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HISTOIRE
A GUERRE
DE LA PÉNINSULE I
SOUS KAPOJJMiVy
TABLEAU POLITIQUE ET MILITAIRE
DES PUISSANCES BELLrCI-RANTES.
LE GÉNÉRAL FOY,
M°" I.A COMTESSE FOY.
■2* ÉDiTrow.
l PARIS
' JtîAUDOUIN FRÈRES, ÉDITEURS,
RUE DE VADOIRARD , K. I7.
ï DELAUNAT, PALAIS -ROYAL.
I 1827
« J. TXSTTJ, rMPRIMEUX El KOITÏC» , RUE OB VACCIIIA«B, K. 36.
Iffi^B LIBRAR.T
HISTOIRE
DE I,A
GUERRE DE LA PÉNINSULE
sous NAPOLÉON,
D'UN TABLEAU POLITIQUE ET MILITAIRE
DES PUISSANCES BELLIGÉRANTES.
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TOME I.
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J. TASTL, IMPRIMEUR ET KDITEUK
BUE DE VAVGIRAKD, N. 36
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HISTOIRE
LA GUERRE
DE LA PENINSULE
SOUS NAFOLÉOKr,
PRtCLDtE n Vt
TABLEAU POLITIQUE ET MILITAIRE
PES PU!SSANCi:S BELLlGlilUNTlùS
LE GÉNÉRAL FOY.
PUULlÉ.S PAlt,
M°"= LA COMTESSE FOY-
2" EDITION.
Qiinijtnj ifjsir misi^ritiut mit.
Viiiii.
PARIS
BAUDOUIN FRÈRES, ÉDITEURS,
RUE DE VADGIRARD , N. I7.
1827
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in 2009 witii funding from
University of Ottawa
.' ♦
Iittp://www.arcliive.org/details/liistoiredelaguer01foym
En publiait la première partie d'un ouvrage
qui est loin d'avoir reçu une rédaction défini-
tive, je crois devoir entrer avec le lecteur dans
quelques détails, pour aller au-devant de ce
qu'une critique sévère pourrait avoir à y re-
prendre, et de ce qu'un intérêt plus bienveillant
pourrait avoir à y désirer.
Lorsqu'en 1814 mon mari rentra dans la vie
privée , il conçut le projet d'écrire l'Histoire de
la guerre de la Péninsule , de cette guerre qu'il
avait faite durant sept années, et dont les ré-
cits, mêlés de considérations politiques , sem-
blaient destinés à commencer pour lui l'appren-
tissage d'une carrière nouvelle. Il s'en occupa
dès-lors avec cette conscience de recherches et
cette activité d'esprit qu'il mettait à toute chose.
Après avoir réuni de nombreux matériaux re-
cueillis en France et en Angleterre , il se mit à
écrire sans interruption ce que je publie aujour-
d'hui. La premièi'e moitié de cet ouvrage a été
revue par lui, plus pour changer la marche et
la division des matières (cornme l'attestent les
corrections , toutes de sa main), que pour re-
chercher une pureté de style dont il 7ie se serait
occupé que plus tard. La seconde m,oitié n'a été
écrite qu'une fois : c'est sa pensée première ;
c'est , pour ainsi dire , une improvisation. Inter-
rompu dans ce travail en \^\1 , par le mauvais
état de sa santé, il l'a laissé imparfait et ne l'a
plus revu depuis.
Tel qu'il est , cependant , je crois devoir le
publier, moins dans l'espoir d'augmenter J'héri-
tage de renommée qu'il a laissé à ses erifans ,
que dans la pensée de restituer à son pays un
travail qu'il lui avait consacré ; car son pays
était l'objet constant de son dévouement et de
ses affections y dans les jours de péril comme
dans les jours de loisir.
Que cette patrie qui toujours lui fut si chère y
^ne permette de chercher à m' acquitter ainsi
d'une faible part de la dette sacrée d'une fa-
mille dont son adoption a soutenu et illustré le
jnalheur. Elle a couvert d'uîie telle gloire le
tombeau de mon mari et le nom de ses fils ,
qu'elle me pardonnera, f espère, si , comme
veuve et comme mère , j'ose , en lui exprimant
ma reconnaissance , sortir pour un moment de la
solitude oii moîi deuil m'a placée.
L. O'"' FOY.
AVANT-PROPOS.
Lorsqu'en 1 8 1 5 _, après la bataille de Wa-
terloo et pendant l'occupation de la France,
l'armëe française eut e'te dissoute , le gêne-
rai Foy comprit cpe sa carrière militaire
était terminée. Ce n'était plus sur les champs
de bataille que devaient être défendues les
opinions qui, vingt ans auparavant, l'a-
vaient appelé aux armes. L'honneur de la
France et l'indépendance nationale, ces
deux passions de sa vie entière, n'étaient
plus pour lui que des motifs de souffrance.
Bien que les débris de notre vieille armée
eussent été en partie recueillis dans la for-
mation d'une armée nouvelle , on conçoit
TOME I. b
II AVANT-PKOPOS.
facilement qu'une ame lièie , pleine de no-
bles souvenirs, qui ne sentait rien à désa-
vouer dans le passe', ait rejeté' bien loin la
pense'e de subir la moindre indulgence, et
de déguiser en rien ses sentimens d'autre-
fois et ses impressions d'aujourd'hui. D'ail-
leurs, lorsqu'enfin nous obtenions pour
prix de nos maux, pour consolation de
nos revers, un gouvernement fonde sur la
libre délibération et la publicité, le temps
e'tait venu de ne plus demander l'honneur
et l'avancement qu'au glorieux patronage
de l'opinion publique. (( Les places, )) écri-
vait alors le général Foy dans quelques li-
gnes destinées à faire partie de la préface de
son livre , (( les places ne valent pas l'am-
)) bition d'une ame élevée ; il n'y a de bon
)) dans le gouvernement populaire que ce
)) qui vient du peuple. »
Cependant il n'avait pas encore obtenu
accès à cette tribune où sa vocation et sa
gloire l'appelaient \ et cet esprit , avide
d'action et de connaissance, ne pouvait
AVANT -PROPOS. III
végéter dans un loisir inutile. Privé lout-
à-coup de la vie agitée et aventureuse des
camps , il n'était pas réduit^ comme tant
d'autres , à se laisser accabler par une pe-
sante oisiveté. Les chances de la guerre et le
goût vif et studieux qu'il avait toujours eu
pour sa glorieuse profession_, n'avaient point
suffi à occuper toutes ses facultés; cette
sphère , si vaste qu'elle puisse être , n'avait
jamais borné ses pensées et son imagina-
tion. Tourmenté du besoin d'apprendre,
partout où il avait trouvé un pays à obser-
ver, un fait à noter, un livre à lire, une
conversation à écouter, il y avait appliqué
toute son attention. Savoir avec exactitude,
et juger avec liberté, était en toute cir-
constance un besoin impérieux pour lui.
Non-seulement il lui fallait recueillir et
combiner tout ce qui se présentait à ses
yeux, mais plus actif que contemplatif,
plus pratique que théorique, il voulait re-
tirer de ses études continuelles des fruits
positifs. Pendant sa vie entière, il est rare
b'
IV AVAAT-PROPOS,
qu'une seule journée ait fini sans qu'il eut
écrit, souvent même avec détail, ce qu'il
avait vu, appris ou pense. Les nombreux
volumes de ce curieux journal sont demeu-
res en témoignage de sa merveilleuse ac-
tivité.
A peine sorti de la vie militaire, le gé-
néral Foy conçut le projet d'écrire l'His-
toire de la guerre d'Espagne. D'autres
époques étaient sans doute plus chères à
son souvenir ; mais il avait fait toutes les
campagnes de la Péninsule; le souvenir en
était encore tout récent dans son esprit et
dans l'attention du public. Cette guerre
formait comme une sorte d'épisode sé-
paré des autres entreprises des armées
françaises. D'ailleurs, elle était bien plus
mêlée de mouvemens populaires, d'in-
fluence des opinions, de diversités natio-
nales, de considérations politiques. Enfin
elle était à juste titre désignée comme la
cause première et principale de la chute de
Napoléon. Là, mieux qu'ailleurs, devait
AVA N T - P R O P O s.
être apprécié ce grand personnage qui,
après avoir régne sur toutes les volontés ,
remplissait encore toutes les imaginations.
Le général Foy se sentait plus qu'un
autre le droit de le Juger. Soldat de l'ar-
mée du Rhin, ne voulant verser son sang
que pour défendre la liberté de son pays,
il s'était autrefois refusé à devenir aide-de-
camp du général de l'armée d'Italie. Sans
doute il avait admiré le grand homme de
guerre; il s'était enorgueilli de la gloire
répandue sur le nom français, mais tou-
jours en portant un œil de regret sur les
guerres de sa jeunesse, sur cette époque
de dévouement patriotique et de vaillance
désintéressée. 11 lui plaisait d'avoir à ex-
primer ce double sentiment qui, dans le
moment où il écrivait, ne pouvait être
que sincère.
(( J'ai fait tout ce qui était humaine-
)) ment possible pour empêcher son pou-
» voir ; j'ai refusé sa fortune. J'ai le droit
» d'en dire du bien ; sa gloire est notre
VI AVANT-PROPOS.
)) patrimoine. Nous avons assez souffert
» de ses fautes pour revendiquer ses qua-
)) litës.... ))
Il trouvait aussi que l'ëpoque était bien
choisie pour parler non-seulement de Na-
poléon, mais de toutes choses et de toutes
personnes, avec une franchise entière.
(( Bon moment pour e'crire l'histoire !
)) Les he'ros sont morts. Ce qui reste d'ho-
)) norable est dans la retraite et dans l'ou-
)) bli; le petit nombre des autres est si
)) différent d'eux-mêmes, qu'on ne risque
)) pas en les molestant. Ils se sont fait
» d'autres principes depuis qu'ils adorent
)) d'autres dieux. ))
Parmi les pensées qui le préoccupaient
en commençant cet ouvrage , on en trouve
une qui est bien conforme à tous les sen-
timens que depuis il a manifestes. C'est une
certaine inquiétude d'entendre remarquer
quelque contradiction entre les sentimens
de liberté et de patriotisme qui avaient jadis
anime l'armée française, et l'ardeur qu'elle
AVANT-PROPOS. VII
avait aussi déployée au service du destruc-
teur de nos libertés. On verra dans la
phrase suivante et l'on retrouvera dans le
livre une considération que l'histoire doit
recueillir : c'est que la principale circons-
tance des succès de Napoléon, circons-
tance due à la force des choses et à son ha-
bileté, c'est d'avoir toujours compromis la
France et l'armée, en telle sorte que l'hon-
neur national et la sûreté du territoire
étaient en jeu, même lorsqu'ils n'avaient
été pour rien dans les motifs de la guerre.
(( Et qu'on ne dise pas que le patrio-
)) tisme des soldats fut moins grand , parce
» qu'ils combattirent loin de la patrie
)) pour la cause du conquérant... Une vic-
)) toire à Moscou et aux Arapiles était
)) mille fois plus importante, non pas que
» Jemmapes ou Valmy, mais que Fonte-
» noi et Rosbach.... Plus loin était le ter-
)) rain, plus l'action était forte, plus la
)) réaction devait être sanglante.... Et c'est
)) Moscou qui a amené Alexandre à Pa-
VIII AVANT-PROPOS.
» ris!..,, et l'Espagne, Wellington, le gé-
» néral odieux des étrangers, dans les murs
» de notre \ille sacrée !.... )>
Enfin, aux sentimens qu'il avait le désir
d'épancher, au besoin de remplir ses loi-
sirs^ se joignait encore l'espérance qu'il
eut toujours d'illustrer son nom. La guerre
lui était fermée; le peuple ne l'avait pas
encore choisi pour son représentant et son
orateur. Ainsi il recherchait la gloire d'é-
crivain qu'il ne dédaignait pas; car il y
pouvait atteindre.Et cependant cette gloire,
il voulait encore la reporter sur la France,
qui était le fond de ses pensées et de ses
attacliemens :
(( Heureux l'écrivain qui élève un mo-
» nument à son pays !... Je n'aurai pas cet
)) avenir... »
Une fois que son projet fut arrêté , le
général Foy travailla à l'exécution avec
cette incroyable ardeiu^ qu'il mettait à
toutes choses. Les notes qu'il avait prises
jour à jour sur les lieux même et au milieu
AVANT-PROPOS. IX
des évenemens, ne lui suffirent pas. Par-
tout il recueillit des renseignemens _, dé-
pouilla les correspondances , les ordres des
ministres et des ge'ne'raux ; rechercha le té-
moignage et les conversations de ses com-
pagnons de guerre. Il fit deux voyages en
Angleterre pour s'y instruire à fond de
l'organisation de l'arme'e^ et connaître les
récits qu^on y faisait de la guerre d'Es-
pagne ; il se rapprocha des Espagnols fu-
gitifs pour obtenir d'eux des informations;
il demanda partout des notes et des do-
cumens. Toujours vérifiant, toujours con-
trôlant les renseignemens les uns par les
autres j exact jusqu'au scrupule , il ne vou-
lait rien avancer, ni faussement, ni légère-
ment.
Tel fut le travail auquel il se livra pen-
dant les années 1816 et 1817, avec une
obstination si grande que cette vie séden-
taire et studieuse , succédant à l'activité
militaire , le rendit gravement malade, et
donna même des craintes fondées. Il lui
* AVANT-PROPOS.
fallut suspendre ses occupations et se sou-
mettre à un régime sévère. En 1819, il
fut nomme député; dès-lors une plus belle
carrière s'ouvrit devant lui. On sait comme
il l'a parcourue.
Madame la comtesse Foy a hésité quel-
que temps à publier cette première partie
de l'Histoire de la guerre d'Espagne. Elle
craignait de livrer à l'impression un ou-
vrage qui n'était pas entièrement terminé.
Il a fallu les instances de ses amis pour la
rassurer et lui persuader que le public re-
connaîtrait^ dans un ouvrage qui n'avait
pas reçu son derniej achèvement, le noble
talent dont l'impression est encore dou-
loureusement récente; qu'il y retrouverait
cette chaleur qui charmait et subjuguait
du haut de la tribune, cette sincérité d'o-
pinion, cette bienveillante impartialité,
ces jugemens fermes sans être rigoureux ,
ces vues promptes et élevées , enfin cette
tendresse pour la patrie française, qui
surtout a valu au général Foy toute la
AVAINT-PROPOS. XI
sympathie nationale. Elle a pense que
peut-être même y aurait-il un intérêt de
plus à observer le premier jet de la pensée
et Pinspiralion du moment ; que ce serait
une preuve de plus du naturel et de la
franchise du talent; enfin, qu'elle pouvait ,
sans crainte, laisser, pour ainsi dire, lire
dans l'ame de celui qu'elle et nous regret-
tons chaque jour.
Dans cette pensée elle s'est impose' le
devoir de publier les manuscrits tels qu'ils
lui ont e'te' laisses. Le ge'nêral avait cou-
tume d'écrire vite, de ne jamais laisser
échapper la pensée qui le traversait, ni
l'expression qui lui survenait; puis il re-
copiait, mettait en ordre, retranchait et
commençait à rechercher une correction
de style, dont il ne s'occupait tout-à-fait
qu'au dernier moment.
Ne pouvant suppléer en rien au travail
que l'auteur se serait sans doute imposé
à lui-même, il ne s'agissait plus que de
mettre en ordre des renvois et des trans-
XII AVANT-PROPOS.
positions , de reconnaître ce qui avait été
raturé, de veiller à ce qu'on n'imprimât
pas ce que l'auteur avait voulu supprimer,
sans pourtant jamais y rien substituer. C'est
de quoi les manuscrits peuvent porter té-
moignage.
Le général Foy semblait craindre que
son ouvrage ne fut trouvé trop long; on
voit qu'il voulait expliquer dans sa préface
comment sa manière de concevoir et de
traiter le sujet avait du l'entraîner à don-
ner une grande étendue à ses récits.
« Nous écrivons longuement , parce que
)) nous écrivons avec des Mémoires, des
w pièces officielles, des conversations, et
» surtout avec des souvenirs. Ceux qui font
)) des livres avec des livres et des gazettes
)) analyseront et seront plus courts
» Ce qu'il y a de plus difficile , c'est de
)) savoir les faits, et, quand on les sait,
)) c'est de les raconter sans altérer la vé-
)) rite. ))
On doit aussi remarquer à quelle époque
AVANT-PROPOS. XIII
écrivait l'auteur et à quels sentimens il
devait être livré. Certes son impartia-
lité n'en était pas altérée ; il pensait et
jugeait alors comme il a pensé et jugé de-
puis ', mais plus tard l'expression aurait pu
ne pas être tout-k-fait la même. Celui qui
était essentiellement tolérant et bien-
veillant, qui, dans la chaleur de la dis-
cussion, n'a jamais blessé une opinion ni
peut-être même un amour-propre, aurait
poussé ce genre de précaution jusqu'au
scrupule. Nous voyons que telle était sa
pensée, non pas même à l'égard de ses
compatriotes, mais aussi des étrangers et
des ennemis.
(( Pourquoi serions-nous ennemis indi-
)) viduels des Anglais? Wilson à Oporto,
)) Stuart en Sicile , furent des hommes
)) généreux Il y en a beaucoup. D'ail-
)) leurs la conduite des Anglais était for-
)) cée; leur morale est pour eux une se-
)) conde nature. Quand ils servent leur
)) aristocratie aux dépens de l'humanité.
XIV AVANT-PROPOS.
)) ils doivent être juge's, comme nous autres
)) Français, lorsque notre armée ravageait
)) TEurope par défaut de pre'voyance ad-
)) ministralive ))
Eli publiant l'Histoire de la guerre
d'Espagne , en cédant aux conseils qu'elle
a reçus , madame Foy n'a pas voulu seu-
lement remplir un devoir envers la mé-
moire de son illustre ëpoux; il lui a
semble qu'elle avait aussi à accomplir
d'autres devoirs envers cette opinion pu-
blique qui a manifeste' tant d'enthousiasme
et d'aftection pour un des plus eloquens
organes des sentimens nationaux. Cette
patriotique adoption de la famille du gé-
néral Foy a formé un contrat entre elle
et la patrie. Ce qui reste de ses travaux,
les productions encore inconnues de
son talent sont une sorte de propriété du
pays; et, lorsqu'au milieu de circonstan-
ces si graves, nous ne pouvons encore nous
accoutumer à ne plus entendre cette voix
qui animait et encourageait tout, qui exci-
AVANT-PROPOS. XV
tait dans nos cœurs tant d'affections sym-
pathiques ^ cherchons au moins dans les
pages qu'il a laissées des opinions géné-
reuses, de sages conseils et de nobles ins-
pirations.
TABLEAU
POLITIQUE ET MILITAIRE
IlES
PUISSANCES BELLIGÉRANTES.
LIVRE PREMIER.
FRANCE.
/ SOMMAIKE.
Etat de la France en i 799. — Napoléon Bonaparte s'em-
pare de l'autorité. — Son entraînement vers le pouvoir
absolu. — Gouvernement consulaire. — Paix géné-
rale. — Rappel des émigrés. — Monarchie impé-
riale. — Goût de Napoléon pour la noblesse. — Ins-
titution d'une noblesse nouvelle. — Passion de Na-
poléon pour la guerre. — Campement de l'armée sur
les côtes de l'Océan. — Esprit public de l'armée. —
Campagne de i8o5, en Autriche. — Campagnes de
i<So6 et 1807, en Prusse et en Pologne. — Paix de
Tilsit. — Situation de l'armée française à la fin de
1807. — Conscription militcj,ire. — Mœurs et habi-
tudes de l'armée. — Par qui et comment le pouvoir
était exercé dans l'armée. — Avancement et récom-
penses.— Subordination et discipline. — Organisation
militaire. — Infanterie. — Manière de combattre au
temps de la République. — Changemens opérés pen-
dant le séjour de l'armée dans les camps des bords de
l'Océan. — Cavalerie. — Artillerie. — Génie. — Etat-
major. — Etablissement des corps d'armée. — Garde
impériale. — Administration des armées. — Législation
militaire. — Science de la guerre. — Napoléon.
LIVRE PREMIER
FRANCE.
A la tin du dix-huitième siècle , la France
soutenait les attaques de TEurope coalisée. Le
trône s^était écroulé avec fracas. Les castes pri-
vilégiées avaient été mutilées et dispersées;
leur spoliation et rétablissement du papier-
monnaie , en transportant une part de la
richesse des classes qui consomment aux
classes qui produisent , avaient amélioré le sol
et éveillé Pindustrie. L'agitation , les excès
même du peuple soulevé n'avaient pas été inu-
tiles à son perfectionnement. Il en était resté
une teinte grave et plus de nerf dans le carac-
tère national. Les troubles politiques et la
guerre extérieure conspiraient à mettre les ta-
lens en Urmière et à exalter les courages. Tout
6 État de la frange
faisait présager, pour la génération naissante
et pour celle qui viendrait après , une direc-
tion d^idées plus juste et plus vigoureuse que
ne Pavaient eu leurs devanciers. Malgré de
sanglantes proscriptions, malgré Fémigration
et la guerre , la population allait en augmen-
tant, et le territoire était agrandi jusqu^aux
limites posées par la nature. Notre France ren-
fermait en elle des germes actifs de prospérité
et de puissance.
C'était au nom de Fégalité et de la liberté
que le peuple s'était levé. Déjà Fégalité avait
triomphé. Grâce à Fimprimerie, qui avait pro-
pagé les connaissances humaines; au com-
merce , qui avait accru et fait circuler les ri-
chesses ; à la guerre , devenue plébéienne par
Femploi dçs armes à feu, Fégalité était dans
les mœurs, même avant la révolution. Il ne
s'agissait plus que de la mettre dans les lois.
Les nations courent au plus pressé. Ainsi,
tandis que Fégalité s'établissait et jetait de pro-
fondes racines, la liberté , qui est une passion
EN 1799. 7
seulement pour les âmes généreuses, qui ne de-
vient un besoin universel qu^après une longue
et triste expérience : la liberté fut invoquée
tour à tour par les partis vaincus, et tour à tour
foulée aux pieds par les factions victorieuses.
La lutte cliaque jour plus animée entre les in-
térêts anciens et ceux quVvait créés la révolu-
tion n'étant pas encore terminée , les lois ser-
vaient dWmes de guerre et dMnstrumens de
violence.
A un pareil ordre de choses manquait le
caractère de la durée. La révolution, en se
prolongeant, menaçait de détruire les biens
même dont elle était la source. L'anarchie
s^apprêtait à dévorer FEtat. Après plusieurs
années de victoires éclatantes, dont Timpéri-
tie des gouvernans avait laissé perdre le fruit ,
peu s'en fallut que les armées étrangères n'en-
vahissent le territoire. Or, les gouvernemens
sont institués pour maintenir la paix publique
au dedans, et faire respecter le corps politique
au dehors. Le Directoire exécutif, ne pouvant
8 NAPOLÉOIS BONAPARTE
plus remplir ce mandat, devail lomber. Un
établissement plus solide était désiré et par les
victimes de la révolution lasses de souffrir, et
par les hommes enrichis ou élevés qui vou-
laient jouir en paix de leur existence nouvelle.
Déjà quelques zélateurs de la liberté , la con-
fondant avec la tyrannie qui avait abusé de
son nom, n'étaient pas éloignés de proférer
contre elle le blasphème du dernier des Brutuif
contre la vertu.
Napoléon Bonaparte se présenta, etTauto-
rité suprême tomba entre ses mains. 11 offrait
à la révolution des garanties suffisantes. C'était
lui qui , malgré sa répugnance pour les prin-
cipes et les mœursdes révolutionnaires, voyant
bien qu'ils étaient les plus forts, s'était mis à leur
tête le i3 vendémiaire , en dispersant à coups
de canon les partisans armés de l'ancien régime.
C'était lui qui, au 18 fructidor, avait, aux dé-
pens de la liberté et de la justice , préservé l'exis-
tence de la République, en ineftant le poids de
s'empare de L AUTORITE. 9
son épée dans la balance des partis. Ainsi placé
par choix et par nécessité à la tête des intérêts
nouveaux , la réputation du guerrier rassura
ceux qu'avait eft'rayés le progrès des armes de
Fétranger. A ses goûts studieux, à la profon-
deur de sa pensée , à l'élévation ossianique de
son langage , les amis de la liberté le prirent
pour un des leurs , quelles que fussent les pré-
ventions inspirées par s^ condviite passée. Les
classes distinguées par l'éducation attendaient
plus de libéralité d'un général illustre , que de
ces tribuns démagogues grandis an milieu des
saturnales des derniers temps. La nation en-
tière désirait le rétablissement de l'ordre. C'é-
tait l'unique besoin dont elle fût préoccupée.
Les peuples ne veulent jamais qu'une chose
à la fois. Rien de si imprévoyant que la voix
publique ; elle se rapporte toujours au pré-
sent , jamais à l'avenir. On demandait l'ordre,
comme auparavant on avait demandé l'égalité,
sans songer à la liberté.
Que la France eût été heureuse , si son jeune
tO I\'APOLEO^ BONAl>ARTE
chef" eût compris le siècle et deviné la postérité î
Washington en Amérique avait montré à quelle
condition on est « le premier dans la guerre, le
premier dans la paix , et le premier dans les
affections sociales'. » Bonaparte prit une autre
voie, et ce fut une preuve de plus que les gé-
nies brillans et les âmes naturellement prédo-
minantes, ne sont pas toujours les plus heu-
reux présens que le ciel puisse faire aux nations.
Il avait reçu le jour dans Vile de Corse,
en dehors des mœurs de la France et du
siècle. La nature lui avait donné, avec un
corps de fer, une tête puissante de concep-
tion , une imagination ardente , une invinci-
ble ténacité. Les belles-lettres qui humanisent
le caractère , et qu^on accuse d^affaiblir Tes-
prit en mettant les mots à la place des choses,
les belles-lettres avaient été sans attrait pour
lui. Les mathématiques lui avaient plu, comme
' Paroles extraites de l'Eloge funèbre de Washington ,
prononcé dans le congrès américain.
s EMPARE DE L AUTORITE. 1 1
méthodes propres à faire discerner le vrai , et
à donner un résultat positif. Continuant à ré-
soudre des problèmes , il eût été Newton ou
Lagrange. Mais la vérité mathématique était
trop abstraite , trop détachée de la vie réelle ,
pour servir dVmploi à sa volonté. LHnsatiabi-
lité de son esprit le transporta dans les espa-
ces du monde moral. L^époque où il vécut
dirigea ses recherches vers la guerre et la po-
litique. Eclairé par le flambeau de Tinvestiga-
tion , et soutenu par la trempe du caractère ,
il ne tarda pas à dépasser ceux qui se traînaient
à Taveugle dans les sentiers de la routine.
La révolution française était encore un chaos
pour les plus habiles, que déjà Napoléon en en-
trevoyait les résultats possibles. Un de ses com-
patriotes lui conseillait, à la fin de 1792 , d'aller
tenteofortune en Corse, et lui présentait en
perspective la survivance du vieux Paoli. « Oh !
» répondit le jeune honniie plein d"*avenir, il
» est plus aisé de devenir roi de France que
I) roi de Corse. »
12 NAPOLEON lîOXAI'ARTF.
Depuis ce temps, en quelque rang que Vait
mis la fortune, son ascendant Ta poussé par-
delà. Chef de bataillon d'artillerie au siège de
Toulon, et n^ étant que le second de son arme,
ayant à lutter contre Tingénieur Marescot, ré-
puté le plus expert dans Fart de prendre les
places , soutenant ses opinions devant des gé-
néraux estimés et des représentans du peuple
(jui distribuaient autour d'eux la terreur et la
mort , Bonaparte parut avec Taplomb, la supé-
riorité et presque le ton du maître. Général en
chef de Farmée d'Italie , il tint d'emblée ses lieu-
tenans à la distance respectueuse où il mit en-
suite les plus grands de la terre. Le Directoire
ne l'avait chargé que de commander les soldats
et de combattre : il reçut les ambassadeurs des
princes et des républiques , conclut des traités
avec eux , s'érigea en législateur, renversa et
éleva des Etats. A trente ans sa gloire avait
laissé loin derrière elle les gloires contempo-
raines.
La soif de dominer et le besoin de ne pas
S^EMPARE DE l\\UTOR1TÉ. j3
laisser Tadmiration se reposer le conduisirent
en Egypte : « L'Orient attend un homme, » di-
sait-il en traversant le désert qui sépare l'A-
frique de FAsie. Plût à Dieu que le génie
de la France lui eût alors apparu , pour Ta-
vertir que cet homme, FOccident le repous-
sait! Il ne faut plus à la vieille Europe que
le mouvement nécessaire pour assurer la mar-
che graduelle de Fesprit humain , et garantir
à chacun le degré d'indépendance personnelle
compatible avec le paisible usufruit des biens
de la nature et des productions des arts.
ISapolÉon ne se donna pas d'abord à con-
naître tout entier : quoique passionné pour la
guerre , il offrit la paix à FEurope. Les refus
de FAngleterre forcèrent le premier consul à
vaincre. A la tête d'une armée de conscrits , il
reconquit , par une seule manœuvre et par
Jine seule victoire, cette Italie qui, quatre ans
auparavant , avait coûté à ses soldats et à lui
onze mois d'efforts liéroïques et de coure p-
4 4 G O L ^ F. R N EM ENT
tiotis lumineuses. Le passage des Alpes reporte
] a pensée au temps cFAnnibal ; la série de mar-
ches terminée par la bataille de Marengo , at-
t este le point où la science était parvenue. La
capitulation du général autrichien Mêlas , n"'a-
vait pas d''exemple dans les fastes de la guerre.
Non moins grand dans les autres carrières ,
Bonaparte reconstruisit TEtat et recomposa
le gouvernement. Ceux qui Pavaient précédé
au timon des affaires , étaient les chefs de la
révolution; il en fut le maître. La sécurité
rendit aux propriétés leur valeur. Un code de
lois civiles fut donné aux Français , et la gloire
' en appartient au chef de FEtat , non-seule-
ment comme ordonnateur du travail , mais
^^ncore à cause des traînées de lumière que
son esprit supérieur jeta à plusieurs reprises
dans les discussions de ce monument de la rai-
son moderne. L^administration prit une mar-
che sûre et rapide, par Fapplication du prin-
cipe fécond en heureuses conséquences , de
confier toujours Faction à nii seul, et la déli-
CONSULAIRE. ^J
bération à plusieurs. L'ordre , qui est le symp-
tôme de la force et de la durée , fut établi dans
les services; les finances furent rétablies; les
lois furent strictement exécutées ; devant tant
d'éclat tempéré par tant de sagesse , les fac-
tions furent assoupies , et les derniers bran-
dons de la guerre civile disparurent.
Bonaparte releva le trône. La postérité dira
au profit de qui. Héritier de la révolution ,
et succédant à la République, Pautorité impé-
riale fut sans frein et sans limites. Le Sénat
apprit au peuple jusqu'à quelle profondeur
d'abjection peut descendre une assemblée
dont les membres , recommandables d'ailleurs
par l'exercice individuel des vertus ou des ta-
Jens , ne sont liés entre eux ni par le senti-
ment des devoirs envers la patrie , ni même
par l'esprit de corps. La nation perdit le peu
de libertés que l'ancien régime lui avait lais-
sées, et toutes celles que le nouveau lui avait
données. Droits politiques , intérêts particu-
l6 MUINAliCHlE
liers, propriétés d(\s communes, éducation,
science, pensée, le gouvernement envahit
tout. On sentit son poids dans la famille
comme dans la cité. Les Français ne formè-
rent plus qu'un gros bataillon mû au comman-
dement d'un seul homme. Le clergé, malgré
sa propension à travailler pour sa propre
grandeur, fut réduit au rôle d'instrument do-
cile des volontés du maître. Dans cette France
si agitée , peu de temps auparavant , par des
assemblées turbulentes, les citoyens n'avaient
plus le pouvoir de se réunir. Il ne restait ni
(.lans les mœurs , ni dans les lois aucun moyen
de résistance aux erreurs ou aux abus de l'au-
torité. C'était la carcasse politique de Constan-
tinople , moins l'anarchie des pachas , l'op-
position sourde de l'uléma , et la mutinerie
bruyante du janissaire.
Quand on veut gouverner les hommes par
leurs vices, on devrait se garder de les éclai-
rer, car Teffet des lumières est de jeter dans
ies esprits des idées justes sur les droits et les
IMPERIALE. 17
devoirs de chacun. Ici il y eut dans la marche
de Napoléon une contradiction qu'explique
son entraînement vers tout ce qui avait de Té-
clat. D'une part, la presse était esclave ; la po-
lice repoussait la vérité avec autant de soins
que s'il se fût agi d'écarter l'invasion de l'en-
nemi ; des écrivains se chargeaient, à prix
d'argent, tantôt de justifier la frénésie du
pouvoir, tantôt de distraire , par des querelles
de littérature et de coulisses , l'attention d'un
public avide de nouveauté ; d'autre part , Na-
poléon protégeait les sciences, et regrettait de
n'avoir plus le temps de les cultiver; il encou-
rageait les lettres et les arts. Sous son règne,
la France se couvrit de monumens d'un style
analogue à la grandeur de l'époque. Paris mé-
rita son nom de Capitale du grand Empire.
Des ponts construits sur toutes les rivières,
des canaux creusés aussitôt que projetés, des
routes tracées à travers les précipices des mon-
tagnes, ouvrirent de nouvelles communications
au commerce. Le mouvement imprimé depuis
i8 >Io^ARCIl^■
1789 à ragricullure et à Findustrie s''accéléra
encore en se régularisant. La population ne
cessa point d^augmenter. On ne trouvera pas
dans rhistoire un autre exemple de tant de
prospérité amassée sur un pays livré à la guerre
continuelle. Cest que Napoléon était despote
pour son compte , mais ne déléguait pas le
despotisme. Avec lui , on ne connaissait ni les
vexations des subalternes, ni Tinsolence des
castes, ni Tintolérable domination des partis ;
la loi était forte , souvent dure , mais égale
pour tous. La sublimité des conceptions et le
prestige de la gloire dissimulaient les difformi-
tés du pouvoir absolu.
Avant peu d^années , les larmes des contem-
porains qui ont perdu leurs fils ou leurs frères
dans les combats seront séchées ; le mal sera
passé, le bien restera. Dans cette activité guer-
rière dont nous avons été les instrumens et les
victimes , on ne verra plus que la gloire. La
gloire des armes est comme le feu ; de près elle
bride, de loin elle échauffe. La haine ver-
IMPKRULE. iq
tueuse qu'inspire le despotisme s'aifaiblira de-
vant un sentiment dVdmiration pour tant de
créations et de restaurations utiles. On dira
que , pour les accomplir, un pouvoir incon-
testé était peut-être nécessaire. Les pères ra-
conteront aux enfans comment au temps de
Napoléon , au milieu du bruit glorieux des ar-
mes , la France était loin d** avoir perdu Téclat
et la prospérité que donnent les sciences , les
lettres , Findustrie et le commerce.
Le passasse des formes de la république à
celles de la monarchie produisit peu d'impres-
sion sur la multitude , parce qu'il s'était opéré
progressivement et ne déplaçait pas d'intérêts.
Mais la pompe de la royauté développa rapi-
dement chez l'Empereur un travers dont on
avait déjà aperçu le germe dans les allures du
premier consul. Nul ne l'a surpassé en orgueil,
et assurément il était excusable d'en avoir plus
que les autres hommes. Mais à ce noble or-
gueil, qui est la conscience du génie, il joi-
20 GOUT DE NAPOLEON
gnait une prédileolion malheureuse pour la
noblesse d'extraction. La postérité le croira-t-
elle? le guerrier des Pyramides , Thomme de la
gloire , le roi des rois se plaisait à répéter quHl
était né gentilhomme ! C'était chez lui sans
doute une de ces impressions d'enfance qui se
perpétuent pendant la durée de la vie , et aux-
quelles on obéit en dépit de la réflexion et de
la raison. Qui mieux que Bonaparte savait
pourquoi, depuis quinze années, les classes in-
férieures étaient montées si haut , et les classes
supérieures descendues si bas? Qui plus que lui
était en état d'apprécier à leur juste valeur et
la politesse futile qui sert de vernis à l'impuis-
sance , et l'insolence des manières qui con-
traste avec la servilité des âmes? Sur quel
autre fondement posait son trône que sur la
révolution et l'égalité? Et pourtant, au lieu de
placer un titre tout neuf hors des préjugés
reçus et des habitudes anciennes , l'empereur
des Français adopta la contenance des rois de
France et de Navarre. Pour reproduire subite-
POUR LA NOBLESSE. 21
nient nn cérémonial et des usages lentement
introduits par la succession des temps , on eut
besoin de recourir aux dépositaires des vieilles
traditions. <( Les antichambres de la cour impé-
riale furent ouvertes à la noblesse , et la no-
blesse sY précipita'. » Les uns reportèrent au
maître nouveau les sentimens de loyauté qu'on
leur avait inculqués dès leur jeune âge; les
autres, en plus grand nombre, ne se piquèrent
de fidélité que pour le régime qui avait eu
leurs premiers sentimens. Il fut de bon ton de
dénigrer dans les salons du faubourg Saint-
Germain la puissance qu'on encensait aux Tui-
leries.
Installé sur le trône des Bourbons , et s'y as-
seyant à leur manière , Napoléon se crut solide
comme Louis XIV. Il voulut aussi avoir une
noblesse pour servir de cortège à sa dynastie.
L'opinion repoussa un système d'hérédité qui
' Mot de Napoléon.
11 INSTITUTION
ne s''accorde ni avec notre législation , ni avec
la passion de notre peuple pour Fégalité. Les
titres féodaux n'ajoutèrent aucun relief aux
noms glorieux de Tépoque actuelle , et ils atti-
rèrent les traits de la inalionité sur les aentils-
hommes de fraîche date qui n'avaient pas con-
quis l'estime publique par de hauts faits ou des
talens supérieurs. En vain dira-t-on que la no-
blesse nouvelle était populaire parce qu'on r
entrait à toute heure et de partout \ Cette teinte
démocratique était destinée à s'effacer après la
première génération. Les pères avaient été
créés nobles, parce qu'ils exerçaient le pouvoir;
les hls auraient usurpé le pouvoir en'iertu du
droit de leur naissance. Si les titres héréditaires
n'eussent conféré ni fonctions ^ ni préroga-
tives, il y aurait encore eu raison de s'alar-
mer. La classe qu'on en décorait, hargneuse
pour les citoyens, aurait fatigué le gouver-
nement de ses exigences et de ses tracasseries.
' Mémorial de Sainlt-Hclciic,
d'une noblesse nouvelle. 23
L'esprit de toute noblesse , jeune ou vieille ,
n'est plus dans les États modernes que la pré-
tention avouée d'obtenir les emplois sans être
capable de les remplir, et de vivre sans rien
faire aux dépens de ceux qui travaillent.
Avant Marengo, la France eût reçu la paix.
Après Hohenlinden , elle la dicta. Le gouver-
nement anglais , témoin de la lassitude des peu-
ples, consentit, malgré lui, à laisser respirer
l'humanité. Par la paix d'Amiens , la révolution
prit droit de bourgeoisie en Europe.
Cependant la réconciliation des Français ,
entre eux et avec les puissances étrangères,
reposait sur une base provisoire et fragile. La
France avait été sauvée , mais par une dicta-
ture. Si cette dictature devait durer au-delà
des dangers de la patrie , le remède pouvait à
la longue être plus funeste que le mal. La li-
berté de la presse , sauve-garde des autres li-
bertés, demeurait suspendue. Le pouvoir judi-
ciaire restait dans la dépendance de l'autorité
ii4 RAPPEL
executive. Le Tribunal, seule portion de la
représentation nationale à laquelle la parole
fût permise, avait été réduit au silence. Les
bons esprits demandaient au génie de Bona-
parte des institutions appropriées à la dignité
de Fespèce humaine, et qui , comme des an-
cres de sûreté , retinssent le vaisseau de FEtat
au fort des tempêtes.
Bonaparte crut répondre au vœu national
en se faisant nommer consul à vie, en réta-
blissant le culte , et en rappelant les émigrés.
De ces trois actes, le premier était Fébauche
d"'un plan plus vaste qui ne tarda pas à se dé-
velopper; le second s'accordait avec Fopinion
d''un certain nombre de Français , et associait
la religion à la garantie des cliangemens ré-
cemment opérés dans la société; le troisième
compromettait le destin de la révolution.
En admettant , ce que nous sommes loin de
croire , que Fémigration fut un devoir pour
quelques-uns, et un noble sacrifice de la pari
DES Émigrés. 25
de tous , encore est-il vrai que les émigrés s^é-
taient constitués en opposition avec Fimmense
majorité de leurs concitoyens, et qu'ils avaient
invoqué les armes de Tétranger '. La nation
étant demeurée victorieuse, ils n'avaient pas re-
couvré leurs privilèges , et on avait confisqué
leur avoir. L'exil qu'ils s'étaient imposé volon-
tairement était devenu pour eux une peine
perpétuelle. Le premier consul leur rendit la
patrie et les domaines dont l'Etat n'avait pas
disposé. C'était bien fait , s'il voulait de bonne
foi clorre la révolution, conserver la paix et
gouverner dans l'intérêt de tous. C'était ab-
surde , s'il avait dans le cœur de mettre son ar-
deur belliqueuse à la place des fureurs popu-
laires, et de jouer le pays au jeu des ba-
tailles.
Les victimes à demi consolées étaient au
' Il serait superflu de faire remarquer que nous enten-
dons parler ici des émigrés volontaires, et non des amis
de la liberté, ni des citoyens paisibles que la fureur des
factions força d'abandonner leurs fovers.
26 EAPPEL
nombre de plus de cinquante mille, et pro-
priétaires autrefois de la dixième partie du ter-
ritoire. Bien que dépouillés de leurs honneurs
antiques et frappés dans leur opulence , Télé-
gance des manières , puissance toute française
qui marche presque Tégale de la supériorité de
Tesprit, conserva à leurs femmes et à eux la su-
prématie dans la société. Ils bouleversèrent
Fopinion, non pas du peuple, mais des salons.
Cela était facile à prévoir. Pouvaient-ils faire
des vœux contre les Anglais , ceux que les An-
glais avaient secourus dans finfortune ? N'au-
rait-ce pas été de leur part un héroïsme surhu-
main que de s''identifier avec cette patrie
nouvelle , naguère si effervescente dans l'ou-
trage, et maintenant si lente dans la réparation ?
Que pouvait leur importer le triomphe d\in
drapeau qui était à leurs yeux Tétendard de la
révolte? Ne devait-on pas présumer qu'ils con-
sentiraient à voir la France resserrée dans les
murailles de Bourges, et là encore rançonnée
par les étrangers , s'il était possible qu'ils y re-
DES EMIGRES.. 1"]
trouvassent les avantages sociaux qui leur
furent injustement ravis ?
Quand le sol de la révolution fut couvert de
ses ennemis, il fallut les empêcher de nuire. Les
moyens ordinaires de répression ne suffisaient
pas; on en inventa de nouveaux. De-là Fessor
que prit la haute police. Le gage de la durée
du nouvel ordre de choses diminuait par la res-
titution aux anciens propriétaires dVine partie
des domaines nationaux. Les acquéreurs des
biens vendus , dont une longue possession n^i-
vait pas encore confirmé les droits , ignoraient
où s^arrêterait ce commencement de réaction.
Bonaparte imagina alors de réparer une faute
politique , par un acte abominable , sous quel-
que aspect qu^on Fenvisage. La tête du dur
d'Enghien lut offerte en holocauste à ses pro-
pres inquiétudes et aux intérêts révolution-
naires alarmés.
On put croire un moment que les partis
étaient d^iccord, car révolutionnaires et énji-
grés, républicains et royalistes firent éclater
9.8 PASSION DE NAPOLEON '
en même temps une indignation sentie par
tous avec la même vivacité.
Ce coup d^Etat , si discordant avec le carac-
lère libéral du siècle où nous vivons, est ce-
pendant la souillure unique de la vie de ce
grand personnage. Si son ambition a fait couler
tant de larmes, cVst Teftet de combinaisons
générales, et non d^un penchant particulier à
la cruauté. Ne confondons pas un despotisme
dont la colère s^arrètait à la limite de ce qu'il
croyait son intérêt , avec une tyrannie pas-
sionnée, aveugle et sanguinaire. Napoléon n'é-
tait pas né méchant ; toujours on le vit plein
d'indulgence pour les siens; il ne savait même
haïr long-temps, ni fortement ses ennemis.
Lisez l'histoire des hommes qui se sont élevés
du rang de simple particulier au pouvoir su-
prême , et vous verrez comment la plupart ont
acheté la couronne par plus de méchantes ac-
tions.
Ce n'était pas assez pour Napoléon de régner
POUR LA GUERRE. 29
sur la grande nation , il aspirait ouvertement
à la monarchie universelle. Dans cette pensée
gigantesque , peut-être était-ce encore moins
le but , que la route à parcourir pour y arri-
ver, qui souriait à son imagination. Car l'agi-
tation était son élément; il se délectait au sein
des tempêtes; le globe fournissait à peine de
quoi assouvir sa rage d'ajouter à la célébrité
d'un nom trop tôt célèbre. Il faisait la guerre
avec volupté; il Taimait comme on aime une
maîtresse au printemps de la vie. Pour justifier
aux autres , et peut-être à lui-même , le dérè-
glement de ses projets , il montrait la révolu-
tion française incompatible avec les préjugés
sur lesquels roule le monde depuis la chute de
V empire romain. « Sa mission , disait-il , n'é-
tait pas seulement de gouverner la France,
mais de lui soumettre le monde, sans quoi le
monde l'aurait anéantie. » Partant de cette
supposition gratuite, il organisa l'empire pour
la guerre, et pour la guerre éternelle. Ce ne
fut pas pour acquérir le droit d'être un prince
3o PASSIOIV DE NAPOLÉON
absolu qu^il combattit sous toutes les latitudes.
Rien ne Fempêcbait de le devenir à moins de
frais. Au contraire, il fonda le despotisme pour
créer, vivifier, et toujours renouveler les élé-
mens des combats.
Les hommes étrangers au métier des armes
ne sauraient concevoir cette inquiétude turbu-
lente qui conduisait Alexandre aux bords du
Gange et Charles XII à Pultawa. La guerre est
une passion jusque dans les derniers ordres de
la milice; pour ceux qui commandent, elle est
la plus impérieuse et la plus enivrante des pas-
sions. Où trouverez- vous un champ plus vaste
à Fénergie du caractère, aux calculs de Tesprit,
aux éclairs du génie ? A celui que la gloire en-
flamme, la faim, la soif, les blessures, la mort
m.ême, sans cesse menaçante, produisent une
sorte d''enivrement; la combinaison soudaine
des causes indéterminées avec les chances pré-
vues, jette dans ce jeu d'exaltation un intérêt de
touslesmomens, égal à rémotion que font naître
à longs intervalleslessituations les plus terribles
POLR LA GUERRE. 3l
de la vie. Quelle puissance dans le présent que
cette volonté du chef, qui enchaîne et déchaîne
à son gré la colère de tant de milliers dliom-
mes! Quelle suprématie surTavenir, que ce ta-
lent dont les inspirations vont régler le sort de
plusieurs générations ! Quand le Dieu dlsraël
veut écraser ses adorateurs sous le poids de sa
toute-puissance, il leur dit : « Je suis le Dieu
des armées. »
L'humeur belliqueuse de Bonaparte trouva
un puissant auxiliaire dans le cabinet de Saint-
James. Les meneurs de FAngleterre n'*avaient
permis la trêve d'Amiens que pour rendre sen-
sible à leur peuple Timpossibilité de la paix ;
Texpérience faite , le traité fut rompu. Napo-
léon rassembla Tarmée française dans des
camps, sur les côtes de FOcéan, depuis le
Texel jusqu'à la pointe de Bretagne. Il couvrit
d'artillerie le rivage de Boulogne , le plus rap-
proché de l'Angleterre. Les soldats creusèrent
des canaux et des ports de mer. Dans les havres
32 CAMPEME^T
et les grands fleuves on construisit des bâti-
mens légers; malgré les efforts de la marine
britannique , on parvint à les réunir dans les
ports nouveaux. En même temps, de nom-
breuses escadres sortaient de nos arsenaux
maritimes, et le pavillon français flottait sur
toutes les mers. Pendant quinze mois, Rome
et Carthage furent en présence.
On a demandé , et cV.st encore un problème ,
si Napoléon a voulu envahir TAngleterre , ou
seulement épouvanter les Anglais. Nous ne dou-
tons pas qu'il n^ait eu le projet de tenter la des-
cente. De combien peu sVn est-il fallu que la
flotte combinée de France et d'Espagne , dé-
bloquant successivement le Ferrol, Rochefort,
Brest et le Texel , ne restât maîtresse , pendant
plusieurs jours de suite, du canal de la Manche ?
La flottille de Boulogne, qu'on avait montrée à
dessein comme un épou vantail de guerre , eût
rempli alors sa destination naturelle , et eût
servi de moyen de transport. En deux marées,
cent mille hommes abordaient sur la plage
SUR LES COTES DE l'ocÉaN. 33
d^ Angle terre. Cinq marches au bord de la Ta-
mise menaient les Français plus avant dans la
conquête du monde , que trente batailles ga-
gnées sur le continent. Pour obtenir d''im-
menses résultats , il n'était pas indispensable
que Fenvahissement fût complet et définitif.
La retraite , il est vrai , offrait des difficultés
presque insurmontables; mais les espérances
du débarquement étaient assez décevantes
pour distraire la pensée des embarras du re-
tour '.
Les proscriptions avaient moissonné ou
éloigné la plupart des généraux qui avaient
Napoléon croyaiL que, Londres pris, l'Angleterre se-
rait conquise. Le général Marmont lui disait , au mois
d'octobre i8o5,à Augsbourg , que si la descente avait eu
lieu , les Autricliiens auraient probablement commencé la
guerre sur-le-champ. « Je ne le crois pas, répondit l'Em-
" pereur; mais s'ils fussent venus, les femmes de Stras-
» bourg auraient suffi pour les empêcher de passer le
•' Rhin. » Tant il était persuadé que l'éclat de son en-
treprise pétrifierait les rois du continent , et produirait
en France un immense mouvement national.
TOME I. 3
34 ESPRIT PUBLIC
commandé les premières armées de ia Répu-
blique ; d'autres étaient tombés sur les champs
de bataille. Il n'était plus ce Hoche à Famé
de feu , au caractère indomptable , qui n'eût
jamais ployé sous un maître , et dont les ta-
lens attestaient à la France combien de véri-
table noblesse elle cachait dans les ranas
de ses plus simples citoyens. Kléber avait
été frappé par un assassin ; Kléber, dont la
tête s'élevait comme un drapeau au-dessus
des bataillons , et qu'on n'a pas apprécié ce
qu'il eût pu valoir parce qu'il obéissait mal et
ne voulait pas commander. Le morose et ta-
citurne Pichegru était mort pour la France
en se mettant aux gages des Anglais. Moreau
vivait; sa vie était pure alors et sa gloire en-
tière. Général d'inspiration, il fut le premier
de l'époque dans l'art de faire combattre une
quantité limitée de troupes sur un terrain
donné. Mais son caractère n'était pas au ni-
veau de son talent. On l'avait vu, confiant
jusqu'à la faiblesse, aider au 18 brumaire;
DE l\4RMÉe. 35
peu de temps après son nom servait de ral-
liement aux ennemis de cette journée. Parmi
ces derniers , mais marchant seul dans des
voies patriotiques et modestes , était signalé le
vainqueur de Fleurus. Les principaux chefs de
Tarmée d''Italie ne dissimulaient pas leur mé-
contentement; les uns indignés du dictateur
superbe , qui avait relégué ses camarades si
loin de lui en attendant qu^il les traitât en su-
jets ; les autres gémissant de ce que tant de
périls et de travaux n^aboutissaient qu'à ren-
verser la République.
Napoléon frappa Moreau. Les frondeurs de
Tautorité tremblèrent ; quelques-uns se tinrent
àTécart pendant un temps plus ou moins long.
Le plus grand nombre entra bon gré mal gré
dans le nouveau système : il y avait place pour
tout le monde.
Soult, Davoust, Ney et d'autres hommes ha-
biles choisis sur le second plan, se dévouèrent
sans réserve; le champ illimité de Tespérance
s'ouvrait devant eux. Tout en désapprenant
3'
Mj esprit public
aux soldats les souvenirs delà République, ils
s'employèrent à donner une activité nouvelle
à leurs passions guerrières. L'influence des
chefs et la différence des positions avaient in-
troduit dans les armées , à travers la valeur et
le patriotisme communs à tous , des nuances
d'opinion distinctes , surtout parmi les offi-
ciers. Elles s'effacèrent dans les baraques de
Boulogne , d'Ostende et de Montreuil.
L'élan démocratique des braves de Sambre-
et-Meuse , la direction libérale et éclairée de
l'armée de Rhin-et-Moselle , la turbulence en-
vahissante des vainqueurs de l'Italie , se fon-
dirent dans un sentiment d'enthousiasme prêt
à devenir du fanatisme. Il n'y eut désormais
qu'une armée et qu'un général ^ les enfans de
la patrie, séparés des citoyens , furent les sol-
dats 1 non plus de la République , mais de
l'homme qui s'était porte pour le seul repré-
sentant de la gloire nationale : leurs bras vi-
goureux élevèrent sur le pavois le nouveau
Pharamond, en même temps que le Sénat, le
DE l\rmÉE. 37
peuple et le souverain pontife plaçaient sur son
front le diadème impérial.
Napoléon avait voulu descendre en Angle-
terre pour devenir Tarbitre de FEurope; il alla,
dans Tespoir de mettre FAngleterre aux abois ,
combattre les puissances du continent. Cette
marche inverse devait être plus lente, plus in-
certaine, et coûter plus de sang. Elles^accordait
avec les intérêts britanniques. Le célèbre Pitt ,
fatigué des efforts dans lesquels sa nation se
consumait toute seule depuis deux ans , ne
cessait de prêcher la croisade aux cabinets
d^Europe , et d'offrir des subsides pour la faire
entreprendre.
