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Full text of "Histoire de l'Algérie française : précédée d'une introduction sur les dominations carthaginoise, romaine, arabe et turque : suivie d'un précis historique sur l'empire du Maroc"

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HISTOIRE 



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L'ALGÉRIE FRANÇAISE. 



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HISTOIRE 



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L'ALGÉRIE FRANÇAISE, 



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d'ume iivtroduction sur les dominations CARTUâGLNOISE > 

ROMAINE , ARABE ET TURQUE , 

PRÉCIS HISTORIQUE SDR L'EIPIRI DU lAROC, 

PAR 

WKÊL MXWNAJnEM BTCIiAUSEL, 

ILLUSTRÉE PAR HU. T. QUÉRIH ET RiïQS. 



-4 TOIE PRIlilR. 




PARIS 
CHEZ H. MOREL, ÉDITEUR, 

24 , RUE DU PONT-LOUIS-PHIUPPE. 



1846 



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HISTOIRE 

DE L'ALGÉRIE 

FRANÇAISE. 



INTBODUCnON^ 



Considérations générales sur la région de 1* Atlas et sa population primitire. -« 
Climat, température, vents, cours d'eau de l'Algérie. — Sol de l'Algérie s 
ses productions; ce qu'elles ont été : ce qu'elles pourraient être.— Période 
carthaginoise. — Période romaine. — Période vandale. — Période greco- 
bizanline. — Période arabe et berbère. — Période turqqe. — Populations de 
l'Algérie : leurs mœurs. — Berbères et Kabyles. — Maures. — Arabes el 
Bédouins. — Turcs. — Koulouglis. —Juifs. — Nègres. — Biskris.— Mota* 
bytes, etc. — Organisation civile et politique de la régence sous la domina- 
tion turque.. 



Depuis l^gypte à Test jusqu'au détroit de Gibraltar à 
Touest, le long de la mer Méditerranée au nord, et un peu 
sur rOcéan au sud-ouest, est un vaste plateau dont la croupe 
immense s'élève, s'abaisse, s'élargit, se rétrécit, étendant 
capricieusement ses ramifications sur une longueur de cinq 
à six cents lieues. C'est la région Atlantique. Elle a pris son 
nom d'une vaste chaîne de montagnes, l'Atlas, que l'antiquité 
avait personnifié en un héros portant le ciel, géant d'un 

T. I. ^ 



s ALGÉRIE. 

autre âge dont un manteau de neige couTraît les épaules; 
sa tète, en tout temps battue par la tempête, était ceinte de 
nuages : ses membres s'étendaient au loin en chaînes de 
montagnes : de sa barbe s'échappaient, en mugissant, des tor- 
rents impétueux : ses flancs étaient un sanctuaire impéné- 
trable ; tout 7 était horreur, désordre, mystère f là, selon la 
tradition populaire, finissait le monde. 

La région de l'Atlas, entre la Méditerranée, l'Atlantique, 
le Saahra, le désert de Barca et la grande échancrure des 
Syrthes, présente l'aspect d'une île gigantesque de forme 
alongée. Aussi, les géographes de l'Orient lui ont-ils donné le 
nom de Magreb (île occidentale). Vue de profil, sa chaîne, 
dont le haut Atlas est le point culminant, ressemble à une 
immense colonne isolée dont le faite soutient le ciel. Cette 
configuration lui a valu, dans l'ancien monde, sa personnifi- 
cation mythologique. 

Tout ce qui se rapporte aux peuples primitifs de l'Afrique 
occidentale est confusion ou fables. Les chronologistes et les 
géographes anciens n'ont pas plus voulu que les modernes ^ 
rester en demeure. Plutôt que d'avoucrqu'ils ignoraient quelque 
chose, ils ont recouru aux hypothèses et aux contes fabuleux. 
Si, parmi eux, Homère, Strabon, Hérodote, nous ont transmis 
parfois des documents que le temps s'est chargé de justifier; 
Pomponius Mêla, PUne et beaucoup d'autres, ont donné leurs 
rêveries pour d'incontestables vérités. Les peuples prétendus 
primitifs dont ils se sont donné la peine de nous transmettre 
les noms, ne sont que des monstres physiques ou moraux ; 
ainsi, par exemple : les Atlantes qui commençaient et ter- 
minaient leurs journées par blasphémer contre le soleil ; les 
TrogloditeSy qui sifflaient au Ucu de parler et ne se nour- 
rissaient que de serpents ; les Lotopliages^ dont les fruits du 
Lotus étaient la seule nourriture et la seule boisson; les 
PsylleSy les NasamonSj les Garamantes, 'où existait la com- 
munauté des femmes, et où un père n'adoptait pour son fib 
que celui qui lui ressemblait ; les OEgypans, moitié hommei 
et moitié bêtes; les Blemmyers^ hommes sans tête et portant 
^cur visage sur la poitrine; les Uijmantopodes, qui ne mar- 



ALGÉRIE. 3 

chaîent qu'à la façon des reptiles, en rampant; lei ÀugiteSf 
qui avaient renversé toutes les lois de la pudeur ; les Jambu* 
Uens, géants dont la charpente osseuse du corps se pliait^ 
se redressait à volonté, et qui, par un bizarre mécanisme de 
leur langue fendue dans sa longueur et double jusqu'à la ra- 
cine, pouvaient parler à la fois à deux personnes différentes, de 
matières diverses sans les confondre. 

De telles fabuleuses allégations ne peuvent fournir aucune 
indication utile ; et si nous les avons mentionnées, ce n'a été 
que pour prouver que là où manquent des éléments certains 
de chronologie, un aveu d'ignorance est préférable à un 
pompeux et facile étalage d'érudition qui ne sert qu'à pro- 
pager des erreurs, et souvent à en créer d'autres. 

Nous avouerons donc en toute humilité que nous ignorons 
complètement quelles ont été les populations primitives de 
la région de l'Atlas. Quant à la configuration physique de 
cette contrée, des documents incontestables laissent peu de 
choses à désirer. Près des golfes des deux Syrthes, l'Atlas 
s'élève graduellement en vastes plateaux superposés jusqu'à 
Tunis. Au versant opposé de cette arête culminante, il se 
déprime en chaînons montagneux dont la base au nord et au 
sud finit par se confondre avec le niveau de l'immense plaine 
du grand désert de Saahra. A l'ouest, du côté de Maroc, son 
inclinaison est plus rapide et il se perd dans l'Océan atlanti- 
que sans que, cependant, ses dépressions cessent d'être 
abruptes et escarpées. A l'est, il penche vers l'Europe le plus 
beau de ses plateaux et lui présente ses plus grandes et ses 
plus belles plaines comme pour appeler sa culture. C'est là 
qu'est Alger. Sur le versant de ces longues et étroites chaînes 
de montagnes, se dessinent de riches vallées, de gras pâtu- 
rages : dans des ravins profonds, bordés de hautes berges, 
coulent des torrents et quelques rivières trop faibles, non 
seulement pour s'ouvrir de vastes embouchures, mais encore 
pour échapper au dessèchement périodique de leurs eaux. 
Ses cônes les plus élevés au Nord-ouest sont couverts de nei- 
ges éternelles. Ses derniers mamelons sur l'Océan atlantique 
et la Méditerranée sont de nombreux promontoires sans sail- 



4 ALGÉRIE. 

lies considérables, découpés peu largement par de petites 
baies, et semant de rochers et d'écueils un rivage tr^ pé- 
rilleux. 

La région atlantique comprend toutes les chaînes qui, de- 
puis le cap Bojador jusqu'au désert de Barcah, s'étendent 
parallèlement ou perpendiculairement à TOcéan et à la Mé- 
diterranée ou les bordent. Ce sont les montagnes noires, les 
mont Gharian et les divers rameaux, et ses montft Auress, qui 
forment la troisième chaîne de l'Atlas. Dans le Maroc, l'Atlas 
atteint sa plus grande hauteur : il se divise en deux branches 
principales, le grand et le petit Atlas : la première sépare] 
l'Algérie du Saahra ; la seconde s'étend parallèlement à la 
côte qu'il suit dans sa longueur ; de l'une et de l'autre, se 
détachent des ramifications nombreuses dont les grandes li- 
gnes du Shaara ou de la Méditerranée sont 1^ points abou- 
tissants. 

Comme c'est de cette seule partie de la région atlantique 
que nous avons à nous occuper, nous entrerons dans quelques 
détails sur son cUmat, son sol, sa température, les rivières et 
les cours d'eau qui la sillonnent, les richesses naturelles qui 
la caractérisent et les productions dont elle est susceptible. 
NcN» suivrons ensuite la trace des divers peuples qui ont suc- 
cessivement occupé ce pays, et dont les annales authentiques 
pourront nous offrir, ou des rapprochements curieux ou des 
enseignements utiles. En dégageant ainsi, dès le début, le 
récit principal de toutesles descriptions de détail qui, en scin- 
dant les faits, auraient pu en altérer l'intérêt, nous pourrons 
embrasser avec plus d'ensemble, les péripéties diverses et les 
intéressants développements d'une conquête qui intéresse à 
à un si haut point l'avenir de la France. 

CLIMAT9TEHPÉBATIJRE9 TENTS, COURS D'EAU DE I^ALGÉRIE. 

Située assez loin du tropique, entre le 36* et le 37* degré 
de latitude nord, l'Algérie est dans une des chaudes moitiés 
de la zone tempérée. Les plus grandes chaleurs sont du mois 



ALGÉRIE. S 

de juin au mois de septembre. Le thermomètre s*y main- 
tient de 19 à 25 degrés centigrades, les fortes chaleurs Ta-* 
rient de 26 à 32. En hiver, la moyenne est de 14 à 15 de- 
grés. La configuration de certaines provinces, leur situation, 
occasionne par fois, dans cette température, des différences 
très sensibles. Ainsi, par exemple, dans la province d'Oran, 
elle est plus «chaude, dans celle de Gonstantine, plus froide; 
mais ce qui <!ïuractérise essentiellement TAlgérie, c'est qu'on a 
peu à souffirir de ces brusques transitions de temps, de ces 
accidents atmosphériques causes de tant de dangereuses per-' 
turbations dans d'autres pays. Le ciel y est admivablement 
pur, et la moyenne du beau temps est de 250 jours par 
an. 

L'air y est généralement sain. Des causes locales, entre 
autres la stagnation des eaux dans quelques contrées, contri- 
buent parfois à l'altérer; mais des travaux de dessèchement 
peuvent aisément partout atténuer ou même annuller la ma- 
Ugnité de leur influence. Ainsi par exemple, dans la plaine 
basse et sablonneuse de Bone, par l'amoncèlement graduel des 
sables dans le lit de la Boudjîma, l'eau manque de pente et 
s'étend dans la plaine. Les eaux pluviales s'y ajoutent et for- 
ment des marécages d'où se dégagent des miasmes délétères 
qui occasionnent des fièvres. Des canaux y existaient autrefois 
pour donner aux eaux de l'écoulement: l'insouciance et 
l'apathie turques les ont laissé combler, comme le lit de la 
Boudjima, par les sables et les détritus des rochers et de plan- 
tes végétales. La salubrité de Bone était cependant jadis pro- 
verbiale : c'était même un lieu de prédilection où de l'inté- 
rieur de l'Afrique on venait chercher la santé. 

Les maladies endémiques n'existent pas en général en 
Algérie : le typhus, la fièvre jaune y sont inconnus; les qua- 
lités hygiéniques de l'aùr sont incontestables; les maladies dé- 
passent rarement vingt-cinq jours de traitement. La dyssenterie 
y cause quelques ravages parmi nos soldats, mais elle est due 
à l'abus des liqueurs fortes, des fruits froids dont le pays abonde 
et au défaut de précaution contre la transition habituelle des 
joum^ chaudes et sèches, à des nuits fraîches et humides. 



fi ALGËRIB. 

La manvaiM saison des pluies est de six mois : de nofembre 
à mai ; elles n'y sont pas continuelles comme sous les tropi-» 
ques et leur moyenne n'y dépasse pas soixante*»dix jours. 
Gomme dans les contrées voisines de Téquateur la nature pré- 
voyante distribue périodiquement à l'Afrique occidentale ses 
MLUX. Dès le mois de novembre, des vapeurs marines sont 
poussées par le vent du nord dans la direction du sud : là arrê- 
tées par la grande masse de TÂtlas, elles s'y amoncèlent 
d'abord et puis refoulées vers le littoral, elles s'y résolvent en 
pluies et fécondent une terre brûlée l'été par les feux du 
soleil. 

L'élévation montueuse du sol, le voisinage de la mer dont 
la brise rafraîchit et tempère l'air, la grande muraille de l'ÂUas 
qui arrête le vent brûlant du Saahra, les rosées abondantes y 
modèrent cependant l'ardeur du soleil et y maintiennent une 
température qui diffère peu de celle des provinces méridio- 
nales de r£spagne. 

Le nord^-ouest et le nord sont les vents régnants; dans la 
mauvaise saison, ils déterminent les tempêtes et amènent les 
pluies; ceux de sud et de sud-^uest sont moins fréquents; 
ceux de l'est et de l'ouest trè^ rares. 

Quelquefois, dans la saison d'été, que les Arabes appellent 
Sayf^ sur le Petit-Atlas parait une espèce de brouillsurd rou- 
geâtre qui semble en couronner la cime; c'est l'annonce du 
vent du désert leKamsin ouïe Simoun qui amène une chaleur 
insupportable et heureusement de courte durée. L'Algérie a 
peu à soufIMr de ce fléau; mais malheur à la caravane qu'il 
surprend dans le Saahra, elle est menacée d'être ensevelie 
tout entière dans la poussière du désert. Ce vent terrible 
s'annonce à l'horizon par une espèce de brume colorée de 
rouge et de bistre qui se transforme peu à peu en bandes ho- 
rizontales violacées; les chameaux ne manquent jamais d'en 
pressentir l'approche : l'inquiétude se pemt dans leurs re- 
gards; leurs narines se dilatent; enfin une heure ou deux 
avant que la tempête n'éclate, ils se couchent, subissent les 
plus mauvais traitements plutôt que de continuer i marcher, 
enfouissent leurs museaux dans le sable et restent dans cette 



ALGERIE. 7 

posture, le doe tourné au vent tant que dure la tempête. Bientôt 
après elle se déchaîne, modérée d'abord, mais croissant gra^ 
duellement en intensité, entraînant des tourbillons de pous- 
sière impalpable qui brûlé et charbonne tout ce qu'elle touche; 
Fair qu'on respire alors est brûlant comme celui qui sort de 
la bouche d'un four banal. La langue se dessèche ; les lèTres 
se gercent, les yeux se yitrent : à toute partie du corps qui 
reste exposée nue au contact de l'air, on éprouve la même 
douleur qu'occasionnerait l'application d'un fer rouge. Pour 
se soustraire à l'action dévorante du fléau, les caravanes s'ar- 
rêtent, les voyageurs bandent les yeux et bouchent les oreilles 
de leurs chevaux qui, sans cette précaution, tomberaient 
dq[>hyxés; dressant immédiatement leurs tentes qu'ils ferment 
aussi hermétiquement que possible, ils s'y couchent à terre, la 
tête enveloppée dans le pan d'un manteau, en ayant soin de 
mettre à leur portée une cruche d'eau pour humecter de 
temps à autre leur bouche desséchée. Quand l'ouragan est 
dans sa fiuie, il bouleverse tout le sol mobile du désert, for- 
mant d'immenses dunes de sable sur une surface auparavant 
plane, en aplanissant d'autres montueuses et engloutissant 
parfois des caravanes comme fut jadis engloutie l'année entière 
de Gambyse dans les plaines d'^^mon. 

Rien ne peut peindre l'aspect de désolation que présente le 
dés^ dans ces moments terribles. Tout ce qui y vit est dans 
un état d'atonie complète. Ce nuage immense de sable impal- 
pable qui voile le soleil, semble un linceul de mort étendu 
sur la nature entière. Les bétes féroces ne songent plus à nuire ; 
le lion lui^nnême, couché haletant au fond de sa tannière, 
n'est plus alors le roi du désert ; il a trouvé son maître : c'est le 
terrible Simoun qui l'énervé et le dompte sous la puissante 
influence de ses incandescentes raffales. Cette tempête dure • 
peu : quand elle se prolonge au*Hl^ de douze heures, son in- a 
fluence est mortelle ; les aliments se putréfient et l'eau des 
outres dans un état presque d'ébuUition, cesse d'être potable. 

Celui qui a traversé le Saahra, qui s'est vu couché sur la 
TOgue immobile de cet océan de sable en conserve un souve- 
nir qui dure autant que sa vie. Le silence, l'immobilité qui 



8 ALGÉRIE. 

régnent dans ces immenses solitudes^ ont quelrjue chose de si 
imposant et de si solennel, un caractère si puissant de reli- 
gioseté que l'impression ne s'en efface jamais; l'homme s'y 
voit si petit que, plus qu'ailleurs il s'y trouve écrasé par l'idée 
de l'infini. 

Qu'on se figure en effet un immense et muet tableau dans 
lequel on n'aperçoit qu'un sable mouvant jaune micacé qui 
dévore les yeux, une atmosphère d'un gris ardent, chargé de 
vapeurs inflammées, un soleil d'où ruissèlent des torrents de 
feu sur une étendue de douze cents lieues de longueur sur cinq 
cents de large, représentant une surface de cinq cents mille 
lieues carrées : telle est cette immense soUtude qu'on appelle 
le Saahra. Sur ces plages brûlantes tout est sec et désolé. 
Quelques rares et maigres oasis, hérissées de broussailles, déso- 
lées par des myriades de moucherons, refuge ordinaire des 
reptiles et des animaux féroces, coupent seules à de grandes 
distances cette effrayante uniformité. 

Les caravanes qui le traversent, fortes de trois cents à mille 
chameaux sont aux ordres d'un chef qui ordonne les haltes, 
règle les moments de départ, et d'un marabout qui prie Dieu 
pour elles. Au lever du soleil, après la prière pour demander 
à Dieu une journée heureuse, a Ueu le repas du matin. On 
part ensuite; les chameaux flanqués de cavaUers s'avancent 
sur dix de front. On fait halte à midi ; on boit un peu d'eau ou 
de café, on se remet en marche jusqu'à la dixième heure. 
Un cri du chef répété sur toute la ligne sert de signal pour la 
grande halte. Les chameaux sont rangés en carré sur quatre 
jde front; on les décharge; les bagages entassés forment une 
cinquième Ugne ; les voyageurs se placent au miUeu du carré; 
des sentinelles relevées d'heure en heure veillent à chaque an- 
gle extérieur. 

Cesprécautionssont prises tant contre les Bédouins qui atta- 
quent les caravanes quand elles ne sont pas en force , que contre 
les Uons et les panthères qui viennent parfois rôder affamés 
auprès d'elles. Un râlement sourd annonce leur approche ; les 
chameaux effarés se lèvent et forcent sur leurs longes pour les 
briser; le lion avance d'un pas lent; les sentinelles font feu^ 



ALGÉRIE. 

mais la première déchaîne Tabat rarement; Il s'arrête, se bat 
les flancs de sa queue et s'il n'est pas abattu par une seconde 
décharge, il bondit, s'élance avec d'épouvantables rugisse*, 
ments, s'attache à un chameau, le renverse, l'entraîne et va au 
loin déchirer sa proie. Après son départ tout se tait et le, 
morne silence du désert succède au trouble et au bruit de ces 
terribles scènes. 

L'Algérie possède beaucoup de sources; beaucoup de cours 
d'eau, mais peu de rivières navigables. Sur le versant des mon- 
tagnes, au miUeu des collines dont le sol est accidenté, les 
sources sont nombreuses : dans les bas terrains, on trouve 
aisément l'eau à quelques mètres. Des puits artésiens pour- 
raient y être presque partout creusés avec succès. Dans la 
saison des pluies, les torrents et les rivières s'enflent, grossissent 
et débordent : pendant les grandes chaleurs, ils se dessèchent, 
et leur lit reste souvent à sec : les sources elles-mêmes se de^ 
sèchent et tarissent. Mais il serait facile d'obvier à cet incon- 
vénient : un bon aménagement des eaux corrigerait aisément 
l'irrégularité de leur distribution, et teUe source qui suffit à 
peine à la consommation d'une famille, recueillie et con« 
venablement dirigée , pourrait servir à ceUe d'un village entier. 

Vingt-trois cours d'eau principaux sillonnent le sol de l'Al- 
gérie. Ce sont, pour la province d'Alger, la Chiffa, le Maza- 
firan, l'Oued-jer, l'Arrach, l'Oued-el-Kerma, l'Oued-Kadara 
etl'Hamiz ; "pour ceUe de Gonstantine et de Bone, la Sey- 
bouse, la Summan, l'Oued-el-Kehir, laMafiragg, l'Oued- 
Zefzaf, l'Oued-Djedid et la Megerda ; et enfin, pour la province 
d'Oran, le CheUf, le Sig, l'Habra, l'Oued-el-Malah, l'Oued- 
Klamman, le Kissa, la Heddah, l'Arion et la Tafha. 

Aucun de ces cours d'eau ne peut servir à un système régu- 
lier de navigation intérieure. La proximité de leurs sources à 
la mer, l'irrégularité des ravins oii ils se sont tracés des lits, en 
font des torrents impétueux dans la saison des pluies et dessé^ 
chés plus de la moitié de l'année. Les plaines manquant de 
pentes, la plupart s'y convertissent en lacs, marécages ou la- 
gunes et s'y perdent ; d'autres, arrivant jusque près de la mec^ 
sont arrêtés par de larges bancs de sable ou de roche qui leui 



10 ALGÉRIE.- 

iMUPrent toute imift : ib ne peuifent alon s'y rendre que par 
infiltration. 

Dans le district d'Alger, touslescours d'eau qui le sillonnent 
prennent leur source dans les montagnes du Petit-Atlas. 
L'Oued-el<*Kerma seul, descend du massif qui entoure Alger. 
La Cihiffo a son origine entre le mont Mouzaya et le mont 
Dakla. Au débouché du Petit-Atlas, elle coule du sud au nord, 
nçoitles eaux de rOued*el-Rebir, traverse la plaine de la Mi- 
tidja, sans dévier de sa direction primitive, et arrive au pied 
des collines du Sahel où TOued-jer vient augmenter le volume 
deses eaux. Elle coule alors, sous le nom deMazafran, au nord- 
est, va se heurter contre le massif d'Alger, après avoir reçu 
les eaux de l'Oued-Kadara, tourne au nord«nord-ouest, se 
fraye une issue dans une gorge resserrée des collines du 
Sahel et se jette dans la mer à huit kilomètres de la presqu'île 
de Sidi-Feiiioudj. Son cours est rapide et ses eaux peu pro- 
fendes : les beiges de son lit sont très escarpées. 

La source de TArach est sur le veiwnt nord du Djihell- 
Ouzza. Au sortir du Petit«-Atlas, TArrach n'est qu'un impé- 
tueux torrent dont le lit, profondément encaissé, suit la direc- 
tion du nord->est. Arrivé dans la plaine de la Mitidja, il en suit 
la pente générale du sud au nord et va, comme le Mazafran, 
Mntoumer le massif d'Alger, où il reçoit rOued-«el-«Kerma et 
va se jeter dans la rade à deux lieues d'Alger, par une em- 
bouchure de quarante mètres de largeur. L'Arach est partout 
guéable : près de la Iiaison-<€aiTée, sur la route de la Ras- 
sauta au cap Matifoux et à quatre ou cinq cents mètres de son 
embouchure, on le traverse sur un pont solidement ccmstruit 
de quarante mètres de long sur quatre de lai^. 

L'Hamiz a aussi son embouchure dans la baie d'Alger, près 
du cap Matifoux : die prend sa source dans la Mitidja près de 
la ferme du dey : elle est partout guéable ; elle ne tarit jamais, 
son fonds est vaseux , son eau mauvaise à boire. 

Une des principales rivières de la province de Constantine 
est la Seybouse; dans la partie supérieure de son cours, elle 
porte alternativement les noms de Oued-Zenati et Oued- 
AlUgttht qui, au soHir disgoiiges duMoyen-^Atlas^ se réunissent 



ÀLGËMB. -^ Il 

à Médjei^^^Rammar; Après un cours capricieux, tantôt tra«' 
iwsant r Atlas par d'énormes coupures, tantôt serpentant en- 
tre deux chaînes au mitieu d'oUners saufages, de lauriers 
roses et de tamarisques, la Seybouse traverse une vaste plaine 
et va se jeter dans le golfe dePone. Dans les montagnes, elle 
est guéaUe ; dans la plaine elle est profonde et navigable. 

L'Oued-«el«-Rebir, surnommé le grand^^euve, est Fancien 
àmpsagas. Il prend sa source dans le Djihel-Gehla-^naan, un 
des contrdbrts de l'Atlas, à cinq journées de marche de Con* 
stantinei il porte alors le nom de Oued-Rummeh Le lit de son 
eours supérieur est sur un plateau élevé où plusieurs cours 
d^eau viennent augmenter son volume. Perçant ensuite U 
dialne du Petit^Atlas, il s'encaisse profondément, tourne au 
débouché de cette gorge, autour des murs de Constantine, et, 
arrivé à U pointe El^'Cantara, il s'engoufire et disparaît poui 
reparaître après un cours souterrain de peu de durée. Après 
avoir traversé une vallée près de Milah, reçu les eaux de l'Oued-» 
Krah (rivière des roseaux,) il perce le masssif des montagnes 
qui bordent la côte et se jette dans la mer entre Djegelli et le 
eap Bougarone. C'est le plus fort cours d'eau de cette province. 

A l'extrémité de la frontière orientale de l'Algérie est la 
Hédjerda. C'est l'ancien Bagradas des Romains dont le cours 
supérieur sillonne le versant méridional de l'Atlas algérien. 
n'acquiert de l'importance que dans le régence de Tunis, 
C'est sur les bords de cette rivière qu'un serpent monstrueux 
assaillit Farmée romaine de Régulus; sur sa peau dure et écail- 
leuse glissaientles flèches : les balisteset les béliers purent seuls 
parvenir à abattre la monstre dont le sang infecta tout le camp, 
romain : c'était un des derniers restes de ces grandes races de 
reptiles du monde antâ-^diluvien dont il ne reste, de nos jours, 
]^ de traces. 

Dans la province d'Oran,'le Chelif est le fleuve le plus con- 
sidérable de l'Algérie. Son cours est de quatre-vingts lieues. 
D a plusieurs sources, une dans le désert d'Angad, l'autre dans 
une des diaines de T Atlas, nommée Djhel-Ouen-Nazeris. Q 
coule d'abord à Test, traverse le lac de Tittery-Geoule, se dir- 
tigedelà vers le nord, tourne brusquement ensuite à l'ouest, et 



12 ALGÉRIE. 

va 86 jeter dans la Méditerranée à un mille an sud de Mostaga- 
nem. Son lit, dans la partie inférieure de son cours, est dans 
une large yallée que dominent à droite et à gauche de grandes 
montagnes. En approchant de l'embouchure du Chelif, les 
montagnes qui le bordent à sa gauche s'abaissent graduelle* 
ment, se confondent avec les terres basses et forment une 
grande baie entre le Chelif et le lac Ferrât. Les autres cours 
d'eau sont des ruisseaux de peu d'importance. L'Habra, après 
avoir réuni la Sig et l'Oued-Hamman, forme le marais appelé 
Et-MaugdQ (le gué) et se déchaîne dans la mer près de la baie 
d'Ârzeeu. La Tafna n'a qu'un cours de trente lieues; elle réunit 
plusieurs affluents, elle a son embouchure dans la mer, au 
golfe de Harchsgoun : les autres se perdent dans les sables, ou 
^ jettent dans le lac salé d'Oran ( la Sehkha). 

L'irrégularité du sol algérien, la pente peu sensible des 
plaines, la nature torrentueuse des cours d'eau qui, dans, les 
grandes crues, entraînant des détritus de toute sorte, se for* 
ment des barrages acddentek qu'ils ne peuvent plus franchir 
ensuite, contribuent plus que tout à alimenter ce grand nom* 
bre de lacs ou plutôt de marais qui couvrent l'Algérie. La plu- 
part de ces marais cependant ont leur constitution propres : 
ils sont en général de matière saline : tels sont les marais de 
la Sehkha, au sud d'Oran, les lagunes d'Ârseeu dans la même 
province, le lac salé Guerha-el-Malha; d'autres moins impor- 
tants, dans la plaine de la Mitidja, au sud de Gonstantine; le 
vaste marais fangeux que les habitants dupaysappellent Chott 
ou lac salé, et enfin toutes ces sources qui, dans la nomencla- 
ture topographique arabe, se désignent sous le nom de Oued- 
el-Maleh (ruisseau de sel). 

L'Algérie possède aussi des eaux thermales qui atteignent 
des températures assez élevées. Celles de Hamman-Staîssa près 
de Setif, Hamman-Berda à quelqueslieues de Bone, Hamman- 
Lestouyn, Hamman-Merigah s'élèvent depuis 50 jusqu'à 80 
Réaumur. Quelques-unes d'entre-elles conservent encore des 
restes d'architecture romaine : à celle d'Hamman-Berda se voit 
une grande et belle piscine fort bien conservée. 

De» travaux intelligents pourraient facilement tirer parti de 



ÀLGËRIR. 13 

ces richesses naturelles. Quelques marais qui ne sont mainte- 
nant que des sources d'émanations délétères, pourraient être 
sans peine convertis en salines et produire abondamment du 
sel, cette précieuse production si utile aux Arabes et qui, par 
l'impôt onéreux dont elle était greyée, était une des sour- 
ces des richesses des beys d'Alger ; les eaux thermales elles- 
mêmes, dirigées, recueillies ayec discernement, au lieu de se 
perdre et de nuire par leur stagnation à la salubrité publique, 
rederiendraient salutaires et bienfaisantes omune elles l'é- 
taient du temps des Romains qui avaient, dans cette partie de 
l'Afrique Vaquœ caUdœ cobnia, Faquœ tibilitanœ, etc., la 
première à Hammam-Merigàh, l'autre à Hamman-Berda. 

Le territoire de l'Algérie abonde aussi en mines et en car- 
rières. Les Romains en avaient découvert de toute espèce. Les 
beaux marbres jaunes de la Numidie, les marbres statuaires, 
l'albâtre des goi^es de l'Atlas étaient très estimés. Pline a spé- 
cialement désigné Texistence de l'or et des diamants dans le 
nord de l'Afrique. Quelque erronées que soient souvent les 
indications de ce naturaliste, cette fois on ne peut les révo-, 
quer en doute. Les grenats, les calcédoines, les cristaux de 
quartz se rencontrent assez fréquemment dans l'Atlas. Un de$ 
affluents de la rivière de Constantine porte le nom de rivière 
de l'or (Oued-el-Dzchel). L'autre de ses affluents, l'Oued-el- 
Rummel, roule des sables aurifères parmi lesquels se rencon- 
trent parfois des diamants. Les mines de fer s'y révèlent par- 
tout, n'attendant que la main de l'homme pour les exploiter. 
On voit le fer tantôt noircir le sable auquel il est mêlé, colo- 
rer en rouge la terre glaise, d'autres fois teindre l'argile en 
jaune brun et laisser partout dans les grès, les pierres, les ra- 
vins, une substance noire ferrugineuse. On y trouve aussi des 
mines de plomb et de cuivre presque à fleur de terre. 

Cette abondance de richesses salines, thermales et minérales, 
qui caractérise spécialement la partie française de l'Afrique 
occidentale, mérite de fixer l'attention, et nul doute qu'elle 
ne soit un des premiers points qui appelleront les grandes spè; 
culations privées. 



14 ALGÉRIE. 

MIL M VALùiMM : itS MOttVCtlOMî CE QtfiELLW Otlt 
Été, GB QtPCtlBS MtKBAlSm ÊtK£. 



Le 6ol de TÂlgérie est très variable, soit par sa nature, soit 
par sa qualité. Â Oran, Tépaîsseur moyenne de la terre végé- 
tale est de sept pouces; le sous-sol est calcaire oti schisteux. 
ABone, le sous-sol est siliceux: l'humus dépasse vingt pouces. 
Pur terrain d'alluvions, le sol de la Mitîdja est une masse ar- 
gileuse et grisâtre abondante en substances végétales ou fer- 
rugineusesy en détritus de toute espèce. Sa qualité laisse peu 
de chose à désirer. 

Les anciens peuples représentaient TAfrique sous Temblême 
d'une femme couronnée d'épis, ombragée de touffes de pal- 
mier et portant à la main une corne d'abondance qu'entou- 
raient des grappes de raisin. En voyant aujourd'hui cette terre 
presque entièrement en friche, on pourrait croire que l'em- 
blème de fertilité sous lequel on la représentait n'était qu'une 
exagération hyperbolique: il n'en est rien cependant. Cette 
puissante nature est au contraire caractérisée par une sponta-^ 
néité de production qui étonne, et on comprend que l'Afrique 
ait été jadis le grenier de Rome. Les cérédes, les plantes four- 
ragères, les farineux, les orabellifères y acquièrent un dévelop- 
pement prodigieux. Les arbres, les végétaux des autres parties 
du monde s'y naturalisent et s'y propagent presque sans cul- 
ture. Des végétations distinctes s'y voient souvent en contact 
et frappent par leur opposition. Sur les sommités des hautes 
collines s'élèvent parfois en amphithéâtre le noyer, le cerisier, 
l'orme, le frêne, le sureau â larges feuilles: au-dessous croit 
spontanément le figuier, le pistachier, le jujubier, le caroubier 
dont le vert plus ou moins foncé est relevé par les brillantes 
fleurs du laurier-rose : le nopal, le lentisque sont liés entr'eux 
par des vignes sauvages à l'ombre desquelles fleurissent l'acan- 
the, Tangélique, l'asphodèle, les iris, le lupin jaune et toute la 
grande famille des scilles: la ronce et le lierre s'attachent auit 
vieux troncs mêlés aux cactus* aux grenadiers et aux rosiers 



ALGÉRIE. Il 

mmiges. leêêAftèêoAotitémïU, les myrtes, )és garoui, V^m 
pine-ifinette, le genêt, la lavande ambaitinent Tair des émi* 
nations les pins sdates. 

Cette puissance de tégétation est due à la profondeur asseï 
générale de Thumus. Quoique la majeure partie des plaines 
n'ait pas été culti? ée depuis des sièelei, les défrichements en 
sont faciles et peu coAteui. 9ur presque toute la surface, Ta-** 
griculture peut appliquer la charme sans autre préparation 
que de brûler les broussailles ou les hautes herties. La cuhuro 
de quelques plantes tropicales, le sucre, l'indigo, le coton, s'y 
pratiquerait atec succès* On y cultiverait avantageusement 
le riz, le chanvre et le lin. Toutes les variétés de mûriers y 
croîtraient rapidement, et, en peu d'années, sur les marchés 
de l'Europe et de l'Asie, les soies d'Alger pourraient avanta*' 
geusement soutenir la concurrence. La vigne plantée en grande 
culture y serait très productive: le raisin qu'elle produit y est 
excellent. On y trouve aussi des bananiers, mais plantés sans 
discernement et avec peu d'mtelligence. Leurs fruits y vien« 
nent rarement à maturité. Quant au dattier, quoiqu'il soit très 
commun en Algérie, il croit principalement et de préférence 
dans le Biledulgerid (pays des palmiers), plaine immense, qui, 
au sud, sépare la chaîne de l'Atlas du désert du Sahara dans 
tonte sa longueur, et s'étend depuis l'Océan à l'Ouest jusqu'à 
l'Egypte et la Nubie à l'est. 

La volaiUe, le gibier abondent en Algérie; ce sont les mêmes 
espèces que celles d'Europe. 

Parmi les oiseaux on remarque le mùineau capëUf d'une 
beauté rare et d'un chant si doux , qu'on ne trouve rien de 
comparable parmi les autres oiseaux. La c6te y est très pois* 
sonneuse: le rouget, la dorade, la bonite et les autres poissons 
exquis y sont communs. Depuis l'occupation française, cette 
branche d'industrie est exploitée avec succès : de grandes en* 
treprises de pêcherie y seraient avantageuses. Les Romains, 
qui s'y connaissaient, faisaient le plus grand cas des poissons 
de la côte d'Afrique, et les préféraient à ceux de l'Europe. 

On n'a pu connaître que peu-à-peu les ressources de l'Al- 
gérie: par exemple, on l'a crue d'abord déboisée: il n'ea est 



' M ALGÉRIE. 

rien. Le grand et le petit Àflas produisent beaucoup de forêts 
de diverses espèces de piniÇ dç chênes-lièges qui pourraient 
fournir assez de liège pour la consommation de toute TEurope, 
de chênes verts qui produisent un gland doux et assez savou- 
reux que les Arabes mangent et dont les troncs pourraient 
fournir d'excellents bois courbes pour les membrures de bâti- 
ments. L'agence forestière de rÂlgéril^et les armées expédi- 
tionnaires ont déjà constaté l'existence d'hne étendue de fo- 
rêts de plus de soixante-dix mille hectares* 

Ainsi en s'en rapportant seulement à ce qui est authenti- 
quement connu de nos jours sur les productions de l'Algérie , 
on comprend sans peine que l'Afrique occidentale ait été le 
grenier de Rome. C'était delà, en effet que, sous les empe- 
reurs, arrivaient tous les blés qui nourrissaientla métropole de 
l'univers : tout compétiteur à l'empire, tout général ambitieux 
qui voulait affamer Rome et soulever le peuple, commençait 
par arrêter les arrivages d'Afrique ; et cette mesure était deve- 
nue si efficace que c'était par là que débutaient, dans les der- 
niers temps de l'empire , toutes ces ambitions viles et san- 
glantes qui aspiraient au trône des Césars. 

Depuis lors la fertilité de l'Afrique n'a pas déchu : la terre 
n'attend que la culture et ce que Rome a fait , la France peut 
le faire. Les indigènes eux-mêmes quand ils seront sûrs d'une 
protection efficace, et de ne pas semer pour d'autres ou pour 
voir brûler leurs moissons, seront les premiers à cultiver la 
terre : ils s'attacheront ainsi au sol et au gouvernement qui, 
leur accordantaideetprotection, leur assureraleurs propriétés. 
Et qu'on ne croie pas qu'en cela nous préjugeons trop en leur 
faveur : il existe un précédent 'qui ne doit pas être perdu de 
vue dans tout ce qu'on pourra déterminer à ce sujet. C'est 
celui de Massinissa qui, dans le cours d'un règne de soixante 
années, apprit aux Numides errants à se créer des richesses 
par la fertilité de leur sol, changea totalement la face du pays, 
et par l'évidence d'un bien-être qui dépendait d'eux, sut fixer 
une population errante et couvrir dg riches moissons, des cam- 
pagnes jusque là incultes. 

Le miel dont l'Arabe a toujours une provision abonde en 



ALGERIE. i7 

Algérie. D y est d'une très bonoe qualité et , avec plus de soin 
et d'intelligence dans l'éducation des abeilles, ou tout est en* 
core à faire, il pourrait soutenir la concurrence avec celui de 
l'Hymète et de Narbonne. 

On trouve peu d'animaux malfaisants : le lion ne quitte 
guère le désert. L'hyène, le léopard, l'once, les grands reptiles 
ontété refoulés dans les oasis inhabitées. L'once ne se montre 
que dans les chaînes du Grand-Atlas. La vipère cependant 
n'y est pas rare : dans quelques parties du pays, l'araignée 
venimeuse et le scorpion y sont communs : parmi ces derniers 
à Zerbis, dans la régence de Tunis, il en est dont la piqûre 
donne une mort instantanée. Nous avons été en possession d'un 
qui était annelé comme un serpent de grande race et avait 
quarante deux lignes de long : un chien piqué par lui ne vécut 
que sept secondes et, dans ce court intervalle, son corps s'enfla 
tellement qu'il doubla de volume ; ses yeux et la partie char- 
nue du museau se colorèrent immédiatement d'une teinte d'un 
jaune bleuâtre qui se nuança de rouge et puis de vert qui de- 
vint la couleur dominante. Telle était la puissance .de venin, , 
qu'en voyait ces nuances se succéder à vue d'œil. 

La race bovine est petite et maigre : les vaches n'y donnent 
que peu de lait. La race ovine qui se compose de moutons de 
grande et de petite espèce pourrait être facilement améliorée: 
la grande espèce surtout donne une laine d'une très bonne 
qualité et qui, avec des soins, pourrait devenir un bien pré- 
cieux produit. Les autres animaux domestiques sont les chèvres 
qui y abondent : le cheval qui appartient à cette race infati- 
gable des chevaux numides, si célèbres dans l'antiquité, Tàne 
qui est de la grande espèce des ânes d'Egypte , et le kumrah 
très commun sur le versant oriental de l'Atlas et qui provient, 
dit-on, d'un âne et d'une vache, fait qu'il ne nous a pas été 
possible de vérifier. 

Mais un des animaux qui rendent le plus de service aux Ara- 
bes, c'est le chameau, sobre, frugal, patient, infatigable, se con- 
tentant pour sa nourriture du chardon le plus sec, de l'épine 
la plus pelée. Créé pour le désert où l'eau est si rare , lors- 
qu'il en trouve il boit pour huit jours. La nature l'a doté d'es- 



1» ALGERIE. 

pèces de réservoirs assez ifistes pour contenir cet énorme 
volume de^ fluide. Une fois remplis, il tire à volonté de ces rê*- 
servoirs la quantité nécessaire pour étancher sa soif : il fait 
passer Teau dans son estomac où elle fait le même effet que si 
elle sortait d*une source. Par ce moyen, il peut patiemment 
poursuivre tout le long du jour son pénible voyage, portant 
sur son dos un poids prodigieux, traversant des contrées où 
régnent 4ies vents brûlants, dans des sables mouvants qui ne 
t^oidissent jamais. Les Arabes ont plus de mille mots pour! 
nommer le chameau, le plus poétique et le plus Juste est celui 
qui désigne cet utile animal sous le nom de Vaisseau du désert. 
Uy a plusieurs races de ces animaux, fces races ellefr^tttêmes sfe^ 
divisent en famille. Dans la race des coureurs qu'on appelle 
Beirieet qui comprend la Tataye, la Sébayeeih Tasage^ cette 
dernière espèce fût en un seul Jour neuf jours de marche or- 
dinaire. Jackson rapporte que la Tasaye peut aller dans sept 
jours du Sénégal à Mogador. La distance est de onze cents 
milles anglais. 

Nous nous proposons de revenir à mesure que ^occasion 
s'en présentera sur les objets sur lesquels nous venons de résu- 
mer quelques indications sommaires. Mais avaot de nous en- 
gager dans la relation des faits qui 'se rapportent directement 
aux conquêtes fhinçaises, il est d'une haute importance de Jeter 
un coup-d'œil rétrospectif sur les peuples antérieurs dont les 
dominations ont laissé des traces dans TÂfrique occidentale. 
L'expérience est la loi par excellence, et Thomme ne sait 
qu'en vertu de ce qu'il a appris. Aussi effacer le passé serait, 
en quelque sorte, effacer l'homme même, et, sur une terre où 
rien n'a changé que les noms, nous avons pensé que le passé 
serait peut-être plus qu'ailleurs bon et tUile à consulter. Puis 
tous les peuples dominateurs de cette antique contrée ont laissé 
des traces plus ou moins sensibles qui ont fait des empreintes 
plus ou moins profondes sur le caractère national des tribus 
atlantiques : U était important de les démêler et de les signa- 
ler comme autant de jalons qui pourront faciliter à la France 
l'œuvre d'avenir ou'eUe €$t appelée à compléter. 



PÉniOMS GARTIlAGIIIOiœ , 

Si, comne on Va déjà vu, il est impossible de déterminer 
quels furent les peuples primitifs de l'Afrique occidentale , il 
n'est guère plus facile de préciser Torigine de ceux qui y ont 
précédé la période carthaginoise. Aucun monument régulier 
ne permet d'en suivre la trace avec quelque certitude. Les 
chrûnologistes n'ont pas manqué cependant; mais, à défaut 
d'origine certaine , ils nous ont légué des hypothèses trè» 
contestables. Strabon , Hérodote ne rapportent que les ré- 
cits fabuleux de leur temps sur les habitants du nord de 
TÂfrique. Hiempsal , historien punique , les représente 
comme une agrégation des races nègre et sémitique qui for- 
mèrent deux grands peuples, les Libyens, qui occupèrent le 
littoral, et les Gétules, qui se confinèrent dans les vallées du 
liant Atlas. Varron qui, pour trouver une noble origine à 
Bome, avait p&li sur les antiquités du globe, peuple les plages 
atlantiques d'émigrants qu'y refoulèrent les révolutions suc- 
cesrives de TAsie occidentale. Salluste a suivi la tradition de 
Tarron, Pline celle de Salluste. Une émigration chananéenne 
est, suivant Procope , la souche des populations de cette partie 
de TAfirique: après lui une historien berbère du xiv* siècle, 
Ebn-Khal-Doun attribue à Ber, fils de Mazick, fils de Gha- 
naan, Forigme des Berbères. 

Des dissertations, d'après des documents aussi contradic- 
toires, ne pourraient qu'être oiseuses. Nous ne chercherons 
pas à les concilier. Nous constaterons seulement que dans l'an*'* 
Uquité comme dans les temps modernes, deux races distinc- 
tes, l'une nomade, l'autre sédentaire, ont occupé le sol de 
l'Alrique occidentale, et soit que l'élément du progrès leur ait 
manqué, soit que leur constitution sociale en ait paralysé les 
effets, nous retrouverons ces peuples avec les mêmes usages, 
les mêmes habitudes, les mêmes haines, les mêmes discor- 
des, se touchant toujours sans se confondre, et, à deux mille 
ans d'intervalle, conservant, sans la plus légère altération, leur 
caractère primitif, Ces peuples sont les Arabes et les Kabyle** 



20 ALGÉRIE. 

que Tantiquité désignait les premiers sous le nom de Numi- 
des, les seconds sous celui de Berbères. 

n est curieux de constater l'immobilité du caractère général 
de ces races en transcrivantles portraits qu'en ont tracés deux 
historiens, Salluste et Joinville, qui avaient pu en juger par 
eux-mêmes, l'un il y a près de deux mille ans, l'autre il y a 
plus de six siècles, a La race numide, dit Salluste, dans son 
« Histoire des guerres de Jugurtha, est dure, agile, infati* 
« gable. Les Mapalia , espèce de tentes alongées faites d'un 
« tissu grossier, et dont le toit cintré ressemble à la carène 
a renversée d'une galère, leur servent d'habitation; ils s'y 
« couchent sur la terre ou sur des peaux de bétes et s'y entas- 
« sent pêle-mêle. Ils ont une manière de combattre qui con- 
a fond la tactique romaine: se précipitant impétueusement et 
« avec un grand tumulte sur l'ennemi, on dirait une attaque 
<c de brigands plutôt qu'un combat régulier. Quand ils ap* 
« prennent que l'ennemi doit se porter sur un point, ils dé* 
« truisent les fourrs^es, empoisonnent les vivres , emmènent 
« au loin les bestiaux, les femmes, les enfants , les vieillards. 
« Les hommes valides se portent alors sur le gros de l'armée, 
« évitant tout engagement général, mais attaquant tantôt l'a- 
ce vant-garde, tantôt l'arrière-garde, et les harcelant sans 
« cesse. Sans jamais livrer de bataille rangée, ils ne laissent 
a point de repos à l'ennemi. Dérobant leur marche à la fa- 
ce veur de la nuit, ils fondent à l'improviste sur les détache- 
a ments isolés, les dépouillent de leurs armes, les massacrent 
a ou les font prisonniers, et dès qu'ils voient arriver du se- 
(X cours, ils se retirent sur les hauteurs voisines et échappent à 
a toute poursuite. » 

Voici maintenant comment les dépeint, dam ses Mémoires^ 
Joinville , le compagnon d'armes et l'historien de samt 
Louis. 

a Les Béduyns donc sont gens qui vivent avec les Sarraains 
« mais ils tiennent une autre manière et façon de vivre, car 
< les Béduyns ne croient pas en Mahomet comme font les 
c. Sarrasins, mais ils tiennent et gardent la loi Héli (d'AU)^ 
« qu'ils disent être oncle de Uahomet. Us se tiennent aucunes 



ALGÉRIE. 21 

c tok dans les montagnes et déserts, et croient fermement 
c entre eux que si l'un d'eux endure la mort pour son sel- 
€ gneur ou pour quelque autre bonne intention, que son âme 
€ ya en un autre meilleur corps et plus parfait, et est plus à 
c à son aise dans ce corps qu'elle n'était auparavant. Au 
n moyen de quoi ils ne font faute de s'offrir à la mort par le 
€ commandement de leurs anciens et supérieurs. Us n'ont ni 
€ Tille ni cité où ils puissent se retirer, mais demeurant tou- 
c jours aux champs ou dans les déserts, et quand il fait un 
€ mauvais temps ils fichent en terre une façon d'habitacle qui 
m est faite de tonnes et de cercles liés à des perches, ainsi que 
€ font les femmes quand elles font sécher leur lessive, et par 
c dessus ces cercles et perches, ils jettent des peaux de grands 
€ moutons. Ceux qui suivent les guerres sont communément 
€ achevai, et le soir, ils tiennent leurs chevaux auprès d'eux 
c et les laissent paître sur l'herbe sans leur donner autre 
c chose. Ds ne sont jamais armés en défensive quand ils vont 
c combattre, pour ce qu'ils disent que nul ne peut mourir 
€ qu'un certain jour qui lui est ordonné, et à cette cause, ils 
c ont une façon entre eux, que quand ils veulent maudire 
c leurs enfants, ils leur disent en cette manière: a Tu soi^ 
c maudit comme celui qui s'arme de peur de la mort. » En 
c bataille ils ne portent qu'un glaive fait à la mode de Turquie 
€. et sont tous revêtus d'un linge blanc comme un surplis (le 
« burnous). Ds sont laids et hideux à regarder, car ils ont la 
c barbe noire outre mesure. Ds vivent du lait de leurs bétes, 
c de quoi ils ont grande abondance. » 

En lisant les lignes de ces deux historiens, on croirait lire 
un bulletin actuel de l'armée française d'Afrique, ou une rela- 
tion d'un voyageur moderne. 

Tel est le peuple dont rien n*a pu encore dégrossir l'é- 
mrce primitive, dont tant d'invasions et de conquêtes n'ont 
pas modifié les habitudes , et dont le caractère spécial ne s'est 
jamais altéré, pas même au contact de la civilisation romaine, 
qui a exercé une si grande puissance d'assimilation sur tous 
les autres peuples. Cette tache était peut*étre réservée à la 
France* 



2S ALGÉRIE. 

Aux GÎTilisatioDs phénicienne et grecque, e'est-à-dire à 
Carlhage et à Cyrène, les habitants de la région de TAtlas 
durent quelques éléments nouveaux. Les premières colonies 
asiatiques s'étaient établies sur le httoral de TAfrique septen<» 
trionale. C'est à elles que les tribus libyennes dans lesquelles 
étaient alors confondus les Gétules, Numides, Maurusiens, pa» 
raissent avoir emprunté un culte grossier au soleil, à la lunoi 
aux étoiles. 

Jusqu'à Tan 680 avant J.-G. l'histoire n'ofire aucun monu- 
ment certain sur l'établissement de ces colonies sur la côte oc<» 
cidentale d'Afrique. Il parait cependant qu'il y avait cinq 
grandes villes grecques qui avaient fait donner à cette partie de 
la Libye le nom de Libye Pentapole. Mais à cette époque une 
colbnie de Doriens y aborda et fonda la ville de Gyrène dan» 
cette partie du httoral de la régence de Tripoh, connu aujour^ 
d'hui sous le nom de Barka. Les nouveaux colons, assaillis 
d'abord par les indigènes, furent ensuite assaillants; ilséten^ 
dirent leurs conquêtes et devinrent assez puissants pour s'atta^ 
quer aux satrapes d'Egypte. 

Vers ce même temps, Carthage était devenue, de puissance 
commerciale, puissance mihtaire et conquérante. Les eon-^ 
quêtes des Cyrénéens, le développement des colonies grecques 
soit sur les côtes de la Gaule, soit sur celles de la Libye exci* 
tèrent sa jalousie et son émulation. Elle prépara une expédi<- 
tien formidable et elle envahit la ^cile. De ce point cen- 
tral de la Méditerranée et des colonies grecques d'Occi-' 
dent, eUe voulait menacer à la fois Gyrène et Marseille qui, 
l'une au nord, et l'autre au midi, élevaient à son commerce 
une concurrence et une rivahté dangereuses. 

Gette expédition ne fut pas heureuse. Gélon, tyraA de Syra* 
cuse, écrasa l'armée carthaginoise dont les débris ne purent 
regagner qu'avec peine l'Afrique. Ge revers ne fut que momen« 
tané» En peu de temps tout le littoral de l'Afrique occidentale, 
depuis la grande édiancrure des Syrthes jiMqu'au delà àê 
détroit de Gibraltar (les colonnes d'Hercule), fut soumis à la 
domination de Gartbage. Les côtes méridionaka de l'Espagne, 
les Baléares, la Gorse, la Sardaigne et enfin une Partie de It 



ALGÉRIE. sa 

SfeSé éfle-mêfiie tombèrent en son pmrroir. Ce ftit dan» cette 
marche gigantesque vers la monarchie universelle qu'elle ren->« 
contra Rome iur sa route et qu'après une lutte de plusieurs 
dècles, elle se brisa si complètement contre elle, qu'elle n'a 
pas même laissé des annales de son histoire (i). 

Nous ne suivrons pas Rome et Garthage dans cette lutte gi« 
gantesque dont le sceptre du monde devait être le prix. Nous 
n'en dirons que ce qui sera indispensable pour servir à l'in- 
telligence des faits qui se rattachent directement à Tinfluence 
que la civilisation phénicienne a exercée sur les peuples des 
plages atlantiques. 

Oa sait quelle fut l'origine de la première guerre punique. 
Les Carthaginois étaient parvenus à fonder, en Sicile, de grands 
établissements permanents à Agrigente, Géra, Gamarine, Hi- 
mère. Les Syracusains étaient maîtres d'une autre partie de 
rile. Deux partis s'étaient formés dans une des villes ; l'un ré- 
dama le secours des Carthaginois, l'autre celui des Romains. 
Rome et Garthage se trouvèrent en présence. 

Rome, jusqu'alors, n'avait étendu ses conquêtes que sur le 
continent : eUe n'avait ni flotte ni marine. Danscette situation, 
attaquer une puissance maritime, dont les flottes couvraient 
les mers, était un de ces traits d'audace dont fourmille l'his- 
toire des premiers temps de Rome. Sans matelots, sans vais- 
seaux, elle parvint bientôt à s'en créer .par une énei^e, une 
patience, une persévérance qui sont un des traits caractéristi- 
ques du génie romain. Elle fiit battue d'abord par des enne-* 
mis à qui cet élément était familier, par la tempête contre la- 
quelle elle n'avait pas eu le temps d'apprendre à lutter. Mais 
enfin elle battit les Carthaginois non seidement sur terre, mais 



(l)n «Il imposable que la Garthage pmiite parles Polybe et les Tite-Iive 
soit eeDe qui retarda de deux siècles l'esclavage du monde. Rome, peu géoé- 
leose, voulut la frapper encore après sa chute en la rendant inconnue et 
odisne aux générations. Lors de la destmetkm de Garthage (446 ans avant 
JAL) les annales puniques furent abandonnées par les Bomains à Wcipift, roi- 
des Numides ; et par patriotisme autant que par orgueil national, Rome fit en- 
suite cl laissa corrompre les monuments de la morale et de rUstoire de lâ 
rivale. 



^ ' ALGERIE.- 

i 

encore sar mer, et elle apprit à lutter contre la tempête. Cette 
première guerre punique fut marquée par la mort héroïque 
de Régulus, et ogtte mort elle-même fut due à un fait qu'il est 
d'autant plu% important de signaler, qu'il peut dans l'avenir 
offrir quelque analogie avec la situation des Français en Al- 
gérie. 

On sait comment Régulus prisonnier, envoyé, sur parole, à 
Rome pour traiter de sa rançon, conseilla au sénat de repous- 
ser les conditions de Carthage et retourna noblement subir 
le supplice qui l'attendait. On sait par quelle horrible raffine- 
ment de barbarie, enfermé dans un tonneau intérieurement 
garni de pointes acérées et lancé sur une pente rapide, il 
rouva la mort dans des souffrancec inouies. 

L'abnégation [sublime de Régulus aurait trouvé grâce aux 
yeux de Carthage, si elle n'avait vu en lui moins un ennemi 
vaincu qu'un général qui, le premier, avait trouvé le point vul- 
nérable de sa grandeur et de sa puissance. Régulus en effet, 
attaquant Carthage en Afrique même, avait habilement ex- 
ploité le mécontentement des populations africaines, et avait 
dû la facilité de ses premiers triomphes autant à la valeur des 
armées romaines qu'à l'aversion des tribus Numides contre 
eur dominatrice. 

Par cette habile politique, le général romain lui léguait de 
graves embarras dans un court avenir, et c'est ici le lieu d'ex- 
poser sommairement la constitution intérieure de Carthage et 
la situation de ses colonies sur le littoral africain. 

Trois états, la Mauritanie, la Numidie et la Libye formaient 
alors la division de l'Afrique Occidentale. La Libye formait le 
territoire de Carthage ; le fleuve Oued-el-Berbez fte-Tusca) 
la Réparait de la Numidie fractionnée en deux peuples divers, 
lesMassyles du côté de la Libye, les Masscesyliens du côté de la 
Mauritanie, qui étaient séparés par le fleuve Oued-el-Kébir 
(yAmpsaga). 

La constitution de Carthage était démocratique. Deux ma- 
gistrats annuels, les suffettes^ présidaient le sénat : le peuple 
ratifiait de son suffrage les délibérations de la noblesse : un 
%cikunal de cent-quatre citoyens sanctionnait cette ratification 



4] 



ALGÉRIE 25 

ri balançait àla fois Tinfluence du rang et Viofluence du nom- 
bre. 

Âristote rapporte que cette constitution mit pendant cinq 
cents ans Garthage à l'abri des séditions du peuple et de la 
tyrannie des nobles. Si ce fait est vrai, Carthaf'^ aurait été, de 
toutes les puissances du monde connu, la seule qui ait résolu le 
problème social dont la solution coûtera bien des larmes et 
bien du sang encore aux peuples modernes. 

En l'acceptant comme tel, on doit regretter de n'avoir qpe 
des notions tronquées sur les annales carthaginoises. Cette la- 
cune est d'autant plus déplorable qu'il est impossible qu'on 
n'eût pas tiré quelque enseignement utile d'un état social qui, 
comportant la coopération active de tous les membres, a tra- 
versé cinq siècles sans séditions et sans tyrans. 

Un culte de cannibales que Garthage devait aux Phéniciens, 
dépare cependant ce que cette constitution eut d'imposant 
dans sa prodigieuse efficacité : c'était le culte à Saturne. On 
honorait le Dieu en jetant des enfants dans les bras de sa sta- 
tue embrasée. Les grands de Garthage, les suffettes eux-mêmes 
se disputaient l'honneur de livrer leurs propres enfants à des 
prêtres bourreaux. Quand la nature leur en refusait, ils en 
achetaient de leur or au peuple indigent, et ces malheureux, 
liés à la statue du dieu d'airain, que ses ministres chauffaient 
par degrés, expiraient lentement après avoir passé par tous les 
accès de la rage et toutes les convulsions du désespoir. 

Ge qui met le comble à l'horreur de ce barbare fanatisme, 
c'est que la mère'de la victime, quelque fûtsonrang, était obli- 
gée d'assister à ce sacrifice et subissait une amende, si, sur ses 
traits altérés, perçait la douleur profonde de son àme. Il n'était 
pas même rare d'en voir de pieusement atroces qui, plus barba- 
res que les pré 1res de Saturne, caressaient leur enfant pour em- 
pêcher leurs larmes et leurs cris dans la crainte qu'une victime 
gémissante ne déplût à la divinité. 

n serait difficile de concevoir que là où le fanatisme a bou- 
leversé les instincts le» plus affectueux, un peuple ait pu im- 
primer un caractère d'originaUté à ses œuvres, si l'on ne sa-, 
tait que Tordre soc^al^ religieux et moral de Garthage n'était» 



«f ALGËRIfi. 

comme cdui des I^énicien», ses fondateurs, qu'une sorte de 
manteau d^arlequin dont chaque peuple du monde avait fourni 
un lambeau* De là aux deux points les plus saillants de Té- 
chelle sociale, deux choses si disparates, une constitution fort 
remarquable et un culte épouvantable. 

Cependant, si Ton suit les développements de cettp puit^ 
sance carthaginoise partout où la haine et la jalousie des 
Romains n'ont pu l'altérer , on est frappé de l'habileté pro^ 
fonde et de l'esprit civilisateur dont les œuvres de ce peuple de 
marchandsportaient l'empreinte, Ainsi, par exemple, pour ses 
colonies africaines dont noua avons principalement à nout 
occuper, et dont il nous importe , plus que iout , de préciser 
les conditions, Carthage avait adopté un système qu'il eût été 
peut-être utile et prudent pour la France de prendre pour moi* 
dèle dans quelques-unes de ses parties. Le voici. 

Carthage , en général, n'envahissait pas : elle procédait par 
oocupatîoa pacifique. Le trafic était son prétexte , la conquôto 
son but. Un comptoir une fois formé sur un point de la côte , 
elle ne pénétrait que progressivement et lentement dans l'in- 
térieur : elle ne s'assurait d'abord qu'un fioiible rayon de terre 
autour des remparts de sa colonie ; créait peu à peu des be-» 
soins aux indigènes , se les attachait en favorisant l'écoulement 
de leurs denrées ou de leurs produits, et, par l'app&t des bé- 
néfices, cherchait d'abord à se rendre utile et ensuite néces- 
saire. Elle commençait ainsi par se faire des partisans qu'il lui 
était facile plus tard de convertir en sujets. Le rayon de son 
occupation s'étendait, et elle imposait alors des tributs toU"« 
jours combinés de manière à offrir à la population imposée 
quelque avantage commercial qui était, en apparence, un 
équivalent et une sorte d'indemnité. Les tribus libyennes lui 
fournissaient aussi des soldats que, par l'appât de la solde et du 
butin, ellemaintenaità sonservice. Dans les querelles intestines 
des tribus qu'elle avait soin de fomenter et souvent de faire naî- 
tre, elle prenait toujours parti pour les plus faibles : de cette 
manière, elle épuisait les plus fortes et se créait ainsi des fod* 
lités pour les maintenir toutes les unes par les autres. 

Ces divers points obtwwi les indigènes devenaient ses 



ALGËME. - n 

tteiOeim auxiliaires pour son commerce ateô rAfri(|iie (ien-^ 
traie. Par eux, elle allait jusqu'au centre du désert chercher 
k poudre d*or , l'ivoire , les parfums et les esdates noirs qui 
fmnaient les rameurs de sa marine. Par eux, elle transpor-* 
lait jusqu'au Niger et jusqu'en Ethiopie, les produits de l'Es* 
pagne, de la Sicile et de la Gaule. 

L'agriculture était encore un des éléments de colonisation 
qu'elleemployait avec succès. Elle oi^anisait des colonies agri- 
coles composées en grande partie d'indigènes, et lorsqu'elle 
les avait &çonnés à la civilisation phénicienne , elle recrutait 
parmi eux des émigrants qui, mêlés à des Phéniciens, allaient 
fonder en d'autres lieux ou sur d'autres plages des colonies 
Liby-Phênidennes. Elle favorisait, de tout son pouvoir, les 
alliances des die& des tribus de l'intérieur avec les filles nobles 
de Carthage , et ne négligeait aucun des moyens qui pouvaient 
hire disparaître l'antipathie de race qui sera toujours dans 
fAfriqoe occidentale un des plus grands obstacles à la fusion 
complète et sincère du peuple conquérant et du peuple con--* 
quis. 

Par cette habile et adroite politique, les Carthaginois fon*«, 
dèrent plus de trois cents établissements coloniaux sur la côte 
de PÂfrique occidentale. Des villes, des ports, des forteresses; 
étaient sur une plage de près de quatre cents lieues, depuis la 
syrthe voisine des Heq;>érides jusqu'aux colonnes d'Hercule. 
Dans ce nombre étaient Alger YJomnium oul'/co^itfmdes an* 
eims; fiougie {Saldœ), qui encore conserve des traces de tous 
les peuples qui s'y sont succédés depuis vingt siècles; Cher- 
àielfMJy qui fut plus tard la JuHa Cœsarea que détruisit un 
tremblement de terre; Gigel {Ingilgites) , Bone (Vbo) et 
tant d'antres qu'il serait trop long d'énumérer. 

Des eonseik constitués sur une forme à peu->près analof^e 
à eeHe de la métropole régissaient cescolonies, qui conservaient 
du reste assez d'indépendance, pour ne se soumettre qu'aux 
r^lements et aux lois sanctionnés par leivrs magistrats. 

Pour déguiser autant que possible le joug qu'elle imposait 
et ne pm heurter trop profondément le sentiment d'îndépen-» 
dance des tirtt)usLibyep0eS|C«rthage autorisait det alUancef 



28 ALGERIE. 

particulières entre ces dernières et les colonies fondées sur 
leur territoire. Elle se réservait seulement, sur les tribus, un 
droit de suzeraineté que le défaut de document ne permet pas 
de définir d'une manière précise, mais qui consistait probable- 
ment dans Ist levée d'impôts et de recrues. Les colonies se 
trouvaient ainsi des espèces d'intermédiaires entre les liens qui 
unissaient les tribus Libyennes à Garthage. Si ce mode, par 
cela seul que les colonies étaient , comme on l'a vu, mi-par- 
ties Phénicienne et Libyenne, avait l'avantage de déguiser la 
domination directe de la mère-patrie, il avait aussi l'inconvé- 
nient d'affaiblir les liens qui unissaient les tribus vassales à la 
métropole suzeraine. Ges tribus ne pouvaiejit étrô dès lors que 
des alliés douteux, prêts non-seulement à secouer le joug, 
mais encore à s'allier aux ennemis de leur dominatrice. 

Les Romains étaient trop clairvoyants pour ne pas avoir re- 
connu ce point vulnérable de Garthage. G'est parla qu'il com* 
mencèrent à l'attaquer ; c'est par là qu'ils devaient finir par 
l'abattre. 

Après la première guerre punique, Garthage avait été for- 
cée d'évacuer la Sicile. Ge revers lui fut doublement préjudi- 
ciable : d'abord, en ce qu'en restreignant ses possessions co- 
loniales, il attaquait la base de sa puissance même : ensuite , 
parce qu'il fut le germe d'une révolte des Mercenaires qui, en 
moins de trois années, l'épuisa plus qu'une guerre de vingt 
ans contre Rome. 

On appelait Mercenaires les soldats étrangers que Garthage 
avait à sa solde : ils composaient la majeure partie de son 
armée ; les auxiliaires formaient l'autre partie. Les citoyens de 
la répubUque pouvaient se hvrer ainsi presque exclusivement 
au commerce età l'industrie. Ge système de recrutement avait 
l'avantage de ne pas dépeupler les villes et de n'apporter au- 
cune perturbation dans le développement commercial ou in- 
dustriel ; mais il avait aussi l'inconvénient de composer les 
armées d'éléments hétérogènes qui n'étaient unis entre eux par 
aucun lien inoral, mais seulement par l'intérêt et l'amour du 
pillage. La Gaule fournissait à Garthage ses guerrierssi habiles 
à manier les piques, l'Espagne sa redoutable infanterie, la Sar- 



ALGÉRIE. 2» 

daigne ses intrépides archers, les tles Baléares ses adroits 
frondeurs, la Numidiesonimpétueusecavalerie, la Grèce enfiu 
ses ingénieurs et ses stratégistes. Carthage ne fournissait que 
deschefe à ces armées formidables dans le succès, âpres au 
gain et au pillage; mais que le moindre revers abattait et que 
tout retard dans le payement de la solde aigrissait. 

L'évacuation de la Sicile amena une de ces crises, qui mi- 
rent Carthage à deux doigts de sa perte. En Afrique et en Sar- 
daigne, les Mercenaires se révoltèrent, les auxiliaires se déban- 
dèrent : cette insurrection de Tarmée se propagea dans les villes 
maritimes et à l'intérieur, elle réveilla toutes les haines susci- 
tées par le joug de Carthage : les villes se soulevèrent; les 
tribus libyennes se joignirent aux insurgés; des grandes ba- 
tailles eurent lieu; des villes furent emportées d'assaut, 
pillées, le sang coula par flots, l'incendie dévora d^immenses 
richesses. Carthage l'emporta enfin , en Afrique, mais son 
armée, sa puissance, sa force, ses ressources furent diminuées 
de moitié. 

En Sardaigne le résultat fîit plus désastreux encore. Elle 
trouva Rome, sur sa route qui, sous prétexte d'intervention, 
s'empara de l'Ile et refusa de la rendre. 

Trop aCEsdblie pour en réclamer la restitution par la force, 
Carthage dévora en apparence cette humiUation ; mais exaltée 
par l'excès du danger, par l'insatiable avidité d'une rivale qui 
peu à peu aUait la réduire à l'enceinte de ses murailles, elle 
conçut et exécuta un des plus vastes et des plus gigantesques 
projets d'invasion qui eussent été tentés avant elle ; c'était 
d'envoyer une armée en Espagne, de prendre de là l'Europe 
à revers; de passer les Pyrénées, de traverser la Gaule, de 
franchir les Alpes et d'aller combattre Rome dans Rome 
même. Âmilcar fut chargé de cette expédition. Après dix ans 
de guerre^ il subjugua l'Espagne jusqu'à l'Ébre, qu'un traité 
avec Rome lui interdisait de franchir. Il fut tué dans une ba- 
taille; son gendre Asdrubal, qui lui succéda, fut assassiné peu 
après par un Gaulois, et laissa le commandement à Annibal, 
qui, dès l'âge de neuf ans, avait juré aux pieds des autels, entre 
les mainft de son père Amilcar, de haïr les Romains, et de les 



ao ALOESIB. 

combattre tonte sa ^e. Fidèle à son seraient, Annibal 
l'Être et s'empara de Sagonte, alliée de Rome. Là gooh 
mença la seconde guerre punique. Ânnibal a^t wigt-deus 
ans. Son armée était de soixante mille fantassins, dix mîDe 
chevaux et trente éléphants. Quatre ans après il était en Ita- 
lie : il avait gagné la bataille de Cannes^ et heureusement 
pour Rome, U s'arrêta à Gapoue. 

On a reproché à Annibal de n'avoir pas mis le si^ devant 
Rome après la bataille de Cannes, lorsque les Romains, écrasàB 
sous le poids de ce grand désastre, n'avaient plus d'armée à 
opposer à la furie du vainqueur. Mais qu'on se rappelle que 
Tannée carthaginoise était composée de vingt peuples divers 
et manquait essentiellement de cette unité du sens moral qoi 
fait la force d'une armée nationale. Abattue par le moinÂna 
revers, elle devenait indisciplinée parle succès : une fois gorgée 
de butin, elle n'aspirait qu'à se plonger dans de molles délices^ 
seul but que des soldats achetés à prix d'or pouvaient se pro- 
poser en combattant pour une cause étrangère à l'intérêt et à 
la gloire de leur patrie. C*est ce qui arriva lors qu'après tant 
de combats, d'efforts et de peine, l'armée carthaginoise arri-^ 
vée dans les riches et belles plaines dltalie, eut vaincu Rome: 
elle trouva là le repos et Tabondance ; cela lui suffisait : elle 
6*y arrêta. Quoi qu'il en soit, Ânnibal resta seize ans en Italif^ 
menaçant toujours Rome, et ne recevant jamais de Carthage 
ni renforts, ni argent, et une de ses plus grandes gloires e^ 
sans contredit, d'avoir pu s'y maintenir avec une armée com<* 
posée de tek éléments et dont la gloire n'était que le mobile 
secondaire. 

Mais pendant ce temps. Rome avait déployé toutes les res^ 
sources de son astucieuse politique. Scipion était passé eo 
Afrique, avait soulevé toutes les populations africaines qui 
étaient sous la domination de Carthage, et n'était qu'à cinq 
journées de cette capitale, lorsqu' Annibal, rappelé d'Italie, ar- 
riva avec ses vieilles bandes qui furent écrasées à Zama. Car- 
thage vaincue implora la paix. Elle lui fut accordée au prix 
des plus terribles sacrifices; elle ne put entreprendre aucune 
gttçrre sons le consentement du peuple romain ^ tous ses vaîft- 



AtOERIE. 3i 

Mittt longs, au nombre de cinq cen te, iîirent livrégain flmraesi 
«t enfin» aux portes mêmes de Carthage, à Zama, les Romains 
ramirent sur le trône une famille de rois numides, que 
Qsrthage atait jadis dépossédés et dont Tambition aUait alors 
aeo^rer sa chute. MaMinissa fut par droit d'h^^té nommé 
roi de cette puissante tribu numide, les Hassiliens. 

Entre cette secondeetla troisième guerre punique, dnquante 
ans s'écoulèrent. Rome» comme on l'a vu, avait jusqu'alors 
principalement attaqué et yaincu Carthage en exploitant le 
mècontentsment des populations qu'elle dominait, et des 
alliés qu'^ s'était créés par la force de ses armes, parmi les 
tribus africaines. Ce sera maintenant par le même moyen 
qa'elle parviendra à détruire Carthage» Ce point est impor«» 
tant à établir sous un double motif: d'abord, parce qu'il peut 
être d'un utile enseignement dans les rapports et les rdations 
politiques de la France avec ces mêmes tribus; ensuite parce 
qa'fl marque le point vulnérable des puissances qui, comme 
l'Angleterre par exemple, ne peuvent pas plus se suffire à 
elles-mêmes que Carthage, et ne puisent leur grandeur et leur 
puissance que dans une réunion de forces excentriques, qu'au- 
cun lieu moral n'unit entre elles et qui se rompent moins en- 
core par les armes que par la haine naturelle d'un joug 
imposé. 

Carthage était vaincue, mais n'était pas détruite : Rome 
visait à sa destruction. Fidèle au système qui avait eu jusqu'a- 
lors de si heureux résultats, Scipion avait, comme on l'a vu , 
établi, aux portes de Carthage, Matsinissa, qui mattre de tout 
le pays depuis la Mauritanie jusqu'à Cyrène, était le plus 
puissant prince de l'Afrique. L'ambition connue du roi nu^ 
mide et des griefs particuliers à venger, étaient pour Rome un 
sûr garant que Carthage aurait à ses côtés un irréconciliable 
ennemi ; et comme, par le dernier traité, Carthage ne pou«- 
vait feire la guerre sans son consentement, elle l'avait mise en 
qudque sorte à la merci d'un prince ambitieux qui ne tarde* 
Tait pas à Tafiàiblir au point d'en rendre la conquête facile : 
t'est ce qui eut lieu. 

Aux fréquentes incursions que Masônissa ne cessa de kin 



32 ALGÉRIE. 

contre Carthage succéda bientôt une attaque ouverte. Car- 
thage se plaignit à Rome et n'obtint qu'une réponse déri« 
soire. Elle voulut alors repousser la force par la force ; Rome 
l'accusa de violer les traités, envoya une armée contre elle, et, 
après un siège qui idura trois ans, et pendant lequel Carthage 
déploya une énergie, un courage sans exemple jusqu'alors dans 
les annales du monde, et qui n'a été depuis imité qu'en France 
lors de la levée en masse de 1 793, elle succomba sous le génie 
de Scipion-Em'ilien et fut réduite en cendres. Les sept cent 
mille habitants qui formaient sa population et qui échappè- 
rent à cette dernière et terrible lutte, furent dispersés ou 
traînés en esclavage. Les colonies africaines devinrent la proie 
des Romains, qui peu à peu se substituèrent à l'empire de 
Carthage. 

Ici s'ouvre pour l'Afrique occidentale une période qui va 
nous offrir le spectacle d'une lutte qui a des rapports frappants 
de ressemblance avec celle qu'y soutient la France depuis 
plusieurs années. 

PÉRIODE ROUACIE. 



La domination romaine dans l'Afrique occidentale n*eut 
pas d'abord toute l'importance qu'elle y acquit plus tard. 
Rome dès le début, y prépara plutôt qu'elle n'y établit son 
empire. Ses conquêtes sur le continent, les difficultés de cir- 
constance ou de position qu'elle y éprouvait, lui faisaient un 
devoir de n'agir qu'avec circonspection à l'égard des popula- 
tions africaines que Carthage, dans sa toute-puissance, et dont 
le centre de l'empire était établi sur les lieux même, n'avait 
pu maintenir, sans de terribles péripéties, sous sa domination. 
Aussi la réserve avec laquelle elle se substitua partout^ et sur- 
tout en Afrique, aux peuples vaincus, est un des précieux 
modèles qu'elle ait légués à l'avenir. Elle savait qu'il y a tou- 
jours un grand danger à vouloir effacer, par des moyens 
prompts et violeutSi Tempreinte d'un caractère national ; que 



ÀLGtiaE, 33 

le succès de toute compression véhémente ne dépasse guère 
un temps déterminé; qu'un travail préparatoire est toujours 
nécessaire pour connaître et bien apprécier les points par où 
la fusion peut s'opérer avec le plus d'uniformité et le moins de 
commotion, et, sous ce rapport, du reste, elle a laissé à la 
France un exemple curieux à étudier. Aussi la suivrons-nous 
avec quelque détail, dans sa conduite en Afrique; et si nous 
avons à signaler des obstacles graves qu'elle a eu à surmonter, 
c'est que ces obstacles découlaient de la force même des choses, 
et que des fautes accidentelles ont autant contribué, que leur 
production inévitable, à en accroître la gravité. 

Son premier soin, après la destruction de Carthage, fut de 
partager l'autorité des provinces africaines entre les princes 
numides ses alliés. Elle s'en réserva expressément la souverai- 
neté, et sans mettre entièrement ces princes sous sa dépen- 
dance, elle s'appliqua spécialement à élever entre eux des 
intérêts divers qui devaient empêcher toute réunion. En cela 
elle suivit la politique de Carthage. 

En même temps elle favorisa l'établissement de colonies 
italiennes qui, dans les villes déjà existantes, remplacèrent 
peu à peu l'élément phénicien forcé ou de s'expatrier ou de 
subir la loi du peuple conquérant. La constitution des colo- 
nies resta, à peu de choses près, la même, et elles se gouver- 
nèrent comme par le passé ; mais seulement dès que l'élément 
romain s^y fut assez fortifié pour y prévaloir, Rome y consolida 
son pouvoir par des attributions nouvelles ou des extensions de 
territoire qui diminuèrent d'autant la puissance des princes ses 
tributaires ou ses alliés. 

Cette poUtique, favorisée d'abord par les circonstances, lui 
réussit, et la domination romaine se substitua partout à celle de 
Carthage, sans avoir à traverser aucune de ces terrible phases 
(pà marquent le début de tout régime nouveau. Mais cette 
situation ne pouvait être considérée comme normale. Il n'était 
pas présumal)leque l'élément libyen ou numide partout com- 
primé accepterait indéfiniment sans protestation un état de 
choses qui n'était, en définitive, que la consécration forcée du 
droit û» conquête. Une circonstance indépendante de toute 
f.1. 3 



34 ALGÉRIE. 

prévision politique avait momentanément favorisé lasoumni^ 
sion complète des tribus libyennes et numides, une autre cir^ 
constance dérivant du même principe, amena leur soulève- 
ment. Voici ce qui arriva. 

Micipsa, fils de Massinissa, avait été, après la destruction 
de Carthage, un des princes numides les plus favorisés par les 
Romains. U prit son père pour modèle et l'imita dans ce qui 
avait fait sa gloire ; il continua l'œuvre de civilisation d.es Nii>- 
mides. Un règne de trente ans et une persévérance digne 
d'éloges, lui permirent de marcher avec succès dans une voie 
dont son père avait aplani les difficultés principales. Les tribut 
numides l'y suivaient sans peine parce que son origine dégui- 
sait l'odieux du joug étranger, et qu'en lui obéissant, ell^^ 
croyaient n'obéir qu'à un des leurs. Dans tout sop royaume, 
4'agriculture prit un grand développement; l'industrie s'y ou^ 
Vrit plusieurs branches où elle ne s'était pas encore exercée; 
les arts eux-mêmes furent cultivés avec succès, et le Numide, 
jadis errant et alors fixé dans des villes, ne resta pas étranger 
au mouvement civilisateur que Rome imprimait au monde. 

Mais à sa mort son royaume échut à deux de ses fils i 
Âdherbal, Hiempsal et son neveu Jugurtba, qu'il avait ap^ 
pelé à sa succession. 

Ici, cette partie de l'histoire de la domination romaine, 
en Afrique, a un rapport de similitude si frappant ave^t 
ce qui se passe de nos jours en Algérie, que les lecteurs nom 
saurons gré d'entrer dans quelques détails historiques à ce 
sujet. 

Jugurtha avait servi en Espagne sous les Romains, et s'ét^ 
distingué au siège de Numancc. Fier, intrépide, audacieux, 
indomptable, se pliant avec peine aux exigences de cette ci- 
vilisation qu'on imposait à son pays, il avait toutes les qualités 
d'un vrai Numide, toutes celles qui devaient lui attacher des 
populations qui prisaient plus les sauvag : s instincts, les biens 
faciles d'une barbarie native que le bien-être difficile, les 
vertus contestables d'une civilisation qu'ils comprenaient 4 
peine. 

C'est ce qui eut lieu. Dés la morjt de Micipsa il put dispoMT 



ALGERIE. 3$ 

i*m p^rtî assejs puissant pour pouvoir impunément entre« 
prendre tout ce (fde son audacieuse ambition pourrait lui sijg^^ 
gérer. ^ peu de temps il se substitua aux deux fils d^ MicipsîSf. 
D fit assassiner Jlieiqpsal dans sa résidence de Thumida, atta«r 
qua Àdl)^rbal, le vainquit et le chassa de ses états. Adl)erba| 
se réfugjysL h Rome et y demai^da du secours : Jygurtha ^ coQf 
tenta d'y envoyer li^s aiftbassadeurs qui, répaiidaAt avec pn>» 
fu$io9 Yqt d^ns le 3éqat^ obtiprept une trapsaction si favorable 
pour lui, qu'il nç put s'empécber de s'écrier ep l'apprenajit ; 
a Ah I ville vénale, tu ne serais bientôt plus s'il se présentait h^ 
l^omme assez riche pour t'acheter! » ^ -' 

Le Sénat avait partsigè la Numidie entre Adherbaji et Ju^ 
gurtha, mais ce dernier, sûr alors d'obtenir tout du Sénat aveii; 
de l'argent; attaqua de nouveau Àdherbal, l'assiégea dans 
Cirtha (Constantine), sa capitale, le prit, le fit mettre à mor^ 
et passa au fil de l'épée toutes ses troupes. En même temps, 
pour rester seul, sans compétiteur à l'empire, il fit assassinai 
dans Rome même, Massi\a, petit fils de Massinissa. 

Ces actes odieux de spoliation et de cruauté soulevèrent un 
cri d'indignation dans Rome, et cette fois, l'or de Jugurtba nis 
put détourner l'orage de sa tête : le peuple outré demanda 1^ 
punitiou de l'usurpateur et de l'assassin. Une armée romaine 
passa en Afrique. 

Alors commença entre Jugurtha et Rome une guerre qu| 
dura sept ans : lutte terrible qui réveilla Vesprit d'iudépen^ 
dance, l'indomptable acharnement des tribus atlantiqueii 
contre tout joug étranger. Jugurtha ne tarda pas à personni- 
fier en lui la nationalité numide. Un cri de guerre retentit 
dans toutes les gorges»de l'Atlas : autour d'un chef audacieux 
et habile se groupèrent toUs les instincts, toutes les haines 
qu'une domination séculaire avait contenus, mais n'avait jamais 
pu entièrement amorth:. Ce fut un de ces terribles moments 
de crise pendant laquelle un peuple entier se lève, couri aux 
armes et revendique une nationalité que la force a pu l||j 
ravir, mais que la force peut lui rendre. Pour la première fois, 
depuis plus d'un siècle, les Numides combattaient pour une 
cause qui était la leur, et le succès semble devoir couroiwg]r 



36 ALGÉRIE. 

leurs héroïques efforts. Les Romains, quoique maîtres des côtes 
et d'une partie du pays, ne disposaient que des lieux qu'oc- 
cupaient leurs armées : hors de là, tout était ennemi ou dou^^i 
teux allié. Le temps, les lieux, la saison, les hommes, Tocca-r 
sion, tout était habilement exploité par l'audacieux et tenac6 
génie du prince numide, et Rome put craindre un moment 
que sa puissance en Afrique fût à jamais compromises 

En iBffet, cinq grandes armées furent successivement ga- 
gnées ou battues : une d'elles, même commandée par Âulus, 
passa sous le joug, dernier terme alors de l'ignominie pour 
les vaincus. Mais enfin Marins fut envoyé en Afrique* Jugurtha 
vivement harcelé, traqué partout, n'avait plus ni villes, ni 
armée en Numidie : se réfugiant chez son beau-père Bocchus, 
roi de Mauritanie, il l'entraîna dans son parti, pendant trois ans 
encore résista aux Romains, et ne fut enfin vaincu que par la 
trahison. Bocchus, craignant pour ses états, le livra à ses en- 
nemis. Ce chef intrépide, qui fut une des gloires de la natio- 
nalité numide, et qui sut se rendre aussi redoutable aux 
Romains qu'Annibal, mourut de faim à Rome, dans un cachot 
fangeux, où il fîit jeté après avoir orné le triomphe de Marius, 
D avait alors cinquante-quatre ans. 

A cette époque seulement, se compléta la domination des 
Romains en Afrique. A l'empire des côtes que leur avait donné 
la chute de Garthage, ils -oignirent celui de l'intérieur, que 
leur assura la défaite de Jugurtha. La Numidie entière fut 
réunie à l'ancien territoire de Garthage qu'on appelait la 
province proconsulaire. Le roi Bocchus reçut seulement, ea 
récompense de sa trahison, une petite partie du territoire con- 
tigu à la Mauritanie, et Hiempsal II, troisième fils de Micipsa, 
fut mis à la tète d'un petit royaume qu'on lui érigea dans la 
Numidie occidentale, et dont Girtha (Gonstantine) devint la 
capitale. Tout le littoral, depuis Tinger (Tanger) jusqu'à 
l'Egypte, ne forma qu'une longue chaîne de colonies latines 
cil l'élément numide fut en peu de temps absorbé, ou entiè- 
rement refoulé dans les vallées du midi de l'Atlas. 

Alors se développa toute l'activité de la politique envahia-i 
note des Romains : alors se déploya le prodigieux instind 



ALGÉRIE. S7 

d'assimilation de ce peuple-roi, dont la faculté la plus précieuse 
était, non pas tant de se faire accepter par les peuples vaincus^ 
que de se les identifier par une politique habile et ferme. 
Aussi, TAfrique occidentale fut bientôt la plus importante de 
ses provinces, et si, sur les confins du désert, la civilisation ne 
put qu'être subie par les indomptables nomades qui fuyaient 
devant elle^ partout ailleurs elle fut acceptée comme un bien- 
bit : aux immenses richesses naturelles d'un sol si favorisé, 
elle ajouta les produits merveilleux de ses inspirations et de 
ses lumières. Sous son influence, l'Afrique parvint à un degré 
|de richesse et de prospérité qu'on croirait aujourd'hui fabu- 
leux, si tous les auteurs contemporains ne l'attestaient, et si 
l'histoire des derniers siècles de l'empire romain ne prouvait 
d'une manière incontestable l'importance qu'attachaient à la 
iprovince proconsulaire tous ceux qui, pendant cette efiDrayante 
et longue agonie, se disputèrent la pourpre des Césars* 

Et ici nous devons consigner un fait que nous ne saurions 
trop recommander à l'attention de ceux qui comprennent 
toute l'importance de la conquête de l'Algérie par les Français : 
c'est que le caractère de tous les peuples en général a pour point 
de similitude, une tendance très prononcée à subir l'influence 
du bien-être par le travail.(Il résulte de là que, dès que ce but 
leur parait évident, incontestable, ils se Uvrent sans peine au 
travail pour arriver au bien-être : toute la science consiste, 
dès lors, à ne laisser à ce sujet aucun doute dans leur esprit. 
Cest ce que firent les Romains et ce qui explique les change- 
ments qui s'opérèrent dans les mœurs des Numides. A cette 
époque, en effet, beaucoup de tribus nomades adoptèrent la 
vie sédentaire et se livrèrent à l'agriculture ou à l'industrie. 
Toute la politique de Rome se borna à leur faire comprendre, 
par l'exemple, que le travail amenait le bien-être : ensuite, 
pour les dominer et les maintenir dans la soumission, par le 
commerce et l'agriculture., elle lia les intérêts des indigènes 
aux siens, de telle sorte que la moindre atteinte portée aux 
us rejaillissait sur les autres ; elle assura ainsi la continua- 
Ikm de ce qui était, par le mobile qui agit le plus efficace* 
ke instincts à demi-barbares, l'intérêt. 



38 ALGÉRIE, 

Aussi, pendant près de deux siècles, depuis Auguste jusqu'au 
J)remier des Antouins , une seule légion , six mille hommes 
environ, suffît pour garder cette immense quantité de côtes 
et de territoire. Bien plus encore, l'élément numide s'était 
d'autant plus identifié avec l'élément latin que , lorsqu'écla* 
tèrent les guerres civiles, les rois numides et leurs peuples 
s'y mêlèrent; ce ne fut pas, comme on pourrait le croire, 
pour faire tourner au profit de leur nationalité ces discordes 
Sanglantes qui semblaient devoir ne finir qu'avec l'extinction 
des deux partis : au contraire, chacun, suivant ses affections 
et ses engagements, resta fidèle à la cause qu'il avait em- 
brassée, et dans plus d'un cas, l'action de l'Afrique e\\i une 
influence majeure sur les décisions de l'Italie. 

Mais cette importance même tourna contre elle. Elle devînt 
le théâtre des intrigues, l'arène des partis. Pendant les rivalités 
de Marins et de Sylla, de César et de Pompée, c'est là que les 
partis vaincus venaient chercher un refuge ; c'est là qu'ils ve- 
naient encore chercher les moyens de se relever par la for- 
tune des armes. Là vaincu, fugitif, proscrit, débarqua sur les 
ruines de Carthage, Marins ruine lui-même; là, Domitius 
essaya de relever le parti plébéien , vaincu pour la seconde 
fois en Italie par la mort de Marius ! Là , se réfugia Gaton 
avec les débris de Pharsale! Là, le parti de Pompée et de 
l'aristocratie républicaine vint chercher et trouva son tom- 
beau! Vaincus par le génie et la fortune de César, tous lys 
chefs périrent : Caton, Pétréius, par le suicide ; Scipion, par 
la tempête; Labienus et d'autres, sur le champ de bataille ; 
Juba, roi numide, qui avait embrassé leur parti, par le poi- 
son. Les états de ce dernier, qui comprenaient la Numidié 
occidentale (Constantine et une partie de la régence de Tu- 
nis), et la Mauritanie orientale (Alger et Oran), furent réunis 
à la province romaine. 

Les haines, les discordes, les guerres de Rome, étaient dèi 
lors communes à l'Afrique. Il en était de même des richesses 
de la métropole du monde. Cette Afrique que les Romains 
avaient appelée : Leonum arida nutrix (l'aride nourricière 
des lions), était devenue une mine féconde dont le blé nour- 



ALGÉRIE. 90 

rissait le peuple de Rome, dont le commerce et rindustrie, 
allaient fournir une large part aux goûts immodérés et luxueux 
de Rome impériale, et enfin, dont les trésors excitaient la con« 
Toitise et la cupidité des gouverneurs rapaces à qui la pro« 
vince proconsulaire était échue en partage. La civilisation 
avait changé un inculte désert en terre féconde, des popula* 
lions nomades ne prisant que Tindépendance, en peuple sé«> 
dentaire sachant jouir des biens acquis par le travaU. Ce que 
Home avait fait, la France peut le faire. 

Sous le règne d'Auguste, le gouvernement de TAfrique 
reçut une nouvelle organisation. Deux rois numides, Bocchus 
et Bogud, léguèrent en mourant, au peuple romain, leurs 
éâts, qui furent la Mauritanie Coesarienne (les provinces ac-* 
tuelles d'Alger, d'Orah et de Tittery), et la Mauritanie Tin- 
gitane (le Maroc). On en fit un royaume qu'on donna à 
luba n, prince numide, qui avait reçu une éducation toute 
romaine et qui déploya, au profit de la civilisation, l'activité 
que ses ancêtres avaient consacrée à faire la guerre. Il établit 
sa capitale à Jol qui fut nommée alors Julia-Gœsaria, et qui 
est aujourd'hui Cherchel. Juba régna quarante-cinq ans, et 
l'application continue de ce prince à propager pendant ce 
long espace de temps, le goût du travail, les arts, les lumiè- 
res, enfin tout ce qui constitue la civilisation, acheva d'opérer 
la fusion presque complète entre la race numide et la race 
latine. 

De son règne découlent deux faits qui, pris au point de vue 
de cette histoire, sont d'une extrême importance à classer. 
le premier, c'est qu'en donnant à Juba qui, en fait, n'y avait 
aucun droit, une portion des états légués au peuple romain 
par ^ocdius et Bogud, on habituait peu à peu les Numides 
à recevoir leurs rois de la main de Rome. Le second, qui n'est 
pas moins important, c'est que les Numides, faisant des progrès 
plus rapides dans la civilisation sous l'influence directe des 
rois de leur race, par cela seul qu'ils croyaient n'imiter qu'un 
roi de leur sang et non pas des étrangers, Rome, adopta à ce 
sujet une politique d'une habileté incontestable. Dès que I9 
mouvement civilisateur fut fortement imprimé sur un points 



40 ALGERIE 

cette partie fut annexée à la province romaine, et Juba reçut 
en échange des districts plus vastes que ceux qu'il avait cédés^ 
dans la Mauritanie, le grand ^tlas; dans la Gétulie, le Bilé« 
dalgérid. 

Cependant, une nationalité ne peut périr entièrement sans 
secousses, et quelle que fut Thabile politique de Rome ou la 
terreur de son nom, il devait se présenter encore plus d'une 
circonstance où les tribus numides, dotaptées plutôt que 
gagnées par la civilisation, chercheraient à briser des chaînes 
qui, pour être légères, n'en étaient pas moins des chaînes. 
Des causes, en appar^ice les moins directes, peuvent amener 
ce réveil d'un peuple dont on peut parfois éloigner le terme, 
mais qu'il est fort difficile de prévenir à jamais. C'est une 
de ces lois à peu près générales , auxquelles les tribus nu- 
mides, par foût et par caractère, ne pouvaient se soustraire 
longtemps. La circonstance qui amena cette seconde grande 
protestation contre l'occupation romaine, est assez curieuse à 
observer. Elle prouve que s'il est dangereux pour un peuple 
conquérant de blesser les susceptibiUtés du caractère national 
d'un peuple conquis, il ne l'est pas moins de heurter trop 
profondément la moralité née de ses usages et de ses habi- 
tudes. Sous ce rapport, l'appui que Tan 668 de Rome trouva 
parmi les tribus numides, la levée des boucliers deTacfarinas, 
peut être pour la France d'un utile enseignement. 

César, à qui l'on n'a pas assez rendu cette justice, fut le pre- 
mier et peut-être le seul des Romains qui, avant les empereurs, 
eût préparé la fusion des races antiques. Il avait compris que 
la nationalité trop exclusive de Rome était un obstacle à 
l'unité du genre humain , et que la force brutale seule était 
insuffisante pour l'opérer. Il s'était alors déclaré, non pas 
ostensiblement, mais par des actes qui laissaient percer ses 
intentions, le patron du monde vaincu. C'est ainsi qu'il avait 
fait asseoir des Gaulois dans le Sénat pour alléger le 'oug 
romain dans la Gaule ; c'est ainsi qu'il releva les murs de 
Corinthjû pour consoler la iGrèce ; c'est tinsi qu'il rétablit Car- 
thage pour restituer à l'Afrique une partie de la gloire de son 



ALGÉRIE. 41 

La nouveUe Carthage fut bientôt la ville la plus florissante 
et la plus riche de TÀfrique et, peu d'années après son réta- 
blissement, elle prit rang parmi les villes de l'Empire, après 
Rome et Alexandrie : elle en fut la troisième. A aucune 
époque, la puissance romaine n'avait jamais été si bien affer- 
mie en Afrique, et, à la fin du règne d'Auguste, l'élément nu- 
mide semblait s'y être entièrement fondu dans l'élément 
romain. 

Le long règne !de Juba II et son administration, à la fois 
^vère, habile et paternelle, avaient puissamment contribué à 
cette fiision; mais à sa mort, il fut remplacé par Ptolémée, 
son fils, prince voluptueux et efféminé, ayant emprunté aux 
Romains d'alors leurs défauts et leurs vices, sans avoir con- 
servé une seule des qualités et des vertus de ses aïeux. 

Quelle qu'eût été jusqu'alors Tinfluence de Ha civilisation 
romaine sur le caractère national numide, elle n'avait pas été 
portée au point d'effacer entièrement les traits les plus carac- 
téristiques de ces hommes à demi-barbares, de leur faire abdi- 
quer tous ces instincts à demi-sauvages de courage, de valeur, 
de fierté virile, qui étaient pour eux des traditions et des titres 
de race dont ils se glorifiaient. A la vue d'un prince efféminé, 
sorti de la tige de leurs rois^, et dont la parure et la volup- 
tueuse débauche étaient la seule occupation, ils firent un re- 
tour sur eux-mêmes et commencèrent à douter d'une civi- 
lisation, qui pouvait amener à ce point de dégradation. 
Comparant leurs instincts natifs à l'avilissement de leur roi, 
ils sentirent qu'ils valaient mieux que lui. Du mépris pour sa 
personne, ils passèrent à linsoumission, de l'insoumission à 
la révolte. 

A cette époque, un maure nommé Tacfarinas, après avoir 
étudié l'organisation des troupes romaines et. s'être façonné à 
leur tactique militaire en servant dans leurs rangs, s'était re- 
tiré dans les tribus des hautes vallées de l'Atias. Son courage, 
son audace, ses connaissances spéciales de la tactique romaine, 
lui avaient valu un ascendant dont il ne tarda pas à- profiter. 
Le pillage de colons isolés fut d'abord le seul but de quelques 
bandes qu'il était parvenu à réunir ; ces courses aventureuses^ 



et ALGÉRIE. - - 

le luecèS qui leâ coiif onna, le butin qui en fiit le finit, féteil- 
lèrent l'instinct guerroyant et pillard des tribus africaines. 
Quelques-'Unes se réunirent à lui et organisèrent le pillage stir 
une grande échelle : ce noyau devint bientôt une armée ; une 
des plus grandes tribus du Biledulgérid, celle des Musalons, 
élut Tacfalinas pour chef, et le roi maure Mazippa fit alliance 
atec lui et réunit ses forces aux siennes. L'insurrection fit des 
progrès rapides, et l'armée de Tacfarinas, déjà formidable 
par la réunion de celle de Mazippa, s'accrut encore des Maures 
et des Numides, dont le gouvernement de Juba II avait vio- 
lemment froissé les convictions nationales. L'armée de Tacfa- 
rinas entra en campagne; toute l'Afrique fut en alarmes; 
avec sa cavalerie irrégulière, Mazippa ravagea le pays, jetant 
partout l'épouvante et l'effroi ; Tacfarinas s'avança fièrement 
âU-devant des troupes romaines. 

La puissance romaine en Afrique fut un moment coM'- 
promise. Une seule légion y était cantonnée, et Furius Camil- 
lus qui la commandait, se trouva placé dans la fâcheuse alter- 
native ou de combattre avec des forces d'une infériorité 
numérique trop disproportionnée, ou d'attendre des renforts. 
Dans le premier cas, une défaite pouvait propager l'insurrec- 
tion, réveifier l'antipathie nationale contre toute domination 
étrangère et soulever contre l'autorité romaine, la Numidie 
entière; dans le second, on tombait dans un danger aussi 
grand : c'était celui de faire croire aux Barbares qu'on les re- 
doutait. Les Romains avaient, à ce sujet, un système inva- 
riable et dont le succès a toujours été certain : c'était de ne 
jamais laisser soupçonner aux Barbares, qu'une infraction 
quelconque aux traités stipulés pourrait rester impunie, et que 
la puissance romaine pouvait un seul instant se laisser intimi- 
der par le nombre ou par la force. 

Ce principe impérieux, et qui prend sa source dans une 
connaissance parfaite du caractère des Barbares, régla la con- 
duite de Furius Camillus. Avec sa seule légion et quelques 
auxiliaires, il marcha contre Tacfarinas, écrasa son infanterie 
et mit en pleine déroute la cavalerie de Mazippa, Tacfarinas, 
après avoir combattu avec une grande bravoure* l'enfuit 



ALGÉRIE. ti 

éÊàig lé âkelHy Mtiti flétileilient de qdelquéS^uiïs des sieM. 

Les Rotnaitis, pendant le cours de leurs vastes conquêtes et 
ètt Afrique priucipaléffiéUt , avaient encore fait une remarque 
importante, qui ne doit pas être perdue pour la France : c'est 
ipiBi dMs les tHbuè africaines dotlt un instinct aventurent et 
guerrier fofnie tlh des traits caractéristiques, tant qu^un des 
tSbeh d'fatsdrreetion existe, s'il a su personnifier en lui, avec 
^us otl moins de fondement, un sentimetit même vague de 
llatioiifllité, rin^Ufrectioti quoique cotnprimée en apparence, 
êoute cdtttme lifi fén mal éteint. Sa mort seule met un terme 
8M espérances qu'il a fait naître; jusque-là, tout reste en 
^eëtion : aussi, après la défaite de Tacfarinas, et quoiqu'il 
parût pour toujours relégué dans le désert, Tibère, qui régnait 
dors, envoya en Afrique une seconde légion. 

La prévision de l'empereur fut justifiée. En effet, trois ans 
iiptèêy TadkHaas sortit du désert avec une nouvelle armée, 
;nnrageant tout sur son passage; mais instruit par sa précé- 
dente défaite, il étita tout engagement général, se bornant à 
harcelet* l'ennetni, surprendre les détachements isolés, enle- 
ver les cdnvoi^, et toujours insaisissable se montrant partout 
fet déroutdnt toute la tactique romaine, ses succès et sa réputa- 
tîoil aiicrurent rapidement le nombre de ses soldats; l'armée 
du foi Ptolémée, mécontente de ce roi voluptueux, sans cœur 
rt sans courage, était hésitante entre le devoir et le désir de 
passer à Tacfarinas ; chaque jour des soldats désertaient et 
flnaieiit lé joiildre; les chefs eux-mêmes étaient tous portés 
pour lui, et le proconsul Dolabella, nouvellement arrivé en 
Afrique, fut obligé de faire trancher la tête à quelques-unft 
d'entre eux polir maintenir les autres dans le devoir. 

Cette guerfe difBcile traîna en longueur. La lutte devint opi- 
niâtre : le théâtre de la guerre s'agrandit ; les Garamantes, puis^ 
«iltetribtt du désert, s'allièrentàTacfarinasetmirentleurnom- 
b^eUsecavalerieà ses ordres. Le rusé Maure, suivant son système, 
attaquait toujours les corps isolés, évitant avec soin tout ênga-^ 
gfeiUent général. Cependant, devenu confiant par le succès et 
le nombre de ses forces, il osa methre le siège devant Tubusquë, 
p\Bitto importante et bien fortifiée, à quelques milles de la 



a ALGËRIEJ 

Tédalès de nos jours. De nouveaux alliés rendaient journelle* 
ment sa situation plus redoutable et, nouveau Jugurtha, Tac- 
farinas occupait assez Rome pour que sa tète y eût été mise à 
prix. 

Enfin le proconsul Dolabella adopta un système de guerre 
qui eut le plus heureux résultat. Il divisa les troupes dont il 
disposait en quatre colonnes mobiles, ayant chacune sur ses 
ailes un petit corps de cavalerie, et s'avança dans cet ordre 
vers Tacfarinas, lui fermant toutes les issues, et le poussant 
vers le désert. La disposition de ces colonnes échelonnées de 
manière à pouvoir se concentrer rapidement, et toutes assez 
fortes pour résister à un coup de main, ne laissait de prise 
nulle part et mettait Tacfarinas dans la nécessité, ou de com- 
battre ou de reculer. On le poussa ainsi jusqu'auprès des 
ruines du fort d'Auzœa, près de la ville appelé de nos jours 
Bordj-et-Hamza. Là, ses troupes surprises au joiilieu de la 
nuit furent entièrement défaites et massacrées. Tacfarinas lui- 
même fut tué après avoir fait des prodiges de valeur. Sa mort 
fut accueillie à Rome, comme l'avait été la prise de Jugurtha. 

L'insurrection de Tacfarinas avait dû en partie son formi* 
dable développement au mépris qu'avait inspiré aux Numides 
leur roi Ptolémée, dont la vie efféminée avait révolté tous les 
instincts généreux de ces peuples. Une insurrection nouvelle, 
dont la cause est assez curieuse à étudier, éclata à la mort de 
ce prince. 

Pendant les dix-sept ans qui suivirent la mort de Tacfari- 
nas, les tribus africaines semblèrent résignées au joug qu'elles 
avaient vainement, à deux reprises, essayé de secouer. A cette 
époque, Ptolémée, qui de son or et de ses soldats, avait puis- 
samment aidé les Romains dans leur guerre contre Tacfarinas 
et qui en avait été magnifiquement récompensé par Tibère, 
fut à la mort de cet empereur, appelé à Rome par son succès- 
seur Caligula. Comblé d'abord d'amitié par le nouvel em- 
pereur, il fut ensuite assassiné par lui pour avoir, dans une 
solennité, excité sa jalousie par T éclat de sa parure et la 
magnificence de son costume. 

L'ignoble motif de ce crime souleva d'indignation les deux 



ALGERIE. 45* 

Mauritanies. Ptolemée n'était pas aimé, maiâ il était de la race 
des Juba, des Micipsa, des Massiaissa. Il avait des vices mé- 
prisables, mais ses aïeux avaient eu de grandes vertus. En 
fiiveur des unes, les Maurusiens, les Numides, lui pardon- 
nèrent, alors qu'il était mort, les autres. Us ne virent en 
lui que le sang de leurs rois, qu'un vil et féroce tyran venait de 
foire lâchement verser, et, soit que la conscience des peuples 
les plus barbares, se révolte à la vue du crime bas et vil d'un 
tyran, soit, ce qui est plus probable, que l'assassinat de Pto- 
lemée ne fût que le prétexte de l'explosion de ce sentiment 
d'indépendance et de nationalité qui, toujours et en tout temps, 
n'attendait qu'une occasion pour éclater, la Mauritanie Tingi* 
tane et la Mauritanie Caesarienne se soulevèrent : un affranchi 
nommé OEdémon leva une armée , ravagea la province ro- 
maine et ralluma une guerre qui ne se termina que sous le 
règne deClaiide, (£démon , battu en plusieurs rencontres par 
Lucius Paulinus, qui traversa le premier la doi«ble chaîne de 
l'Atlas, fut définitivement défait par Hasidius Géta. Les deux 
Mauiitanies furent intégralement réunies à l'Empire, et toute 
l'Afirique occidentale, depuis l'Océan jusqu'à la vallée du Nil, 
fut subjuguée. 

Le système d'envahissement de Rome avait été en Afrique 
lent, graduel, mais sûr. L'élément de possibilité d'occupa- 
tionf précédait toujours l'occupation même : c'est-à-diro 
qu'avant d'occuper un pays, elle s'y préparait en commençant 
par annuler 1^ résistances. Ses moyens, pour cela, ont peu 
varié : c'était toujoui^ d'absorber l'élément indigène par l'é- 
lément nouveau^ latin ou grec, qui s'y développait sous sa 
puissante influence. Lorsque ce but était atteint, alors, mais 
seulement alors, elle occupait définitivement : ses transactions, 
la ruse ou la force, suivant les circonstances, motivaient cet 
envahissement. Cette politique avait été, à peu de chose près, 
celle de Carthage, et il est malheureux que deux mille ani 
après, la France ait cru devoir en suivre une autre. Nous au- 
rons plus d'une fois, dans le cours de cet ouvrage, à revenir 
sur ce sujet parce que , dans les efforts faits par la France 
pour assurer son établissement en Algérie, le point qui est 



46 ALGÉRIE, 

lé plus incontestablement important a été le plus négligé. 

Dès que cette occupation de toute l'Afrique occidentale ptt 
Rome fût un feif accompli et revêtu de ce caractère irréyo-» 
cable que la politique romaine imprimait à toutes ses con^ 
quêtes, les émigrations s'y multiplièrent. Jusqu'alors elles 
avaient eu moins ce caractère de spontanéité qui agglomère ^ 
dans Tespoir du bien-être, des populations sur un poinî 
donné^ que celui d'une sollicitude gouvernementale qui veut 
déverser sur ce point une population gênante ou ouvrir une 
voie au trop plein .qui la déborde. C'est ainsi que César peQp 
plait les colonies africaines d'hommes ruinés par les gu^mt 
civiles, ou d'esprits turbulents que l'irritation ou la mis^ 
pouvaient pousser à de dangereux excès. C'est ainsi qu'Âu^j 
guste envoyait trois miUe familles pauvres à Carthage relevée de 
ses ruines. Mais, dès que toute l'Afrique occidentale fut réunieà 
l'Empire, que la nationalité romaine y fut établie en principe 
et en fait, les émigrations furent spontanées, volontaires. L'I- 
talie, l'Espagne, les Gaules, l'Asie, la Germanie même, en-* 
voyèrent leurs contingents, et de toutes les partie de VEm^ 
pire on accourut sur cette terre féconde pour demander à 
Fagriculture et au commerce des richesses qu'elle oclroyait 
libéralement à l'activité et au travail. Bientôt après eut heu 
en Afrique la grande migration juive lors de la destruction de 
Jérusalem par Titus : elle fut suivie ensuite par celle plus 
grande encore des derniers débris de cette nation qui , sous 
Adrien, y passèrent volontairement ou y furent transportés 
comme esclaves. Ils fiirent une des souches de cette populav 
tion juive qui s'y est maintenue jusqu'à nos jours. 

C'est à cette époque qu'on peut reporter la colonisation 
définitive de l'Afrique occidentale par les Romains. Il ne 
faudrait pas cependant attacher à ce mot le même sens que 
nous y attachons aujourd'hui, parce qu'on n'aurait qu'une idée 
fausse et incomplète de l'action qu*exerçaient les Romains sur 
les populations vaincues. Il est même indispensable d'entrer 
à ce sujet dans quelques expUcations. 

Parmi les divers systèmes qui ont été émis ou discutés 4e 
nos jours pour coloniser l'Algérie, quelques-uns ont proposé 



ALGÉRIE. «7 

les Romains comme vn modèle exclusif en $t fondant tnr m 
foit, que sous leur domination, la fusion de^ races conquérante 
et conquise fut complète en Afrique, et que dès lors les 
mêmes moyens doivent ou peuvent amener les mêm^s effets. 
14 ^t Terreur. Non seulement les moyens de la France mo- 
derne ne sont pas les mêmes qm ceux de Rome antique , 
mais encore, dans Tétat actuel de nos nuçurSi dp nosunages, 
de nos lois, les effets ne pourraient être les mém^s. Parmi kf 
moyens cependant, il en est un, le plus important de tous, 
que la France peut mettre en usage avec autant de isuccè» 
que Rome. C'est l'assimilation par la puissance de l'eipemple» 

En effet, nous avons vu qu'en s'emparant de l'Afrique oc- 
cidentale, les Romains ne l'avaient d'abord gouvernée que 
politiquement, habituant les indigènes à recevoir leurs rois dé 
leurs mains, exerçant dans leurs conseils une influence sou^ 
veraine et absorbant peu à peu l'élément indigène par l'in-- 
troduction d'un élément nouveau déjà &çonné à la civili*^ 
sation romaine. C'était la première phase après la conquêta. 
Ensuite ils administraient par eu}^-mêmes, soit par la réur 
nion de ces états à la province romaine, soit par le droit 
de naturahsation ou de cité qu'ils donnaient à des villes ou 
h des colonies, mot qui, vers le troisième siècle de notre ère, 
était équivalent h celui de bonne ville en France, au moyen- 
j^e, un pur titre d'honneur. Alors commençait la troisième) 
phase, ce qu'on appelle la colonisation : c'est-à-dire la mise 
en valeur des terres sur une grande échelle. En c'est en cela 
principalement que nos moyens diffèrent complètement des 
leurs. 

Les populations numides et maurusiennes ou maures, que 
les Romains soumirent, n'étaient pas en général dispersées et 
errantes comme les Rabiles et les Arabes de nos jours : elLep 
étaient nombreuses et agricoles : bien plus, elles étaient atta^ 
chées au sol par une espèce de servage que le défaut de mOf- 
nument empêche de bien préciser : en conquérant la terr^, 
les Romains conquéraient dès lors des travailleurs : les anciens 
gouvernements pouvaient disparaître, mais le sol restait avep 
les bras pour le (uitiver. Tout alors devenait ioah^ h9Tsqfi9$ 



H ALGÉRIE. 

comme dans la guerre contre Carthage, la conquête n'avait 
pas pour résultat effectif la destruction du vaincu, elle se 
bornait à un partage du sol avantageux pour le vainqueur, 
et à une espèce d'association dans laquelle les intérêts du 
vaincu étaient ménagés. Ainsi, par exemple,' en Afrique, on 
lui laissait généralement l'exploitation du sol moyennant une 
redevance. L'ancien possesseur devenait fermier, et le tra- 
vailleur, qui formait la partie la plus nombreuse de la po- 
pulation, ne faisait que changer de maître. U appartenait à 
une terre romaine au lieu d'appartenir à une terre numide, 
maurusienne ou gétule. 

La religion des deux races conquérante et conquise n'op- 
posait pas non plus alors un grave et sérieux obstacle à tout 
rapprochement. Les deux peuples étaient idolâtres, et leur 
croyance n'avait rien d'exclusif. Les habitante notables des 
villes briguèrent avec ardeur et reçurent avec reconnaissance le 
droit de cité. Ces nouveaux citadins se lancèrent, à l'exemple 
des Romains, dans la carrière des honneurs et des emplois; 
leurs enfants prir€;^t des^noms romains qui devinrent bientôt 
des noms de famille. Leur éducation toute romaine fit dispa- 
raître peu à peu la dernière nuance du caractère national. 
Cet exemple donné par les classes supérieures se propagea 
dans les classes inférieures. La double influence du pouvoir 
et de la civilisation agit simultanément sur la population 
vaincue. Et d'une part, l'intérêt, l'ambition et la vanité; de 
l'autre, le temps, les maîtres d'école, la littérature et les arts, 
complétèrent l'œuvre d'assimilation des deux races. 

A cette forme de colonie dont nous venons de parler s'en 
joignaient plusieurs autres qui paraissent se confondre dans 
les dominations d'alors, coloniœ sagatœ et coloniœ togatœ. Les 
premières étaient des espèces de colonies militaires, les secon- 
des des sortes de colonies civiles. Peu de renseignements 
restent sur l'organisation intérieure de ces deux diverses for- 
mes de colonies : on a plus de notions sur les éléments de leur 
composition. C'étaient ou des soldats se livrant à une culture 
collective, moyennant un droit déterminé sur l'usufruit seule- 
inent ou bien des vétérans, d^ affranchis ou fils d'affranchis 



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ALGÉRIE. 49 

nés eft Espagne, dans les Gaules, la Germanie, la Grèce, TA- 
âe, dans l'univers romain enfin, qui, quoique issus de pays 
divers, étaient entièrement romams^s, arrivaient là avec leurs 
femmes, leurs enfants, parlant la langue de Rome, ayant ses 
mœurs, ses usages, ses lois. Ces hommes, ou se livraient au 
commerce, ou bien cultivaient, par eux ou leurs esclaves, des 
terres appartenant à TËtat : ce qui , dans la petite comme 
dans la grande culture, excluant tout caractère de droit de 
propriété individuelle, change entièrement les conditions de 
colonisation usitée par Rome en Afrique et mise en pratique 
par la France en Algérie. 

Nous essayerons plus tard de déduire les avantages qui pou- 
vaient découler de ces diverses formes de culture, il nous suffit 
maintenant d'avoir constaté les différences des conditions 
dans lesquelles la France a entrepris en Afrique, une œuvre 
menée à bonne fin par les Romains. 

n est cependant un point important dans lequel, pour cette 
œuvre, la France est dans presque les mêmes condition-* que 
Rome : c'est cette grande puissance d'assimilation qui a été un 
des caractères distinctifs de Rome et qui , à deux mille ans 
d'intervalle, est incontestablement celui de la France. C'est 
là principalement ce qui doit assurer la domination française 
en Algérie. Les autres moyens ne sont que secondaires, dé- 
pendant du plus ou moins d'habileté du gouvernement, pou- 
vant contrarier l'œuvre, éloigner le temps de la fusion, la 
compromettre momentanément , mais n'en jamais annuler 
la possibilité. Pour cela, on ne doit pas perdre de vue que, 
maintenant coloniser n'est plus asservir, dépouiller, extermi- 
ner despeuples comme ont fait les Espagnols en Amérique, les 
Hollandais au Cap, les Anglais partout : mais les élever au ^ '-'■%'*• 
sentiment de civilisation et d'association. En cela, la France a c^J-^ 
toujours été et est maintenant plus que jamais le représentant ' «^ '^ 
le plus généreux de cet intérêt humanitaire, et, aux mé- 
comptes et aux revers qui, dans cette voie sublime, ont pu ou 
pourraient l'assaillir, elle a toujours su et saurait encore oppo- 
ser la persévérance, les sacrifices et la' conscience de la noblo 
mission qui semble lui être dévolue en partage. 

T. I. 4 



• ■> * 



60 ALGERIE. 

Depuis Tan 43 jusqu'à Tan 429 de notre ère la fiision acheva 
de se compléter entre les Âfiricainset les populations romai* 
nés. Mœurs, usages , légidation, arte^ littérature, religion, 
patriotisme, tout devint commun à l'Afrique et à Rome* Les 
obstacles intérieurs dont la divergence des races etla situation 
réciproque du peuple conquérant et du peuple conquis, avaient 
été jusqu'alors la cause ou le prétexte , disparurent. Les maux 
qu'elle éprouva ne p^vinrent que de son identification avec 
la métropole et lui frirent à peu-près communs avec le res- 
tant de l'univers romain.' 

Sous Néron écrasée, comme les autres provinces de l'Empire 
BOUS le poids des impôts, sous les exactions des propréteiu^ , 
elle se révolta contre Macer qui y commandait, comme l'Espa^ 
gne et les Gaules s'étaient soulevées contre leurs gouverne- 
ments. Pendant que Galba, Otfaon et Vitellius se disputaient 
l'Empire, l'anarchie y succéda,comme partout, àl'ordre* Tran- 
quille et paiûble pendant le cours des règnes rapides qui se 
succédèrent depuis Commode jusqu'à Alexandre Sévère, elle 
se souleva sous le règne du féroce Maximin, et donna pour la 
première fois un empereur à l'Italie, Gordien. 

