  176. 
Amalafrid.  15i. 
Ainalfi.  302,  iOi. 

Amcr-ben-Selini-ben-U'alboun.  285. 
Amer-ben-cl-Aci.  193. 
Ameur-ben-Nafà.  275. 
Amilcar-Barka.  17,  23  à  Si. 
Amilcar,  fils  de  Magon.  7  à  10. 
Amirides  (vizirs  esp.).  293. 
.\inmar  le  Kelbite.  301. 
Ammatas.  159. 
Ammon  (oasis  d'),  08,  102. 
Aniporia  (Ainpurias).  26. 
Amrane  (beni).  185. 
Amran-ben-Ilabib.  2i0. 
Amran-ben-Mokalled.  268,  269. 
Amsaga  (fi.).  22,  44,  47,  84,  119,  143, 
144. 

Anbaça  le  Kcibilc.  226. 

Andalous  ((|uartiei'  des).  269  el  suiv., 

273,  329,  373. 
Andalousie.  223,  234  et  suiv. 
Andréas  (ou  Lucus).  107. 
Anfaça  (Iribu).  183. 
Anfis,  277. 
Annius.  72. 

Ansars  (les).  1S2  et  suiv.,  294. 
Anlallas.  155,  168,  171  et  suiv. 
Antarite.  23. 
Antigone.  69. 
Antiochus.  45,  46. 


424 


IIISfOIHK   D12   L  AKKIQL'E 


Antoine  (Marc).  8i  à  88. 
Antonin  (emp.).  109,  111. 
Antonina.  157,  160. 
.Vnloniiis  (Lucius).  87. 
Anulinus.  122  à  12(3. 
Apennin.  30,  302. 
Apion.  7. 

Appiiis  Claiidius.  1  i. 
Aproniiis  (L.).  93. 
Apulie.  31,  30,  403. 
.\quitaiiie.  228  et  suiv. 
Aoureba  (Irihu).  183  à  211.  2VJ,  208. 
281,  327. 

Aoiuès  (Mont  ou  Djebel).  92,  109, 120, 
Ijl,  169  et  suiv.,  205,  211  el  suiv., 
355  et  suiv. 

•Voureth  (beni).  180. 

Aourir'a  (Iribu)  182. 

.Vous  (tribu).  192. 

•Vrabes.  189  et  suiv. 

Arabes  Ililaliens.  181. 

Arabie.  189  et  suiv. 

Arabion.81  à  80,  99. 

Araïch  (el).  277. 

Arbi  (el)  le  Kelbile.  257. 

Arcadius.  136. 

.Vrchagale.  11. 

Archélaiis.  157  à  101. 

Archidona.  320. 

.Vrchimède.  33. 

.Vrdoin  le  Lombard.  401. 

Aréobinde.  173. 

.Vrgirius  (patrice).  301. 

.Vriobarzane.  48. 

-Vristée.  3. 

.Vriens.  145  et  suiv.,  152,  101.  1(>7. 
Arius.  128. 

Ar'leb-(el)-ben-Saleni.  240,  248  el 
suiv. 

Ar'lebites  (les).  264  et  suiv.,  279. 
Ar'mat.  277. 

Arouba-ben-Youçof.  310. 
.Vrrétium  (camp  d').  30. 
.Vrsaoua  (tribu).  185. 
.\rlabane.  17i. 
-Vsbystes.  -4. 
.Vscalis.  72. 
Asculum.  11. 

Asdrubàl,  fils  de  Giscon.  37,  38,  40. 
.-Vsdrubàl,  gendre  d'.Vmilcar.  25  à  31. 
Asdrubàl  (gêner,  karth.).  18. 
Asdrubàl  le  Barkide.  48,  53. 


Asnam  (el).  233. 
Aspar.  145. 
-Vspidis.  169. 
Assaden  (tribu).  185). 
.\starté  (Tanil).  102. 
Asluries  (les).  223. 
Asturiens.  132,  133. 
.Vtalaric.  165. 
Ataranles.  102. 
Athias.  169. 

Atiya-ben-Abou-Beker.  382. 

Aliya-ben-Khàzer.  375. 

Allas  (grand).   4  et   suiv.,  218  el 

suiv. 
Atlantes.  102. 
Atralinus  (L.-S.).  90. 
AIrouza  (tribu).  182. 
Attila.  140. 
Atlius  Varns.  75. 
Audjela  (oasis  de).  102,  105. 
.Vugma  ou  Megna  (tribu).  185. 
Augusia  (légion  lllj.  89. 
Auguste  (emp.).  88  à  96. 
Augustin  (S'.).  I  41  et  suiv. 
.Vulus.  61 . 

-Vurélien  (einj).).  116. 

Aurelio  (roi  des  .Vsturies).  2-58. 

Aurore  (mère  de  liicluim  II).  384. 

Auses  (tribu).  4. 

Auskliyses  (Iribn).  4. 

Ausirusiens  (tribu).  139. 

Autel  des  l'hilènes.  3. 

Auzia  (.Vumale).  94,  115. 

Avignon.  229. 

Ayoul),  neveu  de  .Moura-ben-Nocéïr. 
22  i. 

Azdadja  (tribu),  184,  217,  385. 

Azemmor  (tribu).  182. 

Azemmor  (ville).  277. 

Azerdane  ou  Zerdal.  187. 

.Vzliar  (mosquée  d"KI).  360. 

Azkeladja  (voir  .Vbou-rilakeni). 

Azila.  277,  327,  358,  38(1. 

Aziz  (el)-Nizar   (khalil'e  fatemide). 

375  à  379. 
Aziz  (Oulad).  184. 


B 

Haal  (temple  de).  54. 
Babares  (tribu).  115. 


INDEX   l>i;S   MJMS  I'K(J1-KES 


125 


Babor  (mont).  1 1  o. 
Badine  (beni).  J87. 

Badis-ben-Mansoiir    le  Sanhadjicn, 

383  et  suiv.,  388  à  390. 
Badja  ou  Béja.  (51,  62,  233,  2d8,  270, 

292  et  suiv.,  3iO,  39.^. 
Baeza.  320. 
Bagdad,  l'assim,  3(14. 
Baghaïa  ou  Bar'aï.  171  et  suiv.  (voir 

Bar'aï). 
Bapradas  (voir  Medjcrda). 
Bakdoura.  232. 
Baléares  (îles).  168,  218. 
Baleg  (le  Syi'ien).  231  et  suiv. 
Balbus  (Cornélius).  91,  lO.j. 
Balbus  (mont).  38. 
Banlious  (oasis).  3.'j0. 
Baquales  (tribu).  109. 
Bar'aï  (Baghaïa).  20j  et  suiv.,  21 4  i  l 

suiv.,  307  et  suiv.,  3i0  et  suiv., 

3i8,  35Ô  et  suiv.,  388,  390. 
Barcelone.  257,  390. 
Bari.  301  et  suiv.,  350.  384,  iOl. 
Barka  (pays  de).  180  et  suiv.,  194  et 

suiv.,  389  et  suiv. 
Basile  (ca])itaine  byzantin).  301. 
Basile  (empereur).  402. 
Basile  le  Macédonien  (enip.).  288  à 

291. 

Basiliscus.  119. 

Basra  (du  Mafi  ieb).  27(i,  329,  300, 
372,  374. 

Bassien-Elagabal  (voir  Elagabal). 
Battos.  68. 

Beau  pi'omonloire.  40. 
Bebius  (Gains),  (il . 
Bedoins.  190  et  suiv . 
Bedr  (l'airranchi).  244. 
Behloula.  260. 
Béja  (Ksp.).  236,  2:.0. 
Bel  (Iribn).  183. 

Bélisaire.  157  et  suiv.,  106,  170. 
Bel-Kasseni-el-Kelbi.  309. 
Bel-Kassem-Semgou.  243. 
Bellezma.  293,  303  et  suiv.,  348. 
Bénévent.  300,  377. 
Ben-Ghazi.  C9. 
Beni-el-Khâli.  320. 

Ben-Klialifa  (général  ketaniien).  328. 
Benoît  VIII  (pape).  403. 
Ben-Zobéïi'.  197  et  suiv. 
Benzert  (Bizcrle).  213. 


Berbères.  Passini. 

Berbères  de  l'iist.  182  et  suiv.,  348. 
Berbères  de  l'Ouest.  182  et  suiv. 
Berbérie    (Al'ri(iue  septentrionale). 

Passim. 
Berber  (Ouàd). 
Bérénice.  09. 

Berg'ouata  (tribu),  18o  et  suiv.,  230, 

238  et  suiv.,  2.jo,  374  et  suiv.,  399. 
Bermude.  381,  38.j. 
BerzaI  (beni).  186,  329,  339  et  suiv., 

349  et  suiv.,  371,  38.j. 
Bestia  (Calpurnius).  60,  01. 
Belalça  (tribu).  185. 
Bïata  (tribu).  183. 
Bichr-ben-Safouane.  22(1. 
Bir-el-Kahéna.  210. 
Biskra.  207,  288,  352,  307. 
Bitbya.  53. 
Blésus.  93. 
Bobastro.  321. 
Bochra  (l'Esclavon).  340. 
Bogud.  I.  72  à  84,  99. 
Bogud  II.  87.  99. 
lioïannès  (le  Kata|)aii).  403. 
Boïens.  29. 
Bokkar.  38  et  suiv. 
Bokkus  I.  60  à  67,  82,  99. 
Bokkus  II.  72  à  82,  99. 
Bokkus  III.  84  à  88,  99. 
Bologguine,  lils  de  Ziri-ben-Menad  le 

Sanhadjien.  355,  366  et  suiv.,  375  à 

377. 
lîomilcar.  10. 
Bomikar.  01  à  63. 

Bône  (llippône).  402  (v(iii'  llipiMuie). 

Boniface  (général).  142  et  suiv. 

Boniface  (serv.  de  Gélimer).  165. 

Bordeaux.  228. 

Bolouïa  (tribu).  181,  185. 

Botr,  iilur.  d'Aider  (peuple).  181. 

Bou-Arous  (général  ketainien).  328. 

Bouéïra  (el)  (tribu)  184. 

Bouïdes  (lés).  364. 

Bouira  (ville).  354. 

Bou-R'ardane  (beni).  184. 

Bouri  (el)-ben-bou-rAria.  353. 

Bou-Saïd  (beni).  186. 

Bou-Youçof  (beni).  184. 

Brahim  le  Sanhadjien.  395. 

Brahim  (Oulad).  184). 

Branès,  ])lur.  de  Bernés  (|)euple).  181. 


126 


IIISTOim;   l)V.   L  Al-UIQUE 


Brindes.  378. 
Brutliuni.  19,  35,  37. 
Bulla  (regia).  72,  KiO,  l(i-2. 
Burgaon  (mont).  160. 
Burgos.  301. 
Byrsa.  54,  55,  101. 
Bithynie.  40. 

Byzacène.  4i,  95,  119,  128.  110  ul  s.. 

153  et  siiiv. 
Byzance.  145  et  suiv..  157  et  Mii\.. 

198,  passini. 


C 

Caire  (le)  el-Kalu-ra.  305,  170,  383  el<. 
Caire  (le  vieux).  306,  32'2.  320,  370. 
Caïus  Gracchus.  57. 
Calabre.  279,  301,  32i,  333,  350,  361. 

384,  402. 
Calama  (Guelnui).  lii. 
Calatinus.  16. 
Caligula  (eiiip.).  94  ;i  9(). 
Calonyme.  161. 
Calpé  (mont).  220. 
Camillus  (M.-F.).  92. 
Canaries  (iles  Fortunées).  90. 
Canarine.  16. 
Canete.  320. 
Cannes.  31  à  33,  40.  4.5. 
Canusium.  30. 
Capellien.  114,  115. 
Capoue.  32  à  36,  300  el  suiv.,  lOi. 
Capsa  (Gafsa).  65,  153  (voir  Gafsal. 
Capusa.  38. 
Capul-Vada.  158,  17  i. 
Caracalla  (emp.).  112. 
Carcassan.  175. 
Carigliano.  302. 
Carinus.  91. 
Carmona.  2.50. 