Dès le printemps de Tannée i8o5, la cour
de Vienne arma et forma im cordon en Italie ,
sous prétexte de garantir de la fièvre jaune les
Etats héréditaires : son intention véritable était
de prévenir et de combattre un autre mal plus
menaçant et plus pernicieux , la révolution
française, devenue homme dans la personne
38 CAMPAGNE dVlTKICHE,
de Bonaparte. A la fin de Fêté les troupes
autrichiennes inondèrent la Bavière ; les Russes^
payés aussi par le gouvernement anglais, mais
retardés à cause de la distance, suivirent leurs
alliés de loin dans cette attaque impétueuse.
L^empereur des Français n^était pas aisé à
prendre au dépourvu. Ses colonnes accou-
rurent des côtes de Picardie et de Flandre , '
de la Hollande , du Hanovre , sur le Danube ;
il enleva dans Ulm une armée autrichienne et
le fameux général Mack. Ce fut Feifet d'un
mouvement stratégique , conçu avec une au-
dace prévoyante , et exécuté avec une rare
précision. Quarante jours après, Farmée russe
fut battue dans les plaines de Moravie. La ba-
taille d'Austerlitz peut passer pour la plus sa-
vante de Fhistoire moderne , et ne fut pas une
des moins décisives. L'empereur François II
profita des forces que Farchiduc Charles ra-
menait d'Italie pour acheter la paix au prix
de quelques provinces cédées. Le Czar rentra
dans son pays avec ses Moscovites.
EiN i8o5. 39
Après le traité de Presbourg , Napoléon
pouvait arrêter la marche de son char triom-
phal. Les électeurs et les petits princes de
Tempire germanique, moitié par contrainte,
moitié par calcul , venaient de lier leur fortune
à ce drapeau tricolore , naguère hors de la loi
européenne. La France avait acquis la supré-
matie en Allemagne ; son influence excessive
dans les Etats du Midi n'était plus sujette à
contestation. Il dépendait dès-lors du chef de
la quatrième dynastie de choisir une épouse
parmi les filles des rois.
L'Empereur envoya une armée à JNaples.
C'était un acte de justes représailles; mais sur
le trône du souverain en fuite il plaça l'aîné
de ses frères, et peu de temps après il monar-
chisa la Hollande pour former un apanage an
troisième. La France et l'Europe durent s'a-
larmer de l'extension donnée au système im-
périal : la France, parce qu'elle élail condam-
née à verser son sang pour introniser, les tnis
après les autres , les membres d'une famille (\m
4o CAMPAGNE d'aUïUICHE,
ne devait plus rester mêlée dans les rangs de
la société ; TEurope , parce que rétablisse-
ment de la jeune dynastie ne pouvait être fait
qu'aux dépens des anciennes. L'Italie que tour-
mentent toujours ses souvenirs, supplia en
vain Napoléon de la constituer en un seul Etat.
Il continua à faire déborder la France au-delà
des Alpes et du Rhin, s'inquiétant peu de dé-
naturer le caractère français par Tamalgame
avec les mœurs italiennes ; il ne s'inquiéta pas
non plus de faire perdre à sa monarchie cette
consistance qui résulte d'une disposition de fron-
tières favorable à la défense du pays, et en rap-
port avec remplacement de la capitale. L'em-
pire germanique tombait de vétusté ; il lui
donna le coup de grâce et s'établit sur ses dé-
combres. La confédération du Rhin fut une
cohorte de vassaux susceptible de se grossir in-
définiment.
Sous le titre modeste de protecteur , Na-
poléon envahit l'argent et les soldats d'une
•noitié de l'Allemagne ; ses armées, toujours
EN i8o5. 4*
campées sur le territoire , menaçaient Tindé-
jjendance de Tautre moitié.
La Prusse se trouva exposée au premier feu
du conquérant. Dix ans de neutralité avaient
fait prospérer son commerce ; mais restant sta-
tionnaire, pendant que les autres grandissaient
par la victoire ou se retrempaient par le mal-
heur, elle avait cessé d'être une puissance du
premier ordre , et s'en était aperçue trop
tard. Tout était en armes autour d'elle. Son
territoire avait été violé par deux corps d'ar-
mée français, pendant la marche destinée à
envelopper la forteresse d'Ulm. On n'avait pas
écouté ses justes remontrances, et de la part de
Napoléon, le mépris était précurseur de la
ruine. Cependant un roi honnête homme hési-
tait à précipiter son pays dans une querelle
dont l'issue pouvait être funeste. Il délibérait
encore avec ses conseils , quand la monarchie
autrichienne fut ébranlée à Austerlitz , et
par suite l'empire d'Allemagne renversé. En
42 CAMPAGNES DE J 8o6 ET DE iSoj,
échange du margraviat d^Anspach et de quel-
ques portions de territoire nécessaires pour
arrondir les alliés du vainqueur , Frédéric-
Guillaume reçut le Hanovre, dont les Fran-
çais n'avaient pas le droit de disposer, puis-
qu'il ne leur avait pas été cédé par un traité.
La politique timide du monarque prussien le
déconsidéra , sans diminuer les dangers de la
monarchie. La noblesse , prenant à son compte
l'humiliation nationale, désira la guerre. Elle
y poussa le gouvernement à peu près malgré
lui. L'or des Anglais fit le reste.
Cette guerre contre la Prusse n'allait ni aux
intérêts de la France , ni à l'esprit de la révo-
lution. Il ne s'agissait plus, du moins en appa-
rence , de réprimer les tentatives de l'Angle-
terre, ou de punir l'acharnement de l'Autri-
che. On s'attaquait à la puissance qui , dès
1795, avait reconnu la République , et dont la
conduite. depuis la paix de Baie n'avait été que
la longue et continuelle réliWlation d'une pre-
mière effervescence. Cependant Paris eJ les
EN PRUSSE ET EN POLOGÎNE. 4^
provinces ne laissèrent encore apercevoir
aucun indice de ce mécontentement qui
éclata deux ans plus tard au sujet de Tini-
quité plus révoltante , d^où sortit la guerre
d'Espagne. Napoléon profita de l'irréflexion
du peuple français pour se faire pardonner sa
gloire .
La mémoire du grand Frédéric avait cessé
de protéger le palais de Potzdam . On avait en-
tendu parler d'un roi et d'une armée qui s'a-
musaient à des manœuvres de parade dans
les sables du Brandebourg. On ne savait même
pas qu'il y eût là une nation. Les Parisiens
n'avaient pas oublié l'insolent manifeste du
duc de Brunswick. Il s'était même conservé des
souvenirs de la honte de Rosbach. D'ailleurs,
nos armées n'avaient pas repassé le Rhin ; elles
étaient depuis la paix de Presbourg en marches
et en manœuvres continuelles. Aux yeux d'un
public mal instruit, l'invasion de la Prusse se
présenta comme la continualion de la campa-
gne d'Autriche.
'}4 CAMPAGNES DE I 8()6 ET DE 1 807,
On vit alors le peu (jtie vaut un Etat dé-
pourvu de frontières naturelles ou artificielles.
L^Einpereur choisit son point de départ. La
bataille d''Iéna décida du sort de la Prusse ,
moins à cause de la supériorité des évolutions
de tactique , qu'en raison de la direction prise
par les colonnes dans les marches prépara-
toires. Après cette journée désastreuse , les
généraux prussiens tout abasourdis rendirent
les places sans les défendre , et la conquête du
pays parut être le prix de la course.
Napoléon fut pour les Prussiens san-s géné-
rosité et sans pitié. H avait débuté dans son
entreprise par insulter déloyalement une reine
belle , héroïque et malheureuse. Des contribu-
tions et des vexations, imaginées par le génie
delà fiscalité, achevèrent dans le pays conquis
ce que le pillage du soldat avait épargné. Fré-
«léric-Guillaume ne désespéra pas du salut de
la patrie. Blessé au cœur, il se jeta tout san-
glant dans les bras de l'empereur de Russie.
Heureux s'il eût pris un an plus tôt cette déter-
E]N PRUSSH ET EN POLOGNE. 4^
minatioii tardive , et s^il eût trouvé des inspi-
rations sur le tombeau du héros de sa race ' !
Alexandre était descendu de nouveau dans
l'arène , prêt à venger les rois et à délivrer les
nations. Les empires du Nord et du Midi se
choquèrent aux plaines de la Pologne. Pour
la troisième fois les soldats de Napoléon ren-
contrèrent, non pas leurs maîtres, les Français
n'en ont pas dans l'art de la guerre , mais des
rivaux puissans par le nombre , par le mépris
de la mort et par le dévouement religieux au
souverain: qualité qui dans l'enfance de la civi-
lisation est aussi du patriotisme. Les Français
combattaient à quatre cents lieues de leur pays
sur une ligne d'opération mal assurée ; les
Russes appliqués à leur frontière étaient à
portée des magasins , du recrutement , des res-
sources de tout genre , et ils avaient recueilli
* L'empereur de Russie passant à Berlin, en i8o5,
pendant que son armée allait à la guerre d'Autriche, des-
cendit avec le roi de Prusse dans le caveau où sont dé-
posées les cendres du grand Frédéric.
/|() CAMPAGNES UE iSoC) ET DE 1807,
les débris de rarniée prussienne. Un homme
de moins dans le monde, el la lulte eût été
prodigieusement inégale. Mais Napoléon va-
lait à lui seul cent mille hommes. L^occupation
de Varsovie ne le dispensa pas d'une seconde
campagne, qui dans un autre siècle et avec un
autre général eût été jugée audacieuse et ra-
pide. Elle parut timide et lente aux Français
accoutumés à des miracles que dVutres mi-
racles devaient toujours surpasser. Le génie
était aux prises avec la force matérielle , avec
la puissance de la nature. Dans ce débat il fut
possible au génie de triompher. Le calcul ne
fut pas encore contraint à livrer, comme plus
tard , un trop grand nombre de chances au
hasard ; les moyens pouvaient encore être pro-
portionnés au but.
Les batailles de Pultusk et d'Eylau auraient
dû donner des révélations salutaires. Ce n*'é-
tait pas des défaites; mais quelle armée, quelle
puissance pouvait recommencer souvent de
pareilles victoires ! On avait presqu' abordé sur
EN PRUSSE ET EN POLOGNE. 4?
Noii propre terrain ce colosse adossé aux ex-
Irémités du monde , dont la prépotence est in-
dépendante de Tadministration intérieure du
pays et des qualités personnelles du prince.
On avait pu déjà prévoir avec effroi qu^il était
destiné à dévorer PEurope si TEurope ne
réussit pas à Taffaiblir et à le démolir par Fin-
Hltration de ses mœurs. Napoléon s^avisa pour-
tant qu'il fallait faire une halte avant d'aller à
Moscou. La bataille de Friedland lui servit à
conquérir l'entrevue de Tilsit.
Sur un champ de bataille, le dévouement des
chefs , le courage des soldats , mille circons-
tances impossibles à prévoir , déconcertent à
chaque instant le talent du général, et le profit
ne revient pas toujours au plus habile. Dans
un combat singulier , où l'esprit est l'arme
qu'on emploie , Napoléon était assuré d'arriver
à ses fins ; sa conversation renfermait une sé-
duction inexprimable , et nous ne connaissons
pas d'homme qui ait possédé au même degré
48 PAIX
que lui le secret de pénétrer dans les cœurs
de ceux qui récoutaient. Le Czar tomba sous
le charme. La peinture vraie et animée des
prétentions anti-sociales de TAngleterre exalta
l'ame de ce prince; après huit jours em-
ployés à des épanchemens et à l'échange de
soins mutuels , les deux empereurs se sépa-
rèrent sur le Niémen , Napoléon disant et
Alexandre croyant qu*'ils seraient toujours unis
pour la paix et pour la guerre.
Desarrangemens de Tilsit sortirent l'ébauche
de la Pologne et l'érection d'un royaume en
Westphalie pour Jérôme Bonaparte. La France
n'y eut d'autre avantage que l'interruption mo-
mentanée des hostilités sur terre. Le traité de
Presbourg, en i8o5 , avait relégué loin de nos
frontières l'Autriche , la Prusse et la Russie.
Pour conserver la paix il n'y avait qu'à s'y
tenir. Par le traité de 1807 la France se re-
trouva en contact avec toutes les puissances
guerrières. Ainsi les succès des deux der-
nières années avaient en réalité empiré sa si-
UE TILSIT. 49
tuation. Plus que jamais la question se com-
pliqua et devint indécise. Napoléon pouvait
difficilement s'arrêter. Il s'était avancé trop^
pour le bonheur de son pays , trop peu pour
Faccomplissement de sa politique.
En effet les condescendances , par lesquelles il
aVait payé Pamitié d'Alexandre, pouvaient être
considérées comme autant de pas rétrogrades.
Après avoir promis à ces vaillans Polonais, nos
amis à la vie et à la mort , la restauration de
leur république , ils n'eurent qu'une pierre
d'attente dans la création du grand duché de
Varsovie. Le parti pris avec la maison de
Brandebourg , fut encore plus incomplet et
plus fécond en disgrâces.
Napoléon se crut assez fort pour pardonner
le mal qu'il avait fait. L'intervention d'un allié
puissant et fidèle valut à Frédéric-Guillaume
la conservation de sa couronne. Renfermant en
son ame le désir de la vengeance , il régna
dans un royaume morcelé , dévasté , occupé
par des troupes étrangères.
TOME 1. A
30 PMX
La plus grande humiliation pour unroinVst
pas (Vélre vaincu, c'est cFêlre le complice du
vainqueur. Frédéric-Guillaume avait combaltii
à la tête de ses soldats ; il fut opprimé avec ses
sujets. Compagnon des siens dans la bonne et
dans la mauvaise fortune , la nation ne lui re-
procha pas son malheur. Elle en accusa des ins-
titutions vieillies , des préjugés invétérés et une
politicpie rétrécie. Les idées démocratiques
germèrent sur les décombres qu'avait amon-
celés la conquête. Il se forma dans le nord de
l'Allemagne une sainte alliance entre les peu-
ples tyrannisés par le vainqueur, et les hommes
vertueux qui travaillaient dans Pombre à rele-
ver la dignité morale de leur patrie et de
l'humanité I La jeunesse éclairée des imiversi-
tés , les ministres de la religion , les militaires
retirés du service accoururent en foule dans
des sociétés secrètes, où se conserva le feu sacré
de Tamour de la patrie. Celte puissance ina-
perçue devait être bientôt plus formidable que
les canons et les baïonnettes. De- là sortit
DE TILSIT. 5l
rindépendance , peut-être un jour la liberté
de rAllemagne.
Le produit net de la victoire n'était pas pro-
portionné aux efforts qu'elle avait coûtés , et
Pempereur des Français n'aurait pas , à Tilsit,
caressé avec une délicatesse si recherchée le
prince qu'il appelait son grand ami , s'il n'a-
vait pas eu besoin de l'assistance du gouverne-
ment russe pour la réussite de ses projets ulté-
rieurs. Rien n'était achevé sur le continent ,
tant que la puissance de la Grande-Bretagne
demeurait intacte. La destruction des flottilles
et des escadres ne permettait plus de penser à
presser les Anglais corps à corps. Napoléon es-
saya contre eux ime agression d'un genre dif-
férent.
Nous aurons plus tard l'occasion de déve-
lopper le principe et les conséquences du sys-
tème continental. Ce fut cette vaste conception
politique qui servit de prétexte à l'invasion de
la péninsule espagnole. Nous allons dire quelle
était alors la force de l'armée française, et
4*
52 SITUATION DE L^RMEE FRANÇAISE
comment elle s^élevait au-dessus des troupes
mécaniques de l'Allemagne, autant qu'elle sur-
passait en discipline et en science l'armée de
l'ancienne monarchie, formée de populace et
de noblesse. Nous l'étudierons dans sa forma-
tion et dans ses mœurs. Pour mieux faire sen-
tir les modifications que lui avaient , à cette
époque , fait subir le gouvernement d'un seul
et l'habitude de la conquête , il nous arrivera
souvent de porter nos regards en avant de
l'époque précise qui sert de point de départ h
l'Histoire que nous avons entrepris d'écrire.
L'Empereur entretenait , à la fin de l'année
1807, six cent vingt mille soldats à pied et à
cheval , savoir : trois cent quatre-vingt mille
d'infanterie , et soixarite-dix de cavalerie , dis-
tribués dans quatre cent dix-sept bataillons et
trois cent cinquante-trois escadrons nationaux;
trente-deux mille Suisses , Allemands , Irlan-
dais , Hanovriens à la solde de France ; qua-
rante-six mille hommes employés pour le ser-
EN 1807. 53
vice actif de rartillerie et du génie, et quatre-
vingt-douze mille composant sous les noms de
gendarmerie , demi-brigade de vétérans , com-
pagnies de réserve , canonniers garde-côtes ,
une armée intérieure afiectée spécialement à la
police et à la protection du territoire. Il dispo-
sait en outre des forces militaires du royaume
d'Italie , de Naples de FEspagne , de la Hol-
lande , du grand duché de Varsovie , et des
Etats de la confédération du Rhin. Alliés de la
veille, alliés depuis cent ans , tous, quelle que
fût la différence des affections , étaient mus par
une seule intelligence vers un seul et même
but.
La République et la guerre avaient façonné
pour Napoléon les généraux les plus capables,
les officiers les plus dévoués, les soldats les plus
valeureux. Ce n^était pas comme autrefois le
trop plein des cités que des recruteurs plongés
dans la débauche enlevaient avec astuce pour
le répandre dans les régimens. C'était la fleur
54 CONSCRIPTION
de la population, c'était le plus pur sang de la
France. Pendant les huit premières années de la
révolution, renrôlement, Fappel des bataillons
de volontaires, les levées partielles et la grande
réquisition versèrent plus d'un million d'hom-
mes dans les camps. En 1798, la loi de la cons-
cription fut portée pour être dans les siècles
le palladium de notre indépendance : loi excel-
lente quand même elle ne serait pas nécessaire,
parce qu'en mettant la nation dans l'armée, et
l'armée dans la nation, elle fournit à la défense
des ressources inépuisables. Les jeunes hom-
mes de l'âge de vingt à vingt-cinq ans durent
être encadrés nominativement dans les corps
militaires , non pas pour aller tous et toujours
dans les camps et les casernes , se déshabituer
du travail des mains ou de l'exercice des facul-
tés intellectuelles, mais pour être appelés à la
défense du pays à mesure des besoins et sous
la condition de ne demeurer que quatre ans
hors de leurs foyers , sauf telles circonstances
extraordinaires, de l'urgence desquelles la re-
iMlLITAlRL. ■> >
présentation nationale serait seule juge. A la
suite des malheurs de la campagne de 17991
les conseils législatifs mirent à la disposition
du Directoire exécutif les cinq classes entières
de la conscription , qui montaient à près de
cinq cent mille hommes , indépendamment de
plus de deux cent mille soldats aguerris qui
restaient encore sous les drapeaux.
Ainsi, en arrivant au pouvoir, Bonaparte
eut à exploiter une mine de soldats qui excé-
dait de beaucoup les moyens de recrutement
des autres puissances belligérantes. LMmpopu-
larité de la mesure ne lui appartenait pas , et il
en recueillit les premiers fruits en portant dans
Tadministration de la conscription le même es-
prit d''ordre qu^il déployait alors dans les autres
parties du gouvernement. En permettani aux
conscrits de se faire remplacer, on reprit la
plupart des vieux soldats qui avaient quitté le
service. Cétait autant de gagné pour Tarmée ,
et d^épargné pour Tagriculture et les arts. Les
levées furent confiées à des autorités mi-parties
56 CONSCRIPTION
civiles et militaires, divisées en reciutenieiit
immédiat et en réserve. La réserve devait être
une espèce de milice , tcmjours prête à remplir
les cadres.
Depuis le 18 brumaire jusqu''en i8o5, on ne
demanda que deux cent vingt mille hommes à
la nation , pas tout-à-fait la sept centième par-
tie de la population par an : nombre modéré
quant aux besoins , puisquMl fallait compléter
Farmée appauvrie par les congés absolus et
par les expéditions coloniales.
L'abus de la conscription commença avec le
renouvellement des hostilités sur le continent.
L**agression de l'Autriche avait déroulé un
long avenir devant Napoléon. Il put augmen-
ter à sa fantaisie des armées destinées à vivre
aux dépens de l'étranger. La disposition légis-
lative qui fixait à quatre années la durée du
service régulier des conscrits , fut comme non
avenue ; on entra dans le service militaire pour
n'en plus sortir vivant ; les réserves n'eurent
qu'un moment d'existence, et les jeunes gens
MILITAIRE. 57
furent conduits à la guerre anssitôt que dési-
gnés. Ceux même à qui s'appliquaient des
exemptions légales demeuraient débiteurs de
leur sang envers la patrie, non-seulement jus-
qu*'à Tàge de vingt-cinq ans, mais tant qu''ils
n''étaient pas libérés par un acte formel du
pouvoir. Le vote des levées annuelles passa du
Corps législatif au Sénat. Un conseiller d''Etat
fut préposé à la direction de la conscription :
et ce ne fut pas le moins important des dé-
partemens ministériels, que celui d^qjpro vi-
sionner Tantre du lion. Des colonnes mobiles
parcoururent le territoire de la France , et con-
traignirent , Tépée à la main , la nation à de-
venir conquérante. Il fallut établir une légis-
lation d^exception pour une foule de délits nés
d\ine tyrannie nouvelle. Cette tyrannie , rude
contre les personnes, était aussi fiscale tant
par la nature des peines qu'en raison des som-
mes énormes que coûtaient les remplacemens.
La limite de vingt à vingt-cinq ans, établiepar
la loi fondamentale, ne suffit pas long-temps
^^ COiNSCRIPTIO^
à la consommation de Tespèce. Le gouverne-
ment recula dans le passé , et anticipa sur Ta-
venir. Accouplant ensemble la ruse qui dé-
considère et la force qui fait haïr, il imagina ,
pour tromper le peuple , des appellations inu-
sitées. Tantôt des légions , dites de réser^fe ,
étaient créées pour une destination spéciale ,
et à peine formées on les transportait à une
autre. Tantôt on faisait des appels de volon-
I aires , comme si le mot seul n^eût pas été une
dérision. Les citoyens mariés et livrés aux tra-
vaux utiles étaient requis et dépaysés sous le
nom àer^ardes nationales en actwité. On leur-
rait les jeunes soldats en les formant en régi-
mens adjoints à la garde impériale , sans en
partager les prérogatives. Les conscrits échap-
pés au service à prix d'argent, furent repris
plus tard dans les gardes-dlionneur , dans les
bans et les arrière-bans. Désormais , pour un
Français, la mort naturelle était celle qu'on
trouvait au champ d'honneui-. On en vint jus-
qu'à demander onze cent mille soldats en une
MILITAIRE. ag
seule année , à la population épuisée par trois
mille combats et batailles.
Le nombre des gens de guerre contribue
à la puissance des Etats moins peut-être que
l'esprit qui les anime. Le mot discipline se
prend en deux sens différens : la discipline ap-
prend à subordonner sa volonté à la volonté
du chef qui pourvoit aux besoins de tous; elle
transforme en un mouvement réfléchi, calculé
et enseigné par Texpérience et la pratique
au soldat vétéran , cet instinct qui porte le
conscrit à se serrer dans le rang , pour ajou-
ter à sa force la force de son camarade. Plus
Farmée a combattu, plus elle est accoutumée
à vaincre, plus elle est attentive à la voix du
commandement; nos vieilles bandes frémis-
saient d\in saint respect à la vue des aigles de
la légion.
On nomme aussi discipline la règle qui
prescrit de respecter les usages , les proprié-
tés, les personnes dans les pays qui servent
6o MOEURS ET HABITUDES
de champ de bataille. Cest un droit des gens
établi sur des conventions expresses ou tacites,
que les peuples civilisés ont faites pour adou-
cir un fléau terrible à rhumanité. Cette disci-
pline est excellente à recommander sous le
point de vue moral , et même dans Tintérêt
bien entendu des armées. Pourtant elle n''est
pas dans la nature de la guerre. S''il eût imposé
strictement cette discipline à ses soldats , Na-
poléon eût manqué la destinée qu^il voulait
accomplir.
Les Romains , conquérant pied à pied , sac-
cageaient avec méthode. Le butin de chacun
était apporté à une masse commune pour être
ensuite distribué régulièrement. Hors du pil-
lage et du meurtre prescrits par les chefs, la
discipline s'appliquait à briser les passions in-
dividuelles. Nous lisons dans les anciens histo-
riens , que les soldats de Caton redoutaient la
hache du licteur plus que Tépée des Espa-
gnols.
Quand , en 1793 , la France eut à se dé-
DE L^RMÉE. 6l
battre contre la coalition européenne, Tins-
tinct national sépara la cause des peuples de
celle des rois ; on avait voulu nous donner
pour cri de guerre : Paix aux chaumières !
guerre aux châteaux! mais le manoir du sei-
gneur était à Tabri de la licence des armes au-
tant que la cabane du berger. Les vieux sol-
dats se sont souvenus long-temps des repré-
sentans du peuple , Saint-Just et Lebas , qui
tirent fusiller des volontaires , pendant la
campagne de 1794^ pour avoir pris des œufs
dans la basse-cour d'un paysan brabançon.
Un an plus tard , la brigade de Latour-d' Au-
vergne , que les Espagnols avaient surnom-
mée la colonne infernale ^ à cause de Teffroi
qu'elle leur inspirait sur le cbamp de bataille,
campait en Biscaye dans des vergers plantés
de cerisiers, et les grenadiers n'osaient pas
cueillir les cerises aux branches qui pendaient
sur leurs tentes.
L'œuvre que les Romains avaient laborieu-
sement achevée en cinq cents ans , Napoléon
6'2 MOEURS ET HABITUDES
essaya de raccomplir à lui seul et avec une
seule génération. Il voulut ravir en courant
la conquête du monde ; son secret était d'*arri-
\ er vite encore plus que de frapper fort. Pro-
fond dans Tart d^émouvoir les imaginations, le
jour où on ne le croirait plus sur parole, son as-
tre devait pâlir dans sa course. Cette terreur de
son nom , qui paralysa long-temps le courage
des ennemis , il la commandait par des mar-
ches glorieusement rapides. Dès-lors plus de
magasins échelonnés sur des lignes d'opéra-
tion imprévues , plus de convois de vivres or-
ganisés dans des directions continuellement
variables, et le moins possible de ces lourds
bagages , si bien nommés par les anciens im-
pedimenta. Ainsi que la neige précipitée des
sommets des Alpes dans les vallons , nos ar-
mées innombrables détruisaient en quelques
heures , par leur seul passage , les ressources
de toute une contrée. Elles bivouaquaient ha-
bituellement , et à chaque gîte nos soldats
démolissaient des maisons bâties depuis un
DE i/aRMÉE. 6'S
demi-siècle , pour construire avec les décom-
bres ces longs villages alignés qui souvent ne
devaient durer qu\in jour. Au défaut du
l)ois des forets , les arbres fruitiers , les vé-
gétaux précieux , comme le mûrier , Folivier ,
l'oranger, servaient à les réchauffer. Celui-là
serait mort de faim, qui aurait attendu pour
manger que Tadininistration de Tarmée lui fit
distribuer la ration de pain et de viande. Les
jeunes conscrits , transportés par un pouvoir
magique du foyer paternel aux extrémités de
l'Europe, mêlés tout-à-coup avec les hommes
de toutes les contrées , et irrités à la fois par
le besoin et par le danger , contractaient une
ivresse morale dont nous ne cherchions pas à
les guérir , car elle les empêchait de succom-
ber à des fatigues inouies. Nous les avons vus,
dans Fàge où le corps n'a pas encore acquis
son entier développement , dévorés par le so-
leil en été , ayant la neige pour lit en hiver ,
faisant des marches sans souliers à travers les
marais de la Pologne ou au milieu des pointes
G4 MOEURS ET HABITUDES
de rochers des Alpes et des Pyrénées, réduitjj
à arracher au laboureur la frugale nourri-
ture de ses enfans. Plus d'une fois il a fallu ,
nous , leurs généraux et leurs pères , fermer
les yeux sur les souffrances des habitans pour
conserver la vie de ces jeunes Français qui
devaient la sacrifier avec plus d''utilité pour
la patrie. « Il faut que mes soldats vivent, »
répondait le maréchal de Turenne , dans des
circonstances moins difficiles , aux plaintes que
lui portait l'intendant de Lorraine contre le
pillage de Tarmée. Et Turenne n'est pas le
seul que les nécessités de la guerre aient forcé
à tenir ce langage ; on pourrait citer chez tou-
tes les nations modernes , et à toutes les épo-
ques , des généraux illustres qui ont manifesté
autant d'indulgence pour la maraude que d'a-
version pour les concussions clandestines, dont
l'humanité gémit sans que lé soldat en profite.
Ce désordre étant reconnu inévitable , il
n'a pas toujours été possible d'en fixer la durée
et la limite ; il s'est attaché à la guerre d'en-
DE l\r31Ée. 65
valîissemeiit comme une plaie dévorante. Ce
fléau est devenu plus terrible encore lorsque
des passions exaltées ont mis les armes à la
main de ceux que la condition de leur vie
n^appelait pas à les porter. Malheur, alors ,
trois fois malheur au sol que foulait le char
de la victoire ! La guerre d^armée à peuple par-
ticipe de la nature des guerres civiles ; et Ton j
commet de part et d"* autre des crimes qui n^ins-
pirent ni dégoût ni horreur. Nos soldats, tou-
jours généreux dans leurs relations avec les
guerriers , furent amenés à être inexorables en-
vers le patriote armé pour défendre les fruits
de son jardin ou Fhonneur de sa fille; le fer ca-
ché sous riiabit de travail leur sembla le poi-
gnard d'*un assassin déguisé. Les relations
militaires ne présentèrent plus qu'une san-
glante série de villages saccagés et de villes
emportées d'assaut ; et s'il arrivait que les mi-
nistres d'un Dieu de paix se transformassent en
chefs d'insurrection et de guerre , on ne pou-
vait plus malheureusement s'étonner de voir
TOME 1. 5
6G MOEURS ET HABITUDES
de jeunes soldats accoutumés aux pratiques re-
ligieuses, sortir de leurs premières habitudes,
et violer les couvens, les églises , et jusqu'à
Tasile des tombeaux.
L'Europe dira qu'au milieu de ce délire les
ennemis qui nous étaient opposés, et surtout
les étrangers qui combattaient sous nos ban-
nières , ont surpassé nos Français en férocité.
Elle se souviendra long-temps de la rudesse sau-
vage des Polonais, de l'exaltation des Italiens,
de la brutalité des Allemands. Les Français au
moins sont d'une humeur sociable; ils ont le
cœur ouvert et portent joyeusement la vie.
Quand le tumulte des batailles était apaisé , ils
revenaient se faire aimer, un à im , aux mê-
mes lieux où ils s'étaient fait détester en masse.
Compagnons du paysan , et prompts à enten-
dre son langage , on les voyait reprendre de
gaieté de cœur les travaux rustiques, et s'éver-
tuer à réparer les ravages de la guerre. Le
uouvel hôte tenait lieu , au père et à la mère ,
de leurhls absent; c'était pendant la durée du
T^ome J"". J~'a/fe 6'.
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DE L^RMÉE. 6y
quartier d'hiver un enfant de plus dans la
maison. Le voyageur qui parcourt aujour-
d'hui les contrées où nos armées françaises
portèrent le fer et la flamme , s'attend à un
concert d'exécration contre les bandes dévas-
tatrices; il entend à chaque pas célébrer avec
l'accent de la reconnaissance les noms de quel-
ques bons Français, qui furent ingénieux dans
leur respect pour les droits du malheur.
Nos officiers des régimens, et surtout ceux
de l'infanterie , resplendissaient de pureté et
de gloire. Vaillans comme Dunois et Lahire ,
sobres et durs à la fatigue , parce qu'ils étaient
les fils du laboureur et de l'artisan, ils mar-
chaient à pied à la tête des compagnies, et
couraient les premiers au combat et sur la brè-
che. Leur existence était tissue de privations,
car l'administration militaire ne pouvait pas
toujours fournir à leurs besoins, et ils eussent
cru s'avilir en prenant part au pillage , tant ils
avaient le cœur haut placé ! Etrangers aux
jouissances d'amour-propre de Tofficier-géné-
os MOEURS ET HABITUDES
rai , exempts de Tivressc du soldat , ces mar-
tyrs du patriotisme vivaient de cette vie morale
(jui se consmne dans la résignation du devoir.
Une mort à peu près certaine les attendait loin
de la patrie, et le nom de la plupart d'entre
eux devait rester ignoré. Que de beaux carac-
tères dans une classe qu'on ne louera jamais
assez. Oh! nos ennemis Tout mieux appréciée
que nous ; ils ont connu que là étaient Thon-
neur et le bouclier de la France. Vainqueurs,
leur premier soin a été de le lui arracher et
d'exiger la dissolution de Farmée nationale.
Les étrangers et leurs alliés de France ont
complaisamment répété les déprédations exer-
cées sur les vaincus par un petit nombre de
chefs militaires. Pendant les premières années
de la République, les généraux français ont
fait la guerre avec l'austérité et la modération
qui convenaient à la noble cause pour laquelle
ils avaient pris les armes. La paie était alors de
huit francs par mois pour les hauts grades . On ne
mangeait à la table du quartier-général d'autre
DE l\rmÉe. 69
pain que le pain du soldat, et d'autre viande
que la viande de distribution.
La conquête de Tltalie changea les mœurs de
la tête de Tarmée. Ce ne fut pas seulement en
mettant les habitudes modestes des vainqueurs
en continuel contact avec Topulence et le luxe
des vaincus. LMiomme qui voulait se faire roi
avaitbesoin de placer ses camarades dans sa dé-
pendance. Or, on enchaîne les hommes par leurs
vices , et, quand ils n^en ont pas, il faut leur
en donner. Le voilà donc allumant la soif de
l'or, et, pour Fempêcher de s'éteindre, donnant
l'exemple des profusions du luxe. Cette combi-
naison tacite de la part du «énéral en chef
Bonaparte devint, au temps du consulat et de
l'Empire, un système avoué. Napoléon exigea
que les hommes appelés à vivre sur les mar-
ches du trône contractassent des habitudes fas-
tueuses en harmonie avec leur situation élevée.
Plus d'une fois il leur conHa des missions où il
leur prescrivait de s'enrichir par des moyens
qui , dans les guerres anciennes , avaient eu
yo MOEURS ET HABITUDES
pour eux Tautorité de grands noms et de grands
exemples ' . Cependant Timmense majorité par-
mi nos chefs supérieurs a rejeté avec mépris
des richesses qui , après tout , ne sont que des
dépouilles. Plus de cinq cents officiers-géné-
raux ont eu Foccasion de répéter le refus de ce
général de la vieille monarchie , qui ne rece-
vait de présens que du roi son maître. L''his-
toire a célébré le désintéressement de Bayard,
qui convertit en une dot pour la fille de Bres-
cia la bourse remplie d''or qu\in père effrayé
étalait devant le vainqueur. Nous ne connais-
sons pas un seul de nos officiers , de ces braves
gens à Fhabit usé et à la chaussure percée , qui
n'eût fait en pareille circonstance autant que le
Chevalier sans peur et sans reproche.
Notre puissance a passé , et les faits parlent.
' Les généraux du siècle do Louis XIV ('taieiit dans
l'usage de faire payer les sauve-gardes qu'ils accordaient
pendant la guerre. Villars se vantait de n'avoir jamais
rien pris qu'à l'ennemi. Le pavillon d'Hanovre est un
témoigaage qu'il en était de même sous Louis X-V-
DE LAU31EE. yl
Les gouverneurs des royaumes et des provin-
ces envahis sont rentrés dans les rangs des ci-
toyens. Où sont les champs acquis et les palais
cimentés avec les larmes des nations ? Peu d"'en-
tre eux possèdent un asile où reposer leur tête.
L^avoir des autres se compose de ce qui leur
reste de largesses accordées sans mesure pour
récompenser des services rendus avec un cou-
rage et un dévouement aussi sans mesure.
Qu'ails viennent donc , les détracteurs intéressés
de rhonneur national, et quMls disent dans
quel pays, après une guerre si longue et si
chanceuse, avec une absence totale de contrôle,
sous Finfluence d'un maître indulgent par na-
ture , et corrupteur par calcul , on eût trouvé
si peu de Verres et tant de Curius.
Le régime de la terreur pesa sur les militai-
res encore plus que sur les citoyens. Nos chefs
furent décimés par la hache du bourreau.
Quand les uns tombaient , les autres se ser-
raient pour remplir la trouée, ainsi qu"'il arrive
dans les bataillons où des liles sont emportées
72 EXERCICE DU POUVOIR
par le boulet de reniiemi. On atFrontaît sans
crainte les hasards d'une responsabilité ef-
froyable ; la vie et la réputation , tout était sa-
crifié au bien public.
Lorsque Fâpreté révolutionnaire s'adoucit ,
il n'y eut plus lieu à un dévouejnent si su-
blime. Bientôt l'ambition reprit ses allures ,
et le rétablissement de la monarchie ramena
dans la tête de l'armée quelque réminiscence
de l'indiscipline qu'on reprochait autrefois
aux rangs élevés du militaire français. Le
gouvernement eut peine à faire servir sous
les ordres l'un de l'autre des officiers-gé-
néraux du même grade. Leurs déplorables
prétentions firent manquer la réussite de plus
d'une opération habilement concertée ; les
écarts de la vanité trouvèrent souvent une ex-
cuse et même un appui dans la politique du
prince nouveau qui , selon le conseil de Ma-
chiavel , divisait pour régner.
L'ÉCLAT de la dignité et le reflet de la gran-
DANS l''aRIV1Ée. yS
deur du monarque plaçaient les maréchaux
d'empire à distance des autres officiers-géné-
raux. Au-dessus d'eux s'élevait un homme que
le hasard avait conduit près du général Bona-
parte en Italie , et qui fut long-temps son con-
fident et son compagnon sur le champ de ba-
taille. Intrépide à la guerre et inftitigable à un
âge où les autres éprouvent les premières at-
teintes de la vieillesse , Berthier , à cinquante
ans , passait le jour à cheval et la nuit au bu-
reau. C'est lui qui a dirigé avec tant de zèle les
détails d'exécution de seize campagnes, dont
les premières furent si glorieuses et les autres
si funestes. Sa mémoire dé noms , de chiffres et
de lieux était immense , et l'Empereur l'appe-
lait un état de situation ambulant ; la connais-
sance parfaite du personnage, dont il était
chargé de traduire les intentions à peine indi-
quées, suppléait en quelques points à ce qui
hii manquait de vigueur de conception.
Carnot , ministre de la guerre un moment ,
s'était cru obligé de discuter avec le premier
74 EXERCICE DU POUVOIR
consul remploi du sang et des trésors des Fran-
çais. Son successeur , quoique rempli de pro-
bité , et porté par caractère à amortir les coups
du despotisme , était un coopérateur plus com-
mode pour un chef qui voulut être compris, et
jamais contredit. Le développement de notre
puissance militaire ayant rendu trop lourd le
fardeau du ministère de la guerre, on en sépara
le matériel des armées pour le confier d\ibord
à un homme de mœurs antiques , le général
Dejean , et ensuite au comte Lacuée de Cessac,
recommandable par sa patriotique parcimonie
L^artillerie et le génie étaient administrés sous
l'inspection des principaux officiers de ces deu»
armes. La conscription, les revues, Phabille-
ment, formaient des directions spéciales sous
des conseillers d''Etat. Plus tard le maréchal
Berthier , devenu prince de Neufchàtel , quitta
le ministère , et se renferma dans les fonctions
de major-gcnéral de FEmpereiu-. Il emporta
avec lui la conduite des opérations militaires et
l'avancement, cVst-à-dirc iout ce qui avait
DANS L^RMÉe. 75
une influence immédiate sur lesévénemens. Le
ministère de la guerre , mutilé dans ses parties
nobles , et dépouillé de ses plus importantes at-
tributions positives , ne fut plus que la besogne
d^un commis laborieux.
La révolution ayant bouleversé les anciennes
troupes de ligne , les bataillons de volontaires
nationaux, levés en 1791 et 1792, furent le
noyau de Tarmée nouvelle. Dans ces bataillons,
les soldats nommèrent leurs officiers. Cela de-
vait être ainsi pour une jeunesse d^élite , arri-
vant avec des droits égaux. On pouvait prévoir
que le choix des pairs mettrait le mérite en
évidence. De-là sont venus presque tous les gé-
néraux célèbres dont la France s^honore. Après
la première campagne, les volontaires furent
contraints d'adopter comme profession la car-
rière où Pélan patriotique les avait jetés par
hasard; alors on leur appliqua, dans toute
sa latitude , la législation des troupes perma-
nentes. Il fut établi en principe qu'on devais
7^ AVANCEMENT
obéir pour apprendre à commander. La règle,
qui astreint les militaires à suivre Tun après Tau-
tre les échelons de la hiérarchie , est en effet
profitable à la milice; le bras blessé en maniant
le mousquet porte plus noblement lé bâton de
maréchal. Mais le bien a aussi son excès ; par
exagération de justice républicaine , on con-
féra exclusivement les emplois à Pancienneté
de service. Cette mesure , dont Teffet immédiat
lut de peupler les hauts grades dMgnorans et
d^imbécilles , ne résista pas à six mois d'appli-
cation. On lui substitua trois tours d'avance-
ment : le premier par l'ancienneté de grade , le
second par la désignation des officiers, le troi-
sième parla promotion dvi gouvernement. La
précipitation forcée des remplacemens réduisit
ensuite les différens modes à un seul , la nomi-
nation de l'Empereur sur une liste triple pré-
sentée par le colonel. Dans les dernières an-
nées , la consommation en olîlciers et en sous-
oiFiciers fut si énorme , qu'on avait peine î\
trouver des sujets pour remplir les vacances^
ET RECOMPENSES. 77
Tout soldat sachant lire et écrire , exerçant sur
ses camarades une puissance quelconque d^o-
pinion, etqui ne sourcillait pas àTapprochedu
danger, était sûr d^arriver, si la mort lui en
laissait le temps.
Dans Tintérêt de sa puissance absolue , au-
tant que pour former des successeurs aux gé-
néraux de la révolution , Napoléon institua les
prytanées, les lycées et les écoles militaires. Là
furent mêlés ensemble les enfans des riches et
les fds indigens des défenseurs de la patrie.
Plusieurs rejetons des familles de Fancienne
noblesse vinrent y désapprendre Pafféterie de
Péducation domestique. On vit renouveler à
Fontainebleau et à Saint-Cyr les exercices des
rives de FEurotas et du Champ -de-Mars. Les
privations des camps , les bivouacs , les mar-
ches forcées n'étaient ensuite que la continua-
tion d\m dur noviciat. L'*Ecole-Militaire impé-
riale fut une pépinière d'excellens officiers. Il
nVn sortait pas de bons citoyens : on s'étudiait
à fausser les idées de la jeunesse et à donner
yo AVANCEMENT
un essor indiscret aux passions. Jamais le nom
de liberté , rarement le nom de patrie , reten-
tissait à Poreille des élèves; Tobéissance aveu-
gle aux caprices du prince leur était enseignée
comme le premier devoir d^un Français.
Les officiers envoyés des écoles étaient en
très-petit nombre relativement à ceux qui par-
venaient par la filière des grades. Napoléon
permettait le moins possible que le sort des
hommes de guerre dépendit des gens de bu-
reau. A Paris ou en voyage, il déléguait la no-
mination subalterne aux généraux en chef et
aux gouverneurs de places fortes. A Tarmée, il
nommaitlui-même, et presque toujours la veille
ou le lendemain d'une bataille , en passant la
revue sur le terrain. Les absens , pour quelque
motif que ce fût, étaient irrémissiblement rem-
placés. Napoléon demandait avant tout, même
pour les grades les plus élevés, la santé et la
jeunesse. Sur ce dernier point il commençait à
devenir moins exigeant, et ceux qui avaient
présente la date du i5 août 1769, prophéti-
ET RECOMPENSES. 79
saieiit que , vers Tannée 1819 , un officier-gé-
néral de cinquante ans serait censé avoir Tâge
de tout le monde.
Quand en 1792 le territoire national fut af-
franchi de la présence des ennemis, la Con-
vention reconnaissante avait décrété que des
biens-fonds de la valeur d'un milliard seraient
retirés du domaine public , et distribués à Far-
mée. Le destructeur de la République accom-
plit en quelque sorte cette promesse de ceux qui
Pavaient fondée. Il rendit meilleure la condition
de Folficier et du soldat retirés du service. Un
décret impérial réserva aux militaires blessés ,
tous les emplois civils qu'ils pouvaient raison-
nablement remplir. Le brave en expirant au
champ d'honneur n'éprouvait pas d'inquiétude
sur le sort de ceux qui restaient après lui.
L'Empereur était là pour secourir la veuve et
servir de père aux orphelins.
La Légion-d'Honneur fut créée. La nation ,
éblouie par cette brillante auréole qui embras-
sait tous les genres de gloire , n'aperçut pas le
8o AVANCEMENT
dédale où la faisait entrer ce premier retour h
des institutions qu^avait proscrites Tesprit d^é-
galité. Les titres et les dotations héréditaires
devinrent aussi le prix de la valeur. L'ordre de
la Réunion et les Trois-Toisons vinrent ensuite.
A chaque campagne un aiguillon nouveau ra-
nimait le dévouement. Mais des récompenses
accordées aux soldats, aucune ne les électrisait
comme de voir et d'entendre l'Empereur.
Napoléon avait à trente ans l'attitude impo-
sante du vieux Frédéric. Il parcourait les rangs
à pied et lentement. Les grands de la cour et
de l'armée se tenaient derrière à un lona; inter-
valle, afin qu'il n'y eût pas d'intermédiaire
entre l'Empereur et les soldats. Chacun l'ap-
prochait librement et lui racontait l'histoire de
ses griefs et de ses prétentions. Il voyait tout,
répondait à tout , et faisait droit sur-le-champ
aux réclamations fondées , même à celles qui
ne l'étaient pas. A l'air enjoué de son visage,
on connaissait qu'il était en famille. Dans ces
joins solennels, les grâces pleuvaient sur les
ET RÉCOMPENSES. 8l
braves , et les leçons de la discipline sur les gé-
néraux, quelquefois sur les colonels, jamais
au-dessous. On manœuvrait, et toujours Napo-
léon apprenait aux plus habiles quelque secret
nouveau. Après la revue , on redisait dans le
camp les oracles sortis de la bouche du maître
de Tart. On savait par cœur les brûlantes pro-
clamations , où si peu de mots renfermaient de
si héroïques présages. A Tapproche du danger,
ce qu^on sentait pour lui était plus que Tadmi-
ration; on lui rendait un culte comme au Dieu
tutélaire de Tarmée.
Les bienfaits accordés à Farmée ne portèrent
pas d'atteinte directe au régime de la cité. Ex-
cepté dans les cas très-rares de révolte , il n^
a pas ^exemple sous le gouvernement impérial
que les chefs militaires aient commandé en
France à d'autres qu'aux soldats. Le pouvoir
terrible de la Convention avait donné aux sol-
dats un respect mêlé de crainte pour l'autorité
civile. L'écharpe tricolore du représentant du
TOME. I. 6
82 SUBORDINATION
peuple imposait bien plus que les insignes des
généraux. La nouvelle organisation adminis-
trative avait enlevé aux gouverneui*s des villes
et des provinces, la haute police dont ils
étaient investis dans Tancien régime. Napoléon,
en rétablissant les officiers-généraux dans leurs
droits honorifiques, ne leur rendit pas cette
attribution. Là où un préfet décidait arbitrai-
rement des intérêts et même de la liberté des
citoyens les plus marquans, le général, eût-il
été surchargé de témoignages de la faveur du
souverain , nVurait pu faire arrêter un cou-
pable obscur. Dans le conflit assez fréquent
entre Pautorité militaire et Tautorité civile , on
donnait presque toujours raison à la der-
nière. Probablement le pouvoir n^ perdait
rien , et les administrateurs de tous les étages ,
les auditeurs , les agens de police remplis-
saient ses intentions mieux que ne Teussent fait
les grenadiers et les hussards; au moins est-il
constant que notre armée n'avait pas d'ac-
tion sur le peuple, et que le despotisme des der-
ET DISCIPLINE. 83
niers temps n^était pas un despotisme militaire.
La crainte , considérée comme principe de
Tordre , était un mobile à peu près inconnu
au grand nombre de nos soldats. Ils étaient
traités , dans la plupart des régimens , avec
une douceur extrême ; on n'y employait pas
les punitions corporelles, que Fopinion de notre
nation réprouve , et qui ne peuvent être infli-
gées de sang-froid que dans les pays où les
battans se croient dVine espèce supérieure aux
battus. La gendarmerie , tant redoutée dans
Fintérieur de Tempire , perdait aux armées sa
vertu terrifiante ; le pouvoir de juger était
passé des mains du commissaire des guerres à
des fonctionnaires de Tordre civil , et de ceux-
ci à des conseils permanens , pour les délits or-
dinaires , et à des commissions temporaires
pour quelques cas spéciaux. On convoquait
rarement les conseils de guerre , et plus rare-
ment encore ils tiraient du fourreau le alaive
de la loi ; la justice militaire manquait de so-
lennité.
6*
84 SUBORDINATIOÎV
Cependant la subordination régnait dans
notre armée , autant et plus peut-être que dans
aucune autre armée de TEurope. C'est quW
peu de chose près , les inégalités de position y
étaient en harmonie avec les inégaUtés natu-
relles , et que les Français possèdent un senti-
ment exquis de ce qui est raison et conve-
nance. Le régime impérial introduisit parmi
les chefs une dureté, qui paraissait dans les
formes générales du gouvernement , mais qui
n'*était pas dans Fhumeur de FEmpereur. Cette
précision, cette dureté fut un moyen de disci-
pline substitué à la rigidité républicaine.
L'ancienne armée royale de France était
composée de deux classes distinctes : les soldats
condamnés à tout mériter sans rien obtenir ,
et les officiers appelés à envahir les grades sans
avoir pris la peine de les gagner. Cette der-
nière classe se subdivisait en noblesse de pro-
vince et en noblesse de cour. L'une fournis-
sait un certain nombre de militaires appliqués
au métier et beaucoup d'amateurs pour qui le
ET DISCIPLINE. 03
service était un simple passe-temps. L"'autre
peuplait les régimens de colonels imberbes et
les états-majors de généraux de salon. Entre
hommes placés sur des terrains si difFérens,
que séparaient des obstacles infranchissables ,
il pouvait y avoir communauté de danger ,
jamais communauté d'opinions et d''intérêts.
Cette armée était encline à la désertion à l'é-
tranger, et prompte à se mutiner. En temps
de paix, on n'eût pas retardé impunément la
distribution des vivres ou de la solde , et l'on
craignait de faire manoeuvrer les troupes le 3i
du mois , parce que ce jour-là elles ne rece-
vaient pas de paie. A la guerre , les soldats
passaient pour être fougueux dans l'attaque ,
mais pour tomber bientôt après dans la lan-
gueur. La révolution éclata : les officiers, dé-
pouillés tout-à-coup de la considération que
donnait la naissance , restèrent sans autorité et
sans crédit , au milieu des passions exaltées ;
les bas-officiers n'eurent ni la volonté ni la
force de maintenir la discipline; les soldais
86 SUBORDINATION
dénoncèrent, injurièrent leurs chefs, et ne
retrouvèrent les vertus de leur état quVn pas-
sant sous un nouveau drapeau.
Depuis ce temps-là nos soldats étaient mieux
nés, puisqu'ils n'étaient autres que la jeunesse
française tout entière, et nos officiers mieux
élevés, attendu qu'aucun soin frivole ne les
troublait dans Fétude de leur art et dans l'ac-
complissement de leurs devoirs. L'armée se
recrutant avec des jeunes gens de dix-neuf
et vingt ans , et l'avancement dans les corps
étant dévolu à l'ancienneté ou à la qualité des
services , il arriva bientôt que du caporal au
colonel, l'âge ou le mérite qui y supplée furent
généralement en raison du grade. L'institution
de l'Ecole-Militaire n'y changea rien , car le
nombre de sous-lieutenans qu'elle fournissait
était peu considérable relativement à la force
de l'armée. Les subordonnés voyaient dans le
chef leur ancien et le professeur du métier ; ils
respectaient son expérience et se confiaient
dans ses lumières; la fraternité demeurait in-
ET DISCIPLINE. 87
time entre hommes partis du même ni^au , et
pourtant Tobéissance ne connaissait pas de
restrictions envers ceux qui commandaient ,
parce qu^ils étaient les plus dignes. L^armée
formait une masse homogène et indivisible.
Du conscrit enrôlé depuis six mois, on arrivait
au maréchal d'empire sans rencontrer de pas-
sage heurté dans la manière de voir et de sen-
tir. Les fds de notre France ont surpassé dans
les batailles Timpulsion soudaine de leurs de-
vanciers , et on ne les a pas vus se décourager
devant les obstacles ; cependant les mêmes
hommes ont bivouaqué aux Cataractes du Nil
et dans les plaines glacées de Moscou. On a pu
les priver de vêtemens et de solde pendant une
année , sinon sans entendre leurs murmures ,
du moins sans encourir la révolte. Rangés sous
les drapeaux par TeHet de la contrainte légale ,
ils accouraient en foule , dès qu'ils en trou-
vaient Poccasion , aux foyers paternels 5 très-
peu d'entre eux, même dans la dernière détresse,
ont abjuré la patrie pour passer à rennemi.
88 SUBORDINATION
Si iffie pareille armée venait à périr , elle
périssait entière , avec ses officiers , ses gé-
néraux , ses aigles ! Quelque jugement qu'on
porte sur sa conduite politique , on la procla-
mera fidèle à sa renommée jusqu'au dernier
moment, et la France ne reprendra rang entre
les nations , qu'en rassemblant avec soin les
débris de ses illustres bandes , ou en créant
une autre milice d'après le principe d'orga-
nisation de la première.