La pourpre de Rome était alors le prix de la révolte et du 
sang, et les règnes des empereurs ne se comptaient presque 
plus par années, mais par jours. Pour élever des compétiteurs 
à Tempire, la guerre civile était partout; chaque année avait 
son prétendant et le sénat en était ilèduit à ratifier le choix 
du plus fort. 

 ces discordes civiles qu'aucun noble et généreux sent^ 
ment n'inspirait et dont le motif était toujours ignoble et vîl, 
se joignirent d'abord et succédèrent ensuite de grands revers, 
Le monde romain se disloquait de toutes parts: les Goths rava- 
gèrent l'Asie, les Vandales la Gaule et l'Espagne, les Francs 
les côtes d'Afrique. Rome non-seulement n'attaquait plus 
alors, mais elle était déjà hors d'état de se défendre. Un de ses 
princes tributaires, Firmin, chef des populations étaUies entre 
les colonies romaines et les tribus nomades, renouvela les 
guerres de Jugurtha et de Tacfarinas. H arracha une partie de 
1 Afrique aux Romains, menaçait de l'arrachei tout entière^ 



ALGÉRIE, li 

lor6(iae vaincu à plusieurs reprises par Théodose et Itrahi par 
Ygmazen, chef des Isaffliens, son allié, il s'étrangla, après 
avoir commencé cette série d'incessantes révoltes qui agitèrent 
l'Afirique jusqu'au moment où elle passa sous la domixuition 
des Vandales. 

Mais, à cette époque déjà et depuis plusieurs siècles, une 
cause permanente de troubles et de discordes avait soulevé 
l'Afirique. L'Ère du christianisme avaiÉ commencé, et sous 
rintérét de cette immense révolution rehgieuse, Timportaoce 
des événements poUtiques et militaires avait, en quelque sorte^ 
totalement disparu. 

j Voici comment un auteur contemporain explique cette ré^ 
volution religieuse, et classe la part qu'y eut l'Afrique (1). 

« Le christianisme assignant pour principe aux notions du 
droit, non la volonté d'un ou de plusieurs , mais la volonté de 
Dieu, enseigna que les gouvernements ne tenaient leur pou- 
voir que de Dieu, que la légimité ne faisait pas la force bru- 
tale, mais la force consacrée par le droit, l'homme se trouva 
[uréparé ainsi à revendiquer son rang et sa part dans le patrie- 
moine commun. 

a n s'aperçut alors que la race dominante n'avait laissé voir 
en lui qu'un instrument, un objet d'exploitation. Dès ce mo- 
ment toutes les chaînes furent moralement brisées; l'avenir 
réclama un ordre et une activité tout entière, et les degrés de 
la chute de l'empire romain furent les degrés ascendants de 
l'idée sociale universelle. 

« D'Auguste à Constantin s'opéra la transformation du vieux 
monde en un monde nouveau. L'univers fut le théâtre de la 
lutte. Le temps en fut la chance : l'avenir assuré au principe 
prc^ressif le triomphe 

« Ces germes d'émancipation et de progrès éclosent d'abord 
à peine. On les voit poindre timides à la surface du sol; mais 
ils sont pleins de sève, d'avenir et de terreur. La religion vient 
en aide à leur développement; elle s'humanise et se lait chair: 



(1) C. Leytuidier. ïMùire de la famUleetdé smi m/IcMnct mm* U$ tmjsum doM 
Uë ëociêU$ (uUiqtéCê a m<Hkrti€». Paris. 4845. 



52 ALGÉRIE. 

tendant la raaîn àPhomme pour Télever jusqu'à elle, elle s'in- 
cline en même temps vers lui, faisant ainsi la moitié de la 
route entre le ciel et la terre. 

a Dès ce moment tout se généralisa ; il n'y eut que deux 
unités dans Tunivers, le monde romain d'une part, l'idée so- 
ciale et religieuse d'avenir de l'autre. Chaque fragment tom- 
bant du trône romain ajouta un débris au débris du vieux 
monde; chacune des t>ierres se détachant de cet édifice vieilli 
avant l'âge servit à la reconstruction du monde nouveau; un 
conflit s'engagea: la lutte eut lieu entre deux forces contrai- 
res égales un moment: l'une par l'afiaiblissement de sa puis- 
sance ancienne, l'autre par l'accroissement de sa puissance 
nouvelle. Elle devint terrible, impitoyable, lorsque, de leurs 
forêts sauvages, se ruèrent sur le terrain de la civilisation nou- 
velle dont ils furent les bras, ces géans septentrionaux desti- 
nés à la régénération de ce monde flétri 

a ce moment les hommes et les événements disparaissent 
pour faire place aux idées. Une doctrine, prenant son point 
de départ dans la morale, s'était produite au milieu de tous ces 
instincts religieux et moraux et y avait pénétré, circulé comme 
un dissolvant. 

« Pour se faire aimer, admirer, accepter, elle n'avait ap- 
porté de nouveau que les titres perdus du genre humain ; mais 
elle avait donné une application plus puissante aux affections, 
aux pensées qui constituent l'homme moral, affections saintes, 
pensées viables qui ne peuvent périr: foyer ardent de dénoue- 
ment et d'amour dont la débauche du monde romain n'avait 
pu étouffer toutes les étincelles. Au premier souffle d'un vent 
régénérateur, la flamme jaillit pétillante: l'embrasement se 
propagea et porta l'exaltation des idées aussi loin qu'avait été 
l'exaltation de la matière. 

« Ce fut la mission des martyrs: l'Afrique devint le théâtre 
principal de leur gloire. 

a Pour remplacer la destruction qui menaçait de tout en- 
vahir, ils reconstituèrent le sacrifice, sanctifièrent le dévoue- 
ment, stigmatisèrent le bien-être. Divinisant tout ce que le 
monde roniain répudiait, répudiant tout ce qu'il divinisait. 



ALGÉRIE. S3 

ils firent jaillir rétincelle de la vie moderne des cendres de la 
vie antique. 

« Jamais le but de l'humanité n'a été révélé si ardemment 
à l'homme; jamais les vrais principes d'ordre, de force, de 
moralité, de bien-être ne se sont produits sous une forme si 
saisissable que pendant ces siècles d'épreuves de la loi chré-- 
tienne. Des malheureux sans ressources, la plupart sans asyle^ 
inconnus les uns aux autres, étrangers par le sang, par la pa- 
trie, écrasés par le despotisme, avilis par la corruption, sortent 
tout-à-coup de leur néant et s'unissent dans une pensée com^ 
mune. Sans autre base que cette pensée, sans autre frein 
qu'un vague instinct de réhabilitation, au miUeu d'une société 
riche et puissante, s'implante cette société pauvre et faible!! 
Quand autour d'elle tout était désordre, faiblesse, dépravation^; 
malheur, en elle la croyance suffit pour assurer l'ordre, l'exem- 
ple pour épurer les mœurs ; le collectisme fait sa force, le dé- 
vouement son bonheur. Les membres de cette société nou- 
velle avaient à lutter contre la richesse, contre la puissance, 
contre les lois, contre tout ce qui fait la force du monde; ils 
n'avaient pour eux que leur courage et leur foi, et ils luttent* 
La plupart d'entre eux, nés dans l'esclavage ou débris abrutis 
de la conquête, n'avaient jaibais connu les affections douces du 
foyer, les instincts aimants et chastes de la famille, et la foi 
nouvelle les initie d'emblée à ces affections et à ces instincts. 
Ken plus elle leur inocula un courage inconnu jusqu'alors au 
monde, ou qui, du moins, ne s'était pas encore produit d'une 
manière assez ostensible pour honorer l'homme et le grandir; 
Ce n'était pas ce courage froid et réfléchi d'une mort prompte 
et eir plein soleil, ce courage ardent et aventureux que le dan- 
ger exalte et qui ne tremble pas devant l'abîme entr^ouvert; 
mais ce courage contre une mort lente et ignorée, contre des 
souffrances incessantes ; ce courage en un mot, qui fait dormir 
dans une tombe ouverte qui peut se fermer pendant le som- 
meil 

« Sous l'influence dece courage se produisit une iamflle im- 
mense : le monde en fut le foyer. Tous les hommes en furent 
Ut mttnbresi Dans l'univers il n'y Mt phtâ d'itlflitidMs I il 



54 ALGÉRIE. 

n'y eut que des frères, les uns égarés, les autres croyants; 
les uns oppresseurs, les autre opprimés; les uns persécuteurs^ 
les autres persécutés ; et quand, du sanctuaire de cette famille 
sanctifiée, des bourreaux venaient arracher les membres par 
centaine, ces sublimes martyrs, mutilés par la torture, frappés 
par le glaive, consumés par le feu, dévorés par les lions , 
criaient : FRATEamiÉ! et mouraient heureux en entendant 
les échos du monde répéter : FRATERNrrËl 

« L'homme venait de découvrir le but de sa destinée ter- 
restre, et l'humanité son terme final. » 

Pendant ce temps d'épreuve et de grandeur, de souflrance 
et de magnanimité, l'Église d'Afrique s'était fait remarquer 
par l'ardeur et la constance de sa foi : et cela s'explique. Par 
le droit public de l'époque toute population conquise était 
esclave. Par l'affranchissement ensuite , se créait peu à peu 
une population libre mais qui, par elle ou par ses ayeux, était 
sortie de l'état de l'esclavage. L'immense majorité des peuples 
de la Numidie et de l'Afrique proconsulaire était dès-lors 
d'origine servile. Le reste de la population coloniale Grecs; 
Gaulois, Espagnols, Asiatiques, Germains et même Italiens 
n'avaient pas non plus d'autre origine (1). L'action de la loi 
chrétienne dut alors frapper ces hommes d'autant plus vive- 
ment, qu'indépendamment du principe de réhabilitation qui 
en était la base, elle annonçait un dieu sorti de leurs rangs. 



(1) ff Lorsque Rome avait des guerres oontinuéllea, il fallait qu'elle réparAt 
continuellement ses habitants. Dans les commencements on y amena une partie 
du peuple de la ville vaincue; dans la suite, plusieurs citoyens des villes voi- 
sines y vinrent pour avoir droit de suffirage. Enfin on y arriva en foule des pro- 
vinces... Rome fit dans ses guerres un nombre d'esclaves prodigieux, et lors- 
que ses citoyens furent comblés de richesses, ils en achetèrent de toutes parts, 
mais ils les affranchirent sans nombre, par générosité, par avarice, par faiblesse 
et, selon Tacite (Annal, liv. xin, ch. 2, p. 28), le peuple fut presque composé 
fT affranchis^ de façon que ces maîtres du monde, non*senlement dans le com«- 
menoements mais dans tous les temps, furent la plupart d'origine servile* Le 
iMmibre du petit peuple presque tout composé d'affranchis et de fils d'affranchis 
d0fMiaiil incommode, on en fit des colonies par le moyen desquelles on s'as- 
wtâ MÉMdesjirovtaieM» CMtaftiine circuhitlon d'hommes de tout l'uni- 
] li](%noBViât efoUves et les y envoyait Romains. 

K ftÊqfàea. Grandeur et Décadence des Romains, ch. un. 



ALGÉRIE; U 

Si le diéQ des chrétiens se fut révélé au monde comme un 
dieu d'or et de puissance, cette image de la force était ap* 
parue si souvent déjà, qu'elle serait passée inaperçue. Mais un 
homme sorti, en apparence, des dernières classes du peuple, 
né au sein de la misère, et prétendant gagner par sa croix 
le monde dont Rome était maltresse, frappa sans peine tous 
les eq;>rit8 d'étonnement et d'admiration. Les esclaves reniés 
accoururent à la voix du dieu esclave : les peuples opprimés 
se jetèrent dans les bras du dieu opprimé. 

Aussi vers la fin du deuxième siècle de notre ère les caver- 
nes les plus cachées, les sables les plus brûlants, les solitudes 
les plus horribles étaient peuplés de chrétiens qui fuyaient de 
sanglantes persécutions. Pendant ces jours tenîbles le zèle et 
la foi s'exaltaient, et puis lorsque succédaient des jours plus 
tranquilles et que la tolérance des Césars laissait reposer la 
hache des bourreaux, le nombre des chrétiens s accroissait au 
point que Tertullien, ce Bossuet africain, comme l'appelle 
ll« de Chateaubriand, disait aux gouverneurs romaips. « Que 
« ferez*vous de tant de milliers d'hommes, de femmes de tout 
« 6ge, de tout rang, qui présentent leurs bras à vos chaînes? 
c De combien de fers, de combien de glaives, n'aurez-vous 
< pas besoin : décimerez^vous Carthage? » 

Cependant la province d'Afrique se couvrait d'églises et d'é- 
Vëchés ; mais pendant ce temps aux irruptions isolées des 
hordes teutoniques qui avait fSut trembler la république, aux 
courses partielles des Scythes et des Gothsqui avaient inquiété 
les premiers siècles de l'Empire, succédèrent avec une effroya* 
Ue continuité des invasions générales. Alaric, avec ses Goths 
attaque Rome et la pille, U 62 ans après sa fondation. Les Van- 
dales, les Alains, les Suèves s'emparent de l'Espagne après 
avoir désolé toutes les provinces de la Gaule. Aux Vanddes, 
auxSuèves, auxAlainssuccèdentlesAUemandsetles Visigoths. 
Après eux, déborde dans l'univers romain la terrible armée 
des Huns, conduite par Attila, effroyable avalanche vomie 
par les montagnes Carpathiennes et qui étend partout la dé- 
scdation, la mort. 

Moins a£Qigée que les autres provinces de l'Empire. TAfri-^ 



S6 ALGÉRIE. 

que, aux quatrième et cinquième lîècles, servit de refuge aux 
familles Romaines chassées d'Italie par les barbares. Les Ga- 
ramantes, les Âusturiens, les EssefQiens, barbares intérieurs^ 
venaient bien, de temps à autre, piller les riches domaines des 
citoyens d'Hippone, de Carthage et de Leptine ; mais ces 
courses de pillards ne ressemblaient pas à ces invasions des 
Goths et des Huns, qui pillaient le plat pays, brûlaient les vil- 
les, enlevaient les effets des habitants, faisaient esclave tout 
ce qu'ils pouvaient entraîner et massacraient le reste. 

Jusqu'à l'invasion des Vandales en 424, l'Afrique échappa 
aux grandes éruptions qui désolaient le monde, et il n'est pas 
sansintérétde montrer quel était alors l'état de cette société 
africaine que nous avons vue nomade et barbare. 

Ce qui donnait alors au citadin africain de l'influence et de 
la considération, c'était de posséder plusieurs maisons, d'avoir 
des habitations bâties avec goût , de vastes parcs, de frais jar- 
dins, des bains au bord de la mer. Si avec cela il était joueur^ 
prodigue, grand chasseur, hôte magnifique, il trouvait de 
nombreux clients prêts à le défendre ; si ensuite il donnait au 
peuple des combats de bêtes féroces, s'il tenait table ouverte 
toujours renouvelée où la foule se gorgeait d'une nourriture 
abondante et ses amis d'une chère exquise, alors sa cité votait 
en son honneur une inscription gravée sur le bronze, sa statue 
était érigée sur la place publique et la cour ajoutait parfois le titre 
de perfectissimus et de clarissimush ces honneurs municipaux. 

Les dieux, du reste, étaient moins bien traités que le peuple: 
leurs statues n'étaient plus protégées que comme propriété 
mobilière : elles avaient leur jour de faveur et de disgrâce, et 
subissaient les vicissitudes de la politique. Il y eut à Carthage 
un Hercule qui, sous un proconsul de son parti, fut décoré d'une 
barbe d'or, qu'un proconsul du parti contraire lui fit raser 
l'année suivante. Depuis longtemps déjà des empereurs ro- 
mains avaient fait couper la tête à des statues d'Apollon et de 
Mars mettant leur propre effigie à la place. 

La confusion des idées, l'hésitation des croyances, était le 
caractère presque général de l'époque. Les esprits flottaient 
ènité le paganûme et le christianisme; au0si le peuple^ quatad 



ALGÉRIE, %7 

il ne défendait pas son idole les aimes à la main, s'accommo- 
dait assez du mélange des deux religions. En sortant de Té- 
g^ise chrétienne, il allait sacrifier dans le temple de la Grande 
Déesse céleste, et surtout s'y asseoir sans façon aux tables que, 
pour attirer les chalands, les riches citoyens du parti avaient 
soin d'y faire servir. 

Cette incertitude des idées religieuses, ce matérialisme dans 
la vie, cette insouciance du présent et de l'avenir, distinguaient 
particuUèrement ceux qui, mêlant les deux croyances, es- 
sayaient de se faire une religion éclectique. C'était la queue 
de l'épicuréisme romain, citoyens-rois déchus, mendiants dé- 
hontésy ayant abjuré leur dignité d'homme, étrangers à toutes 
les affections de famille, à tous les instincts moraux, vivant 
au jour le jour, sans soucis, sans tracas, traînant insolemment 
leurs guenilles du forum dans les cirques et trouvant leur pâ- 
ture à la table des riches ou dans les temples, comme les oi- 
seaux de basse-cour dans les mangeoires des fermes. 

D n'en était pas de même des adeptes fervents de la foi nou- 
velle. Encore imbus du génie du paganisme, ils semblaient en 
redouter la pernicieuse atteinte. Au heu de se mêler à cette 
foule de parasites qui , réguUèrement , étalaient insouciants 
leur nuUité aux tables et aux fêtes pubUques dont les riches 
faisaient chaque jour la fastueuse aumône, ils se fuyaient eux- 
mêmes, ne s'occupant que de leur âme. Leur vie n'était que 
contemplation et prière; elle se résumait dans cette concen- 
tration et cet ascétisme des anachorètes dont saint Antoine, 
sur le mont Colzim, rédigea plus tard les règles pour le com- 
bat singulier du désert (singularem pugnam eremij. 

De cette tendance à l'isolement, de cette ardeur effrénée de 
vie contemplative plus ou moins étendue depuis la simple pri- 
vation des plaisirs mondains jusqu'aux {^ dures macérations 
du cénobitisme, naquit une indifférence totale pour les biens 
terrestres et une abnégation sans exemple dans les annales du 
monde. Chaque chrétien se crut plus riche à mesure qu'il se 
dépouillait de son avoir. Dans un empressement irréfléchi, les 
femmes donnaient ce qu'elles avaient de plus précieux aux 
bmUim {{tti tfMisnt dimtttdMrt In p^rw de flu&iUi fiôatlMt 



89 ^u. ALGÉRIE/^ 

donation de leurs biens à l'Église^ Quelques éréques, et entre 
autres saint Augustin, blâmaient sévèrement cette indiscrète 
prodigalité ; mais le peuple mendiant et vivant de la génénn 
site des moines comme de la magnificence des riches dtadins 
aimait à voir grossir la fiurtune de TÊgUse et approuvait ces 
dons. 

Ces deux siècles, le quatrième et le cinquième, forent le 
temps du véritable règne en Afrique de l'Église chrétienne 
comme partout. D'une part, le nombre toujours croissant des 
donations ecclésiastiques contribuait presque autant que l'ex- 
propriation barbare à changer la propriété de forme. Ces do- 
nations constituaient un nouveau droit domanial, qui, avant 
tout abus, devait servir à faire apprécier le collectisme dont il 
développait la puissance sous sa forme la plus palpable, la 
communauté: aussi, aurons-nous peut-être à examiner dans 
la suite, si nous ne retrouverons pas là quelque trace de la cul- 
ture collective si généralement usitée parmi les populations 
arabeset kabyles de rÂlgérie. 

D'autre part, les hérésies d'Ârius, d'Apollinaire, de Nesto- 
rius, en jetant des brandons au sein de l'Ëglise à peine con- 
stituée, imprimèrent aux esprits une activité prodigieuse qui 
tourna tout entière au profit d'une doctrine acceptée d'abord 
avec enthousiasme, mais, sauf des exceptions, suivie ensuite 
avec tiédeur. L'esprit humain a besoin d'aiguillon; quand il 
croit avoir conquis une partie de la vérité, il s'arrête et parait 
se complaire dans sa possession tranquille. Pour le faire sortir 
de ce repos infécond et trompeur, pour le pousser en avant, 
il faut le provoquer à l'action et à la vie. Tel fut l'effet des pre- 
mières hérésies. La religion, la science, l'intelligence humai- 
nes, provoquées, sonunées, acceptèrent ce grand défi. Les 
disputes théologiques, les travaux de saint Jérôme et de saint 
Augustin, l'éloquence de saint Chrysostôme, l'austérité de 
saint Àmbroise, préoccupèrent plus les esprits que les épou- 
vantables malheurs de l'invasion barbare. Alaric, Attila frap- 
paient, exterminaient les hommes plus encore qu'ils ne les 
occupaient, et, pour la première fois, l'esprit humain se dé^ 
gagea totalement des liens qui, depuis des siècles, le tenatenit 



ALGÉRIE. SO 

etdusitemœt enchaîné aux biens et aui maux purement ma 



Ce fut pendant que s'opérait ce retour vers des idées plus 
mie» et plus en harmonie a^ec le bien-être de l'humanité, 
qae^ sous le gouvernement de Placidie, qui régnait en Occi- 
dent sous le nom de son fils Valentinien III, les dissentiments 
de deux de ses généraux, Aetius et Boniface^ amenèrent les 
Vandales en Afrique^ Fan 424 de notre ère. 



PÉaiODE VAJIDALE., 



La domination romaine en Afrique avait dnrfi ^-^1)1 siècles , 
celle des Vandales ne dura que cent ans. Ces barbares du 
Nord, après avoir ravagé la Germanie et la Gaule, avaient 
envahi l'Espagne et s'étaient établis dans la Bétique, à qui ils 
laissèrent leur nom { Vandalousief Andalousie). Placidic, 
pour arrêter leurs envahissements, leur envoya un ambassa* 
deur, le comte Boniface, gouverneur de la firovince procon- 
sulaire d'Afrique. Boniface était chargé de sanctionner les 
conquêtes qu'ils avaient &ites en Espagne et que Borne était 
alors hors d'état de revendiquer par la force. Boniface se ren- 
dit auprès de leur roi, et s'y éprit des charmes d'une jeune 
princesse vandale. U la demanda en mariage et l'obtint sans 
peine* 

Un des principaux généraux de l'Empire, Aëtius, secrète- 
ment jaloux des exploits du comte Boniface, saisit cette oc* 
casion pour élever des soupçons dans l'âme de Placidie, en lui 
représentant le marine du comte comme un projet d'ambi- 
tbn arrêtée, pour se rendre indépendant et s'assurer au be-* 
soin l'appui des Vandales. Placidie le crut, donna ordre à 
Boniface de se rendre auprès d'elle; mais celuin^i, soit qu'il 
eût des soupçons sur le sort qui l'attendait, soit qu'il eût réel« 
lement l'intention de se déclarer indépendant, refusa d'obéir. 
Une année fut envoyée contre lui. Trop faible pour résirter 



60 ÀL6Ë3UE. 

aux forces de rOccident, il fit un traité d^alliance défensiYe 
avec les Vandales, et leur céda, pour prix de leurs secourSi 
les trois Mauritanies : Tingitane, Goesarienne et Sitifienne^ 
c'est-ànlire tout le territoire comprenant aujourd'hui le Ha« 
roc, Fez, Oran, Tittéry, Alger et la province de Sétif. Le rdi 
Genseric, un des chefe les plus redoutables qu'ait produit le 
monde barbare, traversa le détroit sur des vaisseaux fournis 
par Boniface, et débarqua en Afrique avec toute la nation 
vandale : quatre-vingt mille combattants et un nombre dou* 
ble à peu près de vieillards, d'enfants et de femmes. 

Ces barbares se répandirent comme un torrent. Toute la 
côte de la Mauritanie fiit saccagée, et loin de se borner aux 
provinces qui leur avaient été cédées, ils s'avancèrent vers la 
Numidie. Bientôt ils purent compter sur de nombreux auxi- 
liaires ; les populations mécontentes et les tribus indociles de 
l'intérieur qui avaient subi sans l'accepter le joug de Rome, se 
joignirent à eux. Le fer et le feu ne furent pas les seuls 
fléaux qu'ils apportèrent sur cette terre alors si riche. Pendant 
leur séjour en Pannonie, ils avaient été convertis au chris* 
tianisme et avaient embrassé l'hérésie d'Ârius. Aussi farouches 
sectaires qu'ils étaient guerriers féroces, ils propagèrent 
l'arianisme avec autant de fanatisme qu'ils étendirent leurs 
conquêtes. Bientôt ils eurent de nombreux adhérents, et les 
dissidends de toutes les sectes se réunirent à eux contre les 
chrétiens orthodoxes d'Afrique. Les discordes reUgieuses vin- 
rent ajouter leurs maux à ceux de l'invasion, et la persécution 
décimait le petit nombre de ceux qui échappaient au glaive 
des Barbares. L'incendie, la désolation, les supplices, la mort, 
planaient alors sur l'Afrique comme ils avaient plané naguère 
sur le reste du monde romain. 

Le comte Boniface s'aperçut alors qu'au lieu d'aUiés, il 
s'était donné des maîtres terribles. Rentré en grâce auprès de 
l'impératrice, il voulut faire retourner les Vandales en Es- 
pagne ; il offrit de l'or : ils le rejetèrent; il essaya des menaces: 
ils n'en tinrent compte ; il ne lui restait alors qu'à les com- 
battre : il le fit et fut vaincu ; il s'enferma dans Hippone 
ivss 1m débris ds ion armés i Isi Vs&dalsi Ty aMito&rsnti 



ALGÉRIE. 61 

Pendant ce mémorable siège, vivait encore dans Hippone^ 
dont il était évèque, wie des plus grandes gloires de TAfrique^ 
saint Augustin. Lorsque Boniface, trahissant à la fois son 
pays, sa religion et sa gloire, eut appelé les Vandales en 
Afrique, le langage que lui tint saint Augustin en lui repro- 
chant sa faute est curieux à reproduire comme un monument 
qui peut constater combien il y avait loin de la pureté évangc-» 
lique des prélats de TËglise primitive avec ceUe des prélats 
des temps modernes qui, lors de la Révolution française e( 
depuis^ ont si souvent appelé la guerre étrangère et la guerre 
civile au profit de leurs intérêts temporels. 

« Comte Boniface, lui disait-il, souviens-toi quel tu étais 
€ tant qu'à vécu ta première femme, de religieuse mémoire, 
€ et dans les premiers jours de sa mort! Souviens-toi à quel 
« point te déplaisait la vanité du siècle, et combien tu dési- 
« rais le service de Dieu I Qui aurait supposé, qui aurait 
c craint que Boniface, comte du Palais et de l'Afrique, occu* 
c pant cette province avec une si grande armée et une si 
« grande puissance, les Barbares deviendraient si hardis, 
€ avanceraient si loin, désoleraient un si grand espace et 
« rendraient déserts tant de lieux habités? Qui n'aurait dit 
« quand tu prenais la puissance de comte, que non-seule- 
€ ment les Barbares seraient domptés, mais qu'ils devien- 
« draient tributaires de la province romaine? Et maintenant 
€ tu vois à quel point l'espérance des hommes est démentie, 
c Si tu as reçu de l'empire romain des bienfaits, ne rends 
c pas le mal pour le bien ; si, au contraire, tu en as reçu 
« d'injustes traitements, ne rends pas le mal pour le mal. 
« Laquelle est vraie de ces deux suppositions, je ne veux pas 
c l'examiner : je ne puis le juger. Je parle à un chrétien et 
c je lui dis : Ne rends pas le mal pour le bien ou le mal pour 
c te mal. n 

Mais lorsque le mal fut irrémédiable, et que le remords eut 
inspiré à Boniface la résolution tardive de délivrer sa patrie et 
sa religion des formidables fléaux sous lesquels elles étaient 
prêtes à succomber; lorsque la fortune eut trahi les armes et 
le courage du général romain, saint Augustin oublia la faute 



62 ALGBRIB. 

et ne vit que le repentir. Il rendit à Boniface son estime et ni» 
amitié, et pendant le siège d'Hippone^ lutta avec lui de coih^ 
rage et de dévouement pour repousser les Barbares. Il mourut! 
pendant le siège laissant après lui un nom qui^ parmi les p<K 
pulationsde l'Afrique occidentale, a survécu à ceux de leun 
plus grands hommes à cette époque. 

Les Vandales prirent Hippone, et après Hippone Garthage;» 
ils furent alors maîtres de l'Afrique, depuis le cap Bon jusqu'à 
l'Océan. Pour assurer sa domination, Genseric leur roi, tou^ 
lut étouffer le catholicisme par les persécutions et généraliser 
Tarianisme, et c'est à cela sans doute que les Vandales, dont 
les actions nous ont été principalement transmises par des écri-* 
vains ecclésiastiques, ont dû cette réputation de férocité et de 
destruction qui a rendu leur nom synonyme de tout acte de 
barbarie. Cependant il est juste de dire que sur beaucoup dt 
points, et sous le rapport moral surtout, les Vandales valaient 
mieux que ceux qu'ils soumettaient. 

Ainsi, par exemple, lorsque Genseric se fut rendu mettre 
de Garthage, un de ses premiers soins fut de fermer les mai^ 
sons de prostitutions et de forcer les courtisanes, dont le grand 
nombre attestait la dépravation des mœurs, à se marier» fl 
prit aussi d'autres mesures aussi caractéristiques et qui sont 
passées presque inaperçues au milieu des déclamations contre 
les fureurs et les dévastations des Vandales, qui, du reste, 
étaient communes à tous les peuples d'alors; aux Romaim 
comme aux autres. Aussi tout porte à croire que, sans la diSè^ 
rence de religion, la domination vandale eût été acceptée en 
Afrique; mais, comme dans l'intérêt de leur royaume, les 
orthodoxes ne pouvaient se séparer de la cause de l'Empire et 
que les terreurs et les persécutions n'avaient fait qu'élever 
entre eux et leurs vainqueurs ariens, une barrière plus san* 
glante; l'obstacle devint, en quelque sorte, insurmontable. 

La trahison avait appelé les Vandales d'Espagne en Afrique, 
la trahison les appela d Afrique en Italie. Le sénateur Maxime, 
après avoir assassiné l'empereur Valentinien , s'empara éê 
l'empire et força la veuve de son maître, l'impératrice Eudoxie, 
à l'épouser* Cette dernière, pour se venger, révéla secrète» 



ALGÉRIE. 63 

ment à Genseric la faiblesse de l'Empire et l'appela en Italie. 
Pendant que Genseric se préparait à cette expédition^ le grand 
Théodose, empereur deConstantinople» armait une flotte pour 
•lier arracher l'Afrique aux Vandalell, lorsqu'Attila, d'accord 
atec Genseric, envahit ses états à la tête de ses redoutables 
Huns, et le força, pour le moment, à se défendre. Profitant 
de ce répit, Genseric débarqua en Italie^ marcha sur Rome, 
la prit, la pilla, égorgea ses habitants ou les traîna en escla* 
Tage. Maxime fut égorgé par ses soldats : Eudoxie figura 
parmi les captife du roi Vandale. 

Dès ce moment la domination de Genseric fut reconnue en 
Afrique. Le roi vandale commença par y régulariser son em*- 
pire. Voici comment, d'après un écrivain moderne, M* Léon 
Galibert» s'exprime Procope, au sujet de cette organisation 
intérieure de l'empire des Vandales. Ce passage mérite d'au- 
tant plus de fixer l'attention, qu'il est un des seuls monuments 
qui restent de la domination vandale en Afrique i que la race 
romaine ne s'y retrouve nulle part, malgré une occupation de 
sept siècles et des ruines géantes, tandis que l'invasion van- 
dale, malgré une courte durée, a laissé des traces sensibles 
dans les tribus blondes de l'Auress et d'autres tribus éparses 
dans les régions orientales de TAtlas, issues évidemment de 
race blondine. 

« Du pays que Genseric acquit par la paix de 442, il garda 
pour lui la Bitacène, l'Abaritane, la Gétulie et la partie de la 
Numidie que Rome lui avait cédée. Il abandonna la Proconsu- 
kire ou Tingitane à ses guerriers, et en partagea les terres 
héréditairement entre eux. Quant aux contrées dont le roi 
vandale fit la conquête après la paix, elles restèrent toutes au 
prince. Ainsi les Vandales ne possédaient qu'une très petite 
partie des terres de l'Empire, mais ces terres étaient les plus 
fertiles du pays. Elles s'étendaient le long de la mer, depuis le 
promontoire de Mercure (cap Bon), jusqu'à l'embouchure du 
fleuve Tusca (Zaine) ; au midi, une ligne tirée parallèlement à 
Téquateur par Pusput, bourgade située autrefois près de l'ex- 
trémité nord-ouest du golfe d'Hamamet, séparait la Procon- 
sulaire ou Tingitane, province vandale, de la Bîzaoène, pnn 



64 ALGÉRIE. 

TÎnce du prince. Cette dernière comprend ordinairement tous 
les pays que bornent au sud h rivière de Zieget le lac de Lou-» 
dea ; la province Abaritane était située sur les deux rives du 
Bagradas (Mégerda) et du côté de Teveste. Lors({ue, par la 
suite, l'empire des Vandales prit plus d'extension en Afrique, 
toute la Numidie, les Mauritanies et la Tripolitaine firent par- 
tie des provinces du prince. Genseric divisa les Vandales en 
quatre-vingts cohortes et donna à chacune un chef. Il appela 
ces chefs Chitiarques ou commandants de mille hommes, 
pour faire croire qu'il commandait à une armée forte de qua- 
tre-vingt mille hommes; mais son corps d'expédition sur 
Rome ne dépassait pas cinquante mille. Plus tard, il est vrai, 
ce nombre s'augmenta prodigieusement, tant par l'accroisse- 
ment naturel des familles vandales que par l'union des vain- 
queurs avec les Barbares indigènes ; car tous ceux qui n'étaient 
pas exclusivement Maures se confondirent bientôt avec la ram 
de leurs nouveaux maîtres. Les Vandales se regardaient ainsi 
comme les membres'd'une grande armée permanente. Le roi 
était le commandant en chef de cette armée : les comtes, chefs 
de plusieurs milliers d'hommes : les chiliarques, chefs de 
mille hommes : les centurions, de cent : les décurions, de 
dix. Tous ces chefs composaient en même temps la magistra- 
ture civile. » 

Cependant Rome ne pouvait sanctionner cette domination 
des Vandales sans protester au moins une dernière fois contre 
elle. L'empereur Majorien tenta de leur arracher l'Afrique. Il 
rassemble, dans les plaines de la Ligurie, une nombreuse ar- 
mée composée de vingt peuples divers, passe les Alpes, tra- 
verse les Gaules, franchit les Pyrénées, rétablit partout sur 
son passage la prépondérance des aigles romaines, réunit à 
Carthagène une grande flotte pour transporter son armée en 
Afrique, et est prêt à recueillir le fruit de tant d'efforts, lors- 
que à l'instigation de Genseric, des chefs et des soldats ariens 
ses co-religionnaires mirent le feu à la flotte qui, en une seule 
nuit, fut détruites ou coulée à fond. Rome était alors arrivée à 
son temps de désastres : ils devaient se succéder aussi rapide- 
ment que s'étaient accomplis ses succès. La domination van- 



ALGÉRIE. * 65 

dale en Afrique fot alors un fait qu'elle dut accepter et subir. 

L'empire d'Occident se débattit quelque temps encore dans 
sa longue agonie, mais il s'éteignit enfin, et en 476 un roi 
barbare, Thérule Odoacre, régna sur l'Italie. Genseric fît un 
traité d'alliance avec lui et mourut à Carthage en 477, maître 
de la région de l'Atlas et de tout le bassin occidental de la 
Méditerranée. Il avait dominé en Afrique pendant cinquante- 
trois ans. 

Avec la mort de Genseric commença la décadence de la 
domination vandale en Afrique. Ses successeurs n'avaient ni 
son génie militaire, ni son activité barbare. Ils imitèrent de 
lui ce qu'il avait fait de mal : ses persécutions contre les chré- 
tiens orthodoxes, ses dévastations, ses confiscations; ils em- 
pruntèrent à la civilisation de Rome son oisiveté, son luxe, 
ses vices. En perdant leur rudesse primitive, ils perdirent ce 
qui avait fait leur force. Les Romains avaient contenu les tri- 
bus indigènes par une forte organisation militaire qui avait 
puissamment contribué à amener la fusion des deux races, 
par la protection réciproque qu'elle accordait aux intérêts 
communs ; les Vandales ne surent les contenir que par l'appât 
du pillage et l'espoir du butin. Quand ils furent en paix avec 
tout le monde, que ni l'Occident, ni l'Orient ne leur disputè- 
rent leurs conquêtes, ces ressorts transitoires se détendirent 
d'eux-mêmes. Les tribus belliqueuses et cupides de l'intérieur 
n'ayant plus ni des expéditions aventureuses pour alimenter 
leur instinct guerroyant, ni une organisation mercantile ou 
agricole pour satisfaire leurs penchants intéressés, se montré* 
rent de plus en plus hostiles. Les Gétules, les Numides, les 
Maures prirent successivement les armes et refoulèrent peu à 
peu, dans l'ancienne province proconsulaire, ces Vandales 
qui ne savaient pas administrer ce qu'ils avaient si bien su 
conquérir. 

La facilité des conquêtes de ces tribus sur cette monarchie 
vandale, dont la décadence était aussi rapide que l'avait été la 
grandeur, éveilla la convoitise de l'empire d'Orient, qui, 
après avoir fomenté quelques dissensions intestines en Afri- 
que^ se jeta de tout son poids dans la balance des inté* 
T. I. 5 



.^ 



M ALGÉRIE. 

rets d'un des partis^ à propos d'une guerre de succesaon. Il 
avait la vieille injure de Rome à venger, et celle plus récente 
de l'incendie de sa flotte. Puis les Vandales n'étaient plus cette 
race guerrière du Nord qui, après avoir lutté contre l'empire 
romain dans toute sa force, s'était enrichie de ses dépoiiilles. 
Énervés par la civilisation, ils avaient désappris de combattre 
en apprenant à jouir. Sous le soleil de l'Afrique et dans les 
voluptés raffinées de Carthage, leur courage et leurs mœurs 
s'étaient amollis. Les plaisirs do Rome impériale étaient de- 
venus leurs plaisirs : ses occupations, les leurs; Ips somptueu- 
ses maisons de plaisance, les jardins magnifiques, les bains, 
les mets succulents et rares, les costumes d'or et de soie, les 
courtisanes les plus initiées aux mystères voluptueux, les cour- 
ses en char, les spectacles, la chasse, la musique, la danse, 
tels étaient devenus, en moins d'un siècle, les habitudes et les 
goûts de ces rudes et farouches enfants des forêts du Nord. 

Justinien régnait alors en Orient. Le sceptre des Vandales 
était aux mains du féroce Géfimer, bourreau de toute sa &- 
mille, et qui devait être le dernier roi de sa race et de sa iuh 
tion. L'illustre et malheureux Bélisaire commandait l'armée 
dirigée contre lui. La flotte impériale partit de Constantinople 
en juin 533, et, après une traversée de trois mois, aborda la 
terre d'Afrique à cinq journées de marche au sud de Gar^ 
thage. TeUe était l'antipathie que les Romains d'Afrique 
éprouvaient pour les Vandales, que toutes les villes, sur le pas- 
sage de l'armée Greco-Bysantine, se rendirent. Carthage 
elle-même lui ouvrit ses portes sans combattre. Gélimer avait 
voulu s'opposer à sa marche; mais battu en deux rencontres, 
il s'était réfugié sur les frontières de la Numidie et de la By- 
sacène. Là il s'occupa de réunir la nation vandale tout entière 
pour tenter une dernière fois le sort des armes. Mais pendant 
ce temps Bélisaire avait relevé les murs de Carthage et l'avait 
mise en état de soutenir un long siège. Les Maures, vassaux 
ou ennemis de Gélimer, étaient venus faire leur soumission 
entre ses mains, et leurs chefs avaient reçu de lui les marques 
distinctives de leur dignité et quelques présents, sorte d'inve»- 
titure féodale qui subsiste encore dans tout l'Orient, et usitée 



ÀL6ËRIB. 67 

fdans l'Algérie sous le nom d'aman. L'Afrique entière a^ait 
dès ce moment échappé aux Vandales qui n'étaient plus mat* 
très que des lieux qu'ils occupaient. Ils livrèrent une dernière 
bataille et la perdirent. Tout leur camp tomba au pouvoir des 
Greco-Byzantins : des richesses immenses, fruit de leurs ei* 
ipéditions ou de leurs spoliations, devinrent la proie du vain- 
queur. Peu de temps après, Gélimer lui-même qui avait 
trouvé asile chez une tribu Maure des montagnes de Pappua 
(Djehel-Edough, près des sources de la Seybouse), fut obhgé 
de se rendre. La puissance vandale fut anéantie en Afrique. 
Cétait Fan 534, cinq mois après, environ, le débarquement 
des Greco-Byzantins. Gélimer, conduit par Bêlisaire, prison- 
nier à Constantinople, y mourut en homme privé, dans un 
domaine que lui assigna l'Empereur, en Galatie. 
* La domination vandale en Afrique dura un siècle. Ce peu-^ 
pie y a laissé peu de monuments de son passage. L'état de 
guerre incessant où il fut pendant tout cet espace de temps, 
et le peu de durée de son occupation, expliquent ce fait. 11 
serait injuste cependant de le juger trop sévèrement. Les 
Vandales n'ont pas eu d'historiens à eux : ils étaient Ariens et 
ont fait trembler l'empire d'Orient. Tels sont les crimes que 
n'ont pu leur pardonner les écrivains ecclésiastiques ou les 
auteurs byzantins qui nous ont transmis leurs faits. Les uns les 
ont jugés avec cette haine que les chrétiens orthodoxes du 
temps avaient vouée aux propagateurs de l'arianisme ; les 
autres avec cette animosité dont les petites passions nationales 
accablent un ennemi vaincu. Un fait incontestable c'est que 
les Vandales ne sont restés étrangers en Afrique à aucune des 
occupations des Romains, soit pour l'exploitation des terres, 
soit pour celle de diverses industries. S'ils n'ont pas laissé 
comme eux de grands monuments d'art, ils ont ajouté une 
branche d'industrie inconnue avant leur conquête et qui s'est 
perpétuée jusqu'à nos jours, celle de la fabrication de sabres 
et d'épées d'une trempe inimitable ; ils ont laissé, comme on 
l'a vu, dans quelques tribus indigènes, des traces évidentes de 
leur race, ce qui dénote une fusion à peu près complète. En- 
suite^ arrivés en Afrique avec toute la rudesse primitive des 



68 ALGÉRIE. 

hordes du Nord, ils se sont, en moins d'unsiorle, polis au con- 
tact de la civilisation romaine, et ne sont restés étrangers à 
aucun de ses arts. Après cela qu'on persiste à nous les repré- 
senter comme les plus farouches des peuples d'alors, on ne 
doit voir là qu'un de ces préjugés routiniers que, par pur es* 
prit de corps, les Académies se font un devoir de croire et 
de propager par cela seul qu'ils sont vieu^ 



PEEIQDE GEECO-BTZARTDIE; 



La domination Greco-Byzantine fut pour l'Afrique occi« 
dentale un fléau plus terrible encore que la domination Van- 
dale. Elle ne fut qu'une guerre intérieure incessante qui, dans 
le court espace des vingt années qui suivirent l'invasion de 
Bélisaire, dépeupla l'Mrique de cinq millions d'habitants: 
c'est Procope qui l'assure. Les Vandales avaient su soumettre 
les tribus mdigènes : les Greco-Byzantins purent à peine se 
défendre contre elles. Les premiers traînant avec eux la famille 
et ayant, de commun avec les tribus de l'Atlas, quelques-unes 
de ces vertus rudes et farouches qui dérivent des instincts nar 
turels, avaient pu exercer sur elles une certaine puissance 
d'assimilation ; les seconds n'y apportèrent que les vils et igno- 
bles vices de leur prétendue civilisation et, après avoir été un 
objet de mépris pour elles, devinrent celui de leur exécration. 

Pour bien comprendre l'occupation des Greco-Byzantins en 
Afrique, il faut jeter un rapide coup d'œil sur la société de 
l'empire d'Orient à cette époque. 

En regard de ces rudes éléments de force et de liberté qu^ 
caractérisaient ces races du Nord qui, étendant partout leur» 
conquêtes, devaient peu à peu rajeunir la souche pourrie de la 
société romaine, le peuple grec n'apparaît que comme un 
troupeau d'esclaves, corrompu par les vices, dégradé par la 
débauche, énervé par une incroyable apathie pour tout, excepté 
pour les plaisirs, les futiUtés, les disputes théologiques et d'in- 
cessantes révolutions domestiques sans but, sans portée et sou« 



ALGÉRIE. 69 

^nt sans utilité. Ce peuple était devenu si abruti, qu*au mi- 
lieu de ses yices, de ses crimes, de ses révolutions, il n'avait 
pas même Ténergie de la guerre civile. Le gouvernement n*é^ 
tait jamais démembré'par elle ; mais une sédition dans Tannée, 
une émeute au théâtre, une conspiration de palais renversaient 
un souverain. Constantinople transportait «on obéissance à 
son successeur : les provinces l'imitaient et tout était dit. Les 
chants, les symphonies, les danses recommençaient, les théâ- 
tres se remplissaient de spectateurs, les tables de jeu s'encom- 
braient , les orgies reprenaient leur cours : la mollesse , la 
paresse, la pompe des équipages, l'ostentation des richesses 
continuaient d'afficher leur prééminence sur le mériteVéel , et 
au milieu de ce cloaque de débauche et de vices, 'se nouaient 
toutes les intrigues de la corruption , se combinaient toutes les 
manœuvres de l'ambition et de l'avarice, se débattait le prix 
des services les plus honteux, s'ébattait l'ignoble ivrognerie de 
la populace, et planait sur le tout une fièvre incessante de dis- 
putes théologiques si frivoles, si niaises, qu'on a peine â com- 
prendre qu'elles aient pu captiver un instant l'esprit humain. 

Tel était cet empire d'Orient qui , n'ayant pas même con- 
servé une seule étincelle d'énergie physique ou morale, allait 
achever de s'user dans les ébats]d'une activité tout extérieure, 
sans but et sans utilité , et se trouvait momentanément en 
contact avec les tribus énergiques et indomptables des ré^ 
gions de l'Atlas. 

Les peuples â demi-barbares ont un instinct merveilleux 
pour reconnaître, parmi leurs oppresseurs, ceux en qui réside 
la force et ceux qui n'ont que la faiblesse en partage. Peu de 
temps après l'invasion des Vandales, les principales tribus in- 
digènes avaient reconnu la domination de ces hommes, dont 
tout révélait la volonté qui exige et la force qui exécute. Dès 
les premiers jours d'occupation des Greco-Byzantins, toutes sej 
réunirent contre ces vainqueurs qui traînaient après eux la 
mollesse de leur civilisation et la corruption de leurs Qiœurs. 
Aussi la domination des Greco-Byzantins en Afrique ne fui; 
qu'une longue lutte suivie de quelques succès et de beaucoup 
de revers. Cette période n'ofire aucun intérêt réel pour l'his- 



70 ALGÉRIE. 

toîre qui nous occupe. Cest une série d'intrigues, de corrup- 
tions, d'exactions, de révoltes, d'assassinats, de tous les vices 
des Greco-Byzantins transportés de ConstantinopleàCarthage. 
L'ennuque Salomon que Bélisaire se choisit pour successeur^ 
battit deux fois les Maures-Gétules ; mais une sédition de son 
armée, composée en grande partie d'indigènes, le força de se 
réfugier en Sicile, accompagné seulement de l'historien Pro- 
cope et de quatre autres personnes. L'armée rebelle pilla 
Carthage , massacra une partie des habitants et se choisit 
pour chef un nommé Stoza, guerrier audacieux, actif, éner- 
gique, homme à vues profondes, dont le premier soin fut de 
proclamer la liberté des esclaves. Son armée , composée de 
Vandales, de Maures, de Numides, de Gélules, se grossit alor^ 
d'une multitude d'esclaves et de vagabonds. Un seul point 
unissait tous ces éléments hétérogènes, c'était celui de piller 
et de tuer tout ce qui restait en Afrique de Romains et de Gré- 
co-Romains. Cette armée marcha sur Carthage et, sans l'arri- 
vée de Bélisaire, dont le nom seul mit ces hordes indisciplinées 
en déroute, c'en était fait dès ce moment de la prépondérance 
des Byzantins en Afrique. 

Mais ce ne fut là qu'un répit de peu de durée. En 534 , 
quatre ans après la défaite des Vandales, Stoza était maitre de 
la Numidie et delà Bizacène. L'arrivée en Afrique d'un neveu 
deJustinien, Germanus, y rétablit plus parla politique que 
par les armes, un peu d'ordre et de paix ; mais rappelé par les 
intrigues d'une ancienne courtisane , Théodora alors épouse 
de lustinien, il y fut remplacé peu après par un nommé Sçr- 
gius, homme aussi nul que féroce qui, à L(îptis,fît massacrer, 
sans motif, quatre-vingts députés de la tribu des Leucathes, 
qui étaient venus renouveler rallianca. Ce crime horrible sou- 
leva d'indignation toutes les tribus des vallées de l'Atlas. De- 
puis les Syrthes jusqu'à l'Océan, retentit un cri de guerre etde 
vengeance. L'année Byzantine fut écrasée deux fois, dans les 
champs de Seheste et à Siccavénéria, à trois journées de Car-^ 
(hage. L'ignoble Sergius fut enfin rappelé, et le gouvernement 
de l'Afrique fut confié au sénateur Aérobinde, mari de Pré-* 
jecte, mèce de Justinien. Ce nouveau gouverneur, d'une 1^^ 



ALGÉRIE. 7i 

cheté peu commune, restait enfermé dans son palais, mant 
atec des femmes, au sein des Toluptés, pendant que les enne* 
oiis étaient aux portes de Garthage. L'armée indignée ledéposa 
et nomma à sa place un de ses chets, nommé GontharÎK, qui 
fit assassiner Âérobinde et qui fut assassiné à son tour , après 
un mois de pouvoir usurpé. 

Quelques exploits assez continus marquèrent la domination 
Byzantine pendant le gouvernement de Jean Troglita, qui se 
prolongea jusqu'en 548. Mais, dès ce moment, chaque jour fut 
marqué par de nouveaux envahissements des tribus Libyennes. 
Dans les contrées naguère si fertiles, et si peuplées alors, de* 
puis tant d'années, saccagées sans répit, on marchait des jour- 
nées entières sans rencontrer personne : partout la désolation ; 
partout la solitude. Des tribus en armes parcouraient seules 
ces^lleset ces campagnes désertes et ruinées. La civilisation 
Byzantine qui, excepté lors de l'expédition de Bélisaire, ne 
s'était généralement révélée que par l'incapacité de ses géné- 
raux, l'insoumission de ses troupes, la rapacité du fisc impé- 
rial et tous les vices de ses esclaves corrompus, que jl'histoire 
désigne sous le nom de Greco-Byzantins, dévasta plus l'Afrique 
envingt ans que les Vandales en cent.ÂussiJustinien put voir, 
avant de mourir, le territoire de la province d'Afrique, réduit 
au tiers de ce qu'il était sous les Romains. La possession de ce 
tiers lui-même était chaque iour remise en question et conti- 
Buellement disputée par ces vaillantes tribus indigènes qui^ 
dans leur langue sauvage, s'appellent aujourd'hui Jmazigh (le 
peuple libre), que les esclaves abrutisdu Bas-Empire appelaient 
Barbares et qui avaient au moins l'énergie de reconquérir ce 
qu'eux, hommes civilisés, ne savaient plus défendre. 

Pendant le siècle qui suivit la mort de Justinien, l'Afrique 
offirit le même déplorable spectacle, la lutte du courage et de 
Findépendance contre des maîtres lâches et corrompus. Un 
moment unies dans un intérêt commun, les tribus se livraient 
ensuite à leurs haines intestines, et les Byzantins ne devaient 
qu'à cesj divisions la conservation du débris de cette conquête 
qu'ils étaient incapables alors de s'assurer par les armes. La 
domination Byzantine dans l'Afrique occidentale fut le phit 



72 ALGÉRIE. 

grand fléau qui ait affligé cette contrée. Par plus d'un siècle 
de guerres intestines qu'elle ne sut ni prévenir, ni faire cesser^ 
die en décima tellement les habitants, que le flot arabe n'y 
trouva, lors de son invasion, qu'une population réduite de 
plus des deux tiers et qui, cependant, offrit une résistance plus 
longue et plus énergique ^e ces descendants dégénérés 4^3 
Romains#^ 

PÉEIOBE ARABE ET BERBÈRE. 



Ici va commencer une des périodes les plus [importantes 
de l'histoire d'Afrique. Ce qui reste des divers éléments phé- 
nicien, romain ou vandale qui s'étaieutplusou moins fondus 
avec la race indigène,vadisparaitre. Un peuple nouveau poussé 
par te fanatisme et l'ardeur du pillage va, sur ce sol boule- 
versé, substituer ses mœurs et ses lois à ces civilisations diver- 
ses dont les débris s'effaceront complètement devant l'impé- 
rieuse exigence d'une reUgiontrop exclusive. A peine même en 
restera-t-ii quelques traces dans le passé et, grâce à une com- 
munauté d'origine des Maures et des Arabes, s'établira, après 
trois invasions successives, une domination qui a produit l'élé^ 
ment que nous avons à combattre aujourd'hui. Pour bien l'ap- 
précier , il est indispensable de suivre à sa naissance ce flot 
arabe qui va envahir l'Asie, l'Afrique septentrionale, l'Europe 
orientale et une grande partie des côtes de la Méditerranée 
dans l'Europe occidentale. 

Vers le vu* siècle, du fond d'une bourgade d'Arabie, 
s'éleva une voix prêchant une doctrine à la fois civile, politi- 
que et religieuse. Ralliant à un seul cri les races auxqueUes il 
manquait un symbole, les émeutant, les excitant jusqu'à 
l'exaltation, elle humiha tout ce qui avait vieilli dans l'ancien 
monde. En moins d'un siècle, elle retentit des rives du Da- 
nube aux monts Himmalaia, du désert africain aux steppes 
de l'Asie centrale. Résonnant partout où s'étaient dévelop- 
pées les civiUsations primitives ; iaoculant l'enthousiasme et 



ALGÉRIE. 73 

h fSuiàtisme au cœur des hordes insouciantes et prescpie sans 
culte; en arrêtant d'autres dans leurs mouvements de migra- 
tion et les transformant en nations; galvanisant jusqu'à des 
peuplades mortes; sur les ruines d'un passé mystérieux et 
solenne!, jetant l'éclat d'une splendeur extraordinaire et ac- 
complissant enfin, dans l'Orient, l'œuvre d'assimilation qui 
8'opérait en Occident, tel fut, à son début, le mahQipétisme. 

De toutes les révolutions qui ont influé d'une manière du- 
rable sur l'histoire civile et morale du genre humain, aucune 
n'a été plus en dehors xlu cercle des prévisions humaines, que 
la révolution produite par la religion de l'Arabie. La seule 
explication satisfaisante des causes qui ont pu contribuer à 
son succès, c'est de considérer le mahométisme comme la 
dernière protestation de l'égoïsme et du sensualisme du 
monde antique, qui, se formulant en loi religieuse, put in- 
spirer cette foi si sincère, «i ardente, si forte, si durable, que 
treize siècles et l'idée chrétienne ont encore à peine pu l'é- 
branler. 

Le spiritualisme chrétien, en opposition formelle avec les 
mœurs de l'Orient, n'avait pu s'y implanter que difficilement. 
Les mœurs romaines que les Arabes avaient connues par leurs 
édianges journaliers, dans les provinces asiatiques de l'Em- 
pire, avaient dû les captiver parce qu'elles n'étaient que l'exa- 
gération de leurs instincts élevés, sensuels, matériels et guer- 
riers. Pour se faire écouter, admirer et suivre, Mahomet n'eut 
qu'à favoriser cette tendance dans certains cas et la régulari- 
ser dans d'autres. 

n le fit : cela décida du succès de sa doctrine. 

Par les notions justes et élevées de la nature divine et des 
devoirs moraux, qu'il sema dans le Koran, il frappa les esprits 
d'un peuple fier, réfléchi, déjà dégoûté des superstitions de 
son ancienne idolâtrie, et dont la doctrine nouvelle relevait 
la dignité. 

Par l'heureuse fusion dans le Koran, des rites et des tradi- 
tions qui existaient en Arabie, il ne blessa aucune susceptibi- 
lité religieuse et les captiva toutes. 

Par les nombreuses applications des préceptes du Koran à 



n ALGÉRIE. 

tontes les transactions légales et les actions de la vie civile, il 
établit dans l'état social Tordre et la régularité dontsemoq* 
trait si jaloux dans sa famille l'Arabe, chez qui s'était perpétué 
le régime patriarcal. 

Enfin, annonçant une religion oîi dominait l'esprit beIIi-> 
queux, exterminateur et pillard d'une race à passions violentes, 
il flatta ses instincts brutaux ; puis faisant du meurtre et du pil- 
lage un titre aux jouissances de cette vie et de l'autre, il se 
concilia tous les instincts sensuels de cette même race à l'inm- 
gination si vive et si ardente. 

Telle est la loi politique et religieuse des populations ma- 
hométanes; telles furent les causes qui ont pu la motiver, et 
les effets qu'elle fut appelée à produire à son début. Ce déve- 
loppement sommaire était nécessaire pour nous faciliter dans 
la suite à expliquer des résistances qui, en apparence, semble- 
ront complètement manquer de motif et de but. 

Sans suivre Mahomet dans le développement de sa doc- 
trine, sans constater les différences des lois chrétienne et 
musulmane qui procédaient l'une par la persuasion, l'autre 
par l'extermination, il nous suffira d'établir ce qu'étaient les 
Arabes avant Mahomet, et ce qu'ils furent à sa mort. Enjam- 
bant ensuite un demi-siècle, nous suivrons ce peuple dans les 
détails de son invasion dans l'Afrique septentrionale. 

L'Arabie forme une grande presqu'île, enclavée entre le 
Golfe Persique à l'est, la mer des Indes au sud et la mer 
Rouge à l'ouest. Elle était divisée par les géographes anciens, 
en trois contrées: rArabie-Heureuse,rArabie-Pétréeet l'Arabie 
Déserte. L'Arabie-Heureuse, située entre le Golfe Arabique et 
le Golfe Persique, estl'Yemen des Arabes de nos jours. Là, est 
la Mecque oii naquit Mahomet : là est Médine où il mourut. 
L'Arabie-Pétrée est située dans la partie occidentale du golfe 
arabique. Entre elle et l'Arabie-Heureuse, s'étend une région 
immense et aride qui, au nord-est, est bornée aux plaines de 
de la Mésopotamie, c'est l'Arabie déserte. La race Arabe est ^ 
divisée en trois grandes familles : les Arabes primitifs, les 
Arabes purs et les Mosarabes. Ces derniers sont les Arabes na- 
turaUste-, les premien «Qnt les descendants directs des habi- 



-- ALGÉRIE. /78 

tants primitifs de VÂrabie ; les autres sont ceux qui sont restés 
purs de toute alliance étrangère. Cette différence de race est 
entre eux une source continuelle de divisions et de guerres. 
Yoici, selon l'auteur arabe Aboul-Féda, le portrait de ce peuple 
avant Mahomet, a L'Arabe est guerrier, sobre, robuste, ne 
« craignant ni les fatigues ni les privations. Son vêtement 
c c'est une courte saye de couleur; sa nourriture des fruits, 
c du laitage, des gâteaux de froment ; son occupation la guerre 
c ou la garde des troupeaux. Il n'a pas d'habitation fixe; sa 
« tente c'est son foyer. Monté sur son coursier rapide ou sur 
« sa Tasaye (chameau), si agile que les voyageurs qui les mon- 
« tent n'ont pas le temps de se saluer lorsqu'ils se rencon- 
fl trent, il erre ça et là à la recherche des pâturages ou des 
fl expéditions aventureuses. Ils sont divisés en tribus. Le plus 
f ancien de certaines familles de la tribu en est le clieik 
c (ancien). C'est lui qui dirige les travaux de défense, le 
c choix des pâturages, tout ce qui se rapporte aux intérêts 
c communs, excepté la guerre qui se décide à la majorité des 
c voix des chefs de famille. Le conseil des cheiks prononce 
c souverainement sur les griefs entre les tribus. Ge^ griefs sont 
c nombreux et fréquents. La possession des sources et des 
f pâturages et surtout le divers genre des opinions religieuses 
c leur mettent, en tout temps, les armes à la main. Chaque 
€ chef de famille s'arroge le droit de modifier à son gré le 
c culte; de là une confusion inextricable dans la foi et d'inces- 
€ santés querelles intestines. Avant Mahomet, l'Arabe man- 
c quait de symbole et n'avait de commun que l'origine et la 
fl manière de vivre. Il n'existait en lui ni nationalité, ni foi 
fl commune, ni direction unitaire. » 

Comme nation, l'Arabe de nos jours a subi une modifica- 
tion capitale : il est ralhé à un symbole commun ; comme 
individu il n'a pas varié : il est ce qu'il était à l'époque où le 
peint Aboul-Féda. A la mort de Mahomet cette modification 
avait déjà eu heu. Animées d'un même esprit, une même loi 
religieuse et politique ne tarda pas à unir ces populations. Elle? 
formèrent alors un grand corps, doté d'une force nouvelle, 
l'union, mu par un but unique, la propagation de YWUtt- 



76 ALGERIE; 

Aussi en peu de temps les successeurs de Mahomet, AboQ- 
Bekr, son oncle, Ali, le premier de ses disciples, Omar, le 
plus vaillant de ses lieutenants, conquirent la Syrie, laPerse» 
la Judée et FËgypte. Aux cris mille fois répétés de : ha AUak 
ilt Allah f Màkommet rassoul AUahl (il n'y a d'autre Dioi 
que Dieu, et Mahomet est son prophète), toutes les tribus^ de- 
puis le Golfe Persique jusqu'à Suez, depuis l'Euphrate jus- 
qu'au détroit de Bal*el-Mandel, rangées sous la bannière de 
la foi nouvelle, portèrent partout la terreur de leurs armes et 
la gloire de leur nom. Des dissensions intestines, des rivalités 
de jalousie, d'ambition, menacèrent de compromettre au 
début le développement de la puissance de ces formidables 
conquérants. Un schisme éclata. Omar fut le chef des S<m^ 
nites, musulmans orthodoxes; Ali, celui de la secte des59Uc- 
tes : le premier mourut assassiné, le second en combattant. 
Hoha^iah-ben-Ommyah fut nommé kalife et étabUt sa rési- 
dence à Damas. 

Sous son règne, en 647, Abdallah, un de ses lieutenants, 
partit d'Egypte à la tête de quarante mille combattants, pour 
arracher l'AÎrique occidentale à l'empire de Byzance. Il trap» 
versa le désert et d'autres régions brûlantes qui n'avaient ja* 
mais subi la domination romaine, battit sous les murs de 
TripoU l'armée byzantine, que commandait le patrice Gré- 
goire, et s'avança jusqu'à cent cinquante milles au sud de 
Garthage. Cette première invasion se borna là. Les fatigues et 
les maladies obligèrent l'armée musulmane à regagner l'Ë-* 
gypte. Six ans après, une nouvelle expédition battit encore les 
Byzantins et s'empara cette fois de l'antique Gyrène. Elle fiit 
suivie d'une troisième qui, après avoir complètement batta 
en plusieurs rencontres les Byzantins et les Berbères, dirigea 
sa conquête le long du revers méridional de l'Atlas, resserra 
chaque jour davantage, entre la mer et le désert, les débris 
des anciennes populations grecque et carthaginoise, et fonda 
à huit jours de marche de Garthage, la ville de Kairouan. Le 
valeureux Oukbah commandait cette expédition. Il fut tué 
dans une grande bataille et noblement vengé par son succes- 
seur Hassan leGassanide, qui prit Garthage» Qt livra au pillage 



ALGÉRIE. 77 

et la détruisit de fond en comble. La puissance du kalife de 
Damas fiit définitivement établie dans le Mahgreb. Byzance 
ae conserva en Afrique que la majeure partie du littoral de- 
puis la frontière de Tunis jusqu'à l'Océan Atlantique. Cette 
possession elle-même fut de courte durée. Non-seulement ces 
terribles tribus de l'Yémen chassèrent les Bysantins de l'Afri- 
que occidentale, mais encore elles envahirent l'Espagne, la 
soumirent, franchirent les Pyrénées, s'établirent à Narbonne, 
inondèrent les provinces du Languedoc et de l'Aquitaine, 
vinrent arborer leur drapeau victorieux jusque sur les murs 
de la capitale de la Touraine et n'arrêtèrent leur marche que 
dans les plaines de Poitiers où des milliers de cadavres de leurs 
soldats tombèrent sous la valeur des armées françaises. Leurs 
conquêtes en Asie frirent aussi rapides qu'en Europe. 

En contact immédiat avec les civilisations de l'Orient et 
de l'Occident, ces farouches propagateurs de l'Islamisme dé« 
daignèrent bientôt la simpUcité des premiers musulmans. Ce 
ne furent plus ces sauvages tribus de l'Yémen dont nous avons 
tracé la peinture. Les kalifes de Damas et de Bagdad rivali- 
sèrent de pompe et de splendeur avec les empereurs de By- 
zance. La soie, l'or, les pierreries, brillaient sur leurs vête- 
ments, dans leurs demeures : les raffinements du luxe le plus 
merveilleux, entrèrent comme éléments dans leurs créations 
artistiques et architecturales. L'industrie pour les choses uti- 
les autant que pour les choses futiles fît des progrès rapides,' 
et tout, jusqu'aux lettres et aux sciences, reçut une impulsion 
qui n'eût pas déparé les civilisations grecque et romaine. 

L'Afrique ne resta pas étrangère à cette rénovation, et sur 
cette terre qui semblait destinée à recevoir l'empreinte de tout 
les grands peuples qui se succédaient sur la scène du monde, 
les connaissances arabes s'y propagèrent comme leurs doctrines 
religieuses. Kairouan et Fex devinrent en peu de temps des 
foyers de lumière, de luxe et d'érudition. 

Les annales arabes sont si confuses et si tronquées qu'on 
voit, dans l'Afrique occidentale, cette civilisation arabe plei- 
nement développée et la reUgion musulmane établie sans 
qu'on puis^ découvrir par quels moyens gra4ueb l» aou?] 



78 ALGÉRIE. 

Teaux conquérants avaient pu faire accepter leurs connais- 
sances, leurs mœurs et leurs croyances. Cette lacune est déplo» 
rable. U est un monument cependant qui pourra jetef 
quelque jour sur ce point qu'il eût été si important pour nous 
de pouvoir éclaircir. 

L'islamisme ordonnait de combattre sans répit les infidèles 
jusqu'à la domination complète de la religion musulmane. 
C'est un précepte précis du Coran : Combattez les infidêkê 
jusqu'à ce que la religion de Dieu domine seule sur la terre. 
Tant que les tribus de TYémen n'eurent à combattre que det 
populations peu nombreuses^ la conversion ou l'exterminatioil 
devint facile et l'application de ce précepte praticable. Biais 
il n'en fut plus de même lorsque cette double action dul 
s'exercer simultanément ou isolément sur de grandes aglomë- 
rations. Une transaction de\int alors nécessaire, et c'est ce qui 
eut lieu en Afrique. Les villes ou les tribus conquises, chré- 
tiennes, juives ou idolâtres curent à choisir entre le libre 
exercice de leur culte et le payement d'un tribut, l'exclusion 
des fonctions publiques. Dans toutes les transactions civiles les 
récalcitrants étaient en outre dans une condition d'infériorité 
marquée avec les croyants. La population conquise se trouvait 
ainsi divisée en deux classes : les croyants, membres de la 
société musulmane et, à ce titre, aptes à toute place propor- 
tionnelle à leur rang, à leur courage ou à leurs talents, et les 
inQdèles, réduits à une sorte d'ilotisme non-seulement dégra- 
dant mais encore onéreux. Il dépendait dès lors de chaque 
ilote d'entrer dans la classe privilégiée : une simple abjuration 
lui donnait droit à l'égalité, aux honneurs et le déchargeait du 
tribu. Cela seul peut non-seulement expliquer mais encore 
motiver comment presque toutes les populations africaines 
adoptèrent successivement le mahométisme. 

Cette conversion dont l'intérêt de position ou de fortune 
était le seul mobile, ne put avoir, dès le début, rien de sin- 
cère. Cela explique encore le nombre infini de schismes et 
d'hérésies, qui, après avoir divisé les Berbères musulmans 
entre eux, amenèrent une scission avec leurs vainqueurs et fini- 
rent par détruire l'unité musulmane. L'empire des kalifetf^ 



ALGSRI8# 79 

à peine an début de son eiistence cronlait déjà de son propre 
poids. N'ayant à classer dans cette grande et rapide déca^ 
dence, que ce Ipii se rapporte à notre sujet, nous nous con- 
tenterons de mentionner les faits seuls qui nous paraîtront 
nécessaires pour faire comprendre l'action de la domination 
excentrique des kalifes sur les p(^ulations africaines. 

La société islamique en Orient était divisée en trois sectes 
qui avaient eu, avaient ou aUaient avoir chacune leur branche 
dynastique. Les Ommiades, descendants de Moaviah qui avait 
vaincu Ali ; les Abassides descendants d'Abbas, oncle de Maho* 
met et les Fatimites, descendants de Fathmé fille du prophète. 
Ces trois partis se haïssaient autant qu'ils haïssaient les chré- 
tiens et se faisaient une guerre acharnée. Chacun d'eux avait 
des points de doctrine et de rite différents ; chacun d'eux avait 
adopté une couleur particulière pour ses vêtements : la cou- 
leur blandie était celle des Ommiades; la couleur noire celle 
des Abassides; lesFatinûtes adoptèrent plus tard la couleur 
iferte. 

Après une grande défaite, un seul des membres de la 
dynastie des Ommiades, Abderrhaman, avait échappé au mas- 
sacre de tous les siens. Après avoir longtemps erré en Egypte 
et dans le désert, il passa en Espagne et y fut proclamé kalife. 
n devint la tige des Ommiades d'Occident, qui, pendant près 
de trois siècles, régnèrent sur l'Espagne. Le représentant des 
Abassides Saffah, fut proclamé kalife d'Orient. L'Arabie et la 
Perse reconnurent sa puissance, et quittant Damas, où les 
Ommiades avaient beaucoup de partisans, il transporta le 
siège du kalifat sur la rive orientale du Tigre, où il fonda 
Bagdad dont la population s'éleva bientôt à plus de huit cent 
mille âmes. 

Cette grande scission du kalifat d'Orient avait eu son contre- 
coup en Afrique. Des sectaires de noms et de croyances di- 
verses, avaient répandu les mêmes germes de dissension qui 
venaient de détruire la grande unité politique et religieuse 
que Mahomet avait léguée à ses successeurs. Les Jbadis, les 
SofHSf sectaires connus sous le nom commun de Kouaridj, 
ftfaient envahi une grande partie du Mahgreb et resserré les 



80 ALGÉRIE. 

Arabes orthodoxes dans Rairouan. A la snite d'nne longue 
guerre intestine, suivie de succès et de revers réciproques et 
d'un état d'anarchie qui dura près d'un siècle, la puissance 
temporelle du kalife de Bagdad s'anéantit dans le Mahgreb. H 
n'y eut plus d'émir titulaire : chaque chef de tribu victorieuse 
s'arrogeait ce titre à son tour, et enfin sur les débris de toutes 
ces fractions désunies, s'élevèrent deux forts partis dans les^- 
quels tous les autres se fondirent : à l'ouest, les Edrissites 
commandés par Edris-ben-Edris descendant d'Ali, et à Test, 
les Aghlabites de la tribu des Beni-Aghlab. Edris fonda en 808 
la ville de Fex, dans le Maroc, et prit le titre de kalife de Fex. 
Presque à la même époque, Ibrahim, fils d'Aghlab, établit à 
Kairouan la dynastie des ^^hlabites qui passa à ses succes- 
seurs. 

A cette époque peut se rapporter, en Afrique, l'avènement 
de dynasties purement africaines. Les Edrissites et les Aghla-. 
bites ne restèrent étrangers à aucun des progrès de la civilisa* 
tion de l'Orient, et l'imitèrent aussi dans ses conquêtes. Pen- 
dant près d'un siècle ils saccagèrent les côtes de la Méditerra- 
née où s'y établirent depuis les Pyrénées jusqu'aux Alpes. 
Mais d'autres tribus indigènes, les Zenètes, les Hawarah, qui 
peuplaient le versant oriental des montagnes de la Mauritanie 
qui bordent le détroit, les Maimoudes qui résidaient dans les 
plaines et les vallées de la partie occidentale et méridionale 
de l'Atlas qui s'étend vers les frontières de Maroc ; les Gome- 
rales, les Sanhadjah, dont les tribus nombreuses étaient ré- 
pandues dans les montagnes de la Mauritanie et derrière les 
différentes chaînes de l'Atlas, d'autres tribus de l'est de l'Afri- 
que septentrionale, toutes désignées sous la domination géné- 
rale de Berbère, se soulevèrent à la fois contre les kalifes de 
Fex et de Kairouan. Les Beni-Mequineça de la tribu des Ze- 
nètes battirent le premier, s'emparèrent de Tlemcen qui fut 
érigée en principauté indépendante et établirent le siège de 
leur domination à douze lieues de Fex, dans l'ancienne Sidda 
qui fut appelée Mequinez du nom de leur tribu. En même temps 
un célèbre marabout, descendant de Fatmé, fille du prophète, 
leva daus Test l'étendard de la révolte et s'annonça conune 



ALGÉRIE. 81 

riman régénëratenr qui devait opérer la réunion de tous les 
Musulmans dans une même croyance. Il se ncMumait Obeid* 
AIlah-Âbou-Mohammet, plus connu sous le surnom de Bla- 
baàiy fondateur de la puissance de ces kalifes Fatiinites, dont 
la domination s'étendit ensuite jusqu'en ^ypte. Mahadi atta- 
qua Kairouan, en chassa les Agblabites, se porta de là sur 
FeXy ^'il prit, ainsi que Ceuta et Tanger. Chassés de leur ca- 
pitale, les kalifes de Kairouan et de Fex demandèrent du 
secours au kalife de Cordoue Âbderrhaman. Ce dernier fit 
passer une armée en Afrique qui refoula Mahadi dans la par- 
tie orientale 4e la Barbarie, délivra les Edrissi tes, mais réunit 
leur kali&t à celui de Cordoue. Il se fit proclamer dans Fex 
prince des croyants. Se mettant ensuite à la poursuite desFa* 
timites, il les assiégea dans Tunis dont il s'empara, les rejeta 
jusque dans Kairouan et rapporta d'immenses trésors de cette 
expédition. Toute la partie occidentale du Mahgreb passa dès 
lors sous la domination des kalifes Ommiades d'Espagne. 

Pendant près d'un dcmi-siëcle (de 925 à 972), tout le Mah- 
greb fut déchiré par cette lutte entre les Fatimites contre les 
Aghlabites et les Edrissites, et les Ommiades contre les Fatimi- 
tes, jusqu'au moment où ces derniers, vaincus dans l'ouest de 
TAfrique et pour réparer les cruels échecs faits à leur puis- 
sance, tournèrent leurs armes contre les kalifes d'Orient, les 
Abassides, et leur arrachèrent un des derniers fleurons de leur 
couronne, l'Espagne et la Syrie. Bagdad resta seule alors 
à cette puissante dynastie des Abassides, si célèbres dans les 
annales d'Orient. 

Les Fatimites, vainqueurs^ des kalifes de Bagdad, trans- 
portèrent le siège de leur gouvernement au Kaire, et confié- 
rçnt à un cheik Berbère l'administration de Kairouan, leur 
ancienne capitale. Dès ce moment (an 1000), la plus grande 
c&nfhsion régne dans les annales arabes comme dans celles de 
tous les peuples. Au milieu des déchirements continuels, de 
luttes incessantes, de factions qui se forment, se fractionnent, 
iè multiplient, il est impossible non-seulement de suivre, mais 
même de classer les diverses dynasties plus^ pu moins puis- 
santes qui, au milieu de l'anarchie la plus profonde, régnent^ 
T. I. 6 



81 ALGÉRIE. 

dominent et le rentenent mutuellement. Deux règnes fleuh : 
ceux des Almoravides et des Almohades mériteraient de I 
ter place dans ce récit sommaire, si on pouvait décounir ( 
leur domination un caractère qui jetât un jour nouveau 
les mœurs ou le mobile des populations Mricaines à cette èpo^ 
que. Mais c'est toujours la même instabilité, lamémeambitioni 
le même enthousiasme religieux qui les poussent au pouvoir, 
les renversent, et sur leur débris en poussent d'autres qui 
sont renversés à leur tour. 

Quelques grandes figures dont les poètes arabes ont chanié 
les exploits, et dont les contes populaires ont, plus que les an*- 
nales nationales, perpétué le nom et la mémoire, mériteitf 
cependant d'être signalées. Tels sont TÂlmohave Âbdel*Mou« 
mem qui, après avoir arraché tout le Mahgreb aux Almoretii* 
des, depuis l'Océan jusqu'au désert de Barka, allait Isor 
arracher l'Espagne, lorsqu'il mourut à l'âge de 65 ans : ma 
petit fils Mohammed-Âbou-Abd-Allah, dont la défaite «a 
Espagne, aux Naves de Tohsa, par les armées de la chrétiMtè 
entière, arrêta la marche incessante des peuples de l'OriapI; 
versTOccident; Yahya, de la tribu des Beni-Mericin, qui^ 
était la terreur de rÂfriquc lors de la sixième croisade, corn* 
mandée par Saint-Louis en 1270; le sultan Elkhal, roi ée 
Mequinez et de Tiemcen, et surtout le célèbre Berbère Jouft- 
sef-Ben-Taschefin qui, étayant de sa main puissante l'édifio» 
chancelant de la domination musulmane en Afrique et en Ea-^ 
pagne, en réunit les éléments dissidents et parvint pour aa 
moment à les reconstituer. Son nom est resté populaire parmi 
les Arabes, et c'est le récit de ses exploits qui défraye encore 
les longues heures des haltes des tribus dans le désert. Voici» 
d'après une chronique arabe quelques-uns de ses faits. 

L'an 414 de Thégire (1026), vivait à Sux, parmi les LamiH 
tunes, un saint et savant marabout, Abd-Allah-ben-Yasim. Il 
revivifia la foi chancelante ; les préceptes de l'islamisme qui 
prescrit le prosélytisme par la conquête étaient négligés, il en 
prêcha la pratique, sa voix réveilla l'enthousiasme des popu- 
lations guerrières qui habitaient les déserts de l'ancienne Gé» 
tttUe au-delà de la cUume ailauîi^ue. Leui*s piemières eicur^ 



ALGERIE* 83 

\ fiiTant des conquêtes à la religion, et ils nirent surnommés 
AV?BMra)Hth (les hommes de Dieu.) Âbd-Âllah les conduisit 
VdarieiKi jusque dans le Sahel au milieu des plaines d'Agmat, 
' oji ils 4iwsèrent leurs tentes. Là il mourut après leur avoir 
prophétisé la conquête de tous les pays du Mahgreb. U nomma 
pour «on successeur Âbou-Beker*ben-Omar qui, après avoir 
sdidement assis son pouvoir dans le pays par la force de ses 
annes, fut obligé de repasser l'Atlas pour aller secourir les 
Lamptunes qui étaient restés dans leur Deiras et choisit pour 
Is remplacer Joussef-ben-Taschefin, de la tribu de Zanaga^ 
dont les Lamptunes étaient une fraction. 

Sous la conduite de ce nouveau chef, la prophétie de Abd- 
AQah s'accomplit, et le nombre des prosélytes s'accrut telle^ 
flaent que, se trouvant trop à l'étroit dans la plaine d'Agmat, 
Joussef résolut d'envahir le royaume de Fex, l'ancien héritage 
desEdris. 

Joussef était appelé à de grandes destinées. Dans sa jeu- 
nesse va essaim d'abeilles était venu s'abattre sur lui, et le 
tikb le plus célèbre de la tribu avait dit, que, par ce signe, 
le ciel avait voulu déclarer que Joussef réunirait les parties 
divisées d'un vaste empire, comme étaient venues se rassem- 
Her, autour de lui, les abeilles, membres dispersés d'une 
grande fiunille. 

En effet, Joussef envahit le royaume de Fex, s'empara de la 
capitale, chassa les Zénètes de Tlemcen, poussa sa conquête 
juiqu'à Beni-Mezegrenna (Alger), et retourna dans le pays 
d'Agmat, où il jeta les fondements de la grande ville de 
Meur-Quec (Maroc), dont il voulait faire sa capitale. Bientôt 
il poussa plus loin ses conquêtes; il s'empara de Bougie, de 
Tunis et conquit tout le pays, depuis les limites du désert jus- 
qu'à la Méditerranée et l'Océan. 

Peu après il passa en Espagne au secours des musulmans, 
qui, après la chute du kalifat de Cordoue, s'étaient fractionnés 
en petits états et avaient peine à lutter contre les chrétiens. 
Il joignit les armées d'Alphonse VI, roi de Castille, et de San- 
che, roi de Navarre et d'Arragon, et les défit complètement 
àZalacca. Ensuite, pour mellie Tm à toutes les dissensions m« 



84 



des RH rniBulmans d^AjHUovîe, il s'empva de 
Graoade. de Cordoue. ôe S^ville. de Yaknce et se fit proda* 
mer àouverain ie l'Esinsne musulmane. H mourut en 1107, 
char^ d*ans et de 4oir«- lezuant â âon fik un empire colo»* 
sal. et lux j:euefaaoas nicun^ le l'.^âriifie septentrionale le 
récit des exploits £ùuieux du plus grand des conquérants Ber- 
bères. 

A àa mort son empire ie démembra. Fractionnée en mille 
petits etats^ uiinque devint âuccesâvement la conquête de 
tribus plus ou moius puissantes^ mais cependant les Berbères 
ne cessèrent d*y dominer. Eu Espagne, au contraire, les des- 
cendants des lucieus cjuquenmts arabes parvinrent à y assu- 
rer leur domination : mais refoules peu à peu par les rois de 
Cdstilie et d\\rrduou« ils étaient reiiuits au seul royaume de 
Grenade* et euiiu« eu 1 «di. xiusle règne de Ferdinand et Isa- 
belle, lis turetit detîiiiti>fement evpulsés de l'Espagne. 

Un demi-^èclo volait ea^uio depuis que Mahomet II, à la 
tète desTurcs-Ottomaus« avait reuiersé les murs de la ville des 
Constantins« et« avec eu\ anéanti Tempire d'Orient, lorsque 
Ferdinand-le-CathoItquo balayait de TEurope occidentale les 
derniers débris du Mahometisme et anéantissait cette civili- 
sation mauresque qui tut un tilon d*or dans ce monde tout 
granit et tout ter du iuo^eii-à|i^\ Sur les rives du Xénil et du 
Douro, ces tribus maures, liôreset grandes dans leur malheur, 
vaincues, mais non avilies, jetèrent uu dernier et triste regard 
sur i'Albaîzim, le Generalitle, TAlhambra, les tours Vermeil- 
les, la promenade Alameia, le jardin des Myrthesoù Abencer- 
rage fut surpris avec la sultane Alfaïraa, la porte d'Elvire, et 
furent enfouir dans TAfrique. d*où leurs aïeux étaient partis, 
huit siècles auparavant, leuiN lauriers tlétris et les quelques 
débris de science antique (juils purent sauver de ce grand 
naufrage. 

Là, dépouillées par leurs co-relîgionnaires des derniers dé- 
bris de leur fortune, la tribu des Zégris et des Comètes se fixa 
dia le royaume de Fex, celle des Yanega et des Alabis, de- 
Hdi Qran jusqu'à Alger, celle des Abencerrages dans les en- 
italMde Tunis près des ruines de Cartha^e 



ÀLG£RIE« 85 

k cette époque la concpiête de rAmérique avait donné à 
TEspagne une telle importance commerciale, que le détroit 
était infesté de pirates surveillant les arrivages dans les ports 
de Cadix ou de Carthagène. Ces pirates* la plupart africains, 
trouvaient un refuge assuré dans les ports de la côte occiden- 
tale de l'Afrique. Lès proscrits maures qui avaient été double- 
ment dépouillés par leurs vainqueurs en Espagne et par les 
Berbères et Arabes en Afrique, s*adonncrent presqu'exclusi- 
vement à la piraterie, autant pour se venger des Espagnols 
que pour refaire leur fortune. L'Espagne, pour, mettre un 
terme à ces déprédations successives, adopta un système de 
répression des plus énei^ques, ce fut de s'emparer de plusieurs 
points du littoral Africain : c'est en effet, de cette époque, de 
1505 à 1515, que date son occupation d'Oran, de Mers-el- 
Kebir et de et penon d'Argel , petit fort armé de pièces 
de gros calibre , ayant deux cents hommes de garnison et 
bâti sur les iles Bcni-Mezegrenna, là où s'élève aujourd'hui 
le phare d'Alger. 

Parmi les pirates qui commençaient alors à être la terreur, 
Don-«eulement de l'Espagne, mais encore de toute la chré- 
tienté , étaient les frères Aroudj et Khaîr-ed-Din , si célèbres 
cous le nom des deux Barberousse. Us étaient nés dans une 
des lies de l'Archipel grec : leur père était patron de petit cabo- 
tage, musulman farouche, nourrissant contre les chrétiens une 
haine violente et invétérée qu'il inocula à ses enfants. 

Jusqu'en 1 505, Aroudj et Khaïr-ed-Din ne furent que d'aven* 
toreux et d'audacieux pirates, n'ayant à leur disposition qu'un 
navire. Hais à cette époque ils en armèrent quatre et furent 
demander le droit de bourgeoisie au bey de Tunis. Les deux 
frères s'étaient déjà rendus si formidables aux chrétiens, que 
le bey leur accorda non-seulement leur demande , mais leur 
donna les lies Gelves, moyennant la dime de leurs prises et le 
droit de suzeraineté. Les Barberousse s'y établirent, les forti- 
fièrent, et, en peu de temps, furent en mesure d'armer uno 
flottille de douze voiles. Leur réputation s'étendit au loin : on 
ne parlait que de leur audace et de leurs exploits : en peu de 
temps ils eurent à leur disposition une petite armée : leurs 



gC ALGËKIË. 

navires totgours à la voile^ non-seulement ècumaient la fher, 
mais faisaient des descentes sur les côtes, depuis le golfe m 
Lyon jusqu'au détroit de Gibraltar, pillaient, capturaient et 
revenaient toujours chargés d'esclaves et de butin. Osdevinreilt 
si redoutables, que les villes de la côte africaine, attaquées pdr 
les Espagnols les appelèrent successivement à leur secours» 
Tantôt ce fut Bougie, où Aroudj reçut une blessure au brts 
qui en nécessita l'amputation : d'autrefois ce fut Gigel, où lès 
deux frères. s'établirent : d'autrefois enfin, ce fut Alger qUl, 
après la mort de Ferdinand, voulut attaquer la forteresse Ai 
Penon et les appela à son aide pour en chasser les Espagnole. 

Aroudj conçut alors le projet de profiter de cette occasioti 
pour s'emparer d'Alger. Il donna à un de ses lieutenants le 
commandement d'un corps de douze cents Turcs qui s'y diri- 
gèrent par terre, et lui-même entra dans le port avec dix-hutt 
voiles et plusieurs navires chargés d'artillerie. Selim-Uteml^ 
scheik arabe qui commandait à Alger, le reçut comme ufi 
libérateur, mais après quelques jours d'occupation , Bati)é^ 
rousse le fit étrangler et se déclara souverain à sa place. Il 
chassa les Arabes de leurs emplois, en investit ses officiers et 
s'occupa activement à instituer cette terrible Odjêac d* Alger 
qui, à quelques modifications près, s'est perpétuée pendant 
tout le temps de la domination turque, dont BarberoUsse vè^ 
nait de jeter les fondements. C'était en 1516. 

Et c'est ici le cas de relever une grave erreur, coiifcelTiaiit 
la piraterie des Barbaresques. Un fait acquis, dont tousleS his- 
toriens semblent s'être rendus à l'envi l'un de l'autre gâranik, 
c'est qu'à cette époque les Barbaresques se livraient exdusi^e^ 
ment à la piraterie. Cette appréciation peu exacte fauM èh^ 
fièrement les idées sur la nature des relations des Arabes avét 
les chrétiens. Elles étaient, comme nous le verrons plus tard, 
bien différentes. Quant à la piraterie, elle était commune aut 
uns et aux autres. « En temps de guerre les hostilités, quelléft 
qu'elles fussent, ne pouvaient être considérées comme actes de 
piraterie ; la course réciproque des navires, celle même des 
navires armés sur des vaisseaux marchands, n'avait rien que 
de naturel et, de nos jours encore, le droit international Tati* 



ALGÉRIE. 87 

j^inement. Ce n'est donc que durant la paix ou dans 
l'intmnralle des trèyes que la course est un brigandage : or, 
dans ee eas, les marchands chrétiens, les Génois et les Pisans 
fluitoat, les Grecs de rArchipel, les Siciliens , les Vénitiens et 
]m Catalans semblent avoir dépasséde beaucoup, non pas peut- 
être la fôrocitéy mais l'avidité des corsaires barbaresques sous 
Barberoussê et ses successeurs. Ceux-ci attaquaient rarement 
les barques ou les navires appartenant aux musulmans : les 
Européens ne s'arrêtaient devant aucune considération 

Beaucoup d'armateurs dirétiens comptaient, dans les bén6- 
flen éventuels de leur commune , le produit des courses. Dès 
la Xn* ttède les princes musulmans de Tunis et de Bougie se 
plaignaient à la république de Pise, avec laquelle ils étaient liés 
d'amitié, des pirateries des Pisans et des autres chrétiens sur 
les navires musulmans. Au XIIP , des Génois pillèrent le vais- 
seau qui portait les présents envoyés au pape par Tempereui 
Baudouin. Les Chypriotes enlevèrent en pleine paix les dépu- 
tés qui se rendaient à Constantinople au nom de Bibars-Bon- 
doedar : au XIYe, la Catalogne devenue la troisième puissance 
maritime de la Méditerranée, fournit aussi son contingent aux 
éiumaurs de mer. Ses navigateurs aussi entreprenants et aussi 
audacieux que les marins génois, exercèrent pendant un demi- 
aède las plus cruelles déprédations sur les côtes de l'ile de 
Chypre, dernier boulevart delà chrétienté en Orient, et en vin- 
mnt eouveut aux mains avec les galères des cheiraliers de Rho- 
des qui veillaient à leur défense; en 1460, le vaisseau qui ra- 
floraait la reine de Chypre en Italie, fut dévalisé par un navire 
^HÉnkien j etc. Ces exemples que l'on pourrait multiplier à 
l'Infini suffisent pour montrer que, durant tout le moyen-âge, 
les corsaires chrétiens ne respectèrent ni le rang, ni la puis- 
sance, ni les Sarrazins, ni leurs compatriotes. Les Arabes de 
leur côté ne négligeaient pas l'occasion de se venger, quand ils 
se trouvaient assez forts pour tenter un coup de main sur un 
navire européen, et l'on comprend quels péril le commerce 
avait à braver^sur la mer, qui était alors justemc nt appelée le 
champ des Pirates. • 
Il «al un autre point qu'il importe aussi de rectifier. On est 



88 ALGÉRIE. 

habitué à juger de Tétat des contrées (barbaresques, depuis la 
conquête arabe par les notions queFon a de sa triste condition 
sousi'inepte et barbare despotisme des Turcs. On croit trop 
communément encore quMI n'y |a eu en Afrique, depuis le 
VII® siècle, que dessilles ruinées, des populations opprimées» 
toujours en armes pour défendre un reste de liberté, et partout 
les excès d'un fanatisme intolérant et féroce; mais il faut re- 
connaître que la situation du pays était au moyen-àge tout 
autre qu'elle ne fut sous le règne des deys. Lés relations des 
auteurs qui ont vécu dans ce temps, celles d'Edrisi, d'Ebn-Ba- 
touta, d'Aboulfeda montrent, comme les autres documenfs 
originaux, que l'Afrique musulmane a eu d aussi longues pé- 
riodes de calme et de prospérité qu'aucun des pays les plus 
florissants de l'Europe au moyen-àge. La puissance souveraine 
y maintenait l'ordre et la sécurité plus efficacement que dans 
la société féodale. Les voies de communications étaient sûres, 
rindustrie agricole et manufacturière encouragée ; il y avait 
dans toutes les villes importantes de l'intérieur à Constantine,- 
à Biskra, à Setif, à Milah, àMiliana, à Tlemcen,comme dansles 
ville de la côte, des foires, des magasins, des bazars fréquentés. 
On voyait partout l'activité d'un commerce lucratif qui, trou- 
vant ses premiers éléments, dansles produits du sol, se déve- 
loppait à mesure que les établissements se multipliaient dans 
le pays (1). » 

Au moment où nous allons entrer dans quelques détails 
sommaires sur la domination turque, dont l'inepte despotisme 
a annulé tous ses précieux éléments de richesse et d'activité, il 
nous a paru utile de consigner un fait intéressant sous le dou- 
ble rapport de l'esprit commercial des Arabes et de leur acti- 
vité, lorsque des causes accessoires ne le paralysent pas. 

JPÉRIODE TURQUE' 

Ce que nous appelons aujourd'hui l'Algérie n*a joué jus- 
qu'au seizième siècle qu'un rôle secondaire. Connu tour à tour 

(1) TabUau de la sU. des établissemenU françaU en Afrique, 1S43-18U. 



ALGÉRIE. 89 

80118 le oom de Numidie, Mauritanie, le Hahgreb, ce pays a 
suiti le mouvement général de Thistoire de TÂfrique occiden* 
taie, mais n'en a imprimé aucun qui lui fût propre. L'impor- 
tance d'Alger principalement, ne date que de l'occupation 
d'Aroudj. Ce dief de pirates était aussi habile politique que 
Taillant guerrier. A celte époque vivait à Alger un marabout 
célèbre et renommé, connu sous le nom de Sid-Âbd-er-Rha- 
man. Aroudj sut se l'attacher. Exploitant au profit de sa poli- 
tique, la popularité du marabout, il lui attribua l'idée de la 
forme de gouvernement qu'il méditait d'étabUr et qui fut ap- 
pelé rOdjeac d'Alger. Cette constitution et le nouveau pouvoir 
d'Aroudj, ainsi revêtu d'une sanction religieuse et appuyée 
par les cimeterres des satellites turcs, furent subis sans résis- 
tance par la population entière. L'Odjeac était une sorte de 
république militaire dans des conditions à peu près semblables 
à celle des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Rhodes. 
LesTurcs ou renégats qui étaient au service d'Aroudj, formèrent 
une milice dont les membres eurent seuls le- droit de con- 
courir aux emplois publics. Les Arabes furent généralement 
exclus des emplois et de la milice. Pour avoir le droit de faire 
partie de l'Odjeac, il fallait être musulman originaire de la 
Turquie ou renégat ; les officiers de la milice composaient le 
divan ou conseil de régence ; lé chef de l'armée était aussi le 
chef de l'administration ; les enfants des miliciens eux-mêmes, 
nés dans le pays, étaient exclus de l'Odjeac et formèrent dans 
la suite la classe connue sous le nomde Koulouglis. 

Le pouvoir d'Aroudj fut bientôt consolidé à l'intérieur. Les 
Arabes et les Maures cédèrent à la force et se soumirent, du 
moins en apparence. Mais l'usurpateur eut bientôt à lutter 
contre un ennemi redoutable, le roi d'Espagne, qui ne pou- 
let voir sans inquiétude les Barberousse se rapprocher ainsi 
"fles côtes de son royaume. 

Sélim Eutémi, l'ancien possesseur d'Alger, qu' Aroudj avait 
fait étrangler, avait un fils qui était parvenu à échapper au 
massacre des siens et à se réfugier en Espagne. Charles-Quiat 
y régnait alors. La circonstance était favorable pour interve- 
nir dans les afEûres d'Afrique et à la possession du Pénon 



M ALGÉME. 

d'Alger, ajouter celle d'Alger même. Il aeeueiltit avec fMm/t 
le fils d'Eutémi, arma une flotte de quatre-tingts navires, pcn^ 
tant dix mille hommes de débarquement et fit annoncer datis 
la Metidja et le Sahel, qu'il ne prenait les armes que pour 
fkire rendre au fils d'Eutémi l'héritage de son père ; il croyait, 
par ce moyen, pouvoir compter sur le concours des indigènlMt 
ou du moins s'assurer leur neutralité. 

Francisco de Vero, grand-maitrede l'artiDerie, AM désigné 
pour commander cette expédition qui partit de Garthagtee 
à la fin de septembre 1 516. Le succès paraissait certain. Alger 
n'avait pas alors d'enceinte fortifiée, et Aroudj n'avait pas pltii 
de deux mille Turcs ou renégats à opposer aux Espagnols. 
Heureusement que son frère Khalr-ed-Din qui, tenant depuift 
plusieurs mois la mer avec sa flottille, ignorait la haute fbr* 
tune d' Aroudj, l'apprit sur les côtes de Sicile oii il se trouvait 
alors, et vint mettre à sa disposition ses ti*oupçs et ses navires. 
Ce secours arriva à propos et augmenta les forces d' Aroudj. 
Les Espagnols débarquèrent sur la côte d'Alger et s'avancèrent 
vers la ville divisés en quafre petits corps. Ce fut une fatite. 
Aroudj les attaqua séparément avec toutes ses forces et lesfful- 
buta. Les cavaliers arabes et bédouins qui, dès le comment- 
cément de l'action étaient restés postés par masses com- 
pactes sur les hauteurs voisines, pour piller, selon leur usaj^, 
le vaincu, se précipitèrent comme un ouragan sur les Espa- 
gnols dès qu'ils les virent ébranlés. En peu d'instante la dé- 
route devint complète : Francisco de Vero put à peine rallier 
sur ses vaisseaux la moitié de son armée, et au moment oë la 
flotte allait mettre à la voile, une épouvantable tempête Tat* 
saillit, brisa la majeure partie de ses vaisseaux et dispersa lés 
autres ; il ne rentra pas même en Espagne un quart de l'armée 
expéditionnaire. 

Cette défaite accrut en Afrique la puissance d' Aroudj, et en 
Europe la terreur qu'il inspirait. Les Arabes delà Metidja vou- 
lurent venger le meurtre d'Eutémi et au nombre de six mille, 
s'avancèrent vers Alger. Le roi de Ténès, Hammed-el-Abid, les 
commandait. Aroudj marche à leur rencontre , les joint près 
de BUdah, les bat, s empare de Ténès, de Medéah, de Miliana 



AL6ÉMK« «1 

qu^fl réunit à Tétat d'Alger. Se portant de là rarllèftifcëtiyil en 
cha«e le sultan Bou-'Hammoud et prend possession de la 
^e. 

Cette dernière conquête menaçait les Espagnols dans leur, 
possession d*Oran où ils étaient établis depuis 1 509. Oràii avec 
Iêl quantité de pirates [qui sillonnaient le détroit , ne poutdt 
être que difficilement approvisionné par mer, excepté par des 
navires de guerre. La ville tirait alors exclusivement ses ap- 
provisionnements de Tlemcen, et Aroudj, en occupant cette 
dernière place, ordonna expressétnent aux habitants de rom- 
pre toute relati(m commerciale avec Oran. La situation des 
Espagnds devenait précaire, et le marquis de Gomarès, gou- 
verneur d'Oran, mit une partie de sa garnison au service du 
sultan , dépossédé de Tlemcen, pour l'aider à recouvrer son 
royaume, et ne pas se trouver réduit à une pénurie dont ses 
soldats commençaient à murmurer. BoU-Hammoud rallia Un 
corps nombreux d'Arabes, et soutenu par les Espagnols, in- 
vestit Tlemcen et en commença le siège régulier. Aroudj qui y 
était enfermé n'était pas en mesure de faire une longue résis- 
tance. Cependant le siège dura près d'un mois et les Turcs 
commençant à manquer de vivres et de munitions, Aroudj sort 
avec ses troupes, s'ouvre un passage à travers les lignes enne- 
mies. Poursuivi à outrance par les Espagnols et les Arabes, il 
se battit toute la journée avec un courage indomptable. Placé 
toujours à Farrière-garde, il protégea longtemps la retraite des 
siens. Quoique privé d'un bras, il se jetait au milieu de It^mè- 
lée avec une&ible escorte de ses meilleurs soldats, et ses coups 
prompts et terribles suffisaient souvent pour arrêter des co- 
lonnes entières. D'autre fois, il ralentissait la marche â«s 
troupes qui le poursuivaient en semant sur la route, la vais- 
selle , les monnaies d'or et d'argent, les bijoux, les riches 
étoffes, finit du pillage des villes qu'il avait conquises. Nais 
enfin enveloppé de toute part, il engagea un combat décisif 
où, après s'être défendu longtemps contre des flots d'assaillants . 
dont le nombre allait toujours croissant, il fut tué d'un coup ^ 
de pique. Il avait alors quarante-cinq ans. 

Telle ftit la mortdu fondateur de l'Odjeac d'Alger. Son frère 



92 ALGËRIE. 

Kha!r-eI-Din lui succéda. Après la victoire que venaient de 
remporter les Espagnols , il s'attendit à être bientôt attaqué 
dans Alger . Il s'y prépara à se défendre par un acte de haute 
et bonuQ politique. 

Depuis la fondation de l'Odjeac, Alger était en quelque sorte 
une propriété particulière des Barberousse, qui ne payait ni ne 
devait tribut à personne, mais qui aussi n'avait pour se défen- 
dre, que sa milice et les Arabes qui, parfois faisaient cause 
commune avec elle, mais qui étaient plus souvent ennemis 
qu'alliés. Cette milice quoique incessamment recrutée, était 
insuffisante pour tenir tète à un ennemi nombreux et disci- 
pliné comme l'étaient les Espagnols : les Arabes qui ne voyaient 
dans les Turcs que des oppresseurs, étaient des auxiliaires sur 
lesquels il eût été imprudent de trop compter. Kair-éd-Din 
jugea sainement cette situation, et reconnut que pour conser- 
ver l'héritage de son frère, il devait en sacrifier une partie. 
Selim régnait alors à C!onstantinople; Kba!r-ed-Dinlui envoya 
une députation chargée de lui offrir de riches présents et 
l'hommage de l'Odjéac d'Alger, comme tributaire de la Porte. 
Selim accepta l'offre, conféra à Kaïr-ed-Din le titre de dey, 
lui envoya un premier secours d'hommes pour résister à l'atta- 
que projetée des Espagnols, et, par un firman spécial, il ac- 
corda le passage gratuit et le traitement des janissaires de Con- 
stantinople à tous ceux qui voudraient se rendre à Alger. C'est 
de cette époque, en l'an 1518, que date le droit de Tempire 
Ottoman sur Alger. 

Comme l'avait prévu Kaïr-ed-Din, les Espagnols ne tardè- 
rent pas à venir l'attaquer. La mort d'Aroudj et les succès de la 
garnison d'Oran sur les troupes turques firent présumer à 
Charles-Quint l'occasion favorable pour chasser définitive- 
ment les Turcs de la côte occidentale d'Afrique. Une nouvelle 
expédition, forte de huit mille hommes, partit des ports d'Es- 
pagne sous les ordres du marquis de Moncade, vice-roi de 
Sicile. Elle débarqua une partie de ses troupes dans la baie 
d'Alger et commença les opérations du siège : mais une tem-^ 
pète comme celle qui, deux ans auparavant, avait assaiUi la 
flotte espagnole, engloutit dans une seule nuit vingt-huit na- 



ALGÉRIE. 98 

yjan» et toutes les troupes restées à bord : elles étaient au nom* 
bre de quatre mille hommes. Ainsi réduite à la moitié de sei 
forces, Tannée expéditionnaire s'embarqua à la hâte, aban- 
donnant sur la plage tout le matériel débarqué. 

Ce second et terrible échec éprouvé par les Espagnols accrut 
Taudace et la confiance des Turcs de l'Od jeac. Ils se considé- 
rèrent comme spécialement prot^és par Allah, et Alger prit 
le nom à* Alger la bien gardée. Sous l'influence de l'ascendant 
moral que lui donnèrent ces événements, Kair-ed-Din éten- 
dit rapidement ses conquêtes. Il prit successivement Tlemcen^ 
Tenez, Mostaganem, Messouna. Mais les rapides accroissements 
de sa puissance lui suscitèrent de nombreux ennemis. Moula- 
Mohammet, souverain de Tunis, redoutant les entreprises au- 
dacieuses de ce iormidable voisin, excita le mécontentement 
des tribus dépossédées de la Metidja et du Sahel, il parvint 
même à gagner quelques-uns des officiers de l'Odjeac et 
Kair-ed-Din fut pendant quelque temps menacé de conspira- 
tions sans cesse renaissantes. Il se retira à Gigel où, pendant 
trois années consécutives, se livrant exclusivement à la pirate- 
rie, il jeta sur toutes les côtes de la Méditerranée l'épouvante 
et l'effroi, arrêtant le commerce, saiccageant les villes, enlevant 
les habitants. Mais pendant ce temps des usurpations succes- 
sives excitées par les Espagnols ou par l'ambition de ceux à qui 
il avait confié des gouvernements, avaient ruiné son pouvoir 
dans tout le territoire de l'Odjeac. Un cheik arabe, Hamet- 
ben-el-Cadi, s'était emparé du gouvernement d'Alger; Kara- 
Hassan s'était emparé de Cherchell; d'autres n'attendaient 
que le moment favorable pour lever l'étendard de la révolte. 
Kaîr-edrDin, prévenu à temps, réunit toutes ses forces et pa- 
rut devant Alger. Sa vue seul jeta l'épouvante parmi les re- 
belles qui, à Alger, comme à Cherchell, lui apportèrent la 
tête de leurs chefs. Pour se venger des Espagnols qui avaient 
fomenté toutes ces insurrections, il résolut de faire le siège du 
Pênon et de les chasser du voisinage d'Alger. Ce fut pendant 
cet assaut que, lorsqu'après dix jours de canonnade» la brèche 
se trouvant praticable, et la garnison, décimée par les mala- 
dies ou le feu de l'ennemi, hors d'état d'opposer toute téim^ 



té àJUQttag. 

tooiNs k g«mv«rMttr du farti la brave don Martin de Vaigav^ 
V présenta aevà lur la brèche, l'épêe à la inaio, au pied dit 
drapeau d« Caitille» flottant encore sur les rempart», et déeidA 
à le défendre coqtre les flots d'assaillants qui envahissaient le 
Ibrt* )(a{pred-DiQ| maître du Pénon , qu'il fit raser, et dont 
les matériaux senrirentà former la digue qui lie encore au-- 
jourd'huî à la terre ferme les tlots de Beni-Mezegrenna, eut 
{a cruauté de faira périr sous le bâton le vaillant don UartÎQ 
de Yargas, parce qu'il re^sa d'embrasser l'islamisme. 

jUes succès étonnants de Kair-ed-Din l'appelèrent bientôt 
fur un plus grand théâtre. Le sultan Soliman, alors régnant 
à Gonstantinople, battu k plusieurs reprises par les marines 
caipbiiEiéèi de Chaiies^Quint et des Vénitiens, nomma Katr 
«apitan^pacha, et lui confia le commandement des flotte* 
#ttoH)anei. Kaïr se rendit à Gonstantinople avec sa flotte de 
quarante galères, ravagea tout ce qui se trouva sur sa rout# 
et y en^ chargé d'esclaves et de butin. U prit alors le comn 
inandement de la flotte ottomane forte de quatre-vingts vaia« 
seaux, reprit toutes les conquêtes que les Vénitiens avaient 
fiâtes dans l'archipel, en Morée, la Dalmatie, fit des descentea 
fa Italie, jeta l'épouvante jusque dans Rome, et eut Tauda-v 
cieuse témérité de débarquer de nuit avec une faible escorte 
pour aller dans l'intérieur jusqu'à une petite ville de la Pouille, 
tâcher d'enlever une noble femme d'une grande beauté, Julie 
de Gonzague, qu'il désirait offrir en présent au grand-seigneur, 
À son retour, pour se venger du bey de Tunis Moula-Hoham* 
met qui, pendant les trois ans qu'il était resté absent d'Alger, 
avait, comme on a vu, fomenté des troubles dans rOdjeac, il 
enleva par surprise Biserte et la Goulette, s'empara de Tunis, 
en prit possession au nom du Grand-Seigneur, et s'en fit 
nommer bey. 

Ces succès si rapides, ces conquêtes si éclatantes, jetèrent 
la consternation sur toute la côte d'Italie. Charles-Quint 
craignit pour ses possessions italiennes et arma une flotte de 
quatre cents navires et de vingt-cinq mille hommes pour aller 
reprendre Tunis. Il prit le commandement de cette expédi- 
tÎMt s'empara de Tunis et remit sur le tr6ne le bey dépossédé 



AIG&RIE »! 

1 le roeoimut pour suzerain et s'engagta à renoncer à la 

/dterie. jLJne garnison espagnole occupa la Goulette. 

Cette expédition n'avait eu qu'un demi-résultat* Kair-ed- 
in n'^jant que des forces insuffisantes pour résister à Tannée 
'o Char)es-Quinty s'était replié avec ses troupes sur Alger d'où 
V étaU sorti peu de temps après pour ravager les côtes de 
f 'Eqpagne. Pendant près de deux ans il porta partout la ter- 
reof^ détruisant les maisons, incendiant les récoltes, traînant 
ém populations entières en esclavage. Rappelé alors, par ordre 
dy^^dtail) à la tète de la flotte turque, il porta en Grèce, en 
itylîe, la terreur qu'il venait de répandre en Espagne. Vingt- 
çig^ tles appartenant aux Vénitiens tombèrent en son pou- 
Vfiif . Rencontrant à la hauteur de Corfou la flotte vénitienne, 
foffe de cent soixante navires et commandée par le célèbre 
l^lfdré Doria, il livra bataille et resta maître de la mer. U ter- 
iQÎna enfin cette brillante campagne par arracher à Venise un 
tnîtë par lequel la république cédait au sultan quatre places 
fortes de l'archipel grec, toutes les iles dont Kaïr s'était em* 
pfuré et payait trois cent mille ducats comme indemnité. 

Avant de partir pour cette glorieuse campagne, le chef 
upréme de l'Odjeac d'Alger avait confié le commandement 
de la ville à un renégat sarde, Hassan-Aga, officier brave, 
entreprenant et dévoué. Kair-ed-Din l'avait élevé lui-même. 
Imitant l'exemple de son maître, Hassan-Aga, pendant son 
absence, se rendit tellement redoutable sur le littoral de la 
Méditerranée, depuis Fiéj us jusqu'à Cadix, qu'on fut réduit à 
'élever, de distance en distance, des tours de vigie, pour 
signaler l'apparition d'un pirate algérien. L'alarme se répan- 
dait aussitôt : les femmes et les enfants se retiraient dans les 
villes de l'intérieur, et les hommes prenaient les armes pour 
repousser ces formidables bandits traînant après eux le pillage, 
Fesclavage, l'incendie, la mort. L'humanité outragée récla- 
mait un vengeur : l'aventureux Gbarles-Quint accepta encore 
une fois cette tâche. 

Un armement formidable fîit résolu contre Alger. Majorque 
fut le lieu fixé pour le rendez-vous général. A la fin de sep- 
imbre 1541, soixante-dix jgalères et quatre cent cinquantei 



9G ALGÉRIE. 

navires de transport y furent réunis. L'armée expéditionnaire 
se composait de douze mille matelots, dix-sept mille hommes 
de troupes de pied allemands, italiens, espagnols ou siciliens; 
quinze cents cavaliers, trois mille volontaires, deux cents 
chevaliers de Malte, cent officiers nobles et deux cents gardes 
impériaux. Charles-Quint se mit en personne à la tète de 
l'expédition. L'amiral André Doria commanda la flotte. ' 

Les moyens de défense d'Hassan-Aga, gouverneur d'Alger 
en l'absence deKaïr-ed-Din, étaient loin d'être proportionnés 
à une aussi formidable attaque. Un millier de Turcs de l'Od- 
jeac, quatre mille Algériens, deux mille Maures- Andaloux 
armés d'escopettes et d'arcs en fer, étaient ses seules troupes 
régulières pour défendre la ville. Les Arabes et les Kabiles 
devaient tenir la plaine. Il éleva à la hâte de nouvelles forti- 
fications, fit armer toutes les batteries, prit les précautions les 
plus minutieuses pour empêcher l'approche de la place et 
attendit tranquillement l'ennemi. Ses soldats étaient comme 
lui, remplis de confiance, et se représentaient l'ancienne pré- 
diction d'un marabout ô&lèbre annonçant qu'Alger ne serait 
pris que par des soldats habillés de rouge et que les Espagnols 
seraient détruits dans trois expéditions. Cette prédiction devait 
s*accomplir dans toutes ses parties. 

La flotte Espagnole ne put approcher de Majorque que le 
1 5octobre. L'époque étaitpeu favorable et mal choisie. Les vents 
d'équinoxe nord-ouest et nord dominent alors assez généra- 
lement sur la côte d'Afrique, y souflQent avec furie et y déter- 
minent de terribles tempêtes qui pouvaient renouveler lès 
grands désastres des premières expéditions. 

Après une traversée des plus heureuses, l'armée navale se 
trouva ralliée dans la baie d'Alger et put, le 23 octobre, opérer 
son débarquement. Il eut lieu , sans opposition sérieuse, sur 
la plage de la rive gauche d'El-Harach. Avant de se porter 
en avant, Charles-Quint envoya à Hassan un parlementaire 
qui lui dit : « Au nom de l'empereur, mon maître, je suis 
« chargé de te sommer de te rendre pour féviter les mal- 
« heurs, qui te menacent ainsi que tes soldats et ta ville : 
c j'ai dit. ».-7 € Retourne à ton tnaitre, répondit Hassan, et 



ALGÉRIE. 97 

c va lui dire qu'Hassan ne rendra qu'avec sa vie la ville dont 
c le elorieux Kaïr-ed-Din lui a coniSé lA/^nmn^pmiaTn^nf Xu 



irecQoquaieni avec imcd») ue puuvaicui ui o ^««^«.«^ ^« ^ ^^ 
rantir des vagues d'une mer monstrueuse ; la plupart som^ 
brèrent, d'autres furent jetés brisés à la côte, sans qu'au milieu 
de Tobscurité profonde qui régnait, il fût possible d'en secourii 
un seul. 

!• i; 7 



ALGÉRIE. 9T 

t va lui dire qu'Hassan ne rendra qu'avec sa vie la ville dont 
t le glorieux Kaïr-ed-Din lui a confié le commandement. Tu 
m ajouteras 9 qu'après s'être déjà illustrée par les défaites de 
a Francisco de Vero et de Hugues de Moncade, Alger espère 
a acquérir une nouvelle gloire par celle de l'empereur lui- 
a même, b 

Tout espoir de reddition étant perdu, l'armée espagnole se 
porta en avant sur trois colonnes. Ferdinand de Gonzague 
commandait l'avant-garde et formait la gauche qui tenait le 
haut de la plaine. Le corps de bataille, composé des troupes» 
allemandes, formait le centre et était commandé par Charles- 
Quint, ayant pour lieutenant le duc d'Albe. L'arrière-garde, 
où étaient les chevaliers de Malte , suivait le bord de la mer 
aux ordres de Camille Colonna. L'armée, harcelée jour et 
nuit par la cavalerie arabe, s'avança dans cet ordre, parvint à 
gagner les hauteurs qui dominent Alger et s'assura, dès le dé- 
but, une positioil avantageuse qui isola les Arabes de la ville. 
he centre s'établit sur la colline du Coudiab-el-Saboun , là 
même où fut bâti plus tard le fort de l'Empereur, qui a pris 
son nom de cette circonstance. La droite occupa le bord de 
la mer prolongeant sa ligne depuis le fort nommé aujourd'hui 
Bab-Azoun jusqu'au pied des montagnes. L'avant-garde, qui 
formait la gauche, s'établit auprès du ravin de Bab-el*Oued. 
La flotte vint s'embosser aussi près que possible de la côte, 
«t on procéda au débarquement de la grosse artillerie. 

Le choix heureux du terrain, les forces formidables de l'ex- 
pédition, la faiblesse des murs de la ville, de ses fortifications, 
de ses troupes, tout pouvait faire croire à un succès prompt 
et assuré. Mais dans la nuit du 25, à la suite d'une pluie dilu- 
vienne qui avait détrempé le sol et ruiné les chemins, u^ 
grain violent assaillit la flotte : la nuit survint, nuit terrible, 
pendant laquelle les vaisseaux chassés sur leurs ancres s'en- 
trechoquaient avec fracas, ne pouvaient ni s'éviter, ni se ga- 
rantir des vagues d'une mer monstrueuse ; la plupart som- 
brèrent, d'autres furent jetés brisés à la côte, sans qu'au milieu 
de l'obscurité profonde qui régnait, il fût possible d'en secourii 
on seul. 

I. i; 7 



98 ALGÉRIE. 

Vers le matin, à cette affreuse tempête avait succédé un 
brouillard épais et humide qui masquait la plage et la mer., 
Charles-Quiot, les regards fixés sur la pleine mer, se flattait 
encore que sa flotte avait échappé à un grand désastre. Il es* 
pérait que le brouillard en se dissipant la lui laisserait décou*- 
vrir. II pressentait son malheur, mais il en doutait encore. 
Les Turcs étaient déjà mieux informés que lui. De nombreux 
débris ramassés sur la plage, leur avaient révélé cette sorte d'in- 
tervention providentielle qui, pour la troisième fois, venait à 
leur aide contre un si formidable ennemi. Le moment leur pa« 
rut favorable pour attaquer Tannée impériale. Ds se portèrent 
avec de grands cris jusque sur les retranchements derarrièrt- 
garde. Le corps d'Italiens qui la composait cédait déjà du 
terrain, lorsque les chevaliers de Malte se précipitent au milieu 
des rangs turcs, chargent les assaillants l'épée à la main, les 
repoussent, les refoulent jusque aux portes de la ville où ib 
seraient entrés avec eux si Hassan n'en eût fait précipitamment 
fermer les portes. Il sacrifia ainsi une partie des siens, mais il 
sauva la ville. Ce fut à ce moment qu'un chevalier de langue 
de France, Ponce deBalagner, porte-étendard de Tordre, en* 
trainé par sa bouillante valeur, au milieu d'une grêle de traits 
et de balles, s'élanga contre la porte qui, en se fermant, venait 
de leur ravir une si glorieuse proie et y enfonça son poignard. 

Cependant la brume se dissipa et laissa voir cent cinquante 
navires brisés ou naufragés : tous les bateaux de transport qui 
portaient le matériel de siège avaient été engloutis; tout ce 
qui avait échappé aux flots : artillerie, munitions, équipage, 
était tombé au pouvoir des Bédouins. Ce désastre effroyable 
plongea Tannée dans la stupeur. Les soldats n'avaient ni vi« 
vres, ni tentes, et l'amiral Doria pressentant Timpossibilité de 
se maintenir dans ces parages, se dirigeait vers le cap Matifoux 
avec la partie de la flotte qui avait échappé à la tempête. En 
même temps, il écrivit à Charles-Quint. 

