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Full text of "Histoire de la marine française pendant la guerre de l'indépendance américaine, précédée d'une étude sur la marine militaire de la France et sur ses institutions depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'a l'année 1877"

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e00037032L 


HISTOIRE 


DE    ÏA. 


MARINE   FRANÇAISE 

PCNOANT  LA  GUERRE 

DE  L'INDÉPENDANCE  AMÉRICAINE 


HISTOIRE 


DE    LA 


MARINE  FRANÇAISE 

PENDANT  LA  GUERRE 

DE  L'INDÉPENDANCE  AMÉRICAINE 


PARIS.   —  TYPOfiRAPHIK    LAHURE 
Hue  do  F'.eurus,  0 


HISTOIRE 

DE  LA 

MAMNE  FRANÇAISE 

PENDANT  U  GlIEllRE 

DE  L'INDÉPENDANCE  AMERICAINE 


E.    CHEVALIER 


LIBRAIRIE   HACHETTE    ET   C" 

79,     B01(J.KVà[ID    SAINT-CEBHittN,     19 


■/. 


-/  7- 
/ 


i 


PRÉFACE 


La  guerre  de  rindépcndancc  américaine  est  une  des 
époques  les  plus  glorieuses  de  notre  histoire.  Ses  résul- 
tats permirent  à  la  France  d'effacer  Thumiliant  traité  que 
l'Angleterre  lui  avait  imposé  en  1763.  Nous  ne  croyons 
pas  que  le  rôle  considérable,  joué  par  notre  marine 
de  1778  à  1783,  ait  été  fidèlement  rapporté.  Il  subsiste 
encore  aujourd'hui,  sur  les  personnes  et  sur  les  choses 
de  ce  temps,  des  erreurs  qu'il  est  utile  de  détruire.  On  a 
dit  que  Texcessive  prudence  des  ministres  avait  enlevé 
loule  initiative  aux  amiraux  et  nui  au  succès  de  nos  opé- 
rations. Au  début  de  la  crise  qui  amena  la  guerre,  le  ca- 
binet de  Versailles  fut  beaucoup  trop  circonspect.  Il  se 
trompa  sur  les  intérêts  militaires  du  pays  en  ne  devan- 
çant pas  l'attaque  de  nos  voisins.  Mais,  aussitôt  que  le 
combat  d'Ouesssant  eut  prouvé  la  solidité  de  nos  esca- 
dres, le  gouvernement  reprit  toute  confiance  et  il  poussa 
les  amiraux  plus  qu'il  ne  les  retint.  Nous  verrons  le 
comte  d'Eslaing  se  justifier  auprès  de  M.  de  Sar- 
tines  de  ne  pas  avoir  été  aussi  audacieux  qu'on  l'eût  sou- 
haité à  Paris.  Le  maréchal  de  Castries  écrivait,  en  1781, 
au  commandant  de  l'escadre  de  l'Inde  :  «  Le  Roi,  en  lais- 
sant les  généraux  maîtres  de  déterminer  les  opérations 
qu'ils  estimeront  les  plus  utiles  et  les  plus  glorieuses  k 
ses  armes,  leur  prescrit  d'attaquer  les  Anglais  séparés  ou 
réunis,  partout  où  il  sera  possible  de  le  faire,  sauf  l'évi- 
dence de  la  destruction  de  leurs  forces.  Elle  se  borne,  en 
conséquence,  à  faire  cbnnaltre  au  sieur  comte  d'Orves 

1 


2  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

que  l'inaclivité  de  son  escadre  est  ce  qu'elle  défend  [irin- 
cipalement,  que  des  événements  malheureux  ou  l'inac- 
Uon  seront  également  contraires  à  ses  vues....  Sa  Majesté 
daigne  en  même  temps  assurer  au  comte  d'Orves  qu'elle 
ne  le  rendra  pas  responsable  des  événemeats  malheu- 
reux qui  pourraient  arriver,  mais  qu'il  le  serait,  s'il 
n'employait  pas  toutes  les  ressources  que  son  esprit  et  sou 
courage  peuvent  lui  inspirer  pour  rendre  la  campagne 
également  utile  et  glorieuse  à  ses  armes.  »  11  est  didicile 
de  tenir  k  des  généraux  un  langage  ix  la  fois  plus  ferme 
et  plus  encourageant. 

A  en  croire  quelques  historiens,  l'esprit  de  désobéis- 
sance et  d'indiscipline  était  la  marque  particulière  des 
ofliciers  de  celte  époque.  Nous  ferons  ressortir  les  graves 
erreurs  qui  ont  été  commises  sur  ce  [loinf.  Les  Français 
n'admettent  pas  facilement  qu'ils  puissent  être  battus. 
Lorsque  ce  malheur  leur  arrive,  ils  sont  disposés  à  voir 
dans  ceu.v  qui  les  commandent  des  lâches  ou  des  traî- 
tres. Dans  le  cas,  assez  rare  d'ailleurs,  oii  l'opinion  prend 
parti  pour  les  généraux,  c'est  dans  les  rangs  inférieurs 
qu'elle  cherche  des  coupables.  S'il  est  juste  do  blAmer  les 
Français  de  cette  regrettable  tendance,  on  doit  surtout  se 
montrer  sévère  envers  les  écrivains  qui  se  font,  sans 
preuves,  l'écho  de  ces  bruits.  Nous  reconnaissons  que 
celte  méthode  simplifie  singulièrement  leur  t&che.  Elle 
les  dispense  des  recherches,  souvent  longues  et  difiiciles, 
qui  sont  nécessaires  pour  arriver  à  la  constatation  de  la 
vérité.  Ces  accusations  banales  n'ont  pas  seulement  le 
tort  d'être  injustes,  elles  ont  d'autres  consè<iuences  beau- 
coup plus  graves.  Quelles  leçons  tirer  des  événements,  si 

1.  Quand  OQ  Atudic  le  combat  de  li  Dominii/ue  dans  I01  ducumeati  ori- 
f^inoui,  on  cherche  inutiliMUcnl  suriiuoi  onl  \m  i'a|i|iusur  tea  liUtorient 
qui  onl  (HirtA  conlre  le*  rapilaines  do  l'i'scadic  rnuitniso  de»  •ccuHltoni 
d'indJH-iidiiie,  de  hvtiliU  ou  dr  jaloual<>.  C*«bI  un  (iivc^it  bcile  joiur  expli- 
quer !•  perte  de  U  bataille,  mai*  c'cal  ahiuluraenl  incucl.  Ou  [leul  TtLins 
de>  obtcrvatioiia  analogue!  i  propos  dii  ronibal  d'Ilueisant  tt  de  la  cani* 
(lagiie  <lu  tamle  d'EaUing  aur  lea  c6lM  do  l'Amtrii|ue  wplentrtonsU  et  dam 
In  iliitille<. 


PRÉFACE.  3 

le  manque  de  courage,  Tindiscipline  ou  rincapaciié  sont 
présentés  comme  l'unique  cause  de  nos  défaites?  Quelle 
importance  une  nation  peut-elle  attacher  aux  institutions 
militaires,  si  on  l'entretient  dans  la  persuasion  que  la 
bravoure  suffit  à  tout?  De  tels  procédés  ont  pour  consé- 
quence de  déshabituer  les  esprits  du  travail  et  de  la  ré- 
flexion. 

La  guerre  de  Tindépendance  américaine  a  été  faite  par 
une  marine  fortement  constituée  dans  toutes  ses  parties. 
Les  institutions  qui  la  régissaient  dataient  de  Colbert  et 
de  Seignelay.  Elles  avaient  subi,  depuis  1689,  des  modi- 
fications qui  n'étaient  pas  à  l'épreuve  de  la  critique,  mais, 
dans  leur  ensemble,  elles  étaient  éminemment  propres  à 
donner  à  la  France  de  bonnes  escadres.  Néanmoins,  soit 
(|u'à  Paris  on  n'eût  pas  prévu  la  durée  de  la  guerre,  soit 
que  les  idées  d  économie  eussent  prévalu,  notre  organi- 
sation maritime  n'avait  pas  été  assise  sur  une  base  assez 
large.  L'insuffisaiTce  des  cadres  apparut  dès  le  début  des 
hostilités.  L'extension  que  prirent  les  armements  aggrava 
cette  situation.  En  résistant  à  cette  épreuve,  le  personnel 
de  la  marine  montra  qu'il  possédait  une  très-grande 
force,  mais  cet  état  de  choses  amena  une  diminution 
sensible  dans  la  valeur  de  nos  flottes.  L'élasticité  des 
cadres,  et  c'est  une  considération  qu'on  ne  doit  pas  per- 
dre de  vue  pendant  la  paix,  a  une  limite  qu'on  ne  peut 
pas  franchir  sans  danger. 

La  personnalité  du  bailli  de  Sufl^ren  se  détache  avec 
une  vigueur  particulière  au  milieu  des  amiraux  anglais 
et  français  qui  commandèrent  de  1778  à  1783.  Les  succès 
qu'il  remporta  sur  la  côte  de  Coromandel  firent  oublier 
l'issue  malheureuse  du  combat  de  la  Dominique,  Ce  qui 
a  été  écrit  sur  la  campagne  de  l'Inde  a  été  emprunté,  pour 
la  plus  grande  partie,  si  ce  n'est  en  totalité,  à  une  rela- 
tion   faite  par  M.  Trublet  de    la  Yillejégu*.  Ce   livre 

1.  M.  Trublet  de  la  Villejégu  élail  second  du  vaisseau  de  cinquante^  le 
Flaitiandj  qui  appartenait  à  Tescadre  de  l'Inde.  Farli  de  France^  comme 
capitaine  de  brûlot,  il  fut  fait,  à  son  relour,  cUcvalier  de  Sainl-Louis  et 


4  msTOIRE  DE  I.A  MARINE  FRANÇAISE. 

contient  des  erreurs  d'autanl  plus  fâcheuses  qu'elles 
portent  principalement  sur  les  personnes.  On  ne  peut 
connaître  la  vérité  sur  cette  mémorable  campagne,  qu'en 
consultant,  non  quelques  lettres,  mais  toute  la  corres- 
pondance de  SufTren.  Le  journal  tenu  par  le  major  de 
l'escadre  de  l'Inde  fournil  aussi  de  précieux  renseigne- 
ments. 

Il  existe  aux  archives  de  la  Marine  de  nombreux  docu- 
ments concernant  la  guerre  de  l'indépendance  améri- 
caine '.  J'en  ai  cité  quelques-uns,  pris  parmi  ceux  qui 
m'ont  paru  avoir  une  valeur  particulière.  Les  pièces  de 
cette  nature,  lorsqu'elles  sont  mises  à  la  fin  d'un  livre,  ' 
passent  presque  toujours  inaperçues.  Aussi  ai-je  cru  utile 
de  les  placer  là  oii  elles  servent  de  démonstration.  Cette 
méthode  est  surtout  nécessaire,  lorsqu'il  s'agit  d'événe- 
ments ayant  soulevé  de  nombreuses  discussions,  tels  que 
le  combat  d'OuessanI,  l'expédition  de  l'armée  franco-es- 
pagnole, en  1779,  la  campagne  du  comte  de  Grasse,  celle 
de  l'Inde  et  l'attaque  de  Gibraltar  par  les  batteries  flot- 
tantes du  colonel  d'Ar(;on.  Il  n'y  a  que  les  documents 
originaux  qui  ])uisscnt,  dans  certains  cas,  donner  une  idée 
tr6s-nclte  de  la  pensée  des  ministres  ou  des  amiraux.  Il 
m'a  semblé,  en  outre,  que  des  lettres  d'hommes  comme 
Suffren,  d'Orvilliers,  de  Guichen,  Lamotte-Picquet,  écri- 
tes sur  des  affaires  de  guerre  nu  sur  des  sujets  ayant 
trait  &  la  marine,  seraient  lues  avec  un  grand  înlér^t. 

Le  récit  des  événements,  auxquels  nos  escadres  ont 
pris  part  de  1778  &  1783,  est  précédé  d'une  étude  sur  la 
marine  militaire  de  la  France  avant  cette  époque.  J'ai 

IwutoDIint  de  vaiucau.  Cii11«  double  récoropense  iadiqn«  qii'il  avail  wrvi 
Irèi-bonDratilenivat.  Dam  tu  relalîon  da  la  ciiD)|iBgn«  de  Tlnde,  il  rapporlo, 
«Tcc  une  Iwnne  foi  qu'il  n')  a  pa«  lieu  de  «iispocler,  ce  qui  se  disait  autour 
de  lui.  Quelques  exemples  niontrcmnl.  unK  Toi»  de  plus,  combien  il  dt  dif- 
Ocile,  alors  mtnie  qu'on  eit  présent  dnus  une  ariiii!^  uu  dan»  une  escadre, 
de  savoir  ce  qui  lo  ixkMC  sur  le  cliaiiip  de  balaillc. 

1.  Ce*  docuoient«  roroiont  un  loUl  de  ccdI  Irenio-trois  volumes  monu- 
tcriU,  tor  lesquels  quaraule-qualre  *odI  conucrés  aa  combat  de  la  Domi- 
nique. 


PRÉFACE.  5 

rappelé  les  débuts  de  cette  marine  créée  par  Richelieu, 
abandonnée  sous  la  régence,  relevée  et  définitivement 
établie  par  Louis  XIV  et  Colbert.  Quelques-uns  des  faits 
maritimes  les  plus  importants  ont  été  rapportés.  Je  suis 
entré  dans  quelques  détails  sur  les  batailles  navales  de 
Tannée  1672,  afin  de  combattre  Topinion  généralement 
accréditée  que  la  France  a  manqué  de  loyauté  à  Tégard 
de  l'Angleterre  *. 

On  ne  peut  apprécier  les  éléments  d'une  campagne,  soit 
sur  terre,  soit  sur  mer,  qu'à  la  condition  de  bien  connaî- 
tre les  éléments  avec  lesquels  elle  a  été  entreprise.  C'est 
pourquoi  j'ai  voulu  indiquer  d'une  manière  précise  l'or- 
ganisation de  la  marine  française  au  moment  où  a  éclaté 
la  guerre  de  l'indépendance  américaine.  Il  est  difficile  de 
parler  des  institutions  d'une  époque  sans  dire  quelques 
mots  de  celles  qui  les  ont  précédées.  Dans  cet  ordre  d'idées 
les  choses  s'enchaînent,  et  le  régime  d'aujourd'hui  est 
toujours  en  relation  directe  avec  celui  de  la  veille.  Ceci  est 
au  moins  la  règle  pour  les  temps  réguliers.  J'ai  donc  été 
conduit  à  parler  des  institutions  maritimes  se  rattachant 
aux  époques  antérieures  à  1778.  J'ai  pris  pour  point  de 
départ  le  commencement  du  dix-septième  siècle.  La  ma- 
rine militaire,  telle  que  nous  la  comprenons  aujourd'hui, 
n'existait  pas  avant  le  ministère  du  cardinal  de  Richelieu. 

Quelles  que  soient  les  transformations  que  subisse  le 
matériel,  les  principes  sur  lesquels  repose  l'art  mili- 
taire ne  changent  pas.  L'étude  des  guerres  passées  a  ce 
grand  avantage  qu'elle  permet  aux  hommes  placés  à  la 
tête  des  flottes  ou  des  armées  d'éviter  les  fautes  commi- 
ses par  leurs  devanciers.  Elle  leur  fournit  des  points  de 
comparaison,  toutes  les  fois  qu'ils  se  trouvent  en  pré- 
sence d'événements  inattendus.  On  improvise  peu  sur 
les  champs  de  bataille,  et,  dans  la  marine  comme  dans 
l'armée,  il  faut  arriver  devant  l'ennemi  avec  une  instruc- 

1.  Un  roman  maritime  d'Eugène  Sue,  intitulé  Histoire  de  la  Manne 
française,  a  beaucoup  servi  à  accréditer  cette  erreur. 


HISTOIRE  tlK  LA  MARINK  FRANÇAISE. 
lion  acquise  h  l'avance.  La  hardiesse  dans  le  conseil, 
'énergie  el  la  promptiludc  des  décisions  procèdent  du 
savoir  beaucoup  plus  que  du  lempi^rapicnt,  ce  que  le 
public  n'esl  pas  toujours  disposé  A  croire.  Un  orQcicr  qui 
ne  se  rend  pas  un  compte  exact  de  sa  position  et  do  celle 
de  l'ennemi  est  rarement  entreprenant.  Quoique  le  lieu- 
tenant général  d'Estaing  se  distinguât  par  une  bravoure 
personnelle  evlrèmement  brillante,  nous  le  verrons  agir, 
comme  chef  d'escadre,  avec  une  extrême  timidité.  Il  n'osa 
que  l'écrivait  Suffren,  -■  attaquer  avec  douze 
sept  petits,  parce  qu'ils  étaient  défendus 
par  quelques  batteries  à  terre'.  «  Des  instructions,  en- 
joignant au  commandant  de  l'escadre  de  l'Inde  de  ramo- 
ner ses  vaisseaux  ii  l'tle  de  France,  parvinrent  il  Suffren 
au  milieu  de  l'année  1782.  Convaincu  que  cet  ordre  était 
contraire  A  nos  inléréis,  il  n'hésita  pas  à  l'enfreindre.  En 
rerusant  d'aller  au-devanl  des  renforts  annoncés  par  le 
mini.''tre,  il  assumait  la  responsabilité  des  échecs  qu'il 
pourrait  essuyer.  Il  se  chargeait,  en  outre,  de  faire  sub- 
sister son  escadre  sur  la  côte  de  Coromandel,  où  nous 
n'avions  ni  ports  ni  magasins.  Suffren  étant  un  homme 
exceptionnel,  sa  conduite  ne  peut  serrir  de  règle,  mais 
nous  pouvons  citer  l'exemple  du  lieutenant  général  d'Or- 
villiers.  Celui-ci  croisait,  au  mois  de  juillet  1778,  à  l'en- 
trée de  la  Manche,  lorsque  le  gouvernement  français  fui 
informé  de  la  sortie  de  l'amiral  Keppel.  La  flotte  anglaise 
était  supérieure  ù  la  nfttre  par  le  nombre  des  canons. 
M,  de  Sartines,  en  portant  cette  nouvelle  ù  la  con- 
naissance du  commandant  de  notre  armée,  lui  donna 
l'aulorisalion  de  revenir  à  Brest.  «J'ai  prévenu  les  capi- 
taines de  mon  escadre,  répondit  l'amiral,  que  je  comptais 
rester  un  mois  A  la  mer,  et,  A  moins  d'un  ordre  formel, 

1.  Le  MB  Ire-ami  rnl  Birringlon,  après  avoir  dtbarqué  de*  Iroupes  rd- 

,    gbiiM  à  Sainte-Lucio.  au  uuii  de  dfcemhro  1119,  avait  moaillé  avpr  Kpl 

imincanx  dani  une  dt»  baie*  dr  rite.  U'Eilainp  vini  do  la  M>rlinic|iie  au 

s  de  Sainif-I.iifk'  avec  dei  troupe*  de  débait|Oflnient  et  une  etniilre 

de  doum  vaianraiit. 


PRÉFACE.  7 

je  ne  rentrerai  pas  avant  le  moment  que  j'ai  indiqué.  »  Le 
parti  que  prenait  cet  officier  général  n'impliquait,  de  sa 
part,  aucune  intrépidité  particulière.  Sa  réponse  était 
celle  d'un  chef  d'escadre  ayant  de  la  fermeté  et  surtout 
des  lumières*.  C'est  dans  des  résolutions  de  cette  nature 
que  consiste  le  courage  des  généraux. 

1.  Le  comte  d'Orvilliers  était  considéré  par  toute  la  marine  comme  l*ofn- 
cîer  général  le  pins  capable  de  commander  une  ^nde  escadre.  Il  avait  fait 
les  deux  guerres  de  1741  et  de  1756.  II  était  âgé  de  soixante-huit  ans  au 
commencement  de  la  guerre  de  Pindépendance  américaine. 


LIVRE  I 


La  marine  militaire,  en  France,  date  de  l/>nis  XIII.  —  Suppression  de  la 
charge  de  grand  amiral.  —  Le  cardinal  de  Richelieu  est  nomme  grand 
maître,  chef  et  sorintendant  de  la  navigation  et  du  commerce.  —  Créar 
lion  des  premières  troupes  afTectécs  au  service  de  la  flotte.  —  Efforts  du 
cardinal  pour  jeter  les  bases  d'un  établissement  maritime  permanent.  — 
Services  rendus  par  les  forces  navales  sous  son  minif^tère.  —  \a  marine 
militaire  décroît  sous  la  régence  d'Anne  d*Autriche.  —  Uègne  de  lx>ui8XIV. 
—  Colbert,  ministre  de  la  marine.  —  Développement  rapide  de  nos  forces 
navales.  —  Institutions  et  ordonnances  de  Colbert.  —  Ministère  du  mar- 
quis de  Seignelay.  —  Principaux  événements  auxquels  prend  fiart  la 
marine  sous  Louis  XIY. 


I 


La  marine  militaire,  telle  que  nous  Fentendons  aujour- 
d'hui, c'est-à-dire  comprenant  un  matériel  et  un  personnel 
entretenus  aux  frais  de  TÉtat  et  exclusivement  consacrés 
à  son  service,  ne  date  que  de  Louis  XIII  '.  Henri  IV  avait 
eu  la  pensée  de  créer  une  marine  militaire,  mais  les  diT- 
Acuités  des  temps  où  il  vivait  ne  lui  avaient  pas  permis 
d'entreprendre  cette  tAche  patriotique.  Douze  ans  après 

1.  «  On  chercherait  en  vain  dans  les  archives,  avant  Tannée  16G0.  des 
correspondances  assez  suivies  pour  en  former  un  tableau  satisfaisant  de 
notre  marine.  Je  n*y  ai  trouvé  qu'un  p4>tit  nombn'  de  pièces  originales  et 
quelques  états  antérieurs  à  cette  éiMM{ue.  Cependant.  |H)ur  ne  i>as  laissiT 
un  vide  aussi  considérable  dans  c<itte  |>artie  intéressante,  j'ai  cru  devoir 

remonter  plus  haut Je  suis  i»ar\'enu  à  commencer  le  détail  de  nos 

différents  armements  de  Tannée  1610,  lorstpie  I/>uis  XIII  fuirvint  au  trOne. 
Je  me  suis  lixé.  avec  d'autant  phis  de  raison,  au  règne  de  ce  primée,  <{u'on 
peut  le  regarder  comme  le  restaurateur  de  notre  marine  qui  était  toml>ée 
dans  un  si  grand  anéantissement  depuis  Henri  II,  qu'à  peine,  sous  Henri  lY, 
la  France  aurait  pu  mettre  «piatre  vaisseaux  en  mer.  {IIintoif*e  manuxrrite 
de  la  Marine  franraiiw  de  IGIO  n  1761J.)  •  I/auteur,  M.  l*orque  d*Amécourt, 
était  garde  des  archives  et  premier  commis  du  dé|N^t  des  |»apiers  de  la  ma- 
rine et  des  colonies.  Il  a  «>\i-n'è  c<'s  fonctions  de  1161  à  17K.'>. 


PRÉFACE.  9 

ravéaement  au  trône  de  son  successeur,  notre  faiblesse, 
au  point  de  vue  maritime,  était  telle  que  le  gouverne- 
ment ne  put  mettre  en  mer  une  flotte  suffisante  pour 
arrêter  les  déprédations  que  commettaient  quelques  na- 
vires protestants  sur  les  côtes  de  la  Guyane,  du  Poitou 
et  de  la  Bretagne.  En  1625,  Louis  XIII  fut  obligé  de 
demander  l'assistance  d'une  puissance  étrangère  pour 
combattre  les  Rochellois  révoltés.  En  vertu  d'un  traité 
signé  à  la  Haye,  par  notre  ambassadeur,  le  comte  de 
Lesdiguières,  les  États-Généraux  s'engagèrent  à  mettre 
à  notre  disposition  vingt  bâtiments  de  guerre.  Il  fut  con- 
venu que  douze  de  ces  bâtiments  auraient  des  capitaines 
et  des  équipages  français.  Nous  avions  introduit  cette 
clausf^  dans  la  crainte  que  les  Hollandais  ne  prissent  parti 
pendant  la  campagne  pour  leurs  coreligionnaires.  Cette  si- 
tuation était  aussi  humiliante  pour  l'amour-propre  national 
que  dangereuse  pour  notre  sécurité.  Le  cardinal  de  Ri- 
chelieu résolut  de  donner  à  la  France  une  flotte  de  guerre 
qui  lui  permît  de  prendre  parmi  les  nations  maritimes 
le  rang  que  lui  assignaient  l'étendue  de  ses  côtes  et  les 
ressources  de  son  territoire.  Les  institutions  de  celte 
époque  présentaient  de  sérieux  obstacles  à  l'exécution  de 
ses  projets.  Les  affaires  maritimes  étaient  placées  sous 
la  direction  d'un  dignitaire  qui  portait  le  titre  d'amiral 
de  France.  Cet  amiral  était  un  prince  du  sang  ou  un  des 
hommes  les  plus  considérables  de  l'État.  Il  avait  de  droit 
le  commandement  des  armées  navales  et  des  ports. 
C'était  à  lui  qu'appartenait  la  nomination  des  officiers  et 
des  fonctionnaires  servant  dans  la  marine.  Les  opéra- 
tions, de  quelque  nature  qu'elles  fussent,  exécutées  dans 
les  arsenaux  pour  le  compte  du  Roi,  relevaient  de  son 
autorité.  Avec  cette  organisation,  l'unité  de  vues  indis- 
pensable pour  atteindre  le  but  que  poursuivait  le  cardi- 
nal ne  pouvait  exister.  Il  était  en  effet  difficile  de  croire 
que  l'amiral  consentît  à  n'être  que  l'instrument  docile 
des  volontés  du  ministre.  D'autre  part,  le  pouvoir,  dont 
disposait  ce  personnage,  était  un  fait  absolument  incon- 


10  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

ciliable  avec  les  idées  de  Richelieu  en  matière  de  gouver- 
nement. L'amiralat,  dont  le  titulaire,  Henri  de  Montmo- 
rency, reçut  une  indemnité  de  douze  cent  mille  livres,  fut 
supprimé  en  1626.  La  charge  qui  disparaissait  avait 
constitué,  en  son  temps,  un  progrès  très-réel  sur  le  passé. 
Elle  avait  absorbé  les  amirautés  particulières,  celles  du 
Levant,  de  la  Guyenne,  de  la  Normandie  et  de  Tlle  de 
France.  Par  suite  de  cette  mesure,  le  gouvernement  de 
notre  pays  avait  fait  un  pas  dans  la  voie  de  la  centralisa- 
tion. La  réforme  pratiquée  par  Richelieu  acheva  Tœuvre 
commencée.  Le  Roi  créa  la  charge  de  grand  maître  chef 
et  surintendant  de  la  navigation  et  du  commerce,  et  il  la 
confia  au  Cardinal  ^ 

Celui  qui  occupait  ce  nouveau  poste  devait  jouir,  si  ce 
n'est  de  tous  les  honneurs,  au  moins  de  tous  les  droits 
dévolus  jusque-là  à  l'amiral  de  France.  En  conséquence, 
Richelieu  se  trouva  en  possession  de  l'autorité  nécessaire 
à  l'exécution  de  ses  desseins.  L'assemblée  des  Notables, 
réunie  à  Paris  à  la  fin  de  l'année  1626,  demanda  au 
Roi,  sur  sa  proposition,  que  l'État  entretînt  d'une  ma- 
nière permanente  quarante-cinq  bâtiments  de  guerre.  On 
devait  également  avoir  dans  la  mer  Méditerranée  un  cer- 
tain nombre  de  galères  toujours  prêtes  pour  un  service 
actif.  Sans  marine,  fut-il  dit  à  cette  occasion,  on  ne  peut 
ni  profiter  de  la  paix,  ni  faire  la  guerre  d'une  manière 
avantageuse.  Ce  serait  une  erreur  de  penser  que  ces 
maximes  aient  perdu  de  leur  valeur.  La  main  du  Cardinal 
s'était  déjà  montrée  dans  les  afTaircs  de  la  marine.  Lors- 
qu'il s'était  trouvé  dans  l'obligation  de  recourir  aux 
États-Généraux  pour  assurer  la  sécurité  de  nos  côtes,  il 
avait  commandé  aux  constructeurs  les  plus  habiles  de  la 
Hollande  dix  bâtiments  de  guerre  pour  le  compte  du  gou- 
vernement français.  C'était  lui  qui  avait  décidé,  en  1622, 

1.  I^  dignité  de  vice-nmiral,  qui  existait  à  cette  époque^  fut  supprimée 
en  ni^mc  tcmpH  que  l'amiralat.  Un  intendant  général  de  la  navigation  rem- 
plaça le  vice-amiral,  do  même  que  le  grand  maître  chef  et  sarintendant  de 
la  navigation  et  du  commerce  remplaçait  l'amiral. 


PRÉFACE.  1 1 

la  création  de  cent  compagnies  destinées,  sous  le  titre  de 
compagnies  ordinaires  de  la  marine,  à  faire  le  service 
sur  les  bâtiments  de  guerre.  Jusque-là,  les  soldats  em- 
barqués sur  les  flottes  étaient  pris  dans  les  rangs  de 
l'armée  de  terre.  En  1627,  les  cent  compagnies  détachées 
furent  supprimées,  et  les  hommes  qui  en  faisaient  partie 
formèrent  un  régiment  qui  prit  le  nom  de  régiment  de  la 
marine.  Les  compagnies  franches  de  1622  et  le  régiment 
de  la  marine  dans  lequel  elles  vinrent  se  fondre,  cinq 
ans  après,  sont  les  premières  troupes  de  la  marine  dont 
Texistence  ait  été  officiellement  constatée*.  On  remar- 
quera qu'il  ne  s'agissait  pas  de  troupes  destinées  à  servir 
dans  les  ports  ou  dans  les  colonies,  mais  d'hommes 
appelés  à  former  une  fraction  très-importante  des  équi- 
pages de  la  flotte  de  guerre.  En  1627,  le  Roi  fit  marcher 
une  armée  contre  la  ville  de  la  Rochelle,  place  forte  que 
les  protestants  possédaient  en  vertu  de  l'édit  de  Nantes. 
Le  gouvernement  de  la  Grande-Bretagne,  prétendant  être 
garant  des  traités  conclus  avec  les  réformés,  envoya  une 
flotte,  sous  les  ordres  de  Buckingham,  pour  les  secourir. 
Les  Anglais  occupèrent  une  partie  de  l'île  de  Ré.  Nos 
troupes  parvinrent  à  les  en  chasser,  mais  l'ennemi,  res- 
tant maître  de  la  mer,  conserva  la  possibilité  de  ravitail- 
ler la  place.  Vingt  petits  bâtiments,  réunis  par  les  soins 
du  Cardinal,  apportaient  un  concours  utile  aux  opéra- 
tions militaires.  C'était  avec  leur  aide  que  nous  avions 
débarqué  dans  l'île  de  Ré,  mais  cette  flottille  était  insuffi- 
sante pour  couper  les  communications  des  assiégés  avec 
le  large.  Or,  les  généraux  déclaraient  que  la  Rochelle  se- 
rait imprenable  aussi  longtemps  que  cette  condition  ne 
serait  pas  remplie.  Ne  disposant  pas  d'une  force  navale 
qui  lui  permît  de  satisfaire  à  cette  exigence,  le  Cardinal 
se  décida  à  fermer  le  port  par  une  digue.  Ce  travail, 
grâce  à  l'habileté  de  l'ingénieur  Clément  Métézau,  chargé 

1.  Les  archives  de  la  marine  ne  contiennent  aucun  document  indiquant 
Tcxistence  des  troupes  de  la  marine  avant  celte  date. 


HISTOIRE   DE   LA    MARINE  FRANÇAISE 

de  celle  importuote  opération,  et  au  dévouenienl  de  nos 
soldais,  fut  terminé  au  milieu  de  l'année  1626  '.  Dès  lors, 
toutes  les  tentatives  pour  Taire  pénétrer  des  secours  dans 
ville  Turent  inutiles.  La  Rochelle,  vaincue  par  la  fa- 
mine, ouvrit  ses  portes,  au  mois  d'octobre.  Richelieu 
avait  présidé  h  toutes  les  opérations  du  sié|^,  en  qualité 
de  lieutenant  du  Roi.  Il  avait  été  témoin  des  difficultés 
que  l'armée  avait  rencontrées.  Si  le  mode  employé  pour 
fermer  le  port  constituait  un  titre  d'honneur  pour  les 
assié{;eants,  d'autre  part,  la  construction  de  la  digue 
avait  coûté  beaucoup  de  temps  et  d'argent  qui  eussent 
été  épargnés,  si  une  escadre  française,  croisant  devant 
la  Rochelle,  en  eût  interdit  l'accès  à  l'ennemi.  Le  Car- 
dinal, plus  que  jamais  convaincu  de  l'infériorité  à  la- 
quelle la  France  se  trouverait  condamnée,  si  elle  n'avait 
pas  de  marine  militaire,  se  mit  immédiatement  à  l'œuvre 
pour  jeter  les  bases  d'un  grand  établissement  maritime. 
Les  bdtiments  de  guerre  devinrent  la  propriété  de  l'Ëtal, 
Les  ports  furent  améliorés  et  Tortifiés,  et,  ù  la  tête  de 
chacun  d'eux,  une  ordonnance,  portant  la  date  du  29 
mars  1631,  plaça  un  commissaire  général  et  un  chef  d'es- 
cadre'. Ces  deux  fonctionnaires,  auxquels  des  officiers 
furent  adjoints,  reçurent  la  mission  de  réparer  et  d'en- 
tretenir les  bâtiments  qui  se  trouvaient  dans  nos  arse- 
naux, cl  d'armer  ceux  que  k'  ministre  ilésignait  pour 
aller  &  la  mer.  Les  capitaines  et  les  lieutenants,  destinés 
&  embarquer  sur  les  bdlimenls  de  guerre,  Turent  main- 
tenus au  service  d'une  manière  permanente.  Richelieu 
leur  alloua  une  solde  à  terre  distincte  de  celle  qu'ils  re- 

1.  Colle  (ligue  itnit  liinfiin  de  ftopt  cent  quarante  loises.  1:11e  BVtit  Ireite 
piiilf  do  haut  el  dîi'butt  iiicils  de  \aige  à  «a  base,  tin  k  CDtiitruÎBit  en 
eniilant  de»  btUincnla  rempli»  de  niatonnerie.  Les  détaiU  de  reiéculion 
lurent  l'iinlli'x  a  un  matire  nmcon  de  Parie,  du  nom  Je  Jeun  Tircol. 

1.  Sou*  Colbcrt,  noui  verrons  luus  les  lervices.  dan*  lei  [lorla,  aboutir 
h  dcut  fbncliuniiairvu,  l'un  militaire  et  l'autre  apparlenanl  à  l'ordre  rivil, 
•avoir  :  le  commandant  de  la  marine  el  l'intcnduil.  Boni  cei  deux  fnnc- 
lionnairva,  i\  Mt  lurile  de  reconnaître  le  eommitaair»  général  et  le  chef 
d'eicadre,  fibcui  |iar  l'ordonnance  du  ItUl  k  la  Itle  dea  ports. 


PRÉFACE.  13 

cevaient  à  la  mer.  Il  fonda  des  écoles  de  canonnage  et  il 
nomma  y  dans  chaque  port,  un  officier  spécialement 
chargé  du  service  de  Tartillerie*.  On  disposa  dans  les  ma- 
gasins le  matériel  nécessaire  pour  armer  les  bâtiments 
à  flot.  Un  deuxième  régiment  des  troupes  de  la  marine, 
qui  prit  le  nom  de  régiment  royal  des  vaisseaux,  fut  créé 
en  1635.  Le  service  des  officiers  et  des  équipages  à  terre 
et  à  la  mer  fut  réglementé.  Il  n'y  avait,  à  cette  époque, 
aucune  législation  parlicutière  pour  la  marine  de  guerre. 
Dans  les  ports  militaires,  aussi  bien  que  sur  les  vaisseaux 
armés  provisoirement  pour  le  compte  du  Roi,  on  appli- 
quait les  lois  et  les  coutumes  en  usage  sur  les  navires  de 
commerce.  Un  code  pénal,  destiné  à  la  marine  de  TÉtat, 
parut  en  1634*. 

Quoique  rejetées  au  second  plan  par  Tavènement  des 
vaisseaux  ronds,  c'est  ainsi  qu'on  appelait  les  navires  à 
voiles,  les  galères  conservaient  une  grande  importance. 
Elles  étaient  dirigées  par  Pierre  de  Gondi  qui  portait  le 
litre  de  général  des  galères.  Cette  qualité  lui  donnait  le 
commandement  des  îles  d'Hyères  et  la  lieutenance  géné- 

1.  Les  quelques  lignes  suivantes,  empruntées  à  un  état  de  dépenses 
approuvé  par  Richelieu^  donneront  une  idée  des  vues  du  cardinal  et  de  son 
erjprit  d'organisation.  «  A  cent  canonniers  qui,  outre  ceux  qui  sont  actuel- 
lement stipendiez  dans  les  vaisseaux,  seront  obligez  de  servir  en  toutes 
occasions  où  ils  seront  mandez,  chacun  cinquante  livres,  montant  en  tout 
cinq  mille  livres;  à  trois  maîtres  canonniers  qui  seront  aux  trois  escholles 
càtablics  en  Normandie,  brctaigne  et  Guyenne,  qui  seront  obligez  d'ins- 
truire la  jeunesse  en  leur  art,  chacun  deux  cents  livres,  montant  six  cents 
livres.  A  cent  cinquante  jeunes  hommes,  depuis  Tàge  de  quinze  ans  jusqu'à 
vingt-cinq,  do  toutes  les  castes  les  plus  proches  des  villes  où  seront  éta- 
blies les  escadres  pour  être  instruitz  pour  être  canonniers,  chacun  dix 
livres,  montantz  en  tout  quinze  cents  livrcj<.  Pour  les  pouldres  qui  seront 
consommées  es  trois  escholles  de  canonniers  estabiies  cy  dessus,  à  raison 
de  quatre  milliers  par  eschoUe,  qui  font  douzo  milliers  qui.  à  dix  solz  la 
livre  de  pouldre,  reviennent  à  six  mille  livres.  Pour  les  prix  qui  seront 
donnez  douze  fois  Tannée,  à  chacune  des  escholles  qui,  pour  les  trois,  font 
trente-six,  à  raison  de  trente  livres  et  pour  prix  qui  seront  emploicz  en 
draps  pour  habiller  ceux  qui  les  gaigneront,  montant  en  tout  mil  quatre 
vingts  livres.  »  On  voit  que  le  grand  ministre  comprenait  la  nécessité  d'a- 
voir, non-seulement  une  réserve,  mais  une  réserve  instruite. 

2.  Ce  travail  fut  fait,  par  ordre  de  Richelieu,  sous  la  direction  du  com- 
mandeur de  la  Porte,  intendant  général  de  la  navigation. 


l'é  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

raie  du  Roi  dans  les  mers  du  Levant.  Richelieu  obtint, 
moyennant  une  indemnité  de  cinq  cent  soixante  mille 
livres,  la  cession  de  cette  charge  en  faveur  du  lils  d'une 
de  ses  sœurs,  le  marquis  François  de  Vignerot  du  Pont 
de  Courlay.  Ce  dernier  exerça  les  fonctions  de  sa  charge, 
en  ce  qui  concernait  la  partie  militaire.  Il  commanda  les 
galères,  lorsqu'elles  furent  envoyées  à  la  mer,  mais  le 
Cardinal  garda  entre  ses  mains  la  direction  supérieure 
de  ce  service.  C'était,  d'ailleurs,  le  but  qu'il  s'était  pro- 
posé, en  confiant  cet  emploi  à  son  neveu.  En  1635,  la 
guerre  éclata  entre  la  France  alliée  à  la  Hollande  et  l'Es- 
pagne. Quarante  bâtiments  de  guerre,  ayant  de  huit  à 
cinquante  deux  canons,  six  brûlots  et  quatorze  navires 
de  charge  furent  réunis,  au  mois  de  juin  1636,  sur  la 
rade  de  Belle-Ue.  Cette  flotte,  dont  l'armement  représen- 
tait, de  la  part  du  Cardinal  et  de  ses  agents,  un  elTort 
considérable,  était  commandée  par  Henri  de  Lorraine, 
comte  d'IIarcourt.  Ce  dernier  avait,  auprès  de  lui,  comme 
Conseiller,  monseigneur  d'Escoubleau  de  Sourdis,  arche- 
vêque de  Bordeaux,  qui  avait  joué  un  rôle  très-brillant 
au  siège  de  la  Rochelle*.  Le  capitaine  du  navire  amiral, 
le  commandeur  Des  Gouttes,  vieil  officier,  ayant  une 
grande  expérience  de  la  mer,  était  au  point  de  vue  pure- 
ment maritime,  le  véritable  chef  de  l'armée*.  Les  in- 
structions adressées  au  comte  d'Harcourt  lui  prescrivaient 
de  se  rendre  dans  la  Méditerrannée.  Il  devait  s'entendre 
avec   le  maréchal   de  Vitry,   gouverneur  de    Provence 

1.  Le  lioi  iioninmil  Parclievi^ue  «  chef  de  ses  cuuseillers  près  ledil  coiiile 
d*llarcoiirl ,  jwiir  l'assisler  dans  les  conseils  qui  se  tiendront  en  rem- 
ploi de  Tarniée  el  sur  toutes  lesafTaires  concernant  ladite  année,  et  |)Our, 
sous  rautoiité  de  Sa  Majebté  et  celle  diidit  comte  d'IIarcourt;  avoir  la  di- 
rection de  ce  (|ui  serait  de  la  subsistance  de  ladite  armée,  vivres,  nuini- 
lions  et  équipages,  avec  pouvoir  de  faire  prendre,  sur  tous  les  vaisseaux 
qui  se  rencontreraient  en  mer,  les  victuailles,  a^rès  et  munitions  dont 
ladite  armée  navale  pourrait  avoir  besoin,  en  |>a>ant,  laissant  néan- 
moins auxdits  vaisseaux  ce  qui  leur  serait  nécessaire  pour  le  reste  de  leur 
vovaj^e.  » 

*2.  Le  cardinal  avait,  dans  les  lumières  de  c<'t  ofQcier  el  dans  sa  ciqui- 
cité  maritime,  la  conliance  la  plus  entière. 


PRÉFACE.  15 

pour  reprendre  les  îles  de  Lérins  que  les  Espagnols  nous 
avaient  enlevées,  l'année  précédente.  Le  Roi  et  son  ministre 
tenaient  particulièrement  à  Texécution  de  ce  projet. 
Après  avoir  embarqué  un  corps  de  quatorze  mille  soldats, 
la  flotte  fit   route  vers  le  détroit*.  Dans  les  premiers 

1.  On  lira  avec  intérêt  la  composition  de  cette  flotte.  En  se  reportant  à  la 
situation  maritime  de  la  France,  au  moment  du  siège  de  la  Rochelle,  on  se 
rendra  compte  des  résultats  obtenus  par  le  cardinal,  dix  ans  après  qu'il 
eût  pris  possession  de  sa  charge  de  grand  maître,  chef  et  surintendant  de 
la  navigation  et  du  commerce.  Les  navires  de  guerre  n'étaient  pas  classés, 
comme  ils  le  furent  quelques  années  après,  et  leur  force  se  trouvait,  à 
cette  époque,  indiquée  par  le  tonnage.  Le  comte  d'Harcourt  se  dirigeait 
vers  la  Méditerranée    avec  les  bâtiments   désignés   ci-après  :  le  Grand 
Saint-Louis,  de  mille  tonneaux,  Des  Gouttes,  capitaine;  la  Fortune^  de 
cinq  cents  tonneaux,  de  Poincy,  capitaine  ;  la  Licorne,  de  cinq  cents  ton- 
neaux, de  Montigny,  capitaine;  le  Corail,  de  cinq  cents  tonneaux,  Rigault, 
capitaine;  la  Ciguè\  de  cinq  cents  tonneaux,  de  Cangè,  capitaine;  le  Cocq^ 
de  cinq  cents  tonneaux,  de  La  Fayette,  capitaine;   le  Saint-Michel,  de 
cinq  cents  tonneaux,  de  Cou,  capitaine;  la  Sainte-Genefuieiie,  de  cinq 
cents  tonneaux,  de  Beaulieu,  capitaine;  la  Perle,  de  trois  cents  tonneaux, 
de  Boisjoly,  capitaine  ;  la  Magdelaine,  de  trois  cents  tonneaux,  de  Guitault, 
capitaine;  V Eglise,  de  trois  cents  tonneaux,  de  Miramont,  capitaine;  l'//er- 
mine,  de  deux  cents  tonneaux,  de  Coursac,  capitaine  ;  la  Sainle-Marie,  de 
deux  cents  tonneaux,  de  Portenoire,  capitaine;  la  Royale,  de  cent  vingt 
tonneaux,   Rozet,  capitaine;  la   Patache  de  M.  de  Cou,  de  cinquante 
tonneaux,  Pourpardin,   capitaine;   V Europe,  de  cinq  cents  tonneaux,  de 
Mante,  capitaine:   le  Saint-Louis,  de  cinq  cents  tonneaux,  de  Giron,  capi- 
taine; le  Lion-d^Or,  de  trois  cents  tonneaux,  de  Beaulieu-Pressac ,  capi- 
taine;  V Intendant,  de  trois  cents  tonneaux,  d'Arpantigni ,  capitaine;  le 
Saint-Louis  de  Hollande,  de  trois  cents  tonneaux,  de  Vaillebois,  capitaine  ; 
la  lienommée,  de  trois  cents  tonneaux,  Charles  Duval  de  Couppeauville, 
capitaine;  le  Saint-Jean,  de  trois  cents   tonneaux,  Vaslin,  capitaine;  la 
Marguerite,  de  deux  cents  tonneaux,  de  La  Treille,  capitaine;  le  Sainl- 
Franrois,  de  deux  cents  tonneaux,  Reguicr,  capitaine;  la  Lionne, de  deux 
cents  tonneaux,  Beaulieu  le  jeune,  capitaine;  la  Palmande,  de  deux  cents 
tonneaux,    Cazennac,   capitaine;  V Espérance,  de  deux  cents  tonneaux, 
d'Arrérac,  capitaine  ;  r^n^e,  de  deux  cents  tonneaux,  de  Petonnicr,  capi- 
taine ;  la  Frégate  gasconne,  de  cent  vingt  tonneaux,  Cabaret,  capitaine  ; 
le  Saint-Vincent,  de  trois  cents  tonneaux,  de  La  Bouilierie,  capitaine;  la 
Magdeiaine,  de  trois  cents  tonneaux,  du  Mé  d'Aplemonl,  capitaine;  la  Mar- 
guerite, de  deux  cents  tonneaux,  de  Chastellux,  capitaine;  la  Sainte-Anne, 
de  deux  cents  tonneaux,  de  Pontrincourt,  capitaine;  V Aigle,  de  deux  cents 
tonneaux,  Louis  Havart,  capitaine  ;  la  Levrette,  de  deux  cents  tonneaux, 
Daniel,  capitaine;  le  Neptune,  de  deux  cents  tonneaux.  Du  Quesne,  capi- 
taine ;  le  Griffon,  de  deux  cents  tonneaux,  de  La  Chcsnaye,  capitaine.  Le 
nombre  des  CanonSj  sur  l'ensemble   de  cette  Hotte,  était  de  quatre  cent 
deux.  Le  navire  amiral,  le  Grand-Saint- Louis,  avait  quai*antcsix  pièces 


l 


10  JIISTorUE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

jdin'H  «rnoiU,  loromlo  d'Harcourt  rallia, aux  lies  d'Hjrères, 
lf*H  ^n\rn*s  (lu  marquis  du  Pont  de  Courlayet  une  escadre 
il  v(mI(*n  nmuuiiïuU*^  par  le  baron  d'Alk-ma^e.  Il  prit, 
roiif'oriii('*MM*nt  aux  ordres  do  la  cour,  le  commandemeDl 
t'ti  i'iwï  d(;  loul(*s  nos  forces  navales.  Par  suite  de  contes- 
fiiliouH  Hurv(*nnes  enlre  le  pouverneur  de  Provence  et  le 
roMih*  d'Ilairourt,  Tannée  se  passa  dans  l'inaction.  Le 
tniiréflidl  de  Vilry  avait  laissé  prendre  les  Iles  de  Lérins 
pur  hfi  néKliKencc*.  Le  Hoi,  se  souvenant  peut-être  de  la 
|oiirnéi*du  'àU  avril  1017,  et  supposant,  d'autre  part,  que 
le  iiiiin|uiH  d(*  Vilry  lerail  tous  ses  efforts  pour  réparer 
M.i  l'iiulc,  hV'IiiII  nioiilré  IW's-indul^^ent*.  Cependant, cédant 
ini\   nihlaiMTM  du    cardinal,  il  avait  placé  le  maréchal 
ifouM  lu  lulcjjc  de  ninnsci^Mieur  Gabriel  de  Beauveau  de 
hivjirciiiic,  c\^(|U('  de  Nantes.  Ce  prélat  était  arrivé  àson 
poule  au  mois  de  jaii\ier  1036,  mais  il  n'était  pa:>  par\'enu 
/i  iidoiicir  riiiimeiir  violente  de  celui  qu'il  devait  diriger. 
Iiaiih  un  conseil  de  ^nuMTe,  tenu  au  commencement  de 
ir,;i7,  le  iiiiiréclial,  mécontent  de  trouver  monseigneur 
de  Sourdis  peu  disposé  à  ncc(*plor  ses  avis,  s'emporta  au 
point  de  le  l'iiipper.  Lorsque  ces  faits  furent  connus,  le 
lloi  ii|ouriiii  eiirore  iiiu*  fois  l(»s  mesures  de  sévérité;  mais 
le  nijirérliiil  ii)jitil  coiilinué,  malgré  les  ordres  formels  de 
lit  ci»iir,  à  vivre  en  mauvaise  intelligence  avec  l'arche- 
\êque,  lui  a|»|M'|é  à  Paris  ".  Le  coude  d'IIarcourt  sVmpara 
des  llcNde  Lériiis  nu  mois  de  mai  1637.  Le  1"'  se|)tembre 
Ki.jM,  une  rencontre  eut  lieu,  sur  les  eûtes  d'Italie,  non 
loin  de  (n'iies,  eiilie  les /galères  de  France  et  d'Espagne. 
Le  marquis  du  Pont  de  Coiirlay  remporta  une  brillante 

t'\  ilni\   fini  i\tiii\ir  xiiiL'l  «|iiin/»'   lioinnios  irrM|iii|)afrc.    \.o   nombre  des 
rjiimii"  l'i  ri'iiii  i|i>n  lioiniiirh  iriM|ui|iiiui>  ôlait  |>ri>|N»rlioiin(>I  ail  tonnage. 

I.  1^"  'M  nviil  Ull";.  >in»|;i«,  (Ir  IHiipilal  ,  iiianiiiiH  «l«»  >ilr\.  av.iil  tué 
•I  Mil   niu|i  fif    |»i-lo|r|,    Miir   !»•  iMiiit  «lu   l.imvrc,  Cmirini.  (le  iiiaréclial 

<l  \lHlf). 

7.  A|»ri'«  avoir  vU-  »irvi'rt*inont  répritiinmli'.  le  marrchal  fiil  renvoie  à 
M»ii  »;i»u\iTiii'iiii'iit.  Sii  rfimliiitf*  t\r  K'aiiioliurant  jMm,  ni  disprAct»  dJvini 
drliiiihvr.  Il  fui  «rri*l«\  If  77  orl«.|»rr  1027,  nu  milieu  de  se»  lruu|H;s  et  con- 
duit a  l*n^l^.  Mih  u  la  Uahlille,  il  nVn  hurlit  «lu'aiirt's  la  mort  du  cardinal. 


PRÉFACE.  17 

vicloire.  Cette  même  année,  monseigneur  de  Sourdis  ap- 
puya, avec  une  flotte  comprenant  trentensept  bAtiments 
de  guerre  et  quatre  brûlots,  les  opérations  de  Ciondé  qui 
assiégeait  Fontarabie.  Il  infligea  des  pertes  très-sérieuses 
à  une  division  espagnole  mouillée  dans  le  petit  port  de 
Guetaria'.  L'année  suivante,  au  mois  de  juillet,  Farche- 
vèque  faisait  route  vers  la  Corognc,  lorsque  son  escadre 
fut  dispersée  par  un  coup  de  vent  d'une  extrême  violence. 
Quelques-uns  de  ses  bâtiments  disparurent  dans  la  tour- 
mente ;  d'avitres  firent  des  avaries  considérables.  Après 
être  resté  quelque  temps  à  Belle-Ile  pour  se  réparer, 
monseigneur  de  Sourdis  reprit  la  mer.  Il  termina  sa  cam- 
pagne sans  avoir  eu  la  bonne  fortune  de  rencontrer  l'en- 
nemi. En  1640,  Armand  Maillé  de  Brézé,  placé  à  la  tête 
de  l'escadre  de  l'Océan,  défit  les  Espagnols  au  large  de 
Cadix.  En  1641,  monseigneur  de  Sourdis,  appelé  au  com^ 
mandement  de  nos  forces  navales  dans  la  Méditerranée, 
fut  chargé  de  bloquer  Tarragone  qui  était  assiégée  par 
une  armée  française.  Il  eut,  le  3  juillet,  avec  les  galères 
d'Espagne,  un  premier  engagement  qui  lui  fut  favorable. 
Attaqué,  le  22,  par  des  forces  supérieures,  l'archevêque 
se  vit  contraint  de  lever  le  blocus.  Notre  retraite  permit 
aux  Espagnols  de  ravitailler  Tarragone.  Or,  cette  ville 
manquait  de  vivres,  et  elle  était  sur  le  point  de  capituler. 
Les  assiégeants  désappointés  adressèrent  à  Paris  des 
plaintes  très-vives  contre  l'escadre.  La  conduite  de  mon- 
seigneur de  Sourdis,  les  3  et  22  juillet,  avait  été  irrépro- 
chable. Telle  était  l'opinion  de  ses  principaux  officiers, 
au  nombre  desquels  figurait  Du  Quesne.  Néanmoins,  son 
échec  devant  Tarragone  amena  sa  disgrâce.  Il  perdit  son 

1 .  Le  vaisseau  la  Couronne  faisait  partie  de  Pescadre  de  Mgr  de  Sourdis. 
Ce  bâtiment^  le  plus  grand  que  nous  eussions  à  cette  époque,  avait  cent 
vingt  pieds  de  quille  et  deux  cents  pieds  de  longueur  totale,  mesuré  de 
rarrière  du  château  de  poupe  à  Textrémité  de  l'éperon.  Sa  plus  grande  lar- 
geur était  de  quarante-quatre  pieds,  et  sa  hauteur,  du  haut  de  la  dunette 
à  la  quille,  de  soixante-quinze  pieds.  Ce  vaisseau  portait  soixante-douze 
canons  en  batteries.  La  Couronne  avait  été  construite,  à  I.a  Roche-Bernard, 
par  un  constructeur  dicppois,  du  nom  de  Morieu. 

2 


18  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

commandenient,  et  il  lui  fui  fait  défense  de  venir  A  Paris 
pour  se  justifier.  Depuis  quelque  temps  déjA,  les  services 
de  l'archevCque  nY'taient  pas  apprécies  favorablement  à. 
lacour.Après  avoir  été  rtiommedecoiirianceducardiiial, 
monseigneur  de  Sourdis  était  devenu  suspect,  et  un  oi'li- 
cier,  monsieur  de  Besançon,  avait  été  placé  auprès  de  lui 
pour  le  surveiller.  L'archevêque  s'était  compromis  par  des 
paroles  imprudentes,  et  il  étiiîL  entré  en  relation  avec  les 
ennemis  du  cardinal,  ce  que  ce  dernier  ne  pardonnait  pas. 

A  la  mort  de  Louis  XIII,  arrivée  en  mai  1643,  quelques 
mois  après  celle  de  son  ministre  ',  la  .situation  mariUme 
de  la  France  témoignait  avec  éclat  des  elTorts  du  cardinal 
et  du  succès  do  son  entreprise.  Le  pavillon  rran<;ais  nc 
montrait  avec  honneur  sur  loulcs  les  mers.  Nous  avions 
des  ports,  des  arsenaux,  des  fonderies,  un  personnel  spé- 
cialement destiné  h  la  marine  de  guerre  cl  des  vaisseaux 
en  état  de  naviguer  et  de  comhattre.  La  mnrinc  du  com- 
merce, qui  avait  été  l'objet  de  l'attention  particulière  du, 
cardinal,  avait  pris  un  rapide  essor.La  France  possédait 
des  établissements  aux  Antilles,  dans  les  Florides,  au 
Canada,  sur  les  côtes  d'Afrique  et  à  Madagascar.  La  co- 
lonisation avait  re<;u,  sur  tous  ces  points,  une  très-vive 
impulsion.  En  se  substituant  à  l'amiral  de  France,  sous  le 
titre  de  grand  maître  chef  et  surintendant  de  la  naviga- 
tion et  ilu  commerre,  le  cardinal  n'avait  pas  ohéi  &  un 
sentiment  d'amhilion  vulgaire'.  L'intérêt  de  la  Franco, 
au\  destin<^cs  de  laquelle  il  présidait,  avait  été  l'unique 
mobile  de  sa  conduite. 

Lorsque  ce  grand  ministre  mourut,  sun  œuvre  n'était 
pas  achevée,  mais,  dans  l'organisation  qu'il  laissa  der- 
rière lui,  il  est  facile  de  reconnaître  les  principes  qui, 
plus  tard,  servirent  de  base  aux  institutions  de  Colberl. 

1.  Le  cantintl  ûlait  luorl  le  ^  û6rvmhrc  IC41. 

3.  Conforminii^nl  ft  la  ilemntiilc  du  cardinal,  le  I(ul  ■viii  Jdcidti  tiiie  l« 
nouvelle  rlurge  ne  coTii|iortereit  |>a«  [l'oppoiitinmrnU.  U'Aulre  |«i-l.  Riche- 
n'était  [«a  ap|ieli^  h  Maimanrler  les  esriidrea.  Ce  qui  lui  restait,  c'dlail 
^é  Dteeeuire  {wur  diriger  la  ni.vine  telon  »n  vtica. 


PRÉFACE.  19 


II 


Pendant  les  premières  années  de  la  régence  d'Anne 
d'Autriche,  la  marine  joua  un  rôle  très-honorable.  Le  duc 
de  Brézé,  à  la  tête  de  vingt-deux  bâtiments  de  guerre  et 
de  deux  brûlots,  rencontra  les  Espagnols,  le  9  août  1643, 
au  large  de  Barcelone.  Il  les  attaqua  et  il  leur  prit  cinq 
bâtiments.  Dans  une  seconde  rencontre  qui  eut  lieu,  le 
3  septembre,  l'ennemi  subit  de  nouvelles  pertes.   Les 
Espagnols,  très-affaiblis  par  ces  deux  défaites,  restèrent 
quelques  années  sans  rien  entreprendre  sur  mer.  Dans  le 
mois  de  juin  1646,  le  duc  de  Brézé  croisait  devant  Orbi- 
tcllo  pour  couvrir  le  siège  de  cette  place  du  côté  de  la 
mer  avec  vingt-cinq  bâtiments  de  guerre,  vingt  galères 
et  dix  brûlots,  lorsque  Tennemi  fut  signalé.  L'amiral  don 
Francisco  Diaz  Pimienta  avait  sous  son  commandement 
vingt-cinq  va^jsseaux,  trente  galères  et  huit  brûlots.  Après 
un  combat  très-vif,ramiral  espagnol,  quoiqu'il  eût  la  supé- 
riorité du  nombre,  nous  abandonna  le  champ  de  bataille. 
Le  duc  de  Brézé,  qui  s'était  très-vaillamment  conduit, 
ayant  été  tué,  Mazarin  lui  donna  pour  successeur  celui 
qui  était  le  véritable  chef  de  l'armée,  le  commandeur  Des 
Gouttes.  En  1647  et  en  1653,  les  escadres  françaises,  sous 
le  commandement  du  maréchal  de  la  Meilleraye,  du  duc 
de  Richelieu  et  du  duc  de  Vendôme,  appuyèrent  avec 
succès  les  opérations  des  troupes  françaises  en  Espagne 
et  en  Italie.  Les  troubles  de  la  Fronde  ruinèrent  cette  ma- 
rine naissante.  Les  arsenaux  furent  laissés  dans  le  dénû- 
ment,  les  bâtiments  à  flot  dépérirent,  et  on  n'entrepril 
aucune  construction  neuve.  Le  personnel,  aussi  négligé 
que  le  matériel,  disparut  ou  fut  détourne  de  sa  destina- 
lion.  Lorsque  l'autorité  royale  eut  été  rétablie,  Mazarin 
donna  quelque  attention  à  la  marine,  dont  les  services 
lui  étaient  nécessaires  pour  combattre  les  Espagnols. 
Les  tentatives  faites,  à  cette  époque,  pour  réorganiser 


20  HISTOIRE  DE  LA  MAitINE  FUANi;AIâE. 

DOS  furccs  navales,  ne  furent  pas  poussées  avec  une 
vigueur  sulTisaiitc  pour  aboutir  à  un  résultat  sérieux.  Le 
développement  de  la  marine  ne  reprit  sa  niarclie  qu'en 
1666.  Colbert  eut  l'honneur  d'achever,  ou  pour  parler 
d'une  manière  plus  conforme  à  la  vérité,  de  faire  sienne 
l'œuvre  commencée  par  Richelieu.  Lorsqu'il  arriva  aux 
alTaires  comme  intendant  des  finances,  ayant  le  dépaiio- 
nicnl  de  la  marine,  il  trouva  le  trésor  vide  et  les  revenus 
(te  plusieurs  années  dépensés  ù  l'avance.  Dans  nos  ports, 
oii  régnait  l'abandon  le  plus  complet,  nous  avions  une 
trentaine  de  bâtiments,  parmi  lesquels  on  comptait  trois 
vaisseaux  de  soixante  à  soixantcnlix  canons.  Une  année 
après,  grdce  à  l'ordre  qu'il  apporta  dans  les  finances, 
Louis  \IV  put  donner  cinq  millions  au  Hoi  Charles  U 
irAnglelerre  pour  racheter  Dunkerque.  Des  travaux  furent 
immédiatement  entrepris  pour  fortifier  cette  place  et 
creuser  un  bassin  cnlrc  la  ville  et  la  citadelle.  Les  ports 
lie  Brest  et  de  Toulon  reçurent  des  agrandissements,  cl 
celui  de  Hochefort  fut  créé.  Les  hommes  virantdu  mélier 
lie  la  mer,  pêcheurs,  caboteurs  et  marins  naviguant  au 
long  coui-3,  furent  portés  sur  des  listes  spéciales.  Le  mi- 
nistre eut  une  base  lui  permettant  de  calculer  l'étendue 
qu'il  était  possible  de  donner  &  nos  armements.  Les  ma- 
rins furent  divisés  en  trois  classes  devant  servir  tour  à 
tour  sur  les  bâtiments  de  l'État.  Cette  législation  rem- 
plaça avec  avantage  les  mesures  violentes,  4  l'aide  des- 
quelles on  recrutait,  k  celte  époque,  les  équipages  de  la 
flotte  de  guerre.  Néanmoins,  les  nouvelles  ordonnances 
tirent  peser  sur  les  populations  marilimes  une  lourde 
charge'.  Ce  fut  jmur  l'atténuer  que  Colbert  institua  la  caisse 

I.  Loreqne  l'Ëtal  faiuùt  d«BrnemenUï  Unst,  ft Toulon  on  &nocliprorl. on 
(uimait  io»  é<4ui|>ago«  t^a  t'empanint  par  la  forco  dea  malclolt  qui  se  iroir 
it  liaai  \e%  port»  voiiio».  Si  colle  mesure  éuil  inaudiMUile,  Ies  port*  il« 
nrrra  i-Uieiit  fvmté»  Bur  une  Mrtalno  élcntluc  du  lilloral.  Il  i^luit  dé- 
fendu aux  btlimcolfl  marchMida  de  prendre  la  nier  avant  que  le  [leraonacl 
rwMire  aux  Iwiiuiu*  du  niument  ulll,At*  rduol.  Uotii  cci  conditions,  te 
mic  iniiiKin^  |>>ir  Cullivrt  connlituut  un  avautoge  IKv-si'Tiuiit  |>our  lot 
(iliiti'ini  niurihmFx.  N  r«  •voU'Uk'  nvail  ToiitUi-nne  n'tniliOri'rni-ul,  il  eût 


PRÉFACE.  21 

des  invalides.  Une  ordonnance  de  1673  décida  qu'il  serait 
fait,  à  l'avenir,  une  retenue  de  six  deniers  par  livre  sur 
les  appointements  des  officiers  généraux  et  particuliers 
de  la  marine  et  sur  les  salaires  des  équipages  «  pour  la 
subsistance,  l'entretien  et  la  récompense  des  officiers 
mariniers  et  matelots  estropiés  sur  les  vaisseaux  et  pour 
la  fondation  d'un  hôpital  général  dans  chacun  des  arse- 
naux de  Rochefort  et  de  Toulon.  »  Ces  deux  hôpitaux  ne 
furent  pas  construits,  mais,  avec  les  fonds  destinés  à  cet 
usage,  le  département  de  la  marine  donna  des  secours 
aux  hommes  qui  auraient  eu  le  droit  d'entrer  dans  ces 
établissements.  Telle  est  l'origine  de  la  caisse  des  inva- 
lides de  la  marine  et  des  pensions  connues  sous  le  nom 
de  demi-soldes.  Le  système  fut  complété  en  1703.  A  partir 
de  cette  époque,  on  préleva  trois  deniers,  par  livre,  sur 
le  produit  de  toutes  les  prises.  En  1709,  la  retenue  sur  la 
solde,  faite  au  profit  des  invalides,  fut  abaissée,  mais  elle 
atteignit  les  traitements  du  personnel  de  Tordre  civil, 
ainsi  que  les  gages  payés  par  les  armateurs  aux  matelots 
(les  bâtiments  de  commerce  :  «  Pour  ôtre  lesdits  deniers 
employés  au  paiement  des  pensions  que  nous  accorde- 
rons tant  aux  officiers  invalides  de  nos  vaisseaux  et  ga- 
lères qui  en  seraient  jugés  dignes,  qu'aux  intendants  et 
autres  officiers  de  nos  ports  et  arsenaux,  comme  aussi 

été  considéré  par  les  marins  comme  un  bienfait.  Mais  ce  no  fui  pas  ainsi 
que  les  choses  se  passèrent.  Les  guerres  qui  remplirent  le  règne  de  Louis  XIV 
eikigèrcnt  de  continuels  armements.  Le  département  de  la  marine  aurait 
encouru  une  grave  responsabilité^  si  le  manque  d'hommes  avait  clé  un 
obstacle  au  départ  de  nos  escadres.  La  formation  des  équipages  fut  une  des 
plus  pénibles  préoccupations  de  la  carrière  de  Colbert.  Celte  situation  ne 
lui  permit  presque  jamais  d'appliquer  la  règle  qu'il  avait  faite.  Au  lieu 
d'être  appelées  tour  à  tour,  les  classes  furent  confondues,  et,  le  plus  sou- 
vent, tous  les  hommes  de  l'inscription  maritime,  présents  dans  nos  ports, 
furent  envoyés  sur  les  bâtiments  de  guerre.  Cette  mesure  était  très-natu- 
relle, puisque  tous  étaient  nécessaires  à  la  défense  du  pays.  Ces  idées,  qu'on 
admet  très-bien  aujourd'hui ,  n'étaient  pas  comprises  à  cette  époque. 
D'autre  part,  cet  appel  général,  coïncidant  avec  un  règlement  qui  ne  par- 
lait que  d'appels  particuliers,  laissa  dans  l'esprit  des  populations  une  haine 
profonde  contre  l'inscription  maritime,  dont  nous  retrouverons  pendant 
longtemps  la  trace. 


22  HISTOIRE  DE  LA  -MARINE  FRANÇAISE. 

pour  la  demi-solde,  tant  des  matelots  et  soldats  que  des 
ouvriers  de  nos  arsenaux  et  des  galères,  qui  auront  été 
estropiés  ou  qui  auront  vieilli,  auxquelles  récompenses 
seront  pareillement  admis  les  officiers,  matelots  et  soldats 
invalides  ou  estropiés  sur  les  vaisseaux  marchands.  » 
Colbert  organisa  avec  un  soin  tout  particulier  le  service 
de  Tartillerie.  Des  compagnies  d'apprentis-canonniers 
des  classes  et  des  compagnies  de  bombardiers  furent 
attachées  d'une  manière  permanente  aux  ports  de  Brest, 
de  Toulon  et  de  Rochefort.  Ces  compagnies,  dont  refTectif 
s'élevait  à  cent  hommes,  pour  les  premières,  et  à  cin- 
quante, pour  les  secondes,  étaient  commandées  par  un 
lieutenant  et  un  enseigne  de  vaisseau.  Les  apprentis-ca- 
nonniers  passaient  huit  mois  dans  les  ports.  Après  ce 
laps  de  temps,  consacré  à  leur  instruction,  ils  rentraient 
dans  leurs  quartiers,  tandis  que  des  marins  de  nouvelles 
levées  venaient  prendre  leur  place.  L'État  entretenait 
d'une  manière  permanente,  dans  chacun  de  nos  poris 
militaires,  un  certain  nombre  de  maîtres-canonniers*. 

Les  troupes  de  la  marine,  composées  des  deux  régi- 
ments. «  la  marine  et  royal  des  vaisseaux  »,  créés  par 
Richelieu,  le  premier  en  1626,  et  le  second  en  1635,  furent 
augmentées  en  1669  et  en  1670,  de  deux  nouveaux  régi- 
ments, savoir:  «royal  marine  et  amiral. x>  En  1671,  ce 
personnel  s'étant  trouvé  supérieur  aux  besoins  de  la  flotte, 
Louvois  obtint  du  Roi  que  ces  quatre  régiments  seraient 
mis  à  sa  disposition.  Colbert  leva  cent  compagnies  fran- 
ches pour  le  service  de  son  département*.  Les  soldats  de 


1.  Une  ordonnance  do  1694  élablit  deux  canonnicrs  amiraux  et  deux  ca- 
nonniers  vice-amiraux  à  Hrosl  el  à  Toulon,  et  deux  canonnière  vice-amiraux 
à  Hochefort.  Les  canonnier8  vice-amiraux  étaient  pris  parmi  les  canonniers 
entretenus,  et  les  canonniers  amiraux  parmi  les  canonniers  vice  amiraux. 
I^s  canonniers  amiraux  et  vice-amiraux  n'embarquaient  <|ue  sur  les 
vaisseaux  à  bord  desquels  était  art>orée  la  mar(|ue  distinctive  d'un  oflicier 
général. 

2.  lA'scompagni»"»  franches  disparurent,  en  1689,  pour  Taire  place  aux  sol- 
dats gardiens.  \a  nouvelle  institution  ne  dura  |)as.  Les  compagnies  franches 
Turent  rétablies  en  169'i.  Leur  eiïectiT  était  de  cent  hommes;  elles  étaient 


PRÉFACE.  i3 

ces  compagnies  montaient  la  garde  dans  les  arsenaux, 
lorsqu'ils  n'étaient  pas  embarqués*.  A  bord  des  t>âtimentSy 
outre  le  service  de  garde  et  celui  de  la  police  qui  leur  in- 
combaient, ils  prenaient  part  à  tous  les  travaux.  Ceux 
d'entre  eux  qui  étaient  en  état  de  jouer  un  rôle  utile  dansla 
mâture,  recevaient  un  supplément  de  solde.  Les  ordon- 
nances et  règlements,  dont  nous  venons  de  donner  une 
rapide  analyse,  assuraient  aux  bâtiments  de  guerre  des 
matelots  capables,  des  canonniers  habiles  et  une  bonne 
mousqueterie.  Les  cadres  des  compagnies  franches  com- 
prenaient le  nombre  de  sous-ofGciers  nécessaires  à  la 
bonne  direction  de  ce  personnel.  Quant  aux  ofGciers  ma- 
riniers proprement  dits,  en  dehors  de  ceux  qui  existaient 
parmi  les  marins  des  classes,  TÉtat  entretenait  des  maî- 
tres de  toutes  professions.  Ces  maîtres,  lorsqu'ils  n'étaient 
pas  embarqués,  étaient  employés  à  la  garde  et  à  l'entre* 
tien  des  bâtiments  désarmés. 

Colbert  avait  fondé  des  arsenaux,  créé  des  flottes  et 
formé  des  équipages.  L'organisation  d'un  corps  d'officiers 
était  le  complément  indispensable  de  son  œuvre.  Confor- 
mément aux  dispositions  d'une  ordonnance  royale,  parue 
en  1669,  les  cadres  des  officiers  de  la  marine  comportèrent 
trois  lieutenants  généraux,  six  chefs  d'escadre,  soixante 
capitaines,  soixante  lieutenants,  soixante  enseignes  et 
vingt  capitaines  de  brûlot*.  Ce  personnel  semble  peu  con- 


commandées  par   trois  officiers    qui  embarquaient    avec   leurs    compa- 
gnies. 

1.  Pendant  leur  séjour  à  terre ,  les  soldats  des  compagnies  franches 
étaient  envoyés  par  détachements  aux  écoles  de  canonnage.  On  leur  appre- 
nait l'exercice  des  différentes  bouches  à  feu  employées  dans  la  marine.  Ils 
étaient  en  outre  exercés  à  charger  et  à  jeter  des  grenades. 

2.  Colbert  eut  la  pensée  de  créer,  à  côté  du  corps  royal  de  la  marine,  un 
autre  corps  composé  d'officiers  ayant  fait  un  long  apprentissage  du  métier 
delà  mer  dans  les  rangs  inférieurs.  Il  écrivit,  en  1669,  à  Colbert  du  Terron  : 
■  Je  voudrais  môme  mettre  toujours  ensemble,  autant  qu'il  se  pourrait,  un 
bon  capitaine  gentilhomme,  un  lieutenant  et  un  enseigne  de  même,  avec 
trois  officiers  matelots  en  second,  le  tout  d'un  même  pays  ou  amis,  en  sorte 
qu'ils  puissent  bien  s'accommoder  ensemble.  Bien  entendu  que  toutes  les  fois 
que  cela  serait  utile  au  service  du  Roi,  on  mettrait  le  matelot  en  preor 


'  sidérabli 


HISTOIltE  DR  LA  MAIUNE  FRANÇAISE. 


sidérable,  alors  même  qu'on  se  reporte  nu  matériel  exis- 
tant a  cette  époque.  Mais  le  temps  n'était  pas  éloigné  oti 
le  capitaine,  le  lieutenant  et  i^uclquerois  l'enseigne  re- 
présentaient ce  qiie  nous  appelons  aujourd'hui  l'état- 
major  d'un  b&timent.  Une  ordonnance  de  1676  porta  aux 
chifTres  indiqués  ci-après  le  nombre  des  officiers  de  la 
marine,  savoir  :  un  amiral  de  France,  deux  vice-amiraux, 
Irois  lieutenants  généraux,  six  chefs  d'estadre,  quatre- 
vingt-six  capitaines  de  vaisseau,  quatre  majors,  vingt 
capitaines  de  frégate  légère,  cent  vingt  lieutenants  de 
vaisseau,  vingt  capitaines  de  brûlot,  cent  cinquante  en- 
seignes, dix  lieutenants  de  frégate  et  dix  capitaines  de 
flûte.  Dans  les  nouveaux  cadres,  rendus  nécessaires  par 
le  brusque  développement  donné  à  la  marine,  figuraient 
des  officiers  qui  n'élaîcnt  pas  très-propres  à  remplir 
leurs  fonctions.  Les  uns  avaient  peu  navigué,  les  autres 
n'avaient  paru,  sur  le  pont  des  navires  de  guerre,  que 
comme  officiers  des  troupes  de  la  marine.  Enfin,  quel- 
ques-uns avaient  quitté  le  service  de  l'armée  de  terre  pour 
prendre  immédiatement  tsoit  le  commandement  d'une  es- 
cadre, soit  le  commandement  d'un  bâtiment,  il  rcsiait 
uux  officiers  de  cette  catégorie  la  ressource  d'apprendre 
leur  nouveau  métier^  mais,  en  supposant  qu'ils  en  eussent 
la  volonté,  il  devait  s'écouler  un  temps  assez  long  avant 
que  ci;  résultat  pût  être  atteint'.  En  1680,  le  maréchal 

cl  le  piitilliuiiiiiie  im  wx-onil.  i-l  m  Majp^li  v  ni  retiendrait  loiijour»  wiiianlp 
cnpibiiiip»,  uiiuinle  lirut«iianls  rt  «uiianlc  coscignps.  •  Il  ne  Tul  pas  donaù 
tuile  k  m  pmjot. 

I .  On  rumaniuoni  le*  ainintlieri  cumpromi*  auxquels  Ciilbcrt  élail  obligé 
(l'avoir  rKuurs,  [lor  rniilc  du  la  coui|Hiiiliaii  ilii  personacl.  Sa  Majeaté,  Atail-il 
ditdana uiicuidonnanee rojalc, portant  lailale du Ik mara  1673, aysnl  ncKirdé 
des  coinmiiuinni  de  caplIaioeR  en  aerond  A  plu«ieurf  jeunes  offlàers  pour 
trrvir  tur  m«  vaiuMux  de  guerre,  et  voulant  prévenir  les  dilTérend*  qui 
pourroicnl  arriver  au  «m'el  du  coniniandcaient  entre  lesdits  capitaines  en 
lecnnd  et  les  anciens  liont«n*nts,  Sa  Majesttt  veut  Cl  ordonne  qu'en  ou 
il'glMcnce,  maliilie  ou  aiilrement  des  capitame*  rn  pied  eommundanl  les 
vuiucaDK,  les  dits  aut-ieua  llputcnanliaicnt  le  principal  rom mandement  du 
bord,  a  l'eiclualon  di^  dits  mpitaines  en  seeond  ;  veut  el  entend  na  Majesté 
iju*  Iradil»  lieutcunnls  Miienl  clinrt|;#*  du  «oin  de  la  (tarnilure.  agréi:  et  m- 
iluiih  de»   Miissenuv  dnn*  le  («rt.  «an*  pfliivnir  Mrc  iiilerrcmpu»  pnr  lp«dil" 


L 


PRÉFACE.  25 

d'Estrées  écrivait  au  marquis  de  Seignelay  :  «  Trouvez 
bon  que  je  puisse  vous  représenter  encore  ce  que  je  vous 
ai  fait  plusieurs  fois,  que,  nonobstant  ce  grand  nombre 
de  gentilshommes  qui  se  jettent  dans  la  marine,  elle  ne 
laisse  pas  d'avoir  besoin  d'officiers  matelots,  c'est-à-dire 
de  gens  élevés  par  les  dégrés  et  nourris  dans  le  métier 
qui  aient  beaucoup  plus  d'application  que  les  gentils- 
hommes, de  sorte  qu'il  y  aurait  à  souhaiter  quMl  y  en  eût 
jusqu'à  quarante,  tant  lieutenants  qu'enseignes,  pour  le 
moins,  dans  tout  le  corps.  »  Colbert  avait  abandonné  la 
pensée  de  créer  les  «  officiers  matelots»  que  réclamait  le 
maréchal,  mais  il  avait  laissé  subsister  dans  la  pratique 
({uelque  chose  qui  se  rapprochait  de  cette  organisation.  Le 
département  de  la  marine  employait  des  officiers  pourvus 
de  commissions  temporaires.  Ces  officiers,  nommés  par 
le  ministre,  quelquefois  même  par  les  capitaines  des  bâti- 
ments sur  lesquels  ils  étaient  embarqués,  étaient  en  gé- 
néral des  officiers-mariniers  ou  des  pilotes  qui,  par  leur 
habileté  professionnelle,  étaient  parvenus  à  cette  situa- 
lion'. 

Colbert  ne  pouvait  improviser  ce  qu'on  obtient  seule- 
ment avec  le  temps,  c'est-à-dire  un  corps  d'officiers  capa- 
ble et  homogène.  Se  trouvant  dans  la  nécessité  de  for- 
mer, en  quelques  années,  un  nombreux  étal-major,  obli- 

capitaines,  ny  qu'ils  s'en  puissent  mesler  d'autre  manière  que  pour  y  assister 
seulement,  et  s'acquérir  l'expérience  nécessaire  pour  se  bien  acquitter  des 
commandements  quelle  leur  donnera  dans  la  suite.  » 

1.  ÏAi  marérhal  d'Estrées  écrivait  à  M.  de  Seignelay,  le  16  août  1680  : 
•  Il  y  a  déjà  sept  ansque  j'ay  engagé  le  capitaine  Brice^qui  est  capitaine  d'ar- 
mes sur  VKxcellentj  dans  le  service  delà  marine,  et  je  l'ay  empêché  depuis 
de  quitter,  quoi  qu'on  lui  ofTrtt  des  compagnies  d'infanterie,  sur  l'espérance 
que  je  pourrais  luy  procurer  une  petite  subsistance.  Je  l'ay  vu.  en  des  occa- 
sions fort  périlleuses,  conserver  beaucoup  de  sangfroid  et  de  courage.  11 
s'entend  fort  bien  à  dresser  les  soldats  ;  il  a  de  l'esprit,  de  la  mine  et  est 
d'assez  bonne  famille;  ct*quoiquc  je  n'aie,  monsieur,  l'honneur  de  vous  en 
jiarler  que  dans  la  vue  du  service,  je  vous  serai  toutefois  infiniment  obligé 
de  faire  quelque  chose  pour  lui.  »  On  appelait  alors  capitaine  d'armes  un 
officier  qui  prenait  rang,  à  bord  des  b&timents,  après  l'enseigne.  Le  capitaine 
d'armes  était  chargé  des  mousquets,  pistolets,  balles,  bandouil  1ères,  pcr- 
tuisaines.  spontons.  caisses  de  tambour,  piques  et  haches  d^armes. 


Î6  HISTOIRE  DE  I.A   MARINE   FRANÇAISE. 

gé,  (l'autre  part,  de  le  prendre,  si  ce  n'est  en  tululilé,  du 
moins  pour  la  plus  grande  partie,  dans  le  milieu  social 
auquel  apparlenaîenl  les  officiers  de  l'armée,  il  ne  put 
que  s'eiïorcer  de  concilier  ces  diverses  exigences.  Après 
avoir  fait  face,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  aux 
difBcultés  du  présent,  il  se  préoccupa  de  l'avenir. 
Bien  convaincu  que  le  personnel  est  le  fondemcmt  le  plus 
Bolide  de  toute  organisation  militaire,  il  voulut  assurer  le 
recrutement  de  l'élat-major  de  la  flotte  dans  des  condi- 
tions meilleures  que  celles  qui  avaient  présidé  A  sa  for- 
mation. Richelieu  avait  décidé,  en  1627,  que  seize  gentils- 
hommes, entretenus  aux  frais  de  l'Etat,  seraient  instruits 
de  tout  ce  qui  touchait  h  la  marine  et  à  la  navigation. 
C'était,  dans  l'esprit  du  cardinal,  le  point  de  dépfirl  d'une 
institution  destinée  i  former  des  officiers  pour  la  marine 
royale.  Co  projet  n'eut  pas  de  suite  immédiate,  et  il  ne 
semble  pas  qu'il  ait  été  repris  par  ses  successeurs  '.  A  la 
mort  du  duc  de  Beauforl,  tué  ou  siège  de  Candie,  en  1669, 
la  cliarge  de  grand-maître,  chef  et  surintendant  de  la  na- 
vigation et  du  commerce,  fut  supprimée.  L'amiralat,  ré- 
labli  dans  des  conditions  qui  ne  faisaient  plus  de  cette 
dignité  un  obstacle  à  l'action  du  ministre,  fut  donné  à 
Louis  de  Bourbon,  comte  de  Vermandois*.  Les  grands- 
maîtres  et  surintendants  de  la  navigation  et  du  commerce 
avaient  une  garde  particulière.  Celle  du  duc  de  Beaufort 


1.  Lu  premier  àa»  wervtmun  de  Richelieu  fut  toa  ncvou,  Armand  de 
Maillé  duc  Je  rron«ac  ut  •!«  Ktézi.  A  la  niurl  d'ArmanJ  do  Hsillé,  tu6  le 
U  juin  1646,  duiB  une  tvticontre  entre  lea  gilArea  de  France  et  cellua  d'Et- 
pagne,  Mauirin  son||;sa  i  prendre  la  direction  du  In  marine.  Ks  se  crojraut 
pas  atw'/  Tort  pour  imiter  Rivhetinu,  il  d£i-ida  la  Heine  Anne  d'Aulricbe  t 
■'aUrihuer  ta  f^ndfl  uialtriiu.  En  16S0,  Cèwir  di^  Vendôme  Tut  pnurvn  do 
Mtlo  cliarge  et,  apria  lui,  en  16eâ,  Min  DU  Francis  de  VeudOme  duc  de 
Beaufort. 

7.  Lu  cuintii  de  Vermandoii  avait  alors  deni  ann.  Il  devait  e'écouler  quel- 
que tenipa  avant  qu'il  a'ocfupAt  do«  aiTaireu  de  ia  marine.  I.B  char^ 
d'intendant  gdntral  6e  la  navi|^lion  et  du  commerce  du  France  diiparut  en 
la^me  temps  que  relie  du  grand  maître,  chef  et  nuriDt«ntliint  général  de  la 
navigntioD  et  du  commerce  dv  France.  Le  rétablisiemeut  de  l'ami  rai h1  lit 
charRc  dp  ïicc-amirnl. 


PRÉFACE.  27 

ùlaity  au  moment  de  sa  mort,  de  quarante-neuf  gardes, 
sur  lesquels  vingt-cinq  furent  désignés  pour  être  attachés 
à  la  personne  du  grand  amiral.  Ces  vingt-cinq  gardes, 
appartenant  tous  à  la  noblesse  du  royaume,  formèrent  le 
premier  noyau  des  gardes  de  la  marine  appelés  à  deve- 
nir officiers.  Une  ordonnance  du  22  avril  1670  décida  qu'il 
serait  fait  deux  détachements  de  la  compagnie  des  gardes, 
dont  Tun  servirait  dans  la  Méditerranée  et  l'autre  dans 
l'Océan.  Cette  compagnie  fut  licenciée,  en  1671,  mais  elle 
reparut  en  1672.  En  1682,  le  Roi  ordonna  la  création,  dans 
chacun  des  ports  de  Brest,  de  Rochefort  et  de  Toulon,  d'une 
compagnie  de  gentilshommes  gardes  de  la  marine.  En 
1676,  Teffectif  des  compagnies  comprenait  sept  cent  six 
gardes  ou  officiers.  Les  gardes  recevaient  une  instruction 
spéciale  et  devenaient  enseignes  de  vaisseau,  après  avoir 
satisfaite  certaines  conditions  d'embarquement.  A  partir 
de  l'année  1673,  on  voit  des  gardes  de  la  marine  promus 
à  ce  grade. 

Colbert  porta  son  attention  sur  toutes  les  parties  du 
service.  Les  devoirs  des  capitaines  et  des  officiers,  la  dis- 
cipline, la  solde  et  la  nourriture  des  équipages,  l'arme- 
ment et  l'équipement  des  navires  furent  réglementés. 
L'État  disposa  de  tous  les  bois  utiles  à  la  marine.  Un 
conseil,  établi  dans  chaque  port,  fut  chargé  de  délibérer 
sur  les  constructions  neuves  et  sur  les  radoubs  en  cours 
d'exécution.  Ce  conseil  reçut,  en  outre,  la  mission  de  si- 
gnaler au  ministre  les  améliorations  et  les  perfectionne- 
ments introduits  en  France  et  à  l'étranger  dans  l'archi- 
tecture pavale.  L'organisation  des  arsenaux,  qui  joue, 
dans  Tensemble  du  service  de  la  marine,  un  rôle  consi- 
dérable, fut  l'objet  de  dispositions  soigneusement  étu- 
diées. L'ordonnance  de  1689  parut  sous  le  ministère  du 
marquis  de  Seignelay,  mais  elle  ne  fit  que  reproduire, 
avec  de  très-légères  modifications  indiquées  par  l'expé- 
rience, les  règlements  édictés  par  Colbert*. 

].  Quelques  chiffres  démontreront  éloquemment  rextension  que  pr 


HISTOIRE  DE  I.A  MARINE  KHAX(;AISP;. 


III 


Les  premiers  armemenls  faila  par  Colbert  furent dirif^és 
contre  les  barbaresi|ucs.  Dans  le  couraiildc  l'année  1663, 
deux  escadres  reçurent  la  mission  de  diïtruirc  les  corsai- 
res des  régences  d'Alger,  de  Tunis  et  de  Tripoli.  L'année 
suivante,  le  duc  de  îteaurort  appareilla  de  Toulon,  le  a 
juillet,  et  il  se  rendit  ùMnlion.  Après  «voir  opéré  sa  jonc- 
tion avec  deux  vaisseaux  venus  de  l'Océan,  il  se  dirigea, 
le  17  juillel,  sur  les  côtes  de  l'Algérie.  Les  forces  placées 
sons  son  commandement  comprenaient  seize  vaisseaux, 
huit  galères,  douze  navires  de  charge  et  vingt-cinq  petits 
bAtiments  portant  des  vivres  et  du  matériel.  Sept  galères 
de  Malte  s'étaient  rangées  sous  son  pavillon.  Des  trou- 
pes expéditionnaires  étaient  embarquées  sur  l'escadre. 
Après  avoir  touché  h.  Bougie,  le  21  juillet,  l'armée  arriva 
le  22,  devant  Djijelly.  Le  duc  de  Beaufort  avait  l'ordre 
de  s'emparer  de  ce  point,  que  le  gouvernement  français 
comptait  occuper  d'une  manière  permanente.  Los  trouiies, 
mises  à  terre  sous  la  protection  des  vaisseaux  et  des  ga- 
lères, entrèrent  dans  la  ville  après  un  combat  très-vif. 
Le  duc  de  Beaufort  appareilla,  le  27  octobre,  avec  le  gros 
de  l'escadre.  L'armée  ayant  fait,  quelques  jours  après, 

■narini!  ppndnnt  le  pa»Mge  aux  airnircs  de  te  |rmnd  iiiinlstrc.  En  1661.  la 
lialle  niiliUiiv  coiii|>ri:naLl  Itoib  vnixBcaux  lii-  premier  ranK-  <Jc  »ui«ante  h 
■nixanlr-dix  cnnonï,  huit  vkiucnux  de  denxIAme  ran|ç,  de  quarante  t 
cinquont*  canona.Pl  wpl  raiiiwaux  de  troisiitme  rang,  de  Irenle  ft  quantnli> 
canon*.  En  iri83,  nu  nranient  ob  Ccilbrrl  mourut,  noiin  posaUioni  duuM 
VBÎMeaul  lie  (mniicr  rang,  de  auixnnle-eeiie  A  cent-vingt  ranons,  vin^  vai»- 
*eu>x  do  deuxiAmc  rang,  de  !tM»intc-<|iintrc  k  mixanln-qualorTA'  ninoiu, 
tnnle-neur  faiesraux  de  Iruiii^Die  rang,  de  cinquante  A  «oitnnle  canoni, 
vingt^einq  l'aicscaut  de  qualritme  raii^,  de  quarante  h  cinquanle  l'aDons, 
vinKt-«t-uu  vaitiwaux  de  ciaquiiina  rang,  de  vingt-qiinlro  A  trente  canona, 
cl  vingt-cinq  vaikuaui  de  aiti^iuv  ran;^.  de  «i<  t  vingt-quatre  canons.  D:<ni 
ce  nombre  ne  wnl  {vu  comprit  les  galtrea,  les  navires  portanl  rooin*  de  ait 
lei  brOlotn  et  les  navireH  de  charge.  Knus  «Tiont.  en  O'itre,  en  I6H3, 
itanle-liull  liAtim<'nl>  rn  cinslrurlion,  f.n  ri^tuniA,  nnua  avioni  diihull 
irrerri  Itilil,  et  rnil  qiiarniilcdeiii  eu  ItUU. 


PHÉFACE.  29 

des  pertes  assez  sérieuses  dans  une  rencontre  avec  les 
Arabes,  se  montra  Irès-découragée.  Les  généraux,  réunis 
en  conseil,  furent  unanimes  pour  déclarer  que  les  cir- 
constances exigeaient  l'abandon  de  Djijelly.  Le  marquis 
de  Harlel  avait  mouillé,  le  22  octobre,  devant  la  ville,  avec 
six  vaisseaux.  Les  troupes  s'embarquèrent  sur  son  esca- 
'  dre  dans  la  nuit  du  31  octobre.  Un  déplorable  événement 
marqua  la  fin  de  cette  expédition.  Un  bâtiment  de  trans- 
port, sur  lequel  se  trouvaient  plusieurs  centaines  de  sol- 
dats, coula  en  vue  de  Marseille.  On  ne  parvint  à  sauver 
qu'un  très-petit  nombre  d'hommes.  Le  duc  de  Beaufort 
fit,  en  1665,  une  nouvelle  campagne  sur  la  côte  septen- 
trionale d'Afrique.  A  son  retour,  il  reçut  l'ordre  de  tenir 
son  escadre  prête  à  passer  dans  l'Océan.  Louis  XIV  avait 
résolu  de  s'unir  à  la  Hollande  qui  était  alors  en  guerre 
avec  la  Grande-Bretagne.  Leduc  de  Beaufort  appareilla  de 
Toulon,  à  la  fin  d'avril  1666,  avec  une  escadre  forte  de 
trente  bâtiments  et  de  dix  brûlots.  Arrivé  dans  les  der- 
niers jours  de  mai  sur  les  côtes  du  Portugal,  il  s'établit 
en  croisière,  conformément  aux  ordres  de  la  cour,  pour 
protéger  la  navigation  d'une  escadre  que  commandait 
Du  Quesne.  Ce  dernier  était  chargé  de  conduire  Made- 
moiselle d'Aumale  à  Lisbonne.  Le  départ  de  la  future 
Reine  de  Portugal  ayant  été  retardé,  de  nouvelles  ins- 
tructions prescrivirent  au  duc  de  Beaufort  de  mouiller  à 
rentrée  du  Tage.  A  la  fin  du  mois  de  juillet,  craignant  de 
manquer  de  vivres,  il  fit  route  pour  la  Rochelle,  où  il 
mouilla  le  23  août.  Les  Hollandais  ne  nous  avaient  pas 
attendus,  et  leur  flotte,  commandée  par  Ruyter,  avait 
livré  bataille  aux  Anglais,  les  11  juin  et  4  août^  Le  duc 
de  Beaufort,  après  avoir  été  rallié  par  Du  Quesne,  '  prit 
la  mer  pour  rejoindre  nos  alliés.  Il  avait  été  convenu  que 

1.  Dans  le  premier  engagement^  les  Hollandais  avaient  remporté  sur  les 
Anglais  un  léger  avantage,  mais,  dans  le  second,  ils  avaient  été  battus. 

2.  Du  Quesne  avait  accompli  trés-beureusement  ^a  mission.  Il  était  entré 
dans  le  Tage  le  1*'  août,  sans  avoir  fait  de  fâcheuse  rencontre,  et  il  était 
reparti,  le  12  du  m«>me  mois,  pour  rejoindre  le  duc  de  Beaufort. 


raO  HISTOIRE  DE  LA  MAtUNE  FRANÇAISE. 

la  flotte  des  État  se  porterait  au  devant  des  f 
: 


jusqu'à  l'enlrée  de  la  mer  du  Nord.  Notre  escadre  arrivait 
devant  Dieppe,  lorsque  le  duc  de  Beaufort  apprit  que  les 
Hollandais  étaient  rentrés  dans  le  Texcl.  Il  traversa  de 
nouveau  In  Manclie,  et  il  réussit  à  gagner  Brest  sans 
avoir  été  aperçu  par  les  Anglais  qui  tenaient  la  mer  avec 
des  forces  supérieures.  Au  printemps  do  l'année  1667, 
une  trêve,  bientôt  suivie  de  la  paix,  fut  conclue  entre  la 
France  et  la  Grande-Bretagne  '. 

Au  commencement  de  l'année  1669,  Louis  XIV  prit  la 
détermination  de  secourir  les  Vénitiens  assiégés  par  les 
Turcs  dans  Candie.  Le  7  juin,  le  duc  de  Beaufort  appa- 
reilla de  Toulon  avec  seize  vaisseaux,  dix  brûlots  et  une 
vingtaine  de  transports.  Monsieur  de  Vivonne  était  parti 
quelques  jours  auparavant  avec  treize  gaR>res.  Huit 
mille  hommes,  commandes  par  le  général  de  Navailles, 
avaient  ]iris  passage  sur  les  bâtiments  de  l'expédition.  Le 
19,  toute  les  forces  placées  sous  le  commandement  du 
duc  de  Beaufort,  k  l'exception  des  galères,  mouillèrent 
devant  Candie.  Les  troupes  débarquèrent  immédiatement 
et  une  sortie  générale  fut  décidée.  Le  25,  au  point  du 
jour,  les  Français  et  une  partie  de  la  garnison  sortirent 
de  la  place.  Douze  cents  hommes,  pris  parmi  les  équipa- 
ges et  les  soldats  de  marine,  furent  mis  i  terre.  Le  com- 
mandant en  chef  de  l'escadre,  le  duc  de  Beaufort,  n'a- 
vait voulu  céder  li  personne  l'honneur  de  les  mener 
au  feu.  Nos  troupes,  vigoureusement  conduites,  culbu- 
(ërenl  tout  ce  qu'elles  Irouvérenl  devant  elles.  Aprt's 
quelques  heures  de  combat,  elles  avaient  enlevé  les 
principales  positions  de  l'ennemi.  Les  généraux  fran- 
çais BG  considéraient  déjà  comme  certains  du  succj^^, 
lorsqu'un  événement  inattendu  vint  changer  la  face  des 
choses.  Une  explosion  formidable  eut  lieu  dans  une  bat- 

I.  En  juin  1667,  ivont  i|ue  la  |«k  r<ll  conclu<>  cntn>  In  Hollande  cl  U 
Gnmde-Breltgnc,  Huiler  prit  la  mer  avec  toixaolr-ucuf  vai^svaui.  Apri^a 
t«oir  dHruit  Im  établi  un  me  tils  d«  Chalhaoi,  Il  (cniuuU  U  Taniiso  jusqu'« 
Crav«s«nd  et  il  (It  Inmlilc-r  L'mrtrrs. 


PRÉFACE.  31 

terie  turque  dont  nous  nous  étions  emparés.  Le  feu  avait 
pris  à  un  dépôt  de  poudre  et  de  grenades.  Les  soldats, 
croyant  qu'ils  marchaient  sur  un  sol  miné,  s'enfuirent 
saisis  d'une  terreur  panique.  Les  Turcs,  qui  étaient  en 
pleine  retraite,  s'apercevant  du  désordre  qui  régnait  dans 
nos  rangs,  revinrent  à  la  charge.  Le  duc  de  Beaufort,  in- 
digné, se  jeta  sur  Tennemi  avec  une  poignée  d'hommes. 
Il  fut  tué  ainsi  que  la  plupart  de  ceux  qui  l'accompa- 
gnaient. Quelques  jours  après,  les  vaisseaux  de  l'escadre, 
les  galères  de  M.  de  Vivonne,  les  galères  du  Pape,  de 
Malte  et  de  Venise  prirent  position  près  de  la  côte.  Tous 
ces  bâtiments  ouvrirent  sur  le  camp  turc  un  feu  très-vif. 
Pendant  cette  canonnade,  qui  n'eut  d'autre  résultat  que 
de  tuer  quelques  hommes  à  l'ennemi,  la  Thérèse^  capi- 
taine d'Estoc,  sauta.  On  avait  eu  Timprudence  de  monter 
un  approvisionnement  de  gargousses  dans  la  batterie. 
Les  embarcations  de  l'escadre,  mises  immédiatement  à  la 
mer,  ne  recueillirent  que  quelques  hommes.  Monsieur  de 
Navailles,  ayant  renouvelé,  sans  succès,  la  tentative  du 
25  juin,  se  décida  à  se  rembarquer.  Le  général  des  galères, 
monsieur  de  Vivonne,  devenu  commandant  en  chef  de 
l'escadre  par  la  mort  du  duc  de  Beaufort,  ramena  les  bâ- 
timents et  les  troupes  à  Toulon. 

Le  corps  du  duc  de  Beaufort  n'avait  pas  été  retrouvé. 
Pendant  quelque  temps,  le  bruit  courut,  à  Paris,  que  le 
prince  était  prisonnier.  Cette  version  ne  fut  pas  accueillie 
à  la  cour,  et  le  Roi  disposa,  le  12  novembre  1669^,  de  la 
charge  de  grand  maître  de  la  navigation  et  du  commerce. 
Le  duc  de  Beaufort  était  entré  dans  la  marine  en  1665. 
Il  n'était  pas  devenu,  en  quelques  années,  ce  qui,  d'ail- 
leurs, n'a  rien  qui  puisse  surprendre,  un  véritable  chef 
d'escadre,  mais  il  avait  montré  le  plus  grand  zèle  pour 
son  nouveau  métier.  Il  avait  été  plus  souvent  sur  le  pont 
des  bâtiments  qu'à  terre  et  dans  les  ports  qu'à  Paris. 

1.  Nous  avons  déjà  dit  que  le  Roi  abolit  la  charge  de  grand  maître  à  la 
mort  du  duc  de  Beaufort,  et  qu'il  rétablit  Tamiralat  en  faveur  du  comte  de 
Vermandois. 


Ji  dl^Z'JiSLE  DE  LA  JLifUXE  FHA^'ÇAISE. 

Fnrin.  :i  ivsit  pris  part  à  toutes  les  opérations  maritimes 
•il?  {uei«{ue  jnportance  qui  avaient  eu  lien  depuis  qu'il 
i»t;ut  :T'm\i  oiaitre.  Sa  bniToure  et  son  esprit  d'entreprise 
étaient  connus.  On  ne  pouvait  lui  reprocher,  le  25  juin, 
if  sivoir  oomprjmis  le  salut  de  Taroiée  en  se  battant 
oomiuo  tm  iOLitat.  puLsque  le  commandement  en  chef  était 
e\enre  uar  monsieur  de  Xavailles.  S*il  s'était  précipité 
:Hir  les  Turcs,  à  la  t^te  de  quelques  hommes,  c'était  avec 
respennce  d'dmîter  Tennemî  pendant  un  temps  assez 
loQ^  pour  permettre  à  nos  soldats  de  se  reformer.  Il  se 
de%ousi  pour  donner  Teiemple  et  ramener  au  feu  des 
troupes  ebrmlees.  O^and  un  :rênéral  meurt  dans  de  telles 
oonditioas  on  doit  honorer  sa  mémoire  *. 

Depuis  que  la  France  avait  conclu  la  paix  avec  TEs- 
pd^ne.  eu  Ic^^.  notre  marine  n'avait  combattu  que  les 
tKirbares<iues.  Une  êpreu\e  plus  sérieuse  attendait  les 
esciulres  crw^es  par  Colbert.  Au  commencement  de  l'an- 
née lç?*i>  Louis  XIV  >*unit  à  l'Angleterre  contre  la  Hol- 
landt\  Lo  comte  d Ustrtes  rallia,  le  13  mai,  sur  la  rade 
do  sainte  Hélène,  devant  Portsmouth,  les  forces  que 
commandait  lo  duc  d'York.  Ouelques  jours  après,  quatre- 

l.  IVa-'UnC  ^luoa  tonutudit  a  Tvmioa  li*»  prir(>arati^  «le cette  eipédilioD, 
•>n  ««  prx*«  wupait  A  l^ins  ào  rv«r(<fr  U&  r^ituativa  rvs{Nn'ti\e  ik»  chefs  de  la 
n*4ti'  iC  .U*  L  iruitv.  .1  I**ar  JLrrT\>.v<i  iandie.  Le  duc  ô^  Beaufort  apprit  qu'il 
tUit  '\\u^;^  n  •!«'  limiter  '^wi  n'-U-  au  «iobari|ueaieot  Je  la  petite  armée  de 
M.  .K>  N.o;iiîLv>.  U«  (««  ti>«v  «ijkvM^er  de  $i>u  ^aisMau  aux  o|iéralioDS  des 
trou|ie>  TiodiCTia.  Il  ecn^u  luuuK'duiU'iueQt  *&  Colhert  une  leltre  contenant 
!•*  fa>«ire  <u;\3nt  :  •  l\  «;r  .e  {m  <<l  de  nwi,  M-'iiMeur.  je  n*ai  jamais  eu  la 
pen««^  lie  aiettn*  |>uhI  a  tertx*  «)u'a\iV  le>  Ia>u(v>  do  la  marim\  laissant  les 
^ai^-eaui  en  silrcte.  J>«  U*  ili*man>lai  au  Koi  de  it«tuche.  de  celte  manière,  et 
il  me  l'avait  |>roti)i>.  1  a<^in;u)t  d'une  b«'niie  inteHi:j:ence  entre  M.  de  Navailles 
et  mol.  Chacun  faiMut  s^n  fait  et  fort  daovvrd.  les  actions  en  auraient  clé 
plii«  ^ûrc>  et  a\t'e  |>lu^  «1  eilat.  .M<^nie  je  me  lia>anlai  de  dire  à  Sa  Majesté 
qn«î  j#ï  «-ro\ai<^  nétn»  |vis  inulilo  in  telle  r^MKvnlrt»  i»ù  la  i|ualilc  cl  la  liertc 
n «'taifrni  |>aj*  iniitilo.  ci*  qui  e>t  f«»rt  ei>usiderê  dan- lelevanl.  Ue  plus,  jom.*- 
rai  flirt* qij*:  lf>tr«iu[»csde  Icrie  no  îh  raient  i»as f;Wliét>de  nie %oir  à  leur  côlé 
l»r»ijr  k^  ^«;rondfr  ou  !»«.>utonir  :  i-l  ^'lI  faiil.  c>tmnicil  >  a  a[iparenee.  (|iie  toutes 
l'-4  fMtiofM  qui  roni|«»*i«nt  1  arnioo  iiavali'.  I.-Mpiolli's  me  doi\ont  obéir, 
ffi* ll'fil  >U-A  jf#.n-  /,|..^  mal.Iols  .mi  d.s  >,.I,|at«i  «le  manne)  à  lern'.  srtreiuenl 
tU  ït'î  nronnallrai.  1,1  ,«,^  \|.  do  .Na> ailles.  » ••  «pu  ferait  un  u'rand  «ItJMirtIre. 
Il  -1  M   Un^imiUn^t  iiiord.miiail  «le  dvscondro  |H>ur  commander  ce  détache- 


PRÉFACE.  33 

vingts  vaisseaux,  sur  lesquels  trente  vaisseaux  français, 
se  dirigèrent  vers  les  côtes  de  Hollande.  Le  29  juin,  les 
alliés  se  trouvèrent  en  présence  de  Tennemi.  Le  jour 
touchant  à  sa  fin,  le  commandant  de  l'armée  combinée 
crut  prudent  de  remettre  l'attaque  au  lendemain.  Une 
brume  très-épaisse  enveloppa  les  deux  flottes  pendant  la 
nuit.  Lorsqu'elle  se  dissipa,  dans  la  matinée  du  30,  les 
Hollandais  étaient  hors  de  vue.  Le  duc  d'York  ramena 
ses  vaisseaux  près  de  la  côte  d'Angleterre  et  il  jeta  l'ancre 
à  Southwood  bay*.  La  direction  générale  du  mouillage 
était  nord  et  sud.  Les  trois  escadres  de  l'armée  anglo- 
française  étaient  rangées  dans  Tordre  suivant  :  l'escadre 
française,  formant  l'avant-garde,  puis,  en  remontantvers 
le  nord,  le  corps  de  bataille  et  l'arrière-garde.  Le  7  juin 
au  point  du  jour,  les  frégates  signalèrent  la  flotte  des 
États-Généraux.  Les  Hollandais  gouvernaient  sur  South- 
woad  bay  avec  une  légère  brise  de  nord-est.  Arrivés  & 
petite  distance  de  terre,  ils  serrèrent  le  vent,  les  amures 
à  bâbord,  et  ils  prolongèrent  notre  ligne  du  nord  au  sud 
en  la  canonnant.  Les  alliés  surpris  se  hâtèrent  de  mettre 


ment,  faudrait-il  que  je  le  refusasse,  et  ne  serait-ce  pas  une  honte  pour  moi, 

qui  d'ailleurs  n'ai  guéres  accoutumé  de  garder  les  manteaux »  Âpres 

tyoir  cité  celte  lettie,  M.  Jal,  auteur  de  la  vie  de  Du  Quesne,  ajoute  :  M.  de 
Beaufort  désirait  que  le  bailli  Rospigliosi  (ce  personnage  devait  représenter 
le  Pape  à  Candie  pendant  toute  la  durée  de  Tcxpédition)  lui  donnât  de  l'Al- 
tesse, et  Ton  était  en  négociation  avec  Rome  sur  cetle  aflaire.  «  Il  n'y  a 
misérable  à  qui  on  ne  donne  celui  d'excellence,  disait  le  duc  de  Beaufort 
dans  cette  môme  lettre.  Sa  Majesté  y  aura  tel  égard  qu'elle  voudra,  cette 
qualité  me  louchant  cent  fois  moins  que  l'envie  de  me  signaler.  Je  mépriseray 
toat,  hors  les  occasions  de  m'illustrcr.  Quoique  j'en  aie  vu  quelques-unes,  je 
serais  bien  marri  d'être  las  d'en  voir.  »  Et  plus  loin  :  «  Jamais  M.  de  Navailles 
ne  se  peut  formaliser  que  je  commande  des  troupes  qui  sont  sous  ma  charge, 
lesquelles,  moi  n'y  étant  pas,  ne  lui  obéiraient  pas  volontiers.  En  ces 
aflàires-ci,  encore  une  fois,  il  est  bon  d'intéresser  fortement  la  mer  et  la 

terre  ensemble De  TÂllesse  et  du  reste,  je  m'en  moque.  »  L'amiral,  ajoute 

M.  Jal,  gagna  son  procès  si  chaudement  plaidé  par  lui  dans  cette  lettre  d'un 
bon  et  franc  caractère,  et  pleine  d'ailleurs  de  raison. 

Toute  cette  correspondance  montre  le  duc  de  Beaufort  sous  un  jour  qui  lui 
est  très-favorable. 

1.  La  baie  de  Southwood  bay  est  à  trente  lieues  dans  le  nord  de  l'embou- 
chure de  la  Tamise. 

3 


34  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

SOUS  voiles.  Quelques  bâtiments  coupèrent  leurs  c&bles  ; 
d'autres  laissèrent  à  terre  une  partie  de  leurs  embarca- 
tions. Le  corps  de  bataille,  qui  était  sous  les  ordres 
directs  du  duc  d*York,  et  Tarrière-garde,  commandée  par 
le  comte  de  Sandwich,  prirent  les  amures  à  tribord. 
Buyter,  avec  la  première  escadre,  et  un  de  ses  lieutenants, 
Tamiral  Van  Cent,  avec  la  troisième,  suivirent  le  mouve- 
ment des  Anglais.  Le  commandant  de  Tavant-garde  hol- 
landaise, Tamiral  Bankaert,  continua  sa  route  vers  le 
sud.  Il  se  dirigea  sur  les  Français  qui  avaient  pris,  en 
appareillant,  les  amures  à  bâbord*.  Aussitôt  qu'il  fut  à 
portée,  il  ouvrit  le  feu  sur  nos  vaisseaux.  Quoiqu'il  fût 


I.  Voici  quelle  était  la  composition  de  Tescadre  française  :  1*^  division.— 
ViUustre,  de  soixante-quatre  canons,  capitaine  de  Granc«y;  le  Tétnéraire, 
de  cinquante--deux  canons,  capitaine  de  Larson;  VAdmirabU,  de  soixante- 
quatre  canons,  capitaine  de  Beaulieu  ;  le  Tert*iblej  de  soixante-dix  canons, 
monté  par  DuQuesne,  capitaine  de  Rosmadek;  le  i'onqu^mnl.  de  soixante- 
six  canons,  capitaine  de  Thiras;  le  HasardeuXj  de  trente-quatre  canons, 
capitaine  de  la  Viergerie-Treslebois  ;  le  Bourbon,  de  quarante-huit  canons, 
capitaine  de  O^cnr^n  -  V Alcyon j  de  treute-six  canons,  capitaine  Bitant  de 
Bléor;  le  Princt,  de  rioquante  canons,  capitaine  d'AmfreTille  ;  le  rciiKanl, 
de  cinquante-deux  canons,  capitaine  le  chevalier  de  Nesmond.  —  V  division 
ou  division  du  centre.  —  Le  Fottdro^fantj  de  soixante^lix  canons,  capitaine 
Jean  Gabarei;  le  Brav^,  de  quarante-huit  canons,  capitaine  de  VaJbelle; 
Til^uiTDn,  de  quarante-huit  canons,  capitaine  dUailly;  le  Tonnant,  de 
soixante-quatre  canons,  capitaine  des  Ardents  ;  capitaine  en  second,  le  che- 
valier de  BèUiune;  le  Saint- Philippe ,  de  soixante-seize  canons,  moolé  par 
le  comte  dXstrées,  et  dont  de  Cou  était  capitaine  ;  le  Grand,  de  soixante- 
quatre  canons,  capitaine  Gombaud  ;  le  Dite,  de  quarante^init  cmnons,  capi- 
taine le  che^i-alier  de  Sêbeville;  VÉole,  de  trente-six  canons,  capitaine  le 
dievmlier  Cogolin  de  Guers;  VOri flamme,  de  cinquante  canons,  capitaine 
de  kerjean-Lesoioûal  ;  VEartUefit,  de  soixante  canons,  capitaine  du  SlafiMM  ; 
IMrro^iNl,  de  trente4iuit  canons,  capitaine  de  ViHeneore-Ferrieffesi.  — 
S*  di\i«îon.  —  Le  Fort,  de  soixante  canons,  capitaine  de  Blëoac:  le  Ruhis, 
de  quarante-huit  canons,  capitaine  Saint-Aubin  d'infr^ville  :  le  Galant,  âm 
qvarante^quatiY  canons,  capitaine  le  che^-aiier  de  Flacoart;  le  Sans- Pareil, 
de  s^Hxaate-quatre  canons,  capitaine  de  U  CKvheierie;  le  Su^'erbe^  de 
•oixante^ix  canons,  monté  par  de  IUbe:»ier«.s  Tr^lebots,  dieC  d*ejc«lrY, 
capitaine  de  Thcoune  ;  le  5j^.  de  cinquante  canv4i<.  capitaine  le  chevalier 
de  TourviUe;  le  Hardi,  de  trente-detix  canon«.  capitaine  de  la  IU)N|«e; 
ri/cwt.x.  de  quaranti^hu.t  ca^^fts.  capitaine  Paonriief:  Vlntincih^e.  de 
siH\aBte^u«tre  cAao«>.  ca^>iUine  le  chc\alior  de  Nerdiikr.  A  ces-  trmle  %at»- 
Ma«x  il  faut  a/mter  hcit  brûk>ts  et  quatre  Crwates.  Toas  c«^  bàtusests  fùc- 
1  a^-ant^icanle  de  1  aniM«  aKii>-fraD{ai9e. 


PRÉFACE.  35 

au  vent,  et  par  conséquent  libre  de  choisir  la  distance  à 
laquelle  il  voulait  combattre,  il  ne  s'approcha  pas  de 
notre  ligne.  L'engagement  entre  les  Hollandais,  conduits 
par  les  amiraux  Ruyter  et  Gent,  et  les  Anglais,  fut  autre- 
ment vif.  Les  vaisseaux  des  deux  nations  se  mêlèrent,  et, 
de  part  et  d'autre,  il  y  eut  des  navires  complètement  dé- 
semparés. Le  duc  d'York,  obligé  d'abandonner  son  vais- 
seau, le  Royal  Prince,  porta  successivement  son  pavillon 
sur  le  Saint-Michel  et  le  London,  Le  RoyalJacqueSj  de  cent 
canons,  que  montait  le  comte  de  Sandwich,  commandant 
de  la  troisième  escadre,  fut  incendié  par  un  brûlot.  Levais- 
seau  de  Ruyter,  les  Provinces-UnieSy  fut  Irès-maltraité. 
Dans  la  soirée,  les  Hollandais  tinrent  le  vent  et  le  feu 
cessa  sur  toute  la  ligne.  L'amiral  Bankaert  fit  roule  pour 
rejoindre  le  gros  de  son  armée,  et  le  comte  d'Estrées 
manœuvra  pour  rallier  le  duc  d'York.  Un  grand  nom- 
bre de  vaisseaux  anglais  et  français^  sous-ventés  au 
moment  de  l'appareillage,  n'avaient  pris  qu'une  part 
insignifiante  au  combat.  Quelques-uns,  par  suite  de 
leur  éloignement,  n'avaient  pas  tiré  un  coup  de  canon. 
Après  être  restées  en  présence,  dans  la  journée  du  8  juin, 
les  deux  armées  se  séparèrent.  Rujter  rentra  dans  le 
Texel  et  le  duc  d'York  ramena  ses  bâtiments  dans  les  ports 
d'Angleterre.  Avant  de  tenter  les  chances  d'une  nouvelle 
rencontre,  les  deux  flottes  avaient  à  subir  d'importantes 
réparations. 

Quelques  écrivains  ont  prétendu  que  Louis  XIV  avait 
donné  au  vice-amiral  d'Estrées  l'ordre  de  ménager  ses 
vaisseaux.  S'il  n'existe,  à  l'appui  de  cette  assertion, 
d'autre  preuve  que  la  conduite  de  notre  escadre,  l'histoire 
doit  écarter  cette  accusation.  Avec  les  vents  soufflant  du 
nord-est,  l'armée  combinée  ne  pouvait  se  mettre  en  ligne, 
les  amures  à  tribord,  aussitôt  après  avoir  appareillé  *. 

1.  La  démonstralion  est  facile  à  faire.  Les  bâtiments  de  Tarmée  se  rele- 
vaient sur*  une  ligne  nord  et  sud,  puisque  telle  était  la  direction  générale 
du  mouillage.  Or,  en  prenant  les  amures  à  tribord,  ils  gouvernaient  au 
Dord-nord-ouest.  De  plus,  ils  ne  pouvaient  courir  longtemps  à  ce  cap  sans 


p 


HISTOIRE  UE  Lk  MABINE  FRANÇAISE. 
La  troisième  escadre  et  ceu\  des  bdliments  de  la  première 
qui  précédaient  Iq  ftoyal  Prince  pouvaient,  à  la  condition 
toutefois  que  le  voisinage  do  la  terre  le  leur  permît,  se 
placer  par  un  mouvement  d'arrivée  sur  l'avant  de  ce 
vaisseau-  Quant  aux  navires  de  la  première  escadre  qui 
étaient  en  arrière  du  Royal  Prince  et  tous  ceux  de  la 
deuxième,  ceux-là  avaient  l'obligation  de  s'élever  au  vent 
pour  prendre  leurs  postes.  Enlin,  la  difficulté  de  se  ranger 
dans  les  eaux  du  commandant  en  chef  était  d'autant  plus 
grande  que  les  bâtiments  se  trouvaient  i)lus  éloignés.  Ce 
cas  était  celui  de  l'escadre  française  mouillée  dans  le  sud 
de  l'armée'.  Le  vice-amiral  d'Eslrées  prit  les  amures  h 
bdbord  avec  l'intention  de  courir  un  bord  au  large,  puis 
de  virer  de  bord  pour  rallier  le  duc  d'York.  L'ennemi  ne 
lui  laissa  pas  le  temps  d'exécuter  cette  manœuvre;  il  fut 
attaqué  avant  d'avoir  changé  d'amures.  Une  fois  l'aflalre 
engagée,  le  comte  d'Estrées  n'eut  plus  la  liber  lé  de  ses 
mouvements.  Si  les  Hollandais  ne  le  pressèrent  pas 
davantage,  ce  n'est  pas  à  lui  qu'il  faul  en  demander 
compte.  Nous  ne  trouvons  jusqu'ici  rien  qui  donne  le 
droit  de  dire  que  le  commandant  de  noire  escadre  ait 
reçu  l'ordre  do  ménager  ses  vaisseaux'.  D'autre  part,  les 


rencnnlror  la  lerrc,  doni  le  giscDicnl,  à  cet  tendrait,  ust  à  peu  pris  nord  ut 
■nd,  ta  plupart  àee  vaisseaux  anglais,  une  tais  rafTsire  cnp^cëe,  furent 
obligés  do  viicr  dt  bord.  L«  Ruyat  Prince,  de  cent  dix  canons,  sur  lequel 
In  duc  d'York  avait  son  pavillon,  fat  au  nombre  des  vaisseaux  iiiii,  peu 
■prtff  l'appareil l«^.  prironl  ks  amures  h  bAbord  pour  ne  pas  échouer. 
Cb  (ut  une  de»  causes  de  la  m#léc  qui  eut  lieu  entre  les  Anglais  el  lc« 
Hollandais. 

1.  Comme  GonM'nucncn  de  ce  raisonncroeni,  nous  dirons  que,  parmi  lea 
bïtiinvnls  do  l'eicadrc  Trantaise,  conx  qui  devaient  rencontrer  le  plus  da 
dinicultâB  ù  prendre  leurs  poslca  eiaienl  les  vaiMeaut  de  la  première  divi- 
aion.  command^B  par  bu  Quoinc.  En  elTel,  celle  division,  formant  l'avant- 
gardo  de  notre  etcodre,  tlait  au  *ud  de  toute  rarniùc. 

3,  Faut- il  oiaïuiacr  l'hypothèse  d'une  entente  entre  les  gouvernemenU 
de  France  et  de  Hollande,  par  suite  de  laquelle  l'aniiral  Bankaert  ne  nooi 
aurait  |>as  preMM  Irés-yivement  T  Oela  ne  semble  pas  trbs-sérleui.  Il  eût 
fallu  mettre  dani  le  necrct,  outre  Louis  XIV.  le  Slatlioudcr  et  leurs  mi- 
Distro',  Rujtrr,  »cn  diiui  cliefÉ  d'escadre,  voire  mOuic  des  chef*  da  divi. 
sioD,   d'Entrées,  ni'i  deux  liculcnanl»,  Du  <Jui;ine  Cl  du  lia beinj ire- Très! •- 


PRÉFACE.  37 

Français  occupèrent,  toute  la  journée,  Tavant-garde  hol- 
landaise qui  représentait  le  tiers  de  la  flotte  des  Etats- 
Généraux,  de  môme  que  Tescadre  française  représentait 
le  tiers  des  forces  placées  sous  le  commandement  du  duc 
d'York*.  En  conséquence,  chacune  des  trois  escadres  de 
l'armée  combinée  combattit  un  nombre  d'ennemis  pro- 
portionné à  sa  force.  Comment,  dès  lors,  peut-on  dire 
que  nous  ayons  laissé  écraser  nos  alliés.  Le  passage  sui- 
vant, emprunté  aux  mémoires  du  duc  d'York,  rapporte 
d'une  manière  simple  et  vraie  la  part  prise  par  les 
Français  au  combat  du  7  juin  :  «....  L'escadre  de  Zélande, 
commandée  parBankaert,eut  afi'aîre  à  l'escadre  française, 
commandée  par  le  comte  d'Estrées.  Tous  deux  gouver- 
naient vers  le  sud  et  étaient  amures  à  bâbord  dès  le 
commencement  du  combat,  tandis  que  le  duc  et  le  comte 
de  Sandwich  se  tenaient  orientés  au  plus  près  du  vent, 
les  amures  à  tribord....  Les  Français  gouvernaient  vers 
le  sud,  orientés  aussi  près  du  vent  qu'ils  le  pouvaient.... 
Mais  Bankaert  et  l'escadre  zélandaise  ne  les  pressèrent 
pas  aussi  vivement  qu'ils  auraient  pu  le  faire,  car  à  peine 
les  approchèrent-ils  à  plus  de  demi-portée  de  canon,  ce 
qui  ne  diminua  pas  peu  la  réputation  qu'avaient  acquise 
les  Zélandais  dans  les  deux  dernières  guerres,  d'être  les 
plus  braves  d'entre  les  marins  hollandais  :  aussi  ces  deux 
escadres  soulTrirent-elles  fort  peu....  » 

Le  comte  d'Estrées  écrivit  au  ministre  que  plusieurs  ca- 
pitaines n'avaient  pas  fait  tout  ce  qui  était  en  leur  pou- 
voir pour  s'approcher  de  l'ennemi.  Au  nombre  des  offi- 
ciers dont  il  se  plaignit,  se  trouvait  le  commandant  de  la 
première  division,  le  lieutenant  général  Du  Quesne.  D'au- 
tre part,  on  apprit,  à  Paris,  que  des  bruits  malveillants 
pour  notre  marine  circulaient  en  Angleterre.  Des  person- 


bois.  etc..  Enfin,  croiUon  que,  sous  quelque  gouvernemenl  que  ce  soit,  on 
trouve  beaucoup  de  généraux  disposés  à  sacrifier  leur  honneur  aux  exi> 
gences  de  la  politique  ? 

1.  L'armée  combinée  était,  comme  la  flotte  des  États-Généraux,  divisée  en 
trois  escadres  :  Tavant-garde,  le  corps  de  bataille  et  Tarrière-garde. 


38  HISTOIRE  DE  I.A  MARINE  FRANÇAISE. 

nages  politiques,  ennemis  de  l'alliance  française,  atta- 
quaient avec  beaucoup  de  vivacité  le  rûle  joué  par  notre 
escadre.  Celle-ci,  disait-on,  n'avait  déployé  aucune  vi- 
gueur dans  l'engagement  qu'elle  avait  soulenn  contre  les 
Hollandais.  Des  bâtiments  qui  la  composaient,  les  uns 
n'avaient  pas  tiré  un  coup  de  canon  et  les  autres  s'étaient 
battus  de  très-loin.  On  s'émut,  à  Versailles,  de  ces  accu- 
sations et  des  explications  furent  demandées  au  comte 
d'Estrées.  Le  marquis  de  Croissy,  ambassadeurde  France 
à  Londres,  reçut  l'ordre  do  prendre  toutes  les  informations 
de  nature  à  éclairer  le  Koi  sur  la  conduite  des  généraux  et 
des  capitaines  de  l'armée.  L'ambassadeur  s'empressa  de 
se  rendre  k  Chatham  où  étaient  mouillés  nos  vaisseaux. 
Il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  qu'il  était  chargé  d'une  mis- 
sion diflicile.  Les  officiers  étaient  divisés  en  deux  camps, 
les  uns  soutenant  d'Estrées  et  les  autres  Du  Quesne.  Les 
renseignements  qu'il  obtint  furent  tellement  contradic- 
toires qu'il  ne  parvint  pas  A  discerner  la  vérité'.  Le  vice- 
amiral  d'Estrées  persista  dans  ses  premières  plaintes.  Il 
répéta  au  ministre  que  plusieurs  vaisseaux  "  ne  s'étaient 
pas  bien  tenus  dans  leurs  rangs  et  n'avaient  pas  observé 
exactement  sa  manœuvre  ». 

Pour  bien  comprendre  les  divers  incidents  de  la  journée 
du  7  juin,  en  ce  qui  nous  concerne,  il  faut  appliquer  à 
l'escadre  française  le  raisonnement  que  nous  avons  fait 
plus  haut  pour  l'armée  combinée.  En  serrant  le  vent, 
bâbord  amures,  aussitôt  après  avoir  levé  l'ancre,  les  vais* 
seaux  du  comte  d'Estrées  étaient  obligés,  pour  se  mettre 
en  ligne,  de  se  former  sur  le  bdtiment  le  plus  sous-venté, 
c'est-A-dirc  sur  le  Témérain;  chef  de  file  de  la  première 
division'.  Or,  le  Saint-Philippe,  portant  le  pavillon  du 
commandant  en  chef,  tint  le  vent.  Les   bâtiments  qui 

1.  On  duil  rcconnatirt  que,  <tana  ces  coodilions  el  pour  iin  homme 
dlntnger  A  la  niaritiB,  il  Alail  dlflici]l^  (Ib  *e  Tonner  une  o|>lnion  réfléchie 
■ar  Ik  Mn  que  cIuil-ud  avait  joué  an  combat  de  SoulhHOod  liay. 

3.  Lea  rtnl*  étant  au  nord-col,  le*  vaiuoiiux,  prenant  le  plu«  près  lea 
■murrf  k  bAlrard,  (;ouvi!rnér«nl  ù  t'r)il-siid-<<Hl.  fin  ne  rap[iclle  qnc  l'cf- 


PRÉFACE.  39 

étaient  dans  le  nord  de  ce  vaisseau,  pouvaient  se  placer 
dans  ses  eaux,  en  laissant  porter,  mais  ceux  qui  étaient 
dans  le  sud  étaient  condamnés  à  rester  sous  le  vent  de  la 
ligne  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  assez  gagné  dans  l'est  pour 
prendre  leurs  postes.  C'est  ce  qui  explique  que  le  corps  de 
bataille  et  surtout  l'arrière-garde,  cette  dernière  comman- 
dée par  le  chef  d'escadre  de  Rabesniëre-Treslebois,  prirent 
part  immédiatement  au  combat,  tandis  que  Tavant-garde 
n'arriva  que  dans  l'après-midi  sur  le  champ  de  bataille. 
Ce  retard  était  la  conséquence  de  la  brusque  apparition 
des  Hollandais  et  de  la  manœuvre  du  comte  d'Estrées.  Ce 
dernier  se  battit  très-bravement,  et  il  s'approcha  de  l'en- 
nemi, autant  qu'il  le  pût.  Mais  sa  conduite  fut  celle  d'un 
capitaine  et  non  d'un  amiral.  Au  lieu  de  faciliter  la  for- 
mation de  son  escadre,  il  ne  se  préoccupa  que  de  s'élever 
au  vent.  Le  dissentiment  survenu  entre  Du  Quesne  et 
d'Estrées  prit  de  telles  proportions,  qu'on  reconnut,  à 
Paris,  l'impossibilité  de  laisser  ces  deux  officiers  généraux 
en  présence  Tun  de  l'autre.  Colbert,  qui  connaissait  Du 
Quesne,  ne  croyait  pas  qu'il  eût  manqué  à  son  devoir. 
D'autre  part,  le  vice-amiral  d'Estrées  avait  une  très-grande 
situation  à  la  cour;  de  plus,  son  vaisseau  s'était  bien  battu, 
et,  lui-même,  avait  conquis  les  sympathies  des  officiers 
anglais.  Le  Roi  décida  que  Du  Quesne  ne  serait  pas  em- 
ployé pendant  la  campagne  de  1673.  Nous  nous  sommes 
étendu  sur  l'affaire  de  Southwood  bay  dans  le  double  but 
de  combattre  une  erreur  historique  et  de  montrer  la  ma- 
rine française  à  l'œuvre,  la  première  fois  qu'elle  parut  sur 
un  grand  théâtre.  Quoique  le  rôle  de  notre  escadre,  le 
7  juin  1672,  eût  été  très-effacé,  l'esprit  reste  frappé  de 
l'importance  des  résultats  obtenus  par  Colbert  en  quel- 
ques années.  On  se  rend  compte  de  la  somme  considéra- 
ble d'efforts  que  l'armement  de  ces  trente  vaisseaux  et  la 

cadre  était  moaillée  sur  une  ligne  allant  du  nord  au  sud.  Nous  devons 
ajouter  que  la  terre  n*eût  pas  gêné  la  formation  immédiate  d'une  ligne  de 
bataille,  les  amures  à  bâbord,  puisque  la  côte  d'Angleterre,  à  la  hauteur  de 
Southwood,  court  nord  et  sud. 


40  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

composition  de  leurs  élats-majors  ont  coûté  au  grand 
ministre.  Si  le  vice-amiral  d'Estr^-es  n'a  pas  le  savoir  et 
l'expérience  ni^cessaires  pour  exercer  ce  commandement, 
il  a  pour  lieutenants  Du  Quesnc  et  le  chef  d'escadre 
de  Rabesni^re-Treslebois'.  A  cùlé  de  quelques  officiers, 
récemment  entrés  dans  la  marine  et  qui  ne  sont  pas 
encore  A  la  hauteur  de  leurs  Tonctions,  il  \  a  des  capitaines 
qui  se  nomment  Tourville,  des  Ardents,  Cabaret  '. 

En  1673,  la  mer  du  .Nord  fut  le  théâtre  de  nouveaux  com- 
bats entre  les  alliés  et  les  Hollandais.  Les  deux  floltes  en- 
nemies se  rencontrèrent,  les  7  et  l&juin  et  le  21  août.  L'af- 
faire du  15  juin  fu)  une  simple  canonnade,  mais ,  le 
ai  août,  on  se  battît  très-sérieusement.  De  nouvelles  et 
on  pourrait  dire  d'interminables  discussions  s'élevèrent  A 
la  fin  de  la  campagne.  Elles  rappelaient  celles  de  l'année 
précédente,  et  elles  n'avaient  pas  plus  de  portée.  Nous 
avions  montré,  le  7  juin,  une  vigueur  à  laquelle  les  An- 
glais avaient  rendu  hommage.  Le  21  août,  les  choses  ne 
s'étaient  pas  aussi  bien  passées.  Ce  jour-lA,  il  n'y  avait  eu 
aucun  ensemble  dans  la  manœuvre  de  la  tlolte  anglo- 
rrunçaise.  Le  priuce  Rupcrl,  qui  avait  remplacé  le  duc 
d'Vork  dans  le  commandement  de  l'armée,  se  plaignit  do 
ses  deux  lieutenants,  le  contre-amiral  Spragge  et  le  comte 
d'Estrées.  Ces  deux  officiers  généraux  protestèrent  très- 
vivement  contre  les  reproches  qui  leur  étaient  adressés, 
et  ils  accusèrent,  &  leur  tour,  le  prince  Ruperl  d'avoir 
manœuvré  avec  sa  propre  escadre  sans  se  préoccuper  des 

1.  Nous  aa  parlerons  pat  de  Du  Que«ne,  qai  te  cbBrg«a,  qoclquei  annécia 
•prés,  de  montrer  tuul  co  qu'il  volait,  Nous  mppcllcruna  Kiileoiont  qu'«o 
I6'je.  ce  gnoii  marin  Ugurait  déjà  dans  la  mariae  do  l'Élst.  Il  commandait 
an  bAtiment  da  gnftre  dans  la  DoUf  de  M(ir  do  Sourd»,  qnj  l'appréciait 
d'une  manitre  |iartii:uliér«.  l^  chef  d'cucndro  de  It«li«Miière-TreilatMib 
était  un  visil  ofac:ior,  ajant  une  excellents  répulaliou  au  puiol  de  rue  de  ta 
capacité  prorctiionnclln  et  de  In  bravoure.  Il  mourut  de*  iiiilcit  d'une  Llca- 
•ure  rvfuri  au  «imbal  de  SouUiwuod  bay. 

S.  Le  capilaine  des  Ardent*  fut  nomniA  clief  d>«rBdro  K  la  place  de  H.  de 
RatMMiiAre-TreilelMii.  Tourville,  qui  était  rorljuune,  pu  pi>a*aJl  jiaii  «n- 
core  préleftilrc  i  cet  avancetneat.  Il  débutait  comme  capitaine  do  «ait- 


PRÉFACE.  41 

deux  autres.  Le  comte  d'Estrées  eut,  en  outre,  des  démê- 
lés avec  ses  propres  officiers.  Dans  le  rapport  qu'il  envoya 
à  Paris,  sur  le  combat  du  21  août,  il  blâma  avec  une  très- 
grande  sévérité  la  conduite  du  lieutenant  général  marquis 
de  Martel.  Celui-ci  avait  remplacé  Du  Quesne  dans  le  com- 
mandement de  la  première  division  de  Tescadre.  Moins 
heureux  que  son  prédécesseur,  le  marquis  de  Martel  ne  se 
lira  pas  d'affaire  par  la  perte  de  son  commandement.  Il 
fut  mis  à  la  Bastille,  où  il  resta  jusqu'au  mois  de  février 
de  l'année  suivante.  M.  de  Seuil,  intendant  de  la  marine 
à  Brest,  reçut  une  mission  semblable  à  celle  que  l'ambas- 
sadeur de  France  à  Londres  avait  eue,  l'année  précé- 
dente. Il  fut  chargé  de  faire  une  enquête  sur  le  combat  du 
21  août.  Le  23  novembre,  il  écrivit  à  Colbert  «  Je  ne  puis 
distinguer  ici  ceux  qui  m'ont  été  nommés  pour  être  plus 
capables  de  soutenir  et  d'entreprendre  de  bonnes  actions, 
parce  que  j'y  ai  trouvé  assez  de  contradictions  pour  me 
faire  craindre  que  l'on  m'en  ait  parlé  avec  passion,  inté- 
rêt ou  esprit  de  cabale,  en  sorte  qu'il  ne  serait  pas  sûr 
d'y  ajouter  foi.  »  C'était  là  l'écueil  bien  naturel  de  ces 
sortes  d'informations,  n'ayant  d'autre  base  que  des  con- 
versations particulières  ou  des  interrogatoires  officieux. 
D'autre  part,  à  quel  juge  compétent  fallait-il  soumettre 
la  conduite  du  commandant  en  chef  et  les  contesta- 
tions survenues  entre  lui  et  ses  lieutenants?  Non-seule- 
ment le  vice-amiral  d'Estrées  n'avait  pas,  en  dehors  du 
ministre,  de  supérieur  dans  la  marine,  mais  il  n'avait 
pas  d'égal.  Derrière  lui,  venaient  deux  lieutenants  géné- 
raux et  trois  chefs  d'escadre.  Le  premier  de  ces  lieute- 
nants généraux.  Du  Quesne,  était  en  disgrâce,  et  le  second, 
le  marquis  de  Martel,  était  en  prison.  Enfin,  un  des  trois 
chefs  d'escadre  se  trouvait  sous  les  ordres  directs  du 
comte  d'Estrées.  Colbert  n'avait  pas,  à  sa  disposition,  des 
moyens  réguliers  d'informations.  11  devait,  avec  le  sens 
supérieur  qui  le  distinguait,  tout  voir  et  tout  juger*.  Cet 

1.  Ces  considérations  montrent  la  grandeur  de  la  lâche  que  Colbert  s'é- 


42  HISTOIRE  DE  LA  MARINK  FRANÇAISE. 

état  de  choses,  d'ailleurs,  touchait  à  sa  lin.  Le  temps  n'é- 
tait pas  éloigné  oii  la  marine  française  compterait  dans 
ses  rangs  un  grand  nombre  d'officiers  généraux  capables 
et  de  capitaines  expérimentés. 

Les  ennemis  de  l'alliance  française  l'ayant  emporté 
dans  les  conseils  du  Roi  Charles  II,  l'Angieterre)  fit  la 
paix  avec  les  Provinces-Unies  des  Pays-Bas.  Notre  marine 
se  trouva  seule  en  présence  des  forces  réunies  de  la  Hol- 
lande et  de  l'Espagne'. 

M.  lie  Vivonne,  venant  de  Toulon,  arrivait,  avec  neuf 
vaisseaux,  â  l'entrée  du  détroit  de  Messine,  lorsqu'il  fut 
attaqué,  le  10  janvier  1675,  par  vingt-neuf  vaisseaux 
espagnols.  L'escadre  française,  à  laquelle  vinrent  se 
joindre  six  vaisseaux  sortis  de  Messine,  obligea  l'ennemi 
4  s'éloigner.  Un  bflllment,  portant  quarante-quatre  ca- 
nons, resta  entre  nos  mains  '.  Du  Quesne  battîl  Ruyter 
les  8  janvier  et  22  avril  1676.  La  première  de  ces  ren- 
contres eut  lieu  dans  le  voisinage  des  lies  Stromboli 
et  Salini.  Les  Français  avaient  vingt-deux  vaisseaux, 
et  les  Hollandais  dix-huit  vaisseaux  et  neuf  galères. 
Huyter  se  proposait  d'empêcher  la  jonction  de  Du 
Quesne  avec  les  forces  françaises  mouillées  à  Messine. 
Après  un  engagement  très-vif  qui  dura  toute  la  journée, 
les  Hollandais  laissèrent  le  passage  libre  à  notre  escadre*. 

luil  imiMove,  et  le  mérite  qu'il  eut  à  rsccomfilir.  D'aatre  part,  ellM  do« 
ppriDDllunt  de  dire  que  le*  rtpfiort»  des  ïDteDdanli,  lor^tqu'ils  ont  trait  h 
des  iu]cl<  purement  maritimes,  doivent  *tre  tournis  à  un  examen  \rit- 
■tivnti?.  (>K  pièces  conservent  une  certaine  importance,  mais  il  ne  butpai 
leur  accorder  uns  trop  grande  autorité. 

1.  I.n  basiilitds  sur  mer  n'avaient  pas  encore  commencé  a*ec  l'Espagne, 
■nais,  depuis  qaelquc  lernp*  déjA,  nous  élians  en  guerre  avec  cette  pujs- 

1.  La  duc  de  Vironne  Ht  le  plus  Rrand  élt^e  de  Du  Quesne.  Il  lui  tllribnm 
l'honneur  de  la  prise  faite  par  J'ascaOrc  française. 

3.  Quelqnes  Jour»  après  le  coroUil  du  H  jnnvier,  l'escadre  eut  é  snppoi^ 
t#r  du  mauvais  tempa.  l'Iusieurs  bAlinienti  s'aburdérent,  et  deux  vaisseaux 
(ureot  obligés,  ]*r  suite  de  leur«  avaries,  de  se  séparrr  de  l'armée.  Dn 
Qufsna  écrivit,  h  en  propos,  au  minii>tr«  :  •  Je  vous  avouerai,  Monseigneur, 
que  les  offlciers  et  capitatnes,  qui  n'ont  servi  qu'es  mers  du  Levant,  ne  sont 
(Ma  inl«tli)(ents  A  rabservnliun   de*  ordres  et  signaux  de  marche   *t  de 


PRÉFACE.  43 

Le  22  avril,  nous  avions  trente  vaisseaux  et  neuf  brûlots. 
L'escadre  ennemie  comprenait  dix-sept  vaisseaux  hollan- 
dais, douze  vaisseaux  espagnols,  cinq  brûlots  et  neuf 
galères.  Les  Hollandais  se  conduisirent  avec  leur  fer- 
meté'habituelle,  mais  ils  ne  furent  que  médiocrement 
soutenus  par  les  Espagnols.  Dans  la  soirée,  Tennemi 
nous  abandonna  le  champ  de  bataille  et  il  fit  route  pour 
Syracuse.  L'échec  que  venaient  de  subir  les  alliés  n'était 
rien  en  raison  de  Timmense  perte  qui  les  attendait. 
Ruyter  avait  reçu  une  blessure  dont  il  mourut  le  29  avril  ". 
Le  conunandement  en  chef  de  la  flotte  hispano-hollan- 
daise passa  entre  les  mains  de  l'amiral  espagnol  don 
Diego  de  Ibarra. 

Le  duc  de  Yivonne  sortit  de  Messine,  le  28  mai,  avec 
vingt-neuf  vaisseaux,  vingt-cinq  galères  et  neuf  brûlots. 
Le  l**  juin,  Tai'mée  arriva  en  vue  de  la  baie  de  Palerme, 
dans  laquelle  les  alliés  s'étaient  retirés.  La  flotte  enne- 
mie, forte  de  vingt-sept  vaisseaux,  était  mouillée  en 
demi-cercle,  à  petite  distance  de  terre.  Dix-neuf  galères 
étaient  placées  sur  les  ailes  ou  dans  les  créneaux.  La 

balaille,  comme  il  se  doit,  faute  de  Tavoir  exercée,  et  môme,  pour  n*avoir 
pas  cette  expérience,  ils  ont  peine  de  Tapprouver,  ce  que  nous  reconnais- 
sons être  aux  Hollandais  Tavantage  quMls  ont  sur  nous  de  naviguer  presque 
en  tous  temps,  notamment  en  présence  de  leurs  ennemis,  nuit  et  jour,  en 
bataille  ;  qu'ainsi,  ils  évitent  les  abordages  entre  eux,  à  quoi  Ton  est  trop 
sujet  parmi  les  ^'aisseaux  du  Roi.  Si  Sa  Majesté  me  fait  l'honneur  de  me 
continuer  le  commandement  dans  ses  armées,  je  suis  obligé  de  lui  deman- 
der une  forte  protection  pour  réduire  ces  officiers  et  capitaines  à  l'obser- 
vation de  cet  exercice  de  marine,  et  même  quand  il  échéra  d'être  en  mer, 
l'hiver,  en  présence  des  ennemis,  d'avoir  pour  agréable  que  j'indique  les 
vaisseaux  et  les  capitaines  propres  à  tels  services  ;  car  souvent  tel  vais- 
seau, même  un  seul  qui  sera  méchant  de  bouline,  obligera  une  armée 
à  perdre  l'avantage  du  vent  ou  de  l'abandonner;  et,  quoique  dans  le  grand 
nombre  des  vaisseaux  du  Roi,  il  ne  se  peut  éviter  qu'il  y  en  ait  de  moins 
bons  à  la  voile  que  d'autres,  ils  ne  seront  pas  inutiles  si  on  les  emploie  à 
ce  quoi  ils  sont  propres.  > 

1.  Ruyter  mourut  à  l'âge  de  soixante-dix  ans.  Son  corps  fut  transporté 
en  Hollande  et  inhumé,  en  grande  pompe,  à  Rotterdam.  Louis  XIV  avait 
ordonné  que  tous  les  bâtiments  de  la  marine  française,  en  vue  desquels 
passerait  le  navire  portant  les  dépouilles  de  ce  grand  homme,  salueraient 
do  canon.  Des  instructions  semblables  avaient  été  adressées  aux  gouver- 
neurs des  places  du  littoral. 


r 


W  HISTOIRE  I)K  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

gauche  élaîl  appuyée  au  mule,  à  l'exlrémité  duquel  élait 
placée  une  batterie  de  dix  pièces  de  canons;  le  cenire 
étail  proli'gè  pur  la  rorteresso  de  Caslellamare,  et  la  droite 
par  les  fortifications  de  la  ville.  Le  2  juin,  dans  la  mati- 
née, l'escadre  française,  favorisée  par  une  jolie  brise  de 
nord-est,  se  dirigea  sur  l'ennemi.  Vn  détachement  do 
neuf  vaisseaux,  auquel  le  duc  de  Vivonne  avait  adjoint 
neuf  galères,  avait  l'ordre  de  faire  une  attaque  A  fond  sur 
l'aile  droite  des  alliés  '.  Ce  détachement,  vigoureusement 
conduit  par  le  chef  d'escadre  de  Preuilly  d'Humières. 
jeta  l'ancre  sur  les  bouées  des  vaisseaux  qu'il  devait 
combattre.  L'action  débuta,  de  part  et  d'autre,  avec  un 
véritable  acbarnenienl.  Aidés  par  la  brise  du  large,  quel- 
ques capitaines  de  brûlot  réussirent  à  accrocher  plu- 
sieurs vaisseaux  hollandais  et  espagnols.  Ces  navires 
coupèrent  leurs  cdbles  pour  aller  à  la  cdte.  En  dérivant, 
ils  jetèrent  le  désordre  et  la  confusion  dans  leur  armée. 
Les  résultats  de  la  journée  furent  désastreux  pour  nos 
adversaires.  Sept  vaisseaux  et  deux  galères  devinrent  la 
proie  des  llammes.  Les  amiraux  espagnols  don  Diego  de 
Ibarra  et  don  Francisco  Freire  de  la  Cerda*,  les  conlre- 
amiraux  hollandais  Jean  de  lla^n  et  Hlddellandt  perdirent 
la  vie  dans  celte  affaire.  Les  alliés  ne  comptèrent  pas 
moins  de  deux  mille  hommes,  ofliciers,  marins  et  soldats, 
tués  ou  blessés.  Le  duc  de  Vivonne  ne  jugea  pas  utile  de 
poursuivre  ce  succès.  Quoique  sou  escadre  n'eût'pas  souf- 
fert, il  retourna  à  Messine. 

Le  traité  de  Nimègue,  conclu  en  1678,mitfin  aux  hosti- 
lités. En  1688,  la  paix  fut  encore  une  fois  rompue  avec  la 
Hollande.  Au  commencement  de  l'année  suivante,  l'An- 

I.  tl  tvait  éU  d^M^,  dans  un  coiucit  do  t-ueriti  tenu  le  l"  juin,  qoe 
nom  sllii(]iiRriuii8,  nvcc  une  vigueur  particulière,  l'silo  droils  des  allii«, 
■Du  d»  ruui|>rp  leur  \\pu<  sur  ce  point. 

1.  l/uiniral  don  Fruiciica  Frein  <lu  la  Ccrda.  qui  commandait  re«cad(o 
•«pagnulB  nu  mmbat  du  3J  avril,  avait  tic  remplacé,  sur  l'ordre  de  aon 
Souverain,  par  iluu  Iiienu  de  Ibnrra.  Au  livu  du  riintrnr  en  Eijtagno,  il  était 
reRlil  aur  le  vniui-au  nniiral  poiir  servir  ciinime  voloiiluire,  tnontraut  Ùnd 
que,  l'il  «tnil  un  uiihIimiti-  gWrol,  il  avait  le  courutie  d'un  suidai. 


PRÉFACE.  45 

gleteire  et  l'Espagne  nous  ayant  déclaré  la  guerre,  la 
France  se  trouva  seule  en  présence  des  trois  grandes 
puissances  maritimes  de  cette  époque.  Le  4  juin  1690, 
soixante-dix  vaisseaux,  portant  de  cinquante-deux  à  cent 
dix  canons,  sortirent  de  Brest.  La  nation  pouvait,  à  bon 
droit,  être  fière  de  cette  flotte.  Tourville  la  commandaiL 
Il  avait  sous  ses  ordres  le  vice-amiral  Victor  d'Estrées, 
les  lieutenants  généraux  de  Villette  Mursay,  de  Château- 
renault,  d'Amfreville,  Gabaret  Louis,  les  chefs  d'escadre 
de  Relingue,  de  Langeron,  de  Nesmond,  de  Laporte,  de 
Coêtlogon,  de  Flacourt  et  Pannetier.A  l'exception  du  vice- 
amiral  Victor  d'Estrées,  entré  depuis  peu  dans  la  marine, 
tous  ces  lieutenants  généraux  ou  chefs  d'escadre  se  bat- 
taient sur  mer  depuis  vingt-cinq  ans.  Il  en  était  de  même 
de  la  plupart  des  capitaines  de  vaisseau.  Le  10  juin, 
Tourville  battit,  non  loin  du  cap  Beachy-Head,  l'armée 
anglo-hollandaise,  forte  de  soixante  vaisseaux.  L'ennemi 
perdit  trois  vaisseaux;  l'un  d'eux  se  rendit  au  Souverain 
et  les  deux  autres  furent  coulés.   Le  12  septembre,  les 
alliés,  activement  poursuivis,  sacrifièrent  sept  vaisseaux 
qui,  par  suite  de  leurs  avaries,  restaient  en  arrière.  Quel- 
ques jours  après,  six  bâtiments  démâtés  furent  aperçus 
sous  la  terre.  Une  division  française  s'étant  dirigée  sur 
ces  bâtiments,  ceux-ci  se  jetèrent  à  la  côte.  Notre  armée, 
ralliée  par  une  escadre  de  galères,  parut  le  1"  août  devant 
Torbay.  Un  détachement  de  matelots  et  de  soldats,  placé 
sous  les  ordres  du  vice-amiral  d'Estrées,  débarqua  à 
Teignmouth.  Une  batterie  qui  défendait  la  rade  fut  dé- 
truite et  douze  bâtiments  capturés.  La  flotte  française 
mouilla,  le  17  août,  sur  la  rade  de  Bertheaume. 

Le  29  mai  1692,  la  marine  française  livra  la  bataille  de 
la  Hogue.  Obéissant  aux  ordres  du  Roi  qui  lui  prescri- 
vaient de  combattre  l'ennemi  «  fort  ou  faible  et  en  quel- 
que lieu  qu'il  le  rencontrât,  »  Tourville  attaqua  quatre- 
vingt-dix-sept  vaisseaux  anglo-hollandais  avec  quarante- 
cinq  vaisseaux.  Lorsque  le  feu  cessa,  après  un  combat 
qui  n'avait  pas  duré  moins  de  dix  heures,  la  flotte  Iran- 


HISTOIRE  DE  LA  MAUIXE  FRANÇAISE, 
çaise  était  intacte.  L'ennemi  avait  perdu  deux  vaisseaux, 
l'un  avait  sauté  et  l'autre  était  cuuiî'.  L'anni^c  se  diriges 
sur  Brest,  seul  point  où  elle  prtt  être  en  sùrelé,  puisque 
nous  n'avions  pas  de  port  dans  la  Hanche.  Contrariée 
par  le  calme  et  les  courants,  elle  (It  peu  de  roule  dans  la 
journée  du  30.  Le  31,  dans  la  matinée,  Tourville  s'enga- 
gea dans  le  raz  Blanchard,  avec  l'espoir  de  devancer 
l'ennemi  qui  Taisait  route  vers  l'ouest  par  le  nord  des 
CasqueU.  Vingt  vaisseaux  avaient  déji\  franrhi  ce  pas- 
sage difficile,  lorsque,  le  calme  et  la  fin  du  Jusant  surve- 
nant, quinze  vaisseaux,  au  nombre  desquels  était  YAmbi- 
lieux  que  montait  le  commandant  en  chef,  furent  obligés 
de  mouiller'.  Les  ancres  ayant  chassé  avec  le  (lot,  toute 
cette  partie  de  l'escadre  fut  ramenée  en  arrière.  Tourville 
était  séjtaré  de  son  armée,  et  entouré  par  des  forces  supé- 
rieures, fleconnaissant  l'impossibilité  de  sauver  ses  bflli- 
menls,  il  se  décida  A  les  jeter  à  la  côte.  Quinze  vaisseaux 
furent  incendiés,  suit  par  nous,  soit  par  les  Anglais,  à 
Cherbourg  et  à  la  Hogue.  Telle  fut  l'issue  de  cette  funeste 
journée.  Jacques  II  avait  donné  à  Louis  XIV  l'assurance 
qu'une  partie  de  la  flotte  britannique  se  rangerait  sous 
le  pavillon  de  Tourville,  aussitôt  l'alTaîre  engagée.  Notre 
armée  était  à  la  mer  depuis  quelques  jours,  lorsque  le 
Roi  reçut  de  Londres  la  nouvelle  qu'aucun  officier 
anglais  ne  ferait  défection.  Ponchartrain ,  qui  était 
alors  ministre  de  la  marine,  se  hdta  d'expédier,  de 
difTércnts  points  de  lu  côte,  de»  avisos  purleurs  de  dé- 
pêches ordonnant  à  Tourville  de  ne  pus  combattre. 
Aucun  des  bfltiments  envoyés  à  sa  recherche  ne  parvint 
&  l'atteindre'. 


1.  Le  vaissiviu  da  Tourville,  le  SulriI-no)/ti(,  lur  lequel  [>luBl«tira  vais- 
Bcnui  ennemi!  aVKianl  dirigA  Icun  cnups,  le  19  mai,  éUiL  ilniu  l'étal  da 
drilaLremiiril  le  plui  ^uiid.  Touriilla  avait  mm  sen  pavilluii  lur  VAntti- 

1.  L'afTsire  de  la  flocue  éuit  un  malheur  d'aulanl  plus  grand,  qn'nuruna 
un  oiililaire,  inUrcHiant  noire  sûirlj,  ne  nous  oMiiçeail  A  aborder  l'cn- 
li  daii»  \n  cundilionn  d'infcrionlG  oU  twui  eiiuna  le  !9  mai.  Le*  veia- 


PRÉFACE.  47 

On  a  dit  que  la  journée  de  la  Hogue  avait  consommé  la 
ruine  de  notre  marine.  Il  sufGt  de  rappeler  la  force  des 
escadres  mises  en  mer,  l'année  suivante,  pour  montrer 
combien  peu  cette  assertion  est  fondée.  En  1693,  Tourville 
était  à  la  tête  d'une  flotte  de  soixante  et  onze  vaisseaux, 
lorsqu'il  intercepta,  entre  Lagos  et  Cadix,  un  convoi  con- 
sidérable placé  sous  l'escorte  d'une  flotte  anglo-hollan- 
daise. Après  cette  affaire,  il  vint  à  Toulon,  où  se  trouvait 
l'escadre  du  comte  d'Estrées.  L'armée  réunie  sur  la  rade 
s'éleva  au  chiffre  de  quatre-vingts  vaisseaux.  Ce  qui  est 
vrai,  c'est  que  l'année  1692  marque,  sous  le  règne  de 
Louis  XiV,  le  point  culminant  de  notre  fortune  maritime. 
A  partir  de  la  journée  de  la  Hogue,  la  marine  française 
va  en  décroissant.  Cet  état  de  choses  n'est  pas  la  consé- 
quence de  notre  défaite,  mais  le  résultat  inévitable  de  la 
situation  des  finances.  Le  pays,  épuisé  d'argent,  ne  peut 
plus  subvenir  aux  dépenses  de  la  marine.  De  1694  à  1697, 
époque  à  laquelle  la  paix  fut  signée,  nous  restons  sur  la 
défensive.  Au  début  de  la  guerre  de  la  succession  d'Es- 
pagne, la  France  s'impose  les  plus  durs  sacrifices  pour 
faire  encore  une  fois  de  grands  armements.  Le  comte  de 
Toulouse,  amiral  de  France,  parait,  en  1704,  dans  la  Médi- 
terranée, avec  cinquante  vaisseaux  de  ligne.  Le  24  août,  il 
attaque,  au  large  de  Malaga,  l'armée  anglo-hollandaise 
commandée  par  l'amiral  Rook.  Dans  cette  affaire,  nous 
n'infligeons  aucune  perte  sérieuse  à  l'ennemi,  mais  nous 
le  forçons  à  nous  abandonner  le  champ  de  bataille.  Ce 
retour,  vers  les  temps  prospères  du  règne  de  Louis  XIV, 
est  le  dernier.  A  la  guerre  d'escadre  qui  avait  fait  la  gloire 
des  Tourville,  des  Du  Quesne,  des  Chateaurenault,  des 


seaux  qui  avaient  combattu,  ce  jour-là,  ne  représentaient  pas  la  seule  force 
dont  la  France  disposât.  Tourville  pouvait  attendre,  avant  de  prendre  la 
mer,  les  renforts  que  lui  amenaient  le  vice-amiral  d'Estrées  et  les  lieute- 
nants généraux  De  Laporte  et  de  Chateaurenault  Dans  cette  hypothèse,  la 
supériorité  numérique  de  Tennemi  eût  été  Irès-faiblc.  Commandée  par 
Tourville  et  composée  d'éléments  très-solides,  notre  armée  eût  été  à  l'en- 
nemi avec  de  grandes  chances  de  succès. 


48  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Gabaret,  des  d'Amfreville,  des  Valbelle,  des  Coôtlogon, 
des  Langeron  et  de  tant  d'autres  officiers  distingués, 
succède  la  guerre  de  course  illustrée  par  les  exploits  des 
Duguay-Trouin,  des  Jean-Bart,  des  Nesmond,  des  Pointis, 
des  Ducasse  et  des  Cassard. 


LIVRE  II 


Al^andoD  s>sténia(iqi]e  de  la  marine  sous  la  régence  et  pendant  le  minis- 
tère du  cardinal  Meury.  —  La  guerre  éclate  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre. —  Traité  d'Aix-la-Chapelle,  conclu  en  1748.  —  Nouvelle  guerre 
avec  l'Angleterre,  en   1756.  —  Traité  de  Paris,  signé  le  10  février  1763. 

—  Modilications   successives  apportées  aux  institutions  maritimes.  — 

—  Êcunoniie  générale  des  lois  qui  régissent  la  marine,  au  moment  où 
éclate  la  guerre  de  l'Indépendance  américaine. 


L'élablissemcni  maritime  créé  par  Louis  XIV  fui  systé- 
matiquement livré  à  Tabandon  sous  la  régence  et  pendant 
la  durée  du  ministère  du  cardinal  Fieury.  Lorsque  sur- 
vint la  guerre  de  la  succession  d'Autriche,  notre  marine 
fut  hors  d'état  de  résister  aux  forces  navales  de  l'Angleterre. 
A  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  signée  en  1748,  il  ne  nous 
reslait  que  vingt-deux  vaisseaux  de  ligne.  Le  gouverne- 
ment sembla  reconnaître  la  faute  qu'il  avait  commise, 
en  s'écarlant  des  traditions  de  Richelieu,  de  Colbert  et  de 
Louis  XiV.  Le  ministère  donna  une  plus  vive  impulsion 
aux  constructions  et  quelques  armements  furent  ordon- 
nés. Ces  mesures  n'avaient  pas  encore  porté  leurs  fruits 
(lue  la  guerre  éclatait  de  nouveau  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre. L'avantage  remporté  par  le  marquis  de  la 
Galissonnière  sur  l'amiral  Byng  jeta  quelque  éclat  sur 
les  débuts  de  la  campagne,  mais  l'issue  définitive  de  la 
lutte  ne  pouvait  être  douteuse.  Notre  infériorité  nous 
condamnait  fatalement  à  la  défaite.  Le  traité  de  1763  est 
un  des  plus  malheureux  que  nos  annales  aient  eu  à  enre- 
gistrer. La  France  céda  à  sa  rivale  le  Canada,  l'île  du 
cap  Breton  et  toutes  les  îles  et  parties  de  côte  qu'elle  occu- 
pait dans  le  golfe  de  Saint-Laurent.  Non  contente  d'as- 


50  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Burer  le  présent,  la  cour  de  Londres  voulut  lixer  l'avenir 
en  exigeant  que  la  France  renonçât  à  toute  prOlciilion  sur 
l'Acadie  et  la  Nouvelle-Ecosse'.  La  rivière  du  Sénégal, 
nos  établissements  sur  la  cOte  occidentale  d'Afrique,  la 
Grenade,  Saint-Vincent,  la  Dominique  et  Tabago  devin- 
rent la  propriété  de  l'Angleterre.  La  France  rendit  toutes 
les  conquêtes  qu'elle  avait  faites  dans  l'fnde  depuis  la 
paix  d'Aix-la-Chapelle.  Ia^s  Anglais  reprirent  Hînorquc 
en  échange  do  Belle-Ile,  dont  ils  s'étaient  emparés  le 
7  juin  1761.  En  vertu  d'une  convention  particulière, 
signée  le  même  jour  que  les  préliminaires  de  paix,  la 
France  donna  la  Louisiane  à  l'Espagne.  Nous  voulions 
dédommager  cette  puissance  des  sacrilices  auxquels  elle 
avait  été  obligée  de  consentir  pour  amener  la  Un  des  hos- 
tilités. L'Espagne  avait  abandonné  à  l'Angleterre  la  Flo- 
ride et  Pensacola'. 

Soutenus  par  une  forte  tradition,  souvenir  glorieux  du 
règne  de  Louis  XIV,  les  oflicîcrs  de  la  marine  ne  déses- 
pèrent pas  de  l'avenir.  Au  lieu  de  se  laisser  aller  au 
découragement,  ils  s'adonnèrent  A  l'étude.  Ce  fut  ainsi 
qu'ils  maintinrent  la  situation  de  la  marine  française, 
sinon  au  point  de  vue  du  nombre,  du  moins  sous  le  rap- 
port de  la  qualité,  à  la  bauteur  des  marines  rivales.  Il 
est  peu  d'époques  où  les  travaux  scientifiques,  appliqués 
à  la  marine,  aient  été  aussi  considérables  que  sous  le 
régne  de  Louis  XV.  L'académie  de  marine,  fondée  à  Brest, 
en  1752,  abandonnée  pendant  quelques  années,  et  enfin 
réorganisée,  en  1769,  eut  une  très-grande  pari  dans  ce 
résultat. 

I.  Lm  limites  d«B  [HMMSxions  fntn<;aiN«  pt  nnglalsos,  sur  le  conlinsnl 
d*  rAmi-rique  scpIcntrionulK,  Turent  ftxtrt  p«r  une  ligne  allant  du  roia- 
lioucliure  <lu  Hiasissipi  jiiii|u'A  lu  rtvii-re  d'il lom lie  «I,  de  là.  rc-juipnanl 
la  nier,  en  poMaot  au  milieu  de  cvttc  rivière  et  de«  Ucs  MnurotHifi  ol  fun 
cliarlrain. 

1,  Ix  Iriltri  d'alliance  ofTeniive  et  di^fcnslve,  appeU  parle  du  famille, 
avait  M  «i^né  i-iiir«  la  France  et  l'Eti^^ni',  le  là  août  1761.  I.o  3  jan- 
vier ITSI.l'Eipufnie  avait  dâclard  lo  guerre (i l'Angleterre.  LeihottililiJsenlra 
la  Pranre  et  l'Angleterre  avaient  commencé  en  ITâ6,  Houa  dtiona  réduit*  à 
rimpuiiaance  lonquc  l'Eapagnc  t'était  décida  A  le  Joindre  A  noui, 


PRÉFACE.  51 

Le  rôle  des  officiers  de  marine  s'était  successivement 
modifié  depuis  le  comnvencement  du  dix-huitième  siècle. 
Sans  cesser  d'être  militaire,  il  était  devenu  plus  maritime. 
Le  capitaine  et  les  officiers  commençaient  à  prendre,  à 
bord  des  bâtiments,  la  place  qu'ils  y  occupent  aujourd'hui. 
L'art  de  la  navigation  avait  fait  de  grands  progrès.  Le 
voyage  de  circumnavigation  de  Bougainville,  les  cam- 
pagnes des  Verdun  de  la  Crenne,  des  Fleurieu  et  des 
Borda  avaient  excité  l'émulation  des  officiers  et  répandu 
parmi  eux  le  goût  des  connaissances  nécesaires  à  la  con- 
duite des  bâtiments.  Les  pilotes,  considérés  comme  offi- 
ciers de  route,  n'avaient  pas  encore  disparu,  mais  leur 
importance  avait  été  en  diminuant,  tandis  que  la  situation 
des  capitaines  et  des  officiers  n'avait  cessé  de  grandira 

L'institution  des  gardes  de  la  marine,  créée  par  Colbert 
pour  assurer  le  recrutement  des  états-majors,  avait  été 
maintenue.  Une  nouvelle  compagnie,  dite  des  gardes  du 
pavillon,  avait  été  formée  en  1716.  Cette  compagnie,  dont 
le  personnel  était  pris  parmi  les  gardes  de  la  marine, 
avait  pour  mission  principale  de  servir  près  de  la  per- 
sonne de  l'amiral  de  France,  soit  dans  les  ports,  soit  à  la 
mer*.  Bezout  avait  été  nommé,  en  1763,  examinateur  de 
la  marine.  A  la  demande  du  duc  de  Choiseul,  il  composa 
un  cours  de  mathématiques  renfermant  l'ensemble  des 

1.  On  était  luiii  du  temps  où  Colbert  attribuait  à  Tignorance  des  pilotes 
la  perte  des  l>âtimenls  qui  s'étaient  jetés  sur  les  fies  d'Aves.  Dans  une 
lettre  qu'il  adressait^  sur  cette  affaire,  à  l'intendant  do  Seuil,  le  ministre 
constatait  avec  regret  que  les  pilotes  les  plus  habiles  aimaient  mieux  com- 
mander les  navires  de  commerce  que  servir  sur  les  bâtiments  de  TÉtat. 
Colbert  fit  mieux,  d'ailleurs,  que  de  se  plaindre  de  la  pauvreté  des  sujets, 
il  reconnut  la  nécessité  d'améliorer  la  position  des  pilotes,  afin  d'attirer 
les  plus  capables  au  service  de  TÉtat. 

2.  Une  ordonnance  de  1764  fixa  à  quatre-vingts  le  nombre  des  gardes  de 
chacune  des  trois  compagnies  des  gardes  de  la  marine  et  de  la  compagnie 
des  gardes  du  pavillon  amiral.  Le  chiffre  de  trois  cent  vingt,  représentant 
la  totalité  des  gardes  des  quatre  compagnies,  était  trop  élevé,  eu  égard  au 
petit  nombre  des  vacances  qui  se  produisaient,  chaque  année,  dans  le 
cadre  des  enseignes.  Cet  effectif  fut  réduit,  en  1773,  à  cent  soixante  gardes 
répartis  ainsi  qu'il  suit,  savoir  :  quatre-vingts  gardes  du  pavillon  amiral 
et  quatre-vingts  gardes  de  la  marine. 


52  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

connaissances  que  devaient  posséder  les  gardes  pour  de- 
venir enseignes  de  vaisseau  ^  Les  gardes  embarquaient 
toutes  les  fois  que  les  besoins  du  service  l'exigeaient,  et 
ils  reprenaient  leurs  études  lorsque,  par  suite  du  désar- 
mement de  leurs  navires,  ils  se  trouvaient  de  nouveau  à 
terre.  Cette  organisation  semblait  s'en  remettre  au  hasard 
du  soin  de  les  instruire.  Elle  ne  pouvait  convenir  à  une 
époque  où  les  progrès  des  sciences  rendaient  les  études 
théoriques  chaque  jour  plus  nécessaires.  M.  de  Boynes, 
devenu  ministre  de  la  marine,  en  1771,  supprima  les  gar- 
des et  il  fonda  au  Havre  une  école  de  la  marine  royale* 
Son  successeur,  M.  de  Sartines,  n'osa  pas  s'associer  à 
cette  réforme.  11  rétablit  l'institution  des  gardes  à  laquelle 
il  apporta  d'utiles  améliorations*.  11  eut  surtout  le  mérite 
de  régler  mieux  que  ne  l'avaient  fait  ses  prédécesseurs 
le  temps  consacré  aux  études  théoriques  et  pratiques. 

1.  (le  Cours  de  mathématiques  comprenaïl  six  volumes,  dont  un  était 
consacré  à  l'astronomie  et  à  la  navigation. 

2.  Il  sera  établi  une  école  ro\alc  de  marine  dans  le  port  du  Hàvre^  pour 
y  in>truirc  et  y  exercer,  tant  dans  la  théorie  que  dans  la  pratique,  les 
jeunes  f^ens  qui  se  destineront  an  service  de  la  mer,  se  réservant^  Sa  Ma- 
je>U>,  do  faire,  dans  la  suite,  un  pareil  élablissemenl  dans  un  des  ports  de 
la  M«'di(orianée.  Les  admis  |K)rteron(  le  titre  d'élèves  de  l'École  ro\ale  de 
la  marine  ;  leur  nombre  sera  de  quatre-vingts  ap|>ointés,  Sa  Majesté  se 
réM>rvai)l  don  recevoir  un  plus  grand  nombre  non  ap^winté.  Aucun  aspi- 
rant ne  |K)urra  être  admis  s'il  n'a  <iua(orze  ans.  s  il  ne  sait  écrire  correcte- 
mont  et  s'il  ne  connaît  les  premières  règles  de  rarilhmétique.  I^s  élèves 
n'aunml  aucun  rang  entre  eux.  Chaque  école  sera  commandée  |>ar  un  capi- 
taine do  \aissoau:  dos  lieutenants  de  vaisseau  et  des  maîtres  \  seront  atta- 
ches. Les  olèvos  seront  exercés,  (lendant  trois  ou  4iualre  mois  d'été,  à  la 
pratique  de  la  mer  sur  îles  corvellcs  armées  exprès.  Doux  qui  auront  satis- 
fait aux  examens  exigés,  seront  destines  à  entrer  dans  les  huit  brigades 
ou  régiments  du  eorps  royal  de  la  marine 

3.  Supprime,  Sa  Majesté,  les  écoles  royales  do  marine  cré<»cs  par  Tor- 
donnanco  du  *i*J  août  1773.  xotiianl  que  loi  élèves  de  l'école  établie  au 
llAvre  soient  admis  et  riHjus  on  qua'ité  d'aspirants  gardes  do  la  marine  et, 
en  ct^nMijucnoe,  repartis  entre  les  tn->i<  ports  de  Itre^t,  Toulon  et  Itoche- 
fort  ît»rdonnani"e  du  '2  mars  177.».).  La  même  ordonnance  fixa  a  cinquante 
rolTiilif  des  oom|»;tirmes  de»i  irardes  «le  la  marine  et  à  quatre  \  mgts  le  nombre 
de<  ganlt-s  du  pa\illon.  Kilo  créa  dos  aspirants  gardes  places  a  la  suite  des 
comjMv'nie*.  Le>  jeunes  gens  ain>i  doignos  étaient  ap(H'lo>  a  remplir  le^ 
xacauco  qui  \onaiont  a  >c  pn^duire.  Les  oloves  de  lecole  de  manne  du 
Havre  devinrent  a>piiauU  irarde>. 


PRÉFACE.  M 

Les  ministres  qui  se  succédèrent  à  la  marine,  après  la 
guerre  de  1756,  ne  portèrent  pas  seulement  leur  allentioD 
sur  le  corps  des  ofGciers  de  vaisseau.  Ils  réorganisèrent 
le  commissariat  de  la  marine  et  le  sen  iœ  de  santé.  Une 
ordonnance  du  25  mars  1765  créa  le  corps  des  ingénîears- 
constructeurs  ^  Le  gouvernement  établit  à  Paris,  sons  la 
direction  de  Bezout  et  de  Duhamel  du  lionceau,  une  école 
spéciale  destinée  à  former  des  élèves  ingénieurs. 

Le  duc  de  Choiseul  dirigeait,  en  1761,  les  deux  dépar- 
tements de  la  guerre  et  de  la  marine.  Il  décida  que  le 
service  de  Tartillerie,  à  bord  des  vaisseaux,  serait  fait  par 
l'artill^e  de  terre*.  A  la  même  époque,  les  régiments 
de  l'armée  fournissaient  le  personnel  composant  les  gar- 
nisons des  bâtiments  de  guerre.  £n  1774,  M.  de  Sartines 
forma  cent  compagnies  franches  partagées  en  trob  divî- 
sions,  placées,  la  première  à  Toulon,  la  seconde  à  Rochefort 
et  la  troisième  à  Brest.  L  ensemble  de  ces  divisions  était  dé- 
signé sous  le  titre  de  corps  royal  d'inlanterie  de  marine. 
Les  compagnies,  fortes  de  cent  dix-huit  hommes,  avaient 


1.  Sa  Majesté  s'étant  (ait  n^ftseaâer  les  articles  de  rordMaaaoe  4m 
lô  arril  16S9.  qui  ont  rapport  au  ooftttmdioos  et  iDait/i»  ckaiptsUen  «*- 
tretenas  qui,  soos  ce  titre,  étaient  alors  charrâ  à^  UmciM'jm  4it%  ^xm- 
structears  actuels  de  ses  Taif^^eam.  et  ayazÀt  oott^ûkré  qoe  c«>  d^rm^^rr. 
depuis  leur  établissement  dans  ses  port^.  s'ciaol  partJcsJcruMttt  »pf«^ 
qués  à  réunir  toutes  les  connaissances  de  tbéiune  et  de  praliqoe  qv  exiçe  ia 
construction  des  Tai«seaax.  y  ont  fût  des  propres  oA^itntles:  T/>c:ai,i 
exciter  de  plu?  en  plus  Fétade  des  sciences  qvi  ImI  la  \am0:  4e  otX  art.  et 
fixer  Tétat  et  les  fonctions  de  oeax  qui  Texercent  d'aile  akait>ere  7*1  ny^^t^fU: 
à  l'utilité  de  leurs  serrices.  Elle  a  ordonné  et  ordonne  ce  qu  vUi  :  «  b» 
coDstructenrs  de  raisseanx  de  Sa  Haiesié  seronl.  a  laTenir,  afç«»iéA  in- 
génieurs-constmciears  de  la  marine.  Ordonnance  da  ^  oort  V.r,1. 


2.  Le  personnel  de  rarlillerie  de  terre  fut  amrs&entt  4^  t/'y»  ir-jrikief . 
Sauf  quelques  exceptions  laites  en  fiTeor  d'olficvtrs  d^artilkfvr  ^  t^rre, 
les  officiers  de  marine  furent  appelés  à  ooa{»jiaer  léiai^irt/yr  6^  t^nz^kdéM 
DOUYellement  formées.  Les  officiers  d'artilleiie  de  terre,  qui  fcr^t  «doiH 
dans  les  brigades  destinées  au  senrice  de  la/tilkne  »i^ak,  ^juuiz^rerât 
les  grades  dont  ils  étaient  rerêtns  contre  le  grade  er^aivaieiit  dan«  i«  o^rp» 
des  officiers  de  marine.  Chaqœ  brigade  était  compMèe  de  «^;  c/xibyk^çbi^^ 
de  canonniers  et  d'une  compagnie  de  bombardîert.  L'effectif  d«*  if^,^  Iai- 
gades  était  de  denz  mille  boit  cent  Tîngt-qaatre  boauDes. 


54  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

à  leur  lèle  trois  ofliciers,  un  lieuteDant  de  vaisseau  et 
deux  enseignes.  Le  corps  royal  d'inraiiteric  de  marine 
appartenait  au  personnel  naviguant.  Un  délachement  de 
cette  arme  etnbaniuait,  dans  une  proporlion  déterminée 
par  les  règlements,  sur  chacun  de  nos  navires.  Les  soldats 
arrivaient  à  bord  sachant  manier  le  fusil  el  connaissant 
l'exercice  du  canon.  Ils  Taisaient  le  quart  comme  les  ma- 
telots et  aidaient  à  la  manœuvre.  Ces  hommes  consti- 
tuaient un  élément  tr^s-solide  dans  la  composition  des 
équipages '. 

Une  ordonnance  royale  du  26  décembre  1774  rétablit 
dans  chacun  des  poris  de  Brest,  Rochctort  et  Toulon  une 
compagnie  de  bombardiers.  Ces  compagnies  étaient  com- 
mandées par  quatre  ofQciers  de  la  marine,  deux  lieute- 
nants de  vaisseau  et  deux  enseignes.  Elles  étaient  compo- 
sées  de  matelots  des  classes,  Agés  de  dix-huit  A  trente 
ans,  ayant  faitpreuveà  la  mer  de  capacité  professionnelle. 
Les  bombardiers  étaient  appelés  à  servir  sur  les  galiotes 
à  bombes  cl  sur  les  vaisseaux.  Des  compagnies  d'apprcn- 
tis-canonniers  des  classes  furent  formées  dans  les  ports  de 
Toulon  et  de  Rochefort.  La  môme  ordonnance  permit  au 
ministre  d'eu  augmenter  le  nombre  toutes  les  fois  que  les 
besoins  du  service  l'exigeraient.  Le  déj)artement  de  la 
marine  revenait  au  régime  créé  par  Colbcrt^.  11  élail  glo- 
rieux pour  la  mémoire  du  grand  ministre  qu'on  crût  né- 
cessaire, après  tant  de  tâtonnements  et  d'hcsilations,  de 


I.  Le  carpi  royal  d'iofaDlene  de  marine  du  1774  n'nvnil  «ucuo  twini 
cominuo  avec  l'iiirBiiteric  de  marine,  telle  qu'elle  eiislc  aujourd'hui.  Celle 
derniiro  ■  été  ciiét  dans  le  Lut  unïi[ue  de  (enir  i;arni«un  dam  Ici  cutooiea. 
Elle  a  élé  pincée,  k  cause  de  cetio  deilinatiou,  tous  la  direction  du  miaistrt- 
de  la  marine.  C'ttA  un  corps  d'iaruitorio  qui  a  vailJainineDl  combattu  du» 
toutes  loï  partiel  du  monde,  et  qui  l'est  acquih  par  u  conduite,  pendant  la 
guerre  de  1S70,  tiac  réputstioD  lAgilimc  ;  mais  cette  troupe  a  ioqjoart  été 
et  elle  est  encore  aliaolument  étrangère  au  fcrvicr  do  la  Oolte. 

3.  N.  de  Sartinei  revenait  aux  diaposiliung  Uo  t'ordonnance  de  I7«. 
Olle^i  n'était,  en  ee  qui  concernait  le  aerviu  de  rartinerie  eur  les  btti- 
tnenlt  d*  la  Hutte,  que  la  roproduclion  de  l'orduoaance  de  1089,  Celle  der- 
nière, ainsi  que  noue  l'avons  d^jt  dit.  avait  paru  sous  le  mwqnit  da 
Sri(nii'lni,  mail,  #n  réalité,  elle  était  l'ieuvrn  de  Colbnrl. 


PRÉFACE.  55 

se    conformer   aux  dispositions    que    lui-même   avait 
adoptées. 

11  nous  reste  à  indiquer  brièvement  les  modifications 
successives  apportées  dans  l'organisation  des  arsenaux. 
Lorque  Golbert  prit  en  mains  les  affaires  de  la  marine,  il 
chercha  autour  de  lui  des  collaborateurs.  Après  avoir  fait 
choix  de  quelques  hommes  d'un  mérite  reconnu,  il  donna 
à  chacun  d'eux  un  arsenal  à  diriger  sous  sa  surveillance 
immédiate.  11  avait  le  droit  de  compter  sur  Tobéissance  et 
sur  le  dévouement  de  ces  fonctionnaires.  Il  n'en  eût  pro- 
bablement pas  été  de  même,  si  les  sommités  de  l'armée 
navale  avaient  été  placées  à  la  tête  des  arsenaux.  Outre 
que  Golbert  eût  difflcilement  obtenu  que  des  officiers 
généraux,  appartenant  à  la  plus  haute  noblesse,  consen- 
tissent à  habiter,  pendant  un  temps  assez  long,  Brest, 
Toulon  ou  Rochefort,  il  craignait  de  ne  pas  rencontrer 
chez  eux  cette  obéissance  ponctuelle  qui  était  nécessaire  à 
l'exécution  de  ses  desseins.  Enfin,  il  redoutait  Tinfluence 
d'hommes  qui,  par  leur  situation  à  la  cour,  auraient  pu 
traverser  ses  plans.  On  doit  donc  croire  qu'il  écarta  sys- 
tématiquement les  officiers  militaires  du  service  des 
ports.  Les  années  s'écoulèrent,  et  ces  dispositions,  qui 
avaient  eu  leur  raison  d'être,  ne  répondirent  plus  aux 
besoins.  Tous  les  officiers  de  la  marine  n'habitaient  pas 
Versailles,  et  un  grand  nombre  d'entre  eux  demandaient 
que  leur  expérience  fût  mise  à  profit  pour  la  préparation 
de  nos  forces  navales.  En  1765,  le  duc  de  Choiseul  donna 
satisfaction  à  ce  sentiment.  11  ne  toucha  pas  à  l'économie 
générale  de  l'ordonnance  de  1689,  mais  il  augmenta  les 
attributions  des  officiers  militaires.  Les  mouvements  du 
port  furent  placés  sous  les  ordres  du  commandant  de  la 
marine.  Celui-ci  eut,  en  outre,  le  droit  de  surveiller  les 
travaux  exécutés  dans  l'arsenal.  Nous  ne  parlerons  pas 
des  changements  introduits  dans  le  service  des  ports, 
en  1772  et  en  1773,  par  M.  de  Boynes.  Ce  que  fit  ce  ministre 
disparut  le  jour  où  il  cessa  ses  fonctions.  M.  de  Sartines 
remit  provisoirement  en  vigueur  le  régime  de  1765.  Une 


lA  HWTOnΠ DE  LA  MARINE  FRAX*  AISE. 

ordoonaDce,  portant  la  date  du  i3  septembre  1776,  étendit 
coDAidérableinent  les  fonctions  des  commandants  de  la 
marine.  Les  marctiés,  les  approvisionnements,  la  distri- 
bution des  matières,  leur  conservation  dans  les  maga- 
sins,  les  revues  et  la  solde  des  officiers,  des  troupes,  des 
gens  de  mer,  Tinscription  maritime,  les  hôpitaux  et  les 
cbiourmes  restèrent  entre  les  mains  de  rinlendanl.  L^es 
attributions  du  commandant  de  la  marine  comprirent, 
outre  la  garde  des  arsenaux  et  le  commandement  des 
troupes,  les  directions  des  mouvements  du  port,  des 
constructions  et  de  Tartillerie,  réunies  toutes  trois  sous 
l'autorité  directe  et  immédiate  d'un  chef  d'escadre,  avant 
le  titre  de  directeur  générale  Telle  était,  au  point  de  vue 
du  personnel,  de  l'administration  et  du  ser\ice  des  arse- 
naux, l'économie  générale  des  lois  qui  régissaient  la  ma- 
rine en  1778,  c'est-&-dire  au  moment  où  éclata  la  guerre 
de  l'indépendance  américaine. 


1.  ÏÂin  conulnicUonA^  lea  armements,  désarmemeDU.  réparations^.  ra> 
doat»,  \en  travaux  (quelle  que  fût  leur  nature),  exécutés  dans  les  ateliers 
de  Tarsenal,  la  ^rde  et  la  conservation  (\(^  b&timents.  furent  placés  sous 
Tautorité  du  commandant  de  la  marir.e.  In  directeur  général,  pris  parmi 
les  chefs  d'escadre,  fut  placé  à  la  l»*le  «les  trois  dirtMrlions  de  Tarsenal,  les 
mouv«rments  du  |K*rl,  les  tra\au\et  lartillerie.  (Uf  directeur  général  était 
lui-même  sous  les  ordres  du  comuiandanl  de  la  marine.  Chacune  des  dirtH!- 
lions  que  nous  venons  d'indiquer  était  dirigée  par  un  capitaine  de  \*ais- 
seau,  ayant  dans  son  service  des  lieutenants  et  des  ensiMgnes  de  vaisîieau. 


HISTOIRE 


DE     LA 


MARINE  FRAxNCAISE 


LIVRE  I 


Le  trailé  de  Paris  établit  la  saprématM  mantime  4^  U  Gra»le4arctaizft^. 