Un philosoplie interpella les docteurs des
chrétiens , des juifs et des musulmans , de dé-
clarer quelle doctrine serait la leur s'ils n'é-
taient pas nés chacun dans le sein d'une re-
ligion positive. Tous répondirent : La doctrine
de Socrate et de Platon. Leur unanimité con-
duisit le philosophe à reconnaître la préémi-
nence de la morale naturelle sur les dogmes
révélés. Demandez à un Anglais , à un Alle-
mand , à un Russe quels sont les meilleurs sol-
dats du monde, chacun dira : Les nôtres, et en-
suite les Français. A nombre égal , et pourvue
ET DISCIPLINE. 89
de la même quantité de moyens matériels pour
agir, il nVst donné à aucune armée de balan-
cer, en campagne , la supériorité d^une armée
française composée d^élémens nationaux, et
commandée d'après la désignation populaire.
D'autres attendent mieux la mort : ils ne vont
pas la chercher plus gaiement que nous. Où
trouverez-vous ailleurs des soldats que la gloire
console du malaise et de la faim, qu'un regard,
une parole précipitent dans le danger ? L'Eu-
rope a vu la célérité de nos mouvemens de
stratégie et de tactique , et elle a été saisie d'é-
pouvante; car le secret de la guerre est dans
les jambes. Mais si les Français marchent
vite et long- temps, quoique petits et por-
tant de lourds fardeaux, ce n'est pas seule-
ment parce qu'ils sont bien conformés, et
qu'ils mangent beaucoup de pain * , c'est qu'ils
' Les soldats qui mangent le plus de pain et le moins
de viande sont en général plus musculeux et marchent
plus vite et plus long-temps que les autres. En établis-
sant une échelle graduée de l'aptitude des différentes ar-
90 SUBORDINATION
excellent par leur moral '. L'esprit et le senti-
ment les font aller au-delà des forces physi-
ques , à la différence des peuples sans passion
et des bêtes de somme , qui , après un temps
donné, succombent sous une certaine charge.
Que de fois n'avons-nous pas vu nos fantassins,
presque engloutis dans les marais et les fon-
drières, s'encourager à en sortir, en se disant
mées de l'Europe sous ce rapport, on trouverait aux
deux bouts opposés le Français qui a besoin en campagne
de deux livres de pain par jour et le Hollandais à qui
moins d'une demi-livre suffit , s'il peut y joindre un mor-
ceau de bœuf et des légumes.
' Cette expression , appliquée à une armée, est toute
française, et n'a d'équivalent dans aucune autre langue.
Le colonel Henri-Auguste Dillon , dans son ouvrage
sur les établissemens militaires de l'empire britannique,
A Coininentary on ifie mililary establishments and dc-
fence of the brilish empire (tome i^"^, page l37) , dit, en
parlant des troupes destinées à protéger l'Angleterre
contre l'invasion , qu'elles posséderont ce que les Fran-
çais appellent tout le moral d'une armée ; et, pour ex-
pliquer sa pensée, il ajoute ([u'elles seront animées du
courage le plus franc produit par le patriotisme le
plus pur.
ET DISCIPLINE. Ql
les uns aux autres les motifs de la marche for-
cée : motifs que le chef était intéressé à tenir
secrets , et que leur perspicacité avait devinés I
Le canon se faisait entendre ; Tennemi se mon-
trait; soudain la fatigue était oubliée. On se
pressait, on courait; pour vaincre , nos jeunes
soldats étaient toujours frais et reposés '.
* Un officier-général* marchait dans la Biscaye et pour-
suivait un corps de troupes espagnoles qui écliappait tou-
jours, parce que ses chefs avaient une parfaite connais-
sance des montagnes , et parce qu'il était protégé par les
habitans. Le général français avait fait marcher les sol-
dats pendant la nuit et pendant toute la journée sui-
vante; les soldats murmuraient : « Où nous mènera-
■> t-il? On voit bien qu'il est sur un bon cheval; il
» ne sait pas que nous sommes à pied. » Le soleil allait
se coucher; on sort des montagnes, et on arrive au bord
de la mer. « Il était temps que le jour et la terre finissent,
•> disent les vieux soldats en rechignant , sans quoi on
» nous ferait encore marcher. » Tout-à-coup on aper-
çoit le corps espagnol ; la fatigue est oubliée. 11 y avait
plus d'une heure à courir pour l'atteindre. Le général
eut plus de peine à arrêter les soldats qu'il n'en avait eu
auparavant à les exciter. Courir aux Espagnols , les at-
teindre , les prendre , tout cela fut fait avant la nuit.
* C'était le général Foy.
92 SUBORDINATION
Ces qualités brillantes constituent une nation
essentiellement belliqueuse. De-lààune nation
conquérante, la distance est grande. Attila
montrait du doigt à ses Huns les murs du Ca-
pitole. Tous s'y précipitaient, attirés par un
air doux à respirer, de belles femmes à possé-
der , et un riche butin à partager. Depuis
qu''une civilisation plus avancée a amené des
idées plus justes sur les obligations de la milice
et sur Texiguité des droits que confère la vic-
toire , il nY a plus de parité entre les calamités
et les profits du métier. Pour les soldats comme
pour les citoyens , la guerre sans fin est contre
nature. Aussi , Napoléon seul a voulu conqué-
rir le monde. Pas un Français n'*a été son
complice. Ses admirateurs les plus passionnés
avaient retranché leur ambition bien en de-
dans du cercle de ses espérances insensées.
Hormis quelques jeunes officiers sortis hier des
écoles , il n^ avait pas dans l'armée un être
pensant qui ne fût pénétré de douleur en
voyant , après tant de guerres , entreprendre
ET DISCIPLINE. qS
encore des guerres nouvelles. Les soldats n\i-
vaient pas à tous les momens le transport au
cerveau. Dans le calme , un attrait invincible
les rappelait vers la patrie. Ce n''était pas seu-
lement Tenfant de Paris à qui l'abstinence du
bivouac faisait regretter Tabondance de la ville
natale. Nous entendions sans cesse nos cons-
crits maudire avec imprécations les riantes
vallées de la Lusitanie et cette heureuse Bé-
tique où les anciens ont placé leurs Champs-
Elysées , sY regarder comme en exil , et , par
esprit d'opposition, porter aux nues, dans
leurs discours , les agrémens pittoresques de
la Sologne et la fertilité de la Champagne
pouilleuse. Combien , en recevant le coup qui
les mutilait , se sont écriés : « Tant mieux , je
;) reverrai encore mon père et ma mère ! »
Presque tous les officiers-généraux avaient une
femme et des enfans , car l'Empereur encou-
rafifeait les mariages. Aux obsessions dont on
le fatiguait pour obtenir le congé de passer
quelque temps en France , il répondait d'ordi-
94 ORGANISATION
naire par des refus et des bienfaits. Les refus
étaient positifs, les bienfaits se sont trouvés
illusoires. Même aux jours de nos prospérités ,
que servaient les terres et les châteaux à des
hommes condamnés à passer les nuits sur la
dure , sans autre abri que la voûte du ciel ? Et
puis ces terres, ces châteaux étaient aux confins
de la Pologne , sous la portée du canon des
Russes , ou dans les sables du Hanovre , prêts à
être revendiqués à la première inconstance de
la victoire. Cependant , le peuple , trompé par
tout cet appareil de dotations , imaginait in-
justement que le seul but d'une guerre per-
pétuelle était d''enrichir ceux qui la faisaient.
Après avoir décrit les habitudes et les incli-
nations de nos guerriers , nous allons mettre
en évidence les rouages de la machine organi-
sée pour combattre. L'armée date, ainsi que
nous Pavons dit, de Pamalgame des volontaires
nationaux avec les anciennes troupes de ligne.
Cette excellente opération fonda notre puis-
MILITAIRE. 95
sance militaire, et laissa peu à faire à ceux qui
vinrent ensuite.
Les officiers-généraux quittèrent les déno-
minations vagues de lieutenant-général et ma-
réchal de camp pour prendre celles de général
de division et de brigade, qui exprimaient avec
exactitude Fétendue du commandent de cha-
cun. Les corps d'infanterie , forts de trois ba-
taillons , s'appelèrent demi-brigades , parce
qu'on les considérait dans leurs rapports avec
la brigade. Napoléon jugea qu'un entier ne
devait pas être désigné par une indication
fractionnaire. Il rétablit le nom de régiment
et il rendit aux chefs celui de colonel.
Les régimens de toute arme étaient distin-
gués entre eux par des nombres. Plusieurs
périrent dans les expéditions coloniales qui
suivirent la paix d'Amiens. L'Empereur voulut
que les numéros restassent vacans. Les corps
qu'on créa postérieurement prirent l'ordre de
bataille à partir du dernier de leur arme. Par
ce moyen l'armée française paraissait aux
96 ORGANISATION MILITAIRE.
étrangers plus nombreuse quelle ne l'était
réellement.
Commençons par Forganisation de Tinfan-
terie qu\in écrivain a si bien appelée cette
nation des camps '. Cette expression lui fut
sans doute inspirée par les guerres de la révo-
lution , et elle s'applique à notre armée fran-
çaise avec toute justesse.
Le bataillon d'infanterie était de neuf com-
pagnies, y compris celle de grenadiers. Na-
poléon l'augmenta d'une autre compagnie d'é-
lite, les voltigeurs. Ce fut une idée heureuse
que de rehausser dans l'estime publique les
hommes de petite taille , qui en général sont
les plus intelligens et les plus alertes. Les vol-
tioeurs constituèrent la véritable infanterie lé-
gère de France , en ce sens qu'on leur fit faire
habituellement le service de tirailleurs. Les ré-
gimens dits d'infanterie légère n'en avaient que
' Des Communes et de l'Aristocratie, par M. de Barante.
INFANTERIE. 97
le nom , car ils étaient composés, armés , exer-
cés comme le reste de l'infanterie.
Un décret impérial , rendu avant la guerre
d'Espagne , réduisit les bataillons à six com-
pagnies et mit cinq bataillons dont un de dépôt
dans chaque régiment. Cette coupe du ba-
taillon en six fractions cadrait mal avec l'or-
donnance de manœuvres ; elle diminuait la
valeur réelle des soldats d'élite à force dVn
augmenter le nombre , et les compagnies du
centre s'épuisaient à tenir toujours complètes
les compagnies de grenadiers et de voltigeurs.
Mais Napoléon ne faisait rien d'inutile ; il lui
importait d'avoir beaucoup de cadres afin d'y
répartir avec plus de facilité les produits de la
conscription , et d'instituer plus rapidement
les soldats pour la guerre. Un bataillon défait
en bataille ou par suite de la campagne, ver-
sait dans les bataillons mieux conservés les hom-
mes qui lui restaient. Le cadre , composé seu-
lement des officiers et des sous-officiers , allait
en France se remplir de recrues que les levées
TOME I. 7
gS ORGANISATION MILITAIRE.
avaient amassées ; il y avait un jeu de navette
continuel du dépôt à Tarmée et de Tannée au
dépôt. Le peu d^éclat de ces mouvemens partiels
servit souvent à renforcer sans être aperçu tel
point des lignes d"'occupation, d'^oii la politique
de FEmpereur devait bientôt faire partir Tof-
fensive. Alors les deux premiers bataillons d^un
corps servaient dans une armée avec Faigle et le
colonel, et les deux autres bataillons de campa-
gne commandés par le major formaient ailleurs
un numéro bis. L''Europes^étonnait d'entendre
retentir en même temps les exploits du même
régiment sur des théâtres de guerre distans l'un
de Tautre de plusieurs centaines de lieues.
Nous ne parlerons pas des formations acci-
dentelles auxquelles ont donné lieu Tuniversa-
lité et la précipitation des opérations militaires.
Elles figurent comme exceptions à la règle; et
les corps hors ligne ont été plus tôt ou plus
tard fondus dans les autres.
Les Français , non plus que les Romains , ne
dédaignaient pas dHmiter ce qu''il y avait de
INFANTERIE. gg
bon dans les usages de leurs adversaires. Ainsi
ont été introduites chez nous , Fune après
Tautre , presque toutes les parties de Thabille-
ment des troupes autrichiennes. Le bivouac a
enseigné à connaître le prix de la capotte ; une
coiffure ronde et solide a remplacé le chapeau
à trois cornes dont la forme était si ridicule et
la matière si destructible. L'habit a été rac-
courci, et les revers d'un vain ornement qu'ils
étaient sont revenus à leur destination pre-
mière , de couvrir d'une étoffe double la poi-
trine et le bas-ventre. Les ligatures qui com-
primaient les articulations ont disparu. On a
demandé de l'ampleur au pantalon et aux
autres pièces du vêtement. Le brodequin n'a
pu être naturalisé dans notre infanterie ; elle
a donné la préférence au soulier et à la guêtre,
faisant corps ensemble par le moyen de l'in-
dispensable sous-pied.
L'Empereur avait cédé aux instances qui
lui furent faites pour changer la couleur du
fond de l'uniforme. On faisait valoir l'éco-
r
lOO ORGANISATION MILITAIRE.
iiomie qui résulterait pour l^État d'avoir moins
cPindigo à demander aux Anglais. Dans la
campagne de 1 806 quelques régimens prirent
le blanc. Les soldats y montrèrent de la ré-
pugnance; ils regrettèrent Thabit sous lequel
depuis dix-sept ans ils étaient accoutumés à
faire trembler les ennemis. Napoléon ne tarda
pas à revenir aux couleurs nationales.
DÈS Tannée 1794? dans le temps de Faver-
sion la plus effrénée pour les traditions et les
méthodes anciennes, on vit notre jeune armée,
commandée par des hommes nouveaux échap-
pés des études et des comptoirs , défaire la ré-
putation des vieilles armées et des vieux géné-
raux. On voulut alors analyser les causes de nos
succès. Les étrangers en attribuèrent Thonneur
au feu de Tinfanterie légère ' , parce que les ti-
« Le général prussien Bulow écrivait, en lygS, que
« l'emploi de l'infanterie légère est le dernier perfec-
tionnement de la guerre , et qu'à la rigueur on pourrait
désormais se passer d'infanterie de ligne dans les armées. »
INFANTERIE. 101
railleurs, dont Temploi était rare et le nom
presque inconnu dans les guerres précédentes,
étaient multipliés et prodigués dans celles-ci.
Les nationaux , au contraire , ne lisant dans
les bulletins de la Convention que bataillons
en masse , lignes enfoncées , redoutes assail-
lies au pas de charge , crurent ingénument
que les fusils et les canons avaient perdu leur
vertu , et que tout s''emportait avec la baïon-
nette.
Ces deux opinions , diamétralement oppo-
sées en apparence, n'étaient ni l'une ni l'autre
dépourvues d'un fond de vérité. Encore que les
Voyez l'ouvrage intitulé : Esprit du Système de guerre
moderne, par un ancien officier prussien ; traduit par
Tranchant-Lavesne (pages 78 et 87).
On disait aussi en Angleterre que « le continent avait
été subjugué par les tirailleurs français, et l'on croyait
qu'ils gagnaient les batailles en tuant les uns après les
autres les officiers de l'armée ennemie. » C'est ainsi qu'en
parle le colonel Robinson dans un écrit intitulé : A Let-
ter to a general-ojfficer on the establishment of rifle
corps in the british army.
102 MANIERE DE COMBATTRE
hommes exercés à Pusage des armes à feu fus-
sent en plus grand nombre dans les premiers
bataillons de volontaires que parmi les conscrits
de Napoléon, ni les uns ni les autres ne se distin-
guaient par la justesse du tir ; et on leur a quel-
quefois reproché avec raison de consommer les
munitions inutilement. Mais le genre de combat
qui favorisait le plus grand développement des
facultés individuelles, était éminemment assorti
à Fesprit remuant et au courage d^attaque pro-
pre à notre nation. Nous avions presque tou-
jours l'offensive; c'était la conséquence du
mouvement de l'opinion patriotique et de la
sévérité de ce Comité de salut public qui
envoyait à l'échafaud les généraux inactifs
comme les généraux battus.
On entamait l'action avec des nuées de ti-
railleurs à pied et à cheval ; lancés suivant une
idée générale plutôt que dirigés dans les détails
des mouvemens , ils harcelaient l'ennemi ,
échappaient à ses masses par leur vélocité,
et à l'effet de son canon , par leur éparpille-
sous LA RÉPUBLIQUE. lo3
ment. On les relevait afin que le feu ne languit
pas ; on les renforçait pour les rendre plus ef-
ficaces.
Il est rare qu\ine armée ait ses flancs appuyés
d'une manière inexpugnable ; d'ailleurs toutes
les positions renferment en elles-mêmes, ou dans
Tarrangement des troupes qui les défendent ,
quelques lacunes qui favorisent l'assaillant.
Les tirailleurs s'y précipitaient par inspiration,
et l'inspiration ne manquait point dans un pa-
reil temps et avec de pareils soldats. Le défaut
de la cuirasse une fois saisi , c'était à qui por-
terait son effort. L'artillerie volante (on appe-
lait ainsi les pièces servies par des canonniers
à cheval) accourait au galop et mitraillait à
brûle-pourpoint. Le corps de bataille s'ébran-
lait dans le sens de l'impulsion indiquée : l'in-
fanterie en colonnes , car elle n'avait pas de
feu à faire 5 la cavalerie intercalée par régi-
mens ou en escadrons , afin d'être disponible
partout et pour tout. Quand la pluie des balles
et des boulets de l'ennemi commençai à s'é-
1o4 MANIÈRE DE COMBATTRE
piiissir, un officier, un soldat, quelquefois un
représentant du peuple entonnait Thymme de
la victoire. Le général mettait sur la pointe de
son épée son chapeau surmonté du panache
tricolore , pour être vu de loin , et pour servir
de ralliement aux braves. Les soldats prenaient
le pas de course ; ceux des premiers rangs croi-
saient la baïonnette : les tambours battaient la
charge ; Fair retentissait des cris mille et mille
fois répétés : « En avant!... en avant!... Vive
la République!... »
Pour résister aux enfans de la patrie y il eût
fallu être aussi passionné qu^eux-mêmes. Nous
avions affaire à des armées allemandes, froides,
désintéressées dan& la querelle , commandées
par des généraux sexagénaires. Bientôt nous
sûmes, aussi bien que les Prussiens et les Autri-
chiens, tout ce qui s'apprend, et ils ignoraient
complètement ce qui se devine. Rarement leurs
lignes se laissaient atteindre. Il suffisait, pour
Pacquit de leur conscience , que les ailes fus-
sent tournées ou seulement dépassées : alors,
sous LA REPUBLIQUE. 101
leurs bataillons si laborieusement alignés se
mettaient à la débandade. Les uns jetaient leurs
fusils à terre pour fuir plus vite ; les autres, ne
répugnant pas à visiter le bon pays de France ,
aimaient mieux être prisonniers que risquer
de se faire tuer '. Nos fantassins, hauts de cinq
pieds , ramenaient par centaines les colosses
d'Allemagne et de Croatie. Nos chasseurs h
cheval s'emparaient du canon et des équipages
mal attelés. Les fuyards devaient leur salut à
la bonne contenance de leur cavalerie alors su-
périeure à la nôtre; quelquefois à la disposi-
' Les Français ont été humains, miséricordieux en-
vers les prisonniers. Le degré de liberté et de bien-être
qu'on leur a accordé contraste avec l'esclavage et le
malaise des prisonniers français à l'étranger. Que l'on
compare Verdun aux pontons de Plimouth !... Au reste,
des mauvais traitemens des étrangers il était résulté un
avantage qui s'accordait avec les vues de l'Empereur ; il
n'aimait pas qu'on fût prisonnier, les soldats français
n'aimaient pas à l'être. La facilité à se rendre prison-
niers a été dans la guerre une grande source de maux
pour les armées allemandes : tel soldat autrichien a été
prisonnier trois ou quatre fois en France.
106 MANIERE DE COMBATTRE
lion des réserves, plus souvent à la mollesse de
nos poursuites , conséquence nécessaire du dé-
cousu de nos attaques.
L''habitude de ce genre de succès conduisit
nos généraux à croire que déborder Tennemi,
c^était Pavoir vaincu. Le principe admis, il en
résultait, comme conséquence nécessaire, qu''on
ne pouvait jamais trop s'étendre. Aussi, pen-
dant les campagnes du Rhin, en 1796 et 1796,
fit -on la guerre offensive avec des armées
partagées en plusieurs divisions , lesquelles
opéraient sur plusieurs routes parallèles , à
une ou deux marches les unes des autres, et la
plupart du temps, sans autre réserve que quel-
ques régimens de cavalerie. Bonaparte vint ,
et les victoires dltalie renversèrent un système
vicieux. On apprit à son école qu'on devait
disséminer les troupes loin de Tennemi, seu-
lement pour leur procurer des vivres et du re-
pos; mais que toutes les fois qu'on voulait com-
battre, il fallait marcher assez réunis pour en-
gager simultanément des masses sur les points
sous LA RÉPUBLIQUE. IO7
où on était résolu de porter le principal eft'ort.
Ce perfectionnement dans Tapplication des
lègles de la guerre se lia plus tard à d^inipor-
tantes considérations morales. Napoléon n'é-
tait pas homme à se faire illusion sur les causes
de la supériorité de nos armes. Son esprit ne
s'arrêtait pas à la surface des choses; il con-
naissait trop bien le cœur humain , il avait
trop bien la conscience de ses propres desseins,
pour compter sur la continuité de miracles
qu'avait produits l'impulsion républicaine. Le
pouvoir absolu allait éteindre l'amour de la
patrie ; le dévouement devait s'user ; les braves
et les habiles périraient les premiers : ceux qui
viendraient après eux leur seraient inférieurs
en énergie et en talens ; car la révolution était
passée, et des temps réguliers il ne sort pas des
hommes extraordinaires. En même temps , il
était clair qu'en guerroyant sans relâche , les
adversaires, battus aujourd'hui, apprendraient
du vainqueur à résister demain. A force de
courir le monde , on pourrait rencontrer des
ioS SÉJOUR DE l'armée
ennemis sur le moral desquels on n'aurait plus
de prise. Il fallait donc que Napoléon fit dé-
pendre la victoire de l'emploi calculé des for-
ces , et la France fut obligée de recourir à la
fixité des méthodes pour que la fortune restât
fidèle à son drapeau.
L'éducation des troupes fut refaite dans
les stations militaires des côtes de l'Océan ,
sous les yeux de l'Empereur , et l'esprit mili-
taire subit un changement analoo-ue à la nou-
velle direction politique. L'ennemi était assez
près pour tenir les soldats en haleine, et pas
assez dangereux pour les distraire de leurs oc-
cupations. Cet état mélangé de paix et de
auerre , si différent de la vie monacale des ca-
sernes et de la frivolité des garnisons, produisit
des changemens notables dans les mœurs de
l'armée. On fit remuer de la terre aux soldats y
malgré leur aversion pour ce genre de travail
modéré et continu , et on les exerça soir et ma-
tin aux évolutions de la tactique. Une louable
SUR LES CÔTES DE L ÔCEATV. 1 0y
émulation se mit parmi les colonels à qui aurait
les régimens les mieux tenus et les meilleurs
manœuvriers.
Les officiers-généraux apprirent à mouvoir
une brigade , une division , un corps d'armée ,
au son de la voix et avec la précision familière
au chef de bataillon expérimenté qui tient sa
troupe dans la main et en fait ce qu'il veut. Ce
n'était pas une innovation insignifiante que de
mettre dans un contact plus intime les soldats
et les chefs appelés à les conduire à la victoire.
Le règlement des manœuvres d'infanterie de
1791 est un modèle de concision et de clarté.
Il resta pour les subalternes le livre de la loi ;
mais les chefs s'accoutumèrent à en varier l'ap-
plication suivant les besoins de la guerre. C'est
ainsi que fut adopté l'usage de faire front et de
combattre par le troisième rang comme par le
premier. Souvent les mouvemens se faisaient
sur deux rangs pour montrer que le troisième
n'est qu'une réserve destinée à soutenir et con-
solider les deux autres. Le carré que les Ara-
1 lO SEJOUR DE L ARMEE
bes avaient appris aux Français en Egypte ,
devint une formation fondamentale. On re-
commanda le feu successif par rang, comme le
meilleur à employer contre la cavalerie , parce
quHl n'a pas les intervalles sans défense du
feu de bataillon , et parce qu'il se combine
mieux que le feu de file avec les dispositions à
l'arme blanche.
Jamais la France n'eut une arn*ée plus for-
midable. Sans doute les braves qui, dans les
trois premières années de la guerre de la li-
berté, sortirent huit cent mille de dessous terre
au cri de la patrie en danger, avaient plus de
vertu; mais les guerriers de i8o5 unissaient
plus d'expérience à un entraînement presque
égal. Tous hommes nouveaux , tous enfans
de leurs œuvres , tous étaient les parvenus de
la gloire. L'esprit aristocratique des salons
n'avait encore gangrené personne. Chacun,
suivant son grade , savait mieux qu'en 1794 ce
qu'il était chargé de faire. L'armée impériale
était plus savamment ordonnée, plus abon-
SUR LES CÔTES DE L OCEAN. 111
damment pourvue d'argent, de vêtemens, dW-
mes et de munitions , que ne Pavaient été les
armées de la République. Le même œil Tins-
pectait , le même bras la maniait , le même es-
prit la dirigeait , et c'était Poeil , le bras , l'es-
prit du grand général et du maître.
Napoléon ne voulait qu'une seule infanterie,
parce que la même est bonne à tout : c'est l'op-
posé pour la cavalerie. On a besoin d'armes,
d'équipemens , de chevaux difFérens , suivant
les diflerens usages qu'on veut en faire. Il s'ap-
pliqua à rendre plus distinctes les nuances de
ce service. La grosse cavalerie fut réduite à la
quantité indispensable pour son emploi, borné
aux batailles rangées. Elle eut des cuirasses.
On s'étonne depuis long-temps de ce que les
souverains ne donnent pas quelques pièces de
l'armure défensive à tous les soldats qui com-
battent à cheval.
Les dragons , production amphibie d'un siè-
cle où le feu n'était pas encore perfectionné ,
112 ORGANISATIO^ MILITAIRE.
furent presque désorganisés pour Texpédition
d''Angle terre : on en démonta une partie ; ce
qui procura, au lieu de bons cavaliers, une
légère augmentation d^infanterie médiocre et
coûteuse. Remis à cheval, ils ont fourni à eux
seuls presque tout le service de la cavalerie
dans la guerre de Portugal et d'Espagne. Dans
les dernières années du gouvernement impé-
rial, plusieurs régimens de dragons furent
convertis en lanciers. Montécuculli appelle la
lance la reine des armes blanches ; elle est en
effet la plus meurtrière entre les mains du cava-
lier, parce que c'est celle qui atteint le plus
loin.
Les chasseurs à cheval et les hussards , qui
n'en diffèrent que par quelques modifications
dans l'uniforme , ont été les plus faciles à mon-
ter, à recruter et à dresser. Ils ont aussi rendu
le plus de services à la guerre. Napoléon en
augmenta le nombre. L'armée de ligne avait
en 1807 deux régimens de carabiniers, douze
de cuirassiers, trente de dragons , vingt-quatre
CAVALERIE. Ii3
de chasseurs, dix de hussards , en tout soixante-
dix-huit cadres de cavalerie.
Les troupes à cheval conservèrent plus long-
temps que les troupes à pied la physionomie
monarchique. La révolution leur fit moins de
bien. Pendant les premières campagnes, nous
avions peine à lutter contre les cuirassiers alle-
mands, les dragons wallons et les hussards
hongrois. Nous présentions rarement de gros
corps de cavalerie sur le terrain, et quand
nous le faisions, c^était le plus souvent à notre
désavantage.
Napoléon fit peu de changemens au ré-
gime intérieur des troupes à cheval. Les vi-
cissitudes de la guerre le contraignirent sou-
vent à former à la hâte , avec des hommes
et des chevaux neufs , des escadrons et des
régimens provisoires. Cependant la cavalerie
n'est pas si facile à improviser que Finfanterie.
Comme on cultive avec des bœufs la plus grande
partie de notre sol , les Français ne naissent
pas cavaliers , et ils ont peine , à cause de leur
Ii4 ORGANISATION MILITAIRE.
vivacité inquiète, desMclentifier avec le cheval.
D'après ces vices organiques, on devail
craindre que la cavalerie n** allât en déclinant.
Le contraire est arrivé. Voici pourquoi : La
conquête avait rendu les remontes plus faciles ,
et procurait de plus belles races de chevaux.
Les troupes à cheval éprouvaient moins de
pertes que les troupes à pied , et les anciens
cadres auxquels on ramenait toujours les orga-
nisations provisoires restaient plus riches en
vieux soldats.Les jeunes gens de famille, qui ont
tant de peine à se faire à la vie austère du fan-
tassin, fournirent en peu de temps des hommes
de cheval lestes, ardens et bien montés. Mais
ceci est insuffisant pour expliquer Tessor ines-
péré de notre cavalerie. La cause principale
fut dans le système adopté par Napoléon pour
la conduite de cette arme à la guerre.
Avant son règne , quelques régimens de ca-
valerie pesante servaient de réserve à chaque
armée. Le reste était éparpillé dans les divi-
sions dMnfanterie. L'Empereur constitua en
c AVALER n:, n5
brigades et en divisions non-seulement les cui-
rassiers et les drao'ons, mais encore les chas-
seurs et les hussards. Bien plus , il a réuni plu-
sieurs divisions ensemble pour en composer
des masses plus fortes , qui ont reçu le nom bi-
zarre de corps d'armée de cavalerie. Cet ar-
rangement a fait perdre des à-propos auda-
cieux et décisifs. Il est même arrivé que trois
mille chevaux réunis n'ont pas fait ce qu'ion
aurait obtenu avec trois cents , parce que le
chef a voulu garder ses trois mille chevaux
ensemble pour le moment et le terrain qui
permettraient de les mettre en action tous à la
fois. La rivalité des deux armes les a quelque-
fois empêchées de s'entr'aider. Les bataillons
dépourvus d''éclaireurs ont marché à Faveu-
gle , et des efforts ont été sans résultat , faute
de quelques pelotons d''hommes à cheval à lan-
cer sur Tennemi en déroute.
En compensation de ces inconvéniens, dont
la plupart disparaîtraient devant Fapplica-
tion moins exclusive de ce système, se sont
llG URGAMSATION MILITAIRE.
présentés des avantages considérables. La
cavalerie a été mieux conservée , parce que
dans les marches et les cantonnemens on ne
Fa plus asservie au pas , aux haltes , aux ha-
bitudes de Tinfanterie. Plus instruite et plus
florissante , elle a été plus terrible à nos ad-
versaires. On ne s'est pas contenté , comme
autrefois , de remployer à compléter la vic-
toire. Elle est entrée en lice contre les masses
non entamées d'infanterie et de cavalerie , et
son élan a quelquefois décidé le gain des ba-
tailles '.
Les officiers de cavalerie de la trempe des
Ney ^ et des Richepanse étaient clair-semés
' Les trois quarts des chevaux de France ont été gelés
en Russie. Rétablie après ce desastre, notre cavalerie
s'est surpassée elle-même ; et plus tard , dans une cam-
pagne de trois jours tristement mémorable, elle a mal-
traité la cavalerie des Prussiens et écrasé celle des An-
glais.
' Dès le commencement de la guerre et avant d'avoir
couru une carrière plus vaste , Nev passait pour un des
premiers officiers de cavalerie de France.
ARTILLERIE. 1 1 7
dans les armées de la République. Nous avons
vu à la fois à la tête des escadrons impériaux
les Murât , les Lassalle , les Kellermann , les
Montbrun , et d'autres hommes habiles dans
Tart de lancer et de régulariser les vastes ou-
ragans de la cavalerie , proceUa equestris ,
suivant la belle expression de rÉcriture.
Après les qualités nécessaires au commandant
en chef, le talent de guerre le plus sublime
est celui du général de cavalerie. Eussiez-
vous un coup-d'œil plus rapide et un éclat
de détermination plus soudain que le cour-
sier emporté au galop , ce n''est rien , si vous
n'y joignez la vigueur de la jeunesse, de bons
yeux , une voix retentissante , l'adresse d'un
athlète et l'agilité d'un centaure. Avant tout ,
il faudra que le ciel vous ait départi avec pro-
digalité cette faculté précieuse qu'aucune ne
remplace , et dont il est plus avare qu'on ne le
croit communément , la bravoure.
Le corps royal d'artillerie de France passait
Il8 ORGANISATION MILITAIRE.
pour le premier de TEiirope. Cest dans le ré-
giment de Lafère , le premier de cette arme ,
que Bonaparte commença sa carrière militaire.
Les canonniers se livrèrent avec chaleur au
mouvement de la révolution , mais la discipline
ne souffrit guère attendu qn^il y avait parmi
eux un grand fonds de raison et de patriotisme.
Aussi Tartillerie eut elle-une part active à la
défense du territoire et aux essais offensifs des
armées de 1792 et 1798. On menait alors beau-
coup de canons en bataille. Le calibre de quatre
était attaché aux bataillons d'infanterie. Les
obusiers , le huit et le douze , et même le seize
particulièrement affecté au siège , formaient
alors des batteries de six à douze bouches à
feu, dites batteries de position. On avait ré-
cemment emprunté des Prussiens, pour le ser-
vice de campagne , un perfectionnement ana-
logue à rimpétuosité française. Il consistait à
mettre à cheval un certain nombre de canon-
niers qui , par ce moyen , arrivaient sur le ter-
rain en même temps que les pièces les mieux
ARTILLERIE. HQ
attelées , se trouvaient toujours dispos pour
les manœuvrer, et pouvant plus facilement
échapper à ceux qui voudraient les assaillir,
canonnaient plus long- temps et de plus près.
L''artillerie à cheval fut composée , à sa créa-
tion , des artilleurs les plus ingambes , et re-
crutée ensuite avec Télite des grenadiers. Elle
fît des merveilles. On vit dans les campagnes
d** Allemagne de simples capitaines de cette arme
acquérir une réputation d'armée. Bientôt les
généraux ne voulurent plus avoir d'autre artil-
lerie , parce que celle-là étant plus mobile et
plus efficace , il en fallait moins , et c'était au-
tant d'allégement dans les colonnes d'atti-
rails.
L'engouement pour les bonnes choses con-
duit toujours à mal. L'artillerie à pied, énervée
par la formation et l'augmentation de l'artil-
lerie à cheval, commença à perdre l'esprit mili-
taire , et les canonniers nouveaux, limités au
travail manuel des arsenaux et des parcs , res-
tèrent paysans et devinrent raisonneurs. On
120 ORGANISATION MILITAIRE.
eut lieu de s'en apercevoir dans la défense des
places fortes dTtalie , pendant la malheureuse
campagne de 1799 '■ Les officiers instruits,
restés en grand nombre dans un corps moins
mutilé que les autres par Témigration , s'étaient
confinés volontairement dans les établissemens
du matériel. Les jeunes gens étaient décou-
ragés à la vue d'une carrière qui paraissait obs-
truée. Les chefs de l'arme furent réduits en
campagne au rôle essentiel, mais obscur, d'or-
donnateurs des approvisionnemens en instru-
mens et en munitions de guerre.
Napoléon fit , dans le service de l'artillerie ,
une révolution en rapport avec les changemens
que de longues guerres ne pouvaient manquer
d'amener dans le moral de l'armée. Lorsque
l'ardeur des uns, opposée au découragement des
autres, ne suffit plus pour gagner les batailles,
* Après la retraite de l'armée de Rhin-et-Moselle , en
17q6, le général Moreau Ht faire par des compagnies
de canonniers à cheval le service de l'artillerie dans les
ouvrages avancés des tètes de pont d'Huningiie et de Kehl.
ARTILLERIE. 121
il faut enfoncer les lignes qui résistent. Le
moyen le plus sûr pour cela est de concentrer,
sur le point d'attaque , plus de feu queTennemi
ne peut y en porter pour sa défense. Ces feux
multipliés, c'est labonne disposition etfemploi
simultané d'une artillerie nombreuse, qui les
procurent. L'Empereur augmenta l'artillerie de
bataille, au point d'avoir, dans les armées d'ou-
tre-Rhin, cinq bouches à feu par mille hommes,
et de porter le personnel de l'arme à cent mille
trois cent trente-six hommes. C'était presque
autant que toute l'ancienne armée du roi de
France '.
Dans ces myriades de canons , l'artillerie à
cheval n'entra plus que pour sa destination
naturelle. On l'employa dans les revues et
* Pendant la campagne deWagram , l'Empereur donna
aux régimens d'infanterie des pièces de quatre qui furent
servies par les fantassins : c'était un expédient pour
faire transporter une nombreuse artillerie avec moins
d'embarras que si elle eût été réunie en divisions et en
parcs.
122 ORGANISATION MILITAIRE.
principalement dans la cavalerie qui, n** ayant
pas de feu par elle-même, est surtout obligée
d'en emprunter ailleurs au moins pour se défen-
dre. L'artillerie, disposée habituellement par
grosses batteries , rentra sous les ordres de
ses chefs directs.
Alors les artilleurs instruits affluèrent aux
armées, tant les anciens venus des fabriques
et des ateliers , que les nouveaux sortis des écoles
où renseignement du métier avait été perfec-
tionne. On ne dédaigna pas le service de ceux
qui , ayant passé par tous les détails de mani-
pulation dans fétat de simple canonnier, com-
pensaient une théorie moins éclairée par une
pratique plus assurée. Aurait-on pu oublier
qu'ils avaient dans un temps difficile soutenu à
eux seuls la gloire du corps ! Eblé , le premier
officier d'artillerie de la guerre de la révolution,
appartenait à cette classe. On assura aux sous-
officiers une participation à l'avancement, assez
large pour concilier leurs justes prétentions
avec la destination d'une arme à (aient. Le
ARTILLERIE. 123
corps d^artillerie a montré peu d^imbition pour
le luxe de la science. Il lui a suffi de ne pas
rester en arrière des connaissances nécessaires
à son art , et de toujours faire plus et mieux
qu'ion ne lui demandait. Les régimensderarme,
choisissant les recrues dans la conscription
avant les autres troupes , conservèrent leur es-
pèce dliommes vigoureuse , et les soldats qui
portent la mort au loin , continuèrent à se
montrer les plus intrépides à la braver de près.
Le train d^artillerie fut sans contredit une
des plus utiles institutions militaires de Tem-
pereur Napoléon. Le soin d'atteler et charier
les canons et les caissons était confié auparavant
à des entrepreneurs sans patrie et sans vertu.
L'arrangement nouveau coûta peut-être un
peu plus d'argent. On n'y perdit rien , car les
soldats du train furent, en discipline et en cou-
rage , les émules des canonniers.
Vingt-cinq ans de guerre et la comparaison
avec les arsenaux et les machines du continent
de l'Europe tombés en noire pouvoir, n'ont
124 ORGANISATION MILITAIRE.
pas amené de changement important dans ce
qui se pratiquait en France. On a essayé des
changemens de calibre et de nouveaux caissons
qui ont été abandonnés pour revenir aux cons-r
tructions telles que les avait fixées Gribeauval.
La gestion de cette partie importante des dé-
penses publiques a été conduite parles officiers
du corps , avec une économie sévère et suivant
les formes établies depuis un siècle. Là et dans
le corps du génie s"'était réfugiée Tantique pro-
bité , quand elle fut chassée des autres services
administratifs.
On a proposé souvent à Napoléon de réunir
Tartillerie et le génie. En thèse générale, la
division du travail contribue au perfectionne-
ment des arts. En thèse particulière , pourquoi
fondre ensemble des corps si utiles dans leur
organisation actuelle ? L^Empereur n^eut pas
fimprudence de tenter cet essai; mais il réunit
les élèves des deux armes dans un établissement
qu'alimentait TÉcole Polytechnique. Cette
GÉNIE, <25
école, après avoir été un foyer de lumière pour
la France et pour FEurope , venait d'être re-
construite sur un plan plus étroit et moins li-
béral. Le métier des armes passait avant tous
les autres dans Tesprit de Napoléon. Il trans-
forma une pépinière de savans en un sémi-
naire de guerriers.
Depuis là seconde campagne de la guerre de
la liberté , où Tusage des tentes avait été aban-
donné , nos soldats bâtissaient leurs baraques
avec une dextérité et une promptitude qui
prouvaient combien ils avaient d"'aptitude pour
toute espèce de travaux. L'*Empereur leur fit
creuser des ports de mer sur la côte de Boulo-
gne , et les employa souvent à construire des
fortifications. Cependant ils montrèrent tou-
jours de la répugnance à manier la pelle et la
pioche ailleurs que sous le feu de Tennemi.
Vauban demandait avec instance , en Tan-
née 1688 , au ministre Louvois une troupe qui
exécutât les travaux des sièges sous la direction
des ingénieurs. Elle n^existait pas encore un
12(> ORGANISATION MILITAIKi:.
siècle après. On donnait avant la révolution
Je nom de sapeurs à certaines compagnies des
régimens d'artillerie qui , outre la manœuvre
du canon, étaient exercées à la sape dans les
polygones et qu'on prêtait accidentellement au
génie. Employer à deux fins des soldats obéis-
sant à deux maîtres , était une économie mal
entendue. La Convention nationale créa les
véritables sapeurs , qui , organisés d'abord en
compagnies et ensuite en bataillons , se firent
bientôt un renom proportionné au degré d'in-
telligence et d'audace que nécessite l'exercice
de leur profession.
Les mineurs furent rendus au génie dont on
n'aurait jamais dû les séparer. Le génie re-
vendique aussi les pontonniers. Malgré la con-
venance apparente de cette prétention , l'ar-
tillerie les a conservés. On a pensé que la
puissance dont cette arme dispose par ses ar-
senaux , ses parcs , son train , son personnel
nombreux, fournirait, pour construire, atteler
et manœuvrer les ponts mobiles, des ressources
GEME. 12/
auxquelles nulle autre combinaison ne pouvait
suppléer.
Les ingénieurs élèvent les fortifications per-
manentes et passagères. Ils attaquent et défen-
dent les places. Ils vont à la guerre. On peut
assurer que, sous ces trois rapports, il n'existe,
dans aucune corporation militaire au monde ,
plus dliabileté et de patriotisme que dans no-
tre corps du génie. Alexandrie, Anvers, Ju-
liers , cinq cents autres places construites ,
restaurées et augmentées , disent assez que
Fart de Vauban nVst pas tombé en décadence
entre les mains des Marescot , des Chasseloup
et des Haxo. L'Europe a été jonchée de nos
redoutes et de nos retranchemens. Aux siè-
ges , les officiers du génie étaient Famé de
Pattaque et le nerf de la défense. Leur expé-
rience V a recueilli une foule de perfection-
nemens dont la publication agrandirait le
domaine delà science. Dans la guerre de cam-
pagne , ils se sont chargés du travail des recon-
naissances , et ont été nos meilleurs , pour ne
i2.S ORGANISATION MILITAIRE.
pas dire nos seuls officiers d''état-major. Où
en aurions-nous trouvé dont Téducation eût
été aussi soignée et dont le dévouement pût être
mis à tant d^épreuves?
L'*état-3IAJ0R proprement dit n'a pas eu de
consistance dans nos armées et n*'a pas formé
corps. On rangeait sous cette dénomination
collective les officiers-généraux et les aides-
de-camp , les commandans et les adjudans de
place,', les adjudans-commandans et les ad-
joints.
Les fils des hommes en place , les nobles an-
ciens , les nobles nouveaux , tous ceux qui vou-
laient faire la guerre commodément et arriver
de plein saut aux honneurs et au pouvoir*,
se jetaient dans Temploi d'aide-de-camp. Na-
poléon essaya d'enchaîner leur fureur d'avan-
cement; il décida que, pour avoir droit à
un grade supérieur, les aides-de-camp de-
vraient servir dans les corps d'infanterie et de
cavalerie , où l'on apprend à conduire les sol-
ETAT-MAJOR. 12q
dats en vivant avec eux. LMnfluence des alen-
tours du souverain contraria souvent les saines
doctrines du généralissime, et la règle souffrit
de fréquentes infractions. Il est de la nature des
cours d''infecter les armées.
Les commandemens et les adjudances de
place de Fintérieur étaient réservés , comme
postes de retraite , aux officiers mutilés ou vieillis
sous le harnais ; au-deliors , ces emplois plus
politiques que militaires étaient la proie d**in-
dividus qui, n'appartenant à aucun corps , of-
fraient peu de garantie à fautorité. Plusieurs
officiers, employés en qualité de commandans
de place , avaient été réformés précédemment
et rentraient au service dans Fespoir d'amas-
ser ou de grossir un petit pécule; ils étaient les
intermédiaires habituels entre Farmée et les
habitans du pays conquis. Les déportemens
ignobles et arbitraires de quelques-uns d'entre
eux ont contribué à rendre le nom français
odieux à Fétranger.
Les adjudans-généraux et les adjoints furent
-l3o ORGANISATION MILITAIRE.
créés parFAsseniblée constituante pour cumu-
ler les attributions qu^avaient exercées Tétat-
major général de l'armée et les états-majors
particuliers de Finfanterie et de la cavalerie.
L'institution avait à peine trois ans de date ^
que les mauvais choix du Comité de salut pu-
blic et des représentans du peuple en mission
la profanèrent. Cependant, à Farmée du Rhin,
la moins secouée de toutes par la tourmente
révolutionnaire , les officiers qui avaient le
goût de l'étude se consacrèrent au travail de
l'état-major. Desaix, Saint-Cyr ', Abatucci, De-
caën et d'autres du même ordre ont été adju-
dans-généraux ; des fonctions imparfaitement
définies furent ainsi agrandies par le mérite per-
sonnel de ceux qui les remplissaient; il en fut
autrement en Italie. Le général Bonaparte tint
peu de compte de gens qui ne maniaient ni
machines de guerre, ni soldats; il considéra le
' Morcau disait de Desaix et Saint-Cyr : « A.vec rim
on est sûr de gagner des batailles, avec l'autre de n'en
));is perdre. »
ÉTAT-MAJOR. l3l
service de rétat-major comme un passage et
non comme une carrière. Les adjudans-géné-
raux étaient presque assimilés aux officiers-gé-
néraux par la ressemblance du nom et deTuni-
forme ; le premier consul les dépouilla de ces
ornemens , et joignant ensemble deux mots
étonnés de se voir accouplés , il les appela ad-
judans-commandans. Les portes de Tavance-
ment leur furent presque fermées , lorsquVlles
étaient ouvertes à tout le monde ; voulait-on
punir un cbef de corps négligent ou coupable?
on le faisait adjudant-commandant. Accordant
moins d''estime à une classe d^officiers placés
haut dans la hiérarchie, il fallut s''attendre à
en tirer moins de services.
Le travail du bureau, peu considérable dans
les anciennes guerres , s'est compliqué outre
mesure avec Taccroissement de nos armées et
notre étalage de responsabilité. L'Empereur
voulait avoir sous les yeux , partout et à toute
heure , les tableaux les plus circonstanciés de
la force et de remplacement de ses troupes ,
9*
i3'A ORGANISATION MILITAIRE.
des hôpitaux , dos arsenaux , des magasins ;
cela fit regarder la rédaction des états de si-
tuation comme une des plus intéressantes at-
tributions de Tétat-major. Les secrets de cas-
tramétation et d'ouverture de marche , qu'on
prisait tant autrefois , ont baissé dansTopinion,
tant à cause de la manière différente de faire
la guerre, que parce que Texpérience commune
à tous réduisit à sa juste valeur ce qui n'est
que VA B C du métier. Les régimens familia-
risés avec l'étude des terrains et les procédés
géographiques , faisaient mieux les reconnais-
sances que des adjoints promus sans examen
et sans choix. Les oinciers-généraux ne délé-
guaient à personne le soin de déterminer les
positions et d'y asseoir les troupes. Que restait-
il donc aux adjudans-commandans employés
comme chefs d'état-major des divisions? Rieiv
que la transmission des ordres , l'obligation de
seconder le général , et l'envoi des rapports et
états journaliers au chef de l'état-major de
l'armée. Tout le monde n'entendait pas dans
État-major. i33
le même sens Taction directe qu'ils avaient
droit d''exercer sur les troupes et dans Tadmi-
nistration ; quoique pourvus du grade de co-
lonel , leur importance déchut encore quand
Tisolement des armes et Finstitution des corps
d^armée ébranlèrent le système division-
naire.
Ce changement sortit , comme beaucoup
d'autres , du grand campement des bords de
la Manche. Les divisions de Sambre-et-Meuse
et du Rhin , oii la cavalerie et Tinfanterie s'é-
taient épousées et accouraient, lorsque leur com-
pagnie d'artillerie à cheval était compromise ,
au secours de leurs camarades et de leurs amis
dans la détresse : ces belles divisions retraçaient
Timage des légions romaines, autant que le com-
porte la nature de nos armes. Quand les forces
militaires se déployèrent sur un plus grand
espace, plusieurs généraux en chef,Moreaa
particulièrement, jugèrent qu'un morcelle-
ment trop détaillé nuisait à Texécution des or-
1 34 Établissement
dres et à rensemble des mouvemens. On réu-
nit, en Tannée 1800, plusieurs divisions des
armées du Rhin et d'Italie , sous le comman-
dement d''un officier-général, qui reçut à cet
effet la commission temporaire de lieutenant
du général en chef. Cependant la division
resta Tunité , et la lieutenance fut dans ce mé-
canisme un rouage surabondant.
Trois ans plus tard , des généraux en chef ,
qui furent nommés maréchaux d'empire aussi-
tôt qu'on institua cette dignité , commandèrent
les corps d'armée de Boulogne , d'Ostende et
de Montreuil. Ces rassemblemens étaient de
véritables armées , car ils conduisaient avec
eux tout ce qui leur était nécessaire pour mar-
cher, vivre et combattre. Les divisions perdi-
rent leur consistance ; comme nous l'avons
dit , on leur retira la cavalerie , et l'artillerie
n'y figura que pour mémoire. Les armes fu-
rent isolées les unes les autres 5 les officiers-
généraux , limités au commandement d'une
seule espèce de troupes , ne furent plus que
DES CORPS d^rmée. 1 35
des colonels renforcés ' . On peut mettre en
question si cette modification du système avec
lequel on avait vaincu était bonne et néces-
saire ; TEmpereur Tadopta moins comme amé-
lioration absolue que pour sa propre conve-
nance ; les commandemens fixes de ses lieute-
nans, calculés sur le nombre d^hommes qu'un
chef d'une habileté raisonnable peut remuer
avec succès sur le terrain , servirent à dégager
sa pensée de la préoccupation d'une foule de
détails importuns. A eux appartenaient les
soins du métier et l'exécution technique ; à lui
seul la conception et la direction des entre-
prises.
' Nous rapportons ici l'organisation impériale , c'est-
à-dire l'organisation des armées commandées par l'Em-
pereur en personne. On a fait une partie de la guerre
d'Espagne sans avoir d'intermédiaire entre les états-ma-
jors généraux d'armées et les divisions, et on s'en est bien
trouvé. Au reste , les campagnes de la Péninsule ont pro-
duit, dans le service des troupes et dans les mœurs de
l'officier et du soldai , de nombreuses modifications qu(
nous ne manquerons pas de faire connaître.
l36 ORGANISATION MILITAIRE.
Derrière les corps d'armée de Napoléon,
marchait une réserve sans pareille ; la garde
impériale représentait la gloire de Tarmée et
la majesté de Tempire. On choisissait les offi-
ciers et les soldats parmi ceux que les braves
avaient signalés comme les plus braves : tous
étaient couverts de cicatrices. Nourris dans les
dangers , ils avaient vécu beaucoup en peu
d'années ; et Ton ne s'étonnait pas d'entendre
appeler vieille garde un corps où les plus
vieux n'étaient pas âgés de quarante ans. Quoi-
que le prince les comblât de grâces , la récom-
pense restait toujours au-dessous du service.
Napoléon , honneur et patrie se confondaient
dans leur admiration et leur dévouement. Pas
un d'eux ne pensait que ce dévouement les ap-
pelât jamais à défendre la couronne impériale
contre les tumultes populaires ; tous s'enor-
gueillissaient qu'on eût confié à leur courage
le soin de la conserver radieuse aux yeux des
étrangers ; les délices de la grande cité n'amol-
lissaient point leur discipline. Transportés sur
GARDE IMPÉRIALE. iS'J
les champs de bataille , à pied par des mar-
ches forcées , en bateau ou sur des voitures , la
nouvelle de leur arrivée glaçait d''eftVoi les
cœurs des ennemis. L'Empereur porta , par
des augmentations successives , TefFectif de sa
garde à soixante-huit bataillons , trente-un
escadrons et quatre-vingts pièces d'artillerie.
Aux jours de ses prospérités , il ne la faisait
donner que par portions détachées ; quinze
ans entiers elle resta debout au milieu des
épouvantemens et des ruines , solide comme la
colonne de granit ' . Un jour elle succomba —
Ce jour-là le joug de Tétranger s'appesantit
sur la France. Sur les tombeaux des héros nos
enfans écriront ces mots , qui furent proférés
au plus fort de la mêlée : « La garde meurt
et ne se rend pas î )•
L'admimstkatioiN de nos armées était vi-
' C'est ainsi que la désigna le général Bonaparte sur le
champ de bataille de Marengo.
I 38 ADMINISTRATION
cieuse. On ne manquait cependant ni de bons
réglemens ni d'hommes capables de les faire
exécuter. Le mal venait de deux causes capi-
tales : Tune, c'est que Tart de pourvoir aux
besoins du soldat, dépendant, comme les
autres arts, de procédés matériels , ne peut
être appliqué aux armées qui surpassent une
certaine force numérique , ou dont les mouve-
mens excèdent un certain degré de rapidité.
L'autre cause était inhérente au caractère de
l'homme qui réglait nos destinées. Comme
l'Eole de laFablemetles vents en liberté pour
agiter les flots, ainsi Napoléon déchaînait les
passions pour bouleverser le monde. Or , les
passions, même les plus nobles, sont toujours
prêtes à s'indigner de l'ordre qui aligne les ta-
lens et tue l'enthousiasme.
