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Full text of "Histoire de la liberté religieuse en France et de ses fondateurs"

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[*   APR  27  1904  * 


DC  111   .D25  1859  v.4 
Dargaud,  Jean  Marie,  1800- 
1866 . 

Histoire  de  la  libert  e 
religieuse  en  France  et  de 
V.4 


1- 


HISTOIRE 

DE  LA 

LIBERTÉ  RELIGIEUSE 


U.  —  Imp.  de  P. -A.  BOURDIER  et  C'^,  rue  Mazarine, 


HISTOIRE 

DE  LA 

LIBERTÉ  RELIGIEUSE 

EX  FRANCE 
ET  DE  SES  FONDATEURS 


J.-M.  DARGAUD 


Cs^dhii,  propler  quoi  hcnlas  mm 
Pj.  cxr. 


TOME  QUATRIÈME 


PARIS 

CHARPENTIER,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 
28,  QCAi  DE  l'École 


1859 


ReaerTe  de  tam  droits 


HISTOIRE 

LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE 

EN'  FRANCE 

ET  DE  SES  FONDATEURS 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME 

Régence  de  Catherine  de  Médicis,  —  Conrriers  au  roi  de  Pologne , 
désormais  Henri  III.  —  Supplice  de  Montgommery.  —  Fuite  de 
Henri  III.  —  Il  revient  en  France  par  Vienne,  Venise,  Tnrin.  — 
Son  entrée  à  Lyon.  —  Le  baron  des  Adrets  et  Agrippa  d'Aubigné. 
—  Monlliic  maréchal  de  France.  — Portrait  de  Henri  III.  —  Mort 
de  la  princesse  de  Condé.  —  Projet  de  réduire  Damville  et  Mont- 
brun,  —  Le  roi  et  la  cour  descendent  le  Rhône  jusqu'à  la  ville 
d'Avignon.  —  Rabelais.  —  Son  portrait.  —  Influence  de  Rabe- 
lais et  de  Machiavel.  —  Mort  du  cardinal  de  Lorraine.  —  Insulte 
de  Montbrun  au  roi.  —  Le  maréchal  de  Tavannes  regretté  par 
Henri  III.  —  Échec  de  Livron.  —  Paul  de  Foix.  —  D'Ossat.  — 
De  Thon  l'historien.  —  Sacre.  —  Mariage.  —  Retour  au  Louvre. 

Catherine  de  Médicis  ouvrit  ce  règne  dans  une 
double  fièvre  d'amour  maternel  et  de  vengeance. 

Elle  avait  conquis  la  régence  pour  le  plaisir  de 
gouverner  et  pour  le  bonheur  de  conserver  le  trône 
au  roi  de  Pologne.  Elle  tenait  dans  sa  main  la  cour, 
l'armée,  la  magistrature,  les  finances.  Elle  avait  rivé 

IV.  1 


4     '  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELlGIErSE. 

pagnon  des  humbles  martyrs,  femmes,  enlants,  vieil- 
lards, pauvres  ouvriers,  qui  ont  été  ici,  pour  leur  con- 
science, décapités,  brûlés  ou  pendus.  Tel  est  mon  der- 
nier vœu.  » 

Après  ce  discours,  ayant  aperçu  Fervaques  à 
cheval  sur  la  place,  Montgommery  lui  dit  adieu.  11 
s'agenouilla  ensuite,  priant  à  haute  voix  et  touchant 
toutes  les  âmes  par  la  profondeur  pathétique  de  son 
accent  et  de  ses  repentirs.  Au  moment  où  cette  ado- 
ration, tout  en  continuant  dans  la  conscience  de  Mont- 
gommery, se  tut  sur  ses  lèvres,  le  bourreau  venait 
de  lancer  du  temps  dans  la  vie  éternelle  ce  héros  qui 
avait  la  vertu  d'y  croire.  Agrippa  d'Aubigné,  en 
croupe  derrière  Fervaques  sur  la  place  de  Grève,  fut 
témoin  de  cette  mort  mémorable. 

Catherine,  présente  aussi,  fut  transportée  d'une 
joie  sauvage.  Elle  n'avait  jamais  été  aussi  vivante 
que  dans  ce  court  intervalle  où  elle  assouvit  sa 
cruauté  et  où  elle  étancha  sa  soif  du  pouvoir.  Sa  ré- 
gence lui  fut  un  règne  rapide  d'une  intensité  et  d'une 
saveur  effroyables. 

Elle  s'appuyait  sur  le  duc  de  Guise  contre  les  hu- 
guenots. Elle  avait  amené  avec  elle  de  Vincennes  au 
Louvre  le  roi  de  Navarre  et  le  duc  d'Alençon.  Les 
protestants  espéraient  dans  l'un  et  les  politiques  dans 
l'autre.  Yoilà  pourquoi  Catherine  les  redoutait. 

Elles  les  logea  près  d'elle,  au  château,  dans  un  ap- 
partement dont  elle  fit  griller  les  fenêtres  avec  des 
barres  de  fer.  Elle  les  environna  de  gardes  et  d'es- 
pions. Non  contente  de  tant  de  précautions  et  d'em- 
bûches ,  elle  acheva  de  les  enchaîner  par  ses  dames 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  5 

d'honneur,  singulièrement  par  madame  de  Sauves,  lu 
plus  belle  et  la  plus  fallacieuse  de  toutes,  qui  les  en- 
flamma tous  deux,  les  retenant  par  l'amour  et  les  dé- 
sunissant parla  jalousie.  Catherine  en  riait  de  son  rire 
creux  dans  ses  dentelles. 

Les  nombreux  courriers  qu'elle  avait  dépêchés  à 
son  fils  Henri  avaient  lutté  de  vitesse.  Chamerault, 
rapide  comme  le  vent,  était  arrivé  le  premier.  Treize 
jours  après  avoir  contemplé  mort  Charles  IX  à  Yin- 
cennes,  il  salua  roi  de  France  à  Cracovie,  sous  le 
nom  de  Henri  lll,  le  duc  d'Anjou. 

Ce  prince  fut  ravi,  enivré.  Il  se  hâta  de  confirmer 
la  régence  à  sa  mère.  11  assembla  son  conseil  privé 
dont  les  membres  les  plus  sérieux  lui  suggérèrent 
d'avouer  aux  Polonais  sa  préférence  pour  le  trône  de 
ses  ancêtres,  en  les  suppliant  d'élire  son  frère  le  duc 
d'Alençon. 

Cette  conduite  eût  été  honorable  envers  la  Pologne 
qui  aurait  compris  la  franchise,  habile  envers  sa  race 
et  envers  lui-même,  puisqu'il  aurait  grandi  l'illustra- 
tion des  Valois  et  se  serait  délivré  d'un  frère  sédi- 
tieux. Pomponne  de  Bellièvre,  Pibrac,  Souvré,  l'in- 
chnaient  à  ce  plan,  mais  René  de  Villequier,  un  flat- 
teur, et  les  étourdis,  Bussy  en  tête,  lui  persuadèrent 
de  partir.  Il  n'aspirait  qu'à  cela.  Il  brûlait  de  revoir 
la  princesse  de  Condé,  la  France,  le  Louvre. 

Les  Polonais,  instruits  de  la  grande  nouvelle,  veil- 
laient sur  leur  roi.  Les  palatins  du  château  furent  char- 
gés en  secret  par  la  noblesse  d'empêcher  la  fuite  que 
tous  redoutaient.  Henri  annonça  solennellement  la 
mort  de  son  frère,  ordonna  le  deuil  à  sa  cour  polo- 


6  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

naise  pour  l'endormir,  tout  en  organisant  son  voyage. 
Il  (lit  à  plusieurs  reprises  et  fit  répandre  partout  qu  il 
préférait  son  royaume  paisible  de  Pologne  au  royaume 
agité  de  France.  Quand  il  eut  tout  préparé,  le  soir  du 
47  juin  1575,  il  invitales  comtes  chambellans  à  souper 
elles  grisa  d'hippocras  et  de  vin.  Dans  la  nuit,  lui  qua- 
torzième, il  s'évada  de  Cracovie.  Avertis  par  un  Ita- 
lien, les  comtes  poursuivirent  le  roi  sans  débrider  et 
à  fond  de  train.  L'un  d'eux  l'atteignit  un  peu  au  delà 
des  frontières  autrichiennes.  Le  roi  lui  dit  que  la 
France  le  réclamait.  Le  Castelian  baisa  le  bord  du 
manteau  court  de  Henri,  exhortant  son  souverain 
avec  une  vive  ardeur  de  regret,  de  désir,  de  dévoue- 
ment, à  ne  pas  les  abandonner,  à  revenir  au  miheu 
de  son  peuple  qui  le  demandait  et  qui  le  pleurait.  Le 
roi  persistant  à  continuer  son  voyage,  le  Castelian 
releva  la  manche  de  sa  propre  pelisse  ,  tira  son  poi- 
gnard et  se  piqua  la  veine,  exprimant  par  cette  élo- 
quence symbolique  l'amour  de  la  Pologne  aussi  im- 
patiente que  lui  de  verser  son  sang  pour  le  roi.  La 
petite  troupe  de  Français  qui  accompagnait  Henri  fut 
touchée.  Le  roi  ne  l'était  pas  moins.  Il  ôta  son  gan- 
telet et  tirant  de  son  doigt  une  bague  précieuse ,  il 
l'offrit  au  Castelian  qui  la  reçut  avec  respect  et  qui  se 
sépara  avec  douleur.  Il  la  montra  aux  Polonais  pour 
attester  sa  promptitude.  Son  air  morne  témoignait 
assez  qu'il  avait  échoué  dans  sa  mission.  Cette  nation 
chevaleresque  était  humihée  et  désolée.  La  plèbe  de 
Cracovie  pilla  quelques  maisons  de  Français.  Les  pa- 
latins étaient  furieux  contre  Pibrac  qui,  disaient-ils, 
les  avaient  trompés.  Le  comte  Laski  le  sauva. 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  7 

Henri  III  fut  accueilli  très-amicalement  à  Vienne 
par  Maximilien.  L'empereur  donna  des  conseils  de 
tolérance  à  son  hôte  et  s'efforça  de  lui  persuader  que 
le  plus  auguste  des  rôles  pour  lui  serait  d'être  le  ga- 
rant inébranlable  d'une  transaction  entre  les  catho- 
liques et  les  protestants  de  France.  Henri  remercia 
l'empereur  fraternellement  et  se  dirigea  sur  Venise. 
(V.  deux  estampes  incomparables  sur  le  délmrque- 
ment  du  roi,  cart.  de  M.  Hennin.) 

Venise  était  la  ville  des  rêves  de  Henri.  Il  y  vécut 
plus  en  artiste  et  en  débauché  qu'en  roi. 

Il  se  complaisait  entre  le  bleu  du  ciel  et  le  vert  des 
eaux,  5ur  des  gondoles  dont  les  balancements  favori- 
saient sa  paresse.  11  aimait  le  lion  ailé  de  Saint-Marc, 
les  vieux  palais  de  l'aristocratie,  l'horizon  limoneux 
des  lagunes,  et  cet  aspect  étrange  des  étendards,  soit 
de  Chypre ,  soit  de  Candie ,  soit  d^  Constantinople, 
qui  faisaient  de  Venise,  mieux  encore  que  de  Craco- 
vie,  une  cité  orientale.  Il  regardait  avec  curiosité  de 
sa  gondole  royale  les  gondoles  noires  habitées  par  des 
passagers  en  dominos  sombres  fendre  les  flots  sous 
l'effort  des  mariniers  vêtus  de  blanc  et  ceints  d'echar- 
pes  rouges. 

Henri  HI  s'arrêta  délicieusement  à  Venise.  C'était 
par  sa  mère  et  par  son  tempérament  un  Italien. 
Venise  avait  toujours  été  pour  lui  un  songe  de  vo- 
lupté. Il  fut  heureux  de  le  réaliser,  en  évitant  ces 
durs  princes  du  Rhin  qui  l'avaient  tant  outragé  sous 
leurs  vieilles  tours  féodales.  Venise  mit  ses  habits  de 
fête  pour  le  recevoir.  Le  doge  Moncenigo  lui  parla 
dans  le  môme  sens  que  l'empereur  Maximilien.  ii  le 


8  IIISTOIKE  DE  LA  LIBEETÉ  RELIGIEUSE. 

lit  monter  sur  le  Bucentaure  où  il  lui  céda  la  place 
d'honneur.  Il  lui  donna  des  festins,  des  bals ,  des  di- 
vertissements de  toute  espèce.  Henri  séjourna  deux 
mois  dans  la  capitale  de  l'Adriatique.  Il  y  noua  plus 
d'une  intrigue  galante.  Les  graves  ministres  de  la 
république  se  prêtaient  aux  amusements  d'un  roi  qui 
pouvait  être  leur  allié  contre  Philippe  II.  Les  sé- 
nateurs servaient,  dans  un  but  politique,  les  plai- 
sirs de  ce  libertin  couronné.  Lui,  promettait  tout, 
sauf  à  ne  rien  tenir ,  absorbé  dans  son  luxe  de  toi- 
lette, préoccupé  d'une  nuit  de  mystères,  d'un  ren- 
dez-vous ou  d'une  promenade  nautique  sur  le  grand 
canal  avec  de  beaux  mignons  ou  des  Vénitiennes 
passionnées,  éprises  soudainement  d'un  prince  deux 
fois  roi  en  moins  d'un  an. 

Avant  de  s'éloigner,  il  alla  rendre  visite  à  Titien 
octogénaire  et  ruiné  par  son  fils.  L'illustre  vieillard 
logeait  au  palais  Barbarigo  où  il  avait  été  recueilli 
affectueusement  par  les  maîtres  de  cette  demeure 
patricienne. 

De  Venise,  Henri,  malade  de  ses  excès,  gagna  non- 
chalamment Ferrare,  puisTurin,  quelquefois  à  cheval, 
le  plus  souvent  dans  une  litière  à  piliers  et  à  vitres, 
toute  doublée  de  velours  et  ornée  de  devises,  soit  sur 
ritahe,  soit  sur  la  princesse  deCondé.  C'est  ainsi  que 
le  roi  voyagea,  traversa  le  mont  Cenis  et  qu'il  arriva  à 
Turin. 

Lcà  les  fêtes  redoublèrent.  Le  duc  et  la  duchesse  de 
Savoie  furent  magnifiques  \  Henri  fut  reconnaissant. 
Du  milieu  des  enchantements  qui  marquaient  chacun 
de  ses  pas,  il  octroya,  sans  contestation,  à  sa  bonne 


LIVRE   QUARANTt-lTxOJSlE.ME.  9 

tante  Marguerite  et  au  duc  Pignerol .  la  Pérouse , 
Savigliano,  ne  se  réservar.t  que  le  marquisat  de  Sa- 
luées, seule  trace  de  toutes  nos  conquêtes. 

C'était  un  prince  diplomate  que  le  duc  de  Savoie, 
et  il  le  montra  bien  à  nos  dépens  dans  cette  con- 
joncture. 11  avait  des  manières  insinuantes ,  une 
ligure  italienne  très-expressive,  le  front  haut  tra- 
versé à  pic  d'un  pli  profond  depuis  les  sourcils  hé- 
rissés jusqu'à  la  racine  des  cheveux,  le  nez  d'une 
courbure  royale,  les  yeux  perçants,  la  bouche  fine, 
mince,  facile  aux  paroles  feintes,  aux  aveux  perfides, 
aux  ruses  et  aux  stratagèmes,  scellée  et  cadenassée 
avec  des  arrière-pensées  ténébreuses.  Sa  barbe  était 
abondante,  déliée,  hardie,  et  sa  moustache  relevée 
galamment.  Un  très-grand  air  de  prince  et  une  cer- 
taine bonhomie  aristocratique  couvraient  les  replis 
et  les  détours  de  ce  tortueux  négociateur,  formé  à 
l'école  de  Machiavel,  de  Philippe  II  et  de  Catherine 
de  Médicis.  Il  obtint  de  Henri  III  ce  qu'il  voulut. 

Hurault  de  Cheverny,  le  complaisant  de  la  reine 
mère,  entretint  un  peu  à  Turin  le  roi  de  politique 
intérieure.  11  le  retourna  contre  les  huguenots  dont 
l'empereur  et  le  doge  avaient  soutenu  les  droits  au- 
près de  Henri.  Ce  faible  prince  oublia  tout.  Il  ap- 
prouva les  desseins  de  Catherine  livrée  aux  Guise. 
Damville,  qui  était  venu  chez  son  parent  le  duc  de 
Savoie  pour  tenter  un  arbitrage ,  par  lui ,  entre  les 
catlioliques  et  les  huguenots ,  comprit  vite  que 
Henri  III  lui  était  hostile.  Il  se  hâta  de  s'éloigner  et 
reparut  dans  son  gouvernement  du  Languedoc  où 
il  signa  un  traité  avec  les  protestants. 


10  mSTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Avant  de  franchir  les  Alpes  de  Savoie,  le  roi  avait 
déjà  mécontenté  les  politiques  et  les  calvinistes.  Ce 
n'était  plus  seulement  Hurault  deCheverny  qui  l'ani- 
mait contre  les  réformés,  c'était  Yilleroi,  c'était  sur- 
tout Simon  de  Fizes,  tous  deux  secrétaires  d'État. 
La  reine  mère  les  avait  envoyés  à  Turin  pour  achever 
d'entraîner  son  fils  dans  le  courant  de  ses  desseins.. 
Elle  était  condamnée  par  ses  propres  crimes,  par  le 
massacre  de  la  Saint-Barthélemy,  par  le  supplice  du 
comte  de  Montgommery,  et  par  ses  amis  de  situation, 
le  duc  de  Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine,  à  com- 
battre les  huguenots.  Cette  femme  imbécile  dans  ses 
roueries  ne  voyait  pas  qu'elle  faisait  les  affaires  des 
Lorrains  et  qu'elle  leur  préparait  le  grand  parti  des 
catholiques.  Elle  marchait  en  aveugle,  au  rebours 
de  la  destinée  des  Valois.  Cette  destinée  que  Cathe- 
rine avait  compromise  par  ses  attentats  ,  elle  la  fera 
de  plus  en  plus  noire.  Henri  III,  l'idole  de  sa  mère, 
finira  par  être  sa  victime,  victime  de  l'éducation  et 
des  exemples. 

L'homme  qui  mania  le  mieux  à  Turin  l'esprit  de 
Henri  III  dans  le  sens  de  la  guerre  fut  Simon  de 
Fizes.  Il  était  baron  de  Sauves  et  il  avait  épousé  la 
petite-fiUe  du  surintendant  des  finances  Semblançay. 
Le  mari  et  la  femme  étaient  dévoués  à  la  reine  mère. 
L'un  était  le  mouchard ,  l'autre  la  syrène  de  Cathe- 
rine de  Médicis.  Madame  de  Sauves,  devenue  veuve 
en  1579,  aura  l'esprit  de  changer  son  nom  en  épou- 
sant François  de  La  Trémouille,  marquis  de  Noir- 
moutiers. 

Le  roi  donc,  bien  éclairé  sur  les  plans  de  Cathe- 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  11 

rine  par  Simon  de  Fizes ,  se  mit  en  route  pour  la 
France.  Le  duc  de  Savoie  l'accompagna  jusqu'au  pont 
de  Beauvoisin.  Là,  il  fut  reçu  par  le  duc  d'Alençon 
et  le  roi  de  Navarre  qu'il  embrassa  froidement,  en 
leur  annonçant  qu'ils  étaient  libres.  Les  princes,  qui 
avaient  toujours  entendu  les  mêmes  assurances  de  la 
bouche  de  Catherine,  ne  laissèrent  pas  de  se  croire 
captifs,  malgré  la  parole  royale. 

Ils  grossirent  le  cortège  de  Henri  qui  rencontra  sa 
mère  à  Bourgoin.  Il  y  eut  entre  elle  et  lui  de  grandes 
démonstrations  de  tendresse  et  une  longue  conversa- 
tion. Le  6  de  septembre ,  le  roi  fit  son  entrée  solen- 
nelle à  Lyon  avec  Catheriije  de  Médicis,  le  roi  de 
Navarre,  le  duc  d'Alençon  et  toute  la  fleur  de  la  no- 
blesse française. 

Ce  fut  là  qu'on  put  juger  ce  prince.  Il  donna  son 
assentiment  à  la  guerre  contre  les  huguenots,  et, 
follement  confiant  à  sa  mère,  au  duc  de  Guise,  au 
cardinal  de  Lorraine  ,  il  ne  s'occupa  plus  de  rien. 
Pendant  que  les  plus  grands  seigneurs  et  les  plus  cé- 
lèbres personnages  attendaient  de  lui  une  audience  , 
il  badinait  avec  ses  mignons,  dont  du  Gua  était  alors 
le  préféré,  il  peignait  leurs  chevelures  et  godronnait 
leurs  fraises. 

Une  occasion  d'entendre  le  baron  des  Adrets  nous 
est  ainsi  offerte  dans  une  sorte  d'antichambre.  Il  s'é- 
tait présenté  au  palais.  Théodore- Agrippa d'Aubigné, 
qui  était  en  même  temps  que  lui  dans  la  salle  des 
Gardes,  vit  un  huissier  qui  barra  la  porte  des  appar- 
tements intérieurs  à  ce  fier  vieillard.  L'huissier  allait 
accorder  le  passâge  au  jeune  d'Aubigné  qui  était 


J2  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

écuyer  du  roi  de  Navarre  et  qui  suivait  la  cour.  D'Au- 
bigné,  par  une  bienséance  de  son  âge  et  de  son  ca- 
ractère, par  respect  pour  le  vieux  capitaine  dont  les 
cheveux  avaient  blanchi  dans  les  guerres,  déclina 
une  faveur  qui  venait  d'être  refusée  au  terrible  ba- 
ron. Lui,  qui,  après  avoir  toisé  l'huissier  avec  dédain, 
s'était  assis  stoïquement  sur  un  banc  de  la  salle  des 
Gardes,  s'aperçut  de  l'action  et  du  sentiment  du 
jeune  gentilhomme.  Il  en  fut  flatté  et  il  reçut  fort 
bien  d'Aubigné,  qui  se  détourna  pour  s'incliner  devant 
le  vétéran  avec  une  curieuse  et  noble  familiarité. 

Le  baron  des  Adrets  soufl'rit  qu'il  lui  adressât  plu- 
sieurs questions  personnelles,  et  il  y  répondit  avec 
une  énergie  formidable. 

((  Comment,  lui  dit  d'Aubigné,  vous  êtes-vous  per- 
mis la  cruauté,  quand  votre  grande  valeur  aurait 
suffi  ? 

—  Comment  ?  dit  le  baron,  le  voici  : 

<(  Il  y  a,  mon  enfant,  cruauté  et  cruauté.  La  pre- 
mière, qu'on  inflige,  est  cruauté,  la  seconde.,  celle 
qu'on  rend,  est  équité.  Les  représailles  sont  des  jus- 
tices. 

((  Elles  donnent  à  penser  à  l'ennemi. 

«  Je  tenais  d'ailleurs  à  n'avoir  pas  des  moutons 
contre  des  lions.  Il  faut  tremper  cà  froid  des  soldats 
et  ne  les  pas  amollir  dans  la  pitié.  Je  ne  voulais  pas 
que  les  miens  eussent  le  front  et  le  cœur  bas,  mais 
qu'ils  fussent  toujours  prêts  à  porter  leur  main  à  l'é- 
pée,  jamais  au  chapeau.  11  était  important  que  mes 
compagnons  n'eussent  de  révérence  pour  rien ,  ni 
pour  personne,  si  ce  n'est  pour  moi ,  pas  plus  pour 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  13 

les  troupes  du  roi  que  pour  celles  du  Turc.  De  la 
sorte ,  je  les  avais  dressés  à  ne  pas  chercher  de 
salut  au  delà  des  plis  du  drapeau.  Eux  qui  ne  fai- 
saient point  de  quartier  n'avaient  point  à  espérer  de 
quartier.  La  mort  était  partout  pour  eux ,  excepté 
à  l'ombre  de  ma  bannière.  Le  salut  était  dans  le 
succès,  l'égorgement  ailleurs.  Mon  dessein  a  toujours 
jété  qu'il  n'y  eût  pour  mes  bandes  que  deux  mots  : 
Périr  ou  vaincre. 

—  Et  pourquoi,  reprit  d'Aubigné,  avez -vous 
quitté  un  parti  où  vous  aviez  tant  de  crédit  et  de  po- 
pularité? 

—  Parce  que,  répliqua  le  baron,  M.  l'amiral  joua 
trop  du  maître  avec  moi.  Il  tenta  de  me  remplacer  dans 
mon  propre  territoire.  Là  où  il  avait  un  faiseur, 
il  envoya  un  diseur.  A  un  Marcellus  il  préféra  un 
Fabius,  à  moi,  M.  de  Soubise.  Je  ne  suis  pas 
souple  aux  affronts  qui  tombent  de  si  haut.  L'audace 
que  j'ai  contre  l'ennemi,  je  l'ai  contre  mes  supé- 
rieurs. Je  me  déclarai  catholique  par  vengeance,  et 
c'est  par  vengeance  que  j'abandonnai  les  huguenots. 

—  Mais,  reprit  encore  d'Aubigné,  expliquez-moi 
donc  pourquoi  vous  n'avez  plus  si  bien  réussi  avec 
vos  nouveaux  amis. 

—  Ahl  reprit  à  son  t-.'ur  le  baron,  en  secouant 
la  tête  et  en  soupirant  :  avec  les  casaques  blanches  , 
j'avais  devrais  soldats  ensorcelés  de  passion  et  d'hon- 
neur. Avec  les  casaques  rouges,  je  n'eus  que  des 
marchands,  amoureux  seulement  d'argent  et  de  bu- 
tin. Aussi  n'ai-je  fait  rien  qui  vaille. « 

Le  vieux  des  Adrets  parla  ainsi  au  jeune  d'Au- 


14  ttlSTOIRÈ  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

bigné,  l'auditeur  attentif  de  cet  homme  étrange 
dont  la  férocité  le  repoussait,  dont  la  bravoure  et  la 
célébrité  l'attiraient.  Ce  qu'ils  ne  disent  ni  l'un  ni  l'au- 
tre, c'est  que  le  sanguinaire  aventurier,  même  dans 
ce  siècle  dur,  était  en  horreur  à  tous  les  partis,  tant 
il  avait  abusé  du  crime,  tant  il  avait  violé  effronté- 
ment la  miséricorde,  l'humanité! 

Le  baron  des  Adrets  était  fort  changé  à  l'avéne-  • 
ment  du  nouveau  roi.  Sa  taille  était  restée  droite, 
mais  il  avait  maigri,  ses  joues  s'étaient  creusées,  ses 
orbites  s'étaient  enfoncés  sous  ses  sourcils  et  son  nez 
aquilin  s'était  effilé  de  plus  en  plus  en  bec  d'oiseau  de 
proie.  Un  historien  qui  le  vit  à  cette  époque  remar- 
qua sur  son  visage  des  taches  de  sang  noir  comme  en 
avait  Sylla. 

Catherine  avoua  que  si  des  Adrets  eût  fait  pour 
les  catholiques  ce  qu'il  avait  fait  pour  les  protestants, 
Henri  III  l'aurait  nommé  maréchal  de  France.  Le 
farouche  capitaine  fut  trompé  dans  cette  ambition, 
'  et  ce  qui  redoubla  son  mécompte,  c'est  que  Montluc 
fut  promu  à  cette  dignité.  Henri  lïl  avait  sans  cesse 
consulté  Montluc  au  siège  de  La  Rochelle,  et  avait  ri 
souvent  des  saiUies  du  gentilhomme  gascon.  A  son 
retour  de  Pologne,  le  roi,  le  trouvant  à  Lyon,  lui 
donna  le  bâton  de  maréchal  devant  toute  la  cour. 

Excepté  dans  ces  occasions,  Henri  était  inaborda- 
ble. Beaucoup  de  seigneurs  se  retirèrent  dans  leurs 
châteaux,  mécontents  d'être  négligés  pour  des  mi- 
gnons avec  lesquels  leroi  demeurait  absorbé  des  heures 
entières  dans  la  forme  d'une  coiffure,  dans  la  coupe 
d'une  veste,  ou  dans  le  choix  d'un  costume. 


LIVRi:  QUARANTE-TROISIÈME.  15 

Henri  avait  alors  vingt-trois  ans.  Il  était  étiolé  sans 
ressource.  Tous  ses  portraits  d'alors  sont  significatifs. 

Il  a  une  perle  à  chaque  oreille.  11  est  crêpé  et  fardé 
à  la  manière  des  courtisanes.  Il  médite  une  parure 
mieux  qu'une  loi.  Il  veut  plaire  à  ses  mignons  plus 
qu'à  son  peuple. 

La  physionomie  est  un  peu  égarée. 

La  figure  est  allongée,  attristée  par  les  déhanches. 
Ces  traits  manquent  d'harmonie.  Ce  cerveau  n'a  pas 
de  raison,  ni  ces  yeux  d'accord.  On  a  devant  soi  un 
chaos  royal.  Cette  houche  halbutie  des  désirs  sans 
nom,  des  mystères  dépravés,  des  souhaits  contre  na- 
ture, des  dévotions  cyniques,  des  goûts  bizarres  mêlés 
de  superstition  et  d'ignominie.  Cette  face  étrange, 
sous  sa  toque  étoilée  d'un  diamant,  n'annonce-t-elie 
pas  toutes  les  imaginations  du  vice  ?  On  est  effrayé  de 
la  vigueur  avec  laquelle  ce  crayon  blême  a  su  marquer 
dans  un  jeune  homme  la  flétrissure  déjà  sénile  des 
honteuses  fatigues. 

Voihà  ce  que  Catherine  a  fait  de  son  fils  bien-aimé. 
Au  milieu  de  ses  langueurs  et  de  ses  modes,  il  conti- 
nue de  commenter  Machiavel.  Il  ajuste  ses  finesses 
cauteleuses  aux  larges  et  pervers  préceptes  du  grand 
homme  d'État. 

Le  duc  d'Anjou  avait  bu  le  poison  de  Machiavel-, 
le  roi  s'en  nourrit.  Sa  faible  conscience  y  succomba 
aisément.  Dans  son  ivresse  d'immoralité ,  il  déclara 
Machiavel  son  oracle.  Il  en  raffola  comme  d'un  mi- 
gnon. Il  ne  s'aperçoit  pas  que  Machiavel  n'est  point 
un  hochet,  mais  un  élément.  Il  le  prête  à  ses  compa- 
gnons ^  il  en  développe  les  principes  j  il  en  fait  la  régie 


16  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

(le  sa  conduite.  Il  se  drape  fièrement  dans  les  plis  de 
ce  génie  antique,  lui  un  enfant  corrompu  de  l'histoire. 
Il  a  été  et  il  sera  emporté,  comme  une  marionnette  de 
cour,  à  ce  soufïle  audacieux  et  terrible.  11  a  cru,  il 
croira  pratiquer  les  maximes  de  son  modèle  dans  d'ef- 
froyables tragédies ,  et  Machiavel  est  le  grand  rocher 
souillé  de  sang  et  de  boue  auquel  il  appuiera  toujours 
sa  débilité  personnelle.  Tous  les  forfaits  de  Henri  III 
ne  sont  que  les  réverbérations  de  Catherine  et  de  Ma- 
chiavel dans  cette  organisation  fantasquement  crimi- 
nelle. 

Entre  autres  instabilités  de  son  caprice  et  peut-être 
de  sa  santé,  il  se  souvint  moins  en  France  qu'en  Po- 
logne de  la  princesse  de  Condé.  Dans  son  palais  de 
Lyon,  il  se  préoccupa  moins  que  dans  son  palais  de 
Cracovie  de  cette  belle  Marie  de  Clèves  dont  les  por- 
traits ornaient  ses  galeries,  sa  chambre,  jusqu'à  son 
alcôve.  Il  en  avait  un  qui  ne  le  quittait  jamais  et  qui 
tombait  d'une  chaîne  d'or  sur  son  cœur.  C'est  sur- 
tout de  la  Sarmatie  qu'il  expédiait  courrier  sur  cour- 
rier à  la  princesse,  dont  il  passait  ses  nuits  à  lire 
et  à  relire  les  lettres.  Elle  avait  d'abord  résisté,  mais 
elle  avait  été  vaincue  par  la  passion  du  prince  et  par 
les  manèges  du  duc  de  Guise*,  de  Marguerite  de  Na- 
varre, du  cardinal  de  Lorraine.  Le  roi  de  Pologne  ré- 
pondait aux  billets  de  sa  maîtresse  des  billets  qu'il 
écrivait  et  qu'il  signait  de  so^  sang. 

Lorsque  la  princesse  de  Condé  expira  au  Louvre, 
le  30  octobre  1574,  le  roi  de  Pologne  était  de  retour 
depuis  sept  semaines  et  s'appelait  le  roi  de  France. 

Henri  iïl,  quoiqu'il  se  fût  fort  distrait  à  Venise,  à 


LIVRE  OUARANTE-TI\OIS1ÈME.  17 

Turin,  à  Lyon,  ressentit  ou  simula  le  plus  violent 
désespoir  de  cette  mort.  Il  s'enferma  dans  un  appar- 
tement tendu  de  velours  noir.  11  y  resta  plusieurs 
jours,  pleurant'  se  désolant,  et  refusant  toute  nourri- 
ture. Quand  il  reparut  dans  ses  salons,  il  était  vêtu  de 
deuil.  Son  manteau  et  son  pourpoint,  ses  aiguillettes 
et  jusqu'aux  cordons  de  ses  souliers  étaient  tout  semés 
de  tètes  de  mort. 

Sous  prétexte  de  consoler  le  roi ,  mais  en  réalité 
pour  soumettre,  soit  par  la  force,  soit  par  les  négo- 
ciations, Damville  qui  régnait  en  Languedoc  et  Mont- 
hrun  qui  commandait  en  Dauphiné,  la  reine  mère 
fit  décider  le  voyage  d'Avignon. 

La  cour  descendit  le  Rhône  en  bateaux  ou  le  lon- 
gea à  cheval.  Le  roi  par  indolence  avait  préféré  une 
barque  magnifique. 

Quoique  chacun  lût  bien  peu  ,  tout  le  monde  s'é- 
tait muni  d'une  petite  bibliothèque  portative.  Le  roi 
et  la  reine  mère  avaient  Machiavel,  le  roi  de  Navarre 
Plutarque,  le  duc  de  Guise  Tacite,  la  reine  Margue- 
rite Platon  ,  le  duc  d'Alençon,  pour  plaire  à  sa  sœur, 
avait  Boccace.  Tous  ces  livres  étaient  à  la  mode; 
mais  il  y  en  avait  un ,  le  plus  endiablé  de  tous ,  que 
nul  ne  négligeait  et  qui  s'était  glissé  dans  toutes  les 
arrière-poches  :  c'était  Rabelais.  Le  cardinal  de  Lor- 
raine lui-même  le  feuilletait  plus  souvent  que  l'Évan- 
gile. 

On  conçoit  l'enthousiasme  du  seizième  siècle  pour 
Rabelais.  Ce  siècle  si  torturé  avait  besoin  d'un  grand 
comique  pour  l'égayer,  et  ce  comique,  Rabelais  le 
fut. 


18  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  naquit  à  Chinon  en  Touraine.  Il  était  fils  d'un 
aubergiste  de  village.  Il  fut  bercé  dans  un  cabaret, 
au  milieu  du  cliquetis  des  verres ,  des  propos  et  des 
chansons  des  buveurs. 

Telles  furent  les  premières  années  de  Rabelais  ^  elles 
restèrent  pour  lui  un  idéal. 

Ses  personnages,  son  abbaye  de  Thélème,  située 
au  bord  de  la  Loire  avec  tant  de  jeunes  religieuses  et 
un  si  snge  abbé,  son  aspiration  à  la  dive  bouteille,  ses 
critiques  inépuisables  de  toutes  les  classes  de  la  so- 
ciété, font  de  Rabelais  le  plus  hardi  révolutionnaire  et 
de  son  livre  le  plus  amusant  roman  du  seizième 
siècle. 

«  Attendez  un  peu  que  jebume  quelque  trait  de  cette 
bouteille.  C'est  mon  vray  et  seul  Hélicon,  c'est  ma 
fontaine  Caballine  ;  c'est  mon  unique  enthousiasme  ; 
ici  beuvant,  je  délibère,  je  discours,  je  résouds  et 
conclus. 

«  Après  l'épilogue,  je  ris,  je  compose,  je  boy. 
Ennius  beuvant  écrivait,  écrivant  beuvait.  Le  vin  est 
bon  et  frais  assez ^  Dieu,  le  Dieu  Sabaoth,  c'est-à- 
dire  des  armées,  en  soit  loué!  Si  de  même  vous  autres 
beuvez  un  grand  ou  deux  petits  coups  sous  cappe, 
je  n'y  trouve  inconvénient  aulcun.  pourvû  que  du 
tout  louiez  Dieu  un  tantinet.  » 

((  Et  peur  n'ayez  que  le  piot  (le  vin)  faille  comme 
faiUit  ès-nopces  de  Cana  en  Galilée.  Aultant  que  vous 
en  tirerez  par  la  dille,  aultant  en  entonnerai  par  le 
bondon.  Ainsi  demourera  le  tonneau  inexpuisible.  Il 
a  source  vive  et  veine  perpétuelle.  » 

tt  Ventre  saint  Quenez,  parlons  de  boire.  Je  ne  boy 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  Î9 

qu'à  mes  heures,  comme  la  mule  du  pape.  Je  ne  boy 
qu'en  mon  bréviaire  (flacon  lait  en  fojme  de  livre) 
comme  un  beau-père  gardien.  Qui  fust  premier,  soit 
ou  beuverie?  soit".  Car  qui  eut  beu  sans  soif,  durant 
le  temps  d'innocence?  —  Jamais  ne  boy  sans  soif, 
sinon  présente,  pour  le  moins  future,  la  prévenant 
comme  entendez.  Je  boy  pour  la  soif  advenir.  Je  boy 
éterneliement.  » 

«  0  les  beuveursî  ô  les  altérés!  Page,  mon  amy, 
emplis  icy,  et  couronne  le  vin,  je  te  prie,  à  la  Car- 
dinale. )) 

Rabelais  aime  le  vin,  le  piot,  comme  il  dit;  il  aime, 
les  femmes,  l'étude  aussi,  et  «  le  noble  art  d'impri- 
merie. )) 

Il  excelle  dans  k  satire,  dans  le  conte,  dans  la 
fantaisie,  dans  le  portrait. 

Voici  celui  de  l'abbé  de  Thélème  : 

((  Il  s'appelait  frère  Jean  des  Entommures,  ga- 
land,  frisque,  dehait  (alerte),  bien  à  dextre,  hardy, 
adventureux,  délibéré,  hault,  maigre,  bien  fendu  de 
gueule ,  bien  advantagé  en  nez ,  beau  despescheur 
d'heures,  beau  desbrideur  de  messes,  beau  descrot- 
teur  de  vigiles  :  pour  tout  dire  sommairement,  vray 
moyne,  si  onques  en  fut,  depuis  que  le  monde  moy- 
nant  moyna  de  moynerie.  Au  reste,  clerc  jusqu'au 
bout  des  dents  en  matière  de  bréviaire.  » 

Le  poëme  de  Rabelais  est  le  poëme  de  Tépicurisme. 

Les  bons  géants  :  Grandgousier  ou  Louis  XII,  Gar- 
gantua ou  François  ¥\  Pantagruel  ou  Henri  II,  sont 
les  rois  du  matérialisme-,  frère  Jean  des  Entommures, 
ou  le  cardinal  Odet  de  Ghàtillon,  en  est  le  héros  -,  Pa- 


20  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

nurge  ou  l'évêque  Jean  de  Montluc  en  est  le  philo- 
sophe poltron  ;  Carpalim  ,  Easthènes,  Epistémon  , 
Gymnaste,  Rhizotome,  en  sont  les  gais  compagnons. 

Sous  la  conduite  de  Pantagruel,  frère  Jean,  Panurge 
et  leurs  amis  s'en  vont  d'île  en  île,  de  terre  en  terre, 
chercher  le  mot  de  la  vie,  l'oracle  de  la  dive  bouteille. 
Ils  critiquent  beaucoup  d'erreurs  le  long  du  chemin, 
découvrent  beaucoup  de  vérités  et  à  la  lueur  d'une 
belle  lanterne  ils  parviennent  enfin  au  temple  dont 
Bacbuc  est  k  la  sacrée  pontife.  » 

«  Dans  la  principale  chapelle  estait  une  fontaine 
de  fin  alabastre ,  en  figure  heptagone ,  pleine  d'eau 
toute  claire.  C'est  là  qu'est  la  bouteille  trismégiste. 
Icy  beuvant  à  la  fontaine  mirifique,  sentirez  goût  de 
tel  vin  comme  vous  Faurez  imaginé,  dit  Bacbuc.  La 
prêtresse  fit  baiser  à  Panurge  la  marge  de  la  fontaine. 
Elle-même  s'agenouilla  et  de  la  bouteille  issit  un 
bruit  tel  que  font  les  abeilles  dans  l'air  ou  en  été'une 
forte  pluie  soudainement  tombant.  Lors  fut  ouï  le 
mot  :  irincq, 

((  Bacbuc  s'étant  levée  prit  Panurge  sous  le  bras 
luy  dysant  :  Amy,  rendez  grâce  aux  cieux  ^  la  raison 
vous  y  oblige.  Vous  avez  promptement  le  mot  de  la 
bouteille.  Je  dys  le  mot  plus  joyeux,  plus  divin,  plus 
certain  qu'aucun  d'elle  aye  entendu  depuis  le  temps 
que  je  ministre  à  son  très-sacro-saint  oracle.  » 

Trincq  :  voilà  donc  le  secret  de  la  vie.  C'est  l'i- 
vresse, c'est  la  poésie  profane,  c'est  l'amour,  c'est 
l'orgie.  C'est  le  triomphe  de  Bacchus ,  le  dieu  des 
vendanges,  lorsqu'il  s'avance  en  conquérant  entouré 
de  jeunes  hommes  forcenés  ou  chancelant5,  de  mé- 


LIVRE  OUARANTE-TKOISIÈME.  21 

nades  nues,  avec  leurs  thyrses,  leurs  boucliers  et  leurs 
tambourins.  Silène,  barbouillé  de  grappes,  marche  au- 
près de  son  âne  à  la  tête  du  cortège  que  ferme  le  dieu 
Pan.  Ce  dieu  «horrifique  »  a  des  cornes  au  front,  une 
longue  barbe,  des  cuisses  de  bouc,  mais  sa  flûte  est 
enchantée  et  aux  sons  qu'il  en  tire  tout  s'ébranle  et 
s'écrie  et  tourbillonne  dans  une  danse  furieuse,  pré- 
lude des  festins  et  des  voluptés. 

Pour  être  juste  envers  Rabelais ,  il  faut  ajouter 
que  le  conseil  suprême  de  sa  Bacbuc ,  en  congédiant 
les  compagnons ,  est  la  recommandation  de  a  la  lan- 
terne. ))  Cette  recommandation  est  le  dernier  souffle 
sibyllin  de  la  prêtresse.  Le  monde  moderne  en  naîtra. 

Doué  d'un  génie  burlesque,  transcendant,  Rabelais 
^l'enrichit  d'érudition.  S'étant  fait  moine  pour  avoir 
des  livres  et  du  loisir,  il  s'ennuya  bientôt  dans  son 
cloître,  en  sortit,  courut  le  monde,  s'attacha  au  car- 
dinal du  Bellay ,  voyagea  avec  lui ,  se  fit  médecin  à 
Montpellier,  docteur  d'Église  et  de  faculté,  prédica- 
teur et  professeur,  mais  surtout  vagabond,  amoureux 
des  filles,  de  la  bonne  chère,  de  la  science,  tou- 
jours homme  d'instincts  sensuels  et  de  facultés  prodi- 
gieuses. 

Une  chose  expUque  bien  la  sécheresse  de  Rabelais 
à  travers  ce  feu  d'artifice  de  saiUies,  et  même  de  bon 
sens,  qui  en  fait  un  précurseur. 

11  connut  peu  son  père  et  ne  connut  jamais  sa  mère. 
Il  n'eut  pas  d'enfants  et  n'eut  pas  même  une  maîtresse 
de  bien  longue  attèction.  Il  noua  des  liaisons  d'une 
heure,  sans  en  perpétuer  aucune.  Il  demeura  étran- 
ger à  la  famille  et  il  n'eut  pas  de  foyer. 


22 


UISTOIIiE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 


Privé  des  douceurs  de  l'intimité  domestique,  il  fut 
puisscant  par  l'audace  et  par  l'invention. 

Son  portrait  le  manifeste  tout  entier. 

Le  front  a  la  vastitude  et  l'éclair  d'un  front  de  mé- 
taphysicien ,  de  médecin  et  de  poëte.  Les  sourcils 
touffus  ombragent  des  yeux  qui  baignent  dans  le 
phosphore  et  d'où  jaillit  l'esprit  à  torrents.  Le  nez  est 
narquois.  La  bouche  et  le  menton  éclatent  d'un  for- 
midable ricanement  qui  agite  la  barbe  frémissante. 
Cette  physionomie  multiple  est  d'un  faune  et  d'un 
philosophe  -,  la  pensée  y  lutte  dans  un  pétillement 
lumineux  avec  l'effronterie  bachique  et  lascive. 

Rabelais  répand  sur  tous  les  vices  une  verve  folle, 
quelquefois  humaine  et  charmante.  Ce  qui  domine  en 
lui,  je  l'ai  dit  déjà,  c'est  le  rire,  le  rire  dithyram- 
bique. Rabelais  fut  un  bouffon,  mais  un  bouffon  mer- 
veilleux. Son  livre  est  l'épopée  de  l'orgie. 

Je  le  comprends  bien  à  sa  date  comme  une  protes- 
tation frénétique  et  plaisante  contre  un  passé  trop 
comprimé  et  trop  ascétique. 

Je  le  remercie  de  cette  première  moitié  de  sa  ta- 
che: mais  ce  que  je  ne  lui  pardonne  pas,  c'est  de 
n'avoir  rien  respecté,  ni  l'amour,  ni  la  vertu,  c'est 
d'avoir  glorifié  les  cynismes,  les  brutalités,  les  bes- 
tialités de  la  nature,  c'est  d'avoir  tué  l'àme  et  ses 
meilleurs  élans,  c'est  d'avoir  déraciné  autant  qu'il 
était  en  lui  tout  spiritualisme  dans  l'avenir,  c'est 
d'avoir  souillé  les  générations,  tout  en  les  affran- 
chissant. 

Rabelais  est  le  plus  grand  des  moqueurs.  Il  a  donné 
au  sarcasme  des  ailes.  Son  immense  mérite,  c'est  d'a- 


\ 


LIVRE  QUARA^-TE-TI\OISIEME.  23 

voir  été  le  plus  amer  diffamateur  du  moyen  âge.  Son 
inspiration  est  successivement  épique  et  lyrique. 
Au  milieu  de  ses  turpitudes  innombrables,  il  est 
tantôt  l'Homère  tourangeau,  tantôt  le  Pindare  gau- 
lois de  la  raillerie.  C'est  l'écrivain  le  plus  français 
que  je  connaisse.  C'est  un  Olympien  du  cloître,  un 
moine  païen,  mais  jusque  dans  ses  impudences  un 
immortel.  En  ses  beaux  moments,  il  est  égal,  supé- 
rieur peut-être  à  Molière,  à  La  Fontaine,  à  Voltaire, 
par  la  vive  allure,  la  simplicité  et  la  malice. 

Macbiavel  et  Rabelais  sont  les  colosses  intellec- 
tuels qui  ont  le  plus  marqué  de  leurforte  empreinte  le 
seizième  siècle.  L'un  mort  en  lo30,  l'autre  en  iooS, 
étaient  dans  toute  leur  gloire  posthume  au  début  de 
ce  règne  inouï  du  dernier  Valois. 

0  inconséquence  des  historiens  î  ils  blâment 
François  P""  et  ses  petits-fils.  Henri  HI  surtout,  ils 
les  flétrissent  comme  des  débauchés  et  comme  des 
tyrans.  Puis,  s'ils  parlent  de  Rabelais  et  de  Machia- 
vel, ils  ne  les  absolvent  pas  seulement,  les  historiens 
illogiques,  ils  couronnent  ces  grands  dépravateurs. 
Ayons  donc  plus  de  courage.  Faisons  remonter  la 
corruption  jusqu'à  ses  sources,  et  signalons  les  ori- 
gines d'où  elle  a  coulé  à  pleins  bords.  Que  Rabelais 
fût  une  réaction  contre  le  moyen  âge,  Machiavel 
l'écho  sonore  de  l'Italie,  cela  les  explique  sans  les 
justifier.  Le  génie  d'ailleurs  n'est  pas  une  excuse; 
il  est  une  responsabilité  de  plus. 

Cependant  la  navigation  du  Rhône,  les  lectures, 
les  entretiens,  les  modes,  les  dissolutions,  eurent 
bientôt  effacé  de  la  fantaisie  de  Henri  HI  la  pauvre 


2i  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

princesse  de  Condé.  Avignon  charma  le  roi.  C'était 
la  ville  des  confréries.  Il  y  avait  des  pénitents  de 
toutes  sortes-,  Henri  voulut  être  des  flagellants  ou 
battus. 

Ces  pénitents  se  revêtaient  de  la  tête  aux  pieds 
d'un  sac  percé  de  quatre  trous:  deux  pour  les  bras, 
et  deux  pour  les  yeux.  Ils  avaient  de  plus  à  la  cein- 
ture un  fouet  avec  lequel  ils  se  donnaient  mutuelle- 
ment la  discipline.  Ils  s'appelaient  pénitents  blancs, 
noirs  ou  bleus,  selon  la  couleur  des  sacs  adoptés  par 
eux.  Le  roi  s'était  enrôlé  parmi  les  pénitents  blancs, 
la  reine  mère  parmi  les  pénitents  noirs,  le  cardinal 
d'Armagnac  parmi  les  pénitents  bleus. 

Le  roi  se  mêla  aux  processions,  accoutré  grotes- 
quement,  fouettant  ses  mignons  et  fouetté  par  eux. 
Le  duc  de  Guise  était  là,  calculant  jusqu'où  pour- 
raient le  mener  ces  mascarades  pieuses.  Le  roi  de 
Navarre  y  était  aussi,  honteux  de  ces  momeries,  mo- 
qué par  Henri  ïll  qui  le  sentait  contraint,  objurgué 
par  son  écuyer  Agrippa  d'Aubigné  qui  le  sentait  apos- 
tat. La  reine  Marguerite,  le  duc  d'Alençon  et  toute  la 
cour  suivirent  l'exemple  du  roi. 

Le  cardinal  de  Lorraine,  un  crucifix  à  la  main, 
animait  par  sa  présence  les  cérémonies.  C'était  au 
mois  de  décembre.  Le  froid  fut  si  excessif  à  l'une  de 
ces  processions,  que  le  cardinal  en  fut  saisi.  La  fièvre, 
une  fièvre  violente  se  déclara,  et  le  prélat  ambitieux 
se  mit  au  lit  pour  ne  se  plus  relever. 

Le  roi  lui  ayant  rendu  visite,  il  lui  recommanda 
ses  neveux  avec  chaleur.  Henri  lui  promit  d'être  leur 
ami,  comme  il  était  déjà  leur  parent. 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  2o 

La  dernière  pensée  du  cardinal  fut  ainsi  pour  sa 
maison,  ou  plutôt  il  n'eut  ni  première,  ni  dernière 
pensée,  il  eut  une  pensée  unique  :  la  grandeur  de  sa 
race.  Cette  pensée  était  en  lui  une  passion.  Il  lui  sa- 
crifia tout.  Il  n'eut  ni  patrie,  ni  religion^  il  ne  fut  ni 
citoyen,  ni  prêtre.  Il  ne  fut  qu'un  prince  lorrain 
acharné  à  un  double  idéal  :  la  couronne  de  saint  Louis 
pour  François,  puis  pour  Henri  de  Guise,  et  la  tiare 
pour  lui-même.  Il  échoua,  bien  qu  il  n'eût  épargné  ni 
or,  ni  sang,  ni  crime,  et  qu'il  eût  fait  sacrilégement 
de  Dieu  un  complice,  un  instrument.  Mais  Dieu  fut 
indocile  à  ce  téméraire. 

Le  cardinal  ne  fut  regretté  de  personne,  si  ce  n'est 
de  sa  famille  qui  lui  devait  tout.  Celui  qui  ressentit 
la  plus  profonde  douleur  fut  le  duc  Henri  de  Guise. 
Il  était  l'élève,  l'héritier,  l'espérance  du  cardinal  qui 
l'aimait  en  père.  Henri  le  pleura  en  fils. 

Catherine  de  Médicis  n'eut  aucun  chagrin ,  mais 
elle  eut  mal  aux  nerfs.  Le  cardinal  avait  été  son 
amant  et  son  ennemi.  Elle  fut  très-frappée  de  cette 
grande  personnalité  de  moins.  Elle  voyait  le  prélat  à 
table,  à  la  promenade  et  jusque  dans  son  alcôve.  Elle 
ne  pouvait  chasser  ce  fantôme.  Elle  dit  :  «  Il  fut  le 
plus  méchant  homme  des  hommes.  »  A  quoi  l'histoire 
répond  :  C'est  vrai ,  et  ce  qui  est  vrai  encore,  c'est 
que  vous,  vous  fûtes  la  plus  méchante  femme  des 
femmes.  L'un  et  l'autre  furent  des  corrupteurs,  lui , 
le  plus  pervers  peut-être  de  son  siècle,  elle,  certaine- 
ment Ja  plus  perverse  de  tous  les  siècles! 

Entre  les  confréries  qui  étaient  un  ridicule  et  les 
mignons  qui  commençaient  à  être  un  scandale . 


IV 


2G  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Henri  IIÏ  persista  dans  l'inaction.  11  se  déshonorait 
par  de  viles  parures  et  de  plus  vils  plaisirs ,  au  lieu 
d'enjamber  un  cheval  de  guerre  contre  le  maréchal 
Damville,  qui  prenait  Saint-Gilles,  et  dont  l'artillerie 
s'entendait  d'Avignon,  ou  contre  Montbrun ,  qui  en- 
levait des  détachements  catholiques  aux  portes  de  la 
ville  qu'habitait  le  roi.  Henri  était  fort  irrité  de  l'au- 
dace de  Montbrun.  Ce  hardi  capitaine,  qui  avait  servi 
autrefois  avec  Grillon ,  sous  le  baron  des  Adrets,  ne 
se  piquait  pas  de  courtoisie.  G'était  un  dangereux 
partisan.  Après  avoir  pillé,  au  pont  de  Beauvoisin, 
les  équipages  de  Henri  HI ,  il  harcelait  son  souverain 
autour  d'Avignon.  Henri  l'envoya  sommer  de  mettre 
bas  les  armes.  Montbrun  répondit  :  «  Il  n'y  a  plus  de 
maître  pour  un  joueur  ni  pour  un  soldat.  Quand  on  a 
les  dés  en  main,  quand  on  a  l'épée  au  poing  et  le  cul 
sur  la  selle,  tout  le  monde  est  compagnon.  )> 

Le  roi  fut  piqué  de  cette  insulte,  mais  il  ne  songea 
pas  à  la  venger  par  lui-même.  Son  ardeur  de  Jarnac 
et  de  Moncontour  était  éteinte.  Il  n'avait  plus  que  de 
faibles  réminiscences  de  sa  première  jeunesse,  dont 
le  maréchal  de  Tavannes  avait  été  le  guide  militaire. 
Le  roi  dit  un  jour  :  «  Pourquoi  Saulx  n'est-il  pas  là  ?  » 

Saulx,  le  furieux  maréchal  de  la  Saint-Barthélemy, 
était  mort  Tannée  précédente  dans  son  château  de 
Sully,  près  d'Autun.  Il  avait  été  l'un  des  rares  bour- 
reaux qui  ne  témoignèrent  pas  de  repentir  du  grand 
massacre.  Il  fut  puni  dans  sa  fin  un  peu  prématurée 
et  dans  ses  descendants,  auxquels  il  ne  put  léguer 
ses  charges.  Une  sorte  de  fatalité  pesa  sur  toute  la 
lignée  des  ducs  de  Saulx.  Ils  ne  conservèrent  pas  leur 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  27 

splendide  résidence  de  Sully.  Ils  furent  les  uns  catho- 
liques, les  autres  protestants,  et  choisirent  des  caaips 
opposés.  Leur  dernier  rejeton,  qui  avait  des  airs 
adoucis  de  son  sinistre  aïeul ,  s'est  pendu ,  il  y  a 
quelques  années ,  soit  qu'il  fût  las  de  la  vie  ,  soit  que 
ces  races  des  troubles  civils  se  dévorent  inévitable- 
ment sous  un  châtiment  de  Dieu  dans  la  passion, 
dans  la  folie  ou  dans  le  suicide. 

Destitué  d'un  général  comme  Ta  vannes,  bravé  par 
Damville  et  par  Montbrun,  Henri  rebroussa  vers  Lyon. 

Il  s'arrêta  sur  sa  route  devant  Livron,  petite  place 
calviniste  que  le  maréchal  de  Bellegarde  assiégeait  au 
nom  du  roi.  Les  habitants  n'eurent  pas  plutôt  aperçu 
Henri  avec  son  cortège  qu'ils  l'accablèrent  d'injures  : 
«  Holà,  criaient-ils,  massacreur,  fds  et  frère  de  mas- 
sacreurs, viens  donc  plus  près.  Tu  n'oseras,  car  nous 
jie  sommes  pas  au  lit,  comme  tes  victimes  du  24  août  î 
Toi  et  tes  mignons,  vous  respecterez  ces  remparts  où 
nous  sommes  résolus  à  combattre  et  à  mourir  pour 
venger  M.  l'amiral  et  tant  d'autres  que  tu  as  assas- 
sinés I  » 

Ces  propos  et  mille  huées  populaires  pleuvaient 
avec  l'artillerie  sur  l'escorte  royale. 

Henri,  offensé,  ordonna  de  donner  l'assaut  à  Livron. 
M.  de  Bellegarde  obéit;  mais  les  assiégeants,  malgré 
la  présence  du  roi,  se  brisèrent  contre  ces  murs  de 
pierre  et  ces  poitrines  d'acier.  Le  maréchal  fit  sonner 
la  retraite.  Les  assiégés  ne  cessèrent  pas  un  instant 
leurs  plaisanteries  bruyantes.  Les  femmes  étaient 
plus  acharnées  que  les  hommes.  L'une  d'elles,  pen- 
dant que  l'on  tentait  l'escalade,  s'installa  sur  le  rem- 


28  HISTOIRE  DE  LA  LlliERTÉ  ItLLIGIEUSE. 

part  et  fila  tranquillement  sa  quenouille  en  signe  de 
mépris,  faisant  gronder  son  fuseau  comme  un  défi  au 
milieu  des  arquebusades. 

Ce  qu'il  y  eut  de  déplorable  dans  la  conduite  du 
roi ,  c'est  qu'il  n'essaya  pas  plus  longtemps  de  réduire 
Livron.  Il  commanda  de  lever  le  siège,  alléguant  qu'il 
avait  besoin  de  ses  troupes  à  Reims  où  il  allait  être 
sacré. 

Cette  solennité  était  fixée  au  13  février,  et  cbacun 
se  disposait  à  y  assister  soit  par  devoir,  soit  par  cu- 
riosité. 

M.  de  Thou,  l'historien,  revenait  alors  d'un  voyage 
d'Italie  qu'il  avait  fait  avec  un  jeune  avocat  d'un 
grand  avenir,  Arnaud  d'Ossat,  sous  le  patronage  du 
célèbre  jurisconsulte  et  diplomate  Paul  de  Foix,  si 
éminent  par  sa  vaste  érudition  et  par  son  amour  des 
lettres. 

Paul  de  Foix  allait  remercier  le  pape  et  les  autres 
princes  d'Italie  qui  avaient  félicité  Charles  IX  sur 
l'élection  du  roi  de  Pologne.  Cette  mission  de  simple 
étiquette  laissait  l'ambassadeur  très-libre  d'esprit  et 
ne  le  distrayait  ni  des  arts,  ni  de  ses  études  sur  le  droit 
et  sur  la  philosophie. 

La  suite  de  Paul  de  Foix  était  nombreuse  ;  mais 
parmi  tous  ses  compagnons,  il  avait  deux  amis  pri- 
vilégiés :  d'Ossat  et  de  Thou.  Il  cheminait  avec  eux 
par  les  sentiers  des  Alpes,  et  au  delà  des  Alpes  par 
les  provinces  d'Italie,  à  travers  les  chefs-d'œuvre 
de  la  renaissance  et  de  l'antiquité.  Ils  étaient  tous 
à  cheval  :  Paul  de  Foix  leur  développant  Aristote , 
d'Ossat  expliquant  Platon  d'après  Ramus,  de  Thou 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME.  29 

lisant  Cajas.  Ils  approfondissaient  ainsi  tour  à  tour  les 
trois  génies  pour  lesquels  ils  étaient  passionnés,  et, 
fécondés  par  ces  grands  modèles,  ils  se  livraient  à  des 
conversations  intarissables  qui  abrégeaient  toutes  les 
distances  en  charmant  toutes  les  fatigues. 

Dans  l'automne  de  lo74,  qui  précéda  le  sacre 
du  roi,  M.  de  Thou  avait  rejoint  son  père  et  sa 
mère,  qui  faisaient  leurs  vendanges  à  Cely  en  Gâ- 
tinais. 

Il  disait  de  Paul  de  Foix  :  «  On  ne  le  quitte 
jamais  sans  se  sentir  meilleur  et  plus  enclin  à  la 
vertu.  1) 

Il  disait  de  d'Ossat  :  «  La  science  de  Dieu  lui  est 
aussi  familière  que  la  science  des  lois  -,  rien  ne  lui  est 
difficile.  )) 

J'ai  de  d'Ossat  un  portrait  singulièrement  remar- 
quable. Il  date  de  cette  époque  (loTi-). 

D'Ossat  ne  porte  pas  encore  la  barrette.  Il  n'a  que 
trente-huit  ans.  L'aspect  méditatif  et  pénétrant  de 
cette  tête  révèle  un  homme  supérieur. 

Le  front  haut  est  très-bombé  au  miheu,  puis  çà  et 
là  dans  toute  son  étendue,  comme  si  l'esprit  avait  en 
dessous  des  retraites  innombrables  et  des  fuites  tou- 
jours prêtes.  Le  renflement  entre  les  sourcils  annonce 
la  force,  le  point  d'arrêt.  Le  menton  délicat,  relevé 
dans  une  inflexion  très-fine ,  redresse  à  son  tour  une 
bouche  rusée  plus  faite  pour  persuader  et  pour  sé- 
duire, que  pour  prier.  Ces  deux  traits,  triomphant 
de  la  barbe  et  des  moustaches,  semblent  écouter  au- 
tant que  l'oreille  dans  un  silence  énigmatique.  Le  nez 
s'avance  un  peu  et  flaire  de  ses  narines  saillantes  des 

3. 


30  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

pjéges  que  les  yeux  guettent,  pénètrent  et  signalent 
à  la  fois. 

Toute  cette  physionomie  souple  et  patiente  té- 
moigne d'un  contact  discrètement  intime  avec  le  gé- 
nie florentin  et  la  diplomatie  romaine. 

Un  tel  portrait  d'un^  tel  homme  est  Tune  des 
plus  curieuses  biographies  que  j'aie  lues.  Quand  le 
pinceau  est  excellent,  il  vaut  la  plume,  fiit-elle  de 
Plutarque. 

Un  autre  portrait,  italien  aussi,  et  du  même  voyage, 
manifeste  non  moins  fidèlement  Jacques-Auguste  de 
Thou . 

Ce  grave  et  noble  jeune  homme  a  vingt  ans.  Sa 
figure  est  bien  ordonnée.  Ce  n'est  pas  l'enthousiasme 
qui  fillumine,  c'est  la  conscience  qui  l'éclairé.  Le 
front  est  grand,  le  nez  honnête ,  la  bouche  sérieuse 
et  avisée.  Les  yeux  jettent  sur  tout  ce  visage  plus  de 
lumière  que  de  rayonnement.  Ils  lui  donnent  sa  vraie 
physionomie.  Il  y  a  dans  ces  regards  tranquilles  beau- 
coup de  sagacité,  mais  il  y  a  encore  plus  de  bon  sens 
et,  s'ils  indiquent  le  magistrat,  ils  expriment  bien 
mieux  fhistorien. 

Et  quel  historien!  un  historien  de  guerre  civile, 
un  historien  dont  le  père  eut  la  lâcheté  de  con- 
damner la  mémoire  de  Coligny,  et  dont  le  fils  était 
destiné  à  périr  sous,  la  ha^he  du  bourreau  Ri- 
chelieu. 

Ne  serait-ce  pas  pour  cela  que  ce  portrait  est  si 
morne  ?  Il  y  a  dans  les  replis,  dans  les  recoins  de  ces 
joues  pâles  et  sillonnées  un  fond  d'infinie  tristesse.  Ce 
personnage  réfléchi  a  comme  la  mélancplie  de  ce  qu'il 


LIVRE  QL-ARANTE-TROISIÈME.  31 

doit  raconter  ^  il  a  comme  le  sentiment  et  le  pressen- 
timent des  malheurs  de  sa  maison. 

Le  13  février  loTo ,  il  était  à  Reims,  au  sacre  de 
Henri  lll.  Il  observait  déjà  les  hommes  et  les  choses 
en  philosophe  et  songeait  à  les  décrire. 

Cette  grande  cérémonie  du  sacre  ne  s'accompUt 
pas  sans  présages. 

11  y  eut  une  querelle  préliminaire  d'étiquette  qui 
aurait  pu  devenir  sanglante. 

Le  duc  de  Montpensier  fit  savoir  au  roi  qu'il  se 
rendait  au  sacre  et  qu'il  prétendait,  comme  Bourbon, 
avoir  le  pas  sur  le  duc  de  Guise,  qui  réclama,  lui,  la 
préséance  comme  pair  plus  ancien  que  M.  de  Mont- 
pensier. 

Les  esprits  s'échauffèrent.  Le  duc  de  Guise  animait 
ses  partisans.  Il  déclara  qu'il  ne  renoncerait  pas  à  un 
honneur  dont  son  grand-père  avait  joui  au  sacre  de 
Henri  II,  et  son  père  au  sacre  de  Charles  IX.  Rajouta 
même,  dans  l'exaspération  de  son  orgueil,  que  si 
M.  de  Montpensier  s'obstinait,  il  le  percerait  de  son 
épée  sur  les  marches  de  l'autel. 

Le  roi  fut  effrayé  des  emportements  du  duc  de 
Guise.  Il  hésita  sur  ce  qu'il  lui  fallait  décider.  Mais 
lorsqu'on  lui  apprit  que  le  duc  de  Montpensier  n'était 
plus  qu'à  deux  lieues  de  Reims,  qu'il  arriverait  bien- 
tôt, il  s'empressa  de  lui  envoyer  un  messager  qui  lui 
transmit  amicalement,  et  pour  le  bien  de  la  concorde, 
l'ordre  de  rétrograder. 

Le  duc  de  Montpensier  obéit  et  le  duc  de  Guise 
savoura  cette  victoire  de  vanité  autant  que  d'in- 
fluence. Son  frère,  le  cardinal  de  Guise,  officia  pour  le 


32  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

sacre,  et  ce  fut  devant  le  jeune  prélat  que  s'agenouilla 
Henri  111.  Par  un  singulier  oubli,  ni  le  baiser  de  paix 
ne  fut  donné,  ni  le  Te  Deum  ne  fut  chanté.  La  cou- 
ronne était  chancelante  sur  le  front  de  Henri  et  deux 
fois  elle  en  ghssa.  Toutes  ces  circonstances  furent 
interprétées  à  mauvais  augure. 

Le  lendemain,  le  roi  épousa  Louise  de  Lorraine, 
fille  du  comte  de  Vaudemont,  parent  des  Guise.  La 
majesté  du  rituel  fut  un  peu  humiliée.  La  messe 
ne  fut  dite  que  le  soir,  contre  tous  les  usages  de 
rÉglise.  Le  roi  ne  fut  prêt  que  très -tard.  Il  avait 
consumé  tout  le  jour  dans  des  soins  de  femme  de 
chambre,  dans  l'ajustement  du  voile,  des  pierreries 
et  des  habillements  de  sa  fiancée.  Les  fêtes  qui  se 
succédèrent  pendant  toute  une  semaine  furent  ma- 
gnifiques. Le  roi  ne  manqua  pas  de  les  terminer  par 
des  pèlerinages  de  dévotion  à  plusieurs  chapelles  et 
principalement  à  Saint-Marcoul. 

Son  goût  de  parures  et  de  simagrées  croissait  tou- 
jours. Il  fit  son  entrée  à  Paris  le  27  février  avec  les 
mêmes  puérilités  de  luxe  qu'à  son  sacre  et  à  son 
mariage. 

Le  Louvre  devint  un  palais  d'oisiveté  et  de  modes. 
La  mollesse  et  la  débauche  s'y  glissèrent  de  plus  en 
plus.  Le  roi  ne  sortait  de  son  indolence  que  pour  ima- 
giner, soit  un  costume,  soit  une  danse,  soit  une 
volupté.  Il  ne  savait  qui  lui  plaisaient  davantage 
des  femmes  ou  des  mignons.  Le  matin  ,  il  combinait 
des  formes  et  des  nuances  nouvelles  de  vêtements. 
Le  long  du  jour  il  se  promenait  en  coche  avec  la  reine 
et  ses  favoris.  Il  allait  s'emparer  de  tous  les  petits 


LIVRE  OUARANTE-TROISÎÈME.  33 

chiens  un  peu  jolis  qu'il  trouvait  tantôt  chez  les  no- 
bles, tantôt  chez  les  bourgeois,  tantôt  dans  les  mo- 
nastères de  filles  et  il  riait  beaucoup  des  regrets, 
quelquefois  des  pleurs  qu'il  arrachait  par  ces  rapts 
insolents.  Rentré  au  château  les  toilettes  recommen- 
çaient pour  les  festins  et  les  bals  de  la  nuit. 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME 


Situation  du  due  de  Guise.  —  Mort  de  Montbrun.  —  Adresse  do 
Catherine  de  Médicis.  —  Faciles  amours  de  Marguerite.  —  Elle 
répond  à  la  passion  de  son  frère  d'Alençon.  —  La  Môle.  —  Bussy. 

—  Goût  de  cette  princesse  pour  l'art  et  pour  la  vengeance,  —  Du 
Gua.  —  Madame  de  Sauves.  —  Son  portrait.  —  Marguerite  fait 
un  pacte  avec  le  baron  de  Viteaux.  —  Mort  de  du  Gua.  —  Il  était 
un  des  bourreaux  de  la  Saint-Barthélemy.  —  Mort  de  Besme.  — 
Fuite  du  duc  d'Alençon.  —  Fuite  du  loi  de  Navarre.  —  Théodore- 
Agrippad'Aubigné.  —  Paix  de  Monsieur.  —  Portrait  ded'Aubigné.  * 

—  Cet  écuyer  du  roi  de  Navarre  était  un  homme  de  génie. 


Le  duc  de  Guise ,  qui  avait  paru  si  grand  à  Reims, 
paraissait  plus  grand  encore  à  Paris.  Il  se  mon- 
trait assidu  auprès  de  la  reine  sa  cousine.  Il  était 
le  prince  de  la  plèbe  et  du  clergé.  Il  faisait  battre  le 
cœur  de  l'immense  parti  catholique.  Il  mesurait  la 
distance  qu'il  avait  à  franchir-,  mais  ce  n'était  pas 
une  distance,  c'était  un  abîme.  Son  illusion  le  lui  dé- 
robait parfois.  Il  se  flattait  que  sa  popularité  pourrait 
tout  combler  et  tout  aplanir.  L'argent,  il  est  vrai, 
lui  faisait  défaut.  Il  avait  beau  être  riche  ^  il  ne  Tétait 
pas  assez  cependant  pour  soudoyer  des  armées  et  des 
multitudes.  Il  pensait  bien  aux  doublons  d'Espagne; 
seulement,  le  blême  trésorier  de  l'Escurial  était  avare 
de  son  trésor,  et  ce  n'était  pas  pour  Guise,  c'était  par 
Guise  qu'il  voudrait  conspirer. 

Le  parti  protestant  et  les  catholiques  modérés  ou 


LIVRE  OITARANTE-QUATRIÈME,  35 

politiques  s'étaient  unis  sous  le  prince  de  Condé  et 
le  maréchal  Damville. 

Ils  avaient  eu  des  succès  et  des  revers.  Ils  firent 
une  grande  perte  dans  la  personne  de  Montbrun. 
Cet  intrépide  capitaine,  le  Grillon  du  calvinisme, 
avait  tenu  longtemps  en  échec  le  baron  de  Gordes, 
dans  le  Dauphiné.  Il  fut  blessé  en  sautant  la  rivière 
d'un  moulin  près  de  Die,  après  avoir  livré  deux  com- 
bats en  un  jour.  Henri  III ,  qui  depuis  Avignon  avait 
une  rancune  personnelle  contre  lui,  manœuvra  pour 
le  faire  condamner  à  Grenoble.  Le  parlement  ne  sut 
pas  résister  au  désir  du  roi  et  prononça  une  sentence 
capitale.  Montbrun  la  subit  comme  il  affrontait  les 
balles  sur  les  champs  de  carnage,  avec  un  flegme  hé- 
roïque. Il  en  appela  du  roi  et  de  ses  juges  à  Dieu .  à 
son  pays,  à  ses  frères  persécutés,  et  espéra  dans  un 
élan  de  saint  enthousiasme  pour  la  cause  qu'il  avait 
si  vaillamment  servie. 

Les  calvinistes  n'avaient  pas  non  plus  rendu  sans 
douleur  le  chtâteau  de  Lusignan,  dont  ils  croyaient, 
d'après  une  vieille  superstition  poitevine,  que  la  pos- 
session leur  portait  bonheur. 

C'était  un  château  très-fameux  que  le  duc  deMont- 
pensier  avait  conquis  sur  les  huguenots.  Il  obtint  du 
roi,  qui  revenait  de  Pologne,  la  permission  de  dé- 
truire le  château  rebelle,  et  il  se  hâta  de  faire  jouer 
la  mine,  afin  d'éterniser  sa  victoire  contre  les  réfor- 
més qu'il  haïssait  tapt.  Il  disait  que  son  aïeul  saint 
Louis,  son  modèle  en  tout,  n'aurait  pas  autrement 
traité  un  tel  repaire  d'hérésie  et  de  magie. 

Il  y  avait  une  curieuse  légende  sur  ce  château.  Il 


36  HISTOIRE  DE  LA  LIBERT  RELIGIEUSE. 

avait  été  bâti,  dit-on,  par  Mélusine,  l'aïeule  merveil- 
leuse de  tous  les  seigneurs  qui  reçurent  ce  grand 
nom  de  Lusignan.  Il  paraît  qu'avant  la  chute  de 
cet  antique  édifice  les  habitants  des  villages  voisins 
voyaient  de  temps  en  temps  une  apparition  moitié 
femme ,  moitié  serpent ,  et  d'une  majesté  surhu- 
maine. Tantôt  elle  se  baignait  sous  les  vernes  de  la 
rivière,  tantôt  sous  le  saule  de  la  fontaine-,  quel- 
quefois elle  traversait  les  prairies  et  se  promenait  le 
long  des  forêts.  Lorsque  de  grandes  catastrophes  me- 
naçaient la  France,  à  la  veille  des  pertes  de  batailles 
ou  des  morts  de  rois ,  on  entendait  le  fantôme  pous- 
ser trois  fois  un  cri  lamentable.  Quand  le  château  dut 
se  rendre  et  quand  il  dut  être  abattu  de  fond  en  com- 
ble, ces  cris  furent  plus  forts  et  plus  sinistres.  Depuis 
ces  cris  suprêmes ,  le  silence  de  Lusignan  n'a  pas  été 
troublé. 

Un  jour  que  Catherine  de  Médicis  allait  à  Poitiers 
avec  une  suite  de  cinq  seigneurs ,  elle  voulut  se  dé- 
tourner de  son  chemin  pour  contempler  les  ruines 
de  Lusignan.  Dans  son  double  goût  de  sorcellerie  et 
d'archéologie,  elle  s'oublia  au  milieu  de  ces  ruines. 
Elle  ne  pouvait  s'en  arracher.  Elle  s'emportait  contre 
le  duc  de  Montpensier  qui  avait  surpris  au  roi  Henri  III 
un  ordre  de  démolition.  «  Si  j'eusse  connu,  disait  la 
reine ,  ce  château  supérieur  à  Fontainebleau  et  à 
Chambord,  et  la  plus  belle  des  maisons  de  France, 
j'aurais  bien  empêché  mon  fds  de  céder  à  l'entête- 
ment de  M,  de  Montpensier.  » 

Les  cinq  courtisans  qui  étaient  avec  la  reine  mère, 
MM.  de  Strozzi,  de  Grillon,  de  Lansac,  de  La  Roche- 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  37 

Posay,  et  de  Bourdeille ,  eurent  beaucoup  de  peine 
à  l'emmener,  tant  elle  était  curieuse  d'architecture 
et  de  nécromancie ,  tant  son  imagination  italienne 
fleurissait  au-dessus  des  aridités  de  çon  âme! 

Les  protestants  unis  aux  politiques ,  malgré  quel- 
ques défaites,  se  soutenaient  avec  vigueur  contre  le 
duc  de  Guise  qui  représentait  les  catholiques  mili- 
tants, et  contre  Henri  IK  qui  ne  représentait  plus 
guère  que  la  dynastie  des  massacres. 

Les  politiques  ou  mécontents  rêvaient,  au  delà  du 
maréchal  Damville,  le  duc  d'Alençon  -,  et  les  hugue- 
nots, au  delà  du  prince  de  Condé,  rêvaient  le  roi  de 
Navarre  pour  leur  chef  définitif. 

Le  duc  d'Alençon  n'était  qu'un  Henri  Hï  diminué, 
moindre  en  tout,  mais  encore  extrêmement  fourbe 
dans  sa  nullité. 

'Le  roi  de  Navarre  allait  à  la  messe,  aux  proces- 
sions, à  la  communion.  Les  calvinistes  le  plaignaient 
plus  qu'ils  ne  le  blâmaient.  N'était-il  pas  prisonnier 
dans  le  Louvre ,  exclu  de  son  parti ,  de  ses  États , 
menacé  d'assassinat  par  son  beau-frère  Henri  Hî, 
d'empoisonnement  par  sa  belle-mère  Catherine  de 
Médicis,  trahi  par  sa  femme  qui  ne  s'abstenait  ni  de 
l'adultère,  ni  de  l'inceste,  et  qui  était  à  tout  le  monde 
plus  qu'à  son  mari?  Ce  prince  était  bien  malheureux. 
Les  mignons  s'en  moquaient  et  il  ne  semblait  pas 
capable  d'un  réveil.  Les  protestants  toutefois  qui 
l'approchaient  se  disaient  entre  eux  que  c'était  un 
homme,  ce  fils  de  Jeanne  d'Albret,  cet  élève  de  Coli- 
gny  et  de  L'Hôpital.  L'un  des  écuyers  du  prince, 
Théodore-Agrippa  d'Aubigné,  un  jeune  aventurier 


IV. 


i 


38  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELiaiEUSE. 

de  Saintonge,  d'un  esprit  étincelant  et  d'un  courage 
indomptable,  répondait  plus  haut  que  tous  du  Béar- 
nais. 

Catherine  de  Médicis ,  au  centre  de  toutes  les  in- 
trigues, contrariait  Guise  dans  ses  assiduités  auprès 
de  la  reine,  trompait  par  madame  de  Sauves  le  roi  de 
Navarre  et  le  duc  d'Alençon  également  amoureux  de 
la  dame  d'honneur,  influait  sur  Henri  III,  et,  par  du 
Gua,  le  favori  régnant,  matait  Marguerite.  Du  Gua 
avait  persiflé  Marguerite  avec  acharnement.  Il  avait 
détaché  d'elle  le  roi  et  il  persévérait  à  lui  nuire.  Il  la 
poussa  imprudemment  à  bout. 

Marguerite  de  Valois,  née  à  Fontainebleau,  le 
d4  mai  1552,  avait  été  le  septième  enfant  de  Henri  II 
et  de  Catherine  de  Médicis. 

Les  premières  années  de  la  petite  princesse  s'étaient 
écoulées  à  Saint-Germain-en-Laye,  où  son  éducation 
fut  très-soignée.  Elle  eut  pour  compagnes  dans  ce 
vieux  château,  à  la  lisière  de  la  grande  forêt,  Claude, 
sa  sœur  aînée,  qui  fut  duchesse  de  Lorraine ,  Élisa- 
beth,  sa  sœur  puînée,  qui  fut  reine  d'Espagne,  et  Ma- 
rie Stuart,  qui  était  déjà  reine  d'Ecosse.  La  gouver- 
nante de  ces  princesses  était  madame  de  Courton. 

Dans  les  troubles  qui  suivirent  la  mort  de  Fran- 
çois II,  Marguerite  et  le  duc  d'Alençon  passèrent  dix- 
neuf  mois  au  château  d'Amboise. 

La  reine  mère ,  dès  le  voyage  qu'elle  fit  avec  le  roi 
Charles  dans  les  provinces  du  Midi,  ne  se  sépara  plus 
de  sa  fille.  Marguerite  était  à  l'entrevue  de  Bayonne. 
(156o.) 

Elle  avait  treize  ans.  D'une  complexion  de  feu,  elle 


LIVEE  QUARANTE-QUATRIÈ?JE.  39 

commença  pendant  les  fêtes  de  ces  célèbres  confé- 
rences ses  précoces  amours.  Elle  noua  une  double 
galanterie  à  la  fois  avec  Entragues  et  Charins,  deux 
gentilshommes  très-jeunes  aussi  et  qui  se  haïrent 
fort  à  cette  occasion. 

Entre  les  batailles  de  Jarnac  et  de  Moncontour,  au 
château  de  Plessis-lez-Tours ,  Marguerite  et  le  duc 
d'Anjou  éprouvèrent  l'un  pour  l'autre  beaucoup  de 
tendresse.  11  lui  avoua  dans  une  allée  écartée  du 
parc  qu'elle  était  la  personne  du  monde  qu'il  avait  le 
plus  chérie  -,  il  l'associa  aux  plans  de  sa  grandeur  fu- 
ture et  il  l'accrédita  en  quelque  sorte  comme  sà  mé- 
diatrice aux  côtés  de  leur  mère  Catherine. 

Marguerite  ne  fut  pas  longtemps  en  faveur  auprès 
du  duc  d'Anjou.  Il  avait  appris  avec  une  sorte  de  rage 
que  le  duc  de  Guise  lui  plaisait.  Il  le  dit  à  leur  mère 
et  il  la  pria  de  retirer  toute  confiance  à  sa  sœur,  qui  au- 
trement livrerait  aux  Guise  les  secrets  des  Valois. 

Une  rupture  éclata  ainsi  entre  Marguerite  et  le  duc 
d'Anjou ,  au  siège  de  Saint-Jean-d'Angely,  où  toute 
la  cour  était  venue.  La  princesse  fit  une  grande  ma- 
ladie de  la  douleur  que  lui  causa  l'animosité  de  son 
frère  qui  avait  eu  et  qui  avait  encore  alors,  si  l'on  en 
croit  les  contemporains,  «  plus  que  de  l'amitié  pour 
elle.  »  Dans  cette  cour,  avec  Catherine  de  Médicis  et 
ses  enfants,  toutes  les  suppositions  sont  permises. 
Marguerite  surtout  était  fille  à  justifier  les  soupçons 
de  son  frère  d'Anjou.  Elle  parle  d'amour  dans  ses 
Mémoires  d'une  voix  timide,  d'une  plume  déhcate, 
presque  innocente,  quoiqu'il  n'y  eût  jamais  pour  êllq 
d'amour  platonique. 


40  UISTOinE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Après  le  départ  du  roi  de  Pologne ,  Charles  IX  sé- 
journa un  peu  à  Saint-Germain,  avec  la  cour.  Là, 
le  duc  d'Alençon  s'éprit  pour  sa  sœur  Marguerite  de 
Navarre.  11  eut  des  empressements,  des  soins,  des 
dévouements  infinis.  «  Me  voyant  conviée  par  tant  de 
submissions ,  de  sujections  et  d'affection  qu'il  me  té- 
moignait, dit  Marguerite,  je  me  résolus  de  l'aimer.  » 

Qui  n'aimait-elle  pas? 

Elle  avait  aimé  Entragues  et  Charins;  elle  avait 
aimé  son  frère  d'Anjou  -,  elle  avait  aimé  le  duc  de 
Guise.  Elle  aima  son  frère  d'Alençon.  Elle  aima  La 
Môle,  pour  lequel  elle  écrivit  un  si  beau  manifeste 
sous  le  nom  de  son  mari ,  manifeste  qui ,  niant  la 
conspiration,  eût  sauvé  les  conspirateurs.  Mais  Ca- 
therine de  Médicis ,  selon  son  habitude ,  fit  exécuter 
deux  conspirateurs  pour  prouver  la  conspiration.  Ces 
deux  conspirateurs  sacrifiés  furent  La  Môle  et  Coco- 
nas.  La  duchesse  de  Nevers  aimait  Coconas  autant 
que  la  reine  de  Navarre  aimait  La  Môle.  Elles  ne 
craignirent  pas,  dans  leur  exaltation,  de  faire  enlever 
les  chères  têtes  de  leurs  amants  et  de  les  ensevelir 
pendant  la  nuit  de  leurs  mains  tremblantes  sous  les 
voûtes  de  la  chapelle  de  Saint-Martin. 

Marguerite  ne  tarda  pas  à  se  consoler.  Elle  aima 
Bussy  qui  était,  comme  La  Môle,  à  son  frère  d'Alen- 
çon ,  dans  l'appartement  duquel  Bussy  et  Marguerite 
passaient  la  moitié  de  leur  temps.  Elle  dit  de  Bussy 
d'Amboise  :  «  11  était  la  terreur  de  ses  ennemis,  la 
gloire  de  son  maître  et  l'espérance  de  ses  amis.  » 
Personne  n'avait ,  ajoute-t-elle ,  c(  sa  façon  brave  et 
joyeuse,  et  il  n'eut  dans  tout  le  siècle,  de  son  sexe  et 


UVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  Ai 

de  sa  qualité,  son  semblable  en  valeur,  réputation, 
et  esprit.  » 

Elle  ne  pouvait  donc  mieux  faire  que  de  l'aimer. 
Aussi  l'aima-t-elle.  Le  goût  de  la  reine  pour  les  arts 
était  une  facilité  à  ses  rendez-vous  d'amour.  Elle 
allait  visiter  tantôt  un  chef-d'œuvre,  tantôt  un  autre, 
et  elle  savait  profiter  d'un  intervalle. 

Elle  avait  une  prédilection  pour  la  fontaine  des 
Innocents,  et  pour  le  groupe  des  trois  Grâces^  ces 
monuments  incomparables  de  la  sculpture  du  sei- 
zième siècle. 

Il  arrivait  souvent  à  la  reine  Marguerite  de  com- 
mander son  carrosse  doré  en  dehors  ,  et,  au  dedans, 
de  velours  jaune  garni  d'argent.  Elle  se  faisait  con- 
duire à  la  rue  Saint-Denis  où  s'élevait  adossée  à  une 
maison  la  fontaine  des  Innocents.  Quand  elle  avait 
bien  contemplé  cette  fontaine  dont  Pierre  Lescot  est 
l'architecte  et  Jean  Goujon  le  sculpteur,  cette  fon- 
taine où  la  simplicité  antique  se  prête  chastement 
aux  fantaisies  les  plus  exquises  de  la  renaissance, 
Marguerite  se  dirigeait  vers  la  chapelle  d'Orléans, 
aux  Célestins  de  Paris.  Là,  le  groupe  des  trois  Grâces 
attirait  aussi  toute  son  attention.  Ce  groupe,  sorti  du 
même  bloc  de  marbre  sous  le  ciseau  de  Germain  Pi- 
lon, portait  une  urne  qui  devait  contenir  les  cœurs  de 
Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis.  L'une  des  figures 
était  le  portrait  vivant  de  la  reine  mère.  Marguerite 
s'oubhait  devant  ce  groupe  de  Germain  Pilon  comme 
devant  la  fontaine  de  Pierre  Lescot  et  de  Jean  Gou- 
jon ,  puis  elle  allait  soit  à  d'autres  statues,  soit  à  des 
tableaux,  soit  à  son  plaisir.  Lorsqu'elle  était  revenue 

4. 


42  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

au  Louvre,  elle  racontait  comment  la  vue  des  belles 
œuvres  l'enseignait  à  bien  penser  et  à  bien  dire. 

Un  écrivain  s'étonne  que  cette  princesse  n'ait  pas 
ajouté  :  à  bien  faire. 

C'est  que  l'esthétique  du  seizième  siècle  n'avait 
pas  encore  trouvé  le  rapport  étroit,  l'affinité  divine 
de  ce  qui  est  beau  avec  ce  qui  est  bon. 

C'est  surtout  que  si  l'intelligence  de  Marguerite,  à 
laquelle  rien  n'était  inaccessible ,  montait  sans  effort 
aux  plus  sublimes  sommets ,  son  âme  amollie ,  cor- 
rompue par  la  volupté  à  la  cour  de  ses  frères,  n'avait 
point  la  fibre  du  sentiment  moral ,  et  qu'elle  était 
privée,  sinon  par  la  nature ,  du  moins  par  l'éduca- 
tion, de  la  faculté  de  la  vertu. 

Elle  avait  la  passion  de  l'amour  autant  que  le  roi 
de  Navarre,  et  la  passion  féroce  de  la  vengeance  au- 
tant qu'il  avait,  lui,  la  passion  magnanime  du  pardon. 
Cette  différence  les  jugera. 

Complaisante  pour  le  duc  d'Alençon,  dévouée  à 
Bussy  pour  l'heure,  fort  attachée  à  madame  de  Tho- 
rigny,  sa  meilleure  amie  dès  l'enfance,  elle  couvait 
une  haine  implacable  contre  du  Gua. 

Il  avait  perdu  Marguerite  auprès  de  Henri  III. 
Lorsque  ce  prince  n'était  encore  que  duc  d'Anjou,  à 
Saint-Jean-d'Angely,  du  Gua  avait  sourdement  miné 
Marguerite.  Il  continuait  à  déchaîner  contre  elle  le 
duc  d'Anjou  devenu  roi  de  Pologne,  puis  roi  de 
France  et  ainsi  tout-puissant. 

Il  avait  désespéré  la  princesse  par  une  tentative  d'as- 
sassinat sur  Bussy  et  par  un  exil  imposé  à  ce  héros 
(îuelliste.  Du  Gua,  ne  la  ménageant  plus,  fit  éloigner 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  43 

d'elle  madame  de  Thorigny  qu'il  poursuivit  d'ou- 
trages. Bien  plus,  par  madame  de  Sauves,  dont  il 
disposait,  il  brouilla  le  roi  de  Navarre  et  le  duc 
d'Alençon,  tous  deux  éperdument  épris.  Madame  de 
Sauves  n'eut  pas  de  peine  à  désoler  Marguerite  et  à 
déjouer  tous  ses  projets. 

Cette  insidieuse  madame  de  Sauves  avait  à  la  cour 
une  situation  formidable.  Aussi  adroite  qu'elle  était 
belle,  elle  dominait  .Catherine  de  Médicis  par  les 
choses  qu'elle  lui  découvrait^  elle  dominait  le  roi  par 
une  intimité  avec  du  Gua-,  elle  dominait  le  du6 
d'Alençon  et  le  Béarnais  par  l'amour  dont  elle  les 
fascinait,  et  elle  foudroya  Marguerite  par  toutes  ces 
tempêtes  à  la  fois. 

Madame  de  Sauves  fut  de  toutes  les  dames  d'hon- 
neur de  Catherine  de  Médicis  la  plus  habilement  co- 
quette. D'une  complexion  très-riche,  d'un  génie  as- 
tucieux, elle  menait  tout  ensemble  la  galanterie  et 
les  affaires,  et  dans  cette  double  lutte  où  elle  était 
sans  cesse  engagée,  oii  elle  triomphait  par  le  plus 
dangereux  des  espionnages,  celui  de  la  volupté,  elle 
échappait  au  mépris  par  les  terreurs  qu'elle  semait, 
par  les  philtres  dont  elle  enivrait.  C'était  une  Armide 
de  police  et  de  cour. 

Femme  du  secrétaire  d'État  Simon  de  Fizes,  ba- 
ron de  Sauves,  confidente  de  Catherine  de  Médicis, 
elle  se  faisait,  selon  ses  goûts,  amie  ou  maîtresse  des 
favoris.  Elle  tenait  à  l'influence  et  personne  n'en  eut 
plus  qu'elle.  Elle  savait  toujours  tout  et  elle  ne  disait 
que  ce  qu'elle  voulait. 

Elle  avait  une  insinuation  de  physionomie  incom* 


44  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

parable.  Elle  n'était  que  pièges  et  que  stratagèmes, 
avec  un  air  inimitable  de  bienveillance  et  d'intérêt. 
Elle  avait  le  front  limpide,  le  nez  fin,  les  sourcils 
agréablement  arqués,  les  yeux  voilés  et  observateurs 
sous  de  longs  cils.  Ses  joues  étaient  pleines,  son  teint 
d'un  chaud  coloris.  Elle  avait  une  bouche  d'aspic  et 
des  lèvres  de  grenade.  Le  haut  de  son  visage  n'était 
que  lumière,  le  bas  que  contraction  et  frémissement. 

Sous  sa  fraise  et  sous  ses  perles,  avec  sa  taille 
souple  et  sa  robe  bouffante,  la  baronne  de  Sauves 
était  irrésistible. 

Le  roi  de  Navarre  fut  plus  déhcatement  séduit  que 
le  duc  d'Alençon.  Il  aimait  dans  madame  de  Sauves 
une  femme  charmante  et  une  intrigue  perpétuelle. 

Marguerite  détestait  cette  rivale-,  mais  sachant  bien 
qu'elle  était  l'instrument  de  dti  Gua,  c'est  de  du 
Gua  qu  elle  jura  de  se  venger. 

Ce  favori,  ce  mignon,  ce  potiron,  comme  elle  l'ap- 
pelle, ne  l'avait-il  pas  attaquée  dans  le  cœur  de  son 
frère  Henri  et  ne  l'en  avait-il  pas  arrachée?  N'avait-il 
pas  soudoyé  des  meurtriers  contre  Bussy  ?  N'avait-il 
pas  fait  chasser  madame  de  Thorigny ,  son  amie 
fidèle?  Ne  la  calomniait-il  pas  sans  cesse,  elle,  Mar- 
guerite, une  fille,  une  femme,  une  sœur  de  rois? 

Du  Gua  Ta  trop  offensée,  trop  outragée.  Il  mourra. 
Mais  comment  ?  Marguerite  eut  bientôt  fait  son  plan. 

11  y  avait  alors  un  homme  de  sac  et  de  corde,  le 
baron  de  Viteaux,  qui  ne  reculait  devant  aucune  en- 
treprise, si  audacieuse  qu'elle  fût.  Il  avait  autour  de 
lui  une  troupe  de  bandits  qui  lui  étaient  dévoués. 

Le  terrible  baron  était  frçre  d'un  gentilhomme  fort 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  45 

distingué  et  fort  honorable,  Antoine  du  Prat,  petit- 
fils  du  chancelier.  Antoine  du  Prat  avait  déplu  à 
Charles  IX  parce  qu'il  ne  l'avait  jamais  flatté  ^  il  avait 
déplu  au  roi  de  Pologne  parce  qu  il  avait  refusé 
d'épouser  l'ancienne  maîtresse  du  duc  d'Anjou , 
mademoiselle  de  Châteauneuf -,  il  avait  déplu  au  duc 
de  Guise  parce  qu'il  n'avait  pas  consenti  à  lui  vendre 
la  terre  de  Nantouillet. 

Or,  pour  punir  Antoine  du  Prat  de  l'indépendance 
de  son  caractère,  Charles  IX,  sous  prétexte  de  lui 
faire  visite,  conduisit  un  jour  chez  lui  le  roi  de  Polo- 
gne, le  roi  de  Navarre,  le  duc  de  Guise  et  les  jeunes 
courtisans  les  plus  turbulents  du  Louvre.  Le  roi  de 
Pologne,  excité  par  sa  maîtresse  mademoiselle  de 
Châteauneuf,  animait  tout  le  monde  à  un  tapage  de 
bonne  compagnie.  On  railla  d'abord  du  Prat,  puis  on 
l'insulta,  puis  on  brisa  les  glaces,  les  meubles,  la 
vaisselle,  puis  on  déchira  et  on  brûla  les  tapisseries. 
Les  gens  des  rois  et  des  ducs  allèrent  plus  loin,  ils 
défoncèrent  les  caisses,  les  coffres,  et  volèrent  l'ar- 
gent, l'argenterie,  tout  ce  qu'ils  trouvèrent  de  pré- 
cieux. 

Le  baron  de  Viteaux  était  caché  dans  un  apparte- 
ment secret  chez  son  frère ,  avec  les  siens.  Il  se  pré- 
parait à  une  expédition  contre  un  de  ses  ennemis.  Au 
tumulte  causé  par  Charles  IX,  p^ar  le  roi  de  Pologne, 
le  roi  de  Navarre  et  leurs  amis,  il  s'était  mis  en  dé- 
fense, prêt  à  daguer  tout  ce  qui  forcerait  sa  porte. 
((  Que  serait  devenu  l'État,  dit  M.  de  Thou,  si  ce  dé- 
terminé et  hardi  compagnon  eût  tué  ces  trois  rois 
avec  les  princes  et  seigneurs  de  leur  suite  ?  » 


46  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Cela  était  possible  et  il  en  était  fort  capable.  Heu- 
reusement sa  porte  fut  respectée  par  basard. 

Depuis ,  le  baron  avait  assassiné  avec  son  escorte 
d'aventuriers  son  ennemi  M.  d'Allègre.  Du  Gua,  un 
des  intimes  de  la  victime,  avait  dénoncé  au  roi  le 
meurtrier  et  s'était  opposé  à  la  grâce  que  plusieurs 
sollicitaient.  Le  baron  s'était  réfugié  au  couvent  des 
Augustins  comme  dans  un  lieu  d'asile. 

Il  était  exaspéré  contre  du  Gua.  Plus  exaspérée 
encore,  c'est  au  baron  que  s'adresse  Marguerite. 

Elle  va  droit  au  couvent,  fait  prévenir  Viteaux 
qu'elle  l'attend  à  Téglise ,  dans  les  ombrés  du  cré- 
puscule. Là,  elle  lui  développe,  au  fond  d'une  cha- 
pelle sombre,  tous  ses  griefs  contre  du  Gua.  Elle 
l'exhorte  à  la  vengeance.  Elle  le  harangue  à  voix 
basse,  elle  lui  promet  sa  reconnaissance.  Elle  l'en- 
flamme, elle  l'électrise,  elle  le  rend  fou.  Le  baron  de 
Viteaux,  hors  de  lui,  tombe  à  genoux  et  s'engage  à 
tuer,  mais  à  une  condition.  Marguerite  comprend, 
accepte,  se  donne,  et  le  pacte  de  débauche  mêlé  de 
sang  est  conclu  sous  les  voûtes  obscures  et  silen- 
cieuses du  Christ.  De  telles  abominations  n'étaient 
pas  rares.  (V.  Louis  de  Pérussis,  l'historien  orthodoxe 
des  guerres  du  comté  Venaissin,  p.  112  et  113.) 

Le  baron,  payé  d'avance,  ne  manqua  pas  de  parole. 
Il  convoqua  ses  bandits  ;  il  leur  communiqua  ses  in- 
structions et  ils  se  dispersèrent.  Ils  s'informèrent  des 
habitudes  précises  de  du  Gua.  En  temps  ordinaire,  il 
eût  été  presque  impossible  de  le  surprendre.  Il  était 
toujours  accompagné  de  quinze  gentilshommes  d'une 
bravoure  éprouvée.  Il  entretenait  ces  gentilshommes 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  47 

avec  les  libéralités  du  roi.  Il  les  traitait  à  sa  table. 
Indépendamment  de  cette  noblesse,  il  avait  un  corps 
de  garde  à  son  bôtel. 

Tout  ce  train  de  vie  était  changé  depuis  quelques 
semaines.  Du  Gua  s'était  installé  dans  une  maison 
nouvelle,  où  demeurait  une  dame  qu'il  servait.  Il 
avait  loué  un  appartement  contigu  à  celui  de  sa  maî- 
tresse. Il  recevait  toujours  à  sa  table  ses  gentils- 
hommes, mais  après  souper  il  les  congédiait.  Ses 
amis  se  retiraient  et  ses  domestiques  aussi,  qui  re- 
tournaient coucher  à  l'hôtel  de  du  Gua.  Lui,  ne  rete- 
nait que  trois  ou  quatre  valets  de  chambre  affidés  et 
tout  devenait  mystère  autour  de  lui. 

Viteaux  se  conforma  aux  circonstances.  Il  choisit 
le  jour  de  la  Toussaint  pour  son  expédition ,  afin  de 
couvrir  par  le  son  des  cloches  les  cliquetis  de  l'assas- 
sinat. Il  se  rendit  un  peu  tard  et  déguisé  dans  la  cour 
ouverte  de  la  maison  de  son  ennemi.  Il  s'y  glissa 
parmi  les  gens  qui  s'y  trouvaient  avec  le  concierge, 
entama  une  conversation,  vit  les  amis  qui  partaient. 
Ses  compagnons  alors  le  rejoignirent  et  montèrent 
avec  lui.  Le  baron  savait  où  rencontrer  du  Gua.  Il  alla 
droit  à  l'appartement  du  favori ,  laissa  deux  faction- 
naires à  l'entrée,  puis  avec  deux  autres  aventuriers, 
il  se  précipita  dans  la  chambre  à  coucher. 

Du  Gua,  qui  était  un  homme  très-Uttéraire  pour  un 
mignon  et  d'un  esprit  cultivé,  lisait  dans  son  lit.  A 
l'aspect  du  baron  qui  s'avançait  l'épée  nue  à  la  main, 
il  saute  dans  sa  ruelle  ,  saisit  un  épieu  et  se  met  en 
défense.  Mais  ses  mouvements  sont  empêchés  par  l'é- 
troit espace  où  il  s'agite  péniblement.  Le  baron  pro- 


4â  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE . 

fite  du  lieu,  de  rétonnement,  des  moindres  avan- 
tages ^  il  s'élance  et  perce  de  son  épée  du  Gua  qui  est 
achevé  par  d'autres  coups.  Yiteaux  ,  pour  qui  la 
promptitude  est  le  salut,  donne  le  signal  de  la  re- 
traite, n  heurte  dans  la  chambre  voisine  la  maîtresse 
de  du  Gua,  essuie  à  la  robe  de  cette  pauvre  femme 
épouvantée  son  épée  sanglante,  descend  les  escaliers, 
*  sort  de  la  cour,  s'oriente ,  dit  adieu  à  ses  compa- 
gnons et  atteint  les  murs  de  la  ville,  à  un  endroit  con- 
venu. Là,  d'autres  compagnons  lui  tiennent  prête 
une  échelle  de  chanvre  par  laquelle  il  gagne  le  bas  du 
rempart  où  l'attend  un  excellent  cheval.  Il  l'enjambe 
et  rejoint  sans  accident  l'armée  de  Monsieur. 

La  nouvelle  du  meurtre  se  répandit  le  même  soir 
à  Paris.  Le  roi ,  fort  affligé,  ordonna  de  magnifiques 
funérailles  à  son  favori.  Il  l'oubha  vite.  Du  Gua  com- 
mençait à  devenir  importun,  en  disant  au  roi  la  vérité 
trop  souvent.  Sa  mort  fut  pour  son  maître  une  déli- 
vrance -,  pour  Marguerite,  elle  fut  un  bonheur. 

Voici  l'oraison  funèbre  qu'elle  lui  a  consacrée  dans 
ses  Mémoires  :  «  Du  Gua,  ce  fusil  de  haine  et  de 
division,  fust  osté  du  monde.  Son  corps  gasté  fust 
abandonné  à  la  pourriture  qui  dès  longtemps  le  pos- 
sédait, et  son  àme  aux  démons  à  qui  il  avait  fait 
hommage  par  magie  et  toutes  sortes  de  méchan- 
cetés. » 

Du  Gua  avait  été  un  des  bourreaux  de  la  Saint- 
Bar  thélemy.  Chacun  successivement  recevait  son  sa- 
laire. 

Le  plus  odieux  de  ces  bourreaux ,  Besme ,  l'assas- 
sin de  Coligny,  fut  châtié  en  ce  temps-là.  Le  cardinal 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME. 

de  Lorraine  l'avait  récompensé  en  lui  accordant  la 
main  d'une  de  ses  bâtardes,  qui  avait  été  fille  d'hon- 
neur d'Elisabeth  de  France,  la  femme  de  Philippe  II. 
Ce  misérable  Besme  s'était  marié  avec  elle  en  Es- 
pagne. Philippe  l'avait  comphmenté  et  lui  avait  donné 
de  largent ,  l'argent  du  sang.  Ce  gendre  infime  du 
cardinal  de  Lorraine  avait  posé  et  piaffé  devant  la 
cour  de  l'Escurial ,  puis  il  s'en  était  revenu  en  Sain- 
tonge,  où  il  fut  pris  par  les  huguenots.  Ils  l'enfermè- 
rent dans  un  château  fort  dont  M.  de  Bertauville 
était  gouverneur. 

Après  une  longue  captivité,  Besme  gagne  un  sol- 
dat de  la  garnison  et  s'évade  avec  lui.  M.  de  Bertau- 
ville, instruit  de  cette  fuite,  saute  sur  son  meilleur 
cheval,  se  lance  au  galop,  atteint  le  soldat  et  le  fait  pri- 
sonnier. Il  est  seul  contre  deux.  Le  soldat  s'échappe, 
Besme  demeure.  «  Apprends,  s'écrie-t-il  en  déchar- 
geant Tun  de  ses  pistolets  sur  M.  de  Bertauville,  que 
je  suis  un  mauvais  garçon.  —  Je  ne  veux  plus  que 
lu  le  sois,  »  répond  le  gouverneur,  et  il  abat  du  tran- 
chant de  sa  lourde  lame  le  vil  sicaire.  Besme  ne  se 
releva  plus. 

Henri  III  cependant  se  plongeait  de  plus  en  plus 
dans  l'indolence  lâche  et  dans  les  vices  honteux.  Il 
avait  regretté  sa  déposition  du  trône  de  Pologne.  La 
diète,  par  un  décret  du  lo  juillet  lo7o,  investit  de  l'au- 
torité suprême  la  princesse  Anne,  de  la  race  des  Ja- 
gellons,  à  la  condition  qu'elle  épouserait  Etienne  Ba- 
tory,  prince  de  Transylvanie.  Henri  III  éprouva  une 
humihation  secrète  de  cette  élection.  Un  sceptre  de 
moins  soulageait  sa  faiblesse,  mais  sa  vanité  souffril. 
IV.  5 


50  HISTOIRE  LE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  ne  se  rendait  pas  compte  de  sa  situation  au  mi- 
lieu des  partis  qui  divisaient  le  royaume. 

Il  ne  redoutait  point  le  duc  de  Guise.  Il  ne  s'aper- 
cevait pas  que  la  multitude,  le  clergé,  les  moines, 
tout  le  catholicisme  militant,  reconnaissaient  dans  la 
branche  cadette  de  la  maison  de  Lorraine  une  dynas- 
tie dont  le  duc  Claude  avait  été  le  politique,  le  duc 
François  le  grand  homme,  et  dont  le  duc  Henri  serait 
le  roi. 

Insensible  à  son  vrai  danger,  le  fils  de  Catherine 
de  Médicis  ne  craignait  que  les  protestants  dont  le 
prince  de  Condé  était  le  général  et  les  mécontents 
dont  le  général  était  Damville.  Henri  III,  certain  que 
les  chefs  réels  de  ces  deux  factions  étaient  le  roi  de 
Navarre  et  le  duc  d'Alençon ,  se  rassurait  par  la  pré- 
sence de  ces  princes  à  la  cour.  Tant  qu'ils  seraient 
sous  les  verrous  du  Louvre ,  lui  pouvait  dormir,  se 
distraire,  se  réjouir  avec  sécurité  au  miheu  de  ses 
tailleurs,  de  ses  coiffeurs,  de  ses  mignons,  de  ses  pe- 
tites meutes  de  chiens  volés,  pai fumés  et  ornés  de 
nœuds  de  rubans. 

Ces  tranquilles  délices  furent  tout  à  coup  troublées. 
Le  15  septembre,  à  souper,  le  roi  et  la  reine  mère, 
n'apercevant  pas  le  duc  d'Alenço  i,  demandèrent  à 
Marguerite  où  il  était.  Elle  répondi  :  de  son  air  le  plus 
innocent  qu'elle  ne  le  savait  pas.  L  )  roi  dépêcha  dans 
la  chambre  du  prince ,  puis  dans  t  )ut  le  château.  Le 
duc  d'Alençon  n'était  nulle  part. 

Le  roi  s'arracha  les  cheveux.  «  Son  frère  s'était 
sauvé,  disait-il,  il  allait  donner  un  chef  aux  ennemis 
de  la  couronne.  »  Le  duc,  en  eiFet,  avait  changé  de 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  5Ï 

manteau  et  de  toque.  Il  s'était  caché  le  visage  dans 
une  écharpe.  Il  avait  franchi  la  porte  du  Louvre  et 
marché  jusqu'à  la  porte  Saint-Honoré.  Là,  Simiers 
stationnait  avec  un  carrosse.  Le  prince  s'était  jeté  de- 
dans et  il  avait  gagné  Neuilly  oii  il  trouva  des  che- 
vaux qui  le  conduisirent  lui  et  quelques  amis  àDreux^ 
il  s'y  coucha.  De  Dreux  il  se  rendit  en  Champagne 
où  il  devint  le  centre  de  l'insurrection  des  mécon- 
tents et  des  huguenots. 

Les  seigneurs  accoururent  vers  lui  comme  vers  un 
libérateur.  Chacun  lui  amenait  un  contingent.  Le 
prince  de  Condé,  qui  levait  en  Allemagne  une  armée 
de  reîtres,  en  détacha  deux  mille.  Il  y  ajouta  plusieurs 
centaines  de  huguenots  français  avec  lesquels  M.  de 
Thoré,  l'un  des  Montmorency,  se  hasarda  à  rejoindre 
Je  duc  d'Alençon. 

Le  roi ,  qui  avait  dissipé  son  trésor  en  folles  dé- 
penses ,  n'avait  ni  soldats  ni  argent.  Il  fut  obligé  de 
dégarnir  l'Ouest  et  le  Midi  des  forces  qu'il  y  entrete- 
nait. Il  composa  ainsi  une  armée  dont  il  aurait  dû  re- 
tenir le  commandement.  Mais  il  le  décerna  très-im- 
politiquement  au  duc  de  Guise  que  cette  faveur 
grandissait  encore. 

Le  duc  atteignit  Thoré  le  10  octobre,  près  de 
Fimes,  entre  Reims  et  Château-Thierry.  Il  avait  une 
armée  entière,  Thoré  n'avait  qu'une  avant-garde  et 
fut  rompu,  dispersé.  Mayenne,  de  marquis  devenu 
duc,  fit  une  charge  vigoureuse.  Son  frère,  le  duc  de 
Guise,  le  seconda  vivement.  Il  s'échauffa  même  si 
bien  à  la  poursuite  d'un  reître  qu'il  reçut  une  arque- 
busade  à  la  joue  gauche.  Ces  princes  n'étaient  que  de 


52  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

brillants  officiers.  Le  général  sérieux  était  le  maré- 
chal de  Biron. 

La  blessure  du  duc  de  Guise  consterna  tout  son 
état-major.  Ce  fut  un  désordre  parmi  les  vainqueurs. 
Quand  ils  furent  remis  de  leur  inquiétude,  Thoré 
avait  exécuté  sa  retraite.  Le  duc  de  Guise  n'était  pas 
en  danger.  Il  fut  guéri  très-promptement.  Son  mal 
fut  court,  mais  sa  gloire  fut  longue,  car  il  conserva 
de  ce  combat  une  cicatrice  à  la  joue,  comme  son  père 
en  avait  une  au  front.  Il  fut  salué  à  son  tour  du  sur- 
nom de  Balafré.  Les  catholiques  se  le  montraient 
avec  enthousiasme  et  disaient  :  a  Les  princes  de  la 
maison  de  Guise  sont  toujours  les  premiers  au  péril 
contre  les  hérétiques.  »  La  popularité  du  duc  mon- 
tait sans  cesse.  Le  roi  même  et  la  reine  mère  se  fai- 
saient les  comphces  imprévoyants  de  sa  fortune. 

Au  fond,  cette  rencontre  entre  le  duc  de  Guise  et 
M.  de  Thoré  n'était  pas  du  tout  décisive.  Les  calvinistes 
et  les  pohtiques  restaient  les  plus  forts.  Catherine  de 
Médicisle  comprit  si  bien,  que,  ne  pouvant  traiter  une 
paix  au  château  de  Champigny  avec  Monsieur,  elle 
conclut  une  trêve  qui  fut  fixée  du  22  novembre  1575 
au  24  juin  1576. 

Henri  III  ne  voulait  que  temporiser  et  sa  mère 
aussi.  Pendant  qu'ils  se  préparaient  à  mieux  continuer 
la  lutte,  à  l'expiration  de  la  trêve,  un  incident,  petit 
en  apparence,  mais  de  la  plus  haute  gravité  par  ses 
vastes  suites,  imprima  un  nouveau  caractère  à  la  cause 
protestante. 

Henri  de  Navarre  avait  été  abreuvé  d'outrages  de- 
puis ses  noces  maudites.  La  Saint-Barthélemy,  dont 


LIVRE  QUARANTE-QTJATRTÈMÈ.  o3 

elles  furent  le  signal,  avait  tout  fauché  autour  de  lui. 
Il  avait  été  contraint  à  l'apostasie.  Prisonnier  dans 
toutes  les  résidences  royales,  il  n'avait  pu  retourner 
en  Béarn,  ni  faire  aucun  acte  soit  d'homme,  soit  de 
prince.  On  le  leurrait  de  temps  en  temps  delaheute- 
nance  générale  des  armées,  et  puis  on  la  lui  refusait 
en  se  moquant  de  sa  confiance.  Son  mariage,  qui 
avait  été  une  calamité  publique,  était  encore  un  scan- 
dale domestique.  Sa  femme  était  plutôt  une  courti- 
sane qu'une  reine.  Il  était,  lui,  la  risée  des  Valois 
et  de  leurs  mignons,  des  Guise  et  de  leurs  pages. 
Pour  comble  d'infortune,  depuis  l'évasion  du  duc 
d'Alençon,  qui  allait  peut-être  le  supplanter  dans  le 
cœur  du  grand  parti  protestant,  les  espions  et  les 
gardes  l'enveloppaient  le  jour  et  la  nuit. 

Son  meilleur  geôlier  était  madame  de  Sauves  qui 
lui  enchantait  sa  captivité.  Il  était  toujours  sur  ses 
traces.  Le  matin ,  il  la  cherchait  au  lever  de  la  reine 
mère,  et  ne  la  quittait  presque  plus  jusqu'au  soir, 
toujours  errant  sur  les  pas  de  cette  magicienne  dans 
le  château,  ou  causant  avec  elle,  ou  combinant  des 
rendez-vous  d'amour. 

Par  intervalles,  le  remords  le  navrait.  Vers  la  fin 
de  janvier,  une  après-midi  entre  autres  qu'il  était 
retenu  au  lit  par  un  accès  de  fièvre,  d'Armagnac,  son 
valet  de  chambre,  et  d'Aubigné,  son  écuyer,  l'enten- 
dirent qui  gémissait.  Sans  doute  il  se  rappelait  ceux 
qui  avaient  été  ses  guides  et  dont  la  disparition  avait 
creusé  dans  sa  vie  un  si  effroyable  isolement.  Il  son- 
geait à  sa  mère,  la  nourrice  de  son  âme  ^  à  Coligny,  son 
modèle;  à  M.  de  Beauvoir,  son  gouverneur;  à  Fran- 

s. 


54  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

court,  son  chancelier^  à  Pardaillan  et  à  Piles,  ses 
serviteurs  et  ses  héros,  tous  tués  traîtreusement  et 
qui  l'avaient  laissé,  selon  son  expression,  «  seul  d'a- 
mys  et  en  défiance.  »  Il  pensait  à  tous  ces  morts  vé- 
nérables ou  vaillants,  et,  en  pensant  à  eux,  il  se  prit 
à  chanter  tout  Las  le  quatre-vingt-huitième  psaume 
aux  versets  suivants  : 

«  Ma  jeunesse  s'est  consumée  dans  les  privations 
et  dans  les  labeurs  :  même  sous  la  couronne,  l'humi- 
liation et  l'angoisse  m'ont  visité. 

((  Vous  avez  arraché  de  moi,  Seigneur,  mes  amis 
et  mes  proches.  » 

Il  chantait  sans  soupçonner  que  d'Armagnac  et 
d'Aubigné  s'étaient  rapprochés  peu  à  peu  de  son  che- 
vet et  lui  prêtaient  une  oreille  attentive.  Tout  à  coup 
d'Armagnac  ouvrit  le  rideau  et  dit  :  «  D'Aubigné, 
toi  qui  sais  parler,  parle  hardiment.  »  Et  d'Aubigné 
parla  ainsi  : 

«Sire,  est-il  donc  vrai  que  l'esprit  de  Dieu  tra- 
vaille et  habite  encore  en  vous  ?  Si  beaucoup  de  vos 
amis  sont  morts,  il  vous  en  reste  de  vivants.  Mais 
vous  avez  les  larmes  aux  yeux  et  eux  les  armes 
aux  mains,  lis  combattent  vos  ennemis  et  vous  les 
servez.  Ils  ne  craignent  que  Dieu,  vous  une  femme 
devant  laquelle  vous  joignez  les  doigts,  quand  vos 
amis  ont  le  poing  fermé.  Ils  sont  à  cheval  et  vous  à 
genoux.  Voilà  Monsieur  qui  est  chef  de  ceux  qui  ont 
gardé  votre  berceau.  Quelle  fatahté  vous  fait  choisir 
d'être  vallet  icy,  au  lieu  d'être  le  maître  là?  Vous  êtes 
criminel  de  votre  grandeur  et  des  offenses  que  vous 
àve'z  reçues  j  ceux  qui  ont  fait  la  Saint -Barthélémy 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  55 

s'en  souviennent  bien  et  ne  peuvent  croire  que  ceux 
qui  l'ont  soufferte  l'aient  mise  en  oubli.  Encore, 
si  les  choses  honteuses  vous  étaient  sûres,  mais 
vous  n'avez  rien  à  craindre  tant  que  de  demeurer. 
Pour  nous  deux,  nous  causions  de  nous  enfuir  de- 
main, quand  vos  propos  nous  ont  fait  tirer  le  rideau. 
Avisez,  sire,  qu'après  nous,  les  mains  qui  vous  servi- 
ront, n'oseraient  refuser  d'employer  sur  vous  le  poi- 
son et  le  couteau.  » 

Une  semaine  après,  le  Béarnais  se  rendait  à  Senlis 
avec  l'agrément  du  roi.  Parti  du  Louvre,  le  2  février 
1576,  escorté  de  deux  gardiens  et  de  ses  compa- 
gnons, le  3,  il  rencontre  le  duc  de  Guise  à  la  foire  de 
Saint-Germain,  le  presse  de  venir  chasser,  bien  con- 
vaincu du  refus  du  duc  qui  était  toujours  en  conva- 
lescence de  sa  blessure.  Le  duc,  en  effet,  s'excuse,  et 
le  roi  de  Navarre  court  le  cerf  dans  la  forêt  de  Senlis 
toute  la  journée  du  4  février. 

Le  soir,  à  son  retour,  il  a  l'adresse  d'éconduire  ses 
gardiens,  monte  sur  des  chevaux  frais,  accompagné 
du  conîte  de  Gramont,  de  Chalandrai,  de  Caumont, 
de  Poudins.  D'Aubigné  en  était.  Frontenac  explorait 
la  route  et  les  bois.  Le  roi  marcha  toute  une  nuit  gla- 
ciale, et  à  l'aurore  franchit  la  Seine  à  une  lieue  de 
Poissy.  Accablé  de  sommeil,  il  s'arrêta  dans  ce  vil- 
lage et  y  dormit.  Les  siens,  prévoyant  le  sort  de  La 
Môle  s'ils  échouaient,  abrégèrent  le  repos  du  Béar- 
nais, qui  repartit  pour  son  duché  de  Vendôme  jus- 
qu'à Saumur.  Il  n'avait  pas  rompu  le  silence  de  la 
Seine  à  la  Loire,  à  travers  les  périls  de  sa  longue 
traite-,  mais  quand  il  eut  traversé  la  Loire,  il  poussa 


56  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

un  profond  soupir  et  dit  :  «  Loué  soit  Dieu  qui  m'a 
délivré.  Ils  ont  tué  la  reine  ma  mère  à  Paris;  ils  y  ont 
tué  monsieur  l'amiral  et  tous  mes  plus  chers  servi- 
teurs. Ils  n'avaient  pas  envie  de  me  mieux  faire.  Je 
n'y  retourne  plus  si  on  ne  m'y  traisne.  )>  Il  reprit  dès 
lors  sa  bonne  humeur  et  sa  conversation  enjouée. 
«  Je  n'ai  regret,  dit-il  en  badinant,  qu'à  deux  choses 
que  j'ai  laissées  au  Louvre  :  la  messe  et  ma  femme. 
J'essayerai  de  m'en  passer.  » 

A  Saumur,  d'Aubigné,  qui  est  un  croyant,  s'em- 
presse de  communier  à  la  Cène.  Son  maître  s'abstient. 

Ce  qui  est  bien  remarquable  et  ce  qui  peint  le  roi 
de  Navarre,  c'est  que,  pendant  deux  mois,  d'Aubigné 
est  précis  à  cet  égard,  le  Béarnais  ne  fait  nulle  pro- 
fession de  rehgion.  Il  n'est  ni  catholique,  ni  protes- 
tant. Qu'est-il  donc  ?  un  théiste  pieux  ?  non ,  un  théiste 
indifférent.  Hors  les  grands  moments,  il  fut  toujours 
cela ,  saturé  qu'il  était  de  calvinisme  par  les  théolo- 
giens de  sa  mère,  de  catholicisme  par  les  théologiens 
des  Valois.  S'il  eût  été  plus  fervent,  il  eût  honoré  et 
grandi  la  tradition  d'un  théisme  chrétien  qui  compta 
tant  d'apôtres  isolés  depuis  L'Hôpital  jusqu'à  Cha- 
ning. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  roi  de  Navarre,  secoué  de  sa 
torpeur  religieuse  par  les  nécessités  politiques,  pu- 
blia un  manifeste  et  déclara  solennellement  dans  le 
temple  de  Niort  qu'il  répudiait  le  papisme  et  qu'il 
adhérait  de  nouveau  à  la  doctrine  du  saint  Evangile, 
où  il  vivrait  et  où  il  mourrait,  a  selon  l'instruction 
qu'il  en  avait  eue  de  la  reine  sa  mère.  » 

Les  calvinistes  et  les  politiques  eurent,  par  la  pré- 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIEME.  57 

sence  da  roi  de  Navarre,  quatre  chefs.  Le  duc  d'Alen- 
çon  fut  très-jaloux  du  Béarnais,  et  le  prince  deCondé 
le  fut  un  peu.  Le  maréchal  Damville  n'était  pas  très- 
content  non  plus.  Tous  ces  princes  du  sang  le  suhor- 
donnaient.  Sous  ces  chefs  trop  divisés,  l'armée  était 
magnifique.  Elle  ne  comptait  pas  moins  de  quarante 
mille  hommes. 

Henri  III  désirait  toujours  la  paix  nécessaire  à  ses 
plaisirs.  Il  la  désirait  surtout  cette  fois  devant  une 
telle  levée  de  houcliers.  Le  duc  d'Alençon  ne  souhai- 
tait pas  non  plus  beaucoup  la  guerre.  Catherine  de 
Médicis  se  glissa  entre  eux  comme  négociatrice.  Elle 
aimait  à  intervenir.  Quand  il  n'y  avait  pas  de  troubles, 
elle  en  suscitait  pour  avoir  à  les  calmer. 

Les  conférences  se  tinrent  d'abord  à  Moulins,  puis 
à  Chàtenoy.  Les  huguenots  dictèrent  à  la  reine  le 
plus  bel  édit  de  pacification  qu'ils  eussent  encore 
conquis.  La  reine  se  soumit  à  tout,  résolue  à  ne  rien 
respecter. 

Le  14  mai  1576,  Catherine  de  Médicis  et  les  chefs 
confédérés  signèrent  un  traité  en  soixante-trois  arti- 
cles. Ce  traité  garantissait  aux  huguenots  la  hberté  de 
conscience  et  l'exercice  public  de  leur  culte.  Il  resti- 
tuait la  mémoire  de  l'amiral  de  Coligny,  de  Brique- 
maut,  de  Cavagne,  de  Montgommery -,  même  les 
favoris  du  duc  d'Alençon,  La  Môle  etCoconas,  étaient 
réhabilités.  Le  duc  d'Alençon,  le  roi  de  Navarre,  le 
prince  de  Condé,  le  maréchal  Damville  étaient  décla- 
rés loyaux  et  irréprochables.  La  sécurité  des  prêtres 
et  moines  défroqués,  la  légitimité  de  leurs  enfants, 
l'établissement  de  chambres  mi-parties  dans  tous  les 


58  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

parlements  du  royaume,  l'octroi  de  huit  places  de 
sûreté  et  enfin  la  réunion  des  états  généraux  avant 
six  mois  dans  la  ville  de  Blois,  furent  stipulés  formel- 
lement. 

Le  duc  d'Alençon  eut  le  comté  du  Maine ,  les  du- 
chés de  Touraine,  de  Berri  et  d'Anjou.  ïl  prit  dès  lors 
ce  dernier  nom  et  l'histoire  l'appellera  désormais  soit 
duc  d'Anjou,  soit  Monsieur. 

Tous  ses  adhérents  et  principalement  le  maréchal 
Damville  rentrèrent  en  possession  de  leurs  dignités 
et  pensions. 

Le  roi  de  Navarre  fut  confirmé  dans  le  gouverne- 
ment de  Guyenne  et  le  prince  de  Condé  dans  le  gou- 
vernement de  Picardie  où  ils  n'avaient  jamais  encore 
exercé  une  autorité  réelle.  De  grandes  libéralités  fu- 
rent faites  aussi  au  prince  Jean-Casimir  et  aux  troupes 
allemandes  qui  avaient  si  puissamment  soutenu  les 
confédérés. 

Certes,  c'était  une  admirable  paix  que  cette  paix 
de  Monsieur.  Mais  le  fruit,  sous  de  si  splendides  ap- 
parences, était  piqué  au  cœur.  Il  n'y  avait  plus  là  un 
chancelier  de  L'Hôpital  pour  recommander  la  bonne 
foi,  tandis  qu'il  y  avait  toujours  une  Catherine  de 
Médicis  pour  conseiller  le  parjure  et  des  Valois  pour 
l'exécuter! 

Les  princes  ne  tardèrent  pas  à  sentir  le  néant  du 
traité  de  pacification.  Péronne  ferma  ses  portes  à 
Condé  et  Bordeaux  au  Béarnais.  Ils  envoyèrent  à  la 
cour  de  vives  remontrances  et  ils  se  retirèrent  fort 
irrités  dans  les  États  du  roi  de  Navarre. 

D'Aubigné  rie  sè  faisait  pas  illusion.  Il  triomphait 


LÎVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  S9 

pourtant.  Car  il  y  avait  une  chose  qui  n'était  pas  chi- 
mérique :  c'était  l'arrivée  du  Béarnais,  dans  ses  pro- 
vinces héréditaires. 

La  liberté  du  roi  de  Navarre  eut  une  portée  prodi- 
gieuse. 

Le  Béarnais  cesse  d'être  lié  et  garrotté.  Ce  n'est 
plus  un  captif,  c'est  un  homme  qui  deviendra  peut- 
être  un  grand  homme. 

Certainement,  c'est  l'homme  providentiel  du  parti 
protestant.  Ce  parti  vit  en  lui,  se  personnifie  en  lui. 
N'est-ce  pas  le  fds  de  Jeanne  d'Albret,  le  pupille  de 
Coligny?  N'est-ce  pas  un  esprit  aussi  fort  que  souple, 
un  cœur  héroïque  dans  une  poitrine  robuste?  II 
saura  faire  soit  la  guerre,  soit  la  paix.  Dût-il  trahir, 
comme  croyant,  le  calvinisme,  il  ne  le  trahira  pas 
comme  roi.  Il  l'abritera  et  le  protégera.  Il  lui  ouvrira 
une  charte  qui  sera  la  cité  morale ,  le  camp  re- 
tranché des  rehgionnaires  dans  la  vieille  constitution 
française. 

Yoilà  les  conséquences  lointaines,  immenses,  in- 
calculables, de  la  délivrance  du  Béarnais. 

Cette  délivrance  du  roi  de  Navarre  dans  laquelle 
d'Aubigné  avait  joué  un  rôle  si  hardi  fonda  entre 
l'écuyer  et  le  prince  une  amitié,  une  estime,  une  in- 
timité, que  les  plus  étonnantes  vicissitudes  ne  déra- 
cinèrent jamais.  Ils  se  querellèrent  souvent,  mais  ils 
se  restèrent  fidèles  l'un  à  l'autre.  Henri  tenta  de  de- 
mander à  d'Aubigné  de  le  favoriser  dans  des  intrigues 
d'amour;  il  l'en  pria,  il  l'en  supplia.  D'Aubigné  lui 
résista  fièrement  par  de  beaux  mots,  ou  plaisamment 
par  des  sarcasmes  incisifs.  Il  ne  voulut  lui  rendre 


60  IlISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

que  des  services  de  gentilhomme,  dans  la  guerre  et 
dans  la  politique. 

Si  j'en  excepte  de  généreux  talents  qui  se  sont 
prononcés  déjà,  on  n'a  pas  assez  fait  justice  à  d'Au- 
bigné. 

Il  est  grand  dans  tous  les  ordres  de  grandeur, 
nouveau  dans  tous  les  ordres  de  nouveautés.  Quel- 
quefois il  n'est  pas  assez  mûr  et  sa  langue  n'était  pas 
encore  fixée.  Voilà  ses  deux  malheurs. 

Mais  que  de  supériorités  les  compensent  ? 

Et  d'abord,  à  l'ère  où  nous  sommes,  quel  acte  mé- 
morable n'est-ce  pas  d'avoir  rendu  le  Béarnais  à  lui- 
même,  au  parti  protestant,  à  la  France,  et  à  la  posté- 
rité? Quelle  magnifique  inspiration  n'est-ce  pas, 
d'avoir  placé  en  réserve,  par  un  coup  de  tête  au- 
dacieux, le  roi  prédestiné  à  l'affranchissement  des 
consciences  et  à  l'extirpation  de  l'anarchie  ? 

Cela  réjouit  l'âme  de  contempler  Agrippa  d'Aubi- 
gné  à  cette  époque.  Nous  le  connaissons  mieux  qu'il 
ne  se  connaissait  lui-même  et  que  ne  le  connaissait 
le  roi  de  Navarre. 

Il  a  vingt-cinq  ans,  un  an  de  plus  que  le  Béarnais. 
Dès  six  ans,  il  savait  l'hébreu,  le  grec,  le  latin  et 
le  français  -,  dès  sept  ans  et  demi ,  il  traduisait  le  Cri- 
ton  ;  dès  quatorze  ans ,  il  lisait  en  se  jouant  les  Rab- 
bins. 

Il  avait  été  présenté  au  roi  «  comme  un  homme 
qui  ne  trouvait  rien  de  trop  chaud,  »  et  comme  fils 
d'un  père  qui  avait  été  chancelier  de  Navarre.  Le 
Béarnais  en  fit  son  écuyer. 

C'était  un  jeune  huguenot,  peu  puritain,  quoique 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME.  61' 

très-décidé.  Il  était  fort  dressé  aux  «  caprioUes  de 
cour,  ))  bien  avec  les  Valois ,  bien  avec  les  Guise , 
mieux  avec  les  dames ,  mais  sous  ses  dehors  légers , 
tout  bouillonnant  du  souvenir  profond  de  la  Saint- 
Barthélemy.  Il  y  avait  en  germe  dans  cet  écuyer 
presque  adolescent,  étincelant  d'esprit,  débordant 
de  courage,  un  Grillon  pour  les  combats,  un  Dante 
pour  la  poésie ,  un  Juvénal  pour  le  sarcasme  amer, 
un  Pascal  pour  le  dialogue  comique  ,  un  Salluste 
mêlé  de  Sénèque  pour  l'art  de  buriner  son  siècle.  On 
sentait  la  séve  de  tous  les  génies  de  d'Aubigné,  de 
ses  duels  épiques,  de  ses  œuvres  inspirées,  quoique 
incomplètes  :  les  Tragiques ,  le  Divorce  satyrique , 
la  Confession  de  Sancy^  le  Baron  de  Fœnesie ,  VHis^ 
loire  universelle.  L'écuyer  du  roi  de  Navarre  vers 
1576,  àNérac,  ressemblait  à  ces  plantes  qui  croissent 
sur  les  fonds  de  roches  dans  les  parages  de  la  Terre 
de  Feu.  Leurs  tiges,  d'abord  de  la  grosseur  du  petit 
doigt,  montent  à  plus  de  cent  pieds  de  haut  et  pous- 
sent des  feuilles  de  quatre  pieds  de  long. 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME 


Origine  de  la  ligue,  —  Le  pape,  le  roi  d'Espagne  et  les  jésuites.  — 
Le  duc  de  Guise.  —  Don  Juan.  —  M.  d'Humières  à  Péronne.  — 
Manifeste  de  la  ligue.  —  Le  duc  de  Guise,  chef  secret.  —  Le 
Béarnais.  —  La  ligue  antinationale.  —  États  généraux  à  Blois. 

—  Proposition  de  d'Espinac.  —  Mémoire  de  David.  —  Henri  III 
se  déclare  chef  de  la  ligue.  —  La  guerre.  —  Le  duc  de  Guise  à 
Issoire.  —  Prise  de  Brouage  par  Mayenne.  —  Voyage  de  Margue- 
rite en  Flandre.  —  Mademoiselle  de  Tournon.  —  Sa  mort.  — 
But  de  Marguerite.  —  Henri  III  la  dénonce  à  don  Juan.  —  Elle 
s'échappe  des  Flandres,  arrive  à  la  Fère.  —  Le  duc  d'Anjou  l'y 
rejoint.  —  Leur  passion  mutuelle.  —  Montluc.  —  Son  portrait. 

—  Sa  mort.  —  Les  Tragiques.  —  D'Aubigné.  —  Seconde  fuite  du 
duc  d'Anjou. 

La  paix  de  Monsieur  devint  de  plus  en  plus  un 
scandale  dans  le  monde  catholique.  On  avait  donc 
combattu,  trgmpé ,  massacré  en  vain  !  Jamais  les  hu- 
guenots n'avaient  été  plus  honorés,  plus  comblés 
que  par  cette  paix.  La  reine  mère  qu'on  détestait  pour 
ses  crimes  et  pour  ses  fourberies .  le  roi  qu'on  mé- 
prisait pour  ses  vices,  le  duc  d'Anjou  qu'on  haïssait 
pour  ses  connivences,  furent  minés  dès  lors  sous  le 
Louvre.  Tôt  ou  tard,  la  colère  des  multitudes  fera 
explosion. 

En  attendant,  on  se  consultait,  on  s'échauffait,  on 
s'exaspérait  mutuellement.  Les  calvinistes  et  les  po- 
litiques s'étaient  bien  unis  pour  l'erreur.  Pourquoi 
les  bons  catholiques  ne  s'associeraient-ils  pas  pour 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  63 

la  vérité?  Le  duc  de  Guise  entretint  cette  émotion 
publique,  il  ne  la  créa  pas.  Il  l'attisa  par  des  émis- 
saires innombrabL'S  dans  la  noblesse,  dans  la  bour- 
geoisie, dans  la  plèbe.  Il  enta  une  conjuration  sur  un 
sentiment.  Voilà  toute  la  ligue  à  son  origine. 

Elle  éclata  sous  la  protection  sourde  des  jésuites, 
du  pape  et  du  roi  d'Espagne,  ce  pape  de  TEscurial. 

Les  deux  puissances  catholiques  vraiment  crimi- 
nelles du  seizième  siècle  sont  Philippe  II  et  les  jé- 
suites :  Philippe  IL  un  fanatique  couronné,  un  grand 
homme  de  police  dont  le  bureau  est  un  palais:  les  jé- 
suites, une  intrigue  multiple  et  vivante,  une  intrigue 
au  confessionnal .  dans  les  collèges  et  dans  toutes  les 
cours  de  l'Europe. 

La  papauté  est  bien  dépassée  par  Phihppe  II  et  par 
les  jésuites. 

La  grande  réaction  caiholique  fut  d'abord  tout 
espagnole.  Elle  alluma  son  ardeur  à  la  torche  de 
sainte  Thérèse  et  noua  ses  fils  déliés  au  chapelet  de 
saint  Ignace.  Cette  réaction  contre  la  réforme  s'em- 
brasa au  génie  de  l'Espagne,  se  répandit,  se  propa- 
gea, s'aida  de  Rome,  de  l'inquisition,  s'incarna  dans 
Philippe  II,  et  trouva,  dans  l'ordre  des  jésuites  orga- 
nisé, ses  ministres,  ses  négociateurs,  ses  confesseurs, 
ses  missionnaires  et  ses  espions. 

La  ligue,  qui  devait  se  rattacher  au  pape,  aux 
jésuites  et  au  roi  d'Espagne,  fut  scellée  entre  le  duc 
de  Guise  et  don  Juan  d'Autriche  dans  une  entrevue 
à  Joinville,  lorsque  le  vainqueur  de  Lépante  se  ren- 
dait en  Flandre.  Ils  convinrent  de  se  servir  de  la 
ligue  et  de  se  prodiguer  des  secours  respectifs,  don 


64  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Juan  au  duc  de  Guise  contre  Henri  III,  le  duc  de 
Guise  à  don  Juan  contre  Philippe  II.  Ils  conclurent, 
un  traité  double  dont  ils  gardèrent  chacun  un  exem- 
plaire. 

Sûr  de  don  Juan,  son  pareil,  de  Philippe  II,  du 
pape  et  des  jésuites,  ses  coopérateurs,  le  duc  de 
Guise,  appuyé  du  clergé  et  des  moines,  travailla 
toutes  les  provinces  de  France,  remuées  déjà  par 
l'indignation  que  leur  causait  la  paix  de  Monsieur. 

Ce  fut  la  Picardie  qui  prit  l'initiative  la  plus 
prompte  et  la  plus  habile.  Péronne,  la  capitale,  avait 
pour  gouverneur  M.  d'IIumières,  très-dévoué  au  duc 
de  Guise,  très-hostile  aux  Bourbons  et  aux  Montmo- 
rency. M.  d'Humières  s'empressa  de  servir  son  ami  et 
de  nuire  à  ses  ennemis  en  fermant  les  portes  de  Pé- 
ronne au  prince  de  Condé.  «  Ne  permettons  pas,  di- 
sait-il aux  habitants,  que  notre  ville  soit  transformée 
en  une  ville  hérétique.  Ce  cadet  de  la  maison  de 
Bourbon  en  ferait  une  Genève  française,  une  Nérac 
du  Nord.  Ne  le  souffrons  pas.  »  M.  d'Humières  avait 
une  raison  particulière  qu'il  ne  disait  pas.  Si  Pé- 
ronne devenait  la  résidence  du  prince  de  Condé,  lui, 
le  gouverneur,  qui  était  tout,  ne  serait  plus  rien. 

M.  d'Humières  défendit  à  la  fois  sa  croyance  et  sa 
situation.  II  rédigea  un  acte  d'union  qui  fut  le  mani- 
feste de  la  ligue. 

Les  associés,  au  nom  de  la  Trinité,  du  Père,  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit,  s'engageaient  à  trois  choses  :  ils  ju- 
raient sur  l'Évangile  de  restituer  l'Eglise  catholique, 
apostolique  et  romaine,  d'obéir  au  roi  Henri  III  et  à  ses 
successeurs  très-chréliens  dans  les  limites  que  trace- 


LIVRE  QUARÂNTE-CINQTjIÈME.  65 

raient  les  états  généraux,  et  enfin  de  constituer  un 
chef  qui  n'était  pas  nommé  et  qui  aurait  un  pouvoir 
absolu.  Il  récompenserait,  il  châtierait.  Il  détermine- 
rait les  contributions  soit  d'armes,  soit  d'hommes,  soit 
d'argent,  que  chacun  devrait  fournir.  Tous  seraient 
sous  son  autorité  et  nul  ne  s'en  pourrait  affranchir; 
car  il  y  allait  de  l'honneur  de  chaque  associé,  de  sa 
vie  «  jusqu'à  la  dernière  goutte  de  son  sang  »  et  de 
sa  damnation  éternelle.  Le  serment  livrait  tout  cela. 

Or  ce  chef,  qui  serait  par  le  fait  plus  puissant  que 
dix  rois,  ce  chef  innommé,  on  ne  le  conjecturait  pas 
seulement,  on  le  connaissait.  Tous  les  associés  se  le 
disaient  à  l'oreille  avec  tendresse. 

C'était  leur  cher  duc,  le  duc  de  Guise! 

Le  duc  Henri  de  Guise  était  prince  parmi  les 
princes  :  les  autres  princes  a  paraissaient  peuple  au- 
près de  lui.  )) 

Les  foules  l'aimaient  d'autant  plus  qu'il  les  domi- 
nait davantage.  Moins  prudent  et  moins  calculateur 
que  son  aïeul  Claude  de  Lorraine,  moins  homme  de 
guerre  et  moins  homme  d'Etat  que  son  père,  le  grand 
François  de  Guise,  il  était  plus  séduisant.  Sa  haute 
taille,  ses  cheveux  blonds,  ses  sourires,  ses  insinua- 
tions, ses  familiarités  étaient  irrésistibles.  Il  ne  rnan- 
quait  jamais  Fà-propos,  il  saisissait  l'occasion. 

Il  était  plein  de  contrastes  et  d'harmonies.  Il  avait 
les  manèges  italiens,  la  circonspection  lorraine,  le 
courage  et  l'esprit  français.  Il  était  sans  scrupule.  Il 
mentait  avec  l'astuce  et  la  facilité  des  chefs  de  parti, 
qui,  sous  le  prétexte  d'une  grande  idée,  ramènent 
tout  à  une  ambition  personnelle. 


66  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  était  d'ailleurs  très-cultivé,  rompu  aux  lettres 
comme  à  l'amour  et  aux  ambitions.  Il  lisait  souvent 
Tacite  en  latin,  et  en  italien  l'Arioste  et  le  Tasse,  les 
poètes  de  sa  mère,  la  duchesse  de  Nemours,  et  de  sa  • 
grand'mère,  la  duchesse  de  Ferrare. 

Il  était  par-dessus  tout  un  conspirateur.  Tel  il  était 
né,  tel  il  vécut,  tel  il  devait  mourir.  Son  oncle,  le  car- 
dinal de  Lorraine,  qui  avait  mis  en  lui  toutes  ses  com- 
pîaisances,lui  avait  imprimé  le  fanatisme  de  sa  maison, 
l'avait  imbibé  de  tous  les  poisons,  de  toutes  les  roue- 
ries, de  tous  les  vices,  de  toutes  les  générosités  d'un 
conjuré  qui  veut  escalader  le  trône.  Par  un  bonheur 
singulier,  ses  défauts  lui  étaient  imputés  à  vertus; 
même  les  taches  rouges  de  la  Saint-Barlhélemy,  une 
rosée  de  sang,  loin  de  le  déshonorer,  brillaient  sur 
ses  vêtements  comme  les  insignes  tragiquement  glo- 
rieux de  sa  piété  fiHale  et  de  son  orthodoxie. 

L'aveuglement  de  ses  partisans  était  entier.  Aussi 
l'association  courut  dans  toutes  les  provinces  comme 
un  incenâie,  principalement  en  Normandie,  en  Breta- 
gne, en  Nivernais,  en  Provence  et  dans  l'Anjou. 
Louis  de  La  Trémouille,  duc  de  Thouars,  l'accrédita 
en  Poitou  et  en  Touraine.  Là  où  les  seigneurs  man- 
quaient pour  l'organiser,  elle  s'organisait  d'elle- 
même.  Le  clergé  d'ailleurs  suppléait  tout  et  tous. 
Les  cures,  les  monastères  étaient  autant  de  forte- 
resses où  M.  de  Guise  avait  des  voix  retentissantes^ 
des  influences  actives  et  des  milices  prêtes. 

Voila  pourtant  où  avaient  abouti  les  misérables 
finesses  de  Catherine  de  Médicis. 

La  royauté  des  Valois  ne  représentait  plus  qu'elle^ 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  67 

même,  une  vieille  tradition,  une  étiquette  vaine,  une 
pompe  ruineuse  au  milieu  de  deux  partis  qui  étaient 
la  France.  Ces  deux  partis,  les  protestants  et  les  ca- 
tholiques, aspiraient  chactin  à  un  gouvernement  dis- 
tinct, indépendant  de  la  couronne. 

Le  gouvernement  huguenot  était  déjà  tout  entier 
dans  le  roi  de  Navarre,  qui  sera  un  jour  Henri  IV. 

Le  fils  de  Jeanne  d'Albret,  l'élève  de  Coligny  et  de 
L'Hôpital,  contient  tout  l'avenir  de  la  France.  Il 
porte  en  lui  l'unité  de  la  royauté,  et  surtout  le  dé- 
noûment  de  ce  grand  mouvement  mihtaire  et  reli- 
gieux que  nous  décrivons  :  la  liberté  de  conscience 
par  l'édit  de  Nantes. 

C'est  le  Messie  hérétique,  enco'i'e  obscur,  enclin 
aux  débauches,  mais  bon,  brave,  clément,  naturel, 
spirituel  et  Français,  dont  l'étoile  se  dégagera  peu  à 
peu  des  nuages  et  resplendira  sur  nous  en  lueurs  de 
salut. 

"Cette  étoile  du  Béarnais  est  momentanément  éclip- 
sée (io76)  devant  celle  de  Henri  de  Guise. 

Henri  de  Guise  est  le  héros  de  la  ligue.  La  maison 
de  Guise  en  est  la  dynastie.  Le  cardinal  de  Lorraine 
en  avait  été  le  précurseur-,  la  duchesse  de  Montpen- 
sier  en  sera  la  factieuse ,  et  le  duc  de  Mayenne  le 
général. 

Les  prêtres  de  tout  le  royaume  sont  l'état-major, 
la  diplomatie  et  la  publicité  de  la  ligue  -,  le  peuple  en 
sera  l'armée.  Les  bénéfices,  les  prébendes,  les  quêtes, 
les  cinq  gouvernements  des  Guise  en  fourniront  le 
budget. 

Il  sera  insuffisant,  ce  budget,  et  l'Espagne  y  àjou- 


68  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tera  des  subsides,  mais  d'une  main  avare.  Philippe  II 
est  le  Satan  des  Guise.  Il  les  tente,  leur  donne  de  l'ar- 
gent, à  la  condition  qu'ils  seront  ses  âmes  damnées. 
Henri  de  Guise  lui-même  n'est  qu'un  brillant  instru- 
ment de  Philippe,  qui  essaye  en  grand  sur  l'Europe 
le  rêve  de  monarchie  que  le  Balafré  essaye  sur  la 
France. 