« Mon cher Empereur et fils, j'ai trop d'amour pour vou8^ 
« pour ne pas rempUr un douloureux devoir, c'est de vous 
« annoncer que si vous ne profitez pour vous retirer, de Tin- 
a stant de calme que le ciel vous accorde, Tarmée navale et 



ALGËRIE. ftft 

a celle de terre, exposées à la fSsdm, i la soif, et à la fureur 
a des ennemis, sont perdues sans ressources. Je vous donne 
a cet avis parce que je le crois de la dernière importance, 
s Vous êtes mon maître ; continuez à me donner vos ordres, 
c et je perdrai avec joie, en vous obéissant, les restes d'une 
c vie consacrée au service de vos ancêtres et de votre per^ 
€ sonne. » 

Les effroyables effets de la tempête donnaient tant d'auto* 
rite au conseil exprimé dans cette lettre, que Gharlefr-Quint se 
décida immédiatement à lever le siège et à battre en retraite 
pendant que l'armée encore fraîche et peu démoralisée pour- 
rait opposer une résistance énergique aux attaques dont les 
Turcs et les Arabes allaient infailliblement l'assaillir. La re- 
traite s'opéra simultanément sur toute la ligne : l'artillerie et 
les bagages furent abandonnés ; les chevaux de trait tués pour 
«ervir de nourriture aux soldats, jusqu'au moment où la flotte 
pourrait fournir des vivres. Mais à peine l'armée fut-elle en 
marche que des nuées d'Arabes se précipitèrent sur ses der- 
rières et sur ses flancs. Profitant de tous les accidents du ter- 
rain, des chemins défoncés, des torrents débordés, les Turcs 
ouïes Arabes ne cessèrent de harceler sa marche, de massacrer 
les fuyards, d'entamer parfois les colonnes, et l'armée de Char^ 
le&-Quint n'arriva au lieu désigné pour l'embarquement, à 
Uatifoux, qu'après avoir jalonné la route des cadavres de ses 
\ soldats. 

I Telle fut cette expédition de Charles-Quint dont la mal-» 
heureuse issue cimenta, dans l'Afrique occidentale, la puis- 
sance barbaresque, et qu'il était réservé à la France d'abattre 
après trois siècles d'insultante domination. 

Pendant que le lieutenant de Kaïr-ed-Din, si puissamment 
secondé par l'inclémence de la saison, triomphait à Alger 
d'une armée formidable, le vaillant souverain de l'Odjeac 
s'apprêtait à cueillir de nouveaux lauriers. La France s'était 
alliée au sultan de Constantinople pour agir de concert con- 
tre l'Espagne. Kaïr-ed-Din commandait la flotte turque forte 
de cent cinquante navires, le comte d'Enghien, la flotte fran^ 
çaise composée de vingt galères et de vingt bâtiments àt 



100 ALGÉRIE. 

transport Le terrible Gapitan-Pacha , en se rendant à Mar- 
seille, lieu fixé pour la réunion des deux flottes, prit, chemin 
faisant, Reggio qu'il livra aux flammes, occupa les embou- 
chures du Tibre et lança ses lieutenants sur Rome; il rallia 
ensuite la flotte française et se porta sur Nice dont il avait 
commencé le siège, lorsque des forces considérables qui arri- 
Taient au secours de la ville assiégée, le forcèrent d'abandon- 
ner son camp. Cet échec fut principalement dû à l'impré- 
voyance des Français qui étaient arrivés là presque sans 
munitions. Ce fait mérite d'être consigné comme un des 
traits caractéristiques de cette cour futile et galante de Fran- 
çois P', ce mauvais roi parmi les plus mauvais qu'ait eu la 
France, qui savait, en pressurant son peuple, trouver de 
l'aident pour ses plaisirs, et ne songeait pas même à s'en pro» 
curer pour munir ses armées de poudre et de fer. 

Kair-ed-Din ne cacha pas son mécontentement et traita 
fort cavalièrement ces galants seigneurs français qui avaient 
suivi le comte d'Enghien sans poudre et sans boulets. Pour 
l'apaiser, on lui compta à Toulon, oîi il se rendit avec sa flotte, 
une somme énorme pour l'époque. Voici ce qu'en dit Vielle- 
Ville : « Barberousse portait le titre de roi. A Toulon, il se 
c montra en public, accompagné de deux hachas et de douze 
a autres personnes vêtues de longuçs robes de drap d'or. D 
« était en outre suivi d'une foule de gens et d'oflSciers qui lui 
« servaient de secrétaires et d'interprètes. Les sommes qu'il 
« reçut alors de la France dépassèrent huit cent mille écus. 
« Il y avait à Toulon deux trésoriers qui, trois jours^durant, 
c ne cessèrent de faire des sacs de mille, de deux mille, de 
« trois mille écus, et passèrent à cet emploi des jours et des 
c nuits. x> 

Pour se venger de l'échec qu'il avait éprouvé devant Nice, 
Raïr-ed-Din saccagea successivement les côtes d'Espagne, 
celles de la Toscane, l'fle d'Elbe, et rentra à Gonstantinople, 
gorgé d'or, de butin, et avec une si grande quantité d'esclaves 
que, pendant la traversée, ils périssaient par centaines. Il y 
mourut peu de temps après, en 1547, à l'âge de quatre- 
vmgUans. 



ÀLGÉRiE. lOi 

Tel fut ce fameux Kair-ed-Din, surnommé Barberousse» 
qui, plus célèbre que son frère Àroudj, fît, pendant trente ans, 
trembler la chrétienté entière. Les écrivains européens de 
Tépoque ont voué la mémoire des deux frères à Texécration 
publique. Les Espagnols surtout les ont peints sous les couleurs 
les plus odieuses; et peut-être, pour leur rendre plus de justice, 
n'auraient-ils eu besoin que de mettre en regard les actes et 
les £ûts des Barberousse en Europe et les leurs en Amérique, 
fls auraient compris alors qu'il y a eu plus de gloire à lutter 
contre leur grand empereur Charles-Quint et ses vaillants sol- 
dats que d'aller en Amérique lancer, pour un peu d'or, contre 
de malheureuses populations désarmées, des chiens dressés à 
la chasse des Indiens. Hs auraient pu se convaincre qu'il ne 
suifit pas de traîner à sa suite des prêtres, ministres indignes 
d'une religion de charité, pour justifier les crimes les 
plus horribles qui aient jamais souillé Je martyrologe des 
peuples. 

La souveraineté des Barberousse sur TOdjcac offre un fait 
particulier qui mérite d'être signalé : c'est l'accroissement ra- 
pide de la marine algérienne. A la mort de Kair-ed-Din, 
Alger était une puissance maritime qui coopérait à toutes les 
expéditions dans lesquelles la Porte se trouvait engagée. Un 
mot sur cette marine. La population d'Alger ne vivait que de 
piraterie. Les navires croiseurs étaient ordinairement des 
chebecs de diverses grandeurs, armés de rangs de longs avi« 
rons et dont le gréement en voiles latines et voiles carrées à la 
fois leuft^permettait de courir avec tous les vents sur les bâti- 
ments qu'ils voulaient capturer. Us étaient bien équipés, bien 
pourvus d'armes et de munitions, montés par des Turcs, des 
Maures ou des renégats; un raïs ou capitan les commandait : 
ce ra!s ne sortait du port qu'avec la permission du divan et 
aprësTaccomplissement d'actes religieux, tels que la visite à 
quelque marabout renommé pour se recommander à ses 
prières ou le consulter sur le résultat de son voyage. De retour 
de la course, s'il y avait des prises, quatorze pour cent étaient 
d*abord prélevés, savoir : douze pour cent pour le bey, un 
pour cent pour l«s marabouts et un pour cent pour l'entretien 



10$ ALGÉRIE. 

du môle« Le reste était divisé on deux parts, Time pour le ra!s 
et les armateurs, l'autre pour Téquipage. 

Cette marine dont les janissaires pouvaient faire partie était 
à la fois force de mer et force de terre, et constituait cette 
redoutable milice algérienne, dans laquelle cependant le jania- 
sariat jouissait de grands privilèges, tels qu'un supplément de 
solde et la surveillance de la police; ses membres avaient en 
outre le droit de ne pouvoir être, jugés que par leurs officiers. 
Cette marine ainsi constituée fut bientôt de quelque poids 
jdans la balance des intérêts maritimes de l'Europe. Sous 
I Henri II, elle agit avec le célèbre Dragut contre l'fle de Corse^ 
de concert avec la flottelfrançaise commandée par le baron de 
La Garde. Au fameux siège de Malte, en 1565, commandée 
par Kandelissu, kholifat du bcy Hassan, elle attaqua l'éperon 
Saint-Michel par mer, et malgré l'héroïque résistance des 
chevaliers, parvint à planter sept étendards sur le parapet. En 
1571, à la célèbre bataille de Lépante, la marine algérienne, 
commandée par le vaillant Ali Kilidj, pacha d'Alger, formait 
l'aile gauche de la flotte ottomane et disputa longtemps la vic- 
toire à l'aile droite de la flotte chrétienne , commandée par 
Doria. Ainsi, dans les luttes les plus mémorables de l'époque, 
la marine algérienne prenait une part assez grande pour que 
son importance alors soit un fait hors de doute. 

Malheureusement la source de ce rapide accroissement de 
puissance maritime était la piraterie qui , parmi la grande 
quantité d' esclaves amenés à Alger, recrutait et augmentait 
sans cesse le personnel de la marine par un grand nombre de 
renégats, toujours sûrs d'acquérir par l'abjuration une cer«| 
taine existence sociale, bien préférable à l'esclavage. En effet, j 
la loi musulmane ordonne impérieusement la libération de, 
tout infidèle embrassant l'islamisme : aussi ce fanatisme de! 
propagande qui, après avoir menacé d'arracher les plus beauxj 
fleurons de la couronne du Christ, a étendu si loin sa demi-* 
nation et ses conquêtes, n'est en définitive que la mise en 
pratique du fameux Compelle intrare de l'église catholique et 
peut se réduire à ceci : Fais-toi musulman, ou sois esclave et 
meurs. Cette atroce maxime a été généralûée par le mahomè- 



ALGÉRIE. 109 

tisme : eDe Vebî été par le catholicisme li, heureusement pour 
la religion chrétienne, la force n'avait pas manqué à Rome 
papale. Et c'est ici Foccasion d'entrer dans quelques détaib 
sar TesclaTage des chrétiens à Alger. 

La Tille ou ses ennrons comptaient ordinairement de vingt- 
.cinq à trente mille esclaves. Ils étaient divisés par catégories. 
•Le capitaine, les officiers de la prise, les passagers et leur fii- 
mille^ formaient une première classe qui, présumée rache- 
table, était généralement assez bien traitée. Les hommes ser- 
JTaient comme domestiques à la ville ou atix champs, ou bien 
{faisaient un petit négoce pour le compte du maître. Les fem- 
' mes entraient au service des dames Maures ou dans les ha- 
Tems. Les enfants, nourris dans le palais du dey ou dans les 
maisons des premières familles, étaient traités avec assez de 
ménagement^ dans l'espoir de leur rachat on de leur con- 
version. 

Les matelots et ceux ou celles qui étaient présumés trop 
pauvres pour être rachetés, étaient conduits dans le Batistan, 
bazar particulier où se faisait la vente des esclaves. La valeur 
en était très variable et dépendait, si c'était un homme, dé 
la force, de la santé, des dents, circonstance importante pour 
manger le biscuit sur les galères; si c'était une femme, la va- 
leur vénale en augmentait considérablement suivant l'âge, la 
beauté ou l'embonpoint. Les uns et les autres étaient vendus 
aux enchères de la même manière que les chrétiens ont si 
longtemps vendu et vendent encore les nègres; on les faisait 
lever, marcher; on les tàtaitpour juger de la force de leurs 
muscles : on séparait le fils du père, la fille de la mère, mal- 
gré leurs cris et leurs lamentations, et on leur donnait des 
coups de fouets quand elles devenaient trop ennuyeuses; les 
musulmans barbares n'avaient rien imaginé de plus que les 
dirétiens chrilisés. Le sort de ces esckves était plus ou moins 
supportable, suivant les maîtres aux mains de qui ils tom- 
baient. 

n y avait une troisième classe, la plus malheureuse de 
toutes, c^étaient les esclaves appartenant à l'État et qu'on ap» 
pelfiitMcAltres d$ magasin, lis étaient k^és dans des faagMiy 



104 ^ ALGÉRIE. 

fastes édifices distribués en cellules basses, sombres et peu 
aérées : quinze à vingt de ces malheureux étaient amoncelés 
dans ces bouges infects, dévorés de vermine, n'ayant pour lit 
qu'une natte ou la terre ; pour nourriture, qu'un morceau de 
pain grossier et un peu d'huile rance; pour vêtement, une 
tunique de laine et un manteau, et soumis à la cruelle sur- 
veillance d'un bachi (gardien) qui, sous les moindres prétextes, 
les accablait de mauvais traitements. 

Le rachat des esclaves s'opérait de trois manières : d'abord 
par l'entremise des religieux de la Merci qui rachetaient avec 
le produit des quêtes destinées à cette œuvre ; par les parents 
des captifs; et enfin par l'Ëtat, auquel appartenaient les es* 
claves. La rançon était arbitraire et atteignait parfois des 
chiffres très élevés. Tel était l'esclavage algérien, effroyable 
tribut que les nations chrétiennes ont payé aux Barbaresques 
pendant près de quatre siècles. 

C'était là la principale source des richesses d'Alger, et, en 
quelque sorte la base de ses relations commerciales et poli- 
tiques avec les divers Ëtats de la chrétienté. En effet, à cette 
époque ou plus tard, tous se résignèrent à lui payer un tribut 
d'argent pour se racheter du tribut de sang que ces audacieux 
pirates de l'Odjeac prélevaient indistinctement sur les amis et 
sur les ennemis. 

La mort du dernier des Barberousse amena dans l'Odjeac 
un événement qui révéla les vues ambitieuses de cette puis- 
sante milice, les janissaires, qui en avaient fait la force. Kaïr- 
ed-Din laissait un fils nommé Hassan, qui était à Constanti- 
nople, auprès du sultan. Il reçut l'investiture du gouvernement 
de son père ; mais les janissaires avaient déjà nommé un suc- 
cesseaT à Kaïr-ed-Din : c'était un d'entre eux, nommé Agi, 
qui se hâta de résigner ses fonctions dès que Hassan parut 
pour prendre possession de son gouvernement, à la tête de 
douze galères que le sultan avait mises à sa disposition. 

Quoique tout fut rentré dans l'ordre sans avoir eu besoin oe 
recourir à la force, c'était là un fâcheux précédent. Les janis- 
saires venaient de faire un acte de pouvoir et d'insubordina- 
tion qui dénotait assez leur tendance à s'arroger le droit 



ÀLGËRIE. 05 

(TinTestiture de leurs chefs et par conséquent à les déposer à 
▼olonté. 

I Ce n^était pas là le seul TÎce de Torganisation de rOdjeac. 
'S en était un autre radical qu'il était devenu urgent d'extirper 
ou tout au moins de comprimer : c'étaient les mauvaises dis- 
positions des diverses races qui peuplaient l'Algérie et qui 
voyaient les Turcs maîtres des emplois, du commerce, c'est-à- 
.^rede la piraterie : riches, considérés, privilégiés, tandis que 
^«ux, les possesseurs primitifs du sol et du pays, n'avaient que 
^ce que leurs rapaces vainqueurs ne pouvaient leur enlever, des 
parts modiques dans les partages des prises auxquelles ils 
coopéraient de leur fortune et de leur sang. Puis les mœurs, 
les coutumes, la religion même de ces nouveaux venus diffé- 
raient avec les leurs ou dans ses dispositions radicales ou dans 
ses rites. En effet, les Berbères, les Maures, les Arabes étaient 
musulmans malekites; les Turcs au contraire suivaient la 
tradition hamelite; les Juifs et les Nègres professaient le mo- 
saisme; l'idolâtrie dominait encore dans quelques tribus. 
Avec des populations aussi turbulentes que les populations 
africaines, belliqueuses, pleines d'ardeur et de courage, promp- 
tes à s'unir, dans un sentiment commun de défense et de 
pillage, malgré leur fractionnement et leurs divisions, il y avait 
là trop de germe de mécontentement et d'insoumission pour 
ne pas former tôt ou tard des nœuds de coalition contre la 
domination turque. 

La souveraineté d'Hassan se trouvait ainsi, dès le début, 
menacée à Alger, par les janissaires, au dehors, par les indi- 
gènes. Heureusement pour lui les haines invétérées de tribu à 
tribu l'emportèrent sur celles qu'avait soulevées la domination 
des Turcs. Ebcploiter ces haines au profit de l'Odjeac était dès- 
lors, à la fois, un moyen certain d'affaiblir les tribus en les 
divisant et de contenir les janissaires par l'activité de la guerre 
et l'appât du pillage. 

Deux puissantes tribus se disputaient Tlemcen : l'une re- 
chercha l'amitié d'Hassan ; l'autre se plaça sous la protection 
du roi de Fex et du gouverneur d'Oran, appartenant encore 
alors aux Espagnols. Cette occasion servait si à propos les 



106 ALGÉRIE. 

Tuesd'Hassat), qu'il se mit immédiatement en campagne. Son 
armée était de vingt mille hommes : quatre mille Turcs, lix 
mille renégats et dix mille Arabes. Il rencontra Tannée espa- 
gnole, la battit, s'empara de Tlemcen, y abolit l'autorité des 
princes Maures, et annexa la ville et ses dépendances à la 
Ilégence d'Alger. 

Ainsi, faire la guerre au moyen, en quelque sorte, des in- 
digènes, combattre l'ennemi par l'ennemi lui-même, user aa 
profit de la domination turque l'esprit d'indépendance, do 
révolte et de jalousie, qui caractérisait alors comme aujomv 
d*hui les tribus, prévenir les révoltés par une terreur salu- 
taire, frapper de grands coups pour tenir les mécontents dans 
la crainte, fomenter la rivalité des tribus, entretenir avec 
ooin les relations de celles qui cherchaient un appui parmi 
eux, telle fut la politique des Turcs en Algérie. 

Hassan resta fidèle à cette politique, mais il ne put en pour- 
suivre avec fruit le développement. Son règne fut très acci- 
denté, et le début de cette lutte constante, opiniâtre entre 
les janissaires et les représentants envoyés par la Porte, qui 
fut un des traits caractéristiques de cette partie de l'histoiro 
de la Régence d'Alger. 

Au moment où il méditait de nouveaux succès, une in- 
trigue ourdie dans le divan de Constantinople, le renversa 
une première fois. Il fut remplacé par un des plus vaillants 
compagnons d'armes de son père Kair-ed-Din, Salah^Reïss, 
qui porta la guerre jusque sur les confins du Sahara, à Tri- 
carte et à Huguela, prit Fex, en rendit le royaume tributaire 
du pachalik d'Alger, ettendit ainsi peu à peu à aboUr partout 
l'autorité des princes Maures. Il enleva aussi Bougie aux Es- 
pagnols après un long siège et borna leur domination en Afri- 
que aux points extrêmes d'Oran et de Tunis. U projetait même 
une expédition contre Oran^ lorsqu'il mourut de la peste 
en 1556. 

A sa mort, sans attendre la décision de la Porte, les janis- 
saires lui nommèrent pour successeur un renégat corse nommô 
Hn<.san-Ka!d, qui, livré peu après par les hommes de la ma« 
nae au pacha Tékeli^ enwyô de Constantinople, fut jeté sur 



ALGÉRIE. 107 

des crochète de fer où il mourut après trois jours d^orribles 
souffirances. Tékeli à son tour fut massacré par les janissaires 
€pà nommèrent à sa place leur aga (général). La Porte fit périr 
ce dernier et nomma pour la seconde fois Hassan , fils de 
Kaîr-ed-Din qui, déposé peu après par les janissaires, fut re- 
nommé une troisième fois par la Porte et déposé encore par 
cette turbulente milice qui, à Alger comme à Constantinople, 
"voulait définitivement se rendre maître du chef du gouver- 
nement. 

Nous ne suivrons pas plus longtemps les annales algérien- 
nes : c'est une série de révoltes, de dépositions de pachas, de 
crimes, d'assassinats ayant tous le même caractère et le même 
mobile. Au milieu de la surexcitation des passions mises en 
jeu par le peu de stabilité des pachas et les vicissitudes de ces 
petites révolutions périodiques, la politique des janissaires 
tend, sans dévier, vers trois buts principaux qui furent suivis 
avec une persévérance qui en assura le succès. Le premier 
était de rester seuls maîtres de cette partie de TÂfrique en 
chassant les Espagnols des deux points qu'ils occupaient en- 
tre Oran et Tunis; en 1568, sous le commandement de leur 
pacha Ali, renégat corse surnommé Kilidj (homme d'épée), le 
même qui commandait Faile gauctte de la flotte ottomane à la 
bataille de Lépante, ils s'emparèrent de Tunis; en 1708, pen- 
dant les discordes sanglantes qui suivirent la mort de Char- 
les II, ils chassèrent les Espagnols d'Oran. 

Le second but qu'ils poursuivaient était de s'arroger le 
pouvoir exécutif. Ib l'atteignirent en 1659 en se faisant sanc- 
tionner par la Porte le droit d'élire un second chef de la 
Régence, représentant spécial de leurs intérêts. Ce chef prit le 
titre de Manzoul-Aga et réunit avec le divan tout le pouvoir 
exécutif. Le pacha, réduit d'abord à sanctionner les décisions 
prises souvent sans sa coopération, fut ensuite supprimé et sa 
dignité réunie à celle du dey. En 1710 eut lieu le complément 
de cette révolution qui modifia dans ses bases essentielles le 
gouvernement de l'Odjeac, et ne laissa à la Porte qu'un droit 
de contrôle et de suzeraineté purement illusoire. 

U } avait encQre m troisième but qui peut résumer toute 



lOS ALGÉRIE. 

la politique de la domination turque dans la Régence : c'était ' 
de se substituer brutalement en tout et pour tout aux indigènes 
et d'écarter avec le plus grand soin toute influence locale. Le 
barbare massacre des Koulouglis en 1626 fut le terrible ré- 
sultat de ce système (1). 

Notre but, en relatant sommairement les faits principaux 
dont l'Afrique occidentale a été le théâtre depuis que les an- 
nales des peuples nous ont permis de constater des faits à peu 
près certains, n'a été que de rechercher soit les moyens em- 
ployés par les dominateurs divers pour s'y établir, soit les élé- 
ments qui ont pu leur survivre. Notre tâche ainsi restreinte a 
dû se borner alors à retracer les faits à grands traits et à n'en 
faire jaillir que le but et le résultat. C'est ainsi que nous sommes 
arrivés, dans la période turque, à constater une substitution 
brutale, en tout et pour tout, du vainqueur au vaincu. Les 
Arabes, les Vandales, les Romains, les Carthaginois avaient agi 
différemment. Tout en comprimant les sentiments hostiles des 
populations subjuguées, ils s'étaient les uns, les Arabes elles 
Vandales, retrempés dans la civilisation supérieure qu'ils y 
avaient trouvée ; les autres, les Romains et les Carthaginois, 
y avaient exercé une grande puissance d'assimilation par les 



(1)DansrorgaDi8atiop primitive de FOdjeac, aucun indigène, Maure on 
Koulougli (fils de Turc et de mère africaine), ne pouvait être janissaire» 
U fut dans la suite déroge à cette exclusion. Les Maures et les Koulouglis 
I riches et instruits acquirent bientôt de Tinfluence sur le divan et parvinrent 
aux premiers emplois. Les autres janissaires, renégats ou aventuriers, deman* 
dèrent la ré\ision des anciens statuts de Tordre, et après avoir prononcé l'ex* 
clusion des Maures et des Koulouglis, en censurent deux cents dans des sacs 
et les jetèrent à la mer. Trois ans après cette horrible exécution, ceux qui y 
avaient échappé ayant pratiqué des intelligences dans Alger y entrèrent dé- 
guisés et parvinrent à s'installer dans laKasbah au nombre environ de dn- 
quante. Là, mal secondés par les Maures et par ceux des Koulouglis qui 
n'avaient pu pénétrer dans la ville, ils furent assaillis par plusieurs compagnies 
de janissaires. Bientôt il ne leur resta aucun espoir de salut. Ils se retirent vers 
la poudrière, là ils demandent la réintégration de leurs droits : les janissaires 
refusent et les menacent d'une extermination complète s'ils ne se rendent i 
discrétion. Les Koulouglis ne répondent qu'en mettant le feu aux poudres. Lt 
Kasbah sauta en l'air et ne fut peu après qu*un monceau de ruines. Cinq cents 
maisons d'Alger furent renversées par l'ex'ilosion : plus de six mille personnes 
péril eut. 



ALGÉRIE 109 

vistiac(8 civilisateurs qu'ils y avaient développés. Cela explique 
comment, sous la domination turque, le despotisme stupide et 
l)rutal des janissaires n'a pu que favoriser le développement 
^e ces instincts irritables et barbares, contre lesquels la France 
a pendant longtemps lutté avec plus de persévérance que de 
succès. 

On a déjà vu comment, par suite de l'alliance entre la 
France et la Porte-Ottomane, les deux marines française et 
algérienne avaient agi de concert dans des circonstances im- 
portantes. Ces relations que le gouvernement français payait 
fort cher en amenèrent d'autres : nous voulons parler de l'éta- 
blissement d'un comptoir français à la Calle, qui fut l'origine 
de ceux qui s'étendirent ensuite depuis Tabarque jusqu'à Bonc. 
Le premier établissement date de 1520. Ce furent deux ar- 
mateurs de Marseille qui, après avoir traité avec les tribus de 
la Mazoule, obtinrent la concession de faire exclusivement la 
pèche du corail sur les côtes dépendantes de leur territoire. 
Plus tard, Charles IX obtint de Sélim II la concession du com* 
merce àColIo, Bone, Malfacaret, au cap Rose, et le bastion de 
France fut achevé en 1 ë60. Quarante-quatre ans après, sous 
le règne d'Henri IV, la bonne harmonie qui existait entre la 
France et Alger fut rompue, et grâce à Tintervention de la 
Porte, le dey Heder, qui se refusait à reconnaître les conces- 
fiions faites à la France, fut étranglé par ordre du sultan, et 
les capitulations furent renouvelées. On y ajouta même un 
article assez curieux qui stipulait : a qu'en cas de nouvelles 
« contraventions de la part des corsaires d'Alger, le roi de 
c France était autorisé à se faire justice lui-même, d Ce traité 
fut un acheminement à celui de 1628, par lequel ÂmuratIV 
cédait à la France en toute propriété les places dites le Bastion 
de France, la Calle, le cap Rose, Bone et le cap Nègre. Les 
navires de la compagnie d'Afrique pouvaient en outre naviguer 
librement sur les côtes dépendantes de la Régence, vendre, 
négocier, acheter, à l'exclusion de tous autres navires. En 
faveur de cette concession, la compagnie s'engageait, sous la 
garantie de la France, àpayer seize mille doubles pour la milice 
et dix mille pour le trésor de la Kasbab. Hussein-Pacha^ qui 



H0 ALGÉRIE. 

s'intitulait le Roi de la Mer et qui avait signé ce traité, décréta; 
la peine de mort contre tout rais qui courrait sur desbàtimentsi 
français, mais la course n'en continua pas moins contre tom 
les pavillons, et en peu de temps, non-seulement la Méditer- 
ranée, mais encore TOcéan fut infesté de pirates algériens. 
Plusieurs puissances armèrent contre eux : la Hollande envoya 
deux fois Tamiral Ruyter avec une escadre à Alger, mais sans 
résultat ; TÂngleterre souffrait que son consul enfermé dans 
les bagnes fût obligé de labourer la terre. Mais enfin la France 
prit glorieusement Tinitiative, et Louis XIV arma une flotte 
destinée à agir contre les Algériens et dont il donna le com- 
mandement au duc de Beaufort. Cette expédition fut suivie 
d'un prompt succès. L'escadre algérienne, attaquée par h 
flotte française en vue du fort de la Goulette, fut acculée dans 
la baie, incendiée ou prise le 24 juin 1665. Ali, alors dey 
d'Alger, conclut un traité de paix avec la France , mais il ne 
put le mettre à exécution. Assassiné comme ses prédécesseurs, 
ù fut remplacé par Baba-Hassan, qui, plein de mauvais vouloir 
pour la France, dit au consul : a La paix avec ton pays est 
« rompue : malheur à ton maître ! va lui dire que dans quel- 
« ques jours ce formidable armement que tu vois dans le port 
« aura anéanti ^ marine et son commerce. » 

La guerre entre la France et Alger fut déclarée. Ce fut à 
cette époque, en 1682, que, par haine contre la France, l'An- 
gleterre conclut avec la Régence d'Alger un de ces traités hon- 
, teux dont ses annales fourmillent. Par celui-ci elle livrait un 
' fort matériel de guerre, se désistait de toute réclamation rela-. 
tive à près de quatre cents bâtiments de commerce anglais pris 
par les Algériens, et enfin rendait sans rançon tous les Turcs 
; prisonniers, sans réclamer un seul esclave anglais, pas mémei 
' son consul qui, comme on l'a vu, traînait la chaîne dans lec[ , 
bagnes d'Alger. 

Louis XIV qui, à défaut d'autre mérite, avait au moins le 
louable orgueil de ne souffrir d'aucune puissance étrangère ni 
provocation ni insulte, arma immédiatement contre Alger une 
expédition dont le commandement fut confié à Duquesne. 
Onze vaisseaux de guerre, quinze galères, cinq galiotes à 



r 



ALGÉRIE. ill 

bombes, deux brûlots et vingt tartanes la composaient. Elle 

arriTa devant Alger dans les derniers jours d*août et ouvrit son 

feu dans les premiers jours de septembre. Les mortiers à 

bombes dont on se servit alors pour la première fois sur mer 

firent un ravage épouvantable dans la ville ; mais le mauvais 

temps obligea Duquesne à suspendre le bombardement et à 

rentrer à Toulon. L'attaque fut renouvelée l'année suivante et 

marquée cette fois par un horrible épisode. 

Après quelques jours de bombardement, les Algériens de- 
mandèrent à traiter. Duquesne, avant d'entrer en négociation, 
demanda la remise sans rançon de tous les esclaves français et 
' étrangers pris à bord de bâtiments français et pour otages 
^ l'amiral de la flotte algérienne Mezzomorte et le raïs de la ma- 
riné Ali et en outre une indemnité de 1,500,000 francs. Les 
4leux premières conditions furent remplies; mais le dey Baba- 
Bassan se déclara dans l'impossibilité de remplir la troisième. 
Mezzomorte dit alors à Duquesne que, s'il voulait le laisser 
aller à terre, il ferait plus dans une heure que Baba-Hassan 
en quinze jours. Duquesne y consentit, et le premier soin de 
Mezzomorte fut de faire poignarder le dey, de se faire procla- 
mer à sa place, de recommencer le feu des batteries contre la 
flotte française et d'envoyer dire à Duquesne que, s'il tirait 
encore des bombes, il ferait mettre des chrétiens à la bouche 
des canons. 

n tint parole. Le bombardement ayant continué, vingt- 
quatre esclaves chrétiens furent mis à la bouche des canons, 
et entre autres le vénérable père Levacher, vicaire apostolique, 
qui remplissait à Alger les fonctions de consul de France. Ce 
respectable vieillard, attaqué quelques années avant de la peste 
à Tunis, était demeuré perclus de tous ses membres. Il fut 
traîné sur le môle et assis sur une chaise provenant du pillage 
du consulat, le dos tourné à la mer. Après l'avoir accablé do 
traitements et d'indignités, ces forcenés approchèrent la chaise 
;sur laquelle ils l'avaient assis de la bouche d'un canon et 
/firent feu, envoyant aux Français un boulet chargé des débris 
^ de leur compatriote. 

La paix ne fut conclue que Tannée suivante, mais ne fut 



{12 ALGÉRIE. 

pas de longue durée. Elle fut rompue trois ans après, et le 
maréchal d'Estrées, chargé d'une nouvelle expédition contre 
Alger, écrivait à Mezzomorte en juin 1688. 

a Le maréchal d'Estrées, vice-amiral de France, vice-roi 
a d'Amérique, commandant l'armée navale de l'empereur de 
a France, déclare aux puissances et milices du royaume d'AI- 
a ger que si, dans le cours de cette guerre, on exerce les 
a mêmes cruautés qui ont été ci-devant pratiquées contre les 
ce sujets de l'empereur, son maître*, il en usera de même avec 
a ceux d'Alger, à commencer par les plus considérables qu'il 
a a entre les mains et qu'il a eu ordre d'amener à cet effet 
a avec lui. » 

Cette menace fut suivie d'un nouveau bombardement qui 
fit dans Alger d'affreux ravages et qui amena des actes de 
cruauté de part et d'autre. Plus de quarante victimes, et entre 
autres le consul français PioUe, furent immolées à la bouche 
des canons, et les Français, par représailles, égorgèrent quel- 
ques Turcs qu'ils lancèrent surun radeau vers le port. L'année 
d'après on traita de la paix qui fut ratifiée en 1690, après la 
supplique suivante d'un ambassadeur du dey, monument assez 
curieux des rapports diplomatiques qui existaient alors entre 
la France et la Régence. 

« Très puissant, très majestueux et très redoutable empe- 
reur, Dieu veuille conserver Votre Majesté avec les princes de 
son sang et augmenter de un à mille les jours de votre règne. 
Je suis envoyé, ô très magnifique empereur toujours victorieux, 
de la part des seigneurs du divan d'Alger et du très illustre 
dey, pour me prosterner devant le trône impérial de Votre 
Majesté et pour lui témoigner l'extrême joie qu'ils ont res- 
sentie de ce qu'elle a eu la bonté d'agréer la publication de la 
paix qui vient d'être conclue entre ses sujets et ceux du royaume 
d'Alger. 

« Les généraux et les capitaines, tant de terre que de mer, 
m'ont choisi. Sire, d'un commun consentement, nonobstant 
mon insuffisance, pour avoir l'honneur d'entendre de la 
bouche sacrée de Votre Majesté la ratification de cette paix, 
6|a0t persuadé que c'est de celte parole royale que dépend 



f 



ALGÉRIE. il3 

son éclat et sa durée, qui sera, s'il plalt à Dieu, éternelle. Ils 
m'ont ordonné d*assurer Votre Majesté de leur très profond 
respect, et de lui dire qu'il n'y a rien au monde qu'ils ne fas- 
sent pour tâcher de se rendre dignes de sa bienveillance. Ils 
prient Dieu qu'il lui donne la victoire sur les ennemis de 
toutes sortes de nations qui se sont liguées contre elle et qui 
seront confondues par la vertu des miracles de Jésus et de 
Marie, pour le droit desquels nous savons que vous combattez. 
Je prendrai la liberté, Sire, de dire à Votre Majesté qu'ayant 
eu l'honneur de servir longtemps à la Porte Ottomane, à la 
^vue de l'Empereur des Musulmans, il ne me restait pour rem- 
plir mes désirs que de saluer un monarque qui, non-seulement 
par sa valeur héroïque, mais encore par sa prudence con- 
sommée, s'est rendu le plus grand et le plus puissant prince 
cle la chrétienté, l'Alexandre et le Salomon de son siècle ^ et 
enfin l'admiration de tout l'univers. 

« C'est donc pour m'acquitter de cette commission qu'après 
avoir demandé pardon à Votre Majesté avec les larmes aux 
yeux et avec une entière soumission, au nom de notre supé- 
rieur et de toute notre milice, à cause des excès commis pen- 
dant la dernière guerre, et l'avoir priée de les honorer de la 
première bonté, j'ose lever les yeux en haut et lui présenter la 
lettre des chefs de notre divan en y joignant leurs très humbles 
requêtes dont je suis chargé, et comme ils espèrent qu'elle 
voudra bien leur accorder leurs prières, il n'y a point de doute 
qu ils ne fassent éclater dans les climats les plus éloignés la 
gloire, la grandeur et la générosité de Votre Majesté, afin que 
les soldats et les peuples pénétrés de son incomparable puis- 
sance soient fermes et constants à observer jusqu'à la fin des 
siècles les conditions de la paix qu'elle leur a donnée. 

a Je ne manquerai pas aussi, si Votre Majesté me le per- 
met, de rendre compte, par une lettre, à l'Empereur olto- 
. man mon maître, dont j'ai l'honneur d'être connu, des vic- 
toires que j'ai appris avoir été remportées par vos armées do 
terre et de mer sur tous vos ennemis, et de prier Dieu qu'il 
continue vos triomphes. Au reste, toute notre espérance dé- 
pend des ordres favorables de Votre Majesté. » 

T. K t 



H 4 ALGËAIB. 

Louis XIV répondit : 

« Je reçois agréablement tes assurance» que vous me don- 
nez des bonnes intentions de vos maître^. Je suis bien aiw 
d'entendre ce que vous venez de me dire, et je confirme le 
traité de paix qui leur a été accordé en mon nom. J'oublie ce 
qui s*est passé, et pourvu qu'ils se comportent de la manière 
qu'ils doivent, ils peuvent être assurés que l'amitié et la bonne 
intelligence augmenteront de plus en plus, et qu'ils en verront 
les fruits. » 

Ces bonnes relations entre la France et la R'îgence duré-» 
rent peu. Elles furent interrompues dès le règne de Louis XV 
par des griefs réciproques, sans qu'il y eût néanmoins guerre 
ouverte. Cet état mixte de paix et d'hostilité se perpétua jus» 
qu'en 1792 et 93, où les anciens traités de paix furent renon* 
velés entre la République et l'Odjeac. 

Cet intervalle de près d'un siècle fut marqué dans les an- 
nales algériennes par des accroissements de puissance ou des 
désastres de toute espèce. Des expéditions plus ou moins heu- 
reuses contre Maroc, Fex et Tunis, amènent la soumission dé- 
finitive de ces royaumes à l'Algérie. En 1701, une horrible 
peste enlève quarante-cinq mille habitants à Alger. En 1708» 
les Espagnols sont chassés d'Oran : ils reprennent cette ville 
en 1732, mais après le désastre d'une armée espagnole, com- 
mandée par O'reilly, en 1 775, et des alternatives de succès et 
de défaites, ils sont obligés d'abandonner définitivement Oran 
en 1792. Les Turcs restèrent seuls maîtres de l'Algérie. Pen- 
dant tout ce laps de temps, le gouvernement intérieur de 
l'Odjeac n'avait été qu'une suite de révolutions sans portée, 
d'assassinats de deys, de révoltes des indigènes, d'exploits de 
piraterie, et d'extension de tributs imposés à toute puissance 
de l'Europe (1). 



(1) L'Europe entière était alors Iributaire d'Alger. La France qnoiqu'clla 
fûl la puissance la plus favorisée, était tenue d'envoyer un présent lors de l'in- 
stallation d'un consul. L'Angleterre, même après l'expédition de lord Exmouth 
en 1816, payait 600 livres sterlir.g à chaque renouvellement de consul. L'Au- 
liiche, la Hollande, l'Espagne, le Hanovre, les Élats de Brème avaient un ar- 
rangemeot à peu près semblable à celui de l'Angleterre. La Suède et le Dane* 



f 



ALGÉRIE. 115 

La conquête de l'Sgypte, par les Français, altéra sensible- 
ment les bons rapports qui existaient entre la France etÂlger. 
Cédant aux intrigues et aux obsessions de l'Angleterre, la 
Turquie avait déclaré la guerre à la France. Les établissements 
français en Afrique furent incendiés ou détruits, et les cor- 
saires algériens recommencèrent leurs déprédations sur les 
navires de la République. Cet état d'hostilité cessa lors de la 
signature des préliminaires entre la. Porte et la France, 
en 1800; et, dès 1803, les rapports de bonne intelligence en- 
"Cre la France et Alger avaient été renoués plus intimes que 
jamais. Nous reproduisons à ce sujet les deux documents sui- 
^wanls, qui prouvent combien avaient rehaussé le nom Fran 
^ais en Afrique, les victoires de la RépubUque, soit en Egypte, 
coit sur le continent européen. 

« Bonaparte, premier consul, au très haut et très magnifi- 
<iue dey d'Alger; que Dieu le conserve en principe, en pros- 
périté et en gloire! 

« Je vous écris cette lettre directement, parce que je sais 
qu'il y a de vos ministres qui vous trompent, qui vous portent 
à vous conduire d'une manière qui pourrait vous attirer de 
grands malheurs. 

« Cette lettre vous sera remise en main propre par un ad- 
judant de mon palais. Elle a pour but de vous demander 
réparation prompte, et telle que j'ai droit de l'attendre des 
sentiments que vous avez toujours montrés pour moi. 

a Un officier français a été battu dans la rade de Tunis par 
un de vos raïs : l'agent de la République a demandé satisfac- 
tion et n'a pu l'obtenir. 

« Deux bricks ont été pris par vos corsaires qa? les ont me- 
nés à Alger et les ont retardés dans leur voyage. 



mirdc payaient un tribut annuel de 4,000 piastres en munitions «le guerre et 
40,000 piastres fortes, de dix en dix ans. Le Portugal, les Deux-Siciles, 
payaient un tribut annuel de 24,000 piastres fortes, et 20,000 en présent. La 
Toscane, la Sardaigne, les États de rÈglise par la médiation de la France oo 
de r Angleterre, éUient libres do tmllribul, mais soumis à des présents consu- 
laires qui s élevaient jusqu'à 2^,000 piastres. 



116 ALGËRIE. 

« Un bâtiment napolitain a été pris par vos corsaires dans 
la rade d'Hyères, et par là a été violé le territoire français. 

«Enfin, du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, 
il me manque encore 150 hommes qui sont entre les mains 
des Arabes. 

a Je vous demande réparation pour tous ces griefs, et ne 
doutant pas que vous ne preniez toutes les mesures que je 
prendrais en pareille circonstance , j'envoie un bâtiment pour 
reconduire en France les 130 hommes qui me manquent. 

« Je vous prie de vous méfier de ceux de vos ministres qui 
sont ennemis de la France : vous ne pouvez avoir de plus 
^ands ennemis qu'eux, et si je désire vivre en paix avec vous, 
il ne vous est pas moins nécessaire de conserver cette bonne 
intelfigence qui vient d'être rétablie et qui peut seule vous 
maintenir dans le rang et la position où vous êtes, car Dieu a 
décidé que tous ceux qui seraient injustes envers moi seraient 
punis. 

« Que si vous voulez vivre en bonne amitié avec moi, il ne 
faut pas que vous me traitiez comme une puissance faible : il 
faut que vous fassiez respecter le pavillon français, celui de la 
République italienne qui m'a nommé son chef, et que vous 
me donniez réparation de tous les outrages qui m'ont été 
faits. 

« Bonaparte, premier consul. » 

A cette lettre, passablement hautaine, Moustapha-Pacha, 
alors dey d'Alger, fit la réponse suivante : 

« A notre ami Bonaparte, premier consul de la République 
française, président de la République italienne. Je vous salue. 
La paix de Dieu soit avec vous. 

<c Ci-après, notre ami, je vous avertis que j'ai reçu votre 
lettre datée du 20 messidor : je l'ai lue et j'y réponds article 
par article. 

a Vous vous plaignez du raïs Ali-Tatas. Quoiqu'il soit un 
de mes joldaches, je l'ai arrêté pour le faire mourir; au mo- 
ment de l'exécution, votre consul m'a demandé sa grâce en 
votre nom : et, pour vous, jo la lui ai accordée. 

a Vous me demandez la polacre napolitaine prise, dites- 



f 



ALGÉRIE. 117 

foas, BCusIe canon de la France: les détails qui vous ont été 
fournis à cet égard ne sont pas exacts ; mais sur votre désir j'ai 
délivré dix-huit chrétiens composant son équipage. 

a Vous demandez un bâtiment napolitain qu'on dit être 
sorti de Corfou avec des expéditions françaises : on n'a trouvé 
aucun papier français; mais, selon vos désirs, j'ai donné la 
liberté à l'équipage. 

« Vous demandez la punition du raïs qui a conduit ici deux 
l)fttiments de la République française : selon votre désir je l'ai 
destitué; mais je vous avertis que mes raïs ne savent pas lire 
les caractères européens, ils ne connaissent que le passe-port 
^^usage, et pour ce motif il convient que les bâtiments de la 
Hépublique française fassent quelque signal pour être recon- 
xus par mes corsaires. 

a Vous me demandez 150 hommes que vous dites être dans 
mes Ëtats : il n'en existe pas un ; Dieu a voulu que ces gens 
là se soient perdus et cela me peine. 

a Vous dites qu'il y a des hommes qui me donnent des 
conseils pour nous brouiller; notre amitié est solide et an- 
cienne, et ceux qui chercheraient à nous brouiller n'y réus- 
siront pas. 

a Vous me demandez que je sois ami delà Répubnque ita- 
lienne et de respecter son pavillon comme le vôtre ; si un 
autre m'eût fait une pareille proposition je ne l'aurais pas ac- 
ceptée pour un million de piastres. 

a Vous ne m'avez pas voulu donner les 200 mille piastres 
que je vous avais demandées pour me dédommager des pertes 
que j'ai essuyées pour vous; que vous me les donniez ou que 
vous ne me les donniez pas, nous serons toujours bons amis. 

« J'ai terminé avec votre consul toutes les affaires de la 
, Galle, et l'on pourra venir faire la pêche du corail : la com- 
pagnie d'Afrique jouira des mêmes prérogatives dont elle 
jouissait anciennement. J'ai ordonné au bey de Constantine 
de leur accorder tout genre de protection. Si à l'avenir il sur- 
vient quelque discussion entre nous, écrivez-moi directement 
et tout s'arrangera à l'amiable. 

(c Mustapha, pacha d' Alger. ^ 



118 ALGÉRIE. 

Gomme on le voit l'influence de la France sur Alger était 
alors grande et puissante. Elle se maintint jusqu'au jour où la 
bataille de Trafalgar, anéantissant pour quelques années la 
prépondérance maritime de la France dans la Méditerranée^ 
lui fit sinon des ennemis, du moins des neutres très douteux 
dans la guerre maritime contre l'Angleterre, qui se prolongea 
depuis la rupture du traité d'Amiens jusqu'à la chute de I'Ebi- 
pire. 

I Dès 1807, l'Angleterre, moyennant une redevance de 
270,000 francs avait été investie de nos possessions d'Afrique. 
Le gouvernement de TOdjeac passait, comme toujours, d'une 
main à l'autre, successivement commandé par une série de 
deys assassinés presqu'aussitôt que promus, et ne se mainte- 
nant quelques uns au pouvoir pendant un ou deux ans, qu'en 
abattant des têtes parmi les janissaires, ou en portant le fer et 
le feu parmi les tribus indigènes, toujours prêtes à se révolto 
contre le joug des Turcs. 

Tel était l'état des choses dans l'Algérie, loi^qu'à la réunion 
du congi'ès de Vienne les diverses puissances de l'Europe pa- 
rurent décidées à se liguer pour s'affranchir du tribut honteux 
qu'elles payaient aux Barbaresqucs. L'Angleterre s'y refusa. 
Gette philautropie anglaise que quelques bonnes gens pren- 
nent encore au sérieux, calcula, comme toujours, qu'une li- 
gue européenne qui affranchirait la chrétienté du tribut d'or 
et de sang qu'elle payait aux Barbaresques, pourrait accroître 
en Afrique rinfluencc de la France. Sa jalousie et sa cupidité 
avaient tout à gagner au maintien de l'horrible abus existant, 
et cet abus fut maintenu. Il était donné à la jeune Amérique 
de venir faire rougir la vieille Europe de cette lâche condes- 
cendance, et vers ce même temps une escadre américaine, 
aux ordres du capitaine Décatus, se présenta devant Alger et 
demanda impérieusement que TUnion fut relevée du tribut 
honteux qu'elle payait au dey. Il fut fait droit à sa demande. 
Toutes ces légitimités caduques qui^ après la chute de l'Em- 
pire, avaient repris possession de leurs Étals, n'avaient ni ce 
louable orgueil qui fait vivement sentir une injure, ni cette 
noble magnanimité qui la fait repousser. Chacune d'entre 



ALGÉRIE. Il» 

dles paraissait devoir persister à payer le tribut dont venait 
de s'affranchir l'Amérique par une simple attitude énergique, 
lorsque l'Angleterre eut un intérêt majeur, non pas à faire 
cesser cet état de choses, mais à le modifier dans certaines 
parties. 

Dans tout acte du cabinet anglais il faut toujours chercher 
le motif et le but. On est sûr d'arriver invariablement au même 
résultat : l'intérêt. L'expédition de lord Exmouth contre Al- 
ger, en 1816, n'eut pas d'autre motif. Les écrivains de la 
Restauration, dont le système était d'exalter avant tout l'An-^ 
gleterre, l'ont présentée comme conçue dans un intérêt hu- 
manitaire, et d'autres, depuis lors, l'ont répété après eux. En 
politique, l'Angleterre ne fait jamais du sentiment, et, en 
cette circonstance, elle en fit moins que jamais. A la suite des 
guerres et de la chute de l'Empire, Malte, Corfou, les Iles 
Ioniennes, étaient tombées en son pouvoir, l'expédition de 
lord Exmouth n'eut d'autre but que d'obtenir de la Régence 
que ces possessions fussent traitées à l'égal des possessions bri- 
tanniques. Si d'autres conditions telles que la délivrance des 
esclaves chrétiens et l'abolition de l'esclavage furent exigées, 
acceptées et surtout remplies avec plus ou moins de fidéUté, 
c'est que l'Angleterre avait à faire accepter à l'Europe la prise 
de souveraineté de la Méditerranée qu'elle était parvenue à 
s'arroger. 

Dein ans après cette expédition, Hussein-Khodja, le dernier 
dey d'Alger, fiit promu à la souveraineté de la Régence. Pour 
éviter le poignard ou le lacet des janissaires sous lesquels 
avaient expirés, après quelques mois de règne, presque tow 
ses prédécesseurs, Hussein s'enferma dans la Casbah où il se. 
créa une garde de Maures. Il y resta treize ans gouvernant ses, 
Ëtats avec assez de justice et d'habileté, et ne sortit de sa pri-' 
son volontaire et à la fois forcée que lors de la prise d'Alger 
par les Français. 

Avec lui finit la domination turque en Algérie. 

Si comme ces voyageurs qui, après une route longue et 
pénible, cherchent à classer leurs souvenirs, nous résumons 
ee que chacun des peuples divers qui se sont succédés dans 



iîO ALGÉRIE. 

l'Afrique occidentale, y a laissé d'éléments nouveaux ; si nous 
recherchons s'il s'est opéré une fusion plus ou moins com- 
plète de ces populations transitoires avec les populations in- 
digènes; si, encore, nous examinons les moyens divers em- 
ployés par les peuples conquérants pour amener cette fusion ^ 
si, enfin, nous parvenons à les classer, nous aurons atteint le 
seul but que nous nous sommes proposés en remuant, dans 
cette revue rétrospective, la cendre de la vieille Afrique. 

Carthage nous apparaît d'abord luttant, avec plus de persé- 
vérance que de succès, contre l'aversion des tribus numides 
pour toute domination étrangère. Elle procède par occupa- 
tion pacifique : le trafic est son prétexte, la conquête son buL 
Elle ne pénètre dans l'intérieur du pays que progressivement 
et lentement, évitant avec soin tout ce qui peut froisser la na- 
tionalité numide, et principalement tout ce qui peut la ré- 
veiller. Elle crée des besoins aux indigènes ; se les attache 
en favorisant l'écoulement de leurs denrées ou de leurs pro- 
duits. Elle se rend utile d'abord, ensuite nécessaire, et les in- 
digènes deviennent ses meilleurs auxiliaires pour son com- 
merce avec l'Afrique centrale. 

Rome imite sa réserve à se substituer aux populations vain- 
cues, mais elle adopte un système habilement conçu et qui, à 
deux mille ans d'intervalle, aurait pu servir de modèle aux 
Français. Ne remplaçant l'élément vaincu qu'à mesure que 
s'était fortifié l'élément vainqueur ; son pouvoir ne s'étendait 
qu'en rapport de la diminution graduelle de celui des indi- 
gènes. Exploitant la tendance prononcée qu'ont tous les peu- 
ples à subir l'influence du bien-être par le travail, toute sa 
politique se borna d'abord à leur faire comprendre, par 
l'exemple, que le travail amenait le bien-être; ensuite, elle 
lia si intimement les intérêts des indigènes aux siens, que la 
moindre atteinte portée aux uns rejaillissait sur les autres. 
Mettant ainsi en jeu le mobile qui agit le plus efficacement 
chez les Barbares, l'intérêt, elle laissa toute sa puissance d'ac- 
tion à ce prodigieux instinct d'assimilation qui la caractérisait 
et dont la tendance apparente était, non pas tant de se faire 
accepter par les vaincus que de se les identifier par une po- 



ÂL6ËRIE. iît 

litique habile et ferme. Â cet effet, elle commençait toujours 
par les habituer à recevoir de sa main leurs rois façonnés déjà 
à Ja civilisation romaine. La tendance alors des indigènes vers 
cette civilisation était d'autant plus prononcée, qu'en imitant 
des rois de leur race, ils s'imaginaient ne pas imiter des étran- 
gers. Puis, donnant à ces rois d'autres États lorsque le mouve- 
ment civilisateur était fortement imprimé dans celui dont ils 
avaient d'abord été pourvus, ils faisaient ainsi reculer la bar- 
barie à mesure qu'avançait la civilisation. En somme, l'élé- 
ment de possibilité d'occupation précédait toujours l'occupa- 
tion même, à laquelle Rome se préparait en commençant par 
annuler les résistances et par absorber, sinon en totalité du 
moins en grande partie, l'élément indigène par l'élément ro- 
main. Si des accidents comme les guerres de Jugurtha ou de 
Tacfarinas venaient donner un point de ralliement à la natio- 
nalité indigène, Rome ne croyait sa possession assurée que 
lorsque le chef n'existait plus. 

Par cette politique habile et surtout par la protection réci- 
proque qu'elle accordait aux intérêts communs, elle parvint à 
opérer la fusion des races indigène et romaine. Les Vandales, 
qui supplantèrent Rome, ne surent au contraire contenir les 
populations africaines que par l'espoir du pillage et l'appât du 
butin. Il résulta de ce système différent que quand il n'y eut 
plus ni butin à faire, ni pillage à espérer, les tribus indigènes 
abandonnèrent les Vandales. Ces derniers cependant traînant 
avec eux la famille, ce que n'avait fait ni Carthage, ni Rome, 
|se mêlèrent plus aux indigènes que les Carthaginois et les 
Romains, et malgré leur courte occupation, ont laissé dans 
les populations atlantiques plus de traces qu'eux. 

Abrutis bientôt dans les délices, les Vandales furent une 
proie facile pour les Rizantins dont l'histoire dans l'Afrique 
occidentale n'est que l'image de la dégradation où peut tom- 
ber l'homme ci\11isé. 

Un peuple neuf les remplace. Le flot arabe inonde l'Afri- 
que. Aux excès de fanatisme religieux et politique, qui furent 
d'abord le système exclusif des Arabes, succéda ensuite un 
état de transaction qui consista à exclure des emplois, à sou- 



m ALGÉRIE. 

mettre au tribut, à tenir, en un mot, dans un état d'infério- 
rité réelle, ceux qui ne voulurent pas se rallier à la foi nour- 
telle. 

Les Turcs qui leur succédèrent adoptèrent à leur égard la 
même politique, et le caractère distinctif de leur domination 
ne fiit que la substitution brutale en tout et pour tout du 
vainqueur au vaincu. Cette politique dut repousser et repoussa 
toute assimilation. 

Ainsi, si parmi ces conquérants qui ont précédé les Fran- 
çais en Afrique, les uns offrent çà et là des modèles à suivre^ 
les autres offrent dans la même proportion des écueils à 
éviter. 



POPULATIOlfS DE L'ALGERIE: LEURS MOEURS. RERBERES 

ET KABYLE8, MAURES ARABES ET BÉDOUINS, TURCS , 

KOULOUGHIS, JUIFS. NEGRES, BIS&RIS, MOZABITES, ETC. 



Avant d'entrer dans le détail des causes, des résultats de 
l'expédition française en Algérie, des moyens, des chances de 
succès de cette domination nouvelle, il nous a paru utile de 
constater ce qui subsiste de l'élément primitif indigène dans 
les populations actuellement existantes, et ce que les domina- 
tions antérieures y ont méié. Ce sera là autant de jalons pour 
arriver peu à peu à l'appréciation des rapports et des diffé- 
rences entre les indigènes et nous, c'est-à-dire à la connais- 
sance de ce qu'il faut rechercher et de ce qu'il faut éviter. 

Une des erreurs de presque tous les géographes est d'avoir 
cru reconnaître en Algérie, le type d'une race spéciale, vierge 
d'altérations. A part les Nègres importés accidentellement 
dans cette partie de l'Afrique, les autres groupes désignés sous 
des dénominations diverses'ne sont que des agrégations pro* 
fondement mélangées par l'effet d'invasions successives, com- 
posées elles-mêmes d'éléments qui se sont surajoutes l'un à 
l'autre. Ces g*;oupes se sont différenciés ensuite par des 



flLGËRIE. 123 

ttcsnn, des habitudes, des usages qui auraient pu être tradi- 
tionnels dans tous, et qui n'ont, dans quelques-uns, que subi 
des modifications de temps, de lieu et de circonstance. Ce qui 
le prouverait, c'est que malgré la si grande différence de ma« 
nière d'être et de vivre des Berbères, Kabyles, Maures, Arabes, 
Bédouins et même Juifs et Turcs, on retrouve dans tous ces 
groupes à la fois, le saillant contraste suivant : à côté de 
rhomme au teint olivâtre, à la figure ovale, au front étroit^ se 
montre l'homme au teint blanc, à la figure carrée, au front 
large; à côté de celui aux traits arrondis, aux yeux foncés, 
aux cheveux noirs, l'homme aux traits saillants, aux yeux 
bleus, à la chevelure blonde. Ainsi partout se révèle le noyau 
primitif : africain, gétule, libyen, numide, mais aussi partout 
la souche romaine, vandale, gothe ou asiatique, etc. 

Berbères, Kabyles. — Les Berbères ou Kabyles sont les 
plus anciens possesseurs de l'Algérie. Ils occupent aujourd'hui 
les montagnes du Petit Atlas depuis la régence de Tunis jus- 
qu'aux extrémités du désert d'Angad, sur la frontière du 
Maroc; les Romains les appelaient Barbarie Barbares. Quel- 
ques géographes anciens les font descendre des souches dites 
autochtomes, libyenne et gétulienne; sur l'autorité des livres 
puniques d'Hiempsal, Sallusle attribue leur formation en 
corps de nation à des émigrations des Mèdes, des Arméniens, 
dos Perses, des Tyriens et des Palestins. Quoi qu'il en soit, ils 
sont divisés en tribus qui portent chacune le nom général de 
Béni (les enfants), nom auquel on ajoute la dénomination ou 
d'un ancêtre de la tribu ou de la localité qu'elle habite ; ainsi, 
par exemple, on dit les Beni-Abba (les enfants d'Abba). 

Bien différent des Bédouins ou Arabes nomades, le Kabyle 
tient à son village, à ses montagnes, au toit qu'habitèrent ses 
aïeux. Il est actif, intelligent, laborieux, industrieux. Autour 
de son village, la terre est bien cultivée en beaux jardins, ver* 
gers, champs, prairies, arrosés en tout temps par un système 
d'irrigation fort ingénieux. Les travaux de menuiserie, de 
charpente, de maçonnerie, de poterie, ne lui sont pas étran- 
gers : c'est lui dont les arts et métiers, quoique peu dévelop- 
péfty fournissent aux besoins des Arabes. Dans ses montagnesi 



iit ÂLGËHIE. 

riches en minerai, il fabrique les armes, les instrumenta 
d'agriculture; le fusil, le yatagan, le poignard, le soc de char- 
rue, la faucille, etc., sortent de ses ateliers. Pour ses fabrica- 
tions diverses, chaque village a sa spécialité. Ainsi, par exem- 
ple, pour les armes à feu, le canon est fabriqué à ii{7A-e/- 
Arùa^ la batterie, chez les Beni-Abbas^ le bois est façonné à 
Kafahy Tarme est ajustée chez les Zaouia^ et enfin la poudre 
à canon se fabrique à Gliêùoula. C'est aux Kabyles qu'on doit 
des espèces de sabres nommés flissih^ d'une trempe excellente 
£t dont les lames fort épaisses et larges dans leur partie infé- 
rieure, se terminent par une pointe de sept à huit pouces 
très effilée. Ces lames incrustées de cuivre sont ornées de ci- 
selures très régulières. 

Les arbres à fruits, orangers, abricotiers, poiriers, pêchers, 
figuiers, abondent dans leurs jardins. L'olivier surtout est 
pour eux l'objet d'un soin particulier. Il leur fournit d'excel- 
lentes olives qu'ils confisent dans l'huile même et qui servent 
à leur nourriture habituelle. L'huile leur sert à pétrir les ga- 
lettes, cuites sous la cendre, qu'ils mangent en guise de pain; 
ils l'emploient aussi à composer du savon et à filer la laine. 

Le Kabyle doit à son activité des produits variés qu'il vend 
dans les villes de la Régence. Les instruments, les ustensiles 
de fer et dtàcier, l'huile, les fruits secs ou confits, la volaille, 
les bestiaux, les peaux de quelques bêtes fauves qu'il prend à 
la chasse lui servent à acheter le peu d'objets dont il a besoin, 
tels que bijoux faux, nattes en jonc, verroteries pour ses fem- 
mes, pots de terre, etc.; le restant de l'argent de ses produits 
est secrètement enfoui dans la terre. 

Le Kabyle est jaloux, au suprême degré, de son indépen- 
dance et de sa liberté. Dans tous les temps, à toutes lesépo- 
jques, il a opposé aux dominations diverses qui se sont succé- 
dées dans l'Afrique occidentale, une résistance opiniâtre, que 
nulle d'entre elles n'a jamais pu entièrement et pour toujours 
dompter. Mais le Kabyle est avare, il aime l'argent, non pour 
le dépenser, mais poîir l'enfouir ; et cette avarice qui est une 
véritable passion chez lui, doit le livrer à discrétion à tout 
peuple qui saura exploiter habilement sa cupidité. Jusqu'à 



ALGÉRIE. 125 

ooB jours, le Kabyle n'a été indomptable que parce qu*il a en 
à 88 défendre contre des peuples oppresseurs et spoliateurs 
avant tout Mais du moment où des administrateurs capables 
ne seront plus obligés de se conformer aux instructions routi* 
nières qujl sortent habituellement des bureaux des ministères; 
du moment qu'ils s'attacheront principalement à faire com- 
prendre aux Kabyles, non pas par des proclamations mais par 
des faits, que la domination française peut seule assurer pro- 
tection, avantage et profit surtout à leur commerce et à leur 
industrie, dès ce jour on pourra compter sur la soumission 
de ce peuple. Les Romains ne trouvèrent en Afrique un Mas- 
sinissa, un Micipsa, un Juba, que lorsqu'ils eurent puissam* 
ment intéressé les populations à leur domination. 

L'habitation du Kabyle est une cabane formée de pieux 
fichés en terre, entrelacés de roseaux et de branches d'arbre, 
et enduits à l'extérieur d'une espèce de terre glaise. Quelques- 
unes sont construites en pierre, surmontées de deux pignoQs 
et d'un toit surbaissé en chaume. De petites lucarnes prati- 
quées daïis le mur éclairent l'intérieur où l'on pénètre par 
une porte étroite et basse. Ces habitations sont rarement réu- 
nies en grand nombre : elles sont ou éparpillées sur le versant 
d'une montagne, ou dans le fond d'une vallée, ou bien groupées 
au nombre de trois à cinq; elles occupent alors un espace rectan- 
gulaire dont le milieu forme une cour. Ces habitations se nom- 
ment Gourbies ; réunies, elles forment un DocAe/^a (hameau). 

La plus grande simplicité règne dans ces habitations tenues 
du reste avec assez de propreté. Des trous coniques, assez 
grands, pratiqués au pieds des murs, servent |à enfermer les 
provisions : telles que les fruits secs, les légumes, l'huile et le 
beurre fondu dans des pots de terre cuite. Ces trous qu'on 
nomme Silos sont fermés de larges pierres, recouvertes de terre 
battue. Les grains sont enfermés dans de grands vases d'argile 
scellés dans le mur : des jarres d'argile ou de bois contiennent 
le lait, le mieK le beurre, les objets de consommation journa- 
lière. Deux pierres destinées à moudre fe grain, des nattes de 
jonc, des peaux de mouton servant de Ut, complètent i'ameu<* 
blement de la hutte du kabyle. 



^* 



Leur Têtement est une chemise de laine à manches courteSy 
fixée à la ceinture, au moyen d'une corde : Yhliàik grande 
' couverture de laine de six mètres de long sur trois de large, et 
|le burnous manteau tout d'une pièce, lai^e dans le bas, étroit 
dans le haut et terminé par un capuchon qu'on relève dans les 
mauvais temps et qui recouvre une petite calotte blanche au 
rouge que le Kabyle porte souvent sur sa tête, ordinairement 
nue. L7«/iaï& s'attache aussi quelquefois à la tête avec une 
corde en poil de chameau et sert d'habillement le jour, et, la 
nuit, de couverture ou de lit. 

Les femmes kabyles se partagent entre les soins du ménage 
ei les travaux agricoles. L'hiver, elles fabriquent des hliaïks, 
ou des tissus de poil de chèvre dont on se sert pour recouvrir 
les tentes. Leur costume est le même que celui des hommes, 
seulement elles ne portent point de burnous et attachent 
leur hhaik au-dessus des épaulesau moyen d'une petite cheville 
en bois. Elles laissent flotter leurs cheveux et marchent nus 
pieds. Toute leur coquetterie consiste à s'aftacheraux oreilles de 
grands anneaux de cuivre ou de fer, à se teindre en rouge les 
ongles, la paume de la main, la plante des pieds et un espèce 
de tatouage, formant des dessins parfois assez pittoresques sur 
les bras, les jambes et les autres parties du corps. Elles ne se 
voilent pas la figure comme les femmes arabes et mauresques, 
et ont même plus de liberté qu'elles. Nubiles à douze ans, elles 
sont alors recherchées en mariage, et les jeunes gens sont ad- 
mis à leur faire la cour. Le mariage est absolument , comme 
en Europe, un véritable marché; seulement comme les peuples 
d'Europe plus civilisés ont, sur les peuplades à demi-barbares 
de la Kabylie, l'avantage de l'hypocrisie des moyens, ce qui, 
chez les premiers, est recouvert de formes plus ou moins trans- 
parentes , se traite chez les autres avec franchise et bonhomie. 
Lr prix est à peu près fixé à l'avance : il varie depuis 25 jusqu'à 
100 houdjoux (43 jusqu'à 180 francs) valeur en argent ou 
on If^h^s de bétail. Le prix en est longtemps débattu, suivant la 
Insulté de la jeune fille ou l'amour du prétendant. Le marché 
iHmHu, le marabout donne son adhésion au mariape moyonnant 
iluv-U^\ies présents, le gendre remet au bcau-^cre le prix 



ALOBRIB. It? 

convemi et amène en échange, dans sa cabane, sa fiancée. 

Le Kabyle peut avoir quatre femmes. Il peut les répudier. 
C'est le marabout qui prononce le divorce sur les grieft lei 
plus légers : une femme qui resterait maigre par exemple. La 
femme répudiée rentre dans la maison paternelle. Le mari 
n'est remboursé de la somme qu'il a payée en Tépousant que 
dans le cas où elle se remarie : c'est le second mari qui fait ce 
remboursement. 

A leur naissance, les enfants sont frottés de beurre et expo- 
sés à Faction d'un feu très violent. Dans ses courses, la mère 
le porte sur son dos, et témoigne en tout temps pour ses en- 
fants une sollicitude qui pourrait servir de modèle aux mères 
européennes. Dans les combats elles encouragent, exaltent sou- 
vent les hommes par leurs cris et portent des secours aux 
blessés. 

Le prix du sang est usité dans toute la Kabylie; tcmt 
meurtrier peut racheter son crime moyennant 200 à 300 boud- 
joux (360 à 540 fr.). Si le meurtrier prend la fuite, cette 
somme est prélevée sur les biens qu'il laisse. S'il ne peutra* 
cheter le meurtre, les parents et amis de l'homicide peuvent 
le tuer, le meurtrier par représailles peut rentrer dans ses 
foyers. 

Le Kabyle choisit le scheik (chef) de sa tribu (Qabilè) parmi 
les anciens de sa race. 11 est d'une grande sobriété. Du lai>^ 
tage, des fruits, du miel, des galettes faites de froment écrasé; 
et cuites sous la cendre avec de l'huile rancc, fonnent sa nour- 
riture ordinaire. Le mets national favori, c'est le couscous^ 
sou, pâte de blé comme le macaroni, préparée avec des œu& 
durs, des légumes, et cuite dans une passoire de bois, à la va- 
peur de plantes aromatiques. Ce mets est très nourrissant et 
d'une saveur fort agréable. Ils mangent aussi des viandes 
rôties ou bouillies, et surtout un espèce de ragoût composé de 
hachis,de topaates, d'oignons, de plantes aromatiques. L'usage 
des couteaux et des fourchettes leur étant inconnu, ils pui- 
sent avec leurs doigts dans le plat. Dès que l'appétit est satis- 
fait, une crache d'eau passe à la ronde et chacun boit. Si la 
fiuoîlle esk nombreuse ou s'il y a des esclaves, celui qui a 



128 ALGÉRIE. 

mangé se lève, se lave les mains et va s^accroupir dans un 
coin pour fumer et dojmûr. Un autre lui succède auprès de 
fa natte étendue à terre qui sert de table. 

Tel est le Kabyle sous son point de vue matériel. Morale- 
ment, il est ce quMl était dans les temps antiques. Cest Tan* 
cien habitant des montagnes africaines^ que la loi musulmane 
n'a modifié dans presque aucune de ses parties. Intrépide, 
mais attaché à son foyer ^ turbulent, mais laborieux ; perfide, 
mais loger; indépendant, mais cupide. Il y a là plus de 
bonnes et de mauvaises qualités qu'il n'en faut pour en faire 
des tributaires sûrs d'abord et des sujets peut-être ensuite. On 
ne doit surtout jamais perdre de vue que, même sous la domi^ 
nation turque, dont les formes essentiellement spoliatrices 
réveillèrent et durent réveiller toutes les antipathies d'une 
population laborieuse et cupide, la soif du gain poussait les 
Kabyles dans les villes pour y remplir les emplois les plus pé- 
nibles, ceux de jardiniers, d'hommes de peine, de journaliers, 
de cultivateurs. L'identité de religion n'avait aucune in- 
fluence sur ce rapprochement, car les Turcs et les Kabyles* 
n'appartiennent pas à la même secte islamique. La plupart 
même de ces derniers sont encore idolâtres. 

Maures. — Ce qui surtout doit faire présumer que ce carao- 
lerc des Kabyles, prétendu indomptable, peut se dompter, 
c'est l'exemple des Maures qui pourraient bien n'être qu'une 
fraction de la fiimille Berbère. Celte fraction, fixée primitive- 
ment sur les côtes, se serait trouvée en contact immédiat et 
permanent avec les civilisations diverses qui se sont succédées 
en Afrique et s'y serait successivement modifiée; tandis que 
au contraire, dans les montagnes, se serait perpétué le carac- 
tère distinctif de la race primitive. Si cela était, le problême le 
plus insoluble jusqu'à présent de l'occupation tranquille et 
paisible de l'Afrique occidentale par les dominateurs de tous 
les siècles serait bien près d'être résolu : il con^terait prin- 
cipalement à faciliter, chez les Kabyles, les kistincts indus- 
trieux et cupides qu'on a de tout temps plus alarmés que fa- 
vorisés. Mais quelque probables que soient et l'analogie 
d'origine entre les Maures et les KabyleB, et les causes de cette 



ALGÉRIE. 129 

grande déviation qui, avec les siècles, a établi entre eux tant 
de différence, et enfin les motifs identiques qui, ayant dans le 
temps réagi sur les Maures, peuvent dans les mêmes conditions 
réagir sur les Kabyles; tout cela est trop naturel pour être 
admis et accepté. En fait de chronologie, on n'a foi, de nos 
jours que dans ce qui est obscur, improbable, hasardé et pé- 
dant : on n'est savant qu'à ce prix. Il en sera ainsi tant qu'on 
accordera un reste d'influence à ces sanctuaires de niaises 
puérilités, de routines, de préjugés et d'intrigues qu'on ap» 
peUe des Académies. 

Quoi qu'il en soit, entre le Maure et le Kabyle il y a aujour- 
d'hui toute la différence qui existe entre un peuple qui a em- 
prunté à la civilisation ses formes les plus vicieuses et les plus 
abrutissantes, et celui qui a conservé toutes les formes rudes, 
farouches, actives mais positives de la vie à demi-barbare. Les 
Maures sont mous, efféminés, intolérants, fanatiques. Ils ont 
subi le joug de tous les conquérants qui se sont succédés sur les 
côtes septentrionales de l'Afrique. Dans les temps qu'entraî- 
nés par l'ardeur du prosélytisme, ils se firent les plus ardents 
propagateurs de l'Islam, ils eurent mille brillantes qualités : 
le désir, la passion et le courage les poussèrent vers la con- 
quête et la civilisation; mais ces qualités disparurent avec la 
ferveur du zèle qui les avait développées. Il ne resta d'eux 
qu'une souche pourrie, composée d'éléments très hétérogènes 
et dont la pureté primitive s'était sensiblement altérée par un 
croisement continuel, soit avec les peuples qui les avaient vain- 
cus, soit avec ceux qu'ils avaient subjugués. Tels ils sont en- 
core aujourd'hui. 

La demeure des Maures est élégante et riche à l'intérieur. 
C'est une grande cour quadrangulaire, souvent dallée de 
marbre et entourée d'un pérystile. Au premier étage, une 
colonnade, surmontée des voûtes ogivales, soutient une gale- 
rie circulaire. Les colonnes, ordinairement taillées en spirale 
dans leur moitié supérieure, sont d'un très gracieux effet. Les 
portes et les croisées des appartements s'ouvrent sur cette ga- 
lerie. Une terrasse blanchie et bien cimentée surmonte la 
maison qui n'a qu'un étage au-dessus du rez-de-chaussée. 
T. I. 9 



130 ALGÉRIE. 

On entre d'abord dans lyi Testibule meublé de deux rangées 
de bancs. Là le maître reçoit les visiteurs, expédie ses affairei 
et, sauf les cas extraordinaires, nul, pas même les parents, ne 
pénètre plus avant. Dans les cérémonies telles qu'un mariage^ 
la circoncision d'un enfant, etc., les parents et les amis sont 
admis dans la cour, abritée alors par une tente et dont le sol 
est couvert de tapis ou de nattes. Les appartements intérieurs 
sont, chez les gens riches, luxueusement ornés. Le velours, le 
damas tapissent la partie inférieure du mur dont la partie su* 
périeure est couverte d'ornements en plâtre ou en stuc. Le 
plafond boisé est divisé en compartiments : on y voit ordinai- 
rement des peintures assez belles; on y lit des passages du 
C!oran tracés en lettres d'or et encadrés dans des moulures do* 
rées. Le sol est carrelé de briques vernies, diversement cok>-> 
nées et simulant une mosaïque; il est toujours recouvert de 
tapis dont la richesse de la matière et le fini du travail sont 
parois remarquables. Au lieu de chaises sont rangés autour de 
l'appartement des carreaux de velours ou de damas. Les lits 
sont à l'extrémité de l'appartement, sur une estrade élevée 
d'un mètre environ et entourée d'une balustrade. Tous ces 
appartements ne prennent jour que de la cour : les maisons 
n'ont du côté de la rue qu'une petite fenêtre garnie de ja- 
V)usies. 

Le Maure est sensuel, fastueux et apathique. Sa table, d'un 
bois incrusté, haute de douze à dix-huit pouces, et devant la« 
quelle il s'assied seul, les jambes croisées, sur un tapis ou sur 
on coussin, est assez bien servie : de la volaille, de la pâtisse- 
rie, du couscoussou, du mouton confit dans Thuile et des fruits 
frais ou secs la com^sent ordinairement. Le vin, qu'interdit 
la loi du Prophète, commence à remplacer Teau. Le Maure 
peu riche mange peu de viande et s'abstient de vin. 11 est peu 
industrieux, peu actif, peu entreprenant; mais, en général, 
hypocrite, intrigant et rusé, possédant ainsi les talents des 
êtres faibles. 

La loi religieuse permet aux Maures trois femmes légitimes 
et autant de concubines qu'il peut en nourrir. Il n'y a entre 
ces femmes qu'une sorte de degré hiérarchique j mais les «n- 



fants qui en proviennent sont égaux en droils. Voici à peu près 
Id détail de la journée d'une famille mauresque. Le matin, en 
sortant du gynécée, le chef fait sa prière. Pendant ce temps, 
les femmes font leurs ablutions; après avoir bu le café, eUe» 
préparent le repas de midi. Quand le maitre est rassasié, les 
plats sont passés aux femmes et aux enfants, et, après eux, aux 
esclaves. Après le dîner, la sieste ; après la sieste, encore le 
café, les sorbets, réunion du maitre et des femmes jusqu'à la 
collation du soir. Les femmes montent alors prendre le frais 
sur les terrasses. Le maitre va s'asseoir dans un café à fumer, 
à jouer ou à boire du café. 

Les femmes ne sortant en quelque sorte jamais, et ne sa- 
chant ni travailler même à l'aiguille, ni s'occuper, mènent 
une véntable existence de far niente. Elles n'ont aucune es» 
pèce de souci du ménage et ne s'occupent entièrement que de 
vivre et de se parer. 

On se rend peu de compte, en France, de la situation des 
femmes mauresques. On les croit malheureuses, et si on les 
assujettissait, pour un jour seulement, aux transes, aux tracas, 
aux préoccupations de la vie matérielle des femmes d'Europe, 
elles échangeraient vite cette situation si vantée contre celle 
de la dernière de leurs négresses; aussi deviennent-elles géné- 
ralement fort dodues et fort grasses, ce qui, du reste, constitue 
chez les Orientaux un des types de la beauté. 

De temps à autre dans les gynécées, une danse qui est plu- 
tôt un violent exercice, rompt la monotonie d'une existence 
qu'on est convenu d'appeler fastidieuse ou malheureuse. 

Le jour fixé, les femmes réunissent leurs amies et leurs 
voisines. La salle affectée à cette danse est ordinairement une 
chambre longue et obscure, au fond de laquelle se tiennent 
assises, les jambes croisées, cinq vieilles femmes. Une d'entre 
elles, réputée sorcière, brûle de l'encens dans une cassolette 
allumée : les quatre autres forment une espèce d'orchestre, 
en frappant en cadence sur des espèces de tambours. C'est 
l'accompagnement de la danse. Les femmes qui sont là pour 
danser ou pour voir danser, sont assises accroupies autour de 
la salle. 



13S ALGÉRIE. 

Une danseuse parait seule : se penchant au-dessus de la 
cassolette où fumeTencens, elle en aspire des boufiTées : sa fi» 
gure s'anime, ses narines s'ouvrent, sa poitrine se gonfle : 
après quelques contorsions, elle aspire de nouveau la fumée 
aromatique ; puis au son des tambours, dont la mesure est 
d'abord lente, elle commence à agiter le torse, à remuer les 
bras : peu à peu la musique augmente de force et de vitesse, 
et la danseuse précipite ses mouvements. Bientôt la musique 
devient saccadée, furieuse, accompagnée des cris aigus, des 
longs hurlements des musiciennes. Ce chant infernal électrtee 
la danseuse : ses traits s'animent, son œil brille : elle bondit, 
se convulsionne, toute son organisation s'agite et frémit, et, 
parvenue à ce fiévreux paroxisme, elle tourne sur elle-même 
avec une effrayante rapidité jusqu'à ce qu'elle tombe presque 
inanimée sur le sol, où il est rare qu'elle ne se fasse pas quel* 
que large et profonde contusion. Sa peau, est alors froide, son 
pouls imperceptible, se perdant peu à peu : les battements du 
cœur peuvent à peine être saisis. La figure, le corps, ont une 
apparence cadavéreuse. Les traits sont crispés et décolorés, 
les m&choires serrées, les lèvres blafardes : les yeux scuk res- 
tent ouverts, fixes, les paupières immobiles. Le torse est raide 
et les articulations sont inflexij)les. 

Telle est cette danse pour laquelle les femmes mauresques 
ont une affection particulière. Lorsqu'une danseuse, après 
avoir passé par toutes ces phases d'agitation et de convulsion 
est tombée évanouie, une autre, plusieurs autres lui succè- 
dent, et la convulsionnaire tombée revient peu à peu à elle 
après quelques aspersions d'eau parfumée sur le visage, et 
quelques frictions sèches sur la poitrine. 

Le costume des Mauresques, hors de chez elles, n'est pas 
coquet. Il se compose du seroual'-el'Zankaj long et large 
pantalon blanc fixé par le fouiahj longue ceinture en soie 
rayée, se nouant par devant et dont les bouts retombent jus- 
qu'à terre. Par dessus est jeté le hhdik el telhhil, ample tu- 
nique flottante, fixée par de longues épingles en métal à sa 
partie supérieure. Le tout est recouvert par le takiietitalty Idjrge 
pièce de coton blanc ou de soie qui couvre la tète, descend 



ALGÉRIE. 133 

jusqu'à mi-jambe et Tenveloppe de toutes parts. Le eûdjar^ 
mouchoir blanc déployé sur sa figure, jusqu'au dessus du nez, 
achève de cacher les traits et ne laisse de libre que les yeux. 
Ainsi habillée, la femme mauresque n'est qu'une masse blan- 
che, informe, se mouvant avec lenteur, et ne laissant soup- 
çonner la vie que par des yeux noirs briUants, qui scintillent 
dans l'espace laissé libre entre le takIieUiah et Yeûdjar. 

Mais au-dessous de cette enveloppe est le costume d'inté- 
rieur où la grâce le dispute à l'élégance : il y a le costume 
négligé et le costume d'apparat. Chez les femmes riches et 
même celles de la moyenne classe, l'un et l'autre sont d'une 
grande richesse. La coiffure est surtout très gracieuse : elle se 
compose d'une petite calotte en velours de couleur vive, fixée 
à la partie supérieure de la tête par un foulard noir et rouge, 
roulé au-dessus de la naissance des cheveux, et dont les bouts 
tombent sur les épaules, enveloppent ou laissent échapper de 
longues boucles de cheveux noirs flottant avec grâce. À cette 
coiffure les matrones ajoutent souvent le sarmah^ sorte de tiare 
en or ou en argent, travaillée à jour, un corsage en soie, es- 
pèce de gilet court ouvert par devant, et fort étriqué : une ri- 
che et large ceinture en soie et or, un pantalon fort court et 
d*étoffe presque transparente, fixé à mi-jambe, complètent 
ce charmant négligé, relevé par une profusion de bijoux et de 
moyens accessoires qui jouent un rôle très important dans la 
toilette d'une Mauresque, tels que de se noircir les sourcils 
avec Vafsah, espèce de préparation de noix de galle, et Fin- 
térieur des paupières avec du q*hhot, antimoine. Elles se pei- 
gnent aussi les ongles, la paume des mains, la plante des pieds 
avec la couleur rouge du hennah. Les signes, les tatouages 
sont en grande faveur aupiès d'elles : les uns, espèces de mou- 
ches ou signes, ne sont que passagers, ils s'appellent klianat; 
les autres sont permanents, ce sont des fleurs, des croix grec- 
ques, des petites figures capricieuses, ils portent le nom d'oii- 
cham. Dans les occasions solennelles, eUes mettent au-dessus 
dn corsage et du pantalon, une riche tunique ouverte en soie 
reuge ou bleue et oii l'or et l'argent se marient capricieuse* 
ment en élégantes arabesques. 



i34 ALGÉRIE. 

Les Mauresques sont généralement assez belles. Noncha- 
lantes, capricieuses, voluptueuses, elles réunissent aux attraits 
d*une femme passionnée, les caprices d*un enfant et une in- 
souciance, une nonchalance cpii n'est pas sans charmes. Prcs* 
que toujours renfermées, elles ne quittent la maison de leur 
père que pour celle d'un époux. Mariées dès qu'elles sont nu- 
biles, à onze ou douze ans, elles sont assez souvent grand- 
mères à l'âge de vingt-cinq ans. Les hommes et les femmes ne 
communiquant pas entre eux, les mariages se font par arrange 
ment particuHer entre les parents, sans même que les enfants 
se soient jamais vus. C'est ordinairement une matrone, espèce 
d'entremetteuse qui se charge de les négocier. Le prétendu 
rengage, moyennant salaire, à s'introduire dans la maison de 
la jeune fille, et à s'assurer par elle-même de sa beauté et de 
ses qualités^ Dans l'espoir d'un double profit, elle laisse percer 
la mission dont elle est chargée, et si le parti proposé est sor- 
table, elle manque rarement d'obtenir des cadeaux des pa- 
rents, pour l'engager à faire valoir la beauté de leur fille. Dans 
ces sortes de négociations, la messagère trompe souvent un 
des deux partis, et parfois tous les deux. Si les informations 
prises sont satisfaisantes, la demande en mariage se fait par le 
père du jeune homme ou un de ses parents. Les deux pè- 
res, une fois d'accord sur les préUminaires, se rendent chez le 
cadi qui, après avoir inscrit sur un registre la somme que le 
futur est convenu de donner à son épouse, se prosterne avec 
les contracteurs et adresse à Dieu une prière particulière pour 
bénir l'union qui vient d'être conclue. 

Le jour convenu pour le mariage, la jeune épouse, après 
rroir été conduite au bain, est parée de ses plus riches habits. 
Chacune de ses amies prend part à sa toilette. L'une, lui atta- 
^ sa belle ceinture, eûzame'^ l'autre lui passe sa riche tuni- 
iTCP. rAViVii/i; une troisième lui attache au haut du front un 
àrtthindeau en brillants, 2;'/r^/* ou ses longues boucles d'o- 
^i^ianioguëcAe ou son collier de sexiuins mdibahli, ou bien 
tlsnsaisetles khalkhal. cercles d*or ou d'argent qui 
U Ik premiers, à l'avanl-bras, les seconds, à la che- 
tMfin lui passent aux doigts les brdim. bagues 



ALGÉRIE. 135 

en brillants, avec un cachet ; lui dessinent une fleur ou une 
petite croix grecque au milieu du front ou au bas du menton, 
et lui teignent en rouge, avec du hcnnalif les ongles, la paume 
des mains et la plante des pieds. 

Cette toilette achevée, la fiancée s'assied sur un divan d'où 
elle ne se lève qu'au coucher du soleil pour aller trouver son 
mari. Ses parents et ses amies ouvrent la marche, précédés 
de nègres ou de négresses qui portent des lanternes allumées. 
Les femmes sont enveloppées pardessus leur toilette, dans leur 
lakelliilah : on dirait des fantômes si le silence de la marche 
n'était fréquemment interrompu par des cris de joie. La fian- 
cée marche entre deux vieillards : arrivée à la maison de son 
futur, elle est introduite dans une chambre illuminée en 
verres de couleur, décorée de riches teintures et de fleurs, et 
où est dressée une table chargée de mets et de sorbets; les 
hommes, parents et invités soupent sous la galerie : le mari 
est servi à part, seul dans une chambre, pour ne pas être excité 
à la débauche et pouvoir se présenter décemment devant sa 
jeune épouse. Â minuit, hejure à laquelle les mosquées sont 
ouvertes, lorsque le muezzin du haut du minaret de la mos- 
quée annonce la première prière du jour par ces paroles so- 
lennelles : <kI1 n'y a qu'un Dieu': Dieu est grand et Mahomet 
a est son prophète : hommes, salut au nouveau jour ! priez 
« Dieu là où vous êtes; les prières sont bonnes partout. » A 
cette heure chacun se retire et les deux époux se réunissent. 

Le Maure peut avoir trois femmes légitimes et des concu- 
bines en tel nombre qu'il lui plaît. D peut divorcer avec les 
premières dans certains cas spécifiés : il peut vendre ou ren- 
voyer les autres selon qu'elles sont esclaves ou libres. La femme 
légitime ne peut divorcer que dans le cas d'une absence trop 
prolongée de la part du mari. Elle se présente devant le cadi, et 
si son grief est trouvé légitime elle est déclarée Hbre de se re- 
marier. Si pendant l'absence du mari, même en dehors dn 
terme de gestation voulu, la femme met au monde un enfant, 
le cadi, mandé à cet effet, se présente, et au moment de Te»- 
fantement, en présence du bajarah (opérateur), U dit à k 
femme un verset du Coran, ainsi conçu : « Cet enfant était 



136 ALGÉRIE. 

« couché dans votre sein et il s'est levé! » Dès que le mari est 
de retour, la femme lui répète : « Un enfant était couché 
a dans mon sein et il s'est levé. » Cette simple formule ainsi 
sanctionnée par une forme à la fois religieuse et civile, suffit 
parfois pour éviter toute autre explication. 

Même après la répudiation, un Maure peut reprendre sa 
femme. Si elle est remariée, il engagé celui qui Ta remplacé à 
la répudier : il paye dans ce cas une indemnité ; si la femme 
est restée libre, il ne peut la reprendre qu'après l'avoir faite 
épouser par un individu payé à cet effet, qui la répudie au bout 
de vingt-quatre heures et la lui rend sans avoir usé de ses 
droits de mari. Il y a même, parmi les Maures, des hommes 
spécialement voués à ce genre de commerce. 

Les cérémonies mortuaires, les naissances des enfants, leur 
circoncision, leur mariage, sont à peu près les seules circon- 
stances où Tintérieur d'une maison maure s'anime un peu ; en 
tout autre temps ce ne sont que des somptueux tombeaux où 
la vie s'écoule au milieu de toutes les sensualités raffinées do 
Tépicuréisme antique. Cela s'entend principalement des Maures 
riches ; la vie des pauvres est comme partout, une vie de tra- 
.vail, de transes et de soucis. 

Le Maure cultive peu la terre : le commerce est son occu- 
pation principale. Le tabac, le savon, le café, le sucre, les 
porcelaines, les fruits secs et frais, les outils, les bijoux, la 
quincaillerie forment la spécialité du commerce des uns; les 
autres vendent les toiles, les tissus de laine et de soie, les bro- 
deries, les maroquins, les parfums, et exercent principalement 
les professions de luxe indigène. Mais l'occupation française a 
singulièrement restreint les débouchés de leurs produits, et 
avant peu les annulera entièrement. En effet, d'une part le 
renchérissement progressif des denrées n'est déjà plus en rap- 
port avec les bénéfices du commerce des Maures ; de Tautre, 
l'émigration successive des riches familles indigènes que nos 
mœurs, surtout en ce qui concerne les femmes, blessent et 
chassent, enlève à l'industrie mauresque ses uniques consom- 
mateurs : ce sont là deux faits malheureux auxquels il sera dif- 
ficile de remédier. Aussi est-il à craindre que cette partie de la 



ALGÉRIE. 137 

population africaine qui pourrait rendre de grands services si 
l*on savait agir à son égard avec plus de circonspection et de 
ménagement, ne sera bientôt plus qu'une source de paupé- 
lisme, de vagabondage et de prostitution. 

Arabes, bédouins. — Les Arabes se composent de deux po- 
pulations très distinctes : les Arabes sédentaires et les Arabes 
nomades ou Bédouins. Les premiers habitant les villes ou les 
villages, vivant bourgeoisement de leurs rentes ou se livrant 
siu commerce ou à Tagriculture, ont une maniée de vivre as- 
sez régulière et différant peu de celle des Maures avec qui, ils 
avaient en quelque sorte fini par se confondre sous la domina- 
tion turque. La même politique qui attacherait les Maures à la 
<[omination française, y rattacherait probablement aussi cette 
classe d'Arabes , quoiqu'elle descende de ces fameuses 
tribus de l'Yemen que nous avons déjà vues, sous le rè- 
gne des Kaliies conquénr celte partie de l'Afrique sur les 
Byzantins, les Maures et les Berbères. Leurs mœurs diffèrent 
peu de celles des Maures et nous aurons peu à nous en occuper. 
Il n'en est pas de même des Bédouinsqui ne les regardent qu'a- 
vec mépris et ne les considèrent que comme des fils dégénérés 
du désert. 

LesBédouins sont comme les Kabyles divisés en tribus indé- 
pendantes, souvent ennemies, mais qui cependant ne forment 
qu'un corps de nation. Les Bédouins habitent sous des tentes 
tissues de poil de chèvre ou de chameau, noires ou brunes, de 
forme oblongue et qu'ils appellent liimas. Ces tentes spacieu- 
ses et bien'ventilées sont divisées en plusieurs compartiments, 
dont des rideaux mobiles marquent la séparation. Dans Tun 
qui est à l'entrée on reçoit les étrangers , on traite d'affaires ; 
l'autre est occupé par le chef de famille ; les femmes et les 
enfants sont dans le troisième : une autre tente sert à enfer- 
mer le bétail. Chacune de ces tentes contient une ou plusieurs 
familles dont le nombre se compose de six à quinze individus. 
Leur réunion a un nombre indéterminé de dix, et au dessus 
forme un douar : elles sont ordinairement rangées en cercle 
au milieu duquel sont souvent lestroupeaux;les chiens rôdent 
à Tentour et font une garde très sévère. 



139 ALGÉRIE- 

L'amcuLîemcnt de ces tentes n'est pas îuxueiiT. Trois sacs 
sont placés au milieu. Dans l'un est du blé, dans l'autre de 
l'orge : le troisième sert de coffre ou de bahut. Dans un coin 
sont un moulin à bras, deux grandes jattes en bois pour pré- 
parer le coucoussou, des outres en peau de chèvre pour traire 
le lait et faire le beurre, deux grandes outres goudronnées ser- 
vant à puiser l'eau, un seau de cuir, une poëllette à torréfier 
le café et quelques nattes de jonc. Si à ces ustensiles de pre- 
mière néccbsite le Bédouin joint un long fusil de forme alba- 
naise, deux pistolets, une lance de huit à dix pieds nommée 
mezray^ un coutelas, un yatagan, quelques chameaux mâles et 
femelles, des chèvres, des poules et surtout une jument har- 
nachée, il est riche. 

Le douar s'établit autant que possible aux environs d'une 
source, sur le bord d'un ruisseau ou d'une rivière, àproximité 
de pâturages. Un ou plusieurs forment la tribu qui est elle- 
même composée d'une ou de plusieurs familles principales dont 
les membres portent le titre de scheiks ou seigneurs ; ainsi 
par exemple, le général de brigade , Mustapha , au service de 
la France, s'appelait: Mustapha-Outed'Ismaël'Den'Kaddour^ 
Scheik-elrMezaliri, ce qui veut dire : Mustapha, enfant de la 
tribu d'Ismaël, fils de Kaddour, seigneur des terres de Me- 
zahri. 

A l'établissement du douar, la tente du scheik se dresse la 
première : les autres se dressent autour. Le gouvernement de 
la tribu est à la fois monarchique et démocratique. Pour tout 
ce qui se rapporte aux intérêts moraux le scheik est presque 
toujours juge suprême : quant aux intérêts matériels, il prend 
l'avis des autres chefs de familles et n'a, dans les décisions, que 
l'autorité de l'influence qu'il a su s'acquérir. En cas de guerre 
il commande. Si sa tribu est assez forte pour que d'autres trop 
faibles pour rester indépendantes viennent rechercher sa pro- 
tection et son alliance, les scheiks de ces petites tribus sont 
sous ces ordres immédiats. C'est en tout l'ancienne forme du 
gouvernement patriarcal qui s'est perpétuée sans altération. 
Ces scheiks eux-même, la plupart avancés en âge ont, dans la 
physionomie qiiclqr^ie chose de biblique : leur parole est brève» 



ALGÉRIE. 139 

leur regard assuré, leur geste lent et digne, leur démarche 
grave et sévère. Avec leurs vêtements antiques et leur longue 
barbe blanche, quand ils parlent à la tribu assemblée, écoutant 
avec respect et docilité, soit leur réprimande, soit leurs con- 
seils, on croit voir des patriarches d'un autre âge. 

Tant que le lieu où s'est fixé le douar peut suffire à la nour- 
riture des bestiaux, si une cause accidentelle comme une 
guerre, une sécheresse, une inondation ne l'en chasse, la tribu 
y reste. Quand le pâturage ne suffit plus, on plie les tentes et 
on va les dresser ailleurs. 

Le Bédouin est sobre; sa nourriture consiste en laitage, 
fruits, légumes et des petites galettes de pain azime cuites sur 
la braise ou dans des petites poêles. Dans les solennités ils ajou- 
tent à cette frugale nourriture la viande et le couscoussou. La 
somme d'ahment que prend un Arabe ne dépasse guère huit 
onces par jour : cependant il aime la bonne chère, et quand 
on rinvite il mange gloutonnement ou la viande rôtie ou la 
viande cuite avec du riz. 

Au premier aspect il paraîtrait difficile de civiliser un peu- 
ple qui a si peu de besoins et qui semble se contenter des pro- 
duits de la terre et de l'abri du ciel ; mais les Bédouins ont de 
{jrandes passions et de grandes haines qui prennent toute 
leur source dans des inimiliées invétérées et dans un violent dé- 
sir d'assurer la domination de leur race particulière. En gé- 
néral les tribus sont naturellement jalouses les unes desautres, 
et elles se haïssent plus entre elles qu'elles ne -haïssent encore 
les étrangers. On peut espérer en exploitant avec circonspec- 
tion ces passions et ces haines de les mettre souvent en con- 
tact avec une civilisation qui, peu à peu, leur créera tant de 
nouveaux besoins qu'ils finiront par être forcés de l'accepter. 
Ce moyen peut être long, mais il est sûr. Quelque mauvais que 
soit ainsi le service que nous leur rendrons, la France en reti- 
rera et de la gloire et du profit. 

L'industrie des Arabes est en parfait rapport avec leurs be^ 
Boins : ces derniers étant bornés au strict nécessaire, Tautro 
ne dépasse guère cette limite. La culture du blé, de Torge, 
du seigle» des pois, des lentille^, du mais, forme toute leur in<* 



140 ALGÉRIE. 

dustrie agricole ; ils ne sèment et ne récoltent guère pour les 
besoins de leurs familles. Quand le douar est fixé près d'un 
pâturage qui peut suffire longtemps aux troupeaux delà tribu, 
ils cultivent des citrouilles, des concombres, des melons, des 
tomates, des poivrelongs. Ils vendent l'excédant de ces pro- 
ductions, les^jeunes têtes de leurs bestiaux, des fromages, du 
beurre, de la volaille, des peaux de bêtes ainsi que des plumes 
d'autruche. Ils achètent avec le produit de ces ventes ce dont 
ils ont besoin en ustensiles, étoffes, poudre, armes, et, comme 
les Berbères, enfouissent le reste de leur argent. C'est encore 

* là un de leur principaux points vulnérables. Le mobile de l'in- 
térêt fera plus pour la civilisation que la force des armes : avec 
le premier on s'attachera facilement les Bédouins; avec l'autre 
on ne pourra que les extermmer ou les refouler dans le dé* 
sert. 

Tout le temps que le Bédouin ne donne pas à l'agriculture» 
à sa garde du troupeau et à la guerre, il le passe dans la quié- 
tude et l'oisiveté. Il reste des journées entières à la porte de sa 
tente, fumant ou prisant, et passant de longues heures à con- 
templer son cheval, le compagnon de ses dangers, l'ami fidèle 
de sa vie accidentée. Le cheval c'est la moitié de son existence, 
le point où se concentre une de ses vives affections : l'Arabe 
en effet n'aime que quatre choses : son cheval, son sabre, sa 
langue et le nom de son père. 

Les chevaux sont divisés en deux castes bien distinctes : les 
Qâdiskiset les Qôcfanis. Les uns et les autres sont de moyenne 
taille, sans luxe de forme, mais vigoureux, rapides, infatiga* 
blés et d'une grande sobriété : lorsqu'ils restent oisifs, l'Arabe 
leur laise brouter pour toute nourriture l'herbe des pâturages; 
il leur donne un peu d'oi^e et de la paille hachée quand ils 
doivent travailler. La nuit on leur met une entrave aux jam- 

. bes de devant et on les attache par une longue longe à des pi- 
quets fichés en terre. Les Qâdiskis sont les chevaux de race 
inconnue : ils sont peu prisés et employés aux travaux com- 
muns. Les Qôclanisy au contraire, sont ceux dont la généalogie 
remonte à des milliers d'années; cette race est presque l'objet 
d'un culte. On qiporte le soin le plus vigilante empêcher 



ALGÉRIE. 141 

toute mésaillance : pendant qu'aucun registre ne constate l'état 
civil de leurs enfants, plusieurs témoins sont toujours appelés à 
la naissance d'un poulain, et un acte de nativité en bonne et 
due forme est signé par eux. Aussi les Arabes qui ont perdu la 
généalogie de leurs rois, ont-ils précieusement conservé celle 
de leurs chevaux. 

Le culte des ancêtres fut, avec la religion des tombeaux, 
commun à l'antiquité entière ; les Arabes n'ont pas répudié 
cette belle tradition qui suppose la liaison et la succession des 
familles. Avant Mahomet, à la pierre tumulaire d'un parent 
ou d'un ami, l'Arabe attachait un chameau et l'y laissait périr^ 
de faim, pour que le parent ou l'ami ne fût pas obligé d'aller 
à pied lors de la résurrection générale des êtres. Aujourd'hui 
cette coutume a disparu, mais le cadavre est lavé avec soin, 
savonné avec une décoction d'aromates, exposé à une fumi* 
gation de benjoin et d'encens et paré de vêtements neufs. 
Après un jour et une nuit, dès le lever du soleil, le corps placé 
sur un brancard est transporté à la tombe qui a été préparée 
pour lui : les parents et amis l'accompagnent chantant, pendant 
le trajet, une hymne funèbre. Arrivé au lieu où il doit être 
enseveU, on le dépose sur le bord de la fosse et son plus pro- 
che parent s'écrie, en lui tendant la main : -^ a Frère, ré- 
€ veille-toi, reviens au milieu de ceux qui t'aiment! » Puis 
se tournant vers les assistants : — « Hélas, dit-il, il n'a point 
« répondu.... il dort du sommeil des justes : que le prophète 
« lui ouvre les portes du ciel ! qu'Allah le reçoive dans sein ! » 
Le corps est alors déposé dans la tombe qui reste vide et qu'on 
recouvre de larges pierres sur lesquelles on élève un petit mur 
d'un pied de hauteur environ. La famille y vient huit jours 
durant brûler de l'encens, prier et pleurer. Les enfants des 
veuves et les orpheUns qui viennent y faire leurs dévotions y 
ont part, pendant un mois, si la famille est aisée, à une di- 
stribution de figues, de dattes et de raisins secs. 

L'Arabe est plus religieux que le Kabyle, mais beaucoup 
moins que le Maure. Cependant il pratique plus religieuse*- 
ment que ce dernier certains préceptes du Coran , tels que 
cehii de s'abstenir de vin et de boissons alcooliques; mais il 



i42 ALGÉRIE^ 

est d'autres préceptes, celui des ablutions surtout, qu'il n^lîge 
trop. Les femmes principalement auraient, sous ce rapport, 
bien besoin d'une réforme. 

Les Bédouines sont mal propres et généralement laides. D^ 
douze à quinze ans cependant, elles ont une figure aissez a^e* 
nante, mais elles sont petites, rebondies, et les ligne» ondu- 
leuses de leur corps manquent totalement de grâces et d'har- 
monie. Ce vice est dû à ce que, dans leur jeunesse, elles sont 
dressées à porter des fardeaux. Dès l'âge de cinq ans, les mères^ 
pour les habituer à porter des charges d'eau et de bois, les font 
tenir pendant une heure environ , par jour, courbéei» vers la 
terre avec une pierre de huit à dix livres sur les reins. 

Leur habillement se compose d'une longue chemide en 
laine blanche, grossière étoffe^qu'elles ont tissée elles-mêmes, 
une corde en crin noir ou une ceinture de cuir incrustée de 
plaques métalliques, ramasse les plis de la chemise et les main*^ 
tient autour des hanches. Leurs cheveux, qu'elles ont fort 
longs et fort beaux, sont entourés d'un cordon rouge et roulés 
autour de la tête en plusieurs spirales, de manière à former 
un turban : quelques petites mèches, ménagées à dessein, en- 
trelacées de rubans rouges auxquels sont suspendues des pièces 
de monnaie, flottent vaguement sur les épaules ou descendent 
assez coquettement sur le front et les tempes. Un grand col- 
lier, formé de clous de girofle, d'ambre brut, de morceaux de 
corail ou de cuivre ; de grandes boucles d'oreilles de cuivre 
fixées au nombre de quatre ou de cinq, non seulement au lo^ 
bule, mais encore à l'hélix; de grands anneaux en cuivre aussi 
aux poignets et aux chevilles, et enfin des tatouages non seu- 
lement à la figure, mais encore sur la presque totalité du corps, 
complètent leur ajustement. Elles vont ordinairement à vi- 
sage découvert. 

La vie de la Bédouine est pénible et n'a rien de l'insou- 
ciance, de la voluptueuse apathie de celle des Mauresques. La 
Bédouine n'est, en quelque sorte, qu'une bête de somme de 
plus dans le ménage. C'est elle qui trait le bétail, bat le beurre, 
fait le fromage, moud le blé, prépare la nourriture de la fa- 
mille, va chercher parfois, à de grandes distances, l'eau et te 



ALGÉRIE. 143 

bois : c'est elle qui soigne les bêtes de charge, fait les travaux 
du labourage, lave les pieds de son mari quand il revient de 
course. Elle traverse le désert à sa suite portant quelquefois 
sur son dos un ou deux enfants, sur ses épaules ou à sa main, 
des ustensiles de ménage, tandis que le Bédouin, à cheval ou 
étendu sur sa natte, fume tranquillement sa pipe ou bien, 
pendant ses longs jours de repos, s'occupe à peine à fabriquer 
quelques objets nécessaires à la famille et à tresser, avec des 
branches d'osier et des fragments d'écorce d'agave, des nattes, 
des paniers et des ruches à miel fort habilement construites. 

Le mariage, chez les Bédouins, se pratique comme chez \eê 
Kabyles et les Maures, selon le mode antique. Le gendre futur 
fait des présents au père ou à la mère, et obtient la fille : le 
cadi ou le chef de la tribu confirme l'union. Cet usage se pra- 
tiquait chez les anciens habitants de l'Inde, de la Grèce, d& 
l'Espagne, de la Germanie, de la Thrace; les Gaulois n'en 
avaient pas d'autre. Il en était de même du temps des patriar- 
ches où, celui qui épousait une fille, Tachetait, soit par de& 
services rendus au père, soit par des dons. Abraham charge 
Eliezer de présents en l'envoyant demander Rebecca pour Isaàc, 
Jacob, pour épouser Rachcl, sert Laban pendant sept ans. Sî- 
chem, demandant en mariage Dina, dit à Jacob : a Je vous 
donnerai tout ce que vous voudrez. » Cette coutume a été long- 
temps après générale. Homère fait dire à Agamcmnon à 
Achille, qu'il lui donnera une de ses filles sans exiger le moin- 
dre présent. Pausanias rapporte que Danaùs ne trouvant pas à 
marier ses filles, à cause du crime horrible qu'elles avaient 
commis, fit publier qu*il ne demandait pas de présents à ceux 
qui voudraient les épouser. 

Les femmes n'étant pas enfermées chez les Bédouins et les 
deux sexes étant libres de se voir, les mariages sont mieux 
assortis que chez les Maures, et la fidélité conjugale mieux ob- 
servée. Aussi, malgré des tentatives assez communes de séduc- 
tion, ne peut-il s'établir que très exceptionnellement une in- 
timité entre les Français et les Bédouines. Celte sévérité de 
principes des femmes ressort évidemment d'un ordre social 
4our lequel on professe en France le mépris le plus outrecui* 



Ui ÀLGËRIE. 

dant et qu'on jugerait avec plus de réserve si Ton voulait se 
donner la peine de rapprocher deux faits qui ne manquent 
pas d'analogie. Une occupation de quinze années n'a pu ame- 
ner aucun changement dans cette sévérité de principes des 
femmes arabes : c'est plus que de l'antipathie, c'est une sorte 
d'horreur qu'elles éprouvent pour ceux qui sont maîtres chez 
elles. Cette exaltation de patriotisme a bien son mérite, sur- 
tout si on met en regard ce qui se passa en France lors de 
l'invasion de 1814 et 1815, oii, après quelques jours d* occu- 
pation, les ennemis furent assez généralement traités par les 
femmes sur un pied d'égalité parfaite avec les Français. 

Revenons aux mariages des Bédouines. 

Lorsque les conditions ont été débattues et acceptées de 
part et d'autres, les époux sont fiancés par la simple déclara- 
tion du cadi ou du scheik. La cérémonie nuptiale n'a lieu 
qu'un an après les fiançailles. Dès le matin du jour fixé pour 
la noce, les parents et amis de la fiancée se rendent chez elle 
et la parent de ses plus beaux vêtements. Les amis et les pa- 
rents du mari se présentent alors précédés de deux femmes 
dansant un pas lent au son d'une musique composée de cor- 
nemuses et de tambours de basques. Chaque homme fait un 
cadeau à une des danseuses, et la fiancée se prépare à quit- 
ter la tente de son père ; elle monte sur un chameau et s'assied 
dans un fauteuil d'osier recouvert de nattes ou de fourrures. 
Ses amies ou ses parentes suivent à pied le chameau ; le mari 
vient après au milieu du groupe des invites à pied ou à che- 
val , qui disposent leurs fusils et leurs pistolets pour une dé- 
charge générale. Le cortège se met en marche dans cet ordre 
pour la tente de l'époux. Pendant le trajet, ce dernier cher- 
che à s'approcher de sa fiancée, mais les femmes qui entou- 
rent le chameau lui barrent le chemin en poussant le cri lou 
lou lou ! qui est à la fois un signe de réjouissance ou de tris- 
tesse suivant la modulation du ton sur lequel il est prononcé. 

A cent pas de sa demeure, les femmes lui livrent le passage : 
il s'appicche de sa fiancée, l'enlève malgré sa résistance et 
l'emporte dans sa tente où il reste seul avec elle. Le cortège 
s'arrête ; le marabout se tient sur le seuil de la tente debout, 




i 





^.| b«*b4&«»**- ^*'* 



ALGÉRIE. 145 

les mains leTées au ciel; quatre des amis ou parents des époux 
se placent aux; ngles de la tente, tenant leurs fusil en joue ; 
autant de jeunes filles prennent place à côté d'eux et brûlent 
desarômeset des parfums. On observe le plus profond si- 
leacc« et au moment où un cri retentit fiou&la t ente, le^ tf^ ;- 



« j ttuieni servis en abondance. Les frères de la tribu consten- 
« veront ainsi longtemps le souvenir de ce beau jour. 

a II est blond, le visage de ta compagne, blond comme la 
« moisson soyeuse que les feux du soleil ont dorée. 

T. I. 10 



^* 



'Mt etAyxRt. 



ALGÉRIE. 145 

les mains leTées au ciel; quatre des amis ou parents des époux 
se placent aux 2 ngles de la tente, tenant leurs fusil en joue ; 
autant de jeunes filles prennent place à côté d'eux et brûlent 
des arômes et des parfums. On observe le plus profond si- 
lence, et au moment où un cri retentit sous la tente, les jeu- 
nes filles répètent trois fois le cri de l'épousée ; alors le mara- 
bout s'écrie : « Frères, le prophète a béni cette union, vous 
« comptez un enfant de plus dans la tribu. » Une salve gé- 
nérale accueille ces mots. 

La cérémonie n'est pas terminée là. Auprès de la tente, dans 
un espace ombragé d'arbres et ménagé à ce sujet, est servi 
dans une partie le repas de noces sur des nattes étendues sur 
le sol. Tout auprès sont les nippes, les bijoux, les vêtements 
que le mari a donnés à sa femme; l'époux sort de la tente et 
se dirige vers ce lieu où les invités le suivent; les femmes se 
séparent des hommes, formant ainsi deux groupes séparés. Un 
vieillard harangue l'assemblée; à un signal donné, les hom- 
mes courent vers la tente du mari et en ressortent en poussant 
de grands cris : un y rentre, et parait peu apk^, portant la ma- 
riée sur ses épaules qu'il va déposer en courant au milieu des 
femmes ; alors la nouvelle épouse étend les bras et tous les 
hommes tournent le dos aux femmes, qui la déshabillent com- 
^ètement et lui passent la chemise, la tunique, et les plus 
beaux des vêtements donnés par le mari. Cette opération ter- 
minée, les hommes se retournent, et une femme pose sur k 
fête de la mariée un grand voile qu'elle baisse aussitôt. Alors 
commencent la fête, les danses et lesçhaiits, espèces d'épi- 
thalames dont voici un échantillon assez curieux. 

« Heureux fils du Prophète! remercie Allah de t'avoir 
« choisi une épouse si riche en perfections. 

« Célèbre dignement ce beau jour en desséchant le pis de 
« tes troupeaux : qu'à ton festin de noces le laitcoule à grands 
« flots ! que le miel, le beurre odorant et les <rhevreaux rôtis 
« y soient servis en abondance. Les frères de la tribu conser- 
« veront ainsi longtemps le souvenir de ce beau jour. 

« Il est blond, le visage de ta compagne, blond comme la 
« moisson soyeuse que les feux du soleil ont dorée. 
T. I. 10 



146 ALGÉRIE. 

« Et sur 8a grasse poitrine regarde le& mamelles aussi 
a pleines que celles de ta chèvre la plus féconde : bénis le 
€ Prophète ! elles sont à toi ! 

a Oh! qu'ayee délices tu enlaceras sa ceinture, plus large 
€ que les vastes flancs d'une génisse ! 

« Ses doigts sont savants à préparer le couscoussou et plus 
a habiles à tisser les étoffes que Taraignée à ourdir sa toile. 

« Tu tressailleras d'aise en la voyant se promener orgueil- 
« leuse et fière comme une chenille sur la verte feuille du 
« palmier. 

« Heureux époux ! engraisse-la bien de dattes et de froment 
€ pour qu'elle devienne épaisse et ronde. 

« Dure et patiente comme la robuste chamelle, elle peut te 
€ suivre aux courses lointaines du désert et partager tes fa- 
m tigues et tes dangers. 

« Lorsqu'après le combat tu ramèneras au douar ton cour^ 
« sier harassé, elle essuiera la sueur de ce noble compagnon 
€ de ta gloire. 

c Puis elle présentera à tes lèvres ardentes le lait aigre qui 
€ rafraîchit et t'endormira sur son sein au bruit d'une chanson 
a guerrière. 

a Le Ciel fa enrichi d'un précieux trésor : remercie le 
€ Prophète, jeune homme! Célèbre dignement ce beau jour 
€ en desséchant le pis de tes troupeaux ! Qu'à ton festin de 
€ noces le lait coule à grands flots ! Que le miel, le beurre 
€ odorant et les chevreaux rôtis y soient servis avec abondance. 
« Tes frères de la tribu conserveront ainsi longtemps le sou- 
« venir de ce beau jour. » 

Après ce chant, la mariée qui n'a pas pris part au festin et 
aux danses et est restée assise seule sur un tapis, est amenée 
dans la tente de son mari par les femmes qui ne la quittent 
qu'en versant des torrents de larmes. Le marabout qui a as- 
ftisté à la noce reçoit un présent; les invités font une dernière 
décharge de leurs armes et tout rentre dans l'ordre accoutumé. 
. Les marabouts exercent une grande influence sur la tribu; 
te sont des Arabes plus instruits que les autres, issus souvent 
des principales famiUes et sachant plus ou inoins lire et explî^ 



ALGÉRIE. 447 

qner le Cbtftn. Leur ^ie est fort austère et tnèditatiye : ils ont 
toujours un chapelet à la main dont ils déroulent les grains en 
marmottant quelque prière ou récitant des versets du Coran. 
Qs sont médiateurs dans les différends entre particuliers, sou- 
vent entre \eê tribus dans les discussions fréquentes auxquelles 
donnent lieu la possession d'un puits, d'un pâturage, ou bien 
encore ces haines invétérées qui tiennent presque toutes les 
tribus divisées entre elles. Les marabouts sont réputés sa- 
vants et saints; leur science et leur sainteté sont hériditaires 
si les enfants savent par une conduite régulière en maintenir 
Tinfluence. Abd-el-Kader est fils de marabout et marabout 
lui-même. Os sont les médecins, les prophètes des tribus, 
exercent une espèce de sacerdoce dans la plupart des actes 
civik, sont en grande vénération et vivent des cadeaux de 
toute nature qu'ils reçoivent en échange des services qu'ils 
rendent. 

Depuis l'occupation française et l'état permanent de guerre 
où est l'Algérie, Toi^nisation civile des Arabes est souvent fort 
incomplète et les kadis surtout, ces juges vraiment populaires, 
manquent souvent. Les contestjttions sont alors portées devant 
le marabout qui les juge, et il est curieux de constater que le 
respect des Arabes pour la justice est tel, qu'une fois un juge 
accepté, son jugement quel qu'il soit est fidèlement exécuté 
par les parties. Nous pouvons rapporter à ce sujet une cause 
fort curieuse qui, à défaut de cadi, fut soumise à un marabout. 
Le jugement qui intervint , dont nous avons été témoin, n'eut 
pu, en France avec nos formes judiciaires et Taide du Code 
civil, être ni si judicieux, ni si juste. Voici la cause. 

Dans une village du centre, habité par des Arabes sédentai- 
res, généralement assez aisés, vivait un renégat français, né à 
SamtrTropez, ancien esclave de la Régence et qui avait dû sa 
liberté à l'expédition de lord Exmouth, en 1816. Il s'était éta- 
bli à Fintérieur et avait amassé une fortune assez considérable 
à vendre de l'amlire brut et des coraux aux femmes bédouines^ 
et des perles fauMes aux mauresques et aux femmes arabes. - 
n avait pris lé nom d'Alî et avait pour voisin un Arabe pur 
Mur qfàtr >ûk d'une trijbtt de l'Atlas 



i48 ALGÉRIE. 

et qui passait pour une reine de beauté : elle se nomsiaîtBrerray 
et l'Arabe SicU-Hamet-Mustallah. Ali avait vu du haut de sa 
terrasse la belle Brerra et en était devenu amoureux : il avait 
même été assez heureux pour s'en faire remarquer. 

Sûr d'être aimé de Brerra, il rêva aux moyens de s'assurer 
sa conquête, mais la jalousie et la garde sévère de Sidi-Hamet 
semblaient devoir les rendre tous impossibles. Sous aucun pré- 
texte, il ne put jamais parvenir à pénétrer dans la maison de 
l'Arabe. 