Le commissariat , dont le nom est ancien
dans la monarchie , fut agrandi à la ré vol u-
lion. On était porté alors à amoindrir le pou-
voir militaire : ce qui est toujours bon à faire
quand la sûreté de l'Etat n'est pas compromise.
DES ARMÉES. iSq
A Tadministration des choses de la guerre, soit
dans IMntérieur des régimens , soit au-dehors ,
on réunit, pendant quelque temps , Tinforma-
tion des délits commis par les officiers et les
soldats, et la conduite des jugemens. La défa-
veur qui s'attacha aux vieilles institutions ne
fit quVffleurer les commissaires des guerres.
Très-peu se crurent obligés d'aller à la croi-
sade d'outre-Rhin. Leur corps, à peu près
intact , et partant riche en traditions , se ren-
força de sujets distingués. Tant que nos mi-
lices , occupées à repousser la première inva-
sion de l'ennemi , restèrent collées aux places ,
et vécurent des magasins , il conserva le relief
d'une magistrature indépendante.
La guerre offensive commença. Les armées
républicaines , partagées en divisions , mar-
chèrent sur un grand front , parce qu'elles
étaient obligées de tirer leur subsistance du
terrain qu'elles parcouraient. Il n'y eut plus de
centralité possible dans l'administration. On
eut recours aux réquisitions en nature faites
l4o ADMINISTRATION
partiellement, et au jour le jour, sur tous les
points où le besoin se faisait sentir. Cette ma-
nière de servir nécessitant la coopération con-
tinuelle de Tautorité militaire , tant pour le
calcul des ressources que pour leur recouvre-
ment, imposa au général de division un devoir
de plus à remplir : celui de nourrir les soldats.
Pour Taccomplissement de ce devoir, parfois
plus difficile que les autres , le commissaire des
guerres fut un agent éclairé, actif, indispen-
sable , mais subordonné. Si le corps adminis-
trant eût voulu se retrancher dans le bénéfice
de la loi qui Pavait constitué , et qui n''était
pas changée, il n^aurait eu, la plupart du
temps, rien à faire. Il aima mieux laisser déna-
turer ses fonctions que les abandonner. Les
militaires , accoutumés à juger du droit par le
fait , ne virent plus dans le dépositaire du pou-
voir ministériel qu^un subalterne , et dans le
régulateur du service des vivres qu^un vivrier,
le premier de sa classe. La distinction fonda-
mentale entre les surveillans, les comptables
DES ARMEES. l^i
et les manipulateurs , s''effaça ; car il n'y avait
pas trace de comptabilité , et tout était ma-
nipulation. Qu'on joigne à ces causes de déca-
dence le dédain qu'éprouvent naturellement
les soldats pour ceux qui vont à la guerre sans
courir le danger du champ de bataille , et per-
sonne ne s'étonnera que les commissaires des
guerres n'aient pas conservé assez de consis-
tance pour diriger et contrôler avec succès la
gestion financière des régimens. Le travail des
revues, base de la comptabilité, fut en souf-
france. Bientôt on cessa d'en passer sur le
terrain.
Les troupes étaient nourries aux dépens du
pays conquis , et il importait assez peu que les
fonctionnaires préposés à la surveillance de ce
service fussent investis de plus ou moins de con-
sidération. Cependant elles étaient soldées par
le trésor national , et l'emploi de la fortune pu-
blique touchant de près le gouvernement , il
dut chercher à rehausser les dispensateurs des
fonds. L'arrêté des consuls , en date du 9 plu-
l42 ADMINISTRATION
viose an VIII , retira aux commissaires des
guerres la police administrative des corps ar-
més, et la confia à une autre corporation, dont
les premiers membres furent pris dans la tête
du commissariat, et parmi les officiers-géné-
raux et supérieurs hors d'activité. Les inspec-
teurs aux revues prirent , de premier jet , une
attitude imposante , parce qu'on leur conféra
des grades élevés. Ils la conservèrent, après
avoir perdu les insignes des grades , parce que
leurs fonctions ne leur donnaient avec les mili-
taires , isolés ou réunis , que des rapports de
supériorité.
Le régime divisionnaire avait contribué à
faire déchoir les commissaires des guerres.
L'établissement des corps d'armée et un sys-
tème de guerre plus concentré, eurent pour
effet de leur rendre , sinon leur ancien éclat ,
du moins une dépendance moins éparpillée ,
et plus de fixité dans les attributions. Mais
alors la plaie faite par le démembrement de
l'inspection aux revues était encore saignante.
DES ARMEES. 14^
Le corps nouveau avait emporté avec lui l'au-
torité traditionnelle et les droits honorifiques.
Le corps ancien , brusquement appauvri d'un
nombre considérable de ses meilleurs sujets ,
ne renfermait pas TétofFe nécessaire pour rem-
plir ce vide , et on fut trop facile à ouvrir la
carrière à des hommes qui , par leur éducation
première et le genre de leurs connaissances ,
n'étaient pas destinés à la parcourir.
Cependant , le zèle du commissariat a paru
. s'exalter à mesure qu'on l'a moins apprécié. Pen-
dant un quart de siècle, tous les systèmes d'ad-
ministration ont été essayés , depuis celui qui
organise les secours long-temps d'avance, jus-
qu'à la maraude régularisée. Les commissaires
des guerres se sont prêtés à tout. Contention
d'esprit , fatigues corporelles , sacrifices d'a-
mour-propre , rien n'a coûté à leur désir d'être
utiles. Rarement aidés , et quelquefois contra-
riés par l'autorité , leurs efibrts ont été particu-
lièrement méritoires dans les guerres d'armée
à peuple , où les élémens générateurs de l'or-
l44 ADMINISTRATION
dre devaient naître du sein même de la confu-
sion. On verra , dans le cours de l'ouvrage que
nous écrivons, tel ordonnateur des guerres
dépenser, pour former un magasin , pour or-
ganiser un convoi , pour approvisionner une
place , plus de talent administratif et de force
de tête qu'il n'en eût fallu , en temps régulier,
pour régir un Etat. Des actes de cette nature
sont d'ordinaire voués à l'obscurité ; mais lors-
que l'énergie des résistances surmontées et
l'importance des résultats obtenus les ont em-
preints de grandeur , l'histoire les recueille
pour l'encouragement de ceux qui se trouve-
ront dans des circonstances semblables.
Les employés de l'administration militaire
étaient pris au hasard et amovibles , au gré du
premier venu. Du temps du Directoire, leurs
richesses mal acquises insultaient à la noble
misère des guerriers ; sous Napoléon , ils eu-
rent les mœurs de leur condition. Les services
qu'ils rendirent , quoique pas toujours désin-
téressés , furent meilleurs qu'on n'avait droit
DIÎS ARMÉES. l/p
de Tattendre d^une classe d^hommes livrée à
riïicertitude d^un état précaire.
Comme nous faisions un usage continuel
des ressources locales , le matériel d'adminis-
tration que nos armées conduisaient avec elles
était très-restreint, et Texpérience de la guerre
ne Tavait pas perfectionné. Nos ambulances
n'étaient pas en proportion avec nos besoins.
Nous ne nous servions ni de boulangeries por-
tatives ni de fours mobiles. Les caissons des
vivi'es étaient lourds et grossiers. Le décret
impérial du 26 mars 1807 forma les équipa-
ges en bataillons. Cette innovation, dont le
train d'artillerie avait donné l'idée, n'était pas
soutenue par les mêmes stimulans de patrio-
tisme et d'honneur.
Les agens subalternes du service de santé
reçurent aussi une organisation militaire. Il a
été facile de l'établir, car les infirmiers étaient
choisis parmi les vieux soldats; mais on en a
retiré peu d'avantage pour l'amélioration du
régime des hôpitaux. Les hôpitaux! C'est
l46 ADMINISTRATION
ici que riiumanité en pleuts accuse les forfaits
de Tambition. Il n'était plus permis aux cœurs
généreux de palpiter au récit de la victoire ;
nos lauriers étaient noyés dans une mer de
sang. Les conscrits vivaient trop vite pour
durer long-temps. Les affections de poitrine
dans le Nord , et les maladies d'estomac dans
le Midi , les emportaient par milliers. L'ex-
trême mobilité des armées et l'incertitude des
lignes d'opération ne permettaient pas tou-
jours de constituer des hôpitaux réguliers, et
compromettaient sans cesse les évacuations. Les
blessés furent souvent abandonnés faute de
moyens de transport. Vainqueurs ou vaincus,
nous avons perdu quatre fois plus de monde
par le désordre inséparable de notre système
de guerre que par le fer ou le feu de l'ennemi.
Cependant l'armée adorait son général heu-
reux, et elle délirait encore pour lui, alors qu'elle
était désabusée de sa providence. Pour de-
viner cette énigme , il faut avoir connu Napo-
léon , la vie des camps et la gloire ; il faut
DES ARMÉES. l47
surtout avoir la tête et le cœur français. Le
pestiféré de JalFa repoussa-t-il la main ap-
pliquée sur sa plaie , parce que cette rnain Pa-
vait arraché du sol natal pour le traîner au
foyer de la contagion? L'*Empereur s*'effor-
çait de réparer par des soins individuels une
faible portion des maux résultant de ses com-
binaisons. Après une bataille il visitait les hô-
pitaux en personne , ou bien il y envoyait ses
principaux officiers. A son exemple les géné-
raux prenaient un vif intérêt au bien-être des
malades et des blessés. Notre chirurgie , dirigée
aux armées par des chefs habiles , a conservé
sa prééminence en Europe. La patrie doit une
reconnaissance sans bornes aux services mo-
destes des officiers de santé. Placée entre la
cupidité des administrateurs et Tambition des
militaires , cette classe respectable de ci-
toyens a donné Fexemple d'un dévouement
dont aucun calcul n'altéra la pureté.
La loi avait confié au corps des inspecteurs
aux revues la tutelle des conseils d'administra-
10'
l/jS ADMIiSISTÇATION
tioii des régimens ; c'est ce qu'on appelait la
police administrative. Les conseils n'avaient
qu'une autorité nominale. On y délibérait pour
la forme, ou bien on n'y délibérait pas du tout,
et les membres signaient un à un les actes col-
lectifs. Par le fait le colonel administrait seul ;
l'inspecteur aux revues , content d'avoir as-
suré les intérêts du Trésor en constatant exac-
tementreffectif,jugeait les opérations consom-
mées, sur la présentation des pièces justificati-
ves, et portaitrarementun œil scrutateur au-de-
là. Les défenses ministérielles, éternellement
répétées , n'empêchaient pas qu'à la faveur du
bien-être dont les troupes jouissaient parfois
dans leurs cantonnemens, on n'exerçât des rete-
nues illégales sur la solde , tantôt pour entrete-
nir des sapeurs et payer des musiciens , tantôt
pour ajouter à l'habillement de futiles embel-
lissemens. Tel colonel changeait de son auto-
rité privée des portions importantes de l'uni-
forme; l'un ordonnait les cheveux coupés;
l'autre faisait reprendre la pondre. Une foule
DES ARiMÉeS. . 149
de détails , qui ailleurs sont déterminés par les
réglemens, étaient abandonnés en France au
caprice des chefs qui se succédaient avec une
rapidité égale à celle des mouvemens mili-
taires. L''arbitraire en ce genre n'était tempéré
que par Tinfluence paternelle des capitaines, et
par Tintérêt qu'avaient les colonels d'être aimés
et honorés de ceux dont ils attendaient leur
réputation et leur avancement. Napoléon di-
sait qu'un peu de désoinlre n'était pas m es-
séant au caractère français , mais il eût com-
mencé à s'inquiéter si les troupes eussent paru
mécontentes. Il avait besoin avant tout de bons
officiers et de soldats intrépides. Cette pensée
le détournait toujours des considérations se-
condaires.
Celui qui, pour connaître l'armée française,
en étudierait la législation écrite , entrepren-
drait un travail fastidieux et inutile; dans ce
fatras d'ordonnances souveraines et de déci-
sions ministérielles capables de remplir cent
1 5o LÉGISLATION
volumes, les contradictions Tarrèteraient a
chaque pas; il ne saurait distinguer les dispo-
sitions ayant encore vigueur, de celles qui
n'en ont plus et de celles qui n'en eurent ja-
mais. En tout pays , mais surtout dans notre
France , la différence est énorme entre le pré-
cepte et Faction , entre ce qu'on devrait faire
et ce qu'on fait. Au milieu d'une stérile abon-
dance , nos codes péchaient par d'inexcusables
omissions. Ainsi nous avons attendu jusqu'au
i*"*^ mai 1812 pour y insérer une loi pénale
contre ceux qui traiteraient de capitulation
en rase campagne. Nous n'avons jamais eu
pour le service d'armée un règlement adapté
au régime des divisions et des corps d'armée
permanens ' ; les rapports de l'artillerie et
' Il existait pour le service des troupes en campagne
deux réglemens, l'un du 12 avril 1788 , relatif à la cava-
lerie, l'autre du 5 avril 1792, relatif à l'infanterie,
drcss(^s tous deux sur d'anciens erremens , et tous deux
à peu près inconnus à l'armée. Pendant la guerre d'Au-
triche, en 1809, l'Empereur sentit la nécessité d'un ré-
MILITAIRE. lai
du génie , et surtout de Tadministration avec
Tétat-major, sont restés dans le vague. A côte'
^ de telles imperfections , certains actes gran-
dioses décelèrent le doigt du grand homme.
Nous citerons dans cette catégorie le décret
impérial relatif aux aigles des régimens, qu'on
dirait avoir e'té re'diaé dans le sénat romain
sur la proposition de Scipion; et celui du
24 décembre 1811 sur la défense des places de
guerre , où respire une si héroïque connais-
sance du cœur humain et de la profession des
armes.
La guerre, considérée comme science tech-
nique , a fait des progrès continuels , mais
lents , depuis Femploi de la poudre jusqu'au
renouvellement du pas égal, et au perfection-
glement de campagne. Il eût fallu , pour en faire un
bon, du temps et du travail; on se contenta de réim-
primer à la hâte le règlement du 5 avril 1792, avec
quelques changemens , dont le principal fut la substi-
tution du mot baraque au mot tente.
132 SCIENCE
nement du système de feu dans les armées,
prussiennes. Elle restera probablement sta-
tionnaire, tant qu\ine découverte capitale ne
produira pas une révolution dans les arts. En
effet , vingt-quatre années de batailles livrées
au monde entier par la plus ingénieuse des
nations , n'ont suggéré aucun changement à
Tarme principale des modernes, le fusil garni
de la baïonnette , et la tactique n'a guère été
poussée au-delà des combinaisons que le grand
Frédéric avait imaginées.
Mais les applications de la science ont été
variées à l'infini, les idées saines popularisées,
tes préjugés dissipés. Le dernier officier-major
de notre infanterie eût souri de pitié en enten-
dant les graves dissertations de nos devanciers
sur l'ordre profond et l'ordre mince.
Un artilleur à cheval pourrait-il croire que,
douze ans avant la révolution, on a écrit des
volumes pour prouver que la mobilité des ca-
nons est une qualité superflue , et que les
mêmes pièces montées sur les mêmes affûts doi-
DE LA GUERRE. l53
vent servir le long des côtes, sur les remparts,
aux sièges et en campagne! On a secoué le joug
des places inutiles. On ne s^est plus contenté
de victoires sans résultat. Le luxe revenu avec
les institutions monarchiques, n'ayant pas pé-
nétré au-dessous des premières couches de
Tarmée , elle a pu , légère de bagages et indus-
trieuse dans ses moyens de subsistance , s^é-
manciper jusqu'à un certain point de la rigueur
des lignes d'opération. Un général a mis en
action à la fois cent quatre-vingt mille hommes
et cinq cents pièces de canon sur le même
champ de bataille.
La stratégie a pris l'essor et a complété la
science de la guerre. Michel-Ange dit un jour
du Panthéon de Rome : « Je relèverai à quatre
cents pieds du sol. » Et il le plaça sur le faîte
de réglise de Saint-Pierre. Ainsi fut fait de
nos jours avec la théorie des niouvemens d'ar-
mée. Le vieux roi de Prusse avait gagné des ba-
tailles par l'emploi de l'ordre oblique; Napoléon
s'en servit pour conquérir des royaumes en une
l54 SCIENCE
semaine ou en un mois. Il en obtint des profits
plus étendus, parce qu^il Tappliqua sur une
plus vaste échelle. Suivez le profond stra-
tège dans les manœuvres brillantes de talent
et d'audace qui ont précédé les journées de
Marengo, d^Ulm, d'Austerlitz et d'Iéna. Voyez-
le ensuite prendre son champ de bataille , et
ne vous étonnez plus de ce qu'une seule vie-
toire renverse un Etat.
Au reste , ce ne sont pas là des bienfaits
pour les peuples. Mieux valait pour eux que
les querelles de rois se vidassent avec vingt
mille soldats qu'avec deux cent mille. Le
préjuge' qui condamnait les armées les plus
nombreuses à assiéger Berg-op-Zoom pour se
préparer à entrer en Hollande , ou à prendre
jusqu'à la dernière bicoque de Flandre, avant
de songer à percer dans le cœur de la France :
ce préjugé diminuait les maux de la guerre ,
sinon dans leur intensité , du moins dans leur
développement. L'usage des tentes préservait
les troupes des maladies pernicieuses.
DE LA GUERRE. 1 55
Tout cela est vrai; et cependant on ne
reviendra ni aux petites armées , ni aux siè-
ges de convention, ni aux maisons de toile '.
Chaque puissance belligérante continuera à
se faire beaucoup de mal à elle-même,
dans Tespoir plus ou moins fonde' d^en faire
davantage à son adversaire. Cherchons plus
haut le remède; cherchons-le dans la libre
manifestation de Topinion publique, dans des
institutions assez fortes pour résister aux vo-
lontés individuelles des gouvernans , et pour
les réduire à ne plus être que les serviteurs
' Quelques guerriers pbilantropes ont désiré qu'on
reprît l'usage des tentes : ce vœu ressemble à celui que
formaient au seizième siècle les Montluc et les Bayard,
pour qu'on abandonnât l'usage de ces armes traîtresses
au moyen desquelles un lâche , tapi deriière un buisson,
donne la mort au brave qu'il n'aurait pas regardé en
face. Celui qui fera la guerre avec des tentes aura tou-
jours des embarras de transport qui le mettront dans un
état d'infériorité contre celui qui n'en aura pps. Si ja-
mais les peuples du Nord se débordent sur ceux du Midi,
ce qui est autant à craindre que jamai^s , ils n'aniveront
pas campés sous des maisons de loilc.
*56 SCIENCF.
plus ou moins habiles des inte'rêts généraux.
L'esprit de liberté tuera Pesprit militaire. II
ne sera plus permis aux princes de faire entre-
égorger les peuples pour des inte'rêts de dy-
nastie, ou par des lubies dWibition. Les gou-
vernans, quel que soit leur titre et Torigine de
leur pouvoir, ne pourront subsister qu'en s'ef-
façant personnellement devant la volonté gé-
nérale. Les nations, comparant les désastres
de la bataille au mince profit de la victoire ,
ne pousseront plus le cri de guerre , hormis
dans les circonstances très-rares où il s'agira
(le vivre libre ou mourir, ainsi qu'il arriva, en
1792, à la France menacée dans son existence
par les rois d'Europe injustement coalisés.
Les grands événemens sont la grande école
du genre humain, et la guerre est l'apprentis-
sage de la guerre. De même que les dernières
campagnes de la guerre de trente ans avaient
formé pour le siècle de Louis XIV les Condé
et les Turenne, ainsi Napoléon eut à choisir
priimi les o(Miies ])uiss;«ns f[iie la révolution
DE LA GUERRE. iSj
avait fait ëclore. Il fit aussi des oéneraux ,
et en grand nombre : les nns, que le hasard
avait groupe's autour de lui dans les campa-
gnes d'Italie; les autres , qu'offrirent à ses re-
gards les guerres qu'il fît ensuite. Vaincre et
trouver des instrumens de victoire était le tra-
vail de sa vie. Pourvu qu'on fût disposé à ne
plus avoir d'autre avenir, d'autres desseins,
d'autres volontés, que l'avenir, les desseins et
la volonté du maître , il ne demandait pas aux
hommes ce qu'ils avaient pensé autrefois , ni
ce qu'ils pensaient encore , mais ce qu'ils sa-
vaient faire. L'histoire dira que plusieurs de
ses aides-de-camp , et ce n'était pas ceux qu'il
estimait le moins , avaient voté contre le con-
sulat à vie'.
' Drouot , un des plus beaux caractères de notre âge ;
Mouton, comte de Lobau , excellent Lomme de guerre;
Bernard , officier-général du génie, conduit par les mal-
heurs des temps à offrir aux Etats-Unis de l'Amérique
septentrionale des services qui ont été acceptés avec em-
pressement, et qui là au moins seront utiles à la cause de
l'humanité.
l58 SCIENCE
Toutefois , les réputations militaires sorties
de son règne sont loin d''avoir égalé les réputa-
tions acquises au temps de la République, et
les généraux qui ont rendu leur nom célèbre
dans les deux époques, ont brillé de moins
d^e'clat dans la seconde. Il ne faut pas s'en éton-
ner. Et d'abord, une cour, tant nouvelle qu'elle
soit , ne fût-elle même qu'un quartier-géne'ral
transformé de la veille , est un cbamp ouvert à
la médiocrité. Les nécessités du métier de cour-
tisan rapetissent chaque jour les hommes qui
ont le plus de valeur réelle. Napole'on exerçait
plus d'influence sur les esprits comme monar-
que que comme guerrier, et il formait autour de
lui des serviteurs et non pas des élèves. L'exem-
ple de sa haute fortune, l'ambition qu'il se plai-
sait à exciter, les grandes existences qu'il cre'ait,
inspiraient, non le désir de la gloire, mais la
passion de s'élever; et ses lieutenans rêvaient
des royaumes autant que des batailles ga-
gnées, autant que l'honneur d'illustrer eux et
la France.
DE LA GUERRE. 1 5(1
D''ailleurs, auquel de ses élèves Homère a-t-il
transmis le secret de Tlliade? Le talent de Na-
poléon , tout dMnspiration et de génie , nVtait
pas de nature à faire école. D^unepart, son
immense supériorité sur ceux qui Tentouraient,
leur donnait une excessive défiance de leurs
propres forces ; d^autre part, sa puissance ab-
solue courbait les esprits indépendans, et per-
mettait à peine qu\ine idée heureuse jaillit
d'un autre cerveau que du sien. Il ne conve-
nait ni à sa politique, ni à son humeur d'é-
veiller des mérites transcendans , et surtout de
leur donner trop d'essor. Dans les armées que
l'Empereur commandait en personnCjl'occasion
manquait aux généraux pour se déployer tout
entiers. Ailleurs, Napoléon employait quelque-
fois les hommes à contre-poil de leur aptitude,
ou il leur confiait des forces insuffisantes pour
réussir, ou bien encore il poursuivait avec tié-
deur des opérations chaudement entamées, dis-
trait qu'il était par des conceptions nouvelles.
Cet amant préféré de la fortune eût été tenté
i6o scii.Nci:
de regarder comme i\es inHdelilcs les faveurs
que la déesse eût accordées à un autre. Au
milieu du dépit que lui donnaient des entre-
prises avortées, il se consolait en entendant
raconter que les soldats s^étaient écriés: « Ah !
si l'Empereur avait été là ! »
Au reste, la vive clarté qu'ontjetée les exploits
d'un seul homme, a obscurci les autres renom-
mées; et si, pendant une guerre prolongée , il
s'est présenté telle circonstance où nos guer-
riers de haute stature n'ont paru que des
nains, c'est parce qu'on les considérait ac-
colés à un géant.
Plusieurs généraux classés par nous au se-
cond ordre, tiendraient le premier rang dans
les troupes des puissances rivales. On imagi-
nerait difficilement ce que renfermait de ca-
pacités variées et de caractères élevés notre ar-
mée de glorieuse mémoire. En Espagne sur-
tout, la guerre était moins subordonnée à une
direction générale , et donnait par-là plus de
prise au développement des facultés indivi-
DE LA GUERRE. l6l
duelles ; aussi a-t-il pu s Y former assez d'olîî-
ciers et de généraux pour en approvisionner
toutes les armées du monde.
Avec ses passions et malgré ses erreurs , Na-
poléon est , à tout prendre , le plus grand
homme de guerre des temps modernes. Il a
porté dans les combats un courage stoïque ,
une ténacité profondément calculée, un esprit
fécond en inspirations soudaines, qui décon-
certaient par des ressources inespérées les
plans de Fennemi. Qu^on se garde dVttribuer
une longue suite de succès à la puissance orga-
nique des masses qu'il a mises en mouvement.
L**œil le plus exercé aurait peine à y découvrir
autre chose que des élémens de désordre.
Qu'on ne dise pas non plus qu'il fut capitaine
heureux parce qu'il était monarque puissant.
De toutes ses campagnes , les plus mémorables
sont : la campagne de l'Adige, où, général
de la veille , commandant à une armée peu
nombreuse, et, dans le commencement, mal
TOME. 1. Il
102 CARACTÈRE
ordonnée , mal outillée , il se plaça de prime-
abord plus haut que Turenne , et à côté de
Frédéric; et la campagne de France en i8i4,
où , réduit à une poignée de soldats harassés ,
il combattait à un contre dix. Les dernières
lueurs de la foudre impériale éblouissaient en-
core les yeux de nos ennemis , et il faisait beau
voir comme les élans du vieux lion pour-
chassé , resserré , traqué , retraçaient au vif
les jours de sa jeunesse où il sVpanouissait
dans les champs du carnage.
Napoléon possédait à un degré éminent les
facultés du métier des armes : tempérant et
robuste, veillant et dormant à volonté, parais-
sant à l'improviste où on Tattendait le moins ,
il ne dédaignait pas les détails auxquels se rat-
tachent parfois des résultats importans. Sou-
vent la main qui venait de tracer des règles
pour le gouvernement de plusieurs millions
d^hommes, rectifiait Tétat de situation inexact
d^un régiment, ou écrivait d'où Ton devait ti-
rer deux cents conscrits , et dans quel magasin
DE NAPOLEON. 1 63
on prendrait leurs souliers *. Interlocuteur pa-
tient et facile, il interrogeait à fond; il savait
écouter, talent rare chez les grands de la terre.
Il a porté dans les combats un courage froid et
' Nous pourrions rapporter, à l'appui de cette asser-
tion, des milliers de lettres écrites par Napoléon, de
partout et dans toutes les circonstances de sa vie, non-
seulement à ses ministres et à ses maréchaux , mais même
à des fonctionnaires d'un ordre moins élevé. Pour ne
prendre nos exemples que dans la guerre d'Espagne ,
nous insérerons ici une lettre que l'Empereur écrivait
d'Aranda del Duero, dans la campagne de i8o8 , au gé-
néral Drouet , commandant alors la lie division mili-
taire, dont le quartier-général avait été transféré de Bor-
deaux à Bayonne :
« Monsieur le général Drouet, passez la revue des fu-
» siliers de ma garde à Marrac , et faites partir deux cents
» fusiliers bien habillés, bien armés et ne manquant de
» rien. Ils seront conduits par un officier, deux sergens
» et quatre caporaux. Dirigez ce détachement de deux
" cents hommes sur Burgos. Il faut qu'ils aient tous leurs
» deux paires de souliers dans le sac et une aux pieds ,
» leur capolte et cinquante cartouches. Ne les faites par-
» tir que bien assuré qu'ils ont tout cela. Sur ce , je prie
» Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
» Âranda , le 29 novembre 1808.
» Napoléon. «
11*
i 64 CARACTÈRE
impassible; jamais esprit plus profondément
me'ditatif ne fut plus fécond en illuminations ra-
pides et soudaines. En devenant empereur, il
ne cessa pas d'être soldat. Si , avec le progrès
de Page , son activité diminua , c'est que les
forces physiques étaient moindres '.
Dans les jeux mêlés de calcul et de hasard,
on court toujours des risques d'autant plus
grands, qu'on veut obtenir de plus grands
avantages. C'est là précisément ce qui rend si
funeste aux nations la trompeuse science des
conquérans. Napoléon, quoique naturellement
aventureux , ne manquait ni de suite , ni de
méthode , et il n'usait ni ses soldats, ni ses tré-
sors là où suffisait l'autorité de son nom. Ce
qu'il pouvait obtenir par les négociations ou
par la feinte , il ne le demandait pas à la force
' Dans les dernières années , l'Empereur était devenu
gros ; il mangeait davantage, dormait plus long-temps et
montait moins à cheval; mais il avait conservé toute la
force de sa tête , et ses passions avaient perdu peu de leur
vivacité.
DE NAPOLÉON. 1 65
des armes. L'épée tirée du fourreau ne fut en-
sanglantée que lorsqu'il était impossible d'ar-
river au but par une manœuvre. Toujours
prêt à combattre , habituellement il choisissait
Tocca^ion et le terrain. Il a donné quarante
batailles pour huit ou dix qu'il a reçues.
D'autres généraux l'ont égalé dans l'art de
disposer les troupes sur le terrain. Quelques-
uns ont donné une bataille aussi bien que lui.
On en citerait plusieurs qui l'ont mieux reçue.
Il les a surpassés tous dans la manière de diri-
ger une campagne offensive.
Les guerres d'Espagne et de Russie ne prou-
vent rien contre son génie. Ce n'est pas avec les
règles de Montécuculli et de Turenne manœu-
vrant sur la Renchen qu'il faut juger de telles
entreprises. Les uns guerroyaient pour avoir tel
ou tel quartier d'hiver; l'autre, pour conquérir
le monde. Il lui fallait souvent non pas seule-
ment gagner une bataille , mais la gagner de
telle façon qu'elle épouvantât l'Europe et ame-
nât des résultats gigantesques. Ainsi, les vues
l66 CARACTERE
politiques intervenaient sans cesse dans le gé-
nie stratégique , et pour l'apprécier tout entier
il ne faut pas se renfermer dans les limites de
Tart de la guerre. Cet art ne se compose pas
seulement de détails techniques, il a aussi sa
philosophie. Pour trouver dans cette région
élevée un rival à Napoléon , il faudrait remon-
ter aux temps où les institutions féodales n'a-
vaient pas encore rompu Tunité des nations
antiques. Les seuls fondateurs de religion ont
exercé sur leurs sectaires une autorité compa-
rable à celle qui le rendit maître absolu de son
armée. Cette puissance morale lui est devenue
funeste pour avoir voulu s'en prévaloir même
contre l'ascendant de la force matérielle , et
parce qu'elle l'a entraîné à mépriser des règles
positives dont la longue violation ne reste pas
impunie '.
' Quand Napoléon commandait de petites armées en
Italie, sur l'Adige , tout fut observation des règles, tout
fut beau , tout fut grand. Successivement i\ a fait de
grandes choses ; mais souvent l'emploi du moral a pré-
DE NAPOLÉON. iÔ'J
Quand Torgueil acheminait Napoléon vers sa
chute , il lui arriva de dire : « La France a plus
besoin de moi que je n''ai besoin d"*elle »
Et il disait vrai. Mais pourquoi était-il devenu
nécessaire? C'est parce qu'il avait confié la
destinée des Français aux hasards d'une guerre
interminable ; c'est parce que , malgré les res-
sources de son génie , cette guerre , tous les
jours plus chanceuse par la mise en jeu de la
totalité des forces et par la hardiesse des mou-
vemens , remettait en problème à chaque cam-
pagne , à chaque bataille , les fruits de vingt
années de triomphe; c'est parce que son gou-
vernement était modelé de façon que tout de-
dominé sur le positif. La sphère s'agrandit , tout fut
chanceux , tout calculé pour de grands résultats. Quelque
habile qu'on soit, il y a presque toujours, dans ce jeu ter-
rible, des risques proportionnés à la grandeur des proBts.
Le succès est devenu plus chanceux. Les armées étaient
plus nombreuses. Ses ennemis, à son exemple, ont eu
aussi des masses. Enfin le monde physique l'a emporté sur
le monde moral. Le talent , lecaractère, la profondeur ont
des bornes. La machine n'était plus maniable, il a été écrasé.
l68 CARACTERE
vait disparaître avec lui, et que du dehors et du
dedans devait éclater à la fois une réaction
proportionnée à la violence de Taction. La fré-
nésie conquérante avait retourné la question
européenne; nous, les fils premiers nés de la
liberté et de Tindépendance , nous versions
notre sang pour servir des passions royales
contre la cause des peuples, et les peuples ou-
tragés revenaient plus terribles , armés des
principes que nous avions abandonnés.
Parfois cette masse immense de passions
qu'il accumulait contre lui , cette multitude de
bras prêts à se lever pour la vengeance , portè-
rent un trouble involontaire dans Tame de Tam-
bitieux. Regardant autour de lui , il s'effraya
d'être seul , et il songea à affermir sa puissance
en la modérant. Alors lui vint en pensée le
projet de créer une pairie héréditaire et de
refaire sa monarchie sur des bases moins fra-
giles'. Mais Napoléon voyait sans illusion le
' Au retour de la campagne de Russie , après la conjii-
DE NAPOLÉON. 169
fond des choses. La nation , occupée toute et
toujours à suivre les desseins de son chef, n^a-
ration de Mallet, Napoléon fit de sérieuses réflexions sur
la personnalité, la fragilité de sa situation. Il pensa à
créer unepairie héréditaire. Il voulait la prendre 1° parmi
les plus grands de son Etat, surtout dans l'ordre mili-
taire; 2" pai-mi les propriétaires fonciers, cliacun le plus
riche de son département, attaché au système, ou du
moins ne s'en étant pas déclaré jamais le formel et officiel
ennemi ; 3° parmi ceux ou les fiLs de ceux qui , dans une
circonstance donnée, avaient rendu des services éminens
à la patrie , ou l'avaient sauvée dans quelque carrière
que ce soit. On aurait vu figurer l'héritier de Sully, et
celui du vainqueur de Denain , et celui de Vauban, à côté
de Carnot qui sauva la France en 1794 par le déploie-
ment des ressources de la France au Comité de salut pu-
blic. Cette idée grande et généreuse n'eut pas de suite; elle
n'aboutit qu'au sénatus-consulte sur la régence , et à une
composition plus régulière et plus impériale du Sénat.
Napoléon ne voulut pas rendre ses chefs d'armée indé-
pendans de lui et de son ambition ; il ne voulut pas d'une
Chambre des pairs qui pourrait lui refuser des soldats.
Peut-être était-il encore temps de sauver la France.
Dans la campagne de France , aux premiers mois de
i8i4, Napoléon parlait à Troy es en Champagne, avec un
de ses généraux , de l'état des choses. <■ Les ennemis, disait
» celui-ci , sont trop nombreux. Nous ne pouvons pas en
» venir à bout avec nos soldats qui tombent chaque jour
lyO CARACTERE
vait pas eu jusque-là le temps d'*en former pour
elle-même. Le jour où elle n'eût plus été étour-
die par le fracas des armes, elle eût demandé
compte de sa servile obéissance. Mieux vaut,
pensait-il , pour un prince absolu , combattre
les armées de Tétranger, qu'avoir à lutter con-
tre rénergie des citoyens. Le despotisme avait
été organisé pour faire la guerre ; on continua
la guerre pour conserver le despotisme. Le
sort en était jeté ; la France devait conquérir
FEurope , ou l'Europe subjuguer la France.
Napoléon a péri ; il a péri pour avoir tenté
avec les hommes du dix-neuvième siècle l'œu-
vre des Attila et des Gengiskan ; pour avoir
cédé à une imagination toute contraire à l'es-
prit contemporain , que sa raison connaissait
pourtant si bien ; pour n'avoir point voulu
>• et qu'on ne remplace pas ; il faut que la France se
M lève — Eh! comment voulez-vous que la France se
» lève, interrompit avec vivacité Napoléon; il n'y a
" pas de clergé, il n'y a pas de noblesse, et j'ai tué la
» liberté! »
DE NAPOLÉON. I7I
s'arrêter le jour où il eut la conscience de son
impuissance à réussir. La nature a marqué un
terme au-delà duquel les entreprises folles ne
peuvent pas être conduites avec sagesse. Ce
terme , l'Empereur Tatteignit en Espagne , et
le dépassa en Russie. S'il eût échappé alors à sa
ruine , son inflexible outrecuidance lui eût fait
trouver ailleurs Baylen et Moscou.
LIVRE DEUXIEME
ANGLETERRE.
SOMMAIBX.
Politique de l'Angleterre. — Déclaration de guerre. —
Insurrection d'Irlande. — Événemens militaires. —
Paix d'Amiens. — Projet de descente de la part des
Français. — Campagnes de i8o5, i8o6 et 1807. —
Système continental. — Ministère britannique. — Ta-
bleau de l'armée anglaise. — Recrutement. — Com-
mandement des forces militaires. — Discipline , mœurs
et habitudes. — Nomination et avancement. — Officiers-
généraux. — Récompenses militaires. — Mariages. —
Éducation des soldats. — Religion. — Justice. — Ad-
ministration régimentaire. — Infanterie. — Troupes
étrangères. — Cavalerie. — Département de l'ordon-
nance. — Artillerie. — Ingénieurs. — Etat-major. —
Administration de l'armée. — Service de santé. —
Considérations générales.
LIVRE SECOND.
ANGLETERRE.
Nous avons exposé Tesprit de la révolution
française et le caractère de Napoléon. Nous
avons dit avec conscience comment les passions
d^un seul homme avaient imprimé à la marche
d'un grand peuple une accélération et une di-
rection funeste. Si nous n'avons point hésité à
reconnaître les causes immédiates de nos mal-
heurs , il est resté cependant au fond de notre
ame quelques doutes sur ce qui serait arrivé ,
si nous nous fussions tenus envers les autres
peuples dans des rapports de modération et de
justice. La France pouvait-elle subsister libre
et puissante à côté de la libre et puissante An-
gleterre ?
Lanation française n'avait pas attendu, pour
I y6 POLITIQUE
vaincre , que Bonaparte apparût dans nos
rangs, et les Anglais avaient juré notre perte
avant qu^il projetât la leur. Ils savaient par
leur propre histoire que les révolutions sont
pour les Etats des améliorations plus ou moins
douloureuses, et qu'abandonnées à elles-mêmes
elles laissent toujours pourproduitnetuneaug-
mentation de puissance '. C'était assez de la
volonté nationale pour irriter nos ennemis de
tous les temps contre le consolant avenir que
nous promettaient des institutions nouvelles.
Un sentiment moins justifiable dans ses mo-
tifs et plus actif dans ses effets , vint s'y joindre.
L'Angleterre est une république conduite par
les représentans héréditaires et temporaires de
l'aristocratie , et dans laquelle la couronne
' Charles Jenkinson disait au Parlement d'Angleterre :
« La France est votre ennemie naturelle : république,
» elle l'est encore plus que monarchie. On sait moins où
» s'arrêtera un peuple qu'un roi. » Celui qui tenait ce
langage en 1792 était, sous le nom de comte de Liver-
pool, premier ministre d'Angleterre en i8i4.
DE l'aNGLETERRK. 1 77
royale n^est qu^une couronne de pair un peu
plus ornée que les autres. Les cris d"*égalité
poussés avec ivresse sur le rivage gaulois
avaient trouvé de nombreux échos à Tautre
bord de la Manche. Presque tous ceux qui par-
tageaient les avantages du gouvernement de la
Grande-Bretagne tremblèrent pour leur auto-
rité et leurs richesses. Remontant à la source
du mal, ils résolurent d^exterminer la révolu-
tion et la France. Les décrets des aristocraties
sont immuables, parce qu'ils expriment des in-
térêts qui ne changent jamais.
Dès Tannée 1791 , les agens anglais sur le
continent commencèrent à ameuter FEurope
contre les Français, violateurs de la majesté des
trônes. La situation personnelle de Louis XVI
n'entrait que comme un prétexte dans ces me-
nées diplomatiques ; car plus tard le cabinet
de Saint-James, si habile dans Fart de la cor-
ruption , ne tenta pas le moindre effort pour
sauver la tête de Finfortuné monarque , et Fon
serait porté à croire qu'une politique féroce
178 DÉCLARATION
s''est réjouie de voir deux ou trois cents individus
commettre au miJieu de nous, moins par opi-
nion que par peur, un crime d^origine anglaise.
Quoi qu'il en soit , TEurope était en armes , et
Je canon grondait depuis Anvers jusqu''à Nice ,
avant que la puissance , première instigatrice
de la querelle , fût entrée dans la lice des com-
hattans. La Convention nationale déclara la
guerre à la cour de Londres le 1" février 1793.
L'Angleterre a opposé àlaFraiîce ses armées
de mer et de terre, et surtout ses trésors et ses
intrigues. Notre marine, régénérée pendant la
guerre d'Amérique , avait été désorganisée par
la révolution. Avec des flottes dépouillées d'of-
ficiers , et peuplées de matelots insubordonnés
ou novices, nous n'avons pas pu balancer la
supériorité de cette race de tritons, qui avait
rangé sous son pavillon presque toute l'Europe
maritime. Nos vaisseaux ont été pris ou détruits
m à un , ou par escadres.
s premières expédi lions militaires des An-
DE GLEKKE. 479
glais ont réussi seulement en ce qui dépendait de
la marine. Toulon leur fut livré par la trahison,
et ils ne surent passY maintenir. L'ile de Corse,
dégarnie de troupes et théâtre de faction, fut
une proie facile. Ils envoyèrent une armée atta-
quer les Antilles françaises , que la métropole
avait délaissées. Saint-Domingue échappa à
leur domination , grâce à Ténergie de la popu-
lation noire. Nos autres possessions lointaines
furent conquises. Quand la Hollande et l'Es-
pagne furent entrées dans le système de la ré-
publique française , les colonies hollandaises et
les lies espagnoles éprouvèrent le même sort.
La conquête de FArchipel des Indes occiden-
tales a coûté cher à T Angleterre. Trente mille
de ses vétérans ont été dévorés par la maladie
sur cette terre , dont les poisons sont toujours
prêts à venger les vieux attentats de FEurope
contre elle.
Les drapeaux de Tarmée n''attirèrent pas à
eux , dans la guerre continentale , la moindre
parcelle de la gloire que recueillait sur toutes les
l80 DÉCLARATION
mers le pavillonbritannique.Dixmille Anglais,
débarqués à Ostende peu de temps après la
déclaration de guerre, se joignirent à vingt-cinq
mille Hanovriens , Hessois , Brunswickois.
Cette armée anglo-allemande que commandait
le duc d'York , et dans laquelle servaient deux
autres fils du roi d'Angleterre, fut employée
aux opérations qui précédèrent l'investissement
de Valenciennes et au siège de cette place. Va-
lenciennes tombé. Cambrai bloqué et les Fran-
çais hors d'état de recevoir une bataille , le
chemin de Paris était ouvert aux coalisés. Les
Anglais voulurent alors opérer pour leur
compte ; et tournant brusquement à droite , ils
mirent le siège devant Dunkerque. Les Fran-
çais allèrent au secours. L'attaque de la place
avait été mal dirigée. Le duc d'York ne sut pas
prendre un parti décisif. Son armée d'obser-
vation s'était fait battre à Bambecke et à
Flondschoote: il leva précipitamment le siège ,
abandonna la plus grande partie de la grosse
artillerie , et ne dut qu'à l'incapacité de
DE GUERRE. l8l
son adversaire (le général Houcbard ) d^a-
voir pu échapper à un plus grand désastre.
Après cet essai malheureux , le corps du duc
d'York combattit mêlé avec les Autrichiens et
les Hollandais. L'infructueuse défense de la
West-Flandre et des Provinces-Unies pendant
la campagne de 1794 ^ fut terminée par une
retraite pillarde. Les Anglais regagnèrent leur
lie , emportant avec eux les malédictions du
peuple , et laissant à la coalition le fâcheux
souvenir de leur incompatibilité d'humeur
avec les autres troupes , même avec celles de
l'électeur d'Hanovre.
L'or de l'Angleterre était un instrument de
destruction plus redoutable que ses armées et
ses flottes. La guerre moderne traine à sa suite
un matériel coûteux et des fourmilières de sol-
dats. Une industrie prodigieusement active peut
seule en supporter Ion» -temps les frais. Les
rois levèrent des hommes et fabriquèrent des
armes ; le ministère britannique se chargea de
tout payer. Il raviva les passions quand plies
1^9. DECLARATION
s'éteignaient , et les rendit atroces dès qu'elles
commençaient à se civiliser; ce fut par lui , et
dans ce temps-là par lui seul , que Thumanité
fut condamnée à la guerre éternelle.
Nos troubles intérieurs ofiVaient au génie du
mal un vaste champ à exploiter ; le gouverne-
ment anglais était partout , la bourse à la main ,
quêtant la défection , excitant à la révolte , en-
régimentant les proscrits et les traîtres. Il ar-
riva qu'une de nos provinces éloignées se sé-
para violemment des autorités centrales qui
avaient renversé le trône et l'autel. L'insur-
rection partait du peuple. Tout ce que pro-
duit la conviction populaire porte en soi le ca-
ractère de la grandeur. Aussi la guerre de la
Vendée a revêtu d'une splendeur incompa-
rable quelques pages de notre histoire. On n'a
vu nulle part ailleurs tant de noble vaillance
et une pareille unanimité de dévouement.
Quand ces braves eurent été écrasés par le
nombre, l'Angleterre, en retard cette fois,
arriva comme auxiliaire. Elle transporta dans
DE GUERRE. l8.5
la presqu'île de Quiberon une expédition de
Français émigrés, qui certes méritaient un sort
meilleur, mais dont Tardeur vaniteuse n'était
pas en harmonie avec l'énergie native des
paysans qui avaient relevé le drapeau blanc.
Dès-lors la Vendée, souillée par l'acceptation
de l'assistance étrangère , changea de nature ;
on fit quelques années encore , sur les deux
rives de la Loire , une guerre de partisans
que favorisait le pays coupé et semé d'obsta-
cles de tout genre ; nos ennemis souriaient en
voyant des mains françaises répandre le sang
des Français .
L'Angletekke avait aussi une Vendée prête
à éclater : c'était l'Irlande accablée sous Je
double poids de l'asservissement politique et
de l'oppression religieuse. Les annales de ce
pays , depuis qu'il a été envahi par ses voi-^
sins , à la fin du douzième siècle , sont un
long récit d'expropriations et de massacres.
Dans les derniers jours de 1796 , ime flotte et
l84 INSURRECTION
une armée , aux ordres du général Hoche ,
furent envoyées par le Directoire exécutif de
France pour délivrer les malheureux Irlandais,
Les vaisseaux furent dispersés par la tempête ,
quelques-uns seulement se montrèrent à la côte
occidentale de File et n''essayèrent pas de dé-
barquement.
L'année suivante , le traité de Campo-For-
mio rétablit la paix du continent. Les troupes
françaises se massèrent sur le rivage de TOcéan
et de la Méditerranée. Alors nous donnions
à nos armées les noms des pays qu'elles de-
vaient envahir. Presque toutes les forces na-
tionales , partagées en plusieurs corps , et
commandées par le plus illustre général de la
République , Bonaparte , firent partie de Tar-
mée d'Angleterre. M. Pitt , qui dirigeait les
conseils de nos ennemis , se prévalut de ces cir-
constances pour développer l'énergie militaire
du peuple anglais. Les inquiétudes que nos
menaces avaient fait naître furent tout-à-fait
dissipées quand on sut à Londres le point
d'iklande. iS")
vers lequel se dirigeait l'armement de Toulon.
Si Bonaparte et ses braves eussent débarqué
en Irlande , au lieu d'être transportés en
Egypte , d'autres destinées étaient préparées
au monde. On préféra le roman à l'bistoire.
L'Irlande nous attendait , l'Irlande qui se rap-
proche tant du caractère français par l'hu-
meur ardente et impressionnable de son peu-
ple , surtout par la haine contre l'ennemi com-
mun. Quoique négligés par leurs alliés , les
Irlandais prirent les armes au mois de mai 1798.
L'insurrection avait été prévue. L'île était
couverte de troupes de ligne anglaises et
de milices dévouées au gouvernement. Elles
combattirent avec cruauté dans une suerre
injuste. Les chefs ne firent que saccager et
décimer. Aucun secours ne vint du dehors
aux Irlandais unis ; de plusieurs expéditions
incomplètes sorties des ports de France , une
seule parvint à destination , et elle arriva
trop tard. Elle était composée de mille enfans
perdus commandés par Humbert , soldat igno-
*86 INSURRECTION
rant, mais intrépide , qui avait le grade de
général de brigade. Ils abordèrent à la côte
de Killalu dans le nord-ouest de Tlrlande. La
prudence ne permettait pas aux babitans du
pays , encore altérés des calamités qui avaient
suivi le dernier soulèvement , de faire éclater
les sentimens dont ils étaient animés contre
les oppresseurs. Cinquante mille bommes
dMnfanterie et de cavalerie régulières , de
milices et de fencibles, s"* ébranlèrent de tous les
points de nie. Le plus babile homme de guerre
qu'eût alors l'Angleterre , le marquis de Corn-
wallis , se mit en campagne. Les escadres blo-
quèrent la baie de Killalu. Après plusieurs
combats glorieux etunemarcbe désespérée de
cinquante lieues , notre bande aventurière ,
que le fer et le feu de Tennemi avaient diminuée
d'un cinquième , enveloppée par trente mille
soldats , pressée par devant et chargée par der-
rière , fut forcée de céder. On inséra dans la
Gazette de la cour le récit de la victoire rem-
portée sur V armée jraiicaise a la bataille de
d'iKLAiNDE. 4 87
Ballynamuck '. La Grande-Bretagne triom-
pha , mais la république française ne fut nul-
lement ébranlée dans ses fondemens.
Nous ne parlerons pas de quinze cents An-
glais , tous soldats d^élite , envoyés à Ostende
pour détruire les écluses de Slickens, et mettant
bas les armes devant une partie de la quarante-
sixième demi-brigade. Le cabinet de Saint-
James attendit , pour entreprendre quelque
chose d'important contre les Français, que les
hostilités eussent recommencé en Europe.
Pendant les mois d'août et de septembre
1 799, quarante-cinq mille Anglais et Russes des-
cendirent en Hollande près de la pointe du Hel-
der. La flotte batave du Texel tomba en leitr
pouvoir. Pour obtenir sur terre un succès équi-
* Les Anglais, dont les caricatures expriment si bien
la vérité, ont fait une caricature représentant deux cha-
riots chargés d'infanterie, suivis de plusieurs escadrons
ayant en croupe un fantassin , et tous allant au galop
contre un petit fantôme habilli' ;'i la française.
l88 ÉVÉNEMENS
valent, il eût fallu avoir des ailes, tomber
comme lafoudre au milieu des Français éparpil-
lés et effrayés de leur petit nombre; il eût fallu
en même temps soulever fopinion publique
parmi les Hollandais. On avait mal choisi le
point d*'attaque. Le débarquement des troupes
ne fut pas simultané. Le duc d'York marcha
lentement. Il espérait que ses partisans de
fintérieur se déclareraient pour lui; ceux-ci
restèrent immobiles et se plaignirent de ce
que leurs libérateurs ne faisaient pas des pro-
grès plus rapides.
Cependant le général Brune avait rassemblé
farmée gallo-batave ; soit calcul , soit hasard,
la plus grande partie des troupes anglaises fut
opposée aux Hollandais , et les Russes eurent
à lutter contre les Français. Apres plusieurs
batailles, Tarmée attaquante s'atiaiblissant tous
les jours , pendant que farmée défensive rece-
vait des renforts , le duc d'York pensa à la re-
traite ; il obtint pour rembarquer ses troupes
une capitulation qui eût été plus dure , si le.
MILITAIRES. 189
général vainqueur avait eu davantage le sen-
timent de sa force.
Les Russes échappés de la Hollande furent
déposés dans Tile de Jersey , d'où ils mena-
çaient la Normandie. L\4ngleterre marchanda
le port de Brest à des misérables qui pro-
mettaient de le lui vendre ; elle sema sur les
côtes de Bretagne des germes de guerre civile
qui ne fructifièrent point. Chaque chose a son
temps , et le temps des miracles de la Vendée
était déjà loin. Il y avait de la folie à vouloir,
après dix ans d'émancipation , faire la contre-
révolution en France avec des sentimens et
des uniformes anglais. Au reste , les illusions
des mécontens reposaient sur la faiblesse et
l'impopularité du pouvoir exécutif de la Ré-
publique ; elles s'évanouirent lorsque Bona-
parte, revenu d'Egypte, fut proclamé consul.
Le premier acte du gouvernement nouveau
fut d'offrir la paix aux ennemis de la France.
Bientôt l'empereur de Russie se détacha de la
coalition. Le ministère britannique voulut
IQO EVENEMENS
continuer la guerre ; il avait mis eu mouve-
ment plusieurs expéditions qui voguaient alors
sur les mers. Pendant que les Autrichiens
étaient battus à Marengo , un corps , aux
ordres du général Abercrombie , se rafraîchis-
sait dans Tîle de Minorque ; la flotte qui le
portait vint ensuite jeter des bombes dans la
ville de Cadix que ravageait la fièvre jaune.
Un autre corps , fort de onze mille hommes ,
commandé par le lieutenant-général sir James
Pulteney , débarqua près du Ferrol , vit les
murs de la place et s'en retourna. L'Angleterre
avait, en 1797 , garni le Portugal de trou-
pes à sa solde ; elle les retira, et, en 1801 ,
quand l'armée combinée de France et d'Es-
pagne se présenta aux frontières , il ne restait
dans ce royaume qu'un faible détachement ,
précisément ce qu'il fallait pour compromettre
la nation portugaise.
La campagne d'Egypte eut un caractère
plus grave; dix-sept mille hommes de troupes
britanniques aux ordres du lieutenant-général
MILITAIRES. iÇji
sir Ralph Abercrombie , sept mille Anglais ou
Cipayes partis de Tlnde, et soixante mille Os-
manlis se jetèrent , avec Tappiii unanime de
la population musulmane , sur une colonie
militaire qui n^ivait pas pour se défendre
seize mille soldats portant sabres ou fusils.