La  ligue  était  donc  souverainement  antinationale 
par  le  pape,  par  Philippe  II,  par  les  jésuites,  par  don 
Juan  et  par  le  duc  de  Guise  lui-même,  un  Lorrain. 

Il  se  flattait  de  prévaloir  contre  les  Valois  et  contre 
les  Bourbons  par  la  ligue  ^  puis,  à  force  de  popularité 
dans  l'État  et  dans  l'Église,  il  se  promettait  de  secouer 
le  joug  de  l'Espagpe.  C'était  chimérique.  Mais  à  part 
le  duc  François  de  Guise,  qui  était  l'homme  des 
grandes  guerres  et  des  grandes  circonstances,  le  chi- 
mérique était  le  génie  de  cette  race ,  le  génie  du  car- 
dinal de  Lorraine  et  de  ses  neveux.  Ils  déployaient 
d'éclatantes  qualités  dans  le  féerique,  dans  l'illusoire. 
Ils  rappellent  certains  héros  de  la  Jérusalem  délivrée^ 
et  l'on  comprend  que  le  Tasse  ait  pensé  à  eux  en 
composant  son  poëme. 

Le  Balafré,  sans  paraître  ostensiblement,  exerça 
par  les  ligueurs  une  pression  universelle  sur  les  élec- 
tions d'où  sortirent  les  ptats  généraux  de  1576. 

Le  6  décembre,  le  roi  Henri  III  ouvrit  cette  assem- 
blée par  un  discours  officiel  qu'il  débita  avec  grâce. 
Il  avait  à  ses  côtés  la  reine  sa  mère,  le  duc  d'Anjou, 
Marguerite  «  vêtue  d'une  robe  orange  et  noir,  »  cinq 
princes  de  la  maison  de  Bourbon  :  le  cardinal,  le  duc 
de  Montpensier,  son  fils,  et  les  deux  frères  cadets  du 


LIVRE  QUARAME-CINQUIÈ.ME.  69 

prince  de  Condé,  élevés  à  la  cour  dans  la  religion 
catholique.  Le  roi  de  Navarre  et  Condé  étaient  en 
Gascogne.  Ils  protestèrent  par  procureurs,  de  concert 
avec  le  maréchal  Damville,  la  commune  de  La  Ro- 
chelle, les  réformés  et  les  politiques  des  différentes 
provinces,  contre  les  états,  nés  d'élections  doublement 
faussées,  tantôt  par  la  fraude,  tantôt  par  la  violence. 

Le  duc  de  Guise  ne  parut  pas  non  plus  à  Blois.  II 
demeura  fort  tard  à  Paris.  Ou'aurait-il  fait  aux  états 
dans  ces  commencements?  N'y  était-il  pas  triom- 
phant par  la-ligue.^  Il  pouvait  être  modeste  et  mon- 
trer de  la  discrétion. 

Ses  amis  n'y  étaient  pas  oisifs.  L'un  d'entre  eux, 
Pierre  d'Espinac.  archevêque  de 'Lyon,  trouva  sous 
son  bureau  un  billet  qu'il  y  avait  probablement  glissé 
lui-même  et  qui  renfermait  cette  audacieuse  propo- 
sition :  à  savoir,  que  toutes  les  requêtes  présentées  à 
l'unanimité  par  les  trente-six  commissaires  des  états 
fussent  reconnues  comme  lois  et  ratifiées  par  Sa  Ma- 
jesté, sans  le  concours  de  son  grand  conseil.  La  pro- 
position qui  annulait  purement  et  simplement  la 
royauté  fut  adoptée  par  les  trois  ordres  et  communi- 
quée à  Henri  III  par  d  Espinac.  Le  roi  fut  étonné  et 
embarrassé.  Il  fut  éclairé  surtout.  Il  répondit  qu'il 
admettrait  dans  son  conseil  les  commissaires  pour 
traiter  les  affaires  des  états,  mais  qu'il  se  réservait 
d'examiner,  avant  de  les  adopter,  toutes  les  requêtes 
des  trois  ordres,  même  celles  qui  seraient  unanime- 
ment décrétées. 

Cette  attaque  hardie  contre  son  autorité  s'aggrava 
d'un  incident  étrange.  Pierre  d  Espinac  était  un 


70  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

homme  à  M.  de  Guise.  Une  autre  créature  du  duc, 
un  avocat,  nommé  David ,  mourut  à  Lyon,  à  son  re- 
tour d'une  mission  secrète  auprès  du  pape. 

Les  huguenots  trièrent  dans  ses  papiers  une  pièce 
qu'ils  se  hâtèrent  de  puhHer  et  qui  jeta  une  lueur  si- 
nistre sur  la  politique  ultérieure  des  Lorrains. 

Cette  pièce  révélait  un  plan  de  révolution  radicale 
par  la  ligue  en  faveur  du  duc  de  Guise  et  du  saint- 
siége. 

Extinction  du  calvinisme  et  du  gallicanisme  ^  ex- 
termination des  princes  hérétiques,  même  du  duc 
d'Anjou,  leur  complice^  déposition  des  Capétiens 
dans  la  personne  de  Henri  III  condamné  au  couvent; 
et  couronnement  des  Carlovingiens  dans  la  personne 
du  duc  de  Guise ,  leur  descendant  :  voilà  le  fond  du 
surprenant  mémoire  de  David. 

Le  duc  de  Guise  renia  le  mémoire  avec  mépris*, 
mais  l'ambassadeur  de  France  en  Espagne,  M.  de 
Saint-Goard,  en  confirma  l'authenticité.  Il  attesta 
qu'un  mémoire  analogue  avait  été  soumis  à  Phi- 
hppe  II.  Le  mémoire  de  l'Escurial  prouvait  celui  de 
Lyon. 

Henri  III  néanmoins  feignit  de  croire  à  la  loyauté 
du  duc  de  Guise,  et,  en  même  temps ,  il  combina  ses 
mesures  contre  lui. 

^  H  se  rappela,  comme  un  remords,  la  préséance 
qu'il  avait  accordée,  au  sacre,  à  ce  traître  sur  le  duc 
;  de  Montpensier,  et  il  décida  que  désormais  les  princes 
du  sang  précéderaient  toujours  les  autres  pairs,  même 
les  plus  anciens. 

Le  roi  ne  s'arrêta  pus  à  si  peu.  Il  réunit  dans  son 


LIVRE  QUARANTE-CINQriÈME.  71 

cabinet,  à  portes  closes,  sa  mère,  son  frère,  le  duc 
d'Anjou,  et  les  plus  intimes  confidents  de  leur  mai- 
son. Il  était  fort  agité.  «Je  vous  ai  convoqués,  dit-il, 
pour  délibérer,  non  plus  sur  notre  puissance ,  mais 
sur  notre  existence.  Cette  bgue  infernale  nous  me- 
nace de  ruine,  mon  frère  et  moi.  Il  s'agit  d'empêcher 
par  une  belle  manœuvre  que  ses  desseins  ne  s'accom- 
plissent. Elle  a  institué  un  chef,  mais  elle  ne  l'a  pas 
encore  élu.  J'ai  résolu,  pour  que  M.  de  Guise  ne  soit 
pas  ce  chef,  de  l'être  moi-même.  Moi,  le  roi,  j'ap- 
prouverai l'association,  je  m'en  déclarerai  le  chef. 
Oui,  je  signerai  la  ligue-,  mais  afin  de  donner  à  cet 
acte  tout  son  caractère ,  il  faut  que  mon  frère,  les 
seigneurs  de  ma  cour,  et  mes  gouverneurs  de  pro- 
vince signent  après  moi.  i)  La  reine  mère,  le  duc 
d'Anjou  et  tous  les  conseillers  ayant  applaudi  à  ce 
discours,  le  roi  signa,  fit  signer  son  frère,  et  se  pro- 
clama hautement  chef  des  hgueurs. 

Cette  tactique  étourdit  d'abord  le  duc  de  Guise.  Il 
se  rassura  bientôt.  Le  peuple  est  comme  la  femme  : 
il  court  où  le  pousse  son  cœur.  Or,  les  ligueurs, 
dans  leur  enthousiasme,  se  disaient  entre  eux  :  Ce 
n'est  pas  Henri  de  Valois  qui  est  notre  chef,  c'est 
Henri  de  Guise,  notre  brave  duc.  Ainsi  la  stra- 
tégie du  roi  avait  été  ingénieuse,  mais  elle  fut  im- 
puissante. 

Henri  lll,  qui  avait  senti  la  pointe  du  fer  dirigée 
par  les  étals  généraux  contre  la  puissance  royale, 
détourna  l'arme  de  la  ligue  contre  les  protestants. 

C'était  de  sa  part,  à  lui,  un  parjure  de  plus^  mais 
que  lui  importait  le  parjure,  pourvu  qu'il  se  sauvât, 


7â  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tantôt  des  catholiques  }3ar  les  calvinistes,  tantôt  des 
calvinistes  par  les  catholiques? 

Les  états  généraux,  sur  son  insinuation,  requirent 
l'abolition  de  toute  autre  religion  que  la  religion  ro- 
maine. Le  tiers,  plus  humain  que  la  noblesse  et  le 
clergé,  exprima  le  désir  que  le  culte  protestant  fût 
supprimé  sans  guerre.  Vœu  de  peu  de  portée,  mais 
qui  témoignait  cependant  d'une  certaine  douceur  de 
mœurs  dans  la  bourgeoisie,  dont  le  célèbre  Jean  Bo- 
din,  auteur  du  livre  de  la  Rè'publique^  était  l'orateur. 

Le  roi  de  Navarre ,  le  prince  de  Condé  et  le  maré- 
chal Damville,  invités  à  reconnaître  cette  décision 
des  états,  se  remirent  en  campagne  pour  toute  ré- 
ponse. 

Les  ressources  de  la  cour  étaient  fort  insuffisantes. 
Néanmoins  Henri  lll,  chef  apparent  de  la  ligue  ,  ne 
pouvait  refuser  de  combattre  les  hérétiques. 

M  congédia  les  états  dans  les  premiers  jours  du 
mois  de  mars  et  il  leva  deux  corps  d'armée. 

]1  écarta  du* commandement  le  duc  de  Guise  et  il  en 
investit  le  duc  d'Anjou  qu'il  compromit  avec  les  hu- 
guenots, ses  alliés  récents,  et  le  duc  de  Mayenne  qu'il 
compromit  avec  l'aîné  de  son  nom. 

Le  duc  d'Anjou  mena  l'armée  du  centre.  Malgré 
son  profond  ressentiment,  le  duc  de  Guise  le  suivit 
en  qualité  de  son  lieutenant.  Ils  s'emparèrent  de  La 
Charité  et  d'Issoire,  qui  fut  livrée  au  pillage  le  plus 
barbare  (12  juin  1577).  Le  duc  de  Guise  était  monté 
à  l'assaut  de  cette  dernière  place  sans  brassards  et 
sans  cuirasse,  en  pourpoint  et  en  écharpeaux  couleurs 
d'une  dame  qu'il  aimait.  Cette  témérité  chevaleresque 


LUTIE  QUARANTE-CINQL'IÊME.  Td 

était  encore  plus  politique.  Elle  s'adressait  moins  à  sa 
maîtresse  qu'à  la  ligue.  La  ligue  battait  des  mains  dans 
toute  la  France  et  se  disait  avec  orgueil  :  Le  Valois 
empêche  bien  notre  duc  d'être  un  généralissime,  il  ne 
l'empêchera  pas  d'être  un  héros. 

Le  duc  de  Mayenne  se  distingua  plus  sérieusement 
à  la  tête  de  l'armée  de  l'Ouest,  dans  la  Saintonge  et 
dans  TAunis.  Après  avoir  pris  successivement  Ton- 
nay-Charente,  Rochefort,  Marans,  il  mit  le  siège  de- 
vant Brouage,  le  22  juin,  et  il  y  entra  en  vainqueur  à 
la  fin  d'août. 

Ni  le  roi  de  Navarre  qui  était  en  Guyenne,  ni  le 
prince  de  Condé  qui  était  à  La  Rochelle,  n'eurent 
assez  de  troupes  pour  s'opposer  à  Mayenne.  La  con- 
quête de  Brouage  fut  l'événement  de  la  campagne. 

Le  nonce  apostolique,  l'ambassadeur  d'Espagne  et 
le  duc  de  Guise  sollicitèrent  alors  le  roi  d'écraser  les 
huguenots.  Peut-être  l'aurait-il  pu  en  surexcitant  le 
zèle  de  la  ligue  ;  mais  là,  pour  lui,  était  le  danger 
suprême.  11  préféra  une  paix  qui  laisserait  les  hugue- 
nots debout  comme  un  contre-poids  salutaire.  Cette 
paix  fut  proclamée  à  Poitiers,  au  mois  de  septembre. 
L'édit  qui  la  consacrait  diminuait  l'édit  précédent. 
L'exercice  du  culte  réformé  ne  fut  plus  libre  dans 
toute  la  France,  mais  seulement  dans  les  places  occu- 
pées par  les  protestants,  dans  une  ville  par  bailliage 
et  sénéchaussée,  dans  les  châteaux  des  seigneurs  de 
haute  justice  et  de  fiefs  de  haubert.  Ce  n'était  plus 
l'égalité  des  deux  religions-,  c'était  la  tolérance,  et 
une  tolérance  restreinte^  c'était  donc  peu  et  pourtant 
c'était  encore  quelque  chose. 

IV.  7 


74  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  y  avait  un  article  Irès-significalif  dans  le  décret. 
Cet  article,  où  se  trahissait  la  pensée  de  Henri  III, 
cassait  «  toutes  associations  et  conférences  faites  ou 
à  faire  au  préjudice  de  l'édit  et  interdisait  toute  levée 
de  deniers  ou  d'hommes,  toute  congrégation  ou  as- 
semblée sans  le  bon  plaisir  du  roi.  »  Ainsi  le  chef  de 
^  la  Hgue  tuait  la  ligue  en  trahison,  d'un  coup  de  poi- 
gnard. Mais  l'arme  ne  pénétra  pas  et  la  ligue  ne  fut 
pas  même  blessée.  Il  y  eut  en  elle  un  redoublement 
de  tendresse  pour  Henri  de  Guise  et  une  réaction  de 
colère  contre  Henri  de  Valois  qui  la  frappait  au  lieu 
de  frapper  les  hérétiques.  De  parti  la  ligue  devint 
faction . 

Le  roi  qui  la  croyait  morte,  parce  qu'il  l'avait  effa- 
cée légalement,  se  plongea  et  se  replongea  dans  toutes 
les  voluptés.  Les  dépravations  de  la  Rome  des  empe- 
reurs, les  monstruosités  de  Gomorrhe  furent  égalées. 
Le  sang  assaisonnait  les  orgies.  Dans  le  château  royal 
de  Poitiers,  un  scélérat  vil  entre  tous,  René  de  Ville- 
quier,  un  pourvoyeur,  non  de  filles  mais  de  mignons, 
égorgea  sa  propre  femme  enceinte  de  deux  mois, 
parce  qu'elle  avait  osé  résister  à  Henri  IIL  Ce  prince, 
aussi  abject  que  Villequier,  le  récompensa  de  ce 
crime  par  le  gouvernement  de  l'Ile-de-France. 
Paris,  oii  le  roi  rentra  au  mois  de  décembre ,  fut 
souillé  des  mêmes  désordres.  L'hôtel  de  Guise ,  à 
l'exemple  du  Louvre,  se  transforma  en  lupanar  pour 
être  digne  de  recevoir  Henri  de  Valois.  Marcel,  qui 
d'orfèvre  avait  été  élevé  au  rang  de  prévôt  des  mar- 
chands, puis  de  surintendant  des  finances,  maria  sa 
fille  à  un  seigneur.  Le  duc  de  Guise  à  cette  occasion 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  75 

donna  un  bal  où  le  roi  fut  invité  et  où  il  se  rendit 
avec  la  cour.  La  soirée  fut  cynique,  la  nuit  infernale; 
le  scandale  n'eut  pas  de  bornes.  Si  les  murailles  et 
les  tapisseries  eussent  parlé,  disent  les  vieux  histo- 
riens, les  cheveux  des  courtisanes  mêmes  se  seraient 
hérissés  d'horreur  ! 

Lorsque  le  duc  d'Anjou  se  disposait  à  rejoindre  son 
armée  devant  Issoire,  Mondoucet,  qui  revenait  des 
Pays-Bas,  raconta  combien  les  Flamands  portaient 
impatiemment  le  joug  espagnol  et  avec  quelle  joie 
Monsieur  serait  accueilli  par  eux.  Il  y  avait  là  un 
royaume  pour  lui  à  l'horizon.  Le  duc  d'Anjou  fut  sé- 
duit par  une  si  belle  perspective. 

Il  pria  sa  sœur  Marguerite,  qui  lui  était  entièrement 
dévouée,  d'aller,  sous  prétexte  des  eaux  de  Spa,  lui 
conquérir  des  partisans  par  ses  grâces  et  par  ses  se- 
crètes négociations.  Marguerite  obtint  l'agrément  de 
la  reine  mère  et  du  roi.  Elle  partit  de  Blois  pour  les 
Pays-Bas  (1577),  le  même  jour  que  son  frère  d'Anjou 
pour  le  siège  d'Issoire. 

Le  voyage  de  Flandre  souriait  doublement  à  Mar- 
guerite. C'était  une  mission  de  diplomatie  et  de  co- 
quetterie; car  elle  espérait  bien  en  gagnant  les  es- 
prits à  son  frère  se  réserver  les  cœurs. 

«  J'allai ,  dit-elle ,  en  une  htière  faite  à  piliers , 
doublée  de  velours  incarnadin  d'Espagne,  en  brode- 
ries d'or  et  de  soye  nuée,  à  devises.  Laquelle  était 
suivie  de  la  litière  de  la  princesse  de  La  Roche-sur- 
Yon,  de  celle  de  madame  de  Tournon,  de  dix  filles  à 
cheval,  de  six  carrosses  ou. chariots  pour  le  reste  des 
dames  ou  femmes  de  la  princesse  ou  de  moi.  » 


76  lllsrOIRÈ  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Marguerite  avait  de  plus  en  hommes  le  cardinal  de 
Lenoncourt,  l'évêque  de  Langres,  Charles  d'Escars, 
M.  de  Mouy,  son  premier  maître  d'hôtel ,  et  les 
écuyers  de  sa  maison.  Elle  alla  de  triomphe  en 
triomphe,  de  fête  en  fête,  par  Cambrai,  par  Mons, 
par  Namur,  où  l'accueillit  don  Juan  avec  toute  la 
pompe  espagnole. 

Dans  la  traversée  sur  la  Meuse,  de  Namur  à  Liège, 
il  y  eut  un  épisode  touchant  et  pathétique.  Made- 
moiselle de  Tournon,  jeune,  belle  et  vertueuse,  se 
distinguait  parmi  cette  escorte  nomade  et  corrompue 
de  Marguerite,  comme  une  perle  qui  roule  dans  la 
vase  sans  en  être  ternie.  La  calomnie  n'avait  pas  ap- 
proché d'elle.  Cette  charmante  personne  aimait  le 
marquis  de  Yarambon  et  s'en  croyait  aimée.  Elle  se 
réjouissait  de  le  revoir  à  Namur.  Elle  l'y  rencontra, 
en  effet,  mais  le  marquis  n'eut  pas  seulement  l'air  de 
la  reconnaître.  Atteinte  jusqu'au  fond  du  cœur,  ma- 
demoiselle de  Tournon  se  contint,  par  un  effort  su- 
prême, et  parut  calme  au  dehors,  quand  elle  était 
ravagée  au  dedans.  Le  marquis  accompagna  la  reine 
jusque  sur  le  bateau.  Dès  qu'il  en  fut  sorti  et  que  le 
bateau  eut  cédé  aux  rames,  mademoiselle  de  Tour- 
non qui  était  fort  pâle  poussa  un  grand  cri  et  mourut 
peu  après.  Elle  mourut  d'un  amour  chaste  dans  un 
siècle  de  débauche,  elle  mourut  vierge  dans  une  cour 
profanée. 

La  reine,  très-émue  d'abord,  eut  bientôt  oubhé, 
dans  les  enivrements  de  la  ville  de  Liège,  la  blanche 
jeune  fille  qui  avait  passé  si  vite  d'une  robe  de  bal 
à  un  hnceul. 


LIVRE  OrARANTE-CINQriE.ME.  77 

Les  eaux  de  Spa  n'avaient  été  qu'une  plaisanterie. 
Marguerite  n'en  avait  pas  besoin.  Elle  les  prenait  à 
Liège  oùrévêque  et  toute  la  noblesse  des  environs  lui 
formaient  une  cour  flamande.  Là,  comme  sur  toute 
sa  route,  elle  négocia  pour  son  frère,  s'amusant  pour 
son  propre  compte  et  ne  perdant  aucune  occasion, 
selon  sa  coutume.  Mais  au  milieu  de  cette  bonne  vie 
de  festins,  «  d'où  on  allait  à  vespres  ou  en  quelque 
religion,  »  puis  au  bal  ou  sur  l'eau  avec  la  musique, 
Marguerite  apprit  que  don  Juan  s'était  saisi  de  la 
citadelle  de  Namur  et  qu'il  n'ignorait  pas  le  but  du 
voyage  qu'elle  faisait.  Le  voyage  n'était  qu'une  con- 
spiration contre  les  Espagnols  à  la  domination  des- 
quels Marguerite  voulait  substituer  la  royauté  de  son 
frère  d'Anjou.  Voilà  ce  qui  était  vrai  et  ce  que  savait 
don  Juan.  Or,  comment  le  savait-il  ?  Il  le  savait  par 
Henri  IIL  Ce  monarque  bizarre  avait  dénoncé  sa 
sœur  dans  un  de  ces  accès  de  jalousie  mêlée  de  baine 
qu'il  ressentait  parfois  contre  elle  et  contre  le  duc 
d'Anjou  qui  avait  succédé  au  roi  dans  le  cœur  de 
Marguerite. 

La  reine  de  Navarre  ne  songea  plus  qu'à  s'échap- 
per des  Flandres,  ce  qu'elle  exécuta  avec  beaucoup 
de  présence  d'esprit ,  d'adresse  et  de  courage.  En  ar- 
rivant à  La  Fère,  qui  était  de  son  apanage,  la  reine 
trouva  un  courrier  du  duc  d'Anjou  et  des  lettres  qui 
l'initièrent  aux  affaires  de  la  France.  Le  roi  avait 
promulgué  à  Poitiers  son  édit  de  pacification;  il  re- 
tournait à  Paris.  Monsieur,  malgré  sa  participation  à 
cette  campagne  décisive,  était  comme  toujours  en 
disgrâce,  moqué  de  Henri  ÎII  et  bravé  par  les  mi- 


78  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

gnons.  Il  soupirait  après  le  bonheur  d'embrasser  Mar- 
guerite. La  reine  de  Navarre  l'appela  près  d'elle  sans 
retard. 

Le  duc  d'Anjou,  dans  son  allégresse,  envoya 
Bussy  et  toute  sa  maison  à  Angers,  sa  capitale,  et, 
prenant  la  poste  avec  vingt  de  ses  gentilshommes, 
accourut  à  La  Fère,  où  l'attendait  sa  sœur.  «  Ce  fut, 
dit  Marguerite,  un  des  grands  contentements  que 
j'ai  jamais  receu,  devoir  une  personne  que  j'aimois 
et  honorois  tant.  Je  me  mis  en  peine  de  lui  donner 
tous  les  plaisirs  que  je  pensois  lui  rendre  ce  séjour 
agréable.  Ce  qui  estoit  si  bien  accueilli  de  luy,  qu'il 
eût  volontiers  dit  comme  saint  Pierre  :  «  Plantons 
icy  nos  tabernacles.  » 

La  reine  raconta  au  duc,  le  voyage  de  Flandre  et 
tout  ce  qu  elle  avait  fait  pour  lui-,  mais  il  n'était  oc- 
cupé que  de  la  joie  d'être  auprès  d'elle. 

«  La  tranquillité  de  notre  cour,  ajoute  Marguerite, 
au  prix  de  l'autre,  luy  rendoit  tous  les  divertissements 
qu'il  y  goùtoit  si  doux,  qu'à  toute  heure  il  nepouvoit 
s'empesrher  de  dire  :  «  0  ma  reine,  qu'il  fait  bon  avec 
vous!  Mon  Dieu!  cette  compagnie  est  un  paradis 
comblé  de  toutes  sortes  de  délices,  et  celle  d'oii  je 
suis  party,  un  enfer  rempli  de  toutes  sortes  de  furies 
et  de  tourments.  » 

«  Nous  passâmes  près  de  deux  mois  qui  ne  nous 
furent  que  deux  petits  jours  en  cet  heureux  estât.  » 

Pour  qui  connaît  le  style  discret  de  Marguerite, 
cette  vive  peinture  dit  bien  des  choses,  et  reporte 
involontairement  à  ces  paroles  du  Divorce  satirique  : 
a  Elle  adjouta  tout  après  à  ses  conquestes  ses  jeunes 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  79 

frères  Henri  et  François,  dont  l'un,  François,  conti- 
nua cet  inceste  toute  sa  vie.  » 

Biaise  de  Montluc  mourut  cette  année  (1577)  en  sa 
terre  d'Estillac,  près  d'Agen,  impotent,  brisé,  inca- 
pable d'activité,  et  réduit  par  les  infirmités  à  ne  plus 
fouler  le  sable  même  de  son  jardin. 

Sa  maxime  essentielle  qu'il  pratiqua  toujours 
était  qu'aux  guerres  civiles ,  «  il  faut  bien  venir  à  la 
cruauté.  i) 

Les  témoins  l'ont  consigné  partout  dans  les  lettres, 
dans  les  mémoires  :  en  son  bon  temps,  aux  premières 
fanfares  du  clairon ,  Montluc  ne  se  possédait  plus , 
ses  narines  se  dilataient,  sa  face  se  colorait,  ses  re- 
gards étincelaient  comme  des  éclairs.  L'apparition 
de  l'ennemi  le  réjouissait,  la  bataille  était  sa  fôte. 
Quand  les  épées  brillaient  hors  du  fourreau,  il  frémis- 
sait d'aise  sur  son  cheval;  quand  le  canon  tonnait,  il 
s'écriait  gaiement  :  «  Mes  amis,  voici  les  violons.  » 
L'odeur  de  la  poudre  le  grisait  mieux  que  le  vin. 
Dan^  les  transports  de  son  élan,  il  électrisait,  il  enle- 
vait les  troupes,  et  avec  elles  il  renversait  tout. 

Montluc  avait  servi  quatre  rois. 

Il  fut  courtisan  et  soldat  toujours. 

Rien  de  plus  redoutable  que  les  portraits  de  Mont- 
luc et  rien  de  plus  authentique. 

Il  y  a  de  ce  personnage  vieilli  un  profil  que  l'on  ne 
peut  voir  sans  tressaillement  et  dont  on  ne  peut  se 
souvenir  sans  terreur. 

Les  moustaches,  la  barbe,  les  cheveux  sont  blancs 
et  fermes  comme  une  neige  glacée.  Le  front  a  les 
âpres  rugosités  d'un  roc.  Le  sourcil  est  bas  sur  l'œil 


80  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIÊUSE. 

qui  menace,  tout  en  épiant.  La  pommette  est  dure- 
ment accentuée.  Le  nez,  qui  s'avance,  se  recourbe  et 
ie  contracte,  semble  flairer  un  argolet  et  s'aiguiser 
pour  une  proie.  La  bouche,  qui  se  retire  sur  elle- 
même,  est  prête  à  dire  une  flatterie  ou  à  prononcer 
un  arrêt  de  mort. 

Il  y  a  dans  cette  tête  un  mélange  de  ruses,  de 
manèges,  de  science  militaire  et  d'atrocité.  Le  cour- 
tisan et, le  capitaine  percent  sous  cette  formidable 
physionomie.  Quel  insolent  mépris  de  la  vie  de  ses 
semblables!  Ce  regard  est  froidement  familiarisé  avec 
la  hache  et  avec  le  chanvre. 

Cet  homme  de  sang  eut  la  pensée  de  finir  ses  jours 
dans  un  ermitage  sur  les  Pyrénées.  Des  aff'aires  do- 
mestiques le  retinrent,  selon  les  historiens  et  selon 
lui-même,  dans  sa  maison.  Les  historiens  et  lui- 
même  se  trompent.  La  vérité  est  plutôt  qu'il  fut 
tenté  par  la  solitude  et  qu'il  en  eut  peur.  Lui , 
dont  presque  toutes  les  heures  s'étaient  écoulées 
dans  les  vapeurs  du  carnage,  dans  le  bruit  de  l'artil- 
lerie, dans  le  cliquetis  des  piques,  il  fut  un  moment 
attiré  par  la  paix  sereine  et  par  les  insondables 
silences  des  Pyrénées^  mais  il  en  eut  l'épouvante. 
Comment  ces  lèvres  qui  avaient  ordonné  tant  de 
meurtres  auraient-elles  prié  sur  ces  sommets  où  Dieu 
écoute  et  répond  dans  le  vent  ?  Comment  ces  mains 
qui  n'avaient  pas  seulement  agité  l'épée,  mais  qui 
avaient  serré  la  corde  au  cou  des  victimes,  qui,  dans 
les  villes  dont  il  s'emparait,  avaient  tellement  comblé 
les  puits  de  martyrs  que  dos  margelles  on  touchait  les 
cadavres,  comment  ces  mains  de  bourreau  se  seraient- 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  81 

elles  jointes  dans  l'adoration  ?  Non ,  non ,  Montluc 
ne  devait  pas  mourir,  vétéran  pieux,  sur  la  cîme 
immaculée  des  montagnes  où  la  conscience  lui  aurait 
redit  les  cris  des  veuves  et  des  orphelins^  il  devait 
mourir,  comme  il  avait  vécu,  loin  du  ciel  et  près  des 
plaines,  en  s'étourdissant  dans  les  tumultes,  dans  les 
fanges  et  dans  les  rumeurs. 

Je  ne  franchirai  pas  cette  année  de  lo77  sans 
m'incliner  devant  une  grande  œuvre  d'art  qu'elle  en- 
fanta :  je  veux  dire  le  farouche,  étrange  et  suhhme 
poëme  des  Tragiques,  par  d'Aubigné.  Dans  ce  poëme, 
récuyer  du  roi  de  Navarre  chanta  les  événements 
mémorables  qu'il  raconta  plus  tard  dans  son  Histoire 
universelle. 

Le  poëme  des  Tragiques  fut  commencé  dans  des 
circonstances  qui  méritent  d'être  retracées. 

D'Aubigné ,  mécontent  de  son  maître  le  roi  de  Na- 
varre, se  présenta  un  jour  à  lui,  lorsque  ce  prince 
revenait  de  la  promenade,  et  lui  dit  adieu  sans  quit- 
ter la  selle.  Il  se  retira  ensuite  dans  la  petite  ville  de 
Castel-Jaloux,  comme  il  dit,  à  quatre  heues  de  Mar- 
mande. 

Dans  une  de  ces  rencontres  que  les  gentilshommes 
des  deux  religions  engageaient  si  souvent,  sans  autre 
intention  que  de  faire  fumer  le  pistolet,  d'Aubigné, 
dont  la  troupe  était  inférieure  e«  nombre,  veillait  à  la 
retraite.  Il  tenait  tête  vigoureusement  au  baron  de 
Mauvesin  qui,  avec  une  partie  de  la  garnison  de  Mar- 
mande,  pressait  les  volontaires  de  Castel-Jaloux. 

Le  chef  dont  d'Aubigné  était  le  lieutenant,  M.  de 
Vachonnières,  avait  eu  les  reins  cassés  d'une  balle. 


82  HISTOIRE  DE  LA  LIUERTÉ  RELIGIEUSE. 

D'Aubigné  tomba  d'un  autre  coup  de  feu  près  de  son 
capitaine,  «  tous  les  deux  couverts  de  trois  morts  des 
leurs.  ^) 

«  Comme  les  réformés  abandonnaient  la  place,  Do- 
minge  vit  d'Aubigné  laissé  pour  mort,  qui,  s'estant 
dégagé  d'un  de  ses  compagnons  gisant  sur  lui,  tout 
coucbé,  le  bras  droit  en  haut,  jouait  de  l'épée.  D'Au- 
bigné blessa  ainsi  Mitant  et  Bartanes.  Il  tua  le  jeune 
Mège.  Dominge  donc  rallie  Costain  et  deux  autres; 
ces  quatre  font  lascber  d'Aubigné,  le  montent  sur 
le  premier  cheval,  à  cent  pas  de  là  tournent  tête  à 
l'aîné  Mège  et  autres  qui  les  poursuivoient  ;  là, 
ils  croisent  encore  leurs  épées,  mais  à  peu  de  com- 
bat, pour  ce  que  la  foulle  de  Marmande  y  arrivoit, 
et  aussi  que  le  lieutenant  estoit  blessé  en  cinq  en- 
droits. » 

Reconduit  dans  son  appartement  à  Castel-Jaloux, 
d'Aubigné  fut  déclaré  en  danger  par  les  chirurgiens. 
Retenu  au  lit,  fiévreux  et  souffrant,  le  souvenir  des 
guerres  civiles  et  des  massacres  qui  dormait  en  lui 
s'évieilla  puissamment  et  ruissela  de  son  imagination 
en  vers  terribles.  Le  poëte  dictait  ces  vers  au  juge  de 
Castel-Jaloux  que  l'amitié  attirait  chaque  jour  au 
chevet  du  malade.  C'est  ainsi  que  furent  écrits  les 
premiers  livres  des  Tragiques.  D'Aubigné  continua 
de  composer  son  poëme  «  à  cheval  et  dans  les  tran- 
chées. »  Il  ne  l'acheva  sans  doute  qu'après  le  traité 
de  Vervins,  dans  les  repos  féconds  de  la  paix. 

Les  Tragiques  sont  l'épopée  du  protestantisme. 
C«tte  épopée  n'a  pas  moins  de  dix  mille  vers.  Elle  est 
uudacieusement  tissue  de  récits  pathétiques,  d'élans 


LIVRE  OU AR TE-CINQ UIÉME . 


83 


bibliques,  de  sarcasmes  sanglants,  et  parfois  adoucie, 
presque  attendrie,  soit  de  légendes  calvinistes,  soit 
d'idylles  rustiques.  Elle  se  divise  en  sept  livres  :  les 
Misères^  les  Princes,  la  Chambre  dorée^  les  Feux^  les 
Fers^  les  Vengeances,  le  Jugement. 

Ce  poëme  est  l'œuvre  capitale  de  d'Aubigné.  Entre 
la  vie  et  la  mort,  dans  les  accès  de  la  fièvre,  il  est  op- 
pressé de  la  persécution,  de  la  guerre  et  de  la  Saint- 
Barthelémy.  Avant  d'expirer,  il  entreprend  de  plain- 
dre les  victimes  et  de  maudire  les  bourreaux.  Le 
poète  pleure,  gémit  et  foudroie.  Quelques-uns  de 
ses  admirateurs  avouent  qu'il  déclame.  Parfois  sans 
doute,  mais  il  crie  toujours  vers  le  ciel.  Sous  les  lo- 
cutions et  les  tours  surannés ,  chacun  de  ces  vers 
d'airain  sonne  un  son  de  l'àme.  On  est  profondé- 
ment ému.  Ces  mètres  ont  des  vibrations  infinies.  Ce 
poëme  est  une  grande  satire  épique  à  la  façon  du 
Dante-,  même  quand  la  langue  défaille,  c'est  l'accent 
qui  est  beau,  l'accent  d'un  triple  timbre  de  héros, 
de  théologien  et  de  poëte. 

Telles  étaient  cependant  les  notes  d'enthousiasme 
et  d'invective  qui  grondaient  autour  du  Béarnais.  L  ^ 
génie  d'x\grippa  d'Aubigné  surpassait  de  très-haut 
son  maître  et  l'illuminait  à  la  fois  du  rayon  sacré.  Cet 
écuyer  n'était-il  pas,  sous  un  déguisement  féodal,  un 
prophète  hébreu  servant  de  la  lyre,  de  la  voix  et  de 
lepée,  un  roi  d'aventures? 

D'Aubigné  est  plus  que  cela  et  c'est  son  immense 
originalité.  Sa  plume  est  la  verge  des  châtiments.  Il 
se  tient  pour  plus  qu'un  prophète,  il  se  tient  pour 
l'instrument,  pour  le  iléau  de  Dieu.  C'est  un  Attila 


84  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

de  la  poésie.  Il  se  vantait  a  de  ses  vocables  qui  sen- 
tent le  vieux ,  mais  le  libre  et  le  François.  »  Cest  là 
le  malheur  de  cette  forte  épopée.  L'antiquité  de  sa 
langue  grandiose  lui  a  barré  le  dix-septième  siècle 
et  l'a  plongée  dans  l'oubli  d'où  elle  est  si  digne  d'é- 
merger par  fragments. 

A  peine  convalescent,  tout  paie  encore  de  ses  dou- 
leurs de  blessé,  de  ses  insomnies  de  soldat,  de  ses  vi- 
sions de  prophète  et  de  pamphlétaire,  d'Aubigné  se 
remit  à  guerroyer.  Faible  et  amaigri,  il  se  fit  amener 
son  cheval  au  bas  du  perron  de  sa  demeure.  Le  fidèle 
animal  ayant  henni  à  la  vue  de  son  maître  :  «  Bien, 
dit  d'Aubigné,  un  Romain  se  serait  réjoui  d'un  tel 
augure.  )>  Tout  en  parlant  ainsi,  malgré  son  armure, 
il  enjamba  son  cheval,  sans  toucher  Fétrier  et  se  lança 
au  galop  comme  pour  prendre  possession  de  l'espace, 
sa  bonne  épée  cliquetant  à  son  côté  et  une  copie  de 
son  manuscrit  des  Tragiques  rattachée  dans  un  rou- 
leau de  parchemin  à  l'un  de  ses  arçons. 

Quand  on  aborde  d'Aubigné  on  ne  peut  plus  s'en 
arracher.  L'histoire  n'a  pas  été  équitable.  Après  un 
retour  vers  lui ,  elle  se  reprend  à  lui  disputer  la 
gloire.  Moi,  du  moins,  je  ne  serai  pas  complice  de 
cette  envieuse  ingratitude  des  contemporains  et  de 
la  postérité. 

Théodore-Agrippa  d'Aubigné  était  un  calviniste 
de  guerre  civile.  Il  avait  des  convictions  ardentes.  Il 
était  ulcéré  dans  l'àme  de  la  légèreté  rehgieuse  du 
Béarnais. 

Il  avait  des  principes  ;  le  roi  de  Navarre  n'avait  que 
des  intérêts.  Le  roi  de  Navarre  dira  :  «  Paris  vaut 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME.  85 

bien  une  messe.  »  D'Âubigné  enfant,  à  la  veille  du 
martyre  disait,  lui  :  «  L'horreur  de  la  messe  m'ôte 
celle  du  feu.  » 

D'Aubigné  était  un  sectaire.  Il  avait  les  grandeurs 
et  les  jactances  de  tous  ses  génies.  Il  était  à  lui  seul 
trois  ou  quatre  hommes  admirables.  Sa  bravoure  était 
fabuleuse.  Il  était  intrépide  comme  Bussy,  lyrique 
autant  et  plus  que  Ronsard.  Il  n'agissait  pas  unique- 
ment :  il  parlait,  il  écrivait.  Qu'on  lise  ses  Tragiques: 
c'est  l'ancêtre  de  Corneille.  Qu'on  lise  ses  Mémoi- 
res :  c'est  l'ancêtre  de  Saint-Simon.  Qu'on  lise  ses 
Satires  :  c'est  l'ancêlre  de  Pascal.  Comment  ne  pas 
applaudir  à  une  telle  verve  de  courage,  d'intelli- 
gence et  de  talent  ? 

La  manière  de  d'Aubigné  est  rude ,  vive ,  rapide 
et  hardie.  Il  y  a  çà  et  là  des  phrases  qui  étincellent 
comme  une  épée,  des  pages  qui  éclatent  comme  une 
torche  d'incendie,  des  mots  qui  tuent  comme  le 
plomb  d'une  arquebuse. 

D'Aubigné  se  montre  partout  le  fier  disciple,  le 
disciple  armé  de  Calvin.  Certes,  il  est  au  roi  dont  il 
sera  si  longtemps  le  serviteur  et  le  compagnon,  mais 
il  est  mille  fois  plus  à  son  Église  et  à  sa  conscience, 

D'Aubigné  donc,  avant  tout,  un  croyant,  un  capi- 
taine, un  poète,  est  un  orateur,  un  tribun,  au  besoin, 
un  gentilhomme  de  roman  presque  autant  que  d'his- 
toire, un  conteur  de  bivouac  et  de  cour,  un  satirique 
acéré,  moitié  politique  et  moitié  religieux.  Il  révèle 
son  temps  en  se  révélant  lui-même.  Brûlant  et  si- 
nistre, son  style,  plein  de  hasards  et  de  terreurs,  vole 
comme  une  flamme ,  et  retentit  comme  la  cloche  de 
IV.  8 


8B  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Saint-Germain-l'Auxerrois,  à  l'heure  des  massacres. 
L'horreur,  la  colère  en  précipitent  les  imprécations. 
On  est  transporté  dans  l'air  étouffant  de  la  Saint-Bar- 
thélemy  et  l'on  y  respire  le  feu. 

D'Aubigné  est  pathétique  à  la  fois  et  pittoresque, 
il  émeut  et  il  peint.  Lorsqu'on  a  passé  des  journées 
entières  avec  cette  âme  biblique,  on  ne  sort  pas  de 
cette  longue  intimité  seulement  instruit,  on  en  sort 
saisi,  pénétré,  le  frisson  dans  le  cœur  et  dans  les  che- 
veux. Comme  on  embrasse  à  travers  l'orage,  de  mi- 
nute en  minute,  les  points  divers  d'un  sombre  horizon 
aux  lueurs  de  la  foudre,  ainsi  d'Aubigné  colore  de 
moment  en  moment  tous  les  repHs  du  seizième  siècle, 
aux  éclairs  de  la  guerre  civile. 

J'ai  un  portrait  de  d'Aubigné  au  crayon  rouge. 

La  tète  est  calme,  inspirée.  Le  front  et  les  tempes 
sont  immenses.  Les  sourcils  sont  un  peu  froncés.  Un 
pli  les  sépare  et  les  accentue  fortement.  Les  yeux , 
lumineux  comme  des  rayons ,  semblent  percer  les 
murs  du  Louvre  et  du  Vatican^  ils  fouillent  les  crimes 
des  princes  et  des  papes.  Le  nez  se  recourbe  sur  les 
ennemis  de  Dieu,  la  bouche  dédaigneuse  les  défie, 
et  la  barbe ,  qui  se  hérisse  aux  extrémités ,  achève  le 
regard  et  manifeste  tout  ce  qu'il  a  vu. 

Yoilà  le  portrait  que  je  possède.  Il  y  en  a  deux  au- 
tres, un  à  Maintenon  que  je  ne  connais  pas,  et  un  dans 
la  bibliothèque  de  Genève  que  j'ai  longtemps  étudié. 

Le  portrait  de  Genève  est  très-vivant.  Malgré  son 
expression  de  fatuité ,  il  est  précieux  par  le  mélange 
d'enthousiasme  et  de  raillerie  qui  caractérise  d'Aubi- 
gné et  qui  résume  ce  grand  homme. 


LIMIE  QUARAME-CINQriÈME.  87 

Tandis  que  l'écuver  du  Béarnais  se  battait,  se  mo- 
quait et  chantait,  tandis  que  Henri  de  Navarre,  en 
gagnant  du  temps,  gagnait  tout.  Henri  de  Valois  re- 
crutait des  misfnons  et  Henri  de  Guise  des  ligueurs. 

Le  roi  de  France  et  le  prince  lorrain  devenaient  de 
plus  en  plus  ennemis  mortels. 

Les  mignons  déshonoraient  Henri  HL  Ces  jeunes 
gens,  pour  la  plupart  de  moyenne  noblesse,  tout  gon- 
flés de  leur  honteuse  faveur,  insultaient  jusqu'à  Mon- 
sieur. Ils  animaient  le  roi  contre  lui.  Les  outrages  en 
vinrent  au  point  que  le  duc  résolut  de  s'enfuir  une 
seconde  fois. 

Mais  comment  s'échapper  du  Louvre  dont  toutes 
les  portes  étaient  gardées  avec  une  consigne  si  mi- 
nutieuse ?  Il  résolut  de  s'évader  par  la  fenêtre  de  la 
chambre  de  sa  sœur  Marguerite.  Cette  chambre  qui 
était  au  second  étage  surmontait  de  très-haut  le  fossé. 
Marguerite  se  pourvut  d'une  corde  qu'elle  se  fit  ap- 
porter dans  une  boîte  de  luth.  Au  souper  de  la  reine 
mère,  M.  de  Matignon  prévint  Catherine  que  Mon- 
sieur tramait  quelque  voyage.  Catherine  resta  calme 
et  Marguerite  aussi.  Après  le  souper,  la  reine,  entiè- 
rement dévouée  à  Henri  Hï,  interrogea  sa  fille  avec 
anxiété.  Marguerite  nia  tout  ce  qu'avait  dit  Mati- 
gnon, sans  la  plus  légère  altération,  soit  dans  la  voix, 
soit  dans  le  visage.  Elle  se  déclara  la  caution  de  son 
frère  d'Anjou.  Catherine  fut  convaincue  par  tant 
d'assurance,  une  attitude  si  aisée  et  des  protestations 
si  nettes. 

Marguerite  prit  congé  de  sa  mère,  monta  chez  elle, 
se  coucha  avec  cérémonie,  se  délivra  de  ses  dames, 


8^  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

reçut  son  frère,  aida  à  fixer  la  corde,  et  fit  descendre 
par  la  fenêtre  le  duc  d'Anjou,  Simier  et  Cangé ,  le 
favori  et  le  valet  de  chambre  du  duc. 

Malgré  la  gravité  de  sa  situation,  Marguerite  fut 
ravie  de  cette  fuite;  car  elle  aimait  son  frère.  Elle 
était  très-flattée  aussi  d'avoir  trompé  sa  mère,  la  plus 
avisée  princesse  de  son  temps. 

Le  duc  d'Anjou  arriva,  escorté  par  Bussy,  dans  la 
capitale  de  son  apanage,  à  Angers.  Il  y  travailla  plus 
activement  aux  deux  vaines  ambitions  de  sa  vie  :  son 
mariage  avec  Elisabeth  d'Angleterre  et  sa  royauté  des 
Pays-Bas. 


» 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME 

Duels  des  mignons.  —  Création  de  l'ordre  du  Saint-Esprit.  —  Popu- 
larité du  duc  de  Guise.  —  Voyage  de  la  reine  mère  et  de  Margue- 
rite en  Gascogne.  —  La  cour  de  Navarre  à  Pau  et  à  Nérac.  — 
Cette  cour,  un  Décaméron.  —  Maîtresses  de  Henri  de  Bourbon. 
—  Pourquoi  on  pardonne  ses  débauches  au  roi  de  Navarre.  — 
Guerre  des  amoureux.  —  Le  duc  d'Anjou.  —  Son  voyage  rn 
Angleterre  avec  Marnix.  —  Elisabeth  et  le  duc  d'Anjou.  —  Mon- 
sieur dans  les  Pays-Bas.  —  Mort  du  duc  d'Albe. 

Les  mignons  ne  mettaient  plus  de  frein  à  leurs  ava- 
nies, dont  les  princes  mêmes  n'étaient  pas  exempts. 
Le  duc  de  Guise  s'observait  singulièrement  avec 
eux.  Il  leur  imposait  par  sa  politesse,  tout  en  leur 
préparant  dans  l'ombre  une  leçon.  Si  le  roi  avait  des 
mignons.  M.  de  Guise  avait  des  gentilsbommes  qui 
n'attendaient  que  son  signal.  Il  paraît  bien  qu'il  le 
donna. 

Le  27  avril,  Antoine  de  Lévi ,  comte  de  Caylus,  et 
Charles  d'Entragues  se  prirent  de  querelle  et  se  bat- 
tirent au  Marché  aux  chevaux,  près  de  la  Bastille. 

Caylus  avait  pour  seconds  Maugiron  et  Livarot,  des 
compagnons  du  Louvre-,  d'Entragues  avait  Schom- 
berg  et  Riberac,  des  amis  comme  lui  de  l'hôtel  de 
Guise.  Le  duel  était  à  outrance.  Il  fut  terrible.  Mau- 
giron et  Schomberg  restèrent  sur  la  place.  Riberac  et 
Caylus  furent  blessés  à  mort.  Riberac  expira  le  len- 

8. 


90  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

demain,  Caylus  tin  mois  après.  Livarot  et  d'Entra- 
gues  survécurent  seuls. 

Le  roi  fut  désespéré.  Il  courut  à  l'hôtel  de  Boissi , 
au  Marais ,  où  l'on  avait  déposé  Caylus.  Il  s'établit 
dans  sa  chambre,  où  il  lui  prodigua  les  soins  les  plus 
éperdus.  Il  fit  tendre  les  chaînes  de  la  rue  Saint-An- 
toine, afin  qu'aucun  bruit  ne  troublât  le  malade.  Il 
le  veilla  ensuite  jour  et  nuit,  le  servant  de  ses  mains 
royales,  assistant  aux  pansements,  promettant  cent 
mille  écus  à  son  favori,  quand  il  reparaîtrait  au  Lou- 
vre, et  cent  mille  livres  au  chirurgien,  quand  il  l'aurait 
guéri  entièrement.  Tout  fut  inutile.  Caylus  mourut 
du  coup  d'épée  qui  lui  avait  traversé  les  poumons 
de  part  en  part. 

Henri  III  ne  se  souvint  plus  de  son  rang,  et  sa 
douleur  le  jeta  dans  toutes  les  compromissions.  Il 
baisa  le  visage  de  Caylus  et  lui  coupa  les  cheveux  qui 
étaient  blonds  et  fort  beaux.  Il  détacha  lui-même  les 
pendants  d'oreilles  de  son  favori,  l'exposa  sur  un  lit 
de  parade,  comme  un  prince  du  sang,  et  lui  com- 
manda de  magniliques  funérailles. 

Pendant  qu'il  pleurait  au  Louvre  Maugiron  et  Cay- 
lus, une  nouvelle  affliction  fondit  sur  lui. 

Saint-Mesgrin,  un  autre  mignon,  s'étant  vanté  des 
bontés  de  la  duchesse  de  Guise,  cette  insulte  amusa 
le  roi  et  parvint  aux  princes  lorrains.  La  duchesse 
était  coupable,  mais  il  fallait  qu'on  la  crût  innocente. 
Le  duc  de  Guise,  presque  aussi  inaccessible  à  la  jalou- 
sie que  le  Béarnais,  impatienta  ses  frères  par  son 
dédain  d'un  tel  affront.  Us  le  lavèrent  dans  le  sang. 
Une  troupe  de  nobles  assassins,  conduite  par  le  duç 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME. 


91 


de  Mayenne,  joignit  Saint-Mesgrin,  à  onze  heures  du 
soir,  au  moment  où  il  sortait  de  chez  le  roi,  et  ils  le 
percèrent  de  trente-trois  coups,  soit  de  dague,  soit  de 
pistolet. 

Les  pleurs  du  roi  redoublèrent.  11  ordonna  de  pla- 
cer Saint-Mesgrin  à  côté  de  Maugiron  et  de  Caylus, 
sous  les  voûtes  de  Saint-Paul,  où  il  leur  fit  ériger  des 
lomheaux  de  marbre.  Il  faut  étudiera  la  bibliothèque, 
dans  l'admirable  collection  de  M.  Hennin  et  dans  celle 
de  M.  Niel  les  portraits  des  mignons.  Ils  ont  des  vi- 
sages divers,  mais  la  même  physionomie  au-dessus 
de  leurs  fraises  godronnées.  Cette  physionomie  de 
libertins  et  de  fanfarons,  frisés  et  fardés,  est  marquée 
d'un  sceau  fatal.  Un  arrêt  formidable  se  lit  sur  ces 
faces  mornes  et  impudentes.  Leur  statue  du  com- 
mandeur, c'est  le  Dieu  vivant.  Ils  semblent  tous,  ces 
spadassins  de  Sodome,  sous  le  glaive  de  l'archange. 

Ce  duel  des  mignons  ne  serait  pas  digne  de  l'his- 
toire, et  je  l'aurais  omis,  s'il  n'était  pas  l'une  des 
formes  d'un  duel  bien  autrement  funèbre,  le  duel  de 
la  royauté  et  de  la  maison  de  Guise.  Ce  duel  sera  long 
et  tragique  -,  il  est  désormais  permanent. 

Le  roi,  même  dans  sa  tristesse  qui  fut  bientôt  dis- 
sipée par  de  nouveaux  mignons,  Nogaret  et  Joyeuse, 
s'efforçait  de  disputer  aux  Guise  le  parti  catholique. 
Il  multipliait  les  processions,  il  allait  d'église  en  église, 
vêtu  en  pénitent  blanc,  avec  un  gros  chapelet  à  têtes 
de  mort,  récitant  les  psaumes  qu'il  entremêlait  d'ore- 
mus.  Tous  les  dissolus  de  la  cour  l'accompagnaient, 
et  c'était  s'avancer  dans  ses  bonnes  grâces  que  de 
prodiguer  les  simagrées  dévotes  et  les  contorsions 


92  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

hypocrites.  Voilà  quelle  était  sa  diplomatie  avec  les 
bourgeois  et  avec  le  peuple;  il  en  avait  une  autre 
avec  les  grands. 

Il  promettait  des  charges  dont  trafiquaient  mal- 
heureusement ensuite  Joyeuse  et  Nogaret.  Il  créait 
un  ordre  de  chevalerie  (1578). 

L'ordre  de  Saint-Michel ,  institué  par  Louis  XI, 
était  tonibé  dans  l'avilissement.  Les  grands  seigneurs 
ne  le  portaient  plus  et  ne  le  demandaient  que  pour 
leurs  clients.  On  appelait  cet  ordre  un  collier  à  toutes 
bêtes.  Henri  III  y  substitua  un  autre  ordre,  l'ordre  àh 
Saint-Esprit,  auquel  il  renoua  le  vieux  ordre  afin  de 
le  rajeunir.  La  nouvelle  croix,  qui  était  ornée  d'une 
colombe,  avait  un  revers  à  l'effigie  de  Saint-Michel. 
Aussi  les  chevahers  se  nommaient-ils ,  à  cause  de  ce 
double  symbole ,  les  chevaliers  des  ordres  du  roi. 
Henri  III  croyait  s'enchaîner  la  haute  aristocratie  par 
le  serment  solennel  d'obéissance  que  lui  prêterait 
chaque  chevalier. 

Le  duc  de  Guise  ne  fut  pas  de  la  première  promo- 
tion, mais  il  ne  tarda  pas  à  recevoir  le  ruban  -,  et  le 
serment  ne  l'inquiéta  pas  plus  que  les  autres  seigneurs 
de  la  hgue. 

Henri  III  ne  pouvait  lutter,  ni  avec  son  hochet,  ni 
avec  ses  patenôtres,  contre  un  homme  qui  soulevait 
la  passion  publique  et  dont  la  présence  seule  électri- 
sait  les  foules.  Si  M.  de  Guise  paraissait  inopinément, 
mille  acclamations  retentissaient  sur  ses  pas.  Il  était 
obhgé  d'inventer  des  ruses  pour  se  soustraire  à  sa 
popularité.  Le  roi  au  contraire  ne  rencontrait  sur 
son  passage  que  froideur  et  hâbleries.  S'il  se  fût  ar- 


LIVRE  QUARANTE-SIXIEME.  93 

rété  en  chemin,  il  aurait  pu  lire  sur  les  murs  des 
placards  comme  celui-ci  :  «  Henry,  par  la  grâce  de 
sa  mère,  inerte  roi  de  France,  et  de  Pologne  imagi- 
naire, concierge  du  Louvre,  marguillier  de  Saint-Ger- 
main-l'Auxerrois,  gendre  de  Colas,  godronneur  des 
collets  de  sa  femme,  et  friseur  de  ses  cheveux,  mer- 
cier du  palais,  visiteur  des  étuves,  gardien  des  quatre 
mendiants  et  protecteur  des  hlancs-battus.  » 

Le  crime  du  duc  de  Guise,  qui  voulait  être  roi  de 
France,  c'était  d'être  le  vassal  de  l'étranger,  le  vassal 
âu  pape,  surtout  le  vassal  du  roi  d'Espagne. 

Phih'ppe  II  s'était  délivré  de  don  Juan  par  le  poi- 
son ;  il  se  substitua  par  l'or  à  don  Juan  auprès  du 
duc  de  Guise.  PhiHppe,  qui  avait  lu  leur  traité,  l'ac- 
cepta pour  son  propre  compte  en  y  mettant,  au  Heu 
d'une  main,  sa  griffe  de  tigre.  Il  fit  proposer  au  duc 
une  pension  de  deux  cent  mille  Hvres.  Le  duc,  abîmé 
de  dettes,  ne  refusa  pas,  et  par  ses  doublons  le  roi 
de  l'Escurial  prit  possession  du  duc  lorrain.  Philippe 
pourrait  désormais  tellement  occuper  la  France  au 
dedans,  qu'elle  ne  troublerait  plus  les  desseins  de 
l'Espagne  sur  l'Europe;  et  il  se  promettait  bien  aussi 
de  ménager  le  trône  de  saint  Louis  à  la  petite  infante 
née  d'Elisabeth,  sœur  de  Henri  III. 

Cette  subalternité  devant  Philippe  II  est  le  côté 
odieux  de  la  ligue  et  de  Henri  de  Guise ,  qui  espé- 
rait s'en  venger.  Mais,  en  attendant,  il  se  ravalait  et 
il  sacrifiait  la  France,  lui  étranger,  à  un  étranger. 
Entre  Henri  de  Guise  et  Henri  de  Yalois,  on  ne  sau- 
rait choisir.  On  est  irrésistiblement  entraîné  vers 
Henri  de  Navarre. 


94  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIKUSE. 

Ce  prince  avait  alors  vingt-six  ans  (1578). 

Henri  III,  à  qui  Marguerite  déplaisait,  la  renvoya 
de  sa  cour  à  celle  de  Nérac.  La  reine  mère  accompa- 
gna sa  fille,  dans  l'intention  de  contenter  les  hugue- 
nots touchant  l'interprétation  du  dernier  traité.  Les 
huguenots  étaient  maintenant  à  ses  yeux  un  contre- 
poids nécessaire  à  la  ligue.  Et  puis  elle  avait  un  be- 
soin croissant  de  se  mêler  d'affaires,  cercle  magique 
pour  elle,  mais  que  les  mignons  lui  rétrécissaient  de 
plus  en  plus. 

Marguerite  partit  au  mois  de  juillet,  sous  la  con- 
duite de  Catherine.  Son  entrée  à  Bordeaux  fut  digne 
d'une  princesse  qui  était  sœur  du  roi  de  France  et 
femme  du  roi  de  Navarre ,  le  gouverneur  auguste  de 
la  Guyenne. 

Elle  montait  une  belle  haquenée  blanche.  Elle  ' 
avait  une  robe  orangée,  la  plus  riche  qu'elle  eût  por- 
tée, de  Taveu  des  chroniqueurs  courtisans,  après  celle 
(ju'elle  avait  au  fameux  dîner  donné  aux  ambassa- 
deurs polonais,  au  château  des  Tuileries.  On  remar- 
qua surtout  sa  toque  de  velours  jaune  <à  l'espagnole, 
qui  la  faisait  ressembler,  disaient  les  poëtes  bordelais, 
à  Isabelle  de  Castille  pendant  le  siège  de  Grenade. 

La  reine  fut  haranguée  par  M.  de  Bordeaux  à  la 
tête  du  clergé,  par  le  maréchal  de  Biron ,  maire  de 
la  ville,  et  lieutenant  général  de  la  province,  puis 
par  le  président  du  parlement,  M.  de  Largebaston. 
Elle  répondit  à  tous.  Elle  proportionna  ses  discours 
à  ceux  qu'elle  avait  entendus,  les  assaisonnant  du 
sel  de  l'à-propos,  théologienne  et  érudite  avec  l'ar- 
chevêque, fort  militaire  avec  le  maréchal,  senten- 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  95 

cieuse  et  concise,  à  la  manière  d'un  sénateur,  avec 
le  premier  président.  Elle  enleva  les  plus  difficiles 
pour  ce  qui  lui  échappa  d'excellent  sur  la  religion, 
sur  la  guerre ,  sur  la  police  et  sur  la  justice.  Elle 
n'oublia  pas  non  plus  cette  généreuse  ville  qui  la  re- 
cevait si  bien  et  dont  elle  redoubla  l'enthousiasme 
par  sa  bienveillance.  Les  bonnes  choses  que  lui  in- 
spiraient les  occasions,  la  reine  les  rendait  meilleures 
par  je  ne  sais  quel  bonheur  d'expression  qui  lui  ve- 
nait de  la  nature  et  aussi  de  son  commerce  habituel 
avec  les  poètes,  les  artistes,  les  savants. 

Le  soir,  en  la  chambre  de  la  reine  mère ,  elle 
fascina  par  ses  saillies,  par  sa  grâce  et  par  la  variété 
facile  de  sa  conversation,  tous  ceux  qu'elle  avait  éton- 
nés le  jour  par  son  éloquence  publique.  On  ne  taris- 
sait pas  sur  ses  louanges.  M.  de  Largebaston,  un 
routier  du  parlement,  très-versé  dans  les  lois,  dans 
les  lettres  et  dans  le  monde,  un  magistrat  de  vieille 
roche,  indulgent  au  passé  et  sévère  au  présent,  avoua 
que  cette  jeune  reine  égalait  en  bien  dire  les  deux 
grandes  reines  Marguerite  et  Jeanne  qu'il  avait  eu 
l'honneur  de  complimenter  en  de  pareilles  rencontres 
et  qui  étaient  des  bouches  d'or. 

Marguerite  se  montra  toujours  fort  libérale.  Elle 
l'était  jusqu'à  irriter  son  mari  économe  par  nécessité, 
jusqu'à  embarrasser  ses  frères  qui  ne  savaient  plus 
que  donner  après  elle.  En  cette  circonstance,  elle  fit 
de  très-beaux  présents  aux  jeunes  filles  et  aux  prin- 
cipaux personnages  de  la  province.  Elle  s'éloigna  de 
Bordeaux  fort  regrettée  et  fort  admirée. 

Au  milieu  de  tant  de  soins ,  elle  trouva  le  temps 


96  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

d'écrire  de  sa  magique  plume  à  une  nièce  de  ma- 
dame de  Dampierre  la  relation  de  son  entrée  dans  la 
capitale  de  la  Guyenne.  Joachim  du  Bellay  dit  que  la 
reine  de  Navarre  était  comme  César,  à  la  fois  son  hé- 
ros et  son  historien.  Le  mot  fut  applaudi  par  quel- 
ques amisj  mais  les  mignons,  ennemis  de  la  reine 
Marguerite,  plaisantèrent  tout  bas  du  César  en  jupes 
et  finirent  par  s'en  moquer  tout  haut  en  plein  Lou- 
vre. Le  roi,  qui  était  présent,  faisait  la  sourde  oreille, 
et,  loin  de  se  fâcher  de  ces  hardiesses,  il  y  prenait 
plaisir. 

Catherine  de  Médicis ,  qui  n'aimait  pas  sa  fille ,  la 
loua  beaucoup  à  Bordeaux,  où  Marguerite,  par  son 
charme  et  par  le  bon  goût  de  sa  mise  royale,  avait 
conquis  la  population  entière.  Sa  coquetterie  s'était 
élevée  à  la  hauteur  de  la  politique.  Elle  avait  gagné 
tous  les  cœurs. 

((  Madame ,  disait  Marguerite  à  la  reine  mère  en- 
chantée ,  vous  êtes  contente  de  moi ,  parce  que  je 
viens  de'cour.  Quand  j'y  retournerai,  ce  sera  avec 
des  ciseaux  et  des  étoffes  seulement,  afin  de  me  con- 
former à  la  mode  nouvelle.  »  Mais  la  reine  mère  re- 
prenait :  ((  Ma  fille,  ce  n'est  pas  à  vous  de  recevoir 
vos  modes  de  la  cour,  c'est  à  elle  de  les  imiter  de 
vous.  )> 

Pendant  ce  voyage  de  Gascogne ,  Marguerite  était 
heureuse  d'être  la  première  dans  les  provinces  du 
Midi,  heureuse  aussi  des  projets  de  vengeance  qu'elle 
roulait  en  elle-même  contre  Henri  ÏIL  Elle  eut  de 
grands  succès  de  femme  et  de  reine. 

Elle  avait  été  la  beauté  du  Louvre,  elle  allait  être 


Livre  quarante-sixième.  97 

la  beauté  de  Nérac^  les  vieux  historiens  ajoutent 
même  avec  cette  naïve  passion  de  la  renaissance  : 
«  La  beauté  du  monde.  »  C'était  une  beauté  hardie 
sous  une  modestie  feinte ,  une  beauté  dont  tous  les 
regards  s'aiguisaient  en  flèches,  dont  toutes  les  poses 
étaient  des  provocations  savantes,  dont  toutes  les 
coupes  de  vêtements  étaient  des  embûches.  Elle  ré- 
pétait, avec  une  profonde  hypocrisie  de  princesse, 
que  la  chasteté  de  l'âme  autorisait  quelque  liberté 
dans  la  façon  de  s'habiller.  Et,  d'après  ce  principe, 
elle  ne  paraissait  jamais  aux  fêtes  et  aux  bals  que  la 
gorge  nue.  C'est  elle,  dévote  et  désordonnée,  qui  in- 
troduisit parmi  les  femmes  l'audace  de  se  découvrir  îe 
sein.  Cette  effronterie  continue,  et  s'étale,  et  triom- 
phe en  souriant  de  l'éloquence  des  prédicateurs. 

De  Bordeaux,  les  reines  se  rendirent  aux  environs 
de  La  Réole ,  dans  un  château  où  tout  était  disposé 
pour  une  hospitahté  splendide.  Le  roi  de  Navarre 
leur  vint  au-devant  avec  six  cents  gentilshommes  à 
cheval.  Il  fut  courtois  pour  Catherine  et  affectueux 
pour  Marguerite.  Il  les  accompagna  à  Auch  où  les 
festins  succédèrent  aux  tournois  et  furent  suivis,  soit 
de  danses  à  la  basque  J  soit  de  ballets  à  la  française. 
Cette  vie  se  prolongea  pendant  les  trois  mois,  dé- 
cembre, janvier,  février,  que  les  cours  séjournèrent  à 
Nérac.  Il  y  eut  des  conférences  très-favorables  aux 
protestants.  La  reine  mère,  dans  la  prévision  de  la  li- 
gue, leur  accorda  la  plus  large  interprétation  du  der- 
nier édit  de  paix. 

Le  roi  de  Navarre  excellait  dans  les  affaires  et  dans 
les  plaisirs.  Il  se  sentait  dos  lors  une  réserve  de  Dieu, 
IV.        '  "  9 


98  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

respérance  du  protestantisme,  le  vengeur  futur  de  la 
Saint-Barthelémy  et  il  prédisait,  du  milieu  des  dissi- 
pations, la  grande  heure  où  il  faudrait  agir  soit  contre 
Henri  de  Valois,  soit  contre  Henri  de  Guise  et  la 
ligue.  D'Aubigné  et  ses  confidents  comprenaient 
bien  que  ce  jeune  épicurien  de  Béarnais  serait  le 
plus  vaillant  soldat  de  France. 

Alors  il  s'amusait.  11  avait  renoué  avec  madame  de 
Sauves  que  lui  avait  amenée  Catherine  de  Médicis.  Il 
s'était  épris  de  Dayelle,  une  belle  Grecque  sauvée  du 
sac  de  Chypre.  Il  s'était  attaché  un  instant  à  Fleu- 
rette, mademoiselle  du  Luc,  d'Agen,  dont  il  eut  un 
lils.  La  reine  Marguerite,  à  qui  la  liberté  des  amants 
était  si  nécessaire,  laissait  à  son  mari  la  liberté  des 
maîtresses. 

Le  Béarnais  ne  s'amoUissait  pas  dans  les  voluptés. 
Sa  puissante  organisation  aspirait  aux  dangers  et 
aux  fatignes.  Quand  il  n'y  avait  pas  de  guerre,  il  cou- 
rait les  chasses,  comme  autrefois  son  oncle  Louis  de 
Condé. 

Le  roi  de  Navarre  escorta  les  reines  à  Toulouse,  à 
Agen,  à  Montauban,  dans  le  comté  de  Foix.  Là,  il  pro- 
posa à  sa  femme  et  à  sa  belle-mère  une  chasse  aux 
ours  dans  les  Pyrénées  (1579).  Elles  refusèrent  par 
effroi.  Lui,  par  tempérament  de  capitaine,  y  alla. 

La  chasse  fut  terrible.  Des  ours  traqués  dans  leurs 
repaires  de  rocs  et  de  sapins  en  sortirent  furieux.  Ils 
déchirèrent  des  chevaux  abandonnés  par  leurs  cava- 
liers. Ils  firent  lâcher  pied  à  dix  Suisses  et  à  autant  de 
piqueurs.  Le  plus  énorme  de  ces  animaux  et  le  plus 
féroce ,  frappé  de  cinq  balles ,  les  flancs  hérissés  de 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  99 

six  lances  plongées  très-avant  dans  son  cuir,  fondit, 
à  trente  pas  du  roi,  sur  un  petit  groupe  de  huit  chas- 
seurs et  en  renversa  quatre  avec  lui  dans  un  précipice 
sans  fond.  On  ne  revit  plus  jamais  ni  les  hommes  ni 
l'ours. 

Les  reines  se  félicitèrent  au  récit  du  roi  de  ne 
s'être  pas  donné  cet  affreux  spectacle. 

Marguerite  eut  en  ce  temps-là  un  chagrin. 

Monsieur  étant  revenu  au  Louvre  montra  étourdi- 
ment  à  Henri  III  des  lettres  dans  lesquelles  Bussy  se 
vantait  d'avoir  séduit  la  femme  du  grand  veneur,  le 
comte  de  Monsoreau.  Le  roi,  qui  haïssait  Bussy, 
garda  les  lettres  et  les  communiqua  au  comte.  M.  de 
Monsoreau,  hors  de  lui,  part  pour  sa  terre  avec  une 
troupe  d'officiers  de  la  vénerie.  Arrivé  à  son  château, 
il  se  tient  caché  avec  sa  garnison  farouche  toute  vêtue 
de  cottes  de  mailles.  Il  fait  indiquer  un  rendez-vous  à 
Bussy  par  sa  femme.  Bussy  se  pare  comme  pour  une 
fête.  Il  se  présente  en  pourpoint  de  soie,  sans  autre 
arme  que  son  épée.  Il  pénètre  dans  le  château.  Il 
cherche  la  comtesse,  mais  c'est  le  comte  qu'il  trouve, 
le  comte  entouré  d'une  hancle.  Bussy  tire  son  épée. 
C'était  assez  pour  l'honneur,  car  la  victoire  était  im- 
possible. Cet  homme,  brave  entre  les  plus  braves,  et 
sur  lequel  pleuvaient  balles  et  piques,  s'affaissa  dans 
une  attitude  martiale,  au  moment  où  il  allait  s'élancer 
dans  le  fossé  du  château.  Il  demeura  ainsi  inanimé  et 
sanglant  dans  les  toiles  du  grand  veneur. 

La  ville  d'Angers,  dont  il  était  le  tyran  et  l'exac- 
teur,  respira-,  les  mignons,  dont  il  était  le  railleur  et 
l'ennemi,  se  réjouirent.  La  reine  Marguerite  fit  un 


IW  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE, 

petit  poëme  de  sa  douleur  toute  littéraire.  Il  nous 
suffit  à  nous  de  remarquer  renchaînement  fatidique 
des  causes  de  cette  mort.  Trahi  par  Henri  III,  un  des 
bourreaux  de  la  Saint-Barthélemy,  Bussy,  un  autre 
bourreau,  fut  tué  par  le  grand  veneur,  un  autre  bour- 
reau du  même  massacre. 

Marguerite,  après  le  départ  de  sa  mère  et  sa  super- 
ficielle lamentation  sur  Bussy,  s'appliqua  de  plus  en 
plus  à  conserver  la  bonne  harmonie  entre  elle  et  son 
mari. 

Une  circonstance  fortuite  jeta  néanmoins  dans  leur 
intimité  une  vive  irritation. 

La  reine  mère  était  retournée  à  Paris.  La  cour  de 
Navarre  était  à  Pau,  l'une  de  ses  résidences.  Le  sé- 
jour en  Béarn  présentait  de  graves  inconvénients 
pour  Marguerite.  Toute  la  contrée  était  embrasée  de 
zèle  calviniste.  Pau  était  une  Genève  méridionale.  Le 
culte  catholique  était  proscrit,  excepté  pour  la  reine. 
Elle-même,  si  elle  n'était  pas  opprimée,  était  du 
moins  fort  gênée  dans  sa  Hberté  de  conscience. 

Le  fait  justement  que  nous  avons  annoncé  mon- 
trera jusqu'à  quel  point  de  jalousie  s'emportait  contre 
elle  le  calvinisme. 

La  reine  avait  obtenu  une  petite  chapelle  de  sept  à 
huit  pieds  de  long  sur  six  de  large.  Son  aumônier 
était  autorisé  à  y  dire  la  messe.  Quand  cette  cérémo- 
nie devait  avoir  heu,  on  levait  le  pont  du  château, 
afin  d'interdire  aux  catholiques  de  la  ville  l'entrée  de 
la  chapelle.  Ils  étaient  désespérés  de  cette  rigueur. 

Un  jour  de  Pentecôte  cependant,  quelques-uns 
des  catholiques  fervents  trompèrent  la  vigilance  des 


LIVRE   QUARANTE-SIXIÈME.  101 

gardes  et  s'introduisirent  au  fond  de  la  chapelle  avant 
qu'on  eût  pris  les  précautions  accoutumées.  La  messe 
dite,  les  gardes,  ayant  ouvert  la  porte  de  la  chapelle, 
s'aperçurent  de  la  supercherie,  et  plusieurs  coururent 
avertir  M.  Le  Pin,  un  des  secrétaires  du  roi.  C'était 
un  conseiller  très-influent  du  prince,  un  huguenot 
violent  et  dur.  Il  arriva  en  toute  hâte,  insulta  les  ca- 
tholiques et  ordonna  de  traîner  ces  pauvres  gens  en 
prison.  11  fut  obéi  et  les  captifs  ne  sortirent  qu'après 
avoir  payé  une  forte  amende. 

Cette  scène  se  passa  devant  la  reine,  qui  ressenti 
très-vivement  une  telle  indignité.  Malgré  sa  colère, 
ses  plaintes,  ses  larmes  même,  elle  n'obtint  du  roi 
qu'une  faible  réparation  et  des  reproches  amers  de  ce 
qu'elle  avait  exigé  l'éloignement  de  Le  Pin. 

Le  Béarnais,  comme  prince  des  protestants,  était 
obligé  envers  eux  à  des  déférences  de  chef  de  parti 
Marguerite  ne  lui  tint  aucun  compte  de  sa  situation 
et  elle  lui  garda  rancune ,  comme  s'il  eût  pu  tout  ce 
qu'il  voulait. 

Elle  préférait  infiniment  la  Gascogne  et  la  rési- 
dence de  Nérac. 

Nérac  était  une  Florence  gauloise.  Les  saillies  du 
terroir,  la  bonne  humeur,  la  galanterie,  la  culture 
des  lettres  y  entretenaient  la  tolérance.  La  grand'- 
mère  du  roi  de  Navarre  y  avait  semé  des  germes  que 
sa  femme,  une  autre  Marguerite,  faisait  éclore  autour 
d'elle.  On  l'admirait.  Ses  costumes  de  France,  ses 
modes  du  Louvre,  ses  conversations  savantes,  ses 
mœurs  d'une  extrême  liberté,  mais  d'une  élégance 
altique,  donnaient  le  ton  au  château  et  à  la  ville, 

9. 


102  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Elle  tenait  sa  cour  avec  des  raffinements  inconnus 
jusque-là.  Henri  de  Bourbon  et  la  princesse  de  Na- 
varre secondaient  Marp^uerite  de  leur  mieux. 

Rien  de  plus  brillant  que  cette  petite  cour  de  Né- 
rac.  La  cour  de  France  elle-même  ne  Téclipsait  pas. 
Les  dames  et  les  filles  de  la  reine  et  de  la  princesse 
étaient  charmantes.  Les  gentilshommes  du  jeune  roi 
étaient  beaux,  aventureux  et  braves.  Les  querelles 
religieuses,  qui  ailleurs  troublaient  tout,  se  taisaient. 
Marguerite  et  le  roi  ne  les  supportaient  pas.  Pendant 
que  Henri,  sa  sœur  et  leur  maison  s'en  allaient  au 
prêche  dans  le  temple  protestant,  Marguerite  se  ren- 
dait soit  à  la  messe  ,  soit  au  sermon  dans  sa  chapelle 
du  parc  avec  sa  suite. 

Les  offices  terminés,  toute  la  cour  se  réunissait 
pour  la  promenade.  Des  groupes  divers  se  formaient, 
se  séparaient  et  se  perdaient  dans  des  allées  d'oran- 
gers et  de  cyprès,  ou  sur  les  bords  de  la  Baise, 
rivière  plantée  comme  l'Eurotas  d'oliviers  et  de  lau- 
riers-roses. On  marchait,  on  dansait,  on  s'égarait. 
L'après-dînée  et  le  soir  étaient  réservés  aux  cercles 
et  aux  bals. 

Ces  repos  délicieux  étaient  entre-croisés  de  guerres, 
de  sièges,  d'affaires,  de  négociations.  Puis  l'amour 
payait  de  tous  les  dangers,  récompensait  de  toutes 
les  fatigues. 

La  reine  avait  des  favoris;  elle  en  avait  d'anciens 
et  de  nouveaux.  Le  roi  fermait  les  yeux  et  avait  de 
son  côté  des  maîtresses.  Il  en  avait  d'innombrables. 
Était-il  en  campagne  :  dans  les  intervalles  de  cette 
foule  de  petits  combats  qu'il  livrait  alors  plus  en  gentil- 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  103 

homme  qu'en  roi,  il  revenait  sans  cesse  à  Nérac  pour 
retrouver  les  dames  sans  lesquelles  il  ne  pouvait  vivre. 
Marguerite,  qui  avait  tant  besoin  d'indulgence  pour 
elle,  loin  de  mettre  obstacle  aux.  goûts  du  roi,  les  en- 
courageait. Elle  recevait  ses  maîtresses  ,  leur  témoi- 
gnait des  égards,  de  l'intérêt,  les  soignait  dans  leurs 
maladies,  même  dans  leurs  couches.  Elle  ne  s'arrê- 
tait qu'à  la  limite  où  le  ridicule  l'aurait  blessée.  E11;î 
s^'appliquait  seulement  à  ne  pas  se  dégrader  devant 
sa  petite  cour  par  l'indécence  de  ses  abnégations,  et 
à  sauver  du  moins  la  dignité  extérieure. 

La  lecture  assidue  de  la  reine,  c'était  Boccace. 

Boccace  fut  le  corrupteur  enjoué,  licencieux,  du 
génie  moderne,  et  Savonarole,  dans  son  austérité , 
le  jugeait  ainsi,  lorsqu'il  jetait  avec  horreur  le  Déca- 
mèron  sur  le  bûcher,  au  milieu  de  la  grande  place  de 
Florence. 

Ce  livre  du  Dècamèron  est  une  date  de  dépravation 
formidable  et  décevante.  Boccace  y  prélude  par  la 
description  de  la  peste,  mêlant  avec  art  la  terreur  à 
la  volupté.  Le  Dècamèron  éclate  en  ironie  mortelle, 
amorcée  de  débauche.  C'est  l'explosion  de  l'esprit  et 
des  sens  déchaînés  à  la  fois,  le  récit  ondovant  de  cette 
double  ivresse  qui  saisit  l'homme  après  le  long  jeûne 
et  les  lugubres  macérations  du  moyen  âge. 

Cette  joie  communicative  et  cynique  s'empara  de 
la  renaissance  et  se  redoubla  par  des  talents  analo- 
gues au  talent  de  Boccace  :  Rabelais  et  Brantôme. 

La  première  Marguerite,  la  grand' mère  du  Béar- 
nais, avait  adopté  déjà  Boccace.  Seulement,  elle  ne 
l'avait  mis  que  dans  son  imagination  et  dans  ses  nou- 


104  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

velîes;  elle  l'avait  exclu  de  ses  mœurs.  La  femme  du 
Béarnais,  la  dernière  Marguerite,  fit  le  contraire.  Elle 
mit  Boccace  dans  sa  vie.  Ses  actions  furent  dissolues 
et  ses  paroles  discrètes. 

Elle  transforma  sa  cour  en  un  Décamèron.  Tout  le 
monde  y  était  amoureux  :  d'Aubigné  et  les  jeunes 
gentilshommes,  la  reine  et  le  roi. 

La  reine  était  alors  attachée  au  vicomte  de  Turenne 
et  à  quelques  autres. 

Le  roi  changeait  sans  cesse.  Il  passa  des  filles 
d'honneur  de  Catherine  de  Médicis  à  celles  de  sa 
femme. 

Il  distingua  Rebours,  puis  Fosseuse,  de  la  maison 
de  Montmorency. 

Le  roi  de  Navarre  eut  beaucoup  de  maîtresses  in- 
connues et  connues.  Parmi  les  célèbres,  j'en  compte 
six  qui  rejettent  dans  la  nuit  toutes  les  autres.  Je 
ne  nommerai  même  ni  Jacqueline  de  Bueil,  comtesse 
de  Moret,  ni  Charlotte  des  Essarts,  comtesse  de  Ro- 
morantin. 

Celles  qui  méritent  vraiment  d'être  historiques 
sont  :  madame  de  Sauves,  Fosseuse,  Corisande  d'An- 
douins,  comtesse  de  Gramont,  Gabrielle  d'Estrées,  la 
plus  populaire  de  toutes  ,  la  marquise  de  Verneuil , 
un  superbe  orage,  et  Charlotte  de  Montmorency, 
princesse  de  Condé ,  qui  apparut  à  la  cime  de  deux 
grands  siècles  pour  les  fasciner,  l'idole  des  vieillards 
du  seizième  et  des  jeunes  hommes  du  dix-septième. 
Son  teint  d'une  blancheur  éblouissante  se  colorait  vi- 
vement dans  l'émotion.  Ses  yeux  bleus  étaient  ordi- 
nairement limpides  comme  une  source,  mais  dans 


Livre  ql'Arante-sixième.  105 

l'emportement  ils  se  teignaient  de  la  teinte  plus  fon- 
cée d'un  flot  de  mer. 

La  princesse  de  Condé  fut  un  idéal  pour  le  Béar- 
nais au  déclin ,  qui  avait  presque  aimé  autant  de 
femmes  qu'il  en  avait  vu  de  belles.  Ce  sera  dans 
son  cœur  et  dans  ses  yeux  le  suprême  éblouissement 
de  l'impossible  amour,  après  tant  d'autres  amours 
faciles. 

Mais  n'anticipons  pas-,  nous  sommes  à  Nérac  en 
lo79.  Catherine  de  Médicis  a  quitté  la  Gascogne  avec 
ses  filles  d'honneur  et  madame  de  Sauves.  Le  roi  de 
Navarre  s'est  fixé.  Il  est  tout  entier  à  mademoiselle  de 
Montmorency  que  les  contemporains  appelaient  Fos- 
seuse,  à  cause  de  son  illustre  famille ,  les  Montmo- 
rency-Fosseux. 

Son  portrait  surpasse  toute  imagination. 

Elle  entre  dans  l'adolescence.  Elle  n'a  pas  tout  à 
fait  quinze  ans.  On  admire  ses  mains  et  sa  taille 
d'une  distinction  parfaite.  Le  teint  blanc  et  rose 
de  sa  poitrine  naissante  et  de  son  visage  vierge  est 
d'une  fraîcheur  d'avril.  Cette  rare  splendeur  est  en- 
core relevée  par  la  nuance  mate  des  perles  qui  or- 
nent les  oreilles  et  le  sein  de  la  Fosseuse.  Une  fraise 
de  dentelles  en  éventail  sort  des  épaules  comme 
les  flèches  empennées  du  carquois  de  l'Amour.  Ce 
détail  de  parure  est  une  flatterie  mythologique  de 
l'artiste. 

Le  front  d'ivoire,  un  peu  renflé  aux  tempes,  s'om- 
brage de  cheveux  d'or  crêpés  et  rattachés  par  un 
nœud  de  diamants.  Les  sourcils,  tracés  finement 
d'un  pinceau  délicat,  dessinent  la  forme  des  yeux 


106  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

doux  et  sauvages,  tout  semblables  à  ceux  d'une 
gazelle.  Le  nez  candide  se  détache  des  joues  très- 
fermes,  dont  le  sang  et  le  lait  colorent  la  transpa- 
rence de  leur  mélange  charmant.  La  bouche  entr'ou- 
verte,  souriant  à  la  vie,  se  partage  en  deux  lèvres 
rouges  comme  des  cerises.  Le  menton,  arrondi,  ve- 
louté, est  d'une  jeunesse  ravissante.  Ajoutez  à  tant 
d'attraits  et  de  grâces  un  duvet  de  pêche  sur  la  peau, 
une  aurore  dans  la  figure,  une  pluie  de  rosée  solide 
sur  un  cou  de  cygne,  et  vous  aurez  mademoiselle  de 
Montmorency-Fosseuse,  une  déesse,  non  de  la  Fable, 
mais  de  la  nature  et  de  l'histoire. 

Elle  avait  été  témérairement  offerte  en  qualité  de 
fille  d'honneur  à  Marguerite,  qui  la  laissa  prendre  à 
son  mari. 

Le  roi  de  Navarre  avait  vingt-six  ans.  Il  était  assez 
beau  comme  le  témoignent  les  portraits  de  cette  pre- 
mière époque  de  sa  vie.  Dès  ce  temps-là ,  le  fond  de 
sa  physionomie  est  caractéristique.  Son  nez,  noble- 
ment aquilin,  est  d'une  prudence  achevée,  et  sa 
bouche,  excepté  pour  la  volupté,  d'une  réserve  offi- 
cielle. On  sent  l'homme,  mais  on  sent  aussi  le  prince. 
Ce  jeune  huguenot  n'a  rien  de  sévère.  Il  exprime 
plus  encore  la  ruse  que  le  courage,  et  c'est  moins 
spontanément  un  guerrier  qu'un  politique.  C'est  un 
Louis  XI  humain  et  chevaleresque.  L'intérêt  est  sa 
loi.  Il  y  sacrifierait  tout,  jusqu'à  sa  conscience  reli- 
gieuse. Dieu  lui-môme  ne  serait  pas  le  contre-poids 
d'un  trône  dans  les  plateaux  de  la  balance. 

Cette  àpreté  de  l'ambition  est,  du  reste,  corrigée 
chez  Henri  de  Bourbon  par  l'amour  du  plaisir,  par 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  107 

une  gaieté  héroïque,  par  une  amabilité  qui  tient  plus 
de  l'affection  que  de  la  politesse.  Il  n'y  a  pas  non  plus 
que  du  calcul,  il  y  a  de  l'inspiration  dans  ses  hautes 
espérances.  A  mesure  que  les  Valois  cessent  de  croire 
à  leur  étoile,  lui  croit  à  la  sienne.  Et  cette  confiance 
est  dans  son  cœur,  dans  son  accent,  dans  son  regard, 
jusque  dans  des  devises  mystérieuses  que  la  postérité 
a  tirées  de  l'oubU.  J'ai  touché  de  mes  mains  une 
vieille  épée  que  l'on  assure  avoir  appartenu  à  Henri 
de  Bourbon  avant  son  grand  avènement.  La  garde  de 
cette  épée  est  entrelacée  de  quatre  bandes  de  cuivre. 
Sur  l'une  de  ces  bandes  on  lit  en  lettres  gothiques  : 
//  est  ce  que  veut  fortune;  et  en  dessous  de  la  même 
bande  :  Il  sera  ce  que  droit  voudra.  , 

Si  l'on  compare  les  meilleurs  portraits  du  prince  à 
ceux  des  Valois,  la  différence  éclate.  La  dépravation 
est  subtile  et  furieuse  chez  les  Valois-,  elle  lait  peur.' 
Chez  Henri,  elle  est  légère  et  elle  plaît.  Le  chef  des 
Bourbons  n'est  pas  moins  diplomate  que  les  rivaux 
auxquels  il  succédera-,  seulement  ses  manèges  ne 
sont  jamais  féroces  comme  les  leurs.  Si  sa  conscience 
n'est  pas  austère,  celle  de  ses  cousins  est  pervertie. 
Lui  caresse  pour  tromper-,  ils  caressent  aussi,  mais 
c'est  pour  tuer. 

Les  Valois  sont  presque  des  Italiens;  Henri  de 
Bourbon  est  un  Gaulois ,  un  Fraaçais.  Il  a  toutes  les 
supériorités  sur  eux,  moins  une.  Ils  ont  bien  plus 
que  lui  le  tact,  le  goût,  le  génie  de  l'art.  A  quelques 
exceptions  près,  cette  faculté  manquera  toujours  aux 
Bourbons.  Henri  lui-même,  le  plus  grand  de  tous, 
est  exclusivement  politique  et  guerrier. 


108 


HISTOIEE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 


Ce  qui  le  distinguait  encore,  c'était  la  clémence, 
et  c'était  surtout  l'amour. 

Plusieurs  historiens  ont  essayé,  depuis  quelques 
années,  d'absoudre  Henri  III  de  son  vilain  péché, 
j  C'est  une  fantaisie  contredite  par  l'évidence  des 
preuves,  des  mémoires  et  des  traditions.  La  raison 
que  l'on  allègue  de  l'innocence  de  Henri  lïl  n'est 
certes  pas  concluante.  Son  épuisement  l'avait  vieilli 
avant  l'âge,  assure-t-on.  Sans  doute,  mais  au  delà 
des  forces  défaillantes  de  ce  Sardanapale,  il  y  avait 
les  caprices  infinis  et  les  rêves  monstrueux  de  l'ima- 
gination la  plus  dépravée  de  son  siècle. 

Le  Béarnais  n'était  pas  moins  insatiable  de  plaisir. 
La  soif  des  femmes  le  poursuivait  partout,  dans  les 
palais,  dans  les  camps.  Lorsque  les  fdles  d'honneur, 
et  ses  maîtresses,  soit  de  la  cour,  soit  de  la  ville,  lui 
manquaient,  au  travers  de  ses  guerres,  de  ses  voya- 
ges, de  ses  chevauchées,  tout  lui  était  bon,  une 
paysanne  hâlée,  une  servante  d'hôtellerie,  une  con- 
cubine de  soldat. 

Tel  était  pourtant  le  vert  galant.  Sa  passion  la 
plus  violente  était  un  vice,  et  ce  vice  qu'on  lui  a  par- 
donné, dont  on  l'a  môme  glorifié,  l'a  rendu  aussi  po- 
pulaire que  sa  bravoure,  que  sa  bonté. 

D'où  vient  cette  immoralité  des  contemporains  et 
de  la  postérité.^  Longtemps  cette  question  a  été  pour 
moi  insoluble.  Après  y  avoir  bien  réfléchi,  je  crois 
pourtant  l'avoir  pénétrée. 

Il  y  avait  une  autre  cour  plus  illustre  que  la  cour 
de  Nérac,  il  y  avait  la  cour  de  France,  la  cour  du 
Louvre.  Cette  cour  débordait  d'horreurs  sans  nom. 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈ^fE.  -109 

Henri  III  se  livrait  avec  ses  mignons  à  des  débauches 
qui  auraient  surpris  Héliogabale.  Mêlant  la  lâcheté  et 
le  sacrilège  aux  voluptés,  il  avait  fait  bénir  à  Rome 
des  chapelets  dont  il  se  parait  et  dont  il  entrelaçait 
son  harem  étrange  au  milieu  des  plus  effroyables 
orgies.  Pour  plusieurs,  c'était  un  défi  ;  pour  Henri  iïl, 
c'était  une  précaution  envers  Dieu-,  pour  tous  ceux 
qui  n'étaient  pas  acteurs  dans  ces  scènes  infâmes, 
c'était  un  scandale. 

Eh  bien,  voilà  le  secret  de  la  popularité  de  Henri 
de  Bourbon.  En  face  de  cette  cour  audacieusement 
païenne  des  Valois ,  le  vice  du  Béarnais  paraît  une 
vertu.  Comment  ne  pas  l'applaudir  ?  Lui,  du  moins, 
il  aima  les  femmes.  On  lui  en  sut  gré  et  on  lui  est 
encore  reconnaissant  de  ce  qu'il  restitua  l'amour  et 
de  ce  qu'il  vengea  la  nature. 

«  La  cour  de  jN'érac ,  dit  Sully,  qui  en  était  ainsi 
que  d'Aubigné ,  fut  fort  douce  et  plaisante  :  on  n'y 
parlait  que  de  galanterie  et  des  passe-temps  qui  en 
dépendent.  » 

La  reine  de  Navarre,  qui  haïssait  Henri  HI  autant 
qu'elle  était  dévouée  à  Monsieur,  engageait  le  roi 
son  mari  à  ne  pas  rendre  les  places  de  sûreté  et  à 
violer  ainsi  l'un  des  principaux  articles  du  dernier 
traité.  Le  roi  de  France ,  instruit  des  menées  de  sa 
sœur,  résolut  de  la  perdre,  s'il  était  possible.  Il  l'ab- 
horrait par  jalousie  contre  le  duc  d'Anjou,  et  pour 
toutes  les  noirceurs  qu'elle  imaginait  à  son  détriment. 
Il  écrivit  au  Béarnais  des  lettres  où  il  lui  dévoilait  la 
nouvelle  liaison  de  Marguerite  et  du  vicomte  de  Tu- 
renne.  Cette  liaison ,  disait-il ,  était  une  honte  publi-s 
IV.  10 


^10  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

que  et  il  le  priait  de  la  faire  cesser.  Le  roi  de  Navarre 
ne  voulait  pas  chasser  sa  femme,  car  il  aurait  chassé 
en  même  temps  mademoiselle  de  Montmorency-Fos- 
seuse,  l'une  des  filles  d'honneur  de  Marguerite,  et  le 
vicomte  de  Turenne,  l'un  des  seigneurs  les  plus 
utiles,  les  plus  riches  et  les  plus  influents  de  la  ré- 
forme. Il  se  tira  gaiement  d'affaire.  Il  montra  les 
lettres  accusatrices  aux  coupables  qui  protestèrent 
vivement  de  leur  innocence.  Le  Béarnais  feignit  d'être 
leur  dupe  et  ajouta  même,  pour  les  calmer  entière- 
ment, que  le  roi  de  France  n'avait  risqué  cette  calom- 
nie que  pour  jeter  la  discorde  entre  eux. 

La  reine,  fort  touchée  un  instant  de  la  magna- 
nimité de  son  mari ,  s'emporta  contre  son  frère  à 
des  violences  inouïes.  Elle  intéressa  les  dames  de 
sa  cour  à  son  ressentiment.  Tous  les  conseillers, 
excepté  Fa  vas,  avaient  des  maîtresses  que  Marguerite 
excita  par  ses  flatteries  à  pousser  leurs  amants  vers 
la  guerre.  Elle  employa  très-bien  Fosseuse  à  ses  des- 
seins contre  Henri  III,  ce  roi  de  Gomorrhe ,  l'ennemi 
de  toutes  les  femmes.  Elle  faisait  répéter  par  elle  au 
roi  de  Navarre  les  paroles  de  mépris  du  roi  de  France 
sur  le  Béarnais  ou  les  moqueries  du  duc  de  Guise  en 
présence  de  madame  de  Sauves.  Ces  risées  du  Louvre 
transmises  à  Marguerite,  quelquefois  inventées,  tou- 
jours exagérées,  aigrirent  le  roi  de  Navarre.  Tous 
ses  jeunes  conseillers,  amoureux  comme  lui  et  pleins 
des  mêmes  insinuations,  ne  respiraient  que  combats. 

Il  fut  donc  décidé  de  ne  pas  se  dessaisir  des  places 
de  sûreté  et  même  d'en  conquérir  d'autres. 

Le  prince  de  Condé  attaqua  le  premier.  Il  s'empara 


LIVKE  OUARANTE-SmiilE.  Ml 

(Je  la  ville  de  La  Fère  en  Picardie.  Le  successeur  de 
Montbrun,  Lesdiguières,  déploya  le  drapeau  calviniste 
en  Daupbiné.  Le  roi  de  Navarre  ne  s'épargna  pas  en 
Guyenne,  dans  cette  guerre  frivole  appelée  la  guerre 
des  amoureux. 

Tout  sert  les  hommes  providentiels,  même  les 
fautes.  Cette  campagne,  qui  devait  diminuer  le  Béar- 
nais ,  le  grandit  à  la  hauteur  d'un  capitaine.  Il  mon- 
tra dans  la  prise  de  Cahors  une  vigueur  de  cou- 
rage, une  présence  d'esprit,  une  opiniâtreté  mihtaire, 
une  verve  de  ressources  qui  électrisèrent  d'un  en- 
thousiasme chevaleresque  pour  sa  personne  toute 
la  noblesse  du  Midi.  Pendant  deux  jours,  il  avança, 
de  rue  en  rue,  sous  la  mitraille  et  sous  les  balles. 
De  vieux  officiers  songèrent  à  la  retraite  autour  de 
lui,  mais  le  Béarnais  leur  dit  en  souriant  :  «  Non, 
messieurs,  je  ferai  ma  visite  plus  longue  à  mes  sujets 
de  Cahors.  » 

Et  il  s'établit  dans  la  place ,  après  un  combat  ter- 
rible de  trente-six  heures,  pendant  lesquelles  chaque 
minute  fut  un  danger  de  mort. 

Henri  III  opposa  le  maréchal  de  Biron  au  roi  de 
Navarre,  le  duc  de  Mayenne  à  Lesdiguières  et  le  ma- 
réchal de  Matignon  aux  troupes  que  le  prince  de 
Condé  avait  recrutées  en  Allemagne.  Les  armes  com- 
mencèrent la  pacification.  Le  duc  d'Anjou  l'acheva 
par  le  traité  de  Fleiz  en  Périgord.  Ce  traité,  pareil  à 
celui  de  Nérac,  fut  une  trêve  pour  les  huguenots  et 
pour  le  jeune  Henri  de  Bourbon,  plus  que  jamais, 
depuis  Cahors,  leur  brillant  chef  et  leur  attente  sé- 
rieuse. 


112  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

S'il  eût  été  un  autre  homme,  le  duc  d'Anjou  se- 
rait parvenu  à  de  hautes  destinées.  La  France,  tran- 
quille en  apparence,  La  Noue,  le  généralissime  des 
états,  prisonnier  des  Espagnols,  les  confédérés  des 
Flandres  aux  abois  se  rangèrent  à  l'avis  de  Guil- 
laume le  Taciturne  et  de  Marnix.  Us  envoyèrent  des 
députés  au  château  de  Plessis-lez-Tours  pour  offrir  à 
Monsieur  la  domination  des  Pays-Bas  dont  ils  décla- 
rèrent le  roi  d'Espagne  déchu.  C'est  l'ère  d'un  monde 
nouveau  ,  l'ère  de  la  souveraineté  du  peuple ,  née  de 
la  réforme,  et  qui  succède  au  monde  ancien  Hvré  tout 
entier  au  droit  divin,  issu  du  catholicisme. 

Le  prince  français,  accompagné  de  Marnix,  l'un 
des  ambassadeurs  flamands,  passa  la  Manche.  Il  au- 
rait bien  souhaité  d'entrer  en  Belgique  avec  la 
couronne  d'Angleterre  sur  le  front  comme  il  avait 
l'épée  de  François  1",  son  ancêtre,  à  son  ceintu- 
ron. Mais  qu'en  aurait-il  fait  de  cette  couronne  et 
que  fit-il  de  cette  épée,  ce  prince  turbulent  et  mé- 
diocre ? 

Le  duc  d'Anjou  fut  bien  accueiUi  de  la  reine.  Il 
avait  vingt  ans  de  moins  qu'elle  et  l'amour  qu'il 
jouait  flattait  la  vanité  insatiable  de  la  vierge  suran- 
née. Quoique  Monsieur  ne  fût  pas  beau,  que  sa  dé- 
marche fût  vacillante  et  ses  bras  pendants,  il  était 
Valois,  prince  du  sang  de  France,  et  d'une  fatuité  re- 
haussée par  la  mode.  Il  avait  des  costumes  magnifi- 
ques. Il  dissimulait  sa  taille  décontenancée  sous  un 
pourpoint  de  satin  et  sous  un  manteau  de  velours 
semé  de  fleurs  de  lis  d'or.  Il  encadrait  sa  figure  ba- 
roque dans  une  fraise  des  dentelles  les  plus  rares. 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  113 

Son  chapeau  évasé  sur  le  front  retombait  sur  les  tem- 
pes, à  bords  tout  étincelants  de  pierreries. 

11  avait,  comme  son  frère  Henri  111,  une  perle  à 
chaque  oreille-,  et  comme  sa  mère  Catherine  de  Mé- 
dicis,  il  professait  avec  une  sorte  de  pédanterie  le 
pouvoir  absolu.  Au  rebours  du  rôle  qui  l'attendait  et 
qu'il  faussa  dans  les  Pays-Bas ,  il  se  permettait  des 
jactances  de  tyrannie. 

Sa  sœur  Marguerite  l'avait  rompu  à  la  galanterie 
et  il  en  essayait  les  séductions  auprès  d'Elisabeth. 

La  reine  s'y  prêtait.  Elle  n'avait  jamais  été  jeune. 
Elle  n'avait  pas  connu  les  songes  légers ,  les  veilles 
charmantes,  les  insouciances,  les  rêveries,  les  bon- 
heurs de  l'âge  matinal.  Elle  n'avait  pas  senti  les  fraî- 
ches amitiés  de  l'adolescence.  C'était  la  faute  de  sa 
nature  sèche,  impérieuse-,  c'était  aussi  le  malheur  de 
sa  situation.  Entourée  d'espions  ou  de  courtisans, 
elle  avait  toujours  été  suspecte,  captive  ou  reine. 
Elle  n'avait  eu  ni  le  goût  ni  le  loisir  d'être  femme. 

Elle  fut  une  grande  princesse.  Appliquée  aux  af- 
faires, habile  dans  le  choix  de  ses  ministres,  la  maî- 
tresse d'un  empire  et  la  prêtresse  souveraine  d'une 
religion,  elle  exerça  et  savoura  le  pouvoir  dans  toutes 
ses  profondeurs.  Elle  gouverna  matériellement  et 
moralement  son  royaume.  Elle  accomplit  des  plans 
utiles,  soit  à  l'intérieur,  soit  à  l'extérieur.  Elle  se 
plaça  d'emblée,  et  sans  effort,  au-dessus  de  tous  les 
souverains  qui  l'avaient  précédée  et  qui  la  suivirent. 
En  un  nr*ot,  elle  n'administra  pas  seulement  l'Angle- 
terre^ elle  la  créa,  en  créant  la  marine  britannique. 
Le  gouvernement  qui  l'illustra  ne  la  déprava  pas 

10. 


114  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

moins.  Enivrée  de  flatteries,  de  plus  en  plus  avide 
d'autorité,  blasée  sur  les  choses  divines  et  humaines 
dont  elle  était  la  source  impure,  égoïste  ,  hypocrite 
et  cruelle,  elle,  qui  était  née  vieille,  vieillit  à  faire 
peur,  au  milieu  des  prospérités  du  trône. 

Les  hommages  du  prince  français  semblaient  la  ra- 
jeunir. Elle  aspirait  à  une  grande  alliance  pour  se  dé- 
fendre des  menées  de  Philippe  II ,  des  Guise  et  des  ca- 
tholiques anglais  autour  des  prisons  de  Marie  Stuart. 
Elle  se  disait  lasse  de  soutenir  seule  le  poids  du  sceptre. 
Le  contrat  de  mariage  avait  été  rédigé.  La  reine  était 
affectueuse  pour  Monsieur.  Ils  avaient  échangé  leurs 
anneaux  en  signe  de  fiançailles. 

Voilà  ce  qu'écrivaient  les  courtisans  du  duc  d'An- 
jou et  cela  était  vrai  ;  mais  ce  qu'ils  n'écrivaient  pas  et 
ce  qui  était  plus  vrai  encore,  c'est  que  la  reine  avait 
redemandé  son  anneau,  c'est  que  le  peuple  anglais 
repoussait  un  prince  papiste,  c'est  qu'Elisabeth  en  dé- 
finitive ne  voulait  pas  de  compagnon  de  règne. 

Elle  pensa  que  pour  se  sauver  de  la  conjuration  du 
monde  catholique,  l'Angleterre  n'aurait  besoin  que 
de  r Angleterre. 

Elle  éconduisit  donc  doucement  le  duc  d'Anjou,  le 
combla  de  promesses,  l'amusa  de  fêtes,  lui  prêta  des 
vaisseaux  et  de  l'argent  pour  l'expédition  des  Pays- 
Bas.  Proclamé  duc  de  Brabant  à  Anvers  (1582),  Mon- 
sieur se  maintint  en  Belgique  dans  de$  alternatives 
diverses,  avec  le  concours  des  états  et  du  prince 
d'Orange. 

Le  duc  d'Albe  mourut,  vers  ce  temps,  disgracié  à 
demi  dans  son  château  d'Uzeda.  Il  était  âgé  de 


LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME.  115 

soixante-quatorze  ans,  dont  plus  de  cinquante  avaient 
êlé  consumés  dans  les  rapines  et  dans  les  égorge- 
ments.  Il  fut  un  bon  général  et  un  meilleur  bourreau. 
Il  se  vantait  en  quittant  les  Flandres  d'avoir  fait  tom- 
ber sous  les  arrêts  du  tribunal  de  sang  dix-huit  mille 
têtes,  parmi  lesquelles  celles  des  comtes  d'Egmont  et 
de  Horn.  Il  entendait  la  guerre  comme  l'humanité. 
Au  delà  des  maux  nécessaires,  son  féroce  génie  ajou- 
tait les  pillages,  les  viols,  les  incendies,  les  massacres 
inutiles,  les  tortures.  A  la  fin ,  cependant,  la  nature 
reprit  ses  droite .  Dans  cette  retraite  forcée  que  lui 
avait  faite  son  maître,  quand  il  eut  cessé  d'êti'e 
absorbé  par  la  faveur  et  par  laction,  il  trouva  le 
remords  aux  approches  de  la  tombe.  Ses  jours  et  ses 
nuits  furent  troublés.  Les  fantômes  de  ses  victimes  se 
levèrent  de  leur  hnceul.  Tout  enrichi  de  vols,  tout 
souillé  de  crimes  ,  il  sentait  dans  l'air  qu'il  respirait 
une  malédiction  et  une  condamnation.  L'enfer,  qu'il 
avait  réalisé  par  des  supphces  inconnus,  l'épouvan- 
tait^ il  eut  recours  à  ses  chapelains  auxquels  il  se 
confessa  et  qui  lui  prodiguèrent  les  consolations. 
Philippe  II,  qui  sut  ces  faiblesses  de  son  vieux  géné- 
ral, lui  écrivit  :  «  Tout  ce  que  vous  avez  tué  par 
l'épée  de  ma  justice,  je  le  prends  sur  moi  ;  mais  tout 
ce  que  vous  avez  tué  par  Tépée  de  la  guerre,  au  delà 
des  besoins  de  mon  service,  doit  rester  à  votre 
charge,  w 

Arrêt  terrible  et  involontaire  de  ce  roi  barbare,  qui 
reculait  devant  toute  la  responsabilité  des  cruautés 
de  son  ministre,  et  qui  n'osait  soulager  le  farouche 
moribond  que  de  la  moitié  du  fardeau! 


116  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Le  duc  d'Albe  mourut  donc  dans  les  horreurs  du 
remords.  En  vain  le  pape,  qui  lui  avait  envoyé,  au 
retour  des  Flandres,  l'estoc  et  le  chapeau  comme 
à  un  roi ,  lui  envoya-t-il ,  en  ces  moments  suprêmes, 
l'absolution.  Le  duc  d'Albe  n'en  fut  pas  plus  tran- 
quille et  n'en  expira  pas  moins  bourrelé.  Le  pontife 
de  Rome  ne  lui  donna  pas  plus  la  paix  en  le  déclarant 
purifié,  que  le  pontife  du  temple  d'Ammon  ne  donna 
l'immortalité  à  Alexandre  en  le  déclarant  fils  de  Jupi- 
ter. Quand  les  prêtres  parlent,  soit  par  intérêt,  soit 
par  flatterie,  il  n'y  a  que  Dieu,  qui  ne  ment  jamais, 
il  n'y  a  que  Dieu,  qui,  toujours  juste  et  toujours  bon, 
puisse  absoudre  du  haut  du  ciel  ou  dans  le  fond  de  la 
conscience. 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME 

Le  prince  de  Parme  dans  les  Pays-Bas.  —  Entreprise  de  Monsieur 
sur  Anvers.  —  Son  échec.  —  Il  se  relire  à  Dunkerque,  puis  en 
France.  —  Empoisonné  à  Château -Thierry  par  une  machination 
de  Philippe  II.  —  Meurtre  de  Guillaume  le  Taciturne  par  Bal- 
thasar  Gérard,  agent  du  roi  d'Espagne.  —  Philippe  accorde  la  no- 
blesse à  la  famille  de  l'assassin.  —  Marguerite  retirée  à  Usson.  — 
Après  le  départ  de  la  belle  Fosseuse,  le  roi  de  Navarre  s'éprend  de 
Corisande.  —  Une  lettre.  —  Mort  de  Ronsard.  —  La  ligue.  — 
Manèges  du  duc  de  Guise  a\ec  tous  les  partis.  —  Son  arrière- 
pensée.  —  11  obtient  un  édit  qui  abolit  la  liberté  de  conscience. 

—  Bulle  du  pape  Sixte-Quint.  —  Contre-bulle  du  Béarnais  et  du 
prince  de  Condé.  —  La  confrérie  des  Seize,  une  petile  ligue  dans 
la  grande  ligue.  —  Le  curé  Boucher  offre  cette  partie  démocr.i- 
tique  de  la  ligue  au  duc  de  Guise.  —  Les  Seize,  un  embai-ras  et  nu 
levier  pour  le  duc.  —  Philippe  II  et  Bèze.  —  Bataille  de  Coulras. 

—  Le  Béarnais  ne  sait  pas  profiter  de  sa  victoire.  —  Le  duc  (h' 
Guise  bat  les  confédérés  étrangers.  —  Sa  popularité.  —  D'I^n  r- 
non.  —  Henri  III.  —  La  duchesse  de  Montpensier. 

Philippe  II  s'efforçait,  par  un  plus  grand  général 
que  le  duc  d'Albe,  le  prince  de  Parme,  et  par  le  duc 
de  Guise,  de  saper  le  duc  d'Anjou  en  Flandre  et  de 
surexciter  la  ligue  en  France. 

Farnèse  tenait  la  campagne  dans  les  Pays-Bas  et 
le  Balafré  ourdissait  des  trames  mystérieuses  avec  le 
parti  catholique.  Son  arrière-pensée  la  plus  cachée 
était  d'écraser,  s'il  pouvait,  l'Espagnol,  quand  il  au- 
rait exterminé  les  Valois  et  les  Bourbons.  Mais  avant 
d'être  l'adversaire  de  Phihppe,  il  en  était  le  pension- 
naire et  l'instrument. 


118  11IST01I\E  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  dépêcha  Sàlcède  dans  les  Pays-Bas.  C'était  un 
genlilhomme  dont  le  père  était  tombé  victime  de  la 
haine  de  Guise  au  massacre  de  la  Saint-Barthélemy. 
Cet  indigne  fils  était  de  plus  un  faux  monnayeur  et 
un  scélérat.  Pour  de  l'argent,  il  oublia  sa  vengeance, 
se  chargea  de  surprendre  par  trahison  soit  Calais,  soit 
Dunkerque,  et  concerta  ses  mesures  afin  d'attenter  à 
la  vie  de  Monsieur  et  du  prince  d'Orange. 

Guillaume  le  soupçonna  et  le  relégua  dans  un  ca- 
chot. Livré  à  la  justice  du  parlement  de  Paris,  Salcède 
fit  des  aveux  terribles  contre  le  duc  de  Guise,  les 
rétracta,  les  affirma  et  les  rétracta  de  nouveau.  Il  fut 
écartelé  au  grand  soulagement  de  la  maison  de  Lor- 
raine. 

Cependant  Monsieur  ne  touchait  pas  un  carolus 
en  France.  Les  mignons  raflaient  tout.  Catherine  de 
Médicis  manda  du  Louvre  à  son  fils  qu'il  était  duc  de 
Brabant  et  qu'il  lui  fallait  vivre  de  ses  sujets. 

Il  était,  en  effet,  duc  de  Brabant  et  comte  de 
Flandre,  mais  par  un  pacte  qu'avait  rédigé  Marnix 
de  Sainte-Aldegonde,  sous  l'inspiration  du  prince 
d'Orange.  Ce  pacte  contrariait  les  principes  de  Mon- 
sieur et  gênait  son  autorité.  Il  approuva  sa  mère,  et 
résolut  de  convertir  son  pouvoir  constitutionnel  en 
un  pouvoir  absolu.  Il  profita  d'un  renfort  de  neuf 
mille  Français  et  Suisses  que  lui  amenaient  le  jeune 
duc  de  Montpensier  et  le  maréchal  de  Biron.  Il  s'em- 
para de  quelques  petites  villes,  se  réservant  Anvers 
comme  une  conquête  décisive.  Dans  la  nuit  du  16  jan- 
vier 1583,  ses  bandes  se  précipitèrent  à  travers  les  rues 
de  cette  ville,  qui  devait  lui  être  sacrée,  aux  cris  de 


LIVRE  Ol'ARANTE-SEPTiÈME.  419 

vive  la  messe!  Les  bourgeois  flamands,  aidés  du  peu- 
ple^ accoururent  avec  leurs  arquebuses  et  leurs  ha- 
ches-, ils  improvisèrent  des  barricades,  et  les  traîtres 
étrangers  furent  chassés  honteusement.  (V.  les  es- 
tampes de  la  mêlée  d'Anvers,  cart.  de  M.  Hennin.) 

Monsieur  se  réfugia  à  Dunkerque  d'où  il  vint  à 
Paris.  Après  avoir  fait  à  la  cour  une  rapide  visite,  il 
se  retira  tristement  à  Château-Thierry.  Là,  son  cha- 
grin s'adoucissait  par  l'espérance  que  lui  donnait  une 
députation  des  états.  Guillaume  et  la  représentation 
nationale  des  Flandres  amnistiaient  le  perfide  Valois, 
tant  ils  désiraient  le  nom  de  la  France  entre  eux  et 
l'Espagnol. 

Philippe  TI  empêcha  cette  réconciliation.  Il  fit  em- 
poisonner le  duc  d'Anjou,  qui  expira  le  10  juin  158i. 

Vers  la  même  époque,  deux  assassinats  échouè- 
rent sur  le  Béarnais,  un  sur  Elisabeth  ;  un  autre  réus- 
sit sur  le  prince  d'Orange.  C'est  ainsi  que  combat- 
taient le  roi  catholique  et  sa  milice  de  jésuites. 
L'assassinat  pour  eux  était  un  jugement. 

Guillaume  était  parvenu  à  faire  d'un  troupeau 
d'esclaves  un  peuple.  Electrisé  par  une  flamme  de 
courage  allumée  aux  bûchers  de  Philippe  II,  il  avait 
jeté  le  fourreau  de  son  épée,  appelé  toutes  les  popu- 
lations aux  armes,  transformé  de  faibles  paysans  en 
soldats,  de  pauvres  pêcheurs  en  matelots,  attaqué 
sur  terre  et  sur  mer  les  Espagnols,  tantôt  le  duc 
d'Albe,  tantôt  Louis  de  Requesens,  tantôt  don  Juan, 
tantôt  Farnèse,  tantôt  leurs  lieutenants.  Il  n'avait 
reculé  devant  rien,  ni  devant  la  proclamation  d'une 
république,  ni  devant  la  déchéance  de  Philippe  II, 


120  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

publiée  à  La  Haye  le  26  juillet  4581.  Il  n'avait  pas 
hésité  à  se  servir  du  duc  d'Anjou,  et  il  s'y  était  ob- 
stiné, afin  de  mettre  la  liberté  néerlandaise  sous  le 
bouclier  de  la  France. 

En  1584,  après  l'échauffourée  de  Monsieur,  quand 
tous  les  alliés  manquèrent  aux  Pays-Bas,  Guillaume 
fut  leur  seul  salut. 

Philippe  II,  il  est  vrai,  avait  demandé  aux  assas- 
sins ce  que  ne  pouvaient  lui  conquérir  ni  ses  soldats, 
ni  ses  juges,  ni  ses  espions,  ni  ses  bourreaux  :  la  tête  .du 
prince  d'Orange.  Il  ne  craignit  pas  de  rendre  un  dé- 
cret de  proscription  dans  lequel  il  voua  Guillaume  aux 
poignards,  promettant  solennellement  aux  meurtriers 
un  salaire,  ce  qui  est  naturel,  et  la  noblesse,  ce  qui 
est  monstrueux. 

c<  Afin  que  ce  que  je  réclame  puisse  s'accomplir  fa- 
cilement, dit-il,  et  plus  promptement,  désirant  punir 
le  vice  et  récompenser  la  vertu,  nous  jurons,  foi  de 
roi  et  comme  ministre  du  Seigneur,  que  s'il  se  ren- 
contre quelqu'un  qui  ait  assez  de  courage  et  d'amour 
du  bien  public  pour  exécuter  nos  ordres  et  nous  dé- 
livrer de  cette  peste  de  la  société,  nous  lui  accor- 
derons, en  terres  ou  en  argent,  à  son  choix,  la  somme 
de  vingt-cinq  mille  écus;  s'il  a  commis  un  crime, 
quelque  énorme  qu'il  soit,  nous  nous  engageons  à  le 
lui  pardonner;  s'il  n'est  pas  noble,  à  l'anoblir,  ainsi 
que  tous  ceux  qui  l'assisteront.  » 

Le  prince  d'Orange  répondit  par  une  apologie 
triomphante  à  cet  acte  inouï  de  Philippe  IL 

Guillaume  avs^it  fait  lentement  sortir  des  orages  de 
l'insurrection  une  nation  et  une  charte  répubhcaine. 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  121 

Il  avait  été  le  grand  homme  de  cette  nation,  grande 
aussi  par  le  cœur. 

En  lo84,  il  aspirait,  moins  par  ambition  que  par 
patriotisme,  au  pouvoir  suprême.  Sans  parler  des  dan- 
gers innombrables  des  combats,  il  avait  échappé 
comme  par  miracle  à  sept  assassinats  ourdis  à  l'Es- 
curial  et  dont  le  premier  avait  failli  être  mortel.  Il  ne 
tenait  qu'à  un  fil.  La  sagesse  conseillait,  tout  en  ac- 
clamant Guillaume  prince  de  la  république  sous  le 
titre  de  comte,  d'investir  aussi  sa  famille  de  la  sou- 
veraineté. C'était  pourvoir  à  l'avenir,  cimenter  la  na- 
tionalité des  Pays-Bas,  les  arracher  à  l'anarchie  et  au 
»  roi  d'Espagne.  Guillaume  était  l'homme  nécessaire. 
Il  était  bon  de  l'élever,  lui  et  sa  race,  mais  après  avoir 
formulé  comme  antérieurs  et  supérieurs  à  ses  droits 
les  droits  de  la  nation. 

C'est  ce  que  les  états  accomplirent  avec  une  admi- 
rable prévoyance.  Ils  stipulèrent  dans  la  même  capi- 
tulation le  gouvernement,  soit  de  Guillaume,  soit  de 
sa  maison,  et  les  imprescriptibles  franchises  du  peu- 
ple-, ils  stipulèrent  la  liberté  de  conscience,  le  main- 
tien du  protestantisme ,  la  faculté  de  la  paix  et  de  la 
guerre  accordée  à  la  représentation.  Ils  la  placèrent 
si  haut ,  cette  représentation ,  que .  dans  le  cas  de 
tyrannie  flagrante,  elle  pouvait  déposer  le  comte  et 
choisir  parmi  ses  enfants  celui  qui  serait  le  plus  digne. 

Le  Taciturne  avait  adhéré  à  tout,  et  l'on  se  prépa- 
rait aux  fêtes  de  son  installation. 

C'était  dans  l'été  de  ioSA.  Guillaume,  désigné  par 
Phihppe  II  aux  assassins  du  monde  entier,  avait  été 
préservé  jusque-là.  Blessé  grièvement  une  première 
IV.  4i 


122  IlISTOIRÈ  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

fois,  il  avait  été  manqué  dans  six  autres  tentatives. 
Une  huitième  tentative  fut  faite  alors  -,  un  huitième 
assassin  fut  déchaîné. 

Le  prince  était  à  son  château  de  Delft.  Un  homme, 
pour  qui  il  avait  eu  beaucoup  de  bontés,  se  présenta, 
le  10  juillet,  au  palais.  Il  avait  simulé  le  protestan- 
tisme, mais  il  était  catholique  zélé.  Poussé  par  le  ma- 
nifeste de  Philippe,  par  les  exhortations  d'un  cordelier 
de  ïournay  et  par  les  obsessions  des  jésuites  de  Trê- 
ves, il  s'était  déterminé  à  en  finir  avec  Guillaume.  Ce 
fanatique  s'appelait  Baltbazar  Gérard. 

Interrogé  par  les  gardes  au  guichet  du  château,  il 
déclara  qu'il  était  connu  du  prince  et  qu'il  lui  appor- 
tait une  nouvelle  importante.  Il  franchit  ainsi  le  seuil 
du  palais  et  monta  l'escalier.  Le  prince,  qui  sortait 
de  son  appartement,  l'aperçut  et  le  laissa  approcher, 
confiant  comme  tous  les  héros  des  guerres  civiles, 
pour  qui  chaque  heure  est  un  péril. 

Gérard,  s'avançant,  s'inclina  pour  dérober  son  agi- 
tation. Il  présenta  un  papier  à  Guillaume.  Le  prince 
commençait  à  lire  les  premières  lignes,  lorsque  l'as- 
sassin lui  déchargea  dans  la  poitrine  les  trois  balles 
de  son  pistolet.  Guillaume  lâcha  le  papier,  chancela  et 
tomba  sur  les  dalles  en  s'écriant  :  «  Mon  Dieu,  ayez 
pitié  de  ce  peuple,  je  suis  frappé  à  mort.  » 

Attirés  par  la  chute  et  par  la  voix  du  prince,  ses 
officiers  et  ses  médecins  le  déshabillèrent  doucement 
et  le  mirent  au  lit.  Tous  les  soins  furent  inutiles.  Le 
Taciturne  expira,  toujours  ferme,  même  dans  l'agonie, 
entre  les  bras  de  sa  sœur,  la  princesse  de  Scliwartzem- 
boui  g,  et  de  sa  femme  bieu-aimée,  Louise  de  Coligny. 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  123 

Elle  avait  épousé  Guillaume  plusieurs  années  après 
la  Saint-Barthéleiny.  Fille  d'un  grand  homme,  veuve 
de  Télignv  et  du  prince  d'Orange,  deux  héros,  elle 
aurait  expiré  de  douleur,  si,  lorsque  l'adversité  cour- 
bait cette  femme  forte  entre  les  femmes  fortes  de  son 
siècle,  Dieu  ne  Teut  ranimée  par  un  courage  reli- 
gieux, inépuisable  comme  l'espérance  et  comme  l'im- 
mortalité. Après  ce  dernier  coup,  elle  ne  quitta  plus  le 
deuil  et  se  consacra  en  Romaine  à  l'éducation  du  fils 
qu'elle  avait  du  Coligny  batave. 

Guillaume  s'était  marié  à  quatre  femmes.  Il  eut 
onze  enfants  légitimes  et  un  enfant  naturel,  Justin 
de  Nassau. 

Ce  fut  Maurice,  fils  d'Anne  de  Saxe,  ^^c|^|^y 
femme  du  Taciturne,  qui  fut  autorisé  par  les  états  à 
prendre  les  titres  de  la  principauté  d'Orange,  puisque 
l'aîné  de  la  maison  à  qui  ils  appartenaient  était  pri- 
sonnier en  Espagne.  Maurice  obéit.  Il  devait  être  un 
général  plus  habile,  un  politique  aussi  profond  que 
son  père;  mais  moins  citoyen,  il  était  à  craindre  qu'il 
n'inclinât  vers  une  ambition  personnelle  et  qu'il  ne 
songeât  plus  à  une  dynastie  qu'à  une  nation. 

La  mort  du  prince  d'Orange  fut  une  calamité  uni- 
verselle. Le  peuple  tout  entier  se  crut  orphelin.  Il 
regretta,  il  pleura  le  héros  qui,  à  travers  tant  de  vi- 
cissitudes, l'avait  fondé,  sauvé,  et  dont  l'immolation 
était  comme  un  dernier  dévouement. 

Guillaume  méritait  ces  larmes  de  reconnaissance 
et  de  deuil.  Il  avait  été  brave,  politique,  tolérant,  obs- 
tiné dans  son  œuvi^e.  La  patience  stoïque  avait  été 
son  génie.  Il  avait  quelque  chose  de  naturel  qui  sé- 


i24  niSTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

duisait  et  qui  gagnait  ceux  que  fascinait  sa  grandeur. 
Jl  lui  arriva  plus  d'une  fois  d'entrer  sous  le  toit  d'un 
ouvrier  ou  d'un  bourgeois  des  Flandres,  et  de  vider, 
à  la  santé  de  riuimble  famille,  un  broc  de  bière. 
Quoique  simple  d'homme  à  homme,  quoique  silen- 
cieux suivant  son  surnom  de  Taciturne,  son  éloquence 
dans  la  vie  publique  était  très-substantielle,  très-har- 
die, pleine  de  nerf,  de  sens,  de  passion  contenue  et 
de  précision.  Sa  langue  de  métal  s'échauffait  tour  à 
tour  au  feu  de  sa  grande  âme  et  se  refroidissait  au 
souffle  de  sa  haute  raison.  Tous  ses  discours,  tous  ses 
manifestes,  trop  rares,  sont  des  monuments.  Même 
lorsqu'il  avait  recours  àMarnix,  baron  de  Sainte-Al- 
degonde',  son  ami,  son  lieutenant,  parfois  son  secré- 
taire, qui  ne  le  quitta  jamais  et  qui  lui  prêtait  tantôt 
son  épée,  tantôt  sa  plume  ^  même  lorsqu'il  emprun- 
tait la  rédaction  de  ce  noble  et  généreux  esprit,  on 
reconnaissait  par  où  la  griffe  de  Guillaume  avait  passé. 
H  est  des  styles  en  qui  la  réalité,  nourrie  de  choses  et 
portée  à  sa  dernière  puissance,  vaut  un  idéal.  Guil- 
laume, sans  le  savoir,  était  de  cette  grave  et  virile 
école  des  hommes  d'État,  presque  les  égaux  des  pen- 
seurs, soit  philosophes,  soit  poètes,  soit  historiens; 
et,  à  coup  sûr,  les  supérieurs  des  rhéteurs  de  profes- 
sion pour  qui  la  parole  n'est  ni  un  intérêt  de  prin- 
cipe ni  un  accent  du  cœur,  mais  un  jeu  plus  ou 
moins  futile,  plus  ou  moins  harmonieux  de  l'imagi- 
nation. 

Il  nous  reste  plusieurs  portraits  de  Guillaume.  J'en 
ai  remarqué  un  surtout  dans  la  galerie  de  M.  de  Vichy. 
C'est  bien  là  le  Taciturne.  Ces  cheveux  sombres 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  125 

jettent  leur  nuit  sur  un  front  soucieux  et  sillonné  de 
plis.  Le  nez  est  circonspect  comme  celui  d'un  pros- 
crit. Les  yeux  interrogent  les  arcanes  des  intentions. 
Le  menton  très-fin  est  attentif.  La  bouche ,  le  trait 
le  plus  caractéristique,  se  recueille  en  une  énergique 
expression ,  et  les  lèvres  minces,  serrées  l'une  contre 
l'autre,  annoncent  l'effort  persévérant  d'une  intelli- 
gence puissante  tendue  vers  une  grande  idée,  vers 
l'éclosion  d'un  monde  nouveau. 

Cette  imposante  physionomie  qui  pense,  veut  et  se 
tait,  a  charge  d'âmes,  et  l'on  devine  qu'elle  se  roidit 
sous  le  poids  accablant  d'une  révolution. 

Balthazar  Gérard,  qui  avait  été  arrêté  après  son 
crime,  fut  écartelé  le  24-  juillet. 

Philippe  II  donna  des  lettres  de  noblesse  à  sa  fa- 
mille. La  famille  de  Besme  avait  aussi  obtenu  de  pa- 
reilles lettres.  Ces  familles,  réprouvées  partout,  s'u- 
nirent entre  elles,  et  c'est  chez  un  descendant  des 
deux  assassins  que  j'ai  vu  le  portrait  de  Gérard. 

Le  meurtrier  était  de  Villafans,  petit  bourg  de 
Franche-Comté.  Ce  pays  est  malsain.  Gérard  y  devint 
de  plus  en  plus  morose.  Il  se  livra  avec  l'ardeur  d'une 
organisation  débile  et  atrabilaire  à  toutes  les  exalta- 
tions de  son  temps.  Il  se  lia  avec  les  jésuites  et  se 
nourrit  de  leurs  prédications  incendiaires.  Il  puisa,  il 
but  avidement  à  ces  sources. 

Il  se  fit  une  solitude  austère.  11  y  médita  obstiné- 
ment la  formidable  doctrine  du  régicide.  Complexion 
violente  autant  que  faible,  cerveau  borné  et  volca- 
nique, il  ne  put  porter  le  poids  de  cette  théorie  atroce 
qui  lui  ôta  tout  sommeil.  Tourmenté,  obsédé,  il  se 

11. 


126  HISTOIRE  DE  LA  LIBEIITÉ  IIELIGIEUSE. 

précipita  dans  un  acte  sanguinaire,  afin  d'échapper 
à  une  pensée  unique  et  sans  repos.  Après  son  atten- 
tat, il  éprouva  une  grande  tranquillité.  Parce  que  ses 
fibres  étaient  détendues  et  ses  nerfs  calmés,  l'exé- 
crable meurtrier  crut  que  sa  conscience  était  satis- 
faite. 

J'ai  rencontré  en  1838,  comme  je  l'ai  dit,  son 
masque  singulier  chez  un  de  ses  petits-fils. 

La  poitrine  enfoncée  et  maigre,  le  cou  grêle  ser- 
vent de  base  tremblante  et  fébrile  à  l'étrange  tête  de 
Gérard . 

Le  menton  se  relève  et  s'enroule  sous  une  bouche 
qui  remue  et  marmotte.  Le  nez  au  vent,  pointu  et  un 
peu  de  travers,  nasillonne  des  oraisons  indistinctes 
que  les  lèvres  balbutient.  Deux  sillons,  labourés 
profondément  le  long  des  joues ,  détachent  et  font 
saillir  à  vive  arête  des  pommettes  osseuses,  fa- 
tales. Les  yeux  creux  et  convulsifs  lancent  en  avant  , 
dans  une  seule  direction  et  sans  rayonnement,  une 
pensée  fixe.  Le  front  bas,  étroit,  enfoncé  par  inter- 
valles, n'offre  pas  intérieurement  assez  d'espace  à  l'in- 
telligence emprisonnée  et  déprimée.  La  coupe  des 
cheveux  hérissés,  qui  s'échancrent  autour  des  tempes 
et  bordent  les  sourcils,  donne  à  toute  la  figure  uu 
air  désordonné  de  chaos  ou  d'enfer.  Masque  bizarre, 
aveuglément  sinistre  et  tragique  ! 

Pendant  que  les  Flandres  s'enfantaient  dans  les 
angoisses,  que  Henri  III  s'abandonnait  à  des  débau- 
ches clandestines,  pendant  que  le  duc  de  Guise,  d'ac- 
cord avec  le  pape  et  le  roi  d'Espagne,  continuait 
sous  terre  ses  mioes  séditieuses  qui  toutes  partaienj^ 


nVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  127 

des  cryptes  des  églises,  le  Béarnais  étudiait,  travail- 
lait, administrait,  gouvernait.  Sans  cesse  à  cheval, 
transportant  sa  cour  nomade  de  Pau  à  Nérac,  de 
Nérac  à  Auch,  à  Montauban,  à  Agen,  il  faisait  dans 
ses  modestes  provinces  héréditaires  l'apprentissage 
du  métier  de  roi. 

Marguerite  était  retournée  à  Paris.  Elle  s'était 
brouillée  avec  d'Aubigné,  qui  avait  dévoilé  les  amours . 
nouvelles  de  la  reine  avec  Chanvallon  entre  autres. 
Elle  avait  été  bafouée  au  Louvre  par  les  mignons, 
chassée  et  insultée  par  Henri  III.  Elle  s'était  sauvée 
en  Auvergne,  à  Cariât  d'abord,  puis  au  château 
d'Usson  oii  de  prisonnière  elle  était  redevenue  reine. 
Ce  château,  que  Marguerite  habita  durant  vingt  an- 
nées, où  elle  vieillit,  où  elle  composa  ses  philtres  dé- 
sespérés, esta  jamais  fameux.  Car  la  fille  de  Médicis 
y  égala^  sous  les  voûtes  de  son  donjon  féodal,  les  dis- 
solutions et  les  frénésies  de  l'antique  Messaline,  au 
fond  de  ses  villas  romaines. 

La  belle  Fosseuse  avait  eu  un  enfant  du  roi  de  Na- 
varre. Elle  avait  été  obligée  de  quitter  Nérac  avec 
Marguerite  en  lo82.  Son  absence,  pleurée  par  le 
Béarnais,  avait  laissé  dans  le  cœur  du  roi  un  vide 
qu'il  combla  d'un  autre  amour. 

Il  connaissait  depuis  lo76  Corisande  d'Andouin  , 
comtesse  de  Gramont.  Occupé  ailleurs,  il  n'eut  d'a- 
bord pour  elle  que  de  l'amitié.  Après  la  mort  du 
comte  et  le  départ  de  Fosseuse,  cette  amitié  se  clian- 
gea  en  une  passion  qui  fut  dans  toute  sa  flamme  jus- 
qu'en 1589. 

La  famille  de  Gramont  était  une  race  de  diplo- 


428  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

mates,  d'artistes,  de  Mécènes.  Cette  race  trop  flexible 
a  néanmoins  beaucoup  de  prestige  et  des  aptitudes 
diverses.  Elle  possède  à  tous  les  titres  une  place  bril- 
lante dans  la  haute  noblesse  française. 

Corisande  d'Andouin,  comtesse  de  Gramont,  avait 
les  instincts  supérieurs,  l'intelligence,  les  séductions, 
le  charme  de  sa  maison  d'alliance.  Ses  cheveux  éta- 
ges, loin  de  l'écraser,  la  paraient.  Son  front  avait 
de  l'étendue,  de  l'élévation,  de  la  transparence,  de 
la  majesté.  On  eût  dit  un  front  de  reine.  Ses  yeux , 
d'une  vivacité  gasconne,  étincelaient  de  feu  sacré 
et  de  feu  profane.  Ses  narines  ouvertes  respiraient 
mieux  la  vie,  et  sa  bouche  caressante  communiquait 
môme  à  la  bienveillance  l'animation  de  la  tendresse. 
Ses  joues  étaient  finement  colorées,  son  menton  so- 
lide et  sa  physionomie  facilement  railleuse. 

Corisande  avait  les  mains  très-délicates.  Elle  les 
avait  promptes  aussi  à  écrire  des  lettres  d'^imour, 
adroites  à  rajuster  les  colliers  de  perles  qui  ornaient 
son  cou  et  ses  épaules. 

On  comprend  que  le  roi  de  Navarre  l'ait  tant  ai- 
mée et  qu'il  lui  ait  adressé  ces  pages  ravissantes  : 

«  C'est  pitié  de  voir  comme  le  peuple  meurt  de  faim . 

«  J'arrivai  au  soir  de  Marans  où  j'étais  allé  pour 
pourvoir  à  la  garde  d'iceluy.  Ah  I  que  je  vous  y  ai 
souhaitée!  C'est  le  lieu  le  plus  selon  votre  humeur 
que  j'aie  jamais  veu.  Pour  ce  seul  respect  suis-je 
après  pour  l'échanger.  C'est  une  isle  renfermée  de 
marais  bocageux,  où,  de  cent  en  cent  pas,  il  y  a  des 
canaux  pour  aller  chercher  le  bois.  Parmi  ces  déserts 
sont  mille  jardins  où  l'on  ne  va  que  par  bateau.  L'isle 


LIVKE  ULAKANTE-SEPTIÈME.  129 

a  deux  lieues  de  tour  ainsi  environnée.  11  passe  une 
rivière  par  le  pied  du  château.  Au  milieu  du  bourg, 
qui  est  aussi  logeable  que  Pau,  pas  une  maison  qui 
n'entre  de  sa  porte  dans  sa  petite  barque.  Cette  ri- 
vière s'étend  en  deux  bras  qui  ont  non-seulement 
grands  bateaux ,  mais  les  navires  de  cinquante  ton- 
neaux y  viennent.  Il  n'y  a  que  deux  lieues  jusqu'à  la 
mer.  Certes  c'est  un  canal,  n^n  une  rivière.  Contre 
Mont  vont  les  grands  bateaux  jusqu'à  Nyort  où  il  y  a 
douze  lieues,  infinis  moulins  et  métairies  insulées, 
tant  de  sortes  d'oiseaux  qui  ramagent  et  dont  je  vous 
envoie  des  plumes!  De  poissons,  c'est  une  monstruo- 
sité que  la  quantité,  la  grandeur  et  le  prix-,  une 
grande  carpe,  trois  sols  et  cinq  un  brochet.  C'est  un 
lieu  de  grand  trafic ,  et  tout  par  bateaux ,  la  terre 
très-pleine  de  bleds  et  très-beaux  :  l'on  y  peut  être 
plaisamment  en  paix  et  sûrement  en  guerre.  L'on  s'y 
peut  réjouir  avec  ce  qu'on  aime,  et  plaindre  une  ab- 
sence. Ah  !  qu'il  y  ferait  bon  chanter  ! 

«  Je  pars  pour  aller  à  Pons ,  oii  je  serai  plus  près 
de  vous. 

((  Mon  àme,  ten^z-moi  en  votre  bonne  grâce; 
croyez  ma  fidélité  être  blanche  et  hors  de  tache.  Il 
n'en  fut  jamais  sa  pareille.  Si  cela  vous  apporte  du 
contentement,  vivez  heureuse.  Votre  esclave  vous 
adore  violemment.  Je  te  baise,  mon  cœur,  un  million 
de  fois  les  mains.  » 

Ce  n'était  pas  assez  d'écrire  avec  ce  rayon  d'arc  en 
ciel  à  Corisande,  il  lui  parlait  de  toutes  choses.  Il  lui 
faisait  lire  des  vers  soit  de  Bèze ,  soit  de  d' Aubigné , 
soit  de  Marot,  soit  de  Pionsard. 


130  HISTOIRE  DE  L.V  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lis  furent  touchés  l'un  et  l'autre  de  la  mort  du 
grand  poëte  vendômois  (1585),  et  le  Béarnais  disait  k 
sa  maîtresse,  à  propos  de  cette  mort  :  «  Je  regrette 
d'autant  plus  M.  de  Ronsard,  qu'étant  de  Vendôme, 
il  devait  être  aux  Bourbons  plutôt  qu'à  messieurs  de 
Guise.  )) 

Le  Béarnais  se  trompait.  Ronsard  ne  devait  être  à 
personne,  si  ce  n'est,  ainsi  qu'il  le  disait  lui-même, 
«  à  Phœbus-Apollo.  » 

Ce  dieu  de  la  renaissance  avait  donné  à  Ronsard 
l'amour  et  la  gloire.  Lorsque  le  poëte  entra  dans  son 
sépulcre,  il  s'y  coucha  majestueusement  avec  son 
scepire  et  sa  couronne.  Si  Saint-Denis  eut  été  un 
Westminster,  il  en  aurait  été  digne  et  ses  contempo- 
rains l'y  eussent  déposé  justement  parmi  les  tom- 
beaux des  rois. 

Ronsard  avait  eu  la  malheureuse  idée  de  vouloir 
absorber  le  génie  français  dans  les  formes  du  génie 
grec  et  latin.  En  cela  même  il  fut  moins  coupable 
que  plusieurs  avec  lesquels  on  le  confond  par  colère. 

Malgré  l'erreur  de  son  érudition  et  de  son  sys- 
tème, Ronsard  était  et  demeurera.un  immense  poëte. 
Qu'importe  qu'il  ait  été  un  révolutionnaire  rétrograde 
de  la  langue?  Le  réformateur  à  contre-sens  méritait 
d'échouer  et  il  a  échoué.  Seulement,  le  grand  poëte  a 
mérité  de  rester  et  il  restera.  On  oubliera  de  plus  en 
plus  ses  tentatives  pédantesques^  ou  ne  retiendra  qua 
son  rhythme  et  ses  effusions. 

Sa  haute  personnalité  résistera  à  ses  détracteurs  mo- 
dernes comme  elle  a  résisté  à  Malherbe  et  à  Boileau. 
Ces  deux  hommes  ont  la  tête  régulière  autant  que 


LIVRE  QL'ARANTE-SEPTIÈME.  i3t 

Ronsard  l'a  puissante.  On  devine,  au  seul  aspect  des 
portraits,  l'inégalité  des  facultés.  Ainsi  qu'il  arrive 
toujours,  les  faibles  ont  insulté  le  fort.  Ne  nous  en 
étonnons  pas  trop.  Le  même  scandale  contriste  le 
cœur  éternellement. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  Ronsard  eut  l'accent  d'un 
grand  poëte.  Il  assouplit  l'alexandrin ,  il  fonda  l'har- 
monie. 11  trouva  la  périôde ,  les  enjambements,  l'al- 
ternement  des  vers  masculins  et  féminins.  Il  eut  une 
inspiration  magistrale.  Il  tira  une  langue  d'un  patois. 
Il  fut  hardi,  passionné.  Il  eut  une  verve  musicale  et 
la  grâce  lui  fut  aussi  facile  que  la  grandeur. 

Ronsard  est  comme  la  fleur  de  cet  arbre  merveil- 
leux de  l'art  sous  les  Yalois.  Sa  muse  parfuma  de 
poésie  un  cycle  tout  entier. 

Ceux  qui  reprochent  à  Ronsard  d'avoir  entièrement 
méconnu  la  France  ne  comprennent  ni  la  France,  ni 
Ronsard.  Il  était  dans  le  travail  de  l'enfantement,  il 
créait  une  poésie  et  une  langue,  il  cherchait  l'ordre 
au  milieu  du  chaos.  Il  fit  plus  d'un  essai  heureux.  Ses 
fautes  mêmes  furent  fécondes. 

Ses  détracteurs  le  blâment  de  n'avoir  pas  eu  la 
veine  gauloise,  comme  si  la  veine  gauloise  était  tout  le 
génie  français.  11  n'y  a  pas  que  Rabelais,  que  Molière, 
que  La  Fontaine  et  leur  lignée.  Il  y  a  mille  autres 
expressions  de  l'art;  et  ce  sont  les  plus  grandes.  A 
côté  des  railleurs  qui  descendent  tous  de  l'éclat  de 
rire  de  Rabelais,  il  y  a  les  enthousiastes  dont  Ron- 
sard est  le  père.  Il  y  a  le  vieux  Corneille,  cet  Espa- 
gnol, Rossuet,  ce  prophète  hébreu.  Racine  et  Féne- 
lon,  moitié  d'Athènes,  moitié  de  Paris  j  il  y  a  Voltaire 


132  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lui-même,  qui  échappe  par  plus  d'un  éclair  à  la  Gaule. 
Il  y  a  Rousseau  et  tous  ceux  qui  ont  jailli  de  ce  fleuve 
d'éloquence  :  89  tout  entier,  Chateaubriand,  madame 
de  Staël,  Lamartine,  et  vingt  autres,  \oi\k  le  génie 
français  qui  continue  la  Gaule  en  la  transformant, 
qui  creuse  Dieu,  l'immortalité  et  la  liberté,  ces  trois 
dogmes  profondément  humains;  voilà  le  génie  fran- 
çais qui  s'appelait  Ronsard  pendant  la  rénovation  du 
seizième  siècle,  et  qui ,  après  cette  rénovation,  s'ap- 
pelle de  tous  les  noms  glorieux  de  la  patrie. 

Il  faut  savoir  gré  à  Corisande  et  au  roi  de  Navarre 
d'avoir  donné  un  souvenir  à  Ronsard  dans  la  retraite 
agitée  où  ils  ne  vivaient  ensemble  que  des  instants. 

Quoique  cathohque,  la  comtesse  de  Gramont  favo- 
risait le  Réarnais  contre  les  catholiques. 

Elle  ne  reçut  jamais  rien  de  lui  -,  elle  le  combla  plu- 
tôt. Elle  vendit  ses  diamants  et  elle  engagea  tous  ses 
biens  pour  le  secourir.  Elle  lui  envoya  une  fois  jus- 
qu'à vingt-quatre  mille  Gascons  enrôlés  à  ses  frais. 
Le  roi  de  Navarre  lui  offrit  à  cette  occasion  un 
petit  buste  en  marbre  que  Corisande  a  transmis  à 
sa  famille. 

Arraché  par  d'Aubigné  à  sa  prison  du  Louvre,  le 
Béarnais  dans  son  royaume  méridional  se  laissait  dis- 
traire, mais  il  ne  se  laissait  pas  absorber  par  le  plai- 
sir. Il  attendait  l'heure  de  Dieu. 

Il  écrivait  à  Corisande  : 

«  Tous  ces  empoisonneurs  sont  papistes.  J'ai  dé- 
couvert un  tueur  pour  moi.  La  Providence  me  gar- 
dera et  je  vous  en  manderai  bientôt  davantage. 

«  Mon  âme,  je  me  porte  assez  bien  du  corps,  mais 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  433 

je  suis  fort  affligé  de  l'esprit.  Aimez-moi  et  me  le 
faites  paraître-,  ce  sera  une  grande  consolation  pour 
moi.  Je  ne  manquerai  point  à  la  fidélité  que  je  vous 
ai  vouée.  Je  vous  baise  un  million  de  fois  les  mains.  » 

Il  écrit  encore  à  Corisande  : 

c(  La  ligue  se  remue  fort. 

Le  Béarnais  n'ignorait  par  combien  la  ligue  était 
son  ennemie  mortelle.  Cette  confédération  perfide  le 
haïssait  à  deux  titres  :  comme  huguenot  et  comme  hé- 
ritier de  la  couronne. 

Mais  elle  avait  un  ennemi  plus  direct  et  plus  proche, 
c'était  Henri  III,  c'était  le  roi  de  France. 