Un jour, cependant, talonné par Tamour, il vit Sidi-Hamet 
à la mosquée, l'attendit à la sortie et lui demanda s'il ne pour- 
rait pas l'obliger de lui garder en dépôt jusqu'à son retour d'un 
long voyage, un cofTret rempli de perles orientales; il lui 
offrit de lui en donner une garniture de tête pour reconnaître 
son obligeance. Ëbloui par l'offre et l'intérêt, Sidi-Hamet ac- 
cepta et prit heure avec Ali pour recevoir le coffret chez lui. 
Le renégat ne demandait pas autre chose, il ne voulait cette 
fois qu'entrer dans la maison de Sidi-Hamet et voir les obsta- 
cles qu'il aurait à surmonter pour enleVer Brerra : à l'heure 
convenu il se rendit chez l'Arabe^ lui remit la cassette, s'as- 
sura qu'un seul esclave était à son service et sortit remettant i 
son retour l'exécution de son projet. 

Il feignit de partir, et au bout de quelques jours il revint 
chez Sidi-Hamet réclamer le dépôt. Il le reçut des mains de 
l'Arabe, et reconnut son obhgeance par le don d'un écrin si 
magnifique que son jaloux rival émerveillé l'invita à une colla- 
tion. Ali, au comble de la joie, se fit cependant prier et ne céda 
qu'aux pressantes sollicitations de l'Arabe, qui fit servir des 
fruits, des confitures, du laitage, du miel, etc. Après la colla- 
tion, on prit, selon l'usage, le café. Quand le moka fut versé 
et les pipes garnies, Ali feignit de se rappeler qu'il avait oublié 
chez lui une des pièces les plus belles de l'écrin et donna ordre 
à l'esclave de Sidi-Hamet d'aller la chercher, en lui indiquant 
l'endroit oiiil pourrait la trouver. L'esclave sortit, et peu après, 
au moment où l'écrin absorbait toute l'attention de Sîilkr 
Hamet, il jeta sur sa pipe allumée une pincée d*Ài 
espèce de poudre d'un narcotisme foudroyant, qoî poi 



ALGÉRIE. - 149 

bien urètre que le daturastramonium. k la première boufTée 
que tira l'Arabe de sa pipe, il tomba en syncope. Profitant de son 
ëtourdissement et de l'absence de l'esclave, Ali se leva, ouvrit 
les portes, arriva jusqu'à Brerra, l'enveloppa, sans qu'elle s'en 
défendit, dans un ample takelilah maure, la prit dans ses bras 
et la confia à un esclave qui l'attendait avec un chameau près 
de là. Il rentre ensuite auprès de Sidi-Hamet qui était encore 
plongé dans sa léthargie somnolente. Quand il se réveilla peu 
après, son esclave avait rapporté la pièce qui manquait à l'é- 
crin; Ali fumait tranquillement son chihouk, recevant hypo- 
critement les excuses de Sidi-Hamet sur cette subite indispo- 
sition, ettout, dans la maison, était comme avant, moinsBrerra 
quin'yétaitplus. 

Après une heure de protestations et de confidences ami- 
cales, Ali prit congé de Sidi-Hamet et rentra chez lui. Impa- 
tient de donner Técrin à Brerra, l'Arabe vola aupi^ d'elle et 
ne la trouva pas. Ne sachant qui accuser de ce rapt, il se 
rendit chez Ali et le vit dans sa cour jouant tranquillement 
avec un jeune chien baléare : race admirable, peu connue en 
France, qui tient du lévrier et du chien d'arrêt et qui a toutes 
les qualités de l'un et de l'autre ; on les appelle dans le pays 
chiens de nuit. Si Sidi-Hamet eût eu des soupçons, cela seul 
aurait suffi pour les dissiper : Ali, qui avait prévu la visite , 
l'attendait dans cette puérile occupation. Sidi-Hamet lui conta 
son malheur : Ali s'indigna contre les ravisseurs et lui offrit 
des chevaux pour aller à leur poursuite. H fit prendre à Sidi- 
Hamet une route où il savait que Brerra n'était pas, et lui prit 
celle où il savait qu'elle était. Peu de temps après et pendant 
que Sidi-Hamet suait sang et eau à la poursuite de sa belle, 
AU é^t avec elle dans une de ses maisons de campagne où on 
l'avait conduite par son ordre. H lui fut facile de l'y tenir 
cachée» rt un an après cette aventure, Brerra qui, par les 
miimtieines précautions d'Ali, avait échappé aux recherches 
de r Arabe, mit au monde un enfant mâle qui fut nommé Ali* 
Ben-Aili. , 

.4 > '\ gumrut en instituant 

(.wiiiMiient sur 



150 ALGÉRIE. 

la donation une somme de 4,000 houdjoux (7,000 fr.) pour 
servir de douaire à Brerra. 

Alors seulement l'Arabe apprit Tinfemale fourberie du re- 
négat. U réclama juridiquement la femme et Teniant et mit 
d*autani plus d'acharnement dans ses poursuites, qu'il comp- 
tait s'approprier les biens dont avait hérité Ali-Ben-Ali. 

Une pareille aflEaiire portée devant nos tribunaux aurait peu 
embarrassé nos légistes. Expliquant rigoureusement la dispo- 
sition légale, is pater est quem nuptiœ demonstrant, ils au- 
raient rendu Ali-Ben-Ali à l'Arabe, auraient condamné Brerra 
comme adultère et comme bigame, et, contre la dernière vo- 
lonté du testateur, ils auraient, parle fait, investi Sidi-Hamet 
de la fortune de son rival. Des plaidoiries, des mémoires au- 
raient obscurci la question ; des années entières se seraient 
écoulées avant sa solution, et un jugement fort bien motivé, 
mais fort ridicule, aurait consommé une grande injustice. Une 
aeure suffit au marabout pour entendre les parties et rendre 
le jugement suivant : 

« Allah seul est grand et Mahomet est son prophète ! Oïd 
« les parties. 

« Sidi-Ben-Hamet-Mustallah peut réclamer comme sien 
« l'enfant Ali-Ben-Ali qui était dans le sein de Brerra et 
« qui s'est levé. 

« Brerra ayant été ravie par la violence, ne peut être con- 
« sidérée comme adultère et rentre dans le droit commun des 
a épouses légitimes. 

a Mais Ali-Ben-Ali n'ayant hérité d'Ali qu'en qualité de 
« son fils légitime , perd ses droits en perdant ce caractère, 
a et Sidi-Hamet ne peut, en son nom, réclamer la succès- 
a sion. D'autre part, Brerra ayant droit au douaire que lui 
« avait assigné Ali comme épouse de premier ou de second 
c rang, Sidi-Hamet ne pourra la reprendre qu'en lui en as- 
« signant un pareil comme indemnité légitime de cdui 
« qu'elle perd. » 

L'Arabe préféra renoncer à la mère et à l'enfant. 

A ce fait dont nous pouvons garantir l'authenticitéi ib 
pourrions en joindre d'autres de la même espèce <iui prao^ 



ALGÉRIE^ 151 

raient eombien 3 faut de discernement et de circonspection 
quand on veut toucher aux institutions d'un peuple que, soit 
dit en passant, les administrateurs français ont la prétention 
de vouloir gouverner, avant même de s'être donné la peine de 
l'étudier et de le connaître. Nous verrons dans le cours de cette 
histoire combien une telle présomption a fait accumuler fautes 
sur fautes. En les signalant, nous aurons moins en vue un but- 
de critique que Tespoir qu*elles serviront de leçon pour 
l'avenir. 

Tracs. — Avant l'occupation de l'Algérie par les Français , 
les Turcs, quoique en grande minorité, étaient les domina-- 
teurs du pays, Ils occupaient tous les emplois civils et militai- 
res. Les janissaires, comme on l'a vu , ne se recrutaient que 
parmi eux. On comptait cependant dans cette milice un grand 
nombre de renégats maltais, albanais, corses, drcassiens, 
grecs, etc. Après la prise d'Alger en 1830, quelques Turcs se 
retirèrent dans diverses contrées de la Régence, la majeure 
partie quitta l'Algérie. Depuis lors, ceux qui y sont restés vi- 
vent dans l'isolement et ne forment corps nulle part. Nous 
n'aurons pas dès lors à nous en occuper. 

KouLOUGLis. — Issus, commc nous l'avons dit de pères turcs 
et de mères africaines, les Roulouglis étaient en dehors de la 
caste tiiyque. Ils ont été plus ou moins intimement liés aux an- 
nales de la Régence, et quoiqu'ils n'y aient jamais joui d'une 
haute considération, c'étiiit parmi eux que se recrutait le corps 
des Spahis. Généralement riches, ils n'exercent ni profession, 
ni industrie, ils passent leur vie dans les cafés ou leurs maisons 
de campagne avec toute l'apathique insouciance des Orientaux. 
Cette caste aura sous peu d'années disparu entièrement de 
l'Algérie ou se sera confondue avec les Maures d'où elle sort par 
les femmes. 

Jcips. — La population juive, très nombreuse en Algérie, 
vit dispersée sur tous les points de l'ancienne Régence et prin- 
cipalement dans les villes et villages du littoral. Malgré les 
mauvais traitements qu'elle a eu à subir de la part des indigènes 
et noftriimfAlMïcule à laquelle elle avait été condamnée, elle 
i rMic^ptié les principales branches d'in- 



iS2 ALGÉRIE. 

dustrie. Elle y a conservé, comme partout, son cachet physio- 
nomique et ses mœurs mercantiles. 

Les juifs sont venus en Algérie par plusieurs immigrations 
successives. Il est horsde doute que dans la haute antiquité, ils. 
n'aient habité une partie de THedjax et de l'Yemen^ou encore 
aujourd'hui, un voyageur moderne, le docteur Volf, a retrouvé 
les juifs Bèni-Beko puissante tribu de près de soixante mille 
âmes, dont l'existence avait été déjà signalée il y a plusieurs 
siècles. C'est de-là, ou bien longtemps avant la grande migra- 
tion arabe et la destruction de Jérusalem, qu'ils vinrent s'établir 
dans les régions atlantiques. Aboulfeda et d'autres historiens 
arabes disent positivement qu'au VII® et VIII® siècle, de nom- 
breuses tribus berbères d'Afrique professaient le judaïsme. Or, 
il s'était écoulé trop peu de temps pour que les populations 
juives, chassées de Judée,par les expéditions de Vespasien et de 
Titus, aient pu convertir au mosaïsme des peuplades aussi peju 
sociables que les Berbères. L'époque du sac de Xérus^em fut 
une seconde immigration. La troisième et la principale eut 
lieu lors de la grande persécution espagnole au XtV® siècle, 
qui chassa les juifs d'Espagne quelque temps après l'expulsion 
des Maures. Voici à ce sujet une légende juive, qui est un ar- 
ticle de foi parmi les juifs de TAlgérie, et qui laisse ce fait hors 
de doute. 

« Les musulmans d'Espagne avaient permis aux enfants 
d'Israël d'habiter avec eux, de se livrer au commerce et d'exer- 
cer librement leur religion sainte. 

a Les chrétiens les chassèrent et reconquirent ce beau pays. 
Pendant quelque temps ils laissèrent les enfants d'Israël tran- 
quilles; mais envieux des richesses qu'ils avaient amassées par 
leur travail, ils ne tardèrent pas à les tyranniser. 

a C'était en 1390. Simon Ben-Smir était grand rabbin de 
Séville. Il fut chargé de fers et jeté en prison avec soixante des 
principaux chefs des familles juives. Cet acte arbitraire fut le 
signal de cruautés plus grandes encore que toutes celles qu*ils 
avaient éprouvées jusqu'alors. La mort du rabbin et de ses 
compagnons d'infortune fut ordonnée, et ils allaient être exé- 
cutés, lorsque le ciel les délivra par un de ces miracles doni 



ALGÉRIE. m 

les annales des enfants d'Israël offrent tant d'exemples. 

« Tous ceux qui étaient avec Simon voyant approcher leur 
dernière heure, accablés de douleur, s'abandonnaient au dé* 
sespoir ; mais ce grand homme restait calme et semblait se ré« 
signer avec courage à son malheureux sort. Tout-à-coup ses 
yeux se remplirent de feu, sa (igure s'anima et un rayon de 
lumière brilla autour de sa tète. Dans ce moment il prit un, 
morceau de charbon, dessina un navire sur la muraille et se 
tournant ensuite vers ceux qui pleuraient, il leur dit d'une voix 
forte : « Que ceux qui croient à la puissance de Dieu et qui 
veulent sortir d'ici à l'instant même, mettent le doigt sur ce 
vaisseau. 

« Tous le firent, et aussitôt le navire dessiné devint un na- 
vire véritable qui se mit de lui-même en mouvement, tra- 
versa les rues de Séville, au grand étonnement des habitants, 
sans en écraser un seul, et se rendit droit à la mer après avoir 
recueilli tous nos frères gémissants. 

« Le vaisseau miraculeux fut conduit par le vent dans la 
rade d'Alger, ville qui n'était alors habitée que par des ma- 
hométans. Sur la demande que leur firent les juifs de s'établir 
parmi eux, les Algériens, après avoir écouté le récit de la 
manière dont les enfants d'Israël avaient échappé à la cruauté 
des chrétiens, consultèrent un marabout fameux qui vivait à 
Miliana. Sur sa réponse qu'il fallait accueillir les enfants 
d'Israël, ils eurent la permission de débarquer, et les habi- 
tants, ayant à leur tête les chefs de la religion et de la loi, 
sortirent en foule pour les recevoir. » 

En élaguantla partie miraculeuse de cette tradition, il reste 
le (ait de cette grande immigration du quatorzième siècle qui 
explique la grande quantité de juifs habitant les divers Ëtats 
barbaresques. Sur quatre millions de sectateurs que, d'après 
le géographe Balbi, compte le judaïsme , près de cent cin- 
quante mille habitent l'Algérie, Tunis ou le Maroc. Ils forment 
près du quart de la population d'Alger et les quatre cinquièmes 
de celle d'Oran. Ils s'occupent peu ou point d'agriculture, 
mais ils exploitent tous les genres de commerce oii d'indus- 
I|pl^^l4 haute classe fait la banque et le haut commerce : elle 



IM ALGÉRIE. 

a des comptoirs dans toutes les yiUes; la classe ttoyenne ex^ 
celle dans les arts délicats : la bijouterie, Thorlogerie, la bro- 
derie sur vêtements ; le menu peuple exerce de (préférence 
les professions de tailleur, cordonnier, passementier, mercier, 
ferblantier : tous sont courtiers ou agents d'affaires. Ayant 
l'abolition de la course, une de leurs spéculations les plus lu- 
cratives était d'acheter les prises des corsaires qui ne conTe- 
naient pas au pays, telles que vins, eaux-de-vie, chair salée, 
poisson mariné, etc., qu'ils avaient à vil prix et renvoyaient 
sur les marchés d'Europe où ils réalisaient d'énormes béné- 
fices. 

Les femmes juives sont généralement jolies et jouissent 
d'une grande liberté. Dans les classes les plus pauvres on 
trouve des figures délicieuses de grâce et de régularité. Mais 
par malheur la misère et la prostitution passent souvent par 
là. U est juste de dire que les classes juives riches combattent 
de tout leur pouvoir, par des dons et des aumônes, ces deux 
fléaux. € Demander, c'est le droit du pauvre; le devoir du 
riche c'est de donner , » dit le Talmud : et cette maxime est 
pratiquée par les juifs envers leurs coreligionnaires, avec un 
élan et une délicatesse de charité qui feraient honneur aux 
populations chrétiennes d'Europe si, parmi ces dernières, les 
classes riches songeaient à prélever pour leurs frères pauvres 
une faible partie de ce qu'elles prodiguent à leurs chiens et à 
leurs chevaux. 

Depuis l'occupation française , les juifs de l'Algérie sont 
rentrés dans le droit commun et ne sont plus soumis aux mille 
avanies insultantes et odieuses, stygmate flétrissant que la do- 
mination turque leur avait imposé comme une condition de la 
tolérance. Bien plus, on leur a même accordé certains privi- 
lèges dont nous aurons à nous occuper dans le cours de cette 
histoire : et en cela, la transition de l'état social juif, quoique 
juste en principes et faite dans les meilleures intentions du 
monde, pourrait bien avoir été un peu trop brusque. Ce qui 
peut rassurer, c'est que les juifs ne sont guère disposés à en 
abuser et que prêts, partout et toujours, à accepter une domi- 
nation quiconque, l'esprit de révolt» et d'insubordination Mt 



ALGfilUK. ISH 

tém qu'on a le moins à leur reprocher. Mais peut-être eût-il 
été plus pditique de les laisser pendant* quelque temps encore 
dans un état d'infériorité pour nepas heurtar trop profondé- 
ment les préjugés des Maures et des Arabes à leur égard et 
ménager des susceptibilités qui, pour être injustes, n'en ont 
pas moins amené des jalousies et des défiances qu'il eût été 
phis prudent de prévenir. 

NiOKES. — Les Nègres qui ont embrassé l'idamisme Titent 
en Algérie sous la loi commune. Leurs familles jouissent des 
mêmes droits que les Maures et les Arabes. La plupart étaient 
tirés de la Sénégambie, du Tafilet ou de Tombouctou ; d'autres 
étaient fournis par les Mozabites, habitants du Grand-Désert, 
qui les enletaient pendant qu'ils venaient tendre ou échanger 
le sel que les lacs d'eau saum&tre de l'Afirique intérieure dé- 
posent sur leurs bords : ils les tendaient ensuite aux tribus 
beri[)éres les plus méridionales, les Touaths ou autres^ qui les 
achetaient en moyenne la valeur d'une charge de dattes de 
quatre chameaux, seize quintaux environ valant au moment 
de l'échange 25 houdjoux (46 te.) Ces esclaves, vendus ensuite 
aux tribus marocaines qui font principalement ce genre de 
coomierce, étaient livrés sur les marchés à des prix variant 
depuis iOO jusqu'à 500 houdjoux (180 à 900 fr.) Les fSemmes 
jeunes qui savaient coudre et diriger un ménage atteignaient 
seules ce dernier prix. Aujourd'hui les choses sont à peu près 
dans te même état : seulement les nègres qui ont pu se radie» 
ter ou à qui leurs maîtres ont donné Imir liberte vivent, comme 
nous l'avons dit, en Algérie, sous la loi commune et forment 
une population qui a accaparé certaines professions, telles que 
celles de boucher et de badigeonneur à la ehaux des murs et 
des terrasses des maisons. 

Ds ont adopte les costumes et les sentiments religieux des 
Maures. Les femmes aisées s'habillent aussi comme les Mau<* 
resques : seulement elles ont*beaucoup plus de liberté qu'elles 
et en abusent : il y en a d'une race entièrement noire, ayant 
des nez aquilins, des fronts découverts et des yeux de feu qui 
complètent un ensemble fort agréable. Les femmes pauvres 
sonsewent leurs têtements d'esclave, une^diemise, une culotte 



i56 ALGÉRIE. 

courte et une pièce d'étoffe pour se couvrir la tète : elles en- 
trent au service des dames turques ou mauresques et s'affec- 
tionnent assez généralement à leurs maîtresses. Les Nègres 
sont braves, courageux : dans Toccasion et les armes à la 
main, ils se conduisent sans reproche. 

Haojoutes, Biskris, Mozâbites, âgeouaths, etc. — Â l'ouest 
de la plaine de la Mitidja, est un groupe de montagnes dans 
lesquelles vivait une population de quatre à cinq mille habi- 
tants nommée Hadjoutes. C'était un ramassis de bandits qui, 
chassés des autres tribus comme fripons ou malfaiteurs, se ré- 
fugiaient là de toutes les parties de la Régence, et étaient par- 
venus à se rendre redoutables à leurs voisins. Toujours en 
guerre avec eux, ils avaient échappé à la domination turque. 
Depuis l'occupation française, quelques expéditions habile- 
ment concertées les ont chassés de leur repaire et ont dispersé 
ces bandes indisciplinées dont l'état habituel était le pillsq^e et 
le crime. 

Si ces contrées si souvent traversées par l'invasion étrangère 
offrent ainsi çà et là dans les gorges inaccessibles de l'Atlas, 
quelques rares populations dont le caractère exclusif est la 
soif du pillage et la férocité, c'est un fait exceptionnel. Ces 
altéraitions profondes sont toujours le résultat d'un état anté- 
rieur qu'il serait bon et utile de connaître. En les généralisant 
on s'expose à juger faussement une situation et à sanctionner 
des mesures dont les funestes effets pèsent ensuite de tout 
leur poids sur les déterminations ultérieures. C'est à la préci- 
pitation de bien de jugements de cette sorte, que l'administra- 
tien française a dû de grandes fautes que le temps n'a pu en- 
core réparer qu'en partie. 

Ainsi, par exemple, il existait à Alger, avant l'occupatioii 
française, une certaine classe de travailleurs, ayant même cer- 
tains privilèges et appartenant à des tribus kabyles connues 
sous le nom de Biskris, Mozabites, Agrouaths etc. : c'était una 
sorte de population d'émigrants, qui, de l'intérieur du pays, re<^ 
fluaient vers Alger ou d'autres villes considérables pour y amat* 
ser, par leur travail, un petit pécule destitué à amâioier Um 
condition dans la contrée natale. Ces homiMdfapI 



ALGÉRIE. i5? 

laborieux, probes et fidèles avaient le monopole des boulange- 
ries, des moulins, des bains publics : ils étaient commission- 
naires, employés par le gouvernement aux travaux publics ou 
occupaient des places de confiance dans la domesticité. La 
nuit, la garde de la ville leur était confiée. Us couchaient dam 
la rue, sous les auvents des boutiques, sur un banc en pierre 
ou en bois qui servait pendant le jour à l'étalage. Ces bouti- 
ques étaient sous leur surveillance spéciale, et si par hasard, 
ce qui était très rare, il s'y commettait un vol, ils en ré- 
pondaient. Ils étaient enrôlés dans trois corporations repré- 
sentant les trois tribus diverses et présidées par un chef appelé 
amin. Espèce de gérant d'une association industrielle, magis- 
trat même de cette petite société, l'amin était chargé de la po- 
lice du corps. Responsable devant l'autorité de la conduite des 
individus confiés à sa surveillance, il payait au dey un tribut 
annuel qu'il répartissait ensuite sur chacun des membres de la 
corporation. Les privilèges de ces corporations étaient proté- 
gés par des contrats écrits consentis par le gouvernement : les 
membres ne reconnaissaient que la juridiction de leur amin, 
s'écartaient du mahométisme dans quelques articles de détail 
et ne vaquaient aux cérémonies de leur culte que dans une 
mosquée située hors la ville et appropriée à leurs croyances 
particulières. Leur langue était un dialecte corrompu de l'a- 
rabe. 

Les Riskris sortaient du midi de la Régence au sud du 
grand lac salé appelé Choit; les Mozabitesdu pays de Zab au- 
delà du Grand-Atlas, assez avant dans le désert, à vingt jours 
de marche environ d'Alger; 

Ces corporations subsistent encore sauf les monopoles et les 
privilèges. Rien plus, cette utile population est plus nom- 
breuse qu'elle n'était à l'époque de la conquête : elle tend 
même à s'accroître. Et cependant cette population est de race 
kabyle, la seule laborieuse de l'Algérie, la seule qui n'appar- 
tient pas àla France, la seule enfin qu'on n'a jamais ou pres- 
que jamais cherché, par des moyens efficaces à s'attacher. Ces 
tribus du désert qui bravent les difficultés et les dangers d'un 
long voyage pour venir à Alger vendre leur travail, auraient. 



168 ALGËRQ. 

avec bien moins de scrofule encore^ échangé leurs pradiiti 
contre notre argent. 

L'établissement de relations pacifiques de commerce etd^in- 
dustrie avec rintérieur du pays n'était pas plus difficile que la 
conquête. En cette circonstance^ comme bien souvent, le 
prestige d'une gloire réelle mais d'une utilité douteuse l'a em- 
porté sur des considérations d'intérêt majeur. Nous aurons 
plus d'une fois occasion, dans le coursde cet ouvrage, de con- 
stater de pareilles fautes. 

En exposant sommairement quelques traits généraux des 
populations de l'Algérie, nous avons eu principalement en vue 
de rechercher les points de jonction par où la dommation 
française pouvait plus facilement s'adapter avec une organitt- 
tion sociale qu'il est presque impossible de remplacer sansun 
emploi permanent delà force, et qu'on ne peut conserver saw 
remettre tout en question. Déjà nous en avons signalé quelquM 
uns : à mesure que nous avancerons, la relation des faits nous 
servira à signaler les autres. Mais cet aperçu serait insufiBsant 
si nous ne le complétions par une sucdnte analyse du système 
administratif qui régissait ces populations avant l'occupation 
française. 

OeGANISATION GlVn.B ET POUTIQUB Dl LA RÉGENCE SOUS Là 

DOMINATION TURQUE. — Âprès le Dey dont nous avons déjà dé- 
6ni les attributions, étaient huit fonctionnaires principaux : 

Le ministre de la marine [ouldl-eUhardj) ; 

Le commandant des troupes {agha); 

Le trésorier {khasnadji); 

Le gouverneur de la cité {scheikhr-el^belad); 

Le chef des notables {naid-el^schraf) ; 

L'inspecteur des haras {kadjorel-kiel) ; 

Le chef des secrétaires {mecktoubdji); 

Le curateur aux succesions {heit-el-maldji). 

\Joukil'el'4iardj était chargé de la comptabilité du matériel 
de guerre, du contrôle des travaux de l'arsenal et 4es prisons^ 

Vagha régissait les affaires des districts de la plaine d'Alger 
{outhans). Son autorité s'étendait sur toute la province. U avait 
sous ses ordres les kaids chargés de l'administration et dv 



ALGËRHL 150 

aflairef politiques, et toutes les milices régulières, spahis, 
ahids qui percevaient les impôts et faisaient la police. 

Le khasnadji avait dans son département tous les services 
financiers; la levée, la rentrée des impôts, étaient spécialement 
sous sa surveillance. 

Le scheikhr^t^belad avait dans ses attributions la justice 
municipale, la police locale, la salubrité, les établissements 
publics, etc. II avait sous ses ordres les commissaires {ncSbs) 
qui surveillaient la police, pourvoyaient aux dépenses locales 
et les chefs de corporation (amins) qui maintenaient Tordre 
dans les diverses classes industrielles. 

Le naid-el-aschraf était une sorte de président de Tadmi- 
nistration civile et municipale. Ses attributions consistaient, 
dans les circonstances importantes, à réunir le scheikl^^ 
belady les tuubsj les amins^ afin de délibérer sur les mesures 
à prendre. 

Le kodja-elMiiel régissait les biens ruraux appartenant au 
domaine {haouchs), toutes les locations, ventes, échanges^ 
transactions ou mutations auxquelles cette régie pouvait don- 
ner lieu étaient dans ses attributions spéciales, 

Le mecktoubdji était chargé de la correspondance politi^ 
que : c'était lui qui tenait les registres de] la comptabilité de 
Tétat, des règlements militaires et des milices. 

Enfin le beit-et-maldji était le représentant né de tous les 
héritiers absents. L'ouverture des testaments, les litiges aux« 
quels ils donnaient lieu, la revendication, au nom du domaine, 
soit de successions vaccantes, soit des parts revenant à l'état 
dans les cas prévus par la loi musulmane, étaient de son ressort. 

La province d'Alger était divisée en outhans (districts), en 
tribus et en douars. Plusieurs tribus réunies formaient un 
outhan, plusieurs douars une tribu, plusieurs tentes un douar. 
Ces outhans étaient administrés par des katds ( préfets) ^ 
tdieikhrclrschion (espèces de maires), hadis (juges) et icheikhi 
(chefs). Tous ces fonctionnaires étaient sous la dépendance 
de Fagha qui sanctionnait toutes les affaires de Touthan. Pour 
ces fonctions diverses il désignait les candidats: le pacha don^ 
oaitriavestiture. 



160 ilLGËRie. 

Les autres pro^nces de la Régence, celles de Constantiney 
d*Oran et de Tittery avaient une organisation à peu près sem- 
blable. Seulement elles étaient souverainement administrées 
par des beys (gouverneurs) nommés par le Dey, révocables à 
volonté, répondant du recouvrement des impôts et pouvant 
nommer à tous les emplois, sauf l'approbation du chef de TOd- 
jeac. Ils percevaient les impôts pour le compte de rOdjeac ; 
et, comme ils ne pouvaient se maintenir au pouvoir qu'en 
achetant par des présents, la protection du Dey et des grands 
officiers, leur perception n'était rien moins que régulière. 
Aussi, leurs exactions, dont chaque grand dignitaire retirait 
du profit, étaienC un mérite gouvernemental. 
^ La force militaire de la Régence consistait en troupes ré- 
gulières ou irrégulières. Les janissaires, tous turcs ou francs 
renégats, composaient seuls la milice. Les Koulouglis, fils de 
Turcs ou de Mauresques, formant le corps des spahis ; les zoua- 
ves, douères, zenati corps spéciaux appartenant à certaines 
tribus ou à certaines classes; les abids, Nègres affranchis, et 
la cavalerie irrégulière que les beys amenaient de leur beylik, 
et les kaids de leur district, complétaient la fbrce militaire ef* 
fective. L'ensemble de ces troupes s'appelait asker-el-maghzen 
(troupes du gouvernement). Excepté les janissaires, les spahis 
et quelques corps spéciaux, les autres servaient sans indemnité 
pendant un certain nombre de jours, après quoi elles avaient 
le droit de se retirer : c'était le même service qu'en Europe 
sous la féodalité. 

L'organisation militaire des janissaires était à peu près celle 
des troupes d'Europe. Ils se subdivisaient en compagnies [ar-^ 
tas)j subdivisées elles-mêmes en chambrées ou tables (so/ras), 
composées de vingt soldats, un chef de chambrée [oda-bachi)^ 
et un trésorier chargé de la comptabilité et de la dépense (cm- 
kilelhardj). Un janissaire avait une ration de pain, de vian- 
de, d'huile, une part dans les produits de la course et une paye 
d'environ 1 franc par jour. Ils étaient tous fantassins : leur 
nombre ne dépassait guère 8,000. Les autres troupes régulières 
s'élevaient à peu près à ce chiffre. 

Les grands officiers de la Régence, le Dey lui-même, sor- 



ALGÉRIE. 161 

tant tous^du corps de la milice, n'avaient pour traitement que 
leur paye de janksaire; mais chacun avait des parts détermi^ 
nées, iBoit dmà les prises, soit dans certains privilèges indu<« 
striels ou commerciaux, mais surtout dans les licences (teske^ 
ras) pour la vente ou Texportation des produits mono|iolisés 
par le gouvernement, les marchés pour les fournitures, les 
amendes, les présents des consuls, des beys, et enfin les transac- 
tions de toutes sortes avec ceux qui espéraient quelque grâce 
ou redoutaient quelque châtiment. 

]Jiesimpôt#ètaient répartis sur les personnes, les biens, lés 
industries et les professions. Les impôts sur les personnes 
n'atteignaient que certains individus et n'existaient que dans 
les villes, deux sur les biens étaient principalement affectés 
aux campagnes. Les uns et les autres se payaient en nature 
ou en numéraire. Les répartitions en étaient arbitraires : 
comme il n'existait ni rôles ni états de produits, la côte pai^ 
tielle était réglée par l'usage, et le versement constaté par un 
simple enregistrement. 

La perception des impôts était une espèce de fermage dont 
le montant et les époques de payement étaient fixés à l'a- 
vance. 

La propriété foncière ou, pour être plus vrai, la propriété 
mise en valeur à titre individuel ou collectif, était grevée de 
quatre sortes d'impôts : Vachàurf le ghrama, Vetrkebchi.leL 
lezma. Vachour était la dtme des récoltes dont le payement 
est formellement prescrit par le Coran; le ^roma était une 
taxe par tente sur la culture du tri^ppartenant à l'Etat ; Te/- 
kebchi était un autre impôt d'un mouton par habitant de tribu 
pour.dwit de pâturage. Ces impôts divers étaient compris sous 
le npoi générique de lezma lorsqu'ils se percevaient sur les 
Arabes nomades ou Bédouins. La perception de ceti^ ietma 
ne s'opérait qu'avec de grandes difficulté. — ^^Plusieurs com- 
pagnies de janissaires, formant environ un millier d'hommes, 
étaient réparties en camps-volants et envoyées chaque année 
à Tlemcen, Constantine et jusque au-delà du Grand-Atlas. Un 
agha commandait chacun de ces camps et parcourait le pays 
,^^ kvçr cette. leama sur^lçs douars. Les Bédouins, qui ne 
r.\^ il 



m ALGÊfUf;, 

payaient d'ordinaire que par force, quittaient parfQÎs les li^m 
qu'ils occupaient aux époques qu'iU préjuge^^t Tarrivée dt^ 
janissaires. Si la moisson était faite, ils csquiv^uent Vif^pAt, tî^, 
non ils étaient ohligés bon gré ma) gré de l'acquitter. 

Qudques mots sur le caractèrçi géa^ de I4 propriété (^ 
Algérie sont indispensables pour bien £BÛre comprendre ç&i 
diverses espèces d'impôts. 

En droit musulman et en fait, IqsoI y était ^yvat tout pi^h 
priété de Dieu. L'humanité ne le possédait et n'en joui^t qUQ 
par inféodation. La disposition du sol appartenu dès-lomau 
Sultan qui représentait Dieu sur la terre,^ w Doy qui repréq??-? 
tait le Sultan, aukaîd ou au scheik qui représentait )ç Dçy, 
L'individu n'usait alors de la terre qu'à titr^ dç CPPCçtsÎQni ^ 
condition de culture et à charge de redevanee. 

Ce droit universel et absolu ava^t été modifié dfins les yiUe^ 
par la donation constitutiye de Xh^bous (^), la vente à ratia(2J 
et d'autres coutumes dont nous aurons peut-être occasion d^ 
parler plus tard ; mais dans les campagnes, il était resté le prlo- 
cipe général de la propriété foncière. Nul ne possédait qu'à 
titre d'usufruitier : bieu plus, la possession n'était presque ja.^ 
mais individuelle , mais toujours collective. Le Dey ou son re* 



(0 Dans les viUes oa autour, il existait, assez rarement cependant, anét- 
ques propriétés libres dont rechange ou la transmission étaient, dans certaias 
cas, autorisés. Le droit universel du souverain subsistait cependant toujours, 
et pour avoir contre lai une garantie e£Bcaoe, on avait imaginé ce kabauê. 
C'était une donation, faite par un pfppriétaire, de son bien à i^ne corppnlioa 
religieuse, avec réserve de Tusufruit pour lui-même et pour sa postérité, jus- 
qu'à certaine génération déterminée ou jusqu à extinction de sa race. La pro- 
priété recevait alors la seule garantie qui pût efficacement la délsodrs contre 
l'autorité. Hais cette forme protectrice introduisait dans le régime de la pro* 
priélé de grandes complications et de nombreuses difficultés, ce qui explique 
suffisamment la limite du habous: 

(3) La successioa de la propriété, après la donation du Aa^tit , restait 80«- 
vent indivise. Si Timmeulde avait besoin de réparations majeures, les béritiecs 
étaient parfois ou bors d'état ou peu disposés à les faire, on avait alors ima- 
giné une transaction par laquelle l'acquéreur contractait Tobligation d'une 
rente annuelle perpétuelle, et s'engageaii à faire les eonstruclions convenues 
en s'en réservant la propriété. Cette transaction qui introduisait un nouvean 
droit sur la uropriété sappelait vente i^ ïam. 



présentant dans le beylik reconnaissait on concédait uqç cer- 
fain^ partie de territoire à un scheik qui distribuait la terre 
aux cheff de famille. Le principe de cette distribution était 
basé Mir 1^ facultés (Je chacun, c*est-àwlire sur le nombre de 
bestiaux, de charrues et de bras qu'il pouvait employer à la 
culture, (l'étendue de la terre dévolue était dès-lors la vraie 
mesure de l'importance sociale de Tindividu dans la tribu. 
Dès qu'un Arabe avait pu acquérir une paire de bœufs, une 
charrue et des semences, il avait droit à cultiver la portion de 
terre qui lui était désignée par le scheik. La terre ne se ven- 
dait ni se louait. Elle n'était même pas transmissible par héri- 
tage, du moins en droit. Cependant les héritiers du chef de 
£imiUe lui succédaient presque toujours dans la culture de la 
portion qui lui avait été octroyée. Mais la concession, dans 
tous les cas, contenait une clause résolutoire : c'était, si la terre 
restait ipculte : il fallait ou cultiver ou faire paître: on ne pou- 
vait ni transmettre, ni affermer, ni laisser reposer. La con- 
cession entraînait l'obligation de cultiver : sinon , elle était 
annulée de droit. 

Telle était, sous le rapport delà propriété, toute l'économie 
du régime des tribus. L'impôt était alors à la fois une rede- 
vance pour les dépenses publiques et pour le loyer de la terre, 
et comme I4 terre était censée appartenir à Dieu, il y avait tel 
de ces impôts qui était de droit divin et dont la constitution 
n'était pas essentiellement religieuse. 

Malgré ses formes multipliées, l'impôt territorial ou foncier 
fcmnaità peine la moitié des revenus de la Régence. Les do- 
cumints à ce sujet sont fort incomplets. La plupart des re- 
giitrei n'ont pas été retrouvés; on peut cependant présenter 
avM qudque exactitude l'évaluation suivante comme le chi'ffire 
le plus exact des revenus de l'Odjeac pendant les demi^its 
années de la domination turque. 
Impôts territoriaux, achour, leztna, etc. • 1,500,000 £r. 
Impôts divers, fermes, amendes, mono- 
poles, etc • . 1,000,000-. 

Tributs payés à l'Odjeac par le royaume de 
N^^le»! la Suède, le Danemark, ie Poriu- 



iU ALGÉRIE. 

gai, etc; 550,000 — 

Prix des concessions d'Afrique à la France. 200,000 — » 

Total. . . 3,"25pÔblK 

Dans cette somme n'est pas compris le produit des prises 
dont le gouvernement avait un huitième. Le blocus exero6 
par la France pendant trois ans avait réduit ce produit à rien, 
et aucun document antérieur n'a permis de rétablir même 
approximativement. 

Il nous reste à indicjuer sommairement la situation respec- 
tive du culte et de la justice à l'époque de l'occupation frati-* 
çaisé. 

Un seul et même corps, le collège des Ulémas, réunit, chez 
les musulmans^ les fonctions du sacerdoce et l'administFation 
de la justice. 

Le collège des Ulémas est divisé en trois classes : les iman$ 
(ministres du culte) , les muphtis (docteurs de la loi) les kadis 
(juges). 

Les ministres du culte se divisent eux-mêmes en quatre 
classes : les scheiks, prêchant dans les mosquées ; les khatebs^ 
récitant la khosba pendant la prière solennelle du vendredi ; 
les imans présents aux cérémonies delà circoncision, du ma- 
riage, de la sépulture, assistant aux prières quotidiennes et 
faisant la lecture du Coran dans les mosquées,* et enfin les 
muezzins, appelant, du haut des minarets, les fidèles aux 
cinq prières du jour. Les muezzins sont aussi chargés de l'édu» 
cation des enfants. 

Le muphtiest le premier parmi les ulémas : les kadis sont 
sous sa juridiction immédiate. Il prend le titre de scheikh^d^ 
islam (l'ancien de l'Islam). Les revenus des biens immeubles 
appartenant aux mosquées, oratoires, corporations reUgieuses, 
soit à titre de propriété, soit par la donation constitutive du 
habous, sont afiectés aux frais du culte et aux traitements des 
ministres. Les dons des fidèles pour les actes relatifs à l'état « 
civil des familles, constituent le casuel. 

Les marabouts {marabethin dévoués) ne font pas partie de 
la hiérarchie sacerdotale des musulmans. Us sont à la fois er- 
mites et religieux, n'ont d'autre caractère 1^ que celui que 



ÂL6ËRIE. I6S 

leur prête Topinion, et exercent une grande influence mir les 
populations des campagnes où il n'y a ni mosquées ni imans. 

Nul n'a pour la justice autant de vénération qu'un musul- 
man. Les décrets rendus en son nom sont pour lui une éma- 
nation de la volonté divine, et tel est son respect pour elle, 
qu'une fois un juge librement accepté, le jugement, quel qu'il 
soit, est entendu avec résignation, exécuté avec bonne foi. 

Qiaque viUe principale avait son kadi ; quelques-unes même 
en avaient deux dont la juridiction s'étendait exclusivement 
soit sur des intérêts particuliers, soit en général sur les fidèles 
des deux rites particuliers qui divisaient Jes Turcs et les Ara- 
hes (1). Chaque outhan (district) avait son kadi : le scheik 
était juge dans la tribu. Dans l'ordre hiérarchique les kadis 
n'étaient pas égaux entr'eux, quoiqu'ils ne relevassent pas les 
uns des autres. Dans les discussions importantes où leur saga- 
cité naturelle et leur science d'interprétation de la loi étaient en 
défaut, ils recouraient aux lumières des kadis du degré plus 



Le C!oran qui, dans son ensemble, règle à la fois la vie do-* 
mestique, civile et religieuse, est le seul code des Musulmans. 
Les traditions authentiques, les interprétations et les commen- 
taires admis des passages du Coran, forment une législation 
ample , uniforme, où le droit est précisé avec clarté et ne dé- 
pend pas du plus ou moins d'astucieuse finesse d'un avoué, dtf 
plus ou moins de talent d'un avocat. 



(I) Deux grandes sectes partagent llsltmlsme : les Sonnitn qui, ne reeoD 
missint à Ali d'autres droits que Vélection que firent de lui les coni|iignons 
éfi llaliomel, admettent rautorité des trois premiers kalifes Abon-Bedir, 
Omar et Osman ; les Sehyytes qui n'admettent que rautorité légitime d*Ali. La 
doctrine sonnite se divise elle-même en quatre rites tous orthodoxes : Yhana» 
ètte suivi en Egypte, le ehafeiu dominant à Bagdad, et enfin Yhanifite et le 
maUkUê qui ont prévalu en Afrique. Les Turcs y suivaient le rite hanifiu^ les 
Arabes le rite malekUe. Ces divers rites ne diffèrent que sur des points peu 
im|tortants : leurs différences portent sur des interprétations du Livre de la 
Loi et sur les gestes qui doivent accompagner la prière. Les uns, les Haie* 
Utes, prient en portant leurs mains ouvertes aux deux côtés de la tète; tas 
autres, les Hanifites, croisent, en priant, lears mains sur leur poitrine. Ces 
rites ODt pris leurs noms des imans qui leur ont donné naissance : flanabi 
aMM,Ilaoifletlla]ek 



166 ALGÉRIE. 

Ces deux fléaux delà drilisation européenne, les àtouéi et 
les ayocats, sont inconnus à la cWilisation musulmane. Les 
kadis dont la compétence s'étend sur toutes les matières civi- 
les ou criminelles prononcent sur la simple audition des par- 
ties. Le lieu ou se rend la justice est à peine assez grand pour 
contenir le juge et les parties :.les curieux et les plaideurs 
qui attendent leur tour restent à la porte. Deux espèces d'huis- 
siers, armés de bâtons, se tiennent sur le seuil pour faire sortir 
ceux dontl'affaire est vidée et en introduire d'autre^. Là, poiftt 
de paperasses, point de subtilités, point de lois dont on tortufte 
le sens ou dont on fausse l'esprit, point de témoins surtout^ 
mais le fait, le fait seul : les parties l'exposent ellés-mèiâeé; 
le bon sens et l'équité du juge font le reste. Leurs jugemeots 
sont généralement plus équitables que les nôtres. 

D'après les idées musuknanes, h justice étant fetidue flcfh 
pas au nom du prince, mais au nom de Dieu, la juridiction Mi 
kadis peut s'étendre au-delà du territoire pour lequel il a 6tt 
institué. Des plaideurs peuvent soumettre leurs différends à Uft 
kadi de leur choix parce qu'il n'y a d'étranger, pour un musul- 
man, que celui qui ne professe pas l'klamisme, et que UfÊt 
organe delà parole formulée dans le Coran a le droit de rendre 
la justice à tout croyant. 

Les jugements des kadis étaient susceptibles d'appel, dMI 
le cas seulement de sentence inique manifestement contrain 
à la loi. Il y avait deux recours, un tribunal supérieur noitMné 
Medjelis et le Dey. Si le recours ou la plainte étaient accueillis, 
le jugement était annulé : dans le cas contraire, l'appelant re- 
cevait presque toujours la bastonnade. Le jtrgè, conyaiAcu di 
prévarication, avait la tête tranchée. Un kadi pouvait pi^)nbd- 
cer la peine capitale pour meurtre, vol par eàraction, et queW 
quefois même pour vol simple : mais l'exécution ne pouvidl 
avoir lieu qu'avec l'approbation du Dey. 

Au culte, à la justice, dont le collège des (Jlemas avait le mo« 
nopole, il faut jmndre encore l'éducation. Les premiers kalifeé 
ayant été à la fois pontifes, juges et docteurs de la loi, n'a^ 
vaient pu continuer à exercer ces prérogatives dans la vaste 
étendue d^un empire qui s'accrut avec une prodigieuse rapî» 



ALGÉRIE. 167 

ffitè. Us toôiflftiëf^nt alors des délégués qni^ à leur exempte^ 
réunirent, le ^Itiè qtt'ib purent, le pouvoir temporel au pou*» 
Tôir «pirititri. Aux fonctions sacerdotales ib joignirent celles 
dé la justice et de Téducation; 

Cette demièt«, cependatat, est généralement fort négligée^ 
En Algérie tomme dans presipie tous les pays musulmans, 
c'était dei muAzittt qui tenaient ordinairement les écoles 
pressé toujours cotitigûes aul niosqp4es« Le Coran renfer» 
iaant, d'api^ eux, tout ce qu'un croyant doit connaître, était 
le MttI livre nais mtt*e les mains des élèves. Lire atee fitdliti 
dUis lé Coran^ esi traiîMdre les passages, en réciter les sen*» 
tMi£M p^ tCBVLTy c'était le nec ptns nlim de la sdenee mosuW 
tnane. Petii d'entre les élèVes y atteignaient. Dans ces écoles 
ilè étaient dÎTisés par groupes, selon les divers degrés de sa** 
toir : diâqtie groupé aVait son moniteur : chaque élève une 
tlWétte sut laquelle étaient écrits dès lettres, des mots oh des 
setitëtteëft. Un des élèves rédtait d'Abord ce qui était écrit sur 
sa tablette, les autres rataient ; quatid la leçon était sue, oïl 
refhçait sur les tablettes et on la remplaçait par une autre. 
Cette méthode est presque entièfèment semblable, dans sft 
foMië, à telle dé renseignement diiftueL U est inutile de dire 
^é ttè b'èst pas à tiom que les Musulmans Tout empnuitée. 

Dans ces écdes, tt ^'existait aucune espèce de distinction { 
à côté du fils de l'artisan était le fils du kadi. Elles s'éloignairat 
peu de ce qui est usité dans les écoles d'Europe, excepté néan- 
moins pour les distributions des prix. Au lieu de livres et 
de couronnes, on donnait des habits neufs aux écoUers qui 
avaient fait preuve, pendant Tannée, d'aptitude ou d'ap- 
plication. Ceux qui n'avaient pas eu part à cette gratifica^- 
tion étaient tenus de porter leurs vêtements vieux pendant 
toute l'année suivante, traînant ainsi partout avec eux un di- 
plôme de paresse ou d'incapacité. Disons en passant qu'il y a 
dans ce mode de récompense une pensée d'émulation et d'é-* 
^ité dont ne s'accommoderait peut-être pas notre gloriole 
"mûteuse, mais qui vaut mieux, à coup sûr, que ces couronnes 
de lauri^ dont on ceint, dans nos écoles, le front de nos mar- 
mots Cet usage généralement pratiqué dans toutes les grandes 



i68 ALGÉRIE* 

i^iUes de la Turquie et de TEgypte, ne Tétait, à Alger, que dans 
une seule école assez riche pour pouvoir en faire les frais. 

Telles étaient, en résumé, les institutions civiles et politi- 
ques de la Régence, lorsque l'expédition de 1830, en abattant 
la domination turque vint ouvrir à la civilisation et au com- 
merce une de ces voies immenses fermée depuis des siècles^ et 
oii Tune et l'autre avaient pu se développer jadis avec autant 
de gloire que de splendeur. La France domina l'Afrique à scm 
tour : elle planta son drapeau là où Carthage et Rome avaient 
planté le leur. Accepter un si noble héritage, c'était vouloir 
s'en rendre digne. La tâche de la France est grande, sans dou- 
te, mais sa puissance est grande aussi, et il est digne d'elle de 
mettre au service d'un peuple abruti, ces idées généreuses, ces 
grands principes d'humanité, cette activité intellectuelle et 
physique qu'eUe avait mis, il y a un demi-fiiède à peine, an 
service des peuples opprimés. Ce qu'elle a &it pour la déjU- 
vrance des uns, elle peut et doit le &ire pour la rénovation 06 
l'autre. S'il y a de la gloire à ouvrir aux peuples les voies de la 
liberté, il y en a aussi à les appeler aux bienfaits de la civilisa- 
^on. Les drapeaux de la France ont porté des idées de liberté 
dans assez de contrées abruties sous le joug du despotisme 
pour qu'il soit permis d'espérer qu'ils laisseront des germes de 
régénération parmi les populations engourdies par un fana- 
' isme inintelligent. 



PÉRIODE FRAIÇAISE. 



CHAPITBE I- 



Andens établissements de la France en Algérie. — Hasseia-IPacha. — Cause 
des dissensions entre la France et le Dey. — Le consul Deval. — Ultimatiun 
de la France. — Blocus d'Alger. — Entrevue d'Hussein et de M. de la Bre- 
ionnière. — Les forts d'Alger tirent sur le vaisseau parlementaire. — L'ex- 
pédition est résolue. — Motifs de cette résolution; — M. de Bourmont est 
nommé commandant en cbef. — Effet de cette expédition dans les cours 
étrangères.— Préparatifs de l'expédition. — Embarquement des troupes. — 
Matériel de l'armée expéditionnaire. — Lea vents contraires relardent l'ap- 
pareillage de la flotte. 



Depuis plusieurs siècles, Texistence des puissances Barbares- 
quesétaity comme on a pu le voir, un motif de honte pour 
rÇurope. Des nations qui se disaient grandes et qui Tétaient 
en effet, s'étaient abai^es jusqu^à acheter à prix d'argent la 
liberté de naviguer dans la Méditerranée. L'insulte, le pillage, 
Tesclavage, étaient le lot des sujets de celles qui reûisaient 
d'acquitter un tribu si honteux. L'humanité, la justice, au- 
raient dû impérieusement commander de briser en commun 
cette monstrueuse association de forbans, qui maintenaient 
insolemment de si dures et de si ignominieuses conditions $ 
mais dans le code des gouYemements, T humanité et la justice 
ne passent qu'après la politique et l'intérêt. Aussi, plutÂt qu^ 
de voir une puissance maîtresse de quelques Ueuetule c6te8 



f70 ALGÉRIE. 

de plus sur la Méditerranée, toutes souffraient que la plupart 
de leurs sujets expirassent d'angoisse et de misère dans les ba- 
gnes des États Barbaresques. Il est vrai que, dans ce cas, ce 
n'était que du sang de peuplç qui coulait, et c'est, de nos jours 
encore, si peu de choses aux yeux des gouvernants. Quoi qu'Q 
en soit, la France fit seule ce que tontes auraient dû faire; 
mais hàtons-nous de dire qu'il Mut pour cela un ensemble de 
circonstances, qui rend très contestable le mérite de l'entre* 
prise : ce qui, du reste, n'ôte rien à la gloire. 

Nous entrerons dans quelques détails sur les causes qui ont 
motivé cette expédition, d'abord parce qu'elles se lient entiè- 
rement à notre sujet, eâsuite parce qu'elles nous fourniront 
l'occasion de faire saillir un point fort connu, mais trop rare- 
ment mis en relief, la morale de la politique. 

On â vu comment, par des traités des années 1518, i69f » 
1694 et 1801 avec divers sultans, la France avait été en droit 
d'entretenir des établissements sur la côte septentrionale de 
l'Afrique. Ce droit avait été primitivement acheté des Arabes. 
Les compagnies qui avaient exploité les concessions d'Afri^e 
avaient réalisé de grands bénéfices. Mais durant la longue 
lutte de la France contre l'Angleterre, ce commaxe avait été 
languissant et presque nul. Après diverses alternatives, pen- 
dant lesquelles il ne put jamais atteindre un état florissant, les 
intrigues de l'Angleterre réussirent à l'annuler. Ea^ 1806 la 
pèche du corail^ qui était un des produite principaux de cette 
partie de là côte d'Afrique, fut donnée exclusivement à I'Aja- 
gleterre. 

Le traité du 26 août. 1817, en remit la France en posses- 
sion, moyennant une redevance consentie de 60,000 franes 
par an, qui fut portée en 1820 à 200,000 fr. 

Le payement annuel d'une somme aussi considérable dimi- 
nuait déjà beaucoup les avantages que la France retirait de ses 
établissements (sur la côte d'Afrique. Ne pouvant pourvoir à 
leur entretien par leurs propres ressources, ces établissements 
ne purent se relever, et il parait même qu'à cette époque, le 
Dey manifesta l'intention d'en exclure la France aussitôt que 
les «ilwpstftBces le toi Dermettraîea^ 



ALGËfOÊ. itl 

Ces établissements étaient dans une situation déplorable : 
lés forts en étaient ruinés, lesmagasins et les édifices dégradés; 
les naturels du pays pénétraient librement dans les possessions 
françaises, y commettaient mille désordres et s'y étaient même 
rendus coupables de plusieurs assassinats. Il devenait urgent 
d'assurer une protection efficace aux sujets français et étran- 
gers qui résidaient sur ces côtes, ou qui venaient y pécher et 
trafiquer. En i 825, le gouvernement français ordonnaau vice- 
consul de Bone d'armer quelques corailleurs et de mettre des 
canons au poste du Moulin et à l'entrée dé la Galle. Ces dispo- 
sitions étaient formellement autorisées par les anciens traités 
en vigueur. Le Dey, sans refuser positivement le droit d'armer 
ces établissements comme par le passé , envoya deux inspec- 
teurs examiner lés faibles réparations qui y avaient été faites, 
et fit insinuer qu'il ne verrait pas avec plaisir poursuivre ces 
travaux. 

Hussein-Pacha, était alors dey d'Alger. Ce n'était pas un 
homme ordinaire. Il s'était élevé à ce poste éminènt après 
avoir passé par leâ emplois les plus subalternes , et avoir dé- 
ployé partout une habileté et une capacité peu communes. Il 
était hé dans une petite villedel'Âsie-Mineureen 1770. Enrôlé 
d'abord dans le corps des Topjïs, ou canonniers dû sultan à 
Constantinople, il parvint bientôt à un gradé élevé dans cette 
arme. Maiss'étant attiré un châtiment pour une violation de 
discipline militaire, il partit secrètement pour Alger, oiiil s'en- 
rôla dans les janissaires, qui, par un privilège paHiËuUer à 
cette milice, étaient à l'abri de toute justice turque. Son acti- 
vité, son aptitude ne tardèrent pasà se révéler dans cette nou- 
velle situation, et il fut successivement appelé aux fônctionsde 
secrétaire de la Régence, de grand écuyer (mir^khor\ de mi- 
nistre des propriétés nationales {kodja^l-^yjj de membre du 
divan, et enfin Ali-Pacha, dey d'Alger, le nomma à sa mort 
son succesf^eur, comme le, seul homme de la Régence digne de 
lui succéder. Le divan ratifia les dernières volontés d'Ali. C'é- 
tait en 1&27. Hussein hésita d^abord,mais il accepta ensuite. 
Voici If^ motifs de son acceptation qu'il racontait lui-même , 
Après 6^ chute, à un oersonnàçe èmitïéht qui lui dëmSIiftidtÛ 



I7f ALGÉRIE. 

en acceptant le pachalick, il n'a\ait pas redouté le sort de ces 
prédécesseurs qui étaient presque tous morts assassinés par les 
janissaires, a Si j'avais refusé, disait-il, il y allait de ma vie : 
a d'une part, ceux des membres du divan dont le choix était 
<t tombé sur moi, ne m'auraient jamais pardonné ce mépris 
a que je semblais faire de leur vote qui avait trompé de hautes 
a espérances, et avait dû leur donner pour ennemis tous les 
a prétendants sur lesquels je l'avais emporté. D'autre part, 
<x l'un de ces prétendants arrivé au trône, aurait bien pu se 
a passer d'uti homme désigné par le testament du pacha et 
<t confirmé dey par le divan. Je pouvais donc devenir dange- 
a reux au. dey ; j'étais ensuite la seule garantie de ceux qui 
<t m'avaient choisi : force me fut d'accepter. » 

Hussein déploya dans ce poste éminent de grandes qualités 
gouvernementales. Il se distingua même par un caractère de 
justice peu commun parmi les deys d'Âlgcr. Mais il eut peu de 
sympathie pour la France. Il est juste de dire que son res- 
sentiment fut principalement aUmcnté par une affaire parti- 
culière qui malheureusement ne présente pas, du côté de la 
France, toute la loyauté et la bonne foi dont le gouvernement 
d'une grande nation devrait toujours donner l'exemple. Voici 
les faits : 

Deux négociants algériens, Bacri et Busnach, banquiers de 
la Régence, avaient fait des fournitures considérables au 
g uvernement français, de 1793 à 1798, pour nos armées en 
Italie et pour l'expédition d'Egypte. Des payements avaient 
été faits par le gouvernement au fur et à mesure des consigna- 
tions ; mais plusieurs chargements de blé ayant été ensuite 
trouvés avariés, et d'autres fraudes reconnues, les payements 
furent suspendus et les demandes de ces fournisseurs con- 
testées. Le dey d'Alger réclama longtemps pour ce même 
objet, en faisant connaître qu'il était propriétaire d'une partie 
de ces approvisionnements qui provenaient des magasins de 
la Régence et des impôts qu'on lui paye ainsi en nature. La 
créance en litige était de 14 millions. 
Pendant près de vingt ans, ces réclamations furent coo- 
Mais enfin, en J 81 5, dès l'arrivée du consul Deval i 



ALdËRIB. 173 

ATger; ùù pressa vivement le payement de cette dette. En 
1816, ce consul promit de faire acquitter cette créance ; en 
1819, le roi nomma un commissaire pour la liquider et l'ac- 
quitter définitivement. Contre l'ordinaire des commissions , 
celle-ci y mit un tel empressement qu'en quelques mois on 
termina une afiEaire en litige depuis vingt-cinq ans. Le 
2i juin 1820, le ministre des affaires étrangères vint proposer 
aux Chambres, au nom du roi, un projet de loi pour accorder 
sept millions en numéraire applicables au payement de cette 
ancienne créance algérienne. Par une loi du 24 juillet de la 
même année, ce crédit fut alloué par les Chambres. Sur le rap« 
port du ministre des affaires étrangères, deux conseillers 
d'état avaient été déjà nommés avec la mission de négocier et 
de conclure un arrangement définitif avec MM. Bacri et Bus- 
pach. Un fondé de pouvoirs avait été délégué par ces derniers, 
et le 28 octobre 1819, il avait éte conclu un arrangement à 
forfait qui, par une transaction, mettait un terme aux récla- 
mations des négociants algériens. 

' L'intention probable des conseillers d'état avait sans doute 
été de terminer une'affaire si ancienne et de garantir les inté- 
rêts des tiers de bonne foi ; mais ils écartèrent tout-à-fait la 
question politique qui était la principale, et ce fut là, pour ne 
pas dire plus, une faute grave qui devint la principale cause 
de la guerre. 

Cette transaction était rédigée en huit articles. Dans les trois 
premiers et le dernier qui fixaient la somme à payer, le mode, 
le terme du payement et l'approbation exigée du roi de France 
et du Dey, était renfermée et remplie la mission spéciale des 
conseillers d'état. Mais par d'autres articles intermédiaires et 
en-dehors de leur mandat, ils prirent des mesures conserva-; 
toires pour garantir des créances cédées à divers par le pro- 
cureur fondé de MM. Busnach et Bacri, pour réintégrer une 
0omme prise à la chancellerie de France en 1810 et pour des 
indemnités allouées au comptoir des concessions d'Afrique à 
l'occasion de la guerre de 1798. Le ministre des affaires étran- 
gères fit plus encore. Après avoir allégué aux Chambres pout 
obtenir ce sacrifice que son principal motif ét^it l'ei^tioa 



174 ALCBÉB. 

d'un traité ou plutAt cl'uno mesure reifttive à pn tfait^» UpW)^ 
voqua, sur le rapport de» deux cooaeiUerB ii'^tftt, Iç 8^9ltrV 
de la somme allouée, eu omettant de garantir, eq premier; 
lieu, les intérêts du Dey et de la Régence d'Alger qui, p«f 
toutes les pièces officielles dès l'origipe, i709, (802, s'était 
&it reconnaître au gouvernement français eopim§ cr^cier 
de MM. Bacri et Busnach pour l'objet desapprovisÎQnnemeDtB 
qui provenaient principalement de ses domaines. 

Dans de telles circonstances, cette affaire commençait ^ 
prendre un de ces caractères frauduleux qu*oq ne saurait trop 
énergiquement flétrir. Or voici ce qui arriva. I^e Dey, igno- 
rant nos usages, nos lois, nos formes de liquidation, ratifia sans 
difficulté le projet de transaction qui lui fut envoyé. Plein d§ 
eonfianoe dans les promesses qui lui avaient été faites et quç 
le consul Deval renouvela pour obtenir cette ratification, || 
signa avec d'autant plus de bonne foi que cet acte ne pouv^i| 
plus être considéré comme un acte financier, puisque la créanpf 
ayant été réduite de moitié, il n'eût été qu'une injustice criante. 
Le Dey ne dut alors y voir qu'un acte politique, uniquement 
politique, présenté par le ministère politique et entièrement 
fait à sa considération. 

Mais en vertu de l'article 4 qui avait ordonné au trésor de 
retenir les sommos dues aux créanciers cessionnaii^es jusqu'à 
pleine satisfaction, ces créanciers plus ou moins sérieux firent 
valoir leurs droits et obtinrent des jugements pour deux mil- 
lions cinq cent mille francs. Des créanciers personnels aux fa- 
milles Bacri et Busnach absorbèrent le reste de la liquidation 
par le même moyen, et le Dey se trouva frustré de la part qui 
devait lui revenir de droit au partage des sept millions, somme 
à laquelle avait été arrêtée la créance algérienne. Ainsi cette 
transaction, qu'on n'avait faite que pour le Dey, présenta, ea 
résultat, la singularité que le seul créancier, en faveur duquial 
on avait reconnu la créance^ était le seul qui n en reçût aucimt 
part. 

Dès que le Dey apprit ce qui s'était passé , son premier çr| 
au ministère français fut que le consul Deval l'avait trompé e| 
atait gagné une sonune considérable. Il priait le gouv^rnff^i 



ment dtfayjftelèr m «MUiil qu'il ne pouvait plut ^eir deiyant 
ses yeui^ d^examiner sa conduite, ainsi que celle dçs procu- 
nurs Iqndés, et surtout de B^fî et Qusuaob, ^ sujets, qui 
étaient à Paris. D demandait en outre qu'on }ui çn^Qf M ^ ^- 
ger ces deux sujets eoupahles qui, d'^çMrd ^wç Dçif^ et 
d'aiitres personnes, s'étaient partagés les sept millions. 

dette réclamation était juste, et, ce qu'on aura peine à 
crmre, c'est qu'il fût répondu par le ministère que la conduite 
du consul était régulière, qu'il n'avait 9gi que dans leç termes 
de la transaction et que le gouvernement français en avait 
rempli fidèlement les conditions en payant les sept millions 
convenus. Quant au fondé de pouvoirs, il fut répondu au Dey 
qu'il était sujet français, que Busnaeb s'était f étiré è^ Livourqe 
et que Bacri s'était fait naturaliser Français. M. le twon dç 
Damas était alors ministre des affaires étrangères. 

À cette réponse le ressentiment du Dey lut ai foj\ comble \ 
mais l'œuvre' était consommée et le ininistère français avait 
nécessairement ou à le satisfaire, ou à le provoquer pour Iç 
mettre dans son tort, et d'une manière ou d'autre à étouffer 
cette ignoble et scandaleuse affaire* 

On prit ce dernier parti. Les redevances des concession; 
d'Afrique qui, par les anciens traités, étaient fixées à dij^r-sept 
mille frdncs et qui avaient été successivement élevéesà la soiqmç 
de soixante mille francs, maintenues par le traité de 1817| 
flirent portées à deux cent mille francs par un nouveau trait^ 
du 24 juillet 1820, On crut pari à calmer le Dey en lui faisant 
assurer par la France une rente annuelle aussi considérable 
qui devait lui tenir lieu du capital dont on l'avait frustré. 

Ainsi, jusque là, pour faciliter les dilapidations de quelques 
intrigants, on avait d'abord imposé à la France une sommç 
de sept millions ; pour couvrir ces dilapidations on lui impo* 
sait ensuite un nouveau sacrifice de cent quarante mille franq 
par an : c'était de l'ancien régime tout pur ; la restauration 
se montrait fidèle à ses antécédents. 

Cette incomplète satisfaction ne put calmer le Dey. On lui 
dit alors que le retard pendant près de quinzemois, de la coo 
fwsioii des rentes au trésor, avait donné lieu à uM ladâByiôM 



«70 ALGtmB» 

en (hveur de Bacri, et qu'on lui destinait le millioii que c la 
devait produire. Une correspondance 8'établit à ce sujet ; mais 
ede'ft'eut et ne pouvait avoir aucun résultat, parce quie les 
oppositions avaient empêché le trésor de se dessaisir. 

I<rq[yânt reçu à toutes ses plaintes que des réponses évasivea^ 
le D^y prit le parti d'écrire directement au roi de France, par 
Tintermédiaire du consul de Sardaigne. Il eut la certitude que 
sa lettre avait été remise; cependant plus de trois mois se)[Ni9* 
sèrent sans répoq^, et c*est dans le moment où il ressentait le 
plus vivement ce dernier outrage, qu'eut lieu la scène qjii 
amena sa chute. Vcuci à ce sujet les propres paroles d'Husseiq, 
telles qu'elles ont été recueillies lors de son passage à Paris^ 
en 1 831 . Un témoin digne de foi a bien voulu nous les com- 
muniquer : 

a Deval, ditril, s'était bien mis dans mon esprit ; il était 
« adroit, insinuant, je ne me défiais point de lui : il était gai 
« et me plaisait pour cela; je crus à la sincénté de son afTec* 
« tion pour moi. Il devint très familier, parce que je le tiai- 
« tais en ami ; et j'ai su depuis par quelques uns de mes ofifi- 
« ciers, qu'on disait généralement au serai, qu'une pareille 
« intimité avec un homme de son espèce ne pouvait manquer 
c d'avoir une mauvaise conclusion. Vers la fin du Rhamadan , 
« Deval, que je ne pouvais plus voir alors devant mes yeux^ 
« par suite de sa conduite dans l'affaire des sept milhons» 
« vint me faire la visite officielle d'usage avec les autres con- 
« suis. C'était le 30 avril 1827 : ses premiers mots furent pour 
<t intervenir et prendre sous sa protection un bâtiment romain 
a qui se trouvait alors dans le port. — Comment^ lui dis-je^ 
a lu viens toujours me tourmenter pour des objets qui ne te- 
<t gardent pas la France^ et ton roi ne daigne pas répondre à 
a la lettre que je lui ai écrite pour ce qui me regarde?.. Il me ^ 
« répondit, (le croiriez-vousî) —rie roî,manmaî/r^, a A/ejt 
a autre chose à faire que d'écrire à un homme comme toi. 
« Cette réponse grossière me surprit; rien ne donne le droit 
«i d'être impoli : j'étais un vieillard qu'on devait respecter et 
« puis j'étais Dey ! Je fis observer à Deval qu'il s'oubliait éti an- 
« gement; il continua à me tenir des proj[)os durs et m^^éaJBti»* 



ALGËIUB. 177 

M Je tmIÎis lui imposer silence, D persista. — Sot% , matheu^ 
€ reux! luji dis-je alors. Deval ne Bougea pas ; il me brava en 
c restant, et <e fut au point que, hors de moi, je lui donnai^ 
« en signe de mépris, de mon chasse-mouche au visage. Voilà 
« Toacte vérité. Il existe beaucoup de témoins de cette scène, 
a qui pourront dire jusqu'à quel point je fijs provoqué, et ce 
« qu'il me fallut de patience pour supporter toutes les invec- 
a ifves de ce consul qui déshonorait ainsi le pays qu'il repré* 
« sentait, b 

Ce récit ne s'accorde pas entièrement, comme on le pense 
bien, avec celui de la chancellerie, mais nous en garantissons 
Fftuthenticité. 

QuoiiquHl en soit, la France prit parti pour son représen- 
tant. Dans les premiers jours de juin , une division navale 
commandée par le capitaine Collet, partit de Toulon poui 
aller venger l'insulte faite à la nationalité française. La division 
se composait de treize bâtiments : le vaisseau le Diadème, les 
frégates V Aurore, la Cybille, la Vestale, la Marie-Thérèse, la 
Constance; les bricks le Faune, le Cuirassier, Y Adonis; le& 
goélettes YÉtincelleM Torche^ VAlsacienney et enfin lagabarre 
le Volcan. 

Le 11 juin 1827, toute la division fut en vue d'Alger. Le 
même jour la goélette la Torche parut dans la rade et remit 
des dépèches au consul Deval, qui se rendit aussitôt à Bord et 
ne descendit plus à terre. En même temps, une proclamation 
enjoignit à tous les Français résidant à Alger, de quitter cette 
ville et de s^embarquer : ce qui fut exécuté malgré les protes- 
tations du Dey, qui leur garantissait sécurité et protection, en 
déclarant que ses discussions avec M. Deval étaient purement 
personnelles et qu'il n'avait jamais eu l'intention d'insulter la 
France et de se mettre en guerre avec elle. 

Le commandant Collet, qui montait le vaisseau la Provence^ 
fit alors connaître au Dey, par l'intermédiaire du consul de 
Sardaigne, l'ultimatum de la France : il devait être accepté 
mofu» vingt-quatre heures : dans le cas contraire, le blocus e|t 
la guerre étaient déclarés. Voici les conditions de cet ultimei^ 
tum. 

T.u 12 



m ALGËRIE. 

i* Tous les grands du royaume, à rexception ||iD^9 se 
rendront à bord du commandant pour faice, au nom de oe 
prince, des excuses au consul de France. 

2* À un signal convenu, le palais du Dey et tous les forts 
devront arborer le pavillon français, pour le saluer de cent un 
coups de canon •, 

3^ tous les objets de toute nature, propriété française, et 
embarqués sur les navires ennemis de la Régence, ne pourront 
être saisis. 

4*" Les bâtiments portant pavillon français ne pourront plus 
âlre visités par les corsaires d'Alger. 

5* Le Dey, par un article spécial, ordonnera, dans te 
royaume d'Alger, l'exécution des capitulations entre là France 
et la Porte-Ottomane. 

G"" Les sujets et les navires des états de la Toscane, de Luc- 
ques, de Piombino et du Saint-Siège, seront regardés et traités 
comme les propres sujets du roi de France. 

Ces conditions étaient d'autant plus dures et humiliantes, 
qu'elles accordaient en apparence, une satisfaction éclatante 
à l'homme, qu'à tort ou à raison, le Dey considérait comme 
le principal instigateur de la frauduleuse spoliation dont il 
avait été victime. Hussein, dans cette circonstance, préoccupé 
avant tout de l'affaire des sept millions qui était la cause uni- 
que de ces dissensions et du rôle qu'il y attribuait au consul, ne 
saisissait pas la corrélation qui existait entre un consul, quel- 
qu'indigne qu'il puisse être, en thèse générale, de ce caractère, 
et la nationalité du pays qu'il représente ; il rejeta les condi- 
tions imposées. Le blocus du port d'Alger et des côtes de la 
Régence fut déclaré. Le Dey, de son côté, ordonna la destruc- 
tion immédiate de tous les établissements français sur la côte 
d'Afrique, et, le 1 8 juin, le fort de la Calie fut incendié et ruiné 
de fond en comble. 

Deux années de blocus ne produisirent qu'un résultat très 
contestable. Malgré l'intrépidité des marins français qui sup- 
portaient avec courage les souffrances d'une croisière très pé- 
U qui^&vaient à redouter les rescifs de la côte, à lutter 
«mnites et les maladies, les Algériens souffraient 



ALGÉRIE. 170 

peu d'un UwDS qui coiltait à la France sept millions par an. 
On ne farda pas à reconnaître l'inefficacité de ce système de 
TéprMÎon. 

L*annëe 1828 et les premiers mois de 1829 se passèrent eji 
conférences entre le Dey et des négociateurs français. L'état 
de choses existant était préjudiciable aux deux partis et ne pa- 
raissait pas devoir amener de solution. Le commandant Collet, 
'2>rofDu au grade de contre-amiral, avait été remplacé par le 
crapitaine de vaisseau de la Brctonnière, qui avait, en outre, 
^té chargé de faire une dernière démarche vis-à-vis du Dey. 
X lui fit demander une entrevue, et le 30 juillet 1829, il 
mouilla en parlementaire dans la rade d'Alger avec le vaisseau 
la Provence, qu'il commandait, et le brick V Alerte. L'entrevue 
ittt fixée au lendemain. 

En attendant d'être introduit devant le Dey, M. de la Bre- 
ionnière se reposa dans la salle de la cour du divan avec sa 
suite, composée du capitaine de frégate Andréa de Narciat, 
d'une garde d'honneur, de son secrétaire et d'un interprète : 
le consul de Sardaigne et le drogman du Dey étaient présents. 
La salle où ils se trouvaient était d'une architecture fort re- 
marquable : c'était une grande pièce entourée d'une galerie 
supportée par de colonnes cannelées ou à hélices. Dans une 
travée du bas, derrière une balustrade, siégeaient ordinaire- 
mentles officiers du Dey, chargés de rendre la justice. Le Dey 
ne présidait pas cette cour; mais invisible et présent, suivant 
une coutume que les vices-rois des Régences tenaient des sul- 
tans, il assistait aux discussions et aux délibérations dans une 
tribune placée au premier étage et masquée par des rideaux 
de damas/ Toutes les colonnes étaient en marbre d'Italie, mais 
leur destinée était de devenir de jeunes ruines. En effet, cette 
salle avait été décorée par le prédécesseur d'Hussein-Dey, et le 
duc de Rovigo, sous son gouvernement, engagea toutes les co- 
lonnes dans un mur qui remplissait tous les cintres. Pour la 
plus grande propreté du travail, le mortier combla les cannelu- 
res droites ou tournantes et tout ce qui dépassait le mur dans 
les rinceaux des chapiteaux fut mutilé, aplati ou nivelé. Cette 
cour était le seul morceau d'art de la Casbah. 



iStf AtGËRIE. 

Dès qu'il (ut prévenu de rarrivée du parlementaire, le Dey 
le fit introduire avec sa suite. 11 le reçut assis sur «oiitrône et 
entouré de ses grands officiers. La conférence dura trois l^u« 
res : on ne put parvenir à s'entendre; elle fut ajournée au 
surlendemain sans plus de succès, a — Vous êtes venu sous la 
foi du sauf conduit, vous pouvez vous retirer sous la même ga« 
rantie, dit le Dey en congédiant M. de la Bretonnière : puisque 
nous ne pouvons nous entendre, ajouta-t-il, j'ai delà poudre 
et des canons, d 

Rendu à bord, Sf. de la Bretonnière fit immédiatement ap^ 
pareiller pour sortir de la baie. La Provence portait te guidon 
(diu commandement au grand mât, le pavillon blanc à la corne 
et le pavillon parlementaire au m&t de misaine. Ici, la France 
reçut un nouvel outrage qui eut bien certainement des motifs, 
mais qui n'ont pu encore être bien généralement connus. 
Quoi qu'il en soit, le brick V Alerte prit le large sans être in- 
quiété ; mais le vaisseau la Provence j forcé par le vent, à ce 
qu'il parait, de serrer les forts, les batteries les plus voisines 
firent feu sur lui et le continuèrent jusqu'à ce qu'il se trouv&t 
hors de la portée du canon. Dix boulets l'atteignirent, mais ne 
causèrent heiu*eusement des dommages qu'à la voilure et^ au 
gréement. La Provence ne riposta pas. 

Lorsque Hussein-pacha entendit cette canonnade, il accou-» 
rut sur u;ie terrasse d'où on découvrait le môle, et dès qu'il en 
eut reconnu la cause, il entra dans une grande fureiir contre 
les officie]^ qui avaient agi sans ses ordres. Il commanda à Sidi- 
Hamdam, un de ses affidés, de courir aux batteries pour faire 
cesser ce feu, et se frappant la tête de ses mains, il disait à 
ceux qui l'entouraient : a — Malheur sur nous! quelle infâ* 
a mie ! tirer sur un bâtiment parlementaire ! mais c'est de 
a quoi faire raser des villes ! les malheureux! que le ciel les 
a protège contre ma colère ! » 

Il paraît certain en effet qu'Hussein n'avait pas donné d'or- 
dres. PomT témoigner la peine qu'il avait ressentie de la con- 
duite du commandant des forts, il le destitua ainsi que le mi- 
nistre de la marine; il fit donner la bastonnade auxcanonniers 
qui avaient servi les pièces, et fit écrire à M. de la Bretonni^r© 



ALGÉRIE. 181 

par lédrogman de la Régence pour faire agréer ses excuses et 
rinfonner du châtiment exemplaire dont il avait puni cette 
au'iacieuse violation du droit des gens. Il protestait en même 
temps du désir qu'il avait de faire la paix avec la France. 

Voici ce que disait à ce sujet le même Sidi-Hamdam, qui fut 
envoyé par Hussein pour faire cesser le feu. « — Je puis certi- 
« fier que ces malheureux coups de canon tirés sur le vaisseaji 
[ « la Provence^ Font été à l'insu d'Hussein-Dey, Mais nous di- 
j c sons en arabe : le maître est responsable des fautes de son 
« serviteur. Ainsi, pour laver cette tache qui devait lui être 
« imputée, il fallait que le pacha envoyât immédiatement 
c un ambassadeur en France pour exposer les faits, avouer 
« publiquement les forts et faire connaître la destitution du 
c ministre et la disgrâce du chef des canonniers. Cet envoyé 
« aurait dû déclarer que le Dey était persuadé que le gouver- 
« nement serait satisfait des réparations qu'il était chargé de 
« lui faire et qu'if espérait pouvoir s'entendre sur l'affaire ma- 
« jeurc que M. Deval avait compliquée en compromettant son 
« gouvernement par ses actes de corruption et en interceptant 
« les dépêches du Dey. Ce conseil ne fut pas suivi. )» 

Sidi-Hamdam disait vrai. A son passage à Paris, Hussein a 
répété à plusieurs personnes : a — De tous côtés j'ai été pressé 
« de m'accommoder avec la France ; on m'a souvent engagé à 
« envoyer un ambassadeur à Paris; je n'ai pas voulu, et c'est 
a moi à la fin qui y suis venu. Dieu l'a voulu ! » 

Du reste, eût-il suivi ce conseil, cela n'aurait rien changé 
à la détermination prise alors par le gouvernement français 
qui, dans l'ordre de certaines idées politiques qu'il tendait à 
faire prévaloir, considérait une expédition contre Alger, non 
plus comme un outrage ou des outrages nationaux à venger, 
mais comme une nécessité de position. 

En effet, M. de Polignac était chef du cabinet. Ce nom si 
tristement célèbre dans les annales de la France, pendant les 
quarante années antérieures à 1830, était la personnification 
de tout un système de réaction. La France t'avait accueilli avee 
effroi et avec une douloureuse prévision ; la cour avec joie et 
des espérances coupables^ 



182 ALGÉRIE. 

Des libertés qu'elle ne comprenait pas ou peut-être qu'elle 
ne comprenait que trop, pesaient à la dynastie encore régnante: 
ces libertés étaient la sauvegarde de tous les droits que, dans sa 
lutte des quarante dernières années, la France avait si légiti- 
mément et si noblement conquis. La cour de Charles X n'a- 
vait ni la franchise ni le courage de les attaquer et de les extor* 
^er par la force, elle eut recours à la ruse. Sous le prestige 
de la gloire dont l'Empire Tavait dotée^ la France s'était mon-* 
trée un moment oublieuse et de ces droits et de ces Ubertés. La 
Bestauration crut pouvoir arriver au même résultat par le 
mj^me moyen, mais la gloire jde FEmpire n'était guère à sa 

. Cependant, par un heureux hasarcT, la question d'Alger 
offrait dans son ensemble, la réunion de quelques unes de ces 
idées grandes et généreuses, que la France accueille toujours 
avec enthousiasme, et pour lesquelles elle s'exalte si facilement. 
En effet, aller à travers les mers venger sa nationalité outra- 
gée ; à la réparation de griefs particuliers, joindre pour but et 
pour pitx de ses efforts la destruction définitive de la piraterie, 
la cessation absolue de l'esclavage des chrétiens, l'abolition du 
tribut que les puissances payaient à des forbans, et enfin faire 
tourner sa victoire au profit de la chrétienté tout' entière, 
c'était là plus qu'il n'en fallait pour enflammer toutes les ima- 
ginations, pour faire espérer à une cour haineuse qu'au prix 
d'un peu de gloire acquise pour une cause en quelque sorte 
humanitaire, la France ferait bon marché de ses droits et de 
ses libertés. C'était vouloir exploiter d'une manière bien perfide 
les sentiments les plus nobles et les plus généreux d'un peuple; 
mais telle est la morale de là politique : ce que la Restauration 
n'aurait jamais fait pour le grand et digne motif qu'elle prenait 
pour prétexte, elle le fit pour satisiàire les rancunes d'un roi 
inepte et les passions d'avides courtisans. 

Tel fut le motif qui décida Fexpédition contre Alger. 

LaFrance ne s'y méprit pas. Elle avait tant de défiance pour 
tous les actes de la Restauration, qu'elle ne pouvait croire à rien 
'de grand de sa part. Aussi lorsqu'au commencement de 1 830 , 
les armements extraordinaires, qui se firent dans les différents 



ALGÉRIE. 183 

ports, annoncèrent une grande entreprise maritime, et que tout 
tendit à faire penser qu'elle était destinée contre Alger , le 
public accueillit cette nouvelle avec froideur. Rien cependant 
encore ne pouvait faire présager les vues coupables du gouver- 
nement, qui reculant, en quelque sorte, dès le début, devaijt 
Tacteaudacieux qu'il méditait, hésitait à donnera rexpédition 
une couleur politique prononcée, en nommant pour couh 
mandant supérieur un homme dont le nom fut, comme celui 
du chef du cabinet, la personnification d'un système. D restait 
indécis entre les lieutenants-généraux Gausel et Gérard et le 
ministre de la guerre Bourmont. Un moment mémo, ce der- 
nier futtiagué, et le général Gémrd se rendit chez le général 
Clausel et lui annonça cette nouvelle en lui disant : « Bourmont 
c est en dehors : nous restons seuls en présence. » Cet espoir 
ne se réalisa pas : M. de i>ourmont fut nommé commandant 
supérieur de l'expédition par une ordonnance du 20 avril. 
, Ce choix impopulaire laissa peu de doute sur le véritable 
motif de cette guerre. Des enfants perdus du parti réaction* 
naire, aveuglés déjà par le succès qu'ils se promettaient , se 
chargèrent de justifier les craintes de l'opinion. Us firent en- 
tendre que cette campagne était moins destinée à venger une 
insulte, qu'à enivrer la nation d'un peu de gloire et que l'ar- 
mée d'Afrique avait moins à vaincre les pirates que les électeurs 
qui recrutaient les rangs de l'opposition. A ces bruits qui pre- 
naient chaque jour plus de consistance, se joignirent ceux de 
marchés scandaleux obtenus à l'aide de pots devin de plusieurs 
millions, de gaspillages effrontés , de dilapidations impuden- 
tes. La cour se croyait déjà revenue à ce bon temps, où gorgée 
sans pudeur des trésors de l'État, elle pouvait ne voir impuné- 
ment dans le peuple, qu'une matière taillable et corvéable à 
merci. A la froideur qui avait accueilli l'expédition, succéda 
alors le mécontentement. Dans l'armée seule, les militaires 
ennuyés de leur inaction et de leur peu d'avancement, saisi- 
rent avec ardeur le moyen d'utiliser leur courageuse activité. 
Tous auraient voulu faire partie de l'expédition, noble et gé- 
néreuse émulation d'une jeune et vaillante armée, qui brûlait 
de prouver qu'elle avait hérité de la valeur des héjroiaues pha- 



184 . aIgërie. 

« 

langes de la RépQbIi(iue et de rEmpire, et^qu'au besoin , ell* 
saurait aussi hériter de leur gloire. 

L'expédition d'Alger fut diversement accueillieà rextériébr. 
Tous lescabinets de l'Europe s'y montrèrent trèsfavoraUement 
dîqiosés; un seul très éncrgiquement opposé : il est inutile de 
dite que ce fut celui de Saint-James. En effet, pendant que la 
Prusse, l'Autriche, la Russie, la Hollande, tous les petits états 
dltalie, donnaient à la France une adhésion franche et sin- 
cère, l'Angleterre essayait toutes les formes de la diplomatie 
pour empêcher cette expédition* Partout où il y a quelque 
gloire à acquérir pour la France, on peut être toujours sûr de 
Poppositicn de l'Angletei^e. Dans cette circonstance, son am- 
bassadeur, lord Stùart, recourut successivement aux instances, 
aux plaintes, aux menace^ même ; mais le ministère français 
donna un exemple defeUnetéqui n'a pas toujours été imité 
depuis. Il persista dans sa résolution. 

Les préparatifs se firent même laidement avec une sorte de 
proiusion, et il ne fut rien omis de tout ce qui pouvait concourir 
à la sécurité et au succès de l'entreprise. 

Cent trois bâtiments de guerre de toute force et de toute 
grandeur devaient jeter quarante mille hommes sur la côte 
d'Afrique. La plus grande activité régnait dans les ports de 
Toulon, Brest, Rochefort, Cherbourg, Rayonne et l'Orient. 
Dès les premiers jours d'avril, Içs régiments destinés à l'expé- 
dition étaient successivement arrivés à Toulon et dans ses en-» 
virons. Peu à peu, les bâtiments y arrivèrent aussi de tous cô- 
tés; le meilleur esprit militaire animait les troupes de terre ; 
les équipages des vaisseaux rivalisaient de zèle et d'activité 
pour concourir dignement à cette formidable expédition. 

En attendant le départ, les troupes s'exerçaient aux manœu- 
vres nouvelles que pouvait nécessiter l'espèce d'ennemis qu'elles 
allaient avoir en présence. La formation rapide des carrés 
qui , lors de l'expédition d'Egypte, avaient eu de si heureux 
résultats pour briser le choc de la cavalerie arabe, était l'objet 
d'un exercice tout particulier : il faut y ajouter, de la part de 
la compagnie des sapeurs du génie, les exercices de lances 
dont le double rang parut propre à opposer un obstacle piÇôque 



ÂLGËMS; 185 

inyincible à la CdTàlerie. On essayait de nouvelles fusées à la 
Congrève; on avait préparé des appareils d'arcostats et de 
gymnastique; des fanaux à courant d'air et à réflecteur, té- 
l^raphes de jour et de nuit, destinés à établir de promptes et 
feciles communications entre les corps aussi bien qu'entre la 
(lotte et l'armée. 

Le commandant en cbef, de Bourmont, suivi de son étl(t 
m^or et de trois de ses fils, arriva à Toulon' dans la soirée 
du 27 avril. Il avait reçu sur sa route un accueil glacial et avait 
pu lire partout les tristes prévisions des esprits, non pas qu'on 
doutât de la gloire qu'allait acquérir l'armée, mais parce qu'T>n 
savait déjà l'abus que le gouvernement se proposait d'en faire. 
Le 29, arriva le duc d'Angoulêmc; dans les premiers jours 
de mai, il passa l'armée eu revue, et fit simuler un débar- 
quement tel qu'on avait le projet de [l'exécuter sur la côte 
d'Afrique. 

Cinq bateaux plats s'approchèrent de la côte; dans le pre- 
mier étaient deux pièces de campagne sur leurs affûts avec 
leurs avant-trains et caissons, un obusier de montagne, dà 
caisses de fusées de guerre, des fusils de rempart, tout le per- 
sonnel d'artillerie nécessaire au service et à l'usage de ces 
rames. Quatre pièces d'artillerie de siège, avec leurs artilleurs 
étaient dans le deuxième. Les trois autres étaient montés 
par 450 hommes de troupes avec armes, bagages et chevaux 
de frise. 

 un signal donné, les bateaux remorqués par des chalou- 
pes se mirent en mouvement ; ils parvinrent ainsi jusque près 
de la côte où la remorque du premier bateau ayant démasqué, 
celui*-ci fit feu^e son artillerie : les matelots se précipitèrent 
à la mer porl^int à terre les grapins destinés à hâler les bateaux 
qui abattirent leurs sabords, sortirent et mirent en place les 
tabUers et rames du débarquement. Tout débarqua à la fois, 
soldats, armes, munitions. On se rangea en bataille sur la 
plage ; les troupes déployèrent leurs chevaux de frise, les ca- 
nons en batterie continuèrent leur feu; les fusils de rempart 
furent placés sur leurs piquets, les fusées préparées à être 
lancées, soit en projectant, soit horizontalement : dix 



186 ALGÉRIE. 

minutes suffirent pour exécuter ces diverses manœuvres. 

Cette célérité, ^ ensemble d'exécution, furent d'un bon 
augure pour le succès de la campagne qui allait s'ouvrir. Le 
duc d'Ângoulême fit distribuer une gratification aux soldats et 
partit pour Paris. 

Alors commença le grand mouvement de l'embarquement. 
Pendant plusieurs jours les rues de Toulon furent encombrées 
de chevaux, de«voitures, de fourgons chargés de piques, Im^ 
ces, pioches, toutes sortes d'armes et d'outils, de boulets, d'o- 
bus, dQ ballots de médicaments, de tentes, de caisses, de 
fusils, et d'une foule d'objets de campement, d'équipement et 
de matériel. 

Le même moufement avait Ueu dans l'arsenal; la plupart 
des ouvriers furent détournas dé leurs travaux ordinaires, 
pour aider l'embarquement des objets qui s'entassaient sur les 
quais. Des bateaux à vapeur destinés à partir chaque jour de 
la mer et de la côte d'Afrique, assurèrent le service de la cor- 
respondance. 

En même temps, une commission fut chargée d'examiner 
quelles étaient les précautions les plus propres à maintenir la 
santé des troupes et à paralyser les influences climatérales 
du pays où elles allaient combattre. Une instruction fut rédi- 
gée à ce sujet, et il fut enjoint aux chefs de corps d'en faire 
lecture aux troupes, une fois au moins par semaine. Voici cette 
instruction : 

!• Se laver deux fois par jour au moins. 

2* Se baigner peu de temps après le lever ou avant le cou- 
cher du soleil et jamais pendant la grande chaleur du jour, 
en évitant de se baignei^ans les eaux stagnantes ou dans les 
mares et même dans la mer, parce que ces bains déterminent 
des éruptions à la peau. 

3^ Éviter l'usage des liqueurs fortes, qui sont on ne peut 
plus pernicieuses dans les pays chauds. 

4* Ne boire du vin et de l'eau-de-vie qu'avec modération 
et toujours étendus d'eau. 

5* Éviter de boire beaucoup d'eau à la fois, et avoir soin de 
k mélanger de vin ou d'eau-de-vie. 



ALGÉRffi. 187 

6* Ériter de maÂger des fruits verts et même des fruits mûrs 
tels que les figues et les abricots. 

7* Ne pas boire d'eau de mare sans Tavoir passée dans un; 
mouchoir, pour éviter d'avaler des sangsues. 

8* Ne manger de viande salée qu'après l'avoir fait dessaler 
pendant quelques heures. ^ 

9^ Ne jamais rester découvert la nuit, même pendant lès 
plus fortes chaleurs. 

10* Conserverie bonnet de police pour dormir, en rabais- 
sant aveé soin les abritants pour se couvrir les oreilles.. 

Chaque soldat reçut une ceinture de flanelle, un sac de 
campement, une coiffe blanche pour couvrir son shako, cinq 
rations de vivres composées de cinq livres de biscuit, deux li- 
vres de lard cuit, une ration de fromage, dix onces de riz, un 
litre de vin et un Utre d'eau mêlée d'un huitième d'eau-de- 
vie. 

Le 10 mai toutes les dispositions étant prises pour l'em- 
barquement, les ordres furent donnés au commandant des 
navires, et le commandant en chef de l'armée publia l'ordre 
du jour suivant : 
a Soldats, 

« L'insulte faite au pavillon français vous appelle au-delà 
« des mers; c'est pour le venger qu'au signal donné du haut 
« du trône, vous avez tous brûlé de courir aux armes, et que 
« beau^up d'entre vous ont quitté avec ardeur le foyer pa- 
a temel. 

a  plusieurs époques les étendards français ont flotté sur 
a la plage- africaine. La chaleur du cUmat, la fatigue des 
« marches, les privations du désert;i|RÎen n'a pu ébraaler ceux 
a qui vous ont devancés. Leur courage tranquille a suffi 
« pour repousser les attaqués tumultueuses d'une cavalerie 
« brave mais indiscipUnée. Vous suivrez leur glorieux exemple. 

« Les nations civilisées des deux mondes ont les yeux fixés 
« sur vous. Leurs vœux vous accompagnent. La cause de la 
« France est celle de l'humanité ; montrez-vous dignes de 
« votre noble mission. Qu'aucun excès ne ternisse l'éclat do 
« voi exploits; terriMjSs dans le combat, soyez justes et hiH 



i88 ALGÉRIE. 

t maios après la irictoire : votre intérêt lë commande autant 
« que le devoir. 

« Trop longtemps opprimé par une milice avide et crueUe|| 
« TÂrabe verra en nous des libérateurs, il implorera notre 
ce alliance. Rassuré par votre bonne foi, il apportera dans nos 
a camps les produits âb son sol. C'est ainsi que, rendant la 
« guerre moins longue et moins sanglante, vous renqplirez les 
« vœux d'un souverain aussi avare du sang de ses sujets que 
a jaloux de l'honneur de la France. 

a Soldats, un prince auguste vient de parcourir vos rangs; 
a il a voulu se convaincre lui-même que rien n'avait été né- 
« gligé pour assurer vos succès et pourvoir à vos besoins. Sa 
€ constante sollicitude vous suivra dans les contrées inhospi-, 
« (alièresoù vous allez combattre; vous vous enrendii^z dn 
« gnes en observant cette discipline sévère qui valut à l'armée 
« qu'il conduisit à la gloire, l'estime de l'Espagne et celle do 
a TEurope entière. » 

Le H , rembarquement des troupes commença à six heures* 
di matin, sou& la surveillance de M. Mallet^ major-général do 
la marine. Des bateaux lesteurs prenaient les troupes à terre 
cl les portaient à bord des bâtiments en rade. 

C'était un spectacle unique que ce mQuvement des troupes 
vei ^^ les quais, au milieu d'une population nombreuse, par ua 
de ces beaux jours si communs sous le ciel de la Provence. 
Les croisées de toutes les maisons étaient garnies de femmes : 
la plus grande gaité animait les soldats; les parlants faisaient 
leui^ adieux à leurs camarades et se donnaient rendez-vous en 
Afrique. Les embrassements, les toasts et les mots plaisants, 
quelques larmes, animaient et donnaient le plus grand intô« 
rêt à cette première scène de la campagne. 

Les bateaux désignés pour le transport des troupes jus* 
qu'aux vaisseaux, étaient amarrés au quai, où ils recevaient 
successivement les hommes qu'ils devaient prendre ; puis clia- 
cun d'eux donnait des remorques à une embarcation plus 
grande qui était remorquée elle-même par deux ou trois ca- 
pots. Les remorqueurs tiraient du port les bateaux-bœufs, les 
élevaient au vent, où ils larguaient leurs amarres ; ces bateaux 



ALGËRft. m 

mettaient alors à la voile pour se rendre dans la rade. Â bord, 
on entendait le bruit du tambour et des clairons, les sons de 
la musique militaire et les cris joyeux des soldats. 

Cependant surles 2 heures de l'après-midi le vent nord-ouest 
devint si violent qu'on futobligédesuspendre l'embarquement. 

Le lendemain celui des troupes cqntinua et celui de la ca- 
valerie eut lieuà Castineau. Mais le temps changea, la pluie 
tombait par torrents : le soldat arrivait sur le port dans un 
piteux état, et cet embarquement fut aussi triste que lë pre- 
mier avait été joyeux. Les autres divisions s'embarquèrent par 
un temps nébuleux, mais sans pluie; enfin, le 18 l'armée 
était à bord. Toutes les forces destinées contre Alger se trou- 
vaient réunies dans la rade de Toulon. L'armée navale se 
composait de 103 bâtiments de guerre, portant ^^ensemble 
2,968 bouches à feu et de plus de 600 navires de commerce, 
y compris les bateaux catalans et génois affrétés par le muni- 
tionnaire général. 

L'expédition présentait ainsi un total de bâtiments de plus 
de 750, et un effectif d'hommes de plus de 70,000. Cette 
armée navale était disposée en trois escadres ;^ 

1^ L'escadre de bataille. 

2^ L'escadre de (l^barquementJ 

3* L'escadre de réserve. 

150 bateaux-bœufs, lesteurs, etc., étaient destinés au dé- 
barquement. 

L'armée embarquée offrait un effectif de trente-sept mille 
six cent vingt-neuf hommes, et trois mille huit cent cin- 
quante-trois chevaux ainsi divisés ;,. ; 

Infanterie 30,852 hommes. 133 chevaux. 

Cavalerie 534 503 

Artillerie 2,327 1,309 

Génie 1,310 133 

Ouvriers d'administration. 828 10 

Train des équipages 851 1,330 

Étatsp-majors 830 400 

Force publique 127 35 

Totaux 37,639 hommes. 3,853 chevaux* 



CDAPITKEII- 



Naorrage des bricks Y Aventure et le Silène près an cap Bonga. ^ Départ de 
l'armée ïiavale expéditionnaire de Toulon. — Missidn dé Tahir-Pacha. — . 
Belâche aàx ties Baléares. — L*amlral Duperie y orgfitûflela flottille de dé- 
barquement.— Départ de Palma.— Baie de Sidi-Ferraclt — Débarquement 
de l'armée expéditionnaire. — Premier combat contré les Bédouins. — At- 
taque et prise du camp de Sidi-Kalef. — Marche de Tarmée sur Alger. — 
Prise, et destrunion dû fort de lEmpereur.r- CapitulàMim d*Àlger.— Entrée 
4» Français dans Alger^ 



Le retard que les vents contraires opposaient au départ de 
la flotte fut heureux pour elle. Pendant tout le mois de mai, 
les côtes d'Afrique furent à peine tenables. La division de 
blocus, que commandait M. Massieu Ab Glerval, avait été for- 
cée de regagner le large, et, loin de pouvoir opérer un dé- 
barquement, Tescadre y aurait couru le plus grand danger. 
Le malheureux sort qu'éprouvèrent les bricks V Aventure 
et le Silène eût peut-être été celui de beaucoup d'autres na- 
vires. 

Ces deux bricks faisaient partie de la division du blocus ; 
M. d'Assigny commandait l'uri ; M. Bruat, nommé depuis au 
commandemant des îles Marquises, l'autre. Le 16 mai, par 
une grosse mer et un vent violent du nord-ouest, ils tâchaient 
de rallier la frégate la Bellone^ qu'un grain leur avait fait per- 
dre de vue. Us couraient depuis quelques heures sous leurs 





Ls a«e s*ant.txnm. 




ALGÉRIE. 193 



r.'».i:ii 

»;:»■. 
c 



114 ALcasmiu 

ffàé ftit iifl (fuitt de Uenè sur le ritage; qu'une troupe im 
Béddtiins dîmes vint fondre sur eux, et, sans l'heureux stra^ 
tâgèiKê d'uû Maltais, qui parlait arabe et qlii fit passer les 
naufragés pour Anglais, ils eussent tous été égorgés sur 
place. Ce brave marin soutint avec fermeté, le poignard fuif 
la gorge, (}u'il disait vrai, et son courageux mensonge nwm 
les équipages. 

Mais, dès ce moment, eotnmença pour eux une agonie Ion» 
gue et terrible. Sous pt^texte de leur abréger la route d'Âlg^r^ 
les Bédouins leUr fireflt prendre la route dès montagnes^ M 
premier village où ils arrivèrent, on les pilla d'abord, et pea 
après on leur arracha jusqu'à leurs derniers vêtements^ On lai 
laissa ainsi exposés, dans un état de nudité complète, au ve&l 
violent et aux froides ondées du INord. Des bandes d'Aralies aé 
relayaient pour les escorter d'un village à l'autre, et chaqui 
changement d'escorte était marqué par les démonstrations lei 
plus menaçantes, les traitements les plus inhumains. Les poî« 
gnards, les yatagans étaient incessamment levés sur leurs tè^ 
tes, et, si le sang n'avait pas coulé encore, il semblait^ d'ua 
moment à l'autre, prêt à ruisseler. 

Pour surcroit de malheur, on les sépara ; ils furent logés 
'dans des hameaux épars, repoussés dans un lieu, accueillis 
avec des cris de fureur dans un autre, menacés dans tous. Dès 
ce moment, l'histoire de leurs infortunes se camphqua. Cha« 
que village, chaque maison, devint le théâtre de scènes dou- 
loureuses ou poignantes; partout une barbare inhumanité leur . 
refusa d'abord jusqu à un peu de feu pour ranimer leurs 
membres engourdis. Les femmes bédouines se montraient les 
plus acharnées après ces malheureux ; mais enfin, un peu de 
pitié entra dans leur âme, et on leur donna du feu et du pain 
en petite quantité. 

Deux jours se passèrent atnsî ; maïs le 18^ vers le soir, les 
frégates de la division et quelques bricks s'élant approchés des 
navires échoués, envoyèrent des embarcations pour les recori- 
naifre. A ces apparences de débarquement, les Arabes couru- 
r^at aux armes, descendant des montagnes en poussant des 
biu'iemcuts atlreu^i;. La& femmes chargèrent leurs enfants sur 



ALGÉRIE. 193 

huniers, Y Aventure en tête, et le Silène suîvant, par malheur, 
à peu de distance dans ses eaux. Une brume épaisse voilait 
l'horizon. Vers huit heures du soir, ï Aventure donna un pre- 
mier coup de talon. M. d'Âssigny fit immédiatement mettre la 
barre à tribord, l'orientant au plus près ; mais it était trop 
tard ; le brick venait de franchir l'accon d'un banc de sable, 
et la lame qui le soulageait l'ayant abandonné en déferlant, il 
porta en entier sur le sable, présentant le travers à des vagues 
énormes qui, tombant en roulant sur lui, le portèrent de plus 
en plus vers le rivage. Il était alors près du cap Bonga, à 
trente-six milles environ du cap Caxine. Le Silène éprouva le 
même sort. Le temps était si obscur, que les bâtiments étaient 
presque sur le rivage sans apercevoir la terre. La blancheur 
de l'écume que venaient y déposer les vagues, fut leur seul 
indice. Les deux commandants avaient cru un moment que les 
bricks, appuyant leur quille et leurs flancs sur le sable, pour* 
raient conserver leur position horizontale : cette espérance 
fut courte ; ils s'inclinèrent peu à peu vers tribord, et pré- 
sentèrent leur pont à toute la fureur de la lame. Il fallut les 
évacuer. Cette opération difficile se fît avec ordre, et on n'eut 
'k déplorer que la perte d'un homme qui fut enlevé par une 
irague. 

La position des deux équipages était critique. Sur cette terre 
inho^italière, ennemie, ils allaient se trouver à la merci des 
féroces Bédouins, exposés à leurs cruelles attaques. L'état- 
major tint conseil. Des deux moyens de s^lut qui s'offraient, 
run consistait à s'armer, à se tenir près des bricks jusqu'à ce 
qu'un bâtiment de guerre pût venir les sauver ; mais le ciel et 
la mer étaient Join de leur faire espérer ce secours, et leurs 
poudres mouillées ne leur permettaient plus de faire usage de 
leurs armes. Il fallut renoncer à ce moyen. L'autre consistait à 
se rendre sans résistance aux Bédouins, et â se laisser conduire 
par eux à Alger, Ce dernier avis fut adopté. Les deux corn* 
mandants rassemblèrent tous leurs hommes, prirent quelques 
vivres que la mer avait jetés sur le rivage, et se dirigèrent wr 
Alger en suivant la grève. 

U était alors environ quatre heures da n|i 

T. U 



19.e ALGÉRIE» 

glais. Celte révélation faillit leur coûter cher. Ileureuseraeiit 
la proximité des officiers du Dey paralysa tout mauvais vou- 
loir. M. Bruat fut conduit à la tente de Teffendi , où il reçut 
les protestations les plus sincères pour la sécurité de tous. Des 
officiers furent immédiatement expédiés aux divers dépôts des' 
prisonniers pour leur donner les mêmes assurances. Conduit 
de là à Alger, M. Bruat y arriva lô 20, et y fut rejoint peu 
après par quatre-vingt-cinq de ses compagnons d'infortune, 
seuls débris qui aient pu être réunis après cfe naufrage. Avant 
d'être renfermés au bagne, les prisonniers, escortés de soldats 
turcs et suivis d'une populace nombreuse, furent conduits de* 
vant le palais du Dey. Là, le spectacle affreux du danger qu'ils 
venaient de courir frappa leurs yeux dans toute son horrible 
vérité. Vingt têtes de leurs camarades étaient accrochées à des 
crocs fixés à cet effet dans le mur. Une populace, avide depa» 
reils tableaux, repaissait avec joie ses regards de ces sanglants 
trophées. Ce douloureux spectacle navra le cœur des malheu- 
reux naufragés; quelques-^ins tombèrent évanouis. Après une 
courte pause, on les conduisit au bagne d'où ils ne sortirent 
qu'après la capitulation d'Alger. 

Ce triste événement fut connu à Toulon le jour même où la 
flotte put appareiller. Il y fit une sensation d'autant plus pro- 
fonde, qu'il y apparut comme un funeste présage au début de 
la campagne. C'était le 25 mai. 

Depuis près de quinze jours, les vents, obstinément con-> 
traires, s'étaient opposés à tout appareillage. Ce retard, joint 
à la modification ministérielle qui eut lieu à cette même épo» 
que, et qui consista à remplacer MM. Chabrol et Courvoisier 
par MM. Chantelauze et Peyronnet, donna lieu à une foule de 
conjectures qui se résumaient toutes, non pas dans la crainte 
du succès de l'expédition, mais dans celle de l'intention du 
parti que le gouvernement voulait en tirer et qu'il ne cher- 
chait même plus à cacher. Le public les accueillit avec anxiété,* 
Tarmée expéditionnaire avec quelque mécontentement. Enfio 
le 23 mai, une légère pluieetle vent d'ouest annoncèrent daut 
la rade de Toulon le changement de temps si impatiemmenl: 
attendu. L'ordre fut donné de se préparer à appareiller 



ALGÉRIE. 497 

lendemain, et Tamiral Duperré publia [la proclamation sui 
Tante: 

« Officiers, sous-officiers et marins, 
« Appelés avec tos frères d'armes de l'armée expédition* 
• naire à prendre part aux chances d'une entreprise que l'iion- 
c neuf et l'humanité commandent, vous devez aussi en par* 
c tager la gloire. C'est de nos efforts communs et de notre 
t par&ite union que le roi et la France sittendent la répara» 
t tioD de rinsulte faite au pavillon français. Recueillons les 
c souvenirs qu'en pareille circonstance nous ont légués nos 
t pères I Imitons-les, et les ^ccès sont assurés. Partons! » 

Dès le lendemain, à une heure, le vaisseau amiral donna le 
signal du départ. Les bâtiments de guerre de la première di- 
vision mirent à la voile. Le 27, les deuxième et troisième divi- 
sions du grand convoi prirent le large, et avant la tîri dn jour, 
tous eurent dépassé le cap Sépet. 

Des milliers de spectateurs, pressés sur les hauteurs qui 
dominent Toulon, accompagnaient de leurs regards et de leurs 
"vœux cette magnifique flotte voguant à pleines voiles vers les 
rivages d'Afnque. Cent trois bâtiments de guerre et sept cents 
Mtiments de commerce la composaient, ayant tous leui's lon- 
gues flammes, leurs^ brillantes banderoUes déployées. En mer, 
ils se formèrent sur trois colonnes parallèles, selon leurs divi- 
sions primitives : l'escadre de bataille, l'escadre de débarque- 
ment, l'escadre de réserve. Le vaisseau amiral la Provence 
marchait en tête de l'escadre de bataille ; les vapeurs circu- 
laient dans tous les sens, portant les ordres ou remorquant les 
traînards. 

La flotte expéditionnaire faisait route dans cet ordre, lors^ 
qu'on signala sous le vent deux frégates, l'une turque et l'au* 
tre française. C'était l'amiral de la flotte ottomane, Tahir-Pa- 
cha, qui, escorté par une frégate française, se rendait à Tou- 
lon pour propeser au roi de France la médiation de la Porto 
dans la guerre contre le Dey d'Alger. 

Depuis le départ de Tahir-Pacha de Constantinople, la im^ 
sîon fiant il étiit chargé avftit siihî. rlans son esprit, danssoa 
rcâullat, une altéra liou 4ju U n < , . ^aus iiUèict de Ëj^ualer* 



198 ALGERIE, 

La proposition de la médiation de la Porte n'en éieit qae Ift 
partie ostensible et apparente. La partie réelle était de se ren- 
dre à Alger, d'y saisir le Dey, de le faire étrangler, etd'offnp 
ensuite à la France toutes les satisfactions qu'elle aurait pu 
désirer. 

Ce moyen extrême avait le double avantage de délivrer k 
Porte d'un vassal insoumis, dont ^la résistance pouvait cooa^ 
promettre l'intégrité de l'empire Oltoman, et de prévenir une 
expédition que l'Angleterre voyait avec une d^nce et une 
jalousie qu'elle se donnait peu, du reste, la peine de cacher. 
La Cabinet de Londres avait fait remettre au divan iine note 
très pressante, où le sultan était fermement engagé à user de 
son droit de suzeraineté envers le Dey. 11 fut répondu à cette 
puissante instigation par l'envoi de Tahir-Pacha à Alger, 
chargé d'aller exécuter un des actes ordinairement très dange» 
reux de haute justice turque (1) Le ministère français avait été 
prévenu à temps, et les coupables projets que, comme on Fa 
déjà vu, cette expédition était destinée à favoriser, ne permetr 
tant aucune transaction sur ce point, M. Massieu de Clerval» 
commandant supérieur du blocus, reçut l'ordre d'interdire l'en- 
trée du port aux navires de toute nation et de toute espèce. 
Tahir-Pacha s'y présenta, en effet, monté sur une frégate an- 
glaise ; mais l'enseigne Dubruel, commandant un petit bâtir 
ment croiseur, la héla et déclara l'ordre dont il était porteur 
de ne laisser entrer aucun navire. Le capitaine de la frégate 
anglaise voulut passer outre et essaya d'intimider Dubruel, qui 
ne lui répondit que ces mots : a Vous ne passerez qu'après 
m'avoir coulé bas. » Et, se posant énergiquement en travers de 
la frégate, il se disposa fièrement à se battre à outrance. 

Tant de résolution intimida Tahir-Pacha qui , sachant ren- 
seigne soutenue par la division du blocus, engagea le com- 
mandant de la frégate anglaise aie transporter à Toulon, pour 



(I) Eo effet, lonqQ'ta })acba tombé en disgrâce est condamné à périr, 8*0 
est en mesure de pouvoir braver la Porte comme Tétait Hussein, il arrivé 
souvent que loowdOAquie loi envoie le Soltao sert i étrangler cehii qoil» 
porta, 



ALGÉRIE. 199 

formuler la partie ostensible de sa mission, puisque Ténergie 
du commandant d'un petit bâtiment de guerre lui avait ôté 
tout espoir de pouvoir en remplir la partie secrète. La diplo-r 
matie britannique en fut pour ses pressantes instigations. 

Dans sa route , le plénipotentiaire ottoman rencontra » 
comme on l'a vu , l'armée navale d'expédition ^ dont l'aspect 
imposant ne fut pas de nature à le rassurer sur le sort de l'Ai- 
gérie. n arriva à Toulon ; mais la rapidité des événements qui 
se passèrent en Afrique et le parti pris du ministère d'acheter 
par un peu de fîimée militaire les libertés nationales y ne per-« 
mirent pas de donner suite à ses propositions. 

La flotte française, bien ralliée, fît d'abord route vers sa 
destination en bon ordre et toutes voiles déployées. Mais dans 
la nuit du 27 au 28 un tort vent d'E. et d'Ë. S. E., l'assaillit 
à la hauteur des îles Baléares, et porta un peu de désordre dans 
les colonnes. L'amiral Duperré abrita sous le vent de ces tles» 
l'armée et le convoi qu'il ne put rallier entièrement que dans la 
journée du lendemain. Le vent était passé à l'E. un peu frais, 
mais fovorable; l'amiral pourvut au départ de la flottille de dé* 
barquement qui était en relâche à la baie de Palma, et reprit 
le lû^e. 

Le 30 au matin, Tannée se trouva en vue des côtes de Bap« 
barie, à cinq lieues du cap Caxine. Mais l'horizon était chargé, 
le vent fraîchissait et commençait à tourmenter les navires. II 
devenait de plus en plus difficile.de tenir ralliée et en bonne 
route, une masse de bâtiments de tant d'espèces et de qualités 
di£rérentes. La réserve composée de bagarres et de bâtiments 
de qualité inférieure , ne tarda pas à être entraînée sous le 
vent, et il fut bientôt reconnu à peu-près impossible de se 
maintenir sur le méridien d'Alger et de remordre sur la côte. 
Avant d'opérer le débarquement, il était cependant indispen- 
sable de raUier la flottille qui portait les dix premiers jours de 
vivres de Tannée, et des détachements de convois que la viO'^ 
lence du vent avait dispersés. Il eût été d'autantplus imprudent 
délaisser tant de chosesàlamercidu hasard, quele temps deve- 
nait de plus en plus menaçant. Dans cette Adheuse extrémité, 
Tamirai fi» la baie di fi it 



200 ALGÉRIE. 

général. Tout ce qui avait pu se maintenir en ligne s'y dirigea : 
les éclaireurs furent à la recherche des autres pour les y rai* 
lier» 

« J'ai trouvé, écrivait Tamiral Duperré, les éléments con- 
« traires; je n'ai pu leur opposer que des efforts humains. J'ai 
a puisé dans mon zèle et mon dévoûment au service du roi 
<x ceux qui m'ont aidé à prévenir des malheurs, mais qui 
« n'ont pu mettre à l'abri d'un retard dans l'exécution de 
a l'opération projetée. » 

Le 6 juin toute l'expédition était ralliée àPalma : les tran»- 
ports, les convois, les gabarres étaient mouillés dans la rade ; 
les vaisseaux de guerre louvoyaient sous le vent des lies en at- 
tendant le temps favorable. Ce ne fut que le 10 que l'armée put 
remettre à la voile. Le 12 elle découvrit la côte d'Afrique par 
un vent grand frais d'E. à l'E. S. E. qui l'obligea encore de re- 
prendre le large ; la mer était belle, mais la brise était si forte 
que plusieurs bâtiments eurent des avaries : deux bateaux-- 
bœufs périrent avec une partie de leurs équipages. Enfin, le iZ 
au matin, la flotte ne fut qu'à deux ou trois lieues d'Alger. A 
cette vue, les soldats fatigués de la mer et ennuyés de leur 
long séjour à bord, firent éclater la joie la plus vive : un cri 
d'allégresse salua la ville arabe. Ces braves se pressaient sur 
les ponts pour voir la ville aux maisons blanches, rangées en 
amphithéâtre sur les bords de la mer, et dont la forme trian- 
gulaire se détachait de sombres massifs de verdure. Les plus 
érudits désignaient aux autres les points historiques du beau 
panorama qui se développait aux regards. Sur la hauteur qui 
dominait la ville, ils montraient le fort de l'Empereur {Sul-- 
tan- Ca/as5i), ainsi nommé, parce qu'il fut commencé par Char- 
L's-Quint en 1541, au moment du siège. En face du môle, de 
l'autre côté de la baie à l'Est, ils indiquaient le cap Matifou où 
sont les ruines d'une ville jadis plus grande qu'Alger, qui eut 
de la célébrité même après Carthage, Rusconiaj (1) ville ro- 
maine, dont le nom même est presque inconnu aujourd'hui, 
ville aux débris rouges où Ton tiouveiait peut- être, avec quel* 

0) Colonia Augusti Rusconîœ : Pline, Tingitaniaprovineia: 



ALGERIE- ' 201 

ques fouilles, de curieuses révélations sur Texislence de la 
colonie romaine dont les vents d'Afrique ont presque entière- 
ment dispersé la poussière. Au de-là du Cap, ils montraient le 
Djorgera qui était le Mont-Ferratos des anciens, et dont la 
crête a six mille sept cent trente pieds d'élévation ; et plus 
près le mont Hammel , qui fut au XVIe siècle le refuge d'une 
partie des anciens Maures d'Espagne, et où leurs descendants 
ont conservé la tradition des belles armes damasquinées et in- 
crustées d'argent ou de fer poli : et partout les hautes chaînes 
de l'Atlas que la mythologie antique avait si poétiquement 
personnifiées. 

Peu après l'armée navale changea de direction ; faisant voile 
parallèlement à la côte, elle défila majestueusement en vue 
des forts et des batteries, après avoir formé la ligne de bataille. 
La Syrène , suitie de la Bellone, en prit la tète : le convoi 
et la flottille se maintinrent au vent. Â dix heures,les bâtiments 
armés en guerre se trouvèrent à la hauteur de Sidi*Ferruch. 
L'amiral fit signal à l'armée qu'il se dirigeait dans la baie, à 
l'ouest de Torre-Chica, et que chaque capitaine devait, pour 
Fattaque, se conformer au plan délivré à chacun d'eux. 

L'armée ainsi en ligne, passa à une encablure de la pointe 
du Petit-Port, et se dirigea sur Torre-Chica. Elle arriva par 
son travers, et le Trident et la Guerrière qui avaient été 
chargés de l'attaque extérieure, s'aperçurent alors que la tour 
n'était pas armée. Ils rentrèrent en ligue ; l'escadre de bataille 
doubla les roches saillantes de la presqu'île, et entra en défi- 
lant sous voile dans la baie ; mais l'ennemi avait abandonné 
toutes les batteries basses et s'était porté sur les hauteurs qui 
dominent la plage pour les défendre et s'opposer au débar* 
quement. Toutes les dispositions d'attaque prise par l'amiral 
ayant été dès lors inutiles, la flotte qui avait pris son mouillage 
dans la baie, se borna à l'occuper ; la journée était avancée : 
le débarquement fut renvoyé au lendemain. 

Sidi-Ferruch(Essdd-jB/roMû[/) est une presqu'île, située 
\ environ quatre lieues à l'ouest d'Alger, et au sud-ouest du 
cap Caxine : elle tire son nom d'un marabout, dont le tom- 
beau est eu ce lieu en grande vénération. ËUe s'avance dam 



20^ ALGÉRIE. 

la mer par un cap bordé de rochers calcaires, et présente de 
(Chaque côté un enfoncement formant une petite baie : chacune 
des deux baies peut mettre à Tabrl les navires suivant que le 
vent souffle de Test ou de l'ouest. Le fond de cette baie de sable 
qui est d'une pente douce, est un assez bon mQuillage ; le ter- 
rain en est découvert jusqu'à quatre mille mètres de la mer et 
ne permet pas à l'ennemi de s'embusquer : il est sablonneux 
et couvert seulement de broussailles et de plantes rampantes. 
Ce mouillage était défendu par une tour carrée, nommée par 
les marins espagnols rorr€-(%ica,etne pouvant être défendue 
que par deux pièces d'artillerie. Depuis longtemps cette baie 
avait été signalée comme un excellent lieu de débarquement, 
et, sous l'Empire même, Napoléon avait fait iairesur ce point des 
travaux de reconnaissance, qui furent utilisés en 1830. Elle est 
cependant susceptible d'être protégée d'une manière très effi- 
cace et, avec tout autre peuple que des Turcs, un débarque- 
ment ne pourrait s'y opérer sans de très chanceuses éven- 
tualités. 

Mais telle fut l'inconcevable apathie des chefs militaires de 
rOdjeac, ou leur vanité puérile, que la flotte française put faire 
tous ses préparatifs de débarquement sans être inquiétée. Ce- 
pendant Hussein avait cru ne devoir rien négliger pour faire 
une vigoureuse résistance: il avait appelé à son aide les beys 
de Constantine, d'Oran, de Tittery, qui s'étaient rendus à son 
appel avec leurs contingents ; il avait même ouvert des négo- 
ciations avec les deys de Tunis, Maroc et Tripoli, pour con- 
tracter une alliance défensive ; mais il n'en avait reçu que des 
réponses dilatoires, des vœux stériles ou des encouragements 
fort curieux, tels que ceux dont il est fait mention dans la lettre 
suivante que lui adressa le dey de Tripoli à cette occasion. 
a Très excellent Seigneur, 

<c Louanges à Dieu ! puissent ces bénédictions s'étendre sur 
a la plus parfaite des créatures, la lumière qui vivifie les té- 
« nèbres, le prophète après lequel il ne viendra plus de pro- 
« phète, notre seigneur Mahomet, sa famille etsescompa* 
€ gnons! 

^ Que Dieu cx)nserve le souverain fort, victorieux sur la 



« fêfre et sur les mers, dont la puissance est redoutée de toutes 
c les nations au point de les remplir de terreur, le chef des 
a guerriers qui combattent pour la foi ; celui qui retrace les 
Tertus des kalifes, dont le génie est élevé et l'aspect glorieux, 
a notre frère, Sidi-Hussein, pacha d'Alger, la bien gardée, et 
c le séjour des ennemis, des infidèles ! L'assistance de Dieu 
c soit toujours avec lui ! c^ue la victoire et la prospérité guident 



c 



« Après vous avoir adressé nos salutations les plus sincères 
c et les plus parfaites (que la miséricorde de Dieu et ses bé- 
c dictions vous visitent soir et matin), nous avons l'honneur 
c de vous exposer que nous sommes (et Dieu en soit loué!) 
c dans une situation satisfaisante, et que nous demeurons 
c fidèle aux sentiments d'amitié et d'affection qui, depuis 

< longtemps, ont uni d'une manière si étroite, en toutes cir- 

< constances, les deux souverains des deux Odjeacs d'Alger 
a et de Tripoli; sentiments dont nous ne nous écarterons 
a jamais. 

a Votre lettre nous est arrivée : nous en avons rompu le 
« cachet, et nous dirons à votre seigneurie, qu'en la lisant, 
a nous avons été fort ennuyé et fort affligé que les Français 
« (que Dieu fasse échouer leur entreprise!) rassemblaient 
a leurs troupes et allaient se diriger contre votre Odjeac. 
a Nous n'avons cessé d'en avoir l'esprit en peine et l'àme 
« triste, jusqu'à ce que, enfin, ayant eu un entretien avec un 
a saint de ceux qui savent découvrir les choses les plus secrè- 
a tés (et celui-là a fait en ce genre des miracles évidents qu'il 
« serait inutile de manifester), je le consultai à votre sujet : 
« il me donna une réponse favorable qui, je l'espère de la 
« grâce de Dieu, sera plus vraie que ce que le ciseau 
a grave sur la pierre. Sa réponse a été que les Français 
« (que Dieu les extermine !) s'en retourneraient sans avoir 
€ obtenu aucun succès. Soyez donc libre d'inquiétude et de 
c soucis, et ne craignez, avec l'assistance de Dieu, ni mal- 
€ heur, ni revers, ni souillure, ni violence. Comment, d'ail- 
€ leurs, craindriez-vous7 N'êtes-vous pas de ceux que Dieu ft 
« dw tt ii giil» 4m mtre» par les avantages qu'il leur a accordésT 



204 ALGERIE, 

9 tos légions mnl nombreuses et n'ont point été rompues ip^ 
« le choc des ennemis; vos guerriers portent des lances qui 
c portent des coups redoutables, et ils sont renommés dans 
a les contrées de l'Orient et de l'Occident ; votre cause est, en 
a même temps, toute sacrée ; vous ne combattez ni pour faire 
« des profits, ni dans la vue d'aucun avantage temporel^ mais 
« uniquement pour faire régner la volontédeDieuetsa parole. 

a Quant à nous, nous ne sommes pas assez puissant pour 
« vous envoyer du secours^ nous ne pouvons vous aider que 
« par de bonnes prières, que nous et nos sujets adresserons à 
a Dieu, dans les mosquées. Nous nous recommandons aussi 
« aux vôtres dans tous les instants. Dieu les exaucera par 
a l'intercession du plus généreux des intercesseurs et du plus 
« grand des prophètes. 

« Nous demandons à votre seigneurie de nous instruire àt 
c tout ce qui arrivera. Nous en atttendons des nouvelles 
c avec la plus vive impatience ; elle nous obligera de nous faire 
a connaître tout ce qui l'intéressera. Qu'elle vive étemelle* 
c ment en dîen, santé et satisfaction. 

€ Le 24 d'el kaadi de l'an 1245 (1830}. 

a YOUSEF, 

« Fils d*Ali» Pacba de Tripoli. > 

Hussein se trouta ainsi réduit aux seules forces de son pa- 
chalick. Cependant, telles qu'elles étaient , Sidi-Ibrahim , son 
gendre, qu'il en avait investi du commandement en chef, au- 
rait pu faire éprouver de grands désastres à l'armée française, 
s'il avait été général aussi habile qu'il était vain et rodomont* 
Aussi, au Ueu de faire occuper les batteries basses de la baie et 
d'y en élever de nouvelles, il se contenta d'en dresser sur les 
hauteurs, laissant en quelque sorte la plage ouverte, et écrivant 
au pacha cette fanfaronnade. « Les infidèles veulent nous 
a attaquer par terre. Je les laisse débarquer afin que pas un 
a seul d'entre eux ne retourne dans sa patrie. » 

Cependant l'amiral Duperré avait activement employé la 
fin de la journée et la nuit du 13, pour tout disposer afin que 
le débarquement pût commencer dès la pointe du jour. 

Le 14 juiui dès quatre heures du matin, Tescadre de débai^ 



ALGCHI& MS 

qnemcnt, aynnt à bord la première division de Tarmée, était 
en ligne parailèlement au rivage. Derrière elle était Tescadre 
de bataille et celle de réserve. Dans les interstices étaient grou- 
pés la flottille et le convoi. Au signal du débarquement, 
toutes les chaloupes furent mises à Feau : chaque bateau eut son 
''remorqueur, et bientôt vingt mille hommes voguèrent vers 
le rivage précédés par des chalands sur lesquels étaient in- 
stallées huit pièces de campagne et une batterie de montagne 
toute prête à être mise en batterie. Â quatre heures et demie 
la première division atteignit les brisants : on lança contre 
tous les mouvements de terrain qui pouvaient cacher une em- 
buscade des fusées à la congrève et des obus, et dès que les 
marins purent prendre pied, le hallage commença. En peu 
d'instants^ toute cette division fut à terre avec ses pièces de 
csampagne^ sous le feu des batteries de l'ennemi qui, du resta, 
eurent peu d'effet. Â six heures, la deuxième division et toute 
l'artillerie de campagne étaient à terre. Â six heures et demie^ 
le général en chef était débarqué. Le premier drapeau français 
qui plana sur la terre de l'Odjeac, y fut arboré par les nommés 
Sion, chef de la grande hune de la frégate le Thétis, et Fran- 
cis Brunou, matelot de première classe de la SurveillanU^ 
Ces deux braves sautèrent à terre les premiers, s'élancèrent 
ensemble dans la tour de Torre-Ghica, et y plantèrent le dra- 
peau de la France. 

Les Arabes occupaient les hauteurs au nombre de huit à 
dix mille environ. Leur plus forte position était en dehors de 
la presqu'île, formée de trois batteries échelonnées qui fai* 
saient un feu plongeant mal dirigé, il est vrai, mais qui ne lais- 
sait pas que d'être inquiétant. Le général Berthezène, qui 
commandait la première division, reçut l'ordre de se porter 
en avant avec huit pièces de campagne, et de débusquer l'en- 
nemi pendant que cinq bâtiments de guerre, mouillés dans la 
rade orientale , prenaient d'écharpe les batteries arabes et 
éteignaient peu à peu leur feu. La première division s'élança 
par bataillons en masse, a^u pas accéléré, de manière à tourner 
par la gauche, les batteries ennemies. Les divisions Loverdo 
'•l4ïiGmsiiivireotle mouvement de la première. MUgré la 



200 ALGERIE. 

rapidité de là marche à travers un terrain peu accidenté, il eA 
yrai, mais couvert de broussailles, l'ardeur des soldats fiançais 
ne se ralentit pas un instant. Attaqués par des masses de cavib- 
lerie, ils montrèrent un admirable sang-froid. Us arrivèrent 
ainsi aux pieds des redoutes, les tournèrent, et, s'y élançant à 
la baïonnette, s'en rendirent maîtres en peu d'instants. Treize 
pièces de canon de 16 et deux mortiers tombèrent en leur pou« 
voir. A midi, l'armée, entièrement débarquée, occupait les 
hauteurs en avant de la presqu'île, et le quartier-général était 
établi à Torre-Ghica. 

Mais en arrière de ces hauteurs, la cavalerie des Bédouins 
occupait encore des positions avantageuses d'où elle continuait 
la fusillade sur les trouJ>cs françaises. Les trois divisions de 
l'armée se mirent en marche sur divers points pour la débus- 
quer. Elles suivaient une ligne directe à partir de leur point de 
départ. Le combat devint alors acharné. Les Bédouins défen- 
dirent le terrain piedà pied, et se battirent vaillamment. Tirant 
leur coup de fusil, ils se repliaient au galop, pour avoir, selon 
leur usage, le temps de charger et revenir faire feu de nou- 
veau. Les soldats français, accablés sous le poids de leurs sacs 
et de cinq jours de vivres, morts de soif, se battaient partout 
avec ardeur et partout faisaient plier les Bédouins. A quatre 
heures, les Français occupaient toutes les positions de l'en* 
nemi à deux lieues en avant du point de débarquement. 

En Hiéme temps le génie s'occupait de tracer des retranche- 
ments pour couvrir l'isthme et y établir un dépôt d'approvi- 
sionnements. Le général Yalazé en fit immédiatement com- 
mencer les travailla Ils furent poussés avec activité : une ligne 
de fortifications, garnie d'artillerie, s'éleva de la haie de l'est 
à celle de l'ouest^ Des puits furent creusés où l'on trouva de 
l'eau en abondant^et Des fours furent construits, et, deux jours 
après le débarquement, l'armée put manger du pain frais. 
Des tentes se dressèrent; des cabanes de feuillage s'improvi- 
sèrent sur tous les points ; les ateliers de forgerons et de char- 
pentiers s'établirent ; des restaurants, des cantines s'ouvrirent 
dans tous les quartiers du camp. Une transformation miracu- 
kim pevpl»! anima cette plage naguère si déserte et si imroe. 



AiOÊRIÊJ iOf 

Un peé^lé ttotivëad prit place et rang sur cette plage africaine^ 
et se prépara à fonder uiie civilisation nouvelle sur les débrii 
de tant de civilisations dont des siècles de barbarie avaient 
étouffé jusqu'aux moindres vestiges. 

Le débarquetnent des vivres et des munitions commença 
aussi à s'opéter avec activité. Mais le 16, le mauvais temps fit 
suspendre cette importante opération. Dès le matin, lé toil^ 
terre gronda avec violence ; jusqu'à on2e heures, des graiiis 
Successifô assaillirent la flatte à Tancrô; la mer devint moti^ 
strueuse ; leè lames creusaient à tel point que , des navifés 
tirant treize pieds d'eau et mouillés par vingt, talonnèrent et 
démontèrent leur gouvernail. Mais heureusement la tetnpête 
dura peu et le mal se borna à des accidents très remédiablès. 

La troupe eut peu à souffrir de l'orage du 16« Le bois 
abondait sur la plage : on y fit de nombreux bivouacs. Mais h 
masse des bâtiments qui encombrait la baie avait rendu leur 
position très dangereuse , et si l'orage avait régiié quelqties 
heures de plus, le grand désastre de 1541 eût pu être reneu- 
telé. Pour prévenir un tel malheur, l'amiral Duperré dirigea 
sur Toulon les transports du personnel, les galères et toUs les 
.bâtiments inutiles. 

Pendant plusieurs jours, l'armée occupa les positions dont 
elle s'était emparée; l'ennemi s'était établi depuis le 15 au 
camp de Sidi-Kalef, et envoyait, jusqu'à une petite distance 
des bivouacs français, des tirailleurs dont le feu, quoique mal 
assuré, tua ou blessa une centaine d'hommes. Les contingents 
de Constantine, d*Oran, deTittery, et une grande partie de la 
milice turqtle s'y trouvèrent réunis^ le 18, au nombre de 40,000 
hommes environ. Sidi-Ibrahim^ gendre du pacha^ les comman- 
dait. Le général eti chef de l'armée française ayant attendu, 
pour donner l'ordre de tnarcher en avant^ le débarquemeht 
dii transport des subsistances et du matériel de siège, cette 
inaction avait d'autant plus accru la confiance des hordes algé- 
riennes, que, dans leurs idées, ne pas agir c'est avoir peur. 
Aussi se répétaient-elles ce dicton populaire : a Allah et 
c Tsâalebi sauveront toujours Alger la bien gardée. » Dans 
dette persuasions Sidi^Ibrahim prépaie une attaque gèttènh^ 



208 ALGÉRIE. 

Des batteries construites la veille, entre Staouêli et les posillom 
françaises, révélèrent son projet. Dans le camp français tout 
fut disposé pour bien le recevoir ; les deux premières divisions 
furent échelonnées sur les terrains accidentés des collines qui^ 
en avant de la plaine de Staouêli, s'abaissent jusqu'aux dunes 
do Sidi-Ferruch. Deux batteries abandonnées par Tennemi^ 
dès le 14, les protégeaient. En seconde ligne, sur le terrain 
d'un ancien cimetière, était placée la troisième division. Cette 
<iisposition était peu avantageuse; les ailes présentaient des vi« 
des : le front de bataille était trop éloigné de la réserve, et 
offrait à un ennemi qui aurait su tirer parti de cette faute, la 
facilité de manœuvrer sur son derrière et de déplacer toute la 
ligne de bataille. 

Le 19, dès la pointe du jour, Tarmée ennemie s'avança sur une 
ligne beaucoup plus étendue que le front de nos positions. 
Son plan était d'entamer le centre de notre ligne avec le canon 
de ses redoutes, de manœuvrer sur les derrières de la gauche 
pour les séparer de la presqu'île, et de faire attaquer en même 
temps la droite. Ce plan, quoique habilement conçu par suite 
de la position désavantageuse de l'armée française, était dû 
entièrement au hasard. En effet, il est, en quelque sorte, le 
résumé de la stratégie arabe, dont toute la tactique militaire 
consiste à développer autant que possible le front de bataille, 
croyant la victoire assurée lorsqu'ils sont parvenus ainsi à en- 
velopper l'ennemi. Nous verrons, dans le cours de cette his- 
toire, ce même plan invariablement mis en pratique en toute 
circonstance. 

Les plus grands efforts de Tennemi se dirigèrent à l'extrême 
gauche, contre les brigades Clouet et Âchard : là se trouvai 
la milice turque, commandée par Sidi-Ibrahim en personne. 
L'attaque s'y fit avec une grande résolution, à deux reprises ; les 
janissaires après avoir, selon leur usage, tiré leur coup de fusil, 
^'élancèrent sur le front de nos lignes, le yatagan au poing, et 
Turent repoussés. A la troisième, ils pénétrèrent jusque dans 
les retranchements qui couvraient le front de nos bataillons, 
5t beaucoup d'entre eux y trouvèrent la mort. D'autre paît, 
lii nuëe$ de cavaliers arabes fondaient, la iapce baisséç, et «o 



ALGERIE. 209 

jMnissant des cris sauvages sur les retranchements, et venaient 
me briser contre les bayonnettes de nos soldats. Les contingents 
^es beys d'Oran et de Constantine attaquèrent avec autant de 
xésolution, mais avec aussi peu de succès, les divisions Berthe- 
2ëne et Loverdo. Ce dernier avait laissé avancer l'ennemi jus* 
qu'au fond du ravin qui couvrait sa position et, par une chai^ 
à la baïonnette bien exécutée, l'avait repoussé après lui avoir 
fait éprouver des pertes sensibles. 

Repoussé à la droite, l'ennemi redoublait d'efforts à la gau- 
che. Entraînée à sa poursuite, la brigade Clouet avait pris po- 
sition sur une hauteur en dehors du camp et n'était plus en 
ligne. Le 20"*de ligne et le !•' bataillon du 28* qui compo- 
saient cette brigade, avaient épuisé leurs munitions et restaient 
exposés à un feu assez vif de l'ennemi. Ils reçurent l'ordre de 
s'établir en arrière ; et pendant que ce mouvement s'opérait, 
ils furent chargés avec tant d'impétuosité, que le 1®' bataillon 
du 28% coupé et en désordre, eut son drapeau engagé au 
milieu des Arabes. Le colonel Mounier qui voit ce péril, s'écrie : 
c Mes enfants, au drapeau! » A cette voix le bataillon se ral- 
lie, entoure le drap'^au, s'y presse pour le défendre contre des 
assaillants, dont le nombre croissait à chaque instant, étonne 
l'ennemi par tant de courage et de fermeté, et le maintient 
assez longtemps pour que les brigades Achard etPoretde Mor- 
van, passent s'avancer pour le dégager et repousser les Arabes. 

L'ennemi ne tenait plus nulle part : le moment était décisif; 
le général en chef ordonna l'attaque des batteries et du camp 
de Sidi-Kalef. Les généraux Damremont et d'Uzer marchè- 
rent en avant avec les premières brigades de la division Lo- 
verdo ; le général d'Arcine, avec la troisième brigade détachée 
sur la gauche, suivit le mouvement de la brigade Clouet ; trois 
régiments de la division d'Escars s'avancèrent pour former la 
réserve. Dans Test de la presqu'île, les bâtiments de guerre le 
Griffon , VAl^te^ le Ducouëdic et Vlpliigenie devaient ap- 
puyer ce mouvement. 

Le plus vif enthousiasme éclata parmi les troupes lorsqu'on 
donna le signal d'attaquer le camp ennemi. Les troupes s'o- 
lancèrent au pas de charge. L'artillerie, toute do nouveau 
T. I. 14 



210 ALGfiRIE. 

modèle, était constamment en première ligne, mâtgré tes 'i\^ 
ficultés du terrain. Son extrême mobilité contribuait puissam* 
ment à Tépouvante des Bédouins qui , attaqués sur tons Xeà 
points à la bayonnnette, criblés d'obus et de mitraille, soni 
successivement débusqués de toutes leurs positions, tourbillon* 
nent, chancellent et prennent enfin la fuite dans le plus grand 
désordre. Le feu des batteries ennemies, construites en avant 
du camp de Sidi-Kalef, n'arrêtèrent pas lin inoiiient nos 
troupes. Le 20*°^ de ligne enleva les huit pièces de bronze qui 
les armaient. Les Turcs, les Arabes fuyant de toutes parts^ 
abandonnèrent leur camp qui tomba au pouvoir du vainqueur 
avec tous ses approvisionnements. Quatre cents tentes y étaient 
dressées. Celles d'Ibrahim, des beysde Constantine et de Tit« 
tery, étaient d'une grande magnificence, tendues à Tintérieur 
de velours cramoisi, de riches draperies relevées de glands et 
de franges d'or. On y trouva de la poudre et des projectiles en 
quantité, des magasins de subsistances, desi troupeaux de mou* 
tons, plus de cent chameaux, et dans les tentes des chefs des 
repas copieux qui n'avaient certainement pas été préparés pour 
ceux qui les consommèrent. L'armée française avait eu six 
cents hommes tués ou blessés. Les 20® 26* et 3T* régiments 
furent ceux qui souffrirent le plus. 

Cette brillante affaire porta l'épouvante dans l'armée enne- 
mie. La terreur fut si grande que les fuyards se jetèrent pêle- 
mêle dans Alger. Dans une salle do la Casbah, le Dey qui, au 
début de la campagne, avait promis cinq piastres pour cha- 
que tête de Français qui lui serait apportée, déplorait amè- 
rement alors de s'être attiré la colère d'un si terrible enne- 
mi. Il avait vu, du haut d'une terrasse dominant la baie, ses 
troupes fuyant de toutes parts. Il entendait, au-dessous, les 
cris de ceux des soldats qui ayant pu arracher quelques tètcj 
de la mêlée, demandaient le prix de leurs tropliées sanglants, 
les hurlements de la populace que ce désastre épouvahlablo 
remplissait d'angoisse et de terreur. Des mouvements de co- 
lère se succédaient rapides sur ses traits, mais aucune paro'o 
ne les révélait aiwlchors. Il attendait pour éditer cr^Uîi qu'il 
rendait responsable da ce malheur, ^idi-lbra^miD; cet aga à 



ALGÉRIE. kli 

4jVLi il avait donné sa fille la plus chérie, Hala-Aiché, et qui 
Tavait si vaniteusement bercé d'une espérance de victoire. 
Ibrahim parut enfin. Au premier regard qu*il jeta sur son 
beau-père et souverain, il vit les éclats de cette grande colère 
jusque alors suspendue, prêts à fondre sur lui. Il avait préparé 
quelques mots dejustificatioii, il ne put que baisser les yeux 
Ot sa taire. Hussein prit la parole. Sa voix tremblait d'irrita- 
tion; son regard vif encore, malgré son âge, lançait des 
flammes. 

a — Salut, invincible aga! dit-il. Salut vainqueur des in- 
ît fidèles ! Ils sont tous probablement précipités à la mer, 
à comme tu nous Tavais promis? Il faudra sans doute agran- 
« dir la Casbah pour contenir leurs dépouilles, créer de nou- 
c veaux bagnes pour enfermer tant d'esclaves? Qu'en pense 
c notre invincible aga?» 
Il y eut un moment de terrible silence, 
a — Est-il vrai, reprit le pacha d'une voix vibrante de co- 
€ 1ère, que toi, notre aga, notre gendre, le généralissime des 
« milices de notre Odjeac, est-il vrai que tu as fui làche- 
€ ment devant les Français? 

a — Je me suis précipité trois fois avec rage contre ces 
< maudits infidèles : trois fois j'ai été repoussé ; les murs de 
a la Casbah sont moins inébranlables qu'eux. Il faut, par 
a Mahomet! qu'on les ait ferrés les uns aux autres. » 

Ibrahim disait vrai. Trois fois il avait chargé avec vigueur à 
la tète des janissaires, les lignes françaises, trois fois il avait 
été repoussé avec de grandes pertes. A la vue de ces lignes 
compactes que la cavalerie, ni l'infanterie ne pouvaient en- 
tamer, il croyait de bonne foi, et ses soldats avec lui, que les 
Français étaient enchaînés les uns aux autres. Lors de l'expé- 
dition d'Egypte, à la vue des bataillons français recevant, sans 
s'ébranler, le choc d'une innombrable cavalerie, les Arabes 
avaient été dans la môme persuasion. Cette excuse n'apaisa 
cependant pas la fureur du Dey qui éclata alors véhémente, , 
terrible : 

« — Chien! poltron I esclave! s'ccria-t-il, sors de ma pré- 
csence; va-t-en^ misérable, va-t-en , et bénis Allah d'être 



214 ALGËRœ. 

a vers toi de ma propre volonté pour te remercier de ht g6* 
a néreuse hospitalité que tu as accordée à mon fis. En mémo 
a temps j'ai voulu voir le chef des étrangers qui envahissent 
« mon pays, et connaitre ses sentiments a Fégard des Arabes. 
(( Puis, je demande à retourner parmi les miens, parce que je 
« suis venu ici de mon plein gré, et que je ne suis pa3 ton 
a prisonnier. i> 

Le général lui fit .répondre par l'interprète que son roi ne 
Tavait envoyé que pour délivrer lesArabesdu jougdesTurcs. — 
ic Si tu dis vrai, dit le scheik, j'espère bientôt déterminer ma 
« tribu à traiter avec toi. Je sais bien que celte mission ne sera 
<x pas sans danger ; mais je suis vieux : ma vie n'a pas d'im- 
« portauce, et je n'ai que ce moyen de te prouver ma rccon- 
« naissance pour l'hospitalité que lu as accordée à mon fils. » 

Il sortit du camp emportant des proclamations en arabe 
qu'on le chargea de répandre ; mais il ne (arda pas à expier la 
généreuse résolution que lui avait inspirée la piété paternelle. 
Des Arabes à qui il se confia le trahirent, et Hussein lui (U 
trancher la tète. 

Le 23 juin, le débarquement du matériel était fort avancé : 
Tartillerie de siège, toutes les muuilioEs embarquées sur les 
deux premières sections du convoi, les trois escadrons de ca- 
valerie étaient rassemblés dans le camp. Mais les deux der- 
nières divisions du convoi, parties de Palma le 18, étaient de- 
puis huit jours en vue de la côte, luKant en vain contre les 
vents d'ouest et les courants violents qui les empêchaient d'ap- 
procher. La division du contre-amiral llosamel, de concçrt 
avec la division du blocus du port d'Alger, était obligée de 
former à quelques lieues au large , une ligne de croiseurs, 
protégeant les transporls et les empêchant de s'afialer à la 
côte. 

Cette circonstance enhardit les Turcs et les Arabes qui, le 
24, dès le matin, se présentèrent en assez mauvais ordre, mais 
en embrassant un front considérable. Sidi-Ibrahim, qui, à 
l'intercession de sa femme Lala-Aïché, avait trouvé grâce au- 
près du pacha, commandait encore en personne ces troupes. 
D'à k douze mille cavaliei^ Bédouins se précipitèrent d'abord 



âL6SlUD« 319 

dsto b pbine en pcnissaBt d'horribles huflemento. L'année 
française se fonna en carrés, Fun défendant Tautre, et soutint 
tfec fermeté des charges Tigoureusement conduites. Peu à peu 
dd TÎt se couronner d'ennemis les collines qui terminent à 
Test la pdaine de Staouêli. Leur ligne était peu profonde mais 
fart ét^ue. La division Berlhezène et la première brigade de 
la dmsîon Loyerdo marchèrent à leur rencontre avec un^ 
batterie d*artillerie de campagne. Â la vue des nouveaux ba«* 
tàittons français qui se dispi^eUt en colonnes, Tennemi céda 
sur toiit les points. Quelques groupes, aux ailes, essayèrent 
•ralement de faire une poiqte dans nos lignes, mais dése^é^ 

- niit^ peu après, de les entamer, ils se replièrent après quelr 
^es charges sans résultat. 

Les troupes françaises traversèrent la plaine avec rapidité^ 
Elles atteignirent un terrain dont les accidents étaient plus 
prononcés, et se trouvèrent sur le groupe des hauteurs qu'oo- 
cupent Alger et ses jardins. On y voyait de nombreuses ha- 
bitations. Les vignes, les arbres fruitiers, les haies couvraient 
le sol : partout la terre étalait les produits de 'la culture la 
jjiai variée* 

Les Arabes s'étaient portés derrière ces massifs : ils fai* 
caient de là un feu très vif sur nos troupes, mais étaient iar 
cikhiieM délogés par nos bataillons qui, les abordant partout 
réscftnment à la baïonnette, les poussaient devant eux battus 
et décoRragés. Ib s'y défendirent cependant avec acliarne» 
ment, et leur feu de tirailleurs fut très meurtrier. 

Vers le soir, l'armée algérienne qui, dans lattaque comme 
dans la défense, paraissait avoir agi sans ensemble, se rallia 
sur la crête des hauteurs situées du côté opposé à celui qu'oc- 
cupait l'année française. Celte dernière prit position et dé- 
veloppa son front en fate de l'ennemi. Un ravin appelé 
Badkschédérë séparait les deux armées. La première division 

Teçot Tordre de se porter en avant. L'artillerie qui , avec sa 
npîdité ordinaire, avait surmonté toutes les difficultés du 
terrain, appuya ce mouvement. Des obus lancés à propos 
ëiipersèrent les groupes qui paraissaient les plus acharnés: 

^kltalûDuatte de nos ^Idats fit le reste. Nos troupes avaient 



fie ALGËRIE, 

atteint la limite du pays couvert : elles n'étaient séparées 
d'Alger que pa^ un intervalle de cinq à six mille mètres. A 
ce moment, une violente détonation se fit entendre. Les 
Arabes venaient de faire sauter un magasin à poudre établi 
sur la pente des hauteurs dont ils avaient occupé la crête» 
Des nuages d'une épaisse fumée s'élevèrent en tourbillonnant 
à plus de cent mètres de hauteur ^ réfléchissant les hautes 
teintes du soleil d'Afrique. 

Dès ce jour, les Arabes, plus disséminés que les jours pré* 
cédents, ne reparurent sur divers points qu'en tirailleurs : 
leur but parut être moins de combattre que d'attaquer des 
hommes isolés et de piller des équipages. Quant* au nouveau 
succès qu'elle venait d'obtenir, l'armée française avait eu pei) 
de pertes à déplorer. Un seul des officiers avait reçu une bles- 
sure dont il succomba le lendemain : c'était un des quatre 
fils du général Bourmont; dans l'afiaire du 19, un de ses 
frères était entré le premier dans une batterie ennemie* Dans 
le sentiment qui jetait ainsi ces jeunes officiers au plus fort 
du danger pour tâcher de conjurer l'influence de l'impopu* 
larité du nom de leur père, il y avait à la fois quelle chose 
de touchant et d'honorable qu'il est du devoir de l'histoire 
de consigner. 

Dans la situation où était l'armée de terre, sans matériel né- 
cessaire pour attaquer Alger oti les forts qui l'environnent, les 
succès qu'elle avait obtenus jusqu'alors étaient tous ceux qu'on 
pouvait attendre d'elle. La marine travaillait sans relâche au 
débarquement des vivres, des machines et munitions de siège ; 
mais les vents d'ouest, qui régnaient constamment contre 
saison, contrariaient souvent cette opération. Cependant, 
dans la soirée du 26 , un dernier convoi mit à terre tout ce 
qui restait à bord, de chevaux et de matériel de l'artillerie et 
du génie. Ce fut heureux; car, pendant la nuit, lèvent, quoi* 
que frais de la partie de l'est , sauta soudainement à l'ouest 
et soufla avec tant de force, qu'en peu d'instants la mer de- 
vint monstrueuse. Les bâtiments du convoi qui étaient à peine 
amarrés eurent beaucoup à souffrir et éprouvèrent d'assez 
iortes avaries : plusieurs vaisseaiuclugsèrent» cassèrent leun 



ALGÉRIE. 217 

chaînes et leurs cigales d'ancres. A cette même date^ un rap- 
port de l'amiral Duperré causa quelque sensation en France. 

c J'ai livré à l'armée, y était-il dit, 60,000 kilogrammes 
« de biscuit, que le général en chef m'a demandés : nous 
« éprouverons bientôt le besoin de vivres. L'armée expédi- 
« tionnairc a séjourné un mois à bord des bâtiments; lacon<» 
« sommation par le grand nombre de passagers a été plus 
a que double. J'ai demandé au préfet de Toulon de faire 
« préparer deux mois de vivres qui seront expédiés par les 

« divers bâtiments que je détache sur Toulon La sûreté 

c de l'armée navale a failli, à plusieurs reprises, être corn* 
c promise. Les coups de vent se renouvellent fréquemment, 
c bien que nous soyons dans la belle saison. La mer devient 
« aussitôt monstrueuse. Je reconnais bien aujourd'hui que la 
c baie n'est pas tenable. Cependant, sans la présence d'une 
c partie de la flotte, point de débarquement, et par consé- 
. c quent point de vivres pour l'armée de terre. La position 
c est des plus difQciles. Je demande à Toulon des remplace- 
« ments en ancres et amarres. » En même temps M. do 
Bourmont faisait évacuer par des corvettes de charge sur 
l'hôpital de Mahon les malades et blessés de l'armée au nom- 
bre d'environ dix-sept cents, et demandait le transport en 
Afrique d'une brigade de la division de réserve. Les événe- 
ments ultérieurs rendirent ce renfort inutile, mais l'opinion 
publique s'alarma ; le rapport et la demande avaient fait naître 
des conjectures fâcheuses sur la situation de l'armée qui, 
électrisée par ses premiers succès, se préparait à les couron- 
ner par un éclatant triomphe. 

Jusqu'au 28, il n'y eut, sur le développement de tout le 
front de la ligne française que des engagements partiels dans 
lesquels quelques bataillons, entraînés trop loin par leur ar- 
deur et assaillis, à l'improviste, par les forces supérieures d'un 
ennemi qui profitait habilement de tous les accidents de ter- 
rain, eurent beaucoup à souffrir : un bataillon du 2""^ léger 
perdit soixante hommes; un du 36°"^ en eut quatre-vingt mis 
hors de combat; les 17™* et 30'°* de ligne éprouvèrent aussi 
des pertes sensibles. Mais après l'entie^r débarqueineat du ma^ 



lié mÈM, 

tiriel de s(6^c Je générdl en chef dotitia FoMi^ éè ptétlitt 
Toffensive sûr toute la ligne, ' 

Un bataillon de la division Loverdo et trois équipages tem- 
poraires formant une masse de 2,200 hommes entirdti, sous 
lès ordres du colonel Lerident du 48*, formèrent là garni- 
son de la presqu'île. Toutes les forces de terre réunies s'ébrart- 
lèrent le 29, à la pointe du jour et marchèrent à Tennemi eii 
ùTant d'Alger. Les 2"'« et 3"* brigades de la dîvisicn Berthe- 
îène furent chargées de Tattaque de la droite; Les !'• et 5*» 
brigades de la division Loverdo de celles du centre \ le duc 
d'Escars, avec les deux premières brigades de sa dîvfe?6ri, teçût 
J'ordre d'attaquer la gauche et de suivre là ligne dé partage 
des ravins qui versent à Test et à l'ouest d'Alget. L'irtfiéc al- 
gérienne avait concentré ses forces sur un des contreforts du 
Boudjaréah : ses lignes étaient appuyées par plusieurs bouches 
à feu de gros calibre; c'est de là qu'elle n'avait cessé de harce- 
ler nos troupes pendant cette guerre d'avant-postes de plu- 
sieurs jours. 

Pendant cette marche, sans guides, sans Cartes strat^- 
qUesÀ travers un pays prodigieusement accidenté, coupé de 
Tavins, hérissé de nionticulcs dominant parfois des vaAées sans 
issues, l'armée courut de graves dangers. Les divers ccfrps s'é- 
garaient, se mêlaient, se retrouvant souvent hors de ligne ; la 
chaleur était excessive ; l'eau manquait partout. Les soldats 
tombaient de besoin et de fatigue ; les corps marchaient sans 
ordre, et il était presqu'impossible qu'il en fût autrement aii 
milieu de ces fausses marches qui les jetaient souvent dans 
des directions contraires à celles qu'ils devaient tenir. Avec 
nn ennemi plus habile ou plus actif que des Turcs, elle eût 
été ou exterminée ou réduite à composer. Le courage et la 
patience des soldats français surmontèrent enfin des obstacles 
qu'il eût été beaucoup plus prudent de ne pas braver. 

Les divisions, après des fatigues infinies, parvinreift enfin 
h se rallier aux pieds des hauteurs qu'occupait Tarmée algé- 
rienne qui avait réuni le plus de forces sur sa gauche. Les 
brigades Berthier et Hurel attaquèrent ce point avec tant de 
vijrueur que l'ennemi n'attendit pas le choc sur les autres. Là 



ALGÉRIE. jti9 

JIvisioD Berlhczène occupa la crête des collines dominant tou^ 
le pays environnant et qui s'élevaient entre la mer et le poinj 
d attaque de la division d'Escars. Le général Loverdo put éta- 
blir, presque sans coup férir, deux bataillons sur un des ver- 
sants du plateau qui commandait le fort de TEmpereur. Le 
duc d'Escars put aussi assez se rapprocher pour que les deux 
brigades fussent à portée de concourir, dès la nuit suivante, 
à l'ouverture de la tranchée dont le général Valazé tiaça im- 
médiatement les premiers ouvrages à 230 mètres environ du 
château. 

Le fort ou château de l'Empereur avait pris son nom de 
Charles-Quint qui, en 1541, campa sur remplacement où il 
fut construit plus tard par Âlleu-Pacha. Sa forme était un 
carré long : du côté de la mer, il était inattaquable et avait 
été bâti plutôt contre la ville que pour défendre la campa- 
gne. Du haut du plateau de Boudjaréah dont l'armée fran^ 
çaise couronna le sommet après en avoir débusqué les Ara- 
bes, le regard découvrait le Sahcl, la plaine de la Mitidja, et 
les flancs de l'Atlas. Alger et son port, la mer qui la borde, 
les jardins qui l'environnent , le massif qui la domine, la 
chaîne gigantesque de TÂtlas qui Tentoure au loin sur trois Qo 
ses revers, présentaient un panorama magnifique. Sur la pente 
septentrionale du massif qui s'avance dans Tintérieur de la 
mer et dont les dernières ramifications s'étendant à l'est jus- 
qu'à TAratch, à l'ouest jusqu'auMazafran et venant se perdre 
au midi dans la plaine de la Mitidja , était bâti Alger. Son en- 
ceinte était triangulaire, consistant en un mur flanqué de tours 
en assez bon étal sur un développement de trois milles met- 
tres environ et percé de cinq portes dont deux, Bab-Azoun et 
Bab-el-Oued étaient aux extrémités intérieurs des fronds de 
terre. Le masssif sur lequel se trouve Alger est couvert de 
vergers et de maisons de campagne, délicieuses villas mau« 
resques, dans lesquelles les habitants de la ville passaient les 
trois quarts de l'année. Elles sont toutes au milieu de beaux 
jardins, clos de haies, plantés d'arbres fruitiers et d'arbustes 
odoriféranls. On arrivait à ces jardins par des chemins pra- 
ti^uabies seulement à cheval, à moins qu'ils ne fussent près 



220 ALGÉRIE. 

de la mer où on pouvait aller en Toi^1re. On y cultivait quel* 
ques légumes et beaucoup de fleurs. L'oranger, le citronniery 
rabricolier, le pêcher, le cerisier, le grenadier, Tamandier, 
le poirier, le pommier y étaient plantés en assez grande 
abondance. Il y avait aussi plusieurs plantations de bananiers. 
Dans les environs, parmi les espèces forestières, on trootait 
fréquemment le chêne vert, le frêne, Forme, le tremble aux 
feuilles argentées, le cyprès et Tolivier sauvage qui atteint dans 
|ce climat une grosseur étonnante, et qui, par la couleur verte et 
loncée de ses feuilles, diffère totalement des oliviers à feuilles 
grisâtres qu'on trouve dans le midi de la France. Tous ces 
jardins pouvaient être facilement arrosés, et, dans la plupart 
des maisons de campagne, il y avait de beaux jets d'eau au 
milieu de bassins en marbre blanc. 

L'active végétation de ces lieux leur donnait de loin Taspect 
d'un tapis de verdure à Tune des extrémités duquel s'élevait 
Mger, dont la blancheur éclatante contrastait avec les teintes 
sombres des environs. AumiUeu de ce labyrinthe inextricable 
des jardins et des villas, coupés en tous sens de routes resserrées 
entre de fortes haies de buissons, de cactus, d'agaves, etimpratn 
cables pour une armée, Alger semblait d'autant plus inabordable 
parterre, qu'outre les facilités que ces lieux ofliraient pour s'em- 
busquer , ils étaient battus en tous sens par les canons de 
quelques forts ou batterieséchelonnéessurla plage, et surtout 
par ceux de la Casbah , qui s'élevait à l'extrémité de l'angle 
formé par les deux fronts du rempart des deux côtés de la 
terre. Ce fut dans ces étroits défilés, au milieu de ce réseau de 
chemins et de jardins, qu'en 1775, les troupes espagnoles 
d*Oreilly eurent à feubir un épouvantable désastre. Le fort de 
l'Empereur était bâti en avant de la Casbah , sur une élévation 
dépendante d'une chaîne de monticules, qui s'élevaient gra- 
duellement à mesure qu'il s'éloignaient de la place ; mais le 
plateau supérieur de Boudjaréah dominait à la fois la Casbah et 
le fort de l'Empereur. Après des efforts inouis de travail et de 
courage, l'armée française était parvenue à s'y établir. Le 
quartier-général était à deux mille mètres du fort. 
Malgré les fatigues de lajournéei la tranchée avait été immé^ 



ALGËRIE^r 221 

djatement ouverte, et les soldats y avaient tpavaîllé avec tant 
d*ardeur, que le 30 au matin une première, parallèle était 
tracée à une distance moyenne de cinq cents mètres du fort, 
et que mille mètres de tranchée étaient ouverts. Pendant les 
jours et les nuits survantes, les travaux furent poussés avec acti- 
irité. L'artillerie ennemie tira peu : la garnison du fort ne fît 
qu'une seule sortie qui fut repoussée avec avantage. Cette 
garnison se composait cependant de quinze cents janissaires et 
huit cents topjis, canonniers choisis parmi les plus exercés du 
Bey. Les uns et les autres, dirigés par de plus habiles chefs, 
auraient pu faire éprouver de grandes pertes à Tarmée fran- 
çaise; mais les travaux du siège en furent à peine partiellement 
interrompus. Seulement, pendant le jour, les tirailleurs turcs 
et arabes se glissaient à la faveur des buissons ou des hautes 
berges des ravins qui étaient à la gauche des attaques et vei- 
naient tirer à courte portée sur les travailleurs. Us parvinrent 
ainsi à blesser un fort grand nombre de soldats qui ne purent 
se mettre à Tabri de leurs atteintes, qu'en élevant des épaule- 
ments de terre. Une nuit cependant, des miliciens suivis de 
bandes d'Arabes se précipitèrent sur une des batteries qui 
étaient encore masquée, et assaillirent nos soldats occupés à 
travailler avec tant d'impétuosité qu'ils n'eurent pas le temps 
de prendre leurs armes, et ne purent se défendre qu'avec leurs 
instruments de travail. Heureusement, deux bataillons d'in- 
&nterie, se formèrent immédiatement en bataille et ouvrirent 
un feu de deux rangs si nourri, que les ennemis furent forcés 
de battre en retraite, emportant malheureusement pour tro- 
phée plus d'une tète de nos malheureux soldats. 

Cette alerte eut un autre inconvénient : ce fut de révéler aux 
Turcs l'importance des travaux qui s'exécutaient à portée de 
leurs canons. Jusqu'alors, dans la persuasion où ils étaient, 
que le château de l'Empereur ne pourrait être pris et ruiné 
que par une citadelle de force supérieure, ils avaient peu le 
sentiment du danger de ces longues et faibles lignes decircon- 
vallation qui s'étendaient autour d'eux. Mais quand ils eurent 
vu de près ces batteries que leur avaient masqué jusqu'alors des 
arbres ou des haies, et qui dominaient de plusieurs pieds les 



ÎH ALGERIE. 

parapets du ch&teau, leur opinion se modifia étrangement, êi 
à la confiance succéda une triste prévision. Dès ce moment, les 
forts de la Casbah et de l'Empereur firent un feu roulant sur 
tout le front de la ligne française, tandis que les tirailleurs 
arabes avec leurs longs fusils prenaient les 'travailleurs à revbrs 
et causaient à Tarméc des pertes sensibles. Dans cette fàcheuso 
circonstance, une fausse attaque siir bs batteries de mer de 
Tennemi fut jugée indispensable pourattirer son attention sur 
plusieurs points à la fois, et donner un peu de répit à Tarméo 
de terre. L'amiral Duperré reçut ordre de l'exécuter. 

Le 1er juillet, une brise maniable de l'est à l'ouest permit 
ce mouvement. L'amiral Rosamel défilait à grande portée db 
canon, avec sa division sous les batteries ennemies , depuis la 
pointe Pescade jusqu'au Môle; mais il reconnut que les forts 
étaient démunis de leurs canonniers. Leur feu, en effet , ne 
commença que sur les vaisseaux du centre, après rarrivé3 des 
artilleurs rappelés à leurs pièces des forts de la Casbah et do 
l'Empereur. Cette diversion utile ne put cependant êtra re- 
prise que le surlendernain. Le calme parfait qui régna la veille 
la rendit impossible. Mais le 3, dix vaisseaux et frégates par« 
vinrent à se rallier en ordre de bataille, en se formant sur le 
vaisseau amiral qui avait la tète. Ils défilèrent ainsi sur toutes 
les batteries de mer, en commençant par la pointe de Pescade. 
Quatre d'entre elles avaient été évacuées par l'ennemi, dans 
l'intention de réunir tous les canonniers sur les forts et batte- 
ries plus rapprochées de la ville. A deux heures, la frégate /a 
Bellone en avant de l'armée, commandée par le capitaine de 
vaisseau Gallx's, ouvrit à petite portée de ses canons de 18^ 
un feu vif et soutenu sur le fort des Anjfais. Tous les autres 
bâtiments commencèrent le leur successivement, et défilèrent 
ainsi à demi-portée de canon,sous le feu tonnant de troiscents 
pièces d'arsillerie, depuis cellesdu fort des.^ 2(//at'5 jusqu'à celles 
du Môle inclusivement. Les bombardes défilant en seconde * 
ligne, ripostèrent sous voiles aux bombes nombreuses, lancées 
par l'ennemi, dont le feu était épouvantable* mai s mal dirigé. 
La plupart des bombes éclalaieiit en Taîr: les boulets dépas- 
saient les bâtiments sans les atteindre. Le feu des Français 



ALGÉRIE. tti 

mieux dîHçé, éteignît celui de beaucoup de pièces des forts. 
Cette diversion avait permis de hâter ics travaux de sicgo 
devant le fort de l'Empereur. Le 4 juillet, avant le jour, tout 
fut prêt. Six batteries furent démasquées. Trois armées, Tune 
de six pièpes de 24 , l'autre de quatre pièces du même ca- 
libre , la troisième de deux obusiers de 8 pouces et de deux 
mortiers de 10, devaient faire converger leurs feux sur la face 
8ud-ouest du château qui avait paru oCTrir le plus d'avantages 
pour rendre une brèche praticable. La quatrième était armée 
4e deux mortiers de 10 pouces et de six pièces de 16 qui en- 
filaient lu courtine du front sud-ouest du château et battaient 
de plein fouet le front nord-ouest. Les deux autres devaient 
Répondre aux feux de la Casbah. En même temps, l'armée 
avait rectifié ses positions, et les divers régiments avaient été 
postés de manière à pouvoir profiter avec avantage de toute» 
les éventualités possioles. Une fusée donna le signal de Tat- 
taque : le feu commença. Pendant trois heures ^ Vennemi f 
répondit vivement. Malgré le feu des batteries frai çaisës qui 
les battaient de front et d'écharpc, malgré l'élargissement dét 
embrasur^ qui les mettaient presque à découvert, les canon* 
piers turcs restaient bravement à leur poste. Mais la ju^ 
tesse du feu des batteries assaillantes, que dirigeait le général 
Labitte, fit bientôt taire celui des batteries assaillies. A néu^ 
heures, le feu du jfort était éteint : on commença à battre en 
brèche. 

Ce commeqcepient d'un succès si rapide et si éclatant éicé* 

trisa les troupes de toutes armes. Les ofîiciers et soldats d'af- 

tillerie et du génie avaient vaillamment soiitenu la vieille 

renommée de leurs corps. Les officiers et les soldats des autres 

Corps brûlaient d'impatience que la brèche fût praticable pour 

monter à l'assaut. Mais après l'extinction des feux du fort, les 

panonniers turcs découragés étaient rentrés dans Alger en 

^'écriant que le fort allait être ruiné en moins d'une heure 

et qu'on les sacrifiait inutilement. Le Dey alors avait donna 

l*ordre de mettre le feu aux poudres, et au moment où l'on 

Commençait à battre en brèche, une épouvantable explosion 

«e fit euteûdre. £n même temps, 4^ nuages de poussière et 



m ALGËRHL 

de fumée, des jets de flammes s'élevaient à miê hauteur pro- 
digieuse : des quartiers de maçonnerie, des débris de canons 
et d'affûts furent lancés dans toutes les directions; Fair ^n 
était obscurci. L'armée entière fut un instant ébranlée et 
craintive. ' 

Mais lorsque les débris qui obscurcissaient Tair furent re- 
tombés en pluie bruyante sur le sol, lorsque le vent eut dissipé 
la fumée épaisse et blanchâtre qui couvrait le fort, et qu'on 
put reconnaître que toute la face ouest du château n'offrait 
qu'une immense brèche, les troupes de tranchée demsgidèrent 
à grands cris à marcher en avant ; le général Hurel qui les 
commandait donna le signal. En quelques instants, les troupes 
franchirent l'espace qui les séparait du fort et en escaladèrent 
tans résistance les ruines. Le drapeau français fut planté sur 
BCs*décombres encore fumants. 

La prise du fort de l'Empereur dont les feux plongeants 
pouvaient canonner la ville, la Casbah et tous les forts de la 
marine, décidait en quelque sorte du sort d'Alger. Cependant, 
malgré les vents peu favorables, pour ne laisser aucun répit 
à l'ennemi, en attendant que l'armée de terre eût pu ouvrir 
une nouvelle tranchée devant la ville, l'amiral DupéÉTé se prépa- 
rait à renouveler une attaque sur les batteries de mer, loi^ue 
l'amiral de la flotte algérienne se présenta à son bord et réclama 
la paix, au nom du Dey, en le suppliant de cesser les hosti- 
lités. L'amiral consentit à suspendre sa nouvelle attaque, après 
avoir répondu que les dispositions de l'armée sous ses ordres 
étaient subordonnées à celles de l'armée de terre dont il de- 
vait, avant tout, s'assurer auprès du général en chef. 

Sidi-Mustapha, premier secrétaire d'Hussein, fut alors en- 
voyé directement à M. de Bourmont qui s'était établi au fort 
de l'Empereur et lui parla en ces termes : 

« invincible tète des armées du plus grand sultan de 
m IIUI..W d • »' ' Dieu est pour toi et pour tes drapeaux; mais 
c la clémence de Dieu commande la modération après la vic« 
c toire. La prudence humaine la conseille comme le moyen 
« le plus sûr de désarmer tout-à-fait l'ennemi vaincu. Hus- 
« seiu-Pacba baise la poussière de tes pieds et se repent d'avoir 



^ ALGÉRIE^ m 

t rompu ses anciennes relations avec le grand et puissant 
m Helek-Charal (le roi Charles X). Il reconnaît aujourd'hui 
c que, quand les Algériens sont en guerre avec le roi de 
c France, ils ne doivent pas faire la prière du soir avant 
« d'avoir obtenu la paix. Il fait amende honorable pour 
« l'insulte commise sur la personne de son consul ; il renonce, 
c malgré la pauvreté de son trésor, à ses anciennes créances 
c sur la France; bien plus, il payera tous les frais de la 
€ guerre. Moyennant ces satisfactions, notre maître espère 
c que tu lui laisseras la vie* sauve, le trône d'Alger, et que, 
€ de plus, tu retireras ton armée de la terre d'Afrique et tes 
c vaisseaux de ses côtes. » 

Ces satisfactions ne parurent pas suffisantes au général en 
chef qui chargea le parlementaire de remettre au Dey la pote 
suivante comme ultimatum. 

€ Le sort de la ville d'Alger et de la Casbah est dans mes 
c mains, car je suis mattre du fort de l'Empereur et de toutes 
c les positions voisines. En quelques heures , les cent pièces 
c de canons de l'armée française et celles que j'ai enlevéeri 
€ aux Algériens auront fait de la Casbah et de la ville un 
c monceau de ruines; et alors Hussein-Pacha et les Algé- 
c riens auront le sort des populations et des troupes qui se 
c trouvent dans les villes prises d'assaut. Si Hussein veut avoir 
€ la vie sauve pour lui, les Turcs et les habitants de la ville, 
« qu'ils se rendent tous à merci et remettent sur-le-chan^ 
c aux troupes françaises la Casbah, tous les forts de la ville 
« et les forts extérieurs. » 

Le Dey, en apprenant ces dures conditions, resta quelques 
instants, la tête cachée dans sa main, gardant un morne ^l 
douloureux silence. Sa situation, en effet, était critique : toute 
résistance était d'abord impossible en ce que, après l'explosion 
du fort de l'Empereur, les Arabes, qui n'avaient jusqu'alors 
cessé de harceler les lignes françaises, s'étaient enfuis vers 1p. 
plaine, entraînant avec eux la majeure partie des contingents 
de Constanline et de Tittery. D'autre part, l'esprit d'insubor- 
dination et de révolte des janissaires commençait à éclater : 
la plus grande fermentation régnait parmi eux ; ils s'étaient 
T. I. 45 



^0 ALGJÊRIE. 

même réunis en divan extraordinaire et avaient adopté la 
résolution ' suivante Iju'îls 'envoyèrent par uii'tfe leur» ptAth 
mentaires communiquer à M. de Bourmont et qui caraétirin 
si bien l'esprit de cette turbulente milice. Voici cette' curiioiiise 
communication. '•*>!» 

« Salui et gloire au grand sultan et Padsicha-Charal, le glo- 
« ricux, le sublime, lé secouru de Dieu; et àscmbétiîkcr 
« (général) redoutable, illustre et fidfele totitidî P' ' ^ '^ • 

<K Les grands rois qui ont d'immenses doitiâines ne font 
t pas la guerre pour j ajouter des provinces pauvr* *t êfoi- 
X gnées. Les rois possesseurs d'immenses trésord dédaignent 
t de les grossir d'uii peu d'or ; mais fiers et ibplaicablek, âi'flto 
ce posent les armes que quand le sang de leur ennemi à^ëMiK, 
c que quand ils ont lavé l'inbulte qui fut la première IMise 
« de .la guerre. Apprends donc, ô Vaillant général, qufe Vià^ 
a suite faite au grand Melek Charal est l'insulte personndte 
a]^de Hussein-Pacha.L'argentqu'il réclamait de lui et de'son 
a consul, au lieu d'être la propriété du beylic et celle denses 
a frères et enfants, les milicien^ Turcs, était sa propriété unique 
« et celle de quelques chiens de juifs, qui lui avaient prêté 
a leurs ruses et leurs noms dans cette aflaire. Le glorieux 
« Mclek Charal a eu raison de refuser dé payer, et il doit 
a vouloir la mort de l'insolent qui osa insulter son ambaSM- 
« deur. Plusieurs fois, déjà nos frères ont essayé de se revoi- 
ci ter à cause de cette affaire, contre Hussèhi, qui, en la corn- 
« mettant, s'est montré traître à ses devoirs et à son'paysr : 
a nous avons enfin réussi, nous le tenons prisonnier dans ton 
a palais. Que ta bouche laisse tomber une seule parole et 
« nous allons t'envoyer sa tête en réparation de ses méfaits. 
« Nous espérons que cette satisfaction fera cesser la 'guerre 
a et que ton armée se retirera; nous nous empresserons d*éle- 
« ver au pouvoir suprême un autre pacha, qui recherchera 
€ et cultivera par tous les moyiens possibles; Tàmitifret léB 
et bonnes grâces de Melek Charal, et protégera les cbnsub, 
« les marchands él lés vaisseaux dans nos ports. » 

Comme on lé voit, le dey Hussein n'avdit guère le choix 
des taoyeos; les troupes des beyiics de la Régence TaVaieàt 



ALGÉRIE. 21T 

abandonné, et celle qui lui restaient offraient sa iète pour pri^ 
de la paix. Le général en chef reçut ayec indîcnation la pnv 
position des janissaires, et leur fît dire que si la milice atgê* 
rienne ne cessait à Tinstant mt^me ses délibérations et que si 
elle tentait h moindre attaque contre la Gisbah. la \ilio ou 
je Dey, les membres du divan extraordinaire eu répondraient 
sur leur tète. 

Dans Taprès-midi. le secrétaire du Dey revint enparlonion- 
bîre auprès du général en chef. Il était accompagné du con- 
sul, du vice-consul d'Angleterre et de deux négociants maures, 
les plus riches de la ville. Le but de ces envoyés était irobîi^ 
nir des conditions meilleures et surtout de demander Texpli^ 
cation de ce qu*on entendait' par ces mots : « Se riMidre à 
c merci, » que les Algériens n'épargnant jamais un ennemi 
vaincu, n'avaient pu s'expliquer que d'après leurs barliarej 
usages. Cette clause mal interprétée avait excité une fermen- 
tation qui, exaspérant les esprits, pouvaient les porter à uiio 
défense désespérée dont les suites auraient incontestablement 
été très graves, non pas pour l'armée française, maïs pour les 
habitants d'Alger. M. de Bourmont modifia en consôquonco 
les clauses de la capitulation, et en fit un traité offiriel qu'il 
signa et qu'il remit au secrétaire du Dey : il lui adjoignit 
M. Braschewitz, ancien premier interprète (^0 Tarnifte d'EgypIe, 
pour expliquier au Dey et au Divan les conditions exigées. 
Voici en quels termes M. Braschewitz rapporte celle conré- 
rence. 

«Sur les cinq heures environ j'arrivai h la Porle-Nenve; 
qui ne fut ouverte qu'après beaucoup de diflicnlUiH. Jo luo 
trouvai au milieu d'une troupe de janissaires en fureur; eeiix 
qui me précédaient avaient peine à faiWi écarter devant moi 
[a foule de Maures, de Juifs et d'Arabes qni H(; pHissairint k 
nos côtés. Pendant que je montais la rampcj étroite rpii eon- 
duit à la Casbah, je n'entendis que des cris d'effroi, d(î mmî- 
nace et d'imprécation qui retenlis^aient an loin, et qni aii^« 
mentaient à mesure que nous approchions de la plare. ('«• no 
fut pas sans peine que nous parvînmes aux remparlK de lu ci* 
tadelle; Sidi-Mustapha qui marchait devant moi, s'en fit nu* 



22» ALGÉRIE, 

vrir les portes, et elles furent, après notre entrée, aussitôt re- 
fermées sur les flots de populace qui les assiégeait. La cour 
du divan où je fus conduit était remplie de Janisaires : Hus* 
sein était assis à sa place accoutumée. Il avait debout, autour 
de lui, ses ministres et quelques consuls étrangers; Tirritatioii 
était violente : le Dey seul me parut calme, mais triste. Il 
imposa silence de la main, et tout aussitôt me fît signe d'ap- 
procher avec une expression très prononcée d'anxiété et d'im- 
patience ; il avait à la main les conditions écrites sous la dictée 
de M. de Bourmont. Après avoir salué le Dey et lui avoir 
adressé quelques mots respectueux sur la mission dont j'étais 
chargé, je lus, en arabe, les articles suivants avec un ton do 
voix que je m'efforçai de rendre le plus assuré possible : 

« 1^ V armée française prendra possession de la ville d^AU 
ger, de la Casbah et de tous les forts qui en dépendent^ aind 
que de toutes lespropriétés publiques^ demain^ SjuiUet 1830» 
à dix heures du matin^ heure française. Les premiers mots de 
cet article excitèrent une rumeur sourde qui augmenta quand 
je prononçai les mots : à dix heures du niatm. Le Déy ré- 
prima ce mouvement : je continuai. 

ii2^ La religion et les coutumes des Algériens seront re$^ 
pectées : aucun militaire de t armée ne pourra entrer dans 
les mosquées. Cet article excita une satisfaction générale. Le 
Dey regarda toutes les personnes qui Tentouraient comme 
pour jouir de leur approbation et me fit signe de continuer. 

« 3^ Le Dey et les Turcs devront quitter Alger dans le plus 
bref délai. A ces mots, un cri de rage retentit de toutes parts : 
le Dey pâlit, se leva et jeta autour de lui des regards inquiets. 
On n'entendait que ces mots répétés avec fureur par les ja- 
nissaires: elmout! e/moti(/ (la mort! la mort!) Je me re- 
tournai au bruit des yatagans et des poignards qu'on tirait 
des fourreaux , et je vis leurs lames briller au-dessus de ma 
tèle. Je m'efforçai de conserver une contenance ferme, et je 
reganlai lî\oment le Dey. Il comprit l'expression de mon re- 
gard, et pivvoyant les malheurs qui allaient en résulter, il 
descendit de son divan , s'avança d'un air furieux vers cette 
multitude effrénée^ ordonna le silence d'une voix forte et me 



ALGÉRIE. 229 

fit 8Jgne de continuer. Ce ne fut pas sans peine que je fis en» 
tendre la suite de l'article qui ramena un peu de calme : On 
leur garantit la conservation de leurs richesses personnelles : 
ils seront libres de choisir le lieu de leur retraite. 

€ ^es groupes se formèrent à l'instant dans la cour du di-^ 
▼an. Des discussions vives et animées avaient lieu entre le( 
officiers turcs; les plus jeunes demandaient à défendre la ville. 
Ce ne fut pas sans peine que Tordre fut rétabli et que Taga, 
les membres les plus influents du divan^ le Dey'lui-mème, 
leur persuadèrent que la défense était impossible et qu'elle \ 
ne pourrait amener que la destruction totale d'Alger et le 
massacre de la population. Le Dey donna l'ordre de faire 
évacuer les galeries de la Casbah, et je restai seul avec lui et 
ses ministres. L'altération de ses traits était visible. Sidi-Mus- 
tapha lui montra alors la minute de la convention que le gé- 
néral en chef nous avait remise et dont presque tous les articles 
lui étaient personnels et réglaient ses affaires particuUères. 
Elle devait être échangée et ratifiée le lendemain matin avant 
dix heures. Cette convention fut l'objet d'un long débat entre 
le Dey et ses ministres : ils montrèrent dans la discussion des 
articles et dans le choix des mots toute la défiance et la finesse 
qui caractérisent les Turcs dans leurs transactions : on peut 
apercevoir, en la lisant, toutes les précautions qu'ils prirent 
pour s'assurer toutes les garanties désirables. Les mots et les 
choses y sont répétés à dessein avec affectation : et toutes ces 
répétitions, qui ne changeaient rien au sens, étaient deman- 
dées, exigées ou sollicitées avec les plus vives instances de la 
part des membres du divan. Sidi-Mustapha la copia en langue 
arabe et la remit au Dey avec le double en langue française 
que j'avais apporté. Comme je n'avais pas mission de traiter, 
mais de traduire et d'expliquer, je demandai à retourner vers 
le général en chef pour lui rendre compte de l'adhésion du 
Dey et de la promesse que l'échange des ratifications serait 
fait le lendemain de grand matin. Hussein me parut satisfait , 
de cette conclusion. Tandis qlie les ministres s'entretenaient 
cuire eux sur les moyens à prendre pour l'exécution de la 
pitulation, le Dey se fitapporterparun esclave w 



230 ALGERIE, 

bol en cristal rempli de limonade à la glace. Après en avoir bu, 
* il me le présenta, et je Kus après lui. Je pris congé. 11 m'a* 
dressa quelques paroles affectueuses et me fit reconduire 
jusqu'aux portes de la Casbah par le baclii^liiaoud et pgir Sidî- 
Mustapha, son secrétaire. Ce dernier m'accompagnja^ ayec 
quelques janissaires jusqu'à peu de distance de nos avant* 
postes. » 

Quoique les hostilités eussent été suspendues, Tannée 
française n'en pressait pas moins les travaux du siège, dafis 
le cas où la convention ne serait pas exécutée. Pendant là 
nuit du 4 au 5, ils avaient été poussés avec vigueur et à la 
pointe du jour une communication de huit cents mètres liait 
le château de l'Empereur à l'emplacement qui devait rece- 
voir la batterie de brèche à établir contre la Cçsbah. Le Deyi 
de son côté, aurait désiré une prolongation d'armistice, ef 
•lès cinq heures du matin l'amiral de la flotte algérienne se 
rendit de nouveau, de sa part, auprès de M. Duperré, pour 
renouveler ses sollicitations. Mais il n'en obtint que la note 
suivante : 

« Vaisseau la Provence, devant Alger le 5 juillet 1830. 
(c L'amiral soussigné, commandant en chef l'armée navale 
de S. M. très chrétienne, en réponse aux communications 
qui lui ont été faites au nom du dey d'Alger, et qui n'ont 
que trop longtemps suspendu le cours des hostilités, déclare 
que tant que le pavillon de la Régence flottera sur les forts 
et sur la ville d'Alger, il ne peut plus recevoir aucune com- 
^munication, et la considère toujours comme en état de 
guerre. » 

Une copie de cette note fut remise aussi pour le général 
en chef de l'armée de terre, auprès de qui le Dey avait tenté 
une démarche semblable, en faisant demander que l'occupa- 
tion fût différée de vingt-quatre heures. M. de Bourmont 
exigea que la convention fût immédiatement ratifiée, et que 
les forts, le port et la ville fussent remis aux troupes fran- 
' çaises, à onze heures du matin. Le Dey y consentit, et en 
confirma l'engagement en apposant son sceau sur la conven- 
tion suivante ; 



Coitrtaitioii entre le gênëéal en chef de l'arbiée française 

ET s. A. LE DET b' ALGER. 

• « Le fort Àe la Casbah, tous les autres forts qui dépen- 
deht d'AlJB^er et le port de cette ville, seront remis aux trou- 
pei françaises, ce matin h dix heures. 

c Le général en chef de Tarmée française s'engage envers 
8^ A. le dey d'Alger, à lui laisser la liberté et la possession 
de ce qui lui appartient personnellement. 

* c Le Dey sera libre de se retirer, avec sa famille et ce qui 
lui àtipartient, dans le lieu qu'il fixera; et tant qu'il restera 
S Alger il sera, lui et toute sa famille, sous la protection dii 
gètiéral en chef de l'armée française ; une garde garantira la 
sûreté de sa personne et de sa famille. 

« Le général en chef assure à tous les soldats de la milice 
les mêmes avantages et la même protection. 

« L'exercice de la religion mahométane restera libre ; là 
Hberté des habitants de toutes classes, leur religion, leurs 
|lro{»riétés, leur commerce et leur industrie ne recevront au- 
tiine atteinte ; leurs femmes seront respectées, le général en 
chef en prend l'etigagemeht sur l'honneur. 

c L'échange de cette convention sera fait avant dix heures 
àU Vkkiuij et les troupes françaises entreront aussitôt après 
éans la Casbah, et successivement dans tous les autres torts 
de la vaille et de la marine. 

« Aa camp devant Alger, le 5 jaillet 4830. 

Dès dix heures du matin, l'armée, aux termes de la con- 
vention, se mit en mouvement vers la ville. Les trois divisions 
^ entrèrent par la Porte-Neuve, précédées par une batterie de 
campagne. A leur approche le Dey avec ses femmes, ses do- 
mestiques et ses esclaves, évacua la*Casbah. Le pavillon fran- 
îim remplaça sur la citadelle algérienne, le pavillon d'Alger, 
et fut arboré successivement sur tous les forts et batteries. 
L'armée navale le salua par vingt-un coups de canon. Le le.i« 
temain 6, le vaisseau-amiral la Provence mouilla sous lea 
nurs d'Alger. Le contre-amiral Rosamd et le < 
vaisseau Porée, reçurent ordre de croisar 
àlouest des baies d'Alger et de Sîdi-Ptt 



232 ALGÉRIE. 

çaise trouva à Alger douze bâtiments de guerre, quinze cents 
pièces dé canons en bronze et les arsenaux de la guerre et 
de la marine bien approvisionnés d'armes et de munitions. 
Un Je Deum tut solennellement chanté pour cette rapide 
conquête, et le général en chef adressa à Tannée l'ordre du 
jour suivant : 

« Soldats, la prise d'Alger était le but de la campagne ; le 
dévouement de l'armée a devancé l'époque où il semblait devoir 
être atteint. Vingt jours ont suffi pour la destruction de cet 
Ëtat dont l'existence fatiguait l'Europe depuis tant de siècles. 
La reconnaissance de toutes les nations civiUsées sera pour 
l'armée d'expédition le fruit le plus précieux de sa victoire. 
L'étlat qui doit en rejaillir sur le nom français aurait laide- 
ment compensé les frais de la guerre, mais ces frais même 
seront payés par la conquête. Un trésor conâdérable existe 
dans la Casbah ; une commission composée de M. l'Intendant 
en chef de l'armée, de M. le général Tholosé et de M. le 
payeur-général, est chargée par le général en chef d'en faire 
rinventaire : dès aujourd'hui elle s'occupera de ce travail sans 
relâche, et bientôt le trésor conquis sur la Régence ira enri- 
chir le trésor français, p 

Peu de jours après l'ex-dey rentra, non plus en mdtre^ 
mais en solliciteur dans cette Casbah, d'où il n'était sorti 
qu'une seule fois en treize années, pour ne pas tomber sous 
le coup des poignards de ses janissaires. Il avait demandé une 
entrevue à M. de Bourmont, pour régler avec lui quelques 
points relatifs à son départ et à celui de sa famille, et réclamer 
une caisse contenant trente mille sequins d'or (260 mille 
francs) qu'on avait dû trouver dans ses appartements, et qui 
étaient sa propriété particulière. 11 se rendit à la Casbah ac- 
compagné d'une faible escorte. Il était vêtu très simplement. Il 
portait un caftan de couleur tendre sans broderies, et un simple 
burnous blanc et un turban en cachemire rouge. Son cheval était 
magnifiquement harnaché. Son attitude était celle d'une nobl^ 
et fière résignation. Rien sur ses traits ne révélait l'émotioi 
intérieure de ce vénérable vieillard qui venait d'être précipi^ 
du trône en expiation d'un mouvement de vivacité dont lU^ 



îàLGÉRIE. 233 

ignoble et ^e inirigue a^ait motivé , sinon excnsë Tempor- 
tement. M. de Bourmont le reçut avec distinction et lui fit 
les honneurs du palais où, la teille encore, il trônait en mal* 
tre. Hussein, cependant, ne put se défendre d'un moment 
d'émotion quand il se vit entouré de Fétat-major français 
dont la tenue respectueuse était un simple hommage au mal-» 
heur et non plus à la puissance, a Excusez cette émotion, 
a dit-il à M. de Bourmont en souriant tristement : je suis 
c peu fait à de telles réunions, mais je m'y ferai, d II demanda 
à visiter une dernière fois son ancienne demeure : quand il 
entra dans le salon d'audience, dans celui-là même où il 
avait frappé le consul Deval de son chasse-mouche, son émo- 
tion devint plus visible ; cependant il se remit bientôt, et 
dès ce moment ne laissa, plus percer un seul de ces senti- 
ments intérieurs. U causa avec calme et sérénité, soit de 
ses affaires personnelles, soit des affaires générales, révéla 
l'existence des créances particuhères sur lesquelles il pria 
le général en chef de faire quelques gratifications à des per^ 
sonnes qui n'étaient pas de sa suite , et dont il avait reçu 
des services ou des soins, régla tout ce qui était relatif à son 
départ et à celui de sa famille, et enfin donna sur l'adminis- 
tration de l'Âlgérie^des détails qu'on ne sut malheureusement 
pas apprécier, et des conseils qu'on négligea plus malheu- 
reusement encore de suivre. U en est parmi ces derniers qui 
pourraient encore servir à l'instrution des administrateurs de 
nos jours, nous les reproduisons en en garantissant l'exacti- 
tude et l'authenticité. — a Les janissaires turcs, dit Hussein, 
« habitués à commander, ne pourront jamais consentir à être 
« subaltemisés ; n'attendez d'eux ni ordre, ni soumission : 
a votre intérêt est de vous en débarrasser le plus tôt possible. 
« Défiez-vous de l'astuce des Maures : ils ne sont à redou- 
« ter que par là. Généralement timides et peu entreprenants, 
a ils sont faciles à gouverner; mais leurs discours sont plus 
a dangereux que des pointes acérées : ne leur accordez ja-« 
t mais une entière confiance. 

. « Les Arabes nomades sont peu à craindre ; mais gardez^ 
^ ^ nors^Aiitinns à leur égard : vous vous les aliène- 



234 ALGÉRIE. 

a riez 89ns i^çtour.; ils fujraijent avec leurs troupeaux dans lei 
« états de Tunis et dans, le désert, et vous perdiez une popu- 
« lation nombreuse qui peut plus facilement qu'aucune autre! 
c faciliter leS; tr^ansaclions, commerciales avec les tribus <lo 
« Fintérieur de l'Afrique. Ces Arabes même se prêteront y(H 
« lontiers à ce commerce, mais n'ayez avec eiix que de bonf 
« traitements : cela seul et l'intérêt peut les attacher, les rèn- 
a dre dévoués et dociles. 

« Les Kabyles son|; une population guemère et nombreuse^ 
« contre qui une guçrre générale serait sans profit et sans uth 
« lité. Ëvitez la même avec soin, parce (jue vous n'en pourriez 
« tirer aucun avantag^. Cependant comptez sur la hajne aç 
« cette population qui n'a jamais aimé les étrangers. Mais lie^* 
« reusement, les Kabyles détestent moins les étrangers qu'ils 
« ne se détestent entre eux. Alors, en les divisant, on pro^to 
« de leurs querelles et on les maintient dans la soumission. 
a Les deys d'Alger n'ont jamais suivi à leur égard d'autro 
a plan. 

« Quant aux juifs, ils ne sont nullement à craindre : ils sont 
a ici, comme dans tout l'Orient, très corrompus, mais fort ih- 
« telligents en affaires: em])loyez-les en sous-ordre, mais sans 
a les perdre jamais de vue : ils pourront vous rendre .d'utiles 
« services. » 

Il ajouta encore sur les gouverneurs des beylics d'Oran , de 
Constantine et de ïittery, des détails très judicieux dont on ne 
tint aucun compte, et que l'avenir se chargea de justifier. Il 
prit ensuite congé de M. de Bourmont, aprèsune entrevue de 
plus de quatre heures. 

Son embarquement avait été fixé au 10 juillet. Ce jour, au 
coucher du soleil, Hussein se rendit de sa maison au pont. Sa 
suite se composait de cent personnes : cinquante femmes , 
dont quatre légitimes ;Sidi-Ibrahim, son gendre et sa famille, 
et trente esclaves ou serviteurs. Les femmes étaient portées 
dans des palanquins fermés entre deux rangs d'esclaves : Hus- 
tein précédait le cortège à pied. Pendant tout ce trajet, son 
alUtude fut noble et digne. 11 n'eut pas à recueillir ces bruyan- 
tes démon ^tralioas qui sont ailleurs l'expression des sentimenif 



ALGÉRIE; 235 

publics, mais qui, en Algérie comme dans tous lesËtats maho- 
métans, ne sont ni dans le caractère, ni dans les mœurs des 
populations. Là, on tient compte au souverain moins du bien 
qu'il eût pu faire, que du mal qu'il n'a pas fait ; et sous ce rap- 
port, Tadminiitration d'Hussein avait été plus que celles d'au- 
cun de ces prédécesseurs, débonnaire et juste. Aussi, sur les 
traits et dans la contenance silencieuse de tous ceux des indigènes 
qui se rencontrèrent sur sç^ pas^age^ |1 put lire à la fois une pitié 
profonde pour son infortuîie présenté, et un respectueux hom- 
mage pour sa souveraineté passée. 

Arrivé au port, Hussein s'embarqua sur la frégate la Jeanne- 
d'Arc^ ^ avait été mise à sa disposition, et qui appareil!^ 
sur l'heure. Hus^in jeta un dernier regard sur cette Casbah 
doù il avait régné pendant treize ans en maître absolu, et 
qu'A ne devait plus revoir : ses yeux s'humectèrent de quel- 
ques larmes ; les élevant alors vers le ciel, il murmura tout bi^ : 
c'élait écrit! Et dans cette pensée fondamentale du fatalisme 
oriental, fl trouva une consolation à l'immensité de sa chute. 

Là hr^te lé transporta à Nà{)les , qu'il avait désiré pour 
lieu de sa retraite. Après y avoir résidé quelque temps, il fut 
habiter Livoume ; il se rendit de-là à Paris en 1831, et plus 
tard à Alexandrie, où il mourut en 1838. 

Avec sa souveraineté, s'était éteinte en Algérie cette terri- 
ble Ôdjeacqui, dépuis Aroudj, le premier des Barberoiisse ca 
i 51 6. avait pesé pendant plus de trois siècles sur la chrétienté 
entière-, 



SSSSS 



CHAPITRE IIL 



Les Français à Alger. — £tat social et moral des populatioDS algérieuM. — 
Trésor de la Casbah.— Commencement d'organisation.— ImpréfoyaBOtdi 
ministère : son incorie.— Expédition de Blidah. — Conspiration, coolie hi 
Français, déjouée.— Occupation de Bône. — Le détachement français y eil 
attaqué.— Abandon de Bône. — Expédition d'Oran. — Abandon d*OrUL— 
Funestes effets de ces irrésolutions.— Effet de la conquête d'Alger en FrancB. 
— Embarras du ministère à ce sujet.— Protestation de l'Ang^^erre.— Iho- 
jet de transaction. |— Révolution de Juillet, — Effet de cette révolution nr 
l'armée d'Afrique. — H. de Bourmont est remplacé par le général Ctoiasl. 



L'entrée des Français à Alger n'avait été suivie de pre»- 
qu'aucun de ces désordres inséparables d'une occupation par 
droit de conquête.^Les soldats furent en général cléments rt 
humains, et si, dans les premiers moments, on eut à déplo- 
rer quelques actes d'une inhumanité révoltante, ce ne furent 
que des faits isolés et heureusement très rares. 
j II est plus facile d'imaginer que de peindre Tëtonnement 
des soldats français dans cette ville, où rien de ce qu'ils 
voyaient ne ressemblait à ce qui avait jusqu'alors frappé leurs 
regards. Tout y était nouveau pour eux. Ces rues étroites et 
tortueuses bordées de maisons uniformes n'ayant pour toute 
ouverture extérieure qu'une petite porte basse et une lucarne 
garnie de barreaux de fer ; ces boutiques, espèces d'échopes où 
le Maure ou le Juif, assis les jambes croisées, les regardaient 



ALGÉRIE. S87 

flq[matiqQement passer en fumant tranquillement leurs pw 
pes ; parfois, au détour d'une rue, une Mauresque qui, enve- 
loppÀe dans son long takelilah, leur apparaissait comme un 
blanc fantôme, ou unebellejuivie reprenant de la fontaine dans 
le costume et l'attitude des anciennes filles des patriarches, ou 
bien encore une jeune négresse coquettement drapée dans 
l'ample pièce de toile de Guinée à carreaux bleus et blancs 
qui lui sert de vêtement ; puis des dromadaires qui s'avan- 
çaient gravement, portant haute et fîère leur tète stupide : tout 
cela était si étrange, si nouveau, que les soldats jetaient par- 
tout avec étonnement leurs regards avides et curieux. 

Ce qui surtout les étonnait, c'était de voir l'imperturbable 
sang-froid des populations indigènes, qui semblaient n'être ni 
étonnées ni émues de tout l'appareil militaire do l'armée con- 
quérante d'un peuple d'occident, dont tout devait au moins 
avoir à leurs yeux le mérite de l'étrangeté et de la nouveauté. 
Les soldats ne comprenaient rien à cette indifférence des ha* 
bitants d'une ville où tout faisait naître leur étonnement et 
où leur présence seule semblait n'étonner personne. Les écri- 
vains qui se sont occupés de l'Algérie ont consigné le fait, mais 
n'ont pas cherché à l'expliquer ou ont attribué à des causes 
du moment ce qui était tout simplement un des traits carac- 
téristiques des populations musulmanes, c'est-à-dire une ma- 
nière différente d'apprécier et de sentir. 

Quelques mots à ce sujet ne seront pas hors de propos. 

En France, nous avons une singulière manière de juger les 
choses. Nous commençons par nous poser comme le type de 
la perfection en tout, et, sans nous inquiéter de ce que peut 
avoir d'exagéré une telle prétention, nous déversons le sar- 
casme ou le ridicule sur tout ce qui la heurte ou la scinde. 
Cette méthode économise sans doute le temps, les études et la 
réflexion, mais elle conduit à de bien graves erreurs. 

C'est ainsi par exemple que jugeaient les populations mu- 
sulmanes sur la foi de quelques voyageurs qui ne se sont don- 
nés la peine de rien approfondir; on a crié anathème sur 
elles et, avec cette pbilantropie de paroles dont les peuples mia- 
demes sont essentiellement prodigues» chacw^a appela detoM 



239 ALGËRIC.' - 

ses VŒUX le prétendu flambeau de la civilisation sur ce qu*OQ 
appelle assez grotesquement la barbarie. 

Selon nous, un musulman est un homme apathique, pares* 
seux, jouissant de sa fortune à huis clos, fumant du tabac, hu- 
mant du café, mâchant parfois de Topium, et ayant plusieurs 
femmes qu'il tient à garder pour lui seul. Ce dernier point est 
un grand crime sans doute dans un pays aussi civilisé que le 
nôtre, où là communauté des passions et des vices a presque 
amené, sous ce rapport, la communauté des biens ; mais hâ- 
tons-nous dé dire que c'est le seul point sur l'equel là charité 
chrétienne remporte sur la charité musulmane. ' 

Ces pauvres musulmans ! on a calomnié jusqu'à leurs ver- 
tus. Et, cependant, la paresse chez eux , n'est qu'une plus 
juste appréciation de la valeur dû temps que nous gaspillddè': 
ils vivent pour jouir et non pour travailler, et, chose singu- 
lière, i''ardeur immodérée du travail des peuples d'Occident^ 
h'à d'autre but que celui d'arriver àû far nienle si stygmatîsé 
des peuples d'Orient. L'apathie de ces peuples est le résultat 
d'une' cîvilisâtion bien entendue, qui ne consiste pas à se créer 
des besoins, 'mais à satisfaire ceux qu'on iSprôuve. Leur ja^ 
Ibusié enf^n est l'exquise sensualité d'un louable amour-propre 
non encore vicié par la passion ardente d'une sociabilité cor- 
rompue. Tout ainsi chez eux est la miàé en pratique de ce 
matérialisme de la vie positive, que si peu d'hommes com- 
prennent, et qui place le bonheur dans la' jouissance et le con- 
tentement desoî-mêrae, et non dans Topinibn des autres. 
^Par la loi religieuse musulmane, qui réglemente et prévoit 
jusqu'au plus minutieux détails des usages de la vie privée, on 
eût 'dit que Mahomet avait voulu créer pour ses soldats conqué- 
rants, une vie toute de repos et d'intérieure II fut compris^ 
laissant aux Francs leur civilisation tracassière et vaniteuse qui • 
se borne à ramasser de l'or pour en faire parade, eux, rassem- 
blèrent en secret dans leur harem tout ce que peut inventer le 
sybarîtisme le plus raffiné. Marchant à pieds nus daiis les mes, 
ils chaussèrent chez eux des babouches étincelantes d'or et de 
j;)erles orientales; s'agcnouillant en public, sur les dalles du- 
TGS de leurs mosquées^ ils foulèrent en particulier les tapis les 



ALGERIE. 239 

j wy^, assis sur des tapis de brocard et passant leur yie 
dans un délicieux /hr nientej dont tout ce qui peut enivrer les 
sens, rompait seul la monotonie. 

C'était de la barbarie si Ton veut, mais c'était de la barbarie 
bien entendue/ 

Si ensuite on compare la vie de mouTement et de privation 
des hommes d^Occident à la vie paresseuse et sensuelle de 
ceux d*Orîent, les besoins impérieux des uns et les besoiVA 
bornés dés autres, les désirs insatiables des premiers et lés 
âésirs toujours satisfaits des seconds^ il en résulterait cette triàlé 
vérité : c'est que les uns sacrifient tout à l'opinion d'adtrui, 
dont les autres ignorent là tyrannique influencé, et que h d-^ 
^jisation vraiment philosophique des peuples musulmans fait 
consister le bonheur à être heureux et le nôtre à le paraître. 

Tout ainsi est extérieur chez nous : chez eux c'est tout le 
contraire. Cela explique leur calme et leur indifférence a'ppa« 
rente dans des circonstances comme celles qui ont donné lieu 
à cette digression , et où tes peuples 'd'Occident ne sauraient 
traduire leurs sensations que par désdémoiistrationsbruyantes. 
Chez les musulmans tout est interne :1a joie, les plaisirs, la 
peine, les revers, et jusqu'à l'étonnement eï la curiosité. Puis 
le dogme oriental du fatalisme, dont notre gloriole vaniteux 
s'accommoderait peu , contribue puissamment à cette espèce 
de torpeur des sensations extérieures, dans les accidents lesplus 
liraves de leur vie. Ainsi, par exemple, en 1830, lorsque lés 
Algénens surent que la ville avait capitulé, et que des étrangers 
allaient y entrer en maîtres, la plupart' couchés ou accroupis 
tous l'auvent des échopes qui bordent queltjues* rues, ne se 
retournèrent même pas pour les voir passer. Eh FVance, dans 
une circonstance pareille, on eût agi diffôremiùent : on se fttt 
pressé sur leur passage pour satisfaire sa curiosité d'abord, et 
son amour-propre ensuite , en racontant à d'autres ce qu'on 
(ivait vu. En 1814 et 1815, lors de l'entrée des prétendus alliés 
(i Paris, on fit plus encore : on cria vivent les alliés ! les peu- 
ples que nous qualifions de barbares n'ont pas de tels travcre. 

U est cependant deux points sur lesquels ces postulations ont 
plusdepeineàse résigner : c'est surtout ce qui concerne les fem«' 



240 ALGÉRIE. 

mes et la religion. Sous le premier de ces rapports, les Frtn-> 
çais les mirent, au début de leur occupation à une rude épreuve. 
Les habitations des musulmans sont généralement surmontées 
d'une terrasse blanchie à la chaux, et sur lesquelles au coucher 
du soleil, les femmes montent pour y respirer la brise fraîche 
du soir. Par une convention tacite généralement acceptée, et 
qu'expliquent parfaitement les mœurs musulmanes, à ces heu- 
res, les hommes s'abstiennent entièrement de monter sur les 
terrasses, dont la jouissance exclusive est abandonnée aux 
femmes qui peuvent y caqueter entre elles ou même s entrete- 
nir avec leurs voisines. La proximité des terrasses rend ces 
relations de voisinage faciles. Sûres de ne pas avoir à redouter 
les regards indiscrets des hommes, les femmes montent sur les 
terrasses non-seulement sans voile, mais enoore souvent dans 
un costume fort peu compliqué et que, du reste, la tiède ha- 
leine de l'air motive et excuse suffisaounent. Ainsi beaucoup 
d'entre elles ne portent pour tout vêtement qu'une chemise 
de laine fine ou de percale fort transparenté, fendue et en- 
tr'ouverte du haut à la base de la poitrine. 

Après l'entrée des Français à Alger, les préjugés des musul- 
mans s'opposaient trop à ce qu'on logeât les troupes dans les 
maisons particulières pour ne pas exécuter sous ce rapport la 
capitulation. Celles qui ne furent pas établies dans les forts, 
bivouaquèrent soit sur les places, soit principalement dans les 
jardins des environs d'Alger. Quelques maisons cependant fu- 
rent affectées aux administrations publiques et servirent d'ha- 
bitation aux généraux, officiers d'état-major ou autres. Ces 
officiers, qui n'avaient pas les mômes motifs que les musul- 
mans pour ne pas aller prendre le frais sur les terrasses à 
l'heure où la jouissance exclusive en est dévolue aux femmes, 
choisissaient de préférence cette heure-là^ d'abord, parce que 
la chaleur étouffante du jour faisait de la brise du soir un be- 
soin et ensuite parce qu'ils y trouvaient un vif attrait de cuno- 
sité. Toutes les lorgnettes, toutes les longues vues étaient en 
réquisition , braquées aux quatre points cardinaux, partout où 
apparaissait une blanche forme do femme, et pour mettre 
leurs pudiques maïUe^cs ù 1 abri de tant d'iudibciétious, les 



^^^^^BF? C^kpt;^ _r_ ,. J^^l 

. J 



ALGËRIE. 24f 

Négresses n'avaient pas souvent assez de Taifiple piSee de toilo 
qui leur servait de vêtement et qu'elles étendaient en guise de 



essayé déjà de donner une idée précise. L'Arabe repousse 
cette civilisation; il la dédaigne et ne la considère que comme 
une chaîne qui le priverait du premier et du plus cher de ses 
biens : Tindépendance.. 

T. I. 16 



ALGËRIE. Ut 

Négresses n'avaient pa9 souvent assez de Taffif^Ie pièce de toilo 
qui leur servait de vêtement et qu'elles étendaient en guise de 
paravent devant les jeunes odalisques dont le costume était 
toujours plus diaphane que celui des autres. 

Cet acte blessait trop directement les mœurs musulmanes 
pour ne pas soulever de vives réclamations. L'irritation des 
indigènes fut même portée à tel point que le général en chef 
fut obligé d'intervenir. Nous rappelerons à ce sujet, comme 
un fait qui doit être pris en considération , ce que dit Montes- 
quieu dans son Esprit des lois liv. X ch. XI : Les Français ont 
éié chassés neuf fois de C Italie f àcause^ disent les historiens, 
de leur insolence à V égard des femmes et des filles. La sus^ 
ceptibilité du musulman est^ à ce sujet], moins encore ac- 
commodante que celle des Italiens. 

Maintenant que nous sommes arrivés à l'époque où, pour la 
première fois, les Français sont dans l'ordre social et adminis- 
tratif en contact avec les habitants de l'Algérie, 'ce que nous 
Tenons de dife nous amène naturellement à compléter ce que 
nous avons déjà ébauché au. sujet des populations indigènes. 

On a déjà vu que, parmi les éléments divers de populations 
que contient la Régence, il y a les Bédouins ou Arabes, les 
Berbères ou Kabyles et les Maures. Nous ne comptons pas 
les Koulouglis, les Juifs et les Nègres, parce que ce ne sont 
que des populations accessoires ; la première doit finir par s'é- 
teindre, parce que, depuis l'expulsion des Turcs, elle ne se re* 
nouvelle plus : les deux autres sont forcément attachés, par 
intérêt de situation sociale, à tout dominateur quel qu'il soit. 

Les Arabes et les Kabyles forment les 29/30"** de la popu- 
lation : les Maures composent le dernier 30°^. Les premiers 
habitent généralement la campagne ou les petits villages de 
l'intérieur; le Maure habite les villes. 

Sans être intellectuellementbeaucoup au-dessus de TArabe; 
le Maure possède une civilisation matérielle dont nous avom 
essayé déjà de donner une idée précise. L'Arabe rousse 
cette civilisation; il la dédaigne et ne la considère que comme 
une chaîne qui le priverait du premier et du plus cher de ses 
biens : Tindépendance. 

T. u 16 



£43 ALGÉRIE. 

Dans une somptueuse habitation où les riches teintures, le 
marbre et Tor sont quelquefois prodigués, habite le Maure» 
promenant ses loisirs dans un riant jardin, vêtu avec richesse» 
savourant le repos de corps et d'esprit au miUeu de parfums, 
d'esclaves tremblants qui préviennent ses volontés, de jeunes 
et belles femmes qui se disputent ses désirs, réunissant dans 
un étroit espace toutes les jouissances auxquelles sa fortune lui 
permet d'atteindre, 

A côté de lui, dans une plaine aride qu'il ne se donne 
même pas la peine de cultiver, où il n'a d'ombre que celle des 
arbres qui y croissent naturellement, exposé aux rayons d'un 
soleil brûlant qui pénètre à fond les entrailles de la terre, cou- 
vrant à peine sa nudité de quelques haillons, habitant une 
misérable cabane ou une sale tente en poil de chameau, vit 
l'Arabe pêle-mêle avec ses femmes, ses enfants, ses bestiaux et 
sa vermine. Cet homme, par le produit de ses denrées, de ses 
bestiaux est aussi riche, parfois plus riche que le Maure : soo 
or, il l'enfouit. La jouissance pour lui est dans la possession, 
mais non pas dans l'emploi. Il n'ignore pas qu'avec de l'or, i) 
pourrait se procurer l'existence somptueuse du Maure, mais 
pour cela il faudrait qu'il renonçât à être ce qu'il est, ce qu'ont 
été ses pères; à ce prix il n'en veut pas. Ce qu'il veut, c'est 
être libre, et il sait qu'avec des besoins il ne le serait plus. Ainsi 
son intelligence naturelle lui a révêlé ce que les lumières de 
la civilisation n'ont pu encore apprendre aux peuples mo- 
dernes. 

Tel était l'Arabe avant les patriarches, tel il fîit sous eux, 
tel il est encore : au miUeu dcis flots changeants d'une merde 
peuples, le Créateur l'a jeté comme un rocher. 

L'Arabe n'a pas oublié cependant qu'il fut, lui aussi, uo 
peuple conquérant. Il sait que son établissement dans l'AfriquQ 
occidentale est la conséquence de sa conquête, et son orgueil 
national s'en exalte. Il sait que quelques-unes de ses tribus 
descendent en ligne directe de ces guerriers fameux qui, par 
la force du sabre, implantèrent leur culte en Orient, et même 
en Occident. Aussi étalant au soleil avec orgueil son luxe de 
guenille?» il regarde avec mépris le Maure tout dm, «tav^e 



àL6ËRIE« 243 

horreur le Franc, les considérant Tun et Tautre camme de 
beaucoup inférieurs à lui. 

Les principaux traits caractéristiques des tribus arabes sont 
communs aux tribus kabyles. La constitution politique de ces 
deux populations ne diffère que dans des dispositions acces- 
soires : leur constitution sociale varie en ce que les unes sont 
généralement sédentaires et les autres'généralement nomades. 
Malgré cette différence, il existe entre elles une très grande 
analogie de religion, de mœurs, d'usages, de passions, dégoûts 
et de haines. Il existe cependant une différence dans leur 
langage : la langue des Kabyles, riche, abondante, originale 
et assez précise, se nomme le Cliillah. Elle est répandue, parlée 
ou comprise sur une ligne immense, depuis l'Atlas jusque dans 
l'oasis de Syouhah, mais divisée en une infinité de dialectes 
particuliers, dérivant évidemment d'une origine commune, 
et qu'il serait bien difficile peut-être de ramener à un type 
spécial. 

La langue arabe est généralement celle de tous les Arabes, 
Maures ou Juifs. Sur les confins du Désert, il existe cependant 
des juifs convertis à l'islamisme qui, dans leurs relations inté- 
rieures, ont conservé l'usage de Tidiome hébraïque : mais ce 
n'est qu'une exception. L'arabe vulgaire a beaucoup de va- 
riantes, mais il y a la langue mère ou savante, l'idiome de 
Modhar, dont Mahomet se servit pour écrire le Coran : comme 
tout musulman instruit le connaît plus ou moins bien , cet 
idiome fonde l'unité de langage qui existe peu dans la vie 
ordinaire : chacun employant le dialecte propre à la partie du 
monde mahométan qu'il habite. Quant à la langue turque qui 
servait pour les actes officiels, elle n'était guère usitée en Àl« 
gérie que parmi les janissaires et les Koulouglis. Les Turcs, du 
reste, n'ont jamais cherché à imposer leur langue aux Arabes 
et aux Kabyles : bien plus, ils n'ont pu les dominer qu'en ex- 
ploitant l'Arabe par l'Arabe. Les haines privées des tribus di- 
verses ont même fait leur seule force à cet égard, et toute leur 
tactique a consisté à faire tourner au profit de leur politique 
les divisions intestines de la grande famille arabe. Ce système, 
comme ou Va déjà vu, était en partie celui d^ Caribamois 



244 ALGÉRIE. 

et des Romains. Seulement les Turcs eréèrent entre leurs alliés 
ou auxiliaires et les récalcitrants une espèce de hiérarchie qui 
subsistait lors de la conquête de TÀlgérie par les Français, qui 
a été détruite par cette conquête et qui n'a encore été rem- 
placée par rien d'aussi efficace. Gomme c'est une des causes 
qui n'ont pas peu contribué à accroître les difficultés de la 
domination française , il n'est pas sans intérêt de s'y arrêter 
un moment. 

■ le premier soin des Turcs, après avoir conquis l'Algérie, 
fut d'écraser quelques tribus puissantes ou remuantes et de 
prendre les autres sous leur protection. Ces dernières devin- 
rent naturellement les auxiliaires des dominateurs, soit pour 
la levée des impôts, soit pour les expéditions de guerre. Les 
tribus alors formèrent deux classes : l'une, connue sous le nom 
générique de margzeHf affranchie de tout impôt, excepté des 
impôts religieux : l'autre, appelée rayas, est soumise à toutes 
les espèces de tributs dont nous avons déjà donné la nomen- 
clature. De cette manière , toutes les fois qu'une expédition 
devenait nécessaire pour la levée d'un impôt ou toute autre 
cause, lesmargzen appuyées d'un faible corps de troupes suf- 
fisaient : la part de butin qui leur était allouée dans ces cir- 
constances était un assez puissant stimulant pour elles. Ainsi, 
les Turcs, ces hommes si incapables, comme on ne cesse de le 
dire, avaient eu le bon esprit de tirer parti de la force partout 
où elle était sans prodiguer leur or et le sang de leurs soldats. 
L'habileté française n'a pas toujours obtenu d'aussi heureux 
résultats, et ce n'a été qu'après beaucoup de tâtonnements 
qu'on s'est décidé à instituer quelque chose d'à peu près sem- 
blable. 

Cette courte digression sur l'état social et moral des popu- 
lations arabes et kabyles, et le système politique des Turcs à 
leur égard, était nécessaire pour bien faire comprendre com- 
bien il était urgent, immédiatement après la conquête, de 
chercher à tirer parti de ces éléments pour faire acte de force 
administrative et ne pas laisser tomber l'organisation sociale 
de l'Algérie dans un état de désordre d*oii on n'a pu encore la 
retirer. Il est juste de dire que le général en chef de i'armée 



ALGÉRIE. 245 

expéditionnaire n*avait pu avoir de plan arrêté, et cpie Timpré* 
voyance du ministère avait été telle, qu'il n'avait ni demandé 
ni donné aucune instruction à ce sujet. La situation ensuite 
était exceptionnelle. 

En eifet, dans les guerres d'invasion dont la France a donné 
de mémorables exemples, on a vu parfois des souverains dé» 
serter leur capitale; le cours des affaires était nécessairement 
troublé, mais il n'était pas interrompu; avec ses seuls rouages 
secondaires, la machine administrative marchait encore^ A 
Alger, il n'en put être ainsi : le pouvoir personnifié dans un 
seul homme se résumait en lui ; toutes les forces motrices rési- 
daient dans sa volonté : cette volonté manquant, tout manqua. 
Dans cette circonstance, il n'était possible de prévenir le dé- 
sordre et l'anarchie, qu'en substituant purement et simple- 
ment quelque chose ou quelqu'un à la place du Dey. Loin de 
là M. de Bourmont se contenta d'instituer, sous le titre de 
commission de gouvernement, une commission que nous ne 
mentionnerons que par mémoire et qui était si vicieuse danys 
sa constitution primitive, qu'elle s'éteignit d'elle-même après 
quelques essais infructueux de moyens de gouvernement. Mais 
cette insignifiante création s'explique par les vues du ministère 
français, qui n'avait ni l'intention, ni la volonté de garder 
Alger; la valeur des soldats français n'avait été mise à une si 
glorieuse épreuve, que pour favoriser des projets liberticides. 
Peu lui importait ensuite ce que deviendrait la conquête. 

La prise d'Alger cependant, en dehors des coupables ma- 
chinations qu'il méditait, avait éveillé sa sollicitude en un 
point spécial : le trésor de la Casbah que l'on portait à plusieurs 
centaines de millions. Aussi, soit que M. de Sourmont eût 
reçu au sujet de cet objet secondaire des instructions qu'on 
n'avait pas daigné lui donner pour l'objet principal, soit qu'il 
ait cru agir plus logiquement, son premier soin en entrant 
dans la Casbah, fut de nommer une commission chargée de 
faire l'inventaire du trésor : cette opération donna même lieu 
à des bruits si étranges, que nous entrerons dans quelques dé- 
tails au sujet d'un fait qiii est encore un mystère, mais qui 
sera, nous en avons la conviction, éclairci plus tard. 



246 ALGËRDL 

La Gttbah dotit Hu^in n'était sorti qu'une seule fois pen- 
dant un règne de treize années, était une enceinte irrégulièrc^ 
entourée de hautes murailles crénelées à la mauresques et ar- 
mées de canons. Ali-Pacha, prédécesseur d'Hussein, homme 
cruel et sanguinaire, que les Algériens avaient surnommé le 
fouj parce qu'ils imputaient à la folie sa cruauté , s'y était en- 
fermé le premier en disant : « Maintenant, seulement je suis 
« matlre. » Hussein fit comme lui. Celte résidence cependant 
était une habitation assez mesquine; cinq petites pièces ou 
Ton arrivait par un escalier tournant, composaient les appar- 
tements du Dey. Tout le mobilier, selon l'usage turc, ne coih 
sistait qu'en coussins et divans, rangés autour de l'apparte- 
ment et recouverts de riches tentures ; des glaces de Venise, 
de belles porcelaines, de coffres à essence en bois précieux, de 
pendules à cadrans arabes. 

A l'extrémité d'une galerie éclairée par une rotonde vitrée, 
était le harem, ou appartement de femmes qui ne recevait le jour 
que parunecour intérieure plantée de citronniers, de platanes, 
de jasmins, de quelques arbustes, ornée d'un petit kiosque 
revêtu de faïence jaune et noire, et d'un cabinet décoré de 
jolies poteries de couleur claire, lieux de repos pour les pro- 
menades du Dey ou de ses femmes dans le jardin. Les appar- 
tements des odalisques communiquaient extérieurement par 
une grande salle pavée en marbre; ils étaient meublés comme 
ceux du Dey et n'avaient de plus que quelques riches lits à 
colonnes, garnis encore de leurs moustiquaires lorsque les 
Français y entrèrent. Dans tous ces appartements on remar- 
quait, selon l'usage des riches Turcs, le revêtement de faïence 
peinte et dorée garnissant la muraille à hauteur d'appui, des 
tentures aux vives couleurs, des tapis aux fleurs brillantes, des 
cintres moresques, des rosaces d'un goût charmant qui n'au- 
raient pas déparé nos plus élégants salons. 

Près de l'appartement des femmes était la volière* recou- 
verte d'un grillage vert : près de là et à l'extrémité d'une 
galerie où l'on parvenait par une des cours du rez-de-chaus- 
sée, étaient les salles renfermant le trésor. Chaque jour, à 
midi, le trésor se fermait et l'on en apportait la clef au Pacha 



ALCffiROL £47 

qnî n'en était qne le dépositaire et qui n'avait pas le droit 
d*en ouvrir les portes. II ne pouvait même y pénétrer qu'ac- 
compagné du kasnadji (trésorier de rOdjeac). Deux jours par 
semaine, la caisse publique n'ouvrait pas. Ces jours-là, le Dey 
payait de ses deniers, le kasnadji le remboursait le lende* 
main. Avant Hussein, les finances, comme presque toutes les 
parties de l'administration, étaient en désordre : il y mit une 
grande régularité ; cependant il n'existait pas de registre con- 
statant les recettes et les dépenses. La responsabilité du tré« 
sorn*appartenait pas au Dey; elle se partageait entre tous les 
agents du service des finances : aucun acte n'indiquait l'objet 
ou l'importance des versements qui se bornaient à entasser, 
dans leurs cases ou caisses respectives, les monnaies d'or ou 
d'ai^nt, quels que fût du reste leur origine, leur titre ou 
leur valeur. Les sorties de fonds étaient plus régularisées : elles 
ne pouvaient s'opérer que par une décision du divan, et le Dey 
lui-même ne pouvait emprunter une piastre à l'Ëtat sans son 
autorisation. 

Sept pièces renfermaient le trésor. La première de vingt* 
cinq pieds de longueur sur dix de largeur, coupée au tiers de 
sa largeur par une cloison de trois pieds de hauteur, conte- 
nait des boudjoux-réal. Dans la seconde de vingt-deux pieds 
sur huit, étaient, sur trois de ses parois, trois coffres formant 
banquettes et. contenant des lingots d'argent, des boud- 
joux et de la monnaie de billon. Les trois autres étaient 
trois grands cabinets noirs coupés par le milieu par une ctoi- 
son en bois et renfermant, deux, de la monnaie d'argent et le 
troisième des monnaies d'or entassées pèle-mèle depuis le 
roboa soltani jusqu'à la double quadruple mexicaine. Dans 
les deux derniers étaient des piastres de Portugal et des pias- 
tres fortes d'Espagne. La commission chargée d'inventorier 
ce trésor, procéda à l'inventaire. La valeur estimative en fut, 
à vue-d'œil, diversement appréciée par deux de ses membres. 
M. Firino, payeur-général, ne l'évalua qu'à cinquante mil- 
lions; M. Denniée, intendant de l'armée à plus de quatre- 
vingts. L'opinion générale des consuls, du kasnadji et de quel- 
qpM personnes en relation active avec la Régence, fut qu'il 



248 ALGÉRIE. 

dépassait de beaucoup cette dernière somme. Quoi qu'il en 
8oit, après avoir procédé au tri des pièces et des lingots et à 
leur pesage, on trouva pour résultat : 

7,212 kUtforà 3,434 fr.lekU. . . . 24,768,000 
108,704 kil. d'argent à 220 fr. le kiL . 23,915,000 

115,916 kil. représentant ensemble une ! 

valeur de 48,683,000 

Les dépenses pour l'expédition, marine et guerre, s'étaient 
élevées à 48, 500 mille francs. Restait donc sur le produit du 
trésor de la Casbah un excédant de 183 mille francs, auquel 
il faut joindre sept millions environ tant de la valeur des lai* 
nés et denrées diverses trouvées dans les magasins de la Ré- 
gence, que des pièces d'artillerie en bronze. 

Les recettes ayant ainsi assez largement compensé les dé* 
penses, on s'imagina que l'opinion publique devait se mon- 
trer satisfaite : elle ne le fut pas. Desbruils s'accréditèrent fon- 
dés sur des déclarations officieuses des consuls et principale- 
ment du consul anglais, du trésorier du Dey, du juif Ben- 
Durand en relations financières avec Hussein, de ftlaures en 
grand crédit et même d'un des membres de la commission, 
l'intendant Denniée. On parlait non pas seulement de gas- 
pillages privés, de dilapidations particulières, mais] d'un grand 
détournement de fonds fait au profit du roi régnant, alors 
Charles X. On citait même le port dltalie où s'était opéré le 
déchargement. Ces bruits même prirent une telle consistance 
et l'opinion publique se prononça si ouvertement, qu'après la 
chute de Charles X, le gouvernement de juillet crut devoir in- 
tervenir pour faire constater le fait ou en montrer le peu de 
fondement. 

Pour ne pas scinder la relation de tout ce qui se rapporte à 
ce sujet, nous allons le compléter en anticipant sur la narra- 
tion des faits relatifs à l'administration de M. de Bourmon que 
nous reprendrons plus tard. 

Après la révolution de juillet, le ministère fut convaincu 
qu'un grand détournement de fonds avait eu lieu : par qui, ^ 
comment, au profit de qui avait-il été fait? c'est ce qu'il igDQ- 



ALGÉRIE. 249 

t^t Comme tout le monde, il était à cet égard dans une si 
complète ignorance, qu'une des instructions secrètes données 
au général Clausel, nommé en remplacement de M. de Bour- 
mont, fut relative à ce sujet. Dans la conviction où il était que 
le trésor de la Casbah avait contenu plus qu'il n'en avait été 
accusé y le ministère cherchait de bonne foi à découvrir les 
auteurs de ce détournement; aussi la mission du général 
Clausel en Afrique fut, dès le début, moins militaire que po- 
litique et financière (1). 

Les bruits étranges qui avaient couni en France> au sujet 
de ce trésor, étaient plus encore accrédités en Algérie oii ils 
avaient pris naissance. Mais là, comme en France, il était im- 
possible de constater, à cet égard, un fait qui fut plus qu*unc 
présomption basée sur des présomptions. 

Cependant, au nombre des personnes partageant la convic- 
tion de ceux qui croyaient au détournement, était Tintendant- 
général Denniée, membre de la commission primitive, et dont 
l'évaluation estimative du trésor avait été, comme on l'a vu, 
portée presque au double de celle du payeur-général Firino. 
A l'arrivée du général Clausel, il s'adressa à un officier de sa 
suite (le capitaine du génie A« Guy, promu depuis au grade de 
chef de bataillon), et lui demanda si l'argent monnoyé ayant 
laissé une empreinte sur les murs des caveaux de ta Casbah, 
la science n'offrirait pas un moyen d'arriver à la connaissance 
de la valeur contenue. Il lui fut répondu que, si une soustrac- 
tion avait eu lieu , elle avait dû ne s'effectuer que sur Tor 
plus portatif et plus facile à cacher, et qu'en prenant toutes les 
hauteurs des traces qu'avait laissées l'or sur les murs du ca- 
veau où il était entassé et en cubant toutes ces hauteurs, on 
pourrait arriver à une évaluation très approximative du con-^ 
tenu primitif. Le général Clausel, informé de cette circon- 
stance» nomma une commission d'enquête, spécialement 

(1) A miê des premières baltes du général Qauscl, à son départ de Paris 
pour r Algérie, un des officiers de sa saite lai ayant parié d'un plan d'expédi- 
tion contre les Arabes : « Nous discuterons plus tard votre plan, liï dit le gé- 
« Béral, pour le moment notre mission est plus politique et financière que 
« militiîie. » Mous pouvons suaotîr rauHMMÔicîté de ce lait. 



250 ALGÉRIE, 

chargée d*ét^dîer quelle avait pu être l'importance primîtÎTe 
du trésor. M. Guy fît partie de cctle commission et fut charg[6 
du travail de cubage du caveau de la Casbah où avait été en* 
tassé l'or. Il détermina les traces qu'avait laissées l'or sur le 
mur, en prit toutes les hauteurs, les cuba et constata que For 
avait pu occuper quatre mètres quatre-cent soixante-quatre 
millimètres cubes. Comme dans toute réunion de pièces dé- 
tachées, de corps multiples, il existe des interstices, et qu'il 
était important de les défalquer pour constater la diiïérenco 
du plein au vide, le capitaine d'artillerie Lugan, que M. Guy 
chargea des supputations, parvint, après de longs calculs géo- 
métriques, à établir qu'en déduisant quarante pour cent pour 
ladifTérence du plein au vide, il restait, toute compensation 
faite, un nombre de mètres cubes d'espèces monnoyées d'or, 
représentant une valeur de cent cinquante millions : « Ce 
a chiffre, dit le mémoire qui fut publié par la commission 
« d'enquête, est en parfait accord avec les déclarations du 
« consul d'Angleterre, sur l'importance du trésor d'Alger, 
« reçues par M. de Bourmont le jour de la capitulation, avec 
« le document historique publié par M. Schœler, consul- 
ci général d'Amérique près la Régence d'Alger, avec le rap- 
a port que M. DcvaU consul de France près ladite Régence, 
« avait envoyé au gouvernement le 26 février 1828, et enfin 
« avec la déclaration du premier ministre du Dey de Tunis, 
« reçue par M. le chef de bataillon du génie Guy , le même 
« qui a procédé à l'opération matérielle du cubage. » 

11 résulta de ce cubage qu'en admettant que les années du 
blocus du port d'Alger et la guerre à soutenir contre la France 
eussent occasionné au Dey une dépense de cinquante mil- 
lions, on aurait dû trouver dans la Casbah cent millions au 
lieu de quarante-huit. 

Dès qu'on avait su à Alger que , par Topération du cubage 
dans les caveaux de la Casbah, on pouvait arriver à des indi- 
cations à peu près positives sur les valeurs qu'ils avaient 
contenues, quelques personnes, plus ou moins compromiseB 
dans les bruits qui avaient été accrédités, se montrèrent asseï 
impatiemment inquiètes de connaître le résultat de Topâra* 



ALGÉRIE; 251 

lion. Mais quoiqu*il fût généralement admis que le détourne- 
ment, s'il y en avait eu un, n'avait pas eu lieu pour leur 
compte, cette impatience était d'autant plus naturelle qu'elles 
devaient avoir hâte de se laver d'une inculpation qui, sous le 
rapport des preuves matérielles , manquait enlicremcnt de 
fondement. Quoi qu'il en soit, le ministère, qui avait d'abord 
montré tant d'empressement à vouloir découvrir la vérité, or- 
donna tout-à-coup la cessation de toute investigation à ce 
sujet, et la commission d'enquête fut dissoute. On pouvait, 
pour détruire tout soupçon, produire quelques documents po- 
sitifs, tels qu'une certification des douanes d'Italie, où l'argent, 
disait-on, avait été débarqué, ou bien encore une déclaration 
du Dey, lors de son passage à Paris : on ne fit rien de tout cela. 

Ainsi se termina cette mystérieuse afiliire, sur laquelle 
l'avenir pourra peut-être donner quelques éclaircissements 
nouveaux. 

Reprenons notre narration au point où nous l'avons laissée. 

Nous avons vu M. de Bourmont instituer, après la prise 
d*Àlger, une commission gouvernementale, chargée de pour- 
voir aux premiers besoins du service. Cette commission, sous 
l'autorité immédiate du général en chef, était composée du 
maréchal-de-camp Tholosé, du payeur-général Firino, de 
rintendant de l'armée Denniée, du consul Dcval et d'un se- 
crétaire : un capitaine d'état-major faisait fonction de lieute- 
nant de police. Pour remplacer l'ancien ne organisation urbaine 
turque et les divers titulaires dont nous avons déjà défini ail- 
leurs les attributions, cette commission nomma un conseil 
municipal, composé d'indigènes maures : les corporations avec 
leurs aminSj la communauté juive avec son rabbin pour chef 
furent maintenues. En même temps, on procéda à l'expulsion 
des janissaires; ils furent désarmés d'abord, et puis embarqués 
pour Smyrne, au nombre de deux mille cinq cents ; les autres, 
au nombre d'environ deux mille, mariés, ayant une famille et 
des propriétés particulières, furent autorisés à rester dans la 
Régence, après avoir été préalablement dépouillés de leurs 
emplois. 

Gê fut làj&86ale mesive rationnelle qui fut prise en cette 



262 ALGÉRIE 

circonstance. Tout le reste ne fut qu'une série d'actes d'impré- 
Toyance et d'inhabileté. Il était sans doute difficile, avec un 
manque total d'études préalables sur le pays, de substituer 
immédiatement la puissance de la France à celle qu'on yenait 
de détruire ; mais on pouvait faire beaucoup mieux que de 
confier l'administration à la classe des indigènes la moins 
nombreuse et la moins à craindre. L'élévation des Maures au 
pouvoir devait immanquablement aliéner sans retour les 
Arabes qui les méprisent trop, pour qu'une partie de ce dédain 
ne rejaillit pas sur ceux qui semblaient les appeler à leur aide 
pour gouverner. C'était presqu'un acte d'hostilité à l'égard 
de ce peuple conquérant du pays sur les Maures et qui avait le 
droit de penser que les Français s'appuyeraient d'autant plus 
sur lui qu'il était le seul capable de leur disputer sérieusement 
leur conquête. Cette faute grave, en blessant si brutalement 
la susceptibilité nationale arabe, fut une des principales causes 
qui créèrent dans la suite tant d'embarras à l'administration 
française. La jalousie fit naître la défiance, la défiance l'irri- 
tation, et toute transaction devint impossible entre le vain* 
queur et le vaincu : les Maures trompèrent les Français, et les 
Arabes les combattirent. Si, dès le début, on se fût appuyé 
sur ces derniers, on eût eu des embarras sans doute; mais 
aussi on eût pu avoir à sa portée une voie de transaction tou» 
jours ouverte. Cette faute, du reste, doit être moins imputée 
au général en chef qu'à l'inepte ministère, qui avait envoyé 
une armée en Afrique , sans avoir prévu autre chose de la 
conquête que l'inique moyen qu'il se proposait d'en tirer. 

Réduit ainsi à lui-même dans cette inqualifiable incurie du 
ministère français, M. de Bourmont administra comme il put. 
U serait injuste cependant, de ne pas lui tenir compte de ses 
efforts pour substituer une sorte d'ordre et d'organisation à 
l'anarchie qui naquit forcément de la perturbation générale» 
apportée dans tous les rapports administratifs, par le brusque 
déplacement et le renvoi immédiat de tout ce qui, dans l'ordro 
civil et politique, constituait, avant la conquête , non-seule* 
ment l'administration centrale, mais encore ses plus simples 
rouages. Ce qu'il fit fut vicieux saps doute ; mais on ne sait 



ALGÉRIE. 2S3 

comment qualifier ces actes du ministère (fii, dans une si im- 
portante circonstance, se contenta' de lui demander une col* 
lection de plantes et d'insectes pour le cabinet d'histoire na- 
turelle, et cent chameaux pour les acclimater dans les landes 
de Bordeaux. Tels furent lesincroyables motifsdes deux seules 
dépêches que reçut le général Bourmont du ^ministère Poli* 
gnac. D est de ces faits que Fhistoire n'a besoin que de consi- 
gner pour les stigmatiser comme ils le méritent. 

A l'organisation du conseil municipal dont il a été parlé, 
on enjoignit d'autres : on créa une garde urbaine chargée de 
la police de la ville et du port ; aux kadis turcs , on substitua 
des kadis maures. Les rabbins juifs curent la juridiction de 
leurs coreligionnaires : l'autorité française se réserva seule- 
ment Cexequatur, pour les décisions principales de ces divers 
tribunaux. On pourvut ensuite à quelques charges , telles 
que la nomination d'un agha des Arabes, d'un inspecteur du 
marché au blé {codjia) , d'un intendant des inhumations {pe-^ 
tri meldji), réorganisations judicieuses dans une contrée où 
rhabitude exerce tant et de si puissantes influences. Mais ce 
n'étaient là que des étais bien impuissants pour soutenir une 
machine dont laforceetlavolontéabsolued^un homme étaient 
auparavant les éléments constitutifs. 

Ce qu'il en advint était facile à prévoir. Le désordre s'intro- 
duisit dans toute Torganisalion sociale , et le premier bienfait 
que les populations algériennes eurent à recueillir de nous fut 
une anarchie complète dont il fut difficile de prévoir le terme. 

A ces fautes que le général en chef avait essayé de prévenir 
par quelques efforts louables, s'enjoignit bientôt d'autres qui 
'sont moins excusables. Ainsi, par exemple, en parlant des beys 
d'Oran et de Tittery, Hussein avait dit à M. de Bourmont dans 
l'entrevue qu'il avait eue avec lui : a Le béy d'Oran est un 
« honnête homme : sa parole est sacrée : mais mahométan 
< rigide, il ne consentira pas à vous servir; il est aimé dans 
« sa province : il est de votre intérêt de l'éloigner du pays. 
« Quant à Mustapha-Hou-Mezray, bey de Tiltery, je vous re- 
c commande de vous tenir en garde contre lui ; j'avais résolu 
c depuis quelque temps de lui foiretrancher la tête : votre ar«- 



254 ALGÉRIE; 

a rivée seule Ta salivé de ma colère; cet homme est tin Irai- 
« tre : il vous promettra d'être fidèle ; mai$ à la première 
a occasion il vous trahira, d. 

Ces recommandations étaient assez précises pour qu*on en 
tint compte. Cependant, ce mémebey de Tittery parvint à en- 
traîner M. de Bourmont dans une démarche imprudente , qui 
ouvrit la voix à cette série de désastres partiels, qui signalèrent 
la fm de son administration et qui, sans être d'une grande im- 
portance sous le rapport matériel, en ont eu une immense 
sous le point de vue moral. 

Le bey de Tittery avait demandé à M. de Bourmont le com- 
mandement de la petite ville de Bhdah ! M. de Bourmont avait 
refusé ; mais le bey, sans paraître blessé de ce refus , avait gé- 
néreusement envoyé à l'armée française un grand troupeau 
de bœufs qu'il avait eu soin de faire enlever par une bande 
armée dans la plaine de Mitidja. En même temps il fit mena- 
cer les habitants de Blidah par les Kabyles , qui demandèrent 
de bonne foi la protection du général français. Â la même 
époque, le bey d'Oran demanda à se reconnaître vassal du roi 
de France. M. deBourmont envoya son fils aine àOran, à bord 
du brick le Dragon, pour remettre au bey le firman d'investi- 
ture et recevoir son serment, et se détermina à se porter en 
personne sur Blidah. 

La ville de Blidah est située au pied du versant septentrional 
du Petit- Atlas, à l'entrée d'une gorge d'où s^échappe un des} 
affluents du Mazafran : elle est bâtie au pied d'une colline à 
50 kilomètres d'Alger. Entourée d'orangers, de citronniers, da 
grenadiers, elle comptait autrefois quinze mille habitants/ 
C'était la Sybaris de la Régence. La fraîcheur de ses jardins, 
qu'arrosaient des eaux abondantes et limpides ; ses femmes 
aux yeux noirs y attiraient les Maures et les riches Arabes, 
dont elle était un des séjours préférés. Un affreux tremble- 
ment de terre la renversa de fond en comble en 1825 : elle 
ne s'est pas encore entièrement relevée de ses ruines. Ses 
rues sont bien alignées et coupées en angles droits, à chaque 
carrefour est une fontaine , les dehors en sont délicieux : par- 
tout rè^e une fraicbeur agréable » et lœil est frappé de la 



ALGÉRIE. ^S5 

boautfi d'une végétation active. Les jardins sont plantés d'un 
grand nombre d'orangers, tellement rapproches les uns des 
autres, que le voyageur qui arrive à Alger ne soupçonnerait 
pas l'existence d'une ville derrière cet épais rideau de verdure. 
Les terres en sont d'une excellente nature, faciles à travailler 
et à arroser. 

C'est vers cette ville que, le 22 juillet, se dirigea une 
colonne expéditionnaire, forte de mille hommes d'infanterie, 
d'un escadron de chasseurs, d*une compagnie de sapeurs, do 
deux pièces de 8 et de deux obusiei*s de montagne. M. de 
Bourmont commandait en personne ; il était accompagné des 
généraux d'Escars, Dcsprès, Lahitte, de quelques volontaires 
étrangers de marque, et d'un grand nombre d'oITiciers d'état- 
major. Le général Ilurel commandait l'infanterie. 

La marche de la colonne éprouva d^abord peu de difficul- 
tés : elle s'avança par la voie romaine tracée sur une longueur 
de quelques lieues ; mais dès qu'elle eut atteint la berge gau- 
che de rOued-Kerma, des obstacles presque insurmontables 
arrêtèrent nos voitures, l'ardeur de nos soldats parvint cepen- 
dant à les surmonter ; mais au milieu des ravines profondes 
où ils se trouvaient, ils eurent à éprouver des perles cruelles, 
qu'ils ne purent ni prévenir ni venger. Des ennemis invisi- 
ileSj cachés derrière des buissons ou des acccideut de terrain, 
attaquaient les traînards et leurs tranchaient la tête , selon 
l'usage barbare des tribus kabyles et arabes. Quelques pelotons 
furent ainsi massacrés : d'autres ne s'échappèrent que mutilés 
et pillés. Cette guerre de guet-à-pens était encore toute 
nouvelle pour les soldats français, et elle fit une vive impres- 
sion sur leur esprit. Chacun d'eux eût vaillamment tenu tête 
à deux et quatre ennemis; mais un ennemi qui ne se mon- 
trait nulle part et ne se révélait que par ses coups, étonnait 
leur courage. 

En effet, pendant que les détachements isolés étaient 
partout assaillis, la colonne principale du général Hurel avait 
atteint Bouflarick sans avoir vu un seul ennemi : elle lut là 
rejointe par M. de Bourmont et son escorte qui, d'après les 
Apports reçus» fit laire halte pour rallier ses traînards, et 



256 ALGÉRIE. 

recommanda aux soldats de ne pas perdre de Tue la colonne 
pour ne pas être exposés à tomber sous le yatagan des Kabyles. 

Les habitants de Blidah envoyèrent une députation au de- 
vant de la colonne, protestant de leur dévouement, de leur 
satisfaction; et, joignant l'effet aux paroles, ils ne tardèrent 
pas à offrir aux soldats arrivés sous les murs de leur ville , des 
fruits, des boissons, des vivres en quantité. 

Le lendemain on eut à déplorer plusieurs graves accidents. 
Les habitants de Blidah étaient fortjpréoccupés de rapproche 
des Kabyles, qui, disaient-ils, avaient été excités par le bey de 
Tittery qui avait fait répandre le bruit que l'expédition du géné- 
ral français n'était pas de venir visiter Blidah, mais de saccager 
le pays et d'emmener les habitants en esclavage. M. deBounnont 
eut peine à croire à tant de duplicité de la part du bey ; il vou- 
lut s'en assurer. Dès le matin du 24, il poussa une reconnaish 
sance vers l'ouest, et son arrière-garde fut attaquée au retour 
par des Kabyles : dans le courant du jour on vit errer çà et 
là des hommes armés qui épiaient les mouvements de tous 
ceux qui s'isolaient. Bientôt après en entendit des coups de 
feu adroite et à gauche et on ne voyait pas d'ennemi; des 
soldats furent atteints dans les jardins, d'autres à l'abreuvoir 
sous les murs de Blidah, d'autres enfin sur les portes même 
de la ville : ce qu'avaient dit les habitants de Blidah se trou- 
ait fondé. Les Kabyles sortis des montagnes voisines étaient 
prètsàattaquer la colonne. U était peu prudent avec des for- 
ces si minimes de rester dans une position où chaque haie^ 
chaque buisson, cachait une embuscade: M. de Bourmont or- 
donna de se replier sur Alger. 

Sérieusement menacée d'être attaquée dans sa marche & 
son départ de Blidah, la colonne ne tarda pas à l'être. Une mul- 
titude d'Arabes et de Kabyles à pied et à cheval, se présenta 
sur ses flancs, la prit en tête et en queue et commença de la har- 
celer. M. de Bourmont établit une ligne de tirailleurs pour 
tenir l'ennemi à distance; mais ce moyen ne tarda pas à être 
insuQisant : il fallut recourir à des charges de cavalerie qui 
bientôt ne suffirent plus elles-mêmes : l'ennemi devenait déplus 
en plus audacieux: il se porta en masse sur la colonne princi- 



ALGÉRIE. 237 

pale. Pendant un instant, on se battit corps corps; M. de Bour- 
mont lui-même fut obligé de mettre Tépécà la main, il forma 
sa petite troupe en carré, et quelques coups de canon à mi- 
traille portant en plein sur la masse des assaillants les mirent 
en désordre : des chaînes à fond de la cavalerie achevèrent de 
les disperser. La colonne n'arriva à Alger qu'après avoir perdu 
•)lus de cent hommes; mais l'effet moral de ce premier échec 
fut incalculable. 

Les suites en furent presque immédiates ; les chefs de tribus 
voisines qui avaient paru disposés à se soumettre, repoussèrent 
toutes les avances. Les Turcs qui étaient restés dans la Régence 
leur fournirent secrètement des armes et de la poudre, et our- 
dirent une conspiration dans le but d'attaquer simultanément 
les Français au dehors de la ville et au dedans. Heureusement 
le général en chef prévenu à temps, fit faire, un jour de mar- 
ché, aux portes de la ville, une visite générale à tous les Arabes 
et Kabyles sortant, et on en trouva beaucoup emportant, sous 
leurs burnous, des armes et des munitions. Quelques uns 
EYOuèrent que des Turcs, sans autre désignation, leur remet- 
taient ces objets. Ces Arabes furent traduits devant une com- 
nûsnon militaire, et tous les Turcs influents et riches, mariés 
OS non, et qui avaient été autorisés à ne pas quitter la ville, 
fbreat embarqués pour Smyrne. Cette conspiration décou- 
lerte au berceau , rendit l'administration plus circonspecte 
et un peu moins confiante dans les habitants d'Alger. L'expé* 
dition de Blida et ces machinations ténébreuses qui s'étaient 
tramées presque sous les yeux du nouveau pouvoir, détruisirent 
quelques illusions, et la sécurité qu'avait tellement partage 
jii8qu*alors le général en chef, que, quelques jours avant l'ex- 
pédition de Blidah, il écrivait au ministère : « La prise d'Alger 
c parait devoir amener la soumission de toute la partie do la 
« Régence ; plus la milice turque était redoutée, plus sa sou-> 
« mission a révélé dans l'esprit des Africains la force de l'ar- 
« mée française : la confiance commence à s'établir et tout 
« porte à croire que latiche de l'armée est remplie. » 

Cependant on tenta une expédition nouvelle : un corps de 
Groupes fut dirigé sur Boue pour y faire reconnaître l'âutorilé 

7.1. il 



158 ALGÉRIE 

de la France et y relerer les anciens étabUssements françiis 
de laCalIe pour la pèche du corail. Ces établissements connus 
sous le nom de concessions d'Afrique^ sont situés au bord dû 
la mer dans la partie la plus voisine du royaume de Tunis ; U 
terrain en est couvert de marais et assez nîal sain. Dans U di- 
rection de l'ouest en suivant les bords de la mer, on trouve le 
golfe et le port de Bone : ce port est peu sûr, le mouillase y 
est chanceux; mais, près du fort Génois^ les vaisseaux peuvent 
relâcher sans danger. La plaine arrosée par la Seyoouse est 
très fertile et traversée par plusieurs routes ; la ville esi b&tie 
en amphithéâtre et n'offre rien de remarquable. Comme celies 
de toutes les villes barbaresques, ses rues sont étroites, tor- 
tueuses et peu aérées : elle possède une Casbah assez bien 
fortifiée et un mur d'enceinte en assez mauvais état. 

A peu de distance de Bone, au pied de deux mamelons^ 
entre la Seybouse et la Boudjimah, sont les ruines d'Uippone 
(Hippo-Regius) où vécut saint Augustin. La Seybouse dont 
le fond régulier, aujourd'hui en arrière seulement d'une barre 
de sable mouvant alternativement, ouverte ou fermée suivant 
les courants, ne peut recevoir que des barques d'un petit tirant 
d*eau, formait alors à Hippone même une excellente position 
maritime. Là stationna, Tan de Rome 707, la flotte du lieute* 
nant de Ccesar, P. Sitius. Il ne reste à Ilyppone d'autres dé- 
bris de monuments que quelques vestiges de la grande voie ro- 
maine, qui contournait la côte depuis Carthage jusqu'au 
détroit de Gibraltar, et des piles encore debout d'un aqueduc 
qui, du pied du mont Edough, amenait les eaux à la ville* 
Tout le reste, tel que les ruines du prétendu couvent de Saint- 
Augustin^ de la cathédrale, etc., sont des faits si hypothétiques 
que la foi seule peut leur donner un degré quelconque de pro- 
babilité. 

A l'ouest de Bone, on trouve encore l'ancien port de Stora, 
situé dans une position très favorable, et offrant aux vaisseaux 
un excellent mouillage. On n'y voit aujourd'hui que des ruines; 
mais Stora à quinze heures de marche de Constantine, où l'on 
peut se rendre par une ancienne voie romaine pavée et en bon 
état| peut devenir le siège d'un établissement très floriiMat« 



ALGÉRIE. 259 

Cétait sur cette côte, depuis Storajusqu^à la Galle, qu'étaient 
Btués les anciens établissements français en Afrique. La pèche 
du Corail, garantie seulement par la France à son industrie au 
X.VIê siècle, y avait été dès le Xll^dans un grand état de pros- 
périté. Elle était exploitée alors par les Pisans et les Catalans 
qui s'étaient établis dans l'ilede Tabarque et une petite ville 
foisine, nommée alors Mers-el-Djoum, et dont les côtes ont été 
de tout temps extrêmement fertiles en corail. L'exploitation 
innuelle des gisements de Tabarque était faite par cinquante 
barques montées par mille hommes d'équipage, c'est-à-dire 
par un nombre de Maures presquedouble de celui qu'employait 
l'ancienne compagnie française delà Calle. La vente des co- 
raux qu'ils en retiraient étaient effectués dans l'ile même, où 
se rendaient à cet effet les marchands des pays les plus éloi- 
ffïéèé Cette vente s'élevait à des sommes très considérables. 
Les produits des bancs sous-marins de Mers-el-Djoum et de 
Tabarque étaient, dès ce moment, renommés comme d'une 
qualité supérieure à tous les coraux de la Méditerranée et notam- 
inentà ceux des gisements de Ceuta et delà Sicile. 

Les établissements français, qui avaient succédé à ceux des 
Ksans et des Catalans, avaient été, comme on Ta vu, détruits 
par Hussein lors de la déclaration du blocus de la Régence en 
1828. 

L'expédition chargée d'aller faire reconnaître sur ces côtes 
^autorité de la France, partit vers les derniers jours de juillet. 
La première brigade de la deuxième division, une batterie de 
campagne et une compagnie de sapeurs s'embarquèrent sur le 
vaisseau le Trident^ les (réffuieè la Surveillante, la Guerrière^ 
Bt un brick. Le général Damremont commandait les troupes de 
terre : le contre-amiral Rosamel l'escadre qui arriva le 2 août à 
Bone. La ville fut occupée le lendemain. 

Quelquesjours auparavant, un des lieutenants du bcy de 
Constantine s'était présenté pour prendre le commandement 
do la place : les habitants, prévetius doTarrivée des Français , 
par un acien agent de nos concessions, avaient repoussé la pré- 
tention du lieutenant du bey,^ qui était parti fort irrité et avait 
ttlDoncè des hostilités prochaines. La brigade française dut 



S60 ALGÉRIE. 

s'attendre à être attaquée. Le général Damremont fit réparer 
quelques fortifications, construire deux redoutes près d'une des 
portes de la ville où aboutit le chemin de Constantine, et at« 
tendit l'ennemi. Dès le 4 il parut : dans toutes les directions 
les Arabes se montrèrent en grand nombre, mais ne tentèrent 
rien de sérieux. Ils se concentrèrent sur les mamelons qui do- 
minent les ruines d'Hyppone. Le général Damremont dirigea 
sur ce point une demi-brigade d'infanterie appuyée de deux 
obusiers et les en délogea sans peine. Le même jour 6, une 
action assez vive s'était engagée aux portes même de Bone, et 
les Arabes avaient été repoussés avec perte. Le lendemain l'at* 
^ taque fut plus vive encore, et la perte des Arabes plus sensible. 
Mais l'ennemi se recrutait journellement de troupes fraîches, 
et se promettait de prendre une éclatante revanche. Dans la 
nuit du 1 1 au 1 2, il dirigea une attaquegénérale contre les deux 
routes : malgré le feu de la mousqueterie française, les Arabes 
parvinrent à franchir les fossés, et à pénétrer jusque dans l'in- 
térieur des retranchements ; mais une charge à la baïonnette 
vivement dirigée par le général Damremont lui-même, qui 
s'était établi dans une des redoutes, les refoula au-dehors avec 
de grandes pertes. L'ennemi laissa sur le champ de bataille plus 
de quatre-vingts cadavres. L'usage où sont les Arabes d'enlever 
leurs morts, rend probable une perte beaucoup plus grande. 

Découragé par ces revers successifs, l'ennemi n'attaqua plus : 
seulement se montrant en force au loin, il semblait vouloir pro- 
tester, par sa présence seule, contre l'occupation française. 
Quelques pourparlers , néanmoins, avaient eu lieu avec des 
scheiksde quelques tribus voisines, et rendaient un rapproche- 
ment probable, lorsque le général Damremont reçut l'ordre de 
ramener le corps expéditionnaire à Alger. 

Le résultat de celte expédition, ainsi abandonnée au mo- 
ment où il était permis d'espérer qu'on allait en recueillir 
quelque fruit, fut de compromettre, vis à vis des Arabes, les 
habitants de Bone qui s'étaient montrés fort dévoués ^et de 
compromettre les Français vis à \is d'eux. 

L'expédition d'Oran eut un résullat encore plus triste. 

Oraa occupe, sur les boid^ de la im: euiivloSo® 54' delatî- 



ALGÉRIE. 261 

tude nord, et le 2^ 55' de longitude ouest, le fond d'une larga 
baie formée par les caps Ferrât et Falcon. Elle est bâtie sur le 
yersant de trois collines, dont la plus haute s'élève au N. N.-O. et 
est couronnée par deux châteaux qui commandent la place. La 
ville est fortifiée; au bord de la mer, à quelques centaines de 
toises, est Mers-el-Seîgher, ou Petit-Port, et à l'extrémité 
N.-N,Mers-el-Kebir, Grand-Port: Mers-cl-Seigher n'est qu'un 
fort mauvais mouillage où viennent seulement des barques 
communiquant avec Mers-el-Kebir abrité des vents d'O., de 
N. et de S., et le meilleur de toute la côte delà Régence. Un 
fort bâti par les Espagnols et auquel ce port a donné son nom, 
le protège et rend ce mouillage d'autant plus précieux que des 
circonstances particulières pourrraient lui donner une grande 
importance (1). Le port de Mers-el-Kebir peut contenir dix 
vaisseaux ou frégates, et trente bricks ou corvettes environ. 

A peu de distance de la colline dont nous avons parlé en 
est une autre fort élevée, appelée Mazetta ; une vallée la sépare 
de la première : leurs deux sommets sont totalement isolés et 
servent de points de direction aux navires. Au niveau de la 
partie inférieure de la ville, S. et S.-E., sont deux châteaux 
entre lesquels serpente une^ vallée profonde, formant comme 
un fossé naturel dans la partie méridionale de la place. Une 
source d'eau excellente de plus d'un pied de diamètre jaillit 
au haut de la vallée et alimente les fontaines de la ville. Près 
de la source est un autre château qui défend la ville et les silos 
servant à conserver le blé dés Arabes : cette vallée dont un 
ruisseau suit toutes les sinuosités est d'un efTet des plus pit- 
toresques» 



(1) En temps de gaerre, des croisières établies entre Oran et Carth«')g{'ne, 
intercepteraient mieux que Gibraltar le passage de la Méditerranée à l'Océan. 
Les courants du littoral, secondés par les vents d'ouest, régnent dans ces pa- 
rages les deux tiers de l'année, et poussent vers la rade de Mers-el-Kcbir Ie.<« 
navires qui viennent du détroit, tandis qu'ils arrêtent la marche de ceux qni 
marchent à débouquer dans l'Océan. Les vents, toujours parallèles au canal, 
•ont également largues pour se rendre en Espagne comme pour en revenir, et 
yonssent indifféremment les navires, en moins de quinze heures, d'Oran à Ca^ 
) oa de Carthagène à Oran. 

L. Galibcrt. Âlg. anc. et moâ^ 



206 ALGÉRIB. 

vouloir porter leurs décorations quo lorsqu'il aurait été rendu 
justice à leurs camarades. 

Ce fut au moment où le mécontentement était le plus 
excité par tant d'indifférence et d'ingratitude envers elle, qup 
l'armée apprit à la fois la publication des fameuses ordoar- 
nances, le soulèvement de Paris et la victoire du peuple. Cm 
troupes sur lesquelles le ministère Polignac avait osé comptar 
pour appuyer ses projets, reçurent ces nouvelles extraordir- 
naires avec enthousiasme. Quant au général en chef, il se con- 
tenta de dire : « Les imbéciles ! ils se sont trop liâtes !i» M. dp 
Bourmont ignorait alors que la France n'était redevable de 
celte heureuse précipitation qu'à la jalousie de l'Angleterre. 

L'opinion des soldats avait été à peu près unanime sur les 
événements de juillet : enfants du peuple comme ceux-li 
même qui avaient vaincu aux barricades, ils devaient partagei 
leurs sentiments : il n'y eut en eux ni hésitation, ni embarras, 
pi regrets. Il n'en fut pas de même parmi les officiers supé- 
rieurs : quelques-uns, royalistes par calcul, d'autres, ultras par 
conviction, essayèrent de remuer l'armée et parlèrent haute- 
ment de venir mettre Paris à la raison. Mais ils trouvèrent peu 
de sympathie et moins encore d'appui. Le drapeau tricolore 
parti de Toulon le 6 août, sur la corvette la Cornélie^ fut arboré 
le 17 sur les bâtiments de guerre et de commerce, les forts et 
les batteries d'Alger. Quelques officiers généraux ou colonek 
ne crurent pas devoir se soumettre au nouvel ordre de 
choses et quittèrent l'armée : les uns passèrent en Espagne, 
d'autres en Angleterre, d'autres enfin en France. 

Ce départ nécessita une nouvelle réorganisation de l'armée : 
il s'en suivit un grand relâchement dans la discipline, beaucoup 
de découragement et d'ennui dans les^troupes. Les Arabes, au 
contraire, redevinrent plus entreprenants: ils vinrent jusque sur 
le front des positions françaises tirer sur les soldats qui s'en 
écartaient. Pour prévenir ces attaques qui se renouvelaient cha- 
que jour de plus en plus, l'armée fut concentrée à Alger et dans 
un rayon de deux lieues. Mais ce système purement défensif 
ne fit qu'accroître l'audace des Arabes. Bientôt, hors du rayon, 
tous Jes convois furent enlevés, les hommes égorgés. Ëmbus- 



ALGÉRIE. ftg7 

qués à portée de ftisil de» avant-postes français, les Arabes 
tuaient en détail tous ceux qui s'éloignaient de leurs quar- 
tiers. Le colonel du 2» régiment d'infanterie légère, M. Fre- 
gcville, fut ainsi assassiné pour s'être hasardé hors du camp. 
Les Français, en un mot, seulement maîtres des points qu'Us 
occupaient, n'étaient en sûreté que dans leurs quartiers. 

L'esprit d'insurrection ne bornait pas là ses atteintes. A dé- 
faut de pouvoirs forts et acceptés, les influences locales et les 
prépondérances de race commençaient partout à dominer. Le 
pays tiut entier tendait à se constituer d'après elles. Des chefs 
ambitieux affichaient hautement leur espoir de se partager 
l'ancienne Régence. Chacun d'eux travaillait ainsi à s'assurer 
une complète indépendance. En attendant, des bandes irré- 
gulières venaient jusque sous les mursd' Alger piller les jardiÉb, 
démolir les fermes et tuer un à un les soldats de Tariçée fran- 
çaise : le désordre, l'anarchie étaient au comble. 

Tel était l'état de la conquête et la situation de l'armée, 
lorsque le général Glausel, à qui en avait été confié le com- 
mandement en remplacement du maréchal Bourmont, arriva 
à Alger le 2 septembre sur le vaisseau VAlgérisas. Son état- 
major se composait des iieutenants-génccaux Delort et Boyer, 
des maréchaux-de-camp Cassan et Froment, du colonel d'in- 
fanterie Marion, du chef de bataillon Brisson, du chef d'esca- 
dron Darnaud, du capitaine du génie A. Guy et de plusieurs 
autres officiers de diy erses armes. 

Le jour même, M. de fiuurmont publia l'ordre du jour 
suivant : 

« Officiers, sous-officîers et soldats, 

« M. le liculenant-général Glausel vient prendre le com- 
a mandement en chef de l'armée. En s' éloignant des troupes 
a dont la direction lui a été confiée dans une campagne qui 
a n'est pas sans gloire, le maréchal éprouve des regrets qu'il 
a a besoin de leur exprimer. La confiance dont elles lui ont 
a donné tant de preuves l'a pénétré d'une vive reconnais- 
« sance. Il eût été heureux pour lui qu'avant son départ, 
a ceux dont il a signalé le dévoûment en eussent reçu le prix; 
a mais cette dellc ae tardera pas à êtie acquittée : le maréchal 



268 ALGÉRIE. 

a en trouve la garantie dans le choix de son successenr. Les 
ce titres qu'ont acquis les militaires de Tanude d* Afrique au* 
; a ront désormais un défenseur de plus. » 

Tel fut le dernier acte officiel de M. de Bourmont. Promu 
au commandement de l'armée d'Afrique , quoique morale- 
ment flétri d'un de ces tristes antécédents que l'opinion pu- 
blique ne pardonne jamais y il s'y conduisit en homme qui 
aspire à se réhabiUter : ses fils le secondèrent dignement. 
Gomme général^ sa conduite fut digne d'éloges; comme ad- 
ministrateur, il compromit la conquête, mais c'est à l'impré- 
voyance du ministère seul qu'il faut attribuer cette faute 
capitale. Ce dernier avait nommé un homme pour conquérir, 
cet homme remplit avec honneur sa tâche. C'était au minis- 
tère à aviser au reste. 



CHAPITRE IV. 



AiTivée du général GlaiiMl à Alger. — Création d'an comité administratif. -* 
Vues du ministère français à l'égard d'Alger.— Tittery et Sou beylick.» Ex- 
pédition de l'Atlas.» Passage du Téniah de Mouzala.— Occupation de Mé> 
déab.— Retour à Alger.— Complément d'organisation intérieure.— Conve»» 
tion entre le général Clansel et le bey de Tunis, relative à la nomination do 
deux princes tunisiens aux beylicks de Constantine et d'Oran. — Suscepti- 
bilité du ministre Sébastian!. — Le bey de Tunis refuse d'adhérer à la con- 
vention nouvelle.— \iolation du territoire d'Oran par Muley-Ali, neveu di» 
l'Empereur de Maroc. -'- Mesures énergiques du général Clausel, désap- 
prouvées par le ministère. —-Embarras du gouvernement français poui 
l'occupation de l'Algérie.- Réclamations de l'Angleterre.— Résultat de la 
fausse politique du ministère français.— Discours du général Clausd sur b 
colonisation de l'Algérie. — Le général Clause! est remplacé par Je £;énérel 
Bertiiezène* 



Le général Qausel, dont la mission n'était pas limitéa par 
des instructions, pensait qu'elle se bornerait à faire connaitre 
à Tannée les changements survenus dans le gouvernement et 
à prendre quelques mesures de détail relatives, soit à la con- 
quête, soit à Toccupation militaire de quelques points de la 
::ôte. hà première partie de sa mission ne souffrit pas de diffi- 
cultés : l'amour de la patrie et les plus nobles sentiments rem- 
plissaient les cœurs des soldats, et à peine furent-ils instruits 
des événements, de leur cause ; à peine eurent-ils la convic- 
tion que la patrie rendait justice à leurs nobles travaux et 
comptait sur eux comme sur ses autres enfants, que tous^ ollfi- 



270 ALGÉRIE. - 

ciers et soldats , prêtèrent avec enthousiasme le sennent de 
fidélité à la dynastie nouvelle. 

Voici la proclamation que leur adressa le général Clausel : 

« Soldats, je viens me mettre à votre tète et vous apprendre 
les événements qui ont eu lieu à Paris et en France dans les 
derniers jours du mois de juillet. 

« Charles X ne règne plus ! un attentat des plus coupables, 
essayé par son gouvernement contre le droit public des Fran- 
çais, l'a fait descendre du trône, après avoir vu périr dans les 
rues de Paris quelques régiments étrangers, repoussés depuis 
longtemps de notre territoire par l'opinion des Français et 
quelques hommes séduits de la garde royale. 

« Le pacte qui liait le roi avec la nation a été détruit par 
les ordonnances du 29 juillet. Le trône est devenu vacsgdt en 
fait et en droit, et il a été offert par les Chambres au chef 
de la branche cadette de la maison do Bourbon. La manifes- 
tation du vœu de la France ne s'est pas fait attendre, et le 
duc d'Orléans, déjà lieutenant-général du royaume, règne, 
comme roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe I*'. 

«r Le roi des Français réunit à la légitimité du droit, la 
légitimité du choix et de la nécessité; tous les partis politi- 
ques se sont empressés de faire à la patrie le sacrifice de leurs 
affections particulières. 

a La Charte, lien d'union qu'un sage et auguste législateur 
avait donnée à la France, cesse d'être une déception, et de- 
vient une vérité sous un prince patriote. 

a Sous lui, l'armée verra ses droits respectés, la faveur im- 
puissante, la loi sur l'avancement exécutée, la considération 
et les moyens d'existence assurés aux militaires de tous les 
grades, après de longs services. 

« Soldats, je connçiis toutes mes obligations envers vous; 
je les remplirai avec zèle, empressement, et surtout avec l'at- 
tachement que je vous porte; mais je connais aussi vos de- 
voirs envers, la patrie, et je suis bien convaincu qu'elle vous 
avouera toujours poiir ses fidèles enfants. » 

En même temps il adressa aux iiabitants d'Alger la procIa<* 
ttiatioQ suivante i 



ALGÉRIE. 27 i 

4 ItâbitiHtd dti royaume d'Alger 

€ Le puissant roi des Français, Louîs-Phîlîppc I*', m'a 
confié le commandement de Tarmée qui occupe ce royaume 
et le gouvernement des provinces dont il se compose. L'in- 
tention du roi des Français est d'assurer pour toujours lo 
bonheur des peuples que nos armes ont soustrait à un joug 
bumiliant, en faisant régner ia justice et les lois, en proté- 
geant tous les bons, en sévissant sévèrement contre les me* 
diants, à quelque classe qu'ils appartiennent. 

« Des malveillants ont répandu des bruits injurieux au ca- 
ractère français, en nous accusant d'une injuste préférence 
pour certaine classe d'habitants. Ne prêtez point l'oreille à 
tes insinuations perfides; je promets à tous sûreté et protec- 
tion, mais j'attends de vous une entière conûance et tout 
Fappui que vous pourrez tne prêter pour faire régner l'ordro 
et la paix* 

« Habitants du royaume d'Alger, votre religion, vos mœurs, 
♦os usages seront respectés : je ferai droit à toutes vos récla- 
mations, je compte que je n'aurai qu'à me louer de votre con- 
duite, et que vous ne me mettrez jamais dans le cas de vous 
prouver que ce ne serait pas en vain qu'on essayerait de susci- 
ter des troubles, soit dans l'intérieur de la capitale, soit au 
dehors. J'ai déjà ordonné la punition exemplaire de quelques 
hommes perfides qui ont fait circuler des bruits coupables 
]K)ur alarmer, et qui nous accusaient d'avoir dessein de vous 
abandonner à la vengeance des oppresseurs dont nous vous 
avons délivrés. » 

Le premier soin du nouveau général fut ensuite de réorga- 
niser l'armée, l'administration, et de former deux bataillons 
d'indigènes qui prirent le nom de zouaves^ et dont le but 
^écial fut d'être jeté en avant de nos positions comme éclai- 
teors, et d'établir des relations entre Tarmée et les tribus de 
l*intérieur. Les capitaines Maumcl et Duvivier en prirent le 
<Jommandement. Cette création importante dont tous les con- 
q[uérants de l'Afrique septentrionale avaient tiré le plus grand 
parti, devait plus tard servir de jalon a celle de Mackzen, dont 
jhotui aurons occoiion de p vl«r» 



273 ÀLGËIUE. 

Dans les goiiyernements sans relations extérieures, et qui, 
comme était alors la Régence d'Alger, n'ont ni armées, ni 
marine, l'administration publique se divise en trois grandes 
sections principales, embrassant tous les intérêts public^ et 
privés : l'intérieur, la justice et les finances. Trois membres 
correspondant à ces trois sections composèrent le comité do 
gouvernement. Ce comité devait s'assembler sous la prési- 
dence de l'intendant du royaume, qui, sous l'autorité du gé« 
néral en chef, décidait des affaires mises en délibération au 
comité. Un secrétaire-général rédigeant et enregistrant les 
délibérations, notifiait les arrêtés du général en chef, par 
ampliation à chacun des membres du comité, et était déposi* 
taire des archives. Tous les arrêtés préparés par les membres 
du comité, chacun dans leurs attributions respectives, dis- 
cutés et délibérés en conseil, étaient pris par le général en 
chef, sur la proposition et d'aptes Texposé de l'intendant qui 
était chargé d'en suivre l'exécution. Cette centralisation de 
pouvoirs dans les mains d'un seul, se rapprochait du pouvoir 
renversé, autant du moins que les mœurs et les lois françaises 
pouvaient le tolérer. En la consolidant, l'usage eût pu assurer 
son succès. 

Cette administration remplaça avantageusement toutes ces 
commissions vicieuses dans leur constitution, créées au fur et 
à mesure des besoins , et dont les attributions mal définies 
s'étaient réciproquement entravées et avaient amené cette 
anarchie sociale qui avait caractérisé l'administration de M. de 
Bourmont. 

Peu de jours suffirent pour fixer les idées du général Gausel 
sur le parti que la France pouvait tirer de sa conquête. Il vit 
sans peine que le règne des Turcs sur ce pays était à jamais 
fini, et il resta persuadé que le territoire d'Alger pouvait de- 
venir entre les mains des Français , non seulement la plus 
importante de leurs colonies, mais encore celle qui pouvait, 
au besoin, remplacer toutes les autres et avait Timmense 
avantage de n'être qu'à quelques heures de leurs ports de la 
Méditerranée. Sespremières dépêches au gouvernement furent 
édites ddUb ce sens, et à la date du 30 octobre, il reçut du 



ALGERIE. 27a 

maréchal Gérard, ministre de la guerre, une note officielle 
qui lui donnait l'assurance que le gouvernement était déj:\ 
déterminé, à cette époque, à coloniser Alger et à profiter de 
tous les avantages de la conquête. Cette dépèche est d'autant 
plus curieuse à consigner, qut plus tard, sur les jalouses ré- 
damations de l'Angleterre , le général Clausel fut désavoué 
comme ayant outrepassé ses instructions. En voici quelques 



c Général, le gouvernement, déjà déterminé à conserver 
ta possession d'Alger, a vu avec satisfaction par les rapports 
que vous m'avez adressés qu'il était possible de pourvoir à 
Toccupation de cette ville et des principaux points du littoral de 
la Régence avec un corps de dix mille \\ommes et des dépenses 
peu considérables. Ces considérations Pont confirmé dans 
} intention de fonder, sur le territoire dC Alger ^ une impor^ 
tante colonie. 

a Une semblable détermination doit être suivie d'un exa- 
men attentif de tous les moyens d'améliorer l'état du pays et 
de tirer parti de ses ressources, dans l'intérêt de la France 
combiné avec celui des indigènes. 

a Le gouvernement approuve sans réserve ce que vous avez 
fait jusqu'ici... II est également disposé à seconder toutes les 
mesures qui auront pour but de consolider à Alger la domi- 
nation de la France, en la faisant aimer par ses habitants ; 
mais tout en s'eflforçant d'améliorer leur sort, la France doit 
chercher dans Alger un débouché pour le superflu de sa po- 
pulation, des ressources pour son commerce et pour son in- 
dustrie... nul doute que des combinaisons, auxquelles on 
aurait soin d'associer l'intérêt des indigènes, pourraient, avec 
le temps, transformer en une vaste colonie la plaine de la 
Metidja, en refoulant vers le petit Atlas les tribus insoumises; 
La France trouverait là peut-être la plupart des produits 
qu'elle tire maintenant de l'Amérique et de l'Inde; elle y 
liOuverait encore un précieux débouché pour ses manufac- 
tures. La colonisation du territoire d'Alger sous un régime 
libéral est une noble et vaste entreprise dont le succès repose 
priacipalement sur vos lumières et sur .votre patriotisme, etc.» 

14 lâ 18 



s» ÂLGiftdL 

Cette dépêché iïottmii ie ministère qui récritait : éiié kkèh 
digne de la politique de la France et de sa fermeté; malhedh 
reusement, de funestes influences, qtai faillirent porter aiijc 
possessions africaines iin coup aussi mortel qtie l*àdniinistrii^ 
tion de tt. de Bourmont, la JSreiit déihenhf ëî désàVoli^. 
Cest ce que nous verrotis plus tard. 

Les termes de cette dépêche étaleiît, côm&é oii te ioil^ k 
positife que le général Clausel crut devoir préjuger là 4ueà^ 
tion de Toccupation définitive, l^dur icck, il étui i)nporlai)t 
d*abord de faire une démonstration qui f ât de nature à rêlfevèr 
l'honneur de la France auprès des populatioios àlgéHéniiël» 
assurer Tascendant de ses armes et là sécurité de âbii àHttSe. 
Une vigoureuse expédition dans rintériéûr des terres j^tivUt 
seule amener ce résultat : elle fut résolue* 

La Régence d* Alger se divise, coifaîne bii isait^ en tro»' 
beyiicks. Au centre se trouve ie beylick de Tittéry, à ï*(àl 
celui de Conslantine, à Touest celui d'Oran. Le be^ de Ht- 
terj, Bou-Meiragy après avoir, comme on a vu, sôtilèvi Ut 
les populations contre les Français, lors de rèxj^itioti de 
Blidah, avait écrit au maréchal de Boùrmônt une insotëhie 
épttre, dans laquelle il répondait à une invitàtioti de venir, à 
j^lger rendre compte de sa conduite par cette bravade : « Àt-* 
c tendez-moi sous peu de jours : je serai sous les knurs d'Alger 
« avec deux cent mille hommes, et c'est sur la plage orientale 
« que j'attaquerai votre armée, si vous osez m'attendre. » Le 
^Iféchal lui répondit qu'on l'attendrait impatiemment et que, 
tfl tardait à se présenter, on irait le chercher. Depuis lors, 
lezrag n*avait cessé de commettre les hostilités les pltis 
intes. Le général Gausel avait dès-lors en lui une injure, 
ifwrjure et de nombreux griefs à venger. Ce fut sur lui qu*il 
t dé porter ses premiers coups. 
lie nom de province de Tiltery, les Turcs désignaient 
iMWmis à l'administration du bey résidant à Médéah. 
Are de cette province, plus large vers l'ouest que vers 
^^l^s très étendu. Par sa proximité d'Alger, elle avait 
fcnagement le régime d*apanages et de juridictions 
I qua les grands dignitaires du pays fais&ient 



AIGÊRIÈ. !É75 

créer à leur profit dans toutes les parties du pays. Aussi ce 
beylick était devenu plus compacte, et Tautorité y exerçait une 
action plus directe sur les tribus qui le composaient ; il y avait^ 
en outre, plus d'esprit d'unité, plus de solidarité et même plus 
d'babibdes de centralisation que dans les autres provinces de 
la Régence. Il en est encore de même aujourd'hui. 

Celte province réunit tous les différents aspects de la vie et 
do ia richesse des populations indigènes de l'Algérie, a La par- 
tie septentrionale est montagneuse, abondamment arrosée, 
pourvue de beaux bois. La plupart des montagnes possèdent 
des carrières à plâtre qui sont exploitées avec avantage, de 
riches bancs d'ardoises que l'avenir utilisera sans doute, des 
mines de cuivre dont les Romains tirèrent un grand parti. Une 
exploration attentive de l'Atlas a déjà révélé d'autres ressources 
minéralogiques d'une belle espérance ; enfin on y trouve des 
eaux thermales dont les propriétés médicinales sont si puis- 
santes, que les Arabes eux-mêmes en ont été frappés et en ont 
porté ail loin la renommée. Dans la partie méridionale, le ter- 
rain est moins accidenté, plus découvert, mais il reste de la 
plus admirable fécondité : de vastes plaines fournissent chaque 
année d'abondantes moissons qui fournissent des grains aux 
tribus les plus éloignées du Sahara; auprès des eaux se for- 
ment des prairies naturelles qui permettent aux habitants 
d'élever de nombreux troupeaux. Ainsi l'eau, le bois, la fê- 
condilé du sol, richesses si rares et si précieuses en Afrique, 
surtout lorsqu'elles sont réunies, rien ne manque à la province 
de Titlery. La population est répartie sur ce territoire d'après 
les habitudes propres de chaque race. Dans la contrée mon- 
tagneuse, on rencontre les Kabyles en majorité, mais en rap- 
ports plus fréquents avec les autres races ; ils ont, dans cette 
province, allié à leurs goûts sédentaires quelques-unes des 
habitudes de la population agricole. A côté des vergers d'oli- 
viers et de figuiers, on voit des champs de blé et d'orge. Dans 
îa partie du pays qui est plus ouverte, se sont fixés les Arabes 
laboureurs, se livrant principalement à la grande culture et à 
l'éducation des bestiaux. Mais pour eux aussi le voisinage des 
Arabes nomades a donné à leurs mœurs un nouveau caractère : 



276 ALGÉRIE. 

ils sont plus hardis, plus portés aux échanges et au commerce 
que dans les autres provinces. Enfin, si on sort du Tell, la 
population nomade du Sahara offre à Tobservateur attentif 
des mœurs nouvelles à étudier. Ces tribus de pasteurs qui 
cherchent dans le mouvement une garantie à leur indépen* 
dance, n'ayant pas, la plupart, de territoire déterminé, par- 
courent annuellement des distances considérables pour venir 
chercher leurs approvisionnements chez les tribus agricoles 
et vendre leurs denrées dans des marchés hebdomadaires qui 
sont affectés soit aux tribus d'un même outhan ou de divers. 
Ces marchés, où on ne venait d'abord que pour vendre et 
échanger les produits, sont devenus, avec le temps, une sorte 
d'assemblée publique et ont pris un caractère politique très 
important. Dans un pays privé de voies de communication/ 
habité par des populations mobiles et disséminé par petits 
groupes sur de grands espaces, l'autorité sut tirer parti de ces 
marchés, où le besoin d'abord, l'habitude ensuite, amenaient 
chaque semaine des représentants des plus petites fractions 
des tribus pour se mettre en rapport avec l'ensemble des ad- 
ministrés et surveiller l'état général des esprits ; car c'est le 
jour de marché que les Arabes recherchent les nouvelles et les 
propagent : c'est là que se forme, ce qu'on appelle dans les 
villes européennes l'opinion publique. Lorsqu'un derkaoui 
(révolté) voulait organiser une insurrection, lorsque la guerre 
sainte était déclarée, c'était sur le marché qu'on venait établir 
la tribune pour s'adresser aux passions de la multitude. Pour 
le kaïd, la présidence et l'active surveillance de ces assemblées 
était un des principaux attributs de sa charge. C'est là qu'il 
pouvait se faire reconnaître par sa tribu, qu'il faisait pubHer 
les ordres généraux émanés du bey, qu'il faisait connaître 
Tépoque de la perception des impôts et le mode de répartition, 
qu'il annonçait les expéditions pour lesquelles les goums 
étaient convoqués. Dès qu'une tribu refusait obéissance et se 
mettait en rébellion ouverte contre le gouvernement, une pro- 
clamation publiée dans tousles marchés de la province déclarait 
les coupables hors la loi et leur interdisait la fréquentation des 
' ^membres de la tribu proscrite qui se présentaient 



ALGÉRIE. 277 

étaient saisis et emprisonnés ; leurs biens efaicnt confisqués. 
Cette mesure, appliquée avec sévérité , ne manquait jamais 
d*amener les coupables à composition après quelques semai* 
nés ; car la fréquentation des marchés n'est pas seulement pour 
les Arabes une nécessité pour écouler leurs produits, mais 
c'est aussi un besoin impérieux, une habitude irrésistible. C'est 
sur le marché qu'ils rencontrent leurs parents, leurs amis; 
c'est là que se discutent les alliances et les hostilités, et que se 
forment ces relations qui établissent quelque solidarité entre 
les tribus voisines. On comprendra dès lors la police rigou- 
reuse établie par les kaïds pour ne rien ignorer de ce qui s'y 
passait, pour connaître exactement ceux qui venaient et ceux 
iqui étaient absents, ce qu'on vendait et ce qu'on achetait. Ce 
jour-là, du reste, tous les chefs moraux et politiques des tribus 
'se rencontraient : le kald, le kadhi, les scheicks, les tolbas (qui 
îrécitent le Coran et apprennent aux enfants à lire et à prier), 
Iles marabouts, qui vendent des talismans pour la guérison des 
imaladies et font des conjurations pour favoriser ou trouver des 
'entreprises. 

L'emplacement de ces marchés constituait pour le gouver- 
nement une des plus hautes combinaisons administratives. Les 
Aabyles des montagnes et les Arabes nomades du désert n'é- 
taient presque toujours contenus que par la nécessité qui les 
amenait sur les marchés de l'intérieur pour écouler leurs hui- 
les, leurs savons, leurs fruits secs, etc. ; les autres pour échanger 
leurs laines et leurs bestiaux contre des grains. Toutes ces tri- 
bus qui, par les difficultés de leurs montagnes^l'éloignement de 
leur territoire, leurs habitudes nomades, croyaient échapper 
à l'action de l'autorité centrale et vivre indépendantes, étaient 
cependant obligées de payer des droits de marché comme une 
sorte de compensation des autres impôts auxquels elles n'étaient 
pas soumises. Combien de fois, après avoir bravé et même 
après avoir vaincu les troupes des beys, ces populations for- 
cément tributaires des marchés de l'intérieur, ont été obligées 
de demander grâce et d'acepter les plus dures conditions. Cet 
état^ de choses fait bien comprendre pourquoi le principal 
•effort des Turcs a toujours été d'arriver a une rigoureuse or- 



278 ALGËIU& 

ganisation des tribus agricoles et à l'établisseifient intelligefit 
du makhzen auprès des grands marchés et des principales 
routes (1). » 

Sous la domination turque, la province de Tiltery obéissait 
à un bey nommé par le Dey d'Alger, sans autre règle que son 
intérêt, son affection ou son caprice. Selon l'usage, son choix 
tombait ordinairement sur le candidat qui offrait les plus 
riches présents aux membres influents du Divan , aux digni« 
taires de TOdjeac ou au Dey. Le bey résidait à Médéah, qi4 
n'était cependant pas la capitale de la province et que peu* 
plaient quatre ou cinq mille Turcs, Hadars ou }(ouIougUs retirés 
du service. La ville était administrée par un hakem turc rele;- 
vaut directement de l'agha d'Alger et choisi par lui. Le ber 
n'avait d'autorité ni sur le hakem ni sur les habitants de Mér 
déah ; il n'avait pas même le droit de rendre la justice dans 
l'intérieur de la ville ; il donnait ses audiences chaque ven- 
dredi dans les environs. Puis, la plupart des habitants de Ift 
ville inscrits parmi les spahis, dont les fonctions étaient he« 
réditaires, constituant une espèce de caste militaire à laquçUe 
les Arabes étaient très fiers d'appartenir, et qui, ne reconnais- 
sant d'autre autorité que celle de leur agha, formaient une 
sorte de troisième pouvoir qui ajoutait parfois par sa turbulence 
de nouveaux conflits d'autorité à ceux qui s'élevaient souvent 
entre le chef de la ville et celui de la province. 

Quant à l'organisation de l'administration des tribus, elle 
était dans la province de Tittery la même qu'ailleurs. Au-dessous 
^ du bey commandant la province, était le kaid commandant la 
tribu, puis le scheick, chef de la ferka, et enfin le chef des 
douars. Les tribus formaient vingt-un outhans. Les ordres 
pour la perception des impôts émanaient du bey : les kaids 
et les scheiks les répartissaient et les percevaient. Les cava« 



(1) Tableau de la situation des établissements français en Algérie, 1813-44. 
Nous avons cru devoir donner avec détail ces curieuses énonciations sur Fim- 
porlance des marchés de la province de Tittery, qui, du reste, peuvent 56 
rapporter à tous les marchés de l'intérieur, d'abord parce que c'est un bon ma* 
dèle à imiter, ensuite parce que c'était uu des plus puissants moyens d'actloa 
de la domination tuique. 



ALGÉRIE. 21§ 

Uers dçs f^hid et des douar constituaient le makhzen , les 
mekahlia du bey ; les spahis des kaïds composaient la force 
publique perqlanente de la province. Dans les occasions graves 
te ]>ey convoquait les goums des tribus. 

Telle était l'organisation de la province que Tarmée fran- 
éaî^ allait envahir. 

Huit mille hommes composés de douze bataillons pris dans 
les divers régiments de l'armée, deux escadrons de chasseurs, 
un bataillon dé zpuaves, deux compagnies de sapeurs, unebat« 
terie de campagne et six pièces d'artillerie de montagnes for- 
maient le corps expéditionnaire placé sous le commandement 
immédiat du lieutenant-général Borey, divisé en trois bri- 
gades sous les ordres des généraux Âchard, Hurel etMonck- 
dlJzer. Les opérations étaient dirigées en personne par le gé« 
néral Clause! . Le 17 novembre, l'armée se mit en marche. 
Avant de partir pour cette expédition, le général Clausel avait 
proclamé la déchéance du bey deTittery et avait nommé pour 
son successeur un Maure, qui s'était montré dévoué aux Fran- 
çais, Houstapha-ben-Âmair. 

Le corps expéditionnaire arriva jusqu'à Bouffarick sans 
f^yoir été ipipiiété. Les éclaireurs français n'avaient pas même 
découvert au loin ces groupes isolés d'Arabes qui sont un in- 
dice toujours certain d'hostilités prochaines. Mais dès que la 
colonne fut arrivée en vue de Blidah, on vit se déployer sur 
nn front d'une demi-lieue une ligne d'Arabes à cheval et en 
armes. Le motif de cette démonstration ne pouvait être dou- 
teux. Le général Gausel fit déployer ses colonnes sur un front 
aussi étendu que celui des Arabes et se préparait à marcher 
sur eux, Tartillerie en avant, lorsqu'on annonça un parlemen- 
taire. « — Je viens te dire, dit-il au général, que nous som- 
« mes décidés à te refuser l'entrée de notre ville ; ce n'est pas 
« à nous que tuas affaire, c'est au bey de Tittery : ainsi porte- 
« toi sur Médéah et laisse-nous tranquilles si tu veux éviter 
« notre colère. » Il lui fut répondu que, puisqu'ils se mon- 
traient en ennemis, les Français n'avaient pas l'habitude de 
laisser des ennemis derrière eux el que leur ville serait occu«« 
pée le jour même. 



280 ALGÉRIE. 

En effet la brigade Monck-d'Uzer reçut imtnédîatonent 
Tordre de s'avancer directement par la route d'Alger, tandis 
que la brigade Âchard, tournant la ville par la droite, devait 
l'attaquer par le point qui se trouve entre le chemin de Co* 
léah et de Médéah. L'ennemi, dont la droite était appuyée à 
l'Atlas et la gauche au chemin de Coléah, se dissémina alors 
sur plusieurs points et une partie s'embusqua dans les jardins 
d'oii elle ne cessait de tirailler de derrière les murs et les 
haies. Le terrain était en outre couvert d'épaisses broussailles^ 
d'accidents nombreux qui rendaient la marche des colonnes 
difficile et dangereuse. Mais le hardi mouvement ordonné par 
le général en chef avait d'abord un peu déconcerté les Arabes, 
et ensuite avait été exécuté avec tant de résolution par les trou* 
pes françaises, malgré le feu de tirailleurs si meurtrier de 
l'ennemi, que les deux brigades étaient arrivées presqu'ea 
même temps au mur d'enceinte de la ville. Une compagnie de 
voltigeurs, commandée par le lieutenant Hugues, l'escalada 
sans même qu'il eût été besoin de faire bi-éche, mit en fuite 
les Arabes qui le défendaient et ouvrit aux deux brigades les 
portes de la ville que les habitants avaient évacuée. 

C'était pour la seconde fois que les jardins deBlidah avaient 
servi aux Arabes pour faciliter ces embuscades de tirailleurs 
cachés derrière un mur ou une haie, tuant à bout portant les 
soldats français et échappant sans peine à toute poursuite par 
la connaissance parfaite qu'ils avaient des accidents du terrain 
et des localités. Le générai Glausel ayant jugé prudent d'occu- 
per Blidah, ordonna d'abattre immédiatement ces jardins qui, 
plantés de figuiers séculaires, d'orangers, de citronniers, d'oli- 
viers, de légumes de toute sorte, étaient la principale richesse 
du pays, mais par leur voisinage de la ville en rendaient pres- 
que la défense impossible. 

Lorsque les habitants, qui s'étaient silencieusement assû» 
sur les collines des environs, attendant avec anxiété ce qui al- 
lait se passer, virent la hache des sapeurs français abattre im- 
pitoyablement ces riants jardins qui étaient leur seule richesse, 
ils poussèrent des cris lamentables et envoyèrent une députa- 
tion au général pour le supplier de respecter ces arbres plan- 



ALGERIE. 281 

téspaf leurs pères. Mais leur demande était inadmissible : avec 
un ennemi comme les Arabes et des lieux d'embuscade si rap-» 
proches des murs de la ville, Blidah n'eût pas été tenable pour 
les Français. 

Parmi les tribus qui avaient non seulement pris la plus 
grande part aux démonstrations hostiles de la ville, mais 
qui encore avaient forcé les habitants de Blidah à s'y asso* 
cier, était la tribu kabyle des Beni-Salah. Une razzia fut diri- 
gée contre elle. Deux bataillons furent chargés de cette opé- 
ration. Les soldats français, qui avaient à venger ia mort de 
tant de leurs camarades tués à bout portant {Tar des ennemis 
invisibles qui, à l'arrivée du corps expéditionnaire à Blidah, 
avaient pu échapper à toute atteinte à la faveur des haies, 
des arbres, des murs derrière lesquels ils s'étaient tenus em- 
busqués, exercèrent d'affreuses et terribles représailles. Tout 
ce qui se présenta en armes fut tué sans pitié ; les cabanes, 
les tentes furent pillées ou incendiées, les silos vidés, les 
troupeaux dispersés ou pris, les champs ravagés, les planta- 
tions arrachées. Soixante prisonniers qu'on avait surpris dé- 
tournant de son lit le torrent qui arrose Blidah ou tirant sur 
des soldats du train, furent amenés au quartier-général et 
condamnés à être fusillés par groupes de quatre ou cinq. 
Pendant le cours de cette exécution, ceux qui attendaient 
leur tour, regardaient flegmatiquement tomber leurs cama- 
rades et, accroupis sur leurs talons, priaient ou fumaient 
sans paraître se douter que le même sort leur était réservé. 
Parmi eux était le muphti de Blidah : c'était un homme de 
cinquante ans environ ; sur sa physionomie expressive et mo- 
bile perçait un sentiment d'ironie amère très caractérisé. En 
marchant froidement au supplice, il laissa tomber ces mots : 
« Celui qui fait du bien ne devrait pas recueillir du mal ; je 
« m'étais sacrifié pour les chrétiens! à ma voix les tribus des 
a environs allaient se rallier à eux et ils me fusillent] que la 
,« volonté d'Allah s'accomplisse! » 

Ces paroles rapportées au général Clausel par un inter- 
*pvète firent suspendre l'exécution. Le muphti fut amené de- 
>aat lui, et il déclara, qu'en ptVp»^ il était sur le point de rai- 



282 algérœ;. 

lier aux Français quelques tribus kafcyle^ lorsqu'il avaît éfé 
pris. Mis en liberté sur parole, il prouva la vérité de ce qu'il 
avait avancé : il revint quelques heures après avec quatre che^ 
kabyles qui promirent de né plus porter les armes contre le^ 
Français. Le résultat de ces promesses fut de faciliter pour lé 
tnoment la marche de l'armée. 

Le 20, l'armée se dirigea sur Médéah, Peux bataillons et 
deux pièces de canon, sous les ordres du colonel Ruthières. 
furent laissés à Blidah pour assurer les communications du 
corps expéditionnaire avec Alger. Intimidés par l'attaque vi- 
goureuse de la veille, les Kabyles accouraient au--<i(evant dç 
Tarmée et lui fournissaient des vivres en abondance. Ils se 
montraient même fort peu favorablement disposés à l'égard 
du bey de Tittery, et donnaient les renseignements les plus 
précieux sur ses forces et les positions de son armée. Ce fut 
par eux, en effet, que le général Clausel apprit que Bou- 
Mezrag attendait Tarmée française, avec six mille hônimcs et 
deux pièces de canon, au Tenta de Mouzaïaf formidable 
gorge de la première chaîne de l'Atlas qu'il fallait nécessai- 
rement franchir pour arriver à Médéah. La colonqe arriva 
en vue des défilés le 21. 

Le col ou Tenta de Mouzaia est une coupure de cinq pieds 
de large environ et où deux hommes à peine peuvent passer 
de front. La route qui y conduit est un étroit sentier, suivant 
par une pente rapide la rive droite d'un torrent profondément 
encaissé. Des ravins profonds, dont les eaux viennent se dé- 
verser dans le torrent, coupent en maints endroits cette route 
et ont pour berges des plateaux qui la dominent au loin. Bou- 
Mezrag avait assez habilement échelonné ses troupes jusqu'à 
une distance de trois kilomètres dans les gorges et sur ces pla- 
teaux. Un corps de trois mille hommes, placé à droite et à 
gauche du col, gardait la position principale : des Arabes ar- 
més occupaient toutes les hauteurs. Le bey avait pris en per- 
sonne le commandement de toutes ces troupes ; son agha et 
son fils commandaient sous ses ordres. 

Ce formidable passage paraissait infranchissable; mais la 
vue de ces obstacles même ne fit qu'irriter l'impatience des 



ALGÉRIE. aas 

soldats français. Ils demandaient le signal de Pattaque ft grands 
cris. Avant de le donner, le général Clausel leur adressii l'al- 
locution suivante : 
a Soldais y 
n Nous allons franchir la première chaîne de FAtlas, plan- 
€ ter le drapeau tricolore dans l'intérieur de l'Afrique et 
«t frayer un passage à la civilisation, au commerce et à Tin* 
« dustrie. Vous êtes dignes, soldats, d'une si noble entreprise; 
« le monde civilisé vous accompagnera de ses vœux. 

a Conservez le même bon ordre qui existe dans Tannée. 
« Ayez le respect le plus grand et le plus soutenu pour les 
« populations, partout où elles seront paisibles et soumises: 
« c'est ce que je vous recommande. 

« Ici j'emprunte la pensée et les expressions d'un grand 
« homme, et je vous dirai aussi que quarante siècles vous 
« coniemptent! » 

Vingt-cinq coups de canon que tira Tarlillerie servirent de 
signal et de célébration du passage par une armée française 
de cette chaîne de l'Atlas qu'avaient franchie avant elle les 
armées de Carthage et de Rome. La brigade Achard, immé- 
diatement suivie par l'arlilleric de montagne, marchait en 
fête. La brigade Monck-d'Uzer avec la cavalerie était en se- 
conde ligne; venaient ensuite les bagages et la brigade Hurel 
^i formait l'arrière-garde. En peu d'instants, les soldats, 
disséminés sur les pentes les plus abruptes des montagnes, 
poussèrent devant eux, comme un troupeau, ces flots d'Arabes 
disséminés sur tous les mamelons. Ils prirent possession de 
l'Atlas, tantôt en tiraillant, tantôt à la baïonnette, toujours 
en chantant victoire. Mais la position principale, celle, du 
Ténia de Mouzaïa, était toujours au pouvoir de l'ennemi, et il 
était physiquement impossible de l'attaquer de front. Les ba- 
taillons des 14% 20' et 28* reçurent ordre de tourner le col en 
gagnant les crêtes de gauche et de prendre l'ennemi à revers* 
Cette manœuvre était hardie, mais d'un résultat certain, si 
elle pouvait s'exécuter. En effet, les soldats qui, depuis près 
de trois heures, n'avaient cessé de combattre en gravissant def 
monts» mourant de ssif, accalmies par la chaleur, avaient aloil 



284 ALGflRiË. 

à gravir des crêtes des plus abruptes, au milieu d*une grftle de 
balles et de pierres. Rien ne ralentit leur ardeur : ils marchent 
en droite ligne sur les crêtes et parviennent à en débusquer 
les Arabes. De là, faisant un feu plongeant sur les troupes qui 
gardaient le col, ils jettent dans leurs rangs un peu de désor* 
dre et d'e£Eroi. Saisissant ce moment avec habileté, le général 
Achard, arrivé à l'entrée du col avec un bataillon du 37*, fait 
déposer les sacs et battre la charge. Ces braves s*élancent par 
ce sentier tortueux et étroit sur le feu roulant de l'ennemi. 
Arrivés à la gorge, une décharge de mitraille porte un peu 
d'hésitation et de trouble dans leurs rangs ; mais vigoureuse- 
ment soutenus par quelques compagnies du 14% ils s'élancent 
en avant avec une nouvelle ardeur et franchissent le col. Dès 
ce moment, la déroute de l'ei^nemi devint complète , et les 
soldats français n'eurent qu'à poursuivre et à frapper. Au 
coucher du soleil, le drapeau de France flottait sur toutes les 
hauteurs. 

' Tel fut ce passage du Ténia de Mouzaîa, un Ses plus beaux 
faits d'armes de l'armée d'Afrique, exécuté contre un ennemi 
supérieur en nombre et ayant l'avantage de toutes les posi- 
lions. Cette journée fut cependant meurtrière : les Français 
perdirent plus de deux cent cinquante hoibmes tués ou mis 
hors de combat; mais elle frappa de terreur les Arabes et les 
Kabyles, qui considéraient ce passage comme impossible, dé- 
fendu comme il l'était. Plusieurs chefe kabyles se présentèrent 
le même jour au général Gausel, et en lui renouvelant leur 
promesse de ne pas se battre centime les Français, ils lui dirent : 
tt Dieu est avec toi. » 

De là jusqu'à Médéah, les tribus démoralisées ne firent au- 
cune résistance. La brigade Monck-d'Uzer avait été laissée à 
la garde du Ténia de Mouzala où l'on avait dressé une grande 
ambulance pour les blessés. Le général en chef arriva à Mé- 
déah, le 22, au soir, avec les brigades Achard et Hurel. Le 
bey Bou-Mezrag s'était réfugié, à quatre lieues de Médéah, 
dans un marabout, espèce de lieu d'asile, d'où il n'osait sortir 
par crainte des Kabyles, toujours as^ez disposés à tomber sur 
le vaincu, quel qu'il soit, et -^ le piiler. IfÇs cheis du iiakem do 



ALGÉRIE. 28S 

Bfédéah firent leur soumission au général en chef qui prit 
possession de la ville. La plupart des habitants, qui en étaient 
sortis et s'étaient retirés sur les hauteurs environnantes où ils 
attendaient l'événement, tranquillement assis sur Therbe par 
groupes ou par familles, ne firent aucune difficulté de rentrer 
dans leurs demeures, dès qu'ils eurent reçu l'assurance que 
les propriétés et les femmes seraient respectées. Ils parurent 
même au fond plus portés à se réjouir du désastre du bey 
qu'à le déplorer. 

On a déjà vu quelle était l'organisation de la province de 
Tittery, et celle de Médéah en particulier. La ville est située 
sur un des affluents du Mazafran, au centre d'une chaîne de 
montagnes dont les nombreuses ondulations offrent l'aspect 
d'une mer houleuse qui se serait tout-à-coup pétrifiée. Elle est 
bâtie en moellons ; les toits des maisons sont recouverts en 
tuiles; sa population est de six à sept mille âmes. Un mur 
d'enceinte, construit en pierres, entoure la ville alimentée par 
un bel aqueduc. En approchant de Médéah, l'œil est trompé 
par la disposition des lieux, l'aspect du terrain, la vue d'arbres 
de la même espèce, du même port, de vignes plantées et cul- 
tivées de la même manière que dans les contrées méridionales 
de la France. On se croirait transporté dans un village du 
Languedoc. Médéah est à onze cents mètres au-dessus de la 
mer et à seize lieues environ d'Alger. 

Le premier soin du général Glausel fut d'installer le nou- 
veau bey Moustapha-Ben-Omar, fort dévoué aux Français, 
mais malheureusement Maure, et par cela seul blessant trop 
directement les susceptibilités nationales des Arabes et des 
Kabyles qui ne reconnaissent sincèrement d'autre aristocratie 
que celle de leurs scheicks. Cependant le nouveau bey fut fé- 
licité et reçut les présents d'usage ; les boutiques de la ville se 
rouvrirent ; les travaux ordinaires reprirent leur cours accou- 
tumé, comme si la ville n'avait pas changé de maître. 

Pendant ce temps, l'ancien bey Bou-Mezrag, toujours en- 
fermé dans son marabout avec ses mekaliah, n'osait en sortir 
par crainte des Kabyles, qui n'aimaient pas plus les Turcs que 
les Français., Il connaissait assez ces farouches montagoardi 



tét AtGERliS; 

pour savoir qu'il tfavaît à attendre d'eux ni pitié, ni merci: 
il avait été bey ; il était Turc, vaincu, probablement chargé do 
riches dépouillés : c'était plus (Ju'il n'en Ikllait pour éveiller 
la haine et la cupidité des Kabyles. Cerhé de tous côtés par 
ses anciens ieidininistrës et ne dôutatit nullëtnent de leurs in-» 
tentiohs, quoique aucune démonstratioti hostile n'ait eu lieu 
de leur part, il fit demander au général Clausel s'il voulait lo 
recevoir comme prisonnier de guerre lui, sa famille et sa 
suite. Le général y consentit, lui envoya un sauf-conduit etb 
reçut prisoniiier dans la maison même où quelt[ues jours au* 
paravant il refait en mdttre. Bôu-Mezrag lui prit la main 
qu'il porta tt^ois fois à ses lèvres avec le plus grand respect, en 
lui disant : à Pardotine-moi, pârdonne-môi, pardoiine-moi! • 
— a tJn homme qui à trahi ses serments mérite-t-il le par- 
« don? lui demanda sévèrement le général. » — « J'ai commis 
a une grande faute, reprit Bou-Mezrâg, sans répondre à la 
a question, tnàis sans elle tu n'aurais pas eb la gloire de me 
« vaincre stlr l'Atlas et de ]pianter tes drapeaux triomphants 
a stir les cimes les plus élevées de nos montagnes. » 

Cette flatterie était adroite, elle lui valut son pardon. 

Le 26, la colotine expéditionnaire partit de Médéah, après 
avoir avoir laissé au nouveau boy Mustapha douze cents hommes 
de trotipes françaises sous les ordres dû colonel Marion, quel* 
ques canons et une milice locale qui paraissait assez dévouée. 
Elle reprit la route d'Alger, rallia au col de Mouzaïa la brigade 
Monck-d'Uzer et arriva près de Blidah sans avoir rencontré 
un seul ennemi. Les tribus qui étaient sur la route avaient au 
contraire arboré stir les hauteurs, en signe de paix, de petits 
drapeaux blancs que gardaient quatre hotnmes. Mais il n'en 
était pas de même à Blidah. Pendant Tàbsence du corps expé- 
ditionnaire, le colonel Rulhières avait été attaqué par huit à 
dix mille Kabyles commandés par Ben-Zamoun. La garnison, 
forte à peine de huit cents hommes, avait failli être sérieuse- [ 
ibent compromise. Les Kabyles, après avoir attaqué sur plu- 
sieurs points à la fois, étaient parvenus à pénétrer dans quel- 
ques quartiers et à planter leurs drapeaux sur le mur d'encemte-l 
tJn6 hardie manœuvre du colonel Rulhières sauva lagaroisooJ 



ÎPèndant qii'l tenait léte au gros des assaillants, îl détacha 
deux compagnies de grenadiers pour les prendre en queue. 
Ces braves les chargèrent intrépidement à la baïonnette, les 
refoulèrent sur les troupes du colonel Rulhières qui les reçu- 
rent à bout portant par un feu nourri de deux rangs : surpris de 
cette attaque imprévue, assaillis en tète et en queue, et croyant 
avoir affaire à toute Tarmée française, lés Kabyles s'enfuiretit 
çn désordre vers la Mitidja. Malheureuseraetit un détache- 
ment de cinquante artilleurs qui venaient d'Alger chercher dds 
munitions, traversait la plaine en ce moment et tomba âii 
piilieu du corps des Kabyles. Enveloppés de toutes parts et 
trop faibles pour se défendre avec avantage, ils furent tous 
massacrés iaiprès une héroïque résistance. 

Le corps du général Clausel arriva à Blidah sur cei entré*- 
laites : la ville était dans cet état de désordre qui suit une 
vive attaque : les rues étaient jonchées de cadavres; les ruis- 
seaux teints de sang; des maisons incendiées brûlaient en- 
core. Les habitants de Blidah s'étaient , dans cette circon- 
stance, montrés fort dévoués aux Français; ils avaient 
combattu dans leurs rangs et beaucoup d'entré eux avaient 
trouvé la mort en défendant leur ville. 

Cette attaque des Kabyles était un fait très significatif ; elle 
servit à prouver au général en chef que ce serait inutilement 
compromettre un corps de troupes que de Tisoter sans uK 
gente nécessité ; telle eût été le sort d'un corps laissé à Blidab 
dont l'occupation n'offrait aucun avantage immédiat. Il ré- 
Bolut en conséquence de faire évacuer la ville ; mais leà ha- 
bitants, souvent pillés par les Kabyles et qui avaient alors 
d'autant plus de raison de les craindre qu'ils avaient géné- 
ralement fait cause commune avec les Ft*ançais^ demandèrent 
IY6C instance à suivre l'armée et à se thetlre ^us sa protec- 
tion. Cette demande fut accueillie avec d'aiktant plus d'em- 
pressement, qu'elle établissait un précédent qui pouvait avoir 
une grande influence sur l'avenir de la domination française: 
Celle de lui rallier les populaticms faibles. 

Le 30, le corps expéditionnaire rentra à Alger, traînant à sa 
nkte la populalion de Blidah qui s'était mise sous sa protec** 



288 ALGÉRIE. 

tion, et Tex-bey de Titlery, vêtu avec iflagnificence, placé au 
milieu d'un* détachement de gendarmerie et suivi de sa fa- 
mille et de ses janissaires désarmés. Peu après Bou-Mezrag 
fut envoyé en France où, après avoir résidé quelque temps, 
il obtint de se rendre à Smyrne. 

Avant de marcher sur Médéah, le général en chef ne pou- 
vait compter que sur l'obéissance et la soumission de la ville 
d'Alger et de quelques tribus voisines. L'expédition de l'Atlas, 
sagement conçue et conduite avec habileté, assura' la domina- 
tion de la France sur la totalité des tribus de l'arrondissement 
d'Alger et en grande partie sur le beylick de Tittery. Les 
avant-postes français perdirent alors de vue les murailles 
d'Alger autour desquelles ils étaient restés groupés jusqu'alors. 
Elle fut suivie de deux faits d'une haute importance, de la 
création d'une garde nationale à Alger et d'un commence- 
ment de colonisation qui, pour n'avoir pas été heureux, a 
ouvert la voie à des entreprises de même sorte suivies avec un 
peu plus de persévérance et plus favorisées par les circon- 
stances. 

Au retour de l'expédition, le général Clausel s'occupa ac- 
tivement d'organiser l'administration du pays. En cela il fit 
preuve d'un tact et d'une habileté qui n'ont pas été imités 
depuis; il sut se défendre de cette manie si déplorable et si fa- 
tale d'administrer tout à la française, d'appliquer à tous pays, 
sans égard à aucune différence , des idées, des formes ad- 
ministratives modelées sur celles de la métropole et qui a fait 
de la France, la nation la plus inhabile de toutes à coloni- 
ser. Nous aurons l'occasion d'exposer plus tard les effets dé- 
sastreux de cette incurable manie. 

Le conseil municipal, composé de notables du pays, fut 
pris indistinclivement dans la nation maure et la nation 
juive. Il fut purement consultatif ei le pouvoir dirigeant ré- 
sida dans un commissaire du roi. Cette machine administra- 
tive, composée d'éléments aussi hétérogènes que le Maure et 
le Juif, n'était pas sans reproche, mais elle suffit pour remé- 
dier à l'anarchie du moment. 

L'organisation judiciaire offrait plus de difficultés. Par la 



I 





^K e^ 



3J(LMc4ÊtlVÏ@V^T. 




ALGÉRIE, 

chiito du gouvernement turc|, le cours de ïa justice s'elait 
trouvé torcémcnt interrompu. Cette population indigène ac- 



h 




\\ 

après queujueb juui~» u eApencut^t^, ^ «ivi^^â^»^^ ., 
même dcvanlle ridicule et Timpossibilité de sa tentative. C'é- 
tait là un des promiers elTets de celte fatale manie si ju te- 
ment rcprorhi>e aux l^ranrais et dont nous avons déjà parlô. 
Le gênerai Clausel, i'mtcuUant baron Volant n'avalent epar-* 
1. îi Id 





ALGÉRIE. 289 

chute du gouTernement turc], le cours de la justice s'était 
trouvé forcément interrompu. Cette population indigène ac« 
courue de toute part, depuis l'expédition de l'Atlas, pour se 
placer sous la protection des armes françaises, réclamait une 
juridiction spéciale. Une situation nouvelle avait rendu né- 
cessaire de nouveaux moyens de répression. Sans repousser 
entièrement tout précédent, ces moyens devaient être com- 
bina de manière à substituer le frein de l'équité à un 
régime de terreur. Il était indispensable surtout de pourvoir 
à l'exercice de la justice en évitant d'altérer le fond des juris- 
prudences musulmanes et hébraïques. U s'agissait, en un 
mot, d'avoir un tribunal qui pût décider entre les Maures et 
les Juifs récemment émancipés, et les Européens dont la 
situation nouvelle rendait insuffisante la coutiime de faire ju- 
ger toutes les causes entre chrétiens par les consuls de cha* 
que nation. 

Cette opération n'était pas facile et fut marquée, dès son dé- 
but, par une de ces teniatives ridicules qu'on aurait peine à 
croire si elle ne s'était passée de nos jours. Un homme de 
loi, venu de France, dûment commissionné parle ministère, 
profondément imbu des formes de procédure française, vou- 
lut l'établir en Algérie, accompagnée de tout son cortège 
d'huissiers, d'avoués et d'avocats. Cet homme éiait loin de se 
douter que cette forme, qui emporte presque touxours le 
fond, est la plaie la plus hideuse de la'civilisation européenne; 
il ne soupçonnait pas que dix-huit siècles avant, Varus ayant 
'Voulu introduire dans la Gaule cette même forme, qui était 
aussi une des plaies de la civilisation romaine. Tacite l'a styg-» 
matisé, pour ce fait, d'un de ces mots que nous ne reprodui- 
rons pas, tentés que nous sommes de nous demander à quoi 
sert l'histoire? Quoi qu'il en soit, cet essai fut tenté : toute 
l'économie judiciaire fut bouleversée de fond en comble, et, 
après quelques jours d'expérience, Thomme de loi recula lui- 
même devant le ridicule et l'impossibilité de sa tentative. C'é- 
tait là un des premiers effets de celte fatale manie si juste- 
ment reprochée aux Français et dont nous avons déjà parlé. 
Le générai Clause!, i'iutendant baron Volant n'avaient epar^ 

T. I. 10 



290 ALGÉRIE. 

gùé ni les observations ni même les sareaiBies peur détour 
ner Thomme de loi de son malheureux essai, dont le résultitt 
immédiat fut d'ajouter un grand désordre à ceux tuxqueb ou 
iTait eu à peine le temps de remédier jusqu'alors, et de iaiif 
croire aux indigènes que les Français étaient plus inhtbflesi 
administrer que les Turcs. Cette idée, toute naturelle €heg 
des populations qui ont pour la justice une sorte, .de ?ëiitoK 
tion, a eu une grande part d'influence sur les dîffîcd|K||;^iitti 
ont sui^i par la suite. 

Pour réparer les désastres de cette malencontrewe tentai 
tiye, il fallut revenir aux précédents, et surtout ne fias perdif 
de \ue que les lois musulmane et hébraïque^ puisant toutes 
leurs dispositions et souvent leur texte les unes daite le Gdrui; 
les autres dans TÂncicn-Testament, cette .juHsprudenci^ que 
l'on peut appeler dogmatique, ne connaît que la lettre de k^ 
loi. Les musulmans furent rendus à leurs juges naturels, ks 
kadi maure assisté des muphtis : on étendit sa compétence au 
criminel comme au civil ; ses jugements furent sans appel et 
en dernier ressort. Les Juifs furent renvoyés par devant leurs 
rabbins jugeant sans appel au criminel comme au civil. Left 
causes entre les musulmans et les juifs furent portées en pre^ 
mière instance par devant le kadi maure; et cependant, pout 
ne pas les laisser à la merci de leur ancien maitre, la faculté 
de l'appel leur (ut ouverte, et ces appels portés par devait la 
cour de justice composée de Français. Celte cour connaissait 
en outre de toulcs les causes entre Français mais avec faculté 
d'appel en France, entre les indigènes et les étrangers de tou- 
tes les nations qui ne seraient pas sous la juridiction de leur 
consul. Enfin 1 instruction fut orale, les parties appelées à se 
défendre elles-mêmes, et, en cas d'absence, par un fondé de 
pouvoirs ; mais le ministère des avoués et des avocats fut for- 
mellement interdit. 

Quant aux délits de simple police et ceux de police correc- 
tionnelle, le commissaire-général fut rendu juge des premiers 
comme le sont en France les maires et les juges de paix, et 
des seconds, comme le sont les tribunaux de première instance. 
Une juiidictioQ exceptionnelle réglait les cas où il serait porté 



ALGÉRIE. m 

atteinte aux personnes et aux propriétés des Français par les 
indigènes. 

Cet ordre de juridiction mixte concilia habilement tant d'in- 
térêts étrangers entre eux. tout rentra dans Tordre : Faction 
ée la justice passa inaperçue et les causes se vidèrent sans 
(Jull s'élevât une seule plainte. Il eût été politique d'en con- 
serveçJTéconomie, de se tenir rigoureusement en garde con- 
tre Icislniggestions qui tendraient à l'altérer ; mais, en t'rànce, 
les préjugés et les routines sont plus forts que tout. Cet or- 
cire assez heureusement modifié dans quelques-unes de ses 
p&rtiës accessoires, a été malheureusement dénaturé dans ses 
parties principales. On n'y a pas encore exclusivement intro- 
duit la forme de procédure française, mais on y marche à 
grands pas. Bientôt, comme en France, le talent d'un avocat 
ou d'un avoué y sera plus une garantie de justice que de bon 
droit, et les habitants de l'Algérie, à qui on a tant de hâte 
d'inoculer la lèpre la plus hideuse du vieux monde, (1) pour- 
ront dire comme cet Athénien dont parle Diodore : « Si le jour 
des jeux olympiques j'étais accusé d'avoir arrêté le lever du 
soleil pour empêcher le peuple de s'ébahir, je fuirais jus- 
qu'au fond de la Thrace, si je ne trouvais un avocat assez ha* 
bile pour mé tirer d'affaire. » 

Les autres branches de l'administration : police, octrois, 
domaines, tributs des provinces, impôts, furent également or- 
ganisées et régularisées avec sagacité. 

Pendant que, dans la province d'Alger, au désordre et à 
l'anarchie succédaient l'ordre et la régularité, il n'en était pas 
de même dans celles d'Oran et de Constanline. Le bey de 
Constantine avait refusé de se soumettre, et le bey d'Oran, 
quoiqu'il eût reconnu la dominatidn française, n'avait pas 
assez de forces pour maintenir la tranquillité dans la province 
qu'il gouvernait. II était à la fois attaqué par les Arabes de la 
pirovince et par le neveu de lempereur de Maroc qui s'était 



(4) Par des anrêtés du 26 novembre 1841 , du 30 décembre 1849, etc., Fexer 
cioe des professions des avocats, avoués, huissiers, etc., a été légalement 



292 ALGÉRIE. 

emparé de Mascara et meiiaçaitTlemccn. Le général Clausel 
ayant renvoyé une partie des régiments en France, ne pouvait 
intervenir, avec les forces qui lui restaient, d'une manière 
assez décisive, soit à Oran, soit à Constantine. Un heureux 
hasard vint lui offrir l'occasion d'étendre la domination de la 
France sur toute l'étendue de la Régence, et de satisfaire à 
l'honneur national en soulageant le gouvernement d'une par- 
tie du fardeau de l'occupation. Il la saisit avec habileté». 

Comme nous sommes en mesure de donner des notions 
précises et peu connues sur cet acte le plus politique de tous 
ceux qui ont signalé l'administration française en Âlgéri6| 
nous entrerons dans quelques détails à ce sujet. 

La loi musuknane règle les successions et l'hérédité d'une 
manière difiTérente que les lois d'Europe. Dans certains cas 
spécifiés, le frère peut hériter du frère, même au détriment 
des enfants. Ainsi, par exemple, si deux frères n'ont qu'un fils 
chacun, l'héritage du frère aine passe au second, de là au fils 
du premier, puis à celui du second, ainsi de suite. Gela ex- 
plique ces assassinats si communs dans les annales royales des 
princes Musulmans qui ne peuvent assurer la couronne à leur 
fils, qu'après s'être défait de leurs frères. Gette courte digres- 
sion était nécessaire pour bien faire comprendre, non seule- 
ment l'importance de la négociation du général Glausel, mais 
encore la garantie de stabilité qu'elle offrait. 

Le bey de Tunis avait un fils d'un caractère doux et timide 
et qu'il aimait avec passion. Il avait en même temps un frère 
audacieux, entreprenant, qui avait lui-même un fils du même 
caractère que son père. Aux termes de la loi musulmane, le 
fils du bey ne pouvait hériter du trône qu'après son oncle, 
dont le fils n'héritait ensuite lui-même qu'après son cousin. 
Le caractère bien connu de ces trois princes rendait le règne 
du plus timide fort peu probable. Aussi le bey pressentant le 
sort qui attendait son fils, avait dit à plusieurs reprises, en 
parlant de son IVère et de son neveu : « Ils ne me l'épargne- 
ce ront pas, j'en suis sûr; il tombera sous leurs coups, b 

Depuis la conquête d'Alger, le bey de Gonstantine, comme 
on l'a vu, n'avait pas fait sa soumission, et cette province était 



ALGÉÏUE, 293 

dans un état complet d'anarchie. Les principales tribus du 
district de Constantine avaient fait secrètement offrir au bey 
de Tunis, de se soumettre à sa dommation. Le bey avait re- 
fusé, pour ne pas se mettre en hostilité avec la France ; mais 
il était à craindre qu'il ne s'élevât à Constantine une souverai- 
neté indépendante qui serait devenue le refuge des Turcs 
échappés d'Alger après la conquête, et de tous les mécontents 
des autres provinces. 

Oe fut sur ces entrefaites que des envoyés du bey de Tunis 
qui venaient féliciter le général en chef sur son arrivée en 
•Afrique, et lui renouveler les assurances d'amitié qui Uaient 
leur maître à la France depuis si longtemps, arrivèrent à Al- 
ger. Ces envoyés étaient porteurs de communications extra- 
ofïïcielles de M. de Lesseps, consul-général de France à Tunis. 
Le consul faisait part au général Clausel, de l'embarras dans 
lequel les troubles de Constantine plaçaient le bey de Tunis, 
et de quelques informations relatives au bey, à sa famille, et 
à l'avanlage qu'il y aurait pour la France, de faire reconnaître 
son autorité dans le beylick de Constantine, sans recourir à 
une expédition dispendieuse. En même temps, l'un des en- 
voyés lui fit des ouvertures tendant à faciliter la nomination 
d'un des princes de la maison régnante de Tunis, en rempla- 
cement du bey rebelle de Constantine. Le bey de Tunis devait 
fournir les moyens d'installer à Constantine le prince de sa 
maison, et payer une contribution annuelle au trésor français. 

Le général Clausel accueillit ces ouvertures avec d'autant 
plus d'empressement que la maison régnante àTunis était d'ori- 
ginearabe,cequi rendait cette nomination agréable aux peuples 
appelés à être gouvernés sous l'autorité de la France et aux 
mêmes titres et conditions que les beys nommés par le souve- 
rain d'Alger, et révocables à volonté. Ce choix avait encore 
d'autres avantages : il était d'abord une garantie de plus con- 
tre le retour des Turcs, mortellement hais par les habitants 
maures et arabes de la Régence; puis, comme les indigènes 
supposaient les Français imbus des idées de prosélytisme des 
Espagnols, dont l'invasion de 1777 avait des témoins encore 
vivaatStla nominatioD d'onpnnce maiuliDan témoignait de 



294 ALGÉRIE^ 

ia tolérance religieuse des nouveaux conquérants; puis, enfin, 
ce moyen était absolument le même que celui dont s'étaient 
servis les Romains, et avant eux les Carthaginois, pour prér 
parer la fusion du peuple vaincu avec le peuple vainqueur. 

Ces considérations, d'une haute importance, frappèrent vi« 
vement l'esprit du général Gausel, qui autorisa formellement 
!!• de Lesseps à convenir avec le bey de Tunis, des principales 
bases de l'arrangement, et à lui faire envoyer, s*il y avait lieu, 
un plénipotentiaire ocf /loc. Peu de jours après, le frère du bey 
de Tunis, Sidi-Mustapha, désigné pour recevoir la commission 
de bey deConstantine* arriva à Alger, muni de pleins pouvoir^, 
et le 16 décembre 1830 la convention fut signée, ^di-llus- 
tapha s'engageait, sous la garantie de Sidi-Âsshein son frère, 
à payer à la France une redevance annuelle d'un million do 
francs, et recevait en échange la commission de bey de Con* 
stantine. Pour les ports de cette province ainsi que pour Tin- 
térieur, le général Clausel avait eu soin de stipuler tous les 
avantages désirables pour la France. 

Ce qu'il avait fait pour Constantine, il le fil plus tard pour 
Oran. U nomma pour bey un prince tunisien, aux mêmes 
conditions, ce qui porta le tribut annuel de ces deux provinces 
à deux millions, le double de ce qu'il était sous les Turcs. Le 
bey de Tunis accueillit ces projets avec d'autant plusde faveur, 
qu'éh plaçant à (a tète de ces deux beylicks, son frère et son 
neveu, il éloignait deux compétiteurs dangereux pour son 
fils. 

D'après la convention, le bey de Tunis devait pourvoir aux 
moyens d'installation de son frère. Pour le faciliter, le général 
Clausel lui envoya le chef de bataillon du génie, Guy, qui de- 
vait seconder les opérations du prince de Tunis, l'accompagner 
dans sa marche sur Constantine, et tenir le général en chef au 
courant des opérations du prince, bey de Constantine. Trois 
capitaines d'artillerie avaient été adjoints à M. Guy. 

Mais déjà une influence fatale avait cherché à paralyser 
une combinaison qui était d'un avantage si immédiat pour la 
France. Le cabinet de Londres, qui suivait d'un oeil d*eavie 
tout ce qui pouvait assurer la domination de la France en 



ALGÉRIE. 295 

Algérie, avait été instruit de cette convention, et son consul à 
Tunis avait reçu l'ordre de faire de vives représentations au 
bey à ce sujet, en lui déclaiant que TAnglelerre ne reconnaî- 
trait jamais un arrangement fait avec la France, au sujet 
d'une des provinces de l'Algérie, et dans lequel la Porte ne 
serait pas intervenue d'une manière directe. Celait à la fois 
compromettre le bey vis-à-vis du sultan et de l'Angleterre 
s'il donnait suite à la conventioù projetée. Cette mesure chan- 
gea les dispositions du bey et de son frère, qui accueillirent 
les envoyés du général Clausel avec quelque froideur. 

Cependant, à l'arrivée du premier ministre, Sidi-Schekir, 
mamelouck d'une grande capacité, d'une énergie peu com- 
mune et qui jouissait de toute la confiance du prince dont il 
avait rétabli les affaires, Taspcct des chosi^s changea. Il fut 
convenu que, malgré les représentations de TAngleterre, on 
passerait outre, qu'on organiserait immédiatement un corps 
de troupes destinées à agir contre Constantine. Les odîciers 
français se mirent à l'œuvre trois jours après. Il fallut dres- 
fer tout le monde, ofliciers et soldats, à l'exercice du fusil 
4'abord, au maniement du canon ensuite. Les ofliciers fu- 
rent pris parmi les mameloucks du Bardo, caste privilégiée 
du pays; les plus intelligents parmi les Zoiiaves, les Turcs, 
|es Ifaures, les Bédouins, devinrent sous-oflîciers et instruc- 
teurs. Cette organisation marcha bientôt d'une manière sa- 
tisfaisante. Les troupes d'artillerie et du génie furent dressées 
k la manœuvre du canon comme aux travaux des sapeurs; 
çt là où tout était à créer, en peu de temps il fut formé des 
bataillons d'infanterie qui manœuvraient avec beaucoup de 
précision. Dans la Casauba de Tunis, six cents ouvriers tra* 
iraiUaient nuit et jour pour fabriquer tout le matériel d*une 
armée destinée à opérer à l'européenne. Au bout de quatre 
mois, le bey de Tunis qui avait suivi ces travaux avec inté- 
rêt, put disposer, pour installer son frère bey de Constantine, 
d'une arm^ composée de deux compagnies d'artillerie et du 
génie, d'une compagnie du train et de sapeurs, de quatre 
batteries, une d'avant-garde, une de position, une d*artille- 
M 4^ noQlagne et une U*artiUerie de «i^, d'un régm^t 



206 ALGÉRIE. 

de troupes régulières de 1,000 hommes, d'une partie dispo- 
nible de la milice turque 2,000 hommes au moins, de 
1,500 Zouaves, d'autant de Spahis, de 40,000 hommes des 
contingents des tribus de la Régence et des tribus de la pro- 
vince de Gonstantine, qui avaient promis d'aller joindre 
Tannée au Keff^Ces forces étaient plus que sufQsantes pour 
assurer l'installation de Sidi-Mustapha ; aussi le premier mi- 
nistre du bey de Tunis (le sabtabajy dit un jour au chef d( 
bataillon Guy : Toi et moiy et je suis sûr du succès. 

Le départ avait été fixé aussitôt après le Rhamadan (carême 
des musulmans), mais soit que les mêmes influences qui avaient 
cherché à agir sur le bey de Tunis, eussent plus efficacement 
agi sur le ministère des affaires étrangères de France, soit 
toute autre cause, les arrangements du général Clausel ne 
furent pas ratifiés. Ce qu'on aura de la peine à croire, c'est 
que, par le refus de ratification, l'opportunité de la mesure et 
l'intérêt qui en rejaillissait pour la France ne furent pas même 
mis en question. Le général Sébastiani, alors ministre des 
affaires étrangères, allégua seulement que le général Clausel 
avait empiété sur les droits de la diplomatie en signant cette 
convention. Ainsi des susceptibilités méticuleuses de bureau 
faisaient avorter une entreprise dont on ne [conci Etait aucun 
des avantages. Pour l'honneur du général Sébastiani et de son 
ministère, croyons que ce fut là le seul motif. 

Quoi qu'il en soit, le projet fut repris en sous-œuvre; 
quelques changements dans les parties accessoires furent faits 
à la convention primitive; le traité avec quelques insigni- 
fiantes modifications fut présenté de nouveau, au nom du 
général Sébastiani, au bey Sidi-Asshein. Mais une cour aussi 
politique que celle de Tunis fut frappée de ces contradictions 
Dfficielles, le sabtaba môme parla du peu de stabilité des ré- 
solutions de la France et du peu de fonds qu'on pouvait faire 
.sur elle, et déclara que c'était s'exposer à trop d'embarras et 
de tracasseries en traitant avcfc un gouvernement si peu stable 
dans ses vues. D'après ces considérations, le bey, malgré los 
mtérêts de famille que cette convention favorisait, refusa de 
signer. L'honneur de la diploiuutic française fut ainsi sauf; 



ALGÉRIE. 297 

les intérêts de la France furent sacrifiés. La malencon- 
treuse intervention des affaires étrangères fit avorter un arran-« 
gement qui laissait toutes les voies ouvertes aux améliorations^ 
avait pour résultat immédiat d'assurer l'occupation française 
dans la province d'Alger, d'y avancer l'œuvre de la coloni- 
sation, de faire reconnaître l'autorité de Ja France sur une 
province où elle était méconnue, d assurer un tribut dont le 
chiffre est plus élevé qu'aucun de ceux qu'on est encore par- 
venu à percevoir après quinze ans de guerre, et enfin d'é- 
pargner à la France bien des millions et bien du sang. 

Comme garantie de leur bonne foi, les chefs tunisiens s'en- 
gageaient à laisser mettre des garnisons françaises dans les 
villes maritimes qui sont comme les clefs de leurs provinces 
respectives. Dans la province de Constantine, la France eût 
occupé Stora, Bone et Bougie; dans celle d'Oran, le fort 
Mers-el-Kebir. Au lieu d*éparpiller ses forces, la France eût 
pu alors les concentrer sur le seul point de la province d'Al- 
ger, et après avoir tiré tout le parti possible de ce territoire 
ainsi restreint, il lui restait la belle perspective d'utiliser éga- 
lement, plus tard et avec plus de chances de succès, ceux de 
Constantine et d'Oran. 

Cette conception si politique et si vaste en résultats fut 
sacrifiée à la vanité puérile et futile d'un ministre. 

Ce projet, du reste, avait, dans les annales les plus glo- 
rieuses de la France, un précédent que ce même ministre 
n'aurait pas dû oublier. C'était lors de l'occupation française 
en Egypte. Bonaparte, maître de la Haute et de la Basse- 
Egypte, se contenta d'occuper la Basse-Egypte et confia le 
gouvernement de la Haute-Egypte, en s'en réservant la suze- 
raineté, au brave Mourad-Bey, un des chefs des Mameloucks. 
Jusqu'à la fin de l'occupation française et malgré d'éclatants 
désastres, la France n'eut pas d'allié plus soumis et plus 
fidèle. 

Pendant que se traitait cette affaire de Constantine, un 
arrangement semblable s'était préparé pour la province 
d'Oran. Hassan, bey d'Oran, était un faible vieillard dont le 
caractère n'était pas à la hauteur des circonstances, produites 



SOS ALGËRDS. 

par la conqtiêfe. Dès le début, il avait senti les embarras i% « 
position et avait renouvelé avec instance, auprès du génëial 
Clause!, la proposition qu'il avait déjà faite à M. de Bourroont, 
de se démettre de sa place, sous la seule condition d'être 
reconduit à Smyrne avec ceux des Turcs qui voudraient la 
suivre. «^ 

Le principal molif de ses instances était l'agression do Mn- 
ley-Ali, neveu de l'empereur de Maroc. Ce dernier avait, 
comme on l'a déjà vu, non seulement violé le territoire d'Oran 
en s'emparant de plusieurs villes , mais encore il avait répandu 
partout des émissaires, annonçant qu'il agissait au nom et par 
ordre de son souverain, d'accord avec le roi des Français. U 
ajoutait à cela les menaces et les promesses et accusait haulo- 
ment le bey d^avoir trahi son maître et sa religion. Hassan 
abandonné alors de la plupart des siens, était réduit à six on 
sept cents Turcs dont la fidélité même commençait à être dou- 
teuse. L'invasion de Muley-Ali faisait chaque jour des progrès 
alarmants, et il occupait déjà une grande partie derintérieor 
de la province. 

Chargé du commandement en chef de Farmée française et 
de tout le pays, le général Clauscl ne pouvait, sans manquer 
à l'honneur, se dispenser de maintenir l'intégrité du territoire 
de la Régence d'Alger. Il recourut à la fois aux moyens éner^ 
giques et aux voies de conciliation. Une brigade fut çnvoyceà 
Oran, sous les ordres du général Damremont, pour protéger 
et défendre la conquête contre toute attaque, de quelque côl6 
qu'elle vint. En même temps, le colonel Âuvray fut chargé 
d'aller représenter à l'empereur de Maroc combien l'attaque 
de Muley-Ali était contraire au droit des gens, et lui en de* 
mander réparation. Cette double résolution était conforme aux 
exigences de la dignité nationale , de l'honneur des armes 
françaises. Elle fut blâmée. Jaloux de ses prérogatives, le mi- 
nistre des affaires étrangères Sébastiani déclara que le mouve« 
ment offensif de Muley-Ali devait être levé par voie diploma- 
tique, et s'il obtint plus tard un résultat avantageux, il ne lo 
dut qu'à un heureux hasard qui, ayant fait éclater une révdto 
dans le Maroc, obligea l'emnereur à rappeler ses trouf9k 



AL(S3U£. 199 

Aîn^ la susceptibilité de ce minisfre foillit encore faciliter 
rétablissement d'un nouvel ennemi au cœur derAlgérie. 

L'adminislralion du général Clausel n'était exempte, comme 
on le iroit, ni de dégoûts, ni même de calomnies que nous 
passons sous silence : en France, on ne fait pas impunément 
mieux que les autres. Les didficullés qu'il éprouvait cependant 
ne provenaient pas toutes de la susceptibilité méticuleuse du 
ministère des af&ires étrangères ou du mauvais vouloir de ses 
bureaux. U en était qui naissaient des circonstances et dont 
Texposé trouve ici naturellement sa place. 

Le gouvernement de juillet était fort embarrassé du legs de 
la restauration en ce qui concernait T Algérie. Le ministère 
Polignac avait formellement promis à l'Angleterre d'aban- 
donner Alger. Après la chute de la dynastie de la branche 
ainée des Bourbons, l'Angleterre réclama avec une certaine 
hauteur du gouvernement nouveau l'exécution de cette pro^ 
messe. Biais, dans l'intenalle, l'opinion publique s'était si 
énetgiquement déclarée contre l'abandon d'une conquête que 
le sang de tant de braves avait si légitimement acquise, 
qu'on ne pouvait y souscrire sans s'exposer à toute sa colère, 
et elle venait de prouver qu'elle n'était pas un vain mot. Le 
gouvernement se trouvait ainsi en présence d'un engagement 
positif d'abandon pris par son prédécesseur et de l'opinion 
publique disposée à considérer cet abandon comme un im* 
pardonnable grief. Cela explique en partie toutes ses incerti- 
tudes, toutes ses transes dans les mesures du général Clausel 
qui avaient généralement pour but de préjuger l'occupation 
défmitive. 

L'alternative où se trouvait acculé le gouvernement dans 
cette question importante , était dès lors critique. L'Angle- 
terre paraissait résolument décidée à n'en tenir aucun compte, 
et l'opinion publique moins disposée que jamais à transiger 
^ur ce point. De deux maux le gouvenement choisit le moin- 
dre : il résista aux prétentions de l'Anglcierre qui, dans cette 
circonstance, fit comme elle fait toujours quand on ose lui 
résister; elle céda et se borna, comme elle s'est bornée de- 
puis, à de vaines et ridicules protestations qjyi'eUe renouvelâra 



300 ALGÉRIE. 

^jusqu'au jour oîi elle pourra déclarer la guerre à la France 
en ayant toute TËurope derrière elle. Mais comme depuis les 
guerres de coalition contre la République et l'Empire, les ca- 
binets de l'Europe se sont aperçus du singulier rôle que l'Aih- 
gleterre leur avait fait jouer, il est permi d'espérer que de telles 
ligues ne se renouvelleront pas de longtemps. 

Cependant la résistance du gouvernement français aux 
exigences de l'Angleterre fut plus passive qu'active. Il ne dit 
pas oui, mais il ne dit pas non; il se contenta de louvoyer sans 
s'enchaîner par aucun engagement relatif à l'abandon ou à 
l'occupation. En attendant, le premier résultat de cette^poli- 
tique, en ce qui concerne lesbeylicks deConstantine et d'Oran,' 
fut que le gouvernement se priva annuellement de deux mil- 
lions de francs et augmenta ses dépenses de plus de trois 
millions pour le seul beylick d'Oran, où on envoya un bey 
qu'on fut forcé de payer au lieu d'y en accepter un qui de- 
vait payer un tribut. Quant au beylick de Constantine, l'auto* 
nté de la France y resta pendant plusieurs années mécoqiiue, 
le gouvernement ne put de longtemps, sur les côtes de cette 
province, assurer une protection efficace à la navigation et au 
commerce ; et enfin, la pêche du corail, au lieu d'être exploitée 
par des Français, le fut entièrement par des étrangers. 11 en 
eût été tout autrement au moyen de Tarrangement pris avec 
le bey de Tunis, et son annuUation est d'autant plus regret- 
table, qu'à la date du 7 mars 1831, le ministre des affaires 
étrangères, Sébasfiani, qui l'avait provoquée, écrivait au gé- 
néral Clausel : « Quant au traité ^considéré en lui-même, j*ai 
« reconnu. Général, que Tidée qui en a fait la base, je veux 
« dire celle de placer à la tète du beylick de Constantine, un 
c< prince appartenant à la maison de Tunis, pouvait nous 
« offrir des avantages réels : je le reconnais encore : c'est 
a. donc la forme plus que le fond du traité que je me suis 
cru dans ta nécessité de combattre (t). » Ainsi, pour une 
questioii de forme on sacritiait les intérêts les plus évidents 



(4) Dépèche oIGcieliô 



H 



ALGÉRIE. 30< 

de la Finance, son or, le sang de ses enfants. Dans une certaine 
splière on appelle cela gouverner ! 

Voici à 00 sujet ce qu'écrivait le général Clausel en 1 83 1 (1) ; 
ff Je ne puis me résoudre à faire connaître la source d'où sont 
« partis les renseignements que les bureaux du ministère des 
« affaires étrangères ont préféré à mes informations officielles, 
a J'ai en mon pouvoir les originaux de certains rapports o/*- 
« ficieux dont j'ai communiqué des passages à M. le ministre 
« de la guerre. 11 a dû en être surpris ; mais je le suis bien 
a davantage, qu'ayant été mis sur la trace de ces ignobles in- 
« trigues, il n'en ait pas arrêté les effets (2). » 

Tout en luttant avec persévérance pour faire prévaloir des 
vues politiques d'une haute portée, le général Clausel ne né- 
gligea pas la question de colonisation. Une première tentative 
fut suivie de peu de succès par suite de circonstances indé* 
pendantes de sa combinaison. Mais ses idées générales, à ce 
sujet, étaient arrêtées, mûries. Elles ont été même, dans la 
suite, la base du système de colonisation adopté par le gou* 
vemement lorsque le gouvernement se décida à avoir un 
système. Le général Clausel les développa à la Chambre des 
Députés dans la séance du 21 mars 1832, et on ne saurait 
mieux compléter l'historique de sa première administration 
qu'en citant quelques fragments de son discours. 

a La question d'Alger est grave, dit-il, plus grave qu'aucune 
de celles qui ont été traitées jusqu'à présent. En effet, il ne s'agit 
pas ici d'une dépense annuelle plus ou moins bien appliquée, 
d'une économie heureuse ou maladroite, de l'un de ces actes 
sur lesquels on peut revenir à chaque session, enfin d'un mal 
qu'on peut réparer quelques mois après, ou d'un bien qu'on 
peut faire un an plus tard ; la question d'Alger demande à être 



(4) Observations du général Clausel sur quelques actes de son gouvernement. 
Fari8,48a4. 

(2) Nous serons moins discrets que le général Clausel, et nous dirons que 
l'auteur de ces rapports officieux était un consul qui s'était d'abord activement 
mêlé de cette affaire des beylicks, et qui ensuite s'y montra fort hostile, sans 
qp'on ait pu précisément savoir la cause d'une conduite si étrangement con* 
Iradictoirck 



30S ALGÉRIE. 

résolue procbaînement, et cette solution embrasse tout un 
avenir et touche non seulement aux intérêts maténels et mo- 
raux de la France, mais encore à ceux de l'Europe. 

a Conserverez-vous ou non la conquête d'Alger? L'élan 
national, le vôtre, en présence d'une conquête si hardiment 
conçue, si habilement exécutée, répondra affirmativement, 
j'en suis sûr.... 

a Une fois ce principe posé, arrive la question de savoir si 
la France peut conserver Alger avec avantage et par conséquent 
si elle le doit. Il n'a pas manqué, il ne manquera pas d'objec*- 
tions contre cette colonisation : les terres ne produisent pas ce 
que vous leur demandez ; les Arabes détruiront ce que vous 
aurez produit. Voilà, je crois, à quoi l'on peut réduire toutes 
les objections.... 

a Les terres peuvent être comparées pour la qualité à celle 
de toutes nos autres colonies. Veuillez vous rappeler. Messieurs, 
que ce que j'avance ici n'est pas l'opinion d'un utopiste, mais 
d'un propriétaire qui a interrogé les terres de Saint-Domingue, 
de la Mobile, de la Nouvelle-Orléans, d'Alger, et qui ne craint 
pas de donner la préférence aux terres d'Alger. J avancerai 
donc hautement que tous les genres de culture qui enrichissent 
nos colonies peuvent être abordés et continués avec succès à 
Alger. 

« La canne, le coton y prospèrent d'eux-mêmes : on y ob- 
tiendra aisément le cacao ; et Tindigo, cultivé avec soin, s'y 
acclimaterait en peu de temps. 

« Voyons maintenant quels sont les produits de vos co- 
lonies. 

Superficie des cultures en hectares des trois colonies 
françaises. 

CANNES. CAFÉ. COTON. CACAO. ÉPICES. TOTAL, 

hect. hect. iiecU bect. bect. heci. 

Martinique 4827 17,6^20 3,881 G9i 719 » 22,091 
Guadeloupe 4829 22,318 7,050 1,8-45 86 b 81,309 

Bourbon 1827 11,805 8,845 » 49 3,401 24,100 

51,753 10,7r;(> 2,336 854' 3,401 78,100 
hectares on 31 lieues un quart carrées, la lieue ayant â|000 
mètre» de longueur. a 



ALGERIB. 303 

i Soitanfe-dix-huit mille cent hectares, c'ci^t-à-dire trente* 
one lieues un quart carrées, suffisent donc à la production de 
tes produits coloniaux, y compris les terrains occupés par les 
habitants, les cases, les jardins de luxe, etc. 

c La plaine de la Metidja seule présente une superficie de 
tent lieues carrées, et le côté de la lieue étant de cinq mille 
mètres, elle donne une étendue de 250,000 hectares propres 
à la cdlture. 

c A supposer qu*on remplaçât tous les produits coloniaux 
par ceux d'Alger, il resterait dans cette seule plaine de la 
Metidja 171, 900 hectares libres. 

Après avoir établi que la quantité de coton que la France 
achète à l'étranger pour sa consommation industrielle pour* 
rait être produite et au-delà dans les 171,900 hectares libres, 
et que tous les produits coloniaux de la France ne soqt dus 
qu'à une population de 331,264 individus, le général Clausel 
ajoute: 

« Doutez-Tous qu'en moins de trois ans, la population 
d'Alger ne dépassât ce chiffre de 331,000, si on excitait par 
une éclatante protection les agriculteurs à s'expatrier? N'ou- 
blions pas qu'il y a vingt-six ans les États-Unis d'Amérique 
comptaient à peine une population de trois millions d'habi- 
tants, et qu'aujourd'hui celte population est de plus de treizo 
millions. J'ai fait moi-même partie des colons qui ont formé 
Tétat reconnu sous le nom d^Êtat Alabama. Eh bien! Mes- 
sieurs, avec des terres inférieures à celles d'Alger, avec une 
population inférieure à la population actuelle de la Régence 
et avec treize ans d'existence seulement, elle livre au com- 
merce une plus grande quantité de produits que ceux que je 
viens de vous détailler. 

« Pour éviter le titre d'utopiste, le me renferme dans une 
étroite possibilité, dans la colonisation seule de la plaine de 
la Metidja, dans une culture faite pour ainsi dire sous le canon 
d'Alger. 

€ Sans doute, si Ton voulait embrasser tout d'un coup h 
colonisation de la Hégcnce depuis Bone jusqu'à Oran, et dis- 
peraer ainsi dans une immense étendue de pays des habita* 



304 ALGÉRIE. 

tions isolées, sans aj^pùi et sans correspondance entre eUes» 
l'entreprise se^ait inopossibie ; mais en partant d'un centre 
puissant, comme Test Ât^er, en marchant graduellement de 
ce centre à une circonférence chaque jour plu$ étendue, en 
faisant protéger cette circonférence par des moyens mîlitaîtet 
qu'il serait très facile d'établir, vous obtiendrez mpidnmciit' 
des résultats heureux. 

a Une ligne de fortins, à la manière des Romains-, à Ten» 
trée des gorges de l'Atlas, des marches militaires constantes 
et bien dirigées, une correspondance bien établie d'un poste 
à l'autre, couvriraient plus que suffisamment les travaux des 
colons qui, eux mêmes organisés militairement, participe- 
raient à la défense de leurs villages. Une portion de la plaine 
de la Metidja acquise à la culture, il serait facile de s'étendre 
peu à peu , à condition que les habitations resteraient liées 
entre elles par leur proximité. 

« On dira peut-être que ces moyens sont insuffisants et que 
les Arabes n'en feront pas moins une guerre perpétuelle aux 
colons extrêmes qui borderont l'étendue des terres cultivées. 
Je répondrai que Ton connaît mal l'esprit des Arabes, que je 
crois l'avoir profondément étudié, que j'y ai vu, comme dans 
la plupart des hommes, une obéissance prompte et facile à 
ce qu'ils croient une volonté ferme et invariable ; mais qu*en 
même temps, lorsqu'ils voient de l'incertitude dans les projets 
qui leur sont contraires, ils ne sont ni moins empressés ni 
moins habiles que d'autres à combattre ce qu'ils espèrent dé- 
truire et ce qu'ils voient surtout mal défendu. Que le gouver- 
nement se persuade bien de cette vérité. Qu'il fasse que les 
Arabes ne doutent pas de son intention de conserver et de 
coloniser Alger, et bientôt toute cette inquiétude cessera. 

« La colonisation d'Alger me paraît un de ces événements 
qui datent, comme les découvertes dans l'histoire des peuples, 
et je ne fais aucun doute qu'Alger bien administré pourrait, 
en peu de temps, non seulement remplacer toutes nos autres 
colonies, mais encore nous affranchir du tribut que nous 
payons aux Indes. Danspeu d'années, Alger suffirait aux frais de 
ion occupation, de sa défense, de son administration ; Alger, 



ALGÉRIE. 305 

en un mot, pourrait être la gloire d'un gouvernement ei une 
wurce de richesses pour la France. » 

Telles étaient, en fait de colonisation, les vues du général- 
administrateur qu'on semblait entraver avec préméditation. 
L'avenir s'est chargé de les justifier : on a fini par les adopter 
toutes, mais après dix ans de tâtonnements, de fautes, d'in- 
croyables aberrations dont on ne trouverait d'exemple dans 
les annales colonisatrices d'aucun peuple. La France a dû 
payer de son or et de son sang l'ignare routine des bureaux. 
En février 1831, le général Qausel fut sacrifié à des ré^ 
pugnances sans raison et de vaniteuses puérilités de pouvoir. 
Le général Berthezène le remplaça. 

Soldat de la République et de l'Empjre, le général Qausel 
avait gagné tous ses grades au champ de bataille. Enrôlé 
comme volontaire en 1791, il était devenu aide-de-camp du 
général Pérignon dans l'armée des Pyrénées-Orientales. D fit 
la campagne d'Italie sous Bonaparte, et, de 1796 à 1799, 
s'éleva au grade de général de brigade. Après l'expédition de 
Saint-Domingve dont il fit partie, de 1800 à 1804, il fut 
promu au grade de général de division. De 1805 à 1815, il 
dirigea divers corps d'armée, en Autiîche, en Prusse, en Po- 
logne, en Espagne, en Russie, en Saxe, en France. Exilé après 
les cent jours, il ne rentra en France qu'en 1821, fut appelé 
à siéger à la Chambre des Députés en 1827, et promu, en 
1830t au commandement de l'armée d'Afiique, où, comnue 
général et comme administrateur, il donna des preuves d'une 
incontestable capacité^ 



GHAPIIBI V. 



La gteértl Binrthttèiie.«- EM dd h rédnctioii ds r«mi«l d'Aftiq^— U 
guerre sainte.— Situatioii critiqiie du bey de M^deMi--** Aifir^ d^ yo|)M)- 
iaires Parisiens en Afrique.— Fâcheuses prévèiiUons contre eux.— Secoode 
expédition de Médeah.— Désastres au retour.— Néuveati soulèvement des 
tribus.— Nouveau plan d'administration : ses résultats. — Le général Ber» 
tbezène est rappelé.— Le duc de Rovigo est nomn^ au commandement topé- 
rieur de l'armée d'Afrique : sages mesures administratives. -L'intendant 
civil, baron Picbon. — Soulèvement des tribus delà plaine. — Le capiliiiab 
Toussouf à Bone. — Le général Boyer à Oran. — Abd-d-Kadder : sa naf§» 
sance : son éducation : son élévation au pouvoir. — Le duc de Çovigo èil 
lemMaflé, par intérim, par le général Aviiard.— Création du bore|n ante. 



Gomme homme de guerre, le général Berthezëne pouvait 
EToir d'éminentes qualités; mais 8*il eût été à sa place à la 
tête d'une armée, il ne Tétait réellement pas à la tête d'une 
colonie naissante. Comme il faut créer sans cesse là où tout 
est à créer, un administrateur a besoin d'une foule de con- 
naissances et surtout des connaissances locales ; il lui faut une 
grande activité d'esprit, et principalement un tact, une rapi- 
dité de coup-d'œil et des talents d'observation qui manquaient 
totalement au général Berthezène. Aussi, dès son début, se 
laissa-t-il prendre au piège grossier de l'adulation et de la 
bonhomie de quelques intrigants indigènes. Minutieux et sus- 
ceptible à l'excès, il voulait savoir tout ce qui se disait sur son 
compte :• une sorte de police inquisitoriale favorisait ce pen- 
chant et, par des rapports v^ais ou faux, aigrissait son irasci- 



ALGÉRIE. 307 

bilité naturelle pour des puérilités qui n'auraient souvent 
mérité que du mépris. Son goût exclusif pour la profession 
militaire, le portait à se montrer peu juste envers les autres 
professions; les commerçants surtout étaient peu en faveur au- 
près de lui et il les désignait ordinairement sous une dénomina- 
tion peu flatteuse. De pareilles idées étaient fort étranges dans 
un chef de colonie, qui doit savoir au moins que si un soldat 
y est utile, un commerçant ne Ty est pas moins : Tun assure 
\à conquête, mais l'autre la fructilise, et c'est quelque ch<»se. 
Le général Berthezène, en un mot, était un général fort ca- 
pable, fort intègre, ayant peut-être toutes les qualités néces- 
saires pour régir une colonie établie, mais aucune de celles 
qu'il faut pour en établir une. Il résulta de là une série de 
fautes d'autant plus prévues, du reste, du ministère français, 
que le général Berthezène n'avait dû sa nomination qu'à ses 
qualités négatives. Le général Clausel avait fait trop, on voulait 
quelqu'un qui fit moins. 

Lorsque le général Berthezène arriva en Afrique ( 20 fé- 
vrier 1831), la situation était fort compliquée; les cabinets 
^e l'Europe n'avaient accepté le gouvernements de juillet que 
de fort mauvaise grâce. L'Angleterre l'avait reconnu sans 
trop de difQcultés; mais quelques gouvernements du nord 
avaient longtemps marchandé leur reconnaissance officielle. 
La révolution belge qui s'était opérée presque immédiatement, 
|es révolutions polonaise, italienne et espagnole qui étaient 
imminentes, avaient compliqué pour le gouvernement fran-* 
piis une situation qui n'était ni la paix, ni la guerre, mais 
plus près de la guerre que de la paix. Dans une intention 
louable de patriotisme et par une abnégation plus louable en- 
core, le général Clausel, alors général en chef de l'armée 
d'Afrique, n'avait pas voulu priver la mère-patrie d'un surcroît 
de forces qui, dans cette critique conjoncture, pouvaient lui 
être d'une grande utilité. Ses arrangements avec le bey de 
ïunis relativement aux beylicks de Constantine et d'Oran, 
devant en outre borner l'occupation française à la province 
d'Alger et à quelques ports de la côte, il avait cru pouvoir 
mettre à la disposition Âi ministre de la ^errei douze régi- 



303 ALGÉRIE. 

mente sur dix-huit de ceux qui formaient rexpédition d^AM- 
que. Cette ofîre avait été acceptée avec reconnaissance, et à 
la fin de janvier 1831, Teffectif de l'armée expéditionnaire, 
s'était trouvé réduit à neuf mille hommes environ. 

Mais les arrangemente du général Qausel avec le bey de 
Tunis, n'ayant pas été ratifiés, et le nouveau projet que là 
vanité puérile du ministre Sébastiani crut devoir substituer, 
ayant été refusé par le bey, les provinces de Gonstantine et 
d'Oran restèrent, l'une dans un état d'hostilité ouverte, Fautre 
dans un état de révolte permanente. 

La réduction du corps expéditionnaire permettait peu de 
remédier à un état de choses si fâcheux. Aussi empirait-O 
chaque jour. En effet, déjà Moustapha-ben-Omar, le bey que 
le général Clausel avait installé à Médéah, réduit à ses seules 
forces par suite du rappel de la garnison française, était atfa-> 
que à la fois par des tribus kabyles et par le fils de TaiideQ 
bey, Bou-Mezrag, qui s'était mis à la tête d'une troupe de 
Turcs et de Koulouglis : le nombre des assaillante augmentait 
chaque jour et, chaque jour, Bou-Mezrag voyait diminuer 
lé nombre de ses partisans. D'autre part, l'insurrection avait 
gagné jusqu'au massif d'Alger ; l'occupation française se bor- 
nait à quelques lieues autour de la ville et paraissait devoir 
bientôt se rétrécir d'autant plus que les maraboute prêchaient 
le Djehad (la guerre sainte) dans toutes les tribus du Sahel. 