Le moral de Tarmée française s''était affaibli
au départ de Bonaparte et avait péri avec
Kléber ; tous les regards étaient tournés vers
POccident. Néanmoins la bataille du 21 mars
1801, toute honorable qu'elle fut pour les An-
glais , n'aurait pas décidé du sort de TEgypte,
si le général en chef Menou avait eu la con-
fiance des soldats et s'il n'avait point partagé
l'armée entre Alexandrie et le Caire.
La paix d'Amiens servit à démontrer que le
monde n'était pas assez grand pour contenir à
la fois l'Angleterre et Bonaparte. Le cabinet
de Londres rompit le traité, et, conformément
aux maximes de son droit public , s'empara de
tous les vaisseaux français qui couvraient la
ii^'2 PROJET DE DESCEINTE
mer. Le premier consul , par une représaille
légitime , mit la main sur les individus anglais
qui voyageaient dansles pays soumis à sa domi-
nation. La France se présenta sur les falaises
de Boulogne , debout et menaçante ; FAngle-
terre accourut en armes sur le rivage opposé.
La question n'était pas la même pour les
deux puissances belligérantes. L'une jouait sa
flotte et une partie de son armée ; être ou ne
pas être , tel était pour l'autre le problème à
résoudre. Non content d'augmenter l'armée
de ligne de cinquante bataillons , et de mobi-
liser la milice , le gouvernement britannique
appela aux armes la nation entière. Les Anglais
de tout âge et de tout rang prirent l'uniforme
et s'accoutumèrent aux exercices militaires.
Les côtes de Kent et d'Essex se couvrirent de
batteries et de tours défensives. On annonça
au peuple que les Français allaient débarquer;
on lui disait les lieux où il fallait conduire les
femmes , les enfans , les bestiaux et les vivres ;
les routes qu'on devait couper, les points sur
EN ANGLETERRE. IQ^
lesquels les levées en masse se réuniraient.
On recommandait d^éviter la bataille et de
profiter des haies et des enclos pour faire la
guerre de tirailleurs. On prévoyait même la
prise de Londres , et ce qui resterait à faire
ensuite pour sauver la patrie.
Les Français ne vinrent pas , et FAngle-
terre conserva ses bataillons de renfort , sa
milice enrégimentée , ses cinq cent mille vo-
lontaires , le goût des uniformes et des exer-
cices guerriers , et par conséquent plus de fa-
cilite pour la formation et le recrutement des
troupes destinées à agir à Pextérieur. Elle
recueillit , vers le même temps , les débris de
Tarmée électorale chassée du Hanovre. Sur-
vint ensuite le désastre deTrafalgar, plus com-
plet que ne Favait été celui de la Hogue au
temps de Louis XÏV^. La marine britannique
se reposa , parce qu'elle nVvait plus d'ennemis
à combattre ; Félan national se tourna vers les
étendards de Farmée de terre , long-temps dé-
daignés.
TOME l , 1 3
/>
194 CAMPAGNES
On ne s'en aperçut pas tPabord snr le con-
tinent. Au commencement de la guerre , les
ministres d'Angleterre avaient soudoyé et
transporte' en France des assassins charges
d'attenter à la vie de Napoléon Bonaparte.
Quand, à la fin de i8o5, l'agression de TAu-
triche eut détourné l'orage qui menaçait la
Grande-Bretagne, cette puissance , désormais
hors d'atteinte sur son territoire , se contenta
d'envoyer quelques troupes qui se joignirent
à un corps russe et occupèrent Naples pen-
dant la campagne d'Austerlitz. On eût dit
qu'elles venaient tout exprès pour attirer les
armes victorieuses des Français , et pour mo-
tiver l'envahissement du royaume. Ces auxi-
liaires malencontreux n'attendirent pas l'en-
nemi , et laissèrent aux nationaux le soin de
défendre la place de Gaete.
Six mois après , le lieutenant-général , sir
John Stuart , débarqua à Sainte-Euphémie
avec dix mille Anglais, presque autant de Si-
ciliens et (juelcpjes INapolilains réfugiés. La
DE l8o5, l8ot) ET 1807. 495
plage même du débarquement a ëte' plus tard
le théâtre d'un combat court , mais vif, où
les Anglais ont repousse un corps de troupes
françaises commandé par le général Reynier.
On a ignoré cette échauffourée partout ail-
leurs qu'en Angleterre ; dans ce temps-là , la
renommée n'embouchait sa trompette que
pour des faits d'armes d'un ordre plus écla-
tant. Malgré le voisinage de la Sicile , malgré
la coopération des bandes calabroises et le
peu d'importance que Napoléon attachait aux
opérations dans ces contrées éloignées , sir
John Stuart ne put se maintenir à demeure
au fond de la péninsule italique.
Dans la combustion de l'Allemagne du nord,
pendant les années 1806 et 1807 , on vit dans
les camps russes et prussiens des ministres et
des bailleurs d'argent, mais non des soldats
anglais. Le cabinet employa les escadres et
quelques troupes de terre à des expéditions
(jui devaient compléter sa suprématie colo-
niale et maritime. Un plan d'attaque, tracé
i3'
1 9^ CAMPAGNES
sur une grande échelle, fut essayé contre FA-
merique espagnole , et aboutit à la défaite du
îieutenant-génëral Whitelocke , à Buenos-
Ayres. L'armée de la Méditerrané acheva,
par un débarquement intempestif en Egypte,
la ruine desMameloucks. Dans le même temps,
FEurope retentit de la présomptueuse appa-
rition de la flotte de famiral Duckworth de-
vant les murs du sérail de Constantinople.
L'amiral Gambier et le général lord Cathcart
réussirent mieux dans Fattentat contre Co-
penhague; cette capitale fut bombardée et
prise ; la marine danoise mise au pillage.
Dans FInde aussi, la Grande-Bretagne amas-
sait du profit sans honneur : depuis vingt ans
elle s'y agrandissait sans relâche, tantôt par
les armes , tantôt par la corruption, quelque-
fois en répétant les cruautés de Pizarre , sans
jamais avoir besoin du génie de Cortez. Ses
généraux donnaient aux princes et aux na-
tions des leçons de morale à la manière an-
glaise; le contre-coup de cet accroissement de
DE i8o5, 1806 LT 1807. d97
puissance dans des régions lointaines se faisait
sentir en Europe : quelques officiers appre-
naient la guerre et le commandement des ar-
mées.
Bientôt cet art nouveau pour les Anglais al-
lait leur devenir nécessaire presque à Tégal de
la science navale. L\4nglelerre a un territoire
peu fertile et invariablement limité par la na-
ture ; elle porte une race d'hommes qui pul-
lulent beaucoup et consomment énorme'ment j
leurs passions sont ardentes et leurs désirs
sans bornes ; les deux hémisphères suffisent à
peine à leur appétit dévorant. Bien que leurs
corps soient robustes , leurs âmes énergiques
et leurs esprits industrieux , ils ne sont pas en
assez grand nombre pour tenir à la fois l'Eu-
rope , F Asie , l'Afrique et l'Amérique. Mais ces
rois de la mer étaient , pour chaque contrée ,
les dispensateurs exclusifs des produits du reste
du monde. Ils avaient rendu tributaires de leur
industrie les peuples qu'ils n'étaient pas assez
forts pour réduire à l'état de sujets; une telle
±Ç)S SYSTKMK
domination ne pouvait se soutenir et s^accroi-
tre que par une imperturbable persévérance.
Apres la paix de Tilsit , Napoléon n^avait
plus d'ennemis que les Anglais. La puissance
britannique , principe toujours vivace des
résistances qu'on lui opposait , n'avait pas
cessé d'être le point de mire définitif de ses
attaques. Il y avait impossibilité physique
d'arriver à elle ; mais on pouvait , en obstruant
les débouchés de son industrie , et en lui en-
levant les profits du commerce maritime ,
l'empêcher d'étendre son empire sur nous.
Seigneur absolu de la plus grande partie des
côtes de l'Europe , maîtrisant le reste par son
influence sur les cabinets , l'Empereur des
Français voulut que tous les rivages se défen-
dissent des marchandises et des vaisseaux bri-
tanniques , comme ils se défendaient des flots
de la mer.
Si un champion cuirassé descendait dans l'a-
rène que se disputent des gladiateurs dépour-
C()ntinp:>taf.. 199
vus d^arnies défensive:? , ne seiail-il pas de
Tintérêt commun des combattans de suspen-
dre leurs querelles et de se réunir contre celui
qui porte des coups sans en recevoir? Ce
champion cuirassé , c^était , selon les idées
de Napoléon , TAngleterre , restant invulnéra-
ble , tandis que les progrès de la guerre avaient
rendu les Etats du continent si faciles à déchi-
rer. Derrière son grand fossé , TAngleterre se
riait des malheurs du monde ; Napoléon es-
saya de Fen punir , et quoique cette entre-
prise n^ait pas réussi, elle conservera dans la
postérité un aspect de grandeur et d^éclat.
Mais en supposant même que le système
d'*exclusion fût un moyen de prospérité future
pour le continent , il n^est jamais facile de
faire sacrifier aux hommes ce qui leur plait au-
jourd'hui pour ce qui leur sera avantageux de-
main. La cessation subite de Farrivage des
marchandises anglaises , et surtout des den-
lées coloniales , contrariait les goûts et \e^
habitudes des peuples ; en même temps ils
200 SYSTEME
étaient attaqués dans la production agricole
par Tavilissement du prix des denrées qui ne
trouvaient plus d'écoulement au dehors. L'as-
sentiment sans réserve des princes et des su-
jets sur tout le continent , était donc la pre-
mière et l'indispensable condition de la mise
en action du système continental. A quel titre
Napoléon eût-il obtenu cet assentiment? De-
puis qu'il avait étouffé la liberté dans son pays,
sa voix avait perdu le don de persuader ; le
mal qu'il avait fait lui ôtait même le droit de
faire du bien , et son glaive , qui ne se repo-
sait point , était l'effroi des nations et des mo-
narques.
Ainsi, quand la politique de leur Empereur
ouvrait aux Français une carrière d'honneur
et de prospérité' , ils avaient perdu le mouve-
ment moral nécessaire pour la parcourir avec
succès. Les Anglais chasses de partout, réduits
à l'alliance du roi de Suède en Europe , et du
roi d'Haïti en Amérique , étaient plus près de
triompher qu'en 1/93 , lors du blocus de Cam-
c()^Tl^E^TAL. 9,oi
hrai et de la prise de Toulon. En effet, Tam-
bition immodérée et toujours croissante de
leur adversaire établissait graduellement en-
tre ces insulaires et le continent des rapports
sympathiques, dont eux-mêmes s'étonnaient.
Aussi les vit-on porter appel de la trop longue
patience des rois pardevant le tribunal des
peuples. Entre les corsaires qui pillent les
flottes et les légions qui désolent la terre , le
choix des nations ne pouvait pas être dou-
teux. Nous-mêmes, embarqués à la merci du
conquérant sur cette mer sans rivages, ne nous
est-il pas arrive' de désirer en secret , non que
FAngleterre triomphât , un vœu si impie n'a
jamais trouvé accès dans notre cœur, mais
qu'elle ne fût pas tout-à-fait écrasée , parce
qu'elle se présentait à notre confiante j)ru-
d'homie, comme le boulevard de la civilisa-
tion et le dernier refuge de la liberté ?
L'inquiétude que manifestèrent les manu-
facturiers et les capitalistes à la publication
des décrets de Berlin et de Milan , trahit le pé-
209. MINISTERE
ril de cette nation trafiquante. Le système con-
tinental n^était pas une de ces mesures qui man-
quent partout , quand elles ont manqué sur un
point , et toujours quand elles ont manqué une
fois. Sans examiner si son exécution rigoureuse
aurait réussi à épuiser promptement les res-
sources de Tempire britannique , toujours est-
il que de simples essais suffisaient pour lui
causer des dommages irréparables. Napoléon
avait trouvé le point vulnérable. Il ne s'agis-
sait de rien moins, pour nos ennemis , que de
la fortune publique , et partant de Texistence
nationale. L'Angleterre le sentit ; elle fit des-
cendre les masses de ses propres soldats sur
les champs de bataille , et l'Europe vit enfin des
funérailles anglaises.
C'est une conséquence de la composition et
des formes du Parlement britannique , que le
gouvernement suive sans déviation la ligne des
intérêts de l'aristocratie territoriale et mercan-
tile; mais sa marche s'accélère en raison des
BRITANMQl'K. 20.Î
lalens , et suivant les vuespersonDelles de ceux
qui sont au timon des afFaires. Georges III ré-
gnait, vénérable par un demi-siècle de royauté
nationale et de vertus domestiques ; il était sur
le point de tomber pour la troisième fois dans
l'aliénation mentale , et le peuple le savait à
peine. Dans ce pays, on s'inquiète moins du
personnage inviolable qui est le Roi , que des
agens responsables chargés de l'exercice de
l'autorité. Les deux grands hommes d'Etat de
la fin du dix-huitième siècle avaient disparu à
neuf mois d'intervalle l'un de l'autre. Premier
ministre en 1792, Fox aurait peut-être sauvé
Louis XVI , la France , et tant d'autres monar-
chies, principautés et républiques; car l'ani-
mosite' tracassière du cabinet de Saint-James
fut la cause la plus influente de notre toiu'-
mente révolutionnaire , et du débordement
d'esprit militaire qui s'en est suivi. Arrivant
au pouvoir en 1806 après la mort de Pitt, Fox
ne tarda pas à reconnaître que des maux fa-
ciles à préxenir sont souvent très-difficiles à
2o4 TABLEAU
réparer; son administration fut terne et non-
chalante. Les hommes, qui recueiUirent Fhéri-
tage de Fox et de ses collègues, étaient classés,
dans Pestime de la nation, bien au-dessous de
leurs devanciers; mais le cabinet où siégeaient
les Parceval , les Castlereagh , les Liverpool ,
ne fléchissait devant aucune considération de
probité politique, et son homogénéité lui com-
muniquait un pouvoir d'action rempli d'éner-
gie. Disciples de Pitt, les nouveaux ministres
avaient évoqué le génie de leur maître , et
conçu ridée de bombarder Copenhague. Heu-
reusement pour le succès de leur cause , dans
cette concurrence d'oppression et de misères
publiques, Napoléon marchait plus vite qu'eux.
Il ne tarda pas à fournir aux Anglais un théà-
Ire de guerre disposé de façon, que, mettant
en campagne moins de troupes que la France,
nos rivaux purent cependant engager dans
chaque bataille et dans chaque rencontre, une
force numérique supérieure à la nôtre.
DE l\rmÉE anglaise. 2o5
Tl est des paradoxes qui, à force d'être répé-
tés, finissent par devenir des proverbes, et
presque des axiomes. Les Anglais étaient re-
gardés universellement comme des loups de
mer inexperts, déconcertés, impuissans, dès
qu'ils abordaient au rivage. Si leur orgueil
patriotique , se révoltant contre ce préjugé ,
répétait les noms de Créci, de Poitiers et d'A-
zincourt, on leur répondait que les armées
d'Edouard III et de Henri V étaient formées
de Normands , de Poitevins , de Gascons. Il se
trouvait cependant parmi les vainqueurs un
bon nombre d'Anglais natifs , et ce n'était pas
eux qui avaient porté les coups les moins assu-
rés. Le Prince-Noir et Talbot étaient nés dans
Albion. Plusprès de notre époque, Marlborougb
et ses douze mille soldats n'avaient pas été les
moins redoutables ennemis de Louis XIV. La
colonne de Fontenoi eût suggéré à un autre
Bossuet l'image d'une tour qui d'elle-même ré-
pare ses brècbes. Même depuis que le vif e'clat
de la oloire française avait décoloré et notre
tioG TABLEAU
vieille histoire et Phistoire moderne de nos
ennemis, on avait remarque dans les troupes
britanniques employées en Flandre, et plus
tard en Hollande, à côté dVme direction gé-
nérale, molle et vicieuse, force coups de vi-
gueur et d'audace. Nos soldats, revenus d''É-
gypte , disaient à leurs camarades la valeur in-
domptée des Anglais. DVilleurs il n'était pas
besoin d'une réflexion profonde pour deviner
(|ue l'ambition, la capacité et le courage sont
bons à autre chose qu'à être embarqués sur
des vaisseaux.
Ne cherchez pas en Angleterre cette ardeur
belliqueuse , vague dans son objet , qui se joue
avec la mort , et qui , sentie par toutes les con-
ditions , sous des nuances différentes , étend
sur les mœurs du peuple une teinte chevale-
resque. Les Anglais , pris un à un , se recom-
mandent par des vertus privées , une volonté
précise et un jugement droit. Considérés en
corps de nation, les classes inférieures sont
brutales, les classes élevées orgueilleuses, eu-
DE l'armée anglaise. 'lOJ
pides et profondément calculatrices. On ne
leur connut jamais de rivaux pour Thabileté et
la hardiesse à affronter les dangers de la mer.
Les révolutions leur ont donné la liberté. De
la liberté est venue la richesse; et la richesse
n'a pas énervé leur courage. Ne respirant à
Taise que dans l'espace , cruels dans leurs di-
vertissemens , passionnés pour les exercices
violens , ils ont conservé, à travers une socia-
bilité corrompue , les goûts , les jeux , les habi-
tudes que leurs barbares ancêtres avaient dans
les forêts. Leur humeur inquiète et voyageuse
les rend propres à la vie errante des guerriers,
et ils possèdent une qualité , la plus précieuse
de toutes sur les champs de bataille , le calme
dans la colère.
Une population ainsi conformée pourrait ,
quoique peu nombreuse , être un puissant le-
vier dans la main d'un gouvernement qui che-
minerait suivant une tendance absolue. Elle
serait le fléau de l'espèce humaine , si ce gou-
vernement, n'ayant rien à craindre pour la
208 TABLEAU
sûreté du pays, disposait, dans Tattaque ,
des facultés de la génération présente et des
trésors des générations futures , sur lesquelles
il tirerait des lettres-de-change à volonté. Telle
est la puissance a-nglaise dans ses rapports de
police intérieure , et avec les autres peuples.
Cest Bonaparte en action , mais Bonaparte
toujours jeune et toujours vigoureux , Bona-
parte persévérant dans sa passion , Bonaparte
immortel. Dominer et grandir, voilà le but in-
variable de Toligarchie britannique , n'impor-
tent les moyens. Aussi, voyez-la soutenir,
avec une chaleur égale , les causes justes et
celles qui ne le sont pas. Dirigeant aujourd'hui
la ligue des rois contre les peuples , elle sera
demain auxiliaire des peuples contre les rois.
Là elle accélérera le développement de Pesprit
humain; ailleurs elle armera la colère axeugle
du sauvage contre le travail de Thomme civi-
lisé, Le même trésor paiera l'assassinat de
Paul P% et versera des secours sur les incen-
diés de Moscou. La même torche embrasera les
DE l'armée anglaise. 209
édifices saCrés de Washington et lés flottes dé-
prédatrices d'Alger.
L'Angleterre a été , parmi les grandes puis-
sances européennes , la dernière à entretenir
des troupessoldées. Henri VIT et Elisabeth eu-
rent des gardes-du-corps. Charles II avait ap-
pris le despotisme à la cour de Louis XIV. Il
créa trois régimens d'infanterie et deux esca-
drons de cavalerie , qui ont été la souche de
l'armée de ligne. Survinrent ensuite l'expul-
sion des Stuarts et les règnes belliqueux de
Guillaume III et d'Anne. A chaque guerre
nouvelle , on a augmenté l'armée , et après la
paix l'établissement est resté plus considérable
qu'il ne l'était avant les hostilités. La révo-
lution française a favorisé le penchant de la
couronne à accroître toujours les forces de
terre. Au i" janvier 1792 , l'armée était do
quarante-deux mille six cent soixante-huit
hommes , dont douze mille sept cent trois em-
ployés sur le territoire de la Grande-Bretagne,
neuf mille quatre cent cinquante-trois en Ir-
TOME 1. l4
2 1 0 TABLEAU
lande, et vingt mille cinq cent douze dans
les possessions au-dehors. Au i "janvier i8o8,
l\Angleterre avait sur pied, pour le service
de terre , six cent cinq mille quatre cent qua-
rante-neuf hommes , savoir : deux cent vingt-
neuf mille cinq cent quatre-vingt-seize d*'in-
fanterie , de cavalerie et d'artillerie , formant ,
à dix mille hommes près , le complet de Tar-
mée de ligne ; soixante-dix-sept mille cent
([uatre-vingt-quatre miliciens enrégimentés ,
parfaitement disciplinés , asservis au régime
des troupes régulières , avec cette seule diffé-
rence qu''ils ne peuvent pas être envoyés hors
du territoire des trois royaumes ; deux cent
quatre-vingt-dix-huit mille six cent soixante-
neuf volontaires , répartis dans des corps de
toute arme et de dénominations différentes ,
telles que volontaires, fencibles , yeomanry.
La plupart étaient habillés aux frais de TEtat.
Ils ne se rassemblaient qu\\ des époques fixes ;
et , à Texception à\\n certain nombre d'offi-
ciers et de sous-officiers en service et payés
DE L ARMEE ANGLAISE. 211
toute Tannée, ils ne recevaient la solde que
pendant le temps du rassemblement. Nous ne
comprenons , dans Tétat de Tarmée anglaise ,
ni les troupes du service de la Compagnie des
Indes, ni vingt-deux mille cinq cents Alle-
mands et autres étrangers à la solde britan-
nique , employés les premiers dans toutes les
expéditions.
Les volontaires furent institués au plus fort
de la terreur que causait la propagation des
principes révolutionnaires , et avec le dessein
secret de maintenir la population dans Tordre,
en la classant et la disciplinant. Le nombre en
grossit outre mesure lorsque le pays fut me-
nacé d^être envahi. On a créé , en 1808 , une
milice locale , qui ne pouvait , dan^ aucun cas,
sortir du comté, et dont les cadres seuls étaient
en permanence. Forte de plus de deux cent
mille hommes , et prête à rendre les mêmes et
de meilleurs services que les volontaires , elle
a dû compenser avec certitude la diminution
des forces résultant de la dissolution graduelle
14*
2 1 2 TABLEAU
de ces corps de circonstance. L'ancienne el la
nouvelle milices étaient recrutées par la voie
du sprt. On pouvait les considérer comme des
réservoirs de soldats destinés à alimenter, par
des moyens plus ou moins directs , Tarmée de
ligne , la seule portion de la force publique
dont nous nous occuperons , parce qu'elle est
la seule immédiatement disponible pour la
guerre extérieure.
Les institutions militaires de la Grande-
Bretagne ne ressemblent pas plus à celles des
autres puissances, que le peuple anglais aux
autres peuples. Tolérée par la constitution
comme un mal nécessaire , l'armée , malgré
son nom de permanente [standing army)^ n'a
qu'une existence temporaire. Un acte du Par-
lement ( mw^//2>' />'^// ), provoqué , délibéré et
arrêté dans la forme des autres statuts législa-
tifs , la met sur pied d'année en année , rap-
pelle qu'aucune troupe ne peut être levée sans
le consentement des lords spirituels et tempo-
rels et des communes , fixe la quotité des trou*-
DE i/aRMÉE AJiGLAISK. 2l3
pes traprès les circonstances du temps , déter-
mine quelques détails du régime administratif,
et renouvelle les réglemens de police et de pé^
nalité auxquels sont assujettis les militaires, par
exception au droit commun. Au défaut de cet
acte, Parmée serait dissoute de droit; et dans
Tétat actuel de Topinion , il est à croire qu'elle
se débanderait de fait. Les troupes de terre
passent, dans la considération publique, après
l'armée navale. Ce classement est raisonnable ^
car les remparts de bois sont la meilleure pro-
tection de la vieille Angleterre. Heureuse na-
tion, qui défend les tombeaux de ses ancêtres,
et attaque ses ennemis avec des armes que le
pouvoir ne peut pas tourner contre la liberté
des citoyens !
Le contrat solennel connu sous le nom de
bill des droits, en vertu duquel la maison de
Brunswick occupe le trône d'Angleterre, porte
que l'armée ne sera pas réunie par portions
dans des camps ou des casernes. Par suite de
cette disposition , les soldats ont été long-
2 1 4 TABLEAU
temps, soit en marche, soit en cantonnement,
logés et même nourris dans les auberges. Les
plus célèbres publicistes du dix-huitième siè-
cle regardaient le mélange continuel des hom-
mes de guerre avec les citoyens comme un pré-
servatif aux dangers qu^entraînent la perma-
nence obligée et Taugmentation de Farmée.
Dès Tannée 1791, le ministre Pitt , sous des
prétextes frivoles de discipline intérieure et
d'*économie , obtint de bâtir des casernes près
de la capitale. Plus tard, la crainte de la des-
cente fit concentrer les troupes sur les côtes ,
et on fut obligé d^ construire de vastes loge-
mens. Les agens de Pautorité executive n^ont
pas manqué de constituer en régime définitif
une dérogeance aux anciens usages comman-
dée par le besoin du moment. Maintenant ,
Tinfanterie, la cavalerie et Tartillerie anglaises
presque entières , vivent séparées du peuple
dans des casernes dont quelques-unes sont
bâties à Tentrée des landes. Un office adminis-
tratif, sous le nom de harrach' departmenl ^
DE L ARMEE ANGLAISE. 213
est chargé de la construction , de Tameuble-
ment et de Fentretien des casernes , et absorbe
annuellement une portion du revenu public
suffisante pour rétablissement militaire d^une
puissance du troisième ordre.
Le Roi est le chef suprême de Farmée comme
de l'Etat ; mais , dans TEtat , il ne fait que ce
que la loi lui permet. Dans Tarmee , il peut se
permettre tout ce que la loi ne défend pas. Ce
pouvoir, de peu de considération au temps de
Marie et de Guillaume III, lorsque Tarmée était
de quinze ou de dix-huit mille hommes , est
devenu exorbitant depuis que l'accroissement
des forces de terre et l'agrandissement de l'em-
pire ont décuplé le patronage de la couronne.
La prérogative royale a ete' forcée, pour se con-
server intacte , de se modérer elle-même par
des réglemens fixes et inviolables comme la
loi , et de se fondre dans l'intérêt de la classe
dominatrice. Pénétrés de respect pour leur
chef auguste, les officiers et même les sol-
dats savent cependant que le Koi n'est ni
2 1 6 TABLEAU
la seule , ni iiiêiue la première autorité du
royaume; si jamais ils Foubliaient, Pacte par
lequel ils existent en corps viendrait à propos,
au commencement de chaque session du Par-
lement, pour les en faire ressouvenir.
LVrmée anglaise se distingue entre toutes
les armées du monde, par sa déférence envers
le pouvoir légal. Ce sentiment honorable Fac-
compagne partout , et on a vu des militaires
prévenus de crimes , se soumettre sans mur-
mures à la juridiction des tribunaux des peu-*
pies conquis. Dans leur pays, les officiers nepa-r
raissent en public avec Tuniforme et les décora-
tions, que lorsque le service les y oblige. Tout
leur dit qu^ils sont citoyens avant d'être mili-
taires.Le moindre dizenier, tithing-man^ de pa-
roisse passe , quand il le veut, la revue d'un
corps avant de lui distribuer des billets de lo"
gement. Les régimens ploient les drapeaux et
font taire les tambours quand ils traversent la
cité de Londres; il n'en est pas ainsi dans la
partie occidentale de la ville. Là, au grand
DE L^ARMEE ANGLAISE. 21 7
regret des umis de la liberté, les corps-de-garde
et les casernes sVtendent comme une lèpre.
Au moins , jusqu'à ce jour , les hommes armes
sont modestes et inoffensifs. Un factionnaire
hargneux , défendant son terrain , et qui s^i-
maginerait représenter le monarque, ne tien-
drait pas un quart-d'heure dans les rues de
Londres.
Gomme Tarmée est en dehors de la consti-
tution, ses chefs n'ont point de rang assigné
parmi les fonctionnaires publics , et on ne s'a-
vise jamais de mettre la hiérarchie militaire en
regard de la hiérarchie civile. Tous les officiers
sont admis à la cour du souverain ; mais, dans
l'ordre des préséances, le fils dernier du der-
nier baronnet ou bachelier des trois royaumes
passerait avant un maréchal, si celui-ci ne pos-
sédait pas d'autre titre de supériorité indé-
pendant de son grade militaire.
L'armée se recrute par l'enrôlement volon-,
raire. A cet effet, le territoire de la Grande-^
2j8 recrutement
Bretagne et de lUrJande est divisé en arron-
dissemens, rccrulting districts^ auxquels sont
aft'ectés des officiers et des sergens recruteurs
détaches des régimens. Ces derniers, renom-
més par leur subtilité, ont particulièrement
occasion de Texercer dans les grandes villes
manufacturières de TAngleterre , telles que
Londres, Manchester, Birmingham. Ils font
une récolte d^hommes abondante dans les pro-
vinces d'Irlande , réduites à la misère par les
mesures oppressives du cabinet britannique.
Le gouvernement puise encore des soldats
dans les hôpitaux dVnfans trouvés , et parmi
les pauvres que nourrit la charité publique.
Il enrôle les hommes jusqu'à Tâge de quarante
ans, et il admet au service des enfans au-des-
sous de seize ans, dont l'éducation s'achève
dans les casernes. L'homme de recrue est payé
par l'État 23 livres 17 schellings et 6 pences,
à peu près 600 francs. Le haut prix des enga-
gemens et la séduction de la taverne attirent
sous les drapeaux la populace des villes et les
DE L^ARiMEE ANGLAISE. 219
mendians descampagnes. Un pair des royaumes
unis, lord vicomte Melville, disait en plein Par-
lement, le 18 mars 1817, que les plus mau-
vais ^arnemens sont les plus propres à être
soldats , et qu'il faut garder les bons sujets
dans le pays ' . Afin de faire apprécier à nos lec-
teurs, par un dernier trait, Pabjection du mé-
tier de soldat en Angleterre, nous leur ap-
prendrons que le gouvernement a souvent
fait entrer dans Tarmëe , en commutation de
peine , des criminels condamnés à mort aux
assises des comtés.
Autrefois Tenrôlement était à vie. Depuis
l'année 1806, on peut s'engager pour sept ans
ou pour toujours ; mais le service illimité est
encouragé de préférence , et des primes sont
accordées aux rengagemens. Les hommes pas-
saient à leur gré, des corps volontaires et de
milice locale, dans l'armée de ligne. Dans ces
' The XL'oiic incn arc thc filles* for so/r/iers. Kecp tlic
hcller al home.
220 RECRUTEMEINT
derniers temps, le système continent iil, en di-
minuant les fabrications, avait transforme en
soldats nn grand nombre d'ouvriers sans tra-
vail. Maigre' ces deux avantages , il a été' re-
connu que le recrutement habituel ne suffisait
pas pour remplir les vides causes par Tëtat de
guerre ; on a eu recours à la milice perma-r
nente. La puissance législative a offert des
commissions d'officiers dans les regimens de
ligne, aux officiers de milice qui persuaderaient
à un certain nombre de leurs soldats d'y en-
tier avec eux. L'effet de cette mesure n'a jamais
manque' dans des troupes provinciales, où,
d'après l'institution, les grades sont distribues
à peu près en raison des propriétés foncières
et de l'inlluence dans la province. A la (in
de la guerre d'Espagne, il arrivait au corps
deux fois plus de recrues sortant de la milice
que d'autres. Ainsi , le service force était de-
venu par le fait le principal clément de la for-
mation de l'armée. Ceci (xpliqne pourquoi le
peuple qui sait le mieux conqiter, s'est resigne
DE l\rMEE anglaise. 221
à rétablissement dispendieux et peu utile en
apparence delà milice permanente. La bonne
espèce d'hommes qu'elle fournissait mitigeait
les fâcheux résultats de l'enrôlement immé-
diat. L'armée anglaise réparant promptement
ses pertes avec des soldats déjà rompus à la
vie militaire a été plus redoutable aux en-
nemis.
L'armée reçoit , pour les mouvemens et les
opérations, les ordres du secrétaire d'État au
département de la guerre et des colonies ( se-
cretary of state for war and colonies). Ce mi-
nistère, l'un des premiers emplois du cabinet ,
a été confié successivement, pendant la durée
de la guerre de Portugal et d'Espagne, à lord
Castlereagh, au comte de Liverpool et à lord
Bathurst. L'administration de la comptabilité
des troupes d'infanterie et de cavalerie ( l'ar-
tillerie et le génie appartiennent à un dépar-
tement séparé ) , leur habillement , leur bud-
get, les vivres de la guerre , les marches , l'in-
222 DIRECTION ET COMMANDEMENT
terprétation des actes du Parlement, relatifs
à rarmee; le contre -seing des ordonnances
royales sur la matière , constituent les attri-
butions d'un autre office ministériel, celui du
secre'taire de la guerre [secretary at lucif). L'of-
fice a été' occupé dans ces derniers temps par
sir James Pulteney, et ensuite par lord vi-
comte Palmerston. Le secrétaire d'Etat pour
la guerre et les colonies et le secrétaire de la
guerre sont, le plus souvent, étrangers au mé-
tier des armes. C'est au talent parlementaire
ou à l'influence des partis qu'ils doivent leur
élévation. Un officier-général, avec le titre de
commandant en çk\^î {^commander in chief of
ail His Majestés forces), est chargé du per-
sonnel de l'armée. La discipline, l'instruction,
l'avancement, le recrutement, les remontes le
concernent. Il surveille l'exécution des ordon-
nances et des lois , et il prépare les réglemens
qui doivent les expliquer ou suppléer à leur
silence.
Le commandement en chef des forces fut
DES FORCES MILITAIRES. 22^
long-lenips un emploi subalterne. Celui qui
l'exerçait était tenu à grande distance du pou-
voir. Comme Tarmée , peu nombreuse, cou-
rait peu de chances , on se traînait sans varia-
tion dans les vieux erremens. Les commissions
et les faveurs royales étaient accordées sans
discernement. On nommait enseignes, des en-
fans, à Te'poque où Ton eût dû leur mettre le
rudiment à la main; et, dès qu'ils entraient
dans l'adolescence , il n'était besoin , pour les
porter à la tête des régimens , que du temps
nécessaire à l'insertion dans la Gazette des pro-
motions qu'ils obtenaient coup sur coup. Les
lieutenans- colonels et les majors avaient des
compagnies que d'autres commandaient. Les
corps d'officiers étaient presque toujours in-
complets, et ceux-là seuls résidaient au régi-
ment, qui n'avaient pas assez d'argent pour
payer un congé. L'administration et la comp-
tabilité étaient livrées à un brigandage qui
rendait misérable la condition du soldat.
Les mauvaises comme les bonnes doctrines
224 DIRECTION ET COMMANDEMENT
se lient et réagissent les unes sur les autres i
pour rendre plus complet le mal ou le bien.
Les régimens étaient aussi ignorans que mal
conduits. On avait des ordonnances de ma-
nœuvre , mais anciennes et imparfaites , et
comme les troupes n'étaient soumises sur ce
point à aucun contrôle , les suivait qui voulait.
On ne pouvait pas embrigader, parce que
chaque chef de corps faisait manoeuvrer les
soldats à sa guise. Trois ou quatre régimens que
le hasard réunissait , ne savaient comment se
raccorder. LMnfanterie ne conservait pas des
distances égales , et ses mouvemens étaient con-
tinuellement ondulés. C'était pire encore dans
la cavalerie. Les officiers de toutes les armes
ne faisaient que boire et mener vie joyeuse. On
payait des soldats , on n'avait pas d'armée.
La nomination de Frédéric duc d'York au
commandement en chef, est le commencement
d'une ère nouvelle pour l'armée anglaise. Son
éducation fut dirigée vers la carrière des armes.
Il profita jeune encore d'un long séjour sur le
DES FORCES MILITAIRES. ITS
continent, pour suivre et étudier, dans son or-
ganisation intérieure , Tarmée prussienne qui
passait alors pour Tarmée classique de FEu-
rope. La place de commandant en chef fut
rehaussée par le choix qu^on fit de lui en 1795
pour la remplir. Si ses revenus n^ont pas tou-
jours suffi pour mettre les personnes qui Ten-
touraient hors des atteintes de la séduction , au
moins son rang et son caractère Vont élevé au-
dessus d'une foule d'intrigues journalières et
subalternes. Il a pu attaquer quelques abus in-
vétérés. Les ministres auraient-ils rejeté une
proposition utile, quandelle était présentée par
le fils chéri du roi d'Angleterre , par le prince
qui , après la reine , était le premier dans le ca-
binet derrière le trône ? Le duc d'York est né
avec un esprit plus juste qu'étendu. Le goût de
ses fonctions et le sentiment de son devoir ont
vaincu son penchant naturel à la dissipation.
Voyant beaucoup par lui-même , quoiqu'il ait
l'assistance de collaborateurs habiles , et con-
naissant personnellement tous les chefs et un
TOME I. l5
226 DISCIPLINE,
grand nombre d'officiers , il a conduit et admi-
nistré Farmée comme un bon colonel mène la
famille de guerriers dont i] attend sa réputation.
Nous dirons en leur place quelques-unes des
améliorations qu"*il a introduites dans le ser-
vice. Il nV pas vaincu à la tête des Anglais ,
parce qu'il était général à une époque où TAn-
gleterre n'avait que des rois pour alliés; mais
dès que la cause britannique s'est appuyée sur
les passions et les intérêts des peuples , il a
préparé aux soldats les moyens de vaincre.
L'opinion du bien qu'il a fait a triomphé
du souvenir de ses malheurs à la guerre , des
préventions naturelles des Anglais contre les
princes du sang royal , et même du scandale
de ses déportemens domestiques. Lorsque, par
suitedel'enquêteparlementairede 1809, le duc
d'York resta éloigné pendant deux années du
commandement en chef, chaque officier di-
sait : « Je m'en réjouis comme citoyen; j'en
5) suis affligé comme soldat. )>
MOEURS ET HABITUDES. 227
Nous ne connaissons pas de troupes mieux
disciplinées que les troupes britanniques. Entre
plusieurs causes de leur prééminence sous ce
rapport, nous dirons la première, celle qui nous
parait la plus influente et qui , appliquée à
Tarmée française , y produirait un effet diamé-
tralement opposé. Tant il est vrai que les va-
riétés de caractère et de condition conduisent à
employer des moyens différens pour parvenir
au même but !
Les soldats et les officiers forment en Angle-
terre deux classes séparées par une barrière
presquMnfranchissable. C^est la conséquence
des institutions du pays. Une armée, levée au
moyen de la conscription , choisit ses officiers
dans son sein, parce qu'elle est sûre d'y trouver
des citoyens , et parce que la patrie doit à ses
enfans Taccomplissement entier de leur des-
tinée, en quelque situation qu'elle les place.
Une armée recrutée à prix d'argent a droit seu-
lement à ce qui lui fut promis lors de renga-
gement que ses membres ont contracté , et la
228 DISCIPLIISI-:,
hallebarde desergerit est le /2ec/>/«^w/^rà de Tarn
bi lion de reiirôlé volontaire. Une pareille armée
ne devient nationale que par Fentremise d'of-
ficiers pris hors de ses rangs , et dans la sphère
des intérêts sociaux. A leurs yeux les soldats
.^ont des instrumens passifs , des rouages quMl
faut abondamment graisser et soigneusement
entretenir, pour que la machine produise son
effet en toute occasion.
La distinction des classes établit donc quelque
ressemblance entre l'armée anglaise et l'armée
russe ; car la principale force de celle-ci vient
de ce que des masses d'hommes ignorans se
laissent mener à l'aveugle par des hommes plus
éclairés qu'eux.
Le soldat anglais est stupide et intempérant.
Une discipline de ïer tire parti de quelques-uns
de ses défauts , et amortit les autres. Son corps
est robuste à cause des exercices de force aux-
quels sa jeunesse a été accoutumée. Son ame
est vigoureuse , parce que son père lui a dit et
ses chefs lui répètent sans cesse que les enfans
MOEURS ET HABITUDES. 229
de la vieille Angleterre , abreuvés de porter et
rassasiés de bœuf rôti , valent chacun pour le
moins trois individus de ces races pygméesqui
végètent sur le continent d'Europe. Quoique
d'une complexion sanguine , il n'a pas un élan
extraordinaire , mais il tient ferme; et lancé à
propos, il marche en avant. Dans l'action , il
ne regarde pas à droite ni à gauche. Le cou-
rage de ses coopérateurs augmente peu son
courage , leur abattement pourrait diminuer,
mais non éteindre son ardeur. Quand des
hommes de ce caractère reculent , ce sera à
force de coups de bâton et non avec des mots
heureux que vous parviendrez à les ramener au
combat. A nos Français il faut toujours parler;
avec les Anglais, jamais. Ceux-ci ne font pas
de plan de campagne, ils ne combinent rien ,
et ils sont encore plus loin de rien imaginer.
Leurs passions n'ont de vivacité que dans un
cercle circonscrit. Ils ne connaissent qu'une
seule manière d'exprimer ce qu'ils sentent, el
les huzzahs, dont fut salué parfois dans sQn camp
23o DISCIPLINE ,
OU sur le champ de bataille un général heu-
reux , ne différent en rien du brutal encoura-
gement offert par la populace de Londres au
boxeur qui charme ses loisirs.
On ne dira pas des Anglais qu^ils étaient
braves à telle rencontre. Ils le sont toutes les
fois quMls ont dormi, bu et mangé. Leur cou-
rage, plus physique que moral, a besoin d*'être
soutenu par un traitement substantiel. La gloire
ne leur ferait pas oublier qu^ils ont faim ou
que leurs souliers sont usés. Chaque soldat
reçoit tous les ans un habillement com-
plet. La moindre solde dans Tarmée est d'un
schelling , près de vingt-cinq sous par jour, sur
lesquels , après certaines déductions opérées
pour fourniture de vivres , d'*habits, d'objets
de même entretien, il reste deux pences et
demi, au moins cinq sous, à l'entière dispo-
sition du soldat. Cette paie , modique en An-
gleterre en raison du prix excessif des denrées,
se trouve être sur le continent plus que double
de la paie des Allemands et des Français. On
MOEURS KT HABITUDES. »3f
ne connaît ni arriérés de solde , ni retenues illé-
gales. Le soldat anglais mange beaucoup, et
surtout de la viande; il boit encore plus qu'il
ne mange. Dans son île la bière est sa boisson
habituelle. Au dehors , on lui distribue du vin ,
quand le pays en fournit. Il ne saurait en cam-
pagne se passer de liqueurs fermentées , et le
rhum vient à propos ranimer ses esprits dans
le moment du danger.
On est frappé des contrastes qu'offrent les
armées dans leur économie animale et leur train
de vie journalier. Voyez les bataillons français
arriver au bivouac après une marche longue
et pénible. Dès que les tambours ont cessé de
battre, les havresacs, déposés en rond derrière
les faisceaux d'armes , dessinent le terrain où
la chambrée doit passer la nuit. On met bas les
habits ; vêtus seulement de leurs capotes , les
soldats courent aux vivres , au bois , à l'eau , à
la paille. Le feu s'allume; bientôt la marmite
est dressée ; les arbres apportés de la forêt sont
grossièrement façonnés en pieux et en poutres.
:^3'2 DISCIPLINE,
Pendant que les baraques s'élèvent , Tair re-
tentit en mille endroits à la fois des coups de la
hache et des cris des travailleurs. On dirait la
ville d'Idoménée bâtie par enchantement sous
Finfluence inaperçue de Minerve. En attendant
que la viande soit cuite, nos jeunes gens, im-
patiens de Toisiveté, recousent les sous-pieds à
la guêtre, visitent les gibernes, nettoient et
éclaircissent les fusils. La soupe est prête; on la
mange. Si le vin manque , la conversation est
calme sans être triste, et on ne tarde pas à cher-
cher dans le sommeil les forces nécessaires pour
entreprendre la fatigue du lendemain. Si au con-
traire la liqueur inspiratrice des propos joyeux,
transportée dans des tonneaux ou dans des ou-
tres, sur les épaules des coureurs qu'on avait en-
Toyé chercher de Peau , est arrivée au camp, la
veillée se prolonge. Les anciens racontent aux
conscrits rangés autour du feu les batailles où
le régiment a donné avec tant de gloire. Ils fré-
missent encore d'allégresse en exprimant le
transport dont on fut saisi, quand l'Empereur,
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MOEURS ET HABITUDES.
233
qu^on croyait bien loin , apparut tout-à-coup
devant le front des grenadiers , monté sur son
cheval blanc et suivi de son Mamelouck. (( Oh !
» quelle déconfiture on eût fait des Russes et
» des Prussiens , si le régiment qui était à notre
» droite se fût battu comme le nôtre ; si la ca-
» Valérie se fût trouvée là au moment où Ten-
» nemi a commencé à fléchir; si le général de
» la réserve eût égalé en talent et en courage
» celui qui commandait Tavant-garde! Pas un
» de ces^ gueux - là , pas un seul n'aurait
» échappé » Quelquefois la diane retentit,
et Faurore commence à poindre avant que les
conteurs aient fini. Cependant on a souvent
humecté le récit , et il est aisé de s'en aperce-
voir à la contenance de l'auditoire. Mais l'i-
vresse des Français est gaie , scintillante et té-
méraire; c'est pour eux un avant-goût de la
bataille et de la victoire.
Tournez, vos regards vers l'autre camp ,
voyez ces Anglais fatigués , ennuyés et pres-
que immobiles; attendent-ils , comme les spa^
^34 DISCIPLINE ,
his des armées turques , que des esclaves dres-
sent leurs tentes et préparent leurs alimens?
Cependant on leur a fait faire à pas comptés
une marche très-courte , et ils sont arrivés
avant deux heures après-midi sur le terrain où
ils doivent passer la nuit. On leur apporte le
pain et la viande. Le sergent distribue le ser-
vice et les corvées; il dit ou est Teau , où est
la paille et quels arbres il faut abattre.
Quand les matériaux sont arrivés , il mon-
tre la place où chaque pièce de bois doit
être posée; il réprimande les maladroits et
corrige les paresseux. Le fouet est peu pro-
pre à éveiller Tintelligence , et on s'en aperçoit
à la lenteur avec laquelle se dressent des bara-
ques informes. Où est donc Tesprit industrieux,
entreprenant de cette nation qui a devancé les
autres dans le perfectionnement des arts mé-
caniques ? Les soldats ne savent faire que ce
qu'on leur a commandé ; au-delà de la routine
tout leur est embarras et désappointement.
Une fois sortis de la discipline ( et peut-on
MOEURS ET HABITUDES. 235
faire la guerre sans en sortir souvent? ), ils se
livrent à des excès qui étonneraient les Cosa-
ques; ils s'enivrent dès qu'ils le peuvent, et
leur ivresse est froide , apathique , anéantis-
sante. La subordination de tous les instans est
la condition sine qud non de Texistence des
armées anglaises. Elles ne sont pas composées
d'hommes faits pour jouir avec modération de
l'abondance , et on les verrait se débander dans
la disette.
Les Anglais des classes inférieures sont peu
sensibles à la honte; l'honneur, mobile trop
délicat pour des organes épais , est remplacé
chez eux par l'esprit public. L'attachement ex-
clusif à leurs manières leur inspire du mépris
pour les mœurs d' autrui et sert de préservatif
contre la désertion. Ils sont enclins à la mu-
tinerie; mais des punitions cruelles les contien-
nent dans le devoir. Pour la moindre faute ,
on fait mettre debout et à plat contre une
échelle le soldat nu jusqu'à la ceinture, et
dans cette position les tambours du régiment
236 DISCIPLINE,
lui déchirent les épaules avec un fouet garni
(le neuf lanières. Depuis quelques années ,
on a limité à cinq cents le nombre de coups
qui peuvent lui être appliqués dans une vaca-
tion , sauf à recommencer le lendemain et les
jours suivans , jusqu''à Tentier accomplisse-
ment de la peine. Le fouet et la mort étaient
autrefois les seuls cliâtimens usités dans Tar-
mée. On a introduit ensuite Temprisonnement
solitaire ; mais on regarde généralement cette
punition comme trop douce , pour des troupes
composées de paysans grossiers et d'ouvriers
dépravés.
Les sous-officiers anglais sont excellens ;
leur courage et leur talent s'arrêtent là, et
il ne leur est pas permis de monter plus haut.
Nommés par le commandant du corps , ib ne
peuvent être cassés que par une sentence de
Cour martiale. Leur autorité s'agrandit de
menus détails d'inspection , de discipline , et
d'instructions journalières , que dans d'autres
armées on se garde bien de leur abandonner.
MOEURS ET HABITUDES. 287
Loin de regarder les jeunes officiers qui arri-
vent au régiment comme des usurpateurs
d'emplois , ils sont pour eux des conseillers
utiles, et des mentors respectueux. En Angle-
terre , on vit sur le passé ; le mot égalité re-
tentit rarement aux oreilles du citoyen, ja-
mais à celles du soldat. De temps à autre , et
surtout pendant la guerre, un sergent de-
vient enseigne; c'est à peu près son bâton de
maréchal, et il n'est pas tenté d'en murmurer:
tant les classifications sociales sont profondé-
ment gravées dans sa tête ! Bien plus , il arrive
souvent que les camarades du parvenu lui re-
prochent de la gaucherie et des habitudes in-
cohérentes avec sa position nouvelle. On est
gentleman par naissance ou par éducation ;
on ne saurait le devenir par brevet.
Les officiers anglais ont , pendant long-
temps, obtenu peu de considération en Eu-
rope et dans leur propre pays. L'éducation
publique y a une direction opposée à la
profession des armes. La science de détruire
238 DISCIPLINE,
n^est pas au nombre de celles qu^on enseigne
dans les écoles de Westminster et de Harrow ,
ou dans les universités d'Oxford et de Cam-
bridge. L''empire britannique doit à Tadju-
dant-général Jarri , fondateur du pensionnat
de High-Wycombe , dans le comté de Buc-
kingham , le premier établissement où Ton
ait appliqué les mathématiques aux diffé-
rentes branches de Tétat militaire. Plus
tard , une école spéciale (royal military Col-
lège) a étjé instituée sous les auspices du duc
d''York et sur un plan plus vaste. Elle est di-
visée , diaprés Tâge des élèves , en deux dé-
partemens fixés à Eton et à Sandhurst , près
de Windsor. L'enseignement est calqué sur ce
qui se pratique en France. On y admet gra-
tuitement les orphelins des officiers morts au
service ; et pour les enfans des officiers vivans,
on abaisse le prix de la pension au prorata de
la solde de leurs pères.
On a formé par ce moyen une pépinière
d'officiers. L'atmosphère du pays est trop
MOEURS ET HABITUDES. 239
imprégnée d'idées libérales pour qu'on puisse
craindre que des séides du pouvoir sortent
des écoles du gouvernement. D'ailleurs , il
n'est pas nécessaire , pour entrer au service ,
d'avoir été élevé au Collège royal militaire.
Le commandant en chef choisit les sous-lieu-
tenans, appelés enseignes dans l'infanterie , et
cornettes dans la cavalerie, parmi les jeunes
gens appartenant aux familles intéressées au
maintien de l'ordre. Depuis le commencement
du siècle présent, le métier des armes a pris
faveur daijs les hautes classes de la société.
Cependant le défaut de naissance n'est un
motif d'exclusion pour qui que ce soit. L'a-
ristocratie anglaise se complique d'orgueil
nobiliaire , d'intérêt pécuniaire et mercantile,
de talent, d'exercice de l'autorité , de pro-
priété industrielle et territoriale 5 elle est
compacte et redoutable aux prolétaires , parce
<|ue tant d'élémens de nature différente ne se
combattent pas entre eux.
En Angleterre, à la différence des autres
'24o disciplim: ,
pays, les hommes des classes élevées sont
généralement plus forts et de plus haute
taille que le bas peuple; cela vient de leur
vie campagnarde et turbulente. Les réglemens
sur l'admission au service exigent des candi-
dats aux sous-lieutenances Tàge de seize ans
et une bonne constitution physique. Les offi-
ciers passaient autrefois pour être ignorans
et débauchés; cependant la plupart d'entre
eux ont reçu une éducation hbérale. Quelques-
uns conservent dans les camps des habitudes
laborieuses. Ils écrivent, et quelquefois font
imprimer des journaux de voyage et de guerre,
où la sincérité de l'observateur brille plus que
son talent d'observation. On a vu des jeunes
gens, déjà parvenus ^u grade de capitaine, pro-
fiter de quelques intervalles d'inactivité pour
reprendre aux écoles leurs études trop tôt in-
terrompues. On en rencontre un bien plus
grand nombre qui, dans le mouvement d'une
vie dissipée, oublient le peu qu'ils ont appris.
Au reste, nos voisins d'outre-mer sont se-
MOEURS ET HABItUDES. 24 1
rieuxjusque dans leur intempérance. Les orgies
du quartier-général et des tavernes de régiment
ne sont pas bruyantes, et elles deviendront plus
rares, à mesure que la bonne compagnie perd
rhabitude de s^enivrer. Vous ne trouverez pas
chez les officiers anglais ce culte délicat et ex-
clusif de Thonneur qui repousse la moindre fai-
blesse devant Tennemi avec plus d'horreur
qu'un attentat à l'ordre social. Vous y trouverez
encore moins la touchante allia nce des chefs avec
lessoldats, lapaternitédes capitaines, la simpli-
cité de mœurs des lieutenans et sous-lieute-
nans, la communauté affectueuse de souf-
frances, qui ont fait la force de nos armées de la
révolution. Mais le patriotisme inébranlable et
la bravoure éprouvée et continue se présente-
ront de partout. Dans un pays où l'argent est le
mobile universel , les officiers en reçoivent
peu. Malgré la dépréciation successive de
la monnaie, leur solde n'a presque pas varié
depuis le temps de Guillaume III. Les soins
économiques des compagnies sont du fait des
TOME I. 16
ll\9. DISCIPLINE,
sous-officiers. L^administration des régimens
est exploitée par un très-petit nombre d'indi-
vidus et dans certaines limites que trace une
sorte de légalité. Le pillage et les concussions
à rétranger inspirent une généreuse aversion à
des hommes qui portent jusque dans la guerre
le respect des institutions et des propriétés.
