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Full text of "Histoire de la maison royale de Lusignan"

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HISTOIRE 



DE LA 



MAISON ROYALE DE LUSIGNAN 




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HISTOIRE 



DE 



LA MAISON ROYALE 



DE LUSIGNAN 



PAR 

Le Chanoine PASCAL 

Vicaire général honoraire d'Antioche 

Membre de l'Académie royale héraldique d'Italie, 

Membre do la Société de Statistique des Bouches-du-Uhône, 

Officier de divers Ordres. 




PARIS 

Léon Vanier, Libraire-Éditeur, 19, Quai Saint-Michel 



1896 



s^^>t>ui^(j^ifo.a.o 



«Lo^wA ^^A^' 






PRÉFACE 



On croyait généralement, au xvi® siècle, que la 
famille des Lusignans n'était représentée que par la 
branche française, établie dans la Vienne, et que la 
branche des Lusignans, dits d'Outre-Mer, s'était éteinte 
en 1474 avec l'infortuné jeune roi Jacques III, fils de 
Catherine Cornaro et de Jacques le Bâtard, qui avait 
usurpé le trône de Chypre à Charlotte, fille unique 
et seule héritière du roi Jacques IL Le fait môme de 
la transmission des droits politiques de cette reine aux 
trônes de ses aïeux dans la descendance de son beau- 
frère et cousin germain, le duc de Savoie, semblait 
confirmer cette croyance. 

Il n'en était rien cependant. Les Lusignans 
d'Outre-Mer étaient représentes en iSyo par Pierre 
de Lusignan, chef de la branche cadette. Ce prince, 



II 
par suite de l'empoisonnement de l'infortuné Jac- 
ques III, dernier représentant de la branche directe, 
héritait de tous les titres et prérogatives de ses colla- 
téraux, par suite du testament de Jacques II. Et si ce 
prince et ses descendants vécurent, durant des siècles, 
dans le silence, sans s'illustrer comme leurs aînés par 
des hauts faits, ce fut la position très délicate dans 
laquelle ils se trouvèrent vis-à-vis des vainqueurs 
qui en fut cause. En effet, sous le gouvernement 
soupçonneux et inquiet de Venise, et ensuite sous la 
tyrannie barbare des Turcs, ils étaient considérés 
comme des conspirateurs cherchant sans cesse à 
rétablir leur dynastie. Aussi étaient-ils obligés de 
vivre soigneusement à Técart de toute politique, et 
d'éviter tout ce qui pouvait rappeler leur existence 
même à des gouvernements capables de les supprimer 
sous le prétexte le plus futile, pour ne s'occuper que 
d'exploiter les propriétés foncières considérables 
qu'ils possédaient dans l'île de Chypre. 

Néanmoins, dans les grandes bibliothèques, 
diverses monographies et maints mémoires confir- 
maient la survivance des Lusignans, non seulement 
dans le siècle de la domination vénitienne, mais encore 
après la conquête des Ottomans. 

Parmi les manuscrits Arunde,auBritish Muséum 
de Londres, sous le n° 5i8, se conserve la chronique 



m 
grecque de Georges Bustron, capitaine de Pendaïa, 
à Touest de Tîle de Chypre, et contemporain des quatre 
derniers souverains de la Maison de Lusignan. 

L'auteur, à la page 69, cite le testament de 
Jacques II, dont nous avons parié plus haut. Un 
siècle après, le Père Etienne de Lusignan, de la royale 
Maison de Chypre, fait la descriptioa de Tîle et 
rhistoire de ses souverains jusqu'à son départ pour 
TEurope, en 1572. On trouve enfin à Turin des 
lettres adressées en 161 1 au comte de Monbasile, 
gentilhomme de Charles-Emmanuel I^", duc de 
Savoie, par Christodoulos de Lusignan, archevêque 
grec de Chypre ; ces lettres traitent d'un projet pour 
la libération de l'île qui gémissait sous le joug 
des Turcs. M. le comte de Mas-Latrie, dans son 
Histoire de Chypre sous le règne des Princes de la 
Maison de Lusignan^ ouvrage couronné par l'Aca- 
démie des Inscriptions et Belles-Lettres, met au jour 
plusieurs manuscrits du temps de la domination véni- 
tienne, conservés à la bibliothèque de Saint-Marc de 
Venise, dans lesquels il est dit que parmi les princi- 
paux propriétaires et seigneurs de l'île, se trouvaient 
au XVI* siècle des membres delà Maison de Lusignan. 
Toutefois, malgré le recueillement des princes de 
Lusignan, le prestige de ce grand nom était si consi- 
dérable en Europe, qu'à diverses reprises d'audacieux 



IV 

aventuriers essayèrent de l'exploiter à leur profit, 
notamment en 1876 un nommé Hovsep (Joseph) Hov- 
hannissian, né à Java (i), qui se disait descendant 
direct de Léon VI, dernier roi d'Arménie, mort à 
Paris en iSgS. Après avoir fait beaucoup de dupes, 
cet aventurier se trahit par une ignorance énorme 
de rhistoire. La Providence ne permit point que sa 
cause injuste triomphât. Il subit diverses condamna- 
tions et mourut de misère à Thôpital de Milan — 
juste châtiment de son audace singulière et de sa 
mauvaise foi. 

Cet incident avait obligé les véritables princes de 
Lusignan à sortir de leur réserve. Un procès se plaida 
à ce sujet devant les tribunaux de Paris, qui rétablit 
la vérité. D'autre part, un concours de circonstances 
fortuites, jointes à l'installation de Victor Hugo dans un 
hôtel appartenant à la famille, ont mis complètement 
en lumière les princes de Lusignan. Le prestige per- 
sonnel, les talents et les vertus de la princesse Marie 
ont contribué puissamment à rehausser l'éclat de 
cette grande famille, restée si longtemps dans l'oubli. 

Les meilleures causes ici-bas sont toujours sou- 
mises à la contradiction, mais la vérité finit par 
triompher! Les préjugés amassés par l'ignorance 



(1) Une Conférence sur l'Histoire d'Arménie, par ÉJouard Dulauricr, membre de 
l'IosUtut, p. 81. 



ou la jalousie autour des Lusîgnans disparaissent de 
jour en jour, et l'auguste descendant des rois de Jéru- 
salem, de Chypre et d'Arménie reçoit de toutes parts, 
avec les honneurs dus à son rang, le respect et la 
reconnaissance que ses mérites lui ont acquis. Retracer 
Thistoire de cette antique et royale Maison que le 
spirituel et savant Pierre Brantôme, diplomate et 
courtisan de Charles IX, n'hésitait pas à déclarer la 
plus illustre et la plus noble de l'Europe, et qui vient 
de reprendre son éclat dans notre France, où elle a 
puisé son origine, tel est le but que je me propose 
dans ce modeste écrit. Puisse la vérité, qui m a tou- 
jours servi de guide, tipparaître complètement aux 
yeux de mes lecteurs. 



HISTOIRE 



DE LA 



MAISON ROYALE DE LUSIGNAN 



CHAPITRE PREMIER 



Origine des Lusignans. — Ordre de 8ainte-Catlicrine-du-Mont-Sinaï. 
— Guy de Lusignan, roi do Jérusalem. — Ordre de Mélusinc. — 
Prise de Jérusalem par les Turcs. — Guy de Lusignan, roi de 
Chypre. — Ordre de TÉpée. 



Raymondin de Forez, originaire du Poitou, est le pre- 
mier chef de la Maison de Lusignan; sa femme, Mélusine^ a 
inspiré les poètes de la France et de TAllemagne. 

Au X* siècle, Hugues I", dit le Veneur, contemporain de 
Louis d'Outre-Mer, est à la tôte de la noble famille; c'est 
sous son fils, Hugues II, dit le Bien-Aimé, que le château 
de Lusignan fut construit. Ses descendants avaient pris le 
titre de sires de Lusignan; leurs exploits glorieux sont 
relatés dans le poème de Jean d'Arras et dans les récits de 
Froissart. 

Le fameux manoir des Lusignans, dont les remparts ont, 
pendant des siècles, tenu en échec Tautorité des rois de 



Origine des Lusignans ; 
le cliÂtcau de Lusi- 
gnan ; légende do la 
fée Mélusioe. 



France, fut enfin pris par le duc de Montpensicr en idjS 
et détruit; il n'en reste aujourd'hui que des ruines. 

Voici cependant quelques détails rétrospectifs sur cette 
demeure : 

Située près de la ville de Lusignan qu'elle dominait, elle 
était entourée d'une triple enceinte de murailles hautes de 
dix pieds. Un large et profond fossé d'eau séparait la première 
enceinte de la seconde, et un espace vide d'au moins deux cents 
pas, la seconde de la troisième. Ces trois murailles, et en 
particulier la première, étaient flanquées de tours surmontées 
d'un parapet crénelé et de nombreuses échaugueiics. Les 
tours fortes et élancées, en forme de cônes tronqués, 
servaient de magasins, de casernes contenant les munitions 
ou dépôts d'armes, et protégaient les poternes percées à leur 
pied. En avant du château, et faisant face à la ville, était 
un bastion dit Porte-Geoffroy, dont le fronton était décoré 
d'une grossière sculpture représentant Geoffroy à la Grande- 
Dent, ce qui fit, à tort, attribuer la fondation du château à ce 
seigneur. Les armes des premiers Lusignans, burellées 
d'argent et d'azur, surmontaient ce buste imparfait. 

En franchissant les deux enceintes, on arrivait à la tour 
Poitevine, communiquant avec la basse-cour où se trouvaient 
les écuries, plusieurs puits, une mare profonde et les loge- 
ments des valets. 

Au milieu, vers Touest, se dressait sur une motte artifi- 
cielle, mais élevée, le donjon. Une muraille l'entourait encore, 
et son front élevé, surmonté d'un casque étincelant, symbole 
d'hospitalité, dominait non seulement le castel, mais encore 
le pays à une grande distance. 

Le donjon était une tour carrée, avec des tourelles aux 
quatre angles ; ces tourelles contenaient les escaliers, et l'une 
d'elles, un puits appelé Puits du Desespoir, parce qu'on n'en 




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I 



— 5 — 

connaissait pas le fond. Le beffroi, qui couronnait Id centre 
et la plate-forme, renfermait la cloche, qu'on agitait en cas 
d'alarme, 

A Lusîgnan, les croisées étaient larges, hautes, et, afin 
d'y conserver la lumière, le mur avait été taillé en biseau à la 
partie supérieure de l'ouverture. Mais au rez-de-chaussée 
était la salle des Aïeux, longue galerie, aux tentures sombres, 
sur lesquelles se détachaient les statues grossières et raides 
de la lignée des Lusignans. Le jour venait, à travers les petits 
vitraux plombés, surchargés de peintures, éclairer comme à 
regret, de lueurs inégales, ce séjour monotone. Tout y était 
sombre : les boiseries de chêne noirci, les armes de fer, les 
armures toutes montées, accrochées derrière chaque statue, 
pouvaient faire supposer que le guerrier allait agir et marcher. 

Jamais le soleil n'avait pénétré dans cette salle où l'on 
aspirait, en entrant, l'air humide et pénétrant des caves. 

La chapelle, unie au donjon par une partie du promenoir, 
élevait dans les airs son clocher dont la délicatesse faisait un 
contraste agréable avec le reste*du château. 

La cour d'honneur s'étendait devant le donjon, tandis que 
de l'autre côté se montrait la tour de Mélusine, haute de deux 
cent seize pieds, et surmontée des fameux créneaux sur les- 
quels la fée traînait ses voiles blancs et se lamentait lors d'une 
catastrophe prochaine. On voyait, à quelque distance, une 
fontaine naturelle joliment ombragée de saules au feuillage 
éploré, et maintes fois Mélusine s'y était, dit-on, baignée; 
aussi ne tarissait-on pas dans le pays sur les propriétés 
merveilleuses de la source et sur les faits étranges dont elle 
avait été le témoin. 

Un événement récent avait surtout impressionné les 
esprits : la Kône è'étant trouvée à sec pendant les grandes 
chaleurs, les femmes de Lusignan sollicitèrent de la comtesse 



— 6 — 

la permission de laver leur linge dans la fontaine; mais le 
linge qu'elles en retirèrent était devenu sorcier, et il s^'envola 




de leurs mains avant leur retour au logis ; de plus, les varlets 
et guetteurs assurèrent avoir failli mourir de peur, la nuit 
suivante, en voyant des lavandières ailées raser les eaux de la 
fontaine et battre follement un linge de Tautre monde. Depuis 



ce jour, chacun évitait la source merveilleuse, bien qu'à la 
prière de la comtesse le chapelain Peut exorcisée. 




On prétendait encore que la tour de Mélusine donnait 
accès dans un souterrain conduisant jusqu'à Poitiers, mais 
nul n'y avait jamais pénétré, et d'aucuns disaient même tout 
bas, que la fée, n'ayant jamais pu mourir, y restait captive, le 



— 8 — 

jour, et le quittait, la nuit, pour aller s'e'battre sur les 
créneaux. 

La fée était sensible à la musique. On racontait qu'une 
fois, à la tombée du jour, le comte était venu avec les pages 
autour de la fontaine, il se mit à chanter une ballade, et, 
pendant qu'il chantait, on vit l'eau s'agiter, et il s'en échappa 
comme une vapeur blanche qui, prenant forme, devint la fée 
elle-même; elle se balança sur Peau avec la grâce d'une fleur 
agitée par le vent; puis, quand le comte eut fini, elle disparut. 

Voici du reste, d'après Jean d'Arras, la curieuse légende 
de Mélusine : 

(( Mélusine, aînée des trois filles du roi Thiaus et de la 
fée Pressine, douée d'une merveilleuse beauté, rencontre un 
jour dans une forêt, près d'une fontaine, le beau Raymondin, 
fils du roi des Bretons, jeune et hardi garçon qui vient de 
tuer par mégarde son oncle, le comte de Poitiers. Mélusine 
lui propose de faire de lui le plus grand gentilhomme du 
royaume s'il veut Tépouser, à une condition : c'est qu'il ne 
cherchera jamais à la voir le samedi de chaque semaine. 

» Le pacte est conclu, les épousailles ont lieu, puis les 
noces, à la grande surprise des autres gentilshommes qui ne 
connaissaient pas Mélusine. 

» La fée, à l'aide du procédé employé autrefois pour 
fonder Carthage, fait donner à son mari, sur un roc stérile, 
autant de terre qu'en pourrait enclore une peau de cerf, et, 
faisant découper cette peau en lanières, s'empare ainsi d'un 
petit territoire sur lequel est bâti le château de Lusignan. 

» De ce mariage naquirent trois fils : Urian, Guion et 
Geoffroy qui, en Orient, eurent, d'après Jean d'Arras, des 
aventures aussi romanesques que fantastiques. 

» Cependant Raymondin tient toujours son serment de 



Oricat. 



— 9 — 

ne pas regarder sa femme le samedi, et jusqu'alors la fortune 
n'a fait que lui sourire, sa prospérité n'a fait que s'accroître. 
Un beau jour, sur les sollicitations de son frère Hugues qui 
accuse Mélusine d'être infidèle à son époux, il a la curiosité 
de plonger les yeux, par un trou pratiqué dans le mur, dans 
la chambre où sa femme est retirée ; il l'aperçoit au bain ; 
Mélusine, tous les samedis, était à moitié femme et à moitié 
serpent ! 

» Rien ne saurait dépeindre la douleur de Raymondin 
dès qu'il eut surpris ce secret. 

» Mélusine. trahie s'envole de son château, à la vue de 
tout le monde, sous la forme d'un serpent, jetant des cris qui 
fendaient l'âme de tous les assistants (i). » 

Les seigneurs de Lusignan prirent part au grand mouve- ^^ Lusignans ea 
ment religieux de l'Occident contre l'Orient, à l'époque des 
croisades. C'est là que la Providence les attendait pour faire 
de leur famille une des plus illustres dynasties de l'Europe. 
Aussi les croisades et les chroniques des temps héroïques 
sont pleines des faits d'armes et des actions vertueuses des 
Lusignans. 

Les Maisons de Lezay, de La Marche, du Marais, d'Ehi, 
de Valence, d'Angouleme, de Saint- Valérien, de Parthenay, 
de La Rochefoucauld ont la même souche que les Lusignans; 
tous ces grands noms reviennent souvent et avec le plus vif 
éclat dans l'histoire de France. 

En Angleterre, la Maison de Pembroke provient aussi de 

(1) Le prince TroubcUkuî, do Tambassadc de Russie à Paria, a composé sur celle 
légende son grand opéra Méluaine, qui devait £tre brillamment exécuté par notre Académie 
nationale de musique en 18M. 

Le Théâtre Marie, de Saint-Pétersbourg, étant en construction, Mélusine, en k actes et 
5 tableaux, sera représentée cet hiver au Théâtre impérial do Moscou, qui s*cst 
déjà réservé le droit de jouer cette partition dans sa traduction en langue russe, 
faile par M"* Abramova. 



— 10 — 

la même origine ; Pltalie et TAutriche ont vu des membres 
de leurs Maisons souveraines s'allier aux Lusignans. 

Le premier acte éclatant par lequel les Lusignans vont 
s'illustrer, sera la création d'une institution religieuse et 
humanitaire à la fois. Voici dans quelles circonstances : 

Les dangers innombrables qu'on courait dans le pèleri- 
nage de Jérusalem, tombée au pouvoir des musulmans, 
n'empochaient pas les occidentaux les plus éloignés de 
l'entreprendre. De temps en temps, des pèlerins ayant à leur 
tête un seigneur important allaient en Terre sainte, où les 
chrétiens opprimés demandaient du secours. Parmi les preux 
qui avaient déjà visité la Palestine en 1062, se trouvait un 
gentilhomme français, nommé Robert, sire de Lusignan. De 
concert avec ses frères, il avait quitté son manoir du Poitou 
pour venir venger le tombeau du Christ, 
instiiuiion de Tordre Attiré au mout Sinaï par le bruit des miracles qui s'opé- 

raient au tombeau de sainte Catherine, vierge d'Alexandrie, 
il fut frappé de Tétat d'abandon dans lequel se trouvaient les 
nombreux pèlerins qui venaient vénérer les reliques de la 
sainte. Aidé dans sa pieuse entreprise par ses nobles et fidèles 
compagnons, il fonde, au lieu du célèbre pèlerinage, un 
hospice sur le modèle de celui du Saint-Sépulcre; il y établit 
des religieux qui se consacrent au soin des malades et qui 
s'engagent à défendre les pèlerins et à garder le tombeau de 
l'illustre martyre. Ces chevaliers embrassent aussitôt la règle 
de saint Basile, l'an io63. Ce fut l'origine de l'Ordre huma- 
nitaire et hospitalier de Sainte-Caiherine-du-Mont-Sinaï, 

Les chevaliers, rapporte Elie Ahsmole, dans son ouvrage 
sur l'Ordre de la Jarretière, publié à Londres en 1672, pré- . 
talent serment dans la main du grand-maître et dans celle 
de l'abbé du monastère ; ils faisaient vœu de chasteté et 
juraient de garder le tombeau de la sainte pendant deux ans. 



de Saiatc-Cathcrine- 
du-Mont-Staaï. 






Robert, dont la renommée s'était répandue en Palestine, 
accourut, quoique vieux, auprès du duc de Lorraine, Godefroy 
de Bouillon, pour lui prêter son appui contre les infidèles, et, 
lorsque le duc fut élu par les croisés roi de Jérusalem, en 1 099, 
Robert fut créé comte de Joppé et d'Ascalon. C'est ainsi que 
les Lusignans s'établirent en Palestine. Dans la suite, Guy, 
sire de Lusignan, que les écrivains du temps nous dépeignent 



Les Lusignans s'éta- 
blissent en Pales- 
tine. 




Croix de Sainte-Catherine-du-Mont-Sinai. 



comme le plus beau et le plus courageux des chevaliers chré- 
tiens, épousa Sibylle, sœur de Baudouin IV, roi de Jérusalem. 
Ce monarque, désolé des progrès toujours croissants des 
Turcs, avait, sur le conseil de Guy, son beau-frère, envoyé en 
Europe le patriarche et les grands-maîtres des Templiers et 
des Hospitaliers auprès du pape Lucius et de Tempereur 



— 12 — 



Les Maronites. 



Guy de Lusignan 
devient roi de Jéru- 
salem ; son couron- 
nement. Institution 
do l'Ordre de Mélu- 
sine. 



Frédéric, afin d'obtenir de nouveaux secours en argent et en 
troupes. Etant devenu aveugle par suite de la lèpre, Baudouin 
nomma Guy régent du royaume. Mais celui-ci, ne pouvant 
contenter les seigneurs qui enviaient son sort, fut contraint 
de céder la place au comte de Tripoli qui avait déjà gouverné 
pendant la minorité du prince. Il se retira à Ascalon, 
attendant les événements que la Providence lui préparait 
et le moment favorable pour exercer une autorité dont sa 
bravoure et ses vertus l'avaient rendu digne. 

A cette époque, les Maronites, guidés par les enseigne- 
ments et Texemple de leur patriarche Amauri, rentrèrent 
dans le sein de PÉglise catholique. Guy de Lusignan ne fut 
point étranger à cette heureuse conversion, car nous verrons 
plus tard cette noble et généreuse nation, toujours reconnais- 
sante, accourir auprès de lui quand il prendra possession de 
Tîle de Chypre. 

Sur ces entrefaites, Baudouin IV meurt, le i6 mars 1 185, 
et son fils Baudouin V, qui lui succède à l'âge de sept ans, est 
aussi emporté par la lèpre l'année suivante. Le sceptre passe 
alors dans les mains de Guy, son beau-père. La reine Sibylle 
est aussitôt assiégée d'une foule de courtisans jaloux et ambi- 
tieux qui ne peuvent voir à leur tête un chef qui n'est pas, 
disent-ils, de sang royal. La reine annonce son intention de 
se séparer de son époux et de choisir celui qu'elle croit le 
plus digne et le plus capable de défendre le royaume. On se 
range à son avis, et Ton s'engage à ratifier le choix qu'elle 
aura fait au pied des autels. Guy, résigné, se soumet à la 
volonté de la reine et se confie en la divine Providence, qui 
manifestera bientôt d'une manière éclatante et inattendue sa 
volonté toute-puissante. 

Au jour désigné. Sibylle se rend à l'église du Saint- 
Sépulcre, entourée des officiers et du peuple. Le patriarche 



- i3 — 

Héraclius, revêtu des ornements pontificaux, prononce la 
sentence et remet à la reine la couronne de Jérusalem, en 
rinvitant à ne la confier qu'au plus digne. L'émotion est vive 
dans cette auguste assemblée ; le cœur de plusieurs palpita 
d'espérance au moment solennel. Mais Dieu veillait sur les 
siens. La reine prend la couronne des mains du patriarche et 
la dépose sur la tête de Guy, son époux, à genoux devant 
elle. C'est ainsi que Lusignan devint roi de Jérusalem, 
l'an 1186; il reçut aussitôt l'onction sainte et le serment de 
fidélité de ses sujets. 






mm 




Croix de l'Ordre de Mélusine. 



Afin de perpétuer le souvenir de cet événement, et pour 
témoigner au nouveau roi son attachement inviolable. Sibylle 
institua l'Ordre de Mélusine, en mémoire de la fée Mélusine, 
mère légendaire et génie tutélaire de la Maison de Lusignan. 

Ce fut un ordre essentiellement humanitaire et religieux, 
car les chevaliers, d'après les statuts, étaient tenus de prati- 



— 14 — 



Saladin atlaquc 
chrétiens. 



les 



fialaîile de Tibériade ; 
captivité du roi do 
Jérusalem. 



quer les vertus chrétiennes et de se faire les propagateurs de 
la religion et de la charité. 

Les infidèles redoublaient leurs attaques contre les 
chrétiens, et le moment approchait où, malgré la bravoure 
du roi et de ses fidèles chevaliers, le royaume de Jérusalem 
devait disparaître. Le comte de Tripoli, Raimond III, et le 
prince de Carac, Renaud de Châtillon, hâtèrent, par leur 
conduite indigne, ce triste dénouement. Le premier trahit la 
cause commune en traitant avec Saladin ; le second enleva, 
contre la foi des traités, une caravane qui passait tranquille- 
ment d'Egypte en Arabie. Saladin envoya redemander les 
prisonniers ; Renaud, bien loin de faire justice, vomit mille 
injures contre Saladin et contre Mahomet. Saladin en fut 
tellement indigné qu'il jura d'exterminer tous les chrétiens et 
de tuer de sa main Renaud de Châtillon. 

L'année suivante, il entre sur les terres des chrétiens 
avec une armée de cinquante mille hommes. Le poids de sa 
vengeance tomba d'abord sur les grands-maîtres du Temple 
et de l'Hôpital, Gérard de Bideford et Roger des Moulins, 
qu'il surprit et battit, le i'*" mai 1 187. De là, il marcha contre 
Tibériade, appartenant au comte de Tripoli, qui, à l'approche 
du danger, avait rompu avec les infidèles et avait feint de se 
reconcilier avec Guy de Lusignan. On dit même que Saladin. 
lui avait offert la couronne de Jérusalem s'il embrassait le 
mahoméiismc; mais Raimond III, heureusement, n'apostasia 
point. Le sultan prit la ville de Tibériade, mais il fut arrêté 
par la résistance de la citadelle. Le roi de Jérusalem et tous 
les princes, réunis par la grandeur du péril, volèrent au 
secours de la place. 

Les deux armées se trouvèrent en présence près de 
Tibériade, un vendredi, 2 juillet 1187. ^^ combat s'engagea 
avec une égale bravoure de part et d'autre et dura trois jours. 



— i5 — 

Enfin les croisés, accablés par le nombre, épuisés par la 
fatigue, la chaleur et la soif, furent entièrement défaits. Le 
roi Guy, Renaud de Chàtillon, les maîtres du Temple et de 
THôpital furent faits prisonniers ; trente mille chrétiens 
périrent dans la bataille et la vraie croix, Tétendard sacré de 
Tarmée de Lusignan, tomba aux mains des infidèles. Le 
comte de Tripoli, après avoir fait des prodiges de valeur qui 
ne purent toutefois rétablir sa réputation, se fit jour à travers 
les ennemis Tépée à la main et se retira à Tyr, emportant le 
mépris des infidèles et Texécration des chrétiens. 

Aussitôt après la bataille, on amena les principaux pri- 
sonniers dans la tente du sultan. Celui-ci, ayant commencé 
par remercier Dieu du succès de ses armes, fit asseoir à ses 
côtés le roi de Jérusalem et Renaud de Chàtillon qui étaient 
dévorés par la soif. Le sultan présente du sorbet au roi, qui 
se désaltère. Ce prince, après avoir bu, passe la coupe à 
Renaud de Chàtillon, mais Saladin s^ oppose, car il ne veut 
point lui faire grâce. Après le repas, qui est servi aux chré- 
tiens dans un endroit séparé, le sultan se fait ramener 
Renaud. Entrant aussitôt dans une colère terrible, il lui 
reproche le mépris de la foi jurée et ses invectives contre 
Mahomet : « Je suis obligé, ajoute-t-il, de venger notre pro- 
phète et sa loi. A une seule condition je puis te faire grâce, 
c'est que tu embrasses la religion que tu as blasphémée : les 
bienfaits et les faveurs les plus signalés prendront alors la 
place des châtiments qui te sont dus. » La foi de Chàtillon 
se ranime alors; il témoigne du mépris tant pour les pro- 
messes que pour les menaces du musulman, et il répond qu'il 
veut mourir chrétien. Saladin, se levant irrité, lui déchargea 
un coup de cimeterre sur la tête, et les gens de sa suite 
l'achevèrent. C'est ainsi que les écrivains mahométans rap- 
portent le martyre de Renaud de Chàtillon. 



— ib — 

Prise de Jérusalem. Le sultan attaqua la ville sainte le 19 septembre de la 

même année. Elle était d'une force à pouvoir se défendre 
longtemps, mais la défaite de Tibériade y avait répandu la 
plus fatale consternation. Ce qui acheva d'exaspérer les 
assiégés, c'est qu'ils découvrirent une conjuration formée par 
les chrétiens du rite grec qui étaient en grand nombre dans 
la ville. On fit au sultan des propositions quil rejeta d'abord 
avec hauteur, comptant sur les conjurés qui devaient lui 
livrer une porte de la ville. Mais la reine lui ayant fait savoir 
que, s'il n'accordait pas une capitulation honorable, il pou- 
vait s'attendre à la plus opiniâtre défense, il craignit de les 
réduire au désespoir et capitula aux conditions suivantes : 
qu'ils rendraient la ville en l'état où elle était, sans rien 
démolir; que la noblesse et les gens de guerre sortiraient en 
armes et sans escorte, pour aller à Tyr ou en tel autre lieu 
qu'ils voudraient ; que les citoyens emporteraient leurs 
meubles et seraient de même conduits en sûreté, mais après 
avoir payé par tête une taxe fixée. 

Le 2 octobre, Jérusalem fut rendue à ces conditions et 
Saladin les fit observer. Le patriarche Héraclius enleva toutes 
les richesses et les ornements des églises. Le sultan traita la 
reine Sibylle, ainsi que les princesses ses filles, avec beaucoup 
de respect et lui fit espérer la liberté du roi son époux, moyen- 
nant une rançon dont la ville d'Ascalon tint lieu. Les femmes 
de Jérusalem suivaient la reine en troupe, tenant les enfants 
par la main, se lamentant d'une manière attendrissante. Le 
vainqueur leur demanda ce qu'il pouvait faire pour tempérer 
leur douleur : « Seigneur, lui répondirent-elles, nous avons 
tout perdu; mais vous pouvez, sans nuire à votre puissance, 
convertir en joie notre infortune : rendez-nous nos maris, 
nous vous abandonnons tout le reste ;. ils ôteront à nos larmes 
toute leur amertume en y mêlant les leurs, et celui qui nourrit 



— 1/ — 



les oiseaux du ciel, nous nourrira avec nos enfants. » Saladin 
commanda sur le champ queleurs maris leur fussent rendus. 

Amant ce prince infidèle montra de Thumanité, autant le 
comte de Tripoli se signala par son indignité. Il les dépouilla, 
quand elles furent réfugiées chez lui, de toutes les ressources 
que le sultan leur avait fait distribuer. Celui-ci, apprenant 
cette lâcheté, vint mettre une garnison dans Tripoli. Le 
comte en perdit la tête et mourut dans un accès de folie. 

Dès que les Francs eurent quitté Jérusalem, les Turcs en 
abattirent les croix et convertirent les églises en mosquées, 
excepté celle du Saint-Sépulcre à cause des pèlerinages qui 
faisaient la richesse de la ville. Les chrétiens syriens, armé- 
niens et grecs y demeurèrent. Il ne resta aux Latins en Orient 
que trois places importantes : Antioche, Tyr et Tripoli. 

Guy de Lusignan, délivré de captivité, continua la guerre 
contre les infidèles et vint assiéger la ville d'Acre avec les 
chrétiens fugitifs de Jérusalem et quelques secours arrivés 
d'Italie. Une nouvelle croisade ayant été prêchée en France, 
en Angleterre et en Allemagne, de nombreux guerriers se 
groupèrent sous lesordres de Philippe- Auguste, roi de France, 
et de Richard Cœur-de-Lion, roi d'Angleterre. Ces monarques 
s'étaient embarqués séparément, Philippe à Gènes et Richard 
a Marseille; ils se rejoignirent à Messine où ils passèrent 
rhiver. Philippe-Auguste partit le premier de Sicile et arriva 
devant la ville d'Acre où, depuis deux ans, se trouvait Guy 
avec ses chevaliers. Il fut convenu qu'on attendrait l'arrivée 
de Richard avant de livrer Tassant. Ce dernier venait d'être 
jeté par la tempête sur les côtes de Chypre. Mal accueilli par 
l'usurpateur Isaac Comnène qui s'était rendu maître de Tîle, 
il le chasse à son tour, se fait prêter serment de fidélité par 
les naturels du pays et met des garnisons européennes dans 
les places fortes. Il arrive enfin au siège d'Acre, où il était 



Le roi de Jérasalcm, 
remis en libcrlé, 
combat de nouveau 
IcH infidèles avec les 
rois de France cl 
d'Angleterre. 



— i8 — 

impatiemment attendu, et la ville tombe aux mains des croisés. 
L'Ordre Touioniquc. C*est pendant ce siège que plusieurs chevaliers allemands 

établirent, pour les malades de leur pays, un hôpital d'où 
l'Ordre Teutonique a pris naissance. Ce fut le troisième 
ordre religieux et militaire qui se forma en Palestine sur le 
modèle de celui du Saint-Sépulcre : Lusignan ayant été imité 
en 1099 par Gérard Tenque, Hugues de Paganis et Geoffroy 
de Saint-Aumier ayant suivi en 1 1 19 le grand provençal. 

Quand Philippe-Auguste eut quitté la Palestine, le roi 
d^Angleterre, d'un caractère altier, mécontenta tout le monde. 
Le marquis de Montferrat s'étant retiré avec ses troupes, et 
les Allemands s'étant rembarques avec Léopold d'Autriche, 
l'armée chrétienne se trouva considérablement affaiblie. Si, 
avec près de cent mille hommes qui restaient encore, Richard 
eût marché sans délai sur Jérusalem comme Guy le lui con- 
seillait, il y a toute apparence qu'il se fût rendu maître de la 
ville; mais en s'amusant à réparer les fortifications d'Acre, il 
donna aux ennemis le temps de rassembler une armée innom- 
brable. Les adversaires en vinrent aux mains près deCésaréc. 
Richard et Guy furent victorieux. De nouveau le roi d'Angle- 
terre qui aurait pu marcher immédiatement sur Jérusalem, 
perdit son temps en d'inutiles travaux. Les soldats français 
indignés accusèrent alors Richard de trahir la religion et 
voulurent retourner en Europe; mais le roi d'Angleterre 
conclut avec Saladin une trêve de trois ans, trois semaines et 
trois jours. Il fut réglé que toute la côte depuis Jaffa jusqu'à 
Tyr demeurerait au pouvoir des chrétiens avec Acre (ou Ptolé- 
maîde) et Ascalon. Cela fait, Richard disposa de deux 
royaumes : il donna celui de Chypre à Guy de Lusignan, qui 
lui céda ses droits sur Jérusalem ; il transmit ce dernier au 
comte de Champagne, son neveu, le jeune prince Henri, qui 
venait d'épouser la princesse Isabelle, sœur de Sibylle. 



— 19 — 
En quittant la Palestine, l'an iigS, pour prendre pos- Guy de Lusignan do- 

, ^i_ ,, . . , ^ Tlcnl roi de Chypre. 

session de Chypre, sa nouvelle principauté, Guy emmena LOrdrc de lÉpéc. 
trois cents barons qui lui étaient demeurés fidèles et qui 




Plaque de l'Ordre de l'Épée. 



voulurent s'établir auprès de lui. Atîn de leur témoigner sa 
reconnaissance, Lusignan institua l'Ordre de TÉpée ou di^ 
Silence, dont il les rendit titulaires. Les chevaliers prêtaient 
serment de défendre la religion, le souverain et de garder le 



— 20 — 

silence sur les affaires de TÉtat. Les Iciires S R « Secui'itas 
Regni » formaient la devise de TOrdre. Ces deux lettres acco- 
lées sont le principal ornement symbolique du collier que 
portaient les grands dignitaires. Au milieu de la plaque 
figure une épée qui passe par les boucles de la lettre S. On 
lit autour l'exergue des Lusignans : « Pour loyauté main- 
tenir. » C'est le troisième ordre de cette Maison royale, car 
elle avait conservé avec le plus religieux respect la maîtrise 
des Ordres de Sainte-Catherine et de Mélusine. 
Les Maronites La môme année, Guy accueillit avec empressement les 

Mori (iu**roi. Marouitcs qui, attristés de son départ de Terre sainte, harcelés 

par les Turcs et désireux de vivre en paix sous un roi qu'ils 
aimaient, vinrent en Chypre au nombre de soixante mille. 

Guy leur donna des terres où ils s'établirent ; ils formèrent 
ainsi soixante-deux villages qui devinrent florissants. Le roi 
mourut l'année suivante (1194), emportant les regrets des 
chrétiens et l'estime des musulmans. Tel fut le premier chef 
de cette dynastie que Dieu destinait à la garde des croisés, et 
qui, d'après les desseins de la Providence, devait continuer, 
dans l'ombre et le silence, la grande lutte de la civilisation 
chrétienne contre le fanatisme musulman. 




Guy de Lusignan. 



CHAPITRE II 



Jean de Bricnnc et l'empereur Frédéric. — Les descendants de 
Lusignan. — Les Lusignans, rois d'Arménie. — La république de 
Venise. — Les Turcs s'emparent de Chypre. — Etienne de Lusignan. 



Guy de Lusignan avait eu quatre fils de la reine Sibylle; 
ils étaient morts au siège de Saint-Jean d'Acre en combattant 
les infidèles, Tan 1 189, peu de temps avant leur mère. Ce fut 
son frère Amaury qui lui succéda dans le royaume de Chypre. 
Celui-ci, en souvenir de son illustre frère et à cause de sa 
bravoure personnelle, fut élu par les croisés roi de Jérusalem 
à la place du comte de Champagne. Mais il mourut à Saint- 
Jean-d'Acre le i" avril i2o5, et eut pour successeur Jean de 
Brienne, son proche parent. Ce dernier garda le royaume de 
Jérusalem et remit en 1 210 la couronne de Chypre à son 
jeune fils Hugues P^ 

Jean de Brienne étant venu en Europe pour demander 
des secours contre les infidèles, donna sa fille en mariage à 
Frédéric, empereur d'Allemagne. Celui-ci songe aussitôt à 
recouvrer la Terre sainte qu'il regarde comme son domaine; 
il dépouille même son beau-père du titre de roi de Jérusalem. 
Jean de Brienne indigné se réfugie à Rome, où il devient 
gouverneur de FEtat Ecclésiastique. 

Frédéric, quoique excommunié, s'occupe néanmoins de 
la guerre sainte et vient aborder avec son armée au port d'Acre, 



Amaury succède à 
Guv. 



Jean de Brienne 
cl l'cmpcrcnr Frédéric. 