La guerre sainte fut déclarée par le Coran, obligatoire 
pour tout musulman. Il y a l'appel restreint et l'appel géné- 
ral. Dans le premier cas, ceux qui ne se sont pas rendus à 
l'appel de l'iman, sont dégagés de l'obligation si un nombre 
suffisant de fidèles a répondu. Dans le second cas, il n'y a 
d'exception que pour les femmes, les enfante, les esclaves et les 
infirmes. L'esclave cependant peut combattre avec l'autori- 
sation de son maître, et la femme avec celle de son mari. Tels 
sont du reste les instincte guerroyante de ces races que nul ne 
manque à l'appel ou ne se fait attendre. C'est ordinairement 
les jours de marché, lorsque les membres des diverses tri- 
bus sont réunis pour se pourvoir de produite ou échanger les 
leur»! <iue se prtebe le djehad^ exaltant à la fois un double 



ALGÉRIE. 309 

sentiment religieux et humain. Le sentiment religieux, c'est 
la promeisse du paradis avec toutes ses joies matérielles, de 
belles houris toujours jeunes, des désirs sans cesse renais- 
sants, des Toluptés ineffables pour ceux qui combattront 
pour la foi et mourront en combattant. Le sentiment humain 
c'est l'ardeur du butin dont le Djehad règle les parts dévolues 
à chacun de ceux qui ont concouru à l'entreprise. Ce dernier 
point du reste est commun à toutes les prescriptions du Co* 
ran qui r^emente non seulement la vie religieuse mais en* 
core tous les actes de la vie civile. 

A la voix des marabouts et des imans, Tardeur belliqueuse 
des Arabes s'était réveiUée. Cette politique singulière d'un 
vainqueur qui semblait jusqu'alors n^avoir gagné des victoi* 
res que pour en abandonner ou en laisser perdre les firuits, 
leur inspirait pour les Français une sorte de mépris qui, com- 
binée avec la rage de leur défaite et leur horreur pour toute 
domination, avaient exalté leur fanatisme jusqu'à les pousser 
3ur le front même de nos lignes oii les plus fanatisés venaient 
isolément se faire tuer en criant : « Mort! mort aux Fran- 
çais 1 » Ce cri retentissait dans tout le sahel. 

Pour faire face à ces difficultés déjà grandes et à toutes les 
éventualités qui pouvaient en résulter, le général Berthezène 
avait demandé au ministère des renforts qui arrivèrent dans 
les premiers jours de juin. Os se composaient des bataillons 
de dépôt et de près de trois mille volontaires parisiens. 

Ce corps de volontairesétait composé d'éléments fort divers: 
beaucoup d'entre eux avaient coopéré aux journées de juillet. 
Il y avait parmi eux des jeunes gens instruits appartenant à 
des fomilles aisées qui, dans le premier mouvement d'exalta- 
tion patriotique ou par les suites d'une folie de jeunesse, s'é- 
taient faits soldats : les autres étaient quelques artistes sans 
ouvrage, de braves ouvriers sans travail, et enfin l'écume de 
la population de Paris et des autres villes. Ce corps, formé 
d'éléments si hétérogènes, s'était organisé de lui-même sous 
la dénomination de compagnies de ta Charte^ après les joui- 
nées de juillet. Il avait d'abord dema ^ secours àm 

Belges, des Gonstkutioiuiil» /' 



310 ALGËRIE. 

partout oh, pendant cette année de fermentation euro]^éenne, 
résonna le mot de liberté. Ce cosmopolitisme belliqueux con- 
trariait fort la politique pacifique du gouvernement qui se 
croyait encore obligé à quelques égards envers ceux qui l'a- 
vaient fait ce qu'il était. Ce n'était cependant pas sans peine 
qu'il parvenait à contenir leur impatience, et, dès qu'il en 
trouva Toccasîon, il se hâta de se débarrasser d'eux en les en- 
voyant guerroyer en Algérie. Ces volontairesfirent de très bons 
soldats mais très indisciplinés. L'armée les vit sans peine. H 
n'en fut pas de même du général Berthezène. Après les avoir 
incorporés dans les zouaves, il les réunit ensuite en deux ba« 
taillons d'infanterie et deux compagnies de travailleurs et, en 
dernier lieu, ces bataillons^ dits auxiliaires, formèrent le 67* 
régiment de ligne. 

La conduite de ces volontaires ne fut pas d'abord très régu- 
lière sous le rapport de la discipline. Soit que cette irrégula- 
rité fût la cause de la défaveur dont ils furent l'objet, soit, ce 
qui est plus probable, que leurs opinions un peu trop ardentes 
en fussent le seul motif, ils furent traités avec rigueur et 
même avec injustice. Pendant que l'armée était bien habillée, 
bien équipée, on les laissa plus d'une année entière couverts 
en quelque sorte de haillons et manquant même de souliers. 
Aussi s'attacha-t-il à eux une telle déconsidération que les 
indigènes ne les connaissaient que sous les noms de Bédouins 
de France. Lorsque l'occasion se présenta cependant ils ne 
furent pas les derniers au feu, et les bulletins de l'armée 
mentionnèrent honorablement à plusieurs reprises leur cou- 
rage. 

Pendant ce temps, l'insurrection des indigènes s'était pro- 
pagée et le bey de Médeah, pressé de plus en plus, demandait 
instamment du secours. Depuis l'arrivée des renforts, le gé- 
néral Berthezène n'avait plus de motifs pour assister impas- 
sible à la ruine d'un allié fidèle et d'une ville qui se montrait 
fort dévouée. Après bien des lenteurs, il organisa une seconde 
expédition qui partit d'Alger le 25 juin, deux brigades formées 
des 15% 20% 28« et 30« régiments de ligne, un bataillon de 
louaves mi-partie volontaires , deux escadrons de chasseurs 



ALGÉRIE. 311 

^Afrique et quelques pièces de campagne la composaient. Le 
tout se montait à quatre mille cinq cents hommes dont le 
général Berthezène prit le commandement. 

Le corps, expéditionnaire arriva jusqu'à Médeah sans avoir 
été sérieusement inquiété. Quelques fusillades insignifiantes 
s'engagèrent avec les Montagnards de T Atlas; le fils de Bou- 
Mezrag tenta de faire une démonstration sur le front de la 
ligne française avec quelques centaines de cavaliers; mais une 
charge à fond vigoureusement exécutée par les chasseurs d'A- 
frique dispersa l'ennemi qui ne reparut plus. Ainsi, telle était 
encore l'impression de la première expédition dirigée par le 
général Glausel contre Médeah. que le général Berthezène put 
traverser la première chaîne de l'Atlas sans qu'on lui en dis* 
putàt les passages si faciles à défendre. Ce secours arriva à 
temps pour dégager Mustapha-ben-Omar : les habitants de 
Médeah reçurent les Français en Ubérateurs. 

La marche seule de l'armée française avait pu suffire pour 
disperser les Kabyles, mais non pas les soumettre. Le général 
en chef les avait fait sommer de faire leur soumission sous 
peine de voir ravager leurs habitations, mais peu d'entre 
eux avaient répondu à cet appel. Le plus grand nombre 
s'était retiré sur le vaste plateau d'Haoura et s'y était re- 
tranché se déclarant en hostihté ouverte. Il fallut aller les 
attaquer. 

La plateau d'Haoura o& s'étaient concentrées les tribus in- 
soumises est l'ancien emplacement de deux tours romaines 
dont les vestiges subsistent encore : on ne peut y arriver, par 
deux de ces côtés seulement, que par une pente rapide cou- 
pée de ravins et très accidentée. A l'abri des ruines des tours 
romaines ou des exhaussements naturels du terrain, les Ka- 
byles étaient comme derrière un camp retranché ne pouvant 
être attaqués que par front. L'artillerie était d'un faible secours 
et le feux de peloton fort désavantageux avec un ennemi qui, 
parfaitement abrité,, pouvait faire un feu plongeant très 
meurtrier. On ne pouvait emporter la position qu'à la baïon- 
nette. Les colonnes françaises s'élancent au pas de course à. 
traters les ravins et les précipices, arrivent jusqu'à la Imm da 



312 ALGÉRIE. 

plateau et s'avancent résolument malgré une grêle de balles el 
de pierres. Repoussées à plusieurs reprises elles revinrent à 
la chaîne avec un nouvel acharnement, et, après quatre heures 
d'un combat très meurtrier, parvinrent à déloger les Kabyles 
du plateau et à s'y installer au milieu des cadavres des ennemis 
qui s'étaient vaillamment défendus. Dans cet engagenient, 
les volontaires Parisiens firent preuve d'un grand oourage et se 
réhabilitèrent entièrement aux yeux de l'armée. 

Ce succès, quoique glorieux pour les armes françaises, n'a- 
vait de l'importance que sous le rapport de l'ascendant moral 
qu'il pouvait leur assurer. Il était dès-lors politique et rationnd 
d'en tirer tout le parti possible en réorganisant de nouveau le 
parti français à Médeah, en y ralliantles tribus environnantes, 
îfalheureusement ce ne fut pas là le parti qu'adopta le général 
en chef. Vainqueur, il agit absolument comme s'il eût été 
vaincu. Il se replia sur Alger, emmenant avec lui le bey Mus- 
tapha installé par le général Glausel et abandonnant à toute la 
fureur des Kabyles les habitants de Médeah qui s'étaient gra« 
vement compromis pour les Français. Les Arabes considéré* 
rent cette retraite comme une fuite : ils agirent en conséquence* 
Dès le premier jour de marche, l'armée put voir toutes les 
hauteurs couronnées d'ennemis. Quarante tribus avaient pris 
les armes : le nombre des combattants s'accroissait d'heure en 
heure ; il atteignit bientôt le chiffre de plus de quinze mille, 
harcelant l'armée française, se portant sur ses flancs, sur sa 
tète de ligne, sur ses derrières. Du sommet de toutes les hau- 
teurs couronnant les gorges où les Français étaient obUgés de 
s'engager ils faisaient un feu meurtrier et continu : au détour 
de chaque rocher, ils se présentaient en masses compactes, 
évitant tout engagement général mais attaquant partiellement 
partout. Ce fut surtout vers l'arrière-garde qu'ils dirigèrent 
leurs principaux efforts : un moment ils parvinrent à l'enta- 
mer : elle se rallia cependant et fit bonne contenance. Mais 
l'oflicier qui la commandait ayant été tué, le désordre se mit 
dans les rangs ; les Kabyles, redoublant d'audace, firent une 
trouée : on se battit corps à corps : les Français se défendaient 
vaillamment, mais le nombre des assaillants croissant toujourSi 



ALGÉRIE. 313 

ils rejetèrent en désordre sur le corps du centre qui se trouva 
tout-à-coup à découvert. L'armée expéditionnaire fut un mo« 
ment compromise ; heureusement, le commandant Duvivîcr, 
par une chaîne habilement conduite et vigoureusement exé- 
cutée, parvint à maintenir d*abord l'ennemi et à le refouler 
ensuite. Les volontaires Parisiens incorporés dans les Zouaves, 
firent encore, en cette circonstance , preuve du plus grand 
courage. L'armée atteignit peu après la plaine et cessa dès ce 
moment d'être inquiétée ; elle avait eu, dans ses divers enga- 
gements, plus de trois cents hommes hors de combat. 

Le désastre de cette seconde expédition ne tarda pas à porter 
ses fruits. Les Arabes comme toutes les populations à demi- 
barbares ne voient que le côté positif des choses. Dans cette 
expédition de Médeah qui semblait en quelque sorte n'avoir 
été entreprise que pour aller chercher Mustapha-ben-Omar et 
défaire ce qu'on avait eu tant de peine à faire, ils virent un 
ennemi qui reculait devant son œuvre, et la conséquente na- 
turelle qu'ils en tirèrent fut qu'il n'était pas assez fort pour la 
défendre. 

n est un fait dont la plupart des généraux qui ont com- 
mandé en Afrique n'ont pas tenu assez compte : c'est que le 
moyen le plus sûr de contenir les Arabes est de ne jamais leur 
laisser croire qu'on les redoute, et surtout soupçonner qu'un 
peuple qui se présente comme dominateur puisse se laisser 
intimider un seul instant par le nombre ou par la force. Les 
Romains qui se sont montrés plus entendus que les peuples 
modernes pour bien des choses et qui, sans contredit, ont 
déployé plus d'habileté que la France à coloniser la plage 
africaine, avaient à ce sujet un système invariable : c'était de 
ne jamais laisser impunie aucune infraction aux traités de la 
part des Barbares, de ne jamais revenir sur une œuvre faite 
et d'en poursuivre l'exécution, coûte que coûte ; les Anglais 
ont adopté ce système et s'en sont bien trouvés. En France, 
on fait tout le contraire : chaque nouvel arrivant au pouvoir 
apporte en tout et pour tout ses sympathies, ses exclusions, 
son système, fruit, non pas de l'expérience et de la réflexion, 
mais de la vanité et de régoismc. U se met immédiatement à 



314 ALGËRIE. 

l'œuvre, dérait ce qu'a fait son prédécesseur et se nâte de bàlîr 
sur nouveaux frais, pressé qu'il est de s'admirer dans son ou- 
vrage ; son amour-propre y trouve son compte ; la France y 
trouve le sien, si elle le peut; ce n'est là que l'intérêt secon- 
daire. Puis comme, par suite de fréquents changements, les 
ministres s'y succèdent assez rapidement, tout reste en germe, 
et l'ensemble des améliorations administratives n'y est, en dé- 
finitive, que le tonneau des Danaides. Aussi la vanité mesquine 
des hommes d'État, la vanité tracassière qui s'attache à des 
futilités, la vanité de petits hommes qui remplissent de hautes 
fonctions, c'est là ce qui a toujours tout perdu en France. 

Le général Berthezène ne crut pas devoir déroger à cette loi 
générale, passée en quelque sorte en principe, et qui, quoique 
subie avec humeur par la nation, est acceptée assez généra- 
lement par la presse, plus exclusivement organe d'intérêts 
privés que d'intérêts publics. L'abandon de Médéah fut suivi 
d'une réaction complète dans les mesures administratives. La 
général en chef commença par adopter un système de terreur, 
non pas à l'égard des Arabes, mais à l'égard des Français. Il 
fit afficher un ordre du jour, par lequel tout individu français 
ou étranger, s'entretenant dans un café ou autre lieu public 
des dernières affaires, devait être chassé de la colonie, et, en 
cas de retour à Alger, livré à un conseil de guerre. U s'occupa 
ensuite activement d'une espèce de restauration musulmane, 
conçue au profit de quelques Maures intrigants, qui, par leurs 
flatteries et leurs obsessions^ étaient parvenus à faire de lui un 
instrument passif de leur cupidité et de leur ambition. 

Ils étaient puissamment secondés au-dchors par les projets 
insurrectionnels d'un de leurs co-religionnaires, nommé Sidi- 
Sadi, qui, en revenant de la Mecque, avait eu à Livourne une 
entrevue avec l'ex-dey Hussein et avait concerté avec lui un 
plan de soulèvement général pour expulser les Français do 
l'Algérie. Dans l'état d'excitation où les désastres du corps 
expéditionnaire de Médéah avaient plongé les Arabes et les 
Kabyles, il ne fut pas difficile à Sidi-Sadi de les faire entrer 
dans ses vues. Plusieurs chefs principaux des tribus de l'est 
se liguèrent avec lui et s'occupèrent de rallier leurs contîn* 



AL6ËRIE. Si» 

gents. De ce nombre étaient les scheicks Ben-Zamoun et Ben- 
AiS6a. Les contingents reçurent Tordre de se réunir, du 17 au 
20 juillet, à Sidi-Jederzin, marabout situé sur la rive droite 
de THarash. Impatient d'en venir aux mains, Ben-Zamoun 
attaqua, le 17, la Ferme-Modèle, mais le général Çerthezèiie 
s'étant porté à sa rencontre avec une division de trois mille 
cinq cents hommes, l'ennemi opéra précipitamment sa retraite 
après une insignifiante démonstration. Ce facile succès amena, 
non pas la soumission des tribus, mais leur dispersion momen- 
tanée. Le plan de soulèvement de Sidi-Sadi n'eut pas d'autre 
mite ; seulement en rentrant à Alger, le général Berthezène 
crut devoir en prévenir le retour en investissant des fonctions 
d'aga de la plaine un marabout de Coléah qui, dès le principe 
de l'occupation française, s'était montré un des chefs les plus 
hostiles. On le nommait Sidi-Ben-Em'Barak. C'était, d'après 
les suggestions des Maures dont le général Berthezène subissait 
l'influence, que Sidi-Ben-Em'Barak avait été promu à ces 
hautes et importantes fonctions dont les appointements se 
montaient à soixante-dix mille francs par an. 

Ainsi peu à peu le mode d'administration établi par le gé- 
néral Clausel était disloqué, et le rayon d'occupation de Tar- 
mée française rétréci. 

En abandonnant ainsi sans compensation tous les projets 
d'extension et d'amélioration de la conquête, le général Ber- 
thezène ne devait pas se montrer plus favorable aux projets de 
colonisation européenne. En effet, ils furent décriés d'abord 
et abandonnés ensuite. La plaine de la Metidja fut présentée 
comme insalubre et improductive, et les colons qui y avaient 
ou projeté ou formé des établissements agricoles durent se ré- 
signer à ne plus compter sur la protection française qui parais- 
sait ne pas pouvoir s'étendre au-delà du massif d'Alger. Alors 
il ne resta plus rien de tout de ce qu'avait institué ou fondé le 
général Clausel. 

On ne sait trop où se serait arrêtée cette ardeur d'abandon 
et de restriction si TopinioD publique ne s'était soulevée 
d'indignation contre cet! i * ?|njf^^^jfT" d^astreuse, à qui 
les succès comme les? ep&or aiigmeii- 



316 ALGÉRIE. 

ter la prépondérance des populations vaincms, ponr diml« 
nuer celle du peuple vainqueur. La France demandait à 
grands cris qu'on jetât en Algérie des racines fortes et puis- 
santes, et chaque jour on s'occupait à déraciner le peu qui 
yen avait été jeté. Que pouvait-elle faire? protester, s'indi* 
gner. Depuis l'occupation d'Alger elle ne faisait pas autre 
chose. 

Ce qui se passait sur les autres points 4e FAlgérie n'était 
pas de nature à la cahner. 

La dissolution de l'ancien établissement politique avait 
amené la rupture de tous les Uens qui garantissaient autre- 
fois la dépendance des tribus. Il n'avait survécu que cet es- 
prit d'insoumission et d'indépendance dont l'exaltation avait 
été si fatale à quelques conquérants.* Ces populations turbu- 
lentes, abandonnées à elles-mêmes, étaient dans un état 
d'hostilité permanente, non seulement contre les Français, 
mais encore entre elles. Les Maures, les Koulouglis, les Âra? 
bes, les Kabyles, partout en armes, se disputaient partout où 
se partageaient des gouvernements locaux. Aucune influence 
directe ne dominait avec sécurité nulle part, et toutes ten- 
daient partout à dominer. Dans ce conflit anarchique, l'ad- 
ministration française d'Afrique jouait le singulier rôle d'as- 
sister impassible à ces tiraillements, et au partage d'une 
conquête assez chèrement achetée. Cette situation était into- 
lérable ; le général Berthezène fut rappelé. « Il ne laissa en 
c Afrique, dit le commandant Pelissier, qu'une réputatioij 
a d'honnête homme, dans l'acception la plus vulgaire du 
a mot, mais d'un homme qui n'était point né pour la posi* 
« tion qu'il avait eu l'imprudence d'accepter. » 

A cette époque fut adoptée pour l'Algérie un nouveau 
système d'administration : l'autorité civile fut séparée de 
l'autorité militaire. Un intendant civil, placé sous les ordre? 
immédiats du président du conseil et indépendant du général 
en chef, devait être chargé de la direction de tous les ser- 
vices civils, financiers et judiciaires. Rien ne motivait cette 
division des pouvoirs : tout, stu contraire, semblait l'exclure 
dans un pays où, tout récemment encore, la volonté d*«i 



ALGERIE* 317 

seul bomme était h loi suprême, et oft les attributions des 
diverses autorités étaient si mal définies, que la concentra* 
tion des pouvoirs était une indispensable nécessité. Ce grave 
inconvénient n'échappa pas à la sagacité du ministère fran- 
çais; mais comme cette division flattait Tamour-propre du 
ministre de Tintérieur, Casimir Périer, alors président du 
conseil, et qu'en France on n'hésite jamais à sacrifier les in« 
térèts généraux à des mesquines satisfactions d'amour-propre 
ou d'orgueil, on passa outre. Le lieutenant-général duc de 
Rovigo fut nommé au commandement en chef des troupes; 
Fintendance civile fut confiée à M. le baron Pichon. 

Savary, duc de Rovigo, avait dû son élévation et sa fortuné 
à la mort d'un des plus illustres généraux de la République. 
Aide-de-camp du général Desaix, il se trouvait à Blarengo 
lorsque ce dernier fut frappé à mort. Pour honorer la mé<* 
moire de son brave et valeureux ami, Bonaparte, alors pre- 
mier consul, attacha son aide-de-camp à sa personne. Élevé 
successivement au grade de général de brigade, de général 
de division, Savary fut nommé ministre de la police en i 810^ 
et conserva ce poste jusqu'à la chute de l'Empire. Proscrit 
sous la Restauration, le gouvernement de Juillet l'indemnisa 
en lui confiant le commandement de l'armée d'Afrique. 
C'était un homme d'exécution, d'une grande énergie morale, 
' doué de vues administratives assez profondes, connaissant les 
populations musulmanes qu'il avait étudiées en Egypte sous 
Desaix, et qui aurait pu faire quelque bien en Algérie s'il 
eût été libre d'agir. Quant au baron Pichon, c'était un 
homme méticuleux, incapable, sans vues, sans profondeur, 
sans idées, apportant en Algérie toutes les plus mesquines 
tracasseries bureaucratiques, et n'ayant une incontestable 
aptitude que pour censurer; ses qualités négatives faillirent 
porter un coup mortel à la domination française en Algérie. 

Cette domination avait perdu sous l'administration c|^ gé- 
néral Berthezène tout le prestige qui s'était, dès le début, at- 
taché à elle. Après la première expédition de Médéâh comme 
à la suite de la prise d'Alger, le nom français était craint et 
respecté* On potttstt aller niiicniiitft èplomaii lieuet du» 



3lS ÂLGËRIEL 

les terres. Dans la ville comme dans la campagne les natnrels 
ne manquaient jamais de céder le pas aux vainqueurs et de 
leur adresser la bienvenue. Mais à la suite d'une série d'in- 
croyables inconséquences, de vues sans unité, d'administration 
et d'administrateurs sans fixité, de mesures empreintes de fai« 
j)lesse et de pusillanimité , les indigènes s'aperçurent que les 
terribles vainqueurs de Statouêli et du Teniah de Mouzaîa, 
n'étaient à redouter que sur un champ de bataille. Dès qu'ils 
eurent appris à ne plus les craindre sur un point, il les mépri* 
sèrent sur tous. 

Les choses en étaient là , lorsque le duc de Rovigo prit le 
çomman(lement àe l'armée d'Afrique. Ses premières mesures 
furent sa^es et bien conçues. Â l'imitation des Romains qui, 
en Afrique principalement, n'avaient procédé à l'occupation 
totale du territoire, qu'en élevant des fortins échelonnés aux 
limites du territoire occupé , il fit construire une ligne de 
))lockhaux et de camps retranchés depuis la pointe l?escade 
jusqu'à l'embouchure de l'Harash en passant par le 6oudja^ 
re^h, Dely-lbrahim, Cadour, Oued-eï-Kerma et la Ferme* 
Modèle. Dans cet espace de six lieues carrées environ , il dis- 
sémina la majeure partie de ses troupes : il fit relier ces postes 
entre-eux et avec Alger par des routes stratégiques qui devin- 
rent le jalon de ce réseau de chemins qui sillonnent aujourd'hui 
le Sahel et le Fash. La sécurité la plus parfaite régna alors 
dans tout le Massif. Dans cet espace si bien coupé et si bien 
gardé, beaucoup de propriétés appartenant au domaine pu- 
blic étaient restées abandonnées sans culture. Il les fit cultiver 
par des émigrants alsaciens, pauvres malheureux que des spé- 
culateurs avaient attirés à Alger, et que l'incurie du général 
Berthezène , avait laissé sans ressource et sans travail à la 
charge de la ville. Le duc de Rovigo prit encore d'autres me- 
sures de détail utiles au bien-être de la colonie ; mais il eut 
len tout et pour tout à lutter contre l'intendant civil Pichonqui, 
plus occupé de la maison Bacri dont il avait lait son hôtel, 
oue des intérêts de la colonie confiée à ses soins, croyait créer 
une colonisation en censurant ou en entravant toutes les me« 
;|ures prises par le duc de Rovigo, 



ALGÉRIE. 319 

Roufi ne citerons qu'un fait : car le cœur saigne quand on 
voit les intérêts d'un grand peuple confiés à de tels hommes. 

Aucun système de casernement régulier n'avait encore été 
établi en Afrique. Pour toute fourniture, les soldats n'avaient 
que des sacs de campement remplis de paille hachée : la plu- 
part même en manquaient. Un tel état de choses réclamait 
impérieusement une amélioration; et dans un pays qui pro-- 
duit des laines 'en abondance, le duc de Rovigo voulut au 
moins que chaque soldat eût son matelas. Il frappa extraor- 
dinairement la population indigène d'une taxe de quatre 
mille quintaux métriques de laine. 

Les Maures et les Juifs qui, sous le Dey, auraient payé en 
silence , jetèrent les haut cris à un acte de vigueur dont la 
molle administration du général Berlhezène les avait désha- 
bitués. N'ignorant pas que l'intendant Pichon était toujours 
prêt à battre en brèche les actes du général en chef , ils lui 
adressèrent leurs réclamations. L'intendant civil les accueil- 
lit avec transport, manda près de lui les principaux d'entre les 
Maures, leur dit que le général en chef avait outre-passé ses 
pouvoirs en cette circonstance et les autorisa à ne pas payer 
lataxe. 

Le duc de Rovigo avait sans contredit dépassé ses pouvoirs 
en frappant une contribution extraordinaire. Le motif même, 
quoique louable en ce qu'il était un acte d'humanité envers 
les soldats français et une tardive réparation de l'impré- 
voyance du ministère ne Fexcuse pas. Mais quelle chose peut 
excuser l'intendant civil d'avoir discrédité l'autorité française 
en mettant à nu le peu d'unité qui existait entre les deux 
pouvoirs ? Devant une population toujours disposée à trouver 
des torts au pouvoir dominateur , il devait approuver en ap- 
parence l'acte du général en chef, quitte ensuite à concéder 
comme un acte de bonté de gouvernement un palliatif de la 
mesure ou une restitution de la taxe si on le jugeait conve- 
nable. 

r 

Telle eût été, dans une pareille circonstance , la ligne de 
conduite d'un homme doué du bon sens le plus vulgaire : 
toile ne fut pas celle de l'intendant Pichon. U en reléra an 



320 ALGÉRIE. 

ministère qui, aussi inconséquent que lui, cassa rordomanoa 
du duc de Rovigo. Ainsi un peuple habitué à Tidée que la 
dernier des janissaires turcs ne pouvait avoir tort même lors* 
qu'il l'avait réellement, eutril la satisfaction de voir l'homme 
qui était pour lui ce qu'était jadis le Dey , avouer ses torts 
par la restitution de ce qu'il avait reçu. Le chef suprême de 
la colonie donna l'exemple que n'avait jamais donné le der- 
nier des soldats turcs. Cet acte, juste peut-être au point de 
vue administratif, et dont ceux qui le provoquèrent ne com- 
prirent pas toute la portée, fat considéré par les indigènes 
comme un acte de bassesse tel que, dès ce moment, l'autorité 
française tomba dans un état de discrédit, dont on a pu à 
peiné la relever depuis. Le gouvernement oublia dans cette 
circonstance ce qu'il s'était jusque là peu dAnné la peine 
d'apprendre : c'est que pour maintenir dans le devoir une 
population comme celle de l'Algérie , il faut toujours avoir 
raison. 

L'intendant civil Pichon fut enfin rappelé ; mais le mal que 
sa censure méticuleuse et tracassière avait fait à cette colonie 
naissante ne put être réparé sitôt. 

Le duc de Rovigo eut aussi un reproche à se faire, repro- 
che grave qui, dans une autre sphère, souleva, parmi les po- 
pulations de l'Algérie, des indignations légitimes. 

Au dessus de la Maison Carrée habitait la tribu des Onled- 
Ouifia. Cette tribu avait, à diverses époques, assassiné plu- 
sieurs Français bourgeois ou militaires avec des circonstances 
atroces conune elles se présentaient fréquemment dans ces 
genres d'assassinats. Dans les premiers jours d'avril 1832, le 
scheick Farhat-ben-Said chef de quelques grandes tribus du 
Sahara, avait envoyé des députés au général en chef de l'ar^ 
mée française pour lui offrir sa coopération contre le bey de 
Constantine. Le duc de Rovigo les reçut avec égard et leur 
distribua quelques présents. A leur retour d'Alger , ces en« 
voyés, en traversant la tribu des Ouled-Ouf&a, furent assail- 
lis, pillés et quelques-uns même tués. Ce nouveau crimoy 
ajouté aux nombreux griefs dont les Ouled-OuiBa s'étaient 
A<yà rendu coupables, méritait un châtiment d'autant fh» 



ALGÉRIE, 321 

exemplaire qu'il devait servir de précédent pour prouvei 
comment les Français sauraient faire rejeter leurs alliés. 
Une expédition fut oi^nisée et une razzia des plus terribles 
fut exercée contre les Ouled-Ouffia. ' 

C'était là une nécessité malheureuse , mais en quelque 
sorte indispensable. Si les Français avaient laissé piller et as- 
sassiner, à quatre lieues du siège de leur domination et sans 
en tirer vengeance, les envoyés des tribus du désert, qui ve- 
naient leur offrir leur coopération , c'était se déclarer à la 
f(MS faibles et impuissants : or, parmi ces tribus, la faiblesse 
est crime. 

Cet acte de vigueur eut malheureusement lieu trop tard 
pour prévenir les funestes effets de la âtiUesse systématique, 
dont le prédécesseur du duc de Rovigo ava^t fait la base de 
son administration. On se rappelle que le général Berthezène 
avait créé Âgha de la plaine, le mandbout Sidi-En'Barak aux 
appointements de soixante^douze mille francs par an. Ce 
marabout, avait d'abord un peu rétabli Tordre et contenu 
quelques tribus toujours en armes, qui ne cessaient d'inquié- 
ter les lignes françaises; mais il s'était peu à peu relâché de 
6a;Survcillance et paraissait vouloir faire cause commune avec 
celinêmeSidi-Saadi, investigateur des troubles de 1831, et 
agent de Tex-Dey Hussein. La guerre sainte fut prêchée de 
nouveau dans le Sahel, les patrouilles françaises forent iso« 
lement attaquées, massacrées; Blidah, Coleah, Hilianah de- 
vinrent le centre de l'insurrection qui eut, cette fiis, un ca- 
ractère alarmant de généralité. 

Sidi-Em'Barak qui, en sa qualité d'agha de la plaine , était 
en quelque sorte responsable de sa tranquillité, en prit non- 
seulement aucune mesure pour prévenir ce soulèvement, mais 
encore mandé auprès du général en chef, il refusa de s'y 
rendre et se réfugia dans les montagnes. Les insui^és purent 
l'avancer sans obstacle jusqu'à BoufiGuick. Une telle provoca* 
tion rendait toute hésitation impolitique. Le duc ^de Rovigo 
envoya deux colonnes sous les ordres des généraux Fau- 
doas et Brossard qui dispersèrent l'ennemi sans peine. Les 
villes qui avaient fevoriséViDrarrection^ fureat frappées d'une 

T. I. ' SI 



3U ALGERIE. 

alors ¥ers eux : a Vous avez résolu, di^il^detuervos officiers 
a et de livrer la Casbah à Tennemi ! vous êtes des traîtres et 
a des lâches ! d 

A cette foudroyante apostrophe, les conjurés restent stupé- 
faits : Youssouf reprend en s'adressant aux deux principaux 
conjurés : « — Quoi ! Jaccoub ! quoi I Mouna, vous restez 
a impassibles! voici le moment propice de mettre une partie 
Cl de votre projet à exécution : frappez, je vous attends. Vous 
« ne donnez pas le signal de l'attaque, alors moi je com- 
« mence. » 

Et de deux coups de pistolets, il leur fracassa le crâne. — 
« Maintenant, s'écria-t-il en se tournant vers les autres, â 
« Fennemi! i> 

Et les entraînant à sa suite, il rentra quelques heures après 
dans la Casbah, après avoir fait essuyer à Ben-Aossa de cruel* 
les pertes. 

Sur ces entrefaites, trois mille hommes commandés par le 
général Monck-d'Uzer arrivèrent de Toulon au secours de 
Bone; mais la ville était déjà toute dévastée, et à l'approche 
du corps français, Bcn-Aïssa acheva de la détruire et se retira. 
Pendant que les Français s'occupaient de déblayer la ville 
pour tâcher de s'y installer, Ibrahim, le même qui s'était déjà 
emparé de la Casbah, crut pouvoir renouveler son attaque et 
se porta sur Bone avec deux mille hommes environ; mais 
rudement refoulé à l'intérieur par le général d'Uzer, il fut 
assailli et fôllé par les indigènes, disposés, selon lemr usage, 
à toujours se ranger du côté du pliais fort. 

Cet état d'anarchie qui, encourageant des ambitions et des 
espérances, mettait à Bone divers intérêts en présence, était 
encore plus tranché à Oran. Là, par suite des arrangements 
pris en 1831, entre le général Clausel et le bey de Tunis, les 
troupes tunisiennes avaient occupé Oran , mais ces arrangements 
n'ayant pas été ratifiés, deux bataillons, sous les ordres du 
général Faudoas, avaient occupé cette place après l'évacuation 
des troupes tunisiennes : le gouvernenement en avait été con- 
fié au Marocain Bilemri. Après quelques alternatives de calme 
et d'agitation, le commandement des troupes et delà province 



pp. 



ALGËRIË. 325 

Était échue au général Boyer, ancien aide-de-camp du gêné* 
rai KeUerman , ayant suivi Bonaparte en Egypte et en Syrie en 
qualité d'adjudant-général et, après avoir ftiit sous lui toutes 
les campagnes de Prusse et d'Allemagne» promu au grade de 
gâléral de division en 1 8 1 0. 

En arrivant à Oran, le général Boyer trouva les principales 
villes de la province, Mostaganem, Tlemcen, Mascara occu- 
pées par les débris des milices turques et koidouglies et vive- 
ment attaquées par les tribus arabes des environs qui tendaient 
à reconstituer leur nationalité. Les Arabes ne tardèrent pas à 
s'emparer de Mascara, qui devint alors leur centre d'action. 
Les autres villes étaient menacées du même sort, lorsque les 
Turcs et les Koulougtis ayant consenti à se mettre à la solde 
de la France, reçurent quelques secours demunitions» de vi- 
vres et d'argent. Uy eut un instant de répit; quelques tribus 
arabes se prêtèrent même à des négociations, mais la rigueur 
systématique et souvent peu réfléchie du général Boyer acheva 
de les aliéner complètement. La mort des deux kalds exécutés 
à Alger, au mépris delà foi jurée, accrut l'irritation, etl'em** 
pereur de Maroc, qui n'avait pas abandonné ses projets sur 
le beyiick d'Oran, jugea le moment propice pour favoriiter la 
restauration d'une monarchie arabe avec l'intention secrète de 
l'absorber plus tard. 

A cette époque un jeune marabout de la tribu des Hakem- 
Cheraga, prêchant la guerre sainte, avait réuni sous sa ban- 
nière d'assez nombreuse»; tribus du territoire de^ Mascara et 
des bords du Chélif . L- eikî]^eur de Maroc crut voir dans ce 
îeune Arabe un instrument utile à ses projets, se mit en rela- 
tions avec lui et lui promit des secours d'armes et de muni- 
tions. Ce marabout c'était Abd-el-Kader. Comme la longue 
lutte qu'il soutint contre les armées françaises forme une des 
parties principales de cette histoire, quelques détails au sujet 
de son origine, de sa famille, de sa vie privée, seront lus avec 
intérêt (1). 



(4) La majeur partie des détails biographiques qui suivent sont empruntés 
k)aL Biographie d'AnH-eA-haddei; par \, Debay. 



8te> - -ALGÉRIE. 

La fiimillfl d'Abd-el-Rader fort ancienne au pays des Ha- 
kem*<^heraga fait remonter sa filiation aux kalifesFafimniteSy 
jpt de ceux-ci à la ligne du prophète par sa fille Fathmé. Cette 
^néalogie est fort contestée par les chefs Arabes qui, la plu- 
part, ont toujours dédaigné d'obéir à celui qu'ils appelaient un 
paire fils de péUre. Son père se nommait Sidi-Mohi-ed* 
Din-Hadji. L'épithète de Hadji {pèlerin) ne fut ajoutée à son 
AMI qu'à son rétour d'un premier voyage qu'il fit à la Mecque. 
Des quatre épouses qu'il avait, il eut cinq fils et une fille. 

Abd-el-Kader naquit en 1 806, dans la Kethnah (réunion de 
tentes fixes), à dix milles environ à l'ouest de Mascara, sur la 
rive gauche de l'Oued-el-Hamman , au pied des Gibel-eW^ 
Scerfah. Sa mère Zora, troisième épouse de Mohi-ed-Din, est 
une des rares femmes lettrées de FÂrabie. 

Selon les bruits vulgaires, de nombreux prodiges marquè- 
rent la naissance d'Àbd-el-Kader, et sa mère Zora, à la vue 
d'une auréole de flamme azurée qui entoura pendant quelques 
instants sa tète, s'écria : — « Voilà Tenfant que les devins 
fl ont annoncé! Hakem-Cheraga, voilà celui que vous at- 
« tendiez. » 

Lkt ftimille d'Abd-el-Kader propagea cettfr croyance en toute 
occasion, et présenta le nouveau-né comme Tenfant envoyé 
par le prophète pour reconstituer l$t nationalité arabe. Mohhi- 
ed-Din, ambitieux et rusé, l'accrédita parmi les tribus, et. 
comme il jouissait, ainsi que son père Mustapha-ben^Moktas, 
d'une grande réputation de sainteté, il eut peu de peine à la 
faire accepter. Depuis longtemps il nourrissait en secret l'es- 
poir de secouer le joug des Turcs et de se faire déclarer kebir 
(grand) parmi les tribus de l'Ouest. Il avait désigné son fik 
Abd-el-Kader comme continuateur de son œuvre s'il ne pou- 
vait l'accomplir lui-même ; aussi ne nég^igea-t-il rien pour en 
faire une homme versé dans toutes les sciences physiques et 
morales que peut comporter l'éducation arabe. Il fut puis- 
samment secondé dans cette œuvre par son frère Achmct^ 
Bilhar, le plus savant marabout de l'Ouest. Abd-el-Kadcr pro- 
fita de ces leçons; à douze ans, il savait le Coran par cœur 
et le commentait s^, savamment, que des marabouts venaient 



ALGËRIE. 321 

de lein pour Téeouter. D fut alors envoyé à Oran chez un 
Maure fin et adroit, Sidh-Achmet4)en-Kodja, pour compléter 
son éducation politique. II y resta jusqu'à Tàge de quatone 
ans, recherchant la société des hommes mûrs plutôt que cclfe 
des jeunes gens, et frappant tout le monde par son esprit posé 
et enchn à la méditation. 

Peu d'années après, Hassan, qui commandait dans le bey- 
lick d'Oran , eut quelques soupçons des projets ambitieux de 
Hohhi-ed-Din. Il le fit surveiller, lorsque le vieux marabout, 
prévenu à temps, jugea prudent d'échapper à l'orage qui le 
menaçait. Il fit publiquement annoncer qu'un vora religieux 
l'obligeait à faire un second voyage à la Mecque, amenant avec 
lui son troisième fils et son nev«u. Il s'y prépara en effet. Hais 
le jour de son départ une foule de cavaliers de tribus diverses 
s'étant présentés pour l'escorter jusqu'au port où il devait 
s^embarquer, Hassan-Bey lui enjoignit de renvoyer son escorte 
â de venir à Oran se disculper des griefs accumulés contre 
lui. Ses parents, ses amis voulurent le dissuader de se rendre 
aux ordres du bey, défiant, soupçonneux et qui, depuis long* 
temps cherchait l'occasion de se défaire de lui. Mais Mohhi« 
''ed-Din résista à toutes ces soUicitations et se rendit devant 
le bey, accompagné salement d'Abd-el-Kader qui, quoique 
jeune encore, plaida la i^nse de son père. Après avoir établi 
Tinnocence et la pureté de ses intentions : « Bey Hassan, 
« dit-il, par AUah et Mahomet, je t'adjure de me rendre mon 
« père I Au nom des qu^tve plus puissantes trifc^pa de l'Ouest, 
« je te somme de remettre en liberté le maraltout Mohhi-ed- 
« Din, chef des Hakem-Cheraga, dont tu as reconnu l'inno- 
« cence. • 

Soit que le bey cédât à un sentiment de justice, soit qu'il 
craignit d'irriter les tribus de l'ouest par un acte de rigueur, 
il renvoya Mohhi-ed-din libre, à la seule oondition d'évacuer le 
pays. Le marabout partit pour la Mecque avec son fils, son ne- 
veu et quelques scheicks, qui profitèrent de cette occasion 
pour faire le saint pèlerinage en compagnie d'un homme qui 
avait déjà assez de considération pour éveiller les défiances 
du bev. 



328 ÂLGË3UE. 

La petite tronpe se rendit ainsi à Alexandrie, où elle sé- 
journa quelque temps en attendant le départ de la caraTane« 
Le séjour d'Àbd-el-Kader dans cette capitale, activa le déve- 
ll^|q[>ement Jtes idées d'orgueil et d'ambition que sa famille 
avait fait germer dans sa tête. Les changements opérés par 
Hehemet-Ali, soit dans l'administration, soit dans l'armée, le 
frappèrent moins par leur importance que par leur coïnci- 
dence avec le but personnel qu'il se proposait; Mehemefe-Âli 
lui parut un modèle à imiter dans cette grande organisation 
de^ populations arabes du Maghreb, qui commençait alors à 
être le rêve de cette ambition naissante. Son père, à qui il 
déroulait ses brillants projets, embrasait encore sa tète par 
tout ce qui pouvait caresser mn ardente imagination. 

Le pèlerinage de la Mecque terminé, Mohhi-ed-din , son 
fils et son neveu se séparèrent de leurs compagnons, et pri- 
rent la route de Bagdad pour aller visiter le tombeau d'un de 
leurs aïeux; illustre marabout dont les chroniques arabte 
rapportent l'histoire, et qui vivait au douzième siècle, sous 
le nom de Mulêi Âbd-el-Kader. 

Ce marabout est regardé comme un des plus célèbres des 
temps anciens; l'austérité de ses jeûnes, les tortures corpo- 
relles qu'il s'infligea, en ont fait un de ces saints privilégiés 
dont les légendes populaires ont transmis à la postérité le nom 
et les actes. Mulêi Âbd-€l-Kader vécut jusqu'à cent ans; les 
dernières cinquante années de sa vie il les passa au sommet 
d'une haute montagne, ayant rçsté pendant tout ce laps de 
temps debout, sur la pointe d'un seul pied, sans prendre d'autre 
nourriture que Teau du ciel ou la rosée qui humectaient ses 
lèvres, et une olive qui, chaque année, le dernier jour du 
Rhamadan, un étourneau laissait, en volant, tomber dans sa 
bouche. 

Le soir du dernier jour de la cinquantième année, 
ce même étourneau vint s'abattre sous le pied fatigué du 
pieux marabout, et reprenant immédiatement son vol, fendit 
Tair avec son fardeau etl'enlevaauxcieux, où dix mille témoins 
de cette ascension le perdirent de vue. Depuis lors cette 
montagne est couverte de marabouts (chapelles) d'une blan- 



ALGERIE. 320 

dietir éUouitfante/e^ où les fidèles viennent prier des con- 
trées les phû lointaines. 

Au retour de ce. second pèlerinage, Mohhi-ed-din et Âbd« 
él-Kader répandirent dans leur tribu toutes les circonstances 
merveilleuses que la tradition avait pu leur apprendre au su- 
jet du célèbre Mulêi. {Mohhi-edTdin fît plus encore, il raconta 
ce' qui suit : <c Un jour, dit-il, pendant qu'agenouillé dans 
Tu» des marabouts élevés à la mémoire de mon aïeul, j'étais 
absorbé dans la prière, Mulëi-Abd-el-Kader m'apparut, de- 
bout, sur un rayon lumineux, et me dit d'une voix douce et 
suave en me présentant une pomme : 

— «Prends cette pomme, mon fils, elle a été cueillie dans le 
jardin d'Allah : tu la donnera%au sultan du Gharb (ouest). 

— a Ami du prophète, le Gharb ne connaît de sultan que 
celui qui commande à Stamboul, et nous sommes ses esclaves. 

Muleï reprit : 

— « Notre famille est sainte, mon fils, avant peu elle sera 
plus puissante que celle des rois d'Orient : avant peu ton fils 
Abd-el-Kader sera nommé sultan par les populations arabes; 
alors finira sur le Gharb le règne des tyrans, alors la nationa- 
lité arabe surgira, brillante de gloire et de splendeur, comme 
aux premiers temps de^l'hégire. 

— «Seigneur etsaînl;sta divine parole me transporte ; je 
m'incline devant elle. Mais malheur à moi et à ma famille, si 
jamais les autorités turques apprenaient ce que tu viens de me 
prédire. 

— « L'arbre exposé à la tempête peut tomber abattu par 
elle ; mais à son tronc vigoureux sont déjeunes tiges qui pous- 
sent et grandissent. Mohhi-ed-Din, toi, ^i dois mourir... Mais 
donne à Abd-el-Kader, ton fils, la pomme que j'ai mise en tes 
mains, et il sera désormais invulnérable : H est sur la terre du 
Gharb pour exécuter les volontés du Dieu puissant, et les fu- 
reurs des hommes prévaudront contre Im. Va, retourne dans 
le Gharb et rapporte à tes frères les paroles que tu as en- 
tendues. 

« A ces mots, Mulëi disparut : il m'avait laissé cette pomme 
divine qui devait rendre mon fils invulnérable et le remplir de 



330 ALGÉRIE. 

la volonté du Dieu tout-puissant. Défait alors au pâturage: à 
son retour de la plaine, les chameaux le suivaient, inclinant 
dans leur marche leurtêtealtière, comme pour lui rendre hom- 
mage. Je lui donnai la pomme ; il la mangea. Le fruit divia 
avait à peine touché ses lèvres, qu'un saint enthousiasme illu< 
lumina ses traits; sur sa tète grilla une aigrette de feu qui se 
convertit peu à peu en auréole, comme celle qui avait marqué 
rinstant de sa naissance. Dès ce moment, je compris la volenté 
du Très-Haut, et moi, le père, je m'inclinai devant mon fils, 
lui rendant hommage avant tous et demandant à être désor* 
mais son serviteur. » « . ,»' 

Tel fut le récit par lequel Mohhi-ed-Dji$k Jttg^e^ la véné- 
ration dont sa famille jouissait déjàjjaèi'ét^^ibSon influence 
sur un g^d nombre detribuSl Superstitieux et crédules, les 
Ai^bes ajoutèrent foi à cette fable , et Âbd-el-Kader fiit, pour 
la plupart d'entre eux, l'homme prédestiné à restaurer la na- 
tionalité arabe. 

Le nom du futur sultan du Gharb ftit bientôt sur toutes les 
lèvres. Les Arabes arrivaient en foule au kethna des Hakem 
pour connaître l'envoyé du prophète. Ce lieu devint bientôt le 
but d'une espèce de pèlerinage, où chacun, venant rendre 
hommage à Télu du Seigneur, déposait en offrande des armes, 
des chevaux, du bétail, de l'argent, des grains, et s'en retour- 
nait, heureux d'avoir pu toucher le bout du burnous du privi- 
légié d'Allah. La fortune du marabout s'augmentait, et avec 
elle son influence. 

Mohhi-ed-Din et Abd-el-Kader, pour ne pas éveiller les 
soupçons des Turcs, semblaient plutôt subir ces hommages 
que les encourager. Us étaient toujours en prières ou en mé- 
ditations, étrangers en apparence aux choses extérieures. Sur 
ces entrefaites eut lieu la prise d'Alger par les Français. Les 
Turcs d'Oran s'étant révoltés contre leur bey Hassan qui de- 
manda un asile aux Arabes et s'adressa au chef dbs Hakem, 
un conseil de famille fut réuni pour délibérer sur ce sujet. 
Mohhi-ed-Din et son frère Achmet-Bilhar opinèrent pour 
accorder asile à Hassan, mais Abd-el-Kader combattit cette 
opinion en ces tenues ; ^r- « Le bey Hassan ne peut être reçu 



ALGËRnS^ 331 

c au kethna des Hakem pour un motif grave et sans réplique, 
c L'asile que nous avons jusqu'à présent accordé aux pros- 
« crits a été respecté; mais Hassan s'est rendu odieux aux 
c Arabes par ses exactions, par les maux dont il les a acca- 
« hU&j et cet asile serait impuissant à le soustraire à leur 
« colère. Ses ennemis, et ils sont nombreux, attroupés au- 

• tour de nos tentes par le désir de la vengeance, nous deman- 
« doraient sa tète; accéder à cette demande, serait de la 
€ honte ; la refuser, serait s'exposer à voir violer l'asile et 

• méconnaître notre autorité. Père, si la victoire excuse ceux 
€ qui violent un asile, ceux qui ne meurent point en s'oppo- 
c sant à cette vîdalhon sont entachés d'opprobre et d'infamie 
c jusque dans'Tmr postérité. » 

Cet avis prévalut : le bey Hassan se rendit aux Français. 

L'anarchie qui suivit la conquête française ouvrit hrgement 
la voie aux vues ambitieuses de Mohhi-ed-Din et d'Abdrel- 
Kader. Us se mêlèrent alors au mouvement extérieur d'une 
manière en quelque sorte purement passive, mais qui devait 
les mettre forcément en relief. Quand partout ailleurs les no- 
tions d'ordre et de justice étaient méconnues et oubliées, leur 
kethna fut l'asile où elles se conservèrent intactes, et tous 
ceux dont l'état anarchique froissait les convictions ou les in- 
térêts s'y rallièrent comme à un foyer dont les rayonnements 
pouvaient exercer autour de lui une salutaire influence. Ce 
fut dans ce moment que l'intervention de l'empereur du Maroc 
étendit le cercle de l'action immédiate de Mohhi-ed-Din et 
d'Abd-el-Kader. 

Les tribus arabes manquaient d*nnité, et pour résister aux 
armes françaises , l'union était une indispensable nécessité. 
Une assemblée solennellefoliiidiquée dans la plaine d'Eghris. 
Les chefs des tribus voisines de Ifascara, les Hakem, les Gara- 
bas, lesBeni-Amers,les Borghias, etc., s'y rendirent. Chaque 
gourbie dressa séparément ses tentes dans la plaine. Les chefs 
se réunirent près d'un puits d'Ersebia. Ils s'assirent en rond 
à l'ombre d'un palmier séculaire, sur des nattes étendues sur 
le sol. La délibération s'ouvrit sous la présidence de Sidi-cl- 
Arach, le plus vieux elle plus saint des marabouts de l'ouest. 



332 ALGÉRIE. 

Après un débat court mais anhné, la majorité tomba d*accord 
pour proclamer chef suprême Mohhi-ecl-Din ^u Abd-el-Kader 
feonfils. L'un et l'autre refiisèrent, alléguant pour excuse que 
Sidi-el-Arach était plus digne qu'eux par sasaïsteté et sa no- 
blesse d'un si grand honneur. Ce jour-là on £Édécidà rien. 

Le lendemain , le conseil se réunit de nouveau. Sidi-el« 
Arach prit la parole : sa voix était émue: son regard animé : 
sa pose solennelle : — a Frères, dit-il , malheur à l'homme 
qui, par orgueil, ou par ambition, hésitent à dire la vérité, 
malheur à l'homme qui , pour réclat^p|M^mmandement 
suprême, sacrifierait les biens et le "iMn^|nPfamilles de ses 
frères ! Sidi-el-Arach ne sera jaoii^'^'liÀDame. Ëcoutez<« 
moi. Pénétré de l'importance du aiobt' que nous allons 
faire, hier, à l'issue du conseil, je me misa prier, deman^ 
dant à Allah et au Prophète de m'éclairer dans un mo« 
ment aussi critique : je passai la nuit en prières. L'aube nais- 
sait à peine que du milieu d'un nuage que la brise chassaitiles 
gorges de l'ouest, j'ai vu apparaître Mulêi-Abd-el-Kader. Peu* 
dant que partout régnait encore une obscurité crépusculaire, 
ce nuage était brillant et lumineux : la pose de Mulëi était la 
même que celle qu'il avait gardé cinquante ans sur la mon- 
tagne de Ghebouah : Mulëi s'est arrêté devant moi : — « Sidi- 
« HadjI-el-Arach, m'a-t-ildit, le bonheur des Arabes dépend 
€ de l'accomplissement des paroles que tu vas entendre : 
a qu'elles se gravent dans ta mémoire comme sur la pierre ou 
a Tairain : car celui qui oublie les paroles d'Allah et du Pro- 
a phète est oublié par eux. Dans la situation critique où sont 
« les peuples du Gharb, il faut, pour les commander, un 
a homme qui réunisse la sainteté à l'intelligence et la valeur 
« à la sainteté. Je n'en connais qu'un seul qui réunisse ces 
a qualités à un degré assez éminent pour être digne d'être 
« obéi de tous : c'est Abd-el-Rader, troisième fils de Mohhi- 
<i ed-Din. Le Prophète s'intéresse à là cause des enfants du 
« Gharb et t'ordonne, par ma voix, de répéter demain en plein 
« conseil ce que tu viens d'entendre. » 

A peine le vieux marabout eut-il achevé de parler, que 
Mo)\hi-ed-Dia raconta une vision pareille. Entraînes par la 



ALGËItlE. 333 

parole solennelle de ce6 deuurieillards j tous les chefs se le« 
Tèrent, s'inclinèjent aux pieds d'Ab-el-Kader et le proclamé* 
rent Emir-el-Mpumenin (prince des Croyants). Le même jour 
il lui fut poijMlsIe burnous violet, insigne de la haute dignité 
dont il venaiid^être revêtu. C'était le 28 septembre '1832. Le 
lendemain , la ville de Mascara qui , depuis l'expulsion des 
Turcs, s'était gouvernée républicainement, se donna à lui. 

Le premier toin d'Âbd-el-Kader , après son élection , fut 
de prêcher la guerre, sainte. Autour de sa tente stationnait 
toujours, aux ^Qj^ffi^e la prière, une foule de guerriers, non- 
seulement de^l^lrayifié Hakem, mais encore d'autres tribus. 
Abd-el-Kadei^wrih|R«j^^ texte des versets du 

Koran, prêchait Is^^guem et la haine des infidèles. 

Abd-el-Kader oit loin d'avoir, comme on Ta souvent repré-* 
sente en France, cette allure bravache et militante d'un guer- 
rier à la pose académique. C'est au contraire un homme à la 
ta|lle petite, mais bien prise, marchant avec lenteur , les yeux 
baissés, le dos un peu voûté, avec l'attitude du recueillement 
et de la méditation, tenant à la main un chapelet à gros grains 
selon l'usage des pieux musulmans. Sa physionomie est douce 
et sereine, son sourire mélancolique et même triste. Sa parole 
est brève, son élocution facile, le timbre de sa voix grave. Son 
costume ne diffère de celui des scheichs Arabes que par la cou- 
leur du burnous qui est violet. Sa barbe épaisse et noire des- 
cend jusqu'à mi-poitrine. A la racine du nez il a une petite 
marque de tatouage, signe commun à tous les membres de la 
tribu de Hakem-Cheraga. Sous cette allure calme, modeste, 
recueillie, méditative, se caché une valeureuse intrépidité, une 
fierté orgueilleuse, une infatigable activilé, une intelligence 
supérieure, en un mot, une de ces âmes fort6iim|Ltr«KipéeSy , 
dont la mission semble être d'assurer le triompherai principe 
ou de mounr à la pein^. ■:* 

Tel est Abd-el-Kadér : tel esti^hômme qui', pendant de 
longues années, a tenu en échec les forces de la France.^La 
crédulité des Arabes le mit en évidence. Son opiniâtre et au- 
dacieux génie l'y maintint : il devint grand et redoutable lors- 
que les générai» fraoçais le dé^gaant comme le chei^ de la 



334 ALGÉRIE. 

nationalité arabe, donnèrent un but et un centre à des idées 
qui n'avaient eu jusqu'alors ni run ni Feutre* 

L'élection de la plaine des Eghris ne tarda pas à être sui- 
vie d'une prise d'armes. Âbd-el-Kader ayant réuni une troupe 
assez nombreuse, se porta sur Oran qu'il attaqua. Heureuse- 
ment le général Boyer qui y commandait venait d'être ren- 
forcé d'un régiment de cavalerie commandé par le colonel 
de l'Etang. Il fut prévenu de l'attaque des Arabes et se tint 
prêt à les recevoir. L'agression fut vive et sanglante. Les 
Arabes arrivèrent jusque sous les murs d'Oran massés sans 
ordre suivant leur coutume. Àbd-el-Kâder était à leur tète : 
Mohhi-ed-Din son père était à côtë^de tni-^^âcaltant par ses 
prédications le fanatisme de ces hommes dont le courage 
victorieux pouvait cimenter d'une maniète durable le pou- 
voir naissant de son fils. Ils se battirent avec acharnement, 
mais leur fureur venait se briser contre Timpassibilité ^ le 
sang-froid des Français y qui par des feux de mousqueterie 
bien nourris ou des décharges de mitraille bien dirigées^ 
portaient l'effroi et la mort dans les rangs ennemis. Un mo* 
ment cependant les Arabes parvinrent à se loger jusque dans 
les fossés des retranchements, faisant d'incroyables efforts 
pour tenter d'escalader l'escarpe. Heureusement deux pièces 
de 6 purent être dirigées sur ce point où prenant les Arabes 
d'enfilade et d'écharpe , rendirent là tout succès impossible. 
Le désordre se mit parmi eux : une charge de cavalerie faite 
à propos acheva de les mettre en déroute. 

Pendant cette attaque Abd-el-Kader toujours combattant au 
premier rang avait fait preuve d'un grand courage : un de 
ses frères Sidi-Ali avait reçu la mort à ses côtés. Mais cet 
échec suivi de razzias promptes et nombreuses que des colon- 
nes expéditiènnaires françaises firent sur les tribus voisines, 
avait jeté le découragement parmi les Arabes et porté un 
rude coup à l'avitorité naissante de l'étnir, que beaucoup de 
chefs de tribus traitaient d'usurpateur. Cette autorité frap* 
pée ainsi, dès son début, de défaveur se serait probablement 
de plus en plus affaiblie ou peut-être même éteinte, si, comme 
on le verra plus tard^ les Français, par une série de fausses 



ALGfitUE. 395 

fflMttred^n'aTaientplusquetout contribué à la mettre en relief. 

Pendant ce tem^M; le duc de Rovigo débarrassé à Alger de 
Tintendant cml Pichon, continuait à faire preuw de bonnes 
intentions et ^^Mivité. Ce dernier avait été remplacé par 
M. Genty de BuÀsy, mais cette fois soijs l'autorité immédiate 
du général en chef. Cet administrateur seconda activement 
le duc de RoTigo^ soit pour la création des deux villages agri« 
coles Kouba et Dely-Ibrahim, soit pour d'autres ébauches de 
colonisation ou de construction qui devaient faire disparaître 
par degrés les traces de dévastation qui avaient suivi la con^ 
quête. On peut lû^jrwo^r seulement d'avoir apporté en 
Algérie cette r«i$pe btthemcratique qui consiste à réglemen* 
ter à tout proptis elà vouloir trop hâtivement administrer 
tous le» peuples à la IKlAçaise. C'est là, on l'a déjà vu, une 
des manies les plus fatales des gouvernements de France. 
Nous aurons, avant la fin de cette histoire , à revenir sur ce 
que nous appelerons volontiers \ine infirmité administrative, 
qui / en Algéfie plus qu'ailj^urs , a déjà porté des fruits si 
amers, sans autre compensation que de mettre à la dîsposi* 
tion des ministres des places et des emplois. Au point de vue 
personnel d'un ministère, ce motif a malheureusement une 
certaine importance ; mais il est douteux que la France qui 
paie et qui n'attache qu'un intérêt très secondaire à ces com^ 
^binaisons de personnes, soit de cet avis. 

A la fin de février 1833, le duc de Rovigo, attaqué d'une 
maladie cruelle, demanda et obtint un congé. Rentré en 
France, il,.y mourut peu de temps après son arrivée. Le gé- 
néral Avizard le plus ancien de ses maréchanx-de^-camp avait 
été appelé par intérim au commandement supérieur de l'ar* 
mée d'Afrique. Son pouvoir seuleinent de quâfuesjoursf fut 
^gnalé par l'institution d'un bureau arabe , cri|ttfti|S^^É^ 
tante qui, donnant aux relationsî^^J^fiançais aVfeèrteè ihiligè^ 
nés plus d'extension et de régularife, B^da un service spécial 
et fut une innovation heureuse d'une ' utilité incontestable , 
mais qui, se trouvant totalement en dehors des ignares routi* 
nés bureaucratiques , fut à peine comprise et moins encore 
appréciée. 



336 ALGÉRIE. 

L'administration du duc de Rovigo n'avait pas été sans 
fruit. Il avait eu d'abord à lutter contre les conséquences des 
lautes de son prédécesseur. Pour rétablir l'ordre autour du 
Pash (banlieue d'Alger) et Maintenir la prépondérance du 
nom français, il eut à déployer de grandes rigueurs dont l'a*- 
propos est, avec les populations arabes, une garantie toujours 
certaine du succès. L'établissement des Français en Afrique 
n'était encore ni bien affermi, ni bien étendu ; mais Itë in- 
digènes commençaient à reconnaître Kinutilité de leurs efforts 
pour faire abandonner la conquête : de là, à l'acceptation du 
fait accompli, il n'y avait qu'un pas. Mais pour cela il fallait 
un gouvernement qui voulût fermement , sincèrement, pro« 
clamef la prise de possession de sa conquête , qui par une 
déclaration expresse, explicite, voulût fiivoriser le développe- 
. ment d'une colonisation quelconque ; et quand nous disons 
quelconque, c'est à dessein : car il eut beaucoup mieux valu 
adopter le plus mauvais des systèmes et le suivre avec perse* 
vérance que de n'en adopter aucup comme on atait pendant si 
longtemps. La confiance seule peut appeler la confiance, et 
malheureusement, depuis la conquête de l'Algérie en France, 
le gouvernement a plus que personne douté de la possibilité 
de la conserver. Tous les embarras, toutes les difficultés, tous 
les obstacles qui se sont alors accumulés devant de si pusiliai* 
nimes tendances, n'ont pas eu d'autre cause« 






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Le général baron Yoirol, commandant supérieur de Tannée d'Afrique.— Créa- 
tion des spahis d'El-Fasb.— Institution dune milice indigène dans la ban* 
lieue. — Bougie devient le foyer des intrigues indigènes. — Expédition de 
Bougie. — Prise de Bougie. — Razzia contre les Hadjoutes. — Offre d'une 
ligue offensive et défensive contre le bey de Gonstantine faite par des chefii 
indigènes. — Même offre de la part des habitants de Médéah.— Abd-el- 
Kader à Mascara : sa tactique. — Le général Desmichels, commandant à 
Oran.— Arzeu. — Occupation deMostaganem. — Répugnance de quelques 
chefs à obéir à Abd-el-Kader. — Acte impolitique du général Desmichels. 
—Premier traité avec Abd-el-Kader : ses conséquences.— Ligue des chefs 
arabes contre l'émir. <— Leurs' propositions aux généraux Yoirol et Desmi- 
dieis : conséquences du refus de leurs offres.— Ambition croissante d'Abd* 
d-Kader.— Irritation de l'opinion publique en France, au sujet de l'Algérie. 
— Nomination d'une commission : ï>on rapport : ses conclusions. — Réor- 
ganisntion de l'Algérie. -r Le comte Dronet d'Erion est nommé gouvecneur 
général. 



Le baron Voirol était le plus jeune des lieutenants-préné* 
raux français. £n 1815, il s'était brillamment distingué 
comme colonel à la défense de Nogent. Promu depuis au 
grade de lieutenantrgénéral, en avril 1833, et, dans l'espoir 
d'un prompt rétablissement du duc dé Rovigo, il fut nommé, 
par intérim, au commandement supérieur de l'armée d'Afri- 
que, en remplacement du général Avizard, lui-môme inté* 
rimaire. Le général Voirol déploya, dès le début de son ad- 
ministration, une grande actiulé. 11 fit poursuivre le tracé et 



33f) ALGÉRIE. 

les travaux du beau réseau de routes dont le duc de Rovigo 
avait commencé l'exécution. En facilitant les communica- 
tions, il ne négligea pas les travaux d'assainissement et de 
défense; on lui doit sous ce rapport quelques créations utiles. 
Nous citerons l'institution des Spahis d'el Fahs, et d'une mi- 
lice indigène pour la banlieue d'Alger. Les premiers forment 
aujourd'hui le beau cofps des getidarmes maures : ils de- 
vaient concourir à la fois à la police du territoire et à sa dé- 
fense; la mission particulière des autres était de former, dans 
la banlieue, un corps spécial et permanent toujours prêt à 
être en campiagne, et chargé, pendant l'été, de garder cer- 
tains postes et blockaux dont l'insalubrité rendait le séjour 
dangereux pour les Français. Ces Spahis et ces nâiliCes étdeût 
choisis dans les Outhans des tribus soumises, et formaient 
un commencement du Mackhzen, cette force priticipale des 
Turcs dans la Régence. 

Autour d'Alger, les progrès de la consolidation de la con- 
quête étaient lents; mais enfin il y avait progrès. On ne pou- 
vait en dire autant des autres parties de FÂIgérife. A Botley 
le capitaine Yousouf, après avoir été longtemps, avec cent 
Turcs, la terreur des Arabes à plusieurs lieues de profondeur 
dans les terres, avait pu conserver cette ville aux Français 
qui Toccupaient sans beaucoup de profit, mais sans y être 
trop inrpiiètés. A Oran, les Français tenaient le fort de Mers- 
cl-Kebir, mais ne possédaient même pas un rayon d'une 
lieue autour de la ville. Médéah et Miliana subissaient l'in- 
fluence de l'empereur de Maroc, et obéissaient à Badj-Mouli 
et Mohamed-ben-Cherghuy, deux de ses envoyés. Achmet- 
Bey trônait à Constantine. Ben-Zamoun et Ali-beU^Etn'Barak 
s*a(][ermissaient dans l'Est et le Sud de la province d'Alger, 
et Abd-el-Kader préparait les tribus de l'Ouest à une nou^ 
telle levée de boucliers. 

Mais c'était surtout à Bougie que le mauvais vouloir des 
indigènes se révélait par des griels qui, chaque jour, aug- 
mentaient de gravité. En 1831, un brick français avait nau- 
frage sur la côte et l'équipage avait éln inhumainement 
égorgé. ËD 1832. un brick anglais avait étê| dans le port^ 



ALGËRIE. ^8» 

insulté et contraint de s'éloigner. Dans la même année, les 
tvTts avaient tiré sur un brick français mouillé en rade, dont 
la présence, dirent les habitants, gênait l'entrée d'un navire 
venant d'Italie et portant des lettres et des agents de l'ex-dey 
Hussein. Quelques informations prises au sujet de cette sin* 
gulière excuse, firent découvrir que Bougie était le foyer des 
intrigues des partisans de Tex-Dey, et que là se débattaient 
les prétentions diverses de cette foule de prétendants qui se 
réservaient une plus ou moins grande part dans cette vaste 
tx)ntrée que les Français avaient su conquérir, mais qu'ils se 
montraient fort inhabiles à conserver et surtout à gouverner. 

D autre part, le bey de Constantine voulant se dédomma- 
ger de la perte de Bone, avait résolu d'occuper Bougie : il 
avait ouvert, à ce sujet, des relations avec les Kabyles qui 
occupaient les forts, et n'avait pu, jusque alors, s'entendre 
avec eux. Il préparait une expédition contre Bougie. 

Quelle que fut Tapathique indifférence du ministère français 
en tout ce qui concernait TÀlgérie, il ne pouvait rester impas« 
sibie au démembrement chaque jour plus complet d'une con- 
quête assez chèrement achetée déjà. Puis l'opinion publique 
t'était si formellement prononcée sur cette question, que le 
ministère était, bon gré malgré, obligé de faire quelque chose, 
n faisait peu : le plus souvent mal ; mais enfin on le forçait à 
faire. En cette circonstance , il prépara contre Bougie une 
expédition formée de deux bataillons du 59e de ligne , deux 
batteries d'artillerie et une compagnie de sapeurs. Ce petit 
corps, aux ordres du général Trézel, partit de Toulon le 22 
feeptembre sur sept bâtiments. Le capitaine de vaisseau Parce* 
val commandait l'escadrille. 

La ville de Bougie, bâtie sur le flanc méridional du mont 
Gouraya, qui forme promontoire à 45 lieues ouest d'Alger, est 
à 30 lieues de Constantine. C'est une des plus anciennes villes 
du littoral algérien. Son aspect est pittoresque ; ses maisons 
plates et carrées, entourées de jardins, échelonnées sur les 
flancs de la montagne ressemblent de loin à un gigantesque 
amphithéâtre dont les degrés wern^^^'éùâséÊ Vun de l'autre 
pardpgmaw&dtMni itgrM 



340 ALGÉAli:;. 

temps, mais û y a un assez bon mouillage dans Tanse ISdi« 
Yahia. Les montagnes qui l'entourent sont couvertes d'oliviers» 
Cet arbre y est si commun que son nom arabe zeitoun sert à 
désigner plusieurs des localités voisines : c'est ainsi qu'on dit: 
la Vallée des oliviers^ le Càp des olivierSj la Montagne des 
olivierSf la Rivière des oliviers^ etc. On trouve sur le sol 
de Bougie des traces du passage des peuples qui s'y sont 
succédés depuis vingt siècles. Sur plusieurs points on voit en- 
core distinctement les trois enceintes romaine, vandale et 
sarrazine. L'occupation Turco-Mauresque y est représentée 
par des murailles flanquées de tours et un arceau en (^ive qui 
forme une des portes d'entrée de la ville; un auteur Florentin 
du xiv^ siècle, Fazio degl'Uberti, signale Bougie comme Tune 
des cités les plus florissantes de la Barbarie» Ses marchands 
étaient en relation non seulement avec l'Italie, la France et 
l'Espagne, mais encore avec l'Âsie-Mineure, l'archipel GreC| 
Cionstantinople, l'Egypte, la Syrie. Son exportation était les 
cotons bruts, le Un, La soie, les laines, les cuirs, la cire, le co* 
rail, les métaux, le blé et surtout les écorces à tan. Ce dernier 
produit avait des qualités si supérieures et s'exportait en si 
grande quantité, qu'il était désigné dans toute la Méditerranée 
sous le nom ^iscorza di Buggiea. On croit que c'est l'enve- 
loppe du sumac thezera employée dans la préparation et la 
teinture en rouge des cuirs maroquins. Edrisi, géc^raphe 
arabe du xu^ siècle, donne au sujet du commerce de Bougie 
des renseignements qu'il n'est pas sans utilité de constater. 
« De nos jours, dit-il, Bougie (Bedjaia) est la capitale des Béni- 
« Hamad. Les vaisseaux y abordent, les caravanes y viennent 
« et c'est un entrepôt de marchandises. Ses habitants sont 
« riches et plus habiles dans divers arts et métiers qu'on ne 
« l'est généralement ailleurs, en sorte que le commerce y est 
a florissant. Les marchands de cette ville sont en relation avec 
« ceux de l'Afrique occidentale, ainsi qu'avec ceux du Sahara 
« et de rOrient. On y entrepose beaucoup de marchandises 
« de toute espèce. Autour de la ville sont des plaines cultivées 
« où Ton recueille du blé, de l'orge et des fruits en abon« 
€ dancei on y construit de gros bâtimentSi des navires et des 



ALGÉRIE. 341 

« galères; car les montagnes et les vallées environnantes sont 
« très boisées et produisent de la résine et du goudron d'exccl^ 
« tente qualité. Les habitants de Bougie se livrent à Texploi- 
« tation des mines de fer qui donnent de très bon minerai. Eu 
« un mot, la ville est très industrieuse : le bétail et les trou- 
M peaux y réussissent à merveille et les récoltes sont tellement 
a abondantes qu'en temps ordinaire elles excèdent les besoins 
« des consommateurs et qu'elles suffisent dans les années de 
« stérilité. » 

Telle est la ville et le territoire qu'une expédition partie de 
Toulon allait ranger sous la domination française. Il est juste 
d'ajouter que, depuis, on n'a rien fait ou presque rien pour 
tirer parti de ses produits. Nous ne comptons pas les règle- 
ments administratifs, arrêtés ministériels et autres. L'Algérie 
les compte déjà par centaines de mille et les divers ministères 
qui se sont succédés depuis la conquête ont été beaucoup plus 
empressés de réglementer que de tirer parti de la production. 
Gela explique du reste pourquoi l'Algérie est le pays le plus 
mal régi et celui qui produit le moins, non pas des colonies 
françaises mais de toutes les colonies du monde. Il pourrait, 
il devrait être cependant celui qui produirait le plus. Mais il y 
a au fond de tout cela une de ces fatales questions de vanité et 
de routine qui, en France, ont toujours tout perdu quand il 
s'est agi de coloniser. A mesure que nous avancerons dans la 
relation des faits, ce point deviendra plus saillant et plus ia« 
contestable. 

L'escadrille française arriva devant Bougie le 29 septembre; 
elle entra bravement dans la rade, malgré les feux de la Gas- 
bah, des forts Abd-el-Kader et Moussa, qu'elle fit taire sous 
voiles. Le débarquement n'offrit guère plus de difficultés]; 
malgré un feu très vif de mousqueterie les chaloupes attérè- 
rent, et les Français arrivèrent jusque sous les murs de la ville, 
après avoir chassé devant eux les Kabyles qui avaient voulu 
leur tenir tête. Là, les difficultés commencèrent; Bougie, quoi- 
que entourée d'une enceinte continue, eât en quelque sorte 
une ville ouverte par suite de la ruine presque totale du mur 
^de8t<mr»9i k i^istb&tiesur un ter- 



i 



3421 ALGÊRIB. 

rain si accidenté qu'elle offre les plus grandes facilités pour 
cette terrible guerre des maisons à laquelle les Kabyles sont 
essentiellement propres. Le papillon français flottait sur tou- 
tes les batteries y mais le corps de la place était occupé par 
les Kabyles, postés derrière des retranchements improvisés et 
d'où U n'était pas aisé de les déloger. Les rues, les quartiers» 
les maisons disséminés sur un assez grand e^ce, étaient de- 
venus autant de citadelles. Les Français s'aventurèrent cou- 
rageusement dans ce la byrinthe de points retranchés, et malgré 
leur vigoureuse et énergique attaque, firent peu de progrès : 
les Kabyles s'y maintenaient avec une opiniâtreté qui pouvait 
devenir fatale au corps expéditionnaire. Chassés d'un poste, 
ils en improvisaient un autre et s'y ^^fendaient avec la même 
vigueur ; parfois même ils prenaient l'offensive et venaient 
attaquer, jusque dans leurs lignes, les Français étonnés de 
tant de résistance. Cette lutte acharnée avait déjà duré trois 
jours, lorsque heureusement un bataillon du 4°^ de ligne et 
deux compagnies du 2 iQ^ bataillon d'Afrique arrivèrent d'Âk* 
ger ; des batteries purent être établies pour battre tous les 
points retranchés, et le quatrième jour les boulets, la mitraille 
et les baïonnettes terminèrent une lutte qui n'avait pas été 
sans gloire de part ni d'autre. Les Kabyles se retirèrent dans 
leurs montagnes, et les Français prirent possession des ruines 
qu'ils venaient de conquérir, et où, vainqueurs, ik étaient 
bloqués de tous côtés par des peuplades hostiles ou des monta- 
gnes inaccessibles. Le général Trézel, blessé dans une des 
nombreuses escarmouches qui suivirent la prise de Bougie, 
partit pour Alger, et confia le commandement de la place au 
ihef de bataillon Duvivier,qui eut bientôt à défendre sa con- 
quête contre les attaques des Mezzaïa, des Beni-Massoud, des 
lîeni-Mimour, des Beni-Abous, et d'autres tribus Kabyles des 
environs si nombreuses et si guerrières. 

Il est dans l'année une époque où les tribus Arabes et Ka- 
byles montrent'le plus de turbulence : c'est au mois d'août 
et de septembre. Les moissons étant terminées, les semailles 
n'étant pas encore en terre, une invasion ennemie leur est 
moins préjudiciable et ils la redoutent peu : puis c'est une 



ALGÉRIE. 343 

époque d^oiiiveté pendant laquelle manque rarement de se 
réveiller leur humeur guerroyante. Les tribus des environ! 
d'Alger étaient trop mal disposées envers les Français, pour 
faillir à cette loi générale. Les attaques ne furent d'abord que 
partielles, isolées, sans caractère d'ensemble , et seulement 
apparentes par leurs résultats; tantôt c'était le kaïd d'une tribu 
amie, dévoué aux Français, qui était assassiné ; d'autre fois 
les travailleurs français occupés à l'assainissement de Bouffa* 
rick, étaient frappés de mort par des ennemis invisibles qui 
menaient s'embusquer à portée de fusil d'eux : d'autres atten<- 
tats commis sur des individus isolés annonçaient^ un parti pris, 
d'embuscades permanentes pour décimer les Français et leuri 
adhérents. Pour des faits d'une nature si grave, qui méri-r 
talent une punition prompte, exemplaire, le général Voirol 
ordonna une enquête judiciare : une enquête chez des Ka-^ 
byles I cette si ridicule mesure, probablement conforme aux 
instructions ministérielles, était en parfaite harmonie avee 
tous les ordres qui arrivaient des bureaux de Paris, et eut le 
même résultat: un bill d'indemnité pour d'odieux assassinats. 
Les Hadjoutes, notoirement connus pour être les auteurs de 
ees actes criminels, enhardis par Timpunité, levèrent ouver-» 
tement le masque, se jetèrent sur lesBeni-Khalid, les plus fi- 
dèles alliés de la France, et portèrent, dans leurs douairs, le 
pillage, l'incendie, la mort. Pour cette fois on n'ordonna pas 
une enquête; le capitaine des Zouaves, de Lamoricière, reçut 
l'ordre de marcher contre cette tribu, la traqua dans ses mdn« 
tagnes et excerça sur elle de grandes etjustes représailles par 
une de ces terribles razzias qui, si elles ne sont pas conformes 
au droit public européen, sont plus efficaces chez les Arabes 
que dix victoires. Là, mais là seulement est peureux la force, 
et chez, eux, la force constitue le droit. Une grande bataille 
gagnée les frappe moins qu'une razzia opérée avec vigueur ; 
là tout est palpable, les moissons détruites, les jardins dé» 
vastes, les silos vidés, les bestiaux pris, les dooairs inceijjiiés 
ou détruits, les populations massacrées, tOttl«^*Hi«liÉide 
Fempreinte de cette aMr aym toft 
la guerre* Les pertes tm 



344 ALGÉRIE* 

longtemps sa pensée, soit pour les objets de son affection qu*3 
regrette, soit pour ses intérêts violemment froissés , soit en» 
fin par Tétat de privation et de détresse auquel il est réduit • 
il hait sans contredit son vainqueur, mais il le craint et ne sa 
hasarde guère plus à sa colère.- Dans une grande bataille,aa 
contraire, dont les résultats sont parfois lointains et souvent 
très problématiques, la victoire de Tennemi lui représente 
moins l'idée de la force que celle d'ui^e protection passagère 
du ciel, et s'il a pu emporter quelques tètes, il s'inquiète pea 
du grand nombre des siens morts en combattant. Sans doute 
ces terribles exécutions qu'on appelle des razzias sont de tris- 
tes et f&cheuses nécessités, mais chacune d'elles épargne plus 
de sang français qu'elle ne coûte de sang arabe, et ce singulier 
sentimentalisme qui, si souvent en France, s'est apitoyé sur 
les vaincus, aurait dû réserver un peu de sa louable et hu- 
maine pitié pour le grand nombre de Français égorgés avec 
tant de révoltante inhumanité, ou frappés de mort au miUea 
des leurs, par un ennemi qui ne laissait de lui aucune trace. 
Il aurait été sans contredit préférable, qu'à ces exterminations, 
soit en détail, soit en masse, on eût cherché à assurer la 
conquête française par un système plus humain et peut-être 
plus efficace, mais il aurait fallu pour cela le vouloir et il est 
fort douteux qu'on l'ait jamais voulu. 

Vers cette même époque, à la fin de 1833, arrivèrent dans 
les environs d'Alger des tribus lointaines qui, repoussées du 
désert par d'autres, n'avaient pu parvenir à s'établir nulle 
part et étaient venues se mettre sous la protection française. 
Le général Voirol leur assigna un territoire à l'est de la Me* 
tidja, près de Rassautha, à la seule charge par elles de faire 
la police de la plaine et de prendre les armes à toute réqui- 
sition. Cette mesure produisit d'heureux effets : d'autres tri- 
bus, lesBeni-Kalhll, les Beni-Moussa, furent organisées de la 
même manière, et ainsi se trouva étendu le système du 
fliarghzen ou milices indigènes. 

• Ces tribus Marghzen avaient, à diverses reprises, indivi-* 
duellement donné des preuves de dévoûment à ia cause de la 
France, mais n'avaient jamais combattu sous le drapeau fran« 



<• 



ALGÉRIE. 345 

çaîs. L'occasion se présenta de les mettre à Tépreuvc, et on 
n'eut qu'à s'en louer. 

En mai 1834, les Hadjoutes s'insurgèrent de nouveau. 
Cette tribu turbulente habitait les montagnes qui ferment à 
l'ouest la plaine de la Metidja. Elle était pour l'origine, les 
mœurs et le caractère totalement en dehors des autres tribus 
avec qui elle était presque toujours en guerre. C'était un ra- 
massis de bandits chassés des autres tribus pour leurs méfaits 
et à qui, de tous les points de la Régence, allaient se joindre 
tous les condamnés qui pouvaient échapper au châtiment par 
la fuite. Le général Yoirol marcha contre eux à la tête d'une 
colonne de deux mille hommes, à laquelle se rallièrent les 
milices indigènes. En traversant la plaine de la Metidja, il fut 
frappé, comme tous ceux qui le suivaient, des vastes cultures 
qu'y possédait, avant la conquête, l'ancien Odjeac, et dont les 
vastes jardins, les vergers, les parcs subsistaient encore. Il put 
compter près de trente fermes, dont dix seulement occupaient 
une zone de plus de huit lieues de long. Ces terrains parais- 
saient si fertiles, l'irrigation si bien ménagée, qu'il reçut des 
demandes sans nombre pour accorder l'autorisation de les 
exploiter. Il répondit qu'il n'avait pas d'instructions à ce sujet : 
c'était vrai. Depuis quatre ans, la France possédait l'Algérie, 
et le ministère n'avait pas même encore songé à donner des 
instructions pour en tirer le moindre parti. | 

Bien plus, le bey de Constantine, écrasant sous son joug 
despotique les tribus de l'est, avait soulevé contre lui les plus 
puissantes. Une députation de chefs, parmi lesquels on comp* 
tait les plus influents de cette province, s'était présentée au 
général Yoirol et lui avait proposé une alUance offensive et 
défensive contre Achmet, bey de Constantine. Le général sut 
apprécier toute l'importance d'une telle proposition ; il vit le 
vaste et bel avenir qu'elle ouvrait, non seulement pour laitacH 
fication du paySj mais encore pour son occupation complète ; 
mais il manquait encore d'instructions à ce sujet- Comme 
Texemple du général Clauscl, qui avait voulu faire le hiea sans 
autorisation et qui avait été si mal récompensé pour avoir» eo 
style de bureau, outrepa^è sc:^ pouvoirs, posait encore de tout 



846 ALGÉRIE. 

sonpoîdï BUP r Algérie, le général ^'lirol ii*OBa rien prendre 

sur lui et en référa au ministère. C'était s'assurer un refus. 

En effet, l'offre de tels auxiliaires et leur enjploi dans ces 
circonstances étaient d'un prix trop inestimable, la question 
de l'occupation de T Algérie était, par le lait mêmey no|i 
seulement préjugée, mais encore résolue; c'étaient là autaqt 
de motifs pour que le ministère hésitât : la France était Iji 
pour payer de son or et de son sang des mauvais vouloirs et 
des bévues : le reste? qu'importe à des ministres? Ceux de 
1834 n'osèrent cependant pas refuser l'offre des chefs £irabes: 
l'opinion publique, sérieusement alarmée déjà, suivait avec 
anxiété les chances diverses du jeu traître auquel la question 
d'Afrique semblait invariablement être soumise : ils accep^ 
tarent; mais avec tant de lenteurs calculées, tanldetergiver*- 
sations étudiées, que, quand leur acceptation arriva en Afrique, 
il n'était plus temps. Douze ans de guerre n'ont pas encore 
jchevô de payer cette faute. 

Elle fut bientôt.suivie d'une autre. Le général Voîrol. après 
^voir battu les Hadjoutes en plusieurs rencontres, les avait 
forcés à demander la paix. Le dévoùraent et le courage dont 
avaient fait preuve les Marghzen qui avaient marché à sa suite, 
lui révélèrent toute l'importance de cette i^^stitution qu'il pro* 
pagea le plus qu'il lui fut possible. La plaine jouissait de 
quelque tranquillité, et ce résultat, indice de force et de puis- 
sance, raUiait de temps à autre quelque tribu jusqu'alors 
hostile. Quelques-unes de celles qui avaient déjà élé soumises 
à Id France sollicitèrent de nouveau sa protection. De ce 
nombre étaient les habitants de Médéah et quelques tribus 
voisines qui étaient restées fidèles. Le boy de Constanline leur 
avait envoyé pour gouverneur le Maure Mohamed-el-Khajy 
qui n'avait pu s'y faire reconnaître qu'avec beaucoup de peine» 
Les partisans de la cause française, et ils étaient les plus nom^ 
breux et les plus forts, demandaient instamment au général 
Voirol la réinstallation du bey Moustapha-Ben-Omar, nommé 
par le général Clausel ou tout autre à sa convenance. 

Ces sollicitations de protection de la part des tribus étaient des 
faits majeurs qui révélaient en cUes une tendance prononcée à 99 



ALGÉRIB. ttl 

rapprocTier de la France et à sortir de cet ôtat anarchîque où 
Tabsence de toute autorité légale avait plongé le pays. Le gé- 
néral Voirol en appréciait l'importance ; mais il ne pouvait 
rien prendre sur lui ; le ministère s'était exclusivement réserva 
le droit de paralyser tout ce qui pouvait assurer la conquête 
ou faciliter le développement de l'occupation; en style de 
bureau, cela s'appelait gouverner l'Algérie. Malgré les pres- 
santes instances des habitants de Médéah, le général Yoiroi 
fut dès-lors obligé d'en référer à Paris et ne reçut aucune 
réponse. Le Maure Mohamed continua à gouverner Médéah, 
et les tribus dévouées à la France furent pillées, dévastées et 
ruinées. 

Un système aussi étrange et aussi incroyable que celui du 
ministère français ne tarda pas à porter ses fruits. Une puis- 
'«ance rivale s'élevait en Afrique, faible d'abord, mais gran- 
dissant à chacune des fautes du ministère, les exploitant avec 
habileté, attribuant à la faiblesse de la France des actes qu'on 
n'ose pas nommer par leur vrai nom et faisant tourner contre elle 
toutes les imprévoyances, toutes les lenteurs, toutes les ind^ 
cisions, tous les mauvais vouloirs des ministres. Abd-el-Kader 
avait grandi et bientôt allait traiter d'égal à égal avec la France. 
Aussi si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, il parvenait à conso- 
lider sa puissance, qu'il n'oublie pas que ceux à qui il doit le 
plus, après Dieu, senties ministres français. 

Après avoir été repoussé à son attaque d'Oran, il s'était re- 
tiré à Mascara dont il avait fait sa capitale. De là, il organisa 
un système agressif qui ne manquait ni de tact ni d'habileté. 
Peu en mesure d'attaquer Oran à force ouverte, il rallia à sa 
cause toutes les tribus environnantes, de telle sorte que tous 
les marchés cessèrent d'être approvisionnés et que les soldats 
français ne pouvaient se hasarder au-delà des glacis de la 
place sans être immédiatement massacrés. La révolte n'était 
nulle part ouverte, patente, faisant face à l'ennemi, mais elle 
était partout sourde, cachée et exerçant dans l'ombre d'horri^ 
blés vengeances. Le général Borer. mn commandait à Oran, 
voyant des ennemis pn «m por» 

taieat souTont au hti i 



348 ALGÉRIE. 

on pouvait être sûr qu'ils portaient toujours juste. Il atait 
adopté un système inexorable que motivaient du reste jus- 
qu'à un certain point les circonstances aggravantes au milieu 
desquelles il se trouvait et le caractère indomptable des tribus 
qui l'environnaient. Mais pour vaincre ou du moins pour an- 
nuUer tant de résistances, il aurait fallu , non pas un bras plus 
ferme, mais une force active plus nombreuse. Il fut remplacé 
par le général Desmichels (avril 1833) qui, comme lui, fut, 
dans son commandement, indépendant du général en chef. 

Le nouveau commandant adopta en partie le système de son 
prédécesseur. Quelques razzias heureuses procurèrent à la gar- 
nison de la viande fraîche dont elle manquait, et dégagèrent 
peu à peu les abords de la place. Abd-el-Kader ne pouvait, 
sans compromettre son autorité, rester plus longtemps impas- 
sible devant ces vigoureuses attaques qui, refoulant les tribus 
dans rintérieur, étendaient le cercle deFoccupation française. 
U vint dresser ses tentes à trois lieues d*Oran, à Tendroit ap- 
pelé le Figuier j moins dans Tintention d'engager une aflTaire 
que pour donner un peu de confiance aux tribus qu'il mainte- 
nait en agression ouverte contre les Français. Le général Des- 
michels vint lui offrir le combat qu'il refusa, se repliant en 
toute hâte sur Mascara. Tout en refusant d'engager une action 
décisive, Abd-el-Kadder ne cessait d'étendre le cercle de son 
occupation, frappant sur ceux qui se montraient dévoués à la 
France, et établissant son autorité sur ceux qui se maintenaient 
en état d'hostilité contre elle. C'est ainsi qu'à Arzen, l'ancienne 
Arsenaria des Romains et où s'était établie une tribu kabyle 
du Maroc qui avait recherché l'amitié de la France , il avait 
fait secrètement enlever le scheick de cette tribu et l'avait 
fait conduire à Mascara, où il était mort étranglé. 

Arzen était bâti à neuf lieues ouest de Mostaganem, au mi- 
lieu de la plaine de Romaneha renommée par sa fertiUté. Les 
Turcs, du temps de leur occupation, y avaient des magasins 
servant de dépôt aux grains qu'ils destinaient à l'exportation. 
D y a des salines, exploitées par les Arabes, procurant à l'Al- 
gérie la plus grande partie du sel nécessaire à sa consomraa- 
tioD et qui peuvent devenir plus tard une importante braneba 



ALGÉRIE. 349 

de commence. A cfuelque distance de la ville, dans une des 
baies que forme la côte de l'ouest de l'embouchure du Cheliff, 
est un petit port la Meersa^ relâche assez peu sûre, présentant 
peu d'abri aux navires mais parfaitement située pour servir 
d'affluent aux produits des vallées du Sig, de l'Habra et de la 
fertile plaine d'Egrish. U y a dans les environs le cap Ferrât 
(capo Ferrato) dont le nom indique à lui seul des mines de 
fer. En effet, au bord de la mer on voit une couche très pro- 
noncée de fer oligiste dont l'essai d'un fragment isolé a donné 
un produit de 59 p. 0/0. 

Après l'enlèvement du scheick qui commandait à Arzen, 
Abd-el-Rader avait fait évacuer la ville par les habitants et 
avait essayé de s'y maintenir : mais cette ville était ouverte, 
peu ou point défendue, offrait une position à peine tenable, 
l'émir préféra se porter sur Tlemcen, qui avait une citadelle, 
le MeckhouoTy défendue par quelques mauvaises pièces d'ar- 
tillerie, mais que refusèrent de lui livrer les Turcs et les Kou-- 
louglis qui l'occupaient. 

Ces divers actes d'Abd-el-Kader portaient dans la province 
d'Oran une atteinte assez grave à l'autorité française qui sem- 
blait ainsi hors d'état de défendre ses amis et de contenir ses 
ennemis. Le général Desmichels sentit la nécessité d'étendre 
le cercle de Toccupation française pour relever le moral des 
uns et en imposer aux autres. La circonstance paraissait assez 
favorable. Abd-ei-Kader s'était retiré à Mascara où venait de 
mourir son père, le marabout Mohhi-ed-Din, dont l'influence 
sur les tribus de l'Ouest avait si puissamment coopéré à assurer 
ceUe de l'émir. Cette mort semblait devoir ébranler l'autorité 
d'Abd-el-Kader, mais par une circonstance singulière, eUe 
ne servit au contraire qu'à l'affermir davantage. Voici com- 
ment. 

Dans la fable relative à l'apparition de Muley-Abd-el-Kader, 
et que Mohhi-ed*Din avait débitée aux Arabes, était entre 
autres choses cette particularité : c'est que le père mourrait 
dans l'année qui suivrait l'élévation de son fils au pouvoir, 
lIohhi-ed-Din était ainsi une sorte d'holocauste désignée d'à-- 
nmt^è l% f i^* gott P ja r égto é p t f i<w de ton pays. Cette partie 



SStf ALGËRI& 

de la prédiction s'étant accomplie donna un grand caractère 
d'authenticité à Tautre, et, dans Fesprit crédule et supersti*^ 
tieux des Arabes, Âbd-el-Kader passa plus que jainais pour 
l'être privilégié prédestiné parle prophète à opérer la restau-^ 
ration de la nationalité arabe. 

Pendant qu'il coordonnait dans un intérêt apparent de na?^ 
tionalité, les éléments de la situation nouvelle que venait de 
lui créer la mort de son père, le général Desmicheb dirigea 
une expédition sur Mostaganem, occupée par deux ou trois 
cents Turcs à la solde de la France, mais qui paraissaient fort 
disposés à transiger avec Tetinemi. 

Mostaganem est une petite ville bâtie dans un site riant et 
pittoresque, à un quart de lieue de la meré Sur les bords d'un 
ravin qui sert de lit à un ruisseau dont l'eau est assez abon- 
dante et dont les berges sont cultivées en jardins très produc« 
tifs, est assise la partie sud-est de la ville. La fondation de cette 
cité ne parait pas remonter au-delà du 12e siècle, et son im- 
portance ne date que du 16e. Ce fut à cette époque, qu'attirées 
par la fertilité du sol, de nombreuses familles maures vinrent 
s'y établir et s'y livrer à la grande culture; les géographes ci- 
tent Fimportance, dans ces parages, de celle du cotonnier. 
Tig*Did, Matmora, Mazagran, Dig-Dida , se groupèrent bien- 
tôt autour de Mostaganem qui devint le centre d'un commerce 
très florissant. Il existe dans l'intérieur de la ville deux con- 
structions espagnoles. Tune appelée la Tour des Cigognes^ 
l'autre Rah-el-Gerad. Cette dernière sert de porte d'entrée; 
Fautre prend son nom d'un grand nombre de cigognes qui, 
chaque année, revenaient régulièrement reprendre possession 
de leurs anciens nids, et que les habitants ne troublaient ni 
ne luaient, vénérant, dans ces échassiers, des ennemis acharnés 
des reptiles. Tout autour de Mostaganem, dans un rayon de 
plusieurs lieues, on rencontre une foule de maisons de cam- 
pagne, de villas mauresques ruinées par la guerre. La vigne^ 
le figuier, rdivier y croissent en abondance ; mais tout y a 
dépéri faute de culture. Partout on trouve des traces fréquentes 
dos anciens conduits d'irrigation dont le système remarquable 
autant par sa simplicité que par son ingénieuse appUeatîoiii 



ALGÉRIE. 3(1 

<liHdA aitt Maures «tKoulouglis; à en juger par tous ces dé- 
bris et toutes ces ruines, cette campagne a dû être magnifique, 
et principalement cette petite plaine aujourd'hui pelée, nue 
et qui^ à l'ouest de Mostaganem, s'étend des pieds de la ville 
au réduit de Mazagran, que devait plus tard illustrer Théroique 
courage de quelques braves Français. 

L'expédition qui partait de Mers-el-Kebir pour Mostaganem 
se composait de la frégate la Victoire et de six bâtiments de 
transport ayant à bord quatorze cents hommes d'infanterie et 
deux obusiers de montagne. Elle mit à la voile le 23 juillet et 
occupa la ville sans résistance. Les tribus environnantes qui 
n'avaient pas cessé de harceler les Turcs qui y avaient gou- 
vemépour lecompte de la France, se montrèrent plus acharnées 
encore à l'égard des Français. Elles se levèrent en masse pour 
attaquer la ville ; Abd-el-Radcr appuya ce mouvement avec 
de grands renforts, et bientôt la garnison française fut en 
quelque sorte assiégée. 

Une heureuse diversion la tira d'embarras. Pendant que les 
Zmelas, les Douars et d'autres tribus étaient à la suite de 
l'émir devant Mostaganem, une razzia vigoureuse dirigée sur 
leur territoire les appela à la défense de leurs familles, de leurs 
bestiaux menacés. Mais les Français avaient déjà enlevé leurs 
femmes, leurs bestiaux, et quelques unes demandèrent et ob- 
tinrent la paix. Elles s'établirent à quelques lieues d'Oran, 
sous la protection de la France, et s'engagèrent à ne plus 
obéir à Abd-el-Kader qui, abandonné peu à peu par d'autres 
tribus menacées du même sort, fut contraint de lever lé siège 
de Mostaganem et de rentrer à Mascara. 

Jusqu'alors Abd-el-Kader avait évité tout engagement gé- 
néral, se bornant à harceler les Français et à attaquer leurs 
détachements isolés. Cette tactique, qui avait l'avantage de ne 
pas le compromettre par quelque grand désastre, lui donnait 
le temps de fortifier son autorité et d'acquérir, en prolongeant 
les résistances, plus d'influence et d'ascendant sur les tribus. 
Quelques-uncscepcndantqui^ parce tétai pcnnantiiîl de guerre, 
manquaient totalement de débouchés pour Irurs produits ^ 
aspiraleat après une trêve qui leur |»armU d^i iriîtjuejiter le» 




353 ALGÉRIE. 

marchés, et commençaient sérieusement 11 être MMsi fatigttfies 
de celui qui se disait leur défenseur que de ceux qu'ils consi- 
déraient comme leurs ennemis. Le général Desmichels mit à 
profit cette tendance des esprits et quelques ouvertures foites 
à propos, amenèrent un rapprochement qui fut favorable aux 
deux partis, les marchés furent abondamment approvisionnés 
et les Arabes, qui tiraient un prix avantageux de leurs produits, 
paraissaient fort disposés à établir des relations plus intimes. 

Un tel état de choses ne pouvait longtemps durer sans porter 
un coup sensible â la puissance d'Àbd-el-Kader ; il le sentit et 
ordonna aux indigènes de cesser tous rapports avec les Fran* 
çais. La guerre commença. .L- 

Les tribus cependant dont les intérêts étaient le plus vioi^ 
lemment froissés, n'obéissaient qu'avec répugnance et par 
force à l'émir. Tout porte même à croifb que si cette situation 
exceptionnelle avait duré, la majeure partie des tribus, et prin- 
cipalement les agricoles, auraient totalement abandonné la 
cause de l'émir et se seraient ralliées à la France. Abd-el- 
Kader réduit alors à quelques tribus fanatiques, n'eut été ni 
redoutable, ni redouté. Malheureusement le général Desmi*- 
chels croyant voir, dans celte tendance évidente des tribus, 
des facilités pour conclure la paix, profita d'une circonstance 
où les deux armées étaient en présence, à Temezourar, pour 
faire faire à l'émir quelques ouvertures à ce sujet. Abd-el- 
Kader les accueillit avec d'autant plus d'empressement qu'il 
avait le plus pressant besoin de la paix pour constituer sa 
puissance, et qu'un traité avec la France qui reconnaîtrait sa 
dignité d'émir, devait être la consécration politique d'un fait 
non encore reconnu par l'immense partie de ses coreligion- 
naires, et qui devait plus le grandir que dix victoires. 

L'acte du général Desmichels fut, en cette circonstance, 
une de ces fautes graves que Tignorance des mœurs et dei 
usages d'un peuple peut motiver mais ne saurait excuser. 

En effet, TArabe, comme nous l'avons déjà dit, a, plus 
qu'aucun peuple du monde, une profonde vénération pour 
l'aristocratie de race. Dans la position secondaire oîi Ta par- 
lîLUt pUcé la conquête, sa principale consolation est de n'o» 



ALGÉRIE. 353 

béîr, en premier lieu, qu'à des chefs descendant en ligne 
directe de ces anciens conquérants qui l'avaient rendu maî- 
tre de plus de la moitié du monde connu. Cette idée satis- 
fait sa fierté, alimente sa vanité, . exalte son orgueil. Tout 
autre chef il le méprise ou l'abhorre. L'aristocratie d'Abd- 
el-Kader était, parmi les Arabes, très contestée : la généa- 
logie dont il arguait était loin d'être acceptée par tous comme 
une lettre vraie ; la plupart même ne voyaient en lui qu'un 
imposteur ambitieux, plus adroit ou plus favorisé que d'autres 
par les circonstances. Pour le titre dont il avait été revêtu, 
par quelques tribus fanatisées, dans la plaine des Ëgrish, la 
consécration religieuse lui manquait entièrement. Les Muph- 
tis, les Ulémas, ne parlaient jamais en son nom ; nulle part 
le Khàteh ne prononçait le vendredi, dans les mosquées, la 
Khoihbali, prière solennelle faite au nom du souverain. 
Aussi , en prenant sa dignité au sérieux, en traitant avec lui 
somme Ëmir, le général Desmichels donna à son titre une 
30rte de consécration qui lui manquait. 

Ce traité désastreux, moins pour ses conséquences maté- 
rielles que pour ses conséquences morales et politiques, fut 
signé le 26 février 1834. L'histoire doit consigner ce pre- 
mier acte officiel qui a eu pour la France de si déplorables 
résultats. Le voici : 

« Le général, commandant les troupes françaises dans la 
province d'Oran, et Vémir Abd-el-Kader, ont arrêté les con- 
ditions suivantes : 

«t Art. l". A dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes 
et les Français cesseront. Le général, commandant les trou- 
pes françaises, et l'Émir ne négligeront rien pour faire ré- 
gner l'union et l'amitié qui doivent exister entre deux peu- 
ples que Dieu a destinés à vivre sous la même domination, 
et à cet effet des représentants de l'Émir résideront à Oran, 
Mostaganem et Arzeu ; de même que pour prévenir toute 
collision entre les Français et les Arabes^ des officiers fran- 
çais résideront à Maso^rh. 

« At*t. 2. La religiOii et les. usages musulmans seront to^ 
pe(lês et protégés. 

T. I, 




35< ALGËRIE« 

tf Art. 3. Les priflOBniers seront unmèdiatemCTt lendus 

de part et d^autre. 

« Art. 4. La liberté du commerce serapkim tt eag»^ 

a Art. 5. Les militaires de l'armée fransaisq qui iJMUit 
donneront leurs drapeaux seront ramenés par. les A]ral>et;4| 
même les malfaiteurs Arabes qui^ pour se soustraira à « ua 
châtiment mérité, fuiraient leurs tribus et vi^ndiisicpit du^ 
cher un refuge auprès des Français, seroftt . immédntenmiil 
remis aux représentants de TËmir, résidant dans les trois 
villes maritimes occupées par les Français, i ^ . ^^^ 

a Art. 6. Tout Européen qui serait dans lo. caS: 4» iHOfl^ 
ger dans l'intérieur, sera muni d'un, passeport n84.9MriJl| 
représentant de Flilmir, àOran, et approuvé par le général 
commandant. . , i.'oiîj ^ 

a Articles secrets. — 1^ Les Arabes auront la }ih6r|4«4l 
vendre et d*acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin 
tout ce qui concerne la guerre. .. . « < . lo 

a 2^ Le commerce de la Merza (Arzcm)». sera sous le goib 
veinement du prince des croyants, comme .par is pVBS^^i et 
pour toutes les afiaires. Les cargaisons ne se feront.pas 4|it(t 
part que dans ce port. Quant à Mostaganem et Ortm, Uf m 
recevront que les marchandises nécessaires aux besoinaf)^ 
leurs habitants, et personne ne pourra s'y opposer»; Cei^^ 
qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la 
Blerza. * ,.,. ,n ., 

<x 3^ Le général nous rendra tous les déserteurs et les fgça 
enchaîner. Il ne recevra pas non plus, les criminel^^ lA-gé- 
néral, commandant à Alger, n'aura pas de pouvoir wr \t(S 
Musulmans qui viendront auprès do lui avec lo consentement 
de leurs chefs. i ..* m 

« 4® On ne pourra empocher un Musulman de retourner 
chez lui quand il le voudra.» :> j .j^ 

Tel fut ce funeste traité. Ses conséquences iuunédiatoA); 
î%nt de distinguer Abd-^el-Kader de ces nombreux préten* 
dants qui, sur diverses parties du territoire s'étaient accoiB«p 
modes de points ou de villes à leur convenance, de mettre en 
sailUe ce prétendu émir, de le signaler à l'attention des 



ALGÉRIE, 8SS 

• 

Arabes et de leur donner un drapeau et un centre. Puis les 
articles secrets de cette convention concédant de nombreux 
avantages aux Arabes dont ils réglaient d'une manière spé- 
ciale les intérêts, étant restés ignorés , des comptoirs de né- 
gociants français d'Alger s'établirent à Arzeu sur la foi de sa 
partie ostensible. Mais Abd-eî-Kader s'attribua le monopole 
du commerce : il interdit aux Arabes de traiter directement 
avec les Européens : les denrées durent être livrées moyen- 
nant des prix fîxés par lui à son oukil qui revendait ensuite à 
des taux arbitraires. Comme d'après l'article 2 du traité se- 
cret, les cargaisons ne pouyajent se faire qu'à Arzeu , mis sous 
son commandement spécial, il se trouva exclusivement maî- 
tre de tout le commerce des côtes de l'Ouest et le seul négo- 
ciiantrde la province d*pran. Le ministère français qui avait 
Çefusé de ratiÇer la convention de 1831 du général Clauzel, 
çt qui était entièrement dans L'intérêt i\e la France, se montra 
irès facile sur colle du général Desmichels en 1834 qui sacri- 
fiât si ouvertement tous les intérêts français. Il est juste de 
dire qu'en cette circonstance il allégua la loyauté et la bonne 
(oi française. Les mots ne manquent jamais pour pallier de 
mauvaises actions. 

Les Arabes se montrèrent moin^ tolérants. La position 
dans laquelle ce traité plaçait Abd-elrKadçr faisait. plvis que 
préjuger une question qui était loin d'être décidée parmi eux. 
10e la résolvait dans un sens qui blessait à la fois leur orgueil 
national et leurs susceptibilités les plus invétérées : en un mot 
elle légitimait dans l'ordre politique , la dignité d'émir con- 
férée à Abd-ei-Kader par quelques tribus fanatisées. Les Sidi- 
el-Aribi , les Bordjia, Iqs Beni-Amer, les Douers, les Zmelas 
protestèrent sourdement d'abord contre l'autorité d'un homme 
dont l'habileté et l'ambition avaient seules motivé l'élévation 
et peu après se mirent en pleine révolte contre lui, Musta- 
pba-bcn-Ismaël, chef des Douers et ancien Âgha sous la do- 
mination turque, se mit à la tête de cette ligue. Âbd-el-Kader 
marcha contre lui et fut mis en pleine dé]ro^|e. Selon l'usage 
des Arabes toujours prêts à 8«*^' ' *' ' " ^ribus 

te joignirent au vainquev ^^ii^ 



356 ALGÉRIE. 

gile de la puissance d'Abd-el-Kader fîit près de Vécrouler. 

Entouré d'ennemis l'Émir voyait chaque jour diminuer le 
nombre de ses partisans. Mustapha et les autres chefs ligués 
contre lui proposèrent au général Yoirol d'abord, et puis au 
général Desmichels, de renverser Âbd-el-Kader et de se recon- 
naître sujets de la France : ils ne demandaient pour cela que 
quelques subsides : ils furent refusés. Par une de ces fatalités 
qu'on ne saurait expliquer différemment sans honte, le gou- 
vernement de France devait lui-même se créer en Algérie les 
principaux obstacles, les plus redoutables ennemis qui ont si 
longtemps fatalement pesé depuis sur cette conquête , et se 
retrancher chaque fois derrière un de ces mots pompeux, qui 
quoiqu'on en dise, en France comme ailleurs, séduisent tou- 
jours les niais. 

Pour repousser les propositions tles ennemis d'Abd-elrKa* 
der, on invoqua encore la loyauté française, et pour porter 
cette loyauté à son plus haut période, des troupes finançaises 
marchèrent au secours de l'homme dont tous les actes révé- 
laient le projet arrêté de chasser les Français de l'Algérie. 
Ainsi soutenu , Abd-el-Rader n'eut bientôt plus d'ennemis. 
Le général Desmichels avait conclu un traité malencontreux : 
il crut ensuite son honneur engagé à le maintenir. Triste con- 
séquence d'une première faute d'où en découla cette seconde 
et d'oîi devaient bientôt en découler d'autres. 

Le résultat de ce grave incident où des questions d'amour- 
propre avaient prévalu sur celle d'une vraie politique ne se 
fit pas attendre. Abd-el-Rader tournant bientôt contre les 
Français l'appui qu'ils lui donnaient , étendit sa domination 
sur toutes les tribus de l'Ouest et fut maître de tout le pays 
depuis le Gheliff jusqu'à l'empire de Maroc. Son ambition 
n'était pas satisfaite encore et il porta ses vues plus loin. Voici 
la lettre curieuse qu'il écrivait à ce sujet au général Voirol et 
qui aurait suffi pour dessiller tous les yeux si, par un inexpli- 
cable parti pris, chacun ne s était montré de plus en plus dé- 
cidé à ne rien voir. 

« Je vous salue : la paix âe Dieu soit avec vous. — Ci- 
te aprcS; notre ami, je vous lais savoir que. voulant rester d'ao- 



P> 



ALGÉRIE. 3i)T 

« cord avec notre convention et avec TaffccHon que nous de* 
« vons à votre roi comme à celle que nous devons aux peuples 
t du gharb (ouest), j'ai, par la miséricorde de Dieu et du pro- 
€ phète, forcé tous nos ennemis à l'obéissance et à la paix. 
« Grâce à mes soins et à la protection miséricordieuse du 

< Tout-Puissant, tout le gharb est calme et soumis. J'espère, 
« par la même protection, pouvoir mettre tout en ordre dans 
m l'est, où je me propose de me rendre sous peu de jours» 
^ Aussi je vous engage à ne faire aucune tentative de répuU 
« sion à ce sujet, la chose pouvant être à votre grand dom« 
« mage, tandis que la miséricorde d'Allah et du prophète n'a- 
« bandonnera pas le plus humble de leurs serviteurs. Que 

< Dieu vous accorde tout contentement. » 

Cette prétention d'Abd-el-Kader de vouloir intervenir dans 
les affaires des provinces d'Alger et de Tittery s'explique par 
les encouragements qu'on ne cessait de lui donner. En effet, 
dans toutes les relations avec lui, la France ou ses représen*- 
(ants avaient fait preuve de tant d'abnégation et de ménage-* 
ment qu'Abd-el-Kader, sans trop s'illusionner, pouvait pen« 
8er qu'on lui laisserait faire tout ce qu'il voudrait tenter. En 
cette circonstance, cependant, il se trompa. Le général Voi- 
roi répondit assez sèchement à sa lettre : « Le CheUff est votre 

< limite, lui écrivait-il, vous n'avez au-delà aucune autorité, 
« et je vouscrois trop sage pour entreprendre un déplacement 
€ qui changerait immédiatement la nature de nos rapports. » 

Gomme Abd-el-Rader n'était fort que de l'appui moral que 
lui prêtaient les Français en toute circonstance et de l'appui 
matériel qu'ils mettaient même parfois à sa disposition ;cdmme 
sa puissance n'avait politiquement d'autre base que cette in- 
croyable aberration des représentants d'un grand peuple qui 
semblaient mettre leur gloire à se traîner à| la remorque d'un 
ambitieux adroit, que nul, excepté eux, n'avait traité aupara- 
vant au sérieux, il ne jugea pas à propos de donner suite à son 
projet de pacification de l'est. Mais mettant à profit la fausse 
position oii s'était placé le générd Desmichels en consentant 
le singulier traité du M février, fl altéra par des rapports 
ooDtrouvM^ lift Iw wavec le général 



3S8 ALGÉRlB^ 

en chef Voirol, et finit même par se persuader qu^il pourrait 
trouver, parmi des généraux français , un appui plus efficace 
pour Taccomplissement de ses projets ultérieurs. Cette inju- 
rieuse supposition n'eut cependant pas de suite ; mais elle mé- 
rite d'être constatée comme une preuve des sentimepts que 
suggérait à FËmir les mesures successivement adoptées par les 
généraux français. 

Cependant l'opinion publique en France s'était sérieuse- 
ment alarmée de voir les trésors et le sang de la nation pro- 
digués en Afrique pour élever une puissance rivale dont la 
domination y était déjà plus étendue et mieux assise que celle 
des conquérants eux-mêmes. On commençait alors à suspec- 
ter non seulement les intentions du cabinet, mais encore à 
parler d'engagements secrets pris avec l'Angleterre pour l'a- 
bandon de l'Algérie. Sans avoir de fondement précis, ces 
bruits reposaient sur une sorte d'engagement moral ayant si 
source dans les promesses de la dynastie déchue, mais que les 
ministres de Louis-Philippe n'avaient jamais accepté officielle^ 
ment ni cependant explicitement rompu. ]L'opinion publique» 
sans s'inquiéter des embarras du ministère, qui étaient plus 
personnels que nationaux, s'indigna de celte pusillanime con* 
descendance et fit une affaire d'honneur national de la con- 
servation de l'Algérie. 

Pour le ministère, la question ainsi posée devenait criUque 
et sa solution pressante. Heureusement des complaisants, 
comme il s'en trouve toujours, la réduisirent aux termes étroits 
de convenance matérielle et la circonscrivirent dans le cerclé 
des intérêts. Rapetissée ainsi à une question de chiffires, elle 
aurait pu ne devenir que secondaire, si l'opinion publique, de 
plus en plus alarmée par ces insidieux préliminaires, ne se 
fût hautement prononcée contre ces hommes soi-disant posi- 
tifs, qui ne voyaient qu'une question d'arithmétique dans une 
question d'honneur national. Le ministère ainsi acculé fut 
obligé de nommer une commission chargée de recueilhr les 
éléments nécessaires à la complète solution de la question* 
Les membres de cette commission étaient le Ueutenant*gënih 
rai Bonuet et d'iiaubersaer, pairs de France : Laurence, Pii" 



359 

cafpry, Raynard, delà Pinsonnière, membres de la Chambre 
dêst)^pul^| l'ë gérièraJ Mônlfort, mspccteur-général du génie- 
et Duval-Dailly/ capitaine de vaisseau. 
" Quëtlé que fût là confiance quMnspirait à Topinion publi- 
oue la liiajeure partie des membres de cette commission, cette 
mesuré^ fut acceptée avec froideur, d'abord parce qu'elle 
ajournait pour quelque temps encore la solution définitive, 
ênsàîte ^afce qu'elle prouvait d'une manière évidente que le 
minirtèré ne s'en était pas même occupé. Â l'irritation qu'elle 
en éprouva se joignit une défiance qui n'a pas été dissipée de- 
puis. 

"La commission se rendit en Afrique. Puisant sur les lieux 
\e$ éléments nécessaires, se divisant le travail de telle sorte que 
cHaque membre traitât la partie le plus en rapport avec la 
roécialité de ses connaissanceft, elle compléta son œuvre avec 
oôè activité et une bonne foi que le ministère n'attendait pro- 
Eâblement pas d'elle. Ce travail fut soumis à une seconde 
Commission présidée par le duc Decazes, et après un nouvel 
examen approfondi de toutes les questions, les deux commis- 
âons réunies décidèrent, à la majorité de dix-sept voix contre 
^iix : que thonneur comme tintérêt national commandaient 
iti France de conserver ses possessions sur la côte septen^ 
irionakdet Afrique. Comme dispositions secondaires, écartant 
monleiitanément tout projet d'expédition contre Constantine, 
elles proposèrent, tout en maintenant les droits de la France 
i^ka souveraineté de l'ancienne Régence, de borner, quant à 
présent, l'occupation militaire aux villes d'Alger, Bone, 
Oran, Bougie et à un territoire déterminé en avant des deux 
premières de ces places. Elles émirent en outre le vœu que le 
gouverneur-général, dépositaire de l'autorité royale, réunit 
tout les pouvoirs civils et militaires. 

Cette déclaration était trop explicite pour donner matière 
à des tergiversations nouvelles. Le ministère ne put plus re- 
caler, et le 22 juillet 1834, une ordonnance royale constitua 
la réorganisation de rad minirtration et de l'armée en Algérie, 
qui fut désignée sous la OTHMIKon de possesaions fnin^ 
(mu doM U nord de l'Afviqw* La mode^Ue et le \aguc de 



360 ALGERIE. 

ce titre n'échappèrent pas à l'opinion publique qui aurait 
voulu et qui était en droit d'attendre davantage. 

D'après la nouvelle ordonnance constitutive de FAlgérie, 
le gouverneur-général, revêtu de tous les pouvoirs civik et 
ipilitaires, devait avoir sous ses ordres un lieutenant-général 
auquel obéiraient l'armée et des chefs spéciaux pour chaque 
nature de service ; il n'était, en quelque sorte, appelé qu'à pré- 
sider le mouvement militaire et administratif de TÂlgérie. 
Cette innovation pouvait être heureuse et avait surtout Tin- 
contestable avantage de remédier à cette impolitique division 
de pouvoirs qui avait été si fatale sous l'administration du duc 
de Rovigo. 

Le comte Drouet-d'Erlon fut nommé gouverneur-général 
des possessions françaises dans le nord de t Afrique. 