Si pourtant avec une telle reunion de senti-
menshonorableset de hautes vertus, unenation
et ait condamnée à rester étrangère au milieu des
nations; si avec; leur or les Anglais n''ache-
taient que de Paversion; si des peuples qui ne
savent pas haïr les assaillaient éternellement
de caricatures et de sarcasmes; si après un sé-
jour de six années sur une terre quHls ont ar-
rachée à une traîtreuse usurpation, pas une
femme, pas un enfant, n'avaient retenu le
nom d'un seul de leurs libérateurs; si au jour
de la paix leurs compagnons du champ de
bataille étaient leurs ennemis plus que de ceux
qu'ils eurent à combattre; si enfin l'Europe,
l'Amérique et l'Inde n'attendaient qu'une di-
MOEURS ET HABITUDES. 1^^
rection et un chef pour leur déclarer guerre à
mort, force serait d'avouer quHl y a dans ce ca-
ractère insulaire quelque chose de contraire à
toute sympathie sociale.
La subordination des officiers entre eux est
un des attributs de Tarmée de la démocratie ,
parce qu'on n'y connaît d'autre supériorité que
celle du grade. Ainsi, l'égalité politique dans
l'État est un moyen de discipline dans l'armée.
Au contraire , quand les citoyens naissent clas-
sés, les relations sociales qui dérivent de ce
classement primitif, contrarient toujours en
quelque point la hiérarchie militaire. On s'en
aperçoit dans les troupes anglaises. Entre
lords, fils de lords, fils de commerçans, de
banquiers , de propriétaires , la différence des
grades peut à peine être marquée. Une politesse
peu expansive ne suffit pas pour l'indiquer.
L'autorité des chefs de corps ne pèse pas , et
la nuance n'est pas plus perceptible entre le ca-
pitaine et le lieutenant , qu'entre le lieutenant
et l'enseigne. Les duels entre grades inégaux ,
16»
244 DISCIPLINE ,
quoique punis sévèrement , ne sont pas rares.
Les officiers supérieurs et subalternes , field
and suhaltern oflcers , mangent à une table
commune. Là , on raisonne , on discute. Les
plans de campagne et les manœuvres du géné-
ral sont traités comme une question parlemen-
taire. Accoutumés à peser tous les genres de
mérite , les Anglais accordent souvent au cbef
ce que celui-ci ne leur demande pas ; ils refuse-
raient ce qui serait exigé. Leur esprit d^indé-
pendance sMrrite également des prétentions qui
blessent leurs droits, et des préjugés qui offen-
sent leur raison. Telle réputation militaire que
Tesprit de parti a voulu rendre colossale , ne
fut jamais appréciée avec plus de justesse que
par ceux-là même dont le sang a coulé pour
la fonder.
Cette tendance à Tindiscipline trouve son
correctif dans cette rectitude morale qu''a pro-
duite la longue application d'un système de
gouvernement constitutionnel; car Tamour de
Tordre mène à la subordination. Craignant,
MOEURS ET HABITUDES. 243-
ayant tout , d'être ou de paraître serviles , les
Anglais disputent à Thomme ; ils se courbent
avec humilité devant Forgane de la loi. De-là
résulte un autre inconvénient : il y en a dans
les meilleures choses. Les mêmes officiers
raisonneurs au camp et autour de la table,
deviennent des agens mécaniques quand il
faut agir sur le champ de bataille ou ailleurs.
La responsabilité leur apparaît comme Tépée
de Damoclès suspendue par un fil au-dessus
de leurs têtes. Plus d'une opération a été im-
parfaite et sans résultat , parce que celui qui
en était chargé a consulté la lettre plus que
Fesprit des ordres qu'il avait reçus.
Les officiers de milice doivent posséder des
biens-fonds. On exigeait la même condition, il
y a cent ans, des officiers de la ligne. Mainte-
nant on se contente de leur vendre les emplois.
Tous, depuis l'enseigne jusqu'à la lieutenance-^
colonelle inclusivement, sont tariffés. La com-
mission d'enseigne coûte quatre cents livres
246 >OMINATIOIV
Sterling, et celle de lieutenant- colonel d'in-
fanterie trois mille cinq cents , y compris le
premier achat et le supplément à payer d'une
promotion à Tautre. Les prix sont presque
doubles dans la cavalerie , et plus élevés en-
core dans les gardes. Les officiers sont dits
commissionnés {commissionfied officers)^ parce
qu'ils ont obtenu une commission pour de Far-
gent ou autrement. Commeles sous-officiers ser-
vent sans commission , on les appelle officiers
non commissionnés [no commis sionned officers) .
Cependant la commission achetée et payée ne
devient pas pour cela la propriété de Tacqué-
reur. Il est loisible au Roi de fen dépouiller
sans dédommagement. C'est par tolérance ,
mais par une tolérance à laquelle un long usage
a donné presque force de règlement, qu'on
permet aux officiers de la vendre. Cette faveur
est accordée ordinairement après vingt ans de
service. Le gouvernement dispose des commis-
sions vacantes par mort ; quelquefois on les
vend au profit de la veuve et des enfans du dé-
ET AVAM CEMENT. 247
finit; quelquefois aussi on les donne graUiite-
inent pour récompenser les actions d'éclat ou
une conduite exemplaire. C'est la voie par la-
quelle des sous-officiers montent au rang d'of-
Hcier.
On estimait pendant la guerre dernière que
la vente des commissions faisait entrer annuel-
lement dans le trésor public quatre cent cin-
quante mille livres sterling , à peu près dix
millions de francs. La vénalité flatte l'orgueil
des aristocrates anglais ; ils se croient plus in-
dépendans de l'autorité royale, ayant payé les
emplois qu'ils exercent , et ils voient avec dé-
lices la carrière de l'avancement exclusivement
ouverte à l'argent et au patronage. Le duc
d'York a essayé de rendre moins mauvais un
régime qu'il n'était pas en son pouvoir d'abolir.
Il a fait des réglemens pour empêcher que les
commissions ne fussent agiotées et ne subissent
des hausses et des baisses comme les effets pu-
blics. Les commissions prêtes à vaquer et va-
cantes sont déposées entre les mains du com-
248 NOMINATION
mandant en chef , qui en dispose dans Tintérêt
de Farmée. Il peut, par ce moyen , faire une
petite part aux services et au mérite. Les va-
cances sont proposées aux anciens du régiment
dans i'emploi inférieur, avant que les plus
jeunes puissent y prétendre. On exige trois ans
de grade d^officier pour devenir capitaine ,
sept pour devenir major, neuf pour devenir
lieutenant-'Colonel. Défenses sont faites à qui
que ce soit, sous des peines portées par un acte
du Parlement , de s'ingérer dans le trafic des
commissions. Les contractans doivent déclarer
sur leur parole dlionneur qu'ils n'ont pas
donné ou reçu un prix supérieur à celui du
tarif. Mais en Angleterre , comme ailleurs,
l'intrigue est ingénieuse à éluder les précau-
tions dont on s'arme contre elle. Quoi qu'on
fasse , les commissions se vendent par arran-
gemens particuliers , et beaucoup au-dessus
des prix légaux. Le mal est trop profondé-
ment enraciné dans l'avarice et la corruption
britanniques, pour être extirpé autrement que
ET AVANCEMENT. 249
par une grande mesure que prendrait la puis-
sance législative.
Tous les Anglais, depuis le duc d''York jus-
qu'au dernier tambour, sont encadrés dans des
régimens; tous sont payés suivant la place
qu'ails occupent dans les cadres. Ceux qui n''en
ont pas reçoivent la demi-solde et ne sont te-
nus à aucun service * .
Les emplois forment la base de Tarmée bri-
tannique. Les grades viennent ensuite comme
un hors-d'œuvre , et , passé la commission de
lieutenant , ils ne marchent pas toujours d'ac-
cord avec les emplois. Il y a des capitaines
titulaires qui sont majors, des majors titulaires
qui sont lieutenans- colonels, des lieutenans-
colonels titulaires qui sont colonels. On a mul-
* Pendant la guerre d'Espagne, le gi'ade d'officier-
général a été multiplié au-delà des proportions ordi-
naires. Comme on n'a pas augmenté le nombre des
cadres de l'armée, il a été impossible de donner des régi-
mens à tous les officiers-généraux employés. Une ordon-
nance du 8 août i8i4 leur a assigné une solde spéciale,
suivant leur grade.
25o NOMINATION
tiplié les gracies en dehors, afin que les Anglais
fussent toujours au-dessus , au au moins au ni-
veau des officiers d'autres puissances , à côté
desquels ils peuvent être appelés à faire cam-
pagne. C'est ce qu'on appelle rang de brevet ,
par opposition au rang de commission. Dans
l'intérieur du régiment , l'officier prend rang
suivant sa commission ; dans le service générai
de l'armée , et partout où les détachemens de
différens corps marchent ensemble , il com-
mande en vertu de son brevet.
Les régimens ont pour chef effectif leur plus
ancien lieutenant-colonel titulaire. Par une bi-
zarrerie inexplicable , le grade de colonel , si
capital partout ailleurs, ne correspond à aucun
emploi dans l'infanterie et dans la cavalerie
anglaise. Les officiers-généraux de l'armée sont
colonels des corps. Nous expliquerons plus
tard comment cette vaine dénomination , sans
leur imposer aucun devoir, leur permet d'ex-
ploiter les régimens à titre de domaine utile.
Jusqu'en iSio, les colonels par brevet em-
ET AVANCEMENT. 25l
ployés à commander des brigades au dehors
et même au dedans des trois royaumes, s'ap-
pelaient brigadiers-généraux. Ce placement
n'était pas considéré comme un grade. Main-
tenant le colonel arrivé au commandement
d'une brigade ne change ni d'appellation , ni
d'uniforme. Dans l'ordre régulier, les brigades
sont commandées par les généraux-majors, les
divisions par les lieutenans-généraux , les ar-
mées par les généraux et les feld-maréchaux.
On pense généralement en Europe que , si
l'expérience suffit aux fonctions subalternes, il
faut une inspiration particulière pour remplir
avec succès des devoirs d'un ordre plus relevé.
D'après ce principe , l'avancement pour les
grades inférieurs suit la règle de l'ancienneté ,
et dans les grades supérieurs il est dévolu au
choix. C'est tout l'opposé en Angleterre. Nous
avons vu comment on arrive à la lieutenance-
colonelle. A partir du grade de colonel jusqu'à
celui de feld - maréchal exclusivement , on
avance à son tour. Si des exploits éclatans ou
252 NOMINATION
une convenance spéciale entraînent un officier
dans une sphère supérieure, il y a obligation
de faire monter tous les officiers du même
grade placés avant lui sur le tableau. Jamais
un militaire ne sert sous les ordres de son ca-
det ; Tancien y consentirait, que le gouverne-
ment ne le permettrait pas. Cet état de choses
peut contrarier le développement de quelque
talent remarquable; mais il est profitable à la
discipline , et il convient à la marche méthodi-
quement progressive de la puissance anglaise.
L'invariabilité de Tordre du tableau pour la
tête de Farmée est une diaue aux envahisse-
mens de Tautorité royale, en même temps
qu'elle protège la tranquillité personnelle du
prince contre la brigue et l'obsession des
puissans et des riches.
Le roF d'Angleterre s'est imposé la loi de
l'ancienneté , et il n'y déroge guère que pour
des princes nationaux ou étrangers '. Il n'a pas
' On compte cependant deux ou trois autres excej^-
ET AVANCE31ENT. 253
mis de limites au droit de conférer suivant son
bon plaisir la plus haute dignité militaire.
Le bâton de maréchal est une grâce émanée
tout entière de la couronne , et d'autant plus
précieuse que la couronne en a été jusqu'à ce
jour sagement avare : des six feld-maréchaux
existant dans Farmée en 1818 , cinq sont mem-
bres de la famille royale. Le duc de Welling-
ton est le sixième.
Le gouvernement , en confiant des com-
mandemens spéciaux et des missions impor-
tantes aux officiers supérieurs ou généraux, leur
attribue quelquefois un grade au-dessus de ce-
lui dont ils ont le brevet ; cela s'appelle rang
local ou temporaire ( local or temporary
lions à la règle générale. Sir Thomas Graham , au-
jourd'liui lord Lyncdork, a passé avec son grade, de
la milice, où il était colonel, dans l'armée de ligne, où
il est devenu lieutenant-général. Cette faveur lui a été
accordée à cause de son mérite particulier, et parce qu'il
avait fait, comme commissaire du gouvernement anglais
près l'armée autrichienne, les mémorables campagnes de
1796 et 1797 en Italie.
9.Ji officirrs-gÉneraux.
rank)^ parce que la iouissance des préroga-
tives du grade est circonscrite dans un espace
et dans une durée désignées. Le monarque a
voulu donner un relief momentané à TofTicier
investi de sa confiance; le classement de cet
officier reste le même dans Tarmée , et pen-
dant son élévation de circonstance , on a soin
de ne pas mettre sous ses ordres de plus an-
ciens que lui dans le grade permanent.
La publicité préside aux opérations relati-
V es à la direction générale du personnel de
Tarmée. Cette publicité qu'on retrouve par-
tout en Angleterre , dans les actes du pouvoir,
est la plus sûre garantie de l'observation des
lois. Les mutations de tout genre , dans les
corps des officiers de tout grade, sont annon-
cées par la voie des journaux, et l'insertion
dans la Gazette officielle sert de titre aux nou-
veaux promus. On imprime en outre, au com-
mencement de chaque mois, la liste de l'ar-
mée , afin que chacun apprécie ses droits , en
connaissant sa position etcelle de ses camarades.
officieus-généraux. 255
Le mode d'avancement des officiers-géné-
raux tend à les rendre très-nombreux. A la
paix de i8i4 , plus de six cent cinquante feld-
maréchaux , généraux, lieutenans- généraux
et généraux-majors, étaient inscrits sur les con-
trôles ; en temps ordinaire , il n'y a pas de
place pour cent. On en envoie aux possessions
éloignées , aux colonies et dans Tlnde ; ou bien
ils commandent les arrondissemens militaires
des trois royaumes. L"' autorité de ceux-ci , sans
action sur les citoyens , est étendue et minu-
tieuse à Fégard des régimens , car dans le ser-
vice anglais , Finspection n'est pas séparée du
commandement ; on n'y connaît pas les ras-
semblemensde trovipes dans les grandes garni-
sons, et encore moins dans les camps d'exercice.
Le petit nombre d'officiers-généraux en activité,
et par conséquent le peu de chance que cha-
cun a d'être employé , rejette la classe pres-
que entière dans les habitudes de la vie sociale ;
la plupart cultivent leurs champs ; quelques-
uns courent la carrière parlementaire ou celle
256 OFFICIERS-GÉNÉRAUX.
de la haute administration; d''autres voyagent
et s"'amusent. Lorsque la guerre les rappelle
au camp , ils y portent un train de vie qui ne
s^accorde pas avec les idées qu^on se fait ail^
leurs de la profession des armes dans les gra-^
des élevés.
Nous avons été à même de le remarquer
pendant les campagnes de la Péninsule. Tandis
qu'un général de division français se consumait
à étudier la topographie du paysetTesprit des
habitans , à nourrir, façonner et haranguer
les soldats , à persuader au peuple espagnol
des systèmes d'administration et de conduite
politique ; le lieutenant-général anglais qui lui
était opposé, partageait sa vie entre la chasse ,
Fexercice du cheval et les plaisirs de la table.
L'un, tour à tour gouverneur, ingénieur, com-
missaire , avait l'esprit continuellement tendu
et ne se reposait jamais, même en ligne; la
nature de ses conceptions journalières le con-
duisait à agrandir sa sphère d'activité , à ima-
giner et à produire. L'autre , aussi peu sou-
OFFICIERS-GÉNÉRAUX. 267
cieux des circonstances locales de la contrée
où il faisait la guerre , que de la langue , des
mœurs et des préjugés du peuple qui Fhabi-
tait , s^en rapportait au commissariat pour
fournir les vivres , au département du quar-
tier- maitre - général poifr reconnaitre le
terrain et préparer les marches, au départe-
ment de Tadjudant-général pour triturer la
besogne. Hormis les cas où on remployait au
commandement d'un corps détaché , il se dé-
sintéressait autant que possible des combinai-
sons militaires , et cherchait à restreindre le
cercle de la responsabilité qui pesait sur lui.
Dans le repos des cantonnemens, les soins
habituels de Fofficier-général anglais se bor-
naient à faire la police, surveiller le service,
et tra^nsmettre des ordres et des rapports ; au
jour du combat , il conduisait les troupes au
feu, sans effort, et avec une bravoure admira-
ble. Ici encore il y a des nuances distinctes dans
le régime de Tune et l'autre armée ; l'Anglais
n'est tenu qu'à remplir son devoir; il doit être
TOME 1. 17
258 OFFICIERS-GENERAUX.
en toute occurrence également intrépide et dé-
voué. Le Français , qui commande à des hom-
mes spirituels et raisonneurs , pourVa se dis-
penser de faire ses preuves dans les rencontres
ordinaires ; mais quand un danger pressant
appellera au secotirs de tous le coup-d"*œil et
le génie du chef , il faudra qu'il soit plus qu'un
homme pour ne pas être mis au-dessous du
néant. Notre soldat s'estime haut, et n'entend
obéir qu'à celui qui vaut mieux que lui.
La guerre est considérée parles Anglais sous
un point de vue rétréci : le gros de la nation
en a l'instinct, comme exaltation du moral et
mépris de la mort ; ceux dont l'esprit est cul-
tivé n'y aperçoivent qu'un emploi régulier
de force physique et de moyens matériels.
Vous leur diriez en vain que le génie de la des-
truction a aussi des révélations sublimes, et
qu'il éveille une puissance de pensée supé-
rieure à celle qui préside aux créations de la
poésie et de la philosophie ; vous leur persua-
deriez encore moins que la plus haute partie
OFFICIERS-GENERAUX. 269
de Part , la Stratégie , est philantropique dans
ses développemens. LVrreur où ils sont vient
de deux causes. L^ Angleterre ayant eu rare-
ment beaucoup de troupes rassemblées , ses
guerriers en sont encore à Talphabet de la tac-
tique , et ils n^ont pas eu le temps d'ennoblir
et d'agrandir la science qu'ils cultivent. On
dirait aussi que la fortune s'est plue à justifier
le préjugé dont nous parlons, en élevant aux
nues des généraux d'une portée ordinaire.
La gloire de l'armée britannique lui vient
avant tout de son excellente discipline et de la
bravoure calme et franche de la nation. On peut
impunément distribuer les commandemens
suivant des combinaisons ou par des intrigues
parlementaires; c'est l'armée qui se passe le
plus facilement des talens qui sortent de ligne.
Les officiers revenus des guerres de Portugal
et d'Espagne , tout en rendant une justice écla-
tante et unanime à la sagesse et à l'intrépidité
de leur chef , ne lui accordent rien qui le dis-
tingue éminemment des autres généraux mar-
26o RÉCOMPENSES
quans de leur nation. Us vantent sa roideur de
caractère , qui dès long-temps Ta affranchi des
entraves de la responsabilité, mais ne trouvent
rien à dire des ressources de son esprit ni des
enfantemens de son génie. Nous avons entendu
des hommes dont Topinion n^est pas sans va-
leur, soutenir que vingt capitaines , et pour
n^en citer que parmi ceux qui ont fait cette
guerre , les Picton , les Crawf'urd , les George
Murray , l'auraient conduite avec autant et peut-
être plus d'habileté et de succès que Welling-
ton , s'ils eussent eu les mêmes soldats à faire
tuer , les mêmes passions populaires à exploi-
ter, d'aussi vastes ressources à dépenser, et
surtout un appui aussi certain dans les dispo-
sitions bienveillantes du ministère à leur égard.
Les décorations , les titres de noblesse , les
honneurs n'étaient pas considérés autrefois
comme devant servir à récompenser les servi-
ces militaires ; on n'accordait la pairie et les or-
dres de chevalerie qu auK officiers qui avaient
MILITAIRES. 9.6 i
commandé en chef des expéditions heureuses.
L'armée anglaise , en courant les mêmes chan-
ces que les armées du continent^ a dû leur
emprunter les institutions qui servent à exciter
et alimenter leur courage. L'ordre du Bain ne
comptait pas, en 1800, quarante chevaliers.
Divisé depuis ce temps-là en différentes clas-
ses, à Timitation de la Légion-d'Honneur de
Napoléon , et destiné comme elle à tous les gen-
res de mérite ,il avait, en i8i4i près de six cents
chevaliers militaires, quoiqu'on n'en admît pas
au-dessous du grade de major. Les militaires
de tous grades ont reçu des médailles commé-
moratives des actions de guerre auxquelles ils
avaient pris part. Un sergent de chaque com-
pagnie, le plus brave et le plus méritant,
porte sur les manches de son habit un trophée
en broderie , touche une haute-paie , et a son
poste près du drapeau du régiment. La grâce
du monarque accorde des devises et des em-
blèmes particuliers aux corps qui , dans des
circonstances décisives, ont fait plus que le
262 RÉCOMPENSES
devoir ; ces marques d'honneur décorent les
drapeaux , et sont modelées en relief sur la pla-
que de la coiffure des soldats. En Angleterre ,
au moins , le dévouement généreux ne reste
pas ignoré ; cent journaux , lus chaque jour
avec avidité , malgré leur longueur, disent le
nom du moindre officier blessé et les circons-
tances de sa blessure. La patrie ne cesse pas
un moment de veiller sur le sort de ses enfans
avec une tendresse affectueuse; des gratifica-
tions pécuniaires et des éloges prononcés au
sein des assemblées nationales , expriment la
reconnaissance publique envers les vi vans. Les
murs de Saint-Paul , de Féglise de Westmins-
ter et d"* autres édifices religieux, n'ont d'orne-
ment que les tombeaux des grands hommes et
des guerriers morts au champ d'honneur. Ja-
mais l'étranger armé ne violera leur cendre.
Quand aura éclaté la révolution qui doit tôt ou
tard dévorer une génération d'Anglais , elle
ne produira jamais , quelque furieux que soit
son débordement , des misérables assez dé-
MILITAIRES. 263
hontes pour mutiler à plaisir les monumens de
la gloire nationale.
On se marie beaucoup dans Farmee britan-
nique ; le gouvernement encourage les maria-
ges de soldats : c^est une consolation pour des
hommes dont la plupart sont condamnes à ne
jamais revoir le clocher de l'église où ils furent
baptisés. Il faut bien que TÉtat leur rende une
famille en place de celle qu'ils ont perdue.
Dans les embarquemens de troupes on permet
à six femmes par compagnie de suivre le ba-
taillon, s'il va à une expédition continentale ;
à douze , s'il est destine' pour les colonies ; à
toutes les femmes légitimes, si c'est un batail-
lon de vétérans. De-là sort une population
militaire qu'on emploie au recrutement de
l'armëe; elle n'est pas assez nombreuse, et la
condition de soldat n'est pas assez en honneur
pour faire craindre aux amis de la liberté' l'in-
fluence d'une race qui se transmettrait le glaive
par droit d'he'ritage .
264 Éducation
Le duc d'York a obtenu du gouvernement
la fondation d\ine école où Ton forme , pour
le service militaire et pour les besoins de la so-
ciété, huit cents enfans mâles et quatre cents
filles de soldats. L'asile militaire {rofalmili-
tary asylum , c'est le nom qu'on donne à cette
école) est placé dans le beau village de Chel-
sea, tout près de Londres, à côté de l'hôtel des
Invalides. Heureuse idée d'avoir rapproché la
magie de l'espérance du charme des souvenirs !
Il n'existe pas en Europe d'établissement de ce
genre mieux tenu ou mieux administré. L'édu-
cation élémentaire v est dirigée suivant les
procédés du docteur Bells. Le duc d'York a
aussi, après sa rentrée dans la charge de com-
mandant en chef, en 1811, fait mettre en pra-
tique l'enseignement mutuel dans les écoles de
régiment. Long-temps avant on comptait dans
les rangs de l'armée un grand nombre de sol-
dats sachant lire et écrire : c'était l'effet des
institutions civiles. D'une part, l'autorité est
prodigue des bienfaits de l'instruction pri-
DES SOLDATS. 265
maire, parce qu'elle regarde rëducatiori du
pauvre comme faisant la sûreté du riche ; de
Fautre , elle ferme soigneusement aux classes
inférieures Paccès des hautes connaissances
par le prix exorbitant qu'elle met à leur ensei-
gnement. Mais il n'est au pouvoir de personne
de fixer des limites au développement de la
pensée. L'introduction des méthodes écono-
miques et rapides ne se bornera pas aux écoles
élémentaires , et finira par rendre vulgaires et
usuels tous les genres d'instruction : la popu-
lace deviendra peuple. Bientôt l'arme'e britan-
nique obtiendra du progrès des lumières l'a-
doucissement de sa législation pénale , et jus-
que dans les comptoirs des marchands de la
cité de Londres, le beau titre de défenseur de
la patrie retrouvera son entière signification.
En principe, l'armée nationale se recrute de
nationaux; cependant, un acte du Parlement ,
rendu en l'année 1806, autorise le Roi à ad-
mettre dans les régimens anglais un nombre
d'étrangers, dont la totalité ne peut pas excé-
266 RELIGION.
der seize mille hommes , avec cette restriction
que le plus grand nombre sera employé au
dehors. Le Roi a aussi le droit dVccorder des
lettres de service à des officiers étrangers , et
spécialement à des ingénieurs. Il en a recueilli
à ce titre quelques-uns qui avaient appartenu
à son armée électorale d'Hanovre, et on a vu
tel baron allemand commander un district en
Angleterre, sans que les clameurs de TOpposi-
tion aient pu le déplacer.
On ne s'enquiert pas, lorsque les officiers en-
trent au service, de la religion qu'ils professent;
on le demande encore moins aux soldats, et,
s'il faut en croire des publicistes bien informes,
la politique du cabinet aurait plus d'une fois
fait servir le recrutement à diminuer la popu-
lation catholique d'Irlande. L'Etat entretient
des ecclésiastiques à la suite des corps ; il y a
dans les articles de guerre {articles ofwar), qui
avec le mutinf /'!'/// composent le code militaire
des Anglais , une section entière consacrée aux
RELIGION. 267
devoirs envers Dieu ; et le règlement veut que,
dans Tabsence du chapelain, un officier de
mœurs graves récite le service divin. Ceux qui
n'appartiennent pas à FEglise établie sont dis-
penses d^ assister. L'intolérance religieuse a
chaque jour moins d'activité ; cependant les
statuts relatifs aux non-conformistes , et l'acte
pénal de George I" contre les catholiques ,
avaient , il y a deux ans encore , autorité de
loi. Deux juges de paix pouvaient exiger du
premier officier qu'ils rencontraient le serment
de suprématie , et quiconque l'eût refusé , était
passible des peines de droit. Un acte du Par-
lement, donné pendant la session de 1 8 1 6, rend
les militaires habiles à parvenir à tous les gra-
des, sans acception de religion. L'application
de cette mesure de justice n'a pas encore eu
lieu dans toute son étendue. Depuis la révolu-
tion de 1688 jusqu'au moment où nous écri-
vons, pas un catholique romain n'est devenu
officier-général au service d'Angleterre.
268 JUSTICE.
Le Roi, en vertu de sa prérogative , peut
destituer tout officier , même celui qu^une
Cour martiale viendrait d'acquitter; mais il y
a loin du droit au fait : Tesprit général de la
législation protège encore TAnglais qui vit
hors de la loi commune. La direction des
procédures militaires est confiée à un corps
de magistrats civils. Leur chef, qui réside à
Londres, a le titre de juge avocat-général;
ses adjoints {depaty judge ad^^ocate-general)
sont détachés dans les armées : c'est à eux qu'il
appartient d'informer sur les délits commis
par les gens de guerre, de demander aux chefs
la convocation des Cours martiales, et d'y rem-
plir l'office du ministère public , autant dans
l'intérêt des accusés que dans l'intérêt de la
couronne. Le mutinf act établit avec détails
le régime des Cours martiales ; elles sont com-
posées suivant un tour de service, et leur ma-
nière de procéder les rapproche de la forme
du jury, autant que le permet la constitution
de la force-armée. Le Roi peut mitiger les pei-
JUSTICE. 269
nés et pardonner. D'ordinaire, il délègue aux
généraux en chef cette portion de sa pre'ro-
gative : du reste , les Cours martiales jugent
sans appel , et ^ quoiqu^on en assemble fré-
quemment , elles impriment une terreur utile.
Outreles Cours martiales générales dont nous
venons de parler , il y a des Cours martiales de
régiment qui jugent avec moins de solennité
et autant d'indépendance. Celles-ci ne peu-
vent être moins de cinq membres , tous offi-
ciers. Les sous-officiers et les soldats en sont
seuls justiciables. Elles décident en matière de
solde et d'habillement , et la partie qui se croit
lésée par leur jugement peut en appeler sur
ce pointa une Cour martiale générale. Le com-
mandant du régiment a le droit de grâce.
Les notions de justice distribulive sont telle-
ment répandues par la constitution anglaise ,
que les soldats établissent d'eux-mêmes dans
les compagnies des espèces de Cours martiales
composées de trois soldats , un caporal et un
sergent qui préside. Ces tribunaux de confiance
2-0 JUSTICE.
recherchent particuhèrement les infractions à
la discipline dans ses rapports imme'diats avec
Tintérét des camarades ; ils châtient les délin-
quans à coups de courroie, et leur justice hâ-
tive prévient souvent une justice plus sévère.
Il nV a en Angleterre de domination absolue
que celle de Topinion, et personne ne peut s^
soustraire. Dès que Fhonneur national paraît
être intéressé à Texamen scrupuleux d^une
opération de guerre , le monarque s''empresse
de soumettre la conduite des chefs à une com-
mission d'enquête , qui décide s'il y a lieu à
les traduire devant une Cour martiale.
Pendant la guerre, un grand-prévôt {pre-
wost marshai) parcourt les environs des camps
à la tête de dctachemens de la troupe à cheval
de Fétat-major [slaff corps ofcavalrf)^ arrête
et condamne à mort , et fait pendre sous ses
yeux les maraudeurs, violeurs et forceurs de
sauve-gardes pris en flagrant délit. Cette jus-
tice sommaire répugne au caractère anglais :
on rapplique rarement dans Farmée. Nous
JUSTICE. 271
pensons qu'on n'oserait pas l'essayer dans l'in-
térieur, quand même la Grande-Bretagne de-
viendrait accidentellement le théâtre de la
guerre.
Les conseils d'administration sont inconnus
dans le militaire anglais. L'économie intérieure
des corps y a été assise de tout temps sur des
bases prises dans les idées d'un peuple mar-
chand : chacun ses mœurs. Celui qui plaide
pour obtenir une indemnité de l'honneur de
sa femme, ne rougira pas de grossir son pécule
avec les rog-nures des habits des soldats. Nous
avons dit que chaque régiment ou autre corps
d'infanterie et de cavalerie a pour colonel un
officier-général. Ce colonel , toujours absent ,
ou supposé l'être, n'entretient avec la troupe
que des rapports purement administratifs : il
est, à proprement parler, l'entrepreneur à
forfait de l'habillement , qui est acheté, con-
fectionné et remis aux parties prenantes, à ses
frais et par les soins de ses chargés d'affaires.
'2-2 ADiMINlSTRATION
Les autres emplois militaires ont les appointe-
mens fixes. Les émolumens du colonel sont
variables ; ils dépendent des profits sur la
quantité, la qualité et la façon des habits et
des culottes , de la force au complet et de VeÂ-
fectif ; de manière que le général-major-colo-
nel d^un régiment de deux bataillons est payé
le double du lieutenant-général-colonel d'un
régiment d'un seul bataillon. On estime qu'un
corps administré avec pudeur rapporte au co-
lonel une guinee par an et par homme pré-
sent, et quatre fois autant par homme absent.
Ses gains sont plus considérables si le lieute-
nant-colonel commandant n'est pas ponctuel
à solliciter les remplacemens périodiques d'ef-
fets, et à faire allouer à ses subordonnés ce
qui leur est dû. Régime odieux où le chef ti-
tulaire s'enrichit lorsque les soldats périssent
et que le régiment se délabre! La vigilance du
duc d'York lutte contre les abus qui en déri-
vent ; il renouvelle souvent des ordres tendant
à empêcher quel'armée ne soit vêtue trop court ,
RÉGIMENTAIRE. IjZ
trop étroit ou de mauvaises étoffes. Un bureau
d'habillement {clothing board) ^ composé
d''officiers-généraux , doit inspecter les four-
nitures avant qu'on les délivre aux troupes ,
et comparer chaque pièce au modèle approuvé.
Il y a aussi des règles pour la réception des ef-
fets au corps. En général , les voleries sont
moins scandaleuses qu'elles ne le seraient ail-
leurs sous l'égide d'une législation si commode.
La corruption étant générale en Angleterre, il
y a par cela même des limites de convenances,
elles voleurs qui les dépasseraient risqueraient
d'être submergés par le mépris public.
Chaque régiment entretient à Londres, pour
faire ses affaires, un agent nommé par le colo-
nel. De grandes maisons de commerce entre-
prennent les agences, et la même se charge de
plusieurs corps. L'étendue et le morcellement
des possessions britanniques d'une part, et de
l'autre l'organisation financière de l'armée
permettraient difficilement de s'en passer. Les
agens servent d'intermédiaires entre le gou-
TOME I. j8
'-^74 Al)MFNlSTRATIO^
vernement, le colonel et la troupe. On s'adresse
à eux pour les réclamalions d'intérêt person-
nel, telles que commissions à vendre ou à ache-
ter, indemnités à poursuivre, moyens d'em-
barquement à obtenir; ils font confectionner
et expédier l'habillement. Les fonds alloués
par la trésorerie pour la solde et les autres dé-
penses régimentaires, passent ou sont censés
passer par leurs mains; ils en font l'emploi, et
en justifient devant le bureau des contrôleurs
des comptes de l'armée. Le salaire des agens
est formé d'une retenue de deux deniers par
livre sterling sur les sommes qu'ils paient.
La comptabilité se fait par bataillon d'infan-
terie et par régiment de troupes à cheval. Il y a
dans chacun de ces deux cadres deux oihciers
d'administration nommés sur la présentation
du colonel, le payeur et le quartier-maître. Le
payeur [pay-m aster) est le subordonné de l'a-
gent; il ne fait pas de service militaire. Le
grade de capitaine lui est accordé seulement
pour la considération; il fournit un caution-
REGIMENTAIlîE. 27)
iieinent et des repondans, ce qui ne Tempêche
pas de gagner de Targent par des voies illi-
cites, toutes les fois qu^illepeut. Ses fonctions
consistent à préparer les demandes de fonds
pour la solde et autres dépenses, à les recevoir,
à en faire la répartition entre les compagnies
et à rendre des comptes à fagent. Les quar-
liers-maîtres étaient autrefois les premiers
sous-officiers des corps , et les régimens de
cavalerie avaient des quartiers-maîtres de
compagnies. Ces derniers ont été' supprimés :
maintenant le quartier-maître est officier; il a
charge de recevoir et distribuer les effets d'ha-
billement envoye's par Tagent, les vivres et les
fournitures de toute espèce.
Le miitiny hill veut que les troupes soient
passées en revue au moins deux fois l'an , et il
établit des peines contre les officiers , commis-
saires, maîtres des montres (muster-master)^ qui
feraient ou signeraient de fausses revues. Les
états dressés par les capitaines et les officiers
supérieurs , et affirmés par serment devant Pau-
i8*
27^' ADMINISTRATION
torité civile , servent de base à Ja plupart des
prestations en argent et en nature. Le lieute-
nant-colonel demande chaque mois à la com-
pagnie et le général-commandant au bataillon,
si Ton a des plaintes à porter contre le chef. Les
commandans de compagnie et de régiment
n\'jyant pas de connexion obligée ni de com-
plicité naturelle avec le quartier-maître , le
payeur, Tagent et le colonel doivent contrôler
les quatre gérans, et mettre Tintérêt de leur
gloire comme la satisfaction de leur conscience
dans le bien-être du soldat. La comptabilité
des corps est peu chargée de formes et d^écri-
tures. Sur une foule de réclamations particu-
lières , on s^en rapporte à la bonne foi des
officiers.
Une somme proportionnée au nombre des
présens sous les armes est allouée aux capi-
taines pour Fentretien des fusils. L'excédant
de la recette sur la dépense forme un supplé-
ment à leur solde. Anciennement les officiers
supérieurs avaient des compagnies. Le duc
rÉgimeistaire. 277
d'York les leur a fait ôter. 11 n'y avait qu'un
pas de plus pour supprimer les colonels d'ha-
billement , mais en leur place il eût fallu créer
des emplois nouveaux. L'Opposition évite avec
soin d'augmenter le patronage de la couronne.
Ceux qui vivent des abus travaillent à les per-
pétuer. Ces deux motifs concourent avec le
respect inné pour les institutions à rendre les
réformes lentes et difficiles.
Dans le classement des armes l'artillerie passe
la première , puis la cavalerie et ensuite l'in-
fanterie. Ceux-là n'étaient pas avancés dans
l'art qui ont assif^né à l'infanterie la dernière
place. Au reste il ne s'agit ici que d'un rang de
parade. En toute circonstance le plus ancien
du grade le plus élevé commande , quelle que
soit l'arme à laquelle il appartienne.
L'infanterie consistait au commencement
de 1808 en trois régimens de gardes à pied ,
cent quatre d'infanterie de ligne ou légère ,
dix-neuf spécialement affectés au service des
278 INFANTERIE.
Indes occidentales , de l^Afrique , de Ceylan ,
du Canada et de la Nouvelle-Ecosse; dix-huit
bataillons de garnison et de vétérans appliqués
au service sédentaire ; dix bataillons de la lé-
gion allemande [King's german légion) ; quatre
régimens suisses ou réputés tels , et sept corps
hors ligne composés originairement d^AUe-
mands, de Français, de Siciliens , de Grecs,
et recrutés avec des déserteurs et des prison-
niers de toutes les nations.
Les trois régimens de gardes à pied forment
sept bataillons et sont tous corps d'élite. Leur
solde est plus forte, Tuniforme plus riche, et Tes-
pèce d'hommes , quoique fournie par le même
mode de recrutement que le reste de Farmée,
est d'une taille plus haute. Les officiers ont un
grade au-dessus de l'emploi et appartiennent
presque tous à des familles considérables.
Quoique leur destination première soit de gar-
der les palais et la personne du monarque , on
leur fait faire la guerre à peu près comme aux
autres régimens. Les gardes ne sont pas aimés
hNFAMElUF-. '-^79
dans rarmée qui les appelle soldats de lits de
plume , porte envie à leurs avantages et de-
mande à quel titre ils en jouissent ; sentiment
bien différent de celui qu^inspirait la garde
impériale aux troupes de Farmée française!
Les régimens de ligne sont désignés par des
numéros. Cinquante-deux ont un seul batail-
lon , quarante-sept en ont deux , quatre en ont
trois ; un seul régiment , le soixantième , en
a huit. Nous ne voyons pas de motifs plau-
sibles à cette bigarrure, et nous trouvons de
graves inconvéniens à avoir des régimens d\ui
bataillon. Tout le monde sait comment un ba-
taillon isolé fond vite à la guerre, et quelle alté-
ration cela produit dans Tordre de bataille.
L^organisation des régimens est calculée sur
ce principe, que les bataillons doivent servir
séparés les uns des autres. Il n^ a pas d'états-
majors régimentaires. Chaque bataillon a un
lieutenant-colonel , deux majors , un adjudant,
un payeur, un quartier-maître, un chirurgien-
major et un aide-chirurgien. 11 est partagé en
aSo INFANTERIE.
dix compagnies , dont une de grenadiers et une
légère, placées aux deux ailes, et pour ce motif
appelées compagnies de flanc. La compagnie
est commandée par un capitaine qui a sous ses
ordres un lieutenant et un sous-lieutenant.
C'est ordinairement en haussant ou en baissant
PefFectif des compagnies que le gouvernement
augmente ou diminue rétablissement militaire.
Elles descendent rarement en temps de paix
au-dessous de quarante hommes, et jamais pen-
dant la guerre on ne les a élevées jusqu^\ cent.
A Tépoque où les troupes anglaises ont pris part
aux événemens de la Péninsule , la force des
compagnies d'*infanterie était , terme moyen, de
soixante-cinq hommes présens sous les armes.
L'infanterie va en campagne distribuée en
brigades de deux , trois , môme quatre régi-
mens , suivant le nombre et la force des batail-
lons. Les grenadiers n'ont point, aux yeux des
autres soldats, l'éclat et la prééminence des gre-
nadiers français et hongrois. On n'est pas dans
l'usage de réunir tous ceux d'une ou de plusieurs
INFANTERIE. 201
brigades pour tenter des actions de vigueur.
On rassemble quelquefois les compagnies lé-
gères en bataillons provisoires , ce qui est
précisément l'opposé de Pinstitution de cette
espèce de troupe.
Quelques régimens de la ligne , tels que le
quarante-troisième , le cinquante-et-unième ,
le cinquante - deuxième , etc., etc., s'inti-
tulent régimens d'infanterie légère. Ces corps,
non plus que les compagnies légères de ba-
taillons , n'ont de léger que le nom , car ils
sont armés, et à quelques ornemens près, ha-
billés comme le reste de l'infanterie. On aïusé
que le soldat anglais n'a pas l'intelligence et
la flexibilité nécessaires pour faire avec un
égal succès le service commandé de la lione et
le service d'inspiration du tirailleur. La né-
cessité d'une infanterie légère spéciale étant
sentie , on a fait d'abord quelques essais avec
les meilleurs tireurs de différens corps. On
s'est fixé ensuite à appliquer exclusivement au
métier de tirailleurs les huit bataillons du
282 liNFANTERIE.
soixantième , les trois du quatre-vint^t-quin-
/jème et quelques étrangers. Cette troupe a
reçu le nom de carabiniers [riflemen) à cause
des carabines dont elle était armée pendant la
dernière guerre ; elle a été détachée par com-
pagnie dans les brigades. Le langage reten-
tissant des cornets servait en même temps à
diriger les carabiniers suivant les vues du gé-
néral , et à avertir celui-ci des manœuvres de
Tennemi qu^il n^aurait pas été possible d'aper-
cevoir du corps de bataille.
Les Anglais , les Ecossais et les Irlandais
sont mêlés dans les régimens. Llrlande fournit
plus de soldats, en proportion de sa population,
que les deux autres royaumes. Il semblerail
que le caractère général attribué par nous aux
troupes britanniques devrait être altéré parce
mélange; mais la discipline anglaise est pour
(;eux qu'elle embrasse le lit de Procuste. Les
esprits comme les corps subissent la loi du
peuple dominateur. Quatre régimens formant
neuf bataillons portent le nom d'Ecossais de
INFAINTERIF.. sS-J
la montagne ( Highlanders ). Lenr recrute-
ment se fait presque exclusivement dans la
partie montagneuse de TEcosse, et on y place
de préférence des officiers du pays. Les High-
landers conservent leur jupe nationale en
place de culotte. Cela n'est ni concordant avec
le reste du vêtement , ni commode à la guerre.
N'importe; une distinction qui a son- principe
dans les coutumes populaires impose toujours
un devoir de plus à remplir. Il n'y a pas au
service du roi d'Angleterre de régimens plus
fermes en bataille que les Écossais.
L'infanterie est la meilleure portion de
l'armée britannique. C'est le rohur pecUiiun ^
comme le disaient les Romains des triaires de
leurs légions. Les Anglais n'escaladent pas la
montagne et n'effleurent pas la plaine, lestes
et rapides comme les Français ; mais ils sont
plus silencieux , plus calmes , plus obéissans ;
pour ce motif leurs feux sont plus assurés et
plus meurtriers. On ne les verra pas résignés
sous le boulet à l'égal des Russes , mais ils se
284 INFANTERIE.
pelotonnent moins confusément et conservent
mieux l'ordonnance primitive. Il y a dans leur
fait quelque chose du mécanisme allemand avec
une exécution plus active et plus morale. Le rè-
glement de manœuvres qu'ils suivent depuis
1798 est imité des Prussiens. L'infanterie, quoi-
que formée constitutionnellement sur trois
rangs, ainsi que les autres infanteries de l'Eu-
rope, se met le plus souvent sur deux. Elle se
double sur quatre pour faire et recevoir un ef-
fort. Il lui arrive d'exécuter des mouvemens of-
fensifs, même de charger des colonnes en ordre
déployé. De pied ferme elle commence sa dé-
fense par des décharges générales de batail-
lons que suit un feu de file bien nourri. Elle
se retourne sans émotion pour répondre à ceux
qui viennent par derrière. En marchant elle
tire sans se désunir.
L'infanterie anglaise ne craint pas d'aborder
son ennemi à la baïonnette. Cependant , le
chef qui voudra en user sans la compro-
mettre devra la mouvoir rarement et avec pré-
INFANTERIE. 285
caution , et compter sur son feu plus que sur
ses manœuvres.
L'infanterie anglaise est habillée de rouge :
c'est la couleur nationale , et le soldat y tient
beaucoup. Les riflemen sont en vert. Il y a bien
aussi chez eux quelques faiseurs tourmentés de
la manie de fatiguer la troupe par une tenue
minutieuse et par des innovations perpétuelles
dans riiabillement. Ce travers, tout encouragé
qu'il a été par le goût particulier du prince
régent , n'a pas fait de grands ravages. On
adopte de loin en loin les changemens que
l'expérience des autres années a fait juger
utiles. L'usage de la poudre pour les cheveux
a cessé en i8o8 , par un ordre du commandant
en chef. Les sergens anglais portent des halle-
bardes. Les fusils des soldats sont moins légers
que les nôtres , et ont le calibre un peu plus
fort. Les autres parties de l'armement et de l'é-
quipement sont , en général , préférables à ce
que nous avons.
'i86 TROUPES ÉTRANGÈRES.
Les troupes étrangères au service d'Angle-
terre onl, sans distinction aucune, le régime
de Tarmée nationale. Presque toutes étaient
employées dans la péninsule espagnole. Tan-
dis que des invasions et des retraites tumul-
tueuses amassaient sur nos soldats français des
misères, incompréhensibles à quiconque ne les
a pas éprouvées ; tandis que des troupes autri-
chiennes et prussiennes , combattant dans leur
propre pays, sous les yeux de leur prince, n'o-
saient tenter que des attaques insignifiantes ou
de molles défenses; quinze mille mercenaires
allemands , recrutés sans choix , servant sans
affection , mais exactement payés , vêtus avec
une espèce de luxe , bien nourris , encore
mieux abreuvés , se sont montrés les rivaux de
gloire des Anglais qui les soldaient. Tant est
puissante Tinfluence des bons traitemens et
d'une organisation vigoureuse !
Les soins que les Anglais donnent à l'éduca-
tion (les chevaux, et les qualités supérieures
CAVALERlli. 287
cle ceux qui naissent dans leur ile , avaient ins-
piré de leur cavalerie une idée avantageuse ,
que Fexpérience de la guerre n'a pas justifiée.
Les chevaux sont mal dressés pour combattre.
Ils ont les épaules gênées et la bouche dure, et
ne savent ni tourner ni s'arrêter. Leur queue
coupée est un grave inconvénient dans les pays
chauds. Les soins de luxe dont on les accable
les rendent inhabiles à supporter la fatigue, la
disette et le bivouac. Les hommes sont excellens
palefreniers; ne leur demandez pourtant pas
ces sentimens de tendresse qui , en Turquie ,
en Pologne , en Allemagne , font du guerrier
et de son cheval deux compagnons à la vie et à
la mort. Dans la retraite de la Corogne , les
corps de cavalerie faisaient halte; le chef com-
mandait : Pied à terre; prenez vos pistolets;
et à un troisième commandement, chaque ca-
valier brûlait la cervelle à son cheval en un
temps et deux mouvemens. Il y avait néces-
sité; mais une armée d'Anglais était la seule
où Ton pût se livrer à ceîte barbare exécution,
288 CAVALERIE.
sans que les soldats se soulevassent dMiidigna-^
tion.
Le recrutement de la cavalerie est plus soi
gné que celui de Tinfanterie. On s^y enrôle
pour dix ans. Les jeunes gens de famille y en-
trent de préférence comme officiers. L'Etat
entretient trente-cinq régimens nationaux de
cavalerie , savoir : trois de gardes à cheval ,
corps d'élite , comme ceux qui leur correspon-
dent dans les troupes à pied ; sept régimens de
dragons-gardes et six de dragons , habillés de
rouge , et connus sous la dénomination collec-
tive de dragons pesans (hecwj- dj^agoons) ^
parce qu'ils sont montés sur de forts chevaux ;
quinze régimens de dragons légers et quatre
de hussards , habillés en bleu , et montés sur
des chevaux moins étoffés que les autres '.
• Pendant la guerre de la Péninsule , nos soldats ,
frappés de l'élégance de l'habit des dragons légers, de
leurs casques brillans, de la tournure svelte des hommes
et des chevaux, leur avaient donné le nom de /indojs. On
a substitué, en i8i3, à cet habillement particulier aux
CAVALERIE. 289
Chaque régiment était , en temps de guerre ,
de cinq escadrons , et Fescadron de deux com-
pagnies [troops) , fortes chacune de soixante
à quatre-vingts chevaux en entrant en cam-
pagne.
La cavalerie la plus solide d'Angleterre est
loin de l'ensemble et de Faplomb des cuiras-
siers de France et d'Autriche. La cavalerie la
plus légère possède encore moins l'intelligente
mobilité du hussard hongrois et du Cosaque.
Les cavaliers n'ont ni cuirasses ni lances. Ils
ne se doutent pas des ruses de la petite guerre.
Ils ne savent pas davantage charger en mu-
raille. Quand la mêlée commence, vous les
voyez à la fois vulnérables et offensifs , frapper
de taille et non d'estoc , et porter au visage de
l'adversaire des coups de sabre peu dange-
troupes britanniques la coiffure et l'habit-veste de la ca-
valerie légère d'Allemagne.
Les lances des Polonais à Albuhera et les cuirasses des
Français à Waterloo ont aussi fait naître dans l'esprit des
Anglais d'avoir des lanciers et des cuirassiers.
TOME I. j g
290 CAVALERIE.
reux. L^ordonnance de la cavalerie anglaise
est la même que celle des autres cavaleries
d'Europe. Avant les campagnes sur le conti-
nent, les officiers-généraux et supérieurs de
cette arme n'*avaient pas Toccasion de manier
des masses. La guerre de la Péninsule ne pa-
rait pas avoir développé chez eux ce talent. On
peut prédire que partout où la cavalerie an-
glaise sera engagée contre une cavalerie bien
commandée , elle aura le dessous. Les soldats
sont braves , les chevaux sont bons ; mais ce
n'est pas assez : il faut encore de la science et
de l'ensemble. Nous avons vu plus d'une fois
de faibles détachemens charger nos bataillons
à fond , mais en désordre. Le cavalier, ivre de
rhum , lançait son cheval , et le cheval empor-
tait le cavalier au-delà du but. On ne pouvait
pas former de nouveau les escadrons ; il ne s'en
trouvait pas d'autres à portée de consommer
l'œuvre : le coup d'audace passait sans profit
pour l'armée.
L'Angleterre entretenait aussi deux régi-
CAVALERIE. 29I
mens de dragons et trois de hussards , appar-
tenant au corps étranger dit King's german
légion. Ils ont surpassé la cavalerie nationale
pour le service des avant-gardes et pour la ba-
taille. La charge la plus audacieuse de la guerre
d''Espagne a été fournie , ainsi que nous le ver-
rons en son lieu , le lendemain de la bataille
des Arapiles, par THanovrien Bock, à la tête de
la brigade pesante de la légion allemande.
L'artillerie et le génie sont distincts du dé-
partement de la guerre, et dépendent d'un
autre ministère. L'Ordonnance est le nom
qu'on donne à Tolïice chargé des fortifications
et de l'approvisionnement en armes et en mu-
nitions des armées de terre et de mer. L'Ordon-
nance a sa trésorerie , ses sinécures , son bud-
get, ses établissemens et son armée particu-
lière. Elle forme un État dans l'État , sous le
gouvernement d'un maître général ( master
gênerai of Ordnance). Ce chef suprême
exerce le commandement à lui seul, et ne dé-
292 DEPARTEMENT
pend de ses accesseurs [hoard of Ordnance)
que dans quelques points d^administration.
Son pouvoir sur le personnel et le matériel de
son département est plus grand que le pouvoir
réuni du secrétaire de la guerre et du com-
mandant en chef dans Tarmée. Il nomme et
révoque les officiers et comptables; il fait et
défait au nom du Roi. Ayant sa place dans le
cabinet , il y entre et en sort comme les autres
ministres. Quoique tout citoyen anglais puisse
être nommé à cette charj^e élevée, elle est rem-
plie ordinairement par des officiers-généraux.
Le comte de Chatam et lord Mulgrave ont été
maîtres-généraux deTOrdonnance pendant les
guerres de la Péninsule.
L'artillerie et le génie n'*ont de rapport en-
semble que de ressortir au même ministère,
et dWoir un enseignement préparatoire com-
mun et un régime semblable. Il faut , pour de-
venir officier dans ces deux armes, avoir passé
par une école spéciale, celle à.^ gentleman ca-
det^ établie à Woolwich. Les jeunes gens y
DE L'ORDONNANCE. 1^^
sont admis de quatorze à seize ans. Ils suivent
les exercices pratiques du canonnier et du sa-
peur, et reçoivent en même temps une ins-
truction théorique sur les sciences physiques
et mathématiques, le dessin, la fortification et
Part militaire. Après un cours de quatre an-
nées , on leur fait subir un examen , et ils sont
reçus seconds lieutenans , diaprés les témoi-
gnages que les professeurs fournissent au maî-
tre-général de rOrdonnance. Les officiers de
Tartillerie et du génie prennent rang avec ceux
de Tarmée. Ils n'achètent pas leurs commis-
sions. L'avancement a lieu par ancienneté.
Les talens extraordinaires et les actions d'éclat
sont récompensés par des grades en dehors de
l'emploi ( brevet rank).