— 22 — 

le 7 septembre 1226. Le patriarche de Jérusalem et les 
chevaliers des trois ordres de la ville refusent de lui obéir. 
Heureusement pour l'empereur, Conradin, le plus dangereux 
ennemi des chrétiens, venait de mourir et Mélédin, qui le rem- 
plaça, n'aimait pas la guerre. Frédéric lui envoie des ambas- 
sadeurs avec des présents et lui offre la paix s'il veut lui 
rendre le royaume de Jérusalem. Mélédin consent à lui 
remettre cette ville mais dans de telles conditions que les chré- 
tiens n'acceptent point. Cependant Frédéric fait son entrée 
dans la ville et vient en habits royaux à Téglise du Saint- 
Sépulcre, accompagné du peuple et de la noblesse; mais il 
ne trouve pas un éveque pour lui donner la couronne, qu'il 
est obligé de prendre lui-même sur Tautel. Le lendemain, il 
retournait à Saint-Jean-d'Acre. Il fut le dernier prince 
d'Europe qui parut dans la ville sainte comme souverain. 
Pendant ce temps, Jean de Brienne combattait victorieuse- 
ment dans le royaume de Naples, pour la cause du pape contre 
Tempereur excommunié, dont les lieutenants avaient fait venir 
de Sicile une bande de sarrasins qui exerçaient des cruautés 
inouies. Frédéric, ayant connaissance de ces faits, s'empressa 
de conclure avec Mélédin une trêve de dix ans et retourna en 
Europe. En arrivant il reconnut ses torts, fit sa soumission 
au pape Grégoire IX et reçut l'absolution de ses censures. 
Jean de Brienne qui était passé en France, fut appelé bientôt 
après à l'empire de Constantinople. Sa fille fut fiancée au jeune 
Baudouin, frère de l'empereur Robert de Courtenai, rnort en 
1228, et lui-même fut couronné empereur. Il mourut neuf 
ans après, le 23 mars 1237. Son histoire fut publiée à Paris 
en 1727. 
Lc« dMccndanu de Lcs descendants de Lusignan se maintinrent dans la 

Lttsignao. possession souveraine de l'île de Chypre avec le titre de rois 

de Jérusalem. Ils étaient couronnés à Famagosta, dans Téglise 



— 23 — 



de Saint-Nicolas, par Tévéque arménien de Chypre (i). 

Ils eurent constamment à lutter contre les Turcs, sur 
lesquels ils reconquirent Jérusalem., mais ce fut d'une manière 
éphémère. Les infidèles finirent par leur enlever la ville sainte 
en i324, après avoir essuyé de sanglantes représailles de la 
part de Henri II et de Pierre I*"" de Lusignan. Le premier 
était petit-fils de Hugues I*'. Son père Henri I^'de Lusignan 
avait été fait prisonnier avec saint Louis et délivré à la mort 
de ce prince. Après Henri II qui se distingua vaillamment, 
quatre monarques se succèdent à Chypre, avant d'arriver à 
Pierre P^ : ce sont Hugues III qui fut un littérateur (2), 
Jean I®' son fils, Henri III et Hugues IV. 

Le premier, Hugues III, surnommé le Grand, fils de 
Henri II, prince d*Antioche, et d'Isabelle, seconde fille du roi 
Hugues 1% se fit couronner à Tyr, le 24 décembre 1269, 
comme roi de Jérusalem, malgré les prétentions de Marie 
d'Aniioche, sa cousine. 

Cette princesse céda en 1277 à Charles I" d'Anjou, roi 
de Naples et de Sicile, ses prétendus droits sur Jérusalem; ce 
qui explique comment ce titre fut transmis à plusieurs 
Maisons souveraines d'Europe. 

Pierre 1% fils et successeur de Hugues IV, avait juré, 
comme ses prédécesseurs, une haine implacable aux musul- 
mans. A peine monté sur le trône, il se signale par de nom- 
breux exploits, la fortune raccompagne partout. Il s'empare 
de Smyrne, prend et brûle la ville d'Alexandrie, vient en 
triomphateur au mont Sinaî faire son pèlerinage à sainte 
Catherine, où il confirme les droits et privilèges de ses cheva- 
liers, ravage les côtes de Syrie, conclut une paix avantageuse 



Pierre I" cl TA rménio. 
La mort de Léon V, 
roi d'Arménie. 



(1} Le sacre des rob de Chypre se fil également à Nicosie, dans TégUse de Sainte- 
Sophie. 

(3) Saiot Thomas d'Aquin lui dédia son livre : De Regimine Principum. 



— 24 — 

avec le sultan d^Egyptc et reconstitue le royaume d'Arménie, 
auquel il impose comme souverain un membre de sa famille. 
Le dernier roi d'Arménie Léon V, ou selon les autres Léon VI 
de Lusignan (i), mort à Paris le 29 novembre iSqS, repose à 




Tombeau du roi d'Arménie, Léon V de Lusignan. 

Saint-Denis à côté des rois de France. Il habitait le palais des 
Tournelles, rue Saint-Antoine, vis-à-vis Thôtel de Saint-Paul, 
où les rois de France avaient leur résidence ordinaire. 

N'ayant point d'héritiers directs, ce monarque avait légué 
à ses parents, les Lusignans de Chypre, ses droits sur le 
royaume d'Arménie. Sa dernière pensée, son vœu suprême, 



(l) Sa mère élait une prmccsso arménienne, et sa femme, la reine Marie, élait 
cousine de Louis !•', roi de Hongrie, et nièce de Philippe de Tarenle, empereur titulaire 
de Constanliaople. 



— 25 — 



fut de voir ses héritiers se dévouer à la cause arménienne et 
protéger toujours cette intéressante nation. Ses descendants 
n'ont jamais failli à leur promesse. 

A Pierre P"", avaient succédé Pierre II, Jacques P'. Un 
mémorial ou note historique (i), qui fait partie d'un manuscrit 
arménien de cette époque, nous apprend qu'en 1394, dans 
Tannée qui suivit la mort de Léon V, et aussitôt que la nou- 
velle en fut parvenue au delà des mers, Jacques 1% roi de 
Chypre, se fit sacrer roi d'Arménie et fut reconnu en cette 
qualité par les populations de la Cilicie, 

Dès lors, Jacques ajouta à ses titres de roi de Jérusalem 
et de Chypre celui d'Arménie. Ses descendants s'attachèrent à 
conserver ce titre de rois de Jérusalem, de Chypre et d'Ar- 
ménie, et maintinrent à leur cour quelques-unes des grandes 
charges du royaume dont ils étaient les légitimes héritiers, 
pourvues de riches dotations (2). 

Ainsi, immédiatement après la mort du roi d'Arménie, sa 
couronne fut décernée d'une voix unanime à ses collatéraux, 
les Lusignans de Chypre, et, le 1 1 novembre 1 399, l'archevêque 
de Tarse, Mgr Mathieu, sacra roi d'Arménie son successeur, 
Jean II. Ainsi le drapeau des Lusignans : blanc, bleu, rouge, 
jaune, contenait aussi les couleurs d'Arménie : rouge, bleu et 
jaune. 

Sous Jean II et sous son successeur Jean III, la répu- 
blique de Gênes envoyait des troupes aux princes chrétiens 
qui combattaient les infidèles. 

Sous prétexte de prêter main-forte au roi de Chypre, elle 
avait fini par s'implanter dans son royaume et par s'emparer 



Jacques I*>> sacré roi 
d'Arménie. 



Jacques et ses succes- 
seurs prennent le 
titre do rois de Jéru- 
salem, de Chypre et 
d'Arménie. 



La république de 
Gônes. 



[ï] Mémorial (l'un Évangile arménien, mann^crU appartenant aujourd'hui au courent 
patriarcal de Sis, Fancienne capitale de la Cilicic. 

(2) Collection fies ffiittoriens fies Croisades^ documents arméniens, t. I, pp. 730-737. 

3 



26 



La république 

de Venise; 

Catherine Cornaro. 



même de la capitale. En 1458, la princesse Charlotte avait 
succédé comme reine de Chypre à son frère Jean III de Lusi- 
gnan. Un fils naturel de celui-ci, Jacques II de Lusignan, 
conquit Pile sur la reine Charlotte et reprit aux Génois la 
ville de Famagosta. 

Ce prince, plein de volonté, se préparait un règne glorieux, 
lorsque la république de Venise lui fit proposer en mariage 
la fille du sénateur Cornaro qui possédait de vastes domaines 
dans nie de Chypre. Jacques II prévoyant la pression qu'allait 
exercer sur lui la florissante république, éluda longtemps 
cette proposition. Enfin, trop faible pour lutter contre la cité 
des doges, il épousa Catherine Cornaro. Dès lors Venise le 
considéra comme vassal et lui dicta sa conduite. L'insurrec- 
tion qui suivit sa mort, survenue après un accident de chasse, 
fit tomber le pouvoir entre les mainsdes Vénitiens, Tan 1473. 
Son fils posthume, Jacques III, proclamé roi dès sa naissance, 
mourutdeux ans après, empoisonnéparordrede la république. 
Sa mère, Catherine Cornaro, voulut faire valoir ses droits sur 
le royaume; mais Venise triompha d'une femme isolée et 
sans défense; elle fut conduite et gardée à Venise, Tan 1485. 
La république lui donna à titre de dédommagement la prin- 
cipauté et le château d'Asolo, dans le Trévisan, avec un 
revenu de huit mille ducats. Cette nouvelle cour acquit 
quelque célébrité par les dialogues du cardinal Pierre Bembo, 
intitulés :' Gli Asolani. 

Cependant Jacques II avait ordonné par testament qu'en 
cas d'extinction de la branche directe, la couronne passât à 
ses collatéraux; mais Venise, se préoccupant peu de ce testa- 
ment, conserva cette couronne. La république vénitienne 
permit aux Lusignans de résider en Chypre, de garder leur 
titre de rois et tous leurs domaines, dont un inventaire qui se 
trouve dans la bibliothèque de Venise, fut dressé avec soin 




Catr: Corkaro 




* Reink. de Cypre 



de Chypre. 



— 29 -^ 

par les conquérants, à condition expresse quMls se tiendraient 
éloignés de toute politique. 

La domination vénitienne fut à Chypre de courte durée. Le» tupc* somparent 
En iSjo, les Turcs, commandés par Sélim II, s^emparèrent 
de Tile (i). Les Turcs ont gardé celte conquête jusqu'au 
4 juin 1878, époque où, par une convention spéciale, elle a 
passé à l'Angleterre : de sorte que ce royaume qui a été illustré 
par les Lusignans, conquis d'abord par un roi d'Angleterre, 
est retombé six cent quatre-vingt-six ans après au pouvoir 
des Anglais. 



LES PRINCES DE LUSIGNAN 



Que n'ai-Jc le talent du prince des poètes, 

Pour retracer ici les vertus, les hauts faits, 

De ces preux chevaliers, de ces vaillants athlètes, 

Dont dix siècles déjà rappellent les bienfaits? 

Lusignan ! ce nom seul qui dit honneur et gloire, 

A produit des héros, des sires et des rois ; 

Chypre, Jérusalem conservent la mémoire 

Des jours pleins de splendeur où florlssaient leurs lois« 

Rois de Jérusalem, do Chypre, d*Arménie, 

Et seigneurs tout-puissants de Lezai, de Marais, 

De Salnt-Valérien, do Valence, de Die, 

Comtes d'Eu, d'Angouléme et puis de Saint-Gelais, 

Aux côtés de Louis on les vit aux croisades 

Verser leur noble sang pour défendre la croix. 

Mêlant leurs chants de guerre aux joyeuses ballades 

Que, des bardes Gaulois, lançaient les mâles voix. 



(i] sélim III ayant chassé les Vénilicas, traita les fils des anciens rois arec une 
bienveillance marquée. 



— 3o — 

Il iaudrait un poème, il faudrait un volume, 

Afin d'énumérer tous les illustres noms 

De ces seigneurs d*épée, et de robe et de plume, 

Qui se sont prodigués et par vaux et par monts. 

Mais, pourquoi rappeler de nobles infortunes? 

Qu'ils reposent en paix au fond de leurs tombeaux, 

Ces guerriers dont, des cours, les haines trop communes, 

N'ont pu, des verts lauriers, dessécher les rameaux. 

Laissons-les donc dormir sous les dalles glacées. 
Ces héros vénérés, ces géants des combats, 
Drapés dans le linceul do leurs gloires passées, 
Et libres, désormais, des soucis d'ici-bas. 
Leurs noms, en lettres d'or, au grand livre des âges 
Sont inscrits, et depuis, leurs dignes descendants, 
Sur l'océan des temps, en suivant leurs sillages, 
Honorent ces grands morts! Nous, parlons des vivants. 

Victor Gbesset. 



Au moment de la conquête ottomane, le chef de la Maison 
des Lusignans était Pierre de Lusignan, prince de Galilée. Les 
héritiers de ce prince continuèrent à résider dans leurs 
domaines, sombres et presque oubliés, sous le joug défiant des 
conquérants. Le souvenir de la mort tragique de Jacques III 
les engageait à se résigner et à n'élever la voix pour aucune 
revendication. 

Chypre qui avait prospéré sous le sceptre glorieux des 
Lusignans, perdit de sa splendeur sous la domination des 
Vénitiens. Les Maronites établis sous Guy, le premier roi, et 
demeurés attachés à sa dynastie, furent injustement persé- 
cutés; aussi leur colonie, jadis florissante, ne formait plus, 
en iSjo, que trente-trois villages (i). 
ÉUenno de Lusignan; A Cette époque vivait Etienne de Lusignan, proche parent 

(1) En 1890, nie de Chypre, qui conlient 180)000 habilanU>, oc compte plus que 
1)900 Maronites répartis en cinq villages. 



— 3i — 

du prince Pierre. Etienne, qui avait eu pour maître le savant 
Julien, évoque des Arméniens de Chypre, suivit son attrait 
pour la carrière ecclésiastique et entra dans Tordre de saint 
Dominique. Il quittait sa patrie en iSji et venait en Italie, 
puis en France, où il séjourna quelque temps. De retour en 
Italie, Sixte V, appréciant ses hautes qualités, le nomma évcque 
de Limisso, où il mourut Tan i Sqo ou i SgS. Ce savant évoque, 
le seul prince remarquable depuis la conquête musulmane 
jusqu'au milieu du xviii° siècle, avait composé plusieurs 
ouvrages italiens dont voici la nomenclature : 

1. Description et Histoire abrégée de l'Ile de Çypre, 
depuis le temps de Noé jusqu'en 1572. 

2. Cinq discours intitulés Corone^ sur les devoirs des 
princes : dédiés au roi de France Henri III. 

3. Histoire générale du Royaume de Hiérusalem, de 
Cypre, Arménie et Lieux circonvoisins^depuis le déluge'uni- 
versel jusqu'en Tannée 1572. 

4. Généalogie de la royale Maison de Bourbon, 

5. Trois ouvrages pour prouver la nécessité et Texcellence 
de la vie monastique. 

6. Généalogie de soixante-sept Maisons très nobles^ 
partie de France, partie étrangères, issues de Méroné,Jils de 
Théodoric H, roi d'Austrasie (avec leurs armoiries). 

7. Ouvrage relatif aux prétentions des divers princes 
de TEurope sur le royaume de Jérusalem : dédié au sénat de 
Venise. 

8. Quelques opuscules sur Thistoire et la généalogie de 
plusieurs rois et de plusieurs familles, entre autres de celle 
de Lusignan. 

Ce prince, un des plus illustres de la famille, ne devait 
être dépassé que trois siècles plus tard par celui qui porte 



-^ 32 — 

aujourd'hui glorieusement, dans noire France, la triple 
auréole de sa royale dynastie, et qui a su remplacer admira- 
blement les trois couronnes de Jérusalem, de Chypre et 
d'Arménie, par celles maintenant plus appréciées, du talent, 
de la science et de la philanthropie. 
La ûiiaUon des L^ filiation dcs Lusignaus se poursuit dans le silence 

Lusùrnaos. 

pendant un siècle et demi jusqu'au prince Louis, né au milieu 

du XVIII® siècle, et qui portait le titre modeste de sire de Tiledc 

Chypre. A cette époque vivaient quatre seigneurs du nom de 

Lusignan ; ils étaient parents de ce prince et le reconnaissaient 

comme chef de leur Maison. 

Le premier, marquis de Lusignan, né en 1753, devenu 

colonel au moment de la Révolution française, vendit ses 

biens et se réfugia en Allemagne. Revenu en France vers 

l'an 1800, il mourut en 181 5, fort riche, mais dans la plus 

profonde obscurité. 
» 
Le deuxième, autre marquis de Lusignan, né dans 

le Béarn vers 1760, servit la France et passa en Autriche 
Tan 1790; il se distingua dans plusieurs batailles. Ayant 
épousé une riche héritière de ce pays, il s'y fixa définitive- 
ment. 

Le troisième, chevalier de Lusignan, était officier ven- 
déen; il fut pris et fusillé à Nantes, en 1795. 

Le quatrième et dernier, qui était aussi seigneur de Lusi- 
gnan, devint général sous la République et combattit les 
Vendéens, l'an 1793. 



CHAPITRE III 



S. A. II. Mgr le priiicc Louis et le certificat Sacré. — Christodulc 
et la branche aîncc. — Amaury-Joscph et la branche cadette. — 
L'archevêque Khorône de Lusignan. — S. A. 11. Mgr le prince de 
Lusignan. — S. A. R. M"*" la princesse de Lusignan. — Réinsti- 
lution des Ordres de Mclusine et de Sainte-Catherine-du-Mont- 
SinaL 



En 1780, le prince Louis était le chef de la Maison de 
Lusignan ; il laissa deux fils : Chrisiodule de Lusignan et 
Amaury-Joseph de Lusignan. Ces princes sont devenus les 
chefs des deux branches actuelles : Christodule a formé la 
branche aînée, établie en Russie; Amaury-Joseph, la branche 
cadette, qui s'est fixée plus tard en France. 

Le père du prince Louis, leur père, était déjà né de 
parents orthodoxes (grecs non-unis), ce qui n'est point sur- 
prenant, puisque au moment de l'expulsion définitive des 
Vénitiens par les Turcs, le catholicisme romain disparut de 
l'île de Chypre en même temps que Télément latin, et les 
Lusignans ont dû leur conservation à des alliances avec les 
indigènes grecs, à la suite desquelles la famille entra dans 
l'Église d'Orient. C'est donc du haut clergé grec qu'émane 
le document important intitulé le Sacré. Ce certificat, 
qualifié par les signataires de « royal, doré, majestueux et 
sacré » établit que son porteur, Mgr le prince royal Louis 
de Lusignan, fils de S. A. R. Mgr le prince Christodule de 
Lusignan, et petit-fils du prince Louis, son homonyme, est 



Le priucc Louis, 
souche des deux 
branches acluclles. 



Le ccrUncat Sacré. 



-34 - 

le seul héritier légitime des rois de Jérusalem, de Chypre et 
d'Arménie. 

Voici la teneur du précieux parchemin : 

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen. 

» Le Porteur du présent Certificat Royal doré, Monsei- 
» gneur le Prince Royal Louis de Lusignan, issu de la Maison 
» des Lusignans, ci-devant Très Illustres Rois de Jérusalem, de 
» Chypre et d'Arménie, Famille originaire de France, et dont 
» le Sceptre fut porté en Orient, dans les dits royaumes; 
» descendant en ligne droite du Roi Janus et de Leurs 
)) Majestés les Rois Jacques I*' et Hugues IV, etc., etc., 

» Appartient légitimement à TEglisc Orthodoxe d'Orient, 
» et il est né de Parents Orthodoxes. 

» Le Porteur du présent est Fils de Son Altesse Royale 
» le Prince Christodoulos de Lusignan, Sire de Tile de 
» Chypre, etc., neveu de Monseigneur le Prince Royal' 
» Louis, et Son Altesse Royale le Prince Louis est fils de 
» Monseigneur le Prince Jacques et de Madame la Princesse 
» Éléonore de Lusignan, neveu de Son Altesse Royale le 
» Prince Pierre, arrière-neveu de Monseigneur le Prince Royal 
î) Louis de Lusignan, de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie, 
)) et Son Altesse le Prince Royal Louis, Sire de l'ile de 
» Chypre, etc., est fils de Monseigneur le Prince Royal Jac- 
» ques, neveu de Son Altesse Royale le Prince Hugues et de 
» Madame la Princesse Royale Marie-Anne, fille de Pierre 
w de Lusignan de Galilée, et le dit Monseigneur le Grand 
» Prince Hugues de Chypre, comte de Tripoli, etc., 
)) est fils de Son Altesse Royale le Prince Philippe d'An- 
» tioche, sire de l'ile de Chypre, etc., neveu de Son Altesse 
» le Prince Royal Pierre et arrière- neveu de Son Altesse 
» Royale le Prince Jcan-Jacqucs et il est fils de Monseigneur 



- 35 — 

» le Prince Royal Jacques et neveu de Son Altesse Royale le 
» Prince Jacques le Sage, et le dit Monseigneur le Grand 
» Prince Royal Jacques le Sage, frère du Roi Jean II est fils 
» du Roi Janus et neveu de Jacques P' et il est oncle de 
M Pierre II et frère du Roi Pierre P' le Grand, etc. 

» En conséquence, le présent Certificat Majestueux et 
» Sacré Lui a été délivré sur des Patentes Royales et en vertu 
>• de plusieurs anciens Actes et Attestations qui étaient écrits 
« sur des Parchemins dorés et cachetés, concernant la Famille 
» Royale des Lusignans et qui constatent que le dernier 
n Rejeton mâle de cette Famille très ancienne, glorieuse et 
» puissante est véritablement le susdit Sérénissime Seigneur 
» Son Altesse Prince Royal Louis de Lusignan, de Chypre, 
» de Jérusalem et d'Arménie. 

» L'an de grâce MDCCCXV, 27*'jourdumois de juillet.» 

Suivent les signatures de : 

Cyprien, archevêque de la Nouvelle-Justinien, primat de 
Chypre, et de son assistant Sophronius, évêque de 
Cérines; du patriarche œcuménique Cyrille, de onze 
métropolitains du Saint-Synode de Constantinople, et de 
dix-sept membres du clergé orthodoxe de Chypre; en 
tout, trente et une signatures, parmi lesquelles celle 
d'Athanase, métropolitain de Nicomédie, oncle maternel 
du prince Louis. 

« 1816, 18 juillet. 
» Nous, Prince Christodoulos, donnons les présentes 
» aux mains de notre cher et bien-aimé fils Son Altesse 
» le Prince Louis pour sa sécurité et nous confirmons ce qui 
» est écrit ci-dessus par notre signature et notre sceau. 

» Signé, en langues grecque et française : 

» Prince royal Christodoulos de Lusignan. » 



^ 36 - 

Quiconque sait à quel point le gouvernement russe est 
scrupuleux quand il s'agit de reconnaître des titres princiers 
et des privilèges attachés à des mérites généalogiques, sera 
persuadé que pour obtenir la reconnaissance impériale de ses 
titres royaux, le prince Louis a dû présenter des pièces justi- 
ficatives absolument authentiques. On ne pouvait pas, en 
effet, trouver une attestation plus solennelle et plus complète 

* que celle dont s'était muni l'illustre rejeton des princes de 

Lusignan. 

Le prince chrwioduic Le priucc Christodulc, fils aine de Louis de Lusignan, se 

cl la branche ainéc. • /-.i •!• i • i 

trouvait en Chypre, au milieu des siens, lorsque rinsurrection 
grecque éclata en 1820. Prévoyant les malheurs qui mena- 
çaient son pays, il voulut au moins sauver son fils unique, le 
prince Louis, âgé de treize ans. Il l'envoya à Constantinople, 
où il le plaça sous la tutelle de son beau-frère, Tarcheveque 
Athanase, métropolitain de Nicomédie. Il eut en même temps 
la précaution de faire transporter à Constantinople tous les 
trésors de la famille (1), la personne et la demeure de Tarche- 
véque étant considérées comme inviolables selon les lois otto- 
manes. Mais il ne comptait pas sur le fanatisme des musulmans. 
Par ordre du gouvernement turc, tous les grands personnages 
de Chypre furent massacrés et leurs propriétés confisquées. 
Le fer et le feu firent subir à l'ancien royaume de Lusignan 
l'injuste et barbare sanction des mouvements insurrectionnels 
de la Grèce. Au milieu des hécatombes et des pillages, le 
prince Christodule disparut et tous ses biens furent pris. Le 
jour de Pâques, à Constantinople, le grand vizir Benderli- 
Ali-Pacha, de sinistre mémoire, fit pendre le patriarche grec 
Grégoire et l'archevêque Athanase de Nicomédie. 



(1} Ils dépassaient la somme de 143 millions. 



- 37 - 

Le fils de Chrîstodule, le jeune prince Louis, n'échappa 
au massacre que grâce à l'intervention de l'ambassadeur 
d'Espagne, qui le confia aux missionnaires de la Société 
biblique d'Angleterre. Dès qu'il fut en état de porter les 
armes, Louis vola au secours des Grecs, et lorsque survînt la 
guerre russo-turque en 1828, il offrit ses services à l'empereur 
Nicolas, qui l'accueillit comme prince d'origine royale et 
descendant direct des rois de Chypre, ainsi que l'atteste son 
État de service signé par l'Empereur lui-même. 

États de service militaire de S. A. R. le prince Louis de 
Lusignan, délivré par l'Etat-MaJor de l'armée russe, 
signé par S. M. l'empereur Nicolas P'. (N° 662.) 

« Louis, fils de Christodoulos, prince de Lusignan, capi- 
taine au service de la Grèce et interprète de l'armée russe, 
descendant direct des rois de Chypre, et âge de vingt- 
cinq ans, est entré d'abord au service à la Chancellerie 
du général maître de police de la deuxième armt'c, avec 
le rang de capitaine, le 24 février 1829, comme interprète des 
langues orientales, a continué le service dans cette fonction 
avec conduite distinguée, avec activité et zèle. » 

(Suivent les états de service.) 

« Il est décoré de la médaille en argent, instituée pour la 
guerre de Turquie des années 1828 et 1829. 

» En foi de quoi le présent certificat lui est délivré sous 
ma signature, avec apposition de mon sceau, en la ville de 
Reni, le i" mai i83o. 

» L'original est signé de S. M. L mon Auguste Maître. 

» Signé : Dobrovolsky. » 



- 38 - 



Le prince Amanry- 
Joscph et la branche 
cadette. 



Cette pièce reconnue au ministère des Affaires étran- 
gères de Russie, fut légalisée à Saint - Pétersbourg , le 
i8 décembre 1878, par le vice-directeur A. Huster et le 
conseiller d'Etat Fomawinsky, sous le n** 1 166, et au consulat 
de France à Saint-Pétersbourg, le 9 janvier 1879, sous le 
n<* 8, par le chancelier substitué A. -P. Meydieu. 

La guerre terminée, le jeune Louis de Lusignan, qui 
venait d'épouser une riche princesse grecque, se fixa à Saint- 
Pétersbourg; de son mariage il n'eut qu'un fils unique, le 
prince Michel. 

Le prince Amaury-Joseph, fils cadet de Louis de 
Lusignan, las de la vie obscure qu'il lui fallait mener en 
Chypre, résolut de chercher sous un autre ciel là gloire dont 
il brûlait de se couvrir à l'exemple de ses illustres ancêtres. 
A la mort de son père, il quitte l'île, son berceau royal, et se 
rend en Egypte sur l'invitation du fameux chef des Mamelouks, 
Mourad-Bey, d'origine arménienne, maître suprême de ce 
pays, qui lui confie le commandement d'un corps de l'armée 
égyptienne et le marie avec une de ses nièces, la princesse 
Satinik, type le plus pur de la beauté arménienne. 

En arrivant en Egypte, Amaury-Joseph avait cru pru- 
dent d'arabiser son nom, pour ne pas exciter contre lui le 
fanatisme des fellahs ; il s'appela Youssouf Nar Bey. Cette 
transformation ne suffit pas aux Arabes ombrageux, qui, 
exaspérés par les victoires de l'armée française conduite par 
Bonaparte, s'en vengèrent sur son coreligionnaire et l'assassi- 
nèrent en même temps que le général Kléber, le 14 juin 1800. 
Le général Bonaparte, en arrivant en Egypte, avait attiré à lui. 
le prince Nar Bey en le leurrant d'espérance de reconstituer 
le royaume de l'Arménie et de le placer sur le trône de ses 
ancêtres. Dans le Mémorial de Sainte-Hëlène^ l'empereur 
Napoléon explique son plan de relever l'Arménie en 



- 30 - 

constituant un vaste royaume chrétien dans TAsie et lui 
confier les routes continentales des Indes. 

L'unique enfant du prince Nar Bey, le prince Georges- 
Youssouf, qui venait aussi de perdre sa mère, fut sauvé par 




S. A. R. le prince Gcorges-Youssouf de Lusignan. 

des serviteurs fidèles qui, tout en mettant en sûreté sa 
personne, voulurent lui conserver son origine princière 
en rappelant « khalifa », d'où est venu le mot « calfa », 
qui signifie chef et prince. C'est sous ce nom que Georges- 
Youssouf, après avoir voyagé en Afrique et en Asie, se 
fixa à Constantinople. Marié à la princesse Sophie, fille 
d'un des riches banquiers arméniens de cette ville, il eut 
plusieurs enfants, dont les plus connus sont: Youssouf-Léon, 
né en i832; Guy,né le 2 mars 1834, etDjivan-Khorène, né en 
i838. Ces trois princes grandirent sous le nom d'emprunt de 



— 40 — 

leur père (i), auquel ils ont ajouté un grand éclat; l'aîné, par 
ses entreprises financières ; les deux autres, par les magnifiques 
travaux que nous allons mentionner. 
Mffr KhoK'no de Liisi- Durant le cours de ses études au Collège de France 

pnan ; Lamartine cl , . , , , 

vicior iiii-o. eri i85o, le prince Khorène était en rapport intime avec 

Lamartine. Des épîtres de ce prince dont les Journaux de 
répoque avaient fait le plus bel éloge, nous citerons les vers 
suivants : 



Ne me demandez pas si je tiens une épée, 

On brise en un combat l'arme la mieux trempée, 

Puis, comme a dit Jésus : « Qui frappe par le fer 

Périra par le fer ! >» — Or, demain comme hier, 

Je combattrai sans crainte avec la certitude 

Que le triomphe est bien lorsque la lutte est rude ! 

Mes armes, Lamartine, elles sont dans ma foi, 

Dans ma tête et mon cœur où vous rcf^nez en roi! 

Car vous avez, daignant m'accueillir comme un père, 

Écouté les accents de ma voix étrangère... 

Dans ma chère Arménie entrez en conquérant ! 

Elle a besoin d'aimer celui qu'elle sait grand... 

Que je sois votre guide! Et, comme aux temps antiques, 

L'Eden répétera de sublimes cantiques. 

Lamartine, qui aimait à l'appeler son enfant, lui écrivait 
la lettre suivante, le 25 avril i858 : 

« Je suis fier d'avoir servi de texte à vos traductions de 
français en arménien, et heureux d'avoir ainsi mon nom 
présenté à vos compatriotes. 

» Mes relations fréquentes avec TOrient m'ont inspiré 
un grand respect pour la nation arménienne et surtout pour 
la religion, la probité et la poésie de ses populations, plus 
rapprochées que nous du berceau et des lumières du monde 
primitif. 

(1) Ce «ligne el \erlueux prince mourut en 1858. 



4ï - 



» Je vois, par vos études à Paris, que votre famille ne 
dégénère pas de ses illustres ancêtres, et je me félicite de 
connaître en vous Tespérance de TArménie future. » 

Un membre éminent de Tlnstitut, M. Edouard Dulau- 
rier, arméniste très distingué, disait du prince Khorène : 
« // est le Lamartine des Arméniens. » 

Victpr Hugo a fait en ces termes la consécration la plus 
flatteuse du talent du prince et de sa race : 

a Mon noble confrère, nous sommes deux poètes et 

nos deux mains peuvent se serrer. Votre lettre m'émeut, votre 
fraternité éveille la mienne, et je vous remercie. 

» Ce que vous me demandez sur l'Arménie , vous le 
savez mieux que moi; mais je me sens heureux de vous le 
confirmer. Les nations qui regardent le passé doivent dispa- 
raître. Les nations tournées vers l'avenir doivent vivre. 
L'Arménie n'a qu'à vous suivre; et elle est dans la voie de la 
civilisation. 

» Je connais l'élévation de votre intelligence. Je mesure 
la grandeur de votre destinée à la grandeur de votre esprit : 
vous avez le sang des vieilles races et l'esprit des races 
nouvelles. » 

Mais le prince Khorène n^aspirait pas seulement à être 
savant et poète; il voulait surtout travailler pour ses chers 
Arméniens. 

.Le prince Louis et son fils Michel de Lusignan avaient 
été reconnus en Russie comme princes royaux. Leurs cousins 
Youssouf-Léon et Djîvan-Khorène dont nous venons de 
parler, étant demeurés à Constantinople, le premier pour se 
livrer aux finances, et le second pour suivre la carrière ecclé- 
siastique, celui-ci fut choisi et envoyé par le Patriarcat armé- 



Reconnaissance offi- 
cielle des princes 
(le Lusignan. Mgr 
Khorène s'illnstro 
on Orient; sa mort 
imprévue plonge 
TArménie dans le 
deuil. 



— 42 — 

nien auprès des plénipotentiaires réunis à San-Stefano. Il 
réussit à faire introduire dans le traité qui allait se conclure 
entre la Russie et la Turquie, un article favorable aux Armé- 
niens. Cet article (i6 du traité) n'a été obtenu que grâce à son 
habileté et à son énergie, malgré l'engagement préalable pris 
par les deux puissances de ne point s'écarter de la voie du 
traité préliminaire de Kezanlik, dans lequel le nom de 
TArménie ne figurait même pas. 

Mgr Khorène, sacré évêque en 1867 et nommé arche- 
vêque en 1873, avait été accueilli comme un descendant de la 
royale famille de Lusîgnan par lord Loftus \ le chevalier 
Nigra, ambassadeur d'Italie, le général Le Flô, ambassadeur 
de France à Saint-Pétersbourg, le baron de Schleinitz et les 
autres ambassadeurs accrédités auprès du gouvernement 
impérial de Russie. Dans une lettre adressée à M. Wad- 
dington, ministre des Affaires étrangères, et classée aux 
archives, le général Le Flô reconnaît et traite Mgr Khorène 
comme prince royal de Lusignan. 

Nous reproduisons à ce sujet un intéressant article du 
Tintes^ paru le 12 août de la même année 1878, traduit de 
l'anglais : 



LE PRINCE DE CHYPRE 

ff Tous ceux qui assistaient au Congrès de Berlin ont 
du remarquer un gentleman qui excitait l'attention de tous 
les salons diplomatiques. Taille au-dessus de la moyenne, 
air distingué, longs cheveux noirs, front noble et élevé, yeux 
grands et profonds, épaisse barbe noire et sourire fascinateur. 




L'archevêque Khorènc. 



-45- 

Sa voix était sympathique, et ses extrémités révélaient, par 
leur finesse, une origine parfaitement aristocratique. Son air 
doux et modeste était empreint d'une certaine mélancolie. 
Son costume se composait d'une robe flottante en moire d'un 
noir bleu avec de larges manches. Le capuchon relevé sur la 
tête, laissant seulement sa barbe, sa bouche et ses yeux à 
découvert, cachait ses longs cheveux et son front. Il portait 
une étoile de diamants représentant les armes épiscopales 
surmontées d'une couronne royale. 

» Ce gentleman était Khorène Nar Bey, prince de Lusi- 
gnan, archevêque de Béchiktache-Constantinople, venu à 
Berlin comme représentant de l'Arménie au Congrès, où il 
conquit bientôt l'estime de tous ceux qui le connurent, 

» Lorsque le traité anglo-turc fut ratifié, l'archevêque 
Khorène Nar Bey fut de ceux qui y applaudirent le plus. 
Placés par ce traité, jusqu'à un certain point, sous la protec- 
tion de l'Angleterre, les Arméniens ou leurs représentants 
étaient certains qu'à dater de ce moment ils ne se trouve- 
raient plus sous l'influence exclusive de la Porte, et, pour 
cette clause seule, l'archevêque-prince de Lusignan devait se 
réjouir de l'événement qui surprit l'Europe le 8 juillet 1878. 

» Mais il y avait une raison curieuse et personnelle à sa 
satisfaction, qui ajoutera un chapitre nouveau à ce mystérieux 
récit, qui marche parallèlement à l'histoire et finira par en 
faire bientôt partie. Monseigneur est le troisième frère de la 
branche cadette des Lusignans. Son frère aîné porte les noms 
et titres de Léon de Lusignan, prince royal de Chypre, de 
Jérusalem et d'Arménie. Nous avons hâte d'ajouter que ces 
titres n'ont pas d'autres prétendants, et que les deux branches 
des Lusignans dont nous venons de parler n'ont pas l'inten- 
tion de faire le siège de Chypre et de la reconquérir. 



-46- 

» Les titres du prince Louis de Lusignan (le chef de la 
branche aînée), qui habite à Saint-Pétersbourg, sont reconnus 
officiellement dans cette ville. Le prince Guy de Lusignan 
habite à Paris un joli hôtel (i) de l'avenue d'Eylau. C'est un 
homme à l'air doux et distingué. Son fils faisait des études 
à l'École spéciale de Brest pour entrer dans la marine fran- 
çaise. Ces trois princes de Lusignan ont adressé, le 24 juillet, 
à lord Salisbury, la lettre suivante. » 

(Suit, dans le Times, l'adresse des princes de Lusignan 
au ministre des Affaires étrangères d'Angleterre.) 

Après le Congrès de Berlin, le prince Louis, chef des 
Lusignans en Russie, adressait à Mgr Nersès, patriarche des 
Arméniens de Turquie, la lettre suivante : 



« A Sa Béatitude Monseigneur Nersès, patriarche des 
Arméniens de Turquie. 

» Monseigneur, 

» Les malheurs de cette chère Arménie, qui a eu pour 
rois mes ancêtres et qui a été défendue par eux au prix mcme 
de leur sang, m'ont toujours profondément intéressé; et bien 
qu'obligé, par des circonstances indépendantes de ma volonté, 
de vivre loin de ma patrie, son bonheur, cependant, et son 
avenir ont été toujours l'objet de mon attention et de ma 
sollicitude toute particulière. 



(1) Cet h6lel a été habile depuis par Viclor Hugo. 



— 47 — 

» Je suis heureux de voir qu'elle a aujourd'hui pour 
pasteur Votre Béatitude, qui dirige ses destinées avec un 
patriotisme et un tact dignes de tous éloges. Grâce à vous et 
à vos délégués, le Congrès de Berlin a posé la question armé- 
nienne devant le monde civilisé. L'avenir se chargera très pro- 
chainement de la résoudre à l'avantage de cette antique nation 
qui a pour mission d'éclairer l'Orient par les lumières de cette 
Croix glorieuse pour laquelle elle a toujours répandu son 
sang avec tant de foi et d'abnégation. 

» Les Arméniens vous doivent être reconnaissants pour 
le dévouement intrépide dont Votre Béatitude a donné des 
preuves marquantes dans ces circonstances décisives; et le 
représentant de leur dynastie royale croit de son devoir de 
vous en témoigner sa pleine gratitude ainsi que sa haute 
estime. 