L'administration du général Voirol n'avait guère plus 
avancé les affaires de France en Algérie que les deux ad- 
ministrations précédentes. Dans la province d'Alger cependant, 
il prit en sous-œuvre quelques-uns des projets du général 
Clausel et du duc de Rovigo et obtint d'heureux résultats. 
L'accroissement de la puissance d'Abd-el-Kader est plutôt 
l'œuvre du général Desmichels qui était indépendant de lui, 
que la sienne. Quant au reste, n'étant qu'intérimaire, n'osant 
ou ne pouvant rien prendre sur lui et obligé d'en référer pour 
tout à Paris, il y aurait de l'injustice à lui attribuer des fautes 
qui ne peuvent être imputées qu'au ministère qui lui traçait 
sa ligne de conduite. 



cDAPim vu 



le comfe Droutt d'Erlon.— Premier résultat da traité du 26 février.— Fonda- 
tion du camp retranché d'Erlon.— Suppression du bureau arabe.— Abd-el- 
Kader envoie un chargé d'affaires auprès du gouverneur-général. — Le juif 
Ben Durand.— Mascara. — Nouvelles faules de l'administration française* 
— Abd-el-Kader les tourne à son profit. — Révolte des tribus du Sahel. — 
Le colonel Duvivier à Bougie. — Concessions nouvelles du gouverneur. — 
Soulèvement des tribus contre Abd-€l-Kader.~Le général Trézel à Oran.— 
Audacieuse provocation d' Abd-el-Kader.— Fatale faiblesse du comte d'Er- 
lon. — Énergique résolution du général Trézel.— Combat de la Macta. — 
B appel de la légion étrangère.— Irritation de l'opinion pubb<[ue en France 
contre la politique tortueuse du ministère dans les affaires de l'Algérie. — 
Rappel du comte d'Erlon. — Le maréchal Claosel est nommé gouverneur 
généra)^ 



Le comte Dronet d'Erlon s'était enrôlé comme volontaire 
en 1782 au régiment de Beaujolais. Il rentra dans l'armée 
en 1792 avec le grade de caporal. En 1793, attaché à la per- 
sonne du général Lefebvre, en qualité d'aide de camp, il de- 
vint plus tardson chef d'état-major. Après avoir successivement 
passé par les grades de chef de bataillon, adjudant-général, 
général de brigade, il fut appelé après la paix d'Amiens au 
commandement de la première division militaire, signa en 1 807 
la capitulation de Danzig au nom du maréchal Lefebvre. 
Grièvement blessé à Friedland, il fut nommé grand-oilSciei 
de la Légion-d'Honneur et comte de l'Empire. En 1809, 
chef d'état-miyor de l'armée bavaroise, il prit le commande- 
ment du 7"M AonM. De iiRlOfà 1813 il combattit en Espagne : 



382 t^LGËRIE, 

à la bataille de Toulouse (1814) le corpsqu'fl eommaiidaitiie 
put être entamé par l'armée Anglaise. Compromis en 181 S 
dans une conspiration avec Lefebvre-Desnouettes, il fut pros* 
crit par la seconde Restauration et ne fut rappelé .d*enl 
qu'en 1825. La révolution de juillet le tira de sa retraita. 
Nommé pair en 1831,ilobtinty Tannée suivante, le comman- 
dement de ladouzième division militaire et fut nommée en 1 834| 
gouverneur^énéral de l'Algérie. 

Pour les épineuses et- impdrtantes fonctions dont il avait 
investi le comte d'Erlon, le ministère consulta plutôt, comme 
toujours, ses convenances que les intérêts de la France. Le 
•nouveau gouverneur était, sans contredit, une gloire mttitairt 
pure et éprouvée ; mai» il avait soixante et dix ans et i est 
tare, à cet âge, de conserver l'abtivité d*esprit et de corps nié- 
ces^iré pour un poste comme celui qu'on venait de liu con» 
fier. On institua en même tempsun conseil deR^ence; com- 
posé de six membres et chargé de préparer et de discSiter les 
arrêtés, les ordonnances, qui devaient régir rétaBliÂehient 
d'Afrique. Ce furent le général Rapatel appelé au commande- 
ment des troupes, Fintendant civil Lepasquicr en remplaoe- 
tnent de M. Qenty de Bossy, le contre-amiral de la Breton- 
. nière investi du commandement de la marine et du port, 
M. Laurence chargé de la direction de la justice, M. Blondd 
de celle des finances, et M. Bonduraud qui continua à diriger 
l'intendance militaire. Cela fait, la machine fut livrée à aon 
Ipropré mouvétnéht. 

Lés premiers actes administratifs du comte d'Erlon iîirent 
^heureux : il sembla vouloir divorcer avec les errements dé 
l'administration précédente. A la politique de concession deS 
' généraux Voirol et Desmichels, il substitua une politique phil 
ferme, plus digne et plus en rapport avec les intérêts 'de hf 
France. ' 

Sous l'influence du traité du 26 février, le pouvoir d'Abd-^ 
cl-Kader avait grandi outre mesure. Le monopole que YÈmit 
exerçait à Arzeu lui procurait d'énormes bénéfices qui lui 64 
cilitaient le moyen de faire aux tribus des avances de deniréél 
•ttaargent^ et de les maiateuir amsi en armes, jjon espnC 



ALGERIE. 96^ 

organisateur avait vu sans peine tout le parti qu*il pouvait ti<« 
rer de ce traité, et il avait établi des relations commerciales 
avec Gibraltar et l'Espagne parle golfe d'Harsbgoun. En mô^ 
me temps il annonça aux tribus des provinces de Tittery et 
même d'Alger, que voulant connaître leurs besoins et s'occuper 
de leur oi^ganisation^ il se rendrait incessamment au milieu 
d'elles. 

Un tel empiétement de pouvoir était à la fois un grand dan- 
ger et une grave insulte; le comte d'Erlon le sentit et rendit 
un arrêté défendant, sous les peines lès plus sévères, toutes 
importations et exportations de marchandises de toutes pro^ 
venances, par d'autres ports que ceux portant le pavillon fran- 
çais. En même temps il intima à Âbd-el-Kader l'ordre de ne 
pas dépasser le ChélifiT, et il déclara aux scheiks des tribus des 
provinces de Tittery et d'Alger, que s'ils acceptaient le con- 
cours de VÈmiT, ils seraient traités comme ennemis de la 
France. 

A ces mesures énergiques qui, appuyées avec vigueur et sur 
une bonne organisation intérieure, auraient pu avoir d'heu- 
reux résultats, le comte d'Erlon en ajouta d'autres plus secon-- 
daires qui assurèrent pour quelque temps la tranquillité de la 
colonie; le camp fondé en avant de Bouffarich et qui a con* 
serve le nom de son fondateur, fut de ce nombre. Mais ses 
inspirations ne furent pas toujours aussi heureuses. La disso- 
lution du bureau arabe, par exemple, fut une faute. La sphère 
de cette institution, au contraire, pendant ces premières 
années, aurait dû, non pas être restreinte, mais d'autant plus 
élargie que la majeure partie des fautes commises jusqu'alors 
en Algérie ne provenaient que de Tignorance des mœurs et des 
usages des ind igènes. 

Cependant Abd-el-Kader n'était pas homme à interrompre 
le cours de ses projets sans tenter de regagner le terrain que les 
mesures du comte d'Erlon venaient de lui faire perdre. Le 
traité Desmichels surtout, qui était à la fois la base et le pivot 
de sa puissance, devait être maintenu à tout prix* Qudqu^ 
irrité que se montrât le gouverneur^' ^^'^jàiI^ 

et surtout contre Veitensi^q 



364 ALGÉRIE. 

pouvoir assurer le maintien de l'état de choses en constatant 
le droit qu'il avait d'agir comme il agissait. U lui envoya un 
chargé d'affaires qui lui exhiba le traité secret rapporté plus 
haut, dont le gouvernement français n'avait pas en encoie 
connaissance, et qui accordant à l'Émir de si exorbitantes 
concessions, légitimait toutes les usurpations qu^on lui re- 
prochait. Ce moyen ne réussit pas à Âbd-el-Kader : le comte 
d'Erlon fut plus irrité que jamais : le général Desmichels fut 
immédiatement rappelé et le général Trézel investi du com^ 
mandement d'Oran à sa place. 

Cette solution dérangea les plans d'Âbd-el-Kader. La fausse 
position où s'était mis le général Desmichels, l'obligeait en 
quelque sorte à des espèces de ménagements vis-à-vis de l'É- 
mir, et à Tappuyer dans tout ce qui ne froissait pas trop osten- 
siblement les intérêts de la France. Son rappel changeait cet 
état de choses. Abd-el-Kader le sentit et avisa aux moyens d'en 
paralyser les causes les plus immédiates. Â cet effet, il envoya 
au gouverneur-général un chargé d'affaires qui devait résidei 
à Alger et y représenter spécialement ses intérêts. U choisit 
pour cette mission un juif nommé Ben-Durand, homme astu- 
cieux, habile, insinuant, qui prit bientôt un prodigieux ascen- 
dant sur l'esprit simple et facile du comte d'Erlon. Elevé en 
Europe, Ben*-Durand parlait français avec facilité. Il possédait 
à un haut degré cette souplesse doucereuse qui caractérise les 
gens de sa caste et qui, sous les dehors de la bonhomie et de 
la bonne foi, captive si facilement les âmes confiantes. Aussi, 
len peu de temps, il devint non seulement le contrôleur écouté 
[des actes du gouverneur-général, mais encore son conseiller 
intime. 

Dès ce moment, la cause d'Abd-el-Kader fut gagnée dans 
l'esprit facile du comte d'Erlon. 

Pendant ce temps, l'Émir s'occupait d'organiser ce qu'il 
appelait déjà son royaume; il prenait possession des domaines 
jpublics, levait des impôts, rétablissait les finances, donnait 
des lois, créait des corps de trt)upes permanents, à l'anarchie 
faisait succéder Tordre et étendait chaque jour davantage son 
influence. 11 commençait même alors à parler hautement d« 



ALGÉRIE. 365 

ses projets de restauration arabe et ne dissimulait plus aucune 
de ses espérances. 

Mascara, dont il avait fait sa capitale et son arsenal, est bâtie 
sur le versant des collines du Petit-Atlas qui forment, au nord, 
la plaine d'Egrhis. Un ravin profond oii l'eau coule en toute 
saison a, pour berges, deux mamelons séparés sur lesquels la 
ville est assise. La ville possède plusieurs grandes constructions: 
deux belles mosquées dont le minaret d'une d'elles est remar- 
quable par l'élégance de ses forme et la délicatesse de son ar- 
chitecture; un vaste caravansérail, une belle place où jaillit une 
gracieuse fontaine à coquille de marbre blanc, ie beylick ou 
palais et quelques maisons d'architecture mauresque. Ses rues 
sont tortueuses et étroites comme celles des autres villes de 
FAlgérie. Mascara peut se diviser en cinq parties distinctes: 
la ville proprement dite, au nord le fauboui^ Baba-Âli, au sud 
le fauboui^ Âîn-Beldha , à l'ouest le faubourg Ârkoub-Ismaïl 
et plusieurs groupes de maisons à l'est. Les environs de la ville 
étaient plantés de beaux jardins cultivés avec soin ; des arbres 
fruitiers, amandiers, oliviers, figuiers et surtout des cactus 
(figuier de Barbarie) couvraient les campagnes environnantes, 
aujourd'hui nues et dévastées par la guerre. La salubrité dii 
climat, une température modérée, en faisaient une des bonnes 
résidences de l'Algérie. 

Telle était la ville d'où Abd-el-Rader commandait déjà en 
maître ; elle était le point de mire des Arabes, non pas tani 
par le prestige de la puissance qui s'y élevait, que par la ces- 
sation de l'anarchie qm la caractérisait parmi les autres villes 
ou les autres points de l'Algérie. L'Arabe aime l'ordre, quoi- 
que on en ait dit, et ce que les Français n'avaient pu ou su 
lui [donner, il le recherchait là où il le voyait déjà assuré : 
le comte d'Erlon en eut bientôt la preuve. 

On a déjà vu que le gouverneur-général avait déclaré qu'il 
traiterait en ennemies les populations des provinces d'Alger 
et de Tittery, qui accepteraient le concours d'Ab-el-Kader. 
Les tribus de ces provinces, livrées depuis longtemps à elles- 
^ mêmes, sans direction, sans autorité* anittit^, été bientôt en 
proie à la plus violente uarc ^ 



386 ALGÉRIE. 

sentir le sentiment de Tordre et étaient prêtes à se rallierai 
fout pouvoir capable de le leur assurer. Aussi, aux obsenra- 
tions du comte d'Erlon, les habitants de Médéah qui s'étaient 
, toujours montrés dévoués aux Français, lui rép<mdirc|nt(p'ilf 
n'avaient désiré parmi eux l'arrivée d*Ab7el-]EÛ4ery.que.4iitD| 
Tespérance qu'il les tirerait de l'état d'anai;cl)ieoi4^ilf ^^niûs^ 
saient et d'où les Français n'avaient jamais ^w^n voululf^ tirer, 

Ce reproche était juste^ le comte d'Erloa siit l'apprécier; 
mais il en référa au ministère qui, pour la troisième hiSj, T^ 
poussa toute proposition à ce sujet. Ce n'est pas.unç dc^jj^oin^ 
singulières phases de Thistoire de la domination françfdse.ea' 
" Algérie, que cette persistance du cabinet franco à repousser 
constamment tout ce qui pouvait faire sortir ce pays de Tanar^ 
çhie, et diminuer d'autant les chances d'Ab-el-Kàder d'y 
assurer sa domination. I, , 

Ce qu'il ne voulut pas faire en cette circonstance, Âbd-el- 
Kaderlefit. 

Malgré les observations qui lui avaient été adressées,' il n'fh 
vait pas renoncé au projet d'étendre le pouvoir qu'il e^ierçait 
dans l'ouest jusqu'à la province de Tittery. |1 s'avapçajjusqu'à 
Hiliana; il trouva dans cette dernière ville Ël-^adJ-ei-Seghir9 
de la famille de Sidi-Em'barek, nommé ^agl^a de la Metidja 
en 1832, et Mohamed ben Aissa, de la famille des Berakna 
qui avait été institué kaïd de Cherchell dès les premiers mois 
de l'occupation d'Alger. Ces deux hommes avaient quitté le 
parti de la France et se plaignaient vivement des jprocédés des 
Français. Abd-el-Kader nomma le premier kalifa de Miliana, 
et le second kalifa de Médéah. 

Le comte d'Erlon se montra fort courroucé de voir Abd-el- 
Kader faire ainsi acte d'autorité dans les provinces soumises 
à la France; mais entièrement dominé alors par l'influence 
de Ben-Durand, entravé en outre par les volontés ministériel* 
les, il subit sans protestation les conséquences des.cnvahî|s,e- 
ments successifs de l'Émir : bien plus, l'astucieux juif s'y.prit 
de telle sorte qu'il le ramena aux errements de la politique 
qu'il avait dès le début de son adminii^tratlon si énergique-* 
ment condamnés. 



ALGÉRIE. 867 

^ fieux faits qui se passèrent à cette époque Tinrent encore 
ajouter à ses embarras et augmenter ses incertitudes; les Had- 
jjoutes qui, depuis quelque temps , avaient cessé de se mon- 
trer hostiles et s'étaient soumis à la France, demandèrent au 
^uvemepr-^énéral le remplacement d'un kaïddont ils étaient 
mécontents : leurs réclamations restèrent sans réponse. La 
tribu manifesta quelque irritation et, vers ce même temps, un 
toi de bestiaux ayant été commis dans le Sahel, elle en fut 
iccusée ainsi que la tribu des Mouzaia. Une vigoureuse razzia 
liengea énergiquement cet acte de brigandage, mais aliéna ces 
âeux tribus au point qu'elle se ruèrent sur les villages français^ 

Siassacrèrent les Européens isolés, et attirèrent d'autres tribus 
ans leur révolte. La conflagration devint générale dans le 
Sahel; les colons effrayés abandonnèrent leurs cultures, et le 
peu de stabilité qui avait été depuis quelque temps assuré 
autour d'Alger, se trouva totalement remis en question. 

A la même époque, à Bougie, une intrigue assez misérable^ 
ft qui peut donner une idée assez précise de la manière dont 
TAlgérie était alors gouvernée, amena des résultats aussi dé* 
{)lorables. Le colonel Duvivier qui y commandait avait^ à plu- 
sieurs reprises, énergiquement repoussé les attaques des Ka- 
Syles. Parmi les tribus hostiles était celle des Ouled-Abd-El- 
Djebar, habitant la vallée de TOued-Bou-Messaoud. Elle avait 
pour chef Ouled-Ourebah qui exerçait une puissante influence 
sur d'autres tribus. Sous on ne sait quel motif, au lieu de 
s'adresser au colonel Duvivier pour traiter de la paix au nom 
des tribus qu'il disait représenter, U s'adressa directement au 
commissaire civil de Bougie, H. Lowesy. Ce dernier, au lieu 
4e faire part de ces ouvertures au colonel Duvivier, s'adressa 
directement à Alger au gouverneur-général qui, par une in- 
concevable manière de procéder, lui envoya l'autorisation de 
traiter en laissant ignorer des négociations entamées avec 
i*^nnemi, au colonel commandant une place de guerre. Muni 
ào sop autorisation, le commi^ire civil s'embarqua secrète- 
ment sur une sandale algérienne, et arriva à Fembouchure de 
la Sumnam où TattendiiS^ ^ ^ ^*^*Gelte conférence 
eut un triste résôttsk? ai*îtàcM|t 



368 ALGÉRIE. 

de fusil, et le malencontreux négociateur fut obligé de se rem- 
barquer et de regagner Bougie où sa sandale fut arrêtée par 
ordre du colonel Duvivier. Instruit alors de ces menées, le ce- 
lonel se plaignit au gouverneur-général qui, voulant la paix 
à tout prix, envoya un nouveau négociateur. Ouled-Ourebah 
demanda, pour condition première, qu'on rappelât le colonel 
Duvivier qui, se voyant un obstacle aux désirs du gouverneur^ 
demanda son rappel. Le comte d*Erlon eut la faiblesse d'y 
consentir, de donner raison à Ouled-Ourebah, et U fut con* 
clu une paix qui donna aux hostilités «ne plus grande inten* 
site qu'elles n'avaient auparavant. En efiTet, Ouled-Ourebah 
ne fut plus au nombre des assaillants, mais les autres tribus 
s'acharnèrent d'autant plus après Bougie que, par le rappel 
du colonel Duvivier, une d'entre elles avait déjà eu un com- 
mencement de gain de cause. 

Ces insuccès divei^s rendirent le comte d'Erlon plus pusil- 
lanime et plus timoré. Il n'osait plus prendre aucune déter* 
mination. Quant à Âbd-ei-Kader , il devenait plus audacieux 
à mesure que le gouverneur-général devenait plus timide, et 
son autorité grandissait de toul ce dont se rapetissait l'autorité 
française. 

C'est ainsi qu'après avoir, comme on l'a vu, nommé un 
kalifa à Miliana et un autre à Médéah, il donna un kaïd 
aux Hadjoutes et un scheick aux Beni-Kalil. Il fit plus encore, 
la douane française avait mis un embargo sur des fusils qu'il 
avait achetés à l'étranger, il parvint à le faire lever, et, par 
l'entremise de Ben-Durand, il obtint du comte d'Erlon divers 
approvisionnements de guerre, au moment même où il bra- 
vait le plus ouvertement l'autorité française. 

Quelques chefs arabes n'acceptaient pas avec autant de ré- 
signation que le gouverneur-général les faits accomplis. Cet 
ascendant exercé par un jeune homme inconnu jusque alors 
les indignait, et une nouvelle ligue se forma contré lui. A la 
tête des mécontents étaient Sidi-el-Aribi et Mustapha-ben-Is- 
maël qui s'étaient déjà, sous l'administration du général Voi- 
rol, révoltés contre son autorité. Cette fois, ils étaient d'autant 
plus redoutables que Moussa Derkaoui (le révolté), chêrif du 



ALGÉRIE. 369 

désert, 8'éfait joint à eux, entraînant à sa suite les formidables 
tribus du Sahara. 

Pour bien comprendre toute la gravité de cette ligue, nous 
avons à compléter ce que nous avons déjà dit sur l'influence de 
l'élément aristocratique chez les Arabes, et qui était la cause 
principale de tous les obstacles qu'éprouvait Abd-el-Kader à 
rallier la plupart des tribus à son autorité. 

Dans les tribus du désert, la race arabe domine exclusive* 
ment. Ses goûts, ses habitudes s'y sont perpétués sans altéra- 
tion. Le Djouad ou cl^f héréditaire a le droit exclusif à leur 
respect et à leur obéissance. U y a parmi eux des Marabout^ 
mais n'osant jamais disputer le premier rang aux Djouad. La 
cause de cette subordination des Marabouts est sensible. Dans 
les tribus sédentaires, lorsque meurt un Marabout vénéré, ses 
compatriotes lui élèvent un tombeau : on y vient en péléri* 
nage souvent de fort loin : les enfants y apprennent à lire, y 
reçoivent une instruction reUgieuse. Pour entretenir le mo- 
nument, il faut des offrandes : chacun les donne volontiers, 
s'inquiétant peu de la conduite du fils qui a hérité du titre de 
son père ; le tombeau ou le nom du père le protège, parce 
que l'un est pour la tribu un monument utile et l'autre un 
objet de vanité. Telle était, chez les Hakem-Gheraga et dans 
quelques tribus environnantes, la situation d'Abd-el-Kader^ 
dont le père, Mohhi-ed-Din et l'aïeul Mustapha-ben-Moktar, 
étaient regardés comme les plus grands Marabouts des temps 
modernes. 

Mais dans le désert il en est tout autrement. Au milieu de 
Texistence aventureuse des tribus, dans les péripéties inces- 
santes des voyages, des luttes, des dangers de tous les jours, lef 
guerrier au bras redoutable a une place plus lai^e que l'homme 
pieux. Parmi tant d'agitations de tout genre, on ne songe pas 
à bâtir un tombeau au marabout; un arbre, une pierre mar- 
quent à peine l'emplacement de la tombe, qui n'est alors ni 
un témoignage de piété généreuse, ni un héritage légué par 
les ancêtres. Des qualités personnelles transcendantes donnent 
seules droit, au fils du marabout, au respect et à l'ascendant 
dont jouissait son pète. Le IHouad, au contraire, fidt monter 



370 àLGËRIB. 

son enfant à chê?al dès Tàge de cinq ans; il le présente à ssi 
cavaliers comme celui qui doit les commander après lui ; le 
fils parait d'abord dans les fêtes à côté de son père ; sous F égide 
paternelle, il fait ses premières campagnes, ai^rend à obéir 
d'abord, à commander ensuite. On lé confond peu à peu danc . 
le respect voué à son père; on Tidentifie avec lui, et lors- 
qu'arrive le temps de lui succéder, la tribu l'appelle par ac- 
clamation et le suit avec confiance. 

Cela suffit pour expliquer la situation où se trouvait Âbd- 
el-Kader vis-à-vis de quelques tribus et l'écueil qu'A lui était 
difficile d'éviter en voulant les organiser dans des vues per^ 
sonnelles. Cet écueil même était tel que, pour peu que l'ad- 
ministration française se fût donné la peine d'approfondir et 
d'étudier les éléments constitutiis des tribus, leurs intérêts, 
leurs sympathies, leur organisation, eUe aurait pu trouver 
d'utiles auxiliaires dans ceux dont elle se £usait des ennemis 
et empêcher, sans prendre part à la lutte, l'accroissement de 
la puissance d'Âbd-el-Kader. Mais, en cette circonstance 
comme en tant d'autres, la France devait être victime d^ 
cette fatale routine, de cette incroyable manie d'admihistrei 
tout et toujours d'après les idées et les convenances françaises. 
Le plus simple bon sens cependant eût suffi pour faire com- 
prendre que des lions s'accommoderaient peu d'un régime 
convenable à des moutons. • 

Quoi qu'il en soit, Abd-el-Kader, sûr de trouver dans l'ad- 
ministration française une neutralité rigoureuse qui, dans 
cette circonstance, équivalait à un appui, fit hardiment tête à 
Forage, Il fit arrêter et mettre à mort Sidi-el-Arihi, battit 
Moustapha-Ben-Ismail, et convoquant, après ces premiers 
succès, les tribus intimidées des environs de Miliana, il mar- 
cha, avec leurs contingents, contre Moussa qui s'était emparé 
de la province de Tittery. Les deux troupes se rencontrèrent 
à Amoura ; Moussa, avec ses tribus du désert, fut mis en fuite 
et poursuivi jusqu'au-delà de Berouaguia. Abd-el-Kader entra 
à Médéah et y réinstalla Mohammed-el-Berkani. La situation 
des Français assistant impassibles à cette lutte de deux pré- 
tendants qui se disputaient sous leurs yeux aae partie d^ U 



ALGË1U& 371 

provinoe d'Alger, n'était pas une des chùiH Us moins cu« 
rieuses de cette période; mais Ben-Durand était parvenu à 
persuader au comte d'Ërlon qu'Abd-«l-Kader n'agissait que 
dans l'intérêt de la France et que, grâce à ces heureuses vic- 
toires, les Français n'auraient bientôt plus d'ennemis en Al* 
gérie. Dans cette confiance, le comte d'Ërlon le laissait 
faire. 

On ne sait trop jusqu'à quel point serait allée cette con- 
descendance, si le général Trézel, qui commandait à Oran et 
qui était loin de partager la confiance du comte d'Ërlon dans 
les vues désintéressées d'Abd-el-Kader, n'eût tenté pendant 
son absence de détacher de sa cause les tribus les plus puis- 
santes. Cette tentative fut suivie d'un plein succès. Les Douers 
et les Zemelas se déclarèrent sujets de la France, sous la seule 
condition d'être protégés en cas de surprise ou d'attaque. Alors 
se passa un fait assez curieux, mais qui n'était malbeurmise- 
ment pas nouveau. Le lieutenant d'Abd-el-Kader n'avait pu 
se maintenir à Médéah, et le pays était retombé encore une 
fois dans tous les déchirements de l'anarchie ; les tribus n'a- 
vaient pas cessé leurs instances pour obtenir l'autorisation du 
gouverneur-général d'Alger. L'autorité d'Abd-el-Kader se 
trouvait ainsi plus chancelante que jamais; sur le nouveau 
théâtre de ses exploits, elle était méconnue; 6ur l'ancien, les 
tribus les plus puissantes s'étaient détadiées de sa cause. Sur 
les divers partis qu'il y avait à prendre en cette ^circonstance, 
le comte d'Ërlon choisit le plus mauvais : il laissa sans réponse 
les soUicitations des tribus de la province de Tittery et refusa 
de sanctionner les mesures prises par le général Trézel avec les 
Douers et les Zemelas* 

Cependant les événements qui se passaient dans l'ouest 
avaient obligé Abd-el-Kader de quitter précipitamment la 
province de .Tittery et de partir avant d'avoir pu s'occuper 
d'oi^niser le pays. Le général Trézel, en effet, l'avait attaqué 
par son point le plus vulnérable ; il avait senti qu'aucune 
affection particulière ne liait les populations à l'Ëmir, mais 
qu'elles n'étaient poussées vers lui que par le besoin d'ordre 
«t de gouvernement régulier qui les tourmentait depuis si 



372 ALGÉRIE. 

longtemps; il avait compris que leur adhésion s'aAressail 
moins au représentant de la nationalité arabe qu*à celui qui, 
ayant la force, pouvait promettre aide et protection et ab- ^ 
sorber dans une grande unité les passions locales; il avait cm 
qu'il était impolitique pour la France d^abdiquervolontaire» 
ment un rôle doublement avantageux sous le rapport des in- 
térêts et de la dignité nationale. 

Les Douers et les Zemelas étaient venus dresser leurs tentes 
sous les murs d*Oran ; d'autres tribus paraissaient déjà asseï 
disposées à suivre leur exemple, sous la seule garantie d'une 
protection efficace, lorsque Abd-el-Kader, instruit du refus de 
sanction du comte d'Erlon et de la dissidence qui existait à ce 
siget entre le gouverneur-général et le commandant d'Oran, 
ordonna aux Zemelas et aux Douers d'aller s'établir au ped 
des montagnes. Sur leur refus, il les fit charger par El-lfzary, 
son agha. Trop foibles pour résister aux forces qui les atta* 
quaient, ces tribus envoyèrent un message au général Trézd 
pour lui rappeler sa promesse ; il répondit aux envoyés : c Un 
c général français n'a que sa parole ; dans une heure, je serai 
a au milieu de vous. » En effet, il se mit à la tête de deux ba* 
taillons, et, en peu d'instants, joignit, dans la plaine de Mî-; 
serghin, El-Mzary qui ne l'attendit pas. 

L'acte de l'Ëmir qui était venu audacieusement attaquer, 
presque sous le canon d'Oran, des tribus qui avaient réclamé 
la protection française, méritait une déiponstration éner« 
gique. 

Le général Trézel forma une petite division de deux mille 
cinq cents hommes environ, composée du V régiment de 
chasseurs d'Afrique, d'un bataillon des !•' et 66* de ligne et 
une batterie de campagne. Il se porta au camp du Figuier, 
en avant des tribus alliées, pour les couvrir. Abd-el-Kader 
demanda des explications sur ce procédé : a La France, dit 
a le général Trézel, doit à son honneur et à sa loyauté de 
« protéger les tribus qui implorent sa protection ; jusqu'à ca 
« que tu aies renoncé à tout droit de suzeraineté sur elles, 
• j'occuperai cette position. » Abd-el-Kader répondit que, sa 
religion lui défendant de laisser des musulmans sous la do* 



ALGÉRIE. 373 

mination des infidèles, il poursuivrait les tribus rebelles par- 
tout où elles se réfugieraient. C'était une véritable déclaration 
de guerre; la politique de concession^ suivie jusc^'alors à 
l'égard de l'Émir, portait ses fruits. 

Reculer devant une aussi audacieuse provocation c'était 
ternir la gloire du drapeau français : le général Trezel ne put 
s'y résoudre : il demanda des ordres et des instructions à Al- 
ger : il n'en reçut pas ; il se porta en avant. Deux escadrons 
de chasseurs et trois compagnies de la légion étrangère sous 
les ordres du colonel Oudinot formaient l'avant-garde. Après 
quelques heures de marche, la colonne arriva au lieu appelé 
Uuley-Ismaêl. Là se trouvait un épais tailUs oiij'on ne ju* 
geait pas à propos de se hasarder d'abord. Cependant quel-- 
ques reconnaissances ayant été poussées dans les environs et 
n'ayant amené aucune découverte , od s'y engagea. Tout-à- 
coup au milieu d'un terrain oii elle ne pouvait se développer 
et à peine même se tenir en ligne, l'avant-garde fut assaillie 
par la cavalerie d'Abd-el-Kader et en un instant enveloppée. 

Cette attaque si brusque jeta un moment d'indécision et de 
désordre dans les rangs. Le colonel Oudinot était parvenu 
cependant à les rallier, lorsque atteint d'une baUe en pleine 
poitrine, il tomba mortellement blessé. Les troupes étaient 
ébranlées déjà ; cette mort les frappe de panique : elles se 
replient sur le 66* qui formait le centre et était lui-même vi- ^ 
goureusement attaqué : l'avant-garde y jette le désordre ; 
l'ennemi redouble de vigueur: tout plie. L'arrière-garde 
seule n'avait pas été entamée ; mais quelques instants encore^ 
et les colonnes de fuyards, en la débordant, allaient rendre 
toute résistance impossible et compromettre de plus en plus 
la division ; le moment était critique. Heureusement le général 
Trézel fait faire un à gauche à l'arrière-garde, et la portant 
au pas de course à la tête de la colonne, ordonne la charge. 
Les Arabes sont culbutés à leur tour. Quelques compagnies 
parviennent à se reformer; mais l'ordre de marche était 
rompu; les détachements gênés dans leurs mouvements pou- 
vaient à peine attaqp» ^ le défendre; il n'y avait plus 
déroute; mais k iiffifeneot «ffi« 



374 ALGÉRIE, 

cacement agressif cm défcnsif était devenu impossible^ La 
colonne fit halte ; quelques excès, pendant lesquels les soldats, 
méconnaissant la voiï de leurs chefs, pillèrent les fourgons de 
vivres, défoncèrent les barils d*eau-de-vie, obligèrent le gé- 
néral à reprendre la marche ; la colonne arriva vers le soir 
sur les bords du Sig où elle établit son camp. La retraite de- 
venait de plus en plus difficile ; plusieurs centaines de blessés 
encombraient les prolonges, et Âbd-el-Kader, avec une cava- 
lerie nombreuse, surveillait tous les mouvements du camp 
français. U fallut cependant prendre un parti; par suite des 
désordres de la veille, les vivres commençaient à manquer, et 
}0 nombre des ennemis que, selon Tusage en Afrique» le re* 
vers augmente toujours, accroissait dlieure en heure ; ib 
étaient alors dix mille cavaliers au moins et quinze cents fan- 
tassins; les Français étaient réduits à deux mille hommes. 

Après avoir donné une nuit de repos à ses troupes, le gé- 
nérad Trézel ordonna de reprendre la marche. Voici dans quel 
ordre s'opéra le mouvement de retraite. L'avant-garde com- 
posée du bataillon d'infanterie légère d'Afrique couvrait le 
convoi qui s'avançait sur trois files de voitures et que flan- 
quaient à droite et à gauche deux compagnies de la légion 
étrangère ettleux escadrons de chasseurs d'Afrique. Le lieu- 
tenant-colonel Beaufort, avec deux escadrons de chasseurs et 
un bataiUon du 66* de ligne, formait Tarrière-garde. Une ligne 
de tirailleurs entourait la colonne qui traversa ainsi la plaine 
de Geïrat sans avoir été entamée. L'ennemi avait fait plusieurs 
eharges tumultueuses; mais, malgré sa grande supériorité 
numérique, il avait été chaque fois énergiquement repoussé 
avec perte. 

A l'extrémité de la plaine où la colonne venait de s'en- 
gager, elle avait le choix de deux routes, Tune qui conduisait 
directement à Arzeu, Tautre qui débouchait dans le golfe par 
les gorges de l'Habra au lieu où cette rivière sort des marais 
et prend le nom de la Macta. Cette dernière route était moins 
généralement accidentée ; mais elle offrait, à l'entrée des 
gorges, un défilé où la grande supériorité numérique de 
reaaemi devait lui feciliter les moyens d'attaquer avec avaii- 



AL6ËAIB. 37S 

tagô des troupes découragées déjà et embarrassées par de 
nombreuses prolonges encombrées de blessés. Le général 
Trézel prit cette dernière route; ce fut une faute. Abd-el- 
Kader déroba quelques milliers de caTaliers et les lança à toute 
bride vers le défilé bordé à gauche de hauteurs facilement 
accessibles et couronnées de massifs clairsemés de hautes 
broussailles très propices pour des embuscades, et à droite 
par les rives marécageuses de la Macta. Les Arabes ne tar- 
dèrent pas à occuper sur une assez grande étendue la partie 
boisée, cachés à la faveur des accidents de terrain ou des buis-* 
sons. Le bataillon d'infanterie légère d'Afrique, qui formait 
l'avant-garde, était à peine engagé dans le défilé, qu'une 
grêle de balles et de pierres vint Tassaillir. Ces braves char- 
gèrent à plusieurs reprises les Arabes , mais ces derniers 
étaient si disséminés que les charges frappaient presque tou- 
jours à vide. Bientôt, entourés d'ennemis, chargés en tête et 
en flanc, les Français furent entamés, rompus et se replièrent 
en désordre sur le gros de la colonne. En même temps, l'ar- 
rière-garde, ayant fait un mouvement en avant pour venir 
appuyer la tête de la colonne, laissa le convoi à découvert. 
Les Arabes profitèrent de cette imprudente manœuvre pour 
charger le derrière de la colonne ; malgré des efiEDirts inouis 
de courage individuel, ils y firent une trouée assez forte 
pour jeter partout l'épouvante et le désordre. La voix des 
chefs est méconnue; les fiintassins jettent leurs armes; les 
soldats du train coupent les traits de leurs chevaux et s'en*- 
fuient; les caissons sont abandonnés; tout se déborde; tout 
fuit; la déroute est au comUe. Heureusement les Arabes, au 
lieu de poursuivre leurs avantages, perdent un temps précieux 
à pilier les bagages, à couper la tète aux blessés, selon leur 
usage. Pendant ce moment de répit, une partie des détache- 
ments parvient à se rallier sur un mamelon, non loin de ce 
champ de carnage; pour se faire entendre des fuyards, ils 
entonnent en chœur la Marseillmej agitant leurs ^akos au 
bout de leurs fusils pour se faire découvrir au loin. Peu à peu 
les détachements se rallient et se reforment autour de ce 
iK^atti tes Français prenoent à leur tour roffeoiive; l'artil* 



376 ALGÉRIE. 

lerie crible d'obus et de mitraille les masses compactes des 
Arabes; la cavalerie les charge à fond^ l'inSuiterie à la baïon- 
nette. Ces énergiques efforts dégagèrent la voie; la colonne 
put continuer son mouvement de retraite, sans que les Arabes 
chargés de butin songeassent à l'inquiéter sérieusement. Elle 
arriva à Arzeu après une perte de près de mille hommes. Tel 
fut le désastre de la Hacta. 

Abd-el-Kader tira parti, à sa manière, de l'échec qu'il avait 
fait subir aux armes françaises. Il répandit partout le bruit qu'il 
venait de remporter une grande victoire et il l'appuya des 
seules preuves admises dans ce pays ; des mulets chargés de 
tètes de Français furent promenés de Mascara à Bliddi : les 
Arabes ne comprennent pas d'autre bulletin de victoire. 

Dans cette fatale affedre qui grandit outre mesure la puis- 
sance d' Abd-el-Kader, le général Trézel n'eut qu'un tort à se 
reprocher : ce fut celui de s'être montré jaloux de l'honneur 
et de la dignité de la France quand le gouvemeur^énéral et 
le ministère français s'en montraient si peu.soucieux. L'échec 
qu'il avait éprouvé était une de ces malheureuses chances de 
guerre auxquelles tout général peut se trouver exposé. Son en- 
treprise ne sortait pas de la sphère de ces faits militaires que le 
succès justifie toujours et que le revers fait taxer d'impru- 
dence. Hais alors comment qualifiera-t-on cette incroyable 
insouciance du gouverneur général qui , ayant à sa dispo- 
sition plus de vingt mille hommes inoccupés, laissait un brave 
général combattre avec deux mille cinq cents hommes seule- 
ment le seul ennemi que les Français eussent alors en Algérie. 
Mais il était dit que chaque administration nouvelle devait 
tour-à-tour et par des inspirations désastreuses dérivant de 
causes diverses, compromettre de plus en plus la conquête de 
la France. 

Le comte d'Erlon, au lieu de cherchera venger immédia- 
tement l'échec du général Trézel, se contenta d'envoyer à 
Oran le chargé d'affaires d' Abd-el-Kader, Ben-Durand, avec 
la mission de le renseigner sur la situation des affaires. Par le 
choix étrange de cet homme tout dévoué à l'Émir, c'était 
d'avance lui donner gain de cause. En effet, à la suite du rap- 



ALGÉRIE. zn 

pel du juif, le général Trézel fut immédiatement rappelé, et, 
pour renouer à tout prix la paix avec Abd-el-Kader, lesDouers 
et les Zemelas durent rentrer sous sa domination. 

Cette dernière détermination avait un tel caractère de con- 
cession honteuse que le Conseil de Régence s'y opposa énergi- 
quement, et qu'il fut décidé, contrairement aux intentions du 
gouverneur, que ces tribus ne pouvaient être abandonnées à 
la vengeance de l'Émir, sans honte pour la France. Elles fu- 
rent mises sous le commandement immédiat d'Ibrahim kaid 
de Mostaganem, dévoué aux Français et jouissant, parmi les 
Arabes, d'une grande considération personnelle. 

Lorsque ces événements furent connus en France, Topinion 
publique, douloureusement impressionnée, s'indigna que tant 
de sacrifices, tant de sang versé n'eussent encore produit que 
des résultats négatifs et n'eussent servi qu'à fortifier une puis- 
sance rivale qui contestait ouvertement une conquête si chè« 
rement achetée. On se demandait si le gouvernement de 
France s'était mis à la remorque de l'Émir et si cette politique 
ambiguë, qui consistait à protester publiquement contre l'a- 
bandon d'Alger, et à tout foire en secret pour que les événe- 
ments amenassent la nécessité de cet abandon, n'était pas une 
de ces roueries gouvernementales par lesquelles on se joue si 
souvent impunément de la confiance d'un peuple. Les déplo- 
rables nouvelles que chaque jour on apportait d'Afrique alimen- 
taient ces défiances et cette irritation. Le revers de la Mac ta 
avait réveillé le fanatisme en Algérie : des ennemis surgissaient 
de partout et Abd-el-Kader grandissait parmi eux de tout ce 
que la France perdait de considération, d'autorité, de con« 
fiance et, disons-le, d'honneur. 

Le retard que mettait le gouvernement français à venger 
les échecs que subissaient ses armes, venait encore en aide à 
Abd-el-Kader qui s'écriait dans ses proclamations : a Vous le 
« voyez, guerriers de Touest , je suis plus puissant et plus fort 
€ que le roi des Français ! Il lui faut des mois entiers pour ras- 
« sembler des soldats en assez grand nombre pour essayer de 
a venger leurs frères que nous avons vaincus, tandis qu'en un 
« instant vingt et trente mille guerriersse réunissent à mavoix.» 



378 ALGÉWE* 

Une dftîBstânce (Jûî semblait calculée dâtis lïtfS pf évîsîèn 
affreuse, vint donner un certain degré de probabilité à toutes 
les accusations qui s'élevaient contre la politique tortueuse du 
ministère en ce qui concernait l'Afrique. Au moment ^où, de- 
puis Médéah jusqu'à Tiemcen, les villes et les tribus se grou- 
paient autour d'Abd-el-Kader, où, exaltés par le succès de la 
Macta, des marabouts fanatiques prêchaient de nouveau la 
guerre sainte, la légion étrangère, forte de cinq mille hom- 
mes et dont la majeure partie se trouvait dans la province 
d'Oran la plus menacée, reçut Tordre de passer en Espagne 
pour assurer le triomphe de Marie-Christine. Elle était censée 
aller dans la Péninsule pour combattre en faveur des princi- 
pes delà révolution de juillet, mais comme l'opinion un [peu 
ardente de cette légion était depuis longtemps un embarras 
pour le ministère, on se rappela involontairement, en cette 
circonstance, le mot cruel du cardinal Ximenès après le dé- 
castre de Francisco de Vero, en 1516, en Afrique (1). 

Le départ de la légion étrangère fut en Afrique le signal 
d'une levée de boucliers générale, et partout où il y eut des 
Européens à égorger, les Arabes et les Kabyles se montrèrent 
en armes. Ce résultat était prévu : un cri d'indignation gé- 
nérale retentit de tous les coins delà France, et cette fois en- 
core le mauvais vouloir du gouvernement dut céder. Le comte 
d'Erlon fut rappelé et remplacé par le maréchal Clausel. 

Cette nomination d'un homme qui était aloi^s la personnifi- 
cation du système de colonisation, dont le ministère ne sô 
souciait guère et qui avait contre lui, dans les Chambres, sous 
la dénomination d'ennemis de la colonisation, quelques-utis 
de ces politiques isans cœur gui. trop peu riches de leur propre 



0) Le 30 septembre 1516, une flotte de quatfê-vinglâ navires, portant Irail t 
mille hommes de troupes, était sortie du port de Garthagèoe, sous lei^ ordres de ' 
Francisco de Vero, pour aller combattre, à Alger, le pouvoir naissan\'> d'Aroudj 
(Barberousse). Celle armée expéditionnaire, mise en pleine déroute^ par les 
Arabes, assaillie à son tour par une épouvantable tempête, rentra ep l'Espagne 
diminuée de plus des trois quarts. Le cardînat Ximenès, lorsqa*â ffiçk^ cette 
nouvelle, s'écria : o Dieu merci 1 Yoilà lË^pague pmrgéede [ 
« vais garnements l i» ^ v i . 



ALGÉRIE^ 37d r 

{ondSj ne peuvent se mettre en évidence qu'en critiquant les 
actes des autres, prouva, plus que tout, jusqu'à quel point 
l'irritation publique influa sur les décisions ministérielles. En 
effet, le général Gausel avait donné tant de gages de dévoû- 
ment au système d'occupation et de colonisation, que sa no« 
mination seule légitimait toutes les espérances à ce sujet. Mal- 
heureusement le$ actes ultérieurs du ministère ne répondirent 
oas à celui-là. 






CHAPITRI THU 



fital de rAfrique française à l'arrivée dn maréchal Clainel: — Arrirage des 
renforts.-— Expédition de Mascara.— Expédition de Ttemcen.— CkmtrîlNh 
tion de Tlemoen. — Résultats de ces expéditions. <— Rappel des troupes. -* 
Le ministère parait vonloir prendre intérêt à la question d'Afriqae.— Co- 
terie des opposants. — Le maréchal Glausel est mandé à Paris. — Nouvelle 
anarchie dans la colonie.— Le général Rapatd à Alger. — Le général d*Ar* 
langes à Oran. — Situation critique du général d'Arlanges sur la Tafiia. — 
Arrivée du général Bngeand à Oran.— Combat de la Sîckac.— Défait» 
d*Abd-el-Kader. 



Le maréchal Glausel fut reçu en Algérie avec une enthou- 
siasme qui était la critique la plus amère contre les administra* 
tiens précédentes et contre la politique du ministère en ce 
qui concernait Alger. Le choléra y exerçait alors ses ravages^ 
et la population avait à lutter contre ce terrible fléau et contre 
celui plus terrible encore du mauvais vouloir d'un gouverne- 
ment qui, en tout et pour tout, semblait n'avoir agi jusqu'alors 
qu'en vue contraire des intérêts de la conquête. 

On avait promis au maréchal Glausel des renforts pour ven« 
ger l'échec de la Macta. Mais cesmêmes hommes qui, toujours 
prêts à critiquer des mesures utiles, s'élevaient en toute occa-^ 
sion, contre elles, dans des vues purement personnelles , saisie 
rent avec avidité l'occasion qui se présentait d'entraver let 
vues du maréchal Glausel. Le choléra leur servit de prétexte^ 



'■ ALGÉRIE. ., 38i 

Ils s'étaient déjà posés comme ennemYSm% colonisation^ 
c'était quelque chose ; mais battus une fnretnière fois sur le 
terrain des chiffres, ils se réjetèrent cette fois-ci sur le terrain 
du sentiment : ils firent un tableau déchirant des vides que 
ferait le choléra parmi les soldats de Texpédition projetée, et 
avec quelques élans de ce sentimentalisme larmoyant qu'ils 
ont au service de toutes les causes où leur intérêt peut trouver 
son compte, ils parvinrent à faire ajourner l'envoi des renforts. 
Le ministère qui ne demandait pas mieux, se rendit sans peine 
à leurs raisons. Ce fut là une de ces petites comédies jouée au 
profit do quelques ambitieux qui avaient soif de renom et dont 
la France seule payait les frais. 

Pendant ce temps le maréchal Glausel, attendant toujours 
les renforts promis, essayait de relever l'administration fran- 
çaise tombée si bas en Algérie, qu'un grand coup de vigueur 
était devenu indispensable pour lui redonner une faible partie 
de l'éclat et du prestige dont elle avait si passagèrement brillé. 
D voulut rétablir des beysàMédéah,àCherchell,maisiltrouva 
partout l'influence française si déchue qu'il fut obligé d'y re- 
noncer. 

Cependant la situation de la colonie française devenait cha- 
que jour plus précaire. Sidi-Ben-Em'Barak qu'Abd-el-Kader 
avait institué bey à Milianah, tenait la plaine avec plusieurs 
milliers de cavaliers : les Hadjoutes sous le commandement du 
kaîd donné par Âbd-el-Rader, venaient égorger les postes 
français jusque sur le massif d'Alger, et avaient repris le cours 
de leurs brigandages: d'autres tribus enhardies par l'impuni té 
se montraient partout menaçantes ou hostiles. A Oran, le gé- 
néral d' Arlanges qui avait remplacé le général Trézel ne 
pouvait plus sortir de ses retranchements : la garnison réduite 
à une faiblesse extrême par le départ de la légion étrangère, 
était journellement attaquée et ne pouvait repousser que par 
des efforts inouis de courage, des attaques toujours renou- 
velées ; elle n'avait pu prendre une seule fois l'offensive, étant 
assez nombreuse à peine pour garder les forts et la ville. 

De tels excès de la part des Arabes ne pouvaient être plus 
longtemps toléréi ttot OMnpromettre d'une manière irremé« 



88S ALGËRIE. 

diable rautorité française. Le maréchal Glaïuel sentit qu'une 
grande responsabilité pesait sur lui et, saos consulter le m- 
nistère qui sans doute aurait refusé son consentement, il ^rcH- 
jeta une petite expédition dont les résultats matériels pou* 
i vaient étrç sans i^eur, mais dont l'effet moral ne pouvait 
qu'être avantageux pour l'autorité française. D réunit toutes 
les troupes dont il pouvait disposer et parvint avec beaucoup de 
peine à former un corps de (quatre mille huit cents hommes. 
Avec ces faiblea troupes il n'hésita pas à marcher contre Sidi- 
Em'Barak : les soldats avaient à venger tant d'injures, tant de 
griefs accumulés qu'ils suivaient leur nouveau général avec une 
confiance qui pr^ageaitle succès. En effet, à quelques heures 
de marche de Bouffsuîk , la colonne expéditionnaire ren- 
contra les troupes du Ueutenant d'Àbd-elrKader : le signal 
de l'attaqueUest donné : l'ennemi occupait ({uelques mamelous 
où il se déployait en deux longues lignes sur plusieurs points 
de profondeur : le maréchal Qausel plaça en tête de lacolcmne 
quelques pièces d'aHUlerie. Après plusieurs décharges à mi* 
traille, les Français s'avancent à la baionnette, rompent du 
premier choc la ligne ennemie et la mettent entre leurs feux 
de peloton et celui de la mitraille : en moins d'une heure 
la déroute fut complète. Poursuivi avec acharnement, l'ennemi 
ne put se rallier que deux jours après : battu 'encore une se- 
conde fois, il le fut enfin une troisième et refoulé jusque dans 
les montagnes. Le maréchal Clausel se retourna *alors contre 
les Hadjoutes, les poursuivit sans pouvoir les joindre et dé- 
truisit sur leur territoire tout ce qui se trouva sur son passage, 
douairs, gourbies, jardins et cultures. 

Dans cet intervalle, les renforts si impatiemment attendus 
arrivèrent; on était alors en novembre, le maréchal était à 
Alger depuis quatre mois. Les H me et 47^0 de ligne, les 2m«. 
et I7°^e légers, une compagnie de mineurs, trois compagnies 
de sapeurs, huit obusiers et une batterie de montagne, étaiem.' 
arrivés à Oran. Plusieurs officiers généraux, sensibles au dé- 
sastre de la Macta, avaient demandé à faire partie de l'expédi- 
tion : de ce nombre était le duc d'Orléans. Tout ce qui avait 
un sentiment de l'honneur national en France, avait senti la 



ALGÉRIE^ 383 

Gontra-coup de cet échec; cette classe d'hommes seule dont 
nous avons déjà parlé n'y avait vu qu'un texte à ses déclama* 
tions contre la colonisation : c'était à sa fatale influence qu'é- 
tait dû le retard de l'envoi des renforts, et le ministère n'avait 
enfin cédé qu'à une intervention puissante. Comme nous nous 
sommes imposé le devoir d'une rigoureuse impartialité, et de 
faire à chacun sa part dans une œuvre où nous avons malheu- 
reusement peu de choses à louer, nous dirons que cette inter- 
vention était celle du duc d'Orléans. 

Le 21 novembre 1835, le maréchal Clausel arriva à Oran; 
il avait amené avec lui un bataillon de zouaves et trois compa- 
gnies d'éhte, prises dans les 13"% 63"* de ligne et 10"* léger.' 
•La colonne expédionnaire, forte de onze mille hommes envi-^ 
ron, sortit d'Oran le 25 : le maréchal Clausel en prit le com* 
mandement. 

Âbd-el-Eader s'était préparée une vigoureuse résistance; 
le ministère français lui avait donné tout le temps nécessaire 
d'organiser ses réguliers, de réunir ses contingents, d'asseoir 
son autorité sur toutes les tribus de l'Ouest, sur une grande 
partie de celle des province d'Alger et de Tittery, et de pou- 
voir entrer en campagne avec des forces considérables. L'émir 
avait avec habileté profité de ce répit, et n'avait pas laissé - 
un seul allié, une seule tribu amie à la France. Il est vrai qu'il 
ménageait ainsi plus de gloire aux troupes françaises, mais 
ce n'était là probablement ni son intention, ni celle des mi- 
nistres de France. 

Quoi qu'il en soit, Abd-el-Kader réunit ses forces au pied 
des montagnes de TAtlas qui bordent la Sig, et lança de nom- 
breux détachements en avant pour surveiller, harceler, in- 
quiéter l'armée française, ou faire main-basse sur les traînards 
et les maraudeurs. 

L'armée française bien pourvue de vivres et de munitions, 
marcha plusieurs jours sans rencontrer l'ennemi ; les tirailleurs 
seuls qui flanquaient lesaileseurent à échanger quelques coups 
de fusil avec des détachements isolés qui se tinrent constam- 
ment à l'écart. Le 1^^ décembre, en vue de la cavalerie enne- 
mie qui avait dressé ses tentes en avant de la Sig, les soldats 



384 ALGERIE. 

français ne demandaient qu^à combattre, tiês Arabes firent 
quelques charges tumultueuses qui, quoique exécutées avec Ti« 
gueur, furent encore plus Tigoureusement repoussées: chargés 
à leur tour à la baïonnette, ils ne tinrent nulle part, leur 
camp resta au pouvoir des Français. Profitant de ce premier 
avantage, le maréchal Clausel fît jeter sur la Sig des ponts de 
chevalets, sur lesquels passa l'armée entière sans avoir été sé- 
rieusement inquiétée. Le 3, les Arabes occupaient aune demi- 
lieue de là le bois de FHabra, dont de nombreux accidents de 
terrain faisaient une assez forte position défensive. L'armée 
entière se porta vers le bois sur trois colonnes; la lutte s'engagea 
ardente, opiniâtre, sur un front très développé, on se battit corps 
à corps, mais des charges vigoureusement exécutées refoulèrent 
l'ennemi de toutes parts. Le duc d'Orléans chargea lui-même 
avec intrépidité à la tête d'un bataillon du 17™ léger, et par- 
vint à déborder la gauche de l'ennemi qui, se voyant prêt 
d'être enveloppé, ne tint plus nulle part : cette action avait 
duré depuis six heures jusqu'à midi. 

La cavalerie de l'Ëmir avait pris peu de part à cette affaire; 
le terrain n'était pas favorable, elle était en masses compactes 
au fond de la vallée, barrant la route des montagnes. Le ma- 
réchal Clausel fit faire un à droite à toute l'armée et la porta 
vers la montagne, tandis que Tartillerie prenant position sur 
un rideau élevé qui dominait la vallée, ouvrit, sur la cavale- 
rie, un feu nourri de boulets et d'obus qui y jeta le plus grand 
désordre : l'atillerie arabe essaya de riposter, mais son feu fiit 
bientôt éteint. 

Cependant l'infanterie d'Abd-el-Kader , débusquée du bois 
de l'Habra, s'était ralliée et embusquée, à la hauteur !es 
quatre marabouts de Sidi-Embarak , dans un profond ravin 
traversant une vallée assez étroite, où, par suite de son chan- 
gement de direction , l'armée française avait à s'engager. 
Pour appuyer ce mouvement, quelques pièces de canon 
avaient été postées sur un des premiers mamelons. Cette posi- 
tion était formidable. La tête de la colonne, qui s'était enga- 
gée dans la vallée , 'avait été accueillie par un feu très vif de 
mousqueterie et d'artillere , et gênée , dans ses mouvements 



ALGÉRIE. 305 

ûim Télroîte poi^e où elle était, ne pouvait y répondre qu'a- 
vec beaucoup de désavantage. Un n.euvement hardi et vigou- 
reusemeLt exécuté pouvait seul assurer, sur cette partie du 
champ de bataille, le succès qi i s'était prononcé partout. Il 
fut tenté. Deux compagnies des bataillons d'Afrique s'élancent 
au pas de course, abordent l'ennemi à la baïonnette : d'autres 
compagnies, appuient les premières et étendent peu à peu le 
front de la ligne : les Arabes opposent la baïonnette à la 
baïonnette, et résistent au premier choc, mais bientôt ils s'é- 
branlent , plient et s'enfuient en désordre. L'ennemi ne tenait \ 
plus nulle part. 

Deux défaites successives, éprouvées par Abd-el-Kader en 
trois jours, avaient vengé l'échec de la Macta, mais ne 
lavaient pas réparé. Les soldats étaient pleins de courage et 
d'espérance : ils s'étaient battus dans la journée du 3 avec un 
entraînement irrésistible : leurs chefs , du reste , leur en 
avaient donné l'exemple. Ils ne demandaient qu'à voir l'en^ 
nemi. Mais Abd-el-Kader avait déjà vu son armée duninuée 
de près de deux tiers. Selon leur usage, les Arabes vaincus 
s*étaient dispersés ; les uns avaient regagné leurs douairs, les 
autres le désert. Abd-el-Kader n'était pas même en mesure 
de défendre Mascara dont il avait fait sa capitale et sa place 
d'armes. Il s'était contenté de détruire les ateliers de toule 
espèce qu'il y avait élevés , avait pris avec lui toute la popu- 
lation musulmane, et n'ayant laissé que les juifs, il s'était en- 
suite retiré à trois lieues au sud, à Cachero , avec les débris de 
^s contingents et les populations qu'il traînait à sa suite. 
Puis , pendant que l'armée française devait poursuivre des 
avantages qu'il n'était plus en mesure d'empêcher, il allait 
s'occuper de s'assurer une autre armée et de détruire, par 
ses prédications, ou par quelque aventureuse expédition, Tef- 
fet des défaites qu'il venait d'essuyer. 

Après quelques heures de repos , les Français se remirent 
en marche et reprirent la route de Mascara , où ils arrivèrent 
le 6 décembre sans coup férir. Le maréchal et le duc d'Or- 
léans logèrent dans le palais du beylik qu'avait occupé Abd ! 
«1-J^adei:. I^^lat-major, l'artillerie^ les zouaves , et quelques 

i5 



fiift âLOBBIIL 

eompagr.!», î*ét*M»'^*t dam U ?«!« : !« r«||« ^ Vê^ 

née occupa les faubourgs ou prit «e» Mvqimw» gHtQ\ir 4^ J# 
ville. 

Si le maréchal Glauscl eût pu séjourner k Mvseam, v pr<H 
flter de l'effet que la panique de la prise de la capitale de i Ëmir 
avait jeté 9 y attendre les dèputalions des tribus que Téabcf 
que venait de recevoir Abd«el-Ra4cr ne pouv ail manquer de 
détacher de sa cause, y installer un bey et y laisser quelques 
troupes pour le soutenir, cette expédition, si vaillamment 
conduite , aurait pu avoir de plus grands résultats. Mais ic 
maréchal savait que le ministère n'avait mis à sa diapositiou 
des renforts envoyés que pour un temps déterminé, que 
Toccupation de Mascara pourrait, dès lors, n'étrt que pror 
visoire, et que c'était, ou compromettre inutilement ua 
corps jeté si loin de Toccupation^ centrale , ou s'exposer à être 
obligé de le rappeler, et rentrer dans cet impolitique système 
d'abandon qui, à Blidah, Médéah, et primitivement à Bone 
et à Oran, avait eu des conséquences si fatales pour rautorité 
française. Il préféra l'abandon pur et simple, et le 9 décembre 
il reprit la route d'Alger, après avoir incendié les constnio- 
lions élevées par l'Ëmir et les matériaux qu'il y avait réunis. 

L'armée, à son retour, n'eut à lutter d'abord que contre Je 
mauvais temps. Mais celte lutte fut terrible. 

Deux brigades furent exposées pendant quarante-huit 
heures à une forte pluie , sans pouvoir allumer des feux. OUI- 
ciers et soldats, accroupis dans la boue et immobiles, avaient 
dû attendre que le déluge cessât. Puis ces pluies torrentielles 
avaient tellement défoncé les chemins, qu'on vit, dans ces 
moments affreux, des chameaux, des mulets, si profondément 
ensevelis sous la boue , qu'on ne pouvait reconnaître la place 
où ils venaient de tomber que par le mouvement de la vase 
où ils s'agitaient. Â ces causes, qui retardèrent la marche au- 
delà du terme prévu, se joignirent le manque d'eau et de bois. 
Puis vinrent des nuées d'Arabes qui, d'après leur habitude, 
suivaient les derrières de l'armée et se jetaient, comme des 
corbeaux dévorants, sur les malheureux que la faim, la soif, 
ou les fatigues, obligeaient cie rester en arrière. ^ seèiifi «te 



ALGÉRIE. 967 

désolation , où toutes les misères humaines semblaient s'être 
réunies , durèrent dix jours, jusqu'à ce que l'armée fut rentrée 
à Mostaganem. Du reste, cette expédition de Mascara eut pour 
résultat de détruire une partie du prestige dont s'était envi- 
ronné Âbd-el-Kader, de détacher do son parti quelques 
hommes influents, de réhabiliter, aux yeux des Arabes, 
l'autorité française, et de rétablir les bons rapports des tri- 
bus incertaines avec celles qui avaient accepté la domination 
de la France. 

£n ne pas occupant Mascara , le maréchal avait agi prudem- 
pent. En effet, le ministère se hâta de rappeler un des régi- 
ments de renforts qu'il avait envoyé. 

Certes il eût été rationnel de laisser au maréchal toutes ses 
forces pour qu'il pût mettre à profit le succès que venait d'ob-, 
tenir Tarmée, frapper sur plusieurs points à la fois des coups de 
vigueur qui ébranlassent partout celte autorité rivale qui dis* 
putait TÂlgérie à la France; mais la politique tortueuse Tavait 
emporté encore une fois, et les ennemis de tout progrès 
en Afrique se promettaient bien de ne pas borner là leurs 
succès. 

Pendant qu'en France, sous les dehors d'un patriotisme 
très problématique, des ennemis des étabhssements français en 
Algérie, faisaient de leur mieux les affaires d'Abd-el-Kader, 
l'Émir en Afrique ne les négligeait pas. Le tentps que le mi- 
nistère français avait employé à affaiblir l'armée d'occupation, 
il Tavait utilisé à se créer de nouvelles forces. Bientôt il fut 
en mesure de marcher sur Tlemcen, dont la prise pouvait 
compenser la destruction de Mascara et paralyser l'eifet moral 
de l'échec qu'il avait éprouvé. 

Tlemcen ou du moins le Mechouar (la citadelle) était alors 
occupé par des Koulouglis à la solde de la France, qui s'étaient 
montrés assez dévoués à la cause française. Déjà une fois, 
Abd-el-Kader s'était porté sur Tlemcen, et les Koulouglis, tout 
en protestant de leur attachement pour lui, avaient refusé de 
lui livrer le Mechouar. Abd-el-Kader n'étant pas alors en 
mesure de s'en emparer par la force, avaitr dévoré ce refus en 
VffUw^^ se Utomettant de s'en venger à la première occasion. 



. « 



38fl ALGÉRIE. 

Après Vécliec de Mascara, TIemcen lui apparut comme tme 
compensation suffisante, et il fit tous ses préparatifs pour une 
attaque régulière. 

Le maréchal Clause!, instruit des projets de Témîr, ne pouvait 
laisser les Koulouglis sans secours : c'eût été livrer TIemcen. 
Il projeta donc une expédition nouvelle , mais il manquait 
totalement de moyens de transports que le ministère lui avait 
refusés; il fallut en créer; près d'un mois fut perdu à ces pré- 
paratifs. Mais pendant ce temps, par suite d'une de ces inter- 
ventions providentielles qui semblaient déranger à plaisir tous 
les mauvais vouloirs qui venaient de France, le maréchal vit 
accroître son armée d'auxiliaires assez précieux. Dès la pre« 
mière démonstration de force faite par la France, des homioes 
influents des tribus s'étaient détachés de la cause d'Ab-el« 
Kader. Du nombre des premiers était El-Mezary, neveu de 
Mustapha-ben-Ismaël et Âgha de l'émir, qui prit le comman- 
dément de quatre cents cavaliers Douers et Zmelas pendant 
. l'expédition de TIemcen. Parmi les autres, on comptait cinq 
cents cavaliers du désert d'Angad, dont la haine contre Abd« 
el-Kader était comme celle de presque tous les nomades 
d'Afrique, basée sur d'inconciliables préférences de race et 
d'aristocratie. Nous avons précédemment développé les causes 
de ces préférences qui se sont produites, toujours les mêmes en 
toute circonstance et dont l'uniformité prouve d'une manière 
évidente que si, dès le début, les Français avaient su tirer 
parti de cet élément, ils se seraient aplanis bien des difficultés. 
Mais il eût fallu pour cela et pour ne pas blesser les suscepli« 
bilités de ces tribus sortir totalement, dans les rappcftls réci* 
proques, de l'ornière administrative: ce qui n*est pas facile en 
France, et ce qui retardera d'un demi-siècle au moins le dé- 
veloppement intégral de la puissance française en Afrique. 

Le 8 janvier 1836, l'expédition contre TIemcen sortit d*0- 
ran ; elle était composée de sept mille hommes et de mille 
auxiliaires environ. Le maréchal Clausel la commandait en 
personne ; il était accompagné des généraux d'Arlanges et 
Perregaux. 

TIemcen était jadis une ville florissante; les traditions ara^ 



âLGËKIE. 389 

bes umi imanimes sur ce point : les traces de son ancienne 
enceinte ne démentent pas les traditions. Du temps des Ro« 
mains elle faisait partie de la Mauritanie césarienne, et se 
nommait Tremwi Colonia. Sous la domination des Maures, 
elle devint la capitale d'un royaume qui prit son nom. Au 
commencement du XVI^ siècle elle reconnut momentanément 
la domination espagnole, et fut détruite en 1670 parles Turcs; 
elle renfermait, dans le temps de sa splendeur, une popula- . 
tion de cent mille habitants au moins. Sa position du reste ^ 
explique cette grande agglomération. Dominant le fertile bas- 
sin du Salsaf et de User, située à peu de distance de la riche 
vallée de la Makerra, elle était le grenier naturel de toutes 
ces contrées, le marché où les tribus nomades des Ângad et 
du Sersou venaient chercher leurs approvisionnements. Des 
oliviers, des arbres fruitiers magnifiques couvrent ses environs, 
que sillonnent et fertilisent de nombreux cours d'eau tom« 
bant en cascades du Djebel-Jhierné; puis son voisinage du 
Maroc en faisait un entrepôt important oii venaient af&uer 
et s'échanger les produits des deux pays. Mais tourà tour en- 
vahie par la Marocains, les Turcs et les Espagnols, déchirée 
par les dissensions intestines des Hadars et des KoulougUs, une 
décadence rapide a succédé à sa splendeur et des ruines seules 
attestent ce qu'elle fut. 

Deux sources de richesses cependant qu'elle possède en- 
core, n'ont pu être taries par ces guerres qui l'ont successi- 
vement ravagée. C'est d'abord Fadmirable fertiUté de son sol 
qui n'attend que des bras pour les récompenser de leurs tra- . 
vaux ; ensuite sa position frontière qui, en temps de paix, 
doit lui assurer des relations commerciales très étendues et 
qui, en temps de guerre, doit en faire un point militaire très 
important. Depuis l'occupation des Français, de grandes amé- 
liorations et de nombreux travaux y ont été faits. Mais, à 
l'époque de l'expédition elle n'avait qu'une enceinte d'un dé- 
veloppement de quatre mille dinq cents mètres, quelqu^ rues 
étroites, tortueuses, bordées de maisons eA ruines, mais om- 
bragées la pluj^rtdedélicieuses tonnelles couvertes de treilles, 
1 Nlenaient de l'ombra et de la fraiçheuv. Quatre à 



390 ALGÉRIE; 

cinq mille habitants formaient toute sa popt)tatf0ll : tfànêlc 
M^clwuar seul^ étaient seize eents Turcs ou Koulouglis atec 
leurs familles : quatre à cinq cents environ étaient en état de 
porter les armes. » 

Le 12 janvier Tannée expéditionnaire partie d'Oran, après 
avoir bivouaqué sur les bords de TOued-Malab , là même oti 
en 1517, fut tué par les Espagnols l'aîné des Barberousse, puis 
à Ain-el-Bridja, remarquable par ses nombreuses ruines ro- 
maines , arriva sur les bords de TAamiguer. Deux heures do 
marche la séparaient seulement de Tlemcen. 

Jusque là elle avait parcouru un pays très accidenté, oh so 
trouvaient des points qui auraient pu être facilement défendus, 
et cependant Tennemi ne s'était montré nulle part. Le bruit 
de la marche de l'armée française avait intimidé les tribus, et, 
malgré tous ses efforts , Âbd-el-Kader n'avait pu les réunir 
en assez grand nombre pour attendre les Français. Après 
quelques attaques infructueuses contre le Mcchouar il s'était 
éloigné de nuit, emmenant avec lui, selon son habitude, de gré 
ou de force, la population musulmane. Les Koulouglis ouvri- 
rent les portes du Mechouar aux Français, qui, comme à Mas- 
cara, ne trouvèrent dans la ville que les juifs. 

Abd-el-Kader avait campé à deux lieuesde là sur le plateau 
d' Aouchba avec son infanterie régulière, sa cavalerie , les con- 
tingents de quelques tribus, et les populatfOns qu*îl traînait à 
sa suite. Son camp occupait un emplacement assez spacieux. 
Le maréchal Clausel lança contre lui deux de ses brigades et 
tous les auxiliaires. Mustapha-Ben-Ismaël avec ses Koulouglis, 
El-Mezari avec les Douars, lesZmelas et les cavaliers du désert 
d'Angad. Les troupes de TÉmir ne tinrent nulle part. A I3 
première décharge sa cavalerie plia, faibUt,etsc tint constam- 
ment hors de portée. L'infanteiie opposa plus de résistance; 
mais vigoureusement attaquée par les auxihaire^ elle 83 replia 
sur la cavalerie où elle jeta du troubb et du désordre : une 
charge à fond acheva de les dispsrser: la déroute devint com- 
plète : le camp, les bagagesde rÉrair restèrent au pouvoir des 
Français. Le pillage du butin fut abandonné aux auxiliaires 
qui s'acquittèrent de cette tâche avec une scrupuleuse ngiditéu 



ALGKRUBi 391 

L'Éditi^ n^éélfappÉ qtie par la fuite à la poursuite de quelques 
indigènes : il ne dut soii salut qu'à la \itesse de son che\al et 
tîe s'arrêta que chez les Beni-Amer qui lui accordèrent ua 
asyle, ainsi qu'à quelques uns de ses ofliciers qui raccompa* 
gnaient. La colonne rentra à Tlemcenle 17, chargée de butin 
6t amenant deux ou trois mille prisonniers de tout sexe et de 
tout âge, ramassés chez les Kabyles des montagnes de Beni- 
Ismaôl, qui s'étaient montrés fort mal disposés envers les 
Français* 

Cottime t)oînt militaire , Tlemcen était d'une si haute im- 
))ottance, que le maréchal Gausel se décida à le conserver; 
mais pour le faire avec quelque elBcacité , il fallait établir et 
asstirelr des communications qui n'existaient pas. Dans cette 
))rêvis{on, il avait, avant son départ d'Oran , fait occuper la 
)>étiteil6 d'Harshgoun : c'est un rocher situé à la hauteur do 
Tlemcen sur la plage de la Tafna dont il domine l'embouchure. 
L'occupation de ce point, situé presque à l'extrême limite dos 
possessions françaises, ofiGrait plusieurs avantages : il pouvait 
seirviràMirveiller les côtes, assurer des bénéfices de commerce 
éû temps de paix, prévenir la contrebande en temps de guerre, 
etenâtt faciliter les communications avec Tlemcen. Le maré- 
chal ée porta avec le gros de l'armée sur la Tafna pour explo* 
retléè points intertnédiaires et voir jusqu'à quel point, dans 
Tétat OU éMïnt les bhoses, les communications entre Uarsh* 
gëtîit ëtTlemcen étaient faciles ou possibles. 

Abd-el-Kader dont la sagacité est rarement en défaut, 
AvaH eompris toute l'importance du plan du maréchal ; aiissi 
dès que le rocher d'Harshgoun avait été occupé, il avait déta* 
ché quelques troupes parmi celles qui assiégeaient le Mé- 
houar, pour aller se poster en face de File et surveiller les 
mouvements des Français. Dès qu'il vit le maréchal Clausel 
fee porter sur les bords de la Tafna^ il ne douta plus de son 
projet et résolut de s'opposer à une reconnaissance dont les 
résultats, en assurant les communications avecTlemcei^, {pou- 
vaient être si préjudiciables à ses intérêts. 

En peu de jours il était parvenu à réunir de nouveaux con- 
^iMlMflteitààvoir àsadispositionMes forces assez coosidérar 



292 ALGÉME. 

bles. Malgré les défaites récentes qu^avait éprouvées Abd-el- 
Kader, cette réorganisation presqu'immédiate d'un cbrps 
d'armée n'a rien de surprenant : elle décx)ule de Texistenco 
toute guerrière des Arabes. Partout où était acceptée son auto* 
ritéy l'Émir pouvait trouver des soldats ; la majeure partie divi« 
sée par gouras ou par tribus, avait, par la nature même de 
cette division, des points de ralliement toujours très rappro- 
chés : une défaite pouvait les disperser, mais ils se reformaient 
sous peu de jours en plus ou moins grand nombre, parfois, 
de nouvelles tribus, qui n'avaient pas pris part à la lutte pri- 
mitive, arrivaient avec leurs contingents et remplaçaient, par 
ces nouvelles forces, les forces perdues : c'était la personnifi*- 
cation de la fable d'Antée ; il résultait de là qu'après une dé- 
faite, Abd-el-Kader se trouvait à la tète d'un corps de troupes 
aussi considérables et quelquefois plus qu'auparavant. Cette 
< constance particulière et dont on a resté longtempsà appré* 
cier la véritable portée, a donné à cette guerre d'Afirique un 
caractère tout exceptionnel qui aurait dû modifier, sous beau- 
coup de rapports, les plans des opérations militaires. Ainsi, 
par exemple, une bataille gagnée par les Français, sauf de très 
rares exceptions, n'a jamais amené que des résultats très pro« 
blématiques, tandis qu'une guerre permanente et de position 
dans tel ou tel parage indifféremment, a toujours amené des 
résultats satisfaisants et plus ou moins importants suivant le 
caractère de la lutte : partout où elle a été énergique, tenace, 
opiniâtre surtout de la part des Français, on a obtenu tout ce 
qu'on pouvait obtenir. Aussi devrait-il être permis d'espérer 
que les leçons du passé ne seront pas perdues. 

Quoiqu'il en soit, Abd-el-Kader espérant prendre une écla- 
tante revanche, se porta au-devant du maréchal Clausel sur 
les bords de la Tafna. Deux fois on lui offrit la bataille, deux 
fois il l'acccptèi : deux foils il fut battu. Mais le corps des Fran- 
çais n'était que de cinq à six mille hommes au plus et ne pou- 
vait se recruter, tandis que TÉmir se recrutait sur les lieat 
mêmes. Puis on était dans un pays qu'on connaissait à peme 
en présence d'un ennemi nombreux, opiniàlre et qui avait 
une connaissance parfaite des localités. Ces coosîdératioiia 



ALGÉRIE. 393 

firent penser au maréchal Clausel qu'il était peu prudent de 
poursuivre l'exécution de son projet. Il j renonça et revint 
à Tlemcen, après avoir exploré une partie du cours de la 
Tafna. 

De retour à Tlemcen, le maréchal fit tout 'ce qu'il crut de- 
voir assurer l'occupation de cette importante position, institua 
un nouveau kaïd en remplacement de l'ancien kaid Ben- 
Mouna qui, à l'approche des Français, s'était retiré avec quel- 
ques Maures riches et influents chez des Kabyles de la rivo 
gauche delaTafna qu'ils avaient cherché à soulever; Il frappa 
leurs biens d'une contribution d^une centaine de mille francs 
pour subvenir aux frais de l'occupation et en décharger d'au- 
tant la France. Le Méchouar fut approvisionné de vivres et 
de munitions et un bataillon fut laissé dans la ville aux ordres 
du capitaine Cavaignac. Il reprit ^suite la route d'Oran : 
Âbd-el-Kader^ avec quatre à cinq mille cavaliers, essaya d* in- 
quiéter ce mouvement de retraite. Aux sources de l'Oued-el-* 
Malah il parut disposé à en disputer le passage, mais ses trou- . 
pes ne tinrent nulle part. Le 26 févner, la colonne expédi- 
tionnaire rentra à Alger après Une absence de plus de deux 
mois. 

Cette contribution de cent cinquante mille francs dont le 
maréchal Clausel frappa les habitants de Tlemcen fut, en 
France, l'objet d'incriminations scandaleuses de la part de 
certains hoq^mes, à qui tout est crofable parce que leur mo- 
rale élastique ne recule, au besoin, devant aucun scrupule. 
Nous pouvons donner, au sujet de cette affaire curieuse 0t 
grave à la fois, quelques éclaircissements appuyés de docu- 
ments peu connus et incontestables. 

L'ex^jdition de Tlemcen avait été entreprise, comme on 
l'a vu, pour protéger les alliés de la France et enlever à Âbd- 
el*Kader, d'où il pc .vait se ravitailler avec facilité et tirer du 
Maroc, des armes et des munitions. Ens'empafllntde Tlemcen^ 
il fallait le garder : pour le gaijder^ fallait y lais^r une farni- 
6on, et pour que cette garnison pût y rester, il fallait la payer. 
Il y ataità Tlemcen une famille, les Rhasnadji qui, lors de la 
^.àliJ^Jitg^ en emportant près de tpois cent 






ih AiGËtiiÉ. 

mille sequin^ |[irôis millions environ) dérobée M ffèsoJ!' âù Def. 
Il y avait en outré des Koulouglis qui avaient pillé lés Maai!fli 
et les Arabes avant l'atrlvée des Français. Poiir qUé ta gftrai- 
son de Tlemcen ne fût pas à charge à la France, le mal^chÀ 
^Qausel pensa qu'il pouvait bien faire payer uhé part deé frais 
à des hommes riches d'une fortune si mal acquise, d'àutAfit 
plus qu'ils lui avaient demandé eux-tnétnes cette garnison fHk 
disant - «i Ou ii faut que vous nous laissiez des bomineè potfr 
« nous défendre et relever nos remparts, ôu il faut (}Ue tcmÉ 
« nous emmeniez tous avec vous. Si vous nous eitliliettes at 
a lieu de nous laisser dans notre ville, il nous faudra iampët 
a sous les murs d'Oran et attendre le pain ^uMl vous plaira 
a de nous jeter par dessus le rempart; tandis qu'ici nous dé^ 
« méurerons dans nos maisons, et, aU lieu d'être iit6urris ptà 
a vous, c'est nous qui vous nourrirons. » 

Le maréchal Clausel accueillit celte demande avec d'autant 
plus de faveur qu'elle s'accordait avec la résolution qu'il avait 
prise ; mais par cela même qu'il traitait avec les fcoulotiglb 
et les Turcs sur le pied d'alliés, il pensa qu'ils pourraieht sup«- 
porter une part des dépeilses qu'on faisait pour clix, (iommb 
cela se pratique en toute occasion. Il commença dès-lors par 
leur demander le remboursement des dépenses faites pour 
l'expédition de Tlemcen ; mais prétextant une pauvreté que 
la plupart d'cntr'cux n'éprouvaient pas, ils se contentèrent 
d'offrir tout ce qui ne pouvait être d'aucune utilité potir léS 
Français, leurs immeubles, maisons de campagdfe oU ûé lûlê. 
Voici la lettre qu'ils écrivirent à ce sujet : 

Moiisiapha'Aga'Ben-'Ismaël et tous les grands des KonfougSi 
de Tlemcen à il. le maréchal gouverneur-^généraL 

a Après des compliments très respectueux, nous avons reçu 
votre lettre, et nous avons compris tout son contenu. Nous 
sommes vos sujets et vos enfants à vous qui êtes prince. Voilà 
six ans que nous sommes on guerre contre les Arabes en ville 
et au-dehors; le bon Dieu ne nous avait pas éclairés sur là 
conduite que nous devions tenir jusqu'au jour où il nous à 
inspiré de nous réfugier sous les drapeaux de la Frince^ voté 



êtes retin avec tofre armée victorieuse, attaqtief et repousseir 
nos ennemis et nos opjpresseurs. Vous nous demandez le rem- 
boursement des dépenses qu'a faites cette armée depuis son 
arrivée de France. Celte demande est hors de proportion avec 
iîbs ressources; il est même au-dessus de notre pouvoir de 
pvfev une partie de ces dépenses. En conséquence, nous im- 
plorons Votre compassion, votre sensibilité et vos bons sen- 
timents pour nous qui sommes vos enfants et ne pouvons 
supporter cette charge ; car il n'y a parnii nous ni riches, ni 
hommes faisant le commerce, mais bien des hommes faibles et 
pauvres. Nous reconnaissons tout lé service que vous nous avez 
rendu, et nous prions le bon Dieu qu'il vous récompense à cet 
égard. PcfUr nous, nous vous donnerons tout ce dont nous 
pourrons disposer, c'est-à-dire les maisons que nous habitons^ 
nos maisons de campagne et autres immeubles que nous pos- 
sédons; mais nous vous prions de nous accorder un délai, "car 
nous sommes vos sujets et vos enfants ; vous êtes notre sultan, 
et nous n'avons que Dieu et vous pour soutien. 

« Nous sommes sous vos ordres et disposés à vous servir 
comme soldats et partout où vous voudrez. » 

En Afrique, dans ce pays où la fluctuation de combats, de 
revers et de victoires met les habitants si souvent à la merci 
les Uns des autres, tous, RIaures, Arabes, Koulouglis, Juifs, 
ne considèrent comme fortune que Tor, les bijoux, tout ce 
çui peut s'emjporter, se soustraire fadiement à leurs ennemis. 
Celte réserve est enfouie, soigneusement cachée, et habitués 
. qu'ils sont au% exactions de tout genre, leur premier cri est de 
8c dire pauvres. Aussi, malgré la lettre deMoustapha, le ma* 
réchal, convaincu que les habitants de Tlemcen pouvaient 
f ayer au moins les frais de la garnison, les frappa d'une con- 
tribution de 150,000 fr. Ne pouvant légalement mêler l'admi- 
nlslration française à la perception de celle contribution, il 
s*cn abstint. Moustapha-Ben-Ismaêl, qui était l'allié naturel 
de la France et qui exerçait une grande influence dans la ville 
Cl sur les tribus environnantej, en fut chargé. 11 était assisté 
• des douze habilants les plus riches et les plus considérés de 
tlàûfe^a; il s'adjoignit Mouslapha-Ben-el-^ioukalled qâ^ avait 



396 ALGÉRIE. 

désigné au maréchal comme l'homme le plus capable de rem«- 
plir les fonctions de bey et Youssouf bey. 

Comme en Afrique on va au marché avec des bijoux, les 
habitants de Tlemcen apportèrent, selon l'usage, des bijoux 
jde femme pour payer leur contribution; le maréchal Clausel 
'était alors absent ; persuadé que l'estimation des bijoux pouvait 
donner lieu à un trafic qu'il voulait éviter, il écrivit à Mousta- 
pha pour lui ordonner de cesser ce mode de payement et de 
ne pas faire peser la contribution sur les pauvres et d'en faire 
supporter la plus forte part à ceux qui avaient pillé l'ancienne 
Régence et la ville de Tlemcen. Il en reçut la réponse sui- 
vante : 

Moustapha-Ben-'Ismaët à M. le maréchal gouverneur^ 

générai 

a Après des compliments très respectueux, j'ai reçiii votre 
lettre, relativement aux bijoux des femmes et à l'argent des 
pauvres dont vous ordonnez la restitution. J'ai fait venir les 
Koulouglis auxquels j'ai communiqué vos intentions; ils vous 
répondent par mon oi^ne que les bijoux appartiennent aux 
hommes ; ils espèrent qu'à l'abri de votre protection, ils pour- 
ront un jour en rendre de pareils à leurs femmes, qui les ont 
offerts de leur propre volonté ; eux et leurs familles sont vqs 
sujets, et ils vous prient de vouloir bien les laisser disposer de 
ces bijoux, mais encore de leurs immeubles que nous mettons 
à votre disposition. Quant à l'argent des pauvres que nous 
avons exigé, d'après ce que vous nous marquez, noi)S avons 
l'honneur de vous répondre que c'est pour nous conformer à 
vos ordres, qui portent que les Koulouglis ont pillé et que la 
contribution pèsera particulièrement sur ceux qui ont pillé la 
ville, nous vous prions d'accepter, sans distinction de per- 
sonne, tout ce que nous avons ï'hipnneur de vous offrir. Il est 
vrai que nous avons eu tort de piller la ville, mais vous êtes 
plein de bonté et de générosité, et vous pardonnerez à vos 
enfants, sans cela nos ennemis croiraient que vous n'avez 
aucun égar^pour nous; mais ces sentiments ne sont pas dans 
votre caractère, et vous nous traiterez comme des sujets 



ALGÉRIE 3d7 

fidèles et comme des enfants placés sous la protection de votre 
drapeau. » 

D'après Tordre du maréchal, ko bijoux ne devant plus être 
reçus en payement, les habitants les vendaient aux enchères 
et en apportaient Taisent à rassemblée des Koulouglis; ou 
bien encore, les juifs achetaient ces bijoux et devenaient 
responsables de la quote-part des premiers imposés. Il advint 
alors que les juifs, manquant de capitaux, se réunirent et 
s'adressèrent à M. Lasry, négociant connu dans le pays et qui 
avait servi d'intermédiaire au maréchal dans ses négociations 
avec les tribus, pour qu'il garantit à son tour la dette qu'ils 
avaient contractée à l'égard de la contribution. M* Lasry y 
consentit, à la condition d'entrer pour un tiers dans les bé« 
néfîces qui pourraient être faits sur la vente de ces bijoux. 
Voilà comment M. Lasry et par suite le maréchal se trou«> 
vèreat mêlés à cette contribution qui donna lieu aux insi- 
nuations les plus injustes et les plus ipalveillantes. 

Mais ce n'était là que le premier acte. Le maréchal, comme 
nous l'avons dit, n'était pasàTlemcen. Les Koulouglis, char* 
gés de la perception de la contribution, avaient employé pour 
la faire rentrer, les moyens ordinaires de coercition des habi- 
tants de l'Afrique : la bastonnade; en apprenant ces faits, le 
maréchal ordonna de suspendre la perception de la contri^^ 
bution qiA s'arrêta au chiffre de 94,000 fr. dont l'emploi fut 
justifié devant le ministre. 

Use passa alors \ine intrigue assez curieuse. Les membres 
de la famille Khasnadji, dont nous avons déjà parlé, furent 
mandés par le juif Durand qui leur dit que s'ils voulaient 
s'entendre avec lui relativement à la contribution qu'ils avaient 
payée à Tlemcen, il se chargeait de la leur faire rendre. Une 
convention fut passée à ce sujet : Durand partit pour Paris 
avec une pétition pour la Chambre des Députés, des trois 
frères Khasnadji à qui il annonça l'arrivée d'un grand persoa- 
nage de France qui devait les servir dans leurs réclamations : 
ce personnage annoncé était M. Baude. 

Ici nous ne saurions mieux compléter ce qui se passa rela* 
tffemeotà cette réclamation et le singulier rôle qu'ont joué 



398 AtCffiRŒ. 

dans cette aflàire le juif Durand et M. le baron Baude, qu'en 
reproduisant la curieuse pièce suivante. 

« Attestation de Nlssim. Jacob Sha/fraj Janmac elMeghcn^ 
relativement à ce qui s* est passé à. ta suite de la contrit 
bntion de TUmcen. 

€ Nous, soussignés, GerMAous sur notre ame et conscience, 
qu'à larrivée de la famille de Kbasnadjijoub fils et Hamed, 
son beau-frère, venant d^Oran, ils ont réclamé nos services 
pour soigner leurs intérêts de Tlemcen, 

« Huit à dix jours après, est venu le domestiquQ de Durand- 
Juda, qui les faisait appeler : ils s'y sont rendus, et à leur 
retour nous leur avons demandé l'objet de leur visite ; mais 
ils ne parurent pas d'abord déterminés à nous en dire la 
cause. 

« — Qu'avex-vous tant à faire avec Durand? leur a^ons- 
nous dit. Prenez garde ! il vous trompera. Personne^ foieux 
que nous ne peut vous aider dans vos opérations. 

« — Nous ne voulons rien vo^s cacher, mais évitex qu'il 
sache ce que nous allons vous dire, nous dirent-ils enfîn. 

«c Nous leur promimes le secret et alors ils nous le con- 
fièrent. 

« — C'est, dirent-ils, relativement à l'impôt que nouç 
avons payé à Tlemcen. Nous lui accordons un tiers pour ses 
peines et soins, à la condition qu'il partira pour U^ France, 
pour engager un procès et faire ses efforts çowv faire restituer 
notre argent ; s'il ne réussit pas nous ne sommes obligés à 
rien. 

a — Cette affaire doit nous être étrangère, avons-nous ré- 
pondu. 

a Deux ou trois jours après, Durand fît appeler Joub par 
son domestique : nous nous empressâmes de lui demander à 
quelle fin. 

« — Le bcau-frèro de Durand nous attend chez luj, pQiis 
rcpondit-il. 

« Les ayant trouves plus tard, nous leur avons demandé ce 
qu'ils avaient lait. 



« •— Nous aYAim ffnnîné notre affaire. Ufi éfprbéîii nous 9^ 
fhit une convention, par laquelle il promet qu'U partira pour 
la France. 

« Ainsi se sont exprimés ces Musulmans. 

« Peu après le départ de Durand, Jpub nous apprit quMl 
avait su par Durand, qu'à son arrivée à Paris, Juda Durand 
a'vait placé des placards; que c'était à la connaissance de tous 
les grands de France. Qu'il avait divulgué tous les pouvoirs 
qu'il avait en ses mains, qu'il avait ajouté même : « U arrivera 

• sous peu, à Alger, un grand personnage auquel ils pour- 
« raient parler sans crainte, qu'ils emploieraient le signal 

• qui leur est connu : Ne vou$ confiez pas à d'autres. 
c Ils nous dirent encore : 

« — A l'arrivée du personnage annoncé, M. Baude, nous 
reçûmes un rendez-vous de Durand qui nous conduisit au 
eonsulat de Danemark où se trouvait M. Baude, ce grand venu 
do France qui, après les salutations d'usage, nous a demandé 
quelle perte nous avions éprouvée à Tlcmcen* — Qui vou^ a 
pris? Qu'avez-vous perdu? Je ferai mes efforts pour vous ré« 
cupérer de vos pertes. 

« — Nous n'avons rien perdu, ni rjen donné, avons*noug 
fépondu : nous rendons grâce àDieu de nous ^voir sauvés du 
sac de Tlemcen. Et nous nous sommes retirés. 

« Le lendemain appelés de nouveau dans un salon, est venu 
un interprète qui nous a dit en langue turque : Parlez sans 
crainte; et quand nous nous taisions il nous faisait des signes 
connus à nous et à Durand. Nous lui avons alors énuméré ce 
que nous avions donné de contribution, qui se portait à dix* 
huit mille piastres fortes à nous trois. 

d — Ei combien au maréchal? nous a demandé aussitôt 
II. Baude. 

« — Rien, répondtmes-nous, car nous ne l'avons pfis vu et 
BOUS n'avons pu rien lui donner. 

« On nous a ensuite demandé le silence, jusqu'à ce qu'on 
nous appelât pour la restitution de notre argent. 1» 

Tel Ait le diyouement de cette contribution de Tlemcen. 
Irtée an» quelque détail, c'est pour prou^ 



100 ALGÉRIE. 

?er à quelles misérables intrigues a souvent servi une partie 
des crédits alloués pour l'Algérie. M. Baude était parti pour 
Alçer, grassement payé, et avec la mission ostensible de re- 
commencer un travail déjà fait deux fois, celui de l'évaluation 
des indemnités dues pour les expropriations ordonnées pour 
cause d'utilité publique. On a pu voir, par l'attestation ci« 
dessuSy à quoi il employait son temps, soit par ordre, soit de 
son chef. 
Maintenant, nous allons reprendre notre récit interrompu. 
Pour assurer le résultat de ces deux expéditions de Mascara 
et deTlemcen, il eut fallu que le maréchal put disposer plus 
longtemps des troupes qui y avaient coopéré : il sentait que 
rien n'était fait tant qu'il restait quelque chose à faire ; que la 
soumission des tribus ne pouvait être immédiate, mais dépen- 
dait de remploi permanent de la force et surtout de leur con- 
viction sincère que la Franco voulait garder l'Algérie. Ses 
dépêches au ministère étaient toutes dans ce sens, mais il n'en 
fut tenu nul compte : les troupes furent rappelées. Un succès 
éphémère suffisait au ministère : un succès définitif eût été 
un embarras pour lui, il n'en voulait pas; le peu qu'il faisait 
en Afrique n'était qu une concession forcée à l'opinion pu- 
blique : dès qu'il la croyait momentanément satisfaite, il 
s'arrêtait j toutes ces allées et venues de troupes enrichissaient 
quelques fournisseurs ; les demi-résultats obtenus servaient 
de texte aux soi-disants ennemis décolonisation, et la France 
payait de son or et de son sang des versatilités et des mauvais 
vouloirs qui se produisaient les uns plus fréquents, les autres 
plus opiniâtres, du moment que le gouvernement de l'Afrique 
était aux mains d'un homme dont les antécédents et la ligne 
de conduite offraient plus de gages d'un succès assuré. 

Les meilleurs fruits des expéditions restaient donc encore à 
recueillir. Leur contre-coup s'était fait 'ressentir, il est vrai, 
dans l'Algérie entière, mais la puissance d'Abd-el-Kader, quoi- 
que ébranlée, était loin d'être détruite. Si le maréchal Clausel 
eut encore eu des troupes nombreuses à sa disposition, il aurait 
pu intervenir partout, d'une manière énerpque et imposante, 
dans des mouvements insurrectionnels ou auarchi(|pes qui 



ALGÉRIE. 40i 

s'opéraient sur plusieurs points à la fois, autant contre FËmir 
que contre la France. Tant que Tétat de la mer ou Tattente 
des bâtiments de transport obligèrent de différer l'embarquch 
ment partiel des troupes rappelées, le maréchal en profita 
pour quelques courtes expéditions qui ne furent pas sans 
utilité; mais enfin vint le moment où il se trouva réduit à un 
nombre de troupes suffisant à peine pour garder efficacement 
Alger, sa banlieue et les quelques points de la côte africaine 
qu'occupaient les Français. 

Ces fréquents et presque immédiats retours d'accroissement 
et d'abaissement de la puissance française en Afrique, étaient 
trop saiUants pour ne pas frapper tous les yeux; leur cause 
était trop évidente pour ne pas faire monter un peu de rouge 
au front de ceux qui, par position, en assumaient la respon- 
sabilité. Le ministère le sentit et parut disposé à entrerdans 
des voies meilleures. Mais, en dehors de là, ces mêmes 
hommes qui, dès le début, par vanité, par ambition per- 
sonnelle, s'étaient systématiquement posés comme ennemis 
de la colonisation, avaient puissamment grandi à jouer un 
rôle qui avait forcément attiré sur eux l'attention de Topi- 
nion publique. En effet, la question d'Alger n'était pas une 
question ordinaire : la France en avait fait une question 
d'honneur national ; sous ce rapport, elle avait suivi avec le 
plus vif intérêt tout ce qui avait pu l'éclairer àc e sujet; et si 
elle avait honoré de ses sympathies ceux dont l'opinion flat- 
tait ses désirs, elle avait accordé son attention à ceux dont 
Topinion contraire semblait empreinte d'une si vive et si pa* 
triotique sollicitude. En France, attirer l'attention c'est 
grandir. Puis, la politique ambiguë et désastreuse des divers 
ministères dans la question d'Alger, avait, en quelque sorte, 
donné gain de cause aux ennemis de la colonisation par ces 
revers successifs, ces résultats négatifs qui semblaient dériver 
de la nature même de la conquête, tandis qu'ils n'étaient que 
la conséquence inévitable d'une politique tortueuse et sans 
franchise, dont le seul but était peut-être de les y amener. 
Alors ces mêmes hommes qui seraient restés confondus dans 
IJB* ranffs de la médiocrité, sans leur opposition systématique 
I. u 26 



402 IkLGËRIE; 

dans une cause qui intéressait la France entière, se troûlr^» 
rent, dans les Chambres, à la tête d'un parti d'anti-colonistes, 
et même assez influents pour y paralyser les tardifs bons vou- 
loirs du gouvernement, lorsqu'il en eut. 

Telle était, en France, la situation de la cause algérienne, 
lorsque le ministère, en présence de faits concluants, d'évi- 
dences incontestables, un peu honteux de continuer le rôle 
de ses prédécesseurs, c'est-à-dire d'annuler, par sa politique, 
les résultats obtenus par la valeur de ses armées, parut dis- 
posé à adopter, à cet égard, un système moins désastreux. 
Mais U se trouvait alors avoir à lutter contre ces mêmes 
hommes dont les résistances systématiques ne manquaient 
plus de fondement, par suite des événements résultant de 
tant de fautes. Leur opposition même était devenue, dans ce 
moment, d'autant plus acharnée, qu'ils ne devaient qu'à elle 
d'avoir été mis en évidence ; et comme en France, dans une 
certaine sphère surtout, l'intérêt personnel l'emporte toujours 
sur l'intérêt général, cette opposition n'était nullement dis- 
posée à faiblir. 

M. Thiers était alors président du conseil, et le général 
Maison, ministre de la guerre : Tun et l'autre se montraient 
très favorables à la question d'Afrique. Pour entraîner les 
Chambres, paralyser l'influence de la coterie des opposants et 
défendre enfin cette importante question, ils mandèrent le 
maréchal Clausel à Paris. Ce dernier y arriva le 20 avril, 
après avoir laissé le commandement supérieur de l'armée au 
lieutenant-général Rapatel. 

 peine le maréchal Clausel eut-il quitté l'Afrique, que les 
indigènes, toujours au courant du mouvement des ^upes 
françaises, informés de leur petit nombre, se montrèrent par- 
tout en armes, non pas pour combattre, mais pour piller, 
dévaster, et faire preuve de protestation : partout régnaient 
la confusion, l'anarchie, dans les lieux où était établie l'auto- 
rité d'Abd-el-Kader, comme dans ceux où était censée recon- 
nue la domination française. A Cherchell, Mustapha-ben- 
Omar, ancien bey de Tittery, ne pouvait se faire reconnaître; 
à Miliana, Âli-Em'Barak, lieutenant d'Abd-el-Kader^ était 



ALGÉRIE. 403 

attaqué et pillé par la tribu de Soumata, tandis qu*à Médéah 
les habitants ne consentaient à le laisser entrer que sans es- 
corte ; à Bougie, les Kabyles se battirent d'abord entre eux 
pour se disputer les avantages du marché français; puis, un 
de leurs chefs, Âmisiah, frère et successeur de ce même Ou* 
lid-Ourebah, avec qui le comte d'Erlon avait conclu un si 
singulier traité de paix, avait convoc^ué le commandant de 
Bougie, Salomon de Musis, à une entrevue, et l'avait fait asr- 
sassiner ainsi que son secrétaire; à Oran, les Douers et les 
Zmelas, attaqués par les Garabas, étaient obligés de venir se 
réfugier sous le canon de la place; à Alger, les Hadjoutes 
avaient renouvelé leurs excursions. Après avoir surpris les co- 
lons de Deli-Ibrahim, ils en avaient massacré quelques-uns, 
enlevé les bestiaux, pillé les habitations; à Douera, ils s'étaient 
emparés du troupeau de l'administration ; à Boudjareah, à la 
Pointe-Pescade, sous le fort de l'Empereur même, des soldats 
français tombent sous leurs coups. Le général Rapatel, réduit 
à un minime effectif de troupes, ne pouvait ni seconder ceux 
qui se montraient disposés à lutter contre Abd-el-Kader ou 
ses lieutenants, ni châtier ceux qui venaient si audacieusement 
braver l'autorité française : il n'était en mesure d'agir effica- 
cement nulle part. Malgré tant de victoires, malgré tant d'écla- , 
tants faits d'armes, tout était encore une fois remis en qucft^: 
lion. 

A Oran cependant, que le maréchal Clausel avait laissé sous 
le commandement du général d'Arlanges et qu'il avait même 
renforcé d'une brigade sous les ordres du général Perregaux, 
des excursions sur l'Habra et dans la vallée du Chélif avaient 
amené quelques soumissions ; mais, comme les autres, les 
troupes de cette division avaient été rappelées et ces recon- 
naissances n'avaient servi qu'à prouver la possibilité de réta- 
blir l'ordre, d'assurer l'autorité française et qu'à constater Id 
parli pris de ne vouloir ni Tun ni l'autre. . i; ] 

Pendant ce temps Abd-el-Kader cherchait à rétablir son 
il flucnc3 un peu ébranlée par ses récentes défaites et n'y par- 
venait pas sans peine. Les tribus voyaient que la force était 
du côté de la Franco et inclinaient à liû rendre Thommag* 



401 ALGÉRIE. 

que le fort était toujours à peu près sûr d'obtenir. Mm 
en même temps elles voyaient l'autorité française faire en 
quelque sorte seulement parade de sa force sans chercher 
à en tirer non pas tout le parti possible, mais un parti quel* 
conque. Elles ne comprenaient rien à une politique qui con« 
sistait à vaincre et à laisser là les fruits de la victoire. Aussi 
Abd-el-Kader, sans avoir en général leur sympathie, avait 
leur confiance par cela seul qu'il avait un but, qu'il savait, 
en un mot, ce qu'il voulait. Si, de temps à autre, quelques 
défaites avaient altéré cette confiance, le moindre succès suf- 
fisait toujours pour la rétablir. Ce fut dans cette circonstance 
qu'un événement malheureux vint lui redonner toute son in- 
fluence. 

On se rappelle que le maréchal Qausel avait £eiit occuper la 
petite île d'Harshgoun comme point de départ pour étsdblir 
des communications avecTlemcen. A cet effet, | il avait jugé 
nécessaire de procéder à rét2d)lissement d'un camp à l'embou- 
chure de la Tafna. Le général d'Arlanges s'y était rendu avec 
trois mille hommes environ pour protéger les ouvrages. Les 
travaux se poursuivirent avec activité et présentèrent bientôt 
une position défensive fort efficace. Abd-el-Kader avait es- 
sayé de s'opposer aux travaux; mais repoussé à plusieurs re- 
prises avec des pertes considérables, il s'était replié à deux ou 
trois lieues de là ou quelques milliers de Marocains étaient 
venus le rejoindre. Il avait neuf mille cavaliers au moins et 
quinze cents fantassins environ. Il s'était posté sur un long 
mamelon qui, d'une part, s'abaissait en pente douce jusqu'au 
lit de la Tafna et de l'autre était bordé par un terrain très ac- 
cidenté dont il s'était assuré les principaux passages. 

Le général d'Arlanges ne jugeant pas à propos de laisser 
Abd-el-Kader s'établir si près de son camp, sortit pour aller 
le reconnaître, résolu, malgré l'infériorité de ses troupes, de 
le débusquer. Abd-el-Kader n'attendit pas l'attaque. A peine 
les Français eurent-ils débouché dans la petite vallée qui était 
en avant de sa position, que lançant à toute bride sa cavalerie 
sur un front très étendu, il put attaquer à la fois toute la co- 
lonne ennemie. En un instant, l'avant-garde, le centra et 



ALGÉRIE* 40tt 

l'airrîftre-garde des Français furent assaillis. Les Arabes char* 
gèrent avec fùrenr ; les Français opposèrent une résistance 
calâie mais héroïque. La mêlée devint générale : au premier 
dioc, l'arriëre-garde avait été coupée du centre ; mais ces 
brades se formant en colonne serrée, se précipitèrent sur l'en- 
nemi la baïonnette en avant, passèrent sur le corps de tout ce 
qui s'opposait à leur passage et rejoignirent la colonne prin- 
cipale. Ce mouvement énergique refroidit un peu les Arabes 
et leur attaque faiblit sur ce point. Mais au centre, elle fut tou- 
jours aussi vive : le général d'Arlanges, son chef d'état-major, 
le lieutenant-colonel Mausson, le capitaine Lagondic, son 
aide-de-camp, avaient été blessés. Heureusement la colonne 
d'avant-garde ayant pris la première l'offensive, rejeta le flot 
d'Arabes qui l'attaquaient sur ceux qui attaquaient le centre: 
il y eut nn instant de trouble et d'hésitation ; quelques volées 
de mitraille achevèrent d'y porter le désordre» Dès ce mo- 
ment les Français reprirent partout l'offensive et les Arabes 
s'enfuient en désordre, après avoir perdu plus de trois cents 
des leurs. Les Français purent regagner leur camp, mais avec 
ime perte aussi considérable. 

Dans ce combat les Arabes avaient été repoussés, mais leur 
perte n'avait pas été assez sensible pour les empêcher de te- 
nir la campagne. Us se présentèrent devant le camp de la 
Tafna, et parvinrent en peu dé temps à y bloquer l'armée 
française qui ne put ni commuîquer avec Tlemcen, ni re- 
tourner par terre à Oran. Sa position était d'autant plus cri- 
tique qu'elle manquait de vivres, de fourrages pour les che- 
vaux, et qu'avec Taffaiblissement du corps d'occupation elle 
ne pouvait guère compter sur des secours immédiats. Pen- 
dant ce temps le nombre des assaillants croissait de jour ea 
jour. 

On apprit bientôt en France la situation critique de ce 
corps ainsi aventuré à l'extrême frontière des possessions 
françaises, sans que le général Rapatel qui commandait à Al- 
ger, pût disposer d'assez de troupes pour les dégager. Un cri 
général s^éleva contre cette imprévoyance ministérielle, dont 
^ba^ymt *«lBr to OHtttéigueàces filiales. L'opinion 



406 ALGÉRIE. 

8'était alors depuis longtemps prononcée en faveur de cette 
brave armée d'Afrique , qui soutenait héroïquement une 
guerre qui n'avait pas, il est vrai^ les proportions gigantesques 
de celles de la République et de l'Empire, mais qui avait ce- 
pendant ses dangers et sa gloire. Le théâtre, pour] être ré- 
tréci, n'en était pas moins glorieux, et la nation tenait autant 
de compte de ce sang versé goutte à goutte pour son honneur, 
que de celui qu'avaient versé à flots, pour une même cause, 
les valeureuses phalanges d'un autre âge : aussi se prononça- 
t-elle si énergiquement en cette circonstance, qu'en peu de 
jours une expédition fut prête pour aller dégager le corps d'ar- 
mée bloqué dans le camp de la Tafna ; elle se composait des 
23«ï®, 24nao et 62me de ligne ; elle s'embarqua à Port-Vendre 
dans les derniers jours de mai sur le Scipion^ le Nestor, la 
Ville de Marseille : le général Bugeaud en eut le comman- 
dement. 

La colonne expéditionnaire arriva en Afrique dans les pre- 
miers jours de juin. Le général Bugeaud se rendit d'abord au 
camp de la Tafna, et parcourut ensuite le pays dans plusieurs 
directions, rencontrant parfois l'ennemi, le battant toujours. 
U fut à Tlemcen, dont il ravitailla la garnison qui, privée de- 
puis longtemps de communications, non-seulement avec la 
France, mais encore avec Alger, avait épuisé ses dépôts et ses 
réserves, et n'était parvenue à subvenir à ses besoins qu'avec 
une peine infinie. 

Pendant une de ces marches que faisait le général Bugeaud, 
soit pour explorer le pays, soit pour assurer la soumission de 
quelques tribus, il apprit qu'Abd-el-Kader l'attendait au pas- 
sage de la Sickak avec huit mille hommes environ, tant in- 
fmterie que cavalerie : lui n'en avait guère plus de cinq mille. 
D se porta au devant de l'Émir. Abl-el-Kader avait massé ses 
troupes à Textrémité de la vallée du Sefsif, en trois corps assez 
nfprochés les uns des autres. A sa droite* était une espèce 
noir formé par les sinuosités de Tisser, qui le rendait 
^sur ce point« mais qui était cependant assez spa- 
' permettre de manœuvr^^^r de maiiiè.e à prendre en 
^ ^ui teuterÂÎt de déboucher dans la vallée. Le 



ALGÉRIE. 407 

général Bugeaud sans tenir compte de cette possibilité, ou 
peut-être même la prévoyant, déboucha dans la vallée en or- 
dre de bataille. Abd-el-Kader étendit sa droite et déploya son 
centre pour le tourner et l'attaquer à la fois en tête et en 
queue ; le général Bugeaud profita habilement de cette faute : 
portant sur la gauche de Tennemi un corps détaché destiné à 
le contenir sur ce point, il lança au pas de course le gros de 
ses forces sur le centre qui fut percé du premier choc, coupé 
de ses ailes et précipité dans l'entonnoir que formaient les 
sinuosités de l'Isser : l'ennemi ainsi refoulé chercha vainement 
à se défendre. Pris en front par le feu nourri des bataillons 
français, en écharpe par une batterie de montagne rapide- 
ment portée sur la gauche de la colonne, il fut bientôt mis en 
déroute complète. Les Français n'eurent alors qu'à sabrer et 
tuer; plus de quinze cents Arabes ou Kabyles restèrent sur 
la place: l'infanterie régulière d'Abd-el-Kader fut écrasée ou 
prise. 

Cette défaite fut Téchec le plus rude qu'eût éprouvé jus- 
qu'alors Abd-el-Kader ; si elle ne lui aliéna pas entièrement 
les tribus, elle annula tous ses moyens d'influence sur la plu- 
part d'entre elles. L'argent, les troupes, tout lui manqua à la 
fois, et nul doute que si dans ce moment on avait pu organiser 
un énergique système d'attaque et de défense, Abd-el-Kader 
n'aurait jamais pu inquiéter les Français. Mais le général Bu- 
geaud, comme les autres généraux qui l'avaient devancé, n'a- 
vait mission que de vaincre : le reste était livré au hasard. Le 
général Bugeaud revint à Paris dans les premiers jours d'août; 
Abd-el-Kader ne se croyant plus en sûreté à Mascara, se re- 
tira à Takdempt, ancien fort romain, bâti sur des rochers 
d'un abord très difficile, à dix lieues ouest de Mascara. 



FIN DU PREMIER VOLUBIB. 



TABLE DES MàTIÈRES» 



ÏNTEODUCTIOIC. 

CoDsidérations générales sur le région de l'Atlas ei sa popolation primitive.^ 
Climat, température, vents, cours d'eau de l'Algérie. — Sol de l'Algérie : 
ses productions ; ce qu'elles ont été : ce qu'elles pourraient être. ^ Période < 
carthaginoise. — Période romaine. — Période vandale. — Période greco- 
bizantinc.— Période arabe et berbère. — Période turque.— Populations de 
l'Algérie : leurs mœurs. — Berbères et Kabyles. — Maures. — Arabes et 
Bédouins. — Turcs. — Koulouglis. — Juifs.— Nègres. — Biskris.— Moza- 
bytes, etc.— Organisation civile et politique de la régence sous la domina<« 
tlon turque ^ 

cnArmyE i. 

anciens établissements de la France en Algérie. — Hussem-tfacha. — Cause 
des dissensions entre la France et le Dey. * Le consul Deval. — Ultimatum 
de la France. — Blocus d'Alger. — Entrevue d'Hussein et de M. de la Brc- 
tonnière. — Les forts d'Alger tirent sur le vaisseau pariementaire. — L'ex- 
pédition est résolue. — Motifs de cette résolution: — M. de Bourmont est 
nommé conunandant en chef. — Efi)&t de celte expédition dans les cours 
étrangères;-- Pr^aUfs de Texpédition. — Embarquement des troupes. — 
Ifitériel de ramée oxpéditicnuMire. — Les vents contraires retardent lap- 

,: • (W 



4!^ JABLE DES tf^TIKfiCS. 



rHAPURK n. 



Naurrage des bricks YÂventure et le Silène près du cap Bonga. — Départ de 
l'armée navale expéditionnaire de Toulon. — Mission de Tahir-Pacba. — 
Relâche aux îles Baléares. — L'amiral Duperré y organise la flottille de dé- 
barquement.— Départ de Palma.— Baie de Sidi-Fernich. — Débarquement 
de l'armée expéditionnaire. — Premier combat contre les Bédouins. — At- 
taque et prise du camp de Siili-Kalef. — Marche do l'armée sur Alger. — 
Prise et destruction du fort de l'Empereur.— Capitulation d'Alger.— Entrée 
des Français dans Alger 493 



CHAPITUR m* 



Les Français à Alger. — Ëtat social et moral des populations algériennes. — 
Trésor de la Casbah.— Commencement d'organisation.— Imprévoyance du 
ministère : son incurie.— Expédition de Blidah. — Conspiration, contre les 
Français, déjouée.— Occupation de Bônc. — Le détachement français y est 
attaqué.— Abandon de Bône. — Expédition d'Oran. — Abandon d'Oran.— 
Funestes effets de ces irrcsolulions.— Effet de la conquête d'Alger en France. 
— Embarras du ministère à ce sujet.— Protestation de l'Angleterre.— Pro- 
jet de transaction. — Révolution de Juillet. — Effet de cette révolution 
sur l'armée d'Afrique. — M. de Bourmont est remplacé par le géîiéral 
Clauscl 236 



aiAprrRR iv* 



arrivée du général Clausel à Alger. — Création d'un comité admiiii4ralif. — 
Vues du ministère français à l'égard d'Alger.— Titlcry et son beylick.— Ex- 
pédition de l'Atlas.— Passage du Téniah de Mouzaïa.— Occupation de Mé- 
déah.— Retour à Alger.— Complément d'organisation intérieure.— Conven- 
tion entre le général Clausel et le bey de Tunis, relative à la nomination de 
deux princes tunisiens aux beylicks de Constanline et d'Oran. — Suscepti- 
bilité du ministre Sébasliani. — Le bey de Tunis refuse d'adhérer à la con- 
vention nouvelle. — Violation du territoire d'Oran par Muley-Ali, neveu de 
l'Empereur de Maroc. — Mesures énergiques du général Clausel, désap- 
prouvées par le ministère. — tnïbarras du gouvernement français pour 
l'occupation de l'Algérie.— Réclamations de l'Angleterre.- Résultat de la 
fsiusse politique du ministère un NXNurs du général Clausel snr la 
colonisation de l'Algérie. — i ssl remplacé par le général 
Lerlliczènc • :iQ^ 



nSLB DES MATUktKS^ ^1 ^ 



Lo général Berthezènc— Effet do la réduction de l'armée d'Afrique. — La 
guerre sainte.* Situation critique du bey de Médeah.* Arrivée des volon- 
taires Parisiens en Afrique.— Fâcheuses préventions contre eux.— Seconde 
expédition de Médeah.— Désastres au retour.— Nouveau soulèvement des 
tribus.— Nouveau plan d'administration : se-s résultats. — Le général Ber- 
thezène est rappelé.— Le duc de Rovigo est nommé au commandement supé- 
rieur de l'armée d'Afrique : sages mesures administratives. — L'intendanI 
civil, baron Pichon. — Soulèvement des tribus de la plaine. — Le capitaine 
Yottssouf à Bone. — Le général Boyer à Oran. — Abd-el-Kadder : sa nais- 
sance : son édqcation : son élévation au pouvoir. — Lo duc de Rovigo est 
remplacé, par intérim, par le général Avizard. — Création du bureau 
arabe 306 

CHAPITRE vu 



Le général baron Voirol, commandant supérieur de l'armée d'Afrique.— Créa- 
tion des spahis d'El-Fash.— Institution d'une milice indigène dans la baar 
lieue. — Bougie devient le foyer des intrigues indigènes. — Expédition de 
Bougie. — Prise de Bougie. — Razzia contre les Badjoutes. — Offre d'une 
ligue offensive et défensive contre le bey de Constantine faite par des chefs 
indigènes. — Môme offre de la part des habitants de Médéah.— Abd-el- 
Kader à Mascara : sa tactique. — Le général Desmichels, commandant à 
Oran.— Arzeu. — Occupation deMostagancm. — Répugnance de quelques 
chefs à obéir à Abd-cl-Kader. — Acte impolitique du général Desmichels. 

— Premier traité avec Abd-el-Kader : ses conséquences.— Ligue des diefs 
arabes contre l'émir. — Leurs propositions aux généraux Voirol et Desmi- 
chels : conséquences du refus de leurs oflres.— Ambition croissante d* Abd- 
cl-Kader.— Irritation de l'opinion publique en France, au sujet de l'Algérie. 

— Nomination d'une commission : son rapport : ses conclusions. — Béor- 
ganisation de l'Algérie.— Le comte Drouet d'Erlon est nommé gouverneur 
général 337 

CHAPITRE Vil. 

Le comte Drouet d Erlon.— Premier résultat du traité du 26 février.— Fonda- 
tion du camp retranché d'Erlon.— Suppression du bureau arabe.— Abd-d- 
Kader envoie un chargé d'affaires auprès du gouverneur-général. — Le juif 
Ben Durand.— Mascara. — Nouvelles fautes de l'administration française. 

— Abd-el-Kader les tourne à son profit. — Révolte des tribus du Sahel. — 
LecolonelDuvivicràBougie. — Concessions nouvelles du gouverneur.— 
Soulèvement des tribus contre Abd-el-Kader.— Le général Trézel à Orao.— 
Audacieuse provocation d' Abd-el-Kader.— Fatale faiblesse du comte d'Er- 
lon. — Énergique résolution du général Trézel.— Combat de la Macta — 



-, / ■>:■•• 
412 ."tAÎm «iff UATiiâES. 

Bappd de la légion étrangère.— Irritation de l'opinion pnUiqne en France 
contre la politique tortnense du ministère dans les affaires de FAlgérie. — 
Rappel du comte d'Erlon. — Lelmaréchal Clausel est nommé gouvemeor 
général 36! 



GHAPITBS VnU 

Ëtal de rAfriqne française à Tarrivée du marédial Qansél. — Arrivage des 
renforts.— Expédition de Maseaia.— Expédition de Tlemcen.— Gontriba* 
lion de TIemcen. — Bésultats de ces expéditions. — Rappel des troupes. -* 
Le ministère paraît vouloir prendre intérêt à la question d'Afrique.— Co- 
terie des opposants. — Le marédial Clausel est mandé à Saris. — Nouvelle 
anarchie dans la colonie.— Le général Rapalel à Alger. — Le général d'Ar- 
langes à Oran. — Situation critique du général d'Arianges sur la Tafna: — 
Arrivée du général Bugeaud à Oran.— Combat de la Sickac. — Défaite 
d'Abi-el-Kadcr 383 



1?IN DE LA UBLE DES MATIEUES DU PREMIER VOLUME. 




.**:^$^^^ A 




CECIL H. GREEN LIBRARY 

STANFORD UNIVER5ITY LIBRARIES 

STANFORD, CAUFORNIA 94305-60^ 

(650) 723^1493 

greencirc@stonford.edu 

Ail boolcs ore sob[ect to recolL 
DATE DUE