Carlenna  (ïenès).  132  (voir  Tenés). 
Carlhagène.  28,  36,  90,  li3,  U9. 
Carus  (emp.).  118. 
Cases-Noires  (les).  120.  130. 
Cassius  (Lucius).  61,  78. 
Castellum  Audiense  (Aïoun-Bessem). 
135. 

Castillans  (les).  392  el  suiv. 
Castille.  258,  35i. 
Castro-Giovanni.  280.  286,  289. 
Catalans  (les).  392  et  suiv. 


Catane.  8,  297. 
Caton  (le  Censeur).  16  h  48. 
Caton  (dTlique).  70  à  80. 
(latilinn.  78. 
Calullus.  105. 
Céeilien.  125  h  129. 
Cefalii.  280. 
Célestius.  141. 
Cellas-Valari.  170. 
Ceisus.  110,  127. 
Celtibériens.  32. 
Censorinus  (Lucius),  49,  .50,  51. 
Cenluria.  169. 
César  (.Iules).  71  à  85. 
César  (Oclavien).  80. 
Césarée  (Yol).  90,  92,  133  et  suiv., 
165.  176. 

Ceuta.  165.  200,  218.  222,  234,  276. 

331,  357,  363,  371,  375  el  suiv.,  382 

et  suiv.,  397. 
Chafa  (général  fatemide).  352. 
Chaïlj  (beni).  18i. 
Cliakia.  256. 

Cliarlemagne.  257  cl  suiv.,  267,  272. 
Ciielir  in.).  271,  337,  395. 
Chelif  (ville).  388. 
Chella.  200,  401. 
Chemdoun.  201. 
Chemmakh  (ecli.).  200. 
Chenoua  (mont).  389. 
Cherchel.  380  (voir  Yol  el  CésaréeK 
Clierik  (presqu'île  de).  205,  280,  295. 
Chiaïtes.  210  et  suiv..  2.59.  303  et  s., 
400. 

Chullu  (Collo).  81. 
C.inna.  72. 

Circoncellions.  131  à  141. 

Cirla  (Conslantine).  22,  39,  41,  47,  51 

à  66,  81  à  85.  97,  108,  115. 
Cirlésiens.  81. 
Cyrille.  165. 

Claude  (emp.).  94,  i)5,  101. 
Claude  II.  116. 
Cléopàtre.  88. 
Cléopâlre  Séléné.  88,  92. 
Clypée  (lelibiya).  16,  17,  38. 
Colonnes  d'Hercule  (les).  2. 
Commode  (emp.).  101,  107. 
Considius.  77. 
Constance  (emp.).  131,  132. 
Constance  Chlore  (César).  118,  122, 
123. 


INDEX   Dl-S   NO.MS  l'ROl'lîKS 


127 


ConslaiU  (emp.)-  131. 
Conslanlin  I,  1-23  à  12'J. 
Constantin  II.  131. 
Conslanliii  l'oiTiliyi''i>ii'n'jlt'-  3ù(!,  3(>l, 
39  i. 

Coiislantinc  (ville).  SI,  \i:<.  .Ml  (.-t 
suiv.,  312,  3i3,  310  et  sui\. 

Constanline  (pro\;in(  i'  de).  188  et  s. 

Consulaire  (province).  117. 

Cordoue.  23i,  2i5,  2.j6,  271,  273.  287, 
298,  3G1,  3C7,  373,  381,  387,  3'JI  et 
suiv.,  397. 

Cornélien  (camp).  7.j. 

Cornilicius.  8i,  8o. 

Corse.  6,  148,  330. 

Cosenza.  303  et  suiv.,  101. 

Cossus  (Cornélius).  Ul . 

Colhon  (le),  h'i. 

Crassus.  71. 

Crête  (la).  89,  273,  302. 

Crétion.  132. 

Crotone.  41. 

(Uirion.  71,  Ib. 

Cutzinas  (ou  Cout/.inas).  I()8  et  suiv.. 

172  et  suiv.,  170. 
Cyclades  (iles).  402. 
Cyprien  (saint).  110. 
Cyrénaïque.  21,  47,  9o  el  suiv..  lOj, 

107  et  suiv.,  119,  128  et  sui\. 
Cyrène.  3,  08,  O'.i. 
Cyrus  (généi'al  jjy/.aiitin).  172. 


D 

Dahhali-hen-Kaïs.  209. 
Dai  (niissioiuiaire).  2i,'3  el  suiv. 
Damas.  3(w,  308. 
Damïa.  212. 
Dar-el-IIidjera.  30i. 
Dariça  (triiju).  181. 
Dar-Melloul.  307. 
Dai'soun  (tribu).  181. 
l)aoud-l)en-Ye/.id.  2.j8. 
Daoud,  lils  d'Kdris  II.  27(;. 
Uauphiné.  37ii. 
Uécianus  (C.-M.).  Ii:>. 
Uécimuni.  Iù9,  100. 
Uécius  (emp.).  1 1  ô,  110. 
Défenseurs  (les  Anaars).  192. 
Dekhir  (beni).  180. 
Démélrius.  69. 


Demona.  297. 

Demmer  (tribu).  180. 

Denliadja  (li'ibu).  183. 

Denis  (saint)  d'Alexandrie.  110. 

Denys  l'Ancien.  78. 

Denys  li-  .leiine.  89. 

Désalcés.  38. 

Diadumène.  1 13. 

Dihïa  (la  Kaliéna).  212. 

Dikouçn  (tribu).  183. 

Dinar  (Ahou-el-.Mohadjei-).  201  et  s. 

Dinar  (beni).  183. 

Dioclélien  (emp.).  117  à  122. 

Djaad  (beni).  18i. 

Djaber-ben-Abou-rKareni.  le  Kelbite. 
378,  381. 

Djàfer-ben-Abd-AUali,  le  Kelbite.  38  4. 
Djàfer-ben-Kelah.  30j,  3(i8. 
Djàfer-ben-llamdoun.  319  et  sui\., 

359,  360  et  suiv.  à  378. 
Djàfer-ben-Mohammed.  291. 
Djàl'er,  lils  de  Youçof-cl-Kelbi.  401. 
Djai<-li  le  Toulounide.  290. 
Djebel-Anionr.  l.M. 
Djebel-el-Akhdar,  338,  3jO. 
Djebel-Djerdjera.  I.jI,  303  et  suiv. 
I  )j  e  bc  l-G  u  ezou  1 .  218. 
Djebel-.Nechar.  389. 
D.jebel-.Nelouça.  l'assim,  345. 
Djebel-Tarik  (Gibrallar).  220. 
D.jeloula.  203,  233,  309. 
DJeniila  (Iribu).  183. 
DJeniil-ben-Saker.  2jl. 
Djenaha.  199,  202. 
Djeraona.  187,  212,  328. 
Djerba  (ile).  203. 

Djerid  (province  du).  100,  117,  198, 

20i,  3i0et  suiv.,  394  el  suiv. 
Djerid    (lieulenanl    d'Vbou-lIalem  ). 

2. ';i3. 

Djernumui  (Iribu).  182. 
Djezaïi--beni-Mezr'anna  (Alf,'ei'),  337, 

3. "i  1 . 

Djeziret-el-Kai'.  322. 
Djidjel  (Djidjeli).  b. 
Djimela.  291,  29.j  el  sui\. 
Djiza.  326. 

Djodliam  (Iribu  Yém.).  213. 
Djonil.  23(i. 

Djouher-ol-Kateb  (général  fat.).  3.59 

et  suiv.,  304  et  suiv.  à  371. 
Dokkala  (Iribu).  185. 


428 


HISTOIRE   DI-:   L  AFKIQl'U 


Dolabella.  93. 

Domitien  (emp.).  105,  106,  111. 
Domna  (.Iulia).  110, 112. 
Donat.  126,  127,  130. 
Donatistes.  127  à  14i  et  suiv..  167. 
Uor'ar'a  (tribu).  18.5. 
Douas-ben-Soulat  (olI.  ket.).  317. 
Donna  (tribu).  18.j. 
Drengol  (le  Normand).  i03. 
Drépane.  19,  20. 
Dius  (ou  Duis).  133. 
Dnilius.  16. 
Duodécemains.  293. 


E 

Kbre.  26,  28,  257. 

Ech-Chaker-l'Illah  (voir  Mohaiiinicd- 

ben-el-Fetah). 
Kdris  I  ben-Abd-Allah,  259  et  suiv. 
Edris  II.  264  et  suiv..  268  à  276. 
Kdrisides.  259  et  suiv..  338,  353,  360, 

363,  36»,  370.  372. 
Kgilone.  223. 
Egales  (lies).  20. 
Egussa  (Favignano).  20. 
Egypans.  22. 

Egypte.  I,3elsuiv.,70,76,291  elsuiv.. 

323etsuiv.,  326et  suiv..368et  suiv. 
Eïad  (tribu).  184. 
Eïbadisine.  2.55. 

Eïbadites  (Kharedjites).  246  el  suiv., 
338. 

Eïci  (tribu).  184. 
Ejiça.  221. 
Eknone.  16,  17. 

Elagabal  (Bassien.  einp.).  112.  113. 

EI-Djem.  79,  216. 

Elmaï  (ou  Lemaï)  (tribu).  184. 

El  vira.  221,  236,  298,  321. 

Emigrés  (les  Mehadjer).  192. 

Einilien  (le  Maure).  115. 

Emporia  (territoire  des).  46. 

Enna.  16,  280. 

Epiphanius.  157. 

?>atosthène.  6. 

Erbesse.  16. 

Errté  (mont  l'ellégi  ino).  19. 
Ei-mengaud  (le  comte).  392. 
Ki-Uadi.   fils    d^El-Moklader  (klial. 
abb.).  336. 


Espagne.  24  et  suiv.,  36  et  suiv.,  73, 
119  et  suiv.,  143  et  suiv.,  218  el 
suiv..  320,  354,  361,  390  et  suiv., 
396  et  suiv. 

Es-Samah.  225. 

Estradamure.  223. 

Elhna-.Vcherïa  (Uuodecémains).  293. 
Etna.  291,  40i. 
Et  ru  rie.  30,  31. 
Etrusques  (les).  7. 

Eude  (duc  d'.Vquilaine).  226  et  suiv. 
Eudoxie  (imp.).  148. 
Eugène.  137. 
Euphémius.  278  à  280. 


F 

Fabius  (Maximus).  27,  31  et  suiv. 

Fàdel  (révolté  tunis.).  280. 

Fàdel(cl)rEdriside(voirAbou-l"Aïcli). 

Fàdel  (el)  ben-Bouh.  261. 

Fàdel,  nis  d'Abou-Yezid.  339,  351,  355. 

Fango  (C.-F.).  86. 

Faïoum.  323,  326. 

Fara  (l'ilérule).  165. 

Faraxen.  115. 

Fatemides  (les).  312  et  suiv.,  343  et 
suiv.,  370. 

Faten  (beni).  184  et  suiv. 

Fatima  (fille  du  Prophète).  210. 

Fazaz.  260. 

Fechtal  (beni).  186. 

Feclilala  (beni).  185. 

Fedj-el-Akhiar.  294. 

Fehas-Terennou.  344. 

Fekh  (bataille  de).  259,  293. 

Felaça  (tribu).  183. 

Felfoul-ben-Kliazroiin.  388  et  suiv., 
394  et  suiv. 

Félicité  (sainte).  112. 

Félix.  132. 

Fendelaoua.  260. 

Ferralus  (Mons).  102  et  suiv. 

Fès.  269  et  suiv.,  290  et  suiv.,  317  et 
suiv.,  327  et  suiv.,  332,  357,  360  et 
suiv..  371  et  suiv.,  379  et  suiv.,  387 
et  suiv.,  391  et  suiv.,  399  el  suiv. 

Feslus  Valérius.  104,  105. 

Fetouaka  (tribu).  185. 

Fezzan.  Passim,  247. 

Firmianiens.  133. 


INI>i;\   DRS   NOMS  l'ROPRI-S 


429 


Firmus.  67,  133  et  siiiv. 

Fihrites.  256. 

Flacciis  (Septimius).  105. 

Faubourg  (ré voile  du).  273. 

Flaminius.  30. 

Flavius.  103. 

Florien.  117. 

Florus  (Valcrius).  122. 

Fortunées  (îles  Canaries).  73,  90. 

Fostat.  365. 

Franks.  117. 

Fraxinet(républi(|uo  musulmane  du). 

330,  373. 
Fraxiniens.  115. 
Frenda.  172. 

Froïla  (roi  des  Asluries).  258. 
Flah-ben-Yahïa.  303. 
Fulvie.  86. 


G 

Gabaon.  153. 

Gabès.  158,  214  et  suiv.,  242  et  suiv., 
399. 

Gabès  (goll'c  de).  46. 
Gadès  (Cadix).  25,  37,  90. 
Gaële.  302. 

Gafça.  198,  204,  216  et  suiv. 

Gaïaza  (tribu).  184. 

Galba  (enip.).  103,  104. 

Galère  (emp.).  118,  122,  123. 

Galice.  223,  243,  258,  265. 

Gallien  (emp.).  116,  117. 

Gallus  (oir.  rom.).  88. 

Gallus  (emp.).  115. 

Gammouda(ou  Ka  m  monda).  295,308. 

Garama  (Djerma).  i,  91,  105,  110. 

Garamantes.  4,  22,  39,  91,  93,  102, 

105,  106,  174. 
Gargilius  (Q.).  115. 
Gasmul.  176,  177. 
Gauda  (roi  de  Xum.).  67,  68,  82. 
Gauda,  fils  de  Bokkus.  72. 
Gaudentius.  132. 

Gaules  (les)  28,  122,  131,  136,  227  et  s. 
Gaules  (préfecture  des).  128. 
Gaulois,  22,  29  et  suiv.,  77  et  suiv., 

137  et  suiv. 
Gazauphyla.  170. 
Gélimer.  154  et  suiv.  ii  165. 
Gênes.  333,  336. 


Geniiadius.  177. 
Génois  (les).  402. 
Genson  (ou  Genzon).  Ii7,  152. 
Genseric  (ou  Gizeric).  143  et  suiv.  à 
150. 

Ger  (Ouâd-Guir).  95. 
Gerace.  356. 
Germain.  170,  171. 
Gesalic.  153. 
Géta  (Ilasidius).  95. 
Gélules.  44  cl  passim. 
(lélulie.  22  et  passim. 
Ghiligamnies.  4. 
Ghomara  (voir  U'omara). 
Ghyzanles.  4. 
(iibamund.  159. 
Gildon.  133,  136,  1.38. 
Girgenti.  280. 

Giscon  (général  karth.).  22,  23,  37. 

Giscon  (chef  karlh.).  48. 

Glaphyra.  92. 

Godas.  157,  158,  182. 

Gondamond  (ou  Gunlhnmund).  152. 

Gontharis.  171,  173. 

(ionzaiès    (Ferdinand),  l'excellent 

corn  le.  354,  359,  301. 
Gordianus  (Marcus-Antoninus).  113. 
Gordiens  (les).  113,  lli,  115. 
Gordien  1  (l'ancien).  113. 
Gordien  11  (le  jeune).  114. 
Gordien  111.  114,  115. 
Golhs  (les).  138  et  suiv.,  1 43  et  suiv., 

154,  218  et  suiv. 
Gouzit  (ijeni).  184. 
Gracchus  (Caïus).  57,  88. 
Grand-Déserl.  189  et  passim. 
Grande-Grèce.  31. 
Gralien  (emp.).  135,  136. 
Grèce.  402. 

Grégoire  YII  (pape).  394. 
Grégoire  (légal).  177. 
Grégoire  (palrice).  177,  196  et  suiv. 
Grenade.  221,  397  et  suiv. 
Guadaira.  392. 
Guadalballou  (bal.  de).  320. 
Guadalquivir.  245,  392. 
Guechloula  (Iribu).  184. 
Guedala  (tribu).  186. 
Gucdjal.  294  et  suiv.,  30i  et  suiv.  à 
313. 

Guedmioua  (Iribu).  185. 
Guenflça  (tribu).  185, 


iiisToiiiE  ni-  I.  AFruQi  rc 


(iiii'/.ii;iïa  (li'ilm).  \K.i. 
(;u(v.oiil,i  ((ril)n).  180,  20(5. 
(Inill.nunio  Uras-dc-Kor.  Wi. 
(luillauine  de  l'rovcncc.  371). 
(liila.  3i,  IjS.  si. 
(liilussa.  iS  à  ."li.  (>l.  SI. 
(liiiKh'i'ic.  lil. 
Cnivil.  ISd. 

H 

Ilahili  (cli  Ik'ii- \lMl-ci--r.aliniaM.  23'.». 

llahib-hcn-AlHiii-dlicHla.  -JiS.  -J-.'O  à 
.)■>.) 

Ihx.an  II.  259. 

llaran-bcii-.Nùmanc.  ■2\'-\r\  suiv  .à  217. 
Ilaran  (cl).  Kil li-idi'.  dil  Kl-llad.iniii. 

;!2S.  329. 
Ilaraii  ((.'!).        d'Ali.  2i)l. 
Ilaccn-licn- Ali  (i^riirral  l'a I l'in . ).  3 Ki. 

3.")9. 

Ilaccii  d'il  Ih'ii- \|]iiii-Kliaii/ir.  310. 
Ilaceii  ((d).  (!(•<(■.  de  S()lt'''inifui-lion- 

Kdris.  331). 
Hache  (d(dilc  de  la).  24. 
Iladjadj  (ol).  212. 

lladJar-on-Ncccr.  33(1  (d  suiv..  3."iS  id 

>uiv..  3G0.  372. 
Iladrianus  (procnnsid ).  71. 
Iladi-icn  (('ni|i.).  107.  lOS. 
lladnmii'dL'  (Sniiça).  2.  i2.  77  à  SO. 

Si.  101,  101,  1Ô9  (\(iii-  Simca). 
Ilaha  (Iribii).  lO.j. 
lla'i'-hcn-ilahdv  (liénéral  arl.1.  2SS. 
Ilailliani-Iien-Oho'id.  227. 
llaUem  ((d)  I  (klial.  nm.).  2(i.'j  ol  siu\ . 

à  273. 

Ilakem  (ol)  II.  3()2  cd  siiiv.  à  373. 
Ilalccm  (cd)  lii-AiiuM'-.\llali  iklial.  l'ai.). 

383  ;i  iOO. 
llanulis-l)(Mi-Alid-er-l!alinian  -cl-Kin- 

(11.  2(;S. 

Ilànii'd-licii-llaniddiin.  332.  33.'j. 
Ilàmid  (liciii).  18.!). 
llàmid-hcn-IIablious.  3à3. 
IIAinid-bcn-Yozel.  387. 
llamnia  (ol).  332. 

Ilammad  le  Saidiadjieii.  .383.  388.  394 

ol  suiv.  à  iOO. 
Ilaniniamn  (l'irreiiide).  383. 
Ilaniniama  (le  Mag"raoviiçn).  399  à 

101. 


llaininaiiKd  (fjolfe  de').  79. 
Ilamnioiidiles  (Kdi-isides).  281. 
llamza  (lils  (rKdris  II).  277. 
Ilainza  (ville  cl  réfrion).  337  (d  siiiv.. 

3dn,  389  et  siiiv. 
llandala-bcn-Safoiian.  233. 
Ilannibal  (famille  de  Ilaniion).  79. 
Ilannibal  (le  Haiki(le).  2.j  à  33  cl  s. 
Ilannon  (amiral  kartli.).  .">. 
Ilannon  (général  karlli).  10. 
llaniKin  (^'énéivd  karih.).  20  à  30. 
ilainKin  (fils  de  (liseon').  37. 
Ilannon  (ehef  de  pai-li).  'to. 
Ilarclh  (el).  2;!7. 
Ilarilh  (el).  19(i. 

IIaronn-er-|{a(  liid  (klial.  ab.).  2.j8  el 

llaroiin-el-ÏDbni  (fjénéral  ar'l.).  307. 
llassan-ben-Ali  (le  Kelbile).  356  el  s. 
Ilassandii'ii-Animar    (le  K(damien). 
3So. 

llassan-ben-Ammar  (le  Kelbile).  302. 
Ilassan-ben-Koléïb.     dit  lien-boii- 

Khan/.ir.  320. 
Hassan  de  liar  a'i.  102. 
Hassan  (el)  ben-Alimed  (<  ln'f  des  Kar- 

males).  3{)8. 
Hassan  (el)  ben-llarb.  249. 
Hassan  (ou  Ilaeen)  (el)  ben-Kennonn 

(l  ediiside).  300,  308,  372,  378. 
llassen-ben-Abd-es-Selim.  379  cl  s. 
llastinfî.  287. 

Ikuileville  (Taneréde  de).  'i03. 
Ilebel  (province).  37.">. 
lleehtiona  (tribu).  IS3. 
Ilé}.'ire.  192. 
Ileilana  (Iribn).  I8:>. 
Iléïoiiara  (Iribn).  182. 
Henri  II  (enip.).  i03. 
Iléraclée.  11,  \:>. 
Iléraclien.  139. 

Iléraclins  (emp.).  177.  19j.  190. 
Iléraclius  (exar(|ue).  177. 
Iléraclius  (général).  149. 
Ilergha  (tribu).  l8o. 
Hermione.  158.  159. 
Ilertema-ben-.V'i'an.  201  et  sniv. 
Ilérules.  150.  157. 
Ileskoura  (li  ibii).  180,  200. 
Ilespéride.  09.  ^ 
llezmira  (Irihu).  185. 
llicham  (khal.  ab.).  226,  231. 


INDEX   uns   NOMS  l'ROPKKS 


431 


llkliam  I  (khal.  om.)-  265. 

Hicham  (on  ilecliam)  II.  373,  .38i,  390 

et  suiv. 
llii  hani  (ou  lleihani)  III.  398. 
Ilicham  (pelil-lils  dAlxl-er-h.  III). 

391. 
Hiemsal  I.  82. 
Hiemsal  II.  67  à  74,  82. 
Hiéron.  12  à  ib  et  suiv. 
Hiéron.  23,  33. 
Iliéronyme.  33. 
Hiertas  (ou  Yai  lias).  (17. 
llilaliens  (.Vrabes).  181. 
llildéric.  lôi,  lo9. 
Ilimilcon  (général  karth.).  7. 
Ilimilcon  (général  karUi.).  19. 
Ilimyer  (tribu).  190. 
Ilind  (la  Mangeuse  de  foie).  200. 
Ilippône  (ou  llippo-Hégius).  9,  21,  39, 

42,  80,  94, 14i,  I6i,  l().j(voir  Hone). 
llippo-Zarytosdienzerl).  2,  II,  23,  21, 

.")."). 

llobacha-ben-'\  iiiirof  (gén.  oliéïdile). 
319. 

Hocéïne  (Alide).  2.j9. 

Ilodna.  Gj  et  suiv..  171,288.330,319 

et  suiv.,  389. 
Iloméïd-ben-Islilen.  311,  358. 
Homme  (F)  à  l'àne  (voir  Abou-Yé/.id). 
Honorius  (emp.).  136,  138,  140,  lil. 
Ilorr  (cl)  ben-Abd-er-liahman).  22i. 
Ilorréa.  119. 
lloslilius  (Kirminus). 
llouara  (tribu).  182  et  suiv.,  232,  246 

et  suiv.,  2.j4,  270  et  suiv..  279.  288, 

292,  321,  329,  34,".  et  suiv. 
Houat  (ou  Ilaral)  -beni.  I8."j. 
Iloucéïn  (el),  tils  .l'Ali.  201  c\  suiv.. 

208. 

Ilunéric.  14.j,  117  ;i  l,")2. 
Huns.  138  et  suiv. 
Hymère.  7. 

I 

laïcli  (l'allVanchi).  369. 
Ibn-.Vbdoun.  317. 

Ibn-Abou-Amer  (le  vizir)  (voir  Man- 

sour  [el]. 
Ibn-Abou-l'Fetah.  330. 
Ibn-.Vchath    (voir  Mohanimed-ben- 

Achath). 


Ibn-l)jaroud  (voir  Abil-Allah-ben-ltJa- 

roud). 
Ibn-es-Saïr".  309,  310. 
Ibn-llalçoun  (dit  Samuel).  321. 
Ibn-llobaich  (Ar'lebite).  307. 
Ilin-Kôrhob  (général  lnuloiin.).  291. 
Ibn-Mastana.  320. 
Ibn-Naked  (général  ar'l.).  29o. 
Ibn-U'anïa.  67. 

Ibn-Uoslem   (voir  Abil-cr-lîaliiuan- 

ben-Uos(eni). 
Ibn-Talout.  335. 
Ibraliim  (khalife).  236,  237. 
Ibrahim  II  ben-Ahmed  (rAr'Iebile). 

289  el  suiv.  à  303. 
Ibrahim  I  ben-el-Ar'leb.  263  et  suiv. 

il  270. 

Ibi'ahim-ben-el-Ar  leb  (général).  308. 
Ibraliim-bcii-li'aleb    (le  Ketamien). 
313. 

Ibrahim-ben-Soliane.  268. 

Ibrahim,  lils  de  .Mohammed-beu-Ka- 

cem  (l'edr.).  330  et  suiv. 
leaa  (el)  (le  .Midraridc).  312  el  suiv. 
Icélas.  9. 

Irlïbïa  (Clypée).  16. 

Iconoflastes.  277. 

Irosium  (Alger).  I3i. 

Iddjana  (tribu).  183. 

Idjer  (beni).  184. 

Idjerten  (beni).  185. 

Idlleten  (tribu).  187. 

lémen.  190  el  suiv. 

Ifgane.  157,  360. 

Ilisdias.  175. 

Ifrikiya.  188  etpassim. 

Ifrikiya  occidentale.  188. 

Ifrene  (Iribu).  186  el  suiv.,  2i9  el 
suiv.,  255,  260  cl  suiv.,  271  et  s., 
276,  317  el  suiv.,  339  et  suiv.,  353, 
366  et  suiv.,  371  et  suiv.,  378,  399 
cl  suiv. 

Igilgibs  (njidjeli).  102,  13i. 

Igmacen.  13i. 

Ikhchid  (voirAbou-Beker-ben-Bordj). 

Ikhchidilcs.  364  el  suiv.,  368. 

llanguanlen-.  182. 

Ilasguas.  182. 

Ildiger.  170. 

lient  (tribu).  180. 

Iloumen  (ou  Iloumi).  187,  371 

Iniamïa  (secte).  293. 


43-2 


nisToiRK  Dr:  i,  afriqit 


Inaou  (tribu).  183. 

Insubres.  29. 

Intacen  (tribu).  183. 

Ipsus  (bataille  d").  (ÎO. 

Irnaten  (tribu).  187. 

Irnïane  (tribu).  187. 

Isaflenses.  134. 

Isdourine  (tribu).  186. 

Isliten  (beni).  183,  18o. 

Ismaïl-ben-Abd-Allah.  221. 

Ismaïl-ben-0!)éïd-Allah.  229. 

Ismaïl-el-Mansour  (khal.  fat.)  (voir 

Kl-.Mansou  r). 
Ismaïliens  (Ismaïlia).  293. 
istiten  (beni).  182. 

Italie.  7  et  suiv.,  13  et  suiv.,  28  et 
suiv..  101  et  suiv.,  Ii8  et  suiv.,  300 
et  suiv.,  333,  361  et  suiv.,  377  et 
suiv.,  401  et  suiv. 

Itoueft  (beni).  186. 

Itoueft  (le  Sanliadjien).  377.  370  et 
suiv.,  383,  388  et  suiv. 

Itroune  (beni).  18t. 

Itrour'  (beni).  181. 

Izna.jar.  320. 


J 

Jaën.  236,  321. 
.lanuarius.  132. 

Jean  (r.Vrménien).  157  et  suiv..  loi. 

Jean  (l'usurpateur).  142. 

Jean  (oIT.  byzantin).  173. 

Jean  (pat  rire).  213. 

Jernn.  174. 

Jocundus.  152. 

Jonathas.  lO.j. 

Josèphe.  lOb. 

Journée  des  nobles  (la).  230. 
Jovien.  132. 
Juba  I,  74  à  82. 
Juba  II,  89  à  92,  96,  99. 
Jugurlha.  57  à  07,  81,  82. 
Juifs  (les).  105,  107,  167,  191,  221. 
Julien  (emp.).  131. 
Julien  (le  comte).  206,  218  et  suiv. 
Julien  (l'usurpateur).  118. 
Junonia  de  Grarohus  (Karthape).  86. 
88. 

Justin  II  (emp.).  177. 
Justiniana-Zabi  (Mecila).  172,  330. 


Justinien.  154  et  sniv.,  167  et  suiv., 
175. 


K 

Kaaba  (la).  191  et  suiv. 
Kabiça,  fils  de  Rouh.  261. 
Kacem-ben-Hammoud  (l'edric.).  397 
et  suiv. 

Kacem  (el)  ben-Edris  (dit  k'ennoun). 

336  et  suiv.,  357. 
Kacha  (tribu).  18 i. 
K.-idi  (beni).  187. 
Kafour(rikhchidite).  364. 
Kaher  (el)  b'illah  (khal.  ab.).  330. 
Kahéna  (la).  212  et  sniv.  à  216. 
Kahtan.  189. 

Kaïcer  (général  fatera.).  352,  360,  363. 
Kaid  (el),  fils  de  Hammad  (le  Sanh.). 

396,  iOO  et  suiv.,  405. 
Kaïm  (el)  Abou-l'Kacem  (khal.  obéï- 

dite).  306  et  suiv..  322  el  suiv.,  329 

et  sniv..  334  à  346. 
Kaïrouan.  203  et  suiv..  pass. 
Kaïrouanites  (quartier  des).  269,  273. 
Kaïs  (tribu).  201  et  suiv. 
Kaïsites.  202  et  suiv.,  212  et  suiv., 

243  et  suiv. 
Kalàa  (la)  des  Beni-llammad.  389  et 

suiv.,  394  et  suiv.,  405. 
Kancila  (beni).  183. 
Kansara  (tribu).  185. 
Karl  (Martel).  227  et  suiv.,  245. 
Karmates  (les).  332,  364.  'm. 
Karna.  276,  292. 
Karn  (el).  233. 

Kartena  (Tenès).  5  (voir  Ténès). 

Karlhage.  2,  5  et  suiv.,  47  et  suiv.. 
55,  56  el  suiv.,  101  et  suiv.,  110  et 
suiv..  160  et  suiv.,  177  et  suiv. 

Karthagène  (voir  Carthagène). 

Kassem  (el)  (l'Edriside).  276,  280. 

Kasréïne.  273. 

Kasliliya  (pays  de).  204,  216,  276.  307. 
325. 

Keba  (tribu).  182. 

Kcchana  (ou  Kecliala)  (tribu'».  185. 

Kehian  (tribu).  190. 

Kelb  (tribu).  202. 

Kelbites.  202  et  suiv.,  213  et  suiv. 
243  et  suiv. 


INDEX   DES   NOMS  PROPRES 


433 


Kelbiles  (de  Sirile).  384. 
Kemian  (hcni).  182,  330,  312  et  suiv., 
3ô0. 

Kenza  (la  Herbère).  260,  26i,  26:.. 

Kerama  (le  Sanhadjien).  396. 

Kerbela  (bataille  de).  208. 

Kerkinna  (îles).  57,  71,  78. 

Kcrkouda  (tribu).  182. 

Kernila  (tribu).  18.^. 

Kelania  (tribu).  183,  2.j0,  2.>i,  29i  el, 

suiv.,  303  et  s\iiv.,  321,  343,  318, 

379  et  suiv. 
Ketama  (pays  des).  294,  329. 
Khal'adja- ben-Sofiane  (gén.   arl.  ). 

289. 

Khaled-ben-el-Ilaljib.  230. 
Khaled-ben-llamid.  230. 
Khaled-ben-Yezid.  21  i  et  suiv. 
Klialil'a-ben-Oueri'ou.  399  et  suiv. 
Khalil  (béni).  18i. 
Klialil-ben-Ishak.  340  et  suiv. 
Klialil-i)en-()ucrd.  336. 
Klialoiif-ben-.\bou-lioker.  382. 
Kharedjisme.  201  et  suiv.,  271,  3.j4  et 
suiv. 

Kharedjites.  201  et  suiv.,  230  et  suiv. 

à  2.jo,  239  et  suiv. 
Khazer  (beui).  327,  328,.37(i  et  suiv., 

38.j. 

Khazradj  (tribu).  192. 
Khazroun-ben-l''cII'oul.  374  el  suiv. 
Khazroun-ben-Kha/.roun.  399. 
Khazi-oun  (beni).  387,  399  et  suiv. 
Kheirane  (le  Slave).  397  et  suiv. 
Kheïr  (el)  ben-Mohanimed-ljcn-Klia- 

zer.  338  el  suiv. 
Kheïr    (el)  ben-Mohammed-ljen-el- 

Klieïr-ben-Khazer.  367  et  suiv.,  37."». 
Kiana  (moul)  3i9  et,  suiv.,  389. 
Kici  (beui).  182. 
Kirta  (Cirla).  21. 
Kocéïla.  204  el  suiv.  ;i211. 
Koeour-llassan.  21  i. 
Koltouni-ben-Aïad.  231. 
Korra  (beni).  389. 
Koréïchites.  191  et  suiv. 
Korralh  (île  de).  30.j. 
Kosmana  (tribu).  182. 
Koufi  (beni).  184. 
Koumïa  (tribu).  184. 
Ksar-el-lfriki.  292. 
Ksar-el-Kahéua.  210. 

T.  1. 


Ksar-el-Kedim  (el).  267. 
Ksar-Masmouda.  372. 

L 

Labiénus.  76,  78. 
Laevinus  (consul).  34. 
Lakhès  (tribu).  186. 
Lakhm  (tribu  ar.).  234. 
banibèse.  100, 108,  ll.j,  119. 
Lani  forte.  134. 

Lamta  (Leplis  parva).  78,  323. 
Lamla  (tribu).  186,  206,  277. 
Tiaribus.  173  (voir  EI-0r])0s). 
Lar'ouate  (tribu).  186. 
batana  (tribu).  183,  303. 
Lebida.  292. 

l.edjaïa  (ou  Legaïa).  183. 

Lehiça  (tribu).  183,  303. 

Lélius.  40,  47,  54. 

Lélius  (Décimus).  84,  85. 

I.emaïa  (tribu).  184,  318,  329. 

I.cnias  (tribu).  186. 

l.emdïa  (voir  Médéa). 

Lemelli.  182. 

Lemla.  78  (voir  Lamta). 

1-emlouna  (tribu).  186. 

Léon  (royaume  de).  223,  287,  35 

361,  390. 
bépide.  86,  87,  88. 

bcptis  magna.  2,41,  101,  105,  133. 
Leplis  parva  (Lamta).  64,  78,  159. 

Leucoethiopiens.  22. 

Levalhes  (Louala).  172  cl  suiv. 

Libye.  3  el  passim. 

Libyens.  3  el  passim. 

Libye  penlapole.  21. 

Libye  intérieure.  22. 

Licinius.  128. 

Liguriens.  64. 

Lilybée.  12,  19,  20,  29. 

Lipari,  16. 

Lisbonne.  272. 

Litua  (.Vurélius).  118. 

Lodewig  (emp.).  301. 

Loire  (fl.).  228. 

Lokaï  (tribu).  185,  316. 

Longobards  (les).  300  el  suiv. 

Lolhophages.  4,  21. 

Loua  (race  de).  181. 

Louala  (tribu).  174  et  suiv.,  182 
suiv.,  259,  292  et  suiv.,  318. 

28 


434 


HISTOIRE   DE  l'aFRIQLE 


Lucanie.  35. 
Lucilla.  126. 
I-ucila.  121. 
LucuUus.  70. 
J.iigo.  258. 
Lupus.  107. 

Lusitaniens  (les).  25,  73. 
Lutatius  Calulus.  20. 
Lyon.  229. 


M 

Jlaad  (tritiu).  190. 
Maad-el-Moëzz  (voir  El-Moëzz). 
Maadites  (les).  190,  299. 
Màbed-ben-Khazer.  3.52,  358. 
Macaire.  131. 
Macer  (Clodius).  103,  lOi. 
Macrin.  112. 
Madaure.  141. 
Madghis-el-Abter.  181. 
Madoun  (beni).  187. 
Magas.  69. 
Magnence.  131. 

Jlagon  (am.  karlh.).  17,89  et  suiv. 
Magon  (frère  de  llannibal).  28.  32, 

36,  39,  41. 
Magon  (fils  de  Giscon).  37. 
Mag'raoua  (tribu).  186  et  suiv.,  206, 
217  et  suiv.,  255,  260  et  suiv.,  271 
et  suiv.,  317,  328  elsuiv.,  337,  349, 
357  et  suiv.,  365  et  suiv.,  371  et  s., 
378  et  suiv.,  381  et  suiv.,  387,  399 
et  suiv. 

Mag'reb.  182  et  passim. 

Mag'reb  central.  188  et  suiv.,  354,  357 
et  passim. 

Mag'reb  extrême.  189  cl  suiv.,  357  et 
suiv. 

Maguer  (i)eni).  185. 

Mahomet.  192  et  suiv. 

Majores  (ad).  106. 

Majorien.  148. 

Majorin.  126,  127,  130. 

Makcen  le  Sanhadjien.  388  et  suiv. 

Makes.  21. 

Makhled-ben-Keïdad.  338. 
Makhlies.  4. 
Malaga.  221,  2j4,  378. 
Malte.  29,  148,  158,  289. 
Malua,  Malva  (voir  Molochalli). 


Mamertins.  12,  13,  14. 
Mamet  (beni).  187. 
.Mamma  (plaine  de).  169. 
Mamoun  (el)  (khal.  abb.).  271. 
Mamtour.  203. 
.Manastabal.  51,  52,  58,  81. 
-Manche  (prov.  esp.).  223. 
Mancinus  (Lucius).  52,  .53. 
Mandraciuni.  161. 
Maniakés  (Georges).  404. 
Manichéens.  141. 
Manilius.  51. 
Manlius.  16. 

Mansour-ben-Nacer-et-Tonbodi.  274. 
Mansour  (el)  Abou-Taliar-Ismaïl  (khal. 

fat.).  346  à  3.50. 
-Mansour  (el)  Ijen-Abou-Amer  (vi/ir 

om.).  375  à  390. 
-Mansour  II  (el)  Abou-Djàfer  (khal. 

abb.).  239. 
Mansour  (el),  fils  de  Bologguine  le 

Sanhadjien.  377  à  383. 
Mansourïa  (el)  (Sabra).  348,  356. 
Mar'ar'a  (tribu).  182. 
Marc-Aurèle  (emp.).  109,  111. 
-Marc-Auréle-Anlonin  (voir  Elagabal). 
Marcellin  (Flavius).  142. 
Marcellus  (M.-CI.).  32,  33,  36,  78. 
Marcellus  (S').  121. 
Marcien.  147. 
Marcien  (i)yz.).  176. 
Marcius  (Caius).  35. 
Marcus  Livius.  36. 
Mar'ila  (tribu).  184,  244,  2.59,  337. 
Marins.  57,  62  à  66,  67,  71. 
3Iarius  Priscus.  106. 
Mar'ous  (tribu).  185. 
Marseille.  28. 
Marsys.  106. 
-Mascizel.  133,  137. 
Jlasintha.  68,  74,  82. 
Maskara.  357. 
-Masmouda.  185,  206,  277. 
Massa  (B.).  104. 
Massanassès.  82,  82. 
Massinas.  168. 
Massinissa.  33  à  49,  81. 
Massissenses.  134. 
Massiva.  37,  61. 
Mastiman.  180. 
Maternus  (J.).  106. 
Mathos.  22,  23. 


INDEX   DES   NOMS  PROPRES 


435 


Matidie.  108. 

Matmata  (tritni).  134,  318. 
Malouça  flrilju).  183. 
Matr'ara  (Iribu).  18i,  229. 
Maures.  3  et  passim,  99  et  suiv. 
Maurélanie  ou  Maurusie.  3  et  pas. 
Maurétanie  césarienne.  95  et  suiv. 
Maurélanie  orientale  (césarienne  et 

sétilîenne).  119,  128. 
Ma-urétanie  sétilienne.  119  et  suiv. 
Maurétanie    tingitane.   95,  119  et 

suiv.,  128. 
Maurice  (emp.).  177. 
Mauronte.  229,  2i5. 
Maurusie  (Maurélanie).  22. 
Maxime  (emp.).  136. 
Maxence  (emp.).  123  à  125. 
Maximien  Hercule.  117,  118,  122. 
Maximin  (le  César).  122. 
Maximin  (le  Golh).  113,  114. 
Maximilien  (S'.).  121. 
Maxyes.  139. 
Mazara.  279,  361. 
Mazippa.  92. 
Maziques.  109,  134. 
Mazouna.  337. 
Mazuca.  13i. 
Mecellala  (tribu).  182. 
Mecheddala  (Iril)u).  184. 
Mecheli  (beni).  186. 
Médita  (tribu).  184. 
Mecila  (anc.  Zabi).  329,  338,  350  et 

suiv.,  359,  367,  388,  389  et  suiv., 

395. 

Meçolla  (la).  344. 

Médéa  (Lemdia).  337,  354. 

Meden  (beni).  187. 

Medien  ou  Medin-ben-bou-l'Alia.  330, 

338,  3.53. 
Médina-Céli  (ville).  354,  390,  392. 
Médine.  192  (anc.  Yatrib). 
Médina-Sidonia.  235. 
Medionna  (mont).  290,  329. 
Mediouna  (tribu).  184,  250. 
Méditerranée  1  et  passim. 
Medjana  (vile).  340. 
Medjek(;a  (tribu).  185. 
Medjera  (tribu).  1X3. 
Medjerda  (11.),  anc.  Bagi'adas.  32,  72, 

75. 

Medjeris  (tribu).  183. 
Megna  (voir  Augma). 


Meggara.  53,  55. 

Medhi  (el)  B'IUah  (voir  Moh.  petit- 
fils  d'Abder-Rahman  III. 

Mclidi  (el),  kalife  abb.  259. 

Medhi  (beni).  184. 

Medhi  (Messie).  293. 

Medhi  (le).  Voir  Obéïd-AUah. 

Meddïa  (el).  322  et  suiv.,  327,  332  et 
suiv.,  340  et  suiv.,  343  et  suiv., 
351,  363,  400. 

Méïcera,  230. 

Meïcour  (gén.  fat.),  335  et  suiv.,  340, 
342. 

Meïnioun  (gén.  fat.).  295. 
Meïmoun  (le  Midraride).  282. 
Mekceta  (tribu).  185. 
MekUe  (la).  191  et  suiv.,  364. 
Mekkois.  192. 
Meklata  (tribu).  183,  184. 
Meknès  ou  Meknas.  276,  320. 
Mcktoum  (iman-caché).  293. 
Mélano-Gétules,  22. 
Melila  (beni).  182,  183. 
Mellikch  (beni).  184. 
Mellila  (ville).  329  et  suiv. 
Melzouza  (tribu).  185. 
Membresa.  170. 
Memmius  (Caius).  61. 
Mems.  219. 

Menad,  le  Sanhadjien.  337. 
Mengouch  (beni).  187. 
Menguellat  (beni).  184. 
Meninx  (ile  de).  4. 
Mensurius.  125. 
Merah  (l'Esclavon).  348. 
Merana  (beni).  184. 
Merça-l'Karez  (lo  Galle).  359. 
Mercure  (cap  de).  161. 
Merendjiça  (tribu).  186. 
Merida.  221. 
Merine  (beni).  187. 
Mermadjenna.  198,  294,  308,  340. 
Merniça  (tribu).  183. 
Merouane  (beni).  184. 
Merouanc  (khal.  om.).  237  et  suiv. 
Merouane-ben-el-Hakem.  209. 
Mesfaoua  (tribu).  185. 
Meskiana.  214,  308. 
Meskour  (beni).  183. 
Meslama-ben-Mokhalled.  204. 
Mesraï  (tribu).  182. 
Mesrata  (tribu).  183,  186. 


436 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


Mesl'oiir  (gùn.  fal.)-  3"28. 

Messala  (tribu).  183. 

Messala-bcn-ilabl)Oiis,  310,  325  à  3"28. 

Messalla  (Iribu).  183. 

Messine.  8.  12,  13,  298,  302,  404. 

Messoul'a  (tribu).  180. 

Messoun.  331. 

Mestaoua  (tribu).  18.j. 

Metaoukkel  (el)  ii-Uine-Allah  (voir 

Ali-ben-llaniinoud,  rKtlricide). 
Métaiire  (bataille  de).  30.  37. 
Mételius.  18,  57,  02  à  64,  71. 
Métellus-Scipion.  70. 
Metennane  (tribu).  181. 
Métlione.  87. 
.Metiona  (tribu).  18.j. 
Melouça  (tribu).  183. 
Mezab  (beni).  187,317. 
Mèzélule.  38,  42. 
Mezguen  (beni).  317. 
Meziata  (tribu).  183. 
Mezila  (Djebel).  349. 
Mezr'anna  (beni).  18i. 
Michelin,  rivrogne  (eni|).).  280. 
Micipsa.  48,  51,  57.58,  81. 
Miçouer  (el).  250. 
Midènos.  164,  165. 
Midrar  (beni).  281,  312,  327. 
Miggis.  120. 
Mikdas  (tribu).  240. 
Miknaça  (tribu).   185,  230,  238  el  s., 

256,  259,  276,  316,  329,  358.  372, 

374  el  suiv.,  385. 
Mila.  261,  295,  203  el  suiv.,  380. 
Milévum  ou  Mileu  (Mila).  81.  97. 115. 
Miliana.  337,  354. 
Miloé.  10. 
Miitiade  ip^ip*?)- 
Mina  (riv.).  172,  276,  354. 
Minée.  280. 
Mithridate.  73. 

Moannecer, fils  d"El-Moézz-ben-Aliya. 

389  et suiv. 
Moaouïa-ben-Abou-Sofiane.  200  à  205. 
Moaouïa-ben-Hodaïdj.  203  et  suiv. 
Moaouïa,  fils  du  khalife  Yezid.  209. 
Moatez(el),  le  Midraride.  227. 
Moatez  (el)  Tlllah  (Abou-Molianimed). 

363,  374. 

Modafi'er  (el),  voir  Abd-el-Malek  (l  af- 

franchi).  360,  363. 
Moder  (tribu  ar.).  190. 


Modériles  (ou  Modhéritesj.  256,  pas- 

sim,  288. 
Moesa  (Julia).  112. 

Moëzz  (el)-Abou-ïemim-Maad  (khalife 

fat.).  356  et  suiv.  à  370,  375. 
Moëzz(el),  fils  de  Kadis  le  Sanhailjien. 

394  el  suiv.,  400  el  suiv.,  405. 
Moëzz  (el),  fils  de  Ziri-ben-Aliya.  389 

et  suiv.,  399  et  suiv. 
Moezzia  (el).  362. 
Mohammed  (i>eni).  184. 
Mohamniedïa  (Mecila).  330. 
Mohammed  -  ben  -  Abd  -  er-  Hahman 

(l'oméiade).  287. 
Muhanimed-ben-Achalh.  240  et  suiv. 
Mohammed-ben-liou-Aoun.  317  el  s.. 

335. 

Mohammed-ben-Edris  II.  270,  280. 
Mohammed-ben-el-Khei)'.  366. 
Mohammed-ben-el-Kheir-ben-Kazer. 
3i9. 

Mohammed-ben-el-l)jouari.  279. 
Mohammed-ben-el-llabib.  291,  305. 
Mohammed-ben-el-Fetah  (ech-Chaker 

le  Midr.).  3.58,  360. 
Mohanimed-ben-Hamza.  27  i. 
Mohammed-ben-Khazer.  260  à  317. 
Mohammed-ben-Khazer.  358  à  365. 
Muhammed-ben-Mokatel.  202  el  suiv. 
Mohammed-ben-Tanilès  (gén.  om.  . 

372  el  suiv. 
Mohammed-ben-Yezid;  224. 
Mohammed.  Ills  d'Ibn-Korhob.  323  el 

suiv. 

Mohammed,  lils de  Sidéïman  iTEdr.). 
271. 

Mohammed,  j)etil-Iils  d'Ad-er-Rah- 
man  111  (EI-Mehdi-rillah).  191, 
192, 193. 

Mohelleb.  25 i. 

Mokhlar  (chef  des  Chiaïtes).  210. 
Moktader  (el)  b'illah,  Khal.  abb.)311 

à  322. 
Moktafa  (el).  398. 
Mokteli  (el),  khal.  abb.  306. 
Molochath  (Malva,  Malua,  Moulouïal. 

21,  3i,  45,  58,  67,  119  (voir  Mou- 

louïa). 
Monastir.  77.  262. 
Monïa-l-el-Kheïl.  203. 
Monothéliles.  277. 
Mons-Kerratus  (le  Djerdjera).  1 17. 


437 


Monlaçar  (cl)  cl  \:\r:\:i.  282. 
Monlaçai-  (cl),  son  fils.  282. 
Mont-Cassin.  302. 
Jlor'eïra-ben-l!achir.  2151 . 
Morra-ben-Makliled.  203. 
Mostaïn  (cl),  voir  Solcïmaii. 
MosLancer  (el),  (khal.  fat.)  09  et  suiv. 
Moslancer  (el)  b'IUali.  303. 
Moladhed  (el),  (khal.  abb.)  290. 
Molya.  8. 

Moiialat  (Iribii).  185. 
Moiiaïetl  (el)  ben  Salali.  330. 
Mouça-ben-bou-r.\fia.  327  à  338. 
Moiiça-ben-IIorcïlh.  29 i. 
Aloiiça-ben-Nocéïr.  217  à  222. 
Moiidja  (Iribu).  184. 
Moues  (Iribu).  182. 
Moul'erredj-ben-Salcni.  301 . 
Moulil  (tribu).  18i. 
Moulouïa  (n.).  21,  238  et  suiv.,  2ii(l, 

270,  312,  328,  331,  371,  37:>,  389. 
Moundhir.  298. 
Moundir  (ouali  csp.).  397. 
Mounès  (reunu(iuc).  323. 
Moussa  (beni).  180. 
Moussa  II  (chef  csp.).  287. 
Moushali  (el),  vizir  om.  373. 
Munatius  (Félix).  122. 
Munda.  83. 
Murcic.  320. 
Musoncs.  13i. 
Musulamcs.  87,  'JO  à  1)2. 
Muthul.  02. 

N 

Nador  (mont).  Kii. 

Nador  (Kn)  robservaloirc.  3.1i(l. 

N'ai  (beni).  183. 

Namphamo.  121. 

Naples.  300  et  suiv.,  333,  301. 

Naravasc.  23,  2i,  3i. 

Narbonne.  229,  2i5. 

Nasanions.  4,  21,  ij,  73,  91,  lO.j,  271. 

Nasr.-ben-Habib.  261. 

Navarre.  301. 

Nedjd.  192  et  suiv. 

Nefouça  (monts).  292. 

Nefouça  (tribu).  183  et  suiv.,  2.j3,  270, 

290,  327. 
Nefis.  200,  271. 
Nef/a.  2.j9. 


Ncf/.acjuM,  (Iribu).  183  et  suiv.,  2i0, 

2.j8,  309. 
Ncgaous.  483. 
Nehrouane  (bat.  de).  201. 
.Nekkariens.  338  à  3.^2,  300. 
Ncm/i  (beni).  187. 
>'éphcris.  .jl,  à3,  Ô4. 
Népos  (Marcus).  49. 
Néron  (Caius).  30,  37. 
Néron  (emp.).  101,  103. 
Ncrviana  (aug.  mari.  col.).  lOti. 
Nestorius.  lU. 
Nicéi)hore  (patrice).  202. 
Nicctas  (gcn.  byz.).  3()2. 
.N'idja  (tribu).  183. 
Nicbla.  23(i. 
Nini  (Ouad).  21i. 

Nokour.  248,  253,  288,  32:),  330,  380. 

Normands  (les).  287. 

Normands  (de  Sicile).  401  à  iO-j. 

Nouba.  297. 

Novempopulanie.  139. 

Nubel.  133. 

Numance.  38. 

Numidie,  21,  3i  et  suiv.,  ijtJ,  93  cl 

suiv.,  128  el  suiv. 
Numidie  cirléene.  119. 
N'uniidi(!  militaire.  1 19. 


o 

Oamei'.  13i,  1.39. 

Obéïda-ben-Abd-ci'-lihaïuaii.  220. 
()béïd-.\llali-bcn-llabluib.  229  à  231. 
Obéïd-Allah  le  Mehdi.  303  et  suiv., 

312  et  suiv.  318  à  332. 
(tbéïdites.  242  et  suiv. 
Océan  Atlantique.  3  et  suiv.,  200  el 

suiv.,  300. 
Octave  (Ccsar-Oclavieu).  8i  à  89. 
Oclavie.  89. 
Odoacre.  1.30. 
Oea  (Tripoli).  103. 
Okacha-bcn-Aïuub.  232. 
Okba-ben-el-lladjadj.  220. 
Okba-ben-Kodama.  229. 
Okba-ben-Nala.  194,  203  et  suiv.  à  207. 
Omaïr-ben-Mo(;aal).  209. 
Omar  II.  224. 

Omar-bcn-el-Kliatlab  (3" khalife).  193, 
194. 


438 


lIISTOllîi:   1)1-    I,  AFRIyCE 


()iii;u--ben-n;if<;oim.  -J'.W. 

(tni;u  -l)cn-[lars.  dil  IIc/mi-mumI. -.''i'.)  el 

Slli  V. 

()in;ir-!>pn-(Mhnian.  253. 
Oinar-ljen-Moaoïiïa.  273. 
Omar-el-Moiadi.  229. 
Omar  fils  d'Edris  IF.  270,  280. 
((ml)rie.  31. 

Oinéïades  (d'()|-ii'iil).  201  el  suiv. 
Oinéïades  (d'Kspagne).  24.Ô  el,  siiiv., 

319,  353,  372,  378  et  siiiv.,  388  el 

suiv.,  397. 
(tphellas,  10. 
Opimius  (Liicius).  59. 
Oppas.  218. 
Oppeilas.  09. 
Optât  (S'.),  évè(|iie.  l 'i  l. 
Oplatus  (év.).  138. 
Opus  (Léon).  i03 

Oran.  317,  331,  335,  357,  358,  371. 
382,  388. 

(»ri)os  (el)  (Larilms).  251.  2(il.  275, 

295,  307,  3i0  el  siilv. 
Ordono  f.  287. 
Ordofio  II.  359. 
Ordono  IV  (le  Mauvais).  301. 
Orpste  (gén.  Uyz.).  i02. 
Orienl  (préfecture  d'I.  128. 
Oroscopa.  48. 
Orséolo  (P.),  doge,  iOI. 
Orlhaïas.  168  et  suiv. 
Osirogolhs.  149,  151. 
Olliniane  (f   khnlilV).    195,    190  à 

200. 

Olliniane  (beni).  18i. 
Othniane  (olT.  berbère).  227. 
Olhon  I  (de  Saxe).  30i,  377. 
Olho'n  II.  377. 
Olhon  (enip.  rom.).  103. 
Otranle.302,  350. 
Onacil  (tribu).  183. 
Ouacine  (beni).  187,  371. 
Ouaeoul  (beiii).  255,  27(),  281,  358, 
303. 

Ouadah  I  airi  ani  bi  igén.  oni.».  388  à 
392. 

Ouad  (ou  Oued)  BekUa.  200. 
Ouad-el-Melahen.  329. 
Onad-Isli.  383. 
Ouad-Heniel.  295. 
Ouad-Rir".  317. 
Onad-Snliar.  330. 


Ouad-Ziz.  2i3. 
Ouaddane.  195. 

Onadjdidjen  ou  Ouagdigiien  (tribu). 

187,395. 
Oualid  (khal.  oui.).  220. 
Onanoudine  (beni).  388. 
Oiianoudine-ben-Klia/.rouii.    377  el 

suiv.,  399. 
Ouarekcen.  377. 
Ouarensenis  (mont).  382. 
Ouarghou  (tribu).  180,  338. 
Ouargla  (tribu).  187. 
Ouarmekcen  (tribu).  18i. 
Ouar'merl  (tribu).  187,  395. 
Ouarlene  (beni).  185. 
Oualtas  (tribu).  185. 
Ouazguil  (beni).  187. 
Oneil  (beni).  185. 
Oudjana  (tribu).  183. 
Oudjda  (ville).  383,  iOO. 
Oiieniannou  (tribu).  187,  271. 
Ouennour'a  (Iribu).  18i. 
Ouergha  (tribu).  182,  277. 
Ouerrou-ben-Kliazroun.  391  et  suiv. 
(Milhaea  (tribu).  183. 
Oulili.  200,  259  et  suiv.  208  et  suiv.. 

277. 

Ourak  (tribu).  180. 
Ouirif  (tribu).  183. 
Ourcil'en  (tribu).  180. 
Ourfeddjouma  (Irlbu).  183,  2i2,  2i5, 
25i. 

Ourfel  (tribu).  183. 
Ourflas  (tribu).  185. 
Oui-gnia  (tribu).  180. 
Ouriagol  (beni).  183. 
Ourieen  (tribu). 

Ouridjen  (Ouriguen).  tribu.  182. 
Ouridous  (tribu).  185. 
Ourinela  (B.).  185. 
Ourika  (B.).  185. 
Ournid  (B.).  186. 
Oursettif  (tribu).  185. 
Ourslif  (tribu).  183. 
Ourtadjou  (beni).  187. 
Ourtagol  (beni).  182. 
Ourland.ja  (tribu).  185. 
Ourtantine  (tribu).  180. 
Ourtedine  (Iribu).  183. 
Ourteilous  (Iribu).  185. 
Ourtezniar  (tribu).  180. 
Ourlila  (Iribul.  185. 


IM>K.\    DES    NOMS  PROPRES 


i39 


Oulzila  (tribu).  18C. 
Oiiziladja  (tribu).  J8i,  292. 
Ouzeklja  (tribu).  18i,  292. 
(lu-Zeroual  (tieni).  18.j. 


P 

l'acciaiuis  (ou  l'arciu'ciis).  72. 
i'agida  (fi.).  92. 

l'alerme.  146,  280,  297,  32.:),  333,  33(), 

355  et  suiv. 
l'allade.  133. 
Panipelune.  390. 
l'anchariana.  13i. 
l'auorme.  18  (voir  l'alcriuc). 
l'apirius.  iOi. 
l'appua  (mont).  l('>l. 
l'arœloniuin.  88. 
l'assiénus  (Vil)ius).  IIC. 
i'aul  (olT.  byz.).  131. 
l'aul-Emile.  31,  32. 
l'aullinus  (Suelonius).  91. 
l'aulus  (évêque).  122,  12."). 
Péiage  (Esp.).  220,  213. 
Pélagie.  143  (uote). 
Péiagiens  et  Seini-i'ékigiciis.  l'il, 
l'riagius.  172. 
Péloriade  (moûts).  291. 
Pcppin  le  Href.  2i5. 
Périple  de  llaiinon.  ti. 
Perpétue  (Sle).  112. 
Pertinax.  109. 
Pétréius.  80. 
Pétrone  Maxime.  1 17. 
Pétus  (L.-A.).  91. 
Pharsale.  71,  (ij. 
l'hazanie  (Fezzaii).  91,  10."). 
Pliilèiies  (autel  des).  ()8. 
Philippe  (l'.Vrabe).  115. 
Philippe  (roi  de  Maeédoine).  33. 
l'iiilippes  (bataille  de).  115. 
Phocas  (centurion).  117. 
Phocas  Manuel.  302. 
Phocas  iS'icéphore.  302,  301,  302,  30i. 
Phocéens  (les),  (i,  7. 
Physcon.  09,  70. 
Picj^Mium.  31 . 
Pisans  (les).  401  et  suiv. 
Pison  (Calpui'uius).  52. 
Pison  (L.).  95,  lOi. 
Placidie.  1  i2,  1  i". 


Plaisance.  30. 
Platée  (bat.  de).  68. 
Platha.  278  et  suiv. 
Pline.  56. 

Pline  le  jeune.  107. 
Pô  (fl.).  29. 
Poitiers.  228. 
Polizzi.  291. 
Polybe.  60. 
Polyorcèle.  69. 
Pompée.  7  1 ,  7'i,  7() 
Pompée  (Cnéius).  72,  83. 
Pompée  (Sextus).  87. 
Pomponianus  (Vibius).  116. 
Porto.  258. 
Porto  Farina.  75. 
Pouille.  302,  384,  401. 
Prairie  (bal.  de  la).  209. 
Probinus  (i)r()C.).  136. 
Probiis.  117. 

Proconsulaire.  89   et    suiv.,   95  et 

suiv.,  151. 
Procope.  157. 
Provence.  229,  330,  374. 
Prusias.  4(). 
Psammélik  I.  3. 
l'sylles.  4,  45. 
Ptolémée-Kvei'gèle.  09. 
Ptoléinée  le  Lagide.  09. 
Ptolémée-Philadelphe.  18,  79. 
Ptolémée-Philoniélor.  69.  70. 
Ptolémée  (roi  de  Maurélaiiie).  U2  ;i 

95,  99. 
l'udenlius.  1."j6,  I(i5,  172. 
Pulcher  (Claudius).  19. 
Pnrpuraria'  (Madère).  90. 
Purpurins.  125,  12(i. 
Pyrénées.    18.  32,  30,  222,  et  suiv. 

257,  272. 
l'yrrhns.  11.  12,  13  cl  suiv. 


Q 

Ouiétus  (Lusius).  107,  108. 
Quini|uégenliens.  115  à  120,  133. 
Quodvuldéus  (év.).  I  i6. 


R 

llaclied  (bcni).  189. 


440 


IIISTOIHI-;  DE  l'aiiuql'e 


Haclicil  l'.ilViaiiclii.  2.VJ,  200  et  siiiv., 
2(i8. 

Raclu!(l  (moni).  371. 
Hacliik  (giMi.  falrm.).  3i7. 
Rakka.  31 1. 

«akkada  (ou  Uokkada).  290,  303,  308 

el  siiiv.,  3i0  et  suiv.,3Gj. 
R'allioiin  (larlobite).  27i. 
R'alel)  (rairranchi).  359,  372,  378. 
Rainelta.  3(12  cl  siiiv.  40i. 
Raniii(î  IF  (ilo  lA'on).  3j4. 
Raiula. 

Rapidi  (Sour  Djoiiali).  lOS. 
R'ai'iano  (iiionls).  91. 
R'ariatie  (Lribu).  182. 
R'ai'zoul  (béni).  180. 
Ras-Diinas.  79. 
R'asinan  (tribu),  183,  29.j . 
R'assacja  (Iribu).  183,  29.'). 
Raymoud  (conilc  de  Barcelone).  392. 
397. 

Rel)ia  (Iribu).  190. 

Rebia  ben  Sliinan  (>rén.  arl.).  310. 

Récimer.  1 18. 

Retourcn  (l.iibu).  183. 

R'edir.  319. 

Regliioua  (I i-ibu).  183. 

Regio  (Ksp.).  230,  298. 

Refîgio  (liai.).  350,301,  303,  101. 

Région  Syrlique.  21  et  suiv. 

Regraga  (tribu).  185. 

Régulus.  10  à  18. 

Rhige.  12, 13. 

Rhône.  28,  229. 

Riatha.  259,  270. 

Rif,  passini.  2i8.  255,  270,  et  suiv., 
310,  330,  335,  358  et  suiv.,  303, 
308,  372  et  suiv. 

Righa  (beni).  180. 

Rihan  le  Ketaniicn.  328. 

Robert  de  Ilauleville.dit  Wiscard.  i05. 

R'obrine  (beni).  18i. 

Roderik  (leGolli).  218. 

R'odjania  (Iribu).  180. 

Rogaliiinus.  170. 

Rogalus.  132. 

Rokkada  (voir  (Rakkada). 

Romain  II  (emp.).  302. 

Romanus  (le  comte).  133. 

R'omara  (pays  de>).  330  el  suiv. 

R'omara  (tribu).  185,  205,  218,  275, 
270,  313,  300,  372  el  suiv. 


Rome.  4  el  suiv.  (toulc  la  1"'  partie) 

147,  301,  378. 
R'omerl  (pays  des).  349. 
R'omerl  (Iribu).  187. 
Romulus  (Augustule).  150. 
Roncevaux.  257. 
Ronda.  245. 
Roselle.  320. 

Roslemide  (dynastie).  248  el  suiv.. 

200,  271,  282,  307. 
Rouaifi.  203. 

Rouli-ben-llàtem.  258  el  suiv. 

Ruiin.  108. 

Rufus  (.M.).  02,  70. 

Rufus  Volusianus,  124,  130. 

Rurice.  133. 

Rusagus.  133. 

Rusicada  (l'iiilipiievilie).  81,  97,  lOS. 
Ruspiua.  77. 
Husucurni  (l)ellis).  1 15. 


S 

Sabas  (S'.).  150. 

Sabiiiianus.  115. 

Sabra.  195.  348,  350,  377. 

Sabura.  75,  79. 

Sadale  (les).  191. 

Sadina  (tribu).  184. 

Sali  (le  renégat).  401. 

Safraoua  (ou  Sofroï).  327,  399. 

Sagonle.  20.  27. 

Saguïel-Mems.  348. 

Saïd-ben  Aced.  325. 

Saïd-ben-Khazroun,  381. 

Saïd   (petil-lils  de  Salah-ben-Man- 

sour).  255. 
Saïd  (descendant  dudil).  325. 
Saïd  (province  d'Kgypte).  320. 
Saïn  le  Slave.  333. 
Sainl-Siége  (étal  du).  301  et  suiv. 
Salabus.  95. 

Salah  (beni)  de  Nokour.o35. 
Salah-ben-Mansour.  248. 
Salah-ben-.Nacir.  258. 
Salali,  lils  de  Saïd  de  Nokour.  325. 
Salah,  lils  de  Tarif.  238,  255. 
Salah  (reuiuHiue),  général  ar'lebite. 
295. 

Salamaufiue.  258. 
Salamine.  7. 


INDEX   DES   NOMS  PKOI'RES 


lil 


Salai  (mont.).  319. 

Salat-ben-Ouazmar.  199. 

Saldé  (iîoufiie).  5,  58,  67,  68,  Si,  90, 

102, 119. 
Salé.  277,  281,  383,  399. 
Salemïa.  29i. 

Salerne.  300,  363,  377,  iOl,  iUi. 
Saline  (la).  160. 
Salluste.  78,  81. 
Salniacès.  133. 

Salomon  (gén.  inz.).  157,  165,  167, 

169  à  172. 
Saniah  (es).  225. 
Sanaës.  121. 

Sancho  (de  Caslille).  359.  361,  392. 
Sancliol  (voir  Abd-cr-Rahnum). 
Sandal  (le  .Nègre).  335. 
Sanliaga  (race).  182  et  suiv. 
Sanhadja  (Iribu).  il,  184,  217,  250, 

303  et  siiiv.,  337  et  siiiv.,  3i3,  317, 

357,  365  et  s.,  371  el  s.,  388  el  siiiv. 
Sanhadja-au-lithain  (voile).  186,  229. 
Saône  (lleiive).  229. 
Saragosse.  244.  257,  397. 
Sardaigne.  23,25  el  suiv.,  H9,  1.58 

el  suiv.,  218,  336. 
Sardenia.  369. 
Sar'mar  (beiii).  186. 
Salale  (Iribu).  183. 
Salfoura.  213. 
Salurnin.  112. 
Sbéilla.  196  et  suiv. 
Scaurus.  88. 
Scipion  ((Inéius).  3f). 
Scipion  (lùnilion).  19,  51.  57. 
Scipion  (Mélellus).  76,  78. 
Scipion  (l'ublius).  28,  29,  35  à  'i3,  Î6. 

51  à  56. 
Sebiba.  210,  3i7. 
Sebkha  de  Tunis.  27 1. 
Sebou  (riv.).  231,2.59,  269. 
Secundus.  126. 
Sedjerda  (tribu).  185. 
Sedka  (tribu).  184. 
Sedouikech  (tribu).  184. 
Scdrala  (Iril)u).  182,  259. 
Sekijioua  (Iribu).  185. 
Sekour  (Ijeni).  186. 
Selinonte.  7. 
Semindja.  241. 
Seinpronius.  27,  29,  30. 
Septinianie.  245. 


Seressou  (plalcMU  du).  395. 

Sergius.  172,  173. 

Serlorius.  71,  72,  73. 

Selif.  115,  294,  305,  307,  380. 

Sévère  (Alexandre),  emp.  113. 

Sévère  (Sepliine),  onip.  110  à  112. 
122,  124. 

Se  ville.  236,  245,  298,  321. 

Sextius  (T.),  proconsul.  71,  83  à  86. 

Sfax.  324,  370. 

Sicard  (de  Xaplos).  283. 

Sicca  (ou  Sicca-Vénéria)  (le  kef).  22, 
146,  1.50.  173.  258. 

Sicile.  10  et  suiv..  1  i9.  1.53,  203  el 
sui\..  2IS.  221),  231,  271  el  suiv., 
297  cl  301,  320,  323  el  suiv., 

336,  355  el  suiv.,  361  el  suiv.,  377 
el  suiv.,  384  et  sui\..  401  el  suiv. 

Sidjilmassa  (Talilala).  218,  243,  255, 
281,312  elsuiv.,  327  el  suiv.,  357 
elsuiv.,  3(i0  el  suiv.,  367,  371  et  s., 
387  el  suiv.,  399  et  suiv.,  404. 

Sidon.  i. 

Sidoiia  (.Médina).  236. 

Siga.  21,  34,  102. 

Sigiswulde.  143. 

Sikka  (voir  Sicca). 

Siline  (bcni).  184. 

Siniéon  (roi  des  Hidgares).  327. 

Sinisain  le  Kelbile,  404. 

Sindjas  (beni).  187. 

Sisebert.  218. 

Sitilis.  90.  133.    134.  171  (\oir  Selil'). 
Sittiens.  81,  85.  8(i,  90. 
Siltius  (P.  Nueérinus).  71,  7S,  80,  81, 
Si. 

Slav(^  (le),  \oir  .Vl)d-ci-lialinuin-ben- 

llabib. 
Slaves  (les).  333,  396. 
Socuzis.  1 13. 

Soliane  (général  ar'l.).  270. 
Sofriles  (Khareiljides).  255. 
Sofrisnie.  355. 

Soléïnian-ben-lloréïz  (dit  Kcli.(;hcm- 

niakb).  260. 
Soléïnian  (génci-al  ai'abc).  258. 
Soléïnian  (frère  d'Kdris).  260. 
Soléïnian  (khal.  oni.).  222. 
Soléïnian-el-Mosta  n  rillali.  392,  396. 
Soléïs  (|)roniont()ire  de).  3. 
Soplionisbe.  38,  11. 
Sort.  240. 


442 


HISTOIRE  DE   L  AFRIQUE 


Souça.  203  et  suiv.,  278,  297,  3il  et  s. 

Soudan,  l'assim,  230. 

Souf-Djiniai-  (0.  Remel).  291. 

Sonk-.Vhras.  42. 

Souk-llamza,  voir  ilanr/.a. 

Soumala  (tribu).  183. 

Soumaïl-ljen-IIàtem.  243. 

Sous.  218,  229,  276. 

Spendius.  22,  23. 

Spolète.  302. 

Stllicon.  137. 

Stozas.  169,  170,  173. 

SufTete.  6. 

Suèves.  138,  143. 

Suisse.  331,  373. 

Suthul.  61. 

Sylectuin.  Iô9. 

Sylla.  65  à  67,  71,  72. 

Sylvain.  125. 

Syphax  (ou  Sifax).   34  et  suiv.  à  42, 
48,  81. 

Syracuse.  8,  33,  i:.8.  203.  231.  279, 

289,  291,  404. 
Syrie.  Passim,  364,  368  et  suiv. 
Syriens.  231  et  suiv. 
Syrthes.  4  et  passim. 
Syrtes  (Grande).  3  et  pas. 
Syrie  (Petite).  Ibid. 
Syrlique  (région).  21  et  suiv. 


T 

Taaieba.  235. 
ïabari  (beni).  35o. 
Tabarka.  119,  138,  241,  359. 
Tacfarinas.  67,  92  à  96. 
Tacite.  106. 

Tafilala  (voir  Sidjilniassa). 
Tagarboucet  (mont).  350. 
Takin.  326. 
Takious.  338. 
Talha.  195  à  200. 
Tamesna.  277. 

Tanger.  25,  73,  215,  218  et  suiv.  229, 
259,  321,  357,  372  et  suiv.,  386  et 
suiv.,  396. 

Tan  il.  56. 

Taormina.  291,  297.  302,  362. 
Taourgha.  296. 
Tarenle.  14,  35,  36,  301,  378. 
Targa  (touareg).  186. 


Tarif.  208. 
Tarifa.  220. 
Tarik.  218  et  suiv. 
Tarsoun  (Darsoun).  184. 
Taurus  (Statilius).  87,  91,  102. 
Taza.  276,  316,  328,  331. 
Tazroul.  295,  304. 

Tebessa  (Théveste).  172  et  suiv.,  308, 

340  et  suiv.,  389. 
Teçoul.  276,  316,  331. 
Tedla.  260,  383. 

Tchouda.  206  et  suiv.,  2.50,  288. 
Tcilvata  (tribu).  184,  185,  337. 
Temesna.  260. 

Temim-ben-Yàla  (l'Ifrenide).  399  et  s. 

Te  m  m  a  n-  be  n  -Te  m  i  m .  263 . 

Tenès.  331,  388  (voir  Cartonna). 

Tergha.  276. 

Terin  (beni).  185. 

Tertullien.  112. 

Tessin  (combat  du).  29. 

Telouane.  276,  376. 

Thabel  (beni).  184. 

Thagaste  (Souk-Ahran).  141. 

Thala.  63,  64,  93. 

Thamugas  (Timgad).  106,  131,  138. 
171. 

Tliapsus.  45,  71,  79,  80. 
Thénœ  (Tina).  55. 
Tbéoctiste.  176. 
Théodore  (offic.  byz.).  170. 
Tliéodore  (préf.  byz.).  176. 
Tliéodoric.  152,  153. 
Théodose  (comte).  134,  135. 
Théodose  (général  puis  empereur). 
136. 

Théodose  II  (emp.).  139,  147. 
Théra  (ile  de).  3. 
Théérens  (Grecs).  68. 
Thermida.  89. 

Theveste  (Tébessa).  25,  89,  106,  108, 

137,  146  (v.  Tébessa). 
Thrace.  402. 
Thumar.  71. 

Thydrus  (El-l)jem).  79,  80,  113  (voir 

El-l)jeni). 
Tibère  (emp.).  91,  93,  96,  102. 
Tibère  II  (emp.).  177. 
Ticisi  (ou  Tigisis).  120,  169. 
Tidjist.  307. 
Tifech.  292.  308. 
Tiglierine  (beni).  187. 


INDEX   DES   NOMS  PROPRES 


443 


Tiharet.  20G  cl  suiv.,  231,  2i4,  2i8  et 
suiv..  255,  260,  271,  317,  321,  335, 
349  et  suiv.,  360,  367,  377,  380, 
388  cl  suiv.,  3'JO. 

Tikiça.  276. 

Tikine-el-Khezari.  323. 

Timoléon.  9. 

Tinemellal  (monls).  271. 

Tinemellal  (Iribu).  185. 

Tingis  (Tanger).  5,  72,  87,  102  (voir 
Tanger). 

Tipaza  de  l'Ksl.  309. 

Tileri  (mont.  de).  337. 

Titus  (emp.).  105. 

Tlemcen.  205,  238  et  suiv..  2.55,  200, 
271,  277,  317,  330,  338,  3.53,  368, 
382,  399. 

Tobna.  2i8,  250  el  suiv.,  2.5i,  258, 
288,  307,  338,  319  et  suiv.,  3()7, 
388,  396. 

Tolède.  221,  23i,  287,  391  et  suiv. 
Tonboda  (château  de).  27i. 
Torghian  (tribu).  18i. 
Tota  (reine  de  iSavarre).  361. 
Touaba-ben-Selama.  243. 
Toudjine  (beni).  185,  395. 
Toufourt  (beni).  186. 
Toulaline  (beni).  185. 
Toulounites  (les).  291,  295. 
Toulouse.  226. 
Touzer.  338  el  suiv. 
Traïana.  401. 

Trajan  (emp.).  106,  107,  III. 
Trapani.  302. 
Trasamond.  153. 
Trasimène  (bat.  de).  29,  30. 
Trébie  (bat.  de).  29.  30. 
Tricamara  (bat.  de).  163. 
Trigétius.  Ii5. 

Tripoli  (Oea).  110  et  suiv.,   187,  321, 

334,  369,  390,  399. 
Tripolilaine.  95  el  suiv.,  119,  128, 

187  et  suiv.,  375. 
Triton  (lac  de),  4,  29,  119. 
Troglita  (Jean).  174  et  suiv. 
Troglodytes.  4,  21,  45,  91. 
Tubuna  (Tobna).  142  (voir  Tobna). 
Tubusuptus  (Tiklat).  193,  134. 
Tunès  (Tunis).  2,  17,  23,  40,32,  51. 
Tunis  (Tunès).  162  et  suiv.,  215  et 

suiv.,  295  et  suiv.,  341,  3i0  et  s. 
Turbo  (Marcius).  107,  108. 


Tusca  (11.).  55. 

Typaza.  132. 

Tyr.  4,  45. 

Tyriens  (les).  2. 

Tzazon.  158  et  suiv.,  163. 


U 

riiai'is  (o(T.  grec).  IGi. 
Lltiquc.  2,  U,  23,  24,  40  à  42,  49  à 
.55,  60,  62,  64,  72,  74,  75,  80,  85. 


V 

Vacca  (Badja).  62,  63,  79,  146  (voir 

Hadja). 
Val  Demone.  320. 
Valentinien  I  (emp.).  133. 
Valenlinien  II  (emp.).  135. 
Valentinien  III.  142,  146,  147. 
Valérie  (voir  Byzacène). 
Valérien  (emp.).,  115,  IKi. 
Vandales.  138,  140  à  167. 
Varron.  31. 
Varus  (Attius).  75,  7(;. 
Venise,  279. 
Vcntidius  (P.).  84,  85. 
Vermina.  39,  42,  44,  81. 
Vespasicn  (emp.).  104,  105. 
Vindex.  103. 
Vilellius  (emp.).  104. 
Vizigollis  (ou  Wizigolhs).  I46elsuiv. 
Volks.  28. 
Volux.  66. 

W 

Witekind.  257. 
Wittizn.  218. 

X 

Xanthippe  (gén.  lac).  17,  18. 
Xérès.  245. 
Xerxès.  7,  68. 

Y 

Yabdas.  168  el  suiv. 
Yahïa-bcn-IIamdoun.  367   cl  suiv., 
373,  388  cl  suiv. 


44i 


nisToiRi-  DE  l'Afrique 


Yahïa-ben-Mohamnied-et-Tofljil)i  (gé- 
néral om.).  372  et  suiv. 

Yahïa-ben-.Moussa.  262. . 

Yahïa-ben-Selama  (le  Kelbile).  226. 

Vahïa.rilsd'Ali-ben-nammoiul(rKflri.) 
397  et  suiv. 

Yahïa,  fils  d'Edris  II.  277,  390. 

Yahïa,  fils  du  précèdent.  2'JO,  316.  327. 

Yahïa,  fils  d'Edris-ben-Oniar.  310. 

Yahïa,  fils  de  Kacem-ben-Edris.  290. 

Yakoub-ben-Ishak  (gén.  fat.).  3i7. 

Yaktan  (le  Roslem.).  317. 

Yaktin.  261. 

Yala-bcn-Mohammed.  3.33.  3.j7  à  37.j: 
Yarbas  (ou  llierlas).  07,  71,  72,  82. 
Yas-(el)-ben-Abd-cr-I',ahman.  210. 
Yas-(el)-  ben-Mansour.  292. 
Yas  (el),  fils  de  Salah.  255,  371. 
Yatrib  (Medine).  192  el  suiv. 
Yectan.  189. 

Yedder-ben-Lokman.  395. 

Yeddou-bon-Yàla.  378. 

Yéménites (passim), 245 et  suiv.,  256. 

288,  299. 
Y'enni  (beni).  18i. 
Yezid  I  (khal.).  205  à  209. 
Yezid  II.  225. 

Yezid-ben-Abou-Moslem.  225. 
Yezid-ben-llàtem.  253  à  258. 
Yezid,  fils  d  Abou-Yezid.  339. 
Yol  et  Yol-Césaréc  (Cherchel).  5.  72, 

87,  90,  95.  102.  112. 
Youçof  (descendant  d'Okba).  2i3. 
Youçof-el-Kelbi.  402. 
Youçof,  filsd'Abd-AUah-ben-el-Kateb. 

379  et  suiv. 
Younos,  fils  d"El-Yas.  371 
Youlanan  (tribu).  185. 

Z 

Zab.  05.  171  el  suiv.,  200, 21 1  el  s..  330. 

339  et  suiv.,  350  et  suiv..  3(>7,  394- 
Zabi  (Mecila).  171. 
Zacinlhe.  157. 
Zahira  (le  château  de).  391. 
Zaïdiya.  200. 
Zaïn  (ouad).  55. 
Zama.  21,  41  à  43,  03.  80  à  80. 
Zalane  (beni).  184. 


Zamora.  258. 
Zamnia.  133. 
Zanaga.  200. 
Zaouèkes.  4. 

Zaoui  le  Sanhadjien.  388,  391  et  s., 

390  et  suiv. 
Zarzas.  24. 
Zalinia  (tribu).  183. 
Zeddjak  (beni).  186. 
Zeddjala  (tribu).  183. 
Zeggaoua  (tribu).  182,  186. 
Zeglaoua  (tribu).  184. 
Zeggou-el-Mezali.  344. 
Zeggoula  (tribu).  183. 
Zegguen  (tribu).  186. 
Zehila  (Iribu).  182. 
Zehkoudja  (Iribu).  183. 
Zeïdane  (l'alTr.).  337. 
Zeldoui  (Irilm).  183. 
Zembia.  132. 
Zemraoua  (tribu).  186. 
Zenara  (Iribu).  182. 
Zenas.  124. 

Zenala  (race).  181  el  suiv. 
Zendak  (beni).  186,  187,  339. 
Zenètes.  44,  181  et  suiv. 
Zènon  (emp.).  150,  152. 
Zerbnla.  171. 
Zerdal  (tribu).  187. 
Zerikof  (Iribu).  184. 
Zeugilane.  95,  147. 
Zézius  (év.).  130. 

Ziadel-Allah  I  d'ar'!.).  270,  272  à  280. 
Ziadet-Allah  II  (le  jeune).  28«. 
Ziadel-Allah  III.  303  à  310. 
Ziadet-Allah  (frère  d"Ab.ou-Ibrahim). 
286. 

Ziri-ben-Atiya.  379  et  suiv.,  384  à  389. 
Ziri-ben-Menad.  337, 343, 344,347, 350, 

352  et  suiv.,  359  et  suiv.,  367,  392. 
Ziyad  (beni).  180. 
Zobéïr.  195  et  suiv.  à  200. 
Zoé  (impér.).  324,  327. 
Zohéïr-ben-Kaïs.  205,  210. 
Zohéïr-ben-R"aoulh.  200. 
Zouaoua  (Iribu).  184,  303. 
Zouar'a  (tribu).  180,  2.59,  209. 
Zouïla  (faub.  d  El-Mehdïa).  323,  343 

et  suiv. 
Zouïla  du  Fezzan.  194. 


Chuitrrs.  —  Imprimerie  Dcraud,  rue  Fulbert. 


I 

i