Le  dernier  des  Valois  n'avait  pas  d'enfants  et  n'avait 
plus  de  frère.  Il  était  aussi  faible  de  caractère  que  de 
situation.  Il  n'avait  que  son  droit  tant  de  fois  com- 
promis par  lui-même,  ses  mignons,  ses  quarante- 
cinq  duellistes,  ses  deux  favoris  :  le  présomptueux 
Anne  de  Joyeuse  qu'il  avait  marié  à  la  sœur  de  la 
reine ,  et  le  hardi  Nogaret  qu'il  avait  fait  duc  ainsi 
que  Joyeuse,  après  les  avoir  enrichis  l'un  et  fautre 
des  sueurs  du  peuple.  Nogaret  d'Epernon  était  du 
reste  un  homme  de  courage  et  d'audace  dans  son 
insolent  égoïsme. 

Catherine  de  Médicis,  en  dehors  de  ce  petit  cercle, 
destituée  d'influence,  ajournait  sa  diplomatie  pour  les 
conjonctures  difficiles  et  les  désirait  presque,  afin  de 
redevenir  indispensable. 

La  ligue,  toute  frémissante  de  mépris  pour  le  roi  et 
pour  su  mère,  s'était  incrustée  en  quelque  sorte  dans 
la  maison  de  Guise.  Cette  maison  était  pour  elle  une 
dynastie  dont  le  duc  Henri  était  le  héros. 


IV. 


12 


134  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

Henri  de  Guise  travaillait  la  ligue  en  ce  sens.  Beau, 
spirituel,  prodigue,  libertin,  aimable,  dissimulé, 
versé  dans  Tacite,  dans  Machiavel  et  dans  l'Arioste, 
ami  des  jésuites  et  aussi  roué  qu'eux,  c'était  le  car- 
dinal de  Lorraine  ressuscité  sous  la  cuirasse ,  avec  la 
bravoure  de  plus  et  la  robe  de  prêtre  de  moins,  cette 
robe  dont  les  longs  plis  couvrent  les  ambitions  secon- 
daires, mais  embarrassent  l'ambition  suprême. 

Plus  libre  que  son  oncle  et  non  moins  pervers, 
Henri  de  Guise  parlait  à  chacun  le  langage  de  l'inté- 
rêt personnel.  Iltlattaitle  désir  de  tous,  en  préparant 
son  propre  triomphe.  La  souplesse  de  ce  prince  rusé 
paraît  fabuleuse. 

Il  avait  persuadé  au  cardinal  de  Bourbon  la  légiti- 
mité du  prélat.  Le  cardinal,  convaincu  du  dévoum^nt 
de  Guise,  s'était  décidé  à  dépouiller  du  titre  d'héritier 
présomptif  son  neveu  le  Béarnais ,  le  chef  de  la  mai- 
son (3e  Bourbon.  N'était-ce  pas^une  obligation  d'éviter 
à  l'Église  la  douleur  de  voir  au  Louvre  un  roi  héré- 
tique .î^  Le  cardinal  cédait  à  la  vanité  et  il  croyait  céder 
à  la  religion. 

Le  duc  de  Guise  promettait  à  Catherine  de  Médicis 
et  au  duc  de  Lorraine  de  les  aider  à  substituer  au 
Béarnais  le  petit-fds  de  l'un  et  le  fils  de  l'autre.  Le 
jeune  marquis  de  Pont,  l'aîné  des  enfants  de  Claude, 
duchesse  de  Lorraine,  n'était-il  pas  le  meilleur  can- 
didat à  la  succession  de  Henri  Hl,  son  oncle?  Cathe- 
rine alors  applaudissait.  «  Car,  disait-elle,  le  Béarnais 
et  les  Bourbons  ne  sont  pas  plus  parents  des  Valois 
qu'Adam  et  Ève.  » 

Henri  de  Guise  changeait  de  batteries  avec  le  roi 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIEME.  Ho 

d'Espagne.  Cette  fois  il  se  faisait  le  chevalier  de  l'in- 
fante, fille  de  Philippe  II  et  d'Élisabeth  de  France ,  la 
sœur  de  Henri  III. 

Ainsi,  le  duc  de  Guise,  tout  en  paraissant  se  sacri- 
fier au  duc  de  Lorraine,  à  Catherine  de  Médicis  et  au 
roi  d'Espagne  en  particulier,  les  trompait  tous  avec 
une  assurance  modeste,  autant  qu'il  trompait  le  car- 
dinal de  Bourbon.  Le  cardinal  était  le  seul  qu'il 
déclarât  tout  haut.  «  C'est  notre  mannequin,  disait-il 
aux  autres  concurrents.  Servons-nous-en  jusqu'à  ce 
qu'il  nous  soit  bon  de  le  faire  disparaître.  »  Au  fond, 
le  duc  de  Guise  n'admettait  qu'une  candidature,  c'é- 
tait la  sienne.  Il  la  taisait  tà  tous,  excepté  au  cardinal 
Louis,  son  frère,  et  à  sa  sœur,  la  duchesse  de  Montpen- 
sier,maisil  la  grandissait,  cette  candidature,  par  toutes 
ses  puissances.  Il  mesurait  le  trône  de  saint  Louis, 
comme  s'il  eut  été  réellement  un  descendant  de  Char- 
lemagne.  Il  s'était  jure  de  gravir  ce  sommet  «lissant 
de  la  royauté,  dût-il,  en  cherchant  à  l'atteindre,  être 
précipité  dans  l'abîme. 

Il  fit  un  pas  décisif  à  Joinville,  le  dernier  de  dé- 
cembre 1584.  Il  y  signa,  avec  les  commandeurs 
Taxis  et  Moreo.  en  leur  nom  et  au  nom  du  roi  d'Es- 
pagne, du  cardinal  de  Bourbon,  du  duc  de  Mayenne, 
du  cardinal  de  Guise,  des  ducs  d'Aumale,  de  Xevers, 
de  Mercœur  et  d'Elbeuf,  un  traité  secret  dont  les 
articles  fondamentaux  étaient  :  la  reconnaissance  du 
cardinal  de  Bourbon  comme  légitime  héritier  de  la 
couronne  de  France  ^  la  proscription  de  l'hérésie  ; 
l'admission  du  concile  de  Trente;  l'assistance  des 
princes  catholiques  français  au  roi  d'Espagne,  contre 


136  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

les  insurgés  des  Pays-Bas;  l'assistance  réciproque  du 
roi  d'Espagne  aux  princes  catholiques  français  contre 
les  huguenots. 

L'approhation  de  Rome  était  transmise  aux  conju- 
rés par  le  père  Mathieu  ,  un  jésuite ,  agent  du  duc  de 
Guise  et  que  son  activité  prodigieuse  avait  fait  bap- 
tiser le  courrier  de  la  ligue.  Le  pape  accordait  indul- 
gence plénière  aux  conspirateurs  et  promettait  son 
excommunication  contre  le  roi  de  Navarre  et  le  prince 
de  Condé. 

Tout  secondait  la  ligue  et  les  ligueurs,  lorsque  les 
députés  néerlandais  vinrent  offrir  à  Henri  ÏII  la  do- 
mination sur  les  Pays-Bas. 

L'ambassadeur  castillan,  don  Bernardino  Mendoça, 
les  avait  précédés  au  Louvre.  Il  avait  cherché  par  des 
forfanteries  à  effrayer  Henri  HI,  le  menaçant  de  toute 
la  colère  du  roi  d'Espagne,  si,  lui,  le  roi  de  France, 
recevait  ces  séditieux.  Le  faible  Valois,  indigné  pour- 
tant de  cette  insolence,  avait  répondu  qu'il  accueille- 
rait avec  bienveillance  les  Flamands  opprimés. 

Il  leur  donna  audience  en  effet.  Aussitôt  Mendoça 
et  le  prince  de  Parme  sommèrent  le  duc  de  Guise 
d'accomplir  le  dernier  traité  en  secourant  le  roi  d'Es- 
pagne et  en  agissant. 

Le  duc  avait  recruté  des  reîtres  par  Bassompierre, 
des  Suisses  par  le  jésuite  Mathieu,  cet  infatigable  et 
leste  postillon  diplomatique  né  en  Lorraine  et  non 
moins  attaché  à  la  maison  de  Guise  qu'à  la  ligue.  Sûr 
d'un  double  renfort,  le  Balafré  se  mit  en  campagne 
avec  la  noblesse  de  Bourgogne  et  de  Champagne. 

Il  attira  du  château  de  Gaillon  à  Péronne  le  cardi- 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME. 


137 


nal  de  Bourbon.  Il  l'alla  visiter  dans  cette  ville,  le 
berceau  de  la  ligue,  et  il  l'escorta  lui-même  jusqu'à 
Châlons-sur-Marne,  où  était  le  quartier  général  de 
l'insurrection .  Le  duc  donnait  l'exemple  à  tous  de  la 
déférence  la  plus  respectueuse  pour  le  cardinal.  Le 
prélat  était  entouré  d'une  étiquette  imposante  et 
traité  en  roi.  • 

Il  se  prit  au  sérieux.  Il  signa  un  manifeste  com- 
posé par  le  duc  de  Guise,  et  où  il  réclamait  en  son 
nom  et  au  nom  des  confédérés  la  réintégration  de 
l'Eglise  en  sa  dignité  et  la  restitution  de  la  religion 
catholique  à  l'exclusion  de  toute  autre. 

Ce  fantôme  de  cardinal  fit  peur  à  Henri ,  ce  fan- 
tôme de  roi.  Le  tils  de  Catherine,  au  lieu  de  répondre 
par  l'épée,  supplia  les  confédérés,  ses  bons  parents  et 
amis ,  de  déposer  les  armes ,  affirmant  qu'il  aurait 
recours  à  leurs  conseils  pour  la  restauration  du  ser- 
vice de  Dieu  (avril  I080). 

La  reine  mère  se  hâta  en  même  temps  vers  Épinay 
pour  s'entendre  avec  le  duc  de  Guise.  L'adroit  Lor- 
rain fut  inflexible  dans  ses  prétentions,  u  Madame, 
lui  disait-il ,  nous  serons  à  cheval ,  tant  que  le  roi 
n'aura  pas  déclaré  la  guerre  aux  protestants.  Nous 
désirons  de  plus  un  édit  qui  proscrive  toute  autre  re- 
ligion que  la  religion  romaine.  C'est  notre  devoir  de 
sujets  autant  que  de  catholiques.  ».  La  reine  mère  ne 
put  rien  obtenir  que  ces  paroles. 

Elle  les  reporta  au  Louvre.  Le  roi  s'écria  que  c'é- 
tait la  guerre  civile,  mais  dans  sa  terreur  des  princes 
ligués  il  se  soumit  à  tout. 

Il  y  eut  des  conféronces  à  Nemours,  et,  le  7  juillet, 

13. 


138         insTOinE  de  la  liberté  religieuse. 

un  infâme  cdit  abolissait  la  liberté  de  conscience.  ].c% 
héros  étaient  morts  en  vain  sur  les  champs  de  hn- 
taille,  en  vain  les  mart^Ts  avaient  môlé  leurs  cendres 
aux  cendres  des  bûchers.  Tout  ce  qu'ils  avaient  con- 
quis au  prix  de  leur  sang  était  révoqué,  anéanti. 
Tout  ce  qui  avait  été  juré  était  parjuré. 

Les  religions  autrc^ue  la  religion  catholique  se- 
raient désormais  défendues,  sous  peine  du  dernier 
supplice  et  de  la  confiscation  des  biens.  Les  Français 
feraient  profession  publique  de  catholicisme,  ou  sor- 
tiraient du  royaume  dans  les  six  mois.  Les  places 
de  sûreté  seraient  rendues  par  les  huguenots  et  les 
charges  qu'ils  exerçaient  passeraient  à  des  fonction- 
naires orthodoxes. 

Le  roi  remerciait  en  finissant  la  ligue  de  tout  ce 
qu'elle  avait  fait  pour  lui,  et,  en  reconnaissance  do 
tant  de  fidélité,  il  accordait  des  faveurs  à  tous  les 
chefs.  Le  cardinal  de  Bourbon,  entre  autres,  aurait 
la  ville  de  Soissons,  trente  arquebusiers  et  soixante 
et  dix  cavaliers  de  garde.  Le  duc  de  Guise  aurait,  lui, 
les  villes  de  Verdun ,  de  Toul ,  de  Saint-Dizier  et  de 
Chàlons. 

Voilà  le  traité-,  il  consterna  les  protestants. 

L'impression  du  roi  de  Navarre  fut  si  foudroyante 
que  la  moitié  de  sa  moustache  blanchît.  C'est  qu'il 
eut  en  une  minute  l'intuition  de  toutes  les  calamités 
qui  allaient  déborder  de  cet  édit,  soit  sur  Henri  1!], 
soit  sur  les  protestants,  soit  sur  la  France,  soit  sur 
lui-même,  déjà  le  centre  de  tout.  Néanmoins  il  fut 
plutôt  réveillé  qu'abattu  par  ce  fléau  de  la  guerre  ci- 
vile dont  l'édit  était  le  tocsin. 


LRTIE   QUARANTE-SEPTIÈME.  130 

II  se  concerta  vite  (août  1585)  avec  le  prince  de 
Condé,  et  le  maréchal  de  Montmorency-Damville,  qui 
avait  pris  le  titre  de  duc  après  la  mort  de  son  frère 
aîné,  et  qui,  par  son  gouvernement  de  Languedoc, 
était  une  sorte  de  vice-roi.  Avec  ce  double  concours, 
avec  les  vœux  de  tous  les  protestants  du  monde  et  au 
nom  de  la  liberté  de  conscience ,  le  Béarnais  lança 
contre  les  Guise,  chefs  de  la  ligue,  une  provocation  à 
outrance  et  contre  l'édit  de  Henri  ÎIÏ  une  énergique 
protestation. 

Il  envoya  aussi  un  défi  au  Balafré,  afin  d'épargner 
ïe  sa<ng  humain,  disait-il,  en  substituant  à  une  que- 
relle générale  une  querelle  privée,  et  à  une  guerre 
civile  un  duel.  Le  duc  de  Guise  répondit  que  le  roi  de 
Navarre  lui  faisait  beaucoup  d'honneur,  mais  qu'il  se 
devait  tout  entier  à  la  défense  du  catholicisme  apos- 
tolique et  romain.  Il  retusa  donc  cette  chevaleresque 
rencontre  en  champ  clos. 

Il  sollicitait  en  même  temps  l'adhésion  solennelle 
du  pape  à  la  ligue.  Grégoire  XIII  était  mort.  Sixte- 
Quint  venait  de  ceindre  la  tiare.  Ce  pontife,  qui  avait 
à  un  haut  degré  le  sentiment  de  l'unité  monarchique  et 
le  culte  de  Tordre,  désapprouvait  personnellement  la 
révolte  des  princes  lorrains.  Néanmoins,  en  cette  con- 
joncture, par  métier  de  pape  envers  l'hérésie,  il  ful- 
mina une  bulle  d'excommunication  contre  le  roi  de 
Navarre  et  le  prince  de  Condé,  les  déposant  de  toute 
seigneurie  et  les  proclamant  incapables  de  succéder  à 
la  couronne  de  France,  à  cause  de  leurs  crimes. 

Le  roi  de  Navarre  fut  prompt.  La  bulle  était  du 
9  septembre.  Le  6  novembre  1585,  à  Rome,  il  fit  affi- 


140  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

cher  par  un  serviteur  hardi  sur  les  célèbres  statues 
de  Pasquin  et  de  Marforio,  sur  les  portes  des  églises 
et  sur  les  murs  du  Vatican  cette  contre -bulle  d'un 
héros  : 

«Henri,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  Navarre, 
prince  souverain  de  Béarn,  premier  pair  et  prince  de 
France,  s'oppose  à  l'excommunication  de  M.  Sixte, 
soi-disant  pape  de  Rome,  la  maintient  fausse  et  en 
appelle  comme  d'abus.  En  ce  qui  touche  l'hérésie, 
soutient  que  M.  Sixte  en  a  menti  et  que  lui-même  est 
hérétique,  ce  que  Henri  de  Béarn  prouvera  en  plein 
concile  libre  et  légitimement  assemblé.  Proteste  en 
attendant,  le  roi  de  Navarre,  contre  la  tyrannie  et 
usurpation  du  pape  et  des  ligués,  ennemis  de  Dieu, 
de  l'Etat,  des  rois  et  de  la  paix.  » 

(c  Autant  proteste  Henri  de  Bourbon ,  prince  de 
Gondé.  » 

Tout  en  se  mettant  ainsi  en  mesure  avec  tous,  le 
Béarnais  levait  des  troupes  en  France  et  en  Alle- 
magne, tandis  que  Henri  de  Guise  manœuvrait  la 
ligue,  guerroyait  contre  le  duc  de  Bouillon,  et  que 
Henri  de  Valois  dépensait  deux  cent  mille  écus  d'or, 
par  année,  en  petits  chiens,  en  perroquets,  en  singes, 
jouait  gravement  au  bilboquet,  et  découpait,  pour  les 
coller  aux  parois  de  ses  chapelles,  les  images  des  livres 
de  prières. 

Ge  roi,  d'ailleurs  entouré  de  mignons  et  qui  avait 
donné  aux  Parisiens  pour  gouverneur  René  de  Ville- 
quier,  son  entremetteur  d'hommes  et  de  femmes  per- 
dus, était  de  plus  en  plus  odieux.  11  passait  pour  être 
l'ami  des  huguenots  et  du  roi  de  Navarre,  pour  trahir 


LIVRE  OLABANTE-SEPTIÈME.  141 

la  ligue ,  et  pour  avoir  trempé  dans  le  meurtre  légal 
d'Élisabeth  sur  Marie  Stuart. 

Cette  tragédie  de  Fotberingay  (février  io87)  com- 
muniqua une  nouvelle  fièvre  à  la  ligue.  C'était  le  ca- 
tholicisme, c'était  la  maison  de  Guise  qui  avaient  été 
frappés  dans  la  reine  captive.  Et  le  Valois  avait  fait 
plus  que  de  l'abandonner  :  il  avait  ajouté  l'hypocrisie 
à  l'insensibilité  en  feignant  de  demander  sa  grâce  et 
en  demandant  la  mort  de  sa  belle-sœur.  Cela  criait 
vengeance  au  ciel. 

Aussi  les  chefs  de  la  ligue  agissaient-ils  comme  si 
M.  de  Guise  eût  été  le  seul  roi  de  France. 

Par  un  mouvement  analogue,  bien  que  plus  in- 
fime, le  fond  de  la  ligue,  la  ligue  démocratique,  une 
petite  ligue  dans  la  grande,  surgit  du  ruisseau,  tout 
affranchie  du  Valois.  Son  indépendance  éclatait,  non 
plus  par  des  désobéissances,  mais  par  des  plans  d'as- 
sassinats. 

Cette  ligue  des  Seize,  c'est  le  nom  de  la  nouvelle 
confrérie,  prit  ce  nom  des  seize  quartiers  de  Paris, 
où  elle  comptait  de  nombreux  partisans.  Elle  rele- 
vait directement  d'un  conseil  particulier  et  ne  se  rat- 
tacha qu'indirectement  à  la  maison  de  Lorraine. 

Le  père  des  Seize  fut  La  Rocbeblond,  un  bourgeois 
de  Paris.  Cet  homme,  d'un  tempérament  violent, 
confia  son  plan  à  Jean  Boucher,  curé  de  Saint-Benoît, 
à  Jean  Prévôt,  curé  de  Saint-Severin,  et  à  Mathieu 
de  Launay,  docteur  en  théologie,  tous  trois  ultra- 
hgueurs. 

Ils  adoptèrent  ce  plan  qui  leur  allait  si  bien,  et  ils 
le  fécondèrent  dans  des  conférences  tenues  chez  le 


142  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

curé  de  Saint-Benoît,  d'abord  à  la  Sorbonne,  et  puis 
au  collège  de  Fortes,*  où  il  avait  des  appartements. 
Ils  admirent  les  factieux  les  plus  hardis,  et  parmi  eux 
des  joueurs,  des  libertins,  des  bandits  tous  capables 
de  comprendre  l'audace  et  d'exécuter  un  coup  do 
main. 

Quand  la  confrérie  fut  en  progrès,  Jean  Boucher 
écrivit  au  duc  de  Guise  pour  lui  offrir  cette  ligue 
dans  la  ligue.  Le  duc  se  contraignit  et  n'exprima  pas 
de  mécontentement.  Il  approuva  irôme  les  Seize  avec 
bienveillance,  ahn  de  les  avoir  pour  lui  au  Ijeu  de  les 
avoir  contre  lui.  Il  devina,  en  chef  de  parti,  qu'il  lui 
naissait  un  embarras  dont  il  lui  fallait  faire  un  levier.i 

Dès  qu'il  voulait  propager  un  bruit,  une  calomnie 
ou  rendre  un  projet  populaire,  il  s'adressait  aux  Seize. i 
Ainsi,  désirant  enlever  Boulogne  à  Henri  III,  il  de-' 
manda  le  concours  des  Seize, qui  applaudirent  aussitôt. 

Un  des  confédérés,  Nicolas  Poulain,  ressentit  des; 
scrupules.  Il  se  reprocha  de  participer  à  tant  de  ré-' 
voltes  et  d'iniquités.  Il  était  ami  de  Bussy  Leclerc, 
procureur  au  parlement  et  ancien  maître  d'armes, 
l'un  des  ligueurs  les  plus  forcenés.  C'est  ce  qui  expli- 
que pourquoi,  ayant  résolu  de  se  faire  espion  du  roi, 
il  put  accomplir  ce  dessein,  pendant  dix-huit  mois, 
sans  être  soupçonné.  Il  commença  par  révéler  au 
chancelier  le  projet  sur  Boulogne.  Le  duc  d'Épernon, 
qui  était  gouverneur  de  la  province,  mit  la  ville  à 
l'abri  de  toute  attaque,  et  le  duc  d'Aumale,  qui  au- 
rait certainement  réussi  en  temps  ordinaire,  échoua 
dans  la  sacrilège  conquête  d'une  ville  de  France  pour 
le  roi  d'Espagne. 


LU-RE  0UARAKT£-S£PTIÈME.  143 

Le  duc  (le  Guise  eut  là  un  grand  mécompte.  Il  sou- 
haitait infiniment  Bouloîrne.  C'eût  été  un  port  admi- 
rable pour  ravitailler  la  flotte  que  Philippe  II  prépa- 
rait contre  l'Angleterre  et  les  Pays-Bas:  c'eût  été  de 
].lus  une  place  très-sûre  par  où  les  renforts  d'Es- 
pagne seraient  ariîvés  avec  une  merveilleuse  facilité 
au  duc  de  Guise. 

Encouragé  et  caressé  pour  les  services  qu'il  rendait, 
Nicolas  Poulain  continua  son  rôle.  Il  écoutait  aux 
conciliabules  de  la  ligue  et  des  Seize,  puis  il  avertis- 
sait à  temps  le  chancelier. 

Les  Seize  dépassaient  les  ducs  de  Guise  et  de 
Mayenne.  Ils  s'irritaient  des  lenteurs.  Ils  accusaient 
les  princes  lorrains  de  trop  tarder.  Ils  se  décidèrent 
à  les  devancer.  Ils  devaient  s'emparer  du  grand  et  du 
petit  Chàtelet,  du  Temple,  de  l'Hôtel  de  ville,  de  la 
Bastille  et  du  Louvre.  Alors  ils  égorgeraient  les  mi- 
gnons, les  ministres  et  casseraient  le  parlement. 
Quant  au  roi,  les  uns  étaient  disposés  à  raffubler 
d'un  capuchon,  les  autres  à  le  tuer.  Une  tombe  à 
Saint-Denis  ou  une  cellule  dans  un  couvent,  voilà  les 
deux  perspectives  qu'ils  réservaient  au  dernier  des 
Valois. 

Tous  les  postes  menacés  furent  fortifiés,  et  la  cour 
fut  sauvée  encore  par  Poulain. 

Le  duc  de  Guise ,  compromis  par  les  Seize ,  les 
contenait  à  grand'peine  ,  soit  par  son  frère  le  duc  de 
Mayenne,  soit  par  les  curés  de  Paris  les  plus  modérés, 
soit  par  des  agents  secrets  qu'il  faisait  intervenir  à 
propos.  Mais  souvent  ces  fils  étaient  brisés  par  l'im- 
pétuosité de  la  faction.  Le  Balafré  éclatait  alors,  li 


144  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

envoyait  dans  les  moments  critiques  Menneville ,  le 
gentilhomme  qui  avait  le  plus  sa  pensée.  Menneville 
objurguait  les  Seize,  leur  déclarait  que  le  Balafré,  las 
de  leurs  insubordinations ,  se  séparerait  d'eux  et  les 
décapiterait  par  son  seul  désaveu.  Les  Seize,  qui  ai- 
maient le  duc  au  fond,  se  repentaient,  criaient  qu'ils 
n'entreprendraient  plus  rien  sans  le  consulter,  et 
Menneville  faisait  leur  paix  avec  le  Balafré,  et  l'ordre 
régnait  un  instant  dans  cette  anarchie. 

Je  connais  un  portrait  du  duc  de  Guise  à  cette 
époque. 

H  est  encore  bien  jeune  d'âge  et  les  soucis  d'une 
intrigue  sans  bornes  et  sans  repos  l'ont  déjà  vieilli. 
Ses  tempes  et  son  menton  battent.  Son  vaste  front 
est  humide  de  sueur.  Ses  beaux  cheveux  blonds  se 
sont  éclaircis  et  ont  grisonné.  Ses  yeux  sont  vagues, 
son  nez  n'aspire  plus  l'avenir  par  les  narines  ou- 
vertes, sa  bouche  est  cernée  de  plis  qui  témoignent 
des  inquiétudes  du  jour  et  des  insomnies  de  la  nuit. 
Toute  la  physionomie  est  belle,  moitié  fébrile,  moitié 
découragée,  avec  une  nuance  d'ironie  au  destin 
dont  il  pressent  l'ambiguïté  et  dont  il  raille  la  four-, 
berie  finale. 

Tel  est  le  duc  de  Guise  dans  la  peinture  ;  tel  il  est 
dans  l'histoire.  Il  s'est  proposé  un  but  inaccessible. 
Les  difficultés  s'accumulent.  Le  cardinal  de  Bourbon 
est  son  instrument  ;  mais  Henri  III  et  le  roi  de  Na- 
varre surtout  sont  ses  obstacles  insurmontables.  Les 
Seize  dans  la  ligue  sont  les  boulets  qu'il  traîne  à  ses 
pieds  meurtris.  Mais  tout  cela  n'est  rien  auprès  de 
Philippe  IL  Le  roi  d'Espagne,  c'est  le  diable,  le  diable 


LIVRE  yUARANTE-SEPTlÈME.  14^ 

avec  lequel  il  a  fait  un  pacte ,  le  diable  qui  le  paye , 
qui  le  tente,  qui  le  pousse,  qui  le  trompe  et  qui 
lui  garde  pour  récompense  une  petite  pincée  de 
cendres. 

Voilà  le  duc  de  Guise  en  1587.  Il  n'a  pas  le  re- 
mords, mais  il  a  le  doute,  l'affaissement  et  le  sar- 
casme de  sa  diplomatie  incessante.  Il  en  a  aussi  l'hé- 
roïsme, et  il  ira  jusqu'au  bout  de  son  horoscope. 

Il  se  couvait,  cette  année  1587,  l'année  de  la  mort 
de  Marie  Stuart ,  une  double  croisade  :  une  croisade 
catholique  par  Philippe  II  et  l'i^rmada  pour  éteindre  le 
protestantisme  en  France,  en  Angleterre,  dans  les 
Pays-Bas  ;  et  une  autre  croisade  calviniste,  par  Théo- 
dore de  Bèze,  pour  préserver  la  réforme  et  le  Messie 
de  la  réfoi-me  autant  que  de  la  monarchie,  le  roi  de 
Navarre. 

Phihppe  II  aimait  à  se  repaître  de  supplices.  Il 
n'avait  pas  seulement  toutes  les  frénésies  de  la 
-cruauté,  il  en  avait  l'endurcissement. 

Il  était  d'une  trempe  plus  féroce  que  l'homme. 
Tout  condamné  était  pour  lui  une  proie  qui,  loin  de 
le  troubler,  l'épanouissait.  La  pitié  n'effleura  jamais 
ce  témoin  des  supplices  qu'il  ordonnait,  ce  témoin 
impassible  au  dehors,  satisfait  au  dedans.  Ni  la  tor- 
ture dans  les  os  des  martyrs ,  ni  le  feu  dans  leurs 
chairs,  ne  purent  une  seule  fois  lui  blesser  les  yeux, 
ou  toucher  son  cœur,  ou  même  remuer  ses  nerfs.  Les 
supplices  ne  lui  causaient  qu'une  impression  :  ils  ai- 
guisaient sa  joie.  Cette  joie  montait  et  rayonnait  avec 
la  flamme.  Avant  le  bûcher,  ce  roi  sectaire  était 
triste  ;  il  était  triste  après.  Des  lueurs  barbares  de  la 


IV. 


15 


146  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

place  publique,  il  rentrait  dans  la  nuit  morne  de 
l'Escurial. 

Il  sema  d'écbafauds  et  d'incendies  humains  tout 
son  règne.  Du  trône  à  la  tombe,  il  fut  le  tyran  de  ses 
femmes,  le  geôlier  de  ses  maîtresses,  Tassassin  de  son 
fils,  le  bourreau  de  ses  peuples. 
^  Eh  bien,  l'esprit  tendu  sur  les  apprêts  de  son  Ar- 
mada, qui  devait  partir  au  mois  de  mai  iS88,  du  port 
de  Lisbonne,  Philippe  H,  dès  l'année  1587,  avait  re- 
doublé d'activité.  Ce  roi  des  auto-da-fé,  ce  tourmen- 
teur  des  côrps  et  des  âmes,  ne  négligeait  aucune  pré- 
caution^ il  multipliait  l'espionnage,  aiguillonnait  les 
travaux,  prodiguait  l'or,  afin  d'étendre  à  l'Europe  en- 
tière l'inquisition  et  d'y  noyer  l'hérésie,  comme  en 
Espagne,  dans  les  larmes,  dans  le  sang. 

Vers  la  même  époque,  par  un  instinct  de  conser- 
vation et  de  charité,  Théodore  de  Bèze,  qui  n'était 
pas  un  roi,  mais  qui,  depuis  la  mort  de  Calvin,  était 
le  théologien  de  Genève,  parcourut  la  Suisse  et  l'Alle- 
magne pour  trouver  des  adversaires  à  Philippe  II  et 
au  duc  de  Guise,  pour  susciter  des  défenseurs  au 
protestantisme  si  formidablement  menacé. 

De  Bèze  était  une  puissance.  Né  à  Vézelay,  dans  le 
Nivernais,  d'une  famille  noble,  il  fut  de  bonne  heure 
transplanté  à  Bourges  et  confié  à  la  savante  direction 
de  Melchior  Wolmar,  professeur  de  langue  grecque. 
Wolmar  n'était  pas  qu'un  helléniste,  il  était  un 
homme  supérieur.  Il  instruisit  le  jeune  de  Bèze  dans 
les  belles-lettres  et  l'initia  aux  principes  de  la  ré- 
forme. 

Théodore  de  Bèze  répondit  à  souhait  aux  grands 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  J  47 

desseins  de  son  maître  sur  lui.  Il  se  distingua  vite 
dans  les  littératures  antiques.  Il  devint  de  plus  un 
logicien  éminent,  un  philosophe  profond.  La  jeunesse 
l'emporta  dans  tous  les  orages  des  passions,  sans  effa- 
cer sa  direction  primitive. 

La  famille  distinguée  à  laquelle  il  appartenait  lui 
réservait  des  bénéfices  considérables,  s'il  voulait  se 
faire  prêtre.  Elle  le  pressa  de  consentir  à  la  fortune 
immense  qui  l'attendait  dans  le  clergé.  De  Bèze,  qui 
se  sentait  protestant  dans  le  cœur,  résista.  Il  épousa 
Claudine  Denosse,  malgré  l'humble  condition  de  cette 
temme  qu'il  aimait ,  et  se  retira  précipitamment  à 
Genève  pour  échapper  aux  projets  et  aux  sollicita- 
tions de  sa  famille. 

Indépendant  et  pauvre,  il  chercha  dans  ses  talents 
des*  ressources  pour  vivre.  Il  exerça  dix  années  à 
Lausanne  avec  un  retentissement  prodigieux  les 
fonctions  de  professeur  de  littérature  grecque.  Il  se 
lia  de  doctrine  et  d'affection  avec  tous  les  novateurs 
d'élite  qui  abondaient  alors  en  Suisse.  Calvin  et  lui 
s'attachèrent,  se  soudèrent  l'un  à  l'autre.  De  Bèze, 
voulant  s'abandonner  à  son  affection  pour  le  grand 
réformateur  et  se  dévouer  à  leur  œuvre  commune, 
vint  se  fixer  définitivement  à  Genève  et  s'y  fit  rece- 
voir pasteur  à  quarante  ans. 

C'est  alors  que  sa  vie  la  plus  sérieuse  commença. 

Après  l'horrible  massacre  de  la  Saint-Barthélemy, 
il  écrivit  à  tous  les  princes  qui  n'étaient  pas  les  enne- 
mis déclarés  du  protestantisme,  leur  demandant  un 
asile  et  des  secours  pour  les  survivants  de  ce  guet- 
apens  infernal ,  accompli  par  la  France  et  béni  par 


f 


448  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Rome.  Lui-même  il  fonda  un  hôpital  à  Genève  en 
faveur  des  pauvres  proscrits. 

En  io87,  il  perdit  sa  première  femme.  Il  en  épousa 
une  seconde,  Catherine  de  La  Plane,  qui  le  soigna 
jusqu'à  sa  mort  avec  le  plus  tendre  dévouement. 
Bèze,  lorsqu'il  se  remaria,  n'avait  pas  moins  de 
soixante-dix  ans.  Sa  vieillesse  était  robuste  et  active. 
Il  prêchait ,  il  professait ,  il  correspondait  avec  l'Eu- 
rope. Il  était  l'âme  vivante  du  calvinisme  dans  tout 
l'univers.  Il  en  demeura  jusqu'à  la  fin  le  centre,  l'u- 
nité. Ce  que  Calvin  avait  fondé ,  il  le  préservait. 

Ce  fat  en  1588,  un  an  après  la  mort  de  sa  première 
femme,  qu'il  fit  sa  propagande  contre  Philippe  II, 
contre  la  ligue  et  contre  les  Guise.  11  explora,  dans 
l'intérêt  de  sa  cause,  la  Suisse  et  l'Allemagne.  Il  s'in- 
téressait à  la  France  où  sévissaient  les  Seize.  Des 
cimes  de  sa  seconde  patrie,  il  pensait  à  l'ancienne,  et 
Vézelay  ne  lui  était  pas  moins  présente  que  Genève. 
Du  bord  des  lacs,  du  haut  des  Alpes,  de  l'ombre  aussi 
des  forêts  d'Arminius  qu'il  traversait,  le  vieux  Bèze 
rappelait  avec  prédilection  le  manoir  paternel,  les 
petites  colhnes,  les  prés  verts,  les  pâles  étangs  et  les 
bois  druidiques  du  Nivernais. 

Il  récitait  tour  à  tour  les  psaumes  en  hébreu ,  les 
épîtres  de  saint  Paul  en  grec,  et  il  employait  tantôt 
Tesprit,  tantôt  la  science,  tantôt  l'enjouement,  tantôt 
la  diplomatie,  tantôt  l'élégance,  dans  les  châteaux  des 
seigneurs  ou  à  la  cour  des  princes.  Il  n'avait  qu'un 
bijou  auquel  il  tenait  infiniment  et  que  ses  hôtes  il- 
lustres considéraient  avec  une  attention  mêlée  de  res- 
pect :  c'était  une  bague  qui  avait  appartenu  à  Jeanne 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  149 

d'Albret  et  que  cette  princesse  avait  donnée  à  Bèze 
en  signe  d'amitié.  Bèze  la  portait  à  son  doigt  comme 
un  anneau  pastoral. 

Le  successeur  de  Calvin  était  très-beau  dans  sa 
vieillesse.  Il  avait  l'air  majestueux  et  simple  d'un  pa- 
triarche. Tous  les  portraits  de  Théodore  de  Bèze, 
dont  le  plus  imposant  est  à  la  bibliothèque  de  Ge- 
nève, ont  une  auréole  de  pontife  libre.  Une  magnifi- 
que crinière  de  cheveux  blancs  tombait  en  désordre 
sur  la  face  de  lion  de  ce  chef  vénéré  des  Eglises. 

Il  était  ardent  sous  sa  couronne  d'années.  Il  était 
généreux,  insinuant,  grave,  convaincu,  terrible  à 
l'occasion. 

Il  parla  soit  aux  cantons,  soit  aux  électeurs,  le  lan- 
gage du  cœur  et  de  la  conscience.  Il  souleva  ces 
lourdes  populations,  et,  avec  le  secours  du  duc  de 
Bouillon  et  des  émissaires  du  Béarnais,  il  ébranla 
huit  mille  reîtres,  cinq  mille  lansquenets  et  seize 
mille  Suisses. 

Cette  armée,  sous  le  commandement  prépondérant 
du  baron  de  Donaw,  lieutenant  de  Jean-Casimir,  en- 
tra d'Alsace  en  Lorraine  par  les  défilés  de  Phalsbourg. 
Elle  se  dirigea  lentement,  et,  au  milieu  de  l'anarchie 
des  généraux,  vers  la  Champagne,  dépassa  Joinville, 
traversa  la  Seine ,  l'Yonne  et  refusa  d'obtempérer  au 
désir  du  roi  de  Navarre,  qui  l'engageait,  par  M.  de 
Châtillon,  le  fils  de  l'amiral  de  Coligny,  à  remonter 
jusque  dans  le  Forez,  où  le  Béarnais  avait  l'intention 
de  la  joindre. 

Le  dessein  du  roi  de  Navarre  était  de  longer  la 
Dordogne,  d'atteindre  l'Allier,  puis  la  Haute-Loire, 

15. 


150  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

et  de  se  réunir  efficacement  aux  étrangers  sur  la  rive 
de  ce  grand  fleuve. 

Il  y  avait  alors  cinq  armées  en  France  :  celle  du 
baron  de  Donaw,  harcelée  par  l'armée  ligueuse  du 
duc  de  Guise,  et  observée  par  l'armée  que  le  duc 
d'Epernon  réservait  au  roi.  Il  y  avait  encore  l'armée 
du  Béarnais  et  l'armée  du  duc  de  Joyeuse. 

Ce  courtisan,  érigé  subitement  en  général,  aspirait 
à  justifier  sa  faveur,  à  éclipser  le  duc  de  Guise  et  à  le 
remplacer  dans  l'amour  des  catholiques  en  anéantis- 
sant le  représentant  de  l'hérésie,  le  roi  de  Navarre. 

Dans  sa  précipitation,  Joyeuse  n'attendit  pas  même 
le  maréchal  de  Matignon.  Il  se  hâta  vers  le  bourg  de 
Coutras  sur  la  rivière  de  l'isle  en  Périgord.  C'est  là 
qu'il  rencontra  le  Béarnais. 

Les  troupes  de  Joyeuse  étaient  les  plus  brillantes 
qui  se  fussent  encore  vues.  Toute  la  fleur  de  la  no- 
blesse était  dans  ce  camp  doré.  Les  diamants,  les 
pierres  précieuses,  les  belles  armes  reluisaient  par- 
tout. La  présomption  et  les  rodomontades  éclataient 
avec  les  parures. 

Les  huguenots  du  roi  de  Navarre  étaient  presque 
tous  de  la  Guyenne,  de  la  Saintonge  et  du  Poitou,  Il 
comptait  une  phalange  de  montagnards  de  son  pays 
natal.  Il  y  avait  autant  de  simplicité  parmi  les  calvi- 
nistes que  de  magnificence  parmi  les  courtisans  de 
Joyeuse. 

Quand  les  trompettes  des  catholiques  sonnèrent  la 
charge,  les  protestants  s'agenouillèrent  pendant  que 
les  pasteurs  priaient.  Ces  vieux  routiers  de  guerre 
civile  se  relevèrent  à  l'aspect  de  l'avant-garde  de 


LITRE  QUARANTE- SEPTIÈME.  151 

Joyeuse,  menée  au  galop  par  M.  de  Lavardin.  Cette 
avant-garde  perça  au  travers  des  chevau-légers  du 
duc  de  Thouars  et  du  vicomte  de  Turenne.  Elb 
avança  jusqu'à  Coutras  où  elle  s'amusa  à  piller.  Les 
protestants  se  reformèrent  en  un  instant.  Le  roi  de 
Navarre  courait  de  rang  en  rang,  électrisant  tout  du 
geste,  du  regard  ou  de  la  parole.  Sous  le  prince 
voluptueux,  il  y  avait  toujours  dans  le  Béarnais, 
aux  grandes  heures,  un  rude  soldat,  un  homme 
de  fer  et  de  feu  dont  l'inspiration  jaillissait  en  étin- 
celles de  gaieté  et  d'héroïsme.  Il  s'arrêta  devant  le 
prince  de  Condé  et  le  comte  de  Soissons  qui  étaient 
à  leurs  postes  et  il  leur  cria  très-haut  pour  être  en- 
tendu des  gentilshommes  :  «  Mes  cousins,  souvenez- 
vous  que  vous  êtes  du  sang  de  Bourbon.  Vive  Dieu  î 
je  vous  montrerai  que  je  suis  votre  aîné.  —  Et  nous 
vous  prouverons,  répliquèrent  les  princes ,  que  vous 
avez  de  bons  cadets.  )> 

Le  roi,  donnant  ses  ordres,  y  joignant  l'exemple, 
se  rua  dans  la  mêlée,  culbutant  tout  d'une  vigueur 
intrépide  qu'il  avait  déjà  tant  signalée  à  Cahors.  La 
bataille  fut  courte  et  terrible,  l'armée  royale  anéan- 
tie. Trois  mille  fantassins,  autant  à  peu  prè^  de  cava- 
liers, plus  de  cinq  cents  seigneurs  de  cette  armée  de 
dix  mille  hommes  restèrent  sur  la  place.  Le  Béarnais 
avait  beaucoup  de  peine  à  couvrir  les  prisonniers  ca- 
tholiques. Les  huguenots,  exaspérés  par  les  cruautés 
récentes  de  Joyeuse  et  de  ses  lieutenants  contre  des 
garnisons  protestantes,  s'acharnaient  à  tuer-,  mais  le 
roi  de  Navarre  s'acharna  de  son  côté  à  protéger  ceux 
qui  se  rendaient  et  il  en  sauva  beaucoup. 


152  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Joyeuse  fut  admirable  dans  son  désastre.  Ce  dé- 
bauché du  Louvre  mourut  comme  Catilina,  ce  débau- 
ché de  Rome.  Après  des  efforts  inutiles  pour  rétablir 
sa  fortune,  Joyeuse,  immobile  une  minute,  regardait 
tout  haletant  le  champ  de  bataille.  M.  de  Saint-Luc 
lui  dit  :  ((  Que  faire  maintenant?  —  Que  faire,  reprit 
Joyeuse,  ne  pas  survivre,  »  et  il  se  lança  avec  son 
frère  et  quelques  amis  dans  un  sombre  escadron  de 
calvinistes  où  ils  disparurent  à  jamais.  Pas  un  de  ces 
héros  empanachés  et  frivoles  ne  revint  de  cette  bou- 
cherie (1587). 

Ce  trépas  de  Joyeuse  ne  fut  point  sans  gloire.  Sa 
mort  valut  mieux  que  sa  vie. 

Le  roi  de  Navarre  ne  profita  pas  de  sa  victoire. 
Toute  la  noblesse  calviniste  se  débanda  de  côté  et 
d'autre.  Les  gentilshommes  aimaient  mieux  gagner 
leurs  châteaux  que  de  chercher  les  Allemands  et  les 
Suisses  afin  de  ne  faire  qu'un  avec  eux.  Ce  fut  une 
grande  faute. 

Elle  pèse  sur  le  roi  de  Navarre  qui  ne  lutta  pas  as- 
sez, en  cette  circonstance,  contre  son  état-major. 
Lui-même,  dans  sa  soif  d'amour,  était  empressé  de 
retourner  en  Béarn,  où  l'appelait  Corisande. 

Les  confédérés  se  trouvèrent  dans  un  grand  em- 
barras. M.  de  Guise  leur  livra  deux  combats  heureux, 
l'un  à  Yimori ,  près  de  Montargis,  l'autre  au  bourg 
d'Auneau,  près  de  Chartres.  Dans  cette  dernière  af- 
faire, plus  de  deux  mille  Allemands  et  Suisses  furent 
passés  par  les  armes. 

Les  Suisses  et  les  Allemands  profitèrent  de  l'ab- 
sence du  duc  de  Guise,  qui,  après  sa  seconde  viç- 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  133 

toire,  avait  couru  chercher  en  Bourgogne  le  marquis 
de  Pont,  fils  aîné  du  duc  de  Lorraine.  M.  de  Guise 
espérait  avec  les  cinq  mille  chevaux  du  marquis  ache- 
ver d'exterminer  les  étrangers.  Mais,  pendant  les  dé- 
lais de  cette  jonction,  les  Suisses  d'abord,  par  le  duc 
d'Épernon,  traitèrent  avec  le  roi  et  reprirent  le  che- 
min de  leurs  cantons  -,  d'un  autre  côté,  les  Allemands 
du  baron  de  Donaw  acceptèrent  du  roi  à  quelques 
lieues  de  Roanne,  encore  par  le  duc  d'Épernon,  une 
capitulation  qui  leur  permettait  de  rentrer  chez  eux, 
sous  le  serment  de  ne  jamais  servir  en  France  sans 
l'autorisation  de  Henri  lU. 

Ces  deux  traités  furent  conseillés  par  le  duc  d'É- 
pernon, qui  enlevait  ainsi  au  duc  de  Guise  la  gloire 
de  clore  la  campagne. 

Le  Balafré  furieux  poursuivit  les  Allemands  jusque 
dans  le  comté  calviniste  de  Montbéliard,  où  il  brûla 
cent  vingt  villages,  au  mépris  des  conventions,  se 
vengeant  ainsi  d'en  avoir  été  exclu. 

Bravé  de  loin  par  le  duc  de  Guise,  le  roi  fut  bafoué 
à  Paris  de  très-près  par  les  ligueurs  et  par  les  Seize, 
lis  le  déclaraient  complice  du  roi  de  Navarre  et  des 
étrangers  dont  il  avait  iacilité  la  retraite.  Le  duc 
d'Épernon  n'était  ni  moins  calomnié ,  ni  moins  sif- 
flé. On  distribuait  publiquement  sous  le  tite  de  grands 
faits  d'armes  du  duc  d'Epernon  contre  r armée  des  hé- 
rétiques un  livre  dont  toutes  les  pages  blanches  ne 
contenaient  en  immenses  lettres  majuscules  que  ce 
seul  mot  :  «  Rien.  » 

Le  duc  de  Guise ,  au  contraire ,  était  acclamé  par- 
tout. C'était  un  général  incomparable.  C'était  un  pe- 


154  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lit-fils  de  l'empereur  Charlemagne  et  digne  du  trôné 
de  son  grand  ancêtre.  Les  prédicateurs,  du  haut  de  la 
chaire  sacrée,  prouvaient  à  leurs  auditoires  succes- 
sifs le  droit  légitimement  départi  aux  nations  de 
changer  de  dynastie.  Ils  répétaient  et  développaient 
en  tout  sens  ce  texte  biblique  bientôt  commenté  par 
le  peuple  :  Saiil  en  a  tué  mille  ^  mais  David  en  a  tué 
dix  mille. 

Le  roi  d'Espagne  mêla  ses  félicitations  à  ces  ap- 
plaudissements. La  cour  de  Rome  envoya  au  Balafré 
ses  bénédictions,  et  le  duc  de  Parme  lui  fit  présent 
de  son  épée. 

L'immense  popularité  de  Guise  était  entretenue 
par  la  duchesse  de  Montpensier,  sœur  du  Balafré. 
Veuve  de  son  vieux  époux,  étrangère  à  Tamour  pen- 
dant son  mariage,  tout  en  elle  s'était  tourné  en  pas- 
sion politique.  Elle  était  l'Euménide  de  la  ligue,  et 
des  Seize,  les  violents  de  la  ligue. 

La  duchesse  était  très-belle ,  et  sa  beauté  ajoutait 
à  son  influence.  Elle  avait,  comme  tous  ceux  de  sa 
maison ,  le  long  ovale  de  la  figure  et  la  transparence 
du  teint.  L'arc  de  ses  sourcils  était  tracé  d'un  pin- 
ceau léger.  Ses  yeux  jetaient  un  feu  sombre  à  travers 
ses  cils  bruns.  Son  front  était  hardi.  Ses  cheveux  se 
tordaient  en  serpents  et  se  nouaient  en  diadème  au 
sommet.  Sonnez,  d'une  forme  noble,  quoique  un  peu 
court,  était  retiré  sur  lui-même  et  relevé  aux  narines. 
Su  bouche  avait  une  expression  de  haine;  elle  était 
frémissante,  emportée,  prompte  à  l'écume. 

La  duchesse  de  Montpensier  ne  se  modérait  ja- 
mais. Le  sang  de  son  père,  et  de  sa  cousine,  la  reine 


LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME.  155 

d'Écosse,  lui  avait  donné  la  soif  du  sang.  Elle  voulait 
la  mort  des  ennemis  de  sa  race  et  de  sa  foi.  Elle  prit 
goût  à  tous  les  poisons,  à  tous  les  venins  de  la  dis- 
corde. Elle  les  but  comme  l'eau. 

Elle  était  la  conseillère  de  tous  les  complots  parmi 
les  Seize.  iSicolas  Poulain,  Vespion  du  roi,  avertit  le 
chancelier.  La  duchesse  agitait  la  torche  de  sa  colère 
sur  ces  hommes  de  révolution.  Les  délibérations  les 
plus  frénétiques  remontaient  jusqu'à  elle. 

Le  roi ,  dans  l'intérêt  du  repos  public  et  de  sa 
propre  sûreté,  fit  ordonner  à  la  duchesse  de  quitter 
Paris.  Elle  résista  fièrement.  Se  sentant  sous  la  sau- 
vegarde des  foules  et  des  princes  catholiques,  ses 
frères,  elle  eut  des  insolences  inouïes.  Elle  les 
porta  jusqu'à  la  sédition.  Au  lieu  d'obéir,  elle  étala 
ses  dédains.  Elle  affecta  de  se  montrer  partout,  jouant 
avec  des  ciseaux  d'or  qu'elle  portait  à  sa  ceinture  et 
qu'elle  réservait,  disait-elle,  pour  donner  à  frère 
Henri  de  Fa/o2s  la  tonsure  monacale,  cette  troisième 
couronne  dont  il  était  plus  digne  que  des  couronnes 
de  France  et  de  Pologne. 


LIVRE  QUARANTE-HUITIÈME 


Situation  du  duc  de  Guise.  —  Sommt^  par  les  Seize  et  par  Philippe  II 
de  venir  à  Paris.  —  Henri  III,  par  Bellièvre  et  La  Guiche,  lui 
défend  d'avancer.  —  Le  duc. passe  outre.  —  Le  9  mai,  il  descend 
à  l'hôtel  de  Soissons.  —  Le  Balafré  au  Louvre.  —  Rentré  à  l'hôtel 
de  Guise,  il  sape  la  royauté.  —  Barricades.  —  Fuite  de  Henri  III. 
—  Le  duc  de  Guise  manque  l'occasion.  —  Elle  ne  reviendra  plus. 

L'année  *1588  s'ouvrit  comme  une  espérance  sans 
bornes  à  l'horizon  de  tous  les  chefs  du  catholicisme 
européen.  Le  pape  livrait  l'Angleterre  à  Phihppell, 
et  ce  roi  insatiable  allait  conquérir  l'île  schismatique 
avec  l'invincible  Armada.  Le  duc  de  Guise  s'aban- 
donnait au  destin.  Jamais  tant  de  prestige  ne  l'avait 
environné. 

Il  convoqua  à  Nancy  les  princes  lorrains,  le  cardi- 
nal de  Bourbon  et  les  seigneurs  les  plus  illustres  de 
la  ligue.  Tous  ensemble  dressèrent  une  requête  à 
Henri  lîl,  doublement  affaibli  par  la  défaite  de  Joyeuse 
à  Coutras  et  par  les  victoires  du  duc  de  Guise  sur  les 
Allemands'.  Cette  requête  imposait  au  roi  l'extermi- 
nation de  l'hérésie,  le  concile  de  Trente,  l'inquisi- 
tion dans  chaque  province,  l'admission  des  ligueurs 
dans  les  meilleurs  emplois  de  l'État,  la  vente  des 
biens  confisqués  sur  les  protestants  pour  solder  une 
armée  à  Henri  de  Guise,  la  disgrâce  de  d'Épernon  et 
des  mignons,  l'octroi  de  nombreuses  places  de  guerre 


LIVRE  QUARANTE-HUITIÈME.  157 

aux  catholiques,  la  prépondérance  enfin  du  Balafré 
partout. 

Voilà  quelle  situation  la  ligue  voulait  faire  au  roi. 
Henri  III  ne  s'expliqua  point.  Il  était  effrayé.  D'Eper- 
non,  qui  était  un  homme  de  courage,  prit  un  nouvel 
empire  sur  son  maître. 

Les  magnifiques  funérailles  de  Joyeuse,  dans  les- 
quelles le  peuple  vit  une  dilapidation,  et  la  mort  du 
prince  de  Condé,  empoisonné  par  Charlotte  de  La 
Trémouille,  sa  femme,  tragédie  domestique  où  les 
prêtres  signalèrent  la  réprobation  de  Dieu  contre  les 
hérétiques,  exaltèrent  de  plus  en  plus  la  multitude. 
Le  duc  d'Épernon  fut  insulté  sur  le  pont  Notre- 
Dame.  L'effervescence  croissait.  Les  gentilshommes 
catholiques  arrivaient  à  Paris  avec  leur  suite ,  et 
logeaient  dans  les  couvents ,  dans  les  maisons  des 
chanoines,  des  curés  et  des  ligueurs.  Cette  multi- 
tude restait  inaperçue.  Les  vingt  mille  affiliés  et  leurs 
amis  redoublaient  de  confiance  en  la  comptant.  Le 
duc  de  Guise  dépêcha  aux  Seize  cinq  capitaines  in- 
vestis du  commandement  absolu  de  tous  les  quartiers 
de  Paris,  et  parmi  ces  capitaines  le  comte  de  Brissac, 
Menneville  et  Saint-Paul. 

Le  roi,  instruit  de  tout  par  Nicolas  Poulain,  se  mit 
sur  la  défensive.  Il  concentra  des  troupes  autour  de 
Paris.  Lagny-sur-Marne  fut  désigné  comme  garni- 
son aux  Suisses  qu'il  entretenait  à  sa  solde.  Le  duc 
d'Epernon,  gouverneur  de  Normandie,  se  rendit  dans 
cette  province,  afin  d'en  réchaufl'er  le  zèle  et  de  la 
rattacher  fortement  à  la  cause  royale. 

Pendant  ces  préparatifs,  le  duc  d'Aumale  fomen- 


d58  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tait  des  troubles  en  Picardie.  La  duchesse  de  Mont- 
pensier,  qui  n'allait  pas  au  Louvre-,  mais  qui  était 
sans  cesse  à  l'hôtel  de  Soissons  chez  la  reine  mère, 
la  sollicitait  d'obtenir  du  roi,  pour  le  duc  de  Guise,  la 
permission  de  venir  à  Paris.  Le  roi  rudoya  sa  mère 
de  se  faire  l'interprète  d'un  pareil  vœu  et  s'obstina 
dans  ses  refus. 

Le  duc  de  Guise  cependant  était  appelé  par  les 
Seize  et  Philippe  le  précipitait  de  sa  main  fatale.  Le 
duc,  cédant  à  cette  double  pression,  partit  de  son 
gouvernement  de  Champagne  et  fit  halte  à  Soissons 
avec  le  cardinal  de  Bourbon  et  leurs  amis. 

Dès  que  le  roi  sut  le  duc  de  Guise  à  Soissons ,  il 
lui  dépêcha  MM.  de  Bellièvre  et  de  La  Guiche,  pour  le 
prier  de  ne  pas  pousser  jusqu'à  Paris.  Les  deux  négocia- 
teurs, si  le  duc  consentait  à  rompre  avec  l'Espagne  et 
avec  Rome,  lui  promettaient  tout  au  nom  de  Henri  IIL 
«  Ils  m'ont  proposé,  dit  le  Balafré  lui-même,  de  la 
part  du  roi,  des  bienfaits  et  des  charges  dignes  de  ma 
qualité  avec  un  monde  d'offres  extraordinaires,  les- 
quelles je  compare  à  la  tentation  que  le  diable  fit  à 
jNotre-Seigneur.  » 

Le  duc  répondit  par  des  paroles  ambiguës.  Sa  po- 
sition était  terrible.  Les  Seize  avaient  hâte  de  l'asso- 
cier à  leurs  dangers.  Philippe  II  avait  besoin  de  l'ex- 
plosion des  troubles  à  Paris  avant  le  départ  de  sa 
flotte.  Ce  fut  le  commandeur  Moreo,  un  confident  du 
roi  d'Espagne,  qui  déclara  au  duc  de  Guise,  à  Sois- 
sons, ce  que  Philippe  souhaitait  à  tout  prix.  Il  leur- 
rait en  même  temps  le  Balafré  de  trois  cent  mille 
écuSj  de  douze  cents  lances  et  de  six  mille  lansque- 


LIVRE  QUARANTE-HUmÈME,  lo9 

nets:  il  le  flattait  que  son  maître  n'accréditerait  plus 
d'ambassadeur  auprès  du  roi  de  France,  mais  auprès 
de  la  ligue. 

Il  fallait  se  décider  et  le  duc  se  décida.  Il  pouvait 
être  tué  cent  fois,  car  Henri  IH  avait  autour  de  lui 
des  hommes  d'exécution  et  d'audace.  ]\''importe. 
G)mment  Guise  aurait-il  renoncé  aux  subsides  et  aux 
soldats  de  Philippe  II?  Ces  subsides  et  ces  soldats 
n'étaient-ils  pas  indispensables  à  celui  qui  ne  se  rési- 
gnerait jamais  au  rôle  de  sujet  ? 

Guise  donc  ne  recula  point.  Il  avait  quelque  chose 
du  courage  et  de  la  persévérance  de  son  père,  beau- 
-coup  des  grâces  de  sa  mère,  et  infiniment  de  l'ambi- 
tion aveugle,  chimérique  de  son  oncle,  le  cardinal  de 
Lorraine.  Ce  n'était  pas  trop  de  tous  ces  dons  et 
même  de  ces  défauts  pour  avancer. 

En  effet,  des  trois  partis  qui  divisaient  la  France,  il 
n'en  avait  pas  un  entier.  Les  huguenots  étaient  au  roi 
de  Navarre,  les  politiques  au  duc  de  Montmorency- 
Damville  et  à  Henri  III.  Des  catholiques,  le  duc  de 
Guise  n'avait  guère  que  les  violents,  les  jésuites  et  le 
clergé.  C'était  assez  pour  être  un  tribun  chevale- 
resque, pas  assez  pour  être  un  roi.  Henri  III  était 
encore  sur  son  trône.  Comment  y  monter  contre  le 
droit?  Par  Rome?  mais  le  pape  Sixte-Quint  était  (jeu 
favorable  au  duc.  Par  Philippe  \l?  mais  ce  prince,  qui 
voulait  bien  que  le  duc  renversât  le  trône,  ne  voulait 
pas  qu'il  s'y  assit.  Par  le  peuple?  mais  l'immense  peu- 
ple des  provinces  et  même  de  Paris  n'était  pas  pour 
Guise.  Ce  que  le  duc  avait  surtout,  c'était  la  plèbe. 

Voilà  le  cercle  d'impuissances  où  s'agitait  le  Ba- 


160  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lafré.  Les  ténèbres  l'environnaient.  S'il  n'avait  pas 
d'avenir,  s'il  n'avait  peut-être  pas  de  lendemain,  il 
avait  dans  l'imagination  les  légendes  et  la  tradition 
de  sa  race,  dans  la  tête  le  génie  turbulent  d'un  Grac- 
que  féodal,  il  avait  dans  les  yeux  le  mirage  des  usur- 
pateurs et  dans  la  poitrine  le  courage  des  héros. 

Il  éconduisit  donc  Bellièvre  et  La  Guiche  par  des 
propos  énigmatiques,  et,  le  même  jour  qu'eux,  le 
8  mai  1 588,  à  onze  heures  du  soir,  il  s'éloigna  de  Sois- 
sons.  Il  avait  eu  soin  de  se  recommander,  le  matin,  à 
la  piété  des  minimes  pour  des  messes  à  son  intention. 
Il  traversa  en  factieux  catholique  la  rivière  de  l'Aisne, 
son  Rubicon.  Il  voyagea  toute  la  nuit  par  des  sen- 
tiers détournés,  et,  le  9,  le  visage  caché,  moitié  sous 
son  chapeau,  moitié  dans  son  manteau,  il  arriva  à 
Paris.  Vers  midi,  ce  grand  conspirateur  était  à  la 
porte  Saint-Martin  avec  huit  gentilshommes  seule- 
ment et  le  marchand  Brigard,  qui  lui  avait  été  député 
par  les  Seize. 

Il  tourna  du  côté  de  la  rue  Saint-Denis.  Lorsqu'il 
y  déboucha  avec  sa  petite  escorte,  il  fut  reconnu.  Les 
ligueurs  comptaient  un  peu  sur  lui.  Dès  qu'un  homme 
eut  dit  :  voici  le  duc  de  Guise,  ce  nom  circula  de 
proche  en  proche  et  gagna  la  ville.  En  dix  minutes, 
il  y  avait  trente  mille  personnes  autour  du  Balafré. 
Des  tonnerres  d'applaudissements  ébranlaient  l'air  et 
jusqu'aux. maisons.  Vive  le  duc  de  Guise!  vive  le  libé- 
rateur des  catholiques ,  le  vainqueur  de  l'hérésie  ! 
Hosanna  filio  David!  L'enthousiasme  est  contagieux. 
Des  fenêtres  les  femmes  secouaient  des  rubans ,  dé- 
ployaient de  petites  bannières  aux  croix  de  Lorraine. 


LIVRE  QUARANTE-HUITIÈME.  161 

La  foule  criait,  roulait  dans  une  vaste  ivresse.  Les 
fleurs  pleuvaient  des  balcons,  les  branches  vertes  jon- 
chaient les  pavés.  Et  le  duc,  tête  nue,  saluait,  sou- 
riait, parlait  à  tous.  Il  était  beau  comme  l'archange 
Michel  sur  son  cheval  poudreux.  Il  tenait  à  la  main 
son  chapeau  de  feutre  à  pointe,  orné  d'une  plume 
verte.  Il  portait  un  pourpoint  de  damas  blanc ,  un 
manteau  de  drap  noir  et  des  bottines  de  buffle.  Cha- 
cun s'efforçait  de  toucher  soit  la  crinière  du  genêt 
d'Espagne,  soit  les  éperons,  soit  les  étriers,  soit  une 
partie  des  vêtements  du  duc.  On  déroulait  devant  lui 
des  chapelets  consacrés  pour  qu'il  les  bénît  encore 
d'un  geste,  comme  s'il  eût  été  le  saint-père  de  Rome. 

Le  duc  descendit  à  l'hôtel  de  Soissons,  chez  la  reine 
mère.  Catherine  fut  surprise,  épouvantée,  a  Mon  cou- 
sin, lui  dit-elle,  je  suis  aise  de  vous  voir,  mais  j'au- 
rais mieux  aimé  que  ce  fût  en  un  autre  temps.  — 
Madame,  reprit  le  duc,  je  désire  me  justifier.  Faites- 
moi  cet  honneur  de  me  mener  vous-même  au 
Louvre.  )> 

Catherine  envoya  Davila  prendre  les  ordres  du  roi. 
Le  gentilhomme  accomplit  son  message.  Le  roi  était 
dans  son  cabinet.  A  la  nouvelle  de  Davila,  il  demeura 
immobile-,  puis,  se  levant  de  son  fauteuil,  il  marcha 
quelques  pas,  s'accouda  à  la  vitre  qui  donnait  sur  son 
jardin,  et  ce  ne  fut  qu'après  plusieurs  minutes  d'un 
farouche  silence  qu'il  dit  à  Davila  :  a  Prévenez  ma- 
dame ma  mère  que ,  puisqu'elle  veut  bien  me  pré- 
senter le  duc  de  Guise,  je  le  recevrai  dans  la  chambre 
de  la  reine  ma  femme.  » 

Davila  sortit  et  trouva  le  Louvre  plein  de  soldats 

14. 


162  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

et  d'armes.  Crilîoii ,  capitaine  des  gardes,  allait  et 
venait  dans  le  palais.  Quoiqu'il  détestât  les  mignons, 
il  s'était  fort  attaché  au  roi.  Il  ne  l'avait  pas  quitté  de- 
puis la  Pologne.  Il  veillait  à  la  sûreté  du  Louvre. 

Grillon  était  calme,  ce  jour-là,  comme  il  l'est  dans 
tous  ses  portraits.  C'est  une  figure  très-simple.  Elle 
n'a  rien  de  compliqué,  ni  d'entre-croisé.  Nuls  plis 
de  finesse,  de  duplicité  ou  de  réserve.  Des  lignes  arrê- 
tées et  fermes.  Par  moments,  des  splendeurs  de  cou- 
rage et  de  loyauté.  Le  cœur  sur  le  visage. 

Le  front  a  plus  de  hauteur  que  d'amplitude.  On 
devine  un  génie  spécial.  Les  oreilles  sont  détachées, 
mouvantes,  et  semblent  tressaiUir  au  bruit  de  l'artil- 
lerie. Les  yeux  intrépides  et  tranquilles  regardent  fixe- 
ment le  péril,  moins  pour  l'éviter  que  pour  le  braver. 
Le  nez  se  dilate  et  palpite  au  vent  du  clairon.  La 
bouche  énergique  défie  la  mitraille.  Les  joues  expri- 
ment une  mâle  jovialité,  et  s'appuient  sur  une  mâ- 
choire osseuse  terminée  par  un  menton  vigoureuse- 
ment accentué. 

Ainsi  dut  apparaître  Grillon  dans  les  corridors  du 
Louvre.  Il  avait  une  attitude  martiale,  un  cou  de  tau- 
reau et  une  face  de  lion.  G'était  une  de  ces  physiono- 
mies guerrières  dont  la  révolution  française  a  montré 
tant  de  types  héroïques  à  l'Europe.  (V.  l'estampe  gra- 
vée par  Beuf.  ) 

Henri  III  était  moins  tranquille  que  son  capitaine 
des  gardes.  Après  avoir  congédié  Davila,  le  roi,  qui 
était  resté  dans  son  cabinet,  y  consulta  Alphonse 
d'Ornano  et  l'abbé  d'Elbène.  Le  prince,  s'adressant 
au  colonel  de  ses  ordinaires,  lui  dit  brusquement  : 


LIVRE  QUARANTE-HUITIÈME.  163 

«  M.  de  Guise  est  à  Paris  contre  mon  commande- 
ment formel^  à  ma  place,  que  feriez-vous?  —  Sire, 
reprit  le  colonel,  le  duc  de  Guise  vous  est-il  ami  ou 
ennemi?  »  le  roi  ayant  poussé  un  soupir  ;  «  Ah!  je 
comprends  ,  repartit  d'Ornano.  Votre  Majesté  veut- 
elle  seulement  me  dire  tout  bas  quatre  mots  et  au- 
jourd'hui même  je  déposerai  à  ses  pieds  la  tête  du 
traître  duc.  »  Le  roi  remercia  d'Ornano  et  déclara 
qu'il  aurait  recours  à  d'autres  moyens.  «  Cependant, 
reprit  l'abbé  d'Elbène  de  sa  voix  de  prêtre,  plus  per- 
suasive et  plus  tentatrice  que  celle  du  soldat ,  il  est 
écrit  :  Percutiam  pastorem  et  dispergentur  oves;  je 
frapperai  le  berger  et  le  troupeau  sera  dispersé.  »  Le 
roi  ayant  démandé  s'il  pourrait  compter  sur  les  ordi- 
naires, qui  étaient  les  quarante-cinq  gentilshommrs 
attachés  le  plus  étroitement  à  lui,  Alphonse  d'Ornano 
répondit  affirmativement,  a  Appelez-en  quelques-i 
uns,  »  ajouta  le  roi-,  ce  qui  fut  fait.  Les  gentils- 
hommes étant  debout  devant  son  fauteuil,  Henri 
s'enquit  d'eux  s'ils  exécuteraient  ce  qu'il  leur  ordon- 
nerait. «  Oui,  sii^e,  reprirent-ils  tous,  et  quoi  que  ce 
soit.  » 

Mais  Bellièvre,  La  Guiche  et  Yillequier  étant  surve- 
nus, conjurèrent  le  roi  de  renoncer  à  toute  pensée 
sanglante ,  ou  du  moins  de  l'ajourner.  «  Paris  est 
dehors,  disaient-ils-,  et,  pour  venger  une  égratignure 
au  duc,  Paris  massacrerait  tout.  )>  Henri  fut  atterré. 

Davila  cependant  avait  rempU  auprès  de  la  reine 
mère  la  mission  du  roi.  Elle  fit  avancer  sa  chaise  et 
le  duc  l'accompagna  modestement  à  pied.  La  foule 
s'était  accrue ,  doublée ,  triplée.  Au  lieu  de  trente 


1G4  HISTOfRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

mille  hommes,  il  y  en  avait  quatre-vingt  mille.  Et  ce 
n'étaient  pas  des  curieux  ,  c'étaient  des  partisans  fa- 
natiquement fidèles  sous  l'électricité  du  moment.  Les 
acclamations  augmentaient  en  proportion  du  nombre. 
La  reine  mère  en  avait  le  vertige  ;  le  duc,  lui,  parais- 
sait dans  son  élément  naturel.  Il  eut  constamment  la 
téte  découverte.  Il  saluait  à  droite,  à  gauche,  en 
avant,  il  saluait  de  la  main  droite  avec  son  grand 
chapeau  de  feutre  dont  la  plume  verte  flottait.  Sa  taille 
souple  et  haute,  son  allégresse  apparente,  son  grand 
air,  son  visage  illuminé  de  tendresse  pour  le  moindre 
de  ce  peuple ,  et  surtout  ses  beaux  cheveux  blonds 
éclairés  d'un  nimbe,  comme  s'il  eût  été  un  ange  du 
ciel,  ses  cheveux  qui  semblaient  d'or  dans  la  lumière, 
tout  cela  enivrait.  Les  yeux  étaient  séduits,  les  cœurs 
pénétrés.  Une  jeune  fille  s'élança  sur  une  estrade,  et, 
baissant  son  masque,  s'écria  :  «  Bon  prince,  puisque 
tu  es  ici,  nous  sommes  sauvés.  »  Le  duc  était  rayon- 
nant. 

A  la  porte  du  Louvre ,  une  ombre  passa  sur  ses 
traits.  Il  se  contint  pourtant,  et,  lorsqu'il  monta  l'es- 
calier du  palais,  entre  deux  files  de  gardes,  de  piques 
et  d'arquebuses,  son  aspect  conserva  je  ne  sais  quelle 
courtoisie  aisée  mêlée  d'héroïsme.  Et  toutefois  il  sen- 
tit là  comme  le  froid  de  l'acier.  Alphonse  d'Ornanole 
regarda  de  travers  et  «  le  brave  Grillon  ne  lui  rendit 
pas  son  salut.  » 

A  peine  eut-il  été  introduit  avec  la  reine  mère  dans 
la  chambre  de  la  reine  régnante,  que  le  roi  entra  avec 
Bellièvre.  Il  alla  droit  au  duc  et  lui  dit  amèrement  : 
«  Pourquoi  êtes-vous  venu  ?  »  et  désignant  Bellièvre  ; 


LIVRE  OUARANTE-HLITIÈME.  163 

«  Mes  ordres  ne  vous  ont-ils  pas  été  transmis  ? — Sire, 
dit  le  duc  un  peu  troublé,  je  suis  venu  pour  me  jus- 
tifier. ))  Et  recouvrant  sa  confiance  habituelle  :  «  On  a 
-  répandu  sur  moi  beaucoup  de  calomnies  que  je  dis- 
siperai. » 

Le  roi  s'étant  un  peu  éloigné  d'impatience,  les 
reines  le  conduisirent  à  l'écart  et  lui  firent  peur  du 
peuple.  Catherine  n'eut  besoin  que  de  lui  raconter  en 
peu  de  mots  ce  qu'elle  avait  vu  et  entendu. 

Henri  TIÏ  revint  au  duc  qui  s'était  assis  sur  un  coffre 
de  tapisserie.  Il  se  leva ,  fit  une  profonde  révérence 
au  roi  et  lui  dit  :  «  Sire ,  faites-moi  cette  grâce  de 
croire  à  ma  fidélité.  —  Monsieur,  reprit  le  roi  sévè- 
rement, prouvez-la-moi  aux  effets.  » 

Le  duc  de  Guise  avec  un  tact  rapide  et  une  décision 
prompte  saisit  ces  mots  comme  un  adieu  et,  s'incli- 
nant  de  nouveau  ,  il  sortit.  Les  antichambres,  les  es- 
caliers étaient  sinistres.  Le  duc  remarquait  partout  la 
haine.  Il  ne  hâta  point  le  pas  néanmoins.  Il  descendit 
lentement  les  degrés,  la  politesse  la  plus  exquise 
dans  les  manières  et  dans  la  physionomie,  mais  la 
main  prête  à  tirer  Tépée. 

Lorsqu'il  eut  échappé  à  ce  palais  hostile  et  qu'il 
reparut  au  milieu  de  ce  peuple  immense  dont  il  était 
l'idole,  il  respira  fortement  comme  pour  reprendre 
possession  de  sa  liberté.  C'était  un  miracle  qu'il  fût 
vivant.  Ce  fut  sa  première  impression.  La  seconde  fut 
celle  de  sa  toute-puissance.  Il  était  plus  roi  que  le  roi. 
Les  plus  rudes  voix  se  faisaient  douces  pour  lui.  Des 
tigres  et  des  loups  de  faubourg  devenaient  en  sa  pré- 
sence des  dogues  caressants.  Il  fut  emporté  à  son 


166  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIELTSE. 

hôtel  du  Marais  sur  les  bras  du  peuple.  Une  vieille 
femme  le  contempla  quelques  secondes  et  dit,  en  s'en 
allant  vers  son  grabat  :  «  Maintenant,  je  puis  mou- 
rir. »  Un  maçon  se  laissa  glisser  d'un  toit  par  une 
corde,  au  risque  de  se  briser,  pour  ne  pas  perdre 
l'occasion  de  voir  ce  cher  duc. 

Le  Balafré  convoqua  sans  retard  autour  de  lui  les, 
seigneurs  catholiques,  les  chefs  du  clergé  et  des  Seize. 
Il  fit  de  son  hôtel  un  arsenal  comme  le  roi  faisait  du 
Louvre  une  forteresse. 

Le  lendemain  et  le  surlendemain  le  duc  revit  le  roi 
soit  au  Louvre,  soit  à  l'hôtel  de  Soissons,  chez  la 
reine  mère,  mais  il  avait  quatre  cents  gentilshommes 
avec  lui.  Le  peuple  était  au  delà.  Il  parla  plus  ferme 
alors.  Il  exposa  les  griefs  des  catholiques.  Il  voulait 
obtenir  à  l'amiable  les  états  généraux,  l'autorité  mi- 
litaire, le  renvoi  des  favoris.  Il  pensait  à  d'Épernon. 
Le  roi  protesta  de  son  zèle  contre  l'hérésie,  de  sa 
bienveillance  pour  la  maison  de  Lorraine.  Il  excusa 
ses  amis.  D'Épernon  était  toujours  sous-entendu. 
«  Qui  aime  le  maître,  dit  vivement  Henri  III,  aime 
son  chien.  —  Oui,  répondit  le  duc,  pourvu  qu'il  ne 
morde  pas.  » 

Sous  la  perfidie  des  bienveillances,  ou  des  homma- 
ges, perçaient  l'aigreur  et  la  colère  entre  le  roi  et  le 
prince  lorrain. 

Une  chose  surtout  contrariait  Henri  III  :  c'était 
l'encombrement  de  Paris.  Des  étrangers  suspects, 
des  ligueurs  de  province,  des  bandits  dévoués  aux 
Seize,  au  clergé  et  au  duc  de  Guise,  inondaient  les 
auberges,  les  cabarets,  les  maisons  particuUères.  Le 


LIVRE  CrUARANTE-HtlTlÈME.  Î67 

roi  s'efibrça  de  les  expulser.  11  enjoignit  à  d'Ornano 
et  à  Villequier  de  faire  avec  les  magistrats  munici- 
paux des  visites  domiciliaires,  prélude  tyrannique, 
disait-on,  de  l'arrestation  des  Seize,  des  capitaines 
catholiques,  et  même  du  duc  de  Guise. 

Les  officiers  du  roi  échouèrent.  Ils  furent  désobéis 
et  bafoués.  Henri  III  n'hésita  plus  et  convoqua  ses 
troupes  sans  délai. 

Les  événements  s'étaient  pressés  comme  vers  un 
dénoùment  encore  mystérieux. 

Le  9  mai,  le  duc  de  Guise  était  arrivé  à  Paris  et 
avait  fait  sa  visite  au  Louvre.  Nicolas  Poulain  avait 
averti  le  roi  que  les  factieux  ranimés  par  la  présence 
du  Balafré  n'avaient  jamais  été  si  bien  disposés  à 
l'émeute. 

Le  iO  et  le  11 ,  le  Louvre  et  l'hôtel  de  Guise  s'é- 
taient observés,  sondés  par  des  escouades  de  diplo- 
mates et  d'espions.  Le  roi,  mécontent  des  exigences 
du  duc  de  Guise,  indigné  des  témérités  de  la  ligue, 
s'était  décidé  à  l'intimidation  par  un  déploiement 
miHtaire. 

Le  12  mai,  dès  l'aube  du  jour,  le  maréchal  de 
Biron  entra  dans  Paris  par  la  porte  Saint-Honoré,  à 
la  tête  de  quatre  mille  Suisses  et  de  dix  mille  fantas- 
sins français.  Grillon  était  le  cœur  de  cette  armée 
avec  son  régiment  des  gardes.  Les  troupes  occupè- 
rent successivement,  au  son  des  tambours  et  des  fifres, 
le  cimetière  des  Innocents,  le  Petit-Pont,  le  petit 
Chàtelet,  le  pont  Saint-Michel,  le  pont  au  Change 
et  l'hôtel  de  ville.  Le  marécbal  s'empara  lui-même 
du  Marché-Neuf  et  y  installa  les  Suisses.  Grillon  se 


i68  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

glissa  dans  la  direction  de  la  place  Maubert,  vivement 
et  à  petit  bruit.  C'était  un  poste  important ,  à  cause 
de  la  proximité  des  écoles.  L'université  était  sur  la 
bauteur.  Il  fallait  prévenir  la  descente  des  étudiants. 
Le  brave  Grillon,  rencontrant  soudain  dans  le  voisi- 
nage de  la  place  Maubert  des  bourgeois  qui  lui  barrent 
le  cbemin,  va  les  enlever  au  pas  de  charge,  lorsqu'un 
gentilhomme  du  roi  accourt  du  Louvre  et  lui  réitère 
l'ordre  de  rester  sur  la  défensive  et  de  ne  pas  tirer 
sur  le  peuple.  Grillon  réprime  son  élan ,  mais  il  ne 
peut  s'empêcher  de  s'écrier  :  «  Triste  guerre  que 
celle-là  où  l'on  reçoit  les  coups  sans  les  rendre  ! 
Cette  journée  sera  mauvaise  pour  le  roi  et  pour 
l'État.  )) 

Bientôt  les  étudiants  et  les  ouvriers  des  ports  se 
réunissent  sur  la  place.  Le  comte  de  Brissac  était 
avec  eux,  une  hallebarde  à  la  main.  Il  avait  une  ini- 
mitié profonde  contre. Henri  ÏII  qui  avait  dit  de  lui  ; 
«  Brissac  ne  vaut  rien  ni  sur  mer  ni  sur  terre.  »  Le 
comte  se  souvenait  de  ce  mot  et  il  y  fit  allusion  en 
causant  sur  la  place  Maubert  avec  le  capitaine  Saint- 
Paul.  ((  Voici  enfin  le  champ  de  bataille  qui  me  con- 
vient. Le  roi  prétend  que  je  ne  suis  bon  ni  sur  terre 
ni  sur  mer  ;  il  apprendra  aujourd'hui  que  je  suis  bon 
du  moins  sur  le  pavé,  w 

Il  fut  en  effet  d'une  activité  étonnante,  il  se  mêla 
aux  ouvriers,  aux  étudiants  surtout.  Il  leur  suggéra 
les  barricades.  Il  en  fit  construire  une,  puis  deux, 
puis  trente  avec  des  tonneaux  remplis  de  gravier  et 
des  amas  de  pavés.  D'autres  pavés  étaient  transportés 
dans  les  maisons,  nfin  d'assommer  de  chaque  étage 


LIVRE  gl'ARAKTE-ULlTlÈME.  161) 

les  troupes  royales,  si  elles  engageaient  le  combat. 
Saint-Paul ,  Menneville  et  de  hardis  officiers  du  duc 
de  Guise  improvisèrent,  à  l'exemple  de  Brissac,  des 
retranchements  terribles.  Paris  se  trouva,  en  quel- 
ques heures ,  couvert  de  barricades  :  les  chaînes 
des  rues  furent  tendues  et  les  troupes  enfermées 
dans  ces  fortifications,  comme  dans  un  réseau  de 
pierres. 

La  première  barricade  fut  celle  de  la  place  Mau- 
bert.  Delà,  d'innombrables  barricades  s'étendirent 
dans  toutes  les  directions,  dans  tous  les  circuits,  dans 
tous  les  enchevêtrements  de  la  ville ,  des  faubourgs , 
et  la  dernière  barricade  s'éleva  insolemment  à  trente 
pas  du  Louvre.  Henri  III  ne  put  dominer  sa  douleur. 
Les  Parisiens,  les  ligueurs  ne  menaçaient  pas  seule- 
ment leur  roi,  ils  le  méprisaient  donc.  Comment  sup- 
porter une  telle  insulte?  Le  prince  effaré  se  plaignit 
au  maréchal  de  Biron  et  lui  demanda  ce  qu'il  y  avait 
à  faire.  «  Rien  à  cette  heure,  reprit  le  maréchal.  Il 
est  trop  tard.  Cinquante  mille  hommes  seraient  mis 
en  pièces  avant  de  forcer  les  Hgnes  de  barricades  qui 
se  ramifient  jusqu'à  l'hôtel  de  ville.  Il  n'y  a  plus  qu'à 
préserver  le  roi.  » 

Henri  111  dépêcha  alors  sa  mère  auprès  du  duc  de 
Guise,  afin  d'obtenir  de  son  patriotisme  qu'il  se  reti- 
rât de  Paris.  Le  duc  biaisa,  traîna  l'entretien  en  lon- 
gueur, ne  conclut  pas.  Catherine  retourna  au  Louvre. 

Pendant  cette  négociation,  les  agents  du  Balafré 
propageaient  des  nouvelles.  Cent  vingt  cathohques 
et  des  meilleurs  étaient  condamnés  à  mort  par  le  roi. 
Les  bourreaux  se  tenaient  prêts  à  l'hôtel  de  ville.  Il 


170  mSTOIRE  I)E  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

nV  avait  pas  une  femme  de  bien  à  Paris  qui  ne  dût 
être  outragée ,  soit  par  les  Suisses,  soit  par  les  gar- 
des. C'était  un  complot  certain.  Le  procureur  Crucé, 
Bussy-Leclerc  et  les  autres  meneurs  de  la  grande  li- 
gue et  de  la  ligue  des  Seize  certifiaient  toutes  ces 
rumeurs. 

Au  travers  de  cette  effervescence,  une  balle  partie 
de  l'arquebuse  d'un  Suisse  au  Marché-Neuf  frappe 
mortellement  un  ligueur.  Aussitôt  le  peuple  riposte. 
En  un  instant  soixante  Suisses  sont  massacrés.  Bris- 
sac  heureusement  accourt  et  parvient  à  caserner  ces 
soldats  étrangers  dans  les  boucheries. 

Les  troupes  sont  cernées  de  toutes  parts.  Le  désar- 
mement est  presque  accompli,  l'égorgement  est  im- 
minent. Le  roi  dépêche  de  nouveau  sa  mère  au  duc, 
afin  qu'elle  l'incline  à  tout  apaiser. 

Autant  le  Louvre  était  morne  et  sombre,  autant 
était  animé  et  brillant  l'hôtel  de  Guise.  Le  duc  avait 
des  bottes  éperonnées  et  un  pourpoint  de  satin,  mais 
sa  toilette  n'était  pas  achevée.  11  avait  passé  négli- 
gemment une  veste  de  campagne  comme  à  Joinville. 
11  s'était  promené  soit  dans  son  appartement,  soit 
dans  sa  cour,  soit  même  dans  la  rue  Sainte-Avoie, 
avec  l'archevêque  de  Lyon  et  quelques  familiers.  La 
conversation  était  enjouée.  11  l'interrompait  de  temps 
en  temps  pour  donner  des  ordres  à  ses  officiers  ou 
pour  écouter  leurs  rapports  sur  l'état  de  Paris.  Lors- 
que la  reine  mère  revint  la  seconde  fois,  le  duc  de 
Guise  était  mieux  instruit  qu'elle.  «  Le  roi,  lui  dit- 
elle,  vous  exhorte  à  ramener  l'ordre  —  Le  roi,  ma- 
dame, reprit-il,  me  croit  plus  de  pouvoir  que  je  n'en 


UYHE  OI'ARANTE-HUITIÈME.  171 

ai.  Ce  sont  des  taureaux  échappés  que  les  Parisiens. 
Comment  les  soumettre  au  joug?  » 

Tout  en  parlant  cependant,  il  quittait  sa  veste,  re- 
vêtait un  manteau  et  se  coiffait  de  son  chapeau  à 
plume  verte.  11  refusa  ses  armes  et  ne  voulut  que  sa 
canne.  Deux  pages  le  suivaient ,  portant  «  l'un  son 
coutelas  et  l'autre  sa  rondache.  » 

C'est  dans  cet  équipage  que  le  duc  de  Guise  par- 
courut Paris.  Les  hommes  des  barricades  lui  faisaient 
des  chemins  charmants.  Ils  Faccueillaient  par  des 
vivat  prolongés ,  baisaient  les  bords  de  son  manteau 
et  l'accompagnaient  des  yeux  et  du  cœur.  Il  apparut 
dans  tous  les  quartiers,  aux  endroits  nécessaires  ,  à 
l'hôtel  de  ville  ,  au  cimetière  des  Innocents,  au  Mar- 
ché-Neuf,  à  la  place  Maubert,  aux  différents  points 
011  les  troupes  étaient  en  péril.  Il  fit  rendre  aux 
soldats  leurs  arquebuses  ou  leurs  hallebardes ,  aux 
officiers  leurs  épées,  parlant  aux  uns  avec  bonhomie, 
aux  autres  avec  sollicitude,  au  peuple  avec  énergie, 
proportionnant  son  esprit,  sa  clémence,  sa  bonne 
humeur  et  sa  politique,  selon  ses  auditoires.  Partout 
il  fut  applaudi,  idolâtré. 

Il  rassembla  les  Suisses  et  les  gardes  françaises; 
il  fit  reconduire  les  uns  par  Brissac,  les  autres  par  le 
comte  de  Saint-Paul  jusqu'au  Louvre.  Tous  défi- 
lèrent devant  le  duc,  les  armes  baissées  comme  des 
prisonniers  de  guerre,  et  c'est  dans  cette  humble 
attitude  qu'ils  furent  restitués  au  maréchal  de  Biron. 
Le  duc  avait  été  leur  libérateur.  Il  les  avait  arrachés 
des  mains  du  peuple.  Biron  et  Grillon,  eux-mêmes, 
lui  devaient  la  vie.  On  célébrait  sa  générosité ,  son 


172  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

éloquence ,  sa  beauté  et  sa  bonté.  Les  Parisiens 
disaient  :  «  Quand  les  huguenots  regardent  M.  de 
Guise,  ils  sont  de  la  ligue.  » 

Le  peuple  ne  connaissait  plus  que  lui.  Lorsque  le 
prévôt  des  marchands  voulut  donner,  selon  la  cou- 
tume, le  mot  du  guet  au  nom  du  roi ,  la  foule  armée 
déclara  qu'elle  ne  le  recevrait  qu'au  nom  de  M.  de 
Guise.  Le  duc  se  prêta  d'un  visage  riant  à  ce  désir  de 
Paris.  Il  marqua  la  journée  des  Barricades  de  ce  coup 
de  griffe  souverain.  C'était  détrôner  audacieusement 
'  la  dynastie  des  Capets-,  c'était  dire,  non  par  des  pa- 
roles, mais  par  un  acte  :  le  roi,  le  seul  roi ,  ce  n'est 
plus  Henri  de  Valois,  c'est  Henri  de  Guise. 

Le  duc  échelonna  des  corps  de  garde  sur  toute  Té- 
tendue  de  la  grande  cité.  11  recommanda  Tordre  dans 
les  rues ,  dans  les  carrefours,  et  surtout  autour  des  de- 
meures des  diplomates  étrangers.  Il  désirait  éblouir 
l'Europe. 

Il  envoya  Brissac  chez  l'ambassadeur  d'Angleterre, 
lord  Stafford. 

Brissac  exphqua  au  représentant  d'Elisabeth  le  sens 
de  la  journée.  Il  Tassura  que  le  duc  de  Guise  n'avait 
fait  que  repousser  une  conspiration  contre  les  bons 
catholiques  et  contre  les  princes  lorrains.  «  Le  duc, 
ajouta-t-il,  espère  que  Votre  Seigneurie  donnera  à  la 
yeine  Elisabeth  cette  explication  qui  est  la  vraie,  m 
Stafford  se  recueillit  et  répondit  avec  une  dignité 
glaciale  :  «  Monsieur  le  comte,  je  transmettrai  à  mon 
auguste  reine  les  faits  tels  que  je  les  ai  vus,  et  elle 
appréciera.  » 

Brissac  reprit  :  «  Le  duc  de  Guise  m'a  chargé  de 


LIVRE  QUARANTE-HriTIÈME.  473 

VOUS  offnr  une  garde  pour  votre  sécurité  personnelle. 
—  Remerciez,  monsieur  le  comte,  le  duc  de  Guise. 
Je  laisserai  mes  deux  portes  ouvertes.  Si  je  suis  atta- 
qué, je  me  défendrai  de  mon  mieux  et  j'essayerai  de 
faire  respecter  en  moi  le  droit  des  gens.  Du  reste,  je 
ne  me  soucie  ni  de  la  vie,  ni  de  la  mort.  »  Et  comme 
Brissac  faisait  pressentir  que  le  roi  serait  peut-être 
forcé  de  quitter  Paris,  l'ambassadeur  anglais  dit  en- 
core :  «  J'irai  où  le  roi  ira,  car  partout  où  sera  le  roi, 
là  sera  la  France.  » 

Cette  fermeté  de  lord  Stafford  déplut  au  duc  de 
Guise,  mais  il  se  consolait  par  sa  toute-puissance.  La 
reine  mère  étant  venue  une  troisième  fois,  afin  de 
l'interroger  sur  ce  qu'il  souhaitait  du  roi,  le  duc  ne  se 
contraignit  plus.  Il  réclama  pour  lui  la  lieutenance 
absolue  du  royaume  et  de  l'armée:  pour  Mayenne, 
l'amirauté-,  pour  Brissac,  le  gouvernement  de  Paris; 
il  exigea  la  convocation  des  états  généraux  dans  la 
ville  des  barricades ,  la  déchéance  du  roi  de  Navarre 
comme  héritier  présomptif ,  la  destitution  du  duc 
d'Épernon ,  du  colonel  d'Ornano,  et  le  lienciement 
des  quarante-cinq. 

Catherine  s'en  retourna  au  Louvre  avec  ce  pro- 
gramme. Henri  111  eut  une  nuit  de  fièvre  chaude.  Le 
lendemain  ,  il  envoya  sa  mère  au  duc  de  Guise  pour 
l'amuser.  Lui,  le  roi,  afin  de  n'être  pas  cerné  dan 
son  palais,  ne  songeait  qu'à  s'enfuir  de  Paris. 

Il  quitta  en  effet  le  Louvre  après  son  dîner,  sur  les 
cinq  heures  et  demie,  une  badine  à  la  main  et  comme 
pour  se  promener  à  pied  aux  Tuileries.  Du  jardin,  il 
gagna  ses  écuries,  et  montant  à  cheval  avec  une  es- 


174  IllSTOlUE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

çorte  (le  quinze  à  vingt  seigneurs,  parmi  lesquels 
Montpensier,  d'Aumont,  Biron,  Bellièvre,  Yilleroi, 
il  choisit  le  chemin  de  Chartres.  Grillon  l'avait  précédé 
à  la  tète  des  gardes  françaises  et  des  Suisses.  Des 
hauteurs  de  Chaillot,  le  roi  tourna  bride,  et  menaçant 
Paris  en  face,  le  maudissant  du  geste  et  de  la  voix,  il 
s'écria  :  «  Ville  de  ligueurs  et  de  rebelles  ,  je  ne  ren- 
trerai jamais  dans  tes  murs  que  par  la  brèche.  »  Il 
n'y  rentrera  plus  ni  par  une  brèche,  ni  par  une  porte, 
et  il  rencontrera  le  caveau  funéraire  de  Saint- Cor- 
neille avant  le  Louvre. 

La  reiûe  mère  et  le  duc  de  Guise  causaient  tou- 
jours, lorsque  Menneville,  se  précipitant,  dit  bas  au 
Çalafré  que  le  roi  s'était  évadé  et  galopait  sur  la  route 
de  Chartres.  Le  duc  s'écria  :  «  Tandis  que  Votre  Ma- 
jesté me  retient  ici,  le  roi  me  perd  par  sa  fuite.  » 

Catherine  feignit  l'étonnement  comme  le  duc  le 
désespoir.  Ils  mentaient  tous  deux. 

Le  duc  aurait  conquis  le  Louvre  et  le  roi,  s'il  l'eût 
voulu,  en  leur  livrant  l'assaut-,  il  aurait  barré  la  re- 
traite k  Henri  III,  s'il  l'eût  voulu,  en  investissant  la 
porte  Neuve.  Il  ne  chercha  pas  à  le  poursuivre.  Il  l'ai- 
mait autant  hors  de  Paris.  Il  s'arrêta  trop  aux  obstacles. 
Il  aurait  eu,  comme  roi ,  des  difficultés  prodigieuses  : 
difficultés  avec  le  pape  Sixte-Quint,  qui  était  très-mo- 
narchique^ difficultés  avec  Philippe  II,  q^ui  convoitait 
la  couronne  de  France  pour  sa  fille  -,  difficultés  avec  le 
Béarnais,  qui  aurait  maintenu  son  droit  d'héritier  pré- 
somptif-,, difficultés  avec  le  cardinal  de  Bourbon  et 
avec  l'aristocratie,  qui  auraient  crié  au  parjure;  diffi- 
cultés avec  le  duc  de  Lorraine  et  Catherine  de  Médi- 


LIVRE  QUARANTE-HUITIÈME.  175 

cis,  dont  le  candidat  était  le  niarquis  de  Pont ,  leur 
fils  et  petit-fils  5  difficultés  avec  les  huguenots  et  avec 
les  catholiques  modérés;  difficultés  avec  tous  et  avec 
tout.  Voilà  la  variété  d'embûches ,  de  trappes,  d'im- 
passes, de  labyrinthes,  où  l'usurpation  aurait  jeté  le 
duc  de  Guise-,  voilà  l'infini  croisement  de  barricades 
morales  d'où  le  Balafré  ne  se  serait  probablen^ent  ja- 
mais tiré.  Mais  cependant  il  eut  un  court  moment,  et 
ce  moment  fut  le  i2  mai  lo88,  où  ce  génie  épique  et 
populaire  eut  la  couronne  sous  la  main.  Moment  ra- 
pide qui  correspond  à  la  plus  grande  puissance  de 
Henri  de  Guise  dans  Paris. 

Lorsqu'il  eut  fait  trembler  Henri  \U  dans  le  palais 
de  la  Saint-Barthélemy,  lorsque  le  peuple  eut  élevé 
les  barricades,  désarmé  les  Suisses  et  les  gardes 
françaises,  il  fallait  agir  ou  ajourner  à  jamais  l'ac- 
tion. C'était  rinstant  de  changer  l'hôtel  de  Guise 
contre  le  Louvre,  de  tuer  le  roi  ou  de  l'emprisonner 
dans  un  cloître,  après  lui  avoir  coupé  les  cheveux  avec 
les  ciseaux  d'or  de  la  duchesse  de  Montpensier.  Le 
Balafré  put  presque  tout  cela,  mais  il  ne  l'osa  pas  à 
la  minute  précise. 

Quand  la  fortune  est  mûre  et  qu'on  ne  la  cueille 
pas,  elle  se  gâte.  Il  y  a  sur  le  cadran  de  la  destinée, 
pour  les  races  comme  pour  les  individus,  des  heures 
favorables  à  fixer  \  si  on  laisse  passer  l'aiguille,  l'hor- 
loge de  l'histoire  ne  sonne  plus  sous  son  mystérieux 
cadran  des  heures  aussi  propices. 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME 


Le  duc  de  Guise  rétablit  l'ordre  partout  après  les  barricades.  —  Il 
renouvelle  les  magistrats  municipaux  et  les  administrateurs.  —  Il 
exhorte  les  juges  à  reprendre  les  audiences.  —  Visite  à  M.  de 
Harlay.  —  Le  roi  à  Chartres.  —  Il  y  reçoit  le  Balafré.  —  L'Ai- 
mada.  —  Philippe  II  vaincu  par  les  éléments,  par  les  hommes  et 
par  Dieu.  —  Le  monde  fut  sauvé.  —  Les  états  de  Blois  en  1588. 

—  Desseins  du  duc  de  Guise.  —  Complot  du  roi  et  du  conseil 
intime.  —  Avertissements  au  duc.  —  Madame  de  Noirmoutiers. 

—  Henri  III  et  ses  ordinaires.  —  Le  duc  de  Guise  est  assassiné. 

—  Peur  et  joie  de  Henri  lïl.  —  Il  annonce  la  nouvelle  à  sa  mère. 

—  Tristesse  de  Catherine. 

Le  io  mai,  il  n'y  avait  plus  de  barricades.  Le  duc 
de  Guise  avait  fait  disparaître  ce  chaos.  Les  pavés 
avaient  été  replacés,  les  chaînes  détendues,  la  voie 
publique  déblayée.  La  circulation  du  commerce  et 
des  affaires  avait  repris  son  cours  et  serpentait  dans  la 
ville  comme  un  fleuve  dans  son  lit.  Le  Balafré  fut  infa- 
tigable. Il  reconstitua  l'administration ,  les  finances, 
les  vivres.  Il  disposa  des  garnisons,  soit  de  soldats, 
soit  de  ligueurs  ,  sur  les  deux  rives  de  la  Seine  jus- 
qu'à Corbeil,  et  sur  les  deux  rives  de  la  Marne  jusqu'à 
Meaux,  jusqu'à  Château-Thierry,  afin  de  faciliter 
l'arrivage  des  farines  et  des  autres  subsistances.  Il 
envahit  l'Arsenal ,  la  Bastille  et  le  château  de  Vin- 
cennes ,  ces  citadelles  d'armes  et  de  munitions.  IL 
renouvela  toute  la  municipalité.  Il  fit  créer  des  éche- 
vins,  des  colonels,  des  capitaines  dévoués  à  sa  cause. 


LIVRE  QCARANTE-.NELVIÈME.  177 

Il  remplaça  dans  les  hautes  fonctions  de  prévôt  des 
marchands  par  La  Chapelle-Marteau,  un  des  Seize, 
Hector  de  Ferreuse  ,  un  royaliste  obstiné.  Il  con- 
damna ce  fidèle  sujet  des  Valois  à  la  Bastille ,  après 
avoir  nommé  gouverneur  de  cette  forteresse  Bussy- 
Leclerc.  l'un  des  plus  fougueux  ligueurs  de  France. 
Tout  avait  subi  Tascendant  du  duc  de  Guise,  même 
l'anarchie,  et  Paris  semblait  renaître  plus  beau  sous 
la  dictature  du  prince  lorrain. 

Il  se  hàla  de  remettre  en  vigueur  la  justice  comme 
les  autres  branches  du  gouvernement.  Il  ne  se  fia 
qu'à  lui-même  du  soin  de  rétablir  la  régularité  des 
audiences.  Il  se  présenta  chez  le  premier  président 
du  parlement  de  Paris ,  Achille  de  Harlay.  Le  duc 
était  avec  M.  d'Aumale  ,  Menneville  et  quelques- 
uns  de  ses  gentilshommes.  Il  franchit  la  porte  co- 
chère  de  M.  de  Harlay  et  un  serviteur  de  la  maison  le 
conduisit  au  jardin  où  se  promenait  le  premier  pré- 
sident. 

Le  grave  magistrat  reconnut  le  duc  de  Guise.  Au 
lieu  de  se  détourner  pour  venir  à  lui,  il  continua  de 
marcher  dans  la  longue  allée  où  il  était,  comme  s'il 
eût  été  seul.  Au  bout  de  l'allée,  il  se  retourna  et  vit  le 
duc  qui  s'approchait.  Alors,  incapable  de  comprimer 
son  indignation,  il  s'écria  :  «  Monsieur,  c'est  grand'- 
pitié  quand  le  valet  chasse  le  maître.  Pour  moi,  mon 
àme  est  à  Dieu ,  mon  cœur  est  à  mon  roi,  et  mon 
corps  entre  les  mains  des  méchants^  ils  en  feront  ce 
qu'ils  voudront.  » 

Le  duc  de  Guise,  sans  s'émouvoir,  engagea  M.  de 
Harlay  à  se  calmer.  Il  lui  dit  que  la  sagesse  était  de 


178  TTISTOIRB  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

s'accommoder  aux  temps,  que  son  abstention  pourrait 
attirer  sur  lui  des  périls.  «  Tout  m'est  égal,  répondit 
le  magistrat,  pourvu  que  je  fasse  mon  devoir.  —  Mais, 
reprit  le  duc  avec  douceur,  votre  devoir  n'est-il  pas 
de  juger  dès  demain?  —  Monsieur,  repartit  le  pre- 
mier président,  j'y  ai  déjà  songé.  Je  ferai  ce  qui  sera 
convenable,  lorsque  j'aurai  pris  les  ordres  de  la  seule 
personne  qui  ait  le  droit  d'en  donner  pendant  l'ab- 
sence du  roi,  je  veux  dire  la  reine  sa  mère.  » 

La  conférence  se  termina  ainsi. 

J'ai  souvent  considéré  dans  un  vieux  bôtel  du 
Marais  un  portrait  vénérable  d'Acbille  de  Harlav. 

La  toile  est  vivante. 

C'est  bien  là ,  je  le  sens ,  le  modèle  du  magistrat 
dans  nos  guerres  civiles  et  religieuses.  Il  ne  donna  pas 
seulement  l'exemple  de  l'intégrité,  mais  du  courage. 
Il  fut  plus  qu'un  jurisconsulte  éminent,  il  fut  le  gar- 
dien inébranlable  de  la  majesté  des  lois  au  milieu  des 
orages  de  la  ligue.  C'était  un  béros  sous  l'hermine. 

Son  front  immense  en  hauteur  et  en  étendue  est 
taillé  pour  contenir  le  droit  romain  et  le  droit  français. 
Ses  grands  yeux,  sous  des  sourcils  épais,  semblent 
scruter,  interroger.  Sa  bouche,  assurée,  austère,  ne 
s'ouvre  pas  pour  un  discours,  elle  s'entr'ouvre  pour  un 
arrêt.  Coupables  ou  factieux,  elle  les  jugera  tous  avec 
la  même  impassibilité.  Le  nez  presque  a(|uilin  respire 
la  justice,  cet  air  de  la  conscience.  M.  de  Harlay  re- 
présente la  justice  dans  tous  ses  traits  comme  dans 
toute  sa  vie.  Pour  elle,  il  souffrira  la  Bastille,  les  ana- 
thèmes,  le  jeûne  au  pain  et  à  l'eau;  pour  elle  il  bra- 
vera la  mort.  Seulement  la  justice  d'Achille  de  Harlay 


LIVRE  QUARANTE-NEUVfÈME.  179 

,  est  peut-être  un  peu  rigoureuse^  elle  est  trop  in- 
flexible. C'est  la  justice  sans  la  miséricorde.  C'est 
plutôt  la  justice  de  Dracon  que  celle  du  Christ.  Par 
là,  Harlay  se  distingue  de  L'Hôpital. 

Aussi  cette  physionomie  si  imposante  a  contracté, 
du  caractère  qu'elle  exprime ,  quelque  dureté.  On 
dirait  qu'une  lueur  tragique  de  la  hache ,  l'arme  du 
premier  président ,  a  passé  sur  la  figure  d'Achille  de 
Harlay  et  y  a  laissé  sa  terreur. 

Malgré  les  résistances  de  lord  Stafîord,  d'Achille  de 
Harlay  et  de  quelques  autres,  le  duc  de  Guise  restait 
J'homme  de  la  situation.  Les  barricades  l'avaient  sa- 
cré dictateur. 

Il  s'aidait  de  tous  pour  se  grandir,  du  peuple.  d(^s 
seigneurs  et  des  Seize.  H  abusait  le  cardinal  de  Bour- 
bon, il  éblouissait  Catherine  de  Médicis,  il  intimidait 
le  roi.  Il  allait,  le  puéril  roi,  de  Chartres  à  Rouen,  de 
Rouen  à  Chartres,  ne  sachant  ce  qu'il  devait  faire.  Le 
duc  de  Guise  lui  envoyait  des  processions  de  factieux, 
il  l'épouvantait  de  loin  comme  de  près,  il  le  dominait 
aussi  par  la  reine  mère  vieiUie  et  par  les  ministres 
complices. 

Le  duc  obtint  du  roi  la  promesse  de  la  convocation 
des  états  généraux  à  Blois  avant  le  lo  septembre  et 
un  nouvel  édit  qui  confirmait  le  traité  de  Nemours. 
Cet  édit,  conseillé  et  dirigé  par  Yilleroi,  sous  l'in- 
fluence secrète  de  M.  de  Guise,  sanctionnait  la  sainte 
ligue,  excluait  de  l'hérédité  au  trône  le  roi  de  Na- 
varre, obhgeait  Henri  HI  et  tous  ses  sujets  à  une  lutte 
à  mort  avec  l'hérésie,  avec  les  hérétiques ,  ajoutait 
Orléans  et  Bourges  aux  places  de  sûreté  du  duc  de 


180  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Guise ,  reconnaissait  tous  les  fonctionnaires  élus  par 
le  peuple  et  amnistiait  les  journées  de  Paris,  même 
celle  du  i2  mai,  la  grande  journée  du  duc  de  Guise  et 
des  Seize. 

M.  d'Epernon  lui-même  fut  sacrifié.  Il  avait  rejoint 
le  roi  à  Chartres  avec  des  troupes.  Il  essaya  de  rani- 
mer le  courage  de  Henri  III ,  mais  il  échoua.  Il  fut 
forcé  de  donner  sa  démission  du  gouvernement  de 
Normandie,  et  il  se  retira  dans  ses  gouvernements 
d'Angoumois  et  de  Saintonge,  qui  devinrent  le  centre 
de  négociations  actives  entre  lui  et  le  roi  de  Navarre. 

Henri  III  s'effaça  de  plus  en  plus  devant  le  duc  de 
Guise.  Il  ne  lui  contestait  pas  même  la  royauté  de 
Paris.  Il  lui  accorda  la  charge  de  généralissime  des 
armées.  Le  duc  avait  déjà  celle  de  grand  maître.  Le 
roi  consentit  à  recevoir  son  maire  du  palais.  Le  Bala- 
fré vint  donc  à  Chartres.  Dès  qu'il  aperçut  le  mo- 
narque tant  humilié  par  lui ,  il  ne  le  salua  pas  seule- 
ment, il  mit  un  genou  en  terre.  Le  roi  releva  le  duc 
aussitôt  et  l'embrassa.  Il  ne  lui  adressa  aucun  re- 
proche. Pendant  tout  le  séjour  du  Balafré,  Henri  III 
fut  aimable  et  cordial  pour  le  prince  lorrain.  Il  s'étu- 
dia très-habilement  à  lui  faire  croire  qu'il  avait  oublié 
le  passé. 

Une  seule  fois,  le  roi  trahit  à  sa  table  l'amertume 
de  ses  sentiments.  Le  duc  de  Guise  ayant  rempli  le 
verre  du  monarque  :  u  Mon  cousin,  dit  Henri  III,  avec 
une  bonhomie  spirituelle,  à  qui  boirons-nous .î^  — 
Sire,  c'est  à  vous  d'ordonner,  répondit  le  duc. — 
Eh  bien  ,  buvons  à  nos  amis  les  huguenots.  —  Très- 
bien,  sire,  dit  le  duc.  —  Buvons  aussi,  reprit  le  roi, 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  I8l 

à  nos  bons  barricadeurs-,  ne  soyons  pas  ingrats.  » 
Guise  s'inclina,  puis  il  rit;  mais  remarque  VEstoile. 
«  d'un  rire  qui  ne  passait  pas  le  nœud  de  la  gorge.  » 

Henri  III,  qui  excellait  à  dissimuler,  réussit  à  dis- 
traire le  duc  de  Guise  de  cette  plaisanterie  ,  étincelle 
involontaire  jaillie  d'un  foyer  profond  de  vengeance. 
Le  Balafré,  qui  était  venu  à  Chartres  «  avec  une  jaque 
de  mailles  )>  sous  ses  vêtements,  en  partit  sans  dé- 
fiance. 

Son  attention  fut  absorbée  par  l'expédition  navale 
de  Philippe  II  contre  l'Angleterre. 

L'Armada  fit  voile  du  port  de  Lisbonne  le  29  mai 
I088. 

Philippe  avait  précipité  les  barricades,  non  pour 
Guise,  mais  pour  lui-même,  afin  que  la  guerre  civile 
embrasant  la  France ,  la  royauté  insultée,  moquée, 
anéantie,  rien  ne  pût  s'opposer  au  duc  de  Parme, 
exécuteur  du  roi  d'Espagne  à  Londres,  comme  Guise 
l'était  à  Paris. 

Dans  ce  double  coup  de  dés,  Philippe  II  était  vrai- 
ment un  grand  joueur. 

Retardée  à  la  Corogne ,  la  flotte  ne  fut  en  vue  des 
côtes  de  la  Grande-Bretagne  qu'au  mois  de  juillet. 
Le  28,  elle  cinglait  entre  Plymouth  et  Boulogne.  Le 
duc  de  Guise  ne  fit  tant  d'efforts  pour  s'emparer  de  la 
ville"  française  que  dans  l'intention  machiavélique 
d'offrir  un  port  à  l'Armada.  Ce  fut  d'Épernon  qui 
déconcerta  les  tentatives  des  princes  lorrains. 

Boulogne  demeura  à  la  France.  La  prodigieuse 
flotte  ne  put  s'y  ravitailler.  Elle  était  commandée  par 
le  duc  de  Medina-Sidonia,  plus  grand  seigneur  que 
IV.  iQ 


d82  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

grand  marin.  La  flotte  anglaise  était  conduite  par  lord 
Howard ,  un  amiral  expérimenté ,  et  par  deux  navi- 
gateurs ùd  génie,  Drake  et  Forbisher.  Drake  fut  le 
grand  homme  de  ce  moment. 

Il  harcelait  avec  ses  navires  légers  et  terribles  les 
vastes  et  gauches  vaisseaux  espagnols.  L'Armada  de- 
^  vait  faire  sa  jonction  dans  les  parages  de  la  Flandre 
occidentale  avec Farnèse,  qui,  de  son  côté,  pendant  que 
les  deux  flottes  seraient  en  observation,  transporterait 
sur  des  bateaux  plats  trente  mille  hommes  de  troupes 
de  débarquement  dans  la  Tamise .  Il  y  eut  des  empêche- 
ments héroïques  à  ce  projet  formidable.  Les  gueux  de 
mer,  les  intrépides  matelots  de  Hollande,  bloquèrent 
Farnèse,  qui  fut  réduit  à  ne  point  se  hasarder  hors  de 
ses  rad€s.  Et  puis  Drake  avait  engagement  sur  enga- 
ment  avec  l'immense  flotte.  Il  ne  la  laissait  pas  respirer. 

Jamais  homme  n'accomplit  une  plus  grande  chose 
que  Drake.  Il  croyait  ne  combattre  que  pour  l'Angle- 
terre et  il  combattait  pour  l'humanité,  pour  tous  les 
siècles. 

Car  l'Armada,  c'était  la  flotte  du  démon  du  Midi. 
Et  ce  démon,  Philippe  II,  commençait  par  Albion  et 
par  Elisabeth,  l'île  et  la  reine  du  protestantisme,  pour 
,  s'imposer  à  l'univers.  Si  l'Armada  triomphe,  Philippe 
,  sera  le  maître  en  Europe  et  aux  Indes,  le  roi  et  le 
pape,  plus  roi  que  tous  les  rois,  plus  pape  que  le  pape  ; 
,  il  sera  le  catholicisme  personnifié  et  couronné. 

L'Armada  avait  cent  cinquante  vaisseaux,  huit 
mille  marins,  vingt  mille  soldats,  qui,  réunis  aux 
trente  mille  de  Farnèse,  étaient  destinés  à  compléter 
une  armée  de  cinquante  mille  hommes  sur  le  sol  bri' 


LIVRE  QUARANTE-NETJVIÈME.  183 

lannique.  Ces  vaisseaux  contenaient  encore  deux 
mille  canons,  quinze  cent  mille  boulets,  dix  mille  ar- 
quebuses et  des  vivres  pour  six  mois. 

Ajoutez  à  cela  une  autre  armée  en  soutanes,  en 
frocs  blancs  et  noirs,  les  jésuites  avec  leurs  médailles, 
leurs  cbapelets,  Tinquisition  avec  ses  instruments  de 
torture,  chevalets,  chaînettes,  fers,  ceps,  camisoles, 
scies,  tenailles  de  toutes  formes,  de  toutes  dimen- 
sions, et  vous  aurez  une  idée  de  ce  que  Philippe  ré- 
servait à  l'Angleterre,  à  toutes  les  nations  de  sa  mo- 
narchie universelle,  et  à  l'avenir. 

Dans  la  nuit  du  7  au  8  août,  Drake  lança  ses  brû- 
lots sur  la  gigantesque  flotte.  Le  feu  y  prit  comme 
dans  une  forêt.  Les  matelots  coupèrent  les  câbles  des 
vaisseaux,  qui  se  dispersèrent  sur  l'Océan.  (Y.  une 
estampe  de  l'Armada,  cart.  de  M.  Hennin.)  La  petite 
lloUe  poursuivait  la  grande,  la  canonnait,  la  bombar- 
dait et  l'incendiait. 

Assaillie  par  les  Anglais,  chassée  par  les  vents, 
battue  par  les  flots,  l'Armada  sema  l'abîme  de  ses  dé- 
bris, perdant  ses  navires  sur  les  rochers  de  la  Nor- 
vège, du  Danemark,  de  lÉcosse  et  de  l'Irlande. 
Quelques  vaisseaux  à  peine  de  cette  flotte  regagnè- 
rent la  Biscaye  et  la  Galice.  Le  reste  fut  brisé  ou  en- 
gouffré avec  l'élite  des  matelots,  des  soldats  et  de  la 
jeune  noblesse  de  toutes  les  Espagnes. 

Le  ciel,  la  terre  et  la  mer  vengèrent  à  l'envi  le  pro- 
testantisme et  l'esprit  humain.  Drake  précipita  ses 
brûlots.  Dieu  démusela  les  tempêtes  et  l  Océan  s'en- 
tr'ouvrit  pour  dévorer  cet  enfer  flottant  qui  s'avan- 
çait à  la  conquête  du  monde. 


184  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Lord  Howard,  Drake  et  Forbisher  furent  immor- 
tels. La  Hollande  fut  affranchie.  L'Angleterre  était 
ivre  de  gloire  et  de  joie.  La  conscience  des  peuples 
poussa  un  long  cri  d'actions  de  grâces. 

Elisabeth  parcourut  le  camp  de  Tilbury,  afin  de  re- 
cueillir des  enthousiasmes  et  de  distribuer  des  ré- 
compenses. Son  bonheur  fut  alors  de  représenter  la 
cause  de  la  civilisation.  Elle  fut  saluée  comme  sym- 
bole, applaudie  comme  femme.  Shakspeare  la  cou- 
ronna de  poésie  et  les  historiens  font  écho  de  toutes 
parts.  Moi,  je  ne  subirai  pas  cette  fascination.  Je  la 
rejette.  J'adore  la  grande  cause  que  voulait  opprimer 
Philippe  n,  mais  cette  cause  je  la  distingue  d'ÉHsa- 
beth.  Le  sang  de  Marie  Stuart  est  encore  trop  chaud 
à  la  robe  de  cette  fausse  vierge  de  cinquante-cinq 
ans.  11  coule,  ce  sang,  de  ses  vêtements  de  dentelle 
sur  sa  haquenée  blanche,  dans  ce  jour  de  parade.  — 
C'était  le  temps,  dit-on,  des  cruautés.  —  Oui,  pour 
Philippe  H  et  pour  Élisabeth  ^  —  non,  pour  Guillaume 
d'Orange  et  pour  Henri  de  Bourbon,  les  plus  doux  des 
protestants,  des  héros  et  des  hommes. 

Ce  grand  désastre  du  roi  d'Espagne  ne  fut  pas  fort 
douloureux  au  duc  de  Guise.  Le  Balafré  ne  désirait 
pas  Philippe  H  trop  puissant.  Il  pressentait  qu'en  dé- 
finitive, ne  le  voulant  pas  pour  maître,  il  l'aurait  pour 
ennemi.  Il  lui  empruntait  cependant  des  soldats  et 
il  était  son  pensionnaire.  L'orgueilleux  duc  de  Guise 
s'encourageait  à  recevoir,  en  se  disant  que  le  roi 
d'Espagne  n'était  au  fond  que  son  banquier. 

Cette  fierté  de  langage  à  demi-voix  cédait  aux  né- 
cessités renaissantes.  Le  duc  se  faisait  solliciteur.  Il 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  185 

suppliait  le  commandeur  Moreo  d'éclairer  Philippe  II 
et  de  lui  démontrer  la  portée  de  l'argent  dans  la  poli- 
tique. Il  réclamait  secours  sur  secours.  Il  implorait 
le  payement  le  plus  prompt  «  de  son  quartier  échu,  » 
c'est-à-dire  d'un  trimestre  de  la  subvention  annuelle 
de  deux  cent  mille  francs  qu'il  acceptait  du  roi  d'Es- 
pagne. 

Le  duc  arriva  à  Blois  avec  Henri  III,  le  11  septem- 
bre 1588.  Il  était  préoccupé  de  mille  soins  divers  :^ 
finances,  politique,  dangers  et  plaisirs.  Il  suffisait  à 
tout. 

Il  écrivait  à  Mendoça,  l'ambassadeur  espagnol,  de 
rassurer  Philippe  II  qui  avait  témoigné  des  inquié- 
tudes sur  les  périls  dont  le  duc  était  environné.  «  Je 
veillerai  sur  ma  vie,  dit  le  Balafré.  Je  suis  bien  ac- 
compagné d'amis  et  de  serviteurs.  »  . 

Il  rendait  compte  aussi  à  l'ambassadeur  d'Espagne 
des  élections.  «  J'ai  envoyé,  dit-il,  dans  toutes  les 
provinces  et  bailliages  des  personnes  confidentes.  Je 
pense  avoir  tellement  pourvu  aux  affaires,  que  le  plus 
grand  nombre  des  députés  sera  pour  nous  et  à  notre 
dévotion.  » 

Les  prédictions  lugubres  ne  lui  manquaient  pas. 
L'un  de  ses  meilleurs  capitaines,  de  Vins,  l'exhortait 
à  ne  pas  s'endormir  une  minute.  «  Le  roi  vous  soup- 
çonne de  dissimuler  pour  lui  ôter  la  couronne^  il  dis- 
simulera pour  vous  ôter  la  vie.  » 

Madame  de  Saint-Conat  disait  :  a  Puisqu'ils  sont 
si  près,  vous  entendrez  au  premier  jour  que  l'un  ou 
l'autre  a  tué  son  compagnon.  » 

Le  duc  de  Guise  savait  tout  ce  que  ses  partisans 

io. 


186  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

redoutaient.  Il  était,  lui,  intrépide,  mais  il  n'était  pas 
oisif.  «  Il  se  répète  de  toutes  parts  (lettre  du  21  sep- 
tembre) que  l'on  doit  attenter  à  ma  vie.  J'y  ay,  grâce 
à  Dieu  -tellement  avisé,  tant  par  concours  de  mes  amis 
autour  de  moy,  que  par  présents  à  ceux  desquels  on 
veult  se  servir  eti  cette  e^técution,  que,  si  l'on  com- 
mence, j'achèveray  plus  rudement  que  je  n'ay  fait  à 
Paris.  » 

,  Ces  dernières  paroles  sont  significatives.  Le  roi 
sans  les  connaître,  les  devinait. 

Il  se  replia  de  plus  en  plus  sur  son  conseil  intime 
composé  du  maréchal  d'Aumont,  des  deux  Rambouil- 
let, de  M.  de  Beauvais-Mangis,  et  du  Corse  Alphonse 
d'Ornano,  colonel  des  quarante-cinq  gardes  ordinai- 
res de  Henri  III. 

Ce  prince  s'était  mis  à  relire  Machiavel. 

Il  dépouilla  de  tout  crédit  sa  mère  qui  soutenait  le 
duc  de  Guise  et  qui  s'était  coalisée  avec  lui  contre  le 
duc  d'Épernon. 

Il  destitua  ses  ministres  BcUièvre,  Cheverny,  Vil- 
leroi ,  Pinart  et  Brulart,  trop  favorables  au  prince 
lorrain  et  il  les  remplaça  par  des  personnages  obs- 
curs, tels  que  Ruzé,  Montholon  ,  Révol,  créatures  de 
la  royauté  et  complaisants  du  conseil  intime. 

Le  chàleau  de  Blois  réunissait  sous  son  toit  fleur- 
delisé deux  ennemis  mortels,  le  roi  de  France  et  le 
duc  de  Guise.  Ils  s'abordaient  avec  le  sourire  sur  les 
lèvres,  mais  leurs  cœurs  étaient  ulcérés  d'une  haine 
inextinguible.  Us  étaient  exaspérés  l'un  contre  l'autre, 
et  chacun  épiait  une  occasion. 

Les  états  généraux  s'ouvrirent  le  16  octobre.  Les 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  187 

trois  ordres  avaient  communié,  le  matin,  des  mains 
du  cardinal  de  Bourbon.  Ils  se  composaient  de  cinq 
cents  représentants  environ  revêtus  de  leur  costume 
d'apparat.  Les  cent  trente-quatre  députés  du  clergé 
étaient  en  camails  et  en  robes  rouges  ou  violettes  ; 
les  cent  quatre-vingts  députés  de  la  noblesse  portaient 
tous  la  toque,  la  cape  et  l'épée;  enfin  les  cent  quatre- 
vingt-onze  députés  du  tiers  se  divisaient  en  deux  ca- 
tégories :  les  gens  de  justice  avec  des  bonnets  carrés 
et  de  longues  toges,  lès  autres  avec  le  petit  bonnet  et 
l'habit  de  marchand. 

Le  16  donc,  les  états  étaient  àssemblés  dans  la 
grande  salle  du  château  de  Blois.  Le  roi,  après  son 
dîner,  s'y  rendit  avec  toute  sa  cour.  Il  monta  sur  son 
trône.  A  sa  droite  et  à  sa  gauche,  se  placèrent  les  rei- 
nes, puis  les  princes  du  sang,  les  grands  dignitaires 
et  les  grands  seigneurs  échelonnés  selon  leur  nais- 
sance ou  selon  leurs  fonctions. 

C'était  un  spectacle  imposant.  Mais  parmi  cette 
foule  illustre  le  duc  de  Guise  attirait  seul  et  absor- 
bait l'attention  de  tous.  Il  occupait  un  pliant  sur  l'es- 
trade au-dessous  du  trône.  Il  avait  un  pourpoint  de 
satin  blanc  et  iin  manteau  de  velours  noir  tout  brodé 
de  perles.  Son  grand  collier  des  ordres  descendait  et 
brillait  sur  sa  poitrine.  Le  duc  tenait  comme  un 
sceptre  le  bâton  de  grand  maître.  11  promenait  des 
regards  fermes  et  confiants  sur  l'assemblée.  Il  en  pre- 
nait silencieusement  possession.  Elle  ne  résistait 
point.  Par  le  feu  de  ses  yeux  d'oii  s'échappaient  à 
toVrents  l'héroïsme  et  l'ambition  ,  par  l'étendue  de 
son  Front  fiévreux  où  se  pressaient  et  s'amcmeelarenÇ 


188  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

les  pensées,  par  la  rare  distinction  de  toute  sa  per- 
sonne née  pour  le  commandement,  par  son  atti- 
tude, par  la  flamme  de  sa  passion,  par  l'ardeur  de 
son  désir,  le  duc  semblait  dire  à  chacun  :  Regardez- 
moi,  et  regardez  mon  rival.  Sur  un  trône,  il  est  moins 
qu'un  homme ^  sur  ce  pliant  je  suis  plus  qu'un  roi. 
(V.  une  belle  estampe  des  états  de  Blois,  cart.  de 
M.  Hennin.)  i 

L'assemblée  était  en  harmonie  avec  le  duc.  Elle 
écouta  Henri  HI  d'un  air  distrait  ou  hostile.  Lui,  ce- 
pendant, débita  fort  bien  son  discours.  Il  déclara  que 
sans  les  divisions  fomentées  entre  les  catholiques,  il 
aurait  écrasé  l'hérésie.  Il  proposa  son  édit  d'union 
comme  loi  fondamentale  de  l'Etat.  Il  taxa  de  funestes 
les  associations  passées  de  certains  grands,  ajoutant 
du  reste  qu'il  les  amnistiait,  mais  que  dans  l'avenir  il 
réputerait  criminelles  toutes  menées  faites  en  dehors 
de  son  autorité.  Il  termina  en  jurant  d'observer  reli- 
gieusement tout  ce  qui  serait  décrété  par  lui  et  par 
les  états. 

Ce  discours ,  où  quelque  blâme  perçait  contre  le 
duc  de  Guise,  déplut  aux  Seize.  Pierre  d'Espinac, 
archevêque  de  Lyon,  prélat  de  mœurs  dissolues,  mais 
d'une  audace  intrépide,  fut  dépêché  au  roi  pour  ob- 
tenir des  modifications  jugées  nécessaires.  Henri  III, 
ayant  manifesté  l'intention  de  maintenir  son  discours, 
d'Espinac  le  menaça  de  la  retraite  de  la  majorité  des 
députés.  Le  roi ,  effrayé  alors ,  retira  toutes  les  ex- 
pressions qui  pouvaient  blesser  la  ligue. 

K  J'ai  si  bien  manié  nos  états ,  écrivait  le  duc  de 
Guise  à  l'ambassadeur  d'Espagne,  que  je  les  ay  fait 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  189 

résoudre  de  requérir  la  confirmation  pure  et  simple 
de  notre  èdit  d'union  comme  loi  fondamentale.  » 

Et  puis,  après  la  seconde  séance  du  18  octobre  : 
«  JNostre  édit  est  juré,  malgré  tous  les  empêchements 
que  le  roy  auroit  voulu  apporter.  )> 

Cet  édit,  si  cher  au  duc  de  Guise,  c'était  la  guerre 
à  mort  aux  hérétiques ,  la  guerre  jusqu'à  l'extermi- 
nation. 

La  levée  de  boucliers  du  duc  de  Savoie,  qui  s'em- 
para du  marquisat  de  Saluées,  fit  une  diversion  à  cette 
guerre  contre  le  calvinisme.  ^lais  le  duc  de  Guise, 
tout  en  feignant  de  s'associer  et  d'associer  soit  le 
clergé,  soit  le  tiers  au  mouvement  chevaleresque  de 
la  noblesse ,  se  réservait  bien  de  transformer  vite 
cette  guerre  étrangère  en  la  guerre  civile,  qui  était 
son  unique  chemin  vers  le  trône  de  France. 

Il  était  vraiment  l'àme  de  la  majorité  des  états. 
Toutes  les  délibérations  importantes  se  préparaient 
dans  son  cabinet.  Les  présidents  du  clergé,  les  cardi- 
naux de  Bourbon  et  de  Guise;  les  présidents  de  la 
noblesse,  le  comte  de  Brissac  et  le  baron  de  Maynac: 
le  président  du  tiers,  La  Chapelle-Marteau,  n'étaient 
que  les  instruments  du  duc  de  Guise. 

Il  aurait  pu  rétablir  le  calme,  et  il  déchaînait  les 
orages.  Les  principes  les  plus  subversifs  avaient  son 
approbation.  Il  les  surexcitait  pour  s'en  servir.  Il 
sapait  le  dernier  des  Valois ,  il  excluait  le  chef  des 
Bourbons,  il  caressait  le  peuple,  l'armée,  les  députés. 
Il  faisait  de  l'anarchie ,  se  promettant  de  faire  de 
Tordre  lorsqu'il  serait  roi. 

Il  avait  des  intelligences  dans  tous  les  conciliabules 


190  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

de  Paris  et  des  provinces.  La  ligue  lui  était  une  cen- 
tralisation dont  les  explosions  étaient  autant  de  fou- 
dres contre  la  royauté. 

La  Chapelle-Marteau,  plus  qu'un  ligueur,  un  Seize, 
était  docile  au  duc  aussi  bien  que  d'Espinac,  l'ar- 
chevêque de  Lyon ,  ou  que  le  comte  de  Brissac. 
Henri  III,  qui  avait  compté  sur  les  états  généraux 
pour  se  fortifier  un  peu,  était  de  plus  en  plus  affaibli, 
humilié  sous  leur  tyrannie. 

Le  tiers,  afin  de  réjouir  le  peuple,  de  se  grandir  et 
de  grandir  M.  de  Guise,  avait  proposé  de  fixer  les 
tailles  au  chiff're  déterminé  par  Louis  XIL  Le  roi,  que 
cette  diminution  d'impôts  ruinait,  hésitait  à  la  sanc- 
tionner. La  Chapelle-Marteau  s'indigna.  Il  s'écria  en 
pleine  assemblée  que  les  états  étaient  tout  :  «  Je  suis, 
moi,  disait -il,  président  du  tiers.  Le -roi  est  prési- 
dent des  trois  ordres,  et  il  n'est  que  cela.  Au  lieu  de 
lui  soumettre  des  requêtes,  que  ne  lui  imposons-nous 
des  décrets  ?  »  Ce  langage  était  compris  à  Blois,  et  il 
enflammait  l'opinion. 

Encouragé  par  le  duc  de  Guise,  La  Chapelle-Mar- 
teau somma  le  roi  de  répondre  catégoriquement  sur 
la  réduction  des  subsides,  et  le  roi  se  soumit  au  vœu 
du  tiers. 

Il  exposa  seulement  aux  députés  qu'il  leur  faudrait 
des  fonds  pour  soutenir  une  guerre  étrangère  contre 
le  duc  de  Savoie  et  utie  guerre  intérieure  contre  le 
roi  de  Navarre. 

Qu'importaient  de  telles  doléances?  Le  roi  ferait 
comme  il  pourrait.  En  attendant,  le  but  était  atteint. 
Lé  peuple  allumait  partout  des  feux  de  joie.  Il  adres- 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  491 

sait  des  actions  de  grâces  au  bon  duc  qui  avait  si  vite 
obligé  le  roi  à  soulager  les  pauvres  gens. 

L'opposition  de  La  Chapelle-Marteau  et  des  états 
fut  poussée  plus  loin.  Il  était  urgent  peut-être  de 
trouver  de  l'argent  contre  les  hérétiques.  Eh  bien, 
rien  de  plus  facile.  Tous  les  députés  ligueurs  s'ameu- 
tèrent, (c  Faisons  rendre  gorge  aux  sangsues  publi- 
ques, disaient-ils,  maigrissons  les  trésoriers  qui  se 
sont  engraissés  de  la  substance  du  peuple,  à  la  cour 
du  roi.  ))  Et  sous  prétexte  d'économie  et  de  finances, 
tous  les  amis  de  Henri  111  furent  menacés.  L'opposi- 
tion réclamait  pour  juger  les  dilapidateurs  une  com- 
mission de  vingt- quatre  membres  dont  les  trois 
quarts  seraient  nommés  par  les  états  et  le  quart 
seulement  par  le  roi. 

C'était  une  dérision.  Henri  de  Valois  fléchissait  à  tous 
moments  sous  les  coups  redoublés  de  la  massue  po- 
pulaire. Mais  la  main  qui  agitait  celte  massue  et  qui 
assenait  ces  coups  était  la  main  du  duc  de  Guise. 

Il  ne  fuyait  aucune  occasion ,  ce  duc,  de  déûer  le 
roi.  Henri  Ul  se  plaignait  de  ce  que  Yilleroi  avait 
outrepassé  sa  mission  en  accordant  à  la  ligue  Orléans 
pour  place  de  sûreté.  Le  duc  se  contenta  do  dire  que 
cette  ville  avait  été  cédée  et  qu'il  saurait  bien  la  dé- 
fendre. 

Il  demanda  des  gardes  et  un  prévôt,  en  sa  qualité 
de  généralissime.  Le  roi  cherchant  à  l'éconduire 
comme  s'il  n'eût  pas  cru  que  cette  prérogative  fût 
le  droit  de  M.  de  Guise,  le  Balafré  lui  fit  remar- 
quer en  insistant  que  le  duc  d'Anjou  avait  bien  joui 
de  ce  privilège.  Henri  III ,  outré  de  ce  rapproche- 


192  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

ment,  ne  rendit  aucune  réponse  positive.  Il  dit  seu- 
lement à  sa  mère  qui  l'engageait  à  ne  pas  irriter  le 
duc  de  Guise  :  «  Madame,  dans  quelques  jours  ce  sera 
fini.  )) 

Le  duc  aspirait  à  bien  plus  qu'il  ne  réclamait  du 
roi.  Il  convoitait  l'épée  de  connétable  et  il  dédaignait 
de  la  recevoir  de  Henri  III  ;  il  aimait  mieux  l'accepter 
des  états  généraux.  L'intrigue  était  nouée.  Il  en  sor- 
tirait non  plus  seulement  duc  de  Guise,  mais  Charles- 
Martel.  Maire  du  palais  par  l'élection  il  serait  autant 
qu'un  roi  parla  succession.  Il  le  deviendrait  d'ailleurs, 
Dieu  aidant.  Ce  que  son  oncle,  le  cardinal  de  Lorraine, 
lui  avait  communiqué  de  chimérique  suffisait  au  duc 
de  Guise  pour  lui  voiler  beaucoup  d'abîmes. 

Malgré  sa  pusillanimité,  le  roi  voulait  rester  roi.  Il 
détestait  le  duc  de  Guise.  Plongé  dans  des  humeurs 
noires  et  dans  des  vapeurs  de  sang,  Henri  III  se  rap- 
pela Machiavel  et  les  souvenirs  de  sa  jeunesse.  C'est 
à  ces  sources  de  meurtres  qu'il  se  retrempa.  Guise  et 
lui  n'avaient-ils  pas  été  bourreaux  dans  la  Saint-Bar- 
thélemy  .^^  Guise  depuis  ne  méritait-il  pas  plus  le  sup- 
plice que  tous  les  huguenots  ensemble  ? 

Le  roi  se  disait  cela  ,  mais  il  retombait  de  ses  plus 
hautes  résolutions.  Il  avait  successivement  des  phases 
d'énergie  et  des  transes  de  faiblesse. 

Il  s'appuya  enfin  sur  son  conseil  intime  et  il  s'y 
cramponna.  Ce  conseil,  qui  inclinait  aux  mesures 
violentes,  comptait  les  deux  frères  de  Rambouillet, 
le  maréchal  d'Aumont,  M.  de  Beauvais-Nangis  et  le 
colonel  Alphonse  d'Ornano.  Le  roi  les  consulta.  Il 
leur  peignit  dans  un  élan  de  peur  et  d'éloquence  les 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIEME.  193 

affronts  que  le  duc  de  Guise  lui  avait  infligés ,  l'avi' 
lissement,  l'esclavage  où  il  réduisait,  la  royauté,  ses 
envahissements  toujours  plus  odieux,  son  arrogance 
croissante,  et,  d'un  autre  côté,  il  exprima  les  devoirs 
que  lui,  Henri  IJI,  n'avait  que  trop  négligés,  ses  com- 
plaisances envers  le  duc,  ses  indolences  coupables  et 
presque  ses  trahisons  envers  ses  ancêtres ,  ses  sujets, 
et  lui-même.  Puis,  s'exaltant  dans  une  vigueur  mêlée 
d'attendrissement,  il  s'écria  :  «  J'ai  trop  abdiqué.  Je 
renonce  à  obéir.  C'est  à  moi  d'ordonner.  Si  vous  me 
soutenez,  mes  amis,  comme  je  vous  en  requiers,  je 
jure  désormais  d'être  roi  et  seul  roi.  » 

Électrisés  par  cette  passion  soudaine  de  Henri  HI. 
tous  offrirent  leurs  bras  et  leur  vie  s'il  le  fallait. 

Le  maréchal  d'Aumont,  selon  de  Thou ,  et ,  selon 
Davila,  Nicolas  de  Rambouillet  opina  pour  qu'on  dé- 
férât le  duc  au  parlement.  Mais  c'eût  été  une  tenta- 
tive dérisoire.  Le  duc  était  trop  puissant  pour  qu'on 
suivît  avec  lui  le  droit  commun.  Chacun  conclut  à  la 
mort  non  judiciaire,  et  le  roi  plus  haut  que  tous, 
a  Moi,  dit-il,  de  qui  toute  justice  émane,  je  le  con- 
damne aux  dagues  de  mes  quarante-cinq.  » 

Il  fut  résolu  à  l'unanimité  que  le  duc  de  Guise  se- 
rait tué,  et  qu'on  arrêterait  le  cardinal  de  Bourbon, 
le  cardinal  de  Guise,  et  le  prince  de  Joinville,  fils  du 
Balafré. 

Depuis  cette  grande  décision,  Henri  HI  fut  tout 
autre.  ]1  ne  montra  plus  d'aigreur,  soit  avec  le  duc, 
soit  avec  les  députés.  Il  multiplia  ses  pèlerinages,  ses 
processions  ,  ses  dévotions.  11  parut  ne  plus  songer 
qu'à  son  salut.  Il  s'avouait  las,  malade.  Il  ne  tarderait 
IV.  17 


194  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

piàs  beaucoup  à  se  décharger  de  la  couronne  sur  sa 
itière  ou  sur  le  duc  de  Guise. 

Il  était  souriant  et  empressé  pour  celui  qu'on  croyait 
son  ennemi.  Le  monde  juge  si  mal.  Lui,  le  roi,  dési- 
rait prouver  qu'on  se  trompait-,  il  souhaitait  une  ré- 
conciliation éclatante.  Il  invita  le  duc  à  s'approcher 
avec  lui  de  la  sainte  table.  Le  duc  y  consentit.  Le 
A  décembre  fut  choisi  pour  celte  agape  de  paix.  Le 
roi  et  le  duc  en  grand  costume  s'agenouillèrent  de- 
vant le  même  autel  et  communièrent  des  deux  moitiés 
de  la  même  hoslie.  Effroyable  perversité  que  celle  de 
ces  hommes  qui  se  moquaient  de  leur  Dieu  en  l'ado- 
rant, et  qui  s'en  servaient  pour  couvrir  effrontément, 
l'un  sa  sédition,  l'autre  son  meurtre! 

Le  duc  était  trahi  dans  sa  propre  famille.  Le  duc 
de  Mayenne,  la  duchesse  d'Aumale,  le  duc  d'Elbeuf, 
prévinrent  secrètement  le  roi  de  se  méfier  du  Balafré. 
Le  duc  de  Guise  ne  pouvait  compter  que  sur  trois  des 
siens  :  sa  mère  la  duchesse  de  Nemours,  sa  sœur  la 
duchesse  douairière  de  Montpensier,  et  son  frère  le 
cardinal  de  Guise. 

Ses  amis  lui  furent  plus  fidèles.  Ils  s'inquiétaient 
pour  lui.  Quelque  chose  avait  transpiré  des  confé- 
rences du  conseil  intime.  Schomberg  le  conjurait  de 
s'éloigner.  «  Vous  avez  une  belle  raison  à  donner, 
lui  disait-il  :  l'intention  de  ne  pas  gêner  par  votre 
présence  la  liberté  des  états.  —  Ce  serait  une  fuite 
déguisée,  reprenait  le  duc;  je  préfère  demeurer. 
Après  tout ,  je  ne  vois  pas  qu'il  soit  fort  aisé  de  me 
surprendre.  Je  ne  connais  point  d'homme  sur  la  terre, 
qui,  mis  aux  mains  seul  à  seul  avec  moi,  ne  partage 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  195 

la  moitié  de  la  peur,  et  je  marche  d'ailleurs  srbien 
accompagné ,  qu'il  Sera  difficile  de  me  trouver  en 
défaut.  » 

Ces  conversations  renaissaient  souvent  entre  le  duc 
de  Guise  et  ses  partisans. 

A  un  souper,  le  21  décembre,  la  question  de  son 
départ  fut  traitée  plus  sérieusement  encore.  C'était 
un  mercredi,  fête  de  saint  Thomas.  Le  duc,  au 
dessert,  demanda  leurs  avis  à  son  frère  le  cardi- 
nal de  Guise,  à  Tarchevêque  de  Lyon  d'Espinac,  au 
président  de  Neuilly,  à  La  Chapelle-Marteau  et  à  Men- 
neville. 

Le  cardinal  de  Guise  et  La  Chapelle-Marteau  incli- 
naient vers  un  voyage  à  Orléans  qui  soustrairait  le 
duc  à  un  guet-apens  probable.  Le  président  de 
Neuilly  était  un  vieillard  indécis,  qui  ne  dit  ni  oui, 
ni  non.  L'archevêque  de  Lyon  ,  naturellement  auda- 
cieux et  qui  gagnait  le  chapeau  de  cardinal  si  le  duc, 
par  sa  présence,  imposait  les  articles  du  concile  de 
Trente,  s'écria:  «Monseigneur,  demeurez.  Qui  quitte 
la  partie,  la  perd.  » 

Menneville,  le  confident  du  duc,  était  un  diplomate 
et  un  capitaine.  Toujours  prêt,  soit  à  négocier,  soit  à 
combattre,  il  s'était  mesuré  avec  la  ruse  italienne, 
avec  l'orgueil  espagnol,  avec  l'anarchique  fanatisme 
des  ligueurs  et  des  Seize.  Il  observait  le  roi  et  la 
cour,  depuis  son  arrivée  à  Blois.  Il  répondit  vivement 
à  d'Espinac  dont  il  avait  pénétré  le  motif  :  «  M.  de 
Lyon  se  trompe^  le  roi  est  un  maniaque,  il  est  ca- 
pable de  tout.  Il  ne  fait  pas  bon  ici  pour  monsei- 
gneur, à  moins  qu'il  n'agisse  le  premier.  —  Mon 


196  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

cher  Menneville ,  reprit  le  duc ,  vous  êtes  un  politi- 
que ;  mais  ne  précipitons  rien.  J'attendrai  le  moment 
et  je  resterai-,  oui,  je  resterai.  Les  choses  sont  à  un 
tel  point  que  si  la  mort  entrait  par  une  fenêtre,  je  ne 
voudrais  pas  échapper  par  la  porte.  » 

Il  y  avait  alors  dans  l'âme  du  duc  une  profonde 
tristesse,  et  ces  paroles  en  témoignent.  11  avait  une 
grande  ambition,  mais  il  avait  un  esprit  non  moins 
grand.  Il  s'abstenait  d'agir,  parce  qu'avec  sa  vaste  pré- 
voyance, il  devinait  les  inextricables  et  longues  suites 
de  son  action.  Il  ne  se  résolvait  pas  à  quitter  Blois, 
car  c'eût  été  se  retirer  devant  le  roi  qu'il  méprisait. 
Il  comprenait  l'immense  danger  qui  Tenvironnait; 
mais  il  préférait  beaucoup  de  danger  à  un  peu  de 
honte. 

Le  courage  a  son  indolence.  Le  duc  de  Guise  lou- 
voyait avec  le  temps  comme  avec  un  élément,  se  ré- 
servant d'aborder  au  rivage  à  son  heure.  Le  roi,  au 
contraire,  dans  un  paroxysme  d'épouvante,  ne  con- 
naissait ni  repos,  ni  trêve.  Il  pressait  d'une  main  fé- 
brile les  hommes  et  les  événements.  Il  n'était  plus 
puéril,  il  était  féroce.  Le  chat  de  cour  était  redevenu 
tigre. 

Henri  III  était  un  prodige  pour  ses  familiers.  Il 
était  le  plus  décidé,  le  plus  entreprenant,  le  plus  vif 
des  conjurés.  La  haine  et  l'effroi  rendaient  homme 
cette  femme. 

Il  avait  fixé  la  date  du  grand  meurtre  au  23  dé- 
cembre (1588). 

Le  21 ,  il  proposa  à  Grillon  d'en  être  l'exécuteur. 
Grillon  rougit  d'abord^  puis,  se  remettant,  il  dit  au 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  197 

roi  :  «  Sire,  je  voudrais  vous  servir,  mais  ordonnez- 
moi  une  chose  faisable.  Je  ne  puis  rien,  en  cette  cir- 
constance, comme  assassin,  ni  comme  bourreau.  Si 
vous  le  permettez,  je  tuerai  en  un  duel  loyal  M.  de 
Guise,  et  je  le  tuerai  d'autant  plus  sûrement  que  je 
lui  livrerai  ma  vie  pour  avoir  infailliblement  la  sienne. 
Ces  duels-là  réussissent  toujours.  » 

Le  roi  secoua  la  tète ,  comprit  que  Grillon  cette 
fois  ne  valait  rien  et  manda  Loignac.  G'était  le  chef 
des  quarante-cinq.  Il  lui  avait  été  donné  par  d'Eper- 
non.  Loignac  était  disposé  par  le  colonel  d'Ornano, 
chef  suprême  des  ordinaires  et  du  palais,  sorte  de 
contre-grand  maître,  chargé  de  surveiller  le  vrai 
grand  maître,  le  duc  de  Guise.  Loignac  donc  écouta 
le  roi  et  lui  dit  :  «  Sire ,  comptez  sur  moi  et  sur  mes 
gentilshommes.  Nos  cœurs  et  nos  épées  sont  à  vous. 
—  C'est  bien,  dit  le  roi,  »  et  il  congédia  Loignac 
avec  de  chauds  éloges. 

Il  manda  encore  Larchant.  C'était  un  scélérat  sous 
l'uniforme  de  capitaine  des  gardes  écossais.  Il  avait 
été  l'ami  du  comte  de  Coconas  et  il  avait  combiné 
l'extermination  des  Caumont-Laforce ,  dont  il  était 
l'aUié  très-proche,  pour  en  hériter.  Voilà  son  rôle 
dans  la  Saint-Barthélemy.  Larchant  n'était  pas  scru- 
puleux. Dès  les  premières  ouvertures  du  roi,  il  fut  du 
complot. 

Sûr  du  maréchal  d'Aumont,  de  Beauvais-Nangis, 
des  deux  Rambouillet ,  du  colonel  Ornano ,  de  ses 
nouveaux  ministres,  de  Loignac,  des  quarante-cinq 
et  de  Larchant,  le  roi  ne  perdit  pas  une  minute. 

Il  annonça  qu'il  irait,  dans  la  matinée  du  23,  à 

17. 


108  niSTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Notre-Dame  de  Cléry,  à  une  demi-lieue  de  Blois,  pour 
s'y  acquitter  d'un  vœu  et  pour  y  préparer  sa  commu- 
nion de  Noël.  Il  convoqua  le  conseil  de  ce  jour-là, 
avant  l'aube ,  désirant  expédier  les  affaires  urgentes 
et  être  librfe.  Son  carrosse  devait  l'attendre,  dès  huit 
heures,  pour  son  pèlerinage.  Sous  prétexte  de  ce  pè- 
lerinage et  des  apprêts  qu'il  nécessitait,  les  clefs  ne 
furent  pas  apportées,  selon  la  coutume,  au  duc  de 
Guise.  Les  portes  du  château  furent  accessibles.  Lar- 
chant,  de  son  côté,  alla,  le  chez  M.  de  Guise,  le^ 
prier  d'être  l'interprète  des  archers  écossais,  qui,  faute 
de  paye  j  étaient  résolus  de  partir,  à  moins  qu'on  ne 
les  satisfît.  Cela  était  calculé  pour  ôter  tout  ombrage 
au  duc.  Comment  en  aurait-il,  le  23,  avant  le  con- 
seil, en  voyant  un  déploiement  de  troupes  inusité, 
puisque  ce  seront  les  archers  écossais  qui  viendront 
lui  remettre  le  soin  de  leurs  intérêts  ? 

Tandis  que  ce  guet-apens  s'ourdit,  les  avertisse- 
ments se  multiplient  autour  du  duc  de  Guise.  Ses 
amis  ont  appris  que  le  roi  a  fait  une  commande  de 
douze  poignards  chez  un  fourbisseur  de  Blois.  Le 
22  décembre,  le  duc  aperçoit  sous  sa  serviette,  en  se 
mettant  à  table,  ce  billet  :  k  Prenez  gardé  à  vous,  on 
est  bien  près  de  vous  jouer  un  mauvais  tour.  »  Guise 
lit  le  billet,  dit  :  «  On  n'oserait,  »  et  rejette  Te  papier. 
Cinquante  billets,  tous  sinistres,  pleuvent  autour  du 
duc.  Il  les  dédaigne. 

C'était  le  soir  du  22  décembre. 

Le  roi  s'entretint  dans  son  cabinet  avec  ûtï  ô6ur- 
rier  dd  duc  d'Éperrtôn,  M.  de  Termes.  11^  caûsèfènt 
dé  dit  heures  à  rtiintiit.  termes  dêvélbppàîf  pi*6M- 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  199 

bîemenl  à  Henri  III  les  instructions  du  favori.  Le  roi, 
du  reste ,  n'avait  plus  besoin  d'être  excité.  Il  dit  à 
Termes  :  «  Prévenez  du  Halde ,  le  plus  exact  de  més 
huissiers ,  de  me  réveiller  -demain  à  quatre  heures. 
Vous-même ,  soyez  ici  quand  je  me  lèverai.  »  Il  prit 
alors  son  bougeoir  et  s'en  alla  coucher  dans  l'alcôve 
de  la  reine.  Il  espérait  mieux  s'assoupir  au  milieu  de 
cette  douce  atmosphère.  Mademoiselle  de  Prolant, 
première  femme  de  chambre,  veillait  pendant  que  le 
roi  cherchait  vainement  à  sommeiller. 

Le  duc  de  Guise,  lui,  excédé  de  présages  et  de  let- 
tres anonymes,  secoua  les  sévères  pensées  et  se  rendit 
chez  la  marquise  deNoirmoutiers.  Les  billets  funestes 
franchirent  ce  seuil  mystérieux.  Ils  s'obstinèrent  pen- 
dant le  souper,  après  le  souper,  et  jusque  dans  ce  lit 
de  délices  où  le  duc  devait  passer  sa  dernière  nuit. 

Je  me  suis  demandé  souvent  d'où  surgirent  tant 
d'avertissements.  J'ai  interrogé  tous  les  historiens, 
tous  les  mémoires ,  toutes  les  correspondances ,  tous 
les  documents  secrets,  sans  jamais  rien  découvrir.  Et 
toutefois  la  conviction  m'a  parlé,  malgré  le  silence 
de  rérudition. 

Tant  de  sollicitude  pour  le  duc ,  je  l'attribue  à  la 
marquise  de  Noirmoutiers.  Cette  habile  et  charmante 
femme  ne  nous  est  point  nouvelle.  Nous  l'avons  déjà 
rencontrée  ^  c'est  madame  de  Sauves.  Elle  avait  été 
aimée  du  duc  d'Alençon,  du  roi  de  Navarre  et  de  vingt 
autres  ^  mais  elle  aima  le  duc  de  Guise.  Elle  l'aima 
plus  qu'aucun  de  ses  amants.  Veuve  de  Simon  de  Fizes 
en  1579,  elle  avait  épousé  François  de  La  Trémouille, 
marquis  de  Noirmoutiers,  en  1584.  €e  second  ma- 


200  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

riage,  qui  flattait  la  vanité  de  madame  de  Sauves, 
n'avait  pas  altéré  sa  passion  pour  le  duc  de  Guise.  Elle 
était  à  Blois  afin  de  le  défendre  contre  le  destin.  Elle 
s'entendit  peut-être  avec  la  reine  mère  dans  ce  géné- 
reux effort.  Mais  la  marquise  deNoirmoutiers,  fùt-elle 
seule,  dut  tout  comprendre,  tout  savoir.  Elle  connais- 
sait à  fond  la  cour,  Henri  III,  la  docilité  farouche  des 
hommes  de  guerre  et  des  spadassins  qui  l'environ- 
naient. Elle  avait  été  trop  de  la  police  de  Catherine 
pour  ne  pas  avoir  conservé  des  espions  de  palais.  Elle 
eut  probablement  des  indices,  des  confidences.  Ce 
qui  me  paraît  indubitable,  c'est  qu'elle  essaya  infa- 
tigablement de  préserver  le  duc  en  éveillant  ses 
craintes. 

Cette  dernière  nuit  même,  après  avoir  continué  les 
billets,  elle  employa  les  raisons ,  les  caresses,  les  lar- 
mes. Le  duc  lui  ferma  la  bouche  avec  des  baisers  et 
lui  répondit  par  des  chansons.  Il  lui  fredonna,  dit-on, 
à  plusieurs  reprises,  la  villanelle  de  Desportes  : 

Rosette,  pour  un  peu  d'absence 
Votre  cœur  vous  avez  changé. 

La  marquise  de  Noirmoutiers  ne  put  retenir  son 
amant  ni  le  détourner  d'aller  ce  jour-là  au  conseil. 
^  Le  sort,  plus  puissant  qu'une  femme,  le  poussait  d'un 
bras  d'airain. 

Il  était  trois  heures  et  demie  du  matin  lorsque  le 
duc  rentra  chez  lui  et  s'y  coucha.  Son  appartement 
était  au  premier,  comme  celui  de  la  reine  mère.  Le 
roi  occupait  le  second  étage. 

Bernardin,  le  premier  valet  de  chambre  du  duc,. 


LIVRE  OUARANTE-NELVIÈME.  20! 

l'ayant  déshabillé ,  voulait  l'instruire  du  mouvement 
inusité  et  des  bruits  étranges  du  château.  M.  de  Guise 
lui  dit  de  le  laisser  et  il  s'endormit  profondément. 

Une  demi-heure  plus  tard,  à  quatre  heures  juste, 
au  second  étage  du  même  château ,  du  Halde  était  à 
la  porte  de  la  reine.  Mademoiselle  de  Prolant,  qui 
l'entendit,  appela  le  roi  qu'elle  tira  d'une  affreuse  in- 
somnie. «  C'est  M.  du  Halde  qui  est  ici.  —  Ahl  très- 
bien  ,  répondit  le  roi ,  en  se  levant  sans  retard.  — 
Prolant ,  donne-moi  ma  robe ,  mes  bottines  et  mon 
bougeoir.  » 

Dans  cet  accoutrement,  le  roi  va  dans  une  pièce 
voisine  où  il  a  donné  rendez-vous  à  Loignac.  Le  ca- 
pitaine est  à  son  poste  avec  les  plus  déterminés  d'en- 
tre les  quarante-cinq  :  La  Bastide,  Montséry,  Sainte- 
MaHnes,  Saint -Gaudens,  Sariac,  Saint-Capautel, 
Halfrenas  et  Herbelade.  Paie,  tremblant,  le  roi  les 
harangue  :  «  Mes  amis,  dit-il,  je  vous  ai  toujours  dis- 
tingués et  préférés  par-dessus  toute  ma  noblesse. 
Vous  êtes  mes  obligés,  mais  aujourd'hui  je  veux  être 
le  vôtre.  Il  s'agit  de  mon  honneur,  de  ma  couronne 
et  de  ma  vie.  Après  tant  d'insolences  dont  le  duc  de 
Guise,  ce  beau  roi  de  Paris,  n'a  cessé  de  m'accabler, 
jusqu'à  me  demander  votre  licenciement  qu'il  solli- 
cite en  ce  moment  des  états,  après  tant  d'outrages 
dont  il  m'a  abreuvé,  ce  rebelle  a  résolu  ma  cap- 
tivité et  mon  supplice.  J'ai  songé  à  vous  dans  ma 
détresse.  Me  promettez-vous  de  me  défendre  contre 
ce  traître.?  —  Oui,  oui ,  s'écrièrent-ils.  —  Eh  bien, 
reprit  le  roi,  il  faut  que  je  meure  ou  qu'il  meure,  et 
que  ce  soit  ce  matin.  » 


202  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  n'y  eut  qu'une  acclamation.  Sariac,  touchant  de 
la  main  la  poitrine  du  roi,  dit  avec  un  frénétique  ac- 
cent :  ((  Cap  de  Diou,  sire,  je  vous  le  rendrai  mort.  )> 

Henri  III  est  enchanté  et  effrayé  d'un  tel  enthou- 
siasme. Il  recommande  le  silence  à  ses  braves,  les  in- 
stalle dans  sa  chambre,  les  supplie  de  ne  pas  éveiller 
sa  mère  qui  est  au-dessous  d'eux,  leur  distribue  des 
poignards  et  ajoute  :  «  Mes  amis,  n'ayez  aucun  scru- 
pule. Vengez -vous  et  vengez -moi.  Tuez  en  con- 
science. C'est  une  exécution  de  justice  que  moi,  le 
roi,  je  vous  ordonne  d'accomphr  sur  l'homme  le  plus 
scélérat  de  France  !  » 

La  chambre  du  roi,  dans  laquelle  il  parlait  à  Loi- 
gnac  et  à  huit  autres  de  ses  ordinaires,  attenait  d'un 
côté  à  la  salle  du  conseil  et  d'un  autre  côté  à  deux 
cabinets,  à  droite  et  à  gauche.  Le  cabinet  de  gauche, 
appelé  le  cabinet  du  roi,  était  celui  où  le  duc  de  Guise 
devait  être  attiré.  Henri  ÏIl  plaça  lui-même  ses  huit 
ordinaires  et  Loignac  à  quelques  pas  de  ce  cabinet. 
Ils  avaient  chacun  épée  ,  dague,  et  poignard.  Le  roi 
les  quitta  tous  bien  échauffes  et  il  se  retira  dans  le 
cabinet  de  droite,  où  il  demeura  avec  d'Ornano, 
d'Entragues,  de  Bonnivet,  de  Martigny,  Revol,  et 
douze  ordinaires  qu'il  cacha  en  de  petites  cellules 
qu'il  avait  pratiquées  là,  prétendait-il,  pour  des  ca- 
pucins. Le  reste  de  ses  quarante-cinq,  le  roi  l'éche- 
lonna sur  l'escalier  de  la  galerie  des  Cerfs. 

Tout  était  prêt  au  second  étage,  dans  l'antre  royal^ 
lorsque  Péricart,  le  secrétaire  du  duc  de  Guise,  ou- 
vrit à  cinq  heures,  selon  Thabitude,  les  rideaux  de 
son  maître. 


tIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  203- 

Le  duc  fatigué  se  dégagea  lentement  du  sommeil. 
Aux  premiers  mots  de  Péricart  sur  ce  qu'il  y  avait 
d'insolite  au  château.  M.  de  Guise  répondit  comme  à 
Bernardin  :  «  Pas  de  mauvais  augure.  »  Et  le  prince 
lorrain  dicta  quelques  lettres.  Vers  sept  heures,  il 
s'informa  du  temps.  Péricart  regarda  à  travers  les 
vitres  et  dit  :  u  Monseigneur,  il  pleut.  »  C'était  le 
point  du  jour,  le  ciel  était  bas  et  sombre,  l'air  froid 
et  humide.  Il  y  avait  dans  la  chambre  de  M.  de  Guise, 
indépendamment  de  Péricart,  Esme  de  Hautefort, 
une  sorte  d'archiviste,  et  Bernardin.  Un  message  du 
roi  étant  survenu,  le  duc  quitta  son  lit.  Bernardin  lui 
passa  un  costume  de  salin  gris  fort  beau,  mais  un 
peu  léger  pour  l'avant-veille  de  jNoël.  Le  duc  n'y  fit 
aucune  attention.  Accompagné  seulement  de  trois 
ou  quatre  de  ses  officiers  et  de  Péricart,  il  prit  une 
galerie  qui,  de  sa  chambre,  aboutissait  à  la  terrasse  du 
Porche.  Là,  il  reconnut  un  gentilhomme  d'Auvergne, 
qui  lui  dit  en  se  courbant  :  «  Monseigneur,  retour- 
nez. On  a  contre  vous  de  mauvais  desseins.  »  Le  duc 
le  remercia  et  répondit  :  «  Soyez  tranquille,  mon 
bon  amy,  je  n'ay  aucune  appréhension.  »  A  quehjues 
pas  plus  loin,  Aubencour  lui  réitéra  le  même  avis.  Le 
duc,  cette  fois,  répliqua  avec  humeur  :  n  Je  ne 
crains  rien.  »  Pourtant  il  sentit  le  besoin  de  prier; 
car  il  s'agenouilla  quelques  minutes  dans  l'oratoire 
qui  communique  à  la  chapelle.  Il  pénétra  ensuite  jus- 
qu'à l'antichambre  de  la  reine  mère.  Il  aurait  désiré 
lui  souhaiter  le  bonjour,  mais  Catherine,  malade,  ne 
put  le  recevoir.  Il  en  parut  contrarié  et  gagna  le  grand 
escalier,  ou  il  fut  abordé  par  Larchant  et  les  Écossais. 


204  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Leduc,  se  souvenant  aussitôt  de  leur  requête,  dit  : 
«  Monsieur  deLarchant,  il  est  trop  raisonnable  qu'on 
distribue  à  ces  braves  gens  leur  solde.  Je  m'y  em- 
ploierai bien  volontiers.  »  Et  Larchant,  présentant 
un  mémoire  au  duc,  l'accompagna  jusqu'au  second 
étage,  à  la  porte  de  la  salle  du  conseil.  M.  de  Guise 
congédia  ses  offciers  et  quelques  pages  qui  l'avaient 
rejoint.  Péricart  seul  entra  avec  lui.  Sans  tarder  un 
instant,  M.  de  Larchant  fit  vider  le  grand  escalier  et 
le  remplit  de  ses  Écossais.  Plus  bas,  dans  la  cour,  le 
colonel  des  gardes,  M.  de  Grillon,  ordonna  de  fermer 
toutes  les  portes  extérieures  du  château ,  comme  s'il 
se  fût  disposé  à  un  siège. 

Le  cardinal  de  Guise  et  l'archevêque  de  Lyon,  d'Es- 
pinac,  avaient  précédé  de  bien  peu  au  conseil  le  Ba- 
lafré. On  expédiait  les  affaires  courantes.  Le  duc  de 
Guise  s'était  assis.  Il  eut  soudain  comme  une  défail- 
lance, soit  qu'il  se  rappelât  les  avertissements  de  la 
veille  et  de  la  matinée,  soit  qu'il  succombât  à  l'un  de 
ces  épuisements  qui  suivent  parfois  les  nuits  d'amour. 
Le  duc  se  plaignit  d'un  frisson  et  d'un  mal  de  cœur. 
Il  s'approcha  de  la  cheminée,  jeta  lui-même  quelques 
fagots  sur  le  feu  et  s'y  réchauffa.  Péricart  sortit  pour 
aller  chercher  le  drageoir  d'argent  doré,  en  forme  de 
coquille,  où  le  duc  avait  toujours  des  conserves.  Il 
ne  déjeunait  pas  autrement  qu'avec  ces  fruits  dont  il 
mangeait  aussi  le  long  du  jour.  En  attendant  Péricart, 
M.  de  Guise  demanda  si  quelqu'un  n'avait  pas  de  l'é- 
corce  de  citron  ou  une  friandise  acide  pour  lui  refaire 
le  cœur.  Sur  un  signe  négatif  et  unanime,  il  dépêcha 
M.  de  Morfontaine  à  M.  de  Saint-Prix,  premier  valet 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME. 


205 


de  chambre  de  Henri  III ,  afin  d'avoir  des  raisins  de 
Damas  ou  d'autres  bagatelles  du  roi.  M.  de  Saint- 
Prix  lui  apporta  des  prunes  de  Brignolles,  puis  après, 
un  mouchoir  de  poche  dont  le  duc  avait  besoin  pour 
'  essuyer  la  sueur  glacée  qui  lui  perlait  le  front  et  les 
larmes  qui  tombaient  nerveusement  de  l'œil  voisin 
de  sa  balafre.  «  Bernardin,  dit  le  duc.  ne  m'a  pas 
baillé  aujourd'hui  mes  nécessités,  mais  je  l'ai  tant 
hâté  qu'il  est  excusable.  » 

Péricart  était  revenu  à  la  salle  du  conseil.  Re- 
poussé par  les  Écossais,  il  ne  put  que  faire  remettre 
le  drageoir  à  son  maître.  Il  redescendit  effaré  en  re- 
marquant davantage  les  précautions  de  M.  de  Grillon 
et  de  M.  de  Larchant.  Il  pha  dans  un  mouchoir  un 
billet  ainsi  conçu  :  «  Sauvez-vous,  monsieur,  ou  vous 
êtes  mort.  »  Et  il  chargea  un  page  de  remettre  le 
tout  au  duc.  Le  page  ne  monta  pas  même  un  degré 
de  l'escalier.  Les  soldats  lui  barrèrent  le  chemin. 

Henri  III  cependant  frémissait  d'impatience.  Il  s'é- 
tait confessé.  Il  avait  la  sécurité  de  l'absolution.  Seu- 
lement il  était  agité  entre  les  terreurs  et  les  espérances. 
Il  allait,  venait,  du  cabinet  des  cellules  à  sa  chambre. 
Là,  Loignac  et  les  huit  étaient  postés  aux  abords  du 
vieux  cabinet ,  le  cabinet  de  gauche ,  où  Henri  III 
avait  coutume  de  se  tenir  et  où  le  duc  de  Guise  serait 
mandé.  Et  le  roi  disait  à  Loignac  et  aux  huit  :  «  Ne 
le  manquez  pas,  prenez  bien  vos  mesures  contre  un 
homme  aussi  redoutable.  y>  Puis  le  roi  regagnait  son 
cabinet  des  cellules,  d'où  il  surveillait  l'événement. 

Vers  huit  heures,  Henri  de  Valois  ordonna  d'une 
voix  claire  à  Révol ,  un  des  nouveaux  ministres,  de 

IV.  18 


'106  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

prévenir  le  duc  de  Guise  que  le  roi  l'altendait.  Révol 
quitte  tout  trembknt  le  cabinet  deç  cellules  et  repa- 
raît bientôt  :  «  Qu'y  a-t-il ,  M.  de  Révol?  vous  me 
gâterez  tout.  Que  vous  êtes  pâli  !  frottez-vous  les 
joues,  frottez-vous  les  joues.  —  Sire,  ce  n'est  rien. 
Mais  M.  de  Nambu  refuse  de  m' ouvrir  la  salle  du  con- 
seil sans  votre  ordre. 

Le  roi  court  alors  à  Nambu  et  lui  dit  :  «  Laissez 
sortir  M.  de  Révol,  puis  laissez-le  rentrer  et  après  lui 
M.  de  Guise.  » 

Le  Balafré  était  mieux.  Le  maître  des  requêtes 
Marillac  lisait  un  rapport  sur  les  gabelles.  La  porte 
de  la  cbambre  du  roi  s'entre-bàille,  M.  de  Révol  s'ar 
vance  dans  la  salle  du  conseil  et  dit  révérencieuse- 
ment  au  duc  de  Guise  :  «  Monseigneur,  le  roi  vous 
demande.  Il  est  dans  son  vieux  cabinçt.  »  Révol  re- 
tourne rapidement. 

Le  duc  de  Guise  vida  son  drageoir  sur  la  table  du 
conseil  et  dit  :  «  Messieurs,  qui  en  veut  ?  »  C'étaient 
des  prunes  et  du  raisin  de  Damas  dont  le  duc  ne  rc^ 
serva  presque  rien.  Il  se  lève  alors  de  son  siège,  se 
drape  avec  grâce  dans  son  manteau,  prend  de  la  main 
gaucbe  son  drageoir,  son  chapeau,  ses  gantelets  de 
daim,  s'incline  légèrement  devant  le  conseil  et  frappe 
à  la  porte  de  la  cbambre  du  roi.  Nambu  ouvre  cette 
porte  et  la  referme  sur  M.  de  Guise. 

Le  duc  aperçoit  Loignac  et  les  huit.  Il  se  dirige 
vers  le  vieux  cabinet  et  les  salue.  Eux  se  rangent, 
puis  enveloppent  ses  traces  comme  par  respect-  A 
trois  pas  de  |a  petite  porte  du  cabinet,  au  moment 
où  le  duc  se  baisse  pour  en  soulever  la  tapisserie, 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  207 

il  est  saisi  aux  bras,  aux  jambes,  à  la  garde  de  son 
épée.  Sainte- Malines  lui  plonge  un  long  poignard 
dans  la  poitrine,  de  haut  en  bas,  pour  ne  pas  le  man- 
quer, même  s'il  a  une  cotte  de  mailles.  Montséry 
le  blesse  au  cou,  Loignac  aux  reins,  a  Ehl  mes  amis, 
eh!  mes  amis,  »  dit  le  duc  en  se  débattant.  Neuf 
meurtriers  l'assaillent  avec  l'épée,  avec  le  poignard, 
avec  la  dague.  Au  coup  de  Sariac  dans  le  côté,  il  s'é- 
crie :  «  Mon  Dieu,  miséricorde!  »  Il  se  sent  perdu  et 
n'implore  pas  merci.  Son  dernier  effort  est  d'un 
soldat.  Etreint  dans  les  bras  des  assassins  comme 
dans  un  étau  multiple  ,  vomissant  tout  son  sang  par 
la  poitrine,  par  la  bouche,  par  les  narines,  par  la 
gorge,  par  le  flanc,  il  secoue  puissamment  la  moitié 
de  ces  sicaires  et  traîne  les  autres  jusqu'au  lit  de 
Henri  III,  près  duquel  il  tombe  à  la  renverse  sans 
parole  et  sans  vie,  en  jetant  un  profond  soupir. 

Le  bruit  de  cette  lutte  et  ce  soupir  furent  entendus 
de  la  salle  du  conseil  séparée  par  une  simple  cloison 
de  la  chambre  du  roi.  Le  cardinal  de  Guise  s'élancu 
et  dit  :  «  C'est  mon  frère  qu'on  égorge  !  »  L'arche- 
vêque de  Lyon,  un  conjuré  intrépide,  veut  aussi  voler 
au  secours  de  son  chef.  Mais  le  maréchal  d'Aumont 
arrête  les  prélats  d'une  voix  de  tonnerre  :  «Le  premier 
qui  bouge,  s'écrie-t-il,  je  lui  donne  de  l'épée  dans  le 
corps-,  messieurs,  le  roi  a  affaire  de  vous.  «  Et  il  ap- 
pelle M.  de  Larchant  qui  conduit  prisonniers  le  car- 
dinal et  l'archevêque  dans  un  galetas  du  troisième 
étage. 

Le  roi  cependant  avait  haussé  la  portière  du  cabi- 
net des  cellules,  d'où  il  avait  écouté  le  tumulte  râ- 


208  HISTOIRE  DE  LA  LlliERïÉ  RELIGIEUSE. 

pide  de  l'assassinat.  Il  aventura  son  regard,  puis  ses 
pieds  dans  sa  chambre  et  dit  à  l'aspect  du  cadavre 
immobile  du  duc  de  Guise  :  a  Qu'il  est  grand  !  »  et  un 
instant  après  :  «  Il  est  encore  plus  grand  mort  que 
vif.  »  Le  roi  ne  sut  contenir  ni  son  effroi,  ni  sa  haine, 
ni  sa  joie.  Avant  de  s'éloigner,  il  insulta  d'un  coup 
de  sa  bottine  la  belle  figure  du  duc  de  Guise,  comme 
le  duc,  la  nuit  de  la  Saint- Barthélémy,  avait  outragé 
du  talon  de  sa  botte  le  visage  vénérable  de  Coligny. 

Le  Balafré  fut  recouvert  d'un  tapis  de  Turquie, 
après  que  le  secrétaire  d'État  Beaulieu  eut  inventorié 
tout  ce  que  le  prince  lorrain  portait  sur  lui. 

Le  duc  de  Guise  avait  autour  du  bras  gauche  une 
chaînette  ouvragée  avec  une  petite  clef,  au  doigt  un 
cœur  de  diamants,  dans  sa  poche  une  bourse  pleine 
et  ce  billet  écrit  de  la  main  du  duc  :  (c  Pour  entretenir 
la  guerre  en  France,  il  faut  sept  cent  mille  livres  par 
mois.  »  Ses  papiers  furent  fouillés.  On  acquit  la 
preuve  que  le  duc  avait  reçu  du  roi  d'Espagne  plus 
d'un  million  cinq  cent  mille  écus  d'or. 

Henri  III  vaguant  à  travers  son  appartement  ne  se 
possédait  pas  d'allégresse.  Il  triomphait.  Il  disait  : 
<(  Morte  la  bêle^  mort  le  venin,  m  II  croyait  que  tout 
était  fini.  Il  descendit  chez  la  reine  mère  qui  logeait 
au-dessous  de  lui.  Elle  était  malade  et  triste.  «  Eh 
bien  1  ma  mère,  s'écria-t-il,  le  roi  de  Paris  est  mort, 
je  suis  maintenant  le  seul  roi.  Je  n'ai  plus  de  compa- 
gnon. —  Hélas!  dit  Catherine,  qu'avez-vous  fait? 
Mon  fils,  octroyez-moi  une  requête.  —  Laquelle, 
madame  ?  —  Ne  me  refusez  pas  le  duc  de  Nemours 
ôi  le  prince  de  Joinville.  Us  sont  jeunes,  ils  vous  fe- 


LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME.  ,  209 

ront  plus  tard  service.  —  Je  vous  donne  les  corps, 
madame,  mais  je  retiens  les  têtes.  Ne  suis-je  pas 
l'unique  roi  ?  —  Ah  !  reprit  Catherine ,  Dieu  veuille 
que  vous  ne  soyez  pas  roi  de  rienl  Vous  avez  tué  le 
duc  de  Guise.  Avez- vous  songé  aux  conséquences.^ 
Vous  avez  taillé,  mais  il  faudra  coudre.  Avez- vous 
du  moins  mis  ordre  aux  villes  qui  tenaient  pour  votre 
ennemi  ?  Ne  faillez  pas  de  gagner  le  légat  du  pape.  » 

En  parlant  ainsi,  la  reine  était  très-agitée.  Elle  pré- 
voyait les  suites  de  ce  tragique  assassinat.  Elle  con- 
naissait l'insuffisance  et  l'impuissance  croissantes  de 
Henri  III,  les  colères,  les  vengeances  qui  allaient 
le  submerger.  Elle  était  vieille  et  cassée.  Il  y  avait 
cinquante-quatre  ans  qu'elle  était  arrivée  en  France. 
Elle  y  avait  été  mère  d'une  belle  famille  de  rois.  Tous 
ses  lils  étaient  morts  successivement.  Il  n'en  restait 
plus  qu'un,  et,  par  ce  nouveau  crime,  il  s'était  moins 
sauvé  que  perdu.  Telles  étaient  sans  doute  les  pen- 
sées de  Catherine,  quand  son  fils  lui  eut  annoncé  le 
meurtre  du  Balafré.  Elle  était  chargée  d'embonpoint. 
Ses  joues  basanées  et  pendantes  étaient  plus  blêmes 
par  les  soucis  et  les  maladies,  plus  lugubres  par  ce 
qu'elle  apprenait.  Le  roi,  comme  épouvanté,  ou  du 
souvenir  de  sa  victime,  ou  delà  physionomie  hideuse 
de  sa  mère,  la  quitta  brusquement. 


Î8. 


LIVRE  GINQUAÎiTlÈMB- 


Ar^èstaiiÔTî  des  principaux  amis  dii  due  dé  Guise.  —  Le  carainàl, 
soTi  frère,  est  égorgé  dans  un  couloir  du  chàleaû  de  Blois.  —  La 
duchesse  de  Nemours,  leur  mère,  réclame  les  corps  de  ses  enfants. 

—  Henri  III  les  lui  promet  et  la  trompe.  —  Mort  de  Catherine  de 
Médicis.  —  Consternation  et  colère  de  Paris  à  la  nouvelle  de  l'as- 
sassinat du  duc  ;  redoublement  de  fureur  à  là  nouvelle  de  l'assas- 
sinat du  cardinal.  —  Rage  de  la  ligue.  —  Les  pamphlets.  —  Les 
sermons.  —  Pigenat,  curé  de  Saint-Nicolas  des  Champs.  —  Lin- 
céstre  et  Achille  de  Harlay.  —  Influence -des  duchesses  de  Nemours 
et  de  Montpensier.  —  Les  Seize.  —  La  faculté  de  Paris,  assemblée 
à  la  Sorbonne,  délie  le  peuple  de  la  fidélité  à  la  royauté.  —  Elle 
fait  de  la  sédition  un  devoir.  —  Le  parlement,  présidé  par  Achille 
de  Har/ay,  résiste  aux  Seize.  —  Bussy-Lecl'erc  mène  les  magis- 
trats à  la  Bastille.  —  La  ligue  compose  un  autre  parlement.  — 
Conseil  général  de  la  ligue.  —  Mayenne  presque  dictateur.  — 
Henri  III  à  Tours  entré  la  ligne  et  les  huguenots.  —  Il  conclut  un 
traité  d'alliance  avec  le  roi  de  Navarre.  — Mornay,  le  négoeiatéùr 
de  Henri  de  Bourbon.  —  Portrait  de  Mornay. —  Entrevue  des 
rois  au  Plessis-lez-Tours.  —  Combat  de  Mayenne  et  de  Crillon. 

—  Les  rois  marchent  sur  Paris.  —  La  duchesse  de  MontpCiisier. 

—  Jacques  Clément.  — ■  Meurtre  de  Henri  III. 

Henri  III  obtempéra  aux  décisions  de  son  conseil 
qui  vota  l'arrestation  du  cardinal  de  Bourbon,  de  la 
duchesse  douairière  de  Nemours  et  du  prince  de  Join- 
vilie,  fils  aîné  du  duc  de  Guise.  Le  grand  prévôt  de 
l'hôtel,  Richelieu,  fut  cliargé  d'incarcérer  prompte- 
ment  les  députés  séditieux  et  les  gentilshommes  atta- 
chés aux  Guise,  entre  autres  La  Chapelle-Marteau,  le 
président  de  Neuilly,  les  échevins  Compans  et  Cotte- 


LIVRE  CINQUANTIEME.  '  211 

blanche,  représentants  de  Paris,  Leroi  représentant 
d'Amietis,  Péricart,  Menneville  et  Brissac.  Beaucoop 
de  partisans  du  duc  s'échappèrent. 

Le  23  décembre,  ce  jour  du  grand  meurtre,  fut  la- 
mentablement obscur,  morne,  pluvieux.  Le  ciel  sem- 
blait pleurer  le  duc  de  Guise. 

Le  cardinal,  son  frère ,  et  d'Espinac,  l'archevêque 
dë  Lyon,  passèrent  les  heures  de  plomb  de  leur  gale- 
tas â  prier,  à  se  confesser,  à  s'exhorter.  Le  cardinal 
de  Guise  sortait  de  ces  exercices  de  piété  par  des  ex- 
plosions d'une  fareur  inextinguible ,  menaçant  et 
maudissant  ce  roi  assassin.  Il  se  calma  un  peu  sur  le 
soir.  Henri  III  l'abhorrait.  Il  savait  que  le  cardinal 
avait  dit  que  son  plus  grand  bonheur  serait  de  tenir 
la  tête  du  Valois  entre  ses  genoux  ,  lorsqu'on  lui  dé- 
cernerait par  la  tonsure  une  troisième  couronne,  celle 
de  capucin.  Le  Conseil  intime  prononça  la  mort  contre 
le  cardinal  et  le  roi  souscrivit  à  la  sentence. 

On  avait  fourni  aux  prélats  dans  leur  grenier  deux 
paillasses  et  deux  tnatelats,  des  œufs,  du  vin  et  du 
pain,  des  bréviaires,  du  linge  et  des  robes  de  nuit.  Le 
cardinal  de  Guise,  exténué  de  ses  émotions  et  de  sa 
douleur,  dormit  profondément  depuis  onze  heures 
jusqu'à  l'aube. 

Il  ne  fut  pas  aussi  facile  de  le  tuer  que  de  le  con- 
damner. Les  meurtriers  se  dérobaient.  La  Bastide, 
lin  bandit,  refusa.  Valeirçay,  son  camarade,  accepta, 
monta  jusqu'à  la  petite  chambre  du  cardinal  avec  six 
avènturiers  ;  niais  là,  il  hésita  d'abord  et  l'effroi  du 
sàtig  d'un  prêtre  )e  saisissant ,  il  redescendit  tout 
hohteoîç  de  n'àv6[ç  rièn  faitr 


212  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Du  Gast  enfin  se  présenta.  Il  était  capitaine  aux 
gardes.  Il  avait  embauché  pour  ce  crime  un  sergent 
et  deux  soldats. 

Précédé  d'un  valet  qui  porte  une  bougie  vacillante, 
il  gravit  jusqu'au  troisième  étage,  poste  ses  hommes 
dans  un  couloir  ténébreux  et  va  chercher  le  cardinal 
de  Guise.  «  Monseigneur,  lui  dit-il,  veuillez  me  suivre 
chez  le  roi.  »  L'archevêque  de  Lyon  est  debout  en 
même  temps  que  le  cardinal.  Le  prince  lorrain  s'a- 
dressant  à  Du  Gast  :  «  Yenez-vous  pour  moi  seul  ? 
—  Pour  vous  seul.  »  Alors  les  deux  captifs  s'embras- 
sent et  se  séparent.  L'archevêque  bénit  le  cardinal 
qui  marche  à  la  faible  lumière  derrière  le  valet  et  de- 
vant le  capitaine.  Le  serviteur  entre  dans  le  couloir  au 
milieu  duquel  le  prince  lorrain  aperçoit  le  sergent  et 
les  deux  soldats,  à  la  lueur  tragique  de  la  bougie. 
Du  Gast  lui  dit  :  «  Monseigneur,  il  faut  mourir.  — 
C'est  bien,  répond  le  cardinal,  laissez-moi  un  mo- 
ment pour  me  recommander  à  Dieu.  »  Il  se  recueille 
et  s'écrie  pieusement  :  «  Seigneur,  daignez  recevoir 
mon  âme.  »  Puis  ramenant  son  manteau  sur  son  vi- 
sage, il  dit  aux  soldats  d'un  accent  magnanime  : 
((  Exécutez  votre  commission.  »  Aussitôt ,  au  com- 
mandement de  Du  Gast,  le  jeune  prélat  fut  égorgé  à 
la  pointe  et  au  tranchant  des  hallebardes. 

Ainsi  succomba  le  cardinal  Louis,  vingt-cinq  heures 
après  son  frère  le  duc  de  Guise  -,  unis  l'un  et  l'autre 
dans  la  vie  et  dans  la  mort. 

Le  cardinal  de  Guise  avait  les  traits  fins  et  nobles. 
Son  grand  air  était  d'un  prince  de  Lorraine  et  d'un 
prince  de  l'Église.  Sa  barrette  ne  paraissait  pas  une 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  213 

dignité  sur  sa  tête,  mais  plutôt  un  ornement  de  toi- 
lette, une  parure.  Il  avait  été  conspirateur  par  amour 
fraternel,  par  turbulence  de  caractère  et  par  esprit 
de  famille.  Il  était  moins  né  pour  le  martyre  que  pour 
le  plaisir  et  les  passions.  Il  avait  eu  quatre  fils  de 
madame  de  Grimaucourt.  Il  n'était  pas  majestueux, 
il  était  charmant.  Il  y  avait  sur  sa  physionomie  le 
prestige  d'une  grande  race,  le  phosphore  d'un  grand 
courage.  Il  fut,  dans  sa  lignée,  l'anneau  taché  de  sang 
entre  les  générations  épiques  et  les  générations  cour- 
tisanesques,  entre  ses  frères  et  ses  neveux,  entre 
l'histoire  et  le  roman. 

La  terrible  nouvelle  de  la  mort  du  cardinal  se  ré- 
pandit dans  le  château  et  dans  la  ville.  Le  duchesse 
de  Nemours,  la  mère  des  princes  assassinés,  fut 
foudroyée  de  désespoir,  mais  elle  ne  s'abandonna 
point.  Elle  eut  dans  sa  détresse  l'héroïsme  de  la  na- 
ture et  du  cœur.  Surmontant  l'horreur  que  lui  inspi- 
rait le  meurtrier  de  ses  fils,  elle  alla  chez  le  roi 
qui  ne  put  l'éviter.  Là,  elle  implora  en  supphante 
les  corps  de  ses  enfants,  afin  de  les  inhumer  de  ses 
mains  maternelles.  Henri  III  promit  tout  avec  l'inten- 
tion de  ne  pas  tenir.  Il  ne  voulait  pas  livrer  les  cada- 
vres de  ces  princes  que  la  ligue  aurait  exposés  et  tra- 
vestis en  martyrs,  et  qui  auraient  suffi  pour  faire  une 
révolution  à  Paris.  Au  lieu  de  rendre  ces  cadavres 
glorieux  à  leur  m^re  qui  souhaitait  de  les  coucher, 
tout  éperdue  ,  dans  des  tombes ,  comme  autrefois 
elle  les  avait  couchés,  heureuse,  dans  des  berceaux, 
le  roi  les  fit  mutiler  horriblement  durant  la  nuit  de 
Noël,  puis  soumettre  au  feu.  puis  à  la  chaux  vive,  de 


214  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEL'SE. 

telle  sorte  qu'il  ne  demeura  presque  aucun  vestige, 
soit  du  Balafré,  soit  du  cardinal.  Les  tristes  restes, 
sans  forme  et  sans  nom,  ni  chair,  ni  os,  ni  cendres 
même,  furent  jetés  à  la  Loire,  dont  les  flots  rouges 
avaient  emporté  les  conjurés  d'Amboise  et  plus  d'une 
victime  de  la  Saint-Barlhélemy.  Juste  jugement  de 
Dieu! 

Toutes  choses  terminées,  le  grand  prévôt  Riche- 
lieu vint  dire  à  la  duchesse  de  Nemours  que  les  corps 
des  deux  princes  avaient  été  déposés  par  lui  en  terre 
sainte,  selon  les  ordres  du  roi. Voilà  comment  Henri  III 
dégngea  sa  fausse  parole.  Après  le  meurtre  et  le  sa- 
crilège sur  les  fils,  l'imposture  envers  la  mère  lui 
coûta  peu. 

Il  ne  réussi  t  ni  à  s  emparer  de  Mayenne  par  d'Orriano 
qu'il  avait  dépêché  à  Lyon,  ni  à  se  justifier  auprès  du 
pape  par  le  légat  Morosini.  Il  ne  congédia  les  états 
généraux  qu'au  milieu  de  janvier.  Il  espéra  un  instant 
s'en  servir  comme  d'une  force  morale,  mais  les  dé- 
putés influents  étaient  en  prison  ou  en  fuite.  Ceux 
qui  siégeaient  encore  étaient  impuissants,  beaucoup 
ennemis.  Le  roi  comprit  qu'il  ne  pouvait  pas  se  sub- 
stituer au  duc  de  Guise,  comme  chef  du  parti  catho- 
lique, dans  cette  assemblée  qui  n'était  plus  qu'une 
ombre  d'elle-même.  Il  en  décréta  la  dissolution  et  se 
trouva  seul  en  face  de  la  ligue  qui  l'appelait  le  roi 
assassin.  La  ligue  ne  fut  plus  un  parti,  elle  devint  un 
volcan. 

Catherine  de  Médicis  succomba  le  5  janvier  Io89» 
Elle  s'était  fait  porter,  après  le  grand  meurtre^  chez  le 
cardinal  de  Bourbon ,  captif  dans  un  appartement 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  215 

(lu  château.  Le  cardinal  l'apercevai)t  s'écria  :  a  Vous, 
madame,  vous  1  ah  1  voilà  d^  vos  tours  1  c'est  vous  qui 
avez  fait  mourir  M.  de  Guise  et  qui  nous  ferez  tous 
mourir.  » 

Malade  déjà,  profondément  émue  d'être  soupçon- 
née à  tort,  Catherine  répondit  :  «  Que  je  sois  dam- 
née, monsieur,  si  je  ne  suis  innocente  de  cela  !  »  Puis 
s'affaissant  sur  elle-rnème  et  s'appuyant  sur  ses  gens  : 
«  Je  n'en  puis  plus,  dit-elle,  il  faut  que  je  me  remette 
au  lit.  »  Elle  ne  se  releva  plus. 

Elle  traîna  quelques  jours  et  elle  expira  dans  sa 
petite  chambre  du  château  de  Blois.  Elle  s'était  en- 
tourée de  chefs-d'œuvre  d'art,  mais  elle  n'eut  pas  à 
son  oreiller  une  affection.  Elle  reçut  les  sacrements 
de  l'Église;  ce  fut  pour  elle  une  cérémonie  de  plus, 
et  voilà  tout.  Des  lèvres  officielles  psalmodièrent  sur 
son  agonie,  mais  pas  un  cœur  ne  pria.  Elle  ne  pria 
pas  elle-même:  elle  n'aima,  ni  ne  crut,  ni  n'espcra. 
Athée  invétérée,  elle  glissa  insensible  et  aride  dans 
le  sombre  gouffre,  pour  elle  sans  immortalité  et  sans 
Dieu^  elle  s'enfonça  inconsolée  et  muette  dans  la  nuit 
éternelle,  entrevoyant,  au  delà  du  dernier  de  ses  fils, 
le  roi  de  Navarre,  cet  héritier  fatal  qu'elle  avait  tant 
redouté. 

Cette  mort  de  Catherine  fut  aussi  amère  qu'aucune 
de  celles  qu'elle  infligea. 

A  travers  ses  vices,  la  fourberie,  l'indifférence  au 
mal  et  au  sang,  le  mensonge  toujours  préféré  à  la  vé- 
rité, Catherine  eut  une  familiarité  florentine  qui  rap- 
pelait la  maison  de  Médicis ,  une  maison  de  grande 
bourgeoisie.  C'est  par  cette  simplicité,  qui  corres- 


216  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

pondait  à  la  bonhomie  du  chancelier,  que  L'Hôpital 
fut  attiré  auprès  de  la  reine.  Elle  avait  d'ailleurs 
beaucoup  d'esprit  et  de  manèges-,  elle  parlait  bien, 
elle  écrivait  mieux.  Ses  lettres  sont  innombrables 
et  d'un  intarissable  bon  sens  aiguisé  à  l'italienne. 
Elle  en  écrivait  des  milliers  qui  coulaient  de  sa 
plume.  Ce  qu'elle  eut  de  plus  rare,  de  meilleur, 
ce  fut  sa  tendresse  pour  Henri  HI.  Elle  l'aima  en 
mère. 

C'est  son  seul  sentiment  sincère.  Sa  vie  d'ailleurs 
avait  été  infâme.  Sa  fin  fut  désolée.  Elle  ne  fut  hono- 
rée ni  d'un  regret,  ni  d'un  souvenir.  Son  fils  même, 
qui  l'avait  négligée  dans  sa  maladie ,  l'oublia  dans  le 
sépulcre.  On  ne  s'entretint  plus  d'elle.  Elle  ne  laissa 
au-dessus  de  l'abîme  sans  fond  que  le  silence.  On  ne 
parla  non  plus  d'elle  «  que  d'une  chèvre  morte,  »  dit 
un  contemporain. 

L'assassinat  du  duc  de  Guise,  qui  tua  Catherine, 
mit  le  roi  meurtrier  hors  la  loi. 

La  catastrophe  du  Balafré  fut  connue,  dès  le  24  dé- 
cembre, à  Paris.  Une  dépêche  de  l'ambassadeur  es- 
pagnol Mendoça  y  éclata  comme  la  foudre.  Ces  mots 
retentirent  plus  sinistrement  que  le  tonnerre  :  «  Le 
duc  de  Guise  est  mort.  »  La  ville  tout  entière  poussa 
un  vaste  cri,  puis  un  sanglot  sourd.  Une  jeune  fille  de- 
vint folle,  deux  femmes  du  faubourg  Saint-Antoine 
accouchèrent  avant  terme.  L'avocat  Le  Tourneur 
expira  de  douleur  et  d'indignation.  Après  avoir  foulé 
aux  pieds  le  portrait  du  roi ,  il  tint  jusqu'à  son  der- 
m'er  soupir  dans  un  embrassement  convulsif  le  por- 
trait du  duc  de  Guise. 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  21^ 

La  nouvelle  se  répandit  durant  les  offices  de  Noël. 
La  foule  était  immense  dans  toutes  les  églises.  Cette 
grande  mort  offusqua  de  son  horreur  l'anniversaire 
de  la  naissance  du  Christ.  La  fête  se  changea  en 
deuil.  Les  trois  quarts  des  cierges  furent  soufflés  par 
les  prêtres.  Les  chants  cessèrent.  Les  orgues  se  tu- 
rent. Les  messes  furent  célébrées  et  entendues  dans 
une  farouche  angoisse.  Tous  les  curés  des  différentes 
paroisses  recommandèrent  successivement  aux  pFiè- 
res  des  fidèles  Fàme  de  M.  de  Guise.  «  Paix  à  cette 
grande  âme,  dit  l'un  d'eux,  et  malédiction  sur  le 
meurtrier,  quel  qu'il  soit!  y)  Ce  n'était  partout  que 
gémissements  et  fureur. 

Après  la  messe  de  minuit,  la  municipalité  se  réu- 
nit à  l'hôtel  de  ville.  Sur  la  proposition  de  Roland, 
l'un  des  échevins ,  le  duc  d'Aumale  fut  élu  gouver- 
neur de  Paris.  Le  prévôt  des  marchands  fut  suppléé 
provisoirement  par  l'avocat  Drouart.  Ces  bourgeois 
furent  en  un  instant  de  grands  révolutionnaires.  Ils 
pourvurent  à  tout,  à  l'armement  de  la  cité,  aux  vi- 
vres, à  la  poHce,  aux  fortifications. 

Les  jours  s'écoulèrent  et  le  sentiment  public,  loin 
de  diminuer,  s'accrut.  Le  meurtre  du  cardinal  de 
Guise  redoubla  la  révolte  universelle  contre  Henri  IIL 

La  presse  et  la  tribune  des  églises  s'entr'aidèrent 
sans  se  concerter.  Il  y  eut  plus  de  deux  cents  pam- 
phlets. Les  prédicateurs,  bien  autrement  entraînants 
que  les  écrivains ,  soulevèrent  puissamment  les  pas- 
sions de  la  multitude.  Les  sermons  étaient  tous  des 
oraisons  funèbres-,  ils  n'en  étaient  que  plus  pathé- 
tiques. 

IV.  19  ''i 


218  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

François  Pigenat ,  curé  de  Saint -Nicolas  des 
Champs,  s'interrompit  au  milieu  d'un  discours,  et 
dit  :  «  Est-il  parmi  ceux  qui  m'écoutent  un  homme 
d'assez  de  zèle  pour  punir  Je  tyran  de  son  crime? 
qu'il  aille  et  ne  craigne  rien.  » 

Lincestre,  curé  de  Saint-Gervais,  déposa  un  jour, 
de  sa  propre  autorité,  le  roi,  qu'il  appelait  Vilain 
Herodes,  selon  l'anagramme  de  mépris  faite  par  la 
li^ue  du  nom  de  Henri  de  Valois. 

Un  autre  jour,  le  même  prédicateur,  après  avoir 
décrit  le  martyre  des  deux  Guise,  s'anima  contre 
Henri  HI  d'imprécations  en  imprécations ,  jusqu'à 
exiger  de  ses  auditeurs  un  serment  solennel,  le  ser- 
ment de  venger  sur  le  tyran  le  meurtre  des  princes 
catholiques.  Le  premier  président  Achille  de  Harlay, 
qui  était  dans  le  banc  d'honneur,  en  face  du  prédica- 
teur séditieux,  demeura  seul  immobile  et  muet. 
Lincestre,  l'objurguant  de  la  parole  et  du  regard,  lui 
cria  :  «  Et  vous  aussi,  monsieur  le  premier  président, 
sous  peine  d'être  complice,  levez  la  main,  levez-la 
bien  haut ,  pour  que  le  peuple  vous  voie  !  »  Achille 
de  Harlay,  ce  héros  sous  la  toge  avant  et  après,  flé- 
chit dans  cette  conjoncture  -,  il  sauva  sa  tête  en  l'in- 
clinant devant  le  geste  impérieux  de  ce  fanatique  et 
en  lui  obéissant. 

La  plèbe  et  une  partie  de  la  bourgeoisie ,  excitées 
par  les  prédicateurs,  les  libellistes  et  les  Seize,  se  dé- 
chaînèrent dans  Paris.  Mille  excès  furent  commis 
par  ces  hgueurs.  Ils  déchirèrent  aux  Augustins  un 
portrait  du  roi  ;  ils  brisèrent  à  Saint-Paul  les  statues 
de  Caylus,  de  Saint-Mesgrin  et  de  Maugiron.  Ils  pil- 


nVRE  CINQUANTIÈME.  219 

lèrent  çà  et  là  des  huguenots  et  des  politiques.  Ils  ar- 
rachèrent les  armes  royales  des  portes  de  Notre- 
Dame,  de  l'hôtel  de  ville,  du  Louvre  même. 

Le  Louvre  était  désert ,  et  la  foule  roulait  irritée 
autour  de  ce  palais  des  Valois. 

De  cette  race  il  n'y  a  plus  que  deux  rejetons  : 
Henri  IIÏ  et  Marguerite. 

Henri  flotte  à  tous  les  vents  d'orage  depuis  son 
grand  attentat.  Il  n'a  pas  encore  quitté  Blois. 

Marguerite,  au  château  d'Usson,  en  Auvergne,  se 
diffame  par  le  cynisme  de  ses  mœurs  et  se  réhabilite 
presque  par  l'atticisme  de  ses  Mémoires,  où,  dans 
l'ancien  idiome,  il  y  a  tant  de  jeunesse  d'inspiration , 
tant  de  grâce  de  récit  et  un  parfum  si  exquis  de  re- 
naissance. 

Ni  Henri  ni  Marguerite  ne  rentreront  au  Louvre. 
Le  crime  et  le  vice  les  en  ont  chassés.  Lui  mourra. 
Elle  reverra  Paris ,  mais  elle  n'habitera  plus  la  de- 
meure de  ses  beaux  jours  et  de  ses  ancêtres. 

Elle  choisira  un  emplacement  non  loin  de  l'hôtel 
de  Nesle.  Valois  et  Médicis ,  ûdèle  'ïiu  géniç  de  ses 
deux  familles,  elle  fera  construire  une  maison  splen- 
dide  entre  la  rue  de  Seine  et  la  rue  des  Saints-Pères. 
Son  parc  s'étendra  jusqu'à  la  rivière.  Elle  viendra 
s'asseoir  sur  des  coussins  de  velours,  dans  l'herbe, 
au  bord  de  l'eau,  qui  lui  murmurera  les  lamentations 
du  souvenir.  De  la  rive  où  blanchira  sa  vieillesse,  elle 
pourra  contempler  la  rive  de  son  tragique  printemps, 
elle  pourra  prêter  l'oreille  à  la  cloche  funèbre  qui 
sonna  l'heure  de  ses  noces  et  l'heure  des  massacres. 
Le  Louvre  sera  sa  perspective ,  mais  il  ne  sera  plus 


220  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

son  toit.  Un  fleuve  éternel  coulera  entre  elle  et  le 
palais  de  ses  aïeux. 

Cet  antique  palais  ne  s'ouvrira  qu'à  une  nouvelle 
dynastie  dont  Marguerite  n'a  pas  voulu  être.  Elle  a 
préféré  des  amants  à  un  roi ,  le  plaisir  à  la  grandeur 
et  au  devoir.  Elle  a  renoncé  au  trône  par  calcul  de 
courtisane ,  afin  de  mieux  se  consacrer  à  Vénus  et 
de  mieux  cacher  ses  vices  loin  de  l'étiquette. 

x\près  le  meurtre  de  Guise,  dans  le  mois  de  janvier 
i589,  le  peuple  qui  grondait  autour  du  Louvre  l'au- 
rait démoli  s'il  eût  été  habité-,  il  l'aurait  escaladé, 
mitraillé  ,  renversé  de  fond  en  comble ,  ce  palais , 
pour  y  égorger  le  roi!  Le  roi  n'y  étant  pas,  il  se 
contentait  d'abattre  les  armoiries  des  Valois  avec  des 
insultes  inépuisables. 

Il  faisait  des  irruptions  dans  les  églises  et  dans  la 
cathédrale.  Il  y  assouvissait  sa  rage.  Il  s'agenouillait 
devant  les  portraits  sanglants  du  duc  et  du  cardinal 
de  Guise,  placés  sur  tous  les  autels.  Femmes,  enfants, 
hommes  mûrs,  vieillards,  regardaient  ensuite  avec 
le  délire  de  la  haine  les  figures  de  Henri  III,  en  cire, 
exposées  aussi  près  du  tabernacle,  et  que  les  prêtres 
perçaient  de  longues  épingles,  sorte  de  maléfice  des- 
tiné à  faire  mourir  le  roi  à  distance.  La  duchesse  de 
Montpensier  donnait  l'exemple.  Elle  enfonçait  à  l'en- 
droit du  cœur  ses  propres  épingles,  après  les  avoir 
trempées  dans  le  poison  espagnol  le  plus  corrosif. 
Elle  parcourait  les  rues  à  cheval,  elle  parlait  dans 
ses  salons,  elle  vociférait  dans  les  carrefours.  Elle 
incendiait  toutes  les  poitrines  du  feu  de  la  rébeUion. 

JjCS  contemporains  se  trompent  souvent ,  mais  ils 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  221 

ont  été  justes  pour  la  duchesse  de  Montpensier.  La 
postérité,  non  plus  qu'eux,  ne  peut  accorder  son  es- 
time à  une  princesse  qui  ne  la  mérita  jamais  un  seul 
jour.  Ni  ses  fondations  pieuses ,  ni  son  assiduité  aux 
cérémonies  de  sa  chapelle,  aux  sermons,  au  confes- 
sionnal, ni  sa  profession  opiniâtre  de  bonne  catho- 
L'que,  ni  sa  passion,  ni  son  esprit,  ne  sauraient  cou- 
vrir, encore  moins  absoudre  la  violence  inouïe  de 
son  caractère  et  de  ses  témérités. 

Elle  était  la  torche  éclatante  des  processions  sédi- 
tieuses qui  sillonnaient  Paris,  soit  le  jour,  soit  la 
nuit ,  et  qui  s'élevèrent  jusqu'à  cent  mille  per- 
sonnes. (V.  les  estampes  de  œs  bacchanales,  cart. 
de  M.  Hennin.)  Les  chants  lugubres  retentissaient,  et 
des  files  étranges  de  pénitents,  de  pénitentes,  étei- 
gnaient à  la  fois  leurs  cierges  en  disant  :  «  Dieu 
éteigne  les  Valois  comme  nous  avons  éteint  nos 
flambeaux!  » 

La  duchesse  de  Montpensier  et  la  duchesse  de  Ne- 
mours ne  pouvaient  se  montrer,  même  aux  éghses, 
sans  des  ovations  et  des  applaudissements. 

Un  dimanche,  la  duchesse  de  Montpensier  s'étant 
présentée  à  Saint-Germain  des  Prés ,  Boucher,  curé 
à  Saint-Benoît,  qui  était  en  chaire,  dit  :  a  Voici  notre 
Judith,  celle  qui  tuera  Holopherne.  » 

Un  soir,  la  duchesse  de  Nemours  assistant  à  l'.orai- 
son  funèbre  de  son  fils  Henri  de  Guise,  le  petit  Feuil- 
lant, un  prédicateur  très-célèbre  du  temps,  qui  racon- 
tait les  vertus  du  héros  catholique,  se  tourna  vers 
cette  princesse  et  s'écria  :  «  0  glorieux  martyr  de 
Jésus-Christ,  béni  est  le  ventre  qui  t'a  porté',  bénies 


222  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

sont  les  mamelles  qui  t'ont  allaité  1  «  En  quittant 
Blois  la  pauvre  duchesse  avait  contemplé  en  pleûrant 
la  statue  de  Louis  XII  son  aïeul  sur  la  façade  du  châ- 
teau, et  avait  dit  :  «  Grand  roi  1  vous  n'aviez  pas  con- 
struit cet  édifice  pour  qu'on  y  égorgeât  les  enfants  de 
votre  petite-fille  !  » 

Les  Seize  exploitaient  le  sentiment  publie ,  l'in- 
fluence des  princesses  de  la  maison  de  Guise ,  les  co- 
lères du  clergé  ,  au  profit  de  leur  pouvoir  démocra- 
tique. Les  plus  ardents  parmi  eux  étaient  des  curés 
de  Paris,  entre  autres,  Boucher,  curé  de  Saint-Be- 
noît; Lincestre,  curé  de  Saint-Gervais  ;  Prévôt,  curé 
de  Saint-Séverin;  Aubry,  curé  de  Saint-André  des 
Arts-,  Pigenat,  curé  de  Saint-Nicolas  des  Champs. 
Ces  prêtres  et  d'autres  ligueurs  démontrèrent  cha- 
leureusement l'avantage  pour  la  municipalité,  qui 
avait  déjà  l'administration  ,  la  garde  bourgeoise ,  le 
droit  de  conscription  et  de  subsides,  d'avoir  encore  la 
religion  et  la  justice. 

Les  échevins -convaincus  posèrent  ces  deux  ques- 
tions à  la  Sorbonne  :  Le  peuple  de  France  est-il  délié 
du  serment  de  fidélité  au  roi  qui  a  violé  la  liberté  des 
états  généraux?  Le  même  peuple  peut-il  s'armer  en 
conscience ,  dans  l'intérêt  du  catholicisme ,  contre  le 
monarque  perfide  qui  a  fait  égorger  les  princes 
lorrains  ? 

La  faculté  de  théologie,  assemblée  au  collège  de 
Sorbonne,  répondit  aux  deux  questions  affirmative- 
ment-, soixante  et  dix  docteurs  délibérèrent, et  leur 
décision  fut  prise  à  une  immense  majorité. 

L'insurrection  devint  un  précepte  religieux.  Les 


LIVRE  CINQrA>'TlÈME.  223 

libelles  et  les  sermons  se  rallumèrent  plus  âcrement  à 
la  flamme  de  la  Sorbonne.  Le  nom  du  roi  fut  retran- 
cbé  de  toutes  les  prières  publiques.  Henri  de  Valois, 
l'assassin  du  grand  Guise,  fut  voué  théologiquement  et 
politiquement  aux  poignards.  Le  Balafré,  du  fond  de 
ses  deux  tombes ,  l'une  de  feu  ,  l'autre  de  flots,  où  il 
avait  été  brûlé,  puis  noyé,  poursuivait  à  outrance  son 
meurtrier. 

Les  Seize ,  l'armée  vivante  du  duc  de  Guise  mort, 
présentèrent  au  paflement  une  requête  dont  voici  la 
conclusion  :  a  Henri  de  Valois  sera  condamné,  pour 
réparation  de  son  crime,  à  faire  amende  honorable 
nu  en  chemise,  la  tête  nue  et  les  pieds  nus-,  la  corde 
au  cou,  assisté  du  bourreau ,  et ,  les  deux  genoux  en 
terre,  il  demandera  pardon  à  Dieu  et  aux  hommes. 
Il  sera  déclaré  déchu  de  la  couronne  de  France , 
comme  indigne;  il  sera  banni  et  confiné  à  perpé- 
tuité au  monastère  des  Hiéronymites  du  bois  de  yin- 
cennes,  pour  là  jeûner,  au  pain  et  à  Teau,  le  reste  de 
ses  jours;  ensemble  condamné  aux  dépens.  » 

Le  parlement,  présidé  par  Achille  de  Harlay,  n'é- 
tant pas  disposé  à  ratifier  un  pareil  arrêt,  les  ligueurs 
se  résolurent  à  emprisonner  les  chefs  de  ce  parlement 
royaliste  et  à  en  reformer  un  autre  plus  souple. 

Le  16  janvier  lo89,  Bussy-Leclerc ,  devenu  gou- 
verneur de  la  Bastille,  envahit  le  palais  de  justice 
avec  une  troupe  de  factieux  catholiques.  Il  place  des 
sentinelles  à  toutes  les  portes.  Il  monte  lui-même  à  la 
grand'chambre ,  oii  le  parlement  se  concertait  pour 
envoyer  au  roi  une  députation.  Bussy-Leclerc  engage 
le  parlement  à  imiter  la  Sorbonne,  à  délier  aussi  les 


1  

224  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Français  de  toute  fidélité  envers  Henri  III  et  à  bannir 
le  nom  du  roi  des  arrêts,  comme  l'Église  l'a  banni 
du  rituel. 

Après  cette  requête ,  Bussy-Leclerc  sort  pendant 
quelques  minutes,  pour  laisser  au  parlement  le  temps 
de  délibérer.  Il  rentre  bientôt  le  pistolet  au  poing,  et 
il  s'informe  insolemment  si  le  parlement  s'est  rallié 
à  la  décision  de  la  faculté  de  théologie,  en  destituant 
Henri  de  Valois. 

Achille  de  Harlay,  regardant  intrépidement  Bussy 
et  ses  ligueurs,  leur  demande  qui  les  a  chargés  de  si- 
gnilier  des  ordres  à  la  cour.  Le  vénérable  premier 
président  n'a  pas  disjoint  ses  doigts  qui  priaient  peut- 
être.  D'un  visage  impassible,  d'une  attitude  immo- 
bile, M.  de  Harlay,  en  face  de  l'émeute,  demeure 
aussi  calme  sur  les  fleurs  de  lis  qu'un  sénateur  romain 
dans  sa  chaise  curule. 

Bussy-Lcclerc  s'emporte,  déroule  un  parchemin  et 
dit  :  ((  Il  y  a  des  traîtres  parmi  vous.  Je  vais  les  ap- 
peler l'un  après  l'autre.  Qu'ils  me  suivent  à  l'hôtel 
de  ville  ou  malheur  à  eux  !  »  Bussy  avait  déjà  com- 
mencé par  le  premier  président  et  par  d'autres  prési- 
dents de  chambres ,  lorsque  M.'  de  Thou  ,  oncle  de 
l'historien,  s'écria  :  «  Monsieur,  à  quoi  bon  continuer 
cette  hste.r^  nous  irons  tous  avec  nos  chefs.  »  La  com- 
pagnie entière  se  leva  et  Bussy-Leclerc,  sans  s'éton- 
ner ,  accepta  ces  prisonniers  volontaires.  Ils  étaient 
plus  de  cinquante.  Il  les  emmena,  Achille  de  Harlay 
en  tête,  le  long  des  quais,  à  travers  les  outrages  d'une 
multitude  furieuse.  A  la  Grève,  le  premier  président 
montra  l'hôtel  de  ville  à  Bussy-Leclerc  comme  pour 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  225 

l'interroger^  mais  le  ligueur  répondit  qu'il  fallait 
marcher  plus  loin  et  il  conduisit  ce  cortège  auguste 
de  magistrats  à  la  Bastille. 

Le  même  jour,  Bussy-Leclerc  remit  en  liberté  tous 
ceux  qui  n'étaient  pas  sur  sa  liste  et  ne  garda  que  les 
suspects. 

Ce  fut  avec  les  magistrats  relâchés  et  ceux  qui  n'é- 
taient pas  au  palais  le  16  que  la  ligue  composa  un 
nouveau  parlement.  Molé  fut  nommé  procureur  gé- 
néral et  Brisson  premier  président.  Ils  consentirent 
sous  la  terreur.  Brisson  protesta  secrètement  par  acte 
notarié  qu'il  n'avait  agi  que  par  contrainte.  Précau- 
tion indigne  d'un  homme  et  d'un  citoyen  !  Faiblesse 
inutile  d'ailleurs,  nuisible  même,  car  elle  perdra 
Brisson,  tandis  qu'Achille  de  Harîay  sera  sauvé  par 
son  héroïsme. 

La  frénésie  de  la  ligue  était  centuplée  par  les  con- 
fessionnaux qui  transformaient  en  pièges  scolastiques 
les  tribunaux  de  la  pénitence  et  qui  insinuaient  le 
régicide.  Bien  plus,  Henri  III  était  réprouvé  par  le  roi 
d'Espagne,  aboli  et  maudit  par  le  pape,  qui  avait  pro- 
noncé la  menace  de  Texcommunication ,  au  lieu  de 
l'absolution  humblement  sollicitée  pour  la  mort  des 
princes  lorrains. 

La  France  était  en  combustion.  Le  duc  de  Mayenne 
était  parti  de  Lyon,  le  26  décembre,  en  apprenant  le 
meurtre  de  ses  frères.  Il  avait  soulevé  la  Bourgogne, 
la  Champagne,  une  partie  de  la  Beauce  et  il  était  en- 
tré à  Paris,  le  15  janvier,  aux  acclamations  univer- 
selles. 

Le  16  février,  il  s'était  présenté  avec  les  ducs  de 


226  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Nemours  et  d'Aumale  à  l'hôtel  de  ville,  et  là,  dans 
une  assemblée  de  notables,  il  avait  démontré  l'impé- 
rieuse nécessité  d'un  conseil  général  en  permanence 
pour  veiller  à  la  guerre,  aux  approvisionnements,  au 
budget  et  à  la  police  du  royaume. 

Le  17,  le  conseil  général  de  la  ligue  fut  composé 
de  quarante  membres  choisis  dans  le  clergé,  dans  la 
noblesse  et  dans  le  tiers  état.  Parmi  eux  on  remar- 
qua les  évêques  de  Meaux ,  de  Rennes ,  de  Senlis  et 
d'Agen^  l'abbé  de  Lénoncourt^  les  curés  Prévôt,  Pi- 
genat,  Boucher,  Aubry  et  Pelletier^  les  présidents 
Jeannin,  Lefèvre  d'Ormesson  et  de  Neuilly,  MM.  de 
Menneville,  de  Saint-Paul ,  de  La  Bourdaisière ,  de 
Canillac;  enfin  le  lieutenant  civil  La  Bruyère,  l'avo- 
cat Drouart,  le  procureur  Crucé,  et  Pierre  Sesnaut, 
commis  au  greffe,  qu'on  investit  des  fonctions  de  se- 
crétaire. Ce  conseil  s'accroîtrait  à  l'occasion  du  pré- 
vôt des  marchands,  des  échevins,  des  députés  que 
pourraient  envoyer  les  villes,  des  prélats,  des  princes, 
des  présidents,  du  procureur  général  et  des  avocats 
généraux  au  parlement  qui  auraient  tous  le  droit  de 
séance. 

Le  conseil  décerna,  le  4  mars,  au  duc  de  Mayenne 
une  sorte  de  dictature,  sous  le  titre  de  «  lieutenant 
général  de  la  couronne  de  France.  »  Mayenne  accepta 
modestement,  mais  énergiquement.  Il  prescrivit  le 
serment  à  Paris ,  aux  provinces ,  à  la  sainte  union. 
Il  envoya  des  agents  partout.  La  ligue  s'étendit,  se 
ramifia  et  s'enhardit  à.  la  fois.  Le  duc  de  Mayenne 
imprima  presque  à  l'anarchie  catholique  l'unité  et  la 
centralisation  de  la  royauté. 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  227 

11  n'avait  pas  le  charme  de  son  frère  le  duc  de 
Guise,  ni  ces  dons  merveilleux  de  présence  d'esprit, 
de  beauté  et  d'éloquence,  ni  ces  talents  de  diplomate 
et  de  tribun  qui  faisaient  du  Balafré  un  homme  in- 
comparable pour  enlever  les  multitudes  et  pour  en- 
sorceler soit  les  femmes,  soit  les  peuples,  soit  les  ar- 
mées. Non.  Mayenne  ne  possédait  pas  ces  séductions 
surprenantes.  Mais  il  avait  du  bon  sens,  du  courage, 
de  la  persévérance,  un  aspect  athlétique.  On  ne  dou- 
tait pas  de  son  blason.  Il  était  fort  et  imposant  comme 
un  chef  féodal. 

Ses  cheveux  rudes  ressemblaient  au  poil  des  san- 
gliers. Son  front  était  vaste  et  bombé,  sa  figure 
large,  ses  yeux  observateurs,  ses  sourcils  de  la  cour- 
bure la  plus  circonflexe,  son  nez  réservé,  sa  face 
puissante,  sa  bouche  ferme  et  fine  pour  parler  tantôt 
à  des  soldats  et  à  des  factieux,  tantôt  à  des  cardinaux 
et  à  des  ambassadeurs. 

Le  duc  de  Mayenne,  après  le  meurtre  de  Blois, 
pouvait  faire  la  guerre  et  il  la  fit.  Mais  il  ne  pouvait 
usurper  le  titre  de  roi ,  soit  pour  son  neveu  le  nou- 
veau duc  de  Guise,  soit  pour  lui-même.  Son  frère 
Henri,  un  héros  bien  plus  entraînant,  bien  plus  po- 
pulaire, avait  laissé  passer  le  moment.  Du  reste  ,  la 
révolution  était  flagrante  et  le  moment  reviendrait 
peut-être.  Mayenne  le  pensait  du  moins.  N'entrart-il 
pas  dans  des  éventualités  incalculables  ou  il  y  avait 
tout  à  espérer  du  hasard? 

Le  roi  cependant  n'était  pas  sans  ressources.  Mal- 
gré la  Saint-Barthélémy,  malgré  s-es  autres  crimes , 
malgré  ses  vices,  il  avait,  à  cette  époque  encore  si 


^28  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

monarchique ,  l'auréole  du  droit  divin.  Le  mmhe  de 
la  légitimité  planait  au-dessus  de  sa  tête  et  faisait 
étinceler  les  diamants  de  sa  couronne  d'un  feu  sur- 
naturel. Pour  beaucoup  il  était  la  représentation,  le 
symbole  de  la  France.  Et  cela  était  vrai  dans  de  cer- 
taines limites,  quand  sévissaient  la  ligue  et  les  Seize, 
le  parti  de  l'étranger. 

Henri  III  avait  la  majorité  de  la  noblesse  et  les  po- 
litiques de  la  bourgeoisie.  D'Épernon  était  accouru 
de  Saintonge  avec  une  armée  et  campait  aux  envi- 
rons de  Blois.  Le  roi,  qui  s'était  rendu  à  Tours  pour 
y  étouffer  le  mouvement  de  la  ligue  et  qui  avait  in- 
stallé dans  cette  ville  le  parlement  fidèle ,  allait  se 
trouver  pressé  entre  Mayenne  et  le  roi  de  Navarre.  Il 
n'y  avait  plus  à  balancer.  Il  lui  fallait  choisir  son  al- 
lié. Il  n'était  pas  assez  fort  contre  les  ligueurs  et  les 
huguenots. 

Il  conclut  donc,  le  3  avril  1589,  une  alliance  d'un 
an  avec  le  roi  de  Navarre.  Il  s'engageait  à  la  tolérance 
envers  les  calvinistes  et  le  Béarnais  promettait ,  de 
son  côté,  le  plus  inviolable  respect  envers  le  culte 
catholique,  jurant  de  n'y  porter  aucune  atteinte,  do 
combattre  loyalement  et  même  de  conquérir  pour 
le  roi. 

Ce  traité,  signé  par  l'intermédiaire  de  Duplessis- 
Mornay,  et  où  le  roi  de  Navarre  s'intitulait  pre- 
mier prince  du  sang  et  protecteur  des  Églises  réfor- 
mées, était  non-seulement  un  acte  de  bon  Français 
de  la  part  de  ce  prince  ,  mais  un  acte  d'héritier 
présomptif.  Il  venait  au  secours  du  trône  auquel  il 
devait  succéder.  Flenri  ïll  acceptait  ce  concours. 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  229 

Néanmoins,  il  ajourna,  sous  divers  prétextes,  la  pu- 
blication de  r  alliance.  Son  secret  dessein  était  une 
trahison. 

Il  avait  chargé  le  légat  Morosini  de  gagner  Mayenne . 
Le  roi  soumettrait  à  l'arbitrage  du  pape  toutes  les 
questions  douteuses.  Il  délivrerait  le  cardinal  de 
Bourbon  prisonnier  à  Chinon,  le  jeune  duc  de  Guise 
prisonnier  à  Tours,  et  le  duc  d'Elbeuf  prisonnier  à 
Loches.  Morosini  offrit  de  plus  au  chef  de  la  hgue 
une  pension  de  quarante  mille  écus  ,  et,  soit  pour 
lui ,  soit  pour  les  autres  princes  lorrains ,  le  tiers  de 
la  France,  à  commencer  par  les  gouvernements  de 
Champagne  et  de  Bourgogne. 

Mayenne,  qui  était  àChàteaudun,  et  qui  réunissait 
une  armée  en  Beauce,  refusa  tant  d'avantages  accu- 
mulés. Il  ne  voulait  ni  se  déshonorer,  ni  se  perdre 
dans  le  parti  catholique.  Il  répondit  au  légat  que  le 
roi  n'était  plus  roi,  qu'il  avait  été  découronné  théo- 
logiquement  par  la  Sorbonne ,  que  d'ailleurs  on  ne 
pouvait  se  fier,  et  lui  Mayenne  moins  que  tout  autre, 
au  meurtrier  du  duc  et  du  cardinal  de  Guise,  ces 
martyrs  de  la  foi. 

Dès  que  le  légat  eut  raconté  à  Henri  III  ses  conver- 
sations avec  le  prince  lorrain,  le  roi  ne  fit  plus  d'ob- 
jection à  Duplessis-Mornay  et  consentit  à  déclarer 
hautement  son  alliance  avec  le  Béarnais. 

Cette  alliance  entre  les  deux  rois  fut  acclamée,  le 
21  avril,  à  Tours  où  était  Henri  de  Valois  et  à  Sau- 
muroii  se  logea  Henri  de  Bourbon.  Henri  III  livra 
cette  ville  comme  un  gage  de  sa  sincérité  et  comme 
une  place  de  sûreté  indispensable  aux  calvinistes.  Le 

20 


230  HISTOIRE  DE  lA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

Béarncais  en  donna  le  gouvernement  à  Duplessis-Mor- 
nay,  son  négociateur. 

C'était  en  effet  M.  Duplessis  qui  avait  conclu  le 
traité.  Il  avait  été  aussi  patient  qu'adroit.  Il  n'avait 
pas  ignoré  les  perfidies  souterraines  de  Henri  III.  II 
s'était  croisé  les  bras,  certain  que  ces  perfidies 
échoueraient,  et  elles  avaient  échoué. 

x\l.  Duplessis,  qui  en  cette  conjoncture  avait  pour 
auxiliaire  la  nécessité,  ne  s'était  pas  un  instant  trou- 
blé des  intrigues  du  légat  Morosini.  Le  bon  sens  su- 
périeur du  capitaine  huguenot  ne  fut  point  déçu. 

M.  de  Mornay  était  l'un  des  serviteurs  les  plus  dé- 
voués de  Henri  de  Bourbon,  et  l'un  des  plus  grands 
citoyens  de  la  France  au  seizième  siècle.  Il  fut  bien 
plus  qu'un  talent,  il  fut  un  caractère  sous  un  roi 
gascon  et  dans  une  cour  essentiellement  diplomatique 
et  hypocrite. 

Mornay  n'eut  pas  de  peine  à  résister  au  torrent  des 
adulations  et  des  lâchetés.  C'était  une  âme  trempée 
et  retrempée  aux  guerres  religieuses.  Il  ne  désirait 
rien  au  delà  du  devoir  et  ne  craignait  que  Dieu.  Une 
disgrâce  n'eut  été  qu'un  attrait  pour  son  courage.  Il 
était  soldat  et  dialecticien.  Il  s'aidait  de  la  Bible  aussi 
bien  que  de  l'épée.  C'était  un  stoïcien,  un  sage  et  un 
docteur  de  la  réforme.  Il  représentait  parmi  les  pro- 
testants la  science  et  la  conscience.  On  l'appelait  le 
pape  des  huguenots. 

Les  apostasies  lui  navreront  le  cœur  et  les  contro- 
verses attristeront  sa  vieillesse.  Il  se  retirera  de  la 
cour,  blessé,  mais  fidèle,  aussi  simplement  grand 
dans  l'adversité  que  dans  la  bonne  fortune. 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  231 

Ce  lutteur  tant  secoué ,  jamais  abattu  ,  ce  lion 
(le  la  dispute,  ce  héros  austère  de  l'idée  nouvelle, 
avait  une  de  ces  têtes  puissantes  dont  les  cheveux 
ressemblent  à  une  crinière.  Son  visage ,  ravagé  par 
les  discordes  civiles,  était  comme  ces  sols  bouleversés 
après  un  tremblement  de  terre.  Ses  joues  étaient  la- 
bourées de  sillons  et  de  rides.  Son  front  de  métal  re- 
froidi paraissait  à  l'épreuve  des  arguments  et  des 
balles.  Ses  sourcils  tracés  irréguhèrement  couraient 
en  lignes  aiguës  et  brisées  autour  de  ses  yeux  intré- 
pides. Toute  sa  physionomie  eût  été  terrible,  sans 
l'honnêteté  de  cette  bouche  qui,  pendant  un  demi- 
siècle,  ne  proféra  pas  un  mensonge,  pas  une  flatterie. 
Mornay  fut  un  théologien  gentilhomme,  vêtu  de  fer 
au  lieu  de  l'être  de  bure ,  un  combattant  obstiné  des 
guerres  de  rehgion,  dont  la  figure  offre  un  chaos  sur 
lequel  flotte  et  reluit  toujours  l'esprit  saint. 

Le  portrait  de  cet  illustre  compagnon  du  Béarnais 
nous  a  été  heureusement  conservé.  Il  défie  également 
catholiques,  protestants  et  philosophes,  soit  de  le  dé- 
daigner, soit  de  l'oublier. 

Le  Béarnais  remercia ,  récompensa  M.  de  Mornay 
et  partit  pour  Vendôme  où  il  croyait  surprendre  le  duc 
de  Mayenne.  Mais  le  prince  lorrain  s'était  déjà  porté 
sur  Saint-Ouen,  près  d'Amboise.  Il  y  battit  le  comte 
de  Brienne. 

Henri  de  Navarre,  dès  avant  le  traité,  s'entretenait 
dans  un  abandon  héroïque.  Ses  lettres  à  Corisande 
le  peignent  au  vif  et  au  vrai. 

((  Si  le  roi  voulait,  écrit-il  à  sa  maîtresse,  je  le  dé- 
livrerais. 


232  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

«  J'ai  été  malade,  mon  cœur,  j'ai  vu  les  cieux  ou- 
verts ;  mais  je  n'ai  pas  été  assez  homme  de  bien  pour 
y  entrer.  Dieu  se  servira  de  moi  encore.  » 

Le  8  mars.  Henri  à  la  même  :  «  Mon  cœur,  Dieu 
me  continue  ses  bénédictions,  nous  sommes  à  Mont- 
bazon,  six  lieues  près  de  Tours,  oii  est  le  roi.  Son  ar- 
mée est  tà  deux  lieues  de  la  nôtre,  sans  que  nous  nous 
demandions  rien.  Nos  gens  de  guerre  se  rencontrent 
et  s'embrassent.  Force  de  ceux  du  roi  se  viennent 
joindre  à  nous,  et  des  miens  nul  ne  souhaite  changer 
de  maître. 

«  Dites  à  Costille  qu'il  se  hâte  de  se  mettre  aux 
champs.  C'est  à  ce  coup  qu'il  faut  que  tous  mes 
serviteurs  fassent  merveille;  car  par  raison  natu- 
relle, avril  et  may  prépareront  la  ruine  d'un  des 
partis.  Ce  ne  sera  pas  du  mien ,  car  c'est  celui  de 
Dieu.  » 

Quelle  noble  confiance  1  et  cela  bien  avant  le  traité  ! 
Depuis  le  traité,  le  roi  manda  le  Béarnais  au  Plessis- 
lez-Tours.  Le  Béarnais  était  arrivé  seulement  de  la 
veille  au  château  de  Maillé,  après  être  demeuré  vingt- 
quatre  heures  à  cheval. 

Maillé  n'était  qu'ài  deux  lieues  de  Tours.  Il  y  eut 
parmi  les  chefs  huguenots  une  grande  hésitation.  Le 
roi  de  Navarre  les  assembla  en  conseil.  La  délibéra- 
lion  fut  orageuse.  Plusieurs  dirent  que  ce  rendez-vous 
n'était  qu'un  piège.  Henri  HI  n'était-il  pas  un  fourbe 
et  un  fourbe  sanguinaire?  Personne  ne  le  disculpait 
de  la  Saint-Barthélemy.  Les  meurtres  de  Blois  ne 
prouvaient  que  trop  sa  persévérance  dans  la  dissimu- 
lation et  dans  le  crime.  Ce  qu'il  désirait  le  plus,  c'é- 


LIVRE  CINQUANTIÈME,  233 

tait  l'absolution  du  pape.  N'était-il  pas  probable  qu'il 
l'achèterait  au  prix  d'une  nouvelle  tête,  la  tête  de 
Henri  de  Bourbon  ? 

Ces  craintes  étaient  sérieuses.  La  défiance  était 
naturelle  envers  un  prince  tel  que  Henri  Hl.  Mais  le 
Béarnais  avait  fait  alliance  avec  lui  et  ne  pouvait  re- 
fuser cette  entrevue.  Il  fallait  hasarder  sa  vie  à  propos 
dans  cette  visite,  comme  sur  un  champ  de  bataille. 
Rosny  et  François  de  Châtillon,  fils  de  l'amiral  de 
Coligny,  parlèrent  en  ce  sens.  Le  roi  de  Navarre  se 
prononça  pour  cet  avis,  qui  était  le  plus  héroïque  et 
le  plus  politique. 

Le  ducd'Épernon  et  le  maréchal  d'Aumont  vinrent 
deux  fois  de  la  part  de  Henri  III.  Le  Béarnais  se  mit 
en  route  gaiement  avec  l'escorte  de  ses  meilleurs  ca- 
pitaines qui  insistèrent  pour  l'accompagner. 

Le  bruit  de  son  arrivée  s'était  répandu  à  Tours  et 
aux  environs.  Le  château  du  Plessis  était  entouré 
d'une  foule  immense.  Les  jardins  étaient  envahis. 
Bourgeois,  paysans  ,  peuple  .  soldats,  firent  cortège 
au  Béarnais,  depuis  la  rivière  du  Cher,  qu'il  traversa 
sur  les  trois  heures  de  l'après-midi,  jusqu'au  Plessis- 
lez-Tours.  Là,  une  autre  multitude  remplissait  le 
parc.  Les  deux  rois  furent  longtemps  séparés  par 
cette  émeute  d'affection  que  soulevait  Henri  de  Bour- 
bon. Car  c'était  lui  qui  attirait.  Les  arbres  pliaient 
sous  les  spectateurs.  Le  Béarnais  attendri  saluait  en 
bas,  en  haut,  et  n'avançait  que  lentement.  Il  avait  les 
cheveux  et  la  barbe  fort  négligés.  Son  pourpoint  et 
son  manteau  étaient  usés  jusqu'à  la  corde.  La  sueur 
et  la  poussière  couvraient  son  visage.  Il  avait  le  cos- 

20. 


234  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tu  me  d'un  partisan  avec  la  grâce  et  l'affabilité  d'un 
monarque. 

Le  maréchal  d'Aumont  et  le  duc  d'Épernon  par- 
vinrent à  écarter  doucement  les  groupes  amicale- 
ment curieux.  Us  frayèrent  un  passage  au  Béarnais, 
à  qui  l'accès  fut  libre  enfin.  Il  se  précipita  vers  Henri 
de  A^ilois ,  fléchit  les  deux  genoux  et  dit  au  prince 
qui  le  relevait  :  u  Sire,  voici  le  plus  beau  de  mes 
jours,  puisque  je  me  réconcilie  avec  mon  roi  et  que 
je  puis  lui  offrir  mon  épée  contre  ses  ennemis  qui 
sont  aussi  ceux  de  la  France.  » 

Henri  III  tint  longtemps  Henri  de  Bourbon  pressé 
sur  sa  poitrine,  aux  cris  enthousiastes  de  vive  le  roi  ! 
vive  le  roi  de  Navarre  î  vivent  les  rois*!  Les  capitaines 
huguenots  et  catholiques,  imitant  leurs  princes,  s'em- 
brassaient, se  serraient  les  mains,  se  jurant  mutuel- 
lement amitié  et  fraternité  d'armes. 

Ce  fut  un  événement  mémorable  que  cette  scène 
à  la  fois  populaire  et  royale,  militaire  et  rustique,  où 
tant  d'acclamations  éclatèrent,  où  le  grand  cœur  du 
Béarnais  déborda  l'étiquette,  électrisa  ces  innom- 
brables populations,  et  toucha  même  Henri  ÏIL 

Les  deux  rois,  s'arrachant  à  la  foule  qui  ne  se  las- 
sait pas  de  les  contempler,  s'enfermèrent  à  l'écart 
dans  le  château  du  Plessis.  Le  roi  de  Navarre  y  déve- 
loppa un  plan  de  campagne  qu'approuva  le  roi  de 
France.  Ce  plan  consistait  à  réunir  le  plus  de  forces 
possibles  et  à  marcher  sur  Paris,  où  ils  couperaient 
la  tête  de  l'hydre  dans  son  repaire,  où  ils  écraseraient 
la  ligue  dans  sa  capitale. 

Les  rois  montèrent  ensuite  à  cheval  et  se  promené- 


UVKE  CIXOrA>-TlÈME.  235 

rent  dans  les  rues  de  Tours  [30  avril  lo89).  Ils  furent 
partout  applaudis.  Au  pont  Sainte-Anne,  le  Béarnais 
se  sépara  de  Henri  de  Valois  et  alla  coucher  au  fau- 
bourg de  Saint-Svmphorien,  au  milieu  de  son  armée. 
Henri  de  Bourbon  était  enivré  de  joie ,  comme  à  la 
frontière  d'un  monde  inconnu.  Le  soir,  s'etant  avancé 
solitairement  au  confluent  de  la  Loire  et  du  Cher, 
il  vit  un  fantôme  qui  lui  cria  :  u  Tu  seras  le  roi  du 
Louvre  '.  » 

Le  lendemain ,  le  Béarnais .  pour  témoigner  à 
Henri  III  d'une  sécurité  complète  .  vint  sans  suite  au 
château  du  Plessis-lez-Tours.  Il  était  six  heures  du 
matin .  et  Henri  de  Bourbon  n'avait  avec  hii  qu'un 
page.  Le  roi  et  tous  les  officiers  de  sa  maison  furent 
charmés  de  cette  hardiesse.  Henri  III  reprit  la  con- 
versation delà  veille.  Il  fut  définitivement  arrêté  que 
les  deux  armées  combinées  des  rois  s'avanceraient 
sur  Paris  et  en  feraient  le  siège. 

Le  Béarnais  s'en  alla  à  Chinon,  afin  de  diriger  de 
ce  point  stratégique  le  reste  de  ses  troupes  sur  Tours. 
Mayenne,  instruit  de  l'absence  du  roi  de  Navarre,  ré- 
solut, dans  l'intervalle  de  ce  voyage,  d'cDlever  le  roi 
de  France  au  château  du  Plessis.  Le  prince  lorrain, 
le  8  mai.  après  une  longue  marche  de  nuit,  déboucha 
furieusement  dans  le  faubourg  de  Sainl-Symphorien. 
Les  royalistes  furent  culbutés.  Tours  eut  été  conquis 
sans  Grillon  qui  accourut  avec  son  régiment  des  gar- 
des. Le  roi  parut  un  moment  dans  la  mèlee.  Il  dit  à 
Grillon  :  u  Mon  brave  ami,  ce  n'est  pas  une  ville, 
c'est  mon  trône  que  vous  sauverez  aujourd'hui.  — 
Sire,  dit  Grillon  ,  je  ferai  de  mon  mieux,  mais  reti- 


236  HISTOIRE  DE  LA.  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

rez-vous.  »  Le  roi  s'était  trop  engagé.  A  Tinstant  où 
il  était  menacé  d'une  pertuisane ,  un  jeune  homme 
s'élance,  reçoit  le  coup  et  tombe  mort.  C'était  le 
chevalier  de  Berton,  le  neveu  de  Grillon.  Le  roi 
était  préservé ,  mais  il  fallait  barrer  à  Mayenne  le 
chemin  de  la  ville  pleine  de  ligueurs  prêts  à  la 
révolte.  Grillon  fut  merveilleusement  secondé  par 
M.  de  Rosny  et  par  M.  de  Ghâtillon,  qui  comman- 
daient les  protestants.  Le  repliement  vers  le  pont  fut 
admirable.  Grillon,  très-inférieur  en  nombre,  défend 
l'approche  de  ce  pont  avec  acharnement.  Il  fait  passer 
protestants  et  catholiques,  avant  lui,  par  la  porte. 
Il  repousse  l'ennenA  qui  essaye  d'entrer  pèle-mêle 
avec  les  soldats  du  roi.  Grillon  est  atteint  de  deux 
pointes  d'épée  ,  une  balle  lui  perce  le  corps.  Il 
n'est  point  renversé,  résiste  toujours,  écarte  les  li- 
gueurs et  ne  rentre  que  le  dernier  sur  le  pont  dont  il 
referme  la  porte  sur  lui. 

Mayenne  ne  continua  pas  son  impétueuse  attaque. 
Il  livra  le  faubourg  Saint-Symphorien  au  pillage.  Il 
ne  s'était  point  emparé  de  la  ville,  ni  du  roi,  mais  il 
avait  tué  quatre  cents  hommes  à  Grillon  et  forcé  le 
brave  des  braves  à  la  retraite.  N'était-ce  pas  as.sez? 

On  trouva  parmi  les  morts  Sainte-Malines,  l'un  des 
assassins  du  duc  de  Guise.  Mayenne  le  fît  juger  par 
son  grand  prévôt.  Ge  cadavre  fut  condamné  à  avoir  la 
tête  et  le  poing  coupés ,  puis  à  être  pendu  par  les 
pieds.  Gette  sentence  exécutée,  Mayenne  envoya  sans 
retard  à  Paris  dix-sept  enseignas  pour  l'hôtel  de  ville, 
avec  la  tète  et  le  poing  de  Sainte-Malines  pour  Mont- 
faucon. 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  237 

Les  ligueurs  du  duc  de  Mayenne  furent  sans  peur 
dans  la  bataille  et  sans  pitié  dans  le  saccagement  du 
faubourg.  Ils  étaient  dans  leur  première  frénésie  de 
vengeance.  Le  souvenir  du  duc  de  Guise  les  enflam- 
mait de  colère.  Les  seigneurs  et  les  gentilshommes 
portaient  des  emblèmes  de  désespoir.  Ils  avaient  un 
deuil  sinistre.  Leurs  écbarpes  noires  semées  de  larmes 
blanches  et  de  doubles  croix  de  Lorraine  étaient  pres- 
que toutes  tachées  de  sang. 

Le  duc  de  Mayenne  n'eut  pas  plutôt  quitté  Tours, 
que  d'Epernon  y  arriva  de  Blois  et  le  Béarnais  de 
Chinon  avec  des  forces  considérables.  Les  deux  rois 
visitèrent  ensemble  Grillon  qui  était  en  grand  dan- 
ger. Ils  ne  se  séparèrent  pas  sans  s'être  en  quelque 
sorte  distribué  les  rôles.  Le  Béarnais  se  chargeait  de 
la  guerre  et  Henri  III  de  la  diplomatie.  Ge  n'était  plus 
Rome,  ni  Madrid,  qu'implorait  le  Valois,  c'étaient  les 
Suisses  par  Sancy,  c'étaient  Elisabeth  et  les  princes 
protestants  d'Allemagne  par  d'autres  négociateurs. 

Les  deux  rois  se  rejoignirent  à  Beaugency,  après 
une  victoire  de  Ghàtillon  à  Bonneval  en  Bcauce ,  et 
une  victoire  plus  signalée  encore  de  François  de  La 
Noue  à  Sentis.  Ges  triomphes  de  leurs  lieutenants 
étaient  de  bon  augure.  Les  rois  prirent  Jargeau,  Gien, 
Étampes ,  Poissy,  Pontoise.  Henri  III  fit  pendre  plu- 
sieurs capitaines  et  magistrats.  La  cruauté  lui  était 
aussi  douce  qu'au  Béarnais  la  clémence. 

Lorsque  Sancy  fut  de  retour  au  camp  de  Pontoise 
avec  dix  mille  Suisses,  deux  mille  lansquenets  et 
quinze  cents  reîtres ,  lorsque  M.  de  La  Noue  parut 
avec  deux  mille  fantassins  et  douze  cents  cavaliers 


238  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

français ,  l'armée  des  rois  s  éleva  par  ces  renforts  à 
quarante  mille  soldats  éprouvés.  Henri  de  Bourbon , 
ravi  de  ces  belles  troupes,  écrivait  à  la  comtesse  de 
Gramont,  à  la  date  du  29  mai  :  «  Si  le  roi  use  de  di- 
ligence, commej'espère  qu'il  fera,  nous  verrons  bien- 
tôt les  clochers  de  Notre-Dame  de  Paris.  »  Henri  HI 
tarda  plus  de  deux  mois,  car  ce  ne  fut  que  le  31  juil- 
let qu'il  établissait  ses  quartiers  à  Saint-Cloud,  tandis 
que  le  Béarnais  plantait  à  Meudon  ses  étendards. 

Paris  était  dans  la  consternation  depuis  plusiem's 
semaines.  Les  ligueurs,  les  Seize  même  tremblaient^ 
la  duchesse  de  Montpensier  redoubla  d'audace.  Elle 
appela  son  frère  Mayenne  qui  se  retrancha  enfin  dans 
la  ville  et  dans  les  faubourgs  avec  une  armée  de  neuf 
mille  hommes.  La  duchesse  de  Nemours  apparaissait 
de  temps  en  temps  par  les  rues  dans  ses  voiles  funè- 
bres-, la  duchesse  de  Montpensier  avait  l'activité  de 
sa  haine.  Elle  se  multipliait.  Elle  appelait  les  malé- 
dictions du  ciel  sur  le  féroce  et  imbécile  Valois.  Elle 
intriguait  sourdement,  elle  éclatait  dans  les  grandes 
occasions.  Elle  parlait  au  peuple  dans  les  carrefours, 
aux  prêtres  dans  les  monastères,  aux  soldats  dans  les 
casernes,  aux  princes  dans  les  palais.  C'était  l'héroïne 
des  furies. 

Le  duc  de  Mayenne,  plus  calme,  n'était  pas  moins 
déterminé.  Il  avait  distribué  ses  troupes  avec  un  grand 
tact  militaire.  Il  avait  confié  la  défense  des  faubourgs 
Saint- Jacques  et  Saint-Germain  à  M.  de  La  Châtre, 
se  réservant  de  surveiller  tous  les  postes  et  de  proté- 
ger en  personne  les  faubourgs  Saint-Honoré  et  Saint- 
Denis.  M.  de  La  Châtre  n'était  pas  dupe  de  la  situa" 


LîVIlE  CINQUANTIÈME.  239 

tion.  Il  la  considérait  en  général.  Il  dit  au  duc  : 
«  Monsieur,  parlons  français.  Votre  sœur  ne  peut 
plus  rien  sur  ces  prédicateurs  découragés ,  ni  sur  ces 
bourgeois  effarés.  Quand  on  en  viendra  à  l'assaut, 
tous  ces  citadins  fuiront  et  nous  laisseront  là.  Alors, 
que  ferons-nous?  —  Si  nous  sommes  forcés,  et  que 
nous  ne  puissions  mieux  faire,  répondit  le  duc,  vous 
et  moi,  nous  mourrons  en  gens  de  bien.  » 

La  ducbesse  de  Montpensier  cependant  surexcitait 
de  plus  en  plus,  de  paroisse  en  paroisse,  les  proces- 
sions. Il  y  en  avait  qu  elle  roulait  après  elle  ,  malgré 
l'attiédissement,  du  cimetière  des  Innocents  à  Sainte- 
Geneviève. 

Après  la  ducbesse,  le  tison  le  plus  ardent  de  ces 
incendies  sacrés  était  un  moine  jacobin. 

Il  avait  vingt-cinq  ans.  Il  était  né  dans  un  village 
près  de  Sens.  Le  prieur  de  son  couvent  était  le  père 
lîourgoing.  Le  jeune  moine  se  nommait  Jacques  Clé- 
ment. Il  avait  vécu  jusque-là  dans  l'émeute  perpé- 
tuelle des  Églises  ,  dans  la  crapule  et  dans  la  débau- 
che, ignorant,  brutal,  très-épris  de  cérémonies  en 
plein  air,  de  sermons,  de  bonne  cbère  et  de  femmes. 
11  passait  du  sanctuaire  aux  orgies  et  des  orgies  à  la 
soif  du  sang.  Sur  la  fin  des  repas ,  il  ne  parlait  que 
d'exterminer  les  hérétiques,  cà  commencer  par  le  plus 
scélérat  d'entre  eux,  Henri  lïl.  Son  accent  était  si 
militaire  alors,  que  ses  compagnons  l'avaient  baptisé 
par  plaisanterie  le  capitaine  Clément. 

Les  propos  féroces  du  moine  devinrent  peu  à  peu 
un  plan  précis,  un  dessein  arrêté.  II  s'en  ouvrit  au 
prieur  des  jacobins  qui  lui  donna  l'absolution  antici- 


240  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

pée  de  ce  forfait.  Les  Seize,  ayant  eu  vent  de  ce  com- 
plot régicide,  y  applaudirent.  Les  ducs  d'Aumale  et 
de  Mayenne  l'encouragèrent. 

Les  choses  en  étaient  là ,  lorsque  la  duchesse  de 
Montpensier,  le  cœur  le  plus  violent,  l'imagination  la 
plus  emportée  de  ce  siècle  terrible,  apprit  les  projets 
du  jeune  moine.  Elle  le  manda.  Ils  s'entendirent  au 
premier  mot.  Le  feu  d'une  même  rage  les  brûlait 
l'un  et  l'autre.  Les  conférences  se  succédèrent.  Jac- 
ques Clément  ne  se  possédait  plus  et  son  exaltation 
était  au  comble.  La  duchesse  ne  négligea  rien  pour 
entretenir  cette  fièvre  d'assassinat.  S'étant  vite  aper- 
çue de  la  profonde  impression  qu'elle  avait  faite  sur 
le  moine  qui  se  consumait  pour  elle  en  silence,  elle 
l'enivra  par  tous  les  philtres  du  sourire  et  du  regard. 
Elle  le  rendit  fou  d'amour.  Plusieurs  écrivains  con- 
temporains pensent  qu'elle  lui  céda.  Ce  qui  est  plus 
vraisemblable,  c'est  qu'elle  promit  au  moine  la  vo- 
lupté s'il  lui  faisait  savourer  la  vengeance,  une  volupté 
plus  grande  des  guerres  civiles. 

On  comprend  la  prodigieuse  électricité  de  la  du- 
chesse de  Montpensier  sur  ce  jeune  jacobin  sensuel, 
quand  on  a  vu  une  ancienne  esquisse  de  lui  à  la  san- 
guine. 

Jacques  se  glisse  à  travers  une  arcade  dans  l'ombre. 
Tout  en  se  cachant,  il  se  laisse  apercevoir.  Il  a  la  dé- 
marche hardie,  quoique  mystérieuse.  Son  teint  est 
légèrement  moresque.  Il  a  des  lèvres  fortes  d'un  rouge 
grenat,  des  yeux  humides,  vitreux,  effrontés.  Moitié 
bigot,  moitié  libertin,  sous  son  froc  brun,  il  ressem- 
ble à  un  faune  déguisé  qui,  d'une  maison  suspecte,  re- 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  241 

gagne  son  couvent,  assidu  tour  à  tour  aux  offices,  à 
la  taverne,  aux  conciliabules  souterrains,  également 
prêt  aux  superstitions,  au  vice  ou  au  crime. 

C'est  le  crime  qui  domine  dans  le  portrait  du  cabi- 
net des  estampes.  Clément  y  a  le  front  fuyant,  les 
joues  larges,  les  pommettes  accentuées,  l'œil  bagard, 
les  oreilles  écartées,  la  bouclie  aiguisée,  rutilante  et 
féroce.  On  dirait  une  tête  de  léopard  sur  un  corps  de 
moine. 

C'était  là  le  jeune  jacobin  qui  devait  faire  lever  le 
siège  de  Paris  mieux  que  l'armée  de  la  ligue. 

Il  obtint  par  des  semblants  de  royalisme  des  let- 
tres d'introduction  auprès  du  roi.  Ces  lettres  étaient 
écrites  par  le  comte  de  Brienne. ,  prisonnier  au  Lou- 
vre, et  par  Acbille  de  Harlay,  prisonnier  à  la  Bastille. 

Jacques  Clément  partit  de  Paris,  le  31  juillet,  le 
jour  même  où  Henri  III  prenait  position  à  Saint- 
Cloud  et  où  il  disait  du  baut  de  la  colline  en  contem- 
plant la  grande  cité  séditieuse  :  «  0  ville  de  ligueurs, 
tu  es  la  capitale  du  royaume,  mais  une  capitale  trop 
puissante  et  trop  capricieuse.  H  te  iiiudra  tirer  du 
sang  !  » 

Le  roi  menaçait  Paris  et  le  moine,  à  la  même 
heure,  menaçait  le  roi,  pendant  que  l'ancien  prévôt 
des  marchands,  La  Chapelle-Marteau ,  accompagnait 
le  jacobin  chez  le  duc  de  Mayenne. 

Le  prince  lorrain,  à  la  sollicitation  de  la  duchesse  de 
Montpensier,  accueillit  bien  Jacques  Clément.  Leur 
conférence  fut  longue.  Le  moine  reçut,  dit-on,  de  la 
bouche  du  duc  l'assurance  que  cent  des  principaux 
bourgeois  royalistes  étaient  en  état  d'arrestation  et 


IV. 


21 


24^  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

serviraient  d'otages  en  faveur  de  Clément,  le  dévoué 
serviteur  de  la  maison  de  Guise  et  du  Christ.  Le  ja- 
cobin bien  préparé  se  dirigea  sur  Saint-Cloud.  Il  fut 
interrogé  et  retenu  quelques  minutes  dans  un  corps 
de  garde  hors  du  village.  Mais,  sur  sa  déclaration  très- 
ferme,  qu'il  portait  au  roi  des  dépêches  urgentes,  on 
lui  désigna  deux  soldats  pour  l'escorter. 

M.  de  La  Guesle,  le  procureur  général,  qui  se  pro- 
menait avec  plusieurs  amis,  rencontra  Clément  entre 
ses  arquebusiers.  Il  s'informa  des  motifs  d'un  tel 
voy<ige.  Les  ayant  appris  du  jacobin,  M.  de  La  Guesle 
renvoya  les  soldats  et  se  chargea  de  présenter  lui- 
même  le  moine  au  roi. 

Le  soir,  en  effet,  assez  tard,  c'était  le  31  juillet,  le 
procureur  général  fit  part  à  Henri  III  de  ce  qu'il  savait 
du  message  et  du  messager.  Clément,  disait-il ,  avait 
fort  bien  répondu  à  ses  questions,  mais  sans  lui  dé- 
voiler sa  mission  qui  était  secrète.  Le  roi ,  dont  la 
curiosité  était  éveillée  par  cet  entretien  et  qui  aimait 
les  moines,  recommanda  au  procureur  général  de  lui 
amener  le  lendemain  le  rehgieux  de  six  à  sept  heures 
du  matin. 

La  Guesle  fut  exact  et  conduisit  le  jacobin  à  la 
maison  de  Gondi  où  logeait  Henri  IIL  Le  roi  était  dans 
son  cabinet,  et  Bellegarde,  son  grand  écuyer,  se  tenait 
à  sa  droite  lorsque  La  Guesle  entra.  Le  procureur  gé- 
néral annonça  au  prince  que  Clément  était  à  la  porte. 
«  Eh  bien!  qu'il  vienne,  reprit  Henri  en  se  levant, 
sans  quoi  on  répandra  partout  que  je  suis  l'ennemi 
des  moines  et  que  je  les  chasse  de  ma  présence.  »  Le 
jacobin  s'avança  jusqu'au  roi,  lui  disant  qu'il  ne  pou- 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  213 

vait  communiquer  ses  instructions  qu'à  Sa  Majesté 
seule  et  qije  tels  étaient  les  ordres  que  lui  avaient 
donnés  le  comte  de  Brienne  et  le  premier  président 
Achille  de  Harlay.  Henri  III  fit  signe  à  Bellrgarde  et 
à  La  Guesle  de  s"éloiî?ner  à  l'extrémité  du  cabinet. 
Alors  Clément  tira  de  sa  manche  un  papier  que  le 
monarque  déplia.  Pendant  qu'il  le  lisait ,  l'exécrable 
moine  tira  de  la  même  manche  un  couteau  nu  et  l'en- 
fonça tout  entier  dans  le  ventre  du  roi,  un  peu  au- 
dessous  du  nombril.  Henri  poussa  un  grand  cri ,  le 
cri  d'un  homme  et  d'une  race  qui  expirent  à  la  fois, 
et,  arrachant  le  couteau,  il  frappa  de  la  pointe  le 
meurtrier  au  sourcil,  en  disant  :  «  Ahl  le  méchant 
moine,  il  m'a  tuéî  » 

La  Guesle  et  Bellegarde  se  précipitèrent.  Bellegarde 
soutint  le  roi  ;  La  Guesle,  d'un  coup  terrible  de  la  garde 
de  son  épée,  renversa  le  meurtrier.  Les  quarante-cinf[ 
accoururent  et  achevèrent  le  jacobin.  Le  procureur 
général  fut  blâmé  d'avoir  enlevé  à  la  justice  par  la 
violence  un  procès  qui  aurait  éclairé  bien  des  mys- 
tères. 

Les  médecins  eurent  d'abord  quelque  espérance, 
mais  ils  acquirent  bientôt  la  certitude  que  les  intes- 
tins étaient  percés.  Ils  ne  dissimulèrent  pas  que  la 
maladie  était  mortelle. 

Le  Béarnais ,  étant  accouru  de  Meudon ,  s'age- 
nouilla au  chevet  du  roi.  Henri  de  Bourbon  pleurait 
et  sanglotait.  Le  roi  l'embrassa  tendrement,  le  recon- 
nut pour  son  légitime  héritier  ,  recommanda  aux 
grands  de  sa  cour  de  bien  servir  leur  nouveau  maître 
et  l'adjura,  lui,  de  se  convertir  à  la  vraie  religion. 


HISTOIRE  DE  LA  LIBEUTÉ  rxiaiGIEUSE. 

«  Adieu,  mes  amis,  leur  dit-il,  priez  Dieu  qu'il  me 
fasse  miséricorde  !  )> 

Henri  llï  ne  pensa  plus  ensuite  qu'à  son  salut.  Il 
se  confessa  deux  fois  à  son  chapelain,  communia, 
pardonna  à  ses  ennemis  et  rendit  l'àme,  le  !2  août,  à 
quatre  heures  du  matin ,  en  récitant  à  voix  hasse  le 
premier  verset  du  psaume  lv  :  «  Miserere  meî,  Deus, 
quoniam  conculcavit  me  homo.  »  Henri  de  Valois 
avait  (rente-huit  ans  passés,  cà  peu  près  l'âge  du  duc 
de  Guise  expirant. 

Ainsi  disparut  du  monde  Fun  des  rois  les  plus  bi- 
zarres de  l'histoire.  Étrange  personnage,  et  si  divers, 
qu'on  ne  sait  quel  sentiment  il  inspire,  et  ce  qui  do- 
mine le  plus  en  nous  sur  lui  de  la  haine,  ou  du  mépris, 
ou  de  la  commisération  ! 

11  consacrait  des  jours  et  des  nuits  à  l'étude  des  cos- 
tumes. 11  était  le  maître  des  tailleurs,  des  couturières, 
des  brodeuses  et  des  repasseuses  de  son  royaume.  Il 
introduisait  l'art,  la  fantaisie  dans  la  toilette.  Quand 
il  avait  épuisé  toutes  les  parures  de  l'homme,  il  s'ha- 
billait en  femme.  Tantôt  il  fouettait  ses  mignons  aux 
processions  avec  une  discipline ,  tantôt  il  les  édifiait 
au  bal  avec  son  grand  chapelet  à  têtes  de  morts  ^  il 
était  le  plus  lugubre  des  danseurs ,  le  plus  équi- 
voque des  amants.  Il  traversait  les  villes  de  son 
royaume  dans  un  coche  plein  de  meutes  burlesques 
où  les  chiens  étaient  mêlés  aux  singes  et  aux  guenons, 
et  il  présidait  son  conseil  sous  les  vêtements  d'un 
histrion,  tenant  pour  sceptre,  au  milieu  des  plus 
graves  ministres,  un  bilboquet. 

Comme  il  avait  beaucoup  voyagé,  il  avait  retenu 


LIVRE  CINQUANTIÈME.  245 

des  modes  de  tous  les  pays  et  il  les  accouplait  dans 
les  dissonances  les  plus  comiques  et  dans  la  confu- 
sion la  plus  burlesque. 

Les  prédicateurs  de  la  ligue  l'attaquaient  à  l'envi 
par  ce  côté  ridicule  qu'ils  incriminaient  aux  yeux  des 
peuples.  Ils  tonnaient  contre  son  rouge,  son  blanc, 
ses  parfums,  ses  fraises  godronnées;  ils  écumaient 
contre  son  bonnet  oriental,  qui  semblait  faire  de  lui 
un  hérétique. 

«  C'est  un  Turc  par  la  tète,  s'écriait  Boucher,  c'est 
un  Allemand  par  le  corps,  une  harpie  par  les  mains, 
un  Anglais  par  la  jarretière,  un  Polonais  parles  pieds 
et  un  vrai  diable  en  l'âme.  »  Et  tous  les  bons  catho- 
liques répondaient  par  des  vociférations  au  milieu  de 
l'Église  :  ((  Oui,  oui-,  c'est  l'Antéchrist.  » 

Ce  n'était  pas  tant,  mais  la  froide  sentence  de  la 
postérité  n'est  pas  moins  écrasante  que  toutes  les 
violences  des  factions. 

Henri  III  est  plus  qu'un  des  bourreaux,  il  est  un 
des  inventeurs  de  la  Saint-Barthélemy  ^  il  est  de 
plus  un  Sardanapale  de  Gomorrhe.  Ce  fut  le  plus 
traître  cœur,  le  plus  perfide  esprit,  le  plus  effronté 
visage,  la  plus  fausse  monnaie  de  roi  de  toute  la  mo- 
narchie, la  mémoire  la  plus  putride,  le  Valois  le  plus 
dissolu,  un  Louis XV  anticipé,  grandiose  et  puéril,  un 
Louis  XV  du  seizième  siècle,  avec  l'imagination  de 
plus,  avec  les  frénésies,  les  délires,  les  fanges  teintes 
de  sang,  les  poésies  funèbrement  obscènes  de  ce  tra- 
gique temps. 


21. 


LIVRE  CINQUANTE  ET  tlNIÈME 

Henri  do  Bourbon  succède  à  Henri  de  Valois.  —  Discordes  du  camp 
de  Saint-Cloud.  —  Une  pàrlie  de  la  noblesse  reconnaît  pour  roi 
Henri  IV,  — Joie  de  la  ligue  à  la  mort,  de  Henri  HI.  —  La  duchesse 
de  Montpensier,  la  duchesse  de  Nemours.  —  Le  prestige  n'est  plus 
avec  la  maison  de  Guise,  mais  avec  Henri  IV.  —  Le  roi  quille  le 
camp  de  Saint-Cloud.  —  H  se  rend  en  Normandie,  sous  les  murs 
de  "Rouen,  puis  à  Dieppe.  —  Campagne  d'Arqués.  —  Lettre  à  Cori- 
sande  avant  le  premier  combat;  billet  à  Crillon  après  le  dernier. 

—  Le  roi  revient  attaquer  Paris.  —  Faute  de  M.  de  Monlmorency- 
ïhoré.  —  Henri  IV  otîre  la  bataille  a\i\  Parisiens  et  à  Mayeime. 

—  Le  prince  lorrain 'la  refuse.  —  Le  roi  va  à  Tours,  une  capitafe 
provisoire  où  siégeait  son  parlement.  —  ll-y  voit  Achille  de  Hariay, 
y  visile  Crillon  encore  malade  de  ses  blessures  et  y  re<;oit  Monce- 
nigo,  l'ambassadeur  vénitien.  —  Cet  ambassadeur  traite,  au  nom 
de  sa  patrie,  avec  Henri  IV.  —  Le  roi  a  pour  alliés  Venise,  les 
Suisses  et  les  princes  proleslants.  —  Il  grandit  en  France  et  en 
Europe. 

Henri  de  Valois  avait  été  le  dernier  de  sa  race; 
Henri  de  Navarre  fut  le  premier  de  la  sienne.  Il  inau- 
gura sur  le  trôqe  la  famille  des  Bourbons. 

Ce  ne  fut  pas  sans  peine.  Jamais  prince  ne  conquit 
plus  laborieusement  son  droit. 

Après  le  moment  pathétique  où  Henri  HI  avait 
consacré  et  doublé  ce  droit  en  le  proclamant  de  soa 
lit  d'agonie,  le  Béarnais,  par  réserve  ,  s'était  retiré  à 
Meudon.  Là,  il  attendait.  Mandé  à  Saint-Cloud  vers 
quatre  heures  du  matin,  le  2  août  1589,  il  monta  à 
cheval  avec  Bosny  et  trente  gentilshommes.  11  arriva 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIEME.  247 

vite  au  village.  Avant  la  maison  de  Gondi,  où  était  le 
roi,  dans  une  petite  rue  déserte,  il  entendit  des  gé- 
missements et  ce  cri  :  «Ah!  mon  Dieu!  c'est  fait  de 
nous  î  »  Le  Béarnais  aperçut  un  homme  et  l'appela.  Cet 
liomme  lui  dit  :  «  Le  roi  est  mort.  » 

Henri  de  Bourbon  fort  ému  atteignit  la  maison  de 
Gondi.  A  la  porte,  les  archers  de  la  garde  écossaise 
le  saluèrent  roi.  L'un  d'eux  fléchit  le  genou  et  dit  : 
«  Sire,  c'est  vous  maintenant  qui  êtes  notre  maître.  » 

Henri  de  Bourbon,  trouvant  le  roi  mort,  retourna 
sans  retard  à  Meudon.  Ses  huguenots ,  qui,  sur  une 
armée  de  quarante  mille  hommes,  n'étaient  que  cinq 
mille ,  le  reçurent  aux  cris  de  :  Vive  le  roi  de  France 
et  de  Navarre. 

Mais  ce  n'était  pas  assez.  Il  fallait  gagner  les  ca- 
tholiques. Bien  de  plus  difficile. 

Henri  revint  sur  les  dix  heures  au  camp  de  Saint- 
Cloud.  Le  maréchal  d'Aumont,  d'Humières  et  Givry, 
trois  fort  grands  seigneurs  et  très-influents,  le  re- 
connurent sans  condition.  Sancy  courut  aux  Suisses 
et  les  harangua.  Il  fut  orateur  et  diplomate.  Il  obtint 
de  ces  étrangers  la  promesse  de  servir  deux  mois  sous 
le  nouveau  roi,  sans  exiger  de  solde  immédiate. 

f.e  Béarnais,  de  son  côté,  avait  pénétré  dans  la 
maison  de  Gondi  et  jusque  dans  la  chambre  où  le  ca- 
davre royal  était  gardé  par  deux  minimes  en  prière. 
Il  y  avait  aussi  au  fond  de  cette  pièce  funéraire  les 
plus  chauds  catholiques  de  l'armée.  Henri  de  Bour- 
bon tomba  au  milieu  d'eux,  comme  dans  une  émeute 
de  seigneurs.  A  son  aspect  ils  frémirent.  Les  uns  en- 
foncèrent leurs  chapeaux,  les  autres  mirent  la  main 


248  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

sur  la  garde  de  leur  épée-,  tous  le  regardèrent,  soit 
avec  animosité,  soit  avec  dédain,  soit  avec  horreur. 
Tous  s'écrièrent  :  «  Plutôt  mille  morts  qu'un  roi  hé- 
rétique. » 

Henri,  un  instant  immobile  de  surprise  et  de  dé- 
plaisir, se  déroba  en  silence  de  cette  maison  pleine 
de  ses  adversaires  furieux,  parmi  lesquels  déclamaient 
et  s'agitaient  François  d'O,  Manou ,  Châteauvieux , 
d'Entragues  et  Dampierre.  11  se  hâta  de  s'installer 
dans  une  maison  qui  lui  fût  moins  hostile  que  celle 
de  Gondi.  Il  choisit  la  maison  de  Dutillet,  au  bas  du 
bourg. 

Les  catholiques  ardents  l'y  poursuivirent.  Il  fut  as- 
sailli d'une  sédition  aristocratique.  Ils  le  sommaient 
d'abjurer.  Ils  lui  répétaient  sur  tous  les  tons  que  la 
couronne  de  France  était  à  ce  prix.  D'O  soutint  cette 
thèse  avec  son  impudence  incomparable.  Il  ajouta 
que  le  complément  d'une  conversion  si  nécessaire 
serait  la  possession  de  toutes  les  charges  par  les  ca- 
tholiques, à  l'exclusion  des  calvinistes. 

Henri  connaissait  d'O.  Il  savait  quel  vil  intrigant, 
quel  libertin ,  quel  dilapidateur  était  cet  homme  qui 
parlait  au  nom  du  catholicisme  et  des  catholiques. 
Cependant  le  Béarnais  ne  montra  aucune  impatience. 
Il  répondit  que  son  droit  primait  tout,  que  ce  droit,  il 
le  tenait  de  sa  naissance  et  de  l'adoption  de  Henri  III, 
qu'il  fallait  d'abord  le  proclamer.  Sa  croyance  était 
une  autre  question.  Il  refusait  de  renoncer  immédia- 
tement au  calvinisme.  Mais  il  ne  demandait  qu'à  être 
instruit.  S'il  était  dans  l'erreur,  il  n'aspirait  qu'à  la 
vérité. 


LIVRE  CINQUANTE  ET  I  XIÈME.  249 

Les  seigneurs  s'animaient,  s'obstinaient,  s'insur- 
geaient, s'encourageaient  les  uns  les  autres  à  qui  au- 
rait moins  de  respect,  lorsque  Givry  parut.  Sa  phy- 
sionomie était  radieuse.  Il  dit  au  prince  qu'il  lui 
apportait  l'adhésion  de  la  noblesse  de  T Ile-de-France. 
«  Sire  ,  s'écria-t-il ,  vous  êtes  le  roi  des  braves ,  vous 
ne  serez  abandonné  que  par  les  lâches.  »  Ce  mot  fut 
un  coup  de  massue  aux  opposants.  Bientôt  d'Humiè- 
res,  puis  le  maréchal  d'Aumont,  assurèrent  Henri  du 
concours  de  la  noblesse  de  Champagne.  Ce  fut  Sancy 
qui  pesa  le  plus  dans  le  plateau  de  la  balance  où  la 
fortune  avait  jeté  la  destinée  des  Bourbons.  Ce  spiri- 
tuel et  hardi  négociateur  amena  les  quarante  colonels 
et  capitaines  suisses  raUiés  au  Béarnais  pendant  deux 
mojs. 

Henri  de  Bourbon  se  dévoila  tout  entier  ce  jour-là, 
le  jour  le  plus  inextricable  de  sa  vie.  Lui  qui  avait  été 
si  imperturbable  avec  les  ultra- catholiques  ne  fut 
plus  que  feu  et  sensibilité  pour  ses  partisans.  Il  em- 
brassa Givry,  d'Humières,  d'Aumont,  il  pressa  long- 
temps contre  sa  poitrine  Sancy,  et  donna  sa  main  à 
baiser  aux  colonels,  aux  officiers  suisses  et  français 
que  l'élan  du  Béarnais  électrisa.  Ce  fondateur  de  dy- 
nastie est  très-énergique  et  très-flexible.  C'est  le  plus 
souple  des  princes  et  des  hommes.  Son  ressort  plie 
et  ne  casse  pas.  Il  n'y  a  pas  d'exemple  d'une  pareille 
élasticité  de  nature. 

Malheureusement  ce  héros  n'est  qu'un  politique. 
On  le  pressent  dès  lors.  Il  a  la  meilleure  intention  de 
renier  Dieu  et  ses  amis-,  si  on  en  doute,  on  lui  fait 
tort.  Mais  il  les  reniera  le  moins  qu'il  pourra,  seule- 


250  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

ment  assez  pour  être  roi  de  France.  Une  fois  sur  le 
trône  des  fleurs  de  lis ,  il  réservera  une  place  à  ses 
amis  et  à  Dieu.  Avec  tous  ses  défauts,  c'est  un  homme 
admirable  que  ce  prétendant.  S'il  n'a  pas  une  con- 
science, il  a  un  cœur,  une  noble  intrépidité,  un  grand 
et  charmant  esprit,  une  clémence  adorable. 

Le  Béarnais  eut  besoin,  au  camp  de  Saint-Cloud, 
en  ces  conjonctures  décisives,  de  son  ambition,  de 
son  adresse,  de  sa  fermeté,  de  toutes  ses  aptitudes 
merveilleuses.  Il  pleurait  avec  les  uns,  riait  et  plai- 
santait avec  los  autres.  11  poussait  sa  pointe  gasconne, 
ou  il  résistait  à  propos.  L'honneur,  l'argent,  les  di- 
gnités lui  coulaient  des  lèvres  selon  les  personnages. 
Il  donnait  beaucoup  et  promettait  encore  plus.  Il 
trouva  en  d'Aubigné,  son  écuyer,  qu'il  consultait 
dans  un  arrière-cabinet,  une  inteUigence  fertile- en 
consolations  et  en  expédients. 

Le  vieux  maréchal  de  Biron  avait  un  grand  ascen- 
dant sur  l'armée.  Il  était  indispensable  au  succès  dé- 
finitif du  Béarnais.  Il  s'était  conduit  dans  la  journée 
du  2  août  avec  une  apparence  de  désintéressement  ^ 
mais  à  l'assemblée  de  seigneurs  qui  eut  Heu  dans  la  soi- 
rée du  môme  jour,  Biron  tourna.  Il  proposa  de  ne  pas 
proclamer  roi  le  prétendant;  il  suffira,  disait-il,  de  lui 
obéir  comme  au  chef  du  parti  royaliste  jusqu'à  sa  con- 
version, en  lui  décernant  le  titre  de  capitaine  général. 
Les  plus  violents  conclurent  à  l'exclusion  ;  Biron  con- 
cluait à  l'ajournement,  ce  qui  était  fort  périlleux  pour 
Henri  de  Bourbon.  Les  amis  du  Béarnais,  Sancy  plus 
que  tous,  imploraient  une  reconnaissance  immédiate. 
On  ne  s'entendit  pas.  Seulement  le  rusé  maréchal  tira 


LIVRE  C1>;QUANTE  et  rNlÈME.  2ol 

Sancy  par  la  manche  et  lui  dit  clans  l'oreille,  en  quit- 
tant la  réunion  nocturne  :  «  Je  vous  croyais  une 
bonne  tête,  me  serais-je  trompé?  11  faut  régler  nos 
affaires  avec  le  roi  de  ISavarre.  Si  nous  faisions  d'a- 
bord les  siennes,  il  ne  nous  connaîtrait  plus.  Sancy, 
devinant  Biron,  lui  dit  :  «Que  voudriez-vous?  —  Le 
comté  de  Périgord,  reprit  le  maréchal,  je  serais  alors 
au  prétendant.  — C'est  bien,  répliqua  Sancy,  »  et, 
une  heure  après,  le  roi  de  Navarre  avait  assuré  au 
maréchal  ce  qu'il  désirait. 

Biron,  le  lendemain,  3  août,  agit  pour  Henri  de 
Bourbon-,  Sancy,  Givry,  d'Aumont  et  vingt  autres 
agirent  aussi;  mais  celui  qui  agit  le  mieux,  le  plus 
vivement,  le  plus  clandestinement,  le  plus  triompha- 
lement, ce  fut  Henri  de  Bourbon  lui-même.  Il  gagiui 
sa  cause  à  force  de  dextérité  et  de  génie  politique. 

Le  4  août,  il  signa,  avec  la  noblesse,  la  déclaration 
mémorable  qui  lui  conféra  la  royauté. 

Henri  s'engageait,  foi  de  roi ,  à  r-^spccter  et  à  pro- 
téger la  religion  catholique,  apostolique  et  romaine. 
Il  subordonnait  ses  principes  personnels  à  la  décision 
d'un  concile,  soit  général,  soit  national,  qu'il  tra- 
vaillerait à  faire  convoquer  ainsi  que  les  états  du 
royaume  dans  un  délai  de  six  mois.  Enfin  il  interdi- 
sait l'accès  des  gouvernements,  des  grandes  charges, 
à  ses  compagnons  d'armes  et  il  restreignait  l'exercice 
public  du  culte  calviniste  aux  places  et  aux  pays  oc- 
cupés par  les  protestants. 

Cette  déclaration,  que  le  Béarnais  avait  provoquée 
à  la  sueur  de  son  front,  et  où  il  mêla  infiniment  d'ha- 
bileté à  beaucoup  de  honte  et  d'ingratitude ,  fut 


HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

souscrite  par  lui,  par  le  prince  de  Conti  et  le  duc  de 
Montpensier;  par  les  maréchaux  de  Biron  et  d'Au- 
niont-,  par  le  grand  prieur,  fils  naturel  de  Charles  IX 
et  de  Marie  Touchet-,  par  les  ducs  de  Luxembourg, 
de  Longueville,  de  Rohan-,  par  le  comte  de  Givry^ 
par  Chàtillon,  Guitry,  Laforce,  Sancy,  Rosny,  et  parla 
majorité  des  offîciers  et  des  gentilshommes  de  l'armée. 

Ce  fut  l'élite  de  la  noblesse  au  camp  de  Saint-Cloud 
qui  enracina  la  branche  des  Bourbons.  Elle  prêta  son 
serment  de  fidéliié  «  à  Henri,  quatrième  du  nom,  roi 
de  France  et  de  Navarre.  ^)  Elle  ne  fut  pas  unanime. 
Le  Béarnais  n'avait  pas  satisfait  les  catholiques  et  il 
avait  mécontenté  les  protestants.  Il  avait  même  sou- 
levé contre  lui  les  exaltés  des  deux  religions.  De  nom- 
breuses signatures  manquèrent  à  la  déclaration  du 
-4  août.  Le  duc  d'Épernon,  tout  en  se  disant  le  sujet 
et  le  serviteur  du  roi,  ne  mit  pas  sa  griffe  féodale  au 
bas  de  ce  manifeste.  Il  emmena  sept  mille  hommes 
de  l'armée  et  se  retira  de  nouveau  dans  ses  gouver- 
nements de  Saintonge  et  d'Angoumois ,  où  il  garda 
une  fière  neutralité  entre  la  ligue  et  Henri  IV.  Le 
comte  de  ViLry,  lui ,  se  jeta  dans  Paris  et  se  voua  au 
duc  de  Mayenne.  Beaucoup  de  seigneurs  catholiques 
imitèrent  ce  double  exemple.  Les  calvinistes  zélés 
ne  dissimulèrent  pas  non  plus  leur  rancune.  Le 
plus  illustre  assurément,  un  La  Trémouille,  le  duc 
de  Thouars,  se  replia  en  Poitou,  comme  dans  un 
royaume  indépendant.  Après  toutes  les  défections  ca- 
tholiques et  protestantes,  l'armée  se  trouva  réduite 
de  moitié.  Henri  IV  ne  compla  pas  plus  de  vingt  mille 
hommes  autour  de  lui. 


LIVRE  CINOUANTE  ET  UNIÈME.  2o3 

Les  partis  extrêmes  furent  le  double  obstacle  de 
Henri  IV,  dès  le  camp  de  Saint-Cloud.  Il  louvoya 
toujours  entre  eux.  Son  point  d'appui  était  le  fond 
même  de  la  nation. 

Il  y  avait  toujours  eu ,  depuis  le  commencement 
des  troubles,  un  parti  modéré.  Ce  parti  avait  eu  pour 
généraux  le  vieux  connétable,  l'aîné  de  ses  Cls,  le 
maréchal  de  Montmorency,  puis  le  maréchal  Dam- 
ville.  La  magistrature  et  la  bourgeoisie  étaient  le 
peuple  éclairé  de  ce  parti.  L'Hôpital  en  avait  été  le 
père,  le  prophète,  le  législateur,  Sancy  en  fut  l'homme 
d'action  au  camp  de  Saint-Cloud:  Henri  IV  en  fut  le 
roi;  la  Satire  Ménippée  en  sera  le  livre,  et  l'edit  de 
Nantes,  la  charte  religieuse. 

Ce  qui  distingua  ce  parti,  c'est  le  bon  sens,  la  sa- 
gesse. Henri  IV  y  ajouta  l'héroïsme.  L'Hôpital,  au 
début,  avait  imprimé  la  grandeur  morale  à  ce  parti. 
L'incomparable  chancelier  le  dépassa  en  élévation 
philosophique;  il  précéda,  par  la  tolérance,  l'édit  de 
Nantes,  et.  par  la  charité  envers  toutes  les  formes  de 
religion,  il  devança  l'esprit  moderne. 

Tandis  que  Henri  s'agitait ,  au  camp  de  Saint- 
Cloud,  dans  le  limon  de  ses  origines  pour  en  sortir 
roi  de  France .  la  ligue  tressaillait  d'aise  à  Paris  et 
dans  les  provinces. 

Elle  éclata  d'une  allégresse  féroce.  La  duchesse  de 
Montpensier  fut  transportée  de  bonheur.  Elle  em- 
brassa le  messager  qui.  le  1''  août,  lui  annonça  la 
mort  de  Henri  III.  u  Ah!  mon  ami.  lui  disait-elle, 
est-ce  bien  vrai?  Que  vous  me  faites  contente!  Je  ne 
regrette  qu'une  chose,  c'est  qu'il  ait  ignoré,  le  tyran, 


254  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELÎÔiÉUSÉ. 

que  j'ai  poussé  le  hras  du  moine.  »  Et  s'adressant 
à  ses  femmes  :  «  Eh!  bien,  leur  dit-elle,  n'ai-je  pas 
eu  raison  de  le  mépriser  ?  ma  tête  n'est-elle  pas  solide 
sur  mes  épaules  ?  » 

La  duchesse  faisait  allusion  à  une  colère  du  roi 
Henri  III.  Ce  prince ,  quelques  jours  avant  d'être 
frappé ,  avait  envoyé  un  mignon  à  madame  de  Mont- 
pensier  avec  cette  menace  :  «  Si  vous  continuez  de 
fomenter  la  révolte,  moi  le  roi,  à  mon  entrée  dans 
Paris,  je  vous  ferai  brûler  vive.  »  A  quoi  la  duchesse 
avait  répondu  :  «  Je  ne  crains  pas  votre  roi.  Dites-lui 
qu'il  ne  franchira  jamais  les  murs  de  Paris,  et  que  le 
bûcher  n'est  pas  pour  des  chrétiennes  comme  moi, 
mais  pour  les  hérétiques  ou  bien  pour  des  débauchés 
comme  lui.  » 

Les  Seize  étaient  les  furieux  entre  les  ligueurs,  et  la 
ducbesse  de  Montpensier  l'agitatrice  de  ces  furieux. 

Quand  elle  eut  congédié  après  mille  questions, 
mille  exclamations  et  un  riche  présent,  le  messager 
qui  lui  avait  appris  le  meurtredujacobifi  sur  Henri  HI, 
la  duchesse  courut  chez  sa  mère  la  duchesse  de  Ne- 
mours. Les  princesses  montèrent  aussitôt  en  car- 
rosse. Elles  traversèrent  Paris  en  tout  sens,  criant 
aux  groupes  tumultueux  :  a  Bonnes  nouvelles,  mes 
amis,  ce  n'est  point  un  faux  bruit,  le  tyran  est  mort, 
le  bon  moine  l'a  tué.  Il  n'y  a  plus  de  Valois.  » 

Dans  réglise  des  cordeliers  ou  les  princesses  étaient 
descendues  pour  remercier  Dieu,  la  duchesse  de  Ne- 
mours se  leva  tout  à  coup ,  et,  devant  les  fidèles,  au 
milieu  des  prêtres,  elle  maudit  Henri  III,  l'assassin 
de  ses  fils  ! 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIÈME.  255 

Revenues  à  l'hôtel  de  Guise,  les  princesses  ordon- 
nèrent des  feux  de  joie.  Les  Seize  et  la  plèbe  en  allu- 
'  mèrent  dans  tous  les  quartiers.  Paris  fut  illuminé  . 
pour  ce  rtîgicide ,  mieux  qu'il  ne  le  fut  jamais  pour 
une  victoire  ou  pour  un  couronnement.  Le  peuple 
vociférait  dans  les  rues  et  dans  les  carrefours.  11  était 
ivre  partout.  Et  ce  n'était  pas  seulement  l'ivresse  du 
vin,  c'était  l'ivresse  du  sang.  Tous  les  bons  citoyens 
gémissaient.  Les  bourgeois,  les  commerçants  sur- 
tout, tremblaient  dans  leurs  maisons. 

Le  duc  de  Mayenne,  pour  flatter  les  Seize,  com- 
manda des  portraits  de  Jacques  Clément.  On  en  fit 
d'innombrables.  Chacun  voulut  avoir  son  estampe. 
Les  curés  tapissèrent  les  autels  de  ces  images.  On 
les  grava  môme  sur  des  cuirasses  avec  ces  mots  : 
saint  Jacques  Clément!  F^e  moine  en  effet  fut  célébré 
par  les  prédicateurs  à  l'égal  des  martyrs.  Sa  mère  at- 
tirée à  Paris  fut  comblée  d'or,  de  caresses,  de  félici- 
tations. 

Sixte-Quint,  à  Rome,  fut  l'rcho  des  Seize.  Il  tint 
un  consistoire  dans  lequel  il  flétrit  Henri  IH,  interdi- 
sant toute  prière  pour  ce  prince  excommunié,  exal- 
tant au  contraire  son  meurtrier  au-dessus  d'Éléazar  et 
répandant  sur  la  tombe  du  jacobin  inspiré  de  Dieu  les 
bénédictions  de  l'Église. 

Mendoça,  l'ambassadeur  d'Espagne,  expédiait  tous 
les  jours  des  courriers  à  l'LscuriaL  Philippe  II  voyait 
déjà  sur  le  trône  de  France  l'infante  qu'il  avait  eue 
de  son  mariage  avec  l'une  des  sœurs  de  Henri  HL 

La  duchesse  de  Montpensier  ne  l'entendait  pas 
ainsi.  Elle  pressait  son  frère  Mayenne,  comme  autre- 


256 


HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 


fois  son  frère  Henri,  de  se  faire  roi.  Mais  ce  qui  était 
praticable  peut-être  pour  un  prince  populaire  et  sé- 
duisant, le  duc  de  Guise,  contre  un  maniaque  tel  que 
le  dernier  des  Valois,  était  interdit  à  Mayenne,  prince 
peu  entraînant,  contre  un  héros  tel  que  le  premier 
des  Bourbons.  Le  prestige  avait  passé  du  côté  du 
droit,  dans  le  camp  de  Henri  IV. 

Les  Guise  furent  les  grands  chefs  de  la  ligue.  Se- 
courus chichement,  traîtreusement,  par  Philippe  H 
qui  en  voulait  faire  des  instruments  et  non  des  rois, 
soutenus  mollement  par  les  papes  trop  subordonnés 
au  monarque  espagnol,  le  vrai  pape,  les  Guise  avaient  - 
la  populace  plutôt  que  le  peuple,  le  clergé  plutôt  que 
les  catholiques.  Ils  n'avaient  guère  que  la  minorité 
turbulente  et  atroce  qui  avait  exécuté  la  Saint-Bar- 
thélemy.  La  majorité  des  honnêtes  gens  leur  était 
défavorable.  Elle  tenait,  quoique  timidement,  à  se 
dégager  de  la  responsabihté  des  meurtres  et  à  se  dis- 
tinguer des  égorgeurs.  Or  cette  majorité  était  la 
France.  La  France  donc,  même  sous  la  ligue,  com- 
prit avec  son  intelligence  lumineuse,  qu'elle  était 
l'autre  pôle  de  la  Hgue.  La  ligue  était  lorraine,  ultra- 
montaine,  espagnole,  trois  fois  étrangère.  La  France 
était  française. 

Elle  craignait  les  Guise.  La  famille  des  Guise ,  qui 
n'était  pas  née  pour  régner,  qui  n'était  pas  faite  pour 
servir,  était  une  émeute  perpétuelle  dans  l'État. 
Elle  aspirait  à  remplacer  une  dynastie  séculaire.  Elle 
n'avait  pour  elle  que  les  violents ,  soit  parmi  les  ca- 
tholiques, soit  parmi  les  prêtres,  l'or  perfide  de 
l'Espagne  et  les  bénédictions  vaines  de  Rome.  Ce 


à 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIÈME.  257 

n'était  pas  assez.  La  maison  de  Guise  était  très- 
grande,  mais  dans  l'impossible. 

Il  lui  aurait  fallu  la  France. 

La  France  n'était  ni  aux  Guise,  ni  aux  Valois  qui 
avaient  abdiqué  dans  le  sang  de  la  Saint-Barthélemy. 
Elle  pressentait  leur  chute  à  tous. 

Elle  apercevait  dans  l'ombre  celui  que  Catherine 
de  Médicis  avait  toujours  considéré  avec  eflroi.  Ce 
candidat  voilé,  cet  héritier  entrevu,  ce  dépositaire 
du  droit,  ce  désiré  de  la  patrie,  c'était  le  fils  de  Jeanne 
d'Albret,  l'élève  de  Coligny  et  de  L'Hôpital.  C'est 
lui  aussi  qui,  du  camp  tumultueux  de  Saint-Cloud, 
où  il  était  entré  roi  de  Navarre,  devait  sortir  et  sortit 
Henri  IV,  avec  la  couronne  et  l'épée  de  la  France. 

Il  était  bien  chancelant,  bien  contesté,  mais  il  était 
bien  intrépide;  et  une  voix,  sans  doute,  au  fort  de 
ses  luttes,  pendant  son  enfantement  de  roi,  lui  chan- 
tait quelque  chose  de  gaiement  héroïque ,  comme  sa 
mère  autrefois  pendant  son  enfantement  d'homme. 

Il  disait  au  vieux  Biron  :  «  Monsieur  le  maréchal, 
combattre  pour  régner,  voilà  ma  fortune.  Tant 
mieux.  Vous  avez  gagné  vos  éperons  et  je  gagnerai 
les  miens  à  ce  jeu  des  batailles.  » 

Il  disait  à  Sancy  :  «  C'est  vous  qui  avez  relevé  le 
sceptre  des  fleurs  de  lis.  )> 

H  disait  à  Guitry  :  a  J'ai  vécu  au  miheu  des  alar- 
mes. J'y  mourrai  volontiers  s'il  le  faut.  » 

Il  écrivait  à  Grillon  : 

«  Parmy  la  presse  de  mille  et  mille  afl'aires,  si  au- 
rez-vous  ce  mot  de  ma  main  pour  vous  assurer  com- 
bien je  prise  l'affection  que  vous  m'avez  toujours  con- 


22. 


258  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

servée.  Vous  avez  perdu  un  bon  maistre  (Henri  III), 
mais  vous  éprouverez  que  j'ay  succédé  en  la  volonté 
où  il  vous  avoit.  Adieu  ,  brave  Grillon.  » 

Malade  et  retenu  au  lit  depuis  ses  blessures  du  pont 
de  Tours,  Grillon  n'avait  pu  assister  le  nouveau  roi 
au  camp  de  Saint -Gloud.  Il  regrettait  très-pro^- 
fondément  de  ne  le  pas  suivre  dans  la  Normandie 
qui  allait  être  le*  théâtre  d'une  bien  glorieuse  ex- 
pédition. 

Henri  IV  ne  voulait  pas  rester  davantage  à  Saint- 
Gloud.  Son  armée  étant  fondue  de  moitié,  il  avait  re- 
noncé au  siège  de  Paris.  Ghaque  jour  de  retard  lui 
était  funeste.  Gar  la  duchesse  de  Montpensier  par  des 
femmes  dignes  de  continuer  la  tradition  des  filles 
d'honneur  de  Gatherine  de  Médicis,  et  le  duc  de 
Mayenne  par  des  titres  et  par  des  grades,  ne  ces- 
saient d'enlever  au  roi  quelques  seigneurs. 

Il  partit  donc  le  8  août  pour  Gompiègne,  afin  d'y 
déposer  le  corps  de  Henri  III  dans  l'abbaye  de  Saint- 
Gorneille.  Il  mit  ainsi  le  dernier  des  Valois  hors  des 
profanations  de  la  ligue  qui  aurait  outragé  même  un 
cadavre.  Gette  dette  de  respect  acquittée  plutôt  envers 
la  royauté  qu'envers  son  prédécesseur  sur  le  trône, 
Henri  avec  ses  vingt- deux  mille  hommes  composa 
trois  divisions.  Il  envoya  le  duc  de  Longueville  en 
Picardie,  le  maréchal  d'Aumont  en  Gharnpagne,  leur 
cédant  à  chacun  trois  mille  Suisses  et  deux  mille  cinq 
cents  Français,  les  chargeant  de  contenir  la  ligue  dans 
les  provinces  qu'il  leur  assignait,  et  leur  prescrivant 
de  se  tenir  prêts  au  premier  signal.  Henri,  lui,  garda 
onze  mille  soldats  à  la  tète  desquels  il  envçihit  la 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIEME.  259 

Normandie  et  simula  le  siège  de  Rouen.  La  province 
était  riche.  ïl  y  pourrait  lever  des  impôts  et  faire  sub- 
sister son  armée.  Ce  dessein  se  reliait  à  un  autre  qui 
était  de  remonter  jusqu'à  Dieppe,  port  excellent  qui 
garantirait  ses  cofnmunications  avec  l'Angleterre  et 
la  Hollande  d'où  il  attendait  des  secours ,  et  avec  La 
Rochelle,  sur  laquelle  au  besoin  il  opérerait  une  re- 
traite navale. 

Il  ne  négligeait  aucun  calcul ,  et  ses  combinaisons 
de  salut,  il  les  multipliait  à  l'infini  et  les  perfection- 
nait selon  les  chances,  les  vicissitudes,  les  hasards. 
.  Il  exécuta  ce  qu'il  avait  résolu,  et  d'évolution  en 
évolution  il  parvint  à  Dieppe.  Il  y  reçut  la  nouvelle 
qu'il  avait  été  reconnu  du  parlement  de  Tours  rejoint 
enfin  par  Achille  de  Harlay,  son  président'Ce  parle- 
ment comptaitdeux  cents  magistrats^  celui  delà  ligue, 
le  parlement  Brisson,  n'en  comptait  que  soixante  dix- 
huit. 

^Jalgré  cette  adhésion  du  parlement  et  d'autres 
adhésions,  soit  de  seigneurs,  soit  de  villes,  soit  de 
provinces,  la  situation  de  Henri  IV  était  terrible. 

Quel  intérêt  n'inspire  pas  ce  roi  sans  royaume,  à 
l'extrémité  du  territoire,  sur  la  plage  de  Dieppe, 
entre  la  mer  qui  rugit  et  l'anarchie  ,  cette  autre 
mer,  qui  hurle  par  toute  la  France!  Dans  cette  ora- 
geuse phase  de  sa  vie,  Henri  redoubla  de  sérénité, 
de  bonne  humeur.  Il  porte  légèrement  la  destinée. 
Il  encourage  ses  compagnons,  une  poignée  de  soldats, 
avec  laquelle  il  ne  désespère  pas  de  reconquérir  une 
nation. 

Il  a  deux  immenses  taches  à  faire  et  il  se  sent 


260  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

jeune  pour  les  accomplir.  Il  ti  l'inspiration ,  cette 
flamme  du  génie ^  la  confiance,  cet  instinct  du  cœur; 
la  promptitude,  cette  grâce  de  l'action;  la  persévé- 
rance, cette  vertu  de  la  force  dans  les  âmes  extraor- 
dinaires. Henri  IV  est  doué  de  tous  ces  dons.  Il  gran- 
dit avec  les  nécessités.  Il  n'est  inférieur  ni  à  son  droit, 
ni  à  son  devoir,  ni  à  sa  mission.  Il  a  son  héritage  à 
préserver,  à  mériter,  à  ressaisir  par  des  travaux  sans 
nombre.  Il  se  promet  de  substituer  l'ordre  au  chaos, 
un  gouvernement  aux  factions,  et,  labeur  plus  diffi- 
cile que  de  reconstituer  la  monarchie ,  il  médite  de 
réconcilier  les  religions  en  affranchissant  les  con- 
sciences. 

Cette  dernière  œuvre,  la  plus  sublime  de  toutes, 
ne  le  touche,  il  est  vrai,  que  par  le  côté  politique. 
C'est  l'une  des  faiblesses  de  ce  grand  homme.  Il  n'est 
ni  un  croyant  positif  comme  l'amiral  de  Coligny,  ni 
un  chrétien  philosophe  comme  le  chancelier  de  L'Hô- 
pital. C'est  un  héros  tout  humain.  Il  ne  palpite  pas 
ëe  cette  haute  inquiétude  de  plaire  à  Dieu.  Non,  le 
peuple  le  préoccupe ,  l'absorbe  tout  entier.  Il  dit 
même  son  peuple  et  c'est  le  seul  roi  qui  puisse  parler 
ainsi  sans  insolence.  Car  ces  mots  :  mon  peuple,  lui 
jaillissent  du  cœur  et  n'éveillent  pas  la  pensée  d'une 
propriété,  mais  celle  d'un  amour.  Il  chérit  son  peuple 
en  effet.  C'est  sa  vocation. 

Dès  le  rivage  de  Dieppe  où  il  organise  la  guerre, 
il  songe  aux  soins  de  la  paix.  Il  songe  à  rétablir  les 
finances,  à  restituer  le  crédit,  à  faire  fleurir  le  com- 
merce, l'industrie,  l'agriculture.  Il  rêve  lu  poule  au 
pot  dans  chaque  chaumière  de  paysan  et  dans  chaque 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIÈME.  261 

masure  d'ouvrier.  On  lui  a  reproché  ce  vœu  comme 
illusoire.  Imbécile  .critique!. Pour  fonder  les  grandes 
choses,  il  faut  les  concevoir  plus  grandes.  L'homme 
d'État  qui  n'a  pas  d'idéal  sera  médiocre  dans  la 
réalité. 

Henri  IV,  à  Dieppe,  était  loin  de  l'époque  où  il  lui 
serait  permis  d'appliquer  sa  théorie  du  bien-être  des 
masses.  Mais  il  puisait  dans  cette  théorie,  qui  était 
un  sentiment,  toutes  les  énergies  et  toutes  les  espé- 
rances. 

Il  n'avait  guère  plus  que  dix  mille  hommes.  Mayenne 
en  avait  trente-trois  mille.  Après  avoir  donné  à  la 
ligue,  pour  roi,  le  vieux  cardinal  de  Bourbon,  le  gros 
duc,  ainsi  que  l'appelait  Henri  IV,  traversa  hardiment 
la  Normandie.  Du  8  au  io  septembre,  le  Béarnais  prit 
les  dispositions  les  plus  savantes.  Il  fortifia  Dieppe  et 
le  grand  faubourg  de  cette  ville,  le  Polet.  Il  prolon- 
gea son  camp  d'une  lieue  jusqu'au  village  d'Arqués, 
situé  au  pied  d'une  colline  que  surplombe  un  château 
flanqué  de  tours. 

Mayenne  s'imposa  d'enlever  Dieppe,  afin  de  fermer 
au  roi  la  retraite  par  l'Océan  et  l'arrivée  des  secours 
étrangers.  Le  15  septembre,  il  sépara  son  armée  en 
deux  divisions  presque  égales.  Le  duc  de  Nemours, 
frère  utérin  de  Mayenne,  qui  menait  l'une  de  ces  divi- 
sions, attaqua  vigoureusement  le  camp  du  roi,  tandis 
que  le  lieutenant  général,  avec  l'autre  division,  s'a- 
charna  sur  le  faubourg  du  Polet.  Les  princes  ligueurs 
devaient  se  rejoindre  après  un  double  succès,  s'empa- 
rer de  Dieppe  et  anéantir  avec  leurs  forces  triples  la 
petite  armée  royaliste.  Le  plan  était  hardi,  mais  il  ne 


262  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

réussit  pas.  Le  duc  de  Mayenne  et  le  duc  de  Nemours 
essuyèrent  un  double  échec ,  Mayenne  au  Polet ,  où 
commandait  Chàtillon ,  le  fils  de  l'amiral  ;  Nemours 
au  camp  du  roi,  où  le  Béarnais  culbuta  les  assaillants. 

Cette  journée  fui  suivie  de  beaucoup  d'autres,  jus- 
qu'au 27.  On  dit  très-inexactement  la  bataille  d'Ar-, 
ques^  c'est  la  campagne  d'Arqués,  et  la  plus  belle 
campagne  de  Henri  lY,  qu'il  faut  dire  et  surtout  qu'il 
faut  écrire. 

De  tous  les  combats  de  cette  campagne  mémorable, 
le  plus  formidable  fut  celui  du  21  septembre. 

Mayenne  fit  une  manœuvre  diamétralement  oppo- 
sée à  celle  du  43.  11  ne  partagea  point  son  armée,  il 
la  massa,  la  concentra,  et  la  lança  sur  le  camp  du  roi. 
Ce  camp  touchait  sur  la  hauteur  à  une  maladrerie , 
dans  la  plaine  à  un  marais.  La  cavalerie  de  Mayenne 
s'embourba  aux  terrains  inférieurs  et  rebroussa  pé- 
'niblement.  Sur  Téminence,  près  de  la  maladrerie, 
les  lansquenets  de  la  ligue  étaient  contenus  rudement 
par  les  troupes  royales.  Tout  à  coup  les  lansquenets 
laissent  leurs  enseignes  et  leurs  piques.  Ils  crient 
vive  le  roi!  Ils  se  disent  les  amis  de  Henri  IV,  les  en- 
nemis de  Mayenne.  On  les  reçoit  sans  défiance  et  ar- 
més dans  les  retranchements  du  camp.  Aussitôt  leur 
perfidie  éclata».  Ils  blessent,  ils  tuent,  ils  répandent 
partout  la  confusion.  Le  maréchal  de  Biron  est  préci- 
pité de  cheval.  Le  comte  de  Rochefort  rallie  tout  ce 
qu'il  peut  et  résiste.  Il  est  blessé.  Le  roi  accourt.  Un 
officier  des  reîtres  s'avance  sur  lui  avec  un  épieu,  le 
sommant  de  se  rendre  au  duç  de  Mayenne.  On  entoure 
le  traître  et  le  roi  le  sauve,  Henri  IV  a  toute  sa  pré- 


LITRE  CIXQUA>TE  ET  O'IÈME.  263 

sente  d'esprit,  tout  son  élan.  Il  arrête  les  reitres  jus- 
qu'à ce  que  Chàtillon  survienne  du  Polei  avec  son 
infanterie  et  les  jette  hors  des  retranchements.  Le  roi 
dégagé,  Chàtillon  reprend  la  maladrerie.  Le  maré- 
chal de  Biron  fait  ricocher  ses  boulets  sur  l'armée  de 
la  ligue,  cachée  toute  la  matinée  dans  un  épais  brouil- 
lard, et  le  château  d'Arqués  ajoute  au  feu  de  Biron 
les  volées  meurtrières  de  ses  coulevrines  et  de  ses 
mortiers.  Le  roi  se  montra  partout  soldat  intrépide  et 
général  habile. 

Le  duc  de  ^Jayenne  éprouva  ce  jour-là  de  grandes 
pertes.  11  ne  se  découragea  point.  Il  recommença  ses 
assauts  obstinés  sur  le  Polet,  sur  Dieppe,  et,  toujours 
repoussé ,  il  se  décida  enfin  le  27  septembre,  après 
plus  d'une  semaine  de  sanglantes  mêlées,  à  se  retirer 
dans  la  direction  d'Amiens.  Il  se  maintint  de  la  sorte 
en  communication  avec  les  Pays-Bas  et  le  duc  de 
Parme,  à  portée  des  renforts  espagnols. 

Un  progrès  dans  l  art  de  la  guerre  signala  le  terme 
de  cette  magnifique  campagne  :  ce  fut  l'emploi  de 
l'artillerie  légère.  La  cavalerie  de  Henri  lY  s'avançait, 
malgré  son  infériorité  numérique.  Mayenne  la  croyait 
prisonnière.  Il  l'attaquait  avec  ses  vastes  escadrons. 
Soudain  les  rangs  royalistes  s'ouvrirent  et  des  canons 
attelés  balayèrent  les  soldats  de  la  ligue.  Le  grand 
Frédéric  a  remarqué,  dans  les  dernières  escarmouches 
d'Arqués,  le  premier  pas  de  sa  propre  tactique.  Cette 
innovation  de  l'artillerie  légère  ne  doit  pas  être  attri- 
buée seulement  au  roi  qui  l'adopta,  mais  au  maréchnl 
de  Biron  qui  l'appliqua  et  au  pirate  Brisa  qui  en  fut 
l'inventeur.  Le  duc  de  Parme  et  >'apoléon.  si  com- 


264  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIELSE. 

pétents  en  stratégie,  ont  été  injustes  l'un  et  l'autre 
pour  Henri  IV.  Il  était  à  leurs  yeux  un  brillant 
prince  plutôt  qu'un  grand  général.  Au  point  de  vue 
de  la  science  ils  ont  raison  ^  mais  au  point  de  vue  de 
l'instinct,  ce  génie  de  Henri  IV,  ils  se  trompent  et  les 
laits  parlent  plus  haut  qu'eux. 

Le  roi  était  triomphant-,  les  ligueurs  de  Mayenne 
étaient  démoralisés.  Les  vaisseaux  d'Élisaheth  abor- 
daient le  port  de  Dieppe.  Le  23  septembre,  deux  cent 
mille  livres  et  des  munitions  avaient  été  débarquées-, 
douze  cents  Ecossais  descendirent  ensuite  sur  la 
plage.  Le  29,  quarante-huit  heures  après  le  départ 
de  Mayenne,  quatre  mille  Anglais  débouchaient  dans 
le  camp  du  roi ,  aux  applaudissements  des  soldats  de 
Henri.  Quand  le  Béarnais  eut  fait  sa  jonction  avec  les 
divisions  du  duc  de  Longueville,  du  maréchal  d'Au- 
mont  et  les  volontaires  du  comte  de  Soissons,  il  eut 
une  armée  de  vingt  mille  hommes  pleins  de  cette 
confianee  infaillible  qui  donne  aux  victorieux  l'a- 
venir. 

Mayenne  était  diminué.  Il  avait  compromis  sa  ré- 
putation. Il  avait  perdu  seize  mille  hommes,  soit  par 
les  combats ,  soit  par  les  désertions,  soit  par  les  ma- 
ladies. Il  était  jugé  sévèrement  même  par  les  siens. 

Henri  IV,  au  contraire,  était  adoré  et  admiré.  Plus 
on  l'approchait,  plus  on  était  subjugué  et  charmé. 
Henri  avait  une  bonté  pénétrante,  un  naturel  élec- 
trique, une  imagination  vive,  des  mots  heureux,  un 
héroïsme  indomptable.  Au  camp  de  Saint-Cloud,  il 
avait  passé  roi,  au  camp  d'Arqués,  il  passa  grand  ca- 
pitaine. La  gloire  le  sacra  mieux  que  ne  l'aurait  fait 


LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIÈME.  265 

l'huile  traditionnelle  de  Reims.  Sa  couronne  qui  était 
de  métal  devint  de  rayons.  Il  eut  une  auréole. 

Ce  qui  touche  le  plus  dans  ce  roi  d'un  si  grand  at- 
trait, c'est  son  enjouement  chevaleresque.  Xi  le  péril 
ne  le  trouble,  ni  le  succès  ne  l'enivre.  De  la  tranchée 
d'Arqués  il  avait  adressé  ces  lignes  à  sa  maîtresse 
Corisande  :  «  Mon  cœur,  c'est  merveille  de  quoy  je 
vis  au  travail  que  j'ai.  Dieu  a  pitié  de  moi  et  me  fait 
miséricorde,  bénissant  mes  labeurs  au  dépit  de  beau- 
coup de  gens.  Je  vais  bien  et  mes  affaires  vont  bien. 
Je  pris  hier  Eu^  les  ennemis  qui  sont  forts  au  double 
de  moi  m'y  pensoient  attraper.  Ayant  fait  mon  entre- 
prise, je  me  suis  rapproché  de  Dieppe  et  les  attends 
à  un  camp  que  je  fortifie.  Ce  sera  demain  que  je  les 
verrai  et  espère ,  avec  l'aide  de  mon  Dieu,  que  s'ils 
m'attaquent,  ils  s'en  trouveront  mauvais  marchands. 
Le  porteur  part  par  mer;  le  vent  et  les  affaires  me 
font  finir,  en  vous  baisant  un  million  de  fois.  » 
•  Cette  lettre  est  d'avant  le  premier  combat ,  après 
le  dernier  il  traça  pour  Crillon  ce  billet  d'une  pétu- 
lance toute  militaire  et  d'un  abandon  héroïque  : 
a  Pends-toi,  brave  Crillon,  nous  avons  combattu  à 
Arques  et  tu  n'y  étais  pas.  Adieu,  brave  Crillon 5  je 
vous  aime  à  tort  et  à  travers.  » 

Le  roi,  pendant  le  mois  d'octobre,  organisa  les  le- 
vées d'hommes  et  de  subsides  en  Normandie,  instrui- 
sit et  disciplina  son  armée.  Il  quitta  Dieppe,  dès  qu'il 
fut  en  mesure,  et  le  1^'  novembre,  il  attaqua  Paris, 
où  les  bourgeois,  quelques  semaines  auparavant, 
louaient  des  maisons  au  faubourg  Saint-Antoine  pour 
voir  tramer  à  la  Bastille  le  Béarnais  pieds  et  poings 
iv.  23 


266  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSÉ. 

liés.  Ce  prisonnier  tant  souhaité  par  les  ligueurs  ap- 
parut tout  à  coup,  mais  Tépée  à  la  main.  Il  emporta 
cinq  faubourgs  et  s'y  établit.  C'en  était  fait  de  la  ville 
des  Seize  que  le  roi  aurait  certainement  conquise, 
sans  une  faute  de  Montmorency-Thoré.  Henri  lui 
avait  ordonné  de  rompre  le  pont  Saint-Maxent  pour 
couper  la  marche  de  Mayenne.  Montmorency  négli- 
gea d'obéir  et  Mayenne  franchit  l'Oise.  Il  entra  dans 
Paris  épouvanté  de  la  prise  de  ses  faubourgs.  L'oc- 
casion fuyait  devant  le  roi.  Il  n'avait  ni  les  muni- 
tions, ni  l'artillerie,  ni  les  approvisionnements  néces- 
saires pour  un  siège  régulier.  Il  défia  deux  jours 
Mayenne  et  les  Parisiens  dans  l'espérance  d'une  ba- 
taille. Mais  déçu  par  les  lenteurs  du  prince  lorrain,  il 
se  replia  sur  Étampes.  Il  emmenait  un  butin  immense. 

Il  soumit  tout  l'Orléanais,  moins  Orléans  et  Char- 
tres. Il  séjourna  ensuite  à  Tours ,  sa  capitale  provi- 
soire. Il  y  reçut  les  hommages  du  parlement  et  de  la 
cour  des  comptes.  Il  s'entretint  beaucoup  avec  Achille 
de  Harlay  etEstienne  Pasquicr  de  l'état  du  royaume, 
visita  Crillon  encore'  malade  de  ses  blessures  et  donna 
de  longues  audiences  à  Moncenigo,  ambassadfjur  de 
Venise.  La  prudente  république  ne  craignit  pas  de 
saluer,  comme  roi  légitime',  Henri  IV.  Cette  audace 
était  de  bon  augure  et  constatait  la  profondeur  des 
déchéances  de  Philippe  II,  depuis  le  désastre  de  l'Ar- 
mada. La  confédération  suisse  ajoutant  son  alliance 
à  celle  de  Venise  et  de  toutes  les  puissances  protes- 
tantes, le  roi  ne  fut  plus  isolé  en  Europe. 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME 

Le  Béarnais  repasse  en  Normandie.  —  Les  Seize  ralliés  à  l'Espagne. 

,  —  Mendoça  incline  le  conseil  de  l'Union  à  nommer  protecteur  du 
royaume  dé"  France  le  roi  Philippe  II.  —  Mayenne  casse  le  conseil 
de  l'Union  et  le  remplace  par  le  conseil  privé.  —  Il  a  le  pouvoir, 
il  cherche  la  gloire.  —  Il  veut  dL'bloquer  Dreux  ,  assiégé  par 
Henri  IV.  —  Bataille  d'Ivry.  —  Mayenne  à  Saint- Denis,  puis  à 
Soissons,  puis  dans  la  direction  des  Pays-Bas  pour  recruter  une 
armée.  —  Le  duc  de  Nemours  gouverneur  de  Paris.  —  Henri 
s'empare  des  places  et  des  rivières  circonvoisines.  —  Il  établit  un 
blocus  rigoureux.  —  Ligue  lorraine,  ligue  espagnole.  —  Proces- 
fion  de  la  ligue.  —  Terreur.  —  Famine.  —  Horreurs.  —  Arrivée 
du  duc  de  Parme.  —  Il  débloque  et  ravitaille  Paris.  —  Cette  mis- 
sion accomplie,  il  retourne  en  Flandre.  —  Son  portrait. 

-  Satisfait  de  ses  relations  extérieures,  le  Béarnais 
redoubla  d'activité.  Il  subjugua  le  Maine,  l'Anjou, 
s'emparant  des  places,  touchant  les  recettes,  ména- 
geant les  populations ,  respectant  les  deux  cultes. 
Après  ces  conquêtes,  il  rentra  en  Normandie. 

La  ligue  n'avait  pas  cette  rapide  vigueur  de  la 
royauté.  C'est  que  la  ligue  était  plusieurs  et  que  la 
royauté  était  une,  la  ligue  une  multitude  et  la  royauté 
une  personne. 

Le  principe  monarchique ,  c'était  un  homme ,  et 
cet  homme  était  un  héros. 

La  ligue,  c'était  beaucoup  de  factions  dans  une 
opposition  vaste  et  confuse.  Les  Seize,  la  portion 
violente  de  la  ligue,  les  Seize ,  les  ultra-ligueurs ,  ne 


268  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

furent  d'abord  qu'une  confrérie  de  quatre  mille  con- 
jurés. A  l'époque  où  nous  sommes,  les  Seize  étaient 
vingt  mille.  Il  y  avait  parmi  eux  quelques  républi- 
cains sincères  et  honnêtes ,  mais  trop  faibles  pour 
lutter  avec  avantage  contre  des  princes  et  des  grands 
seigneurs.  Les  plus  influents  des  Seize  s'étaient  mis  à 
la  solde  du  roi  d'Espagne  et  avaient  embauché  une 
lie  de  peuple  et  une  lie  de  soldats.  Mayenne  les  re- 
doutait et  les  surveillait.  \ 

Il  avait,  lui ,  ses  racines  dans  la  ligue  tout  entière. 
De  là  sa  prépondérance.  Il  s'accommodait  du  vieux 
cardinal  de  Bourbon ,  qu'il  avait  fait  proclamer  roi 
sous  le  nom  de  Charles  X,  et  qui  était  captif  de 
Henri  IV.  C'est  lui,  Mayenne,  qui  était  le  vrai  roi, 
investi  de  la  plénitude  du  pouvoir  exécutif. 

Il  y  avait  bien  le  conseil  de  l'Union,  composé  de 
quarante  membres  primitifs,  mais  où  il  s'était  réservé 
les  décisions  importantes  par  les  princes ,  les  cardi- 
naux, les  magistrats  qu'il  y  pouvait  faire  siéger  au 
besoin.  Ce  conseil,  d'ailleurs,  lui  avait  été  dévoué  et 
lui  avait  servi  de  bouclier  contre  les  républicains 
d'entre  les  Seize  et  contre  tous  les  autres  préten- 
dants à  la  souveraineté  :  le  duc  de  Savoie,  qui  récla- 
mait la  couronne  de  saint  Louis ,  en  sa  qualité  de 
petit-fils  de  François  par  sa  mère  Marguerite  -,  le 
marquis  de  Pont ,  l'aîné  de  Lorraine ,  qui  aspirait  au 
trône  des  Valois  comme  petit-fils  de  Henri  II  par  sa 
mère  Claude-,  enfin  le  roi  d'Espagne,  qui  voulait 
mettre  le  sceptre  des  fleurs  de  lis  entre  les  mains  de 
l'infcinte  comme  petite-fille  aussi  de  Henri  II  par  sa 
mère  Elisabeth. 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  269 

Le  conseil  de  l'Union  avait  jusque-là  favorisé 
Mayenne ,  accepté  la  royauté  fictive  du  cardinal  de 
Bourbon  et  maintenu  l'autorité  réelle  du  prince 
lorrain. 

Néanmoins  Villeroi  avertit  le  lieutenant  général 
que  l'ambassadeur  d'Espagne  avait ,  bors  du  conseil 
et  dans  le  conseil,  une  majorité  certaine.  Bernardino 
Mendoça  achetait  audacieusement  avec  l'or  de  l'Es- 
curial  tout  ce  qui  était  à  vendre  parmi  les  Seize,  les 
ligueurs,  les  gentilshommes,  les  magistrats.  11  dispo- 
sait de  la  plèbe  à  son  gré.  Quand  il  se  crut  assez  fort, 
il  fit  au  conseil  de  l'Union  une  proposition  qui  parais- 
sait modeste  et  qui  était  l'usurpation  d'une  dictature 
absolue.  Il  invitait  simplement  l'assemblée  à  déclarer 
Philippe  II  «  protecteur  du  royaume  de  France.  » 
Mayenne  sentit  la  pointe  du  poignard.  Tout  en  res- 
pectant le  titre  du  cardinal  de  Bourbon,  Mendoça  es- 
sayait d'arracher  toute  autorité  au  prince  lorrain  5  car 
il  avait  été  insinué  que  le  protectorat  du  roi  d'Espagne 
impliquerait  pour  ce  monarque  «  la  puissance  qu'il 
exerçait  au  royaume  de  Naples  et  de  Sicile  par-dessus 
les  vice-rois  qu'il  y  élisait.  » 

Le  duc  de  Mayenne  demanda  une  première  fois 
l'ajournement.  Dans  une  seconde  réunion ,  il  laissa 
parler  Villeroi ,  son  partisan.  Cet  homme  politique 
eut  un  succès  de  bon  sens  et  d'évidence.  Il  adjura 
Mayenne  de  ne  pas  fléchir,  de  ne  pas  abdiquer.  Il  lui 
prédit,  dans  le  cas  où  il  céderait,  l'abandon  de  ses 
amis,  de  la  noblesse,  de  la  magistrature,  de  la  bour- 
geoisie qui  jamais  n'obéiraient  à  un  prince  étranger. 
Mayenne,  avec  qui  ce  discours  était  concerté  d'avance, 


270  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

s'appuya  de  cette  opinion  toute  française  pour  résis- 
ter à  Mendoça.  L'ambassadeur  alors  pressa  secrète- 
ment le  conseil  de  l'Union,  qui  avait  conféré  la  lieu- 
tenance  générale  à  Mayenne ,  de  décerner  par  un 
nouvel  acte  de  souveraineté  le  protectorat  à  Phi- 
lippe II. 

Mayenne  fut  très-habile,  très-soudain,  très-éner- 
gique. 11  fit  hardiment  un  coup  d'État  nécessaire.  Il 
proclama  que  le  pape  était  le  seul  protecteur  du 
Royaume  et  de  la  religion  catholique  en  France.  Il 
cassa  le  conseil  de  l'Union  et  il  le  remplaça  par  un 
conseil  privé ,  plus  monarchique ,  plus  en  harmonie 
avec  la  royauté  récente  du  cardinal  de  Bourbon.  Ce 
conseil  nouveau,  qui  devait  accompagner  Mayenne 
partout,  lui  assurait,  même  à  l'armée,  la  souveraineté 
politique  et  civile ,  le  pouvoir  exécutif  tout  entier.  A 
cette  heure  solennelle  où  Mayenne  rompt,  malgré  les 
apparences  et  les  courtoisies  ,  avec  le  roi  d'Espagne, 
on  comprend  tous  ses  desseins.  Il  désire  succéder  lui- 
même  au  cardinal  de  Bourbon  ,  ce  roi  impuissant  et 
captif,  ce  fantôme  ofliciel  de  la  ligue.  Mais  s'il  ne 
parvenait  pas  à  hériter,  s'il  avait  plus  tard  à  se  pro- 
noncer entre  Philippe  II  et  Henri  IV,  on  devine  qu'il 
consultera  Yilleroi,  Jeannin  et  quelques  autres  encore 
de  cette  grave  école,  et  que  c'est  le  Béarnais  devant 
lequel  il  pliera  peut-être  le  genou. 

Mayenne  avait  affermi  son  autorité  en  la  transfor- 
mant. Ce  n'était  pas  tout.  Il  lui  fallait  accroître  sa 
considération.  Il  se  remit  donc  en  campagne.  Il  guer- 
royait contre  des  bicoques,  lorsqu'il  reçut  la  nouvelle 
du  siège  de  Dreux  par  Henri  IV.  Ce  prince  avait  de- 


LIVRE  CfNQUANTE-DEUXIÈME.  271 

ployé,  depuis  les  combats  d'Arqués ,  une  vigueur  in- 
croyable. Il  avait  communiqué  son  élan  à  ses  troupes. 
Roi.  capitaines  et  soldats  rivalisaient  de  courage. 
Henri^en  six  mois,  avait  conquis  plusieurs  provinces 
et  cinquante  villes.  Il  était  sous  les  murs  de  Dreux, 
Mayenne  résolut  de  débloquer  cette  place.  Dès  que  le 
roi  sut  que  le  duc  approchait,  il  se  bâta  de  marcher 
à  sa  rencontre,  disant  autour  de  lui  :  «  Mes  amis, 
il  est  permis  d'interrompre  un  siège  pour  livrer  une 
bataille.  » 

Le  12  mars  1590,  Henri  délogea  et  se  porta  sur 
Nonancourt.  Le  13,  les  deux  armées  étaient  en  pré- 
sence dans  la  plaine  qui  s'étend  de  >'onancourt  à  Ivry. 
Le  14.  Henri  et  Mayenne,  dès  l'aube,  faisaient  leurs 
dispositions  stratégiques.  Ces  armées  étaient  d'un 
aspect  bien  différent.  La  magnificence  éclatait  parmi 
les  ligueurs.  Ils  avaient  des  armes  précieuses,  mer- 
veilleusement ciselées,  de  riches  écharpes  et  toute  la 
recherche,  soit  de  Paris,  soit  de  Bruxelles.  L'armée 
royale,  au  contraire,  était  dans  toute  la  rusticité  des 
bivacs.  Elle  n'avait  ni  soie  ,  ni  or,  ni  luxe  d'aucune 
sorte.  Les  pourpoints  étaient  usés,  les  cuirasses  bos- 
selées. Le  roi  entretenait  cette  simplicité  par  son 
exemple  et  par  la  vigilance  avec  laquelle  il  empêchait 
les  pillages.  Car  s'il  était  le  père  des  soldats,  il  n'était 
pas  moins  le  père  des  peuples. 

Mayenne  avait  souhaité  de  débloquer  Dreux.  Il  lui 
suffisait  d'avoir  atteint  son  but.  Il  ne  se  souciait  pas 
d'une  bataille.  Il  avait  éprpuvé  à  Dieppe  son  redou- 
table adversaire.  Le  duc  avait  opiné  pour  la  tempo- 
risation. Mais  il  fut  entraîné.  Son  armée  était  de 


272  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

quinze  mille  hommes ,  en  y  comprenant  quelques 
mille  mousquetaires  espagnols  et  les  deux  mille 
auxiliaires  wallons  que  le  prince  de  Parme  avait  en- 
voyés à  la  ligue,  sous  le  commandement  du  comte 
d'Egmont.  Comment  ne  pas  attaquer  le  Béarnais,  qui 
n'avait  pas  plus  de  dix  mille  hommes  ?  Les  ligueurs 
se  vantaient  de  le  prendre  enfin,  ce  roi  des  hérétiques, 
et  de  le  promener,  non  pas  seulement  prisonnier, 
mais  garrotté  dans  les  rues  de  Paris,  à  leur  retour. 
Voilà  le  spectacle  qu'ils  promettaient  aux  Seize  et  à 
la  duchesse  de  Montpensier.  Mayenne,  qui  aurait  es- 
sayé de  résister  à  ces  forfanteries  des  ligueurs,  céda 
aux  rodomontades  du  comte  d'Egmont.  Après  avoir 
beaucoup  osé  contre  l'Espagne,  le  prince  lorrain  était 
tenu  à  des  ménagements. 

Le  comte  d'Egmont  avait  trent«-deux  ans.  Il  n'était 
pas  assez  jeune  pour  échapper  à  la  responsabiUté  de 
sa  conduite.  Cette  responsabilité  pèsera  éternellement 
sur  sa  mémoire.  Ce  fanfaron,  moitié  Belge,  moitié 
Espagnol,  s'était  fait  le  sicaire  de  Philippe  IL  Quand 
il  arriva  des  Pays-Bas  à  Paris  avec  ses  deux  mille 
lances,  le  prévôt  des  marchands  qui  le  haranguait 
ayant  rappelé  le  souvenir  du  grand  comte  d'Egmont  : 
«  Ne  parlez  pas  de  lui,  repartit  le  courtisan,  il  a  mé- 
rité la  mort  :  c'était  un  rebelle.  »  Inconséquence 
lâche  et  dénaturée  !  Car  cet  indigne  fils  accusait  de 
rébellion  devant  des  rebelles  qu'il  venait  soutenir  son 
noble  père  et  il  l'accusait  pour  plaire  au  tyran  de 
l'Escurial ,  le  bourreau  de  ce  père  généreux  si  barba- 
rement  décapité.  Ce  présomptueux  comte  d'Egmont, 
irrité  contre  Mayenne  autant  que  Mendoça,  railla  la 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  273 

prudence  du  prince  lorrain  plus  haut  que  personne  et 
s'écria,  qu'à  défaut  des  Français,  il  anéantirait  avec 
ses  AVallons  les  huguenots  et  leur  chef. 

Mayenne  eut  la  main  forcée.  Henri  avait,  lui,  de 
meilleures  raisons  pour  combattre.  Il  était  dans  les 
premières  évolutions  d'une  destinée  ascendante.  Il 
lui  souriait  d'entretenir  l'haleine  héroïque  de  ses  sol- 
dats. Ils  sautaient  de  joie,  ces  soldats  d'Arqués,  à 
l'espérance  d'une  bataille.  Henri,  dont  le  cœur  bat- 
tait de  la  même  allégresse  guerrière,  était  bien  aise 
aussi  de  se  donner  par  une  victoire  la  facihté  de  lais- 
ser reposer  la  grasse  nourricière  de  ses  troupes,  la 
Normandie,  et  de  revoir  encore  les  tours  de  Paris. 

Les  deux  armées  furent  prêtes  vers  neuf  heures  du 
matin,  le  14  mars.  M.  de  Mayenne,  le  duc  de  Ne- 
mours et  le  chevalier  d'Aumale  étaient  au  milieu  de 
leurs  vaillantes  bandes  avec  d'Egmont.  Trois  cents 
gentilshommes  catholiques  entouraient  le  lieutenant 
général,  qui,  après  avoir  parcouru  les  rangs  des 
Suisses,  des  lansquenets  et  des  reîtres,  était  revenu  à 
son  poste,  à  peu  de  distance  des  Wallons  et  des  Es- 
pagnols. 

Henri  IV  faisait  face  à  Mayenne.  Il  était  à  la  tête 
de  sa  noblesse,  donnant  ses  ordres  avec  une  net- 
teté admirable,  et  d'un  esprit  si  hbre,  qu'il  y  en- 
tremêlait par  moments  de  bonnes  plaisanteries  pour 
les  mieux  graver.  Il  avait  distribué  sa  grosse  cavale- 
rie et  son  infanterie,  soit  au  centre,  soit  aux  ailes, 
de  façon  à  ce  qu'elles  pussent  s'entr  aider  au  moin- 
dre signe.  La  cavalerie  légère  était  en  avant  et  flan- 
quée d'excellents  arquebusiers.  Ce  corps,  composé 


274        histoihe  de  la  liberté  religieuse. 

d'adroits  chasseurs,  faisait  l'office  des  tireurs  de  Vin-< 
cennes  dans  nos  guerres  modernes.  L'artillerie  était 
confiée  au  grand  maître  Philibert  de  La  Guiche  et  la 
réserve  au  maréchal  de  Biron. 

Au  moment  où  un  cordelier  ligueur  brandissait  un 
crucifix  et  faisait  la  prière  au  duc  de  Mayenne,  Louis 
Damours,  un  ministre  protestant ,  nppelait  les  béné- 
nictions  du  ciel  sur  Henri  IV  et  sur  sa  cause. 

Le  roi  prit  la  parole  après  Damours  et  dit  vivement 
♦  aux  siens,  en  leur  désignant  les  trois  plumes  blan- 
ches de  son  casque  :  «  Mes  compagnons,  vous  courez 
aujourd'hui  ma  fortune  et  je  cours  aussi  la  vôtre.  Je 
veux,  selon  la  devise  de  ma  jeunesse,  vaincre  ou 
mourir  avec  vous.  Gardez  bien  vos  rangs  et  si  la  cha- 
leur du  combat  vous  les  fait  quitter,  pensez  au  ral- 
liement :  c'est  le  gain  de  la  "bataille.  Vous  le  ferez 
entre  ces  trois  prairies  là-haut  à  main  droite;  si  vous 
perdez  vos  enseignes,  cornettes  et  guides,  ne  perdez 
pas  de  vue  ce  panache  blanc-,  vous  le  trouverez  tou- 
jours au  chemin  de  l'honneur.  » 

De  grands  cris  répondirent  à  ces  paroles,  des  cris 
de  vive  le  roiî  M.  de  La  Guiche  s'y  associa  par  une 
formidable  décharge  de  son  artillerie.  Les  arquebu- 
siers le  secondèrent.  Les  escadrons  partirent.  D'Au- 
mont  et  Givry  enfoncèrent  les  chevau-légers  de 
Mayenne.  Le  comte  d'Egmont  et  les  princes  lorrains 
s'élancèrent  sur  les  canons  que  d'Egmont,  par  un 
jeu  insolent,  défia  un  instant  de  la  croupe  de  son 
cheval.  Tandis  que  les  reîtres  de  Mayenne  étaient 
rompus  par  le  duc  de  Montpensier,  le  roi  se  jeta  im- 
pétueusement sur  l'escadron  du  comte  d'Egmont  et 


tlVRE  CIXQUANTE-DECXIÈMÏ.  273 

des  princes  lorrains.  Les  lances  devinrent  inutiles. 
La  mêlée  fut  terrible,  au  pistolet  et  à  l'arme  blanche. 
On  luait,  on  était  tué.  Le  roi  se  battait  avec  la  furie 
française.  Grillon,  sorti  à  peine  de  convalescence, 
quitta  l'aile  gauche,  où  il  était  d'abord,  pour  voler  où 
était  Henri  IV.  Il  venait  le  protéger  et  ce  fut  une 
émulation  de  valeur  entre  eux.  Ils  ranimaient  les  fai- 
bles, ils  électrisaient  les  forts.  Ils  renversaient  tout. 
Le  comte  d'Egmont.  qui  se  défendit  intrépidement, 
fut  abattu  roide  mort  sous  les  pieds  des  chevaux. 
Mayenne,  le  duc  de  Nemours,  le  chevalier  d'Aumale 
demeurèrent  avec  trente  hommes  et  luttaient  encore. 
Ils  se  dérobèrent  enfin  par  la  fuite.  La  déroute  était 
complète.  Les  trois  quarts  de  cette  armée  de  la  ligue 
furent  détruits  ou  pris.  Le  canon  et  les  drapeaux  res- 
tèrent aux  troupes  royales.  Le  duc  de  Mayenne  ne 
sauva  pas  même  sa  corn<'tte  blanche,  semée  de  dou- 
bles croix  noires,  depuis  l'assassinat  de  ses  frères.  La 
bannière  rouge  du  comte  d'Egmont  lui  servit  de  lin- 
ceul. Qu'il  y  reste  enveloppé  dans  la  poussière,  dans 
le  sang  et  dans  l'opprobre,  malgré  sa  bravoure,  ce  fils 
qui  de  sa  langue  impie  outragea  la  mémoire  de  son 
père  dont  il  flatta  toute  sa  vie  le  meurtrier! 

Le  roi  cependant  s'était  oublié  à  la  poursuite  d'un 
gros  de  Wallons.  Sa  noblesse,  son  armée  tout  entière 
eut  une  épouvante  de  vingt  minutes.  Henri  reparut 
alors  avec  Grillon  et  quelques  autres  amis  du  champ 
de  bataille.  Le  roi  avait  i'epee  à  la  main,  le  gantelet 
droit  ensanglanté  de  sang  espagnol,  l'air  martial  et 
les  yeux  étincelants.  «  Sire ,  lui  dit  Duplessis-Mor- 
nay,  qui  était  arrivé  la  veille  de  la  bataille  ainsi  qu'un 


276  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

grand  nombre  de  gentilshommes  huguenots,  il  est  écrit 
que  vous  ferez  toujours  du  carabinier.  —  Ah!  sire, 
disait  le  vieux  maréchal  de  Biron ,  vous  avez  fait  au- 
jourd'hui ce  que  je  devais  faire  et  j'ai  fait  ce  que  de- 
vait faire  le  roi.  » 

Henri  souriant  recevait  les  félicitations  et  les  ren- 
dait. Il  se  portait  çà  et  là,  criant  :  «  Quartier  aux 
Français!  main  basse  sur  les  étrangers!  »  Il  accorda 
merci  aux  Suisses  de  la  ligue.  Il  en  garda  une  partie 
sous  ses  drapeaux,  il  dépêcha  les  autres  dans  leur  pa- 
trie et  gagna  par  cette  bienveillance  le  cœur  des  pe- 
tits cantons  catholiques. 

Le  duc  de  Mayenne  s'était  retiré  par  Ivry.  Il  tra- 
versa ce  bourg,  passa  le  pont,  le  fit  couper  et  mit 
ainsi  la  rivière  entre  lui  et  Henri  IV.  Le  roi  fut  obligé 
de  remonter  l'Eure  jusqu'au  château  d'Anet,  ce  qui 
donna  du  temps  à  Mayenne.  Le  chef  de  la  ligue  cou- 
cha à  Mantes,  en  repartit  le  lendemain  pour  Saint- 
Denis  où  il  resta,  refusant  d'entrer  à  Paris  après  cette 
défaite. 

Mayenne  était  désolé ,  mais  il  n'était  pas  décou- 
ragé. Il  écrivit  au  roi  d'Espagne  pour  lui  demander 
du  secours ,  et  au  pape  pour  lui  reprocher  l'indiffé- 
rence du  saint-siége.  Il  s'entendit  avec  sa  sœur  la  du- 
chesse de  Montpensier,  l'archevêque  de  Lyon ,  d'Es- 
pinac,  le  légat  de  Sixte-Quint  Gaëtano,  Mendoça, 
l'ambassadeur  ordinaire,  le  duc  de  Feria,  l'ambassa- 
deur extraordinaire  de  Philippe  II ,  et  fit  nommer  au 
commandement  de  Paris  le  duc  de  Nemours,  jeune 
prince  appliqué,  énergique,  digne  par  ses  talents  au- 
tant que  par  sa  naissance  de  pe  poste  difficile  et  pé- 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  277 

rilleux.  Tandis  que  Mayenne  se  hâtait  vers  Soissons, 
puis  vers  les  Pays-Bas,  afin  de  rassembler  une  armée, 
le  duc  de  Nemours  se  dévoua  tout  entier  à  ses  nou- 
veaux devoirs.  Il  surveilla  les  remparts,  les  canons, 
les  vivres,  les  munitions,  inspecta  tous  les  quartiers 
et  organisa  trois  mille  soldats  réguliers  et  quarante 
mille  bourgeois.  La  duchesse  de  Montpensier,  le  lé- 
gat, les  ambassadeurs  d'Espagne  ranimaient  l'ardeur 
/  du  peuple  par  l'argent,  les  faux  bruits,  le  déchaîne- 
ment des  Seize  et  des  prédicateurs.  La  peur  du  pre- 
mier moment  fit  place  à  la  confiance  et  aux  transports 
du  fanatisme. 

Lorsque  Henri  IV,  qui  avait  perdu  quinze  jours  à 
Mantes,  quinze  jours  irréparables,  fit  braquer  son  ar- 
tillerie sur  les  buttes  de  Montmartre  et  de  Montfau- 
con,  Paris  était  préparé  à  se  défendre. 

Dès  le  2  avril,  le  roi  s'était  emparé  de  Corbeil  et 
de  Lagny,  puis  successivement  il  avait  emporté  Me- 
lun,  Provins,  Crécy,  Moret,  Montereau,  Charenton, 
Saint-Maur.  Il  fut  bientôt  maître  de  toutes  les  villes 
et  bourgs  qui  dominaient  la  Seine,  la  Marne,  l'Oise 
et  leurs  affluents.  Il  ferma  ainsi  tous  les  passages  par 
oii  les  approvisionnements  pouvaient  se  déverser  des 
provinces  dans  Paris. 

Le  roi  cerna  la  grande  cité  séditieuse.  Il  établit  un 
blocus  rigoureux  qu'il  préférait  mille  fois  à  une  prise 
d'assaut  qui  aurait  entraîné  une  guerre  de  barricades. 
Eût-il,  ce  qui  est  douteux,  dompté  deux  cent  mille 
Parisiens  avec  ses  treize  mille  hommes  d'Ivry,  com- 
ment les  événements  se  seraient-ils  déroulés?  Une 
conquête  de  vive  force  eût  été  le  massacre,  le  pillage, 

IV.  24 


278  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

l'incendie.  Le  lendemain  d'une  telle  journée,  le  roi 
n'aurait  eu,  au  milieu  des  ruines,  qu'un  double  chaos 
de  capitale  et  d'armée. 

Mieux  valait  le  blocus.  Henri  espérait  amener  par 
là  les  Parisiens  à  composition. 

Ils  étaient  en  proie  à  toutes  les  discordes.  La  ligue 
était  divisée  plus  que  jamais  en  deux  factions  mu- 
nicipales :  la  faction  lorraine  et  la  faction  espagnole. 
La  faction  espagnole  grandissait.  Elle  avait  pour  chef 
un  roi ,  pour  finances  le  trésor  de  TEscurial ,  pour 
représentants  à  Paris  les  ambassadeurs  Mendoça  et 
Feria,  pour  consécration  le  concours  du  légat,  le 
cardinal  Gaëtano ,  plus  dévoué  à  Philippe  II  qu'à 
Sixte-Quint.  L'armée  des  Pays-Bas  était  l'armée  de 
la  faction  espagnole.  Le  général  incomparable  de 
cette  faction  était  le  duc  de  Parme,  son  peuple  la 
confrérie  des  Seize,  une  confrérie  de  vingt  mille 
hommes,  qui  aboutissait  par  son  faîte  au  clergé  et 
par  sa  base  à  la  multitude.  Quand  Ybarra,  un  des 
agents  les  plus  autorisés  de  Philippe  II ,  apprit ,  le 
10  mai,  à  Paris,  la  mort  du  cardinal  de  Bourbon, 
expiré  prisonnier  dans  le  château  de  Fontenay-le- 
Comte,  en  Poitou,  le  fier  Castillan  s'écria  :  «  Il  n'y  a 
plus  de  roi  de  la  ligue.  Le  seul  roi  de  France  désor- 
mais, c'est  le  roi  d'Espagne.  » 

Ce  mot  peignait  la  situation.  Les  Guise  ne  pou- 
vaient la  méconnaître.  Le  légat  travaillait  pour  l'in- 
fante et  pour  Philippe  IL  Mais  il  redoutait  plus 
Henri  IV  que  Mayenne.  Aussi,  pendant  l'agonie  du 
cardinal  de  Bourbon,  dès  le  7  mai ,  Gaëtano  inspirait 
À  la  faculté  de  théologie  de  Paris  un  décret  nouveau. 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  279 

La  Sorbonne,  par  ce  décret,  déclarait  Henri  de  Bour- 
bon hérétique  et  excommunié,  déchu  de  la  couronne 
à  toujours,  quand  bien  même  il  obtiendrait  l'absolu- 
tion du  pape  -,  même  dans  ce  cas,  le  ciel  serait  la  ré- 
compense assurée  des  martyrs  qui  succomberaient  en 
le  combattant.  Les  curés  de  la  ligue ,  des  moines  de 
tous  les  costumes,  des  prédicateurs  de  toutes  les  pa- 
roisses propagèrent  le  décret  de  la  Sorbonne.  Ils  ne 
se  contentèrent  pas  de  parler,  ils  s'organisèrent  en 
une  milice  de  treize  cents  volontaires,  impatients 
d'aller  aux  remparts. 

Le  1  i  mai,  ces  moines-soldats,  se  disant  l'Église 
militante,  imaginèrent  une  revue  qui  ne  fut  qu'une 
procession,  mais  la  plus  bizarre,  la  plus  monstrueuse 
et  la  plus  furieuse  des  processions. 

Guillaume  Rose,  évèque  de  Senlis.  était  le  général 
de  ceîte  armée  étrange.  Le  prieur  des  chartreux,  le 
prieur  des  feuillants  et  leurs  religieux,  les  jacobins, 
les  carmes,  les  cordeliers,  les  augustins,  les  minimes, 
les  capucins  bigarrés  de  prêtres  séculiers  et  d'univer- 
sitaires venaient  ensuite.  Ils  allaient  avec  ordre  ou 
sans  ordre,  selon  les  rues  et  selon  leur  caprice.  Ils 
avaient  le  capuchon  rabattu,  le  casque  en  tête,  la 
robe  retroussée.  Ils  étaient  armés,  les  uns  de  l'arque- 
buse ,  les  autres  de  la  pique,  les  autres  de  l'épée, 
mêlant  à  leur  équipement  de  guerre  des  croix,  des 
chapelets,  dos  ciliées,  hurlant,  vociférant,  chantant, 
maudissant  les  huguenots  et  les  poHtiques ,  roulant 
des  yèux  tçrribles,  se  contournant  le  visage  et  le 
corps  ,  faisant  tous  les  gestes ,  poussant  tous  les  cris 
des  combats  ,  tandis  que  les  crucifix  et  les  ban- 


280  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

nières  de  la  Vierge,  agités  par  des  frères,  dominaient 
cette  foule  burlesquement  farouche.  Il  faut  retrouver 
dans  les  estampes  du  temps  (cart.  de  M.  Hennin), 
non  moins  que  dans  les  relations  écrites ,  toutes  les 
variétés  de  cette  procession  de  la  ligue.  Il  y  a  des 
moines  énormes,  qui  éclatent  d'embonpoint  sous 
leurs  mentons  à  triple  étage  -,  il  y  a  des  moines  d'une 
maigreur  effrayante,  pâles,  décharnés,  et  dont  les  os 
percent  la  peau.  Ils  s'entre-croisent  dans  des  mouve- 
ments convulsifs  et  s'écoulent  comme  un  régiment 
grotesque. 

Le  sergent  de  bataille  dans  cette  revue  bruyante 
était  le  fameux  curé  de  Saint-Côme,  l'Écossais  Hamil- 
ton.  Les  vieux  moines  portaient  leurs  hallebardes 
d'un  air  grave  et  lugubre  ,  les  jeunes  affectaient  des 
attitudes  dégagées  et  simulaient  par  mille  bravades 
en  action  les  spadassins  et  les  raffinés.  Le  plus  étourdi, 
le  plus  impétueux,  le  plus  pétillant  d'entre  eux,  était 
Bernard  de  Percin  de  Montgaillard,  si  connu  sous  le 
nom  du  petit  Feuillant.  Il  descendait  et  remontait  le 
courant  électrique  de  la  procession.  Il  disait  çà  et  là 
tantôt  une  plaisanterie,  tantôt  une  sentence  pieuse, 
tantôt  une  maxime  féroce ,  quelquefois  un  mot  de 
chrétien,  souvent  un  mot  de  ligueur.  Tout  boiteux 
qu'il  fût,  il  était  d'une  agilité  merveilleuse,  espadon- 
nant  à  droite,  à  gauche,  et  criant  par  intervalles  ce 
verset  de  Job  :  «  La  vie  de  l'homme  sur  la  terre  est 
un  combat  perpétuel.  » 

Cette  procession  circula  tumultueusement  au  mi- 
lieu d'un  peuple  immense,  avide  d'un  si  surprenant 
spectacle.  Tous  les  seuils,  toutes  les  fenêtres ,  tous 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME,  281 

les  balcons  ne  regorgeaient  pas  moins  de  femmes, 
d'hommes,  d'enfants,  de  vieillards,  que  les  rues  et 
les  carrefours.  Au  pont  Notre-Dame,  le  légat  station- 
nait dans  son  carrosse  pour  bénir  ces  bataillons  vo- 
mis par  les  cloîtres.  Il  avait  avec  lui  son  aumônier. 
De  moment  en  moment  le  cardinal-légat  regardait 
par  la  portière,  étendait  la  main  sur  ces  moines  et 
prononçait  sur  eux  la  formule  épiscopale.  Eux,  ivres 
de  toutes  les  frénésies  de  la  ligue  et  du  cloître,  sa- 
luaient le  légat  qui  les  affranchissait  du  couvent, 
par  des  vivat  et  par  des  décharges  de  mousqueterie. 
Les  arquebuses  partaient  toutes  seules  dans  ces  mains 
novices  et  maladroites.  Elles  frappaient  partout.  Beau- 
coup de  curieux  furent  blessés  ou  tués  au  hasard  et 
sans  mauvaise  intention.  L'aumônier  du  légat  reçut 
une  balle  mortelle  en  pleine  poitrine.  Le  prélat  épou- 
vanté s'enfuit  dans  son  hôtel  où  il  rentra  au  galop  de 
ses  chevaux.  Les  moines  ne  plaignirent  pas  cette  vic- 
time de  leur  imprudence  et  le  peuple  crut,  sur  leur 
témoignage,  que  ce  prêtre  frappé  dans  une  si  sainte 
conjoncture  était  infaiUiblement  parmi  les  bienheu- 
reux. La  procession  terminée,  les  religieux,  si  baro- 
quement  accoutrés,  se  pressèrent  dans  les  corps  de 
garde,  dans  les  postes  du  siège  et  dans  les  patrouilles 
du  guet. 

Peu  après ,  le  cardinal  Gaëtano,  assisté  de  d'Espi- 
nac,  archevêque  de  Lyon  et  de  plusieurs  autres  évê- 
ques,  ouvrit,  au  grand  autel  de  Notre-Dame,  les  Evan- 
giles et  fit  jurer  au  duc  de  Nemours,  au  chevalier 
d'Aumale,  au  parlement  Brisson,  à  la  municipalité, 
aux  officiers  de  l'armée  et  de  la  milice  de  mourir 


24, 


282  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

plutôt  que  de  capituler  avec  un  roi  hérétique.  Ce 
serment  fut  répété  par  le  peuple  avec  des  acclama- 
tions prolongées.  Il  avait  été  précédé  d'une  nouvelle 
procession  où  l'on  porta  triomphalement,  à  travers 
la  ville,  les  reliques  de  Saint-Germain  l'Auxerrois, 
de  Saint-Germain  des  Près,  de  Sainte- Geneviève, 
de  la  Sainte-Chapelle,  de  Notre-Dame  et  de  presque 
toutes  les  églises. 

Paris  était  écrasé  sous  un  douhle  fléau.  Il  subissait 
la  terreur  par  la  tyrannie  des  Seize  et  la  famine  par 
le  blocus  de  Henri  IV. 

Les  Seize  opprimaient,  pillaient,  jetaient  en  pri- 
son, torturaient,  égorgeaient.  Les  modérés  trem- 
blaient et  désiraient  le  roi.  Ils  ourdirent  plusieurs 
complots  en  faveur  de  Henri.  Ptegnard,  le  chef  d  un 
de  ces  complots,  fut  pendu.  Vigny,  beau-frère  du 
président  Brisson,  lui-même  très-suspect,  fut  exilé  et 
n'échappa  au  dernier  supplice  qu'en  payant  à  propos 
une  somme  de  dix  mille  écus. 

Plus  le  blocus  se  resserrait,  plus  la  terreur  augmen- 
tait et  plus  sévissait  la  famine  avec  toutes  ses  hor- 
reurs. 

Le  roi  aurait  certainement  réduit  Paris  dans  le 
mois  de  mai  ou  dans  le  mois  de  juin,  sans  la  vénalité 
de  ses  propres  généraux.  Le  comte  de  Givry  qui  com- 
mandait à  Charenton  et  à  Conflans  laissa  entrer  des 
vivres  dans  Paris  et  toucha  quarante-cinq  mille  écus 
pour  cette  complaisance.  Plusieurs  autres  chefs  roya- 
hstes  suivirent  cet  exemple  et  tous  empêchèrent  ainsi 
la  reddition  de  la  capitale  des  Seize. 

Malgré  tant  de  ténébreuses  trahisons ,  Henri  IV 


LH'RE  CINQUANTE-DEL'XIÈME.  283 

n'abandonnait  pas  le  blocus.  Il  le  perfectionnait  de 
jour  en  jour.  Son  armée  s'était  accrue  peu  à  peu. 
Elle  s'élevait  à  vingt-cinq  mille  hommes,  au  mois  de 
juillet.  Le  27,  le  roi  s'empara  des  dix  faubourgs  de 
Paris.  La  population  refoulée  dans  la  ville  même,  une 
population  de  deux  cent  mille  âmes,  allait  sombrer 
en  pleine  famine. 

Il  n'y  avait  plus  de  chevaux,  ni  de  mulets,  ni  d'ânes, 
ni  de  chiens,  ni  de  rats.  Ils  avaient  été  dévores  les 
uns  après  les  autres.  Les  provisions  des  communau- 
tés reh'gieuses  étaient  épuisées.  Il  ne  restait  plus  un 
grain  de  froment ,  ni  de  seigle,  ni  d'orge.  Les  reîtres 
se  nourrissaient  de  petites  rations  de  bouillie,  soit 
d'avoine,  soit  de  son.  Les  pauvres  se  disputaient  les 
feuilles,  les  racines,  les  herbes  crues,  tous  les  rebuts 
du  ruisseau.  Pas  une  goutte  de  vin ,  pas  une  pincée 
de  sel. 

L'ambassadeur  d'Espagne,  le  légat,  les  princes,  les 
princesses  avaient  vendu  leur  vaisselle,  leurs  jovaux, 
leurs  meubles.  Les  évéques  sacrifièrent  l'or  et  l'ar- 
genterie des  églises.  Mais  on  ne  vit  pas  de  métaux. 
Point  de  monnaie  et  du  pain,*criait  le  peuple. 

Les  prédicateurs  alors  montaient  en  chaire.  Ils  an- 
nonçaient l'arrivée  de  Mayenne.  Madame  de  Mont- 
pensier  inventait,  tantôt  une  marche  savante,  tantôt 
une  victoire ,  qui  rapprochait  son  frère  de  Paris. 
Les  orateurs  sacrés  lisaient  tout  haut  ces  billets  de  la 
princesse  et  c'était  un  jour  de  gagné.  Cela  s'usa  comme 
le  reste.  L'espérance,  entretenue  sans  cesse,  était  sans 
cesse  trompée. 

Dans  la  première  semaine  d'août,  le  pain  fut  à  cent 


284  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

SOUS  la  livre.  Plus  tard,  il  n'y  en  eut  plus  à  aucun 
prix.  Les  princesses  mêmes  n'en  avaient  pas.  Ce  n'é- 
taient que  gémissements  et  lamentations  dans  les  rues.  ' 
Les  passants  tombaient  à  chaque  minute  sur  le  pavé 
où  ils  expiraient  d'inanition.  Les  vieux  cuirs  étaient 
amollis  dans  de  l'eau  en  ébuUition;  puis  on  les  mâ- 
chait avec  de  la  poussière  d'ardoise  ou  de  la  farine 
faite  d'os  de  morts  broyés  et  pilés.  Cette  farine  funè- 
bre, conseillée  par  Mendoça,  avait  été  approuvée  par 
les  princesses.  On  en  fit  du  pain  qu'on  appela  le  pain 
de  madame  de  Montpensier.  On  renonça  vite  à  ce 
pain  de  cannibales.  Il  fut  prouvé  qu'il  empoisonnait. 
Plus  de  trente  mille  personnes  succombèrent. 

Le  8  août,  il  y  eut  une  tentative  de  sédition.  Une 
multitude  affamée  entoura  le  palais  de  justice  et  cria  : 
«  La  paix  ou  du  pain.  »  Le  parlement  et  son  prési- 
dent Brisson  auraient  bien  désiré  accorder  l'une  et 
l'autre-,  mais  ils  étaient  sous  la  terreur  des  Seize  et 
ils  n'osaient  parler.  Le  duc  de  Nemours,  d'ailleurs, 
s'étant  précipité  avec  ses  arquebusiers  au  milieu  des 
groupes,  les  dissipa.  Il  fit  pendre  deux  des  plus  au- 
dacieux à  la  même  potence.  C'étaient  le  père  et  le 
fils.  Le  jeune  duc  pensa  relever  par  cet  acte  de  ri- 
gueur son  autorité  compromise.  Il  voulait  à  la  fois 
prévenir  une  sédition  générale  et  convaincre  les  Es- 
pagnols que  c'était  lui,  le  lieutenant  de  Mayenne,  qui 
demeurait  le  vrai  gouverneur,  le  vrai  souverain  de 
Paris. 

Au  fond,  les  Guise  avaient  les  apparences  du  pou- 
voir; ils  en  avaient  par  instants  les  hardiesses.  Ils 
n'en  avaient  ni*  le  droit  qui  résidait  dans  la  personne 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  285 

de  Henri  IV,  ni  les  soldats,  ni  les  trésors  dont  dispo- 
sait Philippe  II.  Entre  deux  rois,  les  princes  lorrains 
étaient  toujours  destinés  à  être  des  conspirateurs.  Ils 
ne  cesseront  de  l'être  qu'en  devenant  des  sujets.  Qui 
choisiront-ils  du  Béarnais  ou  de  l'Espagnol?  Ce  sera 
le  dénoùment  de  la  question. 

La  révolte  du  palais  réprimée,  la  misère,  l'extrême 
disette  s'aggravèrent  toujours.  Les  sièges  de  Samarie 
et  de  Jérusalem  n'avaient  pas  vu  des  atrocités  plus 
noires.  La  faim  cruelle,  la  faim  des  tigres  et  des  pan- 
thères rôdait  dans  les  ténèbres.  Des  lansquenets  se 
repurent  de  chair  humaine  comme  des  anthropopha- 
ges. Une  mère  riche  et  d'une  bonne  famille  retira 
clandestinement  de  leurs  bières  ses  deux  fils,  remplit 
les  bières  d'un  poids  équivalent  et  les  cloua  elle-même. 
Elles  furent  enterrées  par  le  prêtre.  La  mère  et  sa  ser- 
vante salèrent  d'un  reste  de  sel  les  enfants  volés  aux 
vers  du  sépulcre.  Ces  femmes  essayèrent  de  loin  en 
loin  quelques  bouchées  lugubres.  La  mère  fut  bientôt 
suffoquée,  étouffée,  par  cette  mort  qui  avait  été  sa  vie. 
Son  sein,  d'abord  un  berceau,  ne  put  s'accoutumer  à 
être  un  cercueil.  Elle  succomba  dans  d'affreux  spas- 
mes. La  servante ,  après  l'avoir  accompagnée  au  ci- 
metière, revint  folle,  erra  par  les  carrefours  de  Paris, 
et  mendiait  en  racontant  le  stratagème  odieux,  les 
repas  impies  et  la  mort  tragique  de  sa  maîtresse. 

Les  chefs  de  l'armée,  du  parlement  et  de  la  muni- 
cipalité, les  ambassadeurs,  les  évêques,  le  légat  souf- 
fraient de  la  détresse  universelle.  Leurs  familles  se 
sustentaient  à  peine,  leurs  gens  étaient  hâves  et  exté- 
nués. Une  chambrière  de  madame  de  Montpensier 


286  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

périt  d'épuisement.  La  duchesse,  qui  seule  avait  con- 
servé un  petit  chien,  le  refusa  àta  Chapelle-Marteau. 
Le  prévôt  des  marchands  n'en  trouva  pas  un  autre 
dans  tout  Paris.  ïl  fut  obhgé  de  renoncer  aux  bouil- 
lons que  les  médecins  avaient  ordonnés  pour  un  de 
ses  parents  malade. 

Les  huguenots  rappelaient  la  Saint-Barthélemy. . 
Dieu,  disaient-ils,  est  notre  vengeur.  Il  a  puni  le  duc 
de  Guise,  Catherine  de  Médicis,  les  deux  derniers  Va- 
lois et  leurs  complices  illustres.  Maintenant  il  bat  la 
joue  du  peuple  de  Paris,  le  peuple  massacreur,  il  l'af- 
fame, il  le  torture  el  il  le  couchera  peu  à  peu  dans  les 
mêmes  tombes  que  les  victimes.  Quand  il  n'y  a  plus 
de  justice  sur  la  terre,  il  y  a  une  justice  au  ciel. 

Henri  IV,  au  lieu  de  maudire  comme  la  plupart  de 
ses  courtisans  et  des  pasteurs,  fut  attendri.  Il  faillit 
aux  règles  de  la  guerre  et  de  la  politique.  Il  manqua 
Paris  par  humanité.  Il  ne  fut  ni  un  général,  ni  un 
roi,  mais  il  fut  un  homme  magnanime.  Il  avait  déjà 
ouvert  une  issue  à  trois  mille  personnes.  Il  avait  per- 
mis aux  paysans  d'amener  des  vivres,  aux  soldats  de 
tendre  du  pain  aux  assiégés  à  la  pointe  des  hallebar- 
des. Le  20  août,  il  fit  plus,  il  accorda  passage  à  tou- 
tes les  filles  et  femmes,  à  tous  les  écoliers,  à  toutes 
les  bouches  inutiles. 

Paris,  un  peu  soulagé,  prolongea  sa  résistance  de 
quelques  jours.  Indépendamment  de  la  clémence  du 
roi,  le  despotisme  des  Seize  retardait  toute  capitula- 
tion. 

Bussy-Leclerc  se  présenta  chez  le  premier  prési- 
dent Brisson  et  lui  dit  insolemment  :  u  Y  aurait-il 


LITRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  287 

par  hasard  dans  le  parlement  des  conseillers  assez 
lâches  pour  songer  à  une  paix  avec  le  Béarnais?  » 
Brisson  répondit  doiircment  :  «  Je  ne  sais  pas  ce  que 
vous  voulez  dire.  Quant  à  moi,  le  bien  de  la  religion 
m'émeut  plus  que  la  nécessité,  quoique  cette  néces- 
sité soit  fort  dure.  —  La  nécessité  est  l'excuse  de 
tous  les  traîtres ,  reprit  Bussy-Leclerc.  J'ai  un  en- 
fant, et  toutefois,  j'aimerais  mieux  le  manger  que  de 
me  rendre.  Voilà  le  principe-,  l'admettez-vous?  »  Et 
comme  le  premier  président  ne  répondait  pas,  Bussy 
le  regarda  d'un  air  féroce  et  posant  la  main  sur  la 
garde  de  son  épée  :  «  Cette  arme  est  tranchante, 
s'écria-t-il  en  prenant  congé  de  Brisson.  Je  m'en  ser- 
virai pour  mettre  en  quartiers  les  scélérats  qui  ose- 
ront parler  de  paix,  n 

D'un  autre  côté,  pendant  que  les  Seize  intimidaient 
les  Parisiens,  le  duc  de  Nemours  les  calmait  par  une 
négociation  confiée  à  l'archevêque  de  Lyon ,  d'Espi- 
nac.  Ce  prélat,  d'une  fourberie  rare,  décevait  Henri  IV 
en  feignant  un  désir  de  soumission  que  Mayenne, 
d'accord  avec  son  frère  de  Nemours,  simulait  aussi. 
Les  Parisiens  et  Henri  IV  se  flattaient  d'un  dénoù- 
ment  pacifique ,  tandis  que  les  princes  de  la  ligue  et 
d'Espinac  ne  voulaient  que  gagner  des  heures  et  don- 
ner au  duc  de  Parme  le  temps  d'arriver. 

Il  arriva  en  effet,  le  22  août  io90,  à  Meaux,  où  était 
Mayenne.  Il  amenait  quatorze  mille  soldats ,  une  ar- 
tillerie formidable  et  beaucoup  de  munitions,  soit  de 
guerre,  soit  de  bouche.  Parti  de  Valenciennes,  le 
6  août,  il  avait  fait  en  seize  jours  la  route  qui  le  sé- 
parait du  lieutenant  général.  11  ne  marchait  qu'avec 


288  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

précaution.  Toujours  penché  sur  ses  cartes,  il  choi- 
sissait chaque  soir  son  camp.  Ses  soldats,  accoutumés 
au  pic  et  à  la  pioche  autant  qu'à  l'arquebuse,  en- 
touraient ce  camp  de  rapides  retranchements  et  s'y 
établissaient  comme  s'ils  eussent  dû  s'y  défendre. 
Ordinairement  temporisateur,  le  prince  était,  lors- 
qu'il le  fallait,  d'une  célérité  fabuleuse. 

Henri  IV  fut  très- surpris.  Il  croyait  que  le  champ 
de  bataille  nécessaire  de  Farnèse  était  dans  les  Pays- 
Bas.  Le  duc  de  Parme  ne  le  croyait  pas  moins.  Il 
avait  longtemps  résisté  à  Philippe  II.  Enfin,  sur  une 
injonction  formelle  du  roi  d'Espagne,  il  lui  avait 
écrit  :  «  Sire,  j'obéis,  mais  vous  lâchez  la  proie  pour 
l'ombre.  » 

Bien  que  fort  contrarié,  Farnèse  savait  changer  de 
théâtre  et  accepter  un  rôle  nouveau  avec  la  supério- 
rité de  sa  nature.  Sa  mission  était  de  délivrer  Paris  et 
d'empêcher  un  roi  hérétique .  Philippe  II  pensait  que  le 
duc  de  Parme  remplirait  cette  mission,  et  que  de  plus, 
en  subordonnant  Mayenne ,  en  écUpsant  Henri  IV,  il 
préparerait  efficacement  le  trône  pour  l'infante  Isa- 
belle. 

Dès  que  le  Béarnais  fut  averti  dè  la  jonction  de 
Farnèse  et  de  Mayenne  à  Meaux,  il  assembla  son 
conseil.  Il  s'était  résolu  à  continuer  le  blocus  autant 
qu'il  le  pourrait,  en  laissant  autour  de  la  cité  rebelle 
un  corps  de  cavalerie ,  pendant  que  lui,  avec  le  reste 
de  son  armée,  irait  à  Claye,  à  trois  lieues  en  deçà  de 
Meaux,  pour  barrer  le  chemin  aux  armées  de  la  ligue 
et  de  l'Espagne. 

Ce  plan  était  le  meilleur.  Biron,  qui  s'efforçait  d'é- 


J 

LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  289 

terniser  la  guerre  pour  perpétuer  son  influence,  le  fit 
rejeter.  Il  substitua  la  position  de  Chelles  à  celle  de 
Claye  et  décida  le  roi  à  cesser  le  blocus.  Toute  l'ar- 
mée s'avança  donc  sur  Ghelles,  près  de  Bondy. 

Paris,  du  fond  de  l'agonie  où  la  faim  l  avait  réduit, 
poussa  un  long  cri  de  joie,  le  30  août.  Les  sentinelles 
avaient  appelé  le  peuple  et  lui  avaient  montré  les  fau- 
bourgs vides,  la  campagne  libre.  Le  siège  avait  été 
levé.  Ce  blocus  durait  depuis  cinq  mois,  en  comptant 
les  opérations  militaires  qui  l'avaient  précédé. 

Le  duc  de  Parme  eut  un  sourire  de  joie ,  lorsqu'il 
fut  certain  que  le  plan  du  vieux  maréchal  de  Biron 
avait  été  préféré  à  celui  du  roi.  Il  se  bâta  de  tra- 
verser la  Marne  avec  Mayenne  et  marcba  dans  la 
direction  de  Bondy.  Les  deux  armées  furent  en  pré- 
sence, le  31  août.  Henri  croyait  tellement  à  une  ren- 
contre pour  le  lendemain,  qu'il  écrivit  à  Gabrielle 
d'Estrées,  la  nouvelle  Favorite  qui  venait  de  succéder 
à  la  comtesse  de  Gramont  :  «  Ma  maîtresse,  je  vous 
dis  ce  mot  le  jour  de  la  veille  d'une  bataille;  l'issue 
en  est  dans  la  main  de  Dieu.  Si  je  la  perds,  vous  ne 
me  verrez  jamais ,  car  je  ne  suis  pas  bommé  qui  re- 
cule. Bien  puis-je  vous  assurer  que  si  je  meurs,  mon 
avant-dernière  pensée  sera  à  vous  et  ma  dernière  à 
Dieu.  —  Henry.  » 

L'ardent  désir  du  Béarnais  était  une  bataille.  Il  es- 
pérait une  victoire  après  laquelle  il  serait  retombé 
sur  Paris  et  l'aurait  subjugué.  Mais  il  avait  en  face 
un  formidable  tacticien.  Farnèse,  dont  l'armée  réu- 
nie à  celle  de  Mayenne  montait  à  trente  mille  sol- 
dats, n'avait  pas  jugé  à  propos  de  se  mesurer  avec  le 
IV.  25 


290  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Béarnais  qui  n'avait  guère  que  vingt-cinq  mille  com- 
battants. Il  s'était  fortifié  en  une  nuit  à  Chelles  dans 
un  poste  inexpugnable.  Du  l^*"  au  10  septembre,  le 
roi  défia  vainement  le  duc  de  Parme.  Irrité  du  flegme 
imperturbable  de  ce  grand  capitaine,  le  Béarnais  lui 
envoya  un  héraut  d'armes  pour  la  troisième  fois. 

Farnèse  importuné  répondit  froidement  et  fière- 
ment :  «Allez  dire  à  votre  maître  que  je  n'ai  pas  cou 
tume  de  consulter  mes  ennemis  sur  ce  que  je  dois 
faire.  Je  suis  en  France  afin  d'arracber  Paris  aux 
hérétiques.  Si  une  bataille  est  nécessaire  pour  cela, 
je  la  donnerai  à  votre  roi  et  je  le  forcerai  bien  à  l'ac- 
cepter-, sinon,  j'aviserai  à  ce  qui  me  conviendra  lo 
mieux.  » 

Le  héraut  répliqua  :  «  Je  suis  le  serviteur  d'un 
prince  qui  n'a  jamais  esquivé  de  bataille.  —  Moi,  re- 
partit sévèrement  Farnèse,  j'esquiverai  celle-ci  à  ses 
dépens,  et  qui  me  contraindra  sera  plus  habile  que 
je  ne  suis.  » 

Le  duc  de  Parme,  après  ces  paroles,  congédia  lo 
héraut  d'un  geste. 

Le  dessein  de  Farnèse  était  à  double  tranchant  : 
détruire  l'armée  royale  qui,  n'étant  soutenue  ni  par 
l'espérance  d'un  riche  butin  dans  Paris,  ni  par  la  cer- 
titude d'une  bataille  prochaine,  déserterait^  puis  con- 
quérir les  villes  qui  interceptaient  sur  les  rivières  les 
approvisionnements  de  la  capitale  des  hgueurs. 

Tout  réussit  au  duc  de  Parme. 

La  défection  fut  grande  dans  le  camp  du  Béarnais. 
Il  se  vit  obligé  d'y  consentir  et  permit  aux  gentils- 
liomnles  à  bout  de  ressources  de  retourner  dans  leurs 


LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME.  291 

foyers.  Il  distribua  les  troupes  soldées  dans  les  garni- 
sons des  places  les  plus  importantes  et  il  ne  garda 
autour  de  lui  qu'un  camp  volant.  ^ 

Farnèse,  ayant  désorganisé  l'armée  du  Béarnais, 
maintint  la  sienne  intacte ,  prit  Lagny,  Saint-Maur, 
Charenton,  Corbeil  et  dégagea  Paris,  en  restituant 
les  navigations,  soit  delà  Seine,  soit  de  la  Marne.  Les 
farines,  les  blés,  les  fruits,  le  bétail,  affluèrent  de  par- 
tout, de  la  Brie,  de  la  Beauce,  et  répandirent  l'abon- 
dance dans  la  cité  de  la  faim. 

Alléguant  alors  l'activité  de  Maurice  de  Nassau  qui 
exigeait  son  retour  prompt 'dans  les  Pays-Bas,  le  duc 
de  Parme  opéra  sa  retraite  du  1"  au  29  novembre, 
barcelé  par  Henri  IV  dont  il  loua  l'impétuosité  cbe- 
valeresque,  coucbant  tous  les  soirs  environné  de  cba- 
riots,  quelquefois  de  fossés,  marcbant  le  jour  en  or- 
dre de  combat,  dormant  la  nuit  dans  une  forteresse 
renouvelée  à  cbaque  déploiement  des  tentes. 

11  n'avait  pas  francbi  la  frontière,  que  déjà  Corbeil 
et  Lagny  étaient  repris-,  mais  l'armée  royale  était 
dispersée,  Paris  arraché  au  Béarnais  et  débloqué  5  tout 
cela  s'était  facilement  accompli,  sans  perte  d'hommes, 
par  le  seul  miracle  d'une  combinaison  supérieure  et 
d'une  géométrie  infaillible. 

Voilà  "pourtant  ce  qu'exécuta  le  duc  de  Parme  en 
trois  mois. 

Ce  prince  était  petit-fils  de  Cbarles-Quint  par  sa 
mère  Marguerite.  Neveu  de  Philippe  II,  il  assista, 
sous  son  autre  oncle,  don  Juan  d'Autriche,  à  la  ba- 
taille navale  de  Lépante.  Ce  fut  là,  qu'à  l'âge  de  dix- 
huit  ans,  il  eut  et  donna  aux  autres  la  révélation  de 


292  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lui-même  :  «  Cet  enfant  nous  surpassera  tous ,  »  di- 
sait don  Juan  après  la  victoire.  Il  ne  se  trom- 
pait pas.  Alexandre  Farnèse  tint  plus  qu'il  n'avait 
promis. 

La  nature  l'avait  fait  général.  A  l'époque  du  ravi-  , 
taillement  de  Paris ,  il  est  dans  toute  sa  gloire.  Son 
esprit  est  d'un  mathématicien^  son  imagination,  sa 
témérité  sont  d'un  joueur.  Habituellement  silencieux, 
s'il  parle,  nul  n'est  plus  éloquent^  s'il  interroge,  nul 
n'a  plus  de  divination.  Ses  lettres  sont  des  chefs- 
d'œuvre  lumineux.  Il  a  la  grâce  d'un  homme  de  cour, 
la  mélancohe  d'un  malade,  les  souplesses  d'un  diplo- 
mate ,  et  surtout  les  calculs ,  les  prévoyances ,  l'al- 
gèbre, les  lenteurs,  les  manèges,  les  ressources  d'un 
grand  capitaine.  Les  difficultés  l'inspirent^  il  les 
aplanit  toutes  avec  austérité.  Espagnols ,  Wallons , 
Italiens,  des  soldats  de  nations  et  de  langues  diverses, 
il  les  contient  sans  effort.  Farnèse  est  un  inventeur 
inépuisable,  un  Archimède  de  stratégie. 

Il  y  a  plusieurs  portraits  gravés  du  duc  de  Parme  \ 
je  n'en  ai  rencontré  qu'un  à  l'huile,  et  ce  portrait, 
conforme  aux  autres ,  quoique  plus  beau ,  je  ne  l'ai 
jamais  oubhé. 

La  figure  est  ovale,  le  teint  hâve,  plombé,  d'un 
bistre  itaUen.  Le  nez  est  souverainement  noble,  le 
frqnt  haut  et  vaste.  Les  yeux  profonds,  sombres, 
énigmatiques,  sont  comme  les  astres  de  ce  visage; 
ils  s'ouvrent  très-grands  5  ils  brûlent  plus  qu'ils  ne 
brillent.  Et  avec  ce  feu  caché,  je  ne  sais  quoi  de  gla- 
cial, d'enfoui,  de  triste  sur  tout  le  visage ^  des  lèvres 
que  le  mystère  ferme  des  sept  sceaux  de  la  circon- 


LIVRE  CINOUANTE-DEUXIÈME.  293 

speclion,  une  souffrance  secrète,  un  tourment  calme, 
le  désespoir  du  génie  obligé  de  servir  quand  il  est  fait 
pour  commander,  une  angoisse  continue  dans  l'iso- 
lement superbe  d'une  âme  qui,  ne  se  sentant  pas 
d'égale,  dédaigne  l'épanchement. 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME 


Le  roi  peu  délicat  en  amoui*.  —  Il  harcèle  le  duc  de  Parme.  — 
Gabrielle  d'Estrées.  —  Son  portrait.  —  Mort  de  Sixte-Quint, 
pape  haï  de  Philippe  II  et  des  ligueurs.  —  Grégoire  XIV,  Espa- 
gnol dans  le  cœur.  —  Le  parlement  et  l'Église  gallicane  lui  résis- 
tent. —  Le  roi  essaye  en  vain  de  prendre  Paris.  —  Il  assiège 
Chartres.  —  Question  de  l'assemblée  des  états.  —  Mission  de 
Jeannin  en  Espagne.  —  Son  portrait.  —  Philippe  II  ne  cache  pas 
(ses  desseins.  —  Le  pape  conspire  avec  lui  pour  faire  décerner  la 
couronne  de  France  à  l'infante  Isabelle.  —  Les  Seize,  instruments 
des  ambassadeurs  espagnols.  —  Brigard  accusé  et  acquitté.  — 
Complot  des  Seize  contre  le  parlement.  —  Bussy-Leclerc.  — 
Cromé.  —  Barnabé  Brisson  et  deux  conseillers  pendus.  —  Les 
Seize  vaincus  par  Mayenne,  qui  leur  inflige  la  potence  et  l'exil. 
—  Il  prépare  ainsi  les  voies  à  la  monarchie.  —  Conférences  de 
La  Fère.  —  Humiliation  de  Mayenne. 

Henri  ÏV  n'avait  rien  à  se  reprocher  que  trop  de 
complaisance  pour  le  maréchal  de  Biron.  Du  reste, 
s'il  n'avait  pas  envahi  Paris,  s'il  n'avait  pas  rendu  le 
blocus  efficace,  c'était  par  humanité  -,  s'il  n'avait  pas 
attendu  le  moment  de  combattre  Farnèse,  c'était  par 
l'impatience  de  sa  propre  armée,  qui  s'était  dissoute 
malgré  ses  prières. 

Il  n'avait  pas  hésité  non  plus  à  quitter  toutes  ses 
amours  passagères,  l'abbesse  de -Montmartre ,  l'ab- 
besse  de  Longchamp,  Martine  Montaigu,  Arnaudine, 
Gabrielle  même,  pour  inquiéter  la  retraite  du  duc  de 
Parme. 

Henri  écrivait  sans  cesse  à  la  comtesse  de  Gra- 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.  205 

mont,  et  il  finissait  toutes  ses  lettres  par  des  protes- 
tations (le  fidélité  :  «  Mon  cœur,  vivez  assurée  de  ma 
constance.  Elle  est  inviolable.  Sur  cette  vérité,  je  te 
baise  un  million  de  fois  les  mains,  la  bouche  et  les 
yeux.  » 

Si  scrupuleux  en  paroles ,  il  était  effréné  en  ca- 
prices. Il  ne  résistait  à  aucun.  Paysannes,  bourgeoi- 
ses, grandes  dames,  religieuses,  il  chassait,  selon  son 
expression,  tous  les  gibiers. 

La  beauté  de  Corisande  s'était  altérée  par  l'enlu- 
minure du  teint.  Il  s'éprit  de  madame  de  Guerche- 
ville,  fut  repoussé  et  se  consola,  à  travers  cent  fantai- 
sies, auprès  de  Gabrielle  d'Estrées. 

Elle  était  la  maîtresse  de  Bellegarde  qui  eut  la 
témérité  de  la  vanter  au  roi  et  de  le  mener  au  château 
de  Cœuvres  où  elle  était. 

Henri  lui  déplut,  mais  elle  se  ravisa.  Elle  l'aima 
par  ambition,  comme  lui  l'aima  par  tempérament. 

Gabrielle  d'Estrées  était  d'une  origine  illustre.  Son 
aïeul  et  son  père  furent  tous  deux  grands  maîtrfes  de 
l'artillerie.  Rosny  leur  succéda. 

Gabrielle  était  digne  du  surnom  que  la  légende  lui 
a  donné.  La  belle  Gabrielle,  dit  encore  le  peuple. 
Elle  était  facile,  accessible,  comme  presque  toutes  les 
grandes  dames  de  son  temps.  Elle  n'était  pas  faite 
pour  la  vertu  ;  elle  était  née  pour  la  galanterie,  pour 
rintrigue  personnelle,  égoïste.  Son  esprit  était  plutôt 
aimable  que  supérieur.  Tout  son  charme  venait  de  sa 
beauté.  Elle  avait  de  l'embonpoint,  une  peau  fine  et 
blanche  sous  laquelle  on  vovait  courir  le  sang  et  cir- 
culer la  vie.  Ses  lèvres  écariates,  les  fossettes  de  ses 


296  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

joues,  la  douceur  de  sa  voix ,  le  phosphore  de  ses 
cheveux  crêpés  au-dessus  du  front  et  plus  brillants 
que  leur  étoile  de  diamant ,  inspiraient  la  passion  et 
promettaient  le  plaisir.  Voilà  Gabrielle  au  premier 
abord.  Mais  en  la  regardant  de  près,  ses  yeux  hm- 
pides ,  suaves  comme  ceux  des  colombes ,  ont  je  ne 
sais  quoi  de  fatal,  et,  entre  ses  sourcils,  il  y  a  un  pli. 
Ce  pli  se  marquera  de  plus  en  plus.  Elle  voudra  être 
reine  et  deviendra  superstitieuse.  Elle  interrogeait 
les  astrologues,  les  nécromanciens.  L'un  d'eux  lui 
avait  prédit  qu'elle  porterait  la  couronne;  un  autre, 
qu'une  catastrophe  imprévue  la  précipiterait  à  la  veille 
de  la  suprême  élévation.  Lequel  croire?  elle  flottait 
entre  l'espérance  et  la  terreur.  La  mort  seule  put  in- 
terrompre ses  insinuations  auprès  du  roi ,  sa  lutte 
contre  Sully,  son  élan  vers  le  trône. 

L'attrait  incomparable  de  Gabrielle  d'Estrées,  c'est 
d'avoir  été  femme  avant  tout  -,  d'autres  parmi  ses  ri- 
vales ,  soit  légitimes ,  soit  illégitimes ,  qui ,  sous  le 
masque  de  l'amour,  se  disputèrent  le  pouvoir  à  la 
cour  de  Henri  IV,  furent  ou  plus  politiques,  ou  plus 
littéraires,  ou  plus  spirituelles.  Nulle  ne  fut  femme 
autant  qu  elle-,  nulle  ne  le  fut  avec  ce  mélange  de 
timidité  et  d'audace,  de  volupté  et  de  remords,  de 
mobilité  et  de  faiblesses. 

Aussi  a-t-elle  gardé  entière  son  auréole  de  poésie. 
Le  peuple  l'a  choisie  entre  toutes  comme  il  choisira 
Sully  entre  tous,  pour  les  mettre  dans  son  épopée  de 
Henri  IV,  Tune  le  plus  près  du  cœur,  l'autre  le  plus 
près  de  la  conscience  du  roi,  —  l'une,  la  maîtresse, 
l'autre  le  ministre  du  Béarnais, 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.  297 

Bien  que  Henri  IV  fût ,  pendant  et  après  l'expédi- 
tion du  duc  de  Parme,  dans  la  vivacité  de  sa  passion 
pour  Gabrielle  d'Estrées,  il  ne  se  laissa  distraire  par 
elle  ni  de  la  guerre,  ni  de  la  diplomatie.  La  première 
chose  pour  le  r?i ,  c'était  la  couronne  de  France  ;  sa 
maîtresse  était  la  seconde.  Dieu  venait  ensuite. 

Sixte-Quint  avait  été  emporté,  le  27  août  1590, 
par  une  rapide  maladie.  On  soupçonna  Philippe  II  de 
l'avoir  fait  empoisonner.  Malgré  ses  concessions  à  la 
ligue,  ce  pape  était  trop  monarchique  pour  être  bon 
ligueur.  Le  roi  d'Espagne  le  haïssait.  Les  Seize  se 
déchaînèrent  plus  d'une  fois  contre  lui.  L'un  de  leurs 
prédicateurs,  le  curé  de  Saint-André,  annonça  ainsi, 
le  15  septembre,  la  mort  du  chef  de  l'Eglise  :  «  Mes 
frères,  Dieu  nous  a  délivrés  d'un  méchant  pape  et  po- 
litique, lequel ,  s'il  eût  vécu  longuement;  on  eust  été 
bien  estonné  d'ouïr  prescher  à  Paris  contre  le  pape, 
et  toutefois  il  l'eût  fallu  faire.  » 

Phihppe  II  pensionnait  et  intimidait  le  consistoire. 
11  lui  dicta  la  nomination  d'Urbain  VII,  et,  peu  de 
semaines  après,  le  5  décembre  1o90,  la  nomination 
de  Grégoire  XIV. 

Ce  pape,  de  fibre  tout  espagnole,  lança  de  nou- 
,  velles  bulles  contre  Henri  IV,  le  déclara  déchu  de  ses 
royaumes  comme  hérétique  et  relaps.  Il  excommunia 
les  évêques  et  les  prêtres  qui,  sous  quinze  jours,  n'au- 
raient pas  désavoué  Henri  de  Bourbon. 

Le  parlement  de  Paris,  le  vrai  parlement  mené  à  la 
Bastille  par  Bussy-Leclerc,  s'était  réfugié  plus  tarda 
Tours  au  nombre  de  deux  cents  magistrats  dont  une 
partie  s'installa  à  Chàlons  pour  les  facilités  de  la  jus- 


298  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE.' 

tice.  Ce  parlement  à  double  tête  répondit  aux  brefs 
incendiaires  de  Grégoire  XIV  par  d'énergiques  arrêts, 
qui  le  dépouillaient  moralement  de  la  tiare  et  qui 
décrétaient  le  nouveau  légat  Landriano  de  prise  de 
corps.  Le  faux  parlement  de  Paris,  composé  des 
soixante  et  dix-huit  membres  du  président  Brisson , 
ne  fut  pas  écouté  dans  son  opposition  aux  parlements 
de  Châlons  et  de  Tours ,  car  il  était  sous  l'épée  des 
Espagnols  et  sous  le  couteau  des  Seize. 

L'Eglise  gallicane,  par  ses  représentants  soit  cardi- 
dinaux,  soit  évêques,  adressa  de  Chartres  un  mani- 
feste à  la  France.  Tout  en  souhaitant  la  conversion  du 
roi,  cette  ÉgHse  lui  réservait  sa  fidélité,  déclarait  ini- 
ques et  frappait  de  nulhté  dans  la  forme  et  dans  le 
fond  «  les  bulles  suggérées  au  saint-père  par  les  arti- 
fices des  ennemis  du  royaume.  » 

Henri  lY  s'associait  à  ces  efforts  du  parlement  et 
de  l'Eghse  gallicane,  en  protégeant  les  deux  cultes 
par  sa  conduite  mesurée  et  par  d'excellents  édits. 

L'idée  fixe  du  roi,  son  but  principal,  était  la  réduc- 
tion de  Paris.  Pour  que  Ton  crût  à  son  droit  et  pour 
que  l'on  s'y  soumît,  il  fallait  qu'il  échangeât  enfin  ses 
demeures  errantes  contre  le  Louvre.  «  C'est  ma  mai- 
son, disait-il,  et  il  n'est  séant  qu'à  moi  d'y  loger.  » 

Il  essaya  plusieurs  tentatives  sur  Paris  ^  une,  entre 
autres,  par  le  faubourg  Saint-Honoré.  C'était  la  nuit 
du  19  au  20  janvier  1591.  Le  roi  avait  autour  de  lui 
les  ducs  de  Nevers»et  d'Epernon,  qui  étaient  sortis  de 
leur  neutralité,  Longueville,  La  Noue  et  le  baron  de 
Biron,  fils  du  maréchal.  Henri  fit  avancer  un  grand 
nombre  de  charrettes  chargées  de  farine  et  conduites 


UVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.  299 

par  des  gentilshommes  armés ,  sous  des  sarraux  de 
paysans.  Ils  devaient  s'emparer  de  la  porte  Saint- 
Honoré  et  l'ouvrir  à  l'armée  royale.  Mais  les  Pari- 
siens, avertis  de  cette  surprise  dès  la  veille,  avaient 
terrassé  leur  porte  si  bien,  que  les  gentilshommes 
déguisés  se  retirèrent. 

Le  roi  porta  la  guerre  devant  Chartres.  Le  siège 
^  de  cette  ville,  le  magasin  de  la  Beauce,  était  une  in- 
quiétude pour  Paris. 

Gabrielle  d'Estrées,  mariée  platoniquement  à  M.  de 
Liancourt,  parut  au  camp  de  Chartres.  Le  roi  était 
enivré.  Les  habitants  de  cette  place  se  défendirent 
héroïquement  et  ne  se  rendirent  qu'après  deux  mois 
et  demi  de  combats.  Madame  de  Sourdis,  la  tante  de 
Gabrielle,  couvrait  de  sa  présence  la  honte  de  sa  nièce 
et  tempérait  le  scandale  pour  l'exploiter.  Elle  obtint 
en  faveur  de  son  mari,  M.  de  Sourdis,  le  gouverne- 
ment de  Chartres,  que  Chàtillon,  le  noble  fils  du  grand 
Coligny,  méritait  par  ses  services.  Chàtillon  mourut 
de  l'ingratitude  de  Henri  IV. 

En  ce  temps-là,  moururent  aussi  La  Noue  et  Pa- 
lissy,  deux  saints,  l'un  parmi  les  héros,  l'autre  parmi 
les  artistes,  et  Ambroise  Paré,  le  plus  grand  cœur, 
le  plus  grand  nom  de  la  chirurgie  moderne,  comme 
Hippocrate  le  fut  de  la  médecine  antique. 

L'année  1591  fut  une  année  terrible  à  plus  d'un 
point  de  vue.  Qui  de  Philipjie  II,  de  Henri  IV  ou  de 
Mayenne  sera  définitivement  roi  de  France?  Cette 
grande  question  se  posait  de  plus  en  plus  tragique- 
ment. 

Il  n'y  avait  que  les  états  qui  eussent  le  droit  de 


300  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

dénouer  légalement  une  telle  question.  Philippe  en 
demandait  avec  opiniâtreté  la  convocation,  parce  qu'il 
espérait  leur  dicter  le  mot  du  destin. 

Les  princes  de  Lorraine,  réunis  à  Reims  avec  le 
duc  de  Nemours  et  un  négociateur  du  duc  de  Savoie, 
n'étaient  pas  si  pressés  que  Philippe  IL  Les  troubles 
étaient  leur  élément.  Ils  ne  pouvaient  que  déchoir 
dans  un  ordre  régulier.  Ils  ne  conclurent  rien  sur  le 
choix  d'un  roi  et  se  contentèrent  d'envoyer  à  l'Escu- 
rial  le  président  Jeannin  (mai  1591),  pour  qu'il  solli- 
citât la  solde  de  quarante  mille  Français  et  de  huit  mille 
Suisses,  dont  les  chefs  seraient  Mayenne  et  le  duc 
de  Parme.  Il  était  indispensable,  mandaient-ils  à  Phi- 
hppe  II,  d'ajourner  les  états  jusqu'à  ce  qu'on  eût  une 
armée  capable  de  faire  triompher  leur  décision. 

Jeannin,  l'ami  particulier  de  Mayenne  et  son  con- 
seiller le  plus  ferme ,  devait  en  outre  pénétrer  le  roi 
d'Espagne,  et  deviner  s'il  reconnaissait  le  lieutenant 
général  comme  un  candidat  sérieux  à  la  couronne. 
Cette  dernière  mission  était  un  secret  entre  Mayenne 
et  Jeannin. 

Ce  président  de  Bourgogne,  cet  ambassadeur  mo- 
deste est  l'un  des  plus  grands  personnages  et  le  meil- 
leur de  la  ligue. 

Jeannin  était  né  à  Autun,  au  pied  des  monts  drui- 
diques, à  l'ombre  des  forêts  sacrées  et  des  ruines 
latines ,  au  bord  de  l' Arroux ,  dont  les  flots  ont  vu 
passer  César. 

Fils  d'un  tanneur,  élevé  par  un  chanoine,  Jeannin 
vécut  au  fond  d'une  âpre  solitude,  pendant  quelques 
années,  sous  le  toit  d'un  oncle  qui  avait  une  petite 


LIVRE  CINQI'ANTE-TROISIÈME.  301 

cure  au  milieu  des  gorges  du  Morvan.  Ce  pays  triste 
et  rude,  couvert  de  bruyères  et  de  roches,  cette  pro- 
saïque Ecosse  gauloise  où  les  jurisconsultes  croissent 
comme  dans  l'autre  Ecosse  les  héros,  ne  fut  pas  sans 
influence  sur  Jeannin.  Il  y  puisa  le  goût  du  droit,  en 
médita  les  principes  dans  la  bibliothèque  du  vieux 
prêtre  et  se  voua  à  l'étude  des  législations. 

Doué  d'un  bon  sens  rare,  d'une  érudition  vaste, 
d'une  éloquence  naturelle,  d'une  audace  insinuante 
et  souple,  il  s'était  fait  une  place  dans  le  barreau  et 
dans  la  magistrature.  Il  commença,  dès  la  Saint-Bar- 
thélemy,  une  renommée  d'honnête  homme  et  d'ha- 
bile homme  qui  s'accrut  avec  le  temps  et  se  propagea 
dans  toute  l'Europe. 

Il  s'était  bâti,  à  quelques  minutes  de  sa  ville  sacer- 
dotale, une  demeure  qui  imprime  encore  le  respect. 
Ce  petit  château,  construit  au-dessus  des  rampes  de 
Montjeu  ,  sur  un  plateau  entouré  de  pcàles  étangs  et 
de  hêtres  gigantesques,  intéresse  vivement,  parce 
qu'il  est  le  souvenir  en  pierres  et  en  végétation  d'un 
grand  conciliateur  de  guerre  civile. 

Il  avait  auprès  de  Mayenne  un  émule  moins  pas- 
sionné, Villeroi,  et  il  aura  sous  Henri  Vs  un  autre 
émule  moins  intrépide  que  lui,  d'Ossat.  Jeannin  et 
d'Ossat,  tous  deux  consciencieux,  tous  deux  déliés, 
l'un  sous  la  toge,  l'autre  sous  le  rochet,  seront  les 
plus  grands  négociateurs  du  règne  de  Henri  IV. 

Je  connais  de  Jeannin  un  crayon  rouge  très-éner- 
gique. Or,  comme  écrit  excellemment  Pierre  Sau- 
maise ,  «  on  pressent  les  génies  des  hommes  illustres 
à  leurs  portraits^  ainsi  qu'aux  médaille*  antiques,  on 
IV.  26 


302  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

dirait  que  ces  têtes  romaines  respirent  dans  le  métal 
quelque  cliose  de  leur  vieille  vertu.  » 

A  l'époque  de  son  voyage  en  Espagne  et  jusqu'à  sa 
mort,  Jeannin  conserva  le  type  populaire  de  sa  fa- 
mille dans  la  négligence  de  ses  manières  et  dans  les 
saillies  frustes  de  son  visage.  Ce  visage  gros  ne  fai- 
sait que  révéler  d'autant  mieux,  et  avec  l'impression 
d'une  surprise,  l'extrême  finesse  de  sa  physionomie 
avisée ,  prévoyante  et  courageuse.  Il  avait  l'air  libre 
d'un  personnage  éminent  qui  a  vu  beaucoup  de  cho- 
ses et  qui  ne  s'étonne  plus  de  rien.  L'ensemble  de  sa 
face  était  presque  commun,  mais  l'ampleur  profonde 
de  ses  tempes,  la  gravité  imperturbable  de  son  front, 
le  jaillissement  rapide  et  furtif  de  ses  yeux  voilés,  la 
délicatesse  de  sa  bouche  où  erraient  la  sagacité  du 
juge  et  les  ruses  du  diplomate,  les  aspérités  de  sa  figure 
mâle  011  les  lignes  delà  dextérité  s'harmoniaient  avec 
celles  de  l'honneur,  relevaient  ce  président  de  Bour- 
gogne à  la  hauteur  majestueuse  de  l'homme  d'État. 

Voilà  l'ambassadeur  accomph  que  les  princes  h- 
gueurs  et  surtout  Mayenne  dépêchèrent  de  Reims  à 
l'Escurial.  Il  sollicita  des  secours  d'argent,  mais  don 
Juan  Idiaquez,  l'un  des  ministres  castillans,  y  ajouta 
l'assurance  que  des  secours  de  troupes  compléteraient 
la  munificence  du  roi  son  maître.  C'était  une  réponse 
perfide.  Philippe  II  consentait  bien  à  aider  la  ligue- 
seulement  il  ne  voulait  pas  payer  des  Français  ou  des 
Suisses  dévoués  à  Mayenne.  Il  tenait  à  n'accorder 
que  des  Espagnols  qui  lui  garantissaient  la  supréma- 
tie sur  tous  les  princes  lorrains  et  sur  le  lieutenant 
général  lui-môme. 


UVTxE  CIXOUAXTE-TROISIÊME.  303 

Jeannin  sonda  le  roi  catholique  à  l'égard  de 
Mayenne.  Philippe  II  fut  très-net.  Il  repoussait  le 
lieutenant  général  du  trône  non  moins  que  le  Béar- 
nais et  tous  les  Bourhons.  L'infante  Isabelle,  fille  de 
la  sœur  aînée  du  dernier  Valois,  était,  selon  son  père, 
la  reine  légitime  de  France. 

Jeannin  ne  contredit  pas  ces  prétentions.  Il  obtint 
en  louvoyant  qu'on  organiserait  deux  armées,  l'une 
pour  le  duc  de  Parme,  l'autre  pour  Mayenne.  Après 
trois  mois  de  séjour  en  Espagne,  il  revint  auprès  du 
lieutenant  général  qui  fut  très-irrité  des  intentions 
de  Philippe  II.  Jeannin.  de  concert  avec  Villeroi , 
saisit  cette  occasion  de  conseiller  au  duc  un  accom- 
modement avec  Henri  IV.  Mayenne  ajourna  ce  mo- 
ment, afin  de  prolonger  son  pouvoir  de  lieutenant 
général-,  mais,  dès  cette  époque,  entre  Philippe  et  le 
Béarnais,  son  choix  fut  fait. 

Le  roi  d'Espagne  avait  eu  avec  Jeannin  la  mala- 
dresse de  la  passion.  De  plus,  Mendoça  et  le  duc  de 
Feria.  ses  ambassadeurs  à  Paris,  l'abusaient.  Ils  s'a- 
busaient eux-mêmes.  Les  vociférations  des  Seize  leur 
semblaient  le  cri  de  la  France. 

Les  Seize  ourdirent  une  trame  de  bassesse.  Pour 
beaucoup  encore,  cette  bassesse  était  payée,  ce  qui 
la  rend  plus  odieuse.  Ils  écrivirent  à  Philippe  II  ; 
'(  Sire,  le  vœu  des  catholiques  est  que  cette  couronne 
de  France  aille  à  votre  postérité  et  que  Votre  Majesté 
se  donne  un  gendre.  » 

Or,  ce  gendre,  c'était  le  jeune  duc  de  Guise.  Après 
trois  ans  de  captivité,  il  avait  fui  du  château  de  Tours. 
Au  risque  de  se  tuer  cent  fois,  il  s'était  suspendu  à 


304  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

une  corde  fixée  à  la  fenêtre  de  son  donjon  et  il  s'était 
làissé  glisser  dans  le  vide.  Tl  avait  touché  terre  et  fait 
une  entrée  triomphale  à  Paris  où  les  Seize  l'avaient 
adopté. 

Que  ce  fût  un  Guise  ou  un  archiduc  qu'on  lui  of- 
frit pour  sa  fille,  peu  importait  à  Philippe  II.  Ce  qui 
lui  importait,  c'est  que  le  droit  résidât  en  l'infante  et 
la  force  en  lui.  Avec  son  général  Farnèse  qui  humi- 
lierait Mayenne  et  chasserait  Henri  IV,  avec  ses 
ambassadeurs  le  duc  de  Feria  et  Mendoça  qui  achète- 
raient les  Seize  à  beaux  doublons  comptants,  il  extor- 
querait bien  des  états  le  trône  de  France.  Ce  trône 
valait  qu'il  prodiguât  l'or,  les  hommes  et  les  faux 
serments. 

Les  Seize,  par  leur  violence,  firent  illusion  aux  am- 
bassadeurs espagnols,  et  les  ambassadeurs  espagnols 
trompés  trompèrent  à  leur  tour  Philippe  II. 

La  terreur  fut  la  politique  des  Seize  vendus  à  Men- 
doça et  au  duc  de  Feria.  Tous  ces  factieux  du  ruis- 
seau, de  la  démagogie  et  de  l'étranger,  résolurent  de 
faire  peur  sous  toutes  les  formes,  par  la  parole  et  par 
le  poignard ,  aux  partis  modérés,  aux  royalistes,  aux 
politiques. 

Les  prédicateurs  trouvèrent  sous  les  voûtes  des 
églises  du  Christ  la  plus  sanguinaire  éloquence.  La 
tribune  de  la  révolution  française  n'eut  qu'un  Marat. 
Les  chaires  de  la  ligue  en  avaient  des  légions.  Et  ces 
Marats  étaient  des  prêtres.  Pendant  plus  de  cinq  mois, 
depuis  le  commencement  d'avril  jusqu'au  milieu  de 
novembre,  ils  excitèrent  à  l'assassinat  du  roi,  au 
massacre  et  au  pillage  de  la  bourgeoisie.  Ce  n'était 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.  305 

pas  une  fois,  dix  fois,  par  hasard,  dans  des  accès  su- 
bits de  colère  ou  de  fanatisme  qu'ils  se  livraient  à 
ces  orgies  de  férocité;  non,  c'était  chaque  dimanche, 
chaque  fête  qu'ils  obéissaient  à  un  système,  à  un  mot 
d'ordre  de  meurtres  autant  qu'à  leurs  frénésies  per- 
sonnelles. Il  y  avait  de  la  vénahté  dans  ce  déchaîne- 
ment oratoire:  il  y  avait  de  la  rage  contre  Henri  IV, 
de  la  trahison  contre  Mayenne,  une  promesse  au  pape, 
un  engagement  positif  avec  Philippe  II,  une  impa- 
tience du  pouvoir  judiciaire,  une  convoitise  de  l'auto- 
rité municipale,  une  aspiration  à  la  dictature,  un  plan 
d'égorgement  contre  tous  ceux  qui ,  hors  de  la  ligue 
ou  même  dans  la  ligue,  repoussaient  le  joug  espagnol. 

C'est  ainsi  qu'apparaît  la  politique  des  Seize.  Ils 
représentent  l'Escuriaî.  Ils  s'inspirent  de  Mendoça, 
d'Ybarra,  du  duc  de  Feria.  Ils  s'expriment  par  le  ru- 
gissement des  prédicateurs.  Ils  agiront  par  les  mains 
criminelles  de  Bussy-Leclerc,  de  Cromé.  de  Cruce  et 
de  leurs  sicaires.  Ils  espèrent ,  ces  stipendiés  de  Té- 
tranger,  que  Tinfante  Isabelle  sortira  de  l'effroi  uni- 
versel avec  la  couronne  de  France  sur  la  tète  et  que 
le  prétexte  de  la  religion  les  absoudra  de  tous  leurs 
forfaits. 

Les  prédicateurs  furent  les  clairons  retentissants 
de  l'ambition  espagnole  et  de  la  complicité  romaine. 
Philippe  II  et  le  pape  voulaient  le  royaume  de  France 
pour  l'infante.  Les  Seize  et  les  prédicateurs  parmi  les 
Seize  secouant  alors  tout  frein,  soit  de  patriotisme, 
soit  de  morale,  soit  d'humanité,  il  y  eut  comme  une 
campagne  sauvage  de  la  barbarie  méridionale  contre 
la  civilisation  du  >'ord. 


306  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Rose,  évêque  de  Senlis,  prêcha  qu'une  saignée  de 
Saint-Barthélemy  était  nécessaire.  Le  jésuite  Com- 
melet  développa  ce  texte  :  «  la  mort  des  modérés 
serait  la  vie  des  catholiques.  »  Aubry,  curé  de  Saint- 
André,  dit  qu'il  marcherait  le  premier  pour  daguer 
les  royalistes. 

((  Mes  frères,  criait  Boucher  à  Saint- Germain- 
l'Auxerrois,  il  faut  tout  tuer  et  exterminer,  Béarnais 
et  politiques.  Je  vous  ai  souvent  exhortés  à  ce  faire, 
mais  vous  n'en  avez  tenu  compte.  Vous  vous  en  re- 
pentirez. Il  est  grandement  temps  de  mettre  la  main 
à  la  serpe  et  au  couteau,  w 

Boucher  déclamait  sans  cesse  contre  le  parlement, 
et,  mêlant  à  des  paroles  homicides  des  gestes  atroces, 
il  désignait  le  genre  de  supplice  dont  il  fallait  user 
aux  jours  de  la  vengeance.  Il  disait  de  Henri  IV  : 
<c  Que  ne  l'ai-je  étouffé  de  mes  deux  bras  ce  chien 
d'hérétique  !  Ce  serait  le  sacrifice  le  plus  agréable  à 
Dieu.  » 

Dès  la  fin  d'octobre  1591,  les  Seize  avaient  résolu 
d'anéantir  les  «  politiques.  »  Cette  classe  comprenait 
à  peu  près  toute  la  bourgeoisie.  Il  y  avait  trois  caté- 
gories de  suspects  désignés  par  ces  trois  lettres  ma- 
juscules :  P.  D.  C.  Les  uns  devaient  être  pendus,  les 
autres  dagués,  les  autres  chassés. 

Un  incident  fortuit  précipita  la  catastrophe.  Bri- 
gard,  l'un  des  Seize,  fut  accusé  par  ses  amis  d'avoir 
trahi  la  ville  et  la  ligue.  On  alléguait  contre  lui  une 
correspondance  avec  Henri  IV.  Déféré  au  parlement, 
les  charges  pesées,  Brigard  fut  déclaré  non  coupable. 
De  grandes  clameurs  s'élevèrent  alors  sur  le  parle- 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.        '  307 

ment.  Il  devenait  urgent  de  juger  ces  juges  prévari- 
cateurs et  de  les  châtier. 

Après  la  dissolution  du  grand  conseil  de  l'Union 
par  Mayenne  et  en  dehors  du  conseil  privé,  il  subsis- 
tait un  conseil  des  Seize.  Ce  conseil  après  les  bar- 
ricades avait  été  d'abord  gouvernement;  il  ne  fut 
plus  dans  la  suite  que  société  secrète.  11  n'en  était  que 
plus  dangereux. 

Ce  redoutable  conseil  se  réunit  six  fois  du  2  au 
14  novembre.  Il  se  dit  dans  ces  assemblées  des  choses 
sinistres.  Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques,  conclut 
ainsi  à  deux  séances  différentes  :  «  Mes  compagnons, 
nous  avons  assez  connivé;  c'est  le  moment  de  jouer 
du  poignard.  »  Une  autre  fois  :  «  Par  le  Dieu  vivant, 
je  vous  le  répète,  nous  avons  assez  connivé  ;  c'est  le 
moment  de  jouer  des  cordes.  » 

Le  conseil  des  Zélés  élut  alors  un  comité  des  Dix, 
où  figurèrent  les  noms  les  plus  compromis,  des  noms 
souillés  de  fange  et  de  sang  :  Amehne,  Louchard, 
Saint-Yon,  Legoix  et  leurs  pareils.  Ce  comité,  investi 
de  pouvoirs  illimités,  fut  le  comité  de  salut  public  de 
la  ligue.  Bussy-Leclerc,  Crucé,  Cromé,  Pelletier,  curé  ' 
de  Saint-Jacques,  Hamilton,  curé  de  Saint-Côme, 
étaient  les  oracles  et  les  agitateurs  des  Dix  auxquels 
ils  avaient  été  adjoints. 

Il  fut  question  de  rédiger  une  nouvelle  formule  de  . 
serment.  Bussy-Leclerc  déploya  un  papier  blanc  et 
proposa  de  le  signer.  Cet  expédient,  dit-il,  aurait  l'a- 
vantage d'abréger  Tennui  des  séances.  Son  papier 
signé ,  la  formule  du  serment  se  trouverait  à  loisir  et 
serait  insérée  au-dessus  des  signatures.  La  proposi- 


308  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tion  de  Bussy  fut  adoptée.  Lui,  cependant,  que  fit-il? 
Avec  l'approbation  de  la^orbonne  et  avec  le  concours 
du  comité  des  Dix,  il  dressa  sur  son  papier  néfaste,  au 
lieu  de  la  formule  du  serment,  la  sentence  de  mort  du 
président  Brisson ,  des  conseillers  Larcher  et  Tardif. 

Ce  hideux  complot  fut  ourdi  le  14  novembre.  Le  16, 
Bussy-Leclerc  et  Louchard  se  saisirent  à  l'entrée  du 
pont  Saint-Michel  du  premier  président  Barnabé  Bris- 
son  qui  se  rendait  au  palais.  Bussy  le  conduisit  par  la 
rue  de  la  Huchette  au  Petit-Châtelet. 

Quelques-uns  des  Seize  y  siégeaient  en  cour  de 
justice  révolutionnaire,  sous  les  auspices  de  Cromé, 
l'ennemi  mortel  du  premier  président.  Cromé  avait 
une  cotte  d'armes  et  sa  physionomie  était  celle  d'un 
bourreau.  Les  Seize  qui  l'assistaient  étaient  revêtus  de 
manteaux  noirs  sur  chacun  desquels  avait  été  cousue 
une  grande  croix  de  drap  écarlate.  Brisson  demanda 
quels  étaient  ses  crimes,  de  quel  droit  on  avait  attenté 
à  sa  liberté,  quel  était  le  tribunal  qui  le  faisait  tramer 
à  sa  barre,  et  s'il  y  avait  des  témoins  contre  lui.  Cromé 
le  regarda  fixement,  d'un  revers  de  main  abattit  le 
chapeau  de  Brisson ,  et  ordonna  au  malheureux  pre- 
mier président  de  plier  les  deux  genoux  pour  en- 
tendre la  sentence  des  Dix  qui  le  condamnait  à  la 
peine  capitale.  Brisson  ayant  obéi,  Cromé  lut  l'arrêt 
barbare.  Et  comm€  le  pâle  magistrat  se  récriait  contre 
ses  faux  juges,  ses  réclamations  furent  accueillies  par 
des  ricanements.  «  Tais-toi,  lui  dit  Cromé,  en  lui 
montrant  un  prêtre.  Nous  n'avons  pas  de  temps  à 
perdre.  »  Brisson  se  hâta  de  se  confesser.  Il  reçut  une 
rapide  absolution  et  il  fut  pendu  à  une  poutre.  Ainsi 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME.  309 

succomba  l'honime  des  demi-mesures,  Barnabé  Bris- 
son,  tandis  que  Acbille  de  Harlay,  l'homme  des  résis- 
tances héroïques,  fut  sauvé  par  son  courage  même. 
Les  conseillers  Larcher  et  Tardif  furent  aussi  pendus. 

Le  lendemain  16,  avant  le  jour,  Cromé  fit  trans- 
porter ses  victimes  du  Petit-Chàtelet  en  place  de 
Grève.  Il  éclairait,  à  la  lueur  d'une  lanterne,  le  fu- 
nèbre convoi  et  le  menait  outrageusement  à  la  po- 
tence. Trois  gibets  avaient  été  élevés  pendant  la  nuit, 
en  face  de  I  hôtel  de  ville.  Les  magistrats  y  furent 
hissés  avec  des  écriteaux  qui  les  déclaraient  traîtres  à 
la  religion  et  à  Paris. 

Bussy-Leclerc  était  là  avec  une  bande  qu'il  avait 
distribuée  sur  plusieurs  points.  Lorsque  la  foule  fut 
nombreuse,  Bussy  la  harangua ,  lui  montrant  les  ca- 
davres des  magistrats ,  les  flétrissant  des  noms  les 
plus  vils,  affirmant  qu'ils  avaient  vendu  la  grande  cité 
au  prétendant  hérétique,  et  qu'il  fallait  se  venger  sur 
les  pohtiques.  «  Je  connais  des  maisons,  s'écria-t-il, 
où  il  y  aura  du  bien  à  bon  marché.  )>  Ses  affidés 
excitaient  de  leur  côté  au  pillage  et  au  meurtre. 

La  lie  du  peuple  bouillonna  un  instant,  mais  retomba 
bientôt  impuissante.  Le  peuple  lui-même  était  resté 
froid  et  l'émeute  avorta.  Les  Seize  échouèrent  dans 
leurs  desseins  divers.  Ils  ne  réussirent  ni  à  couronner 
l'infante,  ni  à  révoquer  Mayenne,  ni  à  changer  le 
parlement,  ni  à  décimer  la  classe  moyenne.  Mais  ils 
ne  furent  point  inquiétés,  malgré  l'attitude  énergique 
du  colonel  d'Aubray  et  de  la  garde  bourgeoise.  Le 
comité  des  Dix  avait  Fassentiment  du  légat  et  des 
ambassadeurs  espagnols.  Il  tenta  vainement  d'obtenir 


310  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

l'approbation  de  la  duchesse  de  Nemours,  mère  de 
Mayenne.  Cette  princesse  était  touchée  de  pitié,  non 
moins  que  le  peuple ,  pour  les  magistrats  assassinés. 
Ce  qui  acheva  de  la  révolter,  c'est  qu'elle  apprit  que 
les  Seize  avaient  délibéré  de  s'emparer  d'elle  comme 
d'un  otage  contre  les  sévérités  du  Heutenant  général. 

La  duchesse  écrivit  à  son  fils  qui  accourut  de  Laon. 
Il  arriva  le  28  novembre.  Les  Seize  allèrent  à  sa  ren- 
contre. Mayenne  dissimula.  Il  n'avait  que  trois  mille 
hommes  avec  lui,  un  hardi  capitaine  VitryJ  et  deux 
conseillers  excellents,  Yilleroi  et  Jeannin,  Jeannin 
surtout  qui  avait  le  cœur  chaud  d'un  patriote,  la  di- 
gnité calme  d'un  magistrat  et  la  tête  lumineuse  d'un 
sage. 

Mayenne  donc  ne  se  prononça  d'abord  ni  pour  ni 
contre  les  Seize  -,  il  dit  qu'il  venait  faire  justice  à  tout 
le  monde,  puis  il  observa  l'opinion  publique.  Elle 
était  indignée  des  derniers  attentats.  Diégo  d'Ybarra, 
le  coadjuteur  de  Mendoça,  fut  le  seul  à  les  excuser. 

Quand  Mayenne  eut  compris  que  la  garnison  espa- 
gnole ne  bougerait  pas,  et  qu'il  eût  mêlé  la  garde 
bourgeoise  à  ses  troupes  réguhères,  il  rétablit  le  par- 
lement et  somma  Bussy  de  lui  rendre  la  Bastille.  Ce 
farouche  gouverneur,  qui  avait  eu  Tinsolence  de  ne 
pas  tirer  les  salves  d'honneur  à  l'entrée  du  prince 
dans  Paris,  eut  la  faiblesse  de  capituler.  Il  stipula,  in- 
dépendamment de  sa  hberté,  l'inviolabilité  de  ses 
rapines  qui  montaient  à  plus  de  six  cent  mille  francs, 
et  il  hvra  honteusement,  le  l^"^  décembre ,  la  forte- 
resse de  son  parti.  Ses  richesses  personnelles  qu'il 
croyait  préserver  ne  tardèrent  pas  à  être  dilapidées 


Livre  cinquante-troisième.  311 

par  les  soldats  de  Mayenne,  qui  ne  s'en  soucia  pas 
autrement. 

Dès  qu'il  eut  donné  pour  successeur  à  Bussy  le 
capitaine  du  Bourg,  un  de  ses  gentilshommes,  le 
lieutenant  général  ne  caressa  plus  les  Seize  de  la 
moindre  familiarité,  il  ne  but  plus  de  leur  vin,  et  il 
répéta  ironiquement  un  mot  de  plusieurs  d'entre  eux  : 
«  Nous  l'avons  fait,  nous  le  déferons.  »  Il  dit  à  Claude 
d'Aubray,  ancien  prévôt  des  marchands  et  colonel 
très-estimé  du faubourjz Saint -Germain  :  «Mon  père, 
vous  en  aurez  raison  par  moi,  soyez  tranquille.  » 

Dans  la  nuit  du  3  au  4  décembre,  Mayenne  lança 
un  décret  contre  neuf  des  assassins  de  Brisson ,  de 
Larcher  et  de  Tardif.  Vitry  ne  découvrit  que  Lou- 
chard,  Ameline  et  Aimonet.  Ils  furent  enfermés  dans 
une  salle  basse  du  Louvre  et  pendus,  vers  une  heure 
de  l'après-midi,  à  la  même  poutre.  Anroux  subit  sur 
les  cinq  heures  du  soir,  comme  ses  trois  amis,  le  sup- 
plice qu'ils  avaient  infligé  à  l'infortuné  Brisson. 

Lorsque  Henri  IV  apprit  ces  événements,  il  réflé- 
chit quelques  minutes  et  dit  :  «  Tous  ces  gens-là  avan- 
cent mes  affaires.  »  Mot  très-juste  et  d'un  homme 
d'État.  Car  les  Seize,  par  les  horreurs  de  l'anarchie, 
et  Mayenne  par  un  retour  d'ordre,  si  incomplet  qu'il 
fût,  poussaient  à  la  monarchie,  l'idéal  parfait  de  l'or- 
dre, à  cette  date  du  monde. 

Les  Seize  étaient  vaincus.  Le  lieutenant  général 
leur  interdit  toute  assemblée  sous  deux  peines  :  la 
mort  contre  ceux  qui  assisteraient  à  des  conciliabules 
et  le  rasement  des  maisons  où  les  conciliabules  se 
tiendraient  au  mépris  de  lu  loi. 


312  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Le  prince  lorrain,  dans  l'intention  d'achever  par 
l'indulgence  ce  qu'il  avait  inauguré  par  la  vigueur, 
publia  une  amnistie  qu'il  étendit  à  tous  les  Seize, 
excepté  à  Cromé,  à  Launoy,  à  Chaulier,  à  Cochery 
et  à  quelques  autres  des  plus  factieux.  Ils  se  réfu- 
gièrent en  Flandre  sous  la  protection  de  Philippe  IL 
Bussy-Leclerc  fut  un  de  ces  exilés.  Il  survécut  à  ses 
victimes  et  à  ses  complices  plus  de  quarante  ans.  Il 
s'était  retiré  à  Bruxelles  oii  il  mourut.  Il  ne  chan- 
gea ni  de  costume,  ni  d'opinion.  Il  maudissait  les 
politiques  et  les  hérétiques.  Les  femmes  et  les  en- 
fants de  Bruxelles  se  mettaient  aux  fenêtres  pour  voir 
passer  l'étranger,  lorsqu'il  allait  à  la  promenade  avec 
des  airs  de  spadassin,  Tépée  au  côté  et  son  gros  cha- 
pelet de  vieux  hgueur  au  cou. 

Mayenne  avait  réellement  sauvé  la  société  en  la 
préservant  du  pillage  et  du  meurtre  par  l'énergique 
abaissement  des  Seize.  De  dix-huit  mille  qu'ils  pou- 
vaient être,  ils  descendirent  à  un  chiffre  très-bas. 
Quand  ils  eurent  perdu  leurs  chefs,  ils  désertèrent 
Paris,  qui  cessa  d'être  leur  capitale.  La  petite  garni- 
son espagnole  composée  de  quatre  mille  hommes  fut 
à  peu  près  égale  en  nombre  à  la  confrérie  des  Seize 
réduite  par  Mayenne. 

Le  lieutenant  général  en  déracinant  les  Seize  ren- 
dit un  immense  service  à  la  France.  Il  affaiblit  Phi- 
lippe II  et  se  diminua  lui-même.  Il  tarit  la  séve  et 
coupa  le  nerf  de  la  ligue.  Il  donna  une  impulsion 
nouvelle  vers  l'unité  dont  il  ne  pouvait  être  que  le  ga- 
rant passager  et  dont  Henri  lY  était  le  représentant 
durable. 


LIVRE  CINQUANTE-TROISIEME.  313 

En  attendant,  Mayenne,  qui  avait  humilié  le  roi 
(l'Espagne  dans  les  Seize,  se  laissa  humilier  lui-même 
plus  profondément  aux  conférences  de  La  Fère. 

Henri  IV  assiégeait  Rouen.  Il  l'assiégeait  pour 
achever  la  conquête  de  la  Normandie  et  aussi  pour 
complaire  à  Élisabeth.  La  reine  d'Angleterre  l'avait 
supplié  de  chasser  les  Espagnols  d'une  province  d'oii 
ils  pouvaient  lancer  inopinément  une  nouvelle  Ar- 
mada. 

Le  lieutenant  général,  qui  espérait  toujours  la  cou- 
ronne ou  qui  du  moins  désirait  prolonger  son  auto- 
rité presque  dictatoriale,  avait  besoin  du  duc  de 
Parme  pour  débloquer  Rouen  comme  il  en  avait  eu 
besoin  pour  débloquer  Paris.  Ils  se  donnèrent  rendez- 
vous  à  Guise ,  d'où  ils  se  rendirent  à  La  Fère ,  que 
Farnèse  se  fit  livrer. 

Il  y  eut  là  des  conférences.  Le  duc  de  Parme  avait 
des  instructions  de  l'Escurial  et  c'était  don  Diégo 
d'Ybarra  qui  les  lui  avait  apportées.  Elles  imposaient 
à  Mayenne  l'obligation  de  reconnaître  l'infante  Isa- 
belle-Claire-Eugénie comme  propriétaire  du  royaume 
de  France.  Jeannin,  le  plénipotentiaire  de  Mayenne, 
louvoya  fort  habilement.  Il  insistait  sur  un  subside 
avant  tout  et  sur  l'appui  de  Farnèse,  en  appelant  à 
l'avenir  et  à  la  convocation  des  états  généraux  pour 
l'abolition  d'une  aussi  grande  loi  que  la  loi  salique. 
Le  président  Richardot,  le  négociateur  de  Farnèse, 
répondit  que  les  difficultés  étaient  immenses,  mais 
que  le  roi  d'Espagne  se  contenterait  de  deux  engage- 
ments solennels  de  la  part  du  lieutenant  général.  Le 
prince  lorrain  n'avait  qu'à  se  déclarer  pour  l'infante, 

IV.  27 


314  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEL'SÊ. 

il  n'avait  qu'à  promettre  son  intervention  sincère 
pour  la  faire  triompher  aux  prochains  états  généraux 
et  tout  s'arrangerait.  Mayenne,  au  désespoir  de  Jean- 
nin  qui  était  Français  dans  le  cœur,  fut  contraint  de 
se  courber  sous  cette  dure  nécessité.  Il  eut  à  ce  prix, 
au  prix  de  son  honneur,  quatre  millions  d'écus  d'or 
et  le  concours  du  duc  de  Parme,  sans  lequel  il  n'au- 
rait pu  songer  à  combattre  Henri. 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME 


Mayenne  et  le  duc  de  Parme  en  Normandie,  puis  en  Picardie.  — 
L'armée  du  roi  se  disperse.  —  Le  duc  de  Parme  alors  saisit  l'oc- 
casion. —  Il  débloque  Rouen  comme  il  avail  débloqué  Paris.  — 
Prise  de  Caudebec.  —  Campagne  de  Normandie.  —  Les  deux 
Biron.  —  Talents  du  roi.  —  Il  enveloppe  ligueurs  et  Espagnols 
dans  la  presqu'île  de  Caux.  —  Le  duc  de  Parme,  quoique  blessé, 
sauve  son  armée  et  celle  de  Mayenne.  —  Il  gagne  Paris,  aug- 
mente de  quinze  cents  Wallons  la  garnison  espagnole  et  ramène 
dans  les  Pays-Bas  son  armée  diminuée  de  sept  mille  hommes.  — 
Mort  du  maréchal  de  Biron  devant  Épernay.  —  Mort  du  duc  de 
Parme  à  Arras.  —  Les  états  de  la  ligue,  1593.  —  La  conférence 
de  Suresnes.  —  L'abjuration. 

Les  deux  ducs  s'avancèrent  sur  Rouen  ;  le  roi,  qui 
avait  trente-cinq  mille  hommes,  désirait  faire  face 
aux  ennemis  du  dedans  de  la  ville  et  du  dehors. 
Mais  au  siège  de  Rouen,  comme  au  blocus  de  Paris, 
les  généraux,  Riron  et  les  autres,  ne  voulaient  pas 
finir  la  guerre;  et  les  chefs  catholiques  ne  voulaient 
pas  que  le  roi  victorieux  fût  libre  de  rester  huguenot 
sur  le  trône.  Henri  ne  se  découragea  pas.  Quoique 
blessé  à  Aumale,  et,  malgré  une  sortie  heureuse  de 
Villars  qui  commandait  à  Rouen,  le  Réarnais  força  les 
deux  ducs  à  se  retirer  sur  la  Somme  et  il  continua  le 
siège. 

Néanmoins  ce  siège  avait  lassé  les  assaillants  pres- 
que autant  que  la  ville.  La  noblesse,  selon  sa  coutume, 
regagna  ses  châteaux,  et,  le  29  mars,  le  roi  n'avait 


316  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

pas  plus  de  quatorze  mille  soldats  autour  de  lui,  en 
comptant  «n  corps  de  six  mille  Anglais  et  Hollandais 
qui  lui  était\ arrivé  récemment. 

De  son  quartier  de  Picardie ,  le  duc  de  Parme 
épiait  le  moment  de  fondre  sur  la  Normandie,  afin  de 
dégager  Rouen.  Il  était  instruit  de  tout.  Il  savait  la 
faiblesse  du  roi*  Il  apprit  la  détresse  de  Yillars.  Il  en- 
traîna Mayenne  au  pas  de  course  avec  cinq  mille  ca- 
valiers et  douze  mille  fantassins.  Il  franchit  de  la 
Somme  à  la  Seine  trente  lieues  en  trois  jours,  passa 
quatre  rivières  et  arriva,  le  20  avril,  sous  les  murs 
de  Rouen  affamé.  Le  roi  se  retira  sans  précipitation 
à  travers  les  pommiers  du  hameau  de  Bans,  à  xleux 
lieues  de  la  ville.  Les  ducs  furent  reçus  dans  Rouen 
par  Yillars  aux  cris  d'un  peuple  reconnaissant ,  qui 
suivait,  avec  des  transports  de  joie,  le  roulement  des 
chariots  de  vivres  jusqu'aux  magasins  vides  qui  s'em- 
pHssaient  peu  à  peu.  Les  alliés  ravitaillèrent  cette  ca- 
pitale héroïque,  détruisirent  tous  les  travaux  du  siège, 
tandis  que  le  légat,  le  cardinal  de  Plaisance,  le  com- 
pagnon du  duc  de  Parme  dans  cette  campagne,  ha- 
ranguait et  bénissait  les  troupes  et  la  cité. 

Ce  n'était  pas  tout  pour  Farnèse  d'avoir  débloqué 
Rouen,  comme  autrefois  il  avait  débloqué  Paris.  Il 
fallait  assurer  le  cours  de  la  Seine  jusqu'au  Havre, 
conquérir  quelques  postes  importants,  réduire  toute 
la  province  et  s'emparer  de  Caudebec  où  le  roi  avait 
amassé  de  grandes  munitions  de  guerre  et  de  bou- 
che. Le  duc  de  Parme  voulait  battre  Henri  IV,  avant 
de  s'enfoncer  plus  avant  dans  la  Normandie.  Mayenne 
s'y  opposa,  et,  soutenu  de  tous  les  généraux  français, 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  317 

il  imposa  en  quelque  sorte  le  siège  immédiat  de  Cau- 
debec.  Ce  fut  une  grande  faute  et  le  prince  lorrain 
manqua  de  la  payer  cher. 

Les  alliés  s'emparèrent  facilement  de  Caudebec. 
Mais  Farnèse  y  fut  blessé  grièvement.  Il  fut  obligé  de 
confier  le  commandement  à  Mayenne,  qui  se  dirigea 
sur  Yvetot,  cette  terre  de  franc-alleu,  qu'on  nommait 
un  royaume  parce  qu'elle  ne  relevait  de  personne  en 
France,  pas  même  du  souverain.  Mayenne,  par  cette 
marche ,  avait  l'intention  de  soumettre  la  contrée 
jusqu'à  la  Manche  et  il  se  félicitait  avec  ses  famihers 
d'avoir  substitué  son  plan  à  celui  du  duc  de  Parme. 

Il  ne  tarda  pas  à  sentir  la  supériorité  du  dessein 
de  Farnèse.  Henri,  que  les  alliés  avaient  néghgé  de 
poursuivre,  malgré  le  duc  de  Parme,  ne  s'était  pas 
endormi.  Son  génie  militaire  eut  une  magnifique  il- 
lumination. Il  fit  un  appel  à  sa  noblesse,  il  réunit 
toutes  les  garnisons  les  plus  voisines,  et,  en  quelques 
jours,  il  porta  son  armée  de  quatorze  mille  à  vingt- 
trois  mille  combattants,  parmi  lesquels  il  y  avait  six 
mille  hommes  de  cavalerie. 

Henri  ne  perdit  pas  une  minute.  Il  anima  ses  troupes 
par  des  harangues  courtes  ,  énergiques.  Il  les  enleva 
par  des  plaisanteries  tantôt  princières ,  tantôt  solda- 
tesques. Il  excita  toutes  les  passions,  le  patriotisme, 
la  cupidité,  l'ambition.  Le 28 avril, il  joignait  les  ducs 
aux  environs  d'Yvetot.  Il  leur  livra  cinq  combats  im- 
pétueux. Farnèse  disait  que  Henri  faisait  la  guerre  à 
la  façon  des  aigles.  Il  eut  en  effet  de  grands  coups 
d'ailes  et  des  circonvolutions  terribles.  Il  enveloppa 
les  ligueurs  et  les  Espagnols  dans  la  presqu'île  de 


318  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Caux.  Les  alliés  étaient  dénués  de  tout.  La  livre  de 
pain  valait  dix  sous,  la  pinte  de  vin  coûtait  le  double 
dans  leur  camp. 

Le  il  mai,  ils  allèrent  se  loger  à  Ranson,  bourg  à 
un  quart  de  lieue  de  Caudebec.  Le  roi  ne  les  laissa 
pas  respirer.  A  la  tête  d'une  des  divisions  de  son  ar- 
mée, il  anéantit  deux  régiments  ennemis.  Biron  tua 
huit  cents  Espagnols  et  ligueurs,  avec  l'autre  division 
des  royalistes. 

Le  maréchal  s'arrêta  au  milieu  de  sa  victoire.  Son 
fils,  le  baron  de  Biron,  s'en  aperçut  et  eut  un  éclair 
de  héros.  Il  avait  entendu  siffler  les  balles  en  nais- 
sant. Le  vieux  Biron  était  un  grand  général.  La  route 
était  toute  tracée  à  l'héritier  de  son  nom.  Le  jeune 
baron  y  entra  brillamment  et  sa  célébrité  avait  été 
soudaine  comme  son  courage. 

L'attitude  du  baron  de  Biron  au  repos  était  celle 
d'un  chambellan.  Sa  bouche  semblait  scellée  par  l'éti- 
quette. Ses  yeux  regardaient  de  haut.  Son  nez  aris- 
tocratique était  insolent,  même  un  peu  brutal.  Ses 
joues  étaient  sanguines.  Il  n'y  avait  dans  ses  traits 
ni  une  grande  âme,  ni  un  grand  caractère,  mais 
ils  exprimaient  un  grand  orgueil  et  une  grande  bra- 
voure. 

Son  théâtre,  c'était  le  champ  de  bataille.  Il  avait  là 
des  plis,  des  frémissements  et  des  rugissements  de 
lion.  Le  signal  de  son  prestige  le  plus  irrésistible, 
c'était  au  moment  de  la  charge,  lorsque  son  écuyer 
lui  apportait  des  gantelets  neufs  et  une  fraise  de  bal. 
Les  soldats  savaient  ce  que  voulait  dire  ce  détail  de 
toilette.  Biron,  l'épée  nue  à  la  main,  s'élançait  et  cul- 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  319 

butait  tout.  Il  n'avait  plus  rien  alors  du  courtisan. 
C'était  le  dieu  de  la  guerre. 

II  s'était  fort  distingué  au  combat  de  Ranson.  Dès 
qu'il  s'aperçut  que  son  père  n'achevait  pas  la  déroute 
des  ennemis,  il  courut  à  lui,  demandant  cinq  cents 
cavaliers  pour  tailler  en  pièces  les  ducs.  Le  maréchal 
refusa,  mais  comme  le  baron  insistait,  il  refusa  plus 
vivement  et  dit  :  «  Comment  donc,  maraud,  nous 
voudrais-tu  renvoyer  planter  nos  choux  à  Biron?  » 
Le  jeune  homme  furieux  de  cette  occasion  de  gloire 
qui  lui  était  enlevée  par  son  père  s'écria  :  u  Monsieur, 
si  j'étais  le  roi,  je  vous  ferais  tomber  la  tête.  » 

Les  ducs  cependant,  bloqués  entre  le  Béarnais  ,  la 
Seine  et  la  Manche,  semblaient  toucher  à  une  cata- 
strophe. Ce  qui  ajoutait  à  leur  péril,  c'était  la  blessure 
de  Farnèse.  L'inflammation  du  bras  était  extrême. 
Le  rude  et  grand  capitaine  s'évanouissait  parfois  de 
douleur.  Lorsqu'il  revenait  à  lui ,  il  examinait  ses 
cartes  et  méditait  silencieusement  sous  sa  tente. 
Pendant  huit  jours,  il  travailla  dans  l'intervalle  de  ses 
souffrances,  et  conçut  un  projet  de  retraite,  ne  ces- 
sant de  dicter  des  ordres,  d'expédier,  tantôt  des  cour-  • 
riers,  tantôt  des  espions.  Enfin  ,  le  16  mai,  il  avait 
fait  construire  deux  forts  sur  les  deux  rives  de  la 
Seine.  Des  bateaux  descendus  de  Rouen  étaient  à  la 
portée  de  Farnèse  et  en  nombre  suffisant  pour  former 
un  vaste  pont.  Ce  pont  fut  attaché  bateau  par  bateau, 
continué  d'une  rive  à  l'autre,  puis  rompu,  lorsque 
l'armée  des  hgueurs  et  des  Espagnols  eut  passé  le 
fleuve  large  en  cet  endroit  comme  une  mer. 
Le  17  mai,  le  roi  s'aperçut  avec  consternation  que 


320  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

le  camp  des  ligueurs  et  des  Espagnols  était  désert  et 
que  la  Seine  était  entre  Farnèse  et  lui.  Il  assembla 
aussitôt  son  conseil  et  proposa  de  poursuivre  le  duc 
de  Parme  en  se  hâtant  vers  Pont-de-l' Arche,  afin  de 
franchir  la  Seine  et  de  joindre  les  ducs.  Cette  noble 
résolution  fut  déclarée  inexécutable  par  les  généraux 
de  Henri.  Ils  n'aspiraient,  ainsi  que  Mayenne  parmi 
les  ligueurs  et  le  vieux  Biron  parmi  les  royalistes, 
qu'à  prolonger  la  guerre ,  source  pour  eux  de  toute 
fortune,  de  tout  avancement  et  de  tout  pouvoir. 

Tandis  que  Henri  se  résignait  tristement  à  une 
inaction  momentanée ,  après  cette  mémorable  cam- 
pagne, Farnèse  remontait  la  rive  gauche  du  fleuve  à 
marchesforcéesetfaisaitquarante  lieues  en  trois  jours. 

Il  laissa  Mayenne  malade  dans  la  ville  de  Rouen,  et 
gagna  Paris  oii  il  n'entra  pas.  Il  y  jeta  quinze  cents 
Wallons  pour  augmenter  la  garnison  espagnole,  reçut 
hors  des  murs  la  visite  des  duchesses  douairières  de  Ne- 
mours, de  Montpensier  et  de  Guise,  puis,  côtoyant  la 
Marne,  il  s'empara  d'Épernay.  Il  ramena  ensuite  dans 
les  Pays-Bas  une  armée  diminuée  de  sept  mille  hom- 
mes. Néanmoins  il  était  content.  Malgré  l'infatigable 
élan  du  roi,  Farnèse  avait  accompli  ce  qu'il  avait  dé- 
terminé d'avance  :  il  avait  ravitaillé  et  sauvé  Rouen.  Il 
annonça  qu'il  reviendrait  protéger  les  délibérations 
des  états ,  lorsqu'ils  seraient  convoqués. 

Le  roi  avait  grandi  comme  général ,  et  ses  affaires 
n'étaient  pas  en  progrès.  Ses  finances  étaient  épui- 
sées. La  ligue  restait  debout  et  les  intrigues  succé- 
daient aux  combats.  Il  se  reposa  et  se  consola  quel- 
ques semaines  auprès  de  Gabrielle  d'Estrées  sur  les 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  321 

frontières  delà  Picardie.  Il  reparut  ensuite  au  milieu 
de  son  armée,  qu'il  mena  successivement  à  la  con- 
quête d'Épernay  et  de  Provins. 

Le  maréchal  de  Biron  fut  renversé  d'un  coup  de 
canon  au  siège  d'Épernay.  C'était  un  ambitieux  ha- 
bile, un  soldat  héroïque  et  un  général  d'une  expé- 
rience consommée.  Il  laissa  son  fils,  le  baron  de  Bi- 
ron ,  dont  la  destinée  fut  heureuse  d'abord,  puis 
tragique.  Le  vieux  maréchal  avait  tenu  sur  les  fonts 
de  baptême  le  cardinal  de  Bichelieu,  auquel  il  donna 
son  nom  d'Armand.  La  hache  de  la  monarchie  qui 
devait  couper  la  tête  du  second  Biron  fut  ramassée 
par  le  cardinal,  dont  le  grand  et  terrible  rôle  fut  d'a- 
battre avec  cette  arme  de  bourreau  ou  d'homme  d'É- 
tat les  plus  hautes  têtes  de  l'aristocratie. 

Depuis  trois  ans,  l'épée  du  roi,  cette  vaillante  épée, 
n'avait  pas  tranché  le  nœud  gordien  de  la  situation. 
Ne  faudrait-il  pas  le  dénouer  par  les  négociations  ? 
La  diplomatie  allait  être  plus  utile  que  la  guerre. 

La  France  avait  besoin  d'un  roi.  Les  politiques  as- 
piraient au  vrai  roi,  au  roi  héréditaire,  à  Henri  IV-, 
la  ligue  au  contraire  réclamait  un  roi  révolutionnaire, 
un  roi  d'élection. 

Mayenne,  sous  la  pression  de  tous  les  partis,  son- 
geait à  convoquer  les  états  généraux. 

Le  duc  de  Parme  exigeait  qu'on  les  tînt  à  Reims, 
où  il  serait,  lui,  avec  une  armée  de  vingt  mille 
hommes  pour  les  protéger  contre  les  attaques  du 
Béarnais.  Farnèse,  dont  le  génie  poHtique  égalait  le 
génie  militaire,  désirait  que  toutes  les  économies  de 
l'Escurial  fussent  réparties  entre  les  députés  futurs. 


322  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  serait  toujours  prêt  à  opprimer;  mais  n'était-il  pas 
plus  habile  de  commencer  par  suborner,  par  corrom- 
pre? Philippe  II  avait  approuvé  son  général  et  lui 
avait  envoyé  Diégo  clTbarra.  Cet  ambassadeur  appor- 
tait deux  cent  mille  écus  à  Farnèse,  qui  aurait  sou- 
haité beaucoup  plus.  Cependant  il  espérait  bien  faire 
sortir  du  scrutin  l'infante  Isabelle.  Il  aurait  sur  les 
états  trois  influences  dont  l'une  ou  l'autre  serait  irré- 
sistible :  la  persuasion,  l'or  et  le  fer. 

Mayenne,  instruit  de  ce  plan,  essaya  de  le  déjouer 
en  fixant  à  Paris  la  tenue  des  états  généraux,  a  C'é- 
tait un  coup,  dit  Yilleroi,  donné  très  à-propos  pour 
le  salut  du  royaume.  »  Le  coup  qui  avait  été  conseillé 
par  Jeannin,  d'accord  en  cela  avec  Villeroi,  fut  senti 
vivement  par  le  duc  de  Parme.  Ce  grand  capitaine  ne 
se  souciait  pas  d'avoir  en  face  l'immense  population 
de  Paris,  lasse  des  Espagnols,  et  quarante  mille  bour- 
geois armés  dont  la  haine  de  l'étranger  ferait  de  bons 
soldats.  Il  partit  de  Bruxelles  à  la  fin  de  novembre 
pour  imposer  Reims  au  lieu  de  Paris  à  Mayenne.  Heu- 
reusement pour  la  France,  le  prince  mourut  à  Arras, 
le  2  décembre  1593,  de  la  blessure  qu'il  avait  reçue  à 
Caudebec. 

Farnèse  avait  resplendi  comme  un  météore.  Il  en- 
tra dans  le  sépulcre  en  stoïcien.  Il  fut  l'esclave  de  la 
gloire.  Impénétrable  par  la  réserve,  éclatant  par  l'ac- 
tion,  né  pour  gouverner  et  contraint  d'obéir,  il  se 
condamna  à  vaincre  toujours  pour  se  consoler  de  ne 
pas  régner.  Homme  extraordinaire,  séduisant  sous  la 
gravité,  ardent  et  froid,  l'un  de  ces  grands  Italiens 
d'une  conscience  nulle,  d'un  cerveau  prodigieux, 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  323 

taillés  dans  le  marbre  sur  le  patron  gigantesque  et 
immoral  des  héros  de  Machiavel. 

Ce  n'était  ni  le  duc  de  Féria,  ni  personne  au 
monde ,  qui  pouvait  remplacer  Farnèse  dans  un  pa- 
reil moment. 

Henri  IV  fut  plus  roi  qu'auparavant.  Il  était  déjà 
en  route  pour  disputer  au  duc  de  Parme  le  passage 
de  la  Somme.  Mais  délivré  du  plus  redoutable  de  se? 
ennemis,  il  rétrograda  jusqu'à  Saint-Denis  où  il  s'ins- 
talla comme  pour  surveiller  Paris. 

Il  avait  à  combattre  trois  sortes  d'adversaires  : 
Mayenne,  qui  exigeait  tantde  gouvernements  hérédi- 
taires pour  lui  et  pour  sa  famille ,  que  la  grande  féo- 
dalité eût  été  fondée  en  France-,  le  nouveau  cardinal 
de  Bourbon,  le  chef  du  tiers  parti,  qui,  bien  que  de 
la  branche  cadette,  aspirait  à  le  primer,  étant  à  la  fois 
capétien  et  orthodoxe  ;  enfin ,  Phihppe  II  ou  plutôt 
l'infante  Isabelle. 

II  se  présentait  même  d'autres  concurrents ,  quoi- 
que moins  sérieux  :  le  duc  de  Savoie,  petit-fils  de 
François  I"  par  sa  mère  Marguerite ,  le  marquis  de 
Pont,  petit-fils  de  Henri  II  par  sa  mère  Claude,  puis  le 
duc  de  Nemours  et  le  duc  de  Guise,  qui  se  flattaient 
d'épouser  l'infante  et  de  régner  chacun  comme  mari 
de  la  reine, 

La  seule  force  de  tous  ces  prétendants ,  leur  seul 
souffle,  c'était  d'être  catholiques  et  de  se  porter  ga- 
rants du  catholicisme.  Henri  IV,  le  vrai  roi  hérédi- 
taire et  national ,  n'avait  qu'à  prononcer  une  parole 
pour  faire  de  tous  ses  rivaux  des  fantômes. 

Depuis  trois  ans,  il  hésitait  à  l'articuler,  ce  mot 


324  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

formidable.  Lui,  qui  n'était  intérieurement  ni  de  Ge- 
nève, ni  de  Rome,  mais  qui  était  calviniste  par  sa 
mère,  par  ses  compagnons  d'armes,  par  son  éduca- 
tion et  par  ses  affections  les  meilleures ,  il  avait  es- 
sayé pour  conquérir  sa  couronne  des  réformés  de 
la  France,  de  l'Allemagne,  de  la  Hollande  et  de  l'An- 
gleterre. 11  avait  échoué  avec  eux,  parce  qu'ils  étaient 
une  minorité. 

Le  Béarnais  comprenait  cela.  Il  comprenait  que 
son  chemin  serait  plus  court  avec  les  catholiques. 
N'étaient-ils  pas  la  majorité?  Il  n'avait  qu'à  leur  dire 
d'abord  à  l'oreille,  puis  bien  haut,  le  mot  qui  errait 
sur  ses  lèvres.  Ce  mot  était  :  abjuration. 

Henri  chercha  souvent  à  l'atténuer  par  des  plai- 
santeries, mais  il  en  sentait  la  honte.  Tous  les  docu- 
ments l'attestent.  L'abjuration  lui  coûtait  beaucoup. 
Elle  blessait  sa  raison,  ses  souvenirs,  ses  traditions, 
elle  contristait  samèreetColigny  dansle  ciel,  sa  sœur 
et  ses  amis  sur  la  terre,  elle  humiliait  sa  fierté;  il  ne 
pouvait  s'y  résoudre. 

Le  trône  cependant  semblait  à  ce  prix ,  et  c'est  le 
trône  qu'il  voulait. 

Il  n'était  pas  un  homme  de  conscience  rehgieuse 
comme  d'Aubigné.  Il  était  un  homme  de  doute  et  un 
homme  de  plaisir,  un  lecteur  hardi  du  sceptique 
Montaigne  et  du  cynique  Rabelais.  C'était  le  diable 
de  la  chanson,  très-brave,  très-spirituel  et  très-vi- 
veur, un  cavalier  de  fort  bonne  maison. 

Son  dieu  était  le  succès  et  il  était  très-fervent  à 
ce  dieu-là.  11  tenait  fermement  à  réussir  pour  soi  et 
pour  son  peuple  dont  il  rêvait  le  bonheur. 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  325 

Henri  était,  après  la  mort  de  Farnèse,  à  une  heure 
suprême  de  sa  destinée.  Il  crut  que  c'était  l'heure  uni- 
que et  il  ne  la  laissa  pas  sonner  en  vain.  Il  fit,  à  cette 
heure  juste  ,  ce  que  la  France  désirait  de  lui  :  Il 
manifesta  l'intention  de  se  convertir. 

Les  huguenots  furent  consternés-,  le  cardinal  de 
Plaisance,  légat  du  pape,  et  le  pape  Clément  YIII,  les 
ambassadeurs  espagnols  et  Philippe  II  furent  indignés  ; 
les  restes  des  Seize  furent  confondus  de  cette  évolu- 
tion du  Béarnais.  A  cela  près,  tout  le  monde  applau- 
dit. Les  ligueurs  modérés,  dont  les  uns,  sous  d'Au- 
bray,  ne  demandaient  au  roi  que  le  maintien  du 
cathohcisme  sans  l'abjuration,  dont  les  autres,  sous 
Marillac,  réclamaient  l'abjuration  et  le  maintien  du 
catholicisme  ,  tous  les  politiques  de  toutes  les  villes 
et  de  toutes  les  classes  jetèrent  des  cris  d'enthou- 
siasme. Henri  représentait  pour  eux  l'unité  royale  et 
la  paix,  les  deux  besoins,  les  deux  soifs  du  temps. 
L'abjuration  leur  allait  donner  ces  biens  tant  sou- 
haités. De  là,  des  frénésies  de  zèle  qui  s'accroîtront 
sans  cesse  à  ce  mot  d'abjuration. 

Dès  l'ouverture  des  états  de  1593,  si  célèbres  sous 
le  nom  d'états  de  la  hgue,  tel  était  l'entraînement  de 
l'opinion  publique.  Je  constate  cet  entraînement  ^  je 
ne  le  partage  pas.  Car  Henri  IV,  à  cet  instant  solen- 
nel, n'est  plus  un  héros  d'idées,  il  n'est  qu'un  héros 
d'intérêts,  qu'un  héros  de  trône.  Quoiqu'il  songe  à 
son  peuplé  autant  qu'à  lui  peut-être,  une  sorte  de 
simonie  vient  gâter  la  pureté  de  son  rôle  ancien. 

Les  cathohques  de  l'armée  de  Henri  avaient  envoyé 
à  Rome,  de  l'aveu  du  roi,  le  cardinal  de  Gondi  et  le 
IV.  28 


326  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

marquis  de  Pisani.  Le  pape  accueillit  fort  mal  ces 
ambassadeurs.  Il  n'avait  nulle  confiance  dans  la  sin- 
cérité de  Béarnais  et  il  ne  le  cachait  pas.  L'auditeur 
Séraphin,  qui  était  très-dévoué  à  Clément  YIIÏ,  le 
blâmait  respectueusement  de  ne  point  accorder  l'ab- 
solutionà Henri IV.  «Saint-père, disait-il,  Clément YH 
perdit  la  Grande-Bretagne  pour  complaire  à  Charles- 
Quint  -,  j'ai  peur  que  Clément  VIII  ne  perde  la  France 
pour  complaire  à  Philippe  II.  » 

La  première  séance  des  états  de  la  ligue  eut  lieu 
le  29  janvier  1593.  Mayenne  les  présidait.  La  mino- 
rité de  ces  états  était  française  et  loyale-,  elle  le  fut 
constamment.  La  majorité  était  vénale ,  et,  dès  le 
principe,  elle  fut  espagnole.  Elle  reçut  de  toutes  les 
mains.  Bien  n'était  plus  curieux  et  plus  triste  que 
d'observer  les  nombreux  prétendants  qui,  soit  par 
eux-mêmes,  soit  par  leurs  agents,  allaient  d'hôtel  en 
hôtel  de  députés  solliciter  et  acheter  les  votes  et  les 
âmes.  Paris  était  un  foyer  d'intrigues  qui  s'en tre-croi- 
saient  et  se  renouvelaient  avec  l'ardeur,  les  cauche- 
mars et  les  divagations  de  la  fièvre. 

Les  députés  attendaient  beaucoup  de  l'Espagne. 
Leur  illusion  s'évanouit  avec  l'arrivée  du  duc  de  Féria, 
le  9  mars.  Bien  loin  d'apporter  deux  cent  mille  écus, 
somme  insuffisante ,  selon  le  prince  de  Parme,  pour 
trafiquer  des  consciences,  Féria  n'avait  que  trente 
mille  écus.  Les  finances  de  l'Escurial  étaient  embar- 
rassées. Philippe  II  les  ménageait  avec  une  parcimo- 
nie étroite.  Le  peu  d'argent  du  duc  de  Féria  ne  pou- 
vait tenter  beaucoup  les  députés-,  il  fut  presque 
absorbé  d'ailleurs  par  les  prédicateurs  et  par  les  Seize. 


LIYRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  3â7 

ïl  y  eut  des  marchés  honteux  et  de  nohles  refus.  Peu 
à  peu  l'avarice  castillane,  jointe  à  la  morgue  des  am- 
bassadeurs, à  leurs  rodomontades,  rendit  les  Espa- 
gnols aussi  ridicules  qu'ils  avaient  été  odieux.  Paris 
s'en  moqua. 

Vers  la  fin  de  mars,  la  majorité  dans  les  états  avait 
passé  à  Mavenne.  Les  Espagnols  proposèrent  inutile- 
ment leur  infante  avec  un  archiduc,  puis  avec  le  duc 
de  Guise.  Ils  trébuchèrent  misérablement.  Farnèse 
n'était  plus.  Son  armée  s'était  dissipée,  sa  générosité 
s'était  tarie  et  ni  Féria.  ni  Mendoça,  ni  Diégo  d'Ybarra, 
ni  Taxis  n'avaient  hérité  de  son  génie. 

Les  états  immolèrent  au  saint-siége  les  libertés  de 
l'Eglise  gallicane  en  votant  le  concile  de  Trente.  Ils 
ne  firent  du  reste  rien  de  ce  qu'on  espérait  d'eux.  Ils 
ne  décrétèrent  ni  une  paix,  ni  un  roi.  les  deux  vœux 
de  la  France.  Après  sept  mois  de  comédie,  de  subor- 
nation, de  métamorphoses,  de  travestissements  tan- 
tôt sérieux,  tantôt  burlesques,  ils  se  séparèrent,  le  8 
août ,  laissant  au  même  point  la  querelle  entre  les 
prétendants.  Ceux  qui  avaient  compté  sur  un  oracle, 
sur  une  conclusion  des  états,  furent  déçus. 

Une  chose  cependant  avait  été  faite  en  dehors  des 
états.  Le  parlement  rendit  un  arrêt  conforme  aux 
lois  fondamentales  du  royaume  et  confirma  la  loi  sa- 
lique.  C'était  exclure  l'infante. 

Une  autre  chose  fut  accomplie,  non  pas  en  dehors, 
mais  à  côté  des  états  :  ce  fut  la  conférence  de  Suresnes. 
Diplomatiquement,  cette  conférence  fut  bien  plus  que 
la  bataille  d'Ivry.  Elle  fut  l'épisode  le  plus  indi- 
rect, mais  le  plus  pathétique  et  le  plus  décisif  de  la 


328  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

session  des  états  généraux.  Elle  vainquit  sur  le  ter- 
rain mouvant  des  négociations  et  des  insinuations 
tous  les  rivaux  de  Henri  IV. 

Mayenne,  ulcéré  contre  le  roi  d'Espagne ,  avait 
permis  la  conférence  de  Suresnes  pour  attirer  les  ca- 
tholiques du  camp  du  roi.  Le  roi  la  tourna  contre 
;  Mayenne  et  contre  les  autres  concurrents.  L'abjura- 
tion y  fut  une  arme  à  sept  tranchants  qui  frappa  mor- 
tellement tous  les  prétendants  à  la  couronne. 

Douze  commissaires  furent  désignés  par  les  états 
et  douze  commissaires  par  le  roi. 

Les  principaux  de  ces  commissaires  pour  la  ligue 
étaient  l'archevêque  de  Lyon  d'Espinac,  le  comte  de 
Yillars,  gouverneur  de  Rouen,  le  comte  de  BeHn, 
gouverneur  de  Paris  et  les  présidents  Jeannin  et  Le 
Maître  ^  —  pour  Henri  IV,  les  plus  illustres  d'entre 
les  plénipotentiaires  furent  Renaud,  archevêque  de 
Bourges,  Pomponne  de  Bellièvre,  ancien  ministre  de 
Henri  III ,  le  comte  de  Schomberg,  l'historien  de 
Thou,  président  du  parlement  de  Tours,  et  de  Vie, 
gouverneur  de  Saint-Denis. 

Dans  cette  conférence  qui  eut  des  séances  si  im- 
prévues et  si  mémorables,  on  ne  devait  s'occuper  que 
de  la  conservation  de  la  foi  et  du  repos  de  la  France, 
n  avait  été  stipulé  qu  on  ne  parlerait  ni  de  Henri  de 
Bourbon,  ni  de  sa  royauté.  Et  pourtant  il  ne  fut  ques- 
,  tion  d'autre  chose. 

Le  débat  fut  presque  toujours  entre  Renaud,  ar- 
chevêque de  Bourges,  et  d'Espinac,  archevêque  de 
Lyon. 

L'archevêque  de  Bourges  établit  à  vingt  reprises 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  329 

différentes  et  avec  une  grande  vigueur  de  raison  que 
la  royauté  de  Henri  de  Bourbon  était  un  droit.  ]Ni 
l'excommunication  des  papes,  disait-il,  ni  le  culte  du 
prince,  ne  peuvent  prévaloir  contre  ce  droit,  puisque 
nos  rois  sont  en  principe  indépendants  du  saint-siége 
au  temporel. 

A  cela  le  fougueux  archevêque  de  Lyon  s'écriait 
que  les  ligueurs  mourraient  plutôt  que  de  servir  un 
souverain  hérétique.  «  La  royauté  de  Henri  de  Bour- 
bon ,  insistait-il,  n'est  qu'un  fait  et  la  conversion 
seule  pourrait  la  transformer  en  droit.  » 

Or,  un  jour,  le  16  mai  lo93,  Henri  IV  déclara  à 
son  conseil  qu'il  était  prêt  à  se  faire  catholique  et  il 
convoqua  pour  le  lo  juillet  dans  la  ville  de  Mantes 
un  certain  nombre  de  docteurs  qui  seraient  les  par- 
rains, les  témoins,  les  théologiens  irrécusables  de  son 
abjuration.  Il  s'engagea  de  plus  à  ne  se  séparer  des 
calvinistes  qu'en  leur  assurant  la  liberté  de  conscience. 

Telle  fut  la  grande  nouvelle  que  l'archevêque  de 
Bourges  annonça  dans  la  plus  solennelle  des  séances 
de  la  conférence  de  Suresnes.  «  Monsieur,  dit-il  à 
l'archevêque  de  Lyon,  qu'en  pensez- vous?  ne  voulez- 
vous  pas  aider  le  roi  à  se  faire  catholique  ?  m  D'Espi- 
nac  troublé  répondit  :  a  Plût  à  Dieu  qu'il  le  fût  à  la 
satisfaction  de  notre  saint-père  le  pape!  »  et  il  se  re- 
tira dans  la  plus  vive  agitation. 

L'abjuration  fut  la  puissante  machine  de  guerre 
qui  terrassa  tous  les  prétendants.  Mais  ce  n'était  pas 
assez  au  gré  du  roi  de  la  promettre,  il  fallait  la  con- 
sommer. 

Les  prélats  qu'il  avait  convoqués  à  Mantes  pour  le 

28. 


330  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

15  juillet,  il  les  réunit  le  22  du  même  mois  à  Saint- 
Denis.  Il  y  avait  là  tout  le  chapitre  de  la  vieille  ca- 
thédrale, Renaud,  archevêque  de  Bourges,  Duper- 
ron,  évèque  d'Évreux,  huit  autres  évêques,  treize 
ecclésiastiques  estimés,  parmi  lesquels  on  remarquait 
les  curés  de  Saint-Sulpice,  de  Saint-Merry,  de  Saint- 
Eustache. 

Tous  ces  prêtres  étaient  gallicans.  Ils  bravèrent 
un  manifeste  du  légat  qui  excommuniait  les  chrétiens 
assez  téméraires  pour  assister  à  la  messe  future  de 
l'abjuration  et  les  ecclésiastiques  assez  impies  pour 
tenter  d'absoudre  Henri  de  Bourbon,  soi-disant  roi 
de  France  et  de  Navarre,  hérétique,  relaps,  impéni- 
tent, chef  et  défenseur  des  huguenots.  Sous  le  feu 
de  ce  manifeste  italien ,  les  prélats  gallicans  décidè- 
rent qu'ils  avaient  le  devoir  d'absoudre  le  roi,  sans 
l'intervention  immédiate  du  pape-,  sauf  plus  tard  au 
roi  de  soumettre  l'absolution  des  évêques  français  à 
la  ratification  du  saint-père. 

Il  y  avait  eu  de  longues  conversations  entre  Henri 
et  les  docteurs.  Celui  qu'il  respectait  le  plus  était 
l'archevêque  de  Bourges  ;  celui  qu'il  préférait  néan- 
moins était  Duperron.  De  tous  les  théologiens  c'était, 
le  seul  qui  n'eût  pas  ennuyé  le  roi.  Henri  pouvait 
plaisanter  avec  lui  de  l'abjuration. 

Triste  habitude  d'ironie  et  cjui  glace  souvent  pour 
le  Béarnais.  On  a  du  goût,  mais  on  n'a  point  de  pas- 
sion pour  les  héros  (jui  ne  sont  pas  complètement 
sérieux.  Nul  persoimage  ne  communique  d'enthou- 
siasme entier,  à  moins  qu'il  n'ait  par  surcroît  de  son 
caractère  ou  de  son  génie  la  gravite. 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  331 

Le  roi  s'amusait  de  l'abjuration  avec  Duperron  ^ 
il  s'en  excusait  auprès  de  Duplessis-Mornay.  «  Je 
n'ai  pas  trouvé,  disait-il,  contre  ces  prétendants  d'au- 
tre échappatoire.  Il  lui  disait  encore  :  «  Entre  les 
deux  cultes  le  différend  n'est  pas  si  grand.  J'essayerai 
de  tout  arranger.  Mon  autorité  vous  sera  tutélaire. 
Je  suis  roi  berger.  Je  ne  répandrai  point  le  sang  de 
mes  brebis,  mais  je  les  rassemblerai  avec  douceur.  » 

11  ajoutait  :  «  J'ai  entendu  beaucoup  de  disputes. 
J'en  ai  bien  trop.  Je  suis  assez  savant  pour  un  igno- 
rant. Mon  instruction  s'est  faite  chez  ma  mère  et  par 
ses  ministres  calvinistes.  J'abrégerai  les  phrases  de 
Duperron.  » 

Ce  n'était  pas  le  calcul  de  Duperron,  de  l'arche- 
vêque de  Bourges  et  des  autres  docteurs.  Ils  tenaient 
aux  discours ,  au  catéchisme  pour  un  si  auguste 
néophyte. 

Le  roi  se  vengea  par  des  éclairs  d'esprit  et  des  pé- 
tulances de  liberté.  Il  dit  à  Duperron  :  «  Je  suis  fils 
de  l'Eglise.  Je  crois  à  une  Eglise  qui  vous  rend  si 
réguKer.  »  Il  disait  aussi  :  «  J'admets  votre  purgatoire 
parce  que  vous  me  l'ordonnez  et  aussi  pour  vous  être 
agréable:  car  le  purgatoire  est  votre  meilleur  re- 
venu. » 

Le  23  juillet,  dans  une  séance  de  cinq  heures,  le 
roi  fit  pour  la  forme  ses  objections  sur  l'invocation 
des  saints,  sur  la  confession  auriculaire,  sur  l'autorité 
du  pape.  L'archevêque  de  Bourges  et  Duperron  ré- 
futèrent ce  semblant  de  svllogisme.  Henri  s'avoua 
convaincu  de  tout,  même  «  de  la  présence  réelle  » 
et  déclara  se  conformer  sans  restriction  à  l'Éslise, 


332  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

D'Aubigné  ne  lui  épargnait  pas  les  raisons.  «  Sire, 
lui  disait-il,  vous  êtes  roi  par  vous-même.  Ne  vous 
laissez  pas  mettre  sur  la  tête  les  pieds  et  la  domination 
du  pape,  il  vous  commanderait  insolemment. 
\  a  II  n'y  a  pas  un  des  prétendants  qui  n'insinue  par 
ses  émissaires  que,  s'il  n'est  nommé ,  il  sera  dès  le 
lendemain  votre  serviteur-,  et  ainsi  vous  feriez  la 
guerre  au  mari  de  l'infante  avec  tous  ses  rivaux. 

«  Sire,  ne  renoncez  pas  votre  cause;  si  ce  n'est 
pour  Dieu,  que  ce  soit  pour  vous.  Employez  votre 
grand  jugement  à  comprendre  la  différence  qu'il  y  a 
d'être  roi  par  la  victoire  ou  par  la  soumission.  » 

Rosny  et  La  Force,  surtout  Rosny,  poussaient  Henri 
à  l'abjuration.  Par  là,  disaient-ils,  vous  ne  perdrez 
point  votre  âme  et  vous  sauverez  votre  couronne. 

Ainsi  Duperron  avait  des  échos  jusque  dans  le  parti 
protestant. 

Le  roi  était  résolu.  Le  24  juillet,  il  écrivit  à  Ga- 
brielle  d'Estrées  :  «  Je  vais  faire  le  saut  périlleux.  » 

Le  lendemain  25,  un  dimanche,  Henri  dit  en  s'habil- 
lant  :  «Paris  vaut  bien  une  messe.  »  Sur  les  huit  heures 
il  sortit  de  sa  demeure  en  grande  pompe.  11  était  en- 
touré d'une  foule  de  princes  et  de  seigneurs;  des  ofii- 
ciers  de  sa  maison  -,  de  ses  gardes  françaises ,  écos- 
saises, suisses,  et  il  s'avançait  à  travers  une  multitude 
de  bourgeois  et  de  peuple  qui  criait  à  pleine  poitrine  : 
«  Vive  le  roi  !  vive  notre  roi  Henri  1  »  Les  Parisiens 
se  distinguaient  entre  tous  par  leur  allégresse.  Or- 
dres de  Mayenne,  excommunication  du  légat,  menaces 
des  ambassadeurs  espagnols,  ils  avaient  tout  méprisé 
pour  venir.  Les  fleurs  pleuvaient  des  fenêtres  sous 


LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  333 

les  pas  et  sur  le  cortège  du  Béarnais,  les  clairons 
sonnaient  sa  lente  procession  vers  la  cathédrale  de 
Saint-Denis  où  il  allait  revendiquer,  au  milieu  de 
ses  ancêtres  morts,  une  foi  qui  fut  la  leur  et  qui 
n'était  pas  la  sienne.  Les  acclamations  mêlées  de  lar- 
mes l'accompagnèrent  jusqu'à  la  grande  porte  de  la 
cathédrale.  Henri  saluait,  remerciait  le  peuple,  sou- 
riait et  pleurait.  Il  réprima  cette  sensibilité  facile  qui 
s'aUiait  chez  lui  avec  fa  raillerie  et  il  s'arrêta  sous  le 
portail  gothique. 

L'archevêque  de  Bourges,  le  cardinal  de  Bourbon, 
sept  évêques,  un  clergé  nombreux  et  tous  les  cha- 
noines de  Saint-Denis  y  alteodaient  Henri.  «Qui  êtes- 
vous,  lui  demanda  l'archevêque.  —  Je  suis  le  roi.  — 
Que  voulez-vous.^  —  Je  veux  être  reçu  au  sein  de 
rÉglise  catholique  apostolique  et  romaine.  — Jurez 
alors ,  reprit  l'archevêque.  »  Henri  s'agenouilla  et 
dit  :  «  Je  jure  devant  la  face  de  Dieu,  de  vivre  et  de 
mourir  en  la  religion  catholique,  de  la  défendre  au 
péril  de  mon  sang  ^  je  renie  toutes  hérésies  contraires.» 

Il  baisa  ensuite  l'anneau  de  l'archevêque  de  Bourges, 
qui  lui  donna  sa  bénédiction .  Les  prélats  conduisirent 
le  roi  sous  un  dais  magnifique.  Il  s'assit,  puis  il  alla 
se  confesser  à  l'archevêque  derrière  l'autel,  pendant 
qu'on  chantait  le  Te  Deum. 

Enfin  le  roi  entendit  la  messe,  et  il  eut  Paris  -,  il  eut 
Paris  et  la  France. 

Ce  qu'il  n'eut  pas,  ce  qu'il  n'aura  jamais,  c'est 
l'approbation  des  cœurs  sincères ,  qui  n'aiment  pas 
voir  un  homme,  fût-il  roi,  se  jouer  des  autres  hommes 
et  de  Dieu. 


334  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

La  fatalité  de  Henri  IV  fut  toujours  de  ne  pas  se 
préoccuper  des  choses  éternelles. 

Jeanne  d'Albret  ne  le  trouvait  pas  assez  religieux, 
ni  Coligny  assez  zélé.  Montaigne  ne  le  tenait  pas 
pour  plus  dévoué  à  Genève  qu'à  Rome.  Lui-même, 
lorsqu'il  fut  libre,  après  sa  fuite  du  Louvre,  demeura 
longtemps,  au  témoignage  de  d'Aubigné,  sans  pro- 
fession d'aucun  culte.  C'est  qu'il  était  un  théiste. 
Et  il  n'était  pas  un  théiste  pieux  et  chrétien  à  la  ma- 
nière de  L'Hôpital,  mais  un  théiste  indifférent  et  cal- 
culateur. 

Il  eut  le  malheur  de  songer  à  ce  qui  était  utile  plu- 
tôt qu'à  ce  qui  était  loyal  et  il  subordonna  le  devoir  à 
l'intérêt.  Il  le  fit  avec  le  temps,  avec  les  délais  indis- 
pensables. Il  se  décida ,  n'étant  pas  plus  pour  les 
réformés  que  pour  les  catholiques,  à  se  servir  de 
Dieu.  La  religion  lui  lut  une  échelle  pour  monter  au 
trône  de  saint  Louis.  Il  s'enchanta  d'illusions.  Il  se 
dit  qu'il  ne  consentait  à  cette  hypocrisie  que  pour  son 
peuple,  et  il  abjura  sans  remords. 

On  peut  l'excuser;  mais  le  justifier,  on  ne  le  peut 
pas.  Il  a  été  l'exemple,  le  modèle  de  tous  les  apostats, 
depuis  les  grands  seigneurs  du  seizièine  siècle,  jus- 
qu'à Bernadotte,  un  Béarnais  aussi,  qui,  par  une  ma- 
nœuvre en  sens  opposé,  trouva  que  Stockholm  valait 
bien  un  prêche. 

Henri  lY,  lui,  avait  dit  :  «  Paris  vaut  bien  une 
messe.  )>  Maxime  impie!  c'est  la  maxime  opposée  qui 
est  vraie.  Une  conscience  vaut  mieux  que  mille  Paris 
et  que  des  millions  de  mondes.  L'infini  moral  vaut 
mieux  que  tout. 


LtVIlE  CINQUANTE-QUATRIÈME.  333 

Il  y  a  deux  foQcîs  dans  la  religion  :  Dieu  et 
l'homme, 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  à  vénérer,  c'est  Dieu  ; 
l'homme,  le  caractère  individuel  de  l'âme,  est  secon- 
daire et  cependant  essentiel. 

Abjurer  si  l'on  croit,  c'est  sacrifier  la  piété;  si  Ton 
ne  croit  pas,  abjurer,  c'est  sacrifier  sa  dignité,  son 
honneur. 

Henri  IV,  en  l'un  ou  l'autre  cas,  descend  dans 
la  considération  des  sages  et  de  la  postérité. 

Qu'avait-il  à  faire.''  Ne  pas  renoncer  au  protestan- 
tisme vrai  ou  officiel  pour  un  intérêt,  et  rester  cal- 
viniste. 

Plus  tard,  si  la  grâce  l'eût  touché,  il  aurait  pu  ab- 
jurer avec  bienséance. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain  et  de  tragique ,  c'est  qu'il 
faillit  sans  nécessité.  S'il  eût  refusé  d'abjurer,  il  eût 
encore  été  roi.  On  avait  soif  d'unité,  soif  de  paix,  et 
le  seul  représentant  de  cette  unité  et  de  cette  paix, 
c'était  Henri  IV.  La  France  l'aurait  adopté  tout  calvi- 
niste qu'il  était.  Elle  se  serait  précipitée  vers  lui 
avec  la  passion  qu'elle  met  à  tout.  Au  lieu  de  l'atten- 
dre, il  courut  à  elle  et  ils  se  rencontrèrent  plus  vite, 
mais  par  un  mauvais  chemin,  par  un  chemin  de 
traverse  que  le  Béarnais  sema  de  concessions  cap- 
tieuses. Si  Henri,  qui  n'était  intérieurement  d'aucun 
des  deux  cultes,  ne  dégrada  pas  sa  conscience,  ce  qui 
eût  été  plus  coupable  encore ,  il  compromit  son  hon- 
neur en  trompant  sur  son  orthodoxie ,  en  cherchant 
une  récompense  terrestre  là  oii  il  ne  doit  pas  y  avoir 
de  récompense. 


336  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Il  y  eut  un  grand  avantage  humain  pour  le  roi  et 
pour  la  patrie  dans  la  conversion  qui  abrégeait  l'a- 
narchie, mais  il  y  eut  un  plus  grand  outrage  contre 
Dieu  transformé  en  un  simple  instrument  de  règne. 

Les  vices  de  Henri  IV  lui  ont  survécu.  Ils  ont  été 
communicatifs  et  héréditaires  dans  sa  famille  et  dans 
la  nation.  Le  Béarnais  est  peut-être  de  tous  les  rois 
de  France  celui  qui  attenta  le  plus  à  la  morahté  de  sa 
race  et  de  son  peuple.  Il  introduisit  le  harem  chrétien 
dans  le  palais  de  sa  dynastie.  Il  fit  de  ce  harem  une 
institution  et  de  ses  successeurs  des  sultans.  Il  insi- 
nua l'apostasie  dans  la  noblesse,  dans  la  bourgeoisie, 
et  cette  apostasie,  mère  de  tant  de  lâchetés  privées  et 
pubhques,  il  l'encouragea,  la  mit  à  la  mode,  la  paya, 
l'autorisa  par  des  avancements  scandaleux  et  la  rendit 
charmante  à  force  de  grâce,  de  légèreté  et  de  saillies. 

Henri  IV  a  été  le  plus  fascinateur  des  vicieux.  Dans 
le  bien  comme  dans  le  mal,  l'électricité  est  le  plus 
grand  don  des  grands  hommes,  et  ce  fut  le  sien. 

Je  ne  dis  pas  cela  en  sectaire,  je  le  dis  en  admira- 
teur de  Henri  IV.  Je  regrette  que  tant  de  qualités 
héroïques  et  spirituelles  n'aient  pas  été  rehaussées 
de  plus  de  franchise  réelle  et  de  vertu.  Trois  siècles 
et  une  dynastie  qu'il  a  corrompus  de  ses  exemples 
et  de  ses  maximes  eussent  été  purifiés  et  ennoblis  par 
lui.  S'il  eût  joint  à  sa  belle  intelligence,  à  son  cou- 
rage ,  à  sa  bonté ,  à  son  amour  pour  le  peuple ,  cette 
exquise  faculté  qu'on  appelle  la  conscience,  et  qui 
seule  consacre  parce  que  seule  elle  pénètre  de  divi- 
nité un  caractère,  Henri  IV  eût  été  le  plus  grand  des 
hommes-,  il  n'est  que  le  plus  grand  des  rois. 


'    LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME 


Les  principaux  conseillers  de  l'abjuration  :  Rosny,  l'archevêque  de 
Bourges  et  Duperron.  —  Influence  de  ce  dernier  prélat.  —  Son 
portrait.  —  Il  est  attaché  à  l'ambassade  du  duc  de  Nevers  et 
chargé  spécialement  de  fléchir  Clément  VIII  en  faveur  du  roi.  — 
Satire  Ménippée.  —  Son  caractère  littéraire  et  politique.  —  Mon- 
taigne, La  Boétie.  —  La  ligue  s'aiîaiblit.  —  Mouvement  de  l'opi- 
nion publique  vers  Henri  IV.  —  Le  roi  se  rapproche  de  Paris.  — 
Ses  négociations  secrètes  avec  le  comte  de  Brissac.  —  Entrée  dans 
Paris.  —  Brissac  fait  maréchal.  —  Le  roi  se  rend  à  Notre-Dame, 
puis  au  Lourre,  puis  à  la  porte  Saint-Denis,  d'où  il  regarde  défiler 
les  Espagnols,  —  Il  revient  au  Louvre.  —  La  royauté  assise. 

Ceux  qui  contribuèrent  le  plus  à  l'abjuration  du 
Béarnais  furent  Rosny,  puis  rarchevêque  de  Bour- 
ges, puis  enfin  et  surtout  Duperron.  C'était  tellement 
l'avis  des  contemporains  que,  pour  désigner  Duper- 
ron ,  ils  disaient  monsieur  le  convertisseur.  Le  nom 
lui  en  resta. 

Duperron  avait  été  protestant.  11  flaira  le  vent  et 
sentit  qu'il  soufflait. vers  Rome.  Il  se  fit  catholique. 

Il  fut  bientôt  évêque.  Son  crayon  (cart.  de  M.  Niel) 
est  fort  curieux  et  le  montre  dans  toute  sa  diversité 
pittoresque. 

Il  avait  les  mâchoires  fortes  pour  mordre  et  pour 
blesser,  la  poitrine  bombée  comme  une  cuirasse  pour 
résister,  la  bouche  grande,  non  pour  bégayer,  mais 
pour  parler  et  pour  tonner  du  haut  d'une  chaire.  Son 
front  imposait  par  l'audace.  Ses  yeux  lançaient  des 

lY.  «29 


338  HISTÔÎRË  DE  LA  LIBERTE  RELIGÎEtSË. 

flammes.  Son  nez  fm ,  recourbé  en  bec  de  faucon, 
semblait  plus  aigu  par  le  sarcasme  de  la  lèvre. 

Toujours  flottant  entre  la  passion  et  l'esprit,  Du- 
perron  avait  une  pbysionomie  douteuse,  cynique, 
impétueuse,  fausse,  impudente  avec  distinction.  Il 
visait  à  l'efl'et  et  se  jouait  de  ses  auditoires.  Son 
attitude  était  théâtrale  ,  son  geste  tantôt  empha- 
tique, tantôt  burlesque.  Son  éloquence,  bien  plus 
profane  que  religieuse  ,  n'était  qu'une  rhétorique. 
De  l'érudition,  du  pédantisme,  une  imperturbable 
assurance,  de  l'ironie  assaisonnée  d'outrages  ^  des 
saillies  par  moments,  jamais  un  cri  d'âme-,  des  cu- 
pidités personnelles,  une  ambition  aveugle,  jamais 
l'amour  de  la  vérité,  jamais  l'enthousiasme  des  idées 
divines  qui  remuent  les  masses,  parce  qu'elles  sont 
générales,  désintéressées,  et  qu'elles  élèvent  l'huma- 
nité au-dessus  d'elle-même;  des  combinaisons  d'in- 
telligence et  d'imagination,  jamais  d'inspirations  sin- 
cères-, des  calculs,  jamais  de  convictions  :  tel  est  Du- 
perron  orateur. 

Un  mot  le  peint  tout  entier.  Après  avoir  prouvé 
brillamment  l'existence  de  Dieu ,  comme  un  grand 
prince  le  complimentait  de  sa  verve  de  parole.  «  Vou- 
lez-vous ,  lui  dit  Duperron ,  que  je  vous  prouve  le 
contraire  avec  une  vraisemblance  égale  » 

Voilà  le  sophiste  pris  sur  le  fait.  Ce  qui  lui  a  tou- 
jours manqué,  c'est  la  chose  la  plus  rare,  la  plus 
sainte,  la  seule  nécessaire,  car  elle  donne  tout  le 
reste  par  surcroît.  Cette  chose,  c'est  une  foi.  Sous 
les  apparences  de  l'orthodoxie ,  il  cache  un  ardent 
égoïsme.  En  sondant  bien  ce  présomptueux  docteur, 

*  .4'  - 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  339 

on  est  surpris  du  peu  que  recouvrent  ses  jactances.  Il 
a  tous  les  artifices  du  comédien ,  toute  la  désinvol- 
ture du  courtisan,  toutes  les  ressources  du  prédica- 
teur, toutes  les  souplesses  de  l'avocat;  mais  a-t-il  un 
cœur?  ^'on.  Il  y  a  un  rôle  dans  ce  fier  prélat,  cent 
rôles;  il  n'y  a  pas  un  homme. 

La  décision  du  pape  sur  l'abjuration  de  Saint-De- 
nis était  difficile  à  obtenir.  Clément  Mil,  qui  avait 
prescrit  la  nomination  de  l'infante ,  rugissait  contre 
l'Église  gallicane  qui  s'était  peroiis  d'absoudre 
Henri  IV  et  de  le  traiter  en  roi.  Lui ,  le  pape,  disait 
Navarre  en  parlant  du  Béarnais.  Henri  envoya  une 
ambassade  à  Rome  qui  était  pour  ses  négociateurs  un 
labyrinthe  de  pièges. 

Il  associa  au  duc  de  Nevers  et  à  l'évèque  du  Mans 
Duperron  qu'il  chargea  de  séduire  le  pape,  de  désa- 
vouer un  peu  le  gallicanisme,  en  faisant  toutes  les 
soumissions  imaginables,  en  déclarant  l'absolution 
de  Henri  provisoire  jusqu'à  la  ratification  du  souve- 
rain pontife. 

Tandis  que  Duperron  cherchait  à  fléchir  le  pape 
en  faveur  du  roi  avec  une  arrière-pensée  de  barrette 
et  de  robe  rouge  pour  lui-même ,  un  livre  prenait  les 
proportions  d'un  événement  et  popularisait  Henri  IV 
autant  que  ses  victoires  et  que  sa  conversion. 

Ce  beau  livre,  la  Satire  Ménippée  ,  attaqua  la  ligue 
cette  année-là  (lo93),  tantôt  par  la  dialectique,  tantôt 
par  la  plaisanterie.  Ce  fut  un  pamphlet,  une  histoire 
et  une  prophétie.  La  Ménippée  répandait  à  pleines 
mains  le  ridicule  et  l'odieux  sur  les  Seize,  sur  les 
Lorrains  et  sur  les  Espagnols,  en  racontant  leurs  in- 


340  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

trigues,  leurs  infamies,  leurs  crimes,  et  elle  annonça 
magnifiquement  la  dynastie  des  Bourbons. 

Cette  satire  est  encore  vivante.  Elle  renferme  deux 
parties  :  la  première,  le  Catholicon  d'Espagne^  est  de 
Louis  Leroy,  la  seconde,  \ Abrège  des  États  de  la  li- 
gue, est,  soit  de  Passerat,  soit  de  Rapin  pour  les  vers; 
soit  de  Gillot,  soit  de  Florent  Chrétien,  soit  de  Pierre 
Pilhou  pour  la  prose. 

Le  Catholicon  fut  imprimé  en  l'année  1593;  les 
Etats  de  la  ligue  le  furent  en  1094,  mais  ils  étaient 
écrits  avant  l'abjuration,  c'est-à-dire  dans  le  mois  de 
juillet  lo93,  et  ils  coururent  beaucoup  en  manuscrit. 
Dès  cette  époque  donc,  ils  aidèrent  à  la  révolution 
royaliste  et  ils  firent  explosion  dans  les  esprits. 

Leroy  veut-il  flétrir  l'étranger  :  il  peint  d'abord  le 
légat ,  le  cardinal  de  Plaisance ,  qui  en  est  l'appui  et 
l'instrument. 

«  Ce  charlatan ,  dit  le  satirique ,  fut  petit-fils  d'un 
Espagnol  de  Grenade  relégué  en  Afrique  pour  le  délit 
de  mahométisme.  Son  grand-père  et  son  père  étant 
morts,  le  charlatan  vint  en  Espagne,  se  fit  baptiser  et 
servit,  à  Tolède,  auc  ollégedes  jésuites.  Ayant  appris, 
là,  que  le  Catholicon  simple  de  Rome  n'avait  d'autre 
effet  que  d'édifier  les  âmes,  ils'était  avisé, par  le  con- 
seil testamentaire  de  son  père ,  de  sophistiquer  ce 
j  Catholicon^  si  bien  qu'à  force  de  le  manier,  remuer, 
alambiquer,  calciner  et  sublimer,  il  en  avait  composé 
dedans  ce  collège  un  électuaire  souverain  qui  sur- 
passe toute  pierre  philosophale.  » 

Le  légat  naturellement  ne  ménage  pas  la  drogue 
du  Catholicon,  Philippe  II  ne  l'épargne  pas  non  plus. 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  341 

Écoutons  Leroy  : 

«  Qu'un  prince  casanier  s'amuse  à  affiner  cette 
drogue  en  son  Escurial ,  qu'il  écrive  un  mot  en  Flan- 
dre au  père  Ignace,  cacheté  de  CatholicoUy  il  lui  trou- 
vera homme  lequel  (salva  conscientia)  assassinera 
son  ennemy  qu'il  n'avoit  pu  vaincre  par  les  armes  en 
vingt  ans  (Guillaume  d'Orange).  » 

Et  ailleurs  : 

«  N'ayez  point  de  religion,  moquez-vous  à  gogo 
des  prestres,  et  des  sacrements  de  l'Église,  et  de  tout 
droict  divin  et  humain ,  mangez  de  la  chair  en  ca- 
resme,  soyez  pensionnaire  d'Espagne,  monopolez, 
trahissez,  changez,  vendez,  trocquez,  désunissez,  il 
ne  vous  faudra  d'autre  absolution  qu'une  demi- 
drachme  de  Catholicon. 

«  En  somme,  tous  les  cas  réservés  en  la  bulle  in 
cœna  Domini  sont  remis  à  pur  et  à  plain  par  cette 
quintessence  catholique-jésuitique-espagnole.  » 

Les  États  de  la  ligue  ne  sont  pas  moins  incisifs 
que  le  Catholicon.  Cette  seconde  partie  de  la  Ménip- 
pée  flagelle,  parodie  et  balaye  les  états  convoqués 
par  Mayenne.  Rehsons  la  harangue  de  M.  d'Aubray. 
Comme  cette  harangue  qui  est  de  Pierre  Pithou  ex- 
prime bien  la  situation  de  la  France  et  les  aspirations 
de  l'esprit  public  ! 

«  0  Paris,  qui  n'est  plus  Paris,  mais  un  spelunque 
de  bestes  farouches,  une  citadelle  d'Espagnols,  Wal- 
lons et  Napolitains! 

((  Qui  peut  se  vanter  d'avoir  de  quoy  vivre  pour 
trois  semaines,  si  ce  ne  sont  les  voleurs  qui  se  sont 
engraissés  de  la  substance  du  peuple  ? 

29. 


342  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

«  Bienheureux  qui  n'a  pas  mangé  de  chair  de  che- 
val et  de  chien,  et  bienheureux  qui  a  toujours  eu  du 
pain  d'avoine!  Il  n'a  pas  tenu  à  M.  le  légat  et  à  l'am- 
bassadeur Mendoze  que  nous  n'ayons  mangé  les  os 
de  nos  pères,  comme  font  les  sauvages  de  la  nouvelle 
Espagne.  Peut- on  se  souvenir  de  toutes  ces  choses 
sans  larmes  et  sans  horreur.  Et  ceux,  qui  en  leur 
conscience  sçavent  bien  qu'ils  en  sont  cause,  peu- 
veut-ils  en  ouyr  parler  sans  rougir  et  sans  appréhen- 
der la  punition  que  Dieu  leur  réserve  pour  tant  de 
maux  dont  ils  sont  autheurs,  surtout  quand  ils  se 
représenteront  les  images  de  tant  de  pauvres  bour- 
geois tombant  par  les  rues  roides  morts  de  faim;  les 
petits  enfants  mourant  à  la  mamelle  de  leurs  mères 
allangouries,  tirant  pour  néant  et  ne  trouvant  que 
sucer  -,  les  meilleurs  habitants  et  les  soldats  marchant 
par  la  ville  appuyez  d'un  baston,  pasles  et  foibles, 
ressemblant  plus  des  spectres  que  des  hommes^  et 
l'inhumaine  réponse  d'aucuns,  même  des  ecclésiasti- 
ques, qui  les  accusoient  et  menaçoient  au  lieu  de  les 
secourir  et  consoler?  Fut-il  jamais  barbarie  pareille  é 
celle  que  nous  avons  endurée? 

«  Où  sont  les  religieux  étudiant  aux  couvents?  Ils 
ont  pris  les  armes.  Les  voilà  tous  soldats  débauchés. 

«  Les  prêtres,  les  prédicateurs  se  sont  rendus  si 
vénaux,  si  méprisés  par  leur  vie  scandaleuse,  qu'on 
ne  se  soucie  plus  d'eux ,  ni  de  leurs  sermons  ,  sinon 
quand  on  en  a  affixire  pour  prescher  quelque  fausse 
nouvelle. 

«  Où  sont  les  princes  du  sang  qui  ont  toujours  été 
couime  les  colonnes  de  la  monarchie?  où  sont  les 


LIVRE  CINOL'ANTE-CINQUIÈME.  343 

pairs  de  France  qui  devroient  estre  icy  les  premiers 
pour  ouvrir  et  honorer  les  états?  Tous  ces  noms  ne 
sont  plus  que  noms  de  faquins,  dont  on  fait  littière 
aux  chevaux  de  messieurs  d'Espagne  et  de  Lorraine. 

«  Où  est  la  majorité  du  parlement  jadis  tuteur  des 
rois  et  médiateur  entre  le  peuple  et  le  prince  ?  Vous 
l'avez  menée  en  triomphe  à  la  Bastille  et  traîné  l'au- 
thorité  et  la  justice  captives  plus  insolemment  et  plus 
honteusement  que  n'eussent  fait  les  Turcs.  Vous  avez 
chassé  les  bons  et  vous  n'avez  retenu  que  la  racaille 
passionnée  ou  de  bas  courage. 

«  Ah!  M.  le  heutenant  (Mayenne),  il  n'y  a  ni  ro- 
domontade d'Espagne,  ni  bravacherie  napolitaine,  ni 
mutinerie  wallonne,  qui  puisse  nous  empescher  de 
demander  et  désirer  la  paix. 

«  Nous  aurons  aussi  un  roy  qui  donnera  ordre  à 
tout  et  maintiendra  tous  les  tyranneaux  en  crainte  et 
en  devoir;  qui  chastiera  les  violeurs,  punira  les  ré- 
fractaires,  exterminera  les  voleurs  et  pillards,  retran- 
chera les  ambitieux,  fera  rendre  gorge  à  ces  éponges, 
à  ces  larrons  des  deniers  pubhcs,  contiendra  un  cha- 
cun aux  limites  de  sa  charge  et  conservera  tout  le 
monde  en  repos  et  en  tranquillité. 

«  Nous  réclamons  un  roy  et  chef  naturel,  non  ar- 
tificiel, un  roy  déjà  fait  et  non  à  faire,  et  n'en  vou- 
lons point  prendre  le  conseil  des  Espagnols ,  nos  en- 
nemys  invétérés ,  qui  par  force  essayent  de  nous 
enseigner  à  croire  en  Dieu.  Nous  ne  voulons  pour 
conseillers  et  médecins  ceux  de  Lorraine,  qui  de 
longtemps  béent  après  nostre  mort.  Le  roy  que  nous 
demandons  est  desja  faict  par  la  nature ,  né  au  vray 


344  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

parterre  des  fleurs  de  lys  de  France,  rejeton  droict  et 
verdoyant  à  la  tige  de  saint  Loys.  Ceux  qui  parlent 
d'en  faire  un  autre  se  trompent,  et  ne  sauroient  en 
venir  à  bout.  On  peut  faire  des  sceptres  et  des  cou- 
ronnes, mais  non  pas  des  roys  pour  les  porter.  On 
peut  faire  une  maison,  mais  non  pas  un  arbre  ou  un 
rameau  vert.  Il  faut  que  la  nature  le  produise  par  es- 
'  pace  de  temps,  du  suc  de  la  moelle  de  la  terre  qui  en- 
tretient la  tige  en  sa  séve  et  vigueur.  Aussi  pouvons- 
nous  faire  des  maréchaux  à  la  douzaine,  des  pairs, 
des  admiraux,  et  des  secrétaires  et  conseillers  d'État, 
mais  le  roy  point  ;  il  faut  que  celuy-là  naisse  de  luy- 
même  pour  avoir  vie  et  valeur. 

«  En  un  mot ,  nous  voulons  que  M.  le  lieutenant 
sache  que  nous  reconnoissons  pour  notre  vrai  roy  et 
souverain  seigneur,  Henri  de  Bourbon,  cy-devant 
roy  de  Navarre.  C'est  luy  seul  et  non  un  autre  qui 
exterminera  ces  petits  demy-roys  de  Bretagne,  de 
Languedoc,  de  Provence,  de  Lyonnais,  de  Bourgogne 
et  de  Champagne.  Tous  s'évanouiront  au  lustre  de  sa 
présence,  quand  il  sera  sis  au  trône  de  ses  majeurs 
et  en  son  lict  de  justice  qui  l'attend  en  son  palais 
royal. 

((  Je  ne  veux  parler  de  luy  ny  par  flatterie ,  ny  par 
médisance  :  l'un  sent  l'esclave,  l'autre  tient  du  sédi- 
tieux :  mais  je  puis  dire  avec  vérité ,  comme  vous- 
mesme  et  tous  ceux  qui  hantent  le  monde  nele  nieront 
pas,  que  de  tous  les  princes  que  la  France  nous  mon- 
tre marqués  à  la  fleur  de  lys  et  qui  touchent  à  la  cou- 
ronne, voire  de  ceux  qui  désirent  en  approcher,  il 
n'y  en  a  pas  un  qui  mérite  tant  que  luy,  ny  qui  ait 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIEME.  345 

tant  de  vertus  royales,  ny  tant  d'avantages  sur  le 
commun  des  hommes.  « 

Louis  Leroy  était  un  prêtre,  Passerat  et  Rapin  deux 
poètes,  Florent  Chrétien  un  érudit  très-ingénieux  et 
très-littéraire,  Gillot  et  Pithou  des  jurisconsultes  et 
des  écrivains  fort  éminents.  Ils  ont  la  sincérité,  la 
verdeur,  lamodération,  Tà-propos,  la  raison  assaison- 
née d'esprit,  le  bon  sens  toujours  salé,  quelquefois 
sanglant.  Ils  ne  respirent  que  l'horreur  de  l'étranger, 
le  goût  de  la  paix,  de  l'ordre,  de  la  monarchie.  Ils 
appellent  de  tous  leurs  souhaits  le  bien-être,  le  gou- 
vernement éclairé,  l'administration  sage,  l'économie 
dans  les  finances,  la  probité  et  les  lumières  partout. 
Ils  sont  les  citoyens  excellents  de  la  fin  des  guerres 
civiles  -,  ils  ne  sont  plus  les  grands  citoyens  du  com- 
mencement et  du  milieu  des  temps  révolutionnaires. 
Ils  n'ont  pas  l'envergure,  les  coups  d'aile  de  La 
Boétie,  ni  de  d'Aubigné.  N'importe,  leur  livre,  trop 
bourgeois  peut-être  et  auquel  défaille  un  peu  l'hé- 
roïsme, est  un  astre  de  notre  histoire.  Il  couvre  de 
ses  rayons  et  il  inaugure  dans  une  aurore  le  berceau 
de  la  dynastie  des  Bourbons.  Les  ténèbres  delà  ligue 
sont  dissipées. 

Louis  Leroy,  Rapin,  Passerat,  Gillot,  Florent  Chré- 
tien et  Pithou,  si  Gaulois  par  les  souvenirs,  si  Français 
déjà  par  les  pressentiments,  sont  avec  moins  de  dé- 
licatesse ,  d'originalité  et  de  grandeur,  les  héritiers 
de  Montaigne  qui  s'éteignit  (1592)  l'année  d'avant 
Tapparition  de  la  Ménippée. 

Il  manqua  de  quelques  mois  la  satire  qui  l'aurait 
ravi,  malgré  les  différences  qui  la  séparent  des  £^5- 


346  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

sais.  Il  y  a  entre  Montaigne  et  les  auteurs  de  la  Mé- 
nippée  toute  la  distance  de  la  méditation  libre  à  la 
politique.  Eux,  ils  sont  des  journalistes,  lui  est  un 
philosophe.  Ils  sont  des  hommes  spéciaux  et  il  est  un 
homme  universel. 

Montaigne  s'éloigna  autant  qu'il  put  de  ces  trois 
volcans  :  la  Saint-Barthélémy,  les  barricades  et  la 
ligue. 

Il  se. retira  de  la  tempête  au  fond  du  château  pa- 
ternel. Il  regardait  par  moments  son  siècle  du  haut  de 
ses  fenêtres  gothiques  et  ne  se  mêlait  guère  autre- 
ment avec  lui.  Après  un  coup  d'œil  insouciant,  il  se 
réinstallait  doucement  dans  son  donjon  avec  Horace, 
Virgile,  Plutarque  et  Tacite.  Il  avait  aussi  du  penchant 
pour  Sénèque  et  saint  Augustin,  auxquels  il  ressem- 
bla parfois.  Les  morts  lui  plaisaient  mieux  que  les 
vivants. 

Arrivé  mal  à  point,  au  plus  fort  des  guerres  reli- 
gieuses, entre  un  monde  qui  finissait  et  un  monde 
qui  commençait,  Montaigne  fut  un  chaos  charmant 
au-dessus  duquel  brille  le  génie  du  doute,  son  propre 
génie. 

Si  Montaigne  n'est  pas  un  grand  homme,  il  est  un 
grand  écrivain. 

Son  portrait  le  révèle.  (Cabin.  de  M.  Niel.) 

Montaigne  est  enveloppé  d'une  pelisse,  une  fraise 
entoure  son  cou  et  dégage  la  tête  la  plus  expressive 
qui  fut  jamais. 

Le  front,  au  sommet  duquel  se  renverse  un  chapeau 
souple,  est  entièrement  découvert.  Ce  front  est  très- 
vaste.  Le  mz  estaquilin.  La  bouche  moqueuse  goûte 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  347 

savoureusement  le  beau  et  dédaigne  le  médiocre  avec 
une  bonhomie  pleine  de  malice.  Une  flamme  s'épand 
des  veux,  se  joue  dans  les  plis  innombrables  du  visage 
et  luit  autour  des  lèvres  dans  la  barbe  argentée. 
Toute  la  physionomie  se  raille  avec  la  mobilité  on- 
doyante du  scepticisme.  Je  ne  sais  quelle  arrière-mé- 
lancolie se  cache  cependant  sous  cette  gaieté  vive, 
sous  ces  humeurs  changeantes  et  témoigne  moins  des 
dispositions  de  l'homme  que  des  temps  cruels  au 
milieu  desquels  le  hasard  Ta  égaré. 

Montaigne,  c'est  le  seizième  siècle  sans  le  dévoue- 
ment, le  seizième  siècle  peu  féodal,  plutôt  antique  et 
attique.  La  seule  règle,  au  reste,  de  ce  merveilleux  écri- 
vain fut  de  n'en  avoir  pas.  H  s'abandonna  délicieuse- 
ment à  la  fantaisie,  à  l'habitude,  au  plaisir.  L'effort 
lui  fut  inconnu.  Il  n'eut  pas  la  volonté  nécessaire  à 
la  vertu,  inutile  au  génie.  Il  mesure  tout  à  lui-même, 
à  son  caprice,  rien  au  devoir  ni  à  Dieu. 

Nul  philosophe,  pas  même  Erasme,  ne  fut  plus 
indifférent  que  Montaigne  ,  ni  plus  épicurien.  Le 
spectacle  de  sa  pensée  l'amusait,  l'entraînait  uni- 
quement. Sa  grande  lacune,  ce  ne  fut  ni  le  courage, 
ni  le  jet  métaphysique  ,  ce  fut  le  sentiment  rehgieux. 
Il  n'y  eut  pas  de  ciel  dans  ce  grand  esprit  gascon. 
La  grâce  est  partout  en  lui-,  la  sublimité  nulle  part. 
Ses  plus  hauts  pics  ne  sont  jamais  illuminés  d'infini. 

Il  eut  du  moins  ce  bonheur  d'être  suppléé  et  comme 
achevé  par  Etienne  de  La  Boétie. 

La  Boétie  était  conseiller  au  parlement  de  Guvenne. 
Montaigne  l'aima  d'une  amitié  entière  et  c'est  la 
seule  passion  qu'il  ait  éprouvée.  Ce  que  l'auteur  des 


348  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Essais  avait  en  poésie  et  en  verve,  La  Boétie  l'avait 
en  sainteté,  en  éloquence  pathétique  contre  un  règne 
dilapidateur.  Il  désignait  sous  le  nom  de  Mange- 
peuple  les  favoris  de  Henri  II.  Témoin  des  barba- 
ries exercées  par  le  connétable  de  Montmorency  sur 
l'insurrection  bordelaise,  il  écrivit  son  petit  traité 
immortel  :  Le  conirun.  Il  y  attacha  le  despotisme 
au  carcan. 

Étienne  de  La  Boétie  mourut  à  trente-deux  ans,  au 
seuil  des  guerres  de  rehgion,  dans  les  bras  de  Mon- 
taigne qui  ne  se  consola  pas  de  cette  perte.  Le  grand 
sceptique  fut  sérieux  dans  ce  deuil  et  pleura  une  fois 
des  larmes  vraies.  La  Boétie  quitta  cette  terre  d'ini- 
quité avec  résignation,  mais  avec  le  regret  de  n'avoir 
pas  rempli  tout  son  destin.  Jeune  homme  incompa- 
rable, ami  tendre,  publiciste  magnanime,  citoyen 
austère,  dont  le  patriotisme  eut  le  timbre  de  l'àme 
stoïque  de  Caton  dans  un  style  digne  de  Tacite. 

La  Boétie  est  le  héros  de  la  pensée  humaine,  à 
l'aube  des  guerres  civiles,  comme  d'Aubigné  le  fut 
au  déclin  de  ces  guerres  terribles ,  lorsque  le  grand 
mouvement  religieux  apaisé,  il  ne  surnagea  plus  que 
l'amour  du  foyer,  du  repos,  de  la  sécurité  privée. 
Tous  deux,  bien  supérieurs  en  cela  à  Montaigne  et 
aux  satiriques  royalistes,  sont  les  précurseurs  loin- 
tains de  la  révolution  française. 

Les  auteurs  de  la  Ménippée,  et  c'est  leur  gloire  , 
résument  avec  bonheur  l'élan  de  l'opinion  publique 
avant  et  après  l'abjuration  de  Henri  IV. 

La  société  a  été  ébranlée  jusque  dans  ses  fonde- 
ments. Il  n'y  a  plus  de  famille  ,  plus  de  propriété, 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  349 

plus  de  toit  à  l'abri  de  la  violence.  Les  cruautés,  les 
insultes,  les  incendies,  le  rapt  des  femmes  et  des 
fdles,  les  tortures  aux  vieillards,  le  sacrilège  dans  les 
églises  :  voilà  les  mœurs.  L'étranger,  soit  Espagnol, 
soil  Italien,  soit  Lorrain,  partout  le  maître,  les  Seize 
stipendiés  par  FEscurial ,  la  royauté,  cette  institu- 
tion suprême  attaquée  par  For  et  par  le  fer  de  Phi- 
lippe II ,  excommuniée  paT  Clément  VIII  qui  refuse 
de  recevoir  l'ambassade  respectueuse  de  Henri  IV  : 
voilà  le  temps  1 

Ah  !  qu'elle  soit  raffermie  cette  royauté  auguste 
et  toutes  les  maisons  seront  restituées,  et  tous  les 
droits  reconnus ,  et  plus  rien  ne  sera  ni  dérobé,  ni 
profané,  ni  brûlé,  ni  convoité  même.  Les  nonnes,  les 
abbesses,  rentrant  sous  la  règle ,  ne  feront  plus  de 
leurs  couvents  des  retraites  de  débauches  et  renonce- 
ront à  leurs  amants  soit  ligueurs,  soit  royalistes.  Les 
moines  ne  déserteront  plus  leurs  cellules  pour  par- 
courir en  armes  Paris  et  pour  se  vautrer  au  miheu  des 
orgies,  le  soir,  dans  les  cabarets  et  dans  les  lupanars. 

Si  la  royauté  légitime  renait,  tout  sera  sauvé.  Et 
c'est  pourquoi  tout  marche,  s'avance  et  gravite  vers 
la  dynastie  des  Bourbons. 

Les  villes  se  rendent  ou  se  vendent,  et  les  gouver- 
neurs, et  les  généraux,  et  les  conseillers,  et  les  pré- 
sidents, et  les  évêques.  Henri  les  attire,  les  achète, 
et  les  enchante.  Il  est  l'homme  qu'il  faut,  le  gentil- 
homme ,  le  soldat ,  le  diplomate  ,  le  vert  galant  et  le 
théologien  à  l'occasion.  Il  voit  tout  venir.  Il  devine  de 
loin,  il  ensorcelle  de  près. 

Où  irait-on  si  ce  n'est  à  lui.?  n  est-il  pas  le  roi  na- 
IV.  30 


350  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tional?  n'est-il  pas  l'ennemi  de  l'ennemi,  le  vain- 
queur de  l'étranger?  La  ligue  s'en  va  en  poussière. 
Balagny  Montluc,  le  fils  de  l'évêque  de  Valence,  cède 
à  Henri  tout  le  Cambrésis  pour  le  bâton  de  maréchal 
de  France.  Boisrosé  livre  Fécamp  et  Lillebonne^  La 
Châtre,  Orléans  et  Bourges-,  d'Alincourt,  Pontoise; 
d'Estourmelle,  Péronne-,  Roye,  Montdidier.  Vitry,  un 
des  meilleurs  officiers  de  Mayenne ,  et  Villeroi ,  un 
des  plus  intimes  serviteurs  du  prince  lorrain,  passent 
au  Béarnais.  C'est  à  ne  le  pas  croire.  Mayenne  suivra 
fatalement.  Il  faudra  bien  que  lui  aussi  ceigne  l'é- 
charpe  blanche.  Irrésistible  et  soudain  essor  de  fo- 
pinion  publique  émue,  qui,  à  dater  des  états  de  la 
ligue  et  de  l'abjuration,  se  précipite  vers  Henri  IV 
avec  l'impétuosité  de  ces  grands  coups  de  vent  dont 
la  furie  n'éclate  pas  moins  dans  l'ordre  de  la  politique 
et  de  l'histoire  que  dans  Tordre  de  la  nature! 

Henri  sentait  de  plus  en  plus  sa  force.  Paris  était 
plus  à  lui  qu'à  Mayenne.  En  face  du  lieutenant  géné- 
ral et  de  la  garnison  espagnole,  le  parlement  osa  un 
arrêt  qui  proclamait  le  roi  souverain  légitime,  imposait 
comme  un  devoir  la  fidélité  envers  lui  et  sommait  les 
troupes  étrangères  de  quitter  la  capitale  du  royaume. 

Mayenne,  inquiet  de  tant  de  symptômes  monar- 
chiques, remplaça,  comme  gouverneur  de  Paris,  le 
comte  de  Belin  qui  lui  était  suspect  par  le  comte  de 
Brissac.  Mais,  ni  cette  nomination,  ni  l'exil  des  trois 
colonels  d'Aubray,  Passart  et  Marchand,  ni  la  haine 
du  pape  qui  perpétuait  la  malédition  de  Rome  sur 
Henri  IV,  ne  pouvaient  ranimer  la  ligue  expirante. 

Dans  son  découragement,  elle  suscitait  des  assas- 


LITRE  CINOrANTE-CINQClÉME.  3ol 

sins.  Barrière,  un  jeune  batelier  d'Orléans,  avait  été 
accueilli  à  Lyon  par  deux  moines  et  deux  prêtres,  à 
Paris  par  le  curé  Aubry  et  par  Yarade ,  recteur  du 
colléc^e  des  jésuites.  Ces  fanatiques  échauffèrent  l'i- 
magination de  leur  néophyte  et  le  décidèrent  à  tuer 
le  roi.  Sur  la  dénonciation  du  dominicain  Blanchi, 
Barrière  fut  arrêté  àMelun  où  il  guettait  Henri.  Con- 
vaincu du  crime,  il  fut  jugé  sommairement  et  exé- 
cuté sur  la  grande  place  du  marché  au  milieu  d'un 
peuple  innombrahle. 

Cette  tentative  redoubla  l'intérêt  pour  le  roi.  Il 
l'augmentait  chaque  jour  par  son  habileté,  par  ses 
sacrifices.  Il  ne  négligeait  pas  les  pompes  monar- 
chiques dont  l  éclat  relevait  par  intervalles  sa  simpli- 
cité. Il  se  fit  sacrer  et  couronner  à  Chartres,  Reims 
étant  occupé  par  les  ligueurs  (27  février  1591).  On 
se  scM'vit  pour  la  cérémonie  d'une  huile  aussi  mira- 
culeuse que  la  sainte  ampoule.  Le  roi,  qui  tenait  à 
frapper  l'imagination  des  peuples,  avait  ordonné  de 
transporter  cette  huile  à  Chartres,  de  l'abbaye  deMar- 
moutièr,  près  de  Tours. 

Henri  se  ra[)procha  ensuite  de  Paris  où  il  avait  des 
intelligences  avec  Brissac.  Mayenne  était  sans  soup- 
çon. Ce  fut  sa  mère,  la  duchesse  de  Nemours,  qui  es- 
saya d'ébranler  la  confiance  du  prince  lorrain.  «  Mon 
fils,  lui  dit-elle  ,  méfiez-vous  de  Brissac 5  il  vous  tra- 
hira. »  Mayenne  plaisanta  de  cet  avertissement,  en 
instruisit  Brissac  lui-même  qui  se  justifia  par  une 
dénégation.  Il  y  ajouta  un  aplomb  si  imperturbable, 
qu'aucun  nuage  ne  subsista  plus  entre  lui  et  le  lieute- 
nant général. 


352  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Mayenne  rassuré  quitta  Paris ,  le  6  mars,  avec  sa 
femme  et  ses  enfants.  Il  les  menait  à  Soissons,  d'où  il 
devait  rejoindre  le  comte  de  Mansfeld,  le  successeur 
du  duc  de  Parme  dans  le  commandement  de  l'armée 
des  Pays-Bas. 

Le  roi,  sans  avoir  l'air  d'y  toucher,  et  tout  en  chas- 
sant à  Saint-Denis,  nouait  de  plus  en  plus  sa  trame 
avec  Brissac.  Le  gouverneur  de  Paris  s'entourait  de 
précautions  et  ne  négociait  avec  le  roi  que  par  l'in- 
termédiaire de  M.  de  Saint-Luc.  Ce  gentilhomme, 
l'un  des  officiers  protestants  les  plus  attachés  à  Henri, 
était  le  beau-frère  de  Brissac.  11  n'y  avait  pas  auprès 
du  roi  un  diplomate  plus  accompli  que  ce  hardi  capi- 
taine. 

Il  était  en  procès  avec  le  gouverneur  de  Paris  dont 
il  avait  épousé  la  sœur.  Il  eut  l'art  de  tirer  parti  de 
cette  double  circonstance  pour  colorer  ses  entrevues 
avec  Brissac.  Il  voulut  qu'elles  fussent  publiques.  N'é- 
taient-elles pas  motivées  par  l'alliance  et  par  le  pro- 
cès de  ces  deux  seigneurs  ? 

Ils  se  réunissaient,  le  jour,  à  l'abbaye  de  Saint- 
Antoine.  Ils  conduisaient  avec  eux  des  gens  de  loi 
qui  discutaient  le  procès,  pendant  que  Saint-Luc  et 
Brissac  préparaient  la  reddition  de  Paris.  Le  juris- 
consulte le  plus  distingué  de  Brissac  était  René  Chop- 
pin,  un  des  Seize.  Il  accompagnait  toujours  son  client 
à  l'abbaye  et  sa  présence  était  une  garantie  suffisante 
pour  la  faction  espagnole. 

Quand  Brissac  et  Saint-Luc  furent  d'accord  sur  la 
reddition  de  Paris,  ils  saisirent  un  article  Htigieux 
entre  leurs  avocats  pour  s'emporter  l'un  contre 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  353 

l'autre.  Tous  deux  feignirent  une  vive  colère  et  ils 
se  séparèrent  avec  les  apparences  de  l'inimitié. 

Brissac  dépassa  toutes  les  limites  de  l'avidité,  de  la 
bassesse  et  de  la  fourberie.  Il  avait  stipulé  avec  Saint- 
Luc  pour  récompense  de  son  concours  le  bâton  de 
maréchal  et  des  sommes  fabuleuses.  De  l'abbaye  où  il 
avait  eu  cette  fausse  querelle,  il  se  rendit  chez  le  car- 
dinal-légat, lui  raconta  ses  communications  avec 
son  beau-frère,  leur  rupture  définitive  et  lui  ex- 
prima tout  son  regret  d'avoir  consenti  à  rencontrer 
un  hérétique  pour  de  vils  intérêts.  Tout  en  parlant  il 
s'accusa  humblement  de  cette  faute,  et  tombant  à 
genoux  il  implora  l'absolution  du  cardinal.  Le  légat 
fut  édifié  d'un  tel  scrupule  et  donna  sa  bénédiction 
apostolique  à  Brissac. 

Le  soir,  il  retraça  cette  scène  devant  le  duc  de  Féria 
qui  sourit  et  qui  dit  au  cardinal  :  «  Je  ne  suis  point 
étonné  de  cette  action.  M.  de  Brissac  est  un  brave 
homme.  Je  l'ai  vu  à  l'une  de  nos  plus  importantes 
délibérations  s'amuser  à  prendre  des  mouches,  au 
lieu  d'écouter  et  de  répondre.  Pour  en  faire  tout  ce 
que  l'on  voudra,  il  n'y  aura  jamais  besoin  que  d'un 
jésuite.  »  C'était  l'avis  du  légat. 

Ils  se  trompaient  tous  deux.  Brissac  était  un  jésuite 
laïque  d  une  grande  supériorité. 

Après  avoir  endormi  les  Espagnols  et  les  Italiens, 
il  s'entendit  avec  les  politiques  les  plus  éminents  et 
ils  convinrent  de  Hvrer  Paris  au  roi.  Les  principaux 
conjurés  dans  cette  périlleuse  entreprise  furent  le 
prévôt  des  marchands,  Lhuilher,  les  échevins  Lan- 
glois  et  Néret,  les  conseillers  Du  Vair,  Marillac, 

50. 


334  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

d'Orçay,  le  président  Lemaistre  et  l'avocat  général 
Molé. 

Brissac  avait  toujours  eu  un  masque  sur  la  figure. 
Tandis  qu'il  parlementait  le  plus  perfidement  avec  le 
roi  par  Saint-Luc,  il  fortifiait  tous  les  endroits  faibles 
des  remparts  et  il  faisait  terrasser  la  porte  Neuve, 
les^portes  de  Bussy,  de  Saint-Denis  et  de  Saint-Mar- 
cel. Ces  précautions  ajoutèrent  à  la  bonne  opinion 
du  cardinal  de  Plaisance  et  du  duc  de  Féria. 

Le  21  mars,  au  soir,  les  colonels  et  capitaines  de 
la  milice,  échauffés  par  les  conjurés  du  parlement  et 
de  la  municipalité,  donnèrent  rendez-vous  aux  bour- 
geois politiques  pour  le  lendemain  matin.  «  La  paix 
est  conclue,  disaient  les  chefs  de  cette  milice  roya- 
liste dans  leur  haine  de  l'étranger  et  des  factieux,  la 
paix  est  conclue,  et  il  faut  que  tous  les  bons  citoyens 
soient  sous  les  armes,  afin  de  soutenir  les  commis- 
saires qui  proclameront  cette  paix  si  odieuse  aux 
Seize.  » 

Les  bourgeois  furent  ponctuels.  Il  y  en  avait,  dès 
quatre  heures  du  matin,  avec  Brissac,  Lhuillier,  Né- 
ret,  Langlois,  qui  introduisirent  par  trois  quartiers 
différents  les  troupes  royales.  Saint-Luc  se  présenta 
le  premier  à  la  porte  Neuve,  puis  coulèrent  successi- 
vement, par  cette  porte,  Sancy,  de  Vie,  le  comte  de 
Belin,  d'Humières,  le  maréchal  de  Matignon  et  le  duc 
de  Bellegarde,  chacun  à  la  tête  d'une  troupe  fidèle. 
Vitry  déboucha  sous  la  porte  Saint-Denis  avec  la  gar- 
nison de  Meaux.  Il  prit  hardiment  position  entre  les 
deux  divisions  de  la  garnison  étrangère,  dont  l'une, 
l'espagnole,  était  retranchée  à  la  pointe  Saint-Eus- 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  355 

tache,  et  l'autre,  la  wallonne,  au  Temple.  Ces  divi- 
sions furent  ainsi  coupées,  et,  ne  pouvant  agir  de 
concert,  elles  n'agirent  pas  du  tout.  Les  garnisons 
de  Corbeil  et  de  Melun  arrivèrent  par  la  Seine  en  ba- 
teaux jusqu'à  l'arsenal.  Tous  ces  corps  divers,  qui  ne 
s'élevaient  pas  à  quatre  mille  hommes,  furent  accueil- 
lis avec  enthousiasme.  La  bourgeoisie  et  le  peuple 
les  grossirent  sur  la  route  et  leur  donnèrent  l'aspect 
d'une  immense  armée.  Trois  ou  quatre  ligueurs  for- 
cenés qui  voulaient  ameuter  la  foule  contre  les  poli- 
tiques furent  sabrés.  Le  maréchal  de  Matignon  tailla 
en  pièces  trente  lansquenets  qui  avaient  tiré  sur  lui 
le  long  du  quai  de  l'Ecole,  et  il  en  jeta  trente  à  la 
rivière.  Il  s'était  emparé  du  Louvre;  Vitry  s'assura 
du  grand  et  du  petit  Chàtelet  et  logea  un  de  ses  of- 
ficiers au  palais  de  justice.  Les  garnisons  de  Corbeil 
et  de  Melun  avaient  pris  l'arsenal  et  l'hôtel  de  ville. 
A  dix  heures  ,  tous  les  points  stratégiques  de  Paris 
étaient  occupés.  Il  n'y  avait  plus  que  les  environs  du 
Temple,  les  faubourgs  Saint-Martin  et  Saint- Antoine, 
qui  fussfent  encore  au  pouvoir  du  duc  de  Féria  et  des 
Espagnols.  Le  quartier  de  l'Université  était  tumul- 
tueux, mais  surveillé  par  une  vaillante  poignée  de 
gentilshommes  et  de  miliciens  que  le  gouverneur 
avait  postés  à  Thotel  de  Cluny. 

Les  perplexités  du  roi  avaient  été  inexprimables 
toute  la  matinée.  Il  redoutait  Paris.  Il  sentait  l'opi- 
nion qui  revenait  à  lui ,  mais  il  n'avait  que  quatre 
mille  soldats.  Le  duc  de  Féria  en  avait  autant;  il  avait 
de  plus  les  dix  mille  prolétaires  en  guenilles  nourris 
et  armés  par  les  ambassadeurs  de  Philippe  II,  fana- 


3o6  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

tisés  et  commandés  par  les  Seize,  qui  eux-mêmes 
étaient  bien  quatre  mille.  Il  y  avait  de  quoi  être  in- 
quiet. Henri  flotta  plusieurs  heures  dans  l'anxiété.  Il 
en  sortit  peu  à  peu  par  les  courriers  que  lui  dépê- 
chaient de  tous  les  quartiers  ses  généraux.  Enfin,  cé- 
dant à  cette  héroïque  confiance  qui  lui  était  si  natu- 
relle, il  se  dirigea  vers  la  porte  Neuve  à  la  tête  d'un 
groupe  de  nohlesseet  de  six  cents  compagnons  éprou- 
vés d'Arqués  et  d'ïvry. 

Le  roi  fut  reçu  par  Brissac  et  par  Lhuillier,  le  gou- 
verneur de  Paris  et  le  prévôt  des  marchands.  Henri 
passa  son  écharpe  blanche  à  Brissac  en  l'appelant  : 
Monsieur  le  maréchal  ;  et  il  prit  les  clefs  de  la  ville 
des  mains  de  Lhuillier.  Il  remonta  avec  eux  et  son 
petit  corps  d'armée  jusqu'à  la  porte  Saint-Honoré. 
De  là,  par  la  rue  Saint-Honoré,  il  se  rendit  à  Notre- 
Dame.  Tous  les  doutes  du  roi  avaient  disparu.  Les 
fenêtres,  les  balcons,  les  toits,  les  seuils  étaient  com- 
bles. Chaque  pavé  était  foulé  en  cadence.  Les  accla- 
mations éclataient  jusqu'aux  nues.  Ce  roi  et  ce  peuple 
si  longtemps  séparés  se  retrouvaient  enfin  après  des 
batailles,  après  des  bûchers,  après  des  massacres, 
après  des  famines.  Il  y  eut  entre  eux  un  éclair-,  il  y 
eut  un  attendrissement.  Henri,  pénétré  d'un  immense 
amour  mêlé  d'étonnement  et  de  reconnaissance  pour 
ce  peuple,  lui  envoyait  des  effusions  de  cœur  par  les 
gestes,  par  les  yeux,  par  la  voix.  Le  peuple  y  répon- 
dait par  des  cris  et  saluait  son  brave  roi  à  cheval, 
orné  de  son  panache  blanc,  comme  aux  jours  du  blo- 
cus, lorsqu'il  le  nourrissait  en  l'assiégeant.  Les  hommes 
disaient  :  a  Ce  n'est  pas  un  roi  que  nous  aurons  ;  c'est 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  337 

un  père  !  »  Les  politiques  répétaient  partout  :  «  Il  est 
bon  catholique.  Il  va  à  Notre-Dame.  »  Et  les  trans- 
ports redoublaient. 

Il  allait  en  effet  à  Notre-Dame.  Sur  le  pont,  les  vi- 
vat devinrent  un  tonnerre.  Le  roi  dit  :  «  Je  vois  bien 
que  ce  pauvre  peuple  a  été  tyrannisé.  »  Au  parvis, 
Henri  descendit  de  cheval.  La  multitude  l'entoura 
comme  une  mer  agitée.  Les  capitaines  des  gardes 
voulaient  s'interposer  entre  elle  et  le  roi.  Mais  Henri 
leur  dit  :  «  Non,  non.  Laissez.  Tous  ils  sont  affamés 
de  contempler  un  roi.  »  Et  se  plongeant  dans  le  peu- 
ple, le  peuple  le  releva  sur  ses  bras  mieux  que  sur  un 
pavois  et  le  porta  jusque  sous  le  porche  de  Notre- 
Dame,  où  s'était  rassemblé  le  Chapitre. 

Henri  assista  à  la  messe  et  au  Te  Deum.  Bris- 
sac,  Lhuillier,  les  échevins,  les  principaux  politiques 
du  parlement  gravirent,  durant  la  cérémonie  et  les 
chants  de  la  cathédrale,  le  mont  de  l'Université.  Ils 
proclamaient  à  tous  les  carrefours,  au  son  des  trom- 
pettes, l'amnistie  générale,  même  pour  les  Seize.  Le 
cortège  du  gouverneur,  accru  de  Du  Vair,  de  Marillac, 
de  d'Orçay  et  des  volontaires  de  l'hôtel  de  Cluny, 
balaya  le  curé  Hamilton  et  dispersa  un- commence- 
ment d'émeute  près  de  la  porte  Saint-Jacques. 

A  midi,  dans  ce  quartier,  le  plus  séditieux  de  Paris, 
la  tranquillité  régnait  comme  ailleurs.  Les  boutiques 
se  rouvraient,  les  citoyens  allaient ,  venaient ,.  et, 
tout  en  se  communiquant  les  nouvelles,  vaquaient  à 
leurs  affaires. 

Henri  IV  sortit  de  Notre-Dame  pour  s'acheminer 
vers  le  Louvre.  Il  éprouva,  racontent  les  contempo- 


358  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

rains,  une  profonde  impression,  lorsqu'il  entra  en  roi 
dans  ce  palais  des  rois.  Toute  sa  maison  y  était  éta- 
blie, comme  si ,  depuis  des  années,  son  Louvre  mo- 
bile n'eût  pas  été  une  tente.  Cette  période  nomade 
de  sa  vie  était  révolue.  Ses  serviteurs  avaient  tout 
préparé  dans  le  vrai  Louvre,  où  il  dîna,  où  il  s'installa 
pour  toujours. 

Il  avait  fait  annoncer  auducde  Féria  des  intentions 
bienveillantes.  Le  duc  était  cantonné  au  Temple  et 
dans  plusieurs  casernes  du  faubourg  Saint-Antoine 
avec  ses  Espagnols.  Il  tenait  la  porte  Bussy  par  les 
Napolitains  et  leur  colonel.  Le  fier  Castillan  était  ré- 
solu à  combattre,  à  résister  par  honneur  -,  car  il  savait 
bien  que,  si  le  roi  lançait  sur  lui  Paris  et  une  armée, 
l'issue  de  la  lutte  ne  pouvait  être  incertaine.  Il  fut 
donc  surpris  et  touché  de  la  capitulation  que  lui  pro- 
posait Henri  IV.  Il  s'empressa  de  la  signer.  Le  roi  ac- 
cordait toute  sécurité  aux  Espagnols,  à  la  condition 
qu'ils  s'éloigneraient  sans  retard.  Ils  auraient  le  droit 
de  quitter  Paris  avec  armes  et  bagages,  enseignes  dé- 
ployées ,  au  bruit  des  tambours  et  des  clairons.  Les 
mèches  seulement  seraient  éteintes. 

L'orgueil  était  sauf  pour  le  duc  de  Féria.  Il  se  mit 
en  route  et  fut  rejoint,  sur  un  ordre  de  lui,  par  le 
colonel  napolitain  qui  rendit  la  porte  de  Bussy. 

Apr-^s  son  dîner,  Henri  s'était  hâté  vers  une  autre 
porte,  la  porte  Saint-Denis,  pour  voir  partir  la  gar- 
nison étrangère.  Il  se  plaça  dans  une  chambre  qui 
surmontait  cette  porte  et  regarda  par  la  fenêtre.  Les 
soldats  espagnols  défilèrent  par  quatre ,  le  premier 
rang,  au-dessous  du  roi,  le  front  levé,  le  genou  ployé, 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME.  359 

le  chapeau  de  fer  à  la  main ,  tandis  que  le  second 
rang  se  préparait  à  la  même  évolution. 

Henri  IV  était  fier  et  railleur  à  cette  petite  fenêtre. 
Sa  figure  héroïque  et  moqueuse,  dans  cette  conjonc- 
ture décisive,  vengeait  la  France  de  Philippe  II  et  des 
humiliations  anciennes.  L'expression  de  la  physiono- 
mie du  Béarnais  résumait  un  roi  et  un  règne. 

Le  duc  deFéria,  Diégo  d'Ybarra,  et  Taxis,  qui,  avec 
Mendoça  et  le  duc  de  Parme,  avaient  été  si  formida- 
bles à  Henri,  s'inclinèrent  en  passant.  Ils  avaient 
donné  refuge  dans  leurs  rangs  à  Boucher,  aux  prédi- 
cateurs les  plus  féroces  et  aux  Seize  les  plus  compro- 
mis. Le  roi  rendit  leur  salut  aux  chefs  espagnols  et 
les  seigneurs  présents  l'entendirent  qui  disait  :  «  Mes- 
sieurs, recommandez-moi  à  Sa  Majesté  Catholique^ 
allez-vous  en,  à  la  bonne  heure,  mais  n'y  reve- 
nez pas.  »  (V.  les  trois  estampes  publiées  par  J.  Le 
Clerc.) 

Il  était  plus  de  six  heures  du  soir  lorsque  Henri  re- 
gagna le  Louvre  au  milieu  des  bruyants  témoignages 
de  l'affection  publique.  Il  ne  cachait  pas  son  allé- 
gresse. Il  était  enivré.  Il  se  promena  dans  le  palais 
où  il  avait  été  prisonnier,  proscrit,  où  ses  amis 
avaient  été  égorgés,  où  il  était  maître  maintenant  et 
où  pas  un  cheveu  ne  tomberait  désormais  d'une  tète 
cathohque  ou  calviniste.  Car  lui,  le  roi,  voulait  subs- 
tituer la  justice,  la  clémence  même  à  la  force,  et  il 
se  proposait  de  concilier,  de  pardonner,  et  non  de 
tuer. 

Il  y  eut  gala,  jeu  et  illumination  au  Louvre. 

Or,  c'était  ce  jour-là  un  majestueux  palais  que  ce 


360  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

vieux  Louvre ,  d'abord  château  et  forteresse  ,  édifice 
tout  féodal,  fondé  par  Philippe-Auguste,  restauré  par 
Charles  V,  puis  rebâti  sur  un  plan  supérieur  par  Fran- 
çois P"^  et  par  Henri  II.  Les  beffrois  d'alarme  s'élevaient 
à  la  place  actuelle  de  la  colonnade,  du  côté  de  Saint- 
Germain-l'Auxerrois.  La  galerie  qui  relia  plus  tard 
Tune  des  ailes  aux  Tuileries  n'était  guère  avancée; 
mais  d'autant  plus  beau  dans  la  pureté  de  son  isole- 
ment, montait  vers  le  ciel  et  se  réfléchissait  sur  la 
Seine  le  donjon  enchanté.  Il  contenait  toute  l'his- 
toire des  Valois.  Ces  murs  si  transparents  sous  le  so- 
leil, si  pleins  de  rêves  dans  la  brume  ou  dans  le  cré- 
puscule, étincelaient,  le  22  mars  1594,  sous  les 
lampions  de  fête.  Une  mêlée  charmante  errait  à 
travers  les  voûtes  cintrées  par  le  génie,  au  dedans 
et  au  dehors,  le  long  de  cette  façade  ornée  de  bas-re- 
liefs. Les  appartements  royaux ,  les  salons,  la  cha- 
pelle, et  jusqu'aux  alcôves,  portaient  la  trace  glo- 
rieuse, soit  del'équerre,  soit  du  ciseau,  soit  de  la 
palette  des  artistes  du  siècle.  Toutes  les  pierres  rap- 
pelaient BuUant,  Delorme  et  Lescot,  Jean  Goujon  et 
Germain  Pilon  -,  les  toiles  étaient  signées  Janet ,  les 
vitres  retenaient  les  noms  de  Cousin  et  de  Pinaigrier. 
C'était  donc  une  merveille  que  le  Louvre,  surtout  aux 
flambeaux  ! 

Les  feux  de  joie  de  la  rue  correspondaient  à  toutes 
les  splendeurs  du  palais. 

L'architecture  est  l'un  des  prestiges  de  la  royauté. 
Elle  l'encadre  magnifiquement  dans  les  circonvolu- 
tions de  ses  courbes  et  de  ses  lignes  de  pierre.  Elle 
lui  ouvre,  sous  ses  frontons  d'acanthe  et  de  lis ,  des 


LIVRE  ClNQUAIST£-CINQt]IÈME.  36i 

retraites  mystérieuses.  Elle  imprime  plus  avant  dans 
l'imagination  des  peuples  par  la  grandeur  de  ses 
masses  de  porphyre  le  respect  de  la  souveraineté. 
Cette  souveraineté,  lorsqu'elle  a  conquis  ses  foyers, 
semble  participer  de  l'éternité  de  tant  de  maisons 
héréditaires.  On  dirait  alors  que  la  royauté  est  fondée 
sur  le  roc  et  qu'elle  est  de  marbre  comme  ses  châ- 
teaux. 

Ce  fut  sans  doute  le  sentiment  de  Henri  IV  quand 
il  se  coucha,  cette  nuit  du  22  mars,  dans  le  lit  des 
Valois.  Ce  fut  aussi  l'opinion  des  contemporains. 
L'un  d'eux  exprime  bien  la  triomphante  magie  de  la 
royauté  fixée  enfin  dans  la  perspective  de  ses  rési- 
dences monumentales,  lorsqu'il  dit  :  «  Le  roi  trouva 
dans  un  coffre,  au  Louvre ,  toutes  les  clefs  des  villes 
de  son  royaume.  » 

Ainsi,  en  changeant  les  toiles  flottantes  des  bivacs 
contre  les  lambris  immuables  du  Louvre  et  bientôt 
après  de  Saint-Germain,  de  Monceaux ,  de  Fontaine- 
bleau, de  Vincennes  et  de  Cliambord,  Henri  IV  de- 
vint plus  sacré  aux  yeux  de  Paris  et  des  provinces. 
La  royauté  fut  plus  auguste ,  lorsqu'au  lieu  de  la 
chercher  sur  la  selle  d'un  cheval,  ce  trône  errant,  on 
se  la  représenta  dans  les  demeures  traditionnelles  de 
la  monarchie ,  sur  un  trône  stable  et  sous  un  dais 
de  velours  et  d'or.  L'image  de  cette  royauté  assise 
parut  le  symbole  séculaire  de  l'ordre  dominant  à  la 
fin  toutes  les  anarchies  sociales. 


\ 

IV. 


31 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME 


Le  roi,  à  son  entrée  dans  Paris,  veille  à  la  sûreté  de  ses  ennemis.  — 
Dédain  du  légat ,  fureur  du  cardinal  de  Pellevé.  —  Souplesse  de 
la  duchesse  de  Montpensier.  —  Résignation  de  la  duchesse  de 
Nemours.  —  Henri  IV  la  console.  —  Politique  du  roi.  —  Il  achète 
les  gouverneurs,  continue  de  chasser  les  Espagnols  et  de  protéger 
les  deux  cultes.  —  Très-économe  pour  tout  le  reste,  il  est  prodigue 
pour  ces  trois  grands  buts.  —  Jean  Cliàtel.  —  Les  jésuites.  — 
Philippe  II.  —  Mayenne.  —  Fontaine-Française.  —  Le  roi  n'é- 
crase pas  le  prince  lorrain.  —  Il  l'invite  à  traiter.  —  Mayenne  fait 
la  paix.  —  Entrevue  du  roi  et  du  lieutenant  général  à  Monceaux, 

—  Mayenne  est  séduit  par  la  bonlé  du  roi,  et  il  se  soumet  sans 
honte,  car  le  pape  a  reconnu  Henri  IV.  —  Maison  de  Guise.  — 
Siège  de  La  Fère.  —  Mayenne  y  vient  avec  le  roi.  —  D'Aubigné. 

—  Rosny.  —  Assemblée  de  Rouen.  —  Conseil  de  Raison.  — 
Rosny  surintendant  des  finances.  —  Son  portrait.  —  Prise  d'A- 
miens. —  Le  roi  reconquiert  cette  place.  —  Il  réduit  le  duc  de 
Savoie  par  Lesdiguières ,  le  duc  de  Mercœur  par  lui-même.  — 
Traité  de  Vervins.  —  Mort  de  Philippe  II.  —  Édit  de  Nantes.  — 
Terme  de  mon  histoire. 

Le  mouvement  vers  Henri  s'accéléra  et  se  centu- 
pla. La  ligue  était  à  l'agonie  et  la  jeune  royauté  en- 
traînait après  elle  tous  les  cœurs. 
i\     Il  y  eut  cependant  des  haines  implacables. 

Le  roi,  dès  son  entrée  dans  Paris,  veilla  à  la  sûreté 
du  légat,  du  cardinal  de  Pellevé,  des  duchesses  de 
Nemours  et  de  Montpensier.  Il  envoya  des  gardes  à 
leurs  hôtels  afin  de  préserver  les  seuils  de  ses  enne- 
mis mortels. 

Le  légat  ne  répondit  à  ces  avances  que  par  le  mé- 


LIVRE  CINQUANTE-SJXIÈME.  3G3 

pris.  Il  demanda  ses  passeports  et  se  mit  en  route 
sans  avoir  consenti  à  faire  une  visite  au  Louvre.  Il 
emmenait  avec  lui  le  père  Yarade  et  le  curé  Aubry, 
les  instigateurs  fameux  de  Barrière  qui  s'était  décidé 
sur  leurs  exhortations  à  tenter  l'assassinat  du  roi. 
Les  théoriciens  de  meurtre ,  les  professeurs  de  régi- 
cide qui  n'avaient  pas  suivi  avec  Boucher  le  duc  de 
Féria,  s'enfuirent  de  Paris,  les  uns  vers  Bome,  le 
plus  grand  nombre  vers  les  Pays-Bas ,  cette  Espagne 
du  Nord.  Les  curés  Pelletier,  Hamilton,  les  chefs  des 
Seize,  Sénault,  Crucé ,  Saint-Yon,  Acarie,  les  deux 
La  Bruyère,  le  président  de  Neuilly,  tous  ces  loups 
du  troupeau  du  légat  reçurent  de  lui  des  secours  et 
des  recommandations  pour  l'étranger  où  ils  allaient 
vivre  désormais  sous  la  protection  de  l'Espagnol. 

Le  cardinal  de  Pellevé,  non  moins  ligueur  que  le 
légat,  mais  ligueur  lorrain,  fut  saisi  d'une  fièvre 
chaude,  à  la  nouvelle  de  la  reddition  de  Paris.  «  Qu'on 
leprenne, qu'on  le  prenne, «s'écriait-il dans  la  fureur 
de  ses  accès.  Il  expira,  le  26  mars,  au  milieu  d'une 
atonie  profonde  qui  avait  succédé  à  ses  emportements. 

Les  duchesses  de  Nemours  et  de  Montpensier  fu- 
rent moins  farouches  que  les  prélats.  Elles  compli- 
mentèrent le  roi  à  merveille.  «  Sire,  lui  dit  la  du- 
chesse de  Montpensier,  je  regrette  que  ce  ne  soit  pas 
mon  frère  de  Mayenne  qui  vous  ait  abaissé  le  pont. 
—  Ma  tante,  reprit  le  roi  en  faisant  une  fine  allusion 
à  la  mauvaise  volonté  autant  qu'à  la  paresse  du  duc,' 
il  m'eût  fait  attendre  trop  longtemps  et  je  ne  fusse 
pas  entré  si  matin.  »  La  duchesse  de  Montpensier 
avait  été  calmée  par  la  longue  insolence  des  Espa- 


364  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

gnols.  La  duchesse  de  Nemours,  plus  sensée  et  plus 
douce  que  sa  fille,  intéressa  vivement  le  roi.  Elle 
pleura  de  ce  que  ses  fils  Mayenne  et  Nemours  n'a- 
vaient pas  encore  fait  leur  soumission.  Henri,  ému 
de  ces  larmes  maternelles,  et,  retenant  la  politique 
sous  l'attendrissement,  consola  et  conseilla  la  du- 
chesse par  cette  réponse  :  (c  Madame,  vos  enfants  se- 
ront les  bienvenus  à  cause  de  vous  ^  et  il  est  encore 
temps,  s'ils  veulent.  » 

Cet  admirable  roi  ne  songeait  qu'au  rétabhssement 
de  la  justice,  des  finances,  de  l'administration,  qu'à 
la  reconstruction  de  la  France,  déchirée,  morcelée  en 
gouvernements  que  les  seigneurs  aspiraient  à  trans- 
former en  principautés.  Henri  était  prêt  à  tous  les 
sacrifices ,  à  toutes  les  concessions,  à  toutes  les  mu- 
nificences, pourvu  qu'il  sauvât  la  souveraineté,  l'u- 
nité ,  la  royauté  enfin ,  cette  personnification  néces- 
saire de  la  patrie,  au  seizième  siècle.  Royauté  ou 
féodalité,  telle  était  l'alternative.  Henri  combattit  la 
féodalité  par  des  prodiges  de  patience,  de  diplomatie, 
de  générosité,  d'héroïsme,  de  prévoyance. 

Il  réhabihta  le  parlement  de  Paris;  il  appela  son 
fidèle  parlement  de  Tours  et  de  Châlons.  De  ces  trois 
parlements  il  ne  fit  qu'une  compagnie,  dont  le  chef 
fut  toujours  Achille  de  Harlay.  Quand  ce  grand 
personnage  reparut  au  miheu  de  Paris  avec  ses 
collègues  si  longtemps  bannis ,  ce  fut  une  acclama- 
tion qui  accueillit  cette  procession  de  magistrats  rap- 
portant au  vieux  palais  de  saint  Louis  le  droit  qu'ils 
en  avaient  emporté  à  la  Bastille  d'abord,  puis  dans 
l'exil, 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  365 

Reconnu  par  le  peuple,  par  l'hôtel  de  ville,  par  la 
magistrature,  par  la  Sorhonne  qui,  le  22  avril,  le  dé- 
clara seul  légitime,  repoussé  par  les  jésuites  et  par 
les  capucins  qui  lui  déniaient  le  sceptre  jusqu'à  ce 
qu'il  obtînt  du  pape  l'absolution,  le  roi  travaillait  in- 
fatigablement aux  trois  œuvres  de  sa  vie  :  la  cohésion 
du  territoire  un  sous  l'autorité  une-,  l'expulsion  de 
Philippe  II,  qui  persistait  insolemment  à  vouloir  faire 
de  la  France  une  province  espagnole;  la  réconcilia- 
tion des  deux  cultes  à  l'aide  d'un  pouvoir  tolérant  et 
fort. 

Il  poursuivit  à  la  sueur  de  son  front  tous  ces  biens 
à  la  fois.  Il  y  sacrifiait  péniblement  son  or,  son  re- 
pos ,  et  jusqu'à  son  honneur.  Je  ne  dis  pas  sa  con- 
science, car  il  ne  croyait  guère  aux  religions  positives 
et  son  abjuration  fut  moins  un  crime  envers  Dieu 
qu'envers  lui-même. 

Les  yeux  fixés  sur  le  but ,  Henri  était  facile  dans 
l'exécution.  Peu  lui  importaient  les  moyens.  Il  n'é- 
tait pas  scrupuleux;  il  ne  s'interdisait  que  la  cruauté. 
Il  était  le  plus  humain  de  son  siècle  et  ce  n'est  pas  sa 
moindre  gloire. 

Il  n'oubliait  jamais  une  minute  l'unification  du 
royaume.  Il  ne  refusait  aucune  adhésion,  quel  qu'en 
fût  le  prix.  Lui  si  économe,  il  était  large,  prodigue 
même  à  récompenser  la  défection  des  ligueurs.  Il 
leur  ouvrait  les  bras  et  ne  marchandait  avec  eux  ni 
les  dignités,  ni  l'argent. 

Il  avait  accordé  à  Vitry,  pour  le  gagner,  le  gou- 
vernement de  Meaux ,  une  charge  de  capitaine  et 
618,000  francs;  à  Villeroi.  le  gouvernement  de  Pon- 


51. 


366  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

toise  pour  son  fils  et ,  pour  lui-même ,  le  titre  de 
conseiller  d'État,  plus  1,740,000  francs  de  pot  de 
vin.  La  Châtre  stipula  en  sa  faveur  la  somme  de 
3,289,000  francs  et  le  gouvernement  de  l'Orléanais, 
en  faveur  de  son  fils  le  gouvernement  du  Berry.  Bris- 
sac  avait  exigé  avant  d'ouvrir  les  portes  de  Paris  dans 
ses  conférences  avec  Saint-Luc  le  bâton  de  maréchal 
et  6,205,000  francs  d'indemnité. 

Henri  ne  reculait  pas  devant  l'énormité  de  ces 
dépenses. 

Villars  eut  pour  la  soumission  de  Bouen  et  de  la 
Normandie  (27  mars  1594)  le  gouvernement  de  cette 
capitale  et  de  cette  province,  le  rang  d'amiral  et 
une  somme  de  12,500,000  francs.  L'hommage  de 
M.  d'Elbeuf  fut  évalué  à  3  millions  et  demi  ^  il  fut 
investi  en  outre  du  gouvernement  de  Poitiers.  Le  duc 
de  Guise  rendit  les  villes  de  Beims,  de  Bocroy,  de 
Joinville,  de  Saint-Dizier,  de  Fismes  et  de  Montcor- 
net.  Il  reçut  en  échange  du  gouvernement  de  Cham- 
pagne le  gouvernement  de  Provence  et  plus  de 
14-, 700. 000  francs.  Les  gouverneurs  de  toute  impor- 
tance, petits  et  grands,  mirent  à  des  conditions  oné- 
reuses leur  obéissance,  et,  comme  ils  disaient,  leur 
fidélité.  Henri  se  montrait  libéral  et  ne  chicanait  pas. 

On  surprend  la  pensée  de  ce  grand  homme  dans 
une  lettre  à  Bosny.  Le  futur  ministre  était  effrayé  de 
la  cupidité  de  Villars.  Il  louvoyait  et  ne  terminait 
rien. 

Henri  lui  écrivit  :  «  Mon  amy,  vous  estes  une  beste 
d'user  de  tant  de  remises  en  une  affaire  de  laquelle  la 
conclusion  m'est  de  si  grande  conséquence  pour  l'é- 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  367 

tablissement  de  mon  authorité  et  le  soulagement  de 
mon  peuple.  Ne  vous  arrêtez  pas  à  l'argent,  car  les 
choses  que  l'on  nous  livrera,  s'il  nous  fallait  les  prendre 
par  la  force,  nous  coûteraient  dix  fois  autant.  Con- 
cluez au  plus  tost  avec  M.  de  Villars.  Puis,  lorsque  je 
serai  roi  paisible,  nous  userons  des  bons  mesnages 
dont  vous  m'avez  tant  parlé  et  pouvez  vous  asseurer 
que  je  n'espargnerai  labeur  ni  ne  craindray  péril  pour 
eslever  ma  gloire  et  mon  Estât  en  leur  plus  grande 
splendeur.  Adieu,  mon  amy.  » 

Sous  la  pression  de  cette  haute  politique ,  le  roi 
tenait  le  partage  du  pouvoir  souverain  pour  la  plus 
grande  des  calamités.  Ce  pouvoir  auguste  il  le  rappe- 
lait à  lui  en  versant  à  pleines  mains  son  trésor.  Les 
capitulations  de  la  ligue  lui  dévorèrent  30  millions 
du  temps ,  presque  120  millions  d'aujourd'hui.  Et  ce 
roi  d'un  bon  sens  exquis,  d'un  esprit  étincelant  avait 
raison.  En  écartant  la  principauté,  la  propriété  et 
l'hérédité,  il  abolissait  les  fiefs  rêvés  par  les  seigneurs 
et  il  y  substituait  des  gouvernements  dont  il  se  réser- 
vait la  libre  disposition,  à  chaque  vacance.  Il  fondait 
par  là  l'unité  du  sol  et  de  la  souveraineté  qu'il  ratta- 
chait à  la  royauté  par  des  nœuds  inextricables  de 
métal,  d'acquiescement,  d'obéissance  et  d'équité. 

Le  24  décembre  1594,  le  roi  revenant  d'un  voyage 
en  Picardie,  descendit  de  cheval  à  l'hôtel  d'Estrées.  Sa 
maîtresse  Gabrielle  l'attendait  dans  cet  hôtel  qu'elle 
habitait  et  qui  était  situé  rue  du  Coq,  à  quelques  toises 
du  Louvre.  Madame  de  Liancourt  avait  invité  beau- 
coup de  seigneurs  pour  la  soirée.  Le  roi  entra 'tout 
botté  avec  plusieurs  gentilshbttihi'ës  de  soti  esf'ébrtéi 


3G8  HISTOIRE  DE  LA  LIBEMÉ  RELIGIEUSE. 

Un  jeune  homme  se  glissa  avec  eux  jusqu'à  la  chambre 
de  Gabrielle.  Sans  tarder,  il  frappa  d'un  couteau 
Henri  IV  qui  se  baissait  pour  relever  MM.  de  Lagny 
et  de  Montigny,  lesquels,  selon  le  cérémonial  des 
présentations,  avaient  fléchi  le  genou  devant  lui. 
L'arme  qui  était  destinée  à  la  poitrine  coupa  la  lèvre 
du  roi  et  lui  cassa  une  dent ,  grâce  au  mouvement 
qu'il  fit  pour  s'incliner.  Le  comte  de  Soissons  saisit  le 
bras  de  l'assassin  et  dit  vivement  :  «  Voilà  le  meur- 
trier^ si  ce  n'est  lui,  c'est  moi.  » 

Ce  meurtrier  s'appelait  Jean  Châtel.  Il  était  fils  d'un 
marchand  de  drap  dont  la  boutique  faisait  face  au 
palais. 

Jean  Châtel  interrogé  se  décida  aux  révélations.  Il 
déclara  dans  le  cours  de  l'instruction  qu'il  était  élève 
des  jésuites.  Il  avait  étudié  leur  philosophie  au  collège 
de  Clermont ,  rue  Saint-Jacques.  Coupable  de  dé- 
bauches inouïes,  Châtel  se  croyait  voué  aux  peines 
éternelles.  Il  s'imaginait  devoir  être  plongé  avec 
l'Antéchrist  au  huitième  cercle  des  profondeurs  de 
Tenfer.  Il  voulut  tuer  le  roi ,  afin  de  remonter  de 
quatre  degrés  l'échelle  de  son  supphce  diabolique.  Il 
avait  appris  des  révérends  pères  que  cette  action  serait 
agréable  à  Dieu  et  à  rÉgHse.  Il  ne  se  repentait  pas. 

Le  parlement  condamna  Châtel,  par  sentence  du 
29  décembre ,  à  être  tenaillé,  mutilé  du  poing  droit, 
lié  par  les  deux  bras  et  les  deux  jambes  aux  queues 
d^jCjuatre  chevaux  sauvages,  et  démembré.  Le  même 
îfj;rêt^fii^qi^^|j^s Jésuites  comme  perturbateurs  du  re- 
pçp^,Ç)Ul;>l jf^3^cpi;ruptef|rs  de  la  jeunesse ,  ennemis  du 
roi  et  de  l'Etat.  - 


LIVRE  CLNQUANTE-SIXIÈME.  369 

L'assassin  fut  exécuté  aux  flambeaux,  sur  la  place 
de  Grève.  Ses  parents  furent  proscrits,  sa  maison 
rasée.  On  sema  de  sel  l'emplacement  et  on  y  éleva  une 
pyramide  d'infamie  où  fut  gravée  dans  la  pierre  la 
flétrissure  du  parlement  sur  le  régicide  Chàtel  et  sur 
les  jésuites  ses  maîtres. 

Quelques  jours  après,  le  bourreau  pendit  aussi  en 
Grève  le  père  Guignard,  chez  qui  on  trouva  des  pro- 
vocations écrites  au  meurtre  de  Henri  lY,  et  le  vicaire 
de  Saint-Nicolas  qui  s'était  écrié  en  brandissant  un 
poignard  :  «  Je  ferai  encore  un  coup  de  saint  Clé- 
ment. )) 

Les  tentatives  de  Barrière  et  de  Chàtel  ne  furent 
pas  les  seuls  crimes  où  trempèrent  les  mains  san- 
guinaires des  jésuites  et  de  Philippe  IL 

Henri  permit  au  parlement  de  réprimer  la  compa- 
gnie de  Jésus;  il  se  réserva,  lui,  de  défier  le  vieux 
tyran  de  TEscurial. 

Il  lui  adressa  une  déclaration  de  guerre.  Il  l'accusa 
hautement  de  tous  les  maux  de  la  France  et  de  plu- 
sieurs assassinats  dont  la  responsabiHté  devait  re- 
monter jusqu'à  lui.  Henri  lui  jetait  le  gant  fièrement. 
Cette  conduite  très-hardie  n'était  pas  moins  politique. 
Le  roi,  changeant  d'adversaire,  négligeait  le  faible  qui 
était  Mayenne  et  s'adressait  au  fort  qui  était  Phi- 
lippe IL  II  ne  comptait  plus  la  ligue.  Il  la  dépopula- 
risait de  plus  en  plus,  en  la  proclamant  l'auxiliaire 
de  l'Espagnol ,  si  elle  ne  se  ralliait  pas  à  l'autorité 
légitime. 

L'Europe  vit  dans  cette  audace  une  grandeur.  Henri 
profita  de  l'opinion  qui  le  soulevait.  Plus  il  était  un 


370  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTjÉ  RELIGIEUSE. 

héros,  plus  il  devenait  un  roi.  La  gloire  le  menait  à 
la  puissance. 

Ses  ennemis  étaient  les  mêmes.  Il  n'avait  pas  accru 
ses  dangers  -,  il  les  avait  diminués  plutôt  par  une  atti- 
tude plus  noble. 

Tout  en  ayant  l'air  de  dédaigner  Mayenne,  il  y  pen- 
sait sans  cesse.  Il  avait  déjà  vaincu  ou  gagné  bien  des 
ligueurs.  S'il  parvenait  à  conquérir  ^îayenne,  tout  se- 
rait bientôt  fini.  Le  prince  lorrain  était  le  chef  des  chefs. 
Lui  soumis,  qui  oserait  persévérer  dans  la  révolte  ? 

Henri  faisait  donc  beaucoup  de  bruit  de  TEspagne, 
mais  il  combinait  ses  eiforts  les  plus  prochains  contre 
Mayenne.  11  confia  le  soin  de  la  guerre  sur  les  fron- 
tières des  Pays  Pas  aux  ducs  de  Bouillon  et  de  Lon- 
gueville.  Lui,  attaqua  la  Franche-Comté,  pour  être, 
quand  il  le  voudrait,  au  cœur  de  la  Bourgogne,  la 
province  la  plus  chère  à.  Mayenne. 

Cette  province,  le  véritable  royaume  du  prince 
lorrain, s'en  allaiten  dissolution.  Les  villes  appelaient 
de  tous  leurs  vœux  Henri  IV.  Elles  se  rendaient  suc- 
cessivement au  maréchal  de  Biron.  Beaune,  Nuits, 
Autun  avaient  secoué  le  joug  de  la  hgue.  Dijon  même, 
la  capitale  de  la  province,  avait  introduit  Biron  dans 
ses  murs.  La  citadelle  et  le  fort  de  Talant  tenaient 
encore.  Le  maréchal  demandait  des  secours  au  roi, 
car  Mayenne  avait  joint'  don  Fernand  de  Velasco  et 
après  quelques  succès  en  Comté  essayait  d'entraîner 
ce  hautain  connétable  de  Castille  au  siège  de  Dijon. 
Velasco  restait  sourd  aux  instances  de  Mayenne.  Il 
était  encore  à  Gray,  lorsque  Henri  fit  son  entrée  à 
Dijon,  le  4  juin  Id9o. 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  37 1 

Il  groupa  son  infanterie  autour  de  la  citadelle  de 
la  ville  et  de  la  forteresse  de  Talant,  puis  il  tenta 
une  reconnaissance  jusqu'tà  Fontaine  -  Française. 
C'était  là  qu'il  avait  assigné  le  rendez-vous  à  ses  quinze 
cents  cavaliers  qui  devaient  arriver  par  détachements 
inégaux.  Fontaine-Française  est  à  cinq  lieues  de  Di- 
jon. Le  roi.  le  maréchal  de  Biron  et  le  marquis  de 
Mirebeau  précédèrent  les  troupes  avec  quelques  com- 
pagnies. Le  marquis  était  a  l  avant-garde.  Il  fut  re- 
jeté par  Tennemi  très-brusquement  et  se  replia.  Il 
avertit  le  roi  que  Mayenne  et  le  connétable  de  Cas- 
tille  étaient  là  avec  dix  raille  fantassins  et  deux  mille 
chevaux. 

Henri  ordonne  à  Biron  de  s'en  assurer.  Le  ma- 
réchal s'ébranle:  il  charge  trois  escadrons  qu'il  chasse 
devant  lui  jusqu'au  corps  d'armée  où  Mayenne  ex- 
horte Yelasco  à  lui  confier  cinq  compagnies  de 
chevau-légers  et  cinq  compagnies  d'arquebusiers.  Le 
connétable  de  Castille  ayant  consenti,  Mayenne  lance 
sur  Biron  Yillars-Houdan.  qui  ramène  le  maréchal  à 
son  point  de  départ.  Biron  blessé  à  la  tète  et  au  bas 
ventre  n'a  cédé  qu'au  nombre.  Quoique  inondé  de 
son  sang  et  de  celui  des  ennemis  ,  il  demeure  ferme 
sur  les  etriers. 

Le  roi  se  mêle  alors  au  combat.  Par  une  impru- 
dence magnanime,  il  néglige  de  demander  un  casque. 
Il  rassemble  les  fuyards,  les  harangue,  et,  suivi  d'une 
élite  de  noblesse,  il  fond  avec  deux  poignées  de  cava- 
lerie sur  les  escadrons  renouvelés  de  Mayenne.  Le 
duc  de  La  Trémouille  et  le  maréchal  de  Biron  le  se- 
condent. Henri  plein  de  présence  d'esprit  se  pré- 


37â  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

serve,  attaque  rennemi  et  protège  ses  serviteurs.  L'un 
de  ses  compagnons,  Gilbert  Filhet  de  la  Curée,  com- 
battait bravement  sur  un  mauvais  cheval  et  sous  une 
mauvaise  armure.  Il  allait  être  percé  d'une  lame  à 
travers  les  reins.  Le  roi,  trop  éloigné  pour  secourir 
son  intrépide  ami,  lui  crie  d'une  voix  forte  :  «  Garde 
à  toi,  la  Curée!  )>  Aussitôt  la  Curée  se  retourne  et 
donne  le  coup  mortel  au  lieu  de  le  recevoir.  11  y  eut 
une  émulation  d'héroïsme  dans  cette  journée  entre 
Henri  et  ses  lieutenants.  Aussi  la  déroute  des  esca- 
drons espagnols  s'accéléra.  Ils  sont  renversés  les  uns 
sur  les  autres,  et  malgré  la  supériorité  de  ses  troupes, 
malgré  les  suppHcations  de  Mayenne,  don  Fernandde 
Velasco  exécute  sa  retraite  sur  Gray. 

Henri  ne  fut  pas  seulement  courageux,  il  fut  témé- 
raire à  Fontaine -Française.  Il  écrivit  à  sa  sœur  : 
«  Vous  avez  été  bien  près  d'être  mon  héritière.  »  Il 
disait  :  «  A  Ivry  je  combattais  pour  la  victoire;  à 
Fontaine-Française,  j'ai  combattu  pour  la  vie.  » 

Don  Fernand  de  Yelasco  évita  toute  action  géné- 
rale. Il  laissa  le  roi  prendre  possession  de  la  Bourgo- 
gne sans  sortir  de  son  impassibilité.  Il  ne  restait  plus 
à  Mayenne,  danstoutel'étendue  de  son  gouvernement, 
que  la  ville  de  Chàlon-sur-Saône. 

Loin  de  pousser  au  désespoir  le  prince  lorrain, 
Henri  IV  lui  proposa  une  trêve,  lui  conseilla  de  se 
retirer  à  Chàlon  et  d'y  préparer  les  bases  d'un  traité. 
Mayenne  fut  aussi  touché  de  cette  bonté  de  Henri, 
qu'il  était  ulcéré  de  rabandon  et  des  hauteurs  du 
connélable  de  Caslille. 

La  soumission  de  Mayenne  dont  le  cœur  était  à 


LIVRE  ClNQaANTE-STXlÈME.  373 

moitié  séduit,  allait  être  facilitée  par  la  décision  de 
Rome.  Le  prince  lorrain  répétait  sans  cesse  :  «  Le 
jour  où  le  pape  absoudra  le  roi ,  de  prétendant  il  me 
fera  sujet.  »  Ce  jour  se  leva  enfin. 

Le  pape  Ciément  Vlll  eut  peur  du  schisme.  Les 
gallicans  avaient  agité  plusieurs  fois  la  question  d'un 
patriarche.  Henri  IV  d'ailleurs,  après  la  réduction  de 
tant  de  provinces  et  de  Paris,  après  tant  de  succès 
éclatants,  n'était  plus  un  aventurier.  Il  était  un  grand 
roi  et  Philippe  II  déclinait. 

Il  y  avait  à  Rome  un  agent  de  Henri  sans  caractère 
officiel.  Cet  agent,  depuis  cardinal,  l'habile  négocia- 
teur d'Ossat,  entretenait  les  terreurs  du  pape  sur  le 
schisme.  Duperron,  qui  fut  adjoint  à  d'Ossat,  au  mois 
de  juillet  lo9o,  Taida  de  son  mieux.  Il  était  homme 
de  bel  esprit  autant  que  son  collègue  était  homme  de 
bon  esprit.  Ils  ne  se  croisèrent  pas  les  bras.  Ils  agi- 
rent en  secret  sur  le  saint-père  et  sur  les  cardinaux. 
Ils  étaient  soutenus  par  l'ambassadeur  de  Venise,  par 
le  père  Baronius,  confesseur  du  pape,  et  parle  cardi- 
nal Toleto,  très-jésuite  dans  Tàme ,  très-disposé  à 
mériter  par  ses  services  la  réhabilitation  de  son  ordre 
dans  le  royaume  de  France. 

Le  pape,  décidé  à  réintégrer  Henri  IV  dans  la  com- 
munion de  l'Eglise,  réunit  le  sacré  collège  au  palais 
de  Monte-Cavallo.  Les  deux  tiers  des  cardinaux  con- 
clurent à  l'absolution  du  roi ,  et  le  pape  déclara  que 
cette  mesure  importait  au  bien  de  la  religion. 

Cette  absolution  fut  prononcée  solennellement  par 
Clément  VIII  dans  l'église  de  Saint-Pierre.  Duperron 
et  d'Ossat ,  à  genoux,  baisèrent  les  pieds  du  pape. 


374  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

L'absolution  donnée  à  Saint-Denis  par  les  prélats  gal- 
licans fut  déclarée  nulle.  Les  procureurs  de  Henri  IV, 
Duperron  et  d'Ossat,  toujours  à  genoux,  entonnèrent 
avec  les  chantres  le  Miserere,  et,  à  chaque  verset,  le 
pape  les  frappait  alternativement  de  la  verge  pontifi- 
cale. Clément  termina  la  cérémonie  par  une  seconde 
proclamation  de  l'absolution  du  roi.  Les  tambours 
battirent,  les  cloches  sonnèrent,  et  le  canon  du  châ- 
teau Saint-Ange  tonna.  Henri  IV  n'était  [)lus  le  roi 
huguenot,  le  roi  hérétique  5  il  était  le  roi  très-chré- 
tien. 

Le  Béarnais  voulait  le  succès  -,  il  l'eut.  Ni  sa  con- 
science, ni  son  honneur  ne  furent  ménagés,  mais  sa 
politique  triompha  au  prix  de  sa  dignité.  Ces  deux 
prêtres  humilièrent  sans  peine  le  roi  devant  le  pape, 
la  couronne  de  France  devant  la  tiare  romaine,  leur 
souverain  national  devant  leur  souverain  étranger; 
mais,  lui,  Henri  IV,  le  premier  gentilhomme  du 
monde,  le  libre  cavalier,  le  fils  de  Jeanne  d'Albret,  le 
disciple  de  Coligny,  le  prince  de  d'Aubigné  dut  bien 
souffrir. 

Non.  Il  était  blasé.  Il  avait  le  don  d'avaler  des  cou- 
leuvres. Cela  était  utile.  Henri  se  consola  donc  de  sa 
honte,  et  il  en  amorça  Mayenne. 

L'archiduc  Ernest,  l'un  des  prétendants  à  la  main 
de  l'infante  Isabelle  et  au  trône  de  France,  était 
mort,  le  20  février  1595,  gouverneur  des  Pays-Bas. 
Malgré  Tes  succès  du  comte  de  Fuentès,  qui  s'em- 
para du  Catelet,  de  Dnulens,  et  de  Cambray,  Mayenne 
consentit  à  un  traité  dont  l'absolution  du  roi  lui  fai- 
sait une  loi  et  que  Henri  IV  signa,  dans  le  mois  de 


UVRE  CINQUANTE- SIXIÈME.  375 

janvier  lo96,  au  château  de  Follembray ,  près  de 
Coucy. 

Trois  places  de  sûreté  :  Soissons,  Chalon-sur-Saône 
et  Seurre,  étaient  réservées  pour  plusieurs  années  à 
Mayenne.  Lui  et  ceux  de  la  ligue  qui  prêteraient  ser- 
ment de  fidélité  au  roi  dans  l'espace  de  six  semaines 
échapperaient  à  tout  édit,  à  tout  arrêt  défavorables, 
et  seraient  remis  en  possession  de  leurs  biens,  char- 
ges et  bénéfices.  Une  somme  énorme  de  treize  millions 
d'aujourd'hui  était  déplus  allouée  à  Mayenne  comme 
un  dédommagement  de  ses  dépenses  pour  les  néces- 
sités de  son  parti.  L'un  des  articles  secrets  du  traité 
accordait  en  outre  au  fils  aîné  du  prince  lorrain  le 
gouvernement  de  l'Ile-de-France,  moins  Paris. 

La  soumission  publique  de  Mayeime  est  du  31 
janvier  lo96.  Celle  des  ducs  de  Nemours,  de  Joyeuse 
et  d'Epernon  ne  tarda  point.  Marseille,  sous  la  domi- 
nation de  Casaux  et  de  Louis  d'Aix ,  tous  deux  de  la 
faction  desSeize,  fut  arrachée  àl'EspagneparLibertat, 
un  capitaine  originaire  de  Corse.  11  tua  Casaux,  chassa 
Louis  d"Aix,  et  les  partisans,  et  les  marins,  et  les  sol- 
dats de  Philippe  IL  II  restitua  la  grande  cité  pho- 
céenne à  Henri  IV.  Ce  prince,  qui  faisait  le  siège  de 
LaFère.  s'écria  en  recevant  cette  heureuse  nouvelle  : 
((  C'est  maintenant  que  je  suis  roi.  » 

Il  n'y  avait  plus  que  Mercœur  en  effet  qui  résistât 
au  fond  de  la  Bretagne.  Henri  partout  ailleurs  préva- 
lait. L'adhésion  de  Mayenne  avait  été  plus  qu'une 
adhésion  individuelle.  La  figue  s'était  écroulée  avec 
son  chef.  La  chute  d'un  rocher  entraîne  avec  efie  les 
nids  de  vautours  cachés  dans  ses  crevasses  de  granit. 


376  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Le  roi  s'échappait  quelquefois  du  siège  de  La  Fère 
et  allait  visiter  Gabrielle  à  Monceaux.  C'est  dans  un 
de  ces  séjours  chez  sa  maîtresse  qu'il  eut  sa  première 
entrevue  avec  Mayenne.  Le  duc  ne  trouva  pas  le  roi 
au  château.  Il  le  chercha  dans  les  jardins  et  ne  l'aborda 
que  dans  l'étoile  du  parc  où  le  Béarnais  se  promenait 
seul  avec  Rosny.  Mayenne  fléchit  jusqu'à  terre,  ac- 
cola tout  ému  la  cuisse  du  roi  avec  des  expressions 
d'aff*ectueuse  fidélité.  Henri  releva  le  duc,  l'embrassa, 
lui  prit  la  main  qu'il  serra  vivement,  tandis  que 
Mayenne  le  remerciait  de  l'avoir  délivré  de  l'arro- 
gance espagnole  et  de  la  ruse  italienne. 

Henri  tout  joyeux  continua  sa  promenade,  s'ani- 
mant  et  montrant  à  Mayenne  les  embeUissements 
qu'il  avait  déjà  faits  à  son  parc,  l'entretenant  de  ceux 
qu'il  méditait  encore.  Le  soleil  était  chaud  et  le  roi 
marchait  en  leste  Béarnais.  Le  duc,  d'une  complexion 
très-massive ,  était  tout  essoufflé  et  suait  à  grosses 
gouttes.  Tout  à  coup  le  roi  s'arrête  et  se  tournant 
vers  Mayenne  :  —  Mon  cousin,  dit-il,  avouez-le,  je 
vous  surmène.  —  Sire,  je  n'en  puis  plus ,  répondit  le 
duc.  —  Touchez  là,  mon  cousin,  repartit  le  roi  de 
belle  humeur,  car,  vive  Dieu,  je  ne  tirerai  pas  de 
vous  d'autre  vengeance,  Mayenne  saisit  à  son  tour 
la  main  que  lui  tendait  Henri ,  la  pressa  respectueu- 
sement et  dit  :  «  Désormais,  sire,  je  suis  pour  vous, 
même  contre  mes  propres  enfants.  —  Or  sus,  je  le 
crois,  lui  dit  Henri,  et  afin  que  vous  me  puissiez  ser- 
vir plus  longtemps,  allez  vous  reposer  au  château  et 
vous  rafraîchir.  Vous  en  avez  besoin.  Je  vais  vous 
envoyer  deux  bouteilles  de  vin  d'Arbois  ,  car  je  sais 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  377 

Lien  que  vous  ne  le  haïssez  pas.  Yoilà  Rosny,  que  je 
vous  baille  pour  vous  accompagner,  vous  faire  leshon^ 
neursde  Monceaux  et  vous  conduire  à  votre  chambre. 
C'est  un  de  mes  plus  anciens  serviteurs  et  l'un  de 
ceux  qui  ont  senti  le  plus  de  joie  que  vous  voulez 
m'aimer  de  bon  cœur.  » 

Mayenne,  pénétré  de  la  bienveillance  du  roi,  dit  à 
Rosny  :  «  C'est  ici  qu'il  a  achevé  de  me  vaincre,  m 

La  maison  de  Guise  abdiqua  dans  cette  promenade 
familière  et  cordiale  de  Mayenne  et  de  Henri  IV  à 
travers  le  parc  de  Monceaux. 

L'héroïsme  apparaît  sous  deux  formes  et  revêt  deux 
caractères  dans  l'histoire  des  hommes.  Tantôt  grave, 
viril,  réfléchi,  il  impose  et  subjugue  par  une  force 
qui  lui  est  propre  -,  tantôt  léger,  insinuant,  aventu- 
reux,  il  charme,  fascine  par  la  grâce. 

C'est  à  la  première  classe  de  héros  qu'appartien- 
nent les  Guise ,  jusqu'à  Henri  H  de  Lorraine,  cin- 
quième duc  de  Guise,  prince  digne  encore  de  ses 
aïeux,  plus  grand  que  ses  descendants,  aussi  extraor- 
dinaire qu'aucun  de  sa  race,  venu  tard,  à  un  moment 
où  le  roman  succède  à  l'histoire  dans  sa  maison,  l'in- 
trigue individuelle  à  la  politique  générale,  les  duels 
aux  batailles,  l'épée  au  canon. 

A  l'époque  où  le  second  Balafré  expira  dans  le  guet- 
apens  du  château  deBlois,  sous  les  coups  mercenaires 
d'une  servilité  d'antichambre  exaltée  par  une  peur 
royale,  la  lignée  des  grands  Guise  allait  finir.  Elle 
continua  cependant  encore  dans  Mayenne  qui  porta 
nonchalamment  le  nom  et  le  rôle  immenses  qui  lui 
avaient  été  transmis  parle  duc  Claude,  ce  vieux  Phi- 


378  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

lippe  lorrain,  père  de  toute  une  famille  d'Alexandres 
catholiques,  par  François  de  Guise,  le  génie  et  la  vertu 
de  tous  ces  courages  dont  Henri  le  Balafré  fut  la 
popularité  et  dont  Mayenne  fut  la  temporisation. 

Mayenne,  général  et  diplomate,  bien  qu'il  n  eût  pas 
le  prestige  éclatant  de  son  père  et  de  son  frère ,  eut 
ccj3endant  la  même  trempe  qu'eux.  Il  eut  cette  sin- 
gulière fortune  de  tomber  mieux  que  ne  s'éleva  son 
adversaire  gascon  et  chevaleresque.  Vaincus  dans 
leur  ambition,  les  princes  lorrains  furent  victorieux 
tdans  leurs  principes.  Ils  ne  purent  ceindre  la  cou- 
ronne, majs  ils  parvinrent  à  enraciner  la  croix  plus 
profondément  dans  le  sol  de  la  France  et  Henri  lY  ne 
prévalut  sur  eux  que  par  une  apostasie. 

Dès  lors  les  Guise,  ayant  affermi  et  fondé  une  se- 
conde fois,  pour  ainsi j parler,  le  catholicisme,  n'eu- 
rent plus  ni  peuple,  ni  forum,  ni  armée.  l  eur  grande 
tâche  étant  terminée,  ils  rentrèrent,  en  conservant 
l'originalité  de  leur  nature,  dans  la  vie  ordinaire  des 
princes.  Leur  destinée  cessa  d'être  générale  et  perma^ 
nente  *,  ils  n'eurent  plus  qu'une  destinée  individuelle. 

Les  fils  et  les  pelits-lils  du  Balafré  accomplirent 
cette  ère  nouvelle  et  amoindrie  de  leur  maison. 

Le  plus  illustre  d'entre  eux,  le  brillant  conquérant 
de  Naples,  si  populaire,  que  les  lazzaroni  brûlaient 
de  l'encens  au  nez  de  son  cheval,  présenta  lui-même 
un  immense  contraste  avec  ses  grands  aïeux.  Ce  qu'ils 
eurent  en  gloire,  il  l'eut  en  aventure.  Il  leur  ressem- 
bla comme  une  émeute  ressemble  à  une  révolution, 
comme  la  Fronde  ressemble  à  la  Ligue. 

Après  le  triomphe  de  Henri  IV,  la  nécessité  de  la 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  379 

royauté  fut  d'absorber,  de  décapiter,  d'éteindre  l'aris- 
tocratie, fleuri  lY  y  prodigua  ses  largesses,  ses  roue- 
ries, ses  duplicités,  son  bon  cœur,  son  intarissable 
esprit  et  sa  droite  raison. 

Le  roi,  non  moins  content  de  Mayenne  que  Mayenne 
du  roi,  reparut  au  siège  de  La  Fère  avec  le  prince 
lorrain.  C'était  d'un  mauvais  présage  pour  Phi- 
lippe II. 

D'Aubigné  aussi  vint  à  ce  siège.  Il  arriva  à  Cbauny,. 
puis  à  Traversy,  devant  La  Fère. 

Henri  était,  disait-on,  exaspéré  contre  d'Aubigné. 
D'Aubigné  avait  blâmé  hautement  l'abjuration.  Il 
avait  pris  une  attitude  hostile  dans  les  synodes  pro- 
testants. Le  roi  ,  assurait-on  ,  avait  juré  en  pleine 
table  que  la  mort  lui  ferait  justice  de  ce  séditieux. 
Pour  toute  réponse  à  ces  bruits,  d'Aubigné  ne  se 
justifia  pas,  il  se  présenta. 

((  Estant  arrivé,  écrit-il,  au  logis  de  la  duchesse  de 
Beaufort,  où  on  attendait  le  roy,  deux  gentilshommes 
de  marque  le  prièrent  affectueusement  de  remonter 
à  cheval  pour  la  fureur  où  le  roy  était  contre  luy.  Et 
de  fait,  il  entendit  quelques  gentilshommes  disputant 
si  on  le  mettrait  aux  mains  d'un  capitaine  des  gardes 
ou  du  prévost  de  l'hôtel.  Luy,  se  plaça,  le  soir,  entre 
les  flauibeaux  allumés  pour  le  roy,  et  comme  le  car- 
rosse passa  au  perron  de  la  maison,  il  ouït  la  voix  du 
roy  disant  :  «  Yoilà  monseigneur  d'Aubigné.  »  Mais 
que  cette  seigneurie  ne  luy  fut  guères  de  bon  goût  î 
Il  s'avança  à  la  descente-,  le  roy  luy  mit  sa  joue  contre 
la  sienne,  luy  commanda  d'ayder  à  sa  maîtresse  (Ga- 
briellej ,  la  Ijtdèmasquer  pour  le  saluer,  et  on  oyoit  dire 


380  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

aux  compagnons  :  «  Est-ce  là  leprévostde  l'hôtel?  »  Le 
roy  donc,  ayant  défendu  d'estre  suivy,  fit  entrer  d' Au- 
bigné  seul  avec  sa  maîtresse  et  sa  sœur  Juliette  d'Es- 
trées.  Il  le  fit  promener  entre  la  duchesse  et  luy  plus 
de  deux  heures,  et  fut  là  où  se  dit  un  mot  qui  a  tant 
couru.  Car,  comme  le  roy  monstrait  au  flambeau  sa 
lesvre  percée  (par  Chàtel),  il  souffrit  et  ne  prit  point 
en  mauvaise  part  ces  paroles  :  «  Sire,  vous  n'avez 
«  encore  renoncé  Dieu  que  des  lesvres,  il  s'est  con- 
«  tenté  de  les  percer^  mais  quand  vous  renoncerez 
«  du  cœur,  il  percera  le  cœur.  » 

Mâles  et  belles  paroles,  bien  dignes  de  celui  qui 
les  prononça  sans  crainte  et  de  celui  qui  les  écouta 
sans  colère  !  la  vérité  est  le  premier  privilège  de  Va- 
mitié.  Le  secret  de  l'amitié,  c'est  de  joindre  les 
grandes  âmes  sans  les  abolir,  c'est  de  mêler  les  ten- 
dresses sans  absorber  les  énergies,  c'est  de  laisser 
distinctes  par  la  morale  ces  âmes  supérieures  tout  en 
les  faisant  unes  par  l'embrassement  sacré ,  de  telle 
sorte  que  l'ami  soit  dévoué  à  son  ami,  qu'il  lui  sacri- 
fie tout,  ses  biens,  ses  goûts,  ses  passions,  sa  vie 
môme,  tout  excepté  sa  probité,  excepté  son  Dieu. 

D'Aubigné  était  de  ces  amis-là.  Il  eût  tout  immolé 
à  Henri  lY.  Il  réserva  seulement  deux  choses  qui  n'é- 
taient pas  à  lui  et  dont  il  ne  pouvait  pas  disposer  : 
son  honneur  et  sa  foi  religieuse. 

A  l'époque  où  nous  sommes,  à  ce  siège  de  LaFère, 
d'Aubigné  était  écrasé  sous  une  douleur  profonde, 
que  le  danger  distrayait  par  moments  et  quiela  prière 
seule  consolait  un  peu. 

Il  était  en  deuil  de  la  femme  de  sa  jeunesse,  de 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  381 

cette  belle  Suzanne  de  Lezay  qui  l'avait ,  dès  la  pre- 
mière rencontre,  embrasé  d'amour.  Il  y  avait  de  cela 
dix-neuf  ans.  C'était  en  lo77.  D'Aubigné,  blessé  de 
l'ingratitude  du  roi  de  >'avarre ,  avait  résolu  de  le 
quitter,  de  vendre  son  bien  de  Poitou  et  de  s'enrôler 
sous  la  bannière  de  l'allié  des  huguenots,  le  prince 
Jean-Casimir  de  Bavière.  L'écuyer  du  Béarnais,  cou- 
vant ce  sombre  projet  d'exil  volontaire,  passait  à  che- 
val dans  une  rue  de  Saint-Gelays,  lorsqu'il  aperçut  à 
un  balcon  une  belle  jeune  fille  grave  et  modeste. 
Cette  jeune  fille  était  Suzanne  de  Lezay.  D'Aubigné 
l'aima  et  en  fut  aimé.  Il  ne  songea  plus  à  s'expatrier, 
se  raccommoda  avec  son  maître  ,  le  roi  de  Psavarre, 
et  épousa  celle  qui  l'avait  subjugué  d'un  regard. 

Elle  lui  donna  dix-neuf  ans  de  bonheur  et  mourut 
quelques  mois  avant  le  siège  de  La  Fère.  D'Aubigné 
demeura  plongé  dans  un  désespoir  d'abord  muet, 
puis  rugissant  et  gémissant  tour  à  tour. 

De  toutes  les  explosions  de  ce  désespoir  formida- 
ble, qui,  pendant  trois  ans,  ne  dormit  guère  de  nuits 
sans  pleurer  au  réveil,  la  plus  attendrissante  peut-être 
est  une  méditation  sur  le  psaume  lxxxviii. 

«           Mon  Dieu,  s'écrie  d'Aubigné,  tu  m'avois 

desja  séparé  de  mes  amys  et  voisins  et  rendu  exécra- 
ble vers  eux.  Tu  m'avois  déraciné  mon  habitation 
hors  le  doux  air  de  ma  naissance.  Tu  m'avois  osté  des 
lieux  aux  commodités  et  plaisirs  desquels  le  labeur 
de  ma  jeunesse  s'étoit  employé-,  tu  m'avois  sevré  du 
lait  et  des  mamelles  de  ma  chère  patrie;  tu  m'avois 
fait  quitter  mes  parents  et  cognoissancés  privées  pour 
te  suivre  et  porter  ma  croix  après  toi,  quand  tu  as 


382  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

descoché  sur  moy  de  tes  punitions  la  plus  destrui- 
sante  et  irréparable. 

«  Tu  ne  m'as  point  blessé  aux  extrémités  et  mem- 
bres qui,  retranchés,  laissent  le  reste  traîner  quelque 
misérable  vie,  mais  tu  m'as  scié  parla  moitié  de  moi- 
mesme^  tu  as  fendu  mon  cœur  en  deux  et  dissipé 
mes  entrailles  en  arrachant  de  mon  sein  ma  fidèle , 
très-aimée  et  très-chère  moitié;  laquelle,  comme  gé- 
nie de  mon  âme,  m'exhortoit  au  bien,  me  retiroit 
du  mal,  arrestoit  mes  violences,  mes  afflictions,  te- 
noit  la  bride  à  mes  pensées  déréglées,  et  donnoit 
Tesperon  aux  désirs  de  m'employer  à  la  cause  de 
la  vérité. 

((  Nous  allions  unis  à  ta  maison,  et  de  la  noslre, 
voire  de  la  chambre  et  du  lict,  faisions  un  temple  à 
ta  louange. 

«  Depuis,  je  marche  comme  un  fantôme  parmi  les 

vivants  Je  n'ay  plus  de  paroles  assez  puissantes  à 

l'expression  de  mes  misères.  Seigneur,  tu  les  cognois, 
puisqu'elles  sont  de  ta  main.  Je  demeure  abyuié  en 
mes  angoisses,  les  genoux  à  terre,  mes  soupirs  et 
mes  yeux  au  ciel,  mon  cœur  à  toi^  relève-le,  Sei- 
gneur, en  l'espérance  de  ton  salut.  » 

Voilà  comment  ces  grands  caractères  du  seizième 
siècle  acceptaient  la  douleur.  Ils  pliaient  sous  ce 
poids  infini  jusqu'à  tomber,  mais  ce  n'était  pas  l'ar- 
gile qu'ils  touchaient,  c'était  le  sein  de  Dieu.  Loin 
de  murmurer  puérilement,  ils  adoraient.  Or  la  moiu 
dre  prière  vaut  mieux  que  le  plus  éloquent  blas- 
phème, fût-il  le  blasphème  de  Job.  Ces  forts,  ces  hé- 
ros accablés,  ressuscitaient  ainsi  dans  le  Dieu  éternel 


Livre  cinquante-sixième.  383 

par  un  cri  de  leur  poitrine.  Ils  eurent  quelque  chose 
de  plus  que  l'inspiration,  ils  eurent  la  Foi,  et  voilà 
pourquoi  je  les  admire,  je  les  vénère  à  jamais. 

D'Aubigné  fut  l'un  d'entre  eux.  Il  mérite  d'être 
nommé  avec  Jeanne  d'Albret,  L'Hôpital  et  Coligny. 

D'Aubigné ,  dans  une  page  très-ultérieure  de  ses 
histoires,  exprime  admirablement  ses  rapports  avec 
Henri  IV. 

((  Nourri  aux  pieds  de  mon  roi  desquels  je  faisois 
mon  chevet  en  toutes  les  saisons  de  ses  travaux^ 
quelque  temps  eslevé  en  son  sein  et  sans  émule 
en  privauté-,  et  lors  plein  des  franchises  et  sévéritez 
de  mon  village-,  quelquefois  esloigné  de  sa  faveur  et 
de  sa  cour,  et  lors  si  ferme  en  mes  fidélitez,  que 
mesme  dans  ma  disgrâce,  il  m'a  fié  ses  plus  dange- 
reux secrets,  j'ai  reçu  de  luy  autant  de  biens  qu'il 
m'en  falloit  pour  durer  et  non  pour  grandir.  Et  quand 
je  me  suis  vu  croisé  par  mes  inférieurs  et  par  ceux 
mêmes  qui  sous  mon  nom  étoient  entrés  à  son  ser- 
vice, je  me  suis  payé  en  disant  :  c<  Eux  et  moi  avons 
«  bien  servi  ^  eux  à  la  fantaisie  du  maître  et  moy  à  la 
«  mienne,  qui  me  tient  lieu  de  contentement.  » 

D'Aubigné  eut  la  bonne  part.  11  ne  fut  ni  valet,  ni 
flatteur.  Henri  IV  eut,  malgré  sa  finesse,  la  naïveté  de 
se  croire  quitte  envers  son  grand  compagnon.  Insou- 
cieux de  n'avoir  pas  été  deviné,  trop  fier  pour  se 
plaindre,  d'Aubigné,  sans  cesser  d'être  dévoué,  se 
vengea  des  négligences  de  Henri  par  une  gloire  per- 
sonnelle qu'il  dut  à  son  génie  et  qu'aucun  roi  ne 
pouvait  lui  donner.  C'est  ainsi  qu'il  faut  être  ami 
avec  ses  amis  tout-puissants. 


384  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  REUGIEUSE. 

Au  siège  de  La  Fère ,  ce  qui  ajoutait  à  la  sublimité 
de  d'Aubigné,  c'était  son  infortune. 

L'abjuration  de  son  maître  et  de  son  ami  Henri  IV 
l'avait  navré.  La  mort  de  sa  femme  le  dévasta.  L'igno- 
minie de  son  fils,  un  faux  gentilhomme,  un  faux 
monnayeur,  qui  trafiqua,  au  milieu  des  abjections, 
du  nom  paternel,  l'humilia  jusqu'aux  rougeurs  du 
visage,  jusqu'aux  sanglots  de  l'affection  profanée.  Il 
avait  mis  en  ce  fils  toutes  ses  complaisances.  Il  au- 
rait voulu  le  bénir  à  toute  heure,  et,  après  plusieurs 
pardons  magnanimes,  il  fut  forcé  de  le  maudire. 
Heureusement,  tout  Voyant  qu'il  était,  ce  pathétique 
d'Aubigné,  il  ne  devina  pas  que  sa  petite-fille,  la 
femme  clandestine  de  Louis  XIV,  arracherait  les  en- 
fants aux  familles  calvinistes  pour  les  faire  d'une  au- 
tre rehgion  que  celle  de  leurs  mères.  Cruelle  ironie 
de  l'avenir!  Ce  ne  fut  pas  seulement  le  roi  de  d'Au- 
bigné qui  fut  apostat.  Ce  roi  du  moins  va  stipuler 
dans  un  édit  les  droits  de  la  conscience  humaine. 
Ce  sera  la  petite-fille  de  Théodore-Agrippa  d'Aubi- 
gné qui  révoquera  l'édit  de  ce  roi,  qui  livrera  au 
massacre,  à  la  ruine,  à  l'exil,  ces  huguenots  que  son 
grand  ancêtre  avait  protégés  de  son  épée,  de  ses  con- 
victions et  de  sa  gloire  ! 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'Aubigné  en  deuil  m'a  semblé 
un  des  épisodes  les  plus  tragiques  du  siège  de  La  Fère. 

Il  continua  ce  siège  sous  la  direction  du  roi.  Dans 
Tordre  de  la  politique,  Henri  IV  était  aussi  malheu- 
reux que  d'Aubigné  dans  l'ordre  du  sentiment. 

Le  roi  souffrait  profondément  de  la  dilapidation  de 
ses  finances.  Cette  dilapidation  était  au  comble.  Elle 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  385 

s'accroissait  chaque  jour.  A  la  mort  de  François  d'O 
(1594),  le  plus  effronté  voleur  qui  fut  jamais,  la  dette 
publique  s'élevait  à  trois  cent  cinquante  millions  du 
temps,  plus  d'un  milliard  d'aujourd'hui.  Les  traités 
avec  les  chefs  de  la  ligue  avaient  creusé  le  gouffre. 
Les  concussions  des  douze  conseillers  qui  rempla- 
cèrent le  surintendant  augmentèrent  dans  des  pro- 
portions eff*rayantes  la  ruine  du  trésor. 

Henri  IV,  dès  1595,  nomma  Rosny  surveillant  et 
solliciteur  auprès  du  conseil  des  finances.  Mais  les 
attributions  de  cette  charge  étaient  à  peu  près  res- 
treintes aux  approvisionnements  de  l'armée  que  le 
roi  commandait  en  personne  au  siège  de  La  Fère. 
D'ailleurs  tout  était  obstacle  à  Rosny  contre  lequel 
se  déchaînèrent  les  haines,  les  mépris,  les  fureurs  de 
tout  ce  qui  vivait  des  profusions  et  des  rapines,  c'est- 
à-dire  de  la  cour  presque  entière. 

Néanmoins  cet  homme  intègre  n'était  pas  sans  une 
certaine  autorité  et  c'est  à  lui  que  Henri  avait  recours. 

Le  6  mars  1596,  il  lui  écrivait  : 

c<  Si  je  ne  suis  secouru  d'argent  bientôt  pour  payer 
les  dépenses  que  je  vous  ay  mandées,  je  me  trouve- 
ray  en  une  très-grande  peine.  Car  les  Suisses  de  Dies- 
bach  se  dispersent ,  nos  ouvrages  demeurent  et  ma 
cavalerie  ne  peut  subsister.  » 

Le  8  mars  le  roi  écrit  de  nouveau  à  Rosny  : 

u  Les  treize  mille  écus  que  vous  m'avez  envoyez 
sont  arrivés  sûrement  et  très  à  propos  pour  conten- 
ter notre  cavalerie  qui  étoit  à  la  faim ,  et  retenir  nos 
Suisses  qui  se  vouloient  débander,  comme  pour  con- 
tinuer nos  ouvrages.  » 

IV.  33 


386  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Le  21  mars,  Henri  écrit  encore  à  Rosny  : 

»  Les  villes  de  la  frontière  de  Picardie  sont  en 
très-mauvais  estât,  parce  que  Ton  n'emploie  rien  aux 
fortifications,  et  que  les  gens  de  guerre,  tant  de  che- 
val que  de  pied,  ne  sont  pas  payés-,  de  sorte  que  les 
soldats  quittent  leurs  gardes  et  leurs  compagnies, 
lesquelles  sont  desja  si  foibles,  qu'il  y  en  a  plusieurs 
où  il  n'y  a  pas  vingt-cinq  et  trente  hommes  au  lieu 
de  cent  dont  elles  doivent  être  composées.  Je  crains 
qu'il  en  arrive  inconvénient  j  et  pareillement  de  celles 
de  Champagne  qui  sont  en  plus  mauvais  estât.  Par- 
tant je  vous  prye  de  faire  délivrer  au  trésor  la  solde 
des  garnisons.  » 

Le  15  avril,  le  roi  écrit  toujours  à  Rosny. 

u  Je  vous  jure  avec  vérité  que  toutes  les  traverses 
que  j'ay  subies  jusqu'ici  ne  m'ont  pas  tant  affligé  et 
dépité  l'esprit  que  je  me  trouve  maintenant  chagrin  et 
ennuyé  de  me  voir  en  de  continuelles  contradictions 
avec  mes  plus  autorisez  serviteurs,  officiers  et  con- 
seillers d'État,  lorsque  je  veux  entreprendre  quelque 
chose  digne  d'un  généreux  courage  et  de  ma  nais- 
sance et  quahté,  à  dessein  d'eslever  mon  honneur, 
ma  gloire  et  ma  fortune,  et  celle  de  toute  la  France, 
au  suprême  degré  que  je  me  suis  toujours  proposé. 
Ayant  écrit  cà  ceux  de  mon  conseil  des  finances 
comme  j'avais  un  dessein  d'extrême  importance  en 
main ,  où  j'avais  besoin  qu'il  me  fût  fait  un  fonds  de 
huit  cent  mille  écus,  et  partant  les  priois  et  conju- 
rois,  par  leurs  loyautés  et  sincères  affections  envers 
moy  et  la  France ,  de  travailler  en  diligence  au  re- 
couvrement de  cette  somme ,  toutes  leurs  réponses , 


LI\TIE  CINQUANTE-SIXIÈME.  387 

après  plusieurs  remises,  excuses  et  raisons  pleines 
de  discours  embarrassés  dont  les  uns  détruisoient  les 
autres,  n'ont  eu  finalement  autre  conclusion  que  des 
représentations  de  diflicultez  et  impossibilitez.  Ils 
n'ont  pas  craint  de  me  mander  que  tant  s'en  falloit 
qu'ils  me  pussent  fournir  une  si  notable  somme, 
qu'ils  se  tronvoient  bien  empescbez  à  recouvrer  les 
fonds  pour  faire  rouler  ma  maison.  Cela  m'afflige  in- 
tiniment,  voire  me  porte  quasi  au  désespoir,  et  m'ai- 
grit de  sorte  l'esprit  contre  eux,  que  cela  m'a  fait  ab- 
solument jeter  les  yeux  sur  vous. 

«  On  m'a  donne  pour  certain  et  s'est-on  fait  fort  de 
le  vérifier,  que  ces  personnes  que  j'ai  mises  en  mes 
finances  ont  bien  encore  fait  pis  que  leurs  devanciers, 
et  qu'en  l'année  dernière  et  la  présente,  que  j'ai  eu 
tant  d'affaires  sur  les  bras  faute  d'argent,  ces  mes- 
sieurs-là, et  cette  effrénée  quantité  d'intendants  qui 
se  sont  fourrés  avec  eux  par  compère  et  par  commère, 
ont  bien  augmenté  les  grivelées,  et  mangeant  le  co- 
cbon  ensemble,  ont  consommé  plus  de  quinze  cent 
mille  écus  qui  estoient  somme  suffisante  pour  chasser 
l'Espagnol  de  France,  en  payement  des  vieilles  dettes 
par  eux  prétendues.  Je  vous  veux  bien  dire  l'estat  où 
je  me  trouve  réduit,  qui  est  tel.  que  je  suis  fort  proche 
des  ennemis ,  et  n'ay  quasi  pas  un  cheval  sur  lequel 
je  puisse  combattre,  ni  un  harnois  complet  que  je 
puisse  endosser:  mes  chemises  sont  toutes  déchirées, 
mes  pourpoints  troués  au  coude  ;  ma  marmite  est 
souvent  renversée  et  depuis  deux  jours  je  dîne  et  je 
soupe  chez  les  uns  et  les  autres,  mes  pourvoyeurs 
disant  n'avoir  plus  moyen  de  rien  fournir  pour  ma 


388 


HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 


table,  d'autant  qu'il  y  a  plus  de  six  mois  qu'ils  n'ont 
reçu  d'argent.  Partant  jugez  si  je  mérite  d'être  ainsi 
traité,  si  je  dois  plus  longtemps  souffrir  que  les  fi- 
nanciers et  trésoriers  me  fassent  mourir  de  faim,  et 
qu'eux  tiennent  des  tables  friandes  et  bien  servies; 
que  ma  maison  soit  pleine  de  nécessitez,  et  les  leurs 
de  richesse  et  d'opulence  ,  et  si  vous  n'estes  pas 
obligé  de  me  venir  assister  loyalement  comme  je 
vous  en  prie.  » 

Au  milieu  d'une  telle  détresse,  Henri  lY  n'avan- 
çait guère  le  siège  auquel  cependant  il  s'obstinait. 

De  Rosne,  le  plus  habile  et  le  plus  audacieux  des 
généraux  ligueurs  ralliés  à  l'Espagne  ,  profita  des 
tristes  conjonctures  où  était  le  roi  pour  envahir  la 
Picardie  maritime,  de  l'aveu  du  cardinal  Albert,  qui 
avait  succédé  à  son  frère,  l'archiduc  Ernest,  dans  le 
gouvernement  des  Pays-Bas.  De  Rosne  prit  Calais, 
Guines,  Ardres,  malgré  les  efforts  de  Henri  qui  avait 
quitté  vainement  La  Fère  pour  s'opposer  aux  progrès 
des  troupes  espagnoles  et  qui  revint  sans  succès  à  son 
lent  blocus.  Il  s'acharna  sur  cette  place  de  La  Fère 
que  la  famine  réduisit  sans  son  assistance,  le  22  mai 
1596. 

Le  roi  conclut  ensuite  un  traité  d'alliance  avec 
l'Angleterre  et  la  Hollande.  Le  comte  d'Essex,  à  la 
tête  d'une  escadre  britannique  et  d'une  escadre  néer- 
landaise s'empara  de  Cadix ,  la  pilla  et  la  saccagea. 
Revanche  terrible  des  menaces  de  l'Armada!  Sous  le 
coup  de  ce  désastre,  Philippe  II  fit  une  banqueroute 
énorme  et  se  perdit  de  crédit  autant  que  d'honneur. 

De  Rosne  fut  tué,  cette  année,  devant  Hulst,  dans 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  3S9 

les  Pays-Bas.  Après  le  duc  de  Parme ,  c'était  le  plus 
redoutable  adversaire  qu'eût  rencontré  Henri  IV. 

Le  roi  avait  dissipé  la  ligue,  battu  ses  généraux, 
conquis  ses  places,  acheté  ses  chefs.  Il  avait  réduit 
Mayenne,  une  sorte  de  monarque,  à  la  condition 
de  sujet.  En  plus  d'une  rencontre,  il  avait  dispersé 
pèle-mêle  les  Espagnols  avec  les  ligueurs  et  les 
Seize. 

C'étaient  de  grands  résultats.  Mais  le  roi  avait  une 
plus  haute  ambition.  Au  delà  de  ce  qu'il  avait  fait  il 
comprenait  ce  qu'il  lui  restait  à  faire.  Son  esprit  je- 
tait plus  d'étincelles,  son  courage  avait  plus  de  feu, 
sa  politique  plus  de  sagesse,  sa  diplomatie  plus  de 
séduction,  à  mesure  qu'il  s'approchait  des  grands 
buts  de  sa  vie  :  la  pacification  de  la  France,  la  toute- 
puissance  de  la  monarchie,  la  réconciliation  des  pro- 
testants et  des  catholiques  sous  le  sceptre  du  droit. 
Henri  redoublait  d'activité  devant  les  difficultés  re- 
naissantes. Il  dévorait  l'espace  et  le  temps.  Il  cher- 
chait des  hommes  capables  de  le  seconder.  Il  voulait 
à  tout  prix  achever  de  vaincre  l'anarchie  en  châtiant 
le  duc  de  Mercœur;  il  voulait  définitivement  chasser 
les  bandes  de  Philippe  II  hors  du  royaume  et  y  rete- 
nir les  calvinistes  sous  la  protection  de  la  loi. 

Pour  réussir  dans  ces  vastes  plans,  il  fallait  d'abord 
sortir  de  ce  coupe-gorge  des  finances  où  le  roi  et  la 
patrie  étaient  en  péril  de  mort. 

Henri  convoqua  une  assemblée  de  notables  à  Rouen. 
Ces  notables  ne  furent  pas  choisis  par  le  roi ,  ils  fu- 
rent élus  par  les  ordres  qu'ils  représentaient. 

Le  Béarnais,  en  attendant,  donna  des  missions  à 


390  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

plusieurs  de  ses  conseillers.  Il  leur  commanda  de 
parcourir  les  provinces  et  d'examiner  partout  les 
comptes  des  trésoriers  et  contrôleurs.  Piosny  fit  une 
tournée  (1 596)  dans  quatre  généralités.  Il  trouva  mille 
pièges  dressés  sous  ses  pas.  Les  employés  étaient 
avertis  par  leurs  supérieurs  et  conviés  formellement 
à  dépister  Rosny.  Mais  le  terrible  homme  devina  tout 
et  déjoua  tout.  Il  répondit  à  la  ruse  par  la  terreur.  Il 
suspendit  les  faibles,  destitua  les  fourbes,  incarcéra 
les  fripons,  exigea  les  remboursements  dus  à  l'Etat, 
et,  dans  les  seules  limites  de  quatre  généralités,  il 
recueillit  cinq  millions  et  demi  d'aujourd'hui.  Cette 
somme  considérable,  dont  Henri  IV  avait  un  besoin 
pressant,  Rosny  la  fit  charger  sur  soixante-dix  char- 
rettes et  les  introduisit  sous  bonne  escorte  dans  la 
ville  de  Rouen.  Y  eut-il  jamais  plus  triomphale  et 
plus  prophétique  entrée  de  surintendant  des  finances? 
Le  doigt  de  Dieu  et  le  doigt  du  roi  étaient  sur  Rosny 
pour  ces  fonctions  vraiment  providentielles,  puisque 
le  salut  du  royaume  s'y  rattachait  infailhblement, 

Les  notables  étant  arrivés  à  Rouen,  où  était  déjà 
le  roi,  il  les  inaugura  le  4  novembre  1596,  dans  la 
grande  salle  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen,  par  ce  dis- 
cours digne  de  la  postérité  : 

«  Sije  voulois,  dit-il,  acquérir  le  titre  d'orateur, 
j'aurois  appris  quelque  belle  et  longue  harangue  et  je 
vous  la  prononcerois  avec  assez  de  gravité.  Mais, 
messieurs,  mon  désir  me  pousse  à  deux  plus  glorieux 
titres,  qui  sont  d'être  libérateur  et  restaurateur  de 
cet  Estât.  Pour  à  quoy  parvenir  je  vous  ai  assem- 
blés. Vous  savez  à  vos  dépens,  comme  nioi  aux  miens. 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIEME.  391 

que  lorsque  Dieu  m'a  promu  à  cette  couronne,  j'ai 
trouvé  le  pays,  non -seulement  quasi  ruiné,  mais 
presque  tout  perdu  pour  les  Français.  Par  la  grâce 
divine,  par  les  prières  et  par  tes  bons  avis  de  mes 
serviteurs  qui  ne  font  profession  des  armes  par  l'épée 
,  de  ma  brave  et  généreuse  noblesse,  de  laquelle  je  ne 
dislingue  pas  les  princes  -,  par  mes  peines  et  labeurs, 
foi  de  gentilbomme,  j'ai  sauvé  la  France.  Sauvons-la 
encore  à  cette  beure.  Participez ,  mes  cbers  sujets, 
à  cette  seconde  gloire,  comme  vous  avez  fait  à  la 
première.  Je  ne  vous  ai  point  appelés,  comme  fai- 
soient  mes  prédécesseurs,  pour  vous  imposer  mes 
volontés.  Je  vous  ai  appelés  pour  recevoir  vos  con- 
seils, pour  les  croire,  pour  les  suivre,  bref,  pour  me 
mettre  en  tutelle  entre  vos  mains,  envie  qui  ne  prend 
guère  aux  rois,  aux  barbes  grises  et  aux  victorieux. 
Mais  la  violente  amour  que  je  porte  à  mes  sujets  me 
fait  trouver  tout  aisé  et  bonorable.  » 

Électrisés  par  ces  paroles,  les  députés  se  mirent 
à  l'œuvre. 

Le  clergé  et  la  noblesse  songèrent  à  des  privilèges 
d'ordres  et  à  des  questions  personnelles.  Ce  fut  le 
tiers  qui  insista  sur  la  grande  mesure  qui  préoccupait 
seule  le  roi  et  la  nation  :  la  réforme  des  finances. 

Les  notables  créèrent  un  «  conseil  de  raison  »  dont 
la  tàcbe  était  de  déraciner  les  abus.  Il  devait  partager 
les  revenus  de  l'État  en  deux  portions  égales,  confier 
l'une  à  Henri  IV  pour  la  guerre,  les  affaires  extérieu- 
res, la  liste  civile  du  roi,  garder  la  dernière  moitié 
pour  les  autres  services  publics. 

Le  roi  avait  promis  de  se  conformer  aux  vœux  de 


392  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

l'assemblée.  Il  les  écouta  en  effet.  Il  adopta  le  «  con- 
seil de  raison  »  malgré  les  réclamations  et  les  oppo- 
sitions de  ses  propres  ministres.  Mais  ce  conseil 
n'était  qu'une  bonne  intention  -,  il  était  une  institu- 
tion médiocre. 

Les  impossibilités  s'accumulèrent  bientôt  devant 
lui.  Les  membres  qui  le  composaient  n'étaient  guère 
économistes.  Ils  prirent  peur  et  ils  déposèrent  leur 
démission  entre  les  mains  du  cardinal  de  Gondi, 
leur  président,  qui  la  fit  agréer  au  roi. 

Le  roi  n'en  fut  pas  embarrassé.  Les  notables  de 
Rouen  servirent  à  la  création  d'un  surintendant.  Le 
baron  de  Rosny  le  fut.  Un  surintendant  comme  Rosny 
était  alors  la  nécessité  du  règne.  Il  était  aussi  indis- 
pensable à  Henri  que  Henri  à  la  France. 

L'influence  éclatante  du  baron  de  Rosny  date  de 
l'assemblée  de  Rouen.  Il  n'a  pas  encore  le  nom  de 
surintendant,  mais  il  en  a  tout  le  pouvoir.  Il  est  le 
centre  des  grandes  affaires.  Il  sera  surintendant,  il 
sera  grand  maître  de  l'artillerie,  il  sera  duc  de  Sully, 
il  sera  tout. 

Rosny  avait  commencé  en  gentilhomme.  Il  fut 
d'abord  soldat  et  bon  soldat.  Il  passa  par  tous  les 
champs  de  bataille  qui  frayèrent  à  Henri  lY  le  che- 
min du  trône. 

Quoique  l'un  des  braves  de  la  petite  armée  pro- 
testante, Rosny  dès  lors  était  homme  d'État.  La 
guerre  lui  allait  bien  ;  la  paix  encore  mieux. 

A  l'avènement  de  Henri  IV,  il  y  avait  deux  cents 
millions  de  dettes,  pénurie  dans  les  caisses  du  gou- 
vernement et  du  roi,  désordre  universel.  Rosny,  à 


UVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  393 

partir  de  rassemblée  de  Rouen,  payera  les  deux  cent 
millions  de  dettes  en  dix  ans  et  réalisera  dans  les  cof- 
fres du  trésorune  économie  de  trente  millions  d'alors, 
cent  vingt  millions  d'aujourd'hui.  Les  moyens  qu'il 
employait  pour  arriver  à  cette  grande  prospérité  sont 
singuliers.  Loin  de  repousser  les  créanciers,  il  s'ac- 
quittait envers  eux.  Au  lieu  d'augmenter  l'impôt,  il 
le  diminuait.  Il  ménageait  le  peuple.  Il  ne  frappait 
que  les  abus  et  les  viveurs  d'abus. 

Rien  n'est  plus  intéressant  que  l'étude  de  cette 
grave  figure.  (Cab.  de  M.  Dviel.) 

Rosny  était  chauve.  Son  front  solide  pensait  tou- 
jours. Les  soins  et  les  calculs  du  ministre  s'y  mar- 
quaient en  sillons  profonds.  Ses  yeux  sous  des  sour- 
cils un  peu  hérissés  étaient  inquiets  et  soupçonneux. 
Le  nez,  recourbé  à  l'extrémité  inférieure,  résistait; 
la  bouche  maussade  refusait.  Les  lèvres  fermics,  réso- 
lues, étaient  faites  exprès  pour  rebuter,  pour  décou- 
rager les  solliciteurs,  quel  que  fût  leur  sexe  ou  leur 
rang.  Un  seul  mot  vibrait  perpétuellement  et  sévère- 
ment sur  ces  lèvres,  et  ce  mot,  c'était  non  sous  toutes 
les  formes.  Le  caractère,  le  génie  et  la  pohtique  de 
Rosny  sont  dans  ce  mot  sauvage-,  sa  fraise  plissée 
avec  roideur  rendait  le  ministre  une  fois  de  plus  in- 
compatible. 

L'humeur  farouche  était  dans  la  vie  de  Rosny  non 
moins  que  dans  sa  physionomie. 

H  se  montrait  intraitable  avec  ses  collègues,  avec 
les  maîtresses  et  les  courtisans.  Il  n'était  dévoué  qu'à 
la  France ,  à  Henri  et  à  lui-même.  Il  ne  veillait  pas 
moins  à  sa  fortune  privée  qu'à  la  fortune  publique  : 


394  mSTOIRE  DE  LA  LTBEnTÉ  RELIGIEUSE. 

intègre,  mais  habile  et  toujours  avide.  Il  avait  des 
tempéraments  dans  les  affaires  générales  et  dans  ses 
intérêts  particuliers.  Il  savait  demander  au  roi  et  lui 
arracher  ce  qu'il  voulait  ^  il  savait  aussi  conseiller  les 
concessions,  lorsqu'elles  étaient  nécessaires  ou  uti- 
les. La  barre  de  fer  se  chauffait  au  feu  des  circon- 
stances et  pliait  sans  se  rompre.  C'est  ainsi  que  Sully 
se  prononça  tout  de  suite  pour  la  conversion  du  roi, 
en  restant  lui-même  huguenot.  Il  ne  balança  pas 
entre  une  conscience  et  une  couronne.  Il  subordonna 
la  foi  à  l'ambition.  Il  parla  à  Henri  IV  le  même  lan- 
gage que  les  jésuites.  Il  fut  plus  diplomate  que  chré- 
tien. C'était  au  fond  un  esprit  très-adroit  sous  une 
rude  écorce,  un  gascon  austère. 

Le  roi  ne  tarda  pas  à  se  féliciter  du  choix  qu'il  avait 
fait  de  Rosny  pour  gouverner  les  finances. 

La  cour,  après  l'assemblée  de  Rouen,  était  rentrée 
à  Paris.  Le  maréchal  Damville,  devenu,  à  la  mort  de 
son  frère  aîné,  duc  de  Montmorency,  puis  connétable 
par  la  grâce  de  Henri  IV,  avait  multiphé  les  fêtes 
pour  le  baptême  de  son  fils.  Le  roi  se  livrait  avec  une 
sorte  d'ivresse  à  son  goût  du  plaisir,  à  son  amour  des 
voluptés,  lorsque,  le  12  mars,  au  sortir  d'un  bal  que 
lui  avait  donné  le  maréchal  de  Biron ,  la  nouvelle  de 
la  prise  d'Amiens  par  les  Espagnols  fondit  sur  lui 
comme  la  foudre. 

Philippe  II  était  déjà  maître  de  Calais,  de  Ham, 
d'Ardres  et  de  Guines.  Les  généraux  de  ce  prince 
pourraient  désormais  précipiter  leurs  bandes  jus- 
qu'aux portes  de  Paris.  Cette  capitale  de  la  France 
ne  serait  plus  qu'une  frontière.  Le  duc  de  Mercœur 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  395 

en  Bretagne,  le  duc  de  Savoie  sur  les  confins  du  Dau- 
phiné  allaient  redoubler  leurs  hostilités.  La  ligue  ne 
manquerait  pas  de  se  relever  partout  où  elle  avait  en- 
core un  souffle  de  vie.  Les  protestants  si  délaisses  se 
révolteraient  sans  doute  pour  exiger  des  garanties 
plus  efficaces.  Toutes  ces  pensées  assaillirent  le  roi. 
Et  de  plus  son  trésor  était  vide. 

Henri  fut  consterné.  Il  médita  quelque  temps  en 
silence;  puis,  se  dominant  lui-même  et  dominant  la 
situation  par  une  résolution  soudaine  :  «  C'est  assez 
faire  le  roi  de  France,  dit-il,  nous  ferons  encore  le  roi 
de  Navarre.  )>  —  «  Ma  maîtresse  ,  ajouta-t-il ,  en  se 
tournant  vers  Gabrielle  d'Estrées  qui  pleurait  et  se 
désolait,  il  faut  renoncer  à  nos  combats  et  monter  à 
cheval  pour  une  autre  guerre.  » 

Le  Béarnais  reparut  tout  entier.  Il  multiplia  les 
ordres.  Il  courut  au  Nord,  fit  investir  Amiens  par 
le  maréchal  de  Biron  et  rassura  Beauvais,  Mont- 
didier,  toutes  les  villes  voisines.  11  augmenta  les  gar- 
nisons deCorbieetde  Pecquigny.  Il  sentaittoutel'im- 
portance  de  ce  siège  d'Amiens,  dont  le  succès  devait 
affranchir  denouveau  le  territoire  de  la  France  et  dé- 
livrer la  patrie  de  l'invasion  étrangère. 

Henri  fit  son  devoir  et  ses  lieutenants  aussi  -,  mais 
Bosny  ne  le  fit  pas  moins.  Il  rassembla  une  artillerie 
prodigieuse  qu'il  dirigea  vers  la  Picardie.  Il  y  accu- 
mula des  troupes.  Il  entoura  le  camp  d'un  marché 
qui,  par  l'abondance  de  l'argent,  se  renouvelait  sans 
cesse  de  provisions  fraîches.  Il  paya  chaque  mois  de 
solde  avec  une  régularité  inconnue.  Il  échelonna  les 
ambulances,  et  des  hôpitaux  militaires,  soit  pour  les 


396  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

malades,  soit  pour  les  blessés ,  se  dressèrent  comme 
par  enchantement.  C'était  la  première  fois,  depuis  le 
commencement  des  guerres  civiles ,  qu'une  armée 
était  pourvue,  jene  dirai  pas  seulement  du  nécessaire, 
mais  du  superflu.  Cette  armée,  le  cardinal  Albert  es- 
saya vainement  de  lui  faire  lever  le  blocus  d'Amiens. 
Il  fut  obligé  de  battre  en  retraite  à  son  grand  déses- 
poir. Le  roi  le  harcela  ^  puis,  revenant  au  milieu  de 
ses  lignes,  il  entra  solennellement  dans  Amiens,  le  23 
septembre  1597. 

L'Espagnol  avait  nommé  cette  ville  sa  capitale  en 
France  :  Henri  l'en  expulsa  et  sa  présence  dans  la 
cité  fut  saluée  de  l'enthousiasme  du  peuple.  Les  rues 
furent  illuminées.  Le  maire  d'Amiens  offrit  au  roi  de 
riiypocras  et  le  roi  but  à  sa  bonne  ville ,  à  la  paci- 
fication de  la  France ,  à  la  réconciliation  de  tous  ses 
sujets  des  deux  cultes  1 

Pressentiments  sacrés,  qui  ne  devaient  tromper  ni 
le  roi,  ni  la  patrie  ! 

Tandis  que  Lesdiguières  déjouait  tous  les  strata- 
gèmes du  duc  de  Savoie,  Henri  soumettait  le  duc  de 
Mercœur,  signait  la  paix  de  Vervins  et  donnait  aux 
protestants  leur  code  religieux. 

Mercœur,  repoussé  par  la  Bretagne ,  et  se  sentant 
perdu,  envoya  la  duchesse  sa  femme  au-devant  du 
roi.  Elle  proposa  sa  fille  pour  le  petit  César  de  Yen- 
dôme,  fils  naturel  de  Henri  et  de  Gabrielle  d'Estrées. 
La  maîtresse,  ravie  d'une  alliance  si  avantageuse,  in- 
clina son  royal  amant  à  1^  clémence.  Le  traité  fut 
bientôt  conclu  (20  mars  1598).  Le  duc  de  Mercœur 
renonçait  à  son  gouvernement  de  Bretagne  et  assu- 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  .  397 

rait  aux  jeunes  fiancés  les  domaines  de  la  maison  de 
Penthièvre.  Il  recevait  en  échange  une  amnistie  pour 
ses  partisans  et  pour  lui  quatre  millions  trois  cent 
mille  livres  du  temps,  plus  de  vingt  millions  de  francs 
d'aujourd'hui.  ^ 

Ce  fut  le  terme  de  la  guerre  civile;  le  traité  de  : 
Vervins  fut  le  terme  de  la  guerre  étrangère-,  il  est  du 
2  mai  lo98.  L'Angleterre  et  la  Hollande  ne  s'y  as- 
socièrent pas.  Mais  il  était  indispensable  à  la  France 
et  à  l'Espagne.  C'était  un  retour  au  traité  de  Cateau- 
Cambrésis.  L'Espagne  garda  le  comté  du  Charolais, 
nous  restitua  La  Capelle,  Le  Catelet,  Ardres,  Calais, 
Doulens  et  Monthahn.  Leduc  de  Savoie,  compris 
dans  le  traité,  nous  rendit  La  Berre  en  Provence.  Le 
marquisat  de  Saluées  dut  être  adjugé  par  le  pape 
dans  l'espace  d'un  an,  soit  à  la  Savoie,  soit  à  la 
France,  selon  son  arbitrage  souverain. 

Les  deux  grands  bienfaits  du  traité  de  Vervins 
sont  la  paix  et  la  réintégration  de  la  France  dans 
son  territoire. 

La  paix  n'était  pas  moins  utile  au  delà  qu'en  deçà 
des  Pyrénées.  Henri  IV  en  avait  besoin  pour  vivre  et 
Phihppe  II  en  avait  besoin  pour  mourir.  ^ 

Ce  vieux  tyran  de  l'Escurial  expira  trois  mois  1 
après  le  traité  de  Vervins,  léguant  les  Pays-Bas  à  sa 
fille  Isabelle-Claire-Eugénie,  mariée  au  cardinal  Albert 
d'Autriche,  et  l'Espagne  à  Phihppe  III,  le  frère  de 
don  Carlos. 

Philippe  II  recommanda  très-fortement  à  son  fils 
et  successeur  d'être,  à  son  exemple,  fidèle  à  l'Eglise 
et  à  la  sainte  inquisition.  Il  lui  transmit  le  conseil 

IV.  34 


398  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

qu'il  avait  lui-même  recueilli  de  Charles-Quint  :  à 
savoir,  «  de  prendre  toujours  bien  garde  au  change- 
ment des  autres  royaumes  pour  en  profiter  selon  les 
occasions  (papiers  Granvelle).  » 

Il  rêvait  jusque  dans  les  ombres  suprêmes  à  la 
monarchie  catholique ,  la  chimère  de  son  père  et  la 
sienne,  cette  chimère  qu'ils  n'avaient  pu  réaliser,  et 
il  la  confiait  à  son  héritier. 

Philippe  II  n'avait  tant  abhorré  la  France  que  parce 
qu'il  avait  échoué  contre  elle  dans  son  projet  d'en 
faire  une  alluvion  entre  l'Espagne  et  les  Pays-Bas. 
L'alluvion  valait  mieux  que  les  deux  royaumes  à  la 
fois  et  Philippe  la  manqua. 

Ce  prince  avait  été  mauvais  fils,  mauvais  frère, 
mauvais  mari,  mauvais  père,  mauvais  roi.  Superbe, 
fanatique,  pervers,  il  osa  se  faire  la  personnifica- 
tion de  la  religion  traditionnelle.  Il  fut  le  pape  des 
papes,  le  vrai  pape,  le  pape  laïque  et  tout-puissant 
du  catholicisme.  Il  alluma  des  bûchers  sur  tous 
les  espaces  de  ses  immenses  provinces.  Il  employa 
partout  le  feu,  le  poignard  et  le  poison.  Avare, 
sanguinaire,  débauché,  ce  lâche  despote,  qui  gou- 
vernait de  son  couvent,  qui  aimait  le  pétillement 
des  auto-da  fé  et  qui  craignait  le  sifflement  des 
halles ,  s'abritait  derrière  l'autel.  Par  un  orgueil 
béni  de  la  cour  de  Rome ,  son  esclave  ,  il  se  croyait 
l'homme  d'État  de  Dieu.  Malgré  les  adulations  du 
clergé  italien  toujours  prêt  à  l'apothéose  de  la  force, 
rl  ne  fut  qu'un  bourreau. 

Philippe  II  ne  cessera  pas  d'être  exécrable  à  la 
terre.  C'est  un  de  ces  hommes  qu'on  no  méprise  pas,. 


LrV'RE  CINQUANTE-SIXIÈME.  399 

mais  qu'on  hait  dans  les  proportions  de  l'amour  qu'on 
a  pour  le  bien.  Comment  ne  pt^s  attacher  au  carcan 
de  l'histoire  et  ne  pas  vouer  à  la  malédiction  des 
siècles,  ce  grand  inquisiteur  de  son  siècle,  ce  viola- 
teur des  consciences,  ce  persécuteur  des  âmes,  ce 
Busiris  de  la  foi,  ce  démon  du  Midi?  Dieu  dont  il  a 
tant  abusé.  Dieu  seul .  après  une  série  d'expiations 
dont  il  est  le  juge  ,  a  le  droit  de  relever  Philippe  II 
et  de  lui  pardonner  tant  de  vices  et  tant  de  crimes. 

Le  meilleur  service  qu'il  rendit  à  l'humanité,  ce  fut 
de  mourir.  La  paix  entre  TEspagne  et  la  France 
s'affermit  alors ,  et  l'alliance  de  la  maison  de  Bour- 
bon et  de  la  maison  de  Lorraine  se  cimenta. 

Henri  lY,  qui  avait  déjà  commencé  cette  alliance 
par  les  fiançailles  du  petit  César  de  Vendôme  avec  la 
fille  du  duc  de  Mercœur,  l'acheva  par  le  mariage  de 
sa  sœur,  la  princesse  Catherine,  avec  le  duc  de  Bar. 

Lui-même,  Henri  de  Béarn,  dont  Tépée  avait 
fait  triompher  le  droit,  songea  plus  d'une  fois  à  se 
marier  aussi.  Dans  cette  situation  nouvelle  et  ma- 
gnifique où  son  génie,  autant  que  sa  naissance  l'a- 
vait placé,  il  fut  tenté  d'épouser  la  belle  Gabrielle, 
sa  chère  maîtresse.  Il  fit,  à  divers  intervalles,  des 
propositions  d'annulation  de  leur  mariage  à  Margue- 
rite qui  vivait,  depuis  longues  années,  dans  les  disso- 
lutions romaines  du  château  d'Usson.  Marguerite  ne 
voulut  entendre  à  rien ,  soit  fierté  du  sang  de  Valois 
qui  se  révoltait  contre  cette  dégradation  de  la  royauté, 
soit  influence  secrète  des  conseils  et  de  l'or  de  Bosny, 
qui  s'efforçait,  à  tout  prix,  de  sauver  ce  qu'il  croyait 
l'honneur  de  son  maître. 


400  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE, 

La  résistance  de  Marguerite  ne  cédera  qu'après  la 
foudroyante  agonie  de  la  duchesse  de  Beaufort.  Rosny 
ne  s'opposera  plus  à  son  tour  aux  noces  de  Henri 
avec  une  Médicis.  Fatalité  des  conjonctures!  c'était 
le  roi  qui  avait  raison  dans  son  vertige  d'amour.  S'il 
eût  mit  sur  la  tête  de  Gabrielle  d'Estrées  la  couronne 
de  saint  Louis,  que  de  maux  n'eût-il  pas  épargnés  à 
France  î 

Je  me  retiens  à  cette  date  pour  ne  pas  dépasser  les 
bornes  de  mon  histoire. 

Le  sceptre  conquis,  les  dissensions  civiles  étouffées, 
la  guerre  étrangère  finie,  Henri  IV  entra  dans  la  plé- 
nitude de  la  puissance  et  dans  les  douceurs  du  repos. 
Mais  quel  repos  actif  et  fécond  î 

Il  riva  Rosny  à  son  trône.  Rosny  fut  son  ami,  son 
ministre,  sous  le  nom  populaire  de  Sully.  L'alliance 
de  ces  deux  hommes  inséparables  est  le  plus  grand 
fait  de  ce  grand  règne. 

Sully  travaillait  sans  cesse.  Le  roi  travaillait,  chas- 
sait, faisait  l'amour,  gouvernait  son  royaume  et  em- 
bellissait les  demeures  du  Louvre,  de  Saint-Germain, 
surtout  celle  de  Fontainebleau.  Cette  résidence  dans 
la  plus  pittoresque  forêt  du  royaume  était  sa  rési- 
dence de  prédilection.  Il  y  courait  le  cerf,  et,  après 
avoir  fait  trente  lieues  à  cheval,  il  se  promenait  à 
pied  des  heures  entières ,  soit  dans  les  allées  de  son 
parc,  soit  autour  de  son  canal,  harassant  les  seigneurs 
de  son  intimité  comme  autrefois  Mayenne  à  Mon- 
ceaux. 

Son  plus  long  entretien  était  avec  Sully.  Ils  avaient 
mûri,  grandi  ensemble.  Ils  avaient  l'un  et  l'autre 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  401 

ce  prestige  incomparable  de  la  gloire.  Henri  lais- 
sait les  vengeances  au  temps,  les  refus  à  Sully,  ne 
se  réservant  que  les  grâces  et  les  bienfaits.  C'était  la 
loi  de  son  cœur. 

Le  roi  et  le  ministre  n'étaient  ni  l'un  ni  l'autre  des 
hommes  religieux  :  ils  ne  furent  que  des  politiques. 
Ils  s'aimaient  pourtant  et  ils  aimaient  le  peuple.  Ils  se 
rapprochèrent  d'autant  plus  qu'ils  étaient  moins  pa- 
reils. Henri  avait  l'héroïsme,  l'inspiration,  l'aventu- 
reuse habileté  d'un  roi  de  fortune.  Sully  avait  le 
dévouement,  la  science,  l'algèbre.  Il  était  doué  de  la 
fermeté  prudente  de  l'homme  d'État.  Il  songeait  à  lui, 
non  moins  qu'à  la  France  et  au  roi ,  mais  il  n'incli- 
nait pas  trop  la  balance  de  son  côté.  Il  se  serait  plu- 
tôt sacrifié  que  son  maître  ou  sa  patrie.  Il  bravait 
intrépidement  les  catholiques,  les  protestants,  les  sei- 
gneurs, les  jésuites,  les  maîtresses,  le  monarque  lui- 
même.  II  provoquait  souvent  la  colère  et  il  pénétrait 
la  vérité  sous  les  outrages.  Heureuse  la  France  d'a- 
voir eu,  après  les  convulsions  de  la  hgue.  un  tel  mi- 
nistre et  un  tel  roi!  Pour  leur  labeur  d'économie, 
d'ordre,  d'unité,  de  tolérance,  d'équihbre  et  de  pro- 
grès, ils  furent  indispensables  l'un  à  l'autre  et  ils  ne 
se  convinrent  tant  que  parce  qu'ils  se  complétaient. 
On  a  pu  dire  d'eux  avec  équité  qu'ils  reçurent  la 
France  de  brique  et  qu'ils  la  rendirent  de  marbre. 

Pendant  leur  règne,  à  dater  du  traité  de  Vervins, 
Henri  IV  et  Sully  firent  un  pacte  qu'ils  renouvelèrent 
chaque  jour,  et  ce  pacte  patriotique,  cordial,  géné- 
reux du  roi  et  de  son  ministre  :  —  Ce  fut  le  bonheur 
de  laFrance.  Justice,  administration,  finances,  beaux- 

34. 


402  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

arts,  agriculture,  ils  cultivèrent  et  fertilisèrent  tout. 
La  poule  au  pot  n'est  vraiment  que  la  légende  bien 
infime  de  tant  d'efforts,  d'espérance  et  de  génie. 

Henri  se  montra  aussi  clément  qu'il  avait  été  brave. 
Après  avoir  eu  la  valeur  d'un  héros,  il  eut  la  sagesse 
d'un  législateur,  la  bonté  d\m  père,  la  magnanimité 
d'un  roi.  Au  fiel  des  factions  il  substitua  le  miel  de 
la  paix  et  il  étancba  le  sang  avec  l'huile. 

Voilà  ce  que,  par  anticipation,  j'ai  voulu  indiquer 
sur  les  douze  ans  de  trône  de  Henri,  à  dater  du  traité 
de  Vervins.  Puisque  les  développements  m'étaient 
interdits,  j'ai  parlé,  du  moins,  à  la  manière  des  géo- 
graphes, qui  figurent  un  Océan  sur  la  mappemonde 
dans  l'imperceptible  dimension  d'un  coquillage. 

Maintenant,  je  reviens  à  ce  grand  et  dernier  ins- 
tant de  mon  histoire  où,  l'unité  de  ses  territoires  et 
de  sa  souveraineté  constituée,  Henri  IV  rédigea  son 
mémorable  édit  do  Nantes  (lo98). 

Jusque-là  ses  années  s'étaient  écoulées  au  milieu 
des  batailles,  des  massacres.  Depuis  sa  jeunesse,  si 
haut  que  le  sort  l'eût  élevé,  il  avait  vécu  dans  une 
tempête.  Ses  compagnons,  les  calvinistes,  l'avaient 
aidé  à  la  traverser^  ils  l'avaient  abrité  sous  leurs 
tentes,  porté  dans  leurs  bras,  ils  l'avaient  secouru  de 
l'épée  et  du  bouclier.  Il  n'y  avait  plus  qu'eux  à  qui 
le  roi  n'eût  pas  payé  sa  dette.  Il  ne  la  leur  paya  ja- 
mais tout  entière.  Il  essaya  du  moins,  et  c'est  toat  ce 
qu'il  me  reste  à  dire. 

Il  traça  d'une  main  reconnaissante,  mais  compri- 
mée par  Rome,  une  ébjuche  de  charte  feligieuse. 
Cette  ébauche  si  grande ,  quoique  incomplète ,  est 


LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME.  403 

l'édit  de  Nantes.  La  ligue  frémit  et  agita  vainement 
sa  torche.  Ce  qui  avait  été  vivant  était  mort  et  cette 
torche,  autrefois  de  flamme  ,  désormais  éteinte  ,  ne 
put  rien  rallumer. 

L'édit  de  Nantes  fut  donc  promulgué.  C'est  le 
twrme  de  mon  livre. 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME 


L'édit  de  iSantes,  une  grande  conquête  nécessaire  en  1698.  —  Une 
concorde  entre  les  protestants  et  les  catholiques.  —  Catherine  de 
Bourbon,  duchesse  de  Bar,  travaille  secrètement  à  l'édit  de  Nantes. 
—  Il  est  signé  par  le  roi  le  13  avril  1598.  —  Discours  de  Henri 
au  Louvre.  —  L'édit  est  enregistré  le  15  février  1599.  —  C'est 
la  plus  grande  heure  de  Henri  IV.  —  Caractère  de  ce  prince.  — 
Ses  vices.  —  Ses  qualités  brillantes,  son  courage,  son  esprit,  sa 
grâce ,  sa  bonté ,  son  amour  du  peuple.  —  Le  roi  le  plus  miséri- 
cordieux de  son  siècle. 

La  liberté  de  conscience  allait  être  enfin  garantie. 

Que  sont  les  conquêtes  de  la  toison  d'or  et  d'Ilion 
par  les  anciens,  les  conquêtes  de  l'Amérique  et  de 
rinde  parles  modernes,  auprès  de  cette  auguste  con- 
quête de  la  liberté  de  conscience  ? 

La  cité  bâtie  sur  le  plan  de  Fédit  de  Nantes  est  pe- 
tite, étroite,  démantelée,  mais  elle  est.  Nul,  si  grand, 
si  puissant  qu'il  soit,  ne  prévaudra  contre  elle.  Par 
une  faveur  du  ciel,  elle  deviendra  la  cité  du  droit,  où 
les  âmes  habiteront  à  l'aise,  où  chaque  cœur  adorera 
son  Dieu,  et  où  nulle  poitrine  ne  sera  oppressée. 

Les  premières  pierres  de  cette  ville  de  la  tolérance 
furent  difficiles  à  remuer  et  à  cimenter.  Catholiques 
et  protestants  étaient  toujours  au  moment  de  se  les 
jeter  à  la  tête. 

Ils  s'étaient  fort  combattus  de  Tépée  et  ils  conti- 
nuaient à  se  combattre  de  l'esprit. 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  405- 

L'édit  de  Nantes  était  indispensable  en  lo98.  Le 
roi  Henri  IV  était  parvenu  à  la  paix  de  Yervins  et  il 
avait  repris  Amiens  sur  les  Espngnols.  Il  lui  aurait 
été  dommageable  d'ajourner  les  droits  des  protestants 
de  qui  il  tenait  la  couronne. 

Il  pouvait  disputer  pied  cà  pied  le  terrain  aux  cal- 
vinistes, il  ne  pouvait  pas  le  leur  refuser,  et,  une 
fois  sur  un  terrain  légal,  eux  ne  risquaient  plus  rien. 
Car  ce  qu'il  y  a  de  remarquable  dans  le  protestan- 
tisme, c^est  que,  s'il  est  par  ses  luttes  irréconciliable 
du  côté  du  moyen  âge,  il  est  par,  son  principe  du  libre 
examen,  flexible  à  toutes  les  évolutions  de  la  raison 
humaine  et  sans  frontières  infranchissables  du  côté 
de  la  philosophie.  Il  appartient  au  progrès  jusqu'à  la 
transformation  de  lui-même. 

Pour  Henri  IV,  le  problème  n'était  pas  religieux, 
il  était  tout  politique.  Après  Coligny,  après  L'Hôpi- 
tal, le  Béarnais  essaya  de  concilier  les  deux  religions, 
et  il  y  réussit  dans  une  certaine  mesure. 

Ce  roi  dont  les  pourpoints  étaient  coupés  par  la 
cuirasse  et  les  cheveux  par  le  casque,  ce  roi  toujours 
à  cheval  et  qui  avait  usé,  selon  son  expression, 
plus  de  bottes  que  de  souliers,  se  voyait  investi  entre 
deux  feux,  entre  une  armée  de  huguenots  raisonneurs 
et  de  catholiques  fulminants. 

Le  Béarnais  ne  savait  à  qui  entendre. 

Les  catholiques  lui  disaient  :  u  Demeurez  ferme 
avec  nous  et  nous  vous  adoptons.  Ces  huguenots  sont 
les  ennemis  de  Dieu  et  des  rois.  Ils  blasphèment  l'un, 
ils  détrônent  les  autres.  Ils  sont  rebelles  à  toute  dis- 
cipline, à  toute  monarchie.  Concédez-leur  ce  qu'ils 


406  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

demandent ,  sire ,  et  ils  vous  mettront  en  répu- 
blique. )) 

Les  huguenots  disaient  à  leur  tour  :  a  Méfiez-vous 
des  catholiques.  Ils  vous  ont  toujours  haï  vous  et  les 
vôtres.  )) 

Le  roi  répondait  aux  catholiques  :  «  Les  huguenots 
sont  un  peu  rétifs,  mais  ils  ne  sont  pas  si  diables  que 
vous  pensez.  Je  les  connais.  J'en  ai  été  et  madame 
ma  sœur,  qui  est  fille  de  mère,  en  est  encore.  Croyez 
qu'ils  ont  du  bon.  » 

Aux  huguenots  il  réphquait  :  «  Les  catholiques 
sont  plus  nombreux  que  vous.  Si  je  les  détruisais, 
selon  vos  avis,  je  diminuerais  trop  mon  royaume.  De 
la  France  je  ferais  une  Navarre.  Je  ne  serais  pas  père 
comme  je  veux  être,  mais  tyran.  » 

Quand  les  deux  partis  étaient  ensemble  autour  de 
lui  :  Du  Plessis-Mornay,  d'Aubigné  et  Rosny  d'un 
côté,  Duperron,  Biron  et  d'Ossat  de  l'autre,  il  disait 
à  tous  :  ((  Allons,  messieurs,  vous  avez  assez  bataillé  5 
ce  qu'il  vous  faut  maintenant,  c'est  un  édit  de  tolé- 
rance qui  vous  fera  vivre  en  concorde  comme  je  vis, 
moi  qui  vous  parle,  avec  ma  petite  sœur  Catherine.  )> 

Henri  IV,  malgré  son  abjuration  et  d'incroyables 
complaisances  pour  le  pape,  restait  très-attaché  aux 
protestants.  Ses  meilleurs  exemples  étaient  dans  ce 
camp-là. 

Les  Bourbons  avaient  arboré  le  drapeau  du  pro- 
grès religieux.  Le  prince  Louis  de  Condé  ,  oncle  du 
Béarnais,  Jeanne  d'Albret  et  sa  mère  Marguerite, 
firent,  autant  qu'ils  purent,  place  à  Dieu,  place  à  la 
réforme. 


LIVRE  CINQUANTE-SEPT lÈMî!.  407 

Henri  de  Bourbon ,  qui  avait  noué  sa  dynastie  au- 
tour d'une  bulle  romaine,  la  renoua  autour  de  l'édit 
de  Nantes. 

Sa  sœur  Fy  animait. 

Catherine  de  Bourbon,  qui  avait  quinze  ans  aux 
noces  de  son  frère  Henri,  échappa  comme  lui  par  mi- 
racle à  la  Saint-Barthélemy.  Dès  qu'elle  put,  elle  s'é- 
vada de  la  cour  des  Valois  et  se  retira  en  Béarn 
avec  madame  de  Thignonville,  sa  gouvernante. 

Henri  la  préposa  à  son  royaume  de  Navarre ,  pen- 
dant qu'il  courait  les  aventures  et  les  champs  de 
bataille.  Elle  gouverna  bien.  Elle  se  fit  adorer  des 
Béarnais,  et  son  administration,  douce  comme  la 
main  d'une  femme,  ne  se  dispensa  pourtant  pas  d'é- 
nergie. 

Elle  aima  le  comte  de  Soissons.  Elle  aurait  voulu 
l'épouser.  Son  frère,  le  roi  de  Navarre,  s'opposa  par 
des  raisons  d'Etat  à  ce  mariage.  Elle  ne  se  soumit 
qu'à  la  longue  à  ses  noces  avec  l'aîné  de  Lorraine,  le 
duc  de  Bar. 

Le  Béarnais  gardait  à  sa  §œur  une  tendre  affection, 
et  Catherine  répondait  au  centuple  à  tous  les  senti- 
ments de  son  frère. 

Elle  lui  résista  cependant  une  fois.  Il  essaya  vai- 
nement de  la  faire  catholique.  L'éducation  libérale 
qu'elle  avait  reçue  et  ses  propres  réflexions  l'avaient 
affranchie  de  ce  que  Jeanne  d'Albret  appelait  Yidolâ- 
irie  papiste.  Elle  avait  toute  la  culture  d  esprit  de  sa 
mère  et  de  son  aïeule  Marguerite.  Elle  continua  leurs 
habitudes  d'indépendance.  Henri  IV  et  les  docteurs 
qu'il  avait  envoyés  pour  l'instruire  dans  le  catholi- 


408  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

cisme  se  brisèrent  devant  la  décision  de  la  princesse. 
«  INon,  répondit-elle  imperturbablement,  je  ne  serai 
jamais  d'une  religion  où  il  me  faudrait  croire  que  ma 
mère  est  damnée.  » 

La  princesse  Catherine  vécut  protestante  en  Lor- 
raine, comme  en  Navarre  et  en  France.  De  la  cour  de 
Nancy,  elle  se  rappelait  souvent  son  château  de  Béarn 
et  le  pavillon  de  Castel-Beziat  que  sa  mère  avait  fait 
élever  pour  elle  au  plus  épais  des  ombrages  du  parc 
de  Pau.  C'est  en  ce  lieu  charmant,  que  pendant  ses 
plus  belles  années,  elle  avait  aimé,  souffert,  médité, 
prié.  Elle  s'y  reportait,  du  milieu  des  distractions  et 
des  splendeurs  de  la  cour  de  Lorraine ,  avec  tous  les 
attendrissements  d'un  cœur  naïf,  profond  et  reli- 
gieux. 

Elle  eut  une  grande  part  secrète  à  l'édit  de  Nantes. 
Elle  en  poursuivit  la  vérification  d'une  incroyable  ar- 
deur. Elle  ne  cessa  de  protéger  les  huguenots.  Elle 
disait  à  Henri  :  «  Ils  sont  nos  frères  en  notre  mère  et 
en  Dieu.  )>  Aussi  lorsque  les  députés  des  Éghses  ré- 
formées venaient  solliciter  le  roi,  il  les  renvoyait  à  sa 
sœur,  en  disant  :  «  Adressez-vous  à  Catherine,  car 
vous  êtes  tombés  en  quenouille.  »  Légèreté  deux  fois 
coupable  chez  le  roi,  puisque,  après  avoir  commis 
l'apostasie  au  moins  apparente,  il  se  dispensait  gaie- 
ment du  remords  par  la  plaisanterie! 

Henri  IV  n'était  pas  plus  protestant  que  catholique. 
De  là  ses  railleries.  Il  ne  s'était  pas  fait  scrupule  de 
passer  du  temple  à  la  cathédrale,  du  prêche  au  ser- 
mon. Il  avait  changé  de  culte  comme  il  changeait  de 
manteau,  sans  se  croire  un  autre  homme,  sous  son 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  400 

nouveau  vêtement.  Nous  devinons  son  subterfuge  et 
ses  réticences ,  mais  gasconner  en  matière  religieuse 
devant  des  gens  sincères  n'était  pas  séant  au  fils  de 
Jeanne  d'Albret  et  au  frère  de  Catherine  de  Bourbon. 

Henri  IV  était  un  moqueur.  «  Le  meilleur  canon 
dont  je  me  sois  servi ,  disait-il ,  c'est  le  canon  de  la 
messe.  Il  m'a  fait  roi.  »  Ce  qui  n'empêchait  pas  le 
Béarnais  de  vouloir  très-sérieusement  contenter  les 
calvinistes. 

Le  protestantisme  et  le  catholicisme  s'étaient  me- 
surés avec  des  vicissitudes  terribles  de  victoires  et 
de  revers,  jusqu'au  jour  où  Henri,  sortant  du  sein  de 
Tanarchie  universelle ,  fut  le  câble  vivant  qui  réunit 
de  ses  robustes  entrelacements  les  deux  cultes  et  qui 
les  rattacha  inébranlablement  à  l'édit  de  Nantes. 

Il  s'inclinait  à  cet  édit  par  reconnaissance,  par  in- 
térêt, par  poUtique,  comme  sa  sœur  y  aspirait  par 
conviction. 

Une  force  morale  s'était  développée  peu  à  peu^ 
elle  avait  bravé  les  cachots,  les  tortures,  après  les 
mépris  et  les  anathèmes  ^  elle  avait  franchi  les  champs 
de  bataille  et  les  bûchers,  tantôt  héroïne,  tantôt  mar- 
tyre^ au  milieu  des  catastrophes  les  plus  tragiques, 
elle  avait  surnagé  imperceptible  par  l'étendue,  par 
le  nombre-,  immense  par  le  courage,  par  le  droite 
goutte  d'eau  pure  dans  une  mer  troublée^  diamant 
de  la  conscience  surgi  tout  brillant  du  creuset  des 
persécutions 5  puissance  dédaignée  à  son  origine, 
plus  invincible  cependant  que  les  rois,  les  prêtres, 
les  armées  et  les  peuples  1  Tel  est  le  spectacle  dont 
cette  histoire  a  offert  le  tableau  mouvant,  ascen- 
IV.  '  55 


410  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

sionnel ,  et  dont  Henri  IV  comprit  l'importance  so- 
ciale. 

Les  protestants  avaient  donné  le  trône  au  roi,  le 
roi  sentit  que  c'était  à  lui  de  concéder  l'existence  aux 
protestants. 

11  s'acquitta  faiblement  par  l'édit  de  Nantes,  mais 
il  s'acquitta. 

Cet  édit  avait  été  écrit  vingt  fois  par  la  plume  du 
chancelier  de  L'Hôpital,  par  l'épée  de  Coligny,  avant 
d'être  gravé  définitivement  par  cette  glorieuse  épée 
transmise  à  Henri  IV  et  changée  en  sceptre  dans  sa 
main. 

Les  commissaires  de  Henri,  parmi  lesquels  se  dis- 
tinguaient de  Thou  l'historien,  Schomberg,  de  Vie  et 
Cohgnon ,  entrèrent  en  délibération  à  Chàtellerault 
avec  les  délégués  des  Églises  réformées.  C'est  de  ces 
discussions  que  sortit  l'édit  des  protestants.  Le  roi,  à 
qui  on  le  porta,  y  mit  la  dernière  main  à  Angers. 
Quelques  objections  s'étant  présentées,  l'édit  ne  fut 
achevé  qu'à  Nantes,  ce  qui  le  fit  baptiser  de  ce  nom  : 
l'édit  de  Nantes. 

Cet  édit  fut  signé  par  le  roi  le  13  avril  1598. 

S'il  fut  à  peu  près  le  même  que  tous  les  édits  suc- 
cessifs rédigés  par  L'Hôpital,  après  avoir  été  obtenus 
par  Cohgny,  pourquoi  donc  tant  se  réjouir  de  l'édit 
de  Niintes  tellement  incomplet,  tellement  encore 
avare  de  droits  .f* 

Le  voici  : 

Derrière  les  autres  édits,  il  y  avait  un  prince  au 
'  Louvre,  un  prince  Valois  qui  disait  à  l'ambassadeur 
d'Espagne  et  au  légat  :  u  Ne  vous  inquiétez  pas.  Cet 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  411 

édit  n'est  qu'un  chiffon  de  papier.  Dès  que  je  le 
pourrai ,  je  le  déchirerai ,  je  le  brûlerai ,  si  bien  qu'il 
n'en  restera  plus  que  cendres.  Je  suis  le  fils  aîné  de 
l'Egh'se.  Il  ne  doit  y  avoir  en  France  qu'un  roi  et 
qu'une  foi,  le  roi  très-chrétien  et  la  foi  cathoHque.  » 

Les  autres  édits  étaient  donc  des  mensonges  ^  l'é- 
dit  de  Nantes  est  une  vérité.  Les  autres  édits  étaient 
des  trêves,  Tédil  de  Nantes  est  une  paix. 

Car,  au  lieu  de  ce  tyran  serf  de  TEspagne  et  de 
Rome  qui  guettait  l'occasion  de  violer  les  édits  qu'il 
avait  jurés,  un  Bourbon,  non  plus  un  Valois,  un 
Bourbon  qui  s'appelait  Henri  IV  disait  :  «  Catholi- 
ques ou  protestants,  mes  sujets  sont  Français,  ils 
sont  hommes.  Qu'ils  aillent  à  la  messe  ou  au  prêche, 
sous  la  protection  de  mon  édit.  Il  est  loi  de  l'État  et 
je  le  ferai  respecter.  » 

Il  y  avait  donc  entre  les  édits  précédents  et  l'édit 
de  Nantes  l'épaisseur  d'une  dynastie.  Je  ne  vois  plus 
un  Valois  avec  un  poignard  sournoisement  posté  pour 
égorger  les  édits-,  je  ne  vois  que  Henri  IV  défendant 
l'édit  de  Nantes  de  son  cœur  et  de  son  épée. 

L'édit  de  Nantes  consacrait  pour  les  protestants  la 
liberté  de  conscience  dans  tout  le  royaume  -, 

L'exercice  du  culte  public  là  où  il  était  établi  en 
lo97-, 

L'exercice  du  culte  public  dans  deux  localités  de 
chaque  bailliage  ou  sénéchaussée  par  toute  la  France  -, 

L'exercice  du  culte  dans  les  trois  mille  cinq  cents 
châteaux  des  seigneurs  hauts  justiciers,  et  en  outre, 
dans  trente  châteaux  de  seigneurs  qui  n'étaient  pas 
investis  de  la  haute  justice.  Ces  châteaux  ne  se  res- 


412  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Ireignaient  pas  à  la  famille,  aux  vassaux-,  ils  s'ou- 
vraient à  tous  les  coreligionnaires. 

L'édit  de  Nantes  accordait  aux  protestants  : 

L'admission  à  tous  les  emplois,  offices  et  dignités; 

L'entrée  de  l'Université  aux  jeunes  réformés; 

L'érection  des  temples  aux  endroits  autorisés-, 

La  création  d'écoles  calvinistes. 

Une  somme  de  cent  soixante-cinq  mille  livres  du 
temps,  c'est-à-dire  de  plus  de  six  cent  mille  francs 
d'aujourd'hui,  était  allouée  soit  aux  ministres  des 
temples,  soit  aux  régents  des  écoles. 

L'édit  de  Nantes  ordonnait  la  composition  de  cham- 
bres judiciaires,  moitié  protestantes,  moitié  catholi- 
ques, appelées  chambres  de  l'édit.  11  ordonnait  aussi 
la  restitution  de  tous  les  biens  confisqués  sur  les  cal- 
vinistes depuis  la  mort  de  Henri  IL 

Il  ne  fut  plus  permis  aux  prédicateurs,  aux  profes- 
seurs d'injurier  les  protestants,  ni  aux  parents  de 
déshériter  leurs  parents  pour  cause  de  religion,  ni  à 
personne  d'enlever  les  enfants  calvinistes  pour  les 
instruire  dans  le  catholicisme,  ni  aux  hôpitaux  de  se 
fermer  aux  malades  dissidents. 

Henri  IV  élargit  toujours  de  plus  en  plus  l'édit  de 
Nantes.  Le  culte  réformé  était  prohibé  jusqu'à  cinq 
lieues  de  Paris.  Il  fut  bientôt  toléré  à  Ablon  distant 
de  quatre  lieues ,  et  à  Charenton  éloigné  seulement 
de  deux  lieues  de  la  capitale  du  royaume.  A  Rouen, 
la  prohibition  s'étendait  à  tout  le  bailliage  5  un  temple 
fut  bâti  à  une  demi-lieue  de  la  ville. 

Les  réformés  devaient,  de  leur  côté,  rendre  les  do- 
maines d'église  dont  ils  s'étaient  emparés ,  consentir 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  413 

au  rétablissement  du  cultô  catholique  à  La  Rochelle , 
à  Nîmes,  à  Montauban,  en  Béarn  et  partout  où  la  re- 
ligion romaine  était  proscrite-,  ils  devaient  enfin  re- 
noncer à  toutes  associations,  à  toutes  levées  d'ar- 
gent et  d'hommes,  sans  l'autorisation  du  roi. 

Avec  tant  d'avantages  religieux,  l'édit  de  Nantes 
avait  des  inconvénients  poHtiques. 

Les  deux  cents  places,  les  finances,  les  assemblées 
des  protestants,  les  constituaient  un  parti  armé.  Ils 
étaient  une  petite  France  dans  la  France. 

Cela  fut  excellent  d'abord ,  mais  cela  devint  mau- 
vais dans  la  suite.  La  souveraineté  ne  saurait  être 
double. 

Aussi  la  force  des  calvinistes  sera  leur  faiblesse  j 
leur  vraie  force,  c'est  le  droit. 

Matériellement,  lisseront  vaincus  à  La  Rochelle 
par  Richelieu  qui  aura  le  génie  de  respecter  la  partie 
religieuse  de  l'édit  de  Nantes,  après  en  avoir  extirpé 
le  vice  politique. 

Matériellement,  ils  seront  vaincus  par  Louis  XIV, 
ce  destructeur  orthodoxe  du  plus  beau  monument  lé- 
gislatif de  son  aïeul. 

Eh  bien,  matériellement  vaincus,  les  protestants 
seront  moralement  vainqueurs. 

L'édit  de  Nantes  avait  été  leur  charte  pendant  près 
d'un  siècle.  Sa  révocation  fut  un  attentat,  un  scan- 
dale. 

Les  protestants  devinrent  sacrés  par  leur  infortune 
et  par  l'injustice  de  leur  persécuteur  couronné,  der- 
rière lequel  on  apercevait  clairement  le  confesseur 
jésuite.  Il  n'y  eut  qu'un  cri  en  Europe.  Il  n'y  eut 

35. 


414  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

qu'une  pitié  sur  les  religionnaires,  il  n'y  eut  qu'une 
indignation,  qu'un  mépris  sur  Louis  XIV. 

On  n'était  plus  au  règne  de  Charles  IX  et  de 
Henri  III.  L'esprit  humain  avait  grandi.  L'édit  de 
Nantes  planté  par  Henri  IV  avait  fructifié  pendant 
quatre->ungt-six  années.  11  avait  nourri  la  raison  pu- 
blique, il  l'avait  pénétrée  comme  une  séve  généreuse. 
Il  avait  fait,  ce  noble  édit,  l'éducation  de  la  France. 
On  avait  appris  par  lui  durant  une  longue  période  â 
respecter  deux  droits  :  le  droit  des  catholiques  ,  le 
droit  des  protestants.  Beaucoup  avaient  même  été 
conduits  à  reconnaître  autant  de  droits  que  d'églises, 
puis  autant  de  droits  que  d'associations,  puis  autant 
de  droits  que  d'hommes  individuels. 

Il  y  eut  d'autres  protestants,  nés  à  côté  des  pre- 
miers, des  protestants  qui  s'appelèrent  philosophes^ 
et  le  dix-huitième  siècle  enseigna  la  tolérance  reli- 
gieuse,  et  le  dix-neuvième  siècle,  malgré  bien  des 
hypocrisies ,  proclama  la  sainte  indépendance  de 
l'âme.  Et  voilà  comment  les  anciens  protestants,  tout 
en  revendiquant  par  l'héroïsme,  par  le  martyre,  la 
liberté  de  conscience  pour  eux,  la  conquirent  réelle- 
ment pour  le  monde. 

Mais  ne  nous  détournons  pas  de  la  formation  de 
l'édit  de  Nantes.  Signé  dès  1598,  il  n'était  pas  vé- 
rifié. 

Le  roi  s'employait  tout  entier  à  cet  édit  qui  avait 
coûté  plus  de  six  cent  mille  vies  généreuses  de  ré- 
formés et  qui  ne  fut  pas  payé  trop  cher. 

Henri  s'y  obstinait  comme  à  la  plus  grande  mesure 
de  son  règne.  Il  s'appliquait  à  gagner  les  catholiques, 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  415 

à  entraîner  les  magistrats.  Malgré  l'urgence,  l'équité, 
les  convenances  de  l'édit,  le  parlement  résista. 

Le  roi  le  manda  au  Louvre.  Il  ordonna,  il  supplia  : 
«  Messieurs,  dit-il,  vous  me  voyez  en  mon  cabinet, 
où  je  viens  parler  à  vous,  non  point  en  habit  royal, 
ni  avec  l'espée  et  la  cape,  comme  mes  prédécesseurs, 
ni  comme  un  prince  qui  reçoit  des  ambassadeurs, 
mais  vestu  comme  un  père  de  famille  en  pourpoint, 
pour  parler  à  ses  enfants.  Ce  que  j'ay  à  vous  dire, 
est  que  je  vous  prie  de  vérifier  l'édict  que  j'ay  ac- 
cordé à  ceux  de  la  religion.  Ce  que  j'en  ay  fait  est 
pour  le  bien  de  la  paix  ;  je  l'ay  faite  au  dehors,  je  la 
veux  faire  au  dedans  de  mon  royaulme.  Vous  me  de- 
vez obeyr  quand  il  n'y  auroit  autre  considération  que 
de  ma  qualité,  et  l'obligation  que  m'ont  tous  mes 
subjets,  et  particulièrement  vous  de  mon  parlement. 
J'ay  replacé  les  uns  en  leurs  maisons  dont  ils  estoient 
esloignez,  et  les  autres  en  la  foi  qu'ils  n'avoient  plus. 
Si  l'obeyssance  estoit  due  à  mes  prédécesseurs,  il  est 
dû  autant  et  plus  de  dévotion  à  moy  qui  ay  restabli 
l'État.  Dieu  m'a  choisi  pour  me  mettre  au  royaulme, 
qui  est  mien,  par  succession  et  par  acquisition.  Les 
gens  de  mon  parlement  ne  seroient  en  leur  siège 
sans  moi.  Je  ne  me  veux  vanter.  Mais  je  puis  bien 
dire  que  je  n'ay  exemple  d'autre  à  imiter  que  de 
moy-mesme.  Je  scays  qu'on  a  fait  des  brigues  au  par- 
lement, que  l'on  a  suscité  des  prédicateurs  séditieux: 
je  donneray  bien  ordre  contre  ces  gens  là,  et  ne  m'en 
attendray  pas  à  vous.  On  les  a  chastiez  autrefois  avec 
beaucoup  de  sévérité,  pour  avoir  presché  moins  sédi- 
tieusement  qu'ils  ne  font.  C'est  le  chemin  qu'on  a 


416  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

pris  pour  faire  les  barricardes  et  venir  par  degrez  au 
parricide  du  feu  roy.  Je  couperai  les  racines  à  toutes 
ces  factions,  je  feray  accourcir  tous  ceux  qui  les  fo- 
menteront. J'ay  sauté  sur  des  murailles  de  villes,  je 
sauterai  bien  sur  des  barricades. 

((  La  nécessité  m'a  fait  faire  cetédict.  Par  la  mesme 
nécessité,  j'ay  autrefois  fait  le  soldat.  Je  suis  roi  main- 
tenant, et  parle  en  roy  :  je  veux  estre  obey.  11  n'y  a 
pas  un  de  vous  qui  ne  me  trouve  bon  quand  il  a  affaire 
de  moy,  et  n'y  en  a  point  qui  n'en  ayt  besoin  une  fois 
l'an,  et  néanmoins  à  moy  qui  suis  si  bon,  vous  estes 
si  mauvais  î  Si  les  autres  parlements,  pour  avoir  ré- 
sisté à  ma  volonté,  ont  esté  cause  que  ceux  de  la 
religion  ont  demandé  des  choses  nouvelles,  je  ne 
veux  pas  que  vous  soyez  cause  d'autres  nouvelletez 
par  vos  refus...  Donnez  à  mes  prières  ce  que  ne 
voudriez  donner  aux  menaces.  Yous  n'en  aurez  point 
de  moy.  Faites  ce  que  je  vous  commande,  ou  plus- 
tost  dont  je  vous  prie,  vous  ne  le  ferez  seulement 
pour  moy,  mais  aussi  pour  vous  et  pour  le  bien  de  la 
paix. 

«  Messieurs,  dit  encore  le  roi  aux  magistrats  en  les 
congédiant,  exprimez  mon  vœu  à  votre  compagnie. 
Repousser  mon  édict,  le  seul  propre  à  désarmer  les 
huguenots  et  à  pacifier  mon  peuple,  ce  serait  déchaî- 
ner la  guerre  civile.  » 

Le  parlement  suscita  des  lenteurs,  mais  il  évita  un 
Ht  de  justice  en  consentant,  le  15  février  1599  à  l'en- 
registrement de  l'édit  de  Nantes. 

Cette  date  est  grande  entre  toutes  au  cadran  de 
l'histoire. 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  417 

Nous  sommes  au  seizième  siècle,  le  siècle  où  Chris- 
tophe Colomb  inventa  un  monde,  le  siècle  qui  inventa 
cent  autres  mondes  par  ses  autres  grands  hommes  : 
—  Monde  de  la  philosophie  par  Bacon  ;  monde  de  la 
poésie  par  Shakspeare,  le  Tasse,  Ronsard-,  monde 
de  la  théologie  par  Luther  et  Calvin-,  monde  de  l'as- 
tronomie par  Copernic;  monde  de  la  chirurgie  par 
Ambroise  Paré;  monde  du  droit  par  Cujas  et  Dumou- 
lin ;  monde  de  l'art  par  Jean  Goujon,  Germain  Pilon, 
Raphaël,  Titien,  Michel-Ange,  Léonard  de  Vinci; 
monde  de  l'héroïsme  par  Jeanne  d'Alhret,  Coligny, 
L'Hôpital-,  monde  delà  liberté  religieuse  qui  mène  au 
monde  de  la  liberté  politique,  au  monde  de  89.  Décou- 
verte partout,  et  là  où  n'est  pas  la  découverte,  le  pres- 
sentiment ,  principe  de  toute  fécondité.  —  Voilà  le 
seizième  siècle,  le  siècle  inventeur  entre  tous  les 
siècles! 

Henri  IV  eut  l'honneur  de  le  fermer  par  l'édit  de 
Nantes. 

Cet  édit  est  plus  qu'il  ne  paraît. 

Les  protestants  ne  l'ont  pas  revendiqué  seulement 
pour  eux.  Sans  le  savoir,  et  sans  le  vouloir,  ils  l'ont 
revendiqué  pour  tous. 

Us  ont  amené  les  gouvernements  à  supporter  deux 
cultes.  Par  la  logique  étel*nelle  des  choses,  les  gou- 
vernements ont  marché.  Ils  ont  suivi  la  direction  des 
mœurs  et  des  esprits. 

Les  gouvernements,  au  dix-neuvième  siècle,  re- 
connaissent trois  cultes  :  le  juif,  le  catholique  et  le 
protestant.  Dans  cette  évolution  divine  de  la  poli- 
tique dont  l'édit  de  Nantes  est  le  point  de  départ,  les 


418  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

gouvernements  admettront  bientôt  quatre  cultes , 
puiseincf,  puis  dix,  puis  tous  les  cultes. 

Ils  écriront  enfin  un  autre  édit,  l'édit  de  l'avenir, 
et  cet  édil,  le  voici  : 

Liberté  aux  juifs  et  aux  gentils,  liberté  aux  catho- 
liques, liberté  aux  protestants  de  toutes  les  nuances, 
liberté  aux  théistes,  liberté  à  chacun  et  à  tous,  liberté 
de  conscience,  liberté  de  cuUe  ! 

Quelle  diversité  1  mais  au  fond  quelle  unitéi  L'u- 
nité de  l'amour.  Amour  du  prochain,  amour  de  Dieu  : 
voilà  la  loi  et  les  prophètes,  dit  l'Évangile.  Voilà  le 
grand  christianisme! 

Henri  IV  est  pour  beaucoup  dans  ce  bienfait.  Il 
fut  l'anneau  moitié  d'or,  moitié  de  fer,  qui  relia  le 
seizième  au  dix-septième  siècle. 

Homme  encore  grand  après  Coligny  et  L'Hôpital  î 

Prince  très- politique ,  trop  politique,  puisqu'il 
subordonnait  tout  à  ses  intérêts,  doué  de  cœur  ce- 
pendant, d'un  cœur  qui  n'avait  pas  les  saintetés  du 
sentiment  mais  qui  en  avait  la  grâce  ^  héros  d'un  in- 
stinct superficiel,  très-aimant  et  très-aimable  de  sur- 
face, toujours  ingénu  même  dans  le  mensonge ,  sou- 
dain ,  hardi,  rusé,  persévérant,  et  dont  la  gaieté 
chevaleresque  jaillissait  de  la  mêlée  comme  l'étin- 
celle duchquetis  des  glaives^  homme  d'une  souplesse 
rare,  qui  se  prêtait  aux  circonstances  et  qui  était 
tout  ce  qu'elles  exigeaient  de  lui ,  d'un  équihbre  par- 
fait dans  la  bonne  et  dans  la  mauvaise  fortune,  supé- 
rieur à  l'une  et  à  l'autre,  propre  à  la  paix  autant  qu'à 
la  guerre  et  auquel  il  n'a  manqué  réellement  qu'une 
conscience  pour  être  tout  à  fait  un  grand  homme  î 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  419 

Après  la  vie  et  les  actions  de  Henri  IV.  rien  ne 
peint  mieux  son  caractère,  sa  passion  de  la  politique 
et  des  femmes,  que  ses  innombrables  portraits  dans 
chacun  desquels  il  se  révèle  par  ses  yeux  circonspects 
et  son  nez  d'aigle  au-dessus  d'une  bouche  du  dieu 
Pan. 

Il  n'avait  de  sa  mère  et  de  sa  sœur,  qui  se  ressem- 
blaient tant,  que  les  traits  allongés  et  la  forme  ovale 
du  visage.  11  n'en  avait  pas  l'expression  religieuse. 
Il  montrait  plutôt  la  jovialité  de  son  aïeule  Marguerite, 
la  muse  de  \ Hf-piameron  et  de  tant  de  bons  contes 
qui  réjouissaient  son  pelit-fils. 

Malgré  ses  défauts ,  le  Béarnais  eut  la  séduction 
suprême  :  on  ne  l'estimait  pas,  on  ne  l'admirait  pas 
complètement,  on  le  trouvait  économe,  oublieux, 
railleur,  mais  il  plaisait  et  on  l'aimait.  Il  était  enjoué, 
brave,  facile  à  l'amitié,  à  l'émotion,  à  la  pitié,  aux 
larmes.  11  avait  l'éclair  dans  le  regard ,  dans  la  re- 
partie, sur  la  lame  de  Tépée,  à  la  pointe  de  la  plume. 
Personne  n'a  mieux  écrit  les  billets,  ni  dit  les  mots 
aussi  bien,  à  la  française.  Les  trois  plus  grands  impro- 
visateurs de  lettres,  les  trois  plus  beaux,  les  trois 
plus  vifs  génies  épistolaires  de  notre  patrie  sont  : 
Henri  IV.  madame  de  Sévigné  et  Voltaire. 

Henri  IV  avait  l'agrément  d'un  gentilhomme.  Il  se 
savait  de  bonne  maison  et  cela  lui  donnait  de  l'assu- 
rance. Ce  qui  lui  en  donnait  encore  plus .  c'était  son 
esprit.  Il  avait  l'aisance  du  corps  d'une  manière  sur- 
prenante et  cette  flexibilité  d'un  prince  qui  a  toujours 
monté  à  cheval,  dansé  et  manié  les  armes.  Et  de  plus 
parfaitement  naturel  à  la  cour,  à  la  ville,  dans  les 


420  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

camps,  dans  les  champs,  avec  les  paysans,  avec  les 
soldats,  avec  les  bourgeois,  avec  les  nobles. 

Sa  verve  était  intarissable ,  verve  de  conversation, 
de  plaisanterie,  verve  de  courage,  d'héroïsme.  Ce  qui 
achevait  son  prestige,  c'était  parfois  une  rapide  sen- 
sibilité. Il  rendait  la  gaieté  pathétique.  D'un  essor 
prompt,  il  éclatait  souvent  en  bienveillances,  et,  après 
vous  avoir  fait  rire  par  une  saillie,  il  vous  faisait  pleu- 
rer par  une  bonté. 

Les  cathohques  modérés  avaient  suivi  les  justices 
de  Dieu  sur  tous  les  coupables  de  la  Saint-Barthé- 
lemy. 

Ils  avaient  compris,  les  catholiques  purs  du  grand 
massacre,  que  Dieu  avait  rayé  les  bourreaux  de  la  vie 
et  qu'il  fallait  à  la  religion  autant  qu'à  la  monarchie 
un  roi  innocent  de  la  Saint-Barthélemy,  un  roi  vie- 
time^en  ce  grand  carnage.  Il  n'y  avait  qu'un  tel  roi 
qui  pût  renouveler  le  gouvernement,  fonder  une  dy- 
nastie et  absoudre,  par  une  charte  de  tolérance,  les 
persécutions. 

Ce  roi,  c'était  Henri  IV. 

11  ne  brusquait  point  les  temps ,  il  les  aidait.  Il  se 
maintenait,  quoiqu'en  chancelant,  dans  le  grand  cou- 
rant de  Dieu,  et  s'il  ne  le  descendait  pas  rapidement, 
il  ne  cherchait  point  du  moins  à  le  remonter. 

Il  était  donc  bien  l'homme  d'État  providentiel  de  la 
liberté  de  conscience. 

Si  on  le  sonde  très-avant,  il  n'était  d'aucun  culte. 
Il  avait  reçu  par  sa  mère,  par  ses  précepteurs,  par  les 
théologiens  de  Jeanne  d'Albret  une  solide  instruction  -, 
mais  toutes  les  leçons  qu'il  subit  toutes  les  lectures 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  421 

qu'on  lui  imposa  l'ennuyèrent.  Il  n'était  ni  catholique 
ni  protestant. 

Bonne  condition  pour  l'impartialité  politique  -,  seu- 
lement, et,  c'est  ici  sa  grande  lacune,  il  ne  s'intéres- 
sait pas  aux  affaires  de  Dieu  en  ce  monde.  Il  n'était 
pas  pieux,  il  était  indifférent.  Il  n'avait  pas  la  fibre  de 
rinfini. 

S'il  avait  eu  la  piété  au  même  degré  que  le  chan- 
celier de  L'Hôpital,  très-dictinct  aussi  des  sectes,  s'il 
avait  eu  la  piété,  tout  en  conservant  le  dégagement 
d'une  âme  vaste,  il  eût  été  l'un  des  plus  grands 
hommes  de  l'histoire.  Au  lieu  d'être  uniquement 
l'homme  de  la  France,  ce  qui  est  déjà  bien  beau,  il 
eût  été  l'homme  de  Dieu,  ce  qui  serait  sublime. 

Il  n'avait  rien  d'un  croyant;  il  avait  tout  d'un 
homme  et  d'un  gentilhomme. 

Il  aimait  à  aimer  ses  amis ,  et,  ce  (^i  est  plus  diffi- 
cile, il  aimait  à  aimer  ses  ennemis,  après  leur  avoir 
pardonné.  C'était  pour  lui  le  plus  exquis  des  plaisirs 
et  il  le  rechercha  toujours. 

Il  était  souvent  dans  l'action,  dans  les  fatigues 
physiques  et  morales,  un  héros  à  la  manière  de  ceux 
de  Plutarque-,  mais  dans  les  idées,  il  était  un  scepti- 
que, un  épicurien  à  la  manière  de  Montaigne. 

Il  chérissait  le  peuple  qu'il  appelait  son  peuple.  Il 
le  chérissait  avec  la  tendresse  dont  il  combla  ses  maî- 
tresses et  ses  enfants. 

Il  avait,  je  l'ai  dit,  un  désir  qui  lui  revenait  sans 
cesse,  dont  il  s'entretenait  avec  Sully.  Ce  désir  était 
celui  de  la  poule  au  pot  pour  chaque  hutte  de  son 
royaume. 

IV.  ,  36 


422  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Rendre  son  peuple  prospère,  comment  le  pouvait- 
il,  sinon  par  la  paix  avec  l'Europe  et  avec  la  ligue, 
par  la  paix  entre  les  religions  ? 

Le  traité  de  Vervins  avait  fini  la  guerre  étrangère; 
le  traité  avec  le  duc  de  Mercœur  avait  fini  la  guerre 
civile  .)  rédit  de  Nantes  termina  les  dissensions  reli- 
gieuses. 

Lorsque  Henri  IV  eut  promulgué  cet  édit,  il  res- 
pira fortement  dans  la  plénitude  de  la  prérogative 
royale  si  laborieusement  reconquise.  Le  nonce  lui 
ayant  demandé  combien  d'années  il  avait  fait  la 
guerre:  «  Toute  ma  vie,  répondit  le  Béarnais,  et  mes 
armées  n'ont  jamais  eu  d'autre  général  que  moi.  >» 

L'édit  de  Nantes  marque  la  plus  grande  heure  de 
Henri  IV. 

Ce  noble  prince  a  dégrafé  son  ceinturon.  Il  s'est 
démêlé  de  l'astuce  italienne  et  il  a  humilié  l'orgueil 
espagnol.  Il  est  un  conciliateur  entre  les  ultramon- 
tains  qui  l'accusent  d'avoir  trop  accordé  et  les  hu- 
guenots qui  lui  reprochent  de  n'avoir  pas  assez  fait. 

Il  a  réédifié  la  monarchie  qui  s'écroulait  de  toutes 
parts  et  rétabli  peu  à  peu  avec  elle  l'administration , 
la  justice,  l'industrie,  l'agriculture,  le  commerce,  par 
la  confiance  qu'inspire  une  dynastie  nouvelle  si  ma- 
gnanimement ressuscitée. 

Le  Béarnais  a  relevé  sa  maison  par  la  gloire,  il  ne 
l'a  jamais  souillée  par  une  cruauté.  Il  a  été  le  plus 
doux,  le  plus  clément,  le  plus  humain  du  seizième 
siècle.  Il  n'a  été  prodigue  que  de  son  sang-,  il  a  mé- 
nagé le  sang  d'autrui  mille  fois  plus  que  le  sien 
propre. 


LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME.  423 

Henri  IV,  à  cette  date  de  l'édit  de  Nantes,  est 
etilouré  des  hautes  renommées  de  son  règne,  de 
Mayenne,  son  premier  sujet,  de  Jeannin,  de  Belliè- 
vre,  de  Sillery,  de  Sancy,  ses  conseillers,  de  Mont- 
morency-Damville,  son  connétable,  de  Lesdiguiè- 
res,  du  maréchal  de  Biron,  ses  généraux,  d'Achille 
de  Harlay,  de  Jacques-Auguste  de  Thou,  ses  ma- 
gistrats, de  Sully,  son  ministre,  de  Gabrielle  d'Es- 
trées,  sa  maîtresse,  de  Grillon,  son  héros,  ded'Aubi- 
gné,  son  soldat,  son  poëte  et  son  prophète,  de  Pierre 
Matthieu,  son  biographe. 

Dieu  veuille  que  le  roi  vive,  mais  il  peut  mourir. 
Il  n'entend  pas  aiguiser  de  loin  le  couteau  de  Ravail- 
lac-,  seulement  lorsque  ce  couteau  le  frappera,  il  sera 
prêt. 

Il  aura  restauré  l'autorité,  il  aura  fait  de  la  Hberté 
des  âmes  la  plus  auguste  de  ses  lois,  le  plus  mémo- 
rable de  ses  édits.  Malgré  ses  simonies  et  ses  vices,  il 
aura  mérité  par  son  héroïsme,  par  ses  travaux,  par  sa 
bonté,  que  la  postérité  Taime  après  les  contempo- 
rains ,  et  que  Jeanne  d'Albret ,  Coligny  et  L'Hôpital 
le  reçoivent  dans  la  joie  des  demeures  éternelles. 

L'historien  qui  écrit  ces  faibles  lignes  et  qui  achève 
cette  œuvre  commencée  sous  l'invocation  religieuse, 
poursuivie,  s'il  l'ose  dire,  dans  la  familiarité  de  la 
présence  de  Dieu ,  l'historien  qui  a  été  soutenu  dans 
le  récit  de  tant  de  crimes  par  l'espérance  d'en  tirer 
une  conclusion  de  liberté,  a  versé  sur  Henri  IV  avec 
le  blàme  équitable  l'effusion  d'un  dernier  attendris- 
sement. Il  a  bien  éprouvé,  durant  le  cours  de  ces 
annales,  que  si  l'amour  est  l'enchantement  de  la  jeu- 


424  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

nesse,  le  plus  grand  bonheur  de  l'âge  mûr  et  de  la 
vieillesse,  c'est  la  vérité.  Si  donc  l'historien  a  été 
sincère,  s'il  a  tenu  la  balance  droite,  c'est  qu'il  était 
arbitre  et  qu'il  devait  compte  du  moindre  mal  et  du 
moindre  bien.  Il  peut  d'autant  mieux,  en  finissant, 
ajouter  le  sceau  de  son  admiration  sur  la  tombe  du 
législateur  de  l'édit  de  Nantes,  de  celui  qui  fut  tolé- 
rant dans  un  siècle  d'inquisiteurs,  miséricordieux 
dans  un  siècle  de  bourreaux,  de  celui  qui  contribua 
plus  que  personne  à  favoriser,  parmi  les  générations 
de  la  Saint-Barthélemy,  le  respect  de  la  vie  humaine 
et  le  respect  de  la  conscience. 


CONCLUSION 


Que  serait  l'histoire ,  si  elle  n'était  la  logique  de 
Dieu  ? 

De  la  première  à  la  dernière  page  de  mon  livre, 
tout  a  changé  sur  la  face  de  la  terre. 

C'en  est  fait  désormais  :  le  monde  moderne  appar- 
tient à  la  discussion  par  l'effort  du  protestantisme. 
Car  le  protestantisme  est  le  droit,  hien  plus,  il  est  le 
devoir  pour  chacun  de  se  prouver  à  soi-même  sa  foi, 
c'est-à-dire  ce  qui  importe  le  plus  à  la  vie  présente  et 
à  la  vie  future.  Yoilà  ce  que  c'est  que  le  protestan- 
tisme. C'est  lui  qui  alluma  au  seizième  siècle  cette 
faculté  active  de  l'inteUigence,  la  discussion,  et  quand 
elle  eut  éclaté  dans  le  cœur,  dans  les  yeux,  sur  les 
lèvres  de  l'homme ,  tout  lui  fut  aliment ,  et  la  Bible 
plus  que  tout. 

La  vulgarisation  croissante  de  la  Bible  eut  deux 
influences.' 

Elle  éleva  les  mœurs  par  l'élan  rehgieux  qui  anime 
ce  grand  livre,  et  elle  les  endurcit  par  les  souffles  bar- 
bares qu'on  y  respire. 

Mais  le  succès  de  cette  vulgarisation  fut  d'afihm 
chir  la  pensée.  Car  mettre  la  Bible  entre  les  mains  de 

56. 


426  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

l'homme,  c'était  le  constituer  juge  des  textes,  ce  qui 
fait  le  protestant  5  et,  si  les  textes  venaient  à  ne  plus 
le  satisfaire,  c'était  le  constituer  juge  de  l'esprit,  ce 
qui  fait  le  philosophe. 

Voilà  ce  que  les  réformateurs  ne  comprirent  pas 
entièrement.  La  Providence  a  voulu  que  le  mouve- 
ment créé  par  les  révolutionnaires  de  tous  les  siècles 
fût  toujours  plus  fort  qu'eux.  Lorsque  ce  mouvement 
a  touché,  à  travers  mille  écueils,  le  hut  que  les  nova- 
teurs s'étaient  proposé,  il  se  prolonge  hien  au  delà,  et 
il  atteint,  par  des  courhes  inconnues,  un  autre  but 
dérobé  à  tous  les  regards,  le  but  de  Dieu. 

Luther  croyait  aller  à  la  grâce,  Calvin  à  la  prédes- 
tination, et  ils  allaient  l'un  et  l'autre  à  la  liberté. 

Descartes ,  puis  Yoltaire ,  puis  Rousseau  rêvaient- 
ils  la  révolution  française,  et  Mirabeau  les  doctrines 
spirituahstes  du  dix-neuvième  siècle?  Non. 

Eh  bien,  tous  ces  grands  hommes,  emportés  par 
une  impulsion  irrésistible,  s'orientaient  dans  les  om- 
bres ,  et  Dieu  les  guidait  vers  un  idéal  plus  lumineux, 
plus  vaste  que  leur  idéal  personnel. 

Là  est  la  sublime  beauté  de  l'histoire,  quand,  sous 
la  trace  des  initiateurs,  on  cherche  et  on  découvre 
la  Providence  maternelle  qui  les  inspire  et  qui  les 
conduit. 

Si  je  cite  des  hommes,  c'est  qu'ils  ont  travaillé, 
mais  aucun  n'a  triomphé.  Aussi,  bien  que  tant  de 
noms  soient  illustres,  pas  un  seul  ne  nous  contente; 
il  n'y  a  qu'un  nom,  et  c'est  celui  de  Dieu,  qui  nous 
suffise. 

Luther  eut  des  précurseurs  dès  la  plus  haute  anti- 


CONCLUSION. 


427 


quité.  Pour  ne  parler  que  de  ses  précurseurs  immé- 
diafs,  il  en  eut  de  très-hardis  dans  le  midi  de  la 
France,  en  Allemagne  et  en  Bohème.  Il  eut  sa  tradi- 
tion dans  ce  monde  des  faits  où  tout  se  déroule,  où 
tout  s'enchaîne. 

ïl  ouvre  les  temps  modernes.  Il  s'avance  sur  un 
Océan  nouveau,  sans  savoir  où  il  s'arrêtera  -  il  va  de- 
vant lui,  malgré  les  fanlômes,  les  obstacles,  les  ter- 
reurs que  le  démon  du  passé  soulève.  Il  aborde  à  un 
continent,  à  un  principe,  et  il  s'y  établit.  Ce  sol  ferme, 
c'est  la  liberié  d'examen.  Luther  jette  avec  ardeur 
ses  défis  au  pape,  il  brave  la  cour  de  Rome  et  lui  ar- 
rache les  peuples.  C'est  un  tribun  théologique. 

C'est  l'homme  de  la  première  journée. 

Calvin  ne  songe  pas  à  détruire,  mais  à  organiser. 
Il  n'invecîive  pas,  il  affirme  en  législateur.  Il  bâtit 
une  autre  Rome,  la  Rome  du  protestantisme.  Il  fait 
et  refait  Genève  à  son  image.  Il  parle,  il  frappe,  il 
règne,  il  gouverne  et  il  fonde.  Coligny,  L'Hôpital  et 
Henri  IV  fondent  après  lui. 

Ce  sont  les  hommes  de  la  seconde  journée. 

Descartes  sort  des  textes ,  recule  les  frontières  des 
idées  et  pose  les  premières  assises  d'une  Église  lente 
à  naître,  dans  laquelle  on  adorera  en  esprit  et  en  vé- 
rité le  grand  Dieu  de  l  inhni,  le  Dieu  de  la  lumière  et 
de  l'amour. 

Descartes  est  l'homme  de  la  troisième  journée. 

Voltaire,  Rousseau  et  leurs  semblables  dévelop- 
pent, fécondent  Descartes  et  aboutissent  à  la  révolu- 
tion française. 

Ils  sont  les  hommes  de  la  quatrième  journée. 


428  HISTOIRE  DE  LA  LIBERTÉ  RELIGIEUSE. 

Mirabeau  inaugure  cette  grande  ère  de  1789^  il 
en  est  la  parole  fulgurante  et  l'emblème  saisissant. 

Il  est  l'homme  de  la  cinquième  journée. 

Heureusement,  nous  ne  sommes  pas  au  bout  de 
nos  vœux.  D'autres  hommes  et  d'autres  journées 
éclôront  dans  les  mystères  de  l'avenir.  Pourquoi  s'en 
affliger?  Toute  plainte  serait  impie.  Croit-on  que  ces 
journées  glorieuses  soient  sans  que  Dieu  le  per- 
mette ?  La  vertu  de  l'homme  est  de  concourir  à  ces 
créations,  et  de  seconder  Dieu  dans  ses  conseils. 
C'est  pour  cela  qu'il  vaut  la  peine  de  se  dévouer,  de 
souffrir  et  de  mourir.  Tous  ces  grands  hommes  mêmes 
seraient  petits  si  Dieu  ne  les  continuait  sans  cesse.  Ils 
ne  sont  pas  lui-,  mais  ils  nous  mènent  à  lui,  en  nous 
attirant  à  eux.  Ainsi,  oii  tout  initiateur  finit.  Dieu 
commence  et  recommence.  C'est  le  charme  éternel, 
l'éternelle  aspiration,  l'éternelle  vie. 

L'histoire  est  un  combat  de  géants.  Il  y  a  surtout 
deux  adversaires  qui  ne  se  lassent  pas ,  même  lors- 
qu'ils semblent  reprendre  haleine.  Leur  duel  se  pro- 
longe par  le  bruit  comme  par  le  silence.  Ils  luttent 
toujours,  ils  ne  se  reposent  jamais. 

Qui  l'emportera  de  ces  deux  grands  ennemis  dont 
le  monde  est  le  champ  de  bataille  ?  Je  dis  le  monde 
sous  ses  deux  formes  d'espace  et  de  durée. 

Est-ce  la  superstition  qui  demeurera  victorieuse? 
Je  ne  le  pense  pas.  Elle  a  tenu  l'esprit  humain  sous 
son  genou  implacable  durant  des  siècles.  Quand  elle 
n'a  pu  le  dompter,  Thumiher,  elle  l'a  persécuté,  tor- 
turé, décapité,  brûlé  vif,  dans  ses  représentants.  Rien 
n'y  a  fait.  L'esprit  humain  a  résisté.  Il  a  même  gagné 


CONCLUSION. 


429 


du  terrain,  et  la  superstition  en  a  perdu.  La  supersti- 
tion s'est  appuyée  sur  toutes  les  tyrannies  qui  se  sont 
empressées  d'entrer  à  son  service.  Vaines  tentatives! 
L'esprit  humain  a  été  plus  fort  que  toutes  les  forces 
liguées  contre  lui,  plus  fort  que  la  force. 

Malgré  les  compressions,  malgré  le  machiavélisme, 
malgré  le  jésuitisme,  l'esprit  humain  se  prouve  à  cer- 
taines heures  par  des  actes  formidables,  irrésistibles. 
Avant-hier  c'était  le  protestantisme,  hier  c'était  la 
philosophie,  aujourd'hui  c'est  la  révolution  française. 
Demain,  après  demain,  toujours,  ce  sera  autre  chose, 
quelque  chose  de  plus  parfait.  Là  est  toute  la  ques- 
tion. 

Le  moyen  âge,  c'était  l'obéissance  aveugle.  Le  sei- 
zième siècle,  c'est  le  réveil  de  la  liberté.  Les  nations 
fatiguées  de  la  nuit  invoquent  l'aurore. 

Il  n'y  a  plus  qu'une  loi,  l'évidence^  plus  qu'une 
faculté,  la  conscience  -,  et  sur  cette  pente  le  protes- 
tantisme glisse  dans  le  rationalisme.  Chaque  homme 
se  sent  peu  à  peu  détaché  de  son  idole  et  s'élève  jus- 
qu'au Dieu  de  l'Infini. 

Il  y  a  eu  des  idolâtries  dissemblables.  Quelquefois 
les  peuples  se  sont  prosternés  devant  le  soleil,  quel- 
quefois devant  un  conquérant,  quelquefois  devant  un 
prophète^  mais  soit  qu'ils  adorent  un  astre  ou  un 
homme,  cet  astre  fùt-il  le  plus  éclatant  du  firma- 
ment, cet  homme  fùt-il  le  meilleur  des  hommes,  les 
peuples  commettent  une  idolâtrie.  Ils  se  trompent. 
Ils  interposent  le  fini  entre  eux  et  l'infini,  entre  leur 
àme  et  le  vrai  Dieu,  leur  père,  le  créateur  des  mon- 
des, pour  qui  seul  le  genre  humain  doit  garder  ses 


430  HISTOIRE  DE  LA  LTTîERTÉ  RELIGIEUSE. 

prières,  vers  qui  seul  il  doit  les  faire  monter  de  son 
cœur,  comme  d'un  encensoir. 

Le  plus  grand  malheur  de  Fidolâtrie,  après  l'erreur, 
c'est  l'intolérance. 

a  0  mes  amis,  disait  le  chancelier  de  L'Hôpital  à 
des  sectaires,  j'admets  votre  foi,  elle  me  touche  même 
à  cause  du  sentiment  religieux  qui  vous  anime  et 
que  j'éprouve  -,  mais  si  je  respecte  votre  Dieu,  respec- 
tez le  mien.  »  Il  demandait  cette  faveur  et  les  sectaires 
ne  la  lui  accordaient  point,  par  cela  qu'il  était  le  moins 
idolàtrement  pieux  de  tous  les  hommes  de  son  temps. 
Il  en  est  toujours  ainsi  à  notre  époque. 

Cela  vient  de  ce  que  les  peuples  sont  encore  en- 
fants et  ne  vivent  que  de  légendes-,  ne  comprenant 
pas  ce  qui  est  au  delà  et  au  dessus,  ils  le  proscri- 
vent! 

C'est  cependant  l'indulgence  mutuelle  qui  serait 
juste  et  que  cette  histoire  enseigne. 

Que  tous  les  cultes  brûlent  leurs  parfums  et  les  fas- 
sent fumer  avec  leurs  prières ,  l'un  à  côté  de  l'autre  ; 
ces  prières  multiples  plairont  à  Dieu  -,  car,  tandis  que 
nous  ne  voyons  que  les  dissidences.  Dieu  voit  l'har- 
monie. Les  idiomes  de  l'adoration  sont  divers ,  mais 
le  sens  est  le  même.  Donc  plus  de  tyrannie  protes- 
tante en  Irlande  et  en  Suède,  plus  de  tyrannie  catho- 
lique en  Italie,  plus  de  tyrannie  grecque  en  Pologne, 
plus  de  tyrannie  musulmane  à  Constantinople.  Par- 
tout la  tolérance,  la  fraternité  partout!  la  persécu- 
tion nulle  part! 

Que  si,  près  des  cultes  formulés,  il  y  a  des  philoso- 
phes qui  ne  soient  pas  contenus  dans  les  limites  écrites, 


CONCLUSION. 


431 


des  philosophes  qui.  étouffant  dans  les  textes,  ne  res- 
pirent que  dans  la  contemplation,  qu'eux  aussi  Jusque- 
là  isolés,  puissent  se  réunir  et  qu'ils  aient  leur  droit 
de  piété,  ce  droit  qu'ils  ue  refusent  pas  aux  autres  et 
qu'on  leur  refuse!  Que  chacun  puisse  passer  à  l'esprit 
ou  rester  dans  la  lettre  !  Que  tous  puissent  retourner 
en  arrière  ou  marcher  en  avant  avec  la  conscience, 
les  sages  non  moins  que  les  simples  et  les  petits  ! 

Alors  l'homme,  étant  plus  sincère,  sera  plus  agréa- 
ble à  Dieu.  Il  se  prononcera  sans  hypocrisie  et  sans 
contrainte  entre  les  religions  :  car  si  elles  sont  égales 
en  droits,  elles  ne  le  sont  pas  en  vérités.  Chacun  choi- 
sira son  culte  extérieur  ou  intérieur,  hturgique  ou 
non  liturgique;  et  nul  ne  sera  hlàmé  de  son  choix ^ 
et  sous  le  dôme  du  ciel  ou  sous  les  voûtes  des  églises, 
sous  les  étoiles  ou  sous  les  cierges,  tous,  plus  libres, 
prieront  avec  plus  de  ferveur  devant  les  flambeaux  de 
leur  espérance  ! 

En  attendant,  confessons,  chacun  selon  la  vérité, 
ce  que  nous  croyons.  Même  dans  le  combat  qui  est 
un  devoir,  honorons  la  foi  chez  tous  :  la  foi  selon  les 
traditions  et  la  foi  selon  la  raison.  N'insultons  pas  non 
plus  le  scepticisme,  mais  plaignons-le.  Car,  bien  qu'il 
soit  la  fantaisie  de  quelques  grandes^  intelligences , 
il  est  moins  une  étendue,  de  génie  qu'une  borne  de 
cœur. 

Ah  î  que  je  préfère  la  foi  de  l'humanité!  Depuis  les 
Edens  primitifs,  depuis  les  religions  de  l  lnde.  de  l'E- 
gypte, de  la  Perse,  et  de  la  Grèce,  et  de  Rome,  et  de  la 
Judée;  depuis  Pythagore.  et  Platon,  et  Aristote;  depuis 
saint  Thomas  d'Aquin -,  depuis  Bacon  et  Leibnitzj 


432        '    HISTOIRE  DE  LA  LIBERTE  RELIGIEUSE. 

depuis  Ivant,  Fichte,  Scbelling  et  Hegel,  ces  destruc- 
teurs venus  après  des  fondateurs  pour  susciter  des 
*  fondateurs  nouveaux  ^  depuis  les  Yédas  et  la  Bible , 
en  un  mot,  jusqu'à  la  philosophie  allemande,  il  y  a 
eu  bien  des  tbéodicées  dans  le  monde.  Il  y  en  aura 
d'autres  sans  que  la  foi  soit  ni  détrônée  ni  ébran- 
lée. Vous  qui  craignez  la  décadence  de  la  foi,  réflé- 
chissez donc  un  peu.  Comment  périrait-elle,  puis- 
qu'elle est  de  Dieu,  qu'elle  est  tout  l'homme,  et 
qu'elle  fonde  la  vie  éternelle?  Rassurez-vous.  Je  ne 
sais  pas  si  nous  sommes  nés  pour  autre  chose  que 
pour  la  foi.  C'est  notre  dignité,  notre  poésie,  notre 
philosophie,  notre  amour  persévérant,  notre  gloire  in- 
délébile d'accroître  incessamment  la  conception  pré- 
sente de  Dieu  et  de  la  remplacer  par  une  conception 
plus  haute.  Voilà  notre  destinée.  Réjouissons-nous 
de  vivre  pour  agrandir  en  nous  l'idée  de  «  Celui  qui 
est.  ))  Approfondissons-le  par  la  science  autant  que 
par  le  sentiment.  Aimons-le  et  aimons-nous  en  lui. 
Ne  nous  tourmentons  pas  du  nombre  ^  soyons  seu- 
lement en  règle  avec  l'unité.  Nous  avons  été  créés 
pour  l'unité,  et  nous  y  arriverons  puisque  nous  som- 
mes immortels.  Ne  soyons  jamais  découragés.  Notre 
inquiétude  même  est  un  grand  signe.  Quand  nous 
nous  agitons  dans  les  crépuscules,  c'est  que  nous 
aspirons  au  jour^  et  pour  nous  le  jour,  c'est  Dieu! 


FIN. 


CATALOGUES 

DES 

PRINCIPAUX  DOCUMENTS 

ÉCRITS  ET  FIGURÉS 
CONSVLTÉS  POVR  CETTE  IIISTOIHE 


Un  mot  sur  le  sens  de  ces  catalogues  si  abrégés  et  si  ra- 
pides, mais  dont  les  indications  seront  utiles  à  plusieurs. 

C'est  toujours  l'âme  humaine  que  j'ai  chercliée  dans  les  ac- 
tions, dans  les  paroles  et  sur  les  traits  de  tant  de  personnages. 
Les  monuments,  soit  de  typographie,  soit  de  pierre,  soit  de 
marbre,  soit  de  bronze,  soit  de  couleur,  n'ont  d'intérêt  que 
par  l'âme  multiple  dont  ils  ont  gardé  l'empreinte.  Cette  âme, 
dégagée  de  partout  et  recueillie  dans  l'histoire,  a  seule  une 
physionomie  éternelle,  forma  mentis  œterna.  Les  détails  in- 
nombrables doivent  tous  concourir  à  fixer  cette  physionomie 
mobile  des  siècles.  De  fugitive  qu'elle  est  dans  la  diversité 
infinie  de  ce  qui  est  écrit  ou  figuré,  il  faut,  à  de  certaines 
dates,  la  rendre  saisissante  et  durable  dans  l'unité  d'une  œu- 
vre. Voilà  ce  que  j'ai  tenté,  et  ce  que  d'autres  accompliront 
sans  doute  mieux  que  moi. 


IV. 


37 


I 

LIVRES  IMPRIMÉS  ET  MANUSCRITS 


DOCUMENTS  ÉCRITS 


La  Bible. 

Luther.  —  Ses  OEuvres. 

Calvin.  —  Ses  OEuvres.  Ses  Lettres,  édition  Bonnet, 

Hutten.  —  Ses  OEuvres. 

Mémoires  de  Luther,  par  Michelet. 

Lettres  de  Marguerite,  publiées  par  M.  Genin. 

Les  papiers,  Granvelle.  —  L'encyclopédie  des  diplomates,  des  tyrans 

et  des  historiens. 
Histoire  des  Vaudois,  par  M.  Muston. 

Le  procès-verbal  original  de  l'exécution  des  Vaudois.  Archives  d'Aix. 

Bistoire  de  l'Église  de  Genève,  par  M.  Gaberel. 

France  protestante,  de  M.  Haag. 

Bulletin  de  la  société  de  l'histoire  du  protestantisme. 

Les  comptes  de  la  bouche,  aux  Archives. 

Guicciardini. 

Bembo.  / 
Paolo  Jovio.  "  ;  ' 

Le  loyal  serviteur  [Histoire  de  Bayard). 
J.-A.  de  Thou  [Histoire  universelle). 
Brantôme,  toutes  ses  œuvres. 

Vincent  Carloix  [Histoire  du  maréchal  de  Lavieilleville), 
Biaise  de  Monlluc  [Mémoires). 
Tavannes  [Mémoires). 


DOCUMENTS  tCIUTS.  435 

La  Popelinière. 

Régnier  de  la  Planche.  ( 
Le  président  de  la  Place. 

Bertrand  de  Salignac  (Relation  du  siège  de  Metz), 

L'amiral  de  Coligny  [Mémoires  sur  le  siège  de  Saint-Quentin). 

Jean  de  Mergey  (Mémoires). 

Th<odore-Agrippa  d'Aubigné.  —  Son  Histoire,  ses  Mémoires,  ses 
Satires,  ses  Tragiques. 

Théodore  de  Bèze. 

Mémoires  de  Condé.  6  vol.  'm-A°.  1741. 

Mémoires  de  la  Ligue,  autre  recueil  de  pièces.  6  vol.  in-4°T  17  25. 

Grotius,  Annales  et  historiœ  de  rébus  Belgicis. 

Mémoires  de  Castelnau  (le  Laboureur). 

Les  correspondances  de  Charles-Quint,  V.  Lanz. 

De  Sismondi,  Ranke,  Michelet,  Henri  Martin,  Guizot,  Mignet,  Vitet, 
Poirson,  Amédée  Fichot. 

Marnix,  par  Edgar  Quinet. 

Lettres  de  Catherine  de  Médicis. 

Martyrologe  de  Crespin. 

Archives  de  Genève,  Registres  du  Conseil. 

Matthieu. 

Le  Bouclier  d'honneur.  Oraison  funèbre  de  Grillon,  par  François 
Bening,  de  la  compagnie  de  Jésus. 

Supplément  à  r  histoire  du  Beauvoisis,  par  M.  Simon,  conseiller  au 
présidial  de  Beauvais. 

Lettres  et  mémoires  d" Estât,  des  rois,  princes,  ambassadeurs  et  autres 
ministres  sous  les  règnes  de  François  P"'.  Bcnri  II  et  François  II. 
Ouvrage  composé  de  pièces  originales,  la  plupart  en  chiffres, 
et  de  minutes  de  nos  roys ,  rangées  selon  l'ordre  des  temps,  par 
messire  Guillaume  Ribier. 

Tableau  de  la  poésie  française  au  seizième  siècle,  par  M.  Sainte- 
Beuve. 

Journal  des  choses  mémorables  advenues  durant  tout  le  règne  de 
Henri  III,  roi  de  France  et  de  Pologne,  par  Pierre  de  l'Estoile. 
1674-1689. 


436 


MANUSGRITS  KT  LIVRES  IMPRIMÉS. 


La  description  de  l'île  des  Hermaphrodites,  —  Contre  Henri  III  et 
ses  mignons. 

Le  divorce  satirique,  ou  les  amours  de  la  reine  Marguerite. 

La  confession  de  Sancrj,  —  Apostasie  de  Henri  IV. 

Le  discours  merveilleux  de  la  vie,  actions  et  déportements  de  la  reine 

Catherine  de  Médicis. 
Waddington.  —  Vie  de  Ramus.  Excellente  biographie. 

Geruzez.  — Histoire  de  la  littérature  française.  —  Essais  d'histoire 
littéraire  et  autres  œuvres»  L'auteur  élève  partout  la  critique  jus- 
qu'à l'art  et  à  la  philosophie. 

Soldan.      La  Saint-Barthélemy. 

Cet  écrivain,  d'une  précision  magistrale,  est  le  plus  judicieux  des 

critiques  d'histoire  sur  cette  tragique  époque. 

Le  Diaire  du  ministre  Merlin  (le  fils).  —  Journal  très -intéressant, 
malgré  la  vulgarité  de  l'homme  et  du  style. 

Archives  delà  maison  d'Orange-Nassau,  par  M.  Groën  van  Prinsterer. 
Correspondayice  de  Guillaume  le  Taciturne,  par  M.  Gachard. 
Correspondance  de  Philippe  II,  par  le  même. 

Mémoires  authentiques  de  Jacques  Nompar  de  Caumont,  duc  de  la 
Force,  suivis  de  Correspondances  inédites .  Publiés  par  le  marquis 
de  la  Grange. 

Procès-verbal  de  Nicolas  Poulain,  de  1585  à  1588. 

Histoire  des  amours  du  grand  Alcandre  (Henri  IV). 

Journal  du  règne  de  Henri  IV,  de  1594  à  1610,  par  Pierre  de 
l'Estoile. 

Satire  Ménippée.  —  De  la  vertu  du  catholicon  d'Espagne  et  de  la 

tenue  des  états  de  Paris. 
Lettres  de  Busbec.  —  Il  résidait  à  la  cour  de  France  pour  Isabelle 

d'Autriche,  veuve  de  Charles  IX,  et  il  mandait  les  nouvelles  ù 

l'empereur  Rodolphe  II,  son  maître. 
Œuvres  'd'Estienne  Pasquier.  —  Ses  lettres  surtout. 
Les  ambassades  et  négociations  de  l'illustrissime  cardinal  Du  perron. 
Lettres  du  cardinal  d'Ossat. 

OEuvres  de*M.  Villemain.  — Études  sur  Montaigne,  sur  l'Hôpital, 
Cours  de  littérature,  —  Passim. 

M.  Villemain  ouvre  souvent,  de  son  sommet  littéraire,  des  aperçus 


DOCUMENTS  ÉCRITS. 


437 


historiques.  11  est  très-bon  à  consulter,  soit  qu'il  traduise,  soit  qu'i 

crée.  Il  a  toujours  non-seuleinent  le  mot  juste,  mais  le  mot  exquis; 

moderne  par  l'esprit,  antique  et  classique  par  le  génie  du  goût. 

Strada,  de  Bcllo  Belgico. 

Jurieu.  —  Réflexions  sur  les  conciles. 

Joseph  de  Maistre.  —  Passim. 

Lamennais.  —  Passim. 

Cossuet.  —  Histoire  des  variations. 

Sarpi  et  Pallavicini,  les  deux  historiens  du  concile  de  Trente. 
Histoire  du  concile  de  Trente,  par  Bungener. 
Opinion  du  grand  jurisconsulte  Dumoulin  sur  le  concile  de  Trente. 
Rabelais.  —  La  vie  inestimable  du  grand  Gargantua  ;  —  des  Faicts  et 

dicts  héroïques  du  bon  Pantagruel  ;  —  Les  lettres  du  curé  de 

Meudon. 

Machiavel.  —  Ses  OEuvres  et  sa  Correspondance. 

Le  voyage  en  France  du  roy  Charles  LI,  par  Abel  Jouan. 

Livre  presque  inconnu  et  fort  curieux.  Ignoré  de  M.  de  Thou  et 
de  D.  Vaissette,  tous  deux  cependant  si  bien  instruits.  Ce  voyage, 
quoique  imprimé,  a  tout  le  mérite  d'un  manuscrit,  me  disait  un 
jour  Eugène  Burnouf.  C'est  aussi  l'opinion  de  l'éditeur  des  Pièces 
fugitives  pour  servir  à  l'histoire  de  France. 

L'Itinéraire  des  rois  de  France,  depuis  Louis  le  Jeune  jusqu'à  la  mort 
de  Louis  XI Y. 

Histoire  des  guerres  du  comté  Venaissin,  de  Provence,  de  Langue^ 
doc,  etc.,  par  Louis  de  Perussis. 

Louis  de  Perussis,  seigneur  de  Caumont,  très-ardent  catholique, 
sujet  dévoué  du  pape,  fort  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait  en 
France,  en  Espagne,  en  Italie  et  dans  les  Pays-Bas.  Écrivain  plein 
de  passion,  fécond  en  détails  précieux  sur  les  hommes,  les  dates  et 
les  événements.  Son  livre,  spécial  par  son  titre,  est  général  par  l'u- 
niversalité de  ses  renseignements  et  de  ses  récits. 

Perussis  avait  la  furie  d'écrire  des  histoires.  Il  est  diffus  et  inté- 
ressant. 

(«  Ce  qu'il  avait  d'abord  composé  de  son  ouvrage  fut  imprimé  sous 
ses  yeux,  en  1663,  à  Avignon.  Il  commençait  à  la  fin  de  1561  et  ne 
poussait  que  jusqu'au  16  septembre  1562,  ce  qui  ne  donnait  pas 
une  année  complète.  La  continuation  s'arrête  au  mois  d'août  1680 
et  forme  une  suite  de  dix-huit  ans  » 

37, 


438  MANUSCRITS  ET  LIVRES  IMPRIMES. 

Tableau  des  différends  de  la  religion,  par  Marnix  de  Sainte-Alde- 
gonde. 

C'est  un  pamphlet  dont  M.  de  Tliou,  le  grand  historien,  a  dit  : 
(i  M.  de  Sainte-Aldegonde  a  mis  la  religion  en  rabelaiserie.  »  Marnix 
est  en  effet  un  Rabelais  wallon,  avec  la  grâce  de  moins,  l'héroïsme  et 
la  foi  de  plus. 

Mémoires  de  Philippe  de  Mornay. 

Économies  royales  d'Etat,  par  Maximilien  de  Bclhune,  duc  de  Sully. 
Mémoires  de  la  reine  Marguerite. 

Discours  politiques  et  militaires  du  seigneur  de  La  Noïie. 
Mémoires  de  M.  le  duc  de  Nevers,  prince  de  Mantoue. 
Mémoires  du  duc  d'Angoulême,  fils  de  Charles  IX. 
Journal  de  la  conférence  de  Surène,  par  Jean  Passerat. 

Chronologie   novennaire,    par  -Cayet,  ancien  sous-précepteur  de 

Henri  IV. 
Davila.  —  2  vol.  in-folio. 

Vie  de  Gaspard  de  Coligny,  par  François  Hotman. 

Favin.  —  Histoire  de  Navarre. 

Le  Grain.  —  Histoire  de  Henri  IV. 

Une  succursale  du  tribunal  de  sang,  par  J.-J.  Altmeyer. 

Vie  des  hommes  illustres  de  la  France.  —  D'Auvigny,  continué  par 

l'abbé  Pérau. 
Le  château  de  Pau,  par  Bascle  de  Lagrèze. 

Mémoires  de  Walsingham.  Lettres  et  négociations.  Amster.,  1700. 
in-40. 

Lettres  de  saint  Pie  V  sur  les  affaires  religieuses  de  son  temps  en 
France,  Traduit  du  latin  par  de  Potter. 

Mss.  Saint-Germain,  vol.  7  90.  Bibliothèque  impériale. 

Le  tocsin  contre  les  massacreurs.  Reims,  1679. 

Le  réveil-matin  des  François. 

Correspondance  diplomatique  de  Lamothe-Fénelon. 

Capefigue. 

Audin.  —  Histoire  de  la  Saint-Barlhélemy . 

Alberi.  —  Vie  de  Catherine  de  Médicis.  Archives  de  Florence. 

OEuvres  de  Platon. —  Platon  est  presque  aussi  utile  que  la  Bible 


DOCUMENTS  ÉCRITS. 


439 


est  nécessaire  à  l'intelligence  du  seizième  siècle.  Le  philosophe 
grec  est  du  moins  accessible  à  tous  aujourd'hui  que  M.  Cousin,  ce 
grand  artiste  de  pensée  et  de  style,  a  bien  voulu  être  pour  Platon 
ce  qu'Amyot  est  pour  Plutarque. 
Discours  du  roi  Henri  troisième  à  un  personnage  d'honneur  et  de 
qualité  estant  près  de  Sa  Majesté,  sur  les  causes  et  motifs  de  la 
Saint-Bar  thélemy. 

Ce  récit  se  lit  dans  un  manuscrit  du  commencement  du  dix-sep- 
tième siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  impériale  (fonds  de  Bouhier, 
no  59). 

Matthieu  aîTirme,  et  cela  est  prouvé  de  reste,  que  l'auteur  de  cette 

pièce  décisive,  la  plus  importante,  selon  moi.  sur  la  Saint-Barthé- 

lemy,  est  Miron,  le  premier  médecin  de  Henri  III. 

De  la  démocratie  chez  les  prédicateurs  de  la  Ligue.  Paris,  1841.  Ex- 
traits de  sermons  contre  les  huguenots. 

Une  lettre  de  d'Andelot. 

La  circonstance  du  cheval  offert  par  le  connétable  à  l'amiral 

avant  l'assemblée  de  Fontainebleau  est  indiquée  dans  une  lettre  de 

d'Andelot  au  prince  de  Condé  fseptembre  15GI). 

M.  de  Sismondi,  à  qui  appartenait  cette  lettre,  me  permit,  il  y  a 

bien  des  années,  de  prendre  copie  de  ce  petit  fait. 

Manuscrit  contenant  les  correspondances  du  duc  François  de  Guise. 
Bibliothèque  de  l'Arsenal.  Ces  correspondances  sont  relatives  aux 
événements  accomplis  depuis  1547  jusqu'en  1563  en  France,  en 
Ilalie,  en  Allemagne,  en  Suisse,  en  Angleterre  et  en  Espagne. 
M.  de  Crauze,  un  érudit  éminent.  va  publier,  dit-on,  en  le  com- 
mentant, ce  manuscrit  et  combler  ainsi  avec  supériorité  une  lacun? 

historique  fort  regrettable. 


II 

PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES 


DOCUMENTS  FIGURÉS 

4 


Indépendamment  des  cartons  de  M.  Hennin ,  les  collections  ' 
les  plus  importantes  que  j'aie  consultées  sont  celles  de  la 
Bibliothèque  impériale  et  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève. 

M.  Niel  a  reproduit  par  le  fac-similé  un  grand  nombre  de 
portraits,  et  il  en  a  fait  une  collection  qu'il  a  éclairée  de  no- 
tices fort  remarquables. 

Sa  période  de  prédilection  est  celle  de  François  I^"^  à  Henri  IV, 
si  riche  en  crayons  rouges.  C'est  la  période  même  de  notre  ou- 
vrage. Cette  portraiture  vivante  semble  née  de  la  miniature 
des  manuscrits  antérieurs.  Elle  dépasse  la  miniature  et  l'achève. 

M.  Niel,  au  delà  de  ses  fac-similé,  possède  plusieurs  dessins 
originaux  très -précieux.  Nous  espérons  bien  qu'il  fera  l'his- 
toire de  l'art  et  des  artistes  au  seizième  siècle.  11  complétera 
ainsi  ses  notices.  Il  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  cette  œuvre  :  les 
intarissables  souvenirs,  la  science  variée,  la  critique  délicate 
et  le  feu  de  l'esprit. 


Une  estampe  rare  représentant  : 
Wiclef. —  J.  Hus. —  J.  de  Prague. —  M.  Luther. —  Fh.  Mélanchtiion, 
qui  tient  l'écritoire  devant  son  maître.  —  Zwiucjle.  —  Calvin.  — 
Bèze.  —  Knox^  très-resseriiblant  à  Calvin.  —  Pierre  martyr.  — 
Henri  Bullingen.  —  Matthias  Flucius  lllijricus.  —  Zanchiiis.  — 
Bucer.  —  Perkenaiuu 


DOCUMENTS  FiGURÉS. 


441 


Le  Diable  et  le  Pape  sont  aux  pieds  des  Réformateurs.  Toutes  les 
têtes  sont  des  portraits. 

L'estampe,  éditée  par  Jan  Houwens. 

[Cabinet  de  M.  Hennin.) 
Luther.  — Portrait  gravé  d'après  Lucas  Cranach. 
Mélanchthon.  —  Estampes  allemandes  d'une  beauté  rare. 

(Cartons  de  M.  Hennin.) 
Calvin.  —  Le  portrait  conservé  à  la  Bibliothèque  de  Genève. 
Bèze.  —  Le  portrait  de  Bèze  à  la  même  Bibliothèque. 
L'un  et  l'autre  de  ces  portraits  à  l'huile. 

D'autres  Calvin  et  d'autres  Bèze  gravés  en  France,  en  Suisse,  en 
Allemagne,  en  Angleterre. 

Synodes  protestants  ;  Les  députés  avec  leurs  manteaux  noirs  et  leurs 
immenses  chapeaux  à  larges  bords. 

{Cabinet  de  M.  Hennin  et  Bibliothèque  impériale.) 

Machiavel.  —  Un  portrait  appartenant  à  l'ancien  évêque  d'Autun, 
M.  de  Vichy. 

Un  masque  et  plusieurs  médailles  italiennes  du  temps. 
Rabelais.  —  En  tête  de  ses  épîtres.  Copie  très-fine  du  portrait  gravé 

de  la  chronologie  collée. 
François       —  H  y  a  des  portraits  de  François  1^''  sous  toutes  les 

formes  et  de  toutes  les  dimensions,  depuis  son  enfance  jusqu'à  sa 

mort. 

Je  signale  particulièrement  : 

1°  Le  portrait  peint  par  Titien  et  qui  est  exposé  dans  la  galerie  du 
Louvre  ; 

2°  Le  portrait  de  la  salle  des  Rois,  au  musée  de  Versailles,  proba- 
blement par  le  maître  de  Jean  Clouet,  dit  Janet. 

3°  , Le  portrait  de  la  galerie  du  château  de  Hampton-Court .  Sorte 
de  caricature  allégorique. 

4°  Le  buste  en  bronze  de  l'une  des  salles  de  la  Renaissance,  au 
Louvre. 

Claude  de  France,  première  femme  de  François  P'^.  —  Sa  statue  en 
marbre,  agenouillée  sur  le  tombeau  du  roi,  à  Saint-Denis. 

Éléunore  d' Autriche,  seconde  femme  de  François  f^'.  —  Un  petit 
portrait  en  pied.  Il  fait  partie  du  recueil  de  M.  de  Gaignières.  C'est 
la  copie  d'un  original  que  possédait  M.  de  Gaignières  lui-même. 


442  PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 


Marguerite,  sœur  de  François  î^^.  —  Dessin  par  Jean  Clouet. 

{Bibliothèque  impériale.) 

Madame  de  Chateaubriant.  —  Son  portrait  à  la  Bibliothèque  impé- 
riale. 

Henri  II.  —  Son  portrait  par  François  Clouet.  OEuvre  exquise. 
Deux  bustes,  dont  l'un  est  de  Jean  Goujon  et  l'autre  de  Germain 

Pilon.  [Au  Louvre.) 

Catherine  de  Médicis.  —  Deux  portraits  de  cette  princesse  :  le  pre- 
mier, lorsqu'elle  était  jeune;  ce  portrait  est  dans  la  manière  de 
François  Clouet;  —  le  second,  lorsqu'elle  était  veuve,  à  l'âge  à 
peu  près  de  cinquante  ans;  ce  second  portrait,  de  François  Clouet 
lui-même.  On  y  sent  la  griffe  du  maître. 

[Bibliothèque  impériale.) 

Diane  de  Poitiers.  —  La  Diane  de  Jean  Goujon  au  musée  de  la  Re- 
naissance, la  chasseresse  du  Primatice  au  château  de  Fontaine- 
bleau, sont  de  charmantes  inspirations,  des  flatteries  indirectes, 
mais  ne  sont  pas  des  portraits. 
Les  portraits  sont  : 

1*=  Une  médaille  attribuée  à  Jean  Goujon: 
2»  Une  statue  qu'on  peut  voir  dans  les  galeries  de  Versailles; 
3°  Un  crayon  qui  appartient  à  la  Bibliothèque  impériale.  Ce  crayon 
est  dans  la  manière  de  Jean  Clouet. 

François  11.  —  Deux  crayons  de  ce  prince,  l'un  qui  le  représente 
enfant  avec  des  joues  bouffies  de  sang  et  de  lait  ;  —  l'autre  qui  le 
représente  adolescent  avec  une  toque  à  plumes  et  un  manteau 
fourré. 

École  de  François  Clouet. 

Le  premier  de  ces  crayons,  à  la  Bibliothèque  Impériale  ;  le  second, 
à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève. 

Marie  Stuart. —  Innombrables  portraits.  V.  le  volume  spécial  consacré 
par  le  prince  L;ibanoff  à  celte  question.  V.  aussi  mon  Histoire  de 
Marie  Stuart. 

1.  Crayon  copié  sur  un  portrait  peint  d'après  nature,  vers  1558, 
par  François  Clouet.  Marie,  très  jeune,  est  coiffée  à  l'italienne  •  elle 
a  une  haute  collerette  et  un  colUer  de  perles. 

2.  Un  autre  crayon  de  Marie  Stuart,  veuve.  La  reine  est  enve- 
loppée d'une  guimpe  blanche,  signe  de  son  deuil.  Ce  crayon  est  très- 
probablement  aussi  copié  sur  une  peinture  de  François  Clouet. 

(Bibl.  Sainte-Geneviève.) 


DOCUMENTS  FIGURÉS. 


443 


Parmî  les  portraits  gravés  après  1587,  ne  pas  négliger  celui  qui 
fut  exécuté  par  H.  Wierix,  in-folio. 

Charles  IX.  —  Entre  tous  les  portraits  de  ce  prince  ,  ceux  de  la  Bi- 
bliothèque Sainte-Geneviève. 

Deux  de  ces  portraits  sont  avant  la  Saint-Barthélemy,  et  de  Fran- 
çois Clouet.  M.  Niel  les  a  reproduits  dans  sa  collection. 

Il  est  à  regretter  qu'il  n'ait  pas  reproduit  le  crayon  postérieur  à  la 
Saint-Barthélemy.  Ce  dernier  crayon  est  inappréciable  pour  l'histoire. 
Il  est  de  l'école  de  François  Clouet,  mais  non  de  lui.  Après  la  Saint- 
Barthélemy,  il  n'y  a  guère  d'œuvres  de  ce  maître. 

Henri  III. —  De  tous  les  beaux  portraits  de  Henri  III  gravés  par  les 
Wierix,  Léonard  Gaultier,  Thomas  de  Leu,  Jacques  Granthpme, 
le  plus  beau ,  à  mon  gré ,  le  plus  complet ,  est  celui  de  Jérôme 
Wierix.  —  Estampe  in-folio. 

Le  dessin  original,  d'après  lequel  cette  estampe  a  été  gravée,  est 
de  Jean  de  Court  et  appartient  à  la  Bibliothèque  de  Sainte -Gene- 
viève. 

Henri  III  allant  en  Pologne.  —  Le  roi  est  à  cheval,  en  manteau 
court,  en  chapeau  souple  et  à  pointe.  Il  a  une  grâce  singulière.  — 
Estampe  unique. 

Henri  III  au  retour  de  Pologne.  —  Il  aborde  à  Venise.  —  Deux 
estampes  d'un  mouvement  de  terre  et  de  mer,  d'un  pittoresque, 
d'une  splendeur  incomparables.  L'orient  du  nord  et  l'orient  du 
midi  se  pénètrent  dans  cette  rencontre  du  roi  de  Pologne  et  du 
Doge.  [Cartons  de  M.  Hennin.) 

Quélus.  —  Maugiron.  —  Saînt-Mcgrin.  —  Balzac  d' Entr aiguës ,  dit 
Entraguet. —  Anne,  duc  de  Joyeuse, 

Portraits  de  l'école  de  Janet.  Tous  marqués  d'un  signe  de  malé- 
diction. [Bibliothèque  impériale.) 

Chronologie  collée.  —  Portraix  de  plusieurs  homes  illustres  qui  ont 
flory  en  France  depuis  l'an  1600  jusqu'à  présent.  —  IGOO.^ 
Il  y  a  dans  la  chronologie  collée  cent  quarante-quatre  portraits, 
entre  autres  ceux  des  trois  Coligny,  du  connétable  Anne  de  Mont- 
morency, de  Rabelais,  de  Ronsard,  de  Biaise  de  Montluc... 

[Cartons  de  M,  Htmin.) 

Philippe  II. 

1 .  Le  portrait  gravé  par  Julio  Bonasone  ; 

2.  Le  portrait  gravé  par  Jérôme  Wierix. 


UA 


PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 


Dans  ce  second  portrait,  plis  brisés  du  front,  sourcils  proémi- 
nents sur  des  yeux  terribles.  [Cartons  de  M,  Hennin.) 

3.  Un  portrait  à  l'huile  acheté  h  Dôle. 
Claude  de  Guise  et  Antoinette  de  Bourbon,  sa  femme. 

(Musée  de  Versailles.) 

François  de  Guise. 

1  o  Le  portrait  du  musée  de  Versailles  ; 

2°  Le  portrait  du  Louvre,  salle  des  dessins; 

30  Le  portrait  de  l'hôpital  de  Joinville. 

Demeures  des  Guise.  —  Je  dois  à  M.  Pernot,  sur  le  château  de  Joir.- 
ville,  sur  les  résidences  des  princes  lorrains  et  sur  leurs  tom- 
beaux les  dessins  les  plus  exacts  et  les  plus  intéressants. 

Anne  d'Esté,  duchesse  de  Guise,  puis  duchesse  de  Nemours.  —  Crayon 
par  François  Clouet. 

Ce  portrait,  d'une  douceur  pénétrante,  est  un  chef-d'œuvre.  C'est 
la  physionomie  de  la  Séduction.  C'est  Anne  de  Bretagne  rajeunie, 
embellie  dans  sa  petite-fille;  Anne  de  Bretagne  Italienne,  passée  par 
Ferrare  et  transfigurée  dans  cette  cour,  où  chantèrent  l'Arioste  et  le 
Tasse.  [Cabinet  de  M.  Niel.) 

Henri  de  Guise.  —  Portrait  gravé  par  Thomas  de  Leu,  édité  par 
Rabel.  {Cabinet  de  M.  Niel.) 

Le  duc  de  Montpensler,  le  mari  de  la  duchesse  ligueuse.  —  Gravé 
par  Thomas  de  Leu.  [Cabinet  de  M.  Niel.) 

La  duchesse  de  Montpcnsier.  —  Artiste  inconnu. 

Jean  Tortorel  et  Jacques  Perrissin,  graveurs  sur  cuivre  et  sur  bois. 
Tortorel,  né  vers  1540;  Perrissin,  vers  1530. 

Volume  contenant  quarante  tableaux  ou  histoires  diverses,  touchant 
les  fjuerres,  massacres  et  troubles  advenus  en  France  dans  ces  der- 
nières années  ;  le  tout  recueilli  selon  le  témoignage  de  ceulx  qui  tj 
ont  esté  en  personne  et  qui  les  ont  vus,  les  quels  sont  pourtraits  à 
vérité,  par  Jean  Tortorel  et  Jacques  Perrissin.  1559-1570,  in-folio 
oblong. 

Les  quarante  estampes  de  Tortorel  et  Perrissin  offrent  des  costu- 
mes, des  armes,  des  tentes,  des  meubles  et  des  monuments  fort 
curieux.  Ces  pièces,  publiées  immédiatement  après  des  événements, 
soit  de  guerre  étrangère,  soit  de  guerre  civile,  se  vendaient  à  mesure 
qu'elles  étaient  gravées  et  à  un  grand  nombre  d'exemplaires. 


DOCmiENTS  FIGURES.  445 

Titres  des  quarante  pièces  de  ce  recueil  : 


N"»  1. 

1559. 

Juin          10.  Titre. —Avis  au  lecteur. 

2. 

Juin          10.  La  mercuriale  aux  Augustins. 

3. 

B 

Juin          30.  Le  tournoi  où  Henri  H  fut  blessé. 

4. 

9 

Juillet       10.  La  mort  de  Henri  IL 

5. 

1 

Décembre  21.  Anne  du  Bourg  brûlé. 

6. 

1560. 

Mars          13.  L'entreprise  d'Amboise. 

7. 

> 

Mars         15.  L'exécution  d'Amboise. 

8. 

1561. 

Janvier      ....  Les  Estats  d'Orléans. 

9. 

» 

Septembre   9.  Le  colloque  de  Poissy. 

10. 

» 

Novembre  19.  Le  massacre  de  Cahors. 

H. 

1562. 

Mars           1 .  Le  massacre  de  Vassy. 

12. 

Avril        ....  Le  massacre  à  Sens. 

1  3. 

» 

Avril         25.  La  prise  de  Valence. 

14. 

» 

Juillet       ....  Le  massacre  de  Tours. 

15. 

n 

Juillet       ....  La  prise  de  Montbrison. 

16. 

» 

Septembre....  La  défaite  de  Saint-Gilles. 

1  7. 

* 

Décembre  19.  L'ordonnance  de  la  bataille  de  Dreux. 

18. 

Décembre  19.  La  première  charge  de  la  bataille  de  Dreux, 

19. 

Décembre  19.  La  deuxième  charge  de  la  bataille  de  Dreux. 

20. 

u 

Décembre  19.  La  troisième  charge  de  la  bataille  de  Dreux. 

21. 

Décembre  19.  La  quatrième  charge  de  la  bataille  de  Dreux. 

22. 

■ 

Décembre  19.  La  retraite  de  la  bataille  de  Dreux. 

23. 

1563. 

Janvier.           Orléans  assiégé. 

24. 

n 

Février      18.  Le  duc  de  Guise  blessé. 

25. 

1 

Mars         13.  La  paix  faite  à  l'île  aux  Bœufs. 

26. 

■ 

Mars         18.  L'exécution  de  Poltrot. 

27. 

1567. 

Octobre       1 .  Le  massacre  à  Nisraes. 

28. 

» 

Novembre  10.  La  bataille  de  Saint-Denis. 

29. 

1568. 

Janvier       6.  La  rencontre  à  Cognac. 

30. 

» 

Mars.              La  ville  de  Chartres  assiégée. 

31- 

1569. 

Mars         13.  L'ordonnance  des  deux  armées  entre  Cognac 

et  Chasteauneuf. 

32. 

n 

Mars         13.  La  rencontre  entre  Cognac  et  Chasteauneuf. 

33. 

* 

Juin          25.  La  rencontre  des  deux  armées  à  la  Roche. 

34. 

9 

Septembre   7.  Poitiers  assiégé. 

35. 

t 

Octobre       3.  L'ordonnance  des  deux  armées  près  de  Mon- 

contour. 

36. 

B 

Octobre      3.  La  déroute  à  Moncontour. 

37. 

» 

Octobre     14.  Saint-Jean-d'Angely  assiégé. 

38. 

• 

Novembre  15.  La  surprise  de  Nismes. 

39. 

B 

Décembre  21.  L'entreprise  de  Bourges  découverte. 

40. 

1570. 

Mars        23.  La  rencontre  des  deux  armées  au  passage  du 

Rhône. 

Pièce  qui  ne  fait  pas  partie  du  recueil  et  que  l'on  y  joint  : 

1559. 

Juin          30.  Le  tournoi  où  Henri  II  fut  blessé. 

IV. 

38 

446  PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 


Les  exemplaires  complets  sont  rares. 

La  collection  de  M.  Hennin  contient  cent  trente  épreuves  de  diffé- 
rents tirages  des  planches  de  Tortorel  et  Perrissin. 

Il  existe  un  grand  nombre  d'autres  estampes  très-analogues  à  celles 
de  Tortorel  et  de  Perrissin,  cinq  cents  au  moins,  qui  se  rapportent 
aux  événements  de  Belgique  et  de  France. 

Parmi  les  pièces  relatives  à  la  France,  le  Massacre  de  la  Saint- 
Barthélemy,  du  24  août  1572,  et  la  Défaite  des  troupes  royales 
devant  la  Rochelle,  du  16  mars  1573. 

V.  les  Monuments  de  l'histoire  de  France,  par  M.  Hennin,  tome  II, 
et  sa  collection. 

Conspiration  d'Amboise.  —  Les  conjurés  dans  une  salle  basse  à 
ogives. 

La  Renaudie  est  sur  un  échafaudage  en  désordre.  Il  harangue 
dans  l'attitude  que  je  lui  ai  conservée  d'après  le  souvenir  de  cette 
gravure. 

Conspiration  d'Amboise.  —  J'ai  acheté  à  Lausanne  deux  dessins 
très-grossiers  et  très-sinistres. 

Le  premier  de  ces  dessins  représente  la  Renaudie  au  moment  où 
il  sort  de  la  forêt  et  où  il  rencontre  Pardaillan.  Les  catholiques  se 
signent  à  l'aspect  du  chef  des  huguenots  «  de  l'homme  noir,  dit  le 
texte,  comme  un  négromant  ou  un  sarrazin.  » 

Le  second  dessin  représente  le  pont  d'Amboise  et  la  Renaudie  sur 
le  gibet. 

Ces  dessins  sont  accompagnés  d'une  notice  populaire  en  lettres 
gothiques.  J'y  ai  pris  quelques  traits  et  deux  ou  trois  mots.  Bien  que 
cette  notice  ait  une  couleur  essentiellement  légendaire,  comme  .elle 
rentre  dans  l'exactitude  des  événements  et  des  caractères,  j'ai  cru 
non-seulement  de  mon  droit,  mais  de  mon  devoir  d'historien  de  la 
fixer  dans  ce  livre. 

Plan  de  Metz. 

Plan  de  Saint -Quentin. 

Caricatures  de  1550. —  Le  rire  de  Rabelais  siffle  dans  ces  estampes, 
un  rire  moitié  de  l'olympe,  moitié  des  halles. 

La  personnification  de  l'enfer.  —  C'est  une  grande  bête  monstrueuse 
avec  des  dents  terribles,  une  mâchoire  formidable  d'une  ouverture 
immense. 

L'inquisition  jette  des  victimes  dans  celte  bouche  béante. 


DOCUMENTS  FIGURÉS. 


447 


Estampe  de  l'Armada.  —  Les  brûlots  anglais  lancés  contre  les  vais- 
seaux espagnols.  Un  incendie  sur  l'Océan. 

{Cartons  de  M.  Hennin.) 

Estampes  rares. —  Les  meurtres  commis  sur  le  duc  et  sur  le  cardinal 
de  Guise,  au  château  de  Blois. 

Tous  deux  couchés  morts  l'un  à  côté  de  l'autre  dans  une  salle 
basse. 

Estampe  représentant  une  grande  balance.  —  Dans  l'un  des  bassins, 
le  Pape,  les  clefs,  la  tiare  avec  ses  trois  couronnes  surmontées  de 
la  croix;  dans  l'autre  bassin,  la  Bible  seule  déposée  par  Luther. 
La  Bible  emporte  tout.  (Cartons  de  M.  Hennin.) 

Estampes  des  processions  de  la  Ligue.  —  Chaos  de  moines,  de  filles 

de  joie,  de  populace  et  de  princesses. 
Mêlée  d'Amers.  —  Suite,  après  Tortorel  et  Perrissin. 

Rien  de  plus  intéressant  sur  les  événements  d'Anvers  et  des  Pays- 
Bas  à  cette  époque  et  un  peu  plus  tard  que  les  lettres  du  baron  de 
Busbec  à  l'empereur  Rodolphe  II.  V.  depuis  la  lettre  XIV  jusqu'à  la 
lettre  XXXVII,  du  5  février  1583  au  18  juin  1584. 

Le  diplomate  est,  sans  le  vouloir  et  sans  le  savoir,  le  meilleur 
commentateur  de  beaucoup  d'artistes  qu'il  ne  connaissait  probable- 
ment pas.  Ces  hasards  du  burin  et  de  la  plume  sont  la  fortune  de 
l'histoire. 

Le  duc  d'Alençon.  —  Portrait  par  Françojs  Clouet. 

(Bibliothèque  Sainte-Geneviève.  ) 

Le  Concile  de  Trente,  par  le  Titien.  —  Le  grand  artiste,  qui  avait 
accompagné  Charles-Quint  à  Inspruck,  en  1555,  poussa  proba- 
blement jusqu'à  Trente  et  se  glissa  dans  le  palais  du  Concile.  Il  a 
retracé  l'aspect  d'une  session  :  les  légats  sur  des  sièges  élevés, 
l'assemblée  dont  chaque  tête  est  surmontée  d'une  mitre,  les  chefs 
d'ordre  sur  la  dernière  banquette,  la  chaire  occupée  par  un 
orateur. 

Ce  tableau  est  au  Louvre. 
Le  chancelier  de  l'Hôpital.  —  Crayon  exécuté  d'après  une  peinture 

de  François  Clouet.  (Bibliothèque  impériale.) 

Un  jour  qu'il  montrait  à  un  ami  le  tableau  de  Clouet  qui  représen- 
tait si  bien  cette  tète  vénérable,  rendue  plus  auguste  par  une  longue 
barbe  blanche,  l'Hôpital,  saisi  de  tristesse  en  songeant  à  son  siècle, 
se  prit  à  dire  :  «  Quand  celte  neige  sera  fondue,  il  n'y  aura  guères 
que  de  la  boue.  » 


448  PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 


Coligny.  —  1®  Le  dessin  par  François  Clouet. 

{Bibliothèque  impériale,)  " 

2°  Le  portrait  de  la  bibliothèque  de  Genève  ; 

3"  Le  portrait  du  milieu  dans  l'admirable  estampe  de  Marc  Duval, 
qui  reproduit  les  trois  Chàtillon.  Le  cardinal  est  à  la  droite,  d'An- 
delot  à  la  gauche  de  l'amiral.  Ils  semblent  délibérer  dans  une  de  ces 
crises  suprêmes  qu'ils  traversèrent  si  souvent. 

Une  estampe  (1580;,  Genève,  —  représente  le  maréchal  de  Mont- 
morency, recevant  le  corps  de  Coligny,  ramené  de  Montfaucon. 

J'ai  vu  à  Genève  : 

1°  Une  gravure  représentant  l'amiral  de  Coligny  entouré  d'un 
nombreux  état-major  et  montrant  de  la  pointe  de  son  épée  des  guer- 
riers armés  entre  ciel  et  terre.  Au  bas  de  la  gravure,  il  y  a  ces  mots 
en  lettres  gothiques  :  Vision  de  M.  l'amiral  à  la  retraite  de  Dreux. 
—  C'est  M.  Robles  qui,  avec  le  double  tact  de  l'art  et  de  l'amitié, 
m'a  signalé  cette  gravure. 

Deux  estampes  retraçant  la  double  légende  de  Lavergne  —  sous 
un  grand  arbre  —  et  sur  le  champ  de  bataille. 
Nicolas  Durand  de  Villegagnon.  —  Un  Coligny  de  mer.  Il  avait  ima- 
giné, de  concert  avec  l'amiral,  de  créer  dans  le  nouveau  monde  une 
patrie  aux  idées  nouvelles  et  de  mettre  ainsi  l'Océan  entre  les  fou- 
dres de  Rome  et  le  calvinisme. 

C'était  un  plan  de  génie  qu'il  réalisa  un  instant  au  Brésil  où  il 
avait  fondé  une  colonie  que  l'anarchie  dévora. 

Le  beau  dessin  de  M.  Niel  est  l'unique.  Il  est  dans  la  manière  des 
Dumonstier,  peut-être  antérieur  à  cette  école.  C'est  vraiment  un 
chef-d'œuvre  d'expression.  Quel  naturel  et  quelle  bonté  dans  cette 
audace  ! 

Jeanne  d'Albrct.  —  Dessin  par  François  Clouet. 

{Bibliothèque  impériale.) 
Antoine  de  Bourbon,  père  de  Henri  IV.  —  Dessin  de  l'école  de  Janet. 

OEuvre  charmante.  [Bibliothèque  impériale.) 

Henri  IV.  —  Au  Louvre  : 

lo  Deux  portraits  en  pied  de  ce  prince,  par  François  Porbus  ; 

2**  Un  buste  attribué  à  Barthélémy  Prieur. 

A  la  Bibliothèque  impériale,  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève, 
au  musée  de  Versailles,  —  nulle  trace  du  beau  portrait  d'Henri  IV 
par  Daniel  Dumonstier  ,  portrait  dont  Maliierbe  écrivait  à  Peiresc  : 
(1  Je  ne  le  voys  jamais  qu'il  ne  me  semble  qu'il  veuille  parler  à  moy.  u 


DOCUMENTS  FIGURÉS. 


449 


—  En  revanche ,  plusieurs  dessins  et  estampes  très-habilement 
exécutés. 

M.  Mel  a  reproduit  dans  sa  collection  un  crayon  de  la  Bibliothè- 
que impériale  qui  représente  le  fils  de  Jeanne  d'Albrel  alors  qu'il 
n'était  encore  que  prince  du  sang  et  roi  de  Navarre. 

M.  Hennin  a  dans  ses  cartons  un  autre  portrait  fort  curieux  de 
Henri  IV  jeune.  Après  l'avoir  acheté  à  Nuremberg,  il  l'a  fait  graver 
par  Henriquel  Dupont. 

La  duchesse  derGramont  possède  aussi  un  petit  buste  en  marbre 
de  Henri  IV  et  un  beau  camée. 

Henri  IV.  —  Portrait  représentant  le  roi,  le  sabre  nu  à  la  main,  et 
coupant  la  tête  de  l'hydre  (la  Ligue);  gravé  par  Léonard  Gaultier, 

[Cabinet  de  M.  Niel.) 

Henri  IV  sur  son  lit  funéraire.  Un  autre  chef-d'œuvre  très-rare. 
Gravé  encore  par  Léonard  Gaultier.      [Cabinet  de  M.  Niel.) 

Henri  IV.  —  Portrait  gravé  par  Goltzius.   {Cabinet  de  M.  Niel.) 

Henri  IV.  —  Portrait  gravé  par  Thomas  de  Leu. 

[Cabinet  de  M.  Niel.) 
Le  père  Le  Long  n'a  catalogué  que  79  portraits  de  Henri  IV. 
M.  Hennin  m'en  a  montré  1 60,  tous  différents,  et  quelques-uns  d'une 
beauté  surprenante.  Il  y  en  a  un  gravé  par  J.  Wierix ,  qui  peut 
faire  pendant  avec  le  portrait  de  Henri  III  par  le  même. 

Trois  estampes  très-curieuses  éditées  par  J.  Le  Clerc  : 

1°  L'entrée  de  Henri  IV; 

2°  L'acheminement  à  Notre-Dame  ; 

3°  Le  défilé  des  Espagnols  à  la  porte  Saint-Denis. 

M.  Hennin  possède  dans  ses  cartons  trois  exemplaires  de  chacune 
de  ces  estampes. 

Marguerite  de  Valois,  première  femme  de  Henri  IV.  —  Il  y  a  beau- 
coup de  portraits  de  Marguerite,  à  divers  âges  et  sous  divers  cos- 
tumes. Il  y  a  des  peintures,  il  y  a  des  crayons,  il  y  a  des  estampes, 
il  y  a  des  médailles  de  cette  princesse. 

L'efiigie  que  je  préfère  à  toutes  est  un  crayon  original  que  pos- 
sède M.  Niel,  et  qu'il  a  fait  graver  pour  sa  collection. 

Marguerite  n'a  pas  vingt  ans.  Elle  a  le  bonnet  de  velours  incar- 
nadin  dont  parle  Brantôme,  ce  bonnet  que  la  jeune  reine  portait  aux 
Tuileries  le  jour  où  sa  mère  y  reçut  les  nonces  polonais,  157  3.  — Ce 
cra\on  est  probablement  de  Jean  de  Court. 

58. 


450 


PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 


Les  lèvres  sont  cyniques.  Ce  portrait  est  celui  de  la  Volupté.  Il  est 
très-beau  et  très-immoral,  deux  fois  vrai. 

Catherine  de  Bourbon,  steur  de  Henri  IV,  —  Belle  gravure  par  Tho- 
mas de  Leu,  d'après  Darlay,  peintre  protestant  de  Navarre. 
La  princesse  ressemble  plus  à  sa  mère,  Jeanne  d'Albret,  que 

Henri  IV.  Elle  a  l'expression  sérieuse  dans  la  physionomie  non 

moins  que  dans  l'âme.  Elle  ne  joue  pas  comme  son  frère. 

Madame  de  Sauves.  —  Par  un  peintre  de  l'école  de  Janet. 

Le  front  vaste,  le  nez  d'une  courbure  astucieuse  :  le  regard  et  le 

sourire,  un  double  piège.  —  Vénus,  espion  de  police. 

{Bibliothèque  impériale.) 

Mademoiselle  de  Montmarencij-Fosseuse.  —  Petit  portrait  à  l'huile. 
Dans  la  manière  d'Holbein.  {A  M.  Fourniol.) 

Gabrielle  d'Estrées.  —  Entre  tous  les  portraits  de  Gabrielle  : 

1 .  Le  portrait  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève  :  un  crayon  de 
Daniel  Dumonstier; 

2.  Le  portrait  de  la  Bibliothèque  impériale  :  un  crayon  fidèle, 
quoique  d'un  artiste  médiocre; 

3.  Le  joli  dessin  par  Foulon.  Il  appartient  à  M.  Niel. 

La  marquise  de  Verneail.  —  Portrait  gravé  par  Jérôme  Wierix. 

{Cabinet  de  M.  Niel.) 

Siillij.  —  Très-beau  portrait  peint  par  du  Boys. 

{Cabinet  de  M.  Niel.)  . 

Pompone  de  Bellievre.  —  Morose  portrait  gravé. 

{Cartons  de  M.  Hennin.) 
Henri  III.  —  Un  crayon  presque  effacé,  mais  bien  expressif. 
Le  chancelier  Olivier.  —  Un  portrait  à  l'huile. 
Bussij  d'Amboise.  —  Un  portrait  à  l'huile. 
Duplessis-Mornay.  — Un  portrait  à  l'huile.      [A  M.  Fourniol.) 
Le  premier  maréchal  de  Biron. 

Le  second  maréchal  de  Biron.  —  Décapité.  Deux  crayons  rouges  : 
l'un  de  l'école  de  François  Clouet,  l'autre  de  l'école  de  Daniel 
Dumonstier. 

J'ai  vu  et  noté  ces  portraits  et  ces  d'essins  en  182G  à  Autun.  Ils 
appartenaient  à  l'évêque,  M.  de  Vichy. 

11  y  avait  dans  la  même  galerie  une  remarquable  estampe  de 
Pie  V,  représenté  debout  et  menaçant  devant  un  tombeau  qu'on  dé- 


DOCUMEKTS  FIGURÉS. 


431 


molît,  probablement  le  tombeau  de  Tacite,  que  le  pape  fit  détruire 

et  dont  il  dispersa  les  cendres  au  vent,  parce  que  le  grand  historien 

avait  mal  parlé  du  christianisme  et  des  chrétiens. 

Le  cardinal  du  Perron.  —  Très-beau  dessin  par  Daniel  Dumonstier. 
Figure  tragi-comique.  L'homme  n'est  pas  grave,  malgré  son  ca- 
ractère épiscopal.  Il  a  beaucoup  d'esprit,  mais  dans  le  faux  et  le 
convenu. 

Ce  précieux  crayon  original  est  à  M.  Niel. 

Je  connais  en  outre  deux  estampes  qu'il  faut  combiner  avec  le 
dessin  de  M.  Niel  pour  avoir  une  impression  complète  du  cardinal, 
très-flatté  par  Dumonstier. 

Philippe  Strozzi.  —  Admirable  dessin  dans  la  manière  de  Dumonstier. 

Ce  portrait  n'est  pas  seulement  Strozzi  :  c'est  le  gentilhomme  flo- 
rentin au  seizième  siècle. 

Il  appartient  à  M.  Niel. 
Théodore-Agrippa  d'Aubiijné. 

1 .  Le  portrait  de  la  bibliothèque  de  Genève  ; 

2.  Le  portrait  du  château  deMaintenon,  le  seul  des  portraits  cités 
par  moi  que  je  n'aie  pas  vu  ; 

3.  Le  portrait  de  l'un  des  quatre  compagnons  de  Henri  IV.  —  Ce 
dernier  portrait  a  été  copié  au  crayon  rouge  par  un  jeune  artiste  de 
beaucoup  de  talent,  M.  Cisneros. 

Le  président  Jeannin.  —  Crayon  rouge  de  l'école  de  Dumonstier. 
Le  maréchal  de  Tavannes.  —  Crayon  rouge  de  l'école  de  François 
Clouet. 

Ce  dernier  portrait  vient  du  château  de  Sully,  comme  le  précé- 
dent du  château  de  Mont  jeu.  Je  les  ai  admirés  l'un  et  l'autre  chez 
M.  Billardet,  ancien  maire  et  député  d'Autun. 

Le  portrait  du  maréchal  n'a  pas  la  brutalité  du  capitaine  Tavannes, 
son  oncle,  dont  le  portrait  ne  doit  pas  être  confondu  avec  celui  du 
neveu.  C'est  ce  qui  arrive  pourtant. 

Grillon.  —  Son  portrait  gravé  par  Beuf,  artiste  provençal,  en  tète 
de  l'oraison  funèbre  intitulée  :  le  Bouclia-  dlionneur,  et  prononcée 
à  Avignon  par  François  Bening,  de  la  compagnie  de  Jésus. 
Voici  un  échantillon  de  la  harangue  sacrée  : 
«  L'alliance  qui  est  entre  Mars  et  les  Muses  m'ouvre  la  bouche, 

que  le  respect  et  la  douleur  m'avaient  cousue,  et  me  commande  de 

parler  de  cet  Hercule  musagète. 


452  PEINTURES,  DESSINS,  ESTAMPES. 

«  Est-il  mort,  Grillon  ?  Il  est  mort. 

«  Qui  est-ce  de  vous,  messieurs,  qui  avez  eu  l'honneur  de  le  voir 
suant  sous  son  harnais,  empoudré  parmi  les  chamaillis...  » 

Le  portrait  vaut  mieux  que  le  discours,  très-singulier  et  très-spi- 
rituel cependant. 

Charlotte  de  la  Trémouille,  princesse  de  Condé.  —  Par  un  peintre 
de  l'école  de  Janet.  {Bibliothèque  Sainte-Geneviève.) 

Michel  de  Montaigne.  —  Portrait  gravé  par  Saint-Aubin  d'après  une 
peinture  authentique  du  seizième  siècle. 

[Cabinet  de  M.  Niel.) 

François  de  la  Noue.  —  Petit  portrait  curieux  de  la  Chronologie 
collée. 

AmbroiseParé.  —  Portrait  fort  énergique  et  d'une  expression  anti- 
que, gravé  par  Estienne  de  Laune. 
Arnijot.  —  Portrait  gravé  par  Léonard  Gaultier. 

[Cartons  de  M.  Hennin.) 

Servet.  —  Tête  vaste  et  noble. 

Loyola.  —  Le  gentilhomme  espagnol.  Un  héros  dans  la  scolas- 
tique. 

Char  les -Quint.  —  Un  grand  diplomate  froid,  avec  mille  plis  et  replis 

de  prudence. 
Les  comtes  d'Egmont  et  de  Horn,  deux  chevaliers. 
Nostradamus.  —  Un  astrologue  au  vif  et  au  vrai.  '  V" 

[Cartons  de  M.  Hennin.) 
Le  duc  d'Albe,  portrait  à  l'huile.  —  Toile  ancienne  fort  remarquable. 

Elle  appartenait  à  M.  de  Monteynard. 
Trois  portraits  gravés  du  duc  d'Albe,  du  duc  de  Feria,  du  duc  de 

Parme. 

Ghez  le  premier,  la  cruauté  est  hautaine;  chez  le  second,  elle 
est  implacable;  chez  le  troisième,  elle  est  mathématique. 

[Cabinet  de  M.  Focirniol.) 


rm  DES  CATALOGUES. 


INDEX 


Le  chiffre  romain  indique  le  Tolurae,  el  le  chiffre  arabe  la  page. 


ÀCÀniE,  IV,  363. 

Acier  (baron  d'),  III,  38  ;  colonel  gé- 
néral fie  rinfaotcrie  |)rotcstante,  7  6  ; 
sauvé  par  le  duc  Henri  de  Guise, 
334. 

Adrets  (le  baron  des),  II,  i  48-1  st. 

—  Sa  conïcrsalion  arec  Agrippa  d'Au- 
bigné,  IV,  1 1-1  4. 

AGE>  (la  ville  d'),  III,  863. 
Albe  duc  d  )  devant  Metz,  I,  12  4. 

—  A  Bayonne,  son  portrait,  sa  lettre 
à  Philippe"  II,  II,  3  63  et  suiv. 

—  Son  gouvernement  des  Pays-Das, 
4 1 8  et  suiv.  ;  III,  i  O ,  l  s  j  ses  larmes, 
so. 

—  Sa  mort,  IV,  114-116. 

Albe  (Dominique  d'],  valet  de  cham- 
bre de  Coligny,  III,  92. 

Albert  (le  cardinal),  gouverneur  des 
Pays-Bas.  IV,  3  8  8,  39  6. 

Albigeois,  l,  4-5., 

Albrët  (Henri  d'),  mari  de  Marguerite 
de  Valois,  père  de  Jeanne  d'Albrot, 
sa  passion  pour  Henri  de  Bourbon 
son  pelit-fils,  sa  finesse,  sa  gaieté, 
ses  habitudes  de  montagnard,  sa  cour, 
sa  dernière  maladie,  sa  mort,  I,  110 
et  suiv. 

Albret  (Jeanne  d'),  sa  jeunesse,  son 
dévouement  aux  proscrits,  son  intel- 
ligence, sa  modestie,  sa  beauté,  son 
mariage  avec  \Villielm  de  la  Mark, 
puis  avec  Antoine  de  Bourbon,  J,  7  2- 
80  ;  fêtes  à  Moulins  à  l'occasion  du 
mariage  de  Jcauue,  9  5-9  9  ;  douleur 


de  Jeanne  à  la  mort  de  sa  mère  Mar- 
guerite, 101  ;  elle  accouche  en  chan- 
tant, se  dévoue  à  son  père  et  à  son 
fils,  pleure  Jane  Grey,  103-110. 

—  Veuve,  Jeanne  rontinuc  avec  un 
redoublement  de  zèle  l'éducation  de 
son  fils,  II,  179  et  suiv. 

—  Arrive  à  la  Rochelle  avec  son  fils 
Henri  et  sa  fille  Catherine,  III,  3  6  ; 
présente  à  l'armée  ciilvinislc  son  fils 
Henri  de  Bourbon  et  son  neveu  Henri 
de  Condé  après  la  déroule  de  Jarnac, 
électrise  les  huguenots,  seroiulc  Co- 
ligny, 68  et  suiv.;  tient  le  bras  de 
M.  de  la  Noue  pendant  l  amputalion, 
141  ;  à  la  Rochelle,  puis  à  la  cour, 
k  Blois,  à  Paris,  ses  lettres  à  son  fils, 
son  mécontentement,  ses  prévisions, 
ses  fatigues,  sa  mort,  197-216. 

Alcut  (André),  I,  SI. 
Ale.\ÇO>"  (duc  d'),  conjuration,  IH, 
411  et  suiv.;  prisonnier,  415. 

—  Sa  fuite,  se  joint  aux  politiques  et 
aux  protestants,  IV,  50-51;  devient 
duc  d'Anjou  et  Monsieur,  sa  paix  ap- 
pelée paix  de  Monsieur,  6  2-6  3  ;  se 
retourne  contre  les  protestants,  7  2  ; 
à  la  Fère,  7  8;  s'évade  une  seconde 
fois  du  Louvre,  88;  eu  Angleterre, 
puis  en  Belgique,  112  et  suiv.;  à 
Anvers,  chassé  de  Flandre,  sa  mort, 
118-119. 

Amboise  (conjuration  d'),  I,  2  80- 
319. 

Amyot,  III,  54  et  suiv. 


454 


INDEX. 


Andelot  (d'],  Icquatr  iomc  fils  An  ma- 
réchal tic  Cliâtillon  ,  se  di  tinfjue  en 
Italie,  pris  et  enfermé  au  chûteau  de 
Milan,  lit  Culvin  dans  sa  prison,  de- 
vient protestant  et  attire  ses  frèresaux 
i<léos  nouvelles  par  sa  correspon- 
dance, I,  1  46-  1  4  8  ;  pénètre  dans 
Saint-Quenlin,  179;  résiste  à  Henri  II 
sur  la  messe,  est  emmené  captif  à 
Meaux,  puisa  Mehin,  2l3-îl7. 

—  A  la  bataille  de  Dreux  en  robe 
fourrée,  199;  à  Saint-Denis  le  lende- 
main de  la  bataille,  4*7-448. 

-  A  Bassac,  à  Jarnac,  III,  60  et  suiv.; 
à  Saintes,  sa  maladie,  sa  mort,  7t- 
75. 

AnGOulème  (le  chevalier  d'),  devant 
le  corps  de  l'amiral  de  Coligny,  III, 
S86. 

Anjou  (duc  d'),  Monsieur,  depuis 
Henri  III,  insulte  Coudé,  II,  4  17. 

—  Commande  l'armée  calliolique  à 
Jarnac,  III,  59  et  suiv.;  outrage 
Cond(''  mort,  6  4-66  ;  complice  de  sa 
mère  Catlierine  dans  le  meurtre  de 
l'amiral,  232  ;  son  récit  conservé  par 
Miron,  218  et  suiv.,  passim;  devant 
la  Rochelle,  378  et  suiv.;  élu  roi  de 
Pologne,  393;  mécontent  de  l'arche- 
vêque de  Valence,  399  ;  prête  ser- 
ment, à  Notre-Dame,  comme  roi  de 
Pologne,  403  ;  ses  délais,  405  ;  son 
départ,  406  ;  à  Heidelberg,  sa  suite, 
40  6  ;  dans  la  galerie  d.»  l'électeur,  en 
facedu  portrait  de  l'aminil,  407-408; 
quitte  Heidelberg,  4  08  ;  couronné  à 
Cracovie,  410-4  11. 

—  Devenu  Henri  HI,  s'évade  de  Cra- 
covie.  est  poursuivi,  IV.  6;  iiVienne, 
7;  à  Venise,  7  et  suiv  ;  accueilli  par 
le  doge  Moncenigo,  visite  Titien,  7-8; 
à  Turin,  8;  à  Lyon,  I  S  ;  sa  douleur 
à  la  mort  de  la  princesse  de  Condé, 
son  deuil,  16-17;  voyage  d'Avignon, 
17;  son  goût  pourlesordres  religieux, 
24;  visite  le  cardinal  de  Lorraine 
mourant,  2  4  ;  sacré  à  Keims,  31-32; 
épouse  Louise  de  Lorraine,  32  ;  se 
promène  en  coche  ,  vole  les  petits 
chiens,  32-33  ;  aux  états  généraux  , 
68-69  ;  se  fait  chef  de  la  ligue,  7  1 
et  suiv.;  signe  la  paix  de  Poitiers, 
73;  soigne  et  pleure  ses  mignons,  90- 


91  ;  institue  l'ordre  du  Saint-Esprit, 
92;  renvoie  sa  sœur  Marguerite  de 
la  cour,  9  4  :  forcé  par  Henri  de  Guise, 
rend  un  édit  qui  abolit  la  liberté  de 
conscience,  1  37-1  38;  s'évade  du  Lou- 
vre, maudit  Paris  des  hauteurs  de 
Chai  Ilot,  173;  irrésolu,  va  de  Char- 
tres à  Rouen  et  de  Rouen  à  Chartres, 
179;  à  Blois,  relit  Machiavel, destitue 
ses  ministres,  ouvre  les  états  géné- 
raux, 1  86-1  87  ;  consulte  son  conseil 
intime,  132;  condamne  le  duc  de 
Guise  à  une  mort  non  judiciaire,  193; 
calme  après  cette  condamnation,  le 
roi  s'approche  de  la  communion  avec 
le  duc,  19  4;  Henri  III  fixe  la  date  de 
l'assassinat,  196;  propose  à  Crillon 
d'exécuter  le  meurtre,  Grillon  refuse, 
Loiguac  accepte,  Larchant  aussi  est 
du  complot,  197;  après  une  nuit 
d'insomnie,  le  roi  harangue  les  ordi- 
nuires,  20 1  ;  fait  demander  le  duc  de 
Guise,  205-206;  regarde  le  cadavre 
du  duc,  le  frappe  au  visage  de  sa 
bottine,  208;  apprend  à  Catherine 
de  Médicis  la  mort  du  duc,  208-809; 
trompe  la  duchesse  de  Nemours,  mère 
du  duc  de  Guise,  dissout  les  états 
généraux,  214  ;  réprouvé  par  le  roi 
d'Espagne,  maudit  par  le  pape,  225; 
conclut  une  alliance  avec  le  roi  de 
Navarre,  228  ;  la  confirme.  2t9; 
mande  le  roi  de  Navarre  au  Plessis- 
Icz-Tours,  233  ;  à  Saint-Cidud,  238; 
dans  s(m  cabinet,  la  Gucsie  et  Belle- 
garde  présents,  est  frappé  par  Jacques 
Clément,  242-243  ;  reconnait  pour 
son  légitime  héritier  Henri  de  Bour- 
bon et  meurt,  2 4* -î  4 5. 

A^TON  (baronne  d'),  fille  du  comte 
d'Antremont,  épouse  Coligny,  lil, 
17  1  et  suiv.;  part  de  Châlillon  à  la 
nouvelle  de  la  mort  de  l'amiral, 
3  42  ;  en  Savoie,  sa  mort,  3  57,  3  58. 

Arkmbehg  (comte  d'j,  envoyé  par  le 
duc  d'Albe  en  France,  ses  instruc- 
tions, II,  482. 

—  Battu  à  Heyiigherlée,  en  Frise, 
III,  20. 

AMISTOTE,  IV,  43  2. 

Arius,  l,  5. 

Armada  (P),  IV,  i8i-i84. 
Ahnav-LE-DuC,  combat,  lll, 


INDEX. 


455 


AiOCES(1a  campagne  d'),  IV,  ««i  et 
suiv. 

ASTABAC  (d'),  III,  59  5. 

Attiîi,  un  des  meurtriers  de  l'ami- 
ral de  Coligny,  III,  J86. 

AUBIGNE  (d'),  père  d'Aj^rippa  d'Au- 
bigné,  refuse  de  condamner  deux  in- 
nocents, II,  1 7 1 . 

AlBiGNÉ  (Théodore -Agrippa  d'),  à 
Montargis  chez  la  duchesse  de  Fer- 
rare,  pendaut  la  Saint-Barthéleniy, 
III,  8S6. 

—  Écuyer  du  roi  de  Navarre,  son 
rôle  auprès  de  son  maître,  son  cou- 
rage, ses  talents,  IV,  58  et  suiv  ;  ses 
Tragiques,  81-86;  contre  l'abjura- 
tion, 332;  au  siège  de  la  Fère,  se 
présente  au  roi  ,  sa  douleur ,  son 
deuil,  319-384  ;  4î3. 

AtBRY  (le  curé),  IV,  368. 

Algeh  (Edmond),  III,  363. 

AUGSBOLhG  (diète  d'),  I,  8. 


AOMALB  (duc  d'),  l'un  des  six  fils  de 
Claude,  premier  duc  de  Guise,  II, 
3  83  ;  héiite  de  Diane  de  Poitiers, 
403. 

—  Sa  participation  au  meurtre  de  Co- 
ligny, III,  834;  sa  mort  au  siège  de 
la  h'ochelle,  383. 

Al'Male  (duc  d'),  élu  gouverneur  de 
Paris  après  l'assassinat  sur  Henri  III, 
IV,  217. 

A13M0NT  (maréchal  d'),  fait  arrêter  à 
Blois  le  cardinal  de  Guise  et  d'Espi- 
nac,  archevêque  de  Lyon,  IV,  207  ; 
se  rallie  à  Ileuri  IV  au  camp  de  Saint- 
Clond,  2  47;  en  Champagne,  2  58;  à 
la  bataille  d'Ivry,  2  7  4. 

Alssl'>  (d'),  sa  mort  après  la  bataille 
de  Dreux,  II,  207,  208. 

AvENELLES  (Pierre  des)!,  le  révéla- 
teur de  la  conjuration  d'Amboise,  I, 
296. 

Atig.non  (la  ville  d'),  III,  set. 


B 


BabelOT,  chapelain  du  duc  de  Monl- 
pensier,  sa  mort,  III,  39-40. 

BàiF,  111,  152. 

Bains  (siège  dc^  I,  90. 

BalaOY,  iils  de  Jean  de  Montluc, 
évèque  de  Valence,  III,  39  4. 

BaRBEROLSSE,  I,  26  3. 

BakOMLS  (le  père)  ,  confesseur  du 
pape,  IV,  37  3. 

Babiu  (Godefroy  du),  seigneur  de  la 
Henaudie,  ses  efforts  dans  la  conju- 
ration d'Amboise,  son  courage,  son 
éloquence,  son  combat  contre  Par- 
daillan,  sa  mort,  suites  de  la  conju- 
ration, I,  280-319. 

Barricades  (les),  iv,  i69. 

Baiirière,  exécuté  à  Melun,  IV,  351. 

Ba.s«aC  (combat  de),  III,  59-60. 

BaYONSE  (conférence  de)  entre  Elisa- 
beth, reine  d'Espagne,  accom|iagnce 
du  duc  d'Albe,  et  Charles  l\  accom- 
pagné de  sa  mère  Catherine  de  Mè- 
dicis,  politique  des  deux  cours,  II, 
362-878. 

Beal>ia>0!B  de  Lavardin  (Charles)  et 
son  iils,  III,  294-S95. 


Bealvoib  (le  baron  de),  ancien  gou- 
verneur du  prince  de  Béarn,  lll, 

300,  801. 
Belleal  (Remi),  III,  152. 
BeLLEGARDE  (de)  IV,  2  42-2  43. 
BeLLIÈVKE  (de),  IV,  423. 

Bebquik  (de) ,  un  gentilhomme  de 
l'Artois,  sou  supplice,  I,  58-39. 

BertON  (le  chevalier  de),  neveu  de 
Grillon,  meurt  héroïquement  pour 
sauver  Henri  III,  IV,  236, 

BeHTRAADI,  m,  32  5. 

Besme,  assassin  de  l'amiral  de  Coli- 
gny, III,  28  4  et  suiv. 

—Tué par  M. de  Iiertcauville,IV,4  8-49. 

BÉTHlSY  (rue  de),  111,  217;  dans 
cette  rue,  à  l'hôtel  de  l'amiral  de 
Coligny,  première  délibération  dis 
chefs  calvinistes,  254  ;  deuxième  dé- 
libération, 2  7  5,  276. 

BÈZE  'Théodore  de),  son  portrait,  ses 
talents,  utile  à  Calvin  et  au  calvi- 
nisme, I,  34-35. 

—  Traducteur  des  psaumes  avec  Ma- 
rot,  II,  7 1-7  2;  au  colloque  dePoissy, 
2  72  et  suiv. 


456 


INDEX. 


BÈZE  Sa  croisade  calviniste,  IV,  145; 
son  portrait,  149. 

BlANCUl  (René),  parfumeur  à  la  mode, 
empoisonneur  supposé  de  Jeanne 
d'Albret,  III,  313;  \\\n  des  meur- 
triers de  la  Saint-Barthélémy,  3  8  4. 

BiGNE  (la),  secrétaire  de  la  Renaudie, 
I,  312. 

BiRÀGL'E  (le  chancelier  de),  la  créa- 
ture de  Catherine  de  Médicis,  III, 
93;  l'un  des  conseillers  de  la  Saint- 
Barthélemy,  2  6  0. 

BîRON  (Armand  de  Gontaut,  baron  de, 
maréchal  de  France),  dans  la  plaine 
de  Saint-Clair,  III,  1  06  ,  107  ;  à 
Moncontour,  l  09  et  suiv. 

—  Dans  la  journée  des  barricatles , 
commande  l'armée  du  roi,  IV,  16  7; 
louvoie  à  Saint-Cloud  avec  Henri  de 
Bourbon  ,  iusqu'à  ce  qu'il  ait  le 
comté  de  Féri|îord,  250,  281  ;  se- 
conde bien  le  roi,  263;  à  Ivry,  S76; 
tué  au  siège  d'Epernay,  321. 

BlRO.\  (fils  d'Armand  de  Gontaut), 
second  maréchal  du  nom,  se  distin- 
•  gue  au  combat  de  Ranson,  IV,  318, 
319,  423  ;  il  Fontaine-Française,  371. 

BOiNVAL  (le  capitaine),  I,  387. 

BORA,  ou  plutôt  BOUREN  (Catherine 
de),  femme  de  Luther,  I,  14-13. 

BOLCHAVÀNNES  (de),  III,  276,  326. 

BOL'CBER  (Jean) ,  curé  de  Saint-Be- 
noit, le  principal  chef  des  Seize, 
IV,  141-142;  ses  prédications  san- 
guinaires, 306. 

Boulogne  (siège  de),  l,  90. 

Boui'.BON  (le  cardinal  de),  substitué  à 
son  neveu  Henri  de  Navarre  comme 
héritier  de  la  couronne  de  France, 
IV,  134;  croit  la  reine  mère  cou- 
pable du  meurtre  du  duc  de  Guise  et 
le  lui  dit,  215  ;  fantôme  de  roi  sous 
le  nom  de  Charles  X,  2  6  8;  sa  mort, 
S78. 

Bourbon  (Antoine  de),  sa  beauté,  sa 
frivolité,  son  inconstance,  I,  72-80; 
son  mariage,  9  5-9  9  ;  son  humilia- 
tion à  Saint-Germain  devant  toute 
la  cour,  insolence  des  Guise  envers 
lui,  266-273  ;  échappe  couiagouse- 
ment  au  guct-apcns  dressé  contre 
lui  à  Orléans  par  les  Lorrains,  42  8, 
et  suiv. 


Bourbon.  Blessé  devant  Rouen,  II, 
166;  sa  mort,  1  7  6-1  79. 

Bourbon  (Catherine  de),  fillede  Jeanne 
d'Albret,  sœur  de  Henri  IV,  épouse 
le  duc  de  Bar,  IV,  39  9;  reste  pro- 
testante, contribue  très-ardemment 
à  l  édit  de  Nantes,  40  8. 

Bourg  (Anne  du),  grand  magistrat, 
emprisonné  sous  Henri  II,  brûlé  en 
place  de  Grève  sous  François  II,  I, 

275-277. 

BOURGES,  massacre,  III,  360. 

Bourgoing  ,  prieur  du  couvent  des 
Jacobins,  donne  à  Jacques  Clément 
l'absolution  anticipée  de  son  régi- 
cide, IV,  239,  240. 

Briçonînet  (cardinal),  évcque  de 
Meaux,  indulgent  aux  calvinistes,  I, 
54-55. 

Brion  ,  gouverneur  du  marquis  de 

Conti,  III,  303-304. 
Briquemaut  (de),  son  procès,  III,  3  7  5 

et  suiv. 

Brissac  (le  maréchal  de),  I,  4  0  2- 

406. 

—  Son  portrait,  sa  vie,  sa  mort,  II, 
339  et  suiv. 

Brissac  (le  comte  de)  l'un  des  agents 
et  des  capitaines  du  duc  de  Guise 
dans  la  ligue,  IV,  157;  suggère  les 
barricades,  16  8;  caserne  les  Suisses 
échappés  au  massacre,  170;  gouver- 
neur de  Paris  par  et  pour  Alayenne, 
négocie  avec  Henri  IV,  lui  livre 
Paris,  est  fait  maréchal  de  France, 
251  et  suiv.;  366. 

Brisson,  premier  président  du  parle- 
ment de  la  ligue,  proteste  secrète- 
ment, IV,  2  2  5;  pendu  à  une  poutre, 
308. 

BrODERODE  (Henri  de),  II,  4io. 

Hldé  (Guillaume),  I,  53. 

Bullant  (Jean),  architecte,  I,  53.  ' 

—  IV,  360. 

BussY  d'AmbOise,  son  portrait;  assas- 
sine le  marquis  de  Rcnel,  III,  294; 
ses  luttes ,  sa  réconciliation  avec 
Grillon,  408  et  suiv. 

—  Est  tué,  IV,  99. 
Bussv-Leclerc  ,  ligueur,  IV,  i4s; 

conduit  à  la  Buslilte  tout  le  parle- 
ment, 2  2  3-225;  chez  le  premier 
président  Brisson,  S87;  ourdit  un 


INDEX. 


457 


complot  contre  le  premier  président, 
l'arrête,  le  livre  à  îles  juws  bour- 
reaux, 308  ;  fait  une  tentative  d'é- 
meute, excite  vainement  au  pillage 


des  riches,  309  ;  renfermé  à  la  Bas- 
tilk",  y  capitule,  310;^  Bruxelles  oîi 
il  survit  à  ses  victimes  et  à  ses  com- 
plices, 31  s. 


C 

CAIETA^O,  rardinal,  I,  8. 

Calais  (siége  de;,  I.  202-205. 

Calvin,  suscité  par  Luther,  leur  mé- 
taphysique, I,  2  0-2  I  ;  théologien, 
jurisconsulte,  écrivain,  voyage  en 
Suisse,  cède  aux  sollicitations  de 
Farel  et  de  Viret,  se  fixe  à  Genève, 
2  2;  gouverne  en  législateur  politi- 
que et  religieux,  répand  sa  doctrine, 
fait  brûler  Seavet,  23-26  ;  perd  sa 
femme,  son  afûiction,  27;  prodi- 
gieuse activité  de  Calvin,  son  génie, 
ses  travaux,  se  distingue  de  Luther, 
repousse  la  présence  réelle  de  1  Eu- 
charistie, son  portrait,  2 7.32 . 

—  Sa  maladie,  sa  mort,  II,  332-337. 

Carlos  (don),  son  caractère,  ses  vio- 
lences, sa  captivité,  son  agonie,  sa 
mort,  m,  2-10. 

CaBLOSTAD,  I,  15. 

Castellans,  leur  arrivée  à  Paris,  III, 
400;  aux  Tuileries,  *03-40i. 

Castel>al  de  Chalosses  (le  baron 
de),  à  Amboise,  I,  295  ;  303-305; 
son  supplice,  316-317. 

CalmO.-st  (Geoffroy  de),  III,  307. 

Calmom  (les),  au  faubourg  Saint- 
Germain,  III,  246. 

Cavag^e  '^de),son  procès,  III,  374  et  s. 

Cebvim  (Marcel),  pape,  du  9  au  30 
avril  1  555,  II,  298. 

CHà.IMNG,  1Y,  56. 

Cbamerallt  (de  ),  gentilhomme  et 
courrier  de  la  reine  mère,  IV,  5. 

Charité  (la  ville  de  la),  massacre,  la 
cavalerie  du  duc  de  Nevers,  III,  360. 

Charles  IX.  Etat  des  partis  à  son 
avènement,  II,  i  et  suiv.;  sacre  du 
roi,  pn'séance  du  duc  de  Guise  sur 
M.  de  MoDtpensier.  prince  du  sang, 
61;  majorité  de  Charles  proclamée 
par  le  parlement  de  Kouen,  270-271  ; 
le  roi  à  Bayonne,  conversation  avec 
le  duc  d'Aibe,  3";o-37i;  de  retour  à 


Paris  après  la  conférence  de  Bayonne 
et  l'assemblée  de  Moulins,  son 
voyage  avait  duré  deux  ans  trois 
mois,  six  jours,  le  roi  avait  fait  neuf 
cent  deux  lieues,  337-397;  bat  en 
retraite  devant  Condé  et  Coligny  de 
.Monceaux  à  Meaux ,  de  Mcaux  à 
Paris,  sa  fureur,  42  5  et  suiv. 
—  Charles  IX,  son  portrait,  III,  148- 
154;  son  mariage,  156;  son  amitié 
pour  Coligny,  189  et  suiv.;  aux 
noces  de  sa  sœur  et  du  roi  de  Na- 
varre, 2  2  7;  à  I  hôtel  de  l'amiral,  2  47 
et  suiv.;  entraîné  par  sa  mère,  Char- 
les surpasse  les  s/j:en  violence,  2  6  4; 
continue  ses  messages  à  Coligny, 
272  ;  commande  le  massacre,  28  2  ; 
offre  à  ses  cousins  Henri  de  Navarre 
et  Henri  de  Condé  la  mort  ou  la 
messe,  30  5,  30  6;  tire  de  sa  fenêtre 
sur  son  peuple,  308,  30-9  ;  au  ci- 
metière des  Innocents,  33  4  ;  au  par- 
lement, 33  6;  à  Montfaucon,  34 1; 
donne  un  gala  à  sa  cour  à  l'hôtel  de 
ville  avant  et  après  les  exécutions 
de  Briquemaut  et  de  Cavagne,  376; 
fuit  Saint-Germain,  414;  à  Vincen- 
nes,  son  agonie,  sa  mort,  419  et 
suiv. 

Chahles-Qlist,  préside  la  diète  de 
^Vorms,  I,  12;  attaque  Metz,  115; 
s'empare  de  Térouanne  et  de  He.s- 
din,  135;  sa  mort  au  couvent  de 
Saint-Just ,    dans    l'Estraraadure  , 

226-231. 

CHAR^Y  (le  comte  de),  111,  867, 
Chabpe.mier,  III,  329  et  suiv. 
Charri   le  capitaine),  assassiné  sur 
le  pont  Saint-Michel,  II,  579-28». 
Charron  (le),  prévôt  des  marchands, 
successeur  de  Marcel,  III,  J80  et 
suiv. 

Chartres  (le  vidame  de),  jeté  à  la 
Bastille,  I,  3  9  0, 


IV. 


39 


438 


INDEX. 


—  Sa  mort,  deuil  de  la  noblesse 
française,  portrait  du  vidame,  II, 
«5-87. 

Chartres  (siège  de),  II,  459. 

ChaTEAUVIEUX  (de),  I,  295. 

ChATEAUVIELX,  IV,  J48. 

Chatel  (Jean),  IV,  368. 

Chatilloix  (Odet  de),  cardinal,  sa 
promotion,  I,  8î;  son  caractère  fa- 
cile et  hardi,  sa  générosité,  2  3  8. 

—  A  la  bataille  de  Saint-Denis,  II, 
14». 

—  Sa  mort.  III,  175. 
Chatillon  (Louise  de),  épouse  Téli- 

gny,  III,  171  ;  à  Berne,  après  la 
Saint-Bartliélemy ,  357  *,  ses  frères 
et  ses  cousins  dispersés  ,  358. 

—  Reçoit  le  dernier  soupir  de  son 
second  mari  le  prince  d'Orange , 
IV,  122. 

Cbatillon,  fils  de  l'amiral  de  Co- 
ligny,  au  pont  de  Tours,  IV,  236; 
remporte  une  victoire  à  Bonneval  en 
Beauce,  237  ;  dégage  le  roi,  263  ; 
meurt    de   l'ingratitude  de  Ilenri 

IV,  299. 

Châtre  (delà),  IV,  238,  3  6  6. 
Chesnelaye  (de  la),  I,  295. 
CnoiSNiN  (de),  secrétaire  de  Jean  de 

Montluc,  III,  395. 
Chkestien  (Florent),  précepteur  de 

Henri  de  Béarn   (Henri  IV),  III, 

48-49. 

—  Un  des  auteurs  de  la  Ménippèe^ 
IV,  345. 

Cjpierre  (de),  I,  301. 

—  m,  1  52-1  53. 

Clément  VIII ,  fulmine  contre  l'E- 
glise gallicane  et  contre  Henri  IV, 
IV,  839:  prononce  l'absolution  de 
Henri  IV,  373-37*. 

Clémeint  'Jacques),  un  moine  jaco- 
bin, âgé  de  vingt-cinq  ans;  son  por- 
trait, conçoit  le  projet  de  tuer  Hen- 
ri III,  IV,  239  et  suiv.;  introduit 
par  la  Guesie  dans  le  cabinet  du  roi, 
2  42  ;  frappe  Henri  III,  2  48  ;  est 
blessé  par  la  Guesie  et  achevé  par  les 
quarante-cinq,  243  ;  ses  portraits 
tapissent  les  autels,  exalté  à  Paris,  à 
Rome  et  à  l'Escurial,  2  5  5. 

Clouet  (Jean,  dit  Janct),  1,  53. 

Cluny  (hôtel  de),  I,  264. 


—  II,  552. 

CocoiSAS  (le  comte  de),  III,  sis;  est 
pendu, 415. 

CoCQUEVILLE  (de),  I,  29  5. 

COLIGNY  (Gaspard  de),  né  au  château 
de  Chàtillon-sur-Loing,  le  troisième 
fils  du  maréchal  de  Châtillnn  et  de 
Louise  de  Montmorency,  sœur  ainée 
du  connétable,  I,  80;  confié  à  son 
oncle  le  connétable  qui  lui  donne 
pour  précepteur  le  savant  Bérault  et 
pour  gouvernear  M.  de  Prunelay, 
82;  sa  jeunesse,  sa  bravoure,  ses. 
talents,  son  amitié  pour  le  prince 
de  Joinville,  François  de  Guise,  de- 
puis duc  et  chef  de  sa  maison,  82- 
90;  phases  successives  de  cette  ami- 
tié, 1  43-1  4  4;  ellesc  change  en  haine, 
1*8-149;  Coligny  à  Saint-Qucnlin, 
belle  défense  de  cette  place,  I66- 
196;  prisonuier  dans  la  petite  ville 
de  l'Kchise,  193  ;  à  l'assemblée  de 
Fontainebleau,  364  et  suiv. 

—  A  Châlillon,  puis  à  la  Ferté,  puis 
à  Orléans,  II,  107-118;  défait  le 
marquis  d'Elbeuf,  près  de  Cbâtcau- 
dun,  157;  à  la  bataille  de  Dreux, 
19  6-218;  blâme  l'édit  de  pacifica- 
tion comme  trop  peu  démocratique, 
2  5 4-2  5  5  ;  accusé  d'avoir  poussé  l'ol- 
trot  au  meurtre  du  duc  de  Guise, 
se  justifie,  soutenu  par  Condé,  d'An- 
delot ,  le  maréchal  de  Montmoren- 
cy en  plein  conseil,  son  procès  avec 
les  Guise  suspendu,  256-266;  au 
Louvre  avec  une  armée  de  gentils- 
hommes, reçoit  une  ovation,  2  7  8- 
2  79;  à  Paris,  après  la  charge  de  la 
rue  Saint-Denis,  354-357  ;  tient  la 
place  du  roi  comme  parrain  d'un  fils 
de  Condé,  406-407  ;  décide  avec 
d'Andelot  la  seconde  guerre  civile, 
422;  émonde  ses  arbres  à  Châtilloo, 
423;  charge  de  Coligny  à  la  batuille 
de  Saint-Denis,  443  et  suiv.;  à  Châ- 
tillon,  après  la  mort  de  sa  fenmio 
Charlotte  de  Laval,  467  et  suiv. 

—  Au  combat  de  Bassac,  pendant  la 
retraite  des  protestants,  après  Jarnac, 
III,  67-68;  à  la  Boche-Abeille,  83; 
apprend  le  saccageaient  de  son  châ- 
teau de  Châtillon,  84;  devant  Poi- 
tiers, 91  et  suiv.;  lit  un  second  arrêt 


INDEX. 


4o9 


de  mort  prononcé  contre  lui  par  le 
parlement  de  Paris,  9  4-9  3;  à  Mon- 
tonlour  est  blessé  par  i'ainé  des 
rhinfjraves  qu'il  tue,  IIO;  promène 
le  drapeau  calviniste  de  la  Rocliclle 
à  Toulouse,  de  Toulouse  à  Casli  cs  et 
à  IMontn'al,  de  Montréal  à  Saint- 
Etienne,  de  Saint-Ktienne  à  Châtil- 
lon-sur-Loing,  néfjociant  et  combat- 
tant, 1  2  5-1  33  ;  à  la  Uoclielle,  l  38  et 
suiv.;  son  niariairo  avec  la  baronne 
d'Anton,  171  cl  suiv.;  à  la  conr, 
Ifls  cl  suiv.;  ses  desseins,  [{uerre  de 
Flandre,  pacification  intérieure,  193 
et  suiv.;  rassure  les  Horhellois,  223- 
22  4;  assiste  au  mariafre  du  roi  de 
Navarre,  22  5  et  suiv.;  sa  dernière 
lettre  à  sa  femme,  2  2  8-229  ;  ses 
blessures,  rue  des  Fosscs-S;nnt-(ier- 
ir,ain,  238  et  suiv.;  heurrs  qui  pré- 
cèdent l'escjilaile  de  son  holel,  ses 
assassins,  sa  mort,  282-988;  fiappé 
d  un  arrêt  du  parlement  après  la 
mort  même,  336-337  ;  trainé  sur 
une  claie,  porté  à  Montfaucon,  339; 
transféré  par  les  soins  du  maréchal 
de  Montmorency  à  Chantilly,  puis  à 
Cbàtillon,  343-344;  grandeur  de 
Coli!''nv,  3*4  et  suiv,;  mannequin 
de  l  auiiral,  374,  37  5. 

CoL!GNO?i,  l'un  des  commissaires  de 
l  édit  de  Nantes,  IV,  410. 

CoLOMBIÈKtS,  m,  2  9  3. 

CoLOMBiÈKE.s  (de),  tué  à  Sainl-Lo, 

4J7-418. 

CONDÉ  (le  prince  Louis  de),  mission 
diplomatique  à  Bruxelles,  avec  une 
somme  d'argent  d'risoire  allouée 
pour  celle  mission,  colère  de  Condé, 
I.  266;  le  prince  à  Amboise,  301 
et  suiv.;  son  arrestation,  son  défi  au 
duc  de  Guise,  son  départ  d'Amboise, 
sa  profession  de  foi  calviniste  à  Poi- 
tieis,  320-330  ;  sa  condamnation  à 
mort,  à  Orléans,  422. 

—  Fait  prisonnier  à  la  balaille  de 
Dreux,  II,  1 9 5-2 18,  passim;  signe 
la  première  paix  et  l'edit  incomplet 
qui  la  consacre,  2  53;  après  la  uiort 
d'Eléonore  de  Roye  et  une  rupture 
avec  la  maréchale  de  Saint-André, 
épouse  en  secondes  noces  Françoi.se 
d'Orléans,  sœur  de  Léonor,  duc  de 


Longueville,  399  ;  à  la  bataille  de 
Saint-Denis,  443  et  suiv. 

—  Au  château  de  Noyers,  rejoint  par 
ColifTny,  voya[}e  de  Noyers  à  la  Uo- 
chelle,  m,  33-36;  Condé  à  Jarnac, 
ses  blessures  avant  et  pendant  la 
balaille,  son  héroïsme,  sa  mort,  60 
et  suiv. 

CoiVDK  (le  prince  Henri  de),  à  l'armée 
avec  son  cousin  Henri  de  Navarre 
après  la  bataille  de  J;irnac,  IH,  68- 
69  ;  ses  noces  avec  Marie  de  Clèves, 
sœur  de  la  duchesse  de  Guise  et  de 
la  duchesse  de  Nevers,  2  18  ;  se  sou- 
met à  Grégoire  XIII,  372. 

—  Proteste  contre  la  bulle  de  Sixte- 
Quint,  140:  empoisonné  par  Ch;!r- 
lolte  de  la  Trémouille,  sa  seconde 
femme,  157. 

Co\Tl  (le  marquis  de),  III,  303-304, 
Cop  (Guillaume),  médecin  de  Fran- 
çois l'-r,  l.  53. 
Cop  (Nicolas),  fils  du  médecin  du  roi, 
1,  54. 

C0R|.SA>DE  d'A>D0ui\,  comtessc  de 
Gramonl,  maîtresse  du  roi  de  Na- 
varre, son  j)ortrait,  IV,  128. 

CORNATON,  secrétaire  et  favori  de  Co- 
ligny  ,  ses  soins  après  l'atteutîit  de 
Maurevel,  III,  24  1  et  suiv.;  se  pré- 
cipite dans  la  eh  mibre  de  l'amiral, 
s'échappe  sur  l'ordre  de  Coligny,  9  8  4. 

Cos.sÉ  (le  maréchal  de),  à  Arnay-le- 
Duc,  III,  132;  à  la  Hochclle,  168; 
en  route  avec  Coligny,  188;  .lu  chevet 
de  l'aniiral,  243;  sauvé  de  la  Saiot- 
Barthélcmy  par  mademoiselle  de 
llieux,  3  2  5. 

CossEi^iS,  gardien  de  l'amiral  rue  de 
B.'thisy.lil,27  5;  poignarde  Labonne, 

283  ;  dans  la  chambre  de  Coligny, 

284  ;  sa  mort  au  siège  delà  Rochelle, 
383. 

Coi;si?i  (Jean),  I,  63. 

—  IV, 360. 

Cranach  (Lucas),  I,  14. 
Grillon  (duc  de),  ses  querelles  avec 
Bussy  d'Amboise,  III,  408  et  suiv. 

—  Au  Louvre,  son  portrait,  son  atti- 
tude, IV,  161-162  ;  le  jour  des  bar- 
ricades, 12  mai  1  588;  à  la  tête  du 
régiment  des  gardes,  167;  au  pont 
de  Tours,  236  ;  à  Ivry,  278-4S3. 


460 


INDEX. 


CaOMÉ,  l'un  des  Seize,  du  comité  des  CrucÉ  ,  le  tireur  d'or,  III,  324-32S. 

Dix,  IV,  307;  au  petit  Châtelet,  pré-  —  l'un  des  Seize,  IV,  307-363. 

side  le  tribunal  qui  fait  pendre  le  CuJAS,  11,  392  et  suiv. 
président  Brisson,  308. 


D 


Damours,  pasteur,  fait  la  prière  au 
camp  de  Henri  IV  avant  la  bataille 
d'Ivry,  IV,  2  7*. 

Dampierre  (de),  IV,  248. 

Damville  (le  maréchal),  le  second  fils 
du  connétable  Anne  de  Montmo- 
rency, reçoit  Fépée  de  Condé  à  la  ba- 
taille de  Dreux  et  garde  ce  prince 
comme  son  prisonnier,  II,  202-2  1  0. 

—  Auprès  de  Pamiral  de  Coligny 
blessé,  III,  2  43-244  ;  à  la  Saint- 
Barthélemy,  3  6  7-3  6  8. 

—  Connétable,  IV,  423. 

Danès,  évêque  de  Lavaur,  au  concile 
de  Trente,  II,  289. 

DardOIS  (Freniin).  secrétaire  du  con- 
nétable Anne  de  Montmorency,  I, 

261-392-393. 
DAUHAT,  III,  1S2. 

Delafontaine,  complaisant  féroce  de 

Calvin,  ï,  26. 
Delorme  (Philibert)  ,   architecte  des 

Tuileries,  III,  403-404. 

—  IV,  360. 

Descartes,  I,  i9. 


—  IV,  427. 

Diane  de  Poitiers,  sa  beauté,  sa 
puissance,  sa  cupidité,  son  désespoir 
à  la  mort  de  Henri  II,  I,  2  46-2  47  ; 
cède  les  diamants  de  la  couronne  à 
Marie  Stuart  et  sa  maison  de  Chenon- 
ceaux  à  Catherine  de  Médicis,  2  52- 
253. 

—  Sa  mort,  II,  399-403. 

Dolet,  imprimeur  et  libre  penseur, 

I,  62-63. 
DhAGUT,  I,  863. 

Drake,  le  vainqueur  de  PArmada,  IV, 

182-1  84. 

Dreux  (bataille  de),  II,  193-218. 
DUBELLAY  (Joachim),  III,  152. 
DlmÉ.ML,  I,  2  9  5. 

Dumoulin,  le  grand  jurisconsulte,  II, 

3  8  8-3  89, 

DuPLîïSSis- MORNAY,  négociateur  du~ 
roi  de  Navarre,  IV,  299-230:  reçoit 
le  gouvernement  de  Saumur,  2  30  ; 
son  portrait,  231  ;  à  Ivry,  275-276. 

Durfort  DE  Duras,  III,  296. 


E 

ECKIUS,  nonce  apostolique,  I,  8. 

Eglise  gallicane,  son  manifeste  con- 
tre le  pape,  IV,  29  8. 

Egmont  (le  comte  d'),  ses  intentions, 
sa  captivité,  son  exécution,  III,  12  et 
suiv. 

Egmont  (le  fils  du  comte  d'),  à  Ivry, 

IV,  273-275. 
ElSE\ACH,  I,  13. 

ElrÈNE  (l'abbé  d'),  IV,  1  62-1  63. 

Elisabeth  de  France,  épouse  Phi- 
lippe II,  I[,  242  ;  son  séjour  à 
Bayonne,  362  et  suiv. 

—  Sa  mort,  lll,  4-5. 

Elisabeth,  reine  d'Angleterre,  traite 
avec  les  proteslants  français,  promet 


à  Coligny  des  hommes  et  de  l'argent, 
II,  161-162;  sa  bienveillance  pour 
le  grand  prieur  de  Guise,  222. 
—  Accueille  le  duc  d'Anjou,  ses  ma- 
nèges avec  lui,  IV,  112-114;  au 
camp  de  Tilbury,  184. 
E.^TRAGUES  (d"),  iV,  2  48. 

Eperno.n  (Nogaret,  duc  d'),  clôt  la 
guerre  par  un  traité,  est  bafoué  par 
les  catholiques,  IV,  l  S3  ;  sacrifié  par 
l'ascendant  du  duc  de  Guise,  donne 
sa  démission  du  gouvernement  de 
Normandie,  se  réfugie  dans  ses  gou- 
vernements de  l'Angoumois  et  de 
Saiutonge,  d'où  il  entre  en  commu- 
uication  avec  le  roi  de  Navarre,  1 80; 


INBEX. 


461 


au  camp  de  Saint-Cloiid,  ne  se  rallie 
pas  efficacement  au  lîéarnais  et  se  re- 
tire clans  ses  gouvernements  avec  sept 
mille  hommes,  2  52;  adhère  à  la  dy- 
nastie des  Bourbons,  3  7  5. 
Ek\AM,  II,  362. 

Ekkest  (l'arclliduc),  sa  mort,  IV,  37  4. 

ESSÉ  (d'),  bon  chevalier  sous  Fran- 
çois I^",  grand  capitaine  sousHenri  II, 
ses  {Tiierres,  sa  maladie,  sa  terre  d'E- 
panvilliers,  en  Poitou,  sa  défense  de 
Térouannc,  sa  mort,  I,  1  3  3-1  3  3. 

ESSEX  (le  comte  d'),  s'empare  de  Ca- 
dix, IV,  388. 

Este  (Anne  d'),  petite-fille  de  Louis 
XII,  fille  de  Renée,  duchesse  de  Fer- 
rare,  sœur  de  la  Léonorc  du  Tasse, 
femme  du  duc  François  de  Guise  ; 
est  touchée  des  exécutions  d'Am- 
Loise,  I,  318-319. 

—  Au  lit  de  mort  du  duc  de  Guise, 
II,  230  et  suiv  ;  épouse  le  duc  de 
Nemours,  403  et  suiv. 

—  Complice  de  Catherine  de  Médicis 
dans  le  meurtre  do  l'amiral  de  Coli- 
gny,  III,  233-234. 

—  Apprend  le  meurtre  de  ses  deux 
fils  a  BIcis,  implorede Henri III  leurs 
corpsj  IV,  213;  traitée  en  nière  de 


l'Eglise  par  les  prédicateurs  de  la 
ligue,  22  1-222  ;  maudit  Henri  III 
dans  l'église  des  Cordelieis,  2  54  ; 
désapprouve  les  meurtres  commis  sur 
les  magistrats,  310. 

EsTlE^>E  (Robert),  I,  S4. 

EsTIEiN^E  (Henri,,  I,  54. 

ESPLNAC  (Pierred'),  cardinal,  auxétats- 
généraux  de  1  576,  IV,  69-70;  à  Blois 
en  1  588,  son  rôle  d'opposition  radi- 
cule aux  Valois,  188;  conduit  pri- 
sonnier avec  le  cardinal  de  Guise  dans 
le  même  galetas,  207  ;  bénit  le  car- 
dinal allant  à  la  mort,  212;  trompe 
Henri  IV,  2  87. 

EspiNOSA  (le  cardinal),  grand  infpi- 
siteur,  III,  7-9. 

ESTRA^GE  (de  l'),  sa  litière  croise  celle 
de  l'amiral  à  Moncontour,  III,  114- 
1 1  o. 

ESTHÉES  (Gabricllc  d'),  aimée  d'Henri 
IV,  IV,  289-295-296  ;  au  camp  do 
Chartres,  299, 

Etats  gexéiîaijx  de  iseo,  à  Orléans, 
I,  395  et  suiv. 

—  II,  68-69. 

Etoile  (Pierre  de  1'),  I,  21. 
Evèches  (les  trois),  Metz,  Toul  et 
Verdun,  I,  114. 


Farel,  I,  22. 

Farnèse  (Alexandre),  duc  de  Parme, 
neveu  de  Philippe  II,  dans  los  Pays- 
Bas,  IV,  117;  blocjué  par  les  mate- 
lots hollandais,  I82;  général  de  la 
faction  espagnole,  278  ;  son  arrivée 
h  Meaux,  2  87  ;  refuse  la  bataille  que 
lui  présente  Henri  IV,  débloque  Pa- 
ris, retourne  dans  les  Pays-Bas,  son 
portrait,  289-293  ;  consent  à  déblo- 
quer Rouen,  impose  ses  conditions  à 
Mayenne,  313;  délivre  la  capitale  de 
la  Normandie,  assiège  Caudobec,  est 
blessé,  316-317;  s'échappe  de  la 
presqu'île  deCaux,  gagne  Paris,  puis 
les  Pays-Bas,  320;  repart  de  Bruxelles 
pour  intimider  les  états  de  la  ligue 
et  faire  sortir  de  l'urne  le  nom  de 
l'iiiranlc-  Iscjb:!lc,«  meurt  à  Anas, 
322-323. 


Ferdinand  I  (empereur),  sa  lettre  au 
pape,  II,  308. 

FÉRlA'(duc  de),  excite  Paris  aux  dé- 
sordres, IV,  2  7  8;  n'a  pas  assez  d'ai-- 
gent,  ce  qui  rend  les  Espagnols  ridi- 
cules, Paris  s'en  moque,  3  2  7. 

Ferrièkes  (Jean  de),  vidame  de  Char- 
tres, sa  méfiance,  UI,  1  3  8,  254,  275, 
276-307. 

FeRVAQUES  (de),  III,  293. 

—  sur  la  place  de  Grève,  IV,  4. 

FiCîlTE,  IV,  4  32. 

FiCiN  (Marsilc),  I,  20. 

Foix  (Paul  de),  IV,  2  8-2  9. 

FO.>TE.>'AY  (de),  III,  307. 

FORBISUEK,  grand  navigateur,  IV^  1 8  2- 

184. 

Force  (de  la),  piis  à  rançon  avec  ses 
deux  fils,  III,  313-314;  tué  en  même 
temps  que  son  fils  ainé,  316. 


59. 


462 


INDEX. 


FOBCE  (Jacques  Nompar  de  la),  III, 
31 6  et  suiv. 

FOUHQUEVÀLLX  (de),  ambassadeur  de 
France  en  Espagne,  III,  4-8;  néjjocic 
le  mariaf^e  entre  Charles  IX  et  Isabelle 
d'Autriche,  15  4. 

FraiNÇOIS  I,  persécutions,  luxe  de  pa- 
lais, de  parcs,  de  tableaux,  de  statues, 
de  cuisines,  d'écuries,  I,  41-45;  sa 
mort,  6  3. 

François  II,  son  avéuement,  I,  m- 


«49  ;  s'installe  h  Saint-Germaîn  sons 

les  auspices  de  ses  oncles  le  duc  de 
Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine,  2  53- 
2  5  5;  à  Amboise,  315  ;  à  l'assemblée 
de  Fontainebleau,  367  ;  à  Orléans, 
39  8;  sa  mort,  attitude  des  Bourbons 
et  des  Guise,  4  3  9-4  42. 

Fhaivcoubt  (Gervais  de),  chancelier  de 
Navarre,  sa  mort,  III,  300. 

FlJENTÈS  (le  comte  de),  IV,  37  4, 


G 

GaetanO  (li'gat),  soulève  le  peuple,  Cordes  (le  baron  Simiane  de),  III, 
iV,  278  ;  obtient  de  la  Sorbonne  un  367. 

décret  de  déchéance  contre  Henri  IV,  Goiidimel  (Claude),  compositeur  de 

279  ;  bénit  de  son  carrosse  oîi  il  est  la  musique  des  psaumes  (fe  Marot  et 
avec  son  aumônier  la  procession  de  de  Bézc,  assassiné  et  noyé  à  Lyon, 
la  ligue,  son  aumônier  tué,  2Sl;     IH,  362. 

fait  jurer  aux  princes,  au  parlement  GoiiJO\  (Jean),  III,  802,  303. 

et  à  l'armée  de  rejeter  Henri  IV,  —  IV,  360. 

28  1-282.  GraMONT  (de),  ITI,  296. 

Garaye  (de  la)^  III,  2  89.  Grainvelle  (de),  évêque  d'Arras,  car- 
Gastines  (croix  de),  III,  192.  dinal,  son  entrevue  a  Marcoing  avec 

Gai  CHERIE  (la),  le  précepteur  aimé  de  le  cardinal  de  Lorraine,  I,  2io  et 

Henri  IV,  son  iniluence,  sa  fermeté,  suiv. 

son  mérite  supérieur,  II,  1  80-1  86.  —  Lettres  reçues  et  écrites,  III, 

—  Sa  mort,  lll,  46.  19-20. 

Geislis  (de),  à  la  bataille  de  Saint-  Grégoire  XIII,  le  pape  de  la  Saint- 
Denis,  11,  443  et  suiv.  Barthélémy,  lll,  225;  son  portrait, 

—  Prisonnier  du  duc  d'Albe,  exécuté  son  approbation  sur  les  massacres, 
dans  un  cachot,  III,  219.  364  et  suiv. 

GÉRARD  (Balthazar),    meurtrier   de  — Sa  mort,  IV,  1 39 . 

Guillaume  d'Orange,  IV,  122;  écar-  Grégoire  XIV,  pape  espagnol,  créa- 

telé,  l'iS;  son  portrait,  126.  ture  de  Philippe  II,  lance  des  bulles 

GiBERCOijRT  (Varlet  de),  maire   de  contre  Henri  IV,  IV,  297. 

Saint-Quentin,  I,  170,  171,  1  85.  GREV^Jaiie),  I,  109. 

GiLLOT,  un  des  auteurs  de  la  itfmj/)-  Giu  (du;,  favori  de  Henri  III,  est 

pée,  IV,  345.  assassiné,  IV,  42-48. 

Gj-vhy  (de),  reconnaît  Henri  IV  au  Guerchv  (de),  excellent  officier,  cod- 

canip  (le  Sainl-Cloud,  IV,  2  47  ;  à  la  seille  le  duc  de  Deux-Ponts  dans  sa 

bataille  d'Ivry,  27'»;  sa  vénalité,  282.  belle  expédition  militaire  en  France, 

GOi'NDi  (maréchal  de  Hetz),  le  dépra-  III,  77-78;  enveloppe  la  main  dioile 

valeur  de  Charles  IX,  III,  153;  con-  de   l'amiral  blessé,  239  ;  sa  mort, 

seiller  de  Catherine  de  Médicis,  û  i;  293. 

instigateur  du  meurtre  de  Coligny,  GuERIIV,  avocat  général,  I,  59  et  suiv, 

233-237  ;  tergiversations  de  Retz,  GuESLE  (la),  procureur-géuéral,  IV, 

263-2  6  7;  fait  assassiner  .M.  de  Lo-  2  4  2-243. 

ménie,  32  7;  brûle  les  mémoires  de  Glii  Coquille  (sieur  de  Ronaenay), 

Coligny,  845.  II,  389-390. 


INDEX, 


463 


GuiCBE  (Philibert  de  la),  pendant  la 
'  Saint-Barthélemy,  III,  867. 

—  A  Ivry,  IV,  274. 

GuiOAKO  (le  père],  pendu,  IV,  869. 

GuHES  (siège  de),  i,  206. 

Guise  (François  de),  prince  de  Join- 
ville,  puis  comte  d'Aumale,  puis 
duc  de  Guise,  dès  l'adolescence  un 
boros  et  un  politique,  blessé  au  siège 
de  Boulogne,  I,  90-93  :  siège  de 
iMetz,  115-182-,  expéditiondu  duc  eu 
Italie,  16  1-16*;  mandé  on  France, 
nommé  généralissime,  conquiert  Ca- 
lais ,  201-207  ;   prend  Tliion ville, 

2  1  8-223;  maire  du  palais  avec  son 
frère  le  cardinal  de  Lorraine,  2  48- 
255;  reçoit  le  choc  d'Aniboise,  280- 
319;  à  l'assemblée  de  Fontainebleau, 

3  6  5-38  6  ;  aux  états  d'Orléans,  39  5 
et  suiv. 

—  Il,  20  et  suiv.;  au  sacre  de  Char- 
les IX,  préséance  du  duc  de  Guise 
sur  M.  de  Montpensier,  61  ;  M.  de 
Guise  s'accorde  avec  le  prince  de 
Condé  à  Saint-Germain,  6  5;  fait  un 
voy;ige  à  Joinville,  91  ;  autre  voyage 
à  Savcrne,  95;  à  Vassy,  9"  et  suiv.: 
à  Paris,  sa  rencontre  avec  le  prince 
de  Condé,  1  03-1  04  ;  s'empare  de 
Bourges  par  négociation,  1  57-1  58; 
prend  Rouen,  169;  pardonne  à  un 
gentilhomme  manceau  convaincu 
d'avoir  voulu  l'assassiner,  1  6  5-1  76; 
à  la  bataille  de  Dreux,  19  5-218, 
passim;  à  Rambouillet,  raconte  au 
roi  el  à  la  reine-mère  sa  victoire  , 
818-Î19;  au  siège  d'Orléans,  assas- 
siné, son  agonie,  sa  mort,  ses  funé- 
railles, marche  du  convoi  de  Notre- 
Dame  de  Paris  aux  caveaux  du 
château  de  Joinville,  2  30  et  suiv. 

Guise  (Henri  de),  auprès  de  son  père 
mourant,  II,  230  ;  plainte  du  jeune 
duc  et  de  toute  la  maison  de  Guise 
contre  l'amiial  de  Coligny,  27  4. 

—  Mariage  du  duc  avec  la  princesse 
de  Porcien,  III,  1S9-166;  complote 
avec  sa  mère  et  Catherine  de  iMèdicis 
le  meurtre  de  l'amiral,  2  3  4;  accepte 
de  tuer  Coligny,  2  6  4;  préparatifs  du 
duc  entre  minuit  et  quatre  heures 
du  matin,  le  s 4  août  1  572,  28  1  ;  se 
rend  du  Louvre  à  la  rue  de  Béihisy, 


2  82  ;  demande  à  Besme  de  la  cour 
de  l'iiotel  le  corps  de  l'amiral,  re- 
connaît la  figure  ensanglantée  et 
l'outrage,  286-287;  à  cheval  dans  le 
quartier  Sainl-Germain-l'Auxerrois, 
désigne  les  victimes  de  maison  en 
maison ,  2 9 0  ;  à  la  porte  Bussy,  311- 

312. 

—  Obtient  sur  le  duc  de  Montpen- 
sier la  préséance  au  sacre  do  Hen- 
ri III,  IV,  3;  défait  M.  de  Thoré, 
est  blessé  à  la  joue,  si;  son  rôle 
dans  la  ligue,  63  et  suiv.;  bal  scan- 
daleux à  son  hôtel,  7  4-7  5  ;  pen- 
sionné par  Philippe  II,  93;  sa 
duplicité  politique,  traité  secret  à 
Joinville,  1  34-1  36  ;  refuse  un  duel 
avec  le  roi  de  Navarre,  139;  man- 
que de  s'emparer  de  Boulogue,  142- 
143;  son  portrait  en  1  587,  1  44  ; 
chef  de  l'armée  ligueuse,  130:  bat 
les  conf'dèiès  près  de  Chartres  et 
près  de  Montargis,  1  52-1  53;  accla- 
mé partout,  154;  adresse  à  Hen- 
ri III  une  requête  impérativc,  156; 
sommé  par  les  Seize  et  par  Phi- 
lippe II  de  venir  à  Paris,  il  y  arrive 
malgré  les  ordres  de  Henri  III,  158 
et  suiv.;  il  est  amené  de  l'hôtel  de 
Soissons  au  Louvre  par  Catherine  de 
Médicis,  163;  sa  première  entrevue 
avec  Henri  111,  I6i-i65;  de  l'hôtel 
de  Guise  le  Balafré  dirige  tout,  163 
et  SUIV.;  sauve  les  Suisses,  les  gardes 
françaises,  triomphe  dans  les  rues  de 
Paris,  171;  après  la  fuite  du  roi, 
rétablit  l'ordre,  détruit  les  barri- 
cades, 174-1  77  ;  visite  Achille  de 
Harlay,  1  7  7-1  78  ;  obtient  du  roi  la 
convocation  des  états  généraux  à 
Blois  et  la  coniirmatlon  du  traité  de 
Nemours,  179-180  ;  nommé  généra- 
lissime, se  présente  chez  le  roi,  à 
Chartres,  180;  à  Blois,  prédictions 
lugubres,  185-1  86;  aux  états  géné- 
raux, son  aspect,  son  attitude,  186- 
188;  le  maitre  de  l'assemblée,  ses 
exigences  avec  le  roi,  189-191; 
communie  avec  Henri  III,  19  4;  trahi 
dans  sa  propre  famille,  194;  méprise 
les  avertissements,  195-196  ;  passe 
la  nuit  du  2  3  décembre  chez  ma- 
dame de  iNoirmouliers,   19  9-2  00  ; 


464 


INDEX. 


s'agenouille  dans  une  chapelle  avant 
(l'entrer  dans  la  salle  du  conseil, 
203-204;  est  assailli  dans  la  cham- 
bre du  roi  et  tombe  percé  de  coups, 
206-207;  nouvelle  de  cette  mort  à 
Paris,  216, 
Guise  (le  cardinal  do),  frère  de  Henri 
de  Guise,  officie  à  Ueims,  au  sacre 
de  Henri  III,  IV,  3 1  -3  2  ;  de  la  chambre 


du  conseil  de  Blois  entend  le  dernier 
soupir  de  son  frère,  s'écrie,  est  con- 
duit prisonnier  dans  un  galetas  du 
château,  2  0  7;  exécuté  dans  un  cou- 
loir, au  commandement  de  du  Gast, 
2  12;  son  portrait,  213. 
GuiSE  (le  duc  de),  fils  de  Henri,  aspire 
à  la  main  de  l'infante,  lYj  303-304, 
366. 


H 


Ham  (siège  de),  I,  2  06. 

Hamiltoin,  curé  de  Saint-Côme,  du 
comité  des  Dix,  IV,  280,  307-363. 

Haklay  (Achille  de),  en  présence  du 
ducdeGuise,  IV,  177-178  ;  son  por- 
trait, 179;  fléchit  sous  l'apostrophe 
deLincestre,  2  18;  résiste  à  Bussy-Le- 
clcrc,  le  suit  à  la  Bastille,  22  2-2  2  5; 
s'entretient  à  Tours  avec  Henri  IV, 
2  6  6;  rédige  des  arrêts  contre  le  pape, 

2  9  8-423. 

IlAVliE,  prise  de  cette  place,  II,  296. 

HkGEL,  IV,  432. 

Heivui  h,  persécutions  redoublées, 
Diane  de  Poitiers  s'enrichit  des  dé- 
pouiWcs  des  huguenots,  I,  S5-S6; 
martyrs  innombrables,  5  3-69;  Henri 
permet  qu'on  se  moque  de  Charles- 
Quint  après  la  défense  de  Metz  par  le 
duc  de  Guise,  135;  paix  de  Cateau- 
Cambrésis  menaçante  pour  les  pro- 
testants, -2  33-23  4  ;  le  roi  au  parle- 
ment, arrestation  d'Anne  du  Bourg, 
239-241  ;  fotes  à  l'occasion  des  deux 
mariages  stipulés  par  le  traité  de  Ca- 
teau-Cumbrésis,  lice  de  la  rue  Saint- 
Antoino,  Henri  II  tué  par  Montgoni- 
ixiery,  2  42-2  47. 

Henri  de  Bouitnoiv,  d'abord  prince  de 
Béarn,  puis  roi  de  Navarre,  sa  nais- 
sance, joie  de  son  grand-père  Henri 
d'Albret,  légende,  I,-l02-i08;  édu- 
cation du  petit  prince,  Coarraze,  Su- 
zanne de  Bourbon,  baronne  de  Mios- 

scns,  149-153. 

—  Amitié  de  Henri  pour  Catherine, 
sa  sœur,  III,  44;  ses  débuts  dans  les 
camps,  ses  travaux,  ses  passions,  ses 
grandes  qualités,  4  5-57;  son  premier 
combat;  la  Boche-Abeille,  8-2-8D  ; 


malade  de  douleur,  à  la  nouvelle  de 
la  mort  de  Jeanne  d'Albret,  217;  son 
mariage  avec  Marguerite  de  Valois, 
22  5  et  suiv.  ;  le  roi  de  Navarre  ruo 
de  Béthisy,  277  ;  au  Louvre,  306  ; 
fait  sa  soumission  à  Grégoire  XIII, 
372;  prisonnier,  415. 
—  A  Avignon,  IV,  24;  son  évasion, 
52-5  6;  ni  catholique,  ni  protestant, 
5  6;  adhère  au  calvinisme,  56;  homme 
providentiel,  59;  à  Nérac,  97;  dans 
les  Pyrénées,  9  7-9  8  ;  son  portrait, 
parallèle  entre  lui  et  les  Valois,  1  oa 
et  suiv.;  ii  Cahors,  110-111  ;  s'étudie 
à  gouverner,  12  7;  après  le  départ  de 
la  Fosseuse,  s'éprend  de  Corisandc, 
lettres,  128  et  suiv.  ;  sa  moustache 
blanchit;  envoie  un  cartel  au  duc  de 
Guise,  137-1  38  ;  proteste  contre  la 
bulle  de  Sixte-Quint,  139-1  40  ;  à 
Contras,  151-152;  lettres  à  Cori- 
saude,  2  31-232;  au  Piessis-lez-Tours, 
son  entrevue  avec  Henri  III,  sa  con- 
fiance, 233-235  ;  à  Meudon,  238  ; 
succède  au  tronc  de  France,  2  46;  dis- 
cordes au  camp  de  Saint-Cloiid,  2  47 
et  suiv.;  habileté  de  Henri  de  Bour- 
bon, 2  48  ;  son  armée  réduite  de  moi- 
tié par  les  défections,  2  52  ;  roi  du 
parti  modéré,  sa  lettre  à  Grillon,  2  57- 
258  ;  dépose  le  corps  de  Henri  III 
dans  l'fibbaye  de  Saint-Corneille, 258; 
à  Dieppe,  reconnu  par  le  parlement 
de  Tours,  2  59  ;  son  amour  du  peu- 
ple, 260;  sacampagned'Arques,  261- 
2  03  ;  fortifié  par  les  secours  d'Flisa- 
beth,  2  6  4;  lettre  à  Corisande,  billet 
à  Grillon,  265;  quitte  Dieppe,  atta- 
que Parisj  se  replie  sur  Etampes,  sé- 
journe à  Tours,  '2  0  3-2  6  6;  ret^oit  l'ud- 


INDEX. 


465 


Lésion  de  la  Suisse,  de  Venise,  do 
toutes  les  puissances  protestantes,  2  6  6  ; 
rentre  en  Normandie,  abandonne  le 
siège  de  Dreux  pour  aller  à  la  ren- 
contre de  Mayenne,  2'1;  triomphe 
à  Ivry.  271-275:  sa  clémence  après 
la  victoire,  276;  fait  le  blocus  «le  Pa- 
ris, 277-278;  par  humanité  prolonjje 
la  résistance  de  Paris,  2  86  ;  surpris 
de  l'arrivée  du  duc  de  Parme,  288  ; 
son  plan  meilleur  que  celui  de  Diron, 
2  8  8;  lève  le  blocus  de  Paris,  défie  le 
duc  de  l'arme  à  Ghclles,  écrit  à  Ga- 
Lrielle  d  Estréos,  2  89  ;  harcèle  le  duc 
de  Parme  dans  sa  retraite,  29  1  ;  aime 
plusieurs  niailresses,  s';tttachc'à  Ga- 
brielle  d'Estrées,  29  4-29  7  ;  s'associe 
dans  sa  propre  cause  aux  efforts  du 
parlement  et  de  l'Eglise  gallicane, 
travaille  à  la  réduction  de  Paris,  porte 
la  guerre  eu  Beauce,  298-299  ;  as- 
siège lîouen,  31?.;  se  retire  devant 
Farnèse,  316;  enveloppe  ses  ennemis 
dans  la  presqu  ile  de  Caux,  3 1  8;  forcé 
à  l'inaction  par  l'habile  retraite  de 
Farnèse,  se  repose  en  Picardie,  prend 
Epernav  et  Provins,  321;  à  Suinl- 
Denis,  médite  son  abjuration,  3  2  3- 
325;  son  succès  aux  conférences  de 
Surène,  327  et  suiv.:  conversations, 
plaisanteries,  330-33  1  ;  abjuration 
dans  l'église  de  Saint-Denis,  con- 
sidérations, 333  -  335  ;  devient  de 
pinson  plus  populaire,  349  -  350  ; 
échappe  à  Barrière,  est  sacré  et 
couronne  à  Chartres,  351;  se  rap- 
proche de  Paris,  négocie  avec  Bris- 
sac,  3  51  et  suiv.  ;  son  entrée  à 
Paris,  se  rend  à  Notre-Dame,  puis 
au  Louvre,  regarde  défiler  les  Espa- 
gnols de  la  fenêtre  de  la  porte  Saint- 
Denis,  336  et  suiv.;  veille  à  la  sûreté 
de  ses  ennemis,  362  ;  travaille  à  l'u- 
nification de  la  France,  36  5  ;  écrit  à 
Rosnv,  3  6  6-367  ;  est  blessé  à  la  lèvre 
par  Jean  Chatel,  368  ;  déclare  la 
guerre  à  Phili  ppe  II, attaque  Mayenne, 
S70;  à  Fontaine-Française,  propose 
une  trêve  à  Mayenne,  s*  1-372  ;  ap- 
prend la  reddition  de  Marseille  au 
sié;;o  delà  Fèro.  375;  rc  c  l  Mavenne 
au  château  de  Monceaux,  3  7  6-377  ; 
au  siège  de  la  Fore  avec  MaycnnOj 


379  ;  gémit  sur  la  dilapidation  des 
finances,  384  et  suiv.;  écrit  à  Rosny 
qu'il  associe  à  tous  ses  plans  de  ré- 
novation sociale,  5» 8  5  et  suiv.  ;  con- 
voque à  Rouen  une  assemblée  de  no- 
tables, son  discours,  mesures  prises 
de  concert  pour  rétablir  l'ordre  dans 
le  trésor,  3  8  9-392  5  apprend  la  nou- 
velle de  la  conquête  d'Amiens  par  les 
Espagnols,  court  en  Picardie  et  s'em- 
pare à  son  tour  d'Amiens,  39  4-3  96; 
soumet  le  duc  de  Mercœur,  signe  la 
paix  de  Vervins,  396  et  suiv.;  est 
tenté  d'épouser  Gabrielle  d'Estrées, 
399  ;  rédige  et  promulgue  l'édit  de 
Nantes,  408;  mande  le  parlement  au 
Louvre,  son  discours,  enregistrement 
de  l'édit,  4 1  5  et  suiv. 

Hemii  (Jacques),  maire  delà  Rochelle, 
III,  373. 

HksdI.V  (siège  de),  T,  13  5. 

Hespaxv,  étuver  italien  du  duc  Fran- 
çois de  Guise,  sa  mort,  II,  206. 

Hôpital  (le  chancelier  de  L'),  succes- 
seur du  chancelier  Olivier. —  L'hôpi- 
tal, né  à  Aigucperse,  on  Auvergne, 
sa  jeunesse  errante,  ses  éludes,  son 
séjour  eu  Italie,  son  retour  en  France, 
son  mariage  avec  la  fille  du  lieute- 
nant-criminel Morin,  ses  travaux,  ses 
talents,  sa  faveur  auprès  de  !\largno- 
rite  de  V  alois,  duchesse  dcBerrv,  puis 
duchesse  tifi  Savoie,  son  élévation  à 
la  dignité  de  chancelier,  I,  3  4  0-333; 
s'entend  avec  Catherine  de  Médicisct 
déjoue  avec  des  mèîiagemcnls  et  des 
respects  le  dessein  du  cardinal  de 
Loriaine  (jui  voulait  implanter  ou 
Fiance  l'inquisition  ;  l'IIopilal  se  ré- 
vèle par  l'édit  de  Romorantin,  3  33- 
338;  à  Passcmblée  de  Fontaiucbleaii, 
36  4  et  suiv. 

—  Promulgue  l'édit  de  janvier,  lî, 
89;  l'homme  d'Etat  permanent  de  l.i 
liberté  de  conscience,  273  ;  le  chan- 
celier à  Moulins,  son  ordonnance  en 
■  juatre-vingt  six  articles,  sa  discussion 
mémorable  avec  le  cardinal  de  Lor- 
raine, 379  et  suiv. 

—  Combat  la  bulle  de  Pie  V*  pour 
l'extermination  des  hérétiques,  dis- 
gracié, lU,  2  4-28;  se  relire  à  Viguay, 
la  vie  qu'il  y  mène,  sou  àme,  ses 


m 


INDEX. 


éludes,  SCS  craintes  trop  justifiées,  2f< 
et  suiv.;  reste  à  Vignay,  malfrré  l'in- 
tervention de  l'amiral  de  Colifjny  qui 
demande  le  rappel  du  chancelier,  177- 
188;  mort  de  L'Hôpital,  son  portrait, 
sa  tombe,  383-392. 

Hoiir<  (comte  de),  sa  haute  naissance, 
ses  immenses  richesses,  sa  ffcnérosilé, 
son  courafje,  sa  mort,  111,  i  2  et  s. 

Howard  (lord) ,  prand  amiral  de  la 
flotte  anglaise  opposée  à  l'Armada, 
IV,  182-184. 


lluMlÈRES  (d')  à  Péronne,  commence- 
ment de  la  ligue,  IV,  64;  se  rallie  à 
Henri  de  Bourbon  après  la  mort  de 
Henri  III,  247. 

HURAULT  (madame  de),  fille  du  chan- 
celier de  L'Hôpital,  recneillie  par  la 
duchesse  de  Nemours  pendant  la  St- 
Barthélemy,  lU,  3  54-355. 

HuHAULT  DE  ClitVEiiîNY,  un  complai- 
sant de  la  reine  mère,  IV,  9. 

Hlss  (Jean),  I,  5. 


Idiaquez  (Juan),  IV,  302, 

Ile  (aux  Bœufs),  une  île  de  la  Loire 
où  se  tint  la  conférence  po\ir  la 
paix  après  le  meurtre  du  duc  Fran- 
çois de  Guise,  II,  2  49. 

I^QlIISlT^ON,  I,  36  ;  son  histoire  jus- 
qu'à Luther,  3  5  4-3  5  5. 

ISARELLlî  D'AUTUiCHE,  fillc  dc  l'cm- 

pereur  iMaximilicn  ,  épouse  Char- 


les IX,  m,  156;  au  cimetière  des 
Innocents,  334. 

Isarelle-Claiiie-Elgénie  ,  fille  de 
Philippe  H,  mariée  au  cardinal  Al- 
bert, hérite  des  Pays-Bi^s,  IV,  397. 

ISLES  (l'abbé  de  1'),  en  Pologne,  III, 

396. 

ISSOIRE  (siège  d'),  IV,  72-73. 
IVRï  (bataille  d'),  IV,  271  et  suiv. 


Jamin  (Amadis),  III,  152. 
Janet  (v.  Clouet),.  peintre,  IV,  360, 
Janvier  (édit  de),  essai  ?.-gal  de  tolé- 
rance religieuse,  II,  89-2  50, 
JarnaC  bataille  dc),  III,  60  et  suiv, 
Jeain-Casimih  (le  prince),  sa  jonction 
avec  Condé  et  Coligny,  II,  454-453, 
Jea.mnin  (le  président),  envoyé  par 
.Mayenne  à  l'Escurial,  son  portrait, 
IVj  300;  louvoie  avec  Philippe  II, 
30  3;  désespéré  des  concessions  faites 
par  Mayenne  à  l'Espagne,  314;  3  2J- 

324. 


J 

Jésuites  (les),  II,  290-293; 
—  IV,  6  4  et  suiv. 
Jodelle,  m,  1 52. 
Joyeuse  (Anne  de)  à  Coutras,  sa 
mort,  IV,  1  50-1  52;  ses  funérailles, 

157. 

Juan  D'AuTRi/:nE  (don),  s'associe  au 
duc  dc  Guise,  IV,  63-64  ;  reçoit 
Marguerite  à  Namur,  76;  empoisonné 
par  Philippe  II,  93. 

Jules  lll,  confirme  par  une  bulle  la 
société  de  Jésus  si  vivement  encou- 
ragée par  Paul  111,  11,  29  7. 


K 


Raabba  (la),  I,  73. 


KANT,  IV,  432, 


INDEX. 


467 


L 


LaBONNB,  III,  283, 

La  BOÉTIE,  IV,  3*7-348. 

La  Bruyère  (les  deux),  IV,  ses. 

La  CHAPELLE-MARTEiU ,  prévôt  des 
marchands,  créature  de  Henri  de 
Guise,  son  rôle  aux  états  généraux 
de  1  588,  à  Blois,  IV,  190. 

Laffix  (de),  III,  332. 

Lambin,  III,  382. 

Langlois,  l'un  des  conjurés  dans  la 
reddition  de  Paris,  IV,  8  5*. 

La  Noue  (François  de),  à  la  bataille 
de  Dreux,  II,  204. 

—  Prisonnier  avant  le  combat  de  Bas- 
sac,  III,  59-60  •,  son  opinion  sur 
Condé,  66;  à  Moncontour,  111-118; 
à  la  Uochelle,  en  lS7o,  retrouve 
Coligny,  son  jugement  snr  ce  grand 
homme,  sa  conduite  dans  la  guerre, 
son  bras  amputé,  ses  qualités  ma- 
gnanimes, 138  et  suiv  ;  sa  situation 
ambiguë  et  loyale  à  la  Kocbelle,  379 
et  suiv. 

—  Généralissime  des  états  et  cjiptif 
en  Espagne,  IV,  us;  gagne  une 
bataille  à  Senlis,  23  7  ;  sa  mort, 
899. 

Lanssac  (de),  en  Pologne,  III,  39  6. 
La  Plane  (Catherine  de) ,  seconde 

femme  de  Théodore  de  Bèze,  IV , 

i;8. 

Larcbam  (de),  fait  égorger  Téligny, 
III,  S9l;  envoie  dos  assassins  contre 
les  La  Force,  312  et  suiv. 

—  Aide  à  tromper  le  duc  de  Guise 
dans  le  guet-apens  de  Blois ,  IV, 
803-204;  arrête  le  cardinal  de  Guise 
et  l'archevêque  de  Lyon,  20  7, 

Larcher  ,  conseiller  au  parlement, 
pendu,  IV,  309. 

Larochbfoucauld  (le  comte  de),  sa 

mort,  III,  29  1-293, 

La  Trémouille,  duc  de  Thouars, 
se  replie  du  camp  de  Saint-Cloud 
dans  son  royaume  de  Poitou,  comme 
on  disait  alors,  IV,  2  52. 

Laval  (Charlotte  de),  première  femme 
de  Coligny ,  sa  délibération  sur  la 
paix  et  sur  }a  guerre  avec  l'amiral 


au  château  de  Châtillon,II,  loe-ill; 
mort  de  madame  l'amirale  à  Orléans, 
466-467. 

Laveroe  (de) ,  avec  ses  vingt-cinq 
neveux  à  la  bataille  de  Jarnac,  III, 
63-64. 

Lavieilleville  (de),  I,  220. 

—  Fait  maréchal  de  France  après  la 
bataille  de  Dreux,  II,  2  17. 

LaYKEZ  (général  des  jésuites),  au  col- 
loque de  Poissy,  II,  80;  au  concile 
de  Trente,  301-3  07. 

Lefèvue  d'Etaples  (Jacques),  I,  53. 

Lemaistre  (le  président),  l'un  des 
conjurés  dans  la  reddition  de  Paris, 
IV,  354. 

LÉON  X,  I,  7. 

Leroy  (Louis),  un  des  auteurs  de  la 

Ménippée,  IV,  3  40. 
Lescot  (Pierre),  architecte,  I,  53. 

—  IV,  360. 

LesdiguièRES  (de),  déjoue  les  stra- 
tagèmes du  duc  de  Savoie,  IV,  3  9  6, 
423. 

L'Hommet  (Martin)  ,  marchand  de 
Houen,  I,  260-263. 

Lhu illier,  prévôt  des  marchands, 
l'un  des  principaux  conjurés  dans 
la  reddition  de  Paris  à  Henri  IV, 
IV,  353  et  suiv. 

LiBERTAT,  restitue  Marseille  à  Hen- 
ri IV,  IV,  375. 

Ligue  (la),  IV,  6  3  et  suiv. 

LiMELlL  (mademoiselle  de),  amour 
du  prince  de  Condé  pour  cette  fille 
d'honneur  de  Catherine  de  Médicis, 
désespoir  d'Eléonore  de  Koye  prin- 
cesse de  Condé,  II,  2  6  7-2  6  9;  gros- 
sesse ,  scandale,  mademoiselle  de 
Limeuil  reh'guée  aux  Cordelières 
d'Auxonne,  347-348. 

Lincestre,  curé  de  Saint-Gervais , 
exige  de  ses  auditeurs  le  serment  de 
tuer  le  roi,  IV,  218. 

LiMÈRBS  (de),  I,  298-299. 

LOISEL,  II,  390. 

Lomenie  (de),  volé  et  dagué,  III,  3  2  7. 
LONGJUitiEAU  (paix  de),  II,  46 1  et 
suiv. 


468 


INDEX. 


LONGDEVILLE  (duc  de),  en  Picardie, 
IV,  258. 

LONS  (de),  m,  296. 

LOHiuiNE  (Charles,  cardinal  de),  ses 
conférences  à  Marcoing  avec  Gran- 
velle;  dénonce  à  Henri  II  d'Andelot, 
î,  2  10-214;  partage  la  dictature  mi- 
nistérielle avec  son  frère  le  duc  do 
Guise  dès  la  mort  de  Henri  II,  2  48^ 
est  l'oracle  de  François  II  et  de  Marie 
Stuart,  le  provocateur  des  supplices 
à  Amboise,  230-319  ;  à  Rassemblée 
de  Fontainebleau,  365-386. 

—  au  concile  de  Trente,  II,  310-317; 
obtient  l'autorisation  d'une  garde  de 
cinquante  arquebusiers,  32  6  ;  chargé 
dans  la  rue  Saint-Denis  par  la  cava- 
lerie du  maréchal  de  Montmorency, 
350  etsuiv.;  à  Moulins,  s  empor- 
tement contre  le  chayçclier  de  L'Hô- 
pital, 384-386  ;  sar,uite  de  Meaux  à 
Keims,  428-430. 

—  Donne  mille  écus  d'or  à  un  gentil- 
homme du  duc  d'AuraaIe  qui  lui  ap- 
porte à  Rome  la  nouvelle  de  la  Saint- 
Barthélemy,  célèbre  la  messe  à  l'é- 
glise Saint-Louis,  le  pape  présent,  en 
l'honnenr  de  Charles  IX  et  du  mas- 
sacre, III,  3  6  4. 

—  A  Avignon,  sa  maladie,  sa  mort, 

IV,  24-25. 


LOL'VRE,  palais  de  carnage,  III,  804 
et  suiv.  ;  les  corbeaux  s'abattent  sur 
les  tours,  3  51. 

—  Vide  des  Valois,  IV,  219-220  ; 
inauguré  par  Henri  IV  dans  les  splen- 
deurs d'une  nouvelle  dynastie,  3  58 
et  suiv. 

Loyola  (Ignace  de),  fondateur  de  la 
Société  de  Jésus,  II,  290. 

LusiGNAN  (château  de),  IV,  3  5. 

LuTHEH  (Martin),  propage  la  réforme 
en  Allemagne  et  daus  toute  l'Europe, 
à  Rome,  combat  les  indulgences,  se 
rend  à  Augsbourg,  déjoue  les  ruses 
du  cardinal  Caietano,  se  fixe  à  Wit- 
temberg,  brave  une  bulle  d'excom- 
munication de  Léon  X,  la  fait  brûler 
en  place  publique,  déclare  que  le  pape 
est  l'Antéchrist,  se  rend  à  la  diète  de 
Worms  où  il  refuse  de  se  rétracter, 
habite  le  château  de  Warlbourg  sous 
le  nom  de  chevalier  George,  continue 
sa  lutte  contre  le  pape,  traduit  la 
Bible,  fonde  le  luthéranisme,  meurt 
à  Eisleben,  I,  s-20. 

Luxembourg  (siège  de),  I,  89. 

Lyons  (du),  conseiller  prévaricateur, 
séide  du  cardinal  de  Lorraine,  I,  2  6  0- 
263. 


M 


Machiavel,  son  portrait,  son  in- 
fluence, II,  15-19. 

—  III,  369. 

—  IV,  1 5  et  suiv. 

Macuin  (Charles),  précepteur  de  la 
princesse  Catherine  de  Navarre,  sa 
mort,  m,  300. 

Maillé  de  Bkézé,  l,  295. 

MaiSTUE  (comte  de),  H,  313. 

MaLIGiW,  I,  295. 

Mandelot,  gouverneur  de  Lyon  pen- 
dant la  Suint-Barthélcmy,  III,  361- 

362. 
MA^0U,  IV,  248. 

Mantoue  (cardinal  de),  sa  lettre  au 

pape,  H,  308. 
I\ÎAii(:5;L,  prévôt  des  niorchands,  III, 

280-UÛ7-3Û8. 


MaREUIL  (de),  II,  22  4-225. 

Margueuite  de  Valois  (sœurdeFran- 
çois  I^r),  ses  valets  de  chambre,  des 
poêles  .  Marot  et  Bonaventure  Des- 
perriers,  portrait  delà  princesse,  son 
esprit,  sa  beauté,  son  affection  pour 
son  frère,  sa  bonté  pour  les  proscrits, 
pour  les  novateurs,  I,  4  8-3  5;  ne  sur- 
vécut pas  longtemps  à  la  mort  de 
François  l^""  et  aux  noces  de  Jeanne 
d'Albret,  ses  derniers  moments  au 
château  d'Odos,  99-100. 
MAItaUEttlïË  DE  VaLOJS  ,  première 
femme  du  roi  de  Navarre  (depuis 
Henri  IV)  ;  portrait  de  bi  princesse, 
SOS  amours  avec  le  duc  de  Guise,  elle 
le  marie,  III,  I61  et  suiv.  ;  noces  de 
Marguerite  et  du  roi  de  Navarre,  225 


INDEX. 


469 


et  siiiv  ;  la  jeune  reine  de  Navarre 
rue  (leBéthisy,  27  7;  au  Louvre  pen- 
dant la  Saint-Bartliélcmv,  2  9  6-299  ; 
au  Louvre  et  aux  Tuileries  avec  les 
ambassadeurs  polonais,  405  et  sui- 
vantes. 

—  Son  traité avecle baron  de  Viteaux, 
son  oraison  funèbrededu  Gua,IV,  46- 
48;  voyage  en  Flandre,  75  et  suiv.; 
à  Bordeaux,  9  4-9  6;  fait  des  vers  élé- 
giaques  sur  Bussy,  lOO  ;  lit  Boccace, 
103;  aime  le  vicomte  de  Turenne, 
109-110;  sa  conduite  scandaleuse, 
se  réfugie  en  Auvergne,  au  château 
d'Usson,  127  ;  repousse  toute  propo- 
sition d'annulation  de  son  mariage 
avec  le  roi  tant  que  vit  Gabriellc 
d'Estrées,  39  9. 

MAHGLEniTE  (duchesse  de  Parme),  II, 

412  et  suiv. 
MAnI^.^A^  (le  marquis  de),  l'un  des 

généraux  de  Charles-Quint,  à  Metz, 

I,  124. 

Marillac,  archevêque  de  Vienne,  à 
l'assemblée  de  Fontainebleau,  I,  371 
et  suiv.;  sa  mort,  335. 

Marillac  ;de),  l'un  des  conjurés  dans 
la  reddition  de  Paris,  IV,  2  5  4. 

Marim  (Camille),  ingénieur  è  Metz 
pendant  le  siège,  I,  120. 

Marlorat  (Augustin},  l'un  des  ora- 
teurs du  colloque  de  Poissy,  con- 
damné à  mort  par  le  parlement  de 
Rouen  et  décapité,  II,  170. 

Marmx  de  Sainte-Aldegonde  (Phi- 
lippe), II,  410. 

Marot  (Clément),  I,  63. 

—  II,  71-72. 

Martin  (le  capitaine),  III,  312  et  s. 
Mathieu,  agent  du  duc  de  Guise  et 

du  pape,  —  le  courrier  de  la  Ligue, 

IV,  136. 

Matthieu,  historiographe  de  Henri  IV, 

IV,  423. 

Mauhevel,  assassin  de  M.  de  Mouy, 
gouverneur  de  Niort,  III,  119-121; 
blesse  Coligny,  236  et  suiv. 

Maurice  (de  Saxe),  fils  d'Anne  de 
Saxe  et  de  Guillaume  le  Taciturne; 
succède  à  son  père,  quoiqu'il  ne  soit 
pas  le  fils  aiué  du  prince  d'Orange, 
IV, 123. 

Mayenne  (marquis,  puis  duc  de],  Pua 


des  fils  du  duc  François  de  Guise; 
sa  conquête  de  Brouage,  IV,  7  3  ; 
part  de  Lyon,  est  acclamj  à  Paris, 
22  5  ;  nommé  lieutenant  général  du 
royaume,  226  ;  son  portrait,  227  ; 
refuse  de  traiter  avec  Henri  III , 
229  ;  tente  d'enlever  le  roi  de 
France  au  Plessis,  235  ;  Mayenne 
échoue  et  se  retire,  livre  au  pillage 
le  faubourg  de  Saint-Syniphorien, 
fait  juger  et  pendre  mort  Sainte- 
Maline,  l'un  des  assassins  du  duc  de 
Guise,  2  36  ;  se  retranche  dans  les 
faubourgs  de  Paris,  2  38;  encourage 
Jacques  Ch'ment,  240;  à  Arques, 
2  61-263  ;  diminué  par  les  succès  de 
Henri  IV,  264  ;  casse  le  conseil  de 
l'Union,  2  70  ;  fait  lever  le  siège  de 
Dreux,  est  vaincu  à  Ivry,  275  ;  à 
Saint-[r..-.3,  276  ;  entre  Philippe  II 
et  Henri  IV,  p-^S;  s'empare  de  la 
Bastille  eu  effrajaut  Bussy-Leclerc, 
lance  un  décret  contre  les  assassins 
deBrîsson,  310-311;  s'engage  pour 
l'infante,  313-314;  sa  campagne  de 
Normandie,  316  et  suiv.;  décide  que 
les  étals  généraux  seront  convoqués 
à  Paris,  32  2  et  suiv.;  préside  les 
états  de  la  ligue,  326  ;  réduit  à  la 
ville  de  Châlon-sur-Saône,  372  ;  se 
soumet  au  roi,  37  5  ;  vaincu  par  la 
clémence  du  Béarnais,  S7  7;  premier 
sujet  de  Henri,  422. 
Mazèhes  (le  capitaine)  I,  295  ;  312~ 
314. 

Meaux  (la  ville  de),  massacre,  III, 

359. 

MÉDicis  (Laurent  le  Magnifique), 

I,  20. 

Medicis  (Catherine  de),  commence  à 
être  comptée  après  la  mort  dc  Hen- 
ri II,  l,  254;  à  Fasseinbléo  de  Fon- 
tainebleau, 367. 

—  Aux  états  d'Orléans  ,  ruses  de 
Catherine  avec  les  trois  ordres,  II, 
33:  les  origines  do  la  reine  jnère, 
sa  maison,  ses  filles  d  honneur,  son 
luxe,  la  cour  dc  France  sous  sa  di- 
rection, 37-47  ;  conclut  la  première 
paix  avec  Coudé,  2  53  ;  Catherine  à 
Bayonnc,  sa  fermeté,  3  72  et  sui- 
vantes. 

—  £crit  à  La  Molhe-FéneloD  sur  1« 


40 


470 


INDEX. 


mariage  Je  ses  fils  d'Anjou  et  d'A- 
lençon  avec  Elisabeth  d'Angleterre, 
UI,  1  45-1  46  ;  sa  politique,  i46  et 
suiv.;  fabrique  un  faux  bref  pour  le 
^  mariage  de  sa  fille  Marguerite  et  du 
roi  de  Navarre,  225-226  ;  se  con- 
certe avec  la  duchesse  de  Nemours 
et  les  Guise  pour  le  meurtre  de  Co- 
ligiiy,  2  3  3-234  ;  une  délibération 
aux  Tuileries,  deux  au  Louvre,  2  60 
et  suiv.;  Catherine  arrache  à  Char- 
les IX  l'ordre  du  massacre,  2  82;  fait 
sonner  le  tocsin  de  Saiut-Gerniain- 
l'Auxenois  ,  288  ;  maîtresse  du 
royaume,  414-415,  régente,  419. 
—  Défère  Montgomraery  au  parle- 
ment, IV,  2;  présente  à  l'exécution, 
4;  sa  politique  contre  les  huguenots, 
10;  aux  ruines  de  Lusiguan,  36- 
37;  traite  avec  le  duc  d'Anjou,  57; 
vice  de  la  politique  de  la  reine 
mère,  6  6-6  7  ;  accompagne  sa  fille 
Maigueriteen  Guyenne,  9  4;  retourne 
à  Paris,  lOO;  à  Blois,  apprend  de 
la  bouche  de  Henri  III  le  meurtre 
du  duc  de  Guise,  2  09;  chez  le  car- 
dinal de  Bourbon ,  trouble  de  la 
reine  mère ,  sa  maladie ,  sa  mort, 
214-216. 

MED^^A-S:uo^U  (le  duc  de),  amiral 

de  rAriiiadu,  IV,  181-182. 
MElliEi;,  m,  112. 

MELA^CilTllO^,  son  portrait  et  son 
influence,  1.  33-34;  indispensable  à 
Luther  et  à  la  réforme,  3  5. 

MÉLLSlNE,  sa  légende,  IV,  36. 

Mendoça  (Bernardino) ,  ambassadeur 
espagnol,  agite  le  peuple,  IV,  278. 

Mendoza,  un  jeune  volontaire  espa- 
gnol, II,  22  5-226. 

Mendoza.  archevêque  de  Séville,  im- 
pose à  Ferdinand  le  Catholique 
l'inquisition,  I,  3  5  4. 

Mem\eville,  ami  du  duc  Henri  de 
Guise,  son  intermédiaire  avec  les 
Seize,  IV,  144. 

MÉmppéE  (Satire),  prépare  l'avéne- 
ment  de  Henri  IV,  IV,  330  et  sui- 
vantes. 

Meiilin,  pasteur  et  chapelain  de  l'a- 
miral, III,  2  42-2  43  ;  se  sauve  le  2* 
août  1  572,  tombe  dans  uu  fenil, 
284;  à  Montargis  sous  la  protection 


de  la  duchesse^de  Ferrare,  en  Suisse 
auprès  de  la  famille   de  l'amiral,  / 

357. 

Meru  (de),  l'un  des  cinq  fils  du  con 
nétable  Anne  de  Montmorency,  III, 

247. 

Metz  (siège  de  Metz),  I,  115-132. 
Meynier  (Jean),  baron  d'Oppède,  I, 

38  et  suiv. 
Millet,  secrétaire  du  duc  de  Guise, 

I,  297. 

Mii'VARD,  président  au  parlement,  as- 
sassiné, I,  274. 

MiNGUELIERRE  (la),  III,  177. 

MiKAREAU,  I,  19  ;  IV,  42  8. 

MiRO.-v,  médecin  du  duc  d'Anjou,  III, 
234-248. 

MoisSAG  (la  ville  de),  III,  363. 

Mole  (la),  amant  de  la  reine  Mar- 
guerite, avoue  la  conjuration  par  le 
duc  d'Alençon,  III,  414  ;  est  pendu, 
415. 

MOLÉ,  procureur  général  du  parle- 
ment de  la  ligue,  IV,  225. 

MOLÉ  (l'avocat  général) ,  l'un  des 
conjurés  dans  la  reddition  de  Paris, 
IV,  354. 

M0^CEN1G0,  IV,  7  ;  266. 

M0>C0iM0UR  (bataille  de),  III,  107- 

115. 

MoiSELNS  (le  capitaine) ,  soigne  Co- 
ligny,  III,  241;  sa  mort,  293- 

2  9  4.' 

Mo.NSOREAU  (de),  à  Saumur,  à  An- 
gers, III,  360. 

—  IV,  99. 

Montaigne,  IV,  345-347. 

MONTBRLN,  sa  mort,  IV,  3  5. 

MONTREBON  (de),  le  troisième  des 
cinq  fils  du  connétable  Anne  de 
Montmorency,  mort  de  M.  de  Mont- 
beron  à  la  bataille  de  Dreux,  II, 

206-207. 

Mom-de-Marsan  (décret  de),  II,  2S8. 

MONTESQUIOU  (de),  III,  6  4. 
MONTFEUHANT,  III,  363. 

MOMGOMMEHY  (le  comte  de),  blesse 
mortellement  Henri  II  dans  le  tour- 
noi de  la  rue  Saint- Antoine ,  I, 

247. 

—  S'échappe  de  Rouen  l'épée  à  la 
main,  II,  i69. 

—  Conquiert  le  Bcarn,  III,  85-90; 


INDEX. 


47i 


logé  au  faubourg  Saint -Germain  à 
l'époque  «le  la  Saint-Barlbélemy , 
246;  307;  à  Domfront,  41  5  et  suiv.; 
son  entrevue  avec  Colombières,  417; 
à  la  Conciergerie,  418. 

—  Sa  condamnation  ,  sa  mort,  IV  , 
3-4. 

MOMLLC  (Jean  de),  évêque  de  Va- 
lence, à  l'assemblée  de  Fontaine- 
bleau, I;  370.. 

—  En  Pologne,  III,  39  3  et  suiv.;  de 
retour  à  Paris,  39  9. 

MOMLLC  (Biaise  de),  devant  Tbion- 
'  ville,  arme  les  petits  princes  Henri 
de  Guise  et  le  fils  du  duc  d'Aumale, 
leur  sert  de  parrain  militaire,  I, 

223-225. 

—  A  Toulouse,  II,  151-156. 

—  Fait  marécbal  de  France  à  Lyon, 
IV,   1*;   son  portrait,  sa  mort, 

79-81. 

MOMMÉDY  (siège  de),  I,  88. 

.Vo>iTMORENCY  (Annc  de),  favori  de 
François  P""  qui  le  fait  successive- 
ment maréchal,  grand  maître,  con- 
nétable, le  censeur  de  la  cour,  I, 
4S-4  6:  son  mariage  avec  Madeleine 
de  Savoie.  47;  perd  la  bataille  de 
Saint- Quentin,  1  80  -  1  82  ;  visite, 
dans  le  château  de  Saint- Ger- 
main ,  François  II  ,  prend  congé 
Je  lui  et  se  retire  à  Ecouen  et  à 
Chantilly,  la  vie  féodale  qu'il  y  mène 
avec  Madeleine  de  Savoie,  ses  cinq 
fils,  ses  cinq  filles,  ses  neveux  de 
Châtillon  et  ses  innombrables  clients, 
2S7-26  4;  à  l'assemblée  de  Fontai- 
nebleau, 367. 

—  A  la  bataille  de  Dreux,  où  il  se 
rend  à  Volpert-von-Dersz,  II,  2  00; 
provoque  les  chefs  calvinistes  à  la 
Chapelle-Saint-Denis,  436-438  ;  ba- 
taille de  Saint-Denis,  valeur  du  con- 
nétable, sa  mort,  440  et  suiv. 


Montmorency  (François,  maréchal 
de),  son  portrait,  II,  360-361. 

—  Chef  du  parti  modéré,  auteur  de 
la  paix  de  Saint-Germain,  l'ennemi 
secret  du  pape  et  de  Philippe  II, 
III,  142  et  suiv.;  pendant  la  Saint- 
Barthélemy,  3  42-3  43;  recueille  les 
restes  de  Coligny,  3  44  ;  protège  les 
calvinistes,  368. 

—  Sa  mort,  IV,  139. 
Montmorency  (Marie  de),  sœur  du 

comte  de  Horn,  III,  17. 

Montmorency  -  Fossel se  (mademoi- 
selle de),  son  portrait,  IV,  1  0  3-106; 
elle  a  un  enfant  du  roi  de  Navarre 
et  quitte  Nérac.  12  7. 

MONTPENSIER  (duc  de),  III,  306. 

MONTPENSIER  (la  duchessc  de),  Ca- 
therine de  Guise,  fille  du  duc  Fran- 
çois ;  son  mariage,  111,  1  37  -1  38. 

—  Elle  enflamme  les  passions  de  la 
ligue,  brave  le  roi,  ses  ciseaux,  IV, 
134-155;  220;  ?o  mMUiplic,  jouflle 
la  sédition,  exciic  Jiccfvics  élément 
au  meurtre.  2  3  8-2  40  :  son  allégresse 
de  la  mort  de  Henn  III,  traverse 
Paris  en  carrosse,  ordonne  d'allu- 
mer des  feux  Je  joie,  253-253  ; 
pousse  son  frère  Mayenne  à  se  faire 
roi,  256  ;  fanatise  le  peuple.  277  ; 
s'adoucit  pour  Henri  IV,  3  63  ;  le  pain 
de  madame  de  IMontpensier,  3  8  4. 

MONTPEZÀT,  III,  36  3. 

MOREL,  précepteur  d'Agrippa  d'Au- 

bigné,  sa  mort,  I,  68-69. 
MOREO  (le  commandeur) ,  un  agent 

du  roi  d'Espagne,  IV,  1  58-1  59. 
MOROSiNi,  légat  du  pape,  IV,  229. 
Mortier  (du"),  1,  422. 
Mol  LINS  (assemblée  de),  II,  379-^93; 

(ordonnance  de),  3  80-381. 

MUNCER,  I,  15. 

Mlss,  interprète  allemand  de  Coligny, 
attend  dans  la  chambre  de  l'amiral 
les  meurtriers,  III,  28  4 


N 

Nançày  (de),  refuse  d'assassiner  le  Nantes  (édit  de),  IV,  4io  et  suiv. 
comte  de  La  Rochefoucauld, III,  292;   NaSSAU  (Ludivig  de),  assure  la  retraite 
protège  au  Louvre  la  reine  de  Na-     après  la  bataille  de  Moncontour,  IH, 
varre,  298-299;  à  Châtillon  ,  342.        109-1  10. 


472 


INDEX. 


Nemours  (le  duc  de),  prince  de  Sa- 
voie, son  rôle  à  Araboisc,  I,  30  4  et  s. 

—  Epouse  la  duchesse  de  Guise,  II, 
403  et  suiv. 

—  Son  consentement  au  meurtre  de 
l'amiral  de  Coligny,  III,  234. 

Nemours  (le  duc  de),  frère  utérin  de 
-Mayenne,  nommé  au  commandement 
de  Paris,  IV,  276  ;  rigueur  inutile, 
2  8  4;  reconnaît  le  roi,  3  7  5. 


Nevers  (le  duc  de),  l'un  des  conseil- 
lers de  la  Saint-Barthclemy,  III,  260 
et  suiv.;  306. 

NÉHET,  l'un  des  conjures  dans  la  red- 
dition de  Paris,  iV,  354. 

Notables  (assemblée  des)  à  Fontaine- 
bleau, I,  366-386. 

Nourrice  de  Charles  IX,  III,  326; 
au  chevet  du  roi,  419  et  suiv. 


0 


0  (François  d'),  IV,  2  48;  dilapidateur 
des  finances,  sa  mort,  385  . 

Olivier  (le  chancelier),  à  Ambpise, 
I,  316;  son  portrait,  ses  talents,  sa 
faiblesse,  ses  remords,  sa  maladie, 
ses  derniers  moments,  3  3  5-3  40. 

Orange  (Guillaume  d  )  le  Taciturne, 
pressent  la  mission  exterminatrice  du 
duc  d^Albe,  II,  415. 

—  Rejoint  Coudé  et  Coligny,  III, 
s  I . 

—  Revient  dans  les  Pays-Bas,  assas- 
siné à  son  château  de  Delft,  IV,  122; 
son  portrait,  1  2  4-125. 


Orçay  (d'),  l'un  des  conjurés  dans  la 
reddition  de  Paris,  IV,  354. 

Obléa>s  (siéfie  d")  par  le  duc  François 
de  Guise,  II,  227. 

—  Egorgcment  de  trois  cents  prison- 
niers huguenots  dans  les  prisons,  III, 
8  5;  massacre,  3  5  9, 

Ornano  (Alphonse  d'),  consulté  par 
Henri  III,  IV,  162-1  63  ;  regarde  de 
travers  le  duc  de  Guise,  16  4. 

Orthez  (le  vicomte  d'),  III,  367. 

OSSAT  (Arnaud  d'I,  son  portrait,  IV, 
2  8-30;  agent  de  Henri  IV  auprès  du 
pape,  373. 


P 

Pacification  (édit  de),  l'édit  de  jan- 
vier limité,  II,  2  53  . 
Palissy  (Bernard  de),  sa  mort,  IV, 

299. 

PAMPQLETS  protestants,  III,  3  7  7. 

Pabdaillan  (de)  le  Calviniste,  sa  mort, 

III,  301. 

Pardaillan  (de)  le  Catholique,  son 
combat  contre  La  Renaudie,  I,  3  0  8- 
309. 

Paré  (Ambroise),  à  Boulogne,  son 
portrait,  I,  91-9  5. 

—  Opère  Colignyet  le  panse,  111,242; 
se  soustrait  aux  assassins,  2  8  4;  sauvé 
par  le  roi,  326;  au  chevet  de  Char- 
les IX,  419  et  suiv. 

—  Sa  mort,  IV,  2  9  9. 
Pasquiek  (Estiennc),  II,  302-303. 

—  S'ontri-tieiit  avec  Henri  IV  à  Tours, 

IV,  266. 


Passerai,  l'un  des  écrivains  de  la  Sa- 
tire ^/é«t/);;ée,  IV,  345. 

Pau,  massacre  des  captifs  au  château, 
III,  88. 

Paul  m  (Famèse),  convoque  le  con- 
cile de  Trente,  II,  284. 

Paul  IV  (Pierre-Caraffa),  II,  2  9  8. 

Paulin,  baron  de  la  Garde,  I,  3  9  et  s. 

Pelletier,  curé  de  Saint-Jacques,  du 
comité  des  Dix,  IV,  307-363. 

Pellevé  (le  cardinal  de),  meurt  d'une 
fièvre  chaude  de  ligueur,  IV,  363. 

Percin  de  Montgaillard  (Bernard 
de),  le  petit  feuillant,  IV,  2  80. 

PERCOT,  III,  32  7. 

Perron  (du),  évêque d'Evreux,  instruit 
Henri  IV,  avant  l'abjuration,  se  rési- 
gne aux  sarcasmes  du  roi,  IV,  330- 
33  1  ;  son  [lorlrait,  337-339  ;  adjoint 
à  d'Ossat  pour  agir  sur  le  pape,  3  7  3, 


TNDRX. 


Petuucgi,  de  Sienne,  l'un  des  uicur- 
ti'iors  de  Colij;ny,  III,  284;  coupe  la 
tolc  à  l'amiral  et  la  porte  au  Louvre 
à  Catherine  de  Médicis,  33P. 

['UILIPPF,  II,  iils  de  Charlcs-Quint, 
abdication  de  l  empereur,  avènement 
de  Philippe,  1,  i  53-1  S8;  le  roi  d'Es- 
pagne à  Saint-Qucutiu  avec  son  armée 
coiiimandce  par  le  duc  de  Savoie  et  le 
comte  d'Egmont,  16  S. 

—  A|)pliqiie,  en  Espagne  et  dans  les 
Pays-Bas,  les  Uu'ories  de  Pic  V  à  ses 
sujets  et  à  don  Carlos,  III,  2-21; 
épouse  Anne,  fille  de  l'empereur 
^iaxiniilien,  comme  il  avait  épousé 
Elisabeth  de  France,  toutes  deux  fian- 
c'es  à  don  Carlos,  10;  sa  joie  à  la 
nouvelle  de  la  Saint-Barthélemy, 
364. 

—  Son  influence  dans  la  ligue,  IV, 
6  7  et  suiv.;  anoblit  la  famille  de  Bal- 
thazar  Gérard,  le  meurtrier  de  Guil- 
laume d'Orange,  125;  croisade  ca- 
tholique du  roi  d'Espagne,  14  5;  pré- 
pare son  Armada,  156;  la  lance  contre 
l'Angleterre,  1 8 1  ;  sa  politique  en  op- 
posant Farnèse  à  Henri  lY,  288;  fait 
nommer  deux  papes,  2975  demande 
la  convocation  des  états,  3  00  5  s'ex- 
plique avecl'ambassadeur  deMavenne, 
303  ;  fait  une  banqueroute  honteuse 
après  le  désastre  de  Cadix,  388  ;  sa 
mort,  ses  recommandations  à  son  fils, 
jugcmcjit  sur  ce  prince,  397-399. 

PuiLlPPE  Ifl,  succède  à  Philippe  II, 
son  père,  sur  le  trône  d  Espagne,  lY, 
397. 

Pie  IV  (Médequin),  II,  299. 

Pie  V,  sa  lettre  à  Charles  IX  pour 
l'extermination  des  hérétiques,  III, 
1-2  ;  225. 

PlGENAT  (François),  curé  de  Saint- 
Nicolas  des  Champs,  prêche  le  meur- 
tre contre  Henri  de  Valois,  IV,  218. 

Piles  (Armand  de),  gouverneur  de 
Saint-Jeau-d'Angely,  III,  121-123; 


au  Louvre  après  les  blessures  de  Co- 
ligny,  239-240;  passé  par  les  armes, 
301-302. 

Pilon  (Germain),  IV,  360. 

Pl\AIGRIEn,  IV,  360. 
PiTHOU  (Pierre),  le  favori  de  Cujas, 
n,  390. 

—  Un  des  écrivains,  et  le  plus  élo- 
quent, de  la  Ménippée,  IV,  34S. 

Place  (la),  président  au  parlement  do 
Paris,  III,  326-327. 

Plaisance  (le  cardinal  de),  légat,  de- 
mande ses  passe-ports  sans  avoir  fait 
une  visite  au  Louvre,  IV,  36  3. 

Platon,  iv,  432. 

Plltauqle,  m,  51  et  suiv. 

PllVIAU  (de),  III,  41-42;  295. 
POISSY  (colloque  de),  II,  7  2-8  5. 
PoiTIEKS  (siège  de),  IH,  9  1  et  suiv. 
POLTiiOT  (Jean  de  Méré),  assassine  le 

duc  François  de  Guise  II,  229-230; 

son  supplice,  236. 

POMBKETON  (de),  III,  29  5. 

PouciE.N  (le  prince  de),  à  Dreux,  II, 
2  00;  dans  la  charge  de  la  rue  Saint- 
Deuis,  351. 

—  A  son  lit  de  mort,  III,  1  59-1  60. 
Poulain  (Nicolas),  un  des  Seize,  les 

trahit,  se  fait  espion  du  roi,  IV, 
142. 

Prieur  (le  grand),  l'un  des  cinq  fils 
de  Claude,  duc  de  Guise,  portrait  du 
graud  prieur,  à  Dreux,  son  courage, 
sa  maladie,  sa  mort,  II,  221-224. 
238. 

Pruneaux  (des),  soigne  l'amiraJ  J»» 

Coligny,  m,  339. 
Prunelai  (de),  neveu  du  gouvcriu  ur 

de  Coligny,  à  la  bataille  de  i)i\Mix, 

II,  2  0  3-20'o. 
Psaume  (Nicolas),  évéque  de  Vi.'.J..ii, 

au  concile  de  Trente,  II,  289. 
Psaumes  calvinistes,  traduits  par  Ma- 

rot  et  par  Cèze,  II,  71-7  2. 
PULCI,  I,  20. 
PyTHAGOUE,  IV,  432. 


Q 

Qui.NTlN, son  discours  aux  étj'.s  J  u.k'jus,  sa  rétractation,  sa  mort,  II,  3*- 


40. 


474 


INDEX. 


R 


Rabelais,  son  œuvre,  son  portrait 

IV,  17-8  3. 

Ram  US  (Pierre),  assassiné,  III,  328 
et  suiv. 

Randan  (de),  colonel -général  de  l'in- 
fanterie, son  intrépidité,  son  portrait, 
sa  mort,  II,  1  63-166. 

Rapi^,  un  des  auteurs  de  la  Satire 
JMénippée,  IV,  34  5. 

Raunay  (de),  I,  304,  306,  312. 
ReGMER  (de),  III,  353-354. 

Reîvée  de  France,  fille  de  Louis  XII, 
duchesse  de  Ferrare ,  bonne  aux 
réformés,  I,  55. 

—  Sauve  les  opprimés,  recueille  les 
proscrits  de  la  Saint-Barthéleray , 
emmène  dans  son  coche  toute  la 
famille  Merlin,  III,  3  55  et  suiv. 

Reinel  (le  marquis  de),  sa  mort,  III, 

294. 

RÉVOL  (de)  avertit  le  duc  de  Guise 
que  le  roi  l'attend,  IV,  206. 

RlCHARDOT  (le  président),  négocia- 
teur de  Farnèse,  IV,  318. 

Richelieu  (le  cardinal  de),  I,  32. 

Richelieu,  grand  prévôt  de  Hen- 
ri III,  IV,  210-214. 

Roche-Abeillb  (la),   combat,  III, 

80-83. 

ROCHEBLOND  (la),  le  fondateur  des 
Seize,  IV,  141. 


ROCOEFORT  (le  comte  de),  IV,  2  62. 
Rochelle  (la),  après  la  Saint-Barthé- 

leniy,  III,  37  3  et  suiv. 
Roban  (mademoiselle  de),  II,  404- 

406. 

RONORANTIN  (  édit  de)  contre  l'in- 
quisition, I,  357-358. 
Ronsard  (de),  son  portrait,  II,  143- 

146. 

—  Sa  mort,  IV,  129. 

Rose  (Guillaume),  évêque  de  Senlis, 
organise  une  revue  de  moines-sol- 
dats, IV,  279  ;  prêche  une  nouvelle 
Saint-Barlhélemy,  IV,  306. 

Rosne  (de),  général  ligueur,  IV,  288; 
sa  mort,  389. 

ROUEIN  (siège  de),  II,  162-179. 

—  Massacre,  III,  363. 
Rousseau,  iv,  427. 
Roussillon  (édit  de),  l'édit  de  paci- 
fication restreint,  II,  3  4  4. 

ROUVRAY,  III,  295. 

ROYE  (Eléonore  de) ,  la  première 
femme  du  prince  de  Condé,  la 
nièce  de  l'amiral  de  Coligny  ;  solli- 
cite d'un  grand  cœur  à  Orléans  pour 
son  mari,  mais  en  vain,  I,  424. 

—  Ses  chagrins,  son  desespoir,  sa 
mort,  II,  330  et  suiv. 

RUY-GOMEZ,  prince  d'Eboli,  III,  7-8. 


S 


Sabine  de  Bavière,  femme  comte 

d'Egmont,  III,  17. 
Sague  (la),  gentilhomme  basque,  agent 

d'une  seconde  conspiration  de  Condé 

contre  les  Guise,  I,  386-393. 
Saim-André  (le  maréchal  de),  l'un 

des  triumvirs,  à  la  bataille  de  Dreux, 

II,  19  5-218,  passira  ;  sa  mort^  204. 
SaIi>t-André  (la  maréchale  de),  ses 

amours  avec  le  prince  de  Condé,  II, 

328  et  suiv. 
Saint-Babthélemï  (la),  III,  «3S- 

371. 


SAINT-CyR  de  PiIY-GrEFFIER,  III,  113. 

Saint-Denis  (bataille  de),  II,  439- 

448. 

Sai^t-Germain  fpaixde),  III,  133  et  s. 

Saint-Héhan  (le  baron  de),  III,  367. 

Saint-Paul  (de),  un  des  capitaines  du 
duc  Henri  de  Guise,  IV,  15  7. 

Saint-Point  (marquis  de),  ses  cruau- 
tés, II,  146-1  48. 

Saint-Quentin  (bataille  de),  I,  179- 

182. 

Saint-Remy,  grand  ingénieur,  I,  iss- 
187. 


INDEX. 


475 


Saint- YON,  IV,  ses. 
Sainte-Colombe  (de),  au  siège  cil 

lioucn,  II,  169, 
Sainte-Marie  (de),  conjuré  d'Ani- 

Loise,  I,  295. 
Salcède,  gouverneur  de  Vie,  III,  3  2  5. 
Salcède  (le  fils),  IV,  1 1  S. 
Sancebre  (comte  de),  I,  301  ;  42S- 

4Î4. 

Sa.NCEBRE (siège  de),  III,  88  4  et  suiv.; 
se  soumet,  400. 

Sancy  (de),  entraîne  les  Suisses  au 
camp  de  Saint-Cloud  et  les  rattache 
à  la  cause  de  Henri  de  Bourbon,  IV, 
2  47;  fait  donner  au  maréchal  de  Bi- 
ron  le  comté  de  Périgord,  2  50-2  51; 
423. 

San  Feliz,  évêque  de  Cava,  au  concile 

de  Trente,  II,  2  8  8. 
Sarlabols,  l'un  des  capitaines,  puis 

Tun  des  meurtriers  de  Coligny,  III, 

284. 

Sauves  (baron  de),  Simoa  de  Fizes, 
IV,  10. 

Salyes  (baronne  de),  IV,  5  ;  confi- 
dente de  Catherine  de  .Médicis,  son 
portrait,  43-44;  son  voyage  en  Béarn 
avec  la  reine  mère,  9  8;  devenue  ma- 
dame de  Noirmoutiers,  passe  la  nuit 
du  2  3  décembre  avec  le  duc  Henri  de 
Guise,  199-200. 

Saver>e  (entrevue  de),  II,  95. 

Savoie  (duc  de),  son  portrait,  IV,  9; 
s'empare  du  marquisat  de  Saluées, 
189. 

SCUELLING,  IV,  432. 

SciiOMBERG  (de),  l'un  des  commissai- 
res du  roi  pour  l'édit  de  Nantes,  IV, 

410. 

SÉGUR  (de),  III,  296. 

Seize  (les),  une  ligue  démocratique, 
une  petite  ligue  dans  la  grande  ligue, 
IV,  141  et  suiv.;  illuminent  Paris 
pour  fêter  le  meurtre  de  Jacques  Clé- 
ment, 255;  leur  tyrannie,  282;  leur 
fanatisme,  leur  immoralité,  leurs  at- 
tentats, 3  03  et  suiv.  ;  conseil  des 
Seize  et  comité  des  Dii,  30"  ;  les 
Seize  vaincus,  pendus  ou  e.\ilés,  312. 

SeNARPONT,  I,  202. 


Senallt,  l'un  des  conseillers  do  l'U- 
nion, IV,  3  6  3. 

Serbelloni,  cousin  et  général  du 
papo  Pie  IV,  II,  300. 

Sehvet,  ses  disputes  avec  Calvin,  son 
procès,  sa  mort,  I,  2  4-26. 

SÉVJLE  (le  capitaine),  ses  alternatives 
de  vie  et  de  mort  au  siège  de  Rouen, 

II,  171-173. 
SiLLERY  (de),  IV,  4.2  3. 

Sixte  IV,  donne  à  l'inquisition  son 
autorisation  pontificale,  I,  354. 

Sixte-Qlint,  sa  bulle  d'exrommtini- 
cation  contre  Henri  de  Bouibon,  roi 
de  .Navarre,  et  contre  le  prince  de 
Condé,  IV,  13  9;  sa  mort,  2  9  7. 

SOISSONS  (le  comte  de),  IV,  368. 

Soliman,  l,  3  8-2  6  3. 

Sommerive  (comte  de),  à  Sisteron,  II, 

146. 

SouBiSE  (de),  sa  femme,  les  filles 
d'honneur,  III,  305. 

Spalâtin,  le  chapelain  de  l'Electeur  de 
Saxe,  I,  16. 

Stafford  (lord),  ambassadeur  d'An- 
gleterre, IV,  172-173. 

Strozzi  Pietro).  maréchal  de  France, 
ses  talents,  au  siège  de  Metz,  I,  120- 
12  4;  devantThionville,  son  athéisme, 
sa  mort,  219-2  20. 

Strozzi  (Philippe),  colonel-général  de 
l'infanterie,  III  ;  à  La  Roche-Abeille, 

80-82. 

Sti  ART  (Marie),  son  mariage  avec  le 
dauphin  depuis  François  II,  I,  207- 
20  9;  à  l'assemblée  de  Fontainebleau, 
367;  à  Orléans,  398. 

—  Sa  mort,  IV,  l4t. 
SlissE.s.  III,  302  et  suiv. 

Sllly  (Rosny,  duc  de),  son  stratagème 
pendant  la  Saint-Barthèlemy,yi,326. 

—  Au  pont  de  Tours,  IV,  23  6  ;  pousse 
Henri  IV  à  l'abjuration,  33  2  ;  est 
créé  surintendant  des  finances,  son 
portrait,  390-394  ;  prépare,  à  force 
de  prévoyance  et  d'exactitude,  le  suc- 
cès du  siège  d'Amiens,  39  5-3  9  6;  con- 
tinue d'administrer  les  finances,  son 
intime  alliance  avec  Henri  IV,  400 
et  suiv.;  423. 


476 


INDEX. 


Tardif,  conseiller  au  parlement, 
pendu,  IV,  309. 

Tasse  (le),  III,  152. 

Tavamnes  (Gaspard  de  Saulx),  sa  jeu- 
nesse, sa  fougue,  ses  violences,  ses 
calculs,  s'attache  au  duc  d'Angou- 
lênie,  puis  à  Catherine  de  Mrdicis, 
puis  au  duc  d'Anjou,  III,  96-1  06  ; 
à  Jarnac,  62;  à  Moncontour,  108 
et  suiv.;  sourd  à  une  provocation  de 
Coligny,  230,  23  1  ;  l'un  des  con- 
seillers de  la  Saint-Barthélemy,  260; 
excitant  au  massacre,  30  6. 

—  Sa  mort,  ses  descendants,'  IV, 
26-27. 

Tavamnes  (madame  de),  III,  103-1 04. 

']'î:l!Gi\ï,  au  siège  de  Saint-Quentin, 
I,  1 72  et  suiv. 

TÉL!G^Y  (de),  son  mariage  avec  Louise 
de  Chàlillon,  fille  aioce  de  l'amiral 
de  Coligny,  III,  17l  et  suiv.;  refuse 
les  capitaines  calvinistes  qui  vou- 
laient coucher  dans  la  maison  de  l'a- 


miral 


pour 


le  défendre,  278-279: 


surpris  et  tué,  290-29  1  . 
Tende  (le  comfe  de),  III,  3  6  7. 
Tlin0UAN^E  (siège  de),  I,  135. 
TessÉ  (le  maréchiil  de"),  III,  309. 
Tetzel,  prêche  les  indulgences,  I,  7. 
TdÉvalle  (de),  gouverneur  de  Metz, 

III,  144. 
Thiakd  (Ponthus  de),-III,  1S2. 
TmONVILLE  (siège  de),  I,  218-223. 
T0OMAS  D'AQLIN,  IV,  432. 
THOHli  (de)  ,  l'un  des  cincf  iils  du 
connétable  Anne  de  Montmorency, 
III,  24f,  265,  27S. 


—  Dattu  par  le  duc  Henri  de  Guise, 
IV,  si;  sa  négligence  après  Ivry,  226. 

Tuou  (de),  Christophe,  père  de  I  his- 

torien,  III,  336. 
Tuoi](Jacques- Auguste  de), l'historien, 

au  mariage  du  roideNavarre,III,2  2  7. 

—  Son  portrait,  assiste  au  sacro  de 
Henri  IV,  2  8-30  ;  l'un  des  commis- 
saires de  l'édit  de  Nantes,  410-423. 

Tillet  (du),  greffier  au  parlement  de 
Taris,  I,  2  8  3-2  8  4. 

TOLKTO  (le  cardinal),  IV,  3  7  3. 

'J'OKQUEiilADA,  un  dominicain, I,  354. 

TosiiS'GHi,  l'un  des  assassins  de  l'a- 
miral de  Coligny,  III,  2  8  4. 

TOLLOUSE  (la  ville  de),  III,  3  6  3. 

Toun!\oiv  (le  cardinal  de),  contre  les 
Vaudois,  I,  37-40  ;  à  Orléans,  401- 

402. 

—  Au  colloque  de  Poissy,  II,  76-77. 
TO!JH.\o.\  (mademoiselle  de),  son 

voyage  en  Flandre,  sa  mort.  IV,  76. 
TOLIl^O^  (la  ville  de),  III,  362. 
'l'OL'iiv  (entrevue  de),  II,  126. 
TiiEMOClLLE  (Louis  de),  accrédite  la 

ligue,  IV,  66. 

TiiEiME  (concile  de),  le  vingt  et  uniè- 
me des  conciles  œcuméniques  et  le 
dernier,  dure  dix-huit  ans,  use  cinq 
papes,  II,  284-317. 

Thiu;(Ivib4t,  II,  ss. 

TllOYES  (le  bailli  de),  III,  360. 

TuiLEaiES  (château  des),  III,  40  3- 

40  4. 

TllinÈIiE,  m,  1  S2. 

TvGUE  (le),  pamphlet  calviniste,  I, 


Ussow,  en  Auvergne,  château  de  Mar-  Uzeua  (cliâteau  d'),  où  mourut  le  dur 
guérite,  femmeduBéaruais, IV,  1 2T.     d'Albe,  IV,  114. 


Vair  (du)  l'un  des  conjurés  dans  .1    VvJ.vvoin,  III,  295. 
reddition  de  Paris,  IV,  35  V.  \ \:.V.y.):'.  (la  ville  de\ 


477 


Varade  (le  père),  lY,  36  3. 

Varsovie  (diète  de),  lll,  sgsetsuiv. 

Vassy  (massacre  de),  II,  9  7-102. 

ValdOIS  (massacre  des),  opprimés, 
décimés  et  traqués  par  le  baron 
d  Oppède,  l'avocat  (ipnéral  Guérin, 
et  le  baron  de  La  Garde,  recueillis 
par  Calviu,  I,  37-;o. 

VtiiAl  (du),  III,  361. 

Vie  (de),  l'un  des  déléfrués  du  roi 
pour  l'cdit  de  Nantes,  IV,  410. 

Vienne  la  ville  de),  III,  3  62. 

VezINS  (de),  III,  353-354. 

ViGNAY,  château  de  L'Hôpital,  III,  28 
et  suiv.;  177  et  suiv. 

VlLi.ARS  (le  comte  de),  IV,  366. 

VlLLEGEMBLAIN  (de),  I,  301. 

ViLLL.MONGiS  (de),  à  Aiiiboise ,  sa 
mort,  I,  317-318. 


ViLLEMLB  (Pierre),  chanoine,  III) 

237. 

ViLLEQL'iER  (Rcné  de),  assassine  sa 
fenniie,  IV,  7  4. 

ViLLEiiOl  (de),  enseigne  la  politique 
à  Charles  IX,  III,  1  53-1  54. 

—  Vient  trouver  Henri  III  à  Turin, 
IV,  10;  avertit  Mayenne  des  intri- 
gues de  l'Espagne,  269  ;  se  rallie  à 
Henri  IV,  350-366. 

ViRET,  I,  29. 

ViTEALX  (le  baron  de),  tue  du  Gua, 

IV,  47-46. 
ViTRY  (le  comte  de),  se  rallie  à  la 
ligue  après   la  mort  de  Henri  III, 
IV,  2  52  ;  passe  à  Henri  IV,  350  j 
366. 

VOLTAIRE,  IV,  42  7. 


Wartbolrg,  château  près  d'Eise- 

nach,  I,  13. 
We.myvorth,  gouverneur  de  Calais,  I, 

202-204. 

WiTTEMDERG,  la  Rome  de  Luther,  I, 
9  et  suiv. 

WOLFGAMG  DE  BAVIÈRE,  duc  de  Deux- 


Ponts,  son  expédition  à  travers  la 
France,  son  succès,  sa  mort,  111,7  6- 

79. 

WolfRAD  de  Ma>SFELD,  III,  79  ;  à 
Moncontour  sauve  la  vie  à  Coligny, 

110. 

WORMS  (diète  de),  I,  il  et  suiv. 


X 

XlME^ÈS,  confesseur  d'Isabelle,  lui  conseille  d'établir  l'inquisition  en  Es- 
pagne, I,  354. 

Y 

Ybabba,  son  exclamation  à  la  nouvelle  YvBR?iY  (mademoiselle  d'),  poignardée 
de  la  mort  du  cardinal  de  Bourbon,     et  noyée,  III,  327-328. 
I\',  278;  apporte  à  Farncse  de  Par-  YvOY  (d  ),  gouverneur  de  Bourges, 
gent  et  des  instructions,  322.  rend  cette  place  au  duc  de  Guise,  II, 

YOLET,  écuyer  de  Coligny,  III,  S39-     1  57-1  58. 
283. 

z 

Zan.netti.no,  évêque  de  Chiron  ,  au  concile  de  Trente,  II,  288. 


Fl?i   DE  l'index 


1 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


LIVRE  QUARANTE-TROISIÈME. 

Régence  de  Catherine  de  Médicis.  —  Courriers  au  roi  de  Pologne, 
désormais  Henri  III.  —  Supplice  de  Montgommery.  —  Fuite  de 
Henri  III.  —  Il  revient  en  France  par  Vienne,  Venise,  Turin.  — 
Son  entrée  à  Lyon.  —  Le  baron  des  Adrets  et  Agrippa  d'Aubigné. 

—  Montluc  maréchal  de  France.  — Portrait  de  Henri  III.  —  Mort 
de  la  princesse  de  Condé.  —  Projet  de  réduire  Damville  et  Mont- 
brun,  —  Le  roi  et  la  cour  descendent  le  Rhône  jusqu'à  la  ville 
d'Avignon.  —  Rabelais.  —  Son  portrait.  —  Influence  de  Rabe- 
lais et  de  Machiavel.  —  Mort  du  cardinal  de  Lorraine.  —  Insulte 
de  Monlbrun  au  roi.  —  Le  maréchal  de  Tavannes  regretté  par 
Henri  III.  —  Échec  de  Livron.  —  Paul  de  Foix.  —  D'Ossat. 

—  De  Thou  l'historien.  —  Sacre.  —  Mariage.  —  Retour  au 
Louvre   Pages  1  à  33 


LIVRE  QUARANTE-QUATRIÈME. 

Situation  du  duc  de  Guise.  —  Mort  de  Montbrun.  —  Adresse  de 
Catherine  de  Médicis.  —  Faciles  amours  de  Marguerite.  —  Elle 
répond  à  la  passion  de  son  frère  d'Alençon.  —  La  Môle.  —  Bussy. 
—  Goût  de  cette  princesse  pour  l'art  et  pour  la  vengeance.  —  Du 
Gua.  —  Madame  de  Sauves.  —  Son  portrait.  —  Marguerite  fait 
un  pacte  avec  le  baron  de  Viteaux.  —  Mort  de  du  Gua.  —  Il  était 
un  des  bourreaux  de  la  Saint-Barlhélemy.  —  Mort  de  Besme.  — 
Fuite  du  duc  d'Alençon.  —  Fuite  du  roi  de  Navarre.  —  Théo- 
dore-Agrippa  d'Aubigné.  —  Paix  de  Monsieur.  —  Portrait  de 
d'Aubigné.  —  Cet  écuyer  du  roi  de  Navarre  était  un  homme  de 
génie  ,   Pages  34  à  61 


480 


TABLE  DES  MATIERES 


LIVRE  QUARANTE-CINQUIÈME. 

Origine  de  la  ligue.  —  Le  pape,  le  roi  d'Espagne  et  les  jésuites.  — 
Le  duc  de  Guise.  —  Don  Juan.  —  M.  d'Humières  à  Péronne.  — 
Manifeste  de  la  ligue.  —  Le  duc  de  Guise,  chef  secret.  —  Le 
Béarnais.  —  La  ligue  antinationale.  —  États  généraux  à  Blois. 

—  Proposition  de  d'Espinac.  —  Mémoire  de  David.  —  Henri  III 
se  déclare  chef  de  la  ligue.  —  La  guerre.  —  Le  duc  de  Guise  à 
Issoire.  —  Prise  de  Brouage  par  Mayenne.  —  Voyage  de  Margue- 
rite en  Flandre.  —  Mademoiselle  de  Tournon.  —  Sa  mort.  — 
But  de  Marguerite.  —  Henri  III  la  dénonce  à  don  Juan.  —  Elle 
8'échappe  des  Flandres,  arrive  à  La  Fère.  —  Le  duc  d'Anjou  l'y 
rejoint.  —  Leur  passion  mutuelle.  —  Montluc.  —  Son  portrait. 

—  Sa  mort.  —  Les  Tragiques,  —  D'Aubigné.  —  Seconde  fuite  du 
due  d'Anjou   Pages  62  à  88 

LIVRE  QUARANTE-SIXIÈME. 

Duels  des  mignons.  —  Création  de  l'ordre  du  Saint-Esprit.  —  Popu- 
larité du  duc  de  Guise.  —  Voyage  de  la  reine  mère  et  de  Margue- 
rite en  Gascogne.  —  La  cour  de  Navarre  à  Pau  et  à  Nérac.  — 
Cette  cour,  un  Décaméron.  —  Maîtresses  de  Henri  de  Bourbon. 

—  Pourquoi  on  pardonne  ses  débauches  au  roi  de  Navarre.  — 
Guerre  des  amoureux.  —  Le  duc  d'Anjou.  —  Son  voyage  en  An- 
gleterre avec  Marnix.  —  Elisabeth  et  le  duc  d'Anjou.  —  Monsieur 
dans  les  Pays-Bas.  —  Mort  du  duc  d'Albe. . .    Pages  89  à  116 

LIVRE  QUARANTE-SEPTIÈME. 

Le  prince  de  Parme  dans  les  Pays-Bas.  —  Entreprise  de  Monsieur 
sur  Anvers.  —  Son  échec.  —  Il  se  relire  à  Dunkerque,  puis  en 
France.  —  Empoisonné  à  Château -Tliierry  par  une  machination 
de  Philippe  II.  —  Meurtre  de  Guillaume  le  Taciturne  par  Bal- 
thasar  Gérard,  agent  du  roi  d'Espagne.  —  Philippe  accorde  la  no- 
blesse à  la  famille  de  l'assassin.  —  Marguerite  retirée  à  Usson.  — 
Après  le  départ  de  la  belle  Fosseuse,  le  roi  de  Navarre  s'éprend  de 
Corisande.  —  Une  lettre.  —  Mort  de  Ronsard.  —  La  ligue.  — 
Manèges  du  duc  de  Guise  avec  tous  les  partis.  —  Son  arrière- 
pensée.  —  Il  obtient  un  édit  qui  abolit  la  liberté  de  conscience. 

—  Bulle  du  pape  Sixte-Quint.  —  Contre-bulle  du  Béarnais  et  du 
priiice  de  Cond6.  —  La  confrérie  des  Seize,  une  petite  ligue  dans 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


481 


la  grande  ligue.  —  Le  curé  Boucher  offre  celte  partie  démocra- 
tique de  la  ligue  au  duc  de  Guise.  —  Les  Seize,  un  embarras  et  un 
levier  pour  le  duc.  —  Philippe  II  et  Bèze.  —  Bataille  de  Coutras. 

—  Le  Béarnais  ne  sait  pas  profiter  de  sa  victoire.  —  Le  duc  de 
Guîsebat  les  confédérés  étrangers.  —  Sa  popularité.  — D'Épernon. 

—  Henri  111.  —  La  duchesse  de  Montpensier.    Pages  117  à  1  55 

LIVRE  QUARANTE -HUITIÈME. 

Situation  du  duc  de  Guise.  —  Sommé  par  les  Seize  et  par  PhiHppe  II 
de  venir  à  Paris.  —  Henri  III,  par  Bellièvre  et  La  Guiche,  lui 
défend  d'avancer.  —  Le  duc  passe  outre.  —  Le  9  mai,  il  descend 
à  l'hôtel  de  Soissons.  —  Le  Balafré  au  Louvre.  —  Rentré  à  l'hôtel 
de  Guise,  il  sape  la  royauté.  —  Barricades.  —  Fuite  de  Henri  III. 

—  Le  duc  de  Guise  manque  l'occasion.  —  Elle  ne  reviendra 
plus   Pages  156  à  175 

LIVRE  QUARANTE-NEUVIÈME. 

Le  duc  de  Guise  rétablit  l'ordre  partout  après  les  barricades.  —  Il 
renouvelle  les  magistrats  municipaux  et  les  administrateurs.  —  Il 
exhorte  les  juges  à  reprendre  les  audiences.  —  Visite  à  M.  de 
Harlay.  —  Le  roi  à  Chartres.  —  Il  y  reçoit  le  Balafré.  —  L'Ar- 
mada. —  Philippe  II  vaincu  par  les  éléments,  par  les  hommes  et 
par  Dieu.  —  Le  monde  fut  sauvé.  —  Les  états  de  Blois  en  1588. 

—  Desseins  du  duc  de  Guise.  —  Complot  du  roi  et  du  conseil 
intime.  —  Avertissements  au  duc,  —  Madame  de  Noirmoutiers. 

—  Henri  III  et  ses  ordinaires.  —  Le  duc  de  Guise  est  assassiné. 

—  Peur  et  joie  de  Henri  III.  —  Il  annonce  la  nouvelle  à  sa  mère. 

—  Tristesse  de  Catherine   Pages  176  à  209 

LIVRE  CINQUANTIÈME. 

Arrestation  des  principaux  amis  du  duc  de  Guise.  —  Le  cardinal, 
son  frère,  est  égorgé  dans  un  couloir  du  château  de  Blois.  —  La 
duchesse  de  Nemours,  leur  mère,  réclame  les  corps  de  ses  enfants. 

—  Henri  III  les  lui  promet  et  la  trompe.  —  Mort  de  Catherine;  de 
Médicis.  —  Consternation  et  colère  de  Paris  à  la  nouvelle  de  l'as- 
sassinat du  duc;  redoublement  de  fureur  à  la  nouvelle  de  l'assas- 
sinat du  cardinal.  —  Rage  de  la  ligue.  —  Les  pamphlets.  —  Les 
sermons.  —  Pigenat,  curé  de  Saint-Nicolas  des  Champs.  —  Lin- 
ceslre  et  Achille  de  Harlay.  —  Influence  des  duciiesses  de  Neuiours 

IV.  41 


482 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


et  de  Montpensier.  —  Les  Seize.  —  La  faculté  de  Paris,  assemblée 
à  la  Sorbonne,  délie  le  peuple  de  la  fidélité  à  la  royauté.  —  Elle 
fait  de  la  sédition  un  devoir.  —  Le  parlement,  présidé  par  Achille 
de  Harlay,  résiste  aux  Seize.  —  Bussy-Leclerc  mène  les  magis- 
trats à  la  Bastille.  —  La  ligue  compose  un  autre  parlement.  — 
Conseil  général  de  la  ligue.  —  Mayenne  presque  dictateur.  — 
Henri  III  à  Tours  entre  la  ligue  et  les  huguenots.  — Il  conclut  un 
traité  d'alliance  avec  le  roi  de  Navarre.  — Mornay,  le  négociateur 
de  Henri  de  Bourbon.  —  Portrait  de  Mornay.  —  Entrevue  des 
rois  au  Plessis-lez-Tours.  —  Combat  de  Mayenne  et  de  Crillon  — 
Les  rois  marchent  sur  Paris,  —  La  duchesse  de  Montpensier.  — 
Jacques  Clément.  —  Meurtre  de  Henri  III. .    Pages  210  à  245 

LIVRE  CINQUANTE  ET  UNIÈME. 

Henri  de  Bourbon  succède  à  Henri  de  Valois.  —  Discordes  du  camp 
de  Saint-Cloud.  —  Une  partie  de  la  noblesse  reconnaît  pour  roi 
Henri  IV.  —  Joie  de  la  ligue  à  la  mort  de  Henri  III.  —  La  duchesse 
de  Montpensier,  la  duchesse  de  Nemours.  —  Le  prestige  n'est  plus 
avec  la  maison  de  Guise ,  mais  avec  Henri  IV.  —  Le  roi  quitte  le 
camp  de  Saint-Cloud.  —  Il  se  rend  en  Normandie,  sous  les  murs 
de  Rouen,  puis  à  Dieppe.  —  Campagne  d'Arqués.  —  Lettre  à  Cori- 
sande  avant  le  premier  combat;  billet  à  Crillon  après  le  dernier. 

—  Le  roi  revient  attaquer  Paris.  —  Faute  de  M.  de  Montmorency- 
Thoré.  —  Henri  IV  offre  la  bataille  aux  Parisiens  et  à  Mayenne. 

—  Le  prince  lorrain  la  refuse.  —  Le  roi  va  à  Tours,  une  capitale 
provisoire  où  siégeait  son  parlement.  —  Il  y  voit  Achille  de  Harlay, 
y  visite  Crillon  encore  malade  de  ses  blessures  et  y  reçoit  Monce- 
nigo ,  l'ambassadeur  vénitien.  —  Cet  ambassadeur  traite ,  au  nom 
de  sa  patrie ,  avec  Henri  IV.  —  Le  roi  a  pour  alliés  Venise ,  les 
Suisses  et  les  princes  protestants.  —  Il  grandit  en  France  et  en 
Europe   Pages  246  à  266 

LIVRE  CINQUANTE-DEUXIÈME. 

Le  Béarnais  repasse  en  Normandie,  — -  Les  Seize  ralliés  à  l'Espagne. 

—  Mendoça  incline  le  conseil  de  l'Union  à  nommer  protecteur  du 
royaume  de  France  le  roi  Philippe  II.  —  Mayenne  casse  le  conseil 
de  l'Union  et  le  remplace  par  le  conseil  privé.  —  Il  a  le  pouvoir, 
il  cherche  la  gloire.  —  Il  veut  débloquer  Dreux ,  assiégé  par 
Henri  IV.  —  Bataille  d'ivry.  —  Mayenne  à  Saint-Denis,  puis  à 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


483 


Soissons,  puis  dans  la  direction  des  Pays-Bas  pour  recruter  une 
armée.  —  Le  duc  de  Nemours  gouverneur  de  Paris.  —  Henri 
s'empare  des  places  et  des  rivières  circonvoisines.  —  Il  établit  un 
blocus  rigoureux.  —  Ligue  lorraine,  ligue  espagnole.  —  Pro- 
cession de  la  ligue.  —  Terreur.  —  Famine.  —  Horreurs.  — 
Arrivée  du  duc  de  Parme.  —  H  débloque  et  ravitaille  Paris. 

—  Cette  mission  accomplie,  il  retourne  en  Flandre.  —  Son 
portrait   Pages  267  à  293 

LIVRE  CINQUANTE-TROISIÈME. 

Le  roi  peu  délicat  en  amour.  —  Il  harcèle  le  duc  de  Parme.  — 
Gabrielle  d'Estrées.  —  Son  portrait.  —  Mort  de  Sixte-Quint, 
pape  haï  de  Philippe  II  et  des  ligueurs.  —  Grégoire  XIV,  Espa- 
gnol dans  le  cœur.  —  Le  parlement  et  l'Église  gallicane  lui  résis- 
tent. —  Le  roi  essaye  en  vain  de  prendre  Paris.  —  Il  assiège 
Chartres.  —  Question  de  l'assemblée  des  états.  —  Mission  de 
Jeannin  en  Espagne.  —  Son  portrait.  —  Philippe  II  ne  cache  pas 
ses  desseins.  —  Le  pape  conspire  avec  lui  pour  faire  décerner  la 
couronne  de  France  à  l'infante  Isabelle.  —  Les  Seize,  instruments 
des  ambassadeurs  espagnols.  —  Brigard  accusé  et  acquitté.  — 
Complot  des  Seize  contre  le  parlement.  —  Bussy-Leclerc.  — 
Cromé.  —  Barnabé  Brisson  et  deux  conseillers  pendus.  —  Les 
Seize  vaincus  par  Mayenne ,  qui  leur  inflige  la  potence  et  l'exil. 

—  Il  prépare  ainsi  les  voies  à  la  monarchie.  —  Conférences  de 
La  Fère.  —  Humiliation  de  Mayenne   Pages  294  à  314 

LIVRE  CINQUANTE-QUATRIÈME. 

Mayenne  et  le  duc  de  Parme  en  Normandie,  puis  en  Picardie.  — 
•  L'armée  du  roi  se  disperse.  —  Le  duc  de  Parme  alors  saisit  l'oc- 
casion. —  Il  débloque  Rouen  comme  il  avait  débloqué  Paris.  — 
Prise  de  Caudebec.  —  Campagne  de  Normandie.  —  Les  deux 
Biron.  —  Talents  du  roi.  —  Il  enveloppe  ligueurs  et  Espagnols 
dans  la  presqu'île  de  Caux.  —  Le  duc  de  Parme,  quoique  blessé, 
sauve  son  armée  et  celle  de  Mayenne.  —  Il  gagne  Paris,  aug- 
mente de  quinze  cents  Wallons  la  garnison  espagnole  et  ramène 
dans  les  Pays-Bas  son  armée  diminuée  de  sept  mille  hommes.  — 
Mort  du  maréchal  de  Biron  devant  Épernay,  —  Mort  du  duc  de 
Parme  4  Arras.  —  Les  états  de  la  ligue,  1693.  —  La  conférence 
deSuresnes. —  L'abjuration   Pages  315  à  33G 


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TABLE  DES  MATIÈRES. 


LIVRE  CINQUANTE-CINQUIÈME. 

Les  principaux  conseillers  de  l'abjuralion  :  Rosny,  l'archevêque  do 
Bourges  et  Dupcrron.  —  Inrinerice  de  ce  dernier  prélat.  —  Son 
porlrait.  —  Il  est  attaché  ;\  l'ambassade  du  duc  de  Nevers  et 
cbarp;6  spécialement  de  fléchir  Clément  VIII  en  faveur  du  roi.  — 
Salirn  Ménippée.  —  Son  caractère  littéraire  et  politique.  —  Mon- 
taigne, La  Boétie.  —  La  ligue  s'affaibht.  —  Mouvement  de  l'opi- 
nion publique  vers  Henri  IV.  —  Le  roi  se  rapproche  de  Paris.  — 
Ses  négociations  secrètes  avec  le  comte  de  Brissac.  —  Entrée  dans 
Paris.  —  Brissac  fait  maréchal.  —  Le  roi  se  rend  à  Notre-Dame, 
puis  au  Louvre ,  puis  à  la  porte  Saint-Denis ,  d'où  il  regarde 
défiler  les  Espagnols,  —  Il  revient  au  Louvre.  —  La  royauté 
assise   Pages  337  h  361 

LIVRE  CINQUANTE-SIXIÈME. 

Le  roi,  à  son  entrée  dans  Paris,  veille  à  la  sûreté  de  ses  ennemis.  — 
Dédain  du  légat ,  fureur  du  cardinal  de  Pellevé.  —  Souplesse  de 
la  duchesse  de  Montpensier.  —  Résignation  de  la  duchesse  de 
Nemours.  —  Henri  IV  la  console.  —  Politique  du  roi.  —  Il  achète 
les  gouverneurs,  continue  de  chasser  les  Espagnols  et  de  protéger 
les  deux  cultes.  —  Très-économe  pour  tout  le  reste,  il  est  prodigue 
pour  ces  trois  grands  buts.  —  Jean  Chàtel.  —  Les  jésuites.  — 
Philippe  II.  —  Mayenne.  —  Fontaine-Française.  —  Le  roi  n'é- 
crase pas  le  prince  lorrain.  —  Il  l'invite  à  traiter.  —  Mayenne  fait 
la  paix.  —  Entrevue  du  roi  et  du  lieutenant  général  à  Monceaux. 

—  Mayenne  est  séduit  par  le  charme  du  roi ,  et  il  se  soumet  sans 
honte,  car  le  pape  a  reconnu  Henri  IV.  —  Maison  de  Guise.  — 
Siège  de  La  Fère.  —  Mayenne  y  vient  avec  le  roi.  —  D'Aubigné. 

—  Rosny.  —  Assemblée  de  Rouen.  —  Conseil  de  Raison.  — 
Rosny  surintendant  des  finances.  —  Son  portrait.  —  Prise  d'A- 
miens. —  Le  roi  reconquiert  cette  place.  —  Il  réduit  le  duc  de 
Savoie  par  Lesdiguières ,  le  duc  de  Mercœur  par  lui-même.  — 
Traité  de  Vervins.  —  Mort  de  Philippe  II.  —  Édit  de  Nantes.  — 
Terme  de  mon  histoire   Pages  362  à  403 

LIVRE  CINQUANTE-SEPTIÈME. 

L'édit  de  Nantes,  une  grande  conquête  nécessaire  en  1598.  —  Une 
concorde  entre  les  protestants  et  les  catholiques.  —  Catherine  dc 


TABLE  DES  MATIERES. 


4S5 


Bourbon,  duchesse  de  Bar,  travaille  secrètemenl  à  l'cdit  de  Nantes. 
—  Il  est  signé  par  le  roi  le  13  avril  1598.  —  Discours  de  Henri 
au  Louvre.  —  L'édit  est  enregistré  le  15  février  1599.  —  C'est 
la  plus  grande  heure  de  Henri  IV.  —  Caractère  de  ce  prince.  — 
Ses  vices.  —  Ses  qualités  brillantes,  son  courage,  son  esprit,  sa 
grâce,  sa  bonté,  son  amour  du  peuple.  —  Le  roi  le  plus  miséri- 
cordieux de  son  siècle   Pages  404  à  424 

Conclusion   Pages  425  à  432 

Catalogues  des  principaux  documents  écrits  et  figurés  consultés 
pour  celte  histoire   Pages  433  à  452 

Index   Pages  453  h  477 


FIS  DE  LÀ  TABLE 


raris,  -  lnipi:n  erie  de  P. -A.  ROI  HDIRR  et  (W  ru  Mâ'ariir,  30. 


BW5830.D21V.4 

Histoire  de  la  liberté  religieuse  en 

Princeton  Theological  ^^'^'^ 

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