» Je suis également fier de voir qu'un membre de notre 
Maison a, comme un vrai Lusignan, contribué énergique- 
ment à l'impulsion que vous venez de donner à la sainte 
cause arménienne. Le fils de mon regretté cousin, le 
prince Georges (Youssouf Calfa Nar Bey) de Lusignan, 
fils lui-même de mon oncle le prince Amaury (Youssouf 
Nar Bey) de Lusignan, a consolé mon cœur en montrant 
tant de dévouement à la mère patrie. 

» Il m'est donc doux de constater que l'archevêque 
Khorène a pleinement mérité la confiance que Votre Béati- 
tude ainsi que la nation arménienne avaient mise en lui. 
Mon éminent neveu soutiendra toujours avec honneur la 
devise des Lusignans : « Pour loyauté maintenir. » 

» De près comme de loin, mon cœur est avec ma chère 
patrie. Je prie le Très-Puissant de conserver pour elle les 
jours si précieux de Votre Béatitude, afin que vous puissiez 



-48- 

couronner dignement l'œuvre grande et belle que vous vous 
êtes imposée. 

» Agréez, Monseigneur, les hommages de mon respect 
filial et de mon dévouement patriotique. 

» Signé : Louis de Lusignaw, 
» Prince royal de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 

» Saint-Pétersbourg, ce 19 octobre 1878. 

» Perspective de Nevsky. 

Maison Princesse Galitzin, 122. » 

Peu de temps après , ce même prince écrivait au 
patriarche grec Joachim III en ces termes : 



(t A Sa Sainteté Monseigneur Joachim III, patriarche 
œcuméniquCy etc., etc, Constantinople, 

» Très Saint Père, 

» Aux prises avec les orages politiques, j'ai été forcé, 
depuis plusieurs années, de quitter ma patrie. Malgré mon 
éloignement, elle m'est toujours chère, et son progrès, son 
bien-être, son avenir forment l'objet de mes constantes préoc- 
cupations, dans un moment surtout où toute l'Europe a senti 
la nécessité de régler les destinées de l'Orient et où la Grande- 
Bretagne a voulu placer sous sa garde la vaste et royale île 
de Chypre, mon berceau, où le trône de mes augustes 
ancêtres a brillé d'un si vif éclat. 

» Il m'est doux également, en ce jour solennel, de voir 
l'illustre siège de la grande Église orthodoxe d'Orient occupé 



— 49 — 

par un pontife digne en tout d'une aussi haute destinée. Vos 
mérites éclatants sont non seulement constatés par la presse 
européenne, mais ils viennent aussi d'être retracés avec 
amour et reconnaissance dans une lettre à mon adresse de 
mon cher neveu, S. Em. l'archevêque Khorène Nar Bey, 
prince de Lusignan , qui a eu Thonneur de présenter ses 
hommages à Votre Sainteté, au Patriarcat arménien, et 
d'entendre de sa part des paroles d'encouragement à l'égard 
de son talent littéraire et des loyaux services qu'il a rendus 
dans la question arménienne, tant auprès des cabinets euro- 
péens que de l'aréopage de Berlin 

» Vouer le plus profond respect à cette antique Église, 
telle a été la tradition de notre royale famille, l'histoire le 
consacre : on n'a pas encore oublié que mon oncle maternel, 
l'archevêque Athanase, métropolitain de Nicomédie, a gagné 
la palme du martyre et de l'immortalité avec le saint 
patriarche Grégoire V, de bienheureuse mémoire, en Tan 
1821, le jour de la résurrection du Rédempteur! De nos 
jours également, mon neveu l'archevêque de Lusignan, fidèle 
aux traditions de ses ancêtres, n'a épargné aucune peine, 
aucun effort pour l'avenir des enfants arméniens de cette 
glorieuse Église; et je me glorifie de voir que Votre Sainteté 
a daigné reconnaître gracieusement la fidélité et l'abnégation 
de mon éminent neveu dans cette circonstance 



» Je baise très respectueusement votre main sacrée en 
confiant. Très Saint Père, à vos saintes prières et béné- 
dictions apostoliques, ma personne et mon fils, ainsi que les 
princes mes neveux, membres de la branche cadette de ma 
Maison, représentés à Votre Sainteté par S. Em. l'arche- 
vêque Khorène, leur frère. 



— 5o — 

» Je reste toujours , avec hommage et respect , Très 
Saint Père, votre fidèle et obéissant fils en Jésus-Christ. 

» Signé : Louis de Lusignan, 
» Prince royal de Chypre, de Jérusalem et d*Arménic. 

» Saint-Pétersbourg, ce 12/24 décembre 1878. » 

Voici la réponse du patriarche Joachim III, traduite du 
grec, portant le n** 828 et revêtue du sceau patriarcal : 



« Altesse Sérénissime, 

» Par Tcntremise de S. Em. l'archevêque Khorène 
Nar Bey, Thonneur et la gloire de la nation arménienne, 
nous avons reçu avec beaucoup de plaisir la très précieuse 
lettre de Votre Altesse Sérénissime, par laquelle elle a bien 
voulu nous féliciter pour notre ascension au très saint apos- 
tolique et œcuménique trône. En répondant donc avec beau- 
coup d'empressement et de profond plaisir, nous exprimons 
à Votre Altesse Sérénissime, du fond de notre cœur, nos 
remerciements, en priant toujours le bon Dieu de lui 
accorder, comme aussi à toute sa famille, une vie longue 
et heureuse et tout autre bonheur. 

» Veuillez agréer les expressions de notre très haute 
considération. 

» Signé : f Joachim, 
» Patriarche de ConstantinopJc. 
» Constantinople, 3 février 1879. 

» A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le prince 
Louis de Lusignan, prince de Chypre, etc., etc., 
Saint-Pétersbourg. » 



— 5i — 

Le mois suivant, les princes Léon et Guy de Lusignan 
adressaient de Paris au môme patriarche Joachim III, une 
lettre de remerciements, dont voici la teneur: 

« A Sa Béatitude Joachim III, patriarche œcuméniquCy 
Constantinople, 

» Très Saint Père, 

» Dans la lettre pontificale que Votre Béatitude a bien 
voulu adresser à notre oncle S. A. R. Mgr Louis de 
Lusignan, prince royal de Chypre, de Jérusalem et d'Ar- 
ménie, elle avait eu la gracieuseté de mentionner notre frère, 
l'archevêque Khorène Nar Bey de Lusignan, dans des termes 
éminemment flatteurs, et avait en même temps daigné nous 
honorer de sa bénédiction apostolique. 

» Cette double marque de bienveillance de la part de Votre 
Béatitude nous a vivement touchés, et nous nous faisons un 
devoir de lui en exprimer notre profonde reconnaissance. 

» Votre Béatitude, en agréant nos prières pour la 
conservation de ses jours précieux, ne nous refusera pas sa 
bénédiction apostolique, et nous la prions de vouloir bien en 
même temps recevoir les hommages de notre très haute et 
très respectueuse admiration, avec laquelle nous avons 
rhonneur, Très Saint Père, de nous dire comme toujours, 

» Vos très obéissants et très dévoués fils en Jésus-Christ. 

» Signé : Prince Y.-Léon de Lusignan, 
» Prince A. -Guy de Lusignan. 

» Paris, boulevard Haussmann, 164. 

» Le saint jour de Pâques 13/1 avril 1879. » 



— D2 — 

Mgr Joachim leur répondait la lettre suivante (traduc- 
tion du grec) : 

« Altesses Sérénissimes, 

» Nous avons reçu avec une grande satisfaction votre 
précieuse lettre datée du premier courant^ dans laquelle, 
d'après les sentiments élevés qui animent Vos Altesses, vous 
adressez des félicitations et des vœux, particulièrement à 
nous, et en général à la très sainte Église de Jésus-Christ 
de nos régions. 

» En exprimant nos remerciements chaleureux à Vos 
Altesses, pour ces vœux et ces félicitations, nous prions le 
bon Dieu de vous rendre avec profusion tous les biens 
possibles, en conservant votre santé et celle de votre noble 
famille, intacte et ferme, afin que vous puissiez célébrer, 
pendant de longues années, les saintes fêtes de Pâques, avec 
la joie et la sérénité de votre âme si noble. 

» De Vos Altesses Sérénissimes, le tout dévoué, 

» Signé : f Joachim III, 
» Patriarche œcuménique. 
1) Constantinople, le 19 avril 1879. 

» A Leurs Altesses Sérénissimes, Messeigneurs les 
princes Y.-Léon et A,^Guy de Ltisignan, Paris, » 

L'illustre prélat, après avoir figuré avec un honneur et 
un éclat extraordinaires au Congrès de Berlin, comme délégué 
de la nation arménienne, parcourut, comme visiteur patriarcal, 
la Bulgarie, la Roumanie et l'Autriche. Il fut comblé d'atten- 
tions par les chefs de ces peuples et reçut leurs principales 



— 33 — 

décorations. Le sultan lui avait accordé la plaque des Ordres 
du Medjidié et de TOsmanié; l'empereur de Russie le nomma 
commandeur de Sainte-Anne. En 1879, il accourait à Paris 
auprès de son frère Guy pour recueillir des sommes impor- 
tantes, afin de soulager les Arméniens que la famine faisait 
périr par milliers. De retour à Constantinople, Mgr Khorène 
se consacrait aux travaux de son ministère et au bien-être 
de ses chères populations. 

Voici comment M. Gresset dépeint le prince-archevêque 
Jean-Khorène de Lusignan : 



Dans la vaste cité que baigne le Bosphore, 
Où, splendidc tableau, sur un miroir nacré, 
Phébus vient prodiguer ses rayons, dès Taurore, 
Existe un saint prélat, du monde vénéré. 
Frère du prince Guy, l'archevêque Khorène 
Inspire le respect. Il a de Bossuet 
Uéloquence sacrée, et sait, nouveau Mécène, 
Encourager les arts dont il est le reflet. 

Diplomate érudit, conciliant et sage, 
Sur la brèche debout au moment opportun, 
11 a, dans tous pays, montré sur son passage, 
Le talent et Tesprit d'un sublime tribun. 
D'abord en Bulgarie, ensuite en Roumanie, 
En Russie, et naguère au Congrès de Berlin, 
Il défendit les droits.de sa chère Arménie, 
Et du succès toujours aplanit le chemin. 

Durant son court séjour dans notre belle France, 
Poète gracieux, plein de verve et d'humour, 
De Lamartine il sut gagner la confiance, 
Et répandre en son cœur un éternel amour. 
Présageant sa grandeur, l'auteur des Harmonies 
L'appelait son enfant. Lisant dans l'avenir. 
Il le voyait briller parmi ces grands génies 
Dont l'histoire a, des noms, gardé le souvenir. 



— ^4 — 

De ses vertus partout on peut suivre les traces ; 
Hugo qui respectait sa robe et son blason, 
Lui disait : « Vous avez le sang des vieilles races; 
Des nouvelles, l'esprit. >« Le maitre avait raison. 
Ministre du Seigneur, il prêche la concorde ; 
Apôtre du malheur, il défend l'opprimé 
Qui trouvera toujours aide et miséricorde 
En frappant au logis de Jean le bien-aimé. 



Donnons ici la traduction du brevet impérial d'Os- 
manié : 

« Mgr Khorène de Lusignan, archevêque arménien de 
» Béchiktache, ayant été jugé en tout point, en considération 
» de ses hautes et émincntes qualités, digne de mes hautes 
)) faveurs impériales, il lui vient d^être conféré, d'après mes 
» ordres souverains et conformément à ce firman impérial, 
» la décoration de l'Ordre sublime d'Osmanié de 2® classe. 
» C'est pourquoi ce glorieux Bérat de Ma Majesté Impériale 
» a été rédigé et délivré le 20 Rabbul évvél, an de Thégire 
» i3o6 (i3 novembre 1888). » 

Ce document impérial de la plus haute importance a été 
publié par tous les journaux de Pempire et de l'étranger. Le 
Gaulois, de Paris, l'annonçait ainsi dans son numéro du 
19 décembre 1888 : 

« S. Em. le prince Khorène de Lusignan, archevêque de 
Béchiktache, a été reçu jeudi en audience privée par S. M. Lie 
sultan, qui lui a conféré la plaque en diamants de TOsmanié, 
en récompense des services signalés qu'il a rendus à la nation 
arménienne. » 

On peut admirer ce brevet impérial, en lettres dorées, 
dans la galerie de tableaux de famille des princes de 
Lusignan. 



— 55 — 

Une lettre de Constantinople, en date du i8 janvier 1882, 
révèle les efforts continus de Tarchevêque de Béchiktache 
(Khorène de Lusignan) pour établir la pacification des esprits 
en vue d'une entente complète entre le Patriarcat arménien 
et le Catholicos de Sis en Cilicie. Ce sujet de discordes fut 
apaisé par le tact et le zèle de Mgr Khorène. A la fin du ban- 
quet qui réunit les dignitaires de ces Églises, le Catholicos de 
Sis prononça ces paroles, s'adressant à Mgr Khorène : «Votre 
cœur et votre patriotisme sont dignes du grand nom de Lusi- 
gnan. Votre Éminence doit chérir mon siège de Sis par 
tradition et devoir de famille, car le roi Léon VI, un de vos 
aïeux, en avait fait sa capitale... » 

La réconciliation de ces deux sièges, longtemps rivaux, 
fait époque dans les annales arméniennes. Aussi, Tannée sui- 
vante, au moment où l'on parlait de la démission du patriarche 
des Arméniens, Mgr Nersès, qui voulait se retirer pour raisons 
de santé, après une visite officielle que S. E. Mavroyeni- 
Pacha avait rendue à Mgr Khorène, S. M. L Abdul-Hamid 
désira personnellement que le prince-archevêque fût élevé au 
siège patriarcal d'Arménie. 

Cependant le gouvernement de la Porte et les ennemis 
de réminent prélat ne lui pardonnèrent jamais d'avoir fait 
insérer dans le traité de San-Stefano l'article 1 6, et dans celui 
du Congrès de Berlin l'article 61, se rapportant aux réformes 
à introduire dans les provinces arméniennes, sous la garantie 
des puissances signataires du traité. 

Aussi, l'an 1891, il fut accusé du crime de lèse-patrie et 
condamné à l'exil. La presse s'émeut; les deux journaux mis 
en cause, V Observateur français et le XIX° Siècle^ protestent 
hautement contre cette souveraine injustice ; l'archevêque 
reconnu innocent est remis en liberté le 18 février 1892, 
mais les poursuites tacites ne cessèrent pas. Il mourut 



— 56 — 

subitement, par une cause inconnue, le i6 du mois de 
novembre de la même année, entouré de TafiFection des Turcs 
comme des chrétiens. Sa mort si inattendue fut un deuil 
national et une perte irréparable. Cet éminent prélat, savant 
comme Etienne, un de ses ancêtres, et orateur comme Bossuet, 
ainsi qu'on l'appelait, après avoir rendu à la nation armé- 
nienne d'immenses services par son habile diplomatie, par 
son dévouement sans bornes et par ses chants et poésies 
patriotiques devenus si populaires, fut persécuté comme son 
divin Maître, jusqu'au sacrifice de sa vie. C'est un beau fleu- 
ron qui vient s'ajouter à la couronne que porte si dignement 
aujourd'hui, dans le silence et le travail, son illustre frère, 
S. A. Mgr Guy, devenu, depuis la mort de Youssouf-Léon, 
son aîné, le 12 octobre 1887, le chef de la branche cadette 
des Lusignans, et reconnu comme prince royal de Jérusalem, 
de Chypre et d'Arménie. 

s. A. R. lo prince Voici Comment le Gil Blas relate cet événement dans 

ou. g^^ numéro du 20 octobre 1887 : 

« Le prince de Lusignan qui vient de mourir obscuré- 
ment à Saint-Denis, était le chef de la branche cadette des 
Lusignans, descendants directs des rois de Chypre, de Jéru- 
salem et d'Arménie. 

» Pendant de longues années, il avait été le fournisseur 
des équipements de l'armée ottomane, en société avec le 
baron Seillière (le père) et Dussautoy. 

» Le chef de cette famille royale est aujourd'hui M. le 
prince Guy de Lusignan, ce gentilhomme si parisien, ami 
des lettres et des arts, dont le nom a quelquefois été rap- 
proché de celui de Victor Hugo. 

)) On sait, en effet, que le grand poète a passé les dix 
dernières années de sa vie dans un coquet petit hôtel de 



- 57- 

Tavenue d'Eylau, appartenant à la gracieuse princesse Marie 
de Lusignan, grande-maîtresse de TOrdre de Mélusine. 

» Il nous revient, à ce propos, que les héritiers de Victor 
Hugo n'ayant point renouvelé le bail, l'hôtel serait à la veille 
de passer entre les mains d'un comité anglais. » 




S. A. R. le prince Youssouf-Léon de Lusignan. 



Le prince Guy commença ses études, très jeune, à Venise, 
et les compléta à Paris, où il s'est appliqué particulièrement à 
l'histoire générale et aux langues européennes. Érudit aussi 
profond que polyglotte consommé, il publia, dès Tâge de 
seize ans, des travaux remarquables d'histoire et de linguis- 
tique. Nommé préfet des études au collège Moorat, il contribua 
largement à développer l'essor de cet établissement, fondé par 
le bienfaiteur arménien dont il porte le nom. Les Arméniens 
voulant instituer à Paris, en i856, une Ecole nationale supé- 

5 



s. A. R. le prince Guy 
de Lusignan. 



- 58 - 

Heure, se sont adressés au prince Guy. Son Altesse l'orga- 
nisa et en fut le directeur. Ses travaux assidus minèrent sa 
santé; il fut obligé de se retirer en iSSq. M. Roulant, ministre 
de rinstruciion publique et des Cultes, lui en a témoigné ses 
regrets par une lettre très flatteuse. 

En 1860, le prince entreprit un voyage en Russie, muni 
d'un ukase impérial. Dès i858, le sultan Abdul-Medjid, père 
du sultan actuel, appréciant hautement les services signalés 
que ce prince rendait à son empire, lui conférait le grade 
d^Oula senfe ewêl, titre qui équivaut à celui de général de 
division, lui donnait la plaque de TOrdre du Medjidié et un 
souvenir magnifique dans deux audiences privées. Le czar 
Alexandre II et plusieurs autres souverains s'empressèrent 
d'imiter l'exemple du sultan et se plurent à honorer le prince 
Guy de leurs décorations et de leurs précieux souvenirs. 

Gentilhomme accompli, bon tout autant qu^afTable, 

Il excelle surtout par sa distinction; 

On ne peut rencontrer de causeur plus aimable, 

On sent auprès de lui naître l'attraction. 

Il sait des passions éviter les orages; 

Hugo fut son voisin et son admirateur. 

En Grèce il eût pris place au milieu des sept sages, 

Du faible n'est-il pas Tami, le protecteur? 

Illustre rejeton d'une immortelle race, 

Prince loyal et bon, toi qui de tes aïeux 

Au chemin de l'honneur poursuis la noble trace, 

Sans souci des propos, des sots, des envieux, 

Qui, joignant la science à la philosophie, 

Dédaignant les honneurs que comporte ton rang. 

Au sort des malheureux as consacré ta vie, 

Sois à jamais béni, tu tiens bien de ton sang. 

s. A. n. la princesse Cest cu Fraucc, sa patrie d'adoption, que Son Altesse a 

Marie de Lasignan. l*«i j «t %f«^jr 

choisi la compagne de sa vie. La comtesse Marie Godefroy 
Le Goupil mérita, par ses vertus, ses talents et sa beauté, de 



- 59 - 

devenir sa royale épouse. La jeune princesse se dévoua aussi- 
tôt au soulagement des infortunes et sut faire apprécier ses 
innombrables qualités, non seulement de son illustre mari, 
mais encore du monde littéraire et artistique. Douée d'une voix 
superbe de soprano et d'un talent magnifique, consacrés uni- 
quement au profit des œuvres de charité, elle conquit une 
renommée universelle et les titres les plus enviables : VAnge 
du bieriy la Providence des malheureux, la Bienfaitrice de 
V humanité, 

La lettre de M"® la comtesse Foucher de Careil, alors 
ambassadrice de France à Vienne, Téminentc présidente de 
l'Association des Dames françaises, en fait foi : 

u Madame la Princesse, 

» Je viens vous remercier du concours que vous voulez 
bien apporter à l'Association des Dames françaises. Elles 
sont heureuses de compter Votre Altesse parmi elles. Votre 
nom, Madame, qui est celui de la Charité, accroîtra encore 
leur zèle et leur dévouement. 

» Veuillez agréer, Madame, l'expression de mes senti- 
ments les plus distingués. 

» Signé : Comtesse Foucher de Careil. 

» Vienne, ce 10 février 1886. 

» Ambassade de France, place et palais Lobkowitz. » 

Victor Hugo, locataire de la maison appartenant à la 
famille de Lusignan, admirait l'exquise nature de Taimable 
princesse. Voici la lettre que le poète lui adressait le jour du 
cinquantenaire d^Hernani : 

a Entre nos deux âges, Madame, il y a la place d'un 
cinquantenaire d'Hernani. Mes quatre-vingts ans offrent 



— - ôo — 

leurs respects à vos trente ans, et mes vieilles lèvres baisent 
vos jeunes mains. » 

RéiQsiiiaiion de L^ princessc Marie de Lusignan avait vu se grouper 

l'Ordre de MélusÎBc. r i i i» • * 

autour d elle une foule de personnes distinguées par leurs 
talents et leurs vertus, professant Tamour du prochain et la 
religion du Beau et du Grand. Le nombre de ceux qui aspi- 
raient à rhonneur d'appartenir à cette phalange d'élite, deve- 
nant de jour en jour plus considérable, Son Altesse, mue 
par une pensée pieuse et délicate, décida, de concert avec son 
illustre famille, de rattacher le présent au passé glorieux de 
sa Maison, C'est ainsi que l'Ordre antique et célèbre de 
Mélusine fut réinstitué le i5 août 1881 par la princesse Marie 
de Lusignan, qui le destina à servir l'humanité, à protéger 
les arts, les sciences et les lettres,et à soulager les misères (1). 



Au pays poitevin, une légende antique 

Qu'on retrouve aujourcrimi chez de nombreux auteurs, 

Mensongère dit l'un, d'après l'autre authentique, 

Car tout donne, ici-bas, prise aux contradicteurs, 

Raconte qu'une fée, ayant nom Mélusine, 

Célèbre par son tact et sa lucidité, 

Portant buste de femme, et d'un serpent Téchinc, 

Des Lusignans, jadis, fonda la royauté. 

On affirme en Poitou qu'un coup de sa baguette 
Fit surgir un beau soir sur un riant coteau, 
Un castel ayant tours, créneaux et girouette 
Qui des sires devint le fief et le berceau. 
L'histoire dit aussi qu'elle y fut enfermée 
Durant de longues nuits, en un noir souterrain, 
Jusqu'au jour où Raymond, pour l'avoir trop aimée, 
La perdit pour toujours et mourut de chagrin. 



(i) 11 devint comme un uinbli'mc dcsUiié à resserrer les licui» qui l'unissaienl a ccu\ 
dont clic voulait honorer les mérites, le dévouement pour sa TarniHc et la coopération 
ciïective à ses bonnes œuvres. 




s. A. II. la princesse Marie de Lusignan. 



- 63 — 

Ce fut en souvenir de cette vieille idylle, 
Et pour récompenser, sublime mission, 
Les exploits des croisés, que la belle Sibylle, 
Digne épouse de Guy, dernier roi de Sion, 
Créa l'Ordre royal de la chevalerie 
Dont, de fournir le nom, Mélusine eut l'honneur. 
Et que, de Lusignan, la princesse Marie, 
Vient de faire revivre en toute sa splendeur. 

Un bijou, cette croix, de grâce et de finesse, 
Où l'argent, avec goût, s'entremêle à l'azur. 
Et qu'entoure une grecque à l'élégante tresse. 
Formant un tout parfait, du travail le plus pur. 
Chypre, Jérusalem, Lusignan, Arménie, 
En emblèmes divers, composent l'écusson 
Dont le cadre, fermant la savante harmonie, 
Supporte la couronne en brillant étançon. 

Des actes de vertu, cet Ordre est le symbole. 
Et ne doit reposer que sur les nobles cœurs 
A la caisse du pauvre apportant leur obole, 
Pour chasser la misère et calmer les douleurs. 
Son but est, avant tout, un but humanitaire 
Resserrant les liens de la fraternité, 
Car sa grande-maîtresse est l'ange tutélaire 
Dont l'unique plaisir se nomme Charité. 



Cette résurrection d'un ordre chevaleresque en plein 
XIX* siècle et que chanta si bien Victor Gresset, fit sensation 
à Paris et ailleurs. Elle fut accueillie avec empressement et 
avec reconnaissance non seulement parles savants, les artistes 
et les humanitaires, mais encore par les têtes couronnées et 
par ceux qui s^intéressent aux glorieux souvenirs du passé. 

L'année suivante, Marie de Lusignan travaillait à la fonda- 
tion de YArménophile^ dont les statuts, soumis aux pouvoirs 
publics, devaient être publiés le 12 avril. Cette société inter- 
nationale de bienfaisance avait pour but d'élever en France 
des jeunes Arméniennes orphelines. Leur éducation achevée, 



-64- 

ces jeunes filles devaient retourner en Orient, en y portant 
les principes de la civilisation française et devenir, à leur 
tour, institutrices. 

Cette œuvre admirable de charité chrétienne n'a pas été 
autorisée par la République sur la demande du gouverne- 
ment intéressé, qui la considérait, à tort, comme une pépi- 
nière destinée à répandre dans son pays, avec l'éducation fran- 
çaise, des germes de liberté. 

Une princesse russe, fort connue du monde parisien, la 
pria, un jour, de lui montrer ses bijoux qui, pensait-elle, 
devaient être magnifiques. Après un moment de silence, 
l'auguste princesse Marie répondit avec le délicieux sourire qui 
lui était habituel : « Mes bijoux, Altesse, sont mes pauvres. » 

Ces nobles paroles ont inspiré, encore ces jours-ci, à M. le 
chanoine Benedetto Flauti le beau sonnet suivant, publié le 
3o septembre 1894 dans la Ga^iettino Artistico de Florence : 

Aima rcgal, più grande ancqra c bclla 
per la immcnsa pictà che albcrghi in petto ; 
o^gi il mondo ti applaudc, ed inorpclla 
la festa tua del suo più grato affctto. 

Dovizie, ingegno e quanto mai t*abbclla, 
tutto a pro di chi langue hai tu dirctto ; 
il povero dal cor non ti cancclla, 
e Dio sorridc al Nome tuo diletto. 

Lo so - vi fu chi t! gridô : che fésli ? 
ove son le tue gemme e la grandezzci 
de le dovizie che dal Cielo avesti ? 

E tu, modesta ne la tua bellezza, 
additandole i povcri, dicesti : 
ecco le gemme mie, le mie ricchezze î 

Victor Hugo était devenu Tami des Lusignans et le 
respectueux admirateur de la princesse. Dans les dîners qu'il 



— 65 — 

donnait en Thonneur de Leurs Altesses Royales et auxquels 
des ministres et des sénateurs étaient invités, au lieu de 
s'asseoir en tête de la table, comme il en avait Thabitude, le 




Plaque de TOrdre de Mélusine. 



poète déclinait la présidence en faveur de la princesse, pour 
se réserver une place à ses côtés, lui rendant ainsi les 
honneurs souverains. 

On sait que c'était chez le poète une règle absolue de ne 



— 66 — 

faire aucune visite. L'empereur du Brésil lui en fit plusieurs ; 
Victor Hugo ne lui en rendit aucune. Mais un soir d*avril, 
le poète revêtit son manteau couleur de muraille, et, furtif, 
comme un assassin qui va perpétrer un crime, il se rendit 
vers rhabitacle princier. C'est que la princesse lui avait fait 
don de sa photographie. Mais en prenant congé de ses 
hôtes : « Je vous en supplie, fit-ii, n'en dites rien à personne; 
il y a autour de moi des présidents de République qui en 
seraient jaloux. » 

Les sociétés lyriques de France et d'Italie ont couronné 
Marie de Lusignan, qui était désignée sous le nom de Diva 
royale. Les artistes, les écrivains, les compositeurs lui 
dédiaientleursœuvres.Lepatriarche de Jérusalem lui aconféré 
rOrdre du Saint-Sépulcre, comme à la très digne descendante 
des reines de Jérusalem; le Venezuela lui a offert TOrdre du 
Mérite artistique et la plaque du Libérateur. Un grand 
nombre d'académies ont proclamé hautement ses mérites et 
ses bonnes œuvres. L'Ordre pontifical des Avocats de Saint- 
Pierre lui conféra le titre de présidente d'honneur de ses dames 
patronnesses ; elle sut témoigner à Tinstitution divine de la 
Papauté et aux œuvres catholiques sa foi inébranlable et son 
inépuisable charité. Quelle magnifique union que celle d'un 
prince, digne descendant d'une des plus grandes familles 
d'Europe, avec une femme qui mérita, par ses qualités enchan- 
teresses, d'être appelée la Nouvelle Fée Mélusine! Mais le 
bonheur, ici-bas, est de courte durée. Marie de Lusignan fut 
bientôt enlevée à Taffection des siens qui l'adoraient, à 
l'amour des malheureux dont elle était la providence, à 
l'admiration des artistes dont elle se montra la généreuse 
protectrice. Dieu la rappela à lui le 22 septembre 1890. Cette 
mort inattendue fut une perte immense, et le deuil le plus 
profond dans lequel était plongée la Maison royale de Lusi- 



-67- 

gnan, fut vivement ressenti de toute l'Arménie et du monde 
entier. 

Les années n'ont pas diminué ce regret universel qui 
se manifeste sans cesse, de près comme de loin, par des 
lettres et par de touchantes poésies. Citons celle publiée, le 
i8 novembre 1894, à l'occasion de l'anniversaire de sa mort, 
par la revue Religione et Patria : Une Larme sur la Tombe 
de la Princesse de Lusignan : 



UNA LAGRIMA SULLA TOMBA 

Délia Principessa de Lusignano 



E chi detto ci avria chc il cor dolente 
pianger di Te dovesse, angiol dilctlo, 
e che giovane ancor, muta, pallentc, 
Tu fossi stesa sul funerco letto ? 

Di elevati pensier piena la mente 
calda, pet cari tuoi di tanto afletto ; 
gentil, pietosa, pia, casta, clémente ; 
d^ogni cletta virtude ornavi il petto. 

O come afflitto ahimè ; lasciasti al mondo 
l'illustre sposo ch'ancor piange e anelo 
il riso chiede del tuo amor giocondo. 

Deh ! nella notte, avvolta in roseo vélo 
vieni al Gonsorte e con desio profond o 
bacialo e grida : son lassù nel cielo ! 

Annbtta Creari nei Bini 



De cette union, qui fut un court rayon de soleil dans la 
vie du prince Guy, sont nés deux enfants : Emilie -Gabriellc 
et Léon-Amaury-Gaston. 



rovale. 



— 68 -- 
Lnion des deux bran- En 1869, unc rcquôtc avftit été présentée à Napoléon III 

chcs de la MaUoa , . 1 r • • 1 r n • 

par les princes de Lusignan ; mais la guerre franco-allemande 
interrompit cette négociation, entamée dans les conditions 
les plus favorables. 

Le 2 mai 1878, le prince aîné Louis de Lusignan, en sa 
qualité de chef de la Maison royale, invita officiellement ses 
neveux à abandonner les noms d^emprunt qu^un sentiment 
de circonspection leur avait fait adopter. Voici la lettre de ce 
prince et la déclaration officielle par laquelle il reconnaît ses 
neveux comme membres de la branche cadette des Lusignans : 

« Mes chers neveux, 

» En ma qualité de chef de la famille royale de Lusignan, 
je vous invite à reprendre ce nom vénéré. C'est là votre droit 
incontestable, et je ne veux plus désormais que vous hésitiez 
à en user. 

» J'ai donc donné ordre au notaire des Affaires étrangères 
de dresser un acte formel, par lequel je vous reconnais et vous 
déclare pour mes neveux de la branche cadette de notre famille 
royale de Lusignan. 

» Je vous enverrai bientôt cet acte dûment légalisé, et 
je veux qu'il soit considéré, ainsi que la présente, comme 
déclaration officielle du chef de la famille royale de Chypre, 
de Jérusalem et d'Arménie. 

» Votre affectionné oncle, 

» Signé : Louis de Lusignan, 
» Prince royal de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 
» Saint-Pétersbourg, 2 mai 1878. » 

Suit la signature du notaire public Guillaume King, 
certifiant véritable la signature du prince Louis, fils de 
Christodoulos. 



-69- 

Voici la déclaration officielle faite en faveur des princesr 
Léon, Guy et Khorène de Lusignan : 

« Moi, soussigné, Louis de Lusignan, descendant de la 
branche aînée de la famille royale des Lusignans de Chypre, de 
Jérusalem et d'Arménie, reconnais les princes Léon-Youssouf 
Nar Bey de Lusignan, Guy-Ambroise Nar Bey de Lusignan 
et Jean- Khorène Nar Bey de Lusignan, pour mes parents et 
cousins de la branche cadette de notre famille royale, et je 
déclare qu'ils ont le droit de porteries armes des Lusignans et 
de participer à tous les droitSy privilèges et honneurs dus à 
notre famille royale. 

» En foi de quoi, je leur ai délivré la présente déclaration 
en trois exemplaires originaux, contresignés de mon nom et 
revêtus du sceau royal des Lusignans. 

» Signé : Louis de Lusignan, 
i> Prince royal de Chypre, de Jérusalem et d* Arménie. 

Fait à Saint-Pétersbourg, le 26 mai de l'an du Christ 1878. » 

Suit encore la signature de Guillaume King, du même 
jour^ légalisant la déclaration du. prince Louis, fils de 
ChristodQulos. 

Au consulat de France à Saint-Pétersbourg, le 8 juin 
1878, le chancelier Théodore Meyer légalisait la signature de 
M. King sous le n^ 1 18. 

La convention du 4 juin 1878 a imposé aux deux bran- Les revendications des 
ches de cette illustre Maison, le devoir de s'unir étroitement ?""!'" reconnue» 
pour faire valoir auprès du gouvernement anglais leurs droits 
sur l'île de Chypre. L'adresse que le prince Louis, de concert 
avec ses cousins, envoya au cabinet de Saint-James le 24 juillet 



— 70 — 

de la mcme annce, fut publiée par le Times le 12 août suivant, 
avec un long article sur la valeur des droits invoqués. Cette 
question fut aussi pleinement traitée par les principaux 
organes de la presse européenne, car les revendications des 
Lusignans, reconnues légitimes, suscitent à l'Angleterre des 
difficultés qu'elle n'avait point prévues au moment de la 
signature du traité. Une nouvelle requête, accueillie aussi 
favorablement, fut enfin adressée en 1879 par le prince Louis, 
au nom de ses cousins, à lord DuflFerin, ambassadeur d'Angle- 
terre à Saint-Pétersbourg. Malgré le mutisme de l'Angleterre, 
il est difficile d'admettre, comme le faisait judicieusement 
remarquer le Golos, dans son numéro du 3i juillet 1879, que 
les droits des descendants des anciens rois de Chypre ne 
soient point reconnus, lorsque le sort de l'Ile sera définitive- 
ment réglé. L'Angleterre devant acheter à la Turquie les 
domaines royaux de Chypre, celte question sera nécessaire- 
ment débattue et tranchée. 

Par une heureuse coïncidence, les deux branches de la 
Maison de Lusignan, providentiellement conservées au 
milieu de tant de désastres, sont encore étroitement unies à 
l'Arménie et à la Grèce. C'est pourquoi, à la chute du roi 
Othon, les organes autprisés de la presse proposèrent aux 
Grecs d'élire un de ces princes pour leur souverain. 

On lisait en effet dans V Abeille du Nord, un des grands 
journaux de Saint-Pétersbourg, numéro du 28 janvier i863, 
l'article suivant que nous reproduisons en entier, traduit 
du russe : 

DES CANDIDATS AU TRONE DE GRÈCE 

« Voici encore une nouvelle candidature pour le trône 
de Grèce, représentée par deux personnes habitant la Russie, 



— 71 — 

dont les ancêtres régnèrent jadis sur un peuple de la même 
race et de la même origine que le peuple grec. 

» Nous voulons parler d'une des plus anciennes familles 
de l'Europe, de la famille de Lusignan, qui commença à 




S. A. R. le prince Louis de Lusignan. 



régner du temps des croisades et régna pendant plus de trois 
cents ans en Orient, précisément à Jérusalem, à Chypre et 
en Arménie. Les membres de cette famille' se trouvaient en 
proche parenté avec deux dynasties impériales de Bysancc, 
avec la dynastie des Cantacuzènes et celle des Paléologues. 
9 Les descendants de la dynastie royale des Lusignans 
existent encore, et les derniers représentants de cette dynastie 
sont deux personnes, le père et le fils. Le premier est le 



prince Louis de Lusignan et le second le prince Michel de 
Lusignan, actuellement encore mineur. Ces deux princes 
appartiennent à l'Église d'Orient. Ce sont eux qui sont juste- 
ment les nouveaux candidats au trône de Grèce actuellement 
vacant. 

» Nous ne trouvons pas inutile de dire que si les Hellènes 
voulaient prendre en considération la religion de ces princes, 
ainsi que cette circonstance que leurs ancêtres régnèrent sur 
un peuple de la môme race grecque, et principalement s'ils 
avaient égard aux liens de parenté qui unissent les princes 
de Lusignan aux anciens empereurs de Bysance , ils trouve- 
raient que la candidature de ces deux princes, comparative- 
ment à toutes celles qui ont été mises en avant, leur présente 
le plus d'avantages^ et a le plus de droits à la couronne de 
Grèce, » 

Mais, alors comme aujourd'hui, les Lusignans ont tou- 
jours vécu en dehors de toute ambition dynastique; ils en 
ont donné l'assurance dans l'adresse qu'ils envoyèrent au 
ministre des Affaires étrangères du cabinet de Saint-James. 

A la mort du prince Louis, arrivée le 21 juin 1884, son 
fils unique, le prince Michel, est devenu le chef de la branche 
aînée des Lusignans. Voici en quels termes \q Nouveau Temps 
de Saint-Pétersbourg annonçait la mort de ce vénérable 
prince, sous le n** 2986, le 22 juin (4 juillet) 1884: 

« Le 21 juin, le Très-Haut a rappelé à lui le représen- 
tant des défenseurs du Saint -Sépulcre, portant le titre de 
roi de Chypre, colonel en retraite de l'armée russe, S. A. R. le 
prince de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie, prince séré- 
nîssime Louis de Lusignan, âgé de soixante-dix-sept ans. 

» Son fils, le prince royal Michel, porte à la connaissance 
de tous ce triste événement, et prévient que la levée du corps 



-73- 

et rinhumation au cimetière de Smolensky auront lieu le 
samedi 23 juin, à neuf heures du matin, etc. » 

Tous les journaux ont annoncé la mort du prince Louis. 




8. A. R. le prince Guy de Lusignan. 



Les journaux semi-officiels de Constantinople, le Tarik [turc) 
et la Turquie (français), ont publié que le défunt prince Louis 
était l'oncle de l'archevêque Khorène de Lusignan, dont les 
frères, les princes Léon et Guy, habitent Paris depuis long- 
temps et se sont illustrés dans la finance et dans la littérature. 
Le prince Michel s'est fait un nom dans la littérature 

6 



— 74 — 

russe. Il jouit à la cour du czar des honneurs dus aux 
princes royaux. 

Le prince Guy, chef actuel de la branche cadette des 

Lusignans, s'illustre par des œuvres humanitaires, des 

ouvrages scientifiques et de magnifiques travaux littéraires 

et polyglottes. 

Œuvres uitépaires de S. A. R. le prince Guy poursuit le noble but d'initier 

s. A. R. le prince ,.^ . x , . ... . . , , 

Guy de Lustenan "Orient a la Civilisation européenne avec la langue et 
l'influence françaises et de faire connaître TOrient à l'Europe. 
Membre de la Société des Études historiques de France, de 
la Société asiatique de Paris, de la Société d'Ethnographie 
de France, et haut protecteur de nombreuses Sociétés et 
Académies de France et de l'étranger, il a publié beaucoup 
d'ouvrages, parmi lesquels nous citerons les plus connus : 

1 . Histoire universelle (Venise, i85 1), en six volumes ; 

2. Guides de Conversation en français, en arménien, en 
turc et en anglais (Paris, nombreuses éditions); 

3. Calligraphie arménienne (Paris, i853, plusieurs 
éditions); ouvrage très remarquable, où le type des caractères 
arméniens est ingénieusement modifié d'après les écritures 
européennes, et qui a obtenu le premier prix à l'Exposition 
universelle de i855; 

4. Histoire sainte (Théodosie, 1860, in-octavo avec i5o 
gravures) ; 

5. Abrégé d'Histoire sainte (Théodosie, 1862) ; 

6. Dictionnaire arménien-français (i)^ (Paris, plusieurs 
éditions) ; 



(1) s. M. Alexandre II, empereur de Russie, témoigna sa haule satbfaction de la 
dédicace à lui faite de cet ouvrage, en faisant parvenir à l'auteur un magoiBque souvenir 
et les insignes de l'Ordre de Saint-Stanislas. 



-75- 

7. Dictionnaire français-turc (Paris, plusieurs éditions); 

8. Traité de Géographie (Théodosie, 1862); 

9. Dictionnaire arménien-turc (Théodosie, 1864) ; 

10. Lecture pour tous (Paris, 1867). 

Son Altesse a traduit en arménien divers ouvrages 
français, dont voici les principaux : 

1. V Éducation des Filles^ de Fénelon (Venise, i85o — 
Paris, 1857, avec le texte en regard) ; 

2. Paul et Virginie (Paris, i856; deux éditions. Tune 
illustrée, l'autre avec le texte français) ; 

3. Télémaque (Paris, 1859, in-12, avec le texte— 1860, 
grand in-8<» illustré), magnifique édition. 

Il a aussi dirigé, de 1857 à 1859, la Colombe du Massis, 
revue arméno-française illustrée, et publié différents articles 
d'érudition , de philologie et d'économie sociale dans des 
revues françaises et arméniennes. Le Grand Dictionnaire 
de Géographie et d'Histoire en deux volumes, de Dezobry et 
Bachelet, chez Delagrave, liii doit les savants articles concer- 
nant l'histoire, la géographie et la littérature arméniennes. 

Mgr le prince de Lusignan a également plusieurs 
ouvrages inédits : 

I. Deux Grands Dictionnaires français -arménien et 
françaiS'turc, les plus complets dans leur genre; 

L'impression du Grand Dictionnaire français^arménien 
est déjà commencée. Et voici l'opinion qu'en émet un 
savant philologue arménien après examen des quelques 
feuilles : « Ce Dictionnaire, ce chef-d'oeuvre qui est sous 



-76- 

presse, comblera plus d'une lacune dans la littérature armé- 
nienne moderne ; il montrera en même temps la richesse 
inépuisable de notre langue. 

» Trouver les équivalents arméniens des mots techniques 
et scientifiques restait jusqu'à présent un problème ardu, 
insoluble. . . Vous Pavez résolu ! C'est Tœuvre de toute une 
académie. 

» Votre Dictionnaire rendra indubitablement un immense 
service à la nation. Votre œuvre sera le couronnement de 
tous les ouvrages analogues qui ont été publiés antérieure- 
ment. En un mot, vous laisserez à la postérité une œuvre 
immortelle, ainsi que votre nom illustre et aimé. . . » 

2. Une Histoire de Napoléon I^ ; 

3. Une Histoire universelle (édition remaniée) en dix 
volumes; œuvres impatiemment attendues des bibliophiles. 

Le sultan Abdul-Hamid II, appréciant comme son père 
les travaux remarquables de Tauguste descendant des rois de 
Chypre, qui a vaillamment contribué à répandre dans son 
empire la langue et la civilisation françaises, a voulu lui 
donner un témoignage public de son estime, en demandant 
pour sa bibliothèque privée un exemplaire de ses ouvrages. 

Le grand intérêt que S. A. le prince Guy porte aux arts 
et aux lettres et les nombreuses preuves qu'il en a données 
ont inspiré de nombreux poètes, dans les œuvres desquels 
nous avons fait choix de la jolie pièce suivante que nous 
sommes heureux de reproduire : 



— 17 — 
A Son Altesse Monseigneur le Prince Guy de Lusignan 

REQUÊTE 

Votre plus grand bonheur, c'est d*encourager l'art. 
D'offrir au débutant à son point de départ 

Une main pure et franche, 
Lui permettant d'aller franchement de l'avant, 
Confiant en sa foi, croyant en son talent 

Vers la colline blanche ! 

Le sculpteur inspiré trouve un sujet nouveau 
Et le marbre renaît, sous son jeune ciseau. 

Serait-ce un Michel-Ange ? 
Pourquoi pas ? Le génie, un don du ciel tombé, 
Révèle à l'univers un enfant ignoré 

Qui grossit la phalange. . . 

Le peintre s'enflammant veut l'avenir réel, 

Il rêve aux grands anciens : Murillo, Raphaël... 

Puis aux riches modernes. 
Mais qu'ils sont loin, ceux-là, des anciens si puissants ! 
Les vieux faisaient de l'art, eux sont des commerçants, 

Les affreuses badernes ! 

C'est encore un rêveur que ce gentil blondin. 
Qui parait écouter quelque rythme lointain, 

Un fervent de musique ; 
Meyerbeer et Schumann, voilà ses professeurs. . . 
Et ses prpductions n'auront pas tant d'honneurs. 

La gloire est tyrannique ! 

Mais que veut celui-ci ? ce dément, ce rêveur ? 

Quels mots murmure-t-il ? Amour. . . beauté. .. mon cœur ! 

Dieu que cet être est bète ! 
Halle-là, taisez-vous 1 Et mettez chapeau bas, 
Ce rêveur, ce dément, on ne l'insulte pas : 

Saluez le Poète ! 

Et par vos bons conseils vous guidez ces esprits, 
Ces gloires de demain ne réclament pour prix, 

De leur belle vaillance 
Qu'un souvenir aimant, fidèle, indéfini. 
C'est ainsi qu'on devient, Prince, le grand ami 

Des artistes de France ! . . . 

Cheminâdour. 

FéTrier 1895. 



-78- 
Voici un curieux acrostiche qui est dédié au prince Guy : 



A UN AMI DES LETTRES 

O rand, généreux et bon, de race noble et fière, 
a n air doux, sympathique, et d*une allure altièref 
•^ olande Teût compris en ses élans divins ! 

O iseur fin, érudit, ami de la lumière, 

M t dédaignant toujours les poseurs et les vains. 

r* aissons ici vraiment toute la modestie. 
C n humble veut avoir sa vive sympathie 
co i précieuse, hélas ! en ce siècle blasé. 
•-H 1 n'en est de plus franc et de plus reposé. 
O énéreux à l'excès, mais Prince de la plume, 
^ arguant le sot — de la noble race qu'allume 
> chaque émotion, le feu le plus sacré... 
2; 'aimant que le talent, le talent consacré ! 

L. Brouazin. 



Nous ne pouvons mieux faire pour compléter ce qui 
vient d'être dit sur S. A. R. le prince Guy, que de reproduire 
rintéressant article suivant, que nous extrayons du très 
littéraire et artistique journal la Mandoline (numéro du 



i"^' juillet 1895) : 



A s. A. R. LE PRINCE GUY DE LUSIGNAN 

« Dans le siècle de lucre et de scepticisme écœurant où 
nous sommes, il est agréable, consolant même, d'avoir 
occasion de parler de certaines catégories d'hommes que 
leur naissance et leur haute situation sociale semblent pré- 
destiner aux seules douceurs du farniente^ et qui professent 



— 79 - 

au contraire, avec une grande élévation de sentiments, le 
culte de la littérature, des arts, des sciences et surtout de la 
philanthropie. 

» Cette inclination marquée vers le bien, que d'aucuns 
considèrent comme un devoir simple et par cela même aisé, 
est encore plus méritoire lorsqu'on la retrouve chez des 
sujets que la fortune a comblés de ses dons et qui préfèrent, 
néanmoins, délaisser la vaine gloire et les frivoles plaisirs, 
pour s'imposer la louable mission d'aider, de soutenir, d'en- 
courager et d'éclairer leurs semblables par les bienfaits qu'ils 
prodiguent aussi bien par leur argent, que par la production 
d'œuvres saines, utiles, destinées à rapprocher les peuples 
que des malentendus seuls tiennent éloignés. 

j> Parmi ces hommes d'élite, il en est un, dont le nom est 
synonyme de loyauté et d'honneur, glorieux patrimoine 
légué par d'illustres aïeux, et qu'il tient, lui, non seulement 
à maintenir intact, mais à perpétuer par le grand savoir dont 
il est doué. 

» Je veux parler de S. A. R. le prince Guy de Lusignan, 
le digne héritier de cette souche de rois qu'illustrèrent tant 
de hauts faits, et dont la renommée de grande vertu rayonne 
encore après des siècles, comme un soleil bienfaisant, sur 
Chypre, Jérusalem et l'Arménie, dont l'aïeul fut le roi bien- 
aimé, mort à Paris le 29 novembre iSgS. 

» Depuis la mort du prince Léon , survenue le 
12 octobre 1887, S. A. R. le prince Guy de Lusignan est 
devenu le chef de la branche cadette de cette famille. 

» Malgré la sympathie qu'il conserve aux pays d'Orient 
qui lui rappellent tant de souvenirs attachants, S. A. R. le 
prince Guy de Lusignan est toujours resté Français par le 
cœur comme il l'est par son origine. 

» Une vive et profonde amitié le rattache à la France, 



— 8o - 

amitié qui s'affirma encore plus le jour où il prit pour 
compagne de sa vie, une Française, M"* la comtesse Marie 
Godefroy Le Goupil, dont le charme, la beauté, l'esprit et les 
vertus décidèrent son choix. Et depuis, il s'est fixé définiti- 
vement dans ce beau pays de France qu'il a toujours tant 
aimé. 

» S. A. R. le prince Guy de Lusignan habite une villa à 
Neuilly, qui renferme, outre des collections d'objets rares et 
précieux, par leur valeur intrinsèque aussi bien que par les 
souvenirs qu'ils représentent, des manuscrits, des auto- 
graphes provenant de toutes les familles régnantes. 

» C'est là, qu'au milieu d'un amoncellement de livres, de 
cartes et de papiers, il passe une partie de son existence à 
écrire; car Son Altesse Royale est non seulement un érudit 
fin et délicat, mais aussi un grand polyglotte. 

» Victor Hugo le tenait en très grande estime et rendait 
volontiers hommage à son grand talent d'écrivain histo- 
riographe. 

» Sous ses dehors graves, presque austères, on est étonné 
de trouver autant de simplicité que de douceur, d'affabilité 
et de grâce. Sous son air langoureux qui rappelle l'Orient, 
on voit briller des yeux dont la douce rêverie vous enveloppe, 
et il n'est personne qui, ayant eu l'honneur d'être reçu chez 
lui, ne proclame le charme irrésistible de sa conversation, la 
sympathie presque affectueuse qu'il vous inspire. 

» D'une nature droite, loyale, il possède un cœur noble, 
bon et généreux, accessible à tous les maux, et on dirait qu'il 
éprouve comme un impérieux besoin de faire le bien. Aussi 
sa générosité est-elle bien connue et appréciée de tous ceux 
(et ils sont nombreux) qui l'ont sollicitée. 

» Il faudrait qu'il existât beaucoup d'hommes de valeur, 
de talent et de cœur comme S. A. R. le prince Guy de 



— 8i -- 

Lusîgnan, pour que rhumanité souffrante pût réaliser paci- 
fiquement la vraie question sociale. 

» Que sa grande modestie veuille bien me pardonner ma 
petite indiscrétion, mais j*ai pensé qu'il était utile qu'un 
hôte de la France aussi digne et aussi estimable, fût connu 
de tous et il m'est particulièrement agréable de lui rendre un 
sincère hommage, en lui dédiant les vers suivants : 



» Prince héritier des rois de Chypre et d'Arménie, 
» Ton rêve est de pouvoir servir Thumanité : 
» Aussi, consacres-tu les loisirs de la vie, 
» A la science, aux arts, à la fraternité. 

1» Dans ton cœur noble et bon, avec amour résonne 
» L'écho de la vertu de tes dignes aïeux ; 
>» Et ta royale main, à tous, sans compter, donne. 
1) Soulager le malheur, semble te faire heureux. 

» Puissent tes grands bienfaits, t'auréolant de gloire, 
i> Préparer ton chemin vers l'immortalité ; 
D Est-il un plus beau titre à léguer à l'histoire, 
» Pour rehausser l'éclat de ta postérité ?.. . 

» Louis Petrocchi. » 



Nous avons dit que Son Altesse avait eu de la princesse 
Marie deux enfants : Emilie-Gabrielle et Léon-Amaury- 
Gaston. La première a épousé le marquis Gérard de Naurois, 
neveu du comte Edouard de Naurois, fondateur-bienfaiteur 
de l'Orphelinat des Alsaciennes-Lorraines du Vésinet. 

Le frère, plus jeune, a fait ses études à Londres, en Alle- 
magne et à Paris; à la suite de brillants examens, il conquit 
ses grades universitaires; M. Edgar La Selve avait été son 
précepteur. Le prince Léon est resté plusieurs années en 
Turquie : il avait accepté du sultan, en 1882, des fonctions 



Les enfauls de Sou 
Altesse Royale : la 
princesse Emilie - 
Gabrielle, le princo 
Léon do Lusîgnan. 



— 82 — 

administratives à la Sublime-Pone, mais des questions poli- 
tiques ultérieures lui firent donner sa démission. 

Il a été élevé par Abdul-Hamid II au grade de Mutémaï^ 
senfe ewél, qui correspond en France à celui de colonel. 
Toutes les pièces officielles du prince Léon émanant du 
Grand Ottoman, portent le nom de prince de Lusîgnan. 

Traduction du brevet de Mutémaïzi-Sani (colonel) : 

« Le noble et illustre Léon, prince de Lusîgnan, membre 
du Bureau de la Presse étrangère de la Sublime-Porte, ayant 
bien mérité de la haute bienveillance du Gouvernement 
ottoman, conformément à Tordre et à la volonté glorieuse de 
S. M. I. le Sultan, le grade de Mutémaïzi-Sani (colonel) 
a été accordé au susdit noble personnage à titre de faveur 
impériale. » 

Traduit par M. Kalpakdjian, répétiteur de turc à TÉcole 
des langues orientales de Paris. 

Le prince Léon réside aujourd'hui à Paris, où il colla- 
bore aux travaux importants de son illustre père. 

Le Magasine Français Illustré écrivait de lui : a Sous 
un pseudonyme strictement gardé, le Jeune prince G.-Léon 
de Lusignan, d^une plume gracieusement virile, d*un style 
clair, enchante ses lecteurs, en les initiant aux beautés des 
pays lointains où si longtemps régnèrent ses illustres ancê- 
tres. D 

Citons les vers de M. Gresset : 

Le prince n*a qu'un fils, son image vivante, 
Comme lui distingué, vertueux, simple et bon. 
De ses yeux la douceur, sa parole avenante, 
De suite font aimer l'héritier d'un grand nom. 
Léon de Lusignan est, malgré son Jeune âge, 
Un travailleur zélé. Son front large et loyal 
Marque la volonté. Quand on voit son visage, 
En ses veines on sent que coule un sang royal. 




8. A. R. le prince Léon-Âmaury-Gaston de Lusignan. 



— 85 — 

Son affabilité, son noble caractère, 

Sa rare intelligence et ses nombreux succès 

Aux universités de France et d'Angleterre, 

Des postes les plus hauts, lui promettent Taccès. 

Qui peut, des temps futurs, présager les mystères ? 

Un Jour viendra peut-être, où, d'un peuple adoré, 

Il saura porter haut le drapeau de ses pères, 

Et montrer que son nom n*a pas dégénéré. 



M. Eugène Billard a dédié au jeune prince Léon sa 
magnifique Ode au Drapeau par ces jolis vers : 



A Son Altesse Royale le Prince G,- Léon de Lusignan 

Vous dont les aïeux, au temps de vaillance 
Où la fol sublime animait les cœurs. 
Ont, preux chevaliers, sous le bleu de France, 
De la royauté conquis les honneurs. 
Daignez de cette Ode au Drapeau de gloire 
Qui, dans cent combats forçant la victoire. 
Fut par nos soldats si haut déployé, 
Cher et noble Prince, agréer l'hommage 
Comme. un sympathique et chaud témoignage 
De ma bien sincère et vive amitié. 

E. 13. 



En 1891, le prince Guy, se rendant aux légitimes reven- Réinstiiution ,dc 
dications des membres de sa famille et voulant faire revivre caUicrinc-du.Mo"u. 



une institution qui avait illustré le berceau de sa dynastie 
en Orient, a repris la maîtrise de ses ancêtres et rétabli 
rOrdre des chevaliers de Sainte-Catherine, qui avait disparu 
en iSji, au moment de la conquête ottomane. Les nouveaux 
statuts de l'Ordre, devenu purement honorifique, comme 
tous les autres Ordres chevaleresques, ont été publiés la 
même année. S. A. Mgr le prince Guy de Lusignan est 



Sinaî. 



— 86 — 

aujourd'hui grand-maître des Ordres de Mélusine et de Saînte- 
Catherine-du-Mont-Sinaï (i). Son royal cousin de Russie, 
Mgr le prince Michel, conserve la maîtrise de celui de TÉpée 




Plaque de TOrdre de Saint€-Catherine-du-Mont-Sinaï. 



de Chypre, qu'il réserve exclusivement aux membres de la 
famille royale. 



(1) Voir, sur les Ordres royaux de Lusignan, lo trarail du même auteur intitulé : 
Le* Ordres chevaleresques^ publié par la Société de Statistique des Bouches-du-Rhône. 



- 87 r- 

Le 25 novembre, à Toccasion de Panniversaire de la 
patronne de l'Ordre de Sainte-Catherîne-du-Mont-Sinaî , 
M. Eugène Billard adressait à son grand-maître la char- 
mante poésie suivante comme un respectueux hommage : 

Monseigneur, 

Vous qui, gardien Jaloux des droits héréditaires, 
Par d'illustres aïeux acquis aux champs d'honneur, 
Avez, ressuscitant leurs Ordres séculaires, 
Rattaché le chainon de notre siècle au leur, 

Daignez, Prince, agréer l'humble et sincère hommage 
D'un chevalier fervent qui, plein de loyauté, 
Met à vos pieds ces vœux en juste témoignage 
Des sentiments Jaloux de sa fidélité. 



Puissent tous les élus de votre Ordre sublime, 
Sous le drapeau du droit, votre drapeau, Seigneur, 
Marcher brûlant pour vous d'un amour unanime, 
Dans les sentiers du Bien, du Juste et de THonneur ! 

Puissent les vœux ardents que, du fond de leur âme, 
Vous offrent par ma voix ces loyaux chevaliers. 
Faire au vent du succès flotter votre oriflamme 
Et sur votre beau front verdoyer les lauriers ! 

C'est dans ce but heureux qu'en chrétiens que nous sommes, 
Prêtant le vieux serment des anciens preux du roi. 
Nous jurons de lutter en vaillants gentilshommes, 
Pour vous prêts, Monseigneur, à bailler notre foi. 



C'est dans ce sentiment qu'en fêtant Catherine 
Nous marcherons, les yeux fixés sur l'avenir. 
Au cri de ralliement des fils de Mélusine : 
a Pour Loyauté toujours garder et Maintenir! » 



—.88 ~ 

Le i5 juillet iSgS, M. Victor Gresset a publié dans 

VÉcho des Jeunes, dont il est le directeur, ces poèmes 

superbes qu'il a dédiés à S. A. R. le prince Guy de 
Lusignan : 

A Son Altesse Monseigneur le Prince Guy de Lusignan 

LA SINAÏDE 

I 

LE MONT SINAÏ 

Dans le désert du Sin, où jadis de la manne, 

Durant quarante jours, Dieu nourrit les Hébreux, 

Non loin de la mer Rouge, à l'onde diaphane, 

Aux mirages trompeurs, aux gouffres ténébreux 

Où périt Pharaon et toute son armée. 

S'élève le Sina. Son front majestueux 

Semble braver le ciel ; vieille est sa renommée, 

C'est là que Jéhovah, descendant somptueux 

Au milieu des éclairs et des bruits du tonnerre, 

A Moïse remit les Tables de la loi, 

En lui montrant de loin cette fertile terre 

Promise à ses élus, dont son manque de foi 

Lui défendait l'accès. Comme, après le déluge, 

« Berceau du genre humain » fut nommé TArarat, 

De même, en ce jour-là, de son Dieu, son seul juge, 

L'homme au Bina reçut l'immuable contrat. 

Depuis, au mont sacré, de tous points, chaque année, 

La besace au côté, de nombreux pèlerins 

Viennent se recueillir. La face prosternée 

Sur les rochers brûlants, manants et souverains, 

Disciples du Koran, Chrétiens, Israélites, 

Turcs, Grecs, Romains, Gaulois, par la fol réunis, 

Croyants de tous les rangs, comme de tous les rites, 

Viennent mêler leur voix sous les arceaux bénis. 

Reniant de Satan les trompeuses maximes. 

Tous veulent rendre hommage à la Divinité 

En ce lieu mémorable où, de ces lois sublimes. 

Il a daigné doter la faible humanité I 



-89- 



II 

SAINTE CATHERINE DU MONT SINAÎ 

En Tan trois cent douzième, au sein d'Alexandrie, 

Sous le règne maudit de Maximln Daîa, 

Une adorable fille, en tous points accomplie, 

Belle comme Vénus, pure comme Hélia, 

Et dont rien n'égalait la vertu, la science, 

Vivait dans la retraite et Tabnégation ; 

Par ordre du tyran, en plein jour arrachée. 

Elle mourait martyre, & la roue attachée, 

Tandis que sa belle âme allait tout droit aux cieux. 

Cette vierge admirable avait nom Catherine, 

Et son corps fut, dit-on, au sommet du 6ina 

Par des anges porté sur un lit de sabine, 

Aux sons divins des luths entonnant l'hosanna. 

Dans le saint monastère, une blanche chapelle 
Rappelle sa mémoire et, de nos Jours encor, 
De nombreux visiteurs, à la vierge immortelle. 
Viennent offrir leurs vœux sous la coupole d*or. 



III 

l'ordre de sainte-catherine-du-sinaï 
1063 — 1891 

En mil soixante-trois, au temps du Moyen âge. 

Époque d'héroïsme et de faits éclatants, 

Où la foi, des croisés décuplant le courage, 

Princes et rois montraient l'exemple aux combattants 

En tombant bravement au sein de la mêlée ; 

Noble et puissant seigneur Robert, dit Bras-de-Fer, 

Sire de Lusignan (d'une race appelée 

A régner par la suite et sur terre et sur mer), 

Créait l'Ordre princier de Sainte-Catherine 

Du Sina, qui devint signe de ralliement 

Pour les fervents chrétiens allant en Palestine 

Défendre le Sépulcre et le saint Sacrement. 



- 90 - 

Il honorait ainsi la sublime madone, 

Modèle de sagesse et puits de piété, 

La vierge immaculée, aujourd'hui la patronne 

De Torphelin, du faible et du déshérité, 

Cet Ordre fut bientôt partout en grande estime, 

Car il n'était donné qu'aux vaillants généraux 

Qui couraient, animés d'une ardeur magnanime. 

Combattre en Terre sainte et mourir en héros ! 

Ce ne fut qu'à la fin du siècle le seizième. 
Quand les princes croisés ne purent plus lutter 
Contre les Sarrasins, que tomba cet emblème, 
Que Guy de Lusignan vient de ressusciter. 

Victor Qresset. 

Octobre 1891 



CHAPITRE lY 

L*Ordre de TÉpée de Chypre. — Renseignements divers et complets. 

M. le vicomte Oscar de Poli, président du Conseil Le coMeii héraldique 

(id Franco. 

héraldique de France, nous fournit dans Pannuaire de 1894, 
au sujet de l'ancien Ordre de TÉpée de Chypre, les précieux 
documents que nous sommes heureux de transcrire ici, en 
les résumant : 

1 . MenneniusfDe/ïci^ equestrium sive militarium Ordi- 
num, Cologne, 161 3) attribuée la Maison royale de Lusignan 
l'institution de l'Ordre des chevaliers de Chypre, mais sans 
en préciser l'époque. Il parle de l'obligation du secret imposé 
aux chevaliers et de la devise française : « Pour loyauté 
maintenir. » 

2. Aubert le Mire ne parle pas de cet ordre cypriote 
dans ses Origines equestrium sive militarium Ordinum 

Anvers, 1609). 

Par contre, en 1620, André F avyn (Théâtre d'Honneur et 
de Chevalerie) s'étend longuement sur l'Ordre de Cypre et 
de Lusignan dict de l'Espée. « En Tannée 1 195, dit-il, Guy de 
Lusignan, roy de Hierusalem et de Cypre, institua l'Ordre de 
l'Espée, dont le collier estait composé de cordons ronds de soye 
blanche, nouée et cord'onnée en lacs d'amour, entrelassez de 
lettres S ferm'ées d'or : au mitan , une ovale cleschée d'or 



— 92 - 

dans laquelle estait une espée, la lame esmaillée d'argent et la 
garde croisée et fleurdelysée d'or; autour de Tovale estait 
cette légende en latin : SecuritasRegni. Il donna cest Ordre de 
sa main à son frère Amaury, connestable de Hierusalemet de 
Cypre, et aux trois cents barons qu'il avait establis en son 
nouveau royaume, et le jour de là cérémonie, feste de l'Ascen- 
sion, en l'église de Saincte-Sophie, cathédrale de Nicossie, il 
leur fit ceste harangue remarquable : 

« Que tout Estât ou Royaume estait comparagé au corps 
» humain, dont le Roy faict la teste, la Noblesse le bras 
» droict, la Justice le gauche, et le Tiers Estât le reste. 
» Qu'après Dieu il mettait Tasseurance et conservation de 
» son nouveau royaume en la vaillance de ceste généreuse 
» noblesse qui^ pour acquérir la gloire, avait mis soubs les 
» pieds le repos et plaisirs d'une vie otieuse en leur maison 
» paternelle au doux air de la France, pour courir la fortune 
» et péril de la mer, et vivre en tout un autre élément, parmy 
» les nations incognuës. Qu'il leur donnait le collier de 
» rOrdre de l'Espée, ayant telle espérance qu'ils employe- 
» raient la leur pour la manutention de l'Église Catholique, 
» Apostolique et Romaine, le service du Roy, confort de la 
» Justice, protection et défense des veuves et orphelins et la 
» tranquillité du peuple. C'est pourquoy il les exhortait tous 
n d'estre unis et joincts ensemble en amour et concorde, au 
» nom de Celuy qui est la mesme paix, le Père, le Fils et 
» le Saint-Esprit. » 

» C'estait le serment des barons de Cypre, chevaliers du 
dict Ordre, lequel, par l'ordonnance du dici roy Guy, devait 
estre donné par le connestable du royaume, ou, en son 
absence, par le plus ancien baron chevalier, lequel envoyait, 
puis après, le serment du nouveau chevalier pour estre enre- 




quc^ dicliiJ' Jucfzù^ jn ûxcv- 




-95 - 

gistré en la chambre du Trésor. En donnant le dict Ordre, on 
observait et gardait les mesmes cérémonies qu'en France. » 

3. En 1692, Tabbé Bernard Giustinian (Origine degVOr- 
dini militari e di tutte le Religioni cavalleresche) traite de 
rOrdre de Chypre qu'il appelle TOrdre royal du Silence. 
Il dit que TOrdre était sous la règle de saint Basile, que les 
rois de Chypre le dotèrent de riches commanderies et qu'il se 
répandit par toute l'Europe, notamment en Italie et en France. 

4. Hermant, dans sa deuxième édition (Histoire des Reli^ 
gions ou Ordres militaires)^ et Jean-François de Grignan 
de Craponne traitent de l'Ordre militaire des chevaliers de 
Chypre ou chevaliers de l'Épée, et en attribuent l'institution 
à Guy de Lusignan. « Cet Ordre possédait des commanderies 
dans le royaume de Chypre, ce qui le rendait fort illustre 
pendant que la Maison de Lusignan fut en possession de 
ceste isle, à laquelle il rendit de grands et signalez services. 
Les choses du monde changent continuellement : ce royaume 
ayant passé à d'autres maistres, cest Ordre fut anéanty ; il ne 
reste plus que ce que l'histoire a conservé. » 

5. « Guy de Lusignan, dit le P. Anselme, en 1 192, ayant 
acheté de Richard P', roy d'Angleterre, l'isle de Chypre pour 
la somme de cent milescus d'or, institua TOrdre de l'Epée. » 

6. Le P. Hélyot (Histoire des Ordres monastiques, 
religieux et militaires), traitant des chevaliers de l'Ordre de 
Chypre ou du Silence, appelés aussi de l'Epée, dit de Guy de 
Lusignan : « A peine eut-il pris possession de son royaume, 
l'an 1 192, qu'il institua un Ordre militaire pour s'opposer 
aux descentes et aux irruptions que les infidelles pouvaient 
faire dans cette isle... Il fut aboli après que Catherine 
Cornaro, veuve de Jacques de Lusignan, eust cédé ce royaume 
aux Vénitiens. » 



-96- 

7- Bernard Giustinian, déjà cité, donne la série des 
grands-maîtres de l'Ordre depuis Guy de Lusignan jusqu'à 
Francesco Morosini, cinquante-deuxième grand-maître en 
1688, héritier, comme doge de Venise, des droits de la 
Maison royale de Chypre. Il ajoute, sur le témoignage de 
plusieurs auteurs, que Pierre de Lusignan, roi de Chypre, 
allant vers le pape Urbain V, en i363, logea à Venise chez 
Frédéric Cornaro et lui conféra cet Ordre , avec l'hérédité 
pour tous ses descendants et le droit d'en décorer leurs 
armoiries. 

8. « Martin Villain, seigneur de Rassenghien, advoué 
de Thamise, dit Duchesne, fut en Jérusalem Tan 1454, et à 
son retour, il passa par le royaume de Cypre, où Charlotte, 
royne de Hierusalem, de Cypre et d'Arménie, le receut avec 
de grands honneurs. Car ayant esté deument informée de la 
noblesse de sa maison, de la splendeur et excellence de ses 
vertus, du mérite de ses belles et glorieuses actions, et de la 
fidélité et affection singulière qu'il portait à son royaume, 
elle luy octroya, entre autres marques de bienveillance, son 
arme, enseigne et Ordre royal de l'Espée, dont aucuns 
princes , barons et chevaliers de la chrétienté estoient 
décorez. Outre laquelle faveur, elle luy accorda pareillement 
le pouvoir et aucthorité de conférer le mesme Ordre à deux 
autres gentilshommes, qui du moins fussent chevaliers ou 
escuiers, tels que sa prudence et sa foy militaire daigneraient 
choisir. Ce qui s'aprend des lettres qu'il en raporta, passées 
au palais royal de la citadelle et ville de Nicosie, le lundy 
23 juillet 1459, et dont voici la teneur : 

« Karlotta, Dei gratiâ Jérusalem, Cypri et Armeniœ 
Regina,etc., Nobili ac strenuo militi Domino Martino Villain, 
domino de Rasseghem, fideli nostro dilectissimo, salutem et 



- 97 — 

sincère dilectionis affectum : Libenti et grato quidem animo 
illos nostri honoris titulis exaltamus et honoramus quos 
antiqua progenies et gloriosa nobilitas decusque et meritorum 
suorum multitudo exigit et requirit. 

» Hinc est quod tibi, ex sacro viatico Sepulcri Dominici 
redeunti, et nostrae majestati requîrentî armam sive specta- 
culum insigne et Ordinem Nostrum Spatae, quo nonnulli 
mundi et Christi fidèles Principes, Barones, nobiles et milites 
soliti sunt decorari ; Nosque de praemissis, generis tui nobi- 
litate, virtutisque charitate ac laudabilium rerum a te gesta- 
rum venustate, et erga nos regnumque nostrum fide et devo- 
tione plenissime informate sumus, gratiose et tuis exigentibus 
meritis, armam sive insigne spectaculum et Ordinem Regalem 
nostrum Spate tibi, praestito nobis corporali et consueto 
juramento et sub verbis secretis ad dictum Ordinem spec- 
tantibus, conferimus, concedimus et elargimur, ac insuper 
omnimodam concedimus presentium tenore facultatem et 
auctoritatem, et duobus aliis nobilibus, dumtaxat militibus 
seu scutiferis, quos merito sub tua prudentia ac militari fide 
et per juramentum tibi prestitum duxeris eligendos, quorum- 
que nobilitas et virtus apud te perfide dignorum testimonium 
comprobetur, dictam armam seu insigne spectaculum, ac 
Regalem ordinem nostrum Spate predicte, nostra auctoritate, 
cum universis et singulis juridictionibus, prerogativis, hono- 
ribus oneribusque, et juramentis et sub verbis secretis ad 
dictum Ordinem spectantibus, tradere, donare et concedere 
possis et valeas. 

» Datum in nostro palatio citadelle civitatis nostre 
Nicosie regni nostri Cypri, anno Natîvitatis Domini nostri 
Jesu Christi 1459, indictione septima, die lune 23 mensis julii, 
sub impressione nostri regalis sigilli in similibus consueti. 
Benedictus de Ovetariîs de Vincentia scripsit, » 



Lcllrc de la reine 
Charlotte au séna- 
teur Cornerio. 



-98- 

Suit le sceau portant les armes de la reine, et qui sont : 
Ecartelé , au premier et quatrième d'argent , à la croix 
potencée d'or, cantonnée de quatre croisettes de même, aux 
deuxième et troisième fascé d'argent et de gueules de sept 
pièces , chargé d'un lion d'argent , armé et lampassé de 
même. On voit au-dessous deux épées entrelacées. 

A ces renseignements, fournis par le Conseil héraldique 
de France, j'ajoute les suivants qui les complètent : 

Bernard Giustinian a laissé dans son ouvrage un supplé- 
ment appréciable à la chronologie delà Maison des Lusignans. 
C'est la lettre suivante, que la reine Charlotte adressa au 
grand sénateur Pierre Cornerio : 

a Car lot ta Dei gratid Hyerusalemi, Cypri et Armeniœ 

Regina, 
» Spectabilis et Generosi Vir Fidelis Noster Carissime ! 

» La vostra Lettera hauemo receuta, e volentiera l'hauemo 
vista, la quale hauemo ben' intesa, delo vostro dispiacere, e 
danno molto ne despiace. Et perche allô présente mandemo 
in quelle parte per nostre ardue facende lo nostro caro, et 
Fedel Cavalier et Consilier mis. D. de Risbesaltes. Allô 
quale hauemo comesso refferire certe cose per parte nostra. 
Ve preghiamo le vogliate credere, come alla nostra persona, 
vogliate per perte salutare la Donna Vostra et se possemo 
fare cosa ve sia grata lafare mo volentiera. 

» Che Christo con voi sia ! 

» Regina Carlotta. 

» Datta Rodi à V Agosto MCCCCLXVIII. » 

L'adresse de la lettre est : 

« Spectabili atque Generoso Viro 

)) Et Duo Petro Cornerio Nostro Carissimo. » 



- 99 — 

Pierre Lambrecîus (1666) fait mention du journal de Lejoumaide 

Fempereur Frédéric, dans lequel, au chapitre xv, il est parlé 
des statuts de l'Ordre : 

« Marqués ceux qui ont voyagé avec moi et qui sont 
devenus chevaliers avec moi : Marius, évêque de Trieste; 
comte Eberhard de Hirteberg cadet; comte Bernard de 
Schaunberg, etc. 

» Qui est dans l'Ordre de Chypre, a une épée qui doit 
être portée à la ceinture. Le vers est en français et signifie 
qu'on doit protection aux chrétiens. 

» Et ce que l'Ordre renferme, un chacun qui en fait 
partie, a le devoir de faire vœu d'en garder le silence et de 
jurer que jamais il n'en parlera à personne, pas même à ceux 
qui sont comme lui dans l'Ordre et qui ont les mêmes devoirs 
à remplir. 

» Avant tout , chaque dignitaire , le saint jour de 
l'Ascension, de l'Exaltation de la Croix, et en automne, doit 
entendre et faire dire quatre messes et un office chanté en 
l'honneur de la Sainte Croix, et doit faire une offrande selon 
sa volonté en l'honneur des cinq saintes plaies. 

» Et lorsque le chef de la chevalerie, qui est le roi de 
Jérusalem, de Chypre et d'Arménie, veut marcher contre les 
païens, pour conquérir le Saint-Sépulcre, chaque chevalier 
doit l'accompagner à ses propres frais, pour lui prêter main- 
forte. S'il y a quelqu'un qui veut l'accompagner sans avoir le 
moyen de le faire, alors les autres doivent lui venir en aide 
selon leurs moyens. 

» Il doit protéger la justice, les veuves et les orphelins. 
Voici les seules causes qui peuvent dispenser de prendre part 
à pareille expédition : les maladies, la guerre du chef de 
l'Etat à laquelle on est obligé de participer , si une guerre est 



— 100 — 

en train de se décider, ou si on est en lutte avec un autre à 
cause de son honneur. » 

Ces notes de Tempereur Frédéric nous donnent sur 
rOrdre de Chypre des détails inédits. 

Lorsque la république de Venise s'empara de Chypre, 
les doges usurpèrent la grande-maîtrise de TOrdre de TÉpée. 
Voici la liste de ces prétendus grands-maîtres : 



I 

2 

3 

4 
5 
6 

7 
8 

9 

10 

1 1 

12 

i3 

14 
i5 
lô 

ï7 
i8 

19 
20 



— 1489. Agostino Barbarigo. 

— i5oi. Leonardo Loredano. 

— i52i. Antonio Grimani. 

— i522. Andréa Griti. 

— i538. Pietro Lando. 

— 1545. Francesco Donato. 

— i553. Marc' Antonio Trevisano. 

— 1554. Francesco Venerio. 

— i556. Lorenzo Priulî. 

— 1559. Girolamo Priuli. 

— 1567. Pietro Loredano. 

— iSjo. Aloigi Macenigo. 

— 1577. Sébastian Veniero (i). 

— 1578. Niccolo de Ponse. 

— i585. Pasqual Cigogna. 

— 1595. Marino Grimani. 

— i6o5. Leonardo Donato. 

— 1612. Marc' Antonio Bombo. 

— 161 2. Niccolo Donato. 

— 161 5. Antonio Priuli. 



(1) Ils contiDuent après la conquôte des Turcs. 



— lOI — 

21. — 1618. Francesco Contarini. 
23. — 1619. Francesco Erizzio. 

23. — 1623. Francesco Molin. 

24. — 1624. Carlo Contarini. 

25. — i63o. Francesco Cornaro. 

26. — i63i. Betrucci Valiero. 

27. — 1645. Giovanni Pessaro. 
.28. — i656. Domenico Contarini. 

29. — i658. Nicolo Sagredo. 

30. — 1659. Aloigi Contarini. 
3i. — 1674. Giovanni Cornaro. 

32. — 1675. Nicolo Contarini. 

33. — i683. Marc'Ant. Giustiniani. 

34. — 1688. Francesco Morosini. 



A ce moment, l'Ordre parut s'éteindre. 

Mais les descendants des rois de Chypre, véritables 
grands-maîtres de l'Ordre de l'Épée, avaient conservé secrè- 
tement cet Ordre dans leur famille. Nous le retrouvons, 
après un oubli apparent, dans Tauguste personne du prince 
Louis, chef de la branche aînée, reconnu par tous les 
membres de sa royale Maison comme grand-maître de leur 
Ordre antique de TÉpée de Chypre. 

Le collier de l'Ordre, porté aujourd'hui par les chefs des lc coiiier de rordrv. 
deux branches de la Maison royale de Lusignan , consiste 
en une chaîne d'or formée de petites roses, entrelacées de la 
lettre S et trois fois la lettre R. A cette chaîne est suspendue 
une R à laquelle tient un médaillon surmonté de la couronne 
royale. Dans le médaillon, on voit l'épée entourée d'une S et 
entourée de la devise : « Pour loyauté maintenir. » 



— 102 — 

Armes de la Maison Voicî Ics armcs actuclles dc la Maison royale de 

royale de Losignan. _ 

Lusignan : 

Ecartelé : au premier d'argent, à la croix poiencée d'or, 
cantonnée de quatre croiseites du môme, qui est de Jéru- 
salem ; au deuxième burelé d*argent et d'azur, de six pièces, 




Armes de la Maison royale de Lusignan. 

au lionde gueules, armé, lampassé et couronné d'or, la queue 
nouée fourchée et passée en sautoir, qui est de Lusignan; au 
troisième d'or, au lion de gueules, armé et couronné d'or, 
lampassé d'azur, qui est d'Arménie ; au quatrième d'argent, 
au lion de gueules, la queue nouée fourchée et passée en 
sautoir, armé et couronné d'or et lampassé d'azur, qui est 
pour le royaume de Chypre. 

L'écu est surmonté de la couronne royale; le tout 
entouré du collier de l'Ordre de TÉpée, sous un pavillon royal 
fourré d'hermine, est comblé de la couronne de Jérusalem. 

Ordre : « De TÉpée dc Chypre. » 

Devise : « Pour loyauté maintenir. » 



CHAPITRE V 



Lettres de plusieurs souverains et hauts personnages, échangées 
avec la princesse Marie de Lusignan. 



I 



S. A. R. Marie de Lusignan suivait avec le plus vif 
intérêt les merveilleux progrès de cette nation néo-américaine 
que de vaillants pionniers vinrent implanter sur les côtes 
d'Afrique en Tannée 1821. La république de Libéria a déjà 
pris un tel essor dans notre civilisation moderne, qu^on en 
serait étonné, si Ton ne savait les prodiges que peuvent 
enfanter Tamour de Thumanité souffrante, que nous inspire 
la religion de Jésus-Christ, et le nom si magique de liberté! 

Sa première assemblée législative siégea en i85i et la 
jeune république a pris rang parmi les nations civilisées. 

Voulant donner à ce peuple une marque de l'intérêt 
qu'elle lui portait, la princesse Marie conféra le grand-cordon 
de ÏOrdre de Mélusine à l'illustre Président de la république 
de Libéria, sir A.-William Gardner, qui a été plusieurs fois 
réélu par les Libériens. 

Elle lui fit part de sa nomination en ces termes : 



LcUrc de S. A. H. 
la princeise Marie 
au Président de la 
république dr 
LilW^ria. 



— 104 — 

« A Son Excellence Jlf.-AnfA.-W. Gardner, Président 
de la république de Libéria. 

» Monsieur le Président, 

)> La renommée bien méritée qui environne votre illustre 
nom comme chef d'État, les services signalés que vous avez 
rendus à la patrie libérienne et à Thumanité, nous procurent 
aujourd'hui la satisfaction bien agréable de vous conférer le 
titre de grand-cordon de notre Ordre royal de Mélusine. 

» Nous prions Dieu, Monsieur le Président, qu'il vous 
ait en sa sainte et digne garde. 

» Signé : Marie. 

Fait à l'hôtel de Lusignan, le 5 février 1882. »> 

Voici la lettre de remerciement de S. E. le Président 
Gardner : 



Lettre de romcr- 
ciementdu président 
de la république do 
Libéria. 



RÉPUBLIQUE DE LIBERIA 

Département exécutif. 

u A Son Altesse Royale Marie de Lusignan, princesse 
de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 



» Madame la Princesse , 

» Je prie Votre Altesse Royale de croire combien j'ai été 
flatté de la gracieuseté avec laquelle vous avez daigné me 
conférer le grade si honorable de grand -cordon de votre 
Ordre de Mélusine. 

» Je l'accepte comme l'expression immédiate de l'intérêt 
qu'inspire à Votre Altesse Royale la république de Libéria, 



— io5 — 

que j'ai Thonneur de présider, et je prie Votre Altesse 
Royale de croire à l'assurance de la haute considération avec 
laquelle j'ai l'honneur d'être, Madame, votre très fidèle 
serviteur. 

» Signé : Anth.-W. Gardner. 
9 Monrovia, le 22 mai 1882. » 



II 



. Le 25 juillet 1882, la princesse Marie adressait à u cardinal oonnet 
S. Em. le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, la Méiulme '^ 
lettre suivante : 



« Éminence, 

» Si les vertus chrétiennes, les grands services à la 
religion, la dignité d'une vie austère et éminemment utile 
devaient trouver leur récompense, le noble exemple que vous 
n'avez jamais cessé de donner suffirait pour expliquer le 
choix de cette distinction. 

» Nous avons chargé, Éminence, le grand-aumônier de 
notre Maison de vous offrir le grand-cordon de notre Ordre 
royal de Mélusine, précieux souvenir des chevaleresques 
ancêtres de la Maison de Lusignan, qui ont versé leur sang 
pour la foi chrétienne et qui se sont fait un titre de gloire 
d'être les intrépides défenseurs de la sainte Église. 

» En vous priant d'invoquer sur nous et sur notre Maison 
les bénédictions du ciel, nous vous exprimons, Éminence, 
les sentiments de notre sincère et filial attachement. 

» Signé : Marie de Lusignan, 
» Princesse royale de Chypre, de Jérusalem et d* Arménie. 

-> Fait à rhôtel de Lusignan, le 25 juillet 1882. )) 



— io6 — 

C'est le 2 août que le grand-aumônier de Son Altesse 
remit à Son Éminence les insignes de l'Ordre. 

Le cardinal en fut tellement touché que, malgré ses 
quatre-vingt-sept ans, il voulut immédiatement écrire lui- 
même la lettre de remerciement que voici : 



It/^ponso du cardinal 
h la princesse. 



ARCHEVÊCHÉ DE BORDEAUX 

a A Son Altesse Royale Marie de Lusignan, princesse 
de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie, 



I/()r«lrp do Mi^lusiiio 
aii\ rmii' rai Iles du 
canlinal Duiiiiot. 



» Madame la Princesse, 

» J'ai été sensible au delà de tout ce que je puis dire à la 
distinction que j'ai reçue par les mains de M. votre grand- 
aumônier. Je ferai part au Saint-Père de tout le bien que 
vous répandez dans tous les lieux où vous portez vos pas, 
afin qu'il bénisse votre Maison, comme je vous bénis moi- 
même de tout cœur. 

» Signé : f Ferdinand, cardinal DonneTj 
• Archevêque de Bordeaux. 
)' Bordeaux, le 2 août 1882. » 

Son Éminence fit aussi hommage à Son Altesse d^un de 
ses ouvrages avec une dédicace des plus aimables. L'envoyé 
de la princesse reçut les plus grands honneurs. 

Lorsque, peu de temps après, mourut cet éminentissime 
cardinal, la princesse chargea son grand-aumônier ainsi que 
M. le chanoine Gallot (de Bordeaux) de la représenter aux 
funérailles du prince de l'Église. Voici les deux télégrammes 
qu'elle fit adresser à ces deux dignitaires de son Ordre : 



a Monsieur le chanoine Gallot, archevêché de Bordeaux. 

» La princesse de Lusignân a été douloureusement 
frappée par la mort de S. Em. le cardinal. Vous savez 
combien il lui était attaché, combien il appréciait son noble 
cœur, et aussi combien la princesse était fière de le compter 
parmi les hauts dignitaires de son Ordre. 

» Elle vous prie de la représenter, avec son grand-aumô- 
nier, aux funérailles de Son Éminence. 

» Signé : De Vieuxval, 

» Secrétaire. » 

fi Monsieur le comte Auriac. 

» La princesse de Lusignân vous prie de la représenter 
comme son grand-aumônier, aux funérailles du cardinal 
Donnet. Sa mort la plonge dans la plus vive douleur. Il 
était une gloire de son Ordre et un chevalier fidèle et dévoué. 

» Signé : De Vieuxval, 

» Secrétaire. » 

M. le grand-aumônier, portant les insignes de grand- 
officier de l'Ordre royal de Mélusine, suivait le char funèbre, 
ayant à ses côtés les trois vicaires généraux du diocèse, ainsi 
qu'un des petits-neveux de l'illustre cardinal. 



III 

Le 6 août de la même année, M. le grand-aumônier lo roi iiEspapnc. 
présentait à S. M. don Alphonse, roi d'Espagne, les insignes 
de grand-croix de l'Ordre de Mélusine, ainsi que la lettre 
suivante : 



— io8 — 

« A Sa Majesté Très Catholique don Alphonse XII, roi 
d*Espagne. 

» Sire, 

» Le peuple espagnol , dont vous êtes la providence 
vivante, n'a cessé de marcher dans la voie du progrès depuis 
que Dieu vous a fait monter sur le trône de vos glorieux 
ancêtres. C'est une ère nouvelle qui a commencé pour 
TEspagne. Votre règne sera une des plus belles pages de 
rhistoire de votre beau pays. 

» Tous ceux qui s'intéressent au sort de la généreuse 
nation espagnole applaudissent de tout cœur à vos heureux 
efforts; le succès les couronne et Dieu les bénit. 

» Dans ces circonstances, Sire, nous serions flattée que 
Votre Majesté acceptât les insignes de notre Ordre royal de 
Mélusine, ce précieux souvenir de nos chevaleresques aïeux. 

» Le grand-aumônier de notre Maison a été chargé, en 
conséquence, de vous présenter les insignes de cet Ordre, 
dont l'acceptation flatteuse sera pour nous un titre de gloire, 
en même temps qu'elle prouvera à Votre Majesté combien ses 
hauts mérites sont justement appréciés. 

» Et sur ce, nous prions. Sire, que Dieu vous ait en sa 
sainte et digne garde. 

» Signé : Marie de Lusignan, 
» Princesse royale de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 

» Fait à rhôtel de Lusignan, le 1" août 1882. » 

Le roi don Alphonse reçut avec beaucoup d'honneur 
renvoyé de la princesse à Comillas, où Sa Majesté passait 
la saison des bains. Il fut très touché de cette gracieuse attcn- 



— I09 — 

tion; les journaux officiels la firent connaître au public. Il 
retint le comte grand-aumônier deux heures près de lui et le 
chargea de faire savoir à la princesse qu'il aurait l'honneur 
de la remercier lui-même. 

En même temps que Sa Majesté, plusieurs personnages 
espagnols furent nommés dans TOrdre de Mélusîne (i). 



IV 



En 1884, le 24 du mois d'août, S. E. le général Crespo lc président ac u 

..... , , . ,,^ , I »4-/i . république de Véiié- 

remerciait amsi la grande-maitresse de 1 Ordre de Mélusîne : ^^^^^ 



« Le Président de la république de Venezuela à Son 
Altesse Royale Marie, princesse de Chypre, de 
Jérusalem et d'Arménie, etc. 

î) Altesse, 

» Avec une profonde satisfaction, j'ai reçu le titre 
suprême de grand-cordon de l'Ordre royal humanitaire de 
Mélusine, créé au xii® siècle par votre reine, la belle 
Sibylle de Lusignan, ainsi que la lettre flatteuse dont les 
beaux termes m'enorgueillissent et m'honorent, lesquels 
vous me fîtes la faveur de m'envoyer le 18 du mois de juin 
dernier. 

» J'apprécie au plus haut point cette distinction honori- 



(i) s. M. don Louii, roi de Portugal, et le roi de Saxo avaient déjà reçu la même 
distinction. 



I 10 — 



fique, qui est moins due à mes mérites qu'à la bienveillance 
de Votre Altesse Royale, et, selon nos lois fondamentales qui 
l'ordonnent ainsi, je demanderai au Corps législatif de ma 
patrie l'autorisation nécessaire pour accepter le titre suprême 
que vous daignez me conférer. 

» Que Votre Altesse Royale veuille accueillir le témoi- 
gnage de ma gratitude, ainsi que l'assurance de la plus haute 
considération et le respect, avec lesquels je suis, 

» De Votre Altesse Royale, le dévoué serviteur. 

» Signé : J. Crespo (i). » 



ucardinai-arcbevèquc U Indicateur général d'Europc (organe des stations d'été 

doNapics. gj d'hiver), dans son numéro du i" janvier 1886, consacre à 

S. A. R. Marie de Lusignan et à l'Ordre de Mélusine un 
article des plus remarquables. Nous extrayons de ce journal 
la lettre que S. Em. le cardinal Sanfelice, archevêque de 
Naples, écrivait à la princesse pour la remercier de sa nomi- 
nation dans l'Ordre de Mélusine : 

a A Son Altesse Royale Marie de Lusignan, princesse 
de Chypre, de Jérusalem et d* Arménie. 

n Altesse Royale^ 

» Je suis très heureux de pouvoir vous témoigner vive- 
ment toute ma reconnaissance pour avoir bien voulu, vous 
qui êtes si noble et si généreuse, inscrire mon nom dans le 
Livre d'or de votre Ordre royal de Mélusine. 

(1) L*iUu8lrc géuéral Ocspo vient (rôU'C nonim^* do iiou\oaii, à ruiiaiiimilè, rré^iiloul 
lie la répabliquc do Venezuela. 



— III 



» Le diplôme et les insignes de l'Ordre avec les paroles 
flatteuses qui raccompagnent, m'ont d'autant plus ému que 
je ne croyais pas les mériter. Votre Altesse a voulu de cette 
façon me récompenser pour ce que j'ai fait lors de la dernière 
épidémie. Mais je dois pourtant lui avouer que si même, en 
cette triste circonstance, j'avais perdu la vie pour mes chères 
brebis, je n'aurais fait que mon devoir, car je suis pasteur 
d'àmes et j'appartiens à ce rang suprême où brille la pourpre 
qui est la devise de la charité. 

r> Tout, en vous remerciant, Altesse, je prie Dieu de 
répandre sur vous et sur votre Ordre ses faveurs et ses 
bénédictions. 

» Je suis votre humble et très obéissant serviteur. 

)> Signé : f Guillaume, 

» Cardinal-archevêque. 
» Naples, le 15 mars 1885. » 



VI 



En 1886, le Président de Costa-Rica écrivait : u pk-smIoui ho la 

république ilc Costa- 
Kici. 

« A Son Altesse Royale Madame la princesse Marie de 
Lusignan, princesse de Chypre, de Jérusalem et 
d'Arménie. 

» Madame, 

» J'ai eu l'honneur de recevoir une lettre signée par 
Votre Altesse, datée à Paris du 10 avril dernier, et y adjoint 
un diplôme, par lequel Votre Altesse me confère, sans que je 
le mérite, le grade suprême de grand-cordon de l'Ordre 



— 112 — 

royal humanitaire de Mélusine, ancienne chevalerie de votre 
Maison. 

» Je présente à Votre Altesse mes remerciements les plus 
expressifs, de la généreuse distinction qu'elle a daigné me 
conférer et des paroles hautement bienveillantes et gracieuses 
que Votre Altesse m'adresse, en me faisant part de Thonneur 
dont je suis l'objet. 

» En répondant à Votre Altesse que j'accepte le titre de 
grand-cordon du noble Ordre royal de Mélusine, il m'est 
très agréable de lui exprimer mes sentiments de haute estime, 
avec lesquels je suis, 

» De Votre Altesse, le très dévoué serviteur. 

» Signé : Bernardo Soto. 

» Écrite au palais présidentiel de Saint-Joseph 
de Gosta-Rica, le 7 août 1886. » 



NU 



Le patriarche de Au moîs dc janvier 1887, Sa Béatitude le patriarche latin 

rusa cm. ^^ Jcrusalcm, Mgr Vincent Bracco, fut nommé grand-croix 

de l'Ordre royal de Mélusine. L'éminent patriarche adressa la 
lettre suivante à la princesse royale de Lusignan : 



« Altesse, 

» J'ai reçu la lettre et le diplôme dont Votre Altesse 
Royale a daigné m'honorer. Quoique je ne sache pas avoir 
rien fait qui me rende digne d'une pareille distinction, 
j'accepte avec reconnaissance ce témoignage de votre bien- 
veillante générosité et je vous en remercie de tout mon cœur. 



— 1 1 3 — 

j> En priant le Seigneur de vous bénir, j'ose vous offrir, 
Altesse, l'hommage de ma respectueuse considération. 

j> Signé : f Vincent, 
» Patriarche de Jérusalem. » 



Voici maintenant la nomination de la princesse Marie Noiniiiaiiondcs.A.K. 

, la princesse Marie 

dans TOrdre pontifical du Saint-Sépulcre et la traduction j^^s rordre ponu- 

du diplôme qui lui conféra cette dignité : ^c»' <*" saint-sé- 

pakrc. 

L'importance de ces documents ne peut échapper à 
personne. 



PATRIARCAT LATIN 

de Jérusalem 

« Altesse, 

» J'ai l'honneur et le plaisir d'adresser à Votre Altesse 
Royale le brevet de Dame du Saint-Sépulcre. Je crois accom- 
plir, par cet acte, un devoir de reconnaissance pour la haute 
sympathie et le touchant intérêt que vous voulez bien témoi- 
gner à rÉglise de Jérusalem et à son humble pasteur, et il 
m'est particulièrement agréable d'honorer, en la personne de 
Votre Altesse Royale, la mémoire de vos illustres ancêtres, 
qui portèrent la couronne royale du Saint-Sépulcre. 

» En priant Votre Altesse de daigner agréer cet hommage 
de ma gratitude et de mon respect, j'ai l'honneur de vous 
réitérer l'assurance de ma religieuse considération. 

» Signé : f Vincent, 
» Patriarche de Jérusalem. 
» Jérusalem, le 3 mai 1887. » 



Texte du brevet de 
l'Ordre du Saint- 
Sépulcre, de Lusignan, 



— 114 — 
<c A Son Altesse Royale Madame la princesse Marie 



» Vincent Bracco, 

» Par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège 
apostolique, patriarche de Jérusalem et grand-maître de 
rOrdre du Saint-Sépulcre, 

» A notre très chère en Jésus-Christ et Sérénissime dame 
Marie de Lusignan, princesse de Chypre, de Jérusalem et 
d'Arménie, salut et bénédiction dans le Seigneur. 

» Le zèle ardent et Téminente piété dont Votre Altesse est 
animée pour ces saints lieux de la Palestine, nous engagent 
à vous donner un témoignage de notre gratitude. 

» C'est pourquoi nous avons décrété de vous nommer et 
instituer, et par la teneur des présentes, nous vous nommons 
et instituons Dame du Très- Saint-Sépulcre, en mémoire 
de la Passion de Notre- Seigneur Jésus-Christ, dont vous 
honorez les monuments avec une si grande piété et une si 
affectueuse dévotion. 

» Signé : 7 Vincent, patriarche. 

» Par mandement de TExcellentissime 
et Révérendissime Seigneur, 

» Signé : J. Tanus, chancelier. 

)} A Jérusalem, palais patriarcal, le !•' mars 
de Tan du Seigneur 1887. • 



VIII 

La môme année 1887, ^^ princesse Marie faisait trois 
nominations importantes dans l'Ordre antique de Mélusine : 
S. Ém. le cardinal Parrocchi, vicaire général de Sa Sainteté, 
était nommé grand-croix; Mgr Delannoy, évêque d'Aire, 



— I ID — 

grand-officier; Mgr Grassi-Landi, camérier de Sa Sainteté, 
commandeur. 

Nous reproduisons les lettres que ces hauts personnages 
ont adressées à la princesse Marie : 

« Altesse Royale, L'Émiuenlissime 

cardinal Parrocchi. 

» J'ai ctc bien surpris de la bonté de Votre Altesse 
Royale envers moi qui ne suis rien et ne fais rien, quoique 
j'aie toujours le désir de satisfaire à tout le monde en rem- 
plissant les devoirs de mon office. 

» La distinction que Votre Altesse vient de m'accorder 
dans l'ancien et royal Ordre de Mélusine, m'a été chère, 
nonobstant ma faiblesse, à cause de vos vertus, Madame 
Royale, et des gloires très antiques de la chevalerie de 
Lusignan. 

» Je tâcherai néanmoins de remplir la devise de TOrdre : 
« Pour loyauté maintenir », devise si bien maintenue par les 
Lusignans et qui convient surtout à notre âge aux chevaliers 
de la Croix. 

» Toutes bénédictions. Madame Royale, désirées à vous 
et à votre grande Maison par les sentiments de la foi et de la 
piété chrétiennes, je les invoque sur vous et sur votre auguste 
famille pendant que j'ai Thonneur, en vous remerciant avec 
la plus vive reconnaissance, d'être et de me signer, 

» De Votre Altesse Royale, le très humble serviteur* 

» Signé : L.-M. cardinal Parrocchi (i), 
» Vicaire général de S. S. Léon XIII. 
j> Rome, le 14 août 1887. » 



(l) s. Ém. le cardinal Parrocchi a roçu, en 1891, VOrdre de Sainte^Catherine-da- 
Mont'SinaU 



— ii6 



Mgr l'évoque d'Aire. ÉVÊCHÉ d'aIRE 



a A Son Altesse Royale Marie de Lusignan, princesse 
de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 

» Madame, 

» Vous avez daigné me conférer le titre de grand-officier 
de votre Ordre royal de Mélusine. Je ne sais en quels termes 
vous remercier de Thonneur que vous m^avez fait en associant 
ainsi mon nom aux gloires qui se rattachent à cet Ordre. 

» Les amis qui, à mon insu, ont sollicité pour moi cette 
distinction, ont sans doute voulu signaler, par là, les encou- 
ragements que j'ai eu la bonne fortune de pouvoir donner, 
et par la parole et par l'exemple, au rétablissement des 
pèlerinages de Terre sainte. 

» Pour moi, ce que je veux y voir avant tout, c'est en 
même temps qu'un témoignage de la toute gracieuse bien- 
veillance de Votre Altesse, une incitation nouvelle à prêcher, 
pour la gloire du nom de Jésus-Christ, la pacifique croisade 
de prières et d'action qui doit remplacer aujourd'hui les luttes 
héroïques dans lesquelles se sont immortalisés vos aïeux. 

» C'est dans ces sentiments que je vous prie. Madame, 
d'agréer Thommage de la reconnaissance, avec laquelle j'ai 
l'honneur d'être, de Votre Altesse, le respectueux et dévoué 
serviteur. 

» Signé : f Victor, 
» Évoque d'Aire et de Dax. 

» Aire, le 28 août 1887. » 



- 117 



« Princesse, 

» Je profite de Toccasion que me procure la nomination 
de commandeur de l'Ordre de Méiusine, que Votre Altesse 
Royale a bien voulu m'offrir, pour vous présenter mes senti- 
ments de dévouement, de vive gratitude et l'assurance 
nouvelle de mon profond attachement. 

» Quoique indigne d'appartenir à cet Ordre, je m'effor- 
cerai d'en tenir hautement le rang, et autant que le peut un 
ministre de Dieu, je ferai ce qui dépendra de moi pour être 
fidèle aux devoirs incombant aux dignitaires de l'Ordre. 

» Je prie donc Votre Altesse de vouloir bien agréer, avec 
mon respectueux hommage, les témoignages de ma vive 
reconnaissance, dans laquelle je me dis votre très humble 
serviteur. 

» Signé : Mgr Barth.-C. Grassi-Landi, 
» Camérier secret de S. S. Léon XÏII. 

Rome, le 15 août 1887. » 



M^r Grassi-Landi. 



IX 



En i888, le Président de la république d'Haïti était 
nommé grand-croix de Méiusine. Il répondit à Son Altesse la 
lettre suivante : 



Le Président do la 
république d'Haïti. 



« Salomoriy Président de la république d'Haïti, à Son 
Altesse Royale Madame la princesse Marie de 
Lusignan . 



» Madame, 

» J'ai reçu avec un extrême plaisir votre lettre du 14 juin 
dernier. Sensible au témoignage distingué de considération 



- ii8 - 

qu'il a plu à Votre Altesse Royale de me donner, en 
m'envoyant un brevet par lequel elle me confère le titre et le 
grade suprême de grand-cordon dans TOrdre royal humani- 
taire de Mélusine, je lui en fais mes sincères remerciements. 

» Je lui donne Tentière assurance que, fier de Testime 
qu'elle veut bien m'accorder, je serai heureux si je puis 
contribuer, ainsi que j'en ai Tardent désir, à l'éclat de l'Ordre 
auquel elle me fait l'honneur de m'appeler, 

» Dans ces sentiments, je prie Votre Altesse Royale 
d'agréer, Madame, les assurances de ma plus haute considé- 
ration. 

» Signé : Salomon. 

» Palais national de Port-au-Prince. » 



X 

Le Président de la L'année suivautc, le 23 novembre 1889, Son Altesse 

zuéia "*"'^**^ ^° nommait dans l'Ordre de Mélusine le nouveau Président de 
la république de Venezuela. Ce haut personnage lui envoyait 
la lettre suivante : 

« A Son Altesse Royale Madame la princesse Marie de 
Lusignan (i). 

» Madame la Princesse, 

» J'accuse réception à Votre Altesse Royale du diplôme 
et de la note qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser, le 
23 novembre dernier, pour m'offrir le grade de grand-croix 
dans son Ordre royal et humanitaire de Mélusine. 



(1) Nous croyons inutile d'ajouter que les grands journaux de Tépoque ont publié la 
plupart de cos lettres. 



— 119 — 

» Ce témoignage de sympathie de la part de Votre 
Altesse m'a été d'autant plus agréable qu'il a été inattendu. Je 
l'accepte donc avec reconnaissance et prie Votre Altesse 
Royale d'agréer mes vifs remerciements et l'assurance de ma 
parfaite considération. 

» Signé : S.-P. Rojas Paul. 

»» Caracas, 7 janvier 1890. » 

Avec S. E. Rojas Paul, S. E. Flarville Gelin-Hippolyte, 
Président de la république d'Haïti, a reçu la môme dis- 
tinction. 

S. E. le général Crespo, Président actuel de la répu- 
blique de Venezuela, a reçu également TOrdre de Sainte- 
Catherine-du-Mont-Sinaï, en même temps que le général 
Guaita et divers autres personnages. 



CHAPITRE VI 



Aperçu des œuvres de la regrettée princesse Marie. 
Le talent de feu Mgr Khorène. — Son Ode patriotique sur l'Arménie. 



La réputation universelle que la princesse de Lusîgnan 
s'était acquise dans son apostolat de Charité, avait été 
consacrée par des témoignages innombrables de reconnais- 
sance et de dévouement qui lui arrivaient de toutes les parties 
du monde. M. le comte Gabardo Gabardi-Brocchi, admirant 
un jour ces attestations, dont une salle était remplie, la prin- 
cesse lui dit avec une grande modestie : « De toutes parts, 
on est trop bon pour moi. On me gâte (i). » 

M. le commandant Léon Féraud, président de la vaillante 
Société des Chevaliers-Sauveteurs des Alpes-Maritimes , 
annonçait à la princesse, le 2 mars 1881, sa nomination de 
Haute Protectrice de l'Association. Le diplôme la qualifiait 
de « Bienfaitrice de l'humanité », et la lettre du président, du 
14 mars, portait : « Le drapeau de la Société restera arboré 
pendant trois jours, en signe de joie et de reconnaissance, à 
l'occasion de la haute adhésion de S. A. R. M"® la princesse 
de Lusignan. » 

Son Altesse envoya, le 21 mai de la même année, à 
M. le commandant Féraud, à qui elle venait de conférer 



Les Chevaliers-Sauve- 
teurs des Alpes- 
Maritimes. 



(1) Dans la seule ville de Naples, ]es quinze premières Sociétés artistiques, littéraires et 
humanitaires, avaient conféré à la diva royale leurs diplômes et leurs croix d'or. 



— 122 — 

l'Ordre royal de Mélusine, une marque particulière de son 
admiration pour ses braves chevaliers qui avaient pris une 
part active dans le sauvetage périlleux des victimes de 
rincendie du Théâtre des Italiens à Nice, en élevant quelques 
membres à la dignité de chevalier du môme Ordre. Elle offrit, 
en outre, une distinction collective aux deux cent trois intré- 
pides sauveteurs qui s'étaient le plus signalés sur le lieu du 
sinistre, en décorant leur drapeau de la croix d'officier. Le 
Bulletin officiel de la Société ajoutait à la relation qu'il faisait 
de ce trait généreux de Son Altesse : « Nos chevaliers-sau- 
veteurs ne pouvaient être décorés par un plus grand cœur et 
par une main plus gracieuse. » 

Deux mois plus tard, le secrétaire de la princesse écrivait 
au même président de cette Société, pour le remercier de la 
croix de Mérite qu'il avait adressée à Son Altesse, et lui 
disait : « La jolie croix de Mérite qui accompagnait votre 
lettre à Son Altesse Royale, lui a été plus agréable et sera plus 
précieuse, a-t-elle dit, que le plus magnifique bijou enrichi 
des plus beaux brillants; elle sera le plus cher fleuron de sa 
couronne. Son Altesse vous prie de vouloir bien dire à vos 
vaillants sauveteurs combien elle a été charmée d'apprendre 
qu'elle a pu leur causer une joie. La croix de son Ordre leur 
rappellera sans cesse que leur héroïque conduite a été l'objet 
de son admiration. » 

C'est dire combien la regrettée princesse attachait 
d'importance à ces précieux emblèmes de l'honneur, du 
courage, du dévouement et de la bienfaisance, soit qu'elle 
les reçût, soit qu'elle les décernât. Les natures d'élite 
comprennent le prix d'une bonne action et la valeur morale 
de la récompense. Elle offrait avec un réel plaisir les insignes 
de son Ordre et se réjouissait toujours d'inscrire sur ses 
tablettes le nom d'un nouveau brave, comme elle se faisait un 



123 



Marie. 



honneur véritable d'avoir son nom gravé sur le Livre d'or 
des Sociétés savantes et humanitaires, qui Fadmettaient à 
partager leurs espérances et leurs succès dans la croisade du 
dévouement. 

L'année précédente avait donné occasion à la princesse Talent de u princesse 
Marie de faire admirer le magnifique talent dont Dieu l'avait 
douée. 

La Galette universelle des Étrangers, de Paris, publiait, 
le 20 juin 1880, l'article suivant : 

« Une partie de PArménie, ayant été dernièrement le 
théâtre d'une affreuse guerre, fut dévastée, et une terrible 
famine en fut la conséquence inévitable. Les populations des 
villes et des campagnes mouraient par milliers. Des comités 
de secours se sont organisés partout. Le cœur si charitable 
et si compatissant de la princesse Marie de Lusignan en a été 
vivement frappé. Non seulement elle a voulu procurer de 
suite du soulagement par sa fortune aux malheureuses victimes 
du fléau, mais elle veut encore y contribuer par son talent. 
L'intéressante soirée musicale qui va être donnée par S.A. la 
princesse au profit des victimes de la famine en Arménie, 
aura lieu samedi 26 juin, à huit heures et demie, en son 
hôtel de Lusignan. » 



Le résultat de cette soirée fut immense; l'enthousiasme 
fut tel que tous voulurent féliciter la diva royale de son 
magnifique succès et de sa pieuse et grande action. Le coquet 
hôtel de Lusignan et ses délicieux jardins étaient décorés et 
illuminés d'une façon ravissante. M. Jules Grévy, Président 
de la République, ainsi que les ministres et les illustrations 
que Paris renferme, avaient voulu honorer de leur présence 
cette représentation grandiose de charité; la recette merveii- 



Le Président de la 
République et len 
ministres répondent 
à l'invitation de la 
princesse. 



— 124 — 

leuse fut versée intégralement à la caisse du Comité central 
arménien de Constantinople, toutes les dépenses ayant été 
supportées par la princesse. Ce n'était point la célébrité que 
recherchait Marie de Lusignan, c'était la consolation de ceux 
qui souffraient : Amour et Charité, voilà quelle était sa 
devise (i). 
VArmMophUe. Les Arméniens, fidèles à leurs traditions sacrées, se 

prosternent à terre et la baisent pieusement, dès qu'ils 
aperçoivent de loin leur vénéré Massis (le mont Ararat), où 
s'arrêta l'arche de Noé. Ce mont sacré leur rappelle que la 
terre qu'ils foulent est la première sur laquelle marchèrent 
les patriarches de l'humanité; ils doivent, en le contemplant, 
attendre des Jours meilleurs. En 1882, une arche nouvelle, 
invisible à leurs yeux, allait voguer des bords de la Seine 
vers cette Arménie tant aimée et la colombe qu'elle renfer- 
mait devait lui apporter, comme autrefois, avec son rameau 
d'espérance, des consolations et des bienfaits. C'est qu'après 
les ressources considérables envoyées à ce peuple, la prin- 
cesse Marie allait fonder VArménophile^ dont nous avons 
parlé précédemment. Mais on suscitait à cette œuvre gran- 
diose des obstacles insurmontables. 
Le titre de . Mèrodos Les Sociétés Unies-Arménicnnes d'enseignement gratuit 

écrivaient à cette époque à la princesse, qu'avec l'autori- 
sation du Conseil de la nation, elles l'avaient fait inscrire, 
dans le registre national de la Bienfaisance, sous le litre de 
« Mère des pauvres » (8 mars 1882). 

La supérieure de l'Orphelinat arménien de Haskeuy, 
près de Constantinople, adressait, à la même date, la lettre 
suivante à la princesse Marie : 



(1) La direction de THÔpital national de Constantinople lui offrait, le SI février 188*2. 
les remerciements des nombreux malades {soulagés par Tenvoi de ses nii^dicamenl!^ et lui 
Taisait part des prières Terventes qu'on adressait pour elle au ciel. 



pauvres i 



— 125 — 

c( Illustre et gracieuse Princesse, 

» J'apprends avec joie que Votre Altesse n'épargne aucun 
effort ni sacrifice pour la fondation de la Société VAnnéno- 
philCy dont le but est de faire venir à Paris de jeunes orphe- 
lines arméniennes, et particulièrement les élèves les plus 
méritantes de mon orphelinat, pour leur donner une solide 
et brillante instruction. 

» C'est un grand bonheur pour mes orphelines que Votre 
Altesse ait daigné leur accorder sa bienveillante sollicitude. 

» C'est de la part de beaucoup d'infortunées que je 
dépose à vos pieds le témoignage de leurs sentiments de 
profonde gratitude unis aux miens, en appelant sur nous 
pour toujours votre compassion et votre bonté. 

» Daignez, illustre et gracieuse Princesse, agréer les 
ferventes bénédictions de mon cœur et celles de mes orphe- 
lines que vous avez si généreusement soulagées. 

» Nous prions le ciel de répandre ses bénédictions sur 
votre belle et heureuse tête. 

» Je reste, de Votre Altesse Royale, 

» La très humble servante. 

» Signé : La supérieure Serpouhi Nechan Calfayan. » 

M"*' la Présidente et la Secrétaire de la « Grande Société Le portrait 

des Dames arméniennes amies des Écoles » (Tebrotzacer de victor Hugo. 

Dignantz) de Constantinople, adressèrent, le 28 juillet 1882, 
à S. A. R. la princesse Marie, la prière d'obtenir, par 
sa puissante et gracieuse médiation, un portrait de Victor 
HugOy revêtu de sa signature. Le poète, avons-nous dit 
déjà, s'intéressait vivement aux œuvres innombrables de la 
princesse. 



— 126 — 

(c Nous savons, Altesse, écrivirent ces dames, que vous 
êtes accablée de toutes sortes de demandes, mais nous pensons 
que vous voudrez bien prendre en considération notre posi- 
tion exceptionnelle, puisque nous avons Phonneur de vous 
adresser cette prière au nom de la nation arménienne, qui 
est déjà redevable de tant d'éminents services à votre illustre 
famille. » 

Voici la réponse de la princesse : 

a Mesdames, 

» C'est avec un véritable plaisir que j'ai lu votre lettre 
du 28 juillet, et je vous remercie infiniment de toutes les 
gracieuses paroles que vous voulez bien m'adresser. 

» J'aime TArménie, et, vous avez raison de le croire, 
tous mes efforts tendent à la faire connaître, à la faire 
apprécier et aimer, non seulement en France, mais dans le 
monde entier, partout où mon nom et ma voix peuvent 
parvenir. 

» Sachant combien sont utiles et indispensables à la 
régénération et à la civilisation d'un peuple l'éducation et 
l'instruction de la femme, mon désir est de fonder, à Paris, 
une Société internationale intitulée VArménophile, dont le 
but serait de faire venir en France les jeunes orphelines 
arméniennes les plus méritantes, pour perfectionner leur 
instruction et les renvoyer ensuite dans leur patrie, afin 
qu'elle puissent devenir institutrices dans les écoles de la 
nation et y répandre les bienfaits de l'instruction et de la 
civilisation européennes. 

» Les statuts de la Société ont déjà été soumis à l'examen 
du Ministre de Tlntérieur. Une fois qu'il les aura autorisés 
(espérons que la politique ne l'en empêchera pas)^ je pense 



— 127 — 

être à même de fonder cette Société avec le concours de nos 
amis. C'est alors, Mesdames, que j'aurai aussi besoin de votre 
concours, et je suis persuadée que votre patriotisme éclairé 
me raccordera de tout cœur, car n'avons-nous pas le même 
but, la régénération de la nation par Técole ? 

» Donnons-nous ainsi la main, Mesdames, et travaillons 
avec courage, persévérance et dévouement pour le bien de 
cette nation arménienne, qui a tant de belles qualités pour 
être appréciée et aimée de tous. 

» Malgré ma ferme résolution de ne plus rien demander 
à mon illustre ami Victor Hugo, le grand génie qui domine 
notre siècle, j'ai voulu faire néanmoins une exception en 
votre faveur. 

» Accédant à votre vif désir, je lui ai fait signer pour 
vous une de ses grandes photographies et je vous l'offre. Je 
lui ai fait lire aussi la lettre que vous lui avez écrite. Il Ta 
trouvée charmante et remplie des plus nobles sentiments 
patriotiques; il vous en remercie. Avec son portrait, son 
esprit et son cœur seront toujours au milieu de vous. 

» Mon frère bien-aimé, S. Em. Mgr Khorène, prince de 
Lusignan, archevêque de Béchiktache, aura le plaisir de vous 
remettre la présente avec le portrait du grand poète. 

» Recevez, Mesdames, l'assurance de toute ma sympathie. 

» Signé : Marie de Lusignan, 
» Princesse royale de Chypre, de Jérusalem et d'Arménie. 
» Paris, 19 août 1882. » 

Hélas ! la politique a empêché la fondation définitive de 
VArménophile, qui devait donner à T Arménie un essaim 
d'institutrices et de mères chrétiennes capables de contribuer 
à la régénération de ce brave peuple. 

Près de la résidence de la famille royale, la princesse 



— 128 — 



La Municipalité 
de Paris. 



Dédicaces nombreuses. 



Marie possédait deux autres hôtels donnant également sur la 
magnifique avenue d'Eylau, à laquelle on donna le nom de 
Victor Hugo, même de son vivant. 

La porte principale de Thôtel princier est abritée par une 
élégante marquise, qui, par ses dimensions, enfreint les 
règlements de l'édilité parisienne. Par sa tolérance pleine de 
bonne grâce, l'autorité municipale, reconnaissant le dévoue- 
ment de Son Altesse Royale, n'a rien pu refuser à une illustre 
propriétaire qui faisait de sa maison la banque des indigents. 

Ce simple détail témoigne éloquemment combien les 
concerts de charité des Lusignans avaient acquis d'impor- 
tance dans la capitale. 

L'hôtel qu'habitait Victor Hugo porte le n® 1 24. Dans le 
vestibule, sur une porte vitrée, se détache en dépoli le blason 
des rois de Chypre. L'austère poète, qui a abdiqué le titre de 
comte, tolérait cependant l'écusson royal des Lusignans, ce 
qui prouve l'estime, l'admiration et le respect qu'il professait 
pour cette grande famille. 

Un grand nombre d'écrivains et de musiciens de mérite 
de France et de l'étranger se firent un bonheur d'offrir à la 
princesse Marie les fruits de leur talent. Nous ne pouvons 
tous des énumérer, le cadre restreint de ce travail ne nous le 
permet pas; il nous suffira de citer quelques noms. 

Le savant magistrat, M. Theligny du Castaing, envoyait 
à Son Altesse Royale un ouvrage patriotique avec cette noble 
lettre : 

« En dédiant à Votre Altesse Royale cet Essai de morale 
philosophique sur le relèvement de la France^ j'ai moins 
voulu le parer du nom si glorieux dans les fastes de notre 
histoire et si justement célèbre de nos jours dans le monde 
humanitaire, de celle que les pauvres ont surnommée l'Ange 



— 129 — 

de la charité, qu'affirmer une fois de plus devant ceux qui le 
liront mon reconnaissant et inaltérable dévouement à Votre 

Altesse Royale 

» 

M. Grandhantz-Loiseau lui dédiait son beau travail sur 
les Sociétés humanitaires françaises et étrangères. 

« Cet ouvrage, écrivait-il à la princesse, va être mis sous 
presse bientôt; j'ai voulu, avant de commencer la première 
feuille, me permettre une demande que, j'espère, vous 
daignerez accueillir favorablement. 

» J'ai le plus grand désir de vous dédier cet ouvrage en 
reconnaissance de toutes vos bontés pour les œuvres de bien 
et les Sociétés humanitaires, et pour vous témoigner toute 
l'affection que je porte à votre auguste personne. 

» Votre acceptation sera la plus belle préface que je 
pourrai y faire » 

M. Charles Catanzaro, directeur de la Rivista Italiana, 
de Florence, dédiait à Son Altesse son grand roman : La 
Triste Vérité, avec cette dédicace : 

a Altesse Royale, 

» Je prends la liberté de dédier ce très modeste écrit 
à votre illustre nom, qui signifie magnanimité, grâce et 
bienfaisance, que tous honorent et que tant d'infortunés 
bénissent » 

Un littérateur très distingué et très sympathique, 
M. Emile Hérouard, lui dédia plusieurs compositions en 
vers et notamment un magnifique poème sur la terrible 
catastrophe d'Ischia. A ce sujet, Mgr di Rende, nonce 



— i3o — 

apostolique à Paris, et le général Menabrea adressèrent au 
poète des lettres de félicitations et de remerciement. 

M"« Anne-Marie Boiteau a dédié à Son Altesse le 
Dictionnaire encyclopédique et biographique des Femmes 
célèbres de toutes les nations et de toutes les époques. 

M™* Antoine Jauffret, si appréciée par ses nombreux 
ouvrages, publiait en tête de son volume Trois Diplomates la 
lettre suivante : 

a A Son Altesse Royale 

Madame la princesse Marie de Lusignan. 

» Madame, 

» Une nouvelle contenue dans ce volume : La Victoire 
la plus difficile^ a eu le bonheur de plaire à Votre Altesse. 

» L'auteur a donc remporté la victoire la plus difficile. 

» Toute fière de ce succès', je sollicite de Votre Altesse 
la haute faveur de lui dédier le volume tout entier. 

» Inscrire en tête d'un livre votre illustre nom de Prin- 
cesse Amie des Arts et des Lettres, c'est donner à ce livre 
l'assurance d'un bon accueil » 

Parmi les maestri qui ont dédié à Son Altesse de 
ravissantes compositions, nous pouvons citer les noms de 
MM. Lodoïs Lataste, Michel Grimaldi, Michel Parravano, 
François Postiglione, Robert MasuUi, Léopold Stern, 
Casser, François de Pillis, H. Bertolino, Georges Lissa, 
Pietrapertosa, Emile Gruber, Decq, Leybach, Vasseur frères, 
H. Duvernoy, etc., etc., et, parmi les dilettantî distin- 
gués, le commandeur François Verdura, consul à Gênes de 
S. M. le Schah de Perse; Antonio Padula, Joseph Giuliano, 
Attilio Ciardini, Georges d'Olne, Nathaniel Durlacher , 
M"® Marie-Edouard Lenoir, directrice du Biographe^ etc. 



— i3i — 

M. l'abbé Gervais, compositeur sacré, dédiait à Son 
Altesse son hymne à sainte Cécile avec ces lignes : 

a Puisse ce chant à sainte Cécile, dont vous rappelez si 
bien et la noblesse et les vertus et le génie musical, vous être 
agréable! Puisse-t-il vous rappeler Tadmiration que professe 
pour votre charité, illustre Princesse, 

» Le plus humble et le plus respectueusement dévoué de 

vos serviteurs. 

» Signé : Abbé Gervais. » 

M. Perny, compositeur et savant rosiériste de Nice, a 
créé deux belles variétés de roses-thé qu'il a baptisées Tune 
« Princesse Marie de Lusignan » et l'autre « Prince Guy de 
Lusignan ». 

Un grand nombre de journaux illustrés ont reproduit les 
traits de la princesse. Beaucoup de revues scientifiques, des 
bulletins officiels de Sociétés savantes et humanitaires ont 
redit les bienfaits de Son Altesse et rendu hommage aux vertus, 
aux bienfaits et aux exploits de la Maison royale de Lusignan. 

Citons ici la charmante pièce de M. Fabre des Essarts : 

HOMMAGE A LA PRINCESSE DE LuSIGNAN 

Lorsque le cœur féru d*amour et de vaillance, 
Ayant rondache au flanc, au poing sa bonne lance, 
Le chevalier d'antan descendait au champ clos. 
Pour avoir Jusqu'au bout bonheur et force d'âme, 
II portait avec lui les couleurs de sa dame 
Et s'en allait chantant son los. 

C'était quelque lambeau de satin ou de frange, 
D'argent comme le lys, ou d'or comme l'orange, 
Parfois d'un rose pâle ou d'un rose de sang: 
Précieux talisman, aimable sauvegarde! 
Le preux sans frissonner voyait la mort hagarde, 
Quand il avait ce doux présent. 



— l32 — 

Et l'ardeur de son fier estoc n'était point vainc, 
Et le héros sentait bouillonner dans sa veine, 
Le vin mystérieux, dont s'enivrent les forts ; 
Et lorsque, triomphant, il sortait de Tarènc, 
Quelque tendre baiser octroyé par sa reine 
Était le prix de ses efforts. 

Ainsi, vos blanches mains, ô princesse idéale, 
Ont de vos deux couleurs dote ma main féale; 
Du destin maintenant que puis-je redouter? 
Ce signe protecteur sera mon bon génie, 
Il rendra mon cœur plein d'espérance infinie, 
Maintenant je saurai lutter. 

Par lui, je combattrai, non le combat féroce, 
Qui depuis six mille ans, dans la mêlée atroce, 
Jette Abel expirant en proie au noir Gain, 
Mais la lutte sereine, humanitaire, auguste, 
La lutte sans merci, qui pour but a le juste 
Et la parole pour moyen. 

Libre, joyeux, bardé de noble confiance. 
Sans oncque avoir mépris ni félonne oubliance 
Du fier serment d'honneur à vos genoux juré. 
Je serai là, debout au fort de la bataille, 
Le glaive en main, frappant d'estoc, frappant de taille, 
Le cœur de gloire énamouré. 

Et tous les vieux fléaux qui rongent notre France, 
La Guivre préjugé, la Tarasque ignorance, 
Se tordront, déchires, sous mon fer glorieux; 
Et lorsque le combat enfin aura pris cesse, 
Vous daignerez livrer votre sceptre, ô princesse, 
A mes baisers victorieux. 

Certes, je hais les rois, sombres massacreurs d'hommes; 
Qu'ils régnent sur les Tyrs ou les mornes Sodomes, 
Mon superbe mépris est le même pour tous; 
Mais quand la royauté de grâce exquise est faite, 
Quand on a la beauté pour couronne de fête. 
Quand on est reine comme vous. 



— i33 — 

Quand on vît, comme vous, pour sauver Tindigence, 
Je n'ai plus ni rancœur, ni clameurs de vengeance, 
J'évolue! Attendri, plein d'ineffable émoi, 
Devant votre grandeur, je sens ma petitesse; 
Je deviens royaliste à vous voir, noble Altesse, 
Républicaine mieux que moi ! 

Fadre des Kssarts. 

Paris, S4* jour du mois de Marie, 1886. 

Nous ne pouvons passer sous silence la savante brochure 
que M. Charles Pre'au dédiait, en 1892, à Mgr le prince Guy 
de Lusignan. Ce travail, intitulé : Histoire numismatique de 
la Maison de Lusignan, dresse Tinventaire du monnayage 
particulier des Lusignans et nous donne Thistoire monétaire 
complète de cette Maison souveraine. 

Une feuille qui fait autorité : le Monde artiste, 
montre combien avaient raison ceux qui considéraient la 
princesse Marie comme étant en même tempà une des plus 
illustres et des plus charitables princesses de notre époque : 

« Ce qu'a fait la princesse de Lusignan, elle seule au 
monde peut-être pouvait le faire, car elle possédait talent, 
beauté, Jeunesse, bonté, noblesse, vertu, fortune et enthou- 
siasme lyrique. Le constater, c'est adresser à cette femme au 
grand cœur le plus beau des éloges. » 

Voici de bien jolis vers dédiés à la princesse Marie, par 
le marquis de Lauzières de Thémines : 

Madame, un jour le grand poète 
Que la France admire entre tous, 
A, sur votre main si bien faite, 
Mis un baiser galant et doux. 

Sur cette main mignonne et nue, 
Aux doigts effilés et neigeux. 
De tous les indigents connue 
Et chère à tous les malheureux; 



- i34- 

Sur cette main au divin charme, 
Si je me penchais un jour, moi, 
Je sens bien que c'est une larme 
Que j*y mettrais en mon émoi. 

Vous que le ciel lit deux fois reine, 
Par le nom auguste des rois 
Et par la beauté souveraine 
De vos traits et de votre voix ; 

Fée et muse à la fois, chacune 
S'étant fait une égale part: 
Fée, en soulageant l'infortune. 
Muse, en vous élevant par l'art; 

Jusqu'où s'étend votre puissance? 
Sur la terre, au ciel? Dites-nous, 
Pour qu'on vous jure obéissance 
Ou qu'on vous adore à genoux. 

Venez-vous des célestes sphères 
Où Cécile trouve l'accord, 
Et pour l'hymne et pour les prières 
Du chant avec les harpes d'or ? 

Étiez -vous des saintes phalanges 
Qui défilent aux pieds de Dieu? 
Pour nous, à vos frères les anges, 
Avez-vous dit un jour adieu? 

Ou plutôt n'êtes-vous pas née 
Sous un doux regard du Seigneur, 
Du mystérieux hyménée 
De l'Espérance et du Bonheur? 

Que de fois l'on vous fit homn\agc. 
Lorsqu'on vous vit dans les salons 
Nous charmant par votre ramage, 
Sous un nimbe de cheveux blonds ; 

Lorsqu'on vous vit, comme aux féeries. 
Paraître aux bals étincelants. 
Le front couvert de pierreries, 
Dans le flot de vos voiles blancs. 



— i35 — 

Ou dans la grâce triomphante, 
Sous nos regards émerveillés. 
Passer avec des airs d^lnfante 
Par nos jardins ensoleillés! 

Mais combien vous étiez plus belle 
Le soir qu'un élan généreux 
Vous fit, & vos aïeux rebelle. 
De la rampe aiTronter les feux. 

Sous le costume poétique 
Que bravement vous empruntez 
A la paysanne helvétique, 
Les cheveux sur le dos nattés; 

Cette chevelure dorée, 
Comme on la voit aux chérubins, 
Ou comme la montre éploréc 
La Madeleine de liubcns, 

Vous chantiez de la Somnambule 
La plainte et l'amour infini, 
Idylle qu'ignora Tibulle 
Et que soupira Dcllini ! 

De votre voix mélodieuse 
Au timbre pur, au son si doux, 
La fauvette était envieuse, 
Le rossignol était Jaloux. 

Elle est si suave et si tendre, 
Et votre chant a tant d'attrait, 
Que l'on croirait vraiment entendre, 
A chaque note, à chaque trait, 

Sinon le chant de la Sirène 
Tout à la fois doux et fatal, 
Un fil de perles qui s'égrène 
Dans une coupe de cristal. 

A l'artiste, à la grande dame. 
Chacun criait : « Bravo! Vivat! » 
On ne sait plus qui l'on acclame 
De la princesse ou la diva. 



— i36 — 

Et vous voulez être acclamée 
Pour soulager plus de malheurs, 
Cachant la couronne fermée 
Sous une couronne de fleurs ; 

Car à vos notes cristallines 

Si tant de mains applaudissaient, 

Le jour après les orphelines 

Du fond du cœur vous bénissaient. 

On m'a dit qu'une main discrète 
Alla porter le lendemain 
Chez elles l'offrande secrète. . . 
Et je sais quelle est cette main! 

Je sais que, quoi qu'on en obtienne, 
L'autre ignore ce qu'elle fait, 
Afin que de la loi chrétienne 
Le bon gardien soit satisfait. 

C'est une main que, dans la fièvre 
De mes désirs tumultueux, 
Je voudrais porter à ma lèvre 
En hommage respectueux, 

Si le culte que, sans mélange, 
La vertu peut seule inspirer, 
Ne me faisait deviner l'ange 
Qu'on doit prier et vénérer. 

Marquis de Lauziêres de Thbmines. 
L'otie patPioUquc de Lc 24 novcmbre 1882, le prince Guy adressait à Victor 

Mgp Khorène. f^^^^ ,^ j^^^j.^ SuivantC I 

« Très cher et illustre Poète, 

» Mon frère Tarchevêque Khorène de Lusignan, votre 
fidèle et dévoué disciple, que vous avez daigné appeler 
a poète et confrère », me donne Tagréable mission de vous 
offrir son Ode, dont vous avez bien voulu accepter la dédi- 



- i37- 

cace et qui est intitulée : Bénis soient les amis de la pauvre 
Arménie! 

» Je sais que vous aimez TArménie ; vous m'avez souvent 
parlé avec émotion de ses antiques gloires, de ses souffrances 
présentes et de son avenir. 

» Je suis persuadé que vous aimerez aussi cette Ode, 
qui nous rappelle tout cela avec tant de vérité et de 
patriotisme. 

» Votre bien affectionné. 

» Signé : Guy de Lusignan. » 

Le jour suivant, Victor Hugo donnait un dîner en 
rhonneur du prince et de la princesse. Parmi les convives se 
trouvaient plusieurs ministres et l'élite de la société pari- 
sienne. A table, le Maître parla avec émotion de TOde de 
l'archevêque Khorène; il fit du poète les éloges les plus 
flatteurs et pria le prince Guy de Vouloir bien être son inter- 
prète auprès de son éminent frère et de le féliciter vivement 
de sa part. « Son Ode, ajouta Victor Hugo, est digne de son 
nom et de sa race par Télévation de ses pensées et la noblesse 
de ses aspirations patriotiques. » 

Nous avons dit, au chapitre m, combien la vie de La presse au sujet cio 
rillustre archevêque avait été bien remplie; il nous reste à ^^ "'"''^ *'** ^'^'' 

Khorrno. 

dire combien sa mort plongea dans le deuil la nation armé- 
nienne. La presse entière consacra à la mémoire de ce prélat 
savant, diplomate, poète et patriote, les éloges les plus flatteurs 
et les plus mérités. 

Nous nous contenterons de citer le Figaro qui fut le 
premier à donner la nouvelle de cette mort: 

« Un des prélats les plus considérables de l'Église 

lO 



— i38 — 

arménienne, Mgr Khorène de Lusignan, vient de mourir à 
Constantinople. 

» Mgr Khorène, prince de Lusignan, né en i838 à 
Constantinople, avait fait ses études chez les Mékhitaristes 
de Venise, puis à Paris, où il publia quelques poèmes dans 
différents journaux et notamment dans une revue arméno- 
française, la Colombe du Miww, qu'il dirigeait avec son frère 
le prince de Lusignan. 

» Tour à tour membre du Conseil ecclésiastique d'Ar- 
ménie, archevêque du diocèse de Béchiktache, député de la 
nation à l'Assemblée représentative, Mgr Khorène rendit de 
grands services aux blessés français et contribua à la restau- 
ration du palais de la Légion d'honneur (i). 

)) Il se rendit également au Congrès de Berlin, comme 
délégué autorisé par la Sublime-Porte, et y obtint d'impor- 
tantes garanties pour les Arméniens. 

» Sa grande érudition et sa remarquable éloquence l'ont 
fait comparer souvent aux Pères de l'Eglise grecque. » 

(Numéro du 26 novembre 1892.) 

Le lendemain, la Patrie consacrait à l'illustre défunt un 
article qui faisait sensation, car il protestait, comme de 
grands journaux l'avaient fait quelques mois auparavant, 
contre la calomnie du ministère ottoman. Les feuilles 
publiques saluèrent donc avec respect la mémoire bénie de 
Mgr Khorène et participèrent au deuil de son auguste frère, 
Mgr le prince Guy de Lusignan, comme elles avaient salué 
naguère la douce et immortelle mémoire de l'aimable et 
vertueuse princesse Marie, et partagé la douleur de son royal 
époux. 

(1) A lYpoqae do la guerre rranco-allcmande, Mgr Khorène s*^tail dévoué au soin 
des blessés. 



— i39 — 

Voici la superbe poésie à laquelle fait allusion S. A. R. le 
prince Guy, dans la lettre qu'il adressait à Victor Hugo et 
que nous reproduisons précédemment : 



ODE 

BÉNIS SOIENT LES AMIS DE LA PAUVRE ARMÉNIE 

A Victor Hugo. 



« Toule sa ma^nificenco lui a 6té enlevée ; ello 
éUil libre, elle est devenue esclave. ■ 
(I, Mach., Il, 11.). 



I 



« Nous l'aimons, m'ont-ils dit d'une voix attendrie, 
« Poète, oh ! parle-nous de ta chère patrie ! » 
Et puis, voyant les pleurs qui tombaient de mes yeux, 
« Pourquoi donc tant de deuil ? » s'écriaient-ils entre eux. 
Qu'ils soient bénis, Seigneur, ces hôtes vénérés, 
Dont le cœur sait comprendre une angoisse infinie ! 
Bénis soient ces amis de la pauvre Arménie, 
Qui respectent son nom et sa gloire sacrés. 

Vous demandez pourquoi ce grand deuil du poète, 
Pourquoi tant de soupirs, tant de douleur secrète 

Dans cet enfant inconsolé? 
Il n'a pu saluer encor les hautes cimes 
Des monts arméniens, malgré les vœux intimes 

Qu'exhale son cœur exilé. 

De son regard voilé par des larmes amères. 
Il n'a pas vu ce sol où vécurent ses pères 

Et qu'empourpra leur sang royal; 
Ce sol, cette patrie, objet de sa tendresse. 
Où l'air si doux, pour lui refusant sa caresse, 

Semble souffler si glacial. 



— 140 — 

Il n'a pu rafraîchir ses lèvres desséchées, 

Aux vivifiantes eaux qui, sous des fleurs cachées, 

Arrosèrent l'Éden jadis. 
Que ne peuvent, du moins, ses yeux toujours avides. 
Hélas ! mêler leurs pleurs à vos ondes limpides 

O fontaines du Paradis ! 

Mais quedis-je? Déjà les larmes de nos pères 
Ont changé vos ruisseaux en des sources amères 

L*azur ne s'y reflète plus. 
Le parterre divin s'est fané sur leur rive, 
Et de ces lieux déserts pas un écho n'arrive, 

Pour redire des noms connus. 

Qu'ils soient bénis, Seigneur, ces hôtes vénérés, 
Dont le cœur sait comprendre une angoisse infinie ! 
Bénis soient ces amis de la pauvre Arménie, 
Qui respectent son nom et sa gloire sacrés. 

Arménie ! Arménie ! ô ma douce patrie. 

Quelle main tyrannique, après t'avoir meurtrie, 

Osa consommer ton affront. 
En jetant les lambeaux de ton manteau de reine, 
Et courber sous le joug ta tête souveraine, 

Bien que Dieu l'eût marquée au front? 

Point de débris épars, vestiges de ta gloire, 
Après tant de splendeurs, qui donc aurait pu croire 

Qu'on te verrait mourante un jour ? 
Malgré tes souvenirs qui se pressent en foulo. 
Jamais cet étranger qui, par hasard, te foule, 

Ne te choisira pour séjour. 

Comme s'il ignorait, ce visiteur qui passe. 

Que son pied dédaigneux vient imprimer sa trace 

Su lar poussière de héros. 
Dont la mâle bravoure en ébranlant le monde, 
Arrête là leur marche en conquêtes féconde 

Au seuil de l'éternel repos. 

C'est là qu'ils sont tombés, ces princes magnanimes. 
Ces preux de l'Occident que des accents sublimes 

Célébrèrent avec orgueil. 
Terre de mes aïeux, si l'étranger oublie 
Ton nom si doux, du moins que moi je le publie. 

Qu'il vibre de mon luth en deuil. 



— 141 - 

Mais bénissez, Seigneur, ces hùtes vénérés, 
Dont le cœur sait comprendre une angoisse inlinic ! 
Bénis soient les amis de la pauvre Arménie, 
Qui respectent son nom et sa gloire sacrés. 

Toi que l'astre du jour salue à son aurore, 
Que son dernier rayon vient caresser encore, 

Pays, n'es-tu pas toujours beau? 
Terre qui fus deux fois le berceau de la vie. 
Après ce double honneur que l'univers envie, 

Ne serais- tu qu'un froid tombeau? 

Se pourrait-il, contrée entre toutes bénie, 
Que ta gloire se fût complètement ternie. 

Durant les siècles écoulés ? 
Qu'importent les malheurs, le dédain, l'ironie ! 
Ta gloire reste intacte, ô terre d'Arménie, 

Et chère à tes fils désolés. 

llegardez bien son front majestueux de reine ; 
Il jarardc malgré tout une beauté sereine, 

Que cache mal son crêpe noir. 
Tour à tour il porta, jadis, quatre couronnes, 
Donnant aux nations et des rois et des trônes, 

Avec l'exemple du devoir. 

O caprices du sort! étrange destinée!... 
Voudrais-tu donc nous dire, ô reine infortunée, 

Comment Dieu put tarir un jour 
La bonté dans son cœur, s'armer de sa colère 
Et te faire payer, par autant de misère, 

Les prodiges de son amour ? 

Où sont tes verts lauriers, tes palmes triomphales ? 
Quel est l'audacieux qui, dans tes mains royales, 

Brisa ton sceptre, don divin ? 
Tes plaines et tes monts, vastes champs de ta gloire, 
Et que couvrit jadis l'aile de la victoire. 

Voient croître l'herbe du chemin. 

Mais vous, soyez bénis, nos hôtes vénérés, 
Dont le cœur sait comprendre une angoisse intinio. 
Bénis soyez, amis de la pauvre Arménie, 
Qui respectez son nom et sa gloire sacrés. 



— 142 — 

Oui, donnez votre cœur au malheur qui l'implore ! 
Telle qu'un pâle jour qui doit bientôt éclore, 

Mais dans la nuit enseveli, 
Elle vous apparaît, cette chère Arménie. 
Quand donc, se réveillant de sa longue agonie, 

Surgira-t-elle de l'oubli? 

Ses fils qui n'ont rompu qu'un pain pétri de larmes, 
Pourront-ils jamais voir la fin de ces alarmes, 

Où Dieu les tient dans son courroux ? 
Des sommets du Massis, l'aurore renaissante 
Semble leur présager l'aurore bienfaisante 

D'un jour plein de pardon pour tous. 

La main qui fait jaillir la clarté des ténèbres, 
Comptant, comme à regret, quatre siècles funèbres. 

Bénira les Arméniens. 
Non, cette main pour eux ne sera plus avare, 
Car je la vois déjà qui s'ouvre et se prépare 

A rompre bientôt leurs liens. 

Et vous, fils de l'Europe, hôtes si vénérés, 
Vous qui comprenez bien notre angoisse infinie, 
Soyez bénis, amis de la pauvre Arménie, 
Que sa gloire et son nom pour vous restent sacrés ! 



II 



Salut, ô divine espérance, 
Baume si doux dans le malheur, 
Qui sais tempérer la souffrance 
Et tarir la source des pleurs! 
Seigneur, toi, le Dieu de nos pères, 
Qui vois nos soupirs, nos misères, 
Oh ! bénis notre nation ! 
Au mont Ararat montre encore 
Ton arc-en-ciel, riante aurore, 
Qui fut le gage du pardon. 

Ah! si par ta miséricorde, 
Il reluit sur ce mont sacré, 
Si ce pardon, ta main l'accorde, 
S'il nous est du moins assuré, 



- 143- 

Là, près de toi, divin refuge, 

Nos cœurs comme au jour du déluge, 

Bâtiront aussi leur autel, 

Où s'immolant en sacrifice, 

Ils rendront grâce à la justice, 

Par l'holocauste solennel. 

Ces cœurs broyés par l'infortune, 
Fidèles t'ont gardé leur foi, 
Et sont, à force d'amertume, 
Devenus plus dignes de toi. 
S'il leur faut achever la lie 
D'une coupe toujours remplie, 
Et rompre encore le pain des pleurs, 
Si leur angoisse et leur prière 
N'ont pu désarmer ta colère. 
S'il n'est pas assez de douleurs ; 

Nous, les enfants de cette mère, 
Peuple exilé, peuple meurtri. 
Nous le jurons, par cette terre 
Dont l'homme fut jadis pétri, 
Par la montagne glorieuse 
Qui porta l'arche précieuse, 
Par ces plaines et ces vallons 
Où les premières fleurs brillèrent. 
Où nos pères si preux tombèrent. 
Arrosant de sang leurs sillons ; 

Oui, nation infortunée, 
Enfants dispersés, nous jurons, 
Que la patrie abandonnée, 
Encor, toij^ours nous l'aimerons. 
Des bords si riants de la Seine 
A la chaude plage africaine, 
Des Alpes à l'Himalaya, 
Arménie, ô saint apanage ! 
Jamais, en marchant d'âge en âge , 
L'Arménien ne t'oubliera. 

Plein des souvenirs de ta gloire. 
Il apprendra sous d'autres cieux 
A ses enfants et ton histoire, 
Et les hauts faits de ses aïeux; 



— 144 — 

Leur fasto dans les jours de fètc, 
Leur deuil dans ces Jours où leur tète 
Reçut le baptême des pleurs; 
Rappelant du sort Tironie, 
Il dira comment TArménie 
Fut vouée à tous les malheurs. 

Mais bénissez, Seigneur, ces hôtes vénérés, 
Dont le cœur sait comprendre une angoisse inlinic! 
Bénis soient ces amis de la pauvre Arménie 
Qui respectent son nom et sa gloire sacrés. 

Et des méchants ont osé dire : 

a Leur nation erre en tous lieux 

a Où le sordide gain attire, 

a Tel un peuple maudit descicux. » 

Quoi, dans une même balance 

Placer le malheur, l'insolence, 

Les lils du Christ, ceux de Judas I 

L'Arménien garde fidèle 

8on cœur dont la foi se révèle: 

Il croit et ne blasphème pas. 

Ah ! cruels, niez notre gloire 
Et nos héros ; foulez aux pieds 
Ce sol, berceau de votre histoire, 
Qu'en fils ingrats vous oubliez. 
Est-ce un crime que la misère? 
Si nous errons sur cette terre, 
L'or vil guida-t-il nos efforts ? 
Pèlerins, loin de la patrie. 
Sous tous les cieux notre coeur prie. 
Et c'est le droit qui nous rend forts. 

Mais vous, soyez bénis, nos hôtes vénérés, 
Qui partagez du moins notre angoisse infinie, 
Bénis soient les amis de la pauvre Arménie, 
Qui respectent son nom et sa gloire sacrés. 

Impuissants ont été le glaive 
Et les fers qu'on veut nous forger. 
Que notre carrière s'achève, 
Loin de nos monts, à l'étranger ; 
Qu'on nous torture, nous dépouille, 
Qu'on refuse à notre dépouille 



- 145 - 

Un lieu de repos et de paix. 
Maljfré les affronts et routrajre. 
Uien ne ravira l'héritage 
Que nous garderons à jamais. 

Job put rester inébranlable, 
Avec sa foi dans le Seigneur; 
Au sein du malheur qui l'accable, 
Nous conservons dans notre cœur 
Un talisman, seule richesse, 
Que Dieu laisse à notre détresse, 
Après tous nos trésors perdus; 
Il résume avec nos souffrances. 
Nos gloires et nos espérancx?s, 
Nos pleurs et nos vœux confondus. 

C'est le doux nom de la patrie, 
Echo de mille sentiments, 
Qu'on prononce à genoux, qu'on crie 
Pour jurer la foi des serments; 
Nom puissant qui guida nos pères, 
Et que, dans leurs marches guerrières, 
Ils proféraient avec orgueil ; 
Nom consolant qu'ils soupirèrent 
Et qu'en succombant ils léguèrent 
A notre exil, à notre deuil. 

Arménie! ô sainte Arménie! 
Dernier souflle de nos aieux ; 
Nom suave et plein d'harmonie 
Que nous soupirons vers les cieux ! 
Le Gange, l'Oural, le Bosphore, 
Le Volga murmurent encore, 
A chaque instant, à chaque flot : 
« Arménie ! ô sainte Arménie ! >• 
Et, redisant leur symphonie, 
La Seine est leur fidèle écho. 

Ah! Simon luth brisé, si ma voix de poète, 
Suspendent leur concert après ce nom si doux. 
Vous, hôtes vénérés, prononcez-le pour nous, 
Et que votre amitié sans cesse le répète. 



Khorknk de Lusionan 



CHAPITRE VII 



Le couvent de Sainte-Cathcriiie-du-Moiit-Sinaï, où fut institué 
le premier Ordre de chevalerie des Lusignans. 



Le pays que nous décrivons est une presqu'île triangu- l» Péuinsuie sinaiiiquc 
laire s^avançant dans la mer Rouge, entre le golfe de Suez au 
couchant et le golfe d'A'Kâbah au levant. Du Sinaï, qui en 
est le cœur et presque le point culminant, elle tire sa célébrité 
et son nom de Presqu'île Sinaïtique. 

Suez et le fort d'A'Kâbah au nord, le promontoire de 
Ras Mohammed au sud, marquent les sommets du triangle; 
leurs distances , qui en sont les côtés , ne diffèrent pas 
beaucoup Tune de l'autre : 241 kilomètres de Suez au fort 
d'A'Kâbah, 214 du fort d'A'Kâbah à Ras Mohammed, 299 de 
ce promontoire à Suez. 

Jetant les yeux sur la carte, on voit que la presqu'île 
a deux parties fort distinctes, séparées par une ligne de 
montagnes, Djebel et-Tih, qui s'étend de Suez à A'Kâbah en 
s'avançant en pointe vers le sud. Au nord de cette chaîne est 
un plateau désert peu accidenté Et-Tih (l'égarement) ; au sud 
est une contrée presque entièrement couverte de hautes 
montagnes, nommée Thor (la montagne). 

Sur le golfe de Suez les montagnes s'arrêtent généra^* 
lement à quelque distance de la côte, laissant devant elles 
une plage assez large. Aux environs de Thor elles restent à 
20 kilomètres de la rive, et la plage forme une plaine de 



— 148 — 

346 kilomètres carrés nommée El-Qa'a (la plaine). II n'en est 
pas de même sur la rive du golfe d'A'Kâbah; les montagnes 
touchent presque le rivage; on n'y trouve que d'étroites 
langues de terre et quelques rares oasis de palmiers; la plus 
importante est celle de Dhahab. 
Sou histoire. Saint Denys d'Alexandrie nous apprend que, dans les 

deux ou trois premiers siècles de notre ère, beaucoup de 
chrétiens d'Egypte se retirèrent dans ces montagnes pour 
fuir la persécution. Vers la même époque, les vallées les plus 
sauvages aux environs du Sinaï se peuplèrent de solitaires et 
de moines; l'empereur Justinien fit bâtir des remparts autour 
de l'église du Sinaï pour qu'ils eussent un refuge contre les 
continuelles agressions des barbares indigènes. Du iv® siècle 
au VII® siècle, ce fut la période de la domination monastique. 
Au vil® siècle, l'invasion musulmane, venue de l'Arabie, 
détruisit la plupart des habitations des solitaires, repoussa 
dans les déserts du nord une partie des anciens habitants et 
s'assimila le reste. Seul le couvent, protégé par la forteresse 
de Justinien, put échapper à la dévastation. Sous les nouveaux 
maîtres du pays, la solitude, la stérilité agrandirent les 
déserts ; comme sous les frimas et les tempêtes de l'hiver, la 
vie se retira au cœur des vallées les mieux protégées, les plus 
fertiles. Aujourd'hui la péninsule n*a que quatre mille 
hommes, tous Bédouins, sans compter les femmes et les 
enfants, dispersés sur une étendue égale à celle de la Belgique. 
Ils forment onze tribus, dont quatre habitent le Tih et sept 
le Thor; elles sont soumises au gouvernement égyptien, 
mais elles vivent avec une certaine indépendance. La tribu 
de Djébeliyeh a le privilège de garder le couvent et de 
protéger les religieux; son territoire entoure le monastère; 
ses trois cents hommes se nomment les protecteurs des 
moines qui les considèrent comme leurs vassaux. 




PENINSULE 
SINAÏTIQUE 

Echelle: 



a aso ooo 



'^àÉ^ÉÈ2!S!^ 



m. 



i5i — 



Le voyage du Sinaï doit se faire sous la protection des 
moines grecs du grand couvent de Sainte-Catherine avec les 
chameliers de la tribu des Djébeliyeh au service du monas- 
tère. Aucun Bédouin n'oserait conduire un voyageur dans 
ces déserts sans être commissionné par le couvent. Les moines 
sont les princes du pays; leur couvent en est la capitale. 

En partant de Suez, avant d^arriver à Toasis de Feiran, 
le voyageur s'arrête à Touadi Mokatteb ou Vallée écrite, 
magnifique plaine, longue de 12 kilomètres, large de 4, 
superbe place de campement pour les nomades de la 
contrée. Les parois de rocher, les blocs de grès tombés de la 
montagne y sont couverts d'inscriptions singulières; leurs 
traits paraissent faits en martelant le roc avec une pointe de 
pierre dure. Aux inscriptions sont mêlées des croix de toutes 
formes, des figures d'hommes et d'animaux. Ce sont là les 
inscriptions sinaïtiques, formant encore pour les orientalistes 
un champ d'études en partie inexploré. 

L'oasis de Feiran s'étend sur une longueur de 4 à 
5 kilomètres dans une vallée sinueuse et étroite. On y cher- 
cherait vainement un gracieux village, des chemins, des 
enclos réguliers. Ce ne sont que de beaux palmiers entre 
lesquels se cachent quelques misérables huttes en pierres 
sèches et de petits jardins entourés d'épines, où de pauvres 
Bédouins font pousser un peu de tabac et quelques herbages. 
Les habitants, une centaine au plus, vivent de quelques misé- 
rables troupeaux de chèvres et de moutons et de leurs dattes. 
Il paraît que les religieux de Sainte-Catherine, anciens pro- 
priétaires de l'oasis, ne pouvant défendre leur bien contre les 
déprédations des Bédouins, résolurent de se les attacher par 
des bienfaits et leur distribuèrent des parcelles de terrain. 
Aujourd'hui, la plupart des Bédouins tiennent à posséder 
quelques palmiers à Feiran. Au temps de la maturité, ils 



L'oiiadi Hokalleb. 



L'oa»U de Feiran ; 
ses dattes. 



— l52 — 

viennent y cueillir leurs dattes, qui ont une véritable répu- 
tation. Les Bédouins pétrissent ces fruits et en font des 
petits saucissons couverts de peau de gazelle qu'on vend au 
Caire comme friandises. 

On identifie l'oasis de Feiran avec la station des Hébreux 
à Raphidim. La montagne où priait Moïse pendant que Josué 
combattait les Amalécites est le Djebel et-Tahouneh, la seule 
montagne qui domine le passage. La tradition veut que 
Téglise existante ait son autel sur les pierres qui soutenaient 
Moïse durant sa prière. Cette église, ornée de pilastres en 
grès rouge, de style grec, fut élevée sur les ruines d'une plus 
vaste église à trois nefs. Pharan ou Feiran avait pris de 
l'importance dans les premiers siècles de notre ère. La 
colonie cénobitique qui s'y forma fut administrée, plus tard, 
par un évêque. Les premiers titulaires dont le nom nous soit 
parvenu, furent le moine Aretas et l'évêque Macaire. Les 
moines, exposés aux déprédations des tribus indigènes, se 
transportèrent peu à peu dans les ravins du mont Sinaï, 
protégés par la forteresse de Justinien, devenue plus tard le 
couvent de Sainte-Catherine L'évêque de Pharan ne tarda 
pas à se retirer lui-même dans la forteresse et prit, dès lors, 
le titre d'évêque du Sinaï. A partir de cette époque, Pharan 
ne fit que décroître. La ville, l'église principale, la résidence 
de l'évêque étaient sur la colline de Maharrad. 
L« mlMTcur Justinien La distauce dc Feiran au Sinaï est de 49 kilomètres. Le 

rail bÂiirio cou vont. couvent dc Sainte-Catherine est bâti, suivant la tradition, 
sur le lieu même où Dieu parla à Moïse du milieu du Buisson 
ardent. Justinien éleva, en 527, l'enceinte fortifiée pour pro- 
téger l'église et les religieux contre les tribus barbares de la 
contrée. Une inscription arabe du xii® ou xiii® siècle plaquée 
sur la muraille, près de l'entrée, en conserve la mémoire. 
a Le pieux roi Justinien, de l'Eglise grecque, dans 



— i53 - 

l'attente du secours de Dieu et dans Tespoir des divines pro- 
messes , a bâti le couvent du mont Sina et Téglise de la 
montagne du Colloque à son éternelle mémoire et à celle de 
son épouse Théodora, afin que la terre et tous ses habitants 
deviennent l'héritage de Dieu, car le Seigneur est le meilleur 
des maîtres. Jl acheva la construction à la fin de la trentième 
année de son règne et donna au couvent un supérieur nommé 
Dhoulas. Cela eut lieu Tan 6021 après Adam, la cinq cent 
vingt-septième année de l'ère du Christ Notre-Seigneur. » 

Durant l'invasion musulmane, les religieux, protégés par Ledit do uahomei. 
un édit de Mahomet, échappèrent aux massacres et aux vio- 
lences des nouveaux sectaires. L'original de Tédit était écrit 
sur une peau de gazelle et signé du prophète par l'empreinte 
de deux doigts de sa main. Il fut porté à Constantinople par 
le sultan Sélim, après la conquête de l'Egypte, et placé dans 
le trésor du grand-seigneur. Les religieux reçurent en 
échange une copie munie du sceau de Sélim. Mais cette 
pièce elle-même a disparu; le couvent ne possède plus, 
aujourd'hui, qu'une transcription de seconde main, conservée 
au Caire dans les archives de l'archevêché. En voici la 
traduction : 

« Mohammed ben Abdallah a rendu cet édit pour tout le 
monde en général. Si un prêtre ou un ermite se retire dans 
une montagne, grotte, plaine, désert, ville, village ou église, 
je serai derrière lui comme son protecteur contre tout ennemi, 
moi-même en personne, mes forces et mes sujets. Puisque 
ces prêtres sont mes rayas, j'éviterai de leur faire aucun 
dommage. On ne doit prendre d'eux que des contributions 
volontaires, sans les y contraindre. Il n'est pas permis de 
changer un évêque de son évêché, ni un prêtre de sa religion, 
ni un ermite de son ermitage; aucun des objets de leurs 
églises ne doit entrer dans la construction des mosquées, pas 

1 1 



- i54- 



Les religieux prot^és 
par la Sublime- 
Porto et la Russie. 



Noms donnés 
au couvent. 



Description 
du couvent. 



même dans les habitations des musulmans. Celui qui ne se 
conformerait pas à ceci, contrarierait la loi de Dieu et celle 
de son prophète. Les chrétiens seront aidés à conserver leurs 
églises et leurs maisons, ce qui les aidera à conserver leur 
religion; ils ne seront point obligés de porter les armes; mais 
les musulmans les porteront pour eux, et ils ne désobéiront 
pas à cette ordonnance jusqu^à la fin de ce monde. 

» Cet édit a été écrit de la main d'Aby Tabb, le 3 moha- 
ram, Tan 2 de l'hégire, et de Jésus-Christ le i^^ août 622; il 
est signé par le prophète lui-même. Heureux celui qui fera et 
malheureux celui qui ne fera pas selon son contenu. » 

Les maîtres de TÉgypte n'ont pas cessé de montrer aux 
religieux du mont Sinaï une spéciale bienveillance, et les 
sultans de Constantinople, à leur avènement au trône, leur 
envoient des lettres de protection en souvenir de Tédit de 
Mahomet, par reconnaissance du bien qu'ils font aux tribus 
de la péninsule et aussi pour la vénération que les musul- 
mans eux-mêmes portent aux saints lieux dont ces religieux 
ont la garde. Ils jouissent, en outre, de la protection particu- 
lière et active de la Russie. 

Le monastère porta successivement trois noms. Au 
commencement du ix* siècle, on l'appelait couvent Sainte- 
Marie, en souvenir du Buisson ardent qui figurait la virginité 
de Marie conservée dans la conception du Verbe divin. Dans 
les siècles suivants, on l'appela le monastère de la Transfigu- 
ration, du vocable de sa grande église consacrée à ce mystère. 
Mais la dévotion spéciale des moines et des Russes à l'illustre 
martyre dont ce monastère garde les reliques apportées par 
les anges sur un sommet voisin, a fait prévaloir le nom de 
couvent Sainte-Catherine. 

Le couvent est situé au côté ouest de la vallée, sur le sol 
incliné qui monte à la base des grands rochers du Sinaï. Son 




es 
O 



c 

O 



- .57- 

enceinte forme un carré irrégulier de 80 mètres de long sur 
70 de large. Les énormes murailles, flanquées de tours, sont, 
en plusieurs endroits, soutenues par des contreforts inclinés, 
en blocs de granit rouge, sans mortier. Les meurtrières au 
sommet lui conservent l'aspect d'une puissante forteresse des 
anciens temps, malgré les masures que les moines ont élevées 
en plusieurs points sur la crête des murailles, et les petites 
fenêtres qu^ils ont percées çà et là dans les parties hautes. Le 
couvent renferme vingt-deux chapelles distribuées aux diffé- 
rents étages, dont la plus grande est celle de Saint-Michel ; 
elles ne servent qu'au jour de la fête du saint auquel elles sont 
dédiées. 

A voir la facture peu uniforme des murailles et les scul- 
ptures dont les ouvriers les ont parsemées, on reconnaît 
qu'elles furent refaites par morceaux à des époques diffé- 
rentes. On y rencontre, taillées en saillie sur le granit, des 
croix de toutes les formes usitées en divers pays. On montre 
une portion des murailles rebâties par le général Kléber au 
temps de l'expédition française en Egypte. Vu de la galerie 
élevée sur laquelle s'ouvrent les chambres des étrangers, le 
monastère se présente comme un ancien village fortifié , un 
castellum du moyen âge, avec ses rues tortueuses, ses 
impasses , ses passages couverts , ses petites places sans 
symétrie, ses vieux canons de fer rouillé au sommet des 
murs d'enceinte. Les petites maisons des moines, les maga- 
sins, les bâtiments de service sont placés sans ordre; tout est 
assez mal construit , le plus souvent couvert d^un simple 
enduit de terre glaise et dans un état de vétusté voisin du 
délabrement. 

Seule la grande église, située au milieu de l'enceinte, LégUfo do la 

paraît solide et bien entretenue. Son bel escalier, sa façade Transfiguration, 

propre, son toit neuf en zinc, son riche campanile italien 



-- i58 — 

de construction récente réjouissent Pœil du pèlerin. La 
basilique de la Transfiguration, élevée sur remplacement 
du Buisson ardent, est Pun des plus vénérables sanctuaires 
du monde. Séparée de toutes les autres constructions, elle 
les domine toutes; on sent que le couvent tout entier est pour 
elle ; aussi bien les moines la gardent-ils avec un soin jaloux. 

De grandes lettres grecques gravées sur le devant des 
marches donnent par leur ensemble le nom du supérieur qui 
Fa fait construire, Jakobos. En face de Tescalier, entre la 
façade et le mur d'enceinte, on montre le puits de la rencontre 
de Moïse avec les filles de Jéthro. La môme source alimente 
à l'extérieur du monastère un réservoir souterrain où les 
habitants du voisinage viennent puiser une eau excellente. 
Avant de pénétrer dans Téglise, on traverse un vestibule 
fermé, un nartex^ occupant toute la largeur de Tédifice. 
On admire la splendide porte de Téglise. Dans ses immenses 
vantaux de 2"5o de large et de 4 à 5 mètres de haut, pas un 
espace qui ne soit couvert de riches ornements de bronze, ou 
d'émaux d'une incomparable richesse. A gauche de la porte 
s'élève un superbe bénitier : trois vasques de marbre blanc, 
superposées et ornées de colombes d'argent en gargouilles, 
sont destinées à recevoir l'eau sainte. Elle est imposante, la 
basilique de Justinien, avec ses puissantes colonnes aux 
riches chapiteaux, son pavé de marbres de couleur et de 
porphyre sinaïtique, son abside couverte de mosaïques, son 
plafond à poutres dorées à panneaux vert et or, ses quarante 
lampes d'argent, ses dix grands lustres, ses tapis et ses 
nombreux ornements. La nef du milieu, plus élevée que les 
nefs latérales, est portée par douze colonnes, image des apôtres 
soutenant l'Église de Dieu. Le chœur est fermé par un riche 
iconostase de bois doré, chargé de tableaux moscovites. 

La mosaïque du pourtour de l'abside représente la 



— 1D9 — 

Transfiguration du Sauveur, antique vocable de Téglise. Sur 
la voûte qui couvre Tabside, on voit au milieu le Buisson 
ardent, à droite Moïse ôtant sa chaussure, à gauche Moïse 
portant les Tables de la loi, et au fond du tableau la montagne 
du Sinal. Plus haut sont deux anges et deux médaillons; 
ceux-ci représentent, dit-on, Justinien et son épouse 
Théodora. Le ciborium de Tautel plaqué d^écaille avec 
incrustations de nacre, exécuté en 1682 sous Tarchevêque 
Joanichios, le trône archiépiscopal, deux lions de bronze 
soutenant des candélabres à l'entrée du chœur, et quantité de 
tableaux et d'images attirent l'attention du visiteur. Mais le 
trésor dont les religieux sont justement fiers, qui leur 
conserve les vives sympathies de la Russie, attire les pèlerins 
et les offrandes du grand empire du nord, ce sont les restes 
précieux de sainte Catherine, vierge, philosophe et martyre 
d'Alexandrie. 

Sainte Catherine était de sang royal ; elle avait un si sainte caiherioe. 
beau talent qu^à l'âge de dix-huit ans elle confondit une 
assemblée de philosophes païens avec lesquels Maxiniin II 
l'obligea de disputer. Les actes de la sainte ajoutent qu'elle 
fut attachée sur une roue garnie de pointes aiguës, mais que 
les cordes se brisèrent miraculeusement, en sorte que la 
sainte fut délivrée; mais elle fut condamnée à être décapitée. 
Son corps fut porté par les anges sur le mont Sina en Arabie, 
disent le martyrologe et le bréviaire romains. C'était en 
Tannée 237. Les chrétiens avaient cherché son corps, sans 
pouvoir le trouver, et, pendant trois siècles, personne ne savait 
ce qu'il était devenu. Mais Dieu fit connaître au supérieur 
du monastère du Sinaï qu'un trésor précieux pour TÉglisc 
entière était caché dans les montagnes voisines et qu'il eût 
à le chercher avec ses religieux. Voici la légende de cette 
découverte : 



— i6o — 



u découvcrie « Partis à la découverte du corps de sainte Catherine, 

du corps de la sainte. 

les religieux du Sinaï rencontrèrent dans une caverne fort 
élevée un vieillard inconnu qui leur dit : « Et moi aussi, j'ai 
» été plusieurs fois averti de chercher ce trésor de TÉglise de 
» Dieu ; mais j'ai craint que ce ne fût un artifice du démon 
» pour me faire sortir de ma retraite. En votre compagnie, je 
» ne crains rien. Allons sur cette haute montagne où j'ai vu 
» souvent briller une lumière; elle doit avoir au sommet 
» quelque chose de divin. » 

» Il leur montrait le plus haut pic de la péninsule, le 
Djebel Katherin, situé à peu de distance du Sinaï. Les religieux 
avaient toujours considéré cette montagne comme inacces- 
sible. Ils parvinrent cependant, avec beaucoup d'efforts, à 
gravir le sommet, et ils y trouvèrent le corps d'une vierge 
sans corruption, déposé dans un creux de rocher. Nul doute 
que ce ne fût le trésor promis. Ils se mirent en prière, 
remerciant Dieu et lui demandant de leur manifester le nom 
et les mérites de la sainte. Et voici que, pendant leur prière, 
un autre vieux solitaire arrive en gravissant les rochers : « Mes 
» frères, leur dit-il, le Seigneur m'envoie vous dire le nom, 
» les mérites et la gloire de cette vierge, comment les anges 
» Tout transportée ici et l'ont gardée jusqu'à ce jour. » Puis 
il leur ordonna de transporter le saint corps dans leur monas- 
tère de Sainte-Marie au Buisson ardent. « Car, ajouta-t-il, 
>) on viendra des extrémités de la terre vénérer ce précieux 
» dépôt. » Il baisa dévotement le corps et, descendant rapi- 
dement la montagne, disparut pour toujours. » 
Lo tombeau et les Lc tombeau de la sainte se trouve à l'extrémité de 

reliques de la sainte. Pabsidc ; c'est un sarcophage de marbre blanc orné de bas- 
reliefs. Les ossements sont renfermés dans deux reliquaires 
de métal doré : l'un contient la tête de sainte Catherine, 
brune et sans cheveux, l'autre une main encore couverte 



Calheriae. 



- i6i — 

d'une peau sombre et ridée. Les autres parties du corps ont 
été cédées dans la suite des siècles à d'illustres bienfaiteurs 
du couvent ou envoyées en Russie. Au ix" siècle, le moine 
Siméon, venu à Rouen pour recevoir Taumône annuelle du 
duc Richard de Normandie, lui laissa d'insignes reliques de 
sainte Catherine. Le père de Henri V, comte de Champagne, 
reçut au Sinaï une main de la sainte et en fit présent à l'église 
de Saint-Jean-de- Vertus, dans la Marne. 

Le père gardien du corps saint offre aux pèlerins une Les bagues do sainte 
boule de coton et une bague argentée qui ont touché les 
reliques insignes. Ces bagues, fort recherchées en Russie, 
portent sur le chaton le monogramme du couvent où Ton 
peut lire Aikateria^ nom de la sainte chez les Grecs. 

La chapelle du Buisson ardent se trouve derrière l'abside 
de la basilique; c'est un petit édifice demi-circulaire, éclairé 
par quelques lampes. Des tapis persans couvrent le sol, des 
faïences peintes ornent les parois. L'autel , qui marque 
l'endroit précis de l'apparition, est situé contre le mur au 
fond du demi-cercle. Sous la table de marbre, portée par 
deux colonnettes, pendent trois lampes constamment 
allumées , éclairant une plaque d'argent ornée de croix que 
baisent les pèlerins. 

Derrière cette antique chapelle , les religieux montrent 
une vieille ronce du genre rubus, cultivée avec soin. Les 
pèlerins russes n'oublient pas de prendre quelques-unes de 
ses feuilles qu'ils conservent comme une relique. 

Au temps où les moines ne pouvaient se montrer en 
dehors de leurs murailles sans s'exposer aux mauvais traite- 
ments des Bédouins, on se rendait du couvent au jardin par 
un souterrain creusé dans l'intervalle des deux clôtures. Avec 
ses plantations d'oliviers et d'arbres fruitiers de toute espèce, 
sa fraîcheur entretenue par des eaux abondantes, le jardin 



— 102 — 

apparaît comme une petite oasis enchâssée entre les plus 
sombres rochers. 

Le cimetière est au milieu du jardin. Sa chapelle 
blanche, nouvellement reconstruite, entourée de hauts 
cyprès, est dédiée à saint Tryphon, religieux élevé sur le siège 
patriarcal de Constantinople et retourné au monastère pour 
y finir ses jours. Tout à côté, sont les deux grands caveaux 
servant d'ossuaires. 

La salie de la bibliothèque, d'une centaine de mètres 
carrés, contient des livres de prières à jolies enluminures, un 
psautier complet écrit en caractères microscopiques sur six 
petits feuillets, les portraits des anciens archevêques et de 
nombreux manuscrits grecs, arabes et syriaques. La fameuse 
bible sinaïtique, transportée à Saint-Pétersbourg en iSSg, 
remonterait à Tan 400 de notre ère. 

A 55o mètres au-dessus du couvent se trouve la grotte 
du prophète Élie, enchâssée dans deux petites chapelles jointes 
l'une à l'autre, la chapelle d'Élie et celle de Moïse; elles 
sont elles-mêmes entourées d'un pauvre jardin au milieu 
duquel s'élève un magnifique cyprès. 
Le mont siooi. Le petit plateau terminal, le vrai sommet du Sinaï où 

Dieu donna les Tables de la loi à Moïse, est à 1 5o mètres au- 
dessus de la chapelle d'Élie, c'est-à-dire à 2,244 mètres d'alti- 
tude; le couvent lui-même a une altitude de 1,528 mètres. 
Sur ce plateau célèbre se trouve une chapelle, sorte de salle 
de 9"5o sur 3™ 25, blanchie à la chaux, avec plafond en 
planches. Une draperie haute d'un mètre court le long des 
murs; des mouchoirs de couleur, des châles offerts par des 
pèlerins russes pendent aux murailles. Les fondements de 
divers édifices détruits montrent que bien des sanctuaires 
différents se sont succédé en ce lieu. 

En allant visiter le Djebel Katherin, qui garda pendant 



- i63 — 

trois siècles le corps de sainte Catherine, on s'arrête au couvent 
des Quarante-Martyrs, ou Deïr el-Arbaïn. Le monastère est 
désert depuis un siècle ; de temps à autre quelques religieux 
du grand couvent s y rendent pour surveiller la propriété ou 
recevoir les pèlerins. L'église et le couvent sont dédiés ^ 
quarante solitaires de ces montagnes, mis à mort par les 
barbares au temps de Dioclétien. 

Au sommet du Djebel Katherin, la plate-forme a seulement 
quelques mètres de large, et la petite chapelle en pierres sèches 
de Sainte-Catherine en occupe la moitié. Quelques inégalités 
de rocher autour de la chapelle passent pour Tempreinte du 
corps de la sainte qui y séjourna trois siècles; c'est le sommet 
le plus élevé de la péninsule, il a 2,602 mètres d'altitude. 

Les religieux du Sinaï furent l'objet de la paternelle lc« religieux du sinaï. 
sollicitude des papes, tant qu'ils vécurent dans la foi catho- 
lique. Parmi les lettres de saint Grégoire le Grand (590-604), 
il en est une adressée à Jean, abbé du mont Sina, où le 
pontife se recommande aux prières des moines et mande à 
l'abbé qu'il lui envoie des meubles pour un hôpital qu'un 
étranger avait fait bâtir aux environs. En souvenir des bien- 
faits du saint pape, les religieux célébraient chaque année sa 
fête avec grande solennité, comme le rapporte Rudolphe dans 
son récit du pèlerinage de i336 à 1341. Honorius III, 
par une bulle du 6 août 121 8, étendue le 20 Janvier 1226, 
confirma l'abbé du Sinaï et Tévéque Simon dans la possession 
du mont Sina, du couvent situé au pied de la montagne de 
Roboé, Raythou (Thor) avec ses plantations de palmiers et 
d'autres terres, églises, maisons, hôpitaux situés au Caire, 
à Alexandrie , Jérusalem, Antioche , etc. Dans plusieurs 
autres documents, le même pontife prend la défense de 
l'évoque du Sinaï et des religieux contre l'archevêque de 
Crète et son chapitre. 



— 164 — 

Parmi les derniers actes pontificaux, où Ton constate 
l'union des religieux du Sinaï avec Rome, est une lettre 
d'Innocent VI, du 16 décembre 1260, adressée aux frères et 
à Tévéque du Sinaï, dans laquelle le pontife confirme la règle 
et les possessions du monastère. 

Les religieux suivent la règle de saint Basile et appar- 
tiennent à la congrégation sinaitique dont Pantique souche, 
plantée au pied du Sinaï, étend ses branches sur plusieurs 
contrées de TOrient. L'autorité suprême appartient à l'arche- 
vêque élu par les moines; sa résidence est au Caire. Cet 
archevêque grec, comme ceux de Moscou, de Chypre et 
d'Ockrida, en Roumélie, est indépendant. Le représentant 
de l'archevêque est choisi parmi les religieux du couvent. 
Ceux-ci ne sont pas nombreux : six prêtres, quatre diacres et 
vingt frères forment toute la communauté. Ils étaient le 
même nombre, trente, en 1480, et dans les premières années 
du ix« siècle. Mais à d'autres époques leur nombre s'élevait 
à deux cents et trois cents. Les revenus du monastère 
proviennent principalement des terres qu'il possède dans les 
îles de Crète, de Chypre et dans les provinces danubiennes. 
Les cellules, le mobilier, les vêtements des religieux, leur 
nourriture, tout a la couleur de la simplicité. Ils ne boivent 
jamais de vin, ne mangent point de viande et n'en laissent 
jamais entrer dans le couvent. Toutes les nuits, à une heure 
et demie, ils chantent l'office divin. En dehors du temps de 
la prière, les religieux travaillent : les uns s'occupent du 
jardin ou se livrent à divers métiers, les autres s*emploient à 
la distillerie où l'on fait une eau-de-vie de dattes excellente; 
tous prennent soin de Téglise qui est tenue avec un soin digne 
d'éloges. 
L'Ordre de Sainte- Tcls sont la couiréc et Ic monasière que Robert de 

Caliieriae; son pa»sé, t • ... .-o » i a • • 

ton présent. Lusignau Visitait en io63 a la tête des jeunes seigneurs 



— i65 — 

français. Ému de l'abandon dans lequel se trouvaient les 
religieux et les pèlerins à cette époque, il fonda en ce lieu 
célèbre des chevaliers qui se dévouèrent à la garde du tom- 
beau de sainte Catherine et au soulagement des malades. 
Cétait, avons-nous dit dans le cours de l'ouvrage, la première 
action éclatante des Lusignans qui allaient s'établir en Pales- 
tine. Cette création , qui rendait de grands services aux 
pèlerins du Sinaï, fut religieusement conservée par les rois 
de Chypre. Mais les institutions humaines n'ont qu'un temps. 
Après la conquête des Turcs, TOrdre fut privé de ses biens et 
dès lors il perdit son éclat. Néanmoins, il se perpétua 
longtemps encore, car, en l'absence des grands-maîtres, les 
abbés du monastère consacraient eux-mêmes les chevaliers. 
Le fait est mentionné par le savant jésuite André Mendo 
dans son Traité sur les Ordres chevaleresques^ publié à 
Paris en 1671. 

Rammelsberg, dans sa Description de toits les Ordres 
chevaleresques religieux et civils existant encore aujourd'hui 
en Europe (Francfort-sur-l'Oder, 1743), nous fournit ce 
passage : « Les Ordres ne se confèrent plus en dehors à cause 
des Turcs; cependant les pèlerins qui visitent la montagne 
sont sacrés chevaliers sur la tombe de sainte Catherine par 
les moines en chef du couvent. » (Traduit de l'allemand.) 

Cette usurpation, faite dans un but louable, n'existe plus 
aujourd'hui. 

Cibrarîo, dans son livre : Descri^ione storica degli 
Ordini cavalereschi, mentionne, parmi les derniers dignitaires 
de l'Ordre, Aubray, baron de Bruyères. 

L'Ordre de Sainte-Catherine-du-Mont-Sinaï ne devait 
pas rester dans l'oubli; son souvenir, toujours vivant au 
couvent de la sainte, devait renaître au grand jour un siècle 
après. 



— i66 — 

Le descendant direct des rois de Chypre, le prince royal 
Guy de Lusignan, reprenant la maîtrise de ses ancêtres, 
réinstituait cet Ordre le i^' mai 1891. Autrefois les dignitaires 
portaient sur le manteau, du côté gauche, par-dessus la croix 
d'or de Jérusalem, une roue percée à six raies de gueule, 
clouée d'argent. Aujourd'hui, l'insigne des chevaliers est une 
croix de Malte à huit pointes, émaillée de blanc, cantonnée 
de quatre croisettes de Jérusalem en or. Sur la croix est 
appliquée une roue à dents, en émail rouge, traversée par 
une épée ensanglantée. Au centre de la roue se trouve 
l'écusson des Lusignans. La croix est surmontée de la 
couronne royale; son ruban est rouge avec deux liserés, l'un 
noir, l'autre bleu, sur chaque bord. 

Son Altesse Royale a voulu rattacher le présent au passé 
en payant une dette d'honneur à Tillusire Français qui 
implanta sa royale dynastie en Orient. Tous les chevaliers 
de Sainte-Catherine partagent ses nobles sentiments, tous les 
cœurs généreux l'applaudissent et l'histoire lui en sera 
reconnaissante. 



CHAPITRE VIII 



Les anciens royaumes des Lusignans : Jérusalem, Chypre, 
l'Arménie. 



I 

La Palestine où se trouve la ville sainte de Jérusalem, La Palestine, 

est située au centre de Tancien monde, dans l'Asie occiden- 
tale, sur les bords de la Méditerranée. Elle s'étend du nord 
au sud sur une longueur de 5o lieues et sur une largeur 
de 20 à 3o lieues. Elle compte environ 3oo,ooo habi- 
tants dont la plupart sont arabes ou turcs mahométans ; les 
catholiques, les arméniens et les grecs y sont en petit 
nombre (i). Depuis les croisades, ce pays dépend de l'empire 
ottoman ; il est administré au nom du sultan de Constan- 
tinople par un pacha ou gouverneur résidant à Jérusalem. 

Jérusalem, située au milieu de montagnes calcaires, nues i*» viiic sainte, 

et arides, est assise sur un plateau de jSo mètres d'altitude, 
partout environnée de ravins profonds et de torrents des- 
séchés. La ville est entourée de murailles hautes de plus de 
20 mètres, couronnées d'un chemin de ronde et de créneaux, 
et percées de sept portes. La ville se divise en quatre quar- 
tiers : au nord Bezetha, le quartier des mahométans ; à Test 
Moria, le quartier des juifs ; à l'ouest le Calvaire, le quartier 



(1) On ne couiplc en PaicsUuc que 15 à 30,000 catholiques dont un millier n 
Jérusalem. Les grecs et les arm^'niens sont plus nombreux. 



— i68 — 

des chrétiens ; au sud-ouest Acra, le quartier des arméniens, 
laissant, au sud et en dehors des murs, le mont Sion, la cité 
de David et l'ancienne ville basse. 

Vue du haut des montagnes, Jérusalem a une apparence 
de grandeur qui frappe l'imagination ; mais quand on entre 
dans rintérieur, tout s'évanouit. Jérusalem est en réalité une 
ville de décombres et de ruines. Le quartier le mieux bâti 
est celui des arméniens. 
Le saini-sépuicre. Le monumcut le plus important est l'église du Saint- 

Sépulcre. L'impératrice Hélène, mère de Constantin, l'a fait 
bâtir sur l'emplacement du Calvaire, qui fut le théâtre du 
crucifiement, de la sépulture et de la résurrection de Jésus- 
Christ. 

La description de ce beau monument, de la ville entière 
et de la Palestine a été donnée par une foule d'auteurs, et 
nous la passons sous silence. Le Jardin des Oliviers appar- 
tient aux pères de Terre sainte. On y remarque huit oliviers 
d'une grosseur extraordinaire et d'une antiquité si visible, 
qu'on peut croire, avec la tradition, qu'ils existaient du temps 
de Jésus-Christ. Vers l'extrémité du jardin est l'endroit où les 
Apôtres s'endormirent pendant que Jésus priait. Un peu plus 
loin, se trouve la grotte de l'Agonie ; elle forme une sorte de 
voûte qui s'appuie sur trois pilastres de la même roche et 
reçoit le jour par une ouverture pratiquée dans le haut. 
Éiat de la ville; Les facilités de la vie, l'agrément, les affaires, tout ce qui 

attire dans les villes et les fait croître, manque à Jérusalem. 
A Jésus-Christ seul elle doit sa grandeur actuelle, son illustre 
passé, son glorieux avenir. Son enceinte est devenue trop 
étroite ; on a bâti une ville nouvelle à l'ouest des rem- 
parts sur le chemin de l'Europe, et de tous côtés, c'est une 
lutte à qui fera plus grand et plus beau, à qui possédera une 
plus grande part du sol foulé parle Rédempteur des hommes. 



son avenir. 



r-^^-<z: 







Le Sainl-Sépiilcre. 



12 



— 171 — 

La Société russe de Palestine augmente ses immenses 
établissements pour les pèlerins, élève une riche église contre 
le chevet du Saint-Sépulcre et construit de splendides édifices. 
La Société anglaise Palestine Exploration Fund continue à 
dépenser plus de 100,000 francs par an à la recherche des 
lieux et des monuments bibliques. Les catholiques, moins 
riches, ne restent point en arrière, ils dominent même le 
mouvement à force de dévouement et d'intelligence. Les 
pères de Saint-François agrandissent leurs églises parois- 
siales, devenues insuffisantes, font des fouilles au lieu de la 
flagellation, en vue de remplacer le sanctuaire actuel par une 
église plus belle et plus vaste; ils s'apprêtent à construire un 
hospice à Capharnatim et à Jéricho ; ils achètent de nouveaux 
terrains à Josaphat et à Siloé. Le Patriarcat latin (i) tonstruit 
son séminaire. Les pères Dominicains achèvent de déblayer 
la Basilique Eudoxienne, élevée sur le lieu du martyre de saint 
Etienne ; ils ouvrent au jeune clergé une École de hautes 
études bibliques. Les pères de TAssomption viennent de bâtir 
le superbe hospice de Notre-Dame-de-France. Les pères de 
Notre-Dame-de-Sion, les missionnaires d'Alger, des frères 
des Écoles chrétiennes, des religieuses de divers ordres con- 
struisent des églises, des couvents, des écoles, des orphelinats, 
des hôpitaux. La population de la ville, qui était de 25 à 
3o,ooo âmes il y a vingt ans, a doublé de nos jours. Que sera 
Jérusalem dans quelques années lorsque, avec son chemin de 
fer qui la relie au port de Jaffa, son accès n'aura rien des 
difficultés qui fatiguent l'Européen sur les chemins de l'Orient ? 
Dieu a ses desseins auxquels concourent, souvent sans y 
songer, les habiles inventeurs de notre siècle. 



(l) Le patriarche lalîn de Jérusalem, grand-mailro do l'Ordrp du Saint-S^pulcrr, esl 
S. B. Mgr Piavi. 



II 



Ile de Chypre; 
SOS limites. 



^rodueUonS : 
flore, faune. 



Los maitres de l'île. 



L'île dé Chypre, en grec Kypro, doit son nom à des 
mines de cuivre. Plus grande que la Corse, elle est de forme 
ovalaire, et projette au nord-est, vers le golfe d'Alexandrette, 
une longue presqu'île terminée par le cap Saint-André. Située 
à l'extrémité orientale de la Méditerranée, elle se trouve à 
proximité de la Palestine et de la Cilicie. Elle est traversée 
par une chaîne de montagnes qui s'étend du nord-est au sud- 
ouest sur une longueur de 232 kilomètres et une largeur de 
38 kilomètres, et dont le point culminant est le mont Olympe 
qui a 2,010 mètres d'élévation. Dans les flancs de cette mon- 
tagne se trouvent des mines de plomb argentifère. Dans le 
district de BalTa, on extrait du cristal de roche et des éme- 
raudes. 

L'Ile de Chypre, renommée pour la douceur de son climat 
et sa riche végétation, laisse à désirer par la culture du sol. 
Du côté nord-est, la chaleur est tempérée par les vents qui 
viennent des montagnes de TAsie-Mineure, tandis que les 
côtes du sud-est, exposées au vent de l'Arabie, ont une 
chaleur plus forte qui procure souvent la malaria ou fièvre du 
pays. On y cultive des céréales, des arbres à fruits, du tabac, 
du coton, des olives et des vignes. On y remarque des cèdres, 
des pins, des cyprès, des chênes et des hêtres. Le charbon, 
très estimé, est exporté en Egypte et en Syrie ; ses vins ont 
encore de nos jours une réputation méritée. La flore se rap- 
proche de celle de l'Asie-Mîneure. Quant à la faune, on ne 
signale que la race des mulets qui, étant de haute taille, 
sont comparés avantageusement à ceux d'Egypte. 

Amasis fut le premier qui, vers l'an 55o av. J.-C, soumit 



- .73- 



l'île de Chypre à la domination égyptienne ; Cambyse la fit 
passer aux rois de Perse. Après la bataille d'Issus, elle tomba 
au pouvoir d'Alexandre le Grand ; après sa mort, elle fit 
partie des États de Ptolémée Soter. Les Romains s'en empa- 
rèrent, non par conquête, mais par droit d'un testament qu'on 
fit revivre. Le prince Alexandre ayant été chassé de ses États 
par Ptolémée, légua, en mourant, pour se venger, son 
royaume de Chypre à la république romaine. Caton prit 
possession de l'île au nom du peuple romain et s'empara, 
pour la république, des trésors du roi de Tîle qui s'élevaient 
à trente millions. 

L'an 43, l'apôtre saint Paul passa en Chypre, où il 
convertit Sergius Paulus, proconsul et gouverneur de l'île 
pour les Romains. Ce proconsul, homme d'ailleurs raison- 
nable et prudent, avait auprès de lui un magicien nommé 
Barjésu, qui s'efforçait d'empêcher qu'on ne l'instruisît ; mais 
Paul l'ayant frappé d'aveuglement, Sergius, étonné de ce 
prodige, embrassa la foi de Jésus-Christ. Quelques auteurs 
ont prétendu que c'est en mémoire et à la prière de cet illustre 
prosélyte, que l'apôtre avait changé son nom de Saul contre 
celui de Paul. 

Au partage de l'empire romain, Chypre fit partie des 
possessions de l'Orient. 

Pendant la troisième croisade, alors qu'elle se trouvait 
sous l'autorité d'Isaac Comnène, ce prince ayant commis la 
maladresse de repousser les navires anglais qui cherchaient 
un refuge contre la tempête, Richard Cœur-de-Lion, avons- 
nous dit dans le cours de l'ouvrage, s'empara de Chypre et la 
donna au roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, l'an 1192. 

Depuis la bataille de Tibériade (i 187), les chevaliers de 
Saint-Jean-de-Jérusalem, abandonnant la Palestine, s'étaient 
retirés en Chypre. Ils y vécurent en paix sous la nouvelle 



séjour de saint Paul 
à Chypre. 



La dynastie 
des Lusignans. 



- 174 - 

domination des Lusignans ; ils quittèrent l'île, dans la suite, 
pour s'emparer de Rhodes. 

En arrivant dans sa nouvelle principauté, Guy fonda 
l'Ordre de l'Épée, déjà mentionné au cours de l'ouvrage, et 
qui s'est perpétué jusqu'à nos jours. Les Maronites, bien 
accueillis par le roi, s'y maintinrent avec avantage. 

Chypre forma, durant trois siècles, sous la dynastie des 
rois de Lusignan, un royaume florissant qui sut lutter avec 
gloire contre les Turcs. 
Les capitales du Les mémoires du temps disent que Famagousie (Arcinoé) 

royaume : Fama- , . . , , , t «n i i . 

gousie, Nicosie. ^^ Capitale, était alors une des villes les plus importantes et 

les plus fréquentées du monde. On y faisait le commerce des 
pierres précieuses, des draps des plus belles qualités; on y 
trouvait des entrepôts considérables de bois d'aloès et de 
productions de toutes sortes. Les négociants les plus riches 
du royaume y avaient leur résidence. Les nombreux navires 
qui allaient en Orient ou en revenaient, faisaient escale au port 
de Famagouste où l'on avait des nouvelles de tous les pays. 
On ne peut se faire une idée de l'opulence de Chypre à cette 
époque. Aussi les Génois, qui convoitaient ses richesses, 
finirent par se rendre maîtres de Famagouste à la fin du 
XIV® siècle. Cette ville reconquit bientôt son indépendance, 
mais les Vénitiens, en 1485, et les Turcs, en iSjo, s'empa- 
rèrent définitivement de Chypre, et Famagouste, en grande 
partie, fut détruite. Cette ville, peu importante aujourd'hui, 
mais précieuse par ses souvenirs, ne présente qu'un amas de 
décombres. Existent encore une partie des remparts con- 
struits par les Génois et l'ancienne cathédrale Saint-Nicolas, 
convertie en mosquée. Cette église rivalisait, en magnificence, 
avec Sainte-Sophie de Nicosie ; c'est un édifice du xiv® siècle, 
avec façade gothique ; c'est là que les Lusignans étaient cou- 
ronnés rois de Jérusalem. Près de la place Saint-Nicolas, est 



l'ancien palais des rois de Chypre. A Pintérieur, tout tombe 
en ruines; seule la façade, avec ses quatre arcades gothiques, 
ornées de colonnes en granit, reste debout. C'est tout ce qu'on 
voit de cette ville si belle et si riche à l'époque des Lusignans. 
Nicosie, qui avait servi également de capitale au royaume 
de Chypre, et qui est aujourd'hui la ville principale de Tile, se 
trouve à i3 kilomètres de la mer. Elle est entourée de rem- 
parts, construits par les Vénitiens. L'ancienne cathédrale 
Sainte-Sophie, superbe édifice gothique où les rois de Chypre 
furent aussi couronnés, a été convertie en mosquée. Sa popu- 
lation, d'environ i5,ooo habitants, est composée de Grecs et 
de Turcs, qui s'appliquent en grand nombre à la fabrication 
des tapis. Les Arméniens y sont peu nombreux. 

Après Nicosie, Larnaca est la plus curieuse ville de l'île. umaca. 

Elle se divise en deux parties : la ville proprement dite et la 
marine, où sont les entrepôts et les comptoirs commerciaux. 
Les rues sont couvertes par des nattes qui les mettent à l'abri 
du soleil et leur donnent l'aspect d'un immense bazar. Dans 
la ville même, la plupart des maisons possèdent une cour, 
entourée de jolis portiques. Les catholiques ont une grande 
église dite des Bernardins ; les grecs ont Saint-Lazare, monu- 
ment byzantin du x« siècle. 

Cette ville, de 8 à 10,000 habitants, est la résidence des 
consuls européens. 

On doit remarquer aussi Limaçol, petit port où abor- 
dèrent les Turcs en 1570, lorsqu'ils vinrent conquérir l'île. 
Depuis lors, Chypre était devenue un pachalik (province) de 
l'empire turc. Ce pachalik avait pour chef-lieu Nicosie; 
cette ville et celles de Baffaet Cérina formaient trois sandjaks 
(arrondissements). L'île renferme six cent seize villages, 
dont cinq habités exclusivement par les Maronites; sa popu- 
lation, donnée en note dans le cours de l'ouvrage, s'élève à 



Destina de Chypre. 



- ,76 - 

186,000 âmes (i); plus dé 3o,ooo habitants sont catho- 
liques. 

Depuis 18785 Tîle de Chypre est occupée militairement 
et administrée par l'Angleterre; comme gage de son protec- 
torat sur l'empire turc en Asie ; mais cette occupation n'est 
point définitive, et le sort de Tîle est à régler. Si la justice 
triomphe un jour, les trésors et les propriétés confisqués aux 
rois de Chypre seront rendus à leurs successeurs. 



III 



L'Arménie ; 
Hcs limites. 



Haîg, premier r 
d'Arménie. 



L'Arménie, située dans TAsie occidentale ou Asie- 
Mineure, est aujourd'hui partagée entre la Turquie, la Russie 
et la Perse. On donne le nom de Petite-Arménie au royaume 
fondé à Tépoque des croisades par les Arméniens émigrés 
en Cilicie. Le royaume d'Arménie, dont nous avons parlé 
dans cet ouvrage, était borné au nord par Tempire de Trébi- 
zonde, à Test par des royaumes turcs, le comté d'Edesse et la 
sultanie d'Alep, au sud par la Méditerranée qui la sépare de 
Chypre, à l'ouest par la sultanie de Roum ou d'Iconium. 

La première dynastie arménienne fut celle des Haîga- 
ziants, du nom de Halg, son fondateur, lequel, dit la légende, 
travailla à la tour de Babel, et mourut âgé de quatre cents 
ans. L'histoire nationale rapporte que ce Halg, petit-fils du 
petit-fils de Noé, fut invité par Nemrod, prince despotique de 
Babylone, à le reconnaître pour dieu. Haïg refusa et se retira 
dans les montagnes d'Arménie. Sommé de nouveau par 
Nemrod, le futur chef de la nation arménienne persista dans 
son refus et fut bientôt attaqué par son adversaire. Haïg, 



(1} U'nprt'S divers renseignement». Tile contiendrait aujourd'hui 300,000 habitants. 



— I 



// 



accompagné de ses trois fils et d'une petite armée, se porta 
au-devant des forces babyloniennes qu'il rencontra dans la 
plaine de Sennaar. Il disposa ses troupes en triangle et plaça 
un de ses fils à chaque sommet. Lui-même, Tare à la main, se 
tint au centre et la bataille s'engagea. Le prince de Babylone, 
prévoyant une défaite, voulut fuir ; mais Haîg se mit à sa 
poursuite, tira sur lui, et Nemrod, malgré sa solide armure, 
fut transpercé de part en part. 

L'armée babylonienne, privée de son chef, se dispersa 
aussitôt. Quant à Haïg, il fit embaumer le corps de son 
ennemi, et l'enterra sur une montagne voisine. 

L'Arménie ne posséda que quatre dynasties : celle des 
Haïgaziants, fondée par le fameux Haïg ; celle des Archa- 
gouniantz, fondée par Archag ; celle des Pacradouniantz, 
fondée par un prince pacradite, de la tribu des Pacradouni, 
descendant de deux chefs Israélites qui s'étaient réfugiés en 
Arménie ; celle des Roupiniantz, dont le dernier roi, Léon V, 
était issu, par son père, de la Maison des Lusignans. Cette 
dernière dynastie a participé aux croisades ; elle possédait 
plusieurs princes d'origine franque, et c'est sous son règne 
que le catholicisme s'implanta chez les Arméniens. C'est du 
roi Léon V que Jacques I" de Lusignan, roi de Chypre et de 
Jérusalem, hérita du royaumed'Arménie, le 29 novembre 1 398 ; 
les Turcs s'en emparèrent au xvi* siècle. 

Cependant la foi chrétienne avait pénétré chez eux du 
vivant même de Jésus-Christ, d'après la légende suivante, 
transmise de génération en génération, et reçue comme vérité 
par toute la nation : 

a Le roi Apkar, atteint d'une maladie grave, fit prier 
Jésus-Christ de venir en Arménie afin de le guérir. Il promet- 
tait de bien recevoir son hôte, de le combler d'honneurs et de 
richesses. Jésus répondit qu'il enverrait ses disciples. Apkar 



Les dynasties 
arméniennes. 



La foi chrétienne ; 
légende s'y rappor- 
tant. 



- .78 - 

ayant alors exprimé le désir de posséder au moins le portrait 
de Notre-Seigneur, Jésus prit un mouchoir, le posa sur son 
visage, et, lorsqu'il l'en détacha, on y vit une figure qui repro- 
duisait exactement les traits du Fils de Dieu. Les messagers 
d'Apkar rapportèrent ce mouchoir en Arménie, et aujourd'hui 
encore la bannière nationale remémore ce fait. En effet, 
Técusson arménien, partagé en cinq parties, porte le mou- 
choir avec la tête du Christ, un lion, une aigle et la cathé- 
drale d'Etchmiadzin, une tête d'agneau entourée d'étoiles, et, 
au centre de Técu, le mont Ararat (le Massis) surmonté de 
l'arche de Noé. 

» Peu après le départ des envoyés d'Apkar, Jésus fut cru- 
cifié, et le monarque arménien n'espérait plus aucun secours, 
lorsque l'apôtre Tadée parut en Arménie, guérit le roi et le 
baptisa, ainsi qu'un grand nombre de personnages de la cour 
et du pays. » 
Saint Grégoire Mais le christianisme ne tarda pas à disparaître de ces 

contrées pour n y revivre que vers la fin du m® siècle. Saint 
Grégoire Tllluminateur, issu d'une famille princière, convertit 
le roi Diritade qui avait été élevé à Rome. Bientôt la cour 
suivit cet exemple, et l'Arménie tout entière embrassa la foi 
nouvelle. Le premier soin de saint Grégoire fut de détruire 
tous les livres du paganisme, auquel les Arméniens tenaient 
encore pour ce qui concernait leurs fêtes et réjouissances 
publiques. 
La ivic dos Colombes. Néanmoins, beaucoup de vieux usages se conservèrent ; 

telle est, par exemple, la fête des Colombes (le Vartavar), dont 
Torigine remonte à la tradition de Noé. On sait que des 
colombes furent lancées de l'arche après son arrêt sur le mont 
Ararat; c'est en souvenir de ce fait que tous les ans les 
Arméniens célèbrent une fête, en donnant la liberté ù un 
grand nombre de colombes. 



— 179 — 



Saint Sahag inventa Talphabet arménien. Voici, à ce 
sujet, les trois légendes conservées dans le pays : 

I* C'était pendant une nuit (probablement celle du 
Samedi saint), Sahag avait prié et chanté durant vingt-quatre 
heures. Fatigué, il se retira derrière l'autel et là, assoupi, il 
vit en rêve, se détachant distinctement dans Tespace, les 
signes du nouvel alphabet. Réveillé, il les transcrivit, tels 
qu'il les avait aperçus, et depuis lors on n'y a fait aucun chan- 
gement ; 

2® Il existe en Arménie un bloc de pierre, dissimulé dans 
le creux d'un rocher et sur lequel apparaissent les signes 
arméniens trouvés par les saints pères. Mais ces lettres ne 
sont visibles que pour les personnes d'une vertu irrépro- 
chable ; et, comme de nos jours, peu de gens remplissent ces 
conditions essentielles, il est fort rare que les fameux carac- 
tères se montrent aux yeux des fidèles ; 

3® La troisième tradition est traitée de ridicule par les 
modernes Arméniens, mais elle est professée par des patriotes 
zélés. Au dire des anciens, notre père Adam parlait la langue 
arménienne, car c'est en Arménie que se trouvait le Paradis 
terrestre, entre le Tigre et l'Euphrate. 

Vagharchabad, près du Massis, devint la capitale de la 
deuxième dynastie arménienne. C'est là que saint Grégoire 
rilluminateur fit bâtir la première église Etchmiadzin, la 
cathédrale de toute l'Arménie. Pendant cette construction, le 
roi Diritade travaillait avec les hommes du peuple, portant 
sur ses épaules les plus grosses pierres, offrant ainsi un 
noble exemple d'humilité et de foi sincère, qui fut souvent 
imité par les princes de la chrétienté. 

Les Arméniens se laissèrent entraîner au vu* siècle dans 
l'erreur d'Eutychès, et, peu à peu, se séparèrent de Rome et 
de la foi catholique. Néanmoins, à l'époque des croisades, 



L'alphabet arménien ; 
les trois légendes. 



Elchmiadzin. 



— i8o — 

loin d'imiter les fourberies des Grecs, ils combattirent vail- 
lamment à côté des Francs pour la délivrance des saints 
lieux, et, depuis le concile de Florence, il y eut toujours dans 
la nation arménienne des évêques et des prêtres catholiques. 
Mékhitar. En 1 700, un Célèbre docteur, Pierre Mékhîtar, religieux 

du monastère d'Etchmiadzin (bourg qui s'est formé autour de 
la première église et qui se trouve aujourd'hui dans le gou- 
vernement d'Erivan, appartenant à la Russie), ayant embrassé 
la foi catholique, fut forcé de se retirer à Venise, où il put 
ouvrir une église et un monastère aux religieux de sa nation, 
appelés de son nom Mékhitaristes. Cette maison devint 
comme une pépinière de religieux arméniens qui sortirent 
de là pour évangéliser leurs compatriotes. Mékhitar joignit à 
son œuvre une imprimerie d'où sont venus grand nombre de 
publications savantes et de livres liturgiques à l'usage des 
Arméniens. 
Hiéparchic. La uation arménienne, qui compte environ cinq millions 

d'habitants, se divise en trois communautés distinctes : les 
Arméniens grégoriens, séparés de Rome et qui s'appellent 
orthodoxes, les Arméniens-Unis ou catholiques, les Arméniens 
protestants. 

Ces derniers sont en si petit nombre, qu'ils ne forment 
pas, à proprement parler, une communauté spéciale. 

On compte i5o,ooo Arméniens catholiques (i). Leur 
patriarche (2) réside à Constantinople; il a sous sa juridiction 
trois archevêchés et seize évêchés. 

Les Arméniens grégoriens sont les plus nombreux. Leur 
hiérarchie comprend : le catholicos, résidant à Etchmiadzîn, 



(1) Dans rAsic-Mincure, Icâ calholiqucs sont au nombre d'environ 730,000. dont 
320,000 Maronites, 150,000 Arméniens, 125,000 Grecs, 50,000 Chaldéens, 43,000 Latins 
cl 40.000 Syriens. 

(2) S. D. Mgr Azarian. ^'lu patriarche arménien de Cilicie on 1880. 



- i8i — 

les trois patriarches de Constantinople, de Jérusalem et de 
Sis, et un grand nombre d'archevêques et d'évéques. 

Chaque communauté est régie par son patriarche, assisté 
d'un conseil national auquel se joint l'assemblée générale des 
notables de la nation. Le chef de ces églises est donc investi 
d'une double autorité, civile et religieuse ; il est le représen- 
tant officiel de ses conationaux; il défend auprès de la 
Sublime-Porte leurs droits et privilèges. 

La nation arménienne a su conserver, à travers les 
siècles, et malgré des vicissitudes inouïes, son caractère 
distinctif, sa langue, ses croyances. Pour nous, Français, elle 
mérite plus qu'une courtoisie banale, car elle possède avec 
nous des affinités que Ton rencontre rarement ailleurs. 
L'Arménien instruit parle notre langue, connaît notre littéra- 
ture, nos journaux. Ce qui se passe en France le captive, et 
les jeunes Arméniennes adoptent les modes parisiennes et les 
portent avec élégance. 

La destinée de TArménie n'est pas encore achevée. Ce Destinée de r Arménie, 
n'est point un mystère, mais une conviction invétérée parmi 
ce peuple, qu'il a un rôle à remplir ici-bas. Tout n'est pas 
fini pour lui. Il semble impossible que l'Europe, après avoir 
permis à cette nation d'entrevoir des destinées nouvelles, 
l'abandonne plus longtemps à une servitude dégradante, aux 
injustices des gouverneurs turcs, aux persécutions des bandes 
kurdes. Les protestations des victimes furent portées au 
Congrès de Berlin par l'illustre et dévoué prince-archevêque 
Khorène de Lusignan; elles y furent favorablement accueil- 
lies, mais rien n'est encore fait. Il faudrait pourtant séparer 
l'élément chrétien de rélémeni turc; les sanglants événements 
récents en démontrent de plus en plus la nécessité. 

Qu'est-il advenu de la Grèce, de la Bulgarie, de la Serbie, 
de la Roumélie, depuis que ces peuples ont cessé de gémir 



— l82 — 

sous le joug ottoman ? N'a-t-on pas assisté à leur véritable 
résurrection ? Pense-t-on qu'il n^en serait pas de même pour 
les Arméniens ? Si les grandes puissances tiennent encore à 
honneur d'écouter la voix des faibles, elles n'oublieront pas 
celle de la pauvre Arménie. 

Le célèbre homme d'État, M. Gladstone, recevant 
en 1893 M. Tchéraz, Arménien, professeur de langues 
orientales à l'Université d'Oxford, et faussement accusé de 
conspiration à Constantinople, lui adressait ces mémorables 
paroles : « Priez Dieu que l'affaire du Home rule soit bientôt 
terminée. Alors, je vous en donne l'assurance, je m'occuperai 
de votre pays, et je ferai en sorte que la situation de vos 
malheureux compatriotes s'améliore. » 

Mais la France généreuse qui possède aujourd'hui le digne 
et légitime héritier du royaume arménien, la France cheva- 
leresque qui s'intéressa toujours au triomphe des saintes 
causes, et qui, devenue la protectrice des chrétiens en Orient, 
sut marcher à la tête des grands mouvements, voudra-t-elle 
rester en arriére dans celui qui s'opère en faveur de l'Arménie? 

Dieu veuille que l'heure de cette heureuse rénovation 
sonne bientôt pour ce peuple, et qu'un jour l'illustre héritier 
des Lusignans puisse voir l'Arménie jouir de sa vraie liberté! 



CHAPITRE IX 



La généalogie des Hugues de Lusignan et GcofTroy la Grand' Dent. 

Notre histoire semblerait incomplète, si nous ne donnions 
pas la dynastie des Hugues qui occupa le château de 
Lusignan, depuis son origine jusqu^en i3i5, époque à 
laquelle les comtés de la Marche et d'Angouléme furent 
confisqués par le roi de France Philippe le Bel. 

Nous devons également faire mention de Geoffroy de 
Lusignan, surnommé la Grand' Dent. 

Hugues I***, dit le Veneur, chef des Lusignans de France. c;.''néaiogic 

Était frère puîné de Guillaume P', comte de Poitou en 935 
et duc d'Aquitaine en gSo. Fut aussi appelé Tête d'Étoupe, 
à cause de sa chevelure épaisse et blonde, ce qui lui valut enfin 
le surnom de Lesignem. Était contemporain de Louis- IV 
d'Outre-Mer, roi de France (936-954). 

Hugues II, dit le Bien-Aimé, sous lequel, d'après la 
chronique de Maillezais, le merveilleux château fut bâti par 
la fée Mélusine. 

Hugues III, dit le Blanc. Vivait sous les règnes de 
Hugues-Capet et de Robert. 

Hugues IV, dit le Brun. Soutint une guerre contre 
Guillaume IV, duc de Guyenne. 

Hugues V, dit le Débonnaire.Tué en 1060 dans un combat 



des Hugues. 



— 184 — 

contre un autre duc de Guyenne, Guy-Geffroy. On cite, parmi 
ses frères, Robert de Lusignan qui fit le voyage de Terre 
sainte, du couvent Sainte-Catherine au mont Sinaï, et finit 
par s'établir en Palestine. 

Hugues VI, dit le Diable, à cause de sa force prodigieuse. 
Fit le voyage de la Terre sainte, où il périt en 1 1 10. 

Hugues Vn. Mourut à la croisade de Louis le Jeune, 
en I 148. 

Hugues VIII, dit aussi le Brun. Se croisa comme ses 
pères, et fut prisonnier en 1 165. 

Adalbert, comte de la Marche en 1 177, étant sans enfants 
et partant pour Jérusalem, vendit son comté au roi d'Angle- 
terre Henri II, et, malgré Topposition que mirent à la vente 
Geoffroy de Lusignan et ses frères Hugues et Guy (désignés 
plus loin), Henri II prit possession de la Marche et reçut les 
hommages des barons et des chevaliers. Cette domination 
anglaise fut de courte durée. Hugues VIII, ayant épousé 
Bourgogne de Rançon, laissa sept enfants, entre autres 
Hugues, qui ne tarda pas à lui succéder, Geoffroy, Guy et 
Amaury. 

Hugues IX, fils de Hugues VIII, comte de la Marche 
en 1 190, reprend sur les Anglais le domaine des Lusignans. 
Suit Richard Cœur-de-Lion à la croisade, épouse Mathilde, 
fille et héritière de Vulgrin, comte d'Angouléme, et meurt 
vers 1208. 

On cite parmi ses frères : 

Les frères do 1° Geofifroy I" de Lusignan, qui porta quelque temps le 

titre de comte de la Marche, puis de Joppé (Jaffa) ; il épousa 

Eustache Chabot, dame de Vouvant et de Mervent, dont il 

eut deux fils : Geoffroy la Grand' Dent (i), dont nous parlons 

(1) Né vers 1300. 



Hugues IX en Orient. 



— i85 — 

plus loin, et Guillaume, dont une fille unique, nommée 
Valence, porta par mariage les châteaux de Vouvant et 
Mervent dans la famille Parthenay-rArchevêque. Eustache, 
étant morte vers 1204, Geoffroy I®' se remaria à Umberge de 
Limoges dont il n'eut pas d'enfant. 

Geoffroy !•' s'illustra en Orient; dès 1188, il était en 
Syrie, et en 1 191 au siège de Saint-Jean-d'Acre, où il secourut 
son frère Guy. De retour en Aquitaine, vers 1197, Geoffroy 
fut dépouillé de plusieurs de ses fiefs par Jean sans Terre 
en 1202, et il s'y rallia en 1204, après avoir en vain renforcé 
Tarmée d'Arthur de Bretagne. Il est cité parmi les chevaliers 
bannerets du Poitou en 121 2, et Rigord rapporte qu'il se 
réconcilia l'année suivante avec Jean sans Terre, probable- 
ment à la suite du siège qu'il subit avec ses deux fils dans le 
château de Vouvant. 

On lit dans Rymer (tome P% page 3i3), qu'en i23o, 
Henri III, roi d'Angleterre, libéra de prison un Geoffroy et 
un Aimeri de Lusignan, tous deux frères, devenus prison- 
niers, sur la promesse de Geoffroy de livrer ses châteaux de 
Vouvant et de Mervent au roi. Il s'agit évidemment de 
Geoffroy la Grand' Dent, et cet Aimeri, quoique non signalé 
par fes généalogistes, n'était autre que son frère, car 
Geoffroy P' eût été trop âgé en i23o, et Aimeri ou Amaury, 
roi de Chypre, mourut en i2o5. 

2® Guy de Lusignan qui, devenu roi de Jérusalem et de 
Chypre, fut le chef des Lusignans d'Outre-Mer et le premier 
souverain de son illustre famille. 

3® Amaury II de Lusignan, qui succéda à son frère Guy 
comme roi de Chypre, et transmit le royaume à ses descen- 
dants. 

Hugues X de Lusignan, comte de la Marche en 1208 et 
d'Angoulême en 1220, par son mariage avec Isabelle d'Angou- 

i3 



— i86 



Geoâroy la Grand' Dent ; 
sa l^ende, ses mé- 
dailles. 



léme, veuve de Jean sans Terre. Parmi ses fils, Guillaume de 
Lusignan devint comte de Pembroke en Angleterre (branche 
éteinte) ; il avait pris le surnom de Valence. Un autre fils, dit 
Aymar ou Athelmar, fut évêque de Winchester en 1260. 

Hugues XI, surnommé le Brun, comte de la Marche et 
d'Angouléme en 1249. 

Hugues XII, en i25o. 

Hugues XIII, en 1270. 

Guy, en i3o2. 

Yolande, en i3o8, comtesse usufruitière des mêmes 
comtés, confisqués en i3i5 par Philippe le Bel, au profit de 
Charles IV son fils. 

Geoffroy la Grand' Dent avait acquis une grande 
renommée. Charles V ayant demandé à Jehan d'Arras d'écrire 
son histoire pour Tamusement de sa jeune sœur, la princess^e 
de Bar, le Roman de Mélusine répandit son nom partout; en 
Allemagne, on a trouvé une singulière médaille qui représente 
sa tête, coiffée d'un casque bizarre, avec une grosse dent qui 
sort de sa bouche. On lit autour : Godefridus de Lu\inem, 
Le revers représente la tête d'un loup ou d'un animal 
monstrueux. 

Tentzel, ancien conservateur du Cabinet des médailles de 
Gotha (1659- 1707), qui a, le premier, décrit cette médaille, 
en 1692, dit que l'histoire de Geoffroy la Grand' Dent — ou 
plutôt le Roman de Mélusine de Jehan d'Arras — a été 
traduite du français en italien, puis en allemand, en 1456, 
par les ordres du margrave Rodolphe de Hochberg. Dans une 
traduction publiée à Francfort en 1571, on lit que deux 
chevaliers aragonais vinrent inviter le brave Geoffroy à venir 
combattre un monstre, gardien d'un trésor amassé par quel- 
qu'un de sa maison. Quoique cet animal, dit la légende, eût 
déjà dévoré un chevalier anglais qui voulait l'attaquer. 



çeasf^Hoy A ùA Q^^'M) i>tfiir îi£ h^bsç^'a^" 




— 189 — 

Geoffroy n'hésita pas à tenter l'aventure, mais il mourut de 
maladie avant d'avoir pu joindre le monstre. 

Mtinter, antiquaire danois (i 760-1830), a signalé deux 
médailles analogues, en argent et en bronze, au Cabinet 
impérial de Vienne, et qui, d'après lui, auraient été frappées 
en Italie au xv« siècle, probablement par quelque descen- 
dant des Lusignans de Chypre, en souvenir de leur ancêtre 
Geoffroy la Grand' Dent et de son père Geoffroy P% souvent 
cité pour sa bravoure pendant la troisième croisade. 

Geoffroy la Grand' Dent a été le sujet de nombreux 
romans et de tableaux, gravures et sculptures fantaisistes. Un 
portrait effrayant de ce personnage se voyait au-dessus de la 
principale porte du château de Lusignan. Le portrait ici 
reproduit fut gravé par Claude Vignon, artiste français 
renommé du xvii" siècle. 

En 1834, on fit des fouilles dans l'ancienne abbaye de 
Maillezais ; on y découvrit une tête en pierre, provenant, 
dit-on, du tombeau de Geoffroy et le représentant. Mais la 
pierre a subi des chocs et Ton n'y voit plus l'énorme dent. 
Cependant cette tête garde encore une expression terrible. On 
peut la voir au Musée lapidaire de Niort (n^ 1 35 du catalogue). 

Il existe une charte en vieux langage français, émanant La charte de Geoffroy, 
de Geoffroy la Grand' Dent lui-même, datée de 1234, et dont 
une copie faite par Besly est conservée aux Manuscrits de la 
Bibliothèque nationale (collection Dupuy, tome DCCCV, 
fol. 69), dans laquelle il se dit fils de Geoffroy de Lusignan et 
d'Eustache Chabot décédés, et les recommande aux prières 
des religieux de la léproserie de Fontenay, en leur concédant 
le droit de prendre du bois de chauffage dans ses forêts. Ses 
violences contre le monastère de Maillezais, dont il réclamait 
Vavoiierie (patronage des églises et abbayes, établissant une 
vassalité), du chef de sa mère décédée, avaient attiré sur lui 



— iqo — 

les foudres de TÉglise, et il dut se rendre à Spolète en i232, 
près de Grégoire IX, pour se faire absoudre et renoncer à ses 
injustes prétentions. Ces violences contre Tabbaye de 
Maillezais avaient commencé du temps de Geoffroy son père, 
qui venait souvent mettre Tabbaye à contribution, avec une 
foule d'écuyers et de valets, de chiens et de mules. Elles 
redoublèrent avec Geoffroy la Grand* Dent, qui finit par 
chasser les religieux et s'installa dans les dortoirs et réfec- 
toires (i). La charte de Spolète montre qu'il avait incendié 
l'abbaye, et qu'il fut contraint par Rome de lui donner, pour 
l'indemniser, 4,000 marcs pesant d'argent. Entraîné plus tard 
dans la révolte de son cousin Hugues X, comte de la Marche, 
contre saint Louis, Geoffroy se vit forcé de subir la loi du 
vainqueur après la bataille de Taillebourg. 
Ses cendres à vouvani; Il mourut saus postérité, en 1248, dans les sentiments les 

plus chrétiens, et fut enseveli dans l'église de Vouvant, où on 
lit, à rintérieur de l'abside, cette inscription du xiii® siècle : 
Quondam prœclarus sed nunc cinis atque favilla f . Par son 
testament, il avait choisi sa sépulture dans cette église; mais 
il y avait aussi dans l'abbaye de Maillezais un monument avec 
une statue, érigés à la mémoire de Geoffroy qui s'était récon- 
cilié avec les moines. C'est ce monument et cette statue dont 
parle Rabelais dans Pantagruel^ au livre II, chapitre v. 

a Après, lisant les belles chronicques de ses ancêtres, 
trouva que Geoffroy de Lusignan, dict Geoffroy à la Grand' 

Dent, estoit enterré à Maillezais 

arrivarent à Maillezais, où visita le sépulchre dudict Geoffroy 
à la Grand' Dent, dont il eut quelque peu de frayeur, voyant 
sa pourtraicture; car il y est en imaige comme d'ung homme 
furieux, tirant à demy son grand malchus (coutelas) de la 

(l) Arnauld, Histoire de Maillezais. 



son tombeau è Mail- 
lezais. 



— 191 — 

guaine. Et demandoit la cause de ce. Les chanoines dudict 
lieu lui dirent que ce n'estoit aultre cause sinon quepicto- 
ribus atque poetisy cVsi-à-dire que les painctres et poètes ont 
liberté de paindre à leur plaisir ce qu'ils veulent. » 

L'antique château de Lusignan qui était, d'après de Thou, tusignan aujourd'hui, 
le plus fameux et le mieux bâti du royaume, n'existe plus ; on 
a fait aujourd'hui une promenade publique sur son emplace- 
ment. Lusignan est devenu un chef-lieu de canton du dépar- 
tement de la Vienne, avec 2,200 habitants, sur la route de 
Poitiers à la Rochelle. On remarque l'église avec trois nefs, 
bâtie au xi« siècle, remaniée au xv« et restaurée de nos Jours. 

Tout passe en ce monde, Dieu seul est éternel ; mais le 
souvenir des grandes actions comme celui des grandes 
familles, devient immortel. C'est pourquoi si le château des 
Lusignans, si les royaumes chrétiens de Jérusalem, de Chypre 
et d'Arménie n'existent plus, leur souvenir dans l'histoire ne 
s'éteindra jamais. Toujours le nom de Lusignan sera grand 
dans le monde; toujours il sera glorieux et aimé. 



CONCLUSION 



C'est ainsi que les dignes descendants de la plus illustre 
famille de l'Europe, dont l'histoire de plusieurs siècles 
enregistre les héroïques exploits et les mâles vertus, ont 
offert à leurs contemporains et continuent de leur offrir un 
magnifique exemple de dévouement. Au lieu de se livrer 
à de vaines compétitions de pouvoir ou de se retrancher 
dans une existence oisive et mondaine, les Lusignans appli- 
quent leur vaste intelligence à d'infatigables et utiles travaux. 
Cette race royale, si chère au cœur des populations de la 
Grèce et de l'Arménie, mérite donc les sympathies de l'Europe 
occidentale. 

Sans aspiration dynastique, absorbée par des travaux 
scientifiques et par la pratique des bonnes œuvres, loin de 
rêver la triple couronne de ses ancêtres, elle n'ambitionne 
que le développement du progrès, du bien et de la civilisation. 

Son Altesse est un grand humanitaire : plein de com- 
passion pour toutes les misères qu'il soulage avec une charité 
inépuisable, il a sa porte ouverte à toutes les infortunes. 
Comment dès lors s'étonner de la popularité qui entoure 
son nom ? Et cependant, malgré son prestige royal, malgré 
ses travaux immenses, malgré sa fortune, le très digne prince 
Guy est encore un modeste qui n'est bien connu que des 



— 194 — 

savants. Ne réunit-il pas dans son auguste personne la triple 
auréole de la science, de la vertu et de la charité? Ces 
admirables qualités remplacent aujourd'hui avantageusement 
les trois couronnes de ses ancêtres. 

A la fin d'un magnifique article, Isl Revue Contemporaine, 
en date du i5 décembre 1889, adressait les paroles suivantes 
à Son Altesse Royale : 

« Si jamais un prince pouvait mériter le respect par son 
nom seul, c'est, croyons-nous, le prince de Lusignan, si 
digne d'un des trônes de ses pères, en dépit et à cause même 
de sa louable modestie. » 

Un grand journal américain, connu par ses tendances 
républicaines, s'exprimait ainsi : « Le prince est un travailleur 
énergique, si tous les princes lui ressemblaient, on leur 
pardonnerait facilement leur naissance. » 

Le Patriote du XIX^ Siècle disait aussi : « La France 
peut être fière d'avoir su enchaîner ce savant à son centre de 
civilisation, car il donne l'exemple de la charité. Jamais ce 
prince n'a refusé son secours à un Français indigent. Sa 
fortune appartient aux pauvres, tout son être à la science, 
c'est-à-dire à la France. » 

Ses ouvrages, si précieux pour les orientalistes, mérite- 
raient d'être plus étudiés, puisqu'ils concourent à la mission 
sublime — elle est chrétienne et française — d'initier les 
peuples de l'Orient à la civilisation européenne, par la langue 
et l'influence de notre pays. Mais le temps fera son œuvre. 

Nous ne savons quelle destinée Dieu réserve aux augustes 
descendants de cette Maison souveraine. Nous ne savons 
si le drapeau antique des Lusignans, grâce à la politique 
généreuse de l'Angleterre, flottera de nouveau dans Tîle de 
Chypre. Quel que soit l'avenir, nous sommes fiers de posséder 
un prince si humanitaire, si savant et si distingué dans notre 



belle France, qui fut le berceau de sa race; et nous souhaitons 
ardemment, pour les malheureux de Chypre et d'Arménie, 
que le triomphe de ses droits lui permette bientôt de tenir le 
sceptre indestructible de la charité, comme ses illustres 
ancêtres ont tenu celui de la gloire et de la puissance. 



Terminons notre travail par la Lusignane, charmant 
poème d'Abel Letalle : 



A Son Altesse Royale 
Monseigneur le Prince Guy de Lusignan, 



LA LUSIGNANE 

Pour loyauté maintenir. 

Parmi les noms fameux qu'enregistre l'histoire, 
Parmi tous ces soleils et toute cette gloire 

Qui rayonnent sur Tunivers, 
Prince, vous êtes grand, vous êtes magnanime ! 
Et, parmi les géants, vous êtes le sublime !... 

— Pardonnez à mes humbles vers. 



I 

Quand le marbre ou Tairain fait revivre à la foule 
Les héros, morts vainqueurs, que le lourd canon foule 

Sous son tonnerre furieux, 
Prince, le peuple encense, en son cœur qui délire. 
Ces hommes immortels — pour moi, je les admire, 

Pour en faire un instant des dieux. 



— 196 — 

Et j'admire leurs fronts, les sachant héroïques, 
Leurs fronts que mille éclairs ont rendus si stoiques, 

Leurs fronts éprouvés tant de fois... 
Et je me dis : « C'est là que le cœur se reflète, 
C'est là que le penseur, c'est là que le poète 

Reconnaît l'homme et ses exploits. » 

C'est pourquoi, quand je scrute en ma pensée intime, 
Le passé glorieux, je te sens légitime, 

Voix qui parles de souvenir ! 
L'homme est tombé, c'est bien, l'homme n'a pas de foudre, 
Et l'on dit : « C'est un corps qu'on va réduire en poudre >'. 

— Non, c'est un cœur pour l'avenir ! 

Mais, parmi cette page où la gloire énumère, 
Pour les siècles futurs, sa valeur si prospère, 

Grave et superbe monument î 
Il est de ces débris que le temps éparpille, 
Mais, Prince, votre nom en lettres d'or scintille 

Dans un pompeux rayonnement. 



II 

Oh ! quand nous évoquons aujourd'hui dans nos âmes, 
Tous ces preux chevaliers, ces généreuses Hammes 

Que la foi mettait dans leur cœur ; 
Quand ils allaient, bravant toutes les injustices. 
Et toutes les fureurs avec tous les supplices. 

Guidés par la croix du Sauveur I 

Oh ! nous sentons alors notre race immortelle 

Dans ce transport sacré. — Nous r-ous disons : « C'est elle, 

La voilà, soleil radieux ! 
Le voilà, notre sang, c'est le sang de la France I » 
O passé I montre-nous la divine espérance. 

Et guide-nous par tes aïeux I 

Car la foi soutenait leur sublime conquête, 

La splendeur des saints lieux auréolait leur tête, 

C'est le ciel qu'ils voyaient s'ouvrir ; 
Rien ne les ébranlait dans leur pèlerinage. 
Car l'héroïsme était leur plus bel apanage, 

Croyants, ils savaient bien mourir. 



- 197 — 

III 

Et vous, digne héritier de cette illustre race l 
O royal Prince Guy 1 vous suivez bien la trace 

De ces héros ensevelis I 
Par le bien, par le beau, votre àme généreuse 
Prodigue ses trésors à la foule pieuse, 

Car votre âme est son paradis. 

Maître dans tous les arts, les lettres, la science, 
Tout ce qui fait l'honneur, ce qui fait la vaillance, 

Se retrouve en votre cœur d'or. 
O Prince ! je salue en votre renommée. 
Ce qu'il est de plus grand dans la grande épopée 

Que la France réclame encor. 

IV 

Mais je sens que je dois un tribut de louanges 
A la noble Princesse, aujourd'hui chez les anges, 

Reine pleine de majesté I 
— Princesse, reposez au ciel, votre demeure, 
Le monde vous bénit — car le monde vous pleure, 

Comme il bénit la charité. 



Et vous avez gardé votre illustre origine ; 
Prince, vous honorez la belle Mélusine 

Qui protège votre maison. 
Et nous la saluons, tout autant qu'une reine, 
Qui vient non pour montrer sa force souveraine, 

Mais pour orner votre blason. 

La patrie, aujourd'hui, renaît à l'espérance. 

Gloire à Dieu, gloire à toi, notre immortelle France ! 

Gloire à vous I gloire à vos hauts faits I 
Gloire! —Je vous admire en mon for magnanime. 
Héros, pour votre cœur et votre foi sublime, 

Et vous, Prince» pour vos bienfaits. 

A DEL Letalle» 
CrèveeoBur'Ie'Grand fOiteJ. 



TABLE DES MATIERES 



Pages 

Préface i 

Chapitre Premier. — Origine des Lusignans. — Ordre de 
Sainte-Catherine-du-Mont-Sinaî. — Guy de Lusignan, 
roi de Jérusalem. — Ordre de Mélusine. — Prise de 
Jérusalem par les Turcs. — Guy de Lusignan, roi de 
Chypre. — Ordre de l'Épce l 

Chapitre II. — Jean de Bricnne et l'empereur Frédéric. — 
Les descendants de Lusignan. — Les Lusignans, rois 
d'Arménie. — La république de Venise. — Les Turcs 
s'emparent de Chypre. — Etienne de Lusignan .... 21 

Chapitre III. — S. A. R. Mgr le prince Louis et le certificat 
Sacré. — Christodule et la branche aînée. — Amaury- 
Joseph et la branche cadette. — L'archevêque Khorônc 
de Lusignan. — S. A. R. Mgr le prince de Lusignan. — 
S. A. R. Mn^« la princesse de Lusignan. — Réinstitution 
des Ordres de Mélusine et de Sainte-Catherine-du-Mont- 
Sinai 33 

Chapitre IV. — L'Ordre de l'Épée de Chypre. — Rensei- 
gnements divers et complets Dl 



— 200 — 

Pages 

Chapitre V. — Lettres de plusieurs souverains et hauts 
personnages, échangées avec la princesse Marie de 
Lusignan 103 

Chapitre VI. — Aperçu des œuvres de la regrettée princesse 
Marie. — Le talent de feu Mgr Khorène. — Son Ode 
patriotique sur T Arménie 121 

Chapitre VIL — Le couvent de 8ainte-Catherine-du-Mont- 
Sinaî, où fut institué le premier Ordre de chevalerie des 
Lusignans 14 

Chapitre VIII. — Les anciens royaumes des Lusignans : 

Jérusalem, Chypre, l'Arménie 167 

Chapitre IX. — La généalogie des Hugues de Lusignan et 

Geofîroy la Grand' Dent 183 

Conclusion '. 193 



3.06 810. — Paris. Typ. Morris Père et fils, rue Artielot, 61. 




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