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Full text of "Histoire de la guerre de la péninsule sous Napoléon.."

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HISTOIRE 

A  GUERRE 

DE  LA  PÉNINSULE  I 

SOUS  KAPOJJMiVy 


TABLEAU  POLITIQUE  ET  MILITAIRE 

DES  PUISSANCES  BELLrCI-RANTES. 


LE  GÉNÉRAL  FOY, 


M°"  I.A  COMTESSE  FOY. 
■2*  ÉDiTrow. 


l  PARIS 

'  JtîAUDOUIN    FRÈRES,    ÉDITEURS, 

RUE  DE  VADOIRARD  ,  K.  I7. 

ï  DELAUNAT,  PALAIS -ROYAL. 

I  1827 

«  J.  TXSTTJ,  rMPRIMEUX  El  KOITÏC»  ,   RUE  OB  VACCIIIA«B,  K.  36. 


Iffi^B  LIBRAR.T 


HISTOIRE 

DE  I,A 

GUERRE  DE  LA  PÉNINSULE 

sous  NAPOLÉON, 


D'UN  TABLEAU  POLITIQUE  ET  MILITAIRE 

DES     PUISSANCES     BELLIGÉRANTES. 
# 

« 
TOME  I. 


\      ULÀ       \         ^.(1, 


14.* 


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J.  TASTL,  IMPRIMEUR  ET  KDITEUK 

BUE    DE    VAVGIRAKD,    N.    36 


fi^ 


HISTOIRE 


LA  GUERRE 


DE  LA  PENINSULE 


SOUS  NAFOLÉOKr, 


PRtCLDtE    n    Vt 


TABLEAU  POLITIQUE  ET  MILITAIRE 

PES  PU!SSANCi:S  BELLlGlilUNTlùS 


LE   GÉNÉRAL  FOY. 

PUULlÉ.S    PAlt, 

M°"=  LA  COMTESSE  FOY- 


2"  EDITION. 


Qiinijtnj  ifjsir  misi^ritiut  mit. 
Viiiii. 


PARIS 

BAUDOUIN  FRÈRES,  ÉDITEURS, 

RUE   DE    VADGIRARD  ,    N.     I7. 

1827 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


.'  ♦ 


Iittp://www.arcliive.org/details/liistoiredelaguer01foym 


En  publiait  la  première  partie  d'un  ouvrage 
qui  est  loin  d'avoir  reçu  une  rédaction  défini- 
tive, je  crois  devoir  entrer  avec  le  lecteur  dans 
quelques  détails,  pour  aller  au-devant  de  ce 
qu'une  critique  sévère  pourrait  avoir  à  y  re- 
prendre, et  de  ce  qu'un  intérêt  plus  bienveillant 
pourrait  avoir  à  y  désirer. 

Lorsqu'en  1814  mon  mari  rentra  dans  la  vie 
privée ,  il  conçut  le  projet  d'écrire  l'Histoire  de 
la  guerre  de  la  Péninsule ,  de  cette  guerre  qu'il 


avait  faite  durant  sept  années,  et  dont  les  ré- 
cits, mêlés  de  considérations  politiques ,  sem- 
blaient destinés  à  commencer  pour  lui  l'appren- 
tissage d'une  carrière  nouvelle.  Il  s'en  occupa 
dès-lors  avec  cette  conscience  de  recherches  et 
cette  activité  d'esprit  qu'il  mettait  à  toute  chose. 
Après  avoir  réuni  de  nombreux  matériaux  re- 
cueillis en  France  et  en  Angleterre ,  il  se  mit  à 
écrire  sans  interruption  ce  que  je  publie  aujour- 
d'hui. La  premièi'e  moitié  de  cet  ouvrage  a  été 
revue  par  lui,  plus  pour  changer  la  marche  et 
la  division  des  matières  (cornme  l'attestent  les 
corrections ,  toutes  de  sa  main),  que  pour  re- 
chercher une  pureté  de  style  dont  il  7ie  se  serait 
occupé  que  plus  tard.  La  seconde  m,oitié  n'a  été 
écrite  qu'une  fois  :  c'est  sa  pensée  première  ; 
c'est ,  pour  ainsi  dire ,  une  improvisation.  Inter- 
rompu dans  ce  travail  en  \^\1 ,  par  le  mauvais 
état  de  sa  santé,  il  l'a  laissé  imparfait  et  ne  l'a 
plus  revu  depuis. 

Tel  qu'il  est ,  cependant ,  je  crois  devoir  le 
publier,  moins  dans  l'espoir  d'augmenter  J'héri- 


tage  de  renommée  qu'il  a  laissé  à  ses  erifans , 
que  dans  la  pensée  de  restituer  à  son  pays  un 
travail  qu'il  lui  avait  consacré  ;  car  son  pays 
était  l'objet  constant  de  son  dévouement  et  de 
ses  affections  y  dans  les  jours  de  péril  comme 
dans  les  jours  de  loisir. 

Que  cette  patrie  qui  toujours  lui  fut  si  chère  y 
^ne  permette  de  chercher  à  m' acquitter  ainsi 
d'une  faible  part  de  la  dette  sacrée  d'une  fa- 
mille dont  son  adoption  a  soutenu  et  illustré  le 
jnalheur.  Elle  a  couvert  d'uîie  telle  gloire  le 
tombeau  de  mon  mari  et  le  nom  de  ses  fils , 
qu'elle  me  pardonnera,  f  espère,  si ,  comme 
veuve  et  comme  mère ,  j'ose ,  en  lui  exprimant 
ma  reconnaissance ,  sortir  pour  un  moment  de  la 
solitude  oii  moîi  deuil  m'a  placée. 

L.  O'"'  FOY. 


AVANT-PROPOS. 


Lorsqu'en  1 8 1 5  _,  après  la  bataille  de  Wa- 
terloo et  pendant  l'occupation  de  la  France, 
l'armëe  française  eut  e'te  dissoute ,  le  gêne- 
rai Foy  comprit  cpe  sa  carrière  militaire 
était  terminée.  Ce  n'était  plus  sur  les  champs 
de  bataille  que  devaient  être  défendues  les 
opinions  qui,  vingt  ans  auparavant,  l'a- 
vaient appelé  aux  armes.  L'honneur  de  la 
France  et  l'indépendance  nationale,  ces 
deux  passions  de  sa  vie  entière,  n'étaient 
plus  pour  lui  que  des  motifs  de  souffrance. 
Bien  que  les  débris  de  notre  vieille  armée 
eussent  été  en  partie  recueillis  dans  la  for- 
mation d'une  armée  nouvelle ,  on  conçoit 

TOME  I.  b 


II  AVANT-PKOPOS. 

facilement  qu'une  ame  lièie ,  pleine  de  no- 
bles souvenirs,  qui  ne  sentait  rien  à  désa- 
vouer dans  le  passe',  ait  rejeté'  bien  loin  la 
pense'e  de  subir  la  moindre  indulgence,  et 
de  déguiser  en  rien  ses  sentimens  d'autre- 
fois et  ses  impressions  d'aujourd'hui.  D'ail- 
leurs, lorsqu'enfin  nous  obtenions  pour 
prix  de  nos  maux,  pour  consolation  de 
nos  revers,  un  gouvernement  fonde  sur  la 
libre  délibération  et  la  publicité,  le  temps 
e'tait  venu  de  ne  plus  demander  l'honneur 
et  l'avancement  qu'au  glorieux  patronage 
de  l'opinion  publique.  ((  Les  places,  ))  écri- 
vait alors  le  général  Foy  dans  quelques  li- 
gnes destinées  à  faire  partie  de  la  préface  de 
son  livre ,  ((  les  places  ne  valent  pas  l'am- 
))  bition  d'une  ame  élevée  ;  il  n'y  a  de  bon 
))  dans  le  gouvernement  populaire  que  ce 
))  qui  vient  du  peuple.  » 

Cependant  il  n'avait  pas  encore  obtenu 
accès  à  cette  tribune  où  sa  vocation  et  sa 
gloire  l'appelaient  \  et  cet  esprit ,  avide 
d'action  et  de  connaissance,  ne  pouvait 


AVANT -PROPOS.  III 


végéter  dans  un  loisir  inutile.  Privé  lout- 
à-coup  de  la  vie  agitée  et  aventureuse  des 
camps  ,  il  n'était  pas  réduit^  comme  tant 
d'autres ,  à  se  laisser  accabler  par  une  pe- 
sante oisiveté.  Les  chances  de  la  guerre  et  le 
goût  vif  et  studieux  qu'il  avait  toujours  eu 
pour  sa  glorieuse  profession_,  n'avaient  point 
suffi  à  occuper  toutes  ses  facultés;  cette 
sphère ,  si  vaste  qu'elle  puisse  être ,  n'avait 
jamais  borné  ses  pensées  et  son  imagina- 
tion. Tourmenté  du  besoin  d'apprendre, 
partout  où  il  avait  trouvé  un  pays  à  obser- 
ver, un  fait  à  noter,  un  livre  à  lire,  une 
conversation  à  écouter,  il  y  avait  appliqué 
toute  son  attention.  Savoir  avec  exactitude, 
et  juger  avec  liberté,  était  en  toute  cir- 
constance un  besoin  impérieux  pour  lui. 
Non-seulement  il  lui  fallait  recueillir  et 
combiner  tout  ce  qui  se  présentait  à  ses 
yeux,  mais  plus  actif  que  contemplatif, 
plus  pratique  que  théorique,  il  voulait  re- 
tirer de  ses  études  continuelles  des  fruits 

positifs.  Pendant  sa  vie  entière,  il  est  rare 

b' 


IV  AVAAT-PROPOS, 

qu'une  seule  journée  ait  fini  sans  qu'il  eut 
écrit,  souvent  même  avec  détail,  ce  qu'il 
avait  vu,  appris  ou  pense.  Les  nombreux 
volumes  de  ce  curieux  journal  sont  demeu- 
res en  témoignage  de  sa  merveilleuse  ac- 
tivité. 

A  peine  sorti  de  la  vie  militaire,  le  gé- 
néral Foy  conçut  le  projet  d'écrire  l'His- 
toire de  la  guerre  d'Espagne.  D'autres 
époques  étaient  sans  doute  plus  chères  à 
son  souvenir  ;  mais  il  avait  fait  toutes  les 
campagnes  de  la  Péninsule;  le  souvenir  en 
était  encore  tout  récent  dans  son  esprit  et 
dans  l'attention  du  public.  Cette  guerre 
formait  comme  une  sorte  d'épisode  sé- 
paré des  autres  entreprises  des  armées 
françaises.  D'ailleurs,  elle  était  bien  plus 
mêlée  de  mouvemens  populaires,  d'in- 
fluence des  opinions,  de  diversités  natio- 
nales, de  considérations  politiques.  Enfin 
elle  était  à  juste  titre  désignée  comme  la 
cause  première  et  principale  de  la  chute  de 
Napoléon.  Là,  mieux   qu'ailleurs,   devait 


AVA  N  T  -  P  R  O  P  O  s. 


être  apprécié  ce  grand  personnage  qui, 
après  avoir  régne  sur  toutes  les  volontés , 
remplissait  encore  toutes  les  imaginations. 

Le  général  Foy  se  sentait  plus  qu'un 
autre  le  droit  de  le  Juger.  Soldat  de  l'ar- 
mée du  Rhin,  ne  voulant  verser  son  sang 
que  pour  défendre  la  liberté  de  son  pays, 
il  s'était  autrefois  refusé  à  devenir  aide-de- 
camp  du  général  de  l'armée  d'Italie.  Sans 
doute  il  avait  admiré  le  grand  homme  de 
guerre;  il  s'était  enorgueilli  de  la  gloire 
répandue  sur  le  nom  français,  mais  tou- 
jours en  portant  un  œil  de  regret  sur  les 
guerres  de  sa  jeunesse,  sur  cette  époque 
de  dévouement  patriotique  et  de  vaillance 
désintéressée.  11  lui  plaisait  d'avoir  à  ex- 
primer ce  double  sentiment  qui,  dans  le 
moment  où  il  écrivait,  ne  pouvait  être 
que  sincère. 

((  J'ai  fait  tout  ce  qui  était  humaine- 
))  ment  possible  pour  empêcher  son  pou- 
»  voir  ;  j'ai  refusé  sa  fortune.  J'ai  le  droit 
»  d'en  dire  du  bien  ;  sa  gloire  est  notre 


VI  AVANT-PROPOS. 


))  patrimoine.  Nous  avons  assez  souffert 
»  de  ses  fautes  pour  revendiquer  ses  qua- 
))  litës....  )) 

Il  trouvait  aussi  que  l'ëpoque  était  bien 
choisie  pour  parler  non-seulement  de  Na- 
poléon, mais  de  toutes  choses  et  de  toutes 
personnes,  avec  une  franchise  entière. 

((  Bon  moment  pour  e'crire  l'histoire  ! 
))  Les  he'ros  sont  morts.  Ce  qui  reste  d'ho- 
))  norable  est  dans  la  retraite  et  dans  l'ou- 
))  bli;  le  petit  nombre  des  autres  est  si 
))  différent  d'eux-mêmes,  qu'on  ne  risque 
))  pas  en  les  molestant.  Ils  se  sont  fait 
»  d'autres  principes  depuis  qu'ils  adorent 
))  d'autres  dieux.  )) 

Parmi  les  pensées  qui  le  préoccupaient 
en  commençant  cet  ouvrage ,  on  en  trouve 
une  qui  est  bien  conforme  à  tous  les  sen- 
timens  que  depuis  il  a  manifestes.  C'est  une 
certaine  inquiétude  d'entendre  remarquer 
quelque  contradiction  entre  les  sentimens 
de  liberté  et  de  patriotisme  qui  avaient  jadis 
anime  l'armée  française,  et  l'ardeur  qu'elle 


AVANT-PROPOS.  VII 

avait  aussi  déployée  au  service  du  destruc- 
teur de  nos  libertés.  On  verra  dans  la 
phrase  suivante  et  l'on  retrouvera  dans  le 
livre  une  considération  que  l'histoire  doit 
recueillir  :  c'est  que  la  principale  circons- 
tance des  succès  de  Napoléon,  circons- 
tance due  à  la  force  des  choses  et  à  son  ha- 
bileté, c'est  d'avoir  toujours  compromis  la 
France  et  l'armée,  en  telle  sorte  que  l'hon- 
neur national  et  la  sûreté  du  territoire 
étaient  en  jeu,  même  lorsqu'ils  n'avaient 
été  pour  rien  dans  les  motifs  de  la  guerre. 
((  Et  qu'on  ne  dise  pas  que  le  patrio- 
))  tisme  des  soldats  fut  moins  grand ,  parce 
»  qu'ils  combattirent  loin  de  la  patrie 
))  pour  la  cause  du  conquérant...  Une  vic- 
))  toire  à  Moscou  et  aux  Arapiles  était 
))  mille  fois  plus  importante,  non  pas  que 
»  Jemmapes  ou  Valmy,  mais  que  Fonte- 
»  noi  et  Rosbach....  Plus  loin  était  le  ter- 
))  rain,  plus  l'action  était  forte,  plus  la 
))  réaction  devait  être  sanglante....  Et  c'est 
))   Moscou  qui  a  amené  Alexandre  à  Pa- 


VIII  AVANT-PROPOS. 


»  ris!..,,  et  l'Espagne,  Wellington,  le  gé- 
»  néral  odieux  des  étrangers,  dans  les  murs 
»  de  notre  \ille  sacrée  !....  )> 

Enfin,  aux  sentimens  qu'il  avait  le  désir 
d'épancher,  au  besoin  de  remplir  ses  loi- 
sirs^ se  joignait  encore  l'espérance  qu'il 
eut  toujours  d'illustrer  son  nom.  La  guerre 
lui  était  fermée;  le  peuple  ne  l'avait  pas 
encore  choisi  pour  son  représentant  et  son 
orateur.  Ainsi  il  recherchait  la  gloire  d'é- 
crivain qu'il  ne  dédaignait  pas;  car  il  y 
pouvait  atteindre.Et  cependant  cette  gloire, 
il  voulait  encore  la  reporter  sur  la  France, 
qui  était  le  fond  de  ses  pensées  et  de  ses 
attacliemens  : 

((  Heureux  l'écrivain  qui  élève  un  mo- 
»  nument  à  son  pays  !...  Je  n'aurai  pas  cet 
))  avenir...  » 

Une  fois  que  son  projet  fut  arrêté ,  le 
général  Foy  travailla  à  l'exécution  avec 
cette  incroyable  ardeiu^  qu'il  mettait  à 
toutes  choses.  Les  notes  qu'il  avait  prises 
jour  à  jour  sur  les  lieux  même  et  au  milieu 


AVANT-PROPOS.  IX 

des  évenemens,  ne  lui  suffirent  pas.  Par- 
tout il  recueillit  des  renseignemens  _,  dé- 
pouilla les  correspondances ,  les  ordres  des 
ministres  et  des  ge'ne'raux  ;  rechercha  le  té- 
moignage et  les  conversations  de  ses  com- 
pagnons de  guerre.  Il  fit  deux  voyages  en 
Angleterre  pour  s'y  instruire  à  fond  de 
l'organisation  de  l'arme'e^  et  connaître  les 
récits  qu^on  y  faisait  de  la  guerre  d'Es- 
pagne ;  il  se  rapprocha  des  Espagnols  fu- 
gitifs pour  obtenir  d'eux  des  informations; 
il  demanda  partout  des  notes  et  des  do- 
cumens.  Toujours  vérifiant,  toujours  con- 
trôlant les  renseignemens  les  uns  par  les 
autres  j  exact  jusqu'au  scrupule ,  il  ne  vou- 
lait rien  avancer,  ni  faussement,  ni  légère- 
ment. 

Tel  fut  le  travail  auquel  il  se  livra  pen- 
dant les  années  1816  et  1817,  avec  une 
obstination  si  grande  que  cette  vie  séden- 
taire et  studieuse ,  succédant  à  l'activité 
militaire  ,  le  rendit  gravement  malade,  et 
donna  même  des  craintes  fondées.  Il  lui 


*  AVANT-PROPOS. 

fallut  suspendre  ses  occupations  et  se  sou- 
mettre à  un  régime  sévère.  En  1819,  il 
fut  nomme  député;  dès-lors  une  plus  belle 
carrière  s'ouvrit  devant  lui.  On  sait  comme 
il  l'a  parcourue. 

Madame  la  comtesse  Foy  a  hésité  quel- 
que temps  à  publier  cette  première  partie 
de  l'Histoire  de  la  guerre  d'Espagne.  Elle 
craignait  de  livrer  à  l'impression  un  ou- 
vrage qui  n'était  pas  entièrement  terminé. 
Il  a  fallu  les  instances  de  ses  amis  pour  la 
rassurer  et  lui  persuader  que  le  public  re- 
connaîtrait^ dans  un  ouvrage  qui  n'avait 
pas  reçu  son  derniej  achèvement,  le  noble 
talent  dont  l'impression  est  encore  dou- 
loureusement récente;  qu'il  y  retrouverait 
cette  chaleur  qui  charmait  et  subjuguait 
du  haut  de  la  tribune,  cette  sincérité  d'o- 
pinion, cette  bienveillante  impartialité, 
ces  jugemens  fermes  sans  être  rigoureux , 
ces  vues  promptes  et  élevées ,  enfin  cette 
tendresse  pour  la  patrie  française,  qui 
surtout  a  valu  au  général  Foy  toute  la 


AVAINT-PROPOS.  XI 

sympathie  nationale.  Elle  a  pense  que 
peut-être  même  y  aurait-il  un  intérêt  de 
plus  à  observer  le  premier  jet  de  la  pensée 
et  Pinspiralion  du  moment  ;  que  ce  serait 
une  preuve  de  plus  du  naturel  et  de  la 
franchise  du  talent;  enfin,  qu'elle  pouvait , 
sans  crainte,  laisser,  pour  ainsi  dire,  lire 
dans  l'ame  de  celui  qu'elle  et  nous  regret- 
tons chaque  jour. 

Dans  cette  pensée  elle  s'est  impose'  le 
devoir  de  publier  les  manuscrits  tels  qu'ils 
lui  ont  e'te'  laisses.  Le  ge'nêral  avait  cou- 
tume d'écrire  vite,  de  ne  jamais  laisser 
échapper  la  pensée  qui  le  traversait,  ni 
l'expression  qui  lui  survenait;  puis  il  re- 
copiait, mettait  en  ordre,  retranchait  et 
commençait  à  rechercher  une  correction 
de  style,  dont  il  ne  s'occupait  tout-à-fait 
qu'au  dernier  moment. 

Ne  pouvant  suppléer  en  rien  au  travail 
que  l'auteur  se  serait  sans  doute  imposé 
à  lui-même,  il  ne  s'agissait  plus  que  de 
mettre  en  ordre  des  renvois  et  des  trans- 


XII  AVANT-PROPOS. 

positions ,  de  reconnaître  ce  qui  avait  été 
raturé,  de  veiller  à  ce  qu'on  n'imprimât 
pas  ce  que  l'auteur  avait  voulu  supprimer, 
sans  pourtant  jamais  y  rien  substituer.  C'est 
de  quoi  les  manuscrits  peuvent  porter  té- 
moignage. 

Le  général  Foy  semblait  craindre  que 
son  ouvrage  ne  fut  trouvé  trop  long;  on 
voit  qu'il  voulait  expliquer  dans  sa  préface 
comment  sa  manière  de  concevoir  et  de 
traiter  le  sujet  avait  du  l'entraîner  à  don- 
ner une  grande  étendue  à  ses  récits. 

«  Nous  écrivons  longuement ,  parce  que 
))  nous  écrivons  avec  des  Mémoires,  des 
w  pièces  officielles,  des  conversations,  et 
»  surtout  avec  des  souvenirs.  Ceux  qui  font 
))  des  livres  avec  des  livres  et  des  gazettes 
))  analyseront  et  seront  plus  courts 

»  Ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile ,  c'est  de 
))  savoir  les  faits,  et,  quand  on  les  sait, 
))  c'est  de  les  raconter  sans  altérer  la  vé- 
))  rite.  )) 

On  doit  aussi  remarquer  à  quelle  époque 


AVANT-PROPOS.  XIII 

écrivait  l'auteur  et  à  quels  sentimens  il 
devait  être  livré.  Certes  son  impartia- 
lité n'en  était  pas  altérée  ;  il  pensait  et 
jugeait  alors  comme  il  a  pensé  et  jugé  de- 
puis ',  mais  plus  tard  l'expression  aurait  pu 
ne  pas  être  tout-k-fait  la  même.  Celui  qui 
était  essentiellement  tolérant  et  bien- 
veillant, qui,  dans  la  chaleur  de  la  dis- 
cussion, n'a  jamais  blessé  une  opinion  ni 
peut-être  même  un  amour-propre,  aurait 
poussé  ce  genre  de  précaution  jusqu'au 
scrupule.  Nous  voyons  que  telle  était  sa 
pensée,  non  pas  même  à  l'égard  de  ses 
compatriotes,  mais  aussi  des  étrangers  et 
des  ennemis. 

((  Pourquoi  serions-nous  ennemis  indi- 
))  viduels  des  Anglais?  Wilson  à  Oporto, 
))  Stuart  en  Sicile ,  furent  des    hommes 

))  généreux Il  y  en  a  beaucoup.  D'ail- 

))  leurs  la  conduite  des  Anglais  était  for- 
))  cée;  leur  morale  est  pour  eux  une  se- 
))  conde  nature.  Quand  ils  servent  leur 
))  aristocratie  aux  dépens  de  l'humanité. 


XIV  AVANT-PROPOS. 

))  ils  doivent  être  juge's,  comme  nous  autres 
))  Français,  lorsque  notre  armée  ravageait 
))  TEurope  par  défaut  de  pre'voyance  ad- 

))  ministralive )) 

Eli  publiant  l'Histoire  de  la  guerre 
d'Espagne ,  en  cédant  aux  conseils  qu'elle 
a  reçus ,  madame  Foy  n'a  pas  voulu  seu- 
lement remplir  un  devoir  envers  la  mé- 
moire de  son  illustre  ëpoux;  il  lui  a 
semble  qu'elle  avait  aussi  à  accomplir 
d'autres  devoirs  envers  cette  opinion  pu- 
blique qui  a  manifeste'  tant  d'enthousiasme 
et  d'aftection  pour  un  des  plus  eloquens 
organes  des  sentimens  nationaux.  Cette 
patriotique  adoption  de  la  famille  du  gé- 
néral Foy  a  formé  un  contrat  entre  elle 
et  la  patrie.  Ce  qui  reste  de  ses  travaux, 
les  productions  encore  inconnues  de 
son  talent  sont  une  sorte  de  propriété  du 
pays;  et,  lorsqu'au  milieu  de  circonstan- 
ces si  graves,  nous  ne  pouvons  encore  nous 
accoutumer  à  ne  plus  entendre  cette  voix 
qui  animait  et  encourageait  tout,  qui  exci- 


AVANT-PROPOS.  XV 

tait  dans  nos  cœurs  tant  d'affections  sym- 
pathiques ^  cherchons  au  moins  dans  les 
pages  qu'il  a  laissées  des  opinions  géné- 
reuses, de  sages  conseils  et  de  nobles  ins- 
pirations. 


TABLEAU 

POLITIQUE  ET  MILITAIRE 

IlES 

PUISSANCES  BELLIGÉRANTES. 


LIVRE   PREMIER. 


FRANCE. 


/  SOMMAIKE. 

Etat  de  la  France  en  i  799.  —  Napoléon  Bonaparte  s'em- 
pare de  l'autorité.  —  Son  entraînement  vers  le  pouvoir 
absolu.  —  Gouvernement  consulaire.  —  Paix  géné- 
rale. —  Rappel  des  émigrés.  —  Monarchie  impé- 
riale. —  Goût  de  Napoléon  pour  la  noblesse.  —  Ins- 
titution d'une  noblesse  nouvelle.  —  Passion  de  Na- 
poléon pour  la  guerre.  —  Campement  de  l'armée  sur 
les  côtes  de  l'Océan.  —  Esprit  public  de  l'armée.  — 
Campagne  de  i8o5,  en  Autriche.  — Campagnes  de 
i<So6  et  1807,  en  Prusse  et  en  Pologne.  — Paix  de 
Tilsit.  —  Situation  de  l'armée  française  à  la  fin  de 
1807.  —  Conscription  militcj,ire.  —  Mœurs  et  habi- 
tudes de  l'armée.  —  Par  qui  et  comment  le  pouvoir 
était  exercé  dans  l'armée.  —  Avancement  et  récom- 
penses.—  Subordination  et  discipline.  —  Organisation 
militaire.  —  Infanterie.  —  Manière  de  combattre  au 
temps  de  la  République.  —  Changemens  opérés  pen- 
dant le  séjour  de  l'armée  dans  les  camps  des  bords  de 
l'Océan.  —  Cavalerie.  —  Artillerie.  —  Génie.  —  Etat- 
major.  —  Etablissement  des  corps  d'armée.  —  Garde 
impériale.  —  Administration  des  armées.  —  Législation 
militaire.  —  Science  de  la  guerre.  —  Napoléon. 


LIVRE  PREMIER 


FRANCE. 


A  la  tin  du  dix-huitième  siècle  ,  la  France 
soutenait  les  attaques  de  TEurope  coalisée.  Le 
trône  s^était  écroulé  avec  fracas.  Les  castes  pri- 
vilégiées avaient  été  mutilées  et  dispersées; 
leur  spoliation  et  rétablissement  du  papier- 
monnaie  ,  en  transportant  une  part  de  la 
richesse  des  classes  qui  consomment  aux 
classes  qui  produisent ,  avaient  amélioré  le  sol 
et  éveillé  Pindustrie.  L'agitation  ,  les  excès 
même  du  peuple  soulevé  n'avaient  pas  été  inu- 
tiles à  son  perfectionnement.  Il  en  était  resté 
une  teinte  grave  et  plus  de  nerf  dans  le  carac- 
tère national.  Les  troubles  politiques  et  la 
guerre  extérieure  conspiraient  à  mettre  les  ta- 
lens  en  Urmière  et  à  exalter  les  courages.  Tout 


6  État  de  la  frange 

faisait  présager,  pour  la  génération  naissante 
et  pour  celle  qui  viendrait  après ,  une  direc- 
tion d^idées  plus  juste  et  plus  vigoureuse  que 
ne  Pavaient  eu  leurs  devanciers.  Malgré  de 
sanglantes  proscriptions,  malgré  Fémigration 
et  la  guerre  ,  la  population  allait  en  augmen- 
tant,  et  le  territoire  était  agrandi  jusqu^aux 
limites  posées  par  la  nature.  Notre  France  ren- 
fermait en  elle  des  germes  actifs  de  prospérité 
et  de  puissance. 

C'était  au  nom  de  Fégalité  et  de  la  liberté 
que  le  peuple  s'était  levé.  Déjà  Fégalité  avait 
triomphé.  Grâce  à  Fimprimerie,  qui  avait  pro- 
pagé les  connaissances  humaines;  au  com- 
merce ,  qui  avait  accru  et  fait  circuler  les  ri- 
chesses ;  à  la  guerre  ,  devenue  plébéienne  par 
Femploi  dçs  armes  à  feu,  Fégalité  était  dans 
les  mœurs,  même  avant  la  révolution.  Il  ne 
s'agissait  plus  que  de  la  mettre  dans  les  lois. 

Les  nations  courent  au  plus  pressé.  Ainsi, 
tandis  que  Fégalité  s'établissait  et  jetait  de  pro- 
fondes racines,  la  liberté  ,  qui  est  une  passion 


EN     1799.  7 

seulement  pour  les  âmes  généreuses,  qui  ne  de- 
vient un  besoin  universel  qu^après  une  longue 
et  triste  expérience  :  la  liberté  fut  invoquée 
tour  à  tour  par  les  partis  vaincus,  et  tour  à  tour 
foulée  aux  pieds  par  les  factions  victorieuses. 
La  lutte  cliaque  jour  plus  animée  entre  les  in- 
térêts anciens  et  ceux  quVvait  créés  la  révolu- 
tion n'étant  pas  encore  terminée  ,  les  lois  ser- 
vaient dWmes  de  guerre  et  dMnstrumens  de 
violence. 

A  un  pareil  ordre  de  choses  manquait  le 
caractère  de  la  durée.  La  révolution,  en  se 
prolongeant,  menaçait  de  détruire  les  biens 
même  dont  elle  était  la  source.  L'anarchie 
s^apprêtait  à  dévorer  FEtat.  Après  plusieurs 
années  de  victoires  éclatantes,  dont  Timpéri- 
tie  des  gouvernans  avait  laissé  perdre  le  fruit , 
peu  s'en  fallut  que  les  armées  étrangères  n'en- 
vahissent le  territoire.  Or,  les  gouvernemens 
sont  institués  pour  maintenir  la  paix  publique 
au  dedans,  et  faire  respecter  le  corps  politique 
au  dehors.  Le  Directoire  exécutif,  ne  pouvant 


8  NAPOLÉOIS    BONAPARTE 

plus  remplir  ce  mandat,  devail  lomber.  Un 
établissement  plus  solide  était  désiré  et  par  les 
victimes  de  la  révolution  lasses  de  souffrir,  et 
par  les  hommes  enrichis  ou  élevés  qui  vou- 
laient jouir  en  paix  de  leur  existence  nouvelle. 
Déjà  quelques  zélateurs  de  la  liberté ,  la  con- 
fondant avec  la  tyrannie  qui  avait  abusé  de 
son  nom,  n'étaient  pas  éloignés  de  proférer 
contre  elle  le  blasphème  du  dernier  des  Brutuif 
contre  la  vertu. 

Napoléon  Bonaparte  se  présenta,  etTauto- 
rité  suprême  tomba  entre  ses  mains.  11  offrait 
à  la  révolution  des  garanties  suffisantes.  C'était 
lui  qui ,  malgré  sa  répugnance  pour  les  prin- 
cipes et  les  mœursdes  révolutionnaires,  voyant 
bien  qu'ils  étaient  les  plus  forts,  s'était  mis  à  leur 
tête  le  i3  vendémiaire  ,  en  dispersant  à  coups 
de  canon  les  partisans  armés  de  l'ancien  régime. 
C'était  lui  qui,  au  18  fructidor,  avait,  aux  dé- 
pens de  la  liberté  et  de  la  justice ,  préservé  l'exis- 
tence de  la  République,  en  ineftant  le  poids  de 


s'empare    de    L  AUTORITE.  9 

son  épée  dans  la  balance  des  partis.  Ainsi  placé 
par  choix  et  par  nécessité  à  la  tête  des  intérêts 
nouveaux ,  la  réputation  du  guerrier  rassura 
ceux  qu'avait  eft'rayés  le  progrès  des  armes  de 
Fétranger.  A  ses  goûts  studieux,  à  la  profon- 
deur de  sa  pensée ,  à  l'élévation  ossianique  de 
son  langage  ,  les  amis  de  la  liberté  le  prirent 
pour  un  des  leurs ,  quelles  que  fussent  les  pré- 
ventions inspirées  par  s^  condviite  passée.  Les 
classes  distinguées  par  l'éducation  attendaient 
plus  de  libéralité  d'un  général  illustre  ,  que  de 
ces  tribuns  démagogues  grandis  an  milieu  des 
saturnales  des  derniers  temps.  La  nation  en- 
tière désirait  le  rétablissement  de  l'ordre.  C'é- 
tait l'unique  besoin  dont  elle  fût  préoccupée. 
Les  peuples  ne  veulent  jamais  qu'une  chose 
à  la  fois.  Rien  de  si  imprévoyant  que  la  voix 
publique  ;  elle  se  rapporte  toujours  au  pré- 
sent ,  jamais  à  l'avenir.  On  demandait  l'ordre, 
comme  auparavant  on  avait  demandé  l'égalité, 
sans  songer  à  la  liberté. 

Que  la  France  eût  été  heureuse  ,  si  son  jeune 


tO  I\'APOLEO^     BONAl>ARTE 

chef" eût  compris  le  siècle  et  deviné  la  postérité  î 
Washington  en  Amérique  avait  montré  à  quelle 
condition  on  est  «  le  premier  dans  la  guerre,  le 
premier  dans  la  paix ,  et  le  premier  dans  les 
affections  sociales'.  »  Bonaparte  prit  une  autre 
voie,  et  ce  fut  une  preuve  de  plus  que  les  gé- 
nies brillans  et  les  âmes  naturellement  prédo- 
minantes, ne  sont  pas  toujours  les  plus  heu- 
reux présens  que  le  ciel  puisse  faire  aux  nations. 
Il  avait  reçu  le  jour  dans  Vile  de  Corse, 
en  dehors  des  mœurs  de  la  France  et  du 
siècle.  La  nature  lui  avait  donné,  avec  un 
corps  de  fer,  une  tête  puissante  de  concep- 
tion ,  une  imagination  ardente  ,  une  invinci- 
ble ténacité.  Les  belles-lettres  qui  humanisent 
le  caractère ,  et  qu^on  accuse  d^affaiblir  Tes- 
prit  en  mettant  les  mots  à  la  place  des  choses, 
les  belles-lettres  avaient  été  sans  attrait  pour 
lui.  Les  mathématiques  lui  avaient  plu,  comme 


'  Paroles  extraites  de  l'Eloge  funèbre  de  Washington  , 
prononcé  dans  le  congrès  américain. 


s  EMPARE    DE    L  AUTORITE.  1  1 

méthodes  propres  à  faire  discerner  le  vrai ,  et 
à  donner  un  résultat  positif.  Continuant  à  ré- 
soudre des  problèmes  ,  il  eût  été  Newton  ou 
Lagrange.  Mais  la  vérité  mathématique  était 
trop  abstraite  ,  trop  détachée  de  la  vie  réelle , 
pour  servir  dVmploi  à  sa  volonté.  LHnsatiabi- 
lité  de  son  esprit  le  transporta  dans  les  espa- 
ces du  monde  moral.  L^époque  où  il  vécut 
dirigea  ses  recherches  vers  la  guerre  et  la  po- 
litique. Eclairé  par  le  flambeau  de  Tinvestiga- 
tion ,  et  soutenu  par  la  trempe  du  caractère  , 
il  ne  tarda  pas  à  dépasser  ceux  qui  se  traînaient 
à  Taveugle  dans  les  sentiers  de  la  routine. 

La  révolution  française  était  encore  un  chaos 
pour  les  plus  habiles,  que  déjà  Napoléon  en  en- 
trevoyait les  résultats  possibles.  Un  de  ses  com- 
patriotes lui  conseillait,  à  la  fin  de  1792  ,  d'aller 
tenteofortune  en  Corse,  et  lui  présentait  en 
perspective  la  survivance  du  vieux  Paoli.  «  Oh  ! 
»  répondit  le  jeune  honniie  plein  d"*avenir,  il 
»  est  plus  aisé  de  devenir  roi  de  France  que 
I)    roi  de  Corse.  » 


12  NAPOLEON    lîOXAI'ARTF. 

Depuis  ce  temps,  en  quelque  rang  que  Vait 
mis  la  fortune,  son  ascendant  Ta  poussé  par- 
delà.  Chef  de  bataillon  d'artillerie  au  siège  de 
Toulon,  et  n^  étant  que  le  second  de  son  arme, 
ayant  à  lutter  contre  Tingénieur  Marescot,  ré- 
puté le  plus  expert  dans  Fart  de  prendre  les 
places ,  soutenant  ses  opinions  devant  des  gé- 
néraux estimés  et  des  représentans  du  peuple 
(jui  distribuaient  autour  d'eux  la  terreur  et  la 
mort ,  Bonaparte  parut  avec  Taplomb,  la  supé- 
riorité et  presque  le  ton  du  maître.  Général  en 
chef  de  Farmée  d'Italie ,  il  tint  d'emblée  ses  lieu- 
tenans  à  la  distance  respectueuse  où  il  mit  en- 
suite les  plus  grands  de  la  terre.  Le  Directoire 
ne  l'avait  chargé  que  de  commander  les  soldats 
et  de  combattre  :  il  reçut  les  ambassadeurs  des 
princes  et  des  républiques ,  conclut  des  traités 
avec  eux  ,  s'érigea  en  législateur,  renversa  et 
éleva  des  Etats.  A  trente  ans  sa  gloire  avait 
laissé  loin  derrière  elle  les  gloires  contempo- 
raines. 

La  soif  de  dominer  et  le  besoin   de   ne  pas 


S^EMPARE    DE    l\\UTOR1TÉ.  j3 

laisser  Tadmiration  se  reposer  le  conduisirent 
en  Egypte  :  «  L'Orient  attend  un  homme,  »  di- 
sait-il en  traversant  le  désert  qui  sépare  l'A- 
frique de  FAsie.  Plût  à  Dieu  que  le  génie 
de  la  France  lui  eût  alors  apparu ,  pour  Ta- 
vertir  que  cet  homme,  FOccident  le  repous- 
sait! Il  ne  faut  plus  à  la  vieille  Europe  que 
le  mouvement  nécessaire  pour  assurer  la  mar- 
che graduelle  de  Fesprit  humain  ,  et  garantir 
à  chacun  le  degré  d'indépendance  personnelle 
compatible  avec  le  paisible  usufruit  des  biens 
de  la  nature  et  des  productions  des  arts. 

ISapolÉon  ne  se  donna  pas  d'abord  à  con- 
naître tout  entier  :  quoique  passionné  pour  la 
guerre  ,  il  offrit  la  paix  à  FEurope.  Les  refus 
de  FAngleterre  forcèrent  le  premier  consul  à 
vaincre.  A  la  tête  d'une  armée  de  conscrits ,  il 
reconquit ,  par  une  seule  manœuvre  et  par 
Jine  seule  victoire,  cette  Italie  qui,  quatre  ans 
auparavant ,  avait  coûté  à  ses  soldats  et  à  lui 
onze  mois  d'efforts  liéroïques  et  de  coure p- 


4  4  G  O  L  ^  F.  R  N  EM  ENT 

tiotis  lumineuses.  Le  passage  des  Alpes  reporte 
]  a  pensée  au  temps  cFAnnibal  ;  la  série  de  mar- 
ches terminée  par  la  bataille  de  Marengo ,  at- 
t este  le  point  où  la  science  était  parvenue.  La 
capitulation  du  général  autrichien  Mêlas  ,  n"'a- 
vait  pas  d''exemple  dans  les  fastes  de  la  guerre. 
Non  moins  grand  dans  les  autres  carrières  , 
Bonaparte  reconstruisit  TEtat  et  recomposa 
le  gouvernement.  Ceux  qui  Pavaient  précédé 
au  timon  des  affaires  ,  étaient  les  chefs  de  la 
révolution;  il  en  fut  le  maître.  La  sécurité 
rendit  aux  propriétés  leur  valeur.  Un  code  de 
lois  civiles  fut  donné  aux  Français  ,  et  la  gloire 
'  en  appartient  au  chef  de  FEtat  ,  non-seule- 
ment comme  ordonnateur  du  travail ,  mais 
^^ncore  à  cause  des  traînées  de  lumière  que 
son  esprit  supérieur  jeta  à  plusieurs  reprises 
dans  les  discussions  de  ce  monument  de  la  rai- 
son moderne.  L^administration  prit  une  mar- 
che sûre  et  rapide,  par  Fapplication  du  prin- 
cipe fécond  en  heureuses  conséquences ,  de 
confier  toujours  Faction  à  nii  seul,  et  la  déli- 


CONSULAIRE.  ^J 

bération  à  plusieurs.  L'ordre  ,  qui  est  le  symp- 
tôme de  la  force  et  de  la  durée  ,  fut  établi  dans 
les  services;  les  finances  furent  rétablies;  les 
lois  furent  strictement  exécutées  ;  devant  tant 
d'éclat  tempéré  par  tant  de  sagesse  ,  les  fac- 
tions furent  assoupies ,  et  les  derniers  bran- 
dons de  la  guerre  civile  disparurent. 

Bonaparte  releva  le  trône.  La  postérité  dira 
au  profit  de  qui.  Héritier  de  la  révolution  , 
et  succédant  à  la  République,  Pautorité  impé- 
riale fut  sans  frein  et  sans  limites.  Le  Sénat 
apprit  au  peuple  jusqu'à  quelle  profondeur 
d'abjection  peut  descendre  une  assemblée 
dont  les  membres  ,  recommandables  d'ailleurs 
par  l'exercice  individuel  des  vertus  ou  des  ta- 
Jens ,  ne  sont  liés  entre  eux  ni  par  le  senti- 
ment des  devoirs  envers  la  patrie ,  ni  même 
par  l'esprit  de  corps.  La  nation  perdit  le  peu 
de  libertés  que  l'ancien  régime  lui  avait  lais- 
sées, et  toutes  celles  que  le  nouveau  lui  avait 
données.  Droits  politiques ,  intérêts  particu- 


l6  MUINAliCHlE 

liers,    propriétés  d(\s  communes,  éducation, 
science,    pensée,    le    gouvernement    envahit 
tout.    On   sentit   son    poids    dans    la    famille 
comme  dans  la  cité.  Les  Français  ne  formè- 
rent plus  qu'un  gros  bataillon  mû  au  comman- 
dement d'un  seul  homme.  Le  clergé,  malgré 
sa    propension   à    travailler    pour    sa   propre 
grandeur,  fut  réduit  au  rôle  d'instrument  do- 
cile des  volontés  du  maître.  Dans  cette  France 
si  agitée  ,  peu  de  temps  auparavant ,  par  des 
assemblées  turbulentes,  les  citoyens  n'avaient 
plus  le  pouvoir  de  se  réunir.  Il  ne  restait  ni 
(.lans  les  mœurs  ,  ni  dans  les  lois  aucun  moyen 
de  résistance  aux  erreurs  ou  aux  abus  de  l'au- 
torité. C'était  la  carcasse  politique  de  Constan- 
tinople  ,   moins  l'anarchie  des   pachas ,   l'op- 
position  sourde  de  l'uléma  ,    et  la  mutinerie 
bruyante  du  janissaire. 

Quand  on  veut  gouverner  les  hommes  par 
leurs  vices,  on  devrait  se  garder  de  les  éclai- 
rer, car  Teffet  des  lumières  est  de  jeter  dans 
ies  esprits  des  idées  justes  sur  les  droits  et  les 


IMPERIALE.  17 

devoirs  de  chacun.  Ici  il  y  eut  dans  la  marche 
de  Napoléon  une  contradiction  qu'explique 
son  entraînement  vers  tout  ce  qui  avait  de  Té- 
clat.  D'une  part,  la  presse  était  esclave  ;  la  po- 
lice repoussait  la  vérité  avec  autant  de  soins 
que  s'il  se  fût  agi  d'écarter  l'invasion  de  l'en- 
nemi ;  des  écrivains  se  chargeaient,  à  prix 
d'argent,  tantôt  de  justifier  la  frénésie  du 
pouvoir,  tantôt  de  distraire ,  par  des  querelles 
de  littérature  et  de  coulisses  ,  l'attention  d'un 
public  avide  de  nouveauté  ;  d'autre  part ,  Na- 
poléon protégeait  les  sciences,  et  regrettait  de 
n'avoir  plus  le  temps  de  les  cultiver;  il  encou- 
rageait les  lettres  et  les  arts.  Sous  son  règne, 
la  France  se  couvrit  de  monumens  d'un  style 
analogue  à  la  grandeur  de  l'époque.  Paris  mé- 
rita son  nom  de  Capitale  du  grand  Empire. 
Des  ponts  construits  sur  toutes  les  rivières, 
des  canaux  creusés  aussitôt  que  projetés,  des 
routes  tracées  à  travers  les  précipices  des  mon- 
tagnes, ouvrirent  de  nouvelles  communications 
au  commerce.  Le  mouvement  imprimé  depuis 


i8  >Io^ARCIl^■ 

1789  à  ragricullure  et  à  Findustrie  s''accéléra 
encore  en  se  régularisant.  La  population   ne 
cessa  point  d^augmenter.  On  ne  trouvera  pas 
dans  rhistoire  un  autre  exemple  de  tant  de 
prospérité  amassée  sur  un  pays  livré  à  la  guerre 
continuelle.   Cest  que  Napoléon  était  despote 
pour  son   compte ,  mais   ne    déléguait  pas  le 
despotisme.   Avec  lui ,  on  ne  connaissait  ni  les 
vexations  des   subalternes,  ni  Tinsolence  des 
castes,  ni  Tintolérable  domination  des  partis  ; 
la  loi  était  forte  ,   souvent  dure ,   mais  égale 
pour  tous.    La  sublimité  des  conceptions  et  le 
prestige  de  la  gloire  dissimulaient  les  difformi- 
tés du  pouvoir  absolu. 

Avant  peu  d^années  ,  les  larmes  des  contem- 
porains qui  ont  perdu  leurs  fils  ou  leurs  frères 
dans  les  combats  seront  séchées  ;  le  mal  sera 
passé,  le  bien  restera.  Dans  cette  activité  guer- 
rière dont  nous  avons  été  les  instrumens  et  les 
victimes ,  on  ne  verra  plus  que  la  gloire.  La 
gloire  des  armes  est  comme  le  feu  ;  de  près  elle 
bride,  de  loin  elle   échauffe.   La   haine   ver- 


IMPKRULE.  iq 

tueuse  qu'inspire  le  despotisme  s'aifaiblira  de- 
vant un  sentiment  dVdmiration  pour  tant  de 
créations  et  de  restaurations  utiles.  On  dira 
que ,  pour  les  accomplir,  un  pouvoir  incon- 
testé était  peut-être  nécessaire.  Les  pères  ra- 
conteront aux  enfans  comment  au  temps  de 
Napoléon  ,  au  milieu  du  bruit  glorieux  des  ar- 
mes ,  la  France  était  loin  d** avoir  perdu  Téclat 
et  la  prospérité  que  donnent  les  sciences ,  les 
lettres  ,  Findustrie  et  le  commerce. 

Le  passasse  des  formes  de  la  république  à 
celles  de  la  monarchie  produisit  peu  d'impres- 
sion sur  la  multitude ,  parce  qu'il  s'était  opéré 
progressivement  et  ne  déplaçait  pas  d'intérêts. 
Mais  la  pompe  de  la  royauté  développa  rapi- 
dement chez  l'Empereur  un  travers  dont  on 
avait  déjà  aperçu  le  germe  dans  les  allures  du 
premier  consul.  Nul  ne  l'a  surpassé  en  orgueil, 
et  assurément  il  était  excusable  d'en  avoir  plus 
que  les  autres  hommes.  Mais  à  ce  noble  or- 
gueil, qui  est  la  conscience  du  génie,  il  joi- 


20  GOUT    DE    NAPOLEON 

gnait  une  prédileolion  malheureuse  pour  la 
noblesse  d'extraction.  La  postérité  le  croira-t- 
elle?  le  guerrier  des  Pyramides ,  Thomme  de  la 
gloire  ,  le  roi  des  rois  se  plaisait  à  répéter  quHl 
était  né  gentilhomme  !  C'était  chez  lui  sans 
doute  une  de  ces  impressions  d'enfance  qui  se 
perpétuent  pendant  la  durée  de  la  vie  ,  et  aux- 
quelles on  obéit  en  dépit  de  la  réflexion  et  de 
la  raison.  Qui  mieux  que  Bonaparte  savait 
pourquoi,  depuis  quinze  années,  les  classes  in- 
férieures étaient  montées  si  haut ,  et  les  classes 
supérieures  descendues  si  bas?  Qui  plus  que  lui 
était  en  état  d'apprécier  à  leur  juste  valeur  et 
la  politesse  futile  qui  sert  de  vernis  à  l'impuis- 
sance ,  et  l'insolence  des  manières  qui  con- 
traste avec  la  servilité  des  âmes?  Sur  quel 
autre  fondement  posait  son  trône  que  sur  la 
révolution  et  l'égalité? Et  pourtant,  au  lieu  de 
placer  un  titre  tout  neuf  hors  des  préjugés 
reçus  et  des  habitudes  anciennes  ,  l'empereur 
des  Français  adopta  la  contenance  des  rois  de 
France  et  de  Navarre.  Pour  reproduire  subite- 


POUR    LA    NOBLESSE.  21 

nient  nn  cérémonial  et  des  usages  lentement 
introduits  par  la  succession  des  temps  ,  on  eut 
besoin  de  recourir  aux  dépositaires  des  vieilles 
traditions.  <(  Les  antichambres  de  la  cour  impé- 
riale furent  ouvertes  à  la  noblesse  ,  et  la  no- 
blesse sY  précipita'.  »  Les  uns  reportèrent  au 
maître  nouveau  les  sentimens  de  loyauté  qu'on 
leur  avait  inculqués  dès  leur  jeune  âge;  les 
autres,  en  plus  grand  nombre,  ne  se  piquèrent 
de  fidélité  que  pour  le  régime  qui  avait  eu 
leurs  premiers  sentimens.  Il  fut  de  bon  ton  de 
dénigrer  dans  les  salons  du  faubourg  Saint- 
Germain  la  puissance  qu'on  encensait  aux  Tui- 
leries. 

Installé  sur  le  trône  des  Bourbons  ,  et  s'y  as- 
seyant à  leur  manière ,  Napoléon  se  crut  solide 
comme  Louis  XIV.  Il  voulut  aussi  avoir  une 
noblesse  pour  servir  de  cortège  à  sa  dynastie. 
L'opinion  repoussa  un  système  d'hérédité  qui 

'  Mot  de  Napoléon. 


11  INSTITUTION 

ne  s''accorde  ni  avec  notre  législation  ,  ni  avec 
la  passion  de  notre  peuple  pour  Fégalité.  Les 
titres  féodaux  n'ajoutèrent  aucun  relief  aux 
noms  glorieux  de  Tépoque  actuelle  ,  et  ils  atti- 
rèrent les  traits  de  la  inalionité  sur  les  aentils- 
hommes  de  fraîche  date  qui  n'avaient  pas  con- 
quis l'estime  publique  par  de  hauts  faits  ou  des 
talens  supérieurs.  En  vain  dira-t-on  que  la  no- 
blesse nouvelle  était  populaire  parce  qu'on  r 
entrait  à  toute  heure  et  de  partout  \  Cette  teinte 
démocratique  était  destinée  à  s'effacer  après  la 
première  génération.  Les  pères  avaient  été 
créés  nobles,  parce  qu'ils  exerçaient  le  pouvoir; 
les  hls  auraient  usurpé  le  pouvoir  en'iertu  du 
droit  de  leur  naissance.  Si  les  titres  héréditaires 
n'eussent  conféré  ni  fonctions  ^  ni  préroga- 
tives, il  y  aurait  encore  eu  raison  de  s'alar- 
mer. La  classe  qu'on  en  décorait,  hargneuse 
pour  les  citoyens,  aurait  fatigué  le  gouver- 
nement de  ses  exigences  et  de  ses  tracasseries. 

'    Mémorial  de  Sainlt-Hclciic, 


d'une  noblesse  nouvelle.  23 

L'esprit  de  toute  noblesse ,  jeune  ou  vieille  , 
n'est  plus  dans  les  États  modernes  que  la  pré- 
tention avouée  d'obtenir  les  emplois  sans  être 
capable  de  les  remplir,  et  de  vivre  sans  rien 
faire  aux  dépens  de  ceux  qui  travaillent. 

Avant  Marengo,  la  France  eût  reçu  la  paix. 
Après  Hohenlinden ,  elle  la  dicta.  Le  gouver- 
nement anglais  ,  témoin  de  la  lassitude  des  peu- 
ples, consentit,  malgré  lui,  à  laisser  respirer 
l'humanité.  Par  la  paix  d'Amiens ,  la  révolution 
prit  droit  de  bourgeoisie  en  Europe. 

Cependant  la  réconciliation  des  Français , 
entre  eux  et  avec  les  puissances  étrangères, 
reposait  sur  une  base  provisoire  et  fragile.  La 
France  avait  été  sauvée ,  mais  par  une  dicta- 
ture. Si  cette  dictature  devait  durer  au-delà 
des  dangers  de  la  patrie  ,  le  remède  pouvait  à 
la  longue  être  plus  funeste  que  le  mal.  La  li- 
berté de  la  presse ,  sauve-garde  des  autres  li- 
bertés, demeurait  suspendue.  Le  pouvoir  judi- 
ciaire restait  dans  la  dépendance  de  l'autorité 


ii4  RAPPEL 

executive.  Le  Tribunal,  seule  portion  de  la 
représentation  nationale  à  laquelle  la  parole 
fût  permise,  avait  été  réduit  au  silence.  Les 
bons  esprits  demandaient  au  génie  de  Bona- 
parte des  institutions  appropriées  à  la  dignité 
de  Fespèce  humaine,  et  qui ,  comme  des  an- 
cres de  sûreté  ,  retinssent  le  vaisseau  de  FEtat 
au  fort  des  tempêtes. 

Bonaparte  crut  répondre  au  vœu  national 
en  se  faisant  nommer  consul  à  vie,  en  réta- 
blissant le  culte ,  et  en  rappelant  les  émigrés. 
De  ces  trois  actes,  le  premier  était  Fébauche 
d"'un  plan  plus  vaste  qui  ne  tarda  pas  à  se  dé- 
velopper; le  second  s'accordait  avec  Fopinion 
d''un  certain  nombre  de  Français  ,  et  associait 
la  religion  à  la  garantie  des  cliangemens  ré- 
cemment opérés  dans  la  société;  le  troisième 
compromettait  le  destin  de  la  révolution. 

En  admettant ,  ce  que  nous  sommes  loin  de 
croire ,  que  Fémigration  fut  un  devoir  pour 
quelques-uns,  et  un  noble  sacrifice  de  la  pari 


DES  Émigrés.  25 

de  tous  ,  encore  est-il  vrai  que  les  émigrés  s^é- 
taient  constitués  en  opposition  avec  Fimmense 
majorité  de  leurs  concitoyens,  et  qu'ils  avaient 
invoqué  les  armes  de  Tétranger  '.  La  nation 
étant  demeurée  victorieuse,  ils  n'avaient  pas  re- 
couvré leurs  privilèges  ,  et  on  avait  confisqué 
leur  avoir.  L'exil  qu'ils  s'étaient  imposé  volon- 
tairement était  devenu  pour  eux  une  peine 
perpétuelle.  Le  premier  consul  leur  rendit  la 
patrie  et  les  domaines  dont  l'Etat  n'avait  pas 
disposé.  C'était  bien  fait ,  s'il  voulait  de  bonne 
foi  clorre  la  révolution,  conserver  la  paix  et 
gouverner  dans  l'intérêt  de  tous.  C'était  ab- 
surde ,  s'il  avait  dans  le  cœur  de  mettre  son  ar- 
deur belliqueuse  à  la  place  des  fureurs  popu- 
laires, et  de  jouer  le  pays  au  jeu  des  ba- 
tailles. 

Les  victimes  à  demi   consolées   étaient   au 


'  Il  serait  superflu  de  faire  remarquer  que  nous  enten- 
dons parler  ici  des  émigrés  volontaires,  et  non  des  amis 
de  la  liberté,  ni  des  citoyens  paisibles  que  la  fureur  des 
factions  força  d'abandonner  leurs  fovers. 


26  EAPPEL 

nombre  de  plus  de  cinquante  mille,  et  pro- 
priétaires autrefois  de  la  dixième  partie  du  ter- 
ritoire. Bien  que  dépouillés  de  leurs  honneurs 
antiques  et  frappés  dans  leur  opulence ,  Télé- 
gance  des  manières ,  puissance  toute  française 
qui  marche  presque  Tégale  de  la  supériorité  de 
Tesprit,  conserva  à  leurs  femmes  et  à  eux  la  su- 
prématie dans  la  société.  Ils  bouleversèrent 
Fopinion,  non  pas  du  peuple,  mais  des  salons. 
Cela  était  facile  à  prévoir.  Pouvaient-ils  faire 
des  vœux  contre  les  Anglais ,  ceux  que  les  An- 
glais avaient  secourus  dans  finfortune  ?  N'au- 
rait-ce  pas  été  de  leur  part  un  héroïsme  surhu- 
main que  de  s''identifier  avec  cette  patrie 
nouvelle ,  naguère  si  effervescente  dans  l'ou- 
trage, et  maintenant  si  lente  dans  la  réparation  ? 
Que  pouvait  leur  importer  le  triomphe  d\in 
drapeau  qui  était  à  leurs  yeux  Tétendard  de  la 
révolte?  Ne  devait-on  pas  présumer  qu'ils  con- 
sentiraient à  voir  la  France  resserrée  dans  les 
murailles  de  Bourges,  et  là  encore  rançonnée 
par  les  étrangers ,  s'il  était  possible  qu'ils  y  re- 


DES    EMIGRES..  1"] 

trouvassent   les   avantages     sociaux    qui    leur 
furent  injustement  ravis  ? 

Quand  le  sol  de  la  révolution  fut  couvert  de 
ses  ennemis,  il  fallut  les  empêcher  de  nuire.  Les 
moyens  ordinaires  de  répression  ne  suffisaient 
pas;  on  en  inventa  de  nouveaux.  De-là  Fessor 
que  prit  la  haute  police.  Le  gage  de  la  durée 
du  nouvel  ordre  de  choses  diminuait  par  la  res- 
titution aux  anciens  propriétaires  dVine  partie 
des  domaines  nationaux.  Les  acquéreurs  des 
biens  vendus ,  dont  une  longue  possession  n^i- 
vait  pas  encore  confirmé  les  droits  ,  ignoraient 
où  s^arrêterait  ce  commencement  de  réaction. 
Bonaparte  imagina  alors  de  réparer  une  faute 
politique ,  par  un  acte  abominable  ,  sous  quel- 
que aspect  qu^on  Fenvisage.  La  tête  du  dur 
d'Enghien  lut  offerte  en  holocauste  à  ses  pro- 
pres inquiétudes  et  aux  intérêts  révolution- 
naires alarmés. 

On  put  croire  un  moment  que  les  partis 
étaient  d^iccord,  car  révolutionnaires  et  énji- 
grés,  républicains   et  royalistes  firent  éclater 


9.8  PASSION    DE    NAPOLEON         ' 

en  même    temps   une  indignation  sentie  par 
tous  avec  la  même  vivacité. 

Ce  coup  d^Etat ,  si  discordant  avec  le  carac- 
lère  libéral  du  siècle  où  nous  vivons,  est  ce- 
pendant la  souillure  unique  de  la  vie  de  ce 
grand  personnage.  Si  son  ambition  a  fait  couler 
tant  de  larmes,  cVst  Teftet  de  combinaisons 
générales,  et  non  d^un  penchant  particulier  à 
la  cruauté.  Ne  confondons  pas  un  despotisme 
dont  la  colère  s^arrètait  à  la  limite  de  ce  qu'il 
croyait  son  intérêt ,  avec  une  tyrannie  pas- 
sionnée, aveugle  et  sanguinaire.  Napoléon  n'é- 
tait pas  né  méchant  ;  toujours  on  le  vit  plein 
d'indulgence  pour  les  siens;  il  ne  savait  même 
haïr  long-temps,  ni  fortement  ses  ennemis. 
Lisez  l'histoire  des  hommes  qui  se  sont  élevés 
du  rang  de  simple  particulier  au  pouvoir  su- 
prême ,  et  vous  verrez  comment  la  plupart  ont 
acheté  la  couronne  par  plus  de  méchantes  ac- 
tions. 

Ce  n'était  pas  assez  pour  Napoléon  de  régner 


POUR    LA    GUERRE.  29 

sur  la  grande  nation ,  il  aspirait  ouvertement 
à  la  monarchie  universelle.  Dans  cette  pensée 
gigantesque ,  peut-être  était-ce  encore  moins 
le  but ,  que  la  route  à  parcourir  pour  y  arri- 
ver, qui  souriait  à  son  imagination.  Car  l'agi- 
tation était  son  élément;  il  se  délectait  au  sein 
des  tempêtes;  le  globe  fournissait  à  peine  de 
quoi  assouvir  sa  rage  d'ajouter  à  la  célébrité 
d'un  nom  trop  tôt  célèbre.  Il  faisait  la  guerre 
avec  volupté;  il  Taimait  comme  on  aime  une 
maîtresse  au  printemps  de  la  vie.  Pour  justifier 
aux  autres  ,  et  peut-être  à  lui-même  ,  le  dérè- 
glement de  ses  projets ,  il  montrait  la  révolu- 
tion française  incompatible  avec  les  préjugés 
sur  lesquels  roule  le  monde  depuis  la  chute  de 
V empire  romain.  «  Sa  mission ,  disait-il ,  n'é- 
tait pas  seulement  de  gouverner  la  France, 
mais  de  lui  soumettre  le  monde,  sans  quoi  le 
monde  l'aurait  anéantie.  »  Partant  de  cette 
supposition  gratuite,  il  organisa  l'empire  pour 
la  guerre,  et  pour  la  guerre  éternelle.  Ce  ne 
fut  pas  pour  acquérir  le  droit  d'être  un  prince 


3o  PASSIOIV    DE    NAPOLÉON 

absolu  qu^il  combattit  sous  toutes  les  latitudes. 
Rien  ne  Fempêcbait  de  le  devenir  à  moins  de 
frais.  Au  contraire,  il  fonda  le  despotisme  pour 
créer,  vivifier,  et  toujours  renouveler  les  élé- 
mens  des  combats. 

Les  hommes  étrangers  au  métier  des  armes 
ne  sauraient  concevoir  cette  inquiétude  turbu- 
lente qui  conduisait  Alexandre  aux  bords  du 
Gange  et  Charles  XII  à  Pultawa.  La  guerre  est 
une  passion  jusque  dans  les  derniers  ordres  de 
la  milice;  pour  ceux  qui  commandent,  elle  est 
la  plus  impérieuse  et  la  plus  enivrante  des  pas- 
sions. Où  trouverez- vous  un  champ  plus  vaste 
à  Fénergie  du  caractère,  aux  calculs  de  Tesprit, 
aux  éclairs  du  génie  ?  A  celui  que  la  gloire  en- 
flamme, la  faim,  la  soif,  les  blessures,  la  mort 
m.ême,  sans  cesse  menaçante,  produisent  une 
sorte  d''enivrement;  la  combinaison  soudaine 
des  causes  indéterminées  avec  les  chances  pré- 
vues, jette  dans  ce  jeu  d'exaltation  un  intérêt  de 
touslesmomens,  égal  à  rémotion  que  font  naître 
à  longs  intervalleslessituations  les  plus  terribles 


POLR    LA    GUERRE.  3l 

de  la  vie.  Quelle  puissance  dans  le  présent  que 
cette  volonté  du  chef,  qui  enchaîne  et  déchaîne 
à  son  gré  la  colère  de  tant  de  milliers  dliom- 
mes!  Quelle  suprématie  surTavenir,  que  ce  ta- 
lent dont  les  inspirations  vont  régler  le  sort  de 
plusieurs  générations  !  Quand  le  Dieu  dlsraël 
veut  écraser  ses  adorateurs  sous  le  poids  de  sa 
toute-puissance,  il  leur  dit  :  «  Je  suis  le  Dieu 
des  armées.  » 

L'humeur  belliqueuse  de  Bonaparte  trouva 
un  puissant  auxiliaire  dans  le  cabinet  de  Saint- 
James.  Les  meneurs  de  FAngleterre  n'*avaient 
permis  la  trêve  d'Amiens  que  pour  rendre  sen- 
sible à  leur  peuple  Timpossibilité  de  la  paix  ; 
Texpérience  faite ,  le  traité  fut  rompu.  Napo- 
léon rassembla  Tarmée  française  dans  des 
camps,  sur  les  côtes  de  FOcéan,  depuis  le 
Texel  jusqu'à  la  pointe  de  Bretagne.  Il  couvrit 
d'artillerie  le  rivage  de  Boulogne ,  le  plus  rap- 
proché de  l'Angleterre.  Les  soldats  creusèrent 
des  canaux  et  des  ports  de  mer.  Dans  les  havres 


32  CAMPEME^T 

et  les  grands  fleuves  on  construisit  des  bâti- 
mens  légers;  malgré  les  efforts  de  la  marine 
britannique ,  on  parvint  à  les  réunir  dans  les 
ports  nouveaux.  En  même  temps,  de  nom- 
breuses escadres  sortaient  de  nos  arsenaux 
maritimes,  et  le  pavillon  français  flottait  sur 
toutes  les  mers.  Pendant  quinze  mois,  Rome 
et  Carthage  furent  en  présence. 

On  a  demandé ,  et  cV.st  encore  un  problème  , 
si  Napoléon  a  voulu  envahir  TAngleterre ,  ou 
seulement  épouvanter  les  Anglais.  Nous  ne  dou- 
tons pas  qu'il  n^ait  eu  le  projet  de  tenter  la  des- 
cente. De  combien  peu  sVn  est-il  fallu  que  la 
flotte  combinée  de  France  et  d'Espagne ,  dé- 
bloquant successivement  le  Ferrol,  Rochefort, 
Brest  et  le  Texel ,  ne  restât  maîtresse ,  pendant 
plusieurs  jours  de  suite,  du  canal  de  la  Manche  ? 
La  flottille  de  Boulogne,  qu'on  avait  montrée  à 
dessein  comme  un  épou vantail  de  guerre  ,  eût 
rempli  alors  sa  destination  naturelle ,  et  eût 
servi  de  moyen  de  transport.  En  deux  marées, 
cent  mille   hommes  abordaient  sur  la  plage 


SUR    LES    COTES    DE    l'ocÉaN.  33 

d^  Angle  terre.  Cinq  marches  au  bord  de  la  Ta- 
mise menaient  les  Français  plus  avant  dans  la 
conquête  du  monde ,  que  trente  batailles  ga- 
gnées sur  le  continent.  Pour  obtenir  d''im- 
menses  résultats ,  il  n'était  pas  indispensable 
que  Fenvahissement  fût  complet  et  définitif. 
La  retraite ,  il  est  vrai ,  offrait  des  difficultés 
presque  insurmontables;  mais  les  espérances 
du  débarquement  étaient  assez  décevantes 
pour  distraire  la  pensée  des  embarras  du  re- 
tour '. 

Les  proscriptions  avaient  moissonné  ou 
éloigné  la  plupart  des  généraux  qui  avaient 

Napoléon  croyaiL  que,  Londres  pris,  l'Angleterre  se- 
rait conquise.  Le  général  Marmont  lui  disait  ,  au  mois 
d'octobre  i8o5,à  Augsbourg  ,  que  si  la  descente  avait  eu 
lieu ,  les  Autricliiens  auraient  probablement  commencé  la 
guerre  sur-le-champ.  «  Je  ne  le  crois  pas,  répondit l'Em- 
"  pereur;  mais  s'ils  fussent  venus,  les  femmes  de  Stras- 
»  bourg  auraient  suffi  pour  les  empêcher  de  passer  le 
•'  Rhin.  »  Tant  il  était  persuadé  que  l'éclat  de  son  en- 
treprise pétrifierait  les  rois  du  continent ,  et  produirait 
en  France  un  immense  mouvement  national. 

TOME  I.  3 


34  ESPRIT    PUBLIC 

commandé  les  premières  armées  de  ia  Répu- 
blique ;  d'autres  étaient  tombés  sur  les  champs 
de  bataille.  Il  n'était  plus  ce  Hoche  à  Famé 
de  feu  ,  au  caractère  indomptable  ,  qui  n'eût 
jamais  ployé  sous  un  maître ,  et  dont  les  ta- 
lens  attestaient  à  la  France  combien  de  véri- 
table noblesse  elle  cachait  dans  les  ranas 
de  ses  plus  simples  citoyens.  Kléber  avait 
été  frappé  par  un  assassin  ;  Kléber,  dont  la 
tête  s'élevait  comme  un  drapeau  au-dessus 
des  bataillons ,  et  qu'on  n'a  pas  apprécié  ce 
qu'il  eût  pu  valoir  parce  qu'il  obéissait  mal  et 
ne  voulait  pas  commander.  Le  morose  et  ta- 
citurne Pichegru  était  mort  pour  la  France 
en  se  mettant  aux  gages  des  Anglais.  Moreau 
vivait;  sa  vie  était  pure  alors  et  sa  gloire  en- 
tière. Général  d'inspiration,  il  fut  le  premier 
de  l'époque  dans  l'art  de  faire  combattre  une 
quantité  limitée  de  troupes  sur  un  terrain 
donné.  Mais  son  caractère  n'était  pas  au  ni- 
veau de  son  talent.  On  l'avait  vu,  confiant 
jusqu'à  la  faiblesse,  aider   au   18   brumaire; 


DE    l\4RMÉe.  35 

peu  de  temps  après  son  nom  servait  de  ral- 
liement aux  ennemis  de  cette  journée.  Parmi 
ces  derniers  ,  mais  marchant  seul  dans  des 
voies  patriotiques  et  modestes ,  était  signalé  le 
vainqueur  de  Fleurus.  Les  principaux  chefs  de 
Tarmée  d''Italie  ne  dissimulaient  pas  leur  mé- 
contentement; les  uns  indignés  du  dictateur 
superbe ,  qui  avait  relégué  ses  camarades  si 
loin  de  lui  en  attendant  qu^il  les  traitât  en  su- 
jets ;  les  autres  gémissant  de  ce  que  tant  de 
périls  et  de  travaux  n^aboutissaient  qu'à  ren- 
verser la  République. 

Napoléon  frappa  Moreau.  Les  frondeurs  de 
Tautorité  tremblèrent  ;  quelques-uns  se  tinrent 
àTécart  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long. 
Le  plus  grand  nombre  entra  bon  gré  mal  gré 
dans  le  nouveau  système  :  il  y  avait  place  pour 
tout  le  monde. 

Soult,  Davoust,  Ney  et  d'autres  hommes  ha- 
biles choisis  sur  le  second  plan,  se  dévouèrent 
sans  réserve;  le  champ  illimité  de  Tespérance 
s'ouvrait  devant  eux.  Tout  en  désapprenant 

3' 


Mj  esprit  public 

aux  soldats  les  souvenirs  delà  République,  ils 
s'employèrent  à  donner  une  activité  nouvelle 
à  leurs  passions  guerrières.  L'influence  des 
chefs  et  la  différence  des  positions  avaient  in- 
troduit dans  les  armées  ,  à  travers  la  valeur  et 
le  patriotisme  communs  à  tous ,  des  nuances 
d'opinion  distinctes  ,  surtout  parmi  les  offi- 
ciers. Elles  s'effacèrent  dans  les  baraques  de 
Boulogne  ,  d'Ostende  et  de  Montreuil. 

L'élan  démocratique  des  braves  de  Sambre- 
et-Meuse ,  la  direction  libérale  et  éclairée  de 
l'armée  de  Rhin-et-Moselle  ,  la  turbulence  en- 
vahissante des  vainqueurs  de  l'Italie  ,  se  fon- 
dirent dans  un  sentiment  d'enthousiasme  prêt 
à  devenir  du  fanatisme.  Il  n'y  eut  désormais 
qu'une  armée  et  qu'un  général  ^  les  enfans  de 
la  patrie,  séparés  des  citoyens  ,  furent  les  sol- 
dats 1  non  plus  de  la  République  ,  mais  de 
l'homme  qui  s'était  porte  pour  le  seul  repré- 
sentant de  la  gloire  nationale  :  leurs  bras  vi- 
goureux élevèrent  sur  le  pavois  le  nouveau 
Pharamond,  en  même  temps  que  le  Sénat,  le 


DE    l\rmÉE.  37 

peuple  et  le  souverain  pontife  plaçaient  sur  son 
front  le  diadème  impérial. 

Napoléon  avait  voulu  descendre  en  Angle- 
terre pour  devenir  Tarbitre  de  FEurope;  il  alla, 
dans  Tespoir  de  mettre  FAngleterre  aux  abois , 
combattre  les  puissances  du  continent.  Cette 
marche  inverse  devait  être  plus  lente,  plus  in- 
certaine, et  coûter  plus  de  sang.  Elles^accordait 
avec  les  intérêts  britanniques.  Le  célèbre  Pitt  , 
fatigué  des  efforts  dans  lesquels  sa  nation  se 
consumait  toute  seule  depuis  deux  ans  ,  ne 
cessait  de  prêcher  la  croisade  aux  cabinets 
d^Europe  ,  et  d'offrir  des  subsides  pour  la  faire 
entreprendre. 

Dès  le  printemps  de  Tannée  i8o5,  la  cour 
de  Vienne  arma  et  forma  im  cordon  en  Italie  , 
sous  prétexte  de  garantir  de  la  fièvre  jaune  les 
Etats  héréditaires  :  son  intention  véritable  était 
de  prévenir  et  de  combattre  un  autre  mal  plus 
menaçant  et  plus  pernicieux ,  la  révolution 
française,   devenue  homme  dans  la   personne 


38  CAMPAGNE    dVlTKICHE, 

de  Bonaparte.  A  la  fin  de  Fêté  les  troupes 
autrichiennes  inondèrent  la  Bavière  ;  les  Russes^ 
payés  aussi  par  le  gouvernement  anglais,  mais 
retardés  à  cause  de  la  distance,  suivirent  leurs 
alliés  de  loin  dans  cette  attaque  impétueuse. 

L^empereur  des  Français  n^était  pas  aisé  à 
prendre  au  dépourvu.    Ses   colonnes   accou- 
rurent des  côtes  de  Picardie  et   de  Flandre ,  ' 
de  la  Hollande  ,  du  Hanovre  ,  sur  le  Danube  ; 
il  enleva  dans  Ulm  une  armée  autrichienne  et 
le  fameux  général  Mack.  Ce  fut  Feifet  d'un 
mouvement  stratégique  ,  conçu  avec  une  au- 
dace prévoyante ,  et  exécuté  avec  une  rare 
précision.  Quarante  jours  après,  Farmée  russe 
fut  battue  dans  les  plaines  de  Moravie.  La  ba- 
taille d'Austerlitz  peut  passer  pour  la  plus  sa- 
vante de  Fhistoire  moderne  ,  et  ne  fut  pas  une 
des  moins  décisives.  L'empereur  François  II 
profita  des  forces  que  Farchiduc  Charles  ra- 
menait d'Italie  pour  acheter  la  paix  au  prix 
de  quelques  provinces  cédées.  Le  Czar  rentra 
dans  son  pays  avec  ses  Moscovites. 


EiN   i8o5.  39 

Après  le  traité  de  Presbourg ,  Napoléon 
pouvait  arrêter  la  marche  de  son  char  triom- 
phal. Les  électeurs  et  les  petits  princes  de 
Tempire  germanique,  moitié  par  contrainte, 
moitié  par  calcul  ,  venaient  de  lier  leur  fortune 
à  ce  drapeau  tricolore  ,  naguère  hors  de  la  loi 
européenne.  La  France  avait  acquis  la  supré- 
matie en  Allemagne  ;  son  influence  excessive 
dans  les  Etats  du  Midi  n'était  plus  sujette  à 
contestation.  Il  dépendait  dès-lors  du  chef  de 
la  quatrième  dynastie  de  choisir  une  épouse 
parmi  les  filles  des  rois. 

L'Empereur  envoya  une  armée  à  JNaples. 
C'était  un  acte  de  justes  représailles;  mais  sur 
le  trône  du  souverain  en  fuite  il  plaça  l'aîné 
de  ses  frères,  et  peu  de  temps  après  il  monar- 
chisa  la  Hollande  pour  former  un  apanage  an 
troisième.  La  France  et  l'Europe  durent  s'a- 
larmer de  l'extension  donnée  au  système  im- 
périal :  la  France,  parce  qu'elle  élail  condam- 
née à  verser  son  sang  pour  introniser,  les  tnis 
après  les  autres  ,  les  membres  d'une  famille  (\m 


4o  CAMPAGNE     d'aUïUICHE, 

ne  devait  plus  rester  mêlée  dans  les  rangs  de 
la  société  ;  TEurope ,  parce  que  rétablisse- 
ment de  la  jeune  dynastie  ne  pouvait  être  fait 
qu'aux  dépens  des  anciennes.  L'Italie  que  tour- 
mentent toujours  ses  souvenirs,  supplia  en 
vain  Napoléon  de  la  constituer  en  un  seul  Etat. 
Il  continua  à  faire  déborder  la  France  au-delà 
des  Alpes  et  du  Rhin,  s'inquiétant  peu  de  dé- 
naturer le  caractère  français  par  Tamalgame 
avec  les  mœurs  italiennes  ;  il  ne  s'inquiéta  pas 
non  plus  de  faire  perdre  à  sa  monarchie  cette 
consistance  qui  résulte  d'une  disposition  de  fron- 
tières favorable  à  la  défense  du  pays,  et  en  rap- 
port avec  remplacement  de  la  capitale.  L'em- 
pire germanique  tombait  de  vétusté  ;  il  lui 
donna  le  coup  de  grâce  et  s'établit  sur  ses  dé- 
combres. La  confédération  du  Rhin  fut  une 
cohorte  de  vassaux  susceptible  de  se  grossir  in- 
définiment. 

Sous  le  titre  modeste  de  protecteur ,  Na- 
poléon envahit  l'argent  et  les  soldats  d'une 
•noitié  de  l'Allemagne  ;  ses  armées,  toujours 


EN    i8o5.  4* 

campées  sur  le  territoire ,  menaçaient  Tindé- 
jjendance  de  Tautre  moitié. 

La  Prusse  se  trouva  exposée  au  premier  feu 
du  conquérant.  Dix  ans  de  neutralité  avaient 
fait  prospérer  son  commerce  ;  mais  restant  sta- 
tionnaire,  pendant  que  les  autres  grandissaient 
par  la  victoire  ou  se  retrempaient  par  le  mal- 
heur, elle  avait  cessé  d'être  une  puissance  du 
premier  ordre ,  et  s'en  était  aperçue  trop 
tard.  Tout  était  en  armes  autour  d'elle.  Son 
territoire  avait  été  violé  par  deux  corps  d'ar- 
mée français,  pendant  la  marche  destinée  à 
envelopper  la  forteresse  d'Ulm.  On  n'avait  pas 
écouté  ses  justes  remontrances,  et  de  la  part  de 
Napoléon,  le  mépris  était  précurseur  de  la 
ruine.  Cependant  un  roi  honnête  homme  hési- 
tait à  précipiter  son  pays  dans  une  querelle 
dont  l'issue  pouvait  être  funeste.  Il  délibérait 
encore  avec  ses  conseils ,  quand  la  monarchie 
autrichienne  fut  ébranlée  à  Austerlitz  ,  et 
par  suite  l'empire  d'Allemagne  renversé.  En 


42     CAMPAGNES  DE  J 8o6  ET  DE  iSoj, 

échange  du  margraviat  d^Anspach  et  de  quel- 
ques portions  de  territoire  nécessaires  pour 
arrondir  les  alliés  du  vainqueur ,  Frédéric- 
Guillaume  reçut  le  Hanovre,  dont  les  Fran- 
çais n'avaient  pas  le  droit  de  disposer,  puis- 
qu'il ne  leur  avait  pas  été  cédé  par  un  traité. 
La  politique  timide  du  monarque  prussien  le 
déconsidéra ,  sans  diminuer  les  dangers  de  la 
monarchie.  La  noblesse ,  prenant  à  son  compte 
l'humiliation  nationale,  désira  la  guerre.  Elle 
y  poussa  le  gouvernement  à  peu  près  malgré 
lui.  L'or  des  Anglais  fit  le  reste. 

Cette  guerre  contre  la  Prusse  n'allait  ni  aux 
intérêts  de  la  France  ,  ni  à  l'esprit  de  la  révo- 
lution. Il  ne  s'agissait  plus,  du  moins  en  appa- 
rence ,  de  réprimer  les  tentatives  de  l'Angle- 
terre, ou  de  punir  l'acharnement  de  l'Autri- 
che. On  s'attaquait  à  la  puissance  qui ,  dès 
1795,  avait  reconnu  la  République  ,  et  dont  la 
conduite. depuis  la  paix  de  Baie  n'avait  été  que 
la  longue  et  continuelle  réliWlation  d'une  pre- 
mière  effervescence.    Cependant    Paris  eJ    les 


EN    PRUSSE    ET    EN     POLOGÎNE.  4^ 

provinces  ne  laissèrent  encore  apercevoir 
aucun  indice  de  ce  mécontentement  qui 
éclata  deux  ans  plus  tard  au  sujet  de  Tini- 
quité  plus  révoltante ,  d^où  sortit  la  guerre 
d'Espagne.  Napoléon  profita  de  l'irréflexion 
du  peuple  français  pour  se  faire  pardonner  sa 
gloire . 

La  mémoire  du  grand  Frédéric  avait  cessé 
de  protéger  le  palais  de  Potzdam .  On  avait  en- 
tendu parler  d'un  roi  et  d'une  armée  qui  s'a- 
musaient à  des  manœuvres  de  parade  dans 
les  sables  du  Brandebourg.  On  ne  savait  même 
pas  qu'il  y  eût  là  une  nation.  Les  Parisiens 
n'avaient  pas  oublié  l'insolent  manifeste  du 
duc  de  Brunswick.  Il  s'était  même  conservé  des 
souvenirs  de  la  honte  de  Rosbach.  D'ailleurs, 
nos  armées  n'avaient  pas  repassé  le  Rhin  ;  elles 
étaient  depuis  la  paix  de  Presbourg  en  marches 
et  en  manœuvres  continuelles.  Aux  yeux  d'un 
public  mal  instruit,  l'invasion  de  la  Prusse  se 
présenta  comme  la  continualion  de  la  campa- 
gne d'Autriche. 


'}4  CAMPAGNES    DE     I  8()6    ET    DE     1  807, 

On  vit  alors  le  peu  (jtie  vaut  un  Etat  dé- 
pourvu de  frontières  naturelles  ou  artificielles. 
L^Einpereur  choisit  son  point  de  départ.  La 
bataille  d''Iéna  décida  du  sort  de  la  Prusse , 
moins  à  cause  de  la  supériorité  des  évolutions 
de  tactique  ,  qu'en  raison  de  la  direction  prise 
par  les  colonnes  dans  les  marches  prépara- 
toires. Après  cette  journée  désastreuse  ,  les 
généraux  prussiens  tout  abasourdis  rendirent 
les  places  sans  les  défendre ,  et  la  conquête  du 
pays  parut  être  le  prix  de  la  course. 

Napoléon  fut  pour  les  Prussiens  san-s  géné- 
rosité et  sans  pitié.  H  avait  débuté  dans  son 
entreprise  par  insulter  déloyalement  une  reine 
belle  ,  héroïque  et  malheureuse.  Des  contribu- 
tions et  des  vexations,  imaginées  par  le  génie 
delà  fiscalité,  achevèrent  dans  le  pays  conquis 
ce  que  le  pillage  du  soldat  avait  épargné.  Fré- 
«léric-Guillaume  ne  désespéra  pas  du  salut  de 
la  patrie.  Blessé  au  cœur,  il  se  jeta  tout  san- 
glant dans  les  bras  de  l'empereur  de  Russie. 
Heureux  s'il  eût  pris  un  an  plus  tôt  cette  déter- 


E]N    PRUSSH    ET    EN    POLOGNE.  4^ 

minatioii  tardive ,  et  s^il  eût  trouvé  des  inspi- 
rations sur  le  tombeau  du  héros  de  sa  race  '  ! 

Alexandre  était  descendu  de  nouveau  dans 
l'arène  ,  prêt  à  venger  les  rois  et  à  délivrer  les 
nations.  Les  empires  du  Nord  et  du  Midi  se 
choquèrent  aux  plaines  de  la  Pologne.  Pour 
la  troisième  fois  les  soldats  de  Napoléon  ren- 
contrèrent, non  pas  leurs  maîtres, les  Français 
n'en  ont  pas  dans  l'art  de  la  guerre ,  mais  des 
rivaux  puissans  par  le  nombre ,  par  le  mépris 
de  la  mort  et  par  le  dévouement  religieux  au 
souverain:  qualité  qui  dans  l'enfance  de  la  civi- 
lisation est  aussi  du  patriotisme.  Les  Français 
combattaient  à  quatre  cents  lieues  de  leur  pays 
sur  une  ligne  d'opération  mal  assurée  ;  les 
Russes  appliqués  à  leur  frontière  étaient  à 
portée  des  magasins  ,  du  recrutement ,  des  res- 
sources de  tout  genre  ,  et  ils  avaient  recueilli 

*  L'empereur  de  Russie  passant  à  Berlin,  en  i8o5, 
pendant  que  son  armée  allait  à  la  guerre  d'Autriche,  des- 
cendit avec  le  roi  de  Prusse  dans  le  caveau  où  sont  dé- 
posées les  cendres  du  grand  Frédéric. 


/|()     CAMPAGNES  UE  iSoC)    ET  DE  1807, 

les  débris  de  rarniée  prussienne.  Un  homme 
de  moins  dans  le  monde,  el  la  lulte  eût  été 
prodigieusement  inégale.  Mais  Napoléon  va- 
lait à  lui  seul  cent  mille  hommes.  L^occupation 
de  Varsovie  ne  le  dispensa  pas  d'une  seconde 
campagne, qui  dans  un  autre  siècle  et  avec  un 
autre  général  eût  été  jugée  audacieuse  et  ra- 
pide. Elle  parut  timide  et  lente  aux  Français 
accoutumés  à  des  miracles  que  dVutres  mi- 
racles devaient  toujours  surpasser.  Le  génie 
était  aux  prises  avec  la  force  matérielle  ,  avec 
la  puissance  de  la  nature.  Dans  ce  débat  il  fut 
possible  au  génie  de  triompher.  Le  calcul  ne 
fut  pas  encore  contraint  à  livrer,  comme  plus 
tard ,  un  trop  grand  nombre  de  chances  au 
hasard  ;  les  moyens  pouvaient  encore  être  pro- 
portionnés au  but. 

Les  batailles  de  Pultusk  et  d'Eylau  auraient 
dû  donner  des  révélations  salutaires.  Ce  n*'é- 
tait  pas  des  défaites;  mais  quelle  armée,  quelle 
puissance  pouvait  recommencer  souvent  de 
pareilles  victoires  !  On  avait  presqu' abordé  sur 


EN    PRUSSE    ET    EN     POLOGNE.  4? 

Noii  propre  terrain  ce  colosse  adossé  aux  ex- 
Irémités  du  monde ,  dont  la  prépotence  est  in- 
dépendante de  Tadministration  intérieure  du 
pays  et  des  qualités  personnelles  du  prince. 
On  avait  pu  déjà  prévoir  avec  effroi  qu^il  était 
destiné  à  dévorer  PEurope  si  TEurope  ne 
réussit  pas  à  Taffaiblir  et  à  le  démolir  par  Fin- 
Hltration  de  ses  mœurs.  Napoléon  s^avisa  pour- 
tant qu'il  fallait  faire  une  halte  avant  d'aller  à 
Moscou.  La  bataille  de  Friedland  lui  servit  à 
conquérir  l'entrevue  de  Tilsit. 

Sur  un  champ  de  bataille,  le  dévouement  des 
chefs ,  le  courage  des  soldats ,  mille  circons- 
tances impossibles  à  prévoir ,  déconcertent  à 
chaque  instant  le  talent  du  général,  et  le  profit 
ne  revient  pas  toujours  au  plus  habile.  Dans 
un  combat  singulier  ,  où  l'esprit  est  l'arme 
qu'on  emploie ,  Napoléon  était  assuré  d'arriver 
à  ses  fins  ;  sa  conversation  renfermait  une  sé- 
duction inexprimable ,  et  nous  ne  connaissons 
pas  d'homme  qui  ait  possédé  au  même  degré 


48  PAIX 

que  lui  le  secret  de  pénétrer  dans  les  cœurs 
de  ceux  qui  récoutaient.  Le  Czar  tomba  sous 
le  charme.  La  peinture  vraie  et  animée  des 
prétentions  anti-sociales  de  TAngleterre  exalta 
l'ame  de  ce  prince;  après  huit  jours  em- 
ployés à  des  épanchemens  et  à  l'échange  de 
soins  mutuels ,  les  deux  empereurs  se  sépa- 
rèrent sur  le  Niémen  ,  Napoléon  disant  et 
Alexandre  croyant  qu*'ils  seraient  toujours  unis 
pour  la  paix  et  pour  la  guerre. 

Desarrangemens  de  Tilsit  sortirent  l'ébauche 
de  la  Pologne  et  l'érection  d'un  royaume  en 
Westphalie  pour  Jérôme  Bonaparte.  La  France 
n'y  eut  d'autre  avantage  que  l'interruption  mo- 
mentanée des  hostilités  sur  terre.  Le  traité  de 
Presbourg,  en  i8o5  ,  avait  relégué  loin  de  nos 
frontières  l'Autriche  ,  la  Prusse  et  la  Russie. 
Pour  conserver  la  paix  il  n'y  avait  qu'à  s'y 
tenir.  Par  le  traité  de  1807  la  France  se  re- 
trouva en  contact  avec  toutes  les  puissances 
guerrières.  Ainsi  les  succès  des  deux  der- 
nières années  avaient  en  réalité  empiré  sa  si- 


UE     TILSIT.  49 

tuation.  Plus  que  jamais  la  question  se  com- 
pliqua et  devint  indécise.    Napoléon  pouvait 
difficilement  s'arrêter.    Il  s'était   avancé   trop^ 
pour  le  bonheur  de  son  pays  ,  trop  peu  pour 
Faccomplissement  de  sa  politique. 

En  effet  les  condescendances  ,  par  lesquelles  il 
aVait  payé  Pamitié  d'Alexandre,  pouvaient  être 
considérées  comme  autant  de  pas  rétrogrades. 
Après  avoir  promis  à  ces  vaillans  Polonais,  nos 
amis  à  la  vie  et  à  la  mort ,  la  restauration  de 
leur  république  ,  ils  n'eurent  qu'une  pierre 
d'attente  dans  la  création  du  grand  duché  de 
Varsovie.  Le  parti  pris  avec  la  maison  de 
Brandebourg  ,  fut  encore  plus  incomplet  et 
plus  fécond  en  disgrâces. 

Napoléon  se  crut  assez  fort  pour  pardonner 
le  mal  qu'il  avait  fait.  L'intervention  d'un  allié 
puissant  et  fidèle  valut  à  Frédéric-Guillaume 
la  conservation  de  sa  couronne.  Renfermant  en 
son  ame  le  désir  de  la  vengeance  ,  il  régna 
dans  un  royaume  morcelé ,  dévasté  ,  occupé 
par  des  troupes  étrangères. 

TOME  1.  A 


30  PMX 

La  plus  grande  humiliation  pour  unroinVst 
pas  (Vélre  vaincu,  c'est  cFêlre  le  complice  du 
vainqueur.  Frédéric-Guillaume  avait  combaltii 
à  la  tête  de  ses  soldats  ;  il  fut  opprimé  avec  ses 
sujets.  Compagnon  des  siens  dans  la  bonne  et 
dans  la  mauvaise  fortune ,  la  nation  ne  lui  re- 
procha pas  son  malheur.  Elle  en  accusa  des  ins- 
titutions vieillies  ,  des  préjugés  invétérés  et  une 
politicpie  rétrécie.  Les  idées  démocratiques 
germèrent  sur  les  décombres  qu'avait  amon- 
celés la  conquête.  Il  se  forma  dans  le  nord  de 
l'Allemagne  une  sainte  alliance  entre  les  peu- 
ples tyrannisés  par  le  vainqueur,  et  les  hommes 
vertueux  qui  travaillaient  dans  Pombre  à  rele- 
ver la  dignité  morale  de  leur  patrie  et  de 
l'humanité  I  La  jeunesse  éclairée  des  imiversi- 
tés  ,  les  ministres  de  la  religion  ,  les  militaires 
retirés  du  service  accoururent  en  foule  dans 
des  sociétés  secrètes,  où  se  conserva  le  feu  sacré 
de  Tamour  de  la  patrie.  Celte  puissance  ina- 
perçue devait  être  bientôt  plus  formidable  que 
les  canons    et    les    baïonnettes.   De- là  sortit 


DE    TILSIT.  5l 

rindépendance ,  peut-être  un  jour  la  liberté 
de  rAllemagne. 

Le  produit  net  de  la  victoire  n'était  pas  pro- 
portionné aux  efforts  qu'elle  avait  coûtés ,  et 
Pempereur  des  Français  n'aurait  pas ,  à  Tilsit, 
caressé  avec  une  délicatesse  si  recherchée  le 
prince  qu'il  appelait  son  grand  ami ,  s'il  n'a- 
vait pas  eu  besoin  de  l'assistance  du  gouverne- 
ment russe  pour  la  réussite  de  ses  projets  ulté- 
rieurs. Rien  n'était  achevé  sur  le  continent , 
tant  que  la  puissance  de  la  Grande-Bretagne 
demeurait  intacte.  La  destruction  des  flottilles 
et  des  escadres  ne  permettait  plus  de  penser  à 
presser  les  Anglais  corps  à  corps.  Napoléon  es- 
saya contre  eux  ime  agression  d'un  genre  dif- 
férent. 

Nous  aurons  plus  tard  l'occasion  de  déve- 
lopper le  principe  et  les  conséquences  du  sys- 
tème continental.  Ce  fut  cette  vaste  conception 
politique  qui  servit  de  prétexte  à  l'invasion  de 
la  péninsule  espagnole.  Nous  allons  dire  quelle 
était   alors  la  force   de  l'armée  française,  et 

4* 


52  SITUATION    DE    L^RMEE    FRANÇAISE 

comment  elle  s^élevait  au-dessus  des  troupes 
mécaniques  de  l'Allemagne,  autant  qu'elle  sur- 
passait en  discipline  et  en  science  l'armée  de 
l'ancienne  monarchie,  formée  de  populace  et 
de  noblesse.  Nous  l'étudierons  dans  sa  forma- 
tion et  dans  ses  mœurs.  Pour  mieux  faire  sen- 
tir les  modifications  que  lui  avaient ,  à  cette 
époque  ,  fait  subir  le  gouvernement  d'un  seul 
et  l'habitude  de  la  conquête  ,  il  nous  arrivera 
souvent  de  porter  nos  regards  en  avant  de 
l'époque  précise  qui  sert  de  point  de  départ  h 
l'Histoire  que  nous  avons  entrepris  d'écrire. 

L'Empereur  entretenait ,  à  la  fin  de  l'année 
1807,  six  cent  vingt  mille  soldats  à  pied  et  à 
cheval ,  savoir  :  trois  cent  quatre-vingt  mille 
d'infanterie ,  et  soixarite-dix  de  cavalerie ,  dis- 
tribués dans  quatre  cent  dix-sept  bataillons  et 
trois  cent  cinquante-trois  escadrons  nationaux; 
trente-deux  mille  Suisses  ,  Allemands  ,  Irlan- 
dais ,  Hanovriens  à  la  solde  de  France  ;  qua- 
rante-six mille  hommes  employés  pour  le  ser- 


EN   1807.  53 

vice  actif  de  rartillerie  et  du  génie,  et  quatre- 
vingt-douze  mille  composant  sous  les  noms  de 
gendarmerie  ,  demi-brigade  de  vétérans  ,  com- 
pagnies de  réserve  ,  canonniers  garde-côtes  , 
une  armée  intérieure  afiectée  spécialement  à  la 
police  et  à  la  protection  du  territoire.  Il  dispo- 
sait en  outre  des  forces  militaires  du  royaume 
d'Italie ,  de  Naples  de  FEspagne ,  de  la  Hol- 
lande ,  du  grand  duché  de  Varsovie ,  et  des 
Etats  de  la  confédération  du  Rhin.  Alliés  de  la 
veille,  alliés  depuis  cent  ans ,  tous,  quelle  que 
fût  la  différence  des  affections ,  étaient  mus  par 
une  seule  intelligence  vers  un  seul  et  même 
but. 

La  République  et  la  guerre  avaient  façonné 
pour  Napoléon  les  généraux  les  plus  capables, 
les  officiers  les  plus  dévoués,  les  soldats  les  plus 
valeureux.  Ce  n^était  pas  comme  autrefois  le 
trop  plein  des  cités  que  des  recruteurs  plongés 
dans  la  débauche  enlevaient  avec  astuce  pour 
le  répandre  dans  les  régimens.  C'était  la  fleur 


54  CONSCRIPTION 

de  la  population,  c'était  le  plus  pur  sang  de  la 
France.  Pendant  les  huit  premières  années  de  la 
révolution,  renrôlement,  Fappel  des  bataillons 
de  volontaires,  les  levées  partielles  et  la  grande 
réquisition  versèrent  plus  d'un  million  d'hom- 
mes dans  les  camps.  En  1798,  la  loi  de  la  cons- 
cription fut  portée  pour  être  dans  les  siècles 
le  palladium  de  notre  indépendance  :  loi  excel- 
lente quand  même  elle  ne  serait  pas  nécessaire, 
parce  qu'en  mettant  la  nation  dans  l'armée,  et 
l'armée  dans  la  nation,  elle  fournit  à  la  défense 
des  ressources  inépuisables.  Les  jeunes  hom- 
mes de  l'âge  de  vingt  à  vingt-cinq  ans  durent 
être  encadrés  nominativement  dans  les  corps 
militaires ,  non  pas  pour  aller  tous  et  toujours 
dans  les  camps  et  les  casernes ,  se  déshabituer 
du  travail  des  mains  ou  de  l'exercice  des  facul- 
tés intellectuelles,  mais  pour  être  appelés  à  la 
défense  du  pays  à  mesure  des  besoins  et  sous 
la  condition  de  ne  demeurer  que  quatre  ans 
hors  de  leurs  foyers  ,  sauf  telles  circonstances 
extraordinaires,  de  l'urgence  desquelles  la  re- 


iMlLITAlRL.  ■>  > 

présentation  nationale  serait  seule  juge.  A  la 
suite  des  malheurs  de  la  campagne  de  17991 
les  conseils  législatifs  mirent  à  la  disposition 
du  Directoire  exécutif  les  cinq  classes  entières 
de  la  conscription ,  qui  montaient  à  près  de 
cinq  cent  mille  hommes ,  indépendamment  de 
plus  de  deux  cent  mille  soldats  aguerris  qui 
restaient  encore  sous  les  drapeaux. 

Ainsi,  en  arrivant  au  pouvoir,  Bonaparte 
eut  à  exploiter  une  mine  de  soldats  qui  excé- 
dait de  beaucoup  les  moyens  de  recrutement 
des  autres  puissances  belligérantes.  LMmpopu- 
larité  de  la  mesure  ne  lui  appartenait  pas ,  et  il 
en  recueillit  les  premiers  fruits  en  portant  dans 
Tadministration  de  la  conscription  le  même  es- 
prit d''ordre  qu^il  déployait  alors  dans  les  autres 
parties  du  gouvernement.  En  permettani  aux 
conscrits  de  se  faire  remplacer,  on  reprit  la 
plupart  des  vieux  soldats  qui  avaient  quitté  le 
service.  Cétait  autant  de  gagné  pour  Tarmée , 
et  d^épargné  pour  Tagriculture  et  les  arts.  Les 
levées  furent  confiées  à  des  autorités  mi-parties 


56  CONSCRIPTION 

civiles  et  militaires,  divisées  en  reciutenieiit 
immédiat  et  en  réserve.  La  réserve  devait  être 
une  espèce  de  milice ,  tcmjours  prête  à  remplir 
les  cadres. 

Depuis  le  18  brumaire  jusqu''en  i8o5,  on  ne 
demanda  que  deux  cent  vingt  mille  hommes  à 
la  nation ,  pas  tout-à-fait  la  sept  centième  par- 
tie de  la  population  par  an  :  nombre  modéré 
quant  aux  besoins ,  puisquMl  fallait  compléter 
Farmée  appauvrie  par  les  congés  absolus  et 
par  les  expéditions  coloniales. 

L'abus  de  la  conscription  commença  avec  le 
renouvellement  des  hostilités  sur  le  continent. 
L**agression  de  l'Autriche  avait  déroulé  un 
long  avenir  devant  Napoléon.  Il  put  augmen- 
ter à  sa  fantaisie  des  armées  destinées  à  vivre 
aux  dépens  de  l'étranger.  La  disposition  légis- 
lative qui  fixait  à  quatre  années  la  durée  du 
service  régulier  des  conscrits ,  fut  comme  non 
avenue  ;  on  entra  dans  le  service  militaire  pour 
n'en  plus  sortir  vivant  ;  les  réserves  n'eurent 
qu'un  moment  d'existence,  et  les  jeunes  gens 


MILITAIRE.  57 

furent  conduits  à  la  guerre  anssitôt  que  dési- 
gnés. Ceux  même  à  qui  s'appliquaient  des 
exemptions  légales  demeuraient  débiteurs  de 
leur  sang  envers  la  patrie,  non-seulement  jus- 
qu*'à  Tàge  de  vingt-cinq  ans,  mais  tant  qu''ils 
n''étaient  pas  libérés  par  un  acte  formel  du 
pouvoir.  Le  vote  des  levées  annuelles  passa  du 
Corps  législatif  au  Sénat.  Un  conseiller  d''Etat 
fut  préposé  à  la  direction  de  la  conscription  : 
et  ce  ne  fut  pas  le  moins  important  des  dé- 
partemens  ministériels,  que  celui  d^qjpro vi- 
sionner Tantre  du  lion.  Des  colonnes  mobiles 
parcoururent  le  territoire  de  la  France ,  et  con- 
traignirent ,  Tépée  à  la  main ,  la  nation  à  de- 
venir conquérante.  Il  fallut  établir  une  légis- 
lation d^exception  pour  une  foule  de  délits  nés 
d\ine  tyrannie  nouvelle.  Cette  tyrannie  ,  rude 
contre  les  personnes,  était  aussi  fiscale  tant 
par  la  nature  des  peines  qu'en  raison  des  som- 
mes énormes  que  coûtaient  les  remplacemens. 
La  limite  de  vingt  à  vingt-cinq  ans,  établiepar 
la  loi  fondamentale,  ne  suffit  pas  long-temps 


^^  COiNSCRIPTIO^ 

à  la  consommation  de  Tespèce.  Le  gouverne- 
ment recula  dans  le  passé ,  et  anticipa  sur  Ta- 
venir.  Accouplant  ensemble  la  ruse  qui  dé- 
considère et  la  force  qui  fait  haïr,  il  imagina  , 
pour  tromper  le  peuple  ,  des  appellations  inu- 
sitées. Tantôt  des  légions ,  dites  de  réser^fe , 
étaient  créées  pour  une  destination  spéciale  , 
et  à  peine  formées  on  les  transportait  à  une 
autre.  Tantôt  on  faisait  des  appels  de  volon- 
I  aires  ,  comme  si  le  mot  seul  n^eût  pas  été  une 
dérision.  Les  citoyens  mariés  et  livrés  aux  tra- 
vaux utiles  étaient  requis  et  dépaysés  sous  le 
nom  àer^ardes  nationales  en  actwité.  On  leur- 
rait les  jeunes  soldats  en  les  formant  en  régi- 
mens  adjoints  à  la  garde  impériale ,  sans  en 
partager  les  prérogatives.  Les  conscrits  échap- 
pés au  service  à  prix  d'argent,  furent  repris 
plus  tard  dans  les  gardes-dlionneur ,  dans  les 
bans  et  les  arrière-bans.  Désormais ,  pour  un 
Français,  la  mort  naturelle  était  celle  qu'on 
trouvait  au  champ  d'honneui-.  On  en  vint  jus- 
qu'à demander  onze  cent  mille  soldats  en  une 


MILITAIRE.  ag 

seule  année ,  à  la  population  épuisée  par  trois 
mille  combats  et  batailles. 

Le  nombre  des  gens  de  guerre  contribue 
à  la  puissance  des  Etats  moins  peut-être  que 
l'esprit  qui  les  anime.  Le  mot  discipline  se 
prend  en  deux  sens  différens  :  la  discipline  ap- 
prend à  subordonner  sa  volonté  à  la  volonté 
du  chef  qui  pourvoit  aux  besoins  de  tous;  elle 
transforme  en  un  mouvement  réfléchi,  calculé 
et  enseigné  par  Texpérience  et  la  pratique 
au  soldat  vétéran ,  cet  instinct  qui  porte  le 
conscrit  à  se  serrer  dans  le  rang ,  pour  ajou- 
ter à  sa  force  la  force  de  son  camarade.  Plus 
Farmée  a  combattu,  plus  elle  est  accoutumée 
à  vaincre,  plus  elle  est  attentive  à  la  voix  du 
commandement;  nos  vieilles  bandes  frémis- 
saient d\in  saint  respect  à  la  vue  des  aigles  de 
la  légion. 

On  nomme  aussi  discipline  la  règle  qui 
prescrit  de  respecter  les  usages ,  les  proprié- 
tés, les  personnes  dans  les  pays  qui  servent 


6o  MOEURS    ET    HABITUDES 

de  champ  de  bataille.  Cest  un  droit  des  gens 
établi  sur  des  conventions  expresses  ou  tacites, 
que  les  peuples  civilisés  ont  faites  pour  adou- 
cir un  fléau  terrible  à  rhumanité.  Cette  disci- 
pline est  excellente  à  recommander  sous  le 
point  de  vue  moral ,  et  même  dans  Tintérêt 
bien  entendu  des  armées.  Pourtant  elle  n''est 
pas  dans  la  nature  de  la  guerre.  S''il  eût  imposé 
strictement  cette  discipline  à  ses  soldats ,  Na- 
poléon eût  manqué  la  destinée  qu^il  voulait 
accomplir. 

Les  Romains  ,  conquérant  pied  à  pied  ,  sac- 
cageaient avec  méthode.  Le  butin  de  chacun 
était  apporté  à  une  masse  commune  pour  être 
ensuite  distribué  régulièrement.  Hors  du  pil- 
lage et  du  meurtre  prescrits  par  les  chefs,  la 
discipline  s'appliquait  à  briser  les  passions  in- 
dividuelles. Nous  lisons  dans  les  anciens  histo- 
riens ,  que  les  soldats  de  Caton  redoutaient  la 
hache  du  licteur  plus  que  Tépée  des  Espa- 
gnols. 

Quand  ,  en  1793  ,    la  France  eut  à  se  dé- 


DE    L^RMÉE.  6l 

battre  contre  la  coalition  européenne,  Tins- 
tinct  national  sépara  la  cause  des  peuples  de 
celle  des  rois  ;  on  avait  voulu  nous  donner 
pour  cri  de  guerre  :  Paix  aux  chaumières  ! 
guerre  aux  châteaux!  mais  le  manoir  du  sei- 
gneur était  à  Tabri  de  la  licence  des  armes  au- 
tant que  la  cabane  du  berger.  Les  vieux  sol- 
dats se  sont  souvenus  long-temps  des  repré- 
sentans  du  peuple ,  Saint-Just  et  Lebas ,  qui 
tirent  fusiller  des  volontaires  ,  pendant  la 
campagne  de  1794^  pour  avoir  pris  des  œufs 
dans  la  basse-cour  d'un  paysan  brabançon. 
Un  an  plus  tard ,  la  brigade  de  Latour-d' Au- 
vergne ,  que  les  Espagnols  avaient  surnom- 
mée la  colonne  infernale  ^  à  cause  de  Teffroi 
qu'elle  leur  inspirait  sur  le  cbamp  de  bataille, 
campait  en  Biscaye  dans  des  vergers  plantés 
de  cerisiers,  et  les  grenadiers  n'osaient  pas 
cueillir  les  cerises  aux  branches  qui  pendaient 
sur  leurs  tentes. 

L'œuvre  que  les  Romains  avaient  laborieu- 
sement achevée  en  cinq  cents  ans ,  Napoléon 


6'2  MOEURS    ET    HABITUDES 

essaya  de  raccomplir  à  lui  seul  et  avec  une 
seule  génération.  Il  voulut  ravir  en  courant 
la  conquête  du  monde  ;  son  secret  était  d'*arri- 
\  er  vite  encore  plus  que  de  frapper  fort.  Pro- 
fond dans  Tart  d^émouvoir  les  imaginations,  le 
jour  où  on  ne  le  croirait  plus  sur  parole,  son  as- 
tre devait  pâlir  dans  sa  course.  Cette  terreur  de 
son  nom  ,  qui  paralysa  long-temps  le  courage 
des  ennemis ,  il  la  commandait  par  des  mar- 
ches glorieusement  rapides.  Dès-lors  plus  de 
magasins  échelonnés  sur  des  lignes  d'opéra- 
tion imprévues ,  plus  de  convois  de  vivres  or- 
ganisés dans  des  directions  continuellement 
variables,  et  le  moins  possible  de  ces  lourds 
bagages  ,  si  bien  nommés  par  les  anciens  im- 
pedimenta. Ainsi  que  la  neige  précipitée  des 
sommets  des  Alpes  dans  les  vallons ,  nos  ar- 
mées innombrables  détruisaient  en  quelques 
heures ,  par  leur  seul  passage ,  les  ressources 
de  toute  une  contrée.  Elles  bivouaquaient  ha- 
bituellement ,  et  à  chaque  gîte  nos  soldats 
démolissaient  des  maisons   bâties   depuis    un 


DE    i/aRMÉE.  6'S 

demi-siècle  ,  pour  construire  avec  les  décom- 
bres ces  longs  villages  alignés  qui  souvent  ne 
devaient  durer  qu\in  jour.  Au  défaut  du 
l)ois  des  forets ,  les  arbres  fruitiers ,  les  vé- 
gétaux précieux  ,  comme  le  mûrier ,  Folivier , 
l'oranger,  servaient  à  les  réchauffer.  Celui-là 
serait  mort  de  faim,  qui  aurait  attendu  pour 
manger  que  Tadininistration  de  Tarmée  lui  fit 
distribuer  la  ration  de  pain  et  de  viande.  Les 
jeunes  conscrits ,  transportés  par  un  pouvoir 
magique  du  foyer  paternel  aux  extrémités  de 
l'Europe,  mêlés  tout-à-coup  avec  les  hommes 
de  toutes  les  contrées ,  et  irrités  à  la  fois  par 
le  besoin  et  par  le  danger ,  contractaient  une 
ivresse  morale  dont  nous  ne  cherchions  pas  à 
les  guérir ,  car  elle  les  empêchait  de  succom- 
ber à  des  fatigues  inouies.  Nous  les  avons  vus, 
dans  Fàge  où  le  corps  n'a  pas  encore  acquis 
son  entier  développement ,  dévorés  par  le  so- 
leil en  été ,  ayant  la  neige  pour  lit  en  hiver  , 
faisant  des  marches  sans  souliers  à  travers  les 
marais  de  la  Pologne  ou  au  milieu  des  pointes 


G4  MOEURS    ET    HABITUDES 

de  rochers  des  Alpes  et  des  Pyrénées,  réduitjj 
à  arracher  au  laboureur  la  frugale  nourri- 
ture de  ses  enfans.  Plus  d'une  fois  il  a  fallu , 
nous ,  leurs  généraux  et  leurs  pères ,  fermer 
les  yeux  sur  les  souffrances  des  habitans  pour 
conserver  la  vie  de  ces  jeunes  Français  qui 
devaient  la  sacrifier  avec  plus  d''utilité  pour 
la  patrie.  «  Il  faut  que  mes  soldats  vivent,  » 
répondait  le  maréchal  de  Turenne  ,  dans  des 
circonstances  moins  difficiles ,  aux  plaintes  que 
lui  portait  l'intendant  de  Lorraine  contre  le 
pillage  de  Tarmée.  Et  Turenne  n'est  pas  le 
seul  que  les  nécessités  de  la  guerre  aient  forcé 
à  tenir  ce  langage  ;  on  pourrait  citer  chez  tou- 
tes les  nations  modernes ,  et  à  toutes  les  épo- 
ques ,  des  généraux  illustres  qui  ont  manifesté 
autant  d'indulgence  pour  la  maraude  que  d'a- 
version pour  les  concussions  clandestines,  dont 
l'humanité  gémit  sans  que  lé  soldat  en  profite. 
Ce  désordre  étant  reconnu  inévitable  ,  il 
n'a  pas  toujours  été  possible  d'en  fixer  la  durée 
et  la  limite  ;  il  s'est  attaché  à  la  guerre  d'en- 


DE    l\r31Ée.  65 

valîissemeiit  comme  une  plaie  dévorante.  Ce 
fléau  est  devenu  plus  terrible  encore  lorsque 
des  passions  exaltées  ont  mis  les  armes  à  la 
main  de  ceux  que  la  condition  de  leur  vie 
n^appelait  pas  à  les  porter.  Malheur,  alors  , 
trois  fois  malheur  au  sol  que  foulait  le  char 
de  la  victoire  !  La  guerre  d^armée  à  peuple  par- 
ticipe de  la  nature  des  guerres  civiles  ;  et  Ton  j 
commet  de  part  et  d"* autre  des  crimes  qui  n^ins- 
pirent  ni  dégoût  ni  horreur.  Nos  soldats,  tou- 
jours généreux  dans  leurs  relations  avec  les 
guerriers ,  furent  amenés  à  être  inexorables  en- 
vers le  patriote  armé  pour  défendre  les  fruits 
de  son  jardin  ou  Fhonneur  de  sa  fille;  le  fer  ca- 
ché sous  riiabit  de  travail  leur  sembla  le  poi- 
gnard d'*un  assassin  déguisé.  Les  relations 
militaires  ne  présentèrent  plus  qu'une  san- 
glante série  de  villages  saccagés  et  de  villes 
emportées  d'assaut  ;  et  s'il  arrivait  que  les  mi- 
nistres d'un  Dieu  de  paix  se  transformassent  en 
chefs  d'insurrection  et  de  guerre ,  on  ne  pou- 
vait plus   malheureusement  s'étonner  de  voir 

TOME  1.  5 


6G  MOEURS    ET    HABITUDES 

de  jeunes  soldats  accoutumés  aux  pratiques  re- 
ligieuses, sortir  de  leurs  premières  habitudes, 
et  violer  les  couvens,  les  églises  ,  et  jusqu'à 
Tasile  des  tombeaux. 

L'Europe  dira  qu'au  milieu  de  ce  délire  les 
ennemis  qui  nous  étaient  opposés,  et  surtout 
les  étrangers  qui  combattaient  sous  nos  ban- 
nières ,  ont  surpassé  nos  Français  en  férocité. 
Elle  se  souviendra  long-temps  de  la  rudesse  sau- 
vage des  Polonais,  de  l'exaltation  des  Italiens, 
de  la  brutalité  des  Allemands.  Les  Français  au 
moins  sont  d'une  humeur  sociable;  ils  ont  le 
cœur  ouvert  et  portent  joyeusement  la  vie. 
Quand  le  tumulte  des  batailles  était  apaisé ,  ils 
revenaient  se  faire  aimer,  un  à  im  ,  aux  mê- 
mes lieux  où  ils  s'étaient  fait  détester  en  masse. 
Compagnons  du  paysan ,  et  prompts  à  enten- 
dre son  langage ,  on  les  voyait  reprendre  de 
gaieté  de  cœur  les  travaux  rustiques,  et  s'éver- 
tuer à  réparer  les  ravages  de  la  guerre.  Le 
uouvel  hôte  tenait  lieu  ,  au  père  et  à  la  mère  , 
de  leurhls  absent;  c'était  pendant  la  durée  du 


T^ome  J"".  J~'a/fe  6'. 


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DE    L^RMÉE.  6y 

quartier  d'hiver  un  enfant  de  plus  dans  la 
maison.  Le  voyageur  qui  parcourt  aujour- 
d'hui les  contrées  où  nos  armées  françaises 
portèrent  le  fer  et  la  flamme ,  s'attend  à  un 
concert  d'exécration  contre  les  bandes  dévas- 
tatrices; il  entend  à  chaque  pas  célébrer  avec 
l'accent  de  la  reconnaissance  les  noms  de  quel- 
ques bons  Français,  qui  furent  ingénieux  dans 
leur  respect  pour  les  droits  du  malheur. 

Nos  officiers  des  régimens,  et  surtout  ceux 
de  l'infanterie ,  resplendissaient  de  pureté  et 
de  gloire.  Vaillans  comme  Dunois  et  Lahire  , 
sobres  et  durs  à  la  fatigue ,  parce  qu'ils  étaient 
les  fils  du  laboureur  et  de  l'artisan,  ils  mar- 
chaient à  pied  à  la  tête  des  compagnies,  et 
couraient  les  premiers  au  combat  et  sur  la  brè- 
che. Leur  existence  était  tissue  de  privations, 
car  l'administration  militaire  ne  pouvait  pas 
toujours  fournir  à  leurs  besoins,  et  ils  eussent 
cru  s'avilir  en  prenant  part  au  pillage ,  tant  ils 
avaient  le  cœur  haut  placé  !  Etrangers  aux 
jouissances  d'amour-propre  de  Tofficier-géné- 


os  MOEURS    ET    HABITUDES 

rai ,  exempts  de  Tivressc  du  soldat ,  ces  mar- 
tyrs du  patriotisme  vivaient  de  cette  vie  morale 
(jui  se  consmne  dans  la  résignation  du  devoir. 
Une  mort  à  peu  près  certaine  les  attendait  loin 
de  la  patrie,  et  le  nom  de  la  plupart  d'entre 
eux  devait  rester  ignoré.  Que  de  beaux  carac- 
tères dans  une  classe  qu'on  ne  louera  jamais 
assez.  Oh!  nos  ennemis  Tout  mieux  appréciée 
que  nous  ;  ils  ont  connu  que  là  étaient  Thon- 
neur  et  le  bouclier  de  la  France.  Vainqueurs, 
leur  premier  soin  a  été  de  le  lui  arracher  et 
d'exiger  la  dissolution  de  Farmée  nationale. 

Les  étrangers  et  leurs  alliés  de  France  ont 
complaisamment  répété  les  déprédations  exer- 
cées sur  les  vaincus  par  un  petit  nombre  de 
chefs  militaires.  Pendant  les  premières  années 
de  la  République,  les  généraux  français  ont 
fait  la  guerre  avec  l'austérité  et  la  modération 
qui  convenaient  à  la  noble  cause  pour  laquelle 
ils  avaient  pris  les  armes.  La  paie  était  alors  de 
huit  francs  par  mois  pour  les  hauts  grades .  On  ne 
mangeait  à  la  table  du  quartier-général  d'autre 


DE    l\rmÉe.  69 

pain  que  le  pain  du  soldat,  et  d'autre  viande 
que  la  viande  de  distribution. 

La  conquête  de  Tltalie  changea  les  mœurs  de 
la  tête  de  Tarmée.  Ce  ne  fut  pas  seulement  en 
mettant  les  habitudes  modestes  des  vainqueurs 
en  continuel  contact  avec  Topulence  et  le  luxe 
des  vaincus.  LMiomme  qui  voulait  se  faire  roi 
avaitbesoin  de  placer  ses  camarades  dans  sa  dé- 
pendance. Or,  on  enchaîne  les  hommes  par  leurs 
vices  ,  et,  quand  ils  n^en  ont  pas,  il  faut  leur 
en  donner.  Le  voilà  donc  allumant  la  soif  de 
l'or,  et,  pour  Fempêcher  de  s'éteindre,  donnant 
l'exemple  des  profusions  du  luxe.  Cette  combi- 
naison tacite  de  la  part  du  «énéral  en  chef 
Bonaparte  devint,  au  temps  du  consulat  et  de 
l'Empire,  un  système  avoué.  Napoléon  exigea 
que  les  hommes  appelés  à  vivre  sur  les  mar- 
ches du  trône  contractassent  des  habitudes  fas- 
tueuses en  harmonie  avec  leur  situation  élevée. 
Plus  d'une  fois  il  leur  conHa  des  missions  où  il 
leur  prescrivait  de  s'enrichir  par  des  moyens 
qui ,  dans  les  guerres  anciennes ,  avaient  eu 


yo  MOEURS    ET    HABITUDES 

pour  eux  Tautorité  de  grands  noms  et  de  grands 
exemples  ' .  Cependant  Timmense  majorité  par- 
mi nos  chefs  supérieurs  a  rejeté  avec  mépris 
des  richesses  qui ,  après  tout ,  ne  sont  que  des 
dépouilles.  Plus  de  cinq  cents  officiers-géné- 
raux ont  eu  Foccasion  de  répéter  le  refus  de  ce 
général  de  la  vieille  monarchie ,  qui  ne  rece- 
vait de  présens  que  du  roi  son  maître.  L''his- 
toire  a  célébré  le  désintéressement  de  Bayard, 
qui  convertit  en  une  dot  pour  la  fille  de  Bres- 
cia  la  bourse  remplie  d''or  qu\in  père  effrayé 
étalait  devant  le  vainqueur.  Nous  ne  connais- 
sons pas  un  seul  de  nos  officiers  ,  de  ces  braves 
gens  à  Fhabit  usé  et  à  la  chaussure  percée  ,  qui 
n'eût  fait  en  pareille  circonstance  autant  que  le 
Chevalier  sans  peur  et  sans  reproche. 

Notre  puissance  a  passé  ,  et  les  faits  parlent. 

'  Les  généraux  du  siècle  do  Louis  XIV  ('taieiit  dans 
l'usage  de  faire  payer  les  sauve-gardes  qu'ils  accordaient 
pendant  la  guerre.  Villars  se  vantait  de  n'avoir  jamais 
rien  pris  qu'à  l'ennemi.  Le  pavillon  d'Hanovre  est  un 
témoigaage  qu'il  en  était  de  même  sous  Louis  X-V- 


DE    LAU31EE.  yl 

Les  gouverneurs  des  royaumes  et  des  provin- 
ces envahis  sont  rentrés  dans  les  rangs  des  ci- 
toyens. Où  sont  les  champs  acquis  et  les  palais 
cimentés  avec  les  larmes  des  nations  ?  Peu  d"'en- 
tre  eux  possèdent  un  asile  où  reposer  leur  tête. 
L^avoir  des  autres  se  compose  de  ce  qui  leur 
reste  de  largesses  accordées  sans  mesure  pour 
récompenser  des  services  rendus  avec  un  cou- 
rage et  un  dévouement  aussi  sans  mesure. 
Qu'ails  viennent  donc ,  les  détracteurs  intéressés 
de  rhonneur  national,  et  quMls  disent  dans 
quel  pays,  après  une  guerre  si  longue  et  si 
chanceuse,  avec  une  absence  totale  de  contrôle, 
sous  Finfluence  d'un  maître  indulgent  par  na- 
ture ,  et  corrupteur  par  calcul ,  on  eût  trouvé 
si  peu  de  Verres  et  tant  de  Curius. 

Le  régime  de  la  terreur  pesa  sur  les  militai- 
res encore  plus  que  sur  les  citoyens.  Nos  chefs 
furent  décimés  par  la  hache  du  bourreau. 
Quand  les  uns  tombaient ,  les  autres  se  ser- 
raient pour  remplir  la  trouée,  ainsi  qu"'il  arrive 
dans  les  bataillons  où  des  liles  sont  emportées 


72  EXERCICE    DU    POUVOIR 

par  le  boulet  de  reniiemi.  On  atFrontaît  sans 
crainte  les  hasards  d'une  responsabilité  ef- 
froyable ;  la  vie  et  la  réputation  ,  tout  était  sa- 
crifié au  bien  public. 

Lorsque  Fâpreté  révolutionnaire  s'adoucit , 
il  n'y  eut  plus  lieu  à  un  dévouejnent  si  su- 
blime. Bientôt  l'ambition  reprit  ses  allures  , 
et  le  rétablissement  de  la  monarchie  ramena 
dans  la  tête  de  l'armée  quelque  réminiscence 
de  l'indiscipline  qu'on  reprochait  autrefois 
aux  rangs  élevés  du  militaire  français.  Le 
gouvernement  eut  peine  à  faire  servir  sous 
les  ordres  l'un  de  l'autre  des  officiers-gé- 
néraux du  même  grade.  Leurs  déplorables 
prétentions  firent  manquer  la  réussite  de  plus 
d'une  opération  habilement  concertée  ;  les 
écarts  de  la  vanité  trouvèrent  souvent  une  ex- 
cuse et  même  un  appui  dans  la  politique  du 
prince  nouveau  qui  ,  selon  le  conseil  de  Ma- 
chiavel ,  divisait  pour  régner. 

L'ÉCLAT  de  la  dignité  et  le  reflet  de  la  gran- 


DANS    l''aRIV1Ée.  yS 

deur  du  monarque  plaçaient  les  maréchaux 
d'empire  à  distance  des  autres  officiers-géné- 
raux. Au-dessus  d'eux  s'élevait  un  homme  que 
le  hasard  avait  conduit  près  du  général  Bona- 
parte en  Italie ,  et  qui  fut  long-temps  son  con- 
fident et  son  compagnon  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Intrépide  à  la  guerre  et  inftitigable  à  un 
âge  où  les  autres  éprouvent  les  premières  at- 
teintes de  la  vieillesse  ,  Berthier  ,  à  cinquante 
ans  ,  passait  le  jour  à  cheval  et  la  nuit  au  bu- 
reau. C'est  lui  qui  a  dirigé  avec  tant  de  zèle  les 
détails  d'exécution  de  seize  campagnes,  dont 
les  premières  furent  si  glorieuses  et  les  autres 
si  funestes.  Sa  mémoire  dé  noms  ,  de  chiffres  et 
de  lieux  était  immense  ,  et  l'Empereur  l'appe- 
lait un  état  de  situation  ambulant  ;  la  connais- 
sance parfaite  du  personnage,  dont  il  était 
chargé  de  traduire  les  intentions  à  peine  indi- 
quées, suppléait  en  quelques  points  à  ce  qui 
hii  manquait  de  vigueur  de  conception. 

Carnot ,  ministre  de  la  guerre  un  moment  , 
s'était  cru  obligé  de  discuter  avec  le  premier 


74  EXERCICE    DU    POUVOIR 

consul  remploi  du  sang  et  des  trésors  des  Fran- 
çais. Son  successeur ,  quoique  rempli  de  pro- 
bité ,  et  porté  par  caractère  à  amortir  les  coups 
du  despotisme  ,  était  un  coopérateur  plus  com- 
mode pour  un  chef  qui  voulut  être  compris,  et 
jamais  contredit.  Le  développement  de  notre 
puissance  militaire  ayant  rendu  trop  lourd  le 
fardeau  du  ministère  de  la  guerre,  on  en  sépara 
le  matériel  des  armées  pour  le  confier  d\ibord 
à  un  homme  de  mœurs  antiques  ,  le  général 
Dejean  ,  et  ensuite  au  comte  Lacuée  de  Cessac, 
recommandable  par  sa  patriotique  parcimonie 
L^artillerie  et  le  génie  étaient  administrés  sous 
l'inspection  des  principaux  officiers  de  ces  deu» 
armes.  La  conscription,  les  revues,  Phabille- 
ment,  formaient  des  directions  spéciales  sous 
des  conseillers  d''Etat.  Plus  tard  le  maréchal 
Berthier ,  devenu  prince  de  Neufchàtel ,  quitta 
le  ministère  ,  et  se  renferma  dans  les  fonctions 
de  major-gcnéral  de  FEmpereiu-.  Il  emporta 
avec  lui  la  conduite  des  opérations  militaires  et 
l'avancement,  cVst-à-dirc  iout  ce  qui  avait 


DANS    L^RMÉe.  75 

une  influence  immédiate  sur  lesévénemens.  Le 
ministère  de  la  guerre ,  mutilé  dans  ses  parties 
nobles ,  et  dépouillé  de  ses  plus  importantes  at- 
tributions positives ,  ne  fut  plus  que  la  besogne 
d^un  commis  laborieux. 

La  révolution  ayant  bouleversé  les  anciennes 
troupes  de  ligne ,  les  bataillons  de  volontaires 
nationaux,  levés  en  1791  et  1792,  furent  le 
noyau  de  Tarmée  nouvelle.  Dans  ces  bataillons, 
les  soldats  nommèrent  leurs  officiers.  Cela  de- 
vait être  ainsi  pour  une  jeunesse  d^élite  ,  arri- 
vant avec  des  droits  égaux.  On  pouvait  prévoir 
que  le  choix  des  pairs  mettrait  le  mérite  en 
évidence.  De-là  sont  venus  presque  tous  les  gé- 
néraux célèbres  dont  la  France  s^honore.  Après 
la  première  campagne,  les  volontaires  furent 
contraints  d'adopter  comme  profession  la  car- 
rière où  Pélan  patriotique  les  avait  jetés  par 
hasard;  alors  on  leur  appliqua,  dans  toute 
sa  latitude ,  la  législation  des  troupes  perma- 
nentes. Il  fut  établi  en  principe  qu'on  devais 


7^  AVANCEMENT 

obéir  pour  apprendre  à  commander.  La  règle, 
qui  astreint  les  militaires  à  suivre  Tun  après  Tau- 
tre  les  échelons  de  la  hiérarchie ,  est  en  effet 
profitable  à  la  milice;  le  bras  blessé  en  maniant 
le  mousquet  porte  plus  noblement  lé  bâton  de 
maréchal.  Mais  le  bien  a  aussi  son  excès  ;  par 
exagération  de  justice  républicaine  ,  on  con- 
féra exclusivement  les  emplois  à  Pancienneté 
de  service.  Cette  mesure ,  dont  Teffet  immédiat 
lut  de  peupler  les  hauts  grades  dMgnorans  et 
d^imbécilles ,  ne  résista  pas  à  six  mois  d'appli- 
cation. On  lui  substitua  trois  tours  d'avance- 
ment :  le  premier  par  l'ancienneté  de  grade  ,  le 
second  par  la  désignation  des  officiers,  le  troi- 
sième parla  promotion  dvi  gouvernement.  La 
précipitation  forcée  des  remplacemens  réduisit 
ensuite  les  différens  modes  à  un  seul ,  la  nomi- 
nation de  l'Empereur  sur  une  liste  triple  pré- 
sentée par  le  colonel.  Dans  les  dernières  an- 
nées ,  la  consommation  en  olîlciers  et  en  sous- 
oiFiciers  fut  si  énorme ,  qu'on  avait  peine  î\ 
trouver  des  sujets  pour  remplir  les  vacances^ 


ET    RECOMPENSES.  77 

Tout  soldat  sachant  lire  et  écrire  ,  exerçant  sur 
ses  camarades  une  puissance  quelconque  d^o- 
pinion,  etqui  ne  sourcillait  pas  àTapprochedu 
danger,  était  sûr  d^arriver,  si  la  mort  lui  en 
laissait  le  temps. 

Dans  Tintérêt  de  sa  puissance  absolue ,  au- 
tant que  pour  former  des  successeurs  aux  gé- 
néraux de  la  révolution ,  Napoléon  institua  les 
prytanées,  les  lycées  et  les  écoles  militaires.  Là 
furent  mêlés  ensemble  les  enfans  des  riches  et 
les  fds  indigens  des  défenseurs  de  la  patrie. 
Plusieurs  rejetons  des  familles  de  Fancienne 
noblesse  vinrent  y  désapprendre  Pafféterie  de 
Péducation  domestique.  On  vit  renouveler  à 
Fontainebleau  et  à  Saint-Cyr  les  exercices  des 
rives  de  FEurotas  et  du  Champ -de-Mars.  Les 
privations  des  camps ,  les  bivouacs  ,  les  mar- 
ches forcées  n'étaient  ensuite  que  la  continua- 
tion  d\m  dur  noviciat.  L'*Ecole-Militaire  impé- 
riale fut  une  pépinière  d'excellens  officiers.  Il 
nVn  sortait  pas  de  bons  citoyens  :  on  s'étudiait 
à  fausser  les  idées  de  la  jeunesse  et  à  donner 


yo  AVANCEMENT 

un  essor  indiscret  aux  passions.  Jamais  le  nom 
de  liberté  ,  rarement  le  nom  de  patrie  ,  reten- 
tissait à  Poreille  des  élèves;  Tobéissance  aveu- 
gle aux  caprices  du  prince  leur  était  enseignée 
comme  le  premier  devoir  d^un  Français. 

Les  officiers  envoyés  des  écoles  étaient  en 
très-petit  nombre  relativement  à  ceux  qui  par- 
venaient par  la  filière  des  grades.  Napoléon 
permettait  le  moins  possible  que  le  sort  des 
hommes  de  guerre  dépendit  des  gens  de  bu- 
reau. A  Paris  ou  en  voyage,  il  déléguait  la  no- 
mination subalterne  aux  généraux  en  chef  et 
aux  gouverneurs  de  places  fortes.  A  Tarmée,  il 
nommaitlui-même,  et  presque  toujours  la  veille 
ou  le  lendemain  d'une  bataille ,  en  passant  la 
revue  sur  le  terrain.  Les  absens ,  pour  quelque 
motif  que  ce  fût,  étaient  irrémissiblement  rem- 
placés. Napoléon  demandait  avant  tout,  même 
pour  les  grades  les  plus  élevés,  la  santé  et  la 
jeunesse.  Sur  ce  dernier  point  il  commençait  à 
devenir  moins  exigeant,  et  ceux  qui  avaient 
présente  la  date  du  i5  août  1769,   prophéti- 


ET    RECOMPENSES.  79 

saieiit  que  ,  vers  Tannée  1819  ,  un  officier-gé- 
néral de  cinquante  ans  serait  censé  avoir  Tâge 
de  tout  le  monde. 

Quand  en  1792  le  territoire  national  fut  af- 
franchi de  la  présence  des  ennemis,  la  Con- 
vention reconnaissante  avait  décrété  que  des 
biens-fonds  de  la  valeur  d'un  milliard  seraient 
retirés  du  domaine  public  ,  et  distribués  à  Far- 
mée.  Le  destructeur  de  la  République  accom- 
plit en  quelque  sorte  cette  promesse  de  ceux  qui 
Pavaient  fondée.  Il  rendit  meilleure  la  condition 
de  Folficier  et  du  soldat  retirés  du  service.  Un 
décret  impérial  réserva  aux  militaires  blessés , 
tous  les  emplois  civils  qu'ils  pouvaient  raison- 
nablement remplir.  Le  brave  en  expirant  au 
champ  d'honneur  n'éprouvait  pas  d'inquiétude 
sur  le  sort  de  ceux  qui  restaient  après  lui. 
L'Empereur  était  là  pour  secourir  la  veuve  et 
servir  de  père  aux  orphelins. 

La  Légion-d'Honneur  fut  créée.  La  nation , 
éblouie  par  cette  brillante  auréole  qui  embras- 
sait tous  les  genres  de  gloire ,  n'aperçut  pas  le 


8o  AVANCEMENT 

dédale  où  la  faisait  entrer  ce  premier  retour  h 
des  institutions  qu^avait  proscrites  Tesprit  d^é- 
galité.  Les  titres  et  les  dotations  héréditaires 
devinrent  aussi  le  prix  de  la  valeur.  L'ordre  de 
la  Réunion  et  les  Trois-Toisons  vinrent  ensuite. 
A  chaque  campagne  un  aiguillon  nouveau  ra- 
nimait le  dévouement.  Mais  des  récompenses 
accordées  aux  soldats,  aucune  ne  les électrisait 
comme  de  voir  et  d'entendre  l'Empereur. 

Napoléon  avait  à  trente  ans  l'attitude  impo- 
sante du  vieux  Frédéric.  Il  parcourait  les  rangs 
à  pied  et  lentement.  Les  grands  de  la  cour  et 
de  l'armée  se  tenaient  derrière  à  un  lona;  inter- 
valle,  afin  qu'il  n'y  eût  pas  d'intermédiaire 
entre  l'Empereur  et  les  soldats.  Chacun  l'ap- 
prochait librement  et  lui  racontait  l'histoire  de 
ses  griefs  et  de  ses  prétentions.  Il  voyait  tout, 
répondait  à  tout ,  et  faisait  droit  sur-le-champ 
aux  réclamations  fondées  ,  même  à  celles  qui 
ne  l'étaient  pas.  A  l'air  enjoué  de  son  visage, 
on  connaissait  qu'il  était  en  famille.  Dans  ces 
joins  solennels,  les  grâces  pleuvaient   sur  les 


ET    RÉCOMPENSES.  8l 

braves ,  et  les  leçons  de  la  discipline  sur  les  gé- 
néraux, quelquefois  sur  les  colonels,  jamais 
au-dessous.  On  manœuvrait,  et  toujours  Napo- 
léon apprenait  aux  plus  habiles  quelque  secret 
nouveau.  Après  la  revue ,  on  redisait  dans  le 
camp  les  oracles  sortis  de  la  bouche  du  maître 
de  Tart.  On  savait  par  cœur  les  brûlantes  pro- 
clamations ,  où  si  peu  de  mots  renfermaient  de 
si  héroïques  présages.  A  Tapproche  du  danger, 
ce  qu^on  sentait  pour  lui  était  plus  que  Tadmi- 
ration;  on  lui  rendait  un  culte  comme  au  Dieu 
tutélaire  de  Tarmée. 

Les  bienfaits  accordés  à  Farmée  ne  portèrent 
pas  d'atteinte  directe  au  régime  de  la  cité.  Ex- 
cepté dans  les  cas  très-rares  de  révolte ,  il  n^ 
a  pas  ^exemple  sous  le  gouvernement  impérial 
que  les  chefs  militaires  aient  commandé  en 
France  à  d'autres  qu'aux  soldats.  Le  pouvoir 
terrible  de  la  Convention  avait  donné  aux  sol- 
dats un  respect  mêlé  de  crainte  pour  l'autorité 
civile.  L'écharpe  tricolore  du  représentant  du 

TOME.  I.  6 


82  SUBORDINATION 

peuple  imposait  bien  plus  que  les  insignes  des 
généraux.  La  nouvelle  organisation  adminis- 
trative avait  enlevé  aux  gouverneui*s  des  villes 
et  des  provinces,  la  haute  police  dont  ils 
étaient  investis  dans  Tancien  régime.  Napoléon, 
en  rétablissant  les  officiers-généraux  dans  leurs 
droits  honorifiques,  ne  leur  rendit  pas  cette 
attribution.  Là  où  un  préfet  décidait  arbitrai- 
rement des  intérêts  et  même  de  la  liberté  des 
citoyens  les  plus  marquans,  le  général,  eût-il 
été  surchargé  de  témoignages  de  la  faveur  du 
souverain ,  nVurait  pu  faire  arrêter  un  cou- 
pable obscur.  Dans  le  conflit  assez  fréquent 
entre  Pautorité  militaire  et  Tautorité  civile  ,  on 
donnait  presque  toujours  raison  à  la  der- 
nière. Probablement  le  pouvoir  n^  perdait 
rien  ,  et  les  administrateurs  de  tous  les  étages  , 
les  auditeurs  ,  les  agens  de  police  remplis- 
saient ses  intentions  mieux  que  ne  Teussent  fait 
les  grenadiers  et  les  hussards;  au  moins  est-il 
constant  que  notre  armée  n'avait  pas  d'ac- 
tion sur  le  peuple,  et  que  le  despotisme  des  der- 


ET    DISCIPLINE.  83 

niers  temps  n^était  pas  un  despotisme  militaire. 
La  crainte ,  considérée  comme  principe  de 
Tordre ,  était  un  mobile  à  peu  près  inconnu 
au  grand  nombre  de  nos  soldats.  Ils  étaient 
traités ,  dans  la  plupart  des  régimens  ,  avec 
une  douceur  extrême  ;  on  n'y  employait  pas 
les  punitions  corporelles,  que  Fopinion  de  notre 
nation  réprouve ,  et  qui  ne  peuvent  être  infli- 
gées de  sang-froid  que  dans  les  pays  où  les 
battans  se  croient  dVine  espèce  supérieure  aux 
battus.  La  gendarmerie ,  tant  redoutée  dans 
Fintérieur  de  Tempire  ,  perdait  aux  armées  sa 
vertu  terrifiante  ;  le  pouvoir  de  juger  était 
passé  des  mains  du  commissaire  des  guerres  à 
des  fonctionnaires  de  Tordre  civil ,  et  de  ceux- 
ci  à  des  conseils  permanens  ,  pour  les  délits  or- 
dinaires ,  et  à  des  commissions  temporaires 
pour  quelques  cas  spéciaux.  On  convoquait 
rarement  les  conseils  de  guerre ,  et  plus  rare- 
ment encore  ils  tiraient  du  fourreau  le  alaive 
de  la  loi  ;  la  justice  militaire  manquait  de  so- 
lennité. 

6* 


84  SUBORDINATIOÎV 

Cependant  la  subordination  régnait  dans 
notre  armée  ,  autant  et  plus  peut-être  que  dans 
aucune  autre  armée  de  TEurope.  C'est  quW 
peu  de  chose  près  ,  les  inégalités  de  position  y 
étaient  en  harmonie  avec  les  inégaUtés  natu- 
relles ,  et  que  les  Français  possèdent  un  senti- 
ment exquis  de  ce  qui  est  raison  et  conve- 
nance. Le  régime  impérial  introduisit  parmi 
les  chefs  une  dureté,  qui  paraissait  dans  les 
formes  générales  du  gouvernement ,  mais  qui 
n'*était  pas  dans  Fhumeur  de  FEmpereur.  Cette 
précision,  cette  dureté  fut  un  moyen  de  disci- 
pline substitué  à  la  rigidité  républicaine. 

L'ancienne  armée  royale  de  France  était 
composée  de  deux  classes  distinctes  :  les  soldats 
condamnés  à  tout  mériter  sans  rien  obtenir , 
et  les  officiers  appelés  à  envahir  les  grades  sans 
avoir  pris  la  peine  de  les  gagner.  Cette  der- 
nière classe  se  subdivisait  en  noblesse  de  pro- 
vince et  en  noblesse  de  cour.  L'une  fournis- 
sait un  certain  nombre  de  militaires  appliqués 
au  métier  et  beaucoup  d'amateurs  pour  qui  le 


ET    DISCIPLINE.  03 

service  était  un  simple  passe-temps.   L"'autre 
peuplait  les  régimens  de  colonels  imberbes  et 
les  états-majors  de  généraux  de  salon.  Entre 
hommes  placés  sur  des  terrains  si  difFérens, 
que  séparaient  des  obstacles  infranchissables , 
il  pouvait  y   avoir  communauté  de   danger  , 
jamais  communauté  d'opinions  et  d''intérêts. 
Cette  armée  était  encline  à  la  désertion  à  l'é- 
tranger, et  prompte  à  se  mutiner.  En  temps 
de  paix,  on  n'eût  pas  retardé  impunément  la 
distribution  des  vivres  ou  de  la  solde  ,   et  l'on 
craignait  de  faire  manoeuvrer  les  troupes  le  3i 
du  mois  ,  parce  que  ce  jour-là  elles  ne  rece- 
vaient pas  de  paie.  A  la   guerre  ,   les  soldats 
passaient  pour  être  fougueux  dans  l'attaque  , 
mais  pour  tomber  bientôt  après  dans  la  lan- 
gueur. La  révolution  éclata  :  les  officiers,  dé- 
pouillés tout-à-coup  de  la  considération  que 
donnait  la  naissance  ,  restèrent  sans  autorité  et 
sans  crédit ,  au  milieu  des   passions  exaltées  ; 
les  bas-officiers  n'eurent  ni   la  volonté  ni  la 
force   de   maintenir  la   discipline;  les  soldais 


86  SUBORDINATION 

dénoncèrent,  injurièrent  leurs  chefs,  et  ne 
retrouvèrent  les  vertus  de  leur  état  quVn  pas- 
sant sous  un  nouveau  drapeau. 

Depuis  ce  temps-là  nos  soldats  étaient  mieux 
nés,  puisqu'ils  n'étaient  autres  que  la  jeunesse 
française  tout  entière,  et  nos  officiers  mieux 
élevés,  attendu  qu'aucun  soin  frivole  ne  les 
troublait  dans  Fétude  de  leur  art  et  dans  l'ac- 
complissement de  leurs  devoirs.  L'armée  se 
recrutant  avec  des  jeunes  gens  de  dix-neuf 
et  vingt  ans ,  et  l'avancement  dans  les  corps 
étant  dévolu  à  l'ancienneté  ou  à  la  qualité  des 
services ,  il  arriva  bientôt  que  du  caporal  au 
colonel,  l'âge  ou  le  mérite  qui  y  supplée  furent 
généralement  en  raison  du  grade.  L'institution 
de  l'Ecole-Militaire  n'y  changea  rien  ,  car  le 
nombre  de  sous-lieutenans  qu'elle  fournissait 
était  peu  considérable  relativement  à  la  force 
de  l'armée.  Les  subordonnés  voyaient  dans  le 
chef  leur  ancien  et  le  professeur  du  métier  ;  ils 
respectaient  son  expérience  et  se  confiaient 
dans  ses  lumières;  la  fraternité  demeurait  in- 


ET    DISCIPLINE.  87 

time  entre  hommes  partis  du  même  ni^au ,  et 
pourtant  Tobéissance   ne    connaissait  pas   de 
restrictions  envers  ceux  qui  commandaient  , 
parce  qu^ils  étaient  les  plus  dignes.  L^armée 
formait  une   masse  homogène  et  indivisible. 
Du  conscrit  enrôlé  depuis  six  mois,  on  arrivait 
au  maréchal  d'empire  sans  rencontrer  de  pas- 
sage heurté  dans  la  manière  de  voir  et  de  sen- 
tir. Les  fds  de  notre  France  ont  surpassé  dans 
les  batailles  Timpulsion  soudaine  de  leurs  de- 
vanciers ,  et  on  ne  les  a  pas  vus  se  décourager 
devant  les  obstacles  ;    cependant  les   mêmes 
hommes  ont  bivouaqué  aux  Cataractes  du  Nil 
et  dans  les  plaines  glacées  de  Moscou.  On  a  pu 
les  priver  de  vêtemens  et  de  solde  pendant  une 
année  ,  sinon  sans  entendre  leurs  murmures  , 
du  moins  sans  encourir  la  révolte.  Rangés  sous 
les  drapeaux  par  TeHet  de  la  contrainte  légale , 
ils  accouraient  en  foule ,  dès  qu'ils  en  trou- 
vaient Poccasion ,  aux  foyers  paternels  5  très- 
peu  d'entre  eux,  même  dans  la  dernière  détresse, 
ont  abjuré  la  patrie  pour  passer  à  rennemi. 


88  SUBORDINATION 

Si  iffie  pareille  armée  venait  à  périr ,  elle 
périssait  entière ,  avec  ses  officiers ,  ses  gé- 
néraux ,  ses  aigles  !  Quelque  jugement  qu'on 
porte  sur  sa  conduite  politique ,  on  la  procla- 
mera fidèle  à  sa  renommée  jusqu'au  dernier 
moment,  et  la  France  ne  reprendra  rang  entre 
les  nations ,  qu'en  rassemblant  avec  soin  les 
débris  de  ses  illustres  bandes ,  ou  en  créant 
une  autre  milice  d'après  le  principe  d'orga- 
nisation de  la  première. 

Un  philosoplie  interpella  les  docteurs  des 
chrétiens  ,  des  juifs  et  des  musulmans  ,  de  dé- 
clarer quelle  doctrine  serait  la  leur  s'ils  n'é- 
taient pas  nés  chacun  dans  le  sein  d'une  re- 
ligion positive.  Tous  répondirent  :  La  doctrine 
de  Socrate  et  de  Platon.  Leur  unanimité  con- 
duisit le  philosophe  à  reconnaître  la  préémi- 
nence de  la  morale  naturelle  sur  les  dogmes 
révélés.  Demandez  à  un  Anglais ,  à  un  Alle- 
mand ,  à  un  Russe  quels  sont  les  meilleurs  sol- 
dats du  monde,  chacun  dira  :  Les  nôtres,  et  en- 
suite les  Français.  A  nombre  égal ,  et  pourvue 


ET    DISCIPLINE.  89 

de  la  même  quantité  de  moyens  matériels  pour 
agir,  il  nVst  donné  à  aucune  armée  de  balan- 
cer, en  campagne  ,  la  supériorité  d^une  armée 
française  composée  d^élémens  nationaux,  et 
commandée  d'après  la  désignation  populaire. 
D'autres  attendent  mieux  la  mort  :  ils  ne  vont 
pas  la  chercher  plus  gaiement  que  nous.  Où 
trouverez-vous  ailleurs  des  soldats  que  la  gloire 
console  du  malaise  et  de  la  faim,  qu'un  regard, 
une  parole  précipitent  dans  le  danger  ?  L'Eu- 
rope a  vu  la  célérité  de  nos  mouvemens  de 
stratégie  et  de  tactique  ,  et  elle  a  été  saisie  d'é- 
pouvante; car  le  secret  de  la  guerre  est  dans 
les  jambes.  Mais  si  les  Français  marchent 
vite  et  long- temps,  quoique  petits  et  por- 
tant de  lourds  fardeaux,  ce  n'est  pas  seule- 
ment parce  qu'ils  sont  bien  conformés,  et 
qu'ils  mangent  beaucoup  de  pain  * ,  c'est  qu'ils 

'  Les  soldats  qui  mangent  le  plus  de  pain  et  le  moins 
de  viande  sont  en  général  plus  musculeux  et  marchent 
plus  vite  et  plus  long-temps  que  les  autres.  En  établis- 
sant une  échelle  graduée  de  l'aptitude  des  différentes  ar- 


90  SUBORDINATION 

excellent  par  leur  moral  '.  L'esprit  et  le  senti- 
ment les  font  aller  au-delà  des  forces  physi- 
ques ,  à  la  différence  des  peuples  sans  passion 
et  des  bêtes  de  somme ,  qui ,  après  un  temps 
donné,  succombent  sous  une  certaine  charge. 
Que  de  fois  n'avons-nous  pas  vu  nos  fantassins, 
presque  engloutis  dans  les  marais  et  les  fon- 
drières, s'encourager  à  en  sortir,  en  se  disant 


mées  de  l'Europe  sous  ce  rapport,  on  trouverait  aux 
deux  bouts  opposés  le  Français  qui  a  besoin  en  campagne 
de  deux  livres  de  pain  par  jour  et  le  Hollandais  à  qui 
moins  d'une  demi-livre  suffit ,  s'il  peut  y  joindre  un  mor- 
ceau de  bœuf  et  des  légumes. 

'  Cette  expression  ,  appliquée  à  une  armée,  est  toute 
française,  et  n'a  d'équivalent  dans  aucune  autre  langue. 
Le  colonel  Henri-Auguste  Dillon ,  dans  son  ouvrage 
sur  les  établissemens  militaires  de  l'empire  britannique, 
A  Coininentary  on  ifie  mililary  establishments  and  dc- 
fence  of  the  brilish  empire  (tome  i^"^,  page  l37)  ,  dit,  en 
parlant  des  troupes  destinées  à  protéger  l'Angleterre 
contre  l'invasion  ,  qu'elles  posséderont  ce  que  les  Fran- 
çais appellent  tout  le  moral  d'une  armée  ;  et,  pour  ex- 
pliquer sa  pensée,  il  ajoute  ([u'elles  seront  animées  du 
courage  le  plus  franc  produit  par  le  patriotisme  le 
plus  pur. 


ET    DISCIPLINE.  Ql 

les  uns  aux  autres  les  motifs  de  la  marche  for- 
cée :  motifs  que  le  chef  était  intéressé  à  tenir 
secrets  ,  et  que  leur  perspicacité  avait  devinés  I 
Le  canon  se  faisait  entendre  ;  Tennemi  se  mon- 
trait; soudain  la  fatigue  était  oubliée.  On  se 
pressait,  on  courait;  pour  vaincre  ,  nos  jeunes 
soldats  étaient  toujours  frais  et  reposés  '. 

*  Un  officier-général*  marchait  dans  la  Biscaye  et  pour- 
suivait un  corps  de  troupes  espagnoles  qui  écliappait  tou- 
jours, parce  que  ses  chefs  avaient  une  parfaite  connais- 
sance des  montagnes ,  et  parce  qu'il  était  protégé  par  les 
habitans.  Le  général  français  avait  fait  marcher  les  sol- 
dats pendant  la  nuit  et  pendant  toute  la  journée  sui- 
vante; les  soldats  murmuraient  :  «  Où  nous  mènera- 
■>  t-il?  On  voit  bien  qu'il  est  sur  un  bon  cheval;  il 
»  ne  sait  pas  que  nous  sommes  à  pied.  »  Le  soleil  allait 
se  coucher;  on  sort  des  montagnes,  et  on  arrive  au  bord 
de  la  mer.  «  Il  était  temps  que  le  jour  et  la  terre  finissent, 
•>  disent  les  vieux  soldats  en  rechignant ,  sans  quoi  on 
»  nous  ferait  encore  marcher.  »  Tout-à-coup  on  aper- 
çoit le  corps  espagnol  ;  la  fatigue  est  oubliée.  11  y  avait 
plus  d'une  heure  à  courir  pour  l'atteindre.  Le  général 
eut  plus  de  peine  à  arrêter  les  soldats  qu'il  n'en  avait  eu 
auparavant  à  les  exciter.  Courir  aux  Espagnols  ,  les  at- 
teindre ,  les  prendre ,  tout  cela  fut  fait  avant  la  nuit. 

*  C'était  le  général  Foy. 


92  SUBORDINATION 

Ces  qualités  brillantes  constituent  une  nation 
essentiellement  belliqueuse.  De-lààune  nation 
conquérante,  la  distance  est  grande.  Attila 
montrait  du  doigt  à  ses  Huns  les  murs  du  Ca- 
pitole.  Tous  s'y  précipitaient,  attirés  par  un 
air  doux  à  respirer,  de  belles  femmes  à  possé- 
der ,  et  un  riche  butin  à  partager.  Depuis 
qu''une  civilisation  plus  avancée  a  amené  des 
idées  plus  justes  sur  les  obligations  de  la  milice 
et  sur  Texiguité  des  droits  que  confère  la  vic- 
toire ,  il  nY  a  plus  de  parité  entre  les  calamités 
et  les  profits  du  métier.  Pour  les  soldats  comme 
pour  les  citoyens  ,  la  guerre  sans  fin  est  contre 
nature.  Aussi ,  Napoléon  seul  a  voulu  conqué- 
rir le  monde.  Pas  un  Français  n'*a  été  son 
complice.  Ses  admirateurs  les  plus  passionnés 
avaient  retranché  leur  ambition  bien  en  de- 
dans du  cercle  de  ses  espérances  insensées. 
Hormis  quelques  jeunes  officiers  sortis  hier  des 
écoles ,  il  n^  avait  pas  dans  l'armée  un  être 
pensant  qui  ne  fût  pénétré  de  douleur  en 
voyant ,  après  tant  de  guerres  ,  entreprendre 


ET    DISCIPLINE.  qS 

encore  des  guerres  nouvelles.  Les  soldats  n\i- 
vaient  pas  à  tous  les  momens  le  transport  au 
cerveau.  Dans  le  calme ,  un  attrait  invincible 
les  rappelait  vers  la  patrie.  Ce  n''était  pas  seu- 
lement Tenfant  de  Paris  à  qui  l'abstinence  du 
bivouac  faisait  regretter  Tabondance  de  la  ville 
natale.  Nous  entendions  sans  cesse  nos  cons- 
crits maudire   avec  imprécations  les  riantes 
vallées  de  la  Lusitanie  et  cette  heureuse  Bé- 
tique  où  les  anciens  ont  placé  leurs  Champs- 
Elysées  ,  sY  regarder  comme  en  exil ,  et ,  par 
esprit  d'opposition,  porter  aux   nues,   dans 
leurs  discours ,  les  agrémens  pittoresques  de 
la  Sologne   et   la  fertilité  de  la  Champagne 
pouilleuse.  Combien  ,  en  recevant  le  coup  qui 
les  mutilait ,  se  sont  écriés  :  «  Tant  mieux ,  je 
;)  reverrai  encore  mon  père  et  ma  mère  !  » 
Presque  tous  les  officiers-généraux  avaient  une 
femme  et  des  enfans ,  car  l'Empereur  encou- 
rafifeait  les  mariages.  Aux  obsessions  dont  on 
le  fatiguait  pour  obtenir  le  congé  de  passer 
quelque  temps  en  France  ,  il  répondait  d'ordi- 


94  ORGANISATION 

naire  par  des  refus  et  des  bienfaits.  Les  refus 
étaient  positifs,  les  bienfaits  se  sont  trouvés 
illusoires.  Même  aux  jours  de  nos  prospérités  , 
que  servaient  les  terres  et  les  châteaux  à  des 
hommes  condamnés  à  passer  les  nuits  sur  la 
dure ,  sans  autre  abri  que  la  voûte  du  ciel  ?  Et 
puis  ces  terres,  ces  châteaux  étaient  aux  confins 
de  la  Pologne ,  sous  la  portée  du  canon  des 
Russes ,  ou  dans  les  sables  du  Hanovre  ,  prêts  à 
être  revendiqués  à  la  première  inconstance  de 
la  victoire.  Cependant ,  le  peuple ,  trompé  par 
tout  cet  appareil  de  dotations ,  imaginait  in- 
justement que  le  seul  but  d'une  guerre  per- 
pétuelle était  d''enrichir  ceux  qui  la  faisaient. 

Après  avoir  décrit  les  habitudes  et  les  incli- 
nations de  nos  guerriers ,  nous  allons  mettre 
en  évidence  les  rouages  de  la  machine  organi- 
sée pour  combattre.  L'armée  date,  ainsi  que 
nous  Pavons  dit,  de  Pamalgame  des  volontaires 
nationaux  avec  les  anciennes  troupes  de  ligne. 
Cette  excellente  opération  fonda  notre  puis- 


MILITAIRE.  95 

sance  militaire,  et  laissa  peu  à  faire  à  ceux  qui 
vinrent  ensuite. 

Les  officiers-généraux  quittèrent  les  déno- 
minations vagues  de  lieutenant-général  et  ma- 
réchal de  camp  pour  prendre  celles  de  général 
de  division  et  de  brigade,  qui  exprimaient  avec 
exactitude  Fétendue  du  commandent  de  cha- 
cun. Les  corps  d'infanterie  ,  forts  de  trois  ba- 
taillons ,  s'appelèrent  demi-brigades  ,  parce 
qu'on  les  considérait  dans  leurs  rapports  avec 
la  brigade.  Napoléon  jugea  qu'un  entier  ne 
devait  pas  être  désigné  par  une  indication 
fractionnaire.  Il  rétablit  le  nom  de  régiment 
et  il  rendit  aux  chefs  celui  de  colonel. 

Les  régimens  de  toute  arme  étaient  distin- 
gués entre  eux  par  des  nombres.  Plusieurs 
périrent  dans  les  expéditions  coloniales  qui 
suivirent  la  paix  d'Amiens.  L'Empereur  voulut 
que  les  numéros  restassent  vacans.  Les  corps 
qu'on  créa  postérieurement  prirent  l'ordre  de 
bataille  à  partir  du  dernier  de  leur  arme.  Par 
ce  moyen    l'armée    française    paraissait   aux 


96  ORGANISATION    MILITAIRE. 

étrangers   plus   nombreuse   quelle   ne  l'était 
réellement. 

Commençons  par  Forganisation  de  Tinfan- 
terie  qu\in  écrivain  a  si  bien  appelée  cette 
nation  des  camps  '.  Cette  expression  lui  fut 
sans  doute  inspirée  par  les  guerres  de  la  révo- 
lution ,  et  elle  s'applique  à  notre  armée  fran- 
çaise avec  toute  justesse. 

Le  bataillon  d'infanterie  était  de  neuf  com- 
pagnies, y  compris  celle  de  grenadiers.  Na- 
poléon l'augmenta  d'une  autre  compagnie  d'é- 
lite, les  voltigeurs.  Ce  fut  une  idée  heureuse 
que  de  rehausser  dans  l'estime  publique  les 
hommes  de  petite  taille ,  qui  en  général  sont 
les  plus  intelligens  et  les  plus  alertes.  Les  vol- 
tioeurs  constituèrent  la  véritable  infanterie  lé- 
gère  de  France ,  en  ce  sens  qu'on  leur  fit  faire 
habituellement  le  service  de  tirailleurs.  Les  ré- 
gimens  dits  d'infanterie  légère  n'en  avaient  que 

'  Des  Communes  et  de  l'Aristocratie,  par  M.  de  Barante. 


INFANTERIE.  97 

le  nom  ,  car  ils  étaient  composés,  armés  ,  exer- 
cés comme  le  reste  de  l'infanterie. 

Un  décret  impérial ,  rendu  avant  la  guerre 
d'Espagne  ,  réduisit  les  bataillons  à  six  com- 
pagnies et  mit  cinq  bataillons  dont  un  de  dépôt 
dans  chaque  régiment.  Cette  coupe  du  ba- 
taillon en  six  fractions  cadrait  mal  avec  l'or- 
donnance de  manœuvres  ;  elle  diminuait  la 
valeur  réelle  des  soldats  d'élite  à  force  dVn 
augmenter  le  nombre  ,  et  les  compagnies  du 
centre  s'épuisaient  à  tenir  toujours  complètes 
les  compagnies  de  grenadiers  et  de  voltigeurs. 
Mais  Napoléon  ne  faisait  rien  d'inutile  ;  il  lui 
importait  d'avoir  beaucoup  de  cadres  afin  d'y 
répartir  avec  plus  de  facilité  les  produits  de  la 
conscription  ,  et  d'instituer  plus  rapidement 
les  soldats  pour  la  guerre.  Un  bataillon  défait 
en  bataille  ou  par  suite  de  la  campagne,  ver- 
sait dans  les  bataillons  mieux  conservés  les  hom- 
mes qui  lui  restaient.  Le  cadre ,  composé  seu- 
lement des  officiers  et  des  sous-officiers  ,  allait 
en  France  se  remplir  de  recrues  que  les  levées 

TOME    I.  7 


gS  ORGANISATION    MILITAIRE. 

avaient  amassées  ;  il  y  avait  un  jeu  de  navette 
continuel  du  dépôt  à  Tarmée  et  de  Tannée  au 
dépôt.  Le  peu  d^éclat  de  ces  mouvemens  partiels 
servit  souvent  à  renforcer  sans  être  aperçu  tel 
point  des  lignes  d"'occupation,  d'^oii  la  politique 
de  FEmpereur  devait  bientôt  faire  partir  Tof- 
fensive.  Alors  les  deux  premiers  bataillons  d^un 
corps  servaient  dans  une  armée  avec  Faigle  et  le 
colonel,  et  les  deux  autres  bataillons  de  campa- 
gne commandés  par  le  major  formaient  ailleurs 
un  numéro  bis.  L''Europes^étonnait  d'entendre 
retentir  en  même  temps  les  exploits  du  même 
régiment  sur  des  théâtres  de  guerre  distans  l'un 
de  Tautre  de  plusieurs  centaines  de  lieues. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  formations  acci- 
dentelles auxquelles  ont  donné  lieu  Tuniversa- 
lité  et  la  précipitation  des  opérations  militaires. 
Elles  figurent  comme  exceptions  à  la  règle;  et 
les  corps  hors  ligne  ont  été  plus  tôt  ou  plus 
tard  fondus  dans  les  autres. 

Les  Français ,  non  plus  que  les  Romains ,  ne 
dédaignaient  pas  dHmiter  ce  qu''il  y  avait  de 


INFANTERIE.  gg 

bon  dans  les  usages  de  leurs  adversaires.  Ainsi 
ont  été  introduites  chez  nous  ,  Fune  après 
Tautre  ,  presque  toutes  les  parties  de  Thabille- 
ment  des  troupes  autrichiennes.  Le  bivouac  a 
enseigné  à  connaître  le  prix  de  la  capotte  ;  une 
coiffure  ronde  et  solide  a  remplacé  le  chapeau 
à  trois  cornes  dont  la  forme  était  si  ridicule  et 
la  matière  si  destructible.  L'habit  a  été  rac- 
courci, et  les  revers  d'un  vain  ornement  qu'ils 
étaient  sont  revenus  à  leur  destination  pre- 
mière ,  de  couvrir  d'une  étoffe  double  la  poi- 
trine et  le  bas-ventre.  Les  ligatures  qui  com- 
primaient les  articulations  ont  disparu.  On  a 
demandé  de  l'ampleur  au  pantalon  et  aux 
autres  pièces  du  vêtement.  Le  brodequin  n'a 
pu  être  naturalisé  dans  notre  infanterie  ;  elle 
a  donné  la  préférence  au  soulier  et  à  la  guêtre, 
faisant  corps  ensemble  par  le  moyen  de  l'in- 
dispensable sous-pied. 

L'Empereur  avait  cédé  aux  instances  qui 
lui  furent  faites  pour  changer  la  couleur  du 
fond  de  l'uniforme.  On  faisait   valoir   l'éco- 

r 


lOO  ORGANISATION    MILITAIRE. 

iiomie  qui  résulterait  pour  l^État  d'avoir  moins 
cPindigo  à  demander  aux  Anglais.  Dans  la 
campagne  de  1 806  quelques  régimens  prirent 
le  blanc.  Les  soldats  y  montrèrent  de  la  ré- 
pugnance; ils  regrettèrent  Thabit  sous  lequel 
depuis  dix-sept  ans  ils  étaient  accoutumés  à 
faire  trembler  les  ennemis.  Napoléon  ne  tarda 
pas  à  revenir  aux  couleurs  nationales. 

DÈS  Tannée  1794?  dans  le  temps  de  Faver- 
sion  la  plus  effrénée  pour  les  traditions  et  les 
méthodes  anciennes,  on  vit  notre  jeune  armée, 
commandée  par  des  hommes  nouveaux  échap- 
pés des  études  et  des  comptoirs  ,  défaire  la  ré- 
putation des  vieilles  armées  et  des  vieux  géné- 
raux. On  voulut  alors  analyser  les  causes  de  nos 
succès.  Les  étrangers  en  attribuèrent  Thonneur 
au  feu  de  Tinfanterie  légère  ' ,  parce  que  les  ti- 

«  Le  général  prussien  Bulow  écrivait,  en  lygS,  que 
«  l'emploi  de  l'infanterie  légère  est  le  dernier  perfec- 
tionnement de  la  guerre ,  et  qu'à  la  rigueur  on  pourrait 
désormais  se  passer  d'infanterie  de  ligne  dans  les  armées.  » 


INFANTERIE.  101 

railleurs,  dont  Temploi  était  rare  et  le  nom 
presque  inconnu  dans  les  guerres  précédentes, 
étaient  multipliés  et  prodigués  dans  celles-ci. 
Les  nationaux ,  au  contraire ,  ne  lisant  dans 
les  bulletins  de  la  Convention  que  bataillons 
en  masse ,  lignes  enfoncées  ,  redoutes  assail- 
lies au  pas  de  charge  ,  crurent  ingénument 
que  les  fusils  et  les  canons  avaient  perdu  leur 

vertu ,  et  que  tout  s''emportait  avec  la  baïon- 
nette. 

Ces  deux  opinions ,  diamétralement  oppo- 
sées en  apparence,  n'étaient  ni  l'une  ni  l'autre 
dépourvues  d'un  fond  de  vérité.  Encore  que  les 


Voyez  l'ouvrage  intitulé  :  Esprit  du  Système  de  guerre 
moderne,  par  un  ancien  officier  prussien  ;  traduit  par 
Tranchant-Lavesne  (pages  78  et  87). 

On  disait  aussi  en  Angleterre  que  «  le  continent  avait 
été  subjugué  par  les  tirailleurs  français,  et  l'on  croyait 
qu'ils  gagnaient  les  batailles  en  tuant  les  uns  après  les 
autres  les  officiers  de  l'armée  ennemie.  »  C'est  ainsi  qu'en 
parle  le  colonel  Robinson  dans  un  écrit  intitulé  :  A  Let- 
ter  to  a  general-ojfficer  on  the  establishment  of  rifle 
corps  in  the  british  army. 


102  MANIERE    DE    COMBATTRE 

hommes  exercés  à  Pusage  des  armes  à  feu  fus- 
sent en  plus  grand  nombre  dans  les  premiers 
bataillons  de  volontaires  que  parmi  les  conscrits 
de  Napoléon,  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  se  distin- 
guaient par  la  justesse  du  tir  ;  et  on  leur  a  quel- 
quefois reproché  avec  raison  de  consommer  les 
munitions  inutilement.  Mais  le  genre  de  combat 
qui  favorisait  le  plus  grand  développement  des 
facultés  individuelles,  était  éminemment  assorti 
à  Fesprit  remuant  et  au  courage  d^attaque  pro- 
pre à  notre  nation.  Nous  avions  presque  tou- 
jours l'offensive;  c'était  la  conséquence  du 
mouvement  de  l'opinion  patriotique  et  de  la 
sévérité  de  ce  Comité  de  salut  public  qui 
envoyait  à  l'échafaud  les  généraux  inactifs 
comme  les  généraux  battus. 

On  entamait  l'action  avec  des  nuées  de  ti- 
railleurs à  pied  et  à  cheval  ;  lancés  suivant  une 
idée  générale  plutôt  que  dirigés  dans  les  détails 
des  mouvemens  ,  ils  harcelaient  l'ennemi  , 
échappaient  à  ses  masses  par  leur  vélocité, 
et  à  l'effet  de  son  canon ,  par  leur  éparpille- 


sous    LA    RÉPUBLIQUE.  lo3 

ment.  On  les  relevait  afin  que  le  feu  ne  languit 
pas  ;  on  les  renforçait  pour  les  rendre  plus  ef- 
ficaces. 

Il  est  rare  qu\ine  armée  ait  ses  flancs  appuyés 
d'une  manière  inexpugnable  ;  d'ailleurs  toutes 
les  positions  renferment  en  elles-mêmes, ou  dans 
Tarrangement  des  troupes  qui  les  défendent , 
quelques   lacunes   qui   favorisent  l'assaillant. 
Les  tirailleurs  s'y  précipitaient  par  inspiration, 
et  l'inspiration  ne  manquait  point  dans  un  pa- 
reil temps  et  avec  de  pareils  soldats.  Le  défaut 
de  la  cuirasse  une  fois  saisi ,  c'était  à  qui  por- 
terait son  effort.  L'artillerie  volante  (on  appe- 
lait ainsi  les  pièces  servies  par  des  canonniers 
à  cheval)  accourait  au  galop  et  mitraillait  à 
brûle-pourpoint.  Le  corps  de  bataille  s'ébran- 
lait dans  le  sens  de  l'impulsion  indiquée  :  l'in- 
fanterie en  colonnes ,  car  elle  n'avait  pas  de 
feu  à  faire  5  la  cavalerie  intercalée  par  régi- 
mens  ou  en  escadrons ,  afin  d'être  disponible 
partout  et  pour  tout.  Quand  la  pluie  des  balles 
et  des  boulets  de  l'ennemi  commençai  à  s'é- 


1o4  MANIÈRE    DE    COMBATTRE 

piiissir,  un  officier,  un  soldat,  quelquefois  un 
représentant  du  peuple  entonnait  Thymme  de 
la  victoire.  Le  général  mettait  sur  la  pointe  de 
son  épée  son  chapeau  surmonté  du  panache 
tricolore ,  pour  être  vu  de  loin ,  et  pour  servir 
de  ralliement  aux  braves.  Les  soldats  prenaient 
le  pas  de  course  ;  ceux  des  premiers  rangs  croi- 
saient la  baïonnette  :  les  tambours  battaient  la 
charge  ;  Fair  retentissait  des  cris  mille  et  mille 
fois  répétés  :  «  En  avant!...  en  avant!...  Vive 
la  République!...  » 

Pour  résister  aux  enfans  de  la  patrie  y  il  eût 
fallu  être  aussi  passionné  qu^eux-mêmes.  Nous 
avions  affaire  à  des  armées  allemandes,  froides, 
désintéressées  dan&  la  querelle ,  commandées 
par  des  généraux  sexagénaires.  Bientôt  nous 
sûmes,  aussi  bien  que  les  Prussiens  et  les  Autri- 
chiens, tout  ce  qui  s'apprend,  et  ils  ignoraient 
complètement  ce  qui  se  devine.  Rarement  leurs 
lignes  se  laissaient  atteindre.  Il  suffisait,  pour 
Pacquit  de  leur  conscience  ,  que  les  ailes  fus- 
sent tournées  ou  seulement  dépassées  :  alors, 


sous    LA    REPUBLIQUE.  101 

leurs  bataillons  si  laborieusement  alignés  se 
mettaient  à  la  débandade.  Les  uns  jetaient  leurs 
fusils  à  terre  pour  fuir  plus  vite  ;  les  autres,  ne 
répugnant  pas  à  visiter  le  bon  pays  de  France  , 
aimaient  mieux  être  prisonniers  que  risquer 
de  se  faire  tuer  '.  Nos  fantassins,  hauts  de  cinq 
pieds ,  ramenaient  par  centaines  les  colosses 
d'Allemagne  et  de  Croatie.  Nos  chasseurs  h 
cheval  s'emparaient  du  canon  et  des  équipages 
mal  attelés.  Les  fuyards  devaient  leur  salut  à 
la  bonne  contenance  de  leur  cavalerie  alors  su- 
périeure à  la  nôtre;  quelquefois  à  la  disposi- 


'  Les  Français  ont  été  humains,  miséricordieux  en- 
vers les  prisonniers.  Le  degré  de  liberté  et  de  bien-être 
qu'on  leur  a  accordé  contraste  avec  l'esclavage  et  le 
malaise  des  prisonniers  français  à  l'étranger.  Que  l'on 
compare  Verdun  aux  pontons  de  Plimouth  !...  Au  reste, 
des  mauvais  traitemens  des  étrangers  il  était  résulté  un 
avantage  qui  s'accordait  avec  les  vues  de  l'Empereur  ;  il 
n'aimait  pas  qu'on  fût  prisonnier,  les  soldats  français 
n'aimaient  pas  à  l'être.  La  facilité  à  se  rendre  prison- 
niers a  été  dans  la  guerre  une  grande  source  de  maux 
pour  les  armées  allemandes  :  tel  soldat  autrichien  a  été 
prisonnier  trois  ou  quatre  fois  en  France. 


106  MANIERE    DE    COMBATTRE 

lion  des  réserves,  plus  souvent  à  la  mollesse  de 
nos  poursuites  ,  conséquence  nécessaire  du  dé- 
cousu de  nos  attaques. 

L''habitude  de  ce  genre  de  succès  conduisit 
nos  généraux  à  croire  que  déborder  Tennemi, 
c^était  Pavoir  vaincu.  Le  principe  admis,  il  en 
résultait,  comme  conséquence  nécessaire,  qu''on 
ne  pouvait  jamais  trop  s'étendre.  Aussi,  pen- 
dant les  campagnes  du  Rhin,  en  1796  et  1796, 
fit -on  la  guerre  offensive  avec  des  armées 
partagées  en  plusieurs  divisions ,  lesquelles 
opéraient  sur  plusieurs  routes  parallèles ,  à 
une  ou  deux  marches  les  unes  des  autres,  et  la 
plupart  du  temps,  sans  autre  réserve  que  quel- 
ques régimens  de  cavalerie.  Bonaparte  vint , 
et  les  victoires  dltalie  renversèrent  un  système 
vicieux.  On  apprit  à  son  école  qu'on  devait 
disséminer  les  troupes  loin  de  Tennemi,  seu- 
lement pour  leur  procurer  des  vivres  et  du  re- 
pos; mais  que  toutes  les  fois  qu'on  voulait  com- 
battre, il  fallait  marcher  assez  réunis  pour  en- 
gager simultanément  des  masses  sur  les  points 


sous    LA    RÉPUBLIQUE.  IO7 

où  on  était  résolu  de  porter  le  principal  eft'ort. 
Ce  perfectionnement  dans  Tapplication  des 
lègles  de  la  guerre  se  lia  plus  tard  à  d^inipor- 
tantes  considérations  morales.  Napoléon  n'é- 
tait pas  homme  à  se  faire  illusion  sur  les  causes 
de  la  supériorité  de  nos  armes.  Son  esprit  ne 
s'arrêtait  pas  à  la  surface  des  choses;  il  con- 
naissait trop  bien  le  cœur  humain ,  il  avait 
trop  bien  la  conscience  de  ses  propres  desseins, 
pour  compter  sur  la  continuité  de  miracles 
qu'avait  produits  l'impulsion  républicaine.  Le 
pouvoir  absolu  allait  éteindre  l'amour  de  la 
patrie  ;  le  dévouement  devait  s'user  ;  les  braves 
et  les  habiles  périraient  les  premiers  :  ceux  qui 
viendraient  après  eux  leur  seraient  inférieurs 
en  énergie  et  en  talens  ;  car  la  révolution  était 
passée,  et  des  temps  réguliers  il  ne  sort  pas  des 
hommes  extraordinaires.  En  même  temps  ,  il 
était  clair  qu'en  guerroyant  sans  relâche ,  les 
adversaires,  battus  aujourd'hui,  apprendraient 
du  vainqueur  à  résister  demain.  A  force  de 
courir  le  monde ,  on  pourrait  rencontrer  des 


ioS  SÉJOUR    DE    l'armée 

ennemis  sur  le  moral  desquels  on  n'aurait  plus 
de  prise.  Il  fallait  donc  que  Napoléon  fit  dé- 
pendre la  victoire  de  l'emploi  calculé  des  for- 
ces ,  et  la  France  fut  obligée  de  recourir  à  la 
fixité  des  méthodes  pour  que  la  fortune  restât 
fidèle  à  son  drapeau. 

L'éducation  des  troupes  fut  refaite  dans 
les  stations  militaires  des  côtes  de  l'Océan , 
sous  les  yeux  de  l'Empereur  ,  et  l'esprit  mili- 
taire subit  un  changement  analoo-ue  à  la  nou- 
velle  direction  politique.  L'ennemi  était  assez 
près  pour  tenir  les  soldats  en  haleine,  et  pas 
assez  dangereux  pour  les  distraire  de  leurs  oc- 
cupations. Cet  état  mélangé  de  paix  et  de 
auerre ,  si  différent  de  la  vie  monacale  des  ca- 
sernes  et  de  la  frivolité  des  garnisons,  produisit 
des  changemens  notables  dans  les  mœurs  de 
l'armée.  On  fit  remuer  de  la  terre  aux  soldats  y 
malgré  leur  aversion  pour  ce  genre  de  travail 
modéré  et  continu ,  et  on  les  exerça  soir  et  ma- 
tin aux  évolutions  de  la  tactique.  Une  louable 


SUR    LES    CÔTES    DE    L  ÔCEATV.  1 0y 

émulation  se  mit  parmi  les  colonels  à  qui  aurait 
les  régimens  les  mieux  tenus  et  les  meilleurs 
manœuvriers. 

Les  officiers-généraux  apprirent  à  mouvoir 
une  brigade ,  une  division  ,  un  corps  d'armée , 
au  son  de  la  voix  et  avec  la  précision  familière 
au  chef  de  bataillon  expérimenté  qui  tient  sa 
troupe  dans  la  main  et  en  fait  ce  qu'il  veut.  Ce 
n'était  pas  une  innovation  insignifiante  que  de 
mettre  dans  un  contact  plus  intime  les  soldats 
et  les  chefs  appelés  à  les  conduire  à  la  victoire. 
Le  règlement  des  manœuvres  d'infanterie  de 
1791  est  un  modèle  de  concision  et  de  clarté. 
Il  resta  pour  les  subalternes  le  livre  de  la  loi  ; 
mais  les  chefs  s'accoutumèrent  à  en  varier  l'ap- 
plication suivant  les  besoins  de  la  guerre.  C'est 
ainsi  que  fut  adopté  l'usage  de  faire  front  et  de 
combattre  par  le  troisième  rang  comme  par  le 
premier.  Souvent  les  mouvemens  se  faisaient 
sur  deux  rangs  pour  montrer  que  le  troisième 
n'est  qu'une  réserve  destinée  à  soutenir  et  con- 
solider les  deux  autres.  Le  carré  que  les  Ara- 


1 lO  SEJOUR    DE    L ARMEE 

bes  avaient  appris  aux  Français  en  Egypte  , 
devint  une  formation  fondamentale.  On  re- 
commanda le  feu  successif  par  rang,  comme  le 
meilleur  à  employer  contre  la  cavalerie ,  parce 
quHl  n'a  pas  les  intervalles  sans  défense  du 
feu  de  bataillon  ,  et  parce  qu'il  se  combine 
mieux  que  le  feu  de  file  avec  les  dispositions  à 
l'arme  blanche. 

Jamais  la  France  n'eut  une  arn*ée  plus  for- 
midable. Sans  doute  les  braves  qui,  dans  les 
trois  premières  années  de  la  guerre  de  la  li- 
berté, sortirent  huit  cent  mille  de  dessous  terre 
au  cri  de  la  patrie  en  danger,  avaient  plus  de 
vertu;  mais  les  guerriers  de  i8o5  unissaient 
plus  d'expérience  à  un  entraînement  presque 
égal.  Tous  hommes  nouveaux  ,  tous  enfans 
de  leurs  œuvres ,  tous  étaient  les  parvenus  de 
la  gloire.  L'esprit  aristocratique  des  salons 
n'avait  encore  gangrené  personne.  Chacun, 
suivant  son  grade ,  savait  mieux  qu'en  1794  ce 
qu'il  était  chargé  de  faire.  L'armée  impériale 
était  plus  savamment  ordonnée,  plus  abon- 


SUR  LES  CÔTES  DE  L  OCEAN.       111 

damment pourvue  d'argent,  de  vêtemens,  dW- 
mes  et  de  munitions  ,  que  ne  Pavaient  été  les 
armées  de  la  République.  Le  même  œil  Tins- 
pectait ,  le  même  bras  la  maniait ,  le  même  es- 
prit la  dirigeait ,  et  c'était  Poeil ,  le  bras  ,  l'es- 
prit du  grand  général  et  du  maître. 

Napoléon  ne  voulait  qu'une  seule  infanterie, 
parce  que  la  même  est  bonne  à  tout  :  c'est  l'op- 
posé pour  la  cavalerie.  On  a  besoin  d'armes, 
d'équipemens ,  de  chevaux  difFérens ,  suivant 
les  diflerens  usages  qu'on  veut  en  faire.  Il  s'ap- 
pliqua à  rendre  plus  distinctes  les  nuances  de 
ce  service.  La  grosse  cavalerie  fut  réduite  à  la 
quantité  indispensable  pour  son  emploi,  borné 
aux  batailles  rangées.  Elle  eut  des  cuirasses. 
On  s'étonne  depuis  long-temps  de  ce  que  les 
souverains  ne  donnent  pas  quelques  pièces  de 
l'armure  défensive  à  tous  les  soldats  qui  com- 
battent à  cheval. 

Les  dragons ,  production  amphibie  d'un  siè- 
cle où  le  feu  n'était  pas  encore  perfectionné  , 


112  ORGANISATIO^    MILITAIRE. 

furent  presque  désorganisés  pour  Texpédition 
d''Angle terre  :  on  en  démonta  une  partie  ;  ce 
qui  procura,  au  lieu  de  bons  cavaliers,  une 
légère  augmentation  d^infanterie  médiocre  et 
coûteuse.  Remis  à  cheval,  ils  ont  fourni  à  eux 
seuls  presque  tout  le  service  de  la  cavalerie 
dans  la  guerre  de  Portugal  et  d'Espagne.  Dans 
les  dernières  années  du  gouvernement  impé- 
rial, plusieurs  régimens  de  dragons  furent 
convertis  en  lanciers.  Montécuculli  appelle  la 
lance  la  reine  des  armes  blanches  ;  elle  est  en 
effet  la  plus  meurtrière  entre  les  mains  du  cava- 
lier, parce  que  c'est  celle  qui  atteint  le  plus 
loin. 

Les  chasseurs  à  cheval  et  les  hussards ,  qui 
n'en  diffèrent  que  par  quelques  modifications 
dans  l'uniforme ,  ont  été  les  plus  faciles  à  mon- 
ter, à  recruter  et  à  dresser.  Ils  ont  aussi  rendu 
le  plus  de  services  à  la  guerre.  Napoléon  en 
augmenta  le  nombre.  L'armée  de  ligne  avait 
en  1807  deux  régimens  de  carabiniers,  douze 
de  cuirassiers,  trente  de  dragons  ,  vingt-quatre 


CAVALERIE.  Ii3 

de  chasseurs,  dix  de  hussards  ,  en  tout  soixante- 
dix-huit  cadres  de  cavalerie. 

Les  troupes  à  cheval  conservèrent  plus  long- 
temps que  les  troupes  à  pied  la  physionomie 
monarchique.  La  révolution  leur  fit  moins  de 
bien.  Pendant  les  premières  campagnes,  nous 
avions  peine  à  lutter  contre  les  cuirassiers  alle- 
mands, les  dragons  wallons  et  les  hussards 
hongrois.  Nous  présentions  rarement  de  gros 
corps  de  cavalerie  sur  le  terrain,  et  quand 
nous  le  faisions,  c^était  le  plus  souvent  à  notre 
désavantage. 

Napoléon  fit  peu  de  changemens  au  ré- 
gime intérieur  des  troupes  à  cheval.  Les  vi- 
cissitudes de  la  guerre  le  contraignirent  sou- 
vent à  former  à  la  hâte ,  avec  des  hommes 
et  des  chevaux  neufs ,  des  escadrons  et  des 
régimens  provisoires.  Cependant  la  cavalerie 
n'est  pas  si  facile  à  improviser  que  Finfanterie. 
Comme  on  cultive  avec  des  bœufs  la  plus  grande 
partie  de  notre  sol ,  les  Français  ne  naissent 
pas  cavaliers  ,  et  ils  ont  peine  ,  à  cause  de  leur 


Ii4  ORGANISATION    MILITAIRE. 

vivacité  inquiète,  desMclentifier  avec  le  cheval. 

D'après  ces  vices  organiques,  on  devail 
craindre  que  la  cavalerie  n** allât  en  déclinant. 
Le  contraire  est  arrivé.  Voici  pourquoi  :  La 
conquête  avait  rendu  les  remontes  plus  faciles , 
et  procurait  de  plus  belles  races  de  chevaux. 
Les  troupes  à  cheval  éprouvaient  moins  de 
pertes  que  les  troupes  à  pied ,  et  les  anciens 
cadres  auxquels  on  ramenait  toujours  les  orga- 
nisations provisoires  restaient  plus  riches  en 
vieux  soldats.Les  jeunes  gens  de  famille,  qui  ont 
tant  de  peine  à  se  faire  à  la  vie  austère  du  fan- 
tassin, fournirent  en  peu  de  temps  des  hommes 
de  cheval  lestes,  ardens  et  bien  montés.  Mais 
ceci  est  insuffisant  pour  expliquer  Tessor  ines- 
péré de  notre  cavalerie.  La  cause  principale 
fut  dans  le  système  adopté  par  Napoléon  pour 
la  conduite  de  cette  arme  à  la  guerre. 

Avant  son  règne ,  quelques  régimens  de  ca- 
valerie pesante  servaient  de  réserve  à  chaque 
armée.  Le  reste  était  éparpillé  dans  les  divi- 
sions dMnfanterie.   L'Empereur    constitua  en 


c  AVALER  n:,  n5 

brigades  et  en  divisions  non-seulement  les  cui- 
rassiers et  les  drao'ons,  mais  encore  les  chas- 
seurs et  les  hussards.  Bien  plus  ,  il  a  réuni  plu- 
sieurs divisions  ensemble  pour  en  composer 
des  masses  plus  fortes ,  qui  ont  reçu  le  nom  bi- 
zarre de  corps  d'armée  de  cavalerie.  Cet  ar- 
rangement a  fait  perdre  des  à-propos  auda- 
cieux et  décisifs.  Il  est  même  arrivé  que  trois 
mille  chevaux  réunis  n'ont  pas  fait  ce  qu'ion 
aurait  obtenu  avec  trois  cents ,  parce  que  le 
chef  a  voulu  garder  ses  trois  mille  chevaux 
ensemble  pour  le  moment  et  le  terrain  qui 
permettraient  de  les  mettre  en  action  tous  à  la 
fois.  La  rivalité  des  deux  armes  les  a  quelque- 
fois empêchées  de  s'entr'aider.  Les  bataillons 
dépourvus  d''éclaireurs  ont  marché  à  Faveu- 
gle ,  et  des  efforts  ont  été  sans  résultat ,  faute 
de  quelques  pelotons  d''hommes  à  cheval  à  lan- 
cer sur  Tennemi  en  déroute. 

En  compensation  de  ces  inconvéniens,  dont 
la  plupart  disparaîtraient  devant  Fapplica- 
tion  moins  exclusive  de  ce  système,   se  sont 


llG  URGAMSATION    MILITAIRE. 

présentés  des  avantages  considérables.  La 
cavalerie  a  été  mieux  conservée  ,  parce  que 
dans  les  marches  et  les  cantonnemens  on  ne 
Fa  plus  asservie  au  pas ,  aux  haltes ,  aux  ha- 
bitudes de  Tinfanterie.  Plus  instruite  et  plus 
florissante ,  elle  a  été  plus  terrible  à  nos  ad- 
versaires. On  ne  s'est  pas  contenté  ,  comme 
autrefois  ,  de  remployer  à  compléter  la  vic- 
toire. Elle  est  entrée  en  lice  contre  les  masses 
non  entamées  d'infanterie  et  de  cavalerie ,  et 
son  élan  a  quelquefois  décidé  le  gain  des  ba- 
tailles '. 

Les  officiers  de  cavalerie  de  la  trempe  des 
Ney  ^   et  des   Richepanse   étaient   clair-semés 

'  Les  trois  quarts  des  chevaux  de  France  ont  été  gelés 
en  Russie.  Rétablie  après  ce  desastre,  notre  cavalerie 
s'est  surpassée  elle-même  ;  et  plus  tard ,  dans  une  cam- 
pagne de  trois  jours  tristement  mémorable,  elle  a  mal- 
traité la  cavalerie  des  Prussiens  et  écrasé  celle  des  An- 
glais. 

'  Dès  le  commencement  de  la  guerre  et  avant  d'avoir 
couru  une  carrière  plus  vaste  ,  Nev  passait  pour  un  des 
premiers  officiers  de  cavalerie  de  France. 


ARTILLERIE.  1  1  7 

dans  les  armées  de  la  République.  Nous  avons 
vu  à  la  fois  à  la  tête  des  escadrons  impériaux 
les  Murât  ,  les  Lassalle  ,  les  Kellermann ,  les 
Montbrun ,  et  d'autres  hommes  habiles  dans 
Tart  de  lancer  et  de  régulariser  les  vastes  ou- 
ragans   de    la    cavalerie ,  proceUa   equestris , 
suivant    la    belle    expression    de   rÉcriture. 
Après  les  qualités  nécessaires  au  commandant 
en  chef,  le  talent  de  guerre  le  plus  sublime 
est  celui    du    général   de  cavalerie.   Eussiez- 
vous  un  coup-d'œil  plus  rapide  et  un  éclat 
de  détermination  plus  soudain  que  le  cour- 
sier emporté  au  galop  ,  ce  n''est  rien ,  si  vous 
n'y  joignez  la  vigueur  de  la  jeunesse,  de  bons 
yeux ,  une  voix  retentissante  ,  l'adresse  d'un 
athlète  et  l'agilité  d'un  centaure.  Avant  tout , 
il  faudra  que  le  ciel  vous  ait  départi  avec  pro- 
digalité cette  faculté  précieuse  qu'aucune  ne 
remplace  ,  et  dont  il  est  plus  avare  qu'on  ne  le 
croit  communément ,  la  bravoure. 

Le  corps  royal  d'artillerie  de  France  passait 


Il8  ORGANISATION    MILITAIRE. 

pour  le  premier  de  TEiirope.  Cest  dans  le  ré- 
giment de  Lafère  ,  le  premier  de  cette  arme  , 
que  Bonaparte  commença  sa  carrière  militaire. 
Les  canonniers  se  livrèrent  avec  chaleur  au 
mouvement  de  la  révolution  ,  mais  la  discipline 
ne  souffrit  guère  attendu  qn^il  y  avait  parmi 
eux  un  grand  fonds  de  raison  et  de  patriotisme. 
Aussi  Tartillerie  eut  elle-une  part  active  à  la 
défense  du  territoire  et  aux  essais  offensifs  des 
armées  de  1792  et  1798.  On  menait  alors  beau- 
coup de  canons  en  bataille.  Le  calibre  de  quatre 
était  attaché  aux  bataillons  d'infanterie.  Les 
obusiers ,  le  huit  et  le  douze  ,  et  même  le  seize 
particulièrement  affecté  au  siège ,  formaient 
alors  des  batteries  de  six  à  douze  bouches  à 
feu,  dites  batteries  de  position.  On  avait  ré- 
cemment emprunté  des  Prussiens,  pour  le  ser- 
vice de  campagne  ,  un  perfectionnement  ana- 
logue à  rimpétuosité  française.  Il  consistait  à 
mettre  à  cheval  un  certain  nombre  de  canon- 
niers qui ,  par  ce  moyen ,  arrivaient  sur  le  ter- 
rain en  même  temps  que  les  pièces  les  mieux 


ARTILLERIE.  HQ 

attelées ,  se  trouvaient  toujours  dispos  pour 
les  manœuvrer,  et  pouvant  plus  facilement 
échapper  à  ceux  qui  voudraient  les  assaillir, 
canonnaient  plus  long- temps  et  de  plus  près. 
L''artillerie  à  cheval  fut  composée ,  à  sa  créa- 
tion ,  des  artilleurs  les  plus  ingambes ,  et  re- 
crutée ensuite  avec  Télite  des  grenadiers.  Elle 
fît  des  merveilles.  On  vit  dans  les  campagnes 
d** Allemagne  de  simples  capitaines  de  cette  arme 
acquérir  une  réputation  d'armée.  Bientôt  les 
généraux  ne  voulurent  plus  avoir  d'autre  artil- 
lerie ,  parce  que  celle-là  étant  plus  mobile  et 
plus  efficace ,  il  en  fallait  moins ,  et  c'était  au- 
tant d'allégement  dans  les  colonnes  d'atti- 
rails. 

L'engouement  pour  les  bonnes  choses  con- 
duit toujours  à  mal.  L'artillerie  à  pied,  énervée 
par  la  formation  et  l'augmentation  de  l'artil- 
lerie à  cheval,  commença  à  perdre  l'esprit  mili- 
taire ,  et  les  canonniers  nouveaux,  limités  au 
travail  manuel  des  arsenaux  et  des  parcs ,  res- 
tèrent paysans  et  devinrent  raisonneurs.  On 


120  ORGANISATION    MILITAIRE. 

eut  lieu  de  s'en  apercevoir  dans  la  défense  des 
places  fortes  dTtalie  ,  pendant  la  malheureuse 
campagne  de  1799  '■  Les  officiers  instruits, 
restés  en  grand  nombre  dans  un  corps  moins 
mutilé  que  les  autres  par  Témigration ,  s'étaient 
confinés  volontairement  dans  les  établissemens 
du  matériel.  Les  jeunes  gens  étaient  décou- 
ragés à  la  vue  d'une  carrière  qui  paraissait  obs- 
truée. Les  chefs  de  l'arme  furent  réduits  en 
campagne  au  rôle  essentiel,  mais  obscur,  d'or- 
donnateurs des  approvisionnemens  en  instru- 
mens  et  en  munitions  de  guerre. 

Napoléon  fit ,  dans  le  service  de  l'artillerie , 
une  révolution  en  rapport  avec  les  changemens 
que  de  longues  guerres  ne  pouvaient  manquer 
d'amener  dans  le  moral  de  l'armée.  Lorsque 
l'ardeur  des  uns,  opposée  au  découragement  des 
autres,  ne  suffit  plus  pour  gagner  les  batailles, 

*  Après  la  retraite  de  l'armée  de  Rhin-et-Moselle ,  en 
17q6,  le  général  Moreau  Ht  faire  par  des  compagnies 
de  canonniers  à  cheval  le  service  de  l'artillerie  dans  les 
ouvrages  avancés  des  tètes  de  pont  d'Huningiie  et  de  Kehl. 


ARTILLERIE.  121 

il  faut  enfoncer  les  lignes  qui  résistent.  Le 
moyen  le  plus  sûr  pour  cela  est  de  concentrer, 
sur  le  point  d'attaque  ,  plus  de  feu  queTennemi 
ne  peut  y  en  porter  pour  sa  défense.  Ces  feux 
multipliés,  c'est labonne disposition  etfemploi 
simultané  d'une  artillerie  nombreuse,  qui  les 
procurent.  L'Empereur  augmenta  l'artillerie  de 
bataille,  au  point  d'avoir,  dans  les  armées  d'ou- 
tre-Rhin, cinq  bouches  à  feu  par  mille  hommes, 
et  de  porter  le  personnel  de  l'arme  à  cent  mille 
trois  cent  trente-six  hommes.  C'était  presque 
autant  que  toute  l'ancienne  armée  du  roi  de 
France  '. 

Dans  ces  myriades  de  canons  ,  l'artillerie  à 
cheval  n'entra  plus  que  pour  sa  destination 
naturelle.    On  l'employa    dans  les   revues  et 


*  Pendant  la  campagne  deWagram  ,  l'Empereur  donna 
aux  régimens  d'infanterie  des  pièces  de  quatre  qui  furent 
servies  par  les  fantassins  :  c'était  un  expédient  pour 
faire  transporter  une  nombreuse  artillerie  avec  moins 
d'embarras  que  si  elle  eût  été  réunie  en  divisions  et  en 
parcs. 


122  ORGANISATION    MILITAIRE. 

principalement  dans  la  cavalerie  qui,  n** ayant 
pas  de  feu  par  elle-même,  est  surtout  obligée 
d'en  emprunter  ailleurs  au  moins  pour  se  défen- 
dre. L'artillerie,  disposée  habituellement  par 
grosses  batteries  ,  rentra  sous  les  ordres  de 
ses  chefs  directs. 

Alors  les  artilleurs  instruits  affluèrent  aux 
armées,  tant  les  anciens  venus  des  fabriques 
et  des  ateliers ,  que  les  nouveaux  sortis  des  écoles 
où  renseignement  du  métier  avait  été  perfec- 
tionne. On  ne  dédaigna  pas  le  service  de  ceux 
qui ,  ayant  passé  par  tous  les  détails  de  mani- 
pulation dans  fétat  de  simple  canonnier,  com- 
pensaient une  théorie  moins  éclairée  par  une 
pratique  plus  assurée.  Aurait-on  pu  oublier 
qu'ils  avaient  dans  un  temps  difficile  soutenu  à 
eux  seuls  la  gloire  du  corps  !  Eblé ,  le  premier 
officier  d'artillerie  de  la  guerre  de  la  révolution, 
appartenait  à  cette  classe.  On  assura  aux  sous- 
officiers  une  participation  à  l'avancement,  assez 
large  pour  concilier  leurs  justes  prétentions 
avec  la  destination  d'une   arme   à   (aient.   Le 


ARTILLERIE.  123 

corps  d^artillerie  a  montré  peu  d^imbition  pour 
le  luxe  de  la  science.  Il  lui  a  suffi  de  ne  pas 
rester  en  arrière  des  connaissances  nécessaires 
à  son  art ,  et  de  toujours  faire  plus  et  mieux 
qu'ion  ne  lui  demandait.  Les  régimensderarme, 
choisissant  les  recrues  dans  la  conscription 
avant  les  autres  troupes ,  conservèrent  leur  es- 
pèce dliommes  vigoureuse ,  et  les  soldats  qui 
portent  la  mort  au  loin ,  continuèrent  à  se 
montrer  les  plus  intrépides  à  la  braver  de  près. 

Le  train  d^artillerie  fut  sans  contredit  une 
des  plus  utiles  institutions  militaires  de  Tem- 
pereur  Napoléon.  Le  soin  d'atteler  et  charier 
les  canons  et  les  caissons  était  confié  auparavant 
à  des  entrepreneurs  sans  patrie  et  sans  vertu. 
L'arrangement  nouveau  coûta  peut-être  un 
peu  plus  d'argent.  On  n'y  perdit  rien ,  car  les 
soldats  du  train  furent,  en  discipline  et  en  cou- 
rage ,  les  émules  des  canonniers. 

Vingt-cinq  ans  de  guerre  et  la  comparaison 
avec  les  arsenaux  et  les  machines  du  continent 
de  l'Europe  tombés  en  noire  pouvoir,  n'ont 


124  ORGANISATION    MILITAIRE. 

pas  amené  de  changement  important  dans  ce 
qui  se  pratiquait  en  France.  On  a  essayé  des 
changemens  de  calibre  et  de  nouveaux  caissons 
qui  ont  été  abandonnés  pour  revenir  aux  cons-r 
tructions  telles  que  les  avait  fixées  Gribeauval. 
La  gestion  de  cette  partie  importante  des  dé- 
penses publiques  a  été  conduite  parles  officiers 
du  corps  ,  avec  une  économie  sévère  et  suivant 
les  formes  établies  depuis  un  siècle.  Là  et  dans 
le  corps  du  génie  s"'était  réfugiée  Tantique  pro- 
bité ,  quand  elle  fut  chassée  des  autres  services 
administratifs. 

On  a  proposé  souvent  à  Napoléon  de  réunir 
Tartillerie  et  le  génie.  En  thèse  générale,  la 
division  du  travail  contribue  au  perfectionne- 
ment des  arts.  En  thèse  particulière  ,  pourquoi 
fondre  ensemble  des  corps  si  utiles  dans  leur 
organisation  actuelle  ?  L^Empereur  n^eut  pas 
fimprudence  de  tenter  cet  essai;  mais  il  réunit 
les  élèves  des  deux  armes  dans  un  établissement 
qu'alimentait     TÉcole     Polytechnique.   Cette 


GÉNIE,  <25 

école,  après  avoir  été  un  foyer  de  lumière  pour 
la  France  et  pour  FEurope ,  venait  d'être  re- 
construite sur  un  plan  plus  étroit  et  moins  li- 
béral. Le  métier  des  armes  passait  avant  tous 
les  autres  dans  Tesprit  de  Napoléon.  Il  trans- 
forma une  pépinière  de  savans  en  un  sémi- 
naire de  guerriers. 

Depuis  là  seconde  campagne  de  la  guerre  de 
la  liberté ,  où  Tusage  des  tentes  avait  été  aban- 
donné ,  nos  soldats  bâtissaient  leurs  baraques 
avec  une  dextérité  et  une  promptitude  qui 
prouvaient  combien  ils  avaient  d"'aptitude  pour 
toute  espèce  de  travaux.  L'*Empereur  leur  fit 
creuser  des  ports  de  mer  sur  la  côte  de  Boulo- 
gne ,  et  les  employa  souvent  à  construire  des 
fortifications.  Cependant  ils  montrèrent  tou- 
jours de  la  répugnance  à  manier  la  pelle  et  la 
pioche  ailleurs  que  sous  le  feu  de  Tennemi. 

Vauban  demandait  avec  instance ,  en  Tan- 
née 1688 ,  au  ministre  Louvois  une  troupe  qui 
exécutât  les  travaux  des  sièges  sous  la  direction 
des  ingénieurs.  Elle  n^existait  pas  encore  un 


12(>  ORGANISATION    MILITAIKi:. 

siècle  après.  On  donnait  avant  la  révolution 
Je  nom  de  sapeurs  à  certaines  compagnies  des 
régimens  d'artillerie  qui ,  outre  la  manœuvre 
du  canon,  étaient  exercées  à  la  sape  dans  les 
polygones  et  qu'on  prêtait  accidentellement  au 
génie.  Employer  à  deux  fins  des  soldats  obéis- 
sant à  deux  maîtres ,  était  une  économie  mal 
entendue.  La  Convention  nationale  créa  les 
véritables  sapeurs  ,  qui ,  organisés  d'abord  en 
compagnies  et  ensuite  en  bataillons ,  se  firent 
bientôt  un  renom  proportionné  au  degré  d'in- 
telligence et  d'audace  que  nécessite  l'exercice 
de  leur  profession. 

Les  mineurs  furent  rendus  au  génie  dont  on 
n'aurait  jamais  dû  les  séparer.  Le  génie  re- 
vendique aussi  les  pontonniers.  Malgré  la  con- 
venance apparente  de  cette  prétention ,  l'ar- 
tillerie les  a  conservés.  On  a  pensé  que  la 
puissance  dont  cette  arme  dispose  par  ses  ar- 
senaux ,  ses  parcs ,  son  train ,  son  personnel 
nombreux,  fournirait,  pour  construire,  atteler 
et  manœuvrer  les  ponts  mobiles,  des  ressources 


GEME.  12/ 

auxquelles  nulle  autre  combinaison  ne  pouvait 
suppléer. 

Les  ingénieurs  élèvent  les  fortifications  per- 
manentes et  passagères.  Ils  attaquent  et  défen- 
dent les  places.  Ils  vont  à  la  guerre.  On  peut 
assurer  que,  sous  ces  trois  rapports,  il  n'existe, 
dans  aucune  corporation  militaire  au  monde  , 
plus  dliabileté  et  de  patriotisme  que  dans  no- 
tre corps  du  génie.  Alexandrie,  Anvers,  Ju- 
liers ,  cinq  cents  autres  places  construites , 
restaurées  et  augmentées  ,  disent  assez  que 
Fart  de  Vauban  nVst  pas  tombé  en  décadence 
entre  les  mains  des  Marescot ,  des  Chasseloup 
et  des  Haxo.  L'Europe  a  été  jonchée  de  nos 
redoutes  et  de  nos  retranchemens.  Aux  siè- 
ges ,  les  officiers  du  génie  étaient  Famé  de 
Pattaque  et  le  nerf  de  la  défense.  Leur  expé- 
rience V  a  recueilli  une  foule  de  perfection- 
nemens  dont  la  publication  agrandirait  le 
domaine  delà  science.  Dans  la  guerre  de  cam- 
pagne ,  ils  se  sont  chargés  du  travail  des  recon- 
naissances ,  et  ont  été  nos  meilleurs  ,  pour  ne 


i2.S  ORGANISATION    MILITAIRE. 

pas  dire  nos  seuls  officiers  d''état-major.  Où 
en  aurions-nous  trouvé  dont  Téducation  eût 
été  aussi  soignée  et  dont  le  dévouement  pût  être 
mis  à  tant  d^épreuves? 

L'*état-3IAJ0R  proprement  dit  n'a  pas  eu  de 
consistance  dans  nos  armées  et  n*'a  pas  formé 
corps.  On  rangeait  sous  cette  dénomination 
collective  les  officiers-généraux  et  les  aides- 
de-camp  ,  les  commandans  et  les  adjudans  de 
place,',  les  adjudans-commandans  et  les  ad- 
joints. 

Les  fils  des  hommes  en  place  ,  les  nobles  an- 
ciens ,  les  nobles  nouveaux ,  tous  ceux  qui  vou- 
laient faire  la  guerre  commodément  et  arriver 
de  plein  saut  aux  honneurs  et  au  pouvoir*, 
se  jetaient  dans  Temploi  d'aide-de-camp.  Na- 
poléon essaya  d'enchaîner  leur  fureur  d'avan- 
cement; il  décida  que,  pour  avoir  droit  à 
un  grade  supérieur,  les  aides-de-camp  de- 
vraient servir  dans  les  corps  d'infanterie  et  de 
cavalerie ,  où  l'on  apprend  à  conduire  les  sol- 


ETAT-MAJOR.  12q 

dats  en  vivant  avec  eux.  LMnfluence  des  alen- 
tours du  souverain  contraria  souvent  les  saines 
doctrines  du  généralissime,  et  la  règle  souffrit 
de  fréquentes  infractions.  Il  est  de  la  nature  des 
cours  d''infecter  les  armées. 

Les  commandemens  et  les  adjudances  de 
place  de  Fintérieur  étaient  réservés ,  comme 
postes  de  retraite ,  aux  officiers  mutilés  ou  vieillis 
sous  le  harnais  ;  au-deliors ,  ces  emplois  plus 
politiques  que  militaires  étaient  la  proie  d**in- 
dividus  qui,  n'appartenant  à  aucun  corps ,  of- 
fraient peu  de  garantie  à  fautorité.  Plusieurs 
officiers,  employés  en  qualité  de  commandans 
de  place ,  avaient  été  réformés  précédemment 
et  rentraient  au  service  dans  Fespoir  d'amas- 
ser ou  de  grossir  un  petit  pécule;  ils  étaient  les 
intermédiaires  habituels  entre  Farmée  et  les 
habitans  du  pays  conquis.  Les  déportemens 
ignobles  et  arbitraires  de  quelques-uns  d'entre 
eux  ont  contribué  à  rendre  le  nom  français 
odieux  à  Fétranger. 

Les  adjudans-généraux  et  les  adjoints  furent 


-l3o  ORGANISATION    MILITAIRE. 

créés  parFAsseniblée  constituante  pour  cumu- 
ler les  attributions  qu^avaient  exercées  Tétat- 
major  général  de  l'armée  et  les  états-majors 
particuliers  de  Finfanterie  et  de  la  cavalerie. 
L'institution  avait  à  peine  trois  ans  de  date  ^ 
que  les  mauvais  choix  du  Comité  de  salut  pu- 
blic et  des  représentans  du  peuple  en  mission 
la  profanèrent.  Cependant,  à  Farmée  du  Rhin, 
la  moins  secouée  de  toutes  par  la  tourmente 
révolutionnaire ,   les    officiers  qui   avaient   le 
goût  de  l'étude  se  consacrèrent  au  travail  de 
l'état-major.  Desaix,  Saint-Cyr  ',  Abatucci,  De- 
caën  et  d'autres  du  même  ordre  ont  été  adju- 
dans-généraux  ;  des  fonctions  imparfaitement 
définies  furent  ainsi  agrandies  par  le  mérite  per- 
sonnel de  ceux  qui  les  remplissaient;  il  en  fut 
autrement  en  Italie.  Le  général  Bonaparte  tint 
peu  de  compte  de  gens  qui  ne  maniaient  ni 
machines  de  guerre,  ni  soldats;  il  considéra  le 

'  Morcau  disait  de  Desaix  et  Saint-Cyr  :  «  A.vec  rim 
on  est  sûr  de  gagner  des  batailles,  avec  l'autre  de  n'en 
));is  perdre.  » 


ÉTAT-MAJOR.  l3l 

service  de  rétat-major  comme  un  passage  et 
non  comme  une  carrière.  Les  adjudans-géné- 
raux  étaient  presque  assimilés  aux  officiers-gé- 
néraux par  la  ressemblance  du  nom  et  deTuni- 
forme  ;  le  premier  consul  les  dépouilla  de  ces 
ornemens ,  et  joignant  ensemble  deux  mots 
étonnés  de  se  voir  accouplés  ,  il  les  appela  ad- 
judans-commandans.  Les  portes  de  Tavance- 
ment  leur  furent  presque  fermées ,  lorsquVlles 
étaient  ouvertes  à  tout  le  monde  ;  voulait-on 
punir  un  cbef  de  corps  négligent  ou  coupable? 
on  le  faisait  adjudant-commandant.  Accordant 
moins  d''estime  à  une  classe  d^officiers  placés 
haut  dans  la  hiérarchie,  il  fallut  s''attendre  à 
en  tirer  moins  de  services. 

Le  travail  du  bureau,  peu  considérable  dans 
les  anciennes  guerres  ,  s'est  compliqué  outre 
mesure  avec  Taccroissement  de  nos  armées  et 
notre  étalage  de  responsabilité.  L'Empereur 
voulait  avoir  sous  les  yeux  ,  partout  et  à  toute 
heure ,  les  tableaux  les  plus  circonstanciés  de 
la  force  et  de  remplacement   de  ses  troupes , 

9* 


i3'A  ORGANISATION    MILITAIRE. 

des  hôpitaux ,  dos  arsenaux  ,  des  magasins  ; 
cela  fit  regarder  la  rédaction  des  états  de  si- 
tuation comme  une  des  plus  intéressantes  at- 
tributions de  Tétat-major.  Les  secrets  de  cas- 
tramétation  et  d'ouverture  de  marche  ,  qu'on 
prisait  tant  autrefois  ,  ont  baissé  dansTopinion, 
tant  à  cause  de  la  manière  différente  de  faire 
la  guerre,  que  parce  que  Texpérience  commune 
à  tous  réduisit  à  sa  juste  valeur  ce  qui  n'est 
que  VA  B  C  du  métier.  Les  régimens  familia- 
risés avec  l'étude  des  terrains  et  les  procédés 
géographiques  ,  faisaient  mieux  les  reconnais- 
sances que  des  adjoints  promus  sans  examen 
et  sans  choix.  Les  oinciers-généraux  ne  délé- 
guaient à  personne  le  soin  de  déterminer  les 
positions  et  d'y  asseoir  les  troupes.  Que  restait- 
il  donc  aux  adjudans-commandans  employés 
comme  chefs  d'état-major  des  divisions?  Rieiv 
que  la  transmission  des  ordres  ,  l'obligation  de 
seconder  le  général ,  et  l'envoi  des  rapports  et 
états  journaliers  au  chef  de  l'état-major  de 
l'armée.  Tout  le  monde  n'entendait  pas  dans 


État-major.  i33 

le  même  sens  Taction  directe  qu'ils  avaient 
droit  d''exercer  sur  les  troupes  et  dans  Tadmi- 
nistration  ;  quoique  pourvus  du  grade  de  co- 
lonel ,  leur  importance  déchut  encore  quand 
Tisolement  des  armes  et  Finstitution  des  corps 
d^armée  ébranlèrent  le  système  division- 
naire. 

Ce  changement  sortit ,  comme  beaucoup 
d'autres ,  du  grand  campement  des  bords  de 
la  Manche.  Les  divisions  de  Sambre-et-Meuse 
et  du  Rhin ,  oii  la  cavalerie  et  Tinfanterie  s'é- 
taient épousées  et  accouraient,  lorsque  leur  com- 
pagnie d'artillerie  à  cheval  était  compromise  , 
au  secours  de  leurs  camarades  et  de  leurs  amis 
dans  la  détresse  :  ces  belles  divisions  retraçaient 
Timage  des  légions  romaines,  autant  que  le  com- 
porte la  nature  de  nos  armes.  Quand  les  forces 
militaires  se  déployèrent  sur  un  plus  grand 
espace,  plusieurs  généraux  en  chef,Moreaa 
particulièrement,  jugèrent  qu'un  morcelle- 
ment trop  détaillé  nuisait  à  Texécution  des  or- 


1 34  Établissement 

dres  et  à  rensemble  des  mouvemens.  On  réu- 
nit, en  Tannée  1800,  plusieurs  divisions  des 
armées  du  Rhin  et  d'Italie ,  sous  le  comman- 
dement d''un  officier-général,  qui  reçut  à  cet 
effet  la  commission  temporaire  de  lieutenant 
du  général  en  chef.  Cependant  la  division 
resta  Tunité  ,  et  la  lieutenance  fut  dans  ce  mé- 
canisme un  rouage  surabondant. 

Trois  ans  plus  tard ,  des  généraux  en  chef , 
qui  furent  nommés  maréchaux  d'empire  aussi- 
tôt qu'on  institua  cette  dignité ,  commandèrent 
les  corps  d'armée  de  Boulogne ,  d'Ostende  et 
de  Montreuil.  Ces  rassemblemens  étaient  de 
véritables  armées ,  car  ils  conduisaient  avec 
eux  tout  ce  qui  leur  était  nécessaire  pour  mar- 
cher, vivre  et  combattre.  Les  divisions  perdi- 
rent leur  consistance  ;  comme  nous  l'avons 
dit ,  on  leur  retira  la  cavalerie  ,  et  l'artillerie 
n'y  figura  que  pour  mémoire.  Les  armes  fu- 
rent isolées  les  unes  les  autres  5  les  officiers- 
généraux  ,  limités  au  commandement  d'une 
seule  espèce  de  troupes ,  ne  furent  plus   que 


DES   CORPS  d^rmée.  1 35 

des  colonels  renforcés  ' .  On  peut  mettre  en 
question  si  cette  modification  du  système  avec 
lequel  on  avait  vaincu  était  bonne  et  néces- 
saire ;  TEmpereur  Tadopta  moins  comme  amé- 
lioration absolue  que  pour  sa  propre  conve- 
nance ;  les  commandemens  fixes  de  ses  lieute- 
nans,  calculés  sur  le  nombre  d^hommes  qu'un 
chef  d'une  habileté  raisonnable  peut  remuer 
avec  succès  sur  le  terrain ,  servirent  à  dégager 
sa  pensée  de  la  préoccupation  d'une  foule  de 
détails  importuns.  A  eux  appartenaient  les 
soins  du  métier  et  l'exécution  technique  ;  à  lui 
seul  la  conception  et  la  direction  des  entre- 
prises. 


'  Nous  rapportons  ici  l'organisation  impériale ,  c'est- 
à-dire  l'organisation  des  armées  commandées  par  l'Em- 
pereur en  personne.  On  a  fait  une  partie  de  la  guerre 
d'Espagne  sans  avoir  d'intermédiaire  entre  les  états-ma- 
jors généraux  d'armées  et  les  divisions,  et  on  s'en  est  bien 
trouvé.  Au  reste  ,  les  campagnes  de  la  Péninsule  ont  pro- 
duit,  dans  le  service  des  troupes  et  dans  les  mœurs  de 
l'officier  et  du  soldai  ,  de  nombreuses  modifications  qu( 
nous  ne  manquerons  pas  de  faire  connaître. 


l36  ORGANISATION    MILITAIRE. 

Derrière  les  corps  d'armée  de  Napoléon, 
marchait  une  réserve  sans  pareille  ;  la  garde 
impériale  représentait  la  gloire  de  Tarmée  et 
la  majesté  de  Tempire.  On  choisissait  les  offi- 
ciers et  les  soldats  parmi  ceux  que  les  braves 
avaient  signalés  comme  les  plus  braves  :  tous 
étaient  couverts  de  cicatrices.  Nourris  dans  les 
dangers ,  ils  avaient  vécu  beaucoup  en  peu 
d'années  ;  et  Ton  ne  s'étonnait  pas  d'entendre 
appeler  vieille  garde  un  corps  où  les  plus 
vieux  n'étaient  pas  âgés  de  quarante  ans.  Quoi- 
que le  prince  les  comblât  de  grâces ,  la  récom- 
pense restait  toujours  au-dessous  du  service. 
Napoléon ,  honneur  et  patrie  se  confondaient 
dans  leur  admiration  et  leur  dévouement.  Pas 
un  d'eux  ne  pensait  que  ce  dévouement  les  ap- 
pelât jamais  à  défendre  la  couronne  impériale 
contre  les  tumultes  populaires  ;  tous  s'enor- 
gueillissaient qu'on  eût  confié  à  leur  courage 
le  soin  de  la  conserver  radieuse  aux  yeux  des 
étrangers  ;  les  délices  de  la  grande  cité  n'amol- 
lissaient point  leur  discipline.  Transportés  sur 


GARDE    IMPÉRIALE.  iS'J 

les  champs  de  bataille ,  à  pied  par  des  mar- 
ches forcées  ,  en  bateau  ou  sur  des  voitures  ,  la 
nouvelle  de  leur  arrivée  glaçait  d''eftVoi  les 
cœurs  des  ennemis.  L'Empereur  porta ,  par 
des  augmentations  successives ,  TefFectif  de  sa 
garde  à  soixante-huit  bataillons ,  trente-un 
escadrons  et  quatre-vingts  pièces  d'artillerie. 
Aux  jours  de  ses  prospérités ,  il  ne  la  faisait 
donner  que  par  portions  détachées  ;  quinze 
ans  entiers  elle  resta  debout  au  milieu  des 
épouvantemens  et  des  ruines  ,  solide  comme  la 
colonne  de  granit  ' .  Un  jour  elle  succomba — 
Ce  jour-là  le  joug  de  Tétranger  s'appesantit 
sur  la  France.  Sur  les  tombeaux  des  héros  nos 
enfans  écriront  ces  mots ,  qui  furent  proférés 
au  plus  fort  de  la  mêlée  :  «  La  garde  meurt 
et  ne  se  rend  pas  î  )• 

L'admimstkatioiN   de   nos   armées  était  vi- 


'  C'est  ainsi  que  la  désigna  le  général  Bonaparte  sur  le 
champ  de  bataille  de  Marengo. 


I  38  ADMINISTRATION 

cieuse.  On  ne  manquait  cependant  ni  de  bons 
réglemens  ni  d'hommes  capables  de  les  faire 
exécuter.  Le  mal  venait  de  deux  causes  capi- 
tales :  Tune,  c'est  que  Tart  de  pourvoir  aux 
besoins  du  soldat,  dépendant,  comme  les 
autres  arts,  de  procédés  matériels ,  ne  peut 
être  appliqué  aux  armées  qui  surpassent  une 
certaine  force  numérique  ,  ou  dont  les  mouve- 
mens  excèdent  un  certain  degré  de  rapidité. 
L'autre  cause  était  inhérente  au  caractère  de 
l'homme  qui  réglait  nos  destinées.  Comme 
l'Eole  de  laFablemetles  vents  en  liberté  pour 
agiter  les  flots,  ainsi  Napoléon  déchaînait  les 
passions  pour  bouleverser  le  monde.  Or ,  les 
passions,  même  les  plus  nobles,  sont  toujours 
prêtes  à  s'indigner  de  l'ordre  qui  aligne  les  ta- 
lens  et  tue  l'enthousiasme. 

Le  commissariat ,  dont  le  nom  est  ancien 
dans  la  monarchie ,  fut  agrandi  à  la  ré  vol  u- 
lion.  On  était  porté  alors  à  amoindrir  le  pou- 
voir militaire  :  ce  qui  est  toujours  bon  à  faire 
quand  la  sûreté  de  l'Etat  n'est  pas  compromise. 


DES    ARMÉES.  iSq 

A  Tadministration  des  choses  de  la  guerre,  soit 
dans  IMntérieur  des  régimens  ,  soit  au-dehors  , 
on  réunit,  pendant  quelque  temps  ,  Tinforma- 
tion  des  délits  commis  par  les  officiers  et  les 
soldats,  et  la  conduite  des  jugemens.  La  défa- 
veur qui  s'attacha  aux  vieilles  institutions  ne 
fit  quVffleurer  les  commissaires  des  guerres. 
Très-peu  se  crurent  obligés  d'aller  à  la  croi- 
sade d'outre-Rhin.  Leur  corps,  à  peu  près 
intact ,  et  partant  riche  en  traditions  ,  se  ren- 
força de  sujets  distingués.  Tant  que  nos  mi- 
lices ,  occupées  à  repousser  la  première  inva- 
sion de  l'ennemi ,  restèrent  collées  aux  places  , 
et  vécurent  des  magasins ,  il  conserva  le  relief 
d'une  magistrature  indépendante. 

La  guerre  offensive  commença.  Les  armées 
républicaines ,  partagées  en  divisions ,  mar- 
chèrent sur  un  grand  front ,  parce  qu'elles 
étaient  obligées  de  tirer  leur  subsistance  du 
terrain  qu'elles  parcouraient.  Il  n'y  eut  plus  de 
centralité  possible  dans  l'administration.  On 
eut  recours  aux  réquisitions  en  nature  faites 


l4o  ADMINISTRATION 

partiellement,  et  au  jour  le  jour,  sur  tous  les 
points  où  le  besoin  se  faisait  sentir.  Cette  ma- 
nière de  servir  nécessitant  la  coopération  con- 
tinuelle de  Tautorité  militaire ,  tant  pour  le 
calcul  des  ressources  que  pour  leur  recouvre- 
ment, imposa  au  général  de  division  un  devoir 
de  plus  à  remplir  :  celui  de  nourrir  les  soldats. 
Pour  Taccomplissement  de  ce  devoir,  parfois 
plus  difficile  que  les  autres  ,  le  commissaire  des 
guerres  fut  un  agent  éclairé,  actif,  indispen- 
sable ,  mais  subordonné.  Si  le  corps  adminis- 
trant eût  voulu  se  retrancher  dans  le  bénéfice 
de  la  loi  qui  Pavait  constitué ,  et  qui  n''était 
pas  changée,  il  n^aurait  eu,  la  plupart  du 
temps,  rien  à  faire.  Il  aima  mieux  laisser  déna- 
turer ses  fonctions  que  les  abandonner.  Les 
militaires  ,  accoutumés  à  juger  du  droit  par  le 
fait ,  ne  virent  plus  dans  le  dépositaire  du  pou- 
voir ministériel  qu^un  subalterne  ,  et  dans  le 
régulateur  du  service  des  vivres  qu^un  vivrier, 
le  premier  de  sa  classe.  La  distinction  fonda- 
mentale entre  les  surveillans,  les  comptables 


DES    ARMEES.  l^i 

et  les  manipulateurs ,  s''effaça  ;  car  il  n'y  avait 
pas  trace  de  comptabilité ,  et  tout  était  ma- 
nipulation. Qu'on  joigne  à  ces  causes  de  déca- 
dence le  dédain  qu'éprouvent  naturellement 
les  soldats  pour  ceux  qui  vont  à  la  guerre  sans 
courir  le  danger  du  champ  de  bataille  ,  et  per- 
sonne ne  s'étonnera  que  les  commissaires  des 
guerres  n'aient  pas  conservé  assez  de  consis- 
tance pour  diriger  et  contrôler  avec  succès  la 
gestion  financière  des  régimens.  Le  travail  des 
revues,  base  de  la  comptabilité,  fut  en  souf- 
france. Bientôt  on  cessa  d'en  passer  sur  le 
terrain. 

Les  troupes  étaient  nourries  aux  dépens  du 
pays  conquis  ,  et  il  importait  assez  peu  que  les 
fonctionnaires  préposés  à  la  surveillance  de  ce 
service  fussent  investis  de  plus  ou  moins  de  con- 
sidération. Cependant  elles  étaient  soldées  par 
le  trésor  national ,  et  l'emploi  de  la  fortune  pu- 
blique touchant  de  près  le  gouvernement ,  il 
dut  chercher  à  rehausser  les  dispensateurs  des 
fonds.  L'arrêté  des  consuls  ,  en  date  du  9  plu- 


l42  ADMINISTRATION 

viose  an  VIII ,  retira  aux  commissaires  des 
guerres  la  police  administrative  des  corps  ar- 
més, et  la  confia  à  une  autre  corporation,  dont 
les  premiers  membres  furent  pris  dans  la  tête 
du  commissariat,  et  parmi  les  officiers-géné- 
raux et  supérieurs  hors  d'activité.  Les  inspec- 
teurs aux  revues  prirent ,  de  premier  jet ,  une 
attitude  imposante ,  parce  qu'on  leur  conféra 
des  grades  élevés.  Ils  la  conservèrent,  après 
avoir  perdu  les  insignes  des  grades  ,  parce  que 
leurs  fonctions  ne  leur  donnaient  avec  les  mili- 
taires ,  isolés  ou  réunis ,  que  des  rapports  de 
supériorité. 

Le  régime  divisionnaire  avait  contribué  à 
faire  déchoir  les  commissaires  des  guerres. 
L'établissement  des  corps  d'armée  et  un  sys- 
tème de  guerre  plus  concentré,  eurent  pour 
effet  de  leur  rendre  ,  sinon  leur  ancien  éclat , 
du  moins  une  dépendance  moins  éparpillée  , 
et  plus  de  fixité  dans  les  attributions.  Mais 
alors  la  plaie  faite  par  le  démembrement  de 
l'inspection  aux  revues  était  encore  saignante. 


DES    ARMEES.  14^ 

Le  corps  nouveau  avait  emporté  avec  lui  l'au- 
torité traditionnelle  et  les  droits  honorifiques. 
Le  corps  ancien ,  brusquement  appauvri  d'un 
nombre  considérable  de  ses  meilleurs  sujets , 
ne  renfermait  pas  TétofFe  nécessaire  pour  rem- 
plir ce  vide ,  et  on  fut  trop  facile  à  ouvrir  la 
carrière  à  des  hommes  qui ,  par  leur  éducation 
première  et  le  genre  de  leurs  connaissances , 
n'étaient  pas  destinés  à  la  parcourir. 

Cependant ,  le  zèle  du  commissariat  a  paru 
.  s'exalter  à  mesure  qu'on  l'a  moins  apprécié.  Pen- 
dant un  quart  de  siècle,  tous  les  systèmes  d'ad- 
ministration ont  été  essayés ,  depuis  celui  qui 
organise  les  secours  long-temps  d'avance,  jus- 
qu'à la  maraude  régularisée.  Les  commissaires 
des  guerres  se  sont  prêtés  à  tout.  Contention 
d'esprit ,  fatigues  corporelles ,  sacrifices  d'a- 
mour-propre ,  rien  n'a  coûté  à  leur  désir  d'être 
utiles.  Rarement  aidés ,  et  quelquefois  contra- 
riés par  l'autorité  ,  leurs  efibrts  ont  été  particu- 
lièrement méritoires  dans  les  guerres  d'armée 
à  peuple  ,  où  les  élémens  générateurs  de  l'or- 


l44  ADMINISTRATION 

dre  devaient  naître  du  sein  même  de  la  confu- 
sion. On  verra  ,  dans  le  cours  de  l'ouvrage  que 
nous  écrivons,  tel  ordonnateur  des  guerres 
dépenser,  pour  former  un  magasin  ,  pour  or- 
ganiser un  convoi  ,  pour  approvisionner  une 
place  ,  plus  de  talent  administratif  et  de  force 
de  tête  qu'il  n'en  eût  fallu ,  en  temps  régulier, 
pour  régir  un  Etat.  Des  actes  de  cette  nature 
sont  d'ordinaire  voués  à  l'obscurité  ;  mais  lors- 
que l'énergie  des  résistances  surmontées  et 
l'importance  des  résultats  obtenus  les  ont  em- 
preints de  grandeur  ,  l'histoire  les  recueille 
pour  l'encouragement  de  ceux  qui  se  trouve- 
ront dans  des  circonstances  semblables. 

Les  employés  de  l'administration  militaire 
étaient  pris  au  hasard  et  amovibles ,  au  gré  du 
premier  venu.  Du  temps  du  Directoire,  leurs 
richesses  mal  acquises  insultaient  à  la  noble 
misère  des  guerriers  ;  sous  Napoléon ,  ils  eu- 
rent les  mœurs  de  leur  condition.  Les  services 
qu'ils  rendirent ,  quoique  pas  toujours  désin- 
téressés ,  furent  meilleurs  qu'on  n'avait  droit 


DIÎS    ARMÉES.  l/p 

de  Tattendre  d^une  classe  d^hommes  livrée  à 
riïicertitude  d^un  état  précaire. 

Comme   nous  faisions  un  usage  continuel 
des  ressources  locales ,  le  matériel  d'adminis- 
tration que  nos  armées  conduisaient  avec  elles 
était  très-restreint,  et  Texpérience  de  la  guerre 
ne  Tavait  pas  perfectionné.  Nos  ambulances 
n'étaient  pas  en  proportion  avec  nos  besoins. 
Nous  ne  nous  servions  ni  de  boulangeries  por- 
tatives ni  de  fours  mobiles.  Les  caissons  des 
vivi'es  étaient  lourds  et  grossiers.  Le  décret 
impérial  du  26  mars  1807  forma  les  équipa- 
ges en  bataillons.  Cette  innovation,  dont  le 
train  d'artillerie  avait  donné  l'idée,  n'était  pas 
soutenue  par  les  mêmes  stimulans  de  patrio- 
tisme et  d'honneur. 

Les  agens  subalternes  du  service  de  santé 
reçurent  aussi  une  organisation  militaire.  Il  a 
été  facile  de  l'établir,  car  les  infirmiers  étaient 
choisis  parmi  les  vieux  soldats;  mais  on  en  a 
retiré  peu  d'avantage  pour  l'amélioration  du 
régime  des  hôpitaux.  Les  hôpitaux! C'est 


l46  ADMINISTRATION 

ici  que  riiumanité  en  pleuts  accuse  les  forfaits 
de  Tambition.  Il  n'était  plus  permis  aux  cœurs 
généreux  de  palpiter  au  récit  de  la  victoire  ; 
nos  lauriers  étaient  noyés  dans  une  mer  de 
sang.   Les   conscrits  vivaient   trop  vite   pour 
durer  long-temps.   Les  affections  de  poitrine 
dans  le  Nord  ,  et  les  maladies  d'estomac  dans 
le  Midi ,  les  emportaient  par  milliers.  L'ex- 
trême mobilité  des  armées  et  l'incertitude  des 
lignes  d'opération  ne  permettaient  pas    tou- 
jours de  constituer  des  hôpitaux  réguliers,  et 
compromettaient  sans  cesse  les  évacuations.  Les 
blessés  furent  souvent   abandonnés  faute   de 
moyens  de  transport.  Vainqueurs  ou  vaincus, 
nous  avons  perdu  quatre  fois  plus  de  monde 
par  le  désordre  inséparable  de  notre  système 
de  guerre  que  par  le  fer  ou  le  feu  de  l'ennemi. 
Cependant  l'armée  adorait  son  général  heu- 
reux, et  elle  délirait  encore  pour  lui,  alors  qu'elle 
était  désabusée  de  sa  providence.    Pour  de- 
viner cette  énigme  ,  il  faut  avoir  connu  Napo- 
léon ,  la  vie  des  camps  et  la  gloire  ;   il  faut 


DES    ARMÉES.  l47 

surtout  avoir  la  tête  et  le  cœur  français.  Le 
pestiféré  de  JalFa  repoussa-t-il  la  main  ap- 
pliquée sur  sa  plaie  ,  parce  que  cette  rnain  Pa- 
vait arraché  du  sol  natal  pour  le  traîner  au 
foyer  de  la  contagion?  L'*Empereur  s*'effor- 
çait  de  réparer  par  des  soins  individuels  une 
faible  portion  des  maux  résultant  de  ses  com- 
binaisons. Après  une  bataille  il  visitait  les  hô- 
pitaux en  personne  ,  ou  bien  il  y  envoyait  ses 
principaux  officiers.  A  son  exemple  les  géné- 
raux prenaient  un  vif  intérêt  au  bien-être  des 
malades  et  des  blessés.  Notre  chirurgie  ,  dirigée 
aux  armées  par  des  chefs  habiles  ,  a  conservé 
sa  prééminence  en  Europe.  La  patrie  doit  une 
reconnaissance  sans  bornes  aux  services  mo- 
destes des  officiers  de  santé.  Placée  entre  la 
cupidité  des  administrateurs  et  Tambition  des 
militaires  ,  cette  classe  respectable  de  ci- 
toyens a  donné  Fexemple  d'un  dévouement 
dont  aucun  calcul  n'altéra  la  pureté. 

La  loi  avait  confié  au  corps  des  inspecteurs 
aux  revues  la  tutelle  des  conseils  d'administra- 


10' 


l/jS  ADMIiSISTÇATION 

tioii  des  régimens  ;  c'est  ce  qu'on  appelait  la 
police  administrative.  Les  conseils  n'avaient 
qu'une  autorité  nominale.  On  y  délibérait  pour 
la  forme,  ou  bien  on  n'y  délibérait  pas  du  tout, 
et  les  membres  signaient  un  à  un  les  actes  col- 
lectifs. Par  le  fait  le  colonel  administrait  seul  ; 
l'inspecteur  aux  revues  ,  content  d'avoir  as- 
suré les  intérêts  du  Trésor  en  constatant  exac- 
tementreffectif,jugeait  les  opérations  consom- 
mées, sur  la  présentation  des  pièces  justificati- 
ves, et  portaitrarementun  œil  scrutateur  au-de- 
là. Les  défenses  ministérielles,  éternellement 
répétées  ,  n'empêchaient  pas  qu'à  la  faveur  du 
bien-être  dont  les  troupes  jouissaient  parfois 
dans  leurs  cantonnemens,  on  n'exerçât  des  rete- 
nues illégales  sur  la  solde  ,  tantôt  pour  entrete- 
nir des  sapeurs  et  payer  des  musiciens ,  tantôt 
pour  ajouter  à  l'habillement  de  futiles  embel- 
lissemens.  Tel  colonel  changeait  de  son  auto- 
rité privée  des  portions  importantes  de  l'uni- 
forme; l'un  ordonnait  les  cheveux  coupés; 
l'autre  faisait  reprendre  la  pondre.  Une  foule 


DES    ARiMÉeS.  .  149 

de  détails ,  qui  ailleurs  sont  déterminés  par  les 
réglemens,  étaient  abandonnés  en  France  au 
caprice  des  chefs  qui  se  succédaient  avec  une 
rapidité  égale  à  celle  des  mouvemens  mili- 
taires. L''arbitraire  en  ce  genre  n'était  tempéré 
que  par  Tinfluence  paternelle  des  capitaines,  et 
par  Tintérêt  qu'avaient  les  colonels  d'être  aimés 
et  honorés  de  ceux  dont  ils  attendaient  leur 
réputation  et  leur  avancement.  Napoléon  di- 
sait qu'un  peu  de  désoinlre  n'était  pas  m  es- 
séant  au  caractère  français ,  mais  il  eût  com- 
mencé à  s'inquiéter  si  les  troupes  eussent  paru 
mécontentes.  Il  avait  besoin  avant  tout  de  bons 
officiers  et  de  soldats  intrépides.  Cette  pensée 
le  détournait  toujours  des  considérations  se- 
condaires. 

Celui  qui,  pour  connaître  l'armée  française, 
en  étudierait  la  législation  écrite ,  entrepren- 
drait un  travail  fastidieux  et  inutile;  dans  ce 
fatras  d'ordonnances  souveraines  et  de  déci- 
sions ministérielles  capables  de  remplir  cent 


1 5o  LÉGISLATION 

volumes,  les  contradictions  Tarrèteraient  a 
chaque  pas;  il  ne  saurait  distinguer  les  dispo- 
sitions ayant  encore  vigueur,  de  celles  qui 
n'en  ont  plus  et  de  celles  qui  n'en  eurent  ja- 
mais. En  tout  pays ,  mais  surtout  dans  notre 
France ,  la  différence  est  énorme  entre  le  pré- 
cepte et  Faction  ,  entre  ce  qu'on  devrait  faire 
et  ce  qu'on  fait.  Au  milieu  d'une  stérile  abon- 
dance ,  nos  codes  péchaient  par  d'inexcusables 
omissions.  Ainsi  nous  avons  attendu  jusqu'au 
i*"*^  mai  1812  pour  y  insérer  une  loi  pénale 
contre  ceux  qui  traiteraient  de  capitulation 
en  rase  campagne.  Nous  n'avons  jamais  eu 
pour  le  service  d'armée  un  règlement  adapté 
au  régime  des  divisions  et  des  corps  d'armée 
permanens  '  ;    les    rapports  de   l'artillerie    et 


'  Il  existait  pour  le  service  des  troupes  en  campagne 
deux  réglemens,  l'un  du  12  avril  1788  ,  relatif  à  la  cava- 
lerie, l'autre  du  5  avril  1792,  relatif  à  l'infanterie, 
drcss(^s  tous  deux  sur  d'anciens  erremens  ,  et  tous  deux 
à  peu  près  inconnus  à  l'armée.  Pendant  la  guerre  d'Au- 
triche, en  1809,  l'Empereur  sentit  la  nécessité  d'un  ré- 


MILITAIRE.  lai 

du  génie  ,  et  surtout  de  Tadministration  avec 
Tétat-major,  sont  restés  dans  le  vague.  A  côte' 
^  de  telles  imperfections ,  certains  actes  gran- 
dioses décelèrent  le  doigt  du  grand  homme. 
Nous  citerons  dans  cette  catégorie  le  décret 
impérial  relatif  aux  aigles  des  régimens,  qu'on 
dirait  avoir  e'té  re'diaé  dans  le  sénat  romain 
sur  la  proposition  de  Scipion;  et  celui  du 
24  décembre  1811  sur  la  défense  des  places  de 
guerre ,  où  respire  une  si  héroïque  connais- 
sance du  cœur  humain  et  de  la  profession  des 
armes. 

La  guerre,  considérée  comme  science  tech- 
nique ,  a  fait  des  progrès  continuels ,  mais 
lents  ,  depuis  Femploi  de  la  poudre  jusqu'au 
renouvellement  du  pas  égal,  et  au  perfection- 

glement  de  campagne.  Il  eût  fallu  ,  pour  en  faire  un 
bon,  du  temps  et  du  travail;  on  se  contenta  de  réim- 
primer à  la  hâte  le  règlement  du  5  avril  1792,  avec 
quelques  changemens  ,  dont  le  principal  fut  la  substi- 
tution du  mot  baraque  au  mot  tente. 


132  SCIENCE 

nement  du  système  de  feu  dans  les  armées, 
prussiennes.  Elle  restera  probablement  sta- 
tionnaire,  tant  qu\ine  découverte  capitale  ne 
produira  pas  une  révolution  dans  les  arts.  En 
effet ,  vingt-quatre  années  de  batailles  livrées 
au  monde  entier  par  la  plus  ingénieuse  des 
nations ,  n'ont  suggéré  aucun  changement  à 
Tarme  principale  des  modernes,  le  fusil  garni 
de  la  baïonnette ,  et  la  tactique  n'a  guère  été 
poussée  au-delà  des  combinaisons  que  le  grand 
Frédéric  avait  imaginées. 

Mais  les  applications  de  la  science  ont  été 
variées  à  l'infini,  les  idées  saines  popularisées, 
tes  préjugés  dissipés.  Le  dernier  officier-major 
de  notre  infanterie  eût  souri  de  pitié  en  enten- 
dant les  graves  dissertations  de  nos  devanciers 
sur  l'ordre  profond  et  l'ordre  mince. 

Un  artilleur  à  cheval  pourrait-il  croire  que, 
douze  ans  avant  la  révolution,  on  a  écrit  des 
volumes  pour  prouver  que  la  mobilité  des  ca- 
nons est  une  qualité  superflue ,  et  que  les 
mêmes  pièces  montées  sur  les  mêmes  affûts  doi- 


DE    LA    GUERRE.  l53 

vent  servir  le  long  des  côtes,  sur  les  remparts, 
aux  sièges  et  en  campagne!  On  a  secoué  le  joug 
des  places  inutiles.  On  ne  s^est  plus  contenté 
de  victoires  sans  résultat.  Le  luxe  revenu  avec 
les  institutions  monarchiques,  n'ayant  pas  pé- 
nétré au-dessous  des  premières  couches  de 
Tarmée  ,  elle  a  pu  ,  légère  de  bagages  et  indus- 
trieuse dans  ses  moyens  de  subsistance ,  s^é- 
manciper  jusqu'à  un  certain  point  de  la  rigueur 
des  lignes  d'opération.  Un  général  a  mis  en 
action  à  la  fois  cent  quatre-vingt  mille  hommes 
et  cinq  cents  pièces  de  canon  sur  le  même 
champ  de  bataille. 

La  stratégie  a  pris  l'essor  et  a  complété  la 
science  de  la  guerre.  Michel-Ange  dit  un  jour 
du  Panthéon  de  Rome  :  «  Je  relèverai  à  quatre 
cents  pieds  du  sol.  »  Et  il  le  plaça  sur  le  faîte 
de  réglise  de  Saint-Pierre.  Ainsi  fut  fait  de 
nos  jours  avec  la  théorie  des  niouvemens  d'ar- 
mée. Le  vieux  roi  de  Prusse  avait  gagné  des  ba- 
tailles par  l'emploi  de  l'ordre  oblique;  Napoléon 
s'en  servit  pour  conquérir  des  royaumes  en  une 


l54  SCIENCE 

semaine  ou  en  un  mois.  Il  en  obtint  des  profits 
plus  étendus,  parce  qu^il  Tappliqua  sur  une 
plus  vaste  échelle.  Suivez  le  profond  stra- 
tège dans  les  manœuvres  brillantes  de  talent 
et  d'audace  qui  ont  précédé  les  journées  de 
Marengo,  d^Ulm,  d'Austerlitz  et  d'Iéna.  Voyez- 
le  ensuite  prendre  son  champ  de  bataille ,  et 
ne  vous  étonnez  plus  de  ce  qu'une  seule  vie- 
toire  renverse  un  Etat. 

Au  reste ,  ce  ne  sont  pas   là  des  bienfaits 
pour  les  peuples.  Mieux  valait  pour  eux  que 
les  querelles  de  rois  se  vidassent  avec  vingt 
mille   soldats    qu'avec    deux   cent   mille.    Le 
préjuge'  qui  condamnait   les  armées  les  plus 
nombreuses  à  assiéger  Berg-op-Zoom  pour  se 
préparer  à  entrer  en  Hollande ,  ou  à  prendre 
jusqu'à  la  dernière  bicoque  de  Flandre,  avant 
de  songer  à  percer  dans  le  cœur  de  la  France  : 
ce   préjugé  diminuait  les  maux  de  la  guerre  , 
sinon  dans  leur  intensité  ,  du  moins  dans  leur 
développement.  L'usage  des  tentes  préservait 
les  troupes  des  maladies  pernicieuses. 


DE    LA    GUERRE.  1 55 

Tout  cela  est  vrai;  et  cependant  on  ne 
reviendra  ni  aux  petites  armées ,  ni  aux  siè- 
ges de  convention,  ni  aux  maisons  de  toile  '. 
Chaque  puissance  belligérante  continuera  à 
se  faire  beaucoup  de  mal  à  elle-même, 
dans  Tespoir  plus  ou  moins  fonde'  d^en  faire 
davantage  à  son  adversaire.  Cherchons  plus 
haut  le  remède;  cherchons-le  dans  la  libre 
manifestation  de  Topinion  publique,  dans  des 
institutions  assez  fortes  pour  résister  aux  vo- 
lontés individuelles  des  gouvernans ,  et  pour 
les  réduire  à  ne  plus  être  que  les  serviteurs 

'  Quelques  guerriers  pbilantropes  ont  désiré  qu'on 
reprît  l'usage  des  tentes  :  ce  vœu  ressemble  à  celui  que 
formaient  au  seizième  siècle  les  Montluc  et  les  Bayard, 
pour  qu'on  abandonnât  l'usage  de  ces  armes  traîtresses 
au  moyen  desquelles  un  lâche  ,  tapi  deriière  un  buisson, 
donne  la  mort  au  brave  qu'il  n'aurait  pas  regardé  en 
face.  Celui  qui  fera  la  guerre  avec  des  tentes  aura  tou- 
jours des  embarras  de  transport  qui  le  mettront  dans  un 
état  d'infériorité  contre  celui  qui  n'en  aura  pps.  Si  ja- 
mais les  peuples  du  Nord  se  débordent  sur  ceux  du  Midi, 
ce  qui  est  autant  à  craindre  que  jamai^s  ,  ils  n'aniveront 
pas  campés  sous  des  maisons  de  loilc. 


*56  SCIENCF. 

plus  ou  moins  habiles  des  inte'rêts  généraux. 
L'esprit  de  liberté  tuera  Pesprit  militaire.  II 
ne  sera  plus  permis  aux  princes  de  faire  entre- 
égorger  les  peuples  pour  des  inte'rêts  de  dy- 
nastie, ou  par  des  lubies  dWibition.  Les  gou- 
vernans,  quel  que  soit  leur  titre  et  Torigine  de 
leur  pouvoir,  ne  pourront  subsister  qu'en  s'ef- 
façant  personnellement  devant  la  volonté  gé- 
nérale. Les  nations,  comparant  les  désastres 
de  la  bataille  au  mince  profit  de  la  victoire , 
ne  pousseront  plus  le  cri  de  guerre ,  hormis 
dans  les  circonstances  très-rares  où  il  s'agira 
(le  vivre  libre  ou  mourir,  ainsi  qu'il  arriva,  en 
1792,  à  la  France  menacée  dans  son  existence 
par  les  rois  d'Europe  injustement  coalisés. 

Les  grands  événemens  sont  la  grande  école 
du  genre  humain,  et  la  guerre  est  l'apprentis- 
sage de  la  guerre.  De  même  que  les  dernières 
campagnes  de  la  guerre  de  trente  ans  avaient 
formé  pour  le  siècle  de  Louis  XIV  les  Condé 
et  les  Turenne,  ainsi  Napoléon  eut  à  choisir 
priimi    les   o(Miies  ])uiss;«ns  f[iie   la  révolution 


DE    LA    GUERRE.  iSj 

avait  fait  ëclore.  Il  fit  aussi  des  oéneraux , 
et  en  grand  nombre  :  les  nns,  que  le  hasard 
avait  groupe's  autour  de  lui  dans  les  campa- 
gnes d'Italie;  les  autres  ,  qu'offrirent  à  ses  re- 
gards les  guerres  qu'il  fît  ensuite.  Vaincre  et 
trouver  des  instrumens  de  victoire  était  le  tra- 
vail de  sa  vie.  Pourvu  qu'on  fût  disposé  à  ne 
plus  avoir  d'autre  avenir,  d'autres  desseins, 
d'autres  volontés,  que  l'avenir, les  desseins  et 
la  volonté  du  maître ,  il  ne  demandait  pas  aux 
hommes  ce  qu'ils  avaient  pensé  autrefois ,  ni 
ce  qu'ils  pensaient  encore  ,  mais  ce  qu'ils  sa- 
vaient faire.  L'histoire  dira  que  plusieurs  de 
ses  aides-de-camp  ,  et  ce  n'était  pas  ceux  qu'il 
estimait  le  moins ,  avaient  voté  contre  le  con- 
sulat à  vie'. 

'  Drouot ,  un  des  plus  beaux  caractères  de  notre  âge  ; 
Mouton,  comte  de  Lobau  ,  excellent  Lomme  de  guerre; 
Bernard  ,  officier-général  du  génie,  conduit  par  les  mal- 
heurs des  temps  à  offrir  aux  Etats-Unis  de  l'Amérique 
septentrionale  des  services  qui  ont  été  acceptés  avec  em- 
pressement, et  qui  là  au  moins  seront  utiles  à  la  cause  de 
l'humanité. 


l58  SCIENCE 

Toutefois ,  les  réputations  militaires  sorties 
de  son  règne  sont  loin  d''avoir  égalé  les  réputa- 
tions acquises  au  temps  de  la  République,  et 
les  généraux  qui  ont  rendu  leur  nom  célèbre 
dans  les  deux  époques,  ont  brillé  de  moins 
d^e'clat  dans  la  seconde.  Il  ne  faut  pas  s'en  éton- 
ner. Et  d'abord,  une  cour,  tant  nouvelle  qu'elle 
soit ,  ne  fût-elle  même  qu'un  quartier-géne'ral 
transformé  de  la  veille ,  est  un  cbamp  ouvert  à 
la  médiocrité.  Les  nécessités  du  métier  de  cour- 
tisan rapetissent  chaque  jour  les  hommes  qui 
ont  le  plus  de  valeur  réelle.  Napole'on  exerçait 
plus  d'influence  sur  les  esprits  comme  monar- 
que que  comme  guerrier,  et  il  formait  autour  de 
lui  des  serviteurs  et  non  pas  des  élèves.  L'exem- 
ple de  sa  haute  fortune,  l'ambition  qu'il  se  plai- 
sait à  exciter,  les  grandes  existences  qu'il  cre'ait, 
inspiraient,  non  le  désir  de  la  gloire,  mais  la 
passion  de  s'élever;  et  ses  lieutenans  rêvaient 
des  royaumes  autant  que  des  batailles  ga- 
gnées, autant  que  l'honneur  d'illustrer  eux  et 
la  France. 


DE    LA    GUERRE.  1 5(1 

D''ailleurs,  auquel  de  ses  élèves  Homère  a-t-il 
transmis  le  secret  de  Tlliade?  Le  talent  de  Na- 
poléon ,  tout  dMnspiration  et  de  génie ,  nVtait 
pas  de  nature  à  faire  école.  D^unepart,  son 
immense  supériorité  sur  ceux  qui  Tentouraient, 
leur  donnait  une  excessive  défiance  de  leurs 
propres  forces  ;  d^autre  part,  sa  puissance  ab- 
solue courbait  les  esprits  indépendans,  et  per- 
mettait à  peine  qu\ine  idée  heureuse  jaillit 
d'un  autre  cerveau  que  du  sien.  Il  ne  conve- 
nait ni  à  sa  politique,  ni  à  son  humeur  d'é- 
veiller des  mérites  transcendans ,  et  surtout  de 
leur  donner  trop  d'essor.  Dans  les  armées  que 
l'Empereur  commandait  en  personnCjl'occasion 
manquait  aux  généraux  pour  se  déployer  tout 
entiers.  Ailleurs,  Napoléon  employait  quelque- 
fois les  hommes  à  contre-poil  de  leur  aptitude, 
ou  il  leur  confiait  des  forces  insuffisantes  pour 
réussir,  ou  bien  encore  il  poursuivait  avec  tié- 
deur des  opérations  chaudement  entamées,  dis- 
trait qu'il  était  par  des  conceptions  nouvelles. 
Cet  amant  préféré  de  la  fortune  eût  été  tenté 


i6o  scii.Nci: 

de  regarder  comme  i\es  inHdelilcs  les  faveurs 
que  la  déesse  eût  accordées  à  un  autre.  Au 
milieu  du  dépit  que  lui  donnaient  des  entre- 
prises avortées,  il  se  consolait  en  entendant 
raconter  que  les  soldats  s^étaient  écriés:  «  Ah  ! 
si  l'Empereur  avait  été  là  !  » 

Au  reste,  la  vive  clarté  qu'ontjetée  les  exploits 
d'un  seul  homme,  a  obscurci  les  autres  renom- 
mées; et  si,  pendant  une  guerre  prolongée  ,  il 
s'est  présenté  telle  circonstance  où  nos  guer- 
riers de  haute  stature  n'ont  paru  que  des 
nains,  c'est  parce  qu'on  les  considérait  ac- 
colés à  un  géant. 

Plusieurs  généraux  classés  par  nous  au  se- 
cond ordre,  tiendraient  le  premier  rang  dans 
les  troupes  des  puissances  rivales.  On  imagi- 
nerait difficilement  ce  que  renfermait  de  ca- 
pacités variées  et  de  caractères  élevés  notre  ar- 
mée de  glorieuse  mémoire.  En  Espagne  sur- 
tout, la  guerre  était  moins  subordonnée  à  une 
direction  générale ,  et  donnait  par-là  plus  de 
prise  au  développement   des  facultés  indivi- 


DE    LA    GUERRE.  l6l 

duelles  ;  aussi  a-t-il  pu  s  Y  former  assez  d'olîî- 
ciers  et  de  généraux  pour  en  approvisionner 
toutes  les  armées  du  monde. 

Avec  ses  passions  et  malgré  ses  erreurs  ,  Na- 
poléon est ,  à  tout  prendre ,  le  plus  grand 
homme  de  guerre  des  temps  modernes.  Il  a 
porté  dans  les  combats  un  courage  stoïque , 
une  ténacité  profondément  calculée,  un  esprit 
fécond  en  inspirations  soudaines,  qui  décon- 
certaient par  des  ressources  inespérées  les 
plans  de  Fennemi.  Qu^on  se  garde  dVttribuer 
une  longue  suite  de  succès  à  la  puissance  orga- 
nique des  masses  qu'il  a  mises  en  mouvement. 
L**œil  le  plus  exercé  aurait  peine  à  y  découvrir 
autre  chose  que  des  élémens  de  désordre. 
Qu'on  ne  dise  pas  non  plus  qu'il  fut  capitaine 
heureux  parce  qu'il  était  monarque  puissant. 
De  toutes  ses  campagnes ,  les  plus  mémorables 
sont  :  la  campagne  de  l'Adige,  où,  général 
de  la  veille ,  commandant  à  une  armée  peu 
nombreuse,  et,  dans  le  commencement,  mal 

TOME.  1.  Il 


102  CARACTÈRE 

ordonnée ,  mal  outillée  ,  il  se  plaça  de  prime- 
abord  plus  haut  que  Turenne ,  et  à  côté  de 
Frédéric;  et  la  campagne  de  France  en  i8i4, 
où  ,  réduit  à  une  poignée  de  soldats  harassés  , 
il  combattait  à  un  contre  dix.  Les  dernières 
lueurs  de  la  foudre  impériale  éblouissaient  en- 
core les  yeux  de  nos  ennemis  ,  et  il  faisait  beau 
voir  comme  les  élans  du  vieux  lion  pour- 
chassé ,  resserré ,  traqué ,  retraçaient  au  vif 
les  jours  de  sa  jeunesse  où  il  sVpanouissait 
dans  les  champs  du  carnage. 

Napoléon  possédait  à  un  degré  éminent  les 
facultés  du  métier  des  armes  :  tempérant  et 
robuste,  veillant  et  dormant  à  volonté,  parais- 
sant à  l'improviste  où  on  Tattendait  le  moins  , 
il  ne  dédaignait  pas  les  détails  auxquels  se  rat- 
tachent parfois  des  résultats  importans.  Sou- 
vent la  main  qui  venait  de  tracer  des  règles 
pour  le  gouvernement  de  plusieurs  millions 
d^hommes,  rectifiait  Tétat  de  situation  inexact 
d^un  régiment,  ou  écrivait  d'où  Ton  devait  ti- 
rer deux  cents  conscrits ,  et  dans  quel  magasin 


DE    NAPOLEON.  1 63 

on  prendrait  leurs  souliers  *.  Interlocuteur  pa- 
tient et  facile,  il  interrogeait  à  fond;  il  savait 
écouter,  talent  rare  chez  les  grands  de  la  terre. 
Il  a  porté  dans  les  combats  un  courage  froid  et 

'  Nous  pourrions  rapporter,  à  l'appui  de  cette  asser- 
tion, des  milliers  de  lettres  écrites  par  Napoléon,  de 
partout  et  dans  toutes  les  circonstances  de  sa  vie,  non- 
seulement  à  ses  ministres  et  à  ses  maréchaux  ,  mais  même 
à  des  fonctionnaires  d'un  ordre  moins  élevé.  Pour  ne 
prendre  nos  exemples  que  dans  la  guerre  d'Espagne  , 
nous  insérerons  ici  une  lettre  que  l'Empereur  écrivait 
d'Aranda  del  Duero,  dans  la  campagne  de  i8o8  ,  au  gé- 
néral Drouet ,  commandant  alors  la  lie  division  mili- 
taire, dont  le  quartier-général  avait  été  transféré  de  Bor- 
deaux à  Bayonne : 

«  Monsieur  le  général  Drouet,  passez  la  revue  des  fu- 
»  siliers  de  ma  garde  à  Marrac  ,  et  faites  partir  deux  cents 
»  fusiliers  bien  habillés,  bien  armés  et  ne  manquant  de 
»  rien.  Ils  seront  conduits  par  un  officier,  deux  sergens 
»  et  quatre  caporaux.  Dirigez  ce  détachement  de  deux 
"  cents  hommes  sur  Burgos.  Il  faut  qu'ils  aient  tous  leurs 
»  deux  paires  de  souliers  dans  le  sac  et  une  aux  pieds , 
»  leur  capolte  et  cinquante  cartouches.  Ne  les  faites  par- 
»  tir  que  bien  assuré  qu'ils  ont  tout  cela.  Sur  ce  ,  je  prie 
»  Dieu  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 

»  Âranda ,  le  29  novembre  1808. 

»  Napoléon.  « 

11* 


i  64  CARACTÈRE 

impassible;  jamais  esprit  plus  profondément 
me'ditatif  ne  fut  plus  fécond  en  illuminations  ra- 
pides et  soudaines.  En  devenant  empereur,  il 
ne  cessa  pas  d'être  soldat.  Si ,  avec  le  progrès 
de  Page ,  son  activité  diminua ,  c'est  que  les 
forces  physiques  étaient  moindres  '. 

Dans  les  jeux  mêlés  de  calcul  et  de  hasard, 
on  court  toujours  des  risques  d'autant  plus 
grands,  qu'on  veut  obtenir  de  plus  grands 
avantages.  C'est  là  précisément  ce  qui  rend  si 
funeste  aux  nations  la  trompeuse  science  des 
conquérans.  Napoléon,  quoique  naturellement 
aventureux ,  ne  manquait  ni  de  suite ,  ni  de 
méthode  ,  et  il  n'usait  ni  ses  soldats,  ni  ses  tré- 
sors là  où  suffisait  l'autorité  de  son  nom.  Ce 
qu'il  pouvait  obtenir  par  les  négociations  ou 
par  la  feinte  ,  il  ne  le  demandait  pas  à  la  force 


'  Dans  les  dernières  années  ,  l'Empereur  était  devenu 
gros  ;  il  mangeait  davantage,  dormait  plus  long-temps  et 
montait  moins  à  cheval;  mais  il  avait  conservé  toute  la 
force  de  sa  tête ,  et  ses  passions  avaient  perdu  peu  de  leur 
vivacité. 


DE    NAPOLÉON.  1 65 

des  armes.  L'épée  tirée  du  fourreau  ne  fut  en- 
sanglantée que  lorsqu'il  était  impossible  d'ar- 
river au  but  par  une  manœuvre.  Toujours 
prêt  à  combattre  ,  habituellement  il  choisissait 
Tocca^ion  et  le  terrain.  Il  a  donné  quarante 
batailles  pour  huit  ou  dix  qu'il  a  reçues. 

D'autres  généraux  l'ont  égalé  dans  l'art  de 
disposer  les  troupes  sur  le  terrain.  Quelques- 
uns  ont  donné  une  bataille  aussi  bien  que  lui. 
On  en  citerait  plusieurs  qui  l'ont  mieux  reçue. 
Il  les  a  surpassés  tous  dans  la  manière  de  diri- 
ger une  campagne  offensive. 

Les  guerres  d'Espagne  et  de  Russie  ne  prou- 
vent rien  contre  son  génie.  Ce  n'est  pas  avec  les 
règles  de  Montécuculli  et  de  Turenne  manœu- 
vrant sur  la  Renchen  qu'il  faut  juger  de  telles 
entreprises.  Les  uns  guerroyaient  pour  avoir  tel 
ou  tel  quartier  d'hiver;  l'autre,  pour  conquérir 
le  monde.  Il  lui  fallait  souvent  non  pas  seule- 
ment gagner  une  bataille ,  mais  la  gagner  de 
telle  façon  qu'elle  épouvantât  l'Europe  et  ame- 
nât des  résultats  gigantesques.  Ainsi,  les  vues 


l66  CARACTERE 

politiques  intervenaient  sans  cesse  dans  le  gé- 
nie stratégique  ,  et  pour  l'apprécier  tout  entier 
il  ne  faut  pas  se  renfermer  dans  les  limites  de 
Tart  de  la  guerre.  Cet  art  ne  se  compose  pas 
seulement  de  détails  techniques,  il  a  aussi  sa 
philosophie.  Pour  trouver  dans  cette  région 
élevée  un  rival  à  Napoléon  ,  il  faudrait  remon- 
ter aux  temps  où  les  institutions  féodales  n'a- 
vaient pas  encore  rompu  Tunité  des  nations 
antiques.  Les  seuls  fondateurs  de  religion  ont 
exercé  sur  leurs  sectaires  une  autorité  compa- 
rable à  celle  qui  le  rendit  maître  absolu  de  son 
armée.  Cette  puissance  morale  lui  est  devenue 
funeste  pour  avoir  voulu  s'en  prévaloir  même 
contre   l'ascendant  de  la  force  matérielle ,  et 
parce  qu'elle  l'a  entraîné  à  mépriser  des  règles 
positives  dont  la  longue  violation  ne  reste  pas 
impunie  '. 

'  Quand  Napoléon  commandait  de  petites  armées  en 
Italie,  sur  l'Adige  ,  tout  fut  observation  des  règles,  tout 
fut  beau ,  tout  fut  grand.  Successivement  i\  a  fait  de 
grandes  choses  ;  mais  souvent  l'emploi  du  moral  a  pré- 


DE    NAPOLÉON.  iÔ'J 

Quand  Torgueil  acheminait  Napoléon  vers  sa 
chute ,  il  lui  arriva  de  dire  :  «  La  France  a  plus 

besoin  de  moi  que  je  n''ai  besoin   d"*elle » 

Et  il  disait  vrai.  Mais  pourquoi  était-il  devenu 
nécessaire?  C'est  parce  qu'il  avait  confié  la 
destinée  des  Français  aux  hasards  d'une  guerre 
interminable  ;  c'est  parce  que ,  malgré  les  res- 
sources de  son  génie ,  cette  guerre  ,  tous  les 
jours  plus  chanceuse  par  la  mise  en  jeu  de  la 
totalité  des  forces  et  par  la  hardiesse  des  mou- 
vemens  ,  remettait  en  problème  à  chaque  cam- 
pagne ,  à  chaque  bataille  ,  les  fruits  de  vingt 
années  de  triomphe;  c'est  parce  que  son  gou- 
vernement était  modelé  de  façon  que  tout  de- 


dominé  sur  le  positif.  La  sphère  s'agrandit ,  tout  fut 
chanceux  ,  tout  calculé  pour  de  grands  résultats.  Quelque 
habile  qu'on  soit,  il  y  a  presque  toujours,  dans  ce  jeu  ter- 
rible, des  risques  proportionnés  à  la  grandeur  des  proBts. 
Le  succès  est  devenu  plus  chanceux.  Les  armées  étaient 
plus  nombreuses.  Ses  ennemis,  à  son  exemple,  ont  eu 
aussi  des  masses.  Enfin  le  monde  physique  l'a  emporté  sur 
le  monde  moral.  Le  talent ,  lecaractère,  la  profondeur  ont 
des  bornes.  La  machine  n'était  plus  maniable,  il  a  été  écrasé. 


l68  CARACTERE 

vait  disparaître  avec  lui,  et  que  du  dehors  et  du 
dedans  devait  éclater  à  la  fois  une  réaction 
proportionnée  à  la  violence  de  Taction.  La  fré- 
nésie conquérante  avait  retourné  la  question 
européenne;  nous,  les  fils  premiers  nés  de  la 
liberté  et  de  Tindépendance ,  nous  versions 
notre  sang  pour  servir  des  passions  royales 
contre  la  cause  des  peuples,  et  les  peuples  ou- 
tragés revenaient  plus  terribles ,  armés  des 
principes  que  nous  avions  abandonnés. 

Parfois  cette  masse  immense  de  passions 
qu'il  accumulait  contre  lui ,  cette  multitude  de 
bras  prêts  à  se  lever  pour  la  vengeance  ,  portè- 
rent un  trouble  involontaire  dans  Tame  de  Tam- 
bitieux.  Regardant  autour  de  lui  ,  il  s'effraya 
d'être  seul ,  et  il  songea  à  affermir  sa  puissance 
en  la  modérant.  Alors  lui  vint  en  pensée  le 
projet  de  créer  une  pairie  héréditaire  et  de 
refaire  sa  monarchie  sur  des  bases  moins  fra- 
giles'. Mais  Napoléon  voyait  sans  illusion  le 

'  Au  retour  de  la  campagne  de  Russie ,  après  la  conjii- 


DE    NAPOLÉON.  169 

fond  des  choses.  La  nation  ,  occupée  toute  et 
toujours  à  suivre  les  desseins  de  son  chef,  n^a- 


ration  de  Mallet,  Napoléon  fit  de  sérieuses  réflexions  sur 
la  personnalité,  la  fragilité  de  sa  situation.  Il  pensa  à 
créer  unepairie  héréditaire.  Il  voulait  la  prendre  1°  parmi 
les  plus  grands  de  son  Etat,  surtout  dans  l'ordre  mili- 
taire; 2"  pai-mi  les  propriétaires  fonciers,  cliacun  le  plus 
riche  de  son  département,  attaché  au  système,  ou  du 
moins  ne  s'en  étant  pas  déclaré  jamais  le  formel  et  officiel 
ennemi  ;  3°  parmi  ceux  ou  les  fiLs  de  ceux  qui  ,  dans  une 
circonstance  donnée,  avaient  rendu  des  services  éminens 
à  la  patrie ,  ou  l'avaient  sauvée  dans  quelque  carrière 
que  ce  soit.  On  aurait  vu  figurer  l'héritier  de  Sully,  et 
celui  du  vainqueur  de  Denain ,  et  celui  de  Vauban,  à  côté 
de  Carnot  qui  sauva  la  France  en  1794  par  le  déploie- 
ment des  ressources  de  la  France  au  Comité  de  salut  pu- 
blic. Cette  idée  grande  et  généreuse  n'eut  pas  de  suite;  elle 
n'aboutit  qu'au  sénatus-consulte  sur  la  régence  ,  et  à  une 
composition  plus  régulière  et  plus  impériale  du  Sénat. 
Napoléon  ne  voulut  pas  rendre  ses  chefs  d'armée  indé- 
pendans  de  lui  et  de  son  ambition  ;  il  ne  voulut  pas  d'une 
Chambre  des  pairs  qui  pourrait  lui  refuser  des  soldats. 
Peut-être  était-il  encore  temps  de  sauver  la  France. 

Dans  la  campagne  de  France ,  aux  premiers  mois  de 
i8i4,  Napoléon  parlait  à  Troy  es  en  Champagne,  avec  un 
de  ses  généraux  ,  de  l'état  des  choses.  <■  Les  ennemis,  disait 
»  celui-ci ,  sont  trop  nombreux.  Nous  ne  pouvons  pas  en 
»    venir  à  bout  avec  nos  soldats  qui  tombent  chaque  jour 


lyO  CARACTERE 

vait  pas  eu  jusque-là  le  temps  d'*en  former  pour 
elle-même.  Le  jour  où  elle  n'eût  plus  été  étour- 
die par  le  fracas  des  armes,  elle  eût  demandé 
compte  de  sa  servile  obéissance.  Mieux  vaut, 
pensait-il ,  pour  un  prince  absolu ,  combattre 
les  armées  de  Tétranger,  qu'avoir  à  lutter  con- 
tre rénergie  des  citoyens.  Le  despotisme  avait 
été  organisé  pour  faire  la  guerre  ;  on  continua 
la  guerre  pour  conserver  le  despotisme.  Le 
sort  en  était  jeté  ;  la  France  devait  conquérir 
FEurope  ,  ou  l'Europe  subjuguer  la  France. 

Napoléon  a  péri  ;  il  a  péri  pour  avoir  tenté 
avec  les  hommes  du  dix-neuvième  siècle  l'œu- 
vre des  Attila  et  des  Gengiskan  ;  pour  avoir 
cédé  à  une  imagination  toute  contraire  à  l'es- 
prit contemporain  ,  que  sa  raison  connaissait 
pourtant  si  bien  ;    pour  n'avoir  point  voulu 


>•  et  qu'on  ne  remplace  pas  ;   il  faut  que  la  France  se 

M  lève —  Eh!  comment  voulez-vous  que  la  France  se 

»  lève,    interrompit  avec  vivacité  Napoléon;    il    n'y  a 

"  pas  de  clergé,  il  n'y  a  pas  de  noblesse,  et  j'ai  tué  la 

»  liberté! » 


DE    NAPOLÉON.  I7I 

s'arrêter  le  jour  où  il  eut  la  conscience  de  son 
impuissance  à  réussir.  La  nature  a  marqué  un 
terme  au-delà  duquel  les  entreprises  folles  ne 
peuvent  pas  être  conduites  avec  sagesse.  Ce 
terme  ,  l'Empereur  Tatteignit  en  Espagne  ,  et 
le  dépassa  en  Russie.  S'il  eût  échappé  alors  à  sa 
ruine  ,  son  inflexible  outrecuidance  lui  eût  fait 
trouver  ailleurs  Baylen  et  Moscou. 


LIVRE   DEUXIEME 


ANGLETERRE. 


SOMMAIBX. 


Politique  de  l'Angleterre.  —  Déclaration  de  guerre.  — 
Insurrection  d'Irlande.  —  Événemens  militaires.  — 
Paix  d'Amiens.  —  Projet  de  descente  de  la  part  des 
Français. —  Campagnes  de  i8o5,  i8o6  et  1807. — 
Système  continental.  — Ministère  britannique.  —  Ta- 
bleau de  l'armée  anglaise.  —  Recrutement.  —  Com- 
mandement des  forces  militaires. —  Discipline  ,  mœurs 
et  habitudes.  —  Nomination  et  avancement. — Officiers- 
généraux.  —  Récompenses  militaires.  —  Mariages.  — 
Éducation  des  soldats.  —  Religion.  —  Justice.  —  Ad- 
ministration régimentaire.  —  Infanterie.  —  Troupes 
étrangères.  —  Cavalerie.  —  Département  de  l'ordon- 
nance. —  Artillerie.  —  Ingénieurs.  —  Etat-major.  — 
Administration  de  l'armée.  —  Service  de  santé.  — 
Considérations  générales. 


LIVRE   SECOND. 


ANGLETERRE. 


Nous  avons  exposé  Tesprit  de  la  révolution 
française  et  le  caractère  de  Napoléon.  Nous 
avons  dit  avec  conscience  comment  les  passions 
d^un  seul  homme  avaient  imprimé  à  la  marche 
d'un  grand  peuple  une  accélération  et  une  di- 
rection funeste.  Si  nous  n'avons  point  hésité  à 
reconnaître  les  causes  immédiates  de  nos  mal- 
heurs ,  il  est  resté  cependant  au  fond  de  notre 
ame  quelques  doutes  sur  ce  qui  serait  arrivé  , 
si  nous  nous  fussions  tenus  envers  les  autres 
peuples  dans  des  rapports  de  modération  et  de 
justice.  La  France  pouvait-elle  subsister  libre 
et  puissante  à  côté  de  la  libre  et  puissante  An- 
gleterre ? 

Lanation  française  n'avait  pas  attendu,  pour 


I  y6  POLITIQUE 

vaincre  ,  que  Bonaparte  apparût  dans  nos 
rangs,  et  les  Anglais  avaient  juré  notre  perte 
avant  qu^il  projetât  la  leur.  Ils  savaient  par 
leur  propre  histoire  que  les  révolutions  sont 
pour  les  Etats  des  améliorations  plus  ou  moins 
douloureuses,  et  qu'abandonnées  à  elles-mêmes 
elles  laissent  toujours  pourproduitnetuneaug- 
mentation  de  puissance  '.  C'était  assez  de  la 
volonté  nationale  pour  irriter  nos  ennemis  de 
tous  les  temps  contre  le  consolant  avenir  que 
nous  promettaient  des  institutions  nouvelles. 
Un  sentiment  moins  justifiable  dans  ses  mo- 
tifs et  plus  actif  dans  ses  effets ,  vint  s'y  joindre. 
L'Angleterre  est  une  république  conduite  par 
les  représentans  héréditaires  et  temporaires  de 
l'aristocratie  ,   et  dans    laquelle  la   couronne 


'  Charles  Jenkinson  disait  au  Parlement  d'Angleterre  : 
«  La  France  est  votre  ennemie  naturelle  :  république, 
»  elle  l'est  encore  plus  que  monarchie.  On  sait  moins  où 
»  s'arrêtera  un  peuple  qu'un  roi.  »  Celui  qui  tenait  ce 
langage  en  1792  était,  sous  le  nom  de  comte  de  Liver- 
pool,  premier  ministre  d'Angleterre  en  i8i4. 


DE    l'aNGLETERRK.  1  77 

royale  n^est  qu^une  couronne  de  pair  un  peu 
plus  ornée  que  les  autres.  Les  cris  d"*égalité 
poussés  avec  ivresse  sur  le  rivage  gaulois 
avaient  trouvé  de  nombreux  échos  à  Tautre 
bord  de  la  Manche.  Presque  tous  ceux  qui  par- 
tageaient les  avantages  du  gouvernement  de  la 
Grande-Bretagne  tremblèrent  pour  leur  auto- 
rité et  leurs  richesses.  Remontant  à  la  source 
du  mal,  ils  résolurent  d^exterminer  la  révolu- 
tion et  la  France.  Les  décrets  des  aristocraties 
sont  immuables,  parce  qu'ils  expriment  des  in- 
térêts qui  ne  changent  jamais. 

Dès  Tannée  1791  ,  les  agens  anglais  sur  le 
continent  commencèrent  à  ameuter  FEurope 
contre  les  Français,  violateurs  de  la  majesté  des 
trônes.  La  situation  personnelle  de  Louis  XVI 
n'entrait  que  comme  un  prétexte  dans  ces  me- 
nées diplomatiques  ;  car  plus  tard  le  cabinet 
de  Saint-James,  si  habile  dans  Fart  de  la  cor- 
ruption ,  ne  tenta  pas  le  moindre  effort  pour 
sauver  la  tête  de  Finfortuné  monarque ,  et  Fon 
serait  porté  à  croire  qu'une  politique   féroce 


178  DÉCLARATION 

s''est  réjouie  de  voir  deux  ou  trois  cents  individus 
commettre  au  miJieu  de  nous,  moins  par  opi- 
nion que  par  peur,  un  crime  d^origine  anglaise. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  TEurope  était  en  armes  ,  et 
Je  canon  grondait  depuis  Anvers  jusqu''à  Nice  , 
avant  que  la  puissance  ,  première  instigatrice 
de  la  querelle ,  fût  entrée  dans  la  lice  des  com- 
hattans.  La  Convention  nationale  déclara  la 
guerre  à  la  cour  de  Londres  le  1"  février  1793. 

L'Angleterre  a  opposé  àlaFraiîce  ses  armées 
de  mer  et  de  terre,  et  surtout  ses  trésors  et  ses 
intrigues.  Notre  marine,  régénérée  pendant  la 
guerre  d'Amérique ,  avait  été  désorganisée  par 
la  révolution.  Avec  des  flottes  dépouillées  d'of- 
ficiers ,  et  peuplées  de  matelots  insubordonnés 
ou  novices,  nous  n'avons  pas  pu  balancer  la 
supériorité  de  cette  race  de  tritons,  qui  avait 
rangé  sous  son  pavillon  presque  toute  l'Europe 
maritime.  Nos  vaisseaux  ont  été  pris  ou  détruits 
m  à  un  ,  ou  par  escadres. 

s  premières  expédi  lions  militaires  des  An- 


DE    GLEKKE.  479 

glais  ont  réussi  seulement  en  ce  qui  dépendait  de 
la  marine.  Toulon  leur  fut  livré  par  la  trahison, 
et  ils  ne  surent  passY  maintenir.  L'ile  de  Corse, 
dégarnie  de  troupes  et  théâtre  de  faction,  fut 
une  proie  facile.  Ils  envoyèrent  une  armée  atta- 
quer les  Antilles  françaises  ,  que  la  métropole 
avait  délaissées.  Saint-Domingue  échappa  à 
leur  domination  ,  grâce  à  Ténergie  de  la  popu- 
lation noire.  Nos  autres  possessions  lointaines 
furent  conquises.  Quand  la  Hollande  et  l'Es- 
pagne furent  entrées  dans  le  système  de  la  ré- 
publique française ,  les  colonies  hollandaises  et 
les  lies  espagnoles  éprouvèrent  le  même  sort. 
La  conquête  de  FArchipel  des  Indes  occiden- 
tales a  coûté  cher  à  T Angleterre.  Trente  mille 
de  ses  vétérans  ont  été  dévorés  par  la  maladie 
sur  cette  terre ,  dont  les  poisons  sont  toujours 
prêts  à  venger  les  vieux  attentats  de  FEurope 
contre  elle. 

Les  drapeaux  de  Tarmée  n''attirèrent  pas  à 
eux ,  dans  la  guerre  continentale  ,  la  moindre 
parcelle  de  la  gloire  que  recueillait  sur  toutes  les 


l80  DÉCLARATION 

mers  le  pavillonbritannique.Dixmille  Anglais, 
débarqués  à  Ostende  peu  de  temps  après  la 
déclaration  de  guerre,  se  joignirent  à  vingt-cinq 
mille  Hanovriens  ,  Hessois  ,  Brunswickois. 
Cette  armée  anglo-allemande  que  commandait 
le  duc  d'York  ,  et  dans  laquelle  servaient  deux 
autres  fils  du  roi  d'Angleterre,  fut  employée 
aux  opérations  qui  précédèrent  l'investissement 
de  Valenciennes  et  au  siège  de  cette  place. Va- 
lenciennes  tombé.  Cambrai  bloqué  et  les  Fran- 
çais hors  d'état  de  recevoir  une  bataille ,  le 
chemin  de  Paris  était  ouvert  aux  coalisés.  Les 
Anglais  voulurent  alors  opérer  pour  leur 
compte  ;  et  tournant  brusquement  à  droite ,  ils 
mirent  le  siège  devant  Dunkerque.  Les  Fran- 
çais allèrent  au  secours.  L'attaque  de  la  place 
avait  été  mal  dirigée.  Le  duc  d'York  ne  sut  pas 
prendre  un  parti  décisif.  Son  armée  d'obser- 
vation s'était  fait  battre  à  Bambecke  et  à 
Flondschoote:  il  leva  précipitamment  le  siège  , 
abandonna  la  plus  grande  partie  de  la  grosse 
artillerie  ,    et    ne    dut    qu'à    l'incapacité    de 


DE    GUERRE.  l8l 

son  adversaire  (le  général  Houcbard  )  d^a- 
voir  pu  échapper  à  un  plus  grand  désastre. 

Après  cet  essai  malheureux ,  le  corps  du  duc 
d'York  combattit  mêlé  avec  les  Autrichiens  et 
les  Hollandais.  L'infructueuse  défense  de  la 
West-Flandre  et  des  Provinces-Unies  pendant 
la  campagne  de  1794  ^  fut  terminée  par  une 
retraite  pillarde.  Les  Anglais  regagnèrent  leur 
lie ,  emportant  avec  eux  les  malédictions  du 
peuple ,  et  laissant  à  la  coalition  le  fâcheux 
souvenir  de  leur  incompatibilité  d'humeur 
avec  les  autres  troupes  ,  même  avec  celles  de 
l'électeur  d'Hanovre. 

L'or  de  l'Angleterre  était  un  instrument  de 
destruction  plus  redoutable  que  ses  armées  et 
ses  flottes.  La  guerre  moderne  traine  à  sa  suite 
un  matériel  coûteux  et  des  fourmilières  de  sol- 
dats. Une  industrie  prodigieusement  active  peut 
seule  en  supporter  Ion» -temps  les  frais.  Les 
rois  levèrent  des  hommes  et  fabriquèrent  des 
armes  ;  le  ministère  britannique  se  chargea  de 
tout  payer.  Il  raviva  les  passions  quand  plies 


1^9.  DECLARATION 

s'éteignaient ,  et  les  rendit  atroces  dès  qu'elles 
commençaient  à  se  civiliser;  ce  fut  par  lui ,  et 
dans  ce  temps-là  par  lui  seul ,  que  Thumanité 
fut  condamnée  à  la  guerre  éternelle. 

Nos  troubles  intérieurs  ofiVaient  au  génie  du 
mal  un  vaste  champ  à  exploiter  ;  le  gouverne- 
ment anglais  était  partout ,  la  bourse  à  la  main , 
quêtant  la  défection  ,  excitant  à  la  révolte  ,  en- 
régimentant les  proscrits  et  les  traîtres.  Il  ar- 
riva qu'une  de  nos  provinces  éloignées  se  sé- 
para violemment  des  autorités  centrales  qui 
avaient  renversé  le  trône  et  l'autel.  L'insur- 
rection partait  du  peuple.  Tout  ce  que  pro- 
duit la  conviction  populaire  porte  en  soi  le  ca- 
ractère de  la  grandeur.  Aussi  la  guerre  de  la 
Vendée  a  revêtu  d'une  splendeur  incompa- 
rable quelques  pages  de  notre  histoire.  On  n'a 
vu  nulle  part  ailleurs  tant  de  noble  vaillance 
et  une  pareille  unanimité  de  dévouement. 
Quand  ces  braves  eurent  été  écrasés  par  le 
nombre,  l'Angleterre,  en  retard  cette  fois, 
arriva  comme  auxiliaire.  Elle  transporta  dans 


DE    GUERRE.  l8.5 

la  presqu'île  de  Quiberon  une  expédition  de 
Français  émigrés,  qui  certes  méritaient  un  sort 
meilleur,  mais  dont  Tardeur  vaniteuse  n'était 
pas  en  harmonie  avec  l'énergie  native  des 
paysans  qui  avaient  relevé  le  drapeau  blanc. 
Dès-lors  la  Vendée,  souillée  par  l'acceptation 
de  l'assistance  étrangère  ,  changea  de  nature  ; 
on  fit  quelques  années  encore  ,  sur  les  deux 
rives  de  la  Loire  ,  une  guerre  de  partisans 
que  favorisait  le  pays  coupé  et  semé  d'obsta- 
cles de  tout  genre  ;  nos  ennemis  souriaient  en 
voyant  des  mains  françaises  répandre  le  sang 
des  Français . 

L'Angletekke  avait  aussi  une  Vendée  prête 
à  éclater  :  c'était  l'Irlande  accablée  sous  Je 
double  poids  de  l'asservissement  politique  et 
de  l'oppression  religieuse.  Les  annales  de  ce 
pays  ,  depuis  qu'il  a  été  envahi  par  ses  voi-^ 
sins  ,  à  la  fin  du  douzième  siècle  ,  sont  un 
long  récit  d'expropriations  et  de  massacres. 
Dans  les  derniers  jours  de  1796  ,  ime  flotte  et 


l84  INSURRECTION 

une  armée  ,  aux  ordres  du  général  Hoche  , 
furent  envoyées  par  le  Directoire  exécutif  de 
France  pour  délivrer  les  malheureux  Irlandais, 
Les  vaisseaux  furent  dispersés  par  la  tempête  , 
quelques-uns  seulement  se  montrèrent  à  la  côte 
occidentale  de  File  et  n''essayèrent  pas  de  dé- 
barquement. 

L'année  suivante ,  le  traité  de  Campo-For- 
mio  rétablit  la  paix  du  continent.  Les  troupes 
françaises  se  massèrent  sur  le  rivage  de  TOcéan 
et  de  la  Méditerranée.  Alors  nous  donnions 
à  nos  armées  les  noms  des  pays  qu'elles  de- 
vaient envahir.  Presque  toutes  les  forces  na- 
tionales ,  partagées  en  plusieurs  corps  ,  et 
commandées  par  le  plus  illustre  général  de  la 
République  ,  Bonaparte  ,  firent  partie  de  Tar- 
mée  d'Angleterre.  M.  Pitt  ,  qui  dirigeait  les 
conseils  de  nos  ennemis ,  se  prévalut  de  ces  cir- 
constances pour  développer  l'énergie  militaire 
du  peuple  anglais.  Les  inquiétudes  que  nos 
menaces  avaient  fait  naître  furent  tout-à-fait 
dissipées  quand   on   sut   à   Londres   le    point 


d'iklande.  iS") 

vers  lequel  se  dirigeait  l'armement  de  Toulon. 
Si  Bonaparte  et  ses  braves  eussent  débarqué 
en  Irlande  ,  au  lieu  d'être  transportés  en 
Egypte ,  d'autres  destinées  étaient  préparées 
au  monde.  On  préféra  le  roman  à  l'bistoire. 
L'Irlande  nous  attendait ,  l'Irlande  qui  se  rap- 
proche tant  du  caractère  français  par  l'hu- 
meur ardente  et  impressionnable  de  son  peu- 
ple ,  surtout  par  la  haine  contre  l'ennemi  com- 
mun. Quoique  négligés  par  leurs  alliés  ,  les 
Irlandais  prirent  les  armes  au  mois  de  mai  1798. 
L'insurrection  avait  été  prévue.  L'île  était 
couverte  de  troupes  de  ligne  anglaises  et 
de  milices  dévouées  au  gouvernement.  Elles 
combattirent  avec  cruauté  dans  une  suerre 
injuste.  Les  chefs  ne  firent  que  saccager  et 
décimer.  Aucun  secours  ne  vint  du  dehors 
aux  Irlandais  unis  ;  de  plusieurs  expéditions 
incomplètes  sorties  des  ports  de  France ,  une 
seule  parvint  à  destination  ,  et  elle  arriva 
trop  tard.  Elle  était  composée  de  mille  enfans 
perdus  commandés  par  Humbert ,  soldat  igno- 


*86  INSURRECTION 

rant,  mais  intrépide  ,  qui  avait  le  grade  de 
général  de  brigade.  Ils  abordèrent  à  la  côte 
de  Killalu  dans  le  nord-ouest  de  Tlrlande.  La 
prudence  ne  permettait  pas  aux  babitans  du 
pays  ,  encore  altérés  des  calamités  qui  avaient 
suivi  le  dernier  soulèvement ,  de  faire  éclater 
les  sentimens  dont  ils  étaient  animés  contre 
les  oppresseurs.  Cinquante  mille  bommes 
dMnfanterie  et  de  cavalerie  régulières  ,  de 
milices  et  de  fencibles,  s"* ébranlèrent  de  tous  les 
points  de  nie.  Le  plus  babile  homme  de  guerre 
qu'eût  alors  l'Angleterre  ,  le  marquis  de  Corn- 
wallis  ,  se  mit  en  campagne.  Les  escadres  blo- 
quèrent la  baie  de  Killalu.  Après  plusieurs 
combats  glorieux  etunemarcbe  désespérée  de 
cinquante  lieues  ,  notre  bande  aventurière  , 
que  le  fer  et  le  feu  de  Tennemi  avaient  diminuée 
d'un  cinquième  ,  enveloppée  par  trente  mille 
soldats  ,  pressée  par  devant  et  chargée  par  der- 
rière ,  fut  forcée  de  céder.  On  inséra  dans  la 
Gazette  de  la  cour  le  récit  de  la  victoire  rem- 
portée sur  V armée  jraiicaise  a  la  bataille    de 


d'iKLAiNDE.  4  87 

Ballynamuck  '.  La  Grande-Bretagne  triom- 
pha ,  mais  la  république  française  ne  fut  nul- 
lement ébranlée  dans  ses  fondemens. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  quinze  cents  An- 
glais ,  tous  soldats  d^élite  ,  envoyés  à  Ostende 
pour  détruire  les  écluses  de  Slickens,  et  mettant 
bas  les  armes  devant  une  partie  de  la  quarante- 
sixième  demi-brigade.  Le  cabinet  de  Saint- 
James  attendit ,  pour  entreprendre  quelque 
chose  d'important  contre  les  Français,  que  les 
hostilités  eussent  recommencé  en  Europe. 

Pendant  les  mois  d'août  et  de  septembre 
1 799,  quarante-cinq  mille  Anglais  et  Russes  des- 
cendirent en  Hollande  près  de  la  pointe  du  Hel- 
der.  La  flotte  batave  du  Texel  tomba  en  leitr 
pouvoir.  Pour  obtenir  sur  terre  un  succès  équi- 


*  Les  Anglais,  dont  les  caricatures  expriment  si  bien 
la  vérité,  ont  fait  une  caricature  représentant  deux  cha- 
riots chargés  d'infanterie,  suivis  de  plusieurs  escadrons 
ayant  en  croupe  un  fantassin  ,  et  tous  allant  au  galop 
contre  un  petit  fantôme  habilli'  ;'i  la  française. 


l88  ÉVÉNEMENS 

valent,  il  eût  fallu  avoir  des  ailes,  tomber 
comme  lafoudre  au  milieu  des  Français  éparpil- 
lés et  effrayés  de  leur  petit  nombre;  il  eût  fallu 
en  même  temps  soulever  fopinion  publique 
parmi  les  Hollandais.  On  avait  mal  choisi  le 
point  d*'attaque.  Le  débarquement  des  troupes 
ne  fut  pas  simultané.  Le  duc  d'York  marcha 
lentement.  Il  espérait  que  ses  partisans  de 
fintérieur  se  déclareraient  pour  lui;  ceux-ci 
restèrent  immobiles  et  se  plaignirent  de  ce 
que  leurs  libérateurs  ne  faisaient  pas  des  pro- 
grès plus  rapides. 

Cependant  le  général  Brune  avait  rassemblé 
farmée  gallo-batave  ;  soit  calcul ,  soit  hasard, 
la  plus  grande  partie  des  troupes  anglaises  fut 
opposée  aux  Hollandais ,  et  les  Russes  eurent 
à  lutter  contre  les  Français.  Apres  plusieurs 
batailles,  Tarmée  attaquante  s'atiaiblissant  tous 
les  jours  ,  pendant  que  farmée  défensive  rece- 
vait des  renforts  ,  le  duc  d'York  pensa  à  la  re- 
traite ;  il  obtint  pour  rembarquer  ses  troupes 
une  capitulation  qui  eût  été  plus  dure ,  si  le. 


MILITAIRES.  189 

général  vainqueur  avait  eu  davantage  le  sen- 
timent de  sa  force. 

Les  Russes  échappés  de  la  Hollande  furent 
déposés  dans  Tile  de  Jersey  ,  d'où  ils  mena- 
çaient la  Normandie.  L\4ngleterre  marchanda 
le  port  de  Brest  à  des  misérables  qui  pro- 
mettaient de  le  lui  vendre  ;  elle  sema  sur  les 
côtes  de  Bretagne  des  germes  de  guerre  civile 
qui  ne  fructifièrent  point.  Chaque  chose  a  son 
temps  ,  et  le  temps  des  miracles  de  la  Vendée 
était  déjà  loin.  Il  y  avait  de  la  folie  à  vouloir, 
après  dix  ans  d'émancipation  ,  faire  la  contre- 
révolution  en  France  avec  des  sentimens  et 
des  uniformes  anglais.  Au  reste  ,  les  illusions 
des  mécontens  reposaient  sur  la  faiblesse  et 
l'impopularité  du  pouvoir  exécutif  de  la  Ré- 
publique ;  elles  s'évanouirent  lorsque  Bona- 
parte,  revenu  d'Egypte,  fut  proclamé  consul. 

Le  premier  acte  du  gouvernement  nouveau 
fut  d'offrir  la  paix  aux  ennemis  de  la  France. 
Bientôt  l'empereur  de  Russie  se  détacha  de  la 
coalition.    Le    ministère    britannique    voulut 


IQO  EVENEMENS 

continuer  la  guerre  ;  il  avait  mis  eu  mouve- 
ment plusieurs  expéditions  qui  voguaient  alors 
sur  les  mers.  Pendant  que  les  Autrichiens 
étaient  battus  à  Marengo  ,  un  corps ,  aux 
ordres  du  général  Abercrombie  ,  se  rafraîchis- 
sait dans  Tîle  de  Minorque  ;  la  flotte  qui  le 
portait  vint  ensuite  jeter  des  bombes  dans  la 
ville  de  Cadix  que  ravageait  la  fièvre  jaune. 
Un  autre  corps  ,  fort  de  onze  mille  hommes  , 
commandé  par  le  lieutenant-général  sir  James 
Pulteney  ,  débarqua  près  du  Ferrol  ,  vit  les 
murs  de  la  place  et  s'en  retourna.  L'Angleterre 
avait,  en  1797  ,  garni  le  Portugal  de  trou- 
pes à  sa  solde  ;  elle  les  retira,  et,  en  1801  , 
quand  l'armée  combinée  de  France  et  d'Es- 
pagne se  présenta  aux  frontières  ,  il  ne  restait 
dans  ce  royaume  qu'un  faible  détachement  , 
précisément  ce  qu'il  fallait  pour  compromettre 
la  nation  portugaise. 

La  campagne  d'Egypte  eut  un  caractère 
plus  grave;  dix-sept  mille  hommes  de  troupes 
britanniques  aux  ordres  du  lieutenant-général 


MILITAIRES.  iÇji 

sir  Ralph  Abercrombie ,  sept  mille  Anglais  ou 
Cipayes  partis  de  Tlnde,  et  soixante  mille  Os- 
manlis  se  jetèrent  ,  avec  Tappiii  unanime  de 
la  population  musulmane  ,  sur  une  colonie 
militaire  qui  n^ivait  pas  pour  se  défendre 
seize  mille  soldats  portant  sabres  ou  fusils. 
Le  moral  de  Tarmée  française  s''était  affaibli 
au  départ  de  Bonaparte  et  avait  péri  avec 
Kléber  ;  tous  les  regards  étaient  tournés  vers 
POccident.  Néanmoins  la  bataille  du  21  mars 
1801,  toute  honorable  qu'elle  fut  pour  les  An- 
glais ,  n'aurait  pas  décidé  du  sort  de  TEgypte, 
si  le  général  en  chef  Menou  avait  eu  la  con- 
fiance des  soldats  et  s'il  n'avait  point  partagé 
l'armée  entre  Alexandrie  et  le  Caire. 

La  paix  d'Amiens  servit  à  démontrer  que  le 
monde  n'était  pas  assez  grand  pour  contenir  à 
la  fois  l'Angleterre  et  Bonaparte.  Le  cabinet 
de  Londres  rompit  le  traité,  et,  conformément 
aux  maximes  de  son  droit  public  ,  s'empara  de 
tous  les  vaisseaux  français  qui  couvraient  la 


ii^'2  PROJET    DE    DESCEINTE 

mer.  Le  premier  consul  ,  par  une  représaille 
légitime ,  mit  la  main  sur  les  individus  anglais 
qui  voyageaient  dansles  pays  soumis  à  sa  domi- 
nation. La  France  se  présenta  sur  les  falaises 
de  Boulogne  ,  debout  et  menaçante  ;  FAngle- 
terre  accourut  en  armes  sur  le  rivage  opposé. 
La  question  n'était  pas  la  même  pour  les 
deux  puissances  belligérantes.  L'une  jouait  sa 
flotte  et  une  partie  de  son  armée  ;  être  ou  ne 
pas  être ,  tel  était  pour  l'autre  le  problème  à 
résoudre.  Non  content  d'augmenter  l'armée 
de  ligne  de  cinquante  bataillons ,  et  de  mobi- 
liser la  milice ,  le  gouvernement  britannique 
appela  aux  armes  la  nation  entière.  Les  Anglais 
de  tout  âge  et  de  tout  rang  prirent  l'uniforme 
et  s'accoutumèrent  aux  exercices  militaires. 
Les  côtes  de  Kent  et  d'Essex  se  couvrirent  de 
batteries  et  de  tours  défensives.  On  annonça 
au  peuple  que  les  Français  allaient  débarquer; 
on  lui  disait  les  lieux  où  il  fallait  conduire  les 
femmes  ,  les  enfans  ,  les  bestiaux  et  les  vivres  ; 
les  routes  qu'on  devait  couper,  les  points  sur 


EN    ANGLETERRE.  IQ^ 

lesquels  les  levées  en  masse  se  réuniraient. 
On  recommandait  d^éviter  la  bataille  et  de 
profiter  des  haies  et  des  enclos  pour  faire  la 
guerre  de  tirailleurs.  On  prévoyait  même  la 
prise  de  Londres ,  et  ce  qui  resterait  à  faire 
ensuite  pour  sauver  la  patrie. 

Les  Français  ne  vinrent  pas ,  et  FAngle- 
terre  conserva  ses  bataillons  de  renfort ,  sa 
milice  enrégimentée ,  ses  cinq  cent  mille  vo- 
lontaires ,  le  goût  des  uniformes  et  des  exer- 
cices guerriers  ,  et  par  conséquent  plus  de  fa- 
cilite pour  la  formation  et  le  recrutement  des 
troupes  destinées  à  agir  à  Pextérieur.  Elle 
recueillit ,  vers  le  même  temps ,  les  débris  de 
Tarmée  électorale  chassée  du  Hanovre.  Sur- 
vint ensuite  le  désastre  deTrafalgar,  plus  com- 
plet que  ne  Favait  été  celui  de  la  Hogue  au 
temps  de  Louis  XÏV^.  La  marine  britannique 
se  reposa ,  parce  qu'elle  nVvait  plus  d'ennemis 
à  combattre  ;  Félan  national  se  tourna  vers  les 
étendards  de  Farmée  de  terre ,  long-temps  dé- 
daignés. 

TOME  l  ,  1 3 


/> 


194  CAMPAGNES 

On  ne  s'en  aperçut  pas  tPabord  snr  le  con- 
tinent. Au  commencement  de  la  guerre  ,  les 
ministres  d'Angleterre  avaient  soudoyé  et 
transporte'  en  France  des  assassins  charges 
d'attenter  à  la  vie  de  Napoléon  Bonaparte. 
Quand,  à  la  fin  de  i8o5,  l'agression  de  TAu- 
triche  eut  détourné  l'orage  qui  menaçait  la 
Grande-Bretagne,  cette  puissance  ,  désormais 
hors  d'atteinte  sur  son  territoire ,  se  contenta 
d'envoyer  quelques  troupes  qui  se  joignirent 
à  un  corps  russe  et  occupèrent  Naples  pen- 
dant la  campagne  d'Austerlitz.  On  eût  dit 
qu'elles  venaient  tout  exprès  pour  attirer  les 
armes  victorieuses  des  Français  ,  et  pour  mo- 
tiver l'envahissement  du  royaume.  Ces  auxi- 
liaires malencontreux  n'attendirent  pas  l'en- 
nemi ,  et  laissèrent  aux  nationaux  le  soin  de 
défendre  la  place  de  Gaete. 

Six  mois  après  ,  le  lieutenant-général ,  sir 
John  Stuart ,  débarqua  à  Sainte-Euphémie 
avec  dix  mille  Anglais,  presque  autant  de  Si- 
ciliens  et   (juelcpjes   INapolilains    réfugiés.  La 


DE  l8o5,  l8ot)  ET  1807.        495 

plage  même  du  débarquement  a  ëte'  plus  tard 
le  théâtre  d'un  combat  court ,  mais  vif,  où 
les  Anglais  ont  repousse  un  corps  de  troupes 
françaises  commandé  par  le  général  Reynier. 
On  a  ignoré  cette  échauffourée  partout  ail- 
leurs qu'en  Angleterre  ;  dans  ce  temps-là ,  la 
renommée  n'embouchait  sa  trompette  que 
pour  des  faits  d'armes  d'un  ordre  plus  écla- 
tant. Malgré  le  voisinage  de  la  Sicile  ,  malgré 
la  coopération  des  bandes  calabroises  et  le 
peu  d'importance  que  Napoléon  attachait  aux 
opérations  dans  ces  contrées  éloignées ,  sir 
John  Stuart  ne  put  se  maintenir  à  demeure 
au  fond  de  la  péninsule  italique. 

Dans  la  combustion  de  l'Allemagne  du  nord, 
pendant  les  années  1806  et  1807  ,  on  vit  dans 
les  camps  russes  et  prussiens  des  ministres  et 
des  bailleurs  d'argent,  mais  non  des  soldats 
anglais.  Le  cabinet  employa  les  escadres  et 
quelques  troupes  de  terre  à  des  expéditions 
(jui  devaient  compléter  sa  suprématie  colo- 
niale et  maritime.   Un  plan  d'attaque,   tracé 

i3' 


1 9^  CAMPAGNES 

sur  une  grande  échelle,  fut  essayé  contre  FA- 
merique  espagnole ,  et  aboutit  à  la  défaite  du 
îieutenant-génëral  Whitelocke  ,  à  Buenos- 
Ayres.  L'armée  de  la  Méditerrané  acheva, 
par  un  débarquement  intempestif  en  Egypte, 
la  ruine  desMameloucks.  Dans  le  même  temps, 
FEurope  retentit  de  la  présomptueuse  appa- 
rition de  la  flotte  de  famiral  Duckworth  de- 
vant les  murs  du  sérail  de  Constantinople. 
L'amiral  Gambier  et  le  général  lord  Cathcart 
réussirent  mieux  dans  Fattentat  contre  Co- 
penhague; cette  capitale  fut  bombardée  et 
prise  ;  la  marine  danoise  mise  au  pillage. 

Dans  FInde  aussi,  la  Grande-Bretagne  amas- 
sait du  profit  sans  honneur  :  depuis  vingt  ans 
elle  s'y  agrandissait  sans  relâche,  tantôt  par 
les  armes  ,  tantôt  par  la  corruption,  quelque- 
fois en  répétant  les  cruautés  de  Pizarre  ,  sans 
jamais  avoir  besoin  du  génie  de  Cortez.  Ses 
généraux  donnaient  aux  princes  et  aux  na- 
tions des  leçons  de  morale  à  la  manière  an- 
glaise; le  contre-coup  de  cet  accroissement  de 


DE  i8o5,   1806  LT   1807.  d97 

puissance  dans  des  régions  lointaines  se  faisait 
sentir  en  Europe  :  quelques  officiers  appre- 
naient la  guerre  et  le  commandement  des  ar- 
mées. 

Bientôt  cet  art  nouveau  pour  les  Anglais  al- 
lait leur  devenir  nécessaire  presque  à  Tégal  de 
la  science  navale.  L\4nglelerre  a  un  territoire 
peu  fertile  et  invariablement  limité  par  la  na- 
ture ;  elle  porte  une  race  d'hommes  qui  pul- 
lulent beaucoup  et  consomment  énorme'ment  j 
leurs  passions  sont  ardentes  et  leurs  désirs 
sans  bornes  ;  les  deux  hémisphères  suffisent  à 
peine  à  leur  appétit  dévorant.  Bien  que  leurs 
corps  soient  robustes ,  leurs  âmes  énergiques 
et  leurs  esprits  industrieux ,  ils  ne  sont  pas  en 
assez  grand  nombre  pour  tenir  à  la  fois  l'Eu- 
rope ,  F  Asie  ,  l'Afrique  et  l'Amérique.  Mais  ces 
rois  de  la  mer  étaient  ,  pour  chaque  contrée , 
les  dispensateurs  exclusifs  des  produits  du  reste 
du  monde.  Ils  avaient  rendu  tributaires  de  leur 
industrie  les  peuples  qu'ils  n'étaient  pas  assez 
forts  pour  réduire  à  l'état  de  sujets;  une  telle 


±Ç)S  SYSTKMK 

domination  ne  pouvait  se  soutenir  et  s^accroi- 
tre  que  par  une  imperturbable  persévérance. 

Apres  la  paix  de  Tilsit ,  Napoléon  n^avait 
plus  d'ennemis  que  les  Anglais.  La  puissance 
britannique  ,  principe  toujours  vivace  des 
résistances  qu'on  lui  opposait ,  n'avait  pas 
cessé  d'être  le  point  de  mire  définitif  de  ses 
attaques.  Il  y  avait  impossibilité  physique 
d'arriver  à  elle  ;  mais  on  pouvait ,  en  obstruant 
les  débouchés  de  son  industrie  ,  et  en  lui  en- 
levant les  profits  du  commerce  maritime , 
l'empêcher  d'étendre  son  empire  sur  nous. 
Seigneur  absolu  de  la  plus  grande  partie  des 
côtes  de  l'Europe  ,  maîtrisant  le  reste  par  son 
influence  sur  les  cabinets  ,  l'Empereur  des 
Français  voulut  que  tous  les  rivages  se  défen- 
dissent des  marchandises  et  des  vaisseaux  bri- 
tanniques ,  comme  ils  se  défendaient  des  flots 
de  la  mer. 

Si  un  champion  cuirassé  descendait  dans  l'a- 
rène que  se  disputent  des  gladiateurs  dépour- 


C()ntinp:>taf..  199 

vus  d^arnies  défensive:? ,  ne  seiail-il  pas  de 
Tintérêt  commun  des  combattans  de  suspen- 
dre leurs  querelles  et  de  se  réunir  contre  celui 
qui  porte  des  coups  sans  en  recevoir?  Ce 
champion  cuirassé  ,  c^était  ,  selon  les  idées 
de  Napoléon  ,  TAngleterre  ,  restant  invulnéra- 
ble ,  tandis  que  les  progrès  de  la  guerre  avaient 
rendu  les  Etats  du  continent  si  faciles  à  déchi- 
rer. Derrière  son  grand  fossé  ,  TAngleterre  se 
riait  des  malheurs  du  monde  ;  Napoléon  es- 
saya de  Fen  punir ,  et  quoique  cette  entre- 
prise n^ait  pas  réussi,  elle  conservera  dans  la 
postérité  un  aspect  de  grandeur  et  d^éclat. 

Mais  en  supposant  même  que  le  système 
d'*exclusion  fût  un  moyen  de  prospérité  future 
pour  le  continent ,  il  n^est  jamais  facile  de 
faire  sacrifier  aux  hommes  ce  qui  leur  plait  au- 
jourd'hui pour  ce  qui  leur  sera  avantageux  de- 
main. La  cessation  subite  de  Farrivage  des 
marchandises  anglaises  ,  et  surtout  des  den- 
lées  coloniales  ,  contrariait  les  goûts  et  \e^ 
habitudes   des   peuples  ;    en    même    temps  ils 


200  SYSTEME 

étaient  attaqués  dans  la  production  agricole 
par  Tavilissement  du  prix  des  denrées  qui  ne 
trouvaient  plus  d'écoulement  au  dehors.  L'as- 
sentiment sans  réserve  des  princes  et  des  su- 
jets sur  tout  le  continent ,  était  donc  la  pre- 
mière et  l'indispensable  condition  de  la  mise 
en  action  du  système  continental.  A  quel  titre 
Napoléon  eût-il  obtenu  cet  assentiment?  De- 
puis qu'il  avait  étouffé  la  liberté  dans  son  pays, 
sa  voix  avait  perdu  le  don  de  persuader  ;  le 
mal  qu'il  avait  fait  lui  ôtait  même  le  droit  de 
faire  du  bien ,  et  son  glaive ,  qui  ne  se  repo- 
sait point ,  était  l'effroi  des  nations  et  des  mo- 
narques. 

Ainsi,  quand  la  politique  de  leur  Empereur 
ouvrait  aux  Français  une  carrière  d'honneur 
et  de  prospérité' ,  ils  avaient  perdu  le  mouve- 
ment moral  nécessaire  pour  la  parcourir  avec 
succès.  Les  Anglais  chasses  de  partout,  réduits 
à  l'alliance  du  roi  de  Suède  en  Europe ,  et  du 
roi  d'Haïti  en  Amérique ,  étaient  plus  près  de 
triompher  qu'en  1/93  ,  lors  du  blocus  de  Cam- 


c()^Tl^E^TAL.  9,oi 

hrai  et  de  la  prise  de  Toulon.  En  effet,  Tam- 
bition  immodérée  et  toujours  croissante  de 
leur  adversaire  établissait  graduellement  en- 
tre ces  insulaires  et  le  continent  des  rapports 
sympathiques,  dont  eux-mêmes  s'étonnaient. 
Aussi  les  vit-on  porter  appel  de  la  trop  longue 
patience  des  rois  pardevant  le  tribunal  des 
peuples.  Entre  les  corsaires  qui  pillent  les 
flottes  et  les  légions  qui  désolent  la  terre ,  le 
choix  des  nations  ne  pouvait  pas  être  dou- 
teux. Nous-mêmes,  embarqués  à  la  merci  du 
conquérant  sur  cette  mer  sans  rivages,  ne  nous 
est-il  pas  arrive'  de  désirer  en  secret ,  non  que 
FAngleterre  triomphât ,  un  vœu  si  impie  n'a 
jamais  trouvé  accès  dans  notre  cœur,  mais 
qu'elle  ne  fût  pas  tout-à-fait  écrasée  ,  parce 
qu'elle  se  présentait  à  notre  confiante  j)ru- 
d'homie,  comme  le  boulevard  de  la  civilisa- 
tion et  le  dernier  refuge  de  la  liberté  ? 

L'inquiétude  que  manifestèrent  les  manu- 
facturiers et  les  capitalistes  à  la  publication 
des  décrets  de  Berlin  et  de  Milan  ,  trahit  le  pé- 


209.  MINISTERE 

ril  de  cette  nation  trafiquante.  Le  système  con- 
tinental n^était  pas  une  de  ces  mesures  qui  man- 
quent partout ,  quand  elles  ont  manqué  sur  un 
point ,  et  toujours  quand  elles  ont  manqué  une 
fois.  Sans  examiner  si  son  exécution  rigoureuse 
aurait  réussi  à  épuiser  promptement  les  res- 
sources de  Tempire  britannique ,  toujours  est- 
il  que  de  simples  essais  suffisaient  pour  lui 
causer  des  dommages  irréparables.  Napoléon 
avait  trouvé  le  point  vulnérable.  Il  ne  s'agis- 
sait de  rien  moins,  pour  nos  ennemis  ,  que  de 
la  fortune  publique ,  et  partant  de  Texistence 
nationale.  L'Angleterre  le  sentit  ;  elle  fit  des- 
cendre les  masses  de  ses  propres  soldats  sur 
les  champs  de  bataille ,  et  l'Europe  vit  enfin  des 
funérailles  anglaises. 

C'est  une  conséquence  de  la  composition  et 
des  formes  du  Parlement  britannique  ,  que  le 
gouvernement  suive  sans  déviation  la  ligne  des 
intérêts  de  l'aristocratie  territoriale  et  mercan- 
tile; mais  sa  marche  s'accélère  en  raison  des 


BRITANMQl'K.  20.Î 

lalens  ,  et  suivant  les  vuespersonDelles  de  ceux 
qui  sont  au  timon  des  afFaires.  Georges  III  ré- 
gnait, vénérable  par  un  demi-siècle  de  royauté 
nationale  et  de  vertus  domestiques  ;  il  était  sur 
le  point  de  tomber  pour  la  troisième  fois  dans 
l'aliénation  mentale ,  et  le  peuple  le  savait  à 
peine.  Dans  ce  pays,  on  s'inquiète  moins  du 
personnage  inviolable  qui  est  le  Roi ,  que  des 
agens  responsables  chargés  de  l'exercice  de 
l'autorité.  Les  deux  grands  hommes  d'Etat  de 
la  fin  du  dix-huitième  siècle  avaient  disparu  à 
neuf  mois  d'intervalle  l'un  de  l'autre.  Premier 
ministre  en  1792,  Fox  aurait  peut-être  sauvé 
Louis  XVI ,  la  France ,  et  tant  d'autres  monar- 
chies, principautés  et  républiques;  car  l'ani- 
mosite'  tracassière  du  cabinet  de  Saint-James 
fut  la  cause  la  plus  influente  de  notre  toiu'- 
mente  révolutionnaire ,  et  du  débordement 
d'esprit  militaire  qui  s'en  est  suivi.  Arrivant 
au  pouvoir  en  1806  après  la  mort  de  Pitt,  Fox 
ne  tarda  pas  à  reconnaître  que  des  maux  fa- 
ciles à  préxenir  sont  souvent  très-difficiles  à 


2o4  TABLEAU 

réparer;  son  administration  fut  terne  et  non- 
chalante. Les  hommes,  qui  recueiUirent  Fhéri- 
tage  de  Fox  et  de  ses  collègues,  étaient  classés, 
dans  Pestime  de  la  nation,  bien  au-dessous  de 
leurs  devanciers;  mais  le  cabinet  où  siégeaient 
les  Parceval ,  les  Castlereagh ,  les  Liverpool , 
ne  fléchissait  devant  aucune  considération  de 
probité  politique,  et  son  homogénéité  lui  com- 
muniquait un  pouvoir  d'action  rempli  d'éner- 
gie. Disciples  de  Pitt,  les  nouveaux  ministres 
avaient  évoqué  le  génie  de  leur  maître  ,  et 
conçu  ridée  de  bombarder  Copenhague.  Heu- 
reusement pour  le  succès  de  leur  cause  ,  dans 
cette  concurrence  d'oppression  et  de  misères 
publiques,  Napoléon  marchait  plus  vite  qu'eux. 
Il  ne  tarda  pas  à  fournir  aux  Anglais  un  théà- 
Ire  de  guerre  disposé  de  façon,  que,  mettant 
en  campagne  moins  de  troupes  que  la  France, 
nos  rivaux  purent  cependant  engager  dans 
chaque  bataille  et  dans  chaque  rencontre,  une 
force  numérique  supérieure  à  la  nôtre. 


DE    l\rmÉE    anglaise.  2o5 

Tl  est  des  paradoxes  qui,  à  force  d'être  répé- 
tés, finissent  par  devenir  des  proverbes,  et 
presque  des  axiomes.  Les  Anglais  étaient  re- 
gardés universellement  comme  des  loups  de 
mer  inexperts,  déconcertés,  impuissans,  dès 
qu'ils  abordaient  au  rivage.  Si  leur  orgueil 
patriotique ,  se  révoltant  contre  ce  préjugé  , 
répétait  les  noms  de  Créci,  de  Poitiers  et  d'A- 
zincourt,  on  leur  répondait  que  les  armées 
d'Edouard  III  et  de  Henri  V  étaient  formées 
de  Normands  ,  de  Poitevins  ,  de  Gascons.  Il  se 
trouvait  cependant  parmi  les  vainqueurs  un 
bon  nombre  d'Anglais  natifs  ,  et  ce  n'était  pas 
eux  qui  avaient  porté  les  coups  les  moins  assu- 
rés. Le  Prince-Noir  et  Talbot  étaient  nés  dans 
Albion.  Plusprès  de  notre  époque,  Marlborougb 
et  ses  douze  mille  soldats  n'avaient  pas  été  les 
moins  redoutables  ennemis  de  Louis  XIV.  La 
colonne  de  Fontenoi  eût  suggéré  à  un  autre 
Bossuet  l'image  d'une  tour  qui  d'elle-même  ré- 
pare ses  brècbes.  Même  depuis  que  le  vif  e'clat 
de  la  oloire  française  avait  décoloré  et  notre 


tioG  TABLEAU 

vieille  histoire  et  Phistoire  moderne  de  nos 
ennemis,  on  avait  remarque  dans  les  troupes 
britanniques  employées  en  Flandre,  et  plus 
tard  en  Hollande,  à  côté  dVme  direction  gé- 
nérale, molle  et  vicieuse,  force  coups  de  vi- 
gueur et  d'audace.  Nos  soldats,  revenus  d''É- 
gypte ,  disaient  à  leurs  camarades  la  valeur  in- 
domptée des  Anglais.  DVilleurs  il  n'était  pas 
besoin  d'une  réflexion  profonde  pour  deviner 
(|ue  l'ambition,  la  capacité  et  le  courage  sont 
bons  à  autre  chose  qu'à  être  embarqués  sur 
des  vaisseaux. 

Ne  cherchez  pas  en  Angleterre  cette  ardeur 
belliqueuse  ,  vague  dans  son  objet ,  qui  se  joue 
avec  la  mort ,  et  qui ,  sentie  par  toutes  les  con- 
ditions ,  sous  des  nuances  différentes ,  étend 
sur  les  mœurs  du  peuple  une  teinte  chevale- 
resque. Les  Anglais ,  pris  un  à  un  ,  se  recom- 
mandent par  des  vertus  privées  ,  une  volonté 
précise  et  un  jugement  droit.  Considérés  en 
corps  de  nation,  les  classes  inférieures  sont 
brutales,  les  classes  élevées  orgueilleuses,  eu- 


DE    l'armée    anglaise.  'lOJ 

pides  et  profondément  calculatrices.  On  ne 
leur  connut  jamais  de  rivaux  pour  Thabileté  et 
la  hardiesse  à  affronter  les  dangers  de  la  mer. 
Les  révolutions  leur  ont  donné  la  liberté.  De 
la  liberté  est  venue  la  richesse;  et  la  richesse 
n'a  pas  énervé  leur  courage.  Ne  respirant  à 
Taise  que  dans  l'espace ,  cruels  dans  leurs  di- 
vertissemens ,  passionnés  pour  les  exercices 
violens  ,  ils  ont  conservé,  à  travers  une  socia- 
bilité corrompue  ,  les  goûts ,  les  jeux ,  les  habi- 
tudes que  leurs  barbares  ancêtres  avaient  dans 
les  forêts.  Leur  humeur  inquiète  et  voyageuse 
les  rend  propres  à  la  vie  errante  des  guerriers, 
et  ils  possèdent  une  qualité ,  la  plus  précieuse 
de  toutes  sur  les  champs  de  bataille  ,  le  calme 
dans  la  colère. 

Une  population  ainsi  conformée  pourrait , 
quoique  peu  nombreuse  ,  être  un  puissant  le- 
vier dans  la  main  d'un  gouvernement  qui  che- 
minerait suivant  une  tendance  absolue.  Elle 
serait  le  fléau  de  l'espèce  humaine  ,  si  ce  gou- 
vernement,  n'ayant  rien  à  craindre  pour  la 


208  TABLEAU 

sûreté  du  pays,  disposait,  dans  Tattaque , 
des  facultés  de  la  génération  présente  et  des 
trésors  des  générations  futures  ,  sur  lesquelles 
il  tirerait  des  lettres-de-change  à  volonté.  Telle 
est  la  puissance  a-nglaise  dans  ses  rapports  de 
police  intérieure ,  et  avec  les  autres  peuples. 
Cest  Bonaparte  en  action  ,  mais  Bonaparte 
toujours  jeune  et  toujours  vigoureux  ,  Bona- 
parte persévérant  dans  sa  passion  ,  Bonaparte 
immortel.  Dominer  et  grandir,  voilà  le  but  in- 
variable de  Toligarchie  britannique  ,  n'impor- 
tent les  moyens.  Aussi,  voyez-la  soutenir, 
avec  une  chaleur  égale ,  les  causes  justes  et 
celles  qui  ne  le  sont  pas.  Dirigeant  aujourd'hui 
la  ligue  des  rois  contre  les  peuples ,  elle  sera 
demain  auxiliaire  des  peuples  contre  les  rois. 
Là  elle  accélérera  le  développement  de  Pesprit 
humain;  ailleurs  elle  armera  la  colère  axeugle 
du  sauvage  contre  le  travail  de  Thomme  civi- 
lisé, Le  même  trésor  paiera  l'assassinat  de 
Paul  P%  et  versera  des  secours  sur  les  incen- 
diés de  Moscou.  La  même  torche  embrasera  les 


DE    l'armée    anglaise.  209 

édifices  saCrés  de  Washington  et  lés  flottes  dé- 
prédatrices d'Alger. 

L'Angleterre  a  été  ,  parmi  les  grandes  puis- 
sances européennes ,  la  dernière  à  entretenir 
des  troupessoldées.  Henri  VIT  et  Elisabeth  eu- 
rent des  gardes-du-corps.  Charles  II  avait  ap- 
pris le  despotisme  à  la  cour  de  Louis  XIV.  Il 
créa  trois  régimens  d'infanterie  et  deux  esca- 
drons de  cavalerie ,  qui  ont  été  la  souche  de 
l'armée  de  ligne.  Survinrent  ensuite  l'expul- 
sion des  Stuarts  et  les  règnes  belliqueux  de 
Guillaume  III  et  d'Anne.  A  chaque  guerre 
nouvelle ,  on  a  augmenté  l'armée ,  et  après  la 
paix  l'établissement  est  resté  plus  considérable 
qu'il  ne  l'était  avant  les  hostilités.  La  révo- 
lution française  a  favorisé  le  penchant  de  la 
couronne  à  accroître  toujours  les  forces  de 
terre.  Au  i"  janvier  1792 ,  l'armée  était  do 
quarante-deux  mille  six  cent  soixante-huit 
hommes  ,  dont  douze  mille  sept  cent  trois  em- 
ployés sur  le  territoire  de  la  Grande-Bretagne, 
neuf  mille  quatre  cent  cinquante-trois  en  Ir- 

TOME  1.  l4 


2  1  0  TABLEAU 

lande,  et  vingt  mille  cinq  cent  douze  dans 
les  possessions  au-dehors.  Au  i  "janvier  i8o8, 
l\Angleterre  avait  sur  pied,  pour  le  service 
de  terre ,  six  cent  cinq  mille  quatre  cent  qua- 
rante-neuf hommes  ,  savoir  :  deux  cent  vingt- 
neuf  mille  cinq  cent  quatre-vingt-seize  d*'in- 
fanterie  ,  de  cavalerie  et  d'artillerie  ,  formant , 
à  dix  mille  hommes  près ,  le  complet  de  Tar- 
mée  de  ligne  ;  soixante-dix-sept  mille  cent 
([uatre-vingt-quatre  miliciens  enrégimentés , 
parfaitement  disciplinés  ,  asservis  au  régime 
des  troupes  régulières  ,  avec  cette  seule  diffé- 
rence qu''ils  ne  peuvent  pas  être  envoyés  hors 
du  territoire  des  trois  royaumes  ;  deux  cent 
quatre-vingt-dix-huit  mille  six  cent  soixante- 
neuf  volontaires ,  répartis  dans  des  corps  de 
toute  arme  et  de  dénominations  différentes , 
telles  que  volontaires,  fencibles ,  yeomanry. 
La  plupart  étaient  habillés  aux  frais  de  TEtat. 
Ils  ne  se  rassemblaient  qu\\  des  époques  fixes  ; 
et ,  à  Texception  à\\n  certain  nombre  d'offi- 
ciers et  de  sous-officiers  en  service  et  payés 


DE    L  ARMEE    ANGLAISE.  211 

toute  Tannée,  ils  ne  recevaient  la  solde  que 
pendant  le  temps  du  rassemblement.  Nous  ne 
comprenons ,  dans  Tétat  de  Tarmée  anglaise , 
ni  les  troupes  du  service  de  la  Compagnie  des 
Indes,  ni  vingt-deux  mille  cinq  cents  Alle- 
mands et  autres  étrangers  à  la  solde  britan- 
nique ,  employés  les  premiers  dans  toutes  les 
expéditions. 

Les  volontaires  furent  institués  au  plus  fort 
de  la  terreur  que  causait  la  propagation  des 
principes  révolutionnaires ,  et  avec  le  dessein 
secret  de  maintenir  la  population  dans  Tordre, 
en  la  classant  et  la  disciplinant.  Le  nombre  en 
grossit  outre  mesure  lorsque  le  pays  fut  me- 
nacé d^être  envahi.  On  a  créé ,  en  1808  ,  une 
milice  locale  ,  qui  ne  pouvait ,  dan^  aucun  cas, 
sortir  du  comté,  et  dont  les  cadres  seuls  étaient 
en  permanence.  Forte  de  plus  de  deux  cent 
mille  hommes ,  et  prête  à  rendre  les  mêmes  et 
de  meilleurs  services  que  les  volontaires ,  elle 
a  dû  compenser  avec  certitude  la  diminution 
des  forces  résultant  de  la  dissolution  graduelle 

14* 


2  1  2  TABLEAU 

de  ces  corps  de  circonstance.  L'ancienne  el  la 
nouvelle  milices  étaient  recrutées  par  la  voie 
du  sprt.  On  pouvait  les  considérer  comme  des 
réservoirs  de  soldats  destinés  à  alimenter,  par 
des  moyens  plus  ou  moins  directs  ,  Tarmée  de 
ligne ,  la  seule  portion  de  la  force  publique 
dont  nous  nous  occuperons ,  parce  qu'elle  est 
la  seule  immédiatement  disponible  pour  la 
guerre  extérieure. 

Les  institutions  militaires  de  la  Grande- 
Bretagne  ne  ressemblent  pas  plus  à  celles  des 
autres  puissances,  que  le  peuple  anglais  aux 
autres  peuples.  Tolérée  par  la  constitution 
comme  un  mal  nécessaire ,  l'armée  ,  malgré 
son  nom  de  permanente  [standing  army)^  n'a 
qu'une  existence  temporaire.  Un  acte  du  Par- 
lement (  mw^//2>'  />'^// ),  provoqué ,  délibéré  et 
arrêté  dans  la  forme  des  autres  statuts  législa- 
tifs ,  la  met  sur  pied  d'année  en  année  ,  rap- 
pelle qu'aucune  troupe  ne  peut  être  levée  sans 
le  consentement  des  lords  spirituels  et  tempo- 
rels et  des  communes  ,  fixe  la  quotité  des  trou*- 


DE    i/aRMÉE    AJiGLAISK.  2l3 

pes  traprès  les  circonstances  du  temps ,  déter- 
mine quelques  détails  du  régime  administratif, 
et  renouvelle  les  réglemens  de  police  et  de  pé^ 
nalité  auxquels  sont  assujettis  les  militaires,  par 
exception  au  droit  commun.  Au  défaut  de  cet 
acte,  Parmée  serait  dissoute  de  droit;  et  dans 
Tétat  actuel  de  Topinion  ,  il  est  à  croire  qu'elle 
se  débanderait  de  fait.  Les  troupes  de  terre 
passent,  dans  la  considération  publique,  après 
l'armée  navale.  Ce  classement  est  raisonnable  ^ 
car  les  remparts  de  bois  sont  la  meilleure  pro- 
tection de  la  vieille  Angleterre.  Heureuse  na- 
tion, qui  défend  les  tombeaux  de  ses  ancêtres, 
et  attaque  ses  ennemis  avec  des  armes  que  le 
pouvoir  ne  peut  pas  tourner  contre  la  liberté 
des  citoyens  ! 

Le  contrat  solennel  connu  sous  le  nom  de 
bill  des  droits,  en  vertu  duquel  la  maison  de 
Brunswick  occupe  le  trône  d'Angleterre,  porte 
que  l'armée  ne  sera  pas  réunie  par  portions 
dans  des  camps  ou  des  casernes.  Par  suite  de 
cette    disposition  ,   les  soldats   ont   été    long- 


2  1  4  TABLEAU 

temps,  soit  en  marche,  soit  en  cantonnement, 
logés  et  même  nourris  dans  les  auberges.  Les 
plus  célèbres  publicistes  du  dix-huitième  siè- 
cle regardaient  le  mélange  continuel  des  hom- 
mes de  guerre  avec  les  citoyens  comme  un  pré- 
servatif aux  dangers  qu^entraînent  la  perma- 
nence obligée  et  Taugmentation  de  Farmée. 
Dès  Tannée  1791,  le  ministre  Pitt ,  sous  des 
prétextes  frivoles  de  discipline  intérieure  et 
d'*économie  ,  obtint  de  bâtir  des  casernes  près 
de  la  capitale.  Plus  tard,  la  crainte  de  la  des- 
cente fit  concentrer  les  troupes  sur  les  côtes , 
et  on  fut  obligé  d^  construire  de  vastes  loge- 
mens.  Les  agens  de  Pautorité  executive  n^ont 
pas  manqué  de  constituer  en  régime  définitif 
une  dérogeance  aux  anciens  usages  comman- 
dée par  le  besoin  du  moment.  Maintenant , 
Tinfanterie,  la  cavalerie  et  Tartillerie  anglaises 
presque  entières ,  vivent  séparées  du  peuple 
dans  des  casernes  dont  quelques-unes  sont 
bâties  à  Tentrée  des  landes.  Un  office  adminis- 
tratif, sous  le   nom    de  harrach'  departmenl  ^ 


DE    L  ARMEE    ANGLAISE.  213 

est  chargé  de  la  construction  ,  de  Tameuble- 
ment  et  de  Fentretien  des  casernes  ,  et  absorbe 
annuellement  une  portion  du  revenu  public 
suffisante  pour  rétablissement  militaire  d^une 
puissance  du  troisième  ordre. 

Le  Roi  est  le  chef  suprême  de  Farmée  comme 
de  l'Etat  ;  mais ,  dans  TEtat ,  il  ne  fait  que  ce 
que  la  loi  lui  permet.  Dans  Tarmee  ,  il  peut  se 
permettre  tout  ce  que  la  loi  ne  défend  pas.  Ce 
pouvoir,  de  peu  de  considération  au  temps  de 
Marie  et  de  Guillaume  III,  lorsque  Tarmée  était 
de  quinze  ou  de  dix-huit  mille  hommes ,  est 
devenu  exorbitant  depuis  que  l'accroissement 
des  forces  de  terre  et  l'agrandissement  de  l'em- 
pire ont  décuplé  le  patronage  de  la  couronne. 
La  prérogative  royale  a  ete'  forcée,  pour  se  con- 
server intacte ,  de  se  modérer  elle-même  par 
des  réglemens  fixes  et  inviolables  comme  la 
loi ,  et  de  se  fondre  dans  l'intérêt  de  la  classe 
dominatrice.  Pénétrés  de  respect  pour  leur 
chef  auguste,  les  officiers  et  même  les  sol- 
dats savent   cependant   que    le   Koi    n'est    ni 


2 1 6  TABLEAU 

la  seule ,  ni  iiiêiue  la  première  autorité  du 
royaume;  si  jamais  ils  Foubliaient,  Pacte  par 
lequel  ils  existent  en  corps  viendrait  à  propos, 
au  commencement  de  chaque  session  du  Par- 
lement, pour  les  en  faire  ressouvenir. 

LVrmée  anglaise  se  distingue  entre  toutes 
les  armées  du  monde,  par  sa  déférence  envers 
le  pouvoir  légal.  Ce  sentiment  honorable  Fac- 
compagne  partout ,  et  on  a  vu  des  militaires 
prévenus  de  crimes ,  se  soumettre  sans  mur- 
mures à  la  juridiction  des  tribunaux  des  peu-* 
pies  conquis.  Dans  leur  pays,  les  officiers  nepa-r 
raissent  en  public  avec  Tuniforme  et  les  décora- 
tions, que  lorsque  le  service  les  y  oblige.  Tout 
leur  dit  qu^ils  sont  citoyens  avant  d'être  mili- 
taires.Le  moindre  dizenier,  tithing-man^  de  pa- 
roisse passe ,  quand  il  le  veut,  la  revue  d'un 
corps  avant  de  lui  distribuer  des  billets  de  lo" 
gement.  Les  régimens  ploient  les  drapeaux  et 
font  taire  les  tambours  quand  ils  traversent  la 
cité  de  Londres;  il  n'en  est  pas  ainsi  dans  la 
partie  occidentale  de   la  ville.  Là,  au  grand 


DE    L^ARMEE    ANGLAISE.  21 7 

regret  des  umis  de  la  liberté,  les  corps-de-garde 
et  les  casernes  sVtendent  comme  une  lèpre. 
Au  moins ,  jusqu'à  ce  jour  ,  les  hommes  armes 
sont  modestes  et  inoffensifs.  Un  factionnaire 
hargneux  ,  défendant  son  terrain ,  et  qui  s^i- 
maginerait  représenter  le  monarque,  ne  tien- 
drait pas  un  quart-d'heure  dans  les  rues  de 
Londres. 

Gomme  Tarmée  est  en  dehors  de  la  consti- 
tution, ses  chefs  n'ont  point  de  rang  assigné 
parmi  les  fonctionnaires  publics  ,  et  on  ne  s'a- 
vise jamais  de  mettre  la  hiérarchie  militaire  en 
regard  de  la  hiérarchie  civile.  Tous  les  officiers 
sont  admis  à  la  cour  du  souverain  ;  mais,  dans 
l'ordre  des  préséances,  le  fils  dernier  du  der- 
nier baronnet  ou  bachelier  des  trois  royaumes 
passerait  avant  un  maréchal,  si  celui-ci  ne  pos- 
sédait pas  d'autre  titre  de  supériorité  indé- 
pendant de  son  grade  militaire. 

L'armée  se  recrute  par  l'enrôlement  volon-, 
raire.  A  cet  effet,  le  territoire  de  la  Grande-^ 


2j8  recrutement 

Bretagne  et  de  lUrJande  est  divisé  en  arron- 
dissemens,  rccrulting  districts^  auxquels  sont 
aft'ectés  des  officiers  et  des  sergens  recruteurs 
détaches  des  régimens.  Ces  derniers,  renom- 
més par  leur  subtilité,  ont  particulièrement 
occasion  de  Texercer  dans  les  grandes  villes 
manufacturières  de  TAngleterre ,  telles  que 
Londres,  Manchester,  Birmingham.  Ils  font 
une  récolte  d^hommes  abondante  dans  les  pro- 
vinces d'Irlande ,  réduites  à  la  misère  par  les 
mesures  oppressives  du  cabinet  britannique. 
Le  gouvernement  puise  encore  des  soldats 
dans  les  hôpitaux  dVnfans  trouvés ,  et  parmi 
les  pauvres  que  nourrit  la  charité  publique. 
Il  enrôle  les  hommes  jusqu'à  Tâge  de  quarante 
ans,  et  il  admet  au  service  des  enfans  au-des- 
sous de  seize  ans,  dont  l'éducation  s'achève 
dans  les  casernes.  L'homme  de  recrue  est  payé 
par  l'État  23  livres  17  schellings  et  6  pences, 
à  peu  près  600  francs.  Le  haut  prix  des  enga- 
gemens  et  la  séduction  de  la  taverne  attirent 
sous  les  drapeaux  la  populace  des  villes  et  les 


DE    L^ARiMEE    ANGLAISE.  219 

mendians  descampagnes. Un  pair  des  royaumes 
unis,  lord  vicomte  Melville,  disait  en  plein  Par- 
lement,  le  18  mars  1817,  que  les  plus  mau- 
vais ^arnemens  sont  les  plus  propres  à  être 
soldats ,  et  qu'il  faut  garder  les  bons  sujets 
dans  le  pays  ' .  Afin  de  faire  apprécier  à  nos  lec- 
teurs, par  un  dernier  trait,  Pabjection  du  mé- 
tier de  soldat  en  Angleterre,  nous  leur  ap- 
prendrons que  le  gouvernement  a  souvent 
fait  entrer  dans  Tarmëe  ,  en  commutation  de 
peine  ,  des  criminels  condamnés  à  mort  aux 
assises  des  comtés. 

Autrefois  Tenrôlement  était  à  vie.  Depuis 
l'année  1806,  on  peut  s'engager  pour  sept  ans 
ou  pour  toujours  ;  mais  le  service  illimité  est 
encouragé  de  préférence ,  et  des  primes  sont 
accordées  aux  rengagemens.  Les  hommes  pas- 
saient à  leur  gré,  des  corps  volontaires  et  de 
milice  locale,  dans  l'armée  de  ligne.  Dans  ces 


'    The  XL'oiic  incn  arc  thc  filles*  for  so/r/iers.  Kecp  tlic 
hcller  al  home. 


220  RECRUTEMEINT 

derniers  temps,  le  système  continent iil,  en  di- 
minuant les  fabrications,  avait  transforme  en 
soldats  nn  grand  nombre  d'ouvriers  sans  tra- 
vail. Maigre'  ces  deux  avantages  ,  il  a  été'  re- 
connu que  le  recrutement  habituel  ne  suffisait 
pas  pour  remplir  les  vides  causes  par  Tëtat  de 
guerre  ;  on  a  eu  recours  à  la  milice  perma-r 
nente.  La  puissance  législative  a  offert  des 
commissions  d'officiers  dans  les  regimens  de 
ligne,  aux  officiers  de  milice  qui  persuaderaient 
à  un  certain  nombre  de  leurs  soldats  d'y  en- 
tier  avec  eux.  L'effet  de  cette  mesure  n'a  jamais 
manque'  dans  des  troupes  provinciales,  où, 
d'après  l'institution,  les  grades  sont  distribues 
à  peu  près  en  raison  des  propriétés  foncières 
et  de  l'inlluence  dans  la  province.  A  la  (in 
de  la  guerre  d'Espagne,  il  arrivait  au  corps 
deux  fois  plus  de  recrues  sortant  de  la  milice 
que  d'autres.  Ainsi ,  le  service  force  était  de- 
venu par  le  fait  le  principal  clément  de  la  for- 
mation de  l'armée.  Ceci  (xpliqne  pourquoi  le 
peuple  qui  sait  le  mieux  conqiter,  s'est  resigne 


DE    l\rMEE    anglaise.  221 

à  rétablissement  dispendieux  et  peu  utile  en 
apparence  delà  milice  permanente.  La  bonne 
espèce  d'hommes  qu'elle  fournissait  mitigeait 
les  fâcheux  résultats  de  l'enrôlement  immé- 
diat. L'armée  anglaise  réparant  promptement 
ses  pertes  avec  des  soldats  déjà  rompus  à  la 
vie  militaire  a  été  plus  redoutable  aux  en- 
nemis. 

L'armée  reçoit ,  pour  les  mouvemens  et  les 
opérations,  les  ordres  du  secrétaire  d'État  au 
département  de  la  guerre  et  des  colonies  (  se- 
cretary  of  state  for  war  and  colonies).  Ce  mi- 
nistère, l'un  des  premiers  emplois  du  cabinet , 
a  été  confié  successivement,  pendant  la  durée 
de  la  guerre  de  Portugal  et  d'Espagne,  à  lord 
Castlereagh,  au  comte  de  Liverpool  et  à  lord 
Bathurst.  L'administration  de  la  comptabilité 
des  troupes  d'infanterie  et  de  cavalerie  (  l'ar- 
tillerie et  le  génie  appartiennent  à  un  dépar- 
tement séparé  ) ,  leur  habillement ,  leur  bud- 
get, les  vivres  de  la  guerre  ,  les  marches  ,  l'in- 


222  DIRECTION    ET    COMMANDEMENT 

terprétation  des  actes  du  Parlement,  relatifs 
à  rarmee;  le  contre -seing  des  ordonnances 
royales  sur  la  matière ,  constituent  les  attri- 
butions d'un  autre  office  ministériel,  celui  du 
secre'taire  de  la  guerre  [secretary  at  lucif).  L'of- 
fice a  été'  occupé  dans  ces  derniers  temps  par 
sir  James  Pulteney,  et  ensuite  par  lord  vi- 
comte Palmerston.  Le  secrétaire  d'Etat  pour 
la  guerre  et  les  colonies  et  le  secrétaire  de  la 
guerre  sont,  le  plus  souvent,  étrangers  au  mé- 
tier des  armes.  C'est  au  talent  parlementaire 
ou  à  l'influence  des  partis  qu'ils  doivent  leur 
élévation.  Un  officier-général,  avec  le  titre  de 
commandant  en  çk\^î {^commander  in  chief  of 
ail  His  Majestés  forces),  est  chargé  du  per- 
sonnel de  l'armée.  La  discipline,  l'instruction, 
l'avancement,  le  recrutement,  les  remontes  le 
concernent.  Il  surveille  l'exécution  des  ordon- 
nances et  des  lois  ,  et  il  prépare  les  réglemens 
qui  doivent  les  expliquer  ou  suppléer  à  leur 
silence. 

Le  commandement  en  chef  des  forces  fut 


DES    FORCES    MILITAIRES.  22^ 

long-lenips  un  emploi  subalterne.  Celui  qui 
l'exerçait  était  tenu  à  grande  distance  du  pou- 
voir. Comme  Tarmée ,  peu  nombreuse,  cou- 
rait peu  de  chances ,  on  se  traînait  sans  varia- 
tion dans  les  vieux  erremens.  Les  commissions 
et  les  faveurs  royales  étaient  accordées  sans 
discernement.  On  nommait  enseignes,  des  en- 
fans,  à  Te'poque  où  Ton  eût  dû  leur  mettre  le 
rudiment  à  la  main;  et,  dès  qu'ils  entraient 
dans  l'adolescence  ,  il  n'était  besoin  ,  pour  les 
porter  à  la  tête  des  régimens  ,  que  du  temps 
nécessaire  à  l'insertion  dans  la  Gazette  des  pro- 
motions qu'ils  obtenaient  coup  sur  coup.  Les 
lieutenans- colonels  et  les  majors  avaient  des 
compagnies  que  d'autres  commandaient.  Les 
corps  d'officiers  étaient  presque  toujours  in- 
complets, et  ceux-là  seuls  résidaient  au  régi- 
ment, qui  n'avaient  pas  assez  d'argent  pour 
payer  un  congé.  L'administration  et  la  comp- 
tabilité étaient  livrées  à  un  brigandage  qui 
rendait  misérable  la  condition  du  soldat. 
Les  mauvaises  comme  les  bonnes  doctrines 


224  DIRECTION    ET    COMMANDEMENT 

se  lient  et  réagissent  les  unes  sur  les  autres  i 
pour  rendre  plus  complet  le  mal  ou  le  bien. 
Les  régimens  étaient  aussi  ignorans  que  mal 
conduits.  On  avait  des  ordonnances  de  ma- 
nœuvre ,  mais  anciennes  et  imparfaites ,  et 
comme  les  troupes  n'étaient  soumises  sur  ce 
point  à  aucun  contrôle ,  les  suivait  qui  voulait. 
On  ne  pouvait  pas  embrigader,  parce  que 
chaque  chef  de  corps  faisait  manoeuvrer  les 
soldats  à  sa  guise.  Trois  ou  quatre  régimens  que 
le  hasard  réunissait ,  ne  savaient  comment  se 
raccorder.  LMnfanterie  ne  conservait  pas  des 
distances  égales ,  et  ses  mouvemens  étaient  con- 
tinuellement ondulés.  C'était  pire  encore  dans 
la  cavalerie.  Les  officiers  de  toutes  les  armes 
ne  faisaient  que  boire  et  mener  vie  joyeuse.  On 
payait  des  soldats  ,  on  n'avait  pas  d'armée. 

La  nomination  de  Frédéric  duc  d'York  au 
commandement  en  chef,  est  le  commencement 
d'une  ère  nouvelle  pour  l'armée  anglaise.  Son 
éducation  fut  dirigée  vers  la  carrière  des  armes. 
Il  profita  jeune  encore  d'un  long  séjour  sur  le 


DES    FORCES    MILITAIRES.  ITS 

continent,  pour  suivre  et  étudier,  dans  son  or- 
ganisation intérieure  ,  Tarmée  prussienne  qui 
passait  alors  pour  Tarmée  classique  de  FEu- 
rope.  La  place  de  commandant  en  chef  fut 
rehaussée  par  le  choix  qu^on  fit  de  lui  en  1795 
pour  la  remplir.  Si  ses  revenus  n^ont  pas  tou- 
jours suffi  pour  mettre  les  personnes  qui  Ten- 
touraient  hors  des  atteintes  de  la  séduction ,  au 
moins  son  rang  et  son  caractère  Vont  élevé  au- 
dessus  d'une  foule  d'intrigues  journalières  et 
subalternes.  Il  a  pu  attaquer  quelques  abus  in- 
vétérés. Les  ministres  auraient-ils  rejeté  une 
proposition  utile,  quandelle  était  présentée  par 
le  fils  chéri  du  roi  d'Angleterre  ,  par  le  prince 
qui ,  après  la  reine ,  était  le  premier  dans  le  ca- 
binet derrière  le  trône  ?  Le  duc  d'York  est  né 
avec  un  esprit  plus  juste  qu'étendu.  Le  goût  de 
ses  fonctions  et  le  sentiment  de  son  devoir  ont 
vaincu  son  penchant  naturel  à  la  dissipation. 
Voyant  beaucoup  par  lui-même  ,  quoiqu'il  ait 
l'assistance  de  collaborateurs  habiles ,  et  con- 
naissant personnellement  tous  les  chefs  et  un 

TOME  I.  l5 


226  DISCIPLINE, 

grand  nombre  d'officiers ,  il  a  conduit  et  admi- 
nistré Farmée  comme  un  bon  colonel  mène  la 
famille  de  guerriers  dont  i]  attend  sa  réputation. 
Nous  dirons  en  leur  place  quelques-unes  des 
améliorations  qu"*il  a  introduites  dans  le  ser- 
vice. Il  nV  pas  vaincu  à  la  tête  des  Anglais  , 
parce  qu'il  était  général  à  une  époque  où  TAn- 
gleterre  n'avait  que  des  rois  pour  alliés;  mais 
dès  que  la  cause  britannique  s'est  appuyée  sur 
les  passions  et  les  intérêts  des  peuples ,  il  a 
préparé  aux  soldats  les  moyens  de  vaincre. 
L'opinion  du  bien  qu'il  a  fait  a  triomphé 
du  souvenir  de  ses  malheurs  à  la  guerre ,  des 
préventions  naturelles  des  Anglais  contre  les 
princes  du  sang  royal ,  et  même  du  scandale 
de  ses  déportemens  domestiques.  Lorsque,  par 
suitedel'enquêteparlementairede  1809,  le  duc 
d'York  resta  éloigné  pendant  deux  années  du 
commandement  en  chef,  chaque  officier  di- 
sait :  «  Je  m'en  réjouis  comme  citoyen;  j'en 
5)  suis  affligé  comme  soldat.  )> 


MOEURS    ET    HABITUDES.  227 

Nous  ne  connaissons  pas  de  troupes  mieux 
disciplinées  que  les  troupes  britanniques.  Entre 
plusieurs  causes  de  leur  prééminence  sous  ce 
rapport,  nous  dirons  la  première,  celle  qui  nous 
parait  la  plus  influente  et  qui ,  appliquée  à 
Tarmée  française  ,  y  produirait  un  effet  diamé- 
tralement opposé.  Tant  il  est  vrai  que  les  va- 
riétés de  caractère  et  de  condition  conduisent  à 
employer  des  moyens  différens  pour  parvenir 
au  même  but  ! 

Les  soldats  et  les  officiers  forment  en  Angle- 
terre  deux  classes  séparées  par  une  barrière 
presquMnfranchissable.  C^est  la  conséquence 
des  institutions  du  pays.  Une  armée,  levée  au 
moyen  de  la  conscription  ,  choisit  ses  officiers 
dans  son  sein,  parce  qu'elle  est  sûre  d'y  trouver 
des  citoyens  ,  et  parce  que  la  patrie  doit  à  ses 
enfans  Taccomplissement  entier  de  leur  des- 
tinée,  en  quelque  situation  qu'elle  les  place. 
Une  armée  recrutée  à  prix  d'argent  a  droit  seu- 
lement à  ce  qui  lui  fut  promis  lors  de  renga- 
gement que  ses  membres  ont  contracté ,  et  la 


228  DISCIPLIISI-:, 

hallebarde  desergerit  est  le /2ec/>/«^w/^rà de  Tarn 
bi  lion  de  reiirôlé  volontaire.  Une  pareille  armée 
ne  devient  nationale  que  par  Fentremise  d'of- 
ficiers pris  hors  de  ses  rangs  ,  et  dans  la  sphère 
des  intérêts  sociaux.  A  leurs  yeux  les  soldats 
.^ont  des  instrumens  passifs ,  des  rouages  quMl 
faut  abondamment  graisser  et  soigneusement 
entretenir,  pour  que  la  machine  produise  son 
effet  en  toute  occasion. 

La  distinction  des  classes  établit  donc  quelque 
ressemblance  entre  l'armée  anglaise  et  l'armée 
russe  ;  car  la  principale  force  de  celle-ci  vient 
de  ce  que  des  masses  d'hommes  ignorans  se 
laissent  mener  à  l'aveugle  par  des  hommes  plus 
éclairés  qu'eux. 

Le  soldat  anglais  est  stupide  et  intempérant. 
Une  discipline  de  ïer  tire  parti  de  quelques-uns 
de  ses  défauts  ,  et  amortit  les  autres.  Son  corps 
est  robuste  à  cause  des  exercices  de  force  aux- 
quels sa  jeunesse  a  été  accoutumée.  Son  ame 
est  vigoureuse ,  parce  que  son  père  lui  a  dit  et 
ses  chefs  lui  répètent  sans  cesse  que  les  enfans 


MOEURS    ET    HABITUDES.  229 

de  la  vieille  Angleterre ,  abreuvés  de  porter  et 
rassasiés  de  bœuf  rôti ,  valent  chacun  pour  le 
moins  trois  individus  de  ces  races  pygméesqui 
végètent  sur  le  continent  d'Europe.  Quoique 
d'une  complexion  sanguine  ,  il  n'a  pas  un  élan 
extraordinaire ,  mais  il  tient  ferme;  et  lancé  à 
propos,  il  marche  en  avant.  Dans  l'action  ,  il 
ne  regarde  pas  à  droite  ni  à  gauche.  Le  cou- 
rage de  ses  coopérateurs  augmente  peu  son 
courage ,  leur  abattement  pourrait  diminuer, 
mais  non  éteindre  son  ardeur.  Quand  des 
hommes  de  ce  caractère  reculent ,  ce  sera  à 
force  de  coups  de  bâton  et  non  avec  des  mots 
heureux  que  vous  parviendrez  à  les  ramener  au 
combat.  A  nos  Français  il  faut  toujours  parler; 
avec  les  Anglais,  jamais.  Ceux-ci  ne  font  pas 
de  plan  de  campagne,  ils  ne  combinent  rien  , 
et  ils  sont  encore  plus  loin  de  rien  imaginer. 
Leurs  passions  n'ont  de  vivacité  que  dans  un 
cercle  circonscrit.  Ils  ne  connaissent  qu'une 
seule  manière  d'exprimer  ce  qu'ils  sentent,  el 
les  huzzahs,  dont  fut  salué  parfois  dans  sQn  camp 


23o  DISCIPLINE  , 

OU  sur  le  champ  de  bataille  un  général  heu- 
reux ,  ne  différent  en  rien  du  brutal  encoura- 
gement offert  par  la  populace  de  Londres  au 
boxeur  qui  charme  ses  loisirs. 

On  ne  dira  pas  des  Anglais  qu^ils  étaient 
braves  à  telle  rencontre.  Ils  le  sont  toutes  les 
fois  quMls  ont  dormi,  bu  et  mangé.  Leur  cou- 
rage, plus  physique  que  moral,  a  besoin  d*'être 
soutenu  par  un  traitement  substantiel.  La  gloire 
ne  leur  ferait  pas  oublier  qu^ils  ont  faim  ou 
que  leurs  souliers  sont  usés.  Chaque  soldat 
reçoit  tous  les  ans  un  habillement  com- 
plet. La  moindre  solde  dans  Tarmée  est  d'un 
schelling ,  près  de  vingt-cinq  sous  par  jour,  sur 
lesquels ,  après  certaines  déductions  opérées 
pour  fourniture  de  vivres ,  d'*habits,  d'objets 
de  même  entretien,  il  reste  deux  pences  et 
demi,  au  moins  cinq  sous,  à  l'entière  dispo- 
sition du  soldat.  Cette  paie ,  modique  en  An- 
gleterre en  raison  du  prix  excessif  des  denrées, 
se  trouve  être  sur  le  continent  plus  que  double 
de  la  paie  des  Allemands  et  des  Français.  On 


MOEURS    KT    HABITUDES.  »3f 

ne  connaît  ni  arriérés  de  solde ,  ni  retenues  illé- 
gales. Le  soldat  anglais  mange  beaucoup,  et 
surtout  de  la  viande;  il  boit  encore  plus  qu'il 
ne  mange.  Dans  son  île  la  bière  est  sa  boisson 
habituelle.  Au  dehors ,  on  lui  distribue  du  vin , 
quand  le  pays  en  fournit.  Il  ne  saurait  en  cam- 
pagne se  passer  de  liqueurs  fermentées ,  et  le 
rhum  vient  à  propos  ranimer  ses  esprits  dans 
le  moment  du  danger. 

On  est  frappé  des  contrastes  qu'offrent  les 
armées  dans  leur  économie  animale  et  leur  train 
de  vie  journalier.  Voyez  les  bataillons  français 
arriver  au  bivouac  après  une  marche  longue 
et  pénible.  Dès  que  les  tambours  ont  cessé  de 
battre,  les  havresacs,  déposés  en  rond  derrière 
les  faisceaux  d'armes ,  dessinent  le  terrain  où 
la  chambrée  doit  passer  la  nuit.  On  met  bas  les 
habits  ;  vêtus  seulement  de  leurs  capotes ,  les 
soldats  courent  aux  vivres  ,  au  bois  ,  à  l'eau ,  à 
la  paille.  Le  feu  s'allume;  bientôt  la  marmite 
est  dressée  ;  les  arbres  apportés  de  la  forêt  sont 
grossièrement  façonnés  en  pieux  et  en  poutres. 


:^3'2  DISCIPLINE, 

Pendant  que  les  baraques  s'élèvent ,  Tair  re- 
tentit en  mille  endroits  à  la  fois  des  coups  de  la 
hache  et  des  cris  des  travailleurs.  On  dirait  la 
ville  d'Idoménée  bâtie  par  enchantement  sous 
Finfluence  inaperçue  de  Minerve.  En  attendant 
que  la  viande  soit  cuite,  nos  jeunes  gens,  im- 
patiens de  Toisiveté,  recousent  les  sous-pieds  à 
la  guêtre,  visitent  les  gibernes,  nettoient  et 
éclaircissent  les  fusils.  La  soupe  est  prête;  on  la 
mange.  Si  le  vin  manque  ,  la  conversation  est 
calme  sans  être  triste,  et  on  ne  tarde  pas  à  cher- 
cher dans  le  sommeil  les  forces  nécessaires  pour 
entreprendre  la  fatigue  du  lendemain.  Si  au  con- 
traire la  liqueur  inspiratrice  des  propos  joyeux, 
transportée  dans  des  tonneaux  ou  dans  des  ou- 
tres, sur  les  épaules  des  coureurs  qu'on  avait  en- 
Toyé  chercher  de  Peau ,  est  arrivée  au  camp,  la 
veillée  se  prolonge.  Les  anciens  racontent  aux 
conscrits  rangés  autour  du  feu  les  batailles  où 
le  régiment  a  donné  avec  tant  de  gloire.  Ils  fré- 
missent encore  d'allégresse  en  exprimant  le 
transport  dont  on  fut  saisi,  quand  l'Empereur, 


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MOEURS    ET    HABITUDES. 


233 


qu^on  croyait  bien  loin ,  apparut  tout-à-coup 
devant  le  front  des  grenadiers ,  monté  sur  son 
cheval  blanc  et  suivi  de  son  Mamelouck.  ((  Oh  ! 
»  quelle  déconfiture  on  eût  fait  des  Russes  et 
»  des  Prussiens ,  si  le  régiment  qui  était  à  notre 
»  droite  se  fût  battu  comme  le  nôtre  ;  si  la  ca- 
»  Valérie  se  fût  trouvée  là  au  moment  où  Ten- 
»  nemi  a  commencé  à  fléchir;  si  le  général  de 
»  la  réserve  eût  égalé  en  talent  et  en  courage 
»  celui  qui  commandait  Tavant-garde!  Pas  un 
»   de    ces^   gueux  -  là  ,    pas  un   seul  n'aurait 

»   échappé »  Quelquefois  la  diane  retentit, 

et  Faurore  commence  à  poindre  avant  que  les 
conteurs  aient  fini.  Cependant  on  a  souvent 
humecté  le  récit ,  et  il  est  aisé  de  s'en  aperce- 
voir à  la  contenance  de  l'auditoire.  Mais  l'i- 
vresse des  Français  est  gaie  ,  scintillante  et  té- 
méraire; c'est  pour  eux  un  avant-goût  de  la 
bataille  et  de  la  victoire. 

Tournez,  vos  regards  vers  l'autre  camp , 
voyez  ces  Anglais  fatigués  ,  ennuyés  et  pres- 
que immobiles;  attendent-ils  ,  comme  les  spa^ 


^34  DISCIPLINE  , 

his  des  armées  turques  ,  que  des  esclaves  dres- 
sent leurs  tentes  et  préparent  leurs  alimens? 
Cependant  on  leur  a  fait  faire  à  pas  comptés 
une  marche  très-courte ,  et  ils  sont  arrivés 
avant  deux  heures  après-midi  sur  le  terrain  où 
ils  doivent  passer  la  nuit.  On  leur  apporte  le 
pain  et  la  viande.  Le  sergent  distribue  le  ser- 
vice et  les  corvées;  il  dit  ou  est  Teau  ,  où  est 
la  paille  et  quels  arbres  il  faut  abattre. 
Quand  les  matériaux  sont  arrivés ,  il  mon- 
tre la  place  où  chaque  pièce  de  bois  doit 
être  posée;  il  réprimande  les  maladroits  et 
corrige  les  paresseux.  Le  fouet  est  peu  pro- 
pre à  éveiller  Tintelligence  ,  et  on  s'en  aperçoit 
à  la  lenteur  avec  laquelle  se  dressent  des  bara- 
ques informes.  Où  est  donc  Tesprit  industrieux, 
entreprenant  de  cette  nation  qui  a  devancé  les 
autres  dans  le  perfectionnement  des  arts  mé- 
caniques ?  Les  soldats  ne  savent  faire  que  ce 
qu'on  leur  a  commandé  ;  au-delà  de  la  routine 
tout  leur  est  embarras  et  désappointement. 
Une  fois  sortis  de  la  discipline  (  et  peut-on 


MOEURS    ET    HABITUDES.  235 

faire  la  guerre  sans  en  sortir  souvent?  ),  ils  se 
livrent  à  des  excès  qui  étonneraient  les  Cosa- 
ques; ils  s'enivrent  dès  qu'ils  le  peuvent,  et 
leur  ivresse  est  froide  ,  apathique  ,  anéantis- 
sante. La  subordination  de  tous  les  instans  est 
la  condition  sine  qud  non  de  Texistence  des 
armées  anglaises.  Elles  ne  sont  pas  composées 
d'hommes  faits  pour  jouir  avec  modération  de 
l'abondance ,  et  on  les  verrait  se  débander  dans 
la  disette. 

Les  Anglais  des  classes  inférieures  sont  peu 
sensibles  à  la  honte;  l'honneur,  mobile  trop 
délicat  pour  des  organes  épais ,  est  remplacé 
chez  eux  par  l'esprit  public.  L'attachement  ex- 
clusif à  leurs  manières  leur  inspire  du  mépris 
pour  les  mœurs  d' autrui  et  sert  de  préservatif 
contre  la  désertion.  Ils  sont  enclins  à  la  mu- 
tinerie; mais  des  punitions  cruelles  les  contien- 
nent dans  le  devoir.  Pour  la  moindre  faute  , 
on  fait  mettre  debout  et  à  plat  contre  une 
échelle  le  soldat  nu  jusqu'à  la  ceinture,  et 
dans  cette  position  les  tambours  du  régiment 


236  DISCIPLINE, 

lui  déchirent  les  épaules  avec  un  fouet  garni 
(le  neuf  lanières.  Depuis  quelques  années  , 
on  a  limité  à  cinq  cents  le  nombre  de  coups 
qui  peuvent  lui  être  appliqués  dans  une  vaca- 
tion ,  sauf  à  recommencer  le  lendemain  et  les 
jours  suivans  ,  jusqu''à  Tentier  accomplisse- 
ment de  la  peine.  Le  fouet  et  la  mort  étaient 
autrefois  les  seuls  cliâtimens  usités  dans  Tar- 
mée.  On  a  introduit  ensuite  Temprisonnement 
solitaire  ;  mais  on  regarde  généralement  cette 
punition  comme  trop  douce  ,  pour  des  troupes 
composées  de  paysans  grossiers  et  d'ouvriers 
dépravés. 

Les  sous-officiers  anglais  sont  excellens  ; 
leur  courage  et  leur  talent  s'arrêtent  là,  et 
il  ne  leur  est  pas  permis  de  monter  plus  haut. 
Nommés  par  le  commandant  du  corps ,  ib  ne 
peuvent  être  cassés  que  par  une  sentence  de 
Cour  martiale.  Leur  autorité  s'agrandit  de 
menus  détails  d'inspection ,  de  discipline ,  et 
d'instructions  journalières  ,  que  dans  d'autres 
armées  on  se  garde  bien  de  leur  abandonner. 


MOEURS    ET    HABITUDES.  287 

Loin  de  regarder  les  jeunes  officiers  qui  arri- 
vent au  régiment  comme  des  usurpateurs 
d'emplois  ,  ils  sont  pour  eux  des  conseillers 
utiles,  et  des  mentors  respectueux.  En  Angle- 
terre ,  on  vit  sur  le  passé  ;  le  mot  égalité  re- 
tentit rarement  aux  oreilles  du  citoyen,  ja- 
mais à  celles  du  soldat.  De  temps  à  autre  ,  et 
surtout  pendant  la  guerre,  un  sergent  de- 
vient enseigne;  c'est  à  peu  près  son  bâton  de 
maréchal,  et  il  n'est  pas  tenté  d'en  murmurer: 
tant  les  classifications  sociales  sont  profondé- 
ment gravées  dans  sa  tête  !  Bien  plus  ,  il  arrive 
souvent  que  les  camarades  du  parvenu  lui  re- 
prochent de  la  gaucherie  et  des  habitudes  in- 
cohérentes avec  sa  position  nouvelle.  On  est 
gentleman  par  naissance  ou  par  éducation  ; 
on  ne  saurait  le  devenir  par  brevet. 

Les  officiers  anglais  ont ,  pendant  long- 
temps, obtenu  peu  de  considération  en  Eu- 
rope et  dans  leur  propre  pays.  L'éducation 
publique  y  a  une  direction  opposée  à  la 
profession  des  armes.  La  science  de  détruire 


238  DISCIPLINE, 

n^est  pas  au  nombre  de  celles  qu^on  enseigne 
dans  les  écoles  de  Westminster  et  de  Harrow , 
ou  dans  les  universités  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge.  L''empire  britannique  doit  à  Tadju- 
dant-général  Jarri ,  fondateur  du  pensionnat 
de  High-Wycombe ,  dans  le  comté  de  Buc- 
kingham  ,  le  premier  établissement  où  Ton 
ait    appliqué    les  mathématiques    aux    diffé- 
rentes    branches     de    Tétat     militaire.     Plus 
tard  ,  une  école  spéciale  (royal  military  Col- 
lège) a  étjé  instituée  sous  les  auspices  du  duc 
d''York  et  sur  un  plan  plus  vaste.  Elle  est  di- 
visée ,  diaprés  Tâge  des  élèves  ,  en  deux  dé- 
partemens  fixés  à  Eton  et  à  Sandhurst ,  près 
de  Windsor.  L'enseignement  est  calqué  sur  ce 
qui  se  pratique  en  France.  On  y  admet  gra- 
tuitement les  orphelins  des  officiers  morts  au 
service  ;  et  pour  les  enfans  des  officiers  vivans, 
on  abaisse  le  prix  de  la  pension  au  prorata  de 
la  solde  de  leurs  pères. 

On  a  formé  par  ce  moyen  une  pépinière 
d'officiers.  L'atmosphère   du   pays    est   trop 


MOEURS    ET    HABITUDES.  239 

imprégnée  d'idées  libérales  pour  qu'on  puisse 
craindre  que  des  séides  du  pouvoir  sortent 
des  écoles  du  gouvernement.  D'ailleurs ,  il 
n'est  pas  nécessaire ,  pour  entrer  au  service  , 
d'avoir  été  élevé  au  Collège  royal  militaire. 
Le  commandant  en  chef  choisit  les  sous-lieu- 
tenans,  appelés  enseignes  dans  l'infanterie ,  et 
cornettes  dans  la  cavalerie,  parmi  les  jeunes 
gens  appartenant  aux  familles  intéressées  au 
maintien  de  l'ordre.  Depuis  le  commencement 
du  siècle  présent,  le  métier  des  armes  a  pris 
faveur  daijs  les  hautes  classes  de  la  société. 
Cependant  le  défaut  de  naissance  n'est  un 
motif  d'exclusion  pour  qui  que  ce  soit.  L'a- 
ristocratie anglaise  se  complique  d'orgueil 
nobiliaire  ,  d'intérêt  pécuniaire  et  mercantile, 
de  talent,  d'exercice  de  l'autorité ,  de  pro- 
priété industrielle  et  territoriale  5  elle  est 
compacte  et  redoutable  aux  prolétaires ,  parce 
<|ue  tant  d'élémens  de  nature  différente  ne  se 
combattent  pas  entre  eux. 

En  Angleterre,  à  la  différence  des  autres 


'24o  disciplim:  , 

pays,  les    hommes  des   classes   élevées    sont 
généralement    plus    forts   et   de  plus   haute 
taille  que   le  bas  peuple;   cela  vient   de  leur 
vie  campagnarde  et  turbulente.  Les  réglemens 
sur  l'admission  au  service  exigent  des  candi- 
dats aux  sous-lieutenances  Tàge  de  seize  ans 
et  une  bonne  constitution  physique.  Les  offi- 
ciers passaient  autrefois   pour  être  ignorans 
et  débauchés;  cependant  la  plupart  d'entre 
eux  ont  reçu  une  éducation  hbérale.  Quelques- 
uns  conservent  dans  les  camps  des  habitudes 
laborieuses.  Ils  écrivent,   et  quelquefois  font 
imprimer  des  journaux  de  voyage  et  de  guerre, 
où  la  sincérité  de  l'observateur  brille  plus  que 
son  talent  d'observation.  On  a  vu  des  jeunes 
gens,  déjà  parvenus  ^u  grade  de  capitaine,  pro- 
fiter de  quelques  intervalles  d'inactivité  pour 
reprendre  aux  écoles  leurs  études  trop  tôt  in- 
terrompues. On  en    rencontre  un  bien  plus 
grand  nombre  qui,  dans  le  mouvement  d'une 
vie  dissipée,  oublient  le  peu  qu'ils  ont  appris. 
Au  reste,  nos  voisins  d'outre-mer  sont  se- 


MOEURS    ET    HABItUDES.  24 1 

rieuxjusque  dans  leur  intempérance.  Les  orgies 
du  quartier-général  et  des  tavernes  de  régiment 
ne  sont  pas  bruyantes,  et  elles  deviendront  plus 
rares,  à  mesure  que  la  bonne  compagnie  perd 
rhabitude  de  s^enivrer.  Vous  ne  trouverez  pas 
chez  les  officiers  anglais  ce  culte  délicat  et  ex- 
clusif de  Thonneur  qui  repousse  la  moindre  fai- 
blesse   devant  Tennemi    avec  plus  d'horreur 
qu'un  attentat  à  l'ordre  social.  Vous  y  trouverez 
encore  moins  la  touchante  allia  nce  des  chefs  avec 
lessoldats,  lapaternitédes capitaines,  la  simpli- 
cité de  mœurs  des  lieutenans  et  sous-lieute- 
nans,   la   communauté    affectueuse  de    souf- 
frances, qui  ont  fait  la  force  de  nos  armées  de  la 
révolution.  Mais  le  patriotisme  inébranlable  et 
la  bravoure  éprouvée  et  continue  se  présente- 
ront de  partout. Dans  un  pays  où  l'argent  est  le 
mobile  universel ,  les   officiers    en  reçoivent 
peu.  Malgré  la   dépréciation     successive     de 
la  monnaie,  leur  solde  n'a  presque  pas  varié 
depuis  le  temps  de  Guillaume  III.  Les  soins 
économiques  des  compagnies  sont  du  fait  des 

TOME   I.  16 


ll\9.  DISCIPLINE, 

sous-officiers.  L^administration  des  régimens 
est  exploitée  par  un  très-petit  nombre  d'indi- 
vidus et  dans  certaines  limites  que  trace  une 
sorte  de  légalité.  Le  pillage  et  les  concussions 
à  rétranger  inspirent  une  généreuse  aversion  à 
des  hommes  qui  portent  jusque  dans  la  guerre 
le  respect  des  institutions  et  des  propriétés. 

Si  pourtant  avec  une  telle  reunion  de  senti- 
menshonorableset  de  hautes  vertus, unenation 
et  ait  condamnée  à  rester  étrangère  au  milieu  des 
nations;  si   avec;  leur  or  les  Anglais  n''ache- 
taient  que  de  Paversion;  si  des  peuples  qui  ne 
savent  pas  haïr  les  assaillaient  éternellement 
de  caricatures  et  de  sarcasmes;  si  après  un  sé- 
jour de  six  années  sur  une  terre  quHls  ont  ar- 
rachée à   une  traîtreuse  usurpation,  pas  une 
femme,  pas  un  enfant,  n'avaient    retenu   le 
nom  d'un  seul  de  leurs  libérateurs;  si  au  jour 
de  la  paix  leurs  compagnons  du    champ  de 
bataille  étaient  leurs  ennemis  plus  que  de  ceux 
qu'ils  eurent  à  combattre;  si  enfin  l'Europe, 
l'Amérique  et  l'Inde  n'attendaient  qu'une  di- 


MOEURS    ET    HABITUDES.  1^^ 

rection  et  un  chef  pour  leur  déclarer  guerre  à 
mort,  force  serait  d'avouer  quHl  y  a  dans  ce  ca- 
ractère insulaire  quelque  chose  de  contraire  à 
toute  sympathie  sociale. 

La  subordination  des  officiers  entre  eux  est 
un  des  attributs  de  Tarmée  de  la  démocratie  , 
parce  qu'on  n'y  connaît  d'autre  supériorité  que 
celle  du  grade.  Ainsi,  l'égalité  politique  dans 
l'État  est  un  moyen  de  discipline  dans  l'armée. 
Au  contraire  ,  quand  les  citoyens  naissent  clas- 
sés, les  relations  sociales  qui  dérivent  de  ce 
classement  primitif,  contrarient  toujours  en 
quelque  point  la  hiérarchie  militaire.  On  s'en 
aperçoit  dans  les  troupes  anglaises.  Entre 
lords,  fils  de  lords,  fils  de  commerçans,  de 
banquiers ,  de  propriétaires  ,  la  différence  des 
grades  peut  à  peine  être  marquée. Une  politesse 
peu  expansive  ne  suffit  pas  pour  l'indiquer. 
L'autorité  des  chefs  de  corps  ne  pèse  pas  ,  et 
la  nuance  n'est  pas  plus  perceptible  entre  le  ca- 
pitaine et  le  lieutenant ,  qu'entre  le  lieutenant 

et  l'enseigne.  Les  duels  entre  grades  inégaux , 

16» 


244  DISCIPLINE , 

quoique  punis  sévèrement ,  ne  sont  pas  rares. 
Les  officiers  supérieurs  et  subalternes ,  field 
and  suhaltern  oflcers ,  mangent  à  une  table 
commune.  Là ,  on  raisonne ,  on  discute.  Les 
plans  de  campagne  et  les  manœuvres  du  géné- 
ral sont  traités  comme  une  question  parlemen- 
taire. Accoutumés  à  peser  tous  les  genres  de 
mérite ,  les  Anglais  accordent  souvent  au  cbef 
ce  que  celui-ci  ne  leur  demande  pas  ;  ils  refuse- 
raient ce  qui  serait  exigé.  Leur  esprit  d^indé- 
pendance  sMrrite  également  des  prétentions  qui 
blessent  leurs  droits,  et  des  préjugés  qui  offen- 
sent leur  raison.  Telle  réputation  militaire  que 
Tesprit  de  parti  a  voulu  rendre  colossale  ,  ne 
fut  jamais  appréciée  avec  plus  de  justesse  que 
par  ceux-là  même  dont  le  sang  a  coulé  pour 
la  fonder. 

Cette  tendance  à  Tindiscipline  trouve  son 
correctif  dans  cette  rectitude  morale  qu''a  pro- 
duite la  longue  application  d'un  système  de 
gouvernement  constitutionnel;  car  Tamour  de 
Tordre  mène  à  la  subordination.   Craignant, 


MOEURS    ET    HABITUDES.  243- 

ayant  tout ,  d'être  ou  de  paraître  serviles  ,  les 
Anglais  disputent  à  Thomme  ;  ils  se  courbent 
avec  humilité  devant  Forgane  de  la  loi.  De-là 
résulte  un  autre  inconvénient  :  il  y  en  a  dans 
les  meilleures  choses.  Les  mêmes  officiers 
raisonneurs  au  camp  et  autour  de  la  table, 
deviennent  des  agens  mécaniques  quand  il 
faut  agir  sur  le  champ  de  bataille  ou  ailleurs. 
La  responsabilité  leur  apparaît  comme  Tépée 
de  Damoclès  suspendue  par  un  fil  au-dessus 
de  leurs  têtes.  Plus  d'une  opération  a  été  im- 
parfaite et  sans  résultat ,  parce  que  celui  qui 
en  était  chargé  a  consulté  la  lettre  plus  que 
Fesprit  des  ordres  qu'il  avait  reçus. 

Les  officiers  de  milice  doivent  posséder  des 
biens-fonds.  On  exigeait  la  même  condition,  il 
y  a  cent  ans,  des  officiers  de  la  ligne.  Mainte- 
nant on  se  contente  de  leur  vendre  les  emplois. 
Tous,  depuis  l'enseigne  jusqu'à  la  lieutenance-^ 
colonelle  inclusivement,  sont  tariffés.  La  com- 
mission d'enseigne  coûte  quatre  cents  livres 


246  >OMINATIOIV 

Sterling,  et  celle  de  lieutenant-  colonel  d'in- 
fanterie trois  mille  cinq  cents ,  y  compris  le 
premier  achat  et  le  supplément  à  payer  d'une 
promotion  à  Tautre.  Les  prix  sont  presque 
doubles  dans  la  cavalerie  ,  et  plus  élevés  en- 
core dans  les  gardes.  Les  officiers  sont  dits 
commissionnés  {commissionfied  officers)^  parce 
qu'ils  ont  obtenu  une  commission  pour  de  Far- 
gent  ou  autrement.  Commeles  sous-officiers  ser- 
vent sans  commission  ,  on  les  appelle  officiers 
non  commissionnés  [no  commis sionned  officers) . 
Cependant  la  commission  achetée  et  payée  ne 
devient  pas  pour  cela  la  propriété  de  Tacqué- 
reur.  Il  est  loisible  au  Roi  de  fen  dépouiller 
sans  dédommagement.  C'est  par  tolérance  , 
mais  par  une  tolérance  à  laquelle  un  long  usage 
a  donné  presque  force  de  règlement,  qu'on 
permet  aux  officiers  de  la  vendre.  Cette  faveur 
est  accordée  ordinairement  après  vingt  ans  de 
service.  Le  gouvernement  dispose  des  commis- 
sions vacantes  par  mort  ;  quelquefois  on  les 
vend  au  profit  de  la  veuve  et  des  enfans  du  dé- 


ET    AVAM CEMENT.  247 

finit;  quelquefois  aussi  on  les  donne  graUiite- 
inent  pour  récompenser  les  actions  d'éclat  ou 
une  conduite  exemplaire.  C'est  la  voie  par  la- 
quelle des  sous-officiers  montent  au  rang  d'of- 
Hcier. 

On  estimait  pendant  la  guerre  dernière  que 
la  vente  des  commissions  faisait  entrer  annuel- 
lement dans  le  trésor  public  quatre  cent  cin- 
quante mille  livres  sterling  ,  à  peu  près  dix 
millions  de  francs.  La  vénalité  flatte  l'orgueil 
des  aristocrates  anglais  ;  ils  se  croient  plus  in- 
dépendans  de  l'autorité  royale,  ayant  payé  les 
emplois  qu'ils  exercent ,  et  ils  voient  avec  dé- 
lices la  carrière  de  l'avancement  exclusivement 
ouverte  à  l'argent  et  au  patronage.  Le  duc 
d'York  a  essayé  de  rendre  moins  mauvais  un 
régime  qu'il  n'était  pas  en  son  pouvoir  d'abolir. 
Il  a  fait  des  réglemens  pour  empêcher  que  les 
commissions  ne  fussent  agiotées  et  ne  subissent 
des  hausses  et  des  baisses  comme  les  effets  pu- 
blics. Les  commissions  prêtes  à  vaquer  et  va- 
cantes sont  déposées  entre  les  mains  du  com- 


248  NOMINATION 

mandant  en  chef ,  qui  en  dispose  dans  Tintérêt 
de  Farmée.  Il  peut,  par  ce  moyen  ,  faire  une 
petite  part  aux  services  et  au  mérite.  Les  va- 
cances sont  proposées  aux  anciens  du  régiment 
dans  i'emploi  inférieur,  avant  que  les  plus 
jeunes  puissent  y  prétendre.  On  exige  trois  ans 
de  grade  d^officier  pour  devenir  capitaine , 
sept  pour  devenir  major,  neuf  pour  devenir 
lieutenant-'Colonel.  Défenses  sont  faites  à  qui 
que  ce  soit,  sous  des  peines  portées  par  un  acte 
du  Parlement ,  de  s'ingérer  dans  le  trafic  des 
commissions.  Les  contractans  doivent  déclarer 
sur  leur  parole  dlionneur  qu'ils  n'ont  pas 
donné  ou  reçu  un  prix  supérieur  à  celui  du 
tarif.  Mais  en  Angleterre ,  comme  ailleurs, 
l'intrigue  est  ingénieuse  à  éluder  les  précau- 
tions dont  on  s'arme  contre  elle.  Quoi  qu'on 
fasse  ,  les  commissions  se  vendent  par  arran- 
gemens  particuliers ,  et  beaucoup  au-dessus 
des  prix  légaux.  Le  mal  est  trop  profondé- 
ment enraciné  dans  l'avarice  et  la  corruption 
britanniques,  pour  être  extirpé  autrement  que 


ET    AVANCEMENT.  249 

par  une  grande  mesure  que  prendrait  la  puis- 
sance législative. 

Tous  les  Anglais,  depuis  le  duc  d''York  jus- 
qu'au dernier  tambour,  sont  encadrés  dans  des 
régimens;  tous  sont  payés  suivant  la  place 
qu'ails  occupent  dans  les  cadres.  Ceux  qui  n''en 
ont  pas  reçoivent  la  demi-solde  et  ne  sont  te- 
nus à  aucun  service  * . 

Les  emplois  forment  la  base  de  Tarmée  bri- 
tannique. Les  grades  viennent  ensuite  comme 
un  hors-d'œuvre  ,  et ,  passé  la  commission  de 
lieutenant ,  ils  ne  marchent  pas  toujours  d'ac- 
cord avec  les  emplois.  Il  y  a  des  capitaines 
titulaires  qui  sont  majors,  des  majors  titulaires 
qui  sont  lieutenans-  colonels,  des  lieutenans- 
colonels  titulaires  qui  sont  colonels.  On  a  mul- 

*  Pendant  la  guerre  d'Espagne,  le  gi'ade  d'officier- 
général  a  été  multiplié  au-delà  des  proportions  ordi- 
naires. Comme  on  n'a  pas  augmenté  le  nombre  des 
cadres  de  l'armée,  il  a  été  impossible  de  donner  des  régi- 
mens à  tous  les  officiers-généraux  employés.  Une  ordon- 
nance du  8  août  i8i4  leur  a  assigné  une  solde  spéciale, 
suivant  leur  grade. 


25o  NOMINATION 

tiplié  les  gracies  en  dehors,  afin  que  les  Anglais 
fussent  toujours  au-dessus ,  au  au  moins  au  ni- 
veau des  officiers  d'autres  puissances ,  à  côté 
desquels  ils  peuvent  être  appelés  à  faire  cam- 
pagne. C'est  ce  qu'on  appelle  rang  de  brevet , 
par  opposition  au  rang  de  commission.  Dans 
l'intérieur  du  régiment ,  l'officier  prend  rang 
suivant  sa  commission  ;  dans  le  service  générai 
de  l'armée  ,  et  partout  où  les  détachemens  de 
différens  corps  marchent  ensemble ,  il  com- 
mande en  vertu  de  son  brevet. 

Les  régimens  ont  pour  chef  effectif  leur  plus 
ancien  lieutenant-colonel  titulaire.  Par  une  bi- 
zarrerie inexplicable  ,  le  grade  de  colonel ,  si 
capital  partout  ailleurs,  ne  correspond  à  aucun 
emploi  dans  l'infanterie  et  dans  la  cavalerie 
anglaise.  Les  officiers-généraux  de  l'armée  sont 
colonels  des  corps.  Nous  expliquerons  plus 
tard  comment  cette  vaine  dénomination  ,  sans 
leur  imposer  aucun  devoir,  leur  permet  d'ex- 
ploiter les  régimens  à  titre  de  domaine  utile. 

Jusqu'en  iSio,  les  colonels  par  brevet  em- 


ET    AVANCEMENT.  25l 

ployés  à  commander  des  brigades  au  dehors 
et  même  au  dedans  des  trois  royaumes,  s'ap- 
pelaient brigadiers-généraux.  Ce  placement 
n'était  pas  considéré  comme  un  grade.  Main- 
tenant le  colonel  arrivé  au  commandement 
d'une  brigade  ne  change  ni  d'appellation ,  ni 
d'uniforme.  Dans  l'ordre  régulier,  les  brigades 
sont  commandées  par  les  généraux-majors,  les 
divisions  par  les  lieutenans-généraux  ,  les  ar- 
mées par  les  généraux  et  les  feld-maréchaux. 

On  pense  généralement  en  Europe  que  ,  si 
l'expérience  suffit  aux  fonctions  subalternes,  il 
faut  une  inspiration  particulière  pour  remplir 
avec  succès  des  devoirs  d'un  ordre  plus  relevé. 
D'après  ce  principe ,  l'avancement  pour  les 
grades  inférieurs  suit  la  règle  de  l'ancienneté , 
et  dans  les  grades  supérieurs  il  est  dévolu  au 
choix.  C'est  tout  l'opposé  en  Angleterre.  Nous 
avons  vu  comment  on  arrive  à  la  lieutenance- 
colonelle.  A  partir  du  grade  de  colonel  jusqu'à 
celui  de  feld  -  maréchal  exclusivement  ,  on 
avance  à  son  tour.    Si  des  exploits  éclatans  ou 


252  NOMINATION 

une  convenance  spéciale  entraînent  un  officier 
dans  une  sphère  supérieure,  il  y  a  obligation 
de  faire  monter  tous  les  officiers  du  même 
grade  placés  avant  lui  sur  le  tableau.  Jamais 
un  militaire  ne  sert  sous  les  ordres  de  son  ca- 
det ;  Tancien  y  consentirait,  que  le  gouverne- 
ment ne  le  permettrait  pas.  Cet  état  de  choses 
peut  contrarier  le  développement  de  quelque 
talent  remarquable;  mais  il  est  profitable  à  la 
discipline ,  et  il  convient  à  la  marche  méthodi- 
quement progressive  de  la  puissance  anglaise. 
L'invariabilité  de  Tordre  du  tableau  pour  la 
tête  de  Farmée  est  une  diaue  aux  envahisse- 
mens  de  Tautorité  royale,  en  même  temps 
qu'elle  protège  la  tranquillité  personnelle  du 
prince  contre  la  brigue  et  l'obsession  des 
puissans  et  des  riches. 

Le  roF  d'Angleterre  s'est  imposé  la  loi  de 
l'ancienneté ,  et  il  n'y  déroge  guère  que  pour 
des  princes  nationaux  ou  étrangers  '.  Il  n'a  pas 

'   On  compte  cependant  deux  ou  trois  autres  excej^- 


ET    AVANCE31ENT.  253 

mis  de  limites  au  droit  de  conférer  suivant  son 
bon  plaisir  la  plus  haute  dignité  militaire. 
Le  bâton  de  maréchal  est  une  grâce  émanée 
tout  entière  de  la  couronne  ,  et  d'autant  plus 
précieuse  que  la  couronne  en  a  été  jusqu'à  ce 
jour  sagement  avare  :  des  six  feld-maréchaux 
existant  dans  Farmée  en  1818 ,  cinq  sont  mem- 
bres de  la  famille  royale.  Le  duc  de  Welling- 
ton est  le  sixième. 

Le  gouvernement ,  en  confiant  des  com- 
mandemens  spéciaux  et  des  missions  impor- 
tantes aux  officiers  supérieurs  ou  généraux,  leur 
attribue  quelquefois  un  grade  au-dessus  de  ce- 
lui dont  ils  ont  le  brevet  ;  cela  s'appelle  rang 
local    ou   temporaire    (  local    or    temporary 


lions  à  la  règle  générale.  Sir  Thomas  Graham ,  au- 
jourd'liui  lord  Lyncdork,  a  passé  avec  son  grade,  de 
la  milice,  où  il  était  colonel,  dans  l'armée  de  ligne,  où 
il  est  devenu  lieutenant-général.  Cette  faveur  lui  a  été 
accordée  à  cause  de  son  mérite  particulier,  et  parce  qu'il 
avait  fait,  comme  commissaire  du  gouvernement  anglais 
près  l'armée  autrichienne,  les  mémorables  campagnes  de 
1796  et  1797  en  Italie. 


9.Ji  officirrs-gÉneraux. 

rank)^  parce  que  la  iouissance  des  préroga- 
tives du  grade  est  circonscrite  dans  un  espace 
et  dans  une  durée  désignées.  Le  monarque  a 
voulu  donner  un  relief  momentané  à  TofTicier 
investi  de  sa  confiance;  le  classement  de  cet 
officier  reste  le  même  dans  Tarmée ,  et  pen- 
dant son  élévation  de  circonstance ,  on  a  soin 
de  ne  pas  mettre  sous  ses  ordres  de  plus  an- 
ciens que  lui  dans  le  grade  permanent. 

La  publicité  préside  aux  opérations  relati- 
V  es  à  la  direction  générale  du  personnel  de 
Tarmée.  Cette  publicité  qu'on  retrouve  par- 
tout en  Angleterre  ,  dans  les  actes  du  pouvoir, 
est  la  plus  sûre  garantie  de  l'observation  des 
lois.  Les  mutations  de  tout  genre  ,  dans  les 
corps  des  officiers  de  tout  grade,  sont  annon- 
cées par  la  voie  des  journaux,  et  l'insertion 
dans  la  Gazette  officielle  sert  de  titre  aux  nou- 
veaux promus.  On  imprime  en  outre,  au  com- 
mencement de  chaque  mois,  la  liste  de  l'ar- 
mée ,  afin  que  chacun  apprécie  ses  droits  ,  en 
connaissant  sa  position  etcelle  de  ses  camarades. 


officieus-généraux.  255 

Le  mode  d'avancement  des  officiers-géné- 
raux tend  à  les  rendre  très-nombreux.  A  la 
paix  de  i8i4 ,  plus  de  six  cent  cinquante  feld- 
maréchaux  ,  généraux,  lieutenans- généraux 
et  généraux-majors,  étaient  inscrits  sur  les  con- 
trôles ;  en  temps  ordinaire  ,  il  n'y  a  pas  de 
place  pour  cent.  On  en  envoie  aux  possessions 
éloignées ,  aux  colonies  et  dans  Tlnde  ;  ou  bien 
ils  commandent  les  arrondissemens  militaires 
des  trois  royaumes.  L"' autorité  de  ceux-ci ,  sans 
action  sur  les  citoyens  ,  est  étendue  et  minu- 
tieuse à  Fégard  des  régimens  ,  car  dans  le  ser- 
vice anglais ,  Finspection  n'est  pas  séparée  du 
commandement  ;  on  n'y  connaît  pas  les  ras- 
semblemensde  trovipes  dans  les  grandes  garni- 
sons,  et  encore  moins  dans  les  camps  d'exercice. 
Le  petit  nombre  d'officiers-généraux  en  activité, 
et  par  conséquent  le  peu  de  chance  que  cha- 
cun a  d'être  employé ,  rejette  la  classe  pres- 
que entière  dans  les  habitudes  de  la  vie  sociale  ; 
la  plupart  cultivent  leurs  champs  ;  quelques- 
uns  courent  la  carrière  parlementaire  ou  celle 


256  OFFICIERS-GÉNÉRAUX. 

de  la  haute  administration;  d''autres  voyagent 
et  s"'amusent.  Lorsque  la  guerre  les  rappelle 
au  camp ,  ils  y  portent  un  train  de  vie  qui  ne 
s^accorde  pas  avec  les  idées  qu^on  se  fait  ail^ 
leurs  de  la  profession  des  armes  dans  les  gra-^ 
des  élevés. 

Nous  avons  été  à  même  de  le  remarquer 
pendant  les  campagnes  de  la  Péninsule.  Tandis 
qu'un  général  de  division  français  se  consumait 
à  étudier  la  topographie  du  paysetTesprit  des 
habitans ,  à  nourrir,  façonner  et  haranguer 
les  soldats ,  à  persuader  au  peuple  espagnol 
des  systèmes  d'administration  et  de  conduite 
politique  ;  le  lieutenant-général  anglais  qui  lui 
était  opposé,  partageait  sa  vie  entre  la  chasse  , 
Fexercice  du  cheval  et  les  plaisirs  de  la  table. 
L'un,  tour  à  tour  gouverneur,  ingénieur,  com- 
missaire ,  avait  l'esprit  continuellement  tendu 
et  ne  se  reposait  jamais,  même  en  ligne;  la 
nature  de  ses  conceptions  journalières  le  con- 
duisait à  agrandir  sa  sphère  d'activité ,  à  ima- 
giner et  à  produire.   L'autre  ,  aussi  peu  sou- 


OFFICIERS-GÉNÉRAUX.  267 

cieux  des  circonstances  locales  de   la  contrée 
où  il  faisait  la  guerre ,  que  de  la  langue  ,  des 
mœurs  et  des  préjugés  du  peuple  qui  Fhabi- 
tait ,   s^en    rapportait    au   commissariat  pour 
fournir  les  vivres ,  au  département  du  quar- 
tier- maitre  -  général     poifr     reconnaitre    le 
terrain  et  préparer  les  marches,  au  départe- 
ment de   Tadjudant-général  pour  triturer  la 
besogne.  Hormis  les  cas  où  on  remployait  au 
commandement  d'un  corps  détaché ,  il  se  dé- 
sintéressait autant  que  possible  des  combinai- 
sons militaires  ,  et  cherchait  à  restreindre  le 
cercle  de  la  responsabilité  qui  pesait  sur  lui. 
Dans  le   repos  des  cantonnemens,  les   soins 
habituels  de  Fofficier-général  anglais  se  bor- 
naient à  faire  la  police,  surveiller  le  service, 
et  tra^nsmettre  des  ordres  et  des  rapports  ;  au 
jour  du  combat ,  il  conduisait  les  troupes  au 
feu,  sans  effort,  et  avec  une  bravoure  admira- 
ble. Ici  encore  il  y  a  des  nuances  distinctes  dans 
le  régime  de  Tune  et  l'autre  armée  ;  l'Anglais 
n'est  tenu  qu'à  remplir  son  devoir;  il  doit  être 

TOME    1.  17 


258  OFFICIERS-GENERAUX. 

en  toute  occurrence  également  intrépide  et  dé- 
voué. Le  Français  ,  qui  commande  à  des  hom- 
mes spirituels  et  raisonneurs  ,  pourVa  se  dis- 
penser de  faire  ses  preuves  dans  les  rencontres 
ordinaires  ;  mais  quand  un  danger  pressant 
appellera  au  secotirs  de  tous  le  coup-d"*œil  et 
le  génie  du  chef ,  il  faudra  qu'il  soit  plus  qu'un 
homme  pour  ne  pas  être  mis  au-dessous  du 
néant.  Notre  soldat  s'estime  haut,  et  n'entend 
obéir  qu'à  celui  qui  vaut  mieux  que  lui. 

La  guerre  est  considérée  parles  Anglais  sous 
un  point  de  vue  rétréci  :  le  gros  de  la  nation 
en  a  l'instinct,  comme  exaltation  du  moral  et 
mépris  de  la  mort  ;  ceux  dont  l'esprit  est  cul- 
tivé n'y  aperçoivent  qu'un  emploi  régulier 
de  force  physique  et  de  moyens  matériels. 
Vous  leur  diriez  en  vain  que  le  génie  de  la  des- 
truction a  aussi  des  révélations  sublimes,  et 
qu'il  éveille  une  puissance  de  pensée  supé- 
rieure à  celle  qui  préside  aux  créations  de  la 
poésie  et  de  la  philosophie  ;  vous  leur  persua- 
deriez encore  moins  que  la  plus  haute  partie 


OFFICIERS-GENERAUX.  269 

de  Part ,  la  Stratégie ,  est  philantropique  dans 
ses  développemens.  LVrreur  où  ils  sont  vient 
de  deux  causes.  L^ Angleterre  ayant  eu  rare- 
ment beaucoup  de  troupes  rassemblées  ,  ses 
guerriers  en  sont  encore  à  Talphabet  de  la  tac- 
tique ,  et  ils  n^ont  pas  eu  le  temps  d'ennoblir 
et  d'agrandir  la  science  qu'ils  cultivent.  On 
dirait  aussi  que  la  fortune  s'est  plue  à  justifier 
le  préjugé  dont  nous  parlons,  en  élevant  aux 
nues  des  généraux  d'une  portée  ordinaire. 

La  gloire  de  l'armée  britannique  lui  vient 
avant  tout  de  son  excellente  discipline  et  de  la 
bravoure  calme  et  franche  de  la  nation.  On  peut 
impunément  distribuer  les  commandemens 
suivant  des  combinaisons  ou  par  des  intrigues 
parlementaires;  c'est  l'armée  qui  se  passe  le 
plus  facilement  des  talens  qui  sortent  de  ligne. 
Les  officiers  revenus  des  guerres  de  Portugal 
et  d'Espagne  ,  tout  en  rendant  une  justice  écla- 
tante et  unanime  à  la  sagesse  et  à  l'intrépidité 
de  leur  chef ,  ne  lui  accordent  rien  qui  le  dis- 
tingue éminemment  des  autres  généraux  mar- 


26o  RÉCOMPENSES 

quans  de  leur  nation.  Us  vantent  sa  roideur  de 
caractère  ,  qui  dès  long-temps  Ta  affranchi  des 
entraves  de  la  responsabilité,  mais  ne  trouvent 
rien  à  dire  des  ressources  de  son  esprit  ni  des 
enfantemens  de  son  génie.  Nous  avons  entendu 
des  hommes  dont  Topinion  n^est  pas  sans  va- 
leur, soutenir  que  vingt  capitaines  ,  et  pour 
n^en  citer  que  parmi  ceux  qui  ont  fait  cette 
guerre  ,  les  Picton  ,  les  Crawf'urd  ,  les  George 
Murray ,  l'auraient  conduite  avec  autant  et  peut- 
être  plus  d'habileté  et  de  succès  que  Welling- 
ton ,  s'ils  eussent  eu  les  mêmes  soldats  à  faire 
tuer  ,  les  mêmes  passions  populaires  à  exploi- 
ter, d'aussi  vastes  ressources  à  dépenser,  et 
surtout  un  appui  aussi  certain  dans  les  dispo- 
sitions bienveillantes  du  ministère  à  leur  égard. 

Les  décorations ,  les  titres  de  noblesse ,  les 
honneurs  n'étaient  pas  considérés  autrefois 
comme  devant  servir  à  récompenser  les  servi- 
ces militaires  ;  on  n'accordait  la  pairie  et  les  or- 
dres de  chevalerie  qu  auK  officiers  qui  avaient 


MILITAIRES.  9.6  i 

commandé  en  chef  des  expéditions  heureuses. 
L'armée  anglaise ,  en  courant  les  mêmes  chan- 
ces que  les  armées  du  continent^  a  dû  leur 
emprunter  les  institutions  qui  servent  à  exciter 
et  alimenter  leur  courage.  L'ordre  du  Bain  ne 
comptait  pas,  en  1800,  quarante  chevaliers. 
Divisé  depuis  ce  temps-là  en  différentes  clas- 
ses, à  Timitation  de  la  Légion-d'Honneur  de 
Napoléon ,  et  destiné  comme  elle  à  tous  les  gen- 
res de  mérite  ,il  avait,  en  i8i4i  près  de  six  cents 
chevaliers  militaires,  quoiqu'on  n'en  admît  pas 
au-dessous  du  grade  de  major.  Les  militaires 
de  tous  grades  ont  reçu  des  médailles  commé- 
moratives  des  actions  de  guerre  auxquelles  ils 
avaient  pris  part.  Un  sergent  de  chaque  com- 
pagnie, le  plus  brave  et  le  plus  méritant, 
porte  sur  les  manches  de  son  habit  un  trophée 
en  broderie ,  touche  une  haute-paie  ,  et  a  son 
poste  près  du  drapeau  du  régiment.  La  grâce 
du  monarque  accorde  des  devises  et  des  em- 
blèmes particuliers  aux  corps  qui ,  dans  des 
circonstances  décisives,  ont  fait  plus  que   le 


262  RÉCOMPENSES 

devoir  ;  ces  marques  d'honneur  décorent  les 
drapeaux ,  et  sont  modelées  en  relief  sur  la  pla- 
que de  la  coiffure  des  soldats.  En  Angleterre , 
au  moins ,  le  dévouement  généreux  ne  reste 
pas  ignoré  ;  cent  journaux  ,  lus  chaque  jour 
avec  avidité ,  malgré  leur  longueur,  disent  le 
nom  du  moindre  officier  blessé  et  les  circons- 
tances de  sa  blessure.  La  patrie  ne  cesse  pas 
un  moment  de  veiller  sur  le  sort  de  ses  enfans 
avec  une  tendresse  affectueuse;  des  gratifica- 
tions pécuniaires  et  des  éloges  prononcés  au 
sein  des  assemblées  nationales ,  expriment  la 
reconnaissance  publique  envers  les  vi vans.  Les 
murs  de  Saint-Paul ,  de  Féglise  de  Westmins- 
ter et  d"* autres  édifices  religieux,  n'ont  d'orne- 
ment que  les  tombeaux  des  grands  hommes  et 
des  guerriers  morts  au  champ  d'honneur.  Ja- 
mais l'étranger  armé  ne  violera  leur  cendre. 
Quand  aura  éclaté  la  révolution  qui  doit  tôt  ou 
tard  dévorer  une  génération  d'Anglais ,  elle 
ne  produira  jamais  ,  quelque  furieux  que  soit 
son  débordement ,    des  misérables  assez  dé- 


MILITAIRES.  263 

hontes  pour  mutiler  à  plaisir  les  monumens  de 
la  gloire  nationale. 

On  se  marie  beaucoup  dans  Farmee  britan- 
nique ;  le  gouvernement  encourage  les  maria- 
ges de  soldats  :  c^est  une  consolation  pour  des 
hommes  dont  la  plupart  sont  condamnes  à  ne 
jamais  revoir  le  clocher  de  l'église  où  ils  furent 
baptisés.  Il  faut  bien  que  TÉtat  leur  rende  une 
famille  en  place   de  celle  qu'ils  ont  perdue. 
Dans  les  embarquemens  de  troupes  on  permet 
à  six  femmes  par  compagnie  de  suivre  le  ba- 
taillon, s'il  va  à  une  expédition  continentale  ; 
à  douze ,  s'il  est  destine'  pour  les  colonies  ;  à 
toutes  les  femmes  légitimes,  si  c'est  un  batail- 
lon  de  vétérans.  De-là  sort  une  population 
militaire   qu'on  emploie    au  recrutement   de 
l'armëe;  elle  n'est  pas  assez  nombreuse,  et  la 
condition  de  soldat  n'est  pas  assez  en  honneur 
pour  faire  craindre  aux  amis  de  la  liberté'  l'in- 
fluence d'une  race  qui  se  transmettrait  le  glaive 
par  droit  d'he'ritage . 


264  Éducation 

Le  duc  d'York  a  obtenu  du  gouvernement 
la  fondation  d\ine  école  où  Ton  forme ,  pour 
le  service  militaire  et  pour  les  besoins  de  la  so- 
ciété, huit  cents  enfans  mâles  et  quatre  cents 
filles  de  soldats.  L'asile  militaire  {rofalmili- 
tary  asylum ,  c'est  le  nom  qu'on  donne  à  cette 
école)  est  placé  dans  le  beau  village  de  Chel- 
sea,  tout  près  de  Londres,  à  côté  de  l'hôtel  des 
Invalides.  Heureuse  idée  d'avoir  rapproché  la 
magie  de  l'espérance  du  charme  des  souvenirs  ! 
Il  n'existe  pas  en  Europe  d'établissement  de  ce 
genre  mieux  tenu  ou  mieux  administré.  L'édu- 
cation élémentaire  v  est  dirigée   suivant   les 
procédés  du  docteur  Bells.  Le  duc  d'York  a 
aussi,  après  sa  rentrée  dans  la  charge  de  com- 
mandant en  chef,  en  1811,  fait  mettre  en  pra- 
tique l'enseignement  mutuel  dans  les  écoles  de 
régiment.  Long-temps  avant  on  comptait  dans 
les  rangs  de  l'armée  un  grand  nombre  de  sol- 
dats sachant  lire  et  écrire  :  c'était  l'effet  des 
institutions  civiles.  D'une  part,  l'autorité  est 
prodigue   des   bienfaits  de   l'instruction  pri- 


DES    SOLDATS.  265 

maire,  parce  qu'elle  regarde  rëducatiori  du 
pauvre  comme  faisant  la  sûreté  du  riche  ;  de 
Fautre ,  elle  ferme  soigneusement  aux  classes 
inférieures  Paccès   des   hautes  connaissances 
par  le  prix  exorbitant  qu'elle  met  à  leur  ensei- 
gnement. Mais  il  n'est  au  pouvoir  de  personne 
de  fixer  des  limites  au  développement  de  la 
pensée.  L'introduction  des  méthodes  écono- 
miques et  rapides  ne  se  bornera  pas  aux  écoles 
élémentaires ,  et  finira  par  rendre  vulgaires  et 
usuels  tous  les  genres  d'instruction  :  la  popu- 
lace deviendra  peuple.  Bientôt  l'arme'e  britan- 
nique obtiendra  du  progrès  des  lumières  l'a- 
doucissement de  sa  législation  pénale ,  et  jus- 
que dans  les  comptoirs  des  marchands  de  la 
cité  de  Londres,  le  beau  titre  de  défenseur  de 
la  patrie  retrouvera  son  entière  signification. 

En  principe,  l'armée  nationale  se  recrute  de 
nationaux;  cependant,  un  acte  du  Parlement , 
rendu  en  l'année  1806,  autorise  le  Roi  à  ad- 
mettre dans  les  régimens  anglais  un  nombre 
d'étrangers,  dont  la  totalité  ne  peut  pas  excé- 


266  RELIGION. 

der  seize  mille  hommes  ,  avec  cette  restriction 
que  le  plus  grand  nombre  sera  employé  au 
dehors.  Le  Roi  a  aussi  le  droit  dVccorder  des 
lettres  de  service  à  des  officiers  étrangers ,  et 
spécialement  à  des  ingénieurs.  Il  en  a  recueilli 
à  ce  titre  quelques-uns  qui  avaient  appartenu 
à  son  armée  électorale  d'Hanovre,  et  on  a  vu 
tel  baron  allemand  commander  un  district  en 
Angleterre,  sans  que  les  clameurs  de  TOpposi- 
tion  aient  pu  le  déplacer. 

On  ne  s'enquiert  pas,  lorsque  les  officiers  en- 
trent au  service,  de  la  religion  qu'ils  professent; 
on  le  demande  encore  moins  aux  soldats,  et, 
s'il  faut  en  croire  des  publicistes  bien  informes, 
la  politique  du  cabinet  aurait  plus  d'une  fois 
fait  servir  le  recrutement  à  diminuer  la  popu- 
lation catholique  d'Irlande.  L'Etat  entretient 
des  ecclésiastiques  à  la  suite  des  corps  ;  il  y  a 
dans  les  articles  de  guerre  {articles  ofwar),  qui 
avec  le  mutinf  /'!'/// composent  le  code  militaire 
des  Anglais  ,  une  section  entière  consacrée  aux 


RELIGION.  267 

devoirs  envers  Dieu  ;  et  le  règlement  veut  que, 
dans  Tabsence  du  chapelain,  un  officier  de 
mœurs  graves  récite  le  service  divin.  Ceux  qui 
n'appartiennent  pas  à  FEglise  établie  sont  dis- 
penses d^  assister.  L'intolérance  religieuse  a 
chaque  jour  moins  d'activité  ;  cependant  les 
statuts  relatifs  aux  non-conformistes ,  et  l'acte 
pénal  de  George  I"  contre  les  catholiques , 
avaient ,  il  y  a  deux  ans  encore ,  autorité  de 
loi.  Deux  juges  de  paix  pouvaient  exiger  du 
premier  officier  qu'ils  rencontraient  le  serment 
de  suprématie ,  et  quiconque  l'eût  refusé  ,  était 
passible  des  peines  de  droit.  Un  acte  du  Par- 
lement, donné  pendant  la  session  de  1 8 1 6,  rend 
les  militaires  habiles  à  parvenir  à  tous  les  gra- 
des, sans  acception  de  religion.  L'application 
de  cette  mesure  de  justice  n'a  pas  encore  eu 
lieu  dans  toute  son  étendue.  Depuis  la  révolu- 
tion de  1688  jusqu'au  moment  où  nous  écri- 
vons, pas  un  catholique  romain  n'est  devenu 
officier-général  au  service  d'Angleterre. 


268  JUSTICE. 

Le  Roi,  en  vertu  de  sa  prérogative ,  peut 
destituer  tout  officier  ,  même  celui  qu^une 
Cour  martiale  viendrait  d'acquitter;  mais  il  y 
a  loin  du  droit  au  fait  :  Tesprit  général  de  la 
législation  protège  encore  TAnglais  qui  vit 
hors  de  la  loi  commune.  La  direction  des 
procédures  militaires  est  confiée  à  un  corps 
de  magistrats  civils.  Leur  chef,  qui  réside  à 
Londres,  a  le  titre  de  juge  avocat-général; 
ses  adjoints  {depaty  judge  ad^^ocate-general) 
sont  détachés  dans  les  armées  :  c'est  à  eux  qu'il 
appartient  d'informer  sur  les  délits  commis 
par  les  gens  de  guerre,  de  demander  aux  chefs 
la  convocation  des  Cours  martiales,  et  d'y  rem- 
plir l'office  du  ministère  public  ,  autant  dans 
l'intérêt  des  accusés  que  dans  l'intérêt  de  la 
couronne.  Le  mutinf  act  établit  avec  détails 
le  régime  des  Cours  martiales  ;  elles  sont  com- 
posées suivant  un  tour  de  service,  et  leur  ma- 
nière de  procéder  les  rapproche  de  la  forme 
du  jury,  autant  que  le  permet  la  constitution 
de  la  force-armée.  Le  Roi  peut  mitiger  les  pei- 


JUSTICE.  269 

nés  et  pardonner.  D'ordinaire,  il  délègue  aux 
généraux  en  chef  cette  portion  de  sa  pre'ro- 
gative  :  du  reste  ,  les  Cours  martiales  jugent 
sans  appel ,  et  ^  quoiqu^on  en  assemble  fré- 
quemment ,  elles  impriment  une  terreur  utile. 

Outreles  Cours  martiales  générales  dont  nous 
venons  de  parler  ,  il  y  a  des  Cours  martiales  de 
régiment  qui  jugent  avec  moins  de  solennité 
et  autant  d'indépendance.  Celles-ci  ne  peu- 
vent être  moins  de  cinq  membres  ,  tous  offi- 
ciers. Les  sous-officiers  et  les  soldats  en  sont 
seuls  justiciables.  Elles  décident  en  matière  de 
solde  et  d'habillement ,  et  la  partie  qui  se  croit 
lésée  par  leur  jugement  peut  en  appeler  sur 
ce  pointa  une  Cour  martiale  générale.  Le  com- 
mandant du  régiment  a  le  droit  de  grâce. 

Les  notions  de  justice  distribulive  sont  telle- 
ment répandues  par  la  constitution  anglaise  , 
que  les  soldats  établissent  d'eux-mêmes  dans 
les  compagnies  des  espèces  de  Cours  martiales 
composées  de  trois  soldats ,  un  caporal  et  un 
sergent  qui  préside.  Ces  tribunaux  de  confiance 


2-0  JUSTICE. 

recherchent  particuhèrement  les  infractions  à 
la  discipline  dans  ses  rapports  imme'diats  avec 
Tintérét  des  camarades  ;  ils  châtient  les  délin- 
quans  à  coups  de  courroie,  et  leur  justice  hâ- 
tive prévient  souvent  une  justice  plus  sévère. 

Il  nV  a  en  Angleterre  de  domination  absolue 
que  celle  de  Topinion,  et  personne  ne  peut  s^ 
soustraire.  Dès  que  Fhonneur  national  paraît 
être  intéressé  à  Texamen  scrupuleux  d^une 
opération  de  guerre  ,  le  monarque  s''empresse 
de  soumettre  la  conduite  des  chefs  à  une  com- 
mission d'enquête ,  qui  décide  s'il  y  a  lieu  à 
les  traduire  devant  une  Cour  martiale. 

Pendant  la  guerre,  un  grand-prévôt  {pre- 
wost  marshai)  parcourt  les  environs  des  camps 
à  la  tête  de  dctachemens  de  la  troupe  à  cheval 
de  Fétat-major  [slaff  corps  ofcavalrf)^  arrête 
et  condamne  à  mort ,  et  fait  pendre  sous  ses 
yeux  les  maraudeurs,  violeurs  et  forceurs  de 
sauve-gardes  pris  en  flagrant  délit.  Cette  jus- 
tice sommaire  répugne  au  caractère  anglais  : 
on  rapplique  rarement   dans  Farmée.   Nous 


JUSTICE.  271 

pensons  qu'on  n'oserait  pas  l'essayer  dans  l'in- 
térieur, quand  même  la  Grande-Bretagne  de- 
viendrait accidentellement  le  théâtre  de  la 
guerre. 

Les  conseils  d'administration  sont  inconnus 
dans  le  militaire  anglais.  L'économie  intérieure 
des  corps  y  a  été  assise  de  tout  temps  sur  des 
bases  prises  dans  les  idées  d'un  peuple  mar- 
chand :  chacun  ses  mœurs.  Celui  qui  plaide 
pour  obtenir  une  indemnité  de  l'honneur  de 
sa  femme,  ne  rougira  pas  de  grossir  son  pécule 
avec  les  rog-nures  des  habits  des  soldats.  Nous 
avons  dit  que  chaque  régiment  ou  autre  corps 
d'infanterie  et  de  cavalerie  a  pour  colonel  un 
officier-général.  Ce  colonel ,  toujours  absent , 
ou  supposé  l'être,  n'entretient  avec  la  troupe 
que  des  rapports  purement  administratifs  :  il 
est,  à  proprement  parler,  l'entrepreneur  à 
forfait  de  l'habillement ,  qui  est  acheté,  con- 
fectionné et  remis  aux  parties  prenantes,  à  ses 
frais  et  par  les  soins  de  ses  chargés  d'affaires. 


'2-2  ADiMINlSTRATION 

Les  autres  emplois  militaires  ont  les  appointe- 
mens  fixes.  Les  émolumens  du  colonel  sont 
variables  ;  ils   dépendent  des   profits   sur   la 
quantité,  la  qualité  et  la  façon  des  habits  et 
des  culottes  ,  de  la  force  au  complet  et  de  VeÂ- 
fectif  ;  de  manière  que  le  général-major-colo- 
nel d^un  régiment  de  deux  bataillons  est  payé 
le  double  du  lieutenant-général-colonel  d'un 
régiment  d'un  seul  bataillon.  On  estime  qu'un 
corps  administré  avec  pudeur  rapporte  au  co- 
lonel une  guinee  par  an  et  par  homme  pré- 
sent, et  quatre  fois  autant  par  homme  absent. 
Ses  gains  sont  plus  considérables  si  le  lieute- 
nant-colonel commandant  n'est  pas  ponctuel 
à  solliciter  les  remplacemens  périodiques  d'ef- 
fets, et  à  faire  allouer  à  ses  subordonnés  ce 
qui  leur  est  dû.  Régime  odieux  où  le  chef  ti- 
tulaire s'enrichit  lorsque  les  soldats  périssent 
et  que  le  régiment  se  délabre!  La  vigilance  du 
duc  d'York  lutte  contre  les  abus  qui  en  déri- 
vent ;  il  renouvelle  souvent  des  ordres  tendant 
à  empêcher  quel'armée  ne  soit  vêtue  trop  court , 


RÉGIMENTAIRE.  IjZ 

trop  étroit  ou  de  mauvaises  étoffes.  Un  bureau 
d'habillement  {clothing  board)  ^  composé 
d''officiers-généraux ,  doit  inspecter  les  four- 
nitures avant  qu'on  les  délivre  aux  troupes , 
et  comparer  chaque  pièce  au  modèle  approuvé. 
Il  y  a  aussi  des  règles  pour  la  réception  des  ef- 
fets au  corps.  En  général ,  les  voleries  sont 
moins  scandaleuses  qu'elles  ne  le  seraient  ail- 
leurs sous  l'égide  d'une  législation  si  commode. 
La  corruption  étant  générale  en  Angleterre,  il 
y  a  par  cela  même  des  limites  de  convenances, 
elles  voleurs  qui  les  dépasseraient  risqueraient 
d'être  submergés  par  le  mépris  public. 

Chaque  régiment  entretient  à  Londres,  pour 
faire  ses  affaires,  un  agent  nommé  par  le  colo- 
nel. De  grandes  maisons  de  commerce  entre- 
prennent les  agences,  et  la  même  se  charge  de 
plusieurs  corps.  L'étendue  et  le  morcellement 
des  possessions  britanniques  d'une  part,  et  de 
l'autre  l'organisation  financière  de  l'armée 
permettraient  difficilement  de  s'en  passer.  Les 
agens  servent  d'intermédiaires  entre  le  gou- 

TOME  I.  j8 


'-^74  Al)MFNlSTRATIO^ 

vernement,  le  colonel  et  la  troupe.  On  s'adresse 
à  eux  pour  les  réclamalions  d'intérêt  person- 
nel, telles  que  commissions  à  vendre  ou  à  ache- 
ter, indemnités  à  poursuivre,  moyens  d'em- 
barquement à  obtenir;  ils  font  confectionner 
et  expédier  l'habillement.  Les  fonds  alloués 
par  la  trésorerie  pour  la  solde  et  les  autres  dé- 
penses régimentaires,  passent  ou  sont  censés 
passer  par  leurs  mains;  ils  en  font  l'emploi,  et 
en  justifient  devant  le  bureau  des  contrôleurs 
des  comptes  de  l'armée.  Le  salaire  des  agens 
est  formé  d'une  retenue  de  deux  deniers  par 
livre  sterling  sur  les  sommes  qu'ils  paient. 

La  comptabilité  se  fait  par  bataillon  d'infan- 
terie et  par  régiment  de  troupes  à  cheval.  Il  y  a 
dans  chacun  de  ces  deux  cadres  deux  oihciers 
d'administration  nommés  sur  la  présentation 
du  colonel,  le  payeur  et  le  quartier-maître.  Le 
payeur  [pay-m aster)  est  le  subordonné  de  l'a- 
gent; il  ne  fait  pas  de  service  militaire.  Le 
grade  de  capitaine  lui  est  accordé  seulement 
pour  la  considération;  il  fournit  un  caution- 


REGIMENTAIlîE.  27) 

iieinent  et  des  repondans,  ce  qui  ne  Tempêche 
pas  de  gagner  de  Targent  par  des  voies  illi- 
cites, toutes  les  fois  qu^illepeut.  Ses  fonctions 
consistent  à  préparer  les  demandes  de  fonds 
pour  la  solde  et  autres  dépenses,  à  les  recevoir, 
à  en  faire  la  répartition  entre  les  compagnies 
et  à  rendre  des  comptes  à  fagent.  Les  quar- 
liers-maîtres  étaient  autrefois  les  premiers 
sous-officiers  des  corps  ,  et  les  régimens  de 
cavalerie  avaient  des  quartiers-maîtres  de 
compagnies.  Ces  derniers  ont  été'  supprimés  : 
maintenant  le  quartier-maître  est  officier;  il  a 
charge  de  recevoir  et  distribuer  les  effets  d'ha- 
billement envoye's  par  Tagent,  les  vivres  et  les 
fournitures  de  toute  espèce. 

Le  miitiny  hill  veut  que  les  troupes  soient 
passées  en  revue  au  moins  deux  fois  l'an ,  et  il 
établit  des  peines  contre  les  officiers  ,  commis- 
saires, maîtres  des  montres  (muster-master)^  qui 
feraient  ou  signeraient  de  fausses  revues.  Les 
états  dressés  par  les  capitaines  et  les  officiers 
supérieurs ,  et  affirmés  par  serment  devant  Pau- 

i8* 


27^'  ADMINISTRATION 

torité  civile  ,  servent  de  base  à  Ja  plupart  des 
prestations  en  argent  et  en  nature.  Le  lieute- 
nant-colonel demande  chaque  mois  à  la  com- 
pagnie et  le  général-commandant  au  bataillon, 
si  Ton  a  des  plaintes  à  porter  contre  le  chef.  Les 
commandans   de  compagnie  et   de  régiment 
n\'jyant  pas  de  connexion  obligée  ni  de  com- 
plicité naturelle  avec  le  quartier-maître  ,  le 
payeur,  Tagent  et  le  colonel  doivent  contrôler 
les  quatre  gérans,  et  mettre  Tintérêt  de  leur 
gloire  comme  la  satisfaction  de  leur  conscience 
dans  le  bien-être  du  soldat.  La  comptabilité 
des  corps  est  peu  chargée  de  formes  et  d^écri- 
tures.  Sur  une  foule  de  réclamations  particu- 
lières ,  on  s^en  rapporte  à  la  bonne  foi  des 
officiers. 

Une  somme  proportionnée  au  nombre  des 
présens  sous  les  armes  est  allouée  aux  capi- 
taines pour  Fentretien  des  fusils.  L'excédant 
de  la  recette  sur  la  dépense  forme  un  supplé- 
ment à  leur  solde.  Anciennement  les  officiers 
supérieurs   avaient    des   compagnies.   Le  duc 


rÉgimeistaire.  277 

d'York  les  leur  a  fait  ôter.  11  n'y  avait  qu'un 
pas  de  plus  pour  supprimer  les  colonels  d'ha- 
billement ,  mais  en  leur  place  il  eût  fallu  créer 
des  emplois  nouveaux.  L'Opposition  évite  avec 
soin  d'augmenter  le  patronage  de  la  couronne. 
Ceux  qui  vivent  des  abus  travaillent  à  les  per- 
pétuer. Ces  deux  motifs  concourent  avec  le 
respect  inné  pour  les  institutions  à  rendre  les 
réformes  lentes  et  difficiles. 

Dans  le  classement  des  armes  l'artillerie  passe 
la  première ,  puis  la  cavalerie  et  ensuite  l'in- 
fanterie. Ceux-là  n'étaient  pas  avancés  dans 
l'art  qui  ont  assif^né  à  l'infanterie  la  dernière 
place.  Au  reste  il  ne  s'agit  ici  que  d'un  rang  de 
parade.  En  toute  circonstance  le  plus  ancien 
du  grade  le  plus  élevé  commande  ,  quelle  que 
soit  l'arme  à  laquelle  il  appartienne. 

L'infanterie  consistait  au  commencement 
de  1808  en  trois  régimens  de  gardes  à  pied  , 
cent  quatre  d'infanterie  de  ligne  ou  légère  , 
dix-neuf  spécialement  affectés  au  service  des 


278  INFANTERIE. 

Indes  occidentales  ,  de  l^Afrique  ,  de  Ceylan  , 
du  Canada  et  de  la  Nouvelle-Ecosse;  dix-huit 
bataillons  de  garnison  et  de  vétérans  appliqués 
au  service  sédentaire  ;  dix  bataillons  de  la  lé- 
gion allemande  [King's german  légion)  ;  quatre 
régimens  suisses  ou  réputés  tels ,  et  sept  corps 
hors  ligne  composés  originairement  d^AUe- 
mands,  de  Français,  de  Siciliens  ,  de  Grecs, 
et  recrutés  avec  des  déserteurs  et  des  prison- 
niers de  toutes  les  nations. 

Les  trois  régimens  de  gardes  à  pied  forment 
sept  bataillons  et  sont  tous  corps  d'élite.  Leur 
solde  est  plus  forte,  Tuniforme  plus  riche,  et  Tes- 
pèce  d'hommes ,  quoique  fournie  par  le  même 
mode  de  recrutement  que  le  reste  de  Farmée, 
est  d'une  taille  plus  haute.  Les  officiers  ont  un 
grade  au-dessus  de  l'emploi  et  appartiennent 
presque  tous  à  des  familles  considérables. 
Quoique  leur  destination  première  soit  de  gar- 
der les  palais  et  la  personne  du  monarque  ,  on 
leur  fait  faire  la  guerre  à  peu  près  comme  aux 
autres  régimens.  Les  gardes  ne  sont  pas  aimés 


hNFAMElUF-.  '-^79 

dans  rarmée  qui  les  appelle  soldats  de  lits  de 
plume  ,  porte  envie  à  leurs  avantages  et  de- 
mande à  quel  titre  ils  en  jouissent  ;  sentiment 
bien  différent  de  celui  qu^inspirait  la  garde 
impériale  aux  troupes  de  Farmée  française! 

Les  régimens  de  ligne  sont  désignés  par  des 
numéros.  Cinquante-deux  ont  un  seul  batail- 
lon ,  quarante-sept  en  ont  deux  ,  quatre  en  ont 
trois  ;  un  seul  régiment ,  le  soixantième  ,  en 
a  huit.  Nous  ne  voyons  pas  de  motifs  plau- 
sibles à  cette  bigarrure,  et  nous  trouvons  de 
graves  inconvéniens  à  avoir  des  régimens  d\ui 
bataillon.  Tout  le  monde  sait  comment  un  ba- 
taillon isolé  fond  vite  à  la  guerre, et  quelle  alté- 
ration cela  produit  dans  Tordre  de  bataille. 

L^organisation  des  régimens  est  calculée  sur 
ce  principe,  que  les  bataillons  doivent  servir 
séparés  les  uns  des  autres.  Il  n^  a  pas  d'états- 
majors  régimentaires.  Chaque  bataillon  a  un 
lieutenant-colonel ,  deux  majors ,  un  adjudant, 
un  payeur,  un  quartier-maître,  un  chirurgien- 
major  et  un  aide-chirurgien.  11  est  partagé  en 


aSo  INFANTERIE. 

dix  compagnies  ,  dont  une  de  grenadiers  et  une 
légère,  placées  aux  deux  ailes,  et  pour  ce  motif 
appelées  compagnies  de  flanc.  La  compagnie 
est  commandée  par  un  capitaine  qui  a  sous  ses 
ordres  un  lieutenant  et  un  sous-lieutenant. 
C'est  ordinairement  en  haussant  ou  en  baissant 
PefFectif  des  compagnies  que  le  gouvernement 
augmente  ou  diminue  rétablissement  militaire. 
Elles  descendent  rarement  en  temps  de  paix 
au-dessous  de  quarante  hommes,  et  jamais  pen- 
dant la  guerre  on  ne  les  a  élevées  jusqu^\  cent. 
A  Tépoque  où  les  troupes  anglaises  ont  pris  part 
aux  événemens  de  la  Péninsule ,  la  force  des 
compagnies  d'*infanterie  était ,  terme  moyen,  de 
soixante-cinq  hommes  présens  sous  les  armes. 
L'infanterie  va  en  campagne  distribuée  en 
brigades  de  deux  ,  trois ,  môme  quatre  régi- 
mens  ,  suivant  le  nombre  et  la  force  des  batail- 
lons. Les  grenadiers  n'ont  point,  aux  yeux  des 
autres  soldats,  l'éclat  et  la  prééminence  des  gre- 
nadiers français  et  hongrois.  On  n'est  pas  dans 
l'usage  de  réunir  tous  ceux  d'une  ou  de  plusieurs 


INFANTERIE.  201 

brigades  pour  tenter  des  actions  de  vigueur. 
On  rassemble  quelquefois  les  compagnies  lé- 
gères en  bataillons  provisoires ,  ce  qui  est 
précisément  l'opposé  de  Pinstitution  de  cette 
espèce  de  troupe. 

Quelques  régimens  de  la  ligne  ,  tels  que  le 
quarante-troisième  ,  le  cinquante-et-unième  , 
le  cinquante  -  deuxième  ,  etc.,  etc.,  s'inti- 
tulent régimens  d'infanterie  légère.  Ces  corps, 
non  plus  que  les  compagnies  légères  de  ba- 
taillons ,  n'ont  de  léger  que  le  nom  ,  car  ils 
sont  armés,  et  à  quelques  ornemens  près,  ha- 
billés comme  le  reste  de  l'infanterie.  On  aïusé 
que  le  soldat  anglais  n'a  pas  l'intelligence  et 
la  flexibilité  nécessaires  pour  faire  avec  un 
égal  succès  le  service  commandé  de  la  lione  et 
le  service  d'inspiration  du  tirailleur.  La  né- 
cessité d'une  infanterie  légère  spéciale  étant 
sentie  ,  on  a  fait  d'abord  quelques  essais  avec 
les  meilleurs  tireurs  de  différens  corps.  On 
s'est  fixé  ensuite  à  appliquer  exclusivement  au 
métier    de    tirailleurs  les   huit  bataillons    du 


282  liNFANTERIE. 

soixantième  ,  les  trois  du  quatre-vint^t-quin- 
/jème  et  quelques  étrangers.  Cette  troupe  a 
reçu  le  nom  de  carabiniers  [riflemen)  à  cause 
des  carabines  dont  elle  était  armée  pendant  la 
dernière  guerre  ;  elle  a  été  détachée  par  com- 
pagnie dans  les  brigades.  Le  langage  reten- 
tissant des  cornets  servait  en  même  temps  à 
diriger  les  carabiniers  suivant  les  vues  du  gé- 
néral ,  et  à  avertir  celui-ci  des  manœuvres  de 
Tennemi  qu^il  n^aurait  pas  été  possible  d'aper- 
cevoir du  corps  de  bataille. 

Les  Anglais ,  les  Ecossais  et  les  Irlandais 
sont  mêlés  dans  les  régimens.  Llrlande  fournit 
plus  de  soldats, en  proportion  de  sa  population, 
que  les  deux  autres  royaumes.  Il  semblerail 
que  le  caractère  général  attribué  par  nous  aux 
troupes  britanniques  devrait  être  altéré  parce 
mélange;  mais  la  discipline  anglaise  est  pour 
(;eux  qu'elle  embrasse  le  lit  de  Procuste.  Les 
esprits  comme  les  corps  subissent  la  loi  du 
peuple  dominateur.  Quatre  régimens  formant 
neuf  bataillons  portent  le  nom  d'Ecossais  de 


INFAINTERIF..  sS-J 

la  montagne  (  Highlanders  ).  Lenr  recrute- 
ment se  fait  presque  exclusivement  dans  la 
partie  montagneuse  de  TEcosse,  et  on  y  place 
de  préférence  des  officiers  du  pays.  Les  High- 
landers  conservent  leur  jupe  nationale  en 
place  de  culotte.  Cela  n'est  ni  concordant  avec 
le  reste  du  vêtement ,  ni  commode  à  la  guerre. 
N'importe;  une  distinction  qui  a  son- principe 
dans  les  coutumes  populaires  impose  toujours 
un  devoir  de  plus  à  remplir.  Il  n'y  a  pas  au 
service  du  roi  d'Angleterre  de  régimens  plus 
fermes  en  bataille  que  les  Écossais. 

L'infanterie  est  la  meilleure  portion  de 
l'armée  britannique.  C'est  le  rohur  pecUiiun  ^ 
comme  le  disaient  les  Romains  des  triaires  de 
leurs  légions.  Les  Anglais  n'escaladent  pas  la 
montagne  et  n'effleurent  pas  la  plaine,  lestes 
et  rapides  comme  les  Français  ;  mais  ils  sont 
plus  silencieux  ,  plus  calmes  ,  plus  obéissans  ; 
pour  ce  motif  leurs  feux  sont  plus  assurés  et 
plus  meurtriers.  On  ne  les  verra  pas  résignés 
sous  le  boulet  à  l'égal  des  Russes  ,  mais  ils  se 


284  INFANTERIE. 

pelotonnent  moins  confusément  et  conservent 
mieux  l'ordonnance  primitive.  Il  y  a  dans  leur 
fait  quelque  chose  du  mécanisme  allemand  avec 
une  exécution  plus  active  et  plus  morale.  Le  rè- 
glement de  manœuvres  qu'ils  suivent  depuis 
1798  est  imité  des  Prussiens.  L'infanterie,  quoi- 
que formée  constitutionnellement  sur  trois 
rangs,  ainsi  que  les  autres  infanteries  de  l'Eu- 
rope, se  met  le  plus  souvent  sur  deux.  Elle  se 
double  sur  quatre  pour  faire  et  recevoir  un  ef- 
fort. Il  lui  arrive  d'exécuter  des  mouvemens  of- 
fensifs, même  de  charger  des  colonnes  en  ordre 
déployé.  De  pied  ferme  elle  commence  sa  dé- 
fense par  des  décharges  générales  de  batail- 
lons que  suit  un  feu  de  file  bien  nourri.  Elle 
se  retourne  sans  émotion  pour  répondre  à  ceux 
qui  viennent  par  derrière.  En  marchant  elle 
tire  sans  se  désunir. 

L'infanterie  anglaise  ne  craint  pas  d'aborder 
son  ennemi  à  la  baïonnette.  Cependant  ,  le 
chef  qui  voudra  en  user  sans  la  compro- 
mettre devra  la  mouvoir  rarement  et  avec  pré- 


INFANTERIE.  285 

caution ,  et  compter  sur  son  feu  plus  que  sur 
ses  manœuvres. 

L'infanterie  anglaise  est  habillée  de  rouge  : 
c'est  la  couleur  nationale  ,  et  le  soldat  y  tient 
beaucoup.  Les  riflemen  sont  en  vert.  Il  y  a  bien 
aussi  chez  eux  quelques  faiseurs  tourmentés  de 
la  manie  de  fatiguer  la  troupe  par  une  tenue 
minutieuse  et  par  des  innovations  perpétuelles 
dans  riiabillement.  Ce  travers,  tout  encouragé 
qu'il  a  été  par  le  goût  particulier  du  prince 
régent ,  n'a  pas  fait  de  grands  ravages.  On 
adopte  de  loin  en  loin  les  changemens  que 
l'expérience  des  autres  années  a  fait  juger 
utiles.  L'usage  de  la  poudre  pour  les  cheveux 
a  cessé  en  i8o8  ,  par  un  ordre  du  commandant 
en  chef.  Les  sergens  anglais  portent  des  halle- 
bardes. Les  fusils  des  soldats  sont  moins  légers 
que  les  nôtres ,  et  ont  le  calibre  un  peu  plus 
fort.  Les  autres  parties  de  l'armement  et  de  l'é- 
quipement sont ,  en  général ,  préférables  à  ce 
que  nous  avons. 


'i86  TROUPES    ÉTRANGÈRES. 

Les  troupes  étrangères  au  service  d'Angle- 
terre onl,  sans  distinction  aucune,  le  régime 
de  Tarmée  nationale.  Presque  toutes  étaient 
employées  dans  la  péninsule  espagnole.  Tan- 
dis que  des  invasions  et  des  retraites  tumul- 
tueuses amassaient  sur  nos  soldats  français  des 
misères,  incompréhensibles  à  quiconque  ne  les 
a  pas  éprouvées  ;  tandis  que  des  troupes  autri- 
chiennes et  prussiennes  ,  combattant  dans  leur 
propre  pays,  sous  les  yeux  de  leur  prince,  n'o- 
saient tenter  que  des  attaques  insignifiantes  ou 
de  molles  défenses;  quinze  mille  mercenaires 
allemands ,  recrutés  sans  choix ,  servant  sans 
affection ,  mais  exactement  payés ,  vêtus  avec 
une  espèce  de  luxe  ,  bien  nourris ,  encore 
mieux  abreuvés  ,  se  sont  montrés  les  rivaux  de 
gloire  des  Anglais  qui  les  soldaient.  Tant  est 
puissante  Tinfluence  des  bons  traitemens  et 
d'une  organisation  vigoureuse  ! 

Les  soins  que  les  Anglais  donnent  à  l'éduca- 
tion (les  chevaux,  et  les  qualités  supérieures 


CAVALERlli.  287 

cle  ceux  qui  naissent  dans  leur  ile  ,  avaient  ins- 
piré de  leur  cavalerie  une  idée  avantageuse  , 
que  Fexpérience  de  la  guerre  n'a  pas  justifiée. 
Les  chevaux  sont  mal  dressés  pour  combattre. 
Ils  ont  les  épaules  gênées  et  la  bouche  dure,  et 
ne  savent  ni  tourner  ni  s'arrêter.  Leur  queue 
coupée  est  un  grave  inconvénient  dans  les  pays 
chauds.  Les  soins  de  luxe  dont  on  les  accable 
les  rendent  inhabiles  à  supporter  la  fatigue,  la 
disette  et  le  bivouac.  Les  hommes  sont  excellens 
palefreniers;  ne  leur  demandez  pourtant  pas 
ces  sentimens  de  tendresse  qui ,  en  Turquie , 
en  Pologne  ,  en  Allemagne  ,  font  du  guerrier 
et  de  son  cheval  deux  compagnons  à  la  vie  et  à 
la  mort.  Dans  la  retraite  de  la  Corogne ,  les 
corps  de  cavalerie  faisaient  halte;  le  chef  com- 
mandait :  Pied  à  terre;  prenez  vos  pistolets; 
et  à  un  troisième  commandement,  chaque  ca- 
valier brûlait  la  cervelle  à  son  cheval  en  un 
temps  et  deux  mouvemens.  Il  y  avait  néces- 
sité; mais  une  armée  d'Anglais  était  la  seule 
où  Ton  pût  se  livrer  à  ceîte  barbare  exécution, 


288  CAVALERIE. 

sans  que  les  soldats  se  soulevassent  dMiidigna-^ 
tion. 

Le  recrutement  de  la  cavalerie  est  plus  soi 
gné  que  celui  de  Tinfanterie.  On  s^y  enrôle 
pour  dix  ans.  Les  jeunes  gens  de  famille  y  en- 
trent de  préférence  comme  officiers.  L'Etat 
entretient  trente-cinq  régimens  nationaux  de 
cavalerie ,  savoir  :  trois  de  gardes  à  cheval , 
corps  d'élite ,  comme  ceux  qui  leur  correspon- 
dent dans  les  troupes  à  pied  ;  sept  régimens  de 
dragons-gardes  et  six  de  dragons ,  habillés  de 
rouge ,  et  connus  sous  la  dénomination  collec- 
tive de  dragons  pesans  (hecwj-  dj^agoons)  ^ 
parce  qu'ils  sont  montés  sur  de  forts  chevaux  ; 
quinze  régimens  de  dragons  légers  et  quatre 
de  hussards ,  habillés  en  bleu ,  et  montés  sur 
des    chevaux   moins  étoffés  que  les  autres  '. 


•  Pendant  la  guerre  de  la  Péninsule ,  nos  soldats , 
frappés  de  l'élégance  de  l'habit  des  dragons  légers,  de 
leurs  casques  brillans,  de  la  tournure  svelte  des  hommes 
et  des  chevaux,  leur  avaient  donné  le  nom  de  /indojs.  On 
a  substitué,  en   i8i3,  à  cet  habillement  particulier  aux 


CAVALERIE.  289 

Chaque  régiment  était ,  en  temps  de  guerre , 
de  cinq  escadrons ,  et  Fescadron  de  deux  com- 
pagnies [troops) ,  fortes  chacune  de  soixante 
à  quatre-vingts  chevaux  en  entrant  en  cam- 
pagne. 

La  cavalerie  la  plus  solide  d'Angleterre  est 
loin  de  l'ensemble  et  de  Faplomb  des  cuiras- 
siers de  France  et  d'Autriche.  La  cavalerie  la 
plus  légère  possède  encore  moins  l'intelligente 
mobilité  du  hussard  hongrois  et  du  Cosaque. 
Les  cavaliers  n'ont  ni  cuirasses  ni  lances.  Ils 
ne  se  doutent  pas  des  ruses  de  la  petite  guerre. 
Ils  ne  savent  pas  davantage  charger  en  mu- 
raille. Quand  la  mêlée  commence,  vous  les 
voyez  à  la  fois  vulnérables  et  offensifs ,  frapper 
de  taille  et  non  d'estoc ,  et  porter  au  visage  de 
l'adversaire  des  coups  de  sabre  peu  dange- 


troupes  britanniques  la  coiffure  et  l'habit-veste  de  la  ca- 
valerie légère  d'Allemagne. 

Les  lances  des  Polonais  à  Albuhera  et  les  cuirasses  des 
Français  à  Waterloo  ont  aussi  fait  naître  dans  l'esprit  des 
Anglais  d'avoir  des  lanciers  et  des  cuirassiers. 

TOME  I.  j  g 


290  CAVALERIE. 

reux.   L^ordonnance  de  la  cavalerie  anglaise 
est  la   même  que  celle  des  autres  cavaleries 
d'Europe.  Avant  les  campagnes  sur  le  conti- 
nent, les  officiers-généraux  et  supérieurs  de 
cette  arme  n'*avaient  pas  Toccasion  de  manier 
des  masses.  La  guerre  de  la  Péninsule  ne  pa- 
rait pas  avoir  développé  chez  eux  ce  talent.  On 
peut  prédire  que  partout  où  la  cavalerie  an- 
glaise sera  engagée  contre  une  cavalerie  bien 
commandée ,  elle  aura  le  dessous.  Les  soldats 
sont  braves ,  les  chevaux  sont  bons  ;  mais  ce 
n'est  pas  assez  :  il  faut  encore  de  la  science  et 
de  l'ensemble.  Nous  avons  vu  plus  d'une  fois 
de  faibles  détachemens  charger  nos  bataillons 
à  fond ,  mais  en  désordre.  Le  cavalier,  ivre  de 
rhum ,  lançait  son  cheval ,  et  le  cheval  empor- 
tait le  cavalier  au-delà  du  but.  On  ne  pouvait 
pas  former  de  nouveau  les  escadrons  ;  il  ne  s'en 
trouvait  pas  d'autres  à  portée  de  consommer 
l'œuvre  :  le  coup  d'audace  passait  sans  profit 
pour  l'armée. 

L'Angleterre  entretenait  aussi  deux  régi- 


CAVALERIE.  29I 

mens  de  dragons  et  trois  de  hussards ,  appar- 
tenant au  corps  étranger  dit  King's  german 
légion.  Ils  ont  surpassé  la  cavalerie  nationale 
pour  le  service  des  avant-gardes  et  pour  la  ba- 
taille. La  charge  la  plus  audacieuse  de  la  guerre 
d''Espagne  a  été  fournie  ,  ainsi  que  nous  le  ver- 
rons en  son  lieu ,  le  lendemain  de  la  bataille 
des  Arapiles,  par  THanovrien  Bock,  à  la  tête  de 
la  brigade  pesante  de  la  légion  allemande. 

L'artillerie  et  le  génie  sont  distincts  du  dé- 
partement  de  la  guerre,  et  dépendent  d'un 
autre  ministère.  L'Ordonnance  est  le  nom 
qu'on  donne  à  Tolïice  chargé  des  fortifications 
et  de  l'approvisionnement  en  armes  et  en  mu- 
nitions des  armées  de  terre  et  de  mer.  L'Ordon- 
nance a  sa  trésorerie ,  ses  sinécures  ,  son  bud- 
get, ses  établissemens  et  son  armée  particu- 
lière. Elle  forme  un  État  dans  l'État ,  sous  le 
gouvernement  d'un  maître  général  (  master 
gênerai  of  Ordnance).  Ce  chef  suprême 
exerce  le  commandement  à  lui  seul,  et  ne  dé- 


292  DEPARTEMENT 

pend  de  ses  accesseurs  [hoard  of  Ordnance) 
que  dans  quelques  points  d^administration. 
Son  pouvoir  sur  le  personnel  et  le  matériel  de 
son  département  est  plus  grand  que  le  pouvoir 
réuni  du  secrétaire  de  la  guerre  et  du  com- 
mandant en  chef  dans  Tarmée.  Il  nomme  et 
révoque  les  officiers  et  comptables;  il  fait  et 
défait  au  nom  du  Roi.  Ayant  sa  place  dans  le 
cabinet ,  il  y  entre  et  en  sort  comme  les  autres 
ministres.  Quoique  tout  citoyen  anglais  puisse 
être  nommé  à  cette  charj^e  élevée,  elle  est  rem- 
plie  ordinairement  par  des  officiers-généraux. 
Le  comte  de  Chatam  et  lord  Mulgrave  ont  été 
maîtres-généraux  deTOrdonnance  pendant  les 
guerres  de  la  Péninsule. 

L'artillerie  et  le  génie  n'*ont  de  rapport  en- 
semble que  de  ressortir  au  même  ministère, 
et  dWoir  un  enseignement  préparatoire  com- 
mun et  un  régime  semblable.  Il  faut ,  pour  de- 
venir officier  dans  ces  deux  armes,  avoir  passé 
par  une  école  spéciale,  celle  à.^ gentleman  ca- 
det^ établie  à  Woolwich.  Les  jeunes  gens  y 


DE    L'ORDONNANCE.  1^^ 

sont  admis  de  quatorze  à  seize  ans.  Ils  suivent 
les  exercices  pratiques  du  canonnier  et  du  sa- 
peur, et  reçoivent  en  même  temps  une  ins- 
truction théorique  sur  les  sciences  physiques 
et  mathématiques,  le  dessin,  la  fortification  et 
Part  militaire.  Après  un  cours  de  quatre  an- 
nées ,  on  leur  fait  subir  un  examen  ,  et  ils  sont 
reçus  seconds  lieutenans ,  diaprés  les  témoi- 
gnages que  les  professeurs  fournissent  au  maî- 
tre-général de  rOrdonnance.  Les  officiers  de 
Tartillerie  et  du  génie  prennent  rang  avec  ceux 
de  Tarmée.  Ils  n'achètent  pas  leurs  commis- 
sions.  L'avancement   a  lieu  par  ancienneté. 
Les  talens  extraordinaires  et  les  actions  d'éclat 
sont  récompensés  par  des  grades  en  dehors  de 
l'emploi  (  brevet  rank). 

Les  fonctions  confiées  en  France  au  seul 
corps  d'artillerie  sont  ici  éparses  dans  plu- 
sieurs mains.  La  troupe  d'artillerie  n'est  char- 
gée que  de  l'exécution  des  bouches  à  feu.  Elle 
consiste  en  un  régiment   de  dix  bataillons  , 


294  ARTILLERIE. 

royal  régiment  ofartillery^  dont  le  maitre-gé- 
néral  de  FOrdonnance  est  colonel.  Le  bataillon 
est  fort  de  dix  compagnies,  de  cent  vingt  hom- 
mes chacune.  Il  y  a,  outre  le  colonel-comman- 
dant ,  cinq  officiers  supérieurs.  La  compagnie 
est  commandée  par  deux  capitaines  et  trois 
lieutenans.  Il  y  aune  compagnie  d''artillerie  \\ 
cheval  par  bataillon  ,  ce  qui  fait  dix  en  tout. 
Elles  roulent ,  pour  Tavancement  et  le  service, 
avec  Fartillerie  à  pied. 

L'artillerie  tient  le  premier  rang  dans  Tar- 
mée  ;  elle  a  la  meilleure  solde  ,  elle  choisit 
le  mieux  ses  recrues  ,  Tenrôlement  limité  y 
est  pour  douze  ans.  Les  canonniers  sont  ha- 
billés de  bleu.  Ils  se  distinguent  entre  les 
autres  soldats  par  le  bon  esprit  qui  les  anime. 
En  bataille  ,  leur  activité  est  judicieuse  ,  leur 
coup-d'œil  parfait  et  leur  bravoure  stoïque. 

Il  ne  faut  pas  chercher,  parmi  les  officiers 
de  Tartillerie  anglaise ,  Tuniversalité  de  con- 
naissances et  la  fécondité  de  ressources  que 
Ton  trouve  en  France  dans  le  corps  chargé 


ARTILLERIE.  29! 

de  fabriquer  les  engins  de  guerre  et  de  coor- 
donner et  mettre  en  jeu  les  principaux  élé- 
mens  de  Fart  de  détruire  ;  ceux-là  n'improvi- 
seront pas  des  équipages  de  pont  de  campagne 
et  de  siège  ;  soldats  et  officiers  se  sont  montrés 
inexperts  dans  Tattaque  des  places.  La  pré- 
voyance administrative  n'est  point  exigée  de 
gens  qui  n'administrent  rien.  Ils  ne  se  piquent 
pas  d'être  ingénieux  dans  l'emplacement  des 
batteries,  ni  d'exécuter  le  tir  à  ricochet;  leur 
mérite  consiste  à  conserver  en  bon  état  et 
à  servir  avec  intrépidité  les  canons  attelés 
qu'on  leur  confie. 

Le  corps  d'artillerie  a  ,  malgré  son  classe- 
ment légal,  une  considération  relative,  moins 
grande  en  Angleterre  que  dans  d'autres  ar- 
mées ;  les  chefs  étant  trop  vieux  pour  faire 
campagne  ,  les  comman démens  actifs  sont  re- 
mis à  des  officiers  d'un  grade  moins  élevé  que 
ne  le  comporte  l'importance  de  leurs  attribu 
tions.  Un  simple  lieutenant-colonel  a  souvent 
commandé  en  chef  l'artillerie  de  lord  Wel- 


296  ARTILLERIE. 

lington.  D'ailleurs  la  perspective  de  gloire  of- 
ferte aux  corps  à  talent  est  limitée.  On  a  trop 
en  horreur  les  avancemens  hors  de  la  règle  , 
pour  permettre  qu'Hun  artilleur  ou  un  ingé- 
nieur qui  se  trouverait  trop  à  Tétroit  dans 
son  arme  s'élançât  dans  le  service  général  de 
la  ligne;  jamais  de  Fecole  de  Woolwich  ne  sor- 
tira un  Bonaparte. 

Les  Anglais  nous  ont  précédés  dans  l'insti- 
tution du  train  d'artillerie  ;  les  premiers  es- 
sais en  ont  été  faits  en  1793  sous  les  auspices 
du  duc  de  Richemond,  alors  maître-général 
de  l'Ordonnance.  Le  corps  des  charretiers  d'ar- 
tillerie {royalartillery  drivers)  est  organisé  mi- 
litairement. On  paie  cher  les  chevaux  qui  ser- 
vent à  traîner  les  pièces  ,  et  par  conséquent  ils 
sont  très-bons.  Les  harnais  ressemblent  aux 
harnais  de  nos  carrosses.  Aucune  nation  ne  peut 
le  disputer  aux  Anglais  pour  l'attelage  et  le 
transport  des  voitures.  Ne  sont-ils  pas  destinés 
à  troubler  le  monde,  ces  hommes  qui,  par  terre 
comme  par  mer,  ont  des  moyens  organisés 


ARTILLERIE.  IÇf'J 

^our  arriver  sûrement  et  jjromptemenl  en  tous 
lieux  ? 

L'administration  régimentaire  n'est  pas  la 
même  dans  les  troupes  de  l'Ordonnance  que 
dans  les  corps  d'infanterie  et  de  cavalerie. 
L'habillement  et  l'équipement  sont  fournis  par 
le  département ,  qui  a  toujours  dans  ses  maga- 
sins de  quoi  habiller  et  équiper  trente  mille 
soldats  et  harnacher  dix  mille  chevaux  d'artil- 
lerie. 

Les  Anglais  mènent  peu  de  canons  en  cam- 
pagne ;  le  plus  qu'en  a  eu  lord  Wellington,  dans 
la  Péninsule,  n'allait  pas  à  deux  bouches  à  feu 
par  nulle  hommes.  Il  n'existait  point  de  parc 
de  siège  à  la  suite  de  son  armée,  et  les  pontons 
étaient  en  trop  petit  nombre  pour  mériter  le 
nom  d'équipage.  Les  bataillons  nesontpas  dans 
l'habitude  de  manœuvrer  mêle's  avec  l'artil- 
lerie. Cette  arme  agit  ordinairement  par  batte- 
ries de  cinq  pièces  de  six  et  d'un  obusier. 
Affûts  ,  caissons ,  fers  coulés  ,  poudre  ,  atti- 
rails de  tout  genre  sont  remarquables  par  l'ex- 


298  ARTILLERIE. 

cellente  qualité  des  matières  premières  et  par 
le  fini  du  travail.  L^artillerie  a  employé  avec 
succès  dans  les  batailles  une  grande  quantité  de 
boulets  creux  appelés  ShrapnelV s  spherical 
case  shot^  du  nom  du  colonel  Shrapnell,  leur 
inventeur  '. 

Les  travaux  de  Tartillerie,  comme  les  mu- 
nitions ,  les  artifices ,  les  affûts ,  sont  ré- 
gis par  entreprise  ;  les  fonderies  de  canons 
de  bronze ,  par  spéculation  commerciale  li- 
bre, de  même  que  les  canons  de  fer,  et  quel- 
quefois aussi  la  poudre  que  TÉtat  achète  des 
particuliers  qui  en  fabriquent.  La  direction 
des  travaux  dans  le  premier  cas ,  la  réception 


•  Les  boulets  creux  sont  des  obus  dont  une  moitié  est 
massive,  et  l'autre  moitié  creuse,  contenant  des  balles;  à 
distance  donnée,  l'obus  éclate.  La  partie  massive  va  tou- 
jours en  avant,  et  reçoit  par  l'explosion  une  impulsion  ad- 
ditionnelle préférable  aux  boîtes  à  mitraille,  à  cause  de  la 
portée;  il  y  a  le  massif  en  outre.  Les  canonniers  français 
ont  mis  souvent  boulet  et  boîte  à  mitraille  ensemble. 

Le  canon  à  obus  de  Shrapnell  est  plus  facile  à  manœu- 
vrer que  l'obusier. 


ARTILLERIE.  299 

et  Jes  épreuves  dans  le  second  et  le  troisième, 
forment  une  branche  de  service  administratif 
que  l'Ordonnance  confie  le  plus  souvent  à  des 
officiers  supérieurs  de  Tartillerie. 

Lespuissances  continentales,  qui  disséminent 
leurs  arsenaux  de  construction  dans  plusieurs 
places  et  sur  plusieurs  frontières ,  ne  peuvent 
s'enorgueillir  de  rien  qui  ressemble  à  l'éta- 
blissement unique  et  magistral  de  Woolwich , 
petite  ville  située  à  trois  lieues  au-dessous  de 
Londres  sur  la  rive  droite  de  la  Tamise.  De-là 
sort  l'artillerie  de  terre  et  de  mer  de  l'empire 
britannique.  Cinq  mille  ouvriers  y  étaient  con- 
tinuellement occupés  pendant  la  guerre.  Nous 
y  avons  vu  plusieurs  arpens  de  terre  tout  noirs 
de  canons  gissans  et  de  boulets  empilés.  Les 
expéditions  du  matériel  se  font,  pour  toutes  les 
parties  du  monde  ,  avec  une  rapidité  merveil- 
leuse. Woobvich  est  la  ville  de  l'artillerie  : 
toutes  les  troupes  de  cette  arme  y  tiennent  gar- 
nison ,  et  ce  qui  est  employé  aux  colonies  et  aux 
armées  est  regardé  comme  détachement.  Une 


3oo  INGÉNIEURS. 

vaste  lande  appelée  Black-Heath,  qui  s'^étend 
devant  les  casernes,  est  affectée  aux  exercices. 
Les  seuls  bàtimens  élevés  depuis  le  commen- 
cement de  ce  siècle  ont  coûté  sept  cent  mille 
livres  sterling  ,  environ  quinze  millions  de 
francs. 

Un  corps  est  chargé,  sous  la  direction  immé- 
diate de  Toffice  dePOrdonnance,  de  la  conduite 
et  de  la  comptabilité  des  attirails  et  munitions 
de  guerre.  Ceux  qui  le  composent  font  leur 
service  à  Tintérieur  et  aux  armées.  Ce  sont  eux 
qui  délivrent  les  armes ,  les  cartouches  ,  les  ca- 
nons, les  caissons  aux  troupes  dMnfanterie,  de 
cavalerie  et  d'artillerie.  Leurs  emplois  sont  as- 
similés à  des  grades  militaires.  On  les  appelle 
ofliciers  du  train  de  campagne  du  département 
de  rOrdonnance  {officers  ofthe  field  train  de- 
partment  ofthe  Ordnance). 

Le  corps  du  génie  anglais,  corps  of  royal  en- 
^meer^,  a  pour  colonel  le  maitre-général  de  fOr- 
donnance.  11  est  composé  de  deux  à  trois  cent» 


INGÉNIEURS.  301 

officiers ,  inférieurs  en  théorie  et  en  pratique  à 
ceux  qui  exercent  ailleurs  la  même  profession. 
L'instruction  de  Técole  de  Woolwich  est  prise 
dans  les  livres  français ,  et  jusqu'à  ces  dernières 
années ,  pas  un  auteur  national  n'avait  écrit  ex 
professa  sur  les  parties  savantes  de  la  guerre. 
Le  grand  fossé  entre  Douvres  et  Calais  dispense 
les  Anglais  d'élever,  autour  de  leurs  villes ,  des 
remparts  qui  effraieraient  les  citoyens.  On  est 
en  droit  de  supposer  que  des  ingénieurs  qui  ne 
construisent  jamais  de  forteresses,  et  qui  n'en 
ont  même  pas  sous  les  yeux,  s'entendent  en 
fortification  à  peu  près  comme  s'entendraient 
en  marine  des  matelots  qui  n'auraient  jamais 
vu  la  mer. 

Sur  ce  point,  l'armée  est ,  comme  de  raison , 
encore  plus  arriérée  que  les  corps  spécialement 
appliqués  à  l'attaque  et  à  la  défense  des  places. 
Avant  l'institution  des  écoles  militaires,  un  gent- 
leman n'entendait  parler  dans  ses  études  ni  de 
Vauban  ni  de  Cohorn.  Depuis  les  campagnes 
de  la  succession  d'Espagne  jusqu'à  celles  de  la 


3o2  INGÉNIEURS. 

révolution  ,  les  exploits  des  troupes  britan- 
niques dans  la  guerre  de  siège  se  sont  bornés  à 
attaquer  aux  colonies  quelques  places  mal  for- 
tifiées et  faiblement  défendues.  Lorsque  le  duc 
d"'York  fut  chargé  en  1793  de  prendre  Valen- 
ciennes,  les  généraux  désarmée  combinée  crai- 
gnirent de  confier  la  direction  des  travaux  à 
]''inexpérience  des  ingénieurs  anglais,  et  peu 
de  mois  après ,  la  conduite  de  ceux-ci  devant 
Dunkerque  prouva  que  les  coalisés  avaient  eu 
raison. 

Alors  les  forces  anglaises  figuraient  comme 
auxiliaires.  Elles  n''ont  pas  mieux  fait  en  ce 
genre  depuis  quelles  ont  été  partie  principale. 
Dans  les  sièges  de  la  Péninsule  le  front  d'attaque 
a  été  souvent  mal  choisi ,  et  les  batteries  ont  été 
établies  sans  discernement.  On  a  essayé  de  battre 
en  brèche  à  des  distances  telles  que  le  boulet  égra- 
tignait  à  peinelamaçonnerie.Lessoldatsétaient 
maladroits  à  faire  des  gabions  et  des  fascines, 
plus  maladroits  encore  à  s''en  couvriî*.  L'ar- 
tillerie n'avait  pas  de  mortiers,  employait  mal 


INGÉNIEURS.  3o3 

lesobusiers  et  paraissaitignorerriisage  des  feux 
verticaux.  Pas  la  moindre  notion  des  procédés 
infaillibles  qui  conduisent  Tassiégeant  pied  à 
pied  et  avec  le  moins  de  risque  possible  au  cœur 
des  défenses  de  Tassiégé.  On  eût  dit  que  les  in- 
génieurs étaient  là  seulement  pour  construire 
les  places  d'armes  desquelles  s'élanceraient  les 
troupes  destinées  à  Tassant  ou  à  Tescalade;  et 
encore  eût-on  pu  à  la  rigueur,  avec  des  soldats 
si  déterminés,  se  passer  de  leur  ministère.  Une 
pareille  absence  de  méthode  ne  fait  pashonneur 
au  corps  du  génie.  Elle  accuse  davantage  les 
conceptions  du  général  en  chef .  Il  est  des  absur- 
dités que  la  non-réussite  a  rendues  plus  saillantes, 
et  d'autres  que  le  succès  n'a  pas  absoutes.  Si  les 
membres  du  parlement  d'Angleterre  avaient  eu 
surla  guerre  la  dixième  partie  des  connaissances 
qu'ils  possèdent  en  finances  et  en  législation , 
on  aurait  demandé  compte  du  sang  anglais  que 
l'ignorance  a  fait  verser  à  flots  aux  sièges  de  Ba- 
dajoz  et  du  château  de  Burgos. 

Dans  le  service  de  campagne,  les  ingénieurs 


^^o4  INGÉNIEURS. 

sont  répartis  entre  le  quartier-général  et  les  di- 
visions. Est-il  besoin  de  faire  sauter  un  pont? 
Le  résultat  qu'ils  obtiennent  est  presque  toujours 
imparfait  ;  ils  détruisent  et  raccommodent  les 
routes  lentement;  ils  font  peu  d''ouvrages  de 
campagne.  Nous  ne  connaissons,  dans  la  Pénin- 
sule, de  monument  remarquable  de  Tindustrie 
de  nos  ennemis,  que  les  lignes  construi  tes  en  1 8 1  o 
pour  la  défense  de  Lisbonne,  et  Ton  doit  en 
rapporter  Tbonneur  en  partie  aux  ingénieurs 
du  Portugal,  qui  ont  communiqué  aux  Anglais, 
soit  pour  la  conception  du  projet,  soit  pour 
Fexécution  des  travaux,  des  idées  lumineuses  et 
des  données  exactes  recueillies  depuis  long- 
temps. 

L'expérience  des  sièges  a  fait  sentir  la  né- 
cessité de  relever  le  corps  du  génie  dans  l'opi- 
nion ,  et  de  perfectionner  les  moyens  dont  il 
dispose.  Un  ordre  du  25  mars  i8i3  a  appelé 
les  officiers  à  concourir  pour  le  commande- 
ment avec  ceux  de  la  ligne,  justice  dont  on  les 
^vait  privés  jusqu'alors.  Il  existait  des  ouvriers 


liNGÉMEURS.  3o5 

en  bois  et  en  fer  (  royal  artificers  ) ,  employés 
à  l'entretien  des  fortifications.  On  les  a  con- 
vertis en  un  corps  de  sapeurs-mineurs  (  royal 
sappers  and  miners  )  ,  dont  Féducation  a  été 
refaite  d'après  son  appellation  et  sa  destina- 
tion nouvelle.  Il  est  destiné  à  fournir  des  pi- 
queurs  pour  les  travaux  de  campagne  et  de 
siège  ;  les  ponts  mobiles  et  autres  sont  dans  ses 
attributions.  L'école  pratique  du  génie  a  été 
établie  à  Chatam. 

Les  officiers  accoutumés  aux  reconnaissan- 
ces et  aux  levers  rapides  du  terrain  ne  sont  pas 
nombreux  dans  l'armée  anglaise;  on  n'y  con- 
serve pas ,  comme  en  France,  les  traditions  de 
guerre.  Le  général  Lloyd  est  le  premier  qui 
ait   pensé  à   considérer  l'Angleterre    sous  le 
point  de  vue  défensif.  Lors  des  dernières  me- 
naces d'invasion,  l'Ordonnance  a  entrepris  de 
faire  lever  avec  luxe  et  exactitude  une  carte 
des  trois  royaumes;  cette  œuvre  importante  est 
poursuivie  et  sera  menée  à  fin  par  le  corps  des 
ingénieurs -géographes   {royal  military  sur- 

TOME  1. 

20 


AoG 


ETAT-MAJOR. 


i>efors  and  draftmen)^  qui  a  son  établissemeul 
dans  la  tour  de  Londres.  Les  ingénieurs-géo- 
graphes n^ont  aucune  connexion  avec  les  in- 


génieurs militaires. 


Il  n'existe  pas  de  corps  d'état-major  ;  nulle 
part  cependant  les  ordres  ne  sont  rédigés  en 
une  forme  plus  positive  ,  transmis  avec  plus 
fie  promptitude ,  exécutés  avec  plus  de  scru- 
pule. C'est  encore  un  relief  des  institutions  du 
pays  ;  le  commandant  en  chef  exerce  son  auto- 
rité par  l'intermédiaire  de  l'adjudant-général 
et  du  quartier-maître-général ,  deux  officiers 
d'un  rang  élevé  dans  l'armée  :  au  premier  res- 
sortissent  la  discipline  ,  le  service  courant ,  le 
recrutement,  l'habillement,  les  rapports ,  le 
travail  préparatoire  de  la  législation  militaire  , 
en  un  mot  les  détails  qui ,  suivant  l'expression 
anglaise  ,  constituent  V efficiency  de  l'armée , 
c'est-à-dire  tout  ce  qui  la  met  en  état  de  pro- 
duire les  effets  qu'on  a  droit  d'en  attendre.  Le 
second  est  chargé  des  mouvemens ,  des  feuilles 


ÉTAT-MAJOR.  3o7 

de  route  ,  du  campement ,  logement  et  caser- 
nement ,  de  rembarquement  et  débarquement 
des  troupes,  des  relations  avec  le  service  des 
hôpitaux  et  des  vivres  ,  des  dispositions  passa- 
gères relatives  à  la  défense.  Il  a  sous  son  auto- 
rité le  dépôt  de  la  guerre ,  institué  depuis  la 
paix  de  i8i4  7  à  Timitation  de  celui  de  Paris; 
le  royal  waggon-train ,  corps  de  charretiers  , 
qui   traîne   les  équipages,   et  \e  staff  corps  ^ 
troupe  d'état-major,  à  pied  et  à  cheval ,  em- 
ployée à  guider  les  colonnes  ,  ouvrir  les  mar- 
ches ,    tracer  le  camp  et   subsidiairement    à 
faire  la  police  de  Farmée.  Toute  correspon- 
dance  étrangère  aux   attributions  de  Padju- 
dant-général  et  du  quartier-maître-général , 
et  particulièrement  Tavancement ,    les  com- 
missions et  les  grâces,  passent  par  le  canal  d'un 
autre  officier  qui  porte  le  titre  de  secrétaire  du 
commandant  en  chef;  il  a  aussi  son   dépar- 
tement et  ses  bureaux. 

L*'état-major  de  commandant  en  chef  est  le 
type  des  autres  états-majors,  au  dedans  et  au 


20 


3o8  ÉTAT-MAJOR. 

dehors.  Il  y  a  dans  chaque  commandemeiU, 
chaque  armée,  chaque  division  territoriale  ou 
de  troupes,  deux  ou  un  plus  grand  nombre  d''of- 
ficiers  exerçant ,  avec  les  titres  d'adjudant  et 
de  quartier-maitre-général,  ou  bien  avec  ceux 
de  assistant  et  de  deputy^  qui  correspondent 
à  notre  nom  ai  adjoint^  les  mêmes  fonctions  que 
remplissent  Fadjudant-général  et  le  quarlier- 
maître-général  de  toutes  les  forces  britanni- 
ques sous  les  ordres  immédiats  du  duc  d'York. 
Un  des  aides-de-camp  du  général-comman- 
dant fait  toujours  l'office  de  secre'taire militaire. 
Cette  répartition  de  service  de  l'état-major,  en 
plusieurs  departemens,  convient  au  comman- 
dement général  des  forces ,  parce  que  c'est  un 
véritable  ministère  où  la  multiplicité'  des  dé- 
tails rend  nécessaire  la  division  du  travail  ;  elle 
serait  vicieuse  dans  une  armée  active  où  l'unité 
et  le  secret  sont  les  premières  qualités  requises 
pour  la  transmission  des  ordres  du  chef. 

L'infanterie  et  la  cavalerie  sont  formées  à  la 
guerre  en  divisions  séparées,  à  chacune  des- 


État-majok.  3og 

quelles  est  attachée  une  batterie  d"'artillerie  à 
pied  ou  à  cheval.  On  attache  même,  en  temps 
de  paix,  à  chaque  brigade,  un  officier  qu'on 
appelle  major  de  brigade,  et  qui  a  la  charge 
de  communiquer  aux  adjudans  de  régimens  et 
faire  exécuter  les  ordres  du  général-comman- 
dant et  ceux  des  autorités  centrales  de  Tarmée. 
Les  emplois  des  dëpartemens  de  Tadjudant- 
génëral  et  du  quartier-maître -général,  de 
major  de  brigade  et  d'aide  -  de-camp ,  sont 
exercés  par  des  officiers  détachés  de  leurs  régi- 
mens où  on  ne  les  remplace  pas;  ils  doivent 
avoir  au  moins  quatre  ans  de  service.  On  est 
censé  les  choisir  parmi  les  sujets  les  plus  capa- 
bles ,  et  parmi  ceux  dont  l'éducation  a  été  di- 
rigée vers  la  science  de  la  guerre  ;  c'est  néan- 
moins la  faveur  qui  porte  le  plus  grand  nom- 
bre dans  le  service  de  l'état-major. 

L'armée  anglaise  demeurant  dans  le  pays 
coûte  deux  fois  plus  qu'une  autre  armée  de 
même  force.  Cela  vient  du  taux  élevé'  des  en- 


3lO  AD»imiSTRAT10N 

gagemens ,  de  la  cherté  des  denre'es  et  des  ma- 
tières, du  luxe  des  attirails  et  de  Taisauce  don- 
née au  soldat.  Lorsqu'elle  est  employée  hors 
de  son  île,  les  frais  de  campagne  de'passent  tous 
les  calculs.  Là  où  les  troupes  sont  menacées 
de  la  disette,  le  gouvernement  verse  Targent  à 
profusion,  et,  quand  on  ne  trouve  pas  de  vi- 
vres à  acheter  sur  les  lieux,  il  les  envoie  en 
nature.  La  distance  ne  fait  rien  aux  maîtres 
de  la  mer.  On  a  vu  des  chevaux  anglais  en  Por- 
tugal, nourris  avec  du  foin  coupé  dans  les  prai- 
ries de  Yorkshire,  et  les  hommes,  avec  des  fa- 
rines apportées  d'Amérique. 

Le  commissariat  est  chargé  du  soin  des  sub- 
sistances; il  conclut  des  marchés,  frappe  les 
réquisitions,  paie  les  denrées,  les  prépare,  les 
emmagasine  et  les  distribue.  Il  semblerait  que 
le  corps  administrant  devrait  avoir  une  im- 
portance d'autant  plus  grande,  que  Tarmée 
a  davantage  besoin  de  ses  services.  Il  n'en  est 
pas  ainsi  pour  le  commissariat  anglais  :  ses 
membres  appartiennent  presque  tous  à  lape-. 


DE    l'aRMÉe.  3i  1 

tite  bourgeoisie,  et  même  aux  classes  infé- 
rieures de  la  société.  Quoique  soumis  à  Tauto- 
ritë  militaire ,  et  justiciables  des  Cours  martiales 
même  en  ce  qui  concerne  leur  gestion,  ils  ne 
sont  pas  encadres  dans  la  hiérarchie  graduelle 
de  Tarmée  et  ne  participent  pas  aux  récom- 
penses. Quelques-uns  sVnrichissent  par  des 
voies  irrégulières.  On  est  peu  disposé  à  croire 
à  la  probité  de  gens  qui  sont  à  la  fois  ache- 
teurs, payeurs,  caissiers,  garde-magasins,  sur- 
Ycillans  et  comptables.  Etrangers  par  leurs 
fonctions  à  l'administration  intérieure  des  re'- 
gimens,  ils  sont  sans  considération  auprès  de 
l'officier  et  du  soldat.. 

Vingt  mille  Français  vivront  pour  rien  où 
dix  mille  Anglais  mourront  de  faim  la  bourse 
à  la  main.  Pendant  les  premières  campagnes 
de  la  Péninsule,  on  ne  lisait,  dans  les  gazettes 
de  Londres,  que  lamentations  sur  le  peu  de  sa- 
voir-faire des  commissaires  d'armée.  Nourrir 
les  troupes  à  la  guerre  est  parfois  un  métier 
plus  difficile  que  de  les  commander.  Pour  at- 


"^12  ADMINISTRATION 

tirer  à  soi  les  ressources  d^uu  pays  ,  il  faut  les 
chercher,  les  deviner,  sympathiser  avec  ceux 
qui  les  possèdent,  parler  à  leurs  passions ,  les 
éclairer  sur  leurs  véritables  intérêts.  Les  An- 
glais marchaient  sans  traditions  et  sans  expé- 
rience. L''entregent  n'est  pas  leur  lot,  et  ils  ne 
connaissent  de  puissance  au  monde  que  la  force 
et  l'argent.  Des  inconvéniens  qui  avaient  leur 
principale  source  dans  la  roideur  du  caractère 
national  furent  mis  sur  le  compte  de  la  mau- 
vaise organisation  du  commissariat.  Pour  le 
régénérer,  on  nomma  commissaire  en  chef  le 
colonel  sir  Willougby  Gordon ,  qui  avait  rem- 
pli avec  distinction  Foffice  de  secrétaire  mili- 
taire du  duc  d'York.  Avant  lui,  on  entrait 
d'emblée  dans  les  premiers  emplois  du  com- 
missariat ;  il  réforma  cet  abus  ;  désormais , 
nul  ne  put  devenir  commissaire-général,  qu'a- 
près avoir  fait  preuve  de  capacité  dans  les  de- 
grés de  clerk,  depaty-assistant  ^  assistant  et 
depaty.  Il  établit  de  bons  réglemens  de  service, 
et  il  donna  au  corps  la  stabilité  et  une  partie 


DE  l'armée.  3i3 

du  relief  qui  lui  manquaient.  La  charge  de 
commissaire  en  chef,  toujours  exercée  par  une 
personne  étrangère  au  commissariat,  est  un 
de'partement  ministériel,  sous  l'autorité  des 
lords  de  la  trésorerie. 

Les  Anglais  ont  pour  système  de  préparer 
les  approvisionnemens  long-temps  à  Tavance , 
et  de  tout  payer.  Ils  ont  recours  aux  réquisi- 
tions seulement  dans  les  cas  extrêmes.  Un  em- 
ployé des  vivres  est  attaché  à  chaque  brigade 
d'infanterie  et  à  chaque  régiment  de  cavalerie. 
Il  n'existe  pas  de  troupes  affectées  spéciale- 
ment au  service  des  subsistances  militaires. 
On  tient  à  louage,  à  la  suite  de  Tarmée,  des 
parcs  de  voitures  ou  des  brigades  d'animaux 
de  bât,  suivant  la  nature  du  pays  où  l'on 
opère. 

• 

Le  service  de  santé  est  indépendant  du  com- 
missariat ;  il  forme  un  département  à  part 
{médical  department) ^  dirigé  par  trois  doc- 
teurs en  médecine,  dont  un  a  le  titre  de  direc- 


3l4  SERVICE 

teur  -  général ,  et  les  deux  autres  celui  (l''ins- 
pecteurs  principaux.  A  eux  appartiennent 
Texamen  et  le  choix  des  officiers  de  santé  mi- 
litaires ,  leur  avancement ,  leur  répartition  ,  la 
surveillance  de  Fadministration  des  hôpitaux  , 
la  comptabilité  des  dépenses.  Les  inspecteurs, 
médecins ,  chirurgiens  ,  apothicaires ,  écono- 
mes et  sous-économes,  sont  sous  leurs  ordres. 
Dans  les  hôpitaux,  c^est  le  médecin  ,  ou  ,  à  son 
défaut, le  premier  chirurgien,  qui  commande. 
Au  régiment,  le  chirurgien-major  reçoit  une 
rétribution  extraordinaire,  calculée  sur  le 
nombre  des  hommes  présens.  On  se  trouve 
bien  d'accorder  de  justes  égards  à  la  science , 
et  de  lui  donner  la  haute-main  sur  Tadminis- 
tration.  Des  hommes  voués  à  Fexercice  d'une 
profession  libérale  offrent  plus  de  garantie 
que  des  spéculateurs  avides. 

Les  ambulances  sont  Tobjet  d'une  attention 
toute  particulière  delà  part  des  chefs.  Chaque 
corps  d'infanterie  ou  de  cavalerie  a  son  hôpi- 
tal.  On  transporte  les  blessés  et  les  malades 


DE    SAiNTÉ.  3 11) 

sur  des  voitures  suspendues.  Autrefois  les  ar- 
mées britanniques  se  morfondaient  dans  Pinac- 
tion;  elles  se  sont  corrigées  de  ce  défaut.  Un 
régime  meilleur  et  Fassistance  des  peuples  leur 
ont  donné  les  moyens  de  pousser  la  guerre  , 
sans  rien  entreprendre  d^aventureux  et  en 
dépensant  beaucoup  de  guinées  et  peu  de  sol- 
dats. Une  armée ,  suivant  Testimation  du  vieux 
roi  de  Prusse,  a  besoin  d^un  remplacement 
annuel ,  égal  au  tiers  de  son  monde.  Les  six 
campagnes  de  la  Péninsule,  prises  Tune  dans 
Fautre  ,  n''ont  pas  coûté  par  an  à  FAngleterre 
le  sixième  du  nombre  d"'hommes  qu'elle  y  a 
employés. 

Nous  avons  présenté  Tarmée  anglaise  comme 
étant  sur  un  pied  respectable;  déjà  elle  sur- 
passe les  autres  armées  en  discipline  et  en  quel- 
ques détails  d** aménagement  intérieur.  Elle 
chemine  lentement  dans  la  voie  des  améliora- 
tions; mais  elle  ne  rétrograde  jamais.  On  ne 
saurait  assigner  de  limites  à  la  puissance  d'or- 


•>^6  CONSIDÉRATIONS 

ganisation  où  peut  atteindre  un  peupJelibre  et 
refléchi .  • 

Faut-il  poui-  cela  jeter  le  cri  d'alarme?  L'Eu- 
rope est-elle  condamnée  sans  appel,  comme  le 
continent  de  Flnde  et  toutes  les  îles  de  la  terre, 
à  essuyer  Toutrage  de  la  morale  et  des  armes 
britanniques? 

Rassurons-nous.  On  a  vu  les  Anglais  de  près , 
Napoléon  leur  avait  procuré  un  éclair  de  popu- 
larité européenne;  mais  Napoléon  aussi  a  porté 
Tarrêt  qui  détruira  tôt  ou  tard  leur  préémi- 
nence sur  les  autres  peuples  civilisés.  De  lon- 
gues guerres  ont  forcé  les  nations  à  se  suffire  à 
elles-mêmes;  elles  leur  ont  appris  à  employer 
leurs  capitaux  sur  leur  propre  sol  plutôt  que 
de  les  aventurer  dans  des  expéditions  loin- 
taines. Dans  Pun  et  l'autre  hémisphère,  l'in- 
dustrie marche  à  pas  de  géant,  ayant  pour 
guide  les  lumières  du  siècle,  et  pour  encoura- 
gement l'esprit  de  liberté;  une  production  plus 
active ,  umltipliant  les  jouissances  sous  les  pas 
des  consommateurs,  restreint  la  nécessité  des 


GÉNÉRALES.  3  i  y 

échanges  lointains.  Les  colonies  vont  se  dé- 
tachant des  métropoles.  On  se  tient  en  garde 
contre  la  politique  d'*un  cabinet  dont  les  inté- 
rêts permanens  sont  antipathiques  à  ceux  du 
reste  du  monde.  Chaque  jour  plus  impuissante 
à  nuire  par  ses  intrigues ,  TAngleterre  n^a  ja- 
mais été  et  ne  sera  jamais  en  état  de  rien  en- 
treprendre de  considérable  sur  le  continent 
par  la  seule  force  de  ses  armes. 

La  profession  de  soldat  est  repoussée  par  Fo- 
pinion  des  citoyens  anglais  ;  Farmée  coûte  énor- 
mément à  nourrir,  à  équiper,  à  mouvoir  ;  elle  est 
difficile  à  recruter.  Si  à  cause  de  Finsuffisance  dé 
Fenrôlement  volontaire  on  avait  recours  à  la 
conscription  pour  réparer  ses  pertes,  on  la  ver- 
rait bientôt  réclamer  une  discipline  libérale, 
des  droits  civiques ,  Favancement,  et  elle  ne  se- 
rait plus  Farmee  de  Faristocratie.  Ses  de'tache- 
mens  sont  éparpillés  dans  les  quatre  parties  du 
monde  ;  pas  un  rocher  ne  montre  sa  tête  au- 
dessus  de  la  Méditerranée  ou  de  Fimmense 
Océan  ,  qu'elle  nV  dépose  quelques  escouades 


"Îi8  considÉkations 

de  soldats.  Elle  se  dédouble  pour  Tinvasion 
progressive  de  Tlnde;  après  un  pareil  morcel- 
lement, que  reste-t-il  pour  les  grandes  expé- 
ditions de  terre  ferme?  Nous  avons  vu  le  gou- 
vernement britannique  ne  parvenir  à  mettre 
en  action  un  corps  de  cinquante  mille  natio- 
naux ,  dans  la  péninsule  espagnole ,  qu^en  en 
tenant  cinq  cent  mille  sur  pied,  au  logis  et  dans 
les  possessions  lointaines. 

Ainsi  la  plus  nombreuse  arme'e  active  des 
Anglais  sera  de  cinquante  mille  hommes.  Elle 
apparaît  à  Timproviste  à  la  portion  du  littoral 
où  son  ennemi  est  le  plus  vulnérable.  Les  sol- 
dats débarquent;  croyez-vous  que  le  gênerai 
brûlera  ses  vaisseaux?  Avant  d'avoir  touché  le 
rivage,  la  prudence  lui  a  prescrit  d** aviser  aux 
moyens  de  se  rembarquer;  on  est  déjà  vaincu 
alors  quVn  croit  pouvoir  Têtre. 

Les  premières  troupes  de  débarquement  se 
sont  emparées  d'une  place  d'armes  où  on  amasse 
vivres  et  munitions.  La  campagne  s'ouvre;  les 
regards  des  soldats  sont  restés  long-temps  at- 


GÉNÉRALES.  >^  S  () 

taches  sur  leur  patrie  flottante,  et  quand  ils 
ont  cessé  de  voir  la  mer,  la  tristesse  s^est  empa- 
rée de  leurs  âmes.  Dépourvue  de  troupes  lé- 
gères, l'armée  semeutàraveugle;pays,  mœurs, 
habitans ,  elle  ignore  tout  et  ne  sait  rien  ap- 
prendre; des  bataillons  débiles  de  femmes  et 
d'enfans  sont  entremêlés  avec  les  cohortes  com- 
battantes. Le  soldat  ne  porta  jamais  avec  lui  du 
pain  pour  plus  de  trois  jours  ;  il  ne  suspend 
pointa  son  dos  les  marmites  et  les  gamelles, 
ces  ustensiles  de  cuisine  sont  chargés  sur  des 
bêtes  de  somme;  d'autres  animaux  de  bât  por- 
tent les  e'quipages  des  corps,  les  tentes  et  le 
menu  bagage  des  officiers  particuliers ,  les  pro- 
visions de  table  et  la  vaisselle  plate  des  officiers- 
généraux  ;  le  dernier  sous-lieutenant  emploie 
à  son  service  personnel  plusieurs  chevaux  et 
plusieurs  soldats.  Derrière  les  colonnes  d'in- 
fanterie, de  cavalerie  et  d'artillerie,  s'allon- 
gent des  colonnes  de  charrettes  sur  lesquelles 
sont  entassés  le  gros  bagage ,  le  pain  ,  les  fa- 
rines, le  rhum  ,  l'orge  et  des  piles  de  foin. Une 


3'20  co.nsidÉkations 

armée  autant  embarrassée  dans  ses  attirails  se 
traîne  plutôt  qu^elle  ne  marche.  Au  jour  du 
combat,  on  trouvera  les  soldats  d^ Alexandre. 
Jusque-là  ,  le  luxe  dont  ils  sont  surchargés 
rappelle  Farmée  de  Darius. 

Rien  de  plus  facile  que  d''éviter,  de  ha- 
rasser, de  paralyser  des  troupes  qui  ont  cette 
organisation  paresseuse.  Les  privations  et  les 
fatigues  souvent  répétées  les  dépouilleront  de 
leur  moral.  Il  sera  loisible  au  général  qu'acnés 
auront  en  face  de  retarder  long-temps  le  mo- 
ment décisif,  et  d^ attendre ,  pour  recevoir  et 
livrer  la  bataille ,  que  toutes  les  probabilités 
de  succès  se  réunissent  en  sa  faveur.  Alors,  si 
la  fortune  trompait  la  valeur  et  le  talent,  rien 
ne  serait  encore  perdu.  Une  armée  anglaise 
abandonnée  à  ses  seuls  moyens  pourra  vaincre, 
jamais  elle  ne  saura  profiter  de  la  victoire; 
mais  sHl  arrivait  qu''elle  fût  vaincue  à  distance 
de  son  point  de  départ ,  ce  ne  serait  pas  seu- 
lement un  échec  qu'elle  essuierait ,  ce  serait 
la  plus  affreuse  des  calamités.  En  écrivant  l'His- 


GENERALES.  321 

toire  des  guerres  de  la  Péninsule,  de  ces 
guerres  où  les  Anglais  marchaient  armés  de  la 
haine  contre  Bonaparte,  nous  ferons  voir  à 
combien  peu  il  a  tenu  plus  d'une  fois  que 
l'armée  de  la  Grande-Bretagne  n'éprouvât 
une  catastrophe  telle  que  pas  un  homme  n'é- 
chappât pour  en  porter  la  nouvelle  à  Londres. 
Nous  l'avons  déjà  dit  :  un  tel  ordre  de  choses 
circonscrit  inévitablement  le  talent  du  gé- 
néral. Son  premier  devoir  est  de  ménager  la 
machine  confiée  toute  montée  à  ses  soins ,  et 
de  ne  pas  l'user  par  des  mouvemens  inutiles 
ou  excentriques.  Jamais,  à  ses  yeux,  les  pro- 
jets d'opération  n'auront  plusieurs  faces.  Un 
jugement  sain,  quoique  borné,  suffira  pour  le 
guider  dans  les  moyens  d'exécution;  il  pré- 
férera la  défense  qui  s'aide  de  tout  ce  qui  est 
prévu ,  à  l'attaque  qui ,  par  ses  chances  indé- 
terminées, appelle  plus  souvent  les  ressources 
du  génie.  La  guerre  sera  réduite  à  une  série 
d'actes  de  vigueur.  Amener  sur  le  terrain  des 
troupes  fraîches  et  bien  repues,  les  poster  avec 


322  CONSIDERATIONS 

avantage  ,  et  ensuite  attendre  son  ennemi  de 
sang-froid,  voilà  pour  un  général  anglais  la 
perfection  du  genre  '.  Nous  les  avons  vus ,  au 
jour  de  notre  désastre ,  ces  enfans  d'Albion , 
formés  en  bataillons  carrés  dans  la  plaine  en- 
tre le  bois  d'Hougoumont  et  le  village  de  Mont- 
Saint-Jean.  Ils  avaient,  pour  arriver  à  cette 
formation  compacte,  doublé  et  redoublé  leurs 
rangs  à  plusieurs  reprises.  La  cavalerie  qui  les 
appuyait  fut  taillée  en  pièces,  le  feu  de  leur 
artillerie  fut  éteint.  Les  oHiciers-oénéraux  et 


'  Lord  Wellington  a  suivi  à  la  lettre,  dans  ses  campa- 
gnes de  la  Péninsule,  les  conseils  satiriques  que  donnait 
aux  généraux  en  cliel  l'auteur  du  charmant  ouvrage, 
Adi'ice  tn  the  ojjicers  nj  thc  britisk  arniy.  «  Rien  n'est 
aussi  reeommandable  que  la  générosité  envers  l'en- 
nemi. Le  suivre  l'épée  dans  les  reins  après  la  victoire, 
ce  serait  tirer  avantage  de  sa  détresse.  Il  vous  suffit  d'a- 
voir prouvé  que  vous  pouvez  le  Lattre  quand  vous  le 
jugerez  convenable....  Vous  agirez  toujours  ouvertement 
et  de  bonne  foi  avec  amis  et  ennemis.  Ainsi,  vous  vous 
garderez  bien  de  dérober  une  marche  ou  de  tendre  une 
embuscade.  Vous  n'attaquerez  jamais  l'ennemi  pendant 
la   nuiv.   Vous   vous   souviendrez  d'Hector   allant  com- 


GENERALES.  3l3 

d^état-major  galopaient  d'un  carré  à  Tautre , 
incertains  où  ils  trouveraient  un  abri.  Cha- 
riots,  blessés,  parcs  de  réserve,  troupes  auxi- 
liaires fuyaient  à  la  débandade  vers  Bruxelles. 
La  mort  était  devanteux  et  dans  leurs  rangs  ;la 
honte  derrière.  En  cette  terrible  occurrence  , 
les  boulets  de  la  garde  impériale,  lancés  à 
brûle-pourpoint,  et  la  cavalerie  de  France 
victorieuse  ne  purent  pas  entamer  Timmo- 
bile  infanterie  britannique.  On  eût  été  tenté 
de   croire  qu'elle   avait  pris  racine  dans   la 


battre  Ajax  :  Ciel,  éclaire-nous,  et  combats  contre  nous! 
Si  l'ennemi  se  retire,  laissez-lui  gagner  quelques  jours 
d'avance ,  afin  de  lui  montrer  que  vous  ne  doutez  pas  de 
le  surprendre  quand  vous  l'entreprendrez.  Qui  sait  si  un 
procédé  si  généreux  ne  l'engagera  pas  à  s'arrêter?  Après 
qu'il  s'est  retiré  en  une  place  de  sûreté ,  vous  pouvez 
alors  vous  mettre  à  sa  poursuite  avec  toute  votre  armée... 
N'avancez  jamais  un  officier  intelligent  ;  un  bon  gros 
compagnon  est  tout  ce  qu'il  faut  pour  exécuter  vos  or- 
dres. Un  officier  qui  a  un  iota  de  connaissance  au-dessus 
de  la  routine  ,  vous  devez  le  considérer  comme  votre  en- 
nemi personnel ,  car  vous  pouvez  être  sûr  qu'il  rit  de 
vous  et  de  vos  manoeuvres.  • 


324  CONSIDKRATIOiNS 

terre ,  si  ses  bataillons  ne  se  fussent  ébranlés 
majestueusement  quelques  minutes  après  le 
coucher  du  soleil ,  alors  que  l'arrivée  de  Tar- 
mée  prussienne  apprit  îi  Wellington  que, 
grâces  au  nombre  ,  grâces  à  la  force  d'inertie, 
et  pour  prix  d'avoir  su  ranger  de  braves  gens 
en  bataille,  il  venait  de  remporter  la  victoire 
la  plus  décisive  de  notre  âge. 

Ah  !  sans  doute,  la  détermination  d'instinct, 
qui  même,  lorsqu'elle  se  méprend,  vaut  mieux 
qu'une    hésitation    savante,    la    force   d'ame 
qu'aucun  danger  ne  démonte,  la  ténacité  qui 
fait  qu'on  emporte  la  proie  pour  s'y  être  acharné 
le  dernier  ,  sont  des  qualités  rares  et  sublimes; 
là  où  elles  suffisent  pour  assurer  le  triomphe 
des  intérêts  nationaux,  il  y  aura  justice  à  acca- 
bler d'honneurs  le  mortel  privilégié  qui  les  pos- 
sède. Mais  les  penseurs  de  tous  les  pays  et  de 
tous  les  siècles  ne  souscriront  pas  sur  parole  à 
l'exagération  d'une  gloire  si  étroite;  ils  signa- 
leront l'intervalle  qui  sépare  l'homme  de  mé- 
tier de  l'homme  de  génie.  Quelle  similitude  en 


GENERALES.  325 

tîttel  peut  exister  entre  le  guerrier  vulgaire 
qui  ,  favorise'  par  la  trempe  des  armes,  s'es- 
crime sur  des  routes  battues,  et  les  demi-dieux 
de  riliade  qui  font  trois  pas  et  sont  au  bout  de 
la  carrière?  Les  grands  généraux  ont  été  grands 
sans  accessoires,  sans  entourage,  et  ils  reste- 
ront grands  en  dépit  de  Fadversité  ;  ils  nVm- 
pruntent  pas  leur  valeur  à  des  institutions  qui 
les  ont  précéde's  et  qui  leur  survivront;  tout  au 
contraire ,  ce  sont  eux  qui  infusent  de  hautes 
pensées  dans  les  esprits  de  la  multitude.  Egaux 
à  eux-mêmes  dans  le  déploiement  de  toutes  les 
puissances  de  Tesprit  humain,  aucun  genre 
d'élévation  n'échappe  à  leur  immensité;  tels 
parurent  avec  des  destinées  diftërentes,  parmi 
les  anciens  ,  Annibal  et  César  ,  parmi  les  mo- 
dernes ,  Frédéric  et  Napoléon. 


ACTE 


POUR  PUMR 

LA   MUTINERIE   ET  LA  DÉSERTION, 

POUR 

LA  MEILLEURE  SOLDE  ET  LE  LOGEMENT  DE  L'ARMÉE. 


Attendu  que  la  levée  ou  rentretieu  d^une 
armée  permanente  dans  les  royaumes  unis 
d'Angleterre  et  dlrlande  en  temps  de  paix ,  à 
moins  d'un  acte  du  Parlement,  est  contre  la  loi; 

Attendu  qu'il  est  jugé  nécessaire,  par  Sa  Ma- 
jesté et  le  présent  Parlement,  qu'un  corps  de 
forces  doit  être  continué  pour  la  sûreté'  des 
royaumes  unis,  la  défense  des  possessions  de 
la  couronne  de  Sa  Majesté  et  la  conservation 
de  la  balance  en  Europe,  et  que  la  totalité  de 
cette  force  doit  consister  en  i25,o35  effectifs 
officiers  et  soldats,  y  compris  les  forces  sta- 
tionnées en  France,  et  aussi  1 5,585  officiers  et 
soldats  proposés  pour  être  licenciés,  et  i863 
officiers  et  soldats  qui  doivent  être  transférés 


328  ACTE    POLIR    PUMR    LA    MUTINERIE 

dans  rétablissement  des  Indes,  mais  non  com- 
pris les  officiers  et  soldats  appartenant  aux  ré- 
gimens  maintenant  employe's  sur  le  territoire 
de  la  Compagnie  des  Indes  ,  ou  ayant  Tordre 
de  revenir  de-là  en  Angleterre; 

Attenduque  pasun  hommene  peut  être  jugé 
dans  sa  vie  et  ses  membres,  ou  soumis  en  temps 
de  paix  à  aucune  espèce  de  punition  dans  le 
royaume,  par  la  loi  martiale,  ou  d'une  autre 
manière,  que  par  le  jugement  de  ses  pairs,  et 
suivant  les  lois  connues  et  établies  de  ce 
royaume; 

Cependant,  étant  nécessaire,  pour  retenir 
les  forces  sus-mentionnées  dans  le  devoir  , 
qu''une  exacte  discipline  y  soit  observée  ,  et 
que  les  soldats  qui  se  mutineraient,  ou  stir  up 
sédition^  ou  bien  déserteraient  le  service  de  Sa 
Majesté ,  soient  soumis  à  une  punition  plus 
exemplaire  et  plus  prompte  que  celle  portée 
par  les  formes  ordinaires  des  lois: 

11  est  décidé  en  conséquence,  par  l'excel- 
lente majesté  du  Roi,  par  et  avec  Favis  et  le 


ET    LA    DÉSERTION.  -^29 

consentement  des  lords  spirituels  et  temporels, 
des  communes  assemblées  en  ce  présent  Parle- 
ment ,  et  par  Tautorité  des  mêmes ,  que  : 

1 .  Tout  officier,  sous-officier  ou  soldat  qui  ex- 
citera une  mutinerie  dans  les  armées  de  terre 
ou  de  mer;  qui,  en  ayant  connaissance,  ne  la 
dénoncera  pas  ;  qui  abandonnera  honteuse- 
ment une  garnison,  forteresse,  poste,  garde 
confiés  à  sa  charge;  qui  contraindra  le  gouver- 
nement à  Tabandonner;  qui  engagera  par  pa- 
roles le  gouverneur  ou  autre  à  se  mal  conduire 
devant  l'ennemi;  qui  quittera  son  poste  avant 
dV  être  relevé;  qui  s'y  endormira;  qui  aura 
correspondance,  ou  qui  traitera  sans  permis- 
sion avec  les  rebelles  et  autres  ennemis  de  Sa 
Majesté;  qui  usera  de  violence  contre  son  supé- 
rieur en  fonctions;  qui  désobéiraà  un  comman- 
dement légal ,  ajîf  lawfid  commande  de  son 
chef;  qui  désertera  :  soutirira  la  mort  ou  telle 
autre  punition  infligée  par  une  Cour  martiale. 

2.  Les  sous-officiers  et  soldats  déserteurs,  en 


33o  ACTE    POUR    PLiMR    LA    MUTINERIE 

s'enrôlant  dans  un  autre  régiment ,  ne  seront 
pas  exempts  de  la  peine. 

3.  Les  déserteurs  enrôles  dans  un  autre  régi- 
ment, et  désertant  une  seconde  fois,  seront 
punis  pour  le  premier  délit,  sauf  à  admettre 
en  témoignage  la  seconde  désertion  comme 
aggravant  la  première. 

4.  Quand  la  Cour  martiale  juge  qu^iln''y  a  pas 
lieu  à  mort,  les  déserteurs,  au  lieu  d'être  punis 
corporellement,  peuvent  être  condamnés  à  la 
déportation  pour  la  vie  ou  pour  un  certain 
nombre  d'années. 

5.  Dans  tous  les  cas  de  condamnation  à  mort 
par  une  Cour  martiale,  pourra  Sa  Majesté' 
commuer  la  peine  capitale  en  une  déportation 
à  vie  ou  limitée. 

6.  LesCours  martiales  générales  ou  régimen- 
taires  pourront  condamner  les  déserteurs  au 
service  général  comme  soldats ,  et  Sa  Majesté 
pourra  désigner  le  régiment,  le  corps,  le  pays, 
la  place,  au-dehors  el  partout  où  il  plaira 
au  Roi. 


ET    LA    dÉsERTIOîS.  33 1 

7 .  Les  déserteurs  qui  étaient  enrôles  pour  ser- 
vice limité,  pourront  être  condamne's  à  servir 
un  temps  plus  considérable,  ou  même  toute  la 
vie,  et  à  perdre  les  supplémens  de  paie,  droits 
à  un  congé  ou  tout  autre  avantage  résultant  de 
la  nature  ou  de  la  longueur  de  leurs  services. 

8.  Les  déserteurs  pourront ,  outre  les  autres 
peines  de  droit,  être  condamnés  à  être  mar- 
qués au  côté  gauche,  deux  pouces  helow  the 
armpit,  de  la  lettre  D ,  incrustée  avec  encre  ou 
poudre,  ou  autre  préparation ,  de  manière  que 
la  marque  ne  puisse  être  eftacée. 

9.  Les  sentences  de  déportation  ou  les  com- 
mutations en  déportation  seront  notifiées ,  par 
le  commandant  en  chef  ou  Padjudant-général , 
à  la  justice  civile  qui  pourvoira  à  Pexécution. 

10.  Le  clerc  de  la  couronne  du  banc  du  Roi 
recevra  2  schellings  et  6  pences  pour  notifica- 
tion die  chaque  acte  semblable. 

1 1 .  Le  clerc  sera  tenu,  à  la  première  somma- 
tion, de  délivrer  copie  du  certificat  delà  con- 
viction, et  de  Tordre  du  transport. 


332  ACTE    POUR     PUiMH     LA    MUTINERIK 

12.  Les  sentences  de  déportation  prononcées 
dans  rinde  seront  notifiées  par  le  commandant 
en  clief,  à  quelque  juge  d'une  des  Cours  suprê- 
mes, qui  donnera  des  ordres  pour  la  déporta- 
tion. 

1 3.  Les délinquans soumis  àla déportation  par 
le  pardon  conditionnel  du  Roi,  seront  sujets 
aux  lois  qui  concernent  les  félons  qui  s'échap- 
peront ou  tenteront  de  s'échapper. 

14.  LeRoi  peut  délivrer  une  commissionpour 
tenir  une  Cour  martiale;  il  peut  aussi  donner 
pouvoir  d'en  assembler  au  gouvernement  d'Ir- 
lande, de  Gibraltar,  et  aux  gouverneurs  en  chef. 
Ces  derniers  peuvent  autoriser  tout  officier 
sous  leurs  ordres,  pas  au-dessous  du  grade 
d'officier  supérieur  ,  à  assembler  une  Cour 
martiale,  pourvu  que  le  délit  ait  été  commis 
depuis  que  chacun  a  pris  son  commande- 
ment. 

i5.  Nul  ne  peut  être  jugé  deux  fois  pour  le 
même  délit,  par  Cour  martiale,  à  moins  d'ap- 
pel d'une  Cour  de  régiment  à  une  Cour  pé- 


ET    LA    DÉSERTION.  333 

nale,  et  la  sentence  ne  peut  être  révisée  qu'une 
seule  fois. 

i6.  Le  présent  acte  n'exempte  pas  les  offi- 
ciers et  soldats  des  procédures  conformes  au 
cours  ordinaire  de  la  loi. 

17.  Les  officiers,  sous-officiers  et  soldats,  ac- 
cusés de  crimes  capitaux  ou  de  violence  contre 
la  personne,  ou  la  propriété,  ^j/<2/e,  de  quelques 
sujets  de  Sa  Majesté,  seront  remis  à  la  justice 
civile.  Tout  officier-commandant  qui  se  refu- 
serait à  arrêter  ou  négligerait  d'arrêter  le  dé- 
linquant, sera  poursuivable  devant  les  tribu- 
naux de  Westminster,  d'Ecosse  ou  de  Dublin, 
et  sera ,  après  conviction ,  cassé  et  déclaré  inca- 
pable de  servir  dans  les  armées  de  Sa  Majesté. 

18.  Les  délinquans  acquittés  ou  convaincus 
pour  crimes  capitaux,  etc.,  par  le  magistrat 
civil,  ne  peuvent  ensuite  être  condamnés  par 
une  Cour  martiale ,  pour  le  même  délit,  qu'à 
être  cassés. 

19.  Les  officiers,  sous-officiers  et  soldats,  en 
jugement  devant  une  Cour  tnartiale,  ne  reçoi- 


334  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

vent  pas  de  paie.  S''ils  sont  acquittés,  on  les 
rembourse;  sMls  sont  condamnés,  ils  perdent 
tout. 

20. Une  Cour  martiale  générale  doit  être  com- 
posée de  treize  ou  neuf  officiers.  Si  c^est  dans 
une  place  au-delà  des  mers  ou  dans  l'Inde, 
elle  ne  peut  pas  être  moindre  de  sept.  En  Afri- 
que et  dans  la  Nouvelle-Galles ,  pas  moins  de 
cinq.  Le  président  doit  être  officier  supérieur, 
ou,  au  défaut,  pas  au-dessous  de  capitaine;  le 
commandant  ou  gouverneur  ne  peut  pas  pré- 
sider. 

21.  Les  généraux  ou  autres  officiers  comman- 
dant des  détachemens  au-dehors ,  peuvent , 
dans  des  cas  extraordinaires,  et  sans  en  avoir 
régulièrement  le  droit ,  assembler  des  Cours 
martiales  composées  de  trois  officiers  au  moins, 
sauf  que  la  sentence  ne  pourra  être  mise  à  exé- 
cution dans  rattache  du  général  du  corps  dont 
dépend  le  détachement. 

11.  Jamais  Cour  martiale  générale, pour  juger 
un  officier,   ne  peut  être  composée  de  moins 


ET  LA  dÉsertioîs.  335 

de    treize    membres ,  sauf  les  exceptions   de 
l'article  20. 

28.  Jamais  Cour  martiale  générale  pour  con- 
damner un  sous-officier  ou  un  soldat  dans  sa 
vie  et  dans  ses  membres ,  ou  à  la  déportation  , 
ne  peut  être  moindre  de  treize ,  sauf  les  excep- 
tions de  Farticle  20. 

24.  Une  Cour  martiale  générale  peut  punir 
de  la  prison  solitaire  ou  d'une  punition  corpo- 
relle, neTétendant  pasà  la  vie  et  aux  membres, 
les  sous-officiers  et  soldats  pour  immoralité, 
mauvaise  conduite  ou  négligence  du  devoir. 

25.  Les  Cours  martiales  peuvent  condamner 
les  sous-officiers  et  soldats  à  Temprisonne- 
ment  dans  une  maison  de  correction  ou  pri- 
son publique.  Le  geôlier  est  obligé  de  les 
recevoir  sur  Tordre  du  général  comman- 
dant le  district,  pour  une  Cour  martiale  gé- 
nérale ,  du  commandant  du  corps  ,  pour  une 
Cour  martiale  de  régiment;  le  geôlier  refu- 
sant sera  à  Famende  de  100  livres. 

26.  Les  officiers  et  soldats  condamnés  à  Tem- 


336  ACTE    POUR    PUMIl    LA    MUTINERIE 

prisonnement  par  une  Cour  martiale  géné- 
rale ou  autre,  perdent  par  confiscation  leur 
paie;  le  geôlier  reçoit  pour  Pentretien  9  pen- 
ces par  jour,  en  fuitre  de  la  subsistance  du 
prisonnier. 

27.  Les  Cours  martiales  peuvent  et  doivent 
exiger  le  serment  des  témoins. 

28.  En  tout  jugement  de  Cour  martiale  géné- 
rale, les  juges,  avant  de  commencer,  prêtent^ 
devant  le  juge-avocat  ou  son  député,  un  ser- 
ment de  la  teneur  suivante  : 

((  Je  jure  que  j^administrerai  duement  la 
justice ,  suivant  les  règles  et  les  articles  pour 
le  meilleur  gouvernement  des  forces  de  Sa  Ma- 
jesté, et  suivant  un  acte  du  Parlement  main- 
tenant en  vigueur  pour  la  punition  de  la 
mutinerie  et  de  la  désertion  ,  et  d'autres  cri- 
mes qui  y  sont  mentionnés,  sans  partialité, 
faveur  ou  aftéction  ;  et  si  quelque  doute  s'é- 
lève qui  ne  s'explique  pas  par  lesdits  articles 
ou  par  ledit  acte  du  Parlement ,  suivant  ma 
conscience,  le  meilleur  de  mon  entendement 


ET    LA    DÉSERTION.  3'^r. 

'  / 

et  la  coutume  de  la  guerre  en  pareil  cas.  Je 
jure  que  je  ne  divulguerai  pas  la  sentence  de 
la  Cour ,  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  reçu  l'appro- 
bation de  Sa  Majesté,  ou  de  toute  autre 
personne  dûment  autorisée  par  elle;  que 
jamais,  sous  aucun  prétexte  et  dans  quelque 
temps  que  ce  soit ,  je  ne  découvrirai  ou  le 
vote  ou  l'opinion  d'un  membre  de  la  Cour 
martiale,  à  moins  que  je  ne  sois  requis 
de  le  faire  en  justice  comme  témoin ,  par  un 
tribunal  ou  une  autre  Cour  martiale,  dans 
la  due  forme  de  la  loi.  Que  Dieu  m'ait  en 
garde.  » 

Le  juge-avocat,  ou  la  personne  qui  en  fait 
l'office  ,  jurera  ensuite  ,  dans  les  mains  du  pré- 
sident de  laCour martiale ,  de  ne  pas  divulguer 
les  votes ,  sauf  devant  une  autre  Cour  mar- 
tiale ou  de  justice. 

Une  sentence  de  mort  ne  peut  être  portée 
par  une  Cour  martiale  générale  de  treize  mem- 
bres, à  moins  de  neuf  voix. 

Dans  les  Cours  martiales  plus  nombreuses 

TOMF.  I, 

2  2 


338  ACTE    PODK     ['LMK     lA    MUTINERIE 

que  treize,  ou  moindres  que  neuf,  il  faudra 
au  moins  les  deux  tiers  des  Aoix. 

Excepté  dans  les  cas  qui  exigent  le  châti- 
ment sur-le-champ  ,  aucune  sentence  ne  peut 
être  portée  qu'entre  huit  heures  du  matin 
et  trois  heures  après-midi. 

Les  témoins  appelés  aux  Cours  martiales 
par  Tavocat  ou  son  député ,  jouissent  des 
mêmes  privilèges  que  les  témoins  appelés  aux 
autres  Cours  de  justice. 

Les  témoins  qui  ne  se  rendent  pas  à  Tappel, 
peuvent  être  poursuivis  en  justice  du  banc 
du  Roi,  assises,  etc.,  comme  par  la  justice 
civile. 

29.  Dans  les  Cours  martiales,  autres  que  les 
Cours  générales ,  les  membres  prêteront  le 
serment  suivant  sur  les  saints  Evangiles  : 

.<  Je jure la    coutume  de   la  guerre 

en  pareil  cas.  » 

Le  président  de  telle  Cour  martiale ,  non 
au-dessous  du  rang  de  capitaine,  sera  nommé 
par   Tofficier    commandant    le   régiment  ,   le 


ET    LA    DÉSERTION.  SSg 

détachement  ou  la  brigade ,  ou  par  le  gou- 
verneur ou  commandant  de  la  garnison ,  fort , 
château  ou  caserne,  qui  aura  ordonné  la  con- 
vocation. 

3o.  En  cas  de  nécessité,  les  officiers  de  terre 
et  de  mer  pourront  être  réunis  pour  composer 
une  Cour  martiale. 

3i .  Les  officiers  du  service  de  Sa  Majesté ,  et 
ceux   de  la  Compagnie  des  Indes,    peuvent 
être  réunis  pour  composer  une  Cour  martiale. 
Si  c'est  pour  juger  un  officier  ou  un  soldat  des 
troupes  de  terre  de  Sa  Majesté,  on  sui vraies  rè- 
gles indiquées  dans  le  présent  acte  ;  si  c'est 
pour  juger  un  officier  ou  un  soldat  des  troupes 
de  la  Compagnie  des  Indes,  on  se  confor- 
mera aux  dispositions  de  Pacte  fait   dans  la 
vingt-septième  année  du  règne  de  Sa  Majesté 
défunte,  le  roi  George  II,  intitulé  :  An  act 
for punishing  mutinf  and  désertion  of  officers 
and  soldiers  ïn  the  service  ofthe  United  Com- 
pany ofmerchants  of  England  trading  to  the 
East-lndies  ^  and  for  the  punishnient  qfoffen- 


340  ACTE    POUK    PIJIMH     LA    MUTINERIE. 

ces  committed  in  the  East-Indies ,  or  nt  the 
island  of  Saint-Helena. 

32.  Les  personnes  jugées  par  une  Cour  mar- 
tiale générale  auront  le  droit  d'exiger  copie 
de  la  procédure  et  du  jugement,  pas  plus  tôt 
que  trois  mois  après  la  sentence  ,  qu'elle  ait 
été  approuvée  ou  non.  Le  délai  est  plus  long 
à  Gibraltar  et  au-delà  des  mers. 

33.  Le  juge-avocat  général,  ou  son  dé- 
puté ,  transmettront  avec  soin  et  exacti- 
tude les  sentences  et  procédures  au  juge-avo- 
cat général,  résidant  à  Londres,  ou,  si  c'est 
pour  l'Irlande  ,  à  Dublin,  afin  que  les  pièces 
puissent  toujours  être  produites  à  ces  offices, 
pour  en  fournir  des  copies  ,  suivant  les  dispo- 
sitions du  présent  acte. 

34-  L'enregistrement  et  la  copie  des  juge- 
mens  et  procédures  ne  sont  pas  sujets  au 
timbre. 

35.  Sa  Majesté  est  autorisée  à  former,  faire  et 
établir  des  articles  de  guerre  ,  pour  le  meil- 
leur gouvernement  des  forces  de  Sa  Majesté, 


ET    LA    DÉSERTION.  34  i 

lesquels  seront  judiciairement  consultés  par 
les  juges  ,  et  dans  toutes  les  Cours  de  justice. 

36.  Pour  la  meilleure  notification  des  articles 
de  guerre,  le  secrétaire  de  la  guerre  devra 
les  envoyer,  signés  de  sa  main  et  de  son  nom  , 
aux  Cours  suprêmes  de  Westminster  ,  Dublin 
et  Edimbourg,  et  aux  gouverneurs  des  colo- 
nies, plantations  et  territoires  de  Sa  Majesté, 
au  dehors. 

3j.  Sa  Majesté  peut  assembler  et  autoriser 
d'autres  assemblées  des  Cours  martiales 
pour  juger  les  délinquans  contre  lesdits  ar- 
ticles de  guerre  dans  tous  les  pays  de  sa  do- 
mination. 

38.  Nul  ne  peut  être,  en  vertu  des  articles  de 
guerre,  condamné  à  mort  ou  au  fouet,  dans 
le  royaume  uni  ou  les  îles  qui  en  dépen- 
dent ,  que  dans  les  cas  où  cette  peine  est  in- 
fligeable ,  d'après  les  dispositions  du  présent 
acte. 

39.  Un  délinquant  au-delà  des  mers,  ren- 
voyé dans  le  royaume  uni  ou  dans  les  îles  dé- 


342  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

pendantes,  avant  d^ivoir  été  jugé  par  une 
Cour  martiale  pour  son  délit,  ne  peut  plus 
Pêtre  que  comme  si  le  délit  avait  été  commis 
sur  les  lieux  où  le  jugement  doit  avoir  lieu. 

4o .  Pourla  discipline  et  Téconomiepublique, 
il  doit  y  avoir  des  revues  au  moins  deux  fois 
par  an  ,  et  toutes  les  fois  qu^il  le  sera  ordonné. 

4i-  Aucune  revue  ne  peut  être  passée  par  un 
commissaire,  dans  la  cité  de  Westminster,  dans 
le  bourg  de  Southwark  et  les  franchises  qui 
en  dépendent ,  qu'en  présence  de  deux  juges 
de  paix  ou  plus,  qui  ne  soient  pas  officiers  de 
Tarmée ,  sous  peine  de  5o  livres  d'amende , 
sauf  le  cas  où  six  juges  de  paix  ,  prévenus 
quarante-huit  heures  d'avance ,  auraient  né- 
gligé de  s'y  rendre  ;  et  alors  le  commissaire 
pourra  procéder  à  la  revue,  pourvu  que,  dans 
les  quarante-huit  heures  après ,  il  prête  ser- 
ment, devant  un  juge  de  paix,  que  la  notifi- 
cation^ a  été  faite  aux  six  juges  de  paix;  et 
le  dernier  juge  de  paix,  après  avoir  reçu  le 
serment,  pourra  signer  la  revue,  après  avoir, 


ET    LA    DÉSERTION.  3/j^ 

au  préalable,  fait   la  reconnaissance  el  exa- 
miné la  vérité. 

42.  Les  feuilles  de  revues  et  listes  de  paie- 
mens  seront  déclarées  par  serment ,  et  le  juge 
de  paix  ou  autre  magistrat  recevra  le  serment, 
et  certifiera  sans  frais. 

43.  Les  personnes  qui  donneraient  ou  procu- 
reraient de  faux  certificats  pour  dispenser  les 
soldats  de  paraître  à  la  revue ,  sous  prétexte 
quMls  sont  employés  à  d*'autres  services  du  ré- 
giment,  malades  ou  en  congé,  seront,  poui 
chaque  délit,  condamnés  à  l'amende  de  5o  li- 
vres, et,  en  outre,  cassés,  renvoyés,  et  décla- 
rés incapables  de  servir  dans  les  armées  de  Sa 
Majesté. 

44-  Les  officiers  qui  feront  de  fausses  revues 
d^hommes  ou  de  chevaux  ,  les  commissaires, 
maîtres  des  revues  ou  autres  officiers  qui  , 
sciemment  ou  volontairement ,  signeront  le 
rôle  où  pareil  acte  sera  contenu ,  ou  bien  le 
duplicata;  tous  ceux  qui,  directement  ou  in- 
directement ,   recevront   de   l'argent .  ou   des 


.^44  ACTE    POLR    PLMR    LA    MUTINERIE 

présens  pour  faire  ou  signer  une  fausse  revue  , 
seront  cassés,  renvoyés,  et  déclarés  incapables 
de  servir  dans  les  armées  de  Sa  Majesté. 

45.  Tout  officier  ou  commissaire  qui  portera 
quelqu'un  dans  la  revue  sous  un  faux  nom , 
sera  passible  des  mêmes  peines  que  ceux  qui 
font  de  fausses  revues. 

46.  Toute  personne  qui  passe  une  revue  sous 
un  faux  nom  est  passible  de  dix  jours  de 
prison. 

Le  cheval  que  toute  personne  présente  en 
faux  à  la  revue  lui  sera  confisqué ,  si  le  che- 
val lui  appartient ,  et ,  dans  le  cas  contraire  , 
elle  sera  condamnée  à  une  amende  de  20  li- 
vres ,  payable  sur  la  vente  de  ses  effets  ,  et ,  en 
cas  d'insuffisance,  retenue  en  prison  pendant 
trois  mois. 

Les  peines  sus-mentionnées  seront  infligées 
par  le  juge  de  paix;  famende  donnée  au  dé- 
nonciateur. Le  dénonciateur,  s'il  appartient  à 
Tarmée,  aura  droit  à  avoir  son  congé. 

47.  Les  revues  passées  à  dix  milles  de  Londres 


ET    LA    DÉSERTION.  34^ 

doivent,  dans  le  délai  de  vingt-quatre  heures, 
être  closes  par  le  député-commissaire ,  et  en- 
voyées ,  par  le  même,  dans  le  délai  de  sept 
jours ,  à  Poffice  du  commissaire-général  des 
revues ,  qui  doit  en  envoyer  une  expédition 
au  secrétaire  de  la  guerre ,  une  au  payeur- 
général  des  forces  de  terre  de  Sa  Majesté  ,  une 
aux  contrôleurs  des  comptes  de  Parmée,  et 
cela  avant  le  i^""  mai  ou  le  29  septembre  qui 
suivront  chaque  revue  bisannuelle  :  ces 
feuilles  de  revue  ne  pourront  être  altérées 
dans  leur  teneur  ,  sauf  en  cas  d'ordres  de 
congé ,  ou  dates  de  commission ,  ou  d'erreurs 
involontaires  en  transcrivant ,  sous  peine  de 
perdre  leurs  emplois  et  d'être  mis  à  l'amende 
de  9.0  livres. 

48.  Attendu  que,  par  la  pétition  des  droits 
[pétition  ofright)^  dans  la  troisième  année  du 
roi  Charles  P%  il  a  été  déclaré  que  le  peuple 
du  pays  ne  peut  pas  être  légalement  chargé 
de  loger  les  soldats  contre  sa  volonté  ;  attendu 
que ,  par  une  clause  d'un  acte  du  Parlement 


346  ACTE    POUR    PU  NUI    LA    MUTINERIE 

l)rilaniiique,  fait  dans  la  trente  -  uiiième  an- 
née du  règne  du  roi  Charles  II  ,  pour  accorder 
à  Sa  Majesté  une  provision  de  266,462  livres 
17  schellings  et  3  pences,  pour  payer  et  dé- 
bander les  forces ,  il  a  été  déclaré  qu^aucun 
olKcier  civil  ou  militaire,  ou  quelque  personne 
que  ce  soit,  ne  pourrait,  à  Tavenir,  placer, 
mettre  en  quartier,  ou  donner  des  billets,  à  un 
ou  plusieurs  soldats,  sur  un  sujet  ou  habitant 
de  ce  royaume,  quels  que  soient  son  rang ,  sa 
qualité  et  sa  profession ,  sans  son  consente- 
ment ,  et  quMl  sera  légal  pour  le  sujet,  logeur 
ou  habitant,  de  refuser  de  recevoir  un  ou  plu- 
sieurs soldats  ,  nonobstant  toute  demande  , 
warrant  ou  billet:  mais  comme  dans  ce  temps, 
et  pendant  la  durée  du  présent  acte  ,  il  y  a  et 
aura  occasion  de  faire  marcher  et  loger  des  re- 
gimens  et  compagnies  à  pied  et  à  cheval  dans 
les  différentes  parties  du  royaume  uni  de  la 
Grande-Bretagne  et  dMrlande,  il  est  déclare 
(|ue  1  pour  et  durant  la  durée  du  présent  acte  , 
et  pas  plus  long-temps,  les  constables,  dizo- 


ET    LA    DESERTION.  347 

niers,  chefs  de  bourgs,  et  autres  magistrats, 
ou  chefs ,  officiers  des  cités ,  villes  et  villages 
d^ Angleterre ,  Galles  et  ville  de  Berwick  sur  la 
Tweed,  et,  à  leur  défaut ,  les  juges  de  paix,  et 
non  pas  d'autres,  logeront  les  olhciers,  soldats 
et  autres  recevant  la  paie  dans  Farmée,  dans 
les  auberges,  maisons  où  Ton  vend  à  boire  et  à 
manger.  Les  billets  seront  faits,  par  le  magis- 
trat civil,  pour  le  nombre  d'hommes  présens. 
Si  un  magistrat  logeait  dans  une  maison  parti- 
culière ,  contre  le  gré  du  propriétaire ,  celui-ci 
aurait  recours  contre  le  magistrat ,  pour  le 
dommage  qui  en  serait  résulté.  Si  un  officier 
militaire  se  permet  de  loger  autrement  que  de 
cette  manière ,  ou  s'il  menace  ou  effraie  le  ma- 
gistrat ,  il  sera ,  sur  la  déclaration  sur  serment 
de  deux  témoins  croyables,  devant  deux  ou 
plusieurs  juges  de  paix  ,  cassé  et  déclaré  inca- 
pable de  servir  dans  les  armées  de  Sa  Majesté  . 
pourvu  que  ladite  conviction  soit  alfirmée  aux 
prochaines  assises  de  paix  du  comté,  et  le  cer- 
tificat transmis  au  juge-avocat  à  Londres,  qui 


348  ACTE    POUR    PUNIR    LA    3IUT1NER1E 

est  obligé  de  le  certifier  au  commandant  en 
chef.  En  cas  de  réclamation  des  logeurs ,  le 
juge  de  paix,  si  la  réclamation  est  contre  le 
constable  ou  magistrat ,  ou  deux  ou  plusieurs 
autres  juges  de  paix  si  c"'est  contre  un  juge 
de  paix ,  pourront  faire  droit. 

49.  Attendu  que ,  par  un  acte  passé  dans  la 
sixième  année  de  la  reine  Anne ,  les  militaires 
ne  doivent  être  logés  ,  en  Irlande  ,  qu^en  mar- 
che dans  le  cas  de  troubles,  ou  en  attendant  le 
départ  dans  un  port  de  mer;  attendu  qu'il  n^y 
a  pas ,  en  Irlande ,  assez  de  casernes  ni  en  assez 
d'endroits ,  il  existera  les  mêmes  répétitions 
que  pour  la  Grande-Bretagne  ,  sauf  qu'on  ne 
mettra  jamais  moins  de  deux  soldats  ensemble 
dans  la  même  maison,  et  que  le  constable, 
chef,  officier  ou  magistrat  qui  logerait  chez  un 
particulier,  contre  son  gré,  des  soldats,  sera 
emprisonné  pendant  un  mois. 

50.  Les  troupes  en  marche  ne  peuvent  pas 
(Hre  envoyées  par  billet  à  plus  d'un  mille  de 
l'endroit  indiqué  par  la  feuille  de  route. 


ET    LA    DÉSERTION.  349 

5i.  La  dislance  d'un  mille  doit  être  comptée, 
quoique  ce  soit  sur  une  autre  paroisse  ou 
comté  ,  et  les  magistrats  des  paroisses  adja- 
centes prennent  part. 

52.  Deux  juges  de  paix  ou  deux  magistrats 
peuvent  donner  licence  pour  tenir  cantine. 

53.  Le  lord-lieutenant  ou  tout  autre  gou- 
verneur d'Irlande  peut  autoriser  à  signer  les 
feuilles  de  route. 

h-  54.  Aucun  juge  exécutant  un  office  ne  peut 
se  mêler  de  loger  les  soldats. 

55.  Les  ordres  pour  loger  les  gardes  à  pied 
dans  Westminster  et  Southwarck  et  les  parties 
adjacentes  des  comtés  de  Middlesex  et  Surrey, 
sauf  la  cité  de  Londres ,  doivent  émaner  du 
hi^h-constable  qui  donne  ses  ordres  aux  petits 
constables  ,  dizeniers  ,  etc. 

56.  Les  constables,  dizeniers,  tithing-men^ 
head-horoughs  et  autres  magistrats  de  West- 
minster ,  etc.  ,  doivent  produire  à  chaque 
session  de  paix ,  sous  serment ,  la  liste  des 
maisons   sujettes   à  logement  dans   leur  pa- 


35o  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

roisse  ou  hameau  ,  avec  la  capacité, le  nombre 
tl^hommes  qui  peuvent  y  être  logés.  Ces  listes, 
déposées  dans  les  mains  du  clerc  de  la  jus- 
tice de  paix,  peuvent  être  consultées  sans  frais. 
Des  expéditions  en  seront  délivrées  moyennant 
2  pences  par  feuille  contenant  cent  cinquante 
mots.  A  défaut  de  fournir  cette  liste,  le  ma- 
gistrat sera  mis  à  Tamende  de  5  livres  pour 
les  pauvres. 

57.  Les  hommes  et  les  chevaux  au  service 
et  de  bagage  seront  logés,  les  hommes  nourris 
et  fournis  de  petite  bière,  les  chevaux  nourris 
en  foin  et  paille ,  aux  taux  fixés  par  les  actes 
du  Parlement  en  vigueur. 

58.  Les  personnes  qui  n'ayant  pas  d'écuries 
reçoivent  des  cavaliers  à  loger ,  pourront  in- 
diquer à  l'autorité  les  écuries  d'autres  per- 
sonnes chargées  de  loger,  et  obtenir  d'y  trans- 
férer les  hommes  et  leurs  chevaux  ou  leurs 
chevaux  seulement,  à  la  charge,  de  la  part  du 
réclamant,  de  transporter  au  logeur  effectif 
l'allouance  de  paiement. 


ET    LA    DÉSERTION.  35 1 

59.  Les  cavaliers  doiventêtre  logés  avec  leurs 
chevaux.  En  cas  d'impossibilité,  il  y  aura  tou- 
jours au  moins  un  homme  logé  avec  deux  che- 
vaux ,  ou  deux  hommes  avec  quatre  chevaux. 

60.  Les  chefs  militaires  peuvent  changer  de 
place  les  hommes  et  les  chevaux  logés ,  pourvu 
que  le  même  nombre  reste  dans  chaque  loge- 
ment. 

61.  Tout  officier  qui  recevra  ou  permettra 
qu'on  reçoive  de  l'argent  pour  dispenser  de 
loger,  sera  cassé  et  déclaré  incapable  de  ser- 
vir dans  les  armées  de  Sa  Majesté. 

62.  Tout  constable  ou  magistrat  qui  négligera 
ou  refusera  de  loger ,  étant  prévenu  à  temps 
de  l'arrivée  des  troupes;  tout  constable  ou 
magistrat  qui  dispensera  un  logeur  pour  de 
l'argent;  tout  cabaretier  qui  refusera  déloger 
et  de  fournir  ce  qu'il  doit  par  acte  du  Parle- 
ment pour  les  hommes  et  pour  les  chevaux, 
seront,  parleur  propre  confession  ou  surle ser- 
ment d'un  ou  de  plusieurs  témoins  croyables 
devant  un  ou  plusieurs  juges  de  paix ,  con- 


352     ACTE  POUR  PUNIR  LA  MUTINERIE 

damnés  pour  chaque  offense  à  une  amende  de 
5  livres  au  plus  et  de  4o  schellings  au  moins, 
applicables  d^abord  à  dédommager  le  soldat 
qui  a  souffert  de  Foffense  ,  et  ensuite  au  sou- 
lagement des  pauvres  de  la  paroisse. 

63.  Les  juges  de  paix  peuvent  ordonner  aux 
constables  et  magistrats  de  remettre  un  état 
de  situation  des  troupes  logées  et  la  réparti- 
tion du  logement  dans  les  auberges ,  afin  de 
mieux  aviser  à  réprimer  les  abus. 

64.  Il  est  permis  aux  jnges  de  paix,  sur  la 
réquisition  de  Tofficier  ou  sous-officier  com- 
mandant, d^allonger  la  feuille  de  route  et  d'é- 
tendre le  quartier  dans  Fintérêt  des  troupes. 

65.  Les  officiers  et  soldats  doivent  payer 
les  logeurs  pour  la  nourriture  et  la  petite  bière 
au  taux  de  Pacte  du  Parlement  en  vigueur. 

66.  Dans  le  cas  oij  le  logeur  désirerait  four- 
nir oratis  aux  sous  -  officiers  et  soldats  la 
chandelle  ,  le  vinaigre  ,  le  sel  et  les  usten- 
siles de  cuisine  ,  il  en  donnera  avis  à  Tofficier- 
commandant  ,  et  alors  les  sous-officiers  et  sol- 


ET    LA    DÉSERTIOiV.  353 

dats  pourvoiront  à  leurs  alimens  et  à  la  petite 
bière,  et  recevront  Fallouance  de  Tofficier- 
commandant. 

En  marche,  les  employés  au  recrutement  et 
les  recrues  ,  dans  les  sept  jours  de  la  levée  , 
doivent  être  nourris  exclusivement  par  les 
soins  des  logeurs. 

67.  A  partir  du  24  mars  1817,  les  officiers- 
comptables  seront  tenus  de  solder  les  comptes 
des  logeurs  de  quatre  en  quatre  jours  ou  plus 
tôt  si  la  troupe  demeure  moins  de  quatre  jours, 
et,  à  défaut,  il  sera  donné  ordre  aux  agens  du 
corps  de  satisfaire  au  compte  des  officiers- 
comptables  en  retard. 

68.  Les  logeurs  n'étant  pas  solde's  avant  le 
départ  de  la  troupe,  Tofficier-commandant  doit 
remettre  les  comptes  arrêtés  pour  être  en- 
voyés de  suite  à  Tagent  du  corps ,  et  le  paie- 
ment effectué  à  la  dilig^ence  de  ce  dernier  et 
à  la  charge  de  Tofficier-comptable. 

69.  Les  femmes,  enfans,  domestiques  mâles 
ou  femelles,  n'ont  pas  droit  au  logement.  Ceux 

TOME  I.  23 


354  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

qui  contraindraient  à  loger  sans  le  consente- 
ment du  propriétaire  ,  seront ,  s'ils  sont  offi- 
ciers de  Farmée  ,  cassés  par  jugement  de  Cour 
martiale  générale  ;  sMls  sont  officiers  civils ,  ils 
seront  condamnés,  par  la  justice  de  paix  la 
plusvoisine,  à  payer  vingt  schellings  à  la  partie 
lésée. 

70.  Un  juge  de  paix  du  comté  ,  ville  ou  lieu 
d''Angleterre  où  est  logé  un  sous-officier  ou 
soldat ,  ayant  femme  ou  enfant ,  peut  exiger 
le  serment  de  leur  établissement  légal.  Il  doit 
en  délivrer  la  déclaration  pour  être  produite 
ensuite  devant  qui  de  droit,  sans  qu'il  soit  be- 
soin de  renouveler  le  serment. 

71.  Sur  un  ordre  de  Sa  Majesté  ,  du  général 
de  ses  forces ,  du  maître  ou  lieutenant-général 
de  son  ordonnance  ,  pour  TAngleterre ,  Tir- 
lande  et  Galles  ,  et  du  lord-lieutenant  ou  gou- 
verneur pour  rirlande,  il  est  enjoint  aux  juges 
de  paix  de  faire  fournir,  pour  le  transport  des 
armes  ,  habillement ,  équipement ,  les  voi- 
tures ,  chevaux  et  conducteurs  voulus  par  le 


\ 


ET    LA    DÉSERTION.  355 

règlement ,  en  distribuant  la  charge  entre  les 
propriétaires  ,  prévenus  d'avance ,  spécifiant 
la  destination  et  la  route  qui  ne  doit  jamais 
excéder  vingt-quatre  milles,  à  la  charge  ,  par 
rofficiermuni  du  warrant  du  juge  de  paix,  de 
payer  dans  les  mains  du  grand  ou  petit  cons- 
table,  ou  autre  magistrat ,  les  sommes  légales 
au  profit  des  propriétaires  mis  en  réquisition. 

L'officier  militaire  ou  autre  qui  forcerait 
les  chariots  à  aller  au-delà  des  distances  spé- 
cifiées dans  Tordre,  qui  permettrait  à  des  sol- 
dats ou  domestiques  autres  que  les  malades  , 
ou  à  des  femmes,  de  monter  sur  les  voitures, 
ou  qui ,  par  menace  ou  autrement,  voudrait 
contraindre  les  magistrats  à  lui  faire  fournir, 
ou  les  propriétaires  à  lui  fournir  pour  son 
usage,  ses  domestiques  ou  ses  soldats,  des  che- 
vaux de  selle,  sera  condamné  à  une  amende 
de  5  livres,  sur  la  preuve  admise  par  serment 
devant  deux  juges  de  paix. 

72.  Les  transports  serontpayés  en  Angleterre 
et   Galles  au   taux  de  i  schelling  par  mille  , 


356  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

pour  les  chariots  attelés  de  quatre  chevaux  et 
plus. 

Iderrij  pour  les  chariots  attele's  de  six  bœuf? 
ou  de  quatre  chevaux  et  deux  bœufs. 

9  par  mille  ,  pour  les  chariots  à  roues 
basses,  et  pour  les  chariots  à  quatre  chevaux, 
qui  ne  portent  pas  moins  de  quinze  cents. 

6  par  mille ,  pour  les  charrettes  ou  autres 
voitures  à  moins  de  quatre  chevaux,  et  por- 
tant moins  de  quinze  cents. 

Il  pourra  être  ajouté  une  rétribution  limi- 
tée parles  juges  de  paix,  dans  les  ressorts  du 
comté  et  du  district,  eu  égard  au  prix  du  foin 
et  de  Pavoine,  et  pourvu  que  copie  de  la  dé- 
libération soit  envoyée  au  secrétariat  de  la 
guerre. 

73.  Là  où  il  nY  aura  pas  de  juge  de  paix,  le 
conslable  ,  dizenier  ,  head-borough,  pourra 
pourvoir  directement  à  la  fourniture  des  cha- 
riots. 

Des  listes  seront  dressées  des  chariots,  che- 
vaux de  la  paroisse ,  susceptibles  d'être  requis  ; 


ET    LA    DÉSERTION.  35y 

le  service  sera  commandé  par  tous,  et  les  in- 
téressés pourront  consulter  les  listes  à  toute 
heure. 

74.  En  Irlande  ,  on  paiera  par  mille  un 
pence  et  un  sixième  de  pence,  pour  chaque 
quintal  pesant  chargé  sur  la  voiture. 

75.  En  cas  dWgence,  lesecrétaire  delà  guerre 
en  Angleterre  et  le  lord-lieutenant  ou  souve- 
rain en  Irlande,  par  ordre  de  Sa  Majesté,  peu- 
vent autoriser  un  général,  officier  supérieur, 
le  commissaire  général  qf  stores  and  proi^i- 
sions,  à  requérir  les  justices  de  rendre  des 
warrants  pour  procurer  à  louage  des  chevaux 
de  selle  choisis,  des  voitures  à  quatre  roues, 
et  même  des  bateaux  attelés  sur  les  canaux  et 
rivières  navigables.  Les  officiers  seront  tenus 
à  payer  ce  qu'ils  emploient  suivant  Testima- 
tion  des  justices,  basée  sur  le  taux  ordinaire, 
et,  dans  ce  cas,  seront  autorisés  à  transporter 
avec  femmes,  enfans,  bagages  particuliers,  etc. 
76.  Une  voiture  ainsi  fournie  ne  peut  pas 
être  tenue  à  porter  plus  de  trente  quintaux. 


.358  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

77.  En  Irlande,  le  propriétaire  peut  exiger 
qu'on  pèse,  pourvu  qu'il  y  ait  temps  pour  cela, 
sans  que  le  service  de  Sa  Majesté  en  souffre. 
L'officier  qui,  par  lui  ou  ses  domestiques,  exi- 
gerait une  charge  plus  forte  que  le  règlement , 
paiera  l'amende  de  20  schellings  au  profit  de 
la  partie  lésée. 

78.  En  Irlande,  la  voiture  n'est  pas  tenue  à 
plus  de  six  quin  taux .  Si  le  propriétaire  consent  à 
plus,  on  lui  paiera  un  pence  et  un  sixième  par 
mille  et  par  quintal  au-dessus  de  six. 

79.Lelord-mairedeDublindoitètre  prévenu 
vingt-quatre  heures  au  moins  avant  la  marche 
des  troupes ,  pour  fournir  les  chariots.  Il  n'a 
pas  droit  d'employer  à  ce  service,  sans  le  con- 
sentement des  propriétaires,  les  voitures  qui 
viennent  au  marché. 

80.  Le  nombre  des  chariots  à  fournir  aux 
troupes  en  Irlande  sera  réglé  de  temps  à  autre 
par  le  lord-lieutenant  ou  gouverneur. 

81 .  Lesgrands  et  petits  constables  qui  refuse- 
ront ou  négligeront  de  fournir  les  voitures  et 


ET    LA    DÉSERTION.  SSq 

chevaux,  bateaux,  etc.,  voulus  par  l'arlicle  76, 
ou  qui  demanderont  pour  Pusage  des  proprié- 
taires plus  que  le  tarif,  ainsi  que  toute  per- 
sonne qui  mettra  des  obstacles  à  Texécution , 
seront  condamnés  par  la  justice  de  paix  à 
une  amende  de  5  livres  au  plus ,  et  4o  scbel- 
lings  au  moins,  au  profit  des  pauvres. 

82.  Le  constable  recevant  le  prix  d'avance, 
devra  le  remettre  au  propriétaire,  avant  que  la 
voiture  se  mette  en  marche. 

83.  Les  officiers  et  soldats,  les  chevaux  et  voi- 
lures appartenant  à  Sa  Majesté,  ou  employés 
à  son  service,  sont  exempts  de  droits  de  péage, 
à  moins  d'une  exception  spéciale,  stipulée  dans 
l'acte  particulier  par  lequel  le  péage  est  établi 

Les  bâtimens  employés  à  transporter  les  offi- 
ciers, soldats,  femmes,  enfans,  bagages,  sur  les 
canaux  et  rivières  navigables ,  sont  sujets  au 
péage. 

84.  Attendu  que  les  sommes  payées  pour  in- 
demniser les  propriétaires  de  ces  transports  ex- 
traordinaires sont  souvent  insuffisantes ,  le  tré- 


36o  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

sorier  du  comté  pourra  remettre  au  constable , 
pour  acquitter  ce  service,  une  somme  plus 
considérable  qui  sera  re'glée  par  les  justices  de 
paix  en  session  du  quartier,  eu  égard  à  la  sai- 
son et  aux  chemins. 

85.  Dans  le  cas  où  les  fonds  publics  du  comté, 
après  avoir  acquit  té  les  dépenses  pour  lesquelles 
ils  sont  institués,  ne  pourraient  faire  face  à 
celle-là,  il  y  sera  pourvu  par  un  impôt  que  les 
juges  de  paix  lèveront,  comme  ils  en  lèvent 
actuellement  pour  les  dépenses  des  prisons  de 
comté  et  des  ponts. 

86.  Les  officiers  et  soldats  seront  logés  en 
Ecosse  dans  les  mêmes  lieux  et  maisons  où  ils 
Tétaient  avant  FUnion.  Les  propriétaires  ne 
devront  fournir  que  ce  qu'*ils  étaient  obligés  de 
fournir  avant  PUnion.  Aucun  officier  régulière- 
mentbilletté  ne  paiera  pour  son  logement,  ex- 
cepté dans  les  faubourgs  d'Edimbourg. 

87.  Les  chariots  doivent  être  fournis  en  Ecosse 
aux  troupes  en  garnison  ou  en  marche,  comme 
par  les  lois  en  force  en  Ecosse  avant  FUnion. 


ET    LA    DÉSERTION.  36 1 

88.  En  Ecosse ,  quand  il  y  a  un  bac  à  passer, 
Tofficier  commandant  peut  y  prendre  passage 
pour  lui  et  ses  hommes,  ou  le  louer  tout  en- 
tier. Dans  les  deux  cas,  il  paie  moitié  par  tête 
ou  pour  le  tout  des  autres  passagers.  S^il  n^ 
a  pas  de  bac  régulier,  il  doit  contracter  avec 
un  propriétaire  de  bateau  aux  mêmes  condi- 
tions que  les  autres  citoyens. 

89.  A  partir  du  24  mars  1817,  tout  militaire 
qui ,  sans  permission  écrite  du  maître  du  ma- 
noir, prendra,  tuera,  détruira  lièvres,  lapins, 
faisans ,  perdrix ,  pigeons ,  ou  autre  espèce 
d^oiseau,  volaille,  poisson,  ou  le  gibier  de  Sa 
Majesté  dans  les  trois  royaumes ,  et  qui ,  sur  la 
plainte,  sera  convaincu,  par  déposition  d'un 
ou  plusieurs  témoins  croyables ,  devant  la  jus- 
tice de  paix  ,  paiera ,  s.'il  est  officier,  Tamende 
de  5  livres,  au  profit  des  pauvres  ;  s'il  est  sol- 
dat ,  Tofficier-commandant  paiera  pour  lui  la 
somme  de  20  schellings. 

Si  Tofficier ,  après  conviction  signifiée  ,  re- 
fuse ou  néglige  de  payer  dans  le  délai  de  deux 


362     ACTE  POUR  PUNIR  LA  MUTINERIE 

jours,  Usera  cassé,  et  sa  commission  déclarée 
nulle  et  vacante. 

90.  Toute  personne  qui  aura  reçu  Targent 
d"'enrôlement  d^un  officier,  sous-officier  ou  sol- 
dat appartenant  au  recruiting  service  ^  est  con- 
sidérée comme  soldat,  pourvu  quVlle  ait  joui 
du  bénéfice  alloué  à  ceux  qui  ont  contracté  un 
engagement  à  la  hâte. 

91.  Le  serment  prêté  à  SaMajesté,  en  entrant 
au  service ,  est  obligatoire  envers  les  héritiers 
et  successeurs. 

92.  A  partir  du  24  mars  1817,  tout  homme 
enrôlé  qui,  dans  le  délai  de  quatre  jours,  mais 
pas  avant  vingt-quatre  heures,  se  sera  présenté 
avec  les  hommes  employés  au  recrutement, 
devant  la  justice  de  paix,  ou  le  magistrat  de 
ville  ou  corporation  le  plus  voisin ,  pourra  dé- 
clarer qu^il  ne  veut  pas  s'enrôler.  Alors  ren- 
dant Targent  d'engagement,  restituant  le  prix 
alloué  par  la  loi ,  pour  la  nourriture  et  la  petite 
bière,  qu'il  a  reçu,  payant,  en  outre,  vingt 
schellings  pour  les  frais,  il  sera  dégagé.  Faute 


ET    LA    DÉSERTION.  363 

de  faire  cette  déclaration  ou  cette  restitution, 
le  magistrat  lui  lira  ou  fera  lire,  en  sa  pré- 
sence ,  le  troisième  et  le  quatrième  article  de 
la  seconde  section,  et  le  premier  article   de 
la  sixième  section  des  articles  ofwar^  et  lui 
fera  non-seulement  prêter  le  serment  de  fidé- 
lité ,  mais  encore  un  serment  par  lequel  il  dé- 
clare qu'il  n\^ppartient  ni  à  la  milice ,  ni  à  \m 
autre  régiment,  ni  à  la  marine,  ni  aux  troupes 
de  la  marine,  et  qu'il  veut  servir  Sa  Majesté, 
ses  héritiers  ou  successeurs,  toute  la  vie,  ou 
bien  pendant  sept  ans  dans  Finfanterie,  dix 
ans  dans  la  cavalerie ,  douze  ans  dans  Fartille- 
rie.  S'il  veut  servir  dans  les  troupes  de  la  Com- 
pagnie des  Indes ,  c'est  l'objet  d'une  condition 
spéciale  stipulée  dans  le  serment.  Le  magistrat 
délivre  certificat  de  l'enrôlement. 

Si  l'enrôlé  refusait  le  serment  de  fidélité, 
permis  à  l'officier  de  qui  il  a  reçu  l'argent 
de  le  retenir  en  prison  jusqu'à  ce  qu'il  le 
prête. 

L'officier  qui  agirait   contrairement  serait 


.^64  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

passible  des  peines  et  amendes  infligées  pour 
fausses  revues  ,  et  de  la  même  manière. 

Le  sous-officier  ou  soldat  qui  fera  un  re- 
crue ,  prendra  par  écrit  son  nom  de  baptême 
et  de  famille  et  son  pays,  et  Tenverra  au  com- 
mandant du  recridting party .  . 

Le  juge  de  paix  déchargera  le  recrue  qui  se 
présentera  en-temps  utile,  et  remboursera, 
même  quand  il  viendrait  sans  Taccompagne- 
ment  du  recruteur ,  si  le  recrue  prouve  ou  que 
le  détachement  est  parti,  ou  qu^il  n'a  pu  déter- 
miner personne  à  Taccompagner. 

Si  des  recrues ,  après  avoir  reçu  Targent , 
se  cachent  ou  s'absentent ,  Fofficier  ou  sous- 
officier  commandant  le  recruiting  party  pro- 
duira au  magistrat  l'attestation  du  fait,  et 
le  magistrat ,  après  s'en  être  assuré  ,  la  trans- 
mettra  au  secrétaire  d'Etat ,  si  c'est  en  Angle- 
terre ,  ou  au  secrétaire  ou  sous-secrétaire  d'Ir- 
lande ,  si  c'est  en  Irlande  ,  afin  qu'elle  puisse 
servir  ensuite  comme  preuveenjustice,  sionre- 
pren  d  l'homme  et  qu'on  le  j  uge  pour  désertion . 


ET    LA    DESERTION.  365 

93.  Les  hommes  ayant  reçu  Targent  d'enrôle- 
ment d'un  recruteur,  le  connaissant  pour  tel, 
qui  se  cacheront  ou  refuseront  d'aller  de- 
vant le  magistrat  dans  le  délai  légal,  seront 
considérés  comme  bien  et  dûment  soldats,  et 
susceptibles  d'être  pris  et  punis  comme  déser- 
teurs. 

g4.  Les  recrues  déchargés  par  les  juges  de 
paix  et  magistrats,  plus  tôt  que  l'expiration  des 
vingt-quatre  heures  après  leur  enrôlement, 
avant  le  25  mars  1817,  ne  seront  pas  considérés 
comme  déserteurs. 

95.  Les  hommes  qui,  en  s'engageant ,  ont 
caché  quelque  infirmité  qui  les  rend  incapa- 
bles du  service  actif,  peuvent  être  transférés 
dans  les  vétérans,  dans  les  bataillons  desar- 
més ou  invalides ,  et  dans  les  troupes  de  la 
marine. 

96.  Les  personnes  qui  diront  faux  dans  la 
formule  de  l'engagement,  afin  d'obtenir  de 
l'argent ,  seront  considérées  comme  coupables 
d'extorsion ,  et  punies  conformément  aux  dis- 


366  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

positions  d'un  acte  passé  dans  la  trentième 
année  du  règne  de  George  II. 

97.  Les  délinquans  aux  deux  précédens  arti- 
cles, convaincus  par  serment  devant  deux  ju- 
ges de  paix,  ou  autres  magistrats,  pourront 
être  considérés  comme  coquins  et  vagabonds,  et 
traités  en  conséquence  des  actes  du  Parlement 
en  vigueur,  sur  les  coquins,  vagabonds  et  in- 
corrioibles. 

98.  Le  service  des  enrôlés  compte  à  partir 
du  premier  jour  du  trimestre  de  Penrôlement: 
25  mars ,  25  juin ,  25  septembre ,  25  dé- 
cembre. 

La  solde,  du  jour  de  Fenrôlement. 

99.  Toute  personne  s'immisçant  dans  le  re- 
crutement de  la  ligne ,  de  la  milice ,  ou  des 
troupes  de  la  Compagnie,  sans  pouvoirs,  ou 
fournissant  des  substituts,  sera  mise  à  Ta- 
mende  de  20  livres,  sur  conviction  devant  le 
magistrat,  moitié  au  profit  du  dénonciateur, 
moitié  au  profit  des  pauvres. 

100.  Tout  apprenti  qui  s'enrôle,  et  déclare 


ET    LA    DÉSERTION.  36y 

au  magistrat  qu'il  nVst  pas  apprenti,  est,  sur 
conviction,  passible  de  la  détention  dans  une 
prison  ou  maison  de  correction,  et  des  tra- 
vaux forcés  pendant  deux  ans;  peut  être  puni 
pour  extorquer  Faroent ,  conformément  à 
Tacte  de  George  II  (cité  ci -dessus);  doit,  à 
Pexpiration  de  son  apprentissage,  servir  dans 
un  régiment  de  troupes  de  ligne,  et,  s'il  ne  se 
présente  pas  alors,  est  susceptible  d'être  pour- 
suivi comme  déserteur. 

101.  Les  maîtres,  en  Angleterre,  n'ont  droit 
à  réclamer  leur  apprenti  enrôlé ,  que  lorsque , 
n'ayant  pas  au-dessus  de  quatorze  ans,  il  s'est 
engagé  à  eux  pour  sept  ans;  et  en  Irlande  et 
dans  l'ile  de  Jersey,  que  lorsque  n'ayant  pas 
au-dessus  de  seize  ans,  il  s'est  engagé  pour  cinq. 

Les  maîtres  réclamant  doivent  faire  décla- 
ration dans  le  mois  de  l'absence  ou  de  la  dis- 
parition de  l'apprenti,  devant  le  juge  de  paix 
ou  magistrat  qui  en  donne  acte. 

102.  En  Ecosse,  le  maitre  ne  réclame  l'ap- 
prenti que  s'il  est  engagé  envers  lui  pour  au 


368  ACTE    POUR    PUNIR     LA.    MUTINERIE 

moins  quatre  ans,  sMl  a  au-dessous  de  vingt-' 
un  ans  au  moment  de  la  réclamation  ,  et  si  la 
réclamation  est  faite  dans  le  mois. 

io3.  En  Ecosse,  les  maîtres  sont  autorisés 
à  réclamer  Fapprenti,  en  produisant  Tacte 
d''apprentissage ,  pourvu  que  cet  acte  ait  déjà 
été  enregistré  en  justice ,  ou  quMl  le  soit  dans 
les  trois  mois  de  la  promulgation  du  présent 
acte. 

io4.  Le  maître  d^un  apprenti  enrôlé,  re- 
nonçant à  son  droit  de  réclamation ,  recevra 
pour  lui  la  portion  de  l'argent  d'engagement 
que  n'a  pas  encore  reçue  le  recrue,  déduction 
faite  de  deux  guinées  réservées  pour  fournir 
le  recrue  de  ce  qui  lui  est  nécessaire. 

io5.Les  apprentis  réclamés  par  l'intermé- 
diaire de  la  justice,  doivent  être  remis  par 
rofficier-commandant  à  la  prison  commu- 
ne, pour  être  jugés  suivant  la  loi  ou  rendus 
à  leurs  maîtres. 

106.  Les  juges  de  paix  examineront  sur  ser- 
ment, prendront  en  garde  le  contrat  d'appren- 


ET    LA    DÉSERTION.  869 

tissage  pour  le  soumettre  à  la  session  de  tri- 
mestre ,  où  le  fait  sera  jugé  ,  hormis  en  Ecosse. 

107.  L'affaire  sera  jugée  à  la  session  de  tri- 
mestre du  comté,  division,  franchise, ville, etc., 
où  le  délit  a  été  commis. 

108.  En  Ecosse,  le  délinquant  sera  jugé  parle 
juge  ordinaire  de  la  même  manière  que  Test 
toute  autre  personne  pour  délit  qui  n'emporte 
pas  la  peine  capitale. 

10g.  Le  geôlier,  instruit  qu'un  prisonnier 
confié  à  sa  garde  doit  servir  à  l'expiration  de  sa 
peine,  doit  en  donner  avis  avant  le  jour  au  se- 
,  crétaire  d'État ,  si  c'est  dans  la  Grande-Bre- 
tagne ;  au  secrétaire  ou  sous-secrétaire ,  si  c'est 
en  Irlande. 

110.  Pas  d'autre  qu'un  apprenti  ne  peut  être 
enlevé  du  service  de  Sa  Majesté  ipar  warrant 
des  magistrats ,  sous  le  prétexte  d'un  engage- 
ment avec  un  maître  ou  autre  employeur. 

111.  Un  domestique  qui  s'engage  avant  le 
terme  de  son  service  particulier,  peut  réclamer 
ses  gages  pour  le  temps  expiré ,  et  le  magistrat 

TOMEl.  24 


370  ACTE    POUR    PUNIR    I.A     MUTINERIE 

fera  les  démarches  nécessaires  pour  lui  en 
procurer  le  paiement  dans  le  délai  de  quatre 
jours  après  la  déclaration. 

112.  Quand  un  corps  quitte  une  station  au- 
delà  des  mers  pour  revenir  dans  la  Grande-Bre- 
tagne ou  en  Irlande,  il  est  permis  aux  soldats 
de  prendre  parti  dans  les  régimens  ou  com- 
pagnies qui  restent  dans  la  station. 

1 1 3.  Des  personnes  autorisées  par  SaMajesté, 
en  conséquence  d^un  warrant  du  secrétaire  de 
la  guerre,  qui  ne  sont  pas  officiers-généraux, 
ou  qui  n'ont  pas  une  condition  régimentaire , 
peuvent,  hors  de  la  Grande-Bretagne  et  de 
rirlande  ,  engager  et  réengager  les  soldats,  et 
remplir  là  toutes  les  fonctions  attribuées  par 
le  présent  acte  aux  justices  de  paix  dans  Fin- 
térieur. 

114.  Le  soldat  qui  a  son  congé  doit,  à  l'ex- 
piration du  service,  être  ramené  libre  de  toute 
dépense  en  Angleterre,  en  Ecosse  ou  en  Ir- 
lande, et  recevoir,  depuis  le  débarquement 
jusqu'à  la  paroisse  où  il  s'est  enrôlé  originai- 


ET    LA    DÉSERTION.  371 

lement,  Targent  de  route  sur  le  jiied  de  dix 
milles  par  jour  de  marche. 

1 15.  Un  constahle,  dizenier,  head-borough, 
ou  un  officier  ou  soldat  au  service  de  SaMajesté, 
peut  arrêter  un  homme  raisonnablement  soup- 
çonné d'être  déserteur,  et  le  conduire  devant 
le  premier  juge  de  paix.  Celui-ci,  sur  déposi- 
tion ou  par  conviction  ,  envoie  Thomme  en 
prison.  Le  geôlier  reçoit  sur  le  warrant  du 
juge  de  paix  ,  et  dans  le  transport  de  Thomme, 
chaque  geôlier  reçoit  sur  le  warrant  du  pre- 
mier juge  de  paix  qui  a  lancé  le  premier  dé- 
cret de  prise  de  corps,  ou  sur  Tordre  du  se- 
crétaire de  la  guerre  ou  du  secrétaire  d'*Ir- 
lande. 

116.  La  somme  de  20  schel.  est  accordée,  sur 
un  ordre  du  juge  de  paix  au  collecteur  des 
revenus  ,  à  celui  qui  arrête  un  déserteur. 

117.  Tout  homme  qui  s'avoue  déserteur  est 
susceptible  de  servir,  dans  quelque  régiment 
que  ce  soit,  à  la  disposition  de  Sa  Majesté. 

118.  Un  officier  ne  doit  jamais  forcer  une 

24* 


372  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

maison  pour  chercher  des  déserteurs ,  sans  un 
warrant  du  juge  de  paix.  Tout  officier  qui, 
sans  un  warrant^  forcera  une  maison  ou  dé- 
pendance, sous  prétexte  de  chercher  des  dé- 
serteurs ,  sera  mis  à  Tamende  de  20  livres. 

\  19.  Les  commandans  de  recrutement ,  offi- 
ciers du  rang  de  capitaine  et  au-dessus  ,  adju- 
dansde  milices  régulières,  et,  à  leur  défaut,  les 
juges  de  paix  sont  autorisés  à  accorder  des 
prolongations  de  congé  aux  sous-officiers  et 
soldats  malades  et  prouvant  la  maladie. 

1 20.  Les  sous-officiers  et  soldats,  dans  ce  cas, 
ne  peuvent  pas  être  pris  ou  considérés  comme 
déserteurs ,  à  moins  quMl  ne  soit  prouvé  qu'ails 
ont  fait  un  faux  rapport. 

Les  officiers  et  juges  de  paix  sus-mention- 
nés  ne  peuvent  pas  accorder  de  prolongation 
de  plus  d'un  mois ,  sans  Tapprobation  du  gé- 
néral commandant  le  district ,  ou  de  Fofficier 
commandant  le  corps  ou  le  dépôt  auquel  le 
sous-officier  ou  le  soldat  appartient. 

121.  La  subsistance  deshommes  en  congé  est 


ET    LA.    DÉSERTION.  373 

réglée  d'après  les  ordonnances  de  Sa  Majesté. 

1 22.  Afinque,  par  des  arrestationsinjustes ou 
violentes,  Sa  Majesté  et  le  public  ne  soient  pas 
privés  des  services  des  soldats,  il  est  décidé  que 
les  hommes  enrôlés  volontairement  ne  pour- 
ront être  distraits  du  service  de  Sa  Majesté  par 
quelque  procès  ou  exécution  que  ce  soit ,  ex- 
cepté en  matière  criminelle  ou  pour  une  dette 
réelle  de  la  valeur  primitive  de  20  livres  et 
au-dessus. 

123.  Pour  ne  pas  frustrer  les  droits  des  créan- 
ciers, il  est  décidé  que  ceux-ci  pourront  pour- 
suivre et  obtenir  tout  jugement,  excepté  ceux 
exécutoires  contre  ou  sur  les  corps  des  dé- 
biteurs. 

124-  Le  soldat  arrêté  pour  dette  ne  reçoit 
pas  sa  paie. 

125.  Le  soldat  prisonnier  de  guerre  nV  pas 
droit  à  la  paie. 

A  son  retour  de  prison ,  sur  une  enquête 
faite  devant  une  Cour  martiale  et  avec  preuve 
de  bonne  conduite  ,  il  peut  recevoir  en  grati- 


3y4  ACTE    POUR    PU.MR    LA    MUTINERIE 

fication  partie  ou  totalité  de  sa  paie  arriérée. 
126.  Les  commissaires  rentrant  de  Tétranger 
et  rendant  leur  compte  doivent  jurer,  devant 
un  juge  de  paix,  si  c'est  dans  les  trois  royaumes, 
ou  devant  Fautorité  militaire  ,  si  c^est  ailleurs , 
quMls  n^ont  rien  distrait  pour  eux  ou  pour 
d'autres  des  sommes  et  matières  confiées  à 
leur  garde. 

127.  Tout  payeur,  officier  commissionné  des 
troupes  de  Sa  Majesté'  garde-magasin  ,  com- 
missaire ,  député  ou  assistant  commissaire,  ou 
toute  autre  personne  employée  dans  le  com- 
missariat ,  ou  chargée  à  quelque  titre  que  ce 
soit  du  soin  ou  de  la  distribution  de  Targent , 
vivres,  fourrages,  provisions,  appartenant 
aux  forces  de  Sa  Majesté  ou  destinés  à  leur 
masse,  qui  les  aura  dissipés  ou  employés  frau- 
duleusement, sera  justiciable  d'aune  Cour  mar- 
tiale générale  et  passible  de  la  déportation  à 
vie  ou  pour  un  certain  nombre  d'années ,  de 
Tamende  ,  de  Temprisonnement ,  de  la  desti- 
tution, et  d'être  déclaré  incapable  de  remplir 


ET    LA    DÉSERTION.  3^5 

aucun  emploi  civil  ou  militaire  au  service  de 
Sa  Majesté  ,  suivant  la  nature  et  le  degré  de 
Toftense,  et  en  outre  il  remboursera  à  ses 
propres  dépens,  et  suivant  Testimation  qui  en 
sera  faite  par  la  Cour  martiale  ,  les  pertes  et 
dommages  que  le  public  aura  éprouvés  par 
suite  de  ses  dissipations  et  fraudes. 

128.  Toutsous-officierconvaincu,  devant  une 
Cour  martiale  générale  ou  régimentaire,  devoir 
détourné  à  son  profit  Pargent  à  lui  confié  pour 
payer  les  hommes  sous  ses  ordres  ou  pour  le 
recrutement ,  sera  remis  dans  Pëtat  de  simple 
soldat ,  sa  paie  retenue  jusqu'à  paiement  des 
sommes  détournées  ,  et  pourra  recevoir  une 
punition  corporelle  ne  s''étendant  pas  à  la  vie 
et  aux  membres. 

1 29  .Tout  payeur-général,  payeur  deTarmée , 
payeur  de  la  marine,  secrétaire  de  la  guerre, 
commissaire,  maître  des  revues,  payeur  d\in 
corps  ou  d'un  district  ,  ou  tous  autres  offi- 
ciers ou  leurs  subordonnés,  qui  se  permet- 
tront de  faire  sur  la  paie  des  officiers  et  soldats 


376  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

au  service  de  Sa  Majesté,  ou  de  leurs  agens , 
quelques  retenues  autres  que  celles  réglées  par 
les  ordonnances  de  Sa  Majesté,  ou  qui  pour- 
raient Têtre  à  Ta  venir  sous  Tautorité  d'un  acte 
du  Parlement ,  ou  par  des  ordres  signés  de  la 
propre  main  de  Sa  Majesté,  seront  destitués. 

i3o.  Le  lord  grand-trésorier  ou  les  commis- 
saires delatrésorerie  peuvent,  à  lafin  dechaque 
semestre,  faire  les  fonds  pour  rhabillement  de 
Tannée  ;  le  payeur-général ,  immédiatement 
après  en  avoir  accusé  réception  au  secrétaire 
de  la  guerre,  en  opérera  le  versement  dans  les 
mains  de  la  personne  ou  des  personnes  dé- 
signées par  le  colonel  ou  commandant. 

i3i.  Tout  payeur,  agent,  secrétaire  qui  re- 
tiendra pendant  un  mois  après  Pavoir  reçue 
la  paie  de  Tofficier  ou  du  soldat  ;  tout  officier 
qui  ayant  reçu  cette  paie  refusera  de  la  re- 
mettre aux  sous-officiers  et  soldats,  sera  pour 
ce  fait ,  devant  une  Cour  martiale ,  destitué  et 
paiera  Tamende  de  100  livres  au  profit  du 
dénonciateur. 


KT    LA    DÉSERTION.  377 

Le  dénonciateur  soldat  aura  son  congé  ab- 
solu s'il  le  désire. 

Il  est  permis  néanmoins  au  secrétaire  de  la 
guerre  de  retenir  la  paie  des  officiers,  sous- 
officiers  et  soldats  ,  pendant  le  temps  quMls 
sont  absens  par  congé. 

i32.  Tout  agent  qui  négligera  ou  refusera 
d'exécuter  les  ordres  et  régiemens  donnes  par  Sa 
Majesté  ,  par  le  secrétaire  de  la  guerre,  par  le 
gouverneur  de  l'Irlande  en  Irlande  ,  par  le 
lord  trésorier  ou  le  commissaire  de  la  trésorerie, 
sera  mis  pour  la  première  oflense  à  l'amende 
de  loo  livres  ,  et  en  cas  de  récidive  à  la 
somme  de  200  livres,  et  destitué  de  son  agence 
s'il  est  encore  agent. 

i33.  Toute  personne  qui,  n'étant  pas  agent 
d'un  corps,  se  sera  entremise  dans  les  affaires  re- 
latives à  l'achat,  vente  ou  échange  des  commis- 
sions dans  le  service  de  Sa  Majesté;  tout  agent 
ou  autre  qui  aura  tiré  profit  de  ces  affaires 
ou  qui  aura  reçu  pour  son  compte  ou  le  compte 
d'un  autre   une  somme  d'argent  au-dessus  du 


378  ACTE    POUR    PUMR    LA    MUTINERIE 

tarif  réglé  par  Sa  Majesté  ,  sera  mis  à  raniende 
de  joo  livres  et  paiera  en  outre  le  triple  des 
sommes  reçues  illégalement. 

1 34-Toutpayeur,  agent,  clerc,  qui  ne  rendra 
pas  bon  et  fidèle  compte  aux  exécuteurs  tes- 
tamentaires et  ayant-cause  des  officiers,  sous- 
officiers  et  soldats  ,  dont  il  a  touché  la  paie, 
sera  passible  des  peines  encourues  par  les  co- 
lonels ou  agens  qui  ne  rendent  pas  bon  compte 
de  la  paie  des  officiers ,  sous-officiers  et  sol- 
dats ,  à  eux-mêmes. 

i35.  Les  officiers  et  autres  servant  dans  the 
royal  artillery  ,  dans  les  difFerens  trains  d''ar- 
tillerie,  dans  le  département  du  génie  ,  dans 
le  corps  des  ingénieurs-géographes,  oj  royal 
siuveyors  and  draftmen ,  dans  le  corps  des  sa- 
peurs et  mineurs  ,  et  tous  les  maîtres  canon- 
niers  et  canonniers  subordonnés  à  TOrdon- 
nance,  sont  sujets  au  présent  acte. 

i36.  Les  officiers,  sous-officiers  et  soldats  des 
troupes  qui  passent  la  revue  et  reçoivent  la 
paie  au  service  de  Sa  Majesté,  à  quelque  titre 


ET    LA    DÉSERTION.  379 

que   ce  soit,   sont  sujets  à  la  loi  martiale  et 
soumis  au  présent  acte. 

iSj.  Les  autres  sous-officiersetpayeurs,  em- 
ployés au  recrutement  et  recevant  une  paie 
pour  le  service,  sont  sujets  à  la  loi  martiale  et 
soumis  au  présent  acte. 

i38.  Les  nègres  achetés  par  ou  au  compte  de 
Sa  Majesté  et  servant  dans  Parmee,  sont  libres 
de  la  même  manière  que  s^ils  étaient  nés  dans 
les  pays  soumis  à  la  domination  de  Sa  Ma- 
jesté et  considérés  comme  soldats  enrôlés  vo- 
lontairement. 

iSg.  Les  dispositions  du  règlement,  relatives 
au  service  limité  et  aux  pensions  de  retraite, 
ne  sont  pas  applicables  aux  nègres  dont  parle 
Tarlicle  précédent. 

i4o.  Les  dispositions  du  présent  acte,  relati- 
vement au  logement  des  troupes,  sont  appli- 
cables aux  officiers  ,  sous-officiers  et  soldats 
prisonniers  de  guerre. 

i4i  •  Le  présent  acte  n^est  applicable  ni  à  la 
milice ,  ni  aux  corps  de  reoinanry  ou  de  vo- 


38o  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERiiî 

lontaires  dans  la  Grande-Bretagne,  Tlrlande  , 
Jersey,  Guernesey  et  les  îles  qui  en  dépendent , 
excepté  les  cas  spéciaux  déterminés  par  un 
acte  du  Parlement  pour  un  corps  de  feomanrj- ^ 
ou  volontaires  mis  en  service,  et  les  recrues 
de  la  milice,  ainsi  qu'il  sera  dit  ci-après. 

142.  Tout  régiment  ou  corps  de  milice  ou  de 
fencibles,  dès  quMls  sera  enrégimenté  et  mis  en 
service  actif,  sera  passé  en  revue  par  des  com- 
missaires, et  soumis  aux  dispositions  du  pré- 
sent acte. 

143.  Le  présent  acte  est  étendu  aux  îles  de 
Jersey,  Guernesey,  Alderney,  Dark,  Man  et 
autres  adjacentes,  en  ce  qui  concerne  la  juri- 
diction des  Cours  martiales ,  et  les  clauses  re- 
latives aux  déserteurs. 

i44-  Toutepersonnequiprêteraunfaux  ser- 
ment, dans  le  cas  où  le  serment  est  exigé  par 
le  présent  acte ,  sera  réputée  bassement  et  mé- 
chamment parjure,  et,  après  conviction,  punie 
comme  telle. 

145.  En  Angleterre  et  en  Irlande,  les  per- 


ET    LA    DÉSERTION.  38 1 

sonnes  poursuivies  en  conséquence  du  présent 
acte  ,  peuvent  se  présenter  au  jury,  pour  offrir 
les  preuves  matérielles  de  leur  non-culpabi- 
lité. Si  elles  sont  admises  par  un  verdict,  les 
plaignans  ont  droit  au  remboursement  du  tri- 
ple de  la  valeur  des  pertes  éprouvées  vexa- 
toirement  dans  la  poursuite. 

i46.  En  Angleterre  et  en  Ecosse,  toute  ré- 
clamation contre  une  ou  plusieurs  personnes, 
pour  actions  résultantes  du  présent  acte,  ou 
contre  un  membre  ou  un  ministre  de  Cour 
martiale ,  agissant  en  conséquence  du  présent 
acte ,  doit  être  portée  devant  la  Cour  de  res- 
sort de  Westminster  ou  de  Dublin. 

1 47-  Toute  réclamation  du  genre  de  Particle 
précédent  doit  être  portée  devant  la  Cour  de 
session,  et,  si  le  défendant  est  absous,  il  aura 
droit  au  remboursement  du  triple ,  etc. 

148.  Toute  personne  convaincue  d''avoir  ca- 
ché sciemment  un  déserteur  sera, sur  conviction 
devant  un  juge  de  paix,  mise  à  Tamende  de  20 
livres,  moitié  pour  le   dénonciateur,  moitié 


382  ACTE    POUR    PUNIR    LA    MUTINERIE 

pour  rÉtat,  et,  en  cas  de  non  paiement,  six 
mois  de  prison. 

Toute  personne  qui  aura  sciemment  acheté, 
ou  échangé,  ou  reçu  d''un  soldat  déserteur  ou 
autre,  des  armes,  habits,  effets  d"'équipement, 
ou  du  pain,  de  la  viande,  de  la  bière  ,  de  Ta- 
voine  ,  du  foin  ,  de  la  paille ,  ou  d'autres  four- 
nitures appartenant  au  Roi  et  employées  pour 
le  bien-être  du  soldat,  ou  qui  aura  changé  la 
couleur  des  vêtemens,  sera,  sur  une  convic- 
tion devant  un  juge  de  paix,  mise  .àFamende 
de  5  livres,  moitié  pour  le  dénonciateur,  moi- 
tié pour  rÉtat;  et,  en  cas  de  non  -  paiement , 
trois  mois  de  prison. 

149.  Les  personnes  qui  engageront  les  sol- 
dats à  déserter,  seront ,  sur  conviction ,  mises  à 
Pamende  de  100  liv.  envers  Sa  Majesté.  En  cas 
de  non-paiement ,  et  si  la  Cour  devant  laquelle 
la  conviction  a  lieu  juge  la  peine  insuffisante  , 
elle  prononcera  un  emprisonnement  qui  ne 
pourra  pas  excéder  un  an ,  et  Pexposition  au  pi- 
lori pendant  uneheuresuruneplace  de  marché. 


ET    LA    DÉSERTION.  383 

i5o.  L'action  contre  les  peines  encourues  en 
conséquence  de  Tarticle  précédent  sera  pour- 
suivie et  recourable,  pourPAngieterre,  devant 
la  Cour  de  recours  de  Westminster,  pour  FÉ- 
cosse,  devant  la  cour  de  l'Echiquier  d'Ecosse  ; 
pour  rirlande  ,  devant  la  Cour  de  recours 
d'Irlande;  pour  les  autres  pays  de  la  domina- 
tion de  Sa  Majesté  ,  devant  les  Cours  royales 
de  recours  du  lieu  où  l'offense  a  été  commise. 

i5i.L'actionenpoursuile,  dans  l'Ile  deMan, 
pourra  avoir  lieu  indifféremment  devant  les 
Cours  de  recours  de  cette  ile,  ou  devant  une 
des  Cours  de  recours  de  Sa  Majesté  à  West- 
minster. 

i52.  Aucune  action  ne  pourra  être  pour- 
suivie en  raison  du  présent  acte,  si  elle  n'a  été 
commencée  dans  le  délai  de  six  mois  après 
que  l'offense  a  été  commise. 

i53.  Les  actions  instruites,  les  procédures 
commencées,  les  jugemens  rendus  en  consé- 
quence du  dernier  matiny  Mil  et  articles  of 
luaVf  doivent  recevoir  continuation  et  accom- 


.584  ACTE    POUR     PUMR    LA    MUTINERIE 

plissement  ,  comme  si  tout  avait  été  fait  sous 
Tautorité  du  présent  acte. 

154.  Nul  ne  sera  jugé  pour  offense  contre  le 
matiny  bill elles  articles  ofwar^  commise  trois 
ans  avant  Tordre  de  le  mettre  en  jugement,  à 
moins  que  le  délinquant  ne  se  soit  soustrait  à 
l'action  de  la  justice. 

i55.  La  formule  de  conviction,  en  consé- 
quence du  présent  acte,  sera  la  suivante  : 

Comté  de savoir  faisons  que  le 

jour  de  Tannée  de  notre  Seigneur  à dans 

le  comté  susdit...  A...  s'est  présenté  devant 
moi,  un  des  juges  de  paix  de  Sa  Majesté  dans 
ledit  comté ,  et  m'a  informé  sur  serment  que 

G H de  le jour  de  

a  dans  le 

i56.  Le  présent  acle  aura  force  dans  la 
Grande-Bretagne,  depuis  le  24 mars  1817 jus- 
qu'au 25  juin  1817;  en  Irlande,  Jersey,  Guer- 
nesey,  etc.,  depuis  le  3o  mars  1817  jusqu'au 
1"  juillet  1817;  Gibraltar,  Espagne  et  Portu- 
gal, du  24  mai  1817  au  25  août;  dans  le  reste 


ET    LA    DÉSERTION.  385 

de  TEurope,  aux  Indes  occidentales,  dans 
rAmérique  septentrionale  et  au  cap  de  Bonne- 
Espérance,  du  24  juillet  1817  au  25  octo- 
bre 1817;  et,  partout  ailleurs,  du  24  novem- 
bre i8i8  au  25  février  1819. 

157.  Le  présent  acte  peut  être  changé  et 
modifié  par  un  ou  plusieurs  actes  passés  dans 
la  présente  session  du  Parlement. 


TOME   f.  2J 


AU  NOM  ET  DE  L'AUTORITÉ  DE  SA  MAJESTÉ. 


REGLEMENS  ET  ARTICLES 

POUR. 

LE  MEILLEUR  GOUVERNEMENT  DES  FORCES 

DE  SA   MAJESTÉ. 

(  DU    24    MARS    1817. ) 


SECTION  PREMIERE. 

Devoirs  religieux. 

1.  Tous  les  officiers  et  soldats,  à  moins 
d''einpêchement  légitime,  devront  assister  au 
service  divin;  ceux  qui  s'y  comporteront  in- 
décemment ouirrévérencieusement,  seront:  les 
officiers  conduits  devant  une  Cour  martiale  , 
pour  être  réprimandés  sévèrement  et  publi- 
quement par  le  président  ;  les  sous-officiers 

25' 


^^^  «KGLEMENS 

et  soldats  mis  pour  la  première  fois  l\  Ta- 
mende  de  12  pences,  et ,  en  cas  de  récidive, 
mis  en  outre  aux  fers  pendant  douze  heures. 
L^miende  est  déduite  de  la  paie,  et  appli- 
quée aux  malades  de  la  compagnie. 

2.  Les  juremens  et  blasphèmes  seront  punis 
comme  il  est  dit  article  premier. 

3.  Tout  officier,  sous-officier  et  soldat  qui  se 
permettra  de  parler  contre  un  article  connu 
de  la  foi  chrétienne,  sera  remis  au  magistrat 
civil ,  pour  être  procédé  contre  lui  en  confor- , 
mité  de  la  loi. 

4-  Tout  officier,  sous -officier  et  soldat  qui 
profanera  un  lieu  consacré  au  service  divin  , 
ou  usera  de  violence  envers  un  chapelain  , 
sera  puni  ainsi  que  le  décidera  une  Cour  mar- 
tiale générale. 

5.  Tout  chapelain  commissionné  qui  man- 
quera à  son  service  ,  sans  congé  ou  cause  de 
maladie  ,  sera  traduit  à  une  Cour  martiale. 

6. Tout  chapelain  coupable  de  s'enivrer  ou  de 
mauvaise  conduite  contraire  au  caractère  sacré 


ET    ARTICLES,    ETC.  389 

dont  il  est  revêtu,  sera  ,  sur  due  preuve  de- 
vant une  Cour  martiale  ,  destitué. 

SECTION  IT. 

Murmures. 

1.  Tout  officier,  sous-officier  et  soldat  qui 
usera  de  paroles  traîtresses  ou  irrévérentes  en- 
vers notre  personne  royale  ou  les  princes  de 
notre  famille,  sera,  si  c^est  un  officier,  sur  con- 
viction   devant    une    Cour    martiale     oéné- 

o 

raie  ,  cassé  ;  si  c^est  un  sous-officier  ou  soldat , 
condamné  à  telle  punition  que  déterminera 
une  Cour  martiale  générale  ou  régiment  aire. 

2.  Tout  officier ,  sous-officier  ou  soldat  qui 
parlera  avec  haine  et  mépris  contre  le  général 
ou  commandant  en  chef  de  nos  forces  ,  sera 
traduit  devant  une  Cour  martiale  générale. 

3.  Tout  officier,  sous-officier  et  soldat,  fau- 
teur,  instigateur  ou  complice  de  mutinerie 
ou  sédition ,  sera  puni  de  mort  ou  de  toute  au- 
tre peine  ,  par  une  Cour  martiale  générale. 


390  réglemens 

4.  Tout  officier,  sous-officier  et  soldat,  qui, 
présent  à  une  mutinerie ,  n'emploiera  pas  tous 
ses  efforts  pour  la  faire  cesser,  ou  qui  en  étant 
instruit  n'en  informera  pas  Tofficier  comman- 
dant ,  sera  puni  de  mort  ou  de  toute  autre 
peine,  par  une  Cour  martiale  générale. 

5.  Tout  officier ,  sous-officier  ou  soldat  qui 
frappera  son  chef,  tirera  Fépée  contre  lui,  ou 
le  menacera  dans  Texercice  de  ses  fonctions , 
et  qui  refusera  d'obéir  à  ses  ordres  légaux, 
sera  puni  de  mort  ou  de  toute  autre  peine  par 
une  Cour  martiale  générale. 

SECTION  III. 

Enrôlement  et  sortie  du  service  des  soldats. 

1.  On  lira  à  tous  les  soldats  au  moment  de 
leur  enrôlement,  ou  dans  le  délai  de  quatre 
jours,  les  II<^  et  VI«  sections  des  présens  arti- 
cles relatives  à  la  mutinerie. 

Le  nouvel  enrôlé  se  présentera  dans  les 
quatre  jours    de    Fenrolement ,    mais    après 


ET    ARTICLES,    ETC.  3g  t 

vingt-quatre  heures ,  accompagné  d^m  offi- 
cier ,  sous-officier  ou  soldat  du  recrutement, 
devant  le  juge  ou  le  magistrat ,  et  là  il  prê- 
tera le  serment  de  fidélité. 

Le  juge  ou  magistrat  délivrera  au  recruteur 
un  certificat  comme  quoi  le  serment  a  été 
prêté,  et  les  deux  sections  seront  lues  àTenrôlé. 

2.  Les  sous-officiers  et  soldats  duement  enrô- 
lés, ne  peuvent  sortir  du  service  [discharged) 
que  suivant  les  réglemens  en  vigueur. 

SECTION    IV. 

Revues  et  congés. 

1.  Nos  régimens  de  garde  du  corps,  gardes 
à  cheval  et  gardes  à  pied ,  seront  passés  en  re- 
vue au  moins  deux  fois  Tan. 

Les  revues  des  troupes  à  notre  service,  autres 
que  celles  mentionnées  dans  Tarticle  précé- 
dent, seront  passées  en  revue  toutes  les  fois  et 
de  telles  manières  quMl  nous  plaira  de  Tor- 


302  réglemens 

donner  par  nos  réglemens  relatifs  à  l'adminis- 
tration de  nos  forces. 

2.  Tout  officier  convaincu  devant  une  Cour 
martiale  générale  d^avoir  signé  de  faux  cer- 
tificats d'absence ,  sera  cassé. 

Tout  officier  convaincu  devant  une  Cour 
martiale  générale  d'avoir  signé  de  faux  certi- 
ficats, rapports,  feuilles  de  décompte  en  blanc,, 
pourra  être  cassé. 

3.  Tout  officier  qui  fera  sciemment  de  fausses 
revues  d'hommes  ou  de  chevaux;  tout  officier,^ 
commissaire ,  maître  de  revues,  qui  signera 
sciemment  le  relevé  de  fausses  revues  ,  sera  y 
sur  preuve  administrée  par  deux  témoins  de- 
vant une  Cour  martiale  générale,  cassé  et 
passible  en  outre  des  peines  indiquées  par  le 
mutiny  MIL 

4-  Tout  commissaire ,  maître  de  revues ,  con- 
vaincu ,  devant  une  Cour  martiale  générale  ,. 
d'avoir  reçu  de  l'argent ,  en  passant  la  revue 
d'un  corps  ou  en  arrêtant  des  contrôles,  sera 


ET    ARTICLES,    ETC.  SqS 

destitué  et  passible  en  outre  des  peines  indi- 
quées dans  le  mutiny  hill. 

5.  Tout  officier  supérieur  ou  autre  comman- 
dant un  régiment  ou  une  compagnie  de'ta- 
chée  ,  et  présent  au  corps ,  peut  donner  des 
congés  aux  sous-officiers  et  soldats,  pourvu 
que  la  durée  du  congé  n*'excède  pas  vingtjours 
en  six  mois,  et  qu''il  n^  ait  jamais  plus  de  deux 
hommes  absens  à  la  fois  de  la  compagnie. 

SECTION  V. 

Rapports. 

1.  Tout  officier  qui  présentera  un  faux  état 
de  situation  à  nous,  au  commandant  en  chef 
de  nos  forces  ou  à  son  chef  autorisé  pour  le 
recevoir,  après  conviction  devant  une  Cour 
martiale  générale,  sera  cassé. 

2.  Tout  officier-commandant  qui  négligera 
ou  omettra  à  dessein  d'envoyer,  le  25  de  cha- 
que mois,  au  commandant  de  nos  forces  et  à 
notre  secrétaire  de  la  guerre,  Tétat   de  situa- 


394  RKGLEMENS 

tion  exact  des  troupes  de  son  commande- 
ment, sera  traduit  devant  une  Cour  martiale 
générale. 

3.  Les  états  de  situation  seront  envoyés  de 
la  même  manière  pour  les  troupes  stationnées 
en  Ecosse  et  en  Irlande,  aux  commandans  de 
nos  forces  dans  ces  deux  royaumes. 

4*  Les  états  de  situation  de  notre  garnison  de 
Gibraltar  et  des  troupes  stationnées  dans  nos 
possessions  éloignées ,  seront  envoyés  par  les 
occasions  convenables. 

SECTION  VI. 

Désertion. 

1.  La  désertion  sera  punie  de  mort  ou  d'une 
autre  peine  infamante  par  une  Cour  mar- 
tiale générale. 

S'être  enrôlé  dans  un  autre  régiment  ne 
dispense  pas  de  la  peine. 

2.  Tout  officier  qui  conservera  sciemment 


ET    ARTICLES,    ETC.  IgS 

dans  son  régiment  un  déserteur  d'un   autre 
corps,  sera  cassé. 

3.  Les  déserteurs  enrôlés  dans  un  autre  ré- 
giment, et  désertant  uue  seconde  fois,  seront 
punis  pour  le  premier  délit,  sauf  à  admettre 
en  justice  Tévidence  de  la  seconde  désertion 
comme  aggravant  la  première. 

4.  Tout  officier  ou  soldat  s'absentant  sans 
permission ,  sera  à  la  discrétion  d'une  Cour 
martiale  générale  ou  régimentaire. 

5.  Tout  officier,  sous-officier  ou  soldat  insti- 
gateur de  désertion ,  sera  à  la  discrétion  d'une 
Cour  martiale  générale. 

SECTION    VII. 

Querelles  et  défis. 

1.  Aucun  officier,  sous-officier  ou  soldat  ne 
doit  en  provoquer  un  autre  de  parole  ou  de 
geste,  sous  peine,  si  c'est  un  officier,  d'être 
mis  aux  arrêts;  si  ce  sont  des  sous-officiers  ou 


^g^  réglemens 

soldats ,  d^être  emprisonnés  et  de  demander 

pardon  à  Toffensé ,  en  présence  de  Tofficier- 

commandant. 

2.  Aucun  officier,  sous-officier  ou  soldat  n^en- 
verra  un  défi  ou  ne  combattra  en  duel,  sous 
peine,  si  cVst  un  officier,  d^être  cassé;  si  ce 
sont  des  sous-officiers  ou  soldats,  de  souffrir 
le  châtiment  corporel  ou  Temprisonnement ,  à 
la  discre'tion  d^une  Cour  martiale. 

3.  Tout  officier  ou  sous-officier  qui  souffrira 
sciemment  qu'un  duel  ait  lieu,  et  aussi  les  se- 
conds, promoteurs  et  procureurs,  seront  punis 
comme  auteurs  du  défi  et  principaux. 

4.  Tout  officier,  quel  que  soit  son  grade,  a  le 
droit  d"'arrêter  toute  querelle,  rixe  ou  désor- 
dre à  sa  connaissance,  même  quand  les  hom- 
mes n'appartiennent  pas  à  son  corps.  Il  faut, 
mettre  les  officiers  aux  arrêts,  et  les  sous-offi- 
ciers et  soldats  en  prison,  jusqu'à  ce  que  leurs 
propres  officiers  aient  pris  connaissance  de 
l'affaire. Quiconque  refusera  d'obéir  à  cet  offi- 
cier, tïil-il  infi^rieur  en  grade,  ou  tirera  l'épée 


ET    ARTICLES,    ETC.  397 

contrelui,  sera  à  la  discrétion d\i ne  Cour  mar- 
tiale générale. 

5.  Tout  officier,  sous-officier  ou  soldat  qui 
fera  des  reproches  à  un  autre  pour  avoir  re- 
fusé un  défi,  sera  punissable  comme  défieur. 

Nous  acquittons  et  déchargeons  tout  offi- 
cier et  soldat  de  la  déconsidération  ou  du 
blâme  qui  pourrait  tomber  sur  lui  pour  avoir 
refusé  d'accepter  un  défi,  vu  qu'il  n'a  fait 
qu'obéir  à  nos  ordres ,  et  remplir  son  devoir 
en  bon  soldat  soumis  à  la  discipline. 

SECTION  VITI. 

vivandiers. 

1 .  Il  est  défendu  aux  vivandiers  de  vendre  à 
boire  ou  à  manger,  ou  de  tenir  leurs  boutiques 
ouvertes  pour  l'usage  des  soldats ,  après  neuf 
heures  du  soir,  avant  la  batterie  du  réveil,  ou 
les  dimanches,  pendant  le  service  divin,  sous 
peine  d'être  privés  de  patente. 


398  réglemens 

2.  Tout  officier,  sous-officier,  soldat  et  vivan- 
dier aura  pleine  liberté  de  faire  entrer  dans 
nos  forts  et  garnisons  toute  denrée  à  boire  ou 
à  manger,  excepté  là  où  un  marché  a  été  fait 
pour  la  fourniture  exclusive  de  cette  denrée , 
et,  dans  ce  cas,  pour  cette  denrée  seulement. 

3.  Les  gouverneurs  et  commandans  des  forts, 
garnisons  et  casernes ,  veilleront  à  ce  que  les 
vivandiers  fournissent  les  soldats  de  denrées 
en  bonne  qualité  et  au  prix  du  marché. 

4.  Les  gouverneurs  etcommandans  des  forts, 
garnisons  et  casernes ,  ne  pourront  exiger  un 
prix  exorbitant  des  maisons  ou  écuries  aban- 
données aux  vivandiers  ,  ni  mettre  d'impôt 
sur  leurs  marchandises,  ni  sMntéresser  dans 
leur  commerce,  sous  peine  d'être  ,  sur  convic- 
tion devant  une  Cour  martiale  générale,  cassés, 
et  pire  ,  s'il  y  a  lieu. 

5.  Les  gouverneurs,etc.,qui  seraient  de  con- 
nivence avec  des  officiers  ou  d'autres  gouver- 
neurs pour  faire  vendre  aux  soldats  les  den- 
rées,  liqueurs  et  marchandises  nécessaires  à 


ET    ARTICLES,    ETC.  Sgg 

la  vie ,  à  un  prix  exorbitant,  seront  cassés,  et 
pire,  sMl  y  a  lieu. 

SECTION  IX. 

Quartiers. 

1 .  Un  officier  ou  sous-officier  ne  demandera 
pas  de  logement  pour  plus  que  son  effectif. 

Ne  logeront  femmes,  enfans,  ni  domesti- 
ques mâles  ou  femelles ,  dans  les  maisons  as- 
signées pour  le  logement  des  officiers  ou  sol- 
dats ,  sans  le  consentement  du  propriétaire  , 

Ne  prendront  pas  d'argent  pour  libérer  du 
logement  les  propriétaires ,  sous  peine  :  Toffi- 
cier,  d'être  cassé;  le  sous-officier,  d'être  dé- 
gradé, et  de  souffrir  telle  punition  corporelle 
ou  emprisonnement ,  qui  sera  décidé  par  sen- 
tence de  Cour  martiale  générale  ou  régimen- 
taire. 

2.  Tout  officier-commandant  aura  soin  que  les 
quartiers  de  son  régiment  soient  nettoyés  tous 
les  quatre  jours ,  ou  avant  que  sa   troupe  ne 


4^0  RKGLËMKNS 

les  quitte,  si  elle  reste  moins,  sous  peine  d'être 
a  la  discrétion  d'une  Cour  martiale  générale. 

3.  Le  commandant  d\me  troupe  arrivant  dans 
une  ville,  bourg  ou  village,  fera  proclamer  que 
les  dettes  faites  par  les  sous-officiers ,  soldats  , 
au-dessus  de  ce  qui  leur  revient  pour  leur  sub- 
sistance journalière  ,  ne  seront  pas  payées.  Le 
commandant  qui  négligerait  de  faire  cette  pu- 
blication ,  sera  suspendu  pendant  trois  mois, 
et  sa  paie  ,  pendant  ce  temps,  sera  employée 
à  payer  les  dettes  contractées  parles  sous-of- 
ficiers et  soldats. 

4.  Si,  malgré  la  publication,  les  babitans 
prêtent  aux  sous-officiers  et  soldats,  ce  sera 
à  leurs  risques  et  périls. 

5.  Le  devoir  des  oificiers-commandans  en 
quartier  ou  en  marcbe,  est  de  maintenir  le 
bon  ordre  ,  de  redresser  les  abus ,  et  de  répri- 
mer les  désordres  commis  par  leurs  subor- 
donnés. 

Si ,  sur  la  plainte  contre  des  officiers ,  sous- 
officiers  et  soldats  battant  ou  maltraitant  leurs 


ET    ARTICLES,    ETC.  4o  •■ 

hôtes ,  en  extorquant  d'eux  plus  qu'ils  ne 
doivent  donner  par  la  loi ,  ou  troublant  les 
festins  et  marchés,  ou  querellant  et  inquiétant 
tout  le  peuple,  rotlicier-com mandant  refuse 
ou  omet  de  rendre  justice,  et  de  dédommager 
les  parties  lésées  jusqu'à  concurrence  de  la 
moitié  de  la  solde  de  ToHenseiir  ,  Tofficier- 
commandant  est  susceptible,  sur  conviction 
acquise  devant  une  Cour  martiale  générale, 
d'être  réputé  coupable  au  même  degré  que  s'il 
avait  commis  le  crime  ou  le  désordre ,  et  sera 
punissable  à  la  discrétion  de  la  Cour  martiale. 

SECTION  X. 

Charrois. 

1.  L'officier-commandant  s'adressera  au  ma- 
gistrat pour  les  voitures  ;  il  aura  soin  de  ne 
battre  ni  maltraiter,  et  de  ne  pas  souffrir  qu'on 
batte  ou  maltraite  les  conducteurs,  ni  qu'on 
charge  les  voitures  au-dessus  de  la  fixation , 
ni  qu'on  y  fasse  monter  des  femmes  ou  des 

TOME  [.  26 


4o^  RÉGLEMENS 

soldais,  excepté  les  malades.  Tout  officier  qui 
manquera  à  ce  devoir,  ou  qui,  en  cas  que  Tar- 
gent  manque,  refusera  de  donner  le  certificat 
des  sommes  dues  pour  le  louage  des  voitures , 
sera  cassé  ou  pire,  par  une  Cour  martiale  gé- 
nérale. 

SECTION  XI. 

Dos  crimes  punissables  par  la  loi. 

1.  Quand  un  officier,  sous-officier  ou  soldat 
est  accusé  d"'un  crime  capital  ou  de  violence 
contre  les  personnes  ou  les  possessions  de  nos 
sujets,punissablespar  la  loi  commune  du  pays, 
les  officiers  doivent ,  à  la  première  plainte  , 
faire  remettre  le  coupable  au  magistrat  civil. 
En  cas  de  négligence  ou  refus  de  le  faire,  cassé 
par  Cour  martiale. 

Un  officier  ne  doit  pas  protéger  un  débiteur 
contre  ses  créanciers  ,  sous  le  prétexte  qu^il  est 
soldat;  s'il  le  fait,  cassé. 


♦  ^ 


ET    ARTICIES,    ETC.  4^3 

SECTION  XII. 

Du  redressement  des  torts  {ivrong). 

Si  un  officier  a  à  se  plaindre  de  son  colonel 
ou  commandant ,  et  n'obtient  pas  justice ,  il 
sVn  plaindra  au  général  commandant  en  chef, 
qui  sera  tenu  d'examiner  la  plainte,  et  de  nous 
en  faire  rapport,  par  lui  ou  notre  secrétaire 
de  la  guerre,  afin  de  recevoir  nos  ordres  ul- 
térieurs. 


FIN  DU  ÏO]ME  PREMIER. 


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