Les fonctions confiées en France au seul
corps d'artillerie sont ici éparses dans plu-
sieurs mains. La troupe d'artillerie n'est char-
gée que de l'exécution des bouches à feu. Elle
consiste en un régiment de dix bataillons ,
294 ARTILLERIE.
royal régiment ofartillery^ dont le maitre-gé-
néral de FOrdonnance est colonel. Le bataillon
est fort de dix compagnies, de cent vingt hom-
mes chacune. Il y a, outre le colonel-comman-
dant , cinq officiers supérieurs. La compagnie
est commandée par deux capitaines et trois
lieutenans. Il y aune compagnie d''artillerie \\
cheval par bataillon , ce qui fait dix en tout.
Elles roulent , pour Tavancement et le service,
avec Fartillerie à pied.
L'artillerie tient le premier rang dans Tar-
mée ; elle a la meilleure solde , elle choisit
le mieux ses recrues , Tenrôlement limité y
est pour douze ans. Les canonniers sont ha-
billés de bleu. Ils se distinguent entre les
autres soldats par le bon esprit qui les anime.
En bataille , leur activité est judicieuse , leur
coup-d'œil parfait et leur bravoure stoïque.
Il ne faut pas chercher, parmi les officiers
de Tartillerie anglaise , Tuniversalité de con-
naissances et la fécondité de ressources que
Ton trouve en France dans le corps chargé
ARTILLERIE. 29!
de fabriquer les engins de guerre et de coor-
donner et mettre en jeu les principaux élé-
mens de Fart de détruire ; ceux-là n'improvi-
seront pas des équipages de pont de campagne
et de siège ; soldats et officiers se sont montrés
inexperts dans Tattaque des places. La pré-
voyance administrative n'est point exigée de
gens qui n'administrent rien. Ils ne se piquent
pas d'être ingénieux dans l'emplacement des
batteries, ni d'exécuter le tir à ricochet; leur
mérite consiste à conserver en bon état et
à servir avec intrépidité les canons attelés
qu'on leur confie.
Le corps d'artillerie a , malgré son classe-
ment légal, une considération relative, moins
grande en Angleterre que dans d'autres ar-
mées ; les chefs étant trop vieux pour faire
campagne , les comman démens actifs sont re-
mis à des officiers d'un grade moins élevé que
ne le comporte l'importance de leurs attribu
tions. Un simple lieutenant-colonel a souvent
commandé en chef l'artillerie de lord Wel-
296 ARTILLERIE.
lington. D'ailleurs la perspective de gloire of-
ferte aux corps à talent est limitée. On a trop
en horreur les avancemens hors de la règle ,
pour permettre qu'Hun artilleur ou un ingé-
nieur qui se trouverait trop à Tétroit dans
son arme s'élançât dans le service général de
la ligne; jamais de Fecole de Woolwich ne sor-
tira un Bonaparte.
Les Anglais nous ont précédés dans l'insti-
tution du train d'artillerie ; les premiers es-
sais en ont été faits en 1793 sous les auspices
du duc de Richemond, alors maître-général
de l'Ordonnance. Le corps des charretiers d'ar-
tillerie {royalartillery drivers) est organisé mi-
litairement. On paie cher les chevaux qui ser-
vent à traîner les pièces , et par conséquent ils
sont très-bons. Les harnais ressemblent aux
harnais de nos carrosses. Aucune nation ne peut
le disputer aux Anglais pour l'attelage et le
transport des voitures. Ne sont-ils pas destinés
à troubler le monde, ces hommes qui, par terre
comme par mer, ont des moyens organisés
ARTILLERIE. IÇf'J
^our arriver sûrement et jjromptemenl en tous
lieux ?
L'administration régimentaire n'est pas la
même dans les troupes de l'Ordonnance que
dans les corps d'infanterie et de cavalerie.
L'habillement et l'équipement sont fournis par
le département , qui a toujours dans ses maga-
sins de quoi habiller et équiper trente mille
soldats et harnacher dix mille chevaux d'artil-
lerie.
Les Anglais mènent peu de canons en cam-
pagne ; le plus qu'en a eu lord Wellington, dans
la Péninsule, n'allait pas à deux bouches à feu
par nulle hommes. Il n'existait point de parc
de siège à la suite de son armée, et les pontons
étaient en trop petit nombre pour mériter le
nom d'équipage. Les bataillons nesontpas dans
l'habitude de manœuvrer mêle's avec l'artil-
lerie. Cette arme agit ordinairement par batte-
ries de cinq pièces de six et d'un obusier.
Affûts , caissons , fers coulés , poudre , atti-
rails de tout genre sont remarquables par l'ex-
298 ARTILLERIE.
cellente qualité des matières premières et par
le fini du travail. L^artillerie a employé avec
succès dans les batailles une grande quantité de
boulets creux appelés ShrapnelV s spherical
case shot^ du nom du colonel Shrapnell, leur
inventeur '.
Les travaux de Tartillerie, comme les mu-
nitions , les artifices , les affûts , sont ré-
gis par entreprise ; les fonderies de canons
de bronze , par spéculation commerciale li-
bre, de même que les canons de fer, et quel-
quefois aussi la poudre que TÉtat achète des
particuliers qui en fabriquent. La direction
des travaux dans le premier cas , la réception
• Les boulets creux sont des obus dont une moitié est
massive, et l'autre moitié creuse, contenant des balles; à
distance donnée, l'obus éclate. La partie massive va tou-
jours en avant, et reçoit par l'explosion une impulsion ad-
ditionnelle préférable aux boîtes à mitraille, à cause de la
portée; il y a le massif en outre. Les canonniers français
ont mis souvent boulet et boîte à mitraille ensemble.
Le canon à obus de Shrapnell est plus facile à manœu-
vrer que l'obusier.
ARTILLERIE. 299
et Jes épreuves dans le second et le troisième,
forment une branche de service administratif
que l'Ordonnance confie le plus souvent à des
officiers supérieurs de Tartillerie.
Lespuissances continentales, qui disséminent
leurs arsenaux de construction dans plusieurs
places et sur plusieurs frontières , ne peuvent
s'enorgueillir de rien qui ressemble à l'éta-
blissement unique et magistral de Woolwich ,
petite ville située à trois lieues au-dessous de
Londres sur la rive droite de la Tamise. De-là
sort l'artillerie de terre et de mer de l'empire
britannique. Cinq mille ouvriers y étaient con-
tinuellement occupés pendant la guerre. Nous
y avons vu plusieurs arpens de terre tout noirs
de canons gissans et de boulets empilés. Les
expéditions du matériel se font, pour toutes les
parties du monde , avec une rapidité merveil-
leuse. Woobvich est la ville de l'artillerie :
toutes les troupes de cette arme y tiennent gar-
nison , et ce qui est employé aux colonies et aux
armées est regardé comme détachement. Une
3oo INGÉNIEURS.
vaste lande appelée Black-Heath, qui s'^étend
devant les casernes, est affectée aux exercices.
Les seuls bàtimens élevés depuis le commen-
cement de ce siècle ont coûté sept cent mille
livres sterling , environ quinze millions de
francs.
Un corps est chargé, sous la direction immé-
diate de Toffice dePOrdonnance, de la conduite
et de la comptabilité des attirails et munitions
de guerre. Ceux qui le composent font leur
service à Tintérieur et aux armées. Ce sont eux
qui délivrent les armes , les cartouches , les ca-
nons, les caissons aux troupes dMnfanterie, de
cavalerie et d'artillerie. Leurs emplois sont as-
similés à des grades militaires. On les appelle
ofliciers du train de campagne du département
de rOrdonnance {officers ofthe field train de-
partment ofthe Ordnance).
Le corps du génie anglais, corps of royal en-
^meer^, a pour colonel le maitre-général de fOr-
donnance. 11 est composé de deux à trois cent»
INGÉNIEURS. 301
officiers , inférieurs en théorie et en pratique à
ceux qui exercent ailleurs la même profession.
L'instruction de Técole de Woolwich est prise
dans les livres français , et jusqu'à ces dernières
années , pas un auteur national n'avait écrit ex
professa sur les parties savantes de la guerre.
Le grand fossé entre Douvres et Calais dispense
les Anglais d'élever, autour de leurs villes , des
remparts qui effraieraient les citoyens. On est
en droit de supposer que des ingénieurs qui ne
construisent jamais de forteresses, et qui n'en
ont même pas sous les yeux, s'entendent en
fortification à peu près comme s'entendraient
en marine des matelots qui n'auraient jamais
vu la mer.
Sur ce point, l'armée est , comme de raison ,
encore plus arriérée que les corps spécialement
appliqués à l'attaque et à la défense des places.
Avant l'institution des écoles militaires, un gent-
leman n'entendait parler dans ses études ni de
Vauban ni de Cohorn. Depuis les campagnes
de la succession d'Espagne jusqu'à celles de la
3o2 INGÉNIEURS.
révolution , les exploits des troupes britan-
niques dans la guerre de siège se sont bornés à
attaquer aux colonies quelques places mal for-
tifiées et faiblement défendues. Lorsque le duc
d"'York fut chargé en 1793 de prendre Valen-
ciennes, les généraux désarmée combinée crai-
gnirent de confier la direction des travaux à
]''inexpérience des ingénieurs anglais, et peu
de mois après , la conduite de ceux-ci devant
Dunkerque prouva que les coalisés avaient eu
raison.
Alors les forces anglaises figuraient comme
auxiliaires. Elles n''ont pas mieux fait en ce
genre depuis quelles ont été partie principale.
Dans les sièges de la Péninsule le front d'attaque
a été souvent mal choisi , et les batteries ont été
établies sans discernement. On a essayé de battre
en brèche à des distances telles que le boulet égra-
tignait à peinelamaçonnerie.Lessoldatsétaient
maladroits à faire des gabions et des fascines,
plus maladroits encore à s''en couvriî*. L'ar-
tillerie n'avait pas de mortiers, employait mal
INGÉNIEURS. 3o3
lesobusiers et paraissaitignorerriisage des feux
verticaux. Pas la moindre notion des procédés
infaillibles qui conduisent Tassiégeant pied à
pied et avec le moins de risque possible au cœur
des défenses de Tassiégé. On eût dit que les in-
génieurs étaient là seulement pour construire
les places d'armes desquelles s'élanceraient les
troupes destinées à Tassant ou à Tescalade; et
encore eût-on pu à la rigueur, avec des soldats
si déterminés, se passer de leur ministère. Une
pareille absence de méthode ne fait pashonneur
au corps du génie. Elle accuse davantage les
conceptions du général en chef . Il est des absur-
dités que la non-réussite a rendues plus saillantes,
et d'autres que le succès n'a pas absoutes. Si les
membres du parlement d'Angleterre avaient eu
surla guerre la dixième partie des connaissances
qu'ils possèdent en finances et en législation ,
on aurait demandé compte du sang anglais que
l'ignorance a fait verser à flots aux sièges de Ba-
dajoz et du château de Burgos.
Dans le service de campagne, les ingénieurs
^^o4 INGÉNIEURS.
sont répartis entre le quartier-général et les di-
visions. Est-il besoin de faire sauter un pont?
Le résultat qu'ils obtiennent est presque toujours
imparfait ; ils détruisent et raccommodent les
routes lentement; ils font peu d''ouvrages de
campagne. Nous ne connaissons, dans la Pénin-
sule, de monument remarquable de Tindustrie
de nos ennemis, que les lignes construi tes en 1 8 1 o
pour la défense de Lisbonne, et Ton doit en
rapporter Tbonneur en partie aux ingénieurs
du Portugal, qui ont communiqué aux Anglais,
soit pour la conception du projet, soit pour
Fexécution des travaux, des idées lumineuses et
des données exactes recueillies depuis long-
temps.
L'expérience des sièges a fait sentir la né-
cessité de relever le corps du génie dans l'opi-
nion , et de perfectionner les moyens dont il
dispose. Un ordre du 25 mars i8i3 a appelé
les officiers à concourir pour le commande-
ment avec ceux de la ligne, justice dont on les
^vait privés jusqu'alors. Il existait des ouvriers
liNGÉMEURS. 3o5
en bois et en fer ( royal artificers ) , employés
à l'entretien des fortifications. On les a con-
vertis en un corps de sapeurs-mineurs ( royal
sappers and miners ) , dont Féducation a été
refaite d'après son appellation et sa destina-
tion nouvelle. Il est destiné à fournir des pi-
queurs pour les travaux de campagne et de
siège ; les ponts mobiles et autres sont dans ses
attributions. L'école pratique du génie a été
établie à Chatam.
Les officiers accoutumés aux reconnaissan-
ces et aux levers rapides du terrain ne sont pas
nombreux dans l'armée anglaise; on n'y con-
serve pas , comme en France, les traditions de
guerre. Le général Lloyd est le premier qui
ait pensé à considérer l'Angleterre sous le
point de vue défensif. Lors des dernières me-
naces d'invasion, l'Ordonnance a entrepris de
faire lever avec luxe et exactitude une carte
des trois royaumes; cette œuvre importante est
poursuivie et sera menée à fin par le corps des
ingénieurs -géographes {royal military sur-
TOME 1.
20
AoG
ETAT-MAJOR.
i>efors and draftmen)^ qui a son établissemeul
dans la tour de Londres. Les ingénieurs-géo-
graphes n^ont aucune connexion avec les in-
génieurs militaires.
Il n'existe pas de corps d'état-major ; nulle
part cependant les ordres ne sont rédigés en
une forme plus positive , transmis avec plus
fie promptitude , exécutés avec plus de scru-
pule. C'est encore un relief des institutions du
pays ; le commandant en chef exerce son auto-
rité par l'intermédiaire de l'adjudant-général
et du quartier-maître-général , deux officiers
d'un rang élevé dans l'armée : au premier res-
sortissent la discipline , le service courant , le
recrutement, l'habillement, les rapports , le
travail préparatoire de la législation militaire ,
en un mot les détails qui , suivant l'expression
anglaise , constituent V efficiency de l'armée ,
c'est-à-dire tout ce qui la met en état de pro-
duire les effets qu'on a droit d'en attendre. Le
second est chargé des mouvemens , des feuilles
ÉTAT-MAJOR. 3o7
de route , du campement , logement et caser-
nement , de rembarquement et débarquement
des troupes, des relations avec le service des
hôpitaux et des vivres , des dispositions passa-
gères relatives à la défense. Il a sous son auto-
rité le dépôt de la guerre , institué depuis la
paix de i8i4 7 à Timitation de celui de Paris;
le royal waggon-train , corps de charretiers ,
qui traîne les équipages, et \e staff corps ^
troupe d'état-major, à pied et à cheval , em-
ployée à guider les colonnes , ouvrir les mar-
ches , tracer le camp et subsidiairement à
faire la police de Farmée. Toute correspon-
dance étrangère aux attributions de Padju-
dant-général et du quartier-maître-général ,
et particulièrement Tavancement , les com-
missions et les grâces, passent par le canal d'un
autre officier qui porte le titre de secrétaire du
commandant en chef; il a aussi son dépar-
tement et ses bureaux.
L*'état-major de commandant en chef est le
type des autres états-majors, au dedans et au
20
3o8 ÉTAT-MAJOR.
dehors. Il y a dans chaque commandemeiU,
chaque armée, chaque division territoriale ou
de troupes, deux ou un plus grand nombre d''of-
ficiers exerçant , avec les titres d'adjudant et
de quartier-maitre-général, ou bien avec ceux
de assistant et de deputy^ qui correspondent
à notre nom ai adjoint^ les mêmes fonctions que
remplissent Fadjudant-général et le quarlier-
maître-général de toutes les forces britanni-
ques sous les ordres immédiats du duc d'York.
Un des aides-de-camp du général-comman-
dant fait toujours l'office de secre'taire militaire.
Cette répartition de service de l'état-major, en
plusieurs departemens, convient au comman-
dement général des forces , parce que c'est un
véritable ministère où la multiplicité' des dé-
tails rend nécessaire la division du travail ; elle
serait vicieuse dans une armée active où l'unité
et le secret sont les premières qualités requises
pour la transmission des ordres du chef.
L'infanterie et la cavalerie sont formées à la
guerre en divisions séparées, à chacune des-
État-majok. 3og
quelles est attachée une batterie d"'artillerie à
pied ou à cheval. On attache même, en temps
de paix, à chaque brigade, un officier qu'on
appelle major de brigade, et qui a la charge
de communiquer aux adjudans de régimens et
faire exécuter les ordres du général-comman-
dant et ceux des autorités centrales de Tarmée.
Les emplois des dëpartemens de Tadjudant-
génëral et du quartier-maître -général, de
major de brigade et d'aide - de-camp , sont
exercés par des officiers détachés de leurs régi-
mens où on ne les remplace pas; ils doivent
avoir au moins quatre ans de service. On est
censé les choisir parmi les sujets les plus capa-
bles , et parmi ceux dont l'éducation a été di-
rigée vers la science de la guerre ; c'est néan-
moins la faveur qui porte le plus grand nom-
bre dans le service de l'état-major.
L'armée anglaise demeurant dans le pays
coûte deux fois plus qu'une autre armée de
même force. Cela vient du taux élevé' des en-
3lO AD»imiSTRAT10N
gagemens , de la cherté des denre'es et des ma-
tières, du luxe des attirails et de Taisauce don-
née au soldat. Lorsqu'elle est employée hors
de son île, les frais de campagne de'passent tous
les calculs. Là où les troupes sont menacées
de la disette, le gouvernement verse Targent à
profusion, et, quand on ne trouve pas de vi-
vres à acheter sur les lieux, il les envoie en
nature. La distance ne fait rien aux maîtres
de la mer. On a vu des chevaux anglais en Por-
tugal, nourris avec du foin coupé dans les prai-
ries de Yorkshire, et les hommes, avec des fa-
rines apportées d'Amérique.
Le commissariat est chargé du soin des sub-
sistances; il conclut des marchés, frappe les
réquisitions, paie les denrées, les prépare, les
emmagasine et les distribue. Il semblerait que
le corps administrant devrait avoir une im-
portance d'autant plus grande, que Tarmée
a davantage besoin de ses services. Il n'en est
pas ainsi pour le commissariat anglais : ses
membres appartiennent presque tous à lape-.
DE l'aRMÉe. 3i 1
tite bourgeoisie, et même aux classes infé-
rieures de la société. Quoique soumis à Tauto-
ritë militaire , et justiciables des Cours martiales
même en ce qui concerne leur gestion, ils ne
sont pas encadres dans la hiérarchie graduelle
de Tarmée et ne participent pas aux récom-
penses. Quelques-uns sVnrichissent par des
voies irrégulières. On est peu disposé à croire
à la probité de gens qui sont à la fois ache-
teurs, payeurs, caissiers, garde-magasins, sur-
Ycillans et comptables. Etrangers par leurs
fonctions à l'administration intérieure des re'-
gimens, ils sont sans considération auprès de
l'officier et du soldat..
Vingt mille Français vivront pour rien où
dix mille Anglais mourront de faim la bourse
à la main. Pendant les premières campagnes
de la Péninsule, on ne lisait, dans les gazettes
de Londres, que lamentations sur le peu de sa-
voir-faire des commissaires d'armée. Nourrir
les troupes à la guerre est parfois un métier
plus difficile que de les commander. Pour at-
"^12 ADMINISTRATION
tirer à soi les ressources d^uu pays , il faut les
chercher, les deviner, sympathiser avec ceux
qui les possèdent, parler à leurs passions , les
éclairer sur leurs véritables intérêts. Les An-
glais marchaient sans traditions et sans expé-
rience. L''entregent n'est pas leur lot, et ils ne
connaissent de puissance au monde que la force
et l'argent. Des inconvéniens qui avaient leur
principale source dans la roideur du caractère
national furent mis sur le compte de la mau-
vaise organisation du commissariat. Pour le
régénérer, on nomma commissaire en chef le
colonel sir Willougby Gordon , qui avait rem-
pli avec distinction Foffice de secrétaire mili-
taire du duc d'York. Avant lui, on entrait
d'emblée dans les premiers emplois du com-
missariat ; il réforma cet abus ; désormais ,
nul ne put devenir commissaire-général, qu'a-
près avoir fait preuve de capacité dans les de-
grés de clerk, depaty-assistant ^ assistant et
depaty. Il établit de bons réglemens de service,
et il donna au corps la stabilité et une partie
DE l'armée. 3i3
du relief qui lui manquaient. La charge de
commissaire en chef, toujours exercée par une
personne étrangère au commissariat, est un
de'partement ministériel, sous l'autorité des
lords de la trésorerie.
Les Anglais ont pour système de préparer
les approvisionnemens long-temps à Tavance ,
et de tout payer. Ils ont recours aux réquisi-
tions seulement dans les cas extrêmes. Un em-
ployé des vivres est attaché à chaque brigade
d'infanterie et à chaque régiment de cavalerie.
Il n'existe pas de troupes affectées spéciale-
ment au service des subsistances militaires.
On tient à louage, à la suite de Tarmée, des
parcs de voitures ou des brigades d'animaux
de bât, suivant la nature du pays où l'on
opère.
•
Le service de santé est indépendant du com-
missariat ; il forme un département à part
{médical department) ^ dirigé par trois doc-
teurs en médecine, dont un a le titre de direc-
3l4 SERVICE
teur - général , et les deux autres celui (l''ins-
pecteurs principaux. A eux appartiennent
Texamen et le choix des officiers de santé mi-
litaires , leur avancement , leur répartition , la
surveillance de Fadministration des hôpitaux ,
la comptabilité des dépenses. Les inspecteurs,
médecins , chirurgiens , apothicaires , écono-
mes et sous-économes, sont sous leurs ordres.
Dans les hôpitaux, c^est le médecin , ou , à son
défaut, le premier chirurgien, qui commande.
Au régiment, le chirurgien-major reçoit une
rétribution extraordinaire, calculée sur le
nombre des hommes présens. On se trouve
bien d'accorder de justes égards à la science ,
et de lui donner la haute-main sur Tadminis-
tration. Des hommes voués à Fexercice d'une
profession libérale offrent plus de garantie
que des spéculateurs avides.
Les ambulances sont Tobjet d'une attention
toute particulière delà part des chefs. Chaque
corps d'infanterie ou de cavalerie a son hôpi-
tal. On transporte les blessés et les malades
DE SAiNTÉ. 3 11)
sur des voitures suspendues. Autrefois les ar-
mées britanniques se morfondaient dans Pinac-
tion; elles se sont corrigées de ce défaut. Un
régime meilleur et Fassistance des peuples leur
ont donné les moyens de pousser la guerre ,
sans rien entreprendre d^aventureux et en
dépensant beaucoup de guinées et peu de sol-
dats. Une armée , suivant Testimation du vieux
roi de Prusse, a besoin d^un remplacement
annuel , égal au tiers de son monde. Les six
campagnes de la Péninsule, prises Tune dans
Fautre , n''ont pas coûté par an à FAngleterre
le sixième du nombre d"'hommes qu'elle y a
employés.
Nous avons présenté Tarmée anglaise comme
étant sur un pied respectable; déjà elle sur-
passe les autres armées en discipline et en quel-
ques détails d** aménagement intérieur. Elle
chemine lentement dans la voie des améliora-
tions; mais elle ne rétrograde jamais. On ne
saurait assigner de limites à la puissance d'or-
•>^6 CONSIDÉRATIONS
ganisation où peut atteindre un peupJelibre et
refléchi . •
Faut-il poui- cela jeter le cri d'alarme? L'Eu-
rope est-elle condamnée sans appel, comme le
continent de Flnde et toutes les îles de la terre,
à essuyer Toutrage de la morale et des armes
britanniques?
Rassurons-nous. On a vu les Anglais de près ,
Napoléon leur avait procuré un éclair de popu-
larité européenne; mais Napoléon aussi a porté
Tarrêt qui détruira tôt ou tard leur préémi-
nence sur les autres peuples civilisés. De lon-
gues guerres ont forcé les nations à se suffire à
elles-mêmes; elles leur ont appris à employer
leurs capitaux sur leur propre sol plutôt que
de les aventurer dans des expéditions loin-
taines. Dans Pun et l'autre hémisphère, l'in-
dustrie marche à pas de géant, ayant pour
guide les lumières du siècle, et pour encoura-
gement l'esprit de liberté; une production plus
active , umltipliant les jouissances sous les pas
des consommateurs, restreint la nécessité des
GÉNÉRALES. 3 i y
échanges lointains. Les colonies vont se dé-
tachant des métropoles. On se tient en garde
contre la politique d'*un cabinet dont les inté-
rêts permanens sont antipathiques à ceux du
reste du monde. Chaque jour plus impuissante
à nuire par ses intrigues , TAngleterre n^a ja-
mais été et ne sera jamais en état de rien en-
treprendre de considérable sur le continent
par la seule force de ses armes.
La profession de soldat est repoussée par Fo-
pinion des citoyens anglais ; Farmée coûte énor-
mément à nourrir, à équiper, à mouvoir ; elle est
difficile à recruter. Si à cause de Finsuffisance dé
Fenrôlement volontaire on avait recours à la
conscription pour réparer ses pertes, on la ver-
rait bientôt réclamer une discipline libérale,
des droits civiques , Favancement, et elle ne se-
rait plus Farmee de Faristocratie. Ses de'tache-
mens sont éparpillés dans les quatre parties du
monde ; pas un rocher ne montre sa tête au-
dessus de la Méditerranée ou de Fimmense
Océan , qu'elle nV dépose quelques escouades
"Îi8 considÉkations
de soldats. Elle se dédouble pour Tinvasion
progressive de Tlnde; après un pareil morcel-
lement, que reste-t-il pour les grandes expé-
ditions de terre ferme? Nous avons vu le gou-
vernement britannique ne parvenir à mettre
en action un corps de cinquante mille natio-
naux , dans la péninsule espagnole , qu^en en
tenant cinq cent mille sur pied, au logis et dans
les possessions lointaines.
Ainsi la plus nombreuse arme'e active des
Anglais sera de cinquante mille hommes. Elle
apparaît à Timproviste à la portion du littoral
où son ennemi est le plus vulnérable. Les sol-
dats débarquent; croyez-vous que le gênerai
brûlera ses vaisseaux? Avant d'avoir touché le
rivage, la prudence lui a prescrit d** aviser aux
moyens de se rembarquer; on est déjà vaincu
alors quVn croit pouvoir Têtre.
Les premières troupes de débarquement se
sont emparées d'une place d'armes où on amasse
vivres et munitions. La campagne s'ouvre; les
regards des soldats sont restés long-temps at-
GÉNÉRALES. >^ S ()
taches sur leur patrie flottante, et quand ils
ont cessé de voir la mer, la tristesse s^est empa-
rée de leurs âmes. Dépourvue de troupes lé-
gères, l'armée semeutàraveugle;pays, mœurs,
habitans , elle ignore tout et ne sait rien ap-
prendre; des bataillons débiles de femmes et
d'enfans sont entremêlés avec les cohortes com-
battantes. Le soldat ne porta jamais avec lui du
pain pour plus de trois jours ; il ne suspend
pointa son dos les marmites et les gamelles,
ces ustensiles de cuisine sont chargés sur des
bêtes de somme; d'autres animaux de bât por-
tent les e'quipages des corps, les tentes et le
menu bagage des officiers particuliers , les pro-
visions de table et la vaisselle plate des officiers-
généraux ; le dernier sous-lieutenant emploie
à son service personnel plusieurs chevaux et
plusieurs soldats. Derrière les colonnes d'in-
fanterie, de cavalerie et d'artillerie, s'allon-
gent des colonnes de charrettes sur lesquelles
sont entassés le gros bagage , le pain , les fa-
rines, le rhum , l'orge et des piles de foin. Une
3'20 co.nsidÉkations
armée autant embarrassée dans ses attirails se
traîne plutôt qu^elle ne marche. Au jour du
combat, on trouvera les soldats d^ Alexandre.
Jusque-là , le luxe dont ils sont surchargés
rappelle Farmée de Darius.
Rien de plus facile que d''éviter, de ha-
rasser, de paralyser des troupes qui ont cette
organisation paresseuse. Les privations et les
fatigues souvent répétées les dépouilleront de
leur moral. Il sera loisible au général qu'acnés
auront en face de retarder long-temps le mo-
ment décisif, et d^ attendre , pour recevoir et
livrer la bataille , que toutes les probabilités
de succès se réunissent en sa faveur. Alors, si
la fortune trompait la valeur et le talent, rien
ne serait encore perdu. Une armée anglaise
abandonnée à ses seuls moyens pourra vaincre,
jamais elle ne saura profiter de la victoire;
mais sHl arrivait qu''elle fût vaincue à distance
de son point de départ , ce ne serait pas seu-
lement un échec qu'elle essuierait , ce serait
la plus affreuse des calamités. En écrivant l'His-
GENERALES. 321
toire des guerres de la Péninsule, de ces
guerres où les Anglais marchaient armés de la
haine contre Bonaparte, nous ferons voir à
combien peu il a tenu plus d'une fois que
l'armée de la Grande-Bretagne n'éprouvât
une catastrophe telle que pas un homme n'é-
chappât pour en porter la nouvelle à Londres.
Nous l'avons déjà dit : un tel ordre de choses
circonscrit inévitablement le talent du gé-
néral. Son premier devoir est de ménager la
machine confiée toute montée à ses soins , et
de ne pas l'user par des mouvemens inutiles
ou excentriques. Jamais, à ses yeux, les pro-
jets d'opération n'auront plusieurs faces. Un
jugement sain, quoique borné, suffira pour le
guider dans les moyens d'exécution; il pré-
férera la défense qui s'aide de tout ce qui est
prévu , à l'attaque qui , par ses chances indé-
terminées, appelle plus souvent les ressources
du génie. La guerre sera réduite à une série
d'actes de vigueur. Amener sur le terrain des
troupes fraîches et bien repues, les poster avec
322 CONSIDERATIONS
avantage , et ensuite attendre son ennemi de
sang-froid, voilà pour un général anglais la
perfection du genre '. Nous les avons vus , au
jour de notre désastre , ces enfans d'Albion ,
formés en bataillons carrés dans la plaine en-
tre le bois d'Hougoumont et le village de Mont-
Saint-Jean. Ils avaient, pour arriver à cette
formation compacte, doublé et redoublé leurs
rangs à plusieurs reprises. La cavalerie qui les
appuyait fut taillée en pièces, le feu de leur
artillerie fut éteint. Les oHiciers-oénéraux et
' Lord Wellington a suivi à la lettre, dans ses campa-
gnes de la Péninsule, les conseils satiriques que donnait
aux généraux en cliel l'auteur du charmant ouvrage,
Adi'ice tn the ojjicers nj thc britisk arniy. « Rien n'est
aussi reeommandable que la générosité envers l'en-
nemi. Le suivre l'épée dans les reins après la victoire,
ce serait tirer avantage de sa détresse. Il vous suffit d'a-
voir prouvé que vous pouvez le Lattre quand vous le
jugerez convenable.... Vous agirez toujours ouvertement
et de bonne foi avec amis et ennemis. Ainsi, vous vous
garderez bien de dérober une marche ou de tendre une
embuscade. Vous n'attaquerez jamais l'ennemi pendant
la nuiv. Vous vous souviendrez d'Hector allant com-
GENERALES. 3l3
d^état-major galopaient d'un carré à Tautre ,
incertains où ils trouveraient un abri. Cha-
riots, blessés, parcs de réserve, troupes auxi-
liaires fuyaient à la débandade vers Bruxelles.
La mort était devanteux et dans leurs rangs ;la
honte derrière. En cette terrible occurrence ,
les boulets de la garde impériale, lancés à
brûle-pourpoint, et la cavalerie de France
victorieuse ne purent pas entamer Timmo-
bile infanterie britannique. On eût été tenté
de croire qu'elle avait pris racine dans la
battre Ajax : Ciel, éclaire-nous, et combats contre nous!
Si l'ennemi se retire, laissez-lui gagner quelques jours
d'avance , afin de lui montrer que vous ne doutez pas de
le surprendre quand vous l'entreprendrez. Qui sait si un
procédé si généreux ne l'engagera pas à s'arrêter? Après
qu'il s'est retiré en une place de sûreté , vous pouvez
alors vous mettre à sa poursuite avec toute votre armée...
N'avancez jamais un officier intelligent ; un bon gros
compagnon est tout ce qu'il faut pour exécuter vos or-
dres. Un officier qui a un iota de connaissance au-dessus
de la routine , vous devez le considérer comme votre en-
nemi personnel , car vous pouvez être sûr qu'il rit de
vous et de vos manoeuvres. •
324 CONSIDKRATIOiNS
terre , si ses bataillons ne se fussent ébranlés
majestueusement quelques minutes après le
coucher du soleil , alors que l'arrivée de Tar-
mée prussienne apprit îi Wellington que,
grâces au nombre , grâces à la force d'inertie,
et pour prix d'avoir su ranger de braves gens
en bataille, il venait de remporter la victoire
la plus décisive de notre âge.
Ah ! sans doute, la détermination d'instinct,
qui même, lorsqu'elle se méprend, vaut mieux
qu'une hésitation savante, la force d'ame
qu'aucun danger ne démonte, la ténacité qui
fait qu'on emporte la proie pour s'y être acharné
le dernier , sont des qualités rares et sublimes;
là où elles suffisent pour assurer le triomphe
des intérêts nationaux, il y aura justice à acca-
bler d'honneurs le mortel privilégié qui les pos-
sède. Mais les penseurs de tous les pays et de
tous les siècles ne souscriront pas sur parole à
l'exagération d'une gloire si étroite; ils signa-
leront l'intervalle qui sépare l'homme de mé-
tier de l'homme de génie. Quelle similitude en
GENERALES. 325
tîttel peut exister entre le guerrier vulgaire
qui , favorise' par la trempe des armes, s'es-
crime sur des routes battues, et les demi-dieux
de riliade qui font trois pas et sont au bout de
la carrière? Les grands généraux ont été grands
sans accessoires, sans entourage, et ils reste-
ront grands en dépit de Fadversité ; ils nVm-
pruntent pas leur valeur à des institutions qui
les ont précéde's et qui leur survivront; tout au
contraire , ce sont eux qui infusent de hautes
pensées dans les esprits de la multitude. Egaux
à eux-mêmes dans le déploiement de toutes les
puissances de Tesprit humain, aucun genre
d'élévation n'échappe à leur immensité; tels
parurent avec des destinées diftërentes, parmi
les anciens , Annibal et César , parmi les mo-
dernes , Frédéric et Napoléon.
ACTE
POUR PUMR
LA MUTINERIE ET LA DÉSERTION,
POUR
LA MEILLEURE SOLDE ET LE LOGEMENT DE L'ARMÉE.
Attendu que la levée ou rentretieu d^une
armée permanente dans les royaumes unis
d'Angleterre et dlrlande en temps de paix , à
moins d'un acte du Parlement, est contre la loi;
Attendu qu'il est jugé nécessaire, par Sa Ma-
jesté et le présent Parlement, qu'un corps de
forces doit être continué pour la sûreté' des
royaumes unis, la défense des possessions de
la couronne de Sa Majesté et la conservation
de la balance en Europe, et que la totalité de
cette force doit consister en i25,o35 effectifs
officiers et soldats, y compris les forces sta-
tionnées en France, et aussi 1 5,585 officiers et
soldats proposés pour être licenciés, et i863
officiers et soldats qui doivent être transférés
328 ACTE POLIR PUMR LA MUTINERIE
dans rétablissement des Indes, mais non com-
pris les officiers et soldats appartenant aux ré-
gimens maintenant employe's sur le territoire
de la Compagnie des Indes , ou ayant Tordre
de revenir de-là en Angleterre;
Attenduque pasun hommene peut être jugé
dans sa vie et ses membres, ou soumis en temps
de paix à aucune espèce de punition dans le
royaume, par la loi martiale, ou d'une autre
manière, que par le jugement de ses pairs, et
suivant les lois connues et établies de ce
royaume;
Cependant, étant nécessaire, pour retenir
les forces sus-mentionnées dans le devoir ,
qu''une exacte discipline y soit observée , et
que les soldats qui se mutineraient, ou stir up
sédition^ ou bien déserteraient le service de Sa
Majesté , soient soumis à une punition plus
exemplaire et plus prompte que celle portée
par les formes ordinaires des lois:
11 est décidé en conséquence, par l'excel-
lente majesté du Roi, par et avec Favis et le
ET LA DÉSERTION. -^29
consentement des lords spirituels et temporels,
des communes assemblées en ce présent Parle-
ment , et par Tautorité des mêmes , que :
1 . Tout officier, sous-officier ou soldat qui ex-
citera une mutinerie dans les armées de terre
ou de mer; qui, en ayant connaissance, ne la
dénoncera pas ; qui abandonnera honteuse-
ment une garnison, forteresse, poste, garde
confiés à sa charge; qui contraindra le gouver-
nement à Tabandonner; qui engagera par pa-
roles le gouverneur ou autre à se mal conduire
devant l'ennemi; qui quittera son poste avant
dV être relevé; qui s'y endormira; qui aura
correspondance, ou qui traitera sans permis-
sion avec les rebelles et autres ennemis de Sa
Majesté; qui usera de violence contre son supé-
rieur en fonctions; qui désobéiraà un comman-
dement légal , ajîf lawfid commande de son
chef; qui désertera : soutirira la mort ou telle
autre punition infligée par une Cour martiale.
2. Les sous-officiers et soldats déserteurs, en
33o ACTE POUR PLiMR LA MUTINERIE
s'enrôlant dans un autre régiment , ne seront
pas exempts de la peine.
3. Les déserteurs enrôles dans un autre régi-
ment, et désertant une seconde fois, seront
punis pour le premier délit, sauf à admettre
en témoignage la seconde désertion comme
aggravant la première.
4. Quand la Cour martiale juge qu^iln''y a pas
lieu à mort, les déserteurs, au lieu d'être punis
corporellement, peuvent être condamnés à la
déportation pour la vie ou pour un certain
nombre d'années.
5. Dans tous les cas de condamnation à mort
par une Cour martiale, pourra Sa Majesté'
commuer la peine capitale en une déportation
à vie ou limitée.
6. LesCours martiales générales ou régimen-
taires pourront condamner les déserteurs au
service général comme soldats , et Sa Majesté
pourra désigner le régiment, le corps, le pays,
la place, au-dehors el partout où il plaira
au Roi.
ET LA dÉsERTIOîS. 33 1
7 . Les déserteurs qui étaient enrôles pour ser-
vice limité, pourront être condamne's à servir
un temps plus considérable, ou même toute la
vie, et à perdre les supplémens de paie, droits
à un congé ou tout autre avantage résultant de
la nature ou de la longueur de leurs services.
8. Les déserteurs pourront , outre les autres
peines de droit, être condamnés à être mar-
qués au côté gauche, deux pouces helow the
armpit, de la lettre D , incrustée avec encre ou
poudre, ou autre préparation , de manière que
la marque ne puisse être eftacée.
9. Les sentences de déportation ou les com-
mutations en déportation seront notifiées , par
le commandant en chef ou Padjudant-général ,
à la justice civile qui pourvoira à Pexécution.
10. Le clerc de la couronne du banc du Roi
recevra 2 schellings et 6 pences pour notifica-
tion die chaque acte semblable.
1 1 . Le clerc sera tenu, à la première somma-
tion, de délivrer copie du certificat delà con-
viction, et de Tordre du transport.
332 ACTE POUR PUiMH LA MUTINERIK
12. Les sentences de déportation prononcées
dans rinde seront notifiées par le commandant
en clief, à quelque juge d'une des Cours suprê-
mes, qui donnera des ordres pour la déporta-
tion.
1 3. Les délinquans soumis àla déportation par
le pardon conditionnel du Roi, seront sujets
aux lois qui concernent les félons qui s'échap-
peront ou tenteront de s'échapper.
14. LeRoi peut délivrer une commissionpour
tenir une Cour martiale; il peut aussi donner
pouvoir d'en assembler au gouvernement d'Ir-
lande, de Gibraltar, et aux gouverneurs en chef.
Ces derniers peuvent autoriser tout officier
sous leurs ordres, pas au-dessous du grade
d'officier supérieur , à assembler une Cour
martiale, pourvu que le délit ait été commis
depuis que chacun a pris son commande-
ment.
i5. Nul ne peut être jugé deux fois pour le
même délit, par Cour martiale, à moins d'ap-
pel d'une Cour de régiment à une Cour pé-
ET LA DÉSERTION. 333
nale, et la sentence ne peut être révisée qu'une
seule fois.
i6. Le présent acte n'exempte pas les offi-
ciers et soldats des procédures conformes au
cours ordinaire de la loi.
17. Les officiers, sous-officiers et soldats, ac-
cusés de crimes capitaux ou de violence contre
la personne, ou la propriété, ^j/<2/e, de quelques
sujets de Sa Majesté, seront remis à la justice
civile. Tout officier-commandant qui se refu-
serait à arrêter ou négligerait d'arrêter le dé-
linquant, sera poursuivable devant les tribu-
naux de Westminster, d'Ecosse ou de Dublin,
et sera , après conviction , cassé et déclaré inca-
pable de servir dans les armées de Sa Majesté.
18. Les délinquans acquittés ou convaincus
pour crimes capitaux, etc., par le magistrat
civil, ne peuvent ensuite être condamnés par
une Cour martiale , pour le même délit, qu'à
être cassés.
19. Les officiers, sous-officiers et soldats, en
jugement devant une Cour tnartiale, ne reçoi-
334 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
vent pas de paie. S''ils sont acquittés, on les
rembourse; sMls sont condamnés, ils perdent
tout.
20. Une Cour martiale générale doit être com-
posée de treize ou neuf officiers. Si c^est dans
une place au-delà des mers ou dans l'Inde,
elle ne peut pas être moindre de sept. En Afri-
que et dans la Nouvelle-Galles , pas moins de
cinq. Le président doit être officier supérieur,
ou, au défaut, pas au-dessous de capitaine; le
commandant ou gouverneur ne peut pas pré-
sider.
21. Les généraux ou autres officiers comman-
dant des détachemens au-dehors , peuvent ,
dans des cas extraordinaires, et sans en avoir
régulièrement le droit , assembler des Cours
martiales composées de trois officiers au moins,
sauf que la sentence ne pourra être mise à exé-
cution dans rattache du général du corps dont
dépend le détachement.
11. Jamais Cour martiale générale, pour juger
un officier, ne peut être composée de moins
ET LA dÉsertioîs. 335
de treize membres , sauf les exceptions de
l'article 20.
28. Jamais Cour martiale générale pour con-
damner un sous-officier ou un soldat dans sa
vie et dans ses membres , ou à la déportation ,
ne peut être moindre de treize , sauf les excep-
tions de Farticle 20.
24. Une Cour martiale générale peut punir
de la prison solitaire ou d'une punition corpo-
relle, neTétendant pasà la vie et aux membres,
les sous-officiers et soldats pour immoralité,
mauvaise conduite ou négligence du devoir.
25. Les Cours martiales peuvent condamner
les sous-officiers et soldats à Temprisonne-
ment dans une maison de correction ou pri-
son publique. Le geôlier est obligé de les
recevoir sur Tordre du général comman-
dant le district, pour une Cour martiale gé-
nérale , du commandant du corps , pour une
Cour martiale de régiment; le geôlier refu-
sant sera à Famende de 100 livres.
26. Les officiers et soldats condamnés à Tem-
336 ACTE POUR PUMIl LA MUTINERIE
prisonnement par une Cour martiale géné-
rale ou autre, perdent par confiscation leur
paie; le geôlier reçoit pour Pentretien 9 pen-
ces par jour, en fuitre de la subsistance du
prisonnier.
27. Les Cours martiales peuvent et doivent
exiger le serment des témoins.
28. En tout jugement de Cour martiale géné-
rale, les juges, avant de commencer, prêtent^
devant le juge-avocat ou son député, un ser-
ment de la teneur suivante :
(( Je jure que j^administrerai duement la
justice , suivant les règles et les articles pour
le meilleur gouvernement des forces de Sa Ma-
jesté, et suivant un acte du Parlement main-
tenant en vigueur pour la punition de la
mutinerie et de la désertion , et d'autres cri-
mes qui y sont mentionnés, sans partialité,
faveur ou aftéction ; et si quelque doute s'é-
lève qui ne s'explique pas par lesdits articles
ou par ledit acte du Parlement , suivant ma
conscience, le meilleur de mon entendement
ET LA DÉSERTION. 3'^r.
' /
et la coutume de la guerre en pareil cas. Je
jure que je ne divulguerai pas la sentence de
la Cour , jusqu'à ce qu'elle ait reçu l'appro-
bation de Sa Majesté, ou de toute autre
personne dûment autorisée par elle; que
jamais, sous aucun prétexte et dans quelque
temps que ce soit , je ne découvrirai ou le
vote ou l'opinion d'un membre de la Cour
martiale, à moins que je ne sois requis
de le faire en justice comme témoin , par un
tribunal ou une autre Cour martiale, dans
la due forme de la loi. Que Dieu m'ait en
garde. »
Le juge-avocat, ou la personne qui en fait
l'office , jurera ensuite , dans les mains du pré-
sident de laCour martiale , de ne pas divulguer
les votes , sauf devant une autre Cour mar-
tiale ou de justice.
Une sentence de mort ne peut être portée
par une Cour martiale générale de treize mem-
bres, à moins de neuf voix.
Dans les Cours martiales plus nombreuses
TOMF. I,
2 2
338 ACTE PODK ['LMK lA MUTINERIE
que treize, ou moindres que neuf, il faudra
au moins les deux tiers des Aoix.
Excepté dans les cas qui exigent le châti-
ment sur-le-champ , aucune sentence ne peut
être portée qu'entre huit heures du matin
et trois heures après-midi.
Les témoins appelés aux Cours martiales
par Tavocat ou son député , jouissent des
mêmes privilèges que les témoins appelés aux
autres Cours de justice.
Les témoins qui ne se rendent pas à Tappel,
peuvent être poursuivis en justice du banc
du Roi, assises, etc., comme par la justice
civile.
29. Dans les Cours martiales, autres que les
Cours générales , les membres prêteront le
serment suivant sur les saints Evangiles :
.< Je jure la coutume de la guerre
en pareil cas. »
Le président de telle Cour martiale , non
au-dessous du rang de capitaine, sera nommé
par Tofficier commandant le régiment , le
ET LA DÉSERTION. SSg
détachement ou la brigade , ou par le gou-
verneur ou commandant de la garnison , fort ,
château ou caserne, qui aura ordonné la con-
vocation.
3o. En cas de nécessité, les officiers de terre
et de mer pourront être réunis pour composer
une Cour martiale.
3i . Les officiers du service de Sa Majesté , et
ceux de la Compagnie des Indes, peuvent
être réunis pour composer une Cour martiale.
Si c'est pour juger un officier ou un soldat des
troupes de terre de Sa Majesté, on sui vraies rè-
gles indiquées dans le présent acte ; si c'est
pour juger un officier ou un soldat des troupes
de la Compagnie des Indes, on se confor-
mera aux dispositions de Pacte fait dans la
vingt-septième année du règne de Sa Majesté
défunte, le roi George II, intitulé : An act
for punishing mutinf and désertion of officers
and soldiers ïn the service ofthe United Com-
pany ofmerchants of England trading to the
East-lndies ^ and for the punishnient qfoffen-
340 ACTE POUK PIJIMH LA MUTINERIE.
ces committed in the East-Indies , or nt the
island of Saint-Helena.
32. Les personnes jugées par une Cour mar-
tiale générale auront le droit d'exiger copie
de la procédure et du jugement, pas plus tôt
que trois mois après la sentence , qu'elle ait
été approuvée ou non. Le délai est plus long
à Gibraltar et au-delà des mers.
33. Le juge-avocat général, ou son dé-
puté , transmettront avec soin et exacti-
tude les sentences et procédures au juge-avo-
cat général, résidant à Londres, ou, si c'est
pour l'Irlande , à Dublin, afin que les pièces
puissent toujours être produites à ces offices,
pour en fournir des copies , suivant les dispo-
sitions du présent acte.
34- L'enregistrement et la copie des juge-
mens et procédures ne sont pas sujets au
timbre.
35. Sa Majesté est autorisée à former, faire et
établir des articles de guerre , pour le meil-
leur gouvernement des forces de Sa Majesté,
ET LA DÉSERTION. 34 i
lesquels seront judiciairement consultés par
les juges , et dans toutes les Cours de justice.
36. Pour la meilleure notification des articles
de guerre, le secrétaire de la guerre devra
les envoyer, signés de sa main et de son nom ,
aux Cours suprêmes de Westminster , Dublin
et Edimbourg, et aux gouverneurs des colo-
nies, plantations et territoires de Sa Majesté,
au dehors.
3j. Sa Majesté peut assembler et autoriser
d'autres assemblées des Cours martiales
pour juger les délinquans contre lesdits ar-
ticles de guerre dans tous les pays de sa do-
mination.
38. Nul ne peut être, en vertu des articles de
guerre, condamné à mort ou au fouet, dans
le royaume uni ou les îles qui en dépen-
dent , que dans les cas où cette peine est in-
fligeable , d'après les dispositions du présent
acte.
39. Un délinquant au-delà des mers, ren-
voyé dans le royaume uni ou dans les îles dé-
342 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
pendantes, avant d^ivoir été jugé par une
Cour martiale pour son délit, ne peut plus
Pêtre que comme si le délit avait été commis
sur les lieux où le jugement doit avoir lieu.
4o . Pourla discipline et Téconomiepublique,
il doit y avoir des revues au moins deux fois
par an , et toutes les fois qu^il le sera ordonné.
4i- Aucune revue ne peut être passée par un
commissaire, dans la cité de Westminster, dans
le bourg de Southwark et les franchises qui
en dépendent , qu'en présence de deux juges
de paix ou plus, qui ne soient pas officiers de
Tarmée , sous peine de 5o livres d'amende ,
sauf le cas où six juges de paix , prévenus
quarante-huit heures d'avance , auraient né-
gligé de s'y rendre ; et alors le commissaire
pourra procéder à la revue, pourvu que, dans
les quarante-huit heures après , il prête ser-
ment, devant un juge de paix, que la notifi-
cation^ a été faite aux six juges de paix; et
le dernier juge de paix, après avoir reçu le
serment, pourra signer la revue, après avoir,
ET LA DÉSERTION. 3/j^
au préalable, fait la reconnaissance el exa-
miné la vérité.
42. Les feuilles de revues et listes de paie-
mens seront déclarées par serment , et le juge
de paix ou autre magistrat recevra le serment,
et certifiera sans frais.
43. Les personnes qui donneraient ou procu-
reraient de faux certificats pour dispenser les
soldats de paraître à la revue , sous prétexte
quMls sont employés à d*'autres services du ré-
giment, malades ou en congé, seront, poui
chaque délit, condamnés à l'amende de 5o li-
vres, et, en outre, cassés, renvoyés, et décla-
rés incapables de servir dans les armées de Sa
Majesté.
44- Les officiers qui feront de fausses revues
d^hommes ou de chevaux , les commissaires,
maîtres des revues ou autres officiers qui ,
sciemment ou volontairement , signeront le
rôle où pareil acte sera contenu , ou bien le
duplicata; tous ceux qui, directement ou in-
directement , recevront de l'argent . ou des
.^44 ACTE POLR PLMR LA MUTINERIE
présens pour faire ou signer une fausse revue ,
seront cassés, renvoyés, et déclarés incapables
de servir dans les armées de Sa Majesté.
45. Tout officier ou commissaire qui portera
quelqu'un dans la revue sous un faux nom ,
sera passible des mêmes peines que ceux qui
font de fausses revues.
46. Toute personne qui passe une revue sous
un faux nom est passible de dix jours de
prison.
Le cheval que toute personne présente en
faux à la revue lui sera confisqué , si le che-
val lui appartient , et , dans le cas contraire ,
elle sera condamnée à une amende de 20 li-
vres , payable sur la vente de ses effets , et , en
cas d'insuffisance, retenue en prison pendant
trois mois.
Les peines sus-mentionnées seront infligées
par le juge de paix; famende donnée au dé-
nonciateur. Le dénonciateur, s'il appartient à
Tarmée, aura droit à avoir son congé.
47. Les revues passées à dix milles de Londres
ET LA DÉSERTION. 34^
doivent, dans le délai de vingt-quatre heures,
être closes par le député-commissaire , et en-
voyées , par le même, dans le délai de sept
jours , à Poffice du commissaire-général des
revues , qui doit en envoyer une expédition
au secrétaire de la guerre , une au payeur-
général des forces de terre de Sa Majesté , une
aux contrôleurs des comptes de Parmée, et
cela avant le i^"" mai ou le 29 septembre qui
suivront chaque revue bisannuelle : ces
feuilles de revue ne pourront être altérées
dans leur teneur , sauf en cas d'ordres de
congé , ou dates de commission , ou d'erreurs
involontaires en transcrivant , sous peine de
perdre leurs emplois et d'être mis à l'amende
de 9.0 livres.
48. Attendu que, par la pétition des droits
[pétition ofright)^ dans la troisième année du
roi Charles P% il a été déclaré que le peuple
du pays ne peut pas être légalement chargé
de loger les soldats contre sa volonté ; attendu
que , par une clause d'un acte du Parlement
346 ACTE POUR PU NUI LA MUTINERIE
l)rilaniiique, fait dans la trente - uiiième an-
née du règne du roi Charles II , pour accorder
à Sa Majesté une provision de 266,462 livres
17 schellings et 3 pences, pour payer et dé-
bander les forces , il a été déclaré qu^aucun
olKcier civil ou militaire, ou quelque personne
que ce soit, ne pourrait, à Tavenir, placer,
mettre en quartier, ou donner des billets, à un
ou plusieurs soldats, sur un sujet ou habitant
de ce royaume, quels que soient son rang , sa
qualité et sa profession , sans son consente-
ment , et quMl sera légal pour le sujet, logeur
ou habitant, de refuser de recevoir un ou plu-
sieurs soldats , nonobstant toute demande ,
warrant ou billet: mais comme dans ce temps,
et pendant la durée du présent acte , il y a et
aura occasion de faire marcher et loger des re-
gimens et compagnies à pied et à cheval dans
les différentes parties du royaume uni de la
Grande-Bretagne et dMrlande, il est déclare
(|ue 1 pour et durant la durée du présent acte ,
et pas plus long-temps, les constables, dizo-
ET LA DESERTION. 347
niers, chefs de bourgs, et autres magistrats,
ou chefs , officiers des cités , villes et villages
d^ Angleterre , Galles et ville de Berwick sur la
Tweed, et, à leur défaut , les juges de paix, et
non pas d'autres, logeront les olhciers, soldats
et autres recevant la paie dans Farmée, dans
les auberges, maisons où Ton vend à boire et à
manger. Les billets seront faits, par le magis-
trat civil, pour le nombre d'hommes présens.
Si un magistrat logeait dans une maison parti-
culière , contre le gré du propriétaire , celui-ci
aurait recours contre le magistrat , pour le
dommage qui en serait résulté. Si un officier
militaire se permet de loger autrement que de
cette manière , ou s'il menace ou effraie le ma-
gistrat , il sera , sur la déclaration sur serment
de deux témoins croyables, devant deux ou
plusieurs juges de paix , cassé et déclaré inca-
pable de servir dans les armées de Sa Majesté .
pourvu que ladite conviction soit alfirmée aux
prochaines assises de paix du comté, et le cer-
tificat transmis au juge-avocat à Londres, qui
348 ACTE POUR PUNIR LA 3IUT1NER1E
est obligé de le certifier au commandant en
chef. En cas de réclamation des logeurs , le
juge de paix, si la réclamation est contre le
constable ou magistrat , ou deux ou plusieurs
autres juges de paix si c"'est contre un juge
de paix , pourront faire droit.
49. Attendu que , par un acte passé dans la
sixième année de la reine Anne , les militaires
ne doivent être logés , en Irlande , qu^en mar-
che dans le cas de troubles, ou en attendant le
départ dans un port de mer; attendu qu'il n^y
a pas , en Irlande , assez de casernes ni en assez
d'endroits , il existera les mêmes répétitions
que pour la Grande-Bretagne , sauf qu'on ne
mettra jamais moins de deux soldats ensemble
dans la même maison, et que le constable,
chef, officier ou magistrat qui logerait chez un
particulier, contre son gré, des soldats, sera
emprisonné pendant un mois.
50. Les troupes en marche ne peuvent pas
(Hre envoyées par billet à plus d'un mille de
l'endroit indiqué par la feuille de route.
ET LA DÉSERTION. 349
5i. La dislance d'un mille doit être comptée,
quoique ce soit sur une autre paroisse ou
comté , et les magistrats des paroisses adja-
centes prennent part.
52. Deux juges de paix ou deux magistrats
peuvent donner licence pour tenir cantine.
53. Le lord-lieutenant ou tout autre gou-
verneur d'Irlande peut autoriser à signer les
feuilles de route.
h- 54. Aucun juge exécutant un office ne peut
se mêler de loger les soldats.
55. Les ordres pour loger les gardes à pied
dans Westminster et Southwarck et les parties
adjacentes des comtés de Middlesex et Surrey,
sauf la cité de Londres , doivent émaner du
hi^h-constable qui donne ses ordres aux petits
constables , dizeniers , etc.
56. Les constables, dizeniers, tithing-men^
head-horoughs et autres magistrats de West-
minster , etc. , doivent produire à chaque
session de paix , sous serment , la liste des
maisons sujettes à logement dans leur pa-
35o ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
roisse ou hameau , avec la capacité, le nombre
tl^hommes qui peuvent y être logés. Ces listes,
déposées dans les mains du clerc de la jus-
tice de paix, peuvent être consultées sans frais.
Des expéditions en seront délivrées moyennant
2 pences par feuille contenant cent cinquante
mots. A défaut de fournir cette liste, le ma-
gistrat sera mis à Tamende de 5 livres pour
les pauvres.
57. Les hommes et les chevaux au service
et de bagage seront logés, les hommes nourris
et fournis de petite bière, les chevaux nourris
en foin et paille , aux taux fixés par les actes
du Parlement en vigueur.
58. Les personnes qui n'ayant pas d'écuries
reçoivent des cavaliers à loger , pourront in-
diquer à l'autorité les écuries d'autres per-
sonnes chargées de loger, et obtenir d'y trans-
férer les hommes et leurs chevaux ou leurs
chevaux seulement, à la charge, de la part du
réclamant, de transporter au logeur effectif
l'allouance de paiement.
ET LA DÉSERTION. 35 1
59. Les cavaliers doiventêtre logés avec leurs
chevaux. En cas d'impossibilité, il y aura tou-
jours au moins un homme logé avec deux che-
vaux , ou deux hommes avec quatre chevaux.
60. Les chefs militaires peuvent changer de
place les hommes et les chevaux logés , pourvu
que le même nombre reste dans chaque loge-
ment.
61. Tout officier qui recevra ou permettra
qu'on reçoive de l'argent pour dispenser de
loger, sera cassé et déclaré incapable de ser-
vir dans les armées de Sa Majesté.
62. Tout constable ou magistrat qui négligera
ou refusera de loger , étant prévenu à temps
de l'arrivée des troupes; tout constable ou
magistrat qui dispensera un logeur pour de
l'argent; tout cabaretier qui refusera déloger
et de fournir ce qu'il doit par acte du Parle-
ment pour les hommes et pour les chevaux,
seront, parleur propre confession ou surle ser-
ment d'un ou de plusieurs témoins croyables
devant un ou plusieurs juges de paix , con-
352 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
damnés pour chaque offense à une amende de
5 livres au plus et de 4o schellings au moins,
applicables d^abord à dédommager le soldat
qui a souffert de Foffense , et ensuite au sou-
lagement des pauvres de la paroisse.
63. Les juges de paix peuvent ordonner aux
constables et magistrats de remettre un état
de situation des troupes logées et la réparti-
tion du logement dans les auberges , afin de
mieux aviser à réprimer les abus.
64. Il est permis aux jnges de paix, sur la
réquisition de Tofficier ou sous-officier com-
mandant, d^allonger la feuille de route et d'é-
tendre le quartier dans Fintérêt des troupes.
65. Les officiers et soldats doivent payer
les logeurs pour la nourriture et la petite bière
au taux de Pacte du Parlement en vigueur.
66. Dans le cas oij le logeur désirerait four-
nir oratis aux sous - officiers et soldats la
chandelle , le vinaigre , le sel et les usten-
siles de cuisine , il en donnera avis à Tofficier-
commandant , et alors les sous-officiers et sol-
ET LA DÉSERTIOiV. 353
dats pourvoiront à leurs alimens et à la petite
bière, et recevront Fallouance de Tofficier-
commandant.
En marche, les employés au recrutement et
les recrues , dans les sept jours de la levée ,
doivent être nourris exclusivement par les
soins des logeurs.
67. A partir du 24 mars 1817, les officiers-
comptables seront tenus de solder les comptes
des logeurs de quatre en quatre jours ou plus
tôt si la troupe demeure moins de quatre jours,
et, à défaut, il sera donné ordre aux agens du
corps de satisfaire au compte des officiers-
comptables en retard.
68. Les logeurs n'étant pas solde's avant le
départ de la troupe, Tofficier-commandant doit
remettre les comptes arrêtés pour être en-
voyés de suite à Tagent du corps , et le paie-
ment effectué à la dilig^ence de ce dernier et
à la charge de Tofficier-comptable.
69. Les femmes, enfans, domestiques mâles
ou femelles, n'ont pas droit au logement. Ceux
TOME I. 23
354 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
qui contraindraient à loger sans le consente-
ment du propriétaire , seront , s'ils sont offi-
ciers de Farmée , cassés par jugement de Cour
martiale générale ; sMls sont officiers civils , ils
seront condamnés, par la justice de paix la
plusvoisine, à payer vingt schellings à la partie
lésée.
70. Un juge de paix du comté , ville ou lieu
d''Angleterre où est logé un sous-officier ou
soldat , ayant femme ou enfant , peut exiger
le serment de leur établissement légal. Il doit
en délivrer la déclaration pour être produite
ensuite devant qui de droit, sans qu'il soit be-
soin de renouveler le serment.
71. Sur un ordre de Sa Majesté , du général
de ses forces , du maître ou lieutenant-général
de son ordonnance , pour TAngleterre , Tir-
lande et Galles , et du lord-lieutenant ou gou-
verneur pour rirlande, il est enjoint aux juges
de paix de faire fournir, pour le transport des
armes , habillement , équipement , les voi-
tures , chevaux et conducteurs voulus par le
\
ET LA DÉSERTION. 355
règlement , en distribuant la charge entre les
propriétaires , prévenus d'avance , spécifiant
la destination et la route qui ne doit jamais
excéder vingt-quatre milles, à la charge , par
rofficiermuni du warrant du juge de paix, de
payer dans les mains du grand ou petit cons-
table, ou autre magistrat , les sommes légales
au profit des propriétaires mis en réquisition.
L'officier militaire ou autre qui forcerait
les chariots à aller au-delà des distances spé-
cifiées dans Tordre, qui permettrait à des sol-
dats ou domestiques autres que les malades ,
ou à des femmes, de monter sur les voitures,
ou qui , par menace ou autrement, voudrait
contraindre les magistrats à lui faire fournir,
ou les propriétaires à lui fournir pour son
usage, ses domestiques ou ses soldats, des che-
vaux de selle, sera condamné à une amende
de 5 livres, sur la preuve admise par serment
devant deux juges de paix.
72. Les transports serontpayés en Angleterre
et Galles au taux de i schelling par mille ,
356 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
pour les chariots attelés de quatre chevaux et
plus.
Iderrij pour les chariots attele's de six bœuf?
ou de quatre chevaux et deux bœufs.
9 par mille , pour les chariots à roues
basses, et pour les chariots à quatre chevaux,
qui ne portent pas moins de quinze cents.
6 par mille , pour les charrettes ou autres
voitures à moins de quatre chevaux, et por-
tant moins de quinze cents.
Il pourra être ajouté une rétribution limi-
tée parles juges de paix, dans les ressorts du
comté et du district, eu égard au prix du foin
et de Pavoine, et pourvu que copie de la dé-
libération soit envoyée au secrétariat de la
guerre.
73. Là où il nY aura pas de juge de paix, le
conslable , dizenier , head-borough, pourra
pourvoir directement à la fourniture des cha-
riots.
Des listes seront dressées des chariots, che-
vaux de la paroisse , susceptibles d'être requis ;
ET LA DÉSERTION. 35y
le service sera commandé par tous, et les in-
téressés pourront consulter les listes à toute
heure.
74. En Irlande , on paiera par mille un
pence et un sixième de pence, pour chaque
quintal pesant chargé sur la voiture.
75. En cas dWgence, lesecrétaire delà guerre
en Angleterre et le lord-lieutenant ou souve-
rain en Irlande, par ordre de Sa Majesté, peu-
vent autoriser un général, officier supérieur,
le commissaire général qf stores and proi^i-
sions, à requérir les justices de rendre des
warrants pour procurer à louage des chevaux
de selle choisis, des voitures à quatre roues,
et même des bateaux attelés sur les canaux et
rivières navigables. Les officiers seront tenus
à payer ce qu'ils emploient suivant Testima-
tion des justices, basée sur le taux ordinaire,
et, dans ce cas, seront autorisés à transporter
avec femmes, enfans, bagages particuliers, etc.
76. Une voiture ainsi fournie ne peut pas
être tenue à porter plus de trente quintaux.
.358 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
77. En Irlande, le propriétaire peut exiger
qu'on pèse, pourvu qu'il y ait temps pour cela,
sans que le service de Sa Majesté en souffre.
L'officier qui, par lui ou ses domestiques, exi-
gerait une charge plus forte que le règlement ,
paiera l'amende de 20 schellings au profit de
la partie lésée.
78. En Irlande, la voiture n'est pas tenue à
plus de six quin taux . Si le propriétaire consent à
plus, on lui paiera un pence et un sixième par
mille et par quintal au-dessus de six.
79.Lelord-mairedeDublindoitètre prévenu
vingt-quatre heures au moins avant la marche
des troupes , pour fournir les chariots. Il n'a
pas droit d'employer à ce service, sans le con-
sentement des propriétaires, les voitures qui
viennent au marché.
80. Le nombre des chariots à fournir aux
troupes en Irlande sera réglé de temps à autre
par le lord-lieutenant ou gouverneur.
81 . Lesgrands et petits constables qui refuse-
ront ou négligeront de fournir les voitures et
ET LA DÉSERTION. SSq
chevaux, bateaux, etc., voulus par l'arlicle 76,
ou qui demanderont pour Pusage des proprié-
taires plus que le tarif, ainsi que toute per-
sonne qui mettra des obstacles à Texécution ,
seront condamnés par la justice de paix à
une amende de 5 livres au plus , et 4o scbel-
lings au moins, au profit des pauvres.
82. Le constable recevant le prix d'avance,
devra le remettre au propriétaire, avant que la
voiture se mette en marche.
83. Les officiers et soldats, les chevaux et voi-
lures appartenant à Sa Majesté, ou employés
à son service, sont exempts de droits de péage,
à moins d'une exception spéciale, stipulée dans
l'acte particulier par lequel le péage est établi
Les bâtimens employés à transporter les offi-
ciers, soldats, femmes, enfans, bagages, sur les
canaux et rivières navigables , sont sujets au
péage.
84. Attendu que les sommes payées pour in-
demniser les propriétaires de ces transports ex-
traordinaires sont souvent insuffisantes , le tré-
36o ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
sorier du comté pourra remettre au constable ,
pour acquitter ce service, une somme plus
considérable qui sera re'glée par les justices de
paix en session du quartier, eu égard à la sai-
son et aux chemins.
85. Dans le cas où les fonds publics du comté,
après avoir acquit té les dépenses pour lesquelles
ils sont institués, ne pourraient faire face à
celle-là, il y sera pourvu par un impôt que les
juges de paix lèveront, comme ils en lèvent
actuellement pour les dépenses des prisons de
comté et des ponts.
86. Les officiers et soldats seront logés en
Ecosse dans les mêmes lieux et maisons où ils
Tétaient avant FUnion. Les propriétaires ne
devront fournir que ce qu'*ils étaient obligés de
fournir avant PUnion. Aucun officier régulière-
mentbilletté ne paiera pour son logement, ex-
cepté dans les faubourgs d'Edimbourg.
87. Les chariots doivent être fournis en Ecosse
aux troupes en garnison ou en marche, comme
par les lois en force en Ecosse avant FUnion.
ET LA DÉSERTION. 36 1
88. En Ecosse , quand il y a un bac à passer,
Tofficier commandant peut y prendre passage
pour lui et ses hommes, ou le louer tout en-
tier. Dans les deux cas, il paie moitié par tête
ou pour le tout des autres passagers. S^il n^
a pas de bac régulier, il doit contracter avec
un propriétaire de bateau aux mêmes condi-
tions que les autres citoyens.
89. A partir du 24 mars 1817, tout militaire
qui , sans permission écrite du maître du ma-
noir, prendra, tuera, détruira lièvres, lapins,
faisans , perdrix , pigeons , ou autre espèce
d^oiseau, volaille, poisson, ou le gibier de Sa
Majesté dans les trois royaumes , et qui , sur la
plainte, sera convaincu, par déposition d'un
ou plusieurs témoins croyables , devant la jus-
tice de paix , paiera , s.'il est officier, Tamende
de 5 livres, au profit des pauvres ; s'il est sol-
dat , Tofficier-commandant paiera pour lui la
somme de 20 schellings.
Si Tofficier , après conviction signifiée , re-
fuse ou néglige de payer dans le délai de deux
362 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
jours, Usera cassé, et sa commission déclarée
nulle et vacante.
90. Toute personne qui aura reçu Targent
d"'enrôlement d^un officier, sous-officier ou sol-
dat appartenant au recruiting service ^ est con-
sidérée comme soldat, pourvu quVlle ait joui
du bénéfice alloué à ceux qui ont contracté un
engagement à la hâte.
91. Le serment prêté à SaMajesté, en entrant
au service , est obligatoire envers les héritiers
et successeurs.
92. A partir du 24 mars 1817, tout homme
enrôlé qui, dans le délai de quatre jours, mais
pas avant vingt-quatre heures, se sera présenté
avec les hommes employés au recrutement,
devant la justice de paix, ou le magistrat de
ville ou corporation le plus voisin , pourra dé-
clarer qu^il ne veut pas s'enrôler. Alors ren-
dant Targent d'engagement, restituant le prix
alloué par la loi , pour la nourriture et la petite
bière, qu'il a reçu, payant, en outre, vingt
schellings pour les frais, il sera dégagé. Faute
ET LA DÉSERTION. 363
de faire cette déclaration ou cette restitution,
le magistrat lui lira ou fera lire, en sa pré-
sence , le troisième et le quatrième article de
la seconde section, et le premier article de
la sixième section des articles ofwar^ et lui
fera non-seulement prêter le serment de fidé-
lité , mais encore un serment par lequel il dé-
clare qu'il n\^ppartient ni à la milice , ni à \m
autre régiment, ni à la marine, ni aux troupes
de la marine, et qu'il veut servir Sa Majesté,
ses héritiers ou successeurs, toute la vie, ou
bien pendant sept ans dans Finfanterie, dix
ans dans la cavalerie , douze ans dans Fartille-
rie. S'il veut servir dans les troupes de la Com-
pagnie des Indes , c'est l'objet d'une condition
spéciale stipulée dans le serment. Le magistrat
délivre certificat de l'enrôlement.
Si l'enrôlé refusait le serment de fidélité,
permis à l'officier de qui il a reçu l'argent
de le retenir en prison jusqu'à ce qu'il le
prête.
L'officier qui agirait contrairement serait
.^64 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
passible des peines et amendes infligées pour
fausses revues , et de la même manière.
Le sous-officier ou soldat qui fera un re-
crue , prendra par écrit son nom de baptême
et de famille et son pays, et Tenverra au com-
mandant du recridting party . .
Le juge de paix déchargera le recrue qui se
présentera en-temps utile, et remboursera,
même quand il viendrait sans Taccompagne-
ment du recruteur , si le recrue prouve ou que
le détachement est parti, ou qu^il n'a pu déter-
miner personne à Taccompagner.
Si des recrues , après avoir reçu Targent ,
se cachent ou s'absentent , Fofficier ou sous-
officier commandant le recruiting party pro-
duira au magistrat l'attestation du fait, et
le magistrat , après s'en être assuré , la trans-
mettra au secrétaire d'Etat , si c'est en Angle-
terre , ou au secrétaire ou sous-secrétaire d'Ir-
lande , si c'est en Irlande , afin qu'elle puisse
servir ensuite comme preuveenjustice, sionre-
pren d l'homme et qu'on le j uge pour désertion .
ET LA DESERTION. 365
93. Les hommes ayant reçu Targent d'enrôle-
ment d'un recruteur, le connaissant pour tel,
qui se cacheront ou refuseront d'aller de-
vant le magistrat dans le délai légal, seront
considérés comme bien et dûment soldats, et
susceptibles d'être pris et punis comme déser-
teurs.
g4. Les recrues déchargés par les juges de
paix et magistrats, plus tôt que l'expiration des
vingt-quatre heures après leur enrôlement,
avant le 25 mars 1817, ne seront pas considérés
comme déserteurs.
95. Les hommes qui, en s'engageant , ont
caché quelque infirmité qui les rend incapa-
bles du service actif, peuvent être transférés
dans les vétérans, dans les bataillons desar-
més ou invalides , et dans les troupes de la
marine.
96. Les personnes qui diront faux dans la
formule de l'engagement, afin d'obtenir de
l'argent , seront considérées comme coupables
d'extorsion , et punies conformément aux dis-
366 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
positions d'un acte passé dans la trentième
année du règne de George II.
97. Les délinquans aux deux précédens arti-
cles, convaincus par serment devant deux ju-
ges de paix, ou autres magistrats, pourront
être considérés comme coquins et vagabonds, et
traités en conséquence des actes du Parlement
en vigueur, sur les coquins, vagabonds et in-
corrioibles.
98. Le service des enrôlés compte à partir
du premier jour du trimestre de Penrôlement:
25 mars , 25 juin , 25 septembre , 25 dé-
cembre.
La solde, du jour de Fenrôlement.
99. Toute personne s'immisçant dans le re-
crutement de la ligne , de la milice , ou des
troupes de la Compagnie, sans pouvoirs, ou
fournissant des substituts, sera mise à Ta-
mende de 20 livres, sur conviction devant le
magistrat, moitié au profit du dénonciateur,
moitié au profit des pauvres.
100. Tout apprenti qui s'enrôle, et déclare
ET LA DÉSERTION. 36y
au magistrat qu'il nVst pas apprenti, est, sur
conviction, passible de la détention dans une
prison ou maison de correction, et des tra-
vaux forcés pendant deux ans; peut être puni
pour extorquer Faroent , conformément à
Tacte de George II (cité ci -dessus); doit, à
Pexpiration de son apprentissage, servir dans
un régiment de troupes de ligne, et, s'il ne se
présente pas alors, est susceptible d'être pour-
suivi comme déserteur.
101. Les maîtres, en Angleterre, n'ont droit
à réclamer leur apprenti enrôlé , que lorsque ,
n'ayant pas au-dessus de quatorze ans, il s'est
engagé à eux pour sept ans; et en Irlande et
dans l'ile de Jersey, que lorsque n'ayant pas
au-dessus de seize ans, il s'est engagé pour cinq.
Les maîtres réclamant doivent faire décla-
ration dans le mois de l'absence ou de la dis-
parition de l'apprenti, devant le juge de paix
ou magistrat qui en donne acte.
102. En Ecosse, le maitre ne réclame l'ap-
prenti que s'il est engagé envers lui pour au
368 ACTE POUR PUNIR LA. MUTINERIE
moins quatre ans, sMl a au-dessous de vingt-'
un ans au moment de la réclamation , et si la
réclamation est faite dans le mois.
io3. En Ecosse, les maîtres sont autorisés
à réclamer Fapprenti, en produisant Tacte
d''apprentissage , pourvu que cet acte ait déjà
été enregistré en justice , ou quMl le soit dans
les trois mois de la promulgation du présent
acte.
io4. Le maître d^un apprenti enrôlé, re-
nonçant à son droit de réclamation , recevra
pour lui la portion de l'argent d'engagement
que n'a pas encore reçue le recrue, déduction
faite de deux guinées réservées pour fournir
le recrue de ce qui lui est nécessaire.
io5.Les apprentis réclamés par l'intermé-
diaire de la justice, doivent être remis par
rofficier-commandant à la prison commu-
ne, pour être jugés suivant la loi ou rendus
à leurs maîtres.
106. Les juges de paix examineront sur ser-
ment, prendront en garde le contrat d'appren-
ET LA DÉSERTION. 869
tissage pour le soumettre à la session de tri-
mestre , où le fait sera jugé , hormis en Ecosse.
107. L'affaire sera jugée à la session de tri-
mestre du comté, division, franchise, ville, etc.,
où le délit a été commis.
108. En Ecosse, le délinquant sera jugé parle
juge ordinaire de la même manière que Test
toute autre personne pour délit qui n'emporte
pas la peine capitale.
10g. Le geôlier, instruit qu'un prisonnier
confié à sa garde doit servir à l'expiration de sa
peine, doit en donner avis avant le jour au se-
, crétaire d'État , si c'est dans la Grande-Bre-
tagne ; au secrétaire ou sous-secrétaire , si c'est
en Irlande.
110. Pas d'autre qu'un apprenti ne peut être
enlevé du service de Sa Majesté ipar warrant
des magistrats , sous le prétexte d'un engage-
ment avec un maître ou autre employeur.
111. Un domestique qui s'engage avant le
terme de son service particulier, peut réclamer
ses gages pour le temps expiré , et le magistrat
TOMEl. 24
370 ACTE POUR PUNIR I.A MUTINERIE
fera les démarches nécessaires pour lui en
procurer le paiement dans le délai de quatre
jours après la déclaration.
112. Quand un corps quitte une station au-
delà des mers pour revenir dans la Grande-Bre-
tagne ou en Irlande, il est permis aux soldats
de prendre parti dans les régimens ou com-
pagnies qui restent dans la station.
1 1 3. Des personnes autorisées par SaMajesté,
en conséquence d^un warrant du secrétaire de
la guerre, qui ne sont pas officiers-généraux,
ou qui n'ont pas une condition régimentaire ,
peuvent, hors de la Grande-Bretagne et de
rirlande , engager et réengager les soldats, et
remplir là toutes les fonctions attribuées par
le présent acte aux justices de paix dans Fin-
térieur.
114. Le soldat qui a son congé doit, à l'ex-
piration du service, être ramené libre de toute
dépense en Angleterre, en Ecosse ou en Ir-
lande, et recevoir, depuis le débarquement
jusqu'à la paroisse où il s'est enrôlé originai-
ET LA DÉSERTION. 371
lement, Targent de route sur le jiied de dix
milles par jour de marche.
1 15. Un constahle, dizenier, head-borough,
ou un officier ou soldat au service de SaMajesté,
peut arrêter un homme raisonnablement soup-
çonné d'être déserteur, et le conduire devant
le premier juge de paix. Celui-ci, sur déposi-
tion ou par conviction , envoie Thomme en
prison. Le geôlier reçoit sur le warrant du
juge de paix , et dans le transport de Thomme,
chaque geôlier reçoit sur le warrant du pre-
mier juge de paix qui a lancé le premier dé-
cret de prise de corps, ou sur Tordre du se-
crétaire de la guerre ou du secrétaire d'*Ir-
lande.
116. La somme de 20 schel. est accordée, sur
un ordre du juge de paix au collecteur des
revenus , à celui qui arrête un déserteur.
117. Tout homme qui s'avoue déserteur est
susceptible de servir, dans quelque régiment
que ce soit, à la disposition de Sa Majesté.
118. Un officier ne doit jamais forcer une
24*
372 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
maison pour chercher des déserteurs , sans un
warrant du juge de paix. Tout officier qui,
sans un warrant^ forcera une maison ou dé-
pendance, sous prétexte de chercher des dé-
serteurs , sera mis à Tamende de 20 livres.
\ 19. Les commandans de recrutement , offi-
ciers du rang de capitaine et au-dessus , adju-
dansde milices régulières, et, à leur défaut, les
juges de paix sont autorisés à accorder des
prolongations de congé aux sous-officiers et
soldats malades et prouvant la maladie.
1 20. Les sous-officiers et soldats, dans ce cas,
ne peuvent pas être pris ou considérés comme
déserteurs , à moins quMl ne soit prouvé qu'ails
ont fait un faux rapport.
Les officiers et juges de paix sus-mention-
nés ne peuvent pas accorder de prolongation
de plus d'un mois , sans Tapprobation du gé-
néral commandant le district , ou de Fofficier
commandant le corps ou le dépôt auquel le
sous-officier ou le soldat appartient.
121. La subsistance deshommes en congé est
ET LA. DÉSERTION. 373
réglée d'après les ordonnances de Sa Majesté.
1 22. Afinque, par des arrestationsinjustes ou
violentes, Sa Majesté et le public ne soient pas
privés des services des soldats, il est décidé que
les hommes enrôlés volontairement ne pour-
ront être distraits du service de Sa Majesté par
quelque procès ou exécution que ce soit , ex-
cepté en matière criminelle ou pour une dette
réelle de la valeur primitive de 20 livres et
au-dessus.
123. Pour ne pas frustrer les droits des créan-
ciers, il est décidé que ceux-ci pourront pour-
suivre et obtenir tout jugement, excepté ceux
exécutoires contre ou sur les corps des dé-
biteurs.
124- Le soldat arrêté pour dette ne reçoit
pas sa paie.
125. Le soldat prisonnier de guerre nV pas
droit à la paie.
A son retour de prison , sur une enquête
faite devant une Cour martiale et avec preuve
de bonne conduite , il peut recevoir en grati-
3y4 ACTE POUR PU.MR LA MUTINERIE
fication partie ou totalité de sa paie arriérée.
126. Les commissaires rentrant de Tétranger
et rendant leur compte doivent jurer, devant
un juge de paix, si c'est dans les trois royaumes,
ou devant Fautorité militaire , si c^est ailleurs ,
quMls n^ont rien distrait pour eux ou pour
d'autres des sommes et matières confiées à
leur garde.
127. Tout payeur, officier commissionné des
troupes de Sa Majesté' garde-magasin , com-
missaire , député ou assistant commissaire, ou
toute autre personne employée dans le com-
missariat , ou chargée à quelque titre que ce
soit du soin ou de la distribution de Targent ,
vivres, fourrages, provisions, appartenant
aux forces de Sa Majesté ou destinés à leur
masse, qui les aura dissipés ou employés frau-
duleusement, sera justiciable d'aune Cour mar-
tiale générale et passible de la déportation à
vie ou pour un certain nombre d'années , de
Tamende , de Temprisonnement , de la desti-
tution, et d'être déclaré incapable de remplir
ET LA DÉSERTION. 3^5
aucun emploi civil ou militaire au service de
Sa Majesté , suivant la nature et le degré de
Toftense, et en outre il remboursera à ses
propres dépens, et suivant Testimation qui en
sera faite par la Cour martiale , les pertes et
dommages que le public aura éprouvés par
suite de ses dissipations et fraudes.
128. Toutsous-officierconvaincu, devant une
Cour martiale générale ou régimentaire, devoir
détourné à son profit Pargent à lui confié pour
payer les hommes sous ses ordres ou pour le
recrutement , sera remis dans Pëtat de simple
soldat , sa paie retenue jusqu'à paiement des
sommes détournées , et pourra recevoir une
punition corporelle ne s''étendant pas à la vie
et aux membres.
1 29 .Tout payeur-général, payeur deTarmée ,
payeur de la marine, secrétaire de la guerre,
commissaire, maître des revues, payeur d\in
corps ou d'un district , ou tous autres offi-
ciers ou leurs subordonnés, qui se permet-
tront de faire sur la paie des officiers et soldats
376 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
au service de Sa Majesté, ou de leurs agens ,
quelques retenues autres que celles réglées par
les ordonnances de Sa Majesté, ou qui pour-
raient Têtre à Ta venir sous Tautorité d'un acte
du Parlement , ou par des ordres signés de la
propre main de Sa Majesté, seront destitués.
i3o. Le lord grand-trésorier ou les commis-
saires delatrésorerie peuvent, à lafin dechaque
semestre, faire les fonds pour rhabillement de
Tannée ; le payeur-général , immédiatement
après en avoir accusé réception au secrétaire
de la guerre, en opérera le versement dans les
mains de la personne ou des personnes dé-
signées par le colonel ou commandant.
i3i. Tout payeur, agent, secrétaire qui re-
tiendra pendant un mois après Pavoir reçue
la paie de Tofficier ou du soldat ; tout officier
qui ayant reçu cette paie refusera de la re-
mettre aux sous-officiers et soldats, sera pour
ce fait , devant une Cour martiale , destitué et
paiera Tamende de 100 livres au profit du
dénonciateur.
KT LA DÉSERTION. 377
Le dénonciateur soldat aura son congé ab-
solu s'il le désire.
Il est permis néanmoins au secrétaire de la
guerre de retenir la paie des officiers, sous-
officiers et soldats , pendant le temps quMls
sont absens par congé.
i32. Tout agent qui négligera ou refusera
d'exécuter les ordres et régiemens donnes par Sa
Majesté , par le secrétaire de la guerre, par le
gouverneur de l'Irlande en Irlande , par le
lord trésorier ou le commissaire de la trésorerie,
sera mis pour la première oflense à l'amende
de loo livres , et en cas de récidive à la
somme de 200 livres, et destitué de son agence
s'il est encore agent.
i33. Toute personne qui, n'étant pas agent
d'un corps, se sera entremise dans les affaires re-
latives à l'achat, vente ou échange des commis-
sions dans le service de Sa Majesté; tout agent
ou autre qui aura tiré profit de ces affaires
ou qui aura reçu pour son compte ou le compte
d'un autre une somme d'argent au-dessus du
378 ACTE POUR PUMR LA MUTINERIE
tarif réglé par Sa Majesté , sera mis à raniende
de joo livres et paiera en outre le triple des
sommes reçues illégalement.
1 34-Toutpayeur, agent, clerc, qui ne rendra
pas bon et fidèle compte aux exécuteurs tes-
tamentaires et ayant-cause des officiers, sous-
officiers et soldats , dont il a touché la paie,
sera passible des peines encourues par les co-
lonels ou agens qui ne rendent pas bon compte
de la paie des officiers , sous-officiers et sol-
dats , à eux-mêmes.
i35. Les officiers et autres servant dans the
royal artillery , dans les difFerens trains d''ar-
tillerie, dans le département du génie , dans
le corps des ingénieurs-géographes, oj royal
siuveyors and draftmen , dans le corps des sa-
peurs et mineurs , et tous les maîtres canon-
niers et canonniers subordonnés à TOrdon-
nance, sont sujets au présent acte.
i36. Les officiers, sous-officiers et soldats des
troupes qui passent la revue et reçoivent la
paie au service de Sa Majesté, à quelque titre
ET LA DÉSERTION. 379
que ce soit, sont sujets à la loi martiale et
soumis au présent acte.
iSj. Les autres sous-officiersetpayeurs, em-
ployés au recrutement et recevant une paie
pour le service, sont sujets à la loi martiale et
soumis au présent acte.
i38. Les nègres achetés par ou au compte de
Sa Majesté et servant dans Parmee, sont libres
de la même manière que s^ils étaient nés dans
les pays soumis à la domination de Sa Ma-
jesté et considérés comme soldats enrôlés vo-
lontairement.
iSg. Les dispositions du règlement, relatives
au service limité et aux pensions de retraite,
ne sont pas applicables aux nègres dont parle
Tarlicle précédent.
i4o. Les dispositions du présent acte, relati-
vement au logement des troupes, sont appli-
cables aux officiers , sous-officiers et soldats
prisonniers de guerre.
i4i • Le présent acte n^est applicable ni à la
milice , ni aux corps de reoinanry ou de vo-
38o ACTE POUR PUNIR LA MUTINERiiî
lontaires dans la Grande-Bretagne, Tlrlande ,
Jersey, Guernesey et les îles qui en dépendent ,
excepté les cas spéciaux déterminés par un
acte du Parlement pour un corps de feomanrj- ^
ou volontaires mis en service, et les recrues
de la milice, ainsi qu'il sera dit ci-après.
142. Tout régiment ou corps de milice ou de
fencibles, dès quMls sera enrégimenté et mis en
service actif, sera passé en revue par des com-
missaires, et soumis aux dispositions du pré-
sent acte.
143. Le présent acte est étendu aux îles de
Jersey, Guernesey, Alderney, Dark, Man et
autres adjacentes, en ce qui concerne la juri-
diction des Cours martiales , et les clauses re-
latives aux déserteurs.
i44- Toutepersonnequiprêteraunfaux ser-
ment, dans le cas où le serment est exigé par
le présent acte , sera réputée bassement et mé-
chamment parjure, et, après conviction, punie
comme telle.
145. En Angleterre et en Irlande, les per-
ET LA DÉSERTION. 38 1
sonnes poursuivies en conséquence du présent
acte , peuvent se présenter au jury, pour offrir
les preuves matérielles de leur non-culpabi-
lité. Si elles sont admises par un verdict, les
plaignans ont droit au remboursement du tri-
ple de la valeur des pertes éprouvées vexa-
toirement dans la poursuite.
i46. En Angleterre et en Ecosse, toute ré-
clamation contre une ou plusieurs personnes,
pour actions résultantes du présent acte, ou
contre un membre ou un ministre de Cour
martiale , agissant en conséquence du présent
acte , doit être portée devant la Cour de res-
sort de Westminster ou de Dublin.
1 47- Toute réclamation du genre de Particle
précédent doit être portée devant la Cour de
session, et, si le défendant est absous, il aura
droit au remboursement du triple , etc.
148. Toute personne convaincue d''avoir ca-
ché sciemment un déserteur sera, sur conviction
devant un juge de paix, mise à Tamende de 20
livres, moitié pour le dénonciateur, moitié
382 ACTE POUR PUNIR LA MUTINERIE
pour rÉtat, et, en cas de non paiement, six
mois de prison.
Toute personne qui aura sciemment acheté,
ou échangé, ou reçu d''un soldat déserteur ou
autre, des armes, habits, effets d"'équipement,
ou du pain, de la viande, de la bière , de Ta-
voine , du foin , de la paille , ou d'autres four-
nitures appartenant au Roi et employées pour
le bien-être du soldat, ou qui aura changé la
couleur des vêtemens, sera, sur une convic-
tion devant un juge de paix, mise .àFamende
de 5 livres, moitié pour le dénonciateur, moi-
tié pour rÉtat; et, en cas de non - paiement ,
trois mois de prison.
149. Les personnes qui engageront les sol-
dats à déserter, seront , sur conviction , mises à
Pamende de 100 liv. envers Sa Majesté. En cas
de non-paiement , et si la Cour devant laquelle
la conviction a lieu juge la peine insuffisante ,
elle prononcera un emprisonnement qui ne
pourra pas excéder un an , et Pexposition au pi-
lori pendant uneheuresuruneplace de marché.
ET LA DÉSERTION. 383
i5o. L'action contre les peines encourues en
conséquence de Tarticle précédent sera pour-
suivie et recourable, pourPAngieterre, devant
la Cour de recours de Westminster, pour FÉ-
cosse, devant la cour de l'Echiquier d'Ecosse ;
pour rirlande , devant la Cour de recours
d'Irlande; pour les autres pays de la domina-
tion de Sa Majesté , devant les Cours royales
de recours du lieu où l'offense a été commise.
i5i.L'actionenpoursuile, dans l'Ile deMan,
pourra avoir lieu indifféremment devant les
Cours de recours de cette ile, ou devant une
des Cours de recours de Sa Majesté à West-
minster.
i52. Aucune action ne pourra être pour-
suivie en raison du présent acte, si elle n'a été
commencée dans le délai de six mois après
que l'offense a été commise.
i53. Les actions instruites, les procédures
commencées, les jugemens rendus en consé-
quence du dernier matiny Mil et articles of
luaVf doivent recevoir continuation et accom-
.584 ACTE POUR PUMR LA MUTINERIE
plissement , comme si tout avait été fait sous
Tautorité du présent acte.
154. Nul ne sera jugé pour offense contre le
matiny bill elles articles ofwar^ commise trois
ans avant Tordre de le mettre en jugement, à
moins que le délinquant ne se soit soustrait à
l'action de la justice.
i55. La formule de conviction, en consé-
quence du présent acte, sera la suivante :
Comté de savoir faisons que le
jour de Tannée de notre Seigneur à dans
le comté susdit... A... s'est présenté devant
moi, un des juges de paix de Sa Majesté dans
ledit comté , et m'a informé sur serment que
G H de le jour de
a dans le
i56. Le présent acle aura force dans la
Grande-Bretagne, depuis le 24 mars 1817 jus-
qu'au 25 juin 1817; en Irlande, Jersey, Guer-
nesey, etc., depuis le 3o mars 1817 jusqu'au
1" juillet 1817; Gibraltar, Espagne et Portu-
gal, du 24 mai 1817 au 25 août; dans le reste
ET LA DÉSERTION. 385
de TEurope, aux Indes occidentales, dans
rAmérique septentrionale et au cap de Bonne-
Espérance, du 24 juillet 1817 au 25 octo-
bre 1817; et, partout ailleurs, du 24 novem-
bre i8i8 au 25 février 1819.
157. Le présent acte peut être changé et
modifié par un ou plusieurs actes passés dans
la présente session du Parlement.
TOME f. 2J
AU NOM ET DE L'AUTORITÉ DE SA MAJESTÉ.
REGLEMENS ET ARTICLES
POUR.
LE MEILLEUR GOUVERNEMENT DES FORCES
DE SA MAJESTÉ.
( DU 24 MARS 1817. )
SECTION PREMIERE.
Devoirs religieux.
1. Tous les officiers et soldats, à moins
d''einpêchement légitime, devront assister au
service divin; ceux qui s'y comporteront in-
décemment ouirrévérencieusement, seront: les
officiers conduits devant une Cour martiale ,
pour être réprimandés sévèrement et publi-
quement par le président ; les sous-officiers
25'
^^^ «KGLEMENS
et soldats mis pour la première fois l\ Ta-
mende de 12 pences, et , en cas de récidive,
mis en outre aux fers pendant douze heures.
L^miende est déduite de la paie, et appli-
quée aux malades de la compagnie.
2. Les juremens et blasphèmes seront punis
comme il est dit article premier.
3. Tout officier, sous-officier et soldat qui se
permettra de parler contre un article connu
de la foi chrétienne, sera remis au magistrat
civil , pour être procédé contre lui en confor- ,
mité de la loi.
4- Tout officier, sous -officier et soldat qui
profanera un lieu consacré au service divin ,
ou usera de violence envers un chapelain ,
sera puni ainsi que le décidera une Cour mar-
tiale générale.
5. Tout chapelain commissionné qui man-
quera à son service , sans congé ou cause de
maladie , sera traduit à une Cour martiale.
6. Tout chapelain coupable de s'enivrer ou de
mauvaise conduite contraire au caractère sacré
ET ARTICLES, ETC. 389
dont il est revêtu, sera , sur due preuve de-
vant une Cour martiale , destitué.
SECTION IT.
Murmures.
1. Tout officier, sous-officier et soldat qui
usera de paroles traîtresses ou irrévérentes en-
vers notre personne royale ou les princes de
notre famille, sera, si c^est un officier, sur con-
viction devant une Cour martiale oéné-
o
raie , cassé ; si c^est un sous-officier ou soldat ,
condamné à telle punition que déterminera
une Cour martiale générale ou régiment aire.
2. Tout officier , sous-officier ou soldat qui
parlera avec haine et mépris contre le général
ou commandant en chef de nos forces , sera
traduit devant une Cour martiale générale.
3. Tout officier, sous-officier et soldat, fau-
teur, instigateur ou complice de mutinerie
ou sédition , sera puni de mort ou de toute au-
tre peine , par une Cour martiale générale.
390 réglemens
4. Tout officier, sous-officier et soldat, qui,
présent à une mutinerie , n'emploiera pas tous
ses efforts pour la faire cesser, ou qui en étant
instruit n'en informera pas Tofficier comman-
dant , sera puni de mort ou de toute autre
peine, par une Cour martiale générale.
5. Tout officier , sous-officier ou soldat qui
frappera son chef, tirera Fépée contre lui, ou
le menacera dans Texercice de ses fonctions ,
et qui refusera d'obéir à ses ordres légaux,
sera puni de mort ou de toute autre peine par
une Cour martiale générale.
SECTION III.
Enrôlement et sortie du service des soldats.
1. On lira à tous les soldats au moment de
leur enrôlement, ou dans le délai de quatre
jours, les II<^ et VI« sections des présens arti-
cles relatives à la mutinerie.
Le nouvel enrôlé se présentera dans les
quatre jours de Fenrolement , mais après
ET ARTICLES, ETC. 3g t
vingt-quatre heures , accompagné d^m offi-
cier , sous-officier ou soldat du recrutement,
devant le juge ou le magistrat , et là il prê-
tera le serment de fidélité.
Le juge ou magistrat délivrera au recruteur
un certificat comme quoi le serment a été
prêté, et les deux sections seront lues àTenrôlé.
2. Les sous-officiers et soldats duement enrô-
lés, ne peuvent sortir du service [discharged)
que suivant les réglemens en vigueur.
SECTION IV.
Revues et congés.
1. Nos régimens de garde du corps, gardes
à cheval et gardes à pied , seront passés en re-
vue au moins deux fois Tan.
Les revues des troupes à notre service, autres
que celles mentionnées dans Tarticle précé-
dent, seront passées en revue toutes les fois et
de telles manières quMl nous plaira de Tor-
302 réglemens
donner par nos réglemens relatifs à l'adminis-
tration de nos forces.
2. Tout officier convaincu devant une Cour
martiale générale d^avoir signé de faux cer-
tificats d'absence , sera cassé.
Tout officier convaincu devant une Cour
martiale générale d'avoir signé de faux certi-
ficats, rapports, feuilles de décompte en blanc,,
pourra être cassé.
3. Tout officier qui fera sciemment de fausses
revues d'hommes ou de chevaux; tout officier,^
commissaire , maître de revues, qui signera
sciemment le relevé de fausses revues , sera y
sur preuve administrée par deux témoins de-
vant une Cour martiale générale, cassé et
passible en outre des peines indiquées par le
mutiny MIL
4- Tout commissaire , maître de revues , con-
vaincu , devant une Cour martiale générale ,.
d'avoir reçu de l'argent , en passant la revue
d'un corps ou en arrêtant des contrôles, sera
ET ARTICLES, ETC. SqS
destitué et passible en outre des peines indi-
quées dans le mutiny hill.
5. Tout officier supérieur ou autre comman-
dant un régiment ou une compagnie de'ta-
chée , et présent au corps , peut donner des
congés aux sous-officiers et soldats, pourvu
que la durée du congé n*'excède pas vingtjours
en six mois, et qu''il n^ ait jamais plus de deux
hommes absens à la fois de la compagnie.
SECTION V.
Rapports.
1. Tout officier qui présentera un faux état
de situation à nous, au commandant en chef
de nos forces ou à son chef autorisé pour le
recevoir, après conviction devant une Cour
martiale générale, sera cassé.
2. Tout officier-commandant qui négligera
ou omettra à dessein d'envoyer, le 25 de cha-
que mois, au commandant de nos forces et à
notre secrétaire de la guerre, Tétat de situa-
394 RKGLEMENS
tion exact des troupes de son commande-
ment, sera traduit devant une Cour martiale
générale.
3. Les états de situation seront envoyés de
la même manière pour les troupes stationnées
en Ecosse et en Irlande, aux commandans de
nos forces dans ces deux royaumes.
4* Les états de situation de notre garnison de
Gibraltar et des troupes stationnées dans nos
possessions éloignées , seront envoyés par les
occasions convenables.
SECTION VI.
Désertion.
1. La désertion sera punie de mort ou d'une
autre peine infamante par une Cour mar-
tiale générale.
S'être enrôlé dans un autre régiment ne
dispense pas de la peine.
2. Tout officier qui conservera sciemment
ET ARTICLES, ETC. IgS
dans son régiment un déserteur d'un autre
corps, sera cassé.
3. Les déserteurs enrôlés dans un autre ré-
giment, et désertant uue seconde fois, seront
punis pour le premier délit, sauf à admettre
en justice Tévidence de la seconde désertion
comme aggravant la première.
4. Tout officier ou soldat s'absentant sans
permission , sera à la discrétion d'une Cour
martiale générale ou régimentaire.
5. Tout officier, sous-officier ou soldat insti-
gateur de désertion , sera à la discrétion d'une
Cour martiale générale.
SECTION VII.
Querelles et défis.
1. Aucun officier, sous-officier ou soldat ne
doit en provoquer un autre de parole ou de
geste, sous peine, si c'est un officier, d'être
mis aux arrêts; si ce sont des sous-officiers ou
^g^ réglemens
soldats , d^être emprisonnés et de demander
pardon à Toffensé , en présence de Tofficier-
commandant.
2. Aucun officier, sous-officier ou soldat n^en-
verra un défi ou ne combattra en duel, sous
peine, si cVst un officier, d^être cassé; si ce
sont des sous-officiers ou soldats, de souffrir
le châtiment corporel ou Temprisonnement , à
la discre'tion d^une Cour martiale.
3. Tout officier ou sous-officier qui souffrira
sciemment qu'un duel ait lieu, et aussi les se-
conds, promoteurs et procureurs, seront punis
comme auteurs du défi et principaux.
4. Tout officier, quel que soit son grade, a le
droit d"'arrêter toute querelle, rixe ou désor-
dre à sa connaissance, même quand les hom-
mes n'appartiennent pas à son corps. Il faut,
mettre les officiers aux arrêts, et les sous-offi-
ciers et soldats en prison, jusqu'à ce que leurs
propres officiers aient pris connaissance de
l'affaire. Quiconque refusera d'obéir à cet offi-
cier, tïil-il infi^rieur en grade, ou tirera l'épée
ET ARTICLES, ETC. 397
contrelui, sera à la discrétion d\i ne Cour mar-
tiale générale.
5. Tout officier, sous-officier ou soldat qui
fera des reproches à un autre pour avoir re-
fusé un défi, sera punissable comme défieur.
Nous acquittons et déchargeons tout offi-
cier et soldat de la déconsidération ou du
blâme qui pourrait tomber sur lui pour avoir
refusé d'accepter un défi, vu qu'il n'a fait
qu'obéir à nos ordres , et remplir son devoir
en bon soldat soumis à la discipline.
SECTION VITI.
vivandiers.
1 . Il est défendu aux vivandiers de vendre à
boire ou à manger, ou de tenir leurs boutiques
ouvertes pour l'usage des soldats , après neuf
heures du soir, avant la batterie du réveil, ou
les dimanches, pendant le service divin, sous
peine d'être privés de patente.
398 réglemens
2. Tout officier, sous-officier, soldat et vivan-
dier aura pleine liberté de faire entrer dans
nos forts et garnisons toute denrée à boire ou
à manger, excepté là où un marché a été fait
pour la fourniture exclusive de cette denrée ,
et, dans ce cas, pour cette denrée seulement.
3. Les gouverneurs et commandans des forts,
garnisons et casernes , veilleront à ce que les
vivandiers fournissent les soldats de denrées
en bonne qualité et au prix du marché.
4. Les gouverneurs etcommandans des forts,
garnisons et casernes , ne pourront exiger un
prix exorbitant des maisons ou écuries aban-
données aux vivandiers , ni mettre d'impôt
sur leurs marchandises, ni sMntéresser dans
leur commerce, sous peine d'être , sur convic-
tion devant une Cour martiale générale, cassés,
et pire , s'il y a lieu.
5. Les gouverneurs,etc.,qui seraient de con-
nivence avec des officiers ou d'autres gouver-
neurs pour faire vendre aux soldats les den-
rées, liqueurs et marchandises nécessaires à
ET ARTICLES, ETC. Sgg
la vie , à un prix exorbitant, seront cassés, et
pire, sMl y a lieu.
SECTION IX.
Quartiers.
1 . Un officier ou sous-officier ne demandera
pas de logement pour plus que son effectif.
Ne logeront femmes, enfans, ni domesti-
ques mâles ou femelles , dans les maisons as-
signées pour le logement des officiers ou sol-
dats , sans le consentement du propriétaire ,
Ne prendront pas d'argent pour libérer du
logement les propriétaires , sous peine : Toffi-
cier, d'être cassé; le sous-officier, d'être dé-
gradé, et de souffrir telle punition corporelle
ou emprisonnement , qui sera décidé par sen-
tence de Cour martiale générale ou régimen-
taire.
2. Tout officier-commandant aura soin que les
quartiers de son régiment soient nettoyés tous
les quatre jours , ou avant que sa troupe ne
4^0 RKGLËMKNS
les quitte, si elle reste moins, sous peine d'être
a la discrétion d'une Cour martiale générale.
3. Le commandant d\me troupe arrivant dans
une ville, bourg ou village, fera proclamer que
les dettes faites par les sous-officiers , soldats ,
au-dessus de ce qui leur revient pour leur sub-
sistance journalière , ne seront pas payées. Le
commandant qui négligerait de faire cette pu-
blication , sera suspendu pendant trois mois,
et sa paie , pendant ce temps, sera employée
à payer les dettes contractées parles sous-of-
ficiers et soldats.
4. Si, malgré la publication, les babitans
prêtent aux sous-officiers et soldats, ce sera
à leurs risques et périls.
5. Le devoir des oificiers-commandans en
quartier ou en marcbe, est de maintenir le
bon ordre , de redresser les abus , et de répri-
mer les désordres commis par leurs subor-
donnés.
Si , sur la plainte contre des officiers , sous-
officiers et soldats battant ou maltraitant leurs
ET ARTICLES, ETC. 4o •■
hôtes , en extorquant d'eux plus qu'ils ne
doivent donner par la loi , ou troublant les
festins et marchés, ou querellant et inquiétant
tout le peuple, rotlicier-com mandant refuse
ou omet de rendre justice, et de dédommager
les parties lésées jusqu'à concurrence de la
moitié de la solde de ToHenseiir , Tofficier-
commandant est susceptible, sur conviction
acquise devant une Cour martiale générale,
d'être réputé coupable au même degré que s'il
avait commis le crime ou le désordre , et sera
punissable à la discrétion de la Cour martiale.
SECTION X.
Charrois.
1. L'officier-commandant s'adressera au ma-
gistrat pour les voitures ; il aura soin de ne
battre ni maltraiter, et de ne pas souffrir qu'on
batte ou maltraite les conducteurs, ni qu'on
charge les voitures au-dessus de la fixation ,
ni qu'on y fasse monter des femmes ou des
TOME [. 26
4o^ RÉGLEMENS
soldais, excepté les malades. Tout officier qui
manquera à ce devoir, ou qui, en cas que Tar-
gent manque, refusera de donner le certificat
des sommes dues pour le louage des voitures ,
sera cassé ou pire, par une Cour martiale gé-
nérale.
SECTION XI.
Dos crimes punissables par la loi.
1. Quand un officier, sous-officier ou soldat
est accusé d"'un crime capital ou de violence
contre les personnes ou les possessions de nos
sujets,punissablespar la loi commune du pays,
les officiers doivent , à la première plainte ,
faire remettre le coupable au magistrat civil.
En cas de négligence ou refus de le faire, cassé
par Cour martiale.
Un officier ne doit pas protéger un débiteur
contre ses créanciers , sous le prétexte qu^il est
soldat; s'il le fait, cassé.
♦ ^
ET ARTICIES, ETC. 4^3
SECTION XII.
Du redressement des torts {ivrong).
Si un officier a à se plaindre de son colonel
ou commandant , et n'obtient pas justice , il
sVn plaindra au général commandant en chef,
qui sera tenu d'examiner la plainte, et de nous
en faire rapport, par lui ou notre secrétaire
de la guerre, afin de recevoir nos ordres ul-
térieurs.
FIN DU ÏO]ME PREMIER.
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