—  Contestations  entre  les  colonies  de  rAiiién*|oe  wfilealrMaale  ci  la 
métropole.  —  Impôt  du  timbre.  —  Taie  sur  le  tli«.  —  ThmiU»  4f  Bi^^ml 

—  Mesures  de  répression  prises  par  le  gouTemenieol  bntawii*|Be.  —  Ue« 
députes  nommés  (lar  les  assemblées  proTÏnciales  forme*!  ■■  Ojflçm  «fSf 
se  réunit  à  Philadelphie  dans  le  mfH'i  de  «eptembre  IZZi.  —  Oiflifcat  4^ 
Leiington.  le  19  avril  1773.  —  Déclaration  s<>Iennelle  et  Vi»itf0tw§t::M^  4^ 
colonies  anglo^méricaines.  le  4  juillet  17 76.  —  Lt  goqverBtmi^.ad  fnmfptt^ 
suit  avec  une  attention  particulière  les  évéoemeals  qm  f'aciMaifi4M«<ikt 
de  l'autre  côté  de  l'Atlantique.  —  Rebtions  du  cabine  •!«  Xttsàtiûr*  av«< 
les  insurgés.  —  .arrivée  à  Paris  de  trois  commissaire^  e&To^é*  pkr  ^ 
coa?rè<.  —  Le  6  février  1778,  la  France  sifDe  arec  les  Êlats^s»  «•  îmfé 
d'aniitié  et  de  commerce  et  un  traité  éveotocl  d'alliance.  —  La  cocr  ^ 
Lriodrcs  rap|)elle  son  ambas5adeur.  —  Prrparalif«  marît.-nr*'^  bi«.«  4^ 
chaque  côté  du  détroit.  —  Départ  du  cumle  d'Lftaiar.  —  ]f;*^i',ii  f^fAiêéf: 
à  cet  ofUcier  général.  —  Tentative  faite  auprtr«>  de  la  oiur  4  L«f«k;nt«^  p^Asr 
ramen<T  à  conclure  avec  la  France  un  traité  d'alliance  oflrffcHi^  H  Mi^-ik- 
j^ive.  —  Relations  entre  les  mannes  de  France  et  d'.\nrl<ii!Tre.  —  Vn^ 
des  frégates  la  Licorne  et  la  PnUa*  et  du  longre  le  tonreur,  —  fyjOkiita 
des  frégates  la  BelU-PouU  et  VArtthuêa.  —  ftésoltaU  de  laUit^le 
iodêcibe  prise  par  le  gouYememeot  francs.  —  L'escadre  de  Br»r«t  T*t/Ai 
Tordre  dapoareiller. 

I 

Le  traité  de  Paris  conclu,  en  1763,  entre  la  France  et 
la  Grande-Bretagne,  consacra,  aux  yeux  de  l'Europe,  la 


HISTOIRE  DE  I.A  MARINE   FRANÇAISE. 

suprématie  maritime  de  notre  rivale.  Cependant  )a  guerre 
de  l'indépendance  américaine,  qui  nous  permit,  vingt 
ans  plus  lard,  de  prendre  notre  revanche,  fut  la  consé- 
quence des  succès  remportés  par  nos  adversaires  pen- 
dant la  campagne  de  1756.  Les  Anglais,  poursuivis  de- 
puis longtemps  par  le  désir  de  rester  seuls  maîtres  de  la 
partie  septentrionale  du  continent  américain,  avaient 
saisi  le  moment  où  l'état  de  notre  marine  nous  interdi- 
sait toute  lutte  sérieuse  pour  nous  attaquer.  Ils  avaient 
atteint  le  but  qu'ils  s'étaient  proposé;  mais,  dès  le  len- 
demain de  leur  victoire,  ils  rencontrèrent  des  dinîcultés 
qu'ils  n'avaient  pas  prévues,  quoiqu'elles  fussent  inhé- 
rentes à  leur  nouvelle  situation.  Les  colons  américains, 
descendant  pour  la  plupart  de  familles  qui  s'étaient  expa- 
triées ù  la  suite  de  persécutions  religieuses  ou  politi- 
ques, ne  pouvaient  avoir  pour  la  couronne  d'Angleterre 
un  dévouement  très-profond.  L'occupation  du  Canada 
par  les  Français  et  de  la  Floride  par  les  Espagnols  don- 
nait à  la  souveraineté  de  la  Grande-Bretagne  un  caractère 
de  nécessité  qui  s'imposait  aux  habitants.  Ceux-ci  recon- 
naissaient qu'ils  étaient  redevables  &  la  mère-patrie  de  la 
sécurité  dont  ils  jouissaient.  Aussi,  les  contestations  qui 
s'élevaient  entre  les  Anglo-Américains  et  le  gouverne- 
ment britannique,  et  ces  contestations  étaient  fréquentes, 
se  dénouaîent-cllcs  facilement.  La  cession  du  Canada  et 
de  la  Floride  modifia  cet  état  de  choses.  L'Angleterre  se 
trouva  en  présence  d'une  population  nombreuse,  éner- 
gique, établie  sur  un  sol  fécond,  et  A  laquelle  son  appui 
n'était  plus  indispensable.  Dans  les  conditions  créées  par  le 
traité  de  1763,  le  gouvernement  des  colonies  américaines 
exigeait  une  extrême  habileté  et  de  grands  ménagements. 
La  législation  qui  réglait  les  rapports  commerciaux  de 
la  Grande-Bretagne  avec  ses  colonies,  assurait  aux  négo- 
ciants de  la  métropole  des  bénéfices  excessifs.  Les  Améri- 
cains s'inclinaient  devant  l'omnipotence  que  s'était  ar- 
rogée, sur  celte  matière,  le  Parlement  anglais.  Les  perles 
qu'ils  éprouvaient  constituaient,  A  leurs  yeux,  l'équivalent 


LIVRE  I.  59 

des  impôts  payés  par  les  habitants  des  îles  britanniques 
pour  subvenir  aux  dépenses  publiques.  S'ils  ne  récla- 
maient aucun  allégement  aux  charges  qui  pesaient  sur 
eux,  ils  n'étaient  pas  disposés  à  en  supporter  de  nou- 
velles. Pendant  la   guerre,  la  Grande-Bretagne  avait 
augmenté  sa  dette  dans  une  proportion  considérable. 
Lorsque  la  paix  fut  conclue,  le  gouvernement  trouva 
équitable  de  demander  aux  colonies  de  TAmérique  quel- 
ques sacrifices,  en  échange  des  avantages  qu'elles  avaient 
retirés  du  traité  de  Paris.  En  1763,  la  Chambre  des  com- 
munes vota,  sur  la  proposition  des  ministres,  Timpôt 
du  timbre.  Cette  nouvelle  souleva,  de  l'autre  côté  de 
l'Atlantique,  de  nombreuses  protestations.  Les  assem- 
blées provinciales  déclarèrent  illégal  et  inconstitutionnel 
tout   impôt  ou   taxe    établi  par  le   Parlement  britan- 
nique, dans  lequel  les  Américains  n'avaient  pas  de  re- 
présentants. Ce  mouvement  d'opposition  fut  d'autant  plus 
marqué  que,  depuis  une  année,  les  colons,  prévenus  des 
projets   du  ministère,  se  préparaient  à  la   résistance. 
L'unanimité  avec  laquelle  le  nouvel  impôt  fut  repoussé 
par  toutes  les  classes  de  la  population,  alarma  les  mi- 
nistres. Convaincus  qu'ils  seraient  obligés  de  recourir  à 
la  force,  s'ils  voulaient  mettre  la  loi  à  exécution,  ils  en 
demandèrent,  eux-mêmes,  l'abrogation.  La  Chambre  des 
communes  y  consentit,  mais  elle  affirma  très-nettement 
sa  souveraineté  en  déclarant  «  que  les  colonies  étaient 
dans  la  dépendance  absolue  de  la  Couronne  et  du  Parle- 
ment de  la  Grande-Bretagne,  lesquels  possédaient  l'auto- 
rité nécessaire  pour  faire  des  lois  auxquelles  les  colonies 
étaient  tenues  d'obéir  dans  toutes  les  circonstances  et 
dans  tous  les  cas  possibles.  »  La  lutte  se  trouvait  ajour- 
née à  l'époque  où  l'Angleterre  croirait  le  moment  venu 
de  faire  l'application  de  ce  principe.  Deux  années  s'écou- 
lèrent, pendant  lesquelles  aucune  cause  de  dissentiment 
grave  ne  surgit  entre  les  colonies  et  la  métropole.  Dans 
le  courant  de  l'année  1767,  le  gouvernement  décida,  avec 
l'autorisation  des  Chambres,  qu'une  taxe  serait  perçue 


HISTOIRE  DE   LA  MARIXE   FRANÇAISE. 

sur  certaines  marchandises  importées  d'Angleterre  en 
Amérique,  telles  que  le  thé,  le  verre,  le  papier,  le  plomb, 
le  carton  et  les  couleurs.  Celle  disposilion  fut  très-mat 
accueillie  par  les  colons  qui  ne  pouvaient  voir  dans  les 
nouvelles  taxes  qu'un  impùt  déguisé.  D'un  commun  ac- 
cord, ils  résolurent  do  ne  plus  faire  usage  des  marchan* 
dises  dont  l'eutrée  était  frappée  d'un  droit.  Sur  la  pro- 
position de  lord  Norlli,  devenu  premier  ministre  en  1770, 
le  Parlement  supprima  toutes  les  taxes,  sauf  celle  qui 
avait  été  mise  sur  le  thé.  C'était  une  illusion  de  croire 
que  celle  concession  ramènerait  le  calme  dans  les  esprits. 
Kn  laissant  subsister  la  taxe  sur  le  thé,  le  ministre  main- 
tenait intact  le  droit,  pour  la  Couronne  et  le  Parlement, 
d'établir  des  impôts.  Or,  c'élail  contre  ce  droit  que  S'éle- 
vaient les  Américains,  quelque  nom  qu'il  prit  et  Bous 
quelque  forme  qu'il  se  présentdt. 

L'assemblée  de  Virginie  délibéranl,  en  1765,  sur  l'impôt 
du  timbre,  avait  adopté,  sur  la  proposition  de  JcfTerson, 
qui  fut  plus  tard  président  de  la  république,  la  résolution 
suivante  :  «  Celle  assemblée  possède  seule  l'autorité  né- 
cessaire pour  établir  des  impôts  dans  cette  colonie.  L'ne 
personne  ou  un  corps  quelconque,  autre  que  ladite  as- 
semblée générale,  qui  tenterait  d'e-\ercer  ce  pouvoir, 
violerait  &  la  fois  les  libertés  britanniques  et  les  libertés 
américaines.  »  Celte  résolution  exprimait  Pidélement  l'opi- 
nion de  la  grande  majorité  du  peuple  américain  daos  la 
question  imprudemment  soulevée  par  l'Angleterre.  Soit 
que  les  colons  eussent  fait  A  l'amour  de  l'indépendaDce 
le  sacrifice  de  leurs  habitudes,  soit  que  les  contrebandiers 
eussent  introduit  le  thé  nécessaire  ik  la  consommation,  la 
nouvelle  luxe  ne  rapporta  rien  au  trésor.  Le  gouverne- 
ment dissimula  son  mécuntentcmcnt.ct  quelques  années 
s'écoulèrent  pendant  lesquelles  la  tranquillité  ne  fut  pas 
troublée.  En  1773,  l'arrivée  à  Boston  de  trois  bâtiments 
chargés  de  thé  fit  éclater  une  émeute  dans  la  ville.  La 
foule  se  porta  &  bord  de  ce^  trois  bâtiments,  dont  les  car- 
gaisons furent  jetées  à  la  mer. 


LIVRE  I.  61 

Depuis  le  début  de  la  crise  dont  nous  venons  de  tracer 
le  rapide  tableau,  les  ministres  de  la  Grande-Bretagne 
s'étaient  montrés  inférieurs  à  leur  tâche.  Reculant  devant 
remploi  de  la  force  pour  triompher  de  la  résistance  des 
Américains,  manquant  de  sincérité  et  de  franchise  lors- 
qu'ils faisaient  des  concessions,  ils  n'avaient  su  être,  à 
propos,  ni  énergiques,  ni  conciliants.  Par  son  peu  de 
clairvoyance,  le  gouvernement  de  la  Grande-Bretagne 
avait  conduit,  lui-même,  les  choses  au  point  où  elles 
étaient  arrivées.  En  apprenant  ce  qui  s'était  passé  à  Bos- 
ton, la  Couronne  et  le  Parlement  encouragés,  il  faut  le 
dire,  par  l'opinion  générale,  se  disposèrent  à  agir  avec 
vigueur.  Il  fut  défendu  de  charger  ou  de  décharger  des 
marchandises  sur  les  quais  de  la  ville  de  Boston.  Le  port 
fut  fermé,  et  la  douane  reçut  Tordre  de  se  rendre  à  Sa- 
lem. On  suspendit  la  charte  de  TÉtat  de  Massachussetts 
(Boston  est  la  capitale  de  cet  État),  et  tous  les  pouvoirs 
passèrent  entre  les  mains  du  représentant  de  l'autorité 
royale.  Enfin,  des  troupes,  commandées  par  le  général 
Gage,  furent  chargées  d'assurer  l'exécution  de  ces  me- 
sures. L'ensemble  de  la  population  américaine  n'avait 
pas  encore  envisagé,  d'une  manière  sérieuse,  la  possibi- 
lité de  rompre  le  lien  qui  attachait  les  colonies  à  la  mé- 
tropole. Les  décisions  du  Parlement  britannique  pous- 
sèrent les  esprits  dans  cette  voie.  Il  ne  restait  plus  aux 
Américains  que  le  choix  entre  deux  partis,  celui  de  la 
résistance  armée  ou  de  la  soumission  la  plus  entière.  Si 
les  ministres  pouvaient  impunément  supprimer  la  charte 
de  l'État  de  Massachussetts,  ce  n'était  plus  seulement  leur 
argent,  mais  leur  liberté  qui  était  menacée.  Un  congrès, 
composé  de  députés  nommés  par  les  différents  États,  se 
réunit  à  Philadelphie  dans  le  mois  de  septembre  1774. 
Cette  assemblée,  après  avoir  protesté  contre  l'illégalité 
du  traitement  infligé  à  la  ville  de  Boston  et  à  l'État  de 
Massachussetts,  déclara  qu'il  était  du  devoir  des  citoyens 
américains  de  repousser  la  force  par  la  force.  Ces  conseils 
furent  entendus,  et  les  milices  provinciales  prirent  les 


IIISTÙIRE  DE  LA  MARINE  FRANC-AISE. 
armes.  La  première  rencontre  des  troupes  royales  avec  les 
insurgés  eut  Heu  le  19  avril  1775.  11  existait  à  Concon), 
petite  ville  située  4  vingt  milles  de  Boston,  un  dépôt  de 
munitions  et  d'approvisionnements  militaires.  Un  détache- 
ment, expédié  par  le  général  Gage  pour  le  détruire,  ren- 
trait, après  avoir  accompli  sa  mission,  lorsju'il  fut  atta- 
qué près  du  bourg  de  Lexington.  Les  Anglais,  harcelés  pur 
leurs  adversaires  jusque  sous  les  murs  de  la  ville  de  Bos- 
ton, firent  des  pertes  très-sérieuses.  Le  k  juillet  1776,  le 
congrès  déclara  solennellement  l'indépendance  des  colo- 
nies anglo-américaines.  Les  treize  États  dont  les  noms 
suivent  :  New-Hampshire,  Massachussetls-bay,  Bhode- 
Island,  Conneclicul,  New-York,  New-Jersey,  Pensylvanie, 
Delaware,  Marytand,  A'irgiiiic,  la  Caroline  septentrionale, 
la  Caroline  méridionale  et  la  Géorgie  formèrent  une  con- 
fédération qui  prit  le  nom  d'Ëtats-Unis  d'Amérique. 


H 


Le  duc  de  Choiseul,  qui  avait  pris  le  portefeuille  de  la 
marine  à  In  place  de  Berryer,  en  1761,  avait,  au  plus 
haut  degré,  le  sentiment  de  l'honneur  national.  S'il  avait 
négocié,  de  concert  avec  son  cousin  le  comte  deChoiseul- 
Praslin,  alors  ministre  des  alTaires  étrangères,  le  traiUi 
de  1763,  c'était  avec  l'espoir  que  la  France,  mieux  gou- 
vernée, serait,  un  jour,  en  mesure  de  venger  l'humilia- 
tion qu'elle  était  contrainte  de  subir.  La  pai\  était  à  peine 
conclue,  qu'il  travaillait  avec  ardeur  à  relever  la  marine 
de  son  abaissement.  Le  moment  était  favorable  pour 
tenter  encore  une  fois  de  rétablir  noire  puissance  navale. 
Le  commerce  maritime  avait  pris,  depuis  lo  commcnec- 
ment  du  dix-huitième  siècle,  un  très-grand  développe- 
ment. La  perte  des  colonies  cédées  &  l'Angleterre,  en 
verlu  du  Iraité  de  Paris,  avait  porté  atteinte  k  de  nom- 
breux întérèls.  Une  réaction  très-marquée  kc  produisit  en 
faveur  de  la  marine  militaire,  dont  le  pays,  éclairé  par 


LIVRE  I.  63 

les  événements,  comprit  mieux  la  nécessité.  Déjà, 
en  1762,  dans  un  élan  de  patriotisme,  la  ville  de  Paris, 
les  États  du  Languedoc ,  de  Bourgogne ,  des  Flandres  et 
de  TArtois,  le  parlement  et  la  ville  de  Bordeaux,  l'armée, 
l'ordre  du  Saint-Esprit,  la  corporation  des  marchands 
de  Paris,  le  commerce  de  Marseille,  les  receveurs  et  fer- 
miers  généraux  avaient  fait  don  à  l'Etat  des  fonds  néces- 
saires à  la  construction  de  quinze  vaisseaux  de  ligne  ^ 
Le  duc  de  Choiseul,  qui  était,  sinon  le  premier  ministre, 
du  moins  le  personnage  principal  du  cabinet,  fit  accorder 
au  département  de  la  marine  les  crédits  nécessaires  pour 
pousser  les  constructions  et  remplir  nos  magasins. 
En  1766,  il  échangea,  avec  son  cousin,  le  duc  de  Choiseul- 
Praslin,  le  département  de  la  marine  contre  celui  des 
affaires  étrangères.  Le  nouveau  ministre  apporta,  dans 
la  direction  des  affaires  maritimes,  le  même  zèle  et  la 
même  ardeur  que  son  parent.  Lorsqu'à  la  fin  de  1770, 
une  disgrâce  imméritée  et  due  à  d'indignes  motirs  les 
enleva  tous  deux  à  l'œuvre  patriotique  qu'ils  poursui- 
vaient, la  France  possédait  soixante-quatre  vaisseaux  de 
ligne,  cinquante  frégates  ou  grosses  corvettes,  et  cin- 
quanle  bâtiments  d'un  rang  inférieur.  Le  port  de  Lorient 
et  le  matériel  de  la  compagnie  des  Indes  étaient  devenus 
la  propriété  de  l'État.  Aussi  longtemps  qu'il  garda  le 
pouvoir,  le  duc  de  Choiseul  suivit  avec  la  plus  grande 
attention  ce  qui  se  passait  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique. 
11  prévoyait  l'insurrection  des  colonies  anglaises,  et  il 
était  convaincu  que  cet  événement  fournirait  à  la  France 
l'occasion  de  réparer  les  malheurs  de  la  dernière  guerre. 
M.  de  Vergennes,  devenu,  en  1774,  ministre  des  affaires 
étrangères,  envoya  en  Amérique  un  agent  chargé,  quoi- 
qu'il n'eût  aucun  caractère  officiel,  d'entrer  en  relations 
avec  les  membres  les  plus  importants  du  congrès.  A  la 
fin  de  l'année  1775,  les  colons  adressèrent  à  la  France, 


1.  Od  retrouvera  ces  vaisseaux  dans  les  escadres  de  la  guerre  de  l*indé> 
peodance  américaine. 


64  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

par  rintermédiaire  de  cet  agent,  une  demande  de  secours. 
Louis  XVI  était  très-indécis  relativement  à  la  ligne  de 
conduite  que  son  gouvernement  devait  adopter.  Turgot, 
qui  était  alors  ministre  des  finances,  insistait,  dans  le 
conseil,  pour  que  la  France  observât  la  plus  stricte  neu- 
tralité. Il  regardait  comme  utile  à  nos  intérêts  que  l'An- 
gleterre triomphât  de  la  résistance  des  insurgés.  Si  les 
colonies  sortaient  épuisées  de  la  lutte,  elles  ne  pour- 
raient, pendant  un  temps  assez  long,  fournir  aucun  se- 
cours à  la  métropole.  Dans  le  cas  où,  après  leur  soumis- 
sion, elles  conserveraient  quelque  vigueur,  les  Anglais, 
craignant  un  nouveau  soulèvement,  maintiendraient  en 
Amérique  des  forces  considérables.  Dans  Tune  et  Tautre 
hypothèse,  la  puissance  britannique  serait  amoindrie, 
sans  que  ce  résultat  nous  eût  coûté  aucun  sacrilice.  «  En 
parcourant  avec  M.  le  comte  de  Yergennes,  disait  Turgol 
dans  un  mémoire  portant  la  date  du  mois  d'avril  1776, 
les  différentes  manières  dont  on  peut  supposer  que  se 
terminera  la  querelle  de  l'Angleterre  avec  ses  colonies,  il 
m'a  paru  que  l'événement  le  plus  désirable,  pour  l'in- 
térêt des  deux  Couronnes,  serait  que  l'Angleterre  sur- 
montât la  résistance  de  ses  colonies,  et  les  forçât  à  se 
soumettre  à  son  joug*.  Le  ministre  des  affaires  élran- 


1.  Ce  mémoire  esl  intitulé  :  Rr flexions  rviliijces  ù  ioccaaion  tlu  mémoirt 
remis  par  M.  le  comte  de  Vergennes  sur  la  manière  dont  la  France  et 
CEspagne  doivent  envisager  les  suites  de  la  querelle  contre  la  Grande^ 
Bretagne  et  ses  citlonies.  \jx  ^ituation  embarrassée  de  nos  liiiancet;  î»e 
trouve  clairement  indiquée  dans  un  {>as>age  du  même  mémoire.  Les  ren- 
seignemeuls  très-|»récis  qu'il  contient  ont  non-seulemenl  |K»ur  I  histoire  de 
celte  jruerre.  mais  pour  les  événements  suL»>é«{uents,  une  imporlance  par- 
tieulièrt\  C'est  |Htun]uoi  nous  le  tran>crivons  ci-apn-s  :  «  Le  hoi.  di>ait  Tur- 
^<»t.  connaît  la  situation  de  ses  linances.  11  sait  que.  malgré  les  économies 
et  les  améliorations  déjà  faites  depuis  le  commencement  de  son  rèjme,  il  y 
a  eiilre  la  recette  »'t  la  dep^Mise  une  ditTereuce  de  20  millions  dont  la  dépense 
evrt'de  A  la  vérité,  dans  la  dépense,  sont  compris  les  remtK>un»ements 
awiirnes.  mais  auxquels  le  Itoi  ne  peut  maiK{uer  sans  altérer  la  foi  publique 
et  le  cn^lic.  H  n  >  a  que  trois  moyens  de  remplir  ce  delicil  :  une  augtnenta- 
tion  d  imjNJIs  une  tK-m'iiierctute  (dus  ou  moins  forte,  plus  ou  moins  de?ui>ée, 
et  une  CK'onouiie  considérable  soil  dans  les  dépenses,  soit  dans  les  fniis  de 
|erce,>lion  la  l>.»nlo  du  lloi,  sa  justice,  le  soin  ae  sa  gUnn?  lui  ont  (ait.  dés 


LIVRE  I.  65 

gères  était  loin  de  partager  l'opinion  de  Turgot.  11  n'ad- 
mettait pas  que  la  France  restât  simple  spectatrice  des 
troubles  qui  agitaient  les  colonies  anglaises,  et  négligeât 
roccasion  qui  se  présentait  d'affaiblir  sa  rivale.  M.  de 
Yergennes  estimait  qu'il  fallait  de  grandes  illusions  pour 
croire  à  la  possibilité  de  conserver  la  paix.  Si  la  guerre 
était  certaine,  il  était  d'une  bonne  politique  de  nous  assu- 
rer, à  l'avance,  des  alliés.  Une  rupture  avec  l'Angleterre 
lui  semblant  prématurée,  il  était  d'avis  que  le  cabinet  de 
Versailles  continuât  à  vivre  en  bonne  intelligence  avec  la 
cour  de  Londres.  D'autre  part,  il  proposait  de  donner  des 
encouragements  aux  insurgés  et  de  leur  faire  passer  se- 
crètement des  secours.  Si  la  situation  venait  à  se  modi- 
fier, le  gouvernement  français  conformerait  sa  conduite 
aux  événements.  Les  idées  de  M.  de  Yergennes  prévalu- 
rent dans  le  conseil,  et  le  Roi  leur  donna  son  approbation. 
La  franchise  et  la  sincérité  sont  aussi  nécessaires  dans  les 
relations  internationales  que  dans  les  rapports  entre  les 
personnes.  Aussi  doit-on  désapprouver  les  moyens  dont 
M.  de  Yergennes  recommandait  l'emploi.  Mais  il  est  utile 
de  faire  remarquer  (juc  les  Anglais   n'avaient,  sur  ce 

le  premier  luomenl,  rejeter  le  moyen  de  la  banqueroute  en  tout  temps  et 
celui  d'une  augmentation  d'impôt  pendant  la  paix.  ïa  voie  de  l'économie 
est  possible-;  il  ne  faut  pour  cela  qu'une  volonté  ferme.  La  première  éco- 
nomie doit   être  celle  des  dé|>enscs,  parce  qu'elle  seule  peut  fonder  la 
cuntiancc  du  public,  et  parce  que  la  confiance  du  public  est  nécessaire  pour 
trouver  à  gagner  dans  la  partie  des  finances  en  remboursant  des  engage- 
ments trop  onéreux,  ce  qui  ne  se  peut  faire  qu'en  empruntant  à  des  deniers 
plus  avantageux.  En  même  temps  que  le  Roi  a  trouvé  ses  finances  obérées  et 
en  désordre,  il  a  trouvé  son  militaire  et  sa  marine  dans  un  état  de  faiblesse 
qu'on  aurait  eu  peine  à  imaginer.  Tour  les  rétablir  et  rendre  îi  la  Franco  le 
degré  de  force  et  de  considération  qu'elle  doit  avoir,  il  faut  que  le  lioi  dé- 
pense, lorsque  Tétat  de  ses  finances  lui  prescrit  d'épargner.  Notre  état, 
néanmoins,  n'est  pas  tellement  désespéré  que,  s'il  fallait  absolument  soutenir 
une  guerre,  on  ne  trouvât  des  ressources,  surtout  si  c'était  avec  une  proba- 
bilité de  succès  qui  pussent  en  abréger  la  durée.  Mais  au  moins  faut-il 
avouer  qu'on  doit  l'éviter  comme  le  plus  grand  des  mallieurs,  puisqu'elle 
rendrait  im|>ossiblc,  pour  bien  longtemps  et  peut-être  pour  toujours,  une 
réforme  absolument  nécessaire  à  la  prospérité  de  l'État  et  au  soulagement 
des  peuples.  En  faisant  un  usage  prématuré  de  nos  forces,  nous  risquerions 
d'éteiTiiser  notre  faiblesse.  » 

5 


66  HISTOIRE  DE  LA  MAKINE  FRANÇAISE. 

point,  aucun  reproche  à  nous  adresser.  En  juin  1755, 
Tamiral  Boscawen  attaquait,  avec  des  forces  supérieures, 
Tescadre  de  Tamiral  Dubois  de  la  Motte  et  lui  prenait  deux 
vaisseaux  de  soixante-quatre,  le  Lys  et  VA  Icide.  Au  même 
moment,  les  croiseurs  britanniques  et  les  corsaires  en- 
levaient  deux  cent  cinquante  navires  marchands.  Pen- 
dant que  ces  faits  s'accomplissaient,  la  cour  de  Londres 
semblait  prendre  au  sérieux  les  négociations  entamées 
avec  le  cabinet  de  Versailles  pour  arriver  à  un  arran- 
gement amiable  des  difficultés  survenues  entre  les -gou- 
verneurs des  colonies  anglaises  et  françaises  dans  l'Amé- 
rique septentrionale.  La  république  de  Gênes  avait  cédé 
à  la  France,  en  1768,  Tlle  de  Corse  dont  nous  occupions 
les  parties  principales  depuis  1764.  L'Angleterre  ne  s'était 
pas  opposée  à  l'exécution  de  notre  traité  avec  la  Répu- 
blique, mais  elle  avait  fourni  de  l'argent  et  des  armes 
au  général  Paoli  ({ui  refusait  de  reconnaître  notre  sou- 
veraineté. Enfin,  nous  savions  que  des  démarches  trës- 
actives  étaient  faites  pour  amener  une  entente  entre  l'An- 
gleterre et  l'Amérique.  Les  deux  pays  se  seraient  unis 
pour  nous  faire  la  guerre,  et  l'indépendance  des  colonies 
américaines  eût  été  le  prix  de  celle  alliance.  Ce  |)rojel 
était  soutenu  à  Londres  par  des  [)ersonnages  poUti<iues 
jouissant,  de  l'un  et  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  d'une 
grande  influence. 

Après  la  déclaration  solennelle  du  4  juillet  1776,  le  con- 
grès avait  décidé  Tenvoi,  dans  (|uel(|ues-unes  des  cours 
de  l'Europe,  de  commissaires  chargés  de  plaider  la  cause 
des  Élals-Unis.  Le  célèbre  Franklin,  messieurs  Silas 
Deane  et  Lee,  désignés  pour  se  rendre  on  France,  trouvè- 
rent, à  Paris,  un  très-bon  accueil.  M.  de  Yergennes  ne  les 
reçut  pas  oHiciellemenl,  mais  il  entra  immédiatement  en 
relation  avec  eux. 

Le  cabinet  de  Versailles  ne  trouvait  pa^  que  le  moment 
fiU  venu  de  se  départir  de  la  ligne  de  con<luile  qu'il 
avait  adoptée.  Il  faisait  parvenir,  par  la  voie  du  commerce, 
des  armes,  des  munitions  et  de  l'argent  aux  insurgés. 


LIVRE  I.  67 

Dans  nos  ports,  les  Tonctionnaires  de  la  douane  fermaient 
les  yeux  sur  les  envois  d'objets  de  matériel  de  guerre 
faits  par  nos  négociants,  pour  leur  propre  compte  ou 
pour  celui  des  insurgés.  Nous  devons  nous  empresser 
d'ajouter  que  la  cour  de  Londres,  malgré  les  défenses  les 
plus  formelles,  ne  pouvait  empêcher  les  armateurs  an- 
glais de  faire  le  même  genre  d'opérations.  La  catastrophe 
(lu  général  Burgoyne',  battu  à  Saratoga,  le? octobre  1777, 
et  réduit,  quelques  jours  après,  à  mettre  bas  les  armes, 
précipita  les  événements.  Toutes  les  puissances  de  l'Eu- 
rope crurent  au  triomphe  de  l'insurrection  américaine. 
Dans  le  sein  du  parlement  britannique,  des  voix  s'élevè- 
rent pour  conjurer  le  gouvernement  de  ne  pas  poursuivre 
une  lutte  pleine  de  périls.  Franklin  et  ses  collègues,  sai- 
sissant avec  ^habileté  le  moment  favorable,  insistèrent 
auprès  de  M.  de  Yergennes  pour  obtenir  une  réponse  ca- 
t^orique  aux  demandes  de  secours  qu'ils   lui  avaient 
adressées.  Le  cabinet  de  Versailles,  quel  que  fût  son  dé- 
sir de  temporiser,  ne  pouvait  échapper  à  la  nécessité  de 
prendre  un  'parti.  La  cause  des  États-Unis  avait  excité 
dans  tous  les  rangs  de  la  société  française  un  enthou- 
siasme très-sincère.  La  nation  avail,  en  outre,  le  pressen- 
Ument  que  l'insurrection  des  colonies  anglaises  lui  per 
inellrait  de  déchirer  les  traités  de  1763  dont  elle  gardait 
'c  plus  amer  souvenir.  Le  gouvernement  pouvait  difficile- 
ment résister  à  ce  double  courant  d'opinion.  Le  Roi,  qui 
éprouvait  une  très-grande  hésitation  à  s'engager  dans 
celle  guerre,  surmonta  ses  derniers  scrupules  et  il  auto- 
^^^  son  ministre  des  affaires  étrangères  à  entamer  des 
"^^ociations  avec  les  envoyés  du  congrès.  Le  6  février  1 778, 
^û  traité  de  commerce  et  d'amitié  fut  conclu,  à  Paris, 
^"Jtre  les  États-Unis  et  la  France.  Cet  acte  diplomatique 
instituait,  de  la  part  du  cabinet  de  Versailles,  la  recon- 
'^^issance  implicite  de  l'indépendance  américaine.  Il  n'é- 

1-  Le  désastre  de  Burgoyne  à  Saratoga  fut  connu^  à  Paris,  dans  les  pre^ 
^•crs  jours  de  décembre. 


68  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

lait  pas  douteux  que  la  guerre  avec  TAnglelerre  ne  fût  la 
conséquence  de  notre  conduite.  En  prévision  de  cet  évé- 
nement, les  plénipotentiaires  français  et  américains  signè- 
rent un  second  traité  qui  fut  tenu  provisoirement  secret. 
ce  Sa  majesté  très-chrétienne  et  les  États-Unis  d'Amérique, 
était-il  dit  dans  le  préambule,  ayant  conclu  aujourd'hui 
un  traité  d'amitié  et  de  commerce,  pour  l'avantage  réci- 
proque de  leurs  sujets  et  citoyens,  ont  cru  nécessaire  de 
prendre  en  considération  les  moyens  de  raffermir  ces  en- 
gagements, et  de  les  rendre  utiles  à  la  sûreté  et  à  la  tran- 
quillité des  deux  parties,  surtout  dans  le  cas  que  la 
Grande-Bretagne,  par  ressentiment  de  cette  liaison  et  de 
bonne  correspondance,  qui  est  l'objet  du  dit  traité,  rom- 
pit la  paix  avec  la  France,  soit  par  des  hostilités  directes, 
ou  en  empêchant  son  commerce  et  sa  navigation,  d'une 
manière  contraire  au  droit  des  gens  ou  aux  traités  qui 
subsistent  entre  les  deux  couronnes  :  et  Sa  Majesté  et  les 
dits  États-Unis  ont  résolu  de  joindre  dans  ce  cas  leurs 
projets  et  leurs  efforts  contre  les  entreprises  de  leur  en- 
nemi commun*.  »  Si  cette  dernière  hypothèse  venait  à  se 
réaliser,  nous  prenions  l'engagement  de  ne  pas  poser  les 
armes  avant  que  rAnglctcrre  eût  reconnu  l'indépen- 
dance de  l'Amérique.  Après  la  conclusion  de  ces  deux 
traités,  le  Roi  reçut  Franklin  comme  le  représentant  oftî- 

1.  Nous  donnons  ci-après  les  arlicles  les  plus  inléressanls  de  ce  traité  : 

Art.  2.  ïa"  l»ul  essentiel  et  direct  de  la  présente  alliance  défensive  est  de 
maintenir  efficacement  la  liberté,  la  souveraineté  et  rindéi)endancc  absolue 
et  illimitée  des  dits  Ktats-Unis  tant  on  nature  de  gouverneiucDt  que  de 
commerce. 

Aht.  g.  Sa  majesté  très-clirélienne  renonce  pour  Jamais  à  la  possession 
<1<'S  lies  des  Itermudes,  ainsi  qu'il  celle  <raucuno  partie  du  continent  de 
rAméri«iue  septentrionale  (pii,  avant  le  trailé,  a  été  reconnue  comme  appar- 
tenant à  la  (N>uronne  iU*.  la  (îrande-llretairne  ou  aux  Ktals  l'nis,  ci-devant 
upiH^lés  colonie»  britanniques  ou  <{ui  est  à  présent  ou  a  été  récemment  sous 
le  |»ouvoir  du  Itoi  et  de  la  (^oun>rmt>  de  la  (irande-Hrelaf^ne. 

Aht.  8.  Aucune  des  deux  parties  ne  conclura  ni  i>aix  ni  trévo  avec  la 
(irandc-hreta^no  sans  en  avoir  obtenu  au  préalable  le  consentement  formel 
dt*  l'autre,  et  i-lles  sVnga^ent  nmtuellement  à  ne  pas  mettre  t>as  les  armes 
u\'aut  <|U('  l'indépendance  de>  Ltats-tnis  ne  soit  assurée  formellement  on 
tacitement,  par  le  traité  ou  les  traités  qui  termineront  la  guerre. 


LIVRE  I.  69 

ciel  des  États-Unis.  Sans  attendre  les  demandes  d'expli- 
cations de  l'Angleterre,  le  gouvernement  français  or- 
donna au  marquis  de  Noailles,  notre  ambassadeur  auprès 
du  Roi  George,  de  notifier  au  cabinet  de  Saint-James  le 
traité  de  commerce  et  d'amitié  conclu  le  6  février  1778. 
La  cour  de  Londres,  ainsi  qu'on  devait  le  supposer,  ré- 
pondit à  cette  communication  par  le  rappel  de  son  am- 
bassadeur. Quoique  décidée,  dès  ce  jour,  à  nous  faire  la 
guerre,  l'Angleterre  dissimula  son  ressentiment.  Avant  de 
pousser  les  choses  plus  loin,  elle  voulut  assurer  la  ren- 
trée de  ses  flottes  marchandes.  Le  personnel  qui  les  mon- 
tait lui  était  nécessaire  pour  former  les  équipages  des 
nombreux  bâtiments  qu^)lle  possédait  dans  ses  arsenaux. 
Deux  escadres  furent  armées,  l'une,  &  Portsmouth,  à  la 
tète  de  laquelle  fut  placé  l'amiral  Keppel,  et  l'autre,  & 
Plymouth,  sous  le  commandement  de    l'amiral  Byron. 
L'ordre  fut  envoyé  dans  l'Inde,  par  la  voie  de  Suez,  de 
nous  attaquer  sans  délai.  Ces  dispositions  prises,  le  ca- 
binet de  Saint-James  résolut  d'attendre  le  moment  qui  lui 
semblerait  le  plus  favorable  pour  commencer  les  hostili- 
tés en  Europe. 

Depuis  le  conunencement  de  cette  crise,  nous  n'avions 
pas  augmenté  d'une  manière  sensible  les  forces  que  nous 
entretenions  pendant  la  paix.  L'attitude  menaçante  de 
l'Angleterre,  après  le  rappel  de  son  ambassadeur,  modifia 
les  allures  circonspectes  de  notre  gouvernement.  Outre 
les  frégates  ou  autres  bâtiments  d'un  rang  inférieur  des- 
tinés à  protéger  notre  commerce,  le  ministère  fit  préparer 
deux  escadres,  l'une  à  Toulon,  sous  les  ordres  du  lieute- 
nant général  d'Estaing,  l'autre  à  Brest,  commandée  par  le 
lieutenant  général  d'Orvilliers.  Quelques  troupes,  des  vi- 
vres et  du  matériel  furent  expédiés  dans  les  colonies.  Le 
13  avril  1778,  le  comte  d'Estaing  mit  à  la  voile  avec  les 
vaisseaux  le  Languedoc  de  quatre-vingt-dix,  le  Tonnant 
de  quatre-vingts,  le  César  ^  V  Hector  y  le  Zété^  le  Guerrier , 
kMarseillais  et  le  Protecteur ^  de  soixante-quatorze,  le  Vail- 
lant^ la  Provence  et  le  Fantasque^  de  soixante-quatre,  et  le 


70  HISTOIRE  DK  l.A  MARlNtl  FRANi.:AISE. 

Haffillaire  de  cinquante.  Cch  bAlimisnU  étaient  comnian- 
dés  pur  IcB  capitaines  de  vaisseau  de  Boulainvilliers,  de 
Bruyères,  do  Itaymondis.dc  Burras  Saint-Laurent,  Moriès- 
CastcIlet,deBougainïille,Lapoypc-Verlrieux,d'Apchon,dc 
Clinbert,  de  Champorcin,  commandeur  de  Suffren  et  d'Al- 
bert de  Rions.  Les  chefs  d'escadre  de  Broves  et  de  Breu- 
gnon avaient  leur  pavillon  sur  les  vaisseaux  le  César  et  le 
7'untiant,elle  lieutenant  général  d'Estaing  montait  le  Lau- 
^çuei^r.  Le  gouvernement  français  avait  fait  r<^pandre,  à 
dessein,  le  bruit  que  cette  escadre  se  rendait  h  Brest.  En 
réalité,  elle  faisait  route  vers  les  côtes  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale. M.  Gérard,  nommé  minisire  plénipotentiaire 
de  la  cour  de  France  près  le  congrès  des  Etats-Unis,  et  un 
des  envoyés  américains,  Si  las  Deane,  avaientpris  passage 
sur  le  vaisseau  amiral.  Chacun  d'eux  avait  dissimulé  son 
nom  et  sa  qualité.  Jusqu'au  moment  où  toute  communi- 
cation avec  la  terre  avait  été  interrompue.  Nous  savions 
que  les  Anglais  avaient,  sur  les  eâtes  de  l'Amérique  sep- 
ienlrionale,  douze  vaisseaux,  six  de  soixante-quatre  et 
six  de  cinquante.  L'amiral  Howe  était  mouillé,  avec  nenf 
vaisseaux,  à  l'embouchure  de  la  Delawure.  On  espérait, 
à  Paris,  que  d'Estaing  surprendrait  cette  escadre  et  la  dé- 
truirait.  Dans  cette  hypothèse,  le  général  Clinton,  qdij 
occupait  Philadelphie,  pris  entre  la  flotte  française  ti' 
l'armée  américaine,  eùl  été  forcé  de  capituler.  Si,  à  notre 
arrivée  sur  les  câtes  d'Amérique,  les  Anglais  n'étaient 
plus  &  l'embouchure  de  la  Delawaro,  il  était  prescrit  au 
comlc  d'Estaing  de  les  attaquer  partout  oii  il  pourrait  le 
faire  avec  avantage.  Le  gouvernement  laissait  &  cet  ol 
cîer  général  une  très-grande  liberté  d'action,  mais  il 
tendait  qu'il  profitât  de  sa  supériorité  pour  tenter  qt 
que  entreprise  glorieuse  pour  nos  armes  et  utile  A 
alliés.  Dans  le  cas  où  l'amiral  Howe  recevrait  des  renfc 
assez  considérables  pour  nous  placer  dans  une  positii 
d'iofériorité  marquée,  nous  devions  nous  retirer  & 
ton,  et,  de  là,  faire  roule  pour  lu  mer  des  Antilles. 
Le  cabinet  de  Vrrsaillew    fuisait   d'at'livtrs  démai 


4 


LIVRE  I.  71 

pour  amener  la  cour  de  Madrid  à  conclure  avec  la  France 
un  traité  d'alliance  offensive  et  défensive.  Louis  XVI,  joi- 
gnant son  action  à  celle  de  ses  ministres,  écrivit  plusieurs 
lettres  très-pressantes  au  Roi  Charles  III  pour  le  décider 
à  suivre  noire  politique.  Il  semblait  naturel  que  l'Espa- 
gne profitât  du  conflit  anglo-américain  pour  réparer  les 
perles  qu'elle  avait  faites  pendanl  la  dernière  guerre. 
Mais  cette  puissance,  maîtresse  de  vastes  territoires  situés 
hors  d'Europe,  voyait  avec  plus  d'inquiétude  que  de  satis- 
faction le  soulèvement  des  colonies  anglaises.  Quoiqu'elle 
eût  à  l'affaiblissement  de  l'empire  britannique  un  intérêt 
particulier,  elle  jugeait  impolitique  de  poursuivre  ce  but 
en  faisant  cause  commune  avec  des  rebelles.  Elle  voulut 
s'interposer  entre  la  France  et  l'Angleterre,  mais  le  cabi- 
net de  Sainl-James  ayanl  posé  comme  condition  préalable 
à  toute  négociation  le  retrait  de  la  note  du  13  mars^,  la 
bonne  volonté  de  l'Espagne  demeura  sans  résultat.  Pen- 
dant que  les  trois  puissances  faisaient  entre  elles  un 
échange  inutile  de  notes  diplomatiques,  nos  relations 
avec  l'Angleterre  annonçaient  une  rupture  très-prochaine. 
De  nombreuses  plaintes  s'élevaient,  dans  nos  ports  de 
commerce,  contre  les  procédés  de  la  marine  britannique. 
Des  navires  marchands,  arrêtés  contrairement  au  droit 
des  gens,  avaient  été  conduits  dans  les  ports  anglais,  et 
nous  en  réclamions  en  vain  la  restitution.  Nos  officiers 
rencontraient,  chaque  jour,  sur  nos  côtes  ou  dans  la  Man- 
che, des  bâtiments  de  guerre  anglais.  Lorsque  les  croi- 
seurs des  deux  nations  passaient  à  petite  distance  les  uns 
des  autres,  les  équipages  étaient  à  leurs  postes  de  combat 
et  prêts  à  commencer  le  feu*.  L'Angleterre  se  chargea  de 
dénouer  cette  situation. 

1.  C'était  après  la  remise  de  cette  note  par  le  marquis  de  Noailles  que 
TAngleterre  avait  rappelé  son  ambassadeur. 

2.  Ce  qui  suit  donnera  une  idée  exacte  des  relations  des  deux  marines. 
La  Pérouse,  alors  lieutenant  de  vaisseau,  étant  en  croisière  dans  la  Manche 
arec  une  corvette  qu'il  commandait,  fut  chassé  par  quatre  bâtiments.  Il 
continua  sa  route,  ainsi  que  le  lui  prescrivaient  ses  instructions.  Quelques 
heures  après,  il  fut  joint  par  deux  corvettes  et  deux  sloops.  Une  des  cor- 


Les  frégates  la  Belle-Poule  et  la  Licoitie,  la  corvette 
Vllirnnilclle  et  le  lougre  le  Catirenr  sortirent  de  Brest,  le 
15  juin  1778.  Ces  bAliments,  placés  sous  les  ordres  du  ca- 
pitaine de  la  Belle-Poule,  le  lieutenant  de  vaisseau 
Cliadeuu  de  la  Cloclieterie,  étaient  cnvoyt^s  en  croisîfcrc, 
à  l'entrée  de  la  Manche.  Le  17,  dans  la  matinée,  cette  di- 
vision courait,  les  amures  A  bAbord,  avec  une  brise 
d'ouest-sud-ouest,  lorsqu'elle  se  trouva  en  vue  d'une 
escadre  anglaise.  Quoique  la  guerre  ne  fAt  pas  déclarée, 
M.  de  la  Ciocheterie  crut  prudent  de  prendre  la  bordée 
qui  le  conduisait  sur  Ouessant.  Les  Anglais  suivaient 
la  même  roule,  et  quelques-uns  de  leurs  bAtiments  se 
rapprochèrent  rapidement  des  nôtres.  Le  commandant 
de  la  division  donna  liberté  de  manœuvre  à  l'Hirondelle 
et  A  la  Licorne,  adn  de  permettre  A  ces  deux  navires  de 
s'éloigner  sous  l'allure  la  plus  favorable  A  leur  marche. 
Ayant  remarqué  qu'un  cotre  et  une  frégate  avaient  pris 
la  tète  des  chasseurs,  il  conserva  auprès  de  lui  le  lougre 
le  Coureur.  Dans  l'après-midi,  la  Licorne,  coimnandêe 
par  M.  de  Belizal,  lieutenant  do  vaisseau,  fut  jointe 
par  une  frégate  que  suivait  de  près  un  vaisseau  A  deux 
ponts.  Le  capitaine  de  la  Licorne,  informé  par  la  frégate 
anglaise  que  le  commandant  en  chef  de  l'escadre  britan- 
nique le  priait  de  passer  A  poupe  de  son  vaisseau,  se  di- 

veUei  le  lirila  el  lui  demaniln  it'ota  il  venait  cl  où  11  alJuit  :  a|irj«  avoir  dH 
qu'il  venait  de  lireat  et  qu'il  allait  b  la  uiar,  il  adrciM  lu  mfme  quMtion  k 
l'nrUrier  qui  l'avait  interpellé.  Celui-ci  rd|)onilil  qu'il  venait  dt>  PlyniouUi, 
pui«  Im  b&timents  anglais  s'éloigntrenl.  •  Kuus  avionn  Tait,  ajoute  La  P*- 
rouw!  duia  soD  rapport,  nos  dispositions  pour  le  cuniliat,  mus  noua  dow 
flme*  des  polilvssas  en  nom  quittant.  •  Lettre  de  La  Pérouse  au  minislrt 
du  2»  mare  ■';».  Ilans  la  tatt  des  Antilles,  les  fait*  avaient  plus  de  fi«*il4. 
Les  croiseurs  britanniques  poursuivaient  les  navjrvs  américains  Jusque  dan* 
les  bfties  ol  les  criques  des  Iles  rran^istss.  Lorsque  cm  fttils  «e  produtsueal 
dans  le  voisinage  d'une  lisltoric  de  cAte,  nos  cannnnieTs  ouvraient  iamé- 
diatenient  le  teu  >ur  \t»  Anglais. 


i 


LIVRE  I.  73 

rigea  sur  le  Victory^  à  bord  duquel  était  arboré  le  pa- 
villon du  vice-amiral  Keppel.  A  six  heures  el  demie  du 
soir,  la  frégate  VArethusa,  capitaine  Marshall,  était  à 
petite  distance  par  la  hanche  de  sous  le  vent  de  la  Belle- 
Poule.  Parvenu  à  portée  de  voix,  le  capitaine  anglais  in- 
vita, en  termes  polis,  rofficier  qui  commandait  la  frégate 
française  à  se  rendre  auprès  de  Tamiral  Keppel.  M.  de 
la  Clocheterie  manœuvra  tout  d'abord  pour  enlever  à 
YArethxAsa  l'avantage  de  la  position  qu'elle  avait  prise. 
Lorsqu'il  se  fut  placé  par  son  travers,  il  fit  connaître  au 
capitaine  Marshall  sa  détermination  bien  arrêtée  de  ne  pas 
s'écarter  de  sa  route.  VArethxisa  lui  ayant  envoyé  sa  bor- 
dée, il  riposta  sur-le-champ,  et  un  combat  très-vif  s'en- 
gagea entre  les  deux  b&timents,  à  la  vue  de  Tescadre 
anglaise  qui  était  encore  à  quelques  lieues  en  arrière. 
Les  deux  frégates  couraient  grand  largue,  avec  une  légère 
brise  d'ouest  qui  les  portait  sur  la  côte  de  Bretagne.  Vers 
onze  heures  et  demie,  la  mâture  et  la  voilure  de  VAre^ 
thusa  étaient  dans  le  plus  grand  désordre.  Craignant,  s'il 
tardait  davantage,  d'être  hors  d'état  de  se  retirer  du  feu, 
le  capitaine  Marshall  manœuvra  pour  rallier  son  esca- 
dre. M.  de  la  Clocheterie  ne  poursuivit  pas  ÏArethusa 
qui  l'eût  conduit  sous  la  volée  des  vaisseaux  anglais*.  11 
continua  sa  route,  et,  à  minuit,  il  mouilla  dans  l'anse  de 
Camplouis,surlacôtede  Plouescat.  L'^teW,  c'était  le  nom 
du  cotre  anglais,  et  le  lougre  français  n'étaient  pas  restés 

1.  I^  frégate  VArethusa  devait  avoir,  neuf  mois  après,  un  destin  plus 
làcheux.  ïje  10  mars  1779,  à  la  chute  du  jour  el  par  un  temps  assez  mau- 
vais, M.  de  la  Bretonnièrc,  commandant  la  frégate  VA  igrelle,  qui  se  trou  - 
Tait  trés-prés  de  l'entrée  de  Brest,  puisqu'il  était  en  dedans  des  pierres 
noires,  fut  très-surpris  de  reconnaître,  dans  un  b&timent  en  vue  à  petite 
distance,  une  frégate  ennemie  qu'il  ne  s'attendait  certainement  pas  à  ren- 
contrer là.  Après  un  engagement  assez  court,  cette  frégate  serra  le  vent  ; 
peu  après  VArethusa,  car  c'était  elle,  toucha  sur  Tlle  Molène  où  elle  fut 
promptement  détruite  par  la  mer.  L'équipage  gagna  la  terre,  à  l'exception 
de  quinze  hommes  qui  tentèrent  d'atteindre  la  côte  d'Angleterre  dans  une 
chaloupe.  VArelhiisaj  sortie  peu  de  jours  avant  des  ports  d'Angleterre,  se 
croyait  à  cinquante  lieues  au  large  d'Ouessanl.  Les  Anglais  se  plurent  à  re- 
connaître que  l'équipage  de  VArelhiisa  avait  été  traité  par  les  Français  avec 
la  plus  grande  humanité. 


HISTOIRE  LIE  LA  MARINU  FRANÇAISE. 
simples  spectateurs  de  l'engagement  des  deux  frégates. 
L'Alet't  avait  quatre-vingts  hommes  d'équipage,  douze 
canons  de  six  livres  de  balles  et  douze  perriers.  Le  Cou- 
reur n'avait  que  cinquante  matelots,  huit  canons  de  deux 
livres  de  balles,  deux  de  trois  et  six  perriers.  Le  capitaine 
du  lougre,  M.  de  Rosily,  enseigne  de  vaisseau,  n'était 
pas  disposé  à  tenir  compte  de  la  supériorité  de  son  adver- 
saire. Au  premier  coup  de  canon  tiré  par  cette  frégate,  il 
envoya  sa  volée  4  VAlert.  Après  un  engngoment  très-vif 
qui  dura  Jusqu'à  neuf  heures,  le  lougre  amena  son  pa- 
villon'. 

Le  IS  juin,  au  point  du  jour,  la  Belle-Poule  aperçut 
deux  vaisiieaux  anglais  qui  l'observaient.  Hais  les  capi' 
laines  de  ces  bâtiments,  reculant  devant  la  difliculté 
d'arriver  jusqu'à  la  frégate  française,  rejoignirent  leur 
escadre  qui  les  attendait  au  large.  La  Beltc-Pouta  entra  & 


1.  L'vlrctAutu  joignit  la  Belle-Pnulr,  et  lo  colre  ru  préienU  le  long  do 
mon  boM,  sous  le  vunL  H  n'y  a  pa*  de  vaiMsau  de  Mii\nDte-i|uaton!<-  uuMJ 
furtamenl  l^istingiic.  An  momi^nt  du  coinl>«l  on  no  pouvait  voir  un  soni 
hoiuaic.  Dîna  mon  lougre,  l'Ëpaisgoar  du  bfttiment  ii'pbI  pua  d'un  poure  «t 
demi;  je  n'avaif  ptùot  de  basUngagc,  nous  étiuns  déco uvart»  jusqu'à  ti 
boucle  du  «outier.  J'avais  buil  canons  de  deux  livres  de  balles,  deu\  de 
trois,  six  perriers,  cinquante  hommes  tout  compris.  Le  i^pilaine  me  dit  ea 
NDglaie  d'aller  trouver  l'amiral,  ^e  lis  d'sburd  MOiblanl  de  ne  pas  l'enten- 
dre; il  ms  le  Ht  répéter  en  ui&uvais  Trantiais  par  plusieurii  de  oes  gms,  Jo 
lui  dis  que  non,  et  prenant  le  porte-voix,  je  lui  dis  on  snglaii  qu'il  n'eût 
|)Oint  *  se  donner  tant  de  peine,  parce  que  j'étais  décidé  b  ne  point  <f  alUr 
et  ti  no  faire  que  te  qup  ina  frégate  ferait.  Pondant  la  conviirsalion,  à  me- 
sure que  l'un  des  deux  bltimcnls  culoït  ou  allait  de  l'avanl  de  l'autre  noua 
nuuB  suivions  avi>c  les  ranons.  VAi'clhui-ji  se  trouvant  trés-prés  en  arrièro 
de  In  BelU-l'auU  |ar-dcBsova  le  vent,  je  vis  notre  frégate  clionger  sa  route. 
M.  do  ta  Clochetcrie  voulant  apparemment  changer  la  mauvaise  poaiUoa 
ub  il  se  trouvait,  je  m'adreisai  an  capitaine  da  cotre  et  lui  dis  d'arriver 
parce  que  ma  fTé^e  le  faisait,  et  ipie,  comme  il  me  gtaait,  s'il  no  se  prê- 
tait pas  h  ma  manieuvre,  je  l'aborderais,  mettant  en  m^me  teiiipa  mon  goa- 
veriMiil  k  hire  arriver.  Les  frégates  se  Urérent  du  canon  ;  la  mitraille  même 
de  VAmhuta  tomlin  trét-prés  de  nous.  Je  tirai  aussi  ma  volée  sur  le  eotr«, 
qui  m*  ripueta  sur-le-champ.  Nous  cnntinuàines.  pendant  quelque  temps,  le 
combat  11  petite  portée  de  pistolet,  ayant  toujours  chacun  notre  hunier  sur 
le  mil.  (Je  ne  voiilaii  pas  faire  do  voila,  parce  que,  étant  «Ar  d'être  pria, 
j'avais  suivi  les  frégates  qui  rombatlai^iit  en  fnituiiil  mutr,  le  cotre  se  se- 
11  encore  trouve  \  mémo  d'oidur  XArtihiaa,  auioiti)!  ipi'il  m'aurait  en- 


LIVRE  I.  75 

Brest  au  milieu  des  acclamations  enthousiastes  de  tous 
les  bâtiments  mouillés  sur  la  rade. 

Le  capitaine  Bélizal,  qui  avait  consenti  à  faire  route  sur 
le  Viciory,  n'avait  pu  communiquer  avec  ce  vaisseau 
dans  la  journée  du  17  juin.  La  matinée  du  18  se  passa 
sans  amener  de  changement  dans  la  situation  de  la  fré- 
gate française.  Le  capitaine  Bélizal,  mécontent  de  lui- 
môme,  péniblement  affecté  du  rôle  qu'il  jouait,  prit  la  ré- 
solution de  faire  de  la  toile  et  de  s'éloigner.  Avant  de 
mettre  ce  projet  à  exécution,  il  voulut  tenter  une  dernière 
démarche,  et  il  expédia  un  canot  porteur  d'une  lettre  pour 
le  chef  de  l'escadre  anglaise.  Aucun  des  vaisseaux  près 
desquels  il  se  trouvait,  ne  permit  à  l'embarcation  fran- 
çaise d'accoster  le  long  de  son  bord.  Celle-ci  revenait  vers 
son  bâtiment,  lorsque  deux  coups  à  boulet  furent  tirés 
sur  la  Licorne  par  le  vaisseau  YHector.  Le  capitaine  Béli- 
zal  envoya  sa  bordée  des  deux  bords  aux  vaisseaux  qui 
l'entouraient,  et  il  amena  son  pavillon.  La  corvette  l'/Zi- 

le?é....)  Je  comballis  ane  heure  et  demie  bord  à  bord  dans  cette  position. 
I^  combat  avait  commencé  à  sept  heures  et  j'amenai  à  neuf.  Je  coupai 
la  vergue  de  b6me  en  deux  endroits,  j'abtmai  toutes  ses  manœuvres  et 
voiles,  et  lui  donnai  quelques  coups  à  fleur  d*eau,  mais  jamais  je  ne  pus 
entamer  son  bastingage.  Les  canons  étaient  chargés  d'un  boulet  de  six,  d'un 
paquet  de  mitraille  et  d'une  botte  de  fer-blanc  remplie  de  balles.  Ce  sont  des 
canons  courts,  renforcés,  qu'ils  appellent  «  double  fortiÛed  »,  excellents  dans 
ces  petits  bâtiments,  et  qui  peuvent  se  charger  jusqu'à  la  gueule  sans  ris- 
quer de  les  faire  crever.  Je  n*aurais  jamais  pu  être  joint  si  j'eusse  voulu  fuir, 
ayant  un  avantage  considérable  sur  tous  les  b&timents  quelconques.  J'avais 
adopté  depuis  peu  un  nouveau  gréement  qui  avait  été  trouvé  si  avantageux, 
tant  pour  la  célérité  de  la  manœuvre  que  pour  la  marche,  dans  ma  dernière 
croisière,  sous  les  ordres  de  la  Danaé^  que  M.  le  comte  d'Orvilliers  s*était 
décidé  à  me  prendre  pour  sa  découverte.  Elle  apercevait  des  bâtiments  de 
la  tète  de  ses  mais,  me  faisait  signal  de  chasse,  et  je  les  joignais  avec  une 
vitesse  incroyable.  Je  me  suis  vu  chasser  dix  b&timents  qu'elle  avait  aperçus 
à  midi  au  vent,  ne  pouvant  les  voir  de  mon  b&timent,  les  avoir  joints  à 
six  heures  du  soir,  malgré  qu'ils  forçassent  de  voiles  au  plus  près,  et  laisser 
la  Danaé  à  4  lieues  sous  le  vent  à  moi.  Je  n'ai  jamais  vu  dans  cette  croi- 
sière aucun  bâtiment  de  quelque  espèce  que  ce  fût,  que  je  ne  l'aie  gagné. 
J'avais  encore  l'avantage,  quand  je  suis  sorti  sous  les  ordres  de  la  BelU- 
PouUj  d'être  espalmé  de  frais.  Je  cite  ceci  pour  faire  voir  que  j'étais  le 
maître  de  n'être  point  pris,  et  que,  si  je  l'ai  été,  ce  n'est  que  par  subordina- 
tion et  dévouement  réel  au  service.  Rapport  de  M.  Rosily  au  ministre. 


76  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

rondelle  y  le  quatrième  bâtiment  de  la  division  chassée, 
le  16  juin,  par  Tescadre  de  l'amiral  Keppel,  avait  pu 
atteindre  Tile  de  Batz.  La  frégate  la  Pallas^  qui  était,  de- 
puis quelques  jours,  en  croisière  dans  la  Manche,  fut 
jointe,  dans  la  matinée  du  16  juin,  par  un  vaisseau  et 
deux  frégates.  Les  capitaines  de  ces  trois  bâtiments  invi- 
tèrent, tour  à  tour,  l'officier  qui  commandait  la  frégate 
française  à  passer  à  poupe  du  Victory.  Ils  affirmèrent  que 
leur  amiral  était  animé,  à  Tégard  de  notre  marine,  des 
sentiments  les  plus  courtois.  Son  seul  désir  était  d'avoir 
la  certitude  que  la  frégate  portait  légitimement  les  cou- 
leurs françaises.  Les  bâtiments  américains,  disaient  les 
Anglais,  hissent  le  pavillon  blanc  lorsqu'ils  nous  aper- 
çoivent, et,  à  Taide  de  ce  subterfuge,  ils  par\1ennent  & 
nous  échapper.  Sommé  de  se'rendre,  aussitôt  que  sa  fré- 
gate fut  au  milieu  de  l'escadre  britannique,  le  capitaine 
de  la  Patins  amena  son  pavillon.  La  conduite  déloyale 
des  Anglais  ne  pouvait  excuser  la  faute  que  les  capitaines 
de  la  Pullas  et  de  la  Licorne  avaient  commise  en  n'oppo- 
sant pas,  ainsi  que  l'avait  fait  le  lieutenant  de  vaisseau 
de  la  Ciochcterie,  un  refus  net  et  catégorique  aux  de- 
mandes do  l'amiral  Keppcl. 

Dans  la  lutte  que  M.  de  la  Clocheterie  avait  soutenue  pour 
maintenir  intact  Thonncurde  son  pavillon,  sa  frégate  avait 
éprouvé  des  pertes  considérables*.  Le  lieutenant  de  vais- 
seau Green  de  Saint-Marsault,  second  de  la  Belle-Poule, 
avait  été  tué;  le  capitaine  de  la  (clocheterie,  l'enseigne  de 
vaisseau  de  la  Roclie  Kerandraon  et  M.  Bouvet,  officier 
auxiliaire,  étaient  au  nombre  des  blessés.  En  rendant 
comi)te  au  lieutenant  général  d'Orvilliers  de  son  combat 
avec  YAvpthusa^  M.  de  la  Clocheterie  disait  :  «  Je  ne  sau- 
rais trop  louer,  mon  général,  la  Naleur  et  le  sang-froid  de 
mes  ofliciers.  M.  le  chevalier  de  Capellis  a  su  inspirer  toute 

1.  X.WrdhHfia  et  la  lidh'-Poulr,  louU's  dfux  de  iiiômo  forcv,  avaient 
roiiiluittii  iiV(H*  un  vtM'ilahU*  arliariiciiirrit.  lu  licUe-l*uuie  avait  viiif;t-si\ 
^alloll^  (Ir  douze  et  quatre  do  neuf.  !.«•  rapiUine  de  la  Clocheterie  dit  dan« 
Kun  rapjMirtque  ÏArrihnêa  avait  vin^t-liuit  canons  do  douze. 


LIVRE  I.  77 

son  audace  aux  équipages  de  la  batterie  qu'il  commandait. 
M.  de  la  Roche  Kerandraon  qui  a  eu  un  bras  cassé,  une 
heure  et  demie  après  le  commencement  du  combat,  a  été  se 
faire  panser,  et  il  est  venu  reprendre  son  poste*.  MM.  Da- 
mard  et  Sébire,  officiers  auxiliaires,  se  sont  comportés  avec 
toute  la  bravoure  et  le  sang-froid  qu'on  doit  attendre  des 
militaires  les  plus  aguerris.  M.  Bouvet,  officier  auxiliaire, 
blessé  grièvement,  n'a  jamais  voulu  descendre.  Mon  équi- 
page est  digne  de  partager  la  gloire  que  se  sont  acquise 
mes  officiers.  »  Le  capitaine  de  la  Belle-Poule  fut  nommé 
capitaine  de  vaisseau,  et  M.  Bouvet,  lieutenant  de  frégate. 
M.  de  la  Roche  Kerandraon,  enseigne  de  vaisseau,  reçut 
la  croix  de  Saint-Louis  et  une  pension  de  quatre  cents 
livres.  Une  lettre  de  félicitation  fut  adressée,  par  ordre 
du  Roi,  aux  officiers  et  aux  gardes  de  la  marine.  Le  gou- 
vernement accorda  aux  veuves  des  hommes  tués  pendant 
le  combat  une  pension  de  cent  cinquante  francs,  avec 
une  augmentation  de  vingt  francs  pour  chaque  enfant. 
Enfin,  tous  les  hommes  de  Téquipage  reçurent  une  grati- 
fication de  deux  mois  de  solde.  La  dépêche  du  ministre, 
annonçant  les  récompenses  accordées  à  la  Belle-Pouk^ 
arriva  à  Brest,  par  le  retour  du  courrier  qui  avait  porté 
à  Paris  le  rapport  du  capitaine  de  la  Glocheterie. 

La  cour  de  Londres  avait  pris  la  résolution  de  nous 
faire  la  guerre,  le  jour  où  elle  avait  eu  connaissance  du 
traité  de  commerce  que  nous  avions  conclu  avec  les 
États-Unis  d'Amérique.  Depuis  le  15  mars,  date  du  rap- 
pel de  son  ambassadeur,  elle  s'était  soigneusement  abs- 
tenue de  toule  démarche  qui  nous  eût  révélé  ses  inten- 
tions. L'agression  violente  dont  la  division  de  M.  de  la 
Glocheterie  avait  été  l'objet,  indiquait  que  le  cabinet  de 
Saint-James  jugeait  le  moment  venu  de  commencer  les 
hostilités.  Avant  de  donner  à  l'amiral  Keppel  la  mission 
de  ramener  les  bâtiments  de  guerre  qu'il  pourrait  ren- 
contrer, l'Angleterre  avait  expédié  des  renforts  dans  toutes 

1.  M.  de  la  Roche  Kerandraon  n'était  âgé  que  de  dix  sept  ans. 


78  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  I^'RANÇÂISE. 

ses  stations.  Treize  vaisseaux  étaient  partis  pour  rAmé- 
rique  septentrionale,  où  se  trouvait  déjà  l'amiral  Howc 
avec  onze  vaisseaux.  Un  vaisseau  de  cinquante,  le  Romtiey^ 
et  des  frégates  avaient  été  envoyés  à  Terre-Neuve.  Deux 
vaisseaux,  sous  le  commandement  de  Tamiral  Barring- 
ton,  étaient  dans  la  mer  des  Antilles  oii  nous  n'avions 
que  des  frégates.  Au  milieu  du  mois  de  juin  1778,  la 
Grande-Bretagne  avait  cinquante  vaisseaux  &  la  mer  et 
vingt-cinq  dans  les  ports  de  la  Manche  prêts  à  appareiller. 
En  ne  prévenant  pas  l'attaque  dont  nous  étions  menacés 
depuis  plusieurs  mois,  nous  avions  méconnu  les  condi- 
tions de  la  puissance  navale  des  deux  peuples.  Les  Anglais 
possédaient  plus  de  navires  que  nous  ;  mais,  en  raison  de 
leur  organisation  maritime,  ils  ne  pouvaient  les  armer 
promptement.  On  écrivait  de  Londres  a  notre  ministre  de 
la  marine,  que  l'amirauté  britannique  rencontrait  de 
très-grandes  diflicultés  pour  se  procurer  des  matelots. 
Malgré  l'offre  de  primes  trës-élevées,  peu  d'hommes  se 
présentaient  pour  servir  sur  les  bâtiments  de  guerre. 
«  On  n'osait  pas,  ajoutait  la  personne  qui  donnait  ces 
renseignements  à  M.  de  Sartincs,  loucher  aux  matelots 
du  commerce.  »  Les  autorités  locales  dans  les  ports  mar- 
chands, s'appuyant  sur  ce  que  la  guerre  n'était  pas  dé- 
clarée, faisaient  à  l'emploi  de  la  «  presse  »  une  opposition 
très-vive.  Dans  le  but  de  nous  prémunir  contre  le  retour 
des  violences  qui  avaient  man|uê  le  début  de  la  guerre 
de  1756,  nous  avions  mis   l'embargo   sur  les   navires 
anglais  qui  étaient  dans  nos  ports.  Le  cabinet  de  Saint- 
James,  ayant  procédé  de  la  même  manière  à  l'égard  des 
bAtiments  français  qui  se  trouvaient  dans  les  |)orts  de  la 
Grande-Bretagne,  le  gage,  destiné  à  indemniser  notre 
marine  marchande  des  pertes  illégitimes  (|u  elle  {lourrait 
faire,  était  de  faible  importance.  En  attaquant  la  Helle- 
Poule  et  le  Coureur  sans  déclaration  de  guerre,  et  en 
s'emparant,  par  un  subterfuge  indigne  d'une  grande  na- 
tion, de  la  Pnllasei  de  la  Licorne,  le  gou\ernement  bri- 
tannique avait  violé  toutes  les  règles  observées  par  les 


LIVRE  I.  79 

peuples  civilisés.  La  mission  confiée  au  lieutenant  général 
d'Estaing,  nous  enlevait  le  droit  de  blâmer  la  conduite  de 
nos  adversaires*.  Après  le  départ  des  treize  vaisseaux  de 
Byron  pour  l'Amérique,  FAngleterre  n'avait  dans  la 
Manche  que  les  vingt  et  un  vaisseaux  de  Keppel.  Or,  ainsi 
qu'on  le  verra  plus  loin,  nous  avions,  à  la  fin  du  mois  de 
juin,  trente-deux  vaisseaux  sur  la  rade  de  Brest.  Si  nous 
avions  hâté  nos  armements,  et  cela  était  non-seulement 
possible,  mais  facile  en  raison  de  notre  organisation  ma- 
ritime, nous  pouvions  avoir,  dans  le  mois  de  mai,  des 
forces  égales  à  celles  des  amiraux  Keppel  et  Byron  réu- 
nis. Dans  ce  cas,  le  gouvernement  britannique  aurait 
retardé  le  départ  de  cet  amiral  pour  l'Amérique  septen- 
trionale, ce  qui  eût  laissé  le  champ  libre  à  l'amiral  d'Es- 
taing.  Si  les  Anglais  s'étaient  décidés  à  envoyer  Byron 
au  secours  de  Howe,  nous  aurions  été,  pendant  quelque 
temps,  supérieurs  à  l'ennemi  dans  la  Manche.  La  rentrée 
de  nos  navires  marchands  eût  été  assurée  et  le  commerce 
de  l'ennemi  aurait  probablement  subi  de  grandes  pertes. 
Nous  avions  donc  commis  une  faute,  en  ne  mettant  pas  à 
profit  l'avantage  que  nous  donnaient  nos  institutions.  Si 
nous  considérions  la  guerre  comme  inévitable,  et  nous 
ne  pouvions  avoir  à  cet  égard  aucune  illusion,  nous  ne 

1.  Le  caractère  de  la  mission  dont  était  chargé  le  comte  d'Eslaing  se 
trouve  nettement  indique  dans  Tordre  ci-joint  donné  par  cet  officier  général 
à  la  frégate  VAlcmèney  avant  le  départ  de  Toulon  :  «  11  est  ordonné  à  la 
frégate  du  Hoi  VAlcmène^  si,  malgré  toutes  les  précautions  qu'elle  aura  dû 
prendre,  elle  se  trouve  séparée  de  Tescadrc  après  avoir  dépassé  le  méridien 
du  cap  Saint-Vincent,  de  se  repdre,  pour  point  de  rendez-vous,  au  port  de 
Boston,  à  la  côte  de  la  Nouvelle-Angleterre,  où  elle  recevra  de  mes  nou- 
velles. Elle  évitera  en  chemin  de  se  faire  reconnaître  des  bâtiments  qu*elle 
pourrait  rencontrer.  Si  cependant  une  flotte  anglaise,  allant  ou  revenant  de 
la  Nouvelle-Angleterre,  se  trouvait  dans  le  cas  d'être  attaquée  avec  avantage, 
elle  s'en  emparerait.  Elle  n'amarinerait  que  ce  qui  pourrait  Tétre  sans  tro|) 
s'aibiblir,  et  elle  détruirait  le  reste.  Elle  protégerait  ouvertement  et  elle 
traiterait  en  amis  et  en  alliés  du  Roi  tous  les  b&timents  appartenant  aux 

États-Unis  d'Amérique.  » 

d'Est  AiNG. 

Fait  à  bord  du  vaisseau  le  Languedoc,  en  la  rade  de  Toulon,  le 
12  avril  1778. 


HISTOIHE  OE  LA  MARINE  FHAN' 

devions  pas  laisser  la  cour  de  Londres  libre  de  la  com- 
mencer lorsqu'elle  le  jugerait  convenable. 

l^s  Anglais  avaient  apjjriiii,  à  la  Un  du  mois  do  mai,  que 
l'escadre  partie  de  Toulon,  le  13  avril,  s'était  dirigée 
vers  l'Ouest,  après  avoir  franchi  le  déiroit  de  Gibraltar. 
Persuadés  que  le  comte  d'Eslaing  se  rendait  surles  eûtes 
d'Amérique,  ils  avaient  pressé  l'iiiinement  des  bflliments 
destinés  fk  renforcer  l'escadre  de  Howe.  L'amiral  Kepjiel 
avait  rallié,  le  13  juin,  devant  Plymoulh,  les  treize  vais- 
seaux de  l'amiral  Byrou,  et  il  les  avait  accompagnes  jus- 
qu'à vingt  lieues  d'Ouessant.  Il  rentrait  dans  la  Manche, 
lorsqu'il  avait  rencontré  les  quatre  bdtimenls  placés 
sous  les  ordres  de  M.  de  la  Ciochelerie.  Le  cabinet  de 
Versailles,  inexactement  renseigné  sur  les  mouvements 
des  Anglais,  ignorait  que  les  vaisseaux  sortis  de  Ply- 
mouth  eussent  fait  roule  vers  l'Amérique.  On  croyait,  k 
Paris,  que  l'amiral  Byron,  après  avoir  escorté  un  convoi 
au  large,  devait,  h  son  retour,  se  réunir  à  l'escadre  de  la 
Hanche.  Dans  cette  hypothèse,  l'amiral  Keppol  aurait  eu, 
sous  ses  ordres,  trente-quatre  vaisseaux,  Or,  ù  ce  mo- 
ment, nous  n'avions  à  Brest  que  vingt-six  vaisseaux 
complètement  armés.  Quoique  le  ministère  fût  pénétré 
de  la  nécessité  de  faire  une  démonstration,  il  hésitoit  à 
donner  à  notre  escadre  l'ordre  d'appareiller.  Le  gouver- 
nement craignait  de  compromettre  dans  une  lutle  inégale, 
et  dès  te  début  de  la  guerre,  la  partie  la  plus  impor- 
tante de  nos  forces  navales,  M.  de  Kerguelen,  qui  jouis- 
sait, comme  oflicier  de  marine,  d'une  certaine  notoriété, 
écrivait  à  celte  époque  au  ministre  :  <■  Je  pense  que  si' 
l'Espagne  ne  se  déclare  pas,  vous  ferez  bien  do  ne  pas> 
faire  sortir  de  grosses  escadres  et  de  ne  pas  risquer  d6j 
batuilles  décisives.  Je  pense  <|ue  quarante  vaisseaux' 
eu  rade  de  Brest  et  des  troupes  sur  les  lùles  feronl 
plus  de  mal  A  l'Angleteri-e  que  s'ils  étaient  en  mer,' 
parce  qu'ils  obligeront  les  ennemis  ù  armer  soixante 
vaisseaux  de  ligne,  mais  il  faul  avoir  quelques  vais- 
seaux et  t>L-aucou|i  de  frégates  en  mer  pour  détruire  leur 


'm 


uire  leur  J 


LIVRE  I.  81 

commerce  par  des  croisières  soutenues.  Si  nous  avions 
le  dessous  dans  une  première  affaire  importante,  nous 
serions  perdus,  c'est  l'opinion  qui  conduit  les  hommes.  » 
Depuis  qu'une  rupture  avec  l'Angleterre  était  immi- 
nente, plusieurs  mémoires  conçus  dans  le  même  sens 
avaient  été  adressés  à  monsieur  de  Sartincs.  Il  est  donc 
légitime  de  reconnaître  que  le  gouvernement  n'était  pas 
seul  à  porter  la  responsabilité  de  cette  opinion.  Le  com- 
mandant en  chef  de  l'arméc-navale,  réunie  sur  la  rade  de 
Brest,  jugeait  tout  autrement  la  situation.  Il  écrivait,  le 
22  juin,  c'est-à-dire  quatre  jours  après  le  retour  de  la 
Belle^Poule  à  Brest  :  «  Mon  avis  ne  serait  pas  de  faire 
entrer  l'armée  dans  la  Manche,  où  nous  n'avons  aucun 
port  propre  à  la  recevoir,  et  où  elle  serait  en  risque 
d'être  chargée  par  un  vent  d'ouest  ou  de  sud-ouest 
qui  l'appellerait  nécessairement  à  la  côte  d'Angleterre, 
mais  de  la  faire  croiser  à  une  distance  convenable  du 
canal  pour  n'y  être  pas  emportée  par  les  courants.  » 
il  ajoutait  un  peu  plus  loin  :  «  Dans  la  position  que  j'ai 
indiquée  ci-dessus,  elle  est  à  portée  d'attaquer  l'amiral 
Byron  à  son  retour  et  de  s'opposer  à  sa  réunion  avec 
l'amiral  Keppel.  »  Le  lieutenant  général  d'Orvilliers  pre- 
nait envers  le  ministre  l'engagement  d'agir  avec  une 
extrême  circonspection.  Néanmoins,  il  ne  pouvait  pas 
lui  donner  l'assurance  qu'il  parviendrait  à  éviter  tout 
engagement  avec  les  Anglais.  En  admettant  qu'il  fût 
obligé  de  livrer  bataille  aux  forces  réunies  de  Byron  et 
de  Eeppel,  il  était  convaincu  que  son  escadre  se  tirerait 
avec  honneur  de  cette  rencontre.  Le  gouvernement,  sur- 
montant ses  dernières  hésitations,  lui  envoya  l'ordre 
d'appareiller.  Le  cabinet  de  Versailles,  continuant  à  se 
faire  d'étranges  illusions  sur  les  projets  de  la  cour  de 
Londres,  n'admettait  pas  que  nous  fassions  en  guerre 
avec  la  Grande-Bretagne.  Dans  les  instructions  adressées 
au  lieutenant  général  d'Orvilliers,  il  n'était  question  que 
de  représailles  à  exercer  contre  nos  voisins.  Cet  olfi- 
cier  général  devait  croiser  à  l'entrée  de  la  Manche  et  ra- 

6 


82  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

mener  à  Brest,  en  employant  la  force  si  cela  était  né- 
cessaire, les  biltiments  de  guerre  et  de  commerce  qu'il 
pourrait  joindre  *. 

Les  vents  contraires  retinrent  l'escadre  sur  la  rade  pen- 
dant quelques  jours.  Le  département  de  la  marine  mit  ce 
tem]^  h  profit,  et  six  vaisseaux  furent  ajoutés  à  Tescadre. 
Le  8  juillet,  trente-deux  vaisseaux,  onze  frégates,  cor- 
vettes et  bricks,  soit  quarante-trois  bâtiments,  sortirent 
de  Brest  en  bon  ordre.  L'esprit  de  l'armée  était  excellent 
et  un  seul  désir  l'animait,  celui  de  venger  l'injure  faite  à 
notre  |>avillon  |>ar  la  prise  de  la  Licorne^  de  la  Paiias  et 
du  fomvtir.  Le  général  d'Orvilliers  écrivait,  le  9  juillet,  à 
monsieur  de  Sartines  :  <^  Les  officiers  généraux  et  les 
capitaines,  réunis  à  lK>ni  de  la  Breiagne  pour  entendre 
la  kniure  des  ordres  du  Boi,  m  ont  donné  de  nouvelles 
assurances  de  leur  zélé  et  m'ont  prié,  monseigneur  le 
duc  de  Charirvs  i  leur  tête,  de  vous  supplier  d'obtenir 
du  Boi  la  pennission  d entrer  dans  la  Manche,  et  d'y 
aller  attaquer  Taniiral  KeppeK  même  jusque  dans  ses  ra- 
dos«  s'il  s'obstinait  à  ne  point  sortir.  ^  A  lextrème  pni- 
denoE"  du  ministre  et  aux  hésitations  du  gouvernement,  les 
gônérauv  et  les  capitaines  rviK>ndaient  par  la  demande 
d  aller  à  rennomi.  La  conette  le  Li'.v/y,  chassée  par  les 
frviratos  de  Tescadrv  dans  la  journée  du  9  juillet,  fut 
jointe  jvar  17/ %iv,vi:V,  L'officier  anglais  déclina  l'incita- 
tion  qui  lui  fut  faite  de  (vasser  à  (oupe  de  la  Brt'Pj*jM. 
Après  a\oir   rvcu   la  tvnUv    de  la  frvgate  française,  il 
amena  son  fvi^iUon.  O^t^'î-U**^^  jours  après  la  sortie  de 


LIVRE  I.  83 

notre  escadre,  monsieur  de  Sartines  apprit  que  Tamiral 
Keppel  avait  paru  de  nouveau  dans  la  Manche.  Avant  de 
rentrer  au  port,  les  Anglais  s'étaient  emparés  de  plu- 
sieurs bâtiments  marchands.  Le  cabinet  de  Versailles,  ne 
pouvant  plus  se  méprendre  sur  les  véritables  intentions 
de  l'Angleterre,  se  décida  à  considérer  comme  définitive 
notre  rupture  avec  cette  puissance.  Une  lettre  adressée 
par  le  Roi  au  duc  de  Penthièvre,  qui  était  alors  grand 
amiral,  apprit  à  l'Europe  notre  nouvelle  situation  à  l'é- 
gard de  la  Grande-Bretagne.  Le  lieutenant  général  d'Orvil- 
liers  fut  immédiatement  informé  de  la  résolution  prise 
par  le  Gouvernement  français.  II  Taccueillit  avec  d'autant 
plus  de  satisfaction  qu'elle  faisait  cesser  toute  incertitude 
sur  la  conduite  qu'il  avait  à  tenir.  Son  devoir  se  trouvait 
nettement  tracé  ;  il  devait  courir  sur  tous  les  bâtiments 
])ortant  pavillon  anglais. 

L'amirauté  britannique  avait  déployé  la  plus  grande 
activité  pour  renforcer  l'escadre  de  Keppel.  Elle  était  par- 
venue, dans  les  premiers  jours  de  juillet,  à  placer  vingt- 
six  vaisseaux  sous  le  commandement  de  cet  amiral.  En 
portant  cette  nouvelle  à  la  connaissance  du  commandant 
de  notre  flotte,  le  ministre  l'invitait  à  agir  avec  une  ex- 
trême prudence.  Quelques  jours  après,  on  sut,  à  Paris, 
que  l'escadre  anglaise,  augmentée  de  quatre  nouveaux 
vaisseaux,  c'est-à-dire  forte  de  trente  vaisseaux  de  ligne, 
avait  mis  à  la  voile:  Un  aviso,  porteur  de  dépêches  an- 
nonçant la  sortie  de  Keppel  et  la  force  de  son  armée,  fut 
immédiatement  expédié  à  la  recherche  de  d'Orvilliers. 
L'escadre  anglaise,  quoique  comptant  deux  vaisseaux  de 
moins  que  la  nôtre,  lui  était  supérieure  par  le  nombre 
des  canons.  Les  ministres,  poursuivis  par  la  crainte  d'un 
échec,  rassurés,  d'autre  part,  par  l'attitude  de  la  flotte  et 
de  son  chef,  étaient  fort  irrésolus.  Dans  cette  occurrence, 
ils  abandonnèrent  au  général  d'Orvilliers  le  choix  du 
parti  à  prendre  et  la  responsabilité  des  événements  qui 
pourraient  en  être  la  conséquence.  «  Puis(|ue  vous  me 
laissez  libre.  Monseigneur,  répondit  le  général,  de  cou- 


84  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

tinuer  ma  croisière,  je  ne  ferai  point  rentrer  Tarmée  & 
Brest,  à  moins  que  des  ordres  positifis  ne  m'y  obligent, 
avant  que  le  mois  de  navigation,  expliqué  dans  mes 
instructions  et  connu  de  tous  les  capitaines,  soit  écoulé. 
Jusque-là,  je  ne  fuirai  pas  devant  l'amiral  Keppel,  quel- 
ques forces  qu'il  puisse  avoir;  seulement  si  je  le  connais 
trop  supérieur,  j'éluderai  de  mon  mieux  un  combat  dis- 
proportionné, mais  j'avoue  que  si  l'ennemi  cherche  vé- 
ritablement à  le  livrer,  il  sera  Irès-difBcile  de  l'évitera  » 


1.  LeUre  écrite  en  mer.  en  réponse  à  une  dépêche  du  ministre  portant  la 
dateda  12  juillet. 


LIVRE  II 


Combat  d'Oaessant.  —  Rentrée  des  Anglais  à  Portsmoutli  et  des  Français  à 
Brest.  —  Discassions  que  soaléve  la  journée  du  27  juillet  de  Pun  et  Tautro 
côté  du  détroit.  —  Incident  relatif  au  lieutenant  général  duc  de  Chartres, 
commandant  delà  troisième  escadre. — Le  vice-amiral  Keppel,  accusé  d'in- 
capacité par  un  de  ses  lieutenants,  comparait  devant  une  cour  martiale. — 
Nouvelle  sortie  des  deux  escadres.  —  Elles  rentrent  au  port  sans  avoir 
combattu.  —  Engagement,  au  large  de  Fondichéry,  des  divisions  du 
Commodore  Yemon  et  du  capitaine  de  vaisseau  de  Tronjolly.  —  Les 
Anglais  s*emparent  des  établissements  français  dans  Tlnde.  —  Prise  des 
îles  Saint-Pierre  et  Miquelon. 


I 


L^amiée  française  croisait  à  cinquante  lieues  environ 
dans  l'ouest-nord-ouest  d'Ouessant,  lorsque,  le  23  juillet, 
nos  éclaireurs  signalèrent  Tennemi.  L'amiral  Keppel 
était  sorti  de  Portsmouth  avec  trente  vaisseaux,  vingt- 
quatre  heures  après  notre  départ  de  Brest.  Quatre  jours 
s'écoulèrent  pendant  lesquels  la  brise  fut  très-fraîche  de 
l'ouest  et  la  raer  grosse.  Les  Français  manœuvrèrent 
pour  conserver  l'avantage  du  vent  que  les  Anglais  vou- 
laient leur  enlever.  Le  27  au  lever  du  soleil,  les  deux  es- 
cadres couraient  les  amures  à  bâbord,  le  cap  au  nord- 
ouest,  avec  des  vents  d'ouest-sud-ouest.  Le  Victory^  que 
montait  Tamiral  Keppel,  restait  à  une  lieue  et  demie  en- 
viron dans  l'est-nord-est  du  vaisseau  la  Bretagne,  sur 
lequel  était  arboré  le  pavillon  du  lieutenant  général  d'Or- 
villiers.  Le  Duc-de-Bourgogne,  de  quatre-vingts  canons, 
et  VA  lexandrCy  de  soixante-quatorze,  s'étant  séparés  de 
notre  armée,  dans  la  nuit  du  23  au  24  juillet,  le  nombre 
des  vaisseaux  était  le  môme  de  part  et  d'autre.  Toutefois, 


86  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

nous  ne  comptions,  sur  noire  escadre,  que  deux  mille 
cent  dix-huil  bouches  à  feu,  tandis  que  le  total  des  ca- 
nons, sur  les  vaisseaux  anglais,  s'élevait  à  deux  mille 
deux  cent  quatre-vingt-deux.  Enfin,  trois  vaisseaux  fran- 
çais, le  Fier,  le  Saint-Michel  et  le  Triton,  représentant 
cent  soixante-quatorze  canons,  étaient  d'un  trop  faible 
échantillon  pour  figurer  dans  une  ligne  de  bataille  *.  Vers 
neuf  heures  du  matin,  le  temps  étant  devenu  maniable, 
le  comte  d'Orvilliers  fit  virer  ses  vaisseaux  lof  pour  lof 
par  la  contre-marche  pour  se  rapprocher  de  Tennemi. 
Les  Anglais,  qui  avaient  continué  à  courir  les  amures  à 
bâbord,  favorisés  par  un  changement  de  brise,  se  trou- 
vèrent très-promptement  dans  nos  eaux.  L'amiral  Eeppel 
prit  les  mêmes  amures  que  nous,  et  il  se  couvrit  de  voiles 
afin  d'atteindre  notre  arrière-garde.  Le  lieutenant  géné- 
ral d'Orvilliers,  jugeant  d'un  œil  très-sûr  les  dangers  aux- 
quels il  était  exposé,  signala  à  son  armée  de  virer  de 
bord  vent  de  vent,  toute  à  la  fois,  puis  de  former  la  ligne 
de  bataille,  les  amures  à  bâbord,  en  ordre  renversé.  Celte 
évolution,  exécutée  avec  une  grande  promptitude,  modifia 
la  situation  relative  des  deux  escadres.  Les  Anglais,  qui 
avaient  manœuvré  avec  une  grande  précipitation,  étaient 
en  désordre.  Quelques-uns   de  leurs   vaisseaux  étaient 
lombes  sous  le  vent  cl  couraient  le  risque  d'ôlre  coupés 
par  les  nôtres.  L'amiral  Keppel  se  décida  à  laisser  porter 
pour  les  rallier,  et  il  gouverna  sous  le  vent  de  la  ligne 
française.  Les  deux  escadres  étaient  placées  dans  l'ordre 
suivant  : 

1.  Kii  réalité  iiou5(  avions  1944  canons  contre  228?. 


LIVRE  li. 


87 


ARMÉE  FRANÇAISE. 
Ligne  de  bataille.  —  Ordre  renversé. 


r 


Noms  des  raisseaux. 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Escadre  bleue. 


Le  Dîadôme  . . . 
Le  Conquérant. 
Le  Solitaire  . . . 
Linlrépide 

Le  Saint-Esprit 

I.e  Zodiaque. . 
Le  Roland.. . . 
Le  Robuste.    . . 
Le  Sphinx 


l/ArtéHÎen.. . 

LOrient 

L'Actionnaire , 
Le  Fendant... 


I^  Bretagne 


Le  .Magnifique  . . . 

L'Actif 

La  Ville  de  Paris. 
LeRéOéchi 


74 
74 
64 
74 

80 

74 
64 
74 
64 


La  Cardonnie. 
De  .Monteil. 
De  Briqueville. 
De  Bcaussier. 

^Le  duc  de  Chai'tres,  lieul.  général. 
Lamotte-Pictiuct,  chef  d'escadre. 
De  la  Porte  Vezins. 
De  PArchantcI. 
De  Grasse. 
De  Soulnnges. 


Escadre  blanche. 


64 
74 
64 
74 

110 


74 
74 
ÎK) 
64 


Des  Touches. 

Hector. 

De  Croissy. 

De  Vaudreuil. 

D'Orvillicrs,  lieutenant  général. 

Du  Pavillon,  major  de  rarméc. 

Dupicssis  Parscau. 

Chevalier  de  Drach. 

Thomas  d'Orves. 

Do  (luichcn. 

De  Cillart  Survillo. 


Escadre  blanche  et  bleue. 


Le  Vendeur. 
Le  Glorieux 
L'Indien  . . . 
Le  Palmier. 


La  Couronne  

Le  bien-Aimé 

L'Eveillé 

L'Amphion 

Le  Dauphin  Royal. . 


64 
74 
64 
74 

80 

74 
64 
50 
70 


D'Amblimonl. 

De  Dcausset. 

De  la  Grandière. 

De  rȎals. 

l'Duchaiïault,  lieutenant  général. 
JHuon  de  Kcrmadec. 

Daubcnlon. 

De  Botdéru. 

DeTrobriant. 

De  Nieuil. 


Vaisseaux  hors  la  ligne. 


Triton 

Saint-Michel. 
Fier 


64 
60 
ÔO 


De  Ligondès. 

Mi  thon  de  Genou  il  ly. 

Turpin  de  Breuil. 


88 


HfSTOlRE  DK  LA  MAUINK   KUANÇAISE. 


ARMÉE    ANGLAISE. 
-Ligne  de  bataille. 


r 


Noms  des  T«iMeaux. 


Qiiccn  .  ... 
Sandwich  . . . 
Slirewsbury  . 
Torrihle. .  .*. . 
Thuntlerer  . . 
Vengeanc»^ . . 

Yaliant 

Vigilanl 

VorccHlcr. . . . 
StirlingcafttU' 


Victon 


Duke    

iici'wick. .  . 
Cumbcrlniiil. 
(lourageiix  . 
Ccntaur. .  . 
Egmoiit  — 
Klizabetli... 
America — 
BienraisnnI  . 


K\Her  . 


Forniidahle. 


OriMii 

I*riiict*  iieorp' 
F(»U(lro\aiil.    . 

Hector 

Muiiarcli  .  .    . . 
Itainillio^ 
UobuHl 


Nombre 

de 
canuDS. 


Noms  df  H  rapitain«>K. 


Avant-garile. 


90 
90 
74 
74 
74 
74 
74 
64 
64 
74 


Hartland,  vicc-amiraL 
Edward  »i. 

RORS. 

Bickerton. 

Valsinghaiii. 

Clément». 

(jower. 

Kingsmill. 

Rohinson. 

Douglas. 


('nrpn  debalaiUc. 


100 

90 
74 
74 
74 
74 
74 
74 
64 


Faulkner. 

Sir  Auguslus  Kepi^l,  amiral. 

Drerelon. 

Ste>\arl. 

Ve\Um. 

m 

Mulpravo. 

Cmsby. 

Allen. 

Maitland. 

Lonjxford. 

Hride. 


ArÊ'ii'rr-ijnvth'. 


G'i 

74 

90 

90 
7'» 
8'i 
7'i 
70 
7'i 
7'» 


(iooilnll. 
Moore. 

ipalliser,  vice-amiral. 
Laforesl. 
Lindsav 
Jervis. 

Ilaniillon. 

« 

Uowele^. 

||0<Hi'. 


UVHE  II.  89 

Les  Anglais  passèrent  hors  de  portée  des  vaisseaux  le 
Diadème^  le  Conquérant  et  le  Solitaire.  Ce  fut  Y  Intrépide^ 
le  quatrième  vaisseau  de  la  ligne  française,  qui  tira  les 
premiers  coups  de  canon.  Les  deux  escadres  défilèrent  à 
contre-bord,  chaque  vaisseau  recevant  la  bordée  de  Ten- 
nemi  et  lui  envoyant  la  sienne.  Quelques-uns  de  nos 
vaisseaux,  au  nombre  desquels  étaient  V Artésien  et  la 
Ville-de-Paris,  se  trouvèrent  très-près  des  Anglais.  Le 
premier  avait  manqué  une  fois  à  virer,  et  le  second  tenait 
très-mal  le  vent.  Le  vaisseau  à  trois  ponts,  le  Saint-Es- 
prit^ laissa  porter  pour  couvrir   VArtésien.  Quant  à   la 
Ville-de-PariSj  elle  eut,  pendant  un  moment,  à  combattre, 
à  tribord  le  Viclory,  et,  à  bâbord,  le  Foudroyant.  Ce  der- 
nier vaisseau  n'avait  pas  hésité  à  passer  entre  la  Ville- 
de-Paris  et  la  hgne  française.  Le  feu,  qui  avait  commencé 
à  onze  heures  du  matin,  cessa  vers  une  heure  et  demie. 
Le  lieutenant  général  d'Orvilliers,  décidé  à  continuer  le 
combat,  donna  Tordre  à  Tescadre  bleue,  qui  faisait  Favant- 
garde,  de  laisser  arriver  par  un  mouvement  successif,  et  à 
Tarmée  de  former  la  ligne  de  bataille,  les  amures  à  tri- 
bord.  Les  signaux  hissés,  à  bord  de  la  Bretagne,  pour 
Texécution  de  cette  manœuvre,  ne  furent  pas  aperçus 
par  les  premiers  bâtiments  de  l'escadre  bleue.  Cet  inci- 
dent était  d'autant  plus  regrettable  que  les  deux  escadres, 
courant  à  contre-bord,  s'éloignaient  rapidement.  Or,  l'é- 
volution prescrite  par  le  général  ne  pouvait  avoir  d'effi- 
cacité qu'à  la  condition  d'être  faite  sans  délai.  Les  vais- 
seaux qui  marchaient  en  tête  de  l'armée,  continuant  à 
courir  bâbord  amures,  le   Saint-Esprit  laissa  arriver  et 
commença  le  mouvement.  Dans  le  but  d'être  exactement 
informé  des  intentions  du  commandant  en  chef,  le  duc  de 
Chartres   passa  à  portée  de  voix  de  la  Bretagne.  Le  lieu  - 
tenant  général  d'Orvilliers  lui  fit  connaître  qu'il  se  pro- 
posait de  prolonger  la  ligne  anglaise,  de  la  queue  ù  la 
tête,  par-dessous  le  vent.  La  force  de  la  brise  ayant  em- 
pêché nos  vaisseaux  de  se  servir  de  leurs  batteries  basses, 
il  voulait  placer  les   ennemis  dans  la   même  position. 


90  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Lo^^iquc  l'armée  française  fut  Tonnée  A  l'autre  bord,  elle 
se  trouva  sous  le  vent  et  h  une  distance  assez  grande  en 
arrière  «les  Anglais.  Dans  cette  situation,  l'iailiaUve  de 
l'altaifue  ne  lui  appartenait  plus. 

Après  le  défilé  à  contre-bord  des  deux  escadres,  les 
Anglais,  qui  avaient  combattu  avant  d'fitre  régulièrement 
formés,  étaient  dans  le  plus  grand  désordre.  Plusieurs 
vaisseaux,  ayant  éprouvé  de  graves  avaries  dans  leurs 
mdtures,  étaient  tombés  sous  le  vent.  Lorsque  la  fumée 
se  fut  dissipée,  l'amiral  Keppel  put  se  rendre  compte  de 
la  position  des  deux  armées.  Reconnaissant  que  ceux  de 
ses  b&timcnts  qui  étaient  dégrés  courraient  le  risque 
d'être  coupés,  s'il  suivait  son  avant-garde,  il  s'empressa 
(le  rappeler  l'amiral  Harllaod.  Son  armée  manœuvra 
pour  se  reformer,  mais,  à  lachuledu  jour,  la  plupart  des 
vaisseaux  anglais  n'avaient  pas  repris  leurs  postes.  Les 
deux  escadres  continuèrent  ik  courir,  les  amures  &  tribortl, 
les  Anglais  au  vent  et  sur  l'avant  des  Français.  Pendant 
la  nuit,  l'amiral  Keppel  lit  route  pour  Portsmouth,  oii  il 
entra  quelques  jours  après,  ne  laissant  qu'une  faible 
division  en  croisière  dans  la  Mancbe.  Dans  la  soirée  du 
28  Juillet,  l'escadre  française,  portée  dans  l'est  par  les 
courants,  eut  connaissance  de  l'Ile  d'Ouessant.  Le  Duc~àe- 
lidUfijitijne  et  \'.Hexau<ln-,  (|ui  s'étaient  séparés  de  l'armée 
dans  la  nuit  du  23  au  ik,  n'avaient  pas  reparu.  Aprts 
l'engagement  du  27  Juillet,  dans  lequel  il  avait  perdu 
une  partie  de  sa  mâture,  VAmpliion  s'était  dirigé   sur 


LIVRE  II.  91 

armée,  trois,  le  Saint-Michel^  le  Fier  et  le  Triton  ne  pou- 
vaient pas  être  mis  en  ligne.  Ces  vaisseaux  avaient  été 
placés,  dans  la  journée  du  27  juillet,  sous  le  vent,  avec 
les  frégates.  Ces  considérations  décidèrent  le  lieutenant 
général  d'Orvilliers  à  rentrer  à  Brest.  Il  comptait  repren- 
dre la  mer,  aussitôt  que  ses  vaisseaux  seraient  en  état  de 
soutenir  un  nouvel  engagement.  Le  31  juillet,  trois  vais- 
seaux et  deux  frégates  furent  envoyés  en  croisière  à 
l'entrée  de  la  Manche. 

La  rencontre  du  27  juillet  fut  moins  une  bataille  qu'un 
engagement  extrêmement  vif  et  de  peu  de  durée.  Les 
pertes  de  la  flotte  française,  forte  de  trente  vaisseaux,  ne 
s'élevèrent  qu'à  cent  soixante  et  un  tués  et  cinq  cent 
treize  blessés  ^  Elles  auraient  été  bien  autres,  si  les  deux 
escadres  avaient  combattu  en  courant  aux  mômes  amures. 
Dans  cette  journée,  nous  avions  remporté  sur  les  Anglais, 
non  une  grande  victoire,  mais  un  avantage  indiscutable. 
L'amiral  Keppel,  maître  de  continuer  le  combat,  puisque 
son  armée  était  au  vent  de  la  nôtre,  avait  profité  de  sa 
position  pour  s'éloigner.  Ce  succès  de  notre  marine  em- 
pruntait aux  circonstances  une  importance  particulière. 
Les  désastres  de  la  dernière  guerre  avaient  laissé  une  (race 
profonde  dans  les  esprits.  Il  semblait  difficile  que  nos 
amiraux,  nos  capitaines  et  nos  officiers  eussent,  au  môme 
degré  que  leurs  adversaires,  la  connaissance  et  surtout 
la  pratique  des  manœuvres  d'escadre.  Ce  n'était  donc  pas 
sans  une  certaine  appréhension  que  le  gouvernement  et 
nous  devons  ajouter  la  nation  tout  entière  avaient  envi- 


1.  MM.  Besscy  de  )a  Vouslo,  capitaine  de  vaisseau,  de  Vincellcs,  enseigne, 
Damart,  lieutenant  de  frégate,  de  Molorc  et  de  Fortnianoir,  officiers  d'infan- 
terie, furent  tués  au  comlmt  d'Ouessant.  Se  trouvaient  au  nombre  des  bles- 
sés, MM.  le  lieutenant  général  Duchaffault,  les  capitaines  de  vaisseau 
d'Aymar  et  de  Sillans,  les  lieutenants  de  la  Croix,  de  Cœflier  de  Brcuil,  le 
chevalier  Duchaffault,  de  Fayard,  de  Vigny,  de  Beaumanoir,  les  enseignes 
Desnos  de  la  Hautière,  de  Melfort,  le  chevalier  du  Bouexic,  d'Abbadic  Saint- 
(jermain,  les  gardes  de  la  marine  de  Montuchon,  de  Doisguehcnneuc,  les 
ofiiciers  auxiliaires  Jambom  et  Rouillard,  les  ofiiciers  d'infanterie  de  Cha- 
leau-Oiron,  de  Rivière,  de  Bucheran. 


92  HISTOIRE  DK  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

sage  un  nouveau  choc  avec  une  puissance  dont  l'ascen- 
dant sur  mer  était  aussi  bien  établi  que  celui  de  l'Angle- 
terre. Aussi  la  France  accueillit-elle  avec  un  véritable 
enthousiasme  les  résultats  de  cette  première  rencontre 
entre  les  deux  marines.  Louis  XVI  écrivit  au  lieutenant 
général  d'Orvilliers  pour  le  complimenter  sur  sa  conduite, 
et  le  charger  de  transmettre  aux  officiers  et  aux  équi- 
pages de  Tescadre  toute  sa  satisfaction.  Le  Roi  disait  en 
terminant  :  «  J'ai  ordonné  qu'on  prît  le  plus  grand  soin 
des  blessés.  Dites  aux  veuves  et  parents  des  morts 
combien  je  suis  sensible  à  la  perte  qu'ils  ont  faite% 
M.  de  Sartines  vous  fera  passer  mes  ordres  ultérieurs  et 
je  suis  assuré  du  succès  par  la  manière  dont  ils  seront 
exécutés.  » 


II 


Quelques  jours  après  la  rentrée  de  l'escadre  à  Bresl, 
les  divers  incidents  de  la  journée  du  27  juillet  furent 
connus.  On  sut  que  l'inexécution  des  ordres  du  comman- 
dant en  chef  nous  avait  empochés  de  continuer  le  combat 
dans  des  conditions  qui,  selon  toute  probabilité,  nous 
auraient  valu  un  brillant  succès*.  Une  réaction  très-vive 
se   produisit  dans  les  esprits,  et  à  la  joie  du  premier 


1.  1.0  lieutenant  général  d'Orvilliers  disait  que  les  vaisseaux  de  t^te  di* 
l'escadre  bleue  avaient  vraisemblablement  privé  la  nation  d*un  brillant  succès, 
et  il  ajoutait  :  «  Je  dis  vraisemblablement,  car  il  reste  incertain  quel  |>arti 
Pamiral  Kep|)el  aurait  suivi  des  deux  seuls  |Nirlis  qu'il  avait  à  prendre. 
C4>lui  d'al>andonner  los  vaisseaux  de  son  arrière-j^arde.  qui  auraient  été  iofaiU 
libloment  cou|Ȏs  et  battus  |)arles  quatre  vaisseaux  de  mon  avant-garde  qui 
n'avaient  |»as  combattu,  ainsi  (jue  |>ar  les  trois  en  réserve^  que  j'avais  destinés 
à  cet  objet,  ou  de  venir  au  secours  des  siens  et  de  faire  des  efforts  p*)ur  les 
dé^a^rer.  •  Dans  le  premier  cas,  il  avouait  lionteusemenl  sa  défaite;  dans  le 
deuxième,  la  mêlée  serait  devenue  très-chaude.  Mais  il  )  a  lieu  de  croire 
qu'il  aurait  eu,  dans  cette  seconde  rencontre,  d'autant  plus  de  désavantage 
que.  |M»ur  serourir  son  arrière-garde,  il  eût  été  obligé  de  coml>attre  de  nou- 
\eau  les  escadres  blanche  et  bleue,  et  que  notre  attaque  axant  lieu  |Kir  des- 
sous le  Vent,  il  |H'rdail  la  force  su|>érieure  de  ses  vaiSM'aux  à  trois  ponts 
dont  je  rendais  inutiles  les  |»remières  liatteries. 


LIVRE  II.  93 

moment  succéda  un  très-grand  mécontentement.  Le 
commandant  de  Tescadre  bleue  fut  accusé  d'avoir  man- 
qué à  ses  devoirs  comme  général  et  même  comme  soldat. 
Il  eût  été  facile  d'éclairer  Topinion  et  de  la  faire 
revenir  à  des  impressions  plus  conformes  à  Téquilé. 
Mais  cette  affaire,  au  lieu  de  rester  dans  le  domaine 
purement  militaire,  fut  transportée  sur  le  terrain  poli- 
tique, et,  dès  lors,  il  ne  fut  plus  possible,  pour  le  public, 
de  connaître  la  vérité. 

Le  duc  de  Chartres  ne  servait  pas  depuis  un  temps 
assez  long  dans  la  marine  pour  exercer,  dans  toute  sa 
plénitude,  le  commandement  qui  lui  avait  été  confié.  Le 
chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet,  un  des  officiers  géné- 
raux les  plus  braves  et  les  plus  capables  de  la  marine 
française,  avait  été  placé  auprès  de  lui  pour  lui  servir 
de  guide.  Dans  une  monarchie,  la  place  des  princes  étant 
là  où  on  se  bat,  le  duc  de  Chartres  représentait  sur  la 
flotte  la  famille  royale.  Depuis  le  jour  de  son  arrivée  à 
Brest,  il  avait  manifesté  hautement  le  désir  de  voir  notre 
armée  en  venir  aux  mains  avec  les  Anglais.  11  avait  tenu 
le  même  langage,  le  9  juillet,  lors  de  la  réunion  des 
officiers  généraux  et  des  capitaines  à  bord  de  la  Bretagne. 
Le  26  juillet,  c'est-à-dire  la  veille  du  jour  où  avait  eu  lieu 
le  combat  d'Ouessant,  le  Saint-Esprit  avait  communiqué 
avec  la  Bretagne.  Le  duc  de  Chartres  avait  profité  de  cette 
circonstance  pour  faire  connaître  au  commandant  en  chef 
qu'il  était  d'avis,  ainsi  que  le  chef  d'escadre  de  Lamotte- 
Picquet,  de  combattre  l'amiral  Keppel.  Cette  démarche 
indiquait,  de  la  part  du  prince,  l'intention  bien  arrêtée 
de  soutenir,  à  Paris,  les  décisions  énergiques  vers 
lesquelles  inclinait  le  commandant  en  chef.  Quant  à  son 
attitude,  le  jour  du  combat,  elle  avait  été  celle  d'un  homme 
de  son  rang  et  d'un  Français.  Les  témoignages  les 
phis  authentiques  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard. 
Si,  le  jour  du  combat,  le  duc  de  Chartres  avait  voulu, 
pour  une  cause,  d'ailleurs  parfaitement  inexplicable,  se 
soustraire  à  l'obligation  d'exécuter  les  ordres  du  lieu- 


HISTOIRE  nu  LA  MARINE  FRANÇAISE.     ' 

tenant  général  d'Orvilliers,  il  eût  fallu  que  son  conseiller 
gardât  un  silence  coupable.  U  n'est  pas  permis  de  soup- 
çonner Lamotlc-Picquet  d'avoir  accepté  un  pareil  rôle. 
Nous  allons  maintenant  examiner  les  faits  avec  la  si?ule 
préoccupation  d'établir  la  vérité  sur  cet  épisode  du  com- 
bat d'Ouessant>  Le  signal  fait  à  l'escadre  bleue  "  arriver 
par  un  mouvement  successif»  exprimait  un  ordre  donné 
directement  par  le  commandant  en  chef  au\  bftlimenls 
de  l 'avant-garde,  et  auquel  tous  l'taient  tenus  d'oWtr,  en 
se  conformant  strictement,  dans  l'exécution,  aux  règles 
de  la  tactique.  Or,  d'après  ces  règles,  l'évolution  devait 
commencer  par  le  vaisseau  qui  marchait  en  têlede  notre 
llotte.  Ainsi,  le  râle  principal  n'appartenait  pas  au  com- 
mandant de  l'avant-garde,  mais  bien  au  capitaine  du 
vaisseau  le  Diadème.  Quant  à  l'officier  général  dont  le 
pavillon  était  arboré  sur  le  Saini-Exprii,  que  ce  fût  le 
duc  de  Cliartrcs  ou  tout  autre,  il  avait  l'obligation  de 
surveiller  et  de  presser,  s'il  le  jugeait  nécessaire,  l'exé- 
cution des  ordres  du  chef  de  l'armée.  Il  pouvait,  dans  ce 
but,  adresser  au  Diadème  ou  A  tel  autre  vaisseau  de  son 
escadre  des  signaux  particuliers.  Eniin,  si  aucun  dt's 
vaisseaux  placés  sur  son  avant  n'obéissait  au  signal,  il 
lui  appartenait  de  commencer  le  mouvement'.  H  résulte 
de  ce  qui  précède  que  le  reproche  d'avoir  fait  échouer  lu 
combinaison  du  général  d'Urvilliers  atteignait  les  vais- 
seaux qui  précédaient  le  Saint-  Espril.  Ces  baiimcnla 
n'avaient  pas  aperçu,  en  temps  opportun,  les  pavillons 
flottant  aux  mii\st\e\^Brela(jnf,A*i  Saint-EsprilfXA^^X^  a 
sieurs  autres  répétiteurs'.  Était-ce  lu  fumée  qui  avait  eofl 

I.  C'i'el  la  niouvemeni  du  Sitinl-Eiiirii  qui  il<;riiJa  l'aniirnl  K«|ipel  à  njH 
peler  le  ficc-amirftl  Hartlniid  qui  avait  revirii  pour  pounuiviv  notre  nrriire- 
girde.  (napfxirt  de  d'Urvillii^rij,} 

3.  •  J'ai  tt6U  de  croiri!  i|uo  si  la  tiîe  Ae  l'escadre  bleue,  dans  l'ordre  rcn- 
v«r«é  où  noua  avons  combaUii,  avait  niieui  ri'poiidii  t  uim  aï^iuiui.  U 
Providcnca  aurait  couronné  nos  travaux  d'une  journée  uusai  glorieuan  pont 
votre  ministère  qu<>  pntir  le  (lavitlon  rraiii:aiB.  Mais  «t  elle  n'a  pa*  pemi* 
qu*  no»  mais  aÎMit  Hé  mmpleli',  au  moin»  n-l  elle  nccnrdii  une  protectÎM 
visiblo  nui  nriiii'sdii  Itiii,  u'n\a<il  ijui' n'Ianli'i'i'lle  riiunu'ii>re  <-■!  hitunl  v\i- 


-J 


LIVRE  II.  95 

péché  le  Diadème^  le  Conquérant^  le  Solitaire  et  Y  Intrépide 
de  voir  les  signaux,  ou  bien  cette  partie  du  service  était- 
elle  négligée  à  bord  de  ces  quatre  vaisseaux?  Il  est  difficile 
de  le  dire  aujourd'hui,  mais  que  ce  regrettable  résultat 
tût  dû  à  Tune  ou  Tautre  de  ces  deux  causes,  on  ne  pouvait 
reprocher  aux  capitaines  de  la  Cardonnie,  de  Monteil,  de 
Bricqueville,  de  Beaussier,  d'avoir  désobéi  à  des  ordres 
dont  ils  n'avaient  pas  eu  connaissance*.  Dans  une  lettre 
du  3  août,  le  lieutenant  général  d'Orvilliers  appela  l'at- 
tention du  ministre  sur  quelques  capitaines  dont  il  était 
extrêmement  satisfait.  «Voici,  Monseigneur,  lui  écrivit^il, 
les  noms  des  vaisseaux  et  capitaines  qui  m'ont  paru 
manœuvrer  avec  le  plus  de  précision  et  d'attention.  Je  ne 
comprends  point  les  officiers  généraux  qui  ont  presque 
tous  mon  suffrage,  et  j'ai  cherché  à  mériter  le  leur.  Ces 
vaisseaux  et  capitaines  sont  :  Y  Orient^  Hector;  le  Fendant^ 
marquis  de  Vaudreuil,  sur  tout  autre  ;  le  Magnifique^  de 
Brach;  ces  deux  derniers  étaient  mes  matelots  dans  le 
combat  et  jamais  on  n'en  a  eu  de  meilleurs;  le  Dauphin 
Royal^  marquis  de  Nieul  ;  V Artésien^  Des  Touches  ^  » 


Guler  avec  précision  toutes  les  autres  qu'elle  m*a  inspirées.  »  (Lettre  île 
d'Orvilliers  au  ministre.) 

1.  On  m'accuse,  écrivit  le  capitaine  la  Cardonnie,  d'être  cause  qu'une 
partie  de  Tarrière-garde  ennemie  n'a  pas  été  détruite  parce  que  je  n'ai  pas 
arrivé  dessus.  Le  signal  en  a  été  fait  à  bord  du  Saint-Esprit ,  chef  de  Tcs- 
cadre  dont  je  faisais  partie.  Je  réponds  que  je  n'ai  pas  vu  ce  signal.  Je  Taf- 
finue  avec  tous  mes  officiers  et  pilotes.  On  dit  qu'il  est  très-étonnant  que 
je  oe  l'aie  pas  vu,  d'autant,  ajoute-ton,  que  le  Fier  l'a  répété.  Je  réponds 
qu'il  n'y  a  rien  d'étonnant  qu'on  ne  Tait  pas  vu,  à  bord  du  Diadème  qui 
était  le  quatrième  en  avant  du  Saint-Esprit,  et  que,  si  le  Fier  l'a  répété,  il 
était  hors  de  portée  pour  distinguer  les  pavillons  d'autant  qu'il  était  vers  lu 
queue  de  l'armée  et  dans  le  soleil  par  rapport  à  nous.  Enfin  je  ne  saurais 
trouver  étonnant  qu'on  n'ait  pas  aperçu  de  mon  bord  ce  signal  fait  à  bord 
du  Saint-Esprit,  puisque  trois  vaisseaux,  placés  par  l'ordre  de  bataille  entre 
le  chef  et  nous,  ne  l'ont  pas  aperçu,  et  je  pense  qu'ils  no  l'ont  pas  \u,  puis- 
qu'il est  positif  qu'ils  ne  l'ont  pas  répété. 

2.  Revenant  sur  le  même  sujet,  le  comte  d'Orvilliers  disait  dans  une  Icllie 
du  ô  août  :  «  Le  Fendant,  dont  le  feu  a  égalé  la  précision  des  manœuvres 
dans  toute  la  campagne,  et  dont  le  capitaine,  M.  le  marquis  de  Vaudreuil, 
ne  saurait  recevoir  assez  d'éloges.  Le  Magnifique,  autre  matelot  de  la  Dre~ 
tarjne,  s'est  également  distingué  pi.r  son  feu  et  par  son  attention  à  serrer 


96  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Dans  la  journée  du  27  juillet,  ratlitude  du  comman- 
dant de  l'avant-garde  avait  été  non-seulement  correcte, 
mais  utile  au  succès  de  la  journée.  A  l'exception  des 
premiers  vaisseaux  de  Tescadre  bleue  qui,  suivant 
l'expression  du  comte  d'Orvilliers,  avaient  manqué  d'at- 
tention aux  signaux,  la  conduite  de  l'armée  avait  été  irré- 
prochable. Tous,  capitaines,  ofliciers,  matelots  et  soldats 
s'étaient  fait  remarquer  par  leur  zèle  et  leur  bonne 
volonté.  Après  ce  récit,  appuyé  sur  des  documents  cer- 
tains, authentiques,  on  cherche  inutilement  ce  qui  a  pu 
servir  de  base  à  ces  accusations  de  désol>éissance  et 
d'indiscipline,  dirigées  à  cette  épocjue  contre  d'honorables 
officiers,  et  qu'on  répète  encore  volontiers  aujourd'hui. 


m 


Soit  que  M.  de  Sarlines  crût  utile,  au  début  de  la 
guerre,  d'user  de  sévérité,  soit  qu'il  voulût  donner  satis- 
faction à  l'opinion  publique,  il  résolut  de  traduire  devant 
un  conseil  de  guerre  les  capitaines  des  vaisseaux  le  Z)m- 
dèmey  le  Conquérant*,  le  Duc-de-Bourgogne,  l'Alexandre^,  le 
iSphinx  et  le  capitaine  de  la  frégate  la  Fortunée^,  Le  lieu- 
tenant général  d'Orvilliers,  certain  du  zèle  et  du  dévoue- 
ment de  ses  officiers,  persuadé  que  les  erreurs  commises 
pendant  cette  courte  campagne  étaient  dues  à  l'inexpé- 

de  pK'S  le  OV»i#'ra/.  VActif  a  hravemrnl  coniluiUii,  mais  le  vaisseau  ilc 
loiile  l'armée  «jiii  a  cssu\é  le  plus  de  feu,  el  qui  au*si  en  a  le  plus  rendo. 
e>l  la  l'ilie-iii'-Paris  qui,  dérivant  plus  que  les  autres,  a  laissé  itasMge 
au  vent  à  lui  au  h'tmdroifant  qui  le  battait  à  l»;\hord,  lorsque  Tamiral  Kep- 
|K»I  qui  avait  dt\jà  arrivé  sous  le  feu  de  la  Drelnt/m'  le  tirait  à  trilwrd....  Le 
iMtuphiu-Iinijdl  vi  le  Paimier  se  sont  di^tin^'ués  par  la  vivacité  do  leur 
feu.  • 

1  l.e  Ititvitnne  et  le  Com/W't'iiut  étaient  les  deux  preniierN  vaisseaux  de 
I  arnire.  If  '21  juillet. 

•i.  I,e  bnr-iie-HoHrtjOijne  el  VAUx'Ui'ire  s'étaient  sé|»arés  «le  l'année, 
dans  la  nuit  du  Tl  au  *2^  juillet. 

J.  Le  >fffunx  et  la  f\»r/uMtr  ^  étaient  alM»rd«'>- 


LIVRE  II.  97 

riencc  de  la  navigation  d'escadre,  se  montra  opposé  à 
toute  poursuite.  Il  expliqua  sa  pensée  au  ministre  dans 
des  lettres  dont  nous  joignons  ici  lès  passages  les  plus 
intéressants  : 

« Le  temps,  Monseigneur,  est  trop  court  pour  pou- 
voir entreprendre  Tinstruction  du  procès  ou  Texamen  de 
la  conduite  de  MM.  de  Rochechouart  et  de  Trémigon  sur 
leur  séparation  de  Tarrnée,  la  nuit  du  23  au  24  juillet, 
puisque,  dans  six  jours,  si  le  temps  continue,  je  mets  à  la 
voile.  Il  en  est  de  môme  de  l'examen  des  vaisseaux  le 
Diadème  et  le  Conquérant  qui,  dans  l'ordre  renversé,  fai- 
saient la  tête  de  l'escadre  bleue,  et  enfin  de  l'abordage 
de  la  frégate  la  Fortunée  et  du  vaisseau  le  Sphinx.  Les 
informations  mettraient  sous  le  coup  des  conseils  de 
guerre  et  de  marine,  et  nécessairement  pour  un  temps 
considérable,  une  quantité  d'officiers  dont  les  services 
dans  ce  moment  nous  sont  absolument  nécessaires.  C'est 
donc  une  partie  forcée  de  remettre  les  informations  et  les. 
jugements  au  retour  de  l'armée.  Mais  permettez  que  je 
vous  dise  ma  pensée  ;  si  vous  sévissez  avec  cette  sévérité 
dans  les  commencements  de  la  guerre,  vous  allez  ôter 
toute  l'énergie  des  âmes.  La  plupart  de  nos  officiers  ne 
peuvent   se  dissimuler  à  eux-mêmes   qu'ils  manquent 
d'expérience  dans  l'ensemble  des  armées  et  des  escadres; 
que,  conséquemment,  ils  sont  dans  le  cas  de  faire  des 
fautes  involontaires,  et  si   l'espérance  de  l'indulgence 
leur  est  interdite,  la  crainte  de  voir  leur  honneur  com- 
promis les  retiendra  dans  une  timidité  qui,  bien  loin  de 
les  préparer  à  mieux  faire,  absorbera  les  talents  et  empê- 
chera les  progrès  que  l'on  doit  attendre  de  l'expérience. 
11  vous  sera  libre.  Monseigneur,  de  ne  plus  employer  les 
officiers  dont  vous  ne  serez  pas  content,  et,  si  vous  adop- 
tez mon  avis,  dicté  par  l'amour  du  bien  du  service  et  la 
gloire  de  voire  ministère,  ce  sera  la  seule  suite  que  doit 
avoir  la  journée  du  27  juillet,  d'ailleurs  honorable  pour 
la  nation. 

7 


98  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

« MM.  (le  Rochechouart  *  et    Trémigon*    Tatné 

assurent  n'avoir  aperçu  les  signaux  que  j'ai  fait  faire,  à 
huit  heures  et  demie  du  soir,  le  23  juillet,  et  que  le  chan- 
gement de  vent  avait  occasionnés.  S'ils  avaient  été  plus 
consommés  dans  le  métier,  ils  auraient  aperçu,  par  eux- 
mêmes,  que  le  mouvement  ordonné  était  indispensable 
pour  ne  pas  abandonner  l'avantage  du  vent  aux  ennemis, 
sous  le  vent  desquels  ils  se  sont  trouvés,  en  effet,  le  len- 
demain. L'éloignement  des  feux  de  l'armée  du  Roi,  que 
j'ai  fait  allumer  et  que  j'ai  conservés  toute  la  nuit,  était 
encore  un  avertissement  sensible  de  la  manœuvre  qu'ils 
devaient  faire.  Mais  tout  cela  ce  sont  des  fautes  d'inexpé- 
rience, ou,  pour  dire  le  vrai  mot,  d'ignorance  qui,  quoi- 
que considérables,  ne  touchent  point  à  l'honneur  et  à  la 
droiture  d'intention.  D'après  les  événements,  je  pense  de 
M.  de  Trémigon  l'aîné  (capitaine  de  VAlexaiidre)^  et  de 
M.  de  la  Gardonnie  (capitaine  du  Diadème]^  que  l'un  et 
l'autre  ont  prouvé  leur  valeur.  Je  les  crois  bons  marinSi 
mais  je  ne  puis  leur  accorder  d'être  offlciers,  le  dernier 
surtout 

«  Mais  enfin,  Monseigneur,  les  fautes  sont  pure- 
ment d'ignorance,  et  il  n'y  aura  jamais  d'affaire  générale 
entre  deux  armées  considérables  de  terre  ou  de  mer,  qu'il 
ne  s'en  rencontre  de  semblables.  Je  maintiens  donc  tou- 
jours et  je  pense  que  ce  sera  le  sentiment  le  plus  univer- 
sel (ju'il  ne  faut  pas  rechercher  les  choses  avec  une 
grande  sévérité,  surtout  lorsque  le  succès  est  favorable. 
D'ailleurs  votre  corps  de  la  marine  est  trop  réduit  pour 
pouvoir  vous  priver  des  services  d'une  partie  de  ses 
membres  qu'il  est  impossible  de  remplacer.  » 

La  fermeté  est  indispensable  pour  conduire  les  hommes, 
mais  cette  qualité  n'a  toute  sa  valeur  que  lorsqu'elle  est 
appli<iuée  à  propos.  Le  comte  d'Orvilliers,  qui  avait  une 


1.  Le  chef  d>Madre  (|ui  avait  hon  pavillon  sur  le  vaisseau  le  Duc-de- 

Dourgotjnc. 

î.  Le  capilaine  Uc  V Alexandre. 


LIVRE  II.  90 

expérience  particulière  de  la  navigation  d'escadre,  n'igno- 
rait pas  combien  il  était  difOcile,  au  début  de  la  guerre, 
de  composer,  aussi  bien,  d'ailleurs,  en  Angleterre  qu'en 
France,  une  flotte  de  trente -deux  vaisseaux,  manœuvrant 
bien,  ayant  une  cohésion  parfaite  et  complètement  dans 
la  main  de  son  chef.  Dans  une  lettre,  portant  la  date  du 
12  juillet  et  écrite  en  mer  quatre  jours  après  la  sortie  de 
Brest,  il  avait  prévenu  le  ministre  que  plusieurs  de  ses 
capitaines  manœuvraient  mal,  et  il  avait  ajouté  cette 
observation  dont  on  a  eu  souvent,  depuis  cette  époque, 
Toccasion  de  vérifler  l'exactitude.  «Ceci,  Monseigneur, 
vient  à  l'appui  de  ce  que  je  vous  ai  dit  plusieurs  fois,  de 
la  nécessité  des  escadres  d'évolutions  en  temps  de  paix.» 

M.  de  Sartines,  se  rangeant  à  l'opinion  du  lieutenant 
général  d'Orvilliers,  renonça  aux  mesures  de  sévérité 
qu'il  avait  crues  nécessaires.  Toutefois, M.  de  la  Cardonnie, 
capitaine  du  Diadème^  perdit  son  commandement. 

Après  le  départ  de  Tamiral  Keppel,  sorti  de  Portsmouth, 
le  9  juillet,  pour  se  porter  à  notre  rencontre,  le  peuple 
anglais  avait  attendu  avec  impatience  la  nouvelle  de 
notre  défaite.  La  vieille  renommée  de  la  marine  britan- 
nique, sa  supériorité  incontestée  pendant  les  dernières 
guerres,  étaient  à  ses  yeux  un  sûr  garant  de  la  victoire. 
La  vérité,  lorsqu'elle  fut  connue,  causa  chez  nos  voisins 
on  très-vif  désappointement.  On  disait,  pour  consoler 
Tamour-propre  national,  que  les  Français  avaient  profité 
de  leur  position  sous  le  vent  pour  laisser  arriver  pendant 
la  nuit  et  courir  sur  Brest.  Mais  ceci  n'exph'quait  pas  à 
une  nation  habituée  aux  choses  de  la  mer  l'inaction  de 
l'escadre  anglaise  dans  l'après-midi  du  27  juillet.  Pour- 
quoi l'amiral  Keppel,  ayant  l'avantage  du  vent,  ne  nous 
avait -il  pas  attaqués,  s'il  était  réellement  en  étal  de  le 
faire?  Ce  n'était  pas  le  temps  qui  lui  avait  manqué,  puis- 
que les  derniers  coups  de  canon  avaient  été  tirés  vers 
deux  heures  de  l'après-midi,  et  que,  à  cette  époque  de 
Tannée  et  par  cette  latitude,  la  nuit  ne  vient  que  très- 
tard.  Il  était  donc  bien  avéré  que  le  commandant  eu  chef 


I 


100  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

de  la  flotte  britannique,  orficier  aussi  expérimenté  que 
brave,  avait  reculé  devant  un  second  engagement.  Les 
manœuvres  exécutées  par  Tescadrc  anglaise,  dans  Taprës- 
midi  du  27  juillet,  devinrent  le  thème  de  discussions  pas- 
sionnées. L'amiral  Keppel  jouissait  d'une  telle  popularité 
qu'il  fut  mis  hors  de  cause,  mais  les  Anglais  voulaient  un 
coupable,  et  ils  crurent  le  trouver  dans  le  vice-amiral 
Palliser.  Il  fut  accusé  de  s'être  maintenu  au  vent  de  l'ar- 
mée, malgré  les  signaux  qui  enjoignaient  à  son  escadre 
de  prendre  son  poste.  L'obstination  de  cet  officier  général 
à  rester  éloigné  du  corps  de  bataille  et  de  l'avant-garde 
avait  empêché,  disait-on,  le  commandant  en  chef  de  for- 
mer une  ligne  régulière,  et  par  suite  de  renouveler  le 
combat.  Le  vice-amiral  Palliser,  croyant  que  l'état-major 
du  Victory  n'était  pas  étranger  aux  attaques  dont  il  était 
l'objet,  se  plaignit  très-vivement  à  l'amiral  Keppel  de  la 
conduite  des  officiers  de  ce  vaisseau.  Il  le  pria  de  démen- 
tir publiquement  les  bruits  qui  portaient  atteinte  à  son 
honneur.  N'ayant  pas  obtenu  la  satisfaction  à  laquelle  il 
crovait  avoir  droit,  le  vice-amiral  Palliser  adressa  à  l'ami- 
rauté  une  plainte  contre  son  chef.  11  déclara  que  l'amiral 
Keppel  avait  compromis,  par  sa  négligence  et  son  incapa- 
cité, l'honneur  du  pavillon  anglais.  Le  ministère,  sacri- 
liant  les  intérêts  de  la  discipline  à  des  rancunes  poli- 
tiques, prit  la  singulière  détermination  de  traduire,  sur 
la  plainte  d'un  de  ses  inférieurs,  le  chef  de  la  flotte  devant 
une  cour  martiale.  L'amiral,  honorablement  acquitté, 
ainsi  qu'il  était  facile  de  le  prévoir,  re^-ut  les  félicitations 
(les  deux  chambres  et  de  la  ville  de  Londres.  Son  adver- 
saire fut  obligé  de  résigner  son  emploi  dans  l'escadre,  et 
de  donner  sa  démission  de  membre  de  la  Chambre  des 
coHHUunes.  Le  capitaine  du  Duke^  vaisseau  de  soixante 
canons,  accusé  de  n'avoir  pris  aucune  part  à  l'action, 
<|uoiqu'il  eût  passé  à  pi;tite  distance  de  la  ligne  française, 
fut  déclaré  indigne  de  servir. 

La  vivacité  des  débats  qui  sVlevèrenl,  de  l'un  et  de 
l'autre  côté  du  détroit,   ^u^  lcfc>  divers   incidents  de  la 


LIVRE  II.  101 

journée  du  27  juillet,  s'explique  par  Timportance  que 
les  deux  nations  attachaient  aux  résultats  d'une  première 
rencontre.  Il  s'agissait  pour  l'Angleterre  de  savoir  si,  dans 
cette  nouvelle  lutte,  elle  allait  trouver  les  succès  faciles 
des  dernières  guerres.  La  France  se  demandait,  non  sans 
quelque  anxiété,  si  elle  pourrait  prendre  cette  revanche 
à  laquelle  le  pays  aspirait  depuis  le  traité  de  1763.  Celle 
affaire  «  honorable. pour  la  nation  »,  ainsi  que  l'avait  dit, 
avec  une  parfaite  justesse  d'expression,  le  lieutenant  gé- 
néral d'Orvilliers,  inspira  aux  Anglais  le  respect  de  notre 
marine  et  à  nous-mêmes  une  juste  confiance  dans  les  sui- 
tes de  la  guerre.  Telles  sont  les  circonstances  qui  don- 
nent, au  point  de  vue  historique,  un  intérêt  particulier 
au  combat  d'Ouessant. 


IV 


Le  lieutenant  général  d'Orvilliers  mit  sous  voiles,  le 
16  août,  avec  vingt-trois  vaisseaux,  les  seuls  qui  fussent 
en  état  d'appareiller.  Quelques  jours  après,  cinq  vais- 
seaux sortirent  de  Brest  et  vinrent  le  rejoindre  au  large 
d'Ouessant.  Après  être  restée  jusqu'au  27  août  à  l'ouver- 
ture de  la  Manche  et  sur  les  côtes  méridionales  d'Angle- 
terre, l'armée  se  dirigea  vers  le  sud,  et  elle  établit  sa 
croisière  à  la  hauteur  du  cap  Finisterre.  M.  de  Sartines 
ayant  prescrit  au  comte  d'Orvilliers  de  rentrer  avant  les 
coups  de  vent  de  l'équinoxe,  cet  officier  général  mouilla 
à  Brest,  le  18  septembre.  La  Jujion,  appartenant  à  son 
escadre,  avait  rencontré,  à  quarante  lieues  environ  dans 
le  sud-sud-ouest  d'Ouessant,  la  frégate  le  Fox^  de  trente 
canons.  Après  un  combat  très-vif,  la  frégate  anglaise,  dé- 
mâtée de  tous  ses  mâts,  avait  amené  son  pavillon*. 

1.  Le  capitaine  de  BeaumontGt  connattrc  au  ministre  toute  la  satisfaction 
que  lui  avait  fait  éprouver  la  conduite  de  ses  officiers  et  de  son  équipage. 
Il  cita  particulièrement  MM.  de  Chavagnac ,  lieutenant  de  vaisseau , 
de  Hoquefeuil,  enseigne  de  vaisseau,  Duclos,  Boursier  et  Mongon,  officiers 


102  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

C'était  la  seule  prise  de  quelque  importance,  faite  pen- 
dant cette  campagne  qui  avait  été  contrariée  par  des 
brumes  très-épaisses.  Toutefois,  cette  sortie  avait  eu 
pour  résultat  de  chasser  les  bâtiments  de  guerre  et  les 
nombreux  corsaires  qui  infestaient  nos  côtes.  Les  cabo- 
teurs purent  naviguer  en  toute  sécurité  depuis  Ouessant 
jusqu'au  fond  du  golfe  de  Gascogne*.  Ce  fut  au  retour 
de  l'escadre  que  le  duc  de  Chartres  débarqua  du  SaitU^ 
Esprit  et  quitta  définitivement  le  service  de  la  marine. 
Le  lieutenant  général  d'Orvilliers  demeura,  ainsi  que  le 
prouve  sa  correspondance  officielle,  absolument  étranger 
à  cette  détermination.  L'amiral  Keppel  ayant  paru  dans 
la  Manche  pendant  la  sortie  de  l'escadre  française,  on 
nous  accusa,  de  l'autre  côté  du  détroit,  d'avoir  volontai- 
rement évité  un  nouvel  engagement.  Le  lieutenant 
général  d'Orvilliers  avait  reçu  l'ordre  de  livrer  bataille  à 
l'ennemi,  s'il  le  rencontrait.  D'autre  part,  la  marche  de 
son  escadre  ayant  été  tracée  dans  ses  instructions,  il 
n'avait  eu  ni  à  fuir  ni  à  rechercher  les  Anglais.  Quant  à 
ces  derniers,  ils  ne  pouvaient  sérieusement  soutenir 
qu'ils  avaient  pris  la  mer  avec  l'intention  de  nous  com- 
battre. L'escadre  française  était  restée,  pendant  dix  jours, 
à  l'ouverture  de  la  Manche,  et  elle  avait  passé  vingt  jours 
sous  le  cap  Finisterre  ou  dans  le  golfe  de  Gascogne.  Si 
Tamiral  Keppel  avait  eu  le  dessein  bien  arrêté  de  nous 
joindre,  il  y  serait  facilement  parvenu'.  Ce  qui  était  vrai. 


auxiliaires.  M.  de  Beaumont,  qui  était  capitaine  de  vaisseau,  fut  appelé  au 
commandement  d'un  vaisseau  de  ligne. 

1.  Dans  une  lettre  du  21  septembre  du  comte  d'Orvilliers,  nous  relevons 
le  passage  suivant  ayant  trait  à  plusieurs  capitaines  de  son  escadre  dont 
les  noms  reparaîtront  dans  le  cours  de  cette  histoire  :  «  M.  Des  Touches  est 
un  bon  capitaine  et  du  nombre  de  ceux  avec  lesquels  je  n'hésiterais  pas  à 
entreprendre  des  manœuvres  délicates.  Si  vous  me  destinez  à  commander 
Tannée,  Tannée  procliaine,  je  vous  demande,  dés  à  présent,  de  le  désigner 
pour  en  faire  partie.  M.  le  marquis  de  Vaudreuil  et  M.  de  Brach.  mes  deux 
matelots  dans  la  première  sortie  et  dans  le  combat,  m'ont  donné,  dans  cette 
dernière,  le  témoignage  d'amitié  de  préférer  leurs  postes  au  commandement 
d'une  division.  » 

2.  Faisant  allusion  à  ces  bruits,  le  comte  d'Orvilliers  écrivait  au  minis- 


LIVRE  II.  10 

c'est  que,  ni  à  Paris  ni  à  Londres,  on  ne  désirait  un  se- 
cond engagement  entre  les  forces  que  commandaient  les 
amiraux  Eeppel  et  d'Ôrvilliers.  Le  gouvernement  français 
était  très-sérieusement  occupé  d'un  projet  de  descente 
en  Angleterre.  Des  troupes  étaient  dirigées  sur  les  côtes 
de  Bretagne  et  de  Normandie,  et  des  dispositions  étaient 
prises  pour  réunir  des  bâtiments  de  transport  dans  les 
ports  de  la  Manche.  Ces  préparatifs  devenaient  inutiles,  si 
nous  ne  conservions  pas  une  force  navale  suffisante  pour 
prot^er  le  passage  de  nos  sol  Jais.  Après  la  journée  du 
27  juillet,  qui  avait  donné  satisfaction  à  Tamour-propre 
national,  un  nouveau  combat  semblait  inopportun.  Quant 
aux  Anglais,  ils  pouvaient,  par  une  série  de  victoires, 
sinon  anéantir  notre  marine,  au  moins  la  réduire  à  l'im- 
puissance, ainsi  que  cela  était  arrivé  pendant  les  guerres 
de  1741  et  de  1756.  La  journée  du  27  juillet  avait  montré 
que  ce  but  n'était  pas  facile  à  atteindre.  D'autre  part,  la 
Grande-Bretagne  avait  eu, depuis  le  début  de  la  guerre,  à 
satisfaire  à  de  nombreuses  exigences.  Malgré  l'immensité 
de  ses  ressources,  il  ne  lui  restait,  pour  défendre  son 
littoral,  que  les  vaisseaux  de  Keppel.  C'est  pourquoi  elle 
tenait  à  ne  pas  compromettre  ces  remparts  de  bois  qui 
étaient  sa  meilleure  sauvegarde  contre  les  périls  d'une 
invasion.  Des  détachements  de  Tescadre  de  d'Orvilliers 
furent  successivement  envoyés  en  croisière  à  l'ouverture 
de  la  Manche  et  dans  le  golfe  de  Gascogne.  Des  frégates 
et  des  corvettes  reçurent  la  mission  d'assurer  la  sécurité 
de  la  navigation  près  de  notre  littoral.  Des  divisions 
légères  furent  envoyées  dans  la  mer  du  Nord,  autour  des 
Iles  Britanniques  et  sur  les  côtes  de  Portugal  et  d'Es- 


tére  :  «  Je  ne  puis  me  persuader  que  les  Anglais  aient  eu  jamais  sérieuse- 
ment, pendant  notre  dernière  sortie^  l'intention  de  nous  rencontrer.  L'armée 
du  Roi  a  constamment  navigué  à  découvert  par  de  fréquents  signaux  h 
coups  de  canon  et  des  feux  allumés  toutes  les  nuits.  Enfin,  pour  rentrer  à 
Brest,  nous  avons  fait  notre  attérage  sur  Oucssant,  où  Tarméc  anglaise 
était  sûre  de  nous  rencontrer,  et  où  nous  n'avons  aperçu  aucune  de  ses 
traces.  » 


HISTOIRE  DE  LA  MAHINK  FIIANI.IAISE. 

pagne.  Tel  fut,  jusqu'à  la  fin  de  l'année  1778,  le  rôle  dea 
b&timents  mouillés  sur  In  rade  de  Breel'. 

Après  le  rappel  de  son  ambassadeur,  l'Angleterre,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  avait  expédié  dans  l'Inde 
l'ordre  de  nous  attaquer.  Le  lo  juillet,  les  troupes  britan- 
niques prirent  possession  de  la  ville  de  Chanderna^or*. 
Dans  les  premiers  jours  du  mois  d'août,  le  général  Munro, 
à  la  léte  de  seize  mille  hommes,  vint  mettre  le  siège  de 
vani  Pondichéry.  Le  '.0,  le  commodore  Vernon  parut  de- 
vant la  ville  avec  un  vaisseau,  une  frégate  et  trois  cor- 
vettes. Le  vaisseau  de  soixante-quatre  le  Brillant,  la 
frégate  la  Pourvoyeuse,  de  trenle-lmit  canons,  et  trois 
navires  de  la  compagnie  des  Indes  armés  en  guerre,  le 
Sartines,  le  Lauriatim  et  le  Brissun,  étaient  sur  rade.  Ces 
bâtiments  mirent  immédiatement  sous  voiles  pour  se  por- 
ter au-devant  des  Anglais.  Après  un  combat  qui  dura 
environ  deux  heures,  et  dont  les  résultats  furent  indécis, 
les  deux  divisions  se  séparèrent.  Le  commodore  Vernon 
alla  à  Madras  et  les  Français  revinrent  A  Pondichéry.  Le 
gouvernement  français  ne  s'était  pas  préoccupé,  en  Lennps 
opportun,  de  mettre  la  ville  de  Pondicliéry  en  état  de  sou- 
tenir un  siège.  L'effectif  des  troupes  était  insufQsant  el^ 
les  fortifications,  abattues  en  1763,  n'avaient  pas  été  com- 
plètement relevées*.  Quoique  le  gouverneur,  M.  de  Belle- 
combe,  eût  la  ferme  résolution  de  se  défendre  jusqu'à  la 
dernière  extrémité,  le  sort  de  la  jilace  n'était  pas  douteux. 


I,  Nm  c^oiM^a^8  rcvenaii'nt  prosqui.-  Uiujoim  nvecdei  pris»*;  «prèiul 
lorlio  do  qunlquoB  joura,  Lamatte-I*icqiiet  nsntra  avec  dix  UtimenU. 

^.  Cbandurnngor  étnil  une  villa  OQTerta.  —  llans  l«  rapport  nrtrnmrf  pi 
Ie  gouverneur  au  minittrc  pour  lui  taire  coannllm  ut  dvAnenieat,  on  H 
re  lui  suit  :  •  La  canuil  de  Calciillfi  ajMl  reçu,  le  7  du  mois  do  juillnt.  k 
nouvullo  i]UF  la  (ruerm  avait  étri  dir.lar^  en  Euri>|K,  le  15  niars,  l'a  tcnoa  i| 
Mtrtlv  qite  jv  u'co  ai  H6  inriirm^  que  le  10,  A  la  vue  deit  troupe*  aogMatt 
■lui  ont  paru  t  cinq  heures  dii  malin.  ■• 

3,  Au  contmennnieDl  de  1778,  le  ministre  avait  envoyé  on  ofUcier  de  gtei*; 
le  ««  pilai  ne- major  de  Caire,  pour  compIMer  les  fort  i  G  calions  de  PoadieUiy:.' 
Farti  Hur  In  vaismii  le  Flamanil.  cri  ofGrier  était  arriva,  le  l&mai,  *  TVêl 
de  France.  1*  navire  marrliand,  sur  It^uel  il  salait  cmlinrquétuiurwiv 
A  sa  Jcstinnlion   nvnil  Ht-  [iri*  h  l'nlli'riigi'  j-nr  le  ^njflnii. 


I.IVHK  II,  105 

Le  L'omiiioilore  Vernon  avnil  reru  des  renforts  (|ui  lui 
(lonmiient  sur  la  division  française  une  su[iénorilé  mar- 
([u^e.  Convaincu  qu'il  serait  réduit  4  la  nécessité  de  brû- 
ler flCK  hdliincntâ  ou  de  les  rendro  h  l'ennemi,  s'il  ne  se 
lidlait  de  s'éloigner,  M.  de  Tronjolly  fit  route  pour  l'Ile  de 
Fnince.  Un  de  ses  navires,  le  Surlities^  en  mission  sur  la 
cûte,  fui  capturé  par  les  Anglais.  Le  17  octobre,  après 
imo  IW-H-belle  défense,  M.  de  Bellecombe  capitula.  L<> 
général  Munro,  rendant  bommoge  A  la  conduite  de  nos 
trou|>es,  leur  accorda  les  conditions  les  plus  bonorables. 
1^  garnison  sortit  de  la  place,  tambours  battant,  mèche 
allumée,  les  drapeaux  déployés,  emmenant  avec  elle  six 
Ciinons  et  deux  mortiers.  Elle  devait  être  renvoyée  en 
France  aux  frais  du  gouvernement  britannique  '. 

Une  clause  spéciale  du  traité  de  1763  nous  interdisait  de 
forlitîer  les  Iles  de  Saint-Pierre  et  Uiquelon.  La  garnison 
de  ces  deux  Iles  n'était  composée  que  du  nombre  de  sol- 
dats strictement  nécessaire  pour  assurer  le  service  de  In 
police.  Le  contre-amiral  Montagu,  qui  commandait  la  sta- 
tion anglaise  uu  Canada,  détacha  quelques  frégates  pour 
les  occuper.  Conformément  aux  instructions  du  gouver- 
nement britannique,  le  commodore  Evans,  chargé  de  cette 
expédition,  01  conduire  en  France  tous  les  habitants. 
Leurs  demeures,  les  magasins,  les  constructions  affectées 


I.  U,  (le  Bellecombe  Biiui  que  les  ofOciurs  et  les  soidaU  de  la  garnison  de 
PoiMliclidry  Toreat  renvoyéi  en  France  sur  le  Surfin»,  armé  en  ]iarlemen- 
Inlre,  et  t  bord  duquel  w  Imnvait  un  commissaire  anglais.  Ce  liAtinient 
courail  Uiiite*  voiles  dehors  vers  le  détroit  de  Gibraltar,  loriHiu'il  Tut  cliNMé, 
sons  U  cap  saint  Vincent,  par  le  *aisse«u  de  cinquante  le  Romney.  I«  Sarli- 
■ifi  rentra  ses  bonnellet,  cargus  ses  pcrroqueU  vt  sei  baues  voilu^  et  11  resta 
sous  ses  hDDïera,  ayant  en  Itte  de  aM  le  pavillon  parlementaire.  Arrivé  h 
|H>rt^  de  canon  do  cebUimonl,  le  Romneti  remplaça  la  flamme  et  le  pa*illo> 
blanc  qu'il  avait  eus  jusque-là  par  les  couleurs  anglaises,  et  il  envoya  toute  J 
sa  bordée  au  Sarlina.  Le  capilaioe  et  deui  soldats  Tarent  tu^  et  douu  ] 
hommes  furent  blessa.  Le  commandant  du  vaïs»eau  [lorut  regrcll«r  Irvs- 
Bincérvment  le  mol  qu'il  avait  fait.  Ou  le  capitaine  du  Bomneji  avait  conuni» 
un  ode  de  brutalité  indigne  d'un  orBcier,  ou  il  régnait  un  tel  désordre,  à 
iHird  de  son  navire,  qu'il  était  arrivé  h  petite  distance  du  Sarline»  snns  que 
In  position  de  ce  Ultimeut  edt  élé  reconnue.  Dans  les  deox  cas  sa  conduite 
étnit  *ans  i-KU.^e, 


i 


106  HISTOIRE  DE  LA  MAIUNE  FRANÇAISE. 

au  service  de  la  pèche  furent  démolis  ou  brûlés.  Ces 
procédés  barbares  offrent  un  contraste  frappant  avec  les 
sentiments  d'humanité  et  de  courtoisie  qui  présidèrent, 
pendant  le  cours  de  cette  guerre,  aux  relations  des  deux 
marines. 


LIVRE  III 


Traversée  de  l'osrAdre  française,  partie  de  Toulon,  le  13  avril.— Les  troupes 
anglaises  évacuent  Philadelphie,  à  la  fin  de  juin.  —  L'amiral  Howc  se 
relire  à  Sandy-Ilook.  —  Arrivée  des  Français  à  Tembouchure  de  la 
Delav^are,  le  8  juillet.  —  Notre  escadre  mouille  sur  la  côte,  près  de  New- 
York.  —  Le  comte  d'Estaing  se  dirige  sur  Hhode-Island.  —  Attaque  pro- 
jetée de  New-Port.  —  Apparition  de  Tamiral  Howe  devant  Rhode-Island. 
^  Le  comte  d'Estaing  appareille  pour  le  poursuivre.  —  Dispersion  des 
deux  escadres  à  la  suite  d'un  coup  de  vent.  ^  Les  Français  se  retirent  à 
Boston.  —  Défiart  de  notre  escadre  pour  la  Martinique.  —  Prise  de  la 
Dominique  par  le  marquis  de  Bouille.  —  Les  Anglais  attaquent  Sainte- 
Lucie  que  d'Eslaing  tente  inutilement  de  secourir.  —  L'île  se  rend  aux 
Anglais.  —  Arrivée  de  Pamiral  Byron  dans  la  mer  des  Antilles. 


I 


Les  vaisseaux  partis  de  Toulon,  le  13  avril,  franchirent 
le  détroit  de  Gibraltar,  dans  la  nuit  du  17  au  18  mai. 
Le  20,  les  capitaines  ayant  reçu  Tordre  d'ouvrir  les  plis 
cachetés  qui  leur  avaient  été  remis  avant  le  départ,  appri- 
rent la  véritable  destination  de  l'escadre.  Nos  vaisseaux 
étaient  envoyés  au  delà  de  l'Atlantique  pour  secourir  les 
États-Unis  d'Amérique.  Le  comte  d'Estaing  devait  com- 
mencer les  hostilités,  lorsqu'il  serait  à  quarante  lieues, 
dans  l'ouest  du  cap  Saint-Vincent.  «  Le  20,  à  onze  heures 
du  matin,  dit  le  chevalier  de  Borda*  dans  son  journal,  on 
a  dit  la  messe,  à  bord  du  Languedoc^  avec  beaucoup  de 
pompe.  Tout  l'état-major  y  a  assisté  en  grand  uniforme. 
On  a  pavoisé  et  on  a  mis  le  pavillon  de  commandement 
avec  le  grand  pavillon  de  poupe.    On  a  ensuite  publié 

l.  Le  chevalier  de  Borda  était  major  de  Tescadre. 


108  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Tordre  de  représailles  et  de  courre  sur  les  vaisseaux  an- 
glais, ainsi  que  Tordre  sur  la  distribution  des  prises. 
L'équipage  y  a  répondu  par  des  acclamations  de  joie  réi- 
térées, à  différentes  fois,  avec  des  cris  de  «  vive  le  Roi  !  » 
L'époque  à  laquelle  le  comte  d'Eslaing  était  parti  de 
Toulon  et  le  secret  qui  avait  entouré  sa  mission  lui  don- 
naient les  chances  les  plus  sérieuses  de  surprendre  et  de 
battre  l'escadre  de  Howe.  Celle  escadre,  ainsi  que  nous 
Tavons  dit,  était  retenue,  à  l'entrée  de  la  Delaware,  par 
la  position  du  général  Clinton  à  Philadelphie.  Toutefois, 
pour  atteindre  le  but  que  nous  poursuivions,  il  était  indis- 
pensable d'arriver  sur  les  côtes  des  États-Unis  avant  que 
les  Anglais  eussent  reçu  des  renforts.  Une  traversée  ra- 
pide était  donc  une  des  conditions  les  plus  essentielles 
du  succès.  Nous  allons  examiner  s'il  était  possible,  avec 
les  vaisseaux  qui  composaient  Tescadre,  d'obtenir  ce 
résultat.  D'Estaing  écrivait  au  ministre  par  la  frégate  la 
Flore^  expédiée,  à  la  lin  du  mois  de  mai,  dans  un  «les 
ports  de  la  côte  d'Espagne,  pour  porter  à  Paris  de  ses 
nouvelles  :  «  Le  Langtiedoc  et  le  César  ont  une  marche 
supérieure.  Le  Tonnant  est  le  troisième  voilier  de  Tesca- 
dre; après  ce  vaisseau  viennent  V Hector  et  le  Zélé,  Le 
Protecteur,  le  Fantasque  et  le  Sagittaire  sont  ce  qu'on 
appelle  trois  vaisseaux  de  compagnie.  Le  Marseillais  ei  la 
Provence  marchent  médiocrement.  Quant  au  Guerrier  et 
au  Vaillayitj  ils  sont  tous  deux  les  plus  mauvais  voiliers 
de  Tescadre.  M.  de  Bougainville  est  au  désespoir.  Toutes 
les  frégates  de  Tescadre  sont  obligées  de  porter  leurs 
perroquets  lorsque  le  Languedoc  et  le  César  n'ont  que 
leurs  huniers,  les  ris  pris;  tout  ce  que  peut  faire  VAima- 
blcy  c'est  de  nous  suivre.  »  D^Estaing  ajoutait  :  «  Ce  qui 
pourra,  Monseigneur,  vous  donner  une  idée  de  la  lenteur 
à  laquelle  nous  sommes  condamnés  par  le  Guerriei^  et  le 
Vaillant,  c'est  que  tous  les  bâtiments  marchands  qui  se 
sont  ralliés  à  nous  ne  se  sont  séparés  de  Tescadre  (jue 
lorsqu'ils  Ton!  voulu.  Ces  deux  vaisseaux  souffrent  et 
(ont  courir  des  risques  à  leur  mtlture,  en  restant  toujours 


LIVRE  III.  109 

couverls  de  toile,  tandis  que  nous  roulons  et  que  la  mer 
nous  mange,  parce  qu'il  faut  sans  cesse  tout  carguer 
l)Our  les  attendre.  »  Ainsi,  pour  une  cause  indépendante 
du  mérite  de  l'amiral  et  de  ses  capitaines,  notre  escadre 
se  dirigeait  vers  les  côtes  des  États-Unis  avec  une  extrême 
lenteur.  Le  ministre  avait  fait  armer  des  vaisseaux,  mais 
il  ne  s'était  pas  préoccupé  de  réunir  des  bâtiments  ayant 
les  qualités  requises  pour  opérer  ensemble*.  A  ce  tort, 
absolument  personnel  à  M.  de  Sartines  et  à  son  adminis- 
tration, vint  se  joindre  une  faute  dont  la  responsabilité 
retombe  tout  entière  sur  le  comte  d'Estaing.  Celui-ci  fit 
exécuter,  pendant  la  traversée,  de  très-fréquentes  évolu- 
tions. Or,  une  escadre,  qu'elle  soit  à  voiles  ou  à  vapeur, 
ne  peut  aller  vite  qu'à  la  condition  de  ne  faire  que  les 
manœuvres  strictement  indispensables.  Avec  les  forces 
dont  il  disposait  et  étant  donné  la  mission  qu'il  avait  à 
remplir,  on  a  le  droit  de  dire  que  le  comte  d'Estaing  se 
trompa  en  ne  sacrifiant  pas  tout  à  la  célérité.  L'escadre 
française  n'eut  connaissance  de  la  terre  que  dans  les 
premiers  jours  de  juillet.  Quelques  navires  marchands,  et 
un  corsaire  portant  vingt-deux  pièces  de  canon,  furent 
capturés.  La  frégate  le  Memiaid^  se  voyant  dans  l'impos- 
sibilité d'échapper  aux  bâtiments  qui  la  chassaient,  se 
jeta  à  la  côte.  Le  8  juillet,  quatre-vingt-sept  jours  après 
leur  départ  de  Toulon,  nos  vaisseaux  laissèrent  tomber 
l'ancre  à  l'embouchure  de  la  Delaware.  Nous  avons  indi- 
qué avec  précision  les  véritables  causes  de  la  lenteur  de 
cette  traversée  non-seulement  parce  qu'elles  contiennent 
une  leçon  qui  n'a  pas  perdu  de  sa  valeur,  mais  aussi 
parce  qu'elles  nous  permettent  de  réfuter  péremptoire- 
ment les  reproches  de  désobéissance  et  d'indiscipline 
auxquels  Fescadre  de  d'Estaing  n'a  pas  plus  échappé  que 
l'armée  de  d'Orvilliers.  On  a  dit  que  plusieurs  capitaines, 

1.  Il  est  inutile  de  dire  que  celle  observation  est  aussi  vraie  aujourd'hui 
qu'elle  Tétait  en  1778.  Les  escadres  doivent  être  homogènes,  sous  peine  de 
placer  entre  ien  mains  des  amiraux  des  inslrumcnUs  dont  ils  tireront  difûci- 
jement  parti. 


110  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

en  haine  de  leur  général,  s'étaient  fait  un  jeu  coupable, 
pendant  les  nuits  obscures,  soit  de  diminuer  de  toile,  soit 
de  se  laisser  sous-venter.  Dans  la  correspondance  de 
d'Estaing,  correspondance  très-volumineuse,  car  cet  offi- 
cier général  écrivait  beaucoup,  on  ne  trouve  rien  qui 
puisse  servir,  je  ne  dirai  pas  de  base,  mais  de  prétexte  à 
cette  accusation.  En  effet,  si  le  comte  d'Estaing  se  plai- 
gnait delà  marche  de  ses  vaisseaux,  il  louait  le  zèle  et  la 
bonne  volonté  de  ses  capitaines. 

Les  périls  auxquels  une  guerre  avec  la  France  exposait 
Tcscadre  de  Howe  n'avaient  pas  échappé  à  Tattcntion  du 
gouvernement  anglais.  Avant  que  les  hostilités  fussent 
commencées.  Tordre  avait  été  envoyé  au  général  Clinton 
d'évacuer  Philadelphie  et  de  se  retirer  à  New-York.  Les 
troupes  britanniques  s'étaient  mises  en  mouvement, 
le  22  juin,  suivies  de  très-près  par  les  Américains.  Le  30, 
elles  avaient  atteint  Middletown,  petite  ville  située  sur  le 
littoral,  dans  la  baie  de  New-York.  L'escadre  anglaise, 
retenue  par  les  calmes,  à  l'entrée  de  la  Delaware,  n'était 
arrivée  devant  Middletown  que  la  veille,  c'est-à-dire  le 
29  juin.  La  petite  armée  de  Clinton  avait  passé  sur 
Sandy-Hook,  et,  delà,  elle  avait  été  transportée  par  mer 
à  New-York.  L'amiral  Howe  avait  quitté  l'embouchure 
de  la  Delaware  avec  six  vaisseaux  de  soixante-quatre, 
trois  de  cinquante  et  des  transports  portant  les  vivres, 
les  munitions  et  les  bagages  les  plus  lourds  de  Tannée. 
Si  le  comte  d'Est<iing  avait  rencontré  l'escadre  anglaise, 
soit  au  mouillage,  soit  à  la  mer,  il  l'aurait  certainement 
battue.  Dans  le  premier  cas  comme  dans  le  second,  les 
troupes  britanni(|ues,  privées  de  Tappui  de  la  flotte, 
eussent  été  impuissantes  h  gagner  New-York.  C'est  parce 
que  le  général  Clinton  avait  reconim  la  difficulté  de  se 
rendre  directement  dans  cette  ville,  qu'il  avait  conduit 
ses  soldats  à  Middletown.  Sur  sa  route,  il  avait  eu  un  en- 
gagement, non  avec  la  totalité  mais  avec  une  partie  des 
forces  détachées  à  sa  poursuite,  et  il  a\ait  subi  un  échec. 
Si,  arrivé  à  Middletown,  il  n'avait  pas  trouvé  l'escadre  de 


LIVRE  m.  111 

> 

Howe,  le  passage  sur  Sandy-Hook  était  impossible,  et  il 
ne  lui  restait  d'autre  ressource  que  de  revenir  sur  ses 
pas.  Avant  d'avoir  atteint  New -York,,  il  eût  été  entouré 
et  contraint  de  se  rendre  à  discrétion. 

Après  avoir  expédié  la  Chimère  à  Philadelphie  pour  y 
conduire  M.  Gérard,  notre  ministre  auprès  du  congrès,  le 
comte  d'Estaing  reprit  la  mer,  et  il  arriva,  le  10  juillet,  en 
vue  de  Sandy-Hook.  L'amiral  Howe  était  prévenu,  depuis 
plusieurs  jours,  de  la  présence  d'une  escadre  française 
sur  la  côte.  Supposant  probablement  que  nous  n'avions 
pas  l'intention  de  Tattaquer,  il  n'avait  pris  aucune  posi- 
tion défensive.  Les  passes,  qui  du  large  conduisent  dans 
l'intérieur  de  la  baie  de  New-Vork,  n'ont  pas  une  grande 
profondeur.  Le  comte  d'Estaing,  ignorant  si  des  vaisseaux 
à  grand  tirant  d'eau,  comme  le  Languedoc  et  le  Césars 
pouvaient  les  franchir  sans  danger,  ne  voulut  prendre 
aucune  détermination,  &  cet  égard,  avant  d'avoir  consulté 
les  pilotes.  En  conséquence,  il  fit  mouiller  l'escadre  à 
quelques  milles  de  New-York,  devant  une  petite  ville  du 
nom  de  Shrewsbury.  La  question  qui  préoccupait  le  com- 
mandant en  chef  demandait  une  prompte  solution.  Les 
Anglais,  revenus  de  leur  surprise,  déployaient  ha  plus 
grande  activité  pour  réparer  le  temps  perdu,  et  s'établir, 
avec  l'aide  des  ressources  que  leur  offrait  l'arsenal  de 
New- York,  dans  une  forte  position.  Les  pilotes  américains 
n'arrivèrent  à  bord  du  Languedoc  que  le  16  juillet.  Lors- 
qu'ils eurent  appris  que  nos  vaisseaux  tiraient  vingt-trois, 
vingt-quatre  et  vingt-cinq  pieds  d'eau,  aucun  d'eux  ne 
voulut  assumer  la  responsabilité  de  les  mener  en  dedans 
de  Sandy-Hook.  Ils  affirmèrent  qu'il  n'y  avait,  de  haute 
mer,  dans  la  passe,  que  vingt-trois  pieds  anglais,  soit 
vingt  et  un  pieds  et  demi  de  France.  M.  de  Ribiers,  lieu- 
tenant de  vaisseau,  désigné  par  le  commandant  en  chef 
pour  exécuter  des  sondages  avec  les  pilotes,  ne  trouva, 
sur  la  barre,  que  vingt-deux  pieds  d'eau*.  Le  20  juillet, 

1.  Le  major  de  l'escadre  qui  avait  été  à  terre  en  est  revenu^  à  onze  heures, 


112  HISTOIRE  DE  LA  MAUIiNE  FRANÇAISE. 

le  comte  d'Eslaing  réunit  les  capitaines  de  Tescadre  à  son 
bord,  et,  en  leur  présence,  il  oiTrit  cent  cinquante  mille 
francs  aux  pilotes  américains,  s'ils  consentaient  &  entrer 
Tescadre.  Ceux-ci  ayant  affirmé  de  nouveau  qu'il  était  im- 
possible de  franchir  les  passes  avec  nos  vaisseaux,  ce  pro- 
jet fut  définitivement  abandonné.  Alors  même  qu'aucune 
considération  maritime  ne  se  fût  opposée  à  l'exécution  de 
cette  entreprise,  il  eût  été  difficile,  le  20  juillet,  de  la  ten- 
ter avec  des  chances  de  succès.  Les  équipages  de  l'esca- 
dre anglaise  avaient  été  complétés  par  des  matelots  pris 
sur  les  navires  de  commerce  et  des  soldats  de  l'armée  de 
Clinton.  L'amiral  Howc  avait  adjoint  à  son  escadre  plu- 
sieurs transports,  sur  lesquels  il  avait  fait  placer  des  ca- 
nons. Tous  les  bâtiments  en  état  de  prêter  le  travers  à 
nos  vaisseaux  formaient  une  ligne  très-serrée  dont  les 
extrémités  étaient  défendues  par  des  batteries.  Dans  ces 
conditions,  nous  n'étions  pas  sûrs  de  vaincre,  et,  en  cas 
d'insuccès,  nous  n'avions  pas.  de  retraite.  Le  congrès  fit 
proposer  au  commandant  de  notre  escadre  d'attaquer,  de 
concert  avec  les  Américains,  la  ville  de  New-Port,  située 
dans  HluKlc-Island.  Le  comte  d'Estaing,  qui  désirait  trou- 
\er  l'occasion  de  rendre  des  services  a  nos  alliés,  v  con- 
sentit. 

nynnl  Iravorsé  heiircust'mcnl  la  Kinv.  Il  êlail  accoiiipacrnô  de  M.  le  lioule- 
naiil-coloiiel  l^urens^  lils  du  président  du  oongrt'S  et  aide  de  camp  du 
général  Washinulon  dont  il  ap|H)rtait  les  lettres,  et  qui  amenait  en  même 
lempM  plusieurs  pilotes  jurés  américains  envoyés  par  le  congrès,  sur  la 
demande  de  M.  le  comte  d'Estaing.  |H)ur  faire  entrer  nos  vaissk'aux  en 
d(\lans  de  Sandy-lltK>k.  (les  pilotes.  a)ant  appris  que  nos  vai>seaux  liraienl 
>in^t  trois.  vini:t  quatre  et  vingt  cinq  pietls  d'eau,  ont  unanimement  décidé 
qu'il  leur  Mirait  im|K>ssible  de  nous  entrer,  s  étant  tous  acconlés  à  dire  qu'il 
n'y  a  dans  la  |vasse  que  vin^t-ln>i<  pit^ls  aiivrlais.  de  haute  mer.  ce  qui 
re^ient  a  \ingl  et  un  pieds  et  demi  de  France.  (!omme  le  général  ne  s'en 
tenait  qu*a\ec  peine  à  leur  rap|>4>rt  et  t|u*il  leur  a  annoncé  qu'il  ferait  alléger 
les  >ai»*s<»aux  le  plus  qu'il  sérail  |Mt>>ihle.  ces  pil«»tes  ont  demandé  à  aller 
MUider  sur  la  Uirre  au  milieu  de  la  |»ass<'  et  «fuils  seraient  acct>mpagn(*s  par 
un  nllirier  «pii  \erilierait  ce  qui  >e  trouverait.  1^»  général  a  nommé  en  con- 
séquence M.  «le  Itiluers  «pii  est  parti  a\eo  eux M.  de  Itihiers  a  r^ndu 

compte  au  gênerai  «pie  les  pilotes  ont  '4«>n«lé  au  milieu  el  dans  toute  la  lon- 
gueur de  la  |»asse  t-t  quiK  n'ont  tri>ine.  à  l»asse  mer.  que  Irois  brasM>  H 
demie.  {Jonrtml  du  /..i»f^Hfv/of  «lu  16  juilltt.) 


LIVRE  III.  113 

L'escadre  française  mit  sous  voiles,  le  22  juillet,  et 
elle  se  dirigea  vers  le  sud  *.  Aussitôt  qu'elle  fut  hors  de 
vue  des  Anglais,  le  comte  d*Kstaing  fit  route  pour  cette 
nouvelle  destination. 

II 

L'île  de  Rhode  est  située  dans  une  vaste  baie  découpée 
dans  le  littoral  de  l'Etat  qui  porte  ce  nom.  La  direction 
principale  de  l'île  est  nord  et  sud.  Le  bras  de  mer  qui  sé- 
pare sa  partie  orientale  de  la  terre  ferme  est  appelé 
Sea  Ghannel  ou  passage  de  l'Est.  L'île  de  Conanicut,  pla- 
cée parallèlement  à  Rhode-Islandflui  fait  face  dans  l'ouest. 
C'est  entre  ces  deux  îles  que  se  trouve  le  passage  princi- 
pal. Entre  l'île  de  Conanicut  et  le  continent,  il  y  a  une 
troisième  passe,  appelée  passe  de  l'Ouest  ou  de  Narragan- 
set.  Les  forces  anglaises,  commandées  par  le  général  Pi- 
got,  étaient  concentrées  à  New-Port.  Il  avait  été  convenu 
que  le  général  Sullivan  débarquerait  dans  la  partie  nord 
de  l'île.  L'escadre  française  était  chargée  d'assurer  le 
libre  passage  des  troupes  américaines.  Le  comte  d'Es- 
laing  devait,  en  outre,  pénétrer  dans  le  canal  principal 
et  prendre  à  revers  les  fortifications  de  la  ville.  Le  29 
juillet,  nos  vaisseaux  laissèrent  tomber  l'ancre  à  l'ouvert 
de  la  grande  passe.  Le  Fantasque  et  le  Sagittaire  furent 
chargés  de  surveiller  la  passe  de  Narraganset.  Les  fré- 
gates V Aimable,  YAlcmène^  et  la  corvette  le  Stanley, 
mouillèrent  à  l'entrée  de  la  passe  de  l'est,  dans  laquelle 
il  n'y  avait  de  fond  que  pour  les  corvettes.  L'occupation 
des  trois  issues  qui  conduisaient  vers  la  mer  coupait  la 

1.  Le  20,  le  général  fit  assembler  les  commandants^  attendu  que  les  pilotes 
ne  voulaient  pas  entrer  l'escadre.  Il  avait  envoyé  M.  de  Ribicrs,  lieutenant  de 
vaisseau.  |)our  sonder  la  passe, et  cet  officier  n'avait  trouvé  sur  la  l)arre  que 
vinfrl  h  vingtdeux  pieds  d'eau.  Le  comte  d'Estaing  proposa  aux  pilotes, 
devant  le  conseil  assemblé,  cent  cinquante  mille  francs,  s'ils  voulaient  se 
charger  d'entrer  l'escadre,  ils  refusèrent.  Le  général  se  décida,  de  l'avis  du 
conseil,  à  appareiller  de  celle  rade  pour  se  rendre  à  Rhode-Island.  {Journal 
du  major  de  ieacadre.) 

8 


114  HISTOIRB  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

retraite  aux  bAliments  anglais  qui  étaient  dans  Tintérieur 
de  la  baie.  L'officier  qui  les  commandait,  se  voyant  dans 
Timpossibilité  de  s'échapper,  fit  débarquer  les  vivres, 
l'artillerie  et  les  munitions,  et  il  se  tint  prêt  à  les  détruire 
à  notre  approche.  Le  5  août  au  point  du  jour,  le  Sat/it- 
taire  et  le  Fantasque  mirent  sous  voiles  pour  remonter 
la  passe  de  TOuest.  Après  avoir  doublé  la  pointe  de  File 
de  Conanicut,  ils  laissèrent  tomber  l'ancre  dans  la  passe 
du  milieu.  Plusieurs  navires  ennemis,  mouillés  dans  le 
nord  de  la  position  prise  par  les  deux  vaisseaux,  furent 
livrés  aux  flammes.  Nous  ne  laisserons  pas  dans  l'oubli 
un  trait  de  générosité  qui  fait  honneur  au  caractère  de 
notre  nation.  Le  commlhdeur  de  SutTren,  que  son  ancien- 
neté appelait  au  commandement  du  Sagittaire  et  du  Fan- 
tasqucy  défendit  par  signal  de  tirer  sur  les  embarcations 
qui  portaient  &  terre  les  équipages  anglais.  Le  Protecteur 
et  la  Provence  remplacèrent  le  Sagittaire  et  le  Fantasque 
à  l'entrée  de  la  passe  de  Narraganset.  Le  comte  d'Estaing 
attendait,  pour  entrer  dans  le  chenal  principal,  que  le 
général  Sullivan  eût  terminé  ses  préparatifs.  Ayant  ap- 
pris, le  8  août  1778,  que  les  Américains  étaient  préls  à 
passer  sur  rtle  de  Rhode,  il  franchit  la  passe  avec  huit 
vaisseaux.  Les  Anglais  ouvrirent  sur  nos  bâtiments  un 
feu  très-vif  auquel  ceux-ci  répondirent  énergiquement. 
L'escadre  mouilla,  aussitôt  qu'elle  fut  hors  de  portée  de 
canon  des  forts,  et  elle  prit  les  dispositions  nécessaires 
pour  s'embosser  au  premier  ordre.  Le  comte  d'Estaing 
voulait  être  en  mesure  de  repousser  l'amiral  Ho\%e,  si 
celui-ci,  après  avoir  reçu  des  renforts,  se  présentait  pour 
l'attaquer.  Le  Fantasque  et  le  Sagittaire  rallièrent  l'esca- 
dre dans  la  soirée.  Le  Protecteur  et  la  Provence,  chargés 
de  la  surveillance  de  la  passe  de  Narraganset,  vinrent  au 
mouillage  le  lendemain  matin.  Les  Anglais  avaient  coulé 
les  bâtiments  qui  étaient  à  l'ancre  devant  New-Port,  lors- 
que nous  avions  paru  dans  le  chenal.  Dans  la  nuit  du  8 
au  9  août,  le  général  Sullivan  débarqua  dans  Je  nord  de 
l'Ile  aw^c  dix  mille  hommes  et  une  nombreuse  artillerie  de 


LIVRE  m.  115 

campagne.  Le  9  dans  la  matinée,  quatre  mille  soldats  et 
matelots,  pris  sur  les  bâtiments  de  Tescadre,  furent  mis 
à  terre  dans  Tîle  de  Conanicut.  Ce  corps  était  destiné,  sous 
le  commandement  direct  du  lieutenant  général  d'Estaing, 
à  marcher,  avec  les  troupes  américaines,  à  Tattaque  des 
lignes  anglaises.  En  attendant  que  le  moment  d'agir  fût 
venu,  ce  personnel  avait  été  réuni  sur  Tîle  de  Conanicut 
pour  y  être  organisé  et  instruit. 

L'amiral  Howe  avait  éprouvé  une  très-vive  satisfaction, 
lorsqu'il  avait  vu  notre  escadre  disparaître,  le  22  juillet, 
à  l'horizon.  Il  attendait  des  bâtiments  qui  fussent  inévi- 
tablement tombés  entre  nos  mains,  si  nous  étions  restés 
plus  longtemps  au  mouillage  de  Shrewsbury.  Mais  la  for- 
lune,  à  laquelle  à  la  guerre,  comme  en  toutes  choses, 
il  faut  faire  une  part,  avait  favorisé  nos  adversaires.  Du 
22  au  30  juillet,  quatre  vaisseaux,  le  Comivallde  soixante- 
quatorze,  le  Raisonnable  de  soixante-quatre,  le  Centurion 
et  le  Renown  de  cinquante,  étaient  arrivés  séparément  à 
Sandy-Hook.  Le  premier,  qui  appartenait  à  l'escadre  de 
Tamiral  Byron,  s'était  séparé  de  son  armée  pendant  un 
gros  temps;  deux  venaient  d'Halifax  et  le  dernier  arrivait 
des  Indes  occidentales.  On  ne  tarda  pas  à  apprendre,  à 
New- York,  la  double  attaque  dont  le  général  Pigot  était 
menacé.  La  situation  des  troupes  britanniques  avait 
ceci  de  particulièrement  grave  que,  n'ayant  pas  de  re- 
traite, elles  étaient  réduites,  en  cas  d'insuccès,  à  mettre 
bas  les  armes.  L'amiral  Howe  eût  encouru  une  grave 
responsabilité  en  ne  faisant  pas  tout  ce  qui  était  en  son 
IK)uvoir  pour  empêcher  le  retour  d'une  nouvelle  conven- 
tion de  Saratoga.  H  quitta  Sandy-Hook  avec  treize  vais- 
seaux, un  de  soixante-quatorze,  sept  de  soixante-quatre 
et  cinq  de  cinquante,  sept  frégates  et  plusieurs  trans- 
ports portant  des  troupes,  des  vivres  et  des  munitions. 
L'amiral  anglais  avait  été  exactement  informé  des  dispo- 
sitions que  le  comte  d'Estaing  avait  prises,  à  son  arrivée 
devant  Rhode-Island.  Il  savait  que  plusieurs  bâtiments 
avaient  été  détachés  dans  les  passes  de  l'Est  et  de  l'Ouest, 


116 


HISTOIRE  DE  LA  MAHINE  FRAN(;AISE. 


tandis  que  le  gros  de  l'escadre  était  mouillé  à  l'ouvert  du 
canal  principal.  En  admettant  que  rien  ne  fût  changé  à 
celte  situation,  il  nous  attaquait  avec  l'avantage  du  nom- 
bre. Si  nous  avions  franchi  lapasse,  il  débarquait  saus 
diniculté,  au  sud  de  l'île,  les  secours  destinés  à  la  ga.T- 
nison.  Dans  cette  dernière  hypothèse,  il  avait  l'espoir 
d'effectuer  son  opération  sans  combat.  L'entrée  du  canal 
principal,  formée  par  la  pointe  des  Iles  de  llliode  et  de 
Conanicut,él<int  très-étroite,  une  escadre,  mouillée  devant 
New-Port,  ne  peut  gagner  le  large  que  si  les  vents  vien- 
nent du  nord.  Or,  ces  vents  sont  ceux  qui,  pendant  le  mois 
d'août,  soufflent  le  moins  fréquemment.  Ix)rsque  Howc 
parut  en  vue  de  Rhode  Island,  dans  la  journée  du  9,  il 
aperçut  l'escadre  fram;aise  dans  le  canal  principal.    Il 
signala  aux  transports  de  jeler  l'ancre  près  de  la  cdte,  et 
il  resta  sous  voiles  avec  les  bâtinienl»  de  guerre.  L'ap- 
parition   soudaine  de  l'ennemi  modifia   les   projets  dujl 
comte   d'Eslaing.    Les  hommes   et    ie   matériel  furcnl^ 
rembarques,  et  l'escadre  prit  ses  dispositions  pour  re- 
pousser les  Anglais,  dans  le  cas  oii  ceux-ci  tenteraient  de 
pénétrer  dans  la  baie.  Le  10  août,  à  sept  heures  du  malin, 
la  brise,  par  une  exception  très-rare  dans  cctlc  saison,  s'é- 
tant  établie  ou  nord -nord-est,  l'armée  appareilla  en  cou- 
pant les  cAbles.  Deux  heures  après,  elle  élait  hors  de  la 
passe  faisant  route  sur  l'ennemi.  L'amiral  Howe,  surprifl 
parla  rapidité  de  nos  mouvements,  rappela  les  bAtimentaJ 
qui  étaient  au  mouillage,  el  il  se  dirigea  vers  le  large  es  J 
se  couvrant  de  (oile.  H  tenait  A  éviter  un  cngagem(ait3 
désuviintagoux,  et,  d'autre  pari,  il  voulait  profiter  do  cetti 
circonstance  pour  nous  éloigner  dolthode-lsland.  La  jour- 
née se  passa  sans  incident  particulier.  Notre  escadre  i 
rapprocha  des  Anglais,  mais  elle  ne  les  gagna  pos  i 
pour  les  obliger  &  combattre.  Le  lendemain,  dans  l'aprè 
midi,  nous  avions  l'espoir  de  les  joindre,  lorsque,  vM 
cinq  heures  du  hoir,  la  hrise,  qui  avail  fraîchi  rapidi 
ment,  soufllu  en  coup  de  veut.  Les  di'iix  escadres  furentl 
dispersées,  et,  le   13  au  poini   du  Joui',  te  vaisseau  da| 


LIVRE  III.  117 

comte  d'Estaing  se  trouva  seul.  Son  beaupré  s'étant 
rompu,  toute  la  mâture  vint  en  bas;  il  eut,  en  outre,  la 
mauvaise  fortune  de  casser  la  barre  de  son  gouvernail. 
Le  Languedoc  était  dans  cette  situation,  lorsque,  un  peu 
avant  le  coucher  du  soleil,  il  fut  attaqué  par  le  Renown 
de  cinquante  canons.  Le  capitaine  du  Renown,  après  avoir 
reconnu  la  position  du  bâtiment  français,  manœuvra  de 
manière  à  lecanonner  par  Tarrière.  Le  Languedoc  se  dé- 
fendit avec  ses  pièces  de  retraite  jusqu'au  moment  où 
Tobscurité  mit  fin  au  combat.  Le  14,  dans  la  journée, 
tous  les  vaisseaux,  à  Texception  du  César,  rallièrent  le 
pavillon  du  commandant  en  chef.  Le  temps  étant  de- 
venu maniable,  le  comte  d'Estaing  fit  mouiller  Tesca- 
dre,  afin  de  permettre  au  Languedoc  d'installer  une 
mâture  de  fortune  et  aux  autres  bâtiments  de  réparer 
leurs  plus  grosses  avaries.  Le  Marseillais,  après  avoir 
perdu  son  mât  de  misaine  et  son  beaupré,  avait  été 
attaqué  par  un  vaisseau  de  cinquante  canons,  VIsis,  qui 
avait  été  obligé  de  se  retirer.  L'escadre  mit  sous  voiles, 
le  17  août,  et  elle  mouilla,  le  20,  devant  Rhodc-Jsland. 
L'amiral  Byron  avait  quitté  Plymouth,  le  12  juin  1778, 
avec  treize  vaisseaux,  pour  renforcer  Howe  que  le  départ 
de  d'Estaing  mettait  en  péril.  Assailli  pendant  sa  traver- 
sée par  des  gros  temps,  son  escadre  avait  été  dispersée. 
Quelques-uns  de  ses  vaisseaux,  et  le  sien  était  du  nombre, 
avaient  relâché  à  Halifax;  les  autres  avaient  continué 
leur  route  sur  New-York  où  ils  étaient  entrés  depuis 
quelques  jours.  Le  marquis  de  la  Fayette  s'empressa  de 
venir  à  bord  du  Languedoc  pour  porter  cette  nouvelle  au 
comte  d'Estainf>.  Quel  que  fût  le  désir  du  général  fran- 
çais de  tenir  la  promesse  qu'il  avait  faite  aux  autorités 
américaines,  il  se  voyait  contraint  de  renoncer  à  l'expé- 
dition de  Rhode-Island.  La  supériorité  de  l'ennemi  et 
l'état  dans  lequel  étaient  ses  vaisseaux,  notamment  le 
Languedoc  et  le  Marseillais,  lui  imposaient  d'autres  devoirs. 
11  réunit  à  son  bord  les  officiers  généraux  et  les  capi- 
taines, afin  de  les  consulter  sur  le  parti  qu'il  convenait 


118  HISTOmE  DR  LA  MARINE  FBAÎÎÇAISE. 

(leprcndrc.TouP  Turent  d'aviiicrnllrrù Boston,  oh  l'escadre 
pourrait  trouver  des  ressources,  et  où  elle  ferait  ses  répa- 
rations avec  plus  de  Récurilé  qu'à  New-Port.  Les  membres 
du  conseil  ajoutèrent  qu'il  fallait  nous  h&ter  de  partir,  si 
nous  ae  voulions  pas  trouver  les  Anglais  sur  notre  route. 
Il  n'était  pas  douteux  que  l'amiral  Howe,  ayant  en  ce 
moment  l'avantage  du  nombre,  ne  fit  tous  ses  elTorts 
pour  nous  joindre.  Le  général  Sullivan,  qui  s'était  établi, 
pendant  notre  absence,  en  face  des  lignes  anglaises,  al- 
icndiiit  impatiemmeni  notre  retour  pour  continuer  ses 
opérations  et  atfaquer New-Port.  Sa  déception  fut  extrême 
en  apprenant  que  notre  départ  était  résolu,  mais  ses  in- 
stances pour  obtenir  que  le  comte  d'Eslaing  revint  sur  cette 
détermination  demeurèrenlsansrésultat. Le  lendemainai, 
l'escadre  française  se  dirigea  sur  Boston  où  elle  arriva» 
le  28.  Le  César  était  depuis  huit  jours  à  ce  mouillage, 
rendez-vous  qui  avait  été  assigné  à  l'armée,  en  cas  de 
séparation,  lorsqu'elle  avait  quitté  New-Port,  le  10  août. 
Ce  vaisseau  avait  eu  un  engagement  assez  vif  avec  le 
Protifon  de  cinquante  canons,  monté  par  le  commodore 
Hotham.  La  présence  de  deux  vaisseaux  ennemis  et  la 
rupture  <lc  la  roue  du  gouvernail  avaient  décidé  le  César 
à  s'éloigner.  Le  iMnf/ne'Ior,  le  yfarseillais  et  le  Protec- 
teur, qui  avaient  fi  faire  de  grandes  réparations,  laissé* 
renl  tomber  l'ancre  près  do  la  ville,  tandis  que  le  reste 
de  l'escadre  mouillait  dans  la  baie  de  Nantasket.  Les  lies, 
au  milieu  desquelles  se  trouvent  les  passes  qui  condui- 


LIVRE  III.  119 

avait  fait  de  sérieux  progrès.  Le  1*'  septembre,  nous 
avions,  sur  Fîle  George,  six  mortiers  et  deux  batteries. 
Tune  de  onze  pièces  de  canon  de  vingt-quatre,  et  l'autre 
de  huit  pièces  de  dix-huit  et  de  vingt-quatre.  Cette  der- 
nière battait  la  grande  passe  et  la  passe  étroite  située  au 
nord  de  Tlle  George.  Trente  canons  de  dix-huit  et  de 
vingt-quatre,  placés  sur  Tlle  de  Nantasket,  tiraient  dans 
la  direction  de  la  grande  passe.  Des  batteries,  d'une  im- 
portance moindre,  étaient  déjà  commencées  sur  quelques- 
unes  des  nombreuses  îles  qui  avoisinaient  la  rade.  L'es- 
cadre française,  loin  de  redouter  l'attaque  de  Howe,  la 
souhaitait  très-vivement.  Le  comte  d'Estaing  avait  quitté 
le  Languedoc^  mouillé  près  de  Boston,  et  il  avait  mis 
son  pavillon  sur  le  César.  A  bord  de  tous  les  vaisseaux 
les  dispositions  étaient  prises  pour  présenter  le  travers  à 
l'ennemi.  Après  avoir  reconnu  la  force  de  notre  position, 
Tamiral  Howe  fit  route  sur  Rhode-Island. 

Le  départ  de  l'escadre  française,  le  21  août,  avait  placé 
le  général  Sullivan  dans  une  position  difficile  dont  il  s'était 
tiré  très-heureusement.  Après  avoir  fait  filer  sa  grosse 
artillerie,  il  avait  opéré  sa  retraite  en  bon  ordre,  s'arré- 
tant  pour  combattre,  quand  il  était  serré  de  trop  près. 
Le  31  août,  il  était  en  sûreté  avec  ses  troupes  et  son  maté- 
riel sur  le  continent.  Les  Américains  durent  se  féliciter 
de  la  rapidité  avec  laquelle  ils  avaient  exécuté  leur  mou- 
vement. Le  1"  septembre,  des  transports,  escortés  par 
quelques  navires  de  guerre,  amenèrent  à  New-Port  le 
général  Clinton  avec  quatre  mille  hommes.  Si  les  Anglais, 
après  la  rentrée  de  l'escadre  de  Howe,  à  la  suite  du  coup 
de  vent  du  1 1  août,  avaient  déployé  une  activité  égale  à 
celle  du  général  américain,  celui-ci,  bloqué  du  côté  de  la 
mer,  poursuivi  par  le  général  Clinton  avec  des  forces 
doubles  des  siennes,  eût  couru  les  plus  grands  dangers. 
L'amiral  Howe,  après  avoir  touché  à  Rhode-Island,  où  les 
événements  que  nous  venons  de  rapporter  rendaient  sa 
présence  inutile,  revint  à  New-York.  Le  général  Sulli- 
van n'avait  pas  admis  la  légitimité  des  motifs  qui  avaient 


120  HISTOIRE  DK  LA  MARINE   FRANÇAISE. 

déterminé  le  comte  d'Estaing  à  se  retirer  à  Boslon.  Ou- 
bliant la  réserve  que  lui  imposaient  la  siliialion  de  son 
pays  et  les  fonctions  qu'il  exerçait,  il  avait  prolesté,  en 
termes  peu  convenables,  contre  la  conduite  du  comman- 
dant de  notre  escadre.   La  nouvelle  de  ce  dissentiment 
s'était  très-promptement  répandue  dans  les  provinces 
septentrionales,  auxquelles  appartenaient  les  milices  qui 
avaient  combattu  sous  les  ordres  de  ce  général,  et  elle 
avait  soulevé  l'opinion  contre  nous.  Un  mouvement  po- 
pulaire, dans  lequel  deux  officiers  de  l'escadre,  HM.  de 
Saint-Sauveur  et  le  Plévîlle  le  Peley,  furent  grièvement 
blessés,  éclata  à  Boston'.  La  sagesse  des  autorités  amé- 
ricaines, le  calme  et  la  modération  du  comte  d'Estaing, 
apaisèrent  cette  efTervescence.  Les  généraux  Washington, 
Gates,  Greene  et  plusieurs  personnages  imporlanls  s'em- 
pressèrent de  désavouer  le  générai  Sullivan.  Ces  dif- 
licultés  avaient  pris  de  telles  proportions  que  le  congrès, 
regardant  son  intervention  comme   nécessairpT  adopta 
la  résolution  suivante  :  «  Le  congrès  conserve  le  plus 
haut  sentiment  du  zélé  et  de  l'attachement  que  le  comté  | 
d'Estaing  a  montrés  A  ia  caiise  des  États-llnis  en  pltf  J 
sieurs  occasions,  et  particulièrement  dans  l'offre  noblo  b|1 
généreuse  qu'il  a  faite  de  venir  à  Boston,  à  la  tiHe  de  SM  3 
troupes,  pour  coopérer  à  la  réduction  de  Rhode-lsland.  ■  ' 
La  nouvelle  de  l'arrivée  sur  le  continent  des  troupes  amé- 
ricaines avait  rendu   inutile  cette  proposition  qui  avait 
été  réellement  faite  par  le  comte  d'Estaing.  Il  est  permis 
d'ajouter  qu'elle  n'était  pas  trés-prudente.  Comment  noua  ' 
serions-nous  défendus,  sur  la  rade  de  Nantasket,  contnl 
une  attaque  de  l'escadre  anglaise,  si  l'élite  de  no»  éqill 
pages  était  partie,  par  la  voie  de  terre,  pour  se  battre  a 
l'Ile  de  Rhode? 

L'Angleterre  n'avait  pas  seulement  h  faire  la  guerre  suti 
mer,  elle  devait  défendre  son  sol,  ses  colonies,  et  conti^ 
nuer  la  lutte  engagée   avec  le  peuple  américain.  PouM 

M,  il'  Sainl-Sailvoiir  siicrcimbH  ji  se»  lilnxurf  n. 


•  LIVriE  III.  121 

satisfaire  à  toutes  ces  exigences,  une  armée  considérable 
était  nécessaire.  Or,  les  Iles-Britanniques  fournissaient 
peu  de  soldats,  et  les  ressources  qu'offrait  la  Hosse  et 
quelques  autres  parties  de  TAllemagne  pour  le  recru- 
tement   des  troupes    anglaises   étaient     limitées.    Pro- 
fitant de  rapproche  de  Thiver^  saison  pendant  laquelle  les 
opérations  de  guerre  subissaient  dans  le  nord  des  Etats- 
Unis  un  ralentissement  forcé,  la  cour  de  Londres  pre- 
scrivit au  général  Clinton  d'envoyer  cinq  mille  hommes 
aux  Indes  occidentales.   Ces  troupes   devaient    quitter 
Sandy-Hook,  dans  les  premiers  jours  de  novembre,  sur 
cinquante  bâtiments  de  transport  escortés  par  le  Commo- 
dore Hotham  avec  cinq  vaisseaux.  L'amiral  Byron,  le  nou- 
veau commandant  en  chef  des  forces  navales  de  l'Angle- 
terre, était  arrivé,  le  16  septembre,  à  New- York.  Il  vint,  à 
la  fin  d'octobre,  devant  Boston,  afin  de  couvrir  le  passage 
du  Commodore.  A  la  suite  d'un  coup  de  vent  très-violent, 
tous  les  bâtiments  anglais  furent  dispersés  ;  quelques-uns 
rentrèrent  à  New- York  et  les  autres  relâchèrent  à  Rhodc- 
Island.   Le  Somerset^  de  soixante-quatorze,  se  jeta  à  la 
côte,  à  l'entrée  de  la  Chesapeak,  et  son  équipage  fut  fait 
prisonnier.  Le  comte  d'Estaing,  réduit  à  l'inaction  par  la 
supériorité  de  l'ennemi,  n'attendait  qu'une  occasion  favo- 
rable pour  se  rendre  dans  les  Antilles.  Profitant  de  l'éloi- 
gnement  des  Anglais,  il  fit  route  pour  la  Martinique.  Le 
25  novembre,  trois  navires,  appartenant  au  convoi  qui 
avait  quitté  Sandy-Hook  dans  les  premiers  jours  du  mois, 
furent  chassés  et  pris  par  nos  frégates.  Cette  rencontre 
nous  apprit  ce  que  nous  ignorions  complètement,  c'est- 
à-dire  le  départ  du  commodore  Hotham  avec  des  forces 
considérables  pour  la  mer  des  Antilles.  Les  capitaines 
des  bâtiments  capturés  s'étaient  séparés,  la  nuit  précé- 
dente, de  l'escadre  anglaise,  mais  ils  ignoraient  quelle 
était  sa  destination.  La  route  qu'ils  suivaient,  au  moment 
où  nous  les  avions  aperçus,  les  faisait  passer  au  vent  de 
toutes  les  îles.  Il  y  avait  lieu  de  croire  que  les  Anglais  se 
dirigeaient  sur  la  Barbade,  mais  le  comte  d'Estaing  se 


12Î  HISTOIRE  DK  L\  MARINE  FRANÇAISE.         ♦ 

persuada  qu'ils  allaient  à  Ântigue.  Il  fit  de  la  toile  afin 
de  rejoindre  Tennemi  dont  nous  étions  évidemment  très- 
près.  Le  6  décembre,  Tescadre  française  arriva  par  la 
latitude  de  la  Désirade,  point  d'attcrage  des  navires  qui 
se  rendent  à  Antigue.  Après  avoir  croisé,  pendant  qua- 
rante-huit heures,  à  la  hauteur  de  cette  île,  sans  aperce- 
voir l'ennemi,  le  comte  d'Estaing  se  décida  à  faire  roule 
pour  la  baie  de  Fort-Royal  où  il  mouilla  le  9  décembre. 

Pendant  le  séjour  qu'il  venait  de  faire  sur  les  côtes  de 
l'Amérique  septentrionale,  le  lieutenant  général  d'Eslaing 
n'avait  fait  aucune  opération  de  guerre  proprement' dite. 
Il  était  arrivé  trop  tard  pour  surprendre  les  Anglais  à 
Tembouchure  de  la  Delaware.  Le  refus  obstiné  des  pilotes 
de  conduire  nos  vaisseaux  au  mouillage  de  Sandy-Hook 
ne  lui  avait  pas  permis  d'attaquer  l'amiral  Howe.  Enfm, 
l'expédition  de  Rhode-Island,  à  peine  commencée,  avait 
été  abandonnée.  Cependant  nous  avions  déjà  rendu  &  la 
cause  des  Etats-Unis  des  services  très-réels.  C'était  l'atti- 
tude du  cabinet  de  Versailles  qui  avait  appelé  l'attention 
du  ministère  anglais  sur  les  dangers  auxquels  Howe  était 
exposé.  En  donnant  à  cet  amiral  l'ordre  de  quitter  sa 
[)Osition,  la  cour  de  Londres  avait  été  obligée  de  prescrire 
l'évacuation  de  Philadelphie,  puisque  l'armée  de  Clinton 
ne  pouvait  se  passer  de  l'appui  de  la  marine.  Il  était  donc 
exact  de  dire  que  ce  résultat  était  entièrement  dû  à  l'al- 
liance française.  Des  commissaires,  munis  de  pleins  pou- 
voirs pour  négocier  le  rétablissement  de  Tunion  entre 
l'Angleterre  et  ses  anciennes  colonies,  avaient  débarqué 
i\  New-York,  au  commenccmcnl  de  juin  1778.  C'était  un 
dernier  effort  que  tentait  le  ministère  britannique  pour 
empêcher  le  congrès  de  ratifier  les  traités  conclus  avec 
nous.  L*abandon  d'une  ville  de  l'importance  de  Phila- 
delphie avait  montré  aux  moins  clairvoyants  que  c^était 
la  faiblesse  et  non  la  générosité  qui  avait  inspiré  aux 
hommes  irÉtat  de  la  Grande-Bretagne  cette  démarche  en 
apparence  conciliante.  Les  .américains  s'étaient  sentis 
d'autant  plus  forts  pour  repousser  les  propositions  d'ac- 


LIVRE  III.  123 

commodément  (le  lacoiirdeLon(lres,qirils  avaient  la  cer- 
titude d'être  soutenus  par  la  France.  En  effet,  les  traités 
signés  à  Paris,  le  6   février   1778,   avaient  été   remis, 
le  2  mai,  au  congrès  par  Simon  Deane*,  qui  avait  pris 
passage  sur  la  frégate  laSensi6/e,  partie  de  Brest,  le  8  mars. 
L'arrivée  du  lieutenant  général  d'Estaing,  en  augmentant 
la  confiance  du  congrès  dans  le  succès  déHnitif  de  Tin- 
surrection,  avait  enlevé  aux  commissaires  anglais  toute 
espérance  de  réussir  dans  leur  mission.  La  corvette  le 
Stanley j  les  corsaires  la  Rose^  et  la  Fanny  et  dix-huit 
navires  marchands  avaient  été  capturés  par  nos  bâti- 
ments. Le  Sloop  Yo7'k  était  tombé  entre  nos  mains,  maïs 
il  avait  été  repris  par  les  Anglais.  La  frégate  le  Mei-maidy 
de  vingt-huit  canons,  sur  le  point  d'être  jointe  par  le 
FanUisqueùX  le  SctgUtaire^  s'était  jetée  à  la  côte,  le  8  juillet, 
à  l'embouchure  delà  Delaware.A  Rhode-lsland,  la  frégate 
le  Grand-DuCy  de  quarante  canons,  les  frégates  Orphée^ 
LarckjJunon  et  Flore^  de  trente-deux,  le  Cerbère,  de  vingt- 
huit,  les   corvettes  Kings  Ficher  et  Falcon  et  quelques 
petits  bâtiments  avaient  été  brûlés  ou  coulés  par  les  An- 
glais. La  corvette  le  Sénégal  et   une  galiote    à  bombe 
avaient  été  prises  par  nos  frégates ,  après  le  coup  de 
vent  du  11  août. 


III 


La  frégate  la  Concorde,  arrivée,  le  17  août,  à  la  Marti- 
nique, avait  apporté  au  gouverneur  général  des  lles-du 


1.  Simon  Deane  était  le  frère  de  Silas  Deane,  un  des  trois  envoyés  des 
Étais-Unis  auprès  de  la  cour  de  Versailles.  C'était  ce  dernier  qui  avait  pris 
passage  sur  le  Ixinguedoc, 

2.  Ce  corsaire,  armé  de  vingt-deur:  pièces,  fut  aperçu,  le  5  juillet,  par 
Tescadre.  Le  Languedoc  signala  à  la  frégate  VEngacfeanU  de  le  chasser. 
U  Boi<e  n^amena  son  pavillon  qu'après  une  Irés-vive  résistance.  Ce  bâtiment 
était  dans  un  tel  état,  qu'on  fut  obligé  de  le  couler.  Le  corsaire  eut  une 
grande  partie  de  son  équipage  hors  de  combat  ;  sept  hommes  de  l'équipage 
de  V Engageante  furent  blessés 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 
Vent  la  nouvelle  des  actes  d'hostilités  commis  par  l'ami- 
ral Keppel  et  l'ordre  du  Roi  d'user  de  représailles  envers 
les  Anglais.  Enlre  la  Martinique  et  la  Guadeloupe,  et  à  la 
VHe  de  chacune  de  ces  Iles,  se  trouve  la  Dominique.  Le 
ministre  de  la  marine  presrrivait  au  marquis  de  Bouille 
de  saisir  toute  occasion  de  se  rendre  maître  de  celte  Ile 
que  nous  avions  cédée  à  la  Grande-Bretagne,  en  1763. 
Les  Anglais  avaient  mis  un  soin  particulier  à  la  for- 
lilicr,  mais,  en  raison  de  l'étendue  des  ouvrages  qu'ils 
avaient  construits  et  de  l'artillerie  qui  les  armait,  lu  dé- 
fense exigeait  un  nombreux  personnel.  A  la  fin  du  mois 
d'août  177S,  la  garnison,  par  suile  d'une  négligence  difti- 
cile  A  comprendre  de  la  part  des  autorités  britanniques, 
comptait  à  peine  quelques  centaines  de  soldais  réguliers. 
Le  marquis  de  Bouille,  informé  de  cette  situation,  résolut 
de  mettre  immédiatement  h  exécution  les  ordres  de  M.  de 
Sartines.  Les  forces  navales  dont  il  disposait  étaient  infé- 
rieures &  celles  de  l'ennemi,  mais  il  se  proposait  d'agir 
avec  une  telle  promptitude  que  le  commandant  de  la 
station  anglaise,  le  contre-amiral  Barrington,  arriverait 
trop  tard  pour  s'opposer  à  ses  desseins.  Le  6  septembre, 
après  le  coucher  du  soleil,  dou7.e  cents  soldats  et  mille 
volontaires  créoles,  blancs  et  hommes  de  couleur,  furent 
embarqués  sur  les  frégates  lu  Tourterelle,  lu  Dilif/«nte, 
VAmphitrite,  la  corvette  ÏÊtourtHe  et  une  llottille  de 
transports.  Nos  troupes,  mises  à  terre  le  lendemain  dans 
la  matinée,  occupèrent,  sans  coup  férir,  les  positions  qui 
couvraient  la  capitale  de  l'Ile.  Le  gouverneur,  voulant 
épargner  A  la  petite  ville  du  Roseau  les  conséquences 
d'une  prise  d'assaut,  demanda  h  capituler.  Le  général 
français  traita  les  habitants  avec  lu  plus  grande  généro- 
sité. U  décida  qu'ils  conserveraient,  jusqu'à  la  paix,  Ii< 
réj{ime  administratif  et  judiciaire  sous  lequel  ils  vivaient. 
Si  lu  Dominique  restait  fruni;jiise,  les  colons  qui  ne  con- 
sentiraient pas  A  changer  de  nationalité  auraient  toute 
liberté  de  sortir  de  l'Ile  en  emportant  ce  qu'ils  possé- 
daient. Aucun»  violence  ne  fut  commise  contre  let 


Irc  les  pavj 


LIVRE  m.  12^ 

sonnes  ou  contre  les  propriétés,  et  les  ennemis  eux-mêmes 
rendirent  hommage  à  l'exacte  discipline  observée  par  no< 
soldats.  Cent  soixante -quatre  pièces  de  canon,  vingl- 
qualre  mortiers,  des  vivres,  des  munitions  et  des  effels 
militaires  tombèrent  entre  nos  mains.  Après  avoir  désigné 
les  troupes  qui  devaient  occuper  notre  nouvelle  conquête, 
M.  de  Bouille  reprit  la  route  de  la  Martinique.  Lorsque  le 
contre-amiral  Barrington  avait  eu  connaissance  de  l'at- 
taque dirigée  contre  la  Dominique,  il  s'était  hâté  de  venir 
au  secours  de  l'île,  mais,  à  son  arrivée,  le  pavillon  fran- 
çais flottait  sur  tous  les  forts  et  nos  bâtiments  avaient 
disparu.  11  retourna  à  la  Barbade,  attendant  avec  la  plus 
vive  impatience   les  renforts  qui  lui  étaient  annoncés 
d'Amérique.  II  se  proposait  de  tenter  quelque  opération 
dont  le  succès  atténuât  Teffet  que  devait  produire  eu 
Angleterre  la  perte  de  la  Dominique.  Ignorant  que  le 
comte  d'Estaing  eût  quitté  Boston,  il  se  considérait  comme 
maître  de  la  mer,  et,  par  conséquent,  libre  de  se  porter  là 
oii  il  le  jugerait  convenable.  Il  jeta  les  yeux  sur  Sainte- 
Lucie,  dont  la  possession  avait,  pour  la  marine  britan- 
nique, une  importance  particulière.  De  cette  île,  placée  à 
petite  distance  de  la  Martinique,  on  pouvait  surveiller  les 
mouvements  des  forces  françaises  mouillées  dans  la  baie 
de  Fort-Royal  Le  11  décembre,  vingt-quatre  heures  après 
l'arrivée  du  commodore  Hotham  à  la  Barbade,  l'amiral 
Barrington  fit  route  sur  Sainte-Lucie.  Il  avait  avec  lui 
sept  vaisseaux  et  un  convoi  portant  quatre  mille  homme>. 
Les  troupes  débaniuèrent,  le  13,  près  de  l'anse  du  Cul- 
(Ic-Sac,  et  elles  s'emparèrent  immédiatement  des  hau- 
teurs qui  dominent  cette  petite  baie.  Ce  premier  avan- 
lairc  donna  aux  Anglais  un  bon  mouillage.  Le  len- 
demain, l'ennemi  marcha  sur  le  Morne  Fortuné,  capitale 
de  l'île,  que  le  gouverneur,  M.  de  Micoud,  évacua  dans 
la  crainte  d'être  enveloppé.  La  garnison  française 
posée  de  quelques  centaines  de  soldats  et  de  o 
be  relira  dans   les   montagnes.  Les  Anglais 
gèrenl  immédiatement  sur  la  baie  du  Garéo) 


126  lUSTUlHK  UK  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

&  trois  milles  dans  le  nord  de  l'anse  du  Cul-de-Sac.  Les 
deux  exti-éniifôs  de  la  baie,  ainsi  que  le  Horae  de  la 
Vierge,  position  Tortillée  qui  domine  le  mouillage,  furent 
occupés.  Le  14  décembre  dans  la  soirée,  les  généraux 
Grant  et  Meadows,  qui  commandaient  le  corps  expédi- 
tionnaire, étaient  maîtres  de  ioiit  le  littoral,  s'étendant 
do  la  pointe  nord  de  la  baie  de  Carénage  à  la  limite  sud 
de  l'anse  du  Cukte-Sac.  Ces  événements  s'étaient  accom- 
plie avec  une  telle  rapidité  que  les  Français  n'avaient 
pas  eu  le  temps  ou  avaient  négligé,  dans  la  précipitation 
do  leur  reiraile,  d'encloucr  leur  artillerie  et  de  détruire 
les  munitions. 

Le  13  décembre,  un  corsaire  américain  apporta  ft  la 
Martinique  la  nouvelle  do  la  sortie  du  contre-amiral  Bar- 
rington.  On  crut,  d'après  le  rapport  du  capitaine  de  ce 
bdtiment,  <|uc  les  Anglais  «liaient  à  la  Grenade,  mais,  le 
U,  le  comte  d'Estaing  eut  la  certitude  qu'ils  attaquaient 
Sainte-Lucie.  Depuis  que  la  guerre  était  imminente, 
M.  de  Bouille  n'avait  jiris  aucune  disposition  pailiculiére 
pour  mettre  cette  Me  eu  état  de  défense.  Ce  nVtail  pas 
(|ue  le  ^'ouvcnicur  général  des  Iles-du-Vent  cùl  manqué 
d'activité  et  de  pré\o\uncc.  Il  possédait  au  plus  haut  de- 
gré ces  deux  qualités,  mais,  en  s'emparant  de  la  Donii- 
ni<pic  et  on  abanilonuant  Saintc-Lut-ie  à  ses  propres 
forces,  il  s'était  «Irictement  conformé  aux  ordres  du  mi- 
nistre. Quelles  (pie  Tussent,  sur  ce  jioint,  les  instructions 
de  H.  de  Sarlines,  le  comte  d'Estaing  pouvait  d'autant 


i.ivnr:  111.  127 

le  gouvernement  avait  conQé  au  comte  d'Estain^f  le  cuni- 
mandement  militaire  des  lles-du-Vent.Cct  officier  général 
expédia  des  bâtiments  A  la  Guadelou|iG  et  à  la  Dominique 
pour  prendre  une  partie  de  lu  garnison  de  ces  deux  Iles, 
Il  mit  50US  voiles,  le  U,  avec  l'escadre,  sur  laquelle  étaient 
embirqués  les  troupes  réunies  à  Fort-Royal  et  les  volon- 
taires créoles,  et  il  arriva,  dans  la  soirée,  en  vue  de  Sainte- 
Lucie.  Le  15,  au  point  du  jour,  il  se  dirigea  sur  la  baie  du 
Carénage  qu'il  croyait  encore  en  notre  possession.  Un 
feu  Irès-vir,  (jui  accueillit  nos  vaissemux  lorsqu'ils  TuriMil 
h  itorlée  de  canon,  apprit  au  comte  d'Estaing  le  véritable 
état  des  choses.  11  no  s'agissait  plus  de  secourir  l'ile,  il 
fallait  la  reconquérir.  Il  gouverna  sur  l'anse  du  Cul-de- 
Soc  avec  l'intontion  de  combattre  l'escadre  anglaise.  Le 
contre-amiral  Barrînglon,  dont  les  bAtimenls  étalent  sans 
ordre,  la  veille,  avait  travaillé  toute  la  nuit  pour  rectilier 
sa  position.  Ses  vaisseaux  étaient  embosscs  sur  une  seule 
ligne,  un  peu  en  dedans  de  l'entrée  qui  est  très-étroite, 
couvrant  les  navires  de  transport.  Sur  plusieurs  points, 
l'ennumi  élevait  des  batteries  pour  défendre  le  mouillage. 
Le  comte  d'Estaing  passa  une  première  fols  au  large  de 
la  baie,  en  échangeant  des  boulets  avec  les  vaîsseau.\  du 
contre-amiral  fiarrington.  Il  recommença  la  même  ma- 
nœuvre quelques  heures  aprè.s,  mais  cette  canonnade 
n'amena,  de  part  et  d'autre,  que  des  avaries  sans  impor- 
tance. Le  commandant  de  notre  escadre,  qui  ne  semblait 
pas  obéir  à  un  plan  mûrement  réfléclii,  abandonna  l'at- 
taque de  l'escadre  anglaise  et  il  vint  jeter  l'ancre  dans 
l'anse  du  Choc.  Prenant  alors  la  détermination  de  s'em- 
parer de  la  baie  du  Carénage,  il  fit  mettre  à  terre  le  coqis 
expéditionnaire.  Le  18,  les  Frau(;ais,  divisés  en  trois 
colonnes,  commandées  par  le  lieutenant  général  d'Es- 
laing,  le  marquis  de  Bouille  et  le  comle  de  Lowendal,  se 
mirent  en  mouvement.  Soit  que  nos  troupes  se  fussent 
égarées,  ou  qu'elles  eussent  suivi  des  guides  infidèles,  les 
trois  ilétachements  débouchèrent  sur  un  terrain  décou- 
vert, situé  au  pied  du  Morue  de  la  Vierge.  Nos  soldats. 


L 


I 


128  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

quoiqu'ils  fussent  accablés  de  fatigue,  marchèrent  à  l'en- 
nemi avec  la  plus  grande  vigueur.  Les  Anglais,  abrités 
derrière  des  retranchements  défendus  par  une  nom- 
breuse artillerie,  occupaient  une  position  très-forte. 
Après  une  lutte  de  plusieurs  heures,  les  Français  furent 
contraints  de  se  retirer;  ils  avaient  quarante  et  un 
officiers  et  huit  cents  hommes  hors  de  combat.  Le 
comte  d'Estaing  revint  à  la  pensée  d'attaquer  l'escadre 
anglaise.  Comprenant  sans  doute  l'inutilité  de  l'engage- 
ment qui  avait  eu  lieu,  le  15,  il  résolut  de  combattre  les 
bâtiments  ennemis  bord  à  bord.  11  ne  pouvait  mettre  ce  • 
projet  à  exécution  que  si  la  brise  de  l'est-nord-est  à  l'est- 
sud-est,  qui  soufflait  habituellement,  pénétrait  jusque 
dans  la  baie.  Le  24,  la  frégate  VIphigénic  ayant  fait  con- 
naître par  signal  que  la  brise  arrivait  jusqu'aux  navires 
anglais,  l'escadre  reçut  l'ordre  d'appareiller.  Il  était  trois 
heures  de  l'après-midi  lorsque  nos  vaisseaux  furent  en 
ligne.  Soit  que  le  comte  d'Estaing  trouvât  la  journée  trop 
avancée,  soit  qu'il  doutât  encore  une  fois  du  succès  de 
cette  entreprise,  il  reprit  le  mouillage  de  l'anse  du  Choc. 
Ayant  appris,  le  28,  que  l'amiral  Byron  était  attendu  aux 
Iles-du-Vent,  il  prit  le  parti  de  s'éloigner.  Les  troupes 
furent  rcmbarquées  dans  la  nuit  du  28  au  29,  sans  (juc 
l'ennemi  songedt  à  nous  inquiéter,  et  l'escadre  fit  route 
pour  la  Martini(|ue,  où  elle  mouilla  le  30  décembre.  Après 
le  dé|)art  de  la  flotte,  le  gouverneur  de  Sainte-Lucie, 
M.  de  Micoud,  capitula*.  Depuis  le  début  des  hostililc^i 
nos  adversaires  n'avaient  obtenu  (jue  des  avantages  in- 
signifiants plus  que  compensés  par  la  perte  de  la  Domi- 
nique. La  prise  de  Sainte-Lucie,  accon)pagnée  di*  Téchec 

1.  (Quoiqu'il  puisse  paraître  sin^rnlier  qur  le  ministre  eût  donné,  aiitti 
que  nous  Pavons  dit  plus  haut,  l'ordre  d'aliaudonncr  Sainte-Lucie  à  MH 
propres  forces,  le  fait  n«'  fKMil  rln*  mis  en  d(»ule.  Le  uian|uis  de  bouille 
écrivait  au  maréchal  de  Oaslries,  le  11  se|>teud)re  ]'81  :  *  Quanl  à 
M.  lie  Micoud,  je  n'ai  pcrsonnellemenl  aucune  raison  de  nren  plaindre.  Ce 
n'cAl  qu'en  consétpience  des  ordres  ^ecrcts  et  |>ar  écrit  de  M.  de  Sarlioet 
que  j'ai  al>andonné  Sjiinle-Lucie  à  >es  propres  force»  cl  que  j'ai  pris  Mir 
moi  d  attaquer  la  Dominique.  On  a  gagné  l'une  et  on  a  perdu  l'autre,  co 


LIVRE  111.  li& 

du  comte  d'Esiaing,  causa  une  très-vive  satisfaction  en 
Angleterre.  L'amiral  Barrington  et  les  généraux  Grant  et 
Meadows  s*élaicnt  conduits  dans  cette  affaire  avec  promp- 
titude et  résolution.  Toute  justice  devait  leur  être  rendue, 
mais  la  vérité  obligeait  également  à  reconnaître  que  nos 
propres  fautes  avaient  eu  une  grande  part  dans  le  succès 
de  nos  adversaires.  La  capture  faite,  le  25  novembre,  de 
trois  navires  appartenant  au  convoi  du  commodore  Ho- 
tham,  était  une  bonne  fortune  pour  Tescadre  française. 
Nous  apprenions  que  nous  avions  devant  nous  une  flotte 
de  transports  conduisant  cinq  mille  hommes  dans  les 
Antilles,  sous  l'escorte  de  cinq  vaisseaux,  dont  trois  de 
soixante-quatre  et  deux  de  cinquante.  Si  nous  parvenions 
à  les  joindre,  nous  remportions  une  victoire  facile  qui 
eût  laissé  sans  défense  les  possessions  britanniques  des 
lles-du-Vent.  Dans  ses  conjectures  sur  la  direction  suivie 
pur  le  commodore  Hotham,  le  comte  d'Estaing  se  trompa. 
Il  admit  que  le  commodore  se  rendait  à  Antigue,  quoique 
la  route  des  transports  anglais,  au  moment  de  leur  cap- 
ture, fût  contraire  à  cette  supposition,  et  il  perdit  deux 
jours  devant  la  Désirade.  Arrivé  à  Fort-Royal,  il  garda 
SCS  frégates  auprès  de  lui,  au  lieu  de  s'en  servir  pour 
connaître  la  destination  des  bâtiments  qu'il  avait  pour- 
suivis. Après  avoir  déployé  la  plus  grande  activité  pour 
se  porter  au  secours  de  l'Ile,  il  montra  la  plus  grande 
indécision  quand  il  se  trouva  en  face  de  Tennemi.  Pressé 
d'en  fmir,  il  voulut  enlever,  par  un  coup  de  main,  des 
positions  très-solides  défendues  par  de  bonnes  troupes  et 
du  canon.  En  engageant  cette  affaire  dans  ces  conditions 
et  sur  un  terrain  que  nous  n'avions  pas  suffisamment 

qui  devait  être  aioM  sans  qa*il  y  eût  de  U  Iule  des  airenb  ^ohaturmi,  • 
le  gouvernement  français  oe  croyait  pas  que  la  guerre  dtt  avoir  aae 
durée.  Il  voulait  rt^prendre  Tilede  la  DomÎBÎqse.  placée  ealve  11 
H  la  Guadeloupe^  mais  on  supposait  probaUemcal  à  ^um 
demanderaient  Sainle-Locie  en  échange.  Le  cabiaet  de  Tinril 
doote  pensé  que  le  meilleor  moyen  d^arriivr  à  ce  résiMM  é 
eonquète  de  la  Dominiqoe  et  de  Iais94»r  les  Angine  wmmÊ^ 
Au  moment  de  traiter  de  la  peu,  chaaa  eit  gir4ê  ce  ^1 


130  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

reconnu,  nous  devions  être  battus.  Quant  à  l'attaque  par 
mer,  elle  ne  fut  pas  menée  avec  l'énergie  qui  en  eût  as- 
suré le  succès.  Nous  avons,  sur  ce  point,  un  témoignage 
décisif,  celui  de  SulTren,  qui  commandait  le  Fantas<iiie 
dans  l'escadre.  11  écrivait,  à  la  date  du  18  décembre,  au 
commandant  en  chef  :  «  Monsieur,  il  est  du  devoir  d'un 
capitaine  à  qui  le  Roi  a  fait  l'tionneur  de  confier  un  vais- 
seau, de  représenter  qu'ayant  cent  cinquante  hommes  de 
moins  dans  son  équipage,  il  n'est  en  état  ni  de  manœu- 
vrer ni  de  combattre.  J'aimerais  mieux  servir  comme  vo- 
loniaîre,  à  terre,  sous  vos  ordres,  que  de  commander  un 
b&limenl  dans  cet  élat.  Au  moins,  n'ayant  à  répondre  que 
de  ma  personne,  mon  honneur  serait  dans  mes  mains. 
.  Les  circonstances  nous  ayant  obligés  de  débarquer  nos 
soldats,  si  vous  le  jugiez  à  propos,  nous  pourrions  ob- 
vier au  très-grand  inconvénient  d'avoir  une  escadre  dés- 
armée, en  prenant  des  remplaçants  sur  les  corsaires,  les 
frégates  et  les  transports.... 

«  ....  Je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  un  mémoire 
sur  noire  situation.  Autant  je  serais  éloigné  de  donner 
des  avis  à  un  général,  autant  je  crois  qu'il  est  du  devoir 
d'un  bon  citoyen  de  faire  part  des  idées  qu'on  croit  utiles 
au  bien  de  l'État,  surtout  à  un  général  qui  m'a  témoigné 
de  la  confiance,  de  la  bonté,  el  à  la  gloire  de  qui  je  m'in- 
téresse. Malgré  le  peu  de  suile  des  deux  canonnades  du 
15  décembre,  du  malheureux  échec  qu'ont  essuyé  nos 
troupes,  nous  pouvons  encore  attendre  des  succès.  Hais 
le  seul  moyen  d'en  avoir,  c'est  d'attaquer  vigoureusement 
l'escadre  qui,  vu  notre  supériorité,  ne  pourrait  pas  tenir 
malgré  leurs  fortifications  à.  terre,  dont  l'elTet  deviendrait 
nul,  si  nous  les  abordions  ou  mouillions  sur  leurs  iMsuées. 
Si  nous  retardons,  mille  circonstances  peuvent  les  saih*  | 
ver.  Ils  peuvent  profiter  de  la  nuit  pour  s'en  aller  ea  ' 
abandonnant  du  monde  dans  un  posie  qui  couvrirait  leur 
relrnite.  Il  est  des  temps,  tel  que  celui  de  l'avant-der- 
nière  nuit,  uii  loute  la  vigilance  des  croiseurs  ne  pourrait 
empêcher  leur  fuite.  D'ailleurs,  l'encadre  étant  désarmée, 


LIVRE  III.  i3i 

elle  n'est  en  étal  ni  de  manœuvrer  ni  de  combattre.  Que 
ferait-on,  si  l'escadre  de  l'amiral  Byron  arrivait?  Que  de- 
viendraient les  vaisseaux  sans  monde,  sans  général?  Leur 
défaite  entraînerait  la  perte  de  l'armée  et  celle  de  la  co- 
lonie. Détruisons  cette  escadre;  l'armée  de  terre,  man- 
quant de  tout,  dans  un  mauvais  pays,  serait  bien  obligée 
de  se  rendre.  Que  Byron  vienne  après,  il  nous  fera  plaisir. 
Je  crois  qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  faire  remarquer  que, 
pour  cette  attaque,  il  faut  du  monde  et  des  dispositions 
bien  concertées  avec  ceux  qui  doivent  les  exécuter.  »  Cette 
lettre,  dont  chaque  ligne  renferme  une  leçon  militaire, 
emprunte  à  la  personnalité  de  celui  qui  l'a  écrite  une 
importance  sur  laquelle  nous  n'avons  pas  à  insister. 
Après  ravoir  lue,  on  demeurera  persuadé  que  le  comman- 
dement de  cette  escadre  n'avait  pas  été  confié  à  des  mains 
capables  de  l'exercer*. 

1.  Le  comte  d'Estaing  avait  consulté,  pendant  celte  malheureuse  expédi- 
tion, le  général  de  Bouille  et  les  capitaines  de  vaisseau  de  Bougainville  et 
de  Soflrcn.  Nous  devons  ajouter  qu'il  n'avait  pas  suivi  leurs  conseils.  Le 
marquis  de  Bouille,  au  retour  de  cette  expédition,  voulait  retourner  en 
Europe. 


LIVRE  IV 


L'amiral  Byron,  venant  des  côtes  de  rAmérique  septentrionale,  rallie  I*ami- 
rai  Barrington.  —  Le  comte  d'Estaing  reste  sur  la  défensive.  —  I^es 
escadres  française  et  anglaise  reçoivent  des  renforts.  —  I^  division  de 
Yaudreuil  mouille  dans  la  baie  de  Fort-Hoyal,  après  avoir  fait  la  conquête 
du  Sénégal.  —  Prise  de  Ttle  Saint-Vincent.  —  Arrivée  de  Lamoltc-Picquet 
avec  six  vaisseaux.  —  Les  Français  s'emparent  de  la  Grenade.  —  Combat 
des  escadres  de  Byron  et  de  d*Estaing.  —  Les  Anglais  se  retirent  à  Saint- 
Christophe.  —  Prise  des  Iles  Cariaçou  et  des  petites  Grenadines.  —  Le 
comte  d'Estaing  mouille  successivement  à  la  Guadeloupe  et  à  Saint- 
Domingue.  —  Il  se  dirige  vers  les  c6tes  de  TAmérique  septentrionale.  — 
Échec  des  Français  et  des  Américains  devant  Savannah.  —  Retour  en 
Europe  des  vaisseaux  partis  de  Toulon,  le  13  avril  1778.  —  Engagement 
de  Lamotte-Picquet  avec  Fescadre  de  Tamiral  Parker  à  rentrée  de  la  baie 
de  Fort-Royal. 


I 


Le  comle  d'Eslaing  apprit,  dans  les  premiers  jours  de 
janvier,  que  l'amiral  Byron  était  arrivé  à  la  Barbade.  Il 
mit  sous  voiles,  le  11,  et  il  se  dirigea  sur  Sainte-Lucie, 
atin  de  reconnaître  la  position  des  Anglais.  Nos  frégates 
ayant  compté  quinze  vaisseaux  ennemis  au  mouillage,  il 
acquit  la  certitude  que  les  amiraux  Barrington  et  Byron 
avaient  opéré  leur  jonction.  Le  19  février,  le  comte  de 
Grasse,  venant  de  Brest  avec  les  vaisseaux  le  Dauphin 
Boyaly  le  Magnifique^  le  Robuste  et  le  Vengeur,  mouilla 
dans  la  baie  de  Fort-Royal.  L'amiral  Byron  ayant  été  re- 
joint, à  la  môme  époque,  par  quatre  vaisseaux  aux  ordres 
du  Commodore  Rowlev,  la  relation  existant  entre  nos  for- 
ces  et  celles  de  Tennemi  ne  fut  pas  modifiée.  Le  comte 
d*Estaing  prit  la  détermination  de  rester  sur  la  défensive, 
jusqu'à  ce  qu'il  eût  reçu  les  renforts  qu'il  attendait  d'Eu- 


LIVRE  IV.  133 

rope.  Le  chef  d'escadre  de  Vaudreuil*  arriva,  le  26  avril, 
à  la  Martinique  avec  le  Fendant  et  le  Sphinx.  Le  Fier^  de 
cinquante  canons,  était  entré,  la  veille,  dans  la  baie  de 
Fort-Royal  avec  un  convoi.  L'escadre  anglaise,  qui  avait 
également  reçu  des  renforts,  continuait  à  avoir,  sur  la 
nôtre,  la  supériorité  du  nombre.  Soit  circonspection  de  la 
part  du  comte  d'Estaing,  soit  qu'il  ne  trouvât  rien  à  ten- 
ter avec  les  forces  dont  il  disposait,  l'escadre  française 
resta  immobile  sur  ses  ancres.  Dans  les  premiers  jours 
de  juin,  une  flotte  marchande,  en  partance  pour  les  ports 
de  la  Grande-Bretagne,  était  réunie  à  Saint-Christophe, 
attendant  une  escorte  annoncée  par  l'amiral  Byron.  La 
présence  de  nos  vaisseaux  à  la  Martinique  décida  l'amiral 
anglais  à  ne  pas  diviser  ses  forces.  Il  appareilla  de  Sainte- 
Lucie,  le  6  juin,  avec  toute  son  escadre  pour  conduire  ce 
convoi  hors  des  débouquemcnts.  Il  supposait  que  les 
Français,  ignorant  quelle  pourrait  être  la  durée  de  son 
absence,  n'oseraient  rien  entreprendre.  Le  comte  d'Es- 
taing, très-promptement  instruit  des  mouvements  de  son 
adversaire,  résolut  de  s'emparer  de  Saint-Vincent.  Les 
Caraïbes,  qui  occupaient  une  partie  de.  l'île,  souffraient 
impatiemment  la  domination  anglaise.  Ils  avaient  envoyé 

1.  Le  chef  d'escadre  de  Yaudreuil  avait  appareillé  de  Ouiberon,  le  25  dé- 
cembre 1778,  avec  les  vaisseaux  le  Sphinx  el  le  Fendant^  les  frégates  la 
Ntpnphe  et  la  Résolue j  les  corvettes  VEpervier,  la  Lunette  et  le  Livehj  et 
deux  goélettes.  Des  troupes,  placées  sous  le  commandement  du  duc  de 
Lauzun^  étaient  embarquées  sur  ces  bâtiments.  La  conquête  du  Sénégal  et  la 
destractioD  des  établissements  anglais  compris  entre  Gorée  et  Sierra-Leone, 
tel  était  le  but  assigné  à  cette  expédition.  Les  îles  de  Gorée  et  de  Saint- 
Louis  furent  prises,  au  commencement  de  février.  Après  ce  premier  succès, 
le  marquis  de  Yaudreuil  fit  route  vers  les  Antilles,  el  le  duc  de  I^uzun 
retourna  en  Europe  avec  les  troupes  qui  n'étaient  pas  destinées  à  tenir  gar- 
nison dans  la  colonie.  L'exécution  de  la  seconde  partie  des  instructions  du 
gouvernement  fut  confiée  au  lieutenant  de  vaisseau  Ponteve/.  Gien,  capitaine 
de  la  Résolue.  Cet  ofllrier,  ayant  sous  ses  ordres  la  Nymphe,  VÊpermer  et 
les  deux  goélettes,  8*empara  des  forts  et  dos  comptoirs  que  les  Anglais  possé- 
daient dans  la  Gambie  et  dans  la  rivière  de  Sicrra-Leone.  Au  commencement 
du  mois  d'avril,  le  cotre  et  les  goëlettcs  revinrent  au  Sénégal,  et  lo.  Nymphe 
partit  pour  les  Antilles.  La  Résolue  canoniia  les  différents  points  occupés 
par  Tennemi  dans  le  golfe  de  Guinée,  et  elle  les  fit  évacuer,  lorsque  Tétat  de 
la  mer  permit  à  son  équipage  de  descendre  à  terre. 


134  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

un  agent  à  la  Martinique  pour  nous  donner  l'assurance 
qu'ils  combattraient  à  nos  côtés,  le  jour  où  nous  attaque- 
rions Saint-Vincent.  Cette  mission  fut  confiée  au  lieute- 
nant de  vaisseau  Trolong  du  Rumain,  capitaine  de  la  cor- 
vette le  Lively,  Cet  officier  partit  de  la  baie  de  Fort-Royal, 
le  9  juin,  avec  trois  corvettes  et  deux  goélettes,  sur  les- 
quelles quatre  cents  soldats  ou  volontaires  créoles  avaient 
pris  passage.  L'expédition,  contrariée  par  les  calmes  et 
les  courants,  n'arriva  que  le  17  en  vue  de  Saint- Vincent. 
Aussitôt  que  le  débarquement  eut  été  effectué,  les  Caraï- 
bes, fidèles  à  leurs  promesses,  vinrent  se  joindre  à  nous*. 
Le  lieutenant  de  vaisseau  du  Rumain  s'empara  immédia- 
tement des  hauteurs  qui  dominent  la  capitale  de  l'île,  la 
ville  de  Kingstown.  Quoique  la  garnison  se  composât  de 
trois  cents  hommes  de  troupes  régulières,  commandés 
par  un  lieutenant-colonel,  le  gouverneur,  cédant  proba- 
blement à  la  crainte  que  l'intervention  des  Caraïbes  in- 
spirait aux  habitants,  entra  en  pourparlers  pour  la  reddi- 
tion de  la  colonie.  Les  conditions  accordées  par  le 
marquis  de  Bouille  aux  habitants  de  la  Dominique  ser- 
virent de  base  h  la  capitulation  qui  fut  signée  le  lende- 
main •. 

Lorsque  la  nouvelle  de  noire  échec  devant  Sainte-Lucie 
était  arrivée  en  France,  le  ehef  d'escadre  de  Ternay  ter- 
minait rarmement  de  six  vaisseaux  avec  lesquels  il  de- 
vait aller  dans  l'Inde.  Le  gouvernement  déei<la  (jue  ces 
bAliments  seraient  envoyés  dans  la  mer  des  Antilles.  Le 
ministre  retint  en  France  M.  de  Ternay,  aucpiel  il  donna 


1.  (in  lialiitant  de  la  MartiniqiK^,  onhirr  dans  la  milice,  M.  Laroqup- 
Pcrcin.  joua  un  rôle  1res  honorable  dans  cfllp  alVairo.  Il  délmrqua  dans  Tile 
avant  rr\fM»dition,  et  il  sr  rendit  au  milieu  des  (!araiLM»s  dont  d  dirigea  le* 
inou\eni<'nts  jus(|u'à  iii>tre  arrivêt*. 

*i.r«'  lieutenant  de  vaisseau  du  Humain  arnHait  les  termes  de  la  ca|iitula- 
lioM.  lor^juil  fut  fjrevenu  qu'(»n  apercevait  au  lar^^'e  plusieurs  navires.  Il 
r»'\int  a  son  lM>rd.  roupa  >ou  r:\lde  rt  lit  route  fmur  les  reeonnaitre.  Les 
l»:Uiuirnt<  ««n  vue  étaient  des  navires  de  eonnnrree  nn^'lais  qui  prirent 
«liasse  devant  la  eorvette  de  M.  du  Humain,  mais  o-lui-ri  enjoi^'nit  deux 
qu'il  ramena  fi  Saint-Vineent. 


LIVRE  IV.  135 

provisoirement  un  commandement  dans  l'armée  du  lieu- 
tenant général  d'Orvilliers.  Son  successeur,  le  chef 
d'escadre  de  Lamotte-Picquet,  fit  route  le  !•'  mai  pour 
la  Martinique.  Le  27  juin,  il  entra  dans  la  baie  de  Fort- 
Royal  avec  VAnnibal^  le  Diadème,  le  Réfléchi^  VArtésieyi^ 
YAmphioriy  les  frégates  la  Blanche^  VAmazone,  la  For^ 
lunée  et  soixante  bâtiments  de  transport.  Le  comte  d'Es- 
taing  fit  embarquer  des  troupes  sur  son  escadre,  et 
il  prit  la  mer,  le  31  juin,  avec  vingt-cinq  vaisseaux.  Il 
avait  rintention  d'attaquer  la  Barbade,  mais  ayant  trouvé 
dehors  des  vents  qui  ne  lui  permettaient  pas  d'atteindre 
cette  île  à  la  bordée,  ce  fut  sur  la  Grenade  qu'il  se  diri- 
gea. Le  2  juillet,  l'escadre  mouilla  près  de  la  pointe  de 
Beauséjour,  à  petite  distance  de  George-Town,  la  capitale 
de  l'Ile. 

Sur  une  hauteur  qui  domine  la  ville,  les  Anglais  avaient 
établi  un  camp  retrapché,  défendu  par  des  pièces  de  gros 
calibre.  Cette  position,  connue  sous  le  nom  de  morne  de 
l'hôpital,  était  occupée  par  un  détachement  de  troupes 
réglées  et  de  miliciens,  d'environ  huit  cents  hommes.  Le 
gouverneur  de  la  Grenade,  lord  Macarteney,  la  regar- 
dait comme  imprenable,  et  il  y  avait  fait  apporter  les  objets 
les  plus  précieux  de  la  colonie.  Quant  à  lui,  il  se  tenait, 
de  sa  personne,  dans  un  fort  placé  entre  le  morne  de  l'hô- 
pital et  George-Town.  Le  comte  d'Estaing,  prévoyant  la 
prochaine  arrivée  de  l'amiral  Byron,  désirait  recouvrer 
le  plus  promptement  possible  sa  liberté  d'action.  Il  réso- 
lut de  se  rendre  maître  par  un  coup  de  main  du  camp  re- 
tranché, qu'on  pouvait  considérer  comme  la  clef  de  la  po- 
sition. Aussitôt  que  le  soleil  fut  couché,  le  corps  expédi- 
tionnaire, divisé  en  trois  colonnes,  commandées  par  les 
colonels  Arthur  et  Edouard  Dillon  et  de  Noailles,  se  mit 
on  mouvement.  Afin  de  détourner  l'altenlion  de  l'ennemi, 
on  fit,  dans  la  soirée,  sur  un  poste  anglais  placé  près  de 
la  mer,  une  démonstration  à  laquelle  prirent  part  quel- 
ques navires  de  l'escadre.  Vers  onze  heures,  nos  soldats 
gravirent  silencieusement  les  pentes  escarpées  qui  condui- 


136  HISTOIRE  DE  I.A  MABINE  FRANÇAISE. 

suient  au  sommet  du  morne  Quoique  les  Anglais  eussent 
accumulé  les  obstacles,  tels  que  palissades  et  murs  en 
pierres  sèches,  rien  ne  put  arrêter  Télan  des  troupes. 
D'Eslatng  sauta  un  des  premiers,  l'épée  à  la  main,  dans 
les  re  Iran  elle  nie  nts  ennemis.  Après  une  lutte  très-vive, 
mais  de  peu  de  durée,  les  Anglais  mirent  bas  les  armes. 
Le  ^1,  au  point  du  jour,  le  comte  d'Estaing  fit  lirerquelques 
coups  de  canon  sur  le  ((tri  dans  lequel  se  trouvait  le  gou- 
verneur. Lord  Macarleney,  sachant  que  toute  résistance 
devenait  inutile,  envoya  un  orQcicr  pour  traiter  de  la  ca- 
pitulation. Les  propositions  qu  il  adressa  au  comte  d'Ei^- 
taing  ayant  été  rejetées,  il  se  rendit  à  discrétion.  Cent 
deux  pièces  de  c^non,  Rcizc  mortiers,  trois  drapeaux,  des 
vivres,  des  munilions,lrefite  bâtiments  marchands,  tombè- 
rent entre  nos  mains.  Le  &  juillet,  les  troupes  quin'étaîeul 
pas  destinées  A  occuper  la  ville  et  les  forts  furent  rem- 
barquées. 

L'amiral  Byron  avait  été  informé  à  Saint-Christuphe, 
oîi  il  était  revenu  le  l"  juillet,  de  la  perte  de  Saînt-Vin- 
cent.  Extrêmement  préoccupé  de  l'efTet  que  produirait 
en  Angleterre  la  nouvelle  de  cet  événement,  il  avait  pris 
la  résolution  de  nous  enlever  immédiatement  celte  con- 
quête. Il  faisait  route  sur  Saint-Vincent  avec  vingt  et  un 
vaisseaux  et  vingt-huit  transports  portant  des  troupes  de 
débarquement,  lorsqu'il  apprit,  par  un  bâtiment  expédié  ' 
à  sa  recherche,  que  la  Grenade  élail  attaquée.  Il  se  dirigea 
sur  cette  lie,  en  se  couvrant  de  voiles,  afin  dé  la  défendre, 
s'il  en  était  encore  temps.  Le  comte  d'Estaing,  înstruil, 
dans  la  nuit  du  5  juillet,  de  l'aiiproche  de  l'amiral  Bynin, 
donna,  h  quatre  heures  du  matin,  l'ordre  d'appareiller. 
Au  ]K)int  du  jour,  on  aperçut,  des  hauteurs  de  l'Ile,  l«  . 
flotte  anglaise  que  nos  frégates  signalaient  en  tirant  (lu 
canon.  Elle  courait,  les  amures  h  hAbord,  avec  des  vents  < 
d'esl-nord'cst,  serrant  de  près  la  cùte  occidentale  de  l'Ile. 
Les  Français  manœuvraient  pour  former  une  ligne  par 
rang  de  vitesse,  les  amures  &  Iribord.  Plusieurs  vaisseaux, 
(pli  a\  nient  passé  la  nuit  sous  voiles  pour  nous  prémunir 


LIVRE  IV.  137 

contre  toute  surprise,  étaient  sous-ventés.  A  l'aspect  de 
notre  escadre  qui  semblait  en  désordre,  Tamiral  Byron 
Gt  le  signal  de  chasser  en  avant  et  de  serrer  Tennemi  au 
feu.  Yers  sept  heures  et  demie,  les  meilleurs  marcheurs 
de  son  armée  arrivèrent  à  portée  de  canon  de  notre  avant- 
garde.  Celle-ci  les  accueillit  par  un  feu  si  bien  dirigé  que 
plusieurs  vaisseaux,  notamment  le  Prince-de-Galles^  le 
Boynes   et  le  Sultan^  furent   très-maltraités*.  D'autres 
vaisseaux  ne  tardèrent  pas  à  rejoindre  les  bâtiments  qui 
étaient  engagés,  et  le  combat  continua  avec  une  grande 
vigueur.  LeMonimoulhy  le  Grafton,  le  Cornwallei  le  Lion, 
se  conformant  strictement  aux  ordres  de   leur  amiral, 
nous  combattirent  de  très-près.  Dix  vaisseaux  français,  qui 
étaient  sous  le  vent,  ne  prirent  aucune  part  à  cette  affaire. 
Lorsque  les  deux  lignes  se  furent  dépassées,  Tamiral 
Byron  poursuivit  sa  route  le  long  de  terre.  Ignorant  que 
Eingstown  fût  en  notre  pouvoir,  il  ne  voyait  devant  lui 
aucun  obstacle  qui  pût  l'empêcher  d'atteindre  la  baie  do 
Saint-George.  La  conOance  qu'il  avait  dans  le  succès  de 
son  entreprise  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Peu  après,  il 
arrivait  à  portée  de  canon  de  la  ville,  et  les  forts,  après 
avoir  hissé  le  drapeau  blanc,  ouvrirent  le  feu  sur  ses 
vaisseaux.  L'amiral  anglais  signala  à  son  armée  de  virer 
de  bord  vent  arrière,  toute  à  la  fois,  et  au  convoi  de  forcer 
de  voiles.  Les  deux  escadres  formèrent  alors  deux  lignes 
parallèles,  et  le  combat  recommença  avec  une  nouvelle 
vivacité.  Le  comte  d'Estaing  ayant  laissé  porter  pour  ral- 
lier un  certain  nombre  de  vaisseaux  qui  n'étaient  pas 
encore  parvenus  à  prendre  leurs  postes,  les  Anglais  tin- 
rent le  vent  et  l'action  cessa  vers  midi.  Quatre  vaisseaux, 
le  Montmouth,  le  Comwallj  le    Graflon  et  le  Lion,  i\n\ 
avaient  des  avaries  considérables  dans  leurs  mâtures, 
étaient  sous  le  vent  et  en  arrière  de  leur  escadre.  A  trois 
heures  de  l'après-midi,  l'armée  française,  bien  ralliée. 


l.  1^  vice-amiral   Barrington,   qui  avait  son  pavillon  sur  \e  Prince-de- 
GalUs,  fut  au  nombre  des  blessés. 


138  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

vira  (le  bord  vent  devant,  toute  à  la  fois.  L'amiral  Byron 
signala  la  même  manœuvre  à  ses  vaisseaux,  mais  trois 
d'entre  eux,  le  Comwalljle  Grafton  et  le  Lioriy  ne  purent 
l'exécuter.  Le  Comwall  et  le  Grafton  ne  voulant  pas  virer 
vent  arrière,  ce  qui  les  eût  rapprochés  des  Français,  con- 
tinuèrent &  courir  les  amures  &  tribord.  Le  capitaine  du 
Lton,  désespérant  de  rejoindre  les  siens,  laissa  porter, 
vent  arrière,  et  il  fit  route  dans  l'ouest.  Ce  vaisseau  au- 
rait été  infailliblement  pris,  si  un  des  nôtres  avait  été  dé- 
taché à  sa  poursuite.  La  retraite  des  Anglais  rendait  défi- 
nitive la  conquête  de  la  Grenade.  Le  comte  d'Estaing, 
craignant  de  compromettre  ce  succès,  ne  voulut  ni  divi- 
ser ses  forces  ni  s'éloigner.  Par  son  ordre,  Tescadre  fran- 
çaise prit  le  plus  près,  les  amures  à  bâbord,  en  se  formant 
sur  le  serre-file,  c'est-à-dire  sur  le  vaisseau  le  plus  sous- 
venté  de  l'armée.  Le  Comwall  et  le  Grafton^  que  les  An- 
glais ne  songeaient  pas  à  défendre,  et  qui  eussent  été  pris, 
si  le  comte  d'Estaing  en  avait  eu  la  volonté,  passèrent  à 
contre-bord  et  au  vent  de  notre  ligne.  Ces  deux  bâtiments, 
déjà  très-maltraités,  reçurent  la  bordée  de  plusieurs  vais- 
seaux français.  Pendant  la  nuit,  notre  escadre  fit  (|uelques 
bords  sans  s'écarter  de  terre,  et  elle  reprit,  le  lendemain, 
le  mouillage  de  Saint-George.  Un  transport,  sur  lequel 
se  trouvaient  cent  cinquante  soldats,  tomba  entre  nos 
mains.  Ce  fut  Tunique  trophée  de  cette  journée,  dans  la- 
quelle nous  pouvions  prendre  le  Lion,  le  Cornwnll^  le 
Grafton  et  le  Montmouth.  Le  délabrement  de  ce  dernier 
vaisseau  était  tel  que  l'amiral  anglais  l'expédia  à  Antigue, 
dans  la  soirée  du  6  juillet.  Cet  amiral,  en  rendant  compte 
à  son  gouvernement  des  divers  incidents  du  combat  de  la 
Grenade,  exprima  sa  surprise  que  les  Franrais  n'eussent 
envoyé  aucun  bAtimentàla  poursuite  du  Ljo/i.  Il  déclara, 
en  oulre,  qu'il  eût  été  facile  de  couper  le  Cormrall  ci  le 
Grafton,  et  surtout  le  Cornwnll,  (|ui  se  trouvait  à  une 
très-grande  distance  sous  le  vent  de  la  ligne  anglaise. 
Dans  une  lettre  particulière,  SulTren  disait  :  «  Le  général 
s'est  conduit  par  terre  et  par  mer  avec  beaucoup  de  va- 


LIVRE  IV.  139 

leur.  La  victoire  ne  peut  lui  être  disputée,  mais,  s'il  avait 
été  aussi  marin  que  brave,  nous  n'aurions  pas  laissé 
échapper  quatre  vaisseaux  démâtés  »*.  Suffren  n'était  pas 
enclin  à  l'indulgence,  mais,  d'autre  part,  il  avait  avec  le 
comte  d'Estaing,  qui  lui  marquait  une  estime  particulière, 
les  meilleures  relations.  Nous  devons  donc  croire  que 
l'appréciation  contenue  dans  cette  lettre  exprimait  très- 
exactement  l'opinion  de  ce  grand  marin  sur  le  combat  de 
la  Grenade.  On  se  rappelle  que,  le  6  juillet,  l'engagement 
entre  les  deux  escadres  avait  commencé  à  sept  heures  et 
demie  du  matin.  Le  feu  avait  cessé  une  première  fois, 
lorsque  les  deux  lignes  s'étaient  dépassées.  Â  ce  moment, 
les  Anglais  couraient  largue,  bâbord  amures,  vers  le 
mouillage  de  Saint-George,  tandis  que  les  Français  fai- 
saient route,  au  plus  près,  les  amures  à  tribord.  Il  fut  dit, 
après  le  combat,  que  si,  à  ce  moment,  nous  avions  viré 
vent  devant  par  la  contre-marche,  nous  aurions  vraisem- 
blablement coupé  l'armée  anglaise  et  remporté  sur  elle 
un  grand  avantage.  Le  comte  d'Eslaing  crut  devoir 
s'excuser  auprès  du  ministre  de  ne  pas  avoir  exécuté 
ce  mouvement.  Il   le  fît  dans    les  termes  suivants   : 

1.  Nous  trouvons  dans  cette  lettre,  écrite  le  10  juillet,  c'est-à-dire  quatre 
jours  après  le  combat  de  la  Grenade,  le  passage  suivant  qu'on  lira  avec 
rintérèt  qui  s'attache  à  tout  ce  qui  vient  de  Suffren  :  «  Les  deux  escadres 
allaient  à  rencontre  Tune  de  Vautra.  J'étais  h.  la  tét«  et  j'essuyai  le  premier 
feu  de  Tescadre  anglaise,  composée  de  vingt  et  un  vaisseaux.  Cela  dura 
près  d'une  heure  et  demie.  L'escadre  anglaise  revira,  de  sorte  que  les  deux 
lignes  se  trouvèrent  à  peu  près  parallèles.  J'eus  alors  près  d'une  heure  et 
demie  d'intervalle ,  après  quoi  le  combat  recommença  et  dura  près  de 
deux  heures  et  demie.  Mon  vaisseau  a  été  fort  maltraité,  mais  point  en  pro- 
portion du  feu  que  j'ai  essuyé.  J'ai  le  camr  navré  de  la  perte  de  mon  second, 
le  chevalier  de  Camprédon,  qui  jouait  si  bien  du  piano  forte.  J'ai  eu  vingt- 
deux  hommes  tués  et  quarante- trois  blessés,  dont  vingt  grièvement.  D'Albert 
et  mes  neveux  se  portent  bien.  Le  SayUtaire  s'est  très-bien  conduiL  Je  ne 
vous  dis  rien  du  Fantasque,  mais  ayant  attaqué  ù  un  poste  d'honneur  qui 
ne  lui  était  pas  destiné,  et,  pendant  une  heure  et  demie,  essuyé  le  feu  des 
vingt  et  un  vaisseaux,  les  gens  désintéressés  en  diront  du  bien,  et  ses  enne- 
mis, s'il  en  a,  n'oseront  pas  en  dire  du  mal.  Les  Anglais  avaient  en  mer  un 
convoi  de  troupes,  dans  l'espoir  que  l'escadre  serait  battue,  l'armée  prise 
et  la  Grenade  sauvée.  L'escadre  anglaise  est  fort  maltraitée  ;  si  elle  ne  reçoit 
des  renforts  très-considérables,  elle  ne  se  montrera  plus.  • 


UO  HISTOIRE  DK  LA  MAflINE  FRANÇAISE. 

"  ÛH  vous  écrira  que,  si  j'avais  Tait  virer  vent  devant 
parla  contre -marche,  lorsque  l'armée  anglaise  a  eu  dé- 
passé celle  du  Roi,  l'armée  anglaise  eût  été  coupée.  Je 
pense  le  contraire.  Si  je  l'avais  fait,  notre  ligne  informe 
aurait  été  coupée,  beaucoup  de  nos  vaisseaux  étant  trop 
sous  le  vent.  On  grand  mouvement,  une  évolution  lente 
et  dangereuse, exigent  au  moins  qu'on  soit  en  ordre  avant 
de  les  hasarder.  J'aurais  tout  risqué  et  je  n'aurais  rien 
gagné.  Mais  ce  qui  tranche  le  point  de  difficulté,  c'est 
que  M-  de  Lamotte-Picquet  et  plusieurs  autres  vaisseaux 
pleins  d'ardeur  et  de  ztle  n'ont  pu  virer  que  deux  heures 
après  que  j'en  ai  eu  fait  le  signal,  non  pas  pour  cou- 
per, mais  simplement  pour  reprendre  la  ligne,  tant  ils 
étaient  dégréés.  »  Le  comte  d'Eslaing  affirmant  que  notre 
ligne  était  en  désordre,  l'évolution  dont  il  est  ques- 
tion ci-dessus  eût  été  inopportune.  Quoi  qu'il  eu  soit 
de  cet  incident,  on  peut  dire,  sans  se  tromper,  que  le 
jugement  sur  l'affaire  de  la  Grenade  a  été  rendu  par 
Suffren  dans  la  lettre  que  nous  avons  citée  plus  haut. 
Quant  &  l'amiral  Byron,  il  avait  montré,  le  6  juillet,  plus,j 
de  hardiesse  que  d'habileté.  En  arrivant  en  vue  de  l'esca-J 
dre  française,  il  s'était  complètement  trompé  sur  sa  posï-f 
tion.  Croyant  que  nos  vaisseaux  étaient  dispersés,  aloraj 
qu'ils  manœuvraient  pour  se  former,  il  nous  avait  com-'ï 
battus  sans   s'astreindre  ii  aucim  ordre.  Les  avarie^ 
considérables  éprouvées  par  plusieurs  vaisseaux  angld 
avaient  été  la  conséquence  de  ce  mode  d'attaque. 
Anglais,  s'étant  battus  au  vent,  avaient  i>crdn  moins  ( 
monde  que  les  Français,  mais  leurs  vaisseaux  élaieai| 
plus  dégréés  que  les  nôtres.  Ils  avaient  cinq  cent  viogl 
neuf  hommes  hors  de    combat,    parmi    lesquels   ceot  ■* 
quatre-vingt-trois  tués  et  trois  cent  quarante-six  blessés*. 
De  notre  côté,  le  nombre  des  tués  s'élevait  à  cent  quatre- 
vingt-dix  et  celui  des  blessés!^  sept  centcinquante-nruf. 


1.  i« 


Biiglnil. 


LIVRE  IV.  141 

Le  comte  d'Estaing,  trës-saiisfait  de  son  escadre  et  des 
troupes  qui  avaient  conquis  la  Grenade,  écrivit  au  minis- 
tre :  «  La  victoire  n*est  pas  resiée  indécise,  généraux,  offi- 
ciers, matelots  et  soldats  se  sont  conduits  de  môme,  lis 
sont  tous  dignes  du  maître  que  nous  servons,  des  bontés 
du  Roi  et  des  vôtres  ^  »  Les  rapports  particuliers  des 
officiers  généraux  commandant  en  sous-ordre  et  des 
capitaines  étaient  conçus  dans  le  même  esprit.  Nous  en 
citerons  un,  celui  de  Lamotte-Picquet  :  «  Tous  mes  offi- 
ciers en  général  de  la  marine  et  auxiliaires  et  gardes  de 
la  marine  ont  donné  l'exemple  de  la  plus  grande  bra- 
voure, et  exécuté  mes  ordres  avec  la  plus  grande  préci- 
sion; ils  méritent  les  grâces  du  Roi.  Je  ne  demande  rien 
de  particulier  pour  mon  équipage  ;  tous  se  sont  compor- 
tés en  héros.  Une  gratification  propoirtionelle  à  la  paie  de 
chacun  d'eux  me  paraîtrait  juste  et  nécessaire.  Cet 
équipage,  au  commencement  du  combat,  était,  tout 
compris,  composé  de  quatre  cents  hommes,  dont  trente- 
deux  ont  été  tués  raide  et  quarante-trois  blessés  grave- 
ment. »  Les  vaisseaux  présents  au  combat  de  la  Grenade 


Qaengo,  commandant  VAmphion;  de  Montaii il;  commandant  \e  Fier-Rodri^ 
Que;  de  Gotho,  le  chevalier  de  Gotlio,  de  Marguery,  Jacquelot,  de  Camprc- 
don,  lieutenants  de  vaisseau;  Buisson,  officier  auxiliaire;  Bernard  de  la 
Tarmelîère,  Tuffinde  Ducis,  gardes  de  la  marine;  de  Fremond,  de  Clairant, 
officiers  d'infanterie,  étaient  au  nombre  des  morts.  On  comptait  parmi  les 
blessés  :  MM.  de  Dampierre,  de  Retz,  de  Cillart  de  Suvilie,  de  Castellet; 
capitaines  de  vaisseau;  Le  Normand  de  Victor,  Massillan  de  Sanilhac, 
Deâglaiseaux  de  Vanal  et  de  Carné-Carvallet,  lieutenants  de  vaisseau, 
SGOslicrna,  officier  suédois;  de  Boulouvard  de  Barentin,  de  la  Martinière, 
le  Rey,  Frossard,  Jugand,  officiers  auxiliaires;  de  Reyniès,  de  Biarges, 
gaides  de  la  marine;  le  comte  Edouard  Dillon,  le  chevalier  de  Lameth, 
de  Peyrelongue,  Plaquet,  Raffin,  le  vicomte  de  Mory,  officiers  d'infan- 
terie. 

1.  Le  comte  d'Estaing  adressa  au  ministre,  après  le  combat  de  la  Gre- 
nade, des  demandes  très-nombreuses  de  récompenses.  Ces  demandes 
portaient  sur  des  officiers  de  tout  grade  et  de  toute  catégorie,  officiers  de 
marine,  officiers  de  troupe,  appartenant  au  corps  de  débarquement  ou 
compoî»ant  les  garnisons  des  vaisseaux,  officiers  d'administration  et  clii- 
mrgiens.  Lea  officiers-mariniers,  les  pilotes  et  les  maîtres  n'étaient  pas 
onbliés.  Enfin,  le  commandant  en  chef  priait  le  ministre  d'accorder  des 
pensions  aux  veuves  de  ceux  qui  avaient  été  tués  en  combattant. 


142  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

étaient  commandés  parles  capitaines  de  SuiTren,  de  Brach, 
de  Bruyères,  de  Grasse-Limermont,  Turpin  de  Breuil, 
Desmichels  de  Cliamporcin,  de  Peynicr,  de  Montault,  de 
Boulainvilliers,  de  Chabert,  d'Albert  de  Rions,  de  Bou- 
gainville,  de  Soulanges,de  Dampierrc,  Perron  du  Quongo, 
de  Lapoype-Vertrieux ,  de  Castellet  aîné,  de  Retz  et 
Cillart  de  Surville.  Les  chefs  d'escadre  de  Broves,  de 
Breugnon  et  de  Lamotte-Picquet,  commandaient  en  sous- 
ordre.  Le  comte  d'Estaing  appela  d*une  manière  spéciale 
l'attention  du  ministre  sur  MM.  de  Suffren  et  d'Albert  de 
Rions  qu'il  considérait  comme  les  meilleurs  capitaines 
de  son  armée,  et  il  le  pria,  avec  les  plus  vives  instances, 
de  les  nommer  chefs  d'escadre.  M.  de  Sartines,  moins 
clairvoyant  que  le  comte  d'Estaing,  n'admit  pas  la  valeur 
exceptionnelle  de  ces  deux  capitaines,  et  il  refusa  de  leur 
donner  cet  avancement.  M.  d'Albert  de  Rions  reçut  une 
lettre  de  félicitations  pour  sa  belle  conduite  pendant  la 
campagne,  et  le  commandeur  de  Suffren  une  pension  de 
quinze  cents  livres".  La  corvette  la  Diligente  porta  en 
France  la  nouvelle  du  combat  naval  du  6  juillet  et  de  la 
conquête  de  la  Grenade.  Un  officier  de  marine  et  un 
officier  de  Tarméc,  chargés  de  remeltre  au  Roi  les  dra- 
peaux pris  sur  Tennemi,  étaient  sur  ce  bâtiment.  La 
nation  accueillit,  avec  un  enthousiasme  plus  grand  peut- 
être  que  ne  le  comportaient  les  circonstances,  la  nouvelle 
des  événements  qui  venaient  de  s'accomplir  dans  la  mer 
des  Antilles.  Un    Te  Deum   fut  chanté  à  Paris  et  dans 

1.  I^  commandeur  de  SuflTren,  étail-il  dit  dans  le  rapport  adressé  au  Uoi. 
capitaine  de  vaisseau  qui  a  commandé  le  vaisseau  le  Fantasque,  dans 
Tescadre  du  comte  d'Estaing,  a  donné,  pendant  la  longue  cam|»agne  que 
cette  escadre  a  faite,  les  plus  grande;^  preuves  de  zèle  cl  d'activité  dans  toutes 
les  missions  particulières  dont  il  a  été  chargé  ainsi  ({ue  de  bravoure  et  d*lui- 
bileté  dans  les  combats.  Il  s'est  particulièrement  distingué  à  celui  de  la 
(irenade,  où  il  était  chef  de  lile  de  l'escadre,  (^esl  un  des  meilleurs  capi- 
taines de  vaisseau  que  Sa  Majesté  ait  à  son  service,  et,  puisqu'elle  ne  peut 
l'avancer  en  ce  moment,  il  est  digne  au  moins  de  quelque  maniue  distinguée 
de  sa  satisfaction.  On  propose  à  Sa  .M.ijesté  de  lui  arcorder,  en  récomjKMise 
de  ses  services  très  utiles  pendant  cette  cam|)iifrne,  une  |M*nsion  de  quinze 
cents  livres. 


LIVRE  IV.  143 

toutes  les  grandes  villes  de  France,  pour  remercier  le  ciel 
de  la  protection  qu'il  accordait  à  nos  armes. 

Le  gouvernement  français  avait  défendu  au  comte 
d'Estaing  d'occuper  les  îles  dont  il  pourrait  s'.emparer. 
Il  devait  faire  les  garnisons  prisonnières,  détruire  les 
fortiGcations,  enlever  les  canons,  les  armes,  les  muni- 
tions, les  approvisionnements,  et  se  retirer.  L'abandon  de 
la  Grenade  aurait  été  très-nuisible  au  rétablissement  de 
nos  nombreux  blessés.  Ceux-ci  avaient  été  mis  à  lerre, 
le  7  juillet,  et  il  eût  fallu  les  rembarquer  au  moment 
de  l'appareillage  de  l'escadre.  Le  comte  d'Estaing  résolut 
de  prendre  provisoirement  possession  de  l'île.  L'état  dans 
lequel  se  trouvaient  les  vaisseaux  de  l'amiral  Byron  et 
l'approche  de  l'hivernage  mettaient,  pendant  quelques 
mois,  notre  nouvelle  conquête  à  l'abri  de  toute  entre- 
prise. Si  le  ministre  désapprouvait  le  parti  auquel  s'ar- 
rêtait le  commandant  de  notre  escadre,  il  pouvait  en- 
voyer, avant  la  reprise  des  opérations  aux  Iles-du-Vent, 
l'ordre  d'évacuer  la  Grenade.  Les  îles  Cariac  ou  et  de 
l'Union  furent  prises  par  une  division  que  commandait 
le  capitaine  de  vaisseau  de  Suffren.  Enfin,  le  gouver- 
neur de  Saint-Vincent  s'empara  des  petites  îles  Grena- 
dines. 

Le  comte  d'Estaing  mit  sous  voiles,  le  15  juillet,  pour 
se  rendre  à  la  Guadeloupe  où  il  arriva  le  19.  Il  reprit  la 
mer,  le  20,  avec  une  flotte  marchande  destinée  à  effectuer 
son  retour  en  Europe.  Le  22,  l'escadre  française  défila 
devant  la  rade  de  la  Basse-Terre,  dans  l'île  de  Saint- 
Christophe,  où  l'amiral  Byron  s'était  retiré  après  le 
combat  de  la  Grenade.  La  position  des  vaisseaux  anglais, 
embossés  sous  la  protection  des  forts,  ne  nous  permettait 
pas  de  les  attaquer  avec  avantage.  Le  comte  d'Estaing  fut 
informé  que  deux  vaisseaux  ennemis,  dont  un  était  dé- 
mâté, étaient  mouillés  à  la  petite  île  hollandaise  de  Saba. 
H  n'eut  pas  la  pensée  de  s'emparer  de  ces  deux  bâtiments 
que  les  batteries  de  l'île  auraient  été  impuissantes  à  dé- 
fendre. «  Le  seul  pavillon  des  États-Généraux,  écrivit-il 


Hk  HISTOIRE  DE  LA  MAHINE  KIUNÇAISE. 

au  miDistre,  m'a  sulTG  pour  m'empècher  d'aller  les  y 
attaquer.  Je  sais  que  Sa  Majesté  ne  veut  pas  qu'on  iniile 
la  conduite  impûricuse  des  Angliiis,  »  L'esoadre  continua 
sa  route  pour  le  Cap  Français  où  elle  arriva  le  31  juillol. 
Des  lettres,  venues  d'Amérique,  apprirent  au  comte  d'Es- 
taing  que  la  Géorgie  était  tombée  au  pouvoir  des  Anglais, 
et  que  la  Caroline  du  Sud  était  très-sérieusement  mena- 
cée. Le  consul  de  France  &  Charleston  et  le  général 
Lincoln,  gouverneur  de  la  Caroline  du  Sud,  prélendaient 
que  la  présence  de  l'escadre  et  quelques  milliers  de 
soldats  sufQraient  pour  reprendre  la  Géorgie  et  obliger 
l'ennemi  à  évacuer  la  Caroline  '.  H.  de  Sartines  avait 
prescrit  de  renvoyer  en  France  les  douze  vaisseaux  et  les 
quatre  frégates  partis  de  Toulon,  le  13  avril  1778.  Le 
reste  de  nos  forces  devait  rester  dans  les  Antilles,  sous 
les  ordres  des  chefs  d'escadre  de  Grasse  et  Lamotte- 
Picquet.  Malgré  les  instructions  très-précises  du  ministre, 
le  comte  d'Estaing  appareilla,  le  16  août,  de  Saint- 
Domingue,  avec  toute  son  escadre,  et  il  se  dirigea  vers  les 
côtes  des  Etats-Unis.  Il  n'avait  en  vue,  au  moment  de  son 
départ,  aucune  opération  particulière.  Il  se  demandait  s'il 
devait  »ecourir  les  provincesdu  Sud,  ou  se  porter  sur  les 
eûtes  de  l'Amérique  septentrionale.  Peut-être  pourrail-il, 
en  se  hdtant,  délivrer  la  Géorgie  de  l'occupation  anglaise, 
et,  après  ce  premier  succès,  se  joindre  4  Washington 
pour  attaquer  New-York.  Il  se  réservait  de  prendre  une 
résolution  définitive,  lorsqu'il  aurait  communiqué  avec 
la  terre'. 


A 


I.  Dm  luIln-B  que  m'avaient  nJrei'Hfi  a  Saint-Doniingue  la  cornu) 
France  ft  tlharlmton,  le  gouverneur  aiuérirain  de  Is  Caroline  cl  H. 
iiiirquit  de  Préllgny,  annuncuenlde  grandci  rncilîtéi  cl  deroaixlnicnl  peu 
de  tecourt  pour  muver  In  Caroline  du  Sud  et  pour  repronilre  la  Géorgie.  Je 
doutaia,  niaii  il  Aillait  «'instruire  et  durtnul  connaître  cr  qui  ne  pn^sait  dani 
la  partie  leplentrionale  dn  continent,  {[.etlre  du  comte  d'Gstaing  au  nu- 

7.  rremier  lieu  de  rendez-vous  en  cas  de  stparaLion .  ChariestoD  i 
la  Caroline  du  Sud,  devant  lequel  on  rroiaera  pendant  huti  jour*  ei 
en  Bltendnnl  l'armée  navale.  Second  lieu  de  rend» 
boXun  dwvanl  k  l.ighl  Hnuav,  ou  on  atlendra  de  nouveaux  ordre». On  pourt^l 


LIVRE  IV.  145 


II 


Le  31  août,  noire  escadre  laissa  tomber  l'ancre  devant 
Tembouchure  de  la  rivière  de  Savannah.  M.  de  Fonlan- 
ges,  officier   du   corps   expéditionnaire,  fut   envoyé  à 
Cbarleston,  avec  la  mission  de  rapporter  au  général  des 
renseignements  très- précis   sur   Tétat    des  affaires.    11 
avait  Tordre  de  se  montrer  très- réservé  relativement  au 
concours  que  nous  étions  en  mesure  de  donner  à  nos 
alliés.  Enfin,  il  devait  déclarer  que  le  comte  d'Estaing  ne 
consentirait  pas  à  rester  plus  de  huit  jours  sur  la  côte.  Le 
2  septembre,  Tescadre  reçut  au  mouillage  un  coup  de 
vent  d'une  extrême  violence.  Cinq  vaisseaux,  au  nombre 
desquels  était  le  Languedoc^  cassèrent  leurs  gouvernails. 
\jt  comte  d'Estaing  se  trouvait  dans  l'impossibilité  de  re- 
prendre la  mer,  avant  que  ces  importantes  avaries  eus- 
sent été  réparées.  Ne  pouvant  aller  à  New- York,  il  prit  le 
parti  d'agir  dans  les  provinces  du  Sud.  11  crut  qu'il  serait 
facile  d'enlever  aux  Anglais  la  ville  de  Savannah  capitale 
de  la  Géorgie,  et  il  promit  son  concours  pour  cette  opéra- 
tion. Le  commandant  supérieur  des  troupes  britanniques, 
le  général  Prévost,  était  à  Savannah,  avec  un  petit  nombre 
d'hommes.  Sachant  qu'il  n'avait  rien  à  craindre  des  Amé- 
ricains, il  avait  divisé  sa  petite  armée  en  plusieurs  déta- 
chements. L'un  d'eux,  le  plus  important,  placé  sous  les 
ordres  du  colonel  Maitland,  occupait  l'île  de  Port-Royal, 

sur  les  côtes  de  la  Caroline  du  Sud.  Si  nous  avions  quel- 


en  cas  que  rennemi  survienne,  ou  que  h»  temps  l'exige,  entrer  dans  la  rade 
de  Nantaskct.  Si  Ton  se  séparait  avant  que  rarnjée  eût  passé  devant  Charles- 
Ion,  le  prennicr  rendez-Vous  aurait  lieu,  et  ensuite  le  second.  Si  la  sépara- 
tion se  faisait ,  après  que  rarmée  aurait  passé  devant  Charleston,  on  n'irait 
qu'au  second  lieu  de  rendez-vous.  Four  copie  conforme  à  l'original,  signé 
d'Estaing,  et  daté  à  bord  du  vaisseau  le  La7iguedoc,  en  rade  du  Cap,  île  de 
Saint-Domingue,  le  12  août  1779.  —Chevalier  de  Borda.  Cet  ordre,  donné 
aux  capitaines  de  Tescadre,  montre  que  le  comte  d'Estaing  n'avait  aucun 
projet  arrêté  en  quittant  Saint-Domingue. 

10 


146  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

que  chance  de  battre  les  Anglais,  c'était  à  la  condition  de 
les  attaquer  avant  que  leurs  colonnes  fussent  réunies. 
Malheureusement,  nos  alliés,  qui  n'avaient  pas  été  pré- 
venus de  rarrivée  d'une  escadre  française,  n'étaient  pas 
prêts  à  entrer  en  campagne.  Sans  se  préoccuper  de  cette 
situation ,  le  comte  d'Estaing  se  mit  en  devoir  d'exécuter 
le  plan  convenu.  Des  bâtiments  de  son  escadre  occupè- 
rent les  différentes  passes  qui,  du  large,  conduisaient  dans 
la  Savannah.  Les  frégates  et  les  corvettes  remontèrent  le 
fleuve,  aussi  haut  que  le  leur  permit  leur  tirant  d'eau.  Le 
passage  suivant  d'une  lettre  adressée  au  comte  d'Estaing 
par  le  colonel  Laurens  montre  l'accueil  empressé  qui 
nous  fut  fait,  la  situation  des  troupes  américaines,  et,  de 
l'aveu  de  nos  alliés,  la  position  périlleuse  de  l'escadre  sur 
la  côte  de  Géorgie  :  «  Mon  général,  votre  présence  dans  ce 
moment-ci  est  comme  celle  d'une  divinité  tulélaire.  Vous 
allez  écraser  l'ennemi  commun  et  répandre  la  joie  et  la 
reconnaissance  dans  tous  les  cœurs.  Il  ne  manque  à  mon 
bonheur  individuel  que  de  vous  rendre  mon  hommage 
en  personne.  Les  ordres  que  vous  m'avez  envoyés  par 
M.  le  vicomte  de  Fontanges  m'ont  privé  de  l'occasion 
de  le  faire  aussitôt  (luc  mon  cœur  le  désirait.  Mais  j'es- 
père que  mon  bonheur  ne  sera  retardé  que  de  (luehjuos 
jours.  En  attendant,  mon  général,  je  ne  négligerai  rien 
de  ce  qui  dépendra  de  moi  pour  hàlcr  la  marche  des 
troupes  aussi  bien  (juc  pour  en  augmenter  le  nombre. 
Le  bien  commun  de  la  France  et  de  l'Amérique  et  le  désir 
do  contribuer  i\  votre  gloire  sont  des  motifs  trop  puis- 
sants pour  laisser  des  doutes  h\-dessus.  Je  n'ignore  pas 
combien  votre  situation  est  critique,  ce  que  peuvent  les 
orages  sur  une  côte  qui  n'olfre  i)oinl  d'asile  aux  gros  vais- 
seaux, combien  enfin  il  faut  mettre  de  promptitude  et  de 
justesse  dans  nos  opérations.  »  Nos  soldats  furent  mis  à 
terre,  le  13  septembre,  à  quelques  lieues  de  la  ville  de 
Savannah.  Le  temps  (jui  s'était  écoulé  depuis  notre  ar- 
rivée sur  la  côte  avait  été  mis  h  prolit  par  rennemi. 
Lorsque  le  général  Prévost  avait  été  informé  de  la  pré- 


LIVRE  IV.  147 

sence  de  notre  escadre,  il  avait  expédié  à  ses  troupes  Tordre 
de  le  rejoindre.  Les  navires  mouillés  dans  les  divers  bras 
du  fleuve  s'étaient  rapprochés  de  la  ville.  Quelques-uns 
d'entre  eux  avaient  été  coulés  pour  en  défendre  les  ap- 
proches, et  leurs  équipages  étaient  venus  augmenter  l'ef- 
fectif de  la  garnison.  Des  noirs,  requis  en  grand  nombre, 
avaient  travaillé,  nuit  et  jour,  aux  fortifications.  Le  15  se[H 
lembre,  le  comte  d'Estaing  se  présenta  devant  Savannah 
avec  le  corps  français  et  un  faible  détachement  de  cava- 
lerie américaine.  Le  16,  il  fit  sommer  le  général  Prévost 
de  rendre  la  ville,  le  menaçant,  s'il  n'acceptait  pas  les  condi- 
tions avantageuses  qu'il  lui  ofl'rait,  de  donner  immédia- 
tement l'assaut.  Le  général  anglais,  qui  était  sans  nou- 
velles du  colonel  Maitland,  avait  intérêt  à  gagner  du 
temps.  Après  quelques  pourparlers,  il  réussit  à  obtenir 
un  armistice  de  vingt-quatre  heures  pendant  lequel  il 
devait  examiner,  de  concert  avec  ses  officiers,  nos  propo- 
sitions. Les  troupes  du  colonel  Maitland  ayant  pénétré,  la 
nuit  suivante,  dans  la  place,  le  général  déclara  qu'il  était 
décidé  à  se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Une 
attaque  de  vive  force  étant  devenue  impossible,  par  suite 
de  l'arrivée  du  colonel,  les  alliés  mirent  le  siège  devant 
Savannah.  Dans  les  premiers  jours  d'octobre,  nos  opéra- 
tions n'avaient  fait  aucun  progrès  ;  d'autre  part,  la  néces- 
sité d'éloigner  l'escadre  de  la  côte  devenait,  chaque  jour, 
plus  urgente.  Plusieurs  coups  de  vent  s'étaient  succédé, 
pendant  lesquels  nos  vaisseaux  avaient  été  compromis. 
Dans  les  conseils  de  la  petite  armée  franco-américaine, 
on  résolut  de  courir  les  chances  d'un  assaut.  Le  succès 
de  cette  tentative  était  d'autant  plus  incertain  que  les  for- 
tifications de  la  ville  n'avaient  pas  soufTcrt.  De  plus,  l'en- 
nemi disposait  d'une  nombreuse  garnison  et  d'une  puis- 
sante artillerie,  très-bien  servie  par  les  matelots  anglais. 
Le  9  octobre,  un  peu  avant  le  jour,  les  alliés  se  mirent 
en  mouvement.  Malgré  des  prodiges  de  bravoure  et 
l'exemple  des  généraux  qui  marchèrent  en  tête  des  trou- 
pes,  nos  soldats,  décimés  par  le  feu  de  la  place,  furent 


148  HISTOIRE  HE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

obligés  de  battre  en  retraite.  Le  comte  d'Estaiug,  qui 
s'ùtait  conduit  avec  son  intrépidité  liabituellc,  avait  été 
blessé.  Les  alliés  levèrent  le  siège  de  Savannah,  le  18  oc- 
tobre. Quelques  jours  après,  les  Américains  étaient  en 
sûreté  sur  la  rive  gauche  du  fleuve,  et  nos  troupes  avalent 
rejoint  leurs  vaisseaux.  Nous  avions  eu,  pendant  cette 
courte  campagne,  seize  odicicrs,  cent  soixante-tiuil  sous- 
officicrs,  marins  et  soldats  tués,  et  quarante-sept  offi- 
ciers et  quatre  cent  onze  soua-orficiers,  marins  et  soldats 
blessés. 

Malgré  l'échec  que  nous  venions  de  subir,  la  présence 
de  l'escadre  française  sur  la  côte  n'avait  pas  été  sans 
utilité  pour  la  cause  des  Ëtats-L'nis.  Les  Anglais,  igno- 
rant le  point  oit  nous  avions  l'Intention  de  nous  porter, 
étaient  restés  partout  sur  la  défensive.  Le  général  Clin- 
ton, craignant  que  New-York  ne  fût  attaqué  par  terre  el 
par  mer,  avait  concentré  toutes  ses  forces  dans  cette 
ville.  Par  son  ordre,  l'tlc  de  Rbode  avait  été  évacuée,  et 
telle  avait  été  la  prëcipilalion  de  la  retraite  que  les  Amé- 
ricains avaient  trouvé  dans  la  place  des  vivres,  des  muni- 
tions et  des  pièces  d'artillerie  qu'on  avait  négligé  d'en- 
clouer.  Le  tiuyillaire,  commandé  pir  M.  d'Albert  de 
liions,  s'était  emparé  de  VExpei^inent  de  cinquante  ca- 
nons, sur  lequel  nous  avions  trouvé  la  somme  de  six  cent 
cinquante  mille  francs.  La  frégate  VAriel,  de  vingt-six  ca- 
nons, avait  été  prise  par  VAmaiojte.  Une  frégate  et  quel* 
qucs  bflliments  de  rang  inférieur  avaient  été  coulés  par 
les  Anglais  dans  la  Savannah.  F.nlin,  plusieurs  transports, 
chargés  de  vivres ,  de  munitions  et  d'approvisionnementâ 
de  toutes  sortes,  étaient  tombés  entre  nos  mains,  | 

Lorsque  le  comte  d'Estaing  revint  à  bord  dn  Langu»-  i 
linc,  tous  les  bdliments  de  l'escadre  étaient  prêts*  &  appa- 
reiller. Avant  de  ramener  en  France  les  vaisseaux  avee 
lesquels  il  élnit  parti  de  Toulon,  le  13  avril  1778,  il  avait 
  prendre  quelques  mesures  dont  il  s'occupa  immédiale- 
mont.  Onatre  frégnles,  la  Forlunëc,  lu  Blanclip,  \bl  Cért»^ 
la  floMt/ciwe,  et  la  corvette  \'Ellix,  furent  désignées  pour 


\ 


LIVRE  IV.  149 

porter  à  la  Grenade  et  à  Saint-Vincent  des  hommes,  des 
vivres  et  de  l'argent.  Les  soldats  appartenant  à  la  gar- 
nison de  Saint-Domingue  furent  embarqués  sur  les 
vaisseaux  de  Lamotte-Picquet.  Quant  aux  troupes  prove- 
nant des  Iles-du-Vent,  elles  prirent  passage  sur  l'escadre 
du  comte  de  Grasse.  Cet  officier  général  devait  faire  des 
vivres  dans  la  baie  de  la  Chesapeak,  avant  de  faire  route 
pour  la  Martinique.  Il  appareilla,  le  26  octobre,  avec  le 
Robuste^  le  Fendant,  le  Diadème  et  le  Sphinx,  et  il  attendit, 
sous  voiles,  que  le  Vengeur,  le  Dauphin-Royal  g\.Y Artésien 
fussent  prêts  à  le  suivre.  Telle  était  la  situation  de  la 
flotte  lorsque,  le  28,  le  mauvais  temps  interrompit  toute 
communication  entre  les  vaisseaux.  Le  Languedoc  avail  A 
la  mer  deux  ancres,  les  seules  qu'il  n'eût  pas  perdues  dans 
les  coups  de  vent  précédents.  Le  cdble  de  Tune  d'elles 
s'étant  rompu,  le  vaisseau  chassa,  après  avoir  fait  tète 
sur  la  seconde  ancre.  L'ordre  fut  donné  de  couper  le  câble, 
et  le  vaisseau  amiral  mit  sous  voiles.  La  plupart  des 
vaisseaux  n'avaient  d'autres  ancres  que  celles  sur  les- 
quelles ils  étaient  mouillés.  Cette  considération ,  jointe  à 
l'assurance  donnée  par  le  pilote  que  le  mauvais  temps  ne 
serait  pas  de  longue  durée,  détermina  le  commandant  en 
chef  à  faire  le  signal  de  ne  pas  imiter  sa  manœuvre.  Le 
même  jour,  deux  autres  vaisseaux,  la  Provence  et  le  Ton- 
nant, furent  forcés  d'appareiller.  Le  5  novembre,  le  Layi- 
guedoc  était  à  cent  quatre-vingts  lieues  au  large.  Persuadé 
que  nos  vaisseaux  avaient  quitté  la  côte  d'Amérique ,  le 
comte  d'Estaing  se  dirigea  sur  Brest  où  il  arriva  dans  les 
premiers  jours  de  décembre.  Après  le  départ  du  comte 
d'Estaing,  le  commandement  des  vaisseaux  mouillés  à 
l'embouchure  de  la  Savannah  appartenait  au  chef  d'es- 
cadre de  Broves.  Toutes  les  dispositions  qui  avaient  été 
arrêtées  par  le  comte  d'Estaing  pour  la  répartition  des 
troupes  sur  les  divers  bâtiments  de  l'escadre  furent  exé- 
cutées. Les  navires  désignés  pour  retourner  dans  la  mer 
des  Antilles  Brent  route  pour  leur  destination.  M.  de  Bro- 
ves appareilla,  le  I"  novembre,  pour  se  rendre  à  Brest, 


150  HISTOIRE  DE  r,A  MARINE  FRANÇAISE, 

avec  le  Ci'snr,  sur  lerjucl  il  avail  son  pavilloi],  IV/ccfor,  le  ' 
Guerrier,  le  Protecteur,  le  Vaillant,  le  Zi'l^,  le  Marseillais, 
le  Sayittaire,  le  Fantasque  el  \'Ex)>eriment.  Le  2i,'/é  el  le 
Marseillais  se  séparèrent  de  l'escadre  dans  la  nuit  du 
1"  au  2  novembre.  Ces  deux  vaisseaux,  ayant  rencotilré 
du  gros  temps  et  des  vents  conlraires,  se  dirisfcrent  sur 
Cadix.  Après  quelques  jours  de  rclAclie  dans  ce  port,  les 
capitaines  de  ces  deux  bftlimenls  allèrent  à  Toulon,  au 
lieu  de  se  rendre  à  Brest,  ainsi  qu'ils  en  avaient  reçu 
l'ordre*.  A  l'exception  du  Tonnant^,  otiligé  de  relâcher 
aux  Antilles  pour  réparer  ses  avaries,  les  vaisseaux,  partis 
de  l'embouchure  de  la  Savannah  pour  rentrer  en  Europe, 
arrivèrent  dans  nos  poris  dans  le  mois  de  décembre. 

Le  comte  d'Estaing  venait  de  terminer  une  campagne 
qui  n'avait  pas  complètement  répondu  aux  espérances  du 
gouvernement  français.  La  lenteur  de  sa  traversée,  en 
partant  de  Toulon,  ne  lui   avait  pas  permis  do  sur- 
prendre l'amiral  Howe  à  l'embouchure  de  la  Delaware. 
Pendant  son  séjour  sur  les  eûtes  dç  l'Amérique  septen- 
trionale, il  avait  élé  de  l'entrée  de  New-Vork  ù  Rhode-  ^ 
Island,  et  de  Bbode-lsland  &  Boston,  sans  trouver  une  1 
seule  fois  l'occasion  de  se  servir  de  l'escadre  qu'il  cota»  J 
mandait.  A  son  arrivée  aux  Antilles,  il  avait  subi,  en  ten*  1 
tant  de  secourir  l'Ile  de  Sainte-Lucie,  un  échec  très-l 
sérieux.  Au  combat  du  6  juillet,  l'escadre  française  avaita 
remporté  sur  l'ennemi  un  avantage  indiscutable.  Cepci 
dant  les  résultats  de  celte  journée  n'étaient  pas  s 
rieurs  h  ceux  que  nous  avions  obtenus  à  Ouessant.  Or,  j 
Ouessant,  le  nombre  des  vaisseaux  était  le  même  dep 
et  d'autre,  mais  le  total  des  bouches  &  feu  était  moîa 
considérable  sur  notre  escadre  que  sur  les  veisseatll 

I.  I.e  miaicUo  (al  trtB-ox^ontenl  de  In  crimliiîte  iIm  cnmmtndanls  4 
X^U  ni  Aa  M'tmeHUià,  Tau*  ilnii\  fan-nl  rrapf>és  J'uao  intonlictian  i 
comiiiBndeniMil,  \e  plus  utcicn,  le  capilainn  du  ifuractllaû,  pour  m 
indénni.  Imecond,  prndnnt  quatre  moi*. 

3.  Lo  Tnnnant  partît  de  SaiDl-Domingue  dans  \r  mnit  de  JHnvier  ITt 
nmrtani  un  canvnl  mtrcband,  «tm  lequel  il  arriva  i-n  r>d«  de*  8 
I*  U  mani. 


LIVRE  IV.  151 

anglais.  A  la  Grenade,  au  contraire,  c'était  à  nous  qu*ap- 
partenail  la  supériorité  du  nombre,  puisque  nous  avions 
vingt-cinq  vaisseaux  contre  vingt  et  un.  A  son  arrivée  à 
la  Martinique,  le  comte  d'Estainir  avait  pris,  en  vertu  des 
ordres  du  ministre,  le  commandement  des  troupes  fran- 
çaises stationnées  aux  Iles-du-Vent.  En  cette  qualité,  il 
avait  dirigé  les  opérations  militaires  pendant  la  cam- 
pagne. Si  la  prise  du  morne  de  l'hôpital,  à  la  Grenade, 
était  une  action  très-brillante,  Fattaque  des  positions 
anglaises  à  Sainte-Lucie  avait  eu  les  conséquences  les 
plus  graves.  A  Savannah,  où  nous  nous  étions  lancés  en 
avant  avec  plus  de  hardiesse  que  de  réflexion,  nous 
n'avions  pas  été  plus  heureux  qu'à  Sainte-Lucie.  Quoique 
le  comte  d'Eslaing  eût  attaché  son  nom  à  une  journée 
très-honorable  pour  nos  armes,  il  était  permis  de  dire 
qu'il  ne  s'était  distingué  ni  comme  chef  d'escadre,  ni 
comme  général.  Ce  qui  était  hors  de  toute  contestation, 
c'était  la  rare  intrépidité  dont  il  avait  fait  preuve  en  toutes 
circonstances.  Mais  le  courage  personnel,  quand  il  n'est 
pas  appuyé  par  des  connaissances  spéciales,  est  de  peu 
de  ressource  pour  les  chefs  des  flottes  et  des  armées. 
Ainsi,  le  comte  d'Estaing,  qui  désirait  vivement  reprendre 
Sainte-Lucie,  n'avait  pas  osé  conduire  son  escadre  dans 
l'anse  où  étaient  mouillés  les  vaisseaux  de  l'amiral  Bar- 
rington.  N'ayant  pas  le  coup  d'œil  assez  sûr  pour  se 
rendre  compte  de  la  possibilité  du  succès,  il  avait  reculé 
devant  la  responsabilité  qu'un  échec  eût  fait  peser  sur  lui. 
Ce  serait  une  erreur  de  croire  que  les  instructions  du 
gouvernement  l'obligeaient  à  se  montrer  circonspect.  Loin 
de  le  retenir,  le  ministre  le  poussait  en  avant.  Nous  en 
avons  la  preuve  dans  le  passage  suivant  d'une  lettre  du 
comte  d'Estaing  à  M.  de  Sartines  :  «  Les  lettres.  Mon- 
seigneur, dont  vous  m'avez  honoré,  constatent  la  volonté 
de  Sa  Majesté.  Ses  intentions  et  les  vôtres  sont  que  la 
gloire  des  armes  du  Roi  soit  soutenue  avec  autant  d'au- 
dace que  de  fermeté.  »  Le  comte  d'Estaing  avait  il  trouvé 
chez  les  ofticiers  généraux  et  les  capitaines  de  son  escadre 


I 


152  HISTOIRE  DE  LA  HARWE  mANÇAISE. 

le  concours  sur  lequel  il  avait  le  droit  de  compter?  Ses 
rapports  et  les  nombreuses  demandes  de  nVompensps 
qu'il  adressa  au  ministre,  soit  aprJ-s  le  combat  de  la  Gre- 
nade, eoit  À  lu  suite  de  sa  campagne  sur  les  cdtes  de 
l'Amérique  septentrionale,  ne  permettent  d'élever  aucun 
doute  sur  ce  point'.  A  Savannab,  la  marine  n'avait  eu  que 
du  mauvais  temps  à  supporter.  Toutefois,  c'était  elle  qui 
avait  fourni  au  corps  expéditionnaire  des  vivres,  des  mu- 
nitions et  des  approvisionnements.  Ce  service,  que  les 
circonstances  rendaient  quelquefois  diiTicile,  avait  élu 
dirigé  par  les  chefs  d'escadre  de  Brovcs  et  de  Lamottc- 
Picquct  avec  autant  de  zèle  que  de  bonne  volonté.  Celait 
d'ailleurs  ce  que  reconnaissait  hautement  le  comte  d'Es- 
laing  qui  écrivait  au  ministre  :  «  M,  le  comte  de  Broves, 
secondé  par  les  soins  et  par  le  travail  aussi  immense 
qu'utile  de  H.  le  chevalier  de  Borda,  major  de  l'escadre, 
m'a  fait  passer,  pendant  le  cours  du  siège,  tous  les  secours  i 
qui  ont  dépendu  de  lui.  M.  de  Lamotic-Picquet  a  fait,  de 
son  cdté,  la  même  chose  avec  le  plus  grand  zèle  et  en 

1.  E'Brmi  Icb  rapilaineB  de  vnisscnii  que  le  coiiile  d'Eslsing  proposa  k  soa    | 
arrivée  en  France  giour  le  graJe  de  chef  d'escadre,  «e  Irquvail  M.  de  BouIbio.   1 
vllliera,  ion  capilalne  de  pavillon.  Cet  officier,  qoi  n»it  rendu  di«  ser 
pendant  la  campagne,  i^Uit  d'une  très- mauvaise  santé.  Le  camle  d'Eslaing   | 
priait  le  minisire  de  le  nommer  cherd'ebcadre  et  de  le  mettre  en  retraite  huit  J 
jours  après  h  promotion.  A  lo  débuts  dans  la  marine,  M.  de  Bon  lai  nvil  liera  1 
avait  assiBlé  à  un  àvénanient  de  mer  que  nous  allons  rapporter.  CmI  um-J 
page  d'kialalrft  marilime  qui  ne  doit  pas  être  laissée  dans  l'oubli.  Son  piM  J 
commaRdait,  ea  1741,  le  vaisseau  le  Bourbon,  blsnnl  porlio  àe  l'escadre  Ja'l 
duc  d'Aatin.  Cette  esûdre,  qui  était  Torte  de  dii-ncuf  vaisseaux,  revenait  dM  fl 
Antilles  en  Europe.  Arrivée  aux  Açores,  elle  se  divisa  en  deui  parties  :  I'ub*   i 
lit  route  sur  Toulon,  et  l'autre  pour  Drcit.  Le  '!  avril,  i  la  suite  d'un  graia, 
le  Bourban  se  truuva  sépare  de  son  escailre.  Ce  vaisseau  avait  une  voie 
d'esu  qui   prit  rapidement  des  proportions  inquiétantes.  Le  eapitaioe  St 
gouverner  sur  la  cAt«  de  Portugal  dont  il  n'était  pas  «loisné.  Le  vwaaeaa, 
alourdi  |iar  l'eau,  marchait  IrAs-lontement.  Le  11  avril,  le  Bnurlnm  élagl  m 
vue  de  ttrre,  trois  embarcations  furent  expédiées  vers  la  céte.  L'ofllcief  qui 
les  commandait  ^tait  cbargé  de  trouver  un  point  favorable  pour  A:hou(r  le 
vaisseau,  tl  avait  également  l'ordre  d'envoyer  au  llnurboit  tous  les  bateaoc    , 
di.  pécbe  nu  sulre<i  qu'il  aperreTraîL.  Ijis  embarcations  Ploient  à  petit*  dis*— 
lu,  lonque  celui-ci  disparuL  Les  trois  canots  portant  trente  J 
f  bomiMPs,  ufDcierscompris,  arrivèrent  a  la  l^orogne.  baua  une  relatîM  l 
1  évéDUiunt,  datée  de  la  Corogne,  et  qui  est  du  IU«  du  ca|utaine  di  J 


LIVRE  IV.  153 

s'impatientant  souvent  contre  les  vents  et  les  contrariétés 
que  tout  autre  aurait  eu  de  la  peine  à  vaincre.  »  En  ren- 
dant compte  au  ministre  de  la  prise  de  VExperiment  par  le 
Sagittaire j  que  commandait  le  capitaine  d'Albert  de  Rions, 
le  comte  d'Estaing  disait  :  «  Le  Roi  n'a  point  de  capitaine 
de  vaisseau  plus  hardi,  ayant  plus  de  désir  de  bien  faire, 
ni  meilleur  manœuvrier  que  M.  d'Albert  de  Rions.  » 

Pendant  la  guerre  de  1756,  le  comte  d'Estaing  s'était 
très-honorablement  battu  dans  l'Inde.  Après  avoir  servi 
comme  colonel  et  comme  brigadier  dans  l'armée  de  Lally 
Tollendal,  il  avait  pris  part  à  plusieurs  expéditions  ma- 
ritimes qui  avaient  fait  beaucoup  de  mal  au  commerce 
anglais.  Sa  bravoure,  son  esprit  d'entreprise,  son  patrio- 
tisme, avaient  appelé  l'attention  sur  sa  personne.  Au  lieu 
de  lui  donner,  dans  l'armée  de  terre,  l'avancement  auquel 
il  avait  droit,  le  gouvernement  l'avait  nommé  lieutenant- 
général  des  armées  navales  ^  En  entrant  dans  la  marine 
avec  un  grade  aussi  élevé,  d'Estaing  s'était  condamné  à 
rester  au-dessous  de  la  position  qu'il  avait  recherchée. 
Pour  expliquer  ses  insuccès,  on  a  prétendu,  suivant  une 

Bourbon,  celui-là  même  qui  commandait  le  Languedoc  en  1778,  on  lit  : 
«  Nos  six  cents  hommes,  tant  officiers  que  gardes-marine,  n'ont  pas  quitté 
Touvrage  depuis  le  10  au  matin,  et  ils  ont  servi  sans  relâche  les  sept  pom- 
pes et  les  deux  cents  seaux.  Le  H  au  soir,  nous  avions  de  quinze  à  dix-huit 
pieds  d'eau  dans  le  vaisseau.  Dans  la  nuit  du  11  au  12,  on  aperçut  la  terre. 
Il  D*y  a  eu  dans  l'équipage  aucune  faiblesse,  pas  un  cri,  pas  un  murmure, 
point  de  confusion,  chacun  à  sa  besogne.  »  Une  autre  relation  qui  doit  Hrc 
do  consul  de  France  dit  :  «  Le  capitaine  de  vaisseau  de  Boulainvilliers  a 
rempli  de  point  en  point  l'ordonnance,  ayant  subi  le  sort  du  navire  que  le 
Roi  lui  avait  confié,  laissant  une  digne  mémoire  de  constance,  de  valeur  et 
de  grandeur  d'&me  qui  mérite  toutes  les  louanges  possibles.  Ne  doutant 
point  du  péril  extrême  et  inévitable,  il  ordonna  à  son  fils  de  s'embarquer 
dans  le  petit  canot,  ce  à  quoi  on  ne  put  parvenir  à  l'obliger.  Le  premier 
lieutenant,  M.  de  Cany  et  les  autres  officiers  le  mirent  par  force  dans  le 
petit  canot,  ce  qui  sauva  ce  digne  reste  de  cette  illustre  familie.  »  I^  famille 
de  Boulainvilliers  était  d'ailleurs  une  famille  militaire.  Le  frère  aine  du  capi- 
taine du  Bourbon  avait  été  tué  sur  le  vaisseau  le  Maur  ;  enfin  un  troisième 
était  mort  à  Brest,  étant  lieutenant  des  gardes  du  pavillon.  Le  capitaine  de 
boulainvilliers  du  Languedoc  fut  fait  chef  d'escadre,  le  5  mai  1780,  et  il 
reçut,  le  13,  la  permission  de  se  retirer  du  service. 

1.  Pendant  la  guerre  de  1756,  la  marine,  négligée  depuis  longtemps  par 
le  gouvernement,  très-inférieure  en  nombre  h  la  marine  anglaise,  avait  été 


154  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

coutume  éminemment  française,  qu'il  n'avait  pas  trouvé 
chez  ses  capitaines  la  stricte  obéissance  qui  lui  était  due. 
Nous  avons  montré,  en  nous  appuyant  sur  des  preuves 
irrécusables,  l'inexactitude  de  cette  assertion.  Ce  sont 
1&  des  erreurs  historiques  qui  se  transmettent,  si  on  peut 
s'exprimer  ainsi,  de  livre  en  livre.  Ce  qu'on  peut  dire 
avec  vérité,  c'est  que  la  plupart  des  officiers  ne  croyaient 
pas  à  la  capacité  maritime  du  comte  d'Estaing.  Dans  un 
corps  qui  comptait  des  officiers  généraux  comme  d'Or- 
villiers,  de  Guichen,  Lamotte-Picquet  et  quelques  autres, 
ce  fait  n'a  rien  qui  puisse  surprendre.  L'obéissance  la 
plus  absolue  est  de  rigueur  dans  les  corps  militaires. 
Quant  &  la  confiance,  elle  ne  s'impose  pas,  et  les  généraux 
doivent  la  conquérir  par  leur  conduite,  leurs  actions  et 
surtout  par  leur  supériorité. 


III 

Les  divisions  du  comte  de  Grasse  et  de  Lamotte-Picquet 
furent  dispersées  par  le  mauvais  temps,  et  les  bâtiments 
qui  les  composaient  firent  route  isolément  pour  leur  des- 
tination. Trois  frégates,  la  Blanche^  VAlnnène  et  la  For- 
tunée, tombèrent  entre  les  mains  de  l'ennemi.  VAnnibal^ 
le  Magnifique,  le  Diadème,  le  Dauphin,  le  Vengeur,  VAr- 
léaien  et  le  Réfléchi  arrivèrent  à  la  Martini(iue  dans  les 
premiers  jours  de  décembre.  Tous  ces  vaisseaux  avaient 
à  réparer  d'importantes  avaries,  faites  pendant  la  traversée 
do  retour  des  côtes  d'Amérique  aux  Antilles,  ou  au  inouil- 
la^'ode  la  Savannah.  Quatre  vaisseaux,  le  Magnifique,  le 
Dauphin  Royal,  le  Diadème  et  Y  Artésien  furent  provisoi- 
rement désarmés. 

hallue.  I /opinion  n'avait  vu  qiio  nos  défaites,  ol  il  avait  M^mblé,  à  celle  épo- 
que, qu'en  prenant  les  officiers  hors  de  la  marine  il  y  avait  [dus  de  chances 
qu'ils  valu8«<eut  «pielque  chose.  I^  pouvernenient,  obéissant  proijahlement 
ii  ce  courant  de  ropinion,  avait  fait  ci'lle  nomination.  Il  >  a  des  circon- 
stances (Ml  les  gouvernements  perdent,  comme  les  foules,  le  sens  droil  des 
chose»**. 


LIVRE  IV.  155 

Le  18  décembre  1779,  un  convoi  de  vingl-six  navires  de 
commerce,  parti  de  Marseille,  dans  le  courant  du  mois 
d'octobre,  sous  la  conduite  de  la  frégate  VAurorej  parut 
au  large  de  la  pointe  des  Salines.  L'amiral  Hyde  Parker, 
qui  avait  remplacé  l'amiral  Byron  dans  le  commande- 
ment en  chef  des  forces  navales  de  l'Angleterre  dans  la 
mer  des  Antilles,  était  au  Gros  Ilet  de  Sainte-Lucie.  A  la 
vue  de  la  firégate  française  et  des  navires  qu'elle  escor- 
tait, il  mit  sous  voiles  avec  quatorze  vaisseaux.  Le  capi- 
taine de  V Aurore,  après  avoir  fait  le  signal  de  serrer  le 
vent  et  de  forcer  de  toile,  se  plaça  bravement  derrière  son 
convoi.  Selon  toute  apparence,  nos  bâtiments  devaient 
être  joints  par  les  Anglais  avant  d'avoir  atteint  la  baie  de 
Forl-Royal.  VAnnibalj  le  Vengeur  et  le  Réfléchi  n'avaient 
pas  de  voiles  en  vergue,  et  leurs  poudres  ainsi  que  leurs 
boulets  avaient  été  débarqués.  EnGn,  la  plus  grande 
partie  des  hommes  formant  Téquipage  de  ces  trois  vais- 
seaux étaient  à  terre,  soit  comme  malades,  soit  comme 
convalescents.  Quelles  que  fussent  les  difficultés  de  ctetle 
situation,  Lamotte-Picquet  ne  voulut  pas  assister  en 
simple  spectateur  à  la  prise  de  nos  bâtimenrts.  Le  signal 
de  faire  route  sur  l'ennemi  monta  aux  mâts  de  VAnnibal, 
Les  préparatifs  de  l'appareillage  furent  faits  avec  une 
activité  et  une  ardeur  que  surexcitait  la  vue  de  l'escadre 
de  l'amiral  Parker.  Des  matelots,  provenant  des  navires 
qui  étaient  dans  le  port,  complétèrent  lés  équipages  de 
nos  vaisseaux.  Lorsque  VAnnibalj  qui  fut  le  premier  sous 
voiles,  arriva  à  portée  de  canon  des  Anglais,  V Aurore  se 
défendait  avec  la  plus  grande  énergie.  Peu  après,  le  Ven- 
geur et  le  Réfléchi  parurent  sur  le  champ  de  bataille. 
Les  Français  se  retirèrent  sous  petites  voiles,  couvrant 
les  bïltiments  de  commerce  qui  n'avaient  pas  été  capturés, 
au  moment  où  Lamotte-Picquet  était  intervenu.  La  nuit 
mit  fin  à  ce  combat  inégal  pendant  lequel  trois  vais- 
seaux français  avaient  combattu  la  plus  grande  partie  de 
l'escadre  de  l'amiral  Parker.  Sur  les  vingt-six  bâtiments 
dont  se  composait  le  convoi,  dix  tombèrent  entre    les 


I 


156  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

mains  des  Anglais,  douze  entrèrent  sains  et  suiirs  à  Fort- 
Royal  et  quatre  bg  jctërent  à  la  câte.  Ces  derniers  furent 
perdus,  mais  on  parvint  A  sauver  leurs  cargaisons.  La 
population  avait  assista  du  rivage  A  toutes  les  péripéties 
de  cette  brillante  alTalre.  La  hardiessede  Lamotte-Picquel, 
son  haliileté,  sa  bravoure,  excitèrent  dans  la  colonie  le 
plus  grand  enthousiasme.  Les  oiTiciers  anglais  n'admi- 
rèrent pas  moins  que  les  belliqueux  créoles  de  la  Marti- 
nique la  manœuvre  de  nos  vaisseaux.  L'amiral  Hyde 
Parker  écrivit  à  Lamotle-PJcquel  :  «  Monsieur,  j'ai  reçu  la 
lellre  que  Votre  Excellence  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrîre 
par  le  petit  Saint-Michel.  Quoiqu'il  y  ail  Tort  peu  de  temps 
que  vous  m'ayez  enlevé  une  frégate  et  plusieurs  autres 
hAtimcnts,  je  ne  puis  m'empôcher  de  vous  estimer  et  de 
vous  admirer.  La  conduite  que  Voire  Excellence  a  tenue 
dans  l'affaire  du  18  de  ce  mois  justilie  pleinement  la  ré- 
putation dont  vous  jouissez  parmi  nous,  et  je  vous  assure 
que  je  n'ai  pu,  sans  envie,  être  témoin  de  l'habileté  que 
voifsavez  fait  voir  en  cette  occasion.  Nos  inimitiés  sont 
passagères  et  dépendent  de  nos  maîtres,  mais  votre  mé- 
rite a  gravé  dans  mon  ctriir  la  plus  grande  admiration 
pour  vous.  Je  prendrai  toujours  le  plus  grand  soin  pour 
que  vos  parlementaires  et  vos  prisonniers  soient  bien  i 
traités,  et  Je  saisirai  avec  plaisir  toutes  les  occasions  qui  i 
pourront  se  présenter  pour  vous  donner  des  preuves  de  I 
la  considération  et  de  l'estime  avec  lesquels  je  suis  de  Voire  | 

Excellence >>  Cette  lettre  fait  le  plus  grand  honneur  j 

au  caractère  élevé  de  l'amiral  anglais,  en  même  trmips  1 
qu'elle  montre  les  sentiments  de  parfaite  courtoisie  dont  j 
étaient  animés,  les  uns  envers  les  autres,  les  ofliciers  des  j 
deux  nations. 

Dans  lo  courant  de  l'année  1779,  les  Espagnols  s'er 
parèrent  des  établissements  que  la  Grande-Bretagne  pos-  1 
Bédaitdaos  le  Mississipi.  Les  Anglais  prirent  le  fort  d'Omoa  < 
dans  lu  baie  de  Honduras. 


LIVRE  V 


L'Espagne  déclare  la  guerre  à  rAnglcterrc.  —  Le  lieutenant  général  d'Or- 
villiers  sort  de  Brest  pour  opérer  sa  jonction  avec  don  Luis  de  Cordova. 
—  État  sanitaire  des  équipages  de  notre  flotte.  —  Réunion  tardive  des 
deux  escadres.  —  Préparatifs  faits  sur  les  côtes  de  Bretagne  et  de  Nor- 
mandie^  en  vue  d*un  débarquement  en  Angleterre.  —  L'armée  combinée, 
arrivée  à  l'ouvert  de  la  Manche,  est  repoussée  au  large  i>ar  un  coup  de 
vent  d'est.  —  Les  alliés  poursuivent,  sans  succès,  Tamiral  Hardy.  — 
Développement  de  la  maladie  qui  sévit  à  bord  des  vaisseaux  français.  — 
La  flotte  franco-e8|)agnole  rentre  à  Brest.  —  Situation  de  Tcscudre 
française.  —  Ues|K>nsabilité  du  ministre  de  la  marine. 


I 


Charles  III,  après  avoir  longtemps  hésité,  résolut 
de  prendre  part  à  la  guerre.  Le  12  avril  1779,  MM.  de 
Montmorin  et  de  Florida-Blanca  ^  plénipotentiaires  de  la 
France  et  de  TEspagne,  signèrent  à  Aranjuez  un  traité 
d'alliance  offensive  et  défensive.  En  échange  d'avantages 
peu  importants  qu'elle  nous  garantissait,  au  moment  où 
la  paix  serait  conclue,  l'Espagne  se  proposait  d'obtenir 
la  restitution  de  Gibraltar,  de  Minorque  et  de  Pensacola, 
et  la  possession  de  la  rivière  et  du  fort  de  Mobile.  Nous 
nous  engagions  à  ne  pas  déposer  les  armes  avant  que 
nos  alliés  fussent  maîtres  du  rocher  de  Gibraltar'.  Les 


1.  M.  de  Montmorin  était  ambassadeur  de  France  auprès  de  la  cour  d'Ks- 
fiagne.  Le  comte  dé  Florida-Blanca  avait  le  département  des  aflaires 
étrangères,  en  même  temps  qu'il  était  le  principal  ministre  de  Sa  Majesté 
catholique. 

2.  Nous  donnons  ci-après  les  articles  les  plus  importants  de  la  conven- 
tion du  12  avril  : 

«  Art.  ô.  —  Pour  le  cas  futur  de  li  paix  et  le  traité  définitif  que  doit 


158  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

cours  de  Madrid  et  de  Versailles  étaient  convenues  d'opé- 
rer une  descente  en  Angleterre.  Une  flotte,  composée  des 
escadres  que  les  deux  nations  avaient  dans  les  mers 
d'Europe,  devait  couvrir  le  passage  d'une  armée  française 
partie  des  ports  de  la  Manche.  Les  Anglais,  confiants 
dans  les  dispositions  pacifiques  de  TEspagne,  n'avaient 
conservé,  sur  leurs  côtes,  que  les  forces  nécessaires  pour 
tenir  en  échec  l'escadre  de  Brest.  Quarante  vaisseaux^ 

amener  la  guerre,  Sa  Majesté  très-chrétienne  entend  se  procurer  ou 
acquérir  les  avantages  ou  utilités  suivantes  :  1*  La  révocation  de  Paboli- 
lion  de  tous  les  articles  qui  privent  Sa  Majesté  très-chrétienne  de  la  liberté, 
qui  lui  appartient  de  droit,  de  faire  à  Dunkerque  tels  travaux  de  mer  ou 
de  terre  qu'elle  jugera  nécessaires;  2*  l'expulsion  des  Anglais  de  Ttlc  et  do 
la  pèche  de  Terre-Neuve;  3*  la  liberté  absolue  et  indéliuie  du  commerce 
des  Indes-Orientales ,  et  celle  d'y  accfucrir  et  fortifier  tels  comptoirs  que 
Sa  Majesté  très-chrétienne  trouvera  convenables;  4*  le  recouvrement  <iu 
Sénégal  et  la  plus  entière  liberté  du  commerce  d'Afrique  hors  des  comp- 
toirs anglais;  5*  la  possession  irrévocable  de  Pile  de  la  Dominique,  et 
6*  Tabolition  ou  l'entière  exécution  du  traité  de  commerce  conclu  à 
Utrecht,  en  1713,  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

Art.  7.  —  Le  Roi  catholique  entend  se  procurer,  de  son  côté,  fiar  le 
moyen  de  la  guerre  et  du  futur  traité  de  paix^  les  avantages  suivants  : 
1*  La  restitution  de  Gibraltar;  2*  la  possession  de  la  rivière  et  du  fort  de 
Mobile;  3*  la  restitution  de  Pensacola,  avec  loule  la  ciMe  de  la  Fioritle  qui 
s'étend  le  long  du  canal  de  Bahania,  de  manière  qu'aucune  puissance 
étrangère  n'ait  d'établissement  sur  ce  canal;  4"  l'expulsion  des  Anglais 
hors  de  la  Imie  de  Honduras,  et  l'exécution  de  la  pritliibition,  stipulée  |>ar 
le  dernier  traité  de  Taris  de  1  année  17G3,  de  ne  foniior  aucun  établisse- 
ment en  cette  baie,  non  plus  (jue  dans  les  autres  territoires  es|»agiK»ls  ; 
b"  la  révocation  du  privilège  accordé  aux  mêmes  Anglais,  de  couper  le 
bois  de  teinture  sur  la  côte  de  (iampéclie,  et  G"  la  restitutitm  de  Tile  de 
Minorque. 

Art.  9.  — Leurs  Majestés  très-clin*lienne  et  catliolitiue  promettent  de 
faire  tous  leurs  efforts  |)our  se  procurer  et  acquérir  tous  les  avantages 
sjHîciliés  ci-dessus,  et  de  continuer  ces  ellorts  jusipià  ce  qu'elles  aient 
obtenu  le  but  qu'elles  se  proposent,  s'otTrant  niutuellement  de  ne  (la 
poser  les  armes  et  de  ne  faire  au(*nn  traité  de  paix,  trêve  ou  sus|>ension 
d'hostilités,  sans  avoir  au  nïoins  obtenu  et  s'être  respectivement  assuré  la 
restitution  de  (Gibraltar  et  l'alntlition  des  traités  relatifs  aux  fortifications 
d(>  Dunkenjue,  ou,  à  défaut  de  cet  article,  tout  autre  objet,  à  la  volonté 
de  Sa  .Majesté  très-clirélienne  -  M.  de  Vergennes,  voulant  obtenir  l'alliance 
de  rKspagne,  fut  oblige  d'accepter  les  conditions  contcuuies  dans  l'ar- 
ticle 7  ,  mais  celte  clause  pevii  lourdement ,  pendant  loule  la  durée  de 
la  guerre,  Mir  la  eondiiitu  des  opérations  militaires.  EuUn,  elle  créa  de 
sérieuses  diflieullés  au  gouvernement  fran^-ais,  lorst^ue  le  moment  >inlde 
conclure  la  paix. 


LIVRE  V.  159 

commandés  par  l'amiral  Hardy^  prolégeaicnt  la  Grande- 
Bretagne  oontre  tout  danger  d'invasion.  A  la  fin  du  mois 
de  mai,  on  se  préoccupa,  à  Madrid  et  à  Paris,  de  la  réu- 
nion des  forces  navales  des  deux  Couronnes.  Le  gouver- 
nement français,  craignant  que  la  cour  de  Londres, 
instruite  des  projets  de  l'Espagne,  ne  fit  croiser  Tamiral 
Hardy  devant  Brest,  envoya  au  comte  d'Orvilliers  l'ordre 
de  prendre  la  mer.  L'escadre,  placée  sous  le  commande- 
ment de  cet  officier  général,  n'était  pas  en  mesure  d'ap- 
pareiller. L'administration  du  port  ne  pouvait  lui  donner 
les  quatre  mille  hommes  qui  eussent  été  nécessaires  pour 
compléter  ses  équipages  ^  M.  de  Sartines  connaissait  la 
convention  du  12  avril  et  le  plan  de  campage  qui  avait  été 
arrêté  à  cette  époque.  Néanmoins,  soit  négligence,  soit 
impossibilité  momentanée,  il  n'avait  pris  aucune  mesure 
pour  faire  face  à  cette  difficulté. 

Le  lieutenant  général  d'Orvilliers,  vivement  pressé  par 
le  ministre,  désarma  plusieurs  bâtiments  afin  de  se  pro- 
curer quelques  matelots,  et  il  embarqua  deux  mille  sol- 
dats. L'escadre,  forte  de  vingt-huit  vaisseaux,  sortit  de 
Brest,  le  4  juin.  Elle  arriva,  le  II,  à  la  hauteur  de  la 
petite  Ile  de  Cizarga,  où  elle  devait,  d'après  les  instruc- 
tions du  ministre,  opérer  sa  jonction  avec  les  Espagnols. 

A  la  fin  de  juin,  huit  vaisseaux  venant  de  la  Corogne 
rallièrent  notre  armée.  Dans  les  premiers  jours  de  juillet, 
plusieurs  vaisseaux  français,  notamment  la  VUlc-de- 
Paris j  le  Bien-Aimé^  V Auguste^  le  Caton,  le  Saint-Esprit, 
la  Couronne,  signalèrent  un  grand  nombre  de  malades. 

Le  commandant  en  chef  envoya  successivement  ces 
navires  à  la  Corogne,  afin  de  donner  du  repos  aux  équi- 
pages. Cette   situation  n'avait  pas  de  gravité,  mais  elle 

1.  Ce  n'étaient  pas  quatre  mille  hommes,  comprenant  des  novices,  ma- 
telotis,  canonnière,  soldats,  etc.,  qui  manquaient  pour  compléter  les  effec- 
tifs des  vaisseaux  du  lieutenant  général  d'Orvilliers,  mais  quatre  mille 
hommes  de  mer.  Ces  quatre  mille  matelots  étaient  d'autant  plus  néces- 
saires, que  la  proportion  des  hommes  élran^^ers  à  la  mer  dans  la  comp:)- 
sition  des  équipages  avait  augmenté  defiuis  lu  commencement  de  la 
guerre. 


160  HISTOIRE   DE  LA  MARINE  KHANÇAISE. 

loquiétait  le  comte  d'Orvilliers.  <<  Noua  sommes  bien  en 
état,  écrivait-il  au  ministre,  d'altaquer  les  ennemis  cl  d'en- 
tamer  les  opérations;  mais  les  moments  sont  d'autant 
plus  précieux  que  la  saison  avance,  et  qu'il  est  à  craindre 
que  la  maladie  ne  se  propage  dans  nos  vaisseaux,  où 
nous  avons  des  fitvrcB  putrides  ou  de  la  petite  vérole.  11 
nous  faut,  d'ailleurs,  un  temps  à  souhait  pour  ne  perdre 
que  quatre  ou  cinq  jours,  après  la  jonction  de  monsieur 
Gaston,  nécessaires  à  régler  les  postes,  y  mettre  les  vais- 
seaux et  les  ranger  au  moins  deux  fois  en  bataille.  Je  suis 
persuadé  de  la  valeur  et  delà  bonne  volonté  de  nos  alliés; 
mais  ce  que  je  vois  de  leur  manœuvre  me  confirme  jilus 
que  jamais  qu'ils  sont  fort  éloignés  d'être  bons  ofGciers 
de  mer.  »  Vers  le  milieu  de  juillet,  le  mal  fil  des  progrès 
très-rapides.  Quoique  cinq  cents  hommes  eussent  été  mis 
à.  terre,  A  la  Corogne  et  au  Ferrol,  il  restait  environ  deirx 
mille  malades'.  Le  port  de  Brest  ne  s'était  pas  trouvé  en 
mesure  de  donner  h  tous  les  bAtiments  les  quantités  de 
médicaments  réglementaires.  Enfin,  plusieurs  vaisseaux 
avaient  pris  la  mer  sans  médecins.  Le  comte  d'Orvilliers 
fit  connaître  sa  position  au  ministre,  et  il  le  pria  de  lui 
envoyer  des  secours  d  son  passage  devant  t)ues8anL  Le 
chef  d'escadre  de  Ternay,  en  relAchc  à  la  Corogne,  in- 
forma directement  M.  de  Sarlines  que  le  Saint-Esprit,  sur 
lequel  élail  arboré  son  pavillon,  comptait  cent  trente 
malades.  Ce  vaisseau  avait,  h  son  départ  de  ilrest,  soi* 
xante  hommes  de  moins  que  son  efTectif,  et,  depuis  cette 
époque,  il  avait  |K!rdu  neuf  hommes.  Le  Bicn-Aimi',  qui 
était  à  la  Corogne  avec  le  Saint-Eaprit,  avait  quatre-vingt- 
sept  hommes  &  l'hâpital,  et  une  vingtaine  de  malades  k 
bord.  Celte  situation  était  celle  do  la  plupart  des  bAliments 
de  l'escadre.  Le  temps  marchait  et  le  lieutenant  géni-ral 
d'Orvilliers  ne  recevait  aucune  dépêche  de  Paris.  Suri)ris 
de  ce  silence,  il  écrivit,  le  Sû  juillet,  au  ministre  ;  «  Je 


lllln  legcrc?   ili<ll.>|>a»ilin[i, 


LIVRE  V.  Ifll 

me  flatte.  Monseigneur,  que  c'est  Tincertitude  du  lieu 
qu'occupe  l'escadre  du  Roi  qui  me  prive  de  vos  nouvelles 
et  de  vos  ordres  depuis  six  semaines  que  je  suis  ici.... 
J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir,  Monseigneur,  que,  si  nous 
continuons  à  être  affligés  de  malades  au  point  d'embar- 
rasser les  vaisseaux  pour  le  combat,  j'autoriserai  les  ca- 
pitaines, en  quittant  ce  parage  pour  aller  dans  la  Manche, 
à  mettre  en  hotte  une  partie  de  leur  troisième  plan,  pour 
se  procurer  dans  leur  cale  un  emplacement  suffisant  pour 
y  déposer  leurs  malades.  Je  sais  que  l'ordonnance  le  dé- 
fend, mais  je  n'ai  imaginé  aucun  autre  moyen  de  nous 
mettre  en  état  de  combattre.  Le  faux  pont  doit  être  libre 
pour  recevoir  les  blessés.  »  Le  23,  le  lieutenant  général 
don  Luis  de  Cordova  parut  avec  vingt-huit  vaisseaux. 
Quoique  cet  officier  général  fût  plus  ancien  de  grade  que 
le  lieutenant  général  d'Orvilliers ,  il  avait  été  convenu, 
entre  les  cours  de  Madrid  et  de  Versailles,  que  le  com- 
mandement en  chef  serait  exercé  i)ar  l'amiral  français. 
Seize  vaisseaux,  placés  sous  la  direction  de  don  Luis  de 
Cordova,  devaient  former  une  escadre  particulière,  dite 
d'observation. 

Quelques  jours  s'écoulèrent  pendant  lesquels  les  deux, 
généraux  procédèrent  à  l'organisation  de  rarmée.  Une 
question  importante,  celle  des  signaux,  avait  été  complè- 
tement négligée  dans  les  négociations  particulières  rela- 
tives à  la  réunion  des  deux  escadres  :  «  J'ai  été  bien 
surpris.  Monseigneur,  écrivit  le  lieutenant  général  d'Orvil- 
liers au  ministre,  lorsque  j'ai  appris  que  les  signaux  de 
l'armée  n'avaient  pas  été  imprimés  en  Espagne,  et  que 
H.  Mazzaredo  (major  de  la  flotte  espagnole)  avait  été  obligé 
de  les  copier  &  la  main  depuis  son  départ  de  Cadix.  Je 
puis  vous  assurer  qu'il  n'est  jamais  arrivé  que  deux  es- 
cadres, en  se  réunissant  en  mer,  aient  été  réduites  à 
improviser  un  corps  entier  de  signaux.  C'est  cependant 
ce  qu'il  m'a  fallu  faire.  U  est  heureux  que  j'aie  eu  à  trai- 
ter, pour  la  traduction  et  les  ordres  à  donner,  à  un  major 
très-intelligent  et  rempli  de  bonne  volonté.  Fort  heureu- 

u 


162  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

sèment  aussi,  le  calme  a  facilité  la  communication,  en 
sorte  que  tout  a  été  distribué  hier  28.  »  Le  28  et  le  29, 
les  bâtiments  détachés  au  Ferrol  et  à  la  Corogne  ralliè- 
rent le  pavillon  du  commandant  en  chef.  Le  30  juillet, 
Tannée  combinée,  forte  de  soixante-six  vaisseaux  de  li- 
gne, trente  franc^ais  (deux  vaisseaux,  la  Victoire  et  la 
Bourgogne,  avaient  rejoint  l'escadre  à  la  mer)  et  trente-six 
espagnols,  et  de  quatorze  frégates  des  deux  nations,  se 
dirigea  vers  le  nord.  La  flotte  franco-espagnole  était  dis- 
posée dans  l'ordre  suivant*  : 

Ligne  de  bataille. 


B 


Noms  des  bâtiments. 


Le  Citoyen  — 
Le  Saint-Michel. 

L'Auguste 

Le  Prolée 

LeSan-Pablo.. 

L'Éveillé 

Arrogante 

Ville-de-Paris. . 


Le  Glorieux 

Le  Serio 

L'Indien 

Le  Saint-Pedro. , 
Le  Saint- Joseph. 

Le  Palmier 

La  Victoire 


Le  Zodiaque, 
Le  Guerrier. , 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Avant-garde, 


74 
70 
80 
64 
70 
64 
70 

104 

74 
70 
64 
70 
70 
74 
74 


De  Nieuil. 

De  Rochechouart,  chef  d*e8cadre. 
De  Cacqucray. 

De  Ballerov. 

m 

lluon  de  Kermadcc. 

Le  comte  de  Guichen,  lient,  général. 

de  Bcaussel,  chef  d'escadre. 

De  la  Grandière. 


De  Hrale. 

D'Albert  Saint-HippoUte. 


Corps  de  6(i/(i (//(.'. 


74 
70 


iDe  Porte  Vezins. 


1.  Li  com|K)îiilion  do  la  flotte  combinée  a  été  prise,  telle  qu'elle  est  in- 
diquée ici,  dans  les  étaU  annexés  aux  rup|K)rts  du  lieutenant  général 
d'Orvillior»*. 


LIVRE  V. 


163 


Noms  des  bâtiments. 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Coppi  de  bataille  (suite). 


Le  Saint-Vinccnl. 

Le  Scipion 

Le  Bien-aimé — 
Le  Saint-Carlos . 


La  Bretagne 

Le  Neptune 

Le  Vincendor 

Le  Destin 

Le  Saint- Joaqu in 

Saint-lsabcl 

La  Bourgogne — 
Le  Solitaire 


80 
74 
74 
80 

110 

80 
70 
74 
70 
70 
74 
64 


Le  comte  d'Arec,  lieutenant  général. 

De  Cherisey. 

D'Aubenton. 

Duplessis  Parscau. 

Le  comte  d'Orvilliers,  lieut.  général 

Hector,  chef  d'escadre. 

D'Espinouse. 


De  Marin. 

De  Monteclerc. 


Arrière-garde. 


L'Hercule 

Le  Septentrion. 

Le  Saint-Esprit. 


Llntrépide 

L'Ange  Gardien . 

Le  Bizarre 

Le  Conquérant.. 

Le  Rayo 

Le  Saint-DamaF. 
L'Actionnaire.  . . 

L'Alexandre 

Le  Brillant 

Le  Saint-Luis  . . . 

Le  Caton 

Le  Pluton 


74 
64 

80 

74 
70 
64 
74 
80 
70 
64 
64 
70 
80 
64 
74 


Le  comte  d'Amblimont. 


Ternay,  chef  d'escadre. 
Beaussier. 

De  Saint  Kiveul. 

De  Monleil,  chef  d'escadre 


De  l'Archantel. 
De  Trémigon. 

De  Scillant. 


Escadre  d^observation 


La  Trinité 

Le  Phénix 

L'Orient 

Le  Monarque 

I^  Vaillant 

Le  Saint- Julien  . . 
Le  Saint- Nicolas . 

l^  Busé 

Le  Saint-Raphaôl. 


122 
80 
70 
70 
70 
70 
80 
60 
70 


«•' 


164 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


Noms  des  bilimenls. 


Nombre 

dé 
canoDS. 


Noms  des  capitaines. 


Escadre  cCobservation  (suite). 


La  Princesse 

La  Sainte-Françoise 

Le  Dilip:enl 

Le  Saint-Victor 

Le  Saint-Eugène 

Le  Saint-François  de  PauL 
La  Galice. 


Saint-iMichel , 
Espafia 

Couronne  . . . 


Mucho 
Triton. 


l 


70 
70 
70 
70 
70 
70 
70 


Escadre  légère. 


60 
64 

80 

52 
64 


de  Labiochaye. 

breil  de  Rays. 

Levassor de  Latouche,  lieul.  général. 

Cbadcau  de  Laclocheterie. 


Par  suite  d'un  ordre  auquel  on  attachait,  à  Paris,  une 
importance  particulière,  les  vaisseaux  qui  n'apparte- 
naient pas  à  Tescadre  spécialement  dirigée  par  Cordova 
étaient  mêlés  à  nos  bdliments.  Cette  disposition  avait 
l'avantage  de  mettre  toute  cette  partie  de  l'armée  espa- 
gnole dans  les  mêmes  conditions  que  la  nôtre,  en  cas  de 
rencontre  avec  Tennemi.  D'autre  part,  elle  imposait  à 
notre  escadre  la  marche  de  nos  alliés  qui  était  regardée 
comme  très-mauvaise. 

Au  moment  où  ce  formidable  armement  faisait  route 
vers  l'entrée  de  la  Manche,  il  s'était  écoulé  près  de  deux 
mois  depuis  notre  départ  de  Brest.  L'escadre  avait  con- 
sommé la  plus  grande  partie  de  ses  vivres  et  de  son  eau  *, 
et  nos  équipages  étaient  Irès-affaiblis.  Malgré  ces  condi- 


1.  Lorsque  IVscadre  avait  appareillé,  elle  n'avait  pas  quatre  mois  com- 
plets de  vnres  et  d'eau.  Il  est  inutile  de  dire  que  le  minislrc  connaissait 
très- bien  cette  situation. 


LIVRE  V.  165 

lions  défavorables,  le   lieutenant  général  d'Orviliicrs , 
persuadé  que  le  ministre  lui  ferait  parvenir  tous  les  se- 
cours qui  lui  étaient  nécessaires,  ne  voyait  aucun  obsta- 
cle à  l'accomplissement  de  sa  mission.  Il  écrivait  à  M.  de 
Sartines,  à  la  date  du  2  août  :  «  Je  ferai  route  pour  aller 
reconnaître  Ouessant,  où  je  compte  que  je  trouverai  des 
avisos  avec  des  ordres  et  des  avis  de  votre  part.  J'en- 
verrai même  un  lougre  à  cette  île,  dans  Tespérance  que 
vous  aurez  pu  y  faire  passer  des  paquets  avec  ordre  au 
gouverneur  de  me  les  faire  parvenir  par  tous  les  moyens 
qui  lui  seraient  possibles.  Nous  irons  chercher  Tennemi 
à  la  côte  jusqu'à  la  rade  de  Sainte-Hélène,  et  alors,  si  je 
trouve  cette  rade  libre,  ou  que  je  m'en  sois  rendu  maître, 
j'enverrai  donner  avis  à  M.  de  Vaux  au  Havre,  comme 
vous  me  l'avez  recommandé,  et  lui  ferai  part  des  moyens 
que  j'emploierai  pour  la  sûreté  de  son  passage  qui  dépen- 
dront des  forces  supérieures  des  Anglais  ;  c'est-à-dire, 
j'opposerai,  de  ce  côté-là,  l'armée  combinée  pour  contenir 
l'ennemi,  et  je  ferai  passer,  dans  l'autre  partie,  une  esca- 
dre légère  et  des  forces  suffisantes  en  vaisseaux  et  frégates, 
ou  je  proposerai  à  M.  de  Cordova  d'occuper  cette  partie 
pour  que  le  passage  de  l'armée  de  terre  soit  libre  et  en 
sûreté.  Je  suppose  qu'alors,  soit  par  le  combat  que  j'au- 
rai livré  aux  ennemis,  soit  par  leur  retraite  dans  leurs 
ports,  je  serai  certain  de  leur  situation  et  du  succès  de 
l'opération.  »  Le  comte  d'Orvilliers  insistait  sur  la  néces- 
sité d'envoyer  à  l'armée  combinée  des  pratiques  de  la 
côte  d'Angleterre.  Il  rappelait  également  au  ministre  que 
les  deux  tiers  des  vaisseaux  français  n'auraient  plus  d'eau 
le  1"  septembre. 

Un  cruel  malheur  atteignit  le  commandant  de  notre 
escadre.  Son  fils,  lieutenant  de  vaisseau  sur  la  VUle-de- 
PariSj  succomba  aux  atteintes  de  la  maladie  qui  sévissait 
sur  nos  bâtiments.  Le  malheureux  père  supporta  cet 
événement  avec  la  fermeté  qui  convenait  à  sa  position. 
«  Le  Seigneur  m'a  ôté,  écrivit-il  au  ministre,  tout  ce  que 
j'avais  dans  ce  monde,  mais  il  m'a  laissé  la  force  de  ter- 


166  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

miner  celte  campagne,  et  le  plus  grand  désir  que  ce  soit 
à  votre  satisfaction.  » 


II 


Dans  les  premiers  jours  du  mois  d'août,  les  préparatifs 
faits  par  notre  gouvernement  pour  opérer  un  débarque- 
ment en  Angleterre  étaient  terminés.  L'armée  d'invasion 
était  divisée  en  deux  corps  principaux,  dont  l'un  occu- 
pait le  Havre  et  l'autre  Saint-Malo.  Quatre  cents  bâti- 
ments de  transport  étaient  prêts  à  les  recevoir.  Le  com- 
mandant en  chef  de  l'expédition,  le  maréchal  de  Vaux, 
n'attendait  que  l'arrivée  de  la  flotte  combinée  &  Sainte- 
Hélène  pour  donner  à  ses  troupes  Tordre  de  s'embarquer. 
L'Angleterre,  surprise  par  la  brusque  agression  de  l'Es- 
pagne, n'avait  à  opposer  aux  soixante-six  vaisseaux  de 
la  flotte  franco-espagnole  que  les  quarante  vaisseaux 
commandés  par  l'amiral  Hardy.  Si  nous  étions  maîtres  de 
la  mer,  le  débarquement  de  l'armée  française  était  assuré. 
Or,  <\  ce  moment,  les  meilleurs  soldats  de  TAnglelerru 
combattaient  au  dehors,  et  les  milices,  appelées  à  la  hdle, 
n'offraient  pas  les  éléments  d'une  solide  résistance.  Des 
complications  intérieures  s'ajoutaient  aux  difficultés  de 
cette  situation.  Par  suite  de  l'agitation  qui  régnait  dans 
les  esprits,  la  cour  de  Londres  était  obligée  de  laisser  en 
Irlande  une  partie  des  troupes  dont  elle  disposait.  Les 
instructions  adressées  au  maréchal  de  Vaux  déno- 
taient, de  la  part  du  gouvernement  français,  l'intention 
d'agir  avec  une  extrême  prudence.  Le  ministre  de  la 
guerre  disait  :  «  Dans  la  supposition  où  Portsmouth  se- 
rait inatta(iuable,  se  borner  à  faire  l'attaqui;  de  l'Ile  de 
Wight  et  s'y  établir  avec  les  troupes  de  Sa  Majesté;  s*y 
fortifier  de  manière  qu'on  ne  puisse  en  être  chassé  et  que 
le  voisinage  de  cette  île  et  les  troupes  qu'elle  contiendra 
puissent  occuper  assez  les  ennemis  sur  les  côtes  du 
continent  anglais,  pour  qu'ils  soient  obligés  de  dégar- 


LIVRE  V.  167 

nir  les  environs  de  Portsmouth.  Quand  les  troupes  du 
Roi  auront  fait  les  fortifications  et  les  retranchements 
suffisants  pour  que  Tlle  de  Wight  puisse  être  conservée 
par  dix  mille  hommes  contre  toutes  les  forces  de  Ten- 
nemi,  M.  le  comte  de  Vaux  est  autorisé  à  aller  tenter  un 
autre  débarquement,  sous  la  protection  de  l'armée  navale, 
sur  le  point  où,  de  concert  avec  M.lecomted'Orvilliers,  ils 
trouveront  possible,  l'un  et  l'autre,  de  débarquer,  jusqu'à 
Bristol;  mais,  dans  le  cas  où  on  ne  pourrait  s'assurer 
d'avoir  d'heureux  succès,  on  se  contentera,  jusqu'à  ce 
qu'on  ait  reçu  de  nouveaux  ordres  de  Sa  Majesté,  de  faire 
quelque  entreprise  dans  les  contrées  les  plus  voisines 
de  l'île  de  Wight,  et  qu'ils  jugeront  la  plus  convenable. 
Sa  Majesté  s'en  remet,  sur  le  choix  de  tous  ces  objets, 
aux  lumières  et  connaissances  locales  que  M.  le  comte  de 
Vaux  pourra  se  procurer.  »  Le  7  août,  la  flotte  franco- 
espagnole  atlérit  sur  Ouessant  avec  des  vents  d'est  fai- 
bles et  une  belle  mer.  Ces  circonstances  étaient  très-favo- 
rables pour  opérer  le  ravitaillement  de  l'escadre,  mais 
aucun  ordre  n'avait  été  donné  à  Brest,  et  il  ne  vint  que 
des  approvisionnements  insignifiants.  Les  pratiques  de  la 
côle  d'Angleterre,  que  le  comte  d'Orvilliers  avait  deman- 
dées, ne  lui  furent  pas  envoyées.  Le  ministre  lui  annonça 
que  des  mesures  étaient  prises  pour  satisfaire  aux  be- 
soins de  son  escadre,  lorsque  celle-ci  serait  entrée  dans 
la  Manche.  Après  avoir  reconnu  le  cap  Lézard,  le  14,  le 
comte  d'Orvilliers  continua  sa  route  vers  Test.  11  avait 
l'intention,  s'il  ne  pouvait  atteindre  promptement  Sainte- 
Hélène,  de  mouiller  sur  la  rade  de  Torbay,  pour  embar- 
quer le  matériel,  les  vivres  et  le  personnel  expédiés  de 
Brest.  Le  16  août,  il  fut  avisé  d'un  changement  survenu 
dans  les  projets  du  gouvernement.  Ce  n'était  plus  à  l'île 
de  Wight,  mais  sur  la  côte  de  Cornouailles ,  près  de 
Falmouth,  que  devait  avoir  lieu  le  débarquement  des 
troupes  françaises.  Il  était  prescrit  au  comte  d'Orvilliers 
de  bloquer  les  Anglais  dans  Plymouth,  et  de  détacher  deux 
divisions,  l'une  à  Saint-Malo  et  l'autre  au  Havre,  pour 


168  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

escorter  les  transports  sur  lesquels  nos  soldais  devaient 
s'embarquer.  Le  gouvernement,  disait  le  ministre  dans 
la  m<imo  dépéctie,  avait  l'intention  de  laisser  l'armée 
combinée  à  la  mer  encore  pondant  quelques  mois.  Il  est 
difficile  d'imaginer  un  changement  plus  complet  dans  le 
plan  primitivement  adopté.  On  doit  croire  que  M.  de  Sar- 
tines  ne  se  rendait  aucun  compte  de  la  portée  de  ses 
nouveaux  ordres.  Le  port,  considéré  comme  indispen- 
sable pour  abriter  l'escadre  contre  les  mauvais  temps  cl 
assurer  son  ravitaillement,  disparaissait.  Le  débarque- 
ment de  l'armée  ayant  lieu,  d'après  les  nouvelles  instruc- 
tions, dans  les  environs  de  Falmouth,  la  Hotte  combinée 
était  obligée,  non-seulement  de  tenir  la  mer,  mais  de 
croiser  près  de  la  côte  pour  rester  en  communication 
avec  nos  troupes.  Or,  comme  le  maréchal  de  Vaux  ne 
pouvait  être  mis  à  terre  avant  la  tin  d'août,  il  en  résul- 
tait que  nos  vaisseaux  étaient  appelés  à  Taire  ce  se^^■ice 
pendant  les  mois  de  septembre,  d'octobre  et  peut-être 
de  novembre.  Il  est  inutile  d'ajouter  que,  h  cette  époque, 
nous  n'avions  pas  de  port  dans  la  Manche.  Nous  lais- 
serons le  comte  d'Orvilliers  montrer  lui-même  ce  que 
valaient  les  instructions  du  ministre  de  la  marine  :  «  Après 
le  mois  de  septembre,  écrivit-il  à  M.  de  Sartines,  la 
Manche  n'offre  plus  que  des  coups  de  vent  et  point  d'a- 
bris. Les  Anglais,  qui  ont  tous  leurs  ports  sous  le  vent 
de  l'ouest  et  du  sud-ouest,  peuvent,  sans  rien  hasar- 
der, mettre  dehors  leurs  escadres  et  leurs  flottes.  Il  n'en 
est  pas  de  même  des  forces  réunies  de  la  France  et 
de  l'Espagne.  Si  ce  grand  nombre  de  vaisseaux  est 
battu  par  une  tempêto  d'ouest,  ils  n'ont  d'autre  ressource 
que  d'onlilor  le  canal  et  de  Taire  de  l'est.  Si  le  coup  de 
vent  est  du  sud,  du  sud-sud-ouest  et  même  du  sud-ouest, 
un  grand  nombre  ne  pourra  doubler  la  pointe  sud  de 
l'Angleterre',  d'où   il  résulte  que  la  marine  des  deux. 


LIVRE  V.  169 

puissances  est  très-exposéc,  dans  cette  mer,  pendant  l'au- 
tomne et  l'hiver.  Le  ravitaillement  de  cette  nombreuse 
armée  mérite  aussi,  Monseigneur,  votre  considération. 
N'ayant  ni  port  ni  rade  à  votre  disposition,  on  sera  forcé 
de  faire,  à  la  mer,  le  renversement  de  transports  que  je 
suppose  arrivés  sans  accident,  dans  une  saison  où,  très- 
souvent,  la  communication  est  impraticable  et  les  trans- 
ports d'un  vaisseau  à  l'autre  impossibles.  On  saisira  les 
courts  moments  qui  se  présenteront,  mais  on  ne  peut  se 
flatter  qu'ils  suffisent  à  cet  énorme  travail.  Selon  les  ren- 
seignements que  je  prends  ici  des  Normands  qui  font  la 
pêche  à  la  côte  d'Angleterre,  Falmouth  n'est  d'aucune 
ressource  pour  la  relâche  de  quelques  vaisseaux  de 
guerre.  L'eau  du  port  n'est  pas  suffisante,  et  la  rade,  trop 
petite  pour  contenir  une  escadre,  est,  de  plus,  exposée  à 
tous  les  vents  du  large.  Elle  est,  d'ailleurs,  semée  de  ro- 
ches qui  rongent  les  câbles,  font  perdre  les  ancres  et 
quelquefois  les  vaisseaux.  En  général,  les  Anglais  n'y 
mouillent  pas.  C'est  un  grand  malheur,  mais  un  malheur 
prévu,  que  la  jonction  de  nos  alliés  ait  été  aussi  tardive, 
et  un  malheur  encore  plus  grand  le  fléau  qui  désarme 
nos  vaisseaux.  C'est  encore  une  contradiction  bien  déso- 
lante que  les  opérations  ne  puissent  commencer  que  lors- 
que l'armée  française  est  à  la  fin  de  son  eau,  et  bientôt  de 
ses  vivres.  Si  nous  recevons  les  secours  qui  nous  sont 
annoncés  de  Brest,  je  serai  obligé  de  perdre  trois  ou 
quatre  jours  de  beau  temps  dans  la  baie  de  Torbay  pour 
en  faire  le  renversement,  heureux  encore  si  tout  arrive 
en  entier  et  sans  accidents.  C'est  aujourd'hui  le  quatrième 
jour  que  nous  sommes  à  la  vue  du  cap  Lézard  et  de  la 
côte  d'Angleterre  qui  le  suit  dans  l'est.  Néanmoins,  je  n'ai 
rencontré  aucun  bateau  pécheur  où  je  puisse  prendre 
des  pilotes  pratiques.  Ceux  annoncés  par  M.  le  comte  de 
Carades  n'ont  pas  plus  paru  que  ceux  arrêtés  à  Saint- 
Malo,  ou  ailleurs,  de  sorte  que  nous  naviguons  comme  au 
hasard,  et  sans  connaissance  des  dangers  et  des  cou- 
rants de  la  côte.  Les  Espagnols  en  gémissent  encore  plu 


170  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

que  nous,  et  ne  cessent  de  faire  entendre  leurs  cris.  » 
Le  17  août,  nos  frégates  d'avant-garde  s'emparèrent,  à 
rentrée  de  Plymouth,  du  vaisseau  de  soixante-quatre 
canons  V Ardent.  Un  coup  de  vent  d'est,  qui  souffla  pen- 
dant quelques  jours  avec  une  grande  force,  rejeta  la  flotte 
hors  de  la  Manche.  Le  22  août,  le  temps  étantdevenu  ma- 
niable, le  comte  d'Orvilliers  s'empressa  de  répartir  d'une 
manière  égale  Teau  et  les  vivres  sur  tous  les  bâtiments. 
Lorsque  cette  opération  fut  terminée,  la  flotte  se  trouva 
approvisionnée  jusqu'au  20  septembre.  Le  25  août,  on 
apprit  que  l'escadre  anglaise,  forte  de  trente-neuf  vais- 
seaux, se  trouvait  dans  les  parages  des  Sorlingues,  où 
l'avaient  poussée  ces  mômes  vents  d'est  qui  nous  avaient 
empêchés  de  gagner  Torbay.  Les  divers  événements  sur- 
venus depuis  le  jour  où  l'armée  avait  attéri  sur  Ouessant 
faisaient  peser  sur  le  lieutenant  général  d'Orvilliers  une 
très-lourde  responsabilité.  Il  n'ignorait  pas  que,  s'il  re- 
nonçait à  s'engager  de  nouveau  dans  la  Manche,  il  ferait 
avorter  le  projet  de  descente  en  Angleterre,  sur  lequel, 
non-seulement  la  France,  mais  l'Europe  entière  avait  les 
yeux  fixés.  D'autre  part,  l'état  sanitaire  des  équipages, 
loin  de  s'améliorer,  avait  été  en  empirant,  et  la  plus  grande 
partie  de  nos  vaisseaux  n'étaient  plus  en  état  de  navi<ruer. 
Le  25  août,  les  principaux  officiers  de  Tarmée  furent  ap- 
pelés c\  bord  de  la  Ville-de-Paria  pour  délibérer  sur  la  si- 
tuation. Tous  furent  d'avis  de  renoncer  à  rentrer  dans  la 
Manche  pour  y  tenter  une  expédition,  soit  par  les  seuls 
moyens  des  deux  flottes,  soit  avec  Taide  des  troupes  fran- 
çaises. Puis(|ue  l'escadre  anglaise  était  aux  Sorlingues,  il 
fiillail  manœuvrer  pour  la  joindre.  Dans  le  cas  où  nous 
ne  réussirions  pas  à  l'atteindre,  nous  de\ions  rester  en 
croisière,  A  l'entrée  de  la  Manche,  jusqu'au  8  septembre. 
Si,  A  celte  date,  les  vaisseaux  n'avaient  pas  emban|ué  le 
personnel,  le  matériel  et  les  vivres  nécessaires  pour  con- 
tinuer la  rampairne,  les  deux  flottes  se  sépareraient.  Les 
Franeai^  rentreraient  à  Brest,  tandis  que  les  Espagnols 
feraient  roule  sur  Cadix.  Se  conformant  à  l'opinion  émise, 


LIVRE  V.  171 

h  riinanimité,  par  les  officiers  généraux  de  rarmée*,  le 
comté  d'Orvilliers  se  mit  à  la  recherche  des  Anglais.  Le 
31  août,  les  frégates  signalèrent  Tennemi  qui  prit  chasse 
aussitôt  qu'il  nous  eut  reconnus.  Le  2  septembre,  Tesca- 
dre  anglaise  que  nous  avions  un  peu  gagnée,  mais  dont 
nous  étions  encore  éloignés  de  quatre  ou  cinq  lieues,  ar- 
riva à  l'entrée  de  Plymouth.  On  put  croire  un  moment 
que  la  fortune  nous  réservait  une  compensation.  Les  vais- 
seaux de  queue  signalèrent  quinze  grands  bâtiments  à 
trois  mâts  sous  le  vent  de  l'armée.  La  satisfaction  des 
officiers  et  des  équipages  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Les 
navires  en  vue  faisaient  partie  d'une  flotte  marchande 
hollandaise  qui  revenait  en  Europe,  sous  l'escorte  de  quel- 
ques frégates.  Le  comte  d'Orvilliers  ayant  reçu,  quelques 
jours  après,  l'ordre  de  revenir  à  Brest,  mouilla  sur  cette 
rade,  le  14  septembre.  Nos  alliés,  qui  devaient  faire 
route  directement  pour  un  port  d'Espagne,  avaient  de 
nouvelles  instructions  qui  leur  prescrivaient  de  nous 
accompagner.  Le  nombre  des  malades  avait  pris  de  telles 
proportions  que  la  plupart  des  vaisseaux  français  étaient 
hors  d'état  de  manœuvror. 

Nous  allons  montrer,  par  des  chiffres,  l'importance  des 
difficultés  avec  lesquelles,  non-seulement  le  comte  d'Or- 
villiers, mais  les  capitaines,  les  officiers  et  les  équipages 
de  l'escadre,  s'étaient  trouvés  aux  prises.  A  la  fin  d'août 
et  dans  les  premiers  jours  de  septembre,  les  vaisseaux  le 
Bien-Aiméylsi  Victoire,  V A  ciifj  Y  Intrépide,  le  Saint-Michel^ 
le  Caton,  la  Ville-de'Pa7^s  et  VAuguste,  avaient  été  ren- 
voyés à  Brest.  La  Mlle-de-Paris^  avait  cinq  cent  soixante 


1.  Le  procès- verbal   de  la  séance  du  conseil  de  guerre,  tenu  à  bord  du 
▼aisseai:  la  Bretayne^  le  25  août  1779,  est   signé,  du  C(Mé  des  Français, 
par  les  lieutenants  généraux  et  chefs  d'escadre  dont  les  noms  suivent  : 
Gaichen,  Rochechouart,  Latouche-Tréville,  le  chevalier  de  Ternay,  Hector, 
de  Monteil  et  de  Beausset. 

2.  En  transmettant  le  procès-verbal  du  chirurgien-major  de  son  vais- 
seau, le  lieutenant  général  de  Guichen  insistait  sur  la  nécessité  de  faire 
rentrer  la  ViiU^de-Paris  à  Brest.  Quant  à  lui,  il  demandait  à  mettre  son 
pavillon  sur  an  autre  vaisseau. 


172  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

hommes  exempts  de  service,  et  V Auguste^  cinq  cents.  Le 
premier  de  ces  vaisseaux  avait  perdu  soixante  et  un 
hommes,  et  le  second  quarante-quatre.  A  bord  de  Vlntré- 
pide^  le  chiffre  des  morts  s'élevait  à  soixante-dix,  et  celui 
des  malades  à  cinq  cent  vingt-neuf.  V Actif  avait  quatre 
cents  malades,  et  le  Galon,  petit  vaisseau  de  soixante-qua- 
tre, trois  cents.  La  Vicloire,  le  Bien-Aimé,  le  Saint-Michel, 
n'étaient  pas  dans  de  meilleures  condi  tions.  Parmi  les  vais- 
seaux qui  étaient  restés  à  la  mer  jusqu'au  dernier  jour, 
la  Couronne  avait  près  de  deux  cents  malades,  et  elle  avait 
laissé  deux  cent  quarante  hommes  à  Thôpital  de  la  Coro- 
gne.  Le  Pa/mier  avait  trois  cent  trente  malades,  la  Bour- 
gogne  deux  cent  trente,  le  Destin  trois  cents,  et  le  Triton, 
vaisseau  de  soixante  canons,  cent  soixante.  VAlexan- 
dre  n'avait  que  soixante-dix  malades ,  mais  trois  cents 
hommes  de  son  équipage,  atteints  par  l'épidémie  pen- 
dant la  campagne,  n'avaient  pas  encore  recouvré  leurs 
forces  et  ne  pouvaient  rendre  aucun  service.  Le  capitaine 
de  ce  vaisseau  écrivait  au  ministre,  au  commencement 
d'octobre  :  «  J'ai  l'honneur  de  vous  rendre  compte  que, 
le  6  de  ce  mois,  on  a  passé  une  revue  de  mon  é(|uipagc. 
Il  ne  s'est  trouvé  de  bien  portants  et  n'ayant  jamais  été  at- 
taqués par  cette  cruelle  maladie,  parmi  les  hommes  ayant 
appartenu  î\  mon  ancien  équipage,  (pio  quarante-(iualre 
ofliciers-mariniers,  douze  officiers-mariniers  surnumê- 
rairos,  soixante-dix-scpl  matelots,  gabiers,  timoniers, 
charpentiers  et  calfats,  vingt-quatre  novices  ou  garde- 

1.  J'ai  l'Iionnonr  do  vous  prévenir,  monsieur  le  comle,  i\\io  V AwfUftf 
est  hors  «lélat  de  tenir  la  mer  encore  quatre  jours.  Nous  avons  trois  cent! 
hommes  sur  li's  eadre«<  vi  deux  cents  au  moins  (|ui  ne  valent  puùri»  mieux. 
Nous  ne  pouvons  pas  faire  de  la  voile,  parce  tpie  nous  n'avons  |>as  assez 
de  inonde  de  quart  |M)ur  la  car^uer.  Nous  avons  été  près  dune  lieure  à 
rarpuer  la  grande  v<»ile.  la  dernière  nuit.  Il  m'est  impossible  de  faire  le 
liranle-has.  v{  à  peine  aurais  je  du  monde  pour  armer  ma  seconde  batterie. 
Si  vous  voulez  faire  tenir  la  wwr  à  VAutfuslr^  il  faut  (pie  vous  donniez 
quatre  cents  hommes  et  (|ue  >ous  retiriez  ses  malades. 

Je  suis  avec  respect, 

HoCUEaiOCABT. 


LIVRE  V.  173 

côtes  et  vingt-sept  mousses.  »  D'après  les  règlements  en 
vigueur  à  cette  époque ,  les  vaisseaux  à  trois  ponts , 
tels  que  la  Fi'We-rfe-Pam,  de  cent  (jualre  canons,  et  la 
Bretagne^  de  cent  dix,  avaient  de  mille  à  onze  cents  hom- 
mes d'équipage.  Les  vaisseaux  de  quatre-vingts  avaient 
huit  cents  hommes,  les  vaisseaux  de  soixante-quatorze 
sept  cents,  et  les  vaisseaux  de  soixante-quatre  cinq  cents. 
En  mettant  ces  chiffres  en  regard  du  nombre  des  malades, 
on  comprendra  mieux  le  degré  de  faiblesse  et  de  désor- 
ganisation auquel  l'escadre  était  arrivée. 

Le  lieutenant  général  d'Orvilliers  appela  l'attention  du 
ministre  sur  les  capitaines  des  frégates  et  des  petits  bâti- 
ments. Tous  étaient  des  officiers  zélés,  actifs  et  capables. 
11  signala  le  peu  d'habileté,  au  point  de  vue  de  la  navi- 
gation d'escadre,  de  quelques-uns  de  ses  capitaines  de 
vaisseau.  Mais  il  n'eut  que  des  éloges  pour  la  conduite 
des  généraux,  des  capitaines,  des  officiers  et  des  équipages 
pendant  les  cruelles  épreuves  que  l'escadre  avait  traver- 
sées. «  Jamais,  écrivit-il  dans  une  lettre  relative  à  la  pour- 
suite de  l'amiral  Hardy,  la  nation  française  n'a  montré 
plus  de  bonne  volonté  et  de  bravoure  que  dans  cette  occa- 
sion. Cela  s'est  manifesté  au  point  que,  loin  de  réfléchir 
sur  l'état  fâcheux  et  trop  diminué  des  équipages,  chacun 
a  dit   ne   plus  sentir  son  mal,  depuis  qu'on  chassait 
l'ennemi.  »  Le  lieutenant  général  d'Orvillicrs  s'exprimait 
sur  les  choses  et  sur  les  personnes  avec  autant  de  fran- 
chise que  d'indépendance.  On  doit  considérer  tout  ce  qu'il 
écrivait  comme  l'expression  sincère  de  sa  pensée. 


III 


En  apprenant  la  rentrée  de  cette  flotte  qui  ne  ramenait 
d'autre  trophée  que  le  vaisseau  V Ardent^  pris  par  nos 
frégates  à  Tattérage  de  Plymouth,  la  France  ressentit 
une  très-vive  émotion*.   La  nation,   persuadée   (lue   le 

1.   L'Ardent,  utte  pelile   corvette  prise  à  la  vue  de  l'escadre  anglaise. 


HISTOIRE  UE  LA  MARINE  FRANi;A1SE. 

lieutenant  général  d'Orviliicrs  serait  maître  de  la  mer 
pendant  un  temps  assez  long  pour  assurer  la  descente  en 
Angleterre,  avait  maniTesté  une  grande  confiance  dans 
les  résultais  de  cette  entreprise.  Elle  avait  entrevu 
une  paix  glorieuse  comme  conséquence  des  succès  de 
nos  soldats.  L'arrivée  à  Brest  de  l'urméc  combinée  dé- 
truisait toutes  ces  espérances.  Lu  lenteur  des  Espagnols, 
l'épidémie  qui  avait  sévi  sur  nos  bdtimenls,  la  persis- 
tance des  vents  contraires  ou  moment  où  la  flotte  remon- 
tait vers  le  nord,  le  coup  de  vent  d'est  du  17  août,  telles 
étaient  les  principales  causes  des  malheurs  de  la  cam- 
pagne. Mais  on  doit  ajouter  que  le  ministre  n'avait  rien 
fait,  rien  tenté  pour  vaincre  les  obstacles  que  le  com- 
mandant de  l'escadre  avait  rencontrés.  Notre  escadre, 
partie  de  Brest,  le  k  juin,  avait  consommé,  dans  l'inac- 
tion, une  partie  de  son  eau  et  de  ses  vivres.  S'était-on 
trompé,  Â  Paris,  au  pointdccroirequelesEspagnoIsnous 
rallieraient  pendant  le  mois  de  juin?  Le  gouvernement: 
avait-il  eu  hâte  de  voir  le  lieutenant  général  d'Orvilliers' 
hors  de  Brest,  dans  lacrainte  qu'il  ne  fiit  bloqué,  s'il  re»^ 
tait  au  port?  Ce  départ  précipité,  quel  qu'en  fût,  d'aillcur^, 
le  motif,  nous  mettait  dans  l'obligation  de  passer  & 
mer  le  temps  pendant  lequel  nos  alités  terminaient  Icui 
préparatifs.  Il  appartenait  au  ministre  d'aviser  aux  con- 
séquences résultant  de  cet  état  de  choses.  Le  ravitaille- 
ment de  l'escadre,  sinon  complet,  au  moins  dans  des  con- 
ditions qui  nous  eussent  permis  de  continuer  la  campa- 
gne, était  possible  devant  Oucssant,  S'il  eût  été  néces- 
saire, pour  eflectuer  promptement  et  sûrement  cette  opé- 
ration, que  la  Hotte  mouillAtù  Bcrtlieaume,  à  Camaretct 
même  à  Brest,  le  ministre  ne  devait  pas  hésiter  k  l'or- 
donner. Ne  recevant  aucun  secours,  le  comte  d'Orvillieri'] 
continua  sa  route  avec  la  pensée  de  se  rendre  le  plut' 
promptement  possible  à  Sainte-Hélène.  En  s'cmparant  de 
ce  mouillage,  il  s'acquittait  de  la  tAclie  dévolue  à  la  ma- 


ie- 

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«nU  |irisonniors,  tel  tut  la 


1 

J 


LIVRE  V.  175 

rine.  De  plus,  il  conquérait  le  port  qui  lui  était  nécessaire 
pour  abriter  son  escadre  contre  le  mauvais  temps,  et  as- 
surer rembarquement  des  vivres  et  du  matériel  attendus 
de  Brest.  Avant  que  ce  projet  eût  été  mis  à  exécution,  le 
plan  de  la  descente  était  modifié.  L'escadre,  obligée  de 
croiser  devant  Falmouth  pendant  les  mois  d'octobre  et  de 
novembre,  n'avait  plus  de  refuge,  si  elle  recevait  un  coup 
de  vent  d'ouest.  Alors  que  toutes  les  ressources  d'une 
administration  active  et  intelligente  eussent  été  à  peine 
suffisantes  pour  conjurer  le  mal,  le  ministre  parut  croire 
qu'il  ne  fallait  au  comte  d'Orvilliers  que  de  l'énergie  et  de 
la  volonté  pour  remplir  sa  mission.  Au  lieu  de  lui  faire 
passer  les  secours,  sans  lesquels  il  ne  pouvait  rien,  il  lui 
donna  des  ordres  qui  eussent  été  d'une  exécution  difficile 
pour  une  escadre  bien  pourvue  et  en  parfait  état.  Si  nous 
examinons  la  conduite  du  commandant  en  chef,  nous  cher- 
chons inutilement  les  reproches  qu'on  est  en  droit  de  lui 
adresser.  Après  avoir  été  rejoint  par  les  Espagnols,  il  se 
présenta  à  l'entrée  de  l'Iroise,  avec  la  conviction  bien 
naturelle  que  le  ministre,  tenant  compte  de  ses  deman- 
des, lui  enverrait  des  hommes,  des  vivres  et  du  matériel. 
A  partir  du  jour  où  l'escadre  reprit  sa  marche  vers  le 
nord,  le  lieutenant  général  d'Orvilliers  resta  sans  influence 
sur  les  événements.  Les  circonstances,  plus  que  sa  propre 
volonté,  dictèrent  ses  résolutions.  Mal  accueilli  à  son  arri- 
vée, il  se  déclara  prêt  à  résigner  son  commandement. 
Cette  oflre  fut  acceptée  avec  un  empressement  d'autant 
plus  grand,  qu'en  sacrifiant  le  commandant  de  l'escadre, 
M.  de  Sartines  donnait  le  change  à  l'opinion.  Il  faisait  re- 
tomber sur  le  général  les  fautes  que,  lui-même,  avait 
commises.  Le  comte  d'Orvilliers  emporta  dans  sa  retraite 
les  regrets  de  son  escadre,  le  respect  et  l'estime  de  toute 
la  marine. 

Depuis  le  commencement  de  la  guerre,  il  n'y  avait  eu 
que  deux  grandes  rencontres  entre  les  flottes  de  France 
et  d'Angleterre.  Dans  chacune  d'elles,  nous  étions  restés 
maîtres  du  champ  de  bataille.   Le  27  juillet  1778,  nous 


176  HISTOIRE  DE  L\  MARINE  FRANÇAISE, 

avions  le  mfime  nombre  de  vaisseaux  que  les  Anglais, 
avec  celte  différence  toutelois  que  les  navires  anglais 
étaient  plus  forls  que  les  nûLres,  Le  6  juillet  1779,  le  vice- 
amiral  Byron  élait  à  la  t€(c  de  vingt  et  un  vaisseaux, 
tandis  que  la  comte  d'Ëslaing  en  avuil  vingt-cinq.  Aussi 
le  combat  d'Ouessant  était-il  considéré  comme  supérieur 
à  celui  de  la  Grenade.  Les  ofliciers  de  marine  se  souve- 
naient que  ce  premier  succès  ,  dii  au  comte  d'Orvilliers, 
avait  placé  notre  marine  sur  le  même  pied  que  la  marine 
anglaise  dans  l'opinion  de  l'Europe'.  Le  capitaine  de 
vaisseau  du  Pavillon,  un  des  meilleurs  ofliciers  de  la  ma- 
rine française^  était  major  de  l'escadre.  Consulté  par 
M.  de  SarLines  sur  les  divers  événements  qui  s'étaient 
produits  pendant  la  campagne,  il  lui  écrivit  la  lettre  re- 
marquable que  nous  joignons  ici.  °  Mon  général  vieutdc 
me  dire  qu'il  est  désapprouvé  de  n'avoir  pas  poursuivi 
l'armée  plus  longtemps,  et  de  n'avoir  pas  ordonné  la 
chasse  sans  égard  A  l'ordre  prescrit  entre  les  vaisscaus 
rangés  en  ligue  de  bataille.  J'avoue,  Monseigneur,  que  ma 
surprise  est  extrême.  Comment  pouvait-il  poursuivre  un 
ennemi  qui  était  à  sept  lieues  dans  le  vent,  et  dont  le 
port  était  ouvert  pour  lui  et  fermé  il  l'armée  combinée? 
Comment  pouvait-il  se  dispenser  de  courir  sur  une 
Hotte  signalée  à  j)lusieurs  reprises  par  des  personnes 
graves!  Si  elle  se  fût  trouvée  anglaise,  on  l'aurait  liien 
mieux  condamné.  iCnlîn ,  Monseigneur,  comment  mon 
général  pouvait-il  négliger  un  seul  instant  de  ressortir  de 
la  Manche,  puisqu'il  élait  menacé  des  vents  du  sud-ouest, 
que  l'événement  a  prouvé  qu'il  les  a\ait  trouvés,  qu'il 
manquait  absolument  d'eau,  de  vivres  et  même  de  mate- 
lots? Vous  devez  sentir  aujourd'hui.  Monseigneur,  puis- 
que vous  connaissez  l'état  et  les  progrès  de  l'épidémie 
t{ui  ravage  tous  les  vaisseaux  du  Uoi,  que  quelques  jours 
du  retord  dans   la  sortie  de  la  Manche  auraient  [ail 

1.  U*  li«ulenaiit  géai.'nil  il'Orvillien  te  relira  k  Moulin 
«ion.  Il  muurul,  danacelto  ville,  le  14  avril  1191,  t  l'Age  de  qualK-vt 


UVRE  V.  177 

perdre  au  Roi  ses  vaisseaux  et  le  reste  de  ses  matelots > 
Ce  fait  n'est  que  trop  prouvé  ;  il  Test  également  aux  yeux 
de  toute  l'armée  que  jamais  son  général  n*a  élé  aussi 
grand,  aussi  supérieur  à  Thumanité  et  aux  adversités  que 
dans  cette  campagne,  laquelle   n'a  manqué  que  parce 
qu'on  a  mal  choisi  le  point  de  réunion  (Gizarga)  des  vais- 
seaux des  deux  puissances.  Quant  à  la  poursuite  dont  on 
parle  à  Paris,  et  qui  n'aurait  pas  été  assez   vive  parce 
qu'on  n'a  pas  fait  chasser  sans  ordre  sur  une  armée  en- 
nemie de  trente-neuf  vaisseaux,  il  est  aisé  de  répondre 
à  cette  méchanceté  absurde.  1<»  Les  vaisseaux  français 
n'étaient  ni  à  portée,  ni  en  état  de  combattre,  puisqu'ils 
étaient  de  vrais  hôpitaux,  plutôt  que  des  vaisseaux   de 
guerre.  2*  Les  ordres  du  Roi  étaient  contraires  à  de  pa- 
reilles dispositions,  puisque  les  Espagnols  et  les  Français 
étaient  entremêlés  dans  la  ligne  de  bataille,  d'après  mûr 
examen  de  la  cour,  quoiqu'il  ait  été  propose,  dès  le  prin- 
cipe, de  composer  l'avant-garde  de  l'armée  combinée  en- 
tièrement de  vaisseaux  français.  A^ous  m'avez  demandé, 
Monseigneur,  mon  sentiment  sur  tous  ces  objets,  je  vous 
le  donne  sans  détour  et  avec  la  môme  franchise.  J'ai 
l'honneur  de  vous  assurer  que  jamais  le  tableau  de  ce 
qui  arrive  à  M.  d'Orvilliers  ne  sortira  de  ma  mémoire.  Je 
tâcherai  d'en  faire  mon  profit  pour  être  plus  sage  et 
moins  ambitieux,  car  je  ne  penso  pas  qu'on  puisse  mon- 
trer plus  de  force  d'âme  et  de  zèle  pour  le  service  du  Roi 
que  ce  digne  général  n'en  a  montré  depuis  la  mort  de  son 
fils.   J'ajouterai  à  tout  ceci,  d'après  vous-même,  Mon- 
seigneur, que  M.  d'Orvilliers  ne  peut  être  remplacé  en  ce 
moment,  ni  pour  la  guerre,  ni  pour  le  cabinet.  Comment 
donc  est-iî  possible  que  de  simples  propos  de  quelques 
individus  méprisables  puissent  nuire  à  un  pareil  homme?» 
Celle  lettre  est  un   titre  d'honneur  pour  le  capitaine  de 
vaisseau  du  Pavillon  et  pour  le  chef  qui  inspirait  de  tels 
sentiments. 

Par  suite  d'un  aveuglement  difficile  à  comprendre,  le 
ministre  ne  se  rendait  pas  compte  de  la  gravité  de  la 

12 


178  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

situation.  Il  prescrivit  au  lieutenant  général  Duchaffault, 
successeur  provisoire  du  comte  d'Orvilliers,  de  compléter 
son  eau,  ses  vivres  et  ses  rechanges,  et  de  se  tenir  prêt  à 
appareiller.  Très-surpris  d'apprendre,  par  une  lettre  du 
nouveau  commandant  en  chef,  que  l'état  sanitaire  des 
équipages  réduisait  nos  vaisseaux  à  l'impuissance,  M.  de 
Sartines  chargea  un  conseil  de  guerre  de  décider  si  l'es- 
cadre pouvait  continuer  la  campagne.  Le  maréchal  de 
Vaux,  les  généraux  de  Jaucourt  et  de  Puységur  furent 
envoyés  à  Brest  pour  assister  à  ce  conseil.  Le  comman- 
dant en  chef  de  Tarmée  et  ses  lieutenants  devaient  rester 
étrangers  aux  discussions  relatives  à  la  partie  purement 
maritime.  MM.  Duchaiïault,  de  Guichen,  de  Cordova, 
Gaston  et  d'Arce  déclarèrent  que  Tescadre  était  hors  d'état 
de  reprendre  la  mer.  L'armée  prit  ses  (juarticrs  d'hiver, 
mais  elle  conserva  son  organisation  afin  d'être  prête  & 
marcher  au  premier  ordre. 

Nous  avons  établi  avec  exactitude  les  causes  du  désas- 
tre auquel  aboutit  le  plan  de  la  descente  en  Angleterre. 
L'étude  de  cette  expédition  montre  Fimporlance  du  rôle 
joué  par  le  ministre  chargé  de  la  direction  des  opérations 
militaires.  Si  celui-ci  ne  possède  pas  le  savoir,  rinlelli- 
gence  et  l'esprit  d'organisation  nécessaires,  on  doit  s'at- 
tendre aux  résultats  les  plus  filcheux.  A  la  guerre,  le  suc- 
cès ne  dépend  pas  seulement  de  ceux  qui  sont  à  la  tête 
des  troupes.  Les  meilleures  armées  peuvent  êtreréiluites 
à  l'impuissance,  si  les  généraux  n  ont  pas  derrière  eux  une 
administration  ferme,  habile,  (jui  .Hache  prévoir  leurs  be- 
soins et  y  pourvoir.  On  a  prétendu  (jue  de  graves  dissenti- 
ments survenus  entre  le  lieutenant  général  d'Orvilliers  et 
don  Luis  (le  Gordova  avaient  eu  une  grande  part  dans  Téchec 
de  l'expédilion.  Les  lettres  du  commandant  en  chef  et  les 
rapports  du  major  de  l'escadre  monlrent  que  cette  asser- 
tion n'est  pas  fondée.  Quoique  la  canipa^Mie  de  la  flotte 
combinée  constitue  un  des  épisodes  les  plus  importants 
de  la  guerre  de  l'indépendance  américaine,  les  détails  en 
«ont  peu  connus.  Aussi  la  plupart  des  historiens  ont-ils 


LIVRE  V.  M 9 

évité  de  se  prononcer  sur  la  responsabilité  incombant, 
soit  au  ministre,  soit  au  commandant  en  chef  ^  Nous  pen- 
sons avoir  donné  les  moyens  de  porter  sur  cette  alTaire 
un  juif^ement  définitif. 

La  situation  de  nos  vaisseaux,  qui  fut  promptement 
connue  de  l'autre  côté  de  la  Manche,  rendit  à  la  marine 
britannique  sa  liberté  d'action.  La  cour  de  Madrid,  crai- 
gnant qu'une  escadre  ennemie  ne  fût  envoyée  dans  le 
détroit,  rappela  don  Luis  de  Cordova  avec  quinze  vais- 
seaux. Peu  après,  le  gouvernement  espagnol,  ayant  acquis 
la  certitude  qu'on  faisait  en  Angleterre  de  grands  prépa- 
ratifs pour  secourir  Gibraltar,  donna  à  don  Miguel  Gaston, 
resté  à  Brest  avec  vingt  et  un  vaisseaux,  Tordre  d'aller  à 
Cadix.  La  France  et  l'Espagne  abandonnèrent  provisoire- 
ment le  projet  de  descente  en  Angleterre.  Bloquer  Gi- 
braltar, avoir  des  forces  suffisantes  en  Amérique  et  en 
Asie  pour  résister  aux  Anglais,  et  prendre  l'offensive  dans 
les  Antilles,  tel  fut  le  plan  de  campagne  adopté  par  les 
alliés  pour  l'année  1780'.  Le  lieutenant  général  de  Gui- 
chou,  employé  dans  l'armée  de  DuchalTault,/ut  appelé  au 
commandement  en  chef  de  Icscadre  que  le  gouverne- 
ment français  se  proposait  d'envoyer  <\  la  Martinique. 
Deux  vaisseaux,  VAjax  et  le  Protée,  et  une  frégate,  la 
CharnHintey  entrèrent  en  armement  pour  aller  dans  l'Inde. 
L'Kspagne  prit  l'engagement  d'avoir,  à  la  Havane,  douze 
vaisseaux  et  dix  mille  soldats.  Les  forces  navales  de  la 
France,  dans  la  merdes  Antilles,  ne  devaient  pas  être  infé- 
rieures à  vingt-cinq  vaisseaux. 

1.  En  général,  les  biisturiens  ont  fait  pencher  la  balance  en  faveur  du 
ministre.  I/échcc  tic  la  (icscente  en  Anglelerie  el  la  disgrAcc  du  conunau- 
dant  en  chef  expliquent  ce  résultat.  En  rabsence  de  renseignements,  on  a 
[»enwS  qu'un  homme  malheureux  et  disgracié  devait  élre  coupable.  Il  a  été 
dit  que  les  mauvaises  mesures,  voire  nit^ne  l'incurie  du  lieutenant  géné- 
rai d  Orviliiers,  avaient  amené  i'insua*ès  de  l'ex|KHlili<m.  Il  y  a  lieu  d'être 
surpris»  que  les  faits  de  notre  histoire  ne  soient  pas  mieux  connus. 

2.  Lettre  du  ministre  des  affaires  étrangères  à  notre  ambassadeur  au- 
près de  la  cour  de  Madrid. 


LIVRE  VI 


I/amiral  Rodney  reçoit  la  mission  de  ravitailler  Gibraltar.  —  Prise  par  le» 
Anglais  du  vaisseau  le  Ouipuscoa.  —  Destruction  de  Pcscadre  de  don 
Juan  de  Langara.  —  L'amiral  Hodney,  après  avoir  conduit  son  convoi  à 
(iibraltar,  prend  la  route  des  Antilles.  —  L'amiral  Digby  s'empare  do 
Prnlée.  —  Arrivée  à  la  Martinique  de  Tescadre  du  lieutenant  général  de 
Duichpn.  —  Rcnconires  des  17  avril,  15  et  19  mai.  entre  les  escadres 
française  et  anglaise.  —  L'amiral  don  Solano,  avec  une  escadre  venant 
de  Cadix,  mouille  à  Fort-Boyal.  —  Kitat  sanitaire  des  équi|>ages  et  des 
troupes  passagères.  —  Départ  du  lieutenant  général  de  fJuicben  avec 
Tescadre  espagnole.  —  Le  comte  de  Guichen  quitte  Saint-Domingue 
|K)ur  rentrer  en  Europe.  —  Dé|)art  du  chef  d'escadre  de  Ternay  |K>ur  let 
côtes  de  l'Amérique  septentrionale,  avec  sept  vaisseaux  et  un  convoi 
portant  un  corps  de  six  mille  hommes,  sous  les  ordres  du  lieutenant 
général  comte  de  Hochambeau.  —  Kcnconlre  de  la  division  du  Commo- 
dore Cornwallis.  —  Arrivée  de  l'escadre  et  du  convoi  à  Hhodo-lsland. — 
Inaction  de  l'escadre  et  des  troupes,  par  suite  de  la  8u|>ériorité  de  l'oo- 
nenii.  —  Mort  du  chef  d'escadre  de  Ternay. 


I 


L'amiral  Roilncy  appareilla  de  Porlsmoulh,  le  3  janvier 
17eO,  avec  une  escadre  de  vingt  et  un  \aisseau\.  11  con- 
voyait des  transports  destinés  au  ravitaillement  de  Gi- 
braltar. Cette  place,  qui  était  blocpiée  par  terre  et  par 
mer  depuis  le  mois  de  juin  1779,  avait  un  besoin  pressant 
de  secours.  Le  8,  ù  la  bauteur  du  cap  Finisterrc,  les 
Anglais  capturèrent  quinze  navires  marchands  et  leur 
escorte,  composée  du  vaisseau  le  GHipusnm^  de  ({uatre 
frégates  et  de  deux  bricks.  Le  16,  par  un  temps  brumeux, 
les  frégates  (|ui  éclairaient  la  marche  de  la  Hotte  britan- 
ni(|ue  aperçurent  plusieurs  grands  navires  sous  le 
cap  Saini-Vincent.  L'amiral  Hodney  avait  Theureuse  for- 
lune  de  M»  trouver  en  pré.sence  d'une  CMadre  espagnole 


LIVRE  VI.  181 

de  neuf  vaisseaux,  commandée  par  I*amiral  don  Juan  de 
Langara.  Celle  escadre  courait  la  bordée  qui  la  rappro- 
chait des  Anglais.  Loin  de  s'émouvoir  de  cette  situation, 
don  Juan  de  Langara  ne  modiOa  pas  la  direction  de  sa 
route.  Comme  s'il  n'eût  attaché  aucune  importance  à  être 
promptement  renseigné  sur  les  bâtiments  qu'il  avait 
devant  lui,  il  ne  donna  pas  à  ses  frégates  Tordre  de  se 
porter  en  avant  pour  les  reconnaître.  Lorsque  les  deux 
escadres  furent  à  petite  dislance  Tune  de  l'aulre,  il  se  dé- 
cida à  laisser  porter  et  à  faire  route  sur  Cadix.  L'amiral 
Rodney,  qui  ne  voulait  pas  laisser  échapper  une  aussi 
belle  proie,  fit  le  signal  de  chasser  l'ennemi  en  route  libre. 
Vers  quatre  heures  du  soir,  les  meilleurs  marcheurs  de 
son  armée  arrivèrent  à  portée  de  canon  de  l'arrière-garde 
espagnole.  Les  vaisseaux  de  don  Juan  de  Langara  se 
défendirent  avec  beaucoup  d'énergie  ;  mais  la  lutte  entre 
des  forces  aussi  disproportionnées  ne  pouvait  aboutir 
qu'à  un  désastre.  A  deux  heures  du  matin,  le  Saiito  Do- 
mingo avait  sauté*  et  six  vaisseaux  étaient  pris'.  Quelque» 
jours  après,  Rodney  arrivait  à  Gibraltar  sans  avoir  fait  de 
nouvelle  rencontre.  Dans  le  milieu  du  mois  de  février,  il 
repassa  le  détroit  avec  vingt-deux  vaisseaux,  au  nombre 
desquels  se  trouvaient  le  Phniix,  le  Dilijent^  le  Monarca 
et  la  Princessa^  capturés  dans  la  nuit  du  16  janvier. 

Pendant  que  l'amiral  anglais  remplissait  aussi  heureu- 
sement sa  mission,  vingt  vaisseaux  espagnols  et  quatre 
vaisseaux  français,  formant  l'escadre  chargée,  sous  le  com- 
mandement de  don  Luis  de  Cordova,  de  bloquer  Gibraltar, 
étaient  mouillés  sur  la  rade  de  Cadix.  Cette  escadre  répa- 
rait des  avaries,  faites  pendant  un  coup  de  vent  reçu  au 
commencement  de  janvier.  En  apprenant  la  présence 
d'une  flotte  britannique  sur  la  côte,  Cordova  avait  réuni 
les  officiers  généraux  de  l'armée  en  conseil.  Tous  avaient 

1.  Des  six  cents  hommes  composant  Téquipage  de  ce  vaisseau,  pas  un 
ne  fut  saavé. 

1.  Un  des  vaisseaux  capturés  périt  corps  et  biens.  Un  autre  Gt  prisonnier 
Téipipage  anglais  et  rentra  à  Cadix. 


132  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

été  d*avis  de  se  porter  à  la  rencontre  de  Tennemî,  Soit 
que  les  travaux  de  réparation  n'eussent  pas  été  menés 
avec  une  activité  suffisante,  soit  que  Cordoya,  ne  se  fai- 
sant aucune  illusion  sur  la  valeur  de  ses  vaisseaux,  ne 
crût  pas  prudent  de  se  mesurer  avec  les  Anglais,  l'armée 
espagnole  était  au  mouillage  de  Cadix,  au  moment  où 
Tescadre  britannique  franchissait  le  détroit.  A  défaut  de 
Cordova,  on  pouvait  croire  que  don  Miguel  Gaston,  parti 
de  Brest,  le  13  janvier,  avec  vingt-cinq  vaisseaux,  arri- 
verait à  temps  pour  combattre  Rodney.  Il  n'en  fut  rien, 
et  l'ennemi  était  loin  de  Gibraltar  que  don  Miguel  Gaston 
n'avait  pas  encore  paru  du  côté  de  Cadix.  Après  avoir  fait 
cinquante  lieues  au  large,  Rodney  expédia  le  contre-ami- 
ral Digby  en  Angleterre  avec  les  prises,  et  il  se  dirigea  vers 
les  Antilles.  Le  23  février,  l'amiral  Digby  rencontra  un 
convoi  français  qui  se  rendait  dans  l'Inde,  sous  l'escorte 
des  vaisseaux  le  Prolée  et  YAjnx,  et  de  la  frégate  la  Char^ 
mante.  Le  commandant  de  la  division,  le  capitaine  de 
vaisseau  du  Chilleau,  se  plaça  à  la  queue  du  convoi. 
Lorsque  la  nuit  fut  venue,  l'/l^ox  et  les  bâtiments  de  trans- 
port firent  une  fausse  route  et  s'échappèrent.  Los  Anglais 
suivirent  le  vaisseau  qui  fut  joint  pendant  la  nuit.  Après 
une  très-belle  défense,  le  capitaine  du  Chilleau  amena  son 
pavillon. 

Le  ravitaillement  de  Gibraltar,  la  prise  du  Pro/fV  et  des 
vaisseaux  espagnols,  causèrent  en  Angleterre  une  joie 
très-vive.  La  chambre  des  communes  et  la  chambre  des 
lords  votèrent  des  remercîments  au  commandant  en  chef 
de  Tescadre  anglaise.  L'amiral  Rodney  avait  très-heureu- 
sement accompli  sa  mission,  mais  on  chercherait  inuti- 
lement les  difficultés  qu'il  avait  rencontrées  pendant  sa 
traversée  des  côtes  d'Angleterre  au  détroit.  On  ne  pouvait 
considérer  comme  une  affaire  sérieuse  rengagement  des 
vingt  et  un  vaisseaux  qu'il  commandait  avec  les  neuf  vais- 
seaux de  don  Juan  de  Langara.  Les  forces  espagnoles,  qui 
auraient  pu  s'opposer  à  IVxéoution  de  ses  projets,  n'a- 
vaient pas  paru.  Don  Luis  de  Conlova  était  resté  à  Cadix, 


LIVRE  VI.  183 

et  don  Miguel  Gaston  avait  reldché  au  Ferrol  avec  des 
mâts  cassés,  des  vergues  rompues  et  des  voiles  empor- 
tées. Le  mauvais  temps,  tel  était  l'obstacle  dont  avaient 
triomphé  les  Anglais.  Leurs  bâtiments  avaient  navigué 
en  bon  ordre  et  sans  faire  d'avaries.  Ce  résultat  faisait 
le  plus  grand  honneur  à  l'amiral  Rodney  et  à  ses  capi- 
taines; mais,  dans  le  succès,  il  convenait  de  faire  une 
part  aux  arsenaux  de  la  Grande-Bretagne.  Si  les  officiers 
espagnols  n'avaient  pas,  au  même  degré  que  leurs  adver- 
saires, l'habitude  de  la  navigation  d'escadre,  on  devait 
reconnaître  que  leurs  vaisseaux  étaient  dans  les  con- 
ditions les  plus  mauvaises  pour  tenir  la  mer.  La  corres- 
pondance du  chef  d'escadre  de  Beausset  nous  fournit,  sur 
ce  point,  des  renseignements  curieux  et  instructifs. 

Cet  ofOcier  général  commandait  une  division  de  quatre 
vaisseaux  qui  avait  été  adjointe  à  l'escadre  de  don  Miguel 
Gaston.  A  son  arrivée  à  Cadix,  il  rendit  compte  au  mi- 
nistre des  divers  incidents  de  sa  traversée.  Après  avoir 
peint,  sous  les  couleurs  les  plus  fâcheuses,  la  situation 
des  vaisseaux  espagnols,  au  point  de  vue  de  la  mâture 
et  de  la  voilure,  il  disait  :  «  Ces  vaisseaux  vont  tous  si 
mal  qu'ils  ne  sauraient  joindre  aucun  autre  vaisseau  de 
guerre  ou  lui  échapper.  Ainsi,  ils  ne  peuvent  rien  prendre 
et  ne  sauraient  éviter  de  l'être.  Le  Glorieux  est  un  mau- 
vais voilier  dans  l'armée  française,  et  le  meilleur  de  l'ar- 
mée espagnole.  Nous  avons  beaucoup  de  gabarres  qui 
vont  mieux  que  les  frégates  espagnoles.  Je  dois  rendre 
justice  à  M.  de  Gaston  et  à  son  major  Mazzaredo.  Le 
premier  est  un  général  expérimenté  et  prudent,  qui  a 
fait  tout  ce  qu'il  a  pu  pour  établir  l'ordredans  son  escadre, 
et  la  conduire  avec  une  grande  sagesse;  l'autre  est  un 
sujet  de  la  première  distinction,  rempli  de  talents  et  d'ac- 
tivité. »  La  destruction  de  Tescadre  de  l'amiral  don  Juan 
de  Langara  par  la  flotte  brilannique  inspirait  au  chef 
d'escadre  de  Beausset  les  réflexions  suivantes  :  «  L'es- 
cadre de  M.  de  Langara  aurait  échappé  à  l'ennemi,  si 
elle  avait  su  profiter  de  la  nuit  qui  allait  se  faire,  de  la 


184  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

force  du  vent,  et  prendre  chasse  à  propos,  et  si  tout  vais- 
seau espagnol  vu  n'était  pas  un  vaisseau  joint.  Ceux  de 
cette  escadre  ont  été  surpris  étant  à  des  distances  im- 
menses les  uns  des  autres.  Ils  ne  naviguent  pas  autre- 
ment, et  leur  négligence  et  leur  sécurité  sur  ce  point  est 
incroyable.  J'ai  souvent  fait  l'observation  qu'il  serait 
aisé  à  l'ennemi  de  couper  et  d'enlever  un  de  ces  vaisseaux, 
à  la  vue  de  son  escadre,  sans  qu'il  pût  être  secouru.  » 


II 


Le  personnel  de  nos  équipages  avait  été  gravement  at- 
teint par  les  événements  de  la  campagne  de  1779.  Au 
commencement  de  l'année  1780,  nous  n'étions  pas  encore 
parvenus  à  remplacer  les  matelots  que  les  maladies  épi- 
démiques  avaient  enlevés  sur  les  vaisseaux  du  lieutenant 
général  d'Orvilliers.  Il  fallait,  ou  désarmer  des  bâtiments, 
ou  augmenter  la  proportion  des  soldats  entrant  dans  la 
composition  des  équipages  des  divers  bâtiments  de  la 
flotte.  Ce  fut  à  ce  dernier  parti  que  s'arrêta  le  ministre. 
De  nouveaux  ré^riments,  appartenant  à  l'armée  de  terre, 
furent  mis  à  la  disposition  de  la  marine.  Le  corps  des  of- 
ficiers, très-peu  nombreux  au  début  des  hostilités,  était 
devenu  complètement  insuffisant.  Le  lieutenant  «général 
de  Guichen  rencontra  les  plus  grandes  difficultés  pour 
former  les  états-majors  et  les  équipages  de  son  escadre. 
II  prit  la  mer,  le  3  février,  pour  se  rendre  aux  Antilles 
avec  des  vaisseaux  «  mal  armés  »,  ainsi  qu'il  récrivait 
au  ministre  *.  On  savait,  à  Paris,  par  une  déi)éche  du  chef 
d'escadre  de  Lamotte-Picquet,  que  les  Anglais  croisaient  au 
vent  de  la  Martinitjue,  afin  d'intercepter  les  secours  envoyés 
aux  Ues-du-Vent.  Par  suile  de  Textréme  surveillance  de 
l'ennemi,  noscolonies  étaient  complètement  dépourvuesde 
vivres  et  d'approvisionnements.  Le  ministre  recommanda 

1.  L«'ltr«*  «lu    litMitiMiaiit   ^<'iirral   «le    riiiiclieii   nu  ministre,  du  28' j*in- 
\irr  1:h«». 


LIVRE  VI.  185 

très-particulièrement  au  lieutenant  général  deGuîchen  de 
veiller  à  la  sûrelé  de  son  convoi.  11  lui  prescrivit  d'éva- 
cuer les  possessions  anglaises  dont  il  parviendrait  à  s'em- 
parer dans  la  mer  des  Antilles,  après  avoir  détruit  les 
munitions,  les  magasins  et  les  ouvrages  militaires.  Il  fit 
une  exception  pour  Ttle  de  Sainte-Lucie  que  nous  devions 
occuper,  si  nous  réussissions  à  la  reprendre  aux  Anglais. 
Le  ministre  invitait  le  commandant  de  notre  escadre  «  à 
tenir  la  mer,  autant  que  les  forces  que  l'Angleterre  entre- 
tenait aux  Iles-du-Yenl  pourraient  le  lui  permettre,  sans 
trop  compromettre  celles  qui  lui  étaient  confiées.  »  Le 
comte  de  Guichen  arriva  à  la  Martinique,  le  23  mars  1780, 
sans  avoir  aperçu  Tennemi.  Il  mouilla  sur  la  rade  de  Fort- 
Royal,  où  il  opéra  sa  jonction  avec  la  divison  du  comte  de 
Grasse.  Le  chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet  était  parti, 
le  13  mars,  pour  rallier  Saint-Domingue,  où  l'appelaient 
les  ordres  antérieurs  du  ministre'.  Le  lieutenant  général 
de  Guichen  voulut  faire  une  tentative  pour  s'emparer  de 
Sainte-Lucie;  mais  la  présence  de  l'amiral  Hyde  Parker 
au  Gros  Ilet,  avec  dix-sept  vaisseaux,  ne  lui  [>ermit  pas 
(le  donner  suite  à  ce  projet. 

Le  13  avril  1780,  l'escadre  mit  sous  voiles  p^iur  couvrir 
le  départ  d'un  convoi  qui  se  rendait  à  Saint-Domin^ru^', 
sous  l'escorte  du  ¥\er  de  cinquante  et  de  la  frégate  la 
Boudeuse.  Trois  mille  soldats, commandés  par  le  marqui*» 

1.  LamoUe-Picqaet  était  prêt  à  partir  pour  Saint-DoiDÎofriMr.  lorv|a  il  fut 
retenOj  sur  la  rade  de  Fort-Royal,  par  l'ordre  «uivant  :  «  En  ij/f$^iH*'ité *• 
du  résultat  du  conseil  de  guerre  tenu,  à  b  ré  {uWitiitn  du  ut^r'\u%»  tU- 
Bouille;  sur  la  situation  de  la  colonie,  a  bord  do  H^MfijJiU.  k  \1  natt*  y^Wt. 
il  est  ordonné  à  M.  de  Lamotte-Picquet  de  «««pendre,  ju^^-iu  m  u*f*n*^  or*Uf, 
l'exécution  de  ses  instructions.  La  pottitioo  ^  la  c//U/riie  ru  oUU'/"  i^wir 
le  bien  du  ser^'ice,  de  prendre  mit  moi  de  f>u*p<^rtdre  ^rtt  4*r\Ari,  — 
\1  mars  1780.  De  Grasse.  »  Ijc  lendemain,  13  ni4r«.  U-  t/ttuXf  <)«-  itr**»*' 
ayant  été  informé,  par  un  aviM>.de  l'arrivée  yntrltsutt*:  du  Ii«rul^ri4rit  '/ht*'tH\ 
de  Guichen.  donna  au  chef  d'escadre  de  l^aruott/'-l'K/pM-t  I  aufori«j»ti'/ri  '1^ 
se  rendre  à  Saint-Domingue.  Qoel<{oe*  hi^Uityu*  Mit  hVtiuér  ijuttiAt*- 
Picquet  de  ne  pas  être  resté  à  la  Martinique,  *Ai  «a  pré*^!*'/-  ^^u  ^i^mu^  hh 
lieutenant  général  de  Guichen  une  Krzu^it  tM\férffnU:  Mjr  H^t'iu^rt,  ht$  r^/it 
que  Lamotte-Picquet  n'était  parti  de  la  Startiriiqu'-  'iw  \iff*tr  m-  >jmV*9tu*f 
aux  ordres  du  ministre. 


186  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

de  Bouille,  avaient  pris  passage  sur  nos  vaisseaux.  Il  avait 
été  convenu  entre  ce  dernier  et  le  lieutenant  général  de 
Guichen  que  nous  proFiterions  de  toute  circonstance 
favorable  pour  attaquer  les  colonies  anglaises,  et  notam- 
ment la  Barbade  où  se  trouvaient  les  prisonniers  Tran- 
çais.  Le  16  avril,  l'escadre  louvoyait  pour  s'élever  au  vent 
de  la  Martinique,  en  passant  par  le  canal  de  la  Domini- 
que, lorsque  nos  frégates  signalèrent  l'ennemi .  Le  len- 
demain, dans  la  matinée,  les  deux  escadres  couraient  les 
amures  k  bâbord,  les  Anglais  au  vent  des  Français.  Elles 
étaient  rangées  dans  Tordre  suivant  : 

ESCADRE  FRANÇAISE. 
Ligne  de  bataille. 


Nom»  dfs  bâtiments. 


Dostin 

Venirt'ur 

Saint-Michel 
IMulon 


Triomphant. 


StHivorain. 
St>htairt»  . 


C.itou'n  . . 

t'a  ton 

Victoire. . 
Koiiilant. 

I  oun^nno 


l'ulmir*r.    . . 
In^lifu    .    . 
ActioanAin*. 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  dfS  capitaines. 


Avant-ff'irde. 

7i 


60 
80 


Duniaitz  de  Goimpy. 
De  Betz. 
DWyniar. 
Ih*  Lamarthonic. 
\De  (iras-Préville. 
Comte  «le  Sade,  chef  d'escadre. 
De  (ilandevês. 
iW  Cicé-Champion. 


Corps  lif  t*  U'iUU. 


t>4 


De  Nieuil. 

IK»  Framond. 

I^'AIIktI  Saint-llipftathte. 

D»'  Vaudreuil.  chef  d'eM*adn\ 
\\iu*^T  de  la  Chari^uliêre. 
)lU»mte  de  <îui«*heo.  lient,  général. 

l>e  Monteil.  clu-f  dV-nradre. 

IV  Balleroy 

Ik*  l.archantel. 


LIVRE  VI. 


187 


Noms  des  bAtiments. 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Arrière-garde. 


Intrépide. . . 

Triton 

Magnifique . 
Robusle. . . . 

Sphinx 

Artésien. . . 
Hercule . . . . 


74 
64 
74 
74 
74 
74 
74 


Du  plessîs-Parscau . 

Brun  de  Boades. 

De  Brach. 

Comte  de  Grasse,  chef  d*escadre. 

De  Soulanges. 

De  Peynier. 

D'Amblimont. 


ESCADRE   ANGLAISE. 
Ligne  de  bataille. 


Noms  des  bâtiments. 


SUrling  Castle 

Ajax 

ElizabeUi 


Princess  Royal 


Albion . . 
Terrible. 
Trident . 


Graflon  . . 
Yarmoulh. 
Comwall . 


Sandwich. 


Suflblk  . . . 
Boyne  .... 
Vigilant. . . 
Vengeance 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Avant-garde. 


64 
74 
74 

90 

74 
74 
64 


Carkelt. 

Uvedale. 

Maitland. 
^Hammond. 
JHyde  Parker,  contre-amiral. 

Bowyer. 

Douglas. 

P.  Molloy. 


Corps  de.  bataille. 


74 
64 

74 

90 

74 
68 
64 
74 


Gollingwood. 

Bateman. 

Edwards. 

Young. 

Sir  George  Brydges  Rodney,  amiral. 

Crespin. 

Cotton. 

Home. 

Hotbam. 


HISTOIRE  DK  LA   MARINE  FRANÇAISE. 


Nunitdr.  Uiimrntt. 

'  "Z                           N'odit  da  cipitniM*. 

M«l*«)    

Ani're-garde. 
6(1      [EJiuondAmcck. 

Con(|iieror 

Intrepid 

Mapiilkeiit 

Onlurion 

74 
U4 

WaUon. 
SaiDt  John. 
ElpbJnstoDe. 

Vers  une  lieure  df  l'après-midi,  l'amiral  Rodncy  laissa 
arriver  parim  mouvcmi>nt  tout  &  la  fois,  cl  il  se  Tonna 
parallèlement  h  notre  li^fne.  Le  feu  commcnra  aussildt 
([ne  les  deux  escadres  furent  ù  porlée  de  canon.  L'engage- 
ment durait  depuis  iiuclque  temps  dV-ji^,  lorsque  le  lieu- 
tenant ^(^nérnl  de  Guiclien  s'aperçut  que  Rodncy  ma- 
nœuvrait puur  passer,  avec  son  vaisseau  le  Sandwich, 
dans  un  vide  que  YActiomiaire,  en  dérivant,  avait  laissé 
dans  notre  li^iie.  Il  si}^nala  immédiatement  à  son  armée 
de  virer  de  boixl  loT  pour  lof,  toute  à  la  fois.  Notre  mouve- 
ment était  à  peine  indiqué  que  les  Anglais  revenaient  au 
plus  prés.  Le  comte  de  Guiclien  annula  son  premier  or- 
dre, mais  (]ucl<)ues  vaisseauvn'ayant  pas  aperçu  à  temps 
lomlièrt'Qt  sLins  le  veiil.  L'escadre  Fran' 


LIVRE  VI.  189 

le  Triomphant,  ne  portaient  que  quatre-vingts  canons. 
Enfin,  nous  avions  plus  de  vaisseaux  de  soixante-quatre 
que  nos  adversaires.  Le  17,  lorsque  le  jour  se  fit,  nos 
vigies  interrogèrent  inutilement  l'horizon,  la  flotte  bri- 
tannique avait  disparu. 

Le  9  mai,  Tescadre  française  faisait  ses  préparatifs 
pour  attaquer  le  Gros  Ilet  de  Sainte-Lucie.  Déjà  six  cents 
hommes  étaient  embarqués  sur  les  frégates,  lorsque  Ten- 
nemi  fut  signalé  sous  le  vent.  Les  Français,  dont  la  ma- 
nœuvre fut  imitée  par  les  Anglais,  serrèrent  le  vent,  les 
amures  à  tribord.  Aussitôt  que  les  deux  escadres  furent 
en  dehors  du  canal,  le  comte  de  Guichen  laissa  por- 
ter avec  l'intention  d'engager  une  affaire  générale*. 
L'amiral  Rodney,  qui  voulait  nous  attirer  loin  de  Sainte- 
Lucie  et  de  la  Martinique,  prit  chasse  dans  le  sud-ouest. 
Quelques  jours  s'écoulèrent  pendant  lesquels  les  deux 
escadres  restèrent  en  vue  Tune  de  l'autre.  Dans  l'après- 
midi  du  15  mai,  notre  armée,  à  laquelle  les  variations 
de  la  brise  avaient  donné  l'avantage  du  vent,  se  diri- 
gea sur  l'ennemi.  Des  sautes  de  vent  successives  modi- 
fièrent la  position  relative  des  deux  flottes,  et  retardèrent 
le  moment  de  l'engagement.  A  la  chute  du  jour,  les  deux 
escadres  défilèrent  à  contre-bord,  les  Français  au  vent 
des  Anglais.  Lorsque  les  deux  avant-gardes  arrivèrent  à 
portée  de  canon,  le  feu  commença.  L'amiral  de  Guichen, 
craignant  que  son  adversaire  ne  tentât  de  couper  son  ar- 
rière-garde, fit  revirer  promptement  ses  vaisseaux,  afin 
de  se  trouver  aux  mêmes  amures  que  l'ennemi.  Avant 
que  celte  évolution  fût  terminée,  la  nuit  était  venue, 
et  les  Anglais  s'étaient  éloignés.  Le  19  mai,  les  Anglais 
parurent  décidés  à  accepter  un  nouvel  engagement.  Vers 


I.  •  Je  louvoyai  devant  l'ennemi,  afin  de  lenpaper  à  sortir  du  canal  pour 
le  combattre.  Lorsque  les  Anglais  ont  été  dehors,  j'ai  arrivé,  vent  ar- 
rière, sur  eux.  trois  jours  de  suite,  pour  leur  présenter  le  combat  et  enjjra- 
ger  une  affaire  générale,  à  laquelle  l'amiral  Hr>dney  s'est  refusé,  en  pliant 
continuellement  pour  nous  attirer  dansle  sud,  où  je  le  suivais  [>our  le  forcer 
au  combat.  *      {Lettre  du  lieutenant  yénéral  de  Guichen  au  miniatre.) 


190  HISTOIRE  DE  LA  MAHINlî  FRANÇAISE, 

trois-heures  de  l'après-inidi,  les  deux  armées  couraicnl  à 
contre-bord,  avec  des  vents  de  l'est  à  l 'est-sud-est.  Les 
vaisseaux  de  tfite  de  rarniéo  française,  rangés  en  ligne  de 
bataille,  les  amures  à  bÂbord,  passèrent  sur  l'avant  et  k 
petite  distance  de  l'avant-gardc  de  la  flotte  anglaise  qui 
courait  les  amures  à  tribord.  Celle-ci,  au  lieu  de  couliDuer 
sa  route,  ce  qui  l'etU  amenée  à  couper  notre  ligne, 
à  quelques  vaisseaux  en  arriére  du  chef  de  Qlc,  laissa 
porter  par  un  mouvement  successif.  Les  deux  escadres 
dénièrent  à  conlre-bord  sur  deux  lignes  parallèles.  Le 
feu,  qui  avait  commencé  aussitôt  que  les  deux  avant- 
gardes  s'étaient  trouvées  h  portée  de  canon,  devint  bien- 
tôt très-vif.  L'amiral  Rodney,  croyant  à  lapossibîlitô  d'en- 
velopper notre  ai-rière-garde,  lit  à  son  avant-garde  le 
signal  de  virer  de  bord  et  de  forcer  de  toile,  afin  de  pla- 
cer nos  derniers  vaisseau::  entre  deux  feux.  Ce  mouve- 
ment était  &  peine  accusé,  que  le  comte  de  Guichen  or- 
donnait  à  son  avant-garde  et  au  corps  de  bataille  de  virer 
de  bord  vent  de  vent,  tout  à  la  fois.  Avant  que  cette  évt^  i 
lution  fitt  achevée,  l'amiral  anglais,  comprenant  rioil- 
lilîté  de  sa  tentative,  annula  l'ordre  qu'il  avait  donné.  I 
feu  cessa  aussitôt  que  le  dernier  vaisseau  fran(;ais  e 
doublé  leserrc-fllc  de  la  ligne  anglaise.  L'ennemi  courati 
les  amures  &  tribord,  et  le  lendemain  on  ne  le  revit  pluB(C 
Plusieurs  vaisseaux  anglais  avaient  été  trës-maltraiU 
pendant  ce  dernier  engagement.  Le  Cornwall  ne  put  i 
teindre  Sainte-Lucie  que  grdce  au  beau  temps  et  < 
efTorts  de  son  éi{uipa^o.  Les  avaries  de  nos  vuisseati; 
n'avaient  pas  de  gravité.  Nos  pertes  pour  les  cotnbatl 
des  17  avril,  15  et  19  mai,  s'élevèrent  à  cent  cinquante' 
huit  tués  et  huit  cent  vingt  blessés  '.  Le  licutenanlgéo^ 


I 


1,  On  coinptail  parmi  le>  mnrU  :  MM.  ilc  Giiii^hcn,  do  l^tity.  lieul 
MOU  da  TBJUMU  ;  lie  ChefTootalni',  du  Ranialiicllv,  i>DM>iKni«; 
do  Gusn,  oTOcivr*  ■uu'IUiroii;  do  Seftuin,  de  Mnnl«>urric'r,  d'AiguilT,  d 
Boatille,  ofndora  d'inrsnleriR.  MH.  DitnmiU  <]>>  Gniiiiji).  Uihiim,  dr  r 
d'AfiTMT,  cKfHtnlnM  de  vninpnu  ;  de  l^rnlHiiir,  du  ItiPiu.  de  Choiubcll^,  d 
Ganl^K,  de  lllois.  llurnnt,  ciisi.'i({iio«,  élaicnt  au  iiutntirv  des  Ueuài. 


LIVRE  VI.  191 

rai  de  Guichen  eut  la  douleur  de  perdre  son  (ils  qui  ser- 
vait dans  l'escadre  comme  lieutenant  de  vaisseau. 

Nos  bâtiments  n'ayant  plus  que  six  jours  de  vivres,  le 
commandant  en  chef  se  dirigea  sur  Fort-Royal  où   il 
mouilla  le  22  mai.  Si  on  en  juge  par  les  avaries  des  vais- 
seaux anglais,  les  Français  obtinrent  sur  leurs  adver- 
saires,  dans  les  combats  des   17  avril,  15  et  19  mai, 
un  avantage  marqué.  Néanmoins,  Tcnnemi  atteignit  le 
but  qu'il  s'était  proposé,  puisque  le  comte  de  Guichen 
et  le  marquis  de  Bouille  furent  mis  dans  Timpossibililé 
d'attaquer  les  possessions  britanniques  des  Iles-du-Vent. 
Les  deux  amiraux  se  conduisirent  dans  ces  trois  ren- 
contres avec  une  extrême  prudence.  L'un  et  l'autre  dé- 
ployèrent beaucoup  d'habileté,  mais  les  ressources  de  la 
tactique  leur  servirent  moins  pour  attaquer  que  pour  se 
défendre.  Le  17  avril  et  le  15  mai,  Rodney  sembla  recher- 
cher une  action  décisive,  mais  les  tentatives,  d'ailleurs 
très-timides,  qu'il  fit  pour  arriver  à  ce  résultat,  furent 
immédiatement  repoussées.  L'amiral  anglais  se  plaignit 
avec  beaucoup  de  vivacité  de  quelques-uns  de  ses  capi- 
taines. L'amiral  français,  au  contraire,  se  montra  satis- 
fait de  son  escadre.  «  Si  j'ai  été  assez  heureux,  écrivit-il 
au  ministre,  pour  avoir  un  avantage  décidé  sur  l'ennemi, 
je  dois  cet  agrément  à  la  bravoure  et  à  l'exactitude  dans 
l'exécution  des  signaux  des  capitaines  qui  ont  combattu 
sous  mes  ordres.  Les  plus  petits  vaisseaux  ont  soutenu, 
avec  la  plus  grande  fermeté,  le  feu  des  plus  forts  de  l'en- 
nemi. VArté^ien  et  le  Sphinx,  petits  vaisseaux,  ont  tenu 
pendant  une  heure  contre  trois  vaisseaux,  dont  un  à  trois 
ponts.  Enfm,  Monseigneur,  tous  messieurs  les  capitaines 
se  sont  distingués.  C'est  une  justice  que  je  leur  rends 
avec  bien  de  la  satisfaction.  »  Il  appela  d'une  manière 
particulière  l'attention  du  ministre  sur  le  major  de  l'es- 
cadre, le  capitaine  de  vaisseau  Buor  de  la  Charoulière, 
officier  d'un  très-grand  mérite.  Quoique    le  lieutenant 
général  de  Guichen  eût  exercé  trcs-honorablement   son 
commandement,  il  trouva  la  responsabilité  qui  pesait  sur 


192  inSTOmE  DE  L\  MARINE  FRANÇAISE, 

lui  beaucoup  trop  lourde,  et  il  résolut  d'en  décliner  le 
Tardeau.  Il  écrivit  au  ministre,  le  38  mai,  c'est-à-dire  à 
son  arrivée  à  la  Martinifjue  :  "  J'attends  vos  ordres.  Mon- 
seigneur, et  mon  rappel,  ayant  l'honneur  de  vous  assurer 
très-sincèrement  que  la  conduite  d'une  escadre  aussi  con- 
sidérable est  infiniment  au-dessus  de  mes  forces  à  tous 
égards,  et  que  ma  santé  ne  pourrait  soutenir  une 
fatigue  et  une  inquiétude  aussi  continuelles;  aussi  j'ose 
espérer.  Monseigneur,  que  vous  voudrez  bien  m'en  dis- 
penser. » 

Dans  les  premiers  jours  du  mois  de  juin,  une  frégate 
espagnole  arriva  sur  la  rade  de  Fort-Royal,  Elle  précé- 
dait de  quelques  jours  une  escadre  de  douze  vaisseaux 
qui  faisait  route  sur  la  Havane.  Cette  escadre  escortait  un 
convoi,  sur  lequel  étaient  embarques  un  matériel  consi- 
dérable et  dix  mille  cinq  cenls  soldats.  L'amiral  dou 
Solano,  sous  le  commandement  duquel  elle  était  placée, 
désirait  que  son  attérago  sur  les  Iles-du-Vcnt  fùl  protéfié 
par  les  Fran(;ais.  Le  comte  de  Guichen  lui  fit  connaître  la 
position  des  Anglais;  il  le  pria  d'envoyer  son  convoi  h 
Saint-Pierre  et  de  venir  avec  son  escadre  dans  la  baie  de 
Fort-Royal.  Cette  prot>osition  fut  repoussée  par  l'amiral 
espagnol  qui  se  disait  obligé  de  se  rendre,  sans  perdre  de 
temps,  à  Porto-Rico,  Le  9  juin,  le  comte  de  Guichen  le 
rallia  avec  quinze  vaisseaux,  les  seuls  qui  fussent  en  étal 
de  prendre  la  mer.  Après  de  longs  pourparlers,  don  Solano 
se  décida  &  mouiller  sur  la  rade  de  Fort-Royal,  et  à  expé- 
dier son  convoi  sur  la  rade  de  la  Basse-Terre.  Le  lieule- 
liant  général  de  Guirlien  et  le  marquis  de  Bouille  firent 
de  vains  elTorts  pour  amener  les  Espagnols  A  prendre 
parla  quelque  entre|irise,  soit  contre  l'escadre  de  Rodney, 
soit  contre  les  Iles  anglaises.  Non-seulement  don  Solano 
ne  voulut  pas  y  consentir,  mais  il  demanda  à  être  ac- 
compagné jusqu'à  sa  destination.  Le  lieutenant  général 
de  Guichen  avait  rei;u  du  ministre  l'ordre  de  quitter  les 
Iles-du-Vent  A  l'époque  de  l'hivernage.  Il  devait  se  rendre 
ù  Saint-Domingue,  et,  de  là,  cITeoluer  son  retour  A  I 


son  retour  A  Brest,  .^ 


L4VRE  VI.  193 

en  escortant  une  flotte  marchande.  L'insistance  de  l'ami- 
ral espagnol  le  détermina  à  partir  un  peu  avant  Tépoque 
fixée  par  ses  instructions.  L'état  sanitaire  des  équipages 
pouvait,  sinon  justifier,  du  moins  expliquer  la  conduite 
de  l'amiral  espagnol.  Une  maladie  épidémique  faisait  un 
grand  nombre  de  victimes  à  bord  de  ses  bâtiments.  «  Je 
conviens  que  l'état  de  cette  flotte,  écrivait  le  lieutenant 
général  de  Guichen  au  ministre,  était  misérable  par  la 
quantité  de  malades.  Si  l'escadre  espagnole  était  arrivée, 
un  mois  plus  tôt,  en  état  d'enlreprendre  quelque  chose,  on 
aurait  pu  attaquer  avec  succès  l'ennemi.  Dans  la  position 
où  elle  est  arrivée,  c'est  à  l'escadre  du  Roi  qu'elle  doit 
son  salut.  »  Ce  qu'il  était  légitime  de  reprocher  àTamiral 
espagnol,  c'était  le  peu  de  résolution  dont  il  avait  fait 
preuve,  en  arrivant  dans  le  canal  de  la  Dominique.  A  ce 
moment,  il  apprenait  d'une  manière  certaine  qu'aucune 
force  ennemie  ne  se  trouvait  sous  le  vent.  Il  devait,  ou 
continuer  sa  route,  ou  expédier  son  convoi,  sous  l'escorte 
de  quelques  vaisseaux,  et  se  réunir,  avec  le  gros  de  ses 
forces,  à  l'escadre  française.   Le   lieutenant  général  de 
Guichen  appareilla  de  Fort-Royal,  le  5  juillet,  avec  les 
Espagnols.  Après  les  avoir  conduits  jusqu'à  l'entrée  du 
\ieux  canal  de  Bahama,  il  se  rendit  à  Saint-Domingue.  11 
trouva  dans  cette  colonie  la  division  du  chef  d'escadre  de 
Lamotte-Picquet.  Cet  officier  général  avait  eu  un  engage- 
ment avec  plusieurs  navires  appartenant  à  la  division  du 
Commodore  Cornwallis.  11  croisait,  le  22  mars  1780,  sur  les 
côtes  de   Saint-Domingue,  avec  VAnnibal^  de  soixante- 
quatorze,  sur  lequel  il  avait  son  pavillon,  le  Diodème,  de 
soixante-dix, le  Ré/léchi^de  soixante-quatre,  clV Amphiony 
de  cinquante.  Trois  voiles  ayant  été  aperçues,  il  donna 
l'ordre  de  les  chasser  en  route  libre.   Les  bâtiments  en 
vue  étaient  les  vaisseaux  le  Lion,  de  soixante-quatre,  le 
Bristol,  de  cinquante,  et  le  Janus,  de  quarante.  Grdce  à  la 
supériorité  de  sa  marche,   VAnnibal  se  rapprocha  très- 
rapidement  des  Anglais.  Aussitôt  qu'il  fut  à  portée  de 
canon,  Lamotte-Picquet  fit  commencer  le  feu.  Le  calme 


194  HISTÛIHE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

étant  survenu,  VAnnibal  combattit  seul ,  pendant  plu- 
sieurs heures,  les  trois  vaisseaux  anglais.  Par  suite  des 
variations  de  la  brise  et  de  l'action  du  courant,  les  b&ti- 
ments  se  trouvèrent  séparés  au  coucher  du  soleil.  Le 
lendemain,  au  point  du  jour,  VAnnibal  joignit  de  nou- 
veau les  Anglais,  et  la  lutte  recommença  avec  une  nou- 
velle vivacité.  Les  capitaines  du  Diadème^  du  Réfléchi  et  de 
r^ mpAion,  étaient  désespérés  de  ne  prendre  aucune  part 
au  combat,  mais  tous  leurs  efforts  pour  rallier  Lamolte- 
Picquet  furent  inutiles.  Pendant  que  VAnnibal  réparait  des 
avaries  de  mâture  assez  graves,  les  trois  vaisseaux  anglais 
s'éloignèrent.  Peu  après,  trois  grands  bâtiments,  dans 
lesquels  on  ne  tarda  pas  à  reconnaître  des  vaisseaux  an- 
glais, furent  signalés.  Notre  division  fit  route  sur  le  Cap 
Français,  où  elle  mouilla  le  môme  jour.  Lamotte-Picquet, 
blessé  pendant  le  combat,  n'avait  pas  quitté  le  pont  de 
son  bâtiment. 

Le  lieutenant  général  de  Guichcn  trouva  au  Cap  Fran- 
çais des  lettres  du  chevalier  de  la  Luzerne,  notre  ministre 
auprès  du  Congrès  des  États-Unis,  et  du  marquis  de  la 
Fayette,  qui  Tinvilaient  à  se  rendre  sur  les  rôles  de 
l'Amérique  septentrionale.  11  déclina  celle  olïVc  (|ui  était 
contraire  à  ses  instructions.  Le  16  aoiM,  il  lit  route 
pour  TEurope,  laissant  à  Saint-Domingue  le  chef  d'es- 
cadre de  Monloil  avec  dix  vaisseaux.  Vne  dépêche  ca- 
chetée qu'il  ouvrit,  conforinémcnl  aux  ordres  du  minis- 
tre, en  dehors  du  canal  de  Bahama,  lui  apprit  qu'il  devait 
aller  à  Cadix.  Il  mouilla  dans  ce  port,  le  'ik  octobre,  avec 
dix-neuf  vaisseaux  et  son  convoi.  Lorscjue  l'amiral  Rod- 
ney  avait  été  informé  de  notre  départ,  il  avait  détaché 
dix  vaisseaux  à  la  Jamaïtiue,  et,  avec  le  reste  de  ses  for- 
ces, il  s'était  dirigé  sur  New-York. 


LIVRE  VI.  195 


III 


Au  commencement  de  Tannée  1780,  l'insurreclion  des 
colonies   anglaises    avait   fait   peu    de    progrès.   L'en- 
thousiasme des  premiers  jours  était  passé,  et  le  peuple 
américain  se   demandait  s'il  conquerrait  jamais  cette 
liberté  pour  laquelle  il  avait  fait  tant  de  sacrifices.  Le 
gouvernement  français,  préoccupé  de  celte  situation,  se 
décida  à  faire  passer  des  troupes  de  Tautrc  côté  de  l'At- 
lantique. Cette  mission  fut  confiée  au  chef  d'escadre  de 
Ternay  qui  avait  le  commandement  d'une  division  de 
sept  vaisseaux.  Dans  le  milieu  d'avril,  cet  officier  général 
était  sur  la  rade  de  Bertheaume,  attendant  des  vents 
favorables  pour  appareiller.  Dans  la  nuit  du  2  mai,  les 
vents  ayant  passé  au  nord-est,  il  mil  sous  voiles  avec  les 
vaisseaux  le  Duc  de  Bourgogne^  de  quatre-vingts  canons, 
le  Neptune  et  le  Conquérant^   de  soixante-quatorze,   la 
?To\3ence^  VÈveillé^   le  Jason  et  YArdent^  de  soixante- 
quatre,  deux   frégates,  la  Surveillante  et  YAinazone^  cl 
Ircnle  navires  de  transport.  Six  mille  hommes,  comman- 
dés par  le  lieutenant  général  de   Rochambcau,  étaient 
embarqués  sur  les  bdtimcnls  de  l'escadre  et  du  convoi. 
M.  de  Ternay  n'était  pas  sans  appréhension  sur  la  possi- 
bilité de  cacher  son  départ  aux  Anglais.  Il  savait  <iue 
l'amiral  Graves  aclievait,à  Portsmouth,  l'armement  d'une 
^cadre  spécialement  chargée  de  le  poursuivre  et  de  le 
combattre.  L'expédition  française  fut  retenue,  pendant 
Huelijues  jours,  dans  le  golfe,   par  un  coup   de   vent 
d'ouest  qui  succéda  brusquement  à  la  brise  de  nord-est 
^vec  laq^jelle  nous  avions  quitté  la  rade  de  Bertheaume. 
Néanmoins,  elle  gflgna  le  large  sans  avoir  aperçu  un  seul 
croiseur  ennemi.  Les  instructions  de  notre  gouvernement 
Prescrivaient  à  M.  de  Ternay  de  se  rendre  à  Rliodc-lsland, 
sil  apprenait,  à  son  arrivée  sur  la  côte  d'Amérique,  que 
'^^6  n'était  pas  occupée  par  les  Anglais.  Apres  avoir  mis 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 
à  terre  les  troupes  du  général  de  Bochamlieaii,  il  devait 
rester  sur  la  côte  et  diiférer  aux  demandes  de  concours 
qui  lui  seraient  adressées,  soit  par  le  général,  soît  par 
les  autorités  américaines.  Toutefois,  le  ministre  le  lais- 
sait libre  de  décliner  les  propositions  qui  lui  paraîtraient 
de  nature  h  compromeltre  l'escadre  placée  solis  son  com- 
mandement. Si  les  forces  navales,  que  l'Angleterre  entre- 
tenait sur  les  côles  des  États-Unis,  se  trouvaient  supé- 
rieures aux  siennes,  il  avait  l'autorisalion  de  demander 
des  renforts  au  commandant  en  chef  de  notre  flotl«  dans 
les  Antilles. 

Le  20  juin,  l'escadre  était  dans  le  sud-ouest  des  Ber- 
mudes,  faisant  route,  grand  largue,  avec  des  vents  de 
l'est  au  sud-est,  lorsque  nos  frégates  signalèrent  cinq 
vaisseaux  dans  le  nord-est.  Ces  bdliments  gouvernèrent 
immédiatement  sur  nous  en  se  couvrant  de  voiles.  Après 
avoir  donné  au  convoi  l'ordre  de  se  former  sous  le  vent 
de  l'escadre,  M.  de  Tornay  vint  au  plus  près,  les  amures 
à  bâbord,  afin  de  se  rapprocher  des  navires  en  vue.  I! 
avait  devant  lui  l'Hector  et  le  Sultan,  de  soixante-qua- 
lorae,  le  Lion  et  le  Ruby,  de  soixante-quatre,  le  Bristol, 
de  cinquante,  et  la  frégate  le  Niger,  de  trente-deux.  Ces 
bAtimcnts  faisaient  partie  do  la  division  du  commodore 
Cornwallis  qui  retournait  aux  Antilles,  aprèsavoir  escorté 
un  convoi  jusqu'à  la  hauteur  des  Bermudes.  Lorsqoa  / 
les  Anglais  eurent  reconnu  sept  vaisseaux,  au  mili' 
navires  qu'ils  avaient  pris  de  loin  pour  une  (lolle  c 
chaude,  ils  serrèrent  le  vent  les  amures  à  Irilmrd.  Un 
leurs  vaisseaux,  le  Ruby,  qui  avait  chassé  en  avi 
division,  se  trouva  sous-venté.  Le  Neplunc  et  le  Jaso 
faisaient  de  la  toile  pour  le  joindre,  mais  le  chef  de  t 
escadre,  s'apercevant  que  ces  deux  vaisseaux  éU 
Ir^s-éloignés  du  b&timent  qui  les  suivait  dans  la  ligt 
leur  signala  de  diminuer  de  voiles.  Le  liuhy,  se  rcndaol 
compte  des  dangers  de  sa  position,  prît  les  amures  I 
bAbord.  Il  passa  au  vent  et  à  portée  de  cannn  du  .Vf;>(tu 
du  Jafvn  et  du  l>ur  tic  Dourgognf,  ijui  ou\rirent  sur  li 


LIVRE  VI.  197 

un  feu  très-vif.  La  division  anglaise  se  contenta  de  tirer 
sur  nous,  de  loin,  pour  protéger  son  retour.  M.deTernay, 
craignant  d'exposer  son  convoi  aux  entreprises  du  com- 
modore  Cornwallis,  ne  poursuivit  pas  le  Ruby.  Il  vira  de 
bord  et  les  deux  escadres  coururent  au  plus  près,  les 
amures  à  tribord,  les  Anglais  au  vent  et  à  grande  distance 
des  Français.  Aussitôt  que  la  nuit  fut  venue,  le  Commo- 
dore reprit  sa  première  roule,  tandis  que  M.  de  Ternay 
ralliait  son  convoi  et  se  dirigeait  vers  la  côte  d'Amérique. 
Le  4  juillet,  un  peu  avant  le  coucher  du  soleil,  l'escadre 
arrivait  à  l'ouvert  de  la  Chesapeak,  lorsque  les  frégates 
signalèrent  dix  ou  douze  voiles  au  mouillage  dans  la 
baie.  M.  de  Ternay,  se  croyant  en  présence  dos  forces 
d'Arbuthnot  et  de  Graves,  fit  plusieurs  fausses  routes 
pendant  la  nuit,  et,  le  lendemain,  il  mit  le  cap  sur  Rhode- 
Island.  Le  12  juillet,  après  quelques  jours  d*une  navigation 
que  des  brumes  persistantes  rendirent  difficile,  les  bâti- 
ments de  l'expédition  mouillèrent  devant  New-Port.  Un 
des  transports,  qu'on  avait  perdu  de  vue,  le  8  juillet, 
alla  à  Boston,  rendez-vous  qui  avait  été  assigné  à  tous 
les  navires,  en  cas  de  séparation. 

La  mission  dont  était  chargé  le  chef  d'escadre  de  Ter- 
nay se  trouvait  heureusement  remplie.  Cependant,  des 
critiques  très-vives  s'élevèrent  contre  sa  conduite  ;  on  le 
blâma  de  ne  pas  avoir  fait  plus  d'efforts,  le  20  juin,  pour 
atteindre  la  division  du  commodore  Cornwallis,  ou  au 
moins  le  Ruby.  Nous  allons  examiner  la  valeur  de  ces 
reproches.  Le  chevalier  de  Ternay  avait  reçu  du  minis- 
tre l'ordre  de  conduire  le  plus  promptement  possible, 
à  leur  destination,  les  troupes  (jue  la  France  envoyait  au 
secours  des  Américains.  Cet  officier  général  ne  pouvait 
ignorer  l'intérêt  qui  s'attachait  à  la  mission  qui  lui  avait 
été  confiée.  En  l'état  des  affaires  aux  États-Unis,  le  dé- 
barquement d'un  corps  français  était  un  événement  d'une 
grande  portée  politique  et  militaire.  Il  devait  donc  tenir 
très -particulièrement  à  honneur  de  bien  remplir  les 
obligations  qui  lui  incombaient  dans  le  plan  de  campagne 


198  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

du  gouvernement.  Un  avantage,  remporté  sur  les  vais- 
seaux que  nous  avions  rencontrés  à  la  mer,  eût  tourné 
au  profit  de  nos  forces  navales  dans  les  Antilles,  puisque 
le  Commodore  Cornwallis  faisait  roule  pour  rejoindre 
l'amiral  Rodney.  Cela  n'était  pas  douteux,  mais  il  était 
également  certain  qu'il  eût  fallu  un  succès  d'une  véritable 
importance  pour  compenser  l'échec  de  l'expédition.  Les 
événements,  d'ailleurs,  montrèrent  combien  étaient  lé- 
gitimes les  préoccupations  de  M.  de  Ternay.  L'amiral 
Graves,  qui  avait,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  Tordre  de 
le  poursuivre,  était  sorti  de  Plymouth,  dans  les  premiers 
jours  de  mai,  avec  sept  vaisseaux.  Ses  instructions  lui 
enjoignaient  expressément  de  faire  les  plus  grands  efTorls 
pour  capturer  ou  disperser  les  bâtiments  du  convoi.  Les 
Anglais  avaient  reçu,  dans  la  Manche,  le  coup  de  vent 
d'ouest  qui  nous  avait  assaillis,  peu  de  jours  après  notre 
départ.  Obligé  de  relâcher,  par  suite  du  mauvais  temps, 
l'amiral  Graves  avait  passé  quinze  jours  dans  le  port  de 
Plymouth.  Lorsqu'il  avait  repris  la  mer,  il  avait  forcé  de 
voiles  pour  nous  devancer  sur  la  côte  d'Amérique.  Le 
13  juillet,  c'est-à-dire  vingt-quatre  heures  après  notre 
arrivrc  à  Rhode-lsland,  son  escadre  entrait  à  New- York 
où  se  trouvait  lamiral  Arbulhnot  avec  quatre  vaisseaux. 
Si  notre  traversée  avait  été  retardée  de  quelques  jours, 
employés,  soit  à  poursuivre  Tcnnemi,  soit  à  réparer  les 
avaries  d'un  combat  même  heureux,  nous  aurions  trouvé 
la  route  de  Rhode-lsland  barrée  par  onze  vaisseaux. 
Faire  du  mal  à  l'ennemi,  toutes  les  fois  quo  cela  est  pos- 
sible, est  évidemment  un  principe  de  guerre  excellent, 
mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que,  sur  les  flottes  et 
dans  les  armées,  l'obéissance  est  le  premier  de  tous  les 
devoirs.  Comment  pourrait-on  exéouler  un  plan  de  cam- 
pagne, exigeant  le  concours  de  plusieurs  généraux,  si 
chacun  d'eux  refusait  d'admettre  qu'il  fût  lié  par  ses 
instructions. 

Aussitôt   après   le   mouillage   de    notre    escadre,   les 
troupes  du  général  de   Rorhambeau  furent  débarquées 


LIVRE  VI.  199 

sur  nie  de  Rhode.  L'état  sanitaire  du  corps  expédition- 
naire était  loin  d'être   favorable  à  une  action  immé- 
diate; nous  avions,  sur  les  cadres,  plus  d'un  tiers  de 
refFectif,  par  suite  des  fatigues  de  la  traversée.  Le  21  juil- 
let, les  amiraux  Graves  et  Arbuthnot  parurent  au  large 
avec  onze  vaisseaux,  dont  un  de  quatre-vingt-dix,  six  de 
soixante-quatorze,  trois  de  soixante- quatre  et  un  de  cin- 
quante. D'autre  part,  le  commandant  en  chef  de  Tarmée 
anglaise  qui  voulait,  avec  raison,  combattre  Rochambeau, 
avant  que  celui-ci  eût  opéré  sa  jonction  avec  les  Amé- 
ricains, se  proposait  de  débarquer  sur  l'île  de  Rhode  avec 
dix  mille  hommes.  Les  amiraux  anglais,  reculant  devant 
la  détermination  de  forcer  la  passe  sous  le  feu  de  Tes- 
cadre  française,  résolurent  d'attendre  l'arrivée  du  général 
Clinton,  aOn  d'agir  à  la  fois  sur  terre  et  sur  mer.  Nous 
n'étions  pas  préparés  à  recevoir  la  double  attaque  dont 
nous  étions  menacés.  Défalcation  faite  des  malades  et 
des  trois   cent  cinquante  passagers   du  transport  qui 
s'était  séparé  de  l'escadre,  le  8  Juillet,  nous  n^avions  pas 
plus  de  quatre  mille  hommes  en  élat  de  porter  les  armes. 
Enfin,  les  batteries  et  les  fortifications  nécessaires  pour 
rendre  solide   la  position  de   l'escadre  et  des  troupes 
n'avaient  pu  être   construites.  Quelques  dissentiments 
survenus  entre  l'amiral  Arbuthnot  et  le  général  Clinton 
retardèrent  le  départ  de  l'expédition.  Pendant  que  nos 
adversaires  perdaient  un  temps  précieux,  nos  alliés  se 
mettaient  en  mesure  d'agir.  L'arrivée  d'un  corps  français 
à  Rhode-Island  avait  ranimé  le  courage  un  peu  abattu 
de  la  population.  Le  général  Washington,  profitant  habi- 
lement de  cette  circonstance,  donna  à  quelques  régiments 
de  milice  l'ordre  de  le  rejoindre.  Aussitôt  qu'il  eut  réuni 
douze  mille  hommes,   il  passa  l'Hudson  et  il  menaça 
New-York.  En  recevant  cette  nouvelle,  le  général  Clinton 
fit  mettre  à  terre  ses  soldats,  qui  étaient  déj<\  embarqués 
sur  des  bâtiments  de  transport  mouillés  à  Hunlingdon, 
dans  Long-Island.  A  la  fin  de  septembre,  l'amiral  Rodney, 
qui  arrivait  des  Antilles,   parut  à  la  vue  de  l'île  avec 


I 


^ 


200  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

vingt  et  un  vaisseaux.  Depuis  le  IS  juillet,  date  de  notre 
arrivée  à  Rhode-Iâland,  la  marine  et  l'armée  n'étaient 
pas  restées  inactives.  Plusieurs  ouvrages,  armés  avec  des 
pièces  de  tiente-six  el  de  vinyl-qualre,  avaient  été  élevés 
A  la  pointe  Brenton  ille  de  Rliode),  ainsi  que  sur  les  lies 
Conanicul  et  Race.  Ces  ballcries  appuyaient  noire  ligne 
d'enibossage,  ou  croisaient  leur  feu  avec  celui  des  vais- 
seaux pour  défendre  l'entrée  de  la  rade'.  Après  avoir 
reconnu  notre  position,  l'amiral  anglais  rentra  ft  New- 
York.  Le  chef  d'escadre  de  Tcrnay  avait  écrit,  le  3  aoflt, 
au  commandant  de  nos  forces  navales  dans  la  mer  des 
Antilles,  pour  le  prier,  conformément  aux  ordres  du  mi- 
nistre, de  lui  envoyer  cinq  vaisseaux.  A  ce  moment,  nous 
n'avions  k  combattre  que  les  onze  vaisseaux  d'Arbuthnot, 
et  ce  renfort  eflt  suffi  pour  rendre  à  l'escadre,  et  par  suite 
&  l'armée,  sa  liberté  d'action.  Nous  n'avions  pas  tardé  à 
apprendre  que  le  lieutenant  général  de  Guichcn  avait 
fait  route  pour  l'Europe  avec  la  plus  grande  partie  de  ses 
vaisseaux,  et  que,  de  ce  côté,  nous  ne  pouvions  espérer 
aucun  secours. 

M.  de  Ternay  se  décida  &  expédier  un  b&timent  en 
France  pour  informer  le  gouvernement  de  l'impuissance 
A  laquelle  l'escadre  el  les  troupes  se  trouvaient  momen- 
tanément réduites.  La  frégate  l'Hennione,  commandée 
par  le  lieutenant  de  vaisseau  de  la  Pérouse,  apparcillit, 
le  28  octobre,  avec  ses  dépêche»  et  celles  du  général 
Rochambeau.  Un  coup  de  veut  avait  dispersé  les  Ldli- 
ments  anglais  qui  se  tenaient  babituellement  en  obser- 
vation devant  l'tle.  Néaimioins  l'Hermione  fut  aperçue  par 
quelques  croiseurs  ennemis  ;  grdce  Â  la  supériorité  de  sa 
marche,  elle  échappa  la  leur  poursuite.  Dans  le  courant 

I.  I.e  ubet  d'pKfndrc  de  Tern.i)  écrivait  co  i]iii  suit  nur  W»  itiin)fi>n<  ilr 
la  [MBilinn  iIb  IVêcsdro  &  llliudn-înUnd  :  •  J'.iî  rendu  lo  cùl*  da  In  p»er 
anMt  fort  qu'il  iNtiit  rmre  |«r  les  balUrns  miiltipliùe»  quo  j'mi  fait  «levf*. 
HftiH  j«  n'oulilii»  pas  iiuu  l'escadre  el  les  Iranipurta  nineaiis  pFonMlfl 
POlicr  |iar  la  pa»*e  de  l'oiic*!,  tnlré  Conauicul  et  la  Irm  ferme,  mouiIlM 
lions  le  nord  de  la  nie  que  )'ih'i-ii|>c  ortupltcmcnl,  «t  elTecKwr  la  dwMBil 
que  j')  puiiue  niHlic  nlihlorlr.'... 


LIVRE  VI.  201 

du  mois  de  novembre,  l'amiral  Rodney  reprit  la  route  des 
Antilles,  laissant  douze  vaisseaux  à  Tamiral  Ârbuthnot 
Celui-ci  vint  mouiller  dans  la  baie  de  Gardner,  à  la  pointe 
de  Long-Island,  afin  de  surveiller  Tescadre  française.  Le 
mois  de  décembre  fut  marqué,  à  Rhode-Island,  par  un 
malheureux  événement  :  le  chef  d'escadre  de  Ternay  fut 
enlevé,  après  quelques  jours  de  maladie. 

Le  15  décembre  1780,  Famiral  Rodney  attaqua  Tllc  de 
Saint-Vincent,  mais  il  fut  repoussé  et  il  se  retira  à  Sainte- 
Lucie. 


LIVRE  VII 


Prise  d'un  convoi  de  soixante  voiles  par  la  flotle  combinée,  sous  le  com* 
mandement  de  don  l^uis  de  Cordova.  —  Arrivée  à  Cadix  du  lieutenant 
général  de  Guiclien.  —  DTstaing  prend  le  commandement  des  vaisseaux 
français  réunis  sur  la  rade  de  Cadix,  et  il  les  ramène  à.  Brest.  —  I^  cour 
de  l^ndres  fait  des  efforts  inutiles  pour  amener  la  Hollande  à  prendre 
I>art  à  la  guerre  comme  alliée  de  la  Crande-Bretagne.  —  Les  procédés 
de  la  marine  anglaise  soulèvent  parmi  les  puissances  neutres  un  mécon- 
tentemoiit  général.  —  Convention  conclue  entre  la  Bussie,  le  Danemark 
et  la  Suède,  pour  assurer  la  liberté  du  commerce  maritime.  —  Difticul- 
tés  qui  s'élèvent  entre  la  Hollande  et  la  Grande-Bretagne.  —  Huptur^ 
entre  ces  deux  puissances.  —  Accession  tardive  de  la  Hollande  au  projet 
de  neutralité  armée. 


I 


Au  printemps  de  Tann^^e  1780,  ramiranté  britannique 
avait  réuni  dans  les  ports  de  la  Manche  (|uarante-cinq 
vaisseaux  de  li<rne.  Nous  n'avions  à  opposer  à  des  forces 
aussi  considérables  (jue  l'escadre  du  lieutenant  général 
DucbaiTault.  Or,  par  suite  de  l'envoi  du  comte  de  Guichen 
aux  Antilles  et  de  M.  de  ïernay  en  Amérique,  Tescadre 
de  Brest  était  réduite  i\  douze  ou  (piinze  vaisseaux.  Nous 
ne  pouvions  plus  assurer  la  rentrée  des  bûtiments  atten- 
dus dans  ce  port.  C'était  la  crainte  de  compromettre  les 
vaisseaux  du  comte  de  Guicben  (jui  avait  déterminé  le 
ministre t\  donner  à  cet  officier  général  l'ordre  de  se  rendre 
h  Cadix.  Depuis  qu'elle  prenait  part  à  la  guerre,  l'Espagne 
n'avait  d'autre  objectif  (|ue  Gibraltar.  Pour  complaire  à 
cette  puissance,  vingt  vaisseaux  français,  sortis  des  ports 
de  la  Méditerranée  et  de  TOcéan,  s'étaient  rangés  sous  le 
pavillon  du  lieutenant  général  don  Luis  de  (Cordova.  Par 
suite  de  ces  dispositions,  les  Anglais  tenaient  en  échec, 


LIVRE  VII.  203 

avec  leur  escadre  du  canal ,  les  forces  que  nous  avions  à 
Brest  et  à  Cadix.  Les  croiseurs  ennemis  parcouraient  li- 
brement les  parages  compris  entre  le  cap  Lézard  et  le 
détroit.  Une  division,  commandée  par  un  officier  très- 
habile,  le  Commodore  Johnstone ,  faisait  de  nombreuses 
prises  sur  les  côtes  de  Portugal.  Les  choses  en  étaient 
arrivées  à  ce  point  que  les  communications  entre  le  Fer- 
rol  et  Cadix  n'étaient  pas  assurées.  Dans  le  mois  de  juil- 
let, la  cour  de  Madrid  consentit  à  envoyer  don  Luis  de 
Cordova  à  la  mer.  Cet  amiral  devait  croiser  depuis  le  cap 
Saint-Vincent  jusqu'à  la  hauteur  de  Vigo,en  poussant  ses 
bordées  jusqu'à  cinquante  lieues  de  terre*.  Trente-deux 
vaisseaux  espagnols  et  français  sortirent  de  Cadix  le 
31  juillet.  Le  9  août,  l'armée  chassa  en  route  libre  un 
grand  nombre  de  voiles  qui  furent  aperçues  sous  le  cap 
Saint-Vincent.  C'était  un   convoi  ennemi,  de  soixante- 
quatre  bâtiments,  naviguant  sous  l'escorte  d'un  vaisseau 
(le  soixante-quatorze ,  le  Ramillies,  et  de  deux  frégates. 
Quelques-uns  de  ces  navires  portaient  des  troupes  et  des 
approvisionnements  dans  l'Inde  et  en  Amérique.  Le  chef 
d'escadre  de  Beausset,  avec  Tescadre  légère,  se  mit  à  la 
poursuite  de  l'escorte,  mais  il  ne  put  l'atteindre.  Soixante 
et  un  bâtiments  furent  capturés;  le  nombre  des  prison- 
niers, en  y  comprenant  les  soldats  passagers,  s'éleva  à 
trois  mille  cent  quarante-quatre.   Quelques  jours  après, 
l'armée  franco-espagnole  rentra  à  Cadix  avec  ses  prises. 
Le  lieutenant  général  d'Estaing,  envoyé  en  mission  à  Ma- 
drid par  le  gouvernement  français,  devait  examiner,  de 
concert  avec  les  ministres  du  Roi  d'Espagne,  ce  qu'il  était 
possible  d'entreprendre  avec  les  forces  navales  des  deux 
nations.  Si  nos  alliés  s'obstinaient  à  rester  près  de  Gi- 


1-  Lobjet  de  la  sortie  de  l'escadre  espagnole  était  déterminé,  ainsi  qu'il 
'"'t,  dans  les  instructions  adressées  par  le  gouvernement  espagnol  à  Cor- 
dova :  !•  Intercepter  les  vaisseaux  et  frégates  aux  ordres  du  commodore 
Mnslune,  et  les  corsaires  répandus  sur  ces  parages  ;  2*  proléger  l'atlérage 
<^6s  b&timents  espagnols  et  français  qui  viennent  reconnaître  les  côtes; 
3*  assurer  les  communications  du  Ferrol  à  Cadix. 


204  HISTOIRE  DE  LA  MAIUNE  FRANÇAISE, 

braltar,  le  comte  d'Estaing  avait  l'ordre  de  prendre  le  coin- 
niandemenl  des  vaisseaux  françaisetde  les  ramener  à  Brest. 
Charles  [11  estimait  que  l'Espagne  avait  fait  à  la  cause 
commune  un  sacrifice  suffisant  en  envoyant  douze  vais- 
seaux à  la  Havane.  Il  repoussa  toute  combinaison  qui 
ne  lui  pernietlait  pas  de  conserver  l'escadre  de  Cordova 
&  portée  du  détroit.  D'Estoîng  se  rendit  à  Cadix,  et  il  mit 
son  pavillon  sur  le  vaisseau  de  cent  dix  canons  le  Tei^ 
rible.  Le  gouvernemenl  espagnol  lui  lit  proposer  le  con- 
cours de  Cordova,  dans  le  cas  où  il  jugerait  nécessaire 
de  se  porter  au-devant  du  lieutenant  général  deGuielien. 
D'Estaing  ne  croyait  pas  (|ue  les  vaisseaux  attendus  des 
Antilles  eussent  rien  à  redouter  de  l'ennemi.  Supposant 
que  l'empressement  de  la  cour  de  Madrid  cachait  le  désir 
secret  de  le  garder  le  plus  longtemps  possible  sur  les 
côtes  d'Espagne,  il  déclina  cette  otTre.  Le  lieutenant  gé» 
néral  de  Guichen  mouilla  à  Cadix,  le  23  octobre,  avec 
dix -neuf  vaisseaux  et  la  flotte  marchande  de  Saint- 
Domingue.  Le  commandeur  de  SulTren  accompagna,  avec 
cinq  vaisseaux  et  deux  frégates,  les  b&tîmenls  qur  se  ren- 
daient dans  la  Médilerranée.  Le  7  novembre,  trente-huit 
vaisseaux  français  prirent  la  route  de  Brest.  Les  liAti- 
menls  de  commerce  qui  allaient  dans  les  ports  de  l'OcV-an 
gorlirent  avec  l'escadre.  Huit  vaisseaux  espagnols  nnvi- 
guiîront  avec  nous  jusqu'à  la  hauteur  du  cap  Lagos. 
D'Estaing  arriva  à  Brest,  apr6s  une  traversée  de  cin-  1 
quante-sept  jours  ' . 


l 


I,  Dui*  iino  klUe  écrilc,  p^mlsnl  coUe  Iravenée.  |>«r  le  comte  <I*E*-  J 
Uing  HD  chef  d'e«cadro  de  I^uioUn-Pkquet,  qui  «Uil  malode  a 
nous  lisnn''  ;  •  Les  t'aiiûriux  teU  nue  von»  soal,  datia  lu  «crvice  Ju  Roi, 
recnédo  i  luus  lua  niniix,  el  la  vue  dM  ennauiia  du  Itui  eti  un  renMc  *ttr!l 
pour  do  tuli  inkladea.  •  On  volt  «luelle  élail  la  nolure  àr»  relatioiM  !■  f 
EoinnmndRnt  an  cbcf  avuc  un  de  «es  princitiaui  lieuUnanU.  On  ■«  nppellt  J 
qiH  lo  CBpiUine  de  voinoau  la  Cnrdoaaie  cooiniuidail,  ta  Hltt,  ' 
(tf  ni«,  qui  #(ait  chef  âe  (lia  in  l'armée  >u  cumbal  d'Oueuanl.  Il  anûl  pi 
ton  EomtnaDdeinRnl  à  1b  suite  de  cette  alhire.  Le  3  juin  17811,  le  m 
lui  avait  donné  le  cammandotnent  de  VAeltf.  Ce  vaiMMan  tliil  an  m 
de  cnuii  que  d'Eilaiiiç  ranicnail  b  llrcul.  Pfwlanl  In  IraveruS».  le  o 
dnnl  en  dief  lui   écrivit:  •  M.  il'Ketaing  n  l'Iionueur  ilo  rtimemer  ILIa-] 


LIVRE  VII.  205 


II 


Depuis  Touverture  des  hostilités,  TAngleterrc  s'efforçait 
de  nouer  des  alliances  sur  le  continent.  Elle  avait  princi- 
palement porté  ses  vues  sur  la  Hollande,  à  laquelle  rat- 
tachaient des  relations  très-anciennes.  Les  négociations 
entamées  avec  cette  puissance  n'ayant  pas  été  couronnées 
de  succès,  la  cour  de  Londres  chargea  sir  Joseph  York, 
son  représentant  à  La  Haye,  de  demander  officiellement  au 
gouvernement  néerlandais  des  troupes  et  des  vaisseaux. 
Les  Anglais  prétendaient  que  les  Provinces-Unies  des 
Pays-Bas,  en  vertu  d'un  article  secret  du  traité  du  19  fé- 
vrier .1674,  dont  les  dispositions  se  trouvaient  répétées 
dans  le  traité  de  1678  et  dans  celui  de  1716,  étaient  tenues 
de  leur  prêter  assistance*.  Les  États-Généraux  décidèrent 
qu'aucun  engagement  antérieur  ne  les  obligeait  à  fournir 
le  secours  réclamé  par  la  cour  de  Londres  ^  La  marine 


cheralier  de  la  Cardonnie.  Le  vaisseau  V Actif  a  toujours  été  un  des  plus 
exacts  et  des  plus  prompts  dans  toutes  ses  manœuvres;  il  na  nul  besoin 
d'indulgence,  et  le  général  le  prie  d'agréer  Thommagc  de  son  approba- 
tion et  de  ses  louanges.  Le  talent  et  la  volonté  réparent  les  avaries  et  le 
défaut  des  voiles.  J'ai  Thonneur  d'être  avec  les  mômes  sentiments  que 
M.  le  chevalier  do  la  Cardonnie  veut  bien  avoir  pour  moi....  » 

1.  Le  cinquième  article  de  Palliance  défensive  perpétuelle  entre  noire 
cour  et  les  États-Généraux,  conclue  à  Westminster,  le  3  mars  1678,  outre 
une  obligation  générale  de  fournir  des  secours,  stipule  expressément  que 
•  celui  des  deux  États  alliés  qui  ne  sera  point  attaqué  sera  oblige  de  rompre 
avec  Pagresseur  deux  mois  après  que  la  partie  attaquée  l'en  aura  requis.  • 

Déclaration  de  guerre  contre  les  Hollandais.  Manifeste  du  roi  d'Angle- 
terre. 17  décembre  1780. 

2.  «  Et  pour  ce  qui  est  du  secours  demandé,  leurs  Hautes  Puissances 
ne  peuvent  dissimuler  leur  surprise  que  Sa  Majesté  britannique  ait  cru 
pouvoir  insister,  avec  la  moindre  apparence  de  justice  ou  d'équité,  sur  les 
secours  stipulés  par  les  traités,  dans  un  temps  où  déjà  auparavant  elle 
s'était  soustraite  à  l'obligation  que  les  tmités  lui  imposaient  envers  la 
République.  » 

(Contre-manifeste  des  Hollandais,  en  réponse  au  manifeste  du  roi  d'An- 
gleterre, du  19  décembre  1780.) 


206  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

hollandaise  apportait  dans  nos  ports  des  bois  de  mdture 
et  de  construction.  L'article  4  du  traité  de  commerce  con- 
clu, le  1*^  décembre  1674,  entrer  les  Provinces-Unies  et  l'An- 
gleterre, disait  expressément  que  les  mâtures  et  les  bois 
de  construction  n'étaient  pas  compris  parmi  les  articles 
de  contrebande  de  guerre.  Le  point  de  droit  importait  peu 
à  l'Angleterre,  habituée  depuis  longtemps  à  imposer  ses 
volontés  au  monde  maritime.  Ce  qu'elle  voulait ,  c'était 
empêcher  des  relations  commerciales  qui  avaient  une 
importance  particulière  pour  notre  marine  militaire.  Dans 
un  des  traités  conclus  entre  la  Grande-Bretagne  et  la 
Hollande,  il  existait  une  clause  qui  défendait  à  une  des 
deux  puissances  de  fournir  à  l'ennemi  de  l'autre  des  ar- 
mes, des  munitions  et  des  vaisseaux.  S'appuyant  sur  ce 
texte,  la  cour  de  Londres  déclara  que  l'importation  en 
France  des  bois  de  construction,  quoique  ces  objets  fus- 
sent désignés  nominativement  dans  le  traité  de  commerce 
de  1674  comme  n'étant  pas  sujets  à  saisie,  constituait  un 
secours  donné  à  une  puissance  ennemie  de  la  Grande- 
Bretagne.  Elle  demandait  ou  plutôt  elle  exigeait  que  cet 
article  fût  interprété,  à  La  Haye,  dans  ce  sens.  Pendant 
que  celle  question  était  traitée  par  la  voie  diplomatique, 
la  marine  anglaise  capturait  les  navires  hollandais  por- 
tant en  France  et  en  Espagne  les  marchandises  (|ni  fai- 
saient l'objet  (lu  débat.  Ces  navires  étaient  déclarés  do 
bonne  prise  par  les  tribunaux  britanniques.  Dans  le  but 
de  faciliter  les  négociations  pendantes,    le   cabinet   de 
Saint-James  consentit  à   restituer  ces  bAtimenls  à  leurs 
propriétaires,  mais  il  s'appropria  les  cargaisons  dont  il 
paya  le  prix,  d'après  une  estimation  faite  par  des  experts. 
La  Hollande  céda,  et  la  doctrine  soutenue  à  Londres  fut 
acceptée  par  les  ministres  de  la  Uépublique.  On  con\int 
que  les  bois  de  niAture  et  de  construction  seraient  considtV 
rés  désormais  comme  contrebande  de  guerre.  Le  duc  de  la 
Vauguyon  représentait  la  France  auprès  des  Klats-(iénê- 
raux.  Par  sa  sagacité,  par  l'babileté  de  sa  conduilt»,  ce 
diplomate  était  parvenu  à  rétablir  notre  influence  dans 


LIVRE  VII.  207 

un  pays  où  l'envoyé  de  la  Grande-Bretagne  jouissait  de- 
puis longtemps  d'une  autorité  incontestée.  Grâce  à  ses 
efforts ,  il  s'était  formé  un  parti  qui  penchait  vers  notre 
alliance  et  sur  lequel  nous  pouvions  nous  appuyer.  Le 
duc  de  la  Vauguyon  s'éleva  avec  beaucoup  de  force  con- 
tre la  mesure  prise  à  la  demande  de  l'Angleterre.  Cette 
concession  était  une  violation  flagrante  de  la  neutralité 
que  la  Hollande  était  tenue  d'observer  à  l'égard  des  bel- 
ligérants. La  France,  qui  ne  demandait  rien  pour  elle- 
même,  avait  le  droit  d'exiger  qu'on  n'accordât  aucune 
faveur  à  la  puissance  avec  laquelle  elle  était  en  guerre. 
Le  cabinet  de  Versailles  déclara  que,  si  les  États- 
Généraux  persistaient  dans  leur  résolution,  les  bâtiments 
de  la  République  seraient  privés  du  bénéfice  des  disposi- 
tions libérales  contenues  dans  l'article  premier  du  règle- 
ment du  26  juillet  1778.  Enûn,  il  menaça  la  Hollande 
d'augmenter  les  droits  auxquels  était  soumis  son  com- 
merce avec  la  France*.  L'attitude  très- ferme  de  notre 
gouvernement  triompha  de  l'influence  anglaise.  Le  duc 
de  la  Vauguyon  reçut  l'assurance  qu'il  ne  serait  apporté 
aucune  modification  aux  traités  conclus  antérieurement 
avec  la  Grande-Bretagne. 

La  Hollande  ne  tarda  pas  à  se  trouver  en  présence  de 
nouvelles  difficultés.  Le  capitaine  Paul  Jones,  de  la  ma- 
rine américaine,  croisait,  sur  les  côtes  d'Ecosse,  avec 
une  petite  division,  composée  des  frégates  américaines, 
\îi  Bonhomme-Richard  et  V Alliance,  et  du  corsaire  fran- 
çais la  Vengeance.  Le  23  septembre  1779,  il  rencontra  un 
convoi  anglais,  escorté  par  la  frégate  le  Sérapis  et  la  cor- 


1.  Les  menaces  du  gouvernemenl  français  reçurent  un  comnicnccnienl 
d'exécution.  Le»  dispositions  de  l'article  1*'  du  règlement  du  '26  juillet  1778 
foreat  suspendues^  en  ce  qui  concernait  la  marine  hollandaise.  Toutefois, 
le  cabinet  de  Versailles  fit  une  exception  en  faveur  des  villes  d'Amsterdam 
^1  de  Harlem.  Ces  deux  villes  avaient  protesté  contre  la  faveur  accordée 
*  l'Angleterre  à  notre  détriment.  Ces  mesures  furent  rapportées,  et  les 
choses  rétablies  en  Télat  où  elles  étaient  avant  cet  incident,  aussitôt  que  les 
■^rovinces-Unies  eurent  annulé  la  décision  qui  rangeait  les  bois  de  mâture 
et  de  construction  parmi  les  objets  de  contrebande  de  guerre. 


208  HlSTOmE  DK  LA  UARINE  FRANÇAISE, 

vetfc  la  Comtesse-de^carborough.  Après  od  combat  san- 
glant, les  deux  b&timcnts  anglais  ameoèrent  leur^vil- 
lon.  Le  Bonhomme-Richanl  coula  sous  les  pieds  de  Paul 
Joncs  qui  passa  sur  le  Sémpis  avec  son  équipage.  L'af- 
faire avait  été  tros-rude,  et  les  bAtiments  américains  aussi 
bien  que  les  biltimcnts  anglais  étaient  tiors  d'état  de  tenir 
la  mer.  Le  capitaine  Paul  Jones  entra  dans  le  Texel  avec 
SCS  prises  pour  se  réparer'.  Sir  Joseph  York  adressa 
immédiatement  au  ministre  des  arfaires  étrangères  de  la 
Bépubliquc  une  note  dans  laquelle  il  exigeait  qu'on  lui 
livrât  le  Sci-apis,  la  ComlC6se-dc-6carborough,  ainsi  que 
les  équipages  américains.  L'envoyé  de  la  Grande-Bretagne 
ajoutait  que  le  capitaine  Paul  Jones,  n'ayant  pas  de  com- 
mission émanant  d'un  pouvoir  souverain,  devait  être  con- 
sidéré comme  pirate.  Quel  que  filt  le  désir  du  Stalhouder 
de  vivre  en  bonne  intelligence  avec  la  cour  de  Londres, 
l'opinion  publique  ne  lui  eiU  pas  permis  de  souscrire  i 
de  [larcilles  conditions.  La  présence,  au  milieu  des  navires 
américains,  de  doux  bdtinienls  portant  le  pavillon  fron- 
(;ais,  l'obligeail  d'ailleurs  à  une  nxlrCme  circonspeclîon. 
Le  gouveiiiemenl  boUandais,  aprts  un  mûr  examen  de  la 
question,  adopta  la  solution  suivante.  11  lit  défendre  de 
fournir  ù  lu  division  américaine  aucun  approvisionnement 
propre  à  la  guerre.  Le  capitaine  PaulJones reçut  l'injunc- 
lion  de  quitter  le  Toxel,  aussitôt  (piil  aurait  terminé  les 
réparations  les  plus  urgentes.  II  fut  prévenu  qu'on  em- 
ploierai! la  force,  si  cela  était  nécessaire,  pour  assurer 
l'cxéirulion  de   ces  mesures'.    Le  nif'L'ontoutcmcnt 


LIVRE  VII.  209 

causa  à  Londres  cette  solution  amena  de  promptes  repré- 
sailles. 

Le  Commodore  Fielding,  en  croisière  dans  la  mer  du 
Nord,  rencontra,  le  26  décembre  1779,  un  convoi  composé 
de  dix-sept  navires  hollandais,  naviguant  sous  Tescorte 
de  quelques  bâtiments  commandés  par  le  contre-amiral 
comte  de  Bylandt.  Le  commodore  fit  connaître  à  Tamiral 
hollandais  qu'il  avait  l'intention  de  visiter  son  convoi. 
Celui-ci  déclara  qu'il  s'opposerait  par  la  force  à  l'exécu- 
tion d'une  mesure  offensante  pour  le  pavillon  de  son 
pays.  Les  instructions  très-précises  de  l'amirauté  britan- 
nique ne  permettaient  pas  au  commodore  de  tenir  compte 
de  cette  observation.  Les  Hollandais  ayant  tiré  sur  les 
embarcations  anglaises  expédiées  à  bord  des  bâtiments 
du  convoi,  le  commodore  Fielding  envoya  un  coup  de 
<^non  à  boulet  sur  l'avant  du  navire  que  montait  l'ami- 
^l   Bylandt.  Ce  dernier,  ne  voulant  pas  engager  une 
'l'Ile  que  l'infériorité  de  ses  forces  eût  rendue  désas- 
trevisepour  sa  division,  répondit  par  toute  sa  bordée,  et, 
lorsqu'il  eut  reçu  celle  de  l'ennemi,  il  amena  son  pavil- 
'^O,  Les  Anglais,  après  avoir  capturé   neuf  bâtiments, 
W^sèrent  l'amiral  hollandais  libre  de  continuer  sa  route. 
'^Itii-ci  rehîssa  ses  couleurs,  mais,  ne  voulant  pas  se  sé- 
P^t'er  des  navires  confiés  à  sa  garde,  il  suivit  les  Anglais 
^  Spithead. 

Les  bâtiments  arrêtés  par  le  commodore  Fielding  furent 
Î^Çés  et  déclarés  de  bonne  prise.  «  Il  est  sans  importance, 
*^l^il  dit  dans  les  considérants  de  l'arrêt  rendu  par  la 
^Ur  de  l'amirauté  britannique,  que  le  blocus  des  côtes 
^^tïemies  soit  formé  par  la  clôture  du  Pas-de^  Calais  ou 
P^r  des  croisières  devant  les  ports  de  Brest  et  de  Lorient. 


ï^*8^  &  bord  (lu  Séi*api$  et  de  la    Comtesse-de-Scarborougk,  sur  les- 

^^U  fol  hissé  le  pavillon  français.  La  Pallas  el  la  Vengeance  ne  conser- 

^^■^t  que  le  nombre  d'hommes  nécessaire  pour  naviguer.   Le  ministre 

ï^'f'crivil  de  conduire  les  deux  prises  anglaises  à  Brest,  et  les  deux  cor- 

**>tes  à  Dunkerque.  Toutes  ces  dispositions  reçurent  leur  exécution^  nial- 

K^é  la  nirveillance  Irés-activc  de  la  croisière  anglaise. 

U 


I 


210  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Tous  les  vaisseaux  pris  avaient  cherché  à  violer  le  blocus. 
Par  sa  position  insulaire,  la  Grande-Bretagne  établit  un 
blocus  naturel  devant  tous  les  ports  de  la  France  et  de 
l'Espagne.  Elle  a  le  droit  de  tirer  parti  de  sa  position 
comme  d'un  don  de  la  Providence.  »  On  imaginerait  difii- 
cilement  un  abus  plus  criant  do  la  force.  Les  événements 
que  nous  venons  de  rapporter  soulevèrent  l'opinion  en 
Hollande,  et  unirent  tous  les  partis  contre  l'Angleterre. 
Mais  celle  puissance  était  décidée  à  persister  dans  la  ligne 
de  conduite  qu'elle  avait  adoptée,  quelles  qu'en  pussent 
être  les  conséquences.  Loin  d'admelire  qu'elle  eût  dos 
torts  envers  la  Hollande,  elle  se  plaignit  uvcc  hauteur 
du  coml«  de  Rylandl.  Cet  amiral,  en  faisant  tirer  sur 
les  embarcations  chargées  de  procéder  à  la  visite  des 
b&timents  de  son  convoi,  avait  violé  le  droit  dos  gens. 
Le  21  mars  178û,  sir  Joseph  York  réclama  avec  plus  d'in- 
sistance qu'il  ne  l'avait  fait,  l'année  précédente,  l'exécu-J 
tion  des    clauses  contenues  dans  les  traités  de   167^1 
1678  el  1716.  11  ajouta  que,  si  dans  l'espace  de  trois  se-" 
maincs  il  n'était  pas  fait  une  réponse  satisfaisante  à  celle 
demande,  la  Hollande  serait  traitée  comme  les  puissances 
avec  lesquelles  l'Angleterre  n'était  liée  par  aucune  con- 
vention particulière.  Avant  de  prendre  une  décision  de 
cette  importance,  le  pouvoir  exécutif  élait  obligé,  en  vertu 
de  la  Constitution,  de  consulter  tous  les  États.  Tout  en 
prolestant  de  son  désir  sincère  de  vivre  en  bonne  intelli- 
gence avec  son  ancienne  alliée,  la  Hollande  déclara  que 
le  délai  fixé  par  sir  York  était  insullisant  pour  remplir., 
cette  formalité.  Le  17  avril,  la  cour  de  Londres  mit  &  e 
cution  la  menace  contenue  dans  la  noie  du  81  mars, 
ordre  royal,  rendu  en  conseil  des  ministres,  supprima  fa 
privilégesdoiil  jouissait  le  commerce  des  Provinces  Uniei 
en  vertu  des  traités  régulièrement  passés  avec  la  Grandi 
Bretagne.  Des  instructions  furent  adressées  aux  croiseui 
de  la  marine  britannique,  leur  enjoignant  de  condutd 
dans  les  ports  anglais  les  bAlinients  hollandais  &  1 
desquels  on  trouverait  «  quelques  cffels  appartenant  a 


LIVRE  Vil.  211 

ennemis  de  Sa  Majesté,  ou  des  elîeis  qui  sont  regardés 
comme  contrebande  par  la  loi  générale  des  nations.  » 
11  leur  fut  en  outre  prescrit  de  capturer  les  bâtiments 
hollandais  rencontrés  près  de  nos  côtes,  les  ports  français, 
disait  la  cour  de  Londres,  se  trouvant,  par  le  fait  seul  que  la 
guerre  existait<între  les  deux  puissances,  en  état  de  blocus. 
Depuis  la  paix  d'Utrecht,  la  force  de  la  Grande-Bretagne 
s'était  accrue  de  la  condescendance  que  lui  témoignaient 
ses   adversaires.  Après  ses  succès  dans  les  guerres  de 
1741  et  de  1756,  cette  puissance  avait  paru  considérer  la 
souveraineté  des  mers  comme  un  des  attributs  légitimes 
de  la  couronne  d'Angleterre.  Quoiqu'elle  fût  engagée  dans 
une  guerre  qui  exigeait,  de  sa  part,  de  très-grands  efforts 
et  l'emploi  de  toutes  ses  ressources,  elle  ne  renonçait  à 
aucune  de  ses  prétentions*.  Dans  ses  relations  avec  les 
neutres,  elle  continuait  à  n'avoir  d'autre  règle  que  ses 
intérêts.  Ses  croiseurs  arrêtaient,  sous  de  vains  prétex- 
tes, les  navires,  quel  que  fût  leur  pavillon,  portant  en 
France  ou  en  Espagne  des  approvisionnements  mariti- 
mes. Or,  on  savait  par  expérience  que,  sauf  de  très-rares 
exceptions,  les  navires  conduits  dans  les  {iorts  anglais 
étaient  perdus  pour  leurs  propriétaires.  Cependant,  il  s'a- 

1.  Le  chancelier  de  Tempire  russe,  le  comte  Panin,  entretenant  le  mi- 
nistre d'Angleterre  des  plaintes  que   les  neutres  faisaient  entendre  contre 
les  procédés  de  la  marine  britannique,  lui. disait  :  «  Trois  puissances,  le 
Danemark,  la  Suéde  et  la  Hollande,  prient  instamment  Tlmpératrice  de  se 
joindre  à  elles  pour  se  plaindre  des  procédés  de  votre  marine.  II  est  im- 
possible à  Sa  Maje^*té  de  voir  avec  indifTércnce  les  vexations  auxquelles  le 
oofflmerce  du  Nord  est  exposé  de  la  part  de  vos  navires  de  guerre  et  do 
vos  navires  armés  en  course.  Vos  déHnilions,  relativement  aux  matières 
destinées  aux   constructions  navales,  présentent  si  peu  de  préciision,  que 
Toos  pouvez  saisir  toutes  les  productions  de  notre  pays.  L'Impératrice,  par 
suite  de  la  position  que  la  Russie  occupe  en  Europe,  est  obligée  de  vous 
adresser  des  représentations.  Elle  doit  insister  pour  que  les  instructions 
données  à  vos  croiseurs  soient  modifiées.  Il  est  indispensable  que  vos  com- 
mandants observent  désormais,  dans   leurs    relations  avec  les  bâtiments 
neutres,  plus  de  circonspection.  *  Le  ministre  anglais  défendit  avec  chaleur 
les  instructions  données  \)ar  Pamirauté  britanni<|ue,  pour  déterminer  les 
objets  concernaut  les  constructions  navales  qui  étaient  sujets  à   saisie. 
EnOn,  il  fit  entendre  que  la  cour  de  I^ndros  ne  pourrait  nccepler,  sur  ce 
point,  aucune  remontrance  de  la  part  d'une  puissance  amie. 


Slî  HISTOIRE  UE   r.A  MARINE  FRANÇAISE. 

gîBsait  le  plus  souvent  de  marchandises  dûment  spéci- 
fiées dans  les  traités  comme  appartenant  au  commerce 
licite.  Les  navires  du  Nord,  russes,  danois,  suédois,  prus- 
siens, par  suite  de  la  nature  spéciale  de  leur  chargement, 
dans  lequel  il  entrait  presque  toujours  du  bois,  dti  chan- 
vre et  du  goudron,  étaient  exposés  à  des  vexations  et  à  des 
tracasseries  continuelles.  Cet  état  de  choses  soulevait, 
dans  toutes  les  cours  de  l'Europe,  une  très-vive  irritation 
contre  l'Angletorre.  M.  de  Yergennes  écrivait,  le  32  novem- 
bre 1778,  à  M.  de  Corberon,  notre  minisire  à  Saint-Péters- 
bourg :  «  L'impératrice  donnerait  une  preuve  éclalanle  de 
ses  sentiments  de  dignité  et  de  justice,  si,  en  faisant  cause 
commune  avec  la  Suëile,  le  Danemark,  la  Hollande  et 
la  Prusse,  elle  amenait  le  Roi  d'Angleterre  à  des  prin- 
cipes plus  équitables  sur  la  liberté  des  mers  et  le  com- 
merce des  neutres.  Elle  rendrait  ainsi  un  grand  service 
à  toute  l'Europe.  DéjA,  la  Hollande  arme  des  navire'*  pour 
convoyer  ses  escadres  marchandes,  et  le  Danemark 
annonce  qu'au  printemps  prochain  il  mettra  en  mer  une 
escadre  pour  le  même  objet.  La  Prusse  se  verra  paroîlle-j 
ment  obligée  de  prendre  une  mesure  de  ce  genre.  Tant 
d'armements  simultanés  peuvent  aisément  donner  occa- 
sion A  des  incidents  fAclieux,  et  allumer  une  guerre  mari-, 
time  qui  deviendrait  générale.  Mais  l'Impératrice  de 
Kussie  n'aurait  aucune  peine  à  rendre  la  sécurité  au>' 
commerce  de  ses  Étals,  si,  par  des  représentations  éner* 
giques,  elle  voulait  appuyer  celles  que  les  autres  nations, 
ncutresdans  le  coallit  actuel,  sont  déjà  décidées  A  faire,  a 
Le  Danemark,  la  Suéde  et  la  Prusse  faisaient  à  Saint- 
Pétersbourg  des  démarches  très-actives  pour  amener  la 
formation  d'une  ligue  des  neutres,  d  la  télé  de  laquelle 
se  placerait  la  Russie.  Le  chancelier  de  l'empire,  le  comta 
Panin,  accueillait  favorablement  ces  ouvertures,  il  esti- 
mait qu'il  était  d'une  bonne  politique  de  conserver,  à  l'é- 
gard de  l'Angleterre,  une  attitude  trts-ferme.  SirHarris, 
plus  connu  sous  le  nom  de  lord  Matmcsbury,  rcprésen- 
Irtil  IlI  cour  du'  Londres  à  Sîiinl-Pét(>r>bourg.   Ce  diplo- 


I 


LIVRE  VJI.  213 

mate  sVfTorçail,  par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir,  de 
nouer  une  alliance  étroite  entre  la  Bussie  et  la  Grande- 
Bretagne.  Ses  tentatives  auprès  du  chancelier  étant  demeu- 
rées sans  résultat,  il  était  parvenu  à  mettre  le  prince 
Polemkin  dans  ses  intérêts.  Malgré  l'influence  de  ce  per- 
sonnage, le  comte  Panin  combattait  avec  succès  les  pro- 
jols  de  Sir  Harris'. 

Telle  était  la  situation,  lorsqu'un  incident,  survenu  à  la 
fin  de  l'année  1779,  remit  toutes  choses  en  question.  Les 
pratiques  des  tribunaux  anglais,  en  matière  de  prises, 
provoquaient,  de  la  part  des  belligérants,  des  représailles 
dont  les  neutres  avaient  à  souiïrir.  La  marine  britan- 
nique ayant  capturé  des  bAtlments  neutres  porteurs  de 
marchandises  espagnoles,  la  cour  de  Madrid  prescrivit  A 
ses  croiseurs  d'arrêter  tous  les  navires,  quelle  que  fût 
leurnation&Iité,sur  lesquels  on  trouverait  des  marchan- 
dises anglaises.  Deux  navires  russes,  la  Concordia  et 
le  Saint-Nicolas,  qui  étaient  dans  ces  conditions,  furent 
rencontrés  dans  la  Méditerranée  et  conduits  à  Cadix. 
L'Impératrice  Catherine  résolut  de  demander  â  l'Espa- 
gne une  réparation  éclatante  de  l'insulte  faite  à  son  pa- 
villon. Elle  donna  l'ordre  d'armer  une  escadre  de  quinze 
vaisseaux  et  de  cinq  frégates,  et  une  note,  formulée  en 
termes  énergiques,  fut  adressée  &  la  cour  de  Madrid.  Le 
ministre  anglais  n'était  pas  étranger  &  ces  résolutions*. 


1.  •  Je  m'estime  heureax  d'avoir  pa  raaBureraiUI  Votre  Mijeslé  sur  li 
■accès  des  leaUlivea  du  ministre  d'Angleterre.  De  ta  muiière  que  le  comtt 
Panio  l'a  ctnporti  don»  cette  aflïire  imporlanle,  il  •  prouvé  que,  uns  joaii 
de  la  faveur  de  sa  iSouveraine,  Elle  rend  justice  >  ses  lumiàros,  et  qu'auss 
longlriupa  qu'il  vivra  il  soutiendra  toujours  le  système  politique  qu'il  i 
hit  prendre  ti  la  Itussie.  •  I  Lettre  du  comte  de  Cuortz  au  roi  Frédéric, 
1  janvier  1780.) 

Le  comte  de  Goertz  vUil  ambassadeur  de  Prusee  A  la  cour  de  Russie. 

3.  Depuis   mon  dernier  rapport,  les  iiitriKucB  du  niini.'^lre  d'Angleterre 
m'ool  donné  de  nouvelles  alarmes.  J'avais  bien  trouvé,  dan»  l'entretien  que 
j'avais  eu  avec  le  comte  l'onin,  et  dont  j'ai   fait  mention,  que  ■ 
n'était  pas  dans  son  assiette  naturelle,  mais  se  plaidait  de  i^s 
■prés  le  compte  que  le  chargé  d'alTain.'s  de  France  m'avait  rendu  de  son 
entretien  avec  le  favori,  je  me  suis  cru  autorisé  de  dire  à  Voire  Majesté  qur 


J 


214  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Instruit  des  difficultés  qui  s'étaient  élevées  entre  l'Es- 
pagne et  la  Russie,  il  avait  cru  le  moment  opportun  pour 
tenter  nn  nouvel  eiïort.  Il  avait  obtenu  de  l'Impératrice, 
par  l'intermédiaire  du  prince  Potemkin,  une  audience 
particulitre  dans  laquelle  il  n'avait  rien  négligé  pour  aug- 
menter l'irritation  que  cette  Souveraine  ressentait  contre 
l'Espagne.  Le  cliancelicr  de  l'empire  avait  été  tenu  en 
dehors  de  cette  négociation.  Toutes  les  lettres  qui  avaient 
été  envoyées,  soit  &  Madrid,  soit  aux  cours  neutres, 
étaient  revêtues  de  la  signature  de  l'Impératrice*.  Sir 
Harris  put  un  moment  se  croire  arrivé  au   but  qu'il 


Ip»  nouvelles  im-nérH  du  ministre  «l'Angleterre  ne  porteraient  probable- 
ment pat  coup.  I^  jour  du  départ  de  In  twsle,  on  m'avertit  que  Ilmpén- 
Iricc  de  Itusiiic,  m  trouvant  offense  de  ce  que  l'Ecpagne  venait  d'arrHcr 
Je  nouveau  un  vaisseau  rasue,  destiné  niinic  pour  l'îlspagne,  l'ordre  veuil 
d'iMrc  donné  d'équiper  Inreuammenl  quinte  vaisMaux  de  ligne  et  cisf 
frétcales  pour  prutdRer  son  pavillon  contre  toute  insulte.  Je  me  readii 
d'iil>cjrd  ctiez  le  vict'-elinncelier  pour  apprendre  ce  qu'il  en  était,  en  lui 
léinoignnnt  mes  inquiétudes  sur  les  menéeH  du  nieur  Uarrif.  11  in'asnm 
que,  juw|u'â  présent,  ce  ministre  ne  lui  avait  pas  encore  adressé  la  pa- 
role sur  ces  n^ocialinns  ;  qu'il  était  vrai  que  l'Impératrice  était  trte-Adife 
contre  les  [irocédés  des  EsjiaffnoU;  qu'un  avait  non-seulement  arrêté  a 
vninscan  russe  cl  vendu  h  cargaison,  destinée  pour  l'Espagne,  à  un  bas 
prix,  umis  i[u'on  n'avait  mi'me  pas  jicrmis  au  capitaine  russe  de  mettre 
pied  •■  terre,  ni  prévenu  du  fuit  le  consul;  mais  que,  probiblemant,  le  mi- 
iiisti'rc  d'Ks|>agnu  désapprouverait  celle  conduite,  et  que  cela  ne  pourrait 
avoir  des  suites.  Je  lui  dis,  sur  rela,  qu'on  m'avait  dit  qu'il  v  avait  un 
orilrc  pour  la  marine  d'équiper  des  vaisseaux.  Il  me  répandit  qu'on  le 
disait  en  ville,  mais  qu'il  pouvait  ni'assurer  n'avoir  point  encore  connais- 
sance de  cette  nouvelle,  avec  l'nnecdolc  i|ue  l'Impératrice  devait  avoir,  elle- 
niéme,  minuté  l'ordre  sans  le  concours  du  ministère.  (Lettre  dn  crante  de 


LIVRE  VU.  î*^ 

poursuivait,  mais  il  devait  encore  une  fois  Hn  tottx 

par  le  ministre  russe.  Celui-ci,  sans  èlre  en  CiT««r 

près  de  sa  Souveraine,  jouissait  d'un  ïits-rnBi 

dit  qui  était  basé  sur  sa  capacité  politique.  Vdbân:  4t 

la  Concordia  et  du  Sainl-Nicoiaê  ayant  été  ««uni»  la 

conseil,  le  chancelier  persuada  facilement  à  ««  ^rfîè- 

gués  que,  dans  les  circonstances  actuelles,  il  éUîi  iaiçiîr- 

lilique  de  venir  en  aide  à  lAngleterre.  D  St  j*«i-  î 

amena  sa  Souveraine  à  enrisager  la  qae$ik«i  *ciK  «a 

véritable  jour*. 


lime,  et  il  espère,  par  là,  poumi  qot  rEf^acK  aûa«!r  jar 
première  aigreur,  troarer  le  moyea  de  pctler  «■  cun,  wbmiik  i  '  locst^^ 
terre  par  cette  même  démarche,  a  ïàqpeOtt  j»  aCnrv^  te  mu.  Bioum» 
avaient  donné  nécessité.  Le  ministre  a  d^  {^.«tt  <»  icao.  «mb  j^  vas  ut 
rimpératrice,  et  on  m*assiire  que.  si  Dk  l'af fr^.<rv>  '.;\mmit  vl  ^  «mr.  -t 
que  les  antres  cour*  Tagréent,  se«  ynMs^A  «caftibf  j^iur  ta^L»  *«iim9^  fK 
droit  public  maritime  scrool  moins  açrénUes  a  riaÇMAtm  91*  a  iM&t 
puissance.  Dès  que  Flmpératrice  de  RoMÎe  Tnara  a^frin?^  i  yttigsk, 
cessaounent,  arec  œ  plan .  un  coorritT  qu  |r»Afira  a  Hfon*  iwii» 
celai  qui  a  été  expédié  par  ordre  de  Sa  Xaicslè  TOi^TsMtt  •  jUlot  ftt 
comte  de  Goertz  ao  roi  FrédériC;  T  mars  ITW . 

1.  «  Je  m'empresse  de  donner  la  Uak  K«T*Lje  a  1  ucr»  SiyaCie  tiw*  e 
comte  Panin  vient  de  me  confier  d  aT.>ir  la  \k^a  çndite  ^ruMaiiitK  (*'  Sun» 
échouer  de  noureau  les  intriguer  du  d«»Tiii»f  Wetrr^.   Ei  *!0!r    «.  «nnn»' 
raioe  ayant  approuvé  le  plan  de  ce  m  ai«£7».  l  ^  ^  wittnsitjt  uvt  ''t^  Cr 
cet  armement  naval,  dont  le  mini^j^  avriiLH  tciu:  wr^^ifui.  i  Sur»  ir*ri*«rt» 
la  résolution  dan<  un  moment  dlkcsMvr  71  ;!  Yv-bi.  5umf»a^    vuirna  fMn 
tourner  contre  sa  nation,   ^in  vi  eif»*»5b*r  ne»  •jMur^i»^»  >\nr  «••>/':ibuum 
Copenhague,  La  Haye.  Fari^.  Mftind  <£  LHCUioort:  lue  ^#wir  i^ti-urr'  0» 
puissances  maritimes  neutres  de  rc<«9t!i'.ai  0^  r^siat  «^w  mn^:*^:ii*>  o»  yrv^ 
té^er  son  commerce,  et  de  le»  iarÉxr  a  •>«-  r>-uutr  r^<!n  a  huw*»  v^nr  «ft^ 
blir  des  principes  de  droit  paLbt  fciar  k  0Mmit»?r^  (m»  iiuMswr^si  tr?tf n*» 
pendant  le  cours  d'une  roerre  sart^jm^    ju^  ^«uiif  inn  «.«fiiMiir»  «^ni» 
résolution  et  les  principes  q«  m  troc*  »^j»w«fi.r»^  ^  «fïtcuir  v^nr  &  ^^lue^r 
des  puissances  bellig^ranlef.  Le  omuI^  Hain  7\«ji  ^.'»  «iir  •ji*»  a  jbuhwrfr 
entrera  volontiers  dans  ce  oHbnrL  t  <?«1  «fr  ft»^  a  «ntro*  e  01.  ;UM#*<«uao 
et  il  se  flatte  que  la  France  eflen^fty*:.  yjv  v-  >r^»^ir  «r  **9  viv(tir:u.A«  in 
Nord;  qui  lui  sont  indifffettnUef.  afç#sai*ein  •:rM»»snfsvr  i  •>  vsm    ^jtf 
dépend,  à  ce  qu'il  convint   \m-m»»m»*:  }e»^^*rvrjmj^sïr.    Ci».   u,  ttutué^'  %^ 
r^pagne  s'eipliqoera  svr  le*  jv^ef  ptvst.^  çu^  a  jhtHMi*  m  «  ^jn.^»m^ 
Si  elle  y  répond  d'nœ  manière  «k::â«iii«uc^.  ^jur*    1  «ir  yt^'Ruui^  ^^  ^^i 
retomba  »ur  le  ministre  d'.InçVt^^ir?»    o^nc  i    n»  }<isit.  ^im*«  mmi^   > 
conduite,  et  il  se  flatte  qne  Kû  et  k  Buinn^r»^  s«rr.«miui|i«^  «r 
de  s  être  permis  de  pnreilk»  uâhgmM,  Âaa  nmiqnmutm  ^^  ^ 


r2!6  msTOIRE   DE   LA   MARINE  FRANÇAISE. 

L'Espagne,  d  isail  le  chancel  ier,  était  loi  n  de  prétend  re  qu  e 
les  navires  russes  eussent  éléarrêtés  légalement.  Gettcpuis- 
sance  avait  conrornié  sa  conduite  à  celle  de  la  Grande-Bp&- 
tagne  qui  capturait  les  bâtiments  de  toutes  nation»  por- 
teurs demarcliandises  espagnoles'.  S'il  était  légitime  de  ré- 
clamer la  Conconlia  et  le  Satnl-Nf colas,  il  était  surtout  im- 
portant de  ramener  les  belligérants  à  une  plus  juste  ap- 
préciation de  leurs  devoirs  à  l'égard  des  neutres.  L'attaque 
du  convoi  escorté  parle  comte  de  Bylandt  était  une  preuve 
de  la  Justesse  de  celte  opinion.  Ce  qui  était  en  cause, 
c'était  une  question  de  droit  public  qui  intéressait  toutes 
les  puissances  maritimes.  L'impératrice,  jusque-là  hési- 
tante, prit  un  parti  qui  attira  sur  la  Hussie  l'attention  de 
toute  r£urope.  Elle  adressa,  le  28  février,  au\  cours  de 
Versailles,  de  Madrid  el  deLondres,  une  note  dans  laquelle 
étaient  exposés  les  principes  de  droit  international  dont 
l'adoption,  par  les  belli^-érants,  lui  semblait  nécessaire 
pour  assurer  la  liberté  du  commerce  maritime.  Ces  prin- 
cipes étaient  résumée  dans  les  propositions  indiquées  ci- 
après  :  Les  vaisseaux  neutres  pourront  naviguer  librement 
de  port  en  port  et  sur  les  côtes  des  nations  en  guerre.  Les 
elTcts  appartenant  au\  sujets  desdites  puissances  en 
guerre  seront  libres  sur  les  vaisseaux  neutres,  à  l'exccp- 
iion  de  la  contrebande  de  guerre.  L'Impératrice  se  lient, 


10  m'*  pu  FM^H 
«our,  me  pwlIL^ 


Bur  ce*  glorieux  Buccèa,  ce  ministre,  malgré  sa  modcaLiu,  i 

inaeniible,  et  In  tournure  haliiie  qu'il  a  donnée  à  celle  nlTaire  ir 

duiB  un  moment  crilii|Ue  où  il  lutte  entièrement  conliv  la  favour,  o 

elTectivemeDl  un  cheT-dVuvre,  cl,  vu  la  grande  admiration  (] 

iumi^rei  Bupéricurei  de  Votre  Htjeité,  jo  «uis  pereoadé  que.  si  elle  op- 

ptouve  ce  qu'il  vient  de  Taire,  cela  le  ilatlera  eiLrtmeuicnt.  •  (l.eUr«  du 

cumiede  Unerti  au  roi  Frédéric,  10  mars  1780.) 

1.  •  Diïs  le  commencement  do  la  présente  guerre,  le  Roi  déclara  par  mis 
ordonoanoes  aiir  la  conr&e,  pullide«  h  1*  vue  de  toul  le  momie,  qu'a  l'^rd 
lie»  marcbandise*,  producliomt  et  eOels  anglais  cliargés  t  bord  des  Uti- 
ment*  portant  pavillon  ami  ou  neutre,  Sa  Uiyosté  se  conduirail  suivant 
te  procédé  doul  tes  Anglais  en  useraient  envcn  lee  chargemeals  du  même 
genre,  alln  d'cviler,  par  celte  réciprocité  de  conduite,  l'inégalité  énorme, 
le  préjudice  ou  même  la  ruine,  auiqueli  le  commères  el  les  sig^  de  M 
Majesté  M  trouvcruientetposés.- (Lettre  du  ministre  JeiiDDiires  étrangirM 
d'L>i>agnr  au  minîMn.'  de  In  marine,  du  13  mars  1779.)  '" 


d 


LIVRE  VII.  liT 

quant  à  la  fixation  de  celle-ci,  à  ce  qui  est  énoncé  dans 
son  traité  de  commerce  avec  la  Grande-Bretagne  du  2j 
juin  1766,  en  étendant  ces  obligations  à  toutes  les  puissan- 
ces en  guerre.  Pour  déterminer  ce  qui  caractérise  un  port 
bloqué,  on  n'accordera  cette  dénomination  qu'à  celui  où 
il  y  aura,  par  la  disposition  de  la  puissance  qui  Fattaque 
avec  des  vaisseaux  suffisamment  proches,  un  danger  évi- 
dent d'entrer.  Ces  principes  serviront  de  règle  dans  les 
procédures  et  les  jugements  sur  la  légalité  des  prises. 
L'Impératrice  terminait  en  disant  qu'elle  avait  Tinlention 
d'observer  fidèlement,  ainsi  qu'elle  l'avait  fait  depuis  le 
début  des  hostilités,  la  plus  stricte  neutralité.  Mais  elle 
était  décidée  à  donner  à  ses  forces  navales  les  ordres  né- 
cessaires pour  faire  respecter,  partout  où  besoin  serait,  les 
droits  de  ses  sujets  et  l'honneur  de  son  pavillon.  La  note 
russe  fut  considérée  à  Londres  comme  une  injure  à  la- 
quelle, en  toute  autre  circonstance,  on  eût  répondu  par 
une  déclaration  de  guerre  ^  La  situation  des  afTaires  ne 
permettait  pas  au  gouvernement  anglais  de  donner  un 
libre  cours  à  l'orgueil  national.  L'initiative  prise  par  la 
Russie  et  l'attitude  des  cours  du  Nord  révélaient  un  dan- 
ger qu'il  fallait  soigneusement  écarter.  Sans  s'expliquer 


1.  La  déclaration  de  Tlmpératrice  fut,  en  Angleterre,  le  sajet  dediscus- 
Mons  très-vives.  Lord  Sbelburne,  chef  de  l'opposition  dans  la  Chambre  de« 
jords,  exprima  son  étonnemenlqaerempire  moscovite  qui  comptait  à  peine, 
il  y  a  trente  ans,  parmi  les  puissances  maritimes,  tentât  de  dicter  des  lois, 
^r  mer,  à  la  Grande-Bretagne.  Selon  un  autre  membre  de  la  même 
Chambre,  le  manifeste  russe  ne  tendait  à  rien  moins  qu'au  renversement 
J«  toutes  les  règles  observées  jusque-là  dans  les  relations  internationales, 
"0  a  raison  de  dire  qu'on  ne  peut,  à  la  foi*,  être  juge  et  partie. 

U  note  russe  pouvait  se  résumer  ainsi  :  •  Navire  libre,  marebaodises 
libres, à  lexception  de  la  contrebande  de  guerre.  •  H  n'était  pM  qoentio» 
^  la  marchandise  neutre  chargée  sur  un  navire  ennemi,  Uans  ane  ordo»* 
^ce  de  rimpératrice,  concernant  le  pavillon  marchand  de  tovic»  U» 
■^o^ies  et  portant  la  date  du  19  mai  1780,  oo  lit  ce  qoi  soit  : 

*  ".  Nos  sujets  doivent  aussi  avoir  soin  de  ne  p«s  tmUvqatfé 
^1  leur  appartiennent  sur  des  Ukliments  tU»  natMMM  i 
^fre,  afin  d'éviter  ainsi  loos  désagréments  et  l#>irtea 
P«*l>l€8.  >  U  règle  la  pins  généralement  loivi*.  à  r/ilU 
^  Q^cbandise  neutre  était  saisissable  sur  It:  Ufiwcil 


21?  HISTOIUE  DK  I.A  MARINE  FRANÇAISE. 

d'une  manière  calégoriiiue  sur  les  propositions  russes,  le 
cabinet  de  Saint-James protestade ses senliraenlsd'i'quilé 
à  l'égard  des  ncytres  et  de  son  respect  pour  les  traités  qui 
le  liaicnl  nus  différentes  cours  de  l'Europe.  Le  point  sur 
lequel  In  cour  de  Londres  insista  particulièrement,  ce  fui 
sur  son  désir  de  vivre  en  bonne  intelligence  avec  la  Russie. 
Au  commencement  de  l'année  177B,  les  lois  françaises, 
relativesaux prises  maritimes, avaient  pour  base  l'ordon- 
nance do  1661.  Un  des  articles  de  cclteordonnance  disait: 
<t  Tous  navires  qui  se  trouveront  chargés  d'elTets  apparte- 
nanl  &  nos  ennemis  et  les  marchandises  de  nos  sujets  et 
alliés  qui  se  trouveront  dans  un  navire  ennemi  seront  pa- 
reillement de  bonne  prise'.  »  En  17ii4,  la  législation  sur 
la  matière  avait  été  légèrement  modiliée.  La  confiscation 
des  marchandises  ennemies  chargées  sur  des  navires 
neutres  avait  été  maintenue,  mais  on  avait  décidé  que 
les  bâtiments  seraient  relâchés.  Tel  était  l'élat  de  la  ques- 
tion au  moment  où  avait  éclaté  la  guerre  de  l'indépendance 
américaine.  Le  règlement  français  du  £6  juillet  1778  con- 
sacra le  principe  que  le  pavillon  neutre  neutralise  la  mai^ 
chundise  ennemie,  à  l'exception  de  la  contrebande  de 
guerre.  Aussi  ta  déclaration  de  l'Impératrice  Catherine  fut- 
elle  accueillie,  &  Paris,  avec  une  très-grande  satisfaction*. 
L'Espagne,  qui  avait  adopté  notre  législation  en  matière 
de  prise,  s'empressa  de  donner  son  adhésion  aux  propo- 
sitions russes.  Dans  le  courant  du  mois  de  mai  1780,  te 
Danemark,  avec  l'acquiescement  de  la  Suède  et  de  la  Rus- 
sie, interdit  l'accès  de  la  mer  Baltique  aux  bAtimenls  t 


1.  La  France  s'élail   ristrié   le  druil  d«   révoquer  co  i^li^nii 
t)ui*sance>  annemiefl  n'accardsicnl  pa»  In  réciprocilé  dnoi  te  d#l«i  de  «I 
moi*,  h  {larlir  de  la  publicalîon. 

a.   rr  eiisLiil,  entre  le  riglemenl  dn  ïb  Jtjlllel  1778  et  les  pn, 
ronlenues   JBn<i   ta   nol«  russe,   une   dilT^rcnce  nur  nous  alloui  indiqg 
L'article  3  dl^il   que   les   elTete  apparlcimnl  no  sujet   des  puissanc 
guerre  MaienI  libre*  sur  ie«  vaiii»o*ui!  neutres,  à  reKceplion  de  Ik  a 
bonde  de  guerre,  lanilîs  (|ue  \r  règlement  franiaii  pmnon(all  laconSM 
lien  dr  la  car^aiion  entière  H  du  navire,  lorsque  lea  marchan dises  de  0 
Irvbande  composaienl  lc«  trois  qiiorti  de  la  valeur  du  chargemenl. 


LIVRE  VII.  219 

guerre  de  la  France,  de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne. 
Deux  mois  après,  les  rois  de  Danemark  et  de  Suède  adres- 
sèrent aux  cours  de  Londres,  de  Versailles  et  de  Madrid, 
une  note  absolument  conforme  à  la  déclaration  de  Tlmpé- 
ratrice  Catherine.  Enfin,  la  Russie,  le  Danemark  et  la 
Suède  se  lièrent  par  une  convention  ayant  pour  but  de 
défendre,  même  par  les  armes,  les  droits  de  leurs  sujets. 
La  Russie  se  hâta  de  notifier  aux  puissances  belligérantes 
l'accession  des  deux  autres  cours  au  projet  de  neutralité 
armée  dont  elle  avait  pris  l'initiative  ^  Le  prince  Galitzin, 
qui  représentait  la  cour  de  Saint-Pétersbourg  à  La  Haye, 
avait  remis,  le  3  avril,  au  ministre  des  affaires  étrangères 
de  la  République,  la  déclaration  adressée  par  sa  Souve- 
raine aux  puissances  belligérantes.  Le  prince  avait  reçu 
de  son  gouvernement  la  mission  d'amener  les  Provinces- 
Unies  à  se  joindre  aux  cours  du  Nord  pour  défendre  la 
liberté  du  commerce  maritime.  Les  États-Généraux  déci- 
dèrent, le  24  avril,  que  des  plénipotentiaires  spéciaux  se- 
raient envoyés  à  Saint-Pétersbourg  pour  cet  objet.  L'An- 
gleterre voyait  avec  un  mécontentement  toujours  croissant 
la  Hollande  échapper  à  son  influence.  Un  incident  qui  se 
produisit  dans  le  mois  de  septembre  vint  encore  accroître 
la  mésintelligence  existant  entre  les  deux  nations.  M.  Henri 
Laurens,  ancien  président  du  congrès,  fut  nommé  mi- 
nistre des  Etats-Unis  à  La  Haye.  Le  bâtiment  sur  lequel 
il  prit  passage  pour  se  rendre  à  son  poste  tomba  entre 
les  mains  des  Anglais.  On  trouva  dans  ses  papiers  la  copie 
d'un  traité  de  paix  et  d'amitié  entre  la  Hollande  et  les 
Etats-Unis.  Ce  traité  avait  été  signé,  le  4  septembre  1778, 
par  MM.  Adam  de  Neufville,  agissant  d'après  les  ordres  du 


1.  Les  puissances  dont  les  noms  suivent  donnèrent  leur  adhésion  aux 
principes  énonces  dans  la  déclaration  de  l'Impératrice  Catherine  aux  épo- 
ques indiquées  ci-après,  savoir  :  I^  Prusse,  le  S  mai  1781;  l'Autriche,  le 
9  oclobre  1781;  le  Portugal,  le  13  juillet  1782;  le  royaume  de  Naples,  le 
l*'  février  1783.  Le  congrès  des  États-Unis  avait  adopté,  le  5  octobre  1780, 
en  séance  publique,  les  propositions  contenues  dans  la  note  de  rimpératrico 
de  Russie. 


220  HISTOIRE  DE  I.A  MARINE  FRANÇAISE, 

conseiller  Van  Bercket,  pensionnaire  de  la  ville  d'AmsIer' 
dam,  et  William  Lee,  commissaire  du  congrus*. 

Celte  pièce,  dont  le  gouvernement  de  la  République 
ignorait  l'existence,  ne  pouvait  engager  qu'un  seul  État, 
celui  de  Hollande.  Les  Ëlats-Géiiéraux,  par  une  délibéra- 
tion en  date  du  27  novembre,  désavouèrent  publi- 
quement la  conduite  du  premier  magistral  de  la  ville 
d'Amsterdam.  Les  eiTorts  que  faisaient  les  Provinces- 
Unies  pour  apaiser  la  cour  de  Londres  étaient,  inutiles. 
L'Angleterre  voulait,  en  soulevant  ces  continuelles  diffi- 
cultés, intimider  la  Hollande  et  l'amener  à.  subir  sa  vo- 
lonlé.  Reconnaissant  l'impossibilité  d'arriver  à  ce  résul- 
tat, elle  se  décida  à  l'avoir  pour  ennemie.  Deux  partis  sa 
disputaient  la  dircclion  des  alTaires  dans  les  Provinces- 
Unies  des  Pays-Bas.  L'un,  à  la  léle  duquel  était  placé  la 
Stathouder,  était  partisan  de  l'alliance  anglaise  ;  l'autre, 
dont  le  pensionnaire  de  la  ville  d'Amsterdam  était  le  chef, 
recherchait  l'appui  de  la  France,  Le  premier  insistait  surit 
nécessité  d'augmenter  les  forces  de  l'armée  de  terre,  tan- 
dis que  le  dernier  demandait  que  la  marine  fat  mise  eB 
état  de  détendre  l'honneur  du  pavillon  hollandais  contra 
les  insultes  de  l'Angleterre.  Il  était  résulté  de  ce  choc  d'in- 
fluences que  la  Hollande  n'avait  armé  ni  sur  terre,  ni  sur 
mer.  En  déclarant  la  guerre  t  cette  puissance,  la  cour  d« 
Londres  n'augmentait  pas  le  nombre  de  ses  ennemis. 
Elle  voyait,  au  contraire,  dans  la  conquête  des  colonies 
néerlandaises,  une  compensation  aux  pertes  qu'elle-mëmfr 
pourrait  éprouver.  «Si  nous  déclarons  la  guerre  A  la, 
Hollande,  écrivait  sir   York  à  lord  Stormont*  le  3  ikh 


1.  L'uttcle  1"  de  re  traiU  éUit  ainti  conçu  :  •  Il  y  aura  une  p»i\  ter 
invialnblF  et  unjrersclje,  el  une  lisci'rc  «niilié  enlro  kun  Haulm  P 
micoa,  les  ËtaU  det  «ept  provincci  unica  do  Hollande,  et  Ici  Ëtals-l'nii 
l'Amériquv  Beplenlrionnle,  el  lus  sujet»  el  Iw  peupli»  desdite*  lartics,  il 
entre  les  pu;»,  lien,  ville»  et  buiirgs  dii|>cndant  de  ti  juridiction  dndiM 
Ëtatn-lniï  dn  llullunde,  el  dfstliU  ËtulirtiuiB  de  l'Amérique,  el  de  lean< 
peujilci  el  habitants  do  loule  condilion,  sans  exception  de  penonncs  ou  di 

3.  I.e  ministre  des  nlTaires  ëlrangére»  dans  lu  cabim-t  de  lurd  North. 


LlVllE  VII.  221 

vembre  1780 ,  nous  trouverons  cet  État  dépourvu  d'artil- 
lerie et  d'approvisionnements  de  quelque  nature  que  ce 
soity  n'ayant  ni  flotte,  ni  armée,  ni  aucune  de  ses  posses- 
sions hors  d'Europe  en  état  de  défense.  »  Revenant  sur 
le  même  sujet  il  disait,  le  7  décembre  :  «  Ce  pays  ci  n'est 
en  aucune  manière  préparé  pour  la  guerre.  Tous  sont 
encore  disposés  à  considérer  une  lutte  avec  l'Angleterre 
comme  une  impossibilité.  Le  pouvoir  exécutif,  dans  le 
gouvernement  de  la  République,  n'a  jamais  cessé  d'être 
opposé  au  parti  de  la  guerre.  Tous  les  établissements  de 
la  Hollande,  dans  les  Indes  orientales  et  occidentales, 
sont  actuellement  dans  une  condition  déplorable.  Entre 
tous,  Saint-Eustache,  aussi  dépourvu  que  les  autres,  est 
la  grande  mine  des  profits  pour  le  commerce  hollandais,  v 
Le  20  novembre,  les  Etats-Généraux  ayant  décidé,  à  la 
majorité  de  quatre  provinces  contre  trois,  que  la  Répu- 
blique prendrait  part  à  la  ligue  formée  par  la  Russie,  le 
Danemark  et  la  Suède,  l'Angleterre  résolut  de  brusquer 
les  événements.  Sir  York  fut  chargé  de  demander  la  pu- 
nition des  autorités  qui  avaient  conclu  le  traité  signé  à 
Amsterdam,  le  4  septembre  1778.  Ne   pouvant  obtenir 
cette  satisfaction,  ce  à  quoi,  d'ailleurs,  elle  ne  s'attendait 
pas,  la  Grande-Bretagne  rappela  son  ambassadeur,  le  12 
décembre,  et,  le  20,  elle  envoya  à  La  Haye  une  déclaration 
de  guerre  qui  précéda  de  quelques  jours  l'acte  d'acces- 
sion des  Provinces- Unies  des  Pays-Bas  aux  conventions 
maritimes  conclues,  les  9  juillet  et  l^août,  entre  la  Rus- 
sie, le  Danemark  et  la  Suède.  Les  Etats-Généraux  s'em- 
pressèrent alors  de  requérir  les  puissances  qui   avaient 
donné  leur  adhésion  au  système  de  la  neutralité  armée 
de  venir  à  leur  secours.  Mais  les  cours  du  Nord,  se  fon- 
dant sur  ce  que  l'acte  d'accession  des  Provinces-Unies  était 
postérieur  à  la  déclaration  de  guerre  de  la  Grande-Bre- 
^e,  déclinèrent  cette  demande. 

L'alliance  des  puissances  du  Nord  ne  soutint  pas  l'éclat 
Qui  avait  présidé  à  sa  formation.  Les  stipulations  rela- 
tives aux  armements  que  devaient  faire  les  trois  cours  pour 


222  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

protéger  leur  commerce  ne  furent  pas  fidèlement  obser- 
vées. L'Angleterre  revint  à  ses  anciennes  pratiques  et  ses 
croiseurs  reprirent  les  habitudes  de  violences  devenues 
traditionnelles  dans  la  marine  britannique.  Néanmoins, 
on  doit  considérer  les  discussions  qui  eurent  lieu,  a  cette 
époque,  sur  ces  importantes  questions,  comme  lé  point 
de  départ  d'un  nouveau  droit  public. 


LIVRE  VIII 


Hodney  reçoit  Tordre  d*atlaqaer  les  possessions  hollaivliises  dans  le^  lod«4 
occidentales.  —  Il  s'empare  saGce&<ivement  des  Ue«  de  Sainl  EfttJadie.  d- 
Saînt-Martin  et  de  Saba.  —  Les  colonie*  de  Denierari.  dX'^^eqoiUi  et  d<; 
Berbice  sont  occupées  par  les  Anglai».  —  l*ri>e  de  i'ile  fran'^ue  de  Siinl- 
Barlhélemy. —  Arrivée  da  comte  de  Grasse  à  la  Martiniqoe. —  EiunireiiieD> 
des  29  et  30  avril.  —  Fausse  attaque  de  Sainte-Lucie.  —  Fns«r  de  TatAiT'i, 
—  L'escadre  française,  après  avoir  tooché  à  la  Martinique,  se  dihs*:  scr 
Saint-Domingue.  —  Eyénements  sarrenus  sur  le«  cMes  de  rAmén«|a-: 
septentrionale  depuis  le  oonmieDcement  de  l'ano^^  1781.  —  Fri^  do 
Romnlus. — Combat  du  16  mars  entre  les  escadres  d'Arbotfanot  et  du  capi- 
taine de  Taisseau  Des  Touches.  —  Arrivée  du  comt«  de  Oras«e  dam  la  baie 
de  la  Chesapeak.  —  ApparitioQ  de  la  flotte  anglaise.  —  Engagemeat  du 
S  septembre.  —  Capitulation  de  Comwallis.  —  Le  comte  de  Grasse  et  l'a- 
miral Hood  retournent  dans  la  mer  des  Antilles.  —  Le  marqui«  de  fvwîlk 
reprend  les  Iles  de  Saint-Eostacbe,  de  Saint-Martin  et  de  .SaJw.  —  ffYise 
de  PensacoU  et  de  la  Floride  occidentale  par  les  Eépagools  et  le«( 
Français. 


I 


L'amiral  Rodney  était  à  Sainte-Lucie,  lorsqu'il  rerut 

l'ordre  de  commencer  les  hostilités  contre  les  Hollandai»». 

II  prit  la  mer,  le  30  janvier  1781,  ayant  des  troufK.'S  de 

débarquement  sur  son  escadre,  et  il  se  présenta,  le  même 

jour,  devant  la  baie  de  Fort-Ro\al.  Aussit/jt  que  la  nuit 

fut  venue,  laissant  le  contre-amiral  Drake  [Kiur  «yiineilier 

quatre  vaisseaux  français,  il  fit  route  .sur.Sairil-'fjj.sta^:tie. 

Le  gouverneur  de  cette  colonie  ne  disposait  d'aucune  d^^n 

ressources  nécessaires  pour  se  défendre.  Surpris  par  la 

brusque  arrivée  de  l'escadre  britannique,  il  livra  Tlle, 

le  3  février,  au  général  Yau^rhan.  iJeux  cents  Ultimenl-) 

de  commerce  et  une  frégate  de  Irente-liuit  ranons  loffi- 

bërent  entre  les  mains  des  Anglais.  Krxinev  dét;iclia  une 


224  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

division  à  la  poursuite  d'une  flotte  marchande  qui  avait 
appareillé,  quelques  jours  auparavant,  sous  Tescorte  d'un 
vaisseau  de  soixante  canons.  Ce  convoi,  composé  de  trente 
bâtimenls  richement  chargés,  fut  joint  et  capturé.  Avant 
de  se  rendre,  le  vaisseau  hollandais  combattit  vaillam- 
ment pour  l'honneur  de  son  pavillon. 

Depuis  que  la  guerre  avait  arrêté  les  transactions  com- 
merciales entre  les  sujets  des  grandes  puissances  mari- 
times, l'Ile  de  Saint-Ëuslache  avait  acquis  une  importance 
particulière.  Elle  était  considérée,  dans  la  mer  des  Antilles, 
comme  un  terrain  neutre,  sur  lequel  les  commerçants  de 
tous  les  pays  se  rencontraient  sans  danger.  Au  moment 
où  les  Anglais  en  prenaient  possession,  elle  renfermait 
des  quantités  de  marchandises  très-considérables,  appar- 
tenant &  des  Hollandais  et  à  des  étrangers.  L'amiral 
Rodney  et  le  général  Yaughan,  ne  tenant  aucun  compte 
de  cette  situation,  déclarèrent  propriété  hollandaise  tout 
ce  qui  était  dans  l'île.  Leurs  agents  s'emparèrent,  noo- 
seulement  de  ce  que  renfermaient  les  magasins  de  l'Etat, 
mais  encore  des  marchandises  contenues  dans  les  maga- 
sins particuliers.  Les  habilanls,  à  rexreption  des  sujets 
anglais,  furent  transportés  dans  les  îles  voisines.  Ces 
malheureux,  exposés  pendant  la  traversée  aux  plus  mau- 
vais traitements,  perdirent  leurs  bagages  qui  furent  pillés 
par  les  matelots.  La  valeur  du  butin  failàSaint-Eustache, 
en  y  comprenant  les  bâtiments  capturés,  atteignit  la 
somme,  énorme  pour  celle  é|)0(iuo,desoixanlc-quinze  mil- 
lions de  francs.  Le  général  Vaughan  fit  occuper  les  Iles 
de  Saint-Martin  et  de  Saba.  Les  habitants  de  ces  deux 
colonies  n'eurent  pas  moins  à  souffrir  cjne  ceux  de  Sainl- 
Kustache  de  la  rapacité  des  vainqueurs*. 

L'amiral  Rodney,  ayant  reru  de  Londres  l'axis  que  des 


l.ljea  procédés  barbares  de  Hodoey  et  do  Vaughan  soulevèrent  une  rt'pro- 
bation  universelle.  Des  voix  généreuses  s'élevèrent,  au  sein  du  l'arlenienl 
britannique,  pour  dénoncer  la  violence  commise  à  Saint-Kustache  contre  \tt 
)M>rs<»nnes  et  1rs  propriétés.  Burkc  présenta,  le  14  mai  17K1.  une  motion  lea- 


UVHE  Vin.  Î25 

forces  françaises  étaient  sur  le  point  de  partir  de  Brest 
I)Our  la  mer  des  Antilles,  ordonna  à  son  lieutenant,  lamiral 
Hood,  de  se  rendre  devant  la  baie  de  Fort-Royal.  Celui- 
ci  devait  intercepter  les  bâtiments  qui  feraient  route  pour 
laMartinique.  Ne  voulant  laisser  à  personne  le  soin  d'ache- 
ver Tœuvre  de  spoliation  qu'il  avait  commencée, lamiral 
Rodnev  resta  à  Saint-Eustache   avec  son  vaisseau,   le 
Sawlwicfiyde  quatre-vingt-dix,  et  le  Triumph^  de  soixante- 
quatorze.  Il  fit  vendre  aux  enchères  publiques  une  partie 
des  marchandises  trouvées  dans  Tile;  ce  qui  restait  des 
dépouilles  des  malheureux  habitants  de  Saint-Eustache 
fut  expédié,  en  Angleterre,  sur  trente-quatre  bâtiments 
de  commerce,  escortés  par  quatre  vaisseaux. 

Dans  le  courant  du  mois  de  février  1781,  des  corsaires 
anglais  parurent  dans  les  eaux  de  Demerari  et  dXssé- 
quibo,  et  ils  s'emparèrent  de  plusieurs  navires  de  com- 
merce. Le  gouverneur  des  établissements  néerlandais, 
sur  la  côte  de  la  Guyane,  n'était  pas  en  mesure  de 
repousser  une  aussi  faible  attaque.  Dans  le  but  d'empê- 
cherque  les  personnes  et  les  propriétés  fussent  à  la  merci 
de  quelques  aventuriers,  il  fit  connaître  aux  autorités 
brilannlques  à  la  Barbade  qu'il  était  prêt  à  remettre  la 
colonie  entre  leurs  mains.  Il  demandait,  ignorant  i  quelles 
calamités  il  s'exposait,  que  la  Guyane  fût  traitée  comme 
l'avait  été  l'île  de  Saint-Eustache.  Des  troupes,  expédiées 
des  Antilles  sur  les  frégates  la  Surprise  et  la  Barbade^ 
prirent  possession  de  la  colonie  hollandaise  dans  les  pre- 
miers jours  de  mars.  Nous  devons  dire  que  les  officiers 
anglais  usèrent  envers  les  habitants  des  procédés  les  plus 
généreux.  L'île  française  de  Saint-Barthélémy  fut  prise, 
le  15  mars,  par  l'amiral  Rodney. 


dtDl  à  ce  qu'une  enquête  fût  ouverte  sur  la  conduite  des  deux  généraux.  la 
proposition,  combattue  par  les  ministres,  fut  rcjetée,  mais  elle  réunit  quatre- 
vingts  voix  sur  deux  cent  quarante  volants. 


15 


226  HISTOIRE  DE  LA  MARÎNE  FRANÇAISE. 


II 


Le  22  mars  1781,  vingt-six  vaisseaux  et  quatre  frégates 
sortirent  de  Brest,  sous  le  commandement  du  lieutenant 
général  de  Grasse*.  Le  29  mars,  la  frégate  la  Concorde^ 
sur  laquelle  le  successeur  deM.de  Ternay,le  chef  d'escadre 
de  Barras,  avait  pris  passage,  se  sépara  de  l'armée  et  fit 
route  pour  sa  destination.  A  la  hauteur  des  Açores,  cinq 
vaisseaux  et  une  frégate,  sous  les  ordres  du  capitaine  de 
vaisseau,  commandeur  de  SufTren,  se  dirigèrent  vers  le 
cap  de  Bonne-Espérance.  Le  5  avril,  le  vaisseau  le  Sagit- 
taire^ ayant  à  bord  des  munitions  et  six  cents  soldats 
pour  renforcer  la  petite  armée  de  Rochambcau,  mit  le  cap 
sur  Boston.  Le  28,  c'est-à-dire  trente-sept  jours  après  le 
départ  de  Brest,  le  comte  de  Grasse  arriva  en  vue  des 
terres  de  la  Martinique.  Afin  de  rendre  sa  traversée  plus 
rapide,il  avait  fait  remorquer  par  ses  vaisseaux  les  vingt- 
trois  bâtiments  les  plus  mauvais  marcheurs  du  convoi '. 
Ayant  eu  connaissance,  un  peu  avant  le  coucher  du  soleil, 
d'une  escadre  ennemie,  il  craignit  de  compromcltre  ses 
transports,  et  il  resta  au  large  de  la  pointe  des  Salines. 
Un  officier,  qu'il  avait  envoyé  à  la  pointe  Sainte-Anne 
pour  avoir  des  rcnsfignemcnls,  lui  apprit  que  la  baie  de 
Forl-Royal  était  blo(juéedei)uis  quarante  jours  par  l'amiral 
Hood.Le  lendemain  matin,  l'escadre  française  se  mit  en 
mouvement.  A  huit  heures,  nos  frégates  signalèrent  dix- 
neuf  vaisseaux  an^^lais  manœuvrant  pour  s'élever  au 
vont,  et,  à  onze  heures,  les  deux  escadres  commencorenl 
à  échanger  des  boulots.  Aussitôt  que  noire  armée  eu 
|)ris  i)Osilion  au  vont  do  l'onnomi,  nos  bâtiments  de  trans 

1.  Ix'  conilc  do  Grasso  nélail  t-n  réalité  i\\\v  chef  d\'m'adro,  mais  il  a>aî 
rtMMi  la  coinnussion  provisoin*  de  lioutonanl  ^onéral. 

2.  I,e  comte  de  (îrasse  avait  donné  Pexeniple.   I.e  vaisseau  à  trois  pt»DL 
la  l'illc-dc-Puris,  sur  lequel  il  avait  son  pa>iIlon,  remorquait  un  navire  »- 
convoi. 


LIVRE  VIII.  â27 

port  entrèrent  dans  la  baie  de  Fort-Royal.  Au   même 
moment,  les  vaisseaux  la  Victoire^  de  soixante-quatorze, 
le  Caton^  le  Solitaire  et  le  Réfléchi,  de  soixante-quatre, 
appareillèrent  en  filant  leurs  câbles  et  rallièrent  Tarmée. 
Malgré  notre  supériorité  numérique,  le  comte  de  Grasse 
se  tint  près  de  terre  jusqu'à  ce  que  tous  les  navires  de  son 
convoi  fussent  eh  sûreté.  Il  voulut  alors  se  rapprocher 
des  Anglais,  mais  ceux-ci  firent  de  la  toile  et  s'éloignè- 
rent. Vers  six  heures  du  soir,  le  commandant  en  chef 
n'avait  auprès  de  lui  que  treize  vaisseaux.  Les  autres 
b&timents  de  Tarmée,  quoique  couverts  de  voiles,  étaient 
à  une  grande  distance  en  arrière.  Plusieurs  vaisseaux 
ennemis,  au  nombre  desquels  se  trouvaient  le  Russel,  le 
Centeuret  l'/n^r^û/e, étaient très-maltrailés.  LeRmsel  fut 
sur  le  point  de  couler  bas  avant  d'arriver  à  Saint-Eus- 
tache,  où  il   avait  reçu   l'ordre  de  relâcher*.  L'amiral 
Hood  continua  sa  retraite,  s'arrétant  pour  tirer  sur  nos 
meilleurs  marcheurs,  lorsque  ceux-ci  paraissaient  vou- 
loir le  serrer  de  trop  près.  S'apercevant  qu'il  jouait  un 
jeu  dangereux,  il  se  décida,  dans  la  soirée  du  30  avril, 
à  faire  route  vent  arrière  :  «  Je  ne  crus  pas  convenable, 
dit-il  dans  son  rapport,  de  continuer  à  défier  l'ennemi  ; 
je  pensai,  au  contraire,  qu'il  était  de  mon  devoir  d'ar- 
river vent  arrière,  et  j'en  fis  le  signal  à  huit  heures  du 
soir.  »  Le  lendemain  matin,  le  comte  de  Grasse  ne  put 
se  faire  aucune  illusion  sur  les  résultats  de  la  poursuite. 
•Je vis  avec  douleur,  écrivit-il  au  ministre,  qu'il  n'était 
flue  trop  vrai  que   la  marche  de   l'Anglais  était    bien 
supérieure  à  la  nôtre.  Il  n'y  avait  plus  avec  moi  que 
onze  vaisseaux  qui  étaient  à  portée  de  joindre;  les  au- 


1*  Je  dois  à  la  vérité,  Monsieur,  de  vous  faire  connaître  la  satisfaction 
Jpwj'ai  éprouvée  de  la  conduite  de  l'équipage  de  la  Vitle-de- Paris  f>cndanl 
le  combat  \\  semblait  que  chaque  individu  voulût  surpasser  son  camarade, 
^*^  faire  distinguer  des  ofGciersqui  le  commandaient  directement.  Ceux  ci 
^Haient  occupés  qu'à  maintenir  le  silence  et  la  subordination  établie  par 
*•  de  Sainte- Césaire,  capitaine  de  pavillon.  (Lettre  du  comte  de  Grasse 
^  nainistre.) 


SS8  HISTOIRE  UK  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

trcs,  couverts  de  voiles,  étaient  excesBiremeat  de  l'ar- 
riërc.  Quelques-uns  même  étaient  hors  de  vue.  >  Le 
comte  de  Grasse  leva  la  chasse,  et  il  reprit  la  roule  de 
Fort-Royal,  oti  il  mouilla  le  6  mai'.  L'amiral  Hood  avait 
évidemment  sur  son  adversaire  l'avantage  très  grand 
de  commander  une  escadre  composée  de  bAUments 
doublés  en  cuivre.  Néanmoins,  on  doit  rendre  hommage 
ù  son  habileté  et  à  la  conriaace  qu'il  montra  daos  ses 
caiiitaincK.Si  quelques-uns  de  ses  vaiBeeaux  étaient  restés 
de  l'arrière,  par  suite  d'avaries,  il  eût  été  contraint  de 
les  sacrifier  ou  de  combattre  contre  des  forces  supi- 
rieures.  L'amiral  Rodney,  en  restant  à  Saint-Eustacbe, 
avait  privé  l'escadre  anglaise  de  deux  vaisseaux, dont  un 
&  trois  ponts.  Quant  au  comte  de  Grasse,  il  semble  qu'il 
se  soit  trop  préoccupé,  le  29  avril,  de  la  sûreté  de  son 
convoi.  L'amiral  Hood  s'était  montré,  ce  jour-l&,  beau- 
coup moins  circonspect  qu'il  ne  le  fut  le  lendemain,  et 
peut-être  cCit-ilélé  possible  d'engager  une  action  décisive. 
Un  parut  croire,  à  Paris,  que  le  cher  de  notre  escadre 
11  aviiil  pas  été  tr^s-bien  secondé  par  tous  ses  capitaines. 
Le  ministre  lui  écrivit,relalivementà  la  journée  du  Î9avril 
et  àla]ioursuilede  l'escadre  anglaise."  Toutes  vos  manœu- 
vres ont  été  dictées  par  la  prudence,  le  zèle  et  la  fermeté; 
mats  il  n'a  point  échappé  à  Sa  Majesté  que  vous  auriez 
di^  obtenir  une  victoire  complète,  si  toute  votre  armée 
vous  uut  secondé.  C'est  sans  doute  &  la  mauvaise  marche 
d(.'s  vaisseaux  qu'il  faut  attribuer  le  peu  d'ensemble  de 


LIVRE  VIII.  229 

Si  quelques  fautes  de  détail  avaient  été  commises  dans 
la  journée  du  29  ou  dans  la  nuit  du  29  au  30,  elles  n'avaient 
eu  qu'une  importance  secondaire.  La  mauvaise  marche 
de  nos  vaisseaux,  dont  quelques-uns  seulement   étaient 
doublés  en  cuivre,  telle  était  la  véritable  raison  de  l'inu- 
tilité de  notr«  poursuite.  Nous  n'avions  pu  joindre  les 
Anglais,  et,  par  conséquent,  profiter  de  l'occasion  qui  se 
présentait  d'écraser  dix-neuf  vaisseaux  avec  vingt-huit, 
parce  que  notre  matériel  était  moins  perfectionné  que 
celui  de  l'ennemi. 

Le  8  mai,  le  P/u/on,de  soixante-quatorze,  V Expérimenta 
decinquante,etquelquesfrégates,portanttreize  cents  hom- 
mes, se  dirigèrent  sur  Tabago.  Le  même  jour,  l'escadre 
se  plaça  au  vent  de  Sainte-Lucie,  afin  d'être  en  mesure 
de  combattre  les  Anglais,  si  ceux-ci  se  présentaient  au  vent 
de  l'île,  et  de  les  joindre,  s'ils  arrivaient  par  dessous  le 
vent.  Le  marquis  de  Bouille  débarqua,  dans  la  nuit,  au 
Gros-llet,  avec  douze  cents  hommes.  Après  avoir  reconnu 
Timpossibilité  de  terminer,  en  quelques  semaines,  les  tra- 
vaux de  défense  nécessaires  pour  mettre  cette  posrlion  à 
l'abri  de  toute  attaque,  il  se  rembarqua  avec  sea  troupes. 
Il  ramena  avec  lui  une  centaine  de  prisonniers  faits  pen- 
dant cette  courte  expédition.  L'escadre  revint  à  la  Marti- 
nique,oû  elle  mouilla  le  15  mai.  Le  22,  le  comte  de  Grasse 
fut  informé  que  l'amiral  Hood  avait  quitté  Saint-Chris- 
tophe. D'après  la  route  suivie  par  les  Anglais,  au  moment 
où  ils  avaient  été  aperçus,  on  supposait  qu'ils  allaient  à 
la  Barbade.  Une  frégate  fut  immédiatement  expédiée  à 
Tabago,  afin  de  faire  connaître  au  capitaine  d'Albert  de 
Wons,  du  Plutoriy  et  au  commandant  des  troupes,  M.  de 
Wanchelande,  que  toute  l'armée  se  portait  à  leur  secours. 
L'escadre  embarqua  trois  mille  soldats,  et  elle  mit  sous 
voiles. 
Le  Rmselj  venu  en  relâche  ^  Saint-EusUiche,  par  suite 

^rte  à  maintenir  la  bonne  intelligence  qui  a  régné  entre  vous  et  M.  de 
^illé.  Dans  toutes  les  circonstances  où  vous  opérerez  avec  les  généraux 
^^e,  ce  sera  de  cette  union  que  naîtront  les  syccès. 


S30  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

des  avaries  qu'il  avait  reçues  dans  le  combat  du  S8  avril, 
avait  annoncé  à  l'umiral  Rodney  l'arrivée  d'une  escadre 
française  dans  la  mer  des  Antilles.  Celui-ci,  s'arrachanti 
d'indignes  occupation^;,  était  parii  pour  Antigue  avec  le 
.^nmltfich  et  le  Triiimph.  Après  être  resté  quelques  jours 
dans  cette  lie  pour  se  ravitailler,  il  s'élait  rendu  à  la  Bar 
bade,  oîi  il  avait  trouvé  l'amiral  Hood.  Recevaat,  dans  la 
nuit  du  26  mai,  la  nouvelle  que  les  Français  avaient 
opéré  un  débarquement  à  Tabago,  il  expédia  le  contre- 
amiral  l>rakc,avcc  six  vaisseaux,  pourporterdes  renforts 
il  lu  ffarnison.  L'escadre  française  attérissait  sur  Tabago, 
nu  niuiiicnt  oii  l'amiral  Drake  paraissait  en  vue  de  l'tk. 
Le  comie  de  Grasse  se  mil  à  sa  poursuite,  mais  les  Anglais 
étaient  au  vent  et  à  grande  dislance,  et  il  ne  réussît  pas 
à  les  atteindre.  Dans  la  nuit  du  30  au  31  mai,  le  corps 
expéditionnaire  rejoignit  les  troupes  qui  avaient  été  mises 
A  terre,  le  ik  mai,  sous  la  protection  du  Pluton  et  de 
VI-'xiH'riiiifliit.  Le  gouverneur  de  Tabago,  le  général  Fer- 
gusson,  avait  abandonné  la  petite  ville  de  Scarborough 
dans  IjHpielle  nous  étions  entrés,  et  il  s'était  retiré  sur  le 
mont  Concordia  avec  quatre  cents  soldats,  cinq  cents  mi- 
liciens, (juclqucs  centaines  de  nègres  armés  et  dix  pièces 
de  canon.  Le  colonel  de  Blancbelande  ne  disposant  pas 
do  forces  suHisaules  pour  l'attaquer  avec  des  chances  de 
succès,  s'était  contenté  jusque  là  de  l'observer.  Le  mar- 
(luîs  de  Souillé  prescrivit  immédiatement  les  dispositions 
nécessaires  pour  marcher,  au  point  du  jour,  sur  le  monl 


mais  une  partie  de  ses  trc-aîe?.  *: 'jtîût^  i.Hr  ii  îiôiru^. 

ravail  abandonné.  Les  milici-aiï  -k  i^  zm^uwtt  ^*H\ja& 

restés  auprès  de  lui,  oc»nnaIs>tr.:  >Tr  Hife-iurrr  nimr- 

rique,  et  sachant,  d'autre  p^art.  ri"^  i»^  :»:irTiii*ar  iitt^iiim 

aucun  secours,  étaient  très-iéM  -zrt^^    Iniii?  i^stn  ^nut- 

tion,le  général  se  rit  contraint  : "i;!.:^a^  inif  :2gmiuBXini 

dont  le  marquis  de  Bouille  ii-rt*  j*î  vmH*.   L*  i  jun. 

les  troupes  anglaises  mirnit  ta?  ie?  imef  ^  »  nj!if=n.- 

tuèrent  prisonnières  de  goerr».  L^  ilicttos  ik  Imuili:^ 

montra  à  l'égard  de  lapof»aitl>:«:  x»  r^srr^j^s^  i  Buau 

plus  grande  que  celle-ci  araît  >*^  à»^  juut  inoit^  -îBr^ 

pour  nous  repousser.  Les  oi^sàtrtiiia»  au*  j*  i5-f! 

fit  valoir  pour  expliquer  >è  oioitJV!:  ni^rrttai  r -ïr*.  •«! 

portées.  «  Les  milices.  éoirit-Z  tx  nni^iT*    •niurtuçu- 

rent  le  général  Fergusson  à  rat  ÎKiiUii^r   uih  vinjnuii- 

tien  qu'elles  laissèrent  à  ma  li^vc-nruo.  *sl  hk  î«Li«ftai 

dire  qu'elles  s'en  rapportakci!  a  =:i:il  îi:fmi*r«»fit  ^  i.  ii& 

générosité.  Je  leur  en  ai  aor:ri*  z2A  v»?%-iii!uii»r  nie  ^e 

vous  envoie.  La  manière  pitrl-i^j-it*:  vj-st  jucrwfli*  r-s^ 

habitants  se  sont  conduits,  q:::  ce:  ixi!aii^  «iT-dit  esirk 

propriétés  à  révénemenl  àr  Li  rvfTTt.  u  mt    n«jim 

beaucoup  d'estime  et  méritent  î**  -t:»!.**.  » 

A  l'arrivée  du  contre -amiral  I.»ni*  i  a  iitrwitfc  '  inurru 

Rodney  avait  appareil!*^  av*i!  v-«i*i*îtj**  jir*>-B  Dir   i  U*^ 

posait.  Le  4  juin,  en  appn>±.i:i:  i*:  Tuitjn    i  uinr-i  -ju* 

'Me  était  en  notre  pouvoir  -itçii-:*  riitriarr^  i«u--r-.  ..y^ 

«eux  escadres  passèrent  la  ]•  .:«ïn»*i^  ::i  î  ;iui  -*n  •  i*-  '  uu» 

"®  ï 'autre.  Tandis  que  noo*  0^:0*  *£:crj-.rw  îmj  tiutr-  p^, 

^"^Slais,  ceux-ci,  qui  étaient  *a  -î*îi:^  '.ij^;u»*n:   t**   ïi  i  u** 

P^^ï*  conserver  cet  avaota^.  L,r%riii  ji  m  r   'w.   '*niu» 

'^'ï^iral  Rodney  reprit  la  rocte  irt  ^fc*r;;4i:**  ?«>  jVurê-n 

^'   I^  comte  de  Dnioo  joinit  iiioLlt  1»  r^nmi  ?«rri^«r.fi    -f^r^ii   ^^ 
^^^K^issioo  et  tronrm  les  tnop»  4  j»  miii*;;^  .-iif^bMv  «^#-1  <  ^  '.<>tf*-^ 

?^^^,  qoî  Tooiait  toojo«n  façai»r  ».yi  — ;ïiut  [-«^.^  in  ium;v.i  **- 
f^^tlé  ao  ministre.)  Cette  bMÉ»it4ft  X.  le  &»iiuUe  «nit  m.  'imi:  iiirii  -^^r 
^  ^^Qénl  anglais. 


232  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

s'attendaient  à  une  affaire  générale,  et  leur  déception  fut 
grande  lorsqu'ils  eurent  la  certitude  que  Tennemi  avait 
disparu.  Nous  avions  vingt-trois  vaisseaux  et  les  Anglais 
vingt  et  un,  mais  la  plupart  des  vaisseaux  anglais  étaient 
plus  forts  que  les  nôtres*.  Après  avoir  rembarqué  les 
troupes  qui  n'étaient  pas  destinées  à  tenir  garnison  à 
Tabago,  le  comte  de  Grasse  mit  sous  voiles.  Il  toucha 
successivement  à  la  Grenade  et  à  Saint-Vincent,  afin  de 
s'assurer  que  ces  deux  îles  étaient  bien  approvisionnées. 
Le  5  juillet,  l'escadre  française,  ayant  sous  son  escorte  un 
convoi  de  deux  cents  bâtiments  de  commerce,  appareilla 
de  la  Martinique  pour  se  rendre  à  Saint-Domingue. 


III 


Après  la  mort  de  M.  de  Ternay,  le  commandement  des 
forces  françaises,  stationnées  sur  les  côtes  de  l'Amérique 
septentrionale,  passa  entre  les  mains  de  rofficier  le  plus 
ancien,  le  capitaine  de  vaisseau  Des  Touches.  Dans  le 
courant  de  janvier  1781,  l'escadre  de  Taniiral  Arbuthnot 
fut  surprise,  à  la  mer,  par  un  coup  de  vent  d'une  extrême 
violence.  Le  Culloden  se  jeta  à  la  côte,  le  Brdfort  déniAta, 
et,  pondant  (juoI(|ue  temps,  l'aniirai  fut  sans  nouvelles 
d'un  troisième  vaisseau,  Y  America,  Profitant  de  coite  cir- 
constance, M.  Des  Touches  envoya  dans  la  baie  do  la  Che- 
î^apeak  le  vaisseau  YKveUlê^  les  fré^'atos  la  Gentille  ot  ia 
Surveillante  cl  le  cotre  la  GurjfC.  Lo  capilaino  de  VHveilléy 
M.  do  Tiliy,  était  chargé  de  détruire  une  flotlillo,  aux  or- 
dres du  général  Arnold,  qui  exorcail  de  nombreuses  dé- 
prédations sur  les  côtes  de  l'Klat  de  Virginie.  Lors(|UC 
l'amiral  Arbuthnot,  après  avoir  réparé  ses  vaisseaux  à 
New- York,  parut  do  nouveau  dans  la  baie  de  Gardner, 


1.  IJi  (!<»  nos  vaisseaux,  V Hector,  qui  avait  ponlu  son  iMMuprô  el  son  mât 
«lo  misaine  (iaiis  un  abordage  aver  le  l't'ani\  dan>  la  nuit  du  30  au  \\\  mai, 
a>ait  quitté  l'eseadro.  I.i'  comte  de  (irasse  l*a>ail  envo\é  à  la  (irenado. 


LIVRE  VIH.  233 

nos  bâtiments  furent  rappelés  à  Rbode-Island.  M.  de  Tilly 
n'avait  pu  s'emparer  de  la  flottille  anglaise,  qui  s'était 
mise  hors  d'atteinte  en  remontant  le  cours  de  l'Élizabeth 
mais  il  avait  capturé  le  Romulus  de  quarante-quatre  ca- 
nons, un  brick,  une  goélette  et  quelques  transports.  Les 
Américains,  attachant  un  grand  intérêt  à  chasser  le  gé- 
néral Arnold  de  la  Virginie,  réunirent  quelques  troupes 
pour  le  combattre.  Le  général  Rochambeau  et  le  com- 
mandant Des  Touches,  vivement  sollicités  par  Washin- 
gton, promirent  de  donner  leur  concours  à  cette  expédi- 
tion. Il  fut  convenu  que  notre  escadre,  sur  laquelle  onze 
cents  soldats  français  prendraient  passage,  irait  dans  la 
baie  de  la  Chesapeak.  La  mission  que  la  marine  avait 
acceptée,  était,  par  suite  de  la  mauvaise  marche  de  quel- 
ques-uns de  nos  vaisseaux,  d'une  exécution  difTicile.  Le 
commandant  Des  Touches  ne  pouvait  réussir  dans  cette 
entreprise  qu'à  la  condition  de  dérober  sa  sortie  aux  fré- 
gates d'Ârbuthnot.  Il  fallait,  en  outre,  qu'il  eût  assez 
d'avauce,  sur  l'ennemi,  lorsque  son  départ  serait  connu, 
pour  n'avoir  pas  à  craindre  d'être  rejoint.  Il  mît  sous 
voiles,  le  8  mars  1781,  à  l'entrée  de  la  nuit,  avec  un  vais- 
seau de  quatre-vingts,  deux  de  soixante-quatorze,  quatre 
de  soixante-quatre,  le  Romulm  qu'il  avait  armé  et  une 
frégate  de  trente-deux.  L'escadre  fit  route  au  large,  et.  le 
l<^odemain  au  jour,  aucun  navire  ne  fut  aperçu  à  rhori- 
^n.  Le  16  mars,  par  un  temps  brumeux,  nous  faisions 
i^oute  sur  la  terre,  dont  nous  nous  supposions  à  quinze 
lieues  environ,  lorsque,  dans  une  éclaircie,  nos  frégal#r^ 
découvrirent  l'ennemi.  L'amiral  Arbuthnot,  promptement 
prévenu  de  notre  appareillage,  venait  en  toute  hâte  poor 
i^ous  barrer  la  route  de  la  Chesapeak.  L'amiral  angUu, 
^ont  le  pavillon  était  arboré  sur  le  London  de  quatre-vin^- 
di^-huit,  avait,  en  outre,  deux  vaisseaux  de  soixaiïte- 
^^atorze,  quatre  vaisseaux  de  soixante-quatre,  ua  r«î-- 
^^u  de  cinquante  et  trois  frégates.  Les  deux  t* 
couraient,  les  amures  à  bâbord,  avee  des  reatm 
^^^^^t,  les  Anglais  au  vent  des  Français.  Ptm 


234  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

brise  ayant  sauté  au  nord-nord-ouest,  les  Anglais  Bcrrtrent 
le  vent,  tribord  amures,  tandis  que  les  Français  prenaient 
la  bordée  du  large.  Grâce  à  la  supériorité  de  leur  marche, 
noB  adversaires  se  trouvèrent  très-promplement  dans  nos 
eaux.  Se  formant  alors  aux  mêmes  amures  que  nous,  ils 
se  couvrirent  de  toile  afin  d'atteindre  notre  arrlèrc-garde. 
Le  commandant  Des  Touches  signala  à  son  escadre  de  vi- 
rer lof  pour  lof  par  la  contre-marche,  et  il  se  dirigea  sur 
l'ennemi  avec  rintentlori  de  le  prolonger  par  tribord.  Le 
fou  s'ouvrit,  dès  que  les  premiers  vaisseaux  des  deux  es- 
cadres furent  à  portée  de  canon.  L'avant-garde  anglaise 
ayant  laissé  porter,  nos  vaisseaux  recourent  l'ordre  de  ve- 
nir au  plus  près,  bdbord  amures,  par  un  mouvement 
successif.  Otle  manœuvre  lit  défiler  toute  notre  escadre 
sur  l'avant  de  la  ligne  anglaise,  dont  les  trois  premiers 
vaisseaux  s'éloignèrent  en  désordre.  L'arrière-gardc  en- 
nemie arriva  à  la  hauteur  de  nos  derniers  vaisseaux,  au 
moment  où  ceux-ci  achevaieni  leur  évolution.  Le  combat 
l'ut  alors  très-vif,  mais  les  Anglais  ayant  diminué  de  voiles 
afin  de  couvrir  les  navires  qui  avaient  souffert  au  début 
de  l'action,  les  deux  escadres  se  dépassèrent  et  le  feu 
cessa.  Les  Français  et  les  Anglais  prirent  les  amures  & 
bilbord  et  coururent  vers  In  terre,  sous  petites  voiles. 
Quoique  nos  adversaires  eussent  l'avantage  du  vent,  ils 
ne  firent  aucun  mouvement  qui  indiquât,  de  leur  part, 
l'intention  de  reprendre  la  lutte.  Pendant  la  nuit,  que 
notre  escadre  passa  en  panne  et  les  feux  allumés,  l'amiral 
Arbutbnot  entra  dans  la  Chesapcak.  Le  Conquérant  et 
YAvdeut  n'étaient  pas  en  position  de  supporter  un  coom 
de  vent.  Les  bas  mâts  de  ces  vaisscaax  avaient  ét£  l 
versés  par  les  bouleU,  et  le  gouvernail  du  Cont/uérxmt  é 
hors  de  service.  Les  capitaines  français  réunis,  le  lendl 
main,  &  bord  du  Due  de  Bourgogne,  furent  d'avis  qu'ij 
l'état  où  se  trouvaient  le  Contiuéranl  et  1'^  j-deni,  l'e 
ne  pouvait  remplir  sa  mission.  Le  commandant  I 
Touches,  se  conformant  ù  l'avis  du  conseil,  r 
bAtiments  h  Rhodu-Island. 


LIVRE  VIII.  235 

Nous  uvioDS  soutenu  un  combat  honorabli?,  muis  nous 
avions  ûclioué  dans  notre  entreprise.  Sî  la  traversée  de 
l'escadre  Trançaise  avait  i^té  plus  rapide,  l'amiral  anglais 
eût  Iroavé  nos  vaisseaux  cmbossés,  à  l'entrée  de  la  ri- 
viitrc  James,  dans  une  position  inexpugnable,  et  l'expédi- 
tion projetée  aurait  eu  lieu.  Or,  la  lenteur  de  notre  tra- 
versée, et,  par  suite,  notre  insuccès  n'avaient  d'aulre cause 
que  la  marche  de  ceux  de  nos  vaisseaux  qui  n'étaient  pas 
doublés  en  cuivre.  <<  La  disproportion  étonnante  de  mar- 
che que  cela  occasionne,  écrivait  le  chef  de  notre  escadre 
au  ministre,  a  toujours  mis  de  grands  obstacles  &  tous 
les  mouvements  que  j'ai  voulu  faire,  et  je  puis  vous  dire, 
Monseigneur,  que  j'aurais  primé  les  Anglais  dans  la  Che- 
sapeak,  si  les  quatre  vaisseaux  de  mon  escadre  qui  ne 
sont  pas  doublés  en  cuivre,  n'étaient  pas,  faute  de  mar- 
che, restés  plusieurs  lieues  de  l'nrrière  et  sous  le  vent.  « 
Tellesélaient  les  conséquences  de  la  faute  que  nous  avions 
commise  en  n'appliquant  pas  à  nos  bdlimcnts  l'impor- 
tante amélioration  que  nos  voisins  avaient  adoptée.  Le 
rapport  dans  lequel  le  chevalier  Des  Touches  Dl  connaître 
au  ministre  les  divers  incidents  de  la  journée  du  16  mars, 
contenait  le  passage  suivant:  >>  Les  capitaines  comman- 
dant les  vaisseaux  de  l'escadre  m'ont  fait  les  plus  grands 
éloges  de  leurs  états-majors  et  équipages;  je  dois  vous 
faire  celui  de  MM.  de  la  Grandiére,  de  Harigny  et  de  Mé- 
dîne.  M-  de  Médine,  commandant  le  Neptune,  a  été  blessé 
A  la  t€te.  Cet  ofQcier  a  su  profiter  d'un  moment  bien  in- 
téressant dans  le  combat,  lorsqu'un  vaisseau  de  tête  de 
l'ennemi,  ne  pouvant  plus  supporter  le  feu  de  ceux  de 
mon  avant-garde,  a  été  forcé  d'arriver  et  de  présenter 
l'arrière.  Le  Neptune  s'est  placé  h.  portée  de  mousqueterie 
de  sa  poupe  et  l'a  enfile  de  toute  sa  bordée,  sans  que  le 
vaisseau  anglais  pAt  lui  répondre  d'un  seul  coup  de  ca- 
non, u  Nos  pertes  s'étaient  élevées  à  soixante-douze  tués 
et  cent  douze  blessés.  Le  Conquérant  et  VAràentj  com- 
mandés par  MM.  de  la  Grandiére  et  de  Uédine,  avaient 
porté  le  poids  de  la   bataille.  Le  Conquérant  comptait 


i 


236  HISTOIBE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

quarante-trois  tués  et  cinquante  blessés,  VArJenl  qua- 
torze tués  et  trente-neuf  blessés.  Le  chevalier  Des  TouctiM 
avait  trouvé  chez  ses  camarades,  non-sculument  l'obéis- 
sance qui  lui  était  due,  mais  le  concours  le  plus  dévoué.^ 
Les  capitaines  de  sou  escadre  n'avaient  fait  que  leur  de- 
voir, mais  en  présence  des  accusations  d'indiscipline* 
portées  contre  la  marine  ilc  Louis  XVI,  il  n'est  pas  hors 
de  propos  de  le  signaler. 

Depuis  le  commencement  de  la  guerre,  il  n'y  avait  eu, 
sur  les  côtes  des  États-Unis,  aucune  rencontre  entre  les 
escadres  de  France  et  d'Angleterre.  Aussi  le  prestige  que 
les  succès  des  deux  dernières  guerres  avaient  donné  aa 
pavillon  de  la  Grande-Bretagne,  n'avait-il  subi,  dans  cette 
partie  du  monde,  aucune  atteinte.  Or,  il  n'était  pas  pei^ 
mis  de  douter  que  l'escadre  d'Arbuthnot,  dont  la  supério- 
rité sur  la  nûtre,  sans  être  très-grande,  était  réelle,  n'eût 
décliné  les  conséquences  d'un  second  engagement.  Si  les- 
Fran<;ais  n'avaient  remporté,  le  16  mars,  aucun  avantagOJ 
sérieux,  le  champ  de  bataille  leur  élajl  resté.  Ce  résullaV 
quoique  incomplet,  produisit  un  Irës-lieureux  effet  sur; 
l'esprit  du  peuple  américain,  enclin,  malgré  l'irritatioB; 
qu'il  nourrissait  contre  nos  adversaires,  à  croire  &  leufï 
supériorité  maritime.  Le  congrès  partageant  l'opinioni 
générale  et  désireux,  d'aulre  part,  de  montrer  sa  recoi 
naissance  envers  la  France,  adopta,  le  b  avril,  la  résolo-i 
tion  suivante  :  «  Arrête  que  le  Président  transmettra  les 
remerciements  des  États-Unis,  assemblés  en  congi'ès,  aU' 
comte  de  Rocliambeau  et  au  chevalier  Des  Touches  coin*i 
mandant  l'armée  et  l'escadre  envoyées  par  Sa  Majesté; 
tr(rs-chrétîenne  au  secours  de  ses  alliés,  pour  le  zèle  e( 
la  vigilance  qu'ils  ont  montrés,  en  toute  occasion,  pour 
remplir  les  intentions  généreuses  de  leur  Souverain  et 
l'attente  de  ces  États;  qu'il  présentera  leurs  remercie- 
ments au  chevalier  Des  Touches  et  aux  oflicîers  et  équi- 
pages des  vaisseaux  sous  son  commandement,  pour 
bravoure,  la  fermeté  et  la  bonne  conduite  qu'ils  ont  mon- 
trées dans  l'entreprise  faite  dcrniéreniont  contre  l'ennemit 


LIVRE  VIII.  237 

à  Portsmouth,  en  Virginie,  dans  laquelle,  quoique  des 
événements  imprévus  les  aient  empochés  de  remplir  leur 
objet,  le  combat  opiniâtre,  si  avantageusement  et  si  cou- 
rageusement soutenu,  le  I6  mars  dernier,  à  la  hauteur 
des  caps  de  la  baie  de  la  Chesapeak,  contre  une  escadre 
anglaise  supérieure,  fait  honneur  aux  armes  de  Sa  Ma- 
jesté très-chrétienne,  et  il  est  un  heureux  présage  d'a- 
vantages décisifs  pour  les  États-Unis.  »  Le  gouvernement 
anglais  ratifia  le  jugement  porté  par  le  peuple  américain 
et  le  congrès,  en  remplaçant  l'amiral  Arbuthnot  dans  son 
commandement,  aussitôt  que  parvint  à  Londres  la  nou- 
velle du  combat  du  16  mars. 

Cette  affaire  ne  fut  pas  appréciée,  en  France,  à  sa  juste 
valeur.  On  laissa  de  côté  le  combat  pour  ne  voir  que  Tin- 
succès  de  la  mission.  Le  capitaine  de  vaisseau  Des  Tou- 
ches, qui  avait  commandé  avec  succès  une  division  de 
sept  vaisseaux  devant  l'ennemi,  ne  fut  pas  nommé  chef 
d'escadre.  Au  lieu  de  cette  récompense,  à  laquelle  il  se 
croyait  les  plus  justes  droits,  il  eut  une  pension.  Le 
major  de  l'escadre, le  lieutenant  de  vaisseau  de  Granchain, 
officier  du  plus  grand  mérite  et  fort  ancien,  ne  fut  pas 
fait  capitaine  de  vaisseau,  quoique  ce  grade  eût  été 
demandé  pour  lui  avec  les  plus  vives  instances  par 
M.  Des   Touches*.  Le  chef  d'escadre  de    Barras,   qui 

1-  Le  capitaine  de  vaisseau  Des  Touches  adressa  au  ministre  la  lettre  sui- 
^^  :  «  Je  me  trouve  très-honoré  de  la  pension  de  huit  cents  livres  que 
Si  Majesté  a  bien  voulu  m^accorder,  parce  qu'elle  me  prouve  la  satisfaction 
<|ii'slle  veut  bien  avoir  de  mes  services.  Mais  cette  espèce  de  récompense 
b'^  jamais  été  celle  que  j*ai  ambitionnée.  Je  vois  mes  cadets  dans  la  marine 
^b  veille  d'être  ofticiers  généraux,  et  ils  n'ont  pas  devant  eux  le  titre  d'avoir 
nltu  les  ennemis  de  Sa  Majesté  avec  des  forces  prouvées  très-inférieures  et 
9^\  n'oDt  dû  le  succès  d'un  combat  en  ordre  qu'à  la  supériorité  de  leurs 
"^^avrcs.  Le  rappel  d'Arbulhnot  le  prouve  assez,  et  j'ose  avancer,  Mon- 
seigneur, que  les  armes  du  Hoi  ont  acquis  un  nouveau  lustre  sous  mes 
^wtlres  dans  l'esprit  de  tous  les  Anglais...  »  M.  de  Granchain  écrivit  égale- 
in^tau  ministre.  Voici  un  passage  de  sa  lettre  :  «  J'étais  loin  de  m'attcndre 
906  la  réponse  aux  lettres  dans  lesquelles  on  a  rendu  compte  du  combat 
OQ 16  mars  ne  m'apporterait  qu'un  passe-droit.  Cette  humiliation  m'est  d'au- 
^t  plus  sensible  que  j'avais  conçu  les  espérances  les  plus  diamétralement 
^H^oeées  :  au  surplus,  je  ne  demande  aucune  réparation.  Une  récompense 


238  HISTOIRE  IJK  L\  MAJUKE  FRANÇAISE, 

vint,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin, prendre  le  cont- 
mandemcnt  de  la  division  navale  réunie  à  Rhode-Island, 
considéra  comme  un  devoir  de  modifier  l'opinion  qu'oB 
s'était  faite,  à  Paris,  sur  la  conduite  de  notre  escadre  it 
16  mars.  II  écrivit  au  ministre,  le  30  septembre  1781  : 
B  Monseigneur,  j'ai  vu  avec  peine  qu'on  n'a  pas  attaché, 
en  France,  au  combat  de  M.  Des  Touches,  tout  le  mérite 
qu'il  a  réellement  et  qu'on  lui  a  justement  attribué  es 
Angleterre.  Si  on  le  compare  cependant  aux  sept  grande» 
batailles  navales  de  cette  guerre,  on  verra  qu'il  n'y  en  m 
aucune  011  nos  escadres  aient  combattu  avec  des  forces 
aussi  Inférieures  que  l'a  fait  M.  Des  Touches.  La  hardiessA 
qu'a  eue  ce  commandant  de  mettre  en  ligne  le  ftumuhtt, 
dont  il  venait  de  s'emparer  sur  les  ennemis,  et  la  fermeté 
de  l'officier  qui  a  tenu  ce  poste  périlleux,  ont  pu  rendre  la 
ligne  française  égale  en  nombre  k  celle  des  Anglais,  maÎB 
elles  n'ont  pas  fait  que  les  lignes  fussent  réellement  éj 
les,  et  un  simple  coup  d'œil  sur  la  liste  des  deux  escadi 
suffit  pour  voir  combien  les  ennemis  avaient  d'avantu; 

D'après  celle  supériorité  bien  constatée,  c'était  h  lU 
mirai  Arbuthnot,  et  non  à  M,  Des  Touches,  à  chercher 
combat  décisif,  et  la  nation  anglaise  l'a  si  bien  senti  qi 
cet  amiral  a  été  bafoué  par  le  peuple  do  New- York  et  n 


tardive,  et  qu'où  regarderait  comme  arractioo  par  l'imporlunilé,  ne  t 
nn  dâdonimagenicQt  pour  moi,  et  je  n'aspire  qu'au  nioiiieni  o 
renoncé  h  tout  le»  honneurs  militaire»,  je  n'aurai  plus  qu'à  tatn  des  v 
en  bon  cJluyen,  pour  que  Ions  les  ollicicrs  qui,  A  dilTi'h^ntss  i^pwjuM,  » 
ilè  mieux  Irnitéi  que  moi,  «errent  le  Roi  avec  autant  de  ii^le  et,  j'oer  igoulsr. 
aussi  utilement  que  mui.,..  ■  |j!  ministre  réfiondit  ft  M,  de  Qr«nchatn  : 
•  J'avais  propo«d  >u  lloi,  monsieur,  de  voue  accorder  le  (crade  de  capitaine 

de  vaisseau  à  prendre  rang  a  la  première  promutian]  maii       

30  septembre  e«t  arrivée  tort  mil  A  propos  pour  l'eigi^dilion  do  celte  grk 
Sa  Majesté,  remarquant  le  Ion  amflr  et  trop  préeomplucut  de  celle  U 
tju(^  h  propos  de  remettre  ft  un  aulre  temps  l'examen  de  vu«  pri 
et  J'ai  senli  que  co  n'Atail  pas  le  moment  d'insister  auprès  d'Elle  pi 
avancement.   Je  suis  McliA  que  vous  ayet  mis  cet  obstacle  k  i 
volunlépour  vous.  •  Le  miaîstredonna celle saliiracliont  la  diuiplini 
il  regretta  de  s'AIre  Irnmp*.  l.'nnnrie  suivante,  il  nnmma  le  lleuln 
vaisseau  de  Granchain  capilsiiiu  de  vaisseau.  La  promotioa  de  U.  Dca  Xi 
ma  grade  de  cherd'eicadrc  eut  lieu  en  nH4.  • 


LIVRE  VlII.  239 

pelé  par  le  ministère  britannique.  Quant  à  l'avantage 
qu'ont  eu  les  Anglais  de  remplir  leur  objet,  c'est  une 
suite  nécessaire  de  leur  supériorité,  et,  plus  encore,  de 
leur  position  purement  défensive.  Il  est  de  principe  de 
guerre  qu'on  doit  risquer  beaucoup  pour  défendre  ses 
propres  positions,  et  très-peu  pour  attaquer  celles  des 
ennemis.  M.  Des  Touches,  dont  l'objet  était  purement 
oITensif,  a  pu  et  a  dû,  lorsque  les  ennemis  lui  ont  opposé 
des  forces  supérieures  aux  siennes,  renoncer  à  un  projet 
qui  ne  pouvait  plus  avoir  de  succès  qu'autant  qu'il  vien- 
drait à  bout,  contre  toute  probabilité,  non-seulement  de 
battre,  mais  encore  de  détruire  entièrement  cette  escadre 
supérieure.  Dans  cette  position,  il  ne  lui  restait  plus  à  faire 
que  de  se  retirer  avec  honneur,  après  avoir  châtié  l'arro- 
gance des  ennemis,  et  avoir  établi  la  réputation  des  armes 
françaises  aux  yeux  du  peuple  d'Amérique,  si  longtemps 
abusé  par  les  relations  mensongères  des  Anglais.  La  voix 
de  toute  la  marine,  celle  des  Américains,  qui  ont  rendu 
les  témoignages  les  plus  honorables  à  M.  Des  Touches, 
réclament  pour  ce  commandant  une  récompense  plus  dis- 
tinguée que  n'est  une  pension,  donnée  en  partie  pour  des 
blessures  précédentes,  et  à  peu  près  égale  à  celles  qui  ont 
été  accordées  à  de  simples  capitaines  pour  avoir  gardé 
avec  fermeté  leur  poste  dans  une  ligne  de  bataille.  J'ose 
attendre,  Monseigneur,  qu'après  avoir  pris  une  connais- 
sance plus  parfaite  de  toutes  les  circonstances  du  combat 
honorable  soutenu  par  M.  Des  Touches,  vous  sentirez  tout 
le  mérite  de  cette  action,  et  que  vous  vous  croirez  d'au- 
tant plus  obligé  de  le  récompenser,  qu'il  sera  dû,  en 
quelque  sorte,  un  dédommagement  à  M.  Des  Touches  pour 
la  mortification  qu'il  éprouve,  aujourd'hui,  de  ne  rece- 
voir aucune  marque  réelle  de  satisfaction,  et  de  n'avoir 
aucunes  grâces  à  annoncer  aux  officiers  de  son  escadre. 
De  toutes  ces  grâces,  celle  dont  le  refus  lui  a  été  le  plus 
sensible,  est  la  demande  qu'il  a  faite  de  la  commission  de 
capitaine  de  vaisseau  pour  M.  de  Granchain,  major  de  son 
escadre.  Cet  avancement  paraissait  tellement  mérité  qu'un 


ikO 


HISTOiilE   DE  I,\  MARINE  FRANÇAISE. 


grand  nombre  d'ofTiciers,  sur  ta  nouvelle  qu'il  était  arrive 
des  réponses  aux  lettres  qui  ont  annoncé  le  combat  du 
16  mars,  sont  venus  d'avance  faire  leurs  compliments  à 
M.  de  Granchuin,  et  je  ne  saurais  vous  peindre  quel  a  été 
leur  étonnement,  lorsqu'ils  ont  appris  qu'il  n'avait  reçu 
rien  autre  chose  qu'un  passe-droit.  Je  suis  loin  de  biftmer 
la  récompense  qui  a  été  accordée  à  M.  de  la  Touche-Tré- 
ville,  et  que  j'ai  sollicitée  moi-même  ;  mais  il  nv  m'est 
jamais  entré  dans  l'idée  qu'il  put  Cire  avancé  au  préju- 
dice de  M.  de  Granchain,  et  lui-même  a  eu  de  la  peine  à 
a'oire  que  cela  fût.  Je  vous  demande,  avec  la  dernière 
instance,  Monseif^neur,  de  réparer  sans  délai  une  erreur 
qui  a  blessé  cruellement,  et  à  très-juste  litre,  la  suscep- 
tibilité de  cet  oriicicr.  n 


IV 


Le  chef  d'escadre  de  Barras,  successeur  de  M.  de 
Ternay,  arriva,  le  10  mai  1781,  i\  Rhode-Island,  sur  la 
Conconle.  Le  (ils  du  général  de  Rochanibeau,  qui  avait 
pris  passage  sur  cette  frégate,  apportait  À  son  père  les 
instructions  de  notre  gouvernement.  Le  ministre  de  la 
guerre  informait  le  général  que  l'escadre  partie  de  Brest, 
le  S2  mars  1781,  pour  se  rendre  dans  la  mer  des  Antilles, 
80US  le  commandement  du  comte  de  Grasse,  viendrait  sur 
leseâtes  de  l'Amérique  septentrionale,  |>cndant  la  saison 
de  l'hivernage.  11  l'invitait  à  arrêter,  de  concert  avec  les 
autorités  américaines,  un  plan  de  campagne  auquel  la 
marine  pourrait  donner  son  concours.  Si  nos  troupes 
quittaient  la  position  qu'elles  occupaient,  U.  de  Du>*^ 
rus  devait  se  retirer  h  Boston.  Par  la  Concorde, 
avait  navigué  quelques  jours  avec  son  escadre,  le  coi 
de  Grasse  avait  écrit  au  général  de  Rochanibeau  i>our  Ifl 
prier  de  l'aviser  à  l'avance  de  ses  intentions.  Enfin,  il 
avait  donné  AM.de  Barras  l'ordre  de  lui  envoyer  des 
avisos  &  Saint-Domingue    avec  les  dépêches  du  génAr 


I 


1 


LIVRE  VIIÏ.  241 

ral  et  des  pilotes.  Les  généraux  Washinglon  et  Rocham- 
beau  se  rencontrèrent,  le  20  mai,  à  Westcrfield,  près 
Hartford.  Dans  cette  entrevue,  ils  discutèrent  les  chances 
de  deux   opérations  également  importantes,  savoir  une 
expédition  en  Virginie  et  une  attaque  sur  New-York.  Le 
premier  projet,  plus  spécialement  soutenu  par  Rocham- 
beau,  fut  provisoirement  adopté.  Les  deux  généraux  con- 
vinrent de  se  mettre  en  marche  immédiatement,  et  d'opé- 
rer leur  jonction  sur  les  rives    de  THudson.  C'était  là 
qu'ils  devaient  attendre  les  lettres  du  comte  de  Grasse, 
et  arrêter  leurs  résolutions  définitives.  Dans  la  crainte 
que  nos  vaisseaux,  privés  de  l'appui  de  la  terre,  ne  fus- 
sent plus  en  sûreté  à  Rhode-lsland,  il  avait  été  décidé 
que  M.  de  Barras  irait  à  Boston,  après  le  départ  des 
troupes.  Le  général  Washington  avait  particulièrement 
insisté  pour  que  l'escadre  s'éloignât.  Son  avis,  sur  cette 
question,  se  trouvait  mentionné,  ainsi  qu'il  suit,  dans 
une  note  indiquant  les  différents  points  débattus  à  Wes- 
terûeld:  «Le  plan  de  campagne  exigera  que  l'armée  fran- 
çaise marche  vers  le  nord,  aussitôt  qu'il  sera  possible. 
En  conséquence,  M.  le  comte  de  Barras,  selon  les  instruc- 
tions données  dans  cette  supposition,  fera  prudemment 
de  profiter  du  premier  moment  favorable  pour  aller  à 
Boston  avec  l'escadre  qu'il  commande  ».  M.  de  Barras 
n'assistait  pas  à  la  conférence  du  20   mai.  Ayant  été 
informé,  au  moment  où  il  se  disposait  à  quitter  Rhode- 
lsland  en  compagnie  du  général  Rochambeau,  que  Ta- 
niiral  Graves  était  sorti  de  New-York,  il  avait  mis  a  la 
^oile,  avec  tous  ses  bâtiments,  pour  assurer  la  rentrée 
<i'un  convoi.   Il  apprit,  avec  un  profond  regret,  que  les 
forces  placées  sous  son  commandement,  seraient,  par 
suite  de  leur  éloignement,  tenues  en  dehors  des  opéra- 
tions qu'on  préparait.  Un  conseil  de  guerre,  réuni  sur  sa 
demande,  déclara  que  nos  vaisseaux  pouvaient  sans  in- 
convénient rester  à  New-Port.  Washington,  prévenu  par 
'®s  soins   de    M.  de   Barras  du    changement    apporté 
^ux  dispositions  prises  le  20  mai,  exprima  le  désir  que 

16 


242  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

cette  affaire  fût  soumise  à  une  nouvelle  délibération.  Par 
déférence  pour  Topinion  du  généralissime  américain, 
HM.  de  Rochambeau  et  de  Barras  assemblèrent,  le 
8  juin,  un  deuxième  conseil  do  guerre  qui  confirma,  à 
l'unanimité,  l'opinion  précédemment  émise.  La  marine  et 
l'armée  étaient  représentées  dans  ce  conseil  par  les  capi- 
taines de  vaisseau  Bernard  de  Marigny,  Chadeau  de  la 
Clocheterie,  le  Gardeur  de  Tilly,  la  Villebrune,de  Médine, 
de  Lombard,  de  la  Grandière,  Des  Touches,  le  chef  d'es- 
cadre de  Barras,  les  colonels  de  Laval,  de  Lauzun,  Cus- 
tine,  les  brigadiers  de  Béville  et  de  Choisy,  les  maréchaux 
de  camp  baron  de  Vioménil,  comte  de  Yioménil,  de 
Chastellux,  et  le  lieutenant  général  de  Rochambeau.  11  est 
non-seulement  intéressant,  mais  utile  au  point  de  vue 
historique,  de  rappeler  les  considérations  invoquées  par 
nos  officiers  pour  justifier  leur  opinion.  «  Le  désir  ex- 
trême, disaient-ils,  qui  anime  tout  ce  qui  compose  les 
forces  françaises  pour  concourir  également  et  efficace- 
ment au  bien  de  la  cause  commune,  a  donné  lieu  à  de 
nouvelles  réflexions.  On  a  pensé  que  l'espèce  de  retraite 
de  l'escadre  dans  le  port  de  Boston,  tandis  cjuc  les  trou- 
pes déterre  s'avanceraient  sur  New-York,  pourrait  paraî- 
tre aux  ennemis  une  dcmarclie  contradictoire  cl  affaiblir 
l'efTet  (ju'une  marche  offensive  par  terre  devait  produire. 
D'après  ces  réflexions,  on  a  jugé  que  le  départ  des  trou- 
pes de  terre  étant  décidé  par  son  Excellence,  celui  de 
Tescadre  n'était  qu'une  sinjple  précaution  tMctée  par  la 
prudonci».  Celte  précaution  n'élant  i)lus  jugée  nécessaii*c 
par  la  marine  du  Roi,  elle  a  désiré,  elle-niôme,  ne  pas 
être  un  obstacle  au  système  général  de  la  campagne, 
au(juel  elle  espère  concourir  par  son  séjour  à  New-Porl, 
dans  ce  moment-ci,  el  plus  encore  par  la  facilité  qu  elle 
trouvera  à  agir  plus  promptonicnl,  aussitôt  que  les  se- 
cours (ju'on  a  lieu  d'espérer  seront  arrivés.  »  Ce  passage, 
(jue  nous  avons  cilé  avec  intenlion,  montre  le  zèle  el  la- 
bonne  volonté  (jue  déployèrcnl  l'armée  el  la  marine 
Pendant  cette  campagne,  nos  officiers   n'eurent  d'autn 


LIVRE  VIII.  243 

préoccupation  que  de  conibaltrc  avec  vigueur  les  enne- 
mis de  la  France  et  de  TAniérique.  Washington,  en  ap- 
prenant la  décision  prise  par  le  deuxième  conseil  de 
guerre,  écrivit,  le  13  juin,  de  son   quartier  général  de 
New-Windsor,  au  comte  de  Barras  :  «  Monsieur,  j'ai  eu 
rhonneur  de  recevoir  hier  la  lettre  de  votre  Excellence 
du  9  courant,  accompagnée  du  résultat  du  second  con- 
seil de  guerre.  Ayant  le  plus  grand  respect  pour  Topi- 
nion  de   Messieurs   les   officiers   qui    le    composaient, 
j'aurais  été  satisfait,  alors  même  qu'ils  se  fussent  con- 
tentés de  mentionner  qu'après   un   nouvel  examen  ils 
croyaient  utile  à  l'intérêt  commun  de  persister  dans  leur 
première  détermination.  Mais  en  présence  des  nouveaux 
arguments  qui  ont  été  exposés  en  faveur  de  la  continua- 
lion  du  séjour  de  l'escadre  à  New-Port,  auxquels  s'ajou- 
tent ceux  que  votre  Excellence  m'a  exprimés  dans  sa 
lettre,  je  demeure  convaincu  que  le  parti  qui  a  été  pris 
est  excellent.  Je  vous  prie  de  témoigner  toute  ma  recon- 
naissance à  Messieurs  de  la  marine  pour  les  raisons  qui 
leur  font  désirer  personnellement  de  rester  dans  la  rade 
<le  New-Port  plutôt  que  de  s'en  aller  à  Boston.  »  Quelques 
historiens  prétendent  que  Washington  éprouva  un  mécon- 
tentement très-vif  en  apprenant  qu'une  question,  résolue 
4  WesterGeld,  avait  été  mise  en  délibération  à  Rhode- 
'sland.  Le  comte  de  Barras  avait  mieux  vu  les  choses 
lorsqu'il  écrivait,  à  propos  de  cet  incident,  au  maréchal  de 
Gastries  :  «  La  différence  d'opinion  du  général  Washington 
Reparaît  venir  plutôt  d'une  extrême  délicatesse  qui  lui  fait 
Craindre  de  compromettre  les  forces  du  Roi,  que  d'une 
inquiétude  fondée  qu'il  puisse  avoir  sur  la  sûreté  de  l'es- 
cadre. »  La  lettre  du  généralissime  américain,  que  nous 
^vons  citée  plus  haut,  suffit  d'ailleurs  pour  rétablir  la 
Vérité  sur  ce  point.  Washington   apportait,  dans    les 
affaires    publiques,    la   même  honnêteté  que  dans  les 
Maires  privées.  Il  n'eût  pas  voulu  servir  les  intérêts  de 
^on  pays  en  compromettant  ceux  de  ses  alliés.  Le  gouver- 
liement  français  ayant  tracé  la  ligne  de  conduite    que 


244  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

M.  de  Barras  devait  suivre,  dans  le  cas  où  les  troupes  de 
Rochambeau  quitteraient  Rhode-Island,  Washington  avait 
insisté  pour  que  Tescadre  se  rendît  au  point  désigné, 
c'est-à-dire  à  Boston.   Lorsqu'il   sut  qu'un  conseil  de 
guerre  avait  reconnu  la   convenance  de  s'écarter  des 
instructions  du  cabinet  de  Versailles,  il  poussa  le  scru- 
pule jusqu'à  demander  que  la  résolution  adoptée  fût  sou- 
mise à  un  nouvel  examen.  Les  ofticiers  français  ayant 
maintenu  leur  première  décision,  sa  responsabilité  se 
trouva  complètement  dégagée.   Il  manifesta   alors   ses 
véritables  sentiments,  en  adressant  à  M.  de  Barras  et  à  la 
marine  les  remercîments  les  plus  sincères.  Nous  verrons 
plus  loin  le  service  que  les  vaisseaux  restés  à  Rhode- 
Island  rendirent  à  l'armée  alliée  *.  La  Concorde,  partie  de 
Boston,  le  20  juin  1781,  avec  des  pilotes  pour  nos  vais- 
seaux et  des  dépêches  pour  le  commandant  en  chef  de 
l'escadre,  mouilla,  le  8  juillet,  sur  la  rade  du  Cap  Français. 
Lorsque  le  comte  de  Grasse,  venant  de  la  Martinique, 
arriva  à  Saint-Domingue,  il  sut  immédiatement  quelle 
était  la  nature  des  services  que  l'on  attendait  de  lui.  Les 
lettres  qu'il  reçut  d'Amérique  présentaient  l'état  dos  affai- 
res sous  le  jour  le  plus  alarmant.  Peu  de  temps  avant  le 
départ  de  la  Concorde,  le  général  Clinton,  qui  avait  roru 
d'Angleterre  des  renforts  importants,  était  à  New- York 
avec  douze  mille  hommes,  alors  (jue  les  alliés,  campés 
sur  les  rives  de  l'Hudson,  n'avaient  que  neuf  mille  sol- 
dats à  lui  opposer.  Les  forces  de  la  Fayette,  chargé  de 
défendre  la  Virginie  contre  loni   Cornwallis,    étaient  à 


I .  I.<'  iluc  (le  I^iu/.un  «hlqu'il  (Hait  personncllcmcnl  d'avis  nue  roscadr»*  se  reli- 
rai à  Hosloii.  Or,  son  nom  fleure  au  l>as  ilu  procès  \erbalde  la  séance  du  (Y)n>eil 
du8juin,dansle«jucl  la  décision  contraire,  prise  une  première  foi<.  le  31  mai. 
à  l'unanimiU*,  fulconlirmêe  dan^  les  unîmes  conditions.  Puisque  nous  parlons 
du  duc  de  l.auzuii,  il  ciMnient  de  rappeler  <]n'il  se  montra,  pendant  cette 
campagne,  braNe,  actif  et  dcN«»ue  à  la  causo  qu'il  était  venu  défendre.  I| 
n'i'Nl  p;is  le  seul.  dev«»n>-n(»us  ajouter,  qui,  écrivant  (piel({ue  temps  après  les 
éNeiniiietiU  et  >ur  de.s  s(Mi\efiir>  perMiniie|>.  sf  ^iit  trompé.  I)ans  Icn  nié- 
m(»iie:»  relatifs  a  la  guerre  de  riiidepeiidance  anieiie.tiiie,  il  >  a  peu  de  fait* 
a^ant  liait  à  la  inaiine  qui  soient  exactement  ia|>portés. 


LIVRE  VllI.  245 

peine  suffisantes  pour  tenir  la  campagne.  Les  généraux 
Washington  et  Rochambeau,  le  chef  d'escadre  de  Rarras, 
M.  de  la  Luzerne,  notre  ministre  auprès   du  congrès, 
priaient  très-instamment  le  comte  de  Grasse  de  venir  à 
leur  secours  avec  une  flotte  nombreuse,  des  troupes  et 
de  l'argent.  Parmi  les  vaisseaux  mouillés  sur  la  rade  du 
Cap,  dix  étaient  depuis  longtemps  dans  la  mer  des  An- 
tilles.  Le  ministre  avait  prescrit  de  les  renvoyer  en 
France,  en  plaçant,  sous  leur  escorte,  les  bâtiments  mar- 
chands prêts  à  prendre  la  mer.  Le  comte  de  Grasse  réso- 
lut de  les  emmener  avec  lui  sur  les  côtes  de  l'Amériquo 
septentrionale.  S'il  pouvait,  par  ce  moyen,  disposer  d'une 
nombreuse  escadre,   il  lui   était    difficile    d'avoir   des 
troupes  et  de  l'argent.  Le  gouverneur  de  Saint-Domin- 
gue, H.  de  Lillancourt,  qui  se  conduisit  en  cette  circons- 
tance avec  un  dévouement  qu'on  ne  saurait  trop  louer, 
lui  donna  trois  mille  deux  cents  hommes,  dix  pièces  de 
campagne,  quelques  pièces  de  siège  et  deux   mortiers. 
Ne  voulant  pas  que  sa  marche  fût  embarrassée  par  un 
convoi,  le  comte  de  Grasse  fit  embarquer  les  hommes  et 
le  matériel  sur  ses  vaisseaux.  N'étant  pas  parvenu,  mal- 
gré ses  efforts,  à  résoudre  la  question  d'argent  à  Saint- 
Domingue,  il  envoya  V Aigrette  à  la  Havane.  Le  capitaine 
<le  ce  bâtiment  devait  prier  le  gouverneur  de  la  colonie 
de  nous  faire  l'avance  de  douze  cent  mille  livres,  somme 
jugée  nécessaire  par  le  général  de  Rochombeau  pour 
subvenir  aux  besoins  de  son  armée.  Le  28  juillet,  la  Cou- 
corde  fit  route  pour  Roston,  précédant  de  quelques  jours 
uotre  escadre  qui  prit  la  mer  le  5  août.  Le  comte  dcî 
firasse  fut  rejoint  par  r-^tgre/Ze,  à  l'entrée  du   canal   do 
^hama.  Lorsque  cette  frégate  avait  mouillé  à  la  Havancî, 
'cs  caisses  de  l'État  étaient  vides.  Cependant,  grâce  h 
'*  l>onne  volonté  des  principaux  habitants,  son  capitaine 
'éprenait  la  mer,  six  heures  après  son  arrivée,  avec  la 
^QïmequeréclamaitRochambeau.  Notre  floUe  franchit 
^^  canal  de  Rahama,  et  elle  mouilla,  le  30  août,  près  du 
^P  Henri,  à  l'entrée  de  la  Chesapeak. 


I 


246  HISTOIRK  DE  LA.  MARINE  FRANÇAISE. 

Conrorniémeiit  aux  conventioas  Faites  dans  l'entrevue 
de  Westerfield,  les  Français  et  les  Américaine  se  trou- 
vÈrent  réunis,  à  la  fin  de  juitlel,  à  Philippsbnrg,  non  loin 
de  New-York.  Les  dispositions  prises  par  les  alliés  sem- 
blèrent annoncer  l'inlcntion  d'attaquer  la  ville.  Le  com- 
mandant en  chef  de  l'armée  britannique,  le  général 
Clinton,  se  laissant  tromper  par  ces  démonstrations,  coD- 
serva  auprès  de  lui  les  troupes  qu'il  se  proposait  d'en- 
voyer dans  les  provinces  du  sud.  !1  lit  plus,  il  prescrivit: 
à  lord  Cornwallis  de  se  rapprocher  de  la  baie  de  It' 
Chesapcak,  afm  que  ce  (général  fût  en  mesure  de  se  por- 
ter par  mer  à  son  secours,  si  les  circonstanees  le  ren- 
daient plus  tard  nécessaire.  Telle  élait  la  situation,  lors- 
que la  Concorde  revint  de  Saint-Domingue  avec  les  let- 
tres du  comte  de  Grasse.  Certains  de  la  prochaine  arri- 
vée de  la  flotte,  sacfianl  qu'ils  pouvaient  conipler  sur  un 
rcnrort  de  plus  de  trois  mille  soldats,  Washington  et 
Rochambeau  ne  songèrent  qu'à  l'exécution  du  plan  de 
campagne  si  habilement  préparé.  Ils  se  mirent  en  mou- 
vement comme  s'ils  eussent  voulu  prendre  de  nouvelles 
positions,  sans  cesser  d'avoir  New- York  pour  objecUt.  A 
quelques  jours  de  là,  ils  tournèrent  brusquement  le  do« 
&  cette  ville,  et  ils  se  dirigèrent,  à  marches  forcées,  vi 
l'embouchure  de  l'Elk,  située  à  l'extrémité  septentrion! 
de  la  baie  de  la  Chesapeak. 

Le  comte  de  Grasse  avait  écrit  &  M.  de  Barras  qu'il 
laissait  libre  d'agir  comme  il  le  jugerait  convenable, 
priant  seulement  de  l'inTormer  du  parti  auquel  il 

rait  devoir  s'arrêter.  M.  de  Barras  était  convaincu  que 
lieutenant  général  de  Grasse,  venant  sur  les  cdies 
l'Amérique  septentrionale  avec  vingt-huit  vaisst 
n'avait  aucun  besoin  de  ses  services.  D'autre  part, 
traversée  de  New-Port  à  la  Chesapeak,  présentait,  di 

les  circonstances  actuelles,  de  sérieuses  diniculléa. 
vaisseaux  pouvaient  se  trouver  pris  entre  l'escadre 
Graves,  mouillée  en  ce  moment  dans  la  baie  de  Gi 
et  celle  de  Kodncy  qui  cfait  iilteniliu;  des  AiiLilIcs.  Ei 


UVRE  VIII.  247 

séquence,  il  avait  eu  la  pensée  de  faire  route  pour  l'île  de 
Terre-Neuve,  où  les  instructions  du  ministre  lui  permet- 
taient de  faire  une  expédition.  Les  généraux  Washington 
et  Rochambeau  s'étaient  très-vivement  opposés  à  ce  pro- 
jet, et  tous  deux  avaient  demandé  au  comte  de  Barras  de 
se  rendre  dans  la  baie  de  la  Chesapeak  avec  l'artillerie 
de  l'armée,  et  les  quelques  troupes  restées  à  Rhode- 
Island.  «  Je  suis  fâché,  écrivit  M.  de  Barras  au  général 
de  Rochambeau,  que  le  projet  que  je  vous  ai  communiqué 
éprouve  une  aussi  forte  opposition  de  votre  part.  Je  l'ai 
cru  et  je  le  crois  encore  plus  avantageux  à  la  cause  com- 
mune qu'une  jonction  avec  M.  le  comte  de  Grasse,  regardée 
comme  inutile  par  ce  général  lui-même,  qui  connaît 
mieux  que  personne  les  forces  qu'il  doit  amener  à  cette 
côte  et  celles  que  Rodney  est  en  état  d'y  conduire.  Cepen- 
dant, comme  votre  avis  et  celui  du  général  Washington 
sont  absolument  opposés  au  mien  sur  ce  projet,  je  me 
décide,  à  tout  événement,  à  me  rendre  dans  la  Chesa- 
peak avec  mon  escadre  et  à  y  conduire  votre  artillerie, 
comme  vous  le  désirez,  et  quelques  bâtiments  de  trans- 
port. Je  dois  vous  répéter  cependant  que  cette  réunion 
est  hasardeuse,  et  je  présume  que  M.  le  comte  de  Grasse 
en  a  senti  les  inconvénients,  lorsqu'il  m'a  laissé  la  liberté 
de  ne  pas  venir  le  rejoindre  à  la  Chesapeak,  si  je  le  jugeais 
è  propos.  L'escadre  de  Graves,  telle  qu'elle  est,  ne  m'ar- 
rêtera certainement  pas.  Mais,  selon  ce  que  me  marque  le 
général  Washington,  cet  amiral  peut  être  renforcé  par 
Digby,  et,  selon  l'opinion  générale,  Rodney  doit  venir 
incessamment  sur  cette  côte.  La  rencontre  que  je  pour- 
rais faire  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  escadres,  n'est  pas 
une  de  ces  chances  contre  lesquelles  il  y  a  mille  à  parier 
contre  un;  ce  doit  être,  au  contraire,  le  résultat  des  com- 
binaisons des  ennemis  qui,  lorsqu'ils  me  sauront  à  la 
mer,  doivent  tourner  toutes  leurs  vues  et  diriger  tous 
leurs  efforts  pour  intercepter  mon  escadre  et  mon  con- 
voi. Quoi  qu'il  en  soit,  je  n'hésite  pas  à  me  rendre  à 
votre  réquisition  et  &  celle  du  général  Washington,  et 


HISTOIRE  DE  LA  MAHINE  FRANÇAISE, 
je  vais  rembarquer  mon  arlilleric  et  la  vôtre  pour  nw 
mettre  en  état  de  partir  au  premier  vent  favorable,  ■ 
M.  de  Barras   avait  quitU;  New-Porl,  le  25  aofll,  avec, 
huit  vaisseaux,  quatre  fr<!'galcs,  di\  transports  et  huit 
bateaux  américains,  te  riM«  joué  par  le  chef  d'escadre  dS' 
Burras,  peudant  celte  campagne,  n'a  pas  dlé  exactcmcDl 
indiqué.  Selon  les  uns,  cet  oflicier  général  aurait  con- 
senti, quoiqu'il  fût  le  supérieur  du  comte  de  Grasse,  k. 
laisser  à  ce  dernier  le  commandement  des  vaisseaux  réuH 
nis  dans  la  Chesapeak.  Selon  les  autres,  M.  de  Barras,  qui 
était  l'inférieur  du  comte  de  Grasse,  ce  dernier  ayant  éti^ 
nommé,  quelques  mois  auparavant,  lieutenant  général, 
avait  fait  preuve  d'une  grande  abnégation  en  se  plaçAnl, 
de  lui-même  et  sans  y  être  obligé,  sous  les  ordres  d'ua, 
officier  entré  après  lui  au  service.  Il  était  fort  regi 
table,    a-t-on  dit  aussi,  que   des  instructions  précii 
n'eussent  pas  réglé  la  position  réciproque  de  ces  dei 
généraux.    Ces    diiïérentes    assertions    sont    erroDi 
M5I.  de  Barras  et  de  Grasse  étaient  chefs  d'escadre,  et  la 
premier  précédait  le  second  sur  les  listes  de  la  marine; 
mais  en  nommant  le  comte  de  Grasse  au  commandement 
de  nos  forces  navales  dans  la  mer  des  Antilles,  le  gou- 
vernement lui  avait  donné  une  couunissJon  provisoire 
lieutenant  général.    Il  était  donc   le  supérieur   liiérai 
chique  de  tous  les  chefs  d'escadre,  quelle  que  fût 
ancienneté.  De  plus,  il  avait  le  droit  de  donner  d< 
ordres  A  M.  de  Barras,  ainsi  que  le  prouve  le  pas&age  s 
vani  d'une  lettre  qu'il  lui  écrivait  le  28  juillet.  ■  Je 
laisse  le  mallre,  mon  cher  Barras,  de  venir  me  joindj 
ou  d'agir  de  ton  câté  pour  le  hien  de  la  cause  comn 
Donne-m'en  avis  seulement  aQn  que  nous  ne  nous 
sions  pas  sans  le  vouloir.  "  M.  de  Barras  avait  moni 
l'excellent    esprit   qui    l'animait  en   restant  k  Ktiodi 
Islande  au  lieu  de  se  retirer  à  Boston,  ainsi  qu'on 
désirait  ù  Paris.  Quant  à  sa  jonction  avec  le  comte 
Grasse,  nous  savons  qu'elle  n'avail   pas  été  spontané 
Toutefois,  il  n'avait  pas  résisti'  au\  instances  de  Washinfr'a 


UVRE  VllI.  249 

ton  et  de  Rochambeau,  et  il  avait  fait  route,  sur  leur 
demande^  pour  la  Chesapeak. 

Lord  Cornwallis,  occupait  avec  toutes  les  forces  dont  il 
disposait^  la  ville  d'York,  sur  la  rive  droite  du  York  River, 
ainsi  que  la  ville  de  Glocester,  située  sur  la  rive  opposée. 
Une  division  navale,  composée  d'un  vaisseau  de  cinquante 
et  de  plusieurs  navires  d'un  rang  inférieur,  était  mouillée 
dans  le  York  River.  Le  marquis  de  la  Fayette,  posté  un 
peu  au  delàde  Williamsburg,  avec  dix-huit  cents  hommes 
de  bonnes  troupes  et  quelques  miliciens,  observait  les 
mouvements  des  Anglais.  Un  de  ses  aides  de  camp,  qui 
attendait,  depuis  plusieurs  jours,  au  cap  Henri,  l'arrivée 
de  l'escadre,  apprit  au  comte  de  Grasse  que  les  alliés  ne 
tarderaient  pas  à  paraître  à  l'embouchure  de  l'EIk.  Les 
généraux  Washington  et  Rochambeau  demandaient  au 
commandant  de  la  flotte  française  que  leurs  soldats  fus- 
sent transportés  par  mer  sur  le  théâtre  des  opérations. 
Le  corps  expéditionnaire,  placé  sous  le  commandement 
du  marquis  de  Saint-Simon,  fut  envoyé  à  James-Town, 
sur  les  embarcations  de  l'escadre ,  quoique  celles-ci  eus- 
sent à  faire  plus  de  vingt-cinq  lieues  pour  se  rendre  & 
'eur  destination.  M.  de  Saint-Simon  comptait  se  réunir  à 
'*  Fayette,  qui  s'était  avancé  jusqu'à  Williamsburg,  lors- 
qu'il avait  appris  l'entrée  de  la  flotte  française  dans  la 
^l'esapeak.  Des  bâtiments  furent  échelonnés  dans  le  James 
^iy^T  pour  protéger  le  passage  de  nos  canots  et  empêcher 
^ï*nwallis  de  traverser  le  fleuve.  Quelques  navires  pri- 
^^t  position  à  l'embouchure  du  York  River  pour  bloquer 
^^  division  anglaise  mouillée  entre  York  et  Glocester. 
^Pt  vaisseaux  et  quelques  frégates  se  tinrent  prêts  à 
P^^lir  pour  le  nord  de  la  baie,  où  ces  bâtiments  devaient 
^'^4>arquer  la  petite  armée  franco-amcricaino.  Le  comte 
^  Orasse  avait  l'intention  de  les  expédier  aussitôt  que  ses 
^l^tiarcations,  à  bord  desquelles  se  trouvaient  quatre- 
^^é?t-dix  officiers  et  dix-huit  cents  matelots  ou  soldats, 
^**î3iient  de  retour, 
-^près  notre  appareillage  du  Cap  Français,   l'amiral 


250  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Rodney,  dont  la  santé  était  altérée,  était  retourné  en 
Europe.  Il  avait  laissé  une  partie  de  ses  vaisseaux  à  la 
Jamaïque,  et  il  avait  envoyé  les  autres  à  New-York,  sous 
le  commandement  de  Tainiral  Hood.  Croyant  que  la  plu- 
part des  vaisseaux  du  comte  de  Grasse  avaient  fait  route 
pour  nos  ports,  Taniiral  Rodney  ne  doutait  pas  que  les 
forces  navales  de  la  Grande-Bretagne  ne  fussent  supé- 
rieures aux  nôtres ,  aussitôt  que  les  amiraux  Hood  et 
Graves  auraient  opéré  leur  jonction.  Sir  Samuel  Hood 
parut  devant  Sandy  Hook,  le  28  août,  avec  quatorze  vais- 
seaux et  quatre  frégates.  Il  annonça  au  contre-amiral 
Graves  qu'une  escadre  française  avait  quitté  Saint-Do- 
mingue pour  se  rendre  sur  les  côtes  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale. Le  même  jour,  on  reçut  à  New- York  la  nou- 
velle que  M.  de  Barras  était  sorti  de  Rhode-Island  avec 
tous  ses  vaisseaux  et  des  bâtiments  de  transport     Le 
contre-amiral  Graves,  auquel  revenait,  en  vertu  de  son 
ancienneté,  le  commandement  en  chef,  se  hâta  de  prendre 
la  mer  avec  les  deux  escadres.  Il  força  de  voiles  afin  de 
se  placer  entre  le  comte  de  Grasse  et  M.  de  Barras,  qu'il 
espérait  combattre  séparément.  Le  5  septembre,  à  rou- 
vert de  la  Clicsapeak,  sa  surprise  fut  extrême  en  aper- 
cevant une  flotte  nombreuse  à  l'ancre  prés  du  cap  Henri. 
A  l)ord  des  vaisseaux  français,  on  crut  un  moment  que 
les  bdliments  en  vue  appartenaient  à  Tcscadre  de   M.  de 
Barras,  mais  la  frégiite  de  découverte  ayant  signalé  vingt 
vaisseaux  et  sept  frégates,    il  ne  fut  plus  possible  de 
douter  de  la  présence  de  l'ennemi.  Le  comte  de  Grasse 
lit  imniédialemcnt  le  signal  de  se  préparer  à  appareiller, 
et  à  midi,   Theure  de  la  marée  étant  favorable,  Tarmée 
sortit  de  la  baie.  Elle  s'avança  vers  les  Anglais,  formée 
par  rang  de  vitesse,  les  amures  à  bdbord,  avec  une  jolie 
brise  de  nord-nord-est.   Nous  laissions,  à  l'embouchure 
du  James  River,  Y  Eue  périment^  le  Triton^  le  Glorieux  et  le 
Vaillant.   Dans  l'après-midi,  les  deux  escadres  couraient 
l'une  sur  l'autre,  rangées  dans  l'ordre  suivant  : 


ESCADRE    FItAM(JAlUE. 
Ligoe  de  baUillo. 


Anguslc 

DiodèDic 

SBÎDt-Eiprit.. 


D'Albert  lia  Rions. 

\>c  Cnslutlnne  de  Ma!<Jn»lrr. 

[lc  Chorille. 

Cillorl  de  Snvirle. 
tDv  ltou(rainvillu.  clief  d'i'BcaJrt'. 
iC-ialcllan. 
jllu  MoDluclurc. 

Ilu  Lliikl)ert. 
\1)k  Fraiiiund. 


Sceptre 

NorDiumberiaaJ  . . 

Palmier 

Soliturâ 


Uoriotis  d'Bs|iinuuM. 

Duinaiti  de  Ooimpy. 

De  Gros»,  lioutoaaDt  j:ûiiùrai. 

De  iiBiDle-Cdtoii'e, 

lie  YaugirauJt,  m^or  de  rarniêt 

D'Albrrl  Saint-]];|>pulilo. 

Itu  Vaudrcuil. 

De  Driqucville. 

D'Arros  d'ArReios. 

De  Cicû  Cliaju|iiuii. 


CilojcR  . . 
Hercule... 


DElhï. 

l)e  Clavcl. 
Le  Dégue. 
De  Tjrpin  de  Dreuil. 

!Dc  MuDlcil,  clicf  d'incadrc. 
Dupleanis  J'arseou. 
De  tiroH-Prùvdle. 
Renaud  d'Alein». 
De  <ilundcve.i. 


252 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


ESCADRE    ANGLAISE. 


Ligne  de  bataille. 


Noms  des  Itâtiments. 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Shrewsbary 
Intrepid. . . . 
Alcide 


Princessn. 


Ajax.... 
Terrible. 
Earopa  . 


Avanl-garde. 


82 
72 
82 

82 

82 
82 
72 


Robinson. 
Mollov. 

Charles  Thompson. 
)  Charles  Knatchhiill. 
Samuel  Drako. 
(]liarrington. 
Finch. 
Child. 


Munlagu  . 
Royal  Oak 


London 


Ikulford . . . 
Résolution. 
America  . . 
Onlaur. . . 


Corps  de  bataille. 


82 
82 

108 

82 
82 
72 
82 


(ieorfçes  Roivon. 

ArJ^'soif. 
\(iravf's. 
/(îiaves.  ronire-a mirai. 

(iraves. 

Robert  Mannrrs. 

Samut'l  Tliompson. 

John  hifrlclirld. 


Arrirre  (fiirtle. 


Monarch 
Rardeur. 


Invinrihlo 
Rclli({uous 
Alfred..... 
Adnniant.  . 
SolelxiN .  . 


82 
1()0 

82 
72 
82 
(>0 


7-2 


I  Francis  Reynolds. 
John  Kni^'lit. 

Sir  Samuel  Rood.  conire-umiml 
Saxion. 
Rrine. 

William  Ra^ue. 
Jolin.<tone. 


LIVRE  VIII.  253 

Les  Anglais,  qui  arrivaient  vent  arrière,  vinrent  sur 
bâbord,  par  un  mouvement  successif,  afin  de  se  placer  au 
même  bord  que  nous.  Les  têtes  de  ligne  ne  tardèrent  pas 
à  se  rapprocher,  et  un  combat  très-vif  s'engagea  entre  les 
deux  avant-gardes.  Le  vent  refusa  de  trois  quarts  avant 
que  les  Anglais  eussent  achevé  leur  évolution,  c'est-à-dire 
avant  qu'ils  fussent  tous  rangés  sur  la  ligne  du  plus 
près,  les  amures  à  bdbord.  Ceux  des  vaisseaux  ennemis 
qui  gouvernaient  grand  largue,  serrèrent  le  vent  afin 
de  prendre  le  plus  tôt  possible  les  eaux  de  leur  chef  de 
file.  Celui-ci  était  obligé,  par  suite  de  la  variation  de  la 
brise,  de  venir  sur  tribord.  Il  résulta  de  cet  état  de  choses 
que  Tarrière-garde  et  quelques  vaisseaux  du  corps  de 
bataille  restèrent  hors  de  portée  des  bâtiments  qui  leur 
correspondaient  dans  notre  armée.  Le  changement  ([ui 
s'était  produit  dans  la  direction  du  vent  avait  mis  nos 
^^sseaux  en  échiquier.  Dans  le  double  but  de  reformer 
'^«Ire  ligne,  et  de  préserver  T avant-garde  du  danger  d'être 
^upée,  le  comte  de  Grasse  signala  aux  vaisseaux  de  tête 
d'arriver  de  deux  quarts.  Pendant  que  nous  exécutions 
^^Ue  manœuvre,  les  Anglais  tinrent  le  vent  et  le  feu  cessa. 
^^ngustej  le  PliUon,  le  Marseillais,  la  Bourgogne,  le  Hé- 
^<^Aj,  le  Diadème,  le  Saint-Esprit,  le  Caton,  le  César,  le 
^^^iin,  la  Ville-^e-Parisy  la  Victoire,  le  Sceptre,  le  Noi^ 
^'^Urnberland  et  le  Palmier  étaient  les  seuls  vaisseaux  qui 
^^ssent  pris  part  à  cette  affaire.  Du  6  au  10  septembre, 
les    Français  manœuvrèrent  pour  enlever  aux  Anglais 
*  avantage  du  vent.  La  mauvaise  marche  de  quclques- 
^ïis  de  nos  vaisseaux,   qui  n'étaient   pas    doublés  en 
cuivre,  rendait  difficile   l'exécution  de  ce  dessein.  Ce- 
Pendant,  le   10  dans  la  soirée,  grâce  k  quelques  varia- 
hons  dans  la  brise,  les  Français  se  trouvèrent  au  vent  de 
'ennemi,  et  le  comte  de  Grasse  put  concevoir  l'espérance 
"G    livrer,  le  lendemain,  un  combat  décisif.   Plusieurs 
^^isscaux  anglais,  notamment  le  Terrible,  le  Montagu, 
'6  Sfirewsbury,    Vlntrepid  et  VAjax ,   avaient   été   très- 
'^^Hraités  le  5  septembre.  Lorsque  la   nuit  fut  venue. 


254  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

ramiral  Graves ,  reculant  devant  les  conséquences  d'un 
nouveau  combat,  livra  aux  flammes  le  Terrible^  qui  ne 
pouvait  le  suivre,  et  il  fit  roule  pour  New  York.  Le  len- 
demain, le  comte  de  Grasse  n'apercevant  plus  l'ennemi, 
craignit  que  son  adversaire  ne  se  fût  dirigé  sur  la  Che- 
sapeak,  et  il  força  de  toile  pour  rentrer  dans  la  baie. 
Deux  frégates,  Ylsis  et  le  Richmondy  détachées  par 
l'amiral  anglais  pour  communiquer  avec  Cornwallis ,  fu- 
rent capturées.  Dans  la  soirée,  l'escadre  reprit  le  mouil- 
lage qu'elle  avait  quitté  six  jours  auparavant  pour  aller 
au-devant  des  Anglais.  Le  comte  de  Grasse  était  attendu 
avec  la  plus  vive  impatience  par  les  généraux  la  Fayette 
et  de  Saint-Simon  qui  avaient  suspendu,  pendant  son  ab- 
sence, toutes  les  opérations  militaires.  Nos  vaisseaux 
reprirent  leurs  embarcations  revenues  à  Lynn  Haven, 
après  avoir  accompli  très-heureusement  leur  mission  dans 
le  James  River.  Le  chef  d'escadre  de  Barras  était  entré,  la 
nuit  précédente,  dans  la  Chesapeak  avec  tous  ses  bâti- 
ments. Il  avait  eu  la  bonne  fortune  de  ne  pas  être  aperçu 
par  l'amiral  Graves,  quoique  celui-ci  fût  arrivé  en  vue  du 
cap  Henri  cinq  jours  avant  lui.  Si  la  traversée  du  lieute- 
nant ^^énéral  de  Grasse  s'était  prolonp'c,  M.  de  Harras 
aurait  trouvé  l'entrée  de  la  Chesaj)eak  j^ardée  par  \ingl 
vaisseaux.  On  doit  reconnaître  que  les  observations  faites 
par  ce  chef  d'escadre  sur  les  dan^^ers  de  sa  mission  étaient 
fondées. 

Le  RomiihiSy  plusieurs  fré^Mtes  (*l  des  navires  de  trans- 
port furent  expédiés  dans  le  nord  de  la  baie  pour  enil)ar- 
(juer  les  troupes  des  ^'^énéraux  Washin^^lon  et  Roehani- 
beau.  Les  alliés,  partis,  le  19  a()ûl,  des  ri\es  de  THudson, 
arrivt'^rent,  le  7  septembre,  à  l'enibouchurc  de  l'Klk. 
Deux  mille  honunes  prirent  j)assa^e  sur  des  bateaux  du 
pays  pour  se  rendre  dans  le  James  River,  et  l'année  ron- 
liiuia  sa  marche  vers  Annapolis,  où  elle  s'embanjua,  le 
18,  sur  les  bAlimenls  en\oyés  par  b*  comte  de  Grasse.  Le 
26  septembre,  loules  les  forces  niarilimes  et  militaires 
mises  en  mouvement  pour  eelle  importante  expédition 


UVRE  VIII.  255 

élaicnl  rt^imies,  cl,  lo  29,  la  villed'Voik  étail  investie  pur 
lerre  et  par  mer.  L'historien  américain  Bancrofl  raconte 
qui',  peu  de  jours  après  avoir  rejoint  la  Fayelle  A  Williams- 
bur^',  Washington  se  trouva  en  présence  dune  dirticultâ 
inattendue.  Le  comte  de  Grasse,  apprenant  que  l'amiral 
firaves  avait  reçu  des  renforts ,  munirestait  l'inlcntion 
irapparfillcr  en  laissant  deux  vaisseaux  à.  l'embouchure 
du   York  Blver.  Washington  lui  écrivit  :  «  Je  croirais 
manquer  A  mon  devoir,  non-seulement  envers  l'Amé- 
riquo,  mais  aussi  envers  la  France,  .si  Je  ne  vous  priais, 
avec  les  plus  vives  instances,  de  persévérer  dans  l'exécu- 
tion du  plan  que  nous  avons  si  heureusement  préparé 
ensemble.  »  La  Fayette  porta  la  lettre  du  généralissime 
A  bord  de  la  ViUe-de-Paris,  et  il  fit,  personnellement,  les 
plus  grands  efforts  pour  que  le  comte  de  Grasse  ne  s'éloi- 
gii&t  pas  de  la  Chesapeak.  Le  commandant  de  l'escadre 
franraise,  ajoute  l'historien  américain,  consentit,  mais 
non  sans  regret,  à  revenir  sur  sa  détennination,  Ce  récit, 
sans  être  inexact,  ne  présente  pas  la  conduite  du  comte 
de  tirasse  sous  son   véritable  jour.  Cet  officier  général 
avait  été  prévenu  que  des  frégates,  entrées  dans  les  pre- 
miers jours  de  septembre  k  New-York,  annonçaient  l'ar- 
rivée très-prochaine  d'une  escadre  venant  d'Angleterre, 
sous  les  ordres  de  l'amiral  Dîgby.  11  ne  doutait  pas  que 
l'amiral  Graves,   connaissant  les  dangers  auxquels  Cor- 
nwallis  était  exposé,  ne  fit  une  nouvelle  tentative  pour  le 
secourir.  Craignant  d'être  surpris  dans  une  position  dé- 
savantageuse, il  eut  la  pensée,  ainsi  que  le  dit  son  chef 
d'élat-raajor  dans  son  journal,  ■■  d'épargner  la  moitié  du 
chemin  k  l'amiral  Graves  ».  Les  principaux  officiers  de 
son  escadre,  qu'il  consulta  avant  de  mettre  ce  projet  ù 
exécution,  furent  d'avis  de  rester  dans  la  baie,  ils  n'ad- 
mettaient pas  que  l'amiral  anglais  osAt  nous  attaquer. 
Le  comte  de  Grasse,  se  rangeant  àleuropinion,  fil  prendre 
A  SCS  vaisseaux  une  position  qui  leur  permit  de  se  porter 
rapidement  au-devant  de  rcnriemi,   si  celui-ci  venait  A 
être  signalé.   Il  n'eut  plus   alors  d'autre  préoccupation 


L 


256  IIISTOIHE  DK  LA  MAIUNE  FRANÇAISE. 

(]uc  de  concourir,  par  tous  les  moyens  eo  son  pouvoir, 
aux  opérations  de  l'armée.  Bancrofl  dit  que  Washington 
écrivit  au  commandant  en  chef  de  la  flotte  française, 
lorsqu'il  fut  informé  de  sa  décision  définitive:  «  Ungraad 
caractère  sait  faire  le  sacrilice  de  ses  vues  personnelles 
pour  assurer  au  bien  public  d'imiKtrtants  avantages.  » 

Huit  cents  hommes,  pris  à  bord  de  nos  vaisseaux,  re- 
joignirent le  corps  franco-américain,  chaîné,  sous  les 
ordres  du  brigadier  de  Choisy,  de  bloquer  Glocesler. 
Lord  Gornwallis  se  trouvait  renfermé  dans  York-Tomi 
avec  huit  mille  soldats,  sur  lesquels  quinze  cents  environ 
étaient  déjà  dans  les  bOpllaux.  Il  avait  peu  de  vivres, 
peu  de  munitions,  et  la  retraite  de  l'escadre  britannique 
ne  lui  laissait  aucun  espoir  d'èlre  secouru.  L'effectif  de 
l'armée  alliée,  l'artillerie  dont  clic  disposait  et  la  situt- 
lion  de  la  place  no  lui  pcrmeltaient  pas  de  se  faire  illu- 
sion sur  le  sort  qui  l'attendait.  Il  forma  le  projet  de  tra- 
verser le  York-Rivcr  et  de  gagner  la  campagne ,  après 
avoir  culbuté  les  troupes  de  M.  de  Choisy.  Un  violent 
orage,  qui  coula  ou  dispersa  les  bateaux  de  sa  flottille, 
au  moment  oii  il  se  préparait  à  s'embarquer  avec  tous 
les  hommes  en  clat  de  )>ortcr  les  armes,  l'obligea  à  ny 
iiuncer  à  cette  tcnlalive.  Dans  la  nuit  du  Ik  au  15  octobre, 
deux  redoutes,  qui  formaient  au  dehors  la  principale 
défense  de  la  ville,  furent  enlevées,  l'une  par  un  détache- 
ment américain,  sous  les  ordres  de  la  Fayette,  l'autre  par 
les  Frani^ais,  commandés  par  M.  de  Yioménil.  Ne  pou- 
r  la  lulle.  Cori 


LIVRE  VllI.  257 

avait  imposées  à  la  garnison  de  Charleston,  lorsqu'il 
s'était  emparé  de  cette  ville,  Tannée  précédente.  11  y  avait 
dans  York-Town  un  certain  nombre  de  loyalistes,  c  est-à- 
dire  d'Américains  dévoués  à  la  cause  de  l'Angleterre. 
Livrés  à  l'armée  de  Washington,  ils  eussent  été  consi- 
dérés, non  comme  des  prisonniers  de  guerre,  mais 
comme  des  traîtres.  Dans  le  but  de  les  soustraire  au  sort 
qui  leur  était  réservé,  Cornwallis  avait  insisté  très-vive- 
ment pour  obtenir  que  la  corvette  la  Bonnelta  se  rendit  à 
New-York  sans  être  visitée.  Les  généraux  alliés  avaient 
accepté  cette  condition ,  quoiqu'ils  eussent  facilement 
pénétré  le  motif  secret  de  cette  demande.  Il  avait  été  con- 
venu que  les  passagers  de  la  Bonnelki,  ne  pourraient 
servir  dans  la  présente  guerre,  avant  d'avoir  été  réguliè- 
rement échangés.  Après  avoir  accompli  sa  mission,  ce 
l>Atiment  devait  revenir  dans  la  Chesapeak  et  être  livré 
aux  alliés. 

«  Le  général  Cornwallis^  dit  le  capitaine  de  vaisseau  de 
Vaugirault,  major  de  l'escadre,  dans  son  journal  de  la 
campagne  de  1781,  se  rendit  prisonnier  de  guerre  avec 
^îx  mille  hommes  de  troupes  anglaises  ou  allemandes  et 
flttinze cents  matelots.  On  trouva  dans  la  place  vingt-deux 
^Irapeaux,  cent  soixante  pièces  de  canon,  dont  soixante- 
fl^itize  en  fonte  et  huit  mortiers.  »  Un  vaisseau  de  qua- 
'^nie-quatre  et  quelques  transports  avaient  été  incendiés 
Wf  le  feu  de  nos  batteries,  ou  coulés  par  les  Anglais, 
^^is  il  restait  environ  quarante  bâtiments,  au  nombre 
desquels  se  trouvait  une  corvette,  qui  étaient  intacts, 
^enfermement  à  un  des  articles  de  la  capitulation,  le  ma- 
^Hel  naval  fut  livré  à  la  marine  française  et  les  matelots 
^ftvinrentles  prisonniers  de  l'escadre.  Dans  une  lettre  qui 
^^t  rendue  publique,  le  général  Cornwallis  se  plut  à  re- 
^nnaître  l'attitude  parfaitement  correcte  des  Américains 
*  ï'^ard  de  son  armée.  Mais  ce  fut  dans  les  termes  les 
P'^s  chaleureux  qu'il  parla  des  attentions  particulières 
"^nt  lui  et  ses  officiers  étaient  l'objet  de  la  part  des  Fran- 
î^^s.  «  Leur  générosité,  disait-il,  leur  délicatesse,  le  ta''* 

17 


258  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

qu'ils  apportent  dans  leurs  relations  avec  nous,  sont  au- 
dessus  de  tout  éloge.  J'espère  que  le  souvenir  de  leur  con- 
duite sera  présent  à  l'esprit  des  ofiiciers  anglais,  toutes 
les  fois  que,  par  suite  des  hasards  de  la  guerre,  un  offi- 
cier français  tombera  en  leur  pouvoir  ». 

L'amiral  Graves,  rentré  à  New-York,  le  20  septembre, 
fut  rejoint,.au  commencement  d'octobre,  par  six  vaisseaux. 
Dans  un  conseil  de  guerre,  auquel  assistèrent  les  ofTicicrs 
généraux  de  terre  et  de  mer,  il  fut  décidé  qu'on  tenterait 
un  nouvel  effort  pour  dégager  Cornwallis.  L'escadre,  sur 
laquelle  le  général  Clinton  s'embarqua  avec  sept  mille 
hommes,  mit  à  la  voile  le  19  octobre.  Les  Anglais  ayant 
appris,  en  approchant  de  la  Chesapeak,  la  capitulation 
d'York-Town,  retournèrent  à  New-York. 


La  nouvelle  de  ce  grand  événement  fut  saluée  dan^s* 
toute  l'Amérique  par  un  long  cri  de  joie.  Le  congrès,  s*:^ 
faisant  Tinlerprète  des  sentiments  de  reconnaissance  deIssL 
population,  vota  des  remerciements  au  général  de  Rochan^  - 
beau,  «  pour  la  cordialité,  le  zèle,  le  talent  et  le  courafr^^ 
avec  les(iucls  il  avait  avancé  cl  secondé  les  opératioi^ — ï^ 
de  rarnice  alliée  contre  la  ^^arnison  britannique  d'York. 

De  semblables  rcnicrclcmonts  furent  adressés  au  conil^^  le 
de  Grasse  pour  «  rhabileté  et  la  valeur  qu'il  avait  dév( 
loppécs,  en  attacjuant  et  on  battant  la  flotte  britanniqui 
à  la  hautour  de  la  Chesapeak,  et  pour  le  zèle  et  Tanlei 
avec  lescjuels  il  avait  donné,  avec  l'armée  navale  à  seso 
dres,  les  secours  et  la  protection  les  plus  ellîcaces  et  l- 
plus  dislingués  aux  opérations  de  l'armée  alliée  en  Yir^ 
nie.  j>  Vi\  monument  eonniiéinoratif,  élevé  à  York-Tow 
devait  rappeler  aux  ^^'nérations  futures  le  désastre 
l'arniét»  de  Cornwallis  et  la  part  <|ue  la  France  avait  prKT  se 
t\  ce  ^Horieux  fait  d'armes.  La  campagne  des  alliés     -^fi 
Virginie  exerça  sur  les  événementN  ultérieurs  une  influer»  <'t' 


i 


UVRE  VIII.  '  259 

décisive.  La  capitulation  de  Burgoygne,  à  Saraloga,  en 
octobre  1777,  avait  exalté  le  courage  des  Américains  et 
montré  aux  troupes  britanniques  ce  que  valaient  leurs 
adversaires.  Néanmoins,  peu  de  temps  après  ce  désastre, 
les  Anglais  avaient  réparé  leurs  pertes  et  repris  vigou- 
reusement TofTensive.  Nous  avons  dit  que  ^VasiHngton, 
Rochambeau,  M.  de  la  Luzerne  et  le  chef  d'escadre 
de  Barras,  écrivant  au  comte  de  Grasse,  en  juin  1781,  dé- 
peignaient l'état  des  affaires  sous  les  couleurs  les  plus 
sombres.  Après  la  prise  d'York-Town,  les  choses  chan- 
gèrent de  face.  Le  peuple  anglais  comprit  l'inutilité  des 
sacriflces  qu'il  s'imposait  pour  ramener  les  colonies  de 
l'Amérique  septentrionale  sous  sa  dépendance.  Le  mi- 
nistère, qui  avait  pour  chef  lord  North,  fut  obligé  de  se 
retirer.  Enfln,  à  partir  de  celle  époque,  les  opérations 
militaires  cessèrent  sur  le  continent  américain.  Le  géné- 
ral Clinton  conserva  des  garnisons  dans  les  villes  de 
Savannah,  Charleston  et  New- York,  mais  il  n'osa  plus 
tenir  la  campagne.  La  capitulation  de  Cornwallis  est  donc 
l'événement  militaire  le  plus  considérable  qui  se  soit  pro- 
duit pendant  la  lutte  engagée  entre  la  GranJe-Brelagnc 
et  ses  colonies.  Dans  l'expédition  de  Virginie,  dont  il  ne 
faut  pas  juger  l'importance  sur  le  nombre  d*hommes  qui 
étaient  en  présence,  mais  sur  ses  résultats,  la  France  eut 
une  action  prépondérante.  Nous  allons  le  montrer  en  peu 
de  mots,  en  appuyant  particulièrement  sur  le  rôle  joué 
par  la  marine.  L'escadre  partie  de  Brest,  le  22  mars  1781, 
pour  se  rendre  dans  les  Antilles,  avait  l'ordre  de  venir  sur 
les  côtes  de  l'Amérique  septentrionale  pendant  les  mois 
d'août,  de  septembre  et  d'octobre.  Le  comte  de  Grasse 
voulut  être  informé,  à  l'avance,  des  services  qu'il  pourrait 
rendre  avec  les  forces  placées  sous  son  commandement. 
Le  29  mars,  il  écrivit  au  chef  d'escadre  de  Barras,  qui 
allait  à  Rhode-Island  avec  la  Conronh^  une  lettre  dans 
laquelle  il  lui  disait  :  «  Je  vous  adresse,  Monsieur,  copie 
de  la  lettre  que  j'écris  à  M.  le  comte  de  Rochambeau,  au 
sujet  de  mon  séjour  sur  la  côte  de  l'Amérique  seplentrio- 


260  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

nalc.  Je  vous  prie  de  vous  aboucher  avec  ce  général,  el 
(le  me  faire  parvenir,  par  plusieurs  avisos,  des  pilotes 
bons  cdliers  à  Saint-Domingue,  afin  que  je  puisse  agir 
tout  de  suite,  ù  mon  arrivée,  sans  perdre  de  temps  à  des 
préparatifs  toujours  nuisibles  aux  opérations  militaires.  ■ 
La  lettre  que  le  comte  de  Grasse  adressait  au  général 
Hocliambcau,  était  conçue  dans  les  termes  suivants:  "Si 
Majesté,  Monsieur,  m'a  confié  le  commandement  des  for- 
ces navales  destinées  à  protéger  ses  possessions  dans 
l'Amérique  méridionale  et  celles  dé  ses  alliés  dans  l'Amé- 
rique se])tL'ntrionale.  Les  forces  que  je  commande.  Mon- 
sieur, sont  suflisantcs  pour  reznplir  les  vues  oITensives 
qu'il  Cbt  de  l'iiitéréi  des  puissances  alliées  d'exécuter 
pour  parvenir  à  une  paix  lionorable.  Mais,  je  dois  avoir 
l'bonneur  de  vous  faire  observer  que,  si  les  vaisseaui 
.sont  nécessaires  à  l'exécution  des  projets  que  vous  pou- 
vez former,  il  serait  utile  au  service  que  MM.  de  Barras 
et  Des  Touches  en  fussent  instruits,  afin  que  les  pilotes 
qui  nous  sont  nécessaires  nous  soient  envoyés.  11  me 
semble,  Monsieur,  qu'il  serait  utile  à  la  cause  commune 
que  je  fusse  informé,  à  Saint-Domingue,  où  je  serai  à  la 
lin  de  juin,  de  la  [Ktsition  de  l'ennemi.  >>  Ce  fut  donc  la 
prévoyanie  du  chef  de  l'escadre  française  qui  permit  à 
Wasliingloii  et  à  Rochambcuu  d'arrêter,  en  temps  oppor^ 
tuii,  le  plan  de  l'expédition  de  Virginie.  Enfin,  si  le  comte 
de  Grasse,  en  recevant  à  Saiiit-Dominguc  les  propositions 
des  deux  généraux,  eût,  ainsi  (lue  cela  arrive  fréquem- 
mcnt  en  pareil  cas,  soulevé  des  difTicultés  ou  demandé 


LIVRE  Vllï.  261 

de  Saint-Domingue,  et  de  l'argent  des  habitants  de  la 
Havane.  La  Concorde^  qu'il  expédia  du  Gap  Français,  le 
28  juillet,  porta  à  M.  de  Barras  la  lettre  suivante:  «  A 
mon  arrivée  au  Cap,  j*ai  vu  avec  bien  du  chagrin  la  dé- 
tresse où  se  trouve  le  continent  et  la  nécessité  du  prompt 
secours  que  demande  le  comte  de  Rochambeau.  Je  par- 
tirai, le  3  août,  pour  me  rendre,  en  toute  diligence,  dans 
la  baie  de  la  Chesapeak,  lieu  qui  me  paraît  indiqué,  par 
vous,  mon  cher  Barras,  et  par  MM.  Rochambeau, 
Washington  et  de  la  Luzerne,  comme  le  plus  sûr  pour 
opérer  le  bien  qu'on  se  propose.  » 

L'escadre,  arrivée  la  première  au  rendez-vous,  coupa 
toutes  les  communications  de  Cornwallis  avec  la  mer. 
Renforcé  par  les  trois  mille  deux  cents  hommes  que  com- 
mandait le  marquis  de  Saint-Simon,  la  Fayette  put 
prendre,  à  Williamsburg,  une  position  défensive  assez 
forte  pour  empêcher  les  Anglais  de  se  retirer  par  cette  voie. 
Après  avoir  battu  Tamirol  Graves,  le  comte  de  Grasse  fit 
transporter  d'Annapolis  sur  les  bords  du  James-River  la 
plusgrandepartie  des  sohiatsde  Washington  et deRocham- 
beau.  Huit  mille  Français  et  dix  mille  Américains  se  trou- 
vèrent  réunis  devant  York-Town'.  Ainsi  fut  opérée,  dans 
les  conditions  prévues  par  les  auteurs  du  plan  de  cam- 
pagne, la  jonction  de  la  petite  armée  partie  des  rives  de 
THudson  et  de  Tescadre  venant  des  Antilles  avec  des 
troupes  empruntées  à  la  garnison  de  Saint-Domingue. 
L'histoire  offre  peu  d'exemples  d'une  opération  militaire 
qui  ait  été  mieux  conque  et  mieux  exécutée.  En  résumé, 
l'habileté  déployée  i)ar  Washington,  Rochambeau  et  le 
comte  de  Grasse,  Tentcnte  parfaite  qui  ne  cessa  de  régner 
entre  les  officiers  des  deux  nations,  telles  furent  les  causes 
du  succès  des  alliés  en  Virginie.  Si  le  4  juillet  1776  est  la 
date  officielle,  le  19  octobre  1781  est  la  date  véritable  de 
l'indépendance  des  États-Unis  d'Amérique. 


1.  Les  dix  mille  Américains  comprcnaienl  six  mille  soldats  réguliers  et 
quatre  mille  hommes  de  milices. 


J62  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Le  romtc  de  Grasse  mil  sous  voiles,  le  b  novembre,  ne 
laissant  sur  les  côles  de  l'Amérique  septentrionale  que  le 
flomii/iw  et  deux  frégates.  Les  vaisseaux  la  Victoire,  le 
Vaillant,  la  Proi-enre  el  le  Triton,  les  frégates  la  Gentille 
et  la  ttailleuse  furent  expédiés  i  Saint-Domingue,  avec 
l'ortlre  <le  ramener  en  Europe  une  Rotte  marchande. 


VI 


Dans  les  premiers  jours  du  mois  de  novembre  1781,  le 
gouverneur  général  des  llcs-du-Venl  apprit  que  la  garni- 
Ron  de  Saint'Eiistaclie  se  gardait  avec  beaucoup  de  négli- 
gence. 1^  gouverneur  de  cette  colonie  semblait  convaincu 
qu'il  n'avait  rien  ti  redouter  des  Français  pendant  l'ab* 
senco  du  comte  de  Grasse.  M.  de  Bouille  résolut  de  profi- 
ter de  cotte  imprudente  confiance  pour  s'emparer  de  Hle 
par  surprise.  Il  fil  répandre  le  bruit  qu'il  avait  l'inteD- 
lion  de  se  porter  an-devant  de  l'escadre  attendue  des  côtes 
d'Amérique.  Douze  cents  hommes  furent  embarqués  sur 
irs  frégates  VAmazone,  la  Galathée,  la  corvette  VAigle  et 
quelques  bateaux  du  pays.  Cette  division  mita  la  voile, le 
16  novembre,  mais  elle  fut  contrariée  par  le  temps,  et  ce 
fui  seulement  dans  la  nuit  du  25  qu'elle  atteignit  Saint- 
Eustaclic.  La  mer  était  grosse,  et  la  plupart  dos  embarea- 
tions  danii  lesquelles  nos  troupes  s'embarquèrent,  furent 
brisées  en  arrivant  ù  la  plage.  Vers  trois  heures  du  ma- 
(Uifilrp  cents  lir>ninii-s  élaii'ot  A  \frrc 


UVRE  VIII.  263 

de  la  place.  Trompés  par  l'uniforme  rouge  des  chasseurs 
irlandais  placés  en  tête  de  la  colonne  française,  les  sol- 
dats anglais  nous  laissèrent  approcher  sans  défiance.  Ils 
ne  furent  tirés  de  leur  erreur  (ju'en  recevant,  à  bout  por- 
tant, une  volée  de  mousqueterie.  Saisis  d'une   terreur 
paniipie,  ils  s'enfuirent  dans  le  plus  grand  désordre.  Le 
gouverneur  rentrait  en  ville,  après  avoir  fait  une  prome- 
nade à  cheval,  lorsqu'il  fut  entouré  et  fait  prisonnier.  Deux 
cents  hommes,  commandés  par  lecomtede  Dillon, allèrent 
droit  aux  casernes,  tandis  que  cent  hommes,  sous  les  or- 
dres du  major  de  Frône,  se  dirigeaient  sur  le  fort.  Le  major 
de  Frêne  et  son  détachement  firent  une  tellediligence  qu'ils 
entrèrentdans  le  fort  sur  les  pas  des  Anglais.  Ils  rendirent 
inutiles  les  efTorts  que  faisaient  quelques  ofliciers  pour 
fermer  le  pont-levis.  A  cette  heure  matinale,  les  hommes 
qui  n'assistaient  pas  à  l'exercice  étaient  épars  dans  les 
casernes  et  dans  la  ville.  Us  furent  faits  prisonniers  avant 
d'avoir  eu  le  temps  de  se  réunir.  Ce  hardi  coup  de  main 
livra  les  sept  cents  hommes,  dont  se  composait  la  gar- 
nison, à  la  petite  troupe  du  marquis  de  Bouille.  Le  géné- 
ral se  conduisit,  après  la   victoire,  avec  une  générosité 
toute  française.  Il  fit  distribuer  aux  habitants  le  butin 
que  Famiral  Rodncy  et  le  général  Vaughan  avaient  laissé 
dans  l'Ile.  Enfin,  il  restitua  au  gouverneur,  avec  le  con- 
sentement de  tous  les  officiers,  une  somme  fort  élevée 
que  celui-ci  affirma,  sur  l'honneur,  être  sa  propriété  per- 
sonnelle.. 

Les  îles  de  Saint-Martin  et  de  Saba  furent  reprises  par 
un  détachement  expédié  de  Saint-Euslache.  Après  avoir 
mis  des  garnisons  dans  les  Iles  conquises,  le  marquis 
de  Bouille  revint  à  la  Martinique.  Il  y  trouva  l'escadre  du 
comte  de  Gnisse  (|ui  avait  mouillé,  le  26  novembre,  dans 
la  baie  de  Fort-Royal. 

Au  commencement  de  l'année  1781,  nous  avions  pris 
part  à  une  expédition  dirigée  contre  les  établissements 
anglais  de  la  Floride.  Une  division,  placée  sous  les  ordres 
du  chef  d'escadre  de  Monteil,  et  l'escadre  espagnole  com- 


S64  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

mandée  par  don  Solano,  étaient  sur  le  point  d'appareiller 
de  la  Havane  pour  se  rendre  &  Saint-Domingue,  lorsque, 
le  8  avril,  le  bruit  se  répandit  que  sept  grands  b&timendi 
avaient  été  vus  sous  le  cap  Sainl-Autoine.  Le  capitaine 
général    de  l'Ile  de  Cuba  crut  que  des  Torces  anglaises 
étaient  envoyées  au  secours  de  Pensacola,  attaqué  par 
don  Galvez,  gouverneur  de  la  Louisiane.  Il  suspendit  le 
départ  de  don  Solano  pour  Sainl-Domingue,  el,  quel- 
ques jours  après,  il  lui  envoya  l'ordre  de  faire  route  pour 
ie  golfe  du  Mexique.  Cédant  aux  instances  très-pressantes 
de  l'amiral  espagnol,  M.  de  Monteil  se  décida  à  l'accom- 
pagner avec  les  vaisseaux  le  Palmier,  le  Destin,  Vlntré- 
pide,  ie  Triton  et  la  frégate  VAndromaque.  Les  Anglais 
n'avaient  pas  jiaru  sur  la  côte;  mais  la  présence  de  l'e»» 
cadre  combinée  permit  à  don  Calvez  de  pousser  les  opM 
rations  du  siège  avec  vigueur.  Des  matelots  et  des  soldktJ 
appartenant  au^  deux  escadres  furent  mis  à.  sa  disposition^ 
Le  9,  le  général  Campbell  qui  commandait  dans  Pens»i| 
cola  se  vit  contraint  de  capituler.  La  garnison,  forle  d«' 
quatorze  cents  hommes,  devait  être  transportée  dans  un 
des  ports  de  la  Grande-Bretagne  situé  hors  de  la  mer  des 
Antilles,  à  la  condition  de  ne  pas  servir  contre  l'Espagne 
ou  ses  alliés  avant  d'avoir  été  régulièrement  échangée: 
La  prise  de  Pensacola  donna  à  l'Espagne  l'entière  pot- 
session  de  la  Floride  occidentale.  A  la  suite  de  cette  at 
faire,  H.  de  Monteil  écrivit  au  ministre:  «Le  général  espi) 
gnol  s'est  loué  avec  éclat  de  la  conduite  des  canonnicfl 
français,  soit  de  Brest,  sott  du  détachement  du  corp 
royal  de  Saint-Domingue,  des  chasseurs  d'Agenoîs  et  dj 
toutes  autres  portions  de  troupes  que  j'ai  pu  mettre  I 
terre,  enfin  dos  officiers  de  terre  et  de  mer  qui  ont  cont 
mandé  les  troupes  et  les  marins  débarqués.  »  Il  aJoutaH 
que  la  plus  grande  harmonie  n'avait  cessé  de  régner  eiH 
tre  les  officiers  des  deux  nations. 


L 


i 


LIVRE   IX 


EvénemeoU  rarvenus  en  Europe  pendant  le  cours  de  Tannée  1781.—  Une 

escadre,  sous  le  commandemeul  de  Tamiral  Darby.  ravitaille  la  place  Je 

Gibraltar.  —  Le  chef  d*escadre  de  I^motte-Picquet  s'empare  du  convoi  de 

^nt-Euslache.  —  Combat  du  Dogfrer  liank  entre  les  Anglais  et  les  HoU 

Modais.  -^  Croisière  de  Tarmce  franco-espagnole  sous  le  commandement 

^  don  Luis  de  Ccrdova.  —  Débarquement  des  Espagnols  à  Minorque.  — 

f^ise  de  Mahon.  —  I^  duc  de  Crillon  assiège  le  fort  Saint-Philippe.  —  lin 

^rps  auxiliaire  français  sous  les  ordres  du  baron  de  Falkenhayn  se  joint 

AUX  troupes  espagnoles.  —  Sortie  du  général  de  Guichen  »vec  des  renforts 

expédiés  aux  Antilles  et  dans  Tlnde.—  Le  convoi  naviguant  sous  Tescorle 

^c  cet  officier  général  est  surpris  par  le  contre-amiral  Kempenfeldt. 


I 


La  France  ne  disposait  pas  de  forces  suffisantes  pour 
i^^er,  à  la  fois,  un  rôle  important  dans  les  Antilles,  sur 
»^s  côtes  de  FAmérique  septentrionale,  en  Asie  et  dans 
1^  mers  d'Europe.  Le  cabinet  de  Versailles  appela  Tat- 
^ntion  de  la  Hollande  et  de  l'Espagne  sur  la  nécessité 
"^  réunir  à  Brest  une  flotte  assez  forte  pour  tenir  en 
"^pect  les  vaisseaux  que  la  Grande-Bretagne  conservait 
^^ns  la  Hanche.  Les  Hollandais  restèrent  dans  le  Texel  et 
'^s  Espagnols  ne  sortirent  pas  de  Cadix.  Il  résulta  de 
^t  état  de  choses  que  les  Anglais  bloquèrent,  avec  qua- 
"^nte  vaisseaux,  soixante-dix  vaisseaux  appartenant  aux 
Puissances  alliées. 

ï-cs  événements  se  chargèrent  de  montrer  à  la  cour  de 
Madrid  l'étendue  de  la  faute  qu'elle  avait  commise  en  re- 
P^^ssant  nos  propositions.  Depuis  le  mois  de  février  1780, 
*^  forteresse  de  Gibraltar  n'avait  reçu  aucun  secours.  Au 


k- 


266  HISTOIRE  DE  LÀ  MARINE  FRANÇAISE. 

commencement  de  1781,  les  vivres  apportés  par  Ti 
Rodney  étaient  presque  complètement  consommés.  Cette 
situation,  qui  était  connue  en  Angleterre,  préoccupait 
très-vivement  l'opinion.  L'amiral  Darby,  à  la  tête  d'une 
flotte  de  vingt-huit  vaisseaux,  appareilla*  de  Portsmouth 
le  13  mars.  Après  avoir  croisé  pendant  quelques  jours  sur 
la  côte  d'Irlande,  pour  rallier  les  b&timents  de  transport 
attendus  de  Cork,  il  se  dirigea  sur  le  détroit.  Trois  cents 
b&timents  marchands  gagnèrent  le  large  sous  la  pro- 
tection de  son  escadre.  Cinq  vaisseaux  et  un  convoi 
de  trente  voiles  portant  des  vivres,  des  munitions  et 
trois  mille  soldats,  naviguèrent  avec  l'armée  anglaise 
jusque  par  le  travers  du  cap  Finisterre.  Le  commodore 
Johnstone,  placé  &  la  tête  de  cette  escadre,  et  le  général 
Meadows,  qui  commandait  les  troupes,  se  rendaient  dans 
rinde  avec  Tordre  de  s'emparer  du  Gap  de  Bonne-Espé» 
rance. 

Les  Espagnols  étaient  &  la  mer,  lorsqu'ils  furent  infon — 
mes  du  départ  de  l'amiral  Darby.  Ui\  navire  neufare,  ave^ 
lequel  ils  communiquèrent,  leur  annonça  qu'il  ne  préc^ 
dait  l'escadre  britannique  que  de  quelques  jours, 
qu'il  eût  des  ordres  secrets  de  son  gouvernement, 
qu'à  l'avance  il  considér&t  sa  défaite  comme  certaine, 
tentait  de  se  mesurer  avec  les  Anglais,  le  lieutena 
général  don  Luis  de  Cordova  ramena  son  armée  au  poi 
L'amiral  Darby  voulut,  avant  de  s'engager  dans  le  détn 
être  renseigné  sur  la  position  de  l'ennemi.  Surpris  de 
pas  le  rencontrer  dans  les  parages  du  cap  Sainl-Vincei 
il  continua  sa  route  vers  Cadix.  Arrivé  au  large  de  ce 
ville,  il  acquit  la  certitude  que  lescadrc  espagnole  él 
tout  entière  sur  la  rade.  11  signala  immédiatement 
contre-amiral  sir  John  Lockart  Ross  de  faire  route 
Gibraltar  avec  sa  division  et  le  convoi.   Quant  &  I 
après  avoir  conûé  à  quelques-unes  de  ses  frégates 
mission  de  surveiller  les  mouvements  de  Tcscadre  es 
gnole,  il  se  plaça  avec  le  gros  de  ses  forces  entre  &!-<& 
et  le  détroit.  Les  bâtiments  anglais  ayant  été  pris  par  le 


LIVRE  IX.  267 

calme,  &  l'ouvert  de  la  baie  de  Gibraltar,  furent  attaqués 
avec  beaucoup  de  vigueur  par  une  division  de  canon- 
nières et  de  bombardes  que  commandait  le  contre-amiral 
Moreno.  La  brise  s'étant  levée,  les  canonnières  se  hâtè- 
rent de  se  rapprocher  de  la  côte,  et  les  Anglais  gagnèrent 
le  mouillage.  L'opération  du  ravitaillement  de  la  forte- 
resse ne  rencontra  pas  d'autre  obstacle.  Le  20  avril, 
sir  John  Lockart  Ross  quitta  la  baie  pour  rallier  l'esca- 
dre anglaise  qui  l'attendait  en  dehors  du  détroit.  Aussi- 
tôt que  tous  ses  bâtiments  furent  réunis,  Tamiral  Darby 
reprit  la  route  de  l'Angleterre. 

On  avait  été  promptement  instruit,  à  Paris,  des  événe- 
ments qui  s'étaient  accomplis  à  Saint-Eustache.  Le 
ministre  connaissait  Tépoque  probable  du  départ  des 
bâtiments  qui  portaient  en  Angleterre  les  dépouilles  des 
habitants  de  l'île.  Enfin,  nous  savions  que  l'escorte, 
placée  sous  les  ordres  du  commodore  Hotham,  était  forte 
de  quatre  vaisseaux.  Le  ministre  désirait  vivement  faire 
une  capture  de  cette  importance,  mais  il  craignait  que 
l'escadre  expédiée  pour  prendre  le  convoi  de  Saint- 
Eustachc,  ne  fût  elle-même  interceptée  par  l'amiral 
Darby.  Ce  dernier,  d'après  la  connaissance  que  nous 
avions  de  ses  mouvements,  devait  paraître  sur  les  côtes 
d'Angleterre  en  môme  temps  que  le  commodore  Hotham. 
Le  maréchal  de  Castries  était  dans  cette  disposition  d'es- 
prit, lorsqu'il  reçut  du  chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet 
une  lettre  qui  s'appliquait  très-exactement  à  la  situation. 
Cet  officier  général  était  à  Brest,  où  il  surveillait  l'arme- 
ment de  six  vaisseaux  dont  il  avait  le  commandement.  «  J'ai 
conféré,  disait-il  au  ministre,  avec  M.  Hector*  sur  l'objet 
de  ma  destination.  11  me  paraît  que  c'est  pour  Cadix.  Je 
vous  avouerai,  Monseigneur,  que  je  préférerais  une 
croisière  entre  les  Sorlingues  et  les  Açores.  Je  pense 
qu'elle  serait  plus  préjudiciable  à  l'ennemi  que  mon 
séjour  sur  une  rade  d'Espagne.  Quoi  qu'il  en  soit,  vous 

1.  Chef  d'escadre  et  commaadant  de  la  marine  au  port  de  Brest. 


268  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

pouvez  compter  sur  tout  mon  zèle  et  sur  mon  activité  : 
Je  n'ai  jamais  eu  tant  d'envie  de  bien  faire,  et  j'espère  en 
trouver  l'occasion.  »  On  savait  en  ce  moment  que  plu- 
sieurs convois,  dont  un  très-considérable,  venant  de  la 
Jamaïque,  étaient  attendus  en  Angleterre.  Lamotte- 
Picquet  supposait  avec  raison  que  le  maréchal  de  Castries 
était  préoccupé  des  dangers  que  courrait  une  escadre 
envoyée  en  croisière,  au  moment  où  l'amiral  Darby 
remontait,  avec  vingt-six  vaisseaux,  du  détroit  vers  la 
Manche.  Il  lui  écrivit,  le  18  avril  :  «  Me  sera-t-il  permis 
de  vous  déduire  ici  les  raisons  qui  me  font  désirer  de 
sortir  en  ce  moment  où  les  flottes  ennemies  sont  prêtes  à  * 
rentrer?  Il  n'y  a  pas  lieu  de  craindre  qu'une  escadre 
de  six  bons  vaisseaux  et  quelques  frégates  puisse  être 
interceptée.  Il  n'y  en  a  jamais  eu  d'exemple,  et  les  pré- 
cautions qu'une  expérience  continuelle  doit  me  suggérer 
me  mettront  à  l'abri  d'un  pareil  malheur.  Il  n'est  pas 
possible,  en  outre,  que  je  ne  m'empare  de  quelque  flotte, 
la  manière  dont  elles  sont  convoyées  ne  permet  pas  d'en 
douter.  Si,  toute  l'année,  nous  avions  en  croisière  une 
escadre  de  huit  vaisseaux,  peu  de  bAtimenls  ennemis 
parviendraient  à  leur  destination.  Le  moyen  le  plus  silr, 
selon  moi,  de  vaincre  les  Anglais,  c'est  de  les  atta(|uer 
dans  leur  commerce.  »  Après  avoir  rocu  ces  deux  lettres, 
le  ministre  put  donner  avec  confiance  un  ordre  (|no 
Lamotto-Picquel  ne  demandait  (ju'à  exécuter.  C.e  dernier 
prit  la  mer,  le  25  avril,  avec  les  vaisseaux  Vlnvlticihlr  do 
cent  dix  canons,  le  Bien-Aimé  et  ï Actif  do  soixante- 
quatorze,  VAIrxan(h'r,\Q  Hardi  ot  le  JAon  de  soixante- 
quatre,  les  frogatos  la  Nôvcide  et  la  Sijbilh'^  les  cotres  le 
(lidssrur  ol  la  Levrette,  On  réi)andil  lo  bruit  (|u'il  se  ren- 
dait au  Ferrol,  où  il  devait  opérer  sa  jonction  avec  une 
division  ospa^mole.  Après  (|uclques  jours  do  croisière,  il 
ont  rhourousi»  fortune  (rai)orc(*voir  le  convoi  de  Saint- 
Kuslacho.  ÏA*s  vaisseaux  réussirent  à  s'échapper,  mais, 
sur  trente  navires  marchands,  vin^l-deux  furent  capturés. 
Au   moment  où   nous  exécutions   cet  heureux   coup  de 


LIVRE  IX.  269 

main,  l'amiral  Darby  approchait  des  côtes  d'Angleterre. 
Prévenu  de  cet  événement  par  un  bâtiment  neutre,  il 
détacha  huit  vaisseaux  à  la  poursuite  de  Lamotte  Picquet. 
L'oflicier  général  auquel  il  en  confia  le  commandement 
fit  force  de  voiles  afin  d'arriver  à  rentrée  de  Tlroise  avant 
les  Français.  Dans  la  matinée  du  24  mai,  les  Anglais  don- 
nèrent la  chasse  à  un  grand  navire  dans  lequel  ils  ne 
tardèrent  pas  à  reconnaître  un  vaisseau.  C'était  V Actifs  de 
soixante-quatorze,  commandé  par  M.  de  Boades,  qui 
s'était  séparé  de  Lamolte-Picquet  la  nuit  précédente.  Ce 
vaisseau  fut  joint  dans  la  soirée  par  le  Non  Such^  de 
soixante-quatorze,  avec  lequel  il  eut  un  engagement 
très-vif.  L'action,  interrompue  par  la  nuit,  reprit  le 
lendemain  à  six  heures  du  matin.  Le  vaisseau  anglais 
ayant  fait  quelques  avaries  s'éloigna.  Le  capitaine  de 
V  Actif  y  craignant  d'être  joint  par  les  bâtiments  de  l'esca- 
dre dont  faisait  partie  son  adversaire,  continua  sa  route 
sur  Brest  où  il  mouilla  le  même  jour*.  Lamotte-Picquet 
était  sur  la  rade  avec  ses  vaisseaux  et  ses  prises.  Ainsi 
se  trouva  terminé  ce  que  le  marquis  de  Bouille  avait  si 
bien  commencé.  La  plus  grande  partie  des  richesses  ac- 
quises par  les  moyens  odieux  que  nous  avons  signalés, 
furent  perdues  pour  TAngleterre. 


II 


Depuis  l'époque  de  sa  rupture  avec  la(irande-Bretagne, 
la  Hollande  n'avait  rendu  d'autre  service  à  la  cause  com- 
mune que  d'obliger  les  Anglais  à  conserver  quelques 
vaisseaux  dans  la  mer  du  Nord.  Une  escadre  peu  nom- 
breuse, placée  sous  le  commandement  de  l'amiral  Parker, 
avait  reçu  la  mission  d'intercepter  les  bâtiments  de  guerre 
qui  tenteraient  de  gagner  les  ports  de  France  ou  d'Espa- 


L  M.  (Je  Boades  fut  récum|>cnsé  pour  sa  rondiiite  liaos  coUe  afTaire.  11 
avait  é(H  blcftiM^  pendant  l'action. 


270  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  PlUVNÇAISE. 

gne.  Dans  le  courant  du  mois  de  juin  1781,  cet  amiral 
fut  chargé  de  conduire  un  convoi  dans  la  Baltique.  Son 
escadre,  qui  était  forte  de  cinq  vaisseaux  et  de  deux  fré- 
gates, fut  rejointe,  quelques  jours  après  sa  sortie,  par 
deux  vaisseaux,  un  de  soixante-quatorze  et  un  de  qua- 
rante-quatre. Les  armements  de  la  Hollande  avaient  marché 
avec  une  lenteur  qu'on  eût  pu  croire  calculée.  Cependant, 
dans  le  mois  de  juillet  1781,  l'amiral  Zoutman  prit  la 
mer  avec  sept  vaisseaux.  Le  5  août  au  point  du  jour,  il 
'était  arrivé  à  la  hauteur  du  Dogger  Banck,  lorsque  ses 
frégates  signalèrent  l'escadre  de  Parker.  Cet  amiral  reve- 
nait de  la  Baltique  escortant  une  flotte  marchande.  Après 
avoir  signalé  aux  bâtiments  du  convoi  de  serrer  le  vent, 
il  laissa  arriver  sur  l'escadre  hollandaise.  Celle-ci,  sans 
montrer  aucune  hésitation  dans  sa  manœuvre,  forma  la 
ligne  de  bataille  en  diminuant  de  voiles.  Les  amiraux 
Parker  et  Zoutman  semblèrent  d'accord  pour  n'engager 
qu'une  affaire  décisive.  Pas  un  coup  de  canon  ne  fut  tiré, 
avant  que  les  |deux  bâtiments  amiraux,  Famiml  tic 
Ruyter  et  la  ForliludCy  fussent  par  le  travers  l'un  de 
l'autre,  cl  à  portée  de  pistolet.  A  ce  moment  l'action  sVn- 
gageu  sur  toute  la  ligue  avec  uue  extrême  vivacité.  Liï^ 
deux  escadres  étaient  placées  dans  l'ordre  suivant  : 

KSCADHE  HULKANDAISE. 


Noms  (tes  l>àliriii'iil>. 


I.e  Princo  hénMlilairt' . . . 

l/Ainiral  j^ciiéral 

I/Ar^o 

Le  iialave 

1/Amiral  lie  |{uU<'r  ..    .. 

l/Aïuiral  Picl  lloin 

l.a  llullandc 


N"iiil>r«- 
('allons. 


04 
44 

-    t 

C8 


r.8 


Nt'iu-i  "li'S  iMpilaiiies. 


Vaii  l!raa<-k. 

Vaii  ninsInTgrii. 

Slarin^'. 

I.(>  l>ar()fi  Jo  honlinck. 
y.ouUiKui.  amiral. 
(Slariiig. 

Van  Itraam. 

Dtdol. 


LIVRE  IX. 


271 


ESCADRE  ANGLAISE. 


Noms  des  bâtiments. 


Le  Bienfaisant 

LeBerwick 

Le  Preston 

La  Fortitude 

L'Artois 

Le  Dolphin 

La  Princesse  Améiia. 
Le  Buflalo 


Nombre 

de 
canons. 


64 
74 
50 

74 

40 
44 
80 
60 


1 


Noms  des  capitaines. 


Braithwaite. 

Fergusson. 

Groeme. 
Ulyde  Parker 
/Robertson. 

Mac  Bride. 

Blair. 

Macarlncy. 

Truscot. 


Les  vaisseaux  anglais  et  hollandais,  rangés  sur  deux 
lignes  parallèles,  se  canonnèrent  sans  que,  de  part  et 
d'autre,  on  lenULt  aucune  manœuvre.  Après  trois  heures 
quarante  minutes  d'un  feu  violent,  le  combat  cessa  par 
suite  du  désordre  et  de  1  eloignement  des  deux  escadres. 
Les  efforts  que  firent  les  amiraux  Zoutman  et  Parker  pour 
reformer  leurs  lignes  furent  inutiles.  Les  vaisseaux  étaient 
hors  d'état  de  gouverner  et  aucun  d'eux  ne  parvint  à  re- 
prendre son  poste.  L'amiral  Zoutman  fit  route   sur  le 
Texel,  tandis  que  son  adversaire  ralliait  la  côte  d'Angle- 
'^nre.  Le  vaisseau  la  Hollande,  de  soixante-huit,  coula, 
1©  lendemain,  et  les  embarcations  de  l'escadre  n'eurent 
^ue  le  temps  de  'sauver  l'équipage.  Les  perles   s'éle- 
vèrent, de  chaque  côté,  à  cinq  cents   hommes  environ 
'ués  ou  blessés.  De  tous  les   combats  livrés   pendant 
^Ite  guerre,  celui  du  Doggcr  Banck,  si  on  considère  le 
Nombre  des  bâtiments  engagés,  fut  le  plus  meurtrier. 
^Ue  affaire  avait  emprunté  aux  circonstances  un  carac- 
tère particulier  d'acharnement.  Les  Hollandais  avaient 
^lué  avec  joie,  dans  la  matinée  du  5  août,  la  vue  des 
Vaisseaux  de  l'amiral  Parker.  Combattre  les  Anglais  à 
égalité  de  forces,  c'était  pour  eux  qui  n'avaient  pas  de 


272  HISTOIRE  DE  LA  MARINS  FRANÇAISE. 

marine,  une  véritable  bonne  fortune.  Sortir  victorieux 
de  celte  rencontre,  telle  fut  la  pensée  qui  s'empara  de 
l'amiral  Zoutman,  de  ses  officiers  et  de  ses  équipages. 
Pour  atteindre  ce  réBullat,  les  vaisseaux  hollandais  se 
battirent  jusqu'à  l'entier  épuisement  de  leurs  forces. 
Moins  habiles  que  les  Anglais,  tirant  moins  vite  et  moins 
bien,  ils  montrèrent  une  opiniâtreté  qui  ne  se  démentît 
pas  un  instant.  Surpris,  au  début  de  l'action,  par  l'attî- 
lude  de  leurs  adversaires,  les  Anglais  redoublèrent  d'ar- 
deur pour  triompher  d'une  résistance  à  laquelle  ils  ne 
s'attendaient  pas.  Pént^lrës  du  sentiment  de  leur  supério- 
rité, ils  n'admirent  pas  qu'ils  pussent  être  vaincus. 
Lorsque  l'escadre  britannique  cessa  son  feu,  l'écarlenicnt 
des  deux  lignes  le  rendait  inutile.  Le  délabrement  de  ses 
vaisseaux  empêcha  l'amiral  Parker  de  poursui^TC  l'enne- 
mi. La  Hollande  accueillit  avec  enthousiasme  la  nouvelle 
du  combat  du  Dogger-Banck.  La  vaillance  des  marins  de 
l'amiral  Zoutman  éveillait  le  souvenir  des  rudes  com- 
bals  livrés  par  les  Ruyler  et  les  Tromp,  pendant  le  coure 
du  siècle  précédent,  aux  flottes  de  la  Grande-Bretagne. 
La  Réi)uhliquc  se  montra  reconnaissante  envers  ceux  de 
ses  enfants  qui  avaient  dignement  soutenu  le  vieil  hon- 
ntHir  du  pavillon  néerlandais.  L'amiral  Zoulman  et  plu- 
sieurs de  ses  capitaines  furent  promus  &  un  grade 
supérieur.  De  nombreuses  récompenses  furent  accordéei 
aux  états-majors  et  aux  équipages. 

L'escadre  britannique  no  fut  pas  traitée  moins  favo- 
rablcineiii.  Le  Uui  vint  i\  Port-^moutli 


LIVRE  IX.  273 

les  États-Généraux  à  demander  la  paix.  Alors  même  que 
cette  hypothèse  ne  se  serait  pas  réalisée,  la  destruction  des 
forces  navales  de  la  Hollande  eût  délivré  le  commerce  des 
Anglais  de  toute  crainte.  L'amiral  Parker  ne  pardonna 
pas  à  son  gouvernement  de  Tavoir  privé  d'un  triomphe 
éclatant  en  n'augmentant  pas  son  escadre  de  quelques 
vaisseaux.  Malgré  les  instances  qui  furent  faites  auprès 
de  lui,  il  résigna  son  commandements 


m 


L'Espagne  avait   très-vivement   ressenti    l'échec  que 
l'amiral  Darby  avait  infligea  l'armée  de  Gordova  en  ravi- 
taillant Gibraltar.  Elle  voulut  prendre  sa  revanche  en  di- 
rigeant une  expédition  contre  Minorque.  Depuis  le  com- 
mencement de  la  guerre,  celte  île  était  le  rendez-vous  de 
nombreux  corsaires  qui  causaient  à  notre  commerce  et  à 
celui  de  nos  alliés  un  dommage  considérable.  Le  gouver- 
nement français  se  montra  disposé  à  soutenir  une  entre- 
prise qui  avait  pour  but  d'enlever  aux  Anglais  une  posi- 
tion avantageuse  dans  la  Méditerranée.  11  ne  semblait  pas 
que  cette  opération  dût  présenter  de  sérieuses  difficultés. 
I-a.  Grande-Bretagne,   obligée  de   se   défendre  en  Asie, 
®0  Europe  et  en  Amérique,  ne  disposait  que  d'un  petit 
'ïombre  de  soldats.  L'effectif  des  troupes  qui  occupaient 
*'*le,  BOUS  le  commandement  des  généraux  Murray  et 
"^aper,  ne  dépassait  pas  trois  mille  hommes.  Les  Anglais 
avaient  fait  du  fort  Saint-Philippe  une  place  de  premier 
^iHire.  Us  pouvaient,  ainsi  qu'ils  l'avaient  fait  quelques 
*^€is  auparavant,  apparaître  inopinément,  à  l'entrée  du 
^^Iroil,   et   expédier  un  convoi  qui  eût  débarqué  des 


1.  «  Je  souhaite  à  Votre  Majesté,  dit  le  vieil  amiral  au  Hoi,  de.'i  officiers 
l^^tis  jeunes  et  des  vaisseaux  plus  solides.  »  La  plupart  des  vaisseaux  de  son 
^^^^adre,  et  notamment  celui  sur  lequel  il  avait  son  pavillon,  étaient  de  vieux 
^^timents,  jugés  impropres  à  faire  une  campagne  lointaine. 

18 


274  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

troupes,  des  vivres  et  du  matériel,  sous  le  canon  de  celte 
forteresse.  La  cour  de  Madrid,  redoutant  celte  éventua- 
lité, demanda  que  les  vaisseaux  français  mouillés  sur  la 
rade  de  Brest  fussent  envoyés  à  Cadix.  Dix-neuf  vaisseaux, 
sous  les  ordres  du  lieutenant  général  de  Guichen,  firent, 
le  6  juillet,  leurjonctionavecrescadrede  Cordova.  Le  23, 
l'armée  franco-espagnole,  forte  de  quarante-neuf  vais- 
seaux, mit  sous  voiles.  Elle  accompagna  jusque  dans  la 
Méditerranée  les  bâtiments  de  guerre  et  de  transport  qui 
se  rendaient  à  Minorque.  Lorsque  le  lieutenant  général 
don  Luis  de  Cordova  n'eut  plus  aucune  crainte  sur  leur 
sûreté,  il  repassa  le  détroit  et  l'armée  combinée  remonta 
vers  le  nord. 

Le  duc  de  Crillon  avait  été  nommé  par  la  cour  de  Ma- 
drid au   commandement   en    chef  de  l'expédition.  Les 
troupes,  dont  l'eflcctif  s'élevait  à  onze  mille  hommes, 
étaient  embarquées  sur  quatre-vingt-cinq  bâtiments  de 
transport.  L'escorte,  placée  sous  les  ordres  du  contre- 
amiral  don  Buonaventura  Moreno,   était  composée  de 
vingt  bâtiments  de  tous  rangs.  L'armée  débarquée,  le 
9  août  1781,  dans  le  nord   de  Minorque,  se  dirigea,  à 
marches  forcées,  sur  la  capitale  de  rilo.  Lesdclachemenls 
(jui  tenaient  la  campagne  se  replièrent  devant  les  Es- 
pagnols, mais  le  duc  de  Crillon  fit  une  telle  diligence 
(lu'il  pénétra  dans  Mahon  à  la  suite  des  Anglais.  La  ville, 
l'arsenal  et  le  port  tombèrent  sans  coup  lÏTircn  son  pou- 
voir. Le  général  Murray  n'avait  pas  ou  le  temps  de  dé — 
Iruirelos  amies,  les  vivres,  les  munilions  el  le  niatérieL 
considcrai)le  (jue  renfermait  rarsenal.  Les  vainqueurs 
trouvèrent  des  magasins  remplis  do  marchandises  pro — 
venant  dos  prises  faites  sur  les  marinos  marchandes  de 
la  France  et  de  rAngleterre*.  L'année  espagnole  mil  lo 


1.  Si  on  (Ml  ju^'cdaprès  une  note  faite  par  un  onicitT  appailmanl  à  loUl- 
niaj(»r  du   duc  df  Oillori.  nos  alliés  auraient  trouvé  dans  la  ville,    rar^ena/ 
et  le  port    de   Mahon,  de  vérilaMes   ri(li<'s«-("<.   (lelle  noie  tpii  e-^t  écrite  en 
français  est  ain>i  conçue  :  «  In  arsenal  très  ^naritl,  avec  un  entrepôt  de  h<ni 
de  construction,  des  inAts  de  la  première  jjrandeur,  «les  voiles  et  des  cor- 


LIVRE  IX.  275 

siège  devant  le  fort  Saint-Philippe,  dans  lequel  les  troupes 
britanniques  s'étaient  retirées.  Le  duc  de  Grillon  fut  re- 
joint, peu  après,  par  un  corps  de  quatre  mille  soldats 
français,  commandé  par  le  maréchal  de  camp  de  Falken- 
hayn. 

Lorsque  la  flotte  franco-espagnole  eut  doublé  le  cap 
Saint-Yincent,  elle  se  maintint  à  cinquante  lieues  au 
large,  afin  de  ne  pas  être  vue  par  les  bâtiments  neutres 
naviguant  sur  les  côtes  d'Espagne.  Le  commandant  en  chef 
espérait  surprendre  les  Anglais  dans  le  golfe  de  Gas- 

dages  propres  à  équiper  des  vaisseaux  de  premier  ordre,  et  en  assez  grande 
quantité  pour  armer  deux  escadres,  ou,  suivant  l'expression  de  don  Moreno, 
bien  plus  qu'il  n'y  en  a  dans  les  trois  déparlements  de  Cadix,  de  Carthagène 
et  du  Ferrol  ',  cent  soixante  canons  de  bronze  et  de  fer,  de  quatre  jusqu'à 
douze  livres  de  balles;  vingt-cinq  mille  piastres  fortes;  un  plan  fait  par  un 
ingénieur  pour  des  mines  et  autres  projets  de  défense;  deux  grands  maga- 
sins remplis  de  blé  et  deux  autres  remplis  d'autres  grains^  de  cochon  et  de 
bœuf  salé  et  de  plusieurs  autres  provisions  de  bouche;  trois  frégates  et  quatre 
chebecks  prêts  à  mettre  à  la  voile  et  armés  en  course  ;  environ  vingt  gros 
bâtiments  ;  un  magasin  considérable  d'eflels  de  toute  espèce^  pris  par  les 
corsaires  mahonnais  et  achetés  à  ceux-ci  par  le  Roi  d'Angleterre.  M.  do 
Grillon  l'évalue  presque  autant  que  l'arsenal  et  estime  celte  prise  aussi 
importante  que  celle  des  Anglais  à  Saint-Euslache.  On  a  trouvé  dans  la 
maison  du  gouverneur  le  modèle  d'un  vaisseau  à  trois  ponts  en  argent,  avec 
ses  canons  en  or,  dont  le  gouverneur  se  proposait  de  faire  présent  à  son 
maître.  M.  de  Grillon  vient  de  renvoyer,  par  un  de  ses  aides  de  camp,  à  la 
princesse  des  Asturies.  Les  officiers  sonl  occupés  à  continuer  rinvenlairc 
des  effets  qu'on  découvre  à  chaque  instant  et  qu'on  dit  être  de  grande  valeur. 
Nous  sommes  maîtres  du  port  et  nous  nous  sommes  emparés  de  plusieurs  bâ- 
timents barbaresques  chargés  de  viande  et  autres  provisions.  I^  quartier 
général  est  établi  à  Mahon  où  M.  de  Grillon  a  reçu  le  serment  de  fidélité  des 
habitants.  Ge  général  a  fait  publier  une  ordonnance  par  laquelle  il  fait  con- 
naître à  tous  ces  insulaires  qu'ils  seront  traités  comme  Espagnols.  Celte 
publication  s'est  faite  au  son  des  cloches  et  aux  acclamations  réitérées  de  : 
Vite  le  Roi  d'Espagne  I  »  M.  de  Grillon  a  traité  chez  lui  les  principaux  habi- 
tmU  de  l'Ile,  et  il  a  admis  à  sa  table  cinq  officiers  anglais  qui  ont  été  faits 
prisonniers  avec  cent  cinquante  hommes. 

Gc  général  a  été  reconnaître  le  fort  Saint-Philippe  dont  la  garnison  est 
composée  de  deux  mille  cinq  cents  hommes  :  savoir  :  deux  bataillons  hano- 
▼riens,  un  anglais  et  quatre  cents  matelots.  l\  a  trouvé  la  place  bien  for- 
tifiée, mais  il  ne  la  croit  pas  imprenable;  il  demande  au  Roi  huit  â 
dix  mille  hommes  d'infanterie,  six  cents  dragons  et  deux  cents  artil- 
leurs. 

Nous  apprenons  par  des  déserteurs  hanovriens  que  le  fort  de  Saint-Philippe 
manque  de  vin,  de  bois  et  de  charbon. 


376 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


u  ruinpngiK 


cogne,  mais  il  arriva  à  la  hauteur  de  Brest  sans  avoir 
aperçu  l'ennemi.  La  cour  de  Londres  était  dans  l'igno- 
rance la  plus  complète  de  nos  mouvements.  Lorsque  l'ami- 
ral Darby,  qui  était  dans  la  Manche  avec  vingt  vaisseaux, 
apprit  l'arrivée  de  l'armée  Tranco-espagnole,  il  mouilla  à 
Torbay  pour  y  attendre  des  renforts.  L'alarme  que  notre 
I)résence  causa  sur  les  côtes  méridionales  d'Angleterre 
ne  fut  pas  de  longue  durée.  Aprts  une  courte  croisière, 
Cordova,  se  conformant  aux  ordres  de  son  gouverocmenl, 
revint  vers  l'entrée  de  l'Iroise.  Le  5  septembre,  il  signala 
au  lieutenant  général  de  Guichen  qu'il  le  laissait  libre 
d'entrer  à  Brest,  et  il  fitroute  pour  Cadix.  Neuf  vaisseaux 
fran(;ais,  dont  cinq  à  trois  ponts,  tous  doublés  en  cuivre, 
accompagnèrent  l'escadre  espagnole.  _ 

La  campagne  que  venait  de  faire  la  flotte  combîaAaA 
était  de  nature  à  porter  atteinte  à  la  considération  de  Ift    ■ 
France  et  de  l'Espagne.  Ces  deux  puissances  avaient  fait 
im  grand  déploiement  de  forces  qui  n'avait  abouti  à 
aucun  résultat.  Non-seulement  nous  n'avions  remporté 
aucun  avantage  sur  l'ennemi,  mais  nous  n'étions  pas 
restés  assez,  longtemps  k  la  mer,  soit  pour  inlerceplcr 
les  convois  attendus  en  Angleterre,  soit  pour  assurer  la 
rentrée  des  nôtres'.  En  annonçant  son  arrivée  à  Bre 
avec  dix  vaisseaux,  le  lieutenant  général  de  Guichen  é 
vit  au  ministre  :  «  La  campagne  n'a  pas  été  assez  brik 
tante'  pourm'atiloriser  à.  vous  demander  des  gr&ces  pon 
les  commandants  et  les  ofOciersde  l'escadre,  maisjen'oi 
dois  pas  moins  vous  rendre  compte  que  j'ai  été  lré9-  ' 
satisfait  de  l'attention  que  MM.  les  capitaines  ont  apportée 
dans  leurs  manœuvres  et  dans  l'exécution  dessignaux.  • 
Le  chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet  était  tombé  m»-  ■ 


I .  Je  Buis  liii^n  l(iucli<V.  Moiiiirîgneur,  que  M.  <te  Corilom  nn  m  «>il  pu  1 
rvndu  a  mc5  insinuées  [mur  pralonger  la  croisière  qai  *>At  pu  6ln  ravoraUi  I 
au  rduur  du  cohtoi  que  ooub  atlsudoi»  de  Suol-Uomin^e.  (L«IU«  d>  I 
lieuU-'nnnt  gourai  de  (iuichen  au  miniulre.) 
3,  l)«ii»  une  Biilr*  leltr»  il  diimil  :  •  MuiisHigiHur,  jn  auit  do  rdowd'iu 


ruinpagiH-  [utiguntr,  iiidii  pomL  glurii 


LIVRE  IX.  277 

lade  pendant  la  traversée  de  la  flotte  combinée  de  Cadix 
à  la  Manche.  Le  21  août,  il  avait  informé  le  ministre  que 
Tétat  de  sa  santé  exigeait  son  retour  en  France.  Il  ter- 
minait la  lettre  qu'il  lui  écrivait  à  ce  sujet  en  disant. 
«  Je  suis  on  ne  peut  plus  satisfait  de  mes  ofQciers  ; 
M.  de  la  Yoyrie,  mon  capitaine  de  pavillon,  est  en  état 
de  conduire  une  escadre.  Je  prends  la  liberté  de  vous 
demander  pour  lui  le  commandement  d'un  vaisseau.' 
Quanta  moi,  je  serai  toujours  assez  récompensé,  si  je  puis 
faire  quelque  chose  pour  l'honneur  du  pavillon.  Je  ne 
vous  demande  pas  le  commandement  d'une  armée.  Lors- 
que je  serai  rétabli,  sept  à  huit  bons  vaisseaux  me  suffi- 
ront. Avec  cela,  je  ne  crains  pas  toutes  les  forces  navales 
de  l'Angleterre.  Veuillez,  Monseigneur,  faire  attention 
qu'il  me  reste  peu  de  temps  à  pouvoir  servir,  et  daignez 
me  mettre  en  même  d'en  profiter.  »  Lamotte-Picqiiet, 
ainsi  qu'il  l'écrivait  au  ministre,  commandait  la  neuvième 
division  de  l'armée  de  Cordova.  Cette  situation  ne  pou- 
vait convenir  &  un  homme  de  sa  valeur  et  de  son  carac- 
tère*. 

La  retraite  de  l'armée  combinée  permettait  à  la  Grande- 
Bretagne  de  disposer  d'une  partie  des  forces  qu'elle  avait 
conservées  dans  la  Manche.  II  y  avait  lieu  de  croire  qu'elle 
profiterait  de  cette  circonstance  pour  envoyer  des  bâti- 
tlients  sur  les  deux  points  où  nous  luttions  énergique- 
Oient  contre  elle,  c'est-à-dire  dans  les  Antilles  et  en  Asie. 
L.a  situation  du  comte  de  Grasse  attirait  particulièrement 
l'attention  du  gouvernement  français.  Cet  officier  général 
n'avait  reçu,  depuis  qu'il  avait  quitté  Brest,  ni  renforts, 
ïii  approvisionnements.  D'autre  part,  il  était  obligé, 
d'après  ses  instructions,  de  renvoyer  en  Europe  les  bA- 
timents  partis  de  nos  ports  depuis  le  commencement  de 

1.  Il  avait  à  ce  momcot  quarante-sept  ans  de  services,  trente  campagnes 
lointaines,  douze  combats  et  six  blessures.  Lamotte-Picquet  était  surpris, 
non  sang  raison,  de  ne  pas  être  nomme  lieutenant  général.  (Il  l'écrivit  au 
ministre,  qui  fut  évidemment  de  son  avis,  puisqu'il  le  nomma  à  ce  grade 
quelques  mois  après.) 


■  h  ion  l. 


HISTOmE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 
l'année  1780.  Le  ministre  prescrivit  les  mesures  néces-  " 
saires  pour  expédier  à  la  Martinique  des  vaisseaux  et 
un  convoi  portant  des  hommes,  des  vivres  et  du  maté- 
riel. Les  exigences  auxquelles  nous  avions  à  faire  face 
étaient  si  nombreuse»,  eu  égard  au  peu  d'étendue  de  nos 
ressources,  que  les  bâtiments  désignés  pourceservice  ne 
furent  prêts  que  dans  les  premiers  jours  de  décembre. 
Le  10  de  ce  mois,  sept  vaisseaux,  dont  cinq  allaient  à 
la  Martinique  et  deux  à  l'Ile  de  France,  prirent  la  mer, 
sous  la  conduite  du  liculenant  général  de  Guichen. 
Après  avoir  escorté  au  large  tous  ces  bàtimenls,  cet 
ofiicicr  général  avait  l'ordre  de  se  diriger  sur  Cadix 
avec  les  douze  vaisseaux  qui  étaient  placés  sous  son 
commandement.  11  devait,  avant  d'entrer  dans  ce  port^ 
détacher  Lamolte-Picquet  avec  deux  vaisseaux  au-devas^ 
d'un  convoi  venant  de  Saint-Domingue'.  Le  gouvemfr; 
ment  anglais,  instruit  de  nos  préparatifs,  avait  envoya 
l'amiral  Kempcnteldt  en  croisière  dans  le  golfe  de 
cogne.  Supposant  que  les  renforts  expédiés  à  dos 
lions  extérieures  ne  seraient  pas  accompagnés  par  des 
forces  considérables ,  l'amirauté  britannique  ne  lui 
avait  donné  que  treize  vaisseaux.  Le  12  décembre,  1' 
cadre  française  était  à  cinquante  lieues  environ  dans 
l'ouest-sud-ouestd'Oucssant.  Elle  faisait  route  à  l'oue 
avec  une  fraîche  brise  de  sud-est;  la  mer  était  grosse 
le  temps  couvert  et  &  grains.  Dans  l'aprës-midi,  les  m 
vires  de  guerre,  par  suite  d'une  négligence  extrémemeidl 
fAcheuse,  étaient  en  avant  et  sous  le  vent  du  convoi,  lors- 
que, tout  è.  coup,  dans  une  éctaircie,  on  aperçut,  au  vont 
de  nos  biltimcnts,  les  vaisseaux  de  l'amiral  Kempenfeldt. 
Celui-ci,  jugeant  la  situation  d'un  coup  d'œil  très-sÛr, 
gouverna  sur  le  convoi.  Il  avait  très-bien  compris  qu'U 
pourrait  capturer  une  partie  de  nos  transports,  avant  que 

I.  Quand  hs  in«lruction>  onlonnuil  te  d^iutrt  writârent  i  Breat, 
I^equel,<|ui  commandAil  une  division  dr  cpUu  oscadr»,  ttaïl  ' 
d'uae  violenta  allaqur  de  goutte,  il  Qt  dire  à  Guichen  qu'il 
'    ■-  liont.  (Lettre  de  Uuiclien  au  raiiiislre.) 


LIVRE  IX.  279 

les  vaisseaux  fussent  en  mesure  de  les  secourir.  Les  bâ- 
timents du  convoi  prirent  chasse  en  se  dispersant  dans 
toutes  les  directions,  mais  vingt  d'entre  eux  tombèrent 
entre  les  mains  de  Tennemi.  L'escadre  française  assistait 
impuissante  &  cette  brusque  attaque;  formée  en  ligne  de 
bataille,  elle  s'efforçait  de  s'élever  au  vent.  Deux  vaisseaux, 
Y  Actif  elle  Triomphant^  furent  les  seuls  qui  échangèrent 
des  boulets  avec  les  Anglais ^  La  nuit,  qui  survint  très- 
promptement,  nous  déroba  les  mouvements  de  l'ennemi. 
L'amiral  Kempenfeldt  rallia  ses  bâtiments,  et  il  s'établit 
au  même  bord  que  notre  escadre.  Le  lendemain  au  jour, 
ayant  reconnu  notre  supériorité,  il  profita  de  sa  posi- 
tion au  vent  pour  s'éloigner.  Il  regagna  l'Angleterre  avec 
ses  prises,  à  bord  desquelles  il  y  avait  environ  mille 
soldats  passagers  et  un  matériel  considérable.  Quel- 
ques jours  après,  l'escadre  fut  assaillie  par  un  coup 
de  vent  très-violent.  Plusieurs  vaisseaux,  parmi  lesquels 
se  trouvaient  la  Bretagne  et  la  Couronne^  que  montaient 
Guichen  et  Lamotte-Picquet,  perdirent  une  partie  de  leur 
mâture*.  Le  Triomphant^  sur  lequel  le  chef  d'escadre  de 

1.  Le  capitaine  Macarty,  de  V  Actif  y  avait  montré  beaucoup  de  vigueur 
et  de  résolution,  en  canonnant  le  chef  de  flic  de  Tescadre  anglaise.  (Lettre 
du  chef  d'escadre  de  Vaudreuil  au  ministre.) 

2.  A  son  arrivée  à  Brest,  le  chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet  écrivit  au 
VDinistrc  pour  lui  recommander  quelques  hommes  de  son  équipage  qu 
i^vaient  été  blessés  dans  le  démfttemcnt  de  son  vaisseau.  Nous  empruntons 
^  cette  lettre  le  passage  suivant  qui  offre  un  véritable  intérêt,  en  ce  qu'il 
clonne  ane  idée  des  relations  existant,  à  cette  époque,  entre  les  équipages  et 
leurs  chefs  :  «  Je  joins  ici,  Monseigneur,  la  liste  des  hommes  de  mon  équi- 
|>age  qui  ont  été  blessé»  dans  le  démâtement  du  22  décembre  1781.  Je  dois 
"VOUS  faire  observer  que  ce  &ont  toujours  les  meilleurs  matetots  auxquels  ces 

sortes  d'accidents  arrivent.  Cette  classe  d'hommes  a  bien  besoin  d'encoura- 
gement et  de  récompenses.  J'ai  l'honneur  de  recommander  ceux-ci  à  votre 
bonté  et  à  votre  générosité,  surtout  mon  maître  voilier  qui,  depuis  plus  de 
vingt  ans,  embarque  avec  moi  en  ladite  qualité.  —  C'est  un  sujet  de  la  plus 
grande  distinction  en  son  état  et  qui  seul  faisait  subsister  une  femme  et  des 
enfants  qui  vont  tomber  dans  la  misère,  si  vous  n'avez  la  bonté  de  venir  à 
leur  secours  ;  pour  comble  de  malheur,  le  pauvre  malheureux  n'a  point  eu 
part  aux  parts  de  prises  que  j'ai  faites,  il  était  alors  embarqué  sur  le  Zodia- 
que, • 
Le  maître  voilier,  Mathias  Respigel^  mourut  de  ses  blessures.  Le  ministre 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FKANÇAISE. 
vaudreuil  avait  son  pavillon,  le  Bra«e  cl  quelques  Irnns- 
ports  furent  les  seuls  navires  en  élal  de  continuer  leur 
route.  Tous  les  autres  bdliments  de  l'escadre  etdu  cuuvui 
rentrèrent  dans  nos  ports. 

S'il  est  un  exemple  qui  montre  l'impérieuse  nécessité 
d'observer,  en  toutes  circonstances,  les  précautions  pres- 
crites par  les  règlements,  c'est  l'ôvéneraent  que  nous 
venons  de  rapporter.  La  négligence  du  lieutenant  général 
de  Guichen,  qui  se  trouvait  en  avant  et  sous  le  vent  de 
son  convoi,  nous  avait  coûté  vingt  bâtiments  de  Iruns- 
porU  En  arrivant  ù  Brest,  cet  officier  général,  mil 
par  un  sentiment  qu'on  ne  saurait  trop  apprécier,  voulut 
quitter  son  commandement.  Cette  résolution  lui  semblait 
la  conséquence  uaturelle  de  la  faute  qu'il  avait  commise. 
Le  gouvernement,  se  souvenant  de  ses  services,  et  burtout 
des  trois  combats  qu'il  avait  livrés  dans  les  Antilles  â 
rumiral'Hodney,  au  commencement  de  1780,  le  maintint 
a  la  létc  de  son  escadre. 


iccoriJa  uiiPjKusionfi  ei  veuve  el  une^ratillfationauiamtebU  qui  avitirnl 
été  bleMA»  dans  le  dfmatament  de  la  Cottronne. 

Ed  remerciant  le  ministre,  LamoUe-Picquet  (goûtait  :  ■  Il  me  reste  t 
récompeiuer  le  nommé  Laurqil  Demai,  mon  premier  maître,  et  voas  avez 
eu  la  bonté  de  m'asanrer  qu'il  ne  aérait  pas  oublié.  >  —  Ce  maître  venait  d* 
M  distinguer  dans  nn  coup  de  vent  de  nord,  reçu  A  bord  du  Robutlt  tt 
février  1781. 


LIVRE  X 


Les  Français  attaquent  Saint-Christophe.  —  L'amiral  llood  tente  de  jeter 
des  secours  dans  l'Ile.  —  Engagement  entre  les  escadres  anglaise  et 
française.  ~  L'amiral  Hood  mouille  sur  la  rade  de  la  Basse-Terre.  — 
Capitulation  de  Brimstone-Hill.  —  L'escadre  anglaise  s'échappe  pendant 
la  nuit.  —  Reiidition  des  Iles  Saint-Christophe,  Nièves  et  Montserrat.  — 
Retour  de  l'escadre  française  à  la  Martinique.  —  Préparatifs  faits  ()ar  la 
France  et  l'Espagne,  en  vue  de  la  conquête  de  la  Jamaïque.  —  Arrivée  do 
Rodney.  —  Concentration  des  forces  anglaises  à  Sainte-Lucie.  —  Appa- 
reillage des  deux  escadres.  —  Engagement  du  9  avril.  —  Bataille  de  la 
Dominique.  —  Les  Français  perdent  cinq  vaisseaux.  —  Discussion  relative 
à  la  journée  du  12  avril.  —  Arrêt  rendu  par  le  conseil  de  guerre  réuni  à 
Lorient  pour  juger  la  conduite  des  officiers  généraux  et  des  capitaines 
placés  sous  les  ordres  du  comte  de  Grasse.  —  Arrivée  de  l'escadre 
française  à  Saint-Domingue. 


I 


Le  5  janvier,  le  comte  de  Grasse  se  dirigea  sur  SainU 
Christophe  avec  vingt-six  vaisseaux.  Le  il,  il   mouilla 
dans  la  baie  des  Salines,  un  peu  au  sud  de  la  ville  de  la 
Basse-Terre,  sur  la  côte  occidentale  de  Tlle.  Le  comman- 
dant militaire,  le  général  Frazer,  s'étant  retiré  dans  la 
position  fortifiée  de  Brimstone-Hill,  le  corps  expédition- 
naire débarqua  sans  trouver  de  résistance.  Les  exactions 
commises  &  Saint-Eustache  avaient  fait  éprouver  au  com- 
ïïïerce  de  Saint-Christophe  des   pertes  considérables*. 
Û*^utre  part,  certaines  mesures  législatives,  récemment 

^  •  L'indignation  soulevée  à  Saint-Christophe  par  la  conduite  de  Rodney 
^^  <le  Vaughan  avait  été  telle  que  le  soliciter  général  de  la  Couronne  avait 
'^'Sé  lui-même  le  mémoire  que  les  habitants  avaient  adressé  à  Londres 
^^^  se  plaindre  des  exactions  dont  ils  avaient  été  les  victimes.  Des  mar- 
^^^(iises  leur  appartenant  et  qui  se  trouvaient  à  Sainl'Eustache  avaient  été 
^■ï^rées  de  bonne  prise. 


282  HISTOIRE  DE  I.A  MARINE  FRANÇAISE. 

adoptées  par  le  Parlement  britannique,  avaient  porté 
atteinte  aux  intérêts  des  colons.  Ceux-ci  prirent  la  déter- 
mination de  rester  étrangers  à  la  querelle  qui  divisait 
les  gouvernements  de  France  et  d'Any;lcterre.  Us  envoyè- 
rent au  comte  de  Grasse  une  députation  chargée  de  lui 
donner  l'assurance  qu'aucun  acte  d'hostilité  ne  serait 
commis  contre  nous.  Le  réduit  dans  lequel  s'était  réfugiée 
la  garnison  était  établi  sur  un  morne  élevé  de  quelques 
centaines  de  mètres.  Le  marquis  de  Bouille,  ayant  reconaut 
l'impossibilité  de  s'en  rendre  maître  par  une  attaque  de 
vive  force,  prit  ses  dispositions  pour  en  faire  le  siège. 

L'amiral  Hood  avait  appris  à  la  Barbade  noire  départ  delà 
Martinique  et  le  but  de  notre  expédition.  Quoique  les 
forces  dont  il  disposait  fussent  inférieures  aux  nôtres,  il 
n'héstta  pas  à  mettre  sous  voiles.  Après  avoir  touché  h 
Antigue  pour  prendre  le  général  Prescol  et  quelquM- 
Iroupes,  il  fît  route  sur  Saint-Christophe,  Le  24,  nos  fré^ 
gales  signalèrent  vingt-deux  vaisseaux  anglais  près  d4 
l'Ile  de  Nièves.  Le  comte  de  Grasse  appareilla  avec  d'au- 
tant plus  d'empressement  que  la  présence  de  l'ennomi 
compromettait  nos  conim  uni  cations  avec  la  Martinique. 
11  attendait  des  vaisseaux  qui  étaient  restés  à  Fort-Royal 
pour  achever  leurs  réparations,  et  des  transports  por- 
tant des  vivres  et  des  munitions'.  Le  général  français 
supposa  que  sir  Samuel  Hood  avait  l'intention  de  gagner 
le  mouillage  de  Sandy-Point,  situé  sur  la  côte,  au  nord 
de  1(1  Basi^e-Tcrre.  La  rade  et  la  ville  de  Sandy-Point 
étant  sous  le  canon  de  Brimstooe-Hill,  l'escadre  anglaise 
aurait  eu  la  possibilité  de  faire  passer  des  secours  su 
général  Frazer.  Le  comte  de  Grasse  comptait  s'opposer  i 
l'exécution  de  ce  projet,  et  il  voulait,  en  outre,  proUlar  de 
la  supériorité  de  ses  forces  pour  engager  une  afTaire  dé- 
cisive. Le  25  au  point  du  jour,  les  Anglais  étaient  sous 
Montserrat,  courant  des  bordées  pour  s'élever  au  v 
Au  moment  oQ  ils  arrivaient  près  de  terre,  les  vents 


k. 


1.  LUtclor,  undeA  vuisseaui  ulti'ndus,  rallia  le  même  jour. 


LIVRE  X.  283 

soufflaient  de  Test-nord-est  reculèrent  jusqu'à  Test-sud- 
est.  Cette  circonstance  permit  à  Tamiral  Hood  de  faire 
route  grand  largue  vers  le  nord.  II  passa  entre  Tîle  de 
Nièves  et  les  Français  que  le  changement  de  brise  avait 
rejetés  sous  le  vent.  Nos  vaisseaux  de  tête  échangèrent 
quelques  boulets  avec  son  arrière-garde,  mais  cette  ca- 
nonnade à  longue  portée  ne  put  arrêter  la  marche  des 
Anglais,  qui  prirent,  &  la  chute  du  jour,  le  mouillage  que 
nous  avions  quitté  la  veille  ^  Les  vaisseaux  de  l'amiral 
Hood  s'embossèrent  beaupré  sur  poupe,  présentant  le 
travers  au  large.  Trois  vaisseaux  se  placèrent  entre  la 
terre  et*  l'escadre,  afin  de  battre  ceux  de  nos  bâtiments 
qui  tenteraient  de  doubler  une  des  extrémités  de  la  li- 
gne. Le  lendemain,  aussitôt  que  la  brise  fut  faite,  le 
comte  de  Grasse  attaqua  les  Anglais.  Il  défila  au  large 
de  leur  ligne ,  portant  son  principal  effort  sur  Tavant- 
garde.  Quelques  vaisseaux  coupèrent  leurs  câbles  et 
changèrent  de  mouillage,  mais  aucun  d'eux  ne  subit  de 
dommage  sérieux.  Dans  l'après-midi,  nos  vaisseaux  re- 
nouvelèrent cette  manœuvre,  et  ils  combattirent  princi- 
palement le  centre  et  l'arrière-garde  de  l'ennemi.  Cette 
seconde  tentative  n'ayant  pas  eu  plus  de  succès  que  la 
première,  le  comte  de  Grasse  prit  le  parti  de  bloquer 
l'escadre  britannique.  11  se  proposait  de  lui  livrer  bataille 
le  jour  où  elle  appareillerait.  Dans  les  engagements  des 
25  et  26  janvier,  nous  avions  eu  cent  sept  tués  et  deux 
cent  sept  blessés.  Quoique  ces  deux  canonnades  n'eus- 
sent pas  une  grande  importance,  le  commandant  en  chef 

1.  On  a  dit  que  les  manœuvres  des  Français  avaient  contribué  plus  que 
les  Tariations  -de  la  brise  au  succès  de  Pamiral  Hood.  Ce  point  nous  semble 
difficile  à  éclaircir.  Ce  qui  paraît  certain,  c'est  que  le  comte  de  Grasse,  en 
appareillant  le  24,  n'eut  pas  la  pensée  que  son  mouillage  pourrait  convenir 
4  Vescadre  britannique.  Il  supposa  que  son  adversaire  chercherait  à  se  rap- 
procher de  Brimstone-Hill.  En  conséquence,  sa  seule  préoccupation  fut  de 
lui  barrer  la  route  de  Sandy- Point.  Ayant  négligé  de  se  tenir  près  de 
terre  dans  la  nuit  du  24,  il  ne  se  trouva  pas  le  25  en  position  de  défendre 
Vaccés  de  la  rade  de  la  Basse-Terre.  Quant  à  l'amiral  Hood,  il  profita  de  la 
faute  du  comte  de  Grasse  avec  un  coup  d'œil  et  une  habileté  qui  lui  faisaient 
le  plus  grand  honneur. 


284  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

écrivit  au  ministre  qu'il  avait  été  très-satisfait  de  la  con- 
duite de  son  escadre,  et  il  appela  son  attention  sur  les 
capitaines  de  vaisseau  de  Glandcvez,  du  Souverain  ^ 
d'Albert  de  Rions,  du  Pluton^  et  d'Escars,  du  Glorieux, 
Les  Anglais  avaient  eu  trois  cent  seize  hommes  hors  de 
combat,  soixante-douze  tués  et  deux  cent  quarante-quatre 
blessés.  L'amiral  Hood  envoya  son  capitaine  de  pavillon 
à  bord  de  la  Ville^e-Paris^  pour  demander  qu'il  lui  fût 
permis  d'expédier  un  bâtiment  à  Antigue  avec  ses  bles- 
sés. Le  comte  de  Grasse  s'empressa  d'accorder  cette  au- 
torisation. Lorsque  l'amiral  anglais  fut  convaiçcu  qu'il 
n'avait  plus  à  craindre  d'être  attaqué  à  son  mouillage,  il 
voulut  tenter  une  diversion  en  faveur  de  la  garnison  de 
Brimstone-Hill.  Le  28  janvier,  le  général  Prescot  s'avança 
sur  la  ville  de  la  Basse-Terre  &  la  tête  de  quinze  cents 
hommes.  Le  colonel  de  Fléchin,  qui  occupait  cette  place 
avec  un  faible  détachement,  se  porta  à  sa  rencontre,  et  il 
l'arrêta  pendant  une  journée.  Le  marquis  de  Bouille, 
instruit  du  débarquement  des  Anglais,  s'était  mis  en 
marche  avec  une  partie  du  corps  expéditionnaire.  En 
€ipi)renanl  cette  nouvelle,  le  général  Prescot  battit  en  re- 
traite, et  il  regagna  les  vaisseaux  de  l'amiral  Hood.  Le 
transport  sur  lequel  était  embarquée  Tartillerie  de  siège 
s'était  brisé  sur  les  roches  près  de  la  Basse-Terre.  Cet 
événement,  joint  à  la  prise,  par  l'escadre  de  l'amiral 
Hood,  d'une  frégate  qui  portait  des  munitions,  avait  re- 
tardé le  cours  des  opérations  militaires.  Les  Françalî» 
trouvèrent  au  pied  du  morne  huit  pièces  de  vingt-quatre, 
plusieurs  mortiers,  des  bombes  et  des  munitions,  qu'ils 
parvinrent  à  transporter,  de  nuit,  dans  leur  camp.  Ce 
matériel  était  depuis  quelcjue  temps  déjà  dans  la  colo- 
nie, et  les  Anglais,  qui  avaient  commis  la  faute  de  ne  pas 
le  mettre  en  place,  en  temps  opportun,  avaient  né^li?»-' 
de  \o  détruire  lorsqu'ils  s'étaient  retirés  à  Brimstoiie- 
Hill.  (lelle  ressource  étant  insuffisante  pour  dominer  le 
fi'U  iW  rennemi,  qui  était  très-vif  et  bien  dirigé,  le  diton 
reçut  l'ordre  de  débarquer  ses  pièces  de  vingt-i|uatro. 


Enlin,  nos  marins  sauvtrenl  les  canons  embarqués  sur 
le  b&timcnt  de  transport  qui  s'était  perdu  sur  la  côte. 
Lorsque  le  marquis  de  Bouille  eut  à  sa  disposition  les 
moyens  nécessaires,  il  mena  le  siège  avec  la  vigueur  et 
l'énergie  qui  lui  étaient  habituelles.  Le  13  février,  toutes 
les  défenses  de  Brimstone-Hill  étaient  ruinées,  et  la  gar- 
nison n'avait  plus  d'abris.  Le  général  Frazer,  qui  ne  con- 
servait aucun  espoir  d'être  secouru,  se  décida  à  capituler. 
Le  marquis  de  Bouille  accorda  &  la  garnison  et  aux  habi- 
tants les  conditions  les  plus  favorables.  II  promit  de 
n'apporter,  jusqu'à  ta  conclusion  de  la  paix,  aucun  chan- 
gement dans  le  régime  administratif  et  judiciaire  de  l'Ile. 
Nous  nous  engagions  &  ne  percevoir,  pendant  la  durée 
de  l'occupation,  que  les  deux  tiers  des  impâts  payés  par 
les  colons  au  gouvernement  britannique.  Les  troupes 
sortirent  de  la  place  avec  les  honneurs  de  la  guerre.  Elles 
devaient  être  transportées  en  Angleterre,  à  la  condition 
de  ne  pas  servir  contre  nous  avant  d'avoir  été  régulière- 
ment échangées.  Le  marquis  de  Bouille,  désirant  donner 
au  général  Frazer  et  au  major  général  Shirley  une 
marque  particulière  d'estime  pour  leur  belle  défense,  ne 
voulut  pas  les  considérer  comme  prisonniers  de  guerre. 
Le  major  général  Shirley,  qui  élail  gouverneur  d'Antigue, 
reprit  ses  fonctions,  et  le  général  Frazer  retourna  en 
Angleterre  avec  toute  liberté  de  servir  pendant  la  guerre. 
Un  convoi  apportant  des  approvisionnements  pour 
l'escadre  mouilla,  le  13  février,  près  de  l'Ile  de  Niéves, 
qui  était  depuis  quelques  jours  en  notre  possession.  Le 
comte  de  Grasse,  pressé  de  faire  des  vivres,  dont  nos 
vaisseaux  étaient,  à  ce  moment,  complétementdépourvus, 
\intjeter  l'ancre  auprès  des  bAtiments  de  transport.  Cette 
détermination  lui  parut  avoir  d'autant  moins  d'inconvé- 
nients que,  de  son  mouillage,  il  apercevait  les  feux  des 
Anglais.  Enfin,  il  comptait  reprendre,  le  lendemain,  sa 
croisière  au  large  de  la  baie  des  Salines.  L'amiral  Hood, 
nui  se  trouvait  obligé,  par  suite  de  l'infériorité  de  ses 
forces,  d'éviter  tout  engagement,  résolut  de  profiter  de 


2 


386  UISTOIKE  UK  LA  MARINE  FitANCAISE. 

noire  éloignemcnt  pour  6'6chapper.  Au  milieu  de  laniiil, 
les  Anglais  mirent  sous  voiles  en  coupant  leurs  c&blcs. 
Chaque  bdllmenl  laissa,  en  appareillant,  un  Tcu  sur  sa 
bouée.  Le  15,  au  point  du  jour,  l'ennemi  était  à  toute  vue, 
et  le  comte  de  Grasse  jugea  inutile  de  le  poursuivre. 

La  présence  de  l'escadre  britannique  avait  été  sans 
inOuence  sur  les  événemenls.  L'amiral  Hood  était  resté 
sur  la  rade  de  la  iBassc-Tcrre,  spectateur  impuissant  de 
la  reddition  de  Brimslone-Hill.  Néanmoins,  son  empres- 
sement à  venir  au  secours  de  l'Ile,  malgré  l'inrérioritéde 
ses  forces,  le  coup  d'œil  dont  il  avait  fait  preuve,  le  26  jan- 
vier, en  prenant  possession  de  noire  mouillage,  et  l'habi- 
leté aveclaquelle  il  s'était  dérobé  k  notre  surveillance, 
rendaient  trés-honorable  le  rûte  qu'il  avait  Joué.  Quant 
au  lieutenant  général  de  Grasse,  des  critiques,  qui  sem- 
blent justifiées,  s'élevèrent  contre  sa  conduite.  Il  était 
difficile  d'expliquer  son  inaction  du  Î6  janvier  au  13  fé- 
vrier. £taient-ce  les  moyens  d'action  qui  lui  manquaient} 
Le  dernier  des  quatre  vaisseaux  restés  à  la  Martinique 
pour  se  réparer  était  arrivé,  le  1"  février,  à  Snint-Chris- 
toplie.  Le  Triomphant  et  le  Brave,  qui  faisaient  partie  du 
convoi  dispersé  par  le  mauvais  temps  dans  le  golfe  d« 
Gascogne,  le  20  décembre  1781,  avaient  rallié  l'armée  M' 
lendemain.  L'escadre  anglaise  n'était  pas,  comme  celltf 
de  l'amiral  Barrington  à  Sainte-Lucie,  appuyée  par  deQi 
batteries.  On  pouvait  mouiller  auprès  d'elle,  au  vent  ct 
sous  le  vent,  sans  avoir  rien  à  craindre  de  la  terre.  Danf 
ces  conditions,  ct  avec  trentc-tleux  vaisseaux  contn 
vingt-deux,  nous  avions  le  droit  de  compter  sur  un  avan» 
tage  décisif.  On  savait  que  l'amiral  Kodney,  nommé  bQ 
commandement  des  forces  navales  de  la  Grande-Urelagiur' 
dans  la  mer  des  Antilles,  était  attendu  avec  une  escadn 
de  douze  ou  quinze  vaisseaux.  Nous  avions,  par  consé^- 
quent,  le  plus  grand  intérêt  h  battre  l'amiral  Hood' 
avant  l'arrivée  de  son  cbef.  Ce  résultat  avail,  pour  Ve 
semble  des  opérations,  une  tout  autre  importance  qi 
la  conquête  de  Saint-Chrisloplie. 


LIVRE  X.  287 

Après  avoir  rembarqué  les  troupes  qui  n'étaient  pas  des- 
tinées à  tenir  garnison  dans  Tîle,  le  comte  de  Grasse  fit 
route  pour  la  Martinique  où  il  arriva  le  26  février.  L'île 
de  Montserrat  s'était  rendue,  le  22,  à  un  détachement  de 
l'escadre  commandé  par  le  lieutenant  général  de  Barras*. 

Le  commencement  de  l'année  1782  ne  fut  pas  favora- 
ble à  nos  adversaires.  Le  capitaine  de  vaisseau  de  Kersainl 
reprit  Demerari  le  22  janvier,  et  les  établissements  de 
Berbicc  et  d'Essequibo  les  5  et  8  février. 


II 


il avaitété convenu  entre  les  cours  alliées  que  l'expédition 
(le  la  Jamaïque,  plusieurs  fois  décidée  et  toujours  différée, 
aurait  lieu  définitivement  au  commencement  de  1782.  Le 
commandement  des  troupes  était  conQé  au  lieutenant  gé~ 
néral  don  Galvez*,  et  celui  des  forces  navales  au  comte  de 
Grasse.  Une  division  portant  quatre  mille  hommes  avait 
quitté  Cadix  dans  les  premiers  jours  de  janvier,  se  dirigeant 
vers  le  cap  Français,  rendez-vous  assigné  à  l'escadre  de 
donSolanoet  aux  soldats  que  cet  amiral  avait  amenés  d'Es- 
pagne en  1780.  Le  comte  de  Grasse  avait  ordre  de  pren- 
dre sur  ses  vaisseaux  toute  la  partie  disponible  des 
garnisons  des  Iles-du-Vent,  et  de  se  rendre  à  Saint-Domin- 
gue aussitôt  que  ses  bâtiments  seraient  en  état  d'appa- 
reiller. Les  magasins  de  la  Martinique  étant  complète- 
ment vides,  cet  officier  général  fut  obligé  d'attendre,  pour 
se  ravitailler,  l'arrivée  d'un  convoi  venant  d'Europe.  Le 
lieutenant  général  de  Guichen,  rentré  à  Brest  à  la  fin  de 
décembre  1781,  à  la  suite  d'un  coup  de  vent,  avait  repris 


1.  M.  de  Barras  avait  été  fait  lieutenant  général  après  la  capitulation 
de  York-Town. 

2.  Ce  fut  avec  le  plus  grand  regret  que  le  gouvernement  français,  cédant 
aux  instances  de  TEspagne,  priva  le  marquis  de  Bouille  d*un  commandement 
qui  était  dû  à  sa  capacité  et  à  ses  services. 


288  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

la  mer  le  ll  février  1782*.  II  avait  reçu  la  mission  d'ac- 
compagaer  au  large  la  divisioD  de  Peynier  qui  allait 
dans  l'Inde,  et  les  vaisseaux  le  Dauphin-Royal  et  la  Cou^ 
rutmc  expédiés  à  la  Harlinique  avec  un  convoi.  Quelques 
jours  après  sa  sortie,  il  avait  atteint,  saus  faire  aucune 
rencontre,  la  limite  habituelle  des  croisières  anglaises. 
Le  comte  de  Guichen  s'était  alors  dirigé  sur  Cadix,  et  la 
navires  qu'il  escortait  avaient  fait  route  pour  leur  desti- 
nation *. 

L'amiral  Rodney,  parti  d'Angleterre,  le  8  janvier,  avec 
dix-sept  vaisseaux,  était  arrivé  aux  Antilles  à.  la  fin  de  fé- 
vrier. Après  avoiropérésojonction  avec  sir  Samuel  Hoo<l, 
il  résolut  d'intercepter  les  secours  attendus  dans  la  bsie 
de  Kort-Iloyal.  Ses  vaisseaux  s'échelonnèrent,  au  venldti 
lies  fran(:aiscs,  depuis  la  Désirade  jusqu'à  Sainl-Yinceal, 
et  ses  frégates  formèrent  une  ligne  en  avant  des  vais- 
seaux. L'Iiabilcté  du  capitaine  de  vaisseau  Mithon  de 
Gcnouilly,  chnrgé  (le  la  conduite  du  convoi,  déjoua  les  cal- 
culs de  l'amiral  anglais.  Cet  officier  doubla  la  Désirade 
par  le  nord,  et  il  lit  route  sur  la  Martinique,  en  serrail 
de  pn's  IfS  terres  do  !a  fiuadelnupe  et  de  la  DomîniqM. 
II  mouilla,  le  20  mars,  sur  lu  rade  de  Port-Royal  avecsm 
convoi.  Après  cet  insuccès  qui  lui  causa  un  très-vif  désap- 
pointement, l'amiral  Rodney  s'établit  au  gros  Met  de 
Sainte-Lucie.  II  détacha  ses  meilleures  frégates  pour  sur- 
veiller nos  mouvements,  et  II  se  tint  prêt  à  appareiller. 


L1VR£  X.  289 

L'arrivée  tardive  des  approvisionnements  nécessaires  à 
notre  escadre  rendait  très-difficile  la  tdche  que  le  comte 
de  Grasse  avait  à  remplir.  Cet  officier  général  devait  con- 
duire à  Saint-Domingue  un  convoi  considérable,  en  pré- 
sence d'une  armée  plus  forte  que  la  sienne.  Il  dut  proba- 
blement regretter  de  ne  pas  avoir  combattu  avec  plus 
de  vigueur  le  lieutenant  de  Rodney  à  Saint-Christophe. 


III 


Le  8  avril,  au  point  du  jour,  le  lieutenant  général  de 
Grasse  fit  appareiller  le  convoi  sous  l'escorte  des  vais- 
seaux VExperimefil  et  le  SagiUaire^  et  des  frégates  la  Rail- 
i^u^e^Y Engageante  et  le  Rirhmond.  Quelque»  heures  après, 
Tannée,  forte  de  trente-trois  vaisseaux,  mit  sous  voiles. 
Dans  la  journée,  une  frégate  de  Tarrière-garde  signala 
quarante  voiles  à  toute  vue.  C'était  la  flotte  de  l'amiral 
Rodney  qui  avait  quitté  Sainte-Lucie,  aussitôt  qu'elle  avait 
®u  connaissance  de  nos  mouvements.  Les  Français  pas- 
^rent  presque  toute  la  nuit  en  calme  sous  la  Dominique. 
^  9,  au  lever  du  soleil,  on  aperçut  très-distinctement, 
®^rnotre  arrière  et  un  peu  sous  le  vent,  trente-six  vaisseaux 
^^ut  cinq  à  trois  ponts.  Le  Zélé  et  VAugvste^  qui  s'étaient 
'^issé  sous-venter  pendant  la  nuit,  n'étaient  pas  très-loin 
"^^8  vaisseaux  anglais  les  plus  avancés.  Le  comte  de  Grasse 
®*^nala  au  convoi  de  mouiller  à  la  Guadeloupe,  et  à  l'ar- 
*^^  de  se  préparer  au  combat.  Dans  la  matinée,  Tavant- 
S'^rde  ennemie,  favorisée  par  la  brise  du  large,  qu'elle 
'^^ÇUt  la  première,  se  rapprocha  du  Zélé  et  de  Y  Auguste. 
^^  Ville-de-Paris  signala  la  ligne  de  bataille,  les  amures 
^  bâbord,  en  ordre  renversé.  Lorsque  notre  avant-garde 
^^  trouva  à  la  hauteur  des  vaisseaux  de  tête  de  l'ennemi, 
'^^Ire  armée  reprit  les  amures  à  tribord.  L'ordre  fut  alors 
^^nné  à  notre  deuxième  escadre  d'attaquer  l'avant-garde 
^^^  Bodney.  Le  marquis  de  Vaudreuil  laissa  arriver  pour 
^  ^n  rapprocher,  et  lorsqu'il  fut  à  une  demi-portée  de  ca- 

19 


S90  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

non,  il  commença  le  feu  '.  Le  Northwnberland,  le  Sceptre 
et  le  Citoyen,  qui  appartenaient  au  corps  de  bataille,  pri- 
rent part  h  cette  afTaire.  Après  une  heure  de  combat,  le 
Royal-Oak,  ayant  eu  ma  grand  mAt  coupé  à  la  havlenr 
du  ton,  laissa  arriver  et  s'éloigna.  Le  Montagu,  qui  ve- 
nait après  le  Royal-Oak,  perdit  ses  deux  mftls  de  hunei' 
tomba  sous  le  \'ent.  L'avant-garde  anglaise  ayant  porit 
largue,  tandis  que  les  Français  continuaient  &  tenir  le 
vent,  la  distance  entre  les  deux  lignes  augmenta  rapide- 
ment, et,  de  part  et  d'autre,  on  cessa  de  tirer*.  Le  comk 
de  Tirasse,  préocrupé  de  la  mission  qu'il  avait  h  remplir, 
ne  crut  pas  devoir  i)oust<cr  plus  loin  ses  avantages.  Per- 
suadé que  le  retard  apporté  &  la  marche  de  l'armée  su- 
glaise,  par  suite  des  avaries  de  son  avant-garde,  doo»- 
rait  au  convoi  une  avance  sutrisanlfi  pour  Taire  route  en 
toute  sécurité,  il  lui  envoya  l'ordre  de  reprendre  la  mer. 
Les  deux  flottes  réparèrent  leurs  avarios  pendant  la  nuit, 
et,  le  lendemain,  elles  conlinuûninl  j'i  courir  au  plusprès, 
les  amures  à  tribord,  avec  des  venis  de  l'est  au  nord- 
est.  Dans  le  but  d'emmener  l'ennemi  loin  du  convoi,  le 
comte  de  Grasse  comptait  passer  au  vent  des  lies  pour 
se  rendre  à  sa  destinalion.  Dans  la  nuit  du  10  au  11  avril, 
le  Jason  et  le  Zélé  s 'étant  abordés,  le  premier  de  ces  vws- 
seaux  relâcha  ù  la  Guadeloupe.  Il  y  fut  rejoint  par  le  f* 
lan  dont  la  mflturc  élail  en  mauvais  état.  Dans  la  joumét 
du  U,  l'armée  était  sur  le  point  de  doubler  les  Sainte, 
lorsque  le  comte  de  Grasse  se  décida  à   laisser  porter, 


.  LIVRE  X.  291 

pour  couvrir  deux  vaisseaux,  le  Magnanime  et  le  Zéléj  qui 
étaient  tombés  sous  le  vent.  Dans  la  nuit  du  11  au  12,  les 
deux  flottes  manœuvrèrent  avec  du  calme  et  des  brises 
variables.  A  deux  heures  du  matin,  le  Zélé^  courant  les 
amures  à  bâbord,  croisa  la  route  de  la  Ville-de-Paris, 
qui  était  au  plus  près,  les  amures  à  tribord.   L'officier 
de  quart  à  bord  du  Zélé,  se  trompant  sur  la  position  du 
vaisseau  qu'il  avait  devant  lui ,  lofa  au  lieu  de  laisser 
porter".  Un  abordage  d'une  extrême  gravité,  si  on  consi- 
dère les  circonstances  dans  lesquelles  nous  nous  trou- 
vions, fut  la  conséquence  de  cette  fausse  manœuvre.  La 
^ille-Hte-Paris  eut  des  voiles  emportées,  et  le  Zélé  cassa 
son  beaupré  et  son  mdt  de  misaine.  Le  général  fit  dire 
^  la  frégate  VAstrée,  par  le  cotre  le  Clairvoyant,  de  pren- 
^^0  ce  vaisseau  à  la  remorque  et  de  le  conduire  à  la  Gua- 
deloupe. Au  jour,  l'armée  était  sans  ordre,  et  il  y  avait 
^ne  distance  de  plusieurs  lieues  entre  les  bâtiments  sous- 
^©ntés  et  ceux  qui  étaient  le  plus  dans  l'est*.  A  quelques 
'ailles  sous  le  vent  de  la  Ville-de-Paris,  le  Zélé,  remor- 
qué par  VAslrée,  faisait  route  sur  la  Basse-Terre.  Plu- 
sieurs vaisseaux  anglais  faisaient  de  la  toile  et  chassaient 
'e  Zélé.  Le  comte  de  Grasse  crut  que  ce  vaisseau  tombe- 
''^ît  entre  les  mains  de  l'ennemi,  s'il  ne  se  hâtait  de  le 
Couvrir.  Quoique  l'armée  française,  par  suite  des  inci- 
^^nts  de  la  nuit,  eût  fort  peu  gagné  dans  son  louvoyage, 
^^lo  était  encore  au  vent  des  Anglais.  A  cinq  heures  trois 
^^a.rts,  la  Ville-de-Paris  signala  la  ligne  de  bataille,  les 
^ïHures  à  bâbord,  en  ordre  renversé,  et  à  six    heures 


.  ^  •    Le  comte  de  Grasse  avait  pris  la  précaution  de  rappeler  à  Tarmée  que 
**»  pendant  le  louvoyage,  deux  vaisseaux,  courant  à  conlre-bord,  vcnaienl  à 


I      Croiser,  celui  qui  était  b&bord  amures  laisserait  porter,  tandis  que  Taulre 

^'erait.  Le  commandant  en  chef  avait  ajouté  que  tous  les  vaisseaux,  quelle 

2^^  fût  Tanciennclé  des  capitaines,  qu'ils  eussent  ou  qu'ils  n'eussent  pas 

^  lïiarque  distinclivc,  étaient  tenus  de  se  conformer  à  cette  règle. 
^>  Le  comte  de  Grasse  dit  trois  lieues  dans  Tun  de  ses  mémoires,  tandis 
^^^  les  rapports  des  capitaines  parlent  de  cinq  lieues.  On  conçoit  l'inlérôl 
2^*  s'attache  à  celte  question.  11  s'agit  de  savoir  si  l'armée  a  eu  le  temps 

^  ^c  former  avant  le  commencement  de  la  bataille . 


292  HISTOIRE  DE  LA.  MARIHB  FRANÇAISE. 

elle  répéta  le  même  signal,  en  y  joignant  celui  de  forcer 
de  voiles.  La  manœuvre  des  Français  détermina  l'amiral 
Rodney  à  rappeler  les  chasseurs.  Ceux-ci  étaient  sous  le 
vent  et  à  quatre  ou  cinq  milles  du  Zélé,  lorsqu'ils  aban- 
donnèrent la  poursuite.  Vers  sept  heures,  le  marquis  dt 
Vaudrcuil,  commandant  de  la  deuxième  escadre,  arrivai! 
avec  le  Triomphant  dans  les  eaux  de  la  Ville-dc-Pant. 
Peu  après,  VAiiguste,  portant  le  pavillon  du  chef  d'escadre 
de  Bougainvillc,  commandant  de  la  troisième  escadre  qui 
faisait  l'avaiit-^anle  dans  Tordre  renversé,  prenait  sob 
poste.  Les  deux  armées  dont  les  routes  se  croisaient  s'é- 
taient rapprochéûs.  Le  capitaine  du  Mariborough,  vaisseau 
(le  leie  de  la  flotte  britannique,  supposant  qu'il  ne  pas- 
serait pas  au  vent  de  VHercule,  gouverna  de  manière* 
lirolonger  notre  ligne  sous  lèvent.  A  sept  heures  et  de- 
mie, le  comte  defirasse  signala  de  se  préparer  au  combat 
A  ce  moment,  le  Zélé  était  à  environ  dix  milles  des  blli- 
ments  ennemis  qui  l'avaient  chassé.  Ce  vaisseau  pouvnit 
être  considéré,  depuis  six  heures  du  malin,  comme  élael 
hors  do  toute  atteinte'.  Quelques-uns  des  vaisseaux  qui 
étaient  le  plus  au  vent,  lorsque  la  Ville-dc-Paris  avait  si- 
gnalé la  ligne  de  bataille,  les  amures  à  hâbord,  n'avaierl 
pas  encore  rallié.  Un  peu  avant  huit  heures,  le  jVarf^- 
rov'jh  et  {'Hercule  étaient  par  le  travers  l'un  de  l'aulrç. 
Le  mouvement  d'arrivée  des  Anglais  avait  amené  un  as- 
sez gnind  écarlemenl  entre  les  deux  lignes.  Elles  ten- 
daient de  nouveau  à  se  rapprocher,  le  Mariborough  élaal 


LIVRE  X. 


293 


FLOTTE  FRANÇAISE. 
Ligne  de  bataille.  —  Ordre  renversé. 


Troiitième  escadre  ou  escadre  bleue. 


llerciilo 

Souverain 

Palmier 

Northuinberlnml 
Neptune 

Auguste 

Ardent 

Scipion 

Hrave 

Citoyen 


74 
74 
74 
74 
74 

80 

64 
74 
74 
74 


Chadeau  de  la  Clocheterie. 

De  (ilandevès. 

De  Martel ly-Chau tard. 

De  Sainte-Césaire. 

Renaud  d'Aleins. 
(De  llougainville  j  chef  dVscadrc. 
'De  Castellan. 

Do  Gouzillon. 

Clavel. 

D*Acnblimont. 

DElhy. 


Première  escadre  ou  escadre  blanche. 


Hector 

César 

Dauphin-Ro^al 
Languedoc . . . . 


VilIc-de-Paris 


Couronne 
Eveillé. . . 
Sceptre  . . 
(îlorieuK  . 


74 
74 
70 
80 

104 

80 
t>4 
74 
74 


De  la  Vicomte. 

De  Marigny. 

De  Roquefêuil-Montpéroux. 

D*Arro8  d'Argelos. 

iConile  de  Grasse,  lieutenant  général 
\De  l^villéon. 
vDe  Vaugirault,  major. 

MithoD  de  Genou  il  ly. 

I^e  Gardeur  de  Tilly. 

Do  Vaudreuil. 

D'Escars. 


Deuxième  encadre  ou  escadre  blanche  et  bleue. 


Diadème 

î)estin 

Magnanime 

Réfléchi 

Con<|uérant 

Magnifique 

Triomphant    

Bourgogne 

Duc-  de-Hou  rgogne 

Marseillais 

Pluton 


74 
74 
74 
64 
74 
74 

KO 

74 

80 

74 
74 


De  Monteclcrc. 

Dumaitz  de  Goimpy. 

liO  Bégiie. 

Do  Mi'dinc. 

be  la  Grandiérc. 

.Macarty  Macteigne. 
jDc  Vaudreuil,  chef  d'escadre. 
'Le  chevalier  du  Pavillun. 

De  Charitte. 

Coriolis  d'Fspinousc,  chef  d*escadre. 

De  Chamnmartin. 

De  Castellane  Majastre. 

D'Albert  de  Rions. 


j 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

FLOTTE  ANGLAISE. 
Ligna  de  baUills.  —  Ordn  ranvanA. 


Trotiiime  eteadrt. 


Mcu-llnrou^li... 

AiciX...    !''" 

N'onsiich 

t^nqueroi' 

rhocMie 

Prince  Ctori^'. . 


Tajlor  Penny. 

Snniuel  Coraieb. 

Ctiriile«Thom  pson. 

William  TniBcolt. 

Gc«rKe  Bdfour. 

Sumiiel  Drak«,  contrc-ainiml. 

Cliarlet  Knstchbull. 

Jnmes  Williame. 

John  Gidoin. 

Wiltiani  Blajr. 

Itniwrt  Itarber. 

Jahim  Saamarec. 


Premiire  aead--t 


llilsolution  . . . 
AKBiuemnon , . 
Diikc 

Formidnble. , , 

Ssinl-Âlban!! . 

Caiiadfl 

Rùpul>o 

Aja» 

Boafurd 


Samuel  Tliompoon. 

Ili^nnr  t^avage. 

Cliartoe  Biickner. 

Ilaliert  Honoers. 

lienjamiD  Caldnell. 

illoD  Gardner. 

G,  B.  Hndooy,  vice-amirat. 

Cliaries  DouKiaa. 

Jolis  SymaDds. 

Crnnston. 

[niçliE. 

William  '.arnwajtis. 

Thomas  Uuojaresq. 

CtiarrinEtoD. 

noburt  Fansliaw. 

Anieck,  Commodore. 


LIVRE  X.  295 

Les  premiers  coups  de  canon  furent  tirés  sur  le  Marlbo- 
rough  par  le  Brave,  qui  était  de  quelques  rangs  en  ar- 
rière de  Y  Auguste.  Les  Anglais  courant  au  plus  près,  les 
amures  à  tribord,  et  les  Français  quatre  quarts  largue, 
les  amures  à  bdbord,  la  distance  qui  nous  séparait  de 
l'ennemi  fut  promptement  franchie.  L'avant-garde  an- 
glaise n'avait  pas  encore  doublé  notre  chef  de  file  qu'une 
partie  des  vaisseaux  de  notre  troisième  escadre  combat- 
tait à  petite  portée.  Vers  huit   heures  et  demie,    le 
signal  de  virer  de  bord  lof  pour  lof,  tout  à  la  fois,  fut 
hissé  à  bord  de  la  Ft7/e-de-Pam.  Le  vaisseau  du  comman- 
dant de  la  deuxième  escadre  le  répéta,  en  Tappuyant  de 
plusieurs  coups  de  canon.  C'était  au  Pluton,  serre-file  de 
l'armée,  qu'il  appartenait  de  commencer  le  mouvement. 
Le  capitaine  d'Albert  de  Rions  aperçut  le  signal  de  VAur- 
gusle,  mais  il  demeura  persuadé  que  ce  vaisseau  se  trom- 
pait dans  la  répétition  des  signaux.  Cetteopinion  lui  parut 
d'autant  plus  fondée,  que  les  vaisseaux  placés  entre  le 
t^luion  et  le  Triomphant  n'avaient  pas  en  tête  de  mdt  les 
pavillons  exprimant  cet  ordre.  Convaincu  que  cette  ma- 
nœuvre ne  pouvait  avoir  que  des  conséquences  désas- 
tï'cuses,  il  ne  voulut  pas  croire  qu'elle  eût  été  ordon- 
'^ée.  En  effet,  nos  vaisseaux,  pris  en  enfilade  pendant  un 
^^nips  d'autant  plus  long  que  la  brise  était  très-faible, 
^^ raient  subi,  dès  le  début,  des  pertes  considérables*. 
^n   ne  doit  pas  perdre  de  vue  que,  à  ce  moment,  dc- 
P^isl'/fercMZP/ jusqu'au  Maynifique,  on  se  battait  de  près. 
'^^u  après,  le  Triomphant^,  matelot  d'arrière  du  Magni- 


1 .  Le  Triomphant  et  les  vaisseaux  qui  le  suivaient  étaient  assez  rap- 
l^^chés  pour  communiquer  à  la  voix.  Le  lieutenant  général  de  Vaudreuil 
'^^^mploya  pas  ce  moyen  pour  donner  au  Platon  Tordre  de  commencer  le 
Mouvement.  M.  d'Albert  de  Rions  y  vil  une  nouvelle  preuve  que  le  signai, 
^U»é  à  bord  du  Triompfiant^  n'exprimait  pas  un  ordre  de  celte  impor- 
*^nce. 

3.  Le  chef  d'escadre  de  Vaudreuil  dit  formellement^  dans  un  de  ses 
"Mémoires,  que  le  Marlborowjh  passa  à  portée  de  fusil  du  Triomphant.  Or jk 
^  moment,  la  Ville-d&'Paris  avait  encore,  à  léte  de  m&l,  le  signal  de  virer 
^of  pour  lof,  tout  à  la  fois. 


r 


i 


296  HISTOIRE   DE  LA  MAHINE  FRANÇAISE. 

/l'^we,  le  Duc'de-Bourgogne,  le  MaTse'dlaii  et  le  Pluton, 
ëtaicDt  engagés.  Les  frégates  de  l'avanlr-garde  avaient 
fait  conDattrc  que  le  signal  de  virer  lof  pour  lof,  tout  à 
la  fois,  avait  été  vu  par  la  troisième  escadre.  Voulant 
sans  doute  faire  cesser  l'indécision  qui  devait  régner  dans 
l'armée,  par  suite  de  l'inexécution  de  cet  ordre,  le  comte 
de  Grasse  amena  le  premier  signal,  et  il  le  remplaça  par 
celui  de  serrer  le  vent,  les  amures  à  bibord.  Entre  huit 
heures  quarante-cinq  et  neuf  heures,  le  comte  de  Grasse      j-^, 

signala  de  virer  de   bord   lof  pour  lof  par   la   contre-     ^ 

marche.  A  bord  de  VUurcuk,  on  vit,  pendant  un  monicnl,  ^  ^\ 
v.e.  signal  aux    mâts  du  vaisseau  du  commandant  Avn'^^  ^ 

l 'avant-garde,  mais  la  fumée  ayant  presque  immédiate :^^g, 

menl  enveloppé  VAtujusle,  le  capitaine  Chadeau  de  lae«  ^ij 
Clocbeterie  ne  voulut  pas  assumer  la  responsabilité  de  c^  ^:x,i 
mouvement.  Vers  neuf  heures  trois  quarts,  les  vents,  qu  .sLvui 
jusque-là  avaient  été  à  l'est,  passèrent  au  sud-est.  Alv^.Au 
moment  oii  se  produisit  celte  variation  dans  la  brise  quK^»-  ;ui 
exerça  une  influence  décisive  sur  le  sort  de  la  journée^^^e, 
l'arrière  -  garde  anglaise  venait  d'entrer  en  ligne.  Le^^— es 
vaisseaux  français,  obligés  de  laisser  arriver  pour  ne  pa^ES.«as 
masquer,  se  trouvèrent  en  échiquier.  Dans  cet  ordre,  \W  M:  ils 
ne  pouvaient  conserver,  en  combattant,  une  formatio<i:»  ou 
régulière.  L'avant-garde  anglaise  continua  A  courir  soi».»  *"s 
le  vent  de  notre  flotte.  Au  centre  de  l'armée  britannique  «-ue, 
le  Formidable,  sur  lequel  le  commandant  en  chef  a\a-^^"*ît 
son  pavillon,  et  ses  deux  matelots,  serrèrent  le  vent.  Vcrm  ^am 
dix  heures  et  un  quart,  le  Namur,  le  Formidable,  le  JJu/!V--e-''fa 
et  le  Canada  coupèrent  la  ligne  française  sur  l'arrière  dfc»  **" 
Glorieux.  Ce  vaisseau  de  soixante-quatorze,  qui  avait  déj  ^^j* 
supporté  le  feu  de  l'avunt-garde  anglaise,  fut  démAté  iL^  ^^■ 
tous  ses  mfils-  Ces  quatre  vaisseaux  prolongèrent,  pE 
bdburd,  notre  deuxième  escadre  qui  fut  obligée  de  cotn 
battre  des  deux  bord.s.  Sir  Samuel  Hood,  imitant  la  m;»  *"■" 
nœuvre  de  Hodney,  passa,  avec  son  escadre,  sur  l'arrièi»  **"' 
du  César.  Ce  vaisseau  et  VHector  qui  le  précédait  dan»  K  '" 
ligne,  canonnés  par  tous  les  bâtiments  de  l'arrière-ganK 


UVRE  X.  297 

anglaise,  furent  très-maltraités.  Au  lieu  de  laisser  porter, 
pour  prolonger  au  vent  noire  première  escadre,  sir  Sa- 
muel Hood  courut  au  plus  près,  les  amures  à  tribord.  La 
Ville-^le-Paris  et  plusieurs  vaisseaux  de  notre  centre  ces- 
sèrent leur  feu  à  dix  heures  et  demie,  n'ayant  plus  d'en- 
nemiSi  soit  au  vent,  soit  sous  le  vent.  Sur  tous  les  autres 
points,  et  principalement  à  Tavant-garde,   le  combat 
continua  avec  beaucoup  de  vivacité.  La  brise,  qui  était 
très-faible,  fraîchit  un  peu  vers  onze  heures.  Le  Glorieux^ 
€2omplétement  démâté,  n'avait  pu  suivre  le  mouvement 
de  son  escadre,  et  il  restait  isolé.  Le  comte  de  Grasse 
Ayant  fait  aux  frégates  le  signal  de  conduire  ce  vaisseau 
hors  du  feu,  une  d'elles,  le  Richmond,  capitaine  Mortemart, 
^int  intrépidement  se  placer  sur  son  avant,  et  elle  lui 
donna  une  remorque.  Quelques  vaisseaux  anglais,  met- 
tant &  proQt  la  légère  brise  qui  soufflait  en  ce  moment, 
gouvernèrent  sur  le  Glorieux.  Le  lieutenant  de  vaisseau 
Trogoff  de  Kerlessi,  qui  avait  remplacé  le  vicomte  d'Es- 
cars,  tué  à  neuf  heures  du  matin,  fit  couper  la  remorque. 
Il  ne  voulut  pas  accepter  le  dévouement  de  cette  frégate 
qui  se  serait  perdue  sans  pouvoir  le  sauver. 

Vers  une  heure,  une  légère  brise  d'est  s'étant  élevée, 
la  fumée  disparut,  et  on  put  se  rendre  compte  de  la  situa- 
tion des  deux  armées.  Les  Français  étaient  divisés  en 
trois  groupes  principaux.  La  troisième  escadre  était  au 
vent  et  à  deux  milles  environ  de  la  Ville-^e-Paris,  auprès 
de  laquelle  se  tenaient  ses  deux  matelots,  le  Languedoc  et 
la  Couronne^  et  quatre  autres  vaisseaux.  La  deuxième 
escadre  était  à  trois  ou  quatre  milles  sous  le  vent  du 
vaisseau  du  commandant  en  chef.  Le  GloHeux  était  au 
vent  de  la  Ville-de-Paris;  V Hector  et  le  César  se  trou- 
vaient un  peu  au  vent  de  notre  avant-garde.  Les  vais- 
seaux qui,  sous  la  conduite  des  amiraux  Rodney  et  Hood, 
avaient  coupé  notre  ligne,  les  premiers  sur  l'arrière  du 
Glorieux^  les  seconds  sur  l'arrière  du  César^  étaient  au 
vent  de  notre  armée.  L'avant-garde  ennemie  continuait  & 
courir  au  plus  près,  les  amures  &  tribord,  afm  d'être  en 


298  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

mesure  de  nous  doubler  au  vent  après  avoir  viré  de  bord. 
Une  brise  fraîche,  qui  goufflait  à  l'ouvert  du  canal,  favo- 
risait les  mouvements  de  nos  adversaires.  A  une  heure  el 
un  quart,  le  comte  de  Grasse  signala  de  se  rallier  à  l'ordre 
de  bataille,  les  amures  à  bAbord,  dans  l'ordre  reaversi. 
Peu  après,  il  signala  à  la  deuxième  escadre  de  tenir  le 
venl,  tout  à  lu  fois,  et,  à  deux  heures,  il  répéta  son  pre- 
mier signal.  Par  suite  de  sa  position  près  de  terre,  l'anufa 
française  était  presque  en  calme.  De  temps  à  autre,  il 
s'élevait  un  peu  de  brise  variant  en  force  et  en  directioa. 
Cette  circonstance,  jointe  &  l'état  dans  lequel  setrouvaieBl 
queligues-uns  de  nos  vaisseaux,  rendait  nos  mouvemcoli 
lrè.s-lcnts  et  toute  formation  difficile,  sinon  impossible- 
Le  Ohrii-ux,  démdté  de  tous  ses  mdts,  VUector  et  le  Cétar, 
presque  complètement  dégréés,  ne  pouvaient  plus  ries, 
s'ils  n'étaient  pus  secourus.  Plusieurs  vaisseaux  de 
l'avant- garde,  devant  lesquels  toute  l'armée  anglaise 
avait  défilé  dans  la  matinée,  ne  manœuvraient  que  diffi- 
cilement. VAtiguste,  porlant  le  pavillon  du  conimandanl 
de  latroisièmc  escadre,  avnil  rendu,  à  midi,  sa  manœum 
indépendante,  et,  depuis  ce  Icmps,  il  réparait  ses  avaries. 
Pendant  que  les  Français,  dispersés  par  suite  des  varit 
lions  de  la  brise  et  des  incidents  de  la  matinée,  s'effw- 
raient  de  rétablir  l'ordre  primitil'  de  combat,  l'avant-garde 
ennemie  rejoignait  Hood  ef  Rodney.  Les  vaisseaux  anglais, 
répandus  sans  ordre  au  ventdc  notre  ligne,  gouvemaienl 
sur  ceux  de  nos  biUiments  qui  étaient  isolés.  A  trots 


LIVRE  X.  299 

point.  La  Ville-tle-Paris  et  quelques-uns  des  vaisseaux 
qui  étaient  auprès  d'elle,  tels  que  la  Bourgogne^  le  Triom» 
pliant,  le  Languedoc,  la  Couronne,  le  Plulon,  le  Sceptre^ 
le  Magnifique  et  le  Mariieillais  se  battirent  des  deux  bords. 
Le  vaisseau  amiral,  quoique  épuisé  par  une  journée  de 
lutte,  opposa  aux  attaques  de  ses  nombreux  adversaires 
une  résistance  héroïque.  A  cinq  heures  et  demie,  il  fut 
canonné  par  neuf  vaisseaux.  Un  peu  avant  six  heures,  un 
trois  ponts,  le  Barfleur,  monté  par  le  vice-amiral  Hood, 
vint  se  joindre  aux  assaillants.  A  six  heures  un  quart, 
le  comte  de  Grasse  rendit  aux  Anglais  un  vaisseau  que 
lui,  ses  officiers  et  son  équipage  avaient  défendu  avec  la 
plus  admirable  valeur.  Le  corps  du  vaisseau  était  criblé 
de  coups  de  canon,  la  chute  de  la  mdture  était  imminente, 
les  munitions  étaient  épuisées  et  le  navire  était  encombré 
de  morts  et  de  blessés*.  Cet  événement  donnait  le  com- 
mandement de  Tarmée  au  chef  d'escadre  de  Vaudreuil. 
Le  nouveau  général  n'avait  que  le  temps  strictement 
nécessaire  pour  prendre  les  mesures  que  comportaient 
les  circonstances.  La  nuit  approchait,  et  il  fallait  empê- 
cher que  la  direction  de  notre  flotte  fût  abandonnée  au 
hasard.  Le  marquis  de  Vaudreuil  ordonna  à  la  voix  &  la 
Bourgogne,  qui  était  le  vaisseau  le  plus  rapproché  de  la 
Ville-de-Pam ,  de  faire  de  la  toile.  Lui -môme,  sur  le 
Triomphant,  laissa  arriver  et  s'éloigna  du  champ  de  ba- 
taille, ayant  entête  de  mdt  le  signal  de  ralliement.  Il  héla 
les  vaisseaux  près  desquels  il  passa  pour  leur  faire  con- 
naître la  route  qu'il  comptait  suivre.  Il  ne  voulut  pas 
faire  de  signaux  dans  la  crainte  que  l'ennemi  ne  parvint 
à  les  interpréter".  L'armée  française  se  retira  sans  être 

1.  Les  Anglais  rcuiorquèrent  la  VilU-de-Paris  iusqu'klà  Jamaïque. 

2.  Les  quelques  lignes  <|ui  suivent,  empruntées  à  un  passage  des  mémoires 
du  marquis  de  Vaudreuil,  indiquent  avec  précision  les  derniers  moments 
de  la  bataille  :  «  Jusqu'au  moment  où  la  ViUe-de-Paris  s'est  rendue,  je  n*ai 
eu  de  vuiles  que  ce  qui  était  nécessaire  pour  gouverner.  Nous  suivions 
exactement  les  mouvements  de  la  ViUe-de-Paris  dans  toutes  les  oloffées  et 
arrivées  pour  ne  nous  point  éloigner.  A  six  heures  et  demie,  l'ayant  vue 
venir  en  travers,  après  avoir  tiré  des  deux  bords,  cesser  son  feu  et  amener 


300  HISTOIRE  DE  LA,  MARINE  FRANÇAISE, 

inquiétée.  L'amiral  Rodney,  dans  son  rapport,  n'accusa 
que  deux  cent  trente-sept  nions  et  sept  cent  soixante-six 
blessés.  Les  pertes  des  Français  Turent  certainement 
beaucoup  plus  considérables.  Nous  ne  les  donnons  pas, 
parce  que  nous  n'avons  trouvé  aucune  pièce  les  indi- 
quant, pour  tous  les  Mlimenls,  avec  un  caractère  sufti- 
sant  d'autlienlicité.  lin  grand  nombre  d'ofGciers  Turent 
tués  ou  blessés  dans  cette  journée'. 

Tel  est  le  récit  des  divers  incidents  qui  marquèrent  le 
Tuneste  journée  du  12  avril.  Après  cet  exposé,  auqur- 
nous  n'avons  joint  aucun  commentaire,  nous  reclier 
obérons  quel  fut  le  plan  du  général  et  lus  moyens  qu' 
.employa  pour  l'exécuter.  Nous  examinerons  égalemcH 
s'il  trouva,  chez  les  oTIiciers  généraux  et  les  capitaines  l 
son  armée,  le  concours  qu'il  avait  le  droit  d'en  atteudr' 
La  bataille  de  la  Dominique  est  l'événement  maritime 
plus  considérable  de  la  guerre  de  l'Indépendance  ;  de  plii 
la  journée  du  12  avril  a  été  diversement  appréciée,  A 
double  titre  elle  mérite  un  examen  approfondi. 


KR  pavillons  de  Bi^Bi»,  j'ai  r^^rdâ  «oo  bUon  de  pavillon,  lo  pnïilliim--^^ 
uncné.  C'etX  alors  que  j'ai  crié  à  M,  de  Cbaritle  de  foire  d«  la  vullv,  - 
jVn  ai  fait  moi-même  et  que  J'en  ai  Tail  Taire  aux  autres  vai&M'agi,  L^K 
donnant  la  roule  qu'il  fallait  tenir.  . 

I.  Uo  cQmptail  parmi  les  premiers  :  MU.  do  Sainl-Oéntire,  du  Paviir     M 
d'Escars,  de  la  Clochelerie,  de  la  YicoinU,  Bernard  de  Mnrignj,  capital     ' 
do  vaisseau  1  de  la  MeUrie,  l'Hermito-Mai liane,  de  Karvel,  d'Orvin,  de  " 
leneuTc-Flajosc,   de   Rebeodcr,   lieulcnanb  de   vaisseau;   de   Itcauc»^^    '' 
Visdelnu  de  Lisctiuel,  do  Quallromaai,  enseignes  do  vaisseau;  de  Knxr^ — ^ 
reull,  tloracin,  nfDciers  amiliairM  ;  de  Kerolaio.  farde  de  la  marine  :  •!     ■^^' 
Forgerin,  de  TroRolT,  ofOcicrs  d'ioraDtcric.  omeiers  blessa  :  Mil.  île  \~— ^ 
dreail.  chef  dVscadro;  LeDùfriie,  deThy.de  NMine,  de  ChampmaKin.r: 
tainesda  vaisseau; do  Mallel,  du  Koure,  doVieuibourgdeRosily,  rioCIri 
bert,  de  ChaiTipa)^y,  Dopuy,  de  Carcaradec,  d'Assas-Jiondardier,  Treden: 
Lciercc,  Despiés,  de  TrogelT,  do  ["ortiampar,  lioutcnnnU  de 
de  Huntbas,  de  [.aulsnie,  do  Hamiéros  di-  Monlipij,  enseifrnes  da  vaiva 
de   Blessingn,    de  Toit,    orOderi   suMois;    Charroa-Dupnrlnille, 
■«vilain,  duFrossoy,  bichor,  Martin,  QuinnrI,  nnidcrs  auxiliaires:  leli^ 
de  Chiteaurur,  gardes  de  la  marine;  du  Munlezun,  de  Couillard,  de  V  â 
deNnnIel,  de  QueUeville,  de  Mnntalenibert,  delà  Krosse,  Dejean,  Tana«| 
Deshayes,  d'Adhtmar.  de  Coquet,  de  Truurunl.  de  Kprlerrc,  d«  Si  ~ 
de  Ilcnounnl,  de  llni^^nlin,  oniners  d'inranterie. 


UVRE  X.  301 


IV 


L'amiral  Rodney  avait  sous  ses  ordres  Irente-six  vais- 
seaux, dont  cinq  à  trois  ponts.  Le  comte  de  Grasse,  après 
«tifoir  désigné  deux  vaisseaux  pour  accompagner  le  con- 
voi, avait  pris  la  mer  avec  trente-trois  vaisseaux,  parmi 
lesquels  un  seul,  la  Ville-de-PariSy  était  &  trois  ponts.  Du 
S  au  12  avril,  il  renvoya  successivement  le  Caton^  le  Jason 
et  le  Zélé.  Au  combat  de  la  Dominique,  il  avait  trente 
Vaisseaux  représentant  deux  mille  deux  cent  quarante-six 
Canons,  tandis  que,  sur  la  flotte  anglaise,  le  nombre  des 
^Bouches  à  feu  s'élevait  à  deux  mille  six  cent  soixante- 
C|uatorzç.  Il  est  donc  certain  qu'il  y  avait  entre  les  deux 
armées  une  grande  disproportion  de  force.  Néanmoins, 
les  fautes  commises  par  le  commandant  en  chef  con tribu ë- 
x*en»,  plus  que  la  supériorité  numérique  de  Tennemi,  à  la 
tjcrte  de  la  bataille.  Le  9  avril,  le  comte  de  Grasse  avait 
C31J,  si  ce  n'est  la  certitude,  au  moins  des  chances  très-sé- 
irieuscs  d'écraser  une  fraction  de  la  flotte  britannique.  11 
n'avait  pas  voulu  en  profiter  dans  la  crainte  d'être  amené 
4  livrer  une  bataille  générale  qui  eût  empêché  l'accomplis- 
sement de  sa  mission.  Comment,  le  12,  s'exposait-il  à  livrer 
cette  même  bataille,  avec  trente  vaisseaux,  alors  que,  le  9, 
il  en  avait  trente-trois?  Était-ce  pour  couvrir  le  Zélé?  Alors 
le  comte  de  Grasse  commit  une  erreur  bien  malheureuse. 
En  admettant,  ce  qui  était  douteux,  que  le  Zélé  eût  été  un 
moment  compromis,  la  démonstration  de  la  Ville-de-Paris 
avait  suffi  pour  le  délivrer  de  tout  danger.   En  consé- 
quence, aussitôt  après  le  rappel  des  chasseurs  par  l'ami- 
ral Rodney,  le  général   français  avait  toute  liberté  de 
reprendre  les  amures  à  tribord.  Si  le  comte  de  Grasse,  se 
trompant  sur  la  situation  du  Zélé,  s'exposait  aux  risques 
d'un  engagement  général  pour  sauver  ce  vaisseau,   au 
moins  devait-il  se  placer  dans  les  conditions  les  meil- 
leures pour  combattre.  C'est  ce  que  malheureusement  il 


302  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

ne  fit  pas.  1^  12  avril,  au  point  du  jour,  les  bâUmenls 
français  ùtalcul  dispersés,  et  la  distance  qui  les  séparait 
les  uns  des  autres  variait  entre  trois  et  cinq  lieues.  Ou- 
bliant celte  situation,  le  comte  de  Grasse  gouverna  sur 
l'ennemi  avec  son  propre  vaisseau.  H  mil  un  tel  emprcs-  J 
sèment  à  venir  au  secours  du  Zélé,  qu'il  ne  donna  pas  le  ^Ê 
temps  à  son  escadre  de  se  former.  Enlin,  en  courant  sur  ^^f 

la  Dominique,  il  alla  au-devant  des  calmes  et  des  chan _, 

gements  de  venl.  Soit  qu'il  eût  reconnu  que  la  brise  mol—  .^'\, 
lissait,  à  mesure  qu'on  approchait  de  terre,  soit  que,  s<^^^^ 
souvenant  de  la  journée  du  9  avril,  il  se  flattât  de  n'avoi  «^i 
qu'un  engagement  partiel,  le  comte  de  Grasse  voulut  s.^^  ^ 
mettre  au  même  bord  que  les  Anglais.  Il  Qtd'abord,  ain»  -«msi 
qu'on  l'a  vu,  le  signal  de  virer  do  bord  lof  pour  iof,  tout  ^^  [  4 
la  fois,  puis  celui  de  virer  de  bord  lof  pour  lof,  par  "  ■  Ja 
contre-marche.  Ces  signaux  aperçus  pendant  un  momc"  ?--- ^-ni 
par  quelques  vaisseaux,  au  nombre  desquels  se  Irc  •^cnu- 
vaient  le  Plulon  et  l'Hercule,  disparurent  dans  la  fumt^»-  ^êi'. 
M.  d'Albert  de  Rions,  un  des  meilleurs  officiers  de  la 

marine  française,  el  M.  de  la  Cloclicterie,  l'ancien  r~m  1  l 
pitaine  de  la  Bctlc-Poulc,  se  trouvant  livrés  à  leur  profr^Birc 
inspiration ,  reculèrent  devant  l'exécution  d'une  u"  aiia- 
nœuvro  qui  devait  avoir  pour  l'armée  des  conséquen^^^'cs 
désastreuses.  Il  n'est  pas  inutile  de  faire  remarq l^— ler 
que,  dans  cette  afTaire,  ces  deux  capitaines  n'élai< 
pas  seuls  en  cause.  Le  Pluion  el  Yllercuh  continuanKi: 
courir,  les  amures  â  bâbord,  sans  répondre  aux  signite.  1 
de  l'amiral,  il  eût  été  du  devoir  des  chefs  d'escadre  <l 
Vaudrcui),  dans  le  premier  cas,  el  de  BougaînvilS^, 
dans  le  second,  de  prendre  l'inilifilive  du  mouvement, 
ainsi  que  l'avait  fait  le  Saint-Esjirtt,  au  combat  d'Ouïs- 
sant. Ces  deux  ofiiciers  généraux  n'avaient  pas  plus  que 
les  capitaines  de  Rions  et  de  la  Clochelerie  le  droit  de 
discuter  les  ordres  du  commandant  en  chef.  Cependant, 
aucun  d'eux  n'eut  la  pensée  de  sortir  de  la  ligne  pour 
commencer  l'évolution,  parce  que,  en  réalité',  au  nionunt 
k  où  lurent  bis.sés  les  signaux    relatifs   au  changcmeni 


UVRE  X.  303 

d*amurcs,  Tarmée  française  n'avait  plus  la  liberté  de  ses 
mouvements'.  Le  comte  de  Grasse  dit  dans  un  de  ses 
mémoires  :  «  Comme  les  vaisseaux  qui  essuyaient  déjà  le 
feu  des  ennemis  pouvaient  être  aussi  malheureux  que  la 
ViUe-de-PariSy  qui  avait  le  plus  grand  nombre  de  ses 
manœuvres  coupées  et  ses  voiles  criblées,  ce  qui  les  au- 
rait empêchés  de  virer  vent  devant,  et  que  tout  vaisseau, 
même  dégréé,  peut  toujours  virer  vent  arrière,  je  fis  à 
l'armée  le  signal  de  virer  toute  ensemble  vent  arrière".  » 
^nsi  le  comte  de  Grasse  reconnaissait  qu'il  était  impos- 
sible de  virer  de  bord  vent  devant.  Quant  à  un  virement 
de  bord  lof  pour  lof,  que  ce  fût  par  la  contre-marche  ou 
t^ut    à  la  fois,  la  proximité  de  la  ligne  ennemie  n'en 
permettait  pas  l'exécution.  «  Notre  ligne,  écrivait,  après  la 
l)ataiile,  le  chef  d'escadre  de  Vaudreuil,  s'est  formée  sous 
le  feu  de  la  mousqueterie.  Les  Anglais  avaient  de  lanou- 
^'elle  artillerie  qui  de  près  dégréait  promptement  les 
vaisseaux*.  Si  le  Pluton  avait  commencé  le  revirement, 
lorsque  le  général  a  fait  le  signal  de  virer  ensemble, 
lof  pour  lof,  il  n'y  aurait  eu  que  quatre  ou  cinq  vais- 
seaux  qui  eussent  pu   virer  de  bord ,  ce  qui   aurait 
fait  une  séparation,  les  autres  étant  engagés  de  trop  près. 
Une  armée  ne  vire  pas  de  bord,  vent  arrière,  lorscjue 

1.  Lorsque  le  signal  do  virer  lof  pour  lof,  tout  à  la  fois,  fut  amené,  c'est-à- 
dire  au  moment  où  le  chef  d'escadre  de  Vaudreuil  aurait  dû  commencer  le 
mouvement  que  n'exécutait  pas  le  PlutoUy  le  Triomphant^  sur  lequel  il 
avait  son  pavillon,  se  battait  à  portée  de  fusil. 

2.  On  voit,  parle  témoignage  du  commandant  en  chef  lui-même,  que  le 
vaisseau  de  tétc  de  l'armée  ennemie  avait  dépassé  notre  centre,  au  moment 
où  furent  liis.sés  les  signaux  relatifs  au  changement  d'amures.  Ceci  con- 
corde bien  avec  raffirmalion  du  capitaine  du  Plutoyi,  disant  que  le  Marlho^ 
rough  était  arrivé  par  le  travers  du  MaynifujuCy  matelot  d'avant  du 
Triompfuxnlj  vaisseau  du  commandant  de  la  deuxième  escadre,  lorsque  le 
signal  de  virer  lof  pour  lof,  tout  à  la  fois,  avait  été  aperçu  à  bord  de  ce 
dernier  vaisseau.  Il  semble  difficile  d'admettre  que  les  deux  armées  fussent 
séparées  par  une  grande  distance,  ainsi  que  le  dit  le  comte  de  Grasse,  en 
lisant  dans  son  propre  rapport  que,  à  ce  moment,  c'est-à-dire  au  début  de 
l'action,  la  VUlc-de-Pari»  avait  le  plus  grand  nombre  de  ses  manœuvres 
coupées  et  ses  voiles  criblées. 

3.  Dans  le  rapport  que  le  chef  d'escadre  de  Vaudreuil  adressa  au  ministre, 


304  lUSTOIUE  DE  M.  MAAINK  PaANÇAISB. 

l'armce  ennemie  est  sous  le  vent&  portée  de  la  mousqne- 
tcric.  »  Ce  fut  parce  que  le  comte  de  Grasse  combattit  Its 
amures  à  b&bord  que  notre  ligne  fut  coupée  par  les 
Anglais.  Celte  manœuvre,  dans  laquelle  on  ne  doitTOÙ- 
aucunc  combinaison  militaire  préconçue,  mais  un  ade 
hardi,  inspiré  par  les  circonstances,  eut,  sur  les  résultait 
de  la  journée,  une  influence  décisive.  Des  cinq  navire 
qui  restèrent  aux  mains  de  l'ennemi,  trots,  le  Gtorieut, 
l'Hector  et  te  César  avaient  été  totalement  désempares 
dans  ta  matinée  par  les  b&timents  qui  avaient  traversé 
notre  ligne.  A  une  heure  cl  quart,  le  signal  de  se  ralliera 
l'ordre  de  bataille,  les  amures  à  b&bord,  en  ordre  reit- 
icrsé,  fut  iiissé  &  bord  de  la  Ville-de-Paris.  Ce  promptral* 
licinent  de  la  llolle  était  évidemment  le  but  vers  lequel 
nous  devions  tendre,  mais  le  moyen  employé  par  le 
comte  de  Grasse  élait-ll  le  plus  propre  à  l'atteindre?  Pour 
rclal>lir  l'ordre  primilif  de  combat,  tous  les  bâtiments,  i 
l'exception  de  ceux  qui  appartenaient  h  la  deuxième 
escadre,  étaient  obligés  de  laisser  porter.  On  ne  pouvait, 
en  ctTel,  revenir  à  la  ligne  de  l)ataille,  les  amures  à  bâ- 
bord, qu'en  se  Turmant  sur  les  vaisseaux  sous-ventés. 
Or,  la  deuxième  escadre  était  à  plusieurs  milles  sous  le 
vriil  de  lu  i)remière  qui  était,  elle-même,  sous  le  vent  de 
la  tmisicuic.  Peiil-étre  cùt-il  mieux  valu  reformer  ^a^ 
inéc  sur  la  première  escadre.  La  deuxième  eût  fait  un 
bord  pour  prendre  son  poste,  et  les  b&tlments,  restés  au 
vent,  eussent  été  plus  facilement  secourus.  Le  mouve- 


LIVRE  X.  305 

■ 

rarméc  anglaise  conlinuait  à  courir  les  amures  à  tribord  *. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  Glorieux,  le  César  et  VHector  ne 
pouvaient  exécuter  les  ordres  du  commandant  en  chef, 
c'est-à-dire  rallier  Tarmée,  s'ils  n'étaient  pas  secourus. 
Ce  rôle  incombait  &  Tavant-garde  qui  était  au  vent  de  la 
première  escadre.  Mais  cette  avant-garde  avait  soutenu, 
dans  la  matinée,  un  combat  très-vif  contre  toute  Tarmée 
anglaise  déniant  à  contre-bord.  Elle  avait  été  très-mal- 
traitée,  et  la  plupart  des  bâtiments  qui  la  composaient 
étaient  dégréés.  VAuguste  s'étant  tenu  hors  du  feu, 
depuis  midi  jusqu'à  cinq  heures  du  soir,  pour  réparer  ses 
avaries,  la  troisième  escadre  ne  reçut  pas  l'impulsion 
précise  et  énergique  qui  lui  eût  été  nécessaire,  dans  les 
circonstances  où  elle  se  trouvait,  pour  agir  avec  ensemble. 
Le  Neptune  et  Yllercule,  qui  s'étaient  très-bien  battus 
dans  la  matinée,  ne  firent  pas  des  eflbrts  suffisants  pour 
rallier  la  ViUe-de-Paris,  lorsque  l'ordre  fut  donné,  à 
quatre  heures  du  soir,  de  former  la  ligne  de  bataille,  les 
amures  à  tribord,  dans  l'ordre  naturel*.  Un  des  vaisseaux 
de  cette  escadre,  le  SouveraWy  voulut  sauver  le  Glorieux, 
mais  avant  d'être  à  portée  de  lui  donner  une  remorque, 
le  capitaine  de  Glandevès  dut  faire  de  la  voile  et  s'éloi- 
gner. Plusieurs  vaisseaux  anglais  manœuvraient  pour  le 
couper.  Le  Duode-Bouryogne,  appartenant  à  la  deuxième 
escadre,  avait  eu  sa  mâture  fort  endommagée  dans  le 
combat  du  matin,  et  il  était  tombé  sous  le  vent.  Son  capi- 
taine s'occupa  moins  de  rejoindre  son  poste  que  de  mettre 
son  bâtiment  en  état  de  faire  de  la  toile.  Après  avoir  re- 
levé ces  fautes  de  détail  inséparables  de  toute  opération 
militaire,  nous  avons  à  signaler  les  belles  actions  qui  se 
produisirent  pendant  cette  journée.  Nous  devons  citer 


1 .  Telle  était  la  pensée  du  marquis  de  Vaudreuil.  Il  se  disposait  à  courir 
un  bord  jwur  s'élever  au  vent  et  prendre  les  eaux  de  la  Ville-de-Parity 
lorsque  le  comte  de  Grasse  flt  à  son  escadre  le  signal  de  forcer  de  toile.  Il 
obéit  immédiatement  à  ce  dernier  ordre. 

*i.  Le  capitaine^  Chadeau  de  la  (Ilocheterie  avait  été  tué  dans  la  mati- 
née. 


306  HISTOIRE  DE  LÀ.  MARINE  FRANÇAISE, 

tout  d'abord  la  magnifique  déFense  de  la  Ville-de-Parit. 
«  Que  pouvaient,  écrivit  le  comte  de  Grasse  dans  un  de  ses 
mémoiros,  le  nom  et  les  cent  canons  de  mou  vaisseau 
contre  dix  aulrcs  qui  le  Toudroyaient  par  plus  de  quatre 
cents,  tous  ù  la  fois,  en  ne  leur  prêtant  qu'un  seul  câti! 
Privée  ilo  tous  ses  agrès,  regréée  sousle  feu  des  ennoni^ 
et  toujours  dégréée,  ses  m&ts percés,  Tacillanls,  ses  voila 
criblées,  en  lambeaux,  ses  vcrguea  coupées,  ses  équipage 
sans  avoir  pris  aucune  nourriture  depuis  le  point  du  jour 
jusqu'à  la  nuit  close,  la  ViUe-de-Paris  pouvait  se  nvàn 
sans  honte  et  sans  reproche,  et  je  voulus  la  défendreeii- 
core  ;  mais  obligé  de  lenir  tous  les  sabords  ouverts  pour 
faire  feu  de  bftl)ord  et  de  tribord  et  de  l'arrière,  mes  p^ 
gousses  B'épwisfercnt.  Je  ne  pus  ensuite  faire  chargcrn» 
canons  qu'à  la  cuillerée,  A  la  seule  lueur  de  mes  fanaoi, 
et  j'eus  la  douleur  de  ne  pouvoir  jamais  les  garder  allâ- 
mes, k  cause  de  la  fumée  et  de  la  double  commottoD. 
Alors  ne  pouvant  plus  tirer  un  seul  couj»,  canonné  d'assa 
près  pour  perdre  beaucoup  de  monde,  et,  en  mfime  tcmp!, 
d'assez  loin  pour  ne  pouvoir  faire  usage  de  ma  mousqtif- 
lerie,  il  fallut  me  rendre.  J'élais  réduit  à  un  tel  étal  qiK 
les  ennemis,  te  13  au  matin,  pour  amener  le  pavillon  dt 
commandement,  furent  obligés  de  couper  les  mais,  it 
crainlc,  en  y  montant,  d'être  entraînés  dans  la  mcri» 
écrasi^s  par  leur  chulc.  o 

La  conduite  des  officiers  qui  commandèrent  successiTe- 
ment   le  César,  \'!(cctor  cl  le  Glorieux,    fui   au-dessus  Ji' 


LIVRE  X.  307 

de  Beaumanoir,  qui  les  remplacèrent  dans  le  comman- 
dement du  César^  du  Glorieux  et  de  r//ec/or,  se  mon- 
trèrent dignes  de  succéder  à  de  tels  chefs.  Dans  la  soirée 
du  12  avrily  le  feu  se  déclara  à  bord  du  César.  Le  capi- 
taine Bemcord  de  Marigny  était  étendu  sur  son  lit,  lors- 
que des  matelots,  se  précipitant  dans  sa  chambre,  crièrent 
que  le  navire  allait  sauter.  «  Tant  mieux!  leur  répon- 
dit-il, les  Anglais  ne  l'auront  pas.  Fermez  ma  porte, 
ines  amis,  et  tâchez  de  vous  sauver.  »  Il  est  difflcile  de 
IH)osser  plus  loin  que  ne  le  Tirent  ces  officiers  le  senti- 
ment de  l'honneur  militaire.  Leurs  noms  ne  doivent  pas 
tomber  dans  l'oubli  ^  Le  chef  d'escadre,  marquis  de  Yau- 
dreuil,  sur  le  Triomphant,  les  capitaines  d'Albert  de 
Hions,  du  Pluion,  Charitte,  de  la  Bourgogne,  Castellane, 
do  Mar&eilUiis,  Macarty  Macteigne,  du  Magnifique,  dé- 
ployèrent autant  d'habileté  que  de  bravoure.  La  Languedoc 
et  la  Couronne,  les  deux  matelots  de  la  Ville-Je-Paris, 
luttèrent  vaillamment  pour  la  défense  de  ce  vaisseau.  Je 
puis  affirmer,  écrivit  le  marquis  de  Vaudreuil,  «  que  le 
soir,  à  six  heures  et  demie,  lorsque  la  Ville-de-Paris  s'est 
rendue,  le  Languedoc  était  devant  moi,  éloigné  à  portée 
de  voix  et  dans  le  plus  grand  délabrement.  Il  se  battait 
contre  les  mêmes  vaisseaux  qui  faisaient  rendre  M.  le 
comte  de  Grasse.  Il  n'y  avait  entre  lui  et  la  Ville-dc -Paris 
que  le  Triomphant  et  la  Bourgogne  ;  la  Couronne  était 
paiement  en  avant  de  moi  et  peu  éloignée.  L(i  Languedoc 
et  la  Couronne  étaient  venus,  ainsi  que  le  Sceptre  et  plu- 
sieurs autres  vaisseaux  du  corps  de  bataille,  joindn^  leurs 
efforts  aux  nôtres  pour  dégager  la  Ville-de-Paris,  et  ils  se 
placèrent  où  ils  purent.  C'était  aux  vaisseaux  les  plus 


1.  Aucun  des  vaisseaux  pris,  lo  |12  avril,  no  toucha  aux  rivages  de  la 
Grande-Bretagne.  La  VilU-de'Pari8f  le  Glorieux^  VHector,  périrent,  corps 
et  biens,  en  reven^int  en  Europe.  Deux  vaisseaux  anglais,  le  Centaure  cl  le 
BamiUies,  partagèrent  leur  sort.  VArdent  n'eut  pas  une  fin  aussi  tragique. 
Quelques  jours  après  avoir  pris  la  mer  pour  venir  en  Angleterre,  ce  vais- 
seau  rentra  à  la  Jamaïque  coulant  bas  d'eau.  Considéré  comme  hors  d'état 
<le  naviguer,  il  fut  démoli. 


308  HISTOIRE  DE  LA  UARINE  FRANÇAISE, 

près  de  la  Villc-de-Paris à  se  sacrifier  comme  l'ont  faille 
l^ccptre,  la  Couronne,  le  Langtiedoc,  le  Triomphant,  la 
iiourijofjne  et  plusieurs  autres  qui  n'ont  fait  de  la  roile 
(juc  lorsque  le  général  leur  en  a  donné  l'ordre,  après  que 
la  l'ille-de-Paris  eût  amené  et  que  je  leur  aie  dit  la  roule 
qu'il  fallait  tenir.  Cependant,  il  y  avait  longtemps,  lors- 
que la  Ville-df^Paria  s'est  rendue,  que  nous  nous  battit» 
(les  dcu\  bords,  ainsi  que  la  Bourgogne  et  le  Lm- 
ijuedoc  '.  » 

Il  n'sullcdc  ce  qui  précède  que  les  véritables  caniet 
de  Dofrc  défaite  sont,  avant  toutes  choses,  raveuglemnil 
inexplicable  (]ui  s'empara  du  comte  de  Grasse,  dès  le 
mutin  du  12  avril.  Il  voulut  sauver  le  Zété^  alors  que  a 
vaisseau  ne  cuurait  aucun  danger.  En  admettant  qull  se 
filt  trompé  sur  ce  point,  il  devait,  à  six  heures  et  demie 
du  matin,  Olrc  bien  convaincu  que  le  Zélé  ne  pouvaitUre 
joint  par  les  bûtimcnis  qui  le  chassaient.  II  était  donc 
libre  de  conlinucrsa  roule  vers  le  Nord.  Au  lieu  de  pren- 
dre celte  iltlcrmi nation,  impérieusement  commandée  par 
les  circons lances,  il  gouverna  sur  l'ennemi  sans  latm 
donner  le  temps  à  ses  vaisseaux  de  se  mettre  en  liffne. 
Ayant  l'intention  de  combattre  les  amures  à  tribord,  il    ' 


I,  1.' opinion  du  chef  d'etcadre  de  Yandreuil  araît  une  comportance  w- 
'culifre.  La  conduite  de  ce  brave  oIBcier  avait  Hà  approuvée  par  Ir  toalt 

'"'■ 'l  S  Paris.  I*  comte  de  Grasse  lui  avait  écrit  de  fa  Jamaïque,  Ik 

mni  nSÎ,  que  ses  manœuvres  ainsi  que  les  signaux  faits  i«i  It 

ni  A  la  deuxième   eetadre  -— ■-"'    ■"■■ 


LIVRE  X.  309 

s'approcha  tellement  près  des  Anglais  que  son  armée 
n*eut  plus  devant  elle  l'espace  nécessaire  pour  virer  de 
bord.  Celte  faute  capitale  pour  un  chef  d'escadre,  le  comte 
de  Grasse  la  commit  et  rien  ne  saurait  Ten  disculper.  Les 
signaux  qu'il  fit  pour  se  mettre  au  môme  bord  que  l'en- 
nemi doivent  être  considérés  comme  n'ayant  aucune 
signification,  puisqu'ils  furent  faits  à  un  moment  où  le 
commandant  en  chef  aurait  dû  s'apercevoir  qu'on  ne  pou- 
vait pas  les  exécuter.  La  saute  de  vent,  qui  permit  i\ 
l'amiral  Rodney  de  couper  notre  ligne,  acheva  de  mettre 
le  désordre  dans  nos  rangs.  Enfin,  l'ennemi  trouva  de  la 
brise  à  l'entrée  du  canal  des  Saintes,  tandis  que  nous 
n'avions,  sous  la  Dominique,  que  du  calme  ou  des  faibles 
brises  avec  lesquelles  nos  vaisseaux  ne  pouvaient  pas 
manœuvrer.  En  résumé,  le  comte  de  Grasse  se  battit  sans 
nécessité  avec  trente  vaisseaux  contre  trente-six,  et  les 
dispositions  qu'il  prit,  loin  d'améliorer  celle  situation 
déjà  défavorable,  n'eurent  d'autre  résultat  que  de  l'aggra- 
ver. 

Ici  se  place  une  observation  qui  ne  concerne  plus  le 
comte  de  Grasse,  mais  le  département  de  la  marine.  On 
se  rappelle  que  le  marquis  de  Vaudreuil  avait  appuyé 
sur  le  rôle  joué  par  les  «  caronades  obusiers  ou  petites 
pièces  d'un  très-gros  calibre  qui  armaient  les  gaillards 
des  bûtiments  anglais,  et  dont  l'efTet  était  on  ne  peut  plus 
meurtrier  à  la  portée  delà  mousqueterie.»  Il  avait  dit  que 
celte  nouvelle  artillerie  tirant  de  près  «  dégréait  très- 
promptement  les  vaisseaux.  »  L'absence  de  cette  môme 
artillerie,  sur  nos  bâtiments,  n'avait  pas  amené  la  perte 
de  la  bataille,  mais  elle  y  avait  eu  une  certaine  part,  puis- 
qu'on s'était  battu  de  très-près.  La  faute  commise  par  le 
déparlement  de  la  marine,  en  n'adoptant  pas  cette  inno- 
vation, était  d'autant  plus  grande  qu'une  proposition  du 
même  genre  lui  avait  été  soumise,  avant  la  guerre,  par  le 
capitaine  de  Sufi^ren.  Avant  de  prendre  une  décision,  le 
ministre  avait  voulu  consulter  les  ports.  La  question  posée 
avait  été  celle-ci  :  serait-il  avantageux  d'embarquer  des 


310  HISTOIHE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

obus  sur  les  vaisseaux  ?  Après  avoir  reçu  les  réponses  ^i 
Brest,  Rochefort  et  Toulon,  les  bureaux  rédigèrent  pour^    1 
ministre  une  note  ainsi  conçue  :  «  Le  port  de  Brest  pré(^^] 
multiplier  les  perriers  ;  les  deux  autres  ports  propos^^ 
de  faire  l'essai  des  obus,  mais  ils  ne  laissent  apercei^-^o 
aucune  présomption  pour  ou  contre  »,  et  plus  loin  «  Te^^is] 
des  obus  est  proposé  purement  et  simplement  par      ]^ 
ports  de  Rochefort  et  de  Toulon.  »  C'était  bien  queL  <jo, 
chose  qiie  deux  ports  eussent  émis  un  avis  favors^l^/e. 
Les  bureaux  n'en  jugèrent  pas  ainsi,  et  l'affaire  en  r^esU 
là....  Suffren,  armant  le  Zélé  à  Toulon,  en  1779, revint  sur 
cette  idée,  et  dans  un  rapport  adressé  au  ministre  il  dit: 
a  De  tout  temps  la  bombe  a  été  regardée  comme  fort  i 
craindre  pour  les  vaisseaux,  et  je  crois  que  c'est  avec  rai- 
son. Les  obus  le  sont  moins,  mais  ils  le  sont  beaucoup 
aussi,  de  sorte  que  je  crois  qu'on  devrait  embarquer  des 
obusiers,  en  les  plaçant  sur  la  dunette  d'où  ils  feraient 
une  exécution  terrible,  s'ils  étaient  chargés  à  mitraille.  Je 
demanderais  à  en  faire  l'expérience.  Pour  cela  on  pour- 
rait en  emprunter  deux  à  la  guerre,  et,  sur  le  succès,  on 
déciderait  si  on  doit  les  adopter  ou  les  rejeter.  »  Il  ne  fut 
donné  aucune  suite  à  cette  demande.  Il  n'est  jamais  facile 
d'obtenir  le  triomplie  des  idées  nouvelles  '. 

La  victoire  de  Tamiral  Rodney  souleva  en  Angleterre  un 
enthousiasme  facile  à  comprendre.  C'était  le  premier 
avantage  sérieux  remporté  par  nos  adversaires  dans  une 
bataille  rangée.  Les  deux  chambres  volèrent  des  remer- 
ciements à  l'amiral  Rodney,  aux  amiraux  Samuel  Hcod  et 
Drake,  au  conmiodore  Affleck,  au  capitaine  sir  Charles 
Douglas,  du  Formidable^  et  à  tous  les  capitaines,  officiers, 
matelots  et  soldats  embarqués  sur  la  flotte.  Rodney  fut 
élevé  h  la  pairie,  le  vice-amiral  Samuel  Hood  devint 
pair  d'Irlande,  et  le  contre-amiral  Drake  ainsi  que  le 
conimodore  Affleck  furent  faits  baronnets.  L'Angleterre  ne 

1.  On  trouvera  aux  pièces  placées  à  la  fin  de  ce  volume  une  note  sur  ai'' 
férenteR  pro|M)8itions  faites  |)ar  Suffren. 


LIVRE  X.  311 

récompensa  pas  seulement  les  vivants,  elle  voulut  aussi 
honorer   les  morts.  La  Chambre  des  communes  décida 
qu*un  monument  serait  élevé  (ï  la  mémoire  des  capitaines 
Bayne,  de  ryl//'rerf,Blair,  de  T^nson,  lord  Robert Manners, 
de  la  Rt'solulion^  qui  avaient  trouvé  une  mort  glorieuse 
dans  les  combats  des  9  et  12  avril.  La  nouvelle  de  notre 
défaite  produisit  en  France  une  très-vive  émotion.  Les 
amiraux  d'Orvilliers,  d'Estaing,  de  Guichen,  le  capitaine 
Des  Touches,  n'avaient  pas  eu  Theureuse  fortune  de  pren- 
dre des  navires  à  l'ennemi,  mais  aucun  de  ceux  qu'ils 
commandaient  n'était  tombé  entre  les  mains  des  Anglais. 
Dans  ces  rencontres,  où  l'avantage  nous  était  presque 
toujours  resté,  notre  attitude  avait  témoigné  de  la  soli- 
dité de  nos  escadres.  Si  l'issue  malheureuse  du  combat 
de  la  Dominique  blessa  le  juste  orgueil  de  la  nation,  elle 
ne  fit  que  surexciter  son  patriotisme.  Le  Corps  de  ville 
de  Paris,  comme  on  disait  alors,  les  États  de  Bourgogne, 
les  armateurs  des  principaux   ports  de  commerce,  les 
négociants  des  grandes  villes,  votèrent  des  sommes  con- 
sidérables, auxquelles  vinrent  se  joindre  de  nombreuses 
souscriptions  particulières,  pour  construire  de  nouveaux 
vaisseaux. 


Ce  fut  par  une  lettre  écrite  à  bord  du  Formidable^  le 
lendemain  de  la  bataille,  que  le  comte  de  Grasse  apprit 
au  gouvernement  français  le  désastre  que  venaient  de 
subir  nos  armes.  Dans  cette  lettre,  qu'on  ne  peut  lire 
sans  éprouver  une  pénible  surprise,  il  rejeta  sur  la  plu- 
part de  ses  capitaines  les  malheurs  de  la  journée.  Les 
uns  avaient  désobéi  à  ses  signaux,  d'autres,  et  parmi  ces 
derniers  le  Languedoc  et  la  Couronne^  c'est-à-dire  ses 
deux  matelots,  l'avaient  abandonné.  A  ce  premier  rap- 
port, le  comte  de  Grasse  fit  succéder,  pendant  le  séjour 
qu'il  fit  à  Londres,  plusieurs  mémoires  dans  lesquels  il 
traita  son  armée  avec  la  plus  extrême  sévérité.  Il  ne  se 


313  HISTOIKK  DE  LA  HARINE  FRANÇAISE, 

contenta  pas,  ainsi  qu'il  eût  été  de  son  devoir  de  le  faire, 
(l'adresser  ces  mémoires  au  ministre,  il  les  répandit  dus 
toute  l'Europe.  Le  gouvernement,  croyant  à  la  sincérilé 
du  comte  de  Gruiise,  résolut  de  rechercher  les  coupables 
e(  de  les  frapper  sans  aucun  ménag^ement.  Le  marèdul 
de  Castries  nomma,  dans  chaque  port,  une  commissiu 
chargée  de  procéder  à  l'interrogatoire  des  capitaines, 
omciers  et  premiers  maîtres  embarqués  sur  les  navire 
présents  au  combat  de  la  Dominique.  Toutes  les  déposi- 
tions ainsi  que  les  journaux  de  l>ord  Furent  expédiés  à 
Paris.  Aussilét  que  ta  paix  fut  signée,  des  ordres  roreot 
donnés  pour  retenir  dans  les  ports  les  onicicrs  qui 
avaient  appartenu  &  l'armée  du  comte  de  Grasse.  An 
commencement  de  l'année  1784,  presque  tousse  trou- 
vÎTcnt  û  la  disposition  du  ministre.  Un  conseil  de 
gticrre,  composé  des  lieutenants  généraux  Breugnon,  de 
Cuiclien,  Lacarry,  Deshayes  de  Cry,  Laniottc-Picquel, et 
des  chefs  d'escadre  d'Ai)chon,  Nieuil,  Balleroy,  Kerou- 
dcc,  Thévcnard  et  Chcrîseys,  s'assembla  à  Loricnt.  U 
mission  du  conseil  était  définie  dans  le  passage  suivaol 
d'une  lettre  que  le  maréchal  de  Castries  adressait  &  soii 
président,  le  lieutenant  général  de  Breugnon  :  «  Les  onlffî 
du  itoi,  disait  le  minisire  de  la  marine,  portent  de  ju^'er 
.si  les  ordres  du  général,  transmis  par  les  signaux,  ont 
élé  exécutés  dans  {ajournée  du  12  avril;  si  les  matelots 
du  général  se  sont  plus  occupés  de  la  conservation  du 
vaisseau  |)avilIon  que  de  la  leur  propre  ;  enfin,  si  chaque 


UVRE  X.  313 

12  avril.   Ces  officiers,  suivant  le  langage  du  temps, 
étaient  décrétés  «  d'ajournement  personnel  »,   tandis 
que  les   autres  capitaines  de  l'armée  «  étaient  assignés 
pour   être  ouïs.  »  Les  lettres  du  comte  de  Grasse  carac- 
térisaient avec  une  telle  sévérité  la  conduite  des  capi- 
taines du  Languedoc  et  de  la  Couronne,  que  le  ministre, 
convaincu  de  leur  culpabilité,  les  avait  fait  incarcérer  à 
leur  arrivée  en  France.  Quelques  jours  avant  la  réunion 
du    conseil,  MH.  Mithon  de  Genouilly  et  d'Arros  furent 
transférés   dans  la  citadelle  de  Port-Louis.  L'arrêt  du 
conseil  fut  rendu  en  mai  1784.  Nous  reproduisons  ci- 
après  les  dispositions  principales  de  ce  jugement  qui 
mit    fin  aux  contestations  trop  nombreuses  soulevées 
par  le  combat  de  la  Dominique. 

Vu  en  la  chambre  du  conseil... 

L^arrèté  du  Conseil  do  guerre  du  23  janvier,  qui  ordonne  que 
Kl.  le  comte  de  Grasse  sera  mandé  au  Conseil  pour  être  entendu  à 
la  requête  du  procureur  du  Roi.... 

Les  assignations  données  aux  témoins  et  auxdits  sieurs  comte  de 
Orasse,  d*Arros  et  de  Mithon,  à  la  requête  dudit  procureur  du  Roi.... 
I^'arrêté  du  Conseil  de  guerre  du  k  février,  portant  que  la  requête 
présentée  au  Conseil  par  M.  le  comte  de  Grasse  sera  rejetée  comme 
contenant  des  termes  qui  ne  peuvent  être  admis,  et  que  son  mé- 
Ynoîre,  énoncé  en  ladite  requête,  sera  reçu  par  le  Conseil  *,  la  requête 
présentée  au  Conseil  par  ledit  sieur  comte  de  Grasse,  tendant  à  ce 
C|u'il  soit  ordonné  que  sa  réponse  aux  observations  de  M.  le  mar- 
c]uis  de  Vaudreuil  soit  déposée  au  greffe,  ainsi  que  les  pièces  jus- 
lifieatives  qui  lui  ont  servi  de  base.... 

Le  mémoire  de  M.  le  marquis  de  Vaudreuil  en  fin  duquel  est  sa 

réquisition,  tendant  à  ce  qu*il  plaise  au  Conseil  ordonner  que  les 

deux  premières  phrases  du  paragraphe  du  mémoire  justificatif  de 

M.  le  comte  de  Grasse,  pages  19  et  20,  commençant  par  ces  mots  : 

«  La  deuxième  escadre  s*apercevant,  »  et  finissant  par  ceux-ci  :  «  En* 

touré  de  partout  »,  seront  rayées  et  bifîées  comme  calomnieuses, 

comme  aussi  qu*il  soit  pareillement  ordonné  que  les  planches  gravées 

qui  sont  jointes  audit  mémoire  seront  rejetées  comme  contraires  à 

la  vérité,  et  capables  de  donner  à  la  plus  grande  partie  du  public,  qui 

ne  serait  pas  à  portée  d'en  remarquer  les  erreurs,  une  idée  fausse 


314  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

da  combat  du  12  avril  1782,  et  qu*ii  soit  ordonné,  en  outre,  la  sup» 
pression  de  la  réponse  du  sieur  comte  de  Grasse,  comme  renfer- 
mant des  mots  injurieux,  des  faits  calomnieux,  invraisemblables  et 
contraires  à  Thonneur  et  à  la  réputation   dudit  sieur  marquis  de 

Vaudreuil 

Le  Conseil  de  guerre,  n^ayant  aucunement  égard  aux  conclusions 
du  procureur  du  Roi,  tendant  à  régler  le  procès  à  rextraordinaire, 
ni  à  la  requête  dudit  sieur  de  Charitte,  a  donné  et  donne  lettre» 
auxdits  sieurs  niarquis  de  Vaudreuil,  comte  de  Vaudreuil,  de  Bou— 
gain  ville....  de  ce  que,  eu  conformité  de  Tarticle  19  du  titre  14  de 
Tordonnance  de  1670,  ils  prennent  droit  par  les  charges,  et  de  ce 
qu*ils  s'en  rapportent  aux  dépositions  des  témoins,  comme  aussi  de 
ce  qu'ils  consentent  au  jugement  définitif  du  procès  dans  Téiat  ac- 
tuel sans  faire  plus  ample  instruction,  et  enOn  de  leurs  réquisi- 
tions d'être  jugés  sur  leurs  interrogatoires  ou  réponses  person- 
nelles. 

Faisant  droit  sur  le  tout,  et  procédant  au  jugement  définitif  du- 
dit procès, 

A  loué  et  loue  la  conduite  tenue  par  Joseph-Gabriel  de  Poulpi- 
quet,  chevalier  de  Coatlès,  lieutenant  de  vaisseau,  ayant  pris  le 
commandement  de  VHercule  à  la  place  de  M.  de  la  Clocheterie,  ca- 
pitaine commandant,  tué  le  12  avril  1782,  dans  toutes  les  circon- 
stances de  la  journée.  Mais  pour  n'avoir  pas  fait  tout  ce  qu'il  était 
possible  de  faire,  ledit  jour,  pour  rallier  la  Ki/ic-cie-Paris,  après  le 
signal  d'ordre  de  bataille  l'amure  à  tribord,  ordre  naturel,  fait  vers 
quatre  heures  du  soir,  le  condamne  à  être  mandé  en  la  chambre 
du  Conseil  pour  y  être  admonesté,  en  présence  du  tribunal  assem- 
blé, décharge  de  toute  accusation  le  sieur  Joseph  Amasieu  de  Ruai, 
lieutenant  sur  ledit  vaisseau. 

Pour,  Laurent-Emmanuel  de  Renaud  Daleins,  capitaine,  com- 
mandant le  vaisseau  le  Neptune^  n'avoir  pas  fait  tout  ce  qu'il 
était  possible  de  faire,  ledit  jour,  12  avril,  pour  se  rallier  à  la  ViUc- 
dc-PariSy  après  le  signal  d'ordre  de  bataille  l'amure  à  tribord,  ordre 
naturel,  fait  vers  quatre  heures,  le  Conseil  do  guerre  le  condamne 
à  être  mandé  en  la  chambre  du  Conseil  pour  y  être  admonesté  on 
présence  du  tribunal  assemblé. 

Décharge  de  toute  accusation  Jean-Baptiste  de  Glandevès,  capi- 
taine, commandant  le  vaisseau  le  Souverain. 

Décharge  de  toute  accusation  Joseph-Jacques-François  do  Mar- 
telli  Cliautard,  capitaine,  commandant  le  vaisseau  le  Palmier. 

A  loué  et  loue  la  mémoire  do  M .  de  Sainte-Césaire,  capitaine,  com- 
mandant le  vaisseau  le  Norlhumbei*land^  c^,  la  mémoire  de  de  La- 


LIVRB  X.  315 

mettrie,  embarqué  en  second  sur  ledit  vaisseau,  lesquels  ont  com- 
battu vaillamment,  savoir  :  M.  de  Sainte-Gésairo  jusqu'au  mo- 
ment où  il  a  été  blessé  mortellement,  et  de  Lamettrie  jusqu^à  sa 
mort. 

Décharge  do  toute  accusation  Marie-Gabriel  de  Combaud  de  Ro- 
quebrune,  enseigpie  de  vaisseau,  qui  a  pris  le  commandement  dudit 
▼aisseau  le  Northumberland. 

Le  Conseil  de  guerre  le  déclare  unanimement  susceptible  de  mé- 
riter les  grâces  du  Roi. 

Déclare  la  conduite  de  Louis-Antoine  de  Bougainville,  chef  d^es- 
cadre,  commandant  la  troisième  escadre  deParmée  du  Roi,  ou  escadre 
bleue,  sur  le  vaisseau  VAxÂgiiste,  irréprochable  jusqu'à  midi  de  la 
journée  dudit  jour,  12  avril  1782.  Mais  ce  chef  d'escadre  n'ayant 
pas,  dans  l'après-midi,  particularisé  ses  signaux  et  fait  manœuvrer 
son  escadre  pour  le  plus  prompt  ralliement  possible  au  corps  de 
bataille,  le  condamne  à  être  mandé  on  la  chambre  du  Conseil,  pour 
y  être  admonesté  en  présence  du  tribunal  assemblé. 

Décharge  de  toute  accusation  Pierre-Joseph  de  Castellan,  capi- 
taine de  pavillon  dudit  vaisseau  V Auguste^ 

Et  Augustin  de  Truguet,  lieutenant  de  vaisseau,  embarqué  sur 
ledit  vaisseau,  faisant  les  fonctions  de  major  de  ladite  escadre 
leue. 

A  déclaré  et  déclare  la  conduite  de  Jean-Guillaume-Michel  de 
Gouzillon,  commandant  le  vaisseau  V Ardent,  irréprochable  dans  la 
journée  dudit  jour,  12  avril,  jusqu'au  moment  où  il  a  amené  son 
pavillon.  Mais  pour  n'avoir  pas  prolongé  sa  résistance  autant  qu^il 
eût  pu  le  faire,  Pinterdit  pour  trois  mois  de  ses  fonctions. 

Décharge  de  toute  accusation  Alexandre  Demalys  Le  Grand,  lieu- 
tenant, embarqué  sur  ledit  vaisseau  VArdenl,  en  qualité  de  com- 
mandant en  second  et  de  lieutenant  en  pied;  Guillaume-Casimir  le 
Veneur,  Loui&-Casimir-Marie-AvicedeTourville,Joseph-Anatase  de 
Saint-Pern,  Antoine  Pinière  de  Clavin,  et  Charles-François  le  Groiny 
de  la  Romage,  enseignes,  embarqués  sur  le  même  vaisseau. 

A  loué  et  loue  la  conduite  tenue  par  Pierre-Antoine  de  Clavel, 
capitaine,  commandant  le  vaisseau  le  Scipion,  dans  le  combat  dudit 
jour,  12  avril,  qui,  quoique  très-malade,  s'est  fait  transporter  sur 
son  pont  où  il  a  très-bien  combattu  le  matin.  Mais  trop  faible,  par 
son  état  de  marasme,  pour  s^occuper  ensuite  des  manœuvres  qui 
auraient  été  convenables  à  l'exécution  des  signaux  et  à  son  rallie- 
ment, sur  l'accusation  contre  lui  intentée,  met  les  parties  hors  de 
cour  et  de  procès. 
Décharge  de  toute  accusation  Claude-François  Regnard  Defus- 


/^Pk 


il6  HISTOIRE  DE  Là  MARINE  FRANÇAISB, 

diamberg,  eomte  d'Amblimont,  eapttaiiie,  commandant  le  faîman 
leBrotw, 

El  Jean-Baptiste  de  Marbotin  Rubérona,  lieutenant,  embarqué 
aur  ledit  Yaiaaeau  et  diai^  des  sig^iaiix. 

A  loué  et  loue  unanimement  la  conduite  et  les  manounea  d^A» 
lexandre  d*Ethy,  capitaine,  commandant  le  Taîsseau  le  CUoyen^  tant 
dana  le  combat  que  dans  la  journée  dudit  Jour,  12  arril,  et  le  dé- 
cbarge  de  toute  accusation. 

A  loué  et  loue  la  mémoire  de  M.  de  la  Vicomte,  cq>itaine,  com- 
mandant le  vaisseau  VHedor^  qui  a  défendu  ce  Taisseau  aToc  la  plua 
grande  taiToure  jusqu'à  quatre  heures  un  quart  du  soir,  ledit  jour, 
12  avril,  époque  à  laquelle  il  a  été  tué,  ayant  combattu  sans  inter- 
mpttoii  d€Îmis  le  matin  jusqu'à  deux  heures  et  demie,  et  dqniia 
ieette  époque  n'avait  eu  que  des  intervalles  très-courts,  ayant  M 
réaltaijpié  par  des  forces  supérieures. 

A  loué  et  loue  la  conduite  de  Julien-François  de  Beaumanoir,  ca» 
pitaine,  embarqué  en  qualité  de  lieutenant  en  second,  ayant  pris  le 
commandement  dudit  vaisseau  VHecUnr  à  quatre  heures  un  quart^ 
le  12  avril,  et  ayant  continué  le  combat  pendant  un  quart  d'heure, 
malgré  l'état  de  délabrement  où  se  trouvait  réduit  le  vaisseau  à  la 
dite  époque,  elle  le  décharge  de  toute  accusation. 

Décharge  pareillement  de  toute  accusation  " 
IMonorial,  lieutenant  de  vidsseau; 

Marie-Jean-Ëlie  Demoulins  de  Rochcfort,  aussi  lieutenant  de 
vaisseau; 

Cbarles-Armand-Mathurin  de  la  Garde,  lieutenant  de  frégate  ; 

Jean  Bassière,  officier  auxiliaire,  tous  embarqués  sur  ledit  vais- 
seau. 

Décharge-  de  toute  accusation  la  mémoire  de  Joseph-François- 
Hubert  Delahayrie,  lieutenant  embarqué  sur  ledit  vaisseau,  décédé 
dans  le  cours  de  rinstruction. 

Le  Conseil  de  guerre  juge  les  officiers  de  terre  et  de  mer,  em- 
barqués sur  ledit  vaisseau,  susceptibles  des  grâces  du  Roi  et  de 
Testime  de  la  nation,  ainsi  que  Téquipage. 

Le  Conseil  de  guerre  a  unanimement  loué  et  loue  la  mémoire  de 
M.  de  Marigny,  capitaine,  commandant  le  César,  pour  avoir  com- 
battu avec  la  plus  grande  valeur,  ledit  jour,  12  avril,  jusqu'à  neuf 
heures  du  matin  qu'il  a  été  blessé  mortellement. 

A  loué  et  loue  la  conduite  de  Michel-Georges  Laub,  capitaine,  em- 
barqué en  second  sur  ledit  vaisseau,  dont  il  a  pris  le  commande- 
ment à  cette  époque,  ayant  combattu  sans  interruption  jusqu'à  trois 
heures  et  demie  avec  la  plus  grande  opiniâtreté,  et  fait  la  plus  belle 


LIVRE  X.  317 

défcDSo  jusqu*au  moment  où  il  a  été  forcé  de  céder  aux  forces  su- 
périeures, n'ayant  plus  que  trente-six  coups  de  canon  à  tirer,  de 
tous  calibres,  et  ayant  ses  voiles  en  lambeaux  et  ses  mâts  hors  de 
service.  En  conséquence,  le  décharge  de  toute  accusation. 

Décharge  pareillement  de  toute  accusation  Louis-Simon  de  Brou- 
tières,  enseigne  sur  ledit  vaisseau. 

Et  Joseph  Ruault-Duplacy,  officier  auxiliaire,  embarqué  sur  ledit 
vaisseau, 

Loue  aussi  les  officiers  de  terre  et  de  mer  embarqués  sur  ledit 
vaisseau,  et  les  juges  susceptibles  des  grâces  du  Roi  et  de  Testime 
de  la  nation,  pour  avoir  combattu  avec  tant  de  valeur,  de  sang- 
froid,  et  fait  une  si  belle  résistance,  ainsi  que  Téquipage. 

Sur  Taccusation  intentée  contre  Pierre-Antoine  de  Monlpéroux, 
capitaine  commandant  le  Dauphin-Royal,  cet  officier  ayant  com- 
battu valeureusement  le  matin  dudit  jour,  12  avril,  avec  un  vieux 
Taisseau,  mais  étant  le  soir  éloigné  de  son  poste  du  corps  de  ba- 
taille, le  met  hors  de  cause  et  de  procès. 

Décharge  de  toute  accusation  Jean-Baptiste-Roch  de  Guerpel  de 
Bar,  enseigne,  embarqué  sur  ledit  vaisseau. 

Décharge  de  toute  accusation  Jean-François,  baron  d'Arros,  com- 
mandant le  vaisi^eau  le  Languedoc,  matelot  d'avant  de  la  FUle-de- 
Paris  dans  la  ligne  de  bataille  bâbord  amures,  ordre  renversé. 

A  supprimé  et  supprime  tous  mémoires,  lettres  et  écrits  en  ce 
qu'ils  contiennent  d'attentatoire  à  son  honneur  et  à  sa  réputation. 

Décharge  de  toute  accusation  Jean-Baptiste-François  de  Lavil- 
léon,  capitaine  de  pavillon  de  la  VUle-de- Paris,  commandant  ledit 
vaisseau  sur  les  ordres  de  Tamiral  *, 

Picrre-Bené-Marie  de  Vaugirault  de  Rosnay,  capitaine,  faisant 
les  fonctions  de  major  de  Tarméc; 

Jean-Baptiste  de  Cibon,  capitaine,  embarqué  sur  ledit  vaisseau 
la  Ville-de-Paris  en  qualité  d'intendant  de  Tarmée; 

Jean-Louis  Trédern  Dele/.erec,  lieutenant  de  vaisseau; 

Jean-Louis-Charles  chevalier  de  Brach,  lieutenant  de  vaisseau; 

Jacques-Paul-Robert  Delezardière,  enseigne  de  vaisseau; 

Charles  de  Blois,  aussi  enseigne  ; 

François-Marie  du  Bouexic,  aussi  enseigne, 

Et  Joseph  de  Tanouarn,  aussi  enseigne,  tous  embarqués  sur  la 
ViUe-de^Paris. 

Décharge  de  toute  accusation  Claude  de  Mithon,  capitaine,  com- 
mandant le  vaisseau  la  Couronne,  matelot  de  l'arrière  de  la  Ville- 
àe-Paris  dans  la  ligne  de  bataille  bâbord  amures,  ordre  renversé. 

A  supprimé  et  supprime  tous  mémoires,  lettres  et  écrits  en  ce 


318 


HISTomE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


l 


qu'ils  contiennent  d'altenUtoire  à  son  honneur  et  h  sa  répukalioit. 

Décharge  do  toute  accusation  Armand  le  Gardeurde  Tilly,  capi- 
taine, commandant  le  vaisseau  l'Èveillè. 

Décharge  de  toute  accusation  Louis  de  Rîgaud,  comte  de  Vai^ 
dreuil,  cher  d'escadre,  commandant  le  Sceptre. 

Le  Conseil  do  guerre  témoigne  ses  regrets  sur  la  perte  do  M.  I« 
baron  d'Escars,  capitaine,  commandant  le  vaisseau  le  Glm-Uux,  at 
loue  sa  mémoire,  ayant  Tait  une  vigoureuse  défense  jusqu'à  neuf 
fleures  du  malin,  ledit  jour,  12  avril,  époque  &  laquelle  il  a  61^  tué, 
ayant  été  successivement  combattu  par  l'amiral  anglais  el  son  m^ 
tclot  d'arriËre  qui  ont  laissé  son  vaisseau  sans  mâts  quelconquea> 

Décharge  do  toute  accusation  Jean-Honoré  de  TrogotT  de  Kerlessi, 
lieutenant  do  vaisseau,  ayant  pris  le  commandement  du  vaisseau  k 
la  placo  du  baron  d'Escars,  ledit  jour,  12  avril. 

Décharge  pareillement  do  toute  accusation  Louis-Hippolyto-M*- 
rio  Vinoj  de  Portzamparc,  enseigne  devdsseau, 

El  Charles -Paul- Léonard  de  Montigny,  aussi  enseigne,  tous  dew 
embarqui>3  sur  ledit  vaisseau. 

A  loué  et  loue  la  conduite  de  TrogofT  dans  son  opiniâtrolé  dans 
la  défense  dudit  vaisseau.  Sa  résistance,  sa  valeur,  ses  ressources 
et  sa  résolution  sont  des  titres  qui  lui  méritent  les  grâces  du  Roi 
et  lui  assurent  i'eslimo  du  corps. 

Loue  pareillement  la  conduite  des  ofTiciers  de  terre  et  de  mer  qui 
l'ont  bien  secondé  dans  sa  défense,  ainsi  que  l'équipage  dudit  vais- 
seau, qui  ont  combattu  arec  courage  et  fermeté,  et  qui,  par  celte 
considération,  méritent  également  les  grâces  du  Roi. 

Décharge  de  toute  accusation  la  mémoire  de  Louis- Augustin  dv 
Montoclerc,  capitaine,  commandant  la  vaisseau  le  Diadème,  décé<U 
dans  le  cours  do  l'instruction. 

Décharge  de  toute  accusation  Franco îs-Louis-iidme-Gabriol  Di^ 
maitz  do  Goimpy,  capitaine,  commandant  lu  vaisseau  le  Destin. 

Décharge  de  toute  accusation  Jean-Antoine  Le  Géguc,  capitaine, 
c<immandant  le  vaisseau  le  Magnanime, 

Lui  enjoint  d'être  à  l'avenir  plus  circonspect  ilans  ses  termes  ai 
expressions  qu'il  ne  l'a  été  dans  son  journal  et  son  compte  runill 
au  Ministre,  à  l'occasion  du  combat  dudit  jour,  13  avril. 

Décharge  de  toute  accusation  Charles  de  Médinu,  capitaine  da 
vaisseau  le  iiéfléchi; 

Charles-Marie  de  la  Uraudiërc,  capitaine  du  Cimqturant; 

Jean-Baptiste  de  Macarty  Macteigne,  capitaine  du  Magnt/lquÊS, 

Et  le  loue  de  sa  valeur  dans  le  combat  dudit  jour,  12  avril,  et  da 
son  activité,  tant  dans  l'exécution  des  manœuvres  de  son  vaissean 


LIVRE  X.  319 

quQ  pour  rallier  avec  le  commandant  do  son  escadre  la  Ville-iic- 
Paris,  et  de  son  attention  à  se  porter  do  manière  à  conserver  son 
poste  de  matelot  du  Triomphant. 

Décharge  do  toute  accusation  Louis-Philippe  de  Rigaud,  marquis 
de  Vaudreuil,  lieutenant  général,  commandant  la  seconde  escadre 
de  l'armée  du  Roi  sur  le  vaisseau  le  Triomphant, 

Et  loue  sa  conduite  dans  toutes  les  circonstances  de  la  journée 
dudit  jour,  12  avril,  tant  comme  commandant  dudit  vaisseau  que 
comme  amiral  commandant  la  seconde  escadre. 

A  supprimé  et  supprime  toutes  lettres,  mémoires  et  écrits  en  ce 
qu'ils  contiennent  d'attentatoire  à  son  honneur  et  à  sa  réputation. 

Décharge  pareillement  de  toute  accusation  Joseph -Saturnin 
Mont-Cabrié  de  Peytes,  capitaine  de  pavillon  sur  ledit  vaisseau  à 
la  place  de  M.  le  chevalier  du  Pavillon,  tué  au  combat  dudit  jour, 
13  avril. 

Et  Louis  Frager,  chevalier  de  TEguille,  lieutenant,  embarqué  sur 
ledit  vaisseau,  faisant  les  fonctions  de  major  de  ladite  escadre. 

Loue  la  mémoire  du  chevalier  du  Pavillon,  pour  avoir  combattu 
valeureusement  jusqu'à  sa  mort  ledit  jour. 

Décharge  de  toute  accusation  Charles  de  Gharitte,  capitaine  du 
vaisseau  la  Bourgogne, 

Et  le  loue  de  ses  manœuvres  pendant  la  journée  dudit  jour, 
12  avril. 

Pour,  Charles-Régis-Goriolis  d'Espinouse,  chef  d*escadre,  mon- 
tant le  vaisseau  le  Duc-de-Bourgogne ,  s'être  trop  occupé  dans 
Taprës-midi  dudit  jour,  12  avril,  du  danger  de  démâter,  au  lieu  de 
faire  tout  son  possible  pour  ne  pas  s^éloigner  de  son  escadre,  le 
Conseil  de  guerre  le  condamne  à  être  mandé  en  la  Chambre  du 
Conseil  pour  y  être  admonesté  en  présence  du  tribunal  assemblé. 

Décharge  de  toute  accusation  Pierre  Joseph-François  Samson  de 
Champmartin,  capitaine  de  pavillon  dudit  vaisseau; 

Henri-César  de  Castellane-Majastre,  capitaine  du  vaisseau  le  Mar- 
seillais, 

Et  le  loue  de  son  zèle,  de  sa  fermeté  et  de  son  attention  la  plus 
suivie  dans  Texécution  des  mouvements  généraux  de  son  escadre, 
et  de  ceux  particuliers  de  son  vaisseau  dans  ladite  journée  du 
12  avril. 

Décharge  de  toute  accusation  François-Hector  d'Albert  de  Rions, 
capitaine  du  vaisseau  le  Pluton, 

Et  loue  sa  conduite  dans  ladite  journée. 

Décharge  de  toute  accusation  Charles-Elzéar  Bourgarel  de  Mar- 
tignan,  enseigne  de  vaisseau,  commandant  la  frégate  VAmaxone, 


330  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

aux  lieu  et  place  de  M.  de  Montguyot,  commandant  ladite  frégib. 

Le  Conseil  Je  guerre  honore  la  mémoire  dudit  Monlgujol,  tiK 
dans  un  combat  antérieur  au  12  ami. 

Décharge  de  toute  accusation  Jcan-Baptïste-Françoîs  de  SumiMt, 
lieutenant  do  vai^eau,  commandant  la  frégA\A  VA  intable; 

François  Kobcrt,  vicomte  Daché,  ensei^e  de  Taisseau,  cODunan- 
dant  ie  cutter  le  Clairvoyant, 

Et  le  loue  de  sa  conduite  dans  la  journée  du  'iS  avril. 

Itécharfce  de  toute  accusation  Joachim  de  Koquart,  lieuteniot* 
vaisseau,  commandant  la  frégate  \kGalathée; 

Louise ean- Marie,  baron  de  Paroy ,  lieutenant  de  vaisseau,  ma- 
mandant  la  cor^'i-tte  la  Ccrèa. 

Le  Conseil  il<:  guerre  a  loué  et  loue  la  mémoire  de  M.  le  \\cmit 
lie  Morlemart,  commandant  la  Mgatc  le  Rickemond,  ayant  élé  bt- 
nninient  utile  ledit  jour,  13  avril,  par  sa  manœuvre  hardie  et  dii- 
lintru<^e  en  prenant  lu  (iforictu;  à  la  remorque,  qu'il  a  conservé  afet 
o|iiiitAtrL'lé  sous  le  feu  de  l'ennemi,  ne  l'ayant  abandonné  qu'apiti 
Us  ordres  riitiîrcs  de  M.  de  TrogofT,  conmiandant  Éo  Glorieux,  qui 
voyait  que  cette  frégate  allait  être  enlourée.  Cette  action  hardie  <t 
valeureuse  justifie  les  regrets  que  le  corps  conserve  d'avoir  penin 
eu  brave  militaire. 

DOcliargo  de  ti>ute  arcusaUon  Joseph-Louis  de  Canillac,  cmbar- 
i|ui^,  en  qualité  de  liculenant  de  vaisseau  en  second  sur  ladite  tn- 

giltc. 

Sur  le  3ur|)luH  des  demandes  des  parties,  les  met  hors  de  eau» 
et  de  procès. 

Quoique  le  Zélé  ci\l  été  ta  cause  première  de  la  bataille, 
L-b  \'aiNacau  n'était  pas  au  nombre  des  bâtiments  dont  1« 
conduite  avait  ùié  déférée  à  l'examen  du  conseil. 


LIVRE  X.  321 

UAstrée  passa,  à  deux  heures  trois  quarts,  à  poupe  du 
vaisseau,  et  elle  fit  route  à  cinq  heures  ^  Eu  égard  aux 
circonstances  de  temps  et  de  mer,  et  aussi  en  raison 
de  la  situation  relative  des  deux  flottes,  il  ne  semble  pas 
que  YAslrée  ait  manœuvré  avec  célérité.  La  Pérouse,  car 
c'était  l'illustre  La  Pérouse  qui   commandait  VAslréCf 
repoussa  les  reproches  qui  lui  furent  adressés  par  le 
comte  de   Grasse,  en   disant  qu'il  avait  reçu  Tordre  de 
porter  secours  à  un  vaisseau  sous-venté,  sans  être  infor- 
mé de  la  nature  des  services  qu'il  était  appelé  à  rendre. 
L'obscurité  de  la  nuit  ne  lui  ayant  pas  permis  de  voir 
que   le  Zélé  était   démdté,  il  avait  passé  à  poupe  de  ce 
vaisseau  afln  de  savoir  ce  qu'on  attendait  de  lui.  De  1&, 
un  retard  dont  il  ne  croyait  pas  devoir  accepter  la  res- 
ponsabilité. Quoi  qu'il  en  soit  de  cet  incident,  nous  rap- 
pellerons que,  si  le  comte  de  Grasse  avait  repris,  à  six 
heures  et  demie,  sa  route  vers  le  nord,  le  jiélé  n'en  eût 
pas  moins  continué  sa  route  en  toute  sûreté  pour  la  Gua- 
deloupe. Le  comte  de  Grasse  écrivit  au  ministre  pour  pro- 
lester contre  l'arrêt  du  conseil  de  guerre  et  demander  de 
nouveaux  juges.  Cet  officier  général  se  faisait  sur  sa  pro- 
pre situation  et  sur  l'autorilé  qu'il  pouvait  encore  avoir,  à 
^^ris,  les  illusions  les  plus  étranges.  Le  débat  était  clos, 
^t  le  gouvernement  ne  voulait  pas  le  faire  renaître.  D'au- 
^'^o  part,  l'avis  motivé,  émis  par  le  conseil  sur  la  conduite 
^^  chacun  des  officiers  généraux  et  des  capitaines,  dans 
*^  journée  du  12  avril,  avait  montré  l'injustice  des  accu- 


1.  Il  résulte  des  témoignages  de  MM.  Brueys  d^Aigallier  et  de  Hoguen, 

^'^Qtenants  de  vaisseau,  embarqués,  le  premier  sur  le  Zétéj  et  le  second  sur 

-^Btrée ,  que  cette  frégate  passa,  à  deux  heures  trois  quarts,  dans  la  nuit 

^U  11  au  12  avril,  à  poupe  du  vaisseau  le  Zélé,  La  frégate  héla  le  vaisseau 

^^  lai  dit  d'amener  un  canot  pour  lui  envoyer  une  amarre.  Le  vaisseau  ayant 

^^I>ondu  que  sa  situation  ne  lui  permettait  pas  de  mettre  une  embarcation  à 

^^  mer,  la  frégate  mit  en  panne  sous  le  vent  et  envoya  un  canot  à  l)ord  du 

^^U.  \jbl  frégate  étant  tombée  sous  le  vent,  courut  une  bordée  pour  s'élever 

^i  reprendre  son  canot  qui  avait  Tamarre  du  vaisseau.  VA$trée  prit  le  Zélé 

^  la  remorque,  à  quatre  heures  trois  quarts,  et  à  cinq  heures  elle  ût  roule 

l^>ur  sa  destination. 

21 


L 


322  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

salions  dirigées  par   le  comle  de   Grosse  contre  son 
armée.  Le  Roi  et  le  ministre  de  la  marine  regrellaienl 
Irès-vivemenl  les  mesures  prises  contre  d'honorables 
officiers  qui  n'avaient  trouvé',  pour  récompense  de  leur 
bravoure  et  de  leur  dévouement,  que  la  prison  et  de  mau- 
vais traitements.  Le  maréchal  de  Castries  crut  néces- 
saire de  rappeler  le  comte  de  Grasse  au  sentiment  do  sa 
situation.  11  lui  écrivit  à  la  date  du  2  juin  :  «  Le  Itoi  a 
lu,  Monsieur,  la  lettre  par  laquelle  vous  récusez  d'avance 
les   membres  du    conseil  de  guerre  et  vous  suppliez 
Sa  Majesté  de  vous  juger  Elle-même.  Sa  Majesté  n'a  point 
approuvé  les  motifs  de  la  réclamation  anticipée  que  vous 
avez  formée  contre  le  jugement  définitif  qui  vient  d'être 
rendu  par  le  conseil  de  guerre  assemblé  à  Lorient,  et 
Elle  n'a  pu  les  approuver  davantage  depuis  que  ce  ju^* 
ment  est  connu.  Sa  Majesté  a  fait  examiner  et  a  examina 
Elle-même,  avec  la  plus  grande  attention,  fous  les  cbeî 
d'accusation  qui  se  trouvent  compris  dans  les  lettres  ail 
mémoires  que  vous  avez  répandus  en  Europe  et  que  vom' 
avez  portés  contre    l'armée  navale  dont  vous  aviez  IêM 
commandement.  Elle  a  vu  que  toutes  les  inculpations  da 
désobéissance  aux  signaux   et  d'abandon  du    pavillon 
amiral,  dans  la  journée  du  12  avril  1782,  étaient  détruites 
par  le  prononcé  du  conseil  de  guerre  et  qu'on  ne  pou- 
vait attribuer  aux  fautes  particulières  qui  ont  été  com 
mises  la  perle  de  la  bataille.  Il  résulte  de  cejugemei 
que  vous  vous  êtes  permis  de  compromettre,  par  ( 
inculpations    mal    fondées,   la    réputation  de  plusieurs  ] 
ofliciers,  pour  vous  jusliGer,  dans    l'opinion  publique,  { 
d'un  événement  malheureux  dont  vous  eussiez  pcut-^tn  J 
pu  trouver  l'excuse  dans  l'inrcriorilé  de  vos  forces,  daVl 
l'incerlilude  du  sort  des  armes  et  dans  des  circoQslaaCM  J 
qu'il  vous  était  impossible  de  maîtriser.  Sa  Majesté  vMri 
bien  supposer  que   vous  avez  fait  ce  qui  était  en  votn 
pouvoir  pour  prévenir  les  malheurs  de  la  journée,  mtll  1 
Elle  ne  peut  pas  avoir  la  même  indulgence  sur  les  fatti  j 
que  vous  imputez  injustement  à  ceux  des  officiers  de  s>  ' 


LIVRE  X.  323 

marinequîsontdéchargésd'accusalion.  SaMajcsté,  mécon- 
tente de  votre  conduite  à  cet  égard,  vous  défend  de  vous 
présenter  devant  Elle.  C'est  avec  peine  que  je  vous 
transmets  ses  instructions  et  que  j'y  ajoute  le  conseil 
d'aller,  dans  les  circonstances  actuelles,  dans  votre  pro- 
vince. »  Cette  lettre  fait  ressortir  Tesprit  de  justice  et 
d'impartialité  qui  furent  la  marque  particulière  de  Tad- 
ministralion  du  maréchal  de  Castries.  Elle  a,  plus,  cette 
impoilance  qu'elle  nous  montre  le  Roi  et  son  ministre  se 
rangeant  résolument  à  l'opinion  du  conseil  de  guerre. 

Pendant  la  durée  de  son  commandement,  le  comte  de 
Grasse  avait  remporté  sur  l'ennemi  des  avantages  mar- 
qués. La  capitulation  de  l'armée  de  Cornwallis,  qui  avait 
assuré  l'indépendance  de  l'Amérique,  était  en  partie  son 
œuvre.  Battu,  au  combat  de  la  Dominique,  il  s'était 
honoré  en  défendant  le  vaisseau  sur  lequel  flottait  son 
pavillon  avec  une  énergie  qu'il  était  difficile  de  surpas- 
ser. Son  courage  personnel  avait  été,  dans  cette  journée 
malheureuse,  au-dessus  de  tout  éloge.  En  échange  des 
services  qu'il  avait  rendus,  la  France  lui  devait  l'oubli 
des  fautes  qu'il  avait  commises  le  12  avril.  Quant  à  lui, 
après  la  perte  de  la  bataille  de  la  Dominique,  il  avait  la 
stricte  obligation  de  garder  le  silence  et  de  vivre  dans  la 
retraite.  Au  lieu  de  se  résigner  à  ce  rôle,  le  seul  qui  lui 
convînt,  il  se  livra  à  de  stériles  et  injustes  récrimina- 
tions. Il  ne  sut  pas,  ce  qui  n'est  d'ailleurs  l'apanage  que 
de  très-peu  d'hommes,  se  montrer  digne  dans  le  mal- 
heur. 

VI 

Des  vingt-cinq  vaisseaux  qui  composaient  l'armée 
française,  après  la  .reddition  de  la  Ville-de-Paris,  onze 
se  trouvèrent  réunis,  le  lendemain  matin,  auprès  du 
Triomphant,  Le  marquis  de  Vaudreuil  expédia  le  Con- 
quérant au  Cap  Français  pour  y  porter  la  nouvelle  du 
combat  de  la  Dominique,  et  il  croisa  pendant  quelques 


324  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

jours  sur  les  côtes  de  SaiiiUDomin^ue.  Il  voulait  atten- 
dre ceux  de  nos  b&tiDicals  qui  se  diri^raient  isolémeol 
sur  le  Cap  Français,  rendez-vous  assigné  à  l'arma,  a 
cits  <tc  séparation.  11  arriva,  le  25,  sur  cette  rade  aTec  le 
Triomjilianl,  la  Bourgogne,  le  Réfléchi,  le  Afajnoniow,  le 
Destin,  le  Diadème,  le  Sceptre,  le  Languedoc,  le  DaufiAû- 
Itoyal,  le  Citoyen,  le  Brave,  le  Sctpion,  le  ^orthunAa- 
land,  le  Palmier,  le  Souverain  et  le  Neptune.  Le  cooiw, 
composé  (le  cent  vingt-trois  voiles,  et  les  vaîsseauile 
Puc-ile-Bourgoyne,  la  Couronne,  le  Magni/ique,  étaient  u 
mouilla;;c.  Le  Sagittaire  et  l'Ea-perimerK,  les  frégates  la 
Railleuse,  l'engageante,  le  Ridtmond  et  neuf  vaisseaui 
pspapnoU  qui  avaient  appareillé,  le  22,  pour  se  porter »ii- 
dcviiiitdcnus  bdtimcnts,  rentrèrent  quelques  jours  après. 
Cinq  Miisseaux,  YAuguste,  portant  le  pavillon  du  cW 
dVscndre  de  Bougainvîlle,  l'Éveillé,  l  Hercule,  le  Mar- 
Kfitlais  et  le  Plitlon,  rallièrent  l'armée  dans  le  mois  de 
mai,  après  avoir  ri^parè  leurs  avaries  à  Cura(;ao. 

Los  Anglais, trop  maltraités  dans  la  journée  du  ISavril 
pour  nous  poursuivre,  passèrent  la  nuit  en  panne  surit 
lii-u  du  combat.  Le  calme  les  retint  pendant  trois  jour 
sous  la  Guadeloupe.  Le  vice-amiral  Samuel  Hood  parlil 
en  avant  avec  dix  vaisseaux,  pris  parmi  ceux  qui  avaienl 
le  moins  souffert.  Il  avait  l'ordre  de  croiser,  au  large  du 
cap  Tiboron,  sur  la  côte  de  Saint-Domingue,  jusqui 
l'arrivée  du  commandant  en  chef.  Rodney  suppossil 
que   ce  détachement  pourrait   intercepter  quelques-uni 


UVRE  X.  325 

VAstrée,  VAimable  o\.  la  Cérès^  partis  quelques  jours  au- 
paravant de  la  Guadeloupe.  Entourés  par  des  forces  supé- 
rieures, le  Caton  et  le  Jason  furent  obligés  de  se  rendre. 
Des  trois  frégates,  VAslrée  fut  la  seule  qui  parvint  à  se 
dérober  à  la  poursuite  de  Tennemi*.  Rodney,  après  avoir 
opéré  sa  jonction  avec  Hood,  conduisit  son  armée  à  la 
Jamaïque  où  il  arriva  à  la  fin  d'avril. 

Les  pertes  subies  par  les  Français  au  combat  de  la 
Dominique  et  la  présence  à  la  Jamaïque  de  Tarmée  de 
Rodney,  déterminèrent  les  chefs  d'escadre  don  Solano  et 
le  maniuis  de  Vaudrcuil  a  renoncer  à  Tcxpédilion  proje- 
tée contre  cette  île.  Toutefois,  la  victoire  des  Anglais 
n'eut  pas  pour  conséquence  de  paralyser  les  mouvemenfs 
des  alliés.  Le  marquis  de  Vaudreuil  fit  réunir  au  Cap  les 
bâtiments  marchands  répandus  dans  les  difi*érenls  ports 
de  Saint-Domingue.  Il  les  expédia  en  Europe,  sous  bonne 
escorte,  en  deux  convois,  comprenant  chacun  plus  de  cent 
voiles.  Une  division,  composée  du  vaisseau  le  Sceptre^ 
commandé  par  La  Pérouse,des  frégates  VAstréeei  VEnga- 
géante  commandées  par  les  lieutenants  de  vaisseau  de 
Langle  et  de  la  Jaille,  fut  envoyée  dans  la  baie  d'Hudson 
pour  y  détruire  les  établissements  anglais*.  Le  4  juillet, 
les  escadres  française  et  espagnole  appareillèrent  de  la 
rade  du  Cap.  Après  avoir  assuré  l'entrée  de  don  Solano  à 
la  Havane,  le  marquis  de  Vaudreuil  continua  sa  route 
vers  l'Amérique  septentrionale  avec  treize  vaisseaux. 
Dans  les  premiers  jours  d'août,  il  parut  sur  les  côtes  des 
États-Unis,  où  sa  présence  inattendue  excita,  chez  l'en- 
nemi, les  craintes  les  plus  vives.  Les  généraux  anglais 
crurent  à  une  action  concertée  entre  les  Français  et  les 


1.  Cet  événement  faisait  peser  sur  le  capitaine  da  Caton  ^  M.  de  Framond, 
qui  commandait  la  division  par  droit  d'ancienneté,  une  grave  responsabilité. 
La  route  qu'il  avait  prise  n'était  |)oinl  celle  ipii  était  indiquée  dans  ses  in- 
structions. Le  ministre  fit  rayer  cet  officier  des  listes  de  la  marine. 

'2.  Malgré  de  très-grandes  difTicultés ,  cette  expédition  fut  conduite 
par  La  IVrouse  avec  un  plein  succès.  Elle  fit  éprouver  à  TAngleterre  des 
pertes  considérables. 


326  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Américains,  et  ils  concentrèrenl  des  Iroupes  autour  de 
New-York,  Le  marquis  de  Vaudi-cuil  mouilla,  le  10  août, 
devant  Boston,  pour  ravitailler  son  escadre  et  faire  les 
réparatious  que  les  ressources  insuffisantes  du  Cap  ne 
lui  avaient  pas  permis  d'entreprendre.  Noli'e  arrivée 
dans  la  rade  de  Nantasket  fut  marquée  par  un  évé- 
nement malheureux.  Le  Magnifique,  mal  dirigé  par  son 
pilote,  se  jeta  à  la  côte;  on  sauva  le  malériel,  mais  le 
vaisseau  ne  put  ôlre  relevé.  Le  Congrès,  voulant  donner 
à  la  France  un  témoignage  de  la  reconnaissance  publi- 
que, offrit  au  Roi  l'América  de  soixante-quatorze  canons. 
C'était  le  premier  vaisseau  qui  eilt  élé  construit  dan»  les 
chantiers  de  la  nouvelle  République. 

Les  déprédations  commises  &  Saiut-Eustachc  avaient 
soulevé  en  Angleterre  une  réprobation  générale.  L'amiral 
Pigot,  désigné  pour  remplacer  Bodney,  élait  en  mer,  au 
moment  où  parvenait  à  Londres  la  nouvelle  du  com- 
bat de  la  Dominique.  L'amirauté  fit  partir  en  toute  hâte 
un  navire  bon  marcheur  pour  le  rappeler.  Dans  le  cas 
0(1  il  n'aurait  pu  rejoindre  cet  amiral  en  trmps  oppor- 
tun, le  capitaine  de  ce  h&timcnL  était  porteur  d'une  let- 
tre qui  laissait  Rodney  libre  de  rentrer  en  Angleterre 
ou  de  rester  à  la  tétc  de  son  année.  Lorsque  cet  aviso 
rallia  la  flotte  britannique,  l'amiral  Hodney  avait  re- 
mis .son  commandement  à  son  successeur,  cl  il  était 
parti  pour  l'Europe.  Pendant  leur  séjour  &  la  Jamaïque, 
les  Anglais,  occupés  à  se  réparer,  n'inquiétèrent  pas  nos 
mouvements.  Ils  ne  tirent  aucune  tentative,  soit  pour  at- 
taquer nos  possessions,  soit  pour  reconquérir  les  colo- 
nies dont  nous  nous  étions  emparés.  La  victoire  de  Rodney 
délivra  la  Jamaïque  de  toute  crainte,  ce  qui  était,  on  doit 
le  reconnaître,  un  point  très-important;  mais  elle  n'eut 
pas  pour  l'ennemi,  au  point  de  vue  oITensif,  de  consé- 
quences directement  favorables.  Lorsque  l'amiral  Pigot  re- 
prit la  mer,  il  y  avait  quelque  temps  déjà  que  le  marquis 
dcYaudrcuil  avait  quitté  de  Saint-Domingue.  Les  An- 
glais nous  suivirent  sur  les  cOtes  de  l'Anu'riipie  septcii- 


^ 


1 


LIVRE  X.  327 

trionale,  et  leur  escadre  mouilla  à  New-York,  le  4  sep- 
tembre 1782  *. 

Aussitôt  que  notre  escadre  fut  en  état  de  prendre  la 
mer,  elle  se  rendit  &  Porto-Cabello,  où  le  marquis  de  Vau- 
dreuil  et  don  Solano  étaient  convenus  de  se  réunir.  Nos 
alliés  ne  parurent  pas  au  rendez-vous  fixé,  d'un  commun 
accord,  dans  le  conseil  de  guerre  tenu  au  Cap  quelques 
mois  auparavant.  Le  capitaine  général  de  Cuba  n'avait 
pas  peAnisà  Tamiral  espagnol  de  s'éloigner  de  l'ile  avant 
l'arrivée  d'une  escadre  qui,  à  ce  moment,  était  attendue 
d'Europe.  Le  marquis  de  Vaudreuil,  informé  de  cette  si- 
tuation, fit  route  pour  Saint-Domingue. 

La  défaite  essuyée  par  le  comte  de  Grasse  ne  modifia 
point  les  projets  de  la  France  et  de  l'Espagne  relativement 
à  la  Jamaïque.  Ces  deux  puissances  décidèrent  qu'elles  ten- 
teraient cette  entreprise  au  commencement  de  l'année  1783. 
Les  forces  que  la  Grande-Bretagne  entretenait  à  la  mer 
s'élevaient  à  environ  cent  vaisseaux.  En  défalquant  les 


1 .  L'inaction  des  Anglais  permit  au  marquis  de  Vaudreuil  de  présenter,  dans 
Qn  de  ses  mémoires,  les  observations  suivantes  :  «  Si  les  Français  n'avaient 
pas  opposé   la  plus  vigoureuse  résistance,  Tarmée  anglaise  aurait-elle  été 
autant  de  temps  à  se  réparer  à  la  Jamaïque?  Ne  nous  serait-elle  pas  venue 
bloquer  au  Cap?  Elle  n*a  cependant  pu  empêcher  l'expédition  de  la  baie 
d'Uudson  de  renvoyer  les  troupes  aux  lles-du-Vent,  de  rassembler  les  mar- 
chandises qui  étaient  dans  les  différents  ports  de  Saint-Domingue,  de  faire 
partir  deux  différents  convois  de  plus  de  cent  voiles  chacun.  Les  Espagnols 
«ont  retournés  à  la  Havane  sans  être  inquiétés;  nos  vaisseaux  ont  croisé 
entre  le  Cap  et  Port-au-Prince  ;  nous  avons  été  ensuite  croiser  à  la  tète  de 
la  Nouvelle  Angleterre  avant  qu'ils  aient  été  en  état  de  s'y  rendre,  et  ils  n'ont 
été  à  New-York  que  pour  achever  de  s'y  réparer.  Les  convois  de  la  Jamaïque 
n'ont  pu  partir  pour  l'Europe  aussitôt  que  les  nôtres.  De  tous  les  vaisseaux 
qn*ils  nous  ont  pris,  VArdentj  en  partant  de  la  Jamaïque,  s'est  trouvé  en 
si  mauvais  état  qu'il  a  été  obligé  d'y  retourner  sur  le  point  de  couler  à  fond; 
tous  les  autres  ont  péri  en  pleine  mer,  au  premier  coup  de  vent  qu'ils  ont 
reçu.  Les  Anglais  ont-ils  pu  retirer  quelque  avantage  de  leur  victoire  ?  On 
ne  les  taxera  pas  cependant  d'inactivité  ou  de  n'être  pas  commandés  par 
des  généraux  entreprenants  et  habiles.  Mais  les  Français,  ne  se  laissant  point 
abattre  par  les  revers,  ont  mis  tant  do  célérité  dans  leurs  travaux,  qu'ils  ont 
été  en  état  de  prévenir,  en  tout,  les  Anglais,  comme  s'ils  n'avaient  pas  été 
battus.  Ce  sont  ces  mêmes  officiers,  Messieurs,  qui  attendent  un  jugement 
qui  répare  leur  honneur  attaqué.  > 


328  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

b&limenU  nécessaires  à  la  protection  de  ses  convois,  les 
navires  qui  étaient  dans  l'Inde  et  l'escadre  de  la  Hanche, 
l'Anglclerre  disposait  de  quarante  vaisseaux  pourdéreo- 
dre  ses  colonies  des  Indes  occidentales.  Nous  avions  vingt- 
deux  vaisseaux  dans  la  mer  des  AJOtilIes,  et  les  Elspagnols 
douze  &  la  Havane.  Les  cabinets  de  Versailles  et  de  Vi- 
drid  convinrent  d'envoyer  à  Saint-Domingue,  à  la  Ëa  it 
décembre,  trente  vaisseaux,  quinze  français  et  quinze  «■ 
pagnols,  détachés  de  l'armée  combinée  réunie  h.  Cadii. 
L'exécution  de  ces  mesures  devait  nous  permettre  de  (airt 
l'expédition  de  la  Jamaïque  avec  une  flotte  d'au  maini 
soixante  vaisseaux. 


LIVRE    XI 


Conquête  de  Minorque.  —  Réunion  des  forces  navales  de  la  France  el  de 
TEspagne  à  Cadix.  —  La  cour  de  Madrid  forme  le  projet  d'attaquer 
Cibraltar  par  terre  et  par  mer. —  Prise  du  vaisseau  le  Pégase.  —  Les  alliés 
s'emparent  d'un  convoi  anglais.  —  Apparition  de  la  flolte  combinée  dans 
la  Manche.  —  Poursuite  de  l'escadre  anglaise.  —  Howe  sort  pour  ravi- 
tailler Gibraltar.  —  Les  Espagnols  construisent,  à  Âlgésiras,  dix  batteries 
flottantes  sur  les  plans  d'un  offlcier  français,  le  colonel  du  génie  d'Arçon. 
—  Attaque  de  Gibraltar,  le  13  septembre.  —  Les  Espagnols  évacuent  les 
batteries  flottantes  et  les  livrent  aux  flammes.  —  JBelle  conduite  d'un  ofQ- 
cier  anglais,  le  capitaine  de  vaisseau  Cnrtis.  —  Observations  sur  la  jour- 
née du  13  septembre.  —  Arrivée  de  l'escadre  anglaise  dans  le  détroit.  — 
L'amiral  Howe  parvient  à  ravitailler  Gibraltar.  —  Engagement  du 
20  octobre.  —  Retour  des  alliés  à  Cadix.  —  Les  Anglais  poursuivent  leur 
route  vers  Portsmouth. 


Au  commencement  de  Tannée  1782,  les  Espagnols  ache- 
"Vèrent  la  conquête  de  Minorque.  Le  fort  Saint-Philippe, 
le  seul  point  qui  fût  au  pouvoir  des  Anglais,  capitula  le 
^  février.  La  garnison,  réduite  à  une  poignée  d'hommes, 
^e  rendit  prisonnière  de  guerre.  La  cour  d'Espagne,  tou- 
jours poursuivie  par  le  désir  de  reprendre  Gibraltar,  ré- 
solut d'attaquer  cette  place  par  terre  et  par  mer.  Les 
Groupes  qui  avaient  fait  l'expédition  de  Minorque  furent 
transportées  au  camp  de  Saint-Roch.  Charles  III,  espé- 
rant que  le  duc  de  Grillon  serait  aussi  heureux  dans 
ceite  seconde  entreprise  que  dans  la  première,  plaça  ce 
général  à  la  tête  de  l'armée  assiégeante.  La  France,  cédant 
aux  sollicitations  de  l'Espagne,  envoya  le  lieutenant  gé- 
néral de  Guichen  à  Cadix,  avec  une  escadre,  pour  se  join- 
dre à  Cordova.  En  présence  des  forces  considérables  que 
les  alliés  avaient  dans  les  mers   d'Europe,  les  Anglais 
conservèrent  sur  leurs  côtes  un  nombre  de  vaisseaux  suf- 
fisant pour  se  prémunir  contre  toute  nouvelle  tentative 


330  HJSTOIHE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

(l'invasion.  Ces  bâtiments  furent  divises  en  plusieurs  es- 
cadres. Une  d'elles  bloqua  les  Hollandais  dans  le  Tcxcl, 
cl  Ins  autres  sortirent  successivement  pour  attaquer  notru 
commerce  et  protéger  celui  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  20  avril,  le  vice-amiral  Barrington,  parti  depuis 
liuit  jours  de  Porlsmouth  avec  douze  vaisseaux,  aperçut, 
dans  le  sud-oucsl  d'Ouessant,  un  grand  nombre  de  voi- 
les. C'était  un  de  nos  convois  qui  allait  dans  l'Inde,  sous 
l'escorte  des  vaisseaux  de  soixante-quatorze  le  Pégase  el 
le  Prolecteur.  Ces  deux  bâtiments  prirent  chasse,  les 
amures  à  tribord,   avec  des  vents  de  sud-est,  courant 

sur  Ouessant  dont  ils  n'étaient  pas  éloignés.  A  sept  beu-        

res  et  demie  du  soir,  l'ennemi  les  avait  beaucoup  gagnés.  _ 
A  huit  heures  et  demie,  le  Pégase,  qui  était  à  une  assez  .» 
grande  distance  en  arrière  du  Protecteur,  était  serré  de  ^-^ 
Irès-près  par  un  vaisseau  anglais.  Perdant  tout  espoir  de  ^^3s 
franchir  l'Iroise  avant  d'ôlre  atteint,  son  commandant,  le  j»-^ 
capitaine  de  vaisseau  de  Silans,  fit  route  vent  arrière,  allure  =?-=> 

qui  lui  parut  la  plus  favorable  pour  échappcrùrennemi. . 

Vers  minuit,  le  Foudroyant,   de  quatre-vingts  canons,^.    , 

arriva  à  petite  portée  du  Pégase.  Un  combat  très-vif  s'en 

gagea  immédiatement  entre  ces  deux  vaisseaux.  A  dcuxa^ 
heures  du  matin,  le  capitaine  de  Silans  manœuvra  pourr^v 
aborder  son  adversaire.  11  réussit  4  engager  le  beaupré^** 
du  Foudroyant  dans  ses  grands  haubans,  mais  les  deut^^ 
bâtiments  se  séparèrent  presque  immédiatement.  A  Iroijh.r'  " 
heures,    le  Pégase  désemparé,   ayant  quatre-vingt-iliiu;^"* 

hommes  hors  de  combat,  amena  son  pavillon.  Le  Fui»- 

ilroyanl  avait  trois  blessés  et  quelques  avaries  sans  im^ ~ 

portante  dans  la  mâture.  Le  vaisseau  V Actionnaire,  armé  ^^s 
en  flûte,  et  douze  transports,  sur  dix-huit  dont  le  convoi  -^■^ 
était  composé,  tombèrent  entre  les  mains  des  Anglais.  — - 
Cet  événement  était  d'autant  plus  malheureux  que  la  -^* 
plupart  des  bâtiments  capturés  par  l'amiral  Kempenfeldl,  ~^ 
le  Ik  décembre  1781,  se  rendaient  dans  l'Inde. 

La  prise  du  Pégaup.  souleva  en  France  une  légitime  émo-- 
lion.  Les  rencontres    qui    avaient    eu    lieu ,  depuis 


UVRE  XI.  331 

commencement  de  la  guerre,  entre  des  bâtiments  isolés, 
avaient  été  le  plus  souvent  favorables  à  notre  marine. 
Dans  les  combats  de  la  Belle-Poule  et  de  VArelhusa^  de 
Ib,  Surveillante  eX  du  Québec  *,  le  courage  des  équipages  et 
l'habileté  des  capitaines   avaient  brillé  d'un   vif  éclat. 
LiOrsque  la  fortune  des  armes  nous  avait  été  contraire, 
nos  bâtiments,  avant  de  succomber,  avaient  toujours  in- 
fligé à  l'ennemi  des  pertes  très-sérieuses.  Le  succès  du 
I^oudroyant^  dans  les  conditions  que  nous  avons  indi- 
quées, était  un  fait  d'autant  plus  difficile  à  comprendre, 
que  M.  de  Silans  jouissait  d'une  très-bonne  réputation. 
Cet  officier,  ayant  été  très-promptement  échangé,  compa- 
i^ut,  le  22  octobre  de  la  môme  année,  devant  un  conseil  de 
guerre  réuni  à  Brest,  sous  la  présidence  du  lieutenant 
général  de  Breugnon.  L'officier  qui  remplissait  les  fonc- 
tions de  procureur  du  Roi,  le  capitaine  de  vaisseau  de 
Pautras,  termina  le  réquisitoire  extrêmement  sévère  qu'il 
prononça  contre  le  capitaine  du  Pégase  en  disant  :  «  Nous 
requérons  pour  le  Roi  que  le  sieur  chevalier  de  Silans 
soit  cassé  et  extrait  du  corps  des  officiers  de  la  marine, 
que  son  nom  soit  rayé  de  dessus  les  listes  et  états  desdits 
officiers,  qu'il  soit  déclaré  incapable  de  jamais  servir  le  Roi 
clans  sa  marine,  ainsi  que  déchu  et  privé  de  tous  hon- 
neurs, prérogatives,  attribués  à  ce  corps,  et  qu'il  soit  con- 
damné, en  outre,  à  garder  prison  fermée  pendant  l'espace 
de  vingt  ans,  dans  tel  fort,  citadelle,  château  et  autres 
endroits  qu'il  plaira  à  Sa  Majesté  de  lui  assigner  '.  »  Le 

1.  Le  combat  de  la  Surveillantt  et  du  Québec  est  une  des  plus  belles  ac- 
tions de  celte  guerre.  Les  officiers  et  les  équipages  des  deux  nations  firent 
preave^  dans  cette  affaire,  de  la  plus  rare  intrépidité.  Après  un  engagement 
À  petite  portée  qui  avait  duré  plusieurs  heures,  le  Québec  sauta.  Le  capi- 
taine Farmer  disparut  dans  l'explosion  de  son  b&timent.  Du  Couddic,  le  vail- 
lant capitaine  de  la  Surveillante,  mourut  quelques  mois  après  des  blessures 
reçues  pendant  le  combat. 

2.  Le  chevalier  de  Fautras  demandait,  en  outre,  que  M.  de  Gambis,  officier 
en  second  du  vaisseau,  fût  condamné  à  la  prison  pendant  une  année,  avec 
interdiction  de  toutes  fonctions  au  service  de  la  marine,  jusqu'à  ce  qu'il  plût 
àSallajesté  de  le  relever  de  cette  interdiction.  M.  de  Cambis  fut  acquitté. 


I 


832  HISTOIRE  DE  LA  M.IHINE  FRANÇAISE, 

conseil  n'admit  pas  les  conclusions  du  procureur  du  Roi. 
Le  capitaine  du  Pégase  fui  interdit  «  de  toutes  fonctions 
au  service  de  la  marine,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  &  Sa  Ma- 
jesté dele  relever  de  ladite  interdiction'.  « 

Celle  condamnation,  relativement  légère,  oITrait  un 
contraste  surprenant  avec  la  gravité  de  l'événement  qui 
avait  amené  M.  de  Silans  devant  un  conseil  de  guerre. 
L'opinion  d'un  des  juges,  le  capitaine  de  vaisseau  de     ^^ 

la  Vaultière,    que  nous  reproduisons   ici,  nous  four 

nira  l'explication  de  cette  indulgence  apparente  :  =  Jc^e^m 
ne  crois  pas  M.  de  Silans  aussi  réprélieusible,  sur  iiiiiiiiim  m\ 
point,  que  de  l'excès  de  zèle  uu  d'ambition  qui  l'aumiW  ^t 
porté  à  accepter  le  commandement  d'un  vaisseau  mal  ^^1 

1.  On  trouvera  dnns  les  considfraiiU  du  jugoment  que  uous  donnoa  .^Kriti 
ci-a|irèH  Un  Saules  àe  manœuvre  que  le  conseil  reprochait  au  ca|illsiae  iIb  ^ÊIu 
Pégate.  Le  conaeil  de  guerre  a  décUré  et  déclare  ledit  kieur  cbenlicr  dM^=ie 
Silans  ddmentaUeiDl  et  convaincu,  premiËremeat:  de  s'£lre  laiwé  alteioirr— ^  i. 
à  portée  de  pistolet,  avant  d'avoir  fait  usage  de  seu  canons  de  retrail<^^B«, 
<li]Oique  le  Foudroyant  tCtl  resté  pendant  plus  de  quatre  heures  dan*  w  »s 
eaux,  manceuvre  qui,  outre  les  avantages  qu'elle  taisait  perdre  au  Pigai^-'  t, 
lui  a  procuré  l'ioconvcnient  i'tlre  réduit  ï  la  m^cessiLé  de  comiuencer  W  Ir 
combat  dans  une  position  déravorable,  «on  adversaire  le  serrant  eu  arrii>r^^^ 
par  la  hanche  du  vent  à  tribord  ;  secondenieot,  d'avoir  noo-Beuleiiienl  cou—  ^i- 

mencé  et  continua  le  coul»t  sani  avoii  placé  lea  grappins,  m  ses  gens  w ■' 

le*  gaillards  et  dunutles  pour  le  service  de  la  niousquelcrie,  mais  in^n=:=>* 
d'avoir,  dans  un  moment  où  il  venait  d'épiouver  la  mise  hors  de  combat  d'cfr^^^- 
viron  un  septième  de  «on  équipage  et  plusieun  avaries  h  son  vaisseau,  ten^^^*' 
iur  ledit  vaisseuu,  le  Fauilroyanl,  un  aturdage  sana  aucune  di'lermioauc=^^^ 
el  sans  préparation  ni  pour  ni  contre  celte  allaquc  ;  d'avoir  cependant,  dair^^< 
ce  dcsuin,  Tait  monter  indialinclenienl  toutes  les  espèces  d'individua.  -  •■ 
compromis  ainsi  la  conservalion  de  son  vaisseau,  soit  on  ciputanl,  d'apr*^^^* 
ton  déhiul  de  précaution,  inconsidérément  el  sans  apparence  d'aranlAt:<-'t,  ^^^"^ 
monde  sur  le  pont,  soit  en  laissant  les  batteries  et  l'intérieur  du  vausct^^^" 
hors  do  défense  par  l'enlùvenieot  des  gens  qui  -j  élaienl  nécessaires  ;  cnB^^^"' 
de  n'avoir  pas  exactement  rempli  les  dispositions  dos  ordonnances  pour  " 

conservation  de  son  vaisseau  et  l'honneur  du  pavillon  do  ll^i,  ajaDl  ^^^*'' 
contraire,  sans  Èln  réduit  à  la  dernière  eitrémilé,  a-nené  son  pavîllM  ^  '  "^ 
rendu  le  Pégast  nu  vaisseau  le  Foudroyant  dans  une  circunslaiioe  où  c^^^^ 
ennemi  n'avait  pas  encore  repris  l'action  depuis  la  tentative  d'abordif*.  -^  "*| 
sans  qu'aucun  des  trois  autres  vaisseaux  de  la  division  anglaise,  qui  t'eî-^-*^ 
élaienl  approchés,  eùl  formé  rallaquc.   Tour  réparation  de  tout  qiwt  ** 

couseII  de  guerre  a  condamné  el  condamne  ledit  sieur  cbftatier  de  Si' 
à  être  interdit  de  toutes  fonclioni  bu  service  do  II  marine,  josqu'à  ca  tf 
plaise  k  iia  Majesté  dt  le  rclevi-r  de  celle  inlerdiclion. 


LIVRE  XI. 
armi^  en  matelots  et  raCme  en  orGciers,  puisqu'un  ensei- 
gne de  vaisseau  de  dix-neuT  ans  commandait  la  première 
batterie.  En  conséiiiiencc,  il  mo  paraît  qu'an  lieu  d'enle- 
ver un  vaisseau  très-supérieur,  comme  il  y  serait  înTail- 
libiemeut  parvenu  par  l'audace  de  ses  manœuvres,  avec 
un  équipage  plus  marin,  il  n'a  rien  fait  pour  la  gloire  du 
pavillon  français,  et  il  a  compromis  la  sienne.  C'est  sur 
cela  que  je  porte  lo  bldme  que  je  prononce  sur  lui,  et 
mon  avis  est  de  l'interdire',  n  Le  Pégase  avait  été  mis  en 
rade  le  1 1  avril,  quoiqu'il  fût,  A  ce  moment,  dans  un  état 
d'armement  très-peu  avancé.  H.  de  Silans  en  avait  pris  le 
commandement  le  13,  et  il  était  parti  de  Brest  le  19.  L-e 
conseil  avait  acquis  la  preuve  que  ce  vaisseau  était,  sous 
le  rapport  du  personnel,  dans  des  conditions  non  pas 
mauvaises,  mais  déplorables.  On  a  vu  qu'un  très-jeune 
enseigne  commandait  la  batterie  bosse.  Les  matelots  et 
les  canonniers  manquant  au  port  de  Brest,  l'équipage  avait 
été  complété  avec  des  hommes  qui  n'avaient  jamais  vu  la 
mer.  Le  Pégase  avait  été  mis  deliors  avec  une  telle  pré- 
cipilalion,  que  les  rdles  de  combat  n'étaient  pas  termi- 
nés, au  moment  oii  il  avait  appareillé.  Or,  il  s'était  battu 
le  30,  c'est-à-dire  le  lendemain  de  son  départ,  contre  un 
vaisseau  armé  depuis  longtemps,  et  qui  était  commandé 
par  un  (les  meilleurs  officiers  de  la  marine  anglaise.  L'issue 
mallicureuse  de  celte  rencontre  avait  été  la  conséquence 
naturelle  de  la  situation  des  deux  vaisseaux.  Les  mem- 
bres du  conseil,  divisés  en  ce  qui  concernait  l'apprécia- 
tion des  manœuvres  faites  avant  et  pendant  le  combat, 
s'étaient  trouvés  d'accord  pour  reconnaître  que  le  com- 
mandant du  Pégase  avait  manqué  gravement  à  son  devoir 
en  n'adressontA  l'autorité  supérieure  aucune  observation 
sur  l'état  de  son  vaisseau.  L'accusation,  elle-même,  s'était 
assoriée  à  cette  manière  de  voir.  Le  capitaine  de  vaisseau 
de  Fautrafi  avait  reproché  très-vivemenl  à  M.  de  Silans  de 
ne  pas  avoir  fait  à  ses  supérieurs  les  représentations  que 

1.  A  «Ik  c'poquc  le»  jugMdonnaienl  Inur  npinion  psr  écrit. 


F 


1 


334  HISTOIRE  l)K  I.A,  MARINE  FRANÇAISE. 

comporlaiL  la  coniposilion  ilc  sod  équipage'.  Les  débals 
avaient  fait  ressortir  clairement  la  part  de  responsabililû 
revenaol  au  commandant  du  port  de  Brest,  dans  le  mal- 
heureux événement  du  20  avril.  La  leçnn  qui  ressort  de  ce 
qui  précède  n'a  pas  perdu  de  sa  valeur.  Les  bdlimenLi  ^ 
envoyés  A  fa  mer  doivent  être  en  mesure,  dès  le  lendp-  — 
main  de  leur  appareillage,  de  faire  honneur  au  pavillon.    _  _ 

On  doit  d'autant  plus  insister  sur  celte  observation,  _^  m 

que,  \q  plus  souvent,  les  officiers  ayant  la  mission  de  pré ^ 

parer  les  forces  navales  no  soni  pas  chargés  de  s'en  scr 

Tir.  On  peut  donc  craindre  qu'ils  ne  se  laissent  aller  h  tai^s  J 
tentation  de  faire  vite,  sans  se  préoccuper  suffisammenr  ^n 
de  faire  bien. 

Le  k  juin,  trenle-deux  vaisseaux,  dont  einq  vaisscau^r  ji 
français,  sortirent  de  Cadix  et  firent  roule  vers  le  NonI  .^tl. 
Le  25,  don  Luis  de  Cordova  eut  l'heureuse  fortune  d»  Me 
rencontrer  un  convoi  allant  d'Anglelerrc  au  Canada,  sou  -^s 
l'escorte  d'un  vaisseau,  de  deux  frégates  eld'un  sloop.  Le^^^s 
bAtimenIs  de  guerre  réussirent  à  s'échapper,  mais  dii^^K- 
huit  navires  de  commerce,  richement  chargés,  tomb{-rci^^' 
cnlre  nos  mains.  En  raison  de  la  supériorité  numérîqu  e 
des  alliés,  les  Anglais  se  tinrent  sur  la  défensive.  Ccppm^- 

dant,  l'amirauté   britannique  voulut  assurer  la  renlr^'^ e 

d'un  riche  convoi  attendu  de  la  Jamaïque.  L'amiral  Hoivc^^. 
chargé  de  cette  mission,  se  porta  au-devant  de  ce  convt^^i 
en  se  tenant  i  l'ouest  de  la  flotte  combinée.  Il  parvint  A I     ** 

rejoindre,  et  il  le  ramena  sain  et  sauf  dans  les  poris  d*li 

lande.  Dans  les  jjremiers  jours  de  juillet,  Lamotte-Pïc  " 
quet  rallia  l'armée  combinée  avec  huit  vaisseaux.  C«5=s'l 

officier  général  prit  le  commandement  d'une  escadre  lé 

gère, composée  de  {'Invincible,  sur  lequel  était  arboré  so^K^ 
pavillon,  du  Robuste,  du  Guerrifr,  du  Protecteur  et  de^^ 
vaisseaux   espagnols    le  Haintr-Vincent,   X'Arrogi 


ilca  rnpréscntnliani  convenable* 
t  rarnioUon   Jci  i^uiptiget. 


ibict  tondituil  l'^^^l 
•   R«quiaiIoire  i^^^^l 


LIVRE  XI. 


Snnifl-  Ysabel  et  le  Santo-Ysidoro.  La  flolte  franco-espa- 
gnole croisait  à  \ingl  lieues  dans  rouest-sud-ouosl 
d'Oucssant,  lorsque,  le  12  juillet,  k  cinq  heures  du  malin, 
le»!  frégates  annoncèrent  une  escadre  ù  grande  distance 
dans  le  nord -est.  Cordova  fil  le  signal  de  chasser  en  route 
libre.  Peu  nprts,  les  bâtiments  avancés  tirent  connaître 
qu'ils  apercevaient  vingt-deux  vaisseaux. 

[.'ordre  Tut  donné  d'attaquer  dès  qu'on  serait  A  portée 
de  canon.  La  supériorité  de  marche  de  l'ennemi  rendit 
toutes  ces  dispositions  inutiles.  Lamotte-Picqiict,  avec 
l'escadre  légère,  se  rapprocha  des  Anglais,  mais  lo  gros 
de  la  flotte  combinée  resta  en  arrière.  A  six  heures  du 
soir,  le  commandant  en  chef,  reconnaissant  l'impossibi- 
lité de  joindre  les  Anglais,  hissa  le  signal  de  ralliement  '. 
A  la  Qn  de  juillet,  don  Luis  de  Cordova  fit  route  pour 
Cadix.  L'escadre  hollandaise  était  sortie  du  Texel,  mais 
elle  n'avait  pas  osé  se  diriger  vers  la  Manche.  Après  une 
courte  croisière  dans  la  mer  du  Nord,  elle  était  rentrée 
sans  avoir  inlligé  de  dommage  à  l'ennemi.  Une  flotte 
marchande,  de  près  de  quatre  cents  voiles,  venant  de  la 
Baltique  avec  une  faible  escorte,  avait  pu  atteindre  les 
ports  d'Angleterre  sans  être  inquiétée.  Le  gouvernement 
bntanni<|ue,  délivre  de  toute  crainte  d'invasion,  résolut 
de  tenter  un  effort  énergique  pour  secourir  Gibraltar. 
Cette  mission  fut  confiée  à  lord  Howc,  ayant  sous  ses 
ordres  les  vice-amiraux  Barrington  et  Milbank.LeU  se|}- 
tembre,  l'armée  anglaise,  forte  de  trente-quatre  vaisseaux, 

1.  l'ti  l'booDear  de  vous  idrpuer  un  précii  At  re  qoi  s'est  paud  duit  II 
chasse(|ueaou*avDn«donn£e,  Icl2i]cce  mois,  à  l'armic anglais,  compasdc 
de  vÎDgl-denx  TauMSUi  de  ligne,  doni  ouzo  &  Irois  ponts  et  sii  Trégales. 
J'ai  hil  humuDemenl  toat  ce  qu'il  a  été  possible  pour  l'f  ngafcer,  sa  ritqne 
d'êlro  éttAti  ou  pris,  niais  le  tout  inutikoieDl  ;  l'armée  cunibinâ«  était  au 
moins  A  deux  lieues  de  nous,  et  une  graode  partit'  beaucoup  plot  éloignie. 
Si  elle  avait  mieux  marché,  la  marine  anglaise  était  anéantie  en  wm  mers. 
Quelle  journée,  Monseigneur,  nous  avons  manquée  par  la  pesanteur  des 
vai-iwcani  espagnol*  I  Ko*  ofOciert  et  nos  é4{uipages  témoignaient  la  plus 
grande  ardeur,  et  je  regretterai  toute  ma  vie  de  n'avoir  pu  en  faire  usage. 
(Lettre  de  Laniotte<Pici|uet  du  14  juillrt  \'iWl,  ft  douze  milles  dans  le  9iid 
du  cap  Lâiard.J 


J 


336  HISTOIRE  DE  LX  MARINE  FRANÇAISE, 

mit  SOUS  voiles.  Elle  escorlait  une  floUe  de  transports 
chargùc  de  vivres  et  de  munitiODs.  Des  troupes,  destinée 
A  ronrorcer  la  garnison,  élaieot  réparties  sur  les  vaisseaoi 
cl  sur  les  bdlimcnts  du  coDvoi.  Don  Luis  de  Cordon, 
arrivé  le  b  septembre  à  CadiXj  en  était  reparti,  le  9,  pour 
se  rendre  &  Algi^siras.  Il  tn>u\-a  sur  cette  rade,  oùf 
mouilla  le  12,  huit  vaisseaux  espa^ols  et  deux  ni- 
seaux  français.  Ces  renforts  élevèrent  la  force  de  l'atiM 
r4>mbîi)î-e  A  quuranlc-neuf  vaisseaux,  treole-cînq  tsft 
{rnols  ol  quatorze  français. 

Depuis  la  prise  tle  Minorque,  la  nation  espagnole o'anit 
vu  dans  la  guerre  engagée  avec  l'Angleterre  d'autre  bot 
h  iioursuivre  que  la  conquête  de  Gibraltar.  Toutes  h 
ressources  des  arsenaux  avaient  été  mises  à  ta  dispos- 
lion  du  nouveau  commandant  en  chef.  L'armée,  réunit 
au  camp  de  Saint-Roch,  était  forte  de  quarante  mill* 
hommes,  sur  lesquels  on  comptait  dix  mille  Françaé. 
Depuis  son  itrrivée,  le  duc  de  Crilloo  avait  ilooné  aui 
opérations  une  impulsion  énergique.  De  nombiruî^ 
batteries  de  canons  et  de  mortiers  avaient  été  établies,  fl 
les  assiégeants  avaient  fait  subir  à  la  place  plusieun 
bombardements.  Néanmoins,  les  résultais  obteo  us  jusque- 
là  pouvaient  être  considérés  comme  nuls.  Il  est,  itai)- 
leurs,  facile  de  se  rendre  compte  des  difficultés  de  crilf 
entreprise.  Le  duc  de  Grillon  ne  faisait  pas  le  siège* 
Cibrallar;  la  nature  des  lieux  ne  le  lui  permettait  [«=■ 
Tous  SCS  efforts  se  portaient  sur  le  front  nord,  nousM 


pTLSqu'ilfi  se  Icnninc  par  un  cap  appelé  Pointe  d'Europe. 
Elle  esl  limitée,  du  côlé  de  la  Méditerranée,  par  un  roc 
coupé  &  pic.  C'est  sur  le  versant  occidental  que  se  trouve 
lu  ville.  Au  commencement  de  1782,  celle-ci  était  presque 
cnti(:rcment  détruite,  mais  cette  situation  n'avait,  au 
point  de  vue  mililairc,  aucune  imporlAnce.  II  existait  sur 
la  montagne,  à  dilTérentcs  hauteurs,  des  camps  retranclics 
dans  lesquels  la  garnison  avait  des  abris  assurés.  La 
presqu'île  de  Gibraltar  est  un  des  côtés  d'une  vaste  baie 
découpée  dans  les  terres  du  sud  de  l'Espagne.  Sur  la  côte 
occidentale  de  la  baie,  se  trouve  Algésiras,  qui  fait  face 
à  GiliraKar.  La  Pointe  d'Europe  n'est  pas  très-élevée,  mais 
en  avançant  vers  le  nord,  la  hauteur  du  sol  augmente 
rapidement.  A  l'extrémité  de  la  presqu'île,  elle  atteint  de 
trois  h  quatre  cents  mètres.  Les  baticrics  anglaises  éle- 
vées sur  ce  point  Taisaient  un  feu  plongeant  sur  le  camp 
espagnol.  Un  ne  croyait  pas,  à  Madrid,  qu'il  fût  possiblo 
de  prendre  Gibraltar  en  l'attaquant  du  côté  de  la  terre. 
Les  deux  sièges  de  1705  et  de  1J27  ne  laissaient  sur  ce 
point  aucune  espérance.  D'autre  part,  il  semblait  douteux 
que,  même  en  sacriliant  une  escadre,  on  pût  agir  par  mer 
avec  des  cbances  sérieuses  de  succès.  Un  officier  français, 
le  colonel  du  génie  d'Arçon,  après  avoir  mûrement  étudié 
ce  problème,  soumit  à  l'examen  du  gouvernement  espa- 
gnol les  plans  de  batteries  flottantes  propres  &  remplir 
cet  objet.  Ces  batteries,  disait-il,  n'avaient  à  redouter  ni 
le  danger  de  couler,  ni  celui  de  brûler.  Le  colonel  don- 
nait à  la  quille  et  aux  fonds  de  sea  bâtiments  une  très- 
grande  épaisseur.  Il  les  rendait  impénétrables  aux  boulets 
en  les  entourant  d'une  muraille  de  bois  et  de  liège  recou- 
verte de  cuir  vert.  Dans  l'épaisseur  de  la  muraille  se 
trouvait  ménagé  un  espace  rempli  de  sable.  A  la  distance 
de  Gibraltar  où  il  supposait  que  seraient  mouillées  les 
baderies  ilottanles,  les  boulets  devaient  s'arrêter  Â  deux 
pieds  des  murailles  intérieures.  Un  toit  incliné,  fait  h 
l'aide  d'une  forte  charpente  recouverte  d'un  lit  de  vieux 
cordages,  mettait  les  batteries  à  l'abri  de  la  bombe. 


888  HISTOmB  DE  Lk  MABINB  FRANÇÂISB. 

tfa  système  de  caaaux,  communiquant  tee  uns  arec  les 
antras  et  s'entre-croisant,  taravorsait  la  muraille  exté- 
rieure dans  toutes  ses  parties.  Tous  ces  canaux  Tenaient 
aix»utir  à  une  sorte  de  réservoir,  placé  au  sommet  du 
bUndage,  et  dans  lequel  les  .pompes  éleTaient  Tean  néces- 
saire à  la  circulation  |[én#itle.  Ces  damières  disposi- 
-tikms  avaient  pour  but  de  rendre  les  batteries 
incombustibles.  Les  propositions  du  colonel  d'J 
étato[it  trop  en  dehors  des  idées  reçues  pour^  ne 
soulever  une  très-vive  opposition.  Le  gouveruMMat 
pagnol,  après  avoir  hésité  longtemps,  se  décida,  au  mou 
de  février  1782,  à  les  adopter.  Le  Roi,  qui  s'occiq»it 
un  soin  particulier  des  afflakes  militaires,  ne  Ait 
étranger  à  cette  détermination ^  Au  lieu  de  commencr^  m 

1.  Le  eoloDel  d^Arçoa  himi  reposer  récoiioiiiie  de  iod  projet  m  lee 
dpei  aniraiiU  :  1*  lee  plus  forte  calibrée  ooiaiis,  djeyt41  dau  «  de 
MÉriniree,  aoBt  impoiesaats  oontre  cinq  piede  d'épaieeear  tm  d«  bok 
paetet  di^oeé joiatÎTemeat 

3*  Lee  boîs  coatiaaeUeaieat  eatreteaue,  haaieetée  jaeqa'an  degré  de 
aiereioB  tbtale,  Bepeaveait  penaettre  aacaa  [^ogrée  d'âiceadie, 


3*  n  existe  saas  doute  telle  composition  cliimi<ioe  qui  brûlera 
l*eau  même  et  qui  fera  brûler  quelques  parties  des  bois  qu'elle  touch 
immédiatement,  mais  jusqu'à  consommation  de  la  composition  seulemc!^  -^l^ 

après  quoi  la  nature  reprend  son  cours  ordinaire  et  Ton  ne  verra  auc on 

progrés  d'incendie  sur  les  bois  imbibés  par  abandonnance. 

4*  Il  ne  faut  plus  rien  prévoir  à  la  guerre,  si  Ton  ne  veut  pas  adopter 
principe  que  six  pièces  d'artillerie  en  feront  taire  une  dans  tous  les 
est  bien  entendu  que,  pour  que  cette  machine  puisse  être  adoptée  dans  to 
sa  force,  il  faut  que  toutes  choses  soient  égales  de  part  et  d'autre,  relativcm 
à  la  sécurité  des  hommes  employés  au  service  de  Tartillerie.  Or,  dans  le 
présent,  la  proportion  de  supériorité  eût  encore  été  fort  augmentée  en  ~ 
de  l'artillerie  attaquante,  puisque  celle-ci  devait  exercer  ses  effets  sur 
espace  découvert  où  les  masures  à  demi  semées  eussent  multiplié 
ravages  de  quatre-vingt-dix  mortiers  et  de  troit<  cents  pièces  de  canons. 

5*  Un  assaut  exécuté  sous  la  protection  de  quatre  cents  bouches  à  f<g^J^> 
une  fois  maltresses,  tous  obstacles  fortiûant  étant  effacés,  n'est  pas  mé     ^' 
un  assaut  et  n'est  qu'une  prise  de  possession  sans  coup  férir.  Tels  sont 
axiomes  d'où  l'inventeur  est  parti.  Ce  sont  ou  des  faits  éprouvés  on 
vérités  de  tous  les  temps.  On  lit  dans  un  des  mémoires  du  colonel  d'Arv^         . 
paru  à  Madrid  le  26  novembre  1782  :  «  Batteries  flottantes  insubmersibles         ^ 
incombustibles.  »  La  première  de  ces  propriétés  devait  s'obtenir 
manière  fort  simple  en  préservant  les  carènes  des  batteries  par  la  snréj 
aeur  de  bois  employé  en  redoublement.  A  l'égard  de  l'incombustiiNlr 
Pauteur  annonça  sans  mystère  et  sans  prétention  qu'on  l'obtiendrait 


i 


LIVRE  XI.  339 

inimédialcment  les  travaux,  le  minisire  de  la  marine  ne 
donna  qu'à  la  un  du  mois  de  mai  les  ordres  nécessaires 
pour  la  transformation  de  dix  bâtiments  de  charge  en 
batteries  flottantes.  Le  colonel  avait  demandé ,  pendant 
qu'on  discutait  ses  plans,  que  les  bois  nécessaires  à  l'opé- 
ration fussent  réunis.  Il  faisait  observer  que  ces  bois 
pourraient  toujours  être  utilisés,  alors  même  qu'on  re- 
jetterait ses  propositions.  Ce  conseil  si  sage  n'avait  pas 
été  suivi.  Dans  les  premiers  jours  de  septembre,  les  bat- 
teries flottantes  furent  presque  complètement  terminées. 
Un  premier  essai  de  l'arrosage  continu  ne  donna  pas  de 
résultats  satisfaisants.  Soit  que  le  calfatage  eût  été  mal 
fait,  ou  qu'il  existât  quelque  défaut  dans  la  construc- 
tion, l'eau  filtrait  à  l'intérieur  des  bâtiments.  Le  désir  de 
commencer  le  bombardement  de  Gibraltar  était  tel, 
au  camp  de  Saint-Roch,  que  le  duc  de  Grillon  ne 
voulut  pas  accorder  les  délais  nécessaires  pour  achever 
les  travaux.  Il  décida  que  les  batteries  flottantes  servi- 
raient dans  l'état  où  elles  se  trouvaient.  Les  conduits 
intérieurs  furent  bouchés,  et  on  ne  conserva  que  l'arro- 
sage superficiel.  Gette  décision  enlevait  aux  batteries 
flottantes  la  plus  grande  partie  de  leur  valeur  militaire. 
Le  colonel  d'Arçon  ne  se  laissa  pas  aller  au  décourage- 
ment. Il  crut  que,  même  dans  ces  conditions,  les  nou- 
veaux bâtiments  pourraient  rendre  de  grands  services. 
Enfin,  il  pensa  que,  si  une  première  expérience  n'était 
pas  favorable,  on  se  hâterait  de  les  retirer  du  feu.  En  ce 
cas,  il  aurait  la  liberté  de  revenir  à  ses  premiers  plans  et 
le  temps  de  les  exécuter.  La  marine  espagnole  montrait 
la  plus  grande  confiance  dans  les  nouveaux  bâtiments,  et 
la  plupart  des  officiers  briguaient  l'honneur  de  les  com- 


Tantidote  ordinaire  du  fen,  en  déterminant  la  présence  active  de  l*eau  par 
une  circulation  générale  dans  toutes  les  parties  des  bois  exposées  à  Tat- 
touchemcnl  et  à  la  pénétration  des  boulets  rouges.  11  était  question  de  pro- 
duire une  expansion  artificielle  équivalente  à  Timmersion  totale  des  bois. 
De  là  résultait,  après  expérience  faite,  que  leurs  fibres,  toujours  imbibées 
par  abondance^  s'opposaient  à  toute  espèce  de  progrès  d*incendie. 


340  HISTOIRE  DE  LA  MAHINB  FRANÇAISE, 

mander.  Elles  formaient  une  division,  composée  ainsi 
qu'il  suii:  Paslor a,  Talla  Piedra,  la  Pau/a  PWnirt,flosario, 
San  Christoval,  Principe  Carlos,  San  Juan,  Paula  Secunda, 
Sunta  Anna,  Dolores.  Le  nombre  total  des  canons  s'éle- 
vait à  cent  cinquante-deux,  du  calibre  de  vingt-six,  et 
tous  disposés  d'un  seul  bord'.  Ces  dix  bâtiments  étaient 
placés  sous  le  commandement  |  du  conire-amiral  Mo- 
rcno.  Cet  officier  général  reçut  du  duc  de  Grillon,  dans  la 
soirée  du  12  septembre,  l'ordre  d'attaquer  Gibraltar  le 
lendemain.  Le  duc  le  prévenait  qu'il  avait  les  pouvoirs 
nécessaires  pour  le  démonter  de  son  commandement,  s'il 
n'obéissait  pas.  Le  contre-amiral  Morcno  éprouva  une 
extrême  surprise  en  recevant  cette  communication.  Il  ne 
croyait  pas  que  le  moment  fût  venu  de  conduire  ses  bâ- 
timents au  feu.  Les  préparatifs  n'étaient  pas  complètement 
terminés,  et  il  n'avait  établi  aucune  entente  avec  la  flotte 
combinée  qui  avait  mouillé  le  même  jour  sur  la  rade.  En 
présence  des  instructions  impératives  du  commandant  en  j 
chef,  il  déclina  la  responsabilité  de  l'événement  et  il  se  s 
disposa  à  appareiller. 

La  ligne  de  forliflcation  du  front  nord  de  Gibraltar,  k-i 
laquelle  faisait  face  l'armée  espagnole,  se  reliait  A  une  « 
muraille  qui  bordait  la  côte  occidentale  de  la  presqu'île. 
Sur  cette  muraille,  épaisse  de  quinze  pieds,  étaient  placées,  . 
de  dislance  en  dislance,  des  batteries  tirant  &  fleur  d'eau. 
Une  seconde  ligne  de  fortifications  s'élevait  au-dessus  de 
la  première.  Deux  mules,  terminés  pardes  ouvrages  puis- 
samment armés,  s'avançaient  au  large.  Le  vieux  mule, 
situé  le  plus  au  nord,  était  à  un  mille  et  demi  environ  du 
môle  neuf.  Dans  un  projet  soumis  au  duc  de  Grillon  par 
le  colonel  français,  les  batteries  flottantes  prenaient  jio- 
sition  dans  le  nord  du  vieux  môle.  Elles  battaient  de 
front  les  ouvrages  que  les  lignes  de  Saint-Roch  prenaient 
à  revers.  Le  colonel  avait  indiqué,  sur  un  plan,  le  poste 


LIVRE  XI.  341 

de  chaque  navire.  Trente  onnonnif^res  et  autant  de  bom- 
bardes, réunies  à  Algésiras,  devaient  appuyer  l'attaque. 
Enfin,  les  vaisseaux  Taisaient  une  diversion  en  canonnant 
un  point  de  la  cûte  désigné  par  les  amiraux.  Les  assié- 
geants auraient  disposé  de  trois  cent  quatre-vingt-dix- 
huit  bouches  A  Teu,  savoir  :  de  cent  cinquante-deux  pièces 
provenant  des  batteries  flottantes,  de  cent  quatre-vingt- 
six  pii'ces  de  l'attaque  de  terre,  de  trente  pièces  des  ca- 
nonnières et  des  trente  mortiers  des  bombardes.  En  sup- 
posant les  batteries  flottantes  mouillées  aux  postes  qu'il 
avait  indiqués,  le  colonel  estimait  que  les  Anglais  ne 
pourraient  nous  opposer  que  quatre-vingt-six  pièces. 
Avec  une  différence,  en  notre  faveur,  de  trois  cent  douze 
canons,  il  était  convaincu  que  notre  feu  acquerrait  promp- 
tement  une  très-grande  supériorité  sur  celui  des  Anglais, 
Le  13  septembre,  à  huit  heures  du  matin,  les  vents  étant 
au  nord -nord-ouest,  les  batteries  tlottantes  se  dirigèrent 
vers  Gibraltar.  La  Pasiora,  portant  le  pavillon  du  contre- 
amiral  Moreno,  mouilla,  vers  neuf  heures,  par  le  travers 
du  bastion  du  Roi,  un  peu  au  sud  du  vieux  môle'.  Quatre 
batteries  mouillèrent  au  sud  du  b&tinient  amiral,  et  cinq 
au  nord.  Ces  dernières  se  trouvaient  à  la  hauteur  du  vieux 
mule.  Les  bâtiments  espagnols  étaient  sur  une  ligne  dis- 
tante de  terre  d'environ  mille  &  douze  cents  mètres.  La 
Talla  Piedra  que  commandait  le  prince  de  Nassau,  et  sur 
laquelle  se  trouvaille  colonel  d'Arçon,  était  la  plus  rap- 
prochée de  l'ennemi.  Quatre  cents  hommes,  appartenant 
aux  troupes  françaises,  étaient  embarqués  sur  les  batte- 
ries flottantes.  Vers  dix  heures,  celles-ci  ouvrirent  le  feu 
sur  les  forts  de  Gibraltar.  Les  lignes  de  Saint-Roch  avaient 
commencé  à  tirer  A  huit  heures  du  matin.  Soit  qu'ils 
n'eussent  pas  reçu  d'ordres  suflisammeut  précis,  soit 
pour  toute  autre  cause,  les  capitaines  espagnols  n'occu- 

1.  Le  bulion  du  Roi  était  plsc^  au  centre  de  la  strcoDdc  ligne  de  ToKiO- 
calions.  La  première,  «inii  qae  nou»  l'avons  dit  plus  haut,  coniislail  en 
baUcries  mianlefl  établies  sur  la  muraille  qni  boidait  le  litlonl  ouest  de 
la  prc»qu'ile  de  liibniltu'. 


342  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

paient  pas  les  postes  que  Tingénieur  français  avait  indi- 
qués dans  son  plan  d'attaque.  Au  lieu  de  se  concentrer  au 
nord  du  vieux  môle,  ils  s'étaient  placés  sur  une  longue  ligne 
dont  Textrémité  sud  se  rapprochait  du  môle  neuf.  La  po- 
sition prise  par  nos  alliés  entraînait  deux  conséquences 
également  fâcheuses.  D'une  part,  le  nombre  des  bouches  ^^^ 
à  feu  ayant  vue  sur  les  batteries  flottantes  devenait  plus  ^m 
considérable,  et,  d'autre  part,  les  bâtiments  éloignés  du  mim-  ji 
vieux  môle  perdaient  l'appui  des  lignes  de  Saint-Roch.  Le^>.^< 
manque  absolu  de  direction  apparut  dès  le  début  de  la^^  Mb 
journée.  Quelques  bombardes  se  mirent  en  mouvement,^  M  jf, 
mais  elles  retournèrent  presque  immédiatement  à  Algé—^^^^ 
siras.  Les  canonnières  ne  s'approchèrent  pas  de  Gibral — Mil- 
tar,  et  l'escadre  combinée  resta  au  mouillage  ^ 

Les  projectiles  de  l'ennemi  restèrent  impuissants  contre ^ttc 
les  murailles  des  nouveaux  bâtiments.  Les  coups  d'em — 
brasures  furent  les  seuls  qui  atteignirent  les  équipages 
Pendant  quelques  heures,  les  boulets  rouges  ne  causèren 
aucun  mal.  Dans  l'après-midi,  un  commencement  d'incen-^c"«" 
die  se  déclara  à  bord  de  la  Pastora  et  de  la  Talla  Piedra.  ^^e^- 
Les  équipages,  malgré  leurs  efforts,  ne  parvinrent  pas  âS^  ^ 
s'en  rendre  maîtres.  A  trois  heures,  le  capitaine  de  \^e^  ^^ 
Talla  Piedra  ralentit  son  feu,  et,  à  cinq  heures,  il  le  cessa^ 
Le  prince  de  Nassau  expédia  une  embarcation  pour  d( 
mander  que  son  bâtiment  fût  conduit  hors  de  portée  d( 
canon'.  Ne  recevant  aucun  secours,  il  voulut  s'éloignei 
par  ses  propres  moyens,  mais  il  ne  put  réunir  un  nombre 
de  matelots  suffisant  pour  porter  une  ancre  au  large.  Les 


1.  1^8  relations  espagnoles  disent  que  l'état  de  la  mer  ne  permit  pas  aux 
chaloupes  canonnières  d  appareiller.  Telle  n'était  pas  Topinion  du  colonel 
d'Arçon,qui  écrivit  sur  ce  sujet  :  «  La  mer  n'était  pas  trop  forte  iK>ur  les  cha- 
loupes canonnières,  puisifue  quelques-unes  appareillèrent  en  même  temps 
que  les  batteries  flottantes  et  les  accompagnèrent  jusqu'au  détroit.  On 
remarquera  également  que  l'une  des  bombardes  seulement  jeta  quelques 
bombes  dans  la  journée  du  13,  comme  pour  établir  la  preuve  que  les  autres 
auraient  pu  en  faire  autant.  » 

2.  Lo  colonel  d'Arçon  déclare  dans  ses  mémoires  qu'il  n'existait  (»a5  dr 
signaux  de  convention  entre  les  batteries  et  Algésiras. 


LIVRE  XI.  343 

lignes  (le  Saint-Roch  avaient  cessé  de  tirer  à  cinq  heures 
du  soir*.  C'était  compromettre  inutilement  les  batteries 
que  de  les  laisser  seules  exposées  au  Teu  des  Anglais.  Leur 
retraite  élait  donc  commandée,  non-seulement  par  Tétat 
dans  lequel  se  trouvaient  la  Pastora  et  la  Talla  Piedra^ 
mais  parla  situation  militaire  elle-même.  Après  les  fautes 
(|ui  avaient  été  commises  dans  cette  journée,  les  assié- 
geants devaient  s'estimer  heureux  que  la  partie  ne  fût 
pas  complètement  perdue.  En  s'éloignant  promptement 
du  champ  de  bataille,  il  n'y  avait  dans  la  situation  rien 
qu'il  ne  fût  possible  de  réparer.  La  position  des  batteries 
flottantes  et  les  demandes  de  secours  adressées  par  quel- 
ques capitaines  causèrent  le  plus  grand  trouble  à  Al- 
gésiras.  Les  instructions,  prescrivant  au  contre-amiral 
Moreno  d'attaquer,  étaient  arrivées  si  inopinément  qu'au- 
cune disposition  n'avait  été  prise  en  vue  de  ramener  les 
batteries  en  arrière.  Perdant  tout  espoir  de  les  retirer  du 
feu,  et  craignant,  d'autre  part,  de  les  abandonner  à  l'en- 
nemi, les  autorités  espagnoles  donnèrent  l'ordre  de  les 
évacuer  et  de  les  brûler. 

A  deux  heures  du  matin,  douze  chaloupes  canonnières 
sortirent  de  Gibraltar.  Chacune  d'elles  portait ,  sur  son 
avant,  un  canon  de  vingt-quatre  ou  de  dix-huit.  Après 
avoir  pris  position  au  sud  de  la  ligne  d'em bossage,  le 
capitaine  de  vaisseau  Curtis  fit  ouvrir  le  feu  sur  les 
batteries  flottantes.  Les  premiers  coups  de  canon  produi- 
sirent, à  bord  des  bAtiments  espagnols,  des  scènes  de 
confusion  indescriptibles.  Le  personnel,  composé  presque 
entièrement  de  soldats  empruntés  a  l'armée  assiégeante, 
n'avait  pas  le  sang-froid  nécessaire  pour  aflTronter  une 
semblable  situation.  Parmi  les  embarcations  venues  pour 
procéder  à  l'évacuation,  quelques-unes  furent  prises,  les 
autres  s'enfuirent  vers  Algésiras.  Une  chaloupe  coula,  et 


1.  D'Arçon  afOrme  que  les  munitions  avaient  manqué  à  cinq  heures  du 
soir,  d  où  la  nécessité  de  cesser  te  feu.  11  ajoute  que  le  tir  des  Espagnols 
avait  été  mauvais.  Quant  aux  lignes^  elles  avaient  peu  souffert. 


344  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

des  quatre-vingts  personnes  qui  la  montaient,  treize  seu- 
lement réussirent  à  gagner  la  terre.  Les  halteries  brû- 
laient, el,  sur  plusieurs  d'entre  elles,  il  y  avait  encore  une 
partie  de  l'équipage.  Les  Anglais  montrèrent  dans  cette 
circonstance  des  sentiments  d'humanité  qu'on  ne  saurait 
trop  louer.  OITiciers  et  matelots  coururent  les  plus 
grands  dangers  pour  arracher  ces  malheureux  à  une 
mort  certaine.  Une  chaloupe  canonnière  anglaise  fui  ^ 
coulée  par  des  débris  provenant  de  l'explosion  d'une  des 
batteries.  Une  pièce  de  bois  perça  l'emburcalion  dans  In — ^ 
quelle  était  le  capitaine  de  vaisseau  Cnrtis.  Le  patron  ef  ^^kI 
plusieurs  matelots  furent  tué».  Les  Anglais  sauvèren  .mr^it 
trois  cent  cinquante-sept  personnes,  au  nombre  desquelte:  =;^aKs 
se  trouvaient  vingt-neuf  blessés  dont  un  officier.  Deii"  -^cj\ 
batteries  flottantes  sautèrent  pendant  la  nuit,  et  les  hur  ^^it 
autres  dans  la  journée  du  lendemain.  Telle  fut  la  fi 
d'une  entreprise  sur  laquelle  l'Espagne  fondait  les  plu 
grandes  espérances. 

La  victoire  des  Anglais  eut  un  retentissement  d'aula 
plus  grand,  que  toute  l'Europe  avait  les  yeux  fixés  s 
Gibraltar.  Deux  princes  français,  le  comte  d'Arloîs  et  I 
prince  de  Bourbon,  étaient  dans  les  rangs  de  l'armée  as 
siégeante.  Enfin,  la  plupart  des  puissances  neutres  avaiei" 
envoyé  des  officiers  de  marque  au  camp  deSaint-Roch.  l- — — * 
gouvernement  espagnol  put  mesurer  la  portée  de  la  faul^^  '"^ 
qu'il  avait  commise  en  perdant  un  temps  précieux  a  -^" 
commencement  de  l'année  3782'.  Si  la  construction  def^'^^^^ 
batteries  flottantes  avait  été  terminée  quelques  moisplu.^*^* 
tôt,  on  doit  supposer  que  le  duc  de  Grillon  aurait  per — ^" 

1.  Le  projet  tat  adopté  en  Mvrief  1783,  maU  on  no  mil  la  main  1  roni»r  -"*  i 
que  vers  la  lin  de  mai.  Les  préparalioiu  étaient  imnienM's.  cl  la  Do  il  ^!^M 
mois  de  eepteniliro  étant  regardée  comme  une  époque  n^cnuaire,  il  blli^^^  H 
rega^or  le  tempn  perdu,  h  force  do  dé|ien»es  et  de  célérité  et  par  une  adr  ^~  | 
vite  qui,  pouMée  à  l'eicés,  ne  pouvait  que  dirUcitemenI  h  concilier  aft»"^ 
tes  loini  qu'exigeait  In  précision  dci  délaila.  Ainsi  te  passèrent,  dana  n»-^* 
octiTiM  dirOcilc  i  peindre,  lotmoi»  de  Juin,  juillet  et  audl,  à  ta  InniTortna — 
lion  de  dix  vataseaux  do  charge  en  baLterie*  flolUintes,  laquelle  cxixe»*' 
deu\  cent  mille  pieds  ciihen  du  liois  mis  en  luuïrc.  (Rapport  de  d'Afïun.] 


à 


LIVRE  XI.  345 

mis  il  l'in^'énieur  rrançais  de  corriger  les  imperrections 
fjui  s'étaient  manifestées,  après  la  première  expérience, 
lians  le  système  de  l'arrosage  continu.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  est  diriicile  de  comprendre  que  le  duc  de  Grillon  n'ait 
pas  donné  au  colonel  d'Arçon  le  temps  d'achever  son 
«ruvre.  Le  commandant  de  l'armée  espagnole  se  préoc- 
ciip(iit-il  de  la  saison  qui  avançait,  ou  de  la  prochaine 
arrivée  d'une  escadre  anglaise,  chargée  de  ravitaillrr  la 
fnrtercï^se?  Outre  que  la  possession  de  bâtiments  n'ayant 
rien  h  redouter  des  hoiilets  rouges  valait  bien  quelques 
sacrifices,  le  duc  de  Grillon  no  se  serait  exposé  &  aucun 
risque  en  dîfTérant  l'attaque  de  Gibraltar  par  mer.  Il  était 
très-sûr  de  trouver,  à  la  fin  de  septembre,  et  même  dans 
le  mois  d'octobre,  des  temps  favorables  pour  celle  opéra- 
lion.  D'autre  part,  la  présence  des  escadres  de  Gordova  et 
de  Guichcn  faisaitdisparallre  toute  crainte,  àl'endroitde 
la  marine  britannique.  Enfin,  en  supposant  les  batteries 
flullanlcs  livrées  à  elles-mêmes,  par  suite  de  t'éloigne- 
mentde  la  flotte  franco-espagnole,  elles  n'auraient  couru 
aucun  danger.  Embossées  i^  Algésiras,  sous  la  protection 
de  la  lerrc,  elles  eussent  défié  les  efforts  de  l'escadre  at- 
tendue d'Angleterre.  Le  colonel  d'Arçon  aurait  probablfr- 
menl  été  Irès-heureux  que  l'ennemi  voulût  faire  celte  ex- 
périence. Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  le  duc  de  Gril- 
lon, en  ne  permettant  pas  l'exéculion  complète  des  plans 
du  colonel  français,  n'avait  obéi  à  aucun  raisonnement 
maritime  ou  militaire. 

Les  Espagnols  auraient  dû  se  servir  avec  d'autant 
plus  de  ménagements  de  l'instrument  de  guerre,  remis 
entre  leurs  msins  par  le  colonel  d'Arçon,  que,  depuis 
1779,  ils  cherchaient,  sans  le  trouver,  un  moyen  d'agir 
contre  Gibraltar.  Ce  ne  fut  pas  ainsi  qu'ils  comprirent 
la  situation.  Nous  avons  vu  que  le  duc  de  Grillon  avait 
envoyé,  de  son  camp  dé  Saint-Roch,  au  conlre-amiral 
Moreno,  l'ordre  impéralif  d'attaquer  Gibraltar.  Les  chefs 
de  la  marine  espagnole  n'avaient  pas  été  consultés,  et 
il  n'existait  aucune  entente  entre  les  dilTérents  services 


T^-P 


HISTOraE  DE  LX  MARINE  FRANÇAISE. 
appelés  à  donner  leur  concours  à  cette  iniportaDle  opé 
ration.  Enfin,  il  n'avait  élé  fait  aucun  préparatif  pour 
ramener  à  Algésiras  des  bdUtnenls  qui  n'avaient  pas 
encore  été  expérimentés  et  qui  allaient  au  Teu  pour  la 
première  Tuis.  Lorsque  le  capitaine  de  vaisseau  CurlJs 
sortit  de  Gibraltar,  il  put  impunément  s'approclier  des   ^ 

batterieB  flottantes.    Douze  chaloupes  canonnières  an 

glaises  furent  complètement  maltresses  du  champ  de?:^ 
bataille.  Pendant  ce  temps,  trente  chaloupes  canonnië — - 
res  espagnoles  attendaient  des  ordres  au  niouillag^-^ 
d'Algésiras.  Les  Anglais  s'étaient  bien  conduits,  el  cepen-  .m- 
dantilsauraientpu, sans  courir  aucun  risque,  se  montres^ 
plus  audacieux.  Si  le  capitaine  Curtis  était  sorti  quelque: 
heures  plus  tôt,  il  se  serait  emparé  de  plusieurs  batterit- 
qu'il  eût  emmenées  sans  dinicullé  â  Gibraltar. 

Après  cet  échec,  ou  pour  parler  plus  exactement,  aprè 
ce  désastre,  l'œuvre  de  d'Arçon  fut  très-vivement  attaquée 
Beaucoup  de  gens  déclarèrent,  comme  il  arrive  le  pli^c^-Js 
souvent  en  pareil  cas,  qu'il  n'avaient  jamais  eu  confiancL-^w 
dans  les  nouveaux  bâtiments.  Le  mérite  de  l'ingénieuMK  r, 
ses  elTorts,  sa  constance  à  poursuivre  ses  travaux  a  — *u 
milieu  des  contrariétés  de  toutes  sortes,  son  rûle  le  13  sej^*"^ 
lembre,  tout  fut  oublié.  Le  colonel  serait-il  parvenu  ^ 
rendre  les  batteries  flottantes  incombustibles?  Il  esl  dif^*' 
flcilc  de  le  dire,  mais  il  n'est  pas  nécessaire  d'être  fixé  suj^"" 
ce  point  pour  juger  la  conduite  du  commandant  de  l'ar  "^ 
mée  espagnole.  Quelle  était  la  valeur  des  batteries  flot  -~ 
tantes  lorsqu'elles  furent  envoyées  au  feu?  Telle  esl  I  ^ 
question  qu'il  s'agit  d'examiner.  Le  colonel  d'Arçon  nM 
quitta  la  Talla  Piedra,  sur  laquelle  il  s'était  embarqué,  qutf 
vers  une  heure  du  matin.  Il  raconte  ainsi  qu'il  suit,  dan^ 
un  de  ses  mémoires,  ce  qui  se  passa  sur  ce  bâtiment  ; 
V  V.s.TaUa  Piedra  fut  embosséc  avant  dix  heures  du  matin. 
Le  feu  de  cette  batterie  commença  immédiatement.  Celui 
de  l'ennemi,  très-vif  et  très-nombreux,  fut  pourtant  ralenti 
vers  midi.  Le  nôtre  fut  soutenu  \ivemenl  jusque  vers 
trois  heures  du  soir.  Les  progrès  de  l'incendie  étaient 


LIVRE  XI.  347 

forl  lents.  Ce  n'était  toujours  que  le  même  boulet  dont  la 
rumée  se  manirestait  par  le  trou  extérieur  et  successive- 
ment parles  joints  intérieurs;  mais  cet  état,  très-aisément 
remédiable  en  s'éloignantdu  feu  de  la  place,  dura  plus  de 
six  heures,  et  l'incendie  même  ne  se  déclara  irrémédiable 
€]u'après  minuit.  Les  neufaulres  balieries,  beaucoup  moins 
pressées  du  feu  de  l'ennemi  et  plus  éloignées  de  la  place, 
pouvaient,  à  plus  forte  raison,  s'éloigner  et  se  réparer.  La 
retraite  était  nécessaire  pour  toutes  et  il  fallait  l'exécuter. 
Cette  retraite  prévue  et  très-facile  à  exécuter,  et  qui  deve- 
nait d'autant  plus  nécessaire,  puisque  la  position   était 
manquée  et  que  tous  les  auxiliaires  et  accessoires  per- 
sistaient dans  un  abandon  mortel ,  cette  retraite  ne  fut 
pas  même  tentée.  L'ordre  fut  donné  de  les  évacuer  et  de 
les  incendier.  »  Au  moment  où  les  lignes  de  Saint-Roch 
avaient  cessé  de  tirer,    c'est-à-dire  à  cinq    heures  du 
soir,  deux  batteries  étaient  atteintes  d'une  manière  assez 
sérieuse,  une  troisième  très-légèrement,  et  sept  étaient 
intactes.  Si  la  Pastora  et  la  Talla  Piedra  avaient  été  reti- 
rées du  feu  dans  la  soirée,  elles  auraient  été  inévitable- 
ment sauvées.  Il  convient  en  outre  de  faire  remarquer 
que  la  résistance  des  batteries  flottantes  eût  été  tout  autre, 
si,  d'une  part,  elles  n'avaient  pas  été  disséminées  sur  une 
ligne  aussi  étendue,  et  si,  d'autre  part,  l'ennemi  avait  été 
obligé  de  réserver  une  partie  de  son  feu  pour  répondre  à 
celui  des  canonnières  et  des  bombardes  ' .  Après  cet  exposé, 

1.  On  alla  se  jeter  ao  centre  de  la  forteresse,  comme  si  on  avait  eu  Tin- 
tenlion  de  mettre  en  action  contre  nous  toute  l'artillerie  de  la  place.  On 
dispersa  toutes  les  batteries  flottantes,  on  négligea  l'accessoire  des  canon- 
nières et  des  bombardes.  Nous  nous  trouvâmes  privés  du  concours  de 
l'attaque  de  terre,  tant  par  Téloignement  que  par  Timperfection  des  tirs  et 
par  le  manque  de  munitions.  De  sorte  que  ce  prodigieux  effet  de  trois  cent 
quatre-vingt-dix-huit  bouches  à  feu  se  trouva  réduit  à  soixante  ou  soixante- 
dix  pièces  tout  au  plus,  tirant  à  la  muraille  et  par  conséquent  nulles  contre 
les  feux  de  Tennemi.  Faut-il  donc  s'étonner  qu'une  action  si  faible  et  si 
opiniâtrement  abandonnée  ait  cédé,  après  cinq  heures  de  combat,  contre 
deux  cent  quatre-vingts  bouches  à  feu  de  la  place  que  rien  ne  troublait  ? 
Remarquez  que  nous  combattions  un  contre  dix,  au  lieu  de  combattre  dix 
contre  un....  et  jugez,  malgré  l'incomplet  des  machines,  combien  l'auteur 


\ 


348  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

il  ne  peut  rester  aucun  doute  sur  la  valeur  militaire  des 
batteries  flottantes,  nous  ne  disons  pas  telles  qu'elles 
auraient  pu  être,  si  les  plans  du  colonel  avaient  reçu  une 
complète  exécution,  mais  telles  qu'elles  étaient  le  13  sep- 
tembre ^  Les  annales  militaires  offrent  peu  d'exemples-^^s 
d'une  opération  de  cette  importance  conduite  avec  autant^  .^it 
de  légèreté.  Nous  n'avons  aucune  raison  d'accuser  le  corn — .^n- 
mandant  de  l'armée  espagnole  d'avoir  préparé  l'échec  de^  ^^^s 
batteries;  mais  il  est  parfaitement  certain  que,  si  tell^^le 
avait  été  son  intention,  il  n'aurait  pas  agi  autrement«.9^  it. 
Dans  tous  les  cas,  on  est  en  droit  de  dire  que,  dans  un»  mgr-ne 
entreprise  demandant  de  l'étude,  de  la  méthode  et  dw  JÊÊu 
savoir,  le  duc  de  Grillon  ne  montra  que  de  l'impatiencn^z^ce 
et  de  l'irréflexion. 

Le  capitaine  de  vaisseau  Buor  de  la  Charoulière  avait  coimtt:!)- 
signé  dans  les  termes  suivants,  sur  son  journal,  les  divei  -Mts 
incidents  de  la  journée  du  13 septembre':  «  Le  12  à  mid     ^i, 
l'armée  a  mouillé  dans  la  baie  d'Algésiras.  Le  13,  à  se[--J>t 
heures  et  demie  du  matin,  les  vents  étant  de  la  partie  d  -^u 
nord-nord-ouest,  les  dix  batteries  flottantes  destinées  à  faii 
brèche  ont  commencé  à  mettre  sous  voiles.  La  premièi 
s'est  embossée  vers  neuf  heures,  et  elle  a  été  succossiv 
ment  suivie  des  neuf  autres.  Leur  feu  a  été  assez  vif. 
placey  a  répondu  de  difl*érentes  batteries,  en  tirant  sur  ell( 
à  boulets  rouges,  jetant  des  bombes  et  une  immensité  9 
grenades  royales,  qui,  dès  avant  midi,  avaient  mis  pli» 
sieurs  fois  le  feu  à  la  machine  que  montait  M.  le  princ^- 


du  projet  avait  de  raisons  d'espérer  du  concours  de  tant  de  moyens  puissanl'*- 
(Mémoires  de  d'Arçon.) 

1.  I^  situation  des  dix  batteries  flottantes,  à  cinq  heures  du  *;oir, 
permet  de  se  demander  si,  entre  des  mains  inlolii«j^entes,  elles  ne  seraient  pa* 
parvenues,  après  une  ou  plusieurs  atlaipies,  à  réduire  (iibraltar. 

2.  Le  capitaine  de  vaisseau  Buor  de  la  Cliarouliére  était  un  officier  d'un 
très-grand  mérite.  II  avait  été,  en  17 KO,  major  de  l'escadre  qui  avait  com- 
battu liodney  avec  succès  dans  les  Antilles.  Le  ministre  avait  l'intention  de 
l'envoyer  dans  les  Antilles  pour  renqdacer,  à  bord  du  Trûnnphauty  le 
capitaine  de  vaisseau  du  Pavillon,  tué  le  1*2  avril  1782,  au  combat  de  la 
Dominique. 


LIVRE  XI.  349 

de  Nassau.  On  avait,  chaque  fois,  réussi  à  Téleindre. 
Cependant, ces  bdtiments  soutTrant  beaucoup  du  feu  delà 
place  et  perdant  beaucoup  de  monde,  on  en  faisait  conti- 
nuellement le  remplacement. Pour  cet  objet,  on  y  envoya, 
le  soir,  les  chaloupes  des  vaisseaux.  Le  14,  à  minuit  et 
demi,  la  position  de  ces  batteries  devint  plus  alarmante. 
Le  feu  faisait  des  progrès  rapides,  surtout  à  bord  de  celle 
de  M.  de  Nassau  ;  on  y  envoya  tous  les  canots,  pour  aider 
&  évacuer  non-seulement  les  batteries  incendiées,  mais 
encore  celles  qui  ne  Tétaient  pas.  L  ordre  avait  été  donné 
de  mettre  le  feu  à  ces  dernières,  qui  étaient  au  nombre  de 
sept,  auxquelles  le  feu  de  la  place  n'avait  pas  fait  grand 
dommage.  A  une  heure  et  demie,  une  de  ces  machines 
était  totalement  embrasée.  A  deux  heures  et  demie,  le  feu 
s'est  manifesté  dans  une  seconde.  La  première,  au  lever 
du  soleil,  a  sauté  en  Tair,  ensuite  trois  autres,  et  succes- 
sivement toutes  ont  subi  le  môme  sort,  jusque  vers  cinq 
heures  du  soir  que  la  dernière  a  terminé  cette  affreuse 
scène,  qui  sans  doute  n'aurait  pas  eu  lieu,  si  on  avait  prévu 
et  employé  des  moyens  très-faciles  pour  les  retirer  du 
feu  de  la  place,  lorsqu'on  l'aurait  voulu.  Par  une  fata- 
lité qu'on  ne  peut  se  permettre  d'appeler  négligence  de 
la  part  des  chefs,  mais  au  moins  trop  de  sécurité,  rien 
n'était  prévu.  Point  de  moyen  de  retraite,  point  de  diver- 
sion de  la  part  des  chaloupes  canonnières  etbombardières, 
pas  même  des  ouvrages  des  lignes,  dont  le  feu  a  cessé  de 
trop  bonne  heure  au  lieu  de  redoubler.  Point  de  concert 
avec  les  vaisseaux,  qui  auraient  pu  porter  des  secours. 
Biais  il  faut  savoir  se  taire  sur  un  aussi  cruel  événement, 
les  réflexions  ne  remédiant  à  rien.  Les  chaloupes  fran- 
çaises ont  été  de  la  plus  grande  utilité  pour  sauver  les 
équipages;  mais  malheureusement  elles  n'étaient  pas 
assez  nombreuses  pour  remplir  entièrement  cet  objet  im- 
portant. Quelques  chaloupes  anglaises  sorties  du  môle 
en  ont  aussi  sauvé.  Mais  malgré  ces  secours,  il  y  a  lieu 
de  craindre  qu'on  ait  perdu  beaucoup  de  monde  par 


avec  la  plus  grande  distincttoD.  Le  miniat 

le  présenta  au  Roi,  (]ui  lui  adressa  les  p 
llaticusctt.  Uu  témoignage  ofGciel  de  sali; 
adrcssO  pour  les  services  qu'il  avait  rendt 
Enfin,  il  reçut  une  gratîGcation  de  quinze 
une  pension  de  deux  mille  livres. 


1.  ■IfRoi  n'a  pu  éU,  Mmuieur,  moins  p^iné  que  sur 
tvénetnenl  ilonllacuarrier, parti,  ht  1i,  dti  cftmp  dcvknt  ( 
la  nouvelle,  rt  S*  Htgosté,  en  lùwDt  In  loUre  qae  vons  m 
de  u'cc n ri-,  1d  mtmo  jour,  «  Uinoi^ni  In  plu»  gmi 
le  Kort  du  niBlheureux  qui  ool  été  abandonna  au  gn 
lureur  A*a  ttniuaiei.  Elle  a  vu  auui  avec  une  véiitalilo  pt 
quelques  onif  itin  de  sec  troupes  et  que  d'autres  ont  été  b 
prévenir  que  sod  iolenlion  eil  do  dnaoer  à  cea  derniers  i 
boulin,  el,  si  qurlquuii-uns  sont,  fiar  leura  blessures,  ho: 
pile  leur  accordera  leun  appoiatcmcnls  entiers  poar  1 
vondres  bien,  Monaieur,  m'adreeser  des  détails  qui  me  U 
niiritca  et  lus  malheurs  do  chacun  d'eux.  A  l'égard  des 
etupbi^i  sur  le*  huilerie*  Oollautes,  le  témoignage  que 
manière  dont  ils  ont  tervi  est  un  motif rarOsant  pour  leuri 
vousie  deuiBndw,ledMomma^enientdes  pertesqii'ïls  oni 
de  NoaMiu  u  liîcn  jusLIîd,  en  celle  occasion,  ridée  qn*. 
«ujet  de  ronccvoir  de  son  courage  et  de  son  înLelU|{ence  ■ 
un  nouveau  droit  t  la  bienveillance  de  Sa  M^esté,  qg 
inetruilc  de  ce  qu'il  a  fait.  •  (Lettre  du  39  Hepteoibre  du  : 
ministre  de  la  guerre,  au  baron  de  Falckenbajti,  comi 
IniDcais.) 

Le  baroD  d'Ainfeldl,  lapilainc  (tu  Rojal-Suédoiii,  inG 
lui  le  dernier  qui  sortit  de  la  TMa  Pitdra  avant  «on  ex| 
seuté  A  N.  lu  comte  d'Artois,  qui  lui  Dl  une  pension  ila  six  i 


LIVRE  XI.  351 


III 


Soit  que  le  duc  de  Grillon  eût  un  plan  pour  prendre 
Gibraltar,  soit  qu'il  voulût  adoucir  le  coup  que  la  nou- 
velle du  désastre  du  13  septembre  devait  porter  à  son  sou- 
verain, il  ajouta,  en  rendant  compte  des  événements, 
qu'il  continuerait  le  siégea  Sa.  confiance,  s'il  en  avait 
véritablement  dans  les  moyens  qu'il  se  proposait  d'em- 
ployer, ne  dura  pas  longtemps.  Quelques  jours  après, 
cédant  aux  observations  qui  lui  furent  faites  par  ses 
principaux  officiers,  il  renonça  à  ce  projet.  Le  gros  de 
rarmée  s'établit  dans  le  voisinage,  et  on  ne  laissa  au  camp 
que  les  troupes  jugées  nécessaires  pour  défendre  les  lignes 
de  Saint-Roch*.  Il  ne  restait  plus  à  l'Espagne  d'autre 
naoyen  de  prendre  Gibraltar  que  de  l'affamer.  Pour  con- 
duire à  bien  cette  tentative,  il  fallait  maintenir,  du  côté 
de  la  mer,  un  blocus  tellement  étroit  que  la  forteresse  ne 
^ût  aucun  secours.  Les  circonstances  semblaient  favo- 
f^bles  à  l'exécution  de  cette  tâche  que  la  marine  espa- 
Piole  avait  entreprise  plusieurs  fois,  mais  qu'elle  n'était 
P^  encore  parvenue  à  remplir.  La  flotte  mouillée  à  Algé- 
^fras,  en  y  comprenant  la  division  du  lieutenant  général 

1-  En  apprenant  quMl  était  question  de  continuer  le  siège  de  Gibraltar^  le 
^^t%  de  Vergennes  écrivit  au  comte  de  Montmorin^  notre  ambassadeur  à 
""^(id  :  nous  ne  sommes  pas  moins  effrayés  que  vous  Tavez  été^  Monsieur, 
^^^ue  vous  avez  entendu  le  Roi  d'Espagne  dire  :  la  prise  de  Gibraltar  n*est 
4^e  retardée,  M.  de  Grillon  a  un  moyen  sûr  de  le  prendre,  et  il  agit  en 
^i^séquence.  Quel  funeste  aveuglement  1  Comment  est-il  possible  qu*après 
^  funeste  expérience  qu'on  vient  de  faire,  on  s'entôte  à  en  tenter  une 
^^^nde  qui  n'aura  pas  un  résultat  différent  et  qui  en  aura  un  plus  désas- 
^^  encore?  Le  projet  de  M.  d*Arçon  avait  une  apparence  spécieuse,  sa 
''^^thode  était  nouvelle  et  pouvait  promettre  du  succès.  On  est  donc  excu- 
^le  de  ravoir  tenté,  mais  le  serait-on  de  se  livrer  désormais  à  des  projets 
^^certainement  plus  futiles  que  celui  qui  vient  d'échouer?  Je  ne  connais 
^  celui  de  M.  le  comte  de  Grillon,  mais  il  y  a  tout  à  parier,  d'après  la 
^Dnaissance  que  l'on  a  de  son  caractère,  qu'il  est  tout  au  moins  roma* 
*^ue. 

3.  «  Lors  du  fâcheux  événement  des  batteries  flottantes,  M.  le  duc  de  Grillon 


3bi  IIISTOIHK  DE  LA  UARU«E  FRAXÇ.VIâ£. 

lie  fîuichcn,  était  forle  de  quarante-huit  vaisseaux,  tandi- 
que  l'tscaJrcqui  cliiilaUeiiduedans  le  délroîl  n'en  Q'iBir 
lait  que  Ircale-qualrt.  L'amiral  Howe  avait  trouve  de 
ventfi  coniraires  co  suiiant  de  la  Mancfae,  et  le  liéliut^ 
sa  Iruvcre**  livail  été  trë»-]cDt.  L'amirauté  brilanDique, 
)iar  ï^uile  d'une  mesure  de-  prévoyance  extrémenienl  stst. 
avait  eK]iédié  des  bAlimenls  sur  dilTéreDU  poiats<lflt 
c61c  de  Portugal.  Cos  navires  devaîeot  appareiller  surets- 
sivpnicnl  et  èv  porter  à  la  rencontre  de  la  flotte  anglais», 
alin  de  renseigner  l'amiral  sur  les  «événements  qui  séUirai 
aoconipliit  dans  la  baie  de  Gibraltar  depuis  son  di^ptri^ 
Portsmoulh.  Lord  Howc  ap[)rit  ainsi  IV-checquelesalii^ 
avaient  éprouvé,  le  13  seplenibrc,  la  force  de  l'est»)" 
combinée  et  sa  présence  au  mouillage  d'AJgéiùras.  &ilt- 
ci,  depuis  le  commencement  du  mois  d'octobre,  se  ifoA 
prèle  à  appareiller,  &  la  première  nouvelle  de  rapprodi' 
des  Anglais.  Dans  la  journée  du  10,  la  brise,  qui  était  Irt^ 
fraîche  du  sud-ouest,  souffla  en  coup  de  vent.  Plusieun 
\uis3eaux  chassèrent  sur  leurs  ancres  et  quelque^-ui» 
s  abordèrent.  Le  Han  Pablo  et  la  frégate  le  Crcsceni  at 
rent  sous  voiles  et  cnirèreni  dans  ta  Mediterran^.D 
f  aisseau  se  jeta  à  la  côte  sur  la  pointe  d'Orange,  noD  Im 
d'Algésiras.  Le  Saiiil-Xicfu-I,  de  soixanle-dîs,  porlanli' 
pavillon  du  rontrc-amiral  Moreno,  s'échoua,  pendant  li 
nuil,  sous  Gibraltar.  Vigoureusement  canonné  au  paii> 


<ir  (luiiner  deit  ««pùrances  pour  [a  contimialion  ilu  t 


liviil;  XI.  353 

<lii  jour,  il  fui  obliyi!  do  se  rendre.  Les  lignes  de  Saint- 
lluuh  lirtrcnl  alors  sur  ce  vaisseau,  mais  elles  ne  lui 
lirenl  aucune  avarie  importante.  Aussitôt  que  le  temps 
le  permit,  le  capitaine  Curtis  ramena  le  fiaint-Michcl  & 
Uitiraltar.  Le  jour  même  oli  se  produisit  cet  événement 
(]ui  donnait  aux  Anglais  un  vaisseau  de  ligne  et  six  cent 
cinquante  prisonniers,  lord  Howe  parut  4  l'entrt'O  du  dé- 
troit. Au  coup  de  vent  de  sud-ouesl  de  la  teille  avait  suc- 
ct.Hlé  une  tr^ïs-faible  brise  de  nord.  Quatre  transports  et  un 
vaisseau  de  ligne,  la  Panthère,  réussirent  à  gagner  Gi- 
braltar. Les  autres  bâtiments  du  convoi  et  l'escadre  furent 
entraînés  dans  la  Méditerranée  par  les  courants.  Le  calme 
qui  régnait  dans  la  baie  d'Algésiras  ne  permit  pas  au\ 
alliés  d'appareiller.  Le  13  octobre,  la  flotte  combinée  mil 
A  la  voile  avec  une  fuible  brise  d'oucst-oord-ouesl,  et  elle 
franchit  le  détroit- 
La  position  de  lord  Uowe  présentait  de  sérieuses  difli' 
cultes.  L'escadre  anglaise  ne  coinpltiit  que  trente-trois 
vaibscaux,  et,  de  plus,  elle  était  embarrassée  par  un  convoi 
considérable  '.  Enfin,  il  y  mait  entre  elle  et  Gibraltar  ht 
flotte  combinée  qui  était  forte  de  quarante-six  vaisseaux  '. 
Notre  rôle  consistait  évidcmntcntà  garder  cette  position, 
atiu  que  lord  Howe  fût  dans  l'impossibilité  de  se  rendre 
As»  destination  sans  livrer  bataille.  Nous  avions  un  in- 
térêt d'autant  plus  grand  à  agir  ainsi  que  la  plupart 
de  nos  vaisseaux  n'étaient  pus  doublés  en  cuivre  et  ne 
marcbnient  pas.  Le  lieutenant  général  de  Cordova,  fort 
inquiet  sur  le  sort  du  vaisseau  et  de  la  frégate  qui  avaient 
déradé  dans  la  nuit  du  10  octobre,  courut  au  large.  Le 
lendemain  matin,  il  n'y  avait  aucun  navire  à  l'horizon, 
mais,  dans  l'uprès-midi,  les  Anglais  furent  aperçus  dans 
le  sud  de  notre  armée.  Ainsi,  le  U  au  soir,  l'amiral  Howe 
avait  si  bien  manœuvré  qu'il  était  plus  près  que  nous  de 


1.  Lit  Irento-qutUiénH,  la  Punlhfrr,  niait  AGiliraltar. 
■1.  Le  San  fablu  Aail  tian»  la  McdîUtmiMie  el  le  Saint-MtcM  avait  m 
•M  ]'U(  \e»  AngUi». 

2S 


354  HISTOUUS  DE  LA  MARINS  FRAKÇAlSB. 

rentrée  du  détroits  Dans  la  mirée  la  brise  tomba,  le  temp^am 
devint  brumeux  et  les  deux  escadres  cessèrent  de  se  voir 
Le  16,  les  vents  s'établirent  à  Test  et  fraîchirent  rapid< 
ment.  La  flotte  combinée ,  après  être  restée  en  cape  ui 
partie  de  la  nuit  du  17,  se  dirigea,  le  18,  vers  le  détroit 
Le  lendemain,  au  jour,  les  Anglais  furent  signalés 
rouvert  de  la  baie  de  Gibraltar.  Lorsque  les  vents 
passé  à  l'est,  l'amiral  Howe  s'était  emprise  de  faire  de 
toile.  Le  18,  il  était  entré  dans  le  détroit,  et  le  même  jo 
son  convoi  avait  mouillé  sous  le  canon  de  Gibraltar, 
troupes  qui  devaient  renforcer  la  garnison,  furent 
diatement  mises  à  terre.  Le  général  EUiot  ayant 
un  supplément  de  munitions,  qumze  cents  barils 
poudre,  pris  sur  les  approvisionnements  des  ti 
furent  débarqués.  Lorsque,  le  19,  les  alliés 
lord  Howe,  qui  avait  achevé  son  opération,  s'éloigna 
la  direction  de  l'ouest  11  entra,  le  même  jour,  ù 
rOcéan,  suivi  par  la  flotte  combinée.  Le  lendemain,  SO 
tobre,  la  brise  s'étant  établie  au  iH>rd ,  les  alliés  se 
vèrent  au  vent  des  Anglais.  L'armée  reçut  Tordre  de^  m 
former  par  rang  de  vitesse  et  de  gouverner  sur  l'ennecni. 
Don  Luis  de  Cordova  signala  de  s'approcher  des  v^s- 
seaux  anglais  jusqu'à  deux  encablures.  Au  coucher  du  iso- 
leil,  les  deux  armées  n'étaient  plus  très-éloignées  ramne 
de  l'autre.  Le  lieutenant  général  de  Lamotte-Picquet,  dont 
le  pavillon  était  arboré  sur  V Invincible  y  avait  pris  la  1^'c 
de  la  ligne.  Lorsqu'il  fut  à  la  distance  prescrite  du  chef  <te 
file  de  l'escadre  anglaise,  il  commença  le  feu.  L'action 
s'engagea  par  une  très-belle  nuit  éclairée  par  la  lune.  L«s 
deux  escadres  se  tenaient  rangées  dans  l'ordre  suivant: 

1.  Avec  une  marche  aussi  lente  que  celle  de  Tarmée,  il  serait  plus  aTaoti- 
geux  de  se  tenir  près  du  détroit  pour  y  attendre  les  ennemis  et  les  comball'V 
an  passage  que  de  les  aller  chercher  au  large,  puisqu'il  leur  sera  focile,  pv 
la  supériont(^  de  leur  marche^  d'éviter  la  poursuite.  Les  Anglais  auront  Til^ 
tcntion  de  rester  en  vue  de  la  terre  et  leur  flotte^  avec  les  premiers  vfoU 
frais  de  la  partie  de  l'est,  filera  le  long  de  la  côte.  (Journal  de  la  campa^ 
de  l'escadre  aux  ordres  du  lieutenant  général  de  GuicheOi  lena  par  le  capi- 
taine Buor  de  la  Charoulière.) 


MVRE  XI. 
ESCADRE  COMBINÉE. 


laTiacible 

Gaerrier 

Diclaleur 

Robusle 

Sui  Iiidro 

SorQuDt 

Ooerrero 

Arrogante 

Santa  Eliiabeth 

Sui  Uiurent 

Zodiaque 

Bajo 

Terrible 

San  Yiccnte 

Royal-Louis 

San  Joaquim 

Caslîlla 

San  Juan  Vaptislu  . . 

San  Jasto 

YcDcedor 

GalSa.  .■::]::::;::: 

Bério 

Triomphante 

Krinnnte 

Sk-ptentrion 

Majestueux 

^  IlaphaGl 

Santa  TriniJod 

Urctagno 

AcUr. 

PurisBima  I^Dcepcioi 

Terrible 

San  Fernando 

Bion-AIné 

San  Uigucl 

AUaute 

SanPalilo 

San  Eugcuio 


{De  ttivièro. 
lAmotto-l'icquct,  licut.  gûnOral. 
Duiileasls-Parscau. 
De  Lnclue. 
DeMeuil. 
Alvaro  Lopci. 
Uo  Casiellel. 

Lopcz  Carizosa. 


I)e  Lungan-UoitsTùvrier. 

Don  AnlDiiio. 

Tosada. 

iKin  Alaiinzî.-i  Véranda. 

Don  Franciwo  'WinlJHiiiwii. 

Don  iKnacio  fonce  do  I.C011. 

Ilu  Venlun  de  la  Crcnuu. 

De  BcBuuet,  chef  d'escadre. 

Irtn  Carlos  de  Torrea. 

[Ion  Juan  Quindwi. 

"     Fmncisco  Idia'iuL'a. 


JtnefCaitejou. 
Francisco  Vclasquez. 

..  Claïi>rero. 
filip  (luuitalcs. 

Oustarca. 
JbaU  Laudecho. 
Ëruni  <l'Eutrccai>tMii]\. 
De  llooheclioiiarl,  Ituuk'ni 
De  L.BuLcjiiD. 


Luis  Curdova. 
Ile  Uanipicrn.'. 

Cillart  de  Suvillu. 


JMD  âonnet. 
Se  Saiol-Flivcu.. 
De  liiiiciicn,  lieulcn 
Anpiilo. 

De  Laï<|iieraï. 
Juan  More  no. 
Ilii'Ki»  (Jucïi'do 
l.uul\miot. 


HISTOIRE  D£  LA  UARINE  FRANÇAISE. 


NumtdMUtinKnti. 

Nombra 
da 

Nom*  d«  capiUiML 

70 
70 
70 
70 
70 

Juintbo  Serano. 

Antonio  Ozomo. 
DeCuenw, 

îsin  OaïuaiM 

ESCADRE  ANGLAISE. 


Goliatli 

llO)&lWiUi*m.* 

lli'ilaniiia 

Atlas 

Panther 

Kowlrovant 

Wpar 

l'olviiheinDs.  . . 

SuliilL 

ViKilaDl 

(ri)urageui 

AÎcxander 

Ssnipsun. 

Hojal  PrJDccBa. 

DUmWim 

Êgnioii[ 


HjJp  Parkor,  junioc. 

FieldiiuF. 

Allen. 

llill. 

Barrington,  vic«-aininl. 


Hl 

77 

HT 

lloms. 

DoaglM. 

H2 

Longtord. 

73 

IM 

n 

Bligh. 

Mï 

Ikimet. 

Samuel  IlooJ.  conlro-amirBi. 


IJVRE  XI.  357 

L'amiral  anglais  était  trop  hatrile  f<»Tir  oMnf*rc.TT>rV  r* 
le  succès  de  la  mission  qu'il  ayait  si  beureus^s>^ct  rem- 
plie,  en  se  battant  aTec  trente-quatre  Taisseaux  o:<Dtre 
quarante-six.  Il  avait  remarqué  le  peu  d'onire  qui  ré^ja:t 
dans  notre  ligne,  par  suite  de  la  mauTaise  marche  d'un 
grand  nombre  de  nos  bâtiments.  Douze  vaisseaux  français 
et  espagnols  étaient  à  une  trop  grande  distance  en  arrière 
pour  prendre  part  à  Faction.  Lord  Howe  vit  immédiat^i^- 
ment  la  possibilité  de  combattre  l'armée  combinée  sar;^ 
être  obligé  de  s'engagera  fond.  D  nous  avait  attendu-, 
sous  une  voilure  réduite,  mais,  dès  que  les  premîfrr^ 
coups  de  canon  furent  tirés,  il  gouverna  largue  en  fajf^ar;t 
de  la  toile.  A  dix  heures  et  demie,  les  deux  armées  étaient 
très-loin  l'une  de  l'autre  et  le  feu  cessa.  Une  heure  aprê«, 
le  lieutenant  général  de  Cordova  signala  à  ses  vaisseaux 
de  serrer  le  vent.  L'affaire  n'avait  été  \ive  qu'à  l'avant- 
garde  et  à  l'arrière-garde  de  la  flotte  britannique.  L'es- 
cadre directement   placée  sous  les  ordres  de  Tamiral 
Howe  avait  à  peine  combattu.  Douze  vaisseaux  français 
et  espagnols,  en  tête  desquels  était  le  Terrible^  [Kjrtant 
le  pavillon  du  lieutenant  général  de  Guichen,  n'avaient 
pas  tiré  un   coup  de   canon.  Ces  vaisseaux,   quoique 
couverts  de  voiles,  n'avaient  pu  suivre  l'armée  combi- 
née ^  Au  jour,  les  Anglais  étaient  à  quatre  lieues  sous 
le  vent.  Au  lieu  de  continuer  activement  la  poursuite, 
Cordova  fit  peu  de  route  pendant  la  journée  du  21,  afin 
de  donner  aux  vaisseaux  qui  avaient  soufTert  le  temf»K 
de  réparer  leurs  avaries.  Le  lendemain,  n'apercevant  plus 
l'ennemi,  il  ramena  l'armée  combinée  à  Cadix.  Dans  IVii- 
sagement  du  21  octobre,  les  Anglais  avaient  eu  soixante*- 
huit  tués  et  deux  cent  soixante-huit  blessés,  et  les  alliés 


1.  «  Le  Terrible j  quoique  forçant  de  toile,  n*a  pas  été  à  môme  de  faire  frm 
(à  dix  heures  et  demie  le  feu  a  cessé),  la  distance  était  trop  f^rande.  A  ori/c 
heures  cinquante,  Cordova  a  signalé  de  tenir  le  vent.  A  minuit,  les  yAiHwsmx 
anglais  les  plus  proches  étaient  à  deux  lieues,  courant  largue,  sous  la  miHninn 
et  les  perroquets,  pour  se  ralliera  leur  tétc  qu*on  ne  voyait  plus.*  (Journal  du 
major  de  Tescadre  française.) 


3D8  HISTOIRE  DE  I,A  MARINE  FRANÇAISE, 

soixante  liii''s  cl  trois  crnl  ^injrl  blessés.  Quelques  jours 
apri's,  l'amiral  Howe,  certain  de  n'avoir  plus  rien  à  craio- 
(irc  de  ia  Ilolte  rranco-espagnole ,  se  dirigea  sur  Ports- 
moiill),  après  avoir  expédié  huit  vaisseaux  aux  An- 
tilles'. 

i.('s  qualités  que  déploya  lord  Howe  pendant  cetle  courte 
cam|iagnc  furent  k  la  hauteur  de  la  mission  qu'il  avait  à 
rcmiilir.  Celte  opt-ration,  unedesplus  belles  de  lagnemdf 
l'indépendance  américaine,  mérîted'ëtrelouéeà  l'égal  d'uw 
victoire.  Si  l'escadre  anglaise  fut  favorisée  par  les  ciiw»- 
.stances,  et  il  est  rare  qu'en  de  telles  entreprises  on  puis» 
réussir  sans  Être  aidé  par  la  fortune,  ce  furent  surtout  le 
coup  d'u'il  ilu  commandant  en  chef,  la  sûreté  de  son  juire- 
inonl  ul  la  nipidîté  de  ses  décisions  qui  assurèrent  le  sno 
ivs.  Apri's  avoir  rendu  à  lord  Howe  ce  qui  lui  appartient.il 
convient  de  îaire  la  pari  de  l'amiraulé  britannique.  Parai 
les  trente-quatre  vaisseaux  qu'elle  avait  donnés  à  i'anà- 
rai,  il  n'y  avait  pas  un  de  ces  mauvais  bâtiments  qœ 
mettent,  à  chaque  instant,  en  péril  les  combinaisons  d'un 
commandant  en  chef.  Tous  les  vaisseaux  étaient  douWé 
en  cuivre  et  de  marche  à  peu  près  égale.  Si  lord  Ho« 
n'a\  ait  pas  la  certitude  absolue,  il  avait  au  moins  de  très- 
grandes  chances  de  rester  maître  d'accepter  ou  de  refuse) 
le  combat.  Celte  supériorité  de  marche  constituait  unavan- 
tage  dont  les  différentes  péripéties  de  la  campagne  avaient 
montré  toute  la  valeur.  Enfin,  si  nous  en  jugeons  parle 
rt''sullals,  lu  commandant  en  chef  de  la  flotte  anglaise 


LIVRE  XI.  359 

rations,  ni  abordages,  ni  vaisseaux  avariés,  et  il  ne  se 
produisit  aucun  de  ces  événements,  si  fréquents  dans  la 
navigation  d'escadre,  qui  obligent  souvent  les  amiraux  à 
prendre  un  parti  absolument  opposé  au  but  qu'ils  pour- 
suivent. 

En  présence  de  la  navigation  si  sûre  de  Famiral  Howe, 
il  est  impossible  de  ne  pas  se  rappeler  les  incidents  mal- 
heureux survenus,  du  9  au  12  avril,  dans  l'escadre  du 
comte  de  Grasse.  L'armée  française,  qui  avait  appareillé, 
le  8,  de  la  baie  de  Fort-Royal,  fut  obligée,  le  9,  de  se  por- 
ter au  secours  du  Zélé  et  de  V Auguste,  L'avant-garde  an- 
glaise s'approchant  rapidement  de  ces  deux  vaisseaux,  qui 
s'étaient  laissé  sous-venter,  il  fallut  se  battre  pour  les 
dégager.  Dans  la  nuit  du  10  au  11,  le  Jason  et  le  Zélé 
s'abordèrent;  le  premier  de  ces  vaisseaux  relâcha  à  la 
Guadeloupe  pour  réparer  ses  avaries.  Le  11,  l'armée  re- 
vint encore  une  fois  en  arrière  pour  couvrir  le  Zélé  et  le 
Magnanime^  qui  étaient  tombés  sous  le  vent.  Enfin,  dans 
la  nuit  du  11  au  12, ce  même  ZéU\  qui  avait  déjà  compro- 
mis deux  fois  l'armée,  aborda  la  Ville-de-Pavis.  S'il  est 
juste  de  reconnaître  que  lord  Howe  déploya  les  plus 
grands  talents,  on  doit  ajouter  qu'il  eut  entre  les  mains 
des  instruments  excellents. 

Le  capitaine  de  vaisseau  Buor  de  la  Charoulière,  major 
de  l'escadre  française ,  en  envoyant  son  journal  au  mi- 
nistre, après  cette  campagne  qui  faisait  beaucoup  d'hon- 
neur aux  Anglais  et  très-peu  aux  alliés,  disait  :  «  J'ai 
l'honneur  de  vous  adresser  un  extrait  du  journal  de  la 
campagne  de  l'armée  combinée.  Je  crains  beaucoup  que 
vous  ne  trouviez,  dans  quelques  endroits,  une  opinion 
trop  décidée,  mais  je  dois  vous  donner,  Monseigneur,  une 
copie  fidèle  des  articles  portés  dans  mon  journal  qui  n'a 
pu  être  écrit  qu'au  fur  et  à  mesure  que  les  temps  se  sont 
écoulés  et  dans  les  différentes  circonstances.  J'ai  écrit  ce 
que  j'ai  vu  et  ce  que  je  pensais.  J'ose  espérer,  Monseigneur, 
que  vous  voudrez  bien  ne  pas  me  savoir  mauvais  gré 
d'avoir  écrit  librement  ma  façon  de  penser  sur  tous  les 


360  HISTOIRE  DE  I^\  HARINB  PRANCAI3B- 

ùvénemeDls  qui  D'svaieiit  pas  une  tournure  fa\-(HtUti 
nos  désire.  »  Nous  avons  fait  connaître  l'opiaion  i)e  cet 
ofliciorsur  la  journée  du  13  wptembre  et  sur  la  ponRwilf 
lie  l'oscadrc  anglaise. 


LIVRE   XII 


Le  Rouvcrneniont  fran^n  upprend  qu'on  foit  ï  Toretraoutli  le*  prépora- 
lifi  d'iinv  ripMilion  desUaée  &  s'emparor  da  Cap  de  ltoiuie-EB|iérBDce. — 
ICnTui  iliDK  l'Inde  de  ciaq  vaifi«caax,  taae  les  ordres  du  commniidciir  de 
r)UlTn>ii.  —  Combat  de  la  Praya,  le  tti  avril  1781.  —  Arriviic  dei  Fnuiïnis 
i  Simon'»  Eta].—  Let  Anglais  se  monlrent,  fc  la  Un  do  juillet,  dan»  \m 
paragei  dn  Cap.  —  Le  commodore  Johnslone  retourne  en  Anglelerre  awc 
diHit  vaiMcaux.  —  Trois  vaisseaux  font  route  pour  Bombay.  —  La  colo- 
nie luillandaise  e»l  miM  en  élal  de  dérensc  par  dos  troupes.  —  L'escadre 
française  appareille  le  !B  aoai  1781.  —  SutTrcn  est  nommé  chef  d'cs- 
radw.  on  récompense  de  sa  conduite  *  l'aflaite  de  la  Praya.  —  Évine- 
nienU  survenus  don»  l'Iode  depuis  la  priw  de  PondichAry.  —  BttiroenU 
envoiig  i  l'Ile  do  France.  —  Le  capiUine  do  vaisseau  Tronjolly  est  rcni- 
plarc  par  le  comte  d'Orvea.  —  La  nouveau  commandant  ru  etief  prend  la 
mrr  avec  six  vaissetui.  —  S4jour  de  l'escadre  sur  la  cdie  de  Coroman- 
del.  —  Itplalions  avec  Hyder^Ali.  —  Retour  du  ccnile  d'Orvcs  It  l'Ile  dp 
France,  —  DénûmenI  de  t'escadre.  —  Arrivée  du  commandeur  de  SuITren. 
—  ttinicull^s  relatives  au  remplacement  des  capitaines  de  Trémi)con  et 
d(<  rjirdaillac,  tués  au  combat  de  la  Prtys.  —  L'escadre  rctouroo  daus 
rinilp. 


Le  fîouvernemcnt  français  fut  informé,  au  commence- 
ment <le  l'annôe  1781,  que  iea  Anglais  faisaienl  secrète- 
ment, A  Portsmouth,  les  préparatifs  d'une  expétlilion 
ilcsliii^'e  à  faire  la  conquête  du  Gap  de  Bonne-Espérame. 
Le  commodore  Johnstone,  auquel  cette  mission  était  con- 
fiée, avait,  sous  ses  ordres,  cinq  vaisseaux  et  un  couvoi 
portant  des  troupes  de  débarquement.  Les  forces  dont 
disposait  le  commodore  ne  permettaient  pas  de  douter 
(lu  succès  de  cette  entreprise.  Quoique  la  France  eilt  peu 
d'aide  à  attendre  de  ses  nouveaux  alliés,  il  était  de  son 
intérêt  de  les  secourir.  Nous  nous  étions  proposé ,  en 
commençant  cette  guerre,  d'effacer  les  traités  de  1763  et 


mî  IIISTOmK  DE  L\  MARINE  FRANÇAISE. 

irufTuiblir  la  piiissanrc  de  nos  voisin»:.  En  s'cmpannl 
(les  ûtablisscmcnU  coloniaux  de  la  Hollande,  ceux-ci  »( 
seruiciit  niOoii^c  à  l'avance,  des  compensations  aux  per- 
tes qu'ils  niirujcat  pu  subir  sur  les  cdtcs  de  l'Amérique 
^optcnli-ionulc  ou  dans  la  mer  desAotîlIes.  En(în,la pos- 
session du  Cap  par  les  Anglais  eût  compromis  la  si)rel« 
de  Bourbon  et  de  l'Ile  de  France.  Cinq  vaisseaux,  deu 
do  soixanlc-quatorze,  le  Héros  et  l'Annibal,  et  trotsde 
}<(>i\anto-quatrc,  le  .S^tna;,  le  Vengeur  et  VArténien,  fa- 
iTiit  dôsi};nés  pour  aller  dans  l'Inde.  On  leur  adjoi^ 
()ucli]uos  navires  de  commerce,  sur  lesquels  on  embv^ 
qiia  onze  cents  liommcs  d'infanterie,  des  vivres,  des  mu- 
nitions cl  cent  artilleurs.  Le  nouveau  minisire  plan  le 
ruminandeur  de  SiifTrcn  h  la  tète  de  cet  armement.  Odî.' 
rappelle  que  M.  de  Sarti nés  avait  refusé,  malgré  les  Iris- 
vives  instances  du  comte  d'Estaing,  de  donner  de  l'aitfr 
cernent  &  cet  officier.  SufTren  ne  fut  pas  promu  au  gn* 
de  chef  d'escadre,  mais  le  maréchal  de  Casiries  déciiJi 
r|u'il  jouirait  dos  honneurs  attachés  â  cette  situation, 
aussitâl  qu'il  aurait  doublé  le  Capde  Ronne-EspéraïKt 
Les  mêmes  avaninges  furent  accordés  au  comte  d'On» 
qui  était  à  l'Ile  de  France  avec  six  vaisseaux.  Ce  derniff, 
élanl  plus  ancien  de  grade  que  Suffren,  était  appel** 
exercer  le  commandement  en  chef  de  nos  forces  navales, 
après  la  jonction  des  dRux  divisions.  Il  était  prescrit  M 
commandeur,  s'il  arrivait  au  Cap  avant  Johnslone,de 
nielire  immédiatement  ce  point  en  état  de  défense.  11  (l^ 
lit  expédier  un  bfltimcnt  &  l'Ile  de  France  pour  infonn» 


LIVRE  XII.  363 

d'avril,  l'état  sanitaire  des  équipages,  loin  de  s'a- 

Tcr,  prit  des  proportions  inquiétantes.  SufTren  crai- 

que  sa  division  ne  fût  frappée  d'impuissance,  ainsi 

l'avait  été  Tarmée  du  comte  d'Orvilliers  en  1779.  De 

les  malheurs  que  pouvait  lui  réserver  sa  mauvaise 

jne,  celui-là  était,  à  ses  yeux,  le  plus  grand.  Aussi, 

gré  sa  rare  activité  et  son  désir  très-grand  de  faire  une 

mpte  traversée,  crut-il  nécessaire  de  toucher  aux  lies 

Cap-Vert  pour  y  prendre  des  vivres  frais  et  compléter 

i  eau  ^  Il  se  proposait  de  profiter  de  cette  relâche  pour 

^rer  deux  transports  qui  s'étaient  fait,  dans  un  abor- 

ige,  de  graves  avaries. 

Le  16  avril,  au  point  du  jour,  la  division  française, 
près  avoir  reconnu  l'île  de  San  Yago,  gouverna  sur  la 
>aie  de  la  Praya.  A  huit  heures  trois  quarts,  VArlésien^ 
^ui  chassait  en  avant,  fit  le  signal  de  :  «  Vaisseaux  en- 
tremis à  l'ancre.  »  Il  n'y  avait  pas  lieu  de  douter  que  nous 
tie  fussions  en  présence  de  l'expédition  dirigée  contre  le 
Cap  de  Bonne-Espérance  par  les  Anglais.  Cette  rencontre 
Avait  l'avantage  de  nous  fixer  sur  la  position  de  l'ennemi. 
<)uel  parti  fallait-il  tirer  de  cette  circonstance?  telle  fut  la 
question  que  SufTren  se  posa.  Nous  avions  assez  d'eau, 
en  rationnant  les  équipages,  pour  arriver  au  Cap  de 
Bonne-Espérance.  Si  nous  atteignions  ce  point  les  pre- 
miers, nous  mettions  la  colonie  en  état  de  défense,  rem- 
plissant ainsi  l'objet  principal  de  la  mission  confiée  &  l'es- 
cadre. Les  avaries  des  deux  navires  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut  et  la  mauvaise  marche  du  convoi  détour- 
nèrent Suffren  de  ce  projet.  Il  eut  la  pensée  de  faire  filer 
les  bAUments  de  transport,  et  de  croiser  à  l'ouvert  de  la 
baie,  afin  de  combattre  les  Anglais  lorsque  ceux-ci  pren- 
draient le  large.  D'après  les  renseignements  qui  lui 
avaient  été  envoyés  de  Paris,  quelques  jours  avant  son 


1.  V Artésien  avait  été  joint  à  la  division  du  commandeur,  le  19  mars, 
par  le  ministre  lui-même,  qui  était  présent  à  Brest.  Ce  vaisseau  n*avait  pas 
eu  le  temps  de  compléter  son  eau. 


364  mSTOIRE  UE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

départ,  il  Bupposail  Johnstone  beaucoup  plus  fort  que 
celui-ci  ne  l'était  réellement.  Eu  coQséquence,  H  ne  crut 
pas  que,  dans  une  action  régulière,  il  remporterait  su. 
l'ennemi  un  avantage  tel  que  celui-ci  serait  dans  l'impos- 
sibilité de  continuer  sa  route  vers  le  Cap.  Il  n'y  avait 
plus  alors  d'autre  combinaison  que  d'entrer  dans  la  baie 
de  la  Praya  et  d'aller  droit  à  l'ennemi.  La  position  de  nots 
bdtimcnts  n'était  pas  favorable  à  l'adoption  de  ce  dernier 
parti.  h'Annibal  et  VArtésien  étaient  près  du  Héros,  mais 
le  Sphituc  et  le  Vengeur,  le  premier  de  ces  vaisseaux  ayanl 
un  navire  à  la  remorque,  étaient  en  arrière  à  grande  dis- 
tance. En  engageant  l'action  sur-le-champ,  nous  avions 
le  bénéHce  de  la  surprise,  mais  nous  nous  exposions  i 
supporter,  avec  trois  vaisseaux  et  pendant  un  temps  assez 
long,  le  feu  de  toute  l'escadre  ennemie.  D'autre  part,  si 
le  commandeur  attendait  le  f^phinœ  et  le  Vengeur,  k 
Héros,  VAnnibal  et  l'Arlésien  tombaient  sous  le  venl. 
Suffren  pesa  rapidement  ces  diverses  considéralions,('til 
se  décida  pour  une  attaque  immédiate.  La  neutralité  de 
l'Ile  était  une  question  de  peu  d'importance  pour  un  offi- 
cier qui  avait  assisté  à  l'affairo  de  Lagos'.  Peut-être  le 
commandeur  n'était-il  pas  mt'content  de  rendre  aux  An- 
glais ce  que  ceux-ci  nous  avaient  fait  en  1759. 

Après  avoir  signalé  à  sa  division  de  se  préparer  h  coni' 
battre,  et  aux  vaisseaux  arriérés  de  forcer  de  voiles  (le 
signal  de  mouiller  avait  été  fait  précédemment),  SulTren 
prit  la  tfitc  de  la  ligne.  Les  vigies  du  Héros  ne  lardfTfiil 
pas  &  apercevoir  cinq  vaisseaux ,  trois  frégates  d 
grand  nombre  de  transports  portant  le  pavillon  angl 
L'escadre  du  commodoro  Johustono  était  composée 
Hero,  de  soixante-quatorze,  du  Montmoulh,  de  soïxi 


3 


1.  En  17&9,  une  escadre  sngtaiie  de  quatorM  vummuh  «nilil 
qaatre  vaîswaax  fmntais,  mouillés  sur  la  rade  de  Lagos  el  soiu  le  caiH'  ' 
dca  Torla  parlogaÎB.  SuDrea  élall  lioulcoanl  de  vaisseau  sur  lo  vaiaM 
de  quatre-rioKl'  caaoas,  l'Océan,  qui  portait  le  pavillon  du  chef  d>«*dn 
de  la  CluR.  L'Océan,  un  des  quatre  vaiwoaut  r^funiis  t  Lai|;«a,  fol  f» 
pnr  l'enncnii,  H  Sudrcn  devint  prlEoniiier  i\ca  Anglsti 


ngis».  jm 


LIVRE  XII.  365 

quatre,  du  Romney  et  de  VIsiSj  de  cinquante,  des  fré- 
gates la  Diane^  le  Jckson  et  V Active^  de  trente-deux,  d'un 
cotre,  d'un  brûlot  et  d'une  galiote  à  bombe.  La  flotte  de 
transport  comprenait  trente-cinq  bâtiments,  portant  dix, 
vingt  et  trente  pièces. 

Le  Commodore  avait  quitté  l'Angleterre,  le  13  mars,  en 
même  temps  que  la  grande  escadre  chargée,  sous  le  com- 
mandement de  Tamiral  Darby,  de  ravitailler  Gibraltar.  Il 
s'en  était  séparé  quelques  jours  après,  et  il  avait  mouillé, 
le  11  avril,  à  la  Praya,  pour  y  faire  de  l'eau  et  des  vivres. 
Fermement  convaincu  que  nous  ignorions  sa  sortie ,  il 
n'avait  pris  aucune  disposition  particulière  en  vue  d'une 
attaque  à  laquelle  il  ne  croyait  pas.  Les  vaisseaux  étaient 
niouillés  sur  une  ligne  irrégulière  dont  la  direction  allait 
de  l'est-sud-est  à  l'ouest-nord-ouest.  Les  frégates  étaient 
aux  extrémités  de  cette  ligne  et  les  transports  entre  les 
navires  de  guerre  et  la  terre.  La  baie  de  la  Praya,  abritée 
contre  les  vents  de  Test  à  l'ouest,  en  passant  par  le  nord, 
est  complètement  ouverte  au  sud.  La  brise  soufflant  du 
nord-nord-est,  nous  avions  à  ranger  de  près  la  pointe 
qui  limite  la  baie  au  sud  et  à  l'est,  puis  à  serrer  le  vent, 
les  amures  à  tribord,  pour  atteindre  le  mouillage  à  la 
bordée.  Un  peu  avant  dix  heures  du  matin,  les  matelots 
de  VIsiSj  le  bâtiment  mouillé  le  plus  en  dehors,  aperçurent 
trois  vaisseaux  qui  gouvernaient  pour  doubler  la  pointe 
orientale  de  la  baie.  Un  moment  après,  les  pavillons  ayant 
pour  signification  «  la  vue  de  l'ennemi  »  flottèrent  en 
tête  des  mâts  de  ce  bâtiment.  La  surprise  fut  d'autant 
plus  grande,  à  bord  des  navires  anglais ,  que  les  capi- 
taines, ne  soupçonnant  aucun  danger,  avaient  envoyé, 
à  terre,  une  partie  de  leurs  équipages  pour  faire  de  l'eau 
et  des  vivres.  Le  commodore  n'eut  pas  un  instant  la 
pensée  que  les  Français  respecteraient  la  neutralité  de 
rtle.  Il  savait  que  la  conduite  de  l'Angleterre,  non-seu- 
lement à  Tafl'aire  Lagos,  mais  en  plusieurs  circonstances, 
leur  servirait  d'excuse,  s'ils  avaient  l'intention  de  l'atta- 
quer. Il  signala  successivement  à  son  escadre  de  rappeler 


366  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

les  canots,  de  faire  le  branle-bas  de  combat  et  de  se  pré- 
parer à  appareiller.  Enfin,  il  quitta  son  vaisseau  leilom- 
neyy  mouillé  à  l'extrémité  de  la  ligne  dans  Touest-nord- 
ouest,  pour  passer  sur  le  Hero^  &  bord  duquel  fat  hissée 
sa  cornette.  A  onze  heures  du  matin,  le  vaisseau  du  com- 
mandant de  Tescadre  française,  ayant  son  pavilloii  dé- 
ployé à  l'arrière,  pénétra  dans  la  baie.  Arrivé  à  portée  de 
canon  de  Tennemi,  Suflîren  ordonna  d'ouvrir  k  feu  des 
deux  bords.  Les  Anglais  ripostèrent  immédiatmient  et  le 
combat  s'engagea  avec  une  très-gnmde  vivacité,  le 
Héros  jeta  l'ancre  par  le  travers  et  à  deux  ti^s  4'^ 
cablure  du  vaisseau  monté  par  le  commodore  ^  SidGran 
avait  à  tribord  le  Montmou^f  le  JupUety  T/stg,  les  fré- 
gates la  Dicme  et  VActioe^  et,  à  bAbord,  le  flero,  le 
Romney  et  la  frégate  le  Jason.  Le  commandant  de  VÂw^ 
nibaly  M.  de  Trémigon,  serra  le  vent,  plus  que  ne  IV 
vait  fait  le  Héros^  et  il  mouilla  sur  l'avant  de  ce  visr 
seau.  Il  était  difficile  de  manœuvrer  avec  plus  d'habileté. 
Le  Héros  et  VAnmibal^  se  relevant  nord -nord-est  et 
sud-sud-ouest,  se  trouvaient  sur  une  ligne  perp^idica- 
laire  à  la  ligne  anglaise.  Dans  celte  position,  ils  pou- 
vaient, l'un  et  l'autre,  faire  usage  de  leurs  batteries  des 
deux  bords.  Le  capitaine  de  V Artésien  rangea  l'arrière  du 
Héros,  et  il  se  dirigea  sur  un  bâtiment  qu'à  travers  la 
fumée  il  supposait  être  un  vaisseau.  Son  intention  étail 
de  se  placer  bord  à  bord  de  ce  bâtiment,  et  de  l'enlever  à 
l'abordage.  Le  commandement  de  mouiller  venait  d'ôlre 
fait,  lorsque  le  capitaine  de  Cardaillac  tomba  frappé  par 
une  balle.  Cet  ordre  ne  fut  pas  exécuté  et  le  vaisseau,  qui 
avait  encore  de  l'aise,  dépassa  le  navire  anglais.  UArtésief^ 
aborda  un  transport  qui  avait  coupé  son  câble  pour  ga- 
gner le  large,  et  les  deux  bâtiments  dérivèrent  hors  de 
la  baie,  entraînés  par  le  vent  et  le  courant.  Le  lieutenant 


] .  Le  Héros j  en  cvitaiil  au  vent,  aborda  un  navire  marchand  dont  il  ^ 
dégagea  en  filant  du  càblc.  Huil  matelots  de  ce  navire  sautèrent  à  soo 
bord. 


LIVRE  XII.  367 

de  vaisseau,  appelé  à  prendre  le  commandement  de  VAr- 
tésicHy  parcourait  les  batteries  au  moment  où  son  capi- 
taine avait  été  tué.  11  s'écoula  un  temps  relativement  long 
en  pareille  circonstance,  avant  qu'il  eût  été  prévenu  de  cet 
événement.  Lorsqu'il  parut  sur  le  pont,  VAiHésien  ne  pou- 
vait rallier  le  champ  de  bataille  qu'après  avoir  rétabli 
sa  voilure  et  s'être  élevé  au  vent.  Les  capitaines  de  For- 

bin  et  du  Chilleau,  commandant  le  Vengeur  et  le  Spftm.r, 
commirent  la  faute  de  ne  pas  serrer  de  près  la  pointe 
méridionale  de  Tile.  Ils  eurent,  de  plus,  la  mauvaise  for- 
tune de  trouver  la  brise  au  nord,  lorsqu'ils  vinrent  sur 
tribord  pour  atteindre  le  point  où  combattaient  le  Hrros 
et  VAnnibal.  Il  résulta  de  cet  ensemble  de  circonstances 
que  les  deux  vaisseaux  passèrent  loin  des  bâtiments  an- 
glais et  français.  Arrivés  de  l'autre  côté  de  la  baie,  le 
Vengeur  et  le  Sphinx  virèrent  de  bord,  mais,  par  suite  de 
la  faiblesse  de  la  brise  et  de  l'action  du  courant,  ces 
deux  vaisseaux  furent  très-promptemcnt  hors  de  portée 
de  canon.  Ainsi,  sur  les  cinq  vaisseaux  dont  se  composait 
la  division  française,  deux  seulement  se  trouvaient  en 
présence  de  l'ennemi.  Cet  état  de  choses  permit  à  tous  les 
navires  anglais,  vaisseaux,  frégates  et  transports,  de  di- 
riger leurs  coups  sur  le  Hé7*os  et  VAnnibal.  Ces  deux 
vaisseaux  étaient,  en  outre,  fort  incommodés  par  un  feu 
très-vif  de  mousqueterie  partantdes  bâtiments  qui  avaient 
des  troupes  passagères.  Enfm,  les  Portugais  ayant  pris 
le  parti  de  défendre  la  neutralité  de  leur  pavillon,  un  fort 
qui  dominait  la  baie  envoya  des  boulets  à  notre  escadre. 
Il  n'y  avait  pas  une  heure  que  les  premiers  coups  de 
canon  s'étaient  fait  entendre,  et  déjà  le  Héros  avait  des 
avaries  très-graves.  Les  manœuvres  étaient  hachées,  les 
haubans  coupés  et  les  mAts  traversés  par  les  boulets. 
VAnnibal  ne  semblait  pas  moins  maltraité.  Son  mât 
d'artimon  était  coupé  au-dessus  des  joltereaux,  et  toute 
sa  m&ture  était  dans  le  plus  grand  désordre.  Cette  lutte, 
en  se  prolongeant,  ne  pouvant  aboutir  qu'à  un  désastre, 
SuQren  [résolut  de  rejoindre  le  Sphinx^  le  Vengeur  et 


i 


368  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  l'KANyAlSli. 

YArtésieJi.  Léo  drisses  de  pavillon  ayanl  été  coupées  %^~,nr 
le  feu  de  l'eiinemi,  U  élait  dans  l'impossibililé  de  fi:^^iri( 
connallre  cette  décision  à  VAnnibal.  D'autre  part,  il       ^e 
fallait  pas  attendre,  pour  gagner  le  large,  que  les  d  ^^^^^ 
vaisseaux  fussent   complùlement  dégréée.  Le  romir^.f,„. 
dcur,   persuadé  que  son  compagnon   imiterait  sa    'wiia, 
nœuvre,  ordonna  de  couper  le  cdblc.  Le  lieutenant.  ^ 
vaisseau  de  Galle,  qui  avait  remplacé  le  capitaine  de 
migon,  tué  pendant  le  combat,  suivait  avec  attention 
qui  se  passait  ù  bord  du  vaisseau  du  cummandunf 
chef.  Aussilôl  que  le  mouvement  du  Héros  fut  pronona', 
il  fit  couper  le  cflble  de  VAnnibal.  Quelques  lambeaiittlc 
voiles  furent  appareillés  pour  faciliter  la  manœuvre,  mais 
la  milture,  criblée  par  les  boulets,  ne  put  supporter  im 
aussi  faible  effort.  Lorsiiue  le  vaisseau  fut  en  travers  au 
vent,  le  grand  mat  cl  le  mât  de  misaine  vinrent  en  liis. 
Toutefois,  l'évolution  s'acheva,.ei  le  vaisseau  sortit  de  Ih 
baie  vent  arrière,  A  la  vue  de  VAnnibal  gouvernant  dans 
ses  eaux,  la  satisfaction  de  SufTrcn  fut  extrême.  Celte  par- 
tie, engagée  avec  tant  d'audace,  il  ne  l'avait  pas  perdue, 
puisqu'il  se  retirait  avec  tous  ses  bâtiments.  L'Annîbal 
était  ras  comme  un  ponton  et  le  Héros  avait  perdu  deui 
mflts  do  hune,  mais  le  Sphinx,  YArlêsien  ei  le  Vengfw 
étaient  intacts.  Quoique  le  commandeur  ignordl  les  ava- 
ries des  vaisseaux  anglais,    il  n'admettait  pas  (lu'ili 
eussent  reçu,  pendant  une  heure,  sans  subir  de  nomiireux 
dommages,  le  feu  du  Héros  et  de  VAnnibal.  11  s'occup» 
immédiatement  de  mettre  sa  division  en  mesure  de  rece- 
voir l'ennemi,  si  celui-ci,  ainsi  qu'il  te  supposait,  ap|ia- 
reillait  de  la  baie  de  la  Praya.  Aussitôt  que  des  drisses  de 
pavillon  eurent  été  repassées  à  bord  de  son  vaisseau, 
l'ordre  fut  donne  au  ><phinx  de  prendre  VAnnibul  à  la  re- 
morque, et  au  convoi  de  faire  route  pour  sa  destination, 
sous  l'escorte  de  la  Fortune^.  Dix  ou  douze  transporli 

I .  Celle  corvdU'  «marinnil  |p  brûloi  VlnfeniiU,  «u  iiionii'Ot  oO  fal  hi»* 

k  sigiinl  niii   la  coiiccriitiit.   0>ni|ii'«nnnt  la  uic«sîil«  J'uli^ir  sua  M") 


LIVUE  Xll.  369 

aDglais  qui  avaient  mis  sous  voiles,  seraient  inévitable- 
ment tombés  entre  nos  mains,  si  nous  avions  été  plus 
heureux  dans  notre  attaque.  La  situation  de  VAnnibal  et 
robligation  de  couvrir  notre  convoi  ne  nous  permettaient 
pas  de  les  chasser.  A  trois  heures  de  l'après-midi,  on  aper- 
çut les  Anglais  courant  grand  largue  sur  notre  escadre. 
SulTren  fit  serrer  le  vent,  bâbord  amures,  VAnnibal  à  la 
remorque  du  Sphinx,  et  il  attendit  Tennemi.  Arrivé  à  une 
portée  et  demie  de  canon,  Johnston  prit  le  plus  près  et 
il  se  maintint  dans  cette  position.  Aussitôt  que  la  nuit 
fut  faite,  Sufîren  se  dirigea  sur  le  Cap  de  Bonne -Espé- 
rance. La  crainte  d'être  entraîné  sous  lèvent  du  mouil- 
lage, où  il  avait  laissé  une  partie  de  son  convoi,  et  le 
mauvais  état  de  quelques-uns  de  ses  vaisseaux  avaient 
empêché  le  commodore  de  nous  attaquer. 

Le  Héros  perdit  trente-quatre  hommes,  et  il  eut  cin- 
quante-six blessés.  Le  chiffre  des  morts  s'éleva,  sur 
YAnnibal,  à  soixante-dix,  et  celui  des  blessés  à  cent  trente. 
Une  faute  commise  par  le  capitaine  de  Trémigon  ne  fut 
pas  étrangère  à  ce  résultat.  Lorsque  le  signal  de  se  pré- 
parer au  combat  parut  en  tête  des  mâts  du  IléroSj  les 
malades,  qui  étaient  fort  no  l'breux,  et  les  pièces  â  eau 
que,  par  un  excès  de  zèle,  on  avait  fait  monter,  à  l'avance, 
de  la  cale,  encombraient  les  batteries.  Persuadé  que 
Suffren  respecterait  la  neutralité  de  l'île,  le  capitaine  de 
Trémigon  ne  crut  pas  qu'il  fût  nécessaire  de  les  dégager. 
En  conséquence,  les  dispositions  militaires  que  comporte 
le  branle-bas  de  combat  ne  furent  que  très-incompléte- 


aou  capitaine  abandonna  le  navire  anglais,  en  conservant  le  capitaine  et 
quinze  hommes  de  l'équipage  qu'il  avait  déjà  fait  passer  à  son  bord. 

Le  capitaine  de  V Artésien  avait  jeté  du  monde  à  bord  d'un  navire  de  la 
Compagnie  des  Indes^  mais^  par  suite  d'une  erreur  aussi  regrettable  (juc 
difCcile  à  expliquer^  il  avait  mis  vingt-deux  hommes  sur  un  navire  qui 
avait  quatre-vingts  hommes  d'équipage.  Le  bâtiment  anglais  fut  repris  le 
même  jour,  et  l'escadre  perdit  fort  inutilement  vingt-deux  matelots.  Le 
commandeur,  qui  était  loin  d'être  satisfait  du  rôle  que  VArlésien  avait 
joué  après  la  mort  du  capitaine  de  Cardaillac,  se  montra  très-mécontent 
de  cette  faute. 

2^ 


StO  HISTOIRB  DB  LA  MABIHE  FRANÇAIBK. 

ment  exécutées  sur  son  Taisseau»  la  «iteBdaBt  le  ctBOo 
retentir  dans  la  baie^  il  ooiii|Mrit  toute  la  gFsvfté'de  fOB 
erreur.  Quoique  détarmé,  il  coutiDuaea  route  saiie  dimi* 
nuer  de  toile,  recevant  des  boulets  auxquels  il  ne  pouvait 
pas  répondre.  Son  vaisseau  avait  bit  des  p&rtmttmài^ 
râbles  avant  d'être  en  mesure  de  commence  le  feu.  Jkm 
n'insisterions  pas  sur  cette  fente  noblraEmntradietéei  éV 
n'était  pas  nécessaire  de  OKmtrer  les  oonséquences  qse 
peut  entraîner  rinexécution  d'un  tnrdre.  VArÊê$tef^  cube 
son  capitaine  qui  ftit  tué,  eut  dix-huit  blessés.  Tel  fetle 
combat  de  la  Praya  dans  lequel  deux  vaisseaux  Crançrii 
luttèrent  héroïquement  oentre  dnq  vaisseaux  anglais. 

Les  circonstances  dans  lesquellw  se  produisit  aotoe 
attaque  enlevèrent  à  Suffirai  toute  action  sur  la  eondMb 
de  ses  bAtiments.  Lorsque  la  présmioe  de  r«uieiDi  frt 
signalée,  sa  dividon  n'était  pas  réguHèremait  fennèe. 
VAtmilmi  était  près  du  Hir&s,  tandis  que  VArUÊim  m 
trouvait  à  quelque  distance  en  avant  et  sous  Je  venLU 
Vengeur  et  le^iruB,  quimardiaienft  mal,  étaient  enem 
très-éloignés,  et  l'un  d'eux  avait  un  Mivire  à  laremorqitt^ 
Si  Suffren  se  décidait  à  attendre  le  Vengeur  et  le  Sphinx^ 
il  perdait,  ainsi  que  nous  Tavons  dit  plus  haut,  ravanlag« 
d'une  attaque  faite  à  l'improviste.  D'autre  pari,  en  allant 
sur-le-champ  à  l'ennemi,  il  renonçait  à  communiquer 
avec  ses  bâtiments,  et  à  combattre  suivant  un  plan  arrêté 
à  l'avance.  Obligé  de  prendre  un  parti,  il  choisit  ce  der- 
nier comme  le  plus  propre  à  atteindre  le  but  qu'il  pou^ 
suivait.  Il  crut  que  ses  capitaines,  jugeant  la  situation 
comme  il  la  comprenait  lui-même,  sauraient  trouver  leurs 
postes  decombat.  Le  capitaine  de  V AnnibcU  jusiids.  plei- 
nement la  confiance  de  son  chef.  Suivant  de  près  le  Héros, 
il  se  rendit  compte  de  la  position  de  l'ennemi,  et  il  fit  un 
mouillage  qui  excita  l'admiration  des  officiers  anglais  et 
français.  Lorsque  VArtésien  se  présenta  dans  la  baie,  I» 
fumée  était  assez  épaisse  pour  que  le  capitaine  de  Car- 
daillac  prit  un  navire  de  la  Compagnie  des  Indes  pour 
un  vaisseau  de  ligne.  Si  l'ordre  de  laisser  tomber  l'ancre 


LIVRE  XII.  371 

avail  été  cxéculé,  cet  incident  eût  été  sans  importance. 
Après  avoir  reçu  un  équipage  de  prise,  la  Forlilude^  cou- 
pait son  cdble  et  elle  rejoignait  notre  convoi,  laissant  les 
batteries  de  Y  Artésien  libres  des  deux  bords.  La  mort  du 
capitaine  de  Cardaillac,  la  confusion  qui  en  fut  la  consé- 
quence, et  l'inexécution  de  Tordre  de  mouiller  privèrent 
Suffren  de  Y  Artésien,  Le  Vengeur  et  le  S/>/ii>ix  n'arrivèrent 
sur  le  lieu  du  combat  que  plus  d'une  demi-heure  après 
le  début  de  l'action.  Les  capitaines  du  Chilleau  et  de 
Forbin  traversèrent  la  baie  sans  mouiller,  et,  lorsqu'ils 
eurent  viré  de  bord,  ils  se  trouvèrent  sous-ventés.  Cette 
suite  de  circonstances  défavorables  modifiait  complète- 
ment le  plan  du  général  en  chef.  Suffren  avait  attaqué, 
ou  pour  parler  plus  exactement,  s'était  jeté  sur  l'ennemi 
avec  deux  vaisseaux,  parce  qu'il  comptait  que  le  troi- 
sième, d'abord,  puis  les  deux  autres  viendraient  prompte- 
ment  à  son  secours.  Trompé  dans  cette  espérance,  il 
n'avait  plus  qu'à  battre  en  retraite,  ce  qu'il  fit  avec  calme 
et  résolution.  On  ne  doit  pas  perdre  de  vue  que  ces  divers 
événements  se  passèrent  avec  une  extrême  rapidité.  A 
onze  heures  du  matin,  le  Héros  laissait  tomber  l'ancre 
au  milieu  de  l'escadre  anglaise,  et,  à  midi,  il  coupait  son 
cAble.  Les  capitaines  de  YAriésien^^  du  Vengeur  et  du 
Sphitix  n'eurent  pas  le  temps  de  réparer  la  faute  qu'ils 
avaient  commise,  en  manquant  leur  mouillage.  Il  serait, 
d'ailleurs,  injuste  de  ne  pas  reconnaître  que  le  Vengeur 
et  le  Sphinx^  arrivant  tard  sur  le  champ  de  bataille,  ren- 
contrèrent plus  de  difficultés  pour  prendre  leurs  postes 
que  le  Héros  et  Y Annibal qui  avaient  reconnu,  à  loisir,  et 
avant  qu'un  seul  coup  de  canon  eût  été  tiré,  la  position 
de  l'ennemi. 


1.  C'était  le  nom  du  navire  de  la  Compagnie  des  Indes,  sur  lequel  le 
capitaine  de  Cardaillac  s'était  dirigé  par  erreur. 

2.  Il  n*est  que>tion  de  VA^téticn  qu'à  partir  du  moment  où  le  capitaine 
de  Cardaillac  fui  tué. 


IllâTOUlE  DE  lA  HAAINK  FRANÇAISE. 


Après  la  sûjiaraliun  des  deux  escadres,  SuGTren  n'eut 
plus  d'autre  préoccupatioD  que  de  gagner  de  vitesse  SM 
iidvcrsuirc.  VAnnibal,  remorqué  par  le  Sphinx,  instiUi 
une  mâture  de  forlune.  Quant  au  Héros,  qui,  d'ailleun, 
marchait  très-bien,  ses  avaries  Furent  promplement  »■ 
parées.  Le  18  juÏD,  l'escadre  doubla  le  Cap  de  Bonne-Es> 
péraiiuc.  Ce  jour-là,  conformément  aux  ordres  du  Boi, 
StilTrcn  arbora,  d  bord  de  son  vaisseau,  le  pavillon  de  d^T 
dVscadrc'.  Le  SI,  il  entra  à  Simon 's  bayoùil  eut  lastti^ 
Taclioii  d'apprendre  qu'on  n'avait  aucune  nouvelle  it 
rraiit'iiii.  La  coloniL'  n'6lait  pas  en  6lat  de  résister  am 
rurccsdu  Commodore  Johnstoue.  L'eirectirde  la  ^anÙNJii 
ne  dèpaâbait  pus  quatre  cents  liommcs  de  troupes  rég lie. 
Les  forliticalions  n'avaient  aucune  importance  et  le  malc 
l'icl  d'artillerie,  à  l'exception  de  quelques  pièces  récan- 
mcnt  arrivées  d'Europe,  était  hors  de  service.  Les  liM- 
pes  embarquées  sur  nos  vaisseaux  furent  envoyéesàli 
ville  du  Cap,  distante  de  quelques  milles  du  mouiUige. 
Pendant  que  le  brigadier  de  Conway,  sous  les  ordres  Ai- 
quel  elles  étaient  placées,  prenait  ses  dispositions  poiB 
repousser  les  Anglais,  l'escadre  se  réparait  et  faisailda 
vivres.  A  la  fin  de  juin,  la  corvette  la  Fortune  el  te 
Iransports  rallièrent  le    pavillon    du    commandante 


LIVRE  XII.  373 

défense  faits  par  nos  troupes,  il  ne  se  crut  pas  en  mesure 
de  remplir  la  mission  qui  lui  avait  été  confiée.  Peu  de 
temps  avant  que  Tescadre  française  mouillât  à  Simon's 
bay,  le  bruit  de  la  prochaine  arrivée  de  Texpédition  bri- 
tannique s'était  répandu  dans  la  colonie.  A  ce  moment, 
cinq  navires  hollandais,  richement  chargés,  se  trouvaient 
sur  la  rade  du  Cap.  Certains  d'être  capturés,  s'ils  restaient 
au  mouillage,  craignant  de  rencontrer  les  Anglais,  s'ils 
prenaient  la  mer,  les  capitaines  de  ces  bâtiments  s'étaient 
retirés  dans  la  baie  deSaldanah*,  comptant  appareiller 
le  jour  où  ils  seraient  fixés  sur  la  position  des  Anglais. 
Ils  avaient  commis  la  faute  de  ne  pas  retourner  au  Cap, 
aussitôt  après  notre  arrivée.  Ces  divers  incidents  par- 
vinrent à  la  connaissance  du  commodore.  Celui-ci,  per- 
suadé que  le  tort  fait  au  commerce  de  la  Hollande,  atté- 
nuerait, aux  yeux  de  ses  concitoyens,  les  malheurs  de  sa 
campagne,  fit  route  pour  la  baie  de  Saldanah.  Il  y  sur- 
prit, le  21  juillet,  au  point  du  jour,  les  cinq  bâtiments 
qui  se  gardaient  avec  beaucoup  de  négligence.  L'un  d'eux 
fut  brûlé  par  son  équipage,  mais  les  quatre  autres  tom- 
bèrent entre  les  mains  des  Anglais.  Quoique  VAnnibalna 
fût  pas  en  mesure  de  le  suivre,  Suffren  mit  sous  voiles 
aussitôt  qu'il  apprit  la  présence  de  l'ennemi  sur  la  côte. 
Après  avoir  inutilement  cherché  l'escadre  anglaise,   il 
jeta  l'ancre,  le  10  août,  devant  la  ville  du  Cap.  La  colo- 
nie hollandaise  n'avait  plus  rien  &  craindre  des  forces 
placées  sous  les  ordres  de  Johnstone.  Le  commodore  était 
parti,  le  24  juillet,  pour  l'Angleterre,  avec  le  Jupiter^  le 
Romney,  les  frégates  et  les  prises.  Les  vaisseaux  lelfero^ 
le  Montmouth^  VIsisei  les  transports  s'étaient  dirigés  sur 
Bombay.  Le  16  août,  la  frégate  la  Consolante^  venant  de 
l'Ile  de  France,  apporta  au  commandeur  l'ordre  de  rallier 
le  comte  d'Orves,  s'il  pouvait  s'éloigner  du  cap  sans  com- 
promettre la  sécurité  de  la  colonie.  Le  28  août,  les  répa- 

1.  La  baie  de  Saldanah  est  située  sur  la  côte  orientale  de  rAfri(iuc,  h 
soixante  milles  dans  le  nord  du  Cap  de  Bonne-Espérance. 


Mk  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

nilions  ilf  VAnnibtil  (taol  terminées,  SulTrcn  appaniUa 
avi'c  l'escadre  cl  le  convoi. 

Qiicliiucs  jours  avant  son  départ,  il  avait  expédié  dd 
navire  rn  Europe  pour  porter  ses  dépêches.  Persaalê 
(]ur  le  {irouvcrnemcnt  n-ançais  était  instruit  de  l'affaindt 
la  l'ruya  par  le  récit  des  journaux  anglais,  il  se  demiD- 
■liiii,  non  sans  quelque  inquiétude,  si  sa  conduite^ 
a|i|)rouvéc  par  la  cour.  Dans  le  but  de  se  justiBffil 
écrivait  au  ministre  :  "  J'ai  pris  la  détermination  d'alU- 
(|iii'r  Johnstunc  duns  la  baie  de  la  Prnya  par  Tespoir  Ir<- 
ronde  (le  le  (lùlruire.  Le  désordre  du  mouillage,  U  >iir- 
prisc  devaient  inc  procurer  cet  avantage  dont  le  résaU 
dc^ail  l'Irii  de  couper  racine  à  tous  les  plans  et  ^rv}^ 
ilf  ci-lU'  l'xpùdition,  d'acquC-rir  ta  supériorité  dans  l'Inik 
puur  loii^'lcnips,  supùriorilO  de  laquelle  pouvait  résot- 
Irr  une  pai\  glorieunie,  d'cmpCclicr  les  Anglais  d'ar- 
river au  Cn|>  avant  niui,  objet  qui  a  été  rempli  et  i]ui 
('■tait  le  principal  de  ma  mission.  Par  la  note  des  foiR' 
<'iini'mii-s  (]iie  vous  m'aviez  donnée,  je  n'avais  aucune?- 
poir  tlo  les  batlre  en  pleine  mer.  Je  devais  donc  saidi 
l'iiiiasion  de  Icr  attaquer  dans  une  position  qui  mepTi:- 
incltait  ilu  succi-s.  Yuilji  ce  (jui  regarde  la  partie  milifatn- 
Taiil  nu'A  la  politicpic,  j'ai  l'honneur  de  vous  faire  obsff- 
vcr  ipH-  Jolmsione  iippcltc  la  Praya  une  baie,  mais,  scloo 
l'i'U  iuluc  du  mol  portugais,  elle  n'est  qu'une  plage.  Dan> 
l()us  les  aulcurs  du  droit  public,  soit  Grotius,  PiiITcndorf, 
St'Idcii,  il  n'y  a  ricni|ui  puiRscétabtîr  une  règle  con^laol^ 


LIVRE  XII.  375 

Suffrcn  se  préoccupait,  à  tort,  de  l'opinion  du  gouver- 
oement  français  à  son  égard.  Sa  conduite  n'avait  trouvé, 
dans  les  sphères  ofiîciclles,  que  des  approbateurs.  Lors- 
que le  rapport  du  commodore  Johnstone,  inséré  dans  les 
Journaux  anglais,  eut  traversé  le  détroit,  le  maréchal 
de  Castries  montra  les  dispositions  les  plus  bienveillantes 
pour  le  commandeur.  Quoi(iu'il  n'eiH  aucune  nouvelle  de 
l'escadre  française  et  qu'il  ignorât  en  quel  état  le  Héros 
et  VAnnibal  étaient  sortis  de  la  baie  de  laPraya,  il  écrivit 
immédiatement  à  Suffrcn  pour  le  rassurer  sur  les  suites 
de  cette  affaire*.  Le  cabinet  de  Versailles  ne  voyait  pas 
avec  plaisir  les  difficultés  que  la  violation  du  territoire 
^jortugais  devait  soulever,  mais  le  ministre  voulait  main- 
tenir intact  l'esprit  d'entreprise  (iuc  révélait,  chez  Suffrcn, 
le  combat  du  16  avril.  Lorsque  les  rapports  expédiés  du 
Cap  parvinrent  à  Paris,  le  commandeur  fut  fait  chef  d'es- 
cadre. Le  ministre  lui  annonça  sa  promotion  dans  les 
termes  suivants*  :  «  Le  Roi  vous  a  annoncé  dans  vos  in- 
structions, Monsieur,  que  toutes  les  actions  courageuses 
que  ses  généraux  feraient,  lors  môme  qu'elles  n'auraient 
pas  le  succès  que   leur  conduite  aurait   mérité,   n'en 
seraient  pas  moins  honorées  par  lui,  et  qu'il  n'y  aurait 
que  de  leur  inaction  qu'il  serait  mécontent.  Sa  Majesté 
n'avait  pas  connu,  sur  les  premiers  comptes  qui  lui  avaient 
été  rendus,  tous  les  caractères  du  parti  que  vous  aviez 
pris,  lorsque  vous  vous  êtes  déterminé  à  attaquer  le  com- 
modore Johnstone  &  la  Fraya.  Elle  a  reconnu  depuis,  par 


1.  Suffren  reçut  celte  lettre  à  Tlle  de  France,  en  novembre  1781.  Il  répon* 
dit  au  ministre  :  «  J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m*avez  fait  Phonneur  de 
ni*écrire,  en  date  du  1"  juillet,  relativement  à  l'affaire  de  la  Praya.  Je  ne 
saurais  vous  exprimer  combien  j'ai  été  sensible  à  la  bonté  que  vous  ayez 
eue  de  me  rassurer  sur  les  craintes  que  je  pouvais  avoir  que  vous  n'eussiez 
pas  approuvé  ma  conduite.  >*  Dans  une  lettre  parUculière,  il  disait  sur  le 
même  sujet  :  •  M.  de  Castries  m'a  écrit,  sur  la  Praya,  lUM  '* 
agréable  qu'elle  peut  lêtre,  sur  une  aflaire  qu'il  ne  conult 
relation  anglaise.  » 

7.  Suffren  ne  reçut  celle  lettre  qa*à  la  fin  d*  ^ 
Trinquenialay, 


.37fi  HISTOIRE  DIÎ  I,A  MARIKE  FHANÇAÎSE. 

divers  iliHails  qui  lui  sont  parvenus,  que  vous  vous  ('[or 
conduit,  dans  celle  circonstance  imporlanle,  comme  un 
homme  de  guerre  qui  annom^ait  de  grands  talents,  ol, 
sans  avoir  égard  au  résultat  dont  vous  n'êtes  point  ga- 
rant, ni  au  rang  que  vous  tenez  dans  l'ordre  de  ses  capi- 
taines de  vaisseau,  elle  m'a  chargé  de  vous  mander  qu'elle 
vous  donnait  le  grade  de  chef  d'escadre,  en  se  réservant, 
toulefols,  de  rendre  le  rang  à  ceux  des  capitaines  de  viiis- 
seau,  vos  anciens,  qui  trouveraieni  des  occasions  de  se 
distinguer  dans  le  cours  de  cette  campagne  eoulement.  » 


ni 

Le  capitaine  de  vaisseau  de  Tronjolly,  qui  avait,  au  t]{— 
but  (le  la  guerre,  le  commandement  des  bAtimonts  fran- 
çais stationnés  ilans  l'Inde,  avait  quille  la  cùte  de  Oom- 
mandel  lorsque  les  Anglais  avaient  mis  le  siège  devant 
Pondichéry.  Il  s'était  retiré  à  l'Ile  de  France  oii  il  avait 
trouvé  le  vaisseau  le  Flamaml,  do  cinquante  canons,  parti 
de  Brest  avant  l'ouverture  des  hostilités.  M.  de  Tronjolly 
avait  reçu  du  ministre  l'ordre  de  se  considérer  comme 
spécialement  affecté  à  la  défense  de  Bourbon  et  de  l'Ile 
de  France.  Notre  gouvernement,  qui  se  disposait  h 
envoyer  six  vaisseaux  dans  l'Inde,  jugeait  inutile  de 
comi)romeltre  la  faible  division  de  M.  de  Tronjolly 
avant  l'arrivée  de  ce  puissant  renfort.  Contrairement  & 
ce  que  l'on  supposait  A  Paris,  les  Anglais  n'avaiL'nt 
dans  l'Inde  que  des  forces  insi^'niliantcs.  Au  lieu  de  se 
porter  sur  les  côtes  de  Mulabar  et  de  Coromandel,  où  il 
aurait  pu  les  inquiéter,  M.  de  Tronjolly,  quoiqu'il  eût  été 
successivement  rallié  par  rOncnf,  de  soixante-quatorze, 
et  le  Spt<ère,  de  soixante-quatre,  s'en  tinta  la  lettre  de  ses 
instructions.  11  n'appareilla  que  pour  faire  une  courte 
croisière  dans  les  parages  du  Cap  de  Bonne-Espérance.  A 
In  nouvelle  de  l'érber  du  comte  d'Estaing  devant  Sainte- 
I.ufie,  IV<cndre  destinée  A  aller  dans  l'Inde  fut  dirigée 


LIVHE  XII.  377 

sur  les  Antilles.  Une  seconde  escadre,  prôte  à  appareiller 
pourTIle  de  France,  fut  encore  une  fois  détournée  de  sa 
destination.  M.  deTernay,  qui  en  avait  le  commandement, 
fut  chargé  de  conduire  à  Rhode-Island  les  six  mille  hom- 
mes du  corps  de  Rochambeau.Le  ministre  expédia,  à  Tlle 
de  France,  le  Bizarre,  puis,  quelques  mois  après,  le  Pro- 
lée,  VAjcuc  et  quelques  navires  de  transport.  On  se  rap- 
pelle que  le  Protée  fut  pris,  avec  plusieurs  bâtiments  de 
son  convoi,  par  Tescadre  du  contre-amiral  Digby.  A  la  fîn 
de  Tannée  1780,  le  comte  d'Orves,  qui  avait  remplacé 
M.  de  Tronjolly,  avait,  sous  ses  ordres,  les  vaisseaux 
l'Orient,  de  soixante-quatorze,  le  Brillant,  le  Bizarre,  le 
Sévère,  YAjax  de  soixante-quatre,  le  Flamand,  de  cin- 
quante, et  quelques  frégates.  Le  nouveau  commandant 
en  chef  ne  voulut  pas  garder,  avec  six  vaisseaux,  deux 
ties  qu'aucun  danger  ne  menaçait.  Il  insista  auprès  du 
gouverneur  général  pour  obtenir  Tautorisation  de  se  ren- 
dre à  la  côte  de  Coromandel.  Quoique  le  ministre  n'eût 
rien  changé  aux  ordres  qu'il  avait  précédemment  donnés, 
H.  de  Souillac  acquiesça  à  cette  demande,  mais  il  mit 
pour  condition  que  le  comte  d'Orves  éviterait  toute  opé- 
ration de  nature  à  compromettre  son  escadre.  Les  maga- 
sins de  la  Compagnie  étant  vides,  le  gouverneur  général 
craignait  de  se  trouver  dans  l'impossibilité  de  réparer 
nos  vaisseaux,  s'ils  revenaient  avec  des  avaries*  Il  fut  donc 
convenu  que  cette  sortie  n'aurait  d'autre  objet  que  de 
montrer  notre  pavillon  sur  la  côte  de  Coromandel  ^  Le 


1 .  I^  nature  de  la  mission  donnée  à  i^escadre  se  trouve  clairement  défi- 
nie dans  le  passage  suivant  d'une  lettre  que  le  comte  d'Orves  écrivait  au 
ministre  de  la  marine,  à  son  retour  de  la  côte  de  Coromandel  :  >  Le  journal 
de  ma  campagne  vous  a  fait  connaître  TinsufOsance  des  moyens  qui  m'é- 
taient confiés  pour  la  rendre  aussi  avantageuse  qu'elle  aurait  pu  Tôtre 
avec  dos  approvisionnements  qui  m'eussent  permis  de  garder  plus  long- 
temps la  côte  de  Coromandel.  Je  n'ai  pu  y  paraître  que  pour  remplir  l'obji^t 
essentiel  de  ma  mission,  qui  était  de  montrer  aux  princes  indiens  des 
forces  qui  leur  donnaient  une  confiance  fondée  de  notre  puissance  et  de  nos 
dispositions  à  en  réunir  aux  leurs  de  suffisantes  pour  les  seconder  dans  la 
gncrre  qu*il8  font  à  nos  ennemis,  et  les  engager  à  la  continuer.  J'ai  eu 


378  HISTOIRE  DK  LK  MARINE  FRANÇAISE. 

comlcd'Orves  appareilla  de  Porl-Louis,  Ift  14  octobre  IT», 
avoc  si\  vaisseaux  et  trois  frégates.  Après  être  restéquel- 
ijiios  jniir»  à  l'entrée  de  ta  passe  de  Surale  pour  Taire  dt 
l'euii,  Il  parut,  le  S7  janvier,  devant  Madras.  Les  bâtiments 
aiifflnis  qui  étaient  sur  la  rade,  s'élant  réfugiés  sons  la 
canons  du  fort  Saint-George,  nos  vaisseaux  poursuirirent 
leur  roule  vers  le  sud,  et  ils  mouillèrent  à  petite  distann 
(le  Pundicliéry.  Les  Anfrlais,  croyant  que  nous  avions  IIih 
Icntion  d'u|iércr  un  débarquement  devant  cette  ville,  Ht- 
voytront  des  Irouiies  dans  cette  direction. 

Au  inomenl  oii  loHcadre  française  arrivait  sur  la  cî-ti' 
de  Coromandel,  la  piiifi^ance  britanni<[ue  dans  l'Inde tn- 
vcrsHJl  une  épreiive  pleine  de  périls.  Les  chefs  indig^n^ 
uubliitnt  leurs  querelles  parliculiiTcs,  s'étaient  élroitf- 
incnl  unis  cunlrc  les  Anglais.  Au  coninicncemcDtderu- 
née  1780,  IcslrmiiMîsde  la  Compagnie  avaient  été  attt 
i|ni>es  sinuillunémont  au  Dengalc,  &  la  côlc  de  Malabaret 
A  la  cùlede  Ciimmiuidel.  Hyder-Ali  qui,  sous  le  titre  J^ 
ivp'iit,  frouvernait  le  royaume  de  Mysorr,  nvail  envahi  1'^ 
(^urniilic  a^e^  cent  mille  liommes  ctiinc  nombreux  arlii- 
liTic.  l'iusicursclétacbcmenls  anglais  avaient  été  faits i-tî- 
siiniiiers  par  ses  troupes,  et  il  s'était  emparé,  aprèï  «s 
Mége  régulier,  de  la  ville  d'Arcate,  capitale  de  la  Nababà 
de  ce  nom.  Un  général  fort  habile,  sir  Eyre  Coot,  avaitl^ 
rClé  les  progrès  du  sultan,  mais  l'armée  niysoréenne  «»- 
servait  les  |to»ition8  qu'elle  avait  conquises,  et  elle  coiili- 
e  nabab,  Irès-promplem»! 


(.IVRE  XII.  379 

in»lruil  du  moirvoiiient  des  troupes  briUmniqucs  vers 
Pondich^ry,  se  plai;a  par  iiiie  marche  rapide  entre  celte 
vitli'  et  Maiiras.  tes  Anglais  e'étant  retirés  à  Goudelour, 
l'iirmée  indienne  s'établit  devant  cette  place  (]uî  était  à 
peine  forlifiée. 

Hydcr-Ali,  en  apprenant  l'arrivée  d'une  escadre  fran- 
çulee,  avait  Tait  tirer  le  canon  duns  son  camp,  en  signe 
de  rAjonissance.  Il  accueillit  avec  le  plus  grand  empresoe- 
ment  MM.  de  Salvert,  capitaine  de  la  Fine,  et  Pivron  do 
I  Mortal,  ancien  procureur  du  Roi  &  Pondicliëry,  envoyés  en 
mission  auprès  de  lui  par  le  comte  d'Orves.  Le  nabab  dé- 
clara (|u'il  èlail  prûl  A  nous  donner  des  hommes,  des  vi- 
vres et  de  l'argent,  si  nous  consentions  à  mettre  A  terre 
un  corps  français.  Celte  proposition  ne  pouvant  avoir 
aucune  suite,  puisque  nous  n'avions  pas  de  troupes  do 
débarquement,  il  réclama  l'appui  do  l'escadre  pour  pren- 
dre Goudelour.  Il  demanda,  en  outre,  avec  une  ^ande 
insistance,  qu'un  détachement  français  assistât  son  ar- 
mée dans  les  opérations  du  siège.  L'amiral  Hu^^hcs  ayant 
quitté  la  côte  de  Goinmandel,  le  U  octobre,  pour  se  ren- 
dre A  Bombay,  la  place  n'avait  &  attendre  aucun  secours 
de  la  marine  britannique.  Attaquée  par  terre  et  par 
mer,  coupée  de  loutc  comnmnicution  avec  Madras,  la 
ville  so  serait  reiidtte  à  discrétion.  Notre  escadre  n'avait,& 
ce  moment,  que  les  vivres  nécessaires  pour  effectuer  sa 
traversée  de  retour.  Soit  que  le  comte  d'Urvos  fût  con- 
vaincu qu'il  ne  parviendrait  pas  à  s'en  procurer  sur  la 
cAte,  soit  que,  étant  parti  pour  l'Inde  sans  ordres,  ou  plu- 
tôt malgré  les  ordres  du  gouvernement,  il  fût  pressé  de 
revenir  à  l'Ile  de  France,  il  refusa  son  concours.  M.  de 
Souillac,  écrivit-il  au  sultan,  lui  avait  défendu  de  la  ma- 
nière la  plus  formelle  de  débarquer  un  seul  homme.  Il 
ajouta  qu'il  était  obbgé,  eu  vertu  d'instructions  extrê- 
mement précises,  de  se  trouver  à  l'Ile  de  France,  au 
mois  d'avril,  pour  o[)érer  sa  jonction  avec  une  escadre 
attendue  d'Europe.  Il  oITrit  au  sultan  de  lui  laisser  deux 
cent  ciuquante  soldatâ  de  marine,  mais  celui-ci  déchna 


L 


3S0  HISTOIRE  DR  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

cette  proposition'.  L'escadre  np|iareiIlH  le  13  Tévrier,  et 
elle  mouilla,  le  31  mars,  à  l'Ile  de  France.  Il  ne  lut  res- 
tait, à  son  arrivée,  qu'un  repas  de  buîscuit  et  du  rii 
pour  huit  jours.  Le  comte  d'Orves  ^lait  donc  parll  i 
temps,  mais,  s'il  avait  voulu  prolonf^jer  son  séjour  sur  la 
côte,  on  no  peut  pas  admettre  qu'il  n'eût  pas  trouvé,  soll 
chez  les  Danois,  à  Tranquebar,  soit  chez  les  Hollandais, 
tt  Négapalam  ou  à  Ceyian,  des  vivres  pour  six  vaisseaux 
pendant  un  mois.  Or,  la  coopération  réclamée  par  Hyder- 
Ali  n'aurait  pas  eu  une  plus  longue  durée. 

La  Fine  avait  quitté  Hresl,  le  16  mars  1781,  pour  porter, 
à  l'Ile  de  France,  la  nouvelle  du  départ  de  SufTren.  AprèB 
avoir  touché  le  25  mai  au  Cap  de  Bonne-Espérance,  cette 
frégate  était  arrivée,  le  10  juillet,  à  sa  destination.  Les  in- 
structions qu'elle  apportait  au  commandant  de  l'escadrft 
laissaient  ce  dernier  libre  de  choisir  entre  les  trois  partis 
suivants:  croiser  dans  les  parages  du  Cap  de  Bonne-Es- 
pérance pour  intercepter  Johnstone  et  son  convoi,  atten- 
dre SulTren  à  l'Ile  de  France,  ou  faire  route  pour  l'Inde  en 
donnant  rendez-vous  au  commandeur.  L'escadre  devait 
prendre  les  dispositions  nécessaires  pour  faire  une  cam- 
pagne de  six  mois.  Le  ministre  ignorait  absolument,  au 
moment  oti  il  donnait  ces  ordres,  la  position  du  comte 
d'Ûrves.  Nous  n'avions,  à  l'Ile  de  France,  ni  matériel,  ni 
approvisionnements  d'aucune  sorte.  Quant  aux  ressour- 
ces qu'on  pouvait  trouver  dans  le  commerce,  elles  étaienlj 
épuisées  depuis  longtemps.  L'escadre  n'avait  fait  aucune 
réparation  depuis  son  relour  de  la  côte  de  CoromandeL, 
Les  efforts  du  comte  d'Orves,  A  l'arrivée  do  la  Fine,  n'a» 

1.   •  Voii8  nnus   marqum  i]uc  voiia  ae  pouvez  pas  faire  itesconiln  la 
tronpCB  son*  vos  orilres;   il  ust  ju«l(>  qun  vous  suiviez  Itrn  unlrcs  devii 
Roi.  Nous  sammeB  Irès-scnsibleà  Toffre  qiie  vous  nous  faillis  At  tieui  a 
rinquante  hommes,   prenaol  sur  vous,  mnl^  Souillac  el  Ternay.  I 
vous  n'avcE  pas  [ce  ontm  pour  déinrquor  les  troupes  ie  vos  vu 
nous  De  Eomuica  pu  d'avis  de  les  nccapivr.  Nous  vouh  cooMilloni  iM  M- 
tourner  au  ].las  ICI,  pour  nous  mener  vingl-tinq  vitisseaui  do  guerre  potf 
prendre  (oub   les   vainieaux   anglais   par   mer,   et    mk  mille   b<Hnm«i  i* 
tniupc»  tré«-«guerrieB  pour  faire  la  guerre  aor  torre,  «  (Byd«r-AII  t  _ 


1 


^ 


UVA£  Xll.  381 

vaicDl  eu  d'autre  résultat  que  de  mettre  la  Consolante  en 
étal  de  prendre  la  mer.  Cet  ofOcier  écrivait  au  ministre  le 
1*'  août  1781  :  a  Le  vicomte  de  Souillac  m'a  donné  toute 
communication  des  instructions  du  Roi  que  vous  nous 
avez  adressées....  Je  suis  pénétré  de  ne  pas  m'étre  trouvé 
en  état  de  sortir,  lorsque  vos  ordres  me  sont  parvenus, 
mais  il  m'est  impossible  de  mettre  en  mer,  avec  quelque 
sûreté,  deux  vaisseaux  dans  l'état  de  disette  où  sont  les 
magasins  du  Roi,  ce  qui  nous  fait  prendre  le  parti  d'expé- 
dier la  Consolante  avec  les  instructions  dont  nous  vous 
rendons  compte  conjointement,  ainsi  que  des  projets  que 
la  circonstance  nous  met  en  état  de  former.  Tous  les  câ- 
bles de  l'escadre  ne  fournissent  pas  ceux  qui  sont  néces- 
saires &  un  seul  vaisseau.  Nous  manquons  absolument 
de  cordages,  de  voiles  et  de  mâtures.  Mais  je  ne  puis  vous 
donner  une  idée  plus  juste  de  la  position  de  la  marine 
dans  cette  île  qu'en  vous  rendant  compte  de  la  nécessité 
où  nous  avons  été  réduits,  après  avoir  pris,  à  bord  des  six 
vaisseaux,  ce  qu'ils  ont  pu  fournir  de  provisions  à  la 
Consolante^  d'acheter  chez  les  particuliers,  à  tout  prix, 
pour  la  mettre  en  état  de  sortir.  »  Par  suite  de  ce  dénû- 
ment,  dont  la  responsabilité  retombait  sur  l'administra- 
tion de  H.  de  Sartiues,  l'escadre  de  l'Inde  n'avait  rendu 
aucun  service  ^  Le  comte  d'Orves  qui  avait  acquis,  comme 
capitaine  de  vaisseau,  une  honorable  réputation,  s'était 
montré,  pendant  cette  campagne,  un  très-médiocre  géné- 
ral. Cependant,  nous  devons  faire  ressortir  la  situation 
particulièrement  difGcile  dans  laquelle  l'imprévoyance  du 
ministre  l'avait  placé. 

Le  commandeur  de  Suffren  mouilla  sur  la  rade  de 
Port-Louis,  le  25  octobre  1781,  avec  sa  division.  Les  ap- 
provisionnements, vivres  et  munitions,  chargés  sur  lesi 
transports,  furent  débarqués,  et  les  travaux,  pour  la  ré- 
organisation de  notre  escadre,  commencèrent  inmiédia- 
tement. 

1.  M.  de  Sartines  n'avait  qaiUé  le  ministère  qu'en  oclotre  1780. 


StiD^en  (ivaît  désigne  les  lieulenaDt»  dei 
el  (le  Bcauliou  pour  remplacer  MM.  de 
Carilalllac.  A)irèâla  jondion  des  deux  dn 
tenait  au  comlc  tl'Orvr^,  en  «a  qualité  de 
chef,  de  pmnoncer,  en  dernier  rcâsort,  i 
priHos  par  son  lieutenant.  La  corvette  la 
(lu  Cap  de  Bonnc-Esp^Tance,  avait  mouil 
bre,  sur  la  rade  de  Port-Louis.  Elle  av 
tcUreB  du  commandeur  qui  avaient  a 
d'Orves  tous  les  inridcntii  de  la  journée 
dernier  avait  manifetitâ  publiquement  I'Ie 
dos  mutations  parmi  les  capitaines,  aussi! 
forces  placéci)  sous  ses  ordres  seraient  r^ 
nait  notamment  l'Annihal,  de  soixante-q 
pilaincde  vaisBeau  Le  (iourantde  Tromelii 
chaleureu  Renient  la  cause  de  MU.  de  Galli 
et  il  obtint  que  lo  premier  conserverait  i 
ment.  Quant  au  second,  dont  les  titres  ât 
à  c«u\  de  son  collègue,  il  fut  décidé  qu'il 
gâte.  Lorsque  le  chanj^ement  qui  venait 
dans  le!4  dispositions  du  comte  d'Orves 
nombreuses  prolestalions  surf^irent.  Plue 
ne  craignirent  pas  de  dire  qu'ils  quitt«ra 
menls,  si  le  commandant  de  l'escadre  mai 
sion.  Celui-ci,  loiu  de  s'émouvoir  d'un  ac 
aussi  nettement  caractérisé,  revint  sur  l'ei 


LIVRE  XII.  383 

Suflrcn,  mécontent  de  la  conduite  du  comte  d'Orves,  et 
convaincu  que  l'escadre,  sous  un  tel  chef,  n*aurait  aucun 
succès,  songea  à  rentrer  en  France.  Il  écrivit  au  ministre 
le  7  septembre  1781  :  «  Vous  savez,  Monseigneur,  avec 
quelle  répugnance  j'ai  passé  dans  l'Inde.  Vous  n'ignorez 
pas  que  j'y  ai  été  décidé  principalement  par  le  désir  de 
mériter  votre  estime.  Vous  avez  eu  la  bonté  de  me  pro- 
mettre de  me  faire  revenir  dans  dix-huit  mois,  à  compter 
du  mois  de  mars.  J'ose  vous  supplier  de  vous  en  souve- 
nir. Si  vous  m'en  donnez  la  permission,jo  vous  assure  que 
je  n'en  profiterai  pas  tant  que  je  croirai  pouvoir  être  utile 
au  service  dans  ce  pays.  »  Dans  cette  affaire,  la  forme  avait 
pris  une  telle  importance  qu'elle  Tavait  emporté  sur  le 
fond.  Il  était  non-seulement  conforme  aux  convenances 
hiérarchiques,  mais  utile,  au  point  de  vue  militaire,  de 
donner  le  troisième  vaisseau  de  soixante-quatorze  au  ca- 
pitaine de  vaisseau  le  plus  ancien,  après  MM.  d'Orves  et 
deSuCTren,  c'est-à-dire  à  celui  auquel  revenait  le  comman- 
dement do  la  troisième  division.  Si  tel  était  l'avis  du 
comte  d'Orves,  et  il  était  certainement  très-bon  *,  pour- 
quoi ne  s'en  était-il  pas  expliqué  nettement  avec  SuflFrcn? 
Si,  au  contraire,  il  jugeait  utile  d'accorder  une  récom- 
pense exceptionnelle  à  un  jeune  officier  qui  avait  honoré 
notre  pavillon  devant  l'ennemi,  pourquoi  n'avait-il  pas 
imposé  sa  volonté  à  son  escadre?  Enfin,  quel  que  fût  le 
mérite  de  sa  décision  dernière,  comment  ne  Tavait-il  pas 
maintenue,  surtout  en  présence  do  l'attitude  de  quelques- 

1.  Suffrcn  prit  le  commandement  de  Tescadrc,  le  9  février  1782,  après 
la  mort  du  comte  d^Orves.  Ce  jour-là,  il  eut  à  sn  disposition  un  vaisseau 
de  soixante-quatorze,  VOrientj  qu'il  avait  le  droit  de  donner  à  Tancicn 
tcoond  de  VAnnibal.  S'il  tenait  à  rendre  h  M.  de  (îalle  le  vaisseau  avec 
lequel  celui-ci  avait  combattu  à  la  Praya.  il  pouvait  enlever  VAnnibal  h 
M.  de  Tromelin,  qui  le  commandait  alors,  et  lui  donner  VOrienL  M.  de 
Tromelin,  échangeant  un  vaisseau  de  soixante-quatorze  contre  un  vaisseau 
do  môme  rang,  n'aurait  pas  eu  h.  se  plaindre.  Telle  ne  fut  pas,  ainsi  que 
Bom  le  verrons  plus  loin,  la  ligne  de  conduite  adoptée  par  Suiïrcn.  Il 
donna  VHannibal  anglais,  de  cinquante  canons,  à  M.  de  Galle,  et  la  Bellotie 
à  M.  de  Beaulieu.  Il  y  eut,  à  ce  moment,  de  nombreuses  mutations  parmi 
les  capitaines.  Toutes  eurent  pour  base  l'ancienneté. 


384  IIJSTUIHE  DE  LA  MAUIME  KltANÇAlSE. 

uns  de  ses  capilaiues  ?  Lorsque  ces  faits  furent  connus  &  ^ 
Paris,  le  ministre,  extrêmement  irrité,  adressa  au  comte 
d'Orves  une  dépêche  conçue  daas  les  termes  suivants  : 
«  Je  vous  adresse  un  ordre  du  Roi,  Monsieur,  pour  con- 
server h.  M.  de  Galle  le  commandement  de  l'Annibat  qu'il 
a  commandé  d'une  manière  si  distinguée.  Je  ne  dois  pas 
vous  laisser  ignorer  qu'il  est  revenu  à  Sa  Majesté  que 
vous  lui  aviez  ôté  ce  commandement,  sur  la  représenta- 
tion do  ses  anciens,  et  qu'ils  vous  l'avaient  demandé  en 
vous  annoni^anl  qu'ils  donneraient  leur  démission  si  letir  - 
ancienneté  ne  prévalait  pas.  Le  Roi  n'a  pu  croire  qu'une  =: 
telle  menace  ait  pu  vous  être  faite,  et  encore  moins  que^ 
vous  y  ayiez  cédé.  Mais  si,  par  hasard,  lorsque  vous  re — 
placerez  M.  de  Galle  h  bord  de  VAnnibal  (ce  qui  se  fera^i 
la  réception  de  l'ordre  du  Roi),  il  y  avait  quelques-uns  ilc-* 
ses  anciens  qui  voulussent  donner  leur  démission,  Sik^ 
Majesté  vous  ordonne  de  la  recevoir,  et  de  faire  passer ei 
Europe  ceux  qui  viendraient  vous  l'offrir,  » 

Cette  dépêche  était  fort  dure  pour  le  comte  d'Orve^ 
puisqu'elle  tranchait,  dans  un  sens  opposé  à  celui  qu^ 
avait  adopté,  une  question  débattue  publiquement  c 
son  escadre.  Mais  le  ministre  le  considérait,  avec  raisoi^ 
comme  le  principal  coupable.Ilélaitconvaincuqu'aucuntf 
résistance  ne  se  fût  produite,  si  le  comte  d'Orves  avait  moB^ 
Iré  quelque  énergie.  Enfin,  ne  voulant  pas  désorganisa 
l'escadre,  en  rappelant  la  plupart  des  capitaines,  il  aval 
employé  le  seul  moyen  qu'il  eAt  h.  sa  disposition  pond 
détruire  le  mauvais  effet  produit  par  cet  acte  d'ioJ 
discipline.  Les  instructions  apportées  par  la  Kt/ie  doo^ 
naient  au  comte  d'Orves  toute  liberté  quant  au  choix  dtM 
opérations.  Le  ministre  lui  disait  :  «  Le  Roi,  en  laissanl 
las  généraux  maîtres  de  déterminer  les  opérations  qu'U| 
estimeront  les  plus  utiles  et  les  plus  glorieuses  i  ses  a 
mes,  leur  prescrit  d'attaquer  les  Anglais  séparés  ou  réu- 
nis, partout  uîi  il  sera  possible  de  te  faire,  sauf  révideace 
de  la  destruction  de  leurs  forces.  La  sagesse  de  Sa  Majesté 
ne  lui  a  pas  iiorniis  de  fixer,  vn  particulier,  aucune  o 


J 


ration.  Elle  sait  qu'i  roar»  hlL*  iH»b's  cTIh..  L  -e* 

imprudent  d'en  déiEmiiiisr  ôt  ^i-ii;!-.  t>.  ^  Eii*  ?^  i»Lini*_ 

en  conséquence,  à  ftzrt  rimiitJr"*  hl  ïjeur  rjnn*  c  .»r-.^ 

Cjue  rinactÎTiiê  de  5*C'i*  t&iaiir*  t>-  •.*  71  t;ljt  d^oil  irii- 

cipaleinent,qiiede<  tT  t^enttîiiir  HiiJiit'iir'.^ui  îa  J'iiiarîi'.a 

seront  également 


se  borne  à  dire  an  occul-t  i  'Ir^  ^  c*^  ^riin^  ù*  iL  su:r- 

riorité  ou  de  rêsalîtê  Ô€*  îi-r-e?  tl'I  d.'H  t*  «ir  •-'.t**  tif- 

née  sur  les  Anglais.  -itiH'  jtî§  jutr*  car^.  itnu:  ri^ii^ 

leur  commerce  et  décrcjr!:  rt^î:!  ^^  jçLr*  ^'lu  •iiï-^nj**ii;- 

qu'il  pourra  attaquer  ti*^:  rii'j::r-_  ^  Itits-*.  cl^^i*  vl 

même  temps  aî^^oreraa  cv:*r.i*  i  «l^ri*»»  rt  ^*:  iit  i*.  r-^îiian. 

pas  responsable  des  tT-èîifi:!**!^  Hitlift-ur*!:!  .ru  ;t.»Lj- 

raient  arriTer,  mais  qui.  i^  «.*rtr^  %"1  1  ••il'J'ji^c..:  jm* 

les  ressources  que  sc-n  e^çrâ  *^  ••:*l  'j'jrrtr-»:  ;»ev'*"i.; ,',: 

inspirer  pour  rendre  la  ci:nj*trr»t  értitij*^;  uiij*:  *^i  i-.'.- 

rieuse  à  ses  armes*.  »  Od  d^  î^t::rt::  trcj  j:»-*r  J  V;.r:î  j^hk 

lequel  étaient  rédi?ê*-5  c^  :i:rtru:l>:L^.  !>:  r:'-"i*rnifio*xii 

n'avait  pas  la  prétention  d*:ij :i :i ::rr  i'-i/t  i'.ii.>.rr  j  mw. 

ce  que  l'escadre  devait  tx^vArrr.  Le  zn:n>Xr^  ^>:j  r»ri/j^.l- 

taitySur  ce  point, au  zèle  et  àlliaLiiet^  del'o&iâ^  «u-ju^i 

avait  été  conCé  le  commandem^mt  de  dc'^  forcer  u^v^lii;*.. 

Toutefois^  les  instructions  a'ire-^ï^^eï  au  t-'AnmhiA^A  dfr 

l'escadre  de  l'Iode  contenaient  un  ordre  irt'^tj*A,fj:lu'i  «Je 

chercher  l'ennemi  et  le  combattre. 

Nous  n'avions  à  prendre  d'autre  résolution  que  de 
retourner  à  la  cùte  de  Coromandel  et  de  renouer  le*  reJa- 
lions  entamées, au  commencement  de  rannée,  a\  ^r/;  Hyder- 
Ali.  Conformément  aux  dispo>itioas  arrêtées  â  Fari«ï,  le*» 
troupes,  qui  n'étaient  pas  absolument  néce«»saires  à  la  sû- 
reté de  rile  de  France  et  de  Bourbon,  furent  embarquées 
sur  les  vaisseaux  de  l'escadre  ou  sur  les  bètimeuts  du 
convoi*.  L'armée  mit  sous  voiles  le  17  décembre  1781, 

1.  De  la  main  du  Roi,  «  approoré  >. 

2.  On  a  dit  que  rembarqncnirat  des  troapes  arait  été  le  réfialut  d'une 
intrigue  oardie  autour  de  M.  de  ikKiillac.  C'était  tout  «implemenl  Texécn- 
tion  d'an  ordre  qui  était  ainsi  conça  :  «  Dana  toutes  ces  suppositionii,  Sa 

25 


386  HISTOIRE  DE  LA  MARINE   PRAKÇAISE. 

Elle  était  composée  des  b&timents  ci-aprës,  sav<Hr:ra- 
rt'ent,  le  Héros  et  l'Atmibal^de  soixante-quatorze,  leVn- 
geur,  le  Sévère,  le  Biiarre,  le  SphinaCy  VArténen  et  ÏÀja, 
(le  soixante-quatre,  le  Flamand,  de  cinquante,  laPov- 
Koyeuse,  de  trente-huit,  la  Fine  et  la  Bellone,  de  trente- 
deux,  la  Subtile^  de  viogt-deux,  la  Sylphide,  de  seize,  \t 
brick  le  Diligent,  de  dix  canonB,  et  un  brûlot,  le  Pu'i-éri- 
seur.Unnavire-bdpitaletsept  transports  accompagoaittf 
l'escadre.  L'elTeclif  des  équipages  s'élevait  &htiitimllt 
cinq  cent  vingt-quatre  hommes,  et  celui  des  troupes  pe- 
sagèrcs,  en  y  comprenant  l'inranterie,  l'artillerie,  desd- 
()ayos  pl  des  volontaires  de  l'Ile  de  France  et  de  Bourbon, 
li  Iruis  mille  cent. 


MajcBlt  Bulome  MM.  d'Orv»  cl  de  Sonillac  à  tirer  di»  IIe>  et  *  embtiqie 
sur  l'cicoUre  le  nombre  d'hommes  qu'ils  jugeront  uéc^œairaa  à  Ictn  n» 
ll«  }  luiuH-Tonl  ïvuloaieDl  aaseï  de  forwii  pour  les  meUre  en  sûrtli-tt 
sU|>po>e  qu'il*  iNMirronl  eu  retirer  quinze  cents  Itommes.  • 


LIVRE  XIII 


L*escadre  s'empare,  le  H  janvier  t782,  de  Vllannibal^  de  cinquante  canons. 
—  Mort  du  comte  d'Onres.  —  SuiTren  se  présente  devant  Madras.  — 
Neaf  vaisseaux  ennemis  sont  embossés  sous  la  protection  des  forts.  — 
L'escadre  anglaise  met  sous  voiles.  —  Dispersion  de  notre  convoi.  — 
Combat  du  17  février  1782.  —  L*escadre  française  mouille  à  Pondichéry 
et  à  Porto-Novo.  —  Relations  avec  llyder-Ali.  —  Débarquement  des 
tron|K*s  françaises.  —  L'escadre  appareille  le  23  mars.  \ —  Suflren  prend 
la  détermination  de  rester  dans  linde.  —  Combat  du  12  avril.  — 
Mouillage  des  deux  escadres  sur  la  côte.  —  Ix's  Français  vont  à  Bâta- 
calo.  et  les  Anglais  k  Trinquemalay.  —  L'escadre  se  rend  à  Tranque- 
bar  et  k  Goudelour.  —  Suffren  appareille  de  Goudelour  le  3  juillet. 


I 


Le  20  janvier  1782,  nos  frégates  signalèrent  un  grand 
navire  qui  fut  ctiassé  par  les  meilleurs  marcheurs  de  Tes- 
cadre.  Ce  bâtiment,  qu'on  perdit  de  vue  dans  la  soirée,  et 
qu'on  aperçut  de  nouveau,  le  lendemain,  fut  joint,  le  22, 
par  le  JVéros.  C'était  le  vaisseau  VHannibal^  de  cinquante 
canons,  qui  faisait  route  sur  Madras.  Après  un  engagement 
de  peu  de  durée,  le  capitaine  anglais  amena  son  pavillon. 
Ce  vaisseau  reçut  un  équipage  français,  et  il  prit  place  dans 
notre  escadre.  On  sut,  par  YHannibaly  que  le  Sultan^  de 
soixante-quatorze,  et  le  Magnanime^  de  soixante-quatre, 
escortant  un  convoi  portant  des  troupes,  étaient  attendus 
d'Angleterre.  Le  comte  d'Orves,  dont  la  santé  était,  de- 
puis quelque  temps  déjà,  très-chancelante,  mourut  le 
9  février.  Cet  événement  plaça  le  commandeur  à  la  tète 
de  douze  vaisseaux.  Par  ordre  du  nouveau  ^'énéral,  quel- 
ques changements  eurent  lieu  dans  le  commandement  des 
navires  de  l'escadre.  L'OrierU,  de  soixante-quatorze,  que 


3S8  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRAMÇ.USE. 

moulait  le  comte  d'Orves,  Tut  donné  à  M.  de  la  Pallîère, 

le  Sévère  &  M.  de  Cillart,  Vllamiibal  anglais  au  lieuleaant 

de  vaisseau  de  Galle,  le  second  deM.  deTrémigon  au  combat 

de  la  Praya,  la  frégate  la  Pourvoyeuse  à  M,  de  Beaulieu, 

la  Bellone  à  M.  de  Ruyter,  et  la  corvette  la  Subdle  à  M. de  ' 

Galifel.  Le  lieutenant  de  vaisseau  de  Moissac  fut  nommé  ^ 

major  de  l'escadre  et  capitaine  de  pavillon  du  comman-       

dont  on  chef.  Quoique  l'amiral  Hughes  eût  opéré  sa  jonc- ^ 

tion  avec  le  Montmoutli,   le  Ilero  et  Vlsts,  les  Anglais  ne    ^»^( 

pouvaient  nous  opposer  que  neutvaisseaux.  SufTren  ré -^ 

solul  de  se  présenter  à  l'improvisie  devant  Madras  et-V^^ei 

d'attaquer  l'ennemi  au  mouillage.  L'escadre  prit  connais ^bb- 

«ance  de  la  terre  dans  le  nord  de  cette  ville;  mais,  au  -M:.m.a 

lieu  des  brises  favorables  sur  lesquelles  il  comptait,  Suf Tf- 

frcn  trouva  des  vents  de  sud  le  long  de  la  côle,  et  il  ne  pa— -^^- 
rut  devant  Madras  que  le  15  février.  Neuf  vaisseaux  étaient  ^^^t 
embossés  sous  la  protection  des  forts.  Notre  atterrage  dan^  .*^s 
le  nord  de  Madras  et  la  persistance  des  vents  contraires  :?^3s 
avaient  été  pour  nos  adversaires  deux  circonstances  très— -^^ 
heureuses.  Los  Anglais,  venant  deTrinquemalay,  étaient  -^' 
arrivés  sur  la  rude  de  Hadras,  en  deux  divisions,  la  pre — ^^- 
miëre,  forte  de  six  vaisseaux,  le  8  février,  et  la  seconde  1^^^ 
lendemain.  Prévenu  de  notre  présence  sur  la  côte,  l'amiraC^— ' 

Hughes  avait  fait  &  loisir  tous  ses  préparatifs  de  défense. 

Suiïren  demeura  convaincu  que  nous  nous  exposerions  ^^ 
un  échec  en  combattant  l'ennemi  dans  la  position  qu'iff 
occupait.  Néanmoins,  il  voulut  connaître,  sur  ce  points  j 

l'opinion  de  ses  capitaines,  et  il  les  appela  à  son  bord.  Tou9  / 

furent  d'avis  qu'une  attaque,  faite  dans  ces  conditions,  / 

seraitd'autantplus  dangereuse, qu'en cemomentles  vents         j  ^ 
soufflaient  du  large'.  SufTren  prit  la  route  de  Pondichéry         /  j- 


1.  H.  Tmblel  de  la  Villejégu  prétend  que  le  capitune  ds  la  Fbtt,  U 
liculenant  de  vaisseau  Terrier  de  Salvert,  vota,  dana  la  coowU,  poor  dm 
attaque  immédiate  de  l'escadre  anfclaiee.  Il  ajoute  que  cet  ofBcier  Mvtiit 
Btec  twaucoup  de  vivaciti  «on  opînîoD  contre  te  commaiMleaT.  L'aOr- 
■nation  Irèi-Dette  da  major  de  l'escadre,  disant  que  tou  Im  -tr'k^'™ 
furent  d'avis  de  ne  pas  attaquer  le«  Anglaia,  montre  qM  H.  da  la  TlUt- 


LIVRE  Xlir.  389 

OÙ  il  comptait  faire  de  l'eau. Pendant  la  nuit,  on  perdit  de 
Tue  nos  bâtiments  de  transport.  Lorsque  le  jour  se  Tit,  on 
Aperçut,  du  haut  des  mflts,  l'escadre  britannique  entre 
nos  vaisseaux  et  le  convoi. 

L'amiral  Hughes,  craignant  tjue  nous  n'eussions  la 
pensée  d'attaquer Trinquemalay,  avait  mis  sous  vodos,  le 

16,  danslasoiréeMl  serrait  la  terre  de  près,cspërantDous 
dérober  sa  marche  vers  le  sud.  SulTren  força  de  voiles, 
et  il  se  dirigea  sur  les  Anglais  qui  commençaient  à  chas- 
ser dos  bâtiments.  La  brise  était  très-faible,  et,  Acinq  heu- 
res du  8oir,nos  meilleurs  marcheurs  se  trouvaient  encore 
frës-éloignés  de  l'ennemi.  Un  peu  avant  le  couclier  du 
soleil,  les  vaisseaux  anglais  rallièrent  leur  amiral  et  ils 

formèrent  la  ligne  de  bataille,  les  amures  à  bûhord.  Le 

17,  dans  la  matinée,  les  Anglais  restaient  &  environ  deux 
lieues  dans  le  sud-ouest  de  l'armée  française.  Une  partie. 
de  la  journée  s'écoula  sans  que  la  distance  qui  séparait 
les  deux  escadres  fût  sensiblement  modifiée.  Dans  l'a- 
près-midi, des  grains  de  l 'est-sud-est,  que  nos  vaisseaux 
reçurent  les  premiers,  nous  permircntde  nous  rapprocher 
tie  DOS  adversaires.  A  quatre  heures  du  soir,  le  Héron, 
qui  avait  pris  la  tête  de  la  ligne,  canonnait  te  vaisseau  de 
queue  de  l'armée  anglaise,  et  il  prolongeait  l'ennemi  au 
vent  jusqu'à  la  hauteur  du  Superb.  Après  avoir  com- 
battu pendant  quelque  temps  le  vaisseau  amiral,  Suiïrcn 
se  plaça  par  le  travers  de  VEagle.  Los  deux  escadri'« 
étaient  rangées  dans  l'ordre  suivant  : 


j^S»  ■'wt  trompa.  Comment,  d'iilleura,  aJmcHre  qu'un  joune  ofllciprfnm- 
mtDdiiDt  ane  frfgatc,  c'est-à-dire  nn  bitimcnt  qui  ne  dovoil  [uih  nlliT  nii 
fen,  ne  se  mît  pu  .nogé  k  l'avU  d'un  homme  JouiMant  <lo  prcclige  que 
doDDul  à  Suffren,  je  no  dis  pas  m  situnlion  de  commandant  on  chef,  mw» 
l'altaqne  audacienie  de  l'eeadre  nnf^liiiao  dnn»  la  bain  dr.  U  f""!*' J^^^" 

1.   Lei  Anglais  avaient   enleTd  aux  Hallandaiti  l'im|wrt«nlo  y 
Trinquemalay,  le  U  janvier  1781. 


m 


HISTOIRE  DE  JJi  MAIONS  FRANÇAI8B« 


V, 

.  4 


Noms  des  bfltiiàMito. 


ti^     il 


ESCADRE  FRANÇAISE. 


Héros. : 

Orient:^ 

Sphinx. 

Vongonr 

Hannibal  (anglais] 

Ànnibal ; 

Bizam.4 ....:  .^. 

Artésien...^... 

^az. *. ... 

Sévère......; 

BriHmt^  •••  ...••.«.  ..... 

Flamand. ..  .  . 


Nombre 

de 
canoDS. 


■■1 


mm 


ÉÊÈÊÊm 


Nous  des 


74 

74 
64 
64 
50 
74 
64 
64 
64 
64 
64 
50 


iSaffiren. 
Moissae. 
DelaMlière. 
Dq  Gbillsaa. 
Forbin. 
DeGalls. 


La  Laiiëalle. 

Manrnlle. 

Booret 

De  Gillait. 

SauUFéils. 

GafwnUa;. 


•^ 


P* 


«BU 


ESCADRE  ANGLAISE 


%'i" 


i««i 


Noms  des  bâtiments. 


Worcester 

Burford .   

Monlmoulh 

Eagle 

Superb 

Monarca 

Hero 

Isis 

Exeler 


Nombre 

de 
canons. 


64 
70 
64 
64 

74 

68 
74 
50 

64 


Noms  des  capitaines. 


\ 


Wood. 

Peter  Rainier. 

Alms, 

Riddals. 

Slevens. 

Sir  Edward  Hughes,  cootre-aminl» 

Gell. 

Hawker. 

Lumley. 

!  Reynolds 
Charles  King,  oommodore. 


LIVRE  XUI.  391 

La  position  prise  par  le  commandant  en  chef  nous  per- 
mettait de  combattre  six  vaisseaux  avec  la  totalité  de  l'es- 
cadre, c'est-à-dire  avec  douze  vaisseaux.  SufTren  se  pro- 
posait de  porter  la  plus  grande  partie  de  ses  forces  sur 
l*arrière-garde  ennemie.  Celle-ci,  entourée  au  vent  et  sous 
le  vent,  devait  être  écrasée  avant  que  les  trois  premiers 
vaisseaux  anglais  fussent  en  mesure  de  la  secourir.  Les 
signaux,  enjoignant  à  VAnnibal,  à  VAjax  et  au  Flamand 
de  doubler  l'ennemi  par  la  queue,  et  à  l'armée  de  combat- 
tre à  portée  de  pistolet,  montèrent  aux  mâts  du  Héros. 
Le  chef  de  file  de  l'escadre  française  étant  par  le  travers 
de  VEaglCy  les  trois  premiers  vaisseaux  de  la  ligne  an- 
glaise n'avaient  pas  d'adversaires.  Quel  que  fût  le  désir 
de  Tamiral  Hughes  d'éviter  une  affaire  générale,  il  ne 
pouvait  échapper  à  la  nécessité  d'appeler  ces  bdliments 
au  secours  de  son  arrière-garde.  Dans  cette  supposition, 
SufTren  s'était  placé  à  une  distance  suffisante  de  la  ligne 
ennemie  pour  que  le  Worcesler^  le  Burford  et  le  Mont- 
mouth  fussent  dans  l'impossibilité  de  le  doubler  au  vent. 
Cette  manœuvre,  qui  était  en  contradiction  apparente 
avec  le  signal  précédemment  fait  de  combattre  &  portée 
de  pistolet,  amena  les  capitaines  français  à  ne  pas  tenir 
compte  de  ce  dernier  ordre.  Ils  crurent  être  à  leurs  postes 
en  restant  dans  les  eaux  du  Héros.  VAnnibal  et  VAjax 
n'ayant  pas  aperçu  le  signal  qui  leur  prescrivait  de  dou- 
bler l'ennemi  par  la  queue,  ce  mouvement  ne  fut  exécuté 
que  pdLTleFlamand.L'Annibalse  trouvant  à  la  hauteur  du 
serre-file  de  Tarmée  anglaise,  les  bâtiments  placés  der- 
rière lui  n'avaient  pas  de  vaisseaux  par  leur  travers. 
M.  de  Saint-Félix,  fort  mécontent  de  son  rôle,  rejoignit  le 
Flamand.  Son  vaisseau  fut,  de  tous  nos  bâtiments,  celui 
qui  s'approcha  le  plus  près  de  l'ennemi.  Le  capitaine  de 
YAnnibalj  H.  de  Tromelin,  remplissait  les  fonctions  de 
chef  de  division.  Il  avait,  en  cette  qualité,  toute  l'autorité 
nécessaire  pour  donner  des  ordres  aux  navires  qui  étaient 
éloignés  du  feu.  11  avait,  en  outre,  reçu  du  commandeur 
l'invitation  très-expresse  d'en  agir  ainsi,  toutes  les  fois 


3»S  mSTOmB  DB  Là  MABIMB  FRÂNÇAJiak 

que  les  ciroonstanoes  Feiiger&ieiiL  Gqpaiidaiit^  0  se  fitia- 
cun  signal  au  Bùarre^  i  VArUsim^  à  VAjax  M  ma  âMre. 
Ces  vaisseaux,  qui  étaient  au  vent  de  la  ligne,  eontimiè* 
renl  à  tirer  obUquement  et  à  grande  distance  sur  les  ^ 
bâtiments  anglais^. 

S'il  avait  été  possible  d'attaquer  plus  tAI,  les  entWMrc|| 
et  les  fautes  que  nous  vencHis  d*iniyquw  n'anraieDt  ps^i^ 
eu  la  même  importance.  Le  signal,  fait  à  VAnnibal  et  e^-::: 
VAjax^  de  passer  sous  le  vent  de  rennemi,  hissé  de 
veau  i  bord  du  Héros^  eût  ^  iqierçu  par  ces  deux 
ments.  Les  capitaines  du  SMf^  de  VAjam^  de  VArUtimmii^ 
et  du  Bizarre^  soit  d'eux^^némes,  soit  par  suite  des  ordr-^ 
du  commandant  en  dief ,  se  seraient  mis  en  poitàtlon  ^ 
prendre  une  part  plus  active  au  combat.  A  l'toire  ^ 
nous  avions  joint  Tennemi,  le  traips  mal  emf^yé  ét^ 
irréparabl^nent  p^u.  L'approche  de  la  nuit,  la  ftfii 
blesse  de  la  brii^  Tinexécutton  de  l'ordre  doaaé  dt 
combattre  i  portée  de  pistent,  déddèrml  SuflBreaèi»» 
n^ttre  l'aflàire  au  lend^nain.  Yen  m  hmres  et  éffûk^  •  - 
leif^*oa  tint  le  vent  et  les  autres  vaisseaux  imitèrent  at 
manœuvre.  Jusqu'&  ce  que  l'obscurité  fut  complète,  nos 
vaisseaux  échangèrent  des  boulets  avec  les  Anglais.  Plu- 
sieurs  bâtiments  ennemis  sortirent  de  cette  rencontre 
très-maltraités.  VExeter^  suivant  Texpression  employée 
par  Tamiral  Hughes,  était  dans  la  position  d'un  bâtiment 
naufragé.  Le  Superb  avait,  outre  des  avaries  considéra- 
blés  dans  sa  mâture,  cinq  pieds  d'eau  dans  la  cale.  LeMo- 


1.  Le  rapport  de  SufTren,  sur  le  combat  du  17  février,  est  accompagna 
d'un  croquis  indiquant  la  position  des  deux  escadres,  k  quatre  heures  et 
demie.  Cinq  navires,  le  HéroSj  portant  son  pavillon,  VOrient^  capitaine  de 
la  Palliére,  le  Sphinx,  capitaine  du  Chilleau,  le  Ven^eurj  capitaine  de 
Forbin,  VHannibal  anglais,  capitaine  de  Galle,  forment  une  ligne  régu- 
lière. Le  vaisseau  qui  suit  est  VAnnibalf  capitaine  de  Tromelin.  En  regard 
du  nom  de  ce  vaisseau,  on  lit  l'annotation  «  très-loin  ».  Le  BiMarre^  capi* 
taine  de  la  Landelle,  VArtésienf  capitaine  de  Maurville,  VAjcuOf  capitaine 
Bouvet,  et  le  Sévère,  capitaine  de  Cillart,  sont  placés  en  arrière  et  au  vent 
de  VAnnibaL  Les  noms  de  ces  quatre  vaisseaux  sont  accompagnés  de  la 
mention  «  en  désordre  et  fort  loin.  » 


LIVRE  XIII.  393 

narca^  le  Hero  et  VIsis  avaient  souflert,  mais  dans  une 
proportion  moindre.  L'ennemi  eut  dans  cette  affaire  cent 
Tingt-sept  hommes  hors  de  combat.  Le  capitaine  de  VExe- 
ter  fut  tué,  et  celui  du  Superb  mourut  des  blessures  qu'il 
avait  reçues  pendant  l'action.  A  l'exception  du  Brillant 
qui  eut  dix-huit  morts  et  quarante  blessés,  moins  par 
le  feu  de  nos  adversaires  que  par  suite  de  l'explosion 
d'une  caisse  de  grenades,  les  vaisseaux  français  perdi- 
rent peu  de  monde  *.  Quelques  écrivains  ont  prétendu 
que,  le  17  février,  l'escadre  française  s'était  avancée 
sur  l'ennemi  en  deux  colonnes,  ayant  pour  objectif,  l'une 
le  centre,  et  l'autre  l' arrière-garde  des  Anglais.  Nous 
avons  vu  que  telle  n'avait  pas  été  la  manœuvre  de  notre 
escadre.  Suffren  était  parvenu  à  attaquer  six  vaisseaux 
avec  douze,  c'est-à-dire  à  rendre  trois  vaisseaux  ennemis 
inutiles.  Les  moyens  qu'il  a  employés  pour  arriver  à  ce 
résultat  valent  bien  ceux  qu'on  lui  a  prêtés.  Dans  tous  les 
cas,  en  toutes  choses,  il  faut  s'en  tenir  à  la  vérité  *. 

Afln  de  ne  laisser  subsister  aucun  doute  sur  le  mode 
d'attaque  de  notre  escadre,  nous  citerons  le  passage  sui- 
vant du  rapport  que  Suffren  adressa  au  ministre.  «Je  vous 
dois  un  compte  particulier  du  combat  du  17  février  dont 
a  dépendu  le  sort  de  l'Inde.  Je  devais  détruire  l'escadre 
anglaise,  moins  par  la  supériorité  que  par  la  disposition 
avantageuse  dans  laquelle  je  l'ai  attaquée.  J'ai  attaqué  le 
dernier  vaisseau  et  j'ai  prolongé  la  ligne  anglaise  jus- 
qu'au sixième  vaisseau.  J'en  rendais  par  là  trois  inutiles, 
de  sorte  que  nous  étions  douze  contre  six.  Je  commençai 
le  combat  à  trois  heures  et  demie  de  l'après-midi,  pre- 
nant la  tête  et  faisant  le  signal  de  former  une  ligne  quel- 
conque, sans  cela  je  n'aurais  point  engagé.  A  quatre 
heures,  je  fis  le  signal  à  trois  vaisseaux  de  doubler  par  la 

1.  Le  joarnal  du  major  de  l'escadre  porte  à  trente  le  nombre  des 
morts,  mais  il  n*indique  pas  le  chiffre  des  blessés. 

2.  Ces  écrivains  ont  évidemment  cédé  au  désir  d*établir  un  rapproche- 
ment entre  la  journée  du  17  février  et  les  combats  do  la  Dominique  et  de 
Trafalgar. 


394  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

queue,  et  à  l'escadre  d'approcher  &  portée  de  pisblel- 
Ce  signal,  quoique  répôlé,  n'a  point  été  exécuté.  Je  n'em 
ai  point  donné  l'exemple  pour  tenir  en  écliec  les  trois^s-^j 
vaisseaux  de  tfite  qui,  en  revirant,  m'auraient  doublé  --^. 
Cependant,  excepté  le  Brillant,  qui  a  doublé  par  la  gnpufci— =^^. 
aucun  vaisseau  n'a  été  aussi  près  que  le  mien,  ni  essuy-  ~-^Ef 
autant  de  coups.  "  Nous  ajouterons  que  la  manœuvre  d-  .^By 
17  février  n'avait  pas  été  dictée  par  les  circonstances  -—^ 
Suffren  écrivait,  le  6  février  1782,  à  M.  de  Tromelin  :  - 1— _ij 
fausse  alerte  d'avant-hier  m'empêctie  de  ra'entretenir  av»-     cf 
vous  6ur  quelques  motifs  relatifs  à  la  rencontre  des  Km^  j,. 
glais.  Si  nous  sommes  assez  heureux  pour  être  au  vccr— ]J 
comme  ils  ne  sont  que  huit  ou  neuf  au  plus,  mon  d&srs- 
sein  est  de  les  doubler  par  la  queue.  Supposons  que  voft  n> 
division  soit  de  l'arrière,  vous  verrez,  par  votre  posilie^n, 
quel  nombre  de  vaisseaux  débordera  la  ligne  ennemie     « 
vous  leur  ferez  le  signal  de  doubler.Si  nous  sommes  savs       J 
le  vent  et  que  vos  vaisseaux  puissent,  en  forçant  de  voi-       M 
les,  doubler  les  ennemis,  soit  qu'ils  ne  soient  pas  uttaqu<^.4        ■: 
bdu  tout,  ou  qu'ils  ne  le  soient  que  de  loin  et  faiblemenl,        ■ 
■vous  pourriez  les  faire  revirer  pour  doubler  au  vent.  En-        | , 
Ad,  dans  tous  les  cas,  je  vous  prie  de  commander  à  voire 
division  les  manœuvres  que  vous  croirez  les  meilleures 
pour  assurer  le  succès  de  l'action.  La  prise  de  Trinque- 
malay  et  celle  de  Négapatam  et  peut^tre  de  tout  Geylao 
doit  nous  faire  désirer  une  affaire  générale'.  » 
L'habileté  des  dispositions  prises  par  Suffren  et  notre 

1.  Le  mqjor  de  l'eseadra  réBume  aiiui  qu'il  mit,  diDi  son  joniMl,  1> 
rauMMivre  de  la  joumâs  et  la  peiiB^  de  bod  cbef  :  •  A  qnatie  heoret,  U 
moment  où  noo»  arrivionB  par  le  traven  du  Superb,  fût  le  aigiMl  * 
VAnnibat,  ï  VAjax,  au  Flamawi  de  doubler  l'ennemi  p«r  1»  qoeM  pûv 
1«  mettre  entre  deux  feux,  et  celui  d'approcher  l'enneoii  à  portia  de  fU»- 
let.  Nous  rormiona  une  ligne  avec  le  Sphinx,  le  Vengeur,  YHeumibat  {iè- 
glais)  et  VOrient,  qui  est  venu  prendre  poste  aprta  nous.  Nous  eomb«lliem 
toujours  l'annie  «oglaise,  et  noua  restions  à  mAme  de  tombar  vu  l'aTail- 
garde  eanemie,  si  elle  eût  fait  quelque  mouvement.  Mit  eo  vinst  «nr  do*, 
■oit  en  arrivant  vent  arrière  pour  secourir  son  arriére-gvda.  Le  gAsMl 
Mpérait,  avec  raison,  que  les  derniers  vaisseaux  onnemis  aetÛBat  temiii 
mais  peu  de  nos  vaisseaux  approchèrent  l'ennemi  de  tri*-)>tit.  ■ 


LIVRE  XIII.  395 

supéilorité  numérique  nous  assuraient,  le  17  février,  une 
victoire  décisive.  Toutefois,  à  cause  de  l'heure  avancée  de 
la  journée,  de  la  faiblesse  et  de  l'inégalité  de  la  brise  qui 
rendaient  les  manœuvres  lentes  et  difficiles,  nous  ne  pou- 
vions profiter  de  nos  avantages  qu'à  la  condition  d'agir 
avec  promptitude  et  résolution.  Cinq  capitaines  sur  douze 
n'avaient  pas  compris  cette  situation.  SufTren  eut  la  pen- 
sée de  renvoyer  en  France  les  capitaines  dont  il  était  mé- 
content. La  crainte  de  ne  pas  trouver  des  officiers  capa- 
bles de  commander  des  vaisseaux  le  fit  reculer  devant 
cette  détermination  '.Il  se  plaignit  au  ministre  avec  beau- 
coup de  vivacité  du  chef  de  division  de  Tromelin  qui 
avait  laissé  sans  direction  les  vaisseaux  placés  près  de 
lui.  «  Étant  à  la  tète,  lui  dit-il,  je  ne  pouvais  bien  voir 
ee  qui  se  passait  à  l'arrière.  J'avais  chargé  M.  de  Trome- 
lin de  faire  des  signaux  aux  vaisseaux  qui  seraient  près 
de  lui,  il  n'a  fait  que  répéter  les  miens  sans  les  faire  exé- 
cuter. »  Il  dénonça  au  maréchal  de  Castries  la  conduite 
de  MM.  de  Haurville,  de  la  Landelle,  Bouvet  et  de  Cillart 
qui  étaient  restés  en  ligne,   quoiqu'ils   n'eussent  pas 
d'adversaires.    H.  de  Maurville    était    particulièrement 
coupable  de  ne  pas  avoir  pris  une  part  plus  active  au 
combat.  Il  avait  été  averti ,  par  un  aviso,  que  l'intention 
du  général  en  chef  était  d'attaquer  avec  les  vaisseaux 
doublés  en  cuivre.  Or,  V Artésien  était  de  ce  nombre,  et, 
de  plus ,  il  était  bon  voilier.  Après  avoir  signalé  les  offi- 
ciers dont  le  peu  de  coup  d'œil  et  le  manque  d'initiative 
nous  avaient  privés  d'avantages  importants ,  Suffren  ap- 
pela l'attention  du  ministre  sur  ceux  qui  s'étaient  distin- 
gués. Le  Brillant  et  le  Flamand^  écrivit-il,  commandés 
par  MM.  de  Saint-Félix  et  de  Cuverville,  ont  doublé  par 
la  queue.  Ils  méritent  des  éloges,  et  surtout  M.  de  Saint- 
Félix,  qui  n'en  avait  pas  reçu  l'ordre*.  Ce  dernier  s'est 


1.  H  disait  dans  une  de  ses  lettres  au  ministre  :  »  Encore  faut-il  se  servir 
d'eux,  car,  dans  les  subalternes,  on  ne  trouverait  pas  à  les  remplacer.  » 

2.  On  lit  dans  VHistoire  de  Suffren,  de  M.  Cunat  :  «  VAjax  et  le 


396  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

battu  de  très-près,  et  son  vaisseau  a  eu  tlix-huit  tués  et 
quarante  blessés.  Je  demaude  pour  M.  de  Sainl-Fêlii 
une  pension  sur  Sainl-Louis  de  huit  cents  livres,  et, 
pour  H.  de  Cuvervillc,  la  haute  )>(tye-  l^cs  récompenses 
accordées  sur-le-champ  excitent  l'émulation  et  font  md- 

Flamand,  por  ud  signal  spécisl,  curent  ordre  de  combaltre  l'ennemi  pv- 
ile!»iou«  le  vent.  Ce  dernier  se  couvre  de  Tmles  pour  accélérer 
lourde  et  pesante.  LMjox,  en  serre-Sle,  laïase  porter  aussi,  maii,  ta  tigii 
que  lui  fait  VAnnibid  de  reprendre  îod  posLe,  bouvet  uliéil,  el,  ft  \i,  i 
ne  rdpond  pas  ï  l'ordre  qui  lui  avnït  éii  donné  par  Suffreo  et  ne  i'eiMril 
|>oinl.  Le  Brillant,  que  monte  de  Sninl-Félii,  tait  la  demande  de  raiu|ilMat 
ue  vaisseau  ;  il  l'obtient,  et  concerte  anwitdt  avec  de  Cuvervllte  Iciin  " 
positions  de  combat.  Elles  restent  sans  succiiï,  parce  que  Varnin-pilt 
lie  l'enneini,  pour  les  prévenir,  ne  diKontinaail  pai  d'arriver.  Le  BràtaU, 
et  le  Flamand,  par  ce  mouvement  de«  vaisseaux  anglais  qu'ils  n'w 
pas  prévu,  se  gênent  l'un  l'autre.  -  Il  y  a  là  deux  aflirmalions  bieai 
concernant  r.1ji>x  et  le  Brillant.  Vojoos  ce  qu'elles  couliennenl  devnb' 
Disons  d'nbord  que  le  Brillant  ne  rei^t  pas  l'ordre  de  passer  soua  l« 
lie  l'ennemi,  el  qu'il  ne  le  demanda  pas.  Le  capiUine  de  vaisseau  de  Si 
Félix  exÉciila  celte  mantouvro  ilc  son  propre  uiouvcnient.  Le  rapport  É 
Su Dren  nu  laisse  aucun  doute  sur  ce  point.  Ainsi,  l'assertiou  rellti'e 
Brillant  n'eal  pas  exacIe.Ondoil  en  dire  autant  décolle  quia  Irait  à 
L'Annilial  n'eut  pas  il  rappeler  l'Ajax,  par  laraisou  bien  limpleqMt 
dernier  vaisseau,  n'a^aul  pas  vu  le  signal  qui  lui  était  adressé,  no  Dl 
mouvement.  11  est  inutile  d'ajouter  que,  si  un  pareil  Tait  s'était 
SutTren  n'eùl  pas  oublié  de  la  faire  connaître  au  ministre.  Il 
d'ailleurs,  assez  singulier  de  reproclier  en  mime  temps  A  M.  deTroaMM 
d'avoir  rappelé  VAjax  el  de  n'avoir  Tail  aucun  signal  aux  bAliwenU^ 
étaienl  près  de  lui.  Cette  dernière  accusation  est  celle  que  le  commamW 
en  cber  porte  coalrc  H.  de  Tromelln.  [it.  Cunat  avail  emprunté  celte  «t^ 
sion  i,  H.  Trublot  de  la  Villojégu,  maïs  il  ajoute,  pour  son  propn 
compte  :  •  Des  porsounes  dignes  de  Toi  m'ont  raconté,  k  Pondictiér;,  et 
cela  vingl-cinq  ans  seulement  après  l'èvénemoat,  que  M.  Bouvet,  chagni 
de  M  conduite,  se  tenait  le  lendemain  à  l'écart  dans  la  chambre  da  cobbiI 
du  Hirm,  ob  les  capitaines  avaient  été  appelés,  n'osant  approcher  le  géo^ 
rai,  •  Monsieur  Kouvet,  lui  dit  Sullrea,  en  l'avançant  vers  lui,  votre  tels  «I 

•  vos  InlenU  m'étaient  signalés,  mais  l'exemple  de  subordination  que  voM 

•  avei  donné  hier  a  achevé  de  vous  faire  connaître.  Qa'il  a  dO  vous  t* 
■  cuiller  en  vous  retirant  au  moment  oli  vous  alliez  prendre  pari  au  cms- 

•  bati  Je  ferai  en  sorte  que  vous  n'essujiez  plus  de  désagrémeal.  • 
H.  Bouvet  remercia  son  chef  avec  les  expressions  d'un  cwur  ému;  mai* 
•on  grand  âge  et  ses  infirmités  l'empiclièrenl  de  tenir  l'engagemenl  qu'il 
contractait  tacitement.  ■  Que  devient  ce  récit,  lorsqu'on  sait  que  M.  de 
Troinclin  n'a  pas  rappelé  VAjno!.  Cependant,  colle  légende  a  éU  acccpUe, 
et  on  la  retrouve  cucore  dans  la  plupart  des  livres  ftila  Mr  ccUc  CUB- 
pBgae. 


LIVRE  XIII.  397 

sidérer  les  chefs  qui  les  font  obtenir.  MM.  de  la  Palliëre, 
du  Ghilleau  et  de  Forbin  ont  bien  gardé  leurs  postes. 
M.  de  Galle  s'est  conduit  sur  le  petit  Hannibaly  comme  il 
l'avait  fait  sur  le  grand ,  comme  il  le  fera  toujours ,  c'est- 
à-dire  très-bien.  » 

II 

SufTren  avait  fait  cesser  le  combat,  le  17  février,  avec 
IMntention  de  le  reprendre  le  lendemain.  Pendant  la  nuit, 
le  temps  fut  sombre  et  à  grains ,  et ,  lorsque  le  jour  se 
leva,  on  ne  vit  plus  les  Anglais.  Ce  qui  arrivait  était 
d'autant  plus  fâcheux  que  SufTren  se  trouvait  momenta- 
nément dans  l'impossibilité  de  poursuivre  Tennemi.  Nos 
vaisseaux  n'avaient  plus  d'eau,  et,  d'autre  part,  il  était 
urgent  de  savoir  ce  que  notre  convoi  était  devenu.  L'es- 
cadre fit  route  pour  Pondichéry,  où  elle  mouilla  le  19  fé- 
vrier. Le  même  jour,  M.  Pivron  de  Morlat,  notre  envoyé 
auprès  du  nabab ,  vint  à  bord  du  Héros.  11  apportait  au 
conunandeur  des  renseignements  sur  la  situation  des  af- 
faires dans  l'Inde  et  plus  particulièrement  sur  l'état  de 
nos  relations  avec  Hyder-Ali.  Les  événements  qui  s'étaient 
accomplis,  dans  le  cours  de  l'année  1781,  n'avaient  pas 
été  favorables  à  la  cause  que  le  nabab  défendait  avec  plus 
d'ardeur  et  de  sincérité  que  ses  alliés.  La  diplomatie  bri- 
tannique était  parvenue  à  mettre  la  désunion  parmi  les 
confédérés.  L'attitude  purement  défensive  des  chefs  mar- 
hattes  et  du  Soubab  du  Decan  avait  permis  aux  Anglais 
d'envoyer  à  Madras  la  plus  grande  partie  de  leurs  forces. 
Le  général  sir  Eyre  Coot  avait  battu  l'armée  mysoréenne 
dans  plusieurs  rencontres.  Néanmoins,  la  Compagnie  des 
Indes,  qui  tenait  à  ne  nous  laisser  aucun  allié,  offrait  au 
nabab  des  conditions  de  paix  très-avantageuses.  Hydcr- 
Ali  était  personnellement  très-désireux  de  continuer  la 
guerre,  mais  il  était  obligé  de  ménager  son  entourage 
qui  le  pressait  d'accepter  les  propositions  de  nos  enne- 
mis. M.  de  Morlat  avait  reçu  la  mission  spéciale  d'empê- 


396  HtSlXHRB  JM  LA  MAfilNB  fBAmQàâSÉi 

cher  le  sultan  de  traiter  a?6c  les  Anglais.  IlyavattviMi 
jasqae-U,  mais  fl  regardait  omame  imposidbta  d^itteiadn 
désormais  ce  résultat,  si  nous  ne  yenioM  pas  an  secoui 
da  nabab.  Gelntcl  avait  ég^mnè^  l'année  préoédente^  n 
très-vif  désiqppoinfement»  knrsqae  Teseadre  tnùçàÊ^ 
iqprès  quelques  jours  passés  sur  la  cdte,  était  retoonéeà 
rile  de  France,  n  s'était  bercé  de  Vespoit  que  Sttflhi 
amenait  le  corps  de  dâMirquement  annoncé  par  le  coali 
d'Onres.  Si  nous  nous  éloignons,  disait  notre  wvofli 
sans  mirer  encommunication  avec  le  sultan,  celui?€l,eofr: 
vaincu  qu'il  ne  peut  avoir  aucune  ccmfiance  dans  nos  p- 
rôles,  fera  la  paix  avec  les  Anglais.  Suffiren  étaK  dédit 
à  resterdans  l'Inde  depuis  le  jourodilavaitiNrisleeail^ 
mandement  de  l'escadre.  Aucun  i^lbrt  n'était  néeesiiiM 
pour  le  convaincre  de. la  néceœité  de  s'unir  4  Hjder4l- 
Cette  alUanceétdt,à  sesyeux,  lep(^tded^partdetorib 
action  sérieuse  sur  la  cAte  de  Goromandel.TouiaAiis,ttii 
voyait,  avec  beaucoup  de  regret,  i»tvé  de  la  liberté  dnn 
mouveiMntis,  aumoment  où  il  eûtMé nécessaire dessa# 
tre  à  la  poursuite  de  l^ennemi,  afin  de  le  combattre  attiH 
Tarrivée  du  Magnanime  et  du  Sultan.  Si  Tamiral  Hughes, 
désirant  éviter  une  rencontre,  se  retirait  à  Trinquema- 
lay,  nous  pouvions  nous  établir  au  sud  de  Ceylan  avec  de 
grandes  chances  d'intercepter  ces  deux  vaisseaux.  Cepen- 
dant, prenant  en  considération,  d'une  part,  les  observa- 
tions présentées  par  M.  de  Morlat,  et,  d'autre  part,  le  désir 
manifesté  par  le  général  Duchemin  d'être  mis  à  terre  avec 
ses  troupes,  SufTren  renonça  à  prendre  la  mer.  Voulant 
se  rapprocher  d'Hyder-Ali,  il  conduisit  l'escadre  au  mouil- 
lage de  Porto-Novo.  MM.  de  Morlat»  de  Moissac  et  le  lieu- 
tenant-colonel de  Canaples  se  rendirent  auprès  du  sultan. 
Il  fut  convenu  entre  nos  ofRciers  et  les  agents  du  nabab 
que  les  Français,  auxquels  seraient  adjoints  deux  mille 
cavaliers  et  trois  mille  fantassins  de  l'armée  indienne,  fo^ 
meraient  un  corps  indépendant.  Hyder-Ali  promit  de  nour- 
rir nos  soldats  et  de  fournir  des  vivres  à  l'escadre,  toutes 
les  fois  que  celle-ci  serait  mouillée  sur  la  côte  et  &  portée 


LIVRE  XIII.  399 

de  son  camp.  Il  devait  nous  donner  de  l'argent,  au  fur 
et  à  mesure  de  nos  besoins.  Enfin,  il  offrait  d'abandonner 
à  la  France,  lors  de  la  conclusion  de  la  paix,  un  territoire 
d'une  étendue  aussi  grande  que  nous  pourrions  le  désirer. 
Ces  propositions  n'avaient  ni  la  netteté,  ni  la  précision 
qui  eussent  été  nécessaires  dans  une  négociation  de  cette 
importance.  Le  sultan  ne  prenait,  sur  aucun  point,  d'en- 
gagement formel,  mais  les  circonstances  ne  nous  permet- 
taient pas  de  nous  montrer  très-exigeants.  En  même 
temps  que  MM.  de  Moissac,  de  Canaples  et  de  Morlat, 
ainsi  que  Suffren  l'écrivait,  quelques  jours  après,  au  mi- 
nistre, se  trouvaient,  au  camp  d'Hyder-Ali,  des  envoyés 
anglais  qui  offraient  de  l'argent,  tandis  que  nous  en  de- 
mandions. Le  général  Duchemin  et  le  chef  de  l'escadre, 
confiants  dans  la  bonne  foi  du  nabab,  se  décidèrent  à 
débarquer  les  troupes.  Cette  opération  fut  terminée  le 
22  mars,  et,  le  23,  l'escadre  fit  route  vers  le  sud  à  la  re- 
cherche des  bâtiments  du  convoi  dispersés  dans  la  jour- 
née du  16  février.  Suffren  expédia  un  navire  en  Europe 
afin  d'informer  le  ministre  des  événements  survenus  de- 
puis le  jour  où  l'escadre  avait  quitté  l'Ile  de  France.  «  Je 
suis  dans  la  ferme  résolution ,  lui  écrivit-il ,  de  ne  point 
quitter  la  côte  jusqu'à  l'hivernage.  Les  Anglais,  après  la 
réunion  du  Suitan  et  du  Magnanime ,  seront  au  moins  à 
forces  égales.  Mais,  à  moins  que  l'escadre  ne  soit,  par  de 
grandes  avaries  ou  par  le  manque  de  subsistances,  dans 
l'impossibilité  absolue  de  rester,  elle  n'abandonnera  pas 
la  côte.  Je  l'ai  promis  au  nabab  et  je  lui  tiendrai  parole.  » 
Suffren  réclama  les  moyens  d'action  nécessaires  pour 
rendre  sa  présence  sur  la  côte  de  Coromandel  profitable 
à  nos  intérêts.  L'armée  du  sultan ,  qui  ne  comptait  pas 
moins  de  cent  mille  hommes,  pouvait,  si  elle  était  soute- 
nue par  des  troupes  françaises,  lutter  avec  avantage  con- 
tre les  Anglais.  Les  succès  remportés  par  Hyder-Ali 
eussent  affermi  l'alliance  très-ébranlée  des  princes  in- 
diens. En  conséquence ,  il  demandait  qu'on  fit  passer 
dans  l'Inde  deux  bataillons   d'infanterie,  un  bataillon 


400  HI8T0IRB  D£  LA  MàRDIB  FaAMÇàlGBBU 

d'artillerie  y  un  ttmn  de  campagne,  des  bombes  ei  des 
mortiers'  U  priait  le  ministre  de  raTiser,  par  des  b&ti- 
mente  expédiés  directement  à  la  cOte  de  GoromaDdd,  du 
départ  des  convois  firançais  et  anglais,  afin  qu'il  pût  ia- 
tei;cq[>ter  les  uns  etassurer  TamTéedes  autrsa.  Jinfin,& 
insistait  pour  qu'on  lui  donnAt  quelques  frégates  d^ 
blées  en  cuivre  avec  lesquelles  il  pût  d^ruire  le  eommero 
de  Tennemi.  Suffiren  s'adressa  à  M*  de  SooiUae  pour  o^ 
tenir  que  le  matériel  et  le  personnel  existant  à  lUe  U 
France  fussent  mis  à  sa  dispodti<m.  D  lui  taiv!t:«t 
manque  plus  de  six  cente  bommes  à  Tescadre.  J'ai  achiM 
à  Tranquebar  trente  Gafres,  à  soixante-dix  pagodes;  ji 
tAcbe  d'engagé  d^  lascars,  mais  ce  ne  scwt  que  dit 
moyens  bien  courts.  EnToyeiHi<ms  donc  des  bomoMi: 
1*  des  marins;  2* des  soMato;  3^ des  volontaires;  Véai 
noirs.  On  a  été  très-content  de  ces  derniers  dans  le  eo» 
bat  du  17  février.  » 

Lorsque  l'escadre  avait  quitté  Pwlo-Noyo,  les  vifMiil 
les  recbanges  étai^it  presque  com|^étmmit  coosomnéi» 
Six  mille  piastres,  prises  à  l'Ile  de  France,  et  les  rimé 
embarqués  sur  le  convoi,  telles  étaient  nos  seules  res- 
sources. Or,  à  ce  moment ,  Suflren  n'était  pas  exactement 
renseigné  sur  le  nombre  des  bâtiments  de  transport  cap- 
turés par  l'ennemi.  Les  forces  françaises  étaient  parfaite- 
ment en  mesure  de  lutter  contre  l'escadre  de  l'amiral  an- 
glais ,  alors  même  que  celle-ci  eût  été  renforcée  par  le 
Magnanime  et  le  Sultan.  Ce  qui  avait  paru  impossible 
jusque-là,  c'était  de  ravitailler  des  vaisseaux  sur  une 
côte  011  nous  n'avions  ni  ports  ni  magasins.  On  était  con. 
vaincu ,  à  Paris ,  qu'une  escadre,  opérant  sur  la  côte  de 
Coromandel,  était  contrainte  de  faire  route  pour  l'Ile  de 
France,  le  jour  où  elle  n'avait  plus  que  les  vivres  néces- 
saires pour  revenir  à  son  point  de  départ.  SuiTren  ne  re- 
cula pas  devant  une  détermination  contraire  aux  idées 
reçues  et  que  le  succès  seul  pouvait  justifier. 


I 


LIVRE  XIII.  401 


m 


Le  8  avril,  dans  la  matinée,  Tescadre  française  fut  ral- 
liée par  un  bâtiment  marchand  qui  s'en  était  séparé,  la 
veille ,  pour  aller  à  Batavia.  Le  capitaine  annonça  qu'il 
avait  aperçu  douze  ou  quinze  grands  bâtiments  cou- 
rant au  nord-nord-est.  SufTren  fit  mettre  le  cap  dans  cette 
direction,  et,  le  lendemain,  dans  la  journée,  nos  frégates 
découvrirent  onze  vaisseaux.  C'était  l'escadre  britannique 
qui  avait  été  rejointe,  le  30  mars,  par  le  SuUan  et  le 
Magnanime.  Le  10  et  le  11  avril,  par  suite  de  la  faiblesse 
de  la  brise,  nos  vaisseaux  doublés  en  cuivre  furent  les 
seuls  qui  parvinrent  à  se  rapprocher  des  Anglaise  Dans 
la  Duit  du  11  au  12,  l'amiral  Hughes  laissa  porter,  afin 
de  se  mettre  en  position  d'entrer  à  Trinquemalay.  Au 
jour,  on  aperçut  l'ennemi  sous  le  vent,  à  une  dis- 
tance d'environ  trois  lieues.  Vers  neuf  heures  du  matin, 
les  vents  continuant  à  souffler  de  l'est-sud-est,  nos  meil- 
leurs marcheurs  se  trouvèrent  en  position  de  canonner 
les  vaisseaux  de  queue  de  l'armée  anglaise.  L'amiral 
Hughes,  prenant  alors  la  détermination  de  combattre,  lit 
former  la  ligne  de  bataille,  les  amures  à  tribord,  sous  pe- 
tites voiles.  Cette  manœuvre  fut  imitée  par  les  Français,  et 
les  deux  escadres  coururent  parallèlement  Tune  à  Fautre. 
A  onze  heures,  notre  ligne  étant  bien  formée,  Sufl'ren 
signala  de  laisser  arriver  jusqu'à  l'ouest-sud-ouest  par 
un  mouvement  tout  à  la  fois.  Nos  vaisseaux  ne  se  tinrent 
pas  sur  la  ligne  de  relèvement  prescrite,  et  l'avant-garde, 
composée  des  meilleurs  voiliers,  arriva  la  première  à  por- 
tée de  l'ennemi.  A  une  heure ,  les  vaisseaux  de  tète  de 
l'armée  anglaise  commencèrent  à  tirer  sur  le  Vengeur  et 
VArUsien.  Ces  deux  vaisseaux,  étant  venus  en  travers 


1.  Le  10,  deux  navires  do  commerce  forent  pris  et  brûlés  à  la  vue  des 
Anglais. 

26 


Ml  HISTOmK  DE  LA,  HiSm  FRAMCAlBt 

pour  répondre  au  fea  de  dos  ■dvMBairaa,  reçanntLai- 
médiatement  l'ordre  de  laisew  pwter*.  SaOraOt  qui  tw- 
lùt  nue  acUon  dédsive,  coalinna  sa  routa,  reotmt,  «m 
riposter,  les  conpsqoe  l'ennemi  dirigeait  sqr  son  TaiiiBii 
Lotsqnll  fbt  i  portée  d«  pistaM  du  SHper*,  a  tt  ttinr 
le  Tant  et  le  signal  (te  oommeneer  le  ko  painiteii  Mie* 
son  grand  m&t  L'aa^td  Hogiies  n'ayant  qn««n»  ni»- 
seaux,  le  Btiorrw,  oonfianntaUBt  aux  diipudllsw  pitai 
par  ie  commiindaiil  en  chef,  devait  combaltrii,  par  la  han- 
che, le  vaisseau  de  queue  de  l'armée  anglaise,  et  lo  dou- 
bler par-dessous  le  vent,  si  les  circonsl.tnccâ  le  lui  \ift- 
metUient.  Au  moment  oit  les  premiers  coups  de  cauoo  if 
firent  eulendre,  nos  mauvais  marcheurs  étaient  en  arrién 
de  leurs  postes.  S'inspirant  de  la  lettre  et  non  de  l'esprit 
des  ordres  du  commandant  en  chef,  les  capitaines  de  ces 
btUmnita  leAnbt  en  Mtee  ta^  qm  les  «alnss 
qnilBB  prteMaient.  nni4saUa^[nUIigi»fe«B^ 
forma  une  ceart»  dont  les  oitréattes  «Msat  iiqsiMS 
tées,  i  l'avaAt-^arde,  par  leKMfMir  M  tUclMM,  «é»* 
l'airitev-ganle,  par  le  fiitorps}  r^^oevt  le  SiMre.  OeuM 
conséquence  de  cette  posidon,  ces  vaisseaux  étaient  trte- 
éloigaés  des  b&Uments  qui  leur  correspondaient  dansU 
ligne  ennemie.  Les  avaries  que  le  Héros  reçut ,  au  débat 
de  l'action ,  ne  lui  permirent  pas  de  rester  &  la  hauteur 
du  Superb.  N'ayant  pu  masquer,  à  temps,  ses  hunio-s, 
dont  les  bras  avaient  été  coupés',  il  courut  de  l'avant  et  il 
ne  s'arrêta  que  par  le  travers  du  MonlmoiUh*.  A  detu 

1,  Ce  signal  Tut  rtpité  ao  quart  d'heure  après.  A  am  beai«  Ima 
quart*,  le  Hérot  flt  k  I'ann4e  le  tïgaiX  de  combaUre  l'etinomi  t  pocU* 
de  pistolet. 

3.  On  Ut  dans  VHinloire  du  bailli  de  Su/fren,  de  M.  Cnnat  :  •  Saffna, 
qui  avait  arrtté  la  Hirot  par  le  traven  du  Superb  que  montait  l'aounl 
Hughes,  combattait  viclorieuaement  celui-ci,  lorsque,  tout  à  coup,  il  aperfut 
avec  étonnement  dos  deux  vaisscaui  de  lito,  le  Vengtvr  et  VArUntit, 
dépassant  ceux  de  l'ariute  ennemie,  et,  quoiqu'an  large  du  AnglaJs,  ei 
■ignalant  quatorze  brasses  de  Tond.  Le  commandeur,  étonné,  jette  aton 
rapidement  un  regard  sur  tes  vaisseaux  de  queue,  et  il  remarque  que  pls- 
■leurs  de  ces  vaisseaux  n'avaient  pas  d'ennemis  par  leur  travwa.  AossilAt 
il  force  de  marche,  abandonnanl  i  regret  le  Superb,  et  U  se  met  botd  à 


LIVRE  XIlI.  403 

heures  quarante  minutes,  ce  vaisseau  avait  perdu  son 
grand  mât  et  son  mât  d'artimon.  Le  Héros,  qui  avait 
combattu  le  Superb  avant  d'avoir  le  Monimouth  pour  ad- 
versaire, était,  lui-même,  très-dégréé.  Il  tomba  sous  le 
vent,  et,  pendant  un  moment,  il  canonna  le  Superb  avec 
ses  pièces  de  retraite.  SufTren  fit  alors,  à  son  mate- 
lot d'arrière,  le  signal  particulier,  et  à  l'arrière-garde, 
le  signal  général  de  laisser  porter.  Quoique  YOrieiit 
eût  beaucoup  souffert,  le  capitaine  de  la  Pallière  exé- 
cuta sur-le-champ  l'ordre  du  commandant  en  chef*.  Il 
fut  suivi  par  M.  de  Saint-Félix  qui  montra,  dans  cette  cir- 
constance, l'esprit  d'initiative  dont  il  avait  fait  preuve,  le 
17  février.  La  manœuvre  de  ces  deux  vaisseaux  dégagea 
le  Héros  qui  continua  à  combattre  jusqu'à  ce  que  VOiierU 
et  le  BrillafU  se  fussent  placés  entre  lui  et  l'ennemi. 
L'amiral  anglais  passa  sous  le  vent  du  vaisseau  démâté, 
et  il  rejoignit  son  avant-garde.  Le  mouvement  en  avant 
de  quelques-uns  des  vaisseaux  de  notre  arrière-garde 
rendait  la  situation  du  Monimouth  très-périlleuse.  Pour 
sauver  ce  vaisseau  et  rétablir  sa  ligne  de  bataille  qui  était 
fort  en  désordre,  l'amiral  Hughes  fit,  à  trois  heures  qua- 
rante minutes,  le  signal  de  virer  de  bord  lof  pour  lof  tout  à 
la  fois.  Les  vents  qui  étaient  au  nord-est,  au  début  de  l'ac- 
tion, avaient  passé  au  nord,  et  les  deux  escadres  s'étaient 
rapprochées  de  la  terre.  Le  Vengeur  ayant  signalé  qua- 
torze brasses  de  fond ,  les  Français  prirent  les  amures 


bord  du  Monimouth,  »  Ce  récit  n^est  pas  exact.  Ce  fut  contrairement  à  la 
volonté  de  SufTren  que  le  Héros  dépassa  le  Superb,  Le  major  de  i^escadre 
dit,  dans  son  journal  :  «  Le  dessein  du  général  était  de  combattre  Tamiral, 
mais  des  bras  coupés  nous  ayant  empêchés  de  coifTer  nos  huniers,  nous 
l'aTODS  dépassé  et  couru  jusque  par  le  travers  de  son  matelot  de  Pavant, 
que  nous  avons,  comlmttu.  »  Enfin,  lorsque  le  Vengeur  signala  quatorze 
brasses,  le  Héros,  ainsi  qu  on  le  verra  plus  loin,  avait  cessé  de  combattre 
le  Montmouth,  Il  n'était  pas  une  heure  trois  quarts,  mais  trois  heures 
et  demie,  ce  qui  est  très-difTércnt.  En  d'autres  termes,  il  n'y  a  aucun  lien 
entre  la  manœuvre  du  Héros  et  la  conduite  des  capitaines  du  Vengeur  et 
de  VArlétien, 

1.  VOrient  faisait  le  signal  «  d'incommodité  »  au  moment  môme  oii  il 
recevait  cet  ordre. 


404  HISTOIRE  DE  LA  MAfilNE  FRANÇAISE. 

à  l'autre  bord,  ea  virant  vent  arrière,  tous  en  mén» 

temps  '. 

Pendant  gue  les  vaisseaux  des  deux  escadres  exéctt- 
laient  cette  évolution,  le  Montmouth  restait  immobile  e 
tre  les  deux  lignes.  Suffren  signala  à  l'armée  de  rorcertei 
voiles,  et  il  donna,  A  la  voix,  l'ordre  au  capitaine  de  VAf* 
tésien  de  se  diriger  sur  le  navire  désemparé.  En  ce  mi 
ment,  ceux  de  nos  bâtiments  qui  avaient  combattu  c 
près  le  centre  de  l'armée  anglaise  n'étaient  pas  éloigaév 
du  Montmouth.  Suffren  put  croire  que  cette  journée  lail* 
serait  un  trophée  entre  ses  mains,  mais  l'habileté  d'iu 
des  capitaines  anglais  trompa  cette  espérance.  Cet  offider 
envoya  une  amarre  au  Montmoutli,  et  il  le  remorqua  hor 
du  feu.  Après  le  virement  de  bord  des  deux  escadres,  iM 
Anglais  se  trouvèrent  sur  l'avant  des  Français.  Le  déli» 
brement  d'un  grand  nombre  de  vaisseaux  et  les  diverse^ 
péripéties  du  combat  avaient  mis  le  désordre  dans  I 
deux  lignes.  Les  bdliments  de  notre  arrière-garde,  deveniM 
notre  avant-garde,  et  quelques  vaisseaux  de  notre  cenbi 
étaient  seuls  en  mesure  de  comballre.  A  cinq  heures  qui» 
rante  minutes,  le  petit  mdt  de  hune  du  Héros  s'éU 
rompu,  le  général  mit  son  pavillon  sur  VAjax.  Par  suil 
du  calme  et  des  variations  de  la  brise,  les  deux  escadra^ 
s'éloignèrent  l'une  de  l'autre,  et  l'ordre  fut  donné  de  o 
ser  le  feu.  Néanmoins,  le  combat  continua  entre  les  v 
seaux  qui  étaient  &  portée  de  canon  jusqu'au  moment  ofe' 
l'obscurité  fut  complète.  Le  voisinage  de  la  terre  préoo* 
cupait  les  deux  amiraux  qui  eussent  voulu  s'en  éloigosT 
avant  la  nuit,  mais  cette  manœuvre  n'était  pas  d'u 
exécution  facile.  Les  Anglais,  dont  la  marche  était  ei 
barrassèc  par  le  Mmitmouth,  mouillèrent  à  sept  heurt!» 
Quoique  les  Français  eussent  pris  la  bordée  la  plus  favo" 
rable  pour  gagner  le  large,  VAjax  loucha  deux  fois.  D'aiH 

1.  Le  Tir n^ur  venait  de  «ipialer  qualoire  brasses  de  \aaà,  LegMHF 
»  Tut  le  BigDsJ  de  virer  veal  «.iritre  toaa  ea  mtme  lemps.  C«U«  nuMHmf^ 
■prAs  un  combat  chaud,  D'à  pu  êlre  ai  prompte,  ni  gèntrata.  Noos  aw~ 
vrri,  h  bord  du  Hért»,  avec  laide  d'une  embarcatiwi. 


LIVRE  XIII.  405 

tare  part,  SuQren  craignait  que  le  Héros^  le  Brillant  et 
VOrieni  ne  fussent  pas  en  état  de  le  suivre.  En  consé- 
quence, à  huit  heures  du  soir,  il  fit  à  l'armée  le  signal 
de  mouiller  où  elle  se  trouvait.  La  préoccupation  du 
conunandant  en  chef  à  Tégard  du  Héros  était  légitime. 
Ce  vaisseau,  après  avoir  inutilement  tenté  de  virer  de 
bord  pour  s'éloigner  de  l'escadre  anglaise,  sur  laquelle 
le  portait  une  petite  brise  de  nord-est,  avait  laissé  tom- 
ber son  ancre,  à  sept  heures  et  demie.  Du  pont  du  Hérosy 
on  entendait  distinctement  les  voix  des  hommes  de  l'é- 
quipage du  vaisseau  anglais  le  plus  rapproché.  Tous  les 
canots  ayant  été  brisés  pendant  le  combat,  M.  de  Moissac 
ne  pouvait  conununiquer  avec  le  commandant  en  chef. 
Une  embarcation  de  l'escadre,  montée  par  un  officier,  s'é- 
tant  présentée  le  long  de  son  bord,  il  s'empressa  de  pro- 
fiter de  cette  circonstance  pour  faire  connaître  sa  position 
au  général.  Suffren  fit  donner  à  la  Ftne,  qui  était  encore 
sous  voiles,  l'ordre  de  conduire  le  Héros  au  milieu  de 
Tescadre  française.  Malgré  l'obscurité  de  la  nuit,  cette 
frégate  se  présenta  sur  l'avant  de  ce  vaisseau^  et  elle  lui 
envoya  un  canot  avec  une  amarre.  Celle-ci  était  tournée, 
lorsque  le  vaisseau  l'Orient,  passant  entre  la  Fine  et  le 
HéroSj  cassa  la  remorque.  Le  capitaine  de  la  Palliëre  héla 
leHéroSj  et  il  le  prévint  que  la  Fine  avait  abordé  un  vais- 
seau anglais*.  La  secousse  produite  par  la  rupture  du 


1.  A  sept  heures  et  demie,  le  Héros  ayant  inutilement  essayé  de  virer 
veot  arriére  et  vent  devant,  le  vaisseau,  absolument  dégréé  et  hors  d*état 
d'être  réparé  dans  peu  de  temps,  ayant  le  petit  m&t  de  hune  et  toutes  ses 
ToilcB  et  manœuvres  qui  en  dépendent  sur  les  haubans  de  misaine,  j  ai 
été  forcé,  par  le  peu  de  fond  et  dérivant  toujours,  de  mouiller  par  sept 
brasses,  fond  de  corail,  au  milieu  de  Tescadre  anglaise  et  assez  près  d*un 
de  ses  vaisseaux  pour  en  distinguer  les  voix.  Le  vent  toujours  au  nord-est, 
preique  calme.  A  ce  moment,  un  ofQcier  est  venu  à  bord  pour  savoir  si  ce 
n*élait  pas  nous  qui  avions  tiré  trois  coups  de  canon.  Je  lui  dis  que  je 
croyais  que  c'était  l'amiral  anglais,  dont  ce  pouvait  être  le  signal  de 
mouiller.  Je  le  priai  d'instruire  le  général  de  notre  position  désagréable. 

2.  «  Nous  entendions  effectivement  des  voix  anglaises  et  françaises, 
dit  M.  de  Moissac  dans  son  journal,  se  disputer,  mais  tout  se  passa  en 
paroles.  > 


cas  mSTQIRS  JX  LA  HABttl  FRANÇAISE. 

grelin,  st^para  le  vaisseau  et  ta  frégale.  Peu  après,  fdle 
dernière  indiqua  par  signal  qu'elle  tl-lait  écbouéc.  M.ilc 
MoiBS&c,  désespérant  d'être  secouru,  fit  frapper  une  biii- 
bosstire  sur  son  câble.  Il  se  tînt  prêt  à  s'en  servir,  ^il 
pour  abattre,  dans  le  cas  où  le  vent  deviendrait  favoraltle, 
SOit^ur  présenter  le  travers  à  l'ennemi,  si,  comme  il  le 
supposait,  il  était  attaqué  le  lendemain  au  jour.  Ce  futli 
première  do  ces  prévisions  qui  se  réalisa.  A  neuDiouit* 
et  demie,  la  brise  s'étant  levée  du  sud-ouest,  le  capitaine  if- 
MoÎBsac  fit  couper  son  câble,  et,  A  dix  heures  et  demie,  il 
laÎMa  tomber  l'ancre  par  le  travers  de  VAjax.  Quanl  à  11 
Wn*,  iiprt's  avoir  éteint  un  commencement  d'incendie  qui 
s'était  déclaré  à  son  bord,  elle  se  déséchoua  et  elle  rallii 
l'armée.  Ce  ne  fut  pas  le  seul  incident  de  cette  nuit  obs' 
cure  et  pluvieuse.  M.  de  Goy,  enseigne  de  vaisseau,  nide- 
maj<^  de  l'escadre,  était  à  bord  de  la  Fine,  au  moment  ob 
cette  frégate  avait  abordé  17sis.  Il  embarqua  dans  son 
canot  pour  retourner  à  bord  de  ]'Aja.T,  mais  son  palroB, 
an  Iteu  de  le  conduire  à  bord  du  bâtiment  que  montait 
SaCfren,  accosta  le  vaisseau  amiral  an;,'lais.  M.  de  Goy  el 
ses  hommes  furent  faits  prisonniers.  On  a  dit  que  le  ca- 
pitaine de  la  Fine  avait  eu  la  pensée  d'abandonner  sa  M- 
gate,  au  moment  où  celle-ci  était  bord  &  bord  avec  l'/tii. 
SulTren,  dans  ses  lettres  au  ministre,  ne  parle  pas  de  ce 
fait  qui  eût  certainement  appelé  son  attention.  Il  n'en  est 
pas  question  dans  le  journal  du  major  de  l'escadre.  Or, 
H.  deMoissac  relate  avec  soin  tous  les  incidents  de  la  auit 
ayant  trait  t  la  frégate  la  Fine'.  Cette  accusation  désho- 
norante pour  la  mémoire  de  cet  officier,  n'est  appuyée 
par  aucune  preuve,  et  elle  doit  être  repoussée*.  Lors- 

1.  M.  de  Moissac  dit  :  «La  secoune  qa'occMioniu  l'OrienJ,  ea  oooput 
le  grelin,  sépara  lea  deux  bfttimentt.  La  Fine  alla  «'édiousr  un  pea  plu 
loia,  m  le  signal  d'iacommodilé,  mit  le  Teu  dans  us  porte-baubans,  I'Hm- 
gnit  et  M  désëchoua.  M.  de  Goy,  eDwigna  de  vaisseau,  aide-m^or,  Mail  sar 
la  Fine.  11  avait  portd  des  ordres  i  ptnaieurs  TaisscAus,  qitaiid  la  Fûw 
s'eil  abordée  avec  l'hia.  11  embarqua  dans  son  canot,  mais,  ag  liea  d'aller 
k  bord  de  VAîax,  il  alla  i  bord  du  Superh.  • 

1.  On  lit  dana  \'Hi$l0ire  du  baiUi  de  Saffrm,  par  H.  Canal  :  •  M.  ds 


LIVRE  XIII.  407 

que  le  jour  parut,  les  deux  escadres  étaient  mouillées  en 
pleine  côte,  et  à  deux  milles  de  distance  l'une  de  l'autre. 
Elles  se  seraient  probablement  perdues,  si  le  vent  avait 
soufQé  grand  frais  du  large  pendant  la  nuit.  «  Six  heures 
de  mauvais  temps,  écrivait  Suifren,  pouvaient  faire  per- 
dre l'escadre.  Ha  seule  consolation  était  que  les  ennemis 
auraient  le  même  sort.  Au  jour,  nous  nous  sommes  trou- 
vés mouillés  à  deux  tiers  de  lieue  de  l'escadre  anglaise 
(par  8*  8'  de  latitude  septentrionale,  sur  la  côte  orientale 
de  Geylan,  près  de  l'île  de  la  Provedien),  et  chacun  est 
occupé  à  réparer  son  dommage*.  »  SufTren  envoya  un 
parlementaire  à  bord  du  Superb  pour  proposer  à  l'ami- 
ral Hughes  réchange  de  M.  de  Goy.  L'amiral  anglais  ré- 


Salvert,  stupéfait,  ne  voyant  aucune*  issue  pour  se  soustraire  à  cet  abor- 
dage, et  craignant  une  invasion  de  la  part  des  Anglais,  fit  amener  son 
canot  pour  se  sauver.  M.  Sébire  de  Beauchône  fut  invité  par  M.  de  Saivert 
à  descendre  dans  son  canot  et  à  le  suivre  dans  sa  retraite.  Cet  ofTicier,  de 
SaintrMalo,  qui  s'était  distingué  au  combat  de  la  Bdle-PouUy  s'y  refusa. 
Sa  belle  contenance  encouragea  les  plus  timides  et  contribua  au  salut  de  la 
Fine.  »  M.  Cunat  a  emprunté  cette  version  à  M.  de  Villejégu.  Ce  dernier 
était  évidemment  de  très-bonne  foi  lorsqu'il  rapportait  un  bruit  qui  avait 
peut-être  couru  dans  Tescadre  et  qu'il  croyait  vrai,  mais  la  bonne  foi,  en 
pareil  cas,  est  à  peine  une  circonstance  atténuante.  Quand  on  porte  une 
accusation  de  cette  nature,  il  faut  y  joindre  des  preuves.  Il  est,  d'ailleurs, 
facile  de  voir  d'où  vient  son  erreur.  Il  sait  que  M.  de  Goy  a  été  à  bord  du 
Superbj  mais  il  ignore  que  cet  officier  venait  de  la  Fine,  lorsqu'il  a  pris  le 
vaisseau  amiral  anglais  pour  VAjax,  C'est  la  présence  du  canot  de  cet  offi- 
cier le  long  de  la  Fine,  pendant  Tabordage  de  cette  frégate  avec  VIsis,  qui 
a  donné  naissance  au  bruit  que  M.  de  la  Villejégu  a  accueilli  trop  facile- 
ment, et  que  la  plupart  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  la  campagne  de  l'Inde  ont 
rapporté  après  lui. 

1.  Quelques  historiens  prétendent  que,  le  13,  au  matin,  SufTren  eut  la 
pensée  de  tirer  sur  les  vaisseaux  anglais  qui  étaient  à  portée  de  l'escadre. 
il  ne  donna  pas  suite  à  ce  projet,  disent  les  uns,  dans  la  crainte  d'engager 
une  affaire  générale.  D'autres,  au  contraire,  disent  qu'il  ne  le  fit  pas  parce 
que  cette  canonnade  n'aurait  amené  qu'un  combat  partiel.  Le  rapport  de 
Suffren  met  tout  le  monde  d'accord.  Il  ne  fut  pas  un  instant  question  de 
tirer  sur  les  vaisseaux  les  plus  rapprochés  de  nous.  Comment  croire, 
d'ailleurs,  que  nous  aurions  usé  notre  poudre  en  envoyant  des  boulets  à 
des  vaisseaux  qui  étaient  à  dix-huit  encablures?  Le  major  de  l'escadre  dit  : 
Quelques  vaisseaux  anglais,  mouillés  à  portée  de  canon  à  tonte  volée  de 
notre  escadre,  appareillent.  Les  vaisseaux  mouillés  trop  près  des  roches  ou 
par  des  fonds  trop  petits,  changent  de  mouillage. 


'..  ^. 


408  mSTOIRS  DB  LA  MARINS  FRANQAISB. 

pondit  que  ses  instructions  ne  lui  permutaient  pas  d'a^ 
cueillir  cette  demande  ' .  Le  1 7,  les  Français  avaient  t^iidné 
les  travaux  les  plus  urgents,  et  ils  se  tenaient  prftts  i 
mettre  sous  voiles.  Le  lendemain,  les  Anglais  ne  fusant 
aucun  mouvement,  Suffinm  se  décida  à  appardller.  j^près 
être  resté,  le  19  et  une  partie  de  la  journée  du  iO,  «i  vue  * 
de  l'ennemi,  il  fit  route  pour  Batacalo,  rendez-vous  assi-. 
gné  à  ses  transports.  Le  commuideur  crut  devmr  se  ja9- 
tifler,  auprès  du  ministre,  de  ne  pas  avoir  attaqué  raminl 
Hughes  dans  la  position  que  celui-ci  occupait.  H  le  fit,  en 
donnant  comme  explication  de  sa  conduite  les  raims 
suivantes  :  «  1*  L'incertitude  du  fond  mêlé  de  corafl, 
puisque,  au  large  des  Anglais,  VAjaXf  VOrimU  et  la  Fin» 
s'étaient  échoués  le  is  avril;  t*  dans  ces  sortes  d*ratre- 
prises,  tout  est  à  perdre,  si  on  ne  réusmt  pas;  3*  je  n'ai 
dans  le  moment  des  munitions  de*  guerre  que  pour  on 
combat;  V  peu  de  monde;  5*  aucun  moyen  en  rechanges 
jpour  réparer  les  gréements;  6*  il  manque  à  rescadie  au 
^èïioins  douze  mâts  de  hune  derediange;  T^jevusaiK 
devant  dé  ceux  qui  sont  à  Galles  où  je  trouverai  du  eor* 
dage,  quelques  munitions  de  guerre  et  des  hommes; 
S*"  pour  tenter  cela  avec  espérance  de  succès,  il  faut  de  la 
capacité,  de  la  volonlé,  et  assurément  je  les  ai  trop  éprou- 
vées pour  risquer  ainsi  le  tout  pour  le  tout.  » 

La  journée  du  12  avril  n'avait  pas  été,  comme  celle  du 
17  février,  une  simple  escarmouche.  On  s'était  sérieuse- 
ment battu,  et  les  pertes,  de  part  et  d'autre,  étaient  cod- 
sidérables.  Nous  les  faisons  connaître  dans  le  tableau 
suivant  qui  indique  la  ligne  de  bataille  des  deux  escadres. 


1.  Suffren  avail  pour  M.  de  Goy  une  estime  particulière.  Il  disait  ao  mi- 
nistre,  dans  une  lettre  contenant  la  demande  du  grade  de  lieutenant  de 
vaisseau  pour  cet  ofQcier  :  «  C'est  un  jeune  homme  qui  est  au  milieu  du 
feu  d*un  froid  à  faire  plaisir  h.  ceux  qui  le  voient.  » 


UVRE  XIII. 


409 


ESCADRE  FRANÇAISE. 


Noms  des  Mtiments. 


Vengear , 

Artésien 

Hannibal  (anglais). 
Sphinx 


Héros. . . 

L*Orient 
Brillanl. 
Sévère. . 
Ajax.... 
Annibal. 
Flamand 
Bizarre  . 


Nombre 

de 
canons. 


64 
64 
50 
64 

74 

74 
64 
64 
64 
74 
50 
64 


Noms  des  capitaines. 


Forbin 

Maurville 

De  Galle 

Du  Chilleau 

iSuffren 

iMoissac 

UPallière 

Saint-Félix 

Villeneuve-Cillart 

Bouvet 

De  Tromelin.  ... 

Cuverville 

La  Landellc 


Tués. 


Totaux  des  tués  et  des  blessés  > 


12 

6 

22 

12 

25 
15 
12 

4 
14 

3 
12 


Blessés. 


137 


2 
20 
19 

74 

38 

71 
33 
20 
11 
29 
12 
28 


357 


1.  BfM.de  Boardeilles,  lieutenant  de  vaisseau,  de  Bielke.  Lamercbienna  (offlcier 
suédois),  de  Rocberoore,  d^  Cuers,  enseignes,  Le  Vasseur  ae  Séligny,  lieutenant  de 
frégate,  de  Barence,  garde  de  marine,  étaient  au  nombre  des  morts.  On  comptait 
parmi  les  blessés,  MM.  de  Cillart  et  de  Galle,  capitaines  de  vaisseau,  Gouler,  Pas- 
trascour,  officiers  auxiliaires,  d'Aigremont,  garde  de  la  marine. 


ESCADRE  ANGLAISE. 


Noms  des  bâtiments. 


Exeter 

Sultan 

Eagle 

Burford.  ... 
Montmouth. 
Superb  . . • . 
Monarca  . . . 
Magnanime. 

Isis 

Héro 

Worcester. . 


Nombre 

de 
canons. 


64 
74 
64 
70 
64 
74 
68 
70 
50 
74 
64 


Noms  des  capitaines. 


King 

Watt 

Reddal 

Rainier 

Alms 

Edward  Hughes. 

Gell 

Wolseley 

Lunley 

Hawher 

Charles  King. . . 


Totaux  des  tués  et  des  blessés 


Tués. 

Blessé». 

4 

40 

» 

9 

» 

22 

6 

36 

45 

102 

59 

96 

7 

28 

» 

7 

6 

51 

2 

13 

8 

26 

137 

430 

4ia        msToms  db  jul  luamn  feançaibb* 

Les  ydiseaux  des  drax  eBcadres  Betroavaiil  placés  peB- 
dant  le  combat  dans  Varéte  indi^  cf^dessiiSy  ôo  peatb- 
diraient  reconnaître  ceux  qni  ataient  porté  le  pMds  de  la 
bataille.  On  ramaïqimm  qiie4e0  Taissepax  miM^  itMat 
sous  le  ?ent,  ne  pouvaient  pas^  s'm^r^cher  dea  aâtoea. 
Dans  le  rapport  qu'il  adressa  au  ministre  rar  le  eoaibal 
du  IS  avril»  SutBrra  ne  ft»rmula  contre  101.  dé  IboonriDei 
ForUn, de GiUart, Bouvet  «t. de! la Landelle  aucuii  grief 
qpédal,  mais  il  signala  le  rôle  à  peu  près  insignWant 
Joué  par  les  vaisseaux  qu'ils  emnmandàient  A|ffès  avoir 
dit  que  M.  de  Tromdln»  k|  cbêf  de  div|d<m  dont  iluivatt 
eu  à  se  plaindre,  le  17  ftvrter^.  avaitiBdt  scm  devoir^  il  si- 
gnala la  beUe  conduite  ébWH.  de  Saiiil-Féliz  el  de.te 
PaUière.  (tuant  au  commandant"^  du  ^pklnx^  le  ^pMf^p^ 
de  vaisseau  du  GhiUeau,  Sufifren  accorda  des  éloges  sans 
réserves  aux  services  qu'il  avait  rradus  dans  la  jouniéa 
du  IS  avril.  «  Si  tous  lès  ofBders  avaient  ftiit  comme  la^ 
écrivit-il  au  maréchal  de  CSastries,  l'eacadre  anglaise  ne 
serait  plus.  » 

Le  30  avril,  nos  vaisseaux  mouillèrent  dans  la  baie  éê 
Batacalo,  sur  la  côte  orientale  de  Ttle  de  Geylan.  La 
veille,  SufTren  avait  communiqué  avec  le  brûlot  le  Pulvé- 
riseuvy  envoyé  à  sa  recherche  par  le  capitaine  de  la  Bd- 
lone  qui  était  à  Pointe  de  Galles  avec  le  convoi.  Le  Pul- 
vériseur  apportait  des  dépêches  venues  de  Tlle  de  France 
par  un  bâtiment  hollandais*. 


IV 


Lorsque  SufTren  ouvrit  les  lettres  adressées  à  son  pré- 
décesseur, il  éprouva  une  très-pénible  surprise.  Le  mi- 


I.  Le  bâtiment  hollandais  apportait  le  duplicata  de  ces  dépêcbes.  Le  pri- 
mata  avait  été  envoyé  par  la  corvette  VExpédUion,  qui  avait  M  priae  pir 
les  Anglais. 


LIVRE  XIII.  411 

nistre,  en  annonçant  la  prochaine  arrivée  d'un  convoi  es- 
corté par  deux  vaisseaux,  Vlllustre^  de  soixante-quatorze» 
et  le  Saint-Michely  de  soixante,  prescrivait  au  comte  d'Or- 
ves  de  retourner  à  l'Ile  de  France.  Il  devait  en  repartir, 
au  mois  d'avril,  après  avoir  fait  des  vivres  et  réparé  ses 
b&timents.  Si  des  ordres  aussi  précis  lui  étaient  parve- 
nus au  mois  de  février,  SufTren  eût  hésité  à  les  enfrein- 
dre. Les  recevant  à  la  fin  d'avril,  il  considéra  comme  un 
devoir  de  sa  position  de  ne  pas  les  exécuter.  Les  dépêches 
apportées  par  le  Pulvériseur  soulevaient  d'autres  diffi- 
cultés et  ajoutaient  aux  perplexités  du  commandeur* 
Quelle  ligne  de  conduite  adopterait  M.  de  Souillac  qui  ne 
pouvait  ignorer  les  nouvelles  instructions  de  la  cour?  Ex- 
pédierait-il le  convoi  à  la  cdte  de  Goromandel,  ou  le  re- 
tiendrait-il sur  la  rade  de  Port-Louis,  dans  la  pensée  que 
Suffren  obéirait  aux  ordres  du  ministre?  «  L'intention  du 
Roi,  écrivit  SufTren  à  M.  de  Souillac,  était  que  l'escadre 
fût  de  retour  à  l'Ile  de  France,  en  mars,  afin  de  repartir, 
en  avril,  en  forces  réunies  et  bien  réparées.  Cela  n'est 
plus  possible.  Avant  que  j'aille  à  la  côte  de  Goromandel 
(on  est  au  !•'  mai)  et  que  l'on  puisse  déterminer  Hyder- 
Ali  à  laisser  embarquer  nos  troupes,  que  celles-ci  aient 
marché  et  que  j'aie  pu  regagner  Ceylan,  c'est  une  affaire 
d'au  moins  quarante-cinq  jours,  la  traversée  environ  qua- 
rante, le  temps  pour  les  radoubs  au  moins  autant,  la 
traversée  (pour  le  retour)  trente.  Récapitulation  :  Qua- 
rante-cinq jours  pour  aller  prendre  nos  troupes  à  la  cdte 
et  les  ramener  à  Ceylan,  quarante  jours  de  traversée, 
quarante-cinq  de  radoubs,  trente  de  traversée  pour  revenir 
ici  :  total  cent  soixante.  De  sorte  que  voilà  six  mois  de 
perdus,  et  Dieu  sait  ce  que  les  ennemis  peuvent  entre- 
prendre pendant  ce  temps.  Ce  serait  bien  mal  interpréter 
les  intentions  du  Roi  et  les  vôtres,  si  j'entreprenais,  à  la 
fin  d'avril,  ce  que  vous  aviez  prévu  pour  la  fin  de  février, 
et  si,  sur  les  assurances  réitérées  de  ne  pas  quitter  la 
côte,  et  si,  sur  la  certitude  que  vous  aviez,  par  les  Bons- 


41S  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

vl mis  et  par  leChetsseur',  que  la  corvette'  n'était  point 
arrivée,  voua  aviez  jugé  qu'il  était  trop  tard,  et  que,  sur 
mes  demandes,  vous  ayez  fait  partir  le  convoi,  que  de- 
vicndrai-je  à  l'Ile  de  France?  Je  prends  ce  parti,  quoique 
le  seul  bon,  à  regret,  parce  que,  comme  il  ne  sera  du  goût 
de  personne,  je  serai  désapprouvé  par  tout  le  monde.  De 
plus,  si  je  quittais  la  côte  après  un  combat,  sir  Hugbcs, 
que  j'ai  battu  deux  fois,  le  17  février  et  le  12  avril,  ne 
manquerait  pas  de  dire  que  j'ai  été  battu.  Ce  qui  m'af- 
fecte le  plus,  c'est  le  manque  de  monde  et  la  quantité  de 
malades,  mais  deux  traversées  de  douze  cents  lieues  ne 
remettraient  pas  les  équipages.  » 

Les  transports  qui  étaient  à  Pointe  de  Galles  arrivèrent 
h  Batacalo,  sous  la  conduite  de  la  Bellone  et  de  la  Syl- 
phide. La  séparation  du  convoi  n'avait  pas  eu  les  suites 
r&rbeuses  que  SulTren  redoutait.  Nos  pertes  se  réduisaient 
à  deux  bâtiments,  le  Laurision  et  le  Toscan,  pris  par  les 
Anglais,  le  premier,  à  la  mer,  et  le  second,  sur  la  rade 
de  Négapatam,  où  il  avait  cherché  un  refuge,  ignorant 
que  cette  place  fût  au  pouvoir  de  l'ennemi.  Quelques  na- 
vires hollandais,  expédiés  par  le  gouverneur  de  Ceyian, 
apportèrent  des  vivres  et  des  munitions.  La  frégate  U 
Bellone  avait  capturé,  dans  une  de  ses  sorties,  treize  na- 
vires de  commerce  et  une  petite  corvette.  Celle-ci  re^til 
un  équipage  et  elle  augmenta  le  nombre  des  bdtimenls 
légers  de  l'escadre.  Avec  l'argent  provenant  de  la  vente 
des  prises,  Suffren  fit  acheter  à  Tranquebar,  comptoir 
danois,  les  vivres,  les  munitions  et  les  approvisionne- 
ments de  toutes  sortes  existant  dans  les  magasins  de  la 
Compagnie  des  Indes.  Un  des  bâtiments  dont  s'était  em- 
parée la  Bellone,  avait  été  vendu  cinq  cent  mille  francs. 

Malgré  les  nécessités  du  ravitaillement,  SulTren  ne  né- 
gligeait rien  de  ce  qui  avait  trait  à  la  question  militaire. 

I.  Ces  deux  bAlinii^nU  avaient  éU  expédié*  à  l'Ile  de  Franco,  apréi  ■■ 
eombal  du  17  février. 

3.  tl  l'agit  de  VExpMiîion  qui,  aîMi  que  noua  l'avoiu  (lit,  Mail  to 
oolre  les  uiaîna  doi  Anglais. 


LIVRE  XIII.  413 

Placés  au  sud  de  rennemi,  qui  s'était  retiré  à  Trinque- 
malay,  nous  étions  en  position  de  capturer  les  b&timents 
venant  d'Europe  ou  de  Bombay  et  se  dirigeant  sur  Ma- 
dras. Nos  frégates  croisaient  au  large,  et  une  division  de 
l'escadre  était  toujours  prête  à  appareiller.  Le  13  mai, 
cinq  voiles  ayant  été  signalées,  le  Héros^  le  Vengeur^  VAr- 
tésien^le  Sphinx  et  YAnnibal  mirent  sous  voiles.  Au  cou- 
cher du  soleil,  nous  étions  encore  à  plus  de  deux  lieues 
de  ces  bâtiments.  SulTren,  ne  jugeant  pas  prudent  de 
mettre  l'escadre  anglaise  entre  les  vaisseaux  qu'il  avait 
avec  lui  et  ceux  qui  étaient  mouillés  à  Batacalo,  leva 
la  chasse.  On  apprit,  à  quelque  temps  de  là,  que  les  bâ- 
timents poursuivis  venaient  de  Bombay  avec  des  vivres, 
du  matériel  et  des  munitions. 

L'escadre  française  fit  route,  le  3  juin,  pour  Tranque- 
bar,  où  elle  devait  trouver  plusieurs  navires  hollandais 
chargés  de  vivres.  Elle  arriva,  le  5,  &  sa  destination,  après 
être  passée,  la  veille,  devant  Trinquemalay  où  les  Anglais 
terminaient  leurs  réparations.  Notre  nouvelle  position 
nous  permettait  d'intercepter  les  navires  expédiés  de  Ma- 
dras à  l'escadre  anglaise.  Le  8  juin,  une  division  compo- 
sée des  vaisseaux  le  Sphinx  et  VArtésien^  des  frégates  la 
Fine  et  la  BeUone,  revint  au  mouillage  amenant  une  prise, 
le  transport  le  RaikeSy  chargé  de  vivres  et  de  matériel. 
Cinq  navires,  au  nombre  desquels  était  ce  dernier  bâti- 
ment, avaient  quitté  Madras  avec  des  approvisionne- 
ments pour  Trinquemalay.  Le  commandeur  apprit,  avec 
le  plus  vif  regret,  que  nous  avions  laissé  échapper  deux 
de  ces  bâtiments.  Dans  la  soirée  du  5  juin,  nos  croiseurs 
couraient  sur  deux  navires  qui  avaient  été  aperçus  au 
coucher  du  soleil.  La  chasse  se  prolongea,  et,  par  suite 
de  leur  inégalité  de  marche,  nos  bâtiments  se  séparèrent. 
La  BeUone  et  la  Fine  étaient  en  avant,  puis  venait  YArtésieny 
et  derrière  lui  le  Sphinx.  Les  frégates  s'étaient  assez  ap- 
prochées de  ces  deux  bâtiments  pour  reconnaître  un 
vaisseau  et  un  brick.  Telle  était  la  situation,  lorsque, 
vers  onze  heures,  VArtésienj  qui  était  près  de  rejoindre 


*■■ 


414  mstomft  DK  hk  HABIHK  VRAXCUBL*   ' 

la  Bellone  et  la  Fine,  diminua  de  voiles  et  disparut.  U 
capitaine  de  ce  vaisseau  avait  fait  route  sur  le  Sphitt^c 
qu'il  était  sur  le  point  de  perdre  de  vue.  1131.  Je  Beau- 
lieu  et  de  Salvert  avaient  suivi  l'ennemi,  sous  petites 
voiles,  allumant  des  feui  et  tirant  des  fusùes  pour  inJi- 
quer  leur  position.  Un  peu  avant  le  jour,  n'apercevant 
plus  le  Sphinx  et  IM  rtiittien,  ignorant,  d'autre  part,  quelle 
pouvait  èlre  l'intention  du  commandant  de  la  division, 
ils  s'étaient  éloignés.  On  apprit  plus  tard  que  ces  deux  bl- 
timcnts  étaient  le  brick  le  Hodney  et  le  vaisseau  le  ^an  Car- 
los, tous  deux  armés  en  flûte.  SulTren  se  montra  d'autant 
plus  irrité  contre  le  capitaine  de  l'Artésien  que  la  capture 
de  ces  deux  bâtiments  eût  été  pour  nous  d'un  pris  ines- 
timable. Quelques  jours  après,  nos  croiseurs  amenfr- 
renl  à  Tranquebar  deux  transports  chargés  de  vivres. 
L'un  deux,  la  Résolution',  portait  seize  canons  et  élsîl 
doubla  en  cuivre.  L'escadre  mouilla,  le  33  juin,  devant  la 
Tille  de  Goadflknir,  enlerfo  sox  AB^ab  te  s  «nfl  im. 
Sor  lairadBiW.troataient  an  mertn  dftoaonidnB,  dNigi 
de  Tfnee,  et  «n  gread  IraïUport^  q^MrteiiaBt  t  ta  Gdm- 
pagnie  des  Indes,  qui  avaient  été  capturés  par  la  Fine.  Le 
dernier  avait,  &  son  bord,  seize  oraciers  d'artillerie,  des 
canonnïers,  des  pièces  de  siège,  de  la  poudre  et  des  mu- 
nitions de  guerre.  A  quelques  jours  de  là,  un  grand  bi- 
liment  anglais,  ayant  trente  pièces  de  canon,  chargé  de 
riz  et  de  blé,  tomba  entre  nos  maina.  L'activité  de  nos 
croiseurs  faisait  subsister  notre  escadre.  SulTreo  était 
veau  4  Goudelour  pour  compléter  ses  vivres,  déposer  les 
malades  et  examiner,  de  concert  avec  le  général  Duche- 
mio,  ce  qu'il  était  possible  d'entreprendre  avec  les  trou- 
pes et  l'escadre.  Le  commandeur  avait  l'intention  de  coin- 
battre  une  troisième  Tois  l'escadre  anglaise,  et,  s'il  sortait 
victorieux  de  cette  nouvelle  rencontre,  il  désirait  attaquer 
Négapatam  dont  la  possession,  au  double  point  de  vue 

1.  Ce  UUraent  avait  bit  le  tour  du  monde  avec  Cook.  (/oumot  Ai 
mqfor  de  Paeadre.) 


LIVRE  XIII.  415 

militaire  et  maritime,  nous  eût  été  fort  utile.  Le  major 
de  l'escadre  se  rendit  auprès  d'Hyder-Âli  pour  lui  sou- 
mettre cette  proposition  et  réclamer  son  concours.  L'en- 
voyé de  Suffren  trouva  le  nabab  extrêmement  irrité  con- 
tre le  général  Duchemin.  L'armée  mysoréenne  avait  eu, 
avec  les  Anglais,  plusieurs  engagements  auxquels  le  corps 
expéditionnaire  n'avait  pris  aucune  part.  Âpres  s'être 
emparée  de  la  forteresse  de  Permacoul,  elle  aurait,  disait 
le  sultan,  remporté  de  très-grands  avantages,  si  elle 
avait  été  soutenue  par  nos  soldats.  Toutefois,  Hyder-Âli 
montra  envers  la  marine  les  dispositions  les  plus  favo- 
rables, et  il  promit  d'agir  par  terre  lorsque  le  moment 
serait  venu.  Il  chargea  M.  de  Moissac  d'exprimer  à 
Suffren  son  désir  de  le  voir,  au  retour  de  cette  expédi- 
tion. Le  25  juin,  le  commandeur  ayant  appris  que  les  An- 
glais étaient  mouillés  devant  Négapatam,  h&ta  les  prépa- 
ratifs du  départ.  Pour  compléter  les  vides  qui  existaient 
dans  ses  équipages,  il  fit  embarquer,  sur  les  vaisseaux, 
des  compagnies  de  cipayes  et  des  détachements  emprun- 
tés aux  troupes  de  la  garnison  de  Goudelour.  Après  avoir 
pris  sept  cents  blancs,  écrivit  Suffren  au  ministre,  il  ne 
reste  plus  que  six  cents  Européens  en  santé  qui  compo- 
seront la  garnison  de  Goudelour.  Ils  couvriront  les  hô- 
pitaux et  le  dépôt  jusqu'à  l'arrivée  des  renforts.  Si  la 
guerre  dure,  il  faut  nous  envoyer  de  fortes  frégates 
doublées  en  cuivre.  Si,  depuis  que  je  suis  à  la  côte, 
j'avais  eu  des  frégates,  nous  aurions  fait  aux  Anglais  un 
mal  infini.  Je  n'en  ai  que  deux,  et  elles  ont  été  employées 
autant  que  cela  a  été  possible.  Les  circonstances  ont  fait 
exécuter  les  intentions  du  Roi  relativement  à  l'armée. 
Si  les  renforts  annoncés  arrivent  et  qu'ils  soient  bien 
commandés,  tout  ira  bien.  L'Inde  n'est  plus  le  même 
pays  que  jadis.  Le  Carnatic  et  TArcate  étant  absolument 
dévastés  par  la  guerre,  on  n'y  peut  vivre  qu'avec  l'aide 
d'Hyder-Ali.  Celui-ci,  avec  des  milliers  de  chameaux,  fait 
venir  des  vivres  de  l'intérieur.  Sous  ce  rapport,  on  sera 
toujours  dans  la   dépendance  du    nabab.  Mais,  pour 


416  HISTOIRE  DE  LA  MAHINE  FRANÇAISE.  \ 

qu'elle  soit  moindre,  il  faut  de  l'argent;  on  n'en  trouW 
pas  dans  ce  pays.  Le  nabab  me  témoigne  autant  de  con- 
liance  que  de  considérafioii,  et  j'emploie  toute  celle  qu'il 
paraît  avoir  en  moi  pour  le  persuader  de  l'arrivée  des 
renrorl8,et  qu'on  ne  fera  pas  la  paix  sans  l'y  comprendre, 
a(in  de  l'empèchcr  de  faire  la  sienne.  Tous  ses  gens  le 
désirent  ;  ils  sont  ennuyés  de  faire  la  guerre  dans  un 
pays  ofi  il  n'y  a  plus  rien  à  prendre.  Les  Anglais,  q\ 
voient  combien  leur  position  est  critique,  sèment  l'arj 
dans  le  Durbar,  de  sorte  qu'il  est  le  seul  qui  veuille 
guerre.  » 

Les  prisonniers,  dont  le  nombre  allait  croissant,  dev 
naient  pour  l'escadre  une  cause  sérieuse  d'embarras,  i 
faiblesse  de  la  garnison  de  Goudelour  ne  permeltail  pi 
de  les  laisser  dans  cette  ville.  D'autre  part,  nous  n'avioi 
pas  de  bdtiments  disponibles  pour  les  envoyer  à  l'Ile  ( 
France.  Enfin,  les  autorités  anglaises  repoussaient  d'ui 
manière  absolue  toute  demande  d'i^change.  Dans  ceU» 
situation,  SulTren  prit  le  parti  de  les  remettre  entre  1 
mains  d'Hyder-Ali.  Une  convention  spéciale  fut  pass 
avec  le  nabab  pour  que  les  prisonniers  fussent  traités 
nourris  conformément  aux  habitudes  européennes,  t 
commissaire  français  fat  chargé  de  veiller  à  la  strie 
exécution  des  diverses  clauses  qu'elle  contenait. 

Au  moment  d'appareill«r  pour  aller,  une  troisième  fd 
à  la  recherche  de  l'escadre  anglaise,  SufTren  put 
au  ministre  avec  un  légitime  orgueil  :  <•  Depuis  mon 
vée  A  Ceyian,  soit  par  le  secours  des  Hollandais,  soil  ptl 
les  prises  que  j'ai  faites,  l'escadre  est  en  mesure  de  vivW 
pendant  six  mois,  et  j'ai  des  subsistances  assurées  en 
et  en  riz  pour  plus  d'un  an.  ■> 


■ 


UVRK    XIV 


Coinbil  da  6  Juillet  17(13.  —  Mouillage  des  duiii.  uscudres  sur  la  cû(«.  — 
Ij»s  Frao^lB  reluuruput  &  Goudelour.  —  Incideul  rclotir  nu  captlaîno  Ju 
Sévère.  —  U.  du  Cillart  est  (témoalé  de  son  coin oiuide ment.  —  Les 
l'spitainn  de  Haurvilk',  du  l'Ai-léiien,  de  Forbin,  du  Ceiif/eur,  soDl 
rtsnvojéa  ea  Franci'.  —  EuL'evue  de  SuITren  avec  UyderAli.  ^  DiSpurt  de 
l'enciulre  pour  Bntacalo.  —  Arrivée  du  Sainl-,Hichtl,  de  \'/Uusli-e  el  do 
ta  Fortune.  —  Prise  de  Trinqiiemalay.  —  Cumbel  du  3  sepUrobre  1783. 

—  Les  Frantais  reulreat  ï  Trinquomalay.  —  Porto  du  vaisseau  l'Orient. 

—  La  nouvelle  de  U   prise  de  TrinquemaloT  et   l'arrivéa   de  l'amiral 
Hughes  à  Madras  décident  sir  Ejre  Coot  à  n'élDigner  de  Goudeluur,   — 

—  Les  Fraotais   vodI  A  Acliem,  l't  hs  Anglais  à  Bouibay.  —  SâulTren 
fait  roule,  k  10  di'ci^mlire,  pour  ta  cûlc  d'Urixu. 


I 


L'escadre  Traiiçiiise  appareilla,  le  3  juillet,  de  la  rade 
de  Goudelour.  Deux  jours  après,  nos  Trégales  signalèrent 
l'ennemi  mouillé  entre  Naour  et  Négapatam.  La  brise  qui 
soufflait  de  l'ouest  nous  permit  de  faire  route  sur  les  An- 
glais. A  noire  approclie,  vers  deu\  heures  et  demie,  l'amiral 
Hughes  mit  sous  voiles.  A  trois  heures,  un  grain  blanc 
démAta  l'AJax  de  son  grand  mat  de  hune  et  de  son  mât 
de  perroquet  de  fougue  '.  Le  Hcrus  fit  à  ce  vaisseau  le 
signal  de  prendre  la  queue  de  la  ligne,  et  il  donna  à  la 
frégate  la  Belhne  l'ordre  de  l'observer.  Les  vents  ayant 
passé  au  sud-sud-ouest,  les  Français  se  trouvèrent  sous  le 
vent  de  l'ennemi.  Au  lieu  de  nous  attaquer,  pendant  que 

I.  ■    A  IroU  litiures,  le  vaisseau  l'.ljcij:^  a  décuAlé  de  son  grand  m&[  do 
bune  el  de  son  perroquet  de  fougue,  dans   un  grain  ou  tourbillon   qui, 
quoique  laligne  fût  serrée,  n'a  été  reeseoti  que  par  lui.  ■  [Jaumaiau  mi^oi- 
Ikde  Fucadrt. 




4!8  HISTOIRE  1>E  LA  M.^SINE  FRANÇAISE. 

VAjax  était  hors  d'état  de  combattre,  l'amiral  anglais  Uni 
le  vent  le  cap  au  large.  Le  calme  étan!  survenu,  les  deux  es- 
cadres mouillcreut  dans  la  soirée.  La  Trégale  la  Fine  rcçulla 
mission  de  surveillerles  mouvements  de  l'ennemi,  et  la  Syf* 
phide  alla  se  joindre  à  la  Bellone  pour  secourir  VAjax.  U 
commandeur  ût  au  capitaine  Bouvet  la  recooimandalion 
très-expresse  de  se  mettre  le  plus  promplement  possible  en 
étal  de  combattre.  Le  6  juillet,  au  point  du  jour,  les  deux 
escadres  mirent  sous  voiles.  VAjax  ayant  demandé  è 
rester  au  mouillage,  il  lui  fut  répondu  par  l'ordre  il"ai>- 
pareiller.  Croyant  qu  Hufîlics  manœuvrait  pour 

concentrer  le  gros  c  !s  sur  notre  arrière-garde, 

Suffren  prescrivit  à  l'aisseau  de  soixante-qua- 

torze, de  prendre  pv  |ueuc  de  la  ligne  '.  A  dix 

heures  du  matin,  les  -scadres  couraient  les  amu- 

res à  bâbord,  avec  une  fi  irise  de  sud-ouest,  les  Aii- 

glais  au  vent  des  Français.  Quoiqu'il  se  fiU  écoulé  près 
de  vingl  heures  depuis  que  VAjax  avait  démAté  de  son 
grand  mût  de  hune  et  de  son  mAt  de  perroquet  de  fou^e, 
les  avaries  de  ce  vaisseau  n'étaient  pas  encore  réparées 
et  il  se  tenait  sous  le  vent  de  la  ligne*.  En  conséquence, 
nous  avions  le  même  nombre  de  vaisseaux  que  nos 
adversaires.  A  dix  heures  et  demie,  l'amiral  anglais  laissa 

1 .  •  Les  deux  escadres  firent,  dans  la  matinâc,  quelques  évolutions.  A  k|i> 
heures  et  demie,  ordre  à  l'ascadre  do  virer  vent  devant  par  la  codIk- 
marche.  Le  général  espArail  passer  à  portée  de  l'arrièro-gard«  de  l'en- 
Qeinl,  mais  le  Biiarrt,  vaisseau  de  léte,  a^anl  manqué  à  virer,  a  reUrdé 
l'évolution  ;  les  vcuts  étaient  tion  dons  la  partie  de  l'oneil.  A  huit  bear«i, 
ordre  à  la  division  de  serrer  la  ligue  ;  k  la  même  heure,  le  vaisseau  de  tMa 
■  y'tti.  A  huit  heures  un  quart,  signal  au  Bharre  de  diminuer  de  voiles  et 
auSp/iiivx  do  serrer  la  ligne.  A  huit  heures  et  demie,  le  Bùarrt,  qniêliit 
en  panne,  a  ordre  de  faire  servir.  A  huit  heures  trois  quarts,  ordre  an 
BUarre  de  tenir  le  vent.  Ce  vaisseau,  ayant  pris  le  signal  de  tenir  le  vi'st 
pour  celui  de  tenir  le  veut  btbord  amures,  a  viré  de  bord  vont  arriére. 
L«  général  lui  a  donné  l'ordre  de  prendre  poste  entre  le  Vtngtur  e( 
VOrient.  ■  (Journal  du  major  de  rticadre.) 

2,  '  L'Ajax  a  demandé  à  relftcher,  mais  le  général  a  refusé.  Ce  vaissean 
n'ayant  m  ni  se*  barres,  ni  ses  hunes  brisées,  il  était  bien  extraordinaire 
qu'il  n'eût  pa*  encore  repassi  les  m&ti  de  hune.>  {Journal  du  m^for  <<< 
tetcadrt.) 


LIVRE  XIV.  419 

porter  sur  notre  armée  par  un  mouvement  tout  à  la  fois. 
Vers  onze  heures,  Tavant-garde  ennemie  étant  à  portée 
de  canon,  Suffren  Qt  commencer  le  feu.  Le  combat  s'en- 
gagea avec  beaucoup  de  vivacité  à  Tavant-garde  et  au 
corps  de  bataille.  A  Tarrière-garde,  plusieurs  vaisseaux 
anglais  restèrent  à  une  grande  distance  au  vent  de  notre 
ligne.  A  midi  trois  quarts,  quelques  navires  avaient  déjà 
beaucoup  souffert.  Le  chef  de  file  de  Tarmée  anglaise,  le 
Hero^  de  soixante-quatorze  canons,  se  relira  du  champ 
de  bataille.  Dans  notre  escadre,  Suffren  fut  obligé  de  cou- 
vrir, avec  son  vaisseau,  le  Brillant^  qui  avait  perdu  son 
grand  m&t.  A  une  heure,  au  moment  oii  l'action  était 
très-chaude,  le  vent  sauta  brusquement  au   sud-sud- 
est.  La  nouvelle  direction  de  la  brise,  frappant  par  bâ- 
bord les  vaisseaux  anglais  et  français,  mit  le  désordre 
dans  les  deux  lignes.  A  l'exception  du  Sultan^  de  ÏEagle 
et  du  Worcester,  qui  laissèrent  porter  à  temps,  les  bâti- 
ments ennemis  furent  masqués  et  tombèrent  sur  tribord. 
L'escadre  anglaise  se  trouva  divisée  en  deux  parties, 
dont  l'une  était  poussée  dans  l'ouest  et  l'autre  dans  l'est. 
L'amiral  Hughes  donna  l'ordre  à  son  armée  de  serrer 
le  vent,  les  amures  à  bâbord.  Suffren  fit  le  signal  de  virer 
de  bord  lof  pour  lof,  tout  à  la  fois,  et  de  former  une  li- 
gne, sans  avoir  égard  aux  postes.  Notre  évolution  avait 
pour  but  de  couvrir  le  Brillant  et  le  Sévère^  qui  avaient 
abattu  sur  tribord,  et  de  couper  VEagle^  le  Worcester  et  le 
Sultan^  si  ces  trois  vaisseaux  ne  manœuvraient  pas  avec 
célérité  pour  rallier  leur  escadre.  Le  Worcester  et  VEagle 
dirigeaient  contre  le  Brillant  un  feu  très-vif,  mais  le  Hérosy 
doublant  ce  dernier  vaisseau  au  vent,  le  sépara  de  ses 
deux  adversaires.  Le   Worcester,   après  avoir  échangé 
quelques  bordées  avec  VAnnibaly  passa  à  contre-bord  du 
Héros,  dont  il  reçut  toute  la  bordée  sans  riposter,  et  il 
s'éloigna  du  champ  de  bataille  en  courant  grand  largue 
sous  toutes   voiles.   Le  Sévère^  de  soixante-quatre,  et 
le  Sultan,  de  soixante-quatorze,  que  la  saute  de  vent 
avait  placés  très-près  l'un  de  l'autre^  se  canonnèrent 


kiO  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

avec  vigueur.  Pendant  un  moment,  à  bord  du  Héros,  on 
cessa  d'apercevoii"  le  pavillon  du  Sévère,  mais  l'émotion 
causée  par  cet  incident,  attribué  à  la  rupture  d'une  drisse 
de  pavillon,  ne  fut  pas  de  longuedurée.  Les  couleurs  na- 
tionales reparurent  à  l'arrière  du  vaisseau  français  dool 
le  feu  sembla  toujours  très-soutenu  '.  Pendant  ce  rapide 
engagement,  le  capitaine  du  Sultan  virait  de  l)ord  lo( 
pour  lof,  et  aussit(^t  qu'il  eut  achevé  son  évolution,  il 
fit  route  sur  son  escadre.  VEagle,  le  seul  bAtïment  en- 
nemi qui  restât  à  notre  portée,  était  suivi,  à  petite  dis- 
tance, par  le  Vengeur  et  VAi-lésien.  Si  ces  deux  vaisseaux 
parvenaient  à  le  dégréer  promptcment,  et,  par  suite,  & 
ralentir  sa  marche,  nous  avions  des  chances  d'autant 
plus  grandes  de  le  prendre,  que  plusieurs  navires  francs, 
au  nombre  desquels  était  le  Héros,  manœuvraient  pour 
le  couper.  Déjà,  on  remarquait  quelques  avaries  dans  sa 
mâture, lorsquel'.-lrfési'en arriva  tout  plat,  à  lasuited'uue 
explosion  qui  se  produisit  sur  l'arrière  de  son  mât  d'ar- 
timon. Ce  mouvement  était  d'autant  moins  explicable, 
qu'il  devait  avoir  pour  conséquence  de  porter  l'incendie 
sur  l'avant  du  vaisseau.  Suffren,  très-irrîté  contre  le 
capitaine  de  Maurville,  lui  donna  immédiatement,  par 
signal,  l'ordre  de  tenir  le  vent.  La  même  injonction  fut 
faite  au  Ken^cMi-,  qui  courait  largue  et  s'écartait  de  soo 
adversaire.  VEagle,  mettant  à  profit  le  temps  que  nous 
perdions,  fut  bientôt  hors  de  porlée.  A  trois  heures  cin- 
quante minutes,  le  feu  ayant  cessé,  de  part  et  d'autre^ 
Sulfren  rallia  ses  bâtiments  et  il  se  dirigea  sur  l'ennemi. 
Le  gros  de  l'escadre  anglaise,  qui  était  déjà  loin  de  nous. 
Lotirait  dans  la  direction  de  l'ouest.  L'amiral  Hughes  avait 
eu  la  pensée  do  faire  un  retour  ofTensif,  mais,  en  présence 
de  la  situation  de  son  armée,  il  s'était  décidé  fi  la  retraite. 


1.  -Le  Siiiire  était  alurs  à  portée  d'un  anitantv-qa&torM  eonenui  im 
liavilloD  était  amené,  tx  qui  nous  csuiait  île  lioqaiétude,  roat*  DOoi  It 
vîmes  bisotût  continuer  à  Taire  Teu  sur  le  vaiaaeau  et  Arriver  dan*  la  ligna. 
D'ailleun,  noua  étions  aiB^i  prèi  {lour  le  leiourir  en  eu  d'Mci<l«nt.>  {/wr- 

nat  du  major  de  Vfaradrt.) 


LIVRE  XIV.  421 

Le  Hero  avait,  en  haut  de  ses  mâts,  des  signaux  de  dé- 
tresse, et  le  Worcester  était  à  toute  vue  *  sous  le  vent.  Le 
capitaine  du  Monarca,  passant  près  du  Superb,  avait  fait 
connaître  à  l'amiral  qu'il  était  hors  d'état  de  retourner  au 
feu.  Enfin,  par  suite  des  avaries  qu'ils  avaient  reçues  dans 
leurs  m&tures,  la  plupart  des  vaisseaux  anglais  ne  ma- 
nœuvraient que  très-difficilement  *.  L'escadre  anglaise  se 
rapprocha  de  la  côte,  et,  à  cinq  heures  et  demie,  elle 
mouilla  entre  Négapatam  et  Nagore.  Les  bâtiments  fran- 
çais laissèrent  tomber  l'ancre  à  trois  lieues  environ  dans 
le  nord  des  vaisseaux  ennemis.  Le  lendemain,  dans  la 
matinée,  SufTren  fit  route  sur  Goudelour.  Il  était  disposé 
à  reprendre  le  combat  interrompu  la  veille,  mais  l'ami- 
ral Hughes  resta  au  mouillage.  Le  7  juillet,  nos  vaisseaux 
furent  rejoints  par  un  brick  portant  pavillon  parlemen- 
taire. M.  de  Moissac,  major  de  l'escadre,  se  rendit  à 
bord  de  ce  navire,  où  il  trouva  le  capitaine  James  Watt. 
Cet  officier  était  porteur  d'une  lettre  dans  laquelle  son 
amiral  réclamait  le  Sévère,  affirmant  que  ce  vaisseau 
s'était  rendu  au  Sultan  •.  Le  commandeur  n'avait  reçu 
de  M.  de  Cillart  aucune  explication  qui  lui  permît  de 
comprendre  la  démarche  de  l'amiral  anglais.  Il  se  rap- 
pelait seulement  que  le  Sévère  avait  combattu  pendant 
quelques  instants  sans  pavillon.  «  Le  général,  dit  le  ma- 
jor de  l'escadre  dans  son  journal,  à  qui  M.  de  Cil- 
lart n'avait  pas  encore  rendu  compte,  a  répondu  à  la- 
miral  que,  sans  doute,  une  drisse  de  pavillon  coupée  avait 
pu  faire  imaginer  que  le  vaisseau  avait  amené;  mais  que 
cela  n'avait  jamais  été  son  intention,  et  que,  d'ailleurs, 
il  était,  lui-môme,  dans  ce  moment-là,  assez  près  pour  le 
secourir,  et  môme  pour  le  reprendre,  en  cas  qu'il  se  fût 
rendu  *.  »  Désagréablement  surpris  que  le  commandant 


1.  Le  Worcester  ne  rallia  sod  armée  que  le  lendemain,  7  juillet. 

2.  Lettre  de  Tamiral  Hughes  au  secrétaire  de  l'amirauté  anglaise. 

3.  Dans  la  lettre  de  Tamiral  anglais^  il  était  question  de  IMjax .c'était 
une  erreur  de  nom,  l'amiral  voulait  parler  du  S*^ère, 

4.  Suffrcn  rendit  compte  au  ministre,  dans  les  termes  suivants,  des 


422  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

en  chef  de  l'escadre  britannique  eùl  base  une  réclamation 
de  celle  importance  sur  un  accident  aussi  simple  que 
celui  de  la  rupture  d'une  drisse  de  pavillon,  ii  refusa  de 
recevoir  le  capitaine  James  Watt  qui  demandait  h  lui 
présenter  ses  hommages.  Au  moment  où  le  pavilloa  du 
Sévère  avait  disparu,  ce  n'était  pas  ce  vaisseau,  ainsi  que 
nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  mais  son  adversaire 
qui  se  trouvait  compromis.  Uenacé  d'être  coupé,  le  capi- 
taineduSwi/onn'avaitd'autre  préoccupation  que  d'achcvw 
son  virement  de  bord  et  de  rallier  son  escadre.  Si  cette 
réclamation  n'avait  au  fond  aucune  valeur,  le  fait  sur 
lequel  elle  reposait  était  de  la  plus  scrupuleuse  exacti- 
tude. Le  pavillon  du  Sévère  avait  été  amené,  sur  l'ordre 
du  capitaine  de  Cillart,  au  moment  ob  ce  vaisseau  él^t 
bord  à  bord  avec  le  Sultan.  Les  ofQciers,  accourus  sur  le 
pont,  avaient  fait  £t  leur  commandant  d'énergiques  repré- 
sentations auxquelles  celui-ci  avait  cédé.  Le  pavillon 
avait  été  rehissé,  et  le  feu  avait  repris  avec  une  nouvelle 
vivacité  '.  Ces  détails  furent  portés  à  la  connaissance  de 
Suiïren,  à  l'arrivée  de  l'escadre  à  Goudclour.  M.  do  Cil- 
lart reçut  immédiatement  l'ordre  de  quillcr  son  comman- 
dement et  de  s'embarquer,  comme  passager,  sur  un  na- 
vire prêt  à  partir  pour  l'Europe.  L'irritation  que  ressentit 
le  commandeur,  à  la  suite  de  celte  alTaire,  eut  une  très- 
grande  part  dans  la  mesure  qu'il  prit  à  l'égard  de  deuï 


réclamations  qui  Ini  avaient  été  adreBoéos  par  l'amiral  anglaii,  ta  (ajct  d> 
vaisseau  le  Sultan  :  •  H.  de  Cillart,  commandaut  lo  Sêvirt,  t'êiMM, 
rians  l'airaire  du  6  juillol,  trouvé  très-prés  d'un  vaisseau  enaetni,  an^ 
son  pavillon,  étant  fort  proche  de  plosieurs  voiueaux  dr  l'eccadn.  milim 
ment  du  Ilà-o».  Se»  ofQcicrs  l'engagèrent  à  l«  faire  rehisser  et  à  canliaMT 
liï  oombat.  J'ai  cru  que  la  drtsao  de  pavillon  avait  élé  coopée.  dtant  bi«i 
luin  de  soupcanoer  nns  telle  infamie.  Le  7,  l'amiral  Iluffhea  mivayi  M 
parlemeitlaire  pour  le  reclamer,  Comme  on  ne  m'avait  rendu  auon 
compte,  e  répondis,  ce  que  je  crojnis,  que  la  drisse  du  pavillon  arait«M 
coupée,  et  que  ù  ci-  vaisMau  w  fOl  rendu,  j'étais  asicï  prés  pour  le  rt» 
prendre.  > 

I,  I.e  major  de  l'escmlro  dit,  dniis  son  journal,  •  qua  tes  olllcitrs  4m 
Sfvfre  et  «on  brave  éqBîpagc  n'avaient  pas  voulu  consentir  t  11  r«ddiliM 
du  ïnisseaii  el  avuienl  continué  à  tirer  sur  l'ennemi.  • 


LIVRE  XIV.  423 

autres  capitaines  de  l'armée.  Depuis  le  jour  où  la  mort  du 
comte  d'Orves  l'avait  placé  à  la  tête  de  l'escadre  de  l'Inde, 
il  était  convaincu  que  plusieurs  de  ses  capitaines  n'avaient 
ni  la  capacité,  ni  l'énergie  nécessaires  pour  le  seconder. 
Le  17  février  et  le  12  avril,  les  résultats  sur  lesquels  il 
comptait  avaient  été  compromis  par  les  manœuvres  de 
quelques-uns  de  ses  vaisseaux.  Après  ces  deux  combats, 
était  venu  celui  du  6  juillet.  Ce  jour-là,  le  peu  d'activité 
du  capitaine  de  VAjax  nous  avait  privés  du  concours 
d'un  vaisseau  de  soixante-quatre.  Le  commandeur  n'était 
pas  disposé  à  se  montrer  sévère  à  l'égard  de  M.  Bouvet, 
dont  la  carrière  était  très-honorable.  Mais  en  ce  moment, 
cet  officier,  doublement  fatigué  par  l'âge  et  les  maladies, 
était  hors  d'élat  d'exercer  le  commandement  de  son  vais- 
seau. Si,  le  6  juillet,  les  capitaines  du  Vengeur  et  de 
l'Artésien  avaient  mis  plus  d'énergie  et  d'habileté  dans  la 
poursuite  de  YEagle^  ce  vaisseau,  promptcment  dégréé, 
eût  été  joint  par  les  nôtres.  Aucune  circonstance  particu- 
lière ne  plaidait  la  cause  de  ces  deux  officiers.  Le  Ven- 
geur^ qui  figurait  au  combat  de  la  Praya,  n'avait  été, 
dans  cette  affaire,  d'aucun  secours  pour  ses  compagnons 
d'armes.  Il  s'était  bien  conduit,  le  17  février,  mais,  le 
12  avril,  étant  chef  de  file  de  l'armée,  il  avait  ouvert  le  feu 
&  une  distance  beaucoup  trop  grande,  et,  pendant  toute 
la  durée  du  combat,  il  avait  été  de  l'avant  et  loin  de  son 
poste.  Dans  cette  môme  journée,  le  capitaine  de  V Arté- 
sien avait  suivi  tous  les  mouvements  du  Vengeur^  et  il 
s'était  rendu  coupable  des  mêmes  fautes.  Quoique  V Arté- 
sien fût  doublé  en  cuivre  et  qu'il  eût  une  bonne  marche, 
M.  de  Maurville  n'avait  pas  su,  le  17  février,  prendre  un 
poste  qui  lui  permît  de  combattre.  Enfin,  le  commandeur 
se  rappelait  que  ce  même  officier  avait  fait  manquer  la 
prise  du  San-CarloSj  bâtiment  chargé  de  vivres  et  de  ma- 
tériel, alors  que  l'escadre  française  était  dans  le  dénû- 
ment  le  plus  complet*.  Il  se  décida  à  prendre,  à  l'égard 

1.  Le  5  juin,  étant  détaché  avec  deux  vaisseaux  et  une  frégate  pour 


Ii2k  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

des  capitaines  du  Vengeur  et  de  l'Artésien,  une  raeeure 
devant  laquelle  il  avait  reculô,  le  17  février,  quoique  déji 
il  la  regardât  comme  nécessaire.  M.  de  Forbin  portait  un 
nom  illustre  dans  la  marine,  et  il  était,  par  alliance,  le 
parent  de  SufTren.  M.  de  Maurville,  fils  d'un  lieutenant 
général,  avait  cinq  frères  dans  la  marine.  Ces  considéra- 
tions furent  impuissantes  k  modifier  une  résolution  qu1l 
jugeait  indispensable  au  bien  de  l'État.  Les  capitaines  du 
Vengeur  et  de  VArlésien  furent  démontés  de  leur  con»- 
mandement  et  envoyés  en  France  à  la  disposition  dn 
ministre.  Quant  au  capitaine  de  VAjaXy  il  quilla  son 
vaisseau  par  suite  du  mauvais  élat  de  sa  santé'.  Au 
moment  oii  Suffren  montrait  celte  vigueur  dans  l'exercirc 
de  son  commandement,  il  n'était  que  capitaine  de  vais- 
seau. Or,  à  cette  époque,  ainsi  que  le  témoigne  le  passage 
suivant  d'une  lettre  qu'il  écrivait  au  ministre,  le  règle- 
ment ne  permettait  pas  aux  officiers  généraux  d'agir 
ainsi  qu'il  l'avait  fait.  «  Vous  serez  peut-êlre  fâché,  Mon- 
seigneur, que  je  n'aie  pas  sévi  plus  tflt,  mais  je  vous  prie 
de  considérer  que  l'ordonnance  ne  donne  même  pas  ce 
droit  aux  officiers  généraux  et  que  Je  ne  le  suis  pas.  ■ 
Suffren  était,  en  réalité,  chef  d'escadre,  mais  il  ne  con- 
naissait pas  sa  promotion. 

Nous  indiquons  ci-après  les  chiffres  des  morts  el  dn 
blessés  sur  les  vaisseaux  des  deux  escadres,  ainsi  que 
l'ordre  dans  lequel  celles-ci  avaient  combattu. 


chasser  un  vaisgeau  et  iin«  corvette,  à  t'e 
voiles  et  il  s'Aloigna,  au  point  de  ne  pas  Ali 
rrnrent  pas  bbme  Torleê  pour  attaquer  m 
Vftie.  M.  du  Chilleau, 


\lT6e  de  In  nuit,  il  diminM  dé 
•  ïu  par  \et  Irégklea,  ijui 
vaieseau  d«  li^ne  el  une  cor- 
heures  du 


cliosse,  ce  qu'il  n'clll  pas  fait  ai  lArlàien  était  rpsiâ  entre  lui  el  lea  trigiiet. 
I.G  rnllieinent  de  VArlétien  a  fait  manquer  le  vaisseau  lo  San-Carloê, 
qui  était  chargé  de  muniltons  de  guerre  navales  el  de  renfarta  d'éqni- 
pjge.  (Lettre  de  Suffren  au  ministre.) 

1.  •  Je  lui  ai  accordé  avec  plaisir,  ^rivit  Suiïrcn  au  roininUf,  en  p«^ 
tant  du  capitnïne  de  VAjax,  la  pentiission  qu'il  m'a  demandée  de  patMT 
en  Europe  pour  cause  de  santé.  Cet  ofOder,  qui  éUII  rArlIemenl  lié  - 
BoulTranl,  mounit  le  6  octohro  I7B3  k  Trinquemalay.  lue  pension  de  huit 
cent*  livres,  nir  le  Trésor  rojal,  fat  accordée,  h  com|it«r  du  in«m«  jour,  i 


LIVRE  XIV. 

ESCADRE  FRANÇAISE. 

Ligne  d«  batailla.  —  Ordra  ranvané. 


».„.,„  l«i,™,.. 

Konibiv 

Noms  dEa  aipllaii>ei. 

Tu--, 

Blrssi^^ 

FlaniauJ 

Annibal 

Séïtn- 

r>-oi 

i^me  escadre. 

74 
64 
64 

Cor) 
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64 
fiO 
64 

Orua 
64 
64 
74 

des  l>le« 

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a  de  balaiiU. 

SuDVsn  

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Hannitai 

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ToLiux  des  l.ife  .■ 

ihne  acadrr. 

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Ligne  deliataille. 


da                Niim^iIfS  taiiiUiiii.-". 

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HolSrt  Monlagu 

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ion  bUindie. 

4mbrosR  Reddal^ 

Totaux  des  lues  el 
1.  1.B  tjpilajni!  Lumlfir 

64      Icliarlcs  Wolselcs 

des  blés, 

77 

ÎÎ3 

aii«ui.o<Bl,«d«in„rW. 

- 

436  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE- 

Los  Anglais  ayant  combattu  au  veni,  (étaient  trts-dé- 
gréés,  tandis  que  les  Français,  placés  sous  le  vent,  avaient 
un  grand  nombre  d'hommes  hors  de  combat.  Les  perles, 
à  bord  do  quelques  bAlïmcnls  appartenant  aux  deux  ar- 
rière-gardes, étaient  très-faibles,  La  position  prise  par 
plusieurs  vaisseaux  de  l'armée  anglaise  explique  ce  ré- 
snllat.  Les  17  février  et  12  avril,  nous  étions  au  vent,  el 
par  conséquent  libres  de  nous  rapprocher  de  nos  adver- 
saires. Le  6  juillet,  les  rôles  étaient  changés,  et  les  Anglais 
élaienl  mallres  de  la  distance  à  laquelle  ils  voulaient 
combattre.  L'amiral  Hugbes,  dont  la  manœuvre  fut  imilil 
par  la  plupart  de  ses  capitaines,  se  plaça  très-près  et 
nous.  Quelques  navires  de  l'arrièrc-garde  ne  suivirent 
pas  cet  exemple.  Ils  lofèrent  trop  tût,  et  ils  restèrenl, 
pendant  Loule  la  durée  du  combat,  loin  des  bAtimenlt 
qui  leur  correspondaient  dans  notre  ligne.  "  L'Orient  et 
le  Bizarre,  écrivit  SufTren,  ne  prirent  aucune  pari  M 
combat,  l'arrière -garde  anglaise  étant  toujours  rrslét 
éloignée.  »  Les  officiers  qui  commandaient  les  vaisseau 
de  queue  de  la  ligne  anglaise,  ne  s'étaient  pas  montré! 
plus  habiles  manœuvriers,  le  6  juillet,  que  ne  l'avaient 
élé,  le  12  avril,  les  capitaines  du  Vmgeur  et  de  V Artésien, 
Quoiqu'il  ne  ressorte  de  celle  comparaison  rien  qid 
puisse  atténuer  la  conduite  de  MM.  de  Forbin  et  de  Maur* 
ville,  il  est  nécessaire  de  constater  ces  faits,  afin  de  reft* 
tituer  aux  fautes  commises  par  nos  officiers  leur  véritable 
caractère. 

L'escadre  était  arrivée  à  Goudelour  avec  des  l>esoilll 
auxquels  ses  ressources  ne  lui  permellaient  pas  de  satis- 
faire. Notre  dénùmcnt  était  tel  que  SufTren  fut  obligé  it 
dëmûter  les  frégates  pour  mAter  les  vaisseaux  cl  dé 
prendre  les  mflts  des  corvettes  pour  les  donner  aux  fré» 
gales.  Le  major  de  l'escadre  rapporte,  ainsi  qu'il  suit, 
dans  son  journal,  les  dispositions  prises  pour  triomphef 
d'obslacics  qui  eussent  paru  insurmontables  à  loul  autn- 
qu'à  SufTren.  «  Nous  sommes  fort  embarrassés  pour  avi 
(les  mats  de  hune,  en  ayant  pei-du  beaucoup  dans  les  troil 


UVRE  XIV.  427 

combats.  Le  général  a  ordonné  que  le  grand  mit  de  la 
Pourvoyeuse^  avec  ses  mûls  de  hune,  vergues,  voiles,  se- 
rait donné  au  Brillant.  La  Fortitude  donnera  son  grand 
mit  à  la  Pourvoyeuse^  et  son  màt  d'ar limon  pour  un  mit 
de  hune  d'un  vaisseau.  La  Sylphide  donnera  son  grand 
mât  qui  peut  faire  un  mal  de  hune  et  mettra  à  sa  place 
un  mât  de  fortune.  Le  Pidvériseur  donnera  ses  deux  bas 
mâts  qui  peuvent  faire  des  mâts  de  hune  et  sera  remâté 
avec  ceux  de  la  prise  Yamiouth.  L'intention  du  gé- 
néral est  d'envoyer  la  Pourvoyeuse  à  Malac,  où  elle  fera 
un  grand  mât  et  chargera  des  mâtures  que  les  Anglais 
font  couper  dans  le  détroit.  La  Fortitude  ira  au  Pégou  ; 
elle  y  fera  un  grand  mât  et  y  chargera  des  bois  de  toutes 
dimensions.  »  L'escadre  française  devait  exécuter  ces  di- 
verses opérations  sur  une  rade  foraine  où  la  mer  était 
fort  grosse  lorsque  la  brise  soufflait  du  large.  La  posi- 
tion'de  l'ennemi,  resté  au  vent  de  Goudelour,  ajoutait 
aux  difficultés  de  cette  situation.  Néanmoins,  les  travaux 
furent  immédiatement  entrepris,  et  l'ordre  fut  donné  de 
les  pousser,  jour  et  nuit,  avec  toute  l'activité  que  com- 
portaient les  circonstances. 


II 


Quelques  jours  après  son  arrivée  sur  la  rade  de  Gou- 
delour, Suffren  reçut  la  nouvelle  de  l'arrivée  à  l'Ile  de 
France  des  vaisseaux  le  Saint-Michel^  de  soixante,  1'//- 
lustre^  de  soixante-quatorze,  et  de  plusieurs  transports. 
Le  lieutenant  général  de  Bussy,  nommé  au  commande- 
ment en  chef  des  forces  de  terre  et  de  mer  au  delà  du  Cap 
de  Bonne-Espérance,  était  à  bord  d'un  des  vaisseaux*.  La 

1.  Le  Saint-Michel,  V Illustre,  le  cotre  le  Lézard,  partis  de  Cadix  le 
4  janvier  1782,  avaient  mouillé,  le  11  janvier,  à  Ténériffe,  rendez- vous 
assigné  aux  transports  qui  avaient  quitté  Brest,  le  12  décembre  1781,  en 
même  temps  que  Tescadre  du  lieutenant  général  de  Guichen.  La  presque 
totalité  des  b&timents  capturés  dans  le  coup  de  main  audacieux  de  l'amiral 


428  HISTOIRE  DE  LA  MABINE  FRANÇAISE, 

frégate  la  Beltone,  en  mission  à  Tranquebar,  amena  k 
Goudelour  M.  de  Launay,  qui  commandait  l'artillerie  du 
corps  cxpédilionnaire.  Cet  oflicier  était  venu  de  l'Ile  de 
France  â  Pointe  de  Galles  par  le  cotre  le  Lézard.  De  l'ilc 
(le  Ceyian,  il  avait  passé  sur  la  côte  de  Coromaiidel,  et  il 
avait  gagné  Tranquebar  par  la  voie  de  terre.  L'iUusire^ 
le  Sainl-Afichel,  la  frégate  la  Consolante  et  plusieurs  na- 
vires portant  des  vivres,  des  munitions  navales  et  àx 
cents  soldats,  devaient  appareiller  peu  de  Jours  après  le 
départ  du  Lézard.  M.  de  Launay  apportait  les  dépCcbes 
que  le  ministre  adressait  au  commandeur  et  au  général 
Duchemin.  Le  maréchal  de  Castries  annonçait  que  deux 
nouveaux  convois,  portant  cinq  mille  hommes,  parti- 
raient de  nos  ports  au  commencement  de  1782, 

Il  avait  été  convenu  que  SutTrcn  aurait,  k  son  retour, 
une  entrevue  avec  Hyder-Ali.  Ce  prince,  voulant  donner 
au  grand  bomme  qui  commandait  notre  escadre  une 
marque  éclatanLc  de  sa  considération,  vint,  avec  toute 
.son  armée,  forte  d'environ  cent  mille  hommes,  s'établir  i 
quelques  lieues  de  notre  mouillage.  Deux  de  ses  princh- 
panx  officiers  et  une  nombreuse  escorte  de  cavalerie  se 
rendirent  à  Goudelour  pour  accompagner  le  commandeur 
iV  son  camp.  Celui-ci  fut  reçu,  à  son  arrivée,  par  toute 
l'armée  mysoréenne  sous  les  armes.  La  situation  poli- 
tique cl  militaire  du  sultan  avait  subi  une  nouvelle 
atteinte.  Ce  prince  avait  appris  que  ses  anciens  alliés 
l'tttient  sur  lepoint  de  devenir  ses  ennemis.  Les  provin- 
ces de  son  empire,  qui  confinaient  i  la  côlc  de  Malaliar, 
laissées  sans  défense  par  la  défection  des  MAbratlea, 
étaient  attaquées  par  les  Iroupes  de  la  Présidence  da 
Bombay.  11  ne  pouvait  compter  sur  le  corps  français  (|ul 
était  k  peine  suffisant  pour  garder  Goudelour.  En  consé- 


KcmpenrvtJt,  appartenait  nu  convoi  qui  se  ivnciail  dans  l'Indu.  Troii 
trnntiportH  Rciilfriient  élaiénl  arrivés  A  T^n^rilTu.  M.  de  Huhsv.  JudI  I»  m<a 
eûl  Irnhi  le»  dessmiis  de  la  Frtau  sur  l'Inde,  s>lail  mdu  t  Calit 


LIVRE  XIV.  429 

quence,  l'armée  mysoréenne  se  trouvait  seule  en  présence 
de  toutes  les  forces  que  la  Grande-Bretagne  avait  dans 
rinde.  Enfin,  il  était  informé  que  les  Anglais  attendaient 
très-prochainement  un  convoi  apportant  des  renforts 
considérables  ^  Cette  situation  lui  imposait  l'obligation, 
soit  de  faire  la  paix,  soit  de  s'éloigner  du  Carnatic  pour 
défendre  ses  propres  États.  SuiTren  s'appliqua  à  com- 
battre le  découragement  dont  le  nabab  était  atteint. 
Les  dépêches  du  maréchal  de  Castries,  apportées  par 
M.  de  Launay,  donnaient  la  certitude  que  cinq  mille 
soldats  ne  tarderaient  pas  à  débarquer  à  l'Ile  de 
France.  La  désignation  du  lieutenant  général  de  Bussy 
pour  commander  les  troupes  indiquait,  de  la  part  du 
gouvernement  français,  l'intention  bien  arrêtée  de  pren- 
dre une  part  très-active  aux  affaires  de  l'Inde.  Cédant 
aux  instances  de  Suffren,  le  nabab,  auquel  la  pensée  de 
traiter  avec  les  Anglais  était  extrêmement  pénible,  promit 
d'envoyer  son  fils  Tippo-Saïb  à  la  côte  de  Malabar  et  de 
rester,  de  sa  personne,  dans  le  Carnatic  avec  la  plus 
grande  partie  de  ses  forces.  Avant  de  quitter  le  camp, 
Suffren  réussit  à  amener  un  rapprochement  entre  le 
nabab  et  le  général  Duchemin.  Si  on  en  juge  par  le  pas- 
sage suivant  d'une  de  ses  lettres,  le  commandeur  désap- 
prouvait la  ligne  de  conduite  suivie  par  le  général  fran- 
çais, a  Ce  prince,  disait-il  au  ministre,  en  parlant  d  Hyder- 
Ali,  a  pris  en  moi  la  plus  grande  confiance;  il  me  traite 
de  frère  et  il  me  demande  des  conseils.  Je  puis  aflirmer 
que  si  on  avait  su  prendre  ce  prince,  on  en  aurait  fait  tout 
ce  qu'on  aurait  voulu.  Je  n'ai  eu  avec  luid'autreastuceque 
de  n'en  point  avoir  et  de  dire  toujours  vrai.  »  Après  une 
seconde  entrevue  avec  Hyder-Ali,  Suffren  hâta  les  prépara- 
tifs du  départ.  Il  désirait  rallier  le  plus  promptement  pos- 
sible les  bâtiments  partis  de  l'Ile  de  France,  peu  de  temps 
après  le  Lézard.  L'obligation  de  faire  route  pour  Batacalo, 
non  moins  que  le  voisinage  de  l'escadre  anglaise  qui 

1.  Celui  du  contre-amiral  Bickerton,  ()arti  d'Angleterre  le  6  février  1782. 


430  HISTOIRE  DE  LÀ  MARINE  FRANÇAISE- 

s'était  retirée  à  Madras,  ne  lui  permettaient  pas  d'alla- 
quer  Négapatam.  Il  voulut  alors  se  mettre  en  mesure  de 
prendre  Trinquemalay,  dans  le  cas  où  l'amiral  Hughes, 
trompé  sur  ses  mouvements,  resterait  dans  le  Nord. 
L'escadre  quitta  Goudelour,  le  1"  août,  avec  six  cenis 
hommes  d'infanterie  et  une  compagnie  de  canonnière. 
Un  officier  du  génie,  M.  Des  Roys,  dans  lequel  le  comman- 
deur avait  une  grande  conQance,  prit  passage  à  bord  dn 
Héros. 

Les  oriiciers  français,  envoyés  &  Tranquebar  pour 
approvisionner  l'escudre,  rencontraient  de  grandes  diffi- 
cultés pour  accomplir  leur  mission.  Les  autorités  daa<rf- 
ses  avaient  montré,  en  plusieurs  circonstances,  uw 
extrême  partialité  pour  les  Anglais.  Le  nabab,  qui  avul 
particulièrement  à  s'en  plaindre,  voulait  s'emparer  de  U 
ville.  Tranquebar  nous  était  utile  pour  vendre  nos  prisM' 
et  acheter  des  objets  de  matériel.  SulFren  arrêta  le  sullan, 
mais  il  avertit  le  gouverneur  qu'il  devait  s'attendre,  s% 
ne  changeait  pas  de  conchiile,  à  de  sévères  représaillc* 
de  la  part  de  l'armée  mysorécnnc  et  de  l'escadre  fran- 
çaise'. Le  8  août,  le  commandeur  communiqua  avec  uM 
embarcation  envoyée  ù  sa  rencontre  par  le  capitaine  du 
Sam(-A/ic/iei.  L'oflicier  qui  la  commandait  annonça  qni 
tous  les  bâtiments  du  convoi  étaient  arrivés  h  Pointe  d 
Galles.  Le  lendemain,  l'escadre,  à  l'exception  du  colrt 
le  Lêiard,  laissé  en  observation  devant  Trinquemalk^ 
mouilla  dans  la  baie  de  Batacalo.  La  frégate  la  Bellotu^ 
en  croisière  sur  la  côte,  rallia  l'armée  le  12  août.  Elta 
avait  eu,  la  veille,  un  engagement  avec  une  frégate  ennft; 
mie.  Le  capitaine  de  la  Bdlone,  le  lieutenant  de  vaissoi 


I.  SuOren  écrivil  au  gcavoToeur  île  Tmniiiiebnr  :  ■  Je  dois  voi 
venir  que  si  ce  prince  (H^dcr-Ali),  juBlumiMit  irrité  de  vus  fiTocMtà,^ 
décidait  k  voua  falro  In  Riierre,  et  l'il  me  iomiuail  de  conrir  mit  vot  Wf 
mcols,  je  De  pourrais  me  dispenser  de  le  faire.  Vous  seolei,  inoonaifi 
que  vous  seul  seriez  responsable  envers  votre  cour,  votre  niiliim  el  i'EuNfl 
mCme  des  maux  qui  rdaulloraieut  de  la  dimarclie  k  laquelle  vona  m' 


LIVRE  XIV.  431 

de  Pierrevert,  neveu  de  Suffren,  avait  616  tué  au  début 
de  l'action.  Quoique  la  frégate  anglaise  fût  d'une  force 
inférieure  à  la  nôtre,  elle  était  parvenue  à  s'échapper 
après  une  heure  de  combat*.  Le  21  août,  Y  Illustre^  le 
Saint-Michel,  la  corvette  la  Fortune,  et  sept  transports 
portant  des  vivres,  des  munitions  et  six  cents  hommes 
d'infanterie  rallièrent  le  pavillon  du  commandant  en 
chef.  Quarante-huit  heures  après,  toutes  les  opérations 
relatives  à  la  répartition  et  au  transbordement  des  vivres 
et  du  matériel  étaient  terminées  et  l'escadre  reprenait  la 
mer.  Ayant  appris,  le  24,  par  le  capitaine  du  Lézard,  que 
les  Anglais  n'avaient  pas  paru,  Suffren  se  dirigea  sur 
Trinquemalay.  Arrivée,  le  25,  devant  l'entrée,  l'escadre 
s'engagea  dans  la  baie  extérieure,  et  elle  gagna,  en 
louvoyant  avec  une  jolie  brise  du  sud -ouest,  l'ar- 
rière-baie  dans  laquelle  elle  laissa  tomber  l'ancre  hors 
de  portée  de  canon  de  la  place.  Quelques  bordées,  en- 
voyées par  les  batteries  près  desquelles  nos  vaisseaux 
étaient  passés,  avaient  fait  à  VHannihal,  au  Sphinx 
et  au  Saint'Michel  des  avaries  sans  importance.  Deux 
mille  trois  cents  hommes,  en  y  comprenant  cinq  cents 
soldats  de  marine  et  six  cents  cipayes,  furent  mis  à 
terre,  dans  la  nuit  du  26  au  27  juillet.  Les  27  et  28,  les 
Français  élevèrent  des  batteries  qui  furent  armées  avec 
des  pièces  prises  sur  nos  bâtiments.  Les  forts  de  Trinque- 
malay et  d'Ostienbourg,  sans  communication  entre  eux, 
défendaient  la  ville.  Notre  feu,  ouvert  le  29  dans  la  matinée, 

1.  Le  major  do  Tescadrc  rolato  ainsi  qu'il  suit  cet  événoment  :  «  La 
BelUme  est  entrée  en  rade  :  un  officier  est  venu  rendre  compte  au  général 
que,  la  veille,  la  frégate  s'était  battue  contre  un  autre  bâtiment;  qu'une 
supériorité  de  mousqueterie  et  beaucoup  de  mitraille  jetée  par  des  obusicrs 
avaient  dégréé  la  BelUme^  dés  le  commencement  du  combat,  et  fait  perdre 
l'avantage  que  devaient  lui  donner  le  nombre  et  la  force  de  ses  canons.  M.  de 
Pierrevert,  commandant  la  frégate,  neveu  de  M.  de  SufTren,  avait  été  tué 
au  commencement  de  TafTaire.  M.  Boucher,  officier  auxiliaire,  qui  avait 
le  commandement  après,  avait  été  tué  ;  M.  Stéphane,  officier  napolitain, 
grièvement  blessé.  La  frégate  anglaise  s'était  éloignée  après  une  heure  do 
combat,  et  avait  laissé  la  Bellone  dans  l'impossibilité  de  la  poursuivre. 
Celle-ci  avait  eu  quarante  hommes  hors  de  combat.  » 


43a  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FKANCAISE. 

acquit  trës-promptement  une  supériorité  marquée  sut 
celui  de  l'ennemi.  Le  30  juillet,  le  commandanl  du  tort 
6e  Trinquemalay,  le  capitaine  MacdowaI,  sommé  tie  se 
rendre,  envoya  un  oTCcier  au  camp  français  pour  trailef 
de  la  capitulation.  Qndquefl  difficultés  ^étaiA  éleréo 
entre  les  négotiateura,  SuBïen  les  trancha  ea  faveor  de 
l'ennemi.  Persuadé  que  ('lorriTée  de  l'amiral  Hugbei 
était  imminente,  il  ne  voulut  pas  retardw,  par  des  exî- 
gencas  inutiles,  le  momnit  oit  une  poàtioD  de  cette  im* 
portance  serait  remise  enbe  see  mains.  La  gairnsoi, 
composée  de  cent  cinquante  soldats  blancs  et  tle  trui« 
cents  cipayes,  sortit  de  la  ville  avec  les  l]ouneui-s  de  la 
guerre.  Elle  devait  être  transp<»iée  à  Madras  aux  n-ais  de 
notre  gouvernement.  Le  commandant  du  fort  <l'OslieiK 
bourg  se  rendit,  le  31  juillet,  aux  marnes  conditions.  Il 
avait  BOUS  ses  ordres  le  mteie  nombre  d'hommes  que  le 
capitaine  Macdoval.  Ce  succès,  qui  donnait  &  l'eitcadre 
française  le  seul  font  existant  sur  la  c6le,  ne  nous  avait 
coûté  que  vingt-cinq  hommes  tués  ou  blesses.  Le  général 
prit  immédiatemoit  toutes  les  mesures  que  coniporUil 
la  prompte  organisation  de  sa  nouvelle  conquête.  Les 
troupes  destinées  à  tenir  garnison  dans  la  place  furent 
désignées,  et  nos  vaisseaux  reçurent  l'ordre  de  rem- 
barquer le  personnel  et  le  matériel  qu'ils  avaient  mis  à 
terre. 

Le  2  septembre,  dans  l'après-midi,  nos  vigies  signa- 
lèrent l'escadre  anglaise.  Les  Français  h&tèrent  leurs 
préparatifs  de  départ  et  ils  appareillèrent,  le  lendemain, 
au  point  du  jour'.  Les  Anglais,  qui  s'étaient  rapprochés 
de  la  cAte,  serraient  le  vent,  les  amures  &  tribord,  avec 
une  fraîche  brise  de  sud-ouest,  se  dirigeant  sur  l'entrée 
de  Trinquemalay.  A  la  vue  du  pavillon  français  flollanl 
sur  tous  les  forts,  l'amiral  Hughes  laissa  arriver  par  un 
mouvement  successif,  et  il  gouverna  quatre  quarts  largue, 


I.  La  Hèrotel  VAimibal  B'ftbardéreDl.  La  pnnùw  d»  CM  ti 
quelquM  avariei. 


ÎAWRE  XIV.  433 

SOUS  petites  voiles.  Son  intention  était  de  n'accepter  le 
combat  que  tard  dans  la  journée.  S'il  était  battu,  la  nuit 
couvrirait  sa  retraite;  dans  le  cas  où  la  fortune  des 
armes  lui  serait  favorable,  nos  vaisseaux  désemparés 
seraient  loin  du  port  que  nous  avions  conquis.  SufTren 
souhaitait  très  -  vivement  avoir  une  nouvelle  occasion 
de  se  mesurer  avec  Tennemi.  L'escadre ,  disposée  sur 
une  ligne  de  relèvement,  se  couvrit  de  toile  pour  at- 
teindre les  Anglais  qui  étaient  sur  notre  avant  et  sous 
le  vent.  L'amiral  Hughes  avait  cinq  vaisseaux  de  soixante- 
quatorze,  six  de  soixante-quatre  et  un  de  cinquante,  soit 
douze  vaisseaux.  Nous  avions  quatorze  vaisseaux,  parmi 
lesquels  trois  de  soixante-quatorze,  sept  de  soixante- 
quatre,  un  de  soixante  et  trois  de  cinquante.  Afin  d'utili- 
ser cette  supériorité  plus  apparente  que  réelle,  si  on  ne 
considère  que  le  nombre  des  canons,  Suffren  prescrivit 
aux  capitaines  du  Vengeur  et  de  la  Consolante  de  doubler 
les  derniers  vaisseaux  de  la  ligne  anglaise  par-dessous 
le  vent,  aussitôt  que  l'action  serait  engagée.  La  force  de 
la  brise,  l'inégalité  de  marche  de  nos  bâtiments,  l'allure 
du  grand  largue  étaient  autant  d'obstacles  à  la  régularité 
de  notre  ligne.  La  plupart  de  nos  vaisseaux  et  principa- 
lement ceux  de  l'avant-garde  n'étaient  pas  à  leurs  postes. 
Quelques  tentatives  faites  par  le  commandeur  pour  réta- 
blir l'ordre  demeurèrent  sans  résultat.  Soit  que  Suffren 
se  laissât  entraîner  par  le  désir  de  joindre  l'ennemi,  soit 
qu'il  supposât  que  chaque  capitaine  saurait,  une  fois  les 
premiers  coups  tirés,  prendre  place  par  le  travers  d'un 
vaisseau  anglais,  il  continua  sa  route.  A  deux  heures  et 
demie,  après  avoir  fait  environ  vingt-cinq  milles,  nous 
étions  à  petite  distance  de  l'ennemi.  A  ce  moment,  le 
Héros  appuya  d'un  coup  de  canon  le  signal  de  laisser 
arriver,  qui  était  hissé  en  tête  de  ses  mdts.  Par  suite 
d'une  erreur  extrêmement  regrettable,  ce  coup  de  canon 
fut  suivi  de  la  bordée  du  Héros.  Les  capitaines,  persua- 
dés que  le  commandant  en  chef  avait  l'intention  de  com- 
mencer le  combat,  suivirent  cet  exemple.  Reconnaissant 

23 


434  HISTOIRE  DE  LA  MAWNE  FRANÇAISE, 

l'iinpossibililé  de  faire  cesser  le  Teu,  Suff'ren  fit  le  sij^iial 
de  comballie  à  portée  de  pistolet,  résumant  ainsi  le  bul 
vers  lequel  devait  tendre  ctiaque  bâtiment.  Les  Anglais 
couraient  largue,  sous  petites  voiles,  tandis  que  l'armée 
française  arrivait  sur  elle  en  dépendant  Nos  vaisseaux, 
ayant  le  vent  de  la  hanche  de  tribord,  étaient  obligés, 
pour  se  conformer  à  l'ordre  du  commandant  en  chef,  do 
diminuer  de  toile  et  de  calculer  leur  tour  de  manière  i 
se  placer,  avec  la  voilure  convenable,  par  le  travers  det 
bAliments  qui  leur  correspondaient  dans  la  ligne  enne- 
mie. La  fumée  qui  couvrait  le  cbam|i  de  bataille,  ajoutait 
aux  diflicultés  de  cette  manœuvre.  Lorsque  chaque  vais- 
seau eut  terminé  son  évolution,  notre  ligne  fut  dans  le 
plus  grand  désordre.  Presque  tous  nos  bâtiments  avaient 
conservé  trop  d'aire,  en  môme  temps  qu'ils  avaient  trop 
prononcé  leur  mouvement  d'oloffée.  En  conséquence,  ils 
se  trouvèrent  en  avant  et  au  vent  de  la  position  qu'ils  all- 
aient dû  occuper.  L'avant-garde  tout  entière  et  les  deuï 
premiers  vaisseaux  du  corps  de  bataille  formèrent  un 
groupe  compacte  en  avant  des  premiers  vaisseaux  enne- 
mis. L'Illustre,  commandé  par  M.  do  Bruyères,  le  matelot 
d'arrière  du  Héros,  fut  le  seul  vaisseau  qui  prit  son  poste. 
Le  Flamand  et  les  vaisseaux  de  l'arrière-garde  étaient  au 
vent  et  par  le  travers  du  Héros  et  de  l'Illustre,  Ces  uavira 

étaient  confondus  et  se  gênaient  l'un  l'autre,  aussi  bien  

pour  manœuvrer  que  pour  combatlie.  L'avaiit-garde  et 
les  deux  premiers  vaisseaux  du  corps  de  bataille,  stùt 
sept  vaisseaux  sur  quatorze,  devinrent  k  peu  près  inu- 
tiles. Le  feu  de  ces  vaisseaux  ne  partait  que  sur  l'Exetcr^ 
le  chef  de  file  de  l'armée  anglaise,  et  sur  r/si>qui  le  sut* 
vait.  Le  Flamand,  VAnnibal  et  le  Biiarre  tiraient  de  loin 
et  faisaient  peu  de  mal  h  l'ennemi.  Le  capitaine  de  l'Ajax, 
le  lieutenant  de  vaisseau  de  Bcaumont,  plus  heureux  ou 
plus  habile  que  ses  camarades,  parvint  à  se  dégager  dct 
vaisseaux  qui  l'entouraient,  et  U  vint  se  placer  sur  l'avant 
du  Héros.  Le  Vengeur  et  la  Cuiisolanle,  se  conformant 
aux  ordres  du  commandant  en  chef,  avaient  laissé  {>orler 


J^ 


LIVRE  XIV.  435 

pour  doubler,  par-dessous  le  vent,  le  dernier  vaisseau 
de  l'escadre  anglaise,  mais  les  capitaines  de  ces  deux  bâ- 
timents voyant  qu'ils  n'étaient  pas  soutenus,  ne  voulu- 
rent pas  s'exposer  au  danger  d'être  coupés,  et  ils  restèrent 
au  vent  de  l'ennemi.  Peu  après,  le  feu  s'étant  déclaré 
dans  la  hune  d'artimon  du  Vengeur,  ce  vaisseau  s'éloigna 
du  champ  de  bataille.  En  réalité,  trois  vaisseaux,  le 
Héros,  V Illustre  et  VAjax,  supportaient  le  poids  de  la 
bataille.  Suffren  multipliait  les  signaux  pour  rallier  les 
vaisseaux  dispersés,  mais  la  brise,  très-fraîche  au  com- 
mencement de  l'action,  tomba  subitement  et  les  bâtiments 
des  deux  escadres  demeurèrent  immobiles  là  où  ils  se  trou- 
vaient. Le  temps  s'écoulait,  et  nos  trois  vaisseaux,  battus 
en  travers  par  les  vaisseaux  du  centre  de  l'armée  an- 
glaise, enfilés  par  ceux  qui  étaient  placés  aux  extrémités 
de  la  ligne,  souffraient  beaucoup.  A  quatre  heures  et 
demie,  le  Héros  avait  ses  voiles  en  lambeaux,  toutes  ses 
manœuvres  coupées  et  il  ne  pouvait  plus  gouverner. 
VHlustre  avait  perdu  son  grand  mât  de  hune  et  son  mût 
d'artimon.  Vers  cinq  heures  et  demie,  une  légère  brise  de 
sud-sud-ouest  s'étant  élevée,  les  Anglais  virèrent  de  bord 
lof  pour  lof  tout  à  la  fois.  «  Si  les  ennemis  avaient  viré 
vent  devant,  dit  le  major  de  Tescadre  dans  son  journal, 
nous  aurions  été  coupés  et  probablement  détruits,  »  Après 
avoir  exécuté  ce  mouvement,  nos  adversaires  continuè- 
rent le  combat  en  nous  canonnant  par  bâbord.  La  brise 
était  favorable  pour  ramener  nos  vaisseaux  sur  le  champ 
de  bataille,  mais  elle  était  très-faible  et  ceux-ci  n'arri- 
vaient que  très-lentement.  Pendant  ce  temps,  le  Héros, 
VUlusire  et  VAjax  continuaient  à  combattre  avec  la  môme 
énergie*.  A  six  heures,  le  grand  mât  du  Héros,  criblé  de 
projectiles,  tomba  à  la  mer.  A  six  heures  trois  quarts, 
les  Anglais  qui  couraient  à  contre-bord  commencèrent  à 

1.  Notre  équipage,  désespéré  do  la  mauvaise  manœuvre  de  nos  vais- 
seaux, n*en  était  cependant  pas  découragé,  et  nous  avons  répondu  avec  la 
même  vivacité  au  feu  de  Tennemi  que  nous  recevions  alors,  à  bord  opposé, 
réparti  sur  VAjckx,  VlUustre  et  nous.  {Journal  du  major  de  iescadre,) 


[ 


436  HISTOIRE   DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

s'éloigner.  A  la  même  beure,  plusieurs  vaisseaux,  eu  lète 
desquels  se  trouvait  VArlêsien,  capitaÎDe  de  Saint-Félix, 
passèrent  entre  le  Hérua  et  l'ennemi'.  Les  Anglais  lais- 
sèrent arriver  et  gouvernèrent  au  nord-ouest  pendant 
que  le  gros  de  l'armée  française  serrait  le  vent  les  amures 
à  tribord.  SulTreu  quitta  le  Héros,  ainsi  qu'il  avait  déjà 
été  obligé  de  le  faire  dans  la  soirée  du  12  avril,  et  il  passa 
sur  VOrient.  Aussitôt  que  nos  vaisseaux  eurent  rallié  le 
pavillon  du  commandant  en  cheT,  le  Héros  et  ['Illustre 
furent  pris  à  la  remorque,  et  l'escadre  se  dirigea  vers  U 
côte  de  Ceylan.  Dans  la  nuit  du  6  au  7  septembre,  voft 
qualrc  beurcs  du  matin,  l'escadre  louvoyant  sans  ordra^ 
avec  une  forte  brise  de  terre,  VOrient,  un  des  trok 
soixante-quatorze  de  l'armée,  se  jeta  sur  la  pointe  Sol^ 
à  l'entrée  de  Trinquemalay*.  Tous  les  efforts  faits  pour  te 
relever  de  la  côte  furent  inutiles.  Le  vaisseau  était  vieuXf 
fatigué  et  il  se  cassa  Irès-promptemcnt.  L'escadre,  qU 
avait  mouillé  près  de  VOrient  pour  procéder  au  sauveta^ 
du  matériel,  entra,  le  17  septembre,  à  Trinquemalay 
Plusieurs  biUiments  ennemis,  notamment  VEagle. 
Burford,  le  Mvntmouth,  et  le  Superb  avaient  été  très~mal- 
traités  dans  le  combat  du  3  septembre  '.  L'amiral  HugbH 
n'ayant  plus  de  ports  sur  la  côte,  s'était  dirigé  sur 
di'as,  où  il  avait  mouillé  le  9  septembre. 

Nous  indiquons,  ci-apr6s,  l'ordre  dans  lequel  les  deui 
escadres  étaient  rangées,  au  début  de  l'action,  et  lai 
pertes  qu'elles  avaient  subies.  Le  tableau  relatif  à  notn 
armée  comprend,  en  outre,  une  note  de  SulTrcn  aur  la 
conduite  de  chaque  capitaine. 


1.  M.  de  Suiol-Félix  avait  quiUé  le  Ftamami,  do  cini[uanle.  pour  prcalM. 
VArlùien,  du  soùaate^utlrt!,  aprét  le  déport  do  >I.  du  Mnurvitle 
!.  Suin-ea  n'éloitplus  A  bord  de  VOritnI. 
3.  KapiMirt  de  l'amiral  Uugliea, 


P 


ESCADRE   FRANÇAISE 
Ligna  da  batiille. 


L'Artésien G4    De  Saint-Fûlix. 


iaiDUMichet 60    D'Ajniar 3 

îéïère 64    DeLaneli'.-. 

Srillant 64    UeKersausnr 


llannibal  (an 

Spbin» 

j^roa 

Illustre 

Flamand  — 


Corpt  de  balaïUr, 
]  IDe  Galle.... 
\  [DuClnlIuau. 
L  jSuITrcn 


74    De  Ërujùre». 
50  Idg  Salverl.. 

arriére-garde , 
64    DeBeaumnnt .. 
Pian 

Ilnnibal 14    DeTromelJn... 


wCuvenilli-. ... 


ÎBien  dans    I 


,  jTrÈa-bien , 
I   peut  mieux 
1  |TrÈ»-mal. 


tÛn  ne  peut  plus 

I  il  n'a  jamais  él(  A 

(  iiortée  dn  canr- 

(Un   accident  à 

!  l'acmpOcIiédB  bien 

(  faire. 

[Mal  daua  les  quatre 


Totaux  des  tués  et  des  blessés  ' 


I.IIH.  de  Lanslf,  d<Ktn 

î.  OfScien  Inéa':  MH.  d«  Pin.  dg  ^ 
lïtn,  eoMigna;  Dnlmuuiiei,  lintennn 
"-'EienhiHMi:  MM.  duBmitm.  Il 

itipai],»nKieiiB;Allliclb,  DsIbf,I 


1,  di  SalTcrt,  de  Buiimon 


defrigtle;D'l>lour-G<idiB,Siviii( 


LIVRE  XIV.  439 

Suffren  avait  conçu  l'espoir  très-légitime,  en  raison  de 
la  supériorité  de  ses  forces,  de  battre  l'armée  anglaise. 
L'insuccès  relatif  de  cette  journée  lui  causa  une  irritation 
profonde.  Jusque-là,  il  ne  s'était  plaint  que  de  quelques- 
uns  de  ses  capitaines  ;  après  le  combat  du  3  septembre, 
il  accusa  la  presque  totalité  de  son  armée  de  l'avoir 
abandonné.  Ce  fut  sous  l'empire  de  ce  sentiment  qu'il 
écrivit  au  ministre  :  «  J'ai  le  cœur  navré  par  la  défection 
la  plus  générale.  Je  viens  de  manquer  l'occasion  de 
détruire  l'escadre  anglaise.  J'avais  quatorze  vaisseaux  et 
la  Consolante  que  j'avais  mise  en  ligne.  L'amiral  Hughes 
évitait  sans  fuir,  ou  pour  mieux  dire  il  fuyait  en  ordre, 
conformant  sa  voilure  à  la  marche  des  plus  mauvais 
voiliers.  Larguant  à  mesure,  il  fit  courir  jusqu'à  dix  et 
même  douze  aires  de  vent.  Ce  ne  fut  qu'à  deux  heures  de 
l'après-midi  que  je  pus  le  joindre.  Ma  ligne  à  peu  près 
formée,  j'attaquai  et  fis  le  signal  d'approcher.  J'avais  fait 
signal  au  Vengeur  et  à  la  Consolante  de  doubler  par  la 
queue,  on  n'approcha  point.  Il  n'y  a  eu  que  le  Héros,  Vil- 
lustre  etV Ajax qui  aient  combattu  de  près  et  enligne.  Les 
autres,  sans  égard  à  leurs  postes,  sans  faire  aucune  ma- 
nœuvre, ont  tiraillé  de  loin  ou,  pour  mieux  dire,  hors  de 
portéedecanon.Tous,  oui  tous,  ont  pu  approcher  puisque 
nous  étions  au  vent  et  de  l'avant,  et  aucun  ne  l'a  fait. 
Plusieurs  de  ceux-là  se  sont  conduits  bravement  dans 
d'autres  combats.  Je  ne  puis  attribuer  cette  horreur  qu'à 
l'envie  de  finir  la  campagne,  à  la  mauvaise  volonté  et  à 
l'ignorance,  car  je  n'oserais  soupçonner  rien  de  pis.  Le 
résultat  a  été  terrible.  Le  Héros,  llllustre  ont  perdu 
grand  màt,  màt  d'artimon,  petit  màt  de  hune,  etc.  Ce 
seraient  des  avaries  affreuses  en  Europe,  jugez  dans 
l'Inde  où  nous  n'avons  aucune  ressource  en  ce  genre.  Il 
faut  que  je  vous  dise,  Monseigneur,  que  des  officiers 
depuis  longtemps  à  l'Ile  de  France  ne  sont  ni  marins,  ni 
militaires.  Point  marins,  parce  qu'ils  n'y  ont  point  navigué, 
et  l'esprit  mercantile,  d'indépendance  et  d'insubordination 
est  absolument  opposé  à  l'esprit  militaire.  Les  maîtres  y 


440  HISTOraE  DE  i.A  MAHINE  FRANÇAISE, 

ont  contracté  un  esprit  de  rapine,  qu'il  est  impossible  Je 
réprimer.  Vous  ne  sauriez  imaginer,  Monseigneur,  toutes 
les  petites  ruses  qu'on  a  employées  pour  me  faire  revenir. 
Vous  n'en  serez  pas  surpris  si  vous  savez  qu'à  l'Ile  de 
France  l'argent  vaut  dix-huit  pour  cent,  et,  quand  on  fail 
des  affaires,  infiniment  plus,  et  pour  cela  il  faut  y  être. 
MM.  (Je  la  Landelle,  de  Tromelin,  de  Saint-Félix  et  ic 
Galle  ont  demandé  à  quitter  leurs  vaisseaux;  j'ai  été  trop 
mécontent  d'eux  pour  ne  pas  le  leur  accorder  avec  plaisir, 
Si  je  ne  change  pas  plusieurs  autres,  c'est  faute  d'avoir  des 
personnes  en  état  de  commander  les  vaisseaux  ;  je  vous 
envoie  la  liste  apostillée.  Il  est  affreux  d'avoir  pu  quatre 
fois  détruire  l'escadre  anglaise,  et  qu'elle  existe  toujours. 
Le  choix  des  officiers  pour  l'Indo  est  des  plus  essentiels 
parce  qu'on  n'est  pas  à  même  de  les  changer.  Je  ne  crois 
pas  avoir  les  talenls  qu'il  faudrait:  je  ne  suis  rassuré  que 
par  la  confiance  que  vous  avez  en  moi.  Mais,  en  vérité,  si 
ma  mort  ou  ma  santé  faisait  vaquer  le  commandement, 
qui  me  remplacerait?  M.  d'Aymar?  Vous  le  connaissez. 
M.  Peynier  est  brave,  zélé,  excellent  pour  un  jour  de 
combat,  mais  je  croirais  la  conduite  d'une  grande  escadre 
fort  au-dessus  de  ses  forces  dans  ce  moment,  n'ayunt 
point  encore  été  éprouvé  dans  cette  partie.  Je  ne  connstl 
qu'une  personne  qui  ait  toutes  les  qualités  qu'on  peul 
désirer;  qui  est  trës-brave,  très-instruit,  plein  d'ardeur 
et  de  zèle,  désintéressé,  bon  marin  :  c'est  M.  d'Alltcrt  de 
Rions,  et  fût-il  en  Amérique,  envoyez-lui  une  frégate. 
J'en  vaudrai  mieux  l'ayant,  car  il  m'aidera;  et  si  je  menrH, 
vous  serez  assuré  que  le  bien  du  service  n'y  perdra  rien. 
Si  vous  me  l'aviez  donné  quand  )e  vous  l'ai  demandé,  nom 
serions  maîtres  de  l'Inde.  Je  puis  avoir  fait  des  fautes;  à 
la  guerre  qui  n'en  fait  pas,  mais  on  ne  pourra  m'imputor 
aucune  de  celles  qui  font  perdre  les  affaires.  » 

Sur  les  quatorze  vaisseaux  dont  se  composait  l'armée 
française,  le  Vengeur,  l'Ithtslre,  VAjax  et  le  H^rot  étaient 
les  seuls  qui  fussent  mis  hors  de  cause.  Le  fîùarrv,  VAn* 
nibal,  le  Flamnnd,  l'Artif^^ien,  VOrietil,  le  -S'oml-.WiVfcW,  le 


LIVRE  XIV.  441 

Sévère^  le  Brillant^  VHannibal  et  le  Sphinx^  soit  dix  vais- 
seaux, étaient  signalés  comme  n'ayant  pris  aucune  part 
au  combat.  Le  capitaine  du  Bizarre^  M.  de  la  Landelle, 
s^était,  en  toutes  circonstances,  conduit  très-médiocre- 
ment. M.  de  Tromelin,  après  avoir  joué  un  rôle  absolu- 
ment nul,  le  17  février,  avait  tenu  convenablement  son 
poste,  le  12  avril,  et  il  s'était  distingué  le  6  juillet.  VAr^ 
iésien,  VOrient^  le  Saint-Michel^  le  Sévère  y  le  Brillant^ 
VAnnibal  et  le  Sphinx  appartenaient  au  groupe  qui  s'était 
séparé,  dès  le  début  de  Faction,  du  centre  de  notre  armée. 
Rendus  immobiles  par  le  calme,  ramenés  sur  le  champ  de 
bataille  par  la  brise  du  sud-est,  au  moment  oii  l'ennemi 
s'éloignait,  ces  vaisseaux  n'avaient  obtenu  d'autre  résultat 
que  d'obliger  VExeter  à  sortir  de  la  ligne.  Ces  bâtiments 
étaient  commandés  par  MM.  d'Aymar,  de  Saint-Félix,  de 
la  Pallière,  Kersauson,  de  Langle,  de  Galle  et  du  Chilleau. 
Le  capitaine  de  vaisseau  d'Aymar,  arrivé  depuis  peu 
dans  l'Inde,  était  un  offlcier  très-honorablement  connu. 
Il  avait  été  cité  par  le  lieutenant  général  de  Guichen 
conmie  s'étant  particulièrement  distingué  dans  un  des 
combats  livrés  dans  les  Antilles  &  l'amiral  Rodney. 
MM.  de  Saint- Félix,  de  la  Pallière,  du  Chilleau  et  de 
Galle  étaient  présents  aux  combats  des  17  février,  12  avril 
et  6  juillet.  Nous  avons  vu  par  la  correspondance  de 
SufTîren  en  quelle  estime  il  tenait  ces  capitaines  et  le  cas 
qu'il  faisait  de  leur  bravoure.  Le  départ  de  MM.  de  Forbin, 
de  Maurville,  Bouvet  et  de  Cillart  avait  laissé  vacants  les 
commandements  de  quatre  vaisseaux.  SufTren  les  avait 
donnés  à  des  lieutenants  de  vaisseau  que  la  distinction 
de  leurs  services  désignait  pour  cet  emploi.  On  ne  pou- 
vait admettre  que  ces  officiers  n'eussent  pas  apporté  la  plus 
extrême  bonne  volonté  dans  l'exercice  de  leurs  nouvelles 
fonctions.  Ce  qui  était  vrai,  c'est  que  MM.  de  Kersauson  et 
de  Langle,  les  capitaines  de  V Artésien  et  du  Sévère^  de 
même  que  M.  de  Salvert  qui  commandait  le  Flamand^ 
n'avaient  pas  su  se  dégager  des  vaisseaux  au  milieu  des- 
quels ils  étaient,  et  prendre  un  poste  de  combat,  ainsi  que 


442  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

l'avait  fait  leur  collègue,  le  lieutenant  de  vaisseau  de 
Beaumont,  capitaine  de  l'-^jax.  En  résumé,  dans  le  nombre 
des  orCciers  qui  ne  s'étaient  pas  battus,  il  y  avait  des 
hommes  comme  MM.  d'Aymar,  de  Saint-Félix,  de  Galle 
et  de  la  Palliëre.  Cela  seul  suffit  pour  montrer  que  ce 
n'est  pas  dans  les  accusations  de  défection  et  de  lAcheté 
qu'il  faut  chercher  la  cause  de  l'inaction  de  la  presque 
totalité  de  notre  armée.  Nous  nous  permettons  d'exprimer 
le  regret  que  des  expressions  aussi  malheureuses  et,  nous 
n'hésitons  pas  à  le  dire,  aussi  Injustes  se  soient  trouvées 
sous  la  plume  de  Sufîren. 

Le  3  septembre,  le  commandant  de  l'escadre  française, 
impatient  de  combattre,  arriva  &  portée  de  canon  de 
l'ennemi  avec  une  armée  qui  n'était  pas  encore  parvenue 
A  se  former.  11  alla  au  feu  avec  une  impétuosité  d'autant 
moins  explicable  que  lui-môme  se  plaignait  du  peu  de 
capacité  de  la  plupart  de  ses  capitaines.  Or,  ce  jour-là,  il 
leur  demanda  ce  qu'un  amiral  est  seulement  en  droit 
d'attendre  des  officiers  les  plus  habiles,  commandant  des 
vaisseaux  excellents.  La  fortune,  qui  en  toutes  choses 
prend  sa  part,  quand  on  ne  la  lui  fait  pas,  se  déclara 
contre  nous.  Ce  fut  d'abord  la  brise  extrêmement  fraîche 
qui  gêna  la  manœu\Te  de  nos  vaisseaux,  puis  le  calme 
qui,  les  ayant  surpris  hors  de  leurs  postes,  les  retint  U  où 
ils  étaient.  Telle  fut  certainement,  h  en  juger  par  sa  con- 
duite, ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin,  la  manière  de 
voir  de  SufFren  sur  le  combat  du  3  septembre,  lorsque  le 
temps  eutadouci  les  regrets  que  l'insuccès  de  cette  journée 
lui  avait  fait  éprouver.  MM.  de  Tromelin,  de  la  Laodelle, 
de  Galle,  de  Saint-Félix,  qui  avaient  demandé  à  quitter 
leurs  vaisseaux,  partirent,  le  14  septembre,  pour  l'Ile  de 
France'. 
Un  a  dit  que  les  drisses  de  pavillon  du  Héros  ayant  élè 


1 .  Le  «lépart  df  HM.  do  Tromelin,  de  la  Landeltc,  de  Cklie  »t  de  Sciât* 
Fi^lU  cft  iiioalionné  ainsi  qu'il  suit  dans  le  Journal  du  majoi'  dt  T*»- 
euiln  :  .  M,  de  Tronioliii  a  deniandû  A  quitter  «on  vai&iicBU  pour  \aijiiBr  k 


LIVRE  XIV.  443 

coupées  pendant  le  combat[du  3  septembre,  Suffren,  trans- 
porté d'indignation  à  la  pensée  qu'on  pût  croire  son 
vaisseau  amené,  s'était  écrié  :  «  Des  pavillons  blancs, 
qu'on  couvre  mon  vaisseau  de  pavillons.  »  Nous  n'avons 
trouvé,  soit  dans  la  correspondance  de  Suffren,  soit  dans 
le  journal  du  major  de  l'escadre,  aucune  trace  de  cet  in- 
cident. C'est  pourquoi  nous  nous  sommes  abstenu  de  le 
rapporter.  Nous  pensons  n'avoir  fait  aucun  tort  à  la 
mémoire  de  Suffren.  Sa  conduite  héroïque,  que  nous 
avons  fldëlement  retracée,  reste  au-dessus  des  paroles  les 
plus  éloquentes. 

Suffren  apprit,  pendant  son  séjour  à  Trinquemalay, 
que  l'ordre  de  Malte  lui  avait  conféré  le  titre  de  bailli. 


III 


Quelques  jours  après  notre  arrivée  à  Trinquemalay,  on 
apprit  la  mort  du  général  Duchemin.  Son  successeur,  le 
colonel  d'Hoffelize,  écrivait  que  le  corps  français,  diminué 
par  les  maladies,  était  hors  d'étal  de  tenir  la  campagne. 
Il  prêtait  au  général  sir  Eyre  Coot,  qui  disposait  de  forces 
considérables,  l'intention  de  l'assiéger  dans  Goudelour. 
Le  pays  était  tellement  dévasté  que  le  nabab,  arrêté  par 
le  manque  de  vivres  et  de  fourrages,  ne  pouvait  que  dif- 
ficilement venir  à  son  secours.  Les  Anglais,  momenta- 
nément maîtres  de  la  mer,  tiraient  leurs  approvisionne- 
ments de  Madras.  Ces  nouvelles   étaient  d'autant  plus 
inquiétantes  que  l'escadre  était  dans  l'impossibilité  de 
sortir  de  Trinquemalay  avant  d'avoir  été  réparée.  Suffren 
eut  encore  une  fois  recours  aux  moyens  qu'il  avait  em- 
ployés, après  le  combat  du  6  juillet.  Le  Bizarre  donna 
son  grand   mât  au  vaisseau  Vlllustre,   et  il  prit  celui 


868  affaires  à  Tlle  de  France^  et  retourner  en  Europe.  MM.  de  Saint-Félix, 
de  la  Landelle  et  de  Galle^  trés-incommodés,  ont  demandé  à  quitter  leurs 
vaisseaux  pour  aller  à  l'Ile  de  France  rétablir  leur  santé.  » 


444  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 

d'une  des  frégates.  Le  Héros  se  lit  un  grand  mit  avec  le 
tronçon  du  sien  et  le  mil  de  misaine  de  VOrtetit.  Les 
mâts  de  misaine  et  d'artimon  de  Vlllustre  et  du  Héros, 
qui  étaient  criblés  par  les  boulets ,  furent  consolidés 
iV  l'aide  de  fortes  jumelles.  Malgré  les  ressources  que 
la  perte  mallieureuse  de  l'Orient  mettait  ù  sa  disposition, 
Suffren  désarma  la  frégate  de  quarante  canons  la  Con- 
solante. Le  matériel  et  le  personnel  de  cette  frégate 
étaient  nécessaires  pour  mettre  les  vaisseaux  en  état  «le 
naviguer.  Les  travaux  furent  poussés  avec  une  très- 
grande  activité  et  l'escadre  fit  route  pour  Goudelour. 
Le  lendemain,  un  grand  transport  anglais,  chassé  par 
nos  frégates  et  sur  le  point  d'être  pris,  s'échoua  sous 
toutes  voiles  près  de  Négapatam.  L'officier  envoyé  à  bord 
de  ce  bâtiment,  croyant  qu'on  ne  parviendrait  pas  k  le 
renflouer,  le  livra  aux  flammes.  Cette  déterminatioo 
priva  l'escadre  et  la  garnison  de  Goudelour  de  res- 
sources tri-s-précieuses.  Ce  navire  élait  chargé  de  vivres 
et  de  matériel  de  guerre'.  En  arrivant  sur  la  rade 
de  Goudelour,  le  4  octobre  1782,  la  fermeté  d'àme  do 
commandeur  fut  soumise  à  une  nouvelle  épreuve.  Le 
Bizarre,  occupant  le  dernier  rang  dans  la  ligne,  devait 
prendre  son  mouillage  après  tous  les  vaisseaux  de  l'e» 
cadre.  Le  capitaine,  voulant  se  placer  à  terre  des  bdli- 
nients  qui  avaient  déjA  leur  ancre  au  fond,  s'approchi 
trop  près  de  la  côte  et  son  vaisseau  toucha.  Il  reçut  immé- 
diatement les  secours  que  réclamait  sa  position,  mail 
tous  les  efforts  faits  pour  remettre  le  Biïnrrc  à  flot  furent 
inutiles.  Ce  vaisseau,  qui  était  vieux  et  fatigué,  se  ctenir 
quelques  heures  apr^s  son  échouage.  On  apprit  qH 
l'amiral  anglais,  au  mépris  du  droit  des  gens,  avait 
envoyé  le  Sultan  à  Tranquebar,  avec  l'ordre  de  s'enipawf 

I.  L«  général  aurait  déeiré  qu'on  l'eAl  conservé,  d'auUnl  mieu 
n'élsnt  échoué  <|ae  deisui  la  vase,  on  l'eQt  aisérarnt  retiré;  loul  Ib 
*'éUîl  lauvé  t  torre.  Ce  bAiimenl,  qui  apparlennit  I  la  Compagnie  i 
liide»,  parlait  vin^t-qualre  csponi  et  èlail  doublé  NI  cuivre.  (Journal 
major  de  l'acadre.) 


LIVRE  XIV.  445 

des  bAtiments  français  et  hollandais  mouillés  sur  la  rade. 
Le  cotre  le  Lézard^  qui  était  fort  heureusement  le  seul 
navire  que  nous  eussions  devant  cette  place,  avait  été 
pris.  Le  corps  français  était  dans  une  situation  meilleure 
qu'on  aurait  pu  le  croire,  d'après  les  dépêches  du  colo- 
nel d'Hoflelize.  En  apprenant  le  retour  de  l'amiral  Hu- 
ghes &  Madras,  sir  Eyre  Coot,  convaincu  que  Suffren  ne 
tarderait  pas  à  paraître,  s'était  éloigné  de  Goudelour. 
Ainsi  le  combat  du  2  septembre,  malgré  ses  résultats 
incomplets,  avait  dégagé  nos  troupes. 

L'amiral  Bickerton  avait  quitté  l'Angleterre,  le  6  fé- 
vrier 1782,  avec  six  vaisseaux  et  un  convoi  pour  se  rendre 
dans  l'Inde.  L'un  de  ces  vaisseaux,  le  Sceptre^  qui  s'était 
séparé  de  son  escadre  pendant  un  gros  temps,  avait 
mouillé  à  Madras  au  commencement  d'octobre.  L'arrivée 
de  l'amiral  Bickerton  devait  porter  à  dix- sept  le  nombre 
des  vaisseaux  placés  sous  le  commandement  de  l'amiral 
Hughes.  Depuis  la  perte  de  VOrient  et  du  Bizarre^  nous 
ne  pouvions  opposer  à  des  forces  aussi  considérables  que 
douze  vaisseaux.  V Argonaute  et  le  Fendant^  de  soixante, 
Y  Alexandre  et  le  Hardi  armés  en  flûte,  et  plusieurs  na- 
vires de  transport  étaient  partis  de  France,  le  12  fé- 
vrier 1 782,  pour  rallier  le  comte  d'Orves.  Ces  bâtiments 
avaient  marché  avec  une  extrême  lenteur,  par  suite  du 
mauvais  état  à^V Alexandre,  Ce  vaisseau,  qui  faisait  beau- 
coup d'eau,  avait  été  plusieurs  fois  en  danger  de  couler. 
Un  peu  avant  l'arrivée  au  Cap  de  Bonne-Espérance,  une 
épidémie  s'était  déclarée  &  bord  des  bâtiments  de  cette 
division.  L'officier  qui  la  commandait,  le  capitaine  de  vais- 
seau de  Peynier,  avait  expédié  un  aviso  &  l'He  de  France 
afln  d'informer  M.  de  Bussy  qu'il  serait  probablement 
forcé  de  prolonger  son  séjour  à  False-Bay  bien  au  delà 
du  temps  nécessaire  pour  faire  de  l'eau  et  des  vivres  frais. 
Le  général  attendait  impatiemment  les  renforts  que  le 
ministre  lui  avait  annoncés.  Déjà,  il  avait  prévenu  Suffren 
qu'il  ferait  route  au  mois  d'août  pour  la  côte  de  Coro- 
mandel,  où  il  supposait  qu'un  second  convoi,  parti  de 


446  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

Brest  ie21  avril  1782,  le  rejoindrait  très-promiilemenl.tJr, 
en  même  leinps  qu'il  recevait  lea  lettres  de  M,  de  Pejnier, 
il  apprenait  la  prise  du  Pégase  et  la  dispersion  des  traos- 
purts  que  ce  vaisseau  avait  sous  son  escorte  '.  Convaincu 
que  ni  hommes  ni  bâtiments  n'arriveraient,  en  teui|is 
utile,  pour  rallier  le  bailli  avant  l'hivernage,  il  lui  écrivit 
qu'il  irait  k  Achem,  aussitôt  que  la  division  Peynîer 
serait  à  l'Ile  de  France.  En  se  rendant  au  point  indiqin' 
par  le  général,  Suliren  cessait  de  couvrir  avec  son  escadre 
l'importante  possession  de  Trinquemalay.  D'autre  pari, 
si  l'amiral  Hughes,  qui  n'avait  pas  de  port  de  refuge  sur 
la  côlc,  se  décidait  à  passer  à  Achem  la  saison  de  l'hi- 
vernage, la  division  du  commandant  Peynier  et  son  convoi 
eussent  été  compromis.  Il  était  douteux  qu'en  restant 
à  Trinquemalay  l'escadre  IrouvAt  les  ressources  néces- 
saires pour  subsister,  tandis  que,  à  Achem,  elle  avait  la 
certitude  d'avoir  des  vivres.  Là,  l'escadre  serait,  au  retour 
de  la  belle  saison,  au  vent  de  la  côte  de  Coromandel,  cl, 
par  conséquent,  en  position  de  se  porter  sur  lel  point  que 
M.  de  Bussy  jugerait  convenable.  La  garnison  de  Trio- 
quemalay  comptait  six  cent  cinquante  soldats  de  l'Ile  de 
France,  cent  cinquante  chasseurs  hollandais,  cent  artil- 
leurs de  terre  et  de  mer,  six  cents  cipayes  et  six  cents  1 
lais,  soit  deux  mille  cent  hommes  avec  des  vivres  et  deflj 
munitions  de  guerre.  Le  gouverneur,  M.  Des  Roys,  se  croyal 
en  complète  sûreté  avec  les  Torccs  dont  il  disposait.Apri 
avoir  pesé  ces  diverses  considérations,  SulTren  prit  i 
parti  d'aller  à  Achem,  et  il  fit  route,  le  i5  octobre,  pool 
celle  destination.  Dans  une  lettre  particulière,  Suffi 
écrivait  en  quittant  Goudelour  :  «  Les  grands  objets  n 
cessaires  au  succès  de  l'expédition,  sont  des  généraux  e 
de  l'argent;  on  ne  saurait  trop  insister  sur  ces  doux  artt-l 
des,  le  premier  surtout.  Il  faudrait  nous  foire  passer  des  J 


I.  C'éXail  là  le  BMWod  convoi  aimuncé  ptr  le  mlDuln  dwia  uiw  I 
que  Sun>eii  avait  retne  sur  Is  rado  do  Goudelour,  aprt*  le  oombaldal 
SjnUlel.  * 


LIVRE  XIV.  447 

mâts,  des  hommes  de  mer  et  beaucoup  de  fortes  frégates; 
pour  cent  cinquante  lieues  de  côte  où  on  peut  établir  des 
croisières,  cinq  détroits  à  garder,  j'ai,  en  tout,  deux  fré- 
gates doublées  en  cuivre,  la  Fine  et  la  Bellone^  de  sorte 
que  le  commerce  anglais  se  fait  tranquillement.  Cette 
année,  j'ai  bien  fait  du  dommage  pour  six  millions,  je 
n'en  ai  réalisé  qu'un  et  demi.  Il  me  faudrait  six  vais- 
seaux de  cinquante  canons  et  douze  frégates  ;  avec  cela  je 
ferais  six  divisions  qui    ruineraient  le  commerce  des 
Anglais.  Quand  même  nous  n'aurions  pas  de  grands  succès 
sur  terre,  le  commerce  de  l'Inde  détruit,  les  Anglais  ne 
feraient  pas  la  guerre  pendant  longtemps.  Les  efforts  que 
l'on  fait  annoncent  une  volonté  décidée  de  jouer  un  rôle 
dans  l'Inde.  M.  de  Bussy  décidera  les  opérations.  Comme 
je  ne  sais  trop  ce  qu'il  fera  de  l'escadre,  puisqu'elle  est 
sous  ses  ordres,  je  ne  puis  dire  ce  qu'elle  deviendra.  Mais, 
pour  réussir,  il  faudrait  qu'on  nous  envoyât  des  avisos  en 
droiture,  très*souvent,  pour  nous  instruire  des  secoursqui 
sont  destinés  et  des  mouvements  des  Anglais;  2<>  qu'on  ne 
comptât  pas  sur  les  vivres  du  Cap,  que  la  relâche  de 
Palse-Bay  ne  fût  que  pour  faire  de  Teau,  se  reposer;  qu'on 
y  laissât  les  malades,  que  ceux  qui  passeraient  prendraient 
en  laissant  les  leurs  ;  qu'on  recommandât  l'activité  dont 
on  n'a  plus  d'idée.  M.  de  la  Bourdonnais  partit  en  avril 
de  Lorient,  fut  à  l'Ile  de  France  le  14  août,  y  arma  ses 
vaisseaux  en  guerre,  en  partit  le  21,  et  il  était  à  la  côte 
le  28  septembre.  Notre  division  est  partie  en  février  ;  elle 
n'est  pas  aux  tles  aujourd'hui  10  octobre. 

«t'On  devrait  bien  nous  envoyer  de  bons  vaisseaux  doublés 
en  cuivre,  et  du  cuivre  pour  doubler  ceux  qui  ne  le  sont 
pas,  mais  on  n'en  aura  peut-être  pas  le  temps.  Cette  an- 
née va  décider  du  sort  de  l'Inde.  » 


HISTOIRE  DK  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


IV 

L'escadre  Trançaise  laissa  tomber  l'aocre  devant  Acbi'iii 
le  2  novembre  1782,  Nos  vaisseaux  entrcjirirent  inimt.^ 
diatemeni  les  Iravaux  qu'il  était  possible  d'exécuter  sur 
une  rade.  La  Bellone  et  la  Fine  furent  expédiées  dans  les 
divers  comptoirs  que  les  Hollandais  possÉduienI  dans  le 
détroit,  avec  la  mission  de  rapporter  des  vivres  et  du 
matériel.  Alin  de  garantir  l'armée  contre  toute  surprise,  un 
bâtiment  fut  placé  en  -roisièreà  l'ouest  du  mouillage.Sut- 
fren  espérait  être  rejoint  trés-promptement  par  la  division 
Peynier.  11  supposait  que  le  général  de  Bussy  quillerail 
Achem,  avant  la  mousson  de  nord-est,  pour  se  rendre 
à.  Goudelour  où  nos  intérêts  militaires  exigeaient  depuis 
longtemps  sa  présence.  Le  2li,  un  navire  de  commerce, 
le  Dwc-</e-C/ioWres,  venant  de  l'Ile  de  France  avec  des 
vivres  et  des  munitions  pour  l'escadre,  mouilla  à  Acbein, 
après  avoir  touché  successivement  à  Galles,  i  Trinque- 
malay  et  à  Goudelour.  Le  capitaine  de  ce  bâtiment  appor- 
tait  des  nouvelles  de  l'amiral  Hughes.  Deux  jours  après 
notre  départ  de  Trinquemalay,  un  coup  de  vent  d'une 
extrême  violence  avait  obligé  les  bâtiments  mouillés  ^ur 
la  rade  de  Madras  de  prendre  le  large.  Le  vaisseau  le 
Superb  avait  perdu  son  grand  mât,  son  mât  d'artimon  |l 
son  petit  mât  de  hune,  et  plusieurs  vaisseaux  s'éta 
trouvés  en  danger  de  couler.  L'escadre  anglaise  ayant  é 
portée  dans  le  sud  par  les  vents  et  les  courants,  l'a 
avait  jugé  que  le  retour  à  Madras  pré.scnlerait  <log 
diflicultûs,  et  il  s'était  dirigé  sur  Bombay. 

L'épidémie,  qui  avait  arrêté  la  division  de  M.  de  Peyaiec 
sévissait  encore  parmi  les  équipages  et  les  troupes  < 
barquées  sur    le  convoi,  it.  de  Bussy,  qui  était  lui 
même  tombé  malade,  écrivait  au  bailli  qu'il  était  dai 
l'impossibilité  d'indiquer  d'uuo  manière  précise  l'époqiM^ 
de  son  départ.  Eiilin,  on  apprit  par  le  Duc-tle-Chartm 


UVUK  XIV.  4/*  9 

que  sir  Richard  Bickerton,  après  avoir  paru  lour  à  tour 
sur  la  côte  du  Malabar  et  sur  la  côte  de  Coromandel, 
avait  rallié  Tamiral  Hughes  à  Bombay*.  Les  retards  con- 
tinuels qu'éprouvait  l'arrivée  de  nos  renforts  plaçaient 
Tescadre  dans  une  situation  pleine  de  périls.  Aussi  long- 
temps que  SulTren  n'opérerait  pas  sa  jonction  avec  la 
division  de  M.  de  Peynier,  il  aurait  six  vaisseaux  de  moins 
que  l'ennemi.  D'autre  part,  si  le  nabab,  trouvant  notre  al- 
liance illusoire,  faisait  la  paix  avec  les  Anglais,  quel  se- 
rait le  sort  réservé  à  la  garnison  de  Goudelour?  SulTren, 
reconnaissant  qu'il  ne  pouvait  compter  que  sur  lui-môme, 
résolut  de  partir  pour  la  côte  de  Coromandel  aussitôt 
que  ses  bâtiments  seraient  prêts.  11  expédia  le  Duc-dc" 
Chartres  à  l'Ile  de  France  afin  d'informer  M.  de  Bussy  de 
sa  décision  :  »  II  serait  trop  affligeant,  lui  écrivit-il,  de 
réfléchir  à  ce  que  nous  aurions  pu,  si  la  jonction  avait  eu 
son  effet,  il  ne  faut  s'occuper  que  de  l'avenir.  Je  ne  sais 
vraiment  comment  faire  prendre  patience  au  nabab.  Je 
vais  lui  dire  que  vous  viendrez  bientôt,  et  je  ne  doute  pas 
que,  sur  la  nouvelle  que  Trinquemalay  est  à  nous,  et  sur 
le  retardement  de  votre  départ  et  celui  de  l'aviso,  vous 
n'ayez  pris  le  parti  d'y  aller.  Je  lui  annoncerai  ce  parti 
comme  étant  plus  sûr  pour  notre  réunion,  mais  devant 


1.  L'amiral  Bickerton  avait  déployé  une  rare  activité.  Il  avait  quitté  TAn- 
glelerre  le  6  février  1782.  Arrivé,  le  29  avril,  à  Rio-Janeiro,  avec  un  grand 
MOibre  de  malades,  il  en  était  reparti  le  3  juin.  Ne  trouvant  pas  Tescadre 
liae  à  Bombay,  il  était  revenu  à  la  côte  de  Coromandel,  et  il  avait 
devant  Madrat^  quelques  jours  après  le  départ  de  l'amiral  Hughes, 
e'ert-à-dire  au  mois  d'octobre.  Il  avait  repris,  saus  perdre  de  temps,  la 
roale  du  sud,  et  il  était  retourné  à  Bombay.  L'extrême  rapidité  des  mouvc* 
Meols  de  Tamiral  anglais  formait  un  contraste  làcheux  avec  la  lenteur 
de  la  division  Peynier,  sans  que,  d'ailleurs,  cet  onicier  eût  rien  à  se  repro* 
cher.  Le  vaisseau  VAlexandrej  qui  avait  retardé  sa  marche,  avait  fait  jus- 
qu'à quarante-quatre  pouces  d'eau  à  liieure.  Le  Hardi  était  également  en 
mauvais  état.  Sufiren  écrivait  au  ministre,  à  propos  de  ces  deux  bâti- 
ments :  »  Je  remarquerai  qu'il  est  inconcevable  qu'on  fasse  partir  de 
Brest  pour  l'Inde  des  vaisseaux  dans  l'état  où  étaient  le  Hardi  et 
V Alexandre.  »  En  résumé,  les  vaisseaux  de  Bickerton  étaient  à  Bombay 
avant  que  les  nôtres  fussent  à  l'Ile  de  France.  La  division  de  M.  de  Peynier 
était  partie  le  12  février. 

29 


^i50  HISTOIRE  Dli  LA  MAiUNE  FRANÇAISK. 

relai-der  notre  arrivée  à.  la  cAte.  Ces  pcliU  8ubVcrru[,'CS 
sont  si  forl  contre  mon  caractère  que  je  crains  bien  de 
m'y  prendre  gauchement.  " 

Les  frégates  lu  Pourvoyeuse,  la  DeUone  el  la  Fine  re- 
vinrent à  Achem  dans  les  prcuaiers  jours  de  décembre. 
Le  Vcngcin;  Taisant  de  l'eau  d'une  manière  înc]uiètanle, 
partit  directement  pour  Trliiquenialay,  où  il  devait  Cire 
nbuttu  en  carÈne,  sous  l'escorte  de  la  Pourvoyeuse.  Le 
20  décembre,  SulTren  flt  roule  pour  la  cûte  d'Orîxa,  lais- 
sant à  Achem  la  FoHu>u\  Le  capitaine  6e  cette  corvette 
étuil  chargé  de  diriger  sur  Trinquemalay  plusieurs 
navires  hollandais  attendus  de  Malacca  avec  des  approvi- 
ttionnemcnts.  Suffrcn,  ayant  acquis  la  certitude  (|ue  l'ami- 
ral Hughes  était  parti  pour  Bombay,  n'avait  pas  &  m 
préoccuper  de  l'escadre  anglaise.  Il  se  proposait  d'atlcrrif 
dans  le  nord  de  Madras,  et  de  se  rendre  k  Goudelouren 
suivant  la  cAte  de  ti-ës-prèiî.  11  espérait  faire  asseis  de 
prises  pour  fournir  du  riz  en  abondance  &  noii  b&timenU 
et  aux  troupes.  VHannibal  et  la  Bellonc  furent  envoj^s 
en  croisière  sur  les  brasser  du  Gange,  oii,  selon  toute 
apparence,  ces  deux  bâtiments  devaient  faire  beaucoup 
de  mal  au  commerce  de  l'ennemi  •- 


1.   ■   M.  du  BuBsy  m'nvail  assurt^,  dnna  trois  IcUrei,  qu'il  irait  il  IHm» 
Il  ne  u'ordoonail  pa»  de  vcuîr,  mais  cula  lue  sunisail.  iv  vuuUis,  par  k. 
U  meltre  k  inftmu,  on  raisant  sa  réunion  au  vent,  d'aUaquer  le  poinl  deh 
cMc  qu'il  vaudrait.  J'espiSraisy  Iruuvcr  cli;«  uiDjeusde  «ulMJttance.  L>f> 
demie  qu'a  «prouvée  la  dîvivion   de  M.  pL'uiier  a  cnipi^li»   vHtc  rïw 
qui   SB  ïornil  faile,   ft  Achem,   liiou  traminillRmenl.  VoilA   niainUaaiil 
Aii^lRis  avec   ilix-boil  vojueaui,  dont  iIkuio  douHi^  en   cuitre.  twié 
ilim>:e,  •lanl   iik   wuknienl  doubléa,  et  |ilii?ieurK  ea  mauvais  ûlal.  J* 
rtUMi-  (iviliT  leM  Anglais  ;  d'autri:  (mrl,  «ViifurnuT  dauH  Trrnijuniiialav,  i 
muurl  lie  rniiii.  •  (Etirait  d'une  teUre  renie  \mt  SufFron  au  iiiini!.lii-^  ■ 
le  dé|>Brl  Ac  outre  «cadre  pour  la  cùtc  d'Urixu.} 


1 


LIVRE   XV 


L'escadre  française  atlerrit  devant  Ganjam,  sur  la  côte  d'Orixa.  —  Frise  de 
la  frégate  le  Cowenlnj,  —  Mort  d'Uyder-Ali.  —  SulTren  se  rend  à  liou- 
delour  et  à  Trinquemalay.  —  Arrivée  du  lieutenant  général  de  Dussy.  — 
L'escadre  porte  le  général  et  ses  troupes  à  Goudelour.  —  L'amiral 
Hughes,  venant  de  Bombay,  arrive  sur  la  côte  de  Coromandel  avec  dix- 
huit  vaisseaux.  —  Quinze  vaisseaux  français  sortent  de  Trinquemalay 
pour  secourir  Goudelour.  —  Combat  du  20  juin.  —  Avantage  remporté 
sur  les  Anglais.  —  Accueil  enthousiaste  fait  à  Suffren  par  les  tioupes 
du  général  de  Bussy.  —  On  apprend  à  Madras  que  les  articles  prélimi- 
naires de  paix  ont  été  signés  entre  la  France,  PEspagnc,  TAngletcrre  et 
les  États-Unis.  —  Les  hostilités  sont  suspendues  dans  l'Inde,  sur  terre 
et  sur  mer,  à  partir  du  8  juillet  1783. 


I 


L'escadre  française  mouilla,  le  8  janvier,  devant  Gan- 
jam,  sur  la  côte  d*Orixa.  Plusieurs  bâtiments,  chargés  de 
riz  à  destination  de  Madras,  furent  capturés.  Les  navires 
qui  n'étaient  pas  en  état  de  nous  suivre  furent  brûlés, 
après  que  leur  chargement  eut  été  réparti  sur  les  vais- 
1.  seaux.  Le  10,  au  point  du  jour,  les  vigies  aperçurent  un 
l    bâtiment  mouillé  à  deux  milles  dans  le  sud-est  de  l'es- 
I   cadre.  Les  ofBciers  du  Uéi^os  crurent  d'abord  que  c'était 
e    la  Fine^  mais,  après  un  examen  plus  attentif,  ils  reconnu- 
rent une  frégate  anglaise.  L'ordre  fut  immédiatement 
donné  au  Saint -Michel  et  au  Sphinx  de    mettre  sous 
voiles.  Avant  que  nos  vaisseaux  eussent  appareillé,  la 
frégate  avait  pris  chasse  en  se   couvrant  de  toile.  Le 
Sphinx  et  le  Saint-Michel,  l'ayant  inutilement  poursuivie 
pendant  une  partie   de  la  journée,  rallièrent  l'escadre 
dans  la  soirée.  Une  frégate  ennemie,  en  croisière  dans  le 


Br. 


452  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  F«-VNi;AISE. 

golfe  du  Bengale,  fut  prise,  le  lendemaJa,  dans  des  cir- 
cooslanœs  qu'il  est  utile  de  rapporter,  afin  de  montrer 
avec  quelle  circonspection  il  convient,  en  temps  de 
ffuerrc,  de  s'approcher  des  bdliments  iucouDus.  Le 
U  janvier,  un  peu  avant  le  coucher  du  soleil,  nos  vigies 
eignalÈrentdeux  bitiments  à  grande  dislance  dansicsud- 
sud-ouest.  Vers  dix  heures,  on  aperçut  l'un  d'eux  Taisant 
ruule  vers  le  mouillage  avec  une  légère  brise  du  large. 
Le  temps  était  clair,  et,  dans  ce  navire,  on  ne  larda  pasi 
reconnaître  une  frégate  anglaise.  Tandis  que  le  Héros  se 
disposait  à  appareiller,  tous  les  bAtiuients  de  l'cscudrc  se 
tenaient  prêts  Couvrir  le  feu  sur  le  hdtiment  en  vue, 
aussitôt  que  celui-ci  serait  à  leur  portée.  A  onze  heure» 
et  demie,  VAjax,  VUliintre  et  le  Brillant  commencèreul  i 
tirer  sur  la  frégate  anglaise.  Celle-ci,  après  avoir  tentédi 
fuir,  ce  que  la  faiblesse  de  la  brise  ne  lui  permît  p 
amena  son  pavillon.  La  frégate  qui  venait  de  tombcd 
aussi  facilement  entre  nos  mains,  était  le  Cowentry,\ 
tant  vingt-huit  canons.  Quelques  jours  auparavant,  t 
biltîment  de  la  Compagnie  des  Indes  avait  été  chassé  {HT  J 
la  Fine.  Le  capilaine,  ignorant  qu'il  y  eût  des  navires  4lj 
guerre  français  dans  le  golfe,  avait  pris  la  frégate  { 
un  corsaire.  Ayant  communiqué  avec  le  Gowentry,  le  1 
janvier,  il  lui  avait  fait  part  de  cette  rencontre,  ajouta 
que  le  navire  suspect  avait  fait  route  pour  GanjaiD, 
après  avoir  levé  la  chasse.  Le  commandant  du  Cowentry, 
le  capitaine  Wolscley,  s'était  dirigé  en  toute  hàtc  sur 
ce  point,  avec  la  crainte  d'arriver  trop  lard  pour  sauver 
de  la  destruction  une  llotte  marchande  qu'il  savait  tin 
sur  cette  rade.  En  ai>ercevant  les  hautes  mdturcs  de 
nos  vaisseaux,  il  crut  être  en  vue  des  navires  qu'il  vou- 
lait protéger.  A  petite  distance  du  mouillage,  où  il  n'ar- 
rivait que  très-lentement  par  suite  de  la  faiblesse  de  Is 
brise,  il  envoya  un  canot  avec  un  officier  à  bord  du  biti- 
ment  le  plus  rapproché,  afm  d'avoir  quchpics  iiifornw- 
lions  sur  le  prétendu  corsaire.  Le  canot  ayant  été  Wlc 
cil  «njilais  par  I'-I^hj-,  l'officier  du  Coivenlry  était  mont* 


LIVRE  XV.  453 

sans  hésitation  à  bord  de  ce  vaisseau,  où  lui  et  ses  hom- 
mes avaient  été  faits  prisonniers*.  Lorsque  le  Cowenlry 
avait  quitté  Madras,  le  bruit  courait  que  notre  fidèle  allié, 
le  nabab  Hyder-Ali,  était  mort  le  7  décembre  1782,  après 
une  courte  maladie.  Suffren,  renonçant  aux  expéditions 
qu'il  se  proposait  de  faire  sur  la  côte,  fil  immédiatement 
route  pour  Goudelour  où  il  mouilla  le  6  février.  La  nou- 
velle annoncée  par  la  frégate  anglaise  n'était  que  trop 
vraie.  L'adversaire  le  plus  redoutable  de  la  puissance 
britannique  dans  l'Inde  n'était  plus  de  ce  monde.  Au 
moment  où  cet  événement  s'était  produit,  Tippo-Saïb, 
son  fils  aîné  et  son  héritier,  combattait  les  Anglais  à  la 
côte  de  Malabar.  La  transmission  régulière  des  pouvoirs 
était,  à  cette  époque,  un  fait  rare  dans  ce  pays.  Il  y  avait 
lieu  de  craindre  que  les  trésors  et  les  possessions  du  sul- 
tan décédé  ne  devinssent  la  proie  des  gouverneurs  de  pro- 
vince, des  nations  voisines  du  nouveau  royaume  de  Mysore 
et  des  Anglais.  L'armée  indienne  eût  été  dispersée  et  le 
corps  français  serait  resté  sans  appui.  Le  colonel  d'HolTe- 
lize,  appréciant  sagement  la  situation,  s'était  porté  au 
camp  d'Hyder-Ali  avec  ses  troupes,  prêt  à  soutenir  par 
les  armes  la  cause  de  Typpo-Saïb.  Les  principaux  chefs 
de  l'armée,  dévoués  à  Hyder-Ali,  s'étaient  hâtés  de  faire 
parvenir  à  son  fils  aîné  la  nouvelle  de  celte  mort  qu*il^^ 
avaient  tenue  secrète  le  plus  longtemps  possible.  Quel- 
ques officiers,  soupçonnés  d'entretenir  des  intelligences 
avec  les  agents  de  la  compagnie  anglaise,  avaient  été 
emprisonnés.  Les  troupes  britanniques,  dont  la  présence 
eut  peut-être  suffi  pour  meltre  l'armée  indienne  en  fuite, 


1.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  particulier,  c'est  que  le  général  ayant  onvoyi^ 
un  canot  à  bord  de  V Illustre j  le  patron,  étant  seul,  avait  été  droit  i\  la  fré- 
gate anglaise.  Mais  on  était  si  persuadé  de  l'existence  du  corsaire  qu'on  les 
avait  pris  pour  des  matelots  de  ce  bâtiment,  et  leur  parlant  ironiquement, 
les  regardant  déjà  comme  une  proie  assurée,  on  les  avait  envoyés  à  Tcntrc- 
pont.  Au  premier  coup  de  canon,  on  les  avait  fait  monter  et  on  leur  avait 
demandé  quels  étaient  les  bâtiments  mouillés.  On  peut  juger  de  leur  sur- 
prise lorsqu'ils  apprirent  que  c'était  M.  de  Suffren.  [Journal  du  major  lU: 
Veêccuire,) 


454  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FIUNÇAISE. 

relenues  à  Madras  par  le  manque  de  vivres,  oe  s'étaîonl 
pas  montrées.  Tippo-Saîb,  arrivé  au  camp  le  27  décembre 
avait  pris,  sans  trouver  aucune  résistance,  le  commande 
ment  de  l'armée. 

Les  généraux  anglais  qui  opéraient  à  la  câfe  de  Mala- 
bar avaient  été  Iri'S-promplement  instruits  du  brusque 
départ  du  (ils  d'Hyder-Ali.  Ils  avaient  marché  en  avant,  et 
ils  s'étaient  emparés  sans  coup  férir  de  plusieurs  places 
très-importantes.  Hyder-Nagur,  résidence  fovorile  d'Hy- 
dcr-Ali,  dans  laquelle  se  trouvait  une  partie  de  ses  Ir^ 
sors,  avait  été  livrée  aux  Anglais  par  le  gouverneur. 
Lorsque  ces  nouvelles  arrivèrent  à  la  côte  de  Coromsn- 
del,  Tippo-Snïb  résolut  d'abandonner  le  Carnatic  pour  se 
porter  au  secours  de  ses  États.  M.  Pivron  de  Morlal  lit  de 
vains  eJTorts  pour  obtenir  qu'il  attendit,  avant  de  s'éloi- 
gner, l'arrivée  de  M.  de  Bussy,  A  ce  moment,  disait  notre 
envoyé,  on  prendrait  dans  notre  ormée  un  détacfiemenl 
qui  se  joindrait  aux  troupes  mysoréennes  pour  aller,  sur 
l'autre  côte,  combattre  les  Anglais.  L'intervention  de  Suf- 
Tren,  qui  écrivit  directement  au  sultan,  fut  couronnée  de 
succès,  Tippo-Saïb  promit  de  rester  sur  la  côte  de  Conv 
mandel. 

Aprts  quelques  jours  passés  à  Porto-Novo,  SulTren  fd 
roule  |)our  Trinqiiemalay,  laissant  le  >iainl-M!chfl  cl  le 
Cowenlry  en  croisière  devant  Madras.  Il  avait  hAte  de 
réparer  ses  biltiments  et  de  faire  des  vivres,  afin  d'être  en 
état  de  tenir  la  mer  aussitôt  que  l'escadre  angluitii* 
paraîtrait  sur  la  cdte.  Il  eut  !a  satisfaction  de  trouver 
sur  la  rade  de  Trînquemalay,  oii  il  mouilla  le  S3  février 
1783,  deux  bâtiments  hollandais  avec  dos  munitions  et 
des  vivres,  des  prises  faîles  par  VJlannibal  et  la  BnHone,  et 
la  Furtitude,  venant  du  Pégou,  avec  un  chargement  com- 
plet de  bois  de  construction. 

Ce  fui  seulement  4  cette  époque  que  Suffren  apprit  sa 
nominalîon  au  grade  de  chef  d'escadre.  Celle  récom- 
pense lui  avait  été  décernée  immédiatement  après  l'arrî- 
\ée,  h  Paris,  ilr  non  rapport  sur  le  cotnbnl  de  la  l'rnya. 


LIVRE  XV.  455 

Dans  une  lettre,  portant  la  date  du  17  avril  1782,  le  ma- 
réchal de  Castries  écrivait  au  bailli.  «  En  vous  faisant 
chef  d'escadre,  le  Roi  a  compté  que  vous  ne  mettriez  plus 
de  terme  à  votre  retour,  et  que  vous  combattriez  les 
ennemis  dans  l'Inde,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  obligés  de 
désirer  une  paix  raisonnable.  J'espère  que  vous  ne  trom- 
perez pas  son  attente.  Je  ne  puis  vous  exprimer.  Mon- 
sieur, le  degré  de  confiance  que  votre  conduite  a  donné 
de  votre  audace  et  de  vos  talents.  J'espère  que  vous  em- 
ploierez l'un  et  l'autre  en  second  comme  en  premier.  » 
Le  ministre  terminait  une  autre  lettre,  portant  la  date  du 
20  juillet  1785,  par  les  lignes  suivantes  :  «  Vous  avez 
déjà  acquis  le  grade  de  chef  d'escadre  par  une  action,  je 
voudrais  bien  qu'une  seconde  action  aussi  décisive  que 
la  première  me  mit  dans  le  cas  de  vous  faire  faire  un 
pas.  Je  vous  prie  de  compter  sur  le  désir  que  j'ai  de  con- 
tribuer à  l'emploi  de  vos  talents.  » 

Le  ministre  attachait  le  plus  grand  intérêt  à  ce  que  le 
comte  d'Orves,  dont  il  ignorait  la  mort  au  moment  où  il 
écrivait  ces  dépêches,  conservât  auprès  de  lui  un  lieute- 
nant tel  que  SufTren.  On  se  rappelle  que  ce  dernier, 
blessé  par  les  procédés  de  son  chef,  à  l'arrivée  de  sa  divi- 
sion à  rile  de  France,  en  octobre  1781,  avait  prié  le  ma- 
réchal de  Castries  de  le  rappeler  en  Europe.  Depuis  qu'il 
était  à  la  tête  de  l'escadre,  le  bailli  ne  redoutait  rien  tant 
que  d'obtenir  cette  faveur*.  Les  lettres  du  maréchal  le 
rassurèrent  complètement  sur  ce  point.  Suffren  était 
sans  nouvelles  de  M.  de  Bussy.  La  corvette  la  Fortune, 


1.  «  Le  débarquement  d'une  armée,  rapprovisionnement  et  la  conduite 
d*une  escadre  donnent  beaucoup  d'occupation.  Depuis  le  combat  du  17  fé- 
vrier, les  Anglais  n'ont  plus  reparu.  Notre  débarquement  s'est  fait  le  plus 
tranquillement.  Me  voici  en  mer  ;  je  désire  bien  pouvoir  vous  donner 
de  bonnes  nouvelles,  mais  il  faut  pour  cela  trouver  les  Anglais  et  les  battre. 
Je  suis  dans  une  superbe  position,  commandant  douze  vaisseaux  de  ligne  j 
mais  il  y  a  beaucoup  de  mais...  Je  crains,  à  présent,  que  M.  le  marquis 
de  Castries  ne  m'accorde  la  grâce  que  je  lui  ai  demandée  de  me  faire  re- 
venir, car  nulle  part  je  ne  pourrais  être  employé  d'une  façon  aussi  bril- 
lante. » 


456  HISTOIBB  DF.  I,A  MABINK  FftANÇATSE. 

qu'il  avail  laissée  h  Aciiem  arriva  le  ïl  ftivrier.  Pendanl 

sa  croisière,  elle  n'avait  vu  aucun  navire  venant  de  l'Ile 

de  France.   SiilTren   craignant   que    le   nabab   ne  s'rloî- 

gnût,    envoya  M.    de   Moissac  en  mission   auprès   de 

lui    pour   l'enRager    à  rester    sur    la    côte    de    Coro- 

niandel. 

Le  i  mars,  VHannibal  et  la  Bellone  rallièrent  l'escadre, 
après  avoir  fait  de    nombreuses  prises.    Le  Sau-Carlox 
n'avait  échappé  à  leur  poursuite  qu'en  jetant  ses  canon» 
à  la  nier,  et  en  s'écliouant  sur  les  bancs  de  l'enlrée  dit 
Gange.  Le  Saint-Michel  et   le   Cowentry,  qui  rentrèrent 
quelques  jours  après,  avaient  capturé  ou  détruit  dou7« 
b&timents  de  commerce.  Le  9,  la  frégate  la  ClèoinUre,  les 
vaisseaux  le  Fendant,  sur  lequel  le  lieutenant  général  île 
Bussy  avait  pris  passage,  \' A  rgunaulCj  le  Hardi  et  trente- 
cinq  b&timents  de  transport  mouillèrent  sur  la  rade.  Le 
convoi  portait  des  viitres,  des  munitions  et  deux  mille 
cinq  cents  soldats.  Le  vaisseau  Y  Alexandre  devait  rallier 
très-prochainement  l'armée.  La  situation  de  nos  alTaîres, 
au  moment  où  le  nouveau  commandant  en  chef  arrivait 
A  son  poste,  était  loin  d'être  satisfaisante.  Les  forces  an- 
glaises  qui  opéraient  à  la  côte  de  MalalHir  avaient  fait  des 
progrès  très-rapides.  Elle.s  s'étaient  emparées  du  port  da  . 
Mangalore  qui  abritait  la  marine  créée  par  Hyder-AIL 
Tippo-Saïb,  fatigué  d'attendre  M.  de  Bufley,  s'élait  jKirté  à 
marches  forcées  au  secours  de  ses  États.    Le  colonel  ' 
d'Hoffelize  avait  consenti,  sur  ses  vives  instances,  h  lui 
donner  un  bataillon  d'infanterie  et  une  compagnie  û'ar-  I 
tillerie  placés  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Cos-  J 
signy.   Les    Français,   trop  aiïaiblis   pour  tenir  la  cam-J 
pagne,  étaient  rentrés  dans  Goudelour.  Telles  étaient  leS'J 
l'onséquences  des  retards  apporté.s  par  le  général  i 
départ  de  In  division  Peynier. 

L'épidémie  qui  avait  sévi  sur  les  équipages  et  les  trouai 
pes  passagères  avait  cessé  au  commencement  de  no-  f 
vembre.  Si  le  général  était  parti  immédiatomenl,  il  i 
serait  arrivé,  dans  le  mois  de  janvier  1 783,  sur  la  cAlo  d 


LIVRE  XV.  457 

Ck)roinan(leI.  Nos  troupes,  réunies  à  celles  du  nabab,  eus- 
sent été  en  position  de  mettre  le  siège  devant  Madras. 
Nous  aurions  eu,  sinon  la  certitude,  du  moins  des  chances 
très- sérieuses  de  nous  emparer  de  cette  ville,  avant  que 
l'escadre  anglaise  ne  parût.  Les  succès  obtenus  dans  le 
Garnatic  eussent  compensé  les  pertes  faites  par  Tippo- 
Saîb  à  la  côte  de  Malabar.  Ayant  pris  la  fâcheuse  déter- 
mination d'atlendre  que  le  Hardi  fût  réparé,  M.  deBussy 
n'avait  quitté  l'Ile  de  France  que  le  26  décembre  1782.  Le 
général  n'était  pas  dans  un  état  de  santé  |qui  lui  permît 
d'exercer  son  commandement.  Non-seulement  il  ne  mon- 
tait pas  à  cheval,  mais  la  fatigue  du  palanquin  était  au- 
dessus  de  ses  forces.  Parmi  les  officiers  de  son  entourage, 
il  n'y  en  avait  pas  un  qui,  dans  l'opinion  de  SufTren,  eût 
la  capacité  nécessaire  pour  le  remplacer.  S'il  était  urgent 
de  porter  le  corps  expéditionnaire  à  Goudelour,  d'autre 
part  l'exécution  de  cette  mesure  présentait  de  grandes 
difncultés.  Le  temps  avait  marché,  et  nous  pouvions, 
chaque  jour,  recevoir  la  nouvelle  que  l'amiral  Hughes 
était  sur  la  côte  avec  dix-sept  vaisseaux.  SufTren,  obligé 
de  laisser  à  Trinquemalay  le  Brillant  et  le  Vengeur,  qui 
étaient  abattus  en  carène,  ne  disposait  que  de  treize  vais- 
seaux. Il  résolut  de  prendre  la  mer  avec  les  bâtiments 
doublés  en  cuivre,  et  quelques  navires  de  commerce  mar- 
chant bien.  Le  bailli  se  proposait  de  transporter  les  trou- 
pes et  une  partie  du  matériel  d'artillerie.  On  aurait  attendu 
une  circonstance  favorable  pour  expédier  les  vivres  et  les 
bagages  de  l'armée.  Il  y  avait  lieu  de  croire  que  l'opéra- 
tion, ainsi  faite,  serait  terminée  avant  l'arrivée  de  l'amiral 
Htighes.  Si  l'escadre  anglaise  apparaissait,  SufTren  ne 
doutait  pas  qu'il  ne  réussit  à  l'éviter.  Le  14  mars,  le 
Héros,  le  Fendant  et  V Argonaute  de  soixante-quatorze,  le 
Sphinx  et  V Artésien,  de  soixante-quatre,  le  Saint-Miche! 
de  soixante,  YHannibal,  de  cinquante,  les  frégates  la 
Cléopâtre^  la  Fine,  la  Bellone,  de  trente-deux,  le  Cowen- 
try,de  vingt-huit,  \sl  Fortune,  de  dix-huit,  quittèrent  Trin- 
quemalay. Le  16,  au  coucher  du  soleil,  l'escadre  laissa 


458  HlSTOIllE  DE  LA  M.YIUNE  FRANÇAISE, 

tomber  l'ancre  dcvunl  Porto-Novo.  Les  Iroupes  furent 
mises  A  lerre  pendant  la  nuit,  et,  le  lendemain  17,  SuF* 
fren  se  rendit  &  Goudeloiir,  où  il  débarqua  le  matériel  et 
les  mimilions'.  Le  4  avril,  après  quelques  jours  passés  II 
Porto-Novo  pour  faire  de  l'eau ,  SulTren  reprit  la  mer, 
laissant  en  croisière,  devant  Madras,  le  Fetulaiil,  leS/iin|^ 
Michel  et  la  CléopiUrc.  Il  espt'rait  que  celte  division  înl»- 
ceplerail  un  convoi  venant  d'Europe,  sous  l'escorte  dit 
vaisseau  de  cinquante  canons  le  Brhlol.  Le  10  avril,  U 
l'entrait  à  Trinquemalay,  lorsque  la  frégate  la  Dellunt 
signala  Tescadrc  anglaise  dans  le  sud.  Nous  avions  apprii 
que  l'amiral  Hughe»  amenait  sur  ses  vaisseaux  des  lrou]i 
destinées  ù.  se  joindre  auv  forces  britanniques  dans  le 
Tanjaour.  En  admettant  l'exactitude  de  celte  nouvelle, 
M.  de  Bussy  devait  avant  peu  éti'c  cerné  au  sud  pai'  Il 
pclilc  armée  du  Tanjaour,  et  an  nord  par  les  soldais  de 
sir  Eyre  Coot.  Enrm  ,  il  y  avait  lieu  de  croire  que  les 
communications  de  Goudelour  avec  Trinquemalay  seraient 
coupées  par  l'escadre  anglaise.  «  Yu  cette  position  e^ 
frayante,  écrivait  SulFren  au  ministre,  le  1 1  avril,  il  est  ni» 
cessairequeje  sorte  dès  que  M,  de  Pey  nier  m'aura  rejoint 
Je  désarmerai  les  frégates,  je  prendrai  les  équipages  des 
transports  et  je  tenterai  le  sort  des  combats.  Comme  j0 
ne  puis  pas  partir  avant  vingt  jours,  la  mousson  sen 
renversée,  et  je  puis  espérer  de  combattre  au  venL  i* 
désirerais  bien,  mais  Je  n'ose  m'en  natter,  que  les  secours 
partis  en  octobre  fussent  arrivés  à  cette  époque.  ■> 
mirai  Huglies  ayant  appris,  le  11  avril,  par  un  bàtimeni 
neutre,  que  nous  avions  des  bâtiments  en  croisière  sur  Is- 
c()te,  liàta  sa  marche  dans  l'espérance  de  les  intercepte^., 
Arrivé  h  Madras  sans  les  avoir  vus,  il  détacha  quatltf 
vaisseaux  et  une  frégate  à  leur  poursuite.  Après  avoir, 

1.  ■  [>onné  l'ordre  de  Jclnrqoer  Je»  troupes  pendant  la  Duil  arec  \rs  *iirM>' 
iii'ceusiiireii.  M.  de  Bu«ï)  doit  se  rendra  ■  Goudetoiir  en  pat&nqum,  ci 
Turt  incommodii  de  [a  giiulle,  n'ajnnt  point  itu  tout  ruuig<?  de  fcs  maii 
<lél>an|uerBil  difficiletncnl  d'une  clieliiigue ,   kl>iiI  liAtiment  qni  puïti 
rendre  à  tioudelour.  ■  [.lo'irn'it  du  major  de  l'acadre.) 


LIVRE  XV.  459 

couru  pendant  quelques  jours  dans  la  direction  de  Trin- 
quemalay,  ladivision  anglaise  revint  au  mouillage,  accom- 
pagnant le  Bristol  qu'elle  avait  rencontré  à  la  mer.  Suflfren 
expédia  la  corvette  la  Naïade  pour  prévenir  M.  de  Bussy 
de  la  présence  de  l'escadre  anglaise  et  rappeler  les  bâti- 
ments qui  étaient  devant  Madras.  La  mission  confiée  à 
cette  corvette  avait  d'autant  moins  de  chances  de  succès, 
que  celle-ci  marchait  fort  mal.  Le  bailli,  voulant  proba- 
blement compenser  les  défauts  du  navire  par  la  valeur 
du  capitaine,  avait  désigné  M.  de  Villaret-Joyeuse,  capi- 
taine de  la  BellonCy  pour  la  commander.  Cet  officier  était 
passé  sur  son  nouveau  bâtiment  quelques  heures  avant 
d'appareiller.  Le  Saint-Michel,  le  Fendant  et  la  Cléopâtre 
rentrèrent,  le  20  avril,  sans  avoir  aperçu  Tennemi.  Quant 
à  la  Naïade,  elle  fut  prise  par  le  vaisseau  de  soixante- 
quatorze,  \q  Sceptre,  après  un  très-beau  combat*.  Suffren, 

1.  Ce  fut  Texprcssion  dont  se  servit  SufTren  en  rendant  compte  au  ministre 
de  la  prise  de  la  Naïade  par  le  Sceptre.  Nous  joignons  ici  le  rapport  que  le 
capitaine  Villaret-Joyeuse  adressa  de  Madras  au  général  de  Bussy  :  «  Le 
14;  j*ai  eu  connaissance,  au  point  du  jour,  d'un  gros  vaisseau  croisant  entre 
Goudelour  et  Porto-Novo.  Ne  doutant  pas  que  ce  bâtiment  ne  fût  ennemi,  je 
pris  le  large  sur-le-champ  pour  ne  pas  compromettre  ma  mission.  J'étais 
au  moins  à  trois  lieues  au  vent  du  vaisseau,  que  je  reconnus  pour  le  Sceptre 
qui  avait  déjà  chassé  la  Bellone  plusieurs  fois.  Ma  corvette  ne  marchait  pas, 
mais  Pcnnemi  marchait  très-bien,  et  il  fut  à  môme  de  me  conserver  dans  la 
nuit.  Dès  dix  heures  du  soir,  il  commença  à  me  canonner,  et,  vers  les  onze 
heures,  il  me  héla  et  m'annonça  sa  force  pour  m'engager  à  ne  pas  faire  de 
résistance.  Je  lui  envoyai  ma  bordée  pour  toute  réponse,  et,  dès  ce  moment, 
commença  le  combat  le  plus  inégal  et  le  plus  opiniâtre.  Je  lui  envoyai  de 
mille  à  douze  cents  boulets  pendant  notre  engagement  qui  a  duré  cinq 
heures,  dont  trois  heures  et  demie  vergue  à  vergue.  Mes  mâts  de  hune  ayant 
été  enfin  coupés,  ainsi  que  mon  gouvernail,  sept  pièces  démontées,  mes 
bas-mâts  percés  d*outre  en  outre,  prêts  à  tomber,  et  trente-quatre  hommes 
hors  de  combat,  j'ai  été  enfin  obligé,  mon  général,  pour  sauver  le  reste  des 
braves  gens  qui  m'étaient  confiés,  de  céder  à  la  force.  Le  grand  mât  de  mon 
ennemi  a  été  offensé,  son  grand  mât  de  hune  cassé,  une  pièce  de  sa  première 
baUerie  démontée  et  les  sept  servants  tués  ou  blessés.  Il  a  eu  vingt-deux 
hommes  hors  de  combat  et  deux  officiers.  J'ai  eu  le  bonheur  de  n'en  perdre 
aucun,  et  ils  se  sont  si  supérieurement  comportés  que  je  ne  ferai  mention 
que  de  mon  second,  M.  le  chevalier  de  Saint-Georges,  qui  est  resté  seul  sur 
le  gaillard  d'avanL  J'ai  été  conduit  à  la  remorque  devant  Madras.  J'ai  reçu 
Taccueil  le  plus  flatteur  de  la  part  des  officiers  de  terre  et  de  mer  qui  regar- 
daient mon  combat  comme  un  phénomène.  » 


HISTOIRE  DE  LA  MAIUNE  FHANC.AISE. 
ne  recevant  aucune  nouvelle  de  la  rftie,  fit  partir  le  Co- 
wenlry  pour  Goudelour.  Cette  frégate  apporta,  le  13  mai, 
des  lettres  du  général  prescrivant  à  SufTren  d'apparoillcr 
avec  toute  l'escadre  pour  lui  porter  des  vivres  et  des  mu- 
nitions. Nos  vaisseaux  n'ayant  pas  achevé  leurs  répara- 
tions, Suffren  ne  pouvait  pas  exécuter  cet  ordre.  D'autre 
part,  il  efit  été  très-imprudent  de  tenter  le  ravilailleiuent 
lie  Ooudelour  avec  une  partie  de  nos  forces.  Le  24  mai, 
l'escadre  anglaise,  forte  de  dix-sept  vaisseaux,  fut  a)>erçu(> 
au  large  de  Trinquemalay  faisant  route  vers  le  sud.  Li- 
Cowenlry,  expédié  pour  observer  ses  mouvements,  renlrn 
après  l'avoir  suivie  jusqu'à  la  hauteur  de  Batacalo.  Suf- 
fren se  demanda  quels  pouvaient  être  les  projets  de  l'ami- 
ral Huglies.  S'était-il  placé  dans  le  sud  de  Trinquemalay 
pour  intercepter  les  bâtiments  français  venant  de  l'Ile  de 
France,  ou  pour  assurer  l'arrivée  d'un  convoi  attendu 
d'Angleterre?  Voulait-il ,  en  laissant  la  route  du  nord 
libre,  nous  engager  à  la  prendre  avec  l'intention  de  « 
porter  sur  Trinquemalay,  dès  que  nous  nous  serions  éloi- 
gnés? Cette  supposition  était  lu  plus  plausible,  mais  Suf- 
fren n'était  pas  homme  A  se  laisser  prendre  à  un  pareil 
piège.  L'existence  de  notre  escadre  dans  les  mers  de  l'Inde 
était  liée  à  la  possession  de  Trinquemalay.  Comment  au- 
rions-nous fait,  si,  après  tant  de  combats,  nous  n'avions 
pas  eu  ce  port  pour  caréner  le  Brillant  et  le  Vettgmir,  et 
faire  subir  à  plusieurs  vaisseaux  des  réparalions  qu'il  eût 
élé  impossible  d'exécuter  sur  la  câte.  Les  bâtiments  ova- 
rlés,  ou  plutôt  l'escadre  tout  entière,  eAt été  depuis lonj^* 
temps  obligée  de  retournera  l'Ile  de  France.  Quoique  tout  1 
nos  vaisseaux  fussent,  à  la  date  du  36  mai,  en  étal  de' 1 
prendre  la  mer,  le  bailli  résolut,  malgré  les  instructioMl 
contraires  de  H.  de  Bussy,  de  rester  au  mouillage.  Il  fi 
partir  pour  Pioudelour  deux  transports  avec  desvivreaet  di 
rurtillerie,sous  l'escorte  du  Fendant,  dehiCléapâlreeiàM,Ë 
Cou'putry.  Il  pensait,  ce  qui  était  exact,  que  le  dix-huUièni 
vaisseau  anglais,  ie  Bristol,  était  resté  en  croisière  daii*J 
le  nord.  L'escadre  anglaise  reparut,  le  31  mai,  et,  ce  jouiwl 


LIVRE  XV.  461 

là,  elle  vint  très-près  de  l'entrée  de  Trinquemalay.  Suffren, 
croyant  que  l'amiral  Hughes  avait  l'intention  de  nous 
attaquer,  signala  à  l'escadre,  mouillée  en  ligne  dans  la 
baie  du  large,  de  s'embosser  et  de  se  préparer  au  combat. 
L'ennemi  s'éloigna,  et  nos  vigies  le  perdirent  de  vue  fai- 
sant route  dans  le  nord.  Le  lendemain,  le  bailli,  préoccupé 
des  dangers  que  couraient  les  bâtiments  partis  pour  Gou- 
delour,  expédia  une  embarcation,  le  long  de  la  côte,  pour 
les  aviser  de  la  présence  de  l'ennemi,  et  leur  recommander 
de  naviguer  très-près  de  terre.  Cette  division  se  trouvait, 
le  3  juin,  à  petite  distance  de  Trinquemalay,  lorsque  la 
frégate  qui  marchait  en  avant  eut  connaissance  de  l'es- 
cadre anglaise.  M.  de  Peynier  signala  aux  deux  trans- 
ports de  prendre  la  bordée  de  terre.  Quant  à  lui,  il  courut 
au  nord-nord -ouest  avec  les  deux  frégates,  entraînant 
l'ennemi  à  sa  suite.  II  fit  une  fausse  route  pendant  la 
nuit,  et,  lorsque  le  jour  se  fit,  il  ne  vit  plus  un  seul  des 
bâtiments  qui  le  poursuivaient.  Le  commandant  de  Pey- 
nier rentra,  le  10  juin,  à  Trinquemalay,  où  les  deux  trans- 
ports étaient  arrivés  depuis  trois  jours.  Les  nouvelles 
que  cet  officier  apportait  de  l'armée  étaient  très-alar- 
mantes.  Nos  troupes  occupaient  encore  quelques  positions 
en  dehors  de  Goudelour,  mais  il  était  facile  de  prévoir 
qu'elles  seraient  très-prochainement  contraintes  de  se 
renfermer  dans  la  place.  Le  général  Stuart,  dont  les 
forces  étaient  déjà  supérieures  aux  nôtres ,  attendait  de 
Madras  des  renforts  considérables.    Tippo-Saïb   avait 
repris  Hyder  Nagur  et  infligé  au  général  Mathews  un 
échec  d'une  extrême  gravité.  Néanmoins,  il  devait  s'é- 
couler un  temps  assez  long  avant  qu'il  fût  en  mesure 
de  se  porter  sur  la  côte  de  Coromandel.  M.  de  Bussy, 
revenant  sur  Tordre  qu'il  avait  donné  précédemment, 
écrivit  à  SuflTren  par  le  Cowentry  de  ne  pas  sortir  de 
Trinquemalay,  «  excepte  dans  le  cas  où,  forcé  dans  ses 
retranchements,   il  serait  obligé  de  se  renfermer  dans 
Goudelour,  et  celui  où  l'escadre  anglaise  le  bloquerait  ». 
Les  instructions  du  général  n'étaient  pas  suffisamment 


462  HISTOIRE  DE  LA  MAHINE  fRANÇAISn. 

claires,  et,  en  les  recevant,  tout  sutre  que  SulTn.'ii  eiil  ùlù 
livré  à  de  grandes  perplexités.  Comnienl  potivait-il  être 
informé  du  moment  précis  oîi  nos  troupes,  forcî'es  dans 
leurs  retranchements ,  rentreraient  dans  i^o\idelour. 
D'autre  part,  en  restant  à  Trinquemalay,  il  Olait  dillicile 
de  connaître  les  mouvements  de  l'escadre  anglaise  et  de 
savoir  si  elle  bloquait  la  ville.  Celte  dernière  éventualité 
n'était  pas  douteuse,  et  il  était  surprenant  que  M.  de 
Bussy  en  eAt  parlé  d'une  manière  hypothétique.  Il  n'y 
avait  pas  lieu  de  douter  que  l'amiral  Hughes  n'appor- 
tât son  concours  aux  opérations  des  troupes  brilaniii- 
ques.  Le  général  de  Bussy  avail-il  voulu,  en  donnant 
des  ordres  ambigus,  laisser  à  SulTrcn  la  responsabilité 
de  la  sortie  de  noire  escadre  et  des  événements  qui  en 
seraient  la  conséquence?  Lorsqu'il  eut  pris  connaissance 
des  dépêches  de  M.  de  Bussy,  le  bailli  appela  les  capitaines 
à  son  bord.  Après  avoir  exposé  la  situation  de  nos  trou 
pes,  il  les  consulta  sur  la  conduite  que  la  marine  devait 
tenir.  Tous  furent  d'avis  de  tenter  le  sort  des  armes  pour 
secourir  Goudelour.  Le  lendemain,  Il  mai,  l'escadre  frao- 
raise,  forte  de  quinze  vaisseaux  et  de  trois  frégatos,  prit 
la  mer.  L'amiral  Hughes  avait  trois  vaisseaux,  dont  un 
de  quatre-vingts,  de  plus  que  les  Français.  A  rexccptioK 
du  Bristol,  arrivé  récemment  d'Euro))e,  tous  les  bdtimcatt 
anglais  avaient  passé  la  saison  de  l'hivernage  àKomliay^! 
où  ils  avaient  trouvé  toutes  les  ressources  que  peut  ofliir 
un  arsenal  bien  approvisionné.  Cette  escadre,  dont  prêt* 
que  tous  tes  bdliments  étaient  doublés  en  cuivre,  av«î| 
des  qualités  de  marche  et  d'évolutions  qui  faisaienl  con^ 
plétement  défaut  A  la  nâirc.  La  jdupartde  nos  vaisscatu^ 
dont  huit  seulement  étaient  doublés  en  cuivre,  a'uvaieol' 
pas  été  carénés  depuis  quatre  ou  cinq  ans.  Quelques-uiUn; 
notamment  le  .Sninl-jtfie/iei  et  ['Illustre,  faisaienl  beaucoup 
d'eau.  Notre  situation,  sous  le  rapport  du  personnel,  n'é» 
tait  pas  plus  satisfaisante.  Depuis  le  départ  de  l'Ile  dt' 
Franco,  le  7  décembre  1781 ,  nous  n'avions  pas  re(;n  til' 
seul  matelot  pour  compléter  les  vides  existant  dans  la. 


LIVRE  XV.  463 

équipages.  Malgré  la  perte  de  VOrimt  et  du  Bizarre  et  le 
désarmement  de  tous  les  transports  et  de  plusieurs  fré- 
gates, il  n'y  avait  pas  un  seul  vaisseau  qui  eût  plus  des 
trois  quarts  de  son  effectif  réglementaire.  Nous  devons 
ajouter  que  les  soldats  et  les  cipayes  entraient  pour  la 
moitié  dans  la  composition  de  ces  équipages  ainsi  réduits. 


II 


Le  13  juin,  les  frégates  de  découverte  signalèrent  Tes- 
cadre  anglaise  mouillée  à  petite  dislance  de  Goudelour. 
Dans  la  soirée,  le  calme  étant  survenu,  les  Français  jetè- 
rent Tancre  à  huit  lieues  dans  le  sud  de  cette  ville.  Ils  mi- 
rent sous  voiles,  le  lendemain,  mais,  pendant  trois  jours, 
la  faiblesse  de  la  brise  ne  nous  permit  pas  de  nous  ap- 
procher de  Tennemi.  Le  16juin,  vers  midi,  les  vents  étant 
au  nord  nord-ouest,  nous  n'étions  plus  qu'à  trois  lieues 
des  Anglais,  lorsque  ceux-ci  se  décidèrent  à  appareiller. 
La  brise  ayant  sauté  au  sud-est  et  à  l'est,  l'amiral  Hughes, 
qui  avait  pris  la  bordée  du  large,  eut  sur  nous  l'avantage 
du  vent.  Suffren  fit  former  la  ligne  de  bataille,  les  amures 
à  tribord,  mais  la  nuit  arriva  avant  que  les  deux  armées 
fussent  assez  près  l'une  de  l'autre  pour  engager  le  com- 
bat. Le  lendemain,  les  vents  étant  revenus  à  l'ouest  et 
l'escadre  anglaise  se  trouvant  à  plus  de  cinq  lieues  sous  le 
vent,  Suffren  communiqua  avec  M.  de  Bussy.  Il  apprit 
que  nous  avions  eu,  le  13  juin,  un  engagement  très-vif 
avec  les  assiégeants.  Cinq  cents  hommes  de  notre  petite 
armée  avaient  été  mis  hors  de  combat,  et  douze  pièces  de 
canon  étaient  tombées  entre  les  mains  des  Anglais.  Quoi- 
que l'ennemi  eût  fait  des  pertes  très-sensibles,  nous 
avions  été  obligés,  à  la  suite  de  cette  affaire,  de  nous 
renfermer  dans  la  ville.  Bien  convaincu  que  l'amiral 
anglais  essayerait  de  l'entraîner  au  large ,  s'il  laissait 
porter  pour  le  rejoindre,  Suffren  se  maintint  près  de 
terre.  Dans  la  soirée  du  17,   les  vents  étant  restés  à 


464  HISTOIRE  DE  l.k  MARINE  FRAN(;A1SE. 

l'ouoï^t,  l'escadre  française  laissa  tomber  l'ancre  devant 
(ioiidelour.  Le  sort  de  la  place  et  de  la  garnison  dépeik* 
dunl  désormais  des  succès  de  notre  eï>cadre,  le  généra 
de  Bussy  s'empressa  de  dunner  au  bailli  le  nomi 
d'hommes  nécessaires  pour  compléter  ses  équipages.  Peu™ 
dant  la  nuit  du  17  au  18  juin,  six  cents  soldats  et  six  centK 
cipuyes  furent  répartis  sur  les  vaisseaux.  Le  18,  à  nei 
heures  du  matin,  les  Fran(;ais  mirent  sous  voiles  poat 
aller  à  la  rencontre  desAnglais.  Notre  escadre,  formée 
li^ne  de  balaiilc,  les  amures  à  tribord,  passa  à  cont»< 
bord  cl  au  vent  de  l'ennemi.  L'amiral  Hu{;hes,  grâce  ù 
marche  supérieure  de  ses  vaisseaux,  put  facilement  dè>. 
cliner  un  engagement  que  nous  paraissions  recherclier^: 
Le  19  Juin,  les  deux  armées  évoluèrent  avec  des  bristi' 
faibles  et  irrégulières,  et  elles  eurent  beaucoup  de  diA- 
cultes  à  se  maintenir  en  ordre.  La  persistance  des  veofl 
d'ouest,  Irès-rai-e  dans  celle  saison,  trompait  les  calcul! 
de  l'amiral  anglais.  Il  avait  compté  sur  la  brise  du  lai^ 
pour  nous  combattre  avec  l'uvantage  du  veut,  et,  depuit 
le  14  juin,  ses  vaisseaux  avaient  été  constamment  soûl 
le  vent  des  ndtres.  Dans  la  journée  du  30  juin,  il  sembk 
que  nos  adversaires,  fatigués  d'attendre  des  vente  d'esl, 
fussent  décidés  t  accepter  le  combat.  Vers  trois  beurWi 
la  brise  soufflant  de  l'ouest  à  l'ouest-nord-ouesl,  l'tt* 
cadre  anglaise  tint  le  vent  sous  petites  voiles,  lesamurM' 
à  bilbord.  L'armée  fninçaise,  qui  courait  au\  mérnM 
amures,  laissa  porter  sur  l'ennemi  par  un  muuvenienl. 
tout  à.  la  fois.  Un  pou  après  quatre  heures,  les  deux  ligDM 
étant  t  petite  portée  de  caoon,  l'ordre  de  venir  au  v«A 
el  de  commencer  le  feu  fut  hissé  A  bord  de  la  rrégale  II 
Cléopûtre,  sur  laquelle  SufTren  avait  arboré  son  pavilIOD*. 


I.  >  Suiïren  svail  rc(u,  quelques  muis  au)>aravanl,  la  il«|HÏd)«  <li 
lirescrivaiit  au  cutiiiiiuiidaiil  d'une  esmidre  *le  |>lu«  de  iicur  vsîBKiut 
sur  une  rrégate  en  cas  de  combat.  Je  me  coiifonneraî  *  cvt  urdi'c,  atiitHl 
répondu  au  maréclial  de  Culriea,  aulant  que  je  pf  nvcrai  la  cbote  utilr  u 
Lien  du  service.  Cu  aérait  mal  rcm|ilir  rcEpra  de  cet  iirdre  que  dVn  (mmUIm 
pour  uc  iJSH  donucr  l'exemple  qui^  doit  un  clicf  dans  les  iiccoomob  o(i  il  (Ml 
cuitMiiander  de  son  \aia»eDu  auHHt  bit'ii  '[iie  d  ailltiun.  • 


niitJI^ 


LIVRE  XV.  465 

On  se  battit,  de  part  et  d'autre,  avec  une  grande  vigueur, 
mais  l'action  fut  particulièrement  chaude  à  Tavant-garde 
et  au  corps  de  bataille.  Il  se  produisit  un  peu  de  désordre 
parmi  les  vaisseaux  des  deux  arrière  gardes.   Dans  la 
nôtre,  le  Vengeur  et  VAnnibal  s'abordèrent  et  se  firent 
quelques  avaries.  Le  feu  cessa  vers  six  heures  et  demie, 
et,  à  sept  heures,  les  deux  escadres  étaient  hors  de  por- 
tée de  canon*.  Les  Français  mouillèrent,  le  lendemain 
21  juin,  à  deux  lieues  au  nord  de  Pondichéry.  Dans  la 
soirée,  la  frégate  de  découverte  ayant  signalé  l'ennemi , 
nos  vaisseaux  se  tinrent  prêts  à  appareiller.  Le  22,  au 
point  du  jour,  les  Anglais  furent  aperçus  sous  le  vent, 
faisant  route  sur  Madras.   SufTren    fut   sur  le    point 
d'appareiller  en  coupant  les  cAbles  et  de  les  poursuivre. 
Diverses  considérations,  que  nous  trouvons  exposées  dans 
une  de  ses  lettres,  l'empêchèrent  de  prendre  ce  parti. 
«  Mon  premier  mouvement,  écrivit-il  au  minisire,  fut  de 
couper  les  câbles  et  de  les  chasser.  Voilà  les  raisons  qui 
m'en  ont  empêché  :  j'étais  trop  mal  en  ancres  et  en  câbles 
pour  en  faire  le  sacrifice;  2*  Goudelour  était  attaqué  et 
j'avais  douze  cents  hommes  de  sa  garnison.  Cette  escadre, 
ayant  sur  la  mienne  une  grande  supériorité  de  marche  et 
prenant  chasse  à  Test-nord-est,  pouvait  me  mener  assez 
loin  pour  ne  pouvoir  plus  regagner  la  côte,  et  elle  aurait 
été  tranquillement  à  Madras.  Dans  cette  saison,  les  navires 
qui  marchent  mal  ne  rejoignent  pas  la  côte  quand  ils  la 


1.  Avant  de  sortir  dé  Trinquemalay;  SutTren  avait  indiqué  un  ordre  de 
bataille  dans  lequel  les  cinq  vaisseaux  de  soixante-quatorze  prenaient  la 
queue  de  la  ligne.  En  sup|)osant  rarinée  rangée  dans  cet  ordre.  api)elé  ordre 
de  bataille  n*  3  dans  le  Journal  du  major  de  l'escadre^  il  était  prescrit  à  ces 
cinq  vaisseaux  de  doubler  l'ennemi  par  Tarrière-garde.  Quant  aux  autres 
bAliments  de  Tarmée,  ils  devaient  se  placer  à  grande  distance  les  uns  des 
^^aolres  et  combattre  toute  Ja  ligne  anglaise.  Les  14  et  lô  juin,  Tordre  de 
bataille  n*  'A  avait  été  signalé.  Le  20  juin,  il  ne  s'était  probablement  proiJuit 
aucun  incident  permettant  d'appliquer  cette  combinaison. 

On  lit  dans  le  Journal  du  major  de  l'escadre  à  la  date  du  14  :  »  Ce  jour-K'i 
le  général,  sur  la  Cleopdti'ej  arrive  toutes  voiles  dehors  siir  une  frégate 
anglaise  qui  était  venue  nous  observer.  Elle  était  à  une  lieue  et  demie  de 
nous.  » 

30 


4M  HIBTOmS  DK  Lk  MAUXl  VRANÇAISA. 

quittent.  L^nnierpoMée,  un  edond  anglais  fttt  pria  mr 
.  Porto-No  A,  le  dnqnaiitfriiititièaie  jour  de  ê(m  départ  de 

Hadraa.  L'eacadra  fraaqaiae  ffi  nota  pour  GoaddooTt  oA 
'  Soffiroi  avait  hlte  d'arriTer. 

Nrâa  indiquons,  du»  leatiâilaanx  d^prta,  l'ordre  daai 

leqad  les  deoz  «acadr»  étaieot  rangAâa,  le  lO  Juin,  etlM 

pertea  qn'dles  anioit  sol^ea. 

ESCADRE   PllANÇAlSE. 
Ligno  de  bataille. 


Sphinx.... 
Btillant. . . 
Fendant. . , 
Flamand  . , 
L'Ajax  . . . , 


SaWert 

Dupas  de  la  MuoelJâre. . 
Corpt  Ot  battMe. 


Clovières. . . 
Moiaaar  . . . . 
Unij  ères . . . 
Beaomonl . . 


Vcnjçeor  . . . . 

Sdvire 

Aanibal 

Hardi 

Arlûsion 

Consoionlc . . 


Cuvervillo. 
De  Langle.. 
D'Aymar . . . 

Jlerliué 

De  Vignes.. 
CoBlebelle. . 


Totaux  det  tuéa  et  dea  blcsste  ' . 


MU.  Dupaa  de  la  MiDoNén,  PairiH,  de  SiJxn, 
nnol,  anuignt  ;  Dieu,  upiuiiu  dt  brllol  ;  rtuclto, 
guct.uFlician  iBiiliii»*;  Dumoulin,  offInFr  d'iabaurit. 

Tnb]n>«t  :  MH.  d*  Sainl-Pilii,  cipituu  d<  niuun  :  de  Riirorl,  tjnil'- 

d*  BaDUTir,  d*  TbiB,  «Hifnm:  CnM^iiird.  upl- 
Ilicier  iiiiili<i»;d*  Villione,  dEeinoiil.d»  Lwiain, 


,  olShitn  i' 


dFiJloqnfun, 


LIVRE  XV. 


467 


ESCADUE    AiNGLAISE. 


Ligne  de  bataille. 


Noms  des  bàtimenti». 


Cumbcriand 
MoDlmoulh 
Rristol 


lléro, 


Eagic 

Maguaninio, 


Sceptre  . 
Burford . 
Monarca. 


Supcrb. 


Sultan .  . . 
Africa  .  . . 
Worcesler, 


Nombre 

de 
canons. 


Noms  des  capitaines. 


Division  rouge. 


74 
64 
50 

74 

64 
64 


Tués. 


William  Allen 

James  Alms 

James  Rurney 

!' Richard  King,  Commodore/ 
Théophile  Jones \ 

Williams  Clark 

Thomas  Mackensie 


Division  hleue. 


•64 
70 
68 

74 

74 
64 
64 


Samuel  Graves 

Peter  ilainier 

John  (îell 

l'Sir  Edw.  Hughes i 

Vice  admirai  of  Ihe  Rlcue.j- 

Henry  New  Comc 

Audren  Mitchell 

Robert  M.  Donall 

Charles  Hughes 


2 
•2 
0 


4 
1 


4 


H 


Blcssi' 


4l'S. 


11 

19 
13 

21 

8 
16 


17 

47 

10 

20 

6 

14 

12 

41 

» 

a 

4 

n 

20 
20 
32 


Division  bbuiche* 


Exeter . . . 
Inflexible. 


Gibraltar. 


Isis.... 
Défense 


64 
64 

80 

50 
74 


John  Smith 

Hon  J.-W.  Chcliwiud. . . . 
Sir  R.  Rikcrton,  contre- 
amiral 

Thomas  Hicks 

Christopher  Halliday 

Tolauv  des  tuôs  et  des 
bles.scs 


km  lUSTUlIlE  DE  LA  MARINE  KHAN'CAISK. 

Le  succès  de  l'escadre  française  était  hors  de  toulecon- 
lotitation.  Le  13  juin,  l'amiral  Hughes  bloquait  Goudelour, 
avec  dix-huit  vaisseaux  et  six  frégates.  Il  protégeait,  en 
uutre,  le  débarquement  des  troupes,  des  vivres  et  des 
niiinîUons  envoyées  de  Madras  à  l'armée  anglaise.  Lors- 
que SnlTren  s'était  placé  entre  la  flotte  hrilannîque  et  Is 
ville  assiégée,  les  nombreux  transports  niouillÉs  surU 
cùle  s'étaient  hAtés  de  fuir  en  coupant  leurs  râbles.  Apre» 
le  combat  du  20  Juin,  l'amiral  Hugbes  a^ail  disparu, 
abandounaiHle  général  Stuart,  tandis  que  iiou»  prenioQ», 
devant  Goudelour,  la  place  que  l'escadre  anglaise  occu- 
pait quelques  jours  auparavant.  Quoique  l'eanemi  a'edl 
pus  laissé  un  seul  navire  entre  nos  mains,  il  f\e  pourail 
s'élever  aucun  doute  sur  le  résultat  de  cette  rencontre. 

SutTren  se  montra  satisfait  de  la  conduite  de  sescapi- 
liiines.  11  loua  particulièrement  l'habile  direction  donnôr 
à  i'avanl-gardc  par  M.  de  Peynicr.  Dans  une  lettre  imr- 
tant  la  date  du  U  juillet,  il  disait  au  ministre  :  '<  La  su- 
périorité  de  l'escadre  anglaise  sur  la  nôtre  consistait  eii 
un  vaisseau  de  quatre-vingts,  un  de  soixanle-qualorteH 
un  de  soixante-dix.  M.  de  Peynier  a  conduit  l'avant- 
gurde  avec  autant  de  valeurque  de  précision.  Depuis  qu'il 
m'a  rejoint,  je  lui  ai  donné  deux  missions  également  im- 
portantes et  périlleuses  dont  il  s'est  parfaitement  acquitta. 
Si,  pour  cela,  vous  le  faites  chef  d'escadre,  et  que  ce  De 
soit  qu'à  prendre  rang,  ce  n'est  point  assez  en  vérilé, 
d'autant  plus  qu'au  combat  de  la  Grenade  et  dans  ceui 
de  M.  de  Guichen,  il  s'est  parfaitement  bien  conduU'. 
Trois  jours  après  le  combat  du  20  juin,  l'escadre  française 
mouilla  sur  la  rade  de  Goudelour.  Aussitôt  que  nos  vai^ 


1 .  SiifTren  disait  au  ininiatre  dan»  une  autre  letlre  :  <  Je  vous  envoie  l'etil 
lies  perles  de  J'escadre.  J'attendrai  d'être  aoprèt  de  vous  pour  demandHdn 
grâi^Gii  pour  lesonicicrs..MDUje  vous  réitère  ma  demande  pour  M.  de  Pe;DKi 
Il  Best  acquitté  parlifuljârc nient  bien  de  deux  miMion»  tré&-é|iineuM<,  d  il 
s'oal  ciinduil.  dans  le  comttal  du  30  Juin,  avec  autant  de  bravoure  ({ut  d'i- 
tflligence.  I*i  de^  raison)-  parliculiAri:»  vouii  empêchent  de  le  birt  (Ik( 
d'e«cadre,  ripn  ne  peuli opposer ac« que voufilai  doaiuea  le  eordoB  ronce-' 


LIVRE  XV.  469 

seaux  eurent  l'ancre  au  fond,  Sufîren  se  rendit  auprès 
de  M.  de  Bussv.  A  son  arrivée  à  terre,  les  batteries  de 
la  ville  le  saluèrent  de  quinze  coups  de  canon.  Les  offi- 
ciers et  les  soldats  qui  n'étaient  pas  retenus  à  leurs  postes 
par  un  devoir  impérieux,  s'étaient  portés  vers  la  plage. 
Le  bailli  alla  chez  le  général,  suivi  d'un  immense  cortège 
qui  faisait  retentir  Tair  des  cris  de  vive  le  Roi!  et  vive 
Sufîren!  Les  mêmes  manifestations  se  produisirent,  lors- 
qu'il se  sépara  du  commandant  en  chef  pour  regagner 
son  canot.  Les  soldats  et  lescipayes,  empruntés  i\  l'armée 
de  M.  deBussy,  retournèrent  à  terre.  L'escadre  débarqua 
mille  hommes,  pris  parmi  les  soldats  de  marine  et  les 
matelots,  pour  renforcer  la  garnison. 

La  victoire  de  Sufîren  avait  complètement  modifié  la 
situation  des  troupes  britanniques.  Le  général  Stuart  ne 
pouvait  plus  recevoir  ses  approvisionnements  par  mer. 
D'autre  part,  un  détachement  de  cavalerie  mysoréenne, 
très-bien  commandé,  battait  la  campagne  et  coupait  ses 
communications  avec  Madras.  Suffren,  persuadé  qu'une 
sortie  générale  amènerait  la  retraite  de  l'ennemi,  voulait 
qu'on  tentdt  cette  opération*.  Ce  conseil  ayant  été  re- 
poussé, le  bailli  resta  étranger  aux  mesures  prises  par  le 
général  de  Bussy.  Le  29  juin,  une  frégate  anglaise,  la 
Médée^  portant  pavillon  parlementaire,  parut  devant  Gou- 
delour.  Elle  était  chargée  par  lord  Macarteney,  gouver- 
neur de  la  Présidence  de  Madras,  et  l'amiral  Hughes  de 
nous  apprendre  que  les  hostilités  avaient  cessé  en  Eu- 
rope. Cette  nouvelle,  que  les  Anglais  regardaient  comme 
authentique,  quoiqu'elle  n^eût  aucun  caractère  officiel, 
était  arrivée  à  Bombay  par  la  voie  de  terre.  Le  capitaine 
de  la  Médée  remit  à  MM.  de  Bussy  et  de  Sufîren  les 
journaux  et  les  copies  de  lettres  particulières  dans  les- 


1.  La  présence  d'un  tel  homme,  écrivait  le  chef  de  Parmée  anglaise,  en 
parlant  de  SufTren,  nous  oblige  de  faire  nos  approches  avec  la  plus  grande 
prudence.  11  presse  M.  de  Bussy  de  nous  attaquer.  Il  lui  offre  de  débarquer 
la  plus  grande  partie  de  ses  équipages  et  de  les  conduire  lui-mi^me  à  Passaut 
de  notre  camp. 


L 


470  HISTOIRE  DE  LA  MAKINE  FHAJJÇAISE. 

qucïls  <jtaienl  iiienlionués  les  articles  préliminaires  do  puiv 
signés,  ù  Paris,  le  20  janvier  1783,  par  les  reprcsenlanh 
(le  la  France,  de  l'AngleLerre,  de  l'Espagne  el  des  Etals- 
Unis.  Lord  Macarteney  et  l'amiral  Hughes  demandaient 
qu'une  suspension  d'armes  fût  conclue  jusqu'à  l'arrivée 
des  instructions  des  cours  de  Londœs  et  de  Paris.  Le  gé- 
néral  de  Bussy,  auquel  il  appartenait,  en  sa  qualité  de 
commandant  en  chef  des  forces  de  terre  et  de  mer,  de  w 
prononcer  sur  celle  proposition,  se  trouva  trës-embar- 
rassé  de  son  rôle.  Les  Anglais  désiraient  recouvi-cr  le  plus 
promptomenl  possible  leur  liberté  d'action,  uPindc  mar- 
cher avec  toutes  leurs  forces  contre  Tippo  Saïb.  Il  était 
évident  que  leur  démarche  n'avait  ptis  d'autre  but.  Silo 
gil-néral  refusait  la  suspension  d'armes,  il  ustiumaitune 
grave  responsabilité,  et,  s'il  l'acceptait,  que  devenait  noire 
allié?  Les  commissaires  venus  sur  la  .Vérft?*),  déclaraient  que 
les  autoriti^s  hrilunniques  étaient  décidées  A  donner  aux 
généraux  l'ordre  de  ne  plus  lirer  un  coup  de  fusil.  M.  de 
Bussv  s'elTorça  de  sauvegarder  les  intérôls  de  Tippo  Salh. 
Los  Anj;lctis  promirent  d'entrer  en  arningcnirnt.i  avec  le 
sultan,  aussitôt  que  celui-ci  serait  disposé  &  traiter,  mais 
ils  ne  voulurent  prendre  aucun  engagement  relativemeal 
aux  conditions  de  la  paix.  Si,  comme  le  disait  SufTren  dans 
une  de  ses  lettres,  «  nous  avions  mieux  fait  la  guerre, 
l'entente,  sur  ce  point,  eût  été  plus  facile  ».  Des  suais 
militaires  nous  eussent  permis  d'avoir  des  exigences  que 
notre  situation  ne  comportait  pas.  Le  général  se  décidai 
envoyer  à  Madras  le  major  de  l'escadre  et  deux  de  ses 
aides  de  camp  avec  les  pouvoirs  nécessaires  pour  cod' 
dure  une  suspension  d'armes.  Ces  trois  officiers  arrivè- 
rent, dans  les  premiers  jours  de  Juillet,  auprès  de  l'amiral 
Hughes  et  de  lord  Macarteney.  11  fut  décidé  que  les  hos- 
tilités cesseraient,  sur  terre  et  sur  mer,  à  partir  du  8  juil- 
let, et  que  les  prisonniers  seraient  immédiatement  ren- 
dus. Le  1"  août  Suffren  flt  route  pour  Trinquemalay,  oil 
il  mouilla,  le  6,  après  avoir  touché  &  Tranquebar  et  i  Ka- 
rikal.  L'escadre  compléta  six  mois  de  vivres,  flt  sooeau 


LIVRE  XV.  471 


et  se  tint  prête  &  appareiller.  Le  13  septembre,  le  Sphinx 
et  V Artésien  partirent  pour  l'Ile  de  France,  où  ils  devaien 
être  mis  en  état  de  retourner  en  Europe. 


III 


A  l'origine  des  troubles  de  TAmérique,  il  existait,  dans 
le  parlement  de  la  Grande-Bretagne,  un  parti  politique 
qui  repoussait  d'une  manière  absolue  l'emploi  de  la  force 
pour  résoudre  les  difficultés  pendantes.  Après  l'ouverture 
des  hostilités,  ces  mêmes  hommes  combattirent  énergi- 
quement  l'administration  de  lord  North.  Les  revers  des 
armes  anglaises  et  principalement  la  capitulation  d'York 
Town  augmentèrent  le  nombre  de  leurs  adhérents.  A  la 
lin  de  l'année  1781,  on  ne  se  faisait,  dans  les  deux  cham- 
bres, aucune  illusion  sur  l'état  des  affaires.  Les  colonies 
américaines  étaient  considérées  comme  irrévocablement 
perdues  pour  l'Angleterre.  Néanmoins  le  ministère,  sou- 
tenu par  le  Roi,  voulait  continuer  la  lutte.  Le  22  février 
1782,  le  général  Gonway  présenta  à  la  Chambre  des  com- 
munes une  motion  invitant  le  gouvernement  à  mettre  fin 
à  la  guerre  d'Amérique.  Cette  proposition  était  appuyée 
par  des  hommes  tels  que  Fox,  Pitt,  Mahon,  Burke,  Caven- 
dish  et  Wilberforce.  Elle  fut  repoussée  &  une  voix  de  ma- 
jorité; mais  une  tentative  du  même  genre,  faite  quelques 
jours  après,  eut  un  plein  succès.  La  Chambre  décida,  le 
27  février,  à  dix-neuf  voix  de  majorité,  qu'une  adresse 
serait  envoyée  au  Roi  pour  le  prier  de  faire  la  paix  avec 
les  colonies.  Les  4  et  5  mars,  des  résolutions  de  même  na- 
ture furent  adoptées  par  une  majorité  toujours  croissante. 
La  nouvelle  de  la  prise  de  l'île  de  Saint-Christophe  et  la 
perte  de  Minorque  augmentèrent  le  mécontentement  gé- 
néral. Le  20  mars,  lord  North  donna  sa  démission.  Le 
marquis  de  Rockingham,  après  s'être  assuré  que  le  Roi 
ne  s'opposerait  pas  à  la  reconnaissance  de  l'indépendance 
de  l'Amérique,  accepta  la  mission  de  former  un  nouveau 


472  HISTOIRE  DR  LA  MARINE  FHANÇAISB. 

cabinel.  Lord  Shelburne  prit,  Jans  la  nouvelle  udiiiinis- 
Lration,  le  minîslèie  de  l'intérieur,  déparlemenl  iiui|U'-l 
SI'  rattachaienl  les  colonies,  il  fit  immédiatemenl  partir 
pour  Paris  uû  agent  ayant  toute  sa  confiance.  Cet  agent 
n'avait  pas  de  caractère  officiel,  mais  des  lettres  particu- 
lières lui  assuraient  un  très-bon  accueil  auprès  de  notre 
ministre  des  aiïaires  étrangères  et  de  l'envoyé  des  États- 
Unis.  Il  devait  renseigner  son  gouvernement  sur  les 
conditions  auxquelles  il  serait  possible  de  faire  la 
paix.  La  mort  du  marquis  de  Rockingham,  survenue 
dans  le  mois  de  juin,  plaça  lord  Slielburnc  â  la  léte  du 
cabinet.  Cet  homme  d'État  avait  été  un  des  champions 
le.s  plus  déterminés  du  parti  de  ta  guerre.  11  avait  réclamé 
l'emploi  de  moyens  énergiques  pour  ramener  les  rebel- 
les k  l'obéissance.  Les  événements  avaient  modilié  son 
o|)inion,  el  il  était  convaincu  que  la  reconnaissance 
des  colonies  de  l'Amérique  scptenlrionale,  comme  EIA 
ind.^pcndant,  était  la  mesure  la  plus  sage  que  son  pays 
pût  adopter.  Les  négociations  entamées  à  Paris,  quoi- 
que poursuivies,  de  part  el  d'autre,  avec  bonne  fui,  mar- 
chèrent avec  lenteur.  Le  gouvernement  anglais,  disposée 
donner  toute  satisfaction  sur  la  question  américaine,  il«- 
mandait  à  s'en  tenir,  à  l'égard  de  la  France  el  de  l'Espagne, 
aux  clauses  du  traité  de  1763.  Ce  n'élaît  pas  pour  arriver 
à  ce  résultat  que  nous  avions  pris  les  armes  en  1778. 
D'autre  part,  les  commissaires  américains  se  montraient 
extrêmement  exigeants  dans  toutes  les  discussions  rel«- 
tives  k  leurs  nouvelles  frontières.  Enfin  les  Espagnols  ne 
voulaient  pasqu'onparldl  de  la  paix,  si  on  ne  leur  assurait 
pas  la  possession  de  Gibraltar.  Après  de  longues  el  Inlxv- 
rieuses  négociations,  ce»  difficultéss'aplanirent.  Le  30  no- 
vembre 1782,  un  premier  traité  fui  conclu  entre  les  plé* 
nipotenliaires  anglais  el  américains.  Le  S3  janvier  1783, 
les  préliminaires  de  paix  entre  la  France,  l'Espagne  cl  II 
Grande-lïielagne  furent  signés  à  Paris. 

Ce  fut  &  Pondichéry,  où  il  se  Irouvail,  le  8  seplemItKii 
nver  le  //-«ros  et  la  Cl^opAire,  que  les  premières  dèpt-; 


LIVRE  XV.  473 

ches  relatives  à  la  paix  parvinrent  à  Suffren.  Elles  avaient 
été  apportées  à  Madras  par  la  frégate  anglaise  le  Crocodile, 
partie  de  Portsmouth,  le  14  avril  1783.  Nous  devions 
laisser  dans  Tlnde  le  même  nombre  de  bâtiments  que  les 
Anglais,  et  renvoyer  les  autres  en  France.  Les  soixante- 
quatorze  et  les  frégates  cfTectuaient  leur  retour  à  Brest, 
les  soixante-quatre  à  Rochefort,  à  l'exception  du  Hnrdi 
et  de  Y  Alexandre  qui  allaient  à  Toulon.  L'amiral  Hughes 
nous  ayant  fait  connaître  que  cinq  vaisseaux  anglais 
resteraient  sur  la  côte,  Suffren  désigna,  pour  faire  partie 
de  la  station  française,  le  Fendant^  V Argonaute,  le  Bril- 
lant^ le  Saint-Michel,  VHannihal  et  les  frégates  la  Surveil- 
lante, la  Bellone  et  le  Cowentry,  Cette  division  fut  placée 
sous  le  commandement  de  M.  de  Peynier. 

SufFren  avait  été  fait  chef  d'escadre  pour  TafTaire  de  la 
Fraya.  Après  les  combats  du  17  février,  du  12  avril  et  du 
6  juillet,  le  Roi  le  nomma  lieutenant  général.  Le  ma- 
réchal de  Castries  lui  annonça  cette  nouvelle  dans  les 
termes  suivants  :  «  Le  plus  grand  plaisir  qu'un  ministre  du 
Roi  puisse  éprouver  dans  sa  place,  Monsieur,  est  de  pou- 
voir concourir  à  Tavancement  d'un  officier  général  aussi 
distingué  que  vous  et  qui  annonce  des  talents  décidés 
pour  le  commandement  de  ses  armées.  Quoique  Sa  Ma- 
jesté ait  en  vue  de  vous  récompenser,  elle  s'est  proposé, 
en  même  temps,  en  vous  donnant  le  grade  de  lieutenant 
général,  de  vous  donner  les  moyens  de  nous  rendre  de 
nouveaux  services.  Le  Roi  a  été  particulièrement  frappé, 
dans  les  comptes  que  vous  lui  rendiez,  de  la  vérité  et  de 
la  force  avec  laquelle  vous  lui  parlez  de  ceux  des  officiers 
de  sa  marine  qui  l'avaient  bien  ou  mal  servi  dans  les 
différentes  occasions  où  vous  avez  combattu  les  An- 
glais. y> 

Après  avoir  arrêté  avec  M.  de  Bussy  toutes  les  dispo- 
sitions relatives  au  départ  des  vaisseaux  qui  rentraient 
en   France,  Suffren  se  rendit  à  Trinquemalay  *.  VIllv^- 

1 .  Nous  avons  embarqué  une  soixantaine  d'Indien»,  hommes  et  femmes , 


klk  HISTOmE  DE  lA  MAHIN'E  FRANÇAISE. 

tre,  le  Hardi,  V.injtibal  el  VAjeix  partirent  (lirectemcnl 
pour  l'Eurupc,  avec  l'auturisslion  de  rel&cher  au  cap  de 
Bonne -Espérance.  Le  Héros,  escortant  le  Vengeur  qui  fai- 
sait beaucoup  d'eau,  Ot  route  le  6  octobre  pour  l'Ile  do 
France  '.  Ces  deux  vaisseaux  mouillèrent,  le  12  novembre, 
sur  la  rade  de  Port-Louis. 

Le^  habitants  de  l'Ile  de  France  et  de  Bourbon  avaient 
suivi  avec  un  intôrfit  passionné  les  événements  qui  s'é- 
laient  accomplis  sur  la  cflle  de  Coromandel.  Ils  avaient 
pris  part  à  la  lutte,  en  fournissant  des  compagnies  de  vo- 
lontaires qui  avaient  combattu  A  terre  et  sur  nos  vai»- 
8caux.  Plus  rapprocbéa  que  nous  des  évënemcnU,  il  sem- 
blait que  Suffren  fût  leur  héros  avant  d'être  celui  de  la 
France.  Lorsque  son  arrivée  fut  connue,  la  population  de 
l'Ile  accourut  A  Port-Louis  pour  apercevoir  l'illustre  ami- 
ral et  lui  donner  des  marques  de  radmirution  qu'elle 
éprouvait  pour  sa  personne.  Le  major  de  l*cscadrc  re- 
lelc  ainsi  qu'il  suit,  dans  son  journal,  la  n^ceplion  faite 
4  Suffren'.  "  A  cinq  beures  et  demie,  le  général  est  des- 
cendu h  terre.  Il  a  été  salué,  en  débarquant,  de  \ingt  et 
un  coups  de  canon  par  la  place,  et  reçu  par  le  gouver- 
neur, les  officiers  de  la  garnison,  des  habitants  et  un 
monde  infini  qui  faisait  retentir  l'air  des  cris  de  :  Vive  le 
Roi,  vive  Suffren!  Les  musiques  des  régiments  l'ont  coo- 


ouvriers  en  toile,  que  le  gÉoéral  compta  envoyerà  Malte.  (Journal  du  major 
de  l'eacadre.) 

1.  Vendredi  7  novembre  1183,  en  vue  de  RoOrigueR.  L'observation  al 
IrèH-jusIe  par  la  distance  de  la  lune  au  eoleil.  [Journal  du  major  de  To- 
cadre.) 

2.  Je  puiit  te  dire  qu'il  eat  incroyable  la  considération  que  j'ai  dans  l'Inde  : 
de»  vers,  îles  cbansona,  etc....  Mais  Rare  les  rêver»,  le  moindre  ïafGnil 
pour  que  les  claquements  de  mains  se  changent  en  silllets. 

Je  ne  sais  pas,  car  personne  ne  m'a  Écrit,  les  lettres  du  ministère  rtaat 
perdues,  en  quelle  considération  je  suis  eu  France,  et  comment  le  public  ■ 
pris  mon  avancement  prématuré  ;  mais  dans  l'Inde,  t  Madras  surtout,  et  du»» 
nos  [les  du  France  et  de  Kourbon,  je  suis  inQnlmeot  plus  considéré  qw  je 
ne  le  mârite.  Je  suis  accablù  de  vers,  de  cbansona,  etc....  Si  Je  passe  t  l'Ilr 
de  France,  ils  feront  des  loliea,  si  leur  cntbousiasme  n'est  point  Rfmidi. 
(LoUro  particulier  de  SulTren  du  S  février  17S3.) 


LIVRE  XV.  475 

duitf  ainsi  que  tout  le  monde,  jusqu'au  gouvernement  où 
il  a  soupe.  Après  souper,  toutes  les  dames  de  la  ville 
sont  venues  lui  faire  une  visite  et  lui  ont  donné  une  séré- 
nade ».  Le  Héros  ^  accompagné  de  la  frégate  la  Cleo- 
pâtrcj  quitta  Tlle  de  France,  le  29  novembre  et  il  mouilla, 
le  22  décembre,  à  Table-Bay.  Lorsque  Sufîren  descendit  à 
terre,  il  fut  reçu  par  le  gouverneur  entouré  des  princi- 
paux fonctionnaires  de  la  colonie.  Toute  la  garnison  était 
sous  les  armes,  et  une  salve  de  vingt  et  un  coups  de  canon 
fut  tirée  en  son  honneur.  Neuf  vaisseaux  anglais,  revenant 
de  rinde,  étaient  mouillés  sur  la  rade.  Les  capitaines  de 
ces  bâtiments  montrèrent  un  empressement  particulier  à 
présenter  leurs  hommages  au  chef  de  Tescadre  française  ^ 
L'état  dans  lequel  se  trouvait  le  Héros  ne  permettant  pas  à 
ce  vaisseau  d'aller  &  Brest,  SufTren  avait  informé  le  minis- 
tre qu'il  irait  à  Toulon.  Il  appareilla  de  Table-Bay,  le  3  jan- 
vier 178(i,  avec  la  Cléopâire  &  laquelle  il  signala,  aussitôt 
qu'il  fut  hors  de  la  rade,  de  se  rendre  en  route  libre  à  sa 
destination.  Le  Héros  eut  connaissance,  le  19  mars,  du 
cap  Spartel,  et,  le  26,  il  laissa  tomber  l'ancre  sur  la  rade 
de  Toulon  *. 


IV 


La   campagne  de    l'Inde   restera  fameuse    dans    les 
annales  militaires  de  notre  pays.  On  peut,  &  bon  droit. 


1.  Je  te  ferais  tourner  latôte  si  je  te  racontais  la  façon  dont  on  m*a  reçu.... 
Les  bons  Hollandais  m'ont  reçu  ici  comme  leur  libérateur....  Mais  parmi  les 
hommages  qui  m'ont  le  plus  flatté,  il  n'y  en  a  point  qui  m'aient  fait  plus  de 
plaisir  que  l'estime  et  la  considération  que  m'ont  témoignées  les  Anglais  qui 
se  trouvent  ici. 

2.  1^  lieutenant  de  vaisseau  de  Moissac,  qui  avait  eu  le  très-grand  honneur 
d'être  à  la  fois,  pendant  cette  campagne,  le  capitaine  de  pavillon  de  SufTren 
et  son  chef  d'état-major  (major  d'e£cadre)j  adressa,  en  débarquant  du  Héros, 
la  lettre  suivante  au  ministre  de  la  marine  :  «  M.  le  bailli  de  SufTren  s'est 
réservé  de  vous  rendre  compte  des  ofGciors  qui  ont  servi  sur  le  vaisseau  ainsi 
que  des  différenb!  événements  de  la  campagne.  Le  zèle  que  j'ai  mis  à  exé- 
cuter les  ordres  du  général,  soit  comme  capitaine  de  pavillon,  soit  comme 
major  de  l'escadre,  ou  dans  les  différentes  missions  qu'il  a  daigné  me 


aiSTOIRE  DR  I.A  MARINE  FRANÇAISE, 
ïrer  comme  l'œuvre   personnellfi  tie  SulTrcn. 
«silOL  que  ce  grand  homme  eut  prisie  commandempnl 
l*e       re  de  l'fnde,  toutes  choses  changèrent  de  fncp, 
X  hpRilaliona  du  comte  d'Orves  sucr^da  une  lifrne  île 
letle  et  bien  ditemiinée.  Il  reconnut  In  néccs- 
é  de  f'unir  élroiteinenl  h  Hvder-Ali,  et,  lorsciii'il  se 
engagé  A  rester  dans  l'Inde,  rien  ne  put  le  détourner 
la  voie  qu'il  s'était  tracée.  Sans  ports,  sans  magasin.'^, 
iftrvînl,  après  les  combats  des  17  février,  12  avril  et  B 
el,  A  Taire  vivi      '  '     '  nî     r  son  escadre.  Ce  ne  fut 
R  dans  ic  couran'  août,  c'est-à-dire  pri**  de 

mois  après  son  l  de  l'Ile  de  France,  que  1'//- 

ttn>.  et  le  Sainl'^'  rivèrent  A  la  côte  de  Coroman- 

1  avec  un  con'  «  11  y  a  I  lit  mois,  écrivait  SulTren 
tans  une  lettre  portani  la  date  du  10  octobre  1782,  que  ji' 
Muis  dans  l'Inde,  dix  passés  depuis  mon  départ  de  l'Ile 
de  France.  J'étais  parti  avec  six  mois  de  vivres  et  on  ne 
peut  pas  plus  mal  en  rechanges.  Je  n'ai  rei;»  de  serour» 
des  îles  qu'il  y  a  un  mois  el  demi.  J'ai  livM  quatre  com- 
bats, j'ai  perdu  trois  grands  mâts,  quoique  je  fusse  snns 
magasins  et  sans  ressources.  A  Torce  de  bonheur  et  de 
conduite,  nous  existons  encore.  M.  d'Apche,  ayant  Pondî- 
chéry  et  les  ports  hollandais  bien  munis,  n'a  jamais  |)ii 
rester  trois  mois  dans  l'Inde,  »  Après  chaque  combat, 
aussitôt  que  ses  vaisseaux  furent  en  état  de  tenir  la  mer, 
il  reprit,  avec  une  ardeur  qui  ne  se  démentit  jamais,  U 
poursuite  de  l'escadre  anglaise.  Il  voulait,  par  une  vic- 
toire, s'assurer  la  liberté  de  ses  mouvements  et  la  possi- 
bilité d'enlever  k  l'ennemi  les  points  que  eelui-ci  occupait 
sur  la  côte.  Pendant  que  les  vaisseaux  anglais  réparaient 
les  dommages  qu'ils  avaient  éprouvés  dans  le  combat 

ronfler,  peut  me  fairp  PRp*rrr  voire  fuiti^rnclinn  à  mon  épnrtl  rt  m*  mériter 
votre  estime.  Je  reganlerak  rrUe  recom|tenKe  comme  aitxsi  flaltcuse  pour  uioi 
que  lesitricesquevouH  daifrneriez  intero'nler  pour  moi  auprès  de  Sa  Màjetfé. 
t^ioiqiie  i  iHrine  arrivé  d'une  rampaicne  longue  et  pénible,  je  serai  loujoun 
pr«t  à  exi^culer  les  urdrea  de  Sa  .Majesté,  si  etle  Jugeait  à  propCM  de  m'em- 
ployer.  • 


LIVliE  XV.  477 

du  6  juillet,  Sufîren  s'empara  de  Trinquemalay.  L'amiral 
Hughes,  soupçonnant  trop  tard  les  projets  de  son  adver- 
saire, se  dirigea  sur  la  côte  orientale  de  Ccylan,  mais  il 
n'apparut  en  vue  du  port,  le  2  septembre,  que  pour  aper- 
cevoir le  pavillon  français  flottant  sur  les  forts.  Dans  la 
lutte  engagée  sur  la  côte  de  Coromandel,  la  prise  de  Trin- 
quemalay était  un  événement  de  la  plus  haute  importance. 
Nous  avions  un  port,  tandis  que  les  Anglais  se  trouvaient 
désormais  condamnés  à  mouiller  sur  des  rades  foraines. 
Au  moment  oii,  après  tant  d'efforts  et  de  difficultés  vain- 
cues, Suffren  voyait  l'état  de  ses  affaires  prendre  une 
tournure  plus  favorable,  la  fortune  soumit  la  fermeté  de 
son  âme  à  de  nouvelles  épreuves.  Il  perdit  VOrieiU  à 
l'entrée  de  Trinquemalay,  et  le  Bizarre  devant  Goudelour. 
Il  apprit  l'arrivée  de  sir  Richard  Bickerton  avec  six  vais- 
seaux en  même  temps  qu'il  recevait  la  nouvelle  de  la 
prise  ou  de  la  dispersion  de  deux  de  nos  convois.  Enfin 
la  division  de  M.  de  Peynier  était  retenue  à  l'Ile  de 
France  par  une  épidémie  qui  sévissait  avec  beaucoup  de 
force  sur  les  troupes  et  sur  les  équipages.  Telle  était  no- 
tre situation,  lorsque  la  saison  de  l'hivernage  obligea  les 
deux  escadres  à  abandonner  la  côte  de  Coromandel.  Suf- 
fren, craignant  de  ne  pas  trouver  à  Trinquemalay  des 
ressources  suffisantes  pour  faire  subsister  son  escadre,  se 
décida  à  se  rendre  à  Achem.  Les  Anglais,  chassés  par  le 
mauvais  temps  de  la  rade  de  Madras,  firent  route  pour 
Bombay. 

Partie  d'Achem,  en  décembre  1782,  Tescadre  française 
parut  près  de  Ganjam  au  commencement  de  l'année  1783. 
Suffren  avait  l'inlention  d'attaquer  quelques-uns  des 
établissements  anglais  situés  sur  la  côte  d'Orixa,  mais 
la  mort  d'Hyder-Ali  le  rappela  brusquement  à  Goude- 
lour. M.  de  Bussy,  ayant  prolongé  d'un  mois  son  séjour 
à  l'Ile  de  France  pour  attendre  le  Hardi ^  ne  rallia 
Trinquemalay  qu'à  la  fin  de  mars.  Quoique  l'arrivée  de 
l'escadre  anglaise  fût  très-prochaine,  il  était  impérieuse- 
ment nécessaire  de  secourir  nos  soldats,  sérieusement 


VrS  HISTOIIIE  DE  l,.\  MARING  FR.\Ni;.AISE. 

menacés  par  le  général  Stuart.  Siifiren  fit  ctnbarquer,sur 
les  vaisseaux  doublés  en  cuivre  et  les  transports  buii» 
marcheurs,  les  troupes  et  l'artillene,  et,  sans  se  pri-occu- 
per  des  dix-sept  vaisseaux  que  l'amiral  Hughes  amenait 
de  Bombay,  il  se  rendit  à  Goudelour.  Au  moment  ofi  hs 
Fran(;ais  rentraient  à  Trinqucmalay,  l'escadre  anglaise 
fut  aperçue  Taisant  route  vers  le  nord.  Tippo-Saïl),  Tati- 
gué  d'attendre  lo  général  de  Bussy,  était  parti  pour  In 
côte  de  Halabar.  D'autre  part,  les  généraux  anglais  avaient 
re^u  de  nombreux  renforts.  Notre  petite  armée,  qui  cill 
joué,  quelques  mois  plus  lot,  unrûle  important,  fui  con- 
trainte de  s'enTermer  dans  Goudelour.  Suffren  appareilla 
de  Trinquemalay  avec  quinze  vaisseaux,  qui  étalent 
presque  tous  dans  de  mauvaises  conditions  sous  le  double 
rapport  du  matériel  et  du  personnel.  Par  l'hahilelé  de 
ses  manœuvres,  il  obligea  son  adversaire  h  prendre  le 
large.  Ce  premier  succès  obtenu,  il  communiqua  avec  la 
place.  Après  avoir  complété  ses  équipages  avec  des 
troupes  empruntées  A  la  garnison,  il  se  porta  au-devant 
de  l'ennemi.  La  rencontre  entre  les  deux  armées  cul  lieu 
le  21,  et,  le  23,  les  Français  revenaient  sur  la  rade  de 
(ïoudelour.  Quant  aux  Anglais,  quoiqu'ils  eussent  dix- 
huit  vaisseaux,  ils  abandonnèrent  le  général  Stuart  et  ils 
se  retirèrent  à.  Uadras.  Celte  affaire,  qui  faisait  le  plus 
grand  honneur  non-seulement  à  SufTren,  mais  à  toute 
notre  escadre,  termina  brillamment  la  campagne. 

Pendant  la  durée  de  son  commandement,  la  conduite 
de  Snfi'ren  fut  en  opposition  constante  avec  ses  instruc- 
tions. 11  tint  celles-ci  pour  non  avenues,  toutes  les  fois 
qu'il  les  jugea  contraires  aux  intérêts  de  la  France.  Ce 
serait  une  erreur  de  croire  que  sa  manière  d'être  à  l'é- 
gard du  ministre,  de  M.  de  Bussy  et  de  M.  de  Souillac 
eût,  à  aucun  degré,  le  caractère  de  l'indiscipline  ou  de 
la  désobéissance.  11  s'exprimait,  dans  sa  correspondance 
officielle,  avec  une  entière  liberté,  mais  il  apportait  un 
soin  particulier  à  donner  sur  tout  ce  qu'il  voulait  entre- 
prendre les  explications  les  plus  précises.  II  ne  Dégligeail 


LIVRE  XV.  479 

aucun  argument  pour  justifier  le  parti  auquel  il  s'arrê- 
tait. Suffren  avait  un  sentiment  très-élevé  des  droits  que 
lui  conférait  sa  position  de  commandant  en  chef.  Ayant 
en  ses  lumières  une  confiance  que  nous  devons  trouver 
bien  légitime,  il  ne  consentit  jamais  à  exécuter  des  ordres 
qu'il  trouvait  contraires  au  bien  de  l'État.  Il  se  disait  qu'à 
la  distance  où  il  était  de  son  pays,  nul  autre  que  lui  ne 
pouvait  être  juge  des  événements  et  de  la  ligne  de  con- 
duite qu'il  convenait  d'adopter. 

Le  patriotisme  le  plus  vrai  était,  en  toutes  choses,  le 
mobile  de  ses  actions.  L'intérêt  de  son  escadre,  c'est-à- 
dire  des  forces  directement  placées  sous  ses  ordres,  dis- 
paraissait aussitôt  que  l'intérêt  général  était  en  jeu. 
Après  le  combat  du  17  février,  il  avait  le  plus  grand  désir 
de  combattre  les  Anglais,  avant  que  ceux-ci  eussent  été 
ralliés  par  le  Magnanime  et  le  Sultan.  Cependant  il  n'hé- 
sita pas  à  rester  au  mouillage  de  Porto-Novo,  lorsqu'il 
eut  reconnu  la  nécessité  d'entrer  immédiatement  en  négo- 
ciation avec  Hyder-Ali.  Il  se  montra  constamment  préoc- 
cupé de  Goudelour  et  de  la  garnison.  Il  semblait  s'être 
donné  la  mission  de  protéger  des  gens  qu'il  consi- 
dérait comme  incapables  de  pourvoir  eux-nlêmes  à  leur 
sûreté. 

Les  difficultés  matérielles  ne  furent  pas  les  seules  que 
Suffren  eut  à  surmonter  pendant  cette  campagne.  Peu 
après  notre  arrivée  sur  la  côte,  le  général  Duchemin, 
dont  les  pouvoirs  étaient  égaux  aux  siens,  reçut  de  M.  de 
Souillac  l'ordre  de  ne  pas  compromettre  ses  troupes 
avant  l'arrivée  des  renforts  attendus  d'Europe.  D'autre 
part,  Hyder-Ali,  dont  nous  nous  disions  l'allié,  réclamait, 
avec  une  insistance  bien  naturelle ,  l'appui  de  nos  sol- 
dats. Le  général  ne  sut  pas  prendre  le  parti  que  com- 
mandaient les  circonstances,  celui  de  donner  un  con- 
cours loyal  et  empressé  au  plus  redoutable  ennemi  de 
l'Angleterre.  Hésitant,  inactif,  il  resta  jusqu'à  sa  mort 
sans  autorité  sur  les  siens  et  sans  influence  sur  l'esprit 
du  chef  de  l'armée  mysoréenne.  Sans  les  instances  réi- 


mSlUniË  DK  LA  UAHIKH  nt:VM.:A.ISK. 

Sulh*»!!,  Je  nubalt  eût  fait  la  paix  avpc  ]es<j| 
Tut  au  moment  où  lu  «otamandaiit  de  noir* 

[;nlait  Ir^^vivemeiit  1«  poids  de  ces  difficullé^, 
prévenu    du  tlépurt  de   M.  d«  IJussy,  envoyé 

e  pour  prendra  te  cununaiidetnont  eu  di«r  des 
.,1  lerro  et  de  mer.  En  accusant  réreplion  du  U 

iepéi.u&  qui  lui  Aniiont;ait  cette  nouvelle,  SuITi-cn  ne  ca- 
illa pa»  au  ministre  son  gentiment  sur  cette  memire. 
"  Par  la  patente  de  M.  dt-  Bussy,  je  suis  sous  ses  ordnw. 
Je  n'eu  suis  r>lclié  que  parce  qu'il  n'en  peut  résulter 
aucun  bien  pour  le  service;  mais  Je  puis  vous  assurer  qui' 
je  ferai  mon  possible  pour  qu'il  n'eu  résulte  aucun  mal. 
-Ma  rai;on  de  penser  doit  vous  eu  Ctrc  uu  sur  j^urant.  l)c 
lieux  choses  l'une,  ou  le  général  de  uier  sait  son  métier, 
uu  bien  il  ne  le  tiait  pas.  Dans  le  premier  cas,  pourquoi 
le  mettre  sous  les  ordres  de  quelqu'un  qui  Tignore  ?  dan» 
le  deuxième,  pourquoi  le  laisser  en  tutelle?  A  quoi  lui 
serviraient  loiS  ordres  de  quelqu'un  encore  plu»  ÎKnoranl 
que  lui,  qui  sera  dans  les  terres  el  lui  A  la  merîi»L'arri- 
\éc  du  nouveau  commandant  en  chef  devint  pour  l'es- 
cadre une  nouvelle  cause  d'embarras.  Suffren  ne  par\'int 
pas  à  être  exactement  renseigné  sur  les  intentions  du 
général,  et  il  ne  sut  jamais  d  quelle  époque  et  où  il  pour- 
rait faire  sa  jonction  avec  lui.  M.  de  Bussy  perdit  un 
temps  précieux  à  l'Ile  de  France,  et  il  fit  très -in  utilement 
la  traversée  d'Acliera  où  il  n'avait  aucune  chance  de  ren- 
contrer nos  vaisseaux.  Lorsqu'il  parut  sur  le  Ihéfltre  de 
la  guerre,  ce  fut  pour  s'enfermer  dans  Goudeluur.  Le  nVIe 
que  nos  troupes  jouèrent  sous  sa  direction  arracha  à 
SultVen  cette  exclamation,  lorsqu'il  sut  que  la  paix  élait 
faite:  "Dieu  soit  loué  de  la  paix!  car,  dans  l'Inde,  il  élait 
clair  que  tout  en  ayant  de  quoi  faire  la  loi,  tout  eill  été 
perdu.  J'attends  vos  ordres  avec  impatience  et  je  désire 
bien  qu'ils  me  permettent  de  m'en  aller.  11  n'y  a  que  la 
guerre  qui  puisse  faire  passer  sur  l'ennui  de  certaines 
choses.  »  Le  général  de  Bussy  compromit,  pendant  cette 
campagne,  la  brillante  réputation  qu'il  s'était  acquise  ou 


V- 


■» 

,  V     UVRE  XV.  .    481 

début  de  sa  carriëret  Toutefois,  il  serait  injùsie  d'oublier 
qu'il  avait  accepté  par'dévouement  à  la  chose  publique 
un  commandement  que  son  âge  et  l'état  de  sa  santé  lui 
eussent  permis  de  refuser. 

Ce  fut  dans  sa  propre  escadre  que  Suffren  trouva  les 
plus  grands  obstacles  &  l'exécution  de  ses  desseins.  Ce 
n'est  pas  à  dire  que  nous  devions  considérer  comme  lé- 
gitimes toutes  les  plaintes  faites  par  le  commandant  de 
l'escadre  de  l'Inde.  Suffren  faisait  la  guerre  avec  passion, 
et  il  n'avait  aucune  indulgence  pour  les  fautes  ou  les 
erreurs  commises  par  ses  capitaines.  Ses  dépêches,  lors- 
qu'elles étaient  écrites  le  lendemain  d'un  combat,  trahis- 
saient une  extrême  irritation  contre  les  personnes,  toutes 
les  fois  que  les  résultats  n'avaient  pas  répondu  à  son 
attente.  Le  temps  présent  exerçait  sur  son  esprit  une 
grande  influence.  Après  une  affaire,  son  opinion  sur  un 
de  ses  capitaines  se  ressentait  des  événements  de  la  jour- 
née. 11  oubliait  volontiers  les  fautes  antérieures  de  celui 
qui  s'était  bien  battu;  mais  il  avait  une  tendance  non 
moins  grande  à  méconnaître  les  services  deTofticier  qui, 
pour  une  cause  quelconque,  n'avait  joué,  ce  jour-là, 
qu'un  rôle  secondaire.  Aussi  n'est-ce  pas  dans  ses  dé- 
pêches prises  isolément,  mais  dans  l'ensemble  de  sa  cor- 
respondance qu'on  doit  chercher  la  vérité  sur  le  person- 
nel de  son  escadre.  Le  capitaine  du  Chilleau  était  un 
brave  officier  qui  s'était  fait  remarquer  à  la  Dominique, 
à  la  Grenade  et  dans  le  combat  du  Pro^ée  contre  les  vais- 
seaux de  l'amiral  Digby.  Si  la  paix  avait  été  faite  après 
le  combat  de  la  Praya,  il  eût  été  considéré  comme  cou- 
pable d'avoir  abandonné  son  chef.  Il  serait  resté,  non- 
seulement  devant  le  ministre,  mais  encore  devant  l'opi- 
nion, sous  le  coup  de  cette  grave  accusation.  Fort 
heureusement  pour  lui,  la  guerre  continua  et  sa  position 
dans  l'escadre  avait  complètement  changé,  lorsque  Suffren 
reçut  du  maréchal  de  Caslries  une  lettre  conçue  dans  les 
termes  suivants  :  «  Je  viens  de  lire  dans  plusieurs  lettres 

31 


482  msTOIIlE  DK  LA  MAflINE  FRANi;AISH. 

purlicu  iiuL'H  du  Ciij),  Monsieur,  que,  si  le  Vetiyeur  cl  le 
fyjihinx  avaient  rauuiilé  el  cxficuUt  vos  oiilrcs,  vous  fus- 
siez détruit  la  Hotte  de  M.  Jolinstune.  Je  vouij  onloUDO, 
Hunsieui',  de  la  ])arl  du  Iloi,  de  me  rendre  couipti'  de  en 
qui  s'est  passé,  lors  de  votre  attaque  de  la  Prayo,  et  d« 
renvoyer  en  France  les  commandants  de  vos  vaisseAUX 
dont  vous  auriez  eu  à  vous  plaindre.  Il  tic  peut  y  avoir 
d'égard  ui  de  considération  qui  [luissc  vous  dispenser  de- 
vons faire!  obéir  et  je  compte  que  vous  nie  mettrez  dans 
le  cas  de  faire  connaître  au  Roi  la  vérité.  Sa  Majesli  or- 
donnerait uu  conseil  de  guerre  pour  la  vérification  di'> 
faitH,  si  les  circonstances  politiques  ne  faisaient  eraiudri' 
do  rendre  public  un  acte  contraire  au  droit  des  gens  en- 
vers la  cour  du  Portugal.  »  L'altitude  du  capitaine  du 
Cliilleau,  au  combat  du  17  février,  lui  avait  valu  l'cstiiuv 
de  son  chef  cl  l'oubli  absolu  de  ce  qui  s'était  passé  dans 
la  baie  de  San  Yago.  Apres  l'ttrfaire  du  12  avril,  SutTren 
demandait  au  ministre,  avec  les  plus  vives  instances,  une 
récunqiensepourle  capitaine  du  Cbilleau,  dontlacouduilc 
était  au-dessus  de  tout  éloge.  «  Si  tous  les  capitaiDU 
a\iuent  fait  comme  lui,  avaii-il  dit  dans  mn  rapport,  les 
Anglais  ne  seraient  plus.  »  Nul  doute  qu'à  ce  moment 
Sull'ren  ne  vtt,  sous  son  véritable  jour,  le  combat  du 
16  avril  1781.  Le  capitaine  du  Cbilleau  avait  eu  le  tort  de 
ne  pas  serrer  d'assez  près  la  pointe  orientale  de  la  baie 
de  la  Praya.  Cette  faute  était  évidemment  fort  gra*e, 
puisqu'elle  avait  eu  pour  conséquence  de  l'empécber  de 
prendre  part  à  l'action;  mais  il  était  contraire  Â  l'équité 
de  dire  qu'il  avait  abandonné  son  cbef.  Dans  un  métier 
aussi  spécial  que  celui  de  la  marine,  les  officiers  qui  ne  su 
trompent  jamais  sont  fort  rai  es.  Les  premières  dépêche» 
arrivées  de  l'Inde  apprirentau  ministre  queM. du  Cbilleau, 
dans  lequel  il  avait  craint  de  trouver  un  officier  inca- 
pable ou  indiscipliné,  était  un  des  meilleurs  capitaines 
de  l'escadre.  Après  le  combat  du  3  septembre,  MM.  de 
Galle,  le  vaillant  capitaine  de  l'Annibat  à  la  Praya,  de 
Saint-Félix,  dont  la  conduite  avait  été  très-belle  aux  trois 


LIVRE  XV.  48S 

combats  des  17  février,  12  avril  et  6  juillet,  du  Glnlleau, 
de  la  Pallière,  d*Aymar,  n'échappèrent  pas  à  Tirritation 
que  lit  éprouver  à  SuITren  l'insuccès  de  cette  journée.  Les 
expressions  regrettables  que  nous  avons  relevées  dans 
son  rapport  au  ministre  atteignaient  tous  les  capitaines 
de  l'escadre,  sauf  MM.  de  Bruyères,  de  Y  Illustre  y  de 
Bcaumont,  de  YAjdx^  et  de  Cuverville,  du  Vengeur.  Or, 
après  cette  affaire,  nous  n*avions  eu  qu'une  seule  ren- 
contre avec  Tennemi,  celle  du  20  juin  1783.  Dans  cette 
journée,  Tescadre  française  avait  fait  Irès-brillamment 
son  devoir.  Toutefois,  à  l'exception  de  M.  de  Peynier, 
cité  dans  le  rapport  de  Suffren,  et  de  M.  de  Salvert,  du 
Flamand  y  qui  avait  laissé  arriver  fort  à  propos  pour  cou- 
vrir son  matelot  de  l'avant,  aucun  des  capitaines  n'avait 
eu  l'occasion  de  se  distinguer  d'une  manière  particulière. 
Cependant,  à  son  arrivée  en  France,  Suffren  lit  accorder 
des  récompenses  à  la  plupart  des  officiers  qu'il  avait 
violemment  attaqués  dans  sa  lettre  du  29  septembre. 
On  pourrait  peut-être  croire  que  certaines  faveurs  ont 
été  accordées  par  le  ministre,  en  dehors  du  commandant 
en  chef  de  l'escadre  de  l'Inde.  La  haute  situation  de  Suf- 
fren et  les  déclarations  très-nettes  du  maréchal  de  Gas- 
Iries  sur  ce  point  excluent  cette  supposition.  Vous  pouvez 
compter,  monsieur,  «  que  ce  sera  vous  qui  disposerez 
des  grâces  que  vous  estimerez  juste  que  le  Roi  fasse,  et 
qu'il  approuvera  toutes  les  punitions  que  vous  aurez  i)ro- 
noncées  »,  écrivait  le  ministre  à  Suffren,  en  lui  annonçant 
sa  nomination  au  grade  de  lieutenant  général. 

MM.  de  Bruyères  et  d'Aymar  ayant  commandé,  le  pre- 
mier Vlllv^tre  et  le  second  le  Salnl-Micliel  au  combat  du 
3  septembre,  furent  nommés  commandeurs  de  Saint- 
Louis.  Le  capitaine  de  vaisseau  du  Chilleau  eut  une  pen- 
sion de  quinze  cents  livres,  et  il  fut  fait,  ainsi  que 
M.  d'Aymar,  chef  de  division  en  1786.  M.  de  Saint-Félix, 
auquel  une  i)ension  dehuitcenls  livres  avait  été  accordée, 
après  le  combat  du  12  avril,  en  eulune  seconde  de  quatre 
cents  livres  sur  le  trésor  royal,  en  juillet  1784.  M.  de  la 


k 


kSIi  lUSTOIUE  DE  LA   MAHINE  FRANÇAISE. 

Piilliëi'C,  l'anciea  capitaine  de  VOrient  qui  cLait,  à  causa 
de  l'état  de  sa  santé,  dans  l'impossibilité  de  servir  acliTfr; 
meut,  fut  mis  à  la  retraite  avec  la  commission  de  chefi 
division  et  une  pension  de  trois  mille  six  cents  livres.  ( 
ne  doit  pas  perdre  de  vue  que  M.  de  la  Pallièrc  n'avi 
rien  fait  depuis  le  combat  du  3  septembre,  puisque  84 
vaisseau  s'était  perdu  en  rentrant  à  Trinqucmalay.  Or, 
Était  dit  dins  les  considérants  du  décret  qui  lui  accordi 
les  avantages  indiqués  ci-dessus,  «  M.  de  la  Paliière,  a 
cien  capitaine  de  vaisseau  de  la  Compagnie  des  Indes,  ti 
fait  la  guerre  honorablement.   Parti  de  France  avec  Ift 
vaisseau  le  Sévère,  -il  a  pris  part  à  quatre  combats,  et  tt 
élait  à  la  prise  de  Trinqucmalay.  »  M.  de  Galle,  nomi 
capitaine  de  vaisseau  pour  sa  conduite  à  la  Praya,  obU 
une  pension  &  la  fin  de  la  campagne.  Apres  cette  démoi 
tration,  basée  non-seulement  sur  la  corresjiondance,  UDÛ 
aussi  sur  la  conduite  de  SulTrcn,  il  est  permis  de 
qu'il  ne  faut  pus  allaclier  une  trop  grande  importance' 
quelques-unes  dos  plaintes  portées  contre  les  cupitaiu 
de  l'escadre  de  l'Inde.  UM.  d'Aymar,  du  Cliilleau,  de  Sain 
Félix,  de  la  Paliière,  de  (ialle,  traités   très-sévfcrejiwi 
dans  la  lettre  du  29  septembre,  eurent  des  croix  ou  A 
pensions.  Si  le  Bailli  de  SulTrcn  cédait  quelquefois,  en  r 
digeant  un  rapport  immédiatement  après  «ne  bataille, 
la  vivacité  de  ses  impressions,  la  loyauté  de  suncarDcÛif 
le  mettait  au-dessus  d'une  injustice.  II  estinulile  défaire 
remarquer  l'extrême  sagesse  qui  préside  à  la  distribution 
de  quelques-unes  de  ces  récompenses.  Données  en  dehoi&j 
de  toute  faveur,  elles  montrent  l'cprit  qui  dirigeait  ï 
lustre  chef  de  l'escadre  de  l'Inde,  M.  de  Peynier  est 
chef  d'escadre  jiarce  qu'il  est  reconnu  digne  d'exercefi 
importantes  fonctions.  Sufîren  n'a  pas,  sur  les  talents 
MM.  d'Aymar  et  de  Bruyères,  une  opinion  aussi  favi 
ble.  Néanmoins  ces  deux  officiers  ne  sont  pas  oubliés, 
croix  de  commandeur  de  Saint-Louis  qui  leur  est 
déo,  n'est  donnée,  d'après  les  usages  du  temps,  qu' 
chefs  d'escadre  et  aux  lieutenants  généiaux. 


LIVRE  XV.  485 

Suffren  ne  veut  pas,  c'est  qu'on  donne  à  la  bravoure  ce 
qui  revient  au  mérite.  Cette  doctrine,  soutenue  par  un 
des  plus  grands  de  tous  nos  amiraux,  doit  être  relevée. 
Ce  quMl  faut  à  la  tôle  des  flotlesct  des  armées,  ce  ne  sont 
pas  seulement  des  hommes  courageux,  maïs  des  chefs  ca- 
pables de  les  conduire  à  la  victoire. 

Le  ministre  montra  une  très-grande  sévérité  à  Tégard 
des  officiers  dont  le  commandant  de  Tescadre  de  l'Inde 
avait  eu  réellement  à  se  plaindre.  M.  de  la  Landclle,  re- 
venu en  France  sur  sa  demande  après  le  combat  du  3  sep- 
tembre, le  lieutenant  de  vaisseau  de  Tréhouret,  capitaine 
du  Bêsarre,  lorsque  ce  vaisseau  s'était  perdu  àGoudelour, 
le  lieutenant  de  vaisseau  qui  avait  pris  le  commandement 
de  VArtésieny  le  16  avril  1781,  après  la  mort  du  capitaine 
de  Cardaîllac,  furent  mis  à  la  retraite.  M.  de  Forbin  obtint, 
comme  une  très-grande  faveur,  de  quitter  le  service*. 
MM.  Bidé  de  Maurville*  et  de  Cillart  furent  raves  des  listes 
de  la  marine.  M.  de  Cillart  fit  paraître  un  long  mémoire 
pour  expliquer,  si  ce  n'est  môme  pour  justifier  sa  con- 
duite. Il  avait,  disait-il,  un  très-faible  équipage,  peu  de 
matelots  et  de  canonnîers.  Enfin,  au  moment  où  il  avait 
cédé  à  la  fatale  détermination  d'amener  son  pavillon,  son 
vaisseau  se  trouvait  très-mal  traité.  M.  de  Cillart  avait  le 
tort  de  ne  pas  comprendre  que  toute  discussion  sur  ce 
point  était  sans  objet.  Que  le  Sévère^  qui  avait  beaucoup 
souffert  pendant  la  première  période  de  la  bataille,  frtt 
incommodé  du  feu  très-vif  du  Si/Z/an,  celan'était  pasdou- 

1.  Le  comte  de  Forbin  commandant  le  Vengeur  h  la  Praya  et  dans  Pfnde, 
capitaine  de  vaisseau  du  dcpartomcnl  de  Toulon,  ayant  ofitenu  la  permissio 
de  quitter  le  service,  ne  sera  plus  porté  sur  les  états  do  revue  h.  compter 
du  12  septembre  1784  (archives  de  la  marine).  Le  comte  do  Forbin  avait 
été  enfermé  au  château  du  Pont-Saint-Esprit,  à  son  arrivée  en  France.  Il  y 
était  resté  jusqu'au  moment  oh  cette  décision  avait  été  prise. 

2.  Le  capitaine  de  vaisseau  Hidé  de  Maurville,  commandant  de  V Artésien 
dans  l'Inde,  s'est  constamment  mal  conduit  dans  los  conil>ats  du  17  février, 
do  12  avril  et  du  6  juillet  1782.  Le  5  juin,  il  laissa  échapper  un  vaisseau 
anglais  en  levant  la  chasse  sans  ordro.  Détenu  au  château  de  Ttle  de  Ré,  à 
son  arrivée  en  France,  il  fut  élargi,  le  2.S  juillet  1784,  jour  où  il  fut  rayé  des 
listes  de  la  marine  (archive   de  la  marine.) 


48B  HISTOlflK  DE  I.A  MARINE  FRANÇAISE. 

lcii\.  Mais  le  niiiibal,  oiigagt^  entre  ces  dmix  vai!*seauv, 
ne  dpvait  durer  que  le  temps  nécessaire  au  Sultan  pour 
Rchevor  son  viremenl  de  bord.  Le  capitaine  James  Wall, 
qui  était  fort  loin  des  siens  ol  Irts-prfes  de  nous,  n'avait 
et  ne  potivHÎt  avoir  d'autri; penste  que  de  fuir.  Cesl, d'ail- 
leurs, ce  qu'il  fil  aussitôt  qu'il  eut  le  cap  en  roule.  Il  edi 
gurfi  que  M.  de  Cillart  déployât  un  peu  d'énei^ie  pour 
écliappcr  A  l'afTreuse  situation  dans  laquelle  il  se  pja<;a. 
Le  Sihtèfe  avait  joué  un  rôle  Tort  modeste,  les  17  févriiT 
el  12  avril,  mais  il  avait  tr{<s-braveinent  fait  »on  dcvfiirlr 
6  juillet,  il  est  évident  que  cet  orflcier  perdit  In  tête  Ior>- 
qu'il  Tnl  bord  h  bord  avec  le  .^uUnn.  Dans  les  vaisseaux 
rran(:ais  qui  évoluaient  auluur  de  lui,  cl  dont  quelqiie»- 
uns  nianœuvraient  pour  se  porter  à  son  secours,  il  nevil 
que  dR!;  bdtiuienls  qui  l'abiindonnaient.  M.  de  TromHin 
n'nvuii  pas  quitté  l'escadre  de  l'Inde  dans  les  même»  coii- 
ditions  que  MM.  de  Manrvïtle  et  do  Forbin.  Après  le  com- 
bat du  3  se]ifeinbro,  il  avait  obtenu  du  cnmmaiidant  en 
chef  l'autorisation  de  rentrer  en  France.  Le  capitaine  de 
YAïKiihnl  st'Iait  bien  battu,  le  12  a^Til,  et  encone  mieux, 
le  6  juillet,  mais  son  rôle  avait  été  nui,  ie  17  février  et  le 
3  septembre.  Les  fonctions  de  chef  de  division  que  rem- 
plissait M.  de  Tmmelin,  et  les  difTicultés  qui  s'étaient 
élevées  entre  Suiïren  et  lui,  à  l'Ile  de  France,  au  sujet  du 
commandement  de  VAnnibal,  avaient  attiré  l'altenlion  du 
ministre  sur  sa  personne.  Lorsqu'on  apprit,  à  Paris,  ()u'il 
'  s'était  démis  volontairement  du  commandement  de  son 
vaisseau,  sa  radiation  des  bstes  de  la  marine  fut  décidée'. 
M.  de  Tromelin  publia  un  long  mémoire,  et  il  fit  des  {té- 
marches  trés-aclives  pour  obtenir  que  la  mesure  prise  à 
son  égard  fût  révoquée.  Le  ministre,  (jul  lui  reprochait 
d'avoir  fait  à  son  chef  une  opposition  systématique,  el 
d'avoir  montré  une  très-grande  ignorance  ou  beaucoup 

I.  M.  de  Troindin.  loiinnandanl  lAiiuiUil  (français)  boiib  Siifrrcn.  fui 
n)6  iJps  lixtoB  de  la  niannu  en  eti-culïon  de  ta  décision  rojale  du  l.'i  jnil- 
lel  IIIW,  dapr^  li's  plainlcs  portée»  mtilre  lui  par  M.  de  !iu(rn>i)  (nrrhiie* 
de  In  marine). 


LIVRE  XV.  487 

(le  mauvaise  volonté,  fut  inflexible.  M.deTromelin  aurait 
dû  imiter  la  conduite  de  MM.  de  Saint-Félix  et  de  Galle. 
A  leur  arrivée  à  Tlle  de  France,  ces  deux  officiers  expri- 
mèrent hautement  leur  regret  d'être  éloignés  de  Tescadre, 
et  le  désir  de  la  rejoindre,  aussitôt  que  Tétat  de  leur  santé 
le  leur  permettrait'.  Tous  deux  avaient  déjà  commandé 
(les  vaisseaux  avec  les(iuels  ils  avaient  pris  part  à  plu- 
sieurs combats.  Néanmoins  ils  n'hésitèrent  pas  à  accep- 
ter la  position  de  capitaines  en  second,  M.  de  Galle  sur 
V Argonaute,  et  M.  de  Saint-Félix  sur  le  Fendant,  pour  re- 
tourner dans  rinde*.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  doit  exprimer 
le  regret  que  MM.  de  Forbin,  deMaurville  etdeTromelin 
n'aient  pas  été  traduits  devant  un  conseil  de  guerre.  Les 
faits  eussent  été  mieux  connus,  et  Tarrôt  qui  serait  in- 
tervenu n'aurait  permis  à  aucune  réclamation  de  se  pro- 
duire. 

Nous  avons  montré  qu'on  ne  devait  pas  juger  la  con- 
duite des  officiers  de  l'escadre  de  l'Inde  d'aj)rès  quelques 
lettres  de  Suffren,  mais  sur  l'ensemble  de  sa  correspon- 
dance. Nous  ajouterons  qu'il  ne  faut  pas  confondre  les 
gens  qui  ne  savent  pas  se  battre  avec  ceux  qui  ne  le  veu- 
lent pas.  Sur  le  champ  de  bataille,  et  môme  dans  les  ma- 
nœuvres faites  hors  de  la  présence  de  l'ennemi,  la  bonne 
volonté  ne  suffit  pas.  Le  lieutenant  de  vaisseau  de  Tré- 


1.  Il  fiaratt  que  MM.  de  Galle  cl  de  Saint-Félix  n'ont  pas  «voulu  Hro  con- 
fondus dans  la  liste  de  ceux  que  Tcnnui  du  méti<TOu  la  mauvaise  volonté  a 
ramenés  aux  Iles,  (lettre  du  maréchal  de  (^astries  d  M.  de  Souillnc  du 
20  avril  1783.) 

2.  I^  10  décembre  1782,  M.  de  dalle  s'embarqua,  h  l'Ile  de  France,  comme 
capitaine  de  vaisseau  en  .•second,  sur  V Argonaute,  commandant  (llaviéres. 
Il  était  présent  sur  ce  vaisseau  au  combat  du  20  juin  1783.  Le  lendemain, 
M.  de  SulTren  lui  pro[M>sa  le  commandement  de  VAjax.  mais  le  mauvais  étal 
dans  lequel  était  relond)ée  sa  santé  ne  lui  |MTmit  pas  d'accepter  ce 
témoif^age  flatteur  de  la  bonté  de  son  général.  L'Anjoimutr  restant  dans 
rindc,  il  passa  sur  le  VeuQeur  comme  capitaine  en  second,  (l-llats  des  ser- 
vices de  M.  de  Galle.)  M.  de  Saint-Félix  avait  embarqué  sur  le  vaisseau  le 
Fetidant  commr  capitaine  en  second,  le  \*'  décend)re  1782.  à  l'Ile  de  France. 
Il  assista  sur  ce  vaisseau  au  combat  du  20  juin  1783,  et  Suiïrcn  lui  donna  le 
lendemain  le  commandement  du  Flamand. 


488  IllSTOiriE  DE  LA  MAIIIXR  mANÇAISE. 

Iiuurct,  auquel  Suffren  avnil  i-onllf  le  commandemcnl  ilu 
BinnTe  nprès  le  déjiarl  cie  M.  de  la  Landelle,  Alail  forl 
honoré  d«  son  nouveau  poste,  pI  il  ne  soiihailnit  rien  Innl 
que  de  le  remplir  h  liisnlisrartionde  son  chf->f.Op|»cn(Ianl, 
il  perdit  ce  vaisseau  en  iiiouiltani  sur  la  rade  de  'joiide- 
lour  pnr  un  tr^s-llCaH  temps.  Cet  oflicier  fut  puni  decellf 
faute  par  sa  mise  A  In  retraite.  Il  est  permis  de  dire  qu'il 
paya  fort  cher  l'honueiir  d'avoir  commandi^  trop  \M  un 
vaixi^eau  de  ligne.  Ce  qui  est  d'une  vérilé  inconleslal'lc, 
c'eftt  l'extr^mo  mMiocrili-  de  la  plupart  des  capitaines  H 
des  ofliciers  places  sous  les  ordres  de  SulTren'.  Cetli- 
situation  tenait  il  un  état  général  de  la  inarinr.  h  cptic 
époque,  que  nous  allons  indiquer. 

Les  préparatifs  de  la  guerre  de  l 'indépendance  anuTÎ- 
caine  commencèrent  le  lendemain  du  jour  oii  fut  sifim- 
le  traité  de  Paris.  Le  dur.de  Choitteul  travailla  mna  bruil, 
atin  de  ne  pas  attirer  l'attention  de  l'Anglctern!,  maisaiiT 
la  plus  frnmde  activité  d  lu  réorganisation  de  nos  force« 
navale».  Il  y  cul,  en  1776,  un  moment  où  la  guerre  fut 
considérée  comme  très-proche.  M.  de  Sartines,  préoccnp* 
de  la  question  du  personnel,  mit  à  la  retraite  les  offlciers 
que  leur  &ge  ou  l'état  de  leur  santé  rendait  incapables 
de  servir  activement.  On  fit  des  promotions,  et  ou  voit 
dans  les  rapports  adressés  au  Boi  pour  l'exécution  de  ces 
mesures  l'intention  très-nede,  de  la  part  du  ministre,  lic 
n'avancer  que  de  bons  ofilciers.  Les  résultais  du  eombal 


1 ,  Je  ne  pais  entrer  dam  ancDU  ddtell,  mai»  ai,  dana  cttte  eaoïdrr.  on  nt 
change  |>aB  cinq  ou  lix  uipitainca,  on  ne  fero  jaiuaif  rii'n.  (l.cUrc  de  SiilTmi 
nu  ininii'lre  de  la  niarinr.)  SufTren  avait  àijii  ^ril,  à  [iropw  de  rnirnirr  ilu 
17  février,  qu'il  ne  pouvait  paa  renvoyer  lea  mpilaine»  dont  il  était  méron- 
tenl,  parce  qu'il  ne  trouverait  paa  dans  fon  escadre  dea  oniciers  sufliMininirnl 
capaÛpti  ponr  les  remplacer. 

Il  faut  nonii  envoyer,  diuil-il  dans  une  autre  lelire,  des  olOriers,  rar  aan* 
«nx  aucune  ««cadre  n'est  pos5il)le.  On  pouvait  nppliqurr  avec  justice  t  an 
certain  nombre  de  capitaine»  ce  que  SulTren  itiuiit  de  MN.  Forbin,  Mauniltr. 
Bouvet,  de  la  [jindHIe  et  Cillart  apr.'»  le  couil'at  du  17  avril  :  •  Ont  fait  Iiîfb 
médiocrement.  Opendanl  ce  n'est  le  tu»  ni  de  conneil  de  guerre  ni  dr 
démonter  ce»  meimipur)'.  - 


LIVUE  XV.  489 

il'Ouossant  monlrirent  l'eflîcarité  des  moyens  employés 
depuis  1763  pour  reconstiluer  noire  mnrïne.  Certains  de 
valoir  nos  adversaires,  nous  n'avions  plus  &  nous  préoc- 
cuper que  de  leur  nombre.  On  ne  larda  pas  à  s'aperce- 
voir que,  si  on  avail  bien  Tait,  on  n'avait  pas  fait  assez. 
La  paix  qu'on  considérait  comme  tri-s-proche  ne  se  lit 
pas.  1,'F^spagne  se  joignit  à  la  France,  mais  eetle  puissance, 
absorbfc  par  la  pens/^e  de  prendre  fiibrultar,  ne  nous  Tut 
(jiie  d'un  Faible  secours.  Après  l'Espagne,  ce  fut  au  lonr 
des  Elals-Généraux  à  se  déclarer  contre  l'Anf^letcrre.  L'al- 
liance de  la  Hollande  ne  fit  que  nous  créer  dos  embarras, 
et  la  Frnace  se  trouva  presque  seule  en  face  de  son  puis- 
sant adversaire  '.  Notre  marine  ne  recula  pas  devant  celle 
lâche,  mais  elle  lut  obligée  d'avoir  recours  à  des  moyens 
qui  l'alTaiblircnt.  Kn  temps  ordinaire,  les  garnisons  des 
vaisseaux  étaient  composées  de  soldats  appartenant  aux 
troupes  de  la  marine.  Ces  hommes,  habitués  à  la  vie  de 
bord,  rompus  fi  toutes  les  exigences  de  leur  métier,  n'é- 
tant plus  assez  nombreux,  furent  remplacés  par  des  sol- 
dais empruntés  à  l'armée  de  terre.  Quand  les  matelots 
devinrent  rares,  on  diminua  la  proportion  des  hommes 
de  mer  entrant  dans  la  composition  des  équipages.  Les 
capitaines  se  trouvèrent  sou\ent  lieureux  d'obtenir  des 
soldats  dos  troupes  de  la  marine  à  la  place  de  matelots 
qn'on  ne  pouvait  pas  leur  donner. 

La  question  des  états-majors  ne  présent»  pas  moins  de 
difficultés.  Il  ne  fut  pas  possible  de  se  conformer  aux 
dispositions  réglementaires  concernant  l'embarquement 
des  officiers'.  Dès  le  mois  de  juillet   1778,  le   comte 


ï.  pins  je  réflpcliis  h  i'pI  objet  (il  «'agiisnit  île  In  diiclnralinn  dpfcuerri'  <1e 
Il  GTande-Rretagne  à  la  Hpllnnde),  plus  je  suis  i>mlarrii$)w  pniir  dislingner 
■î  nous  devons  nou!>  réjouir  do  cet  j^vËnemcnt  ou  ddiik  rn  aCDiRar.  (Ij-llre 
d«  M.  de  Vergennea  à  H.  de  Montmoriti.) 

3.  Un  réglrinienl  du  14  fi^vriur  1778  dirait  que  les  raituwaui  a  les  IréKalm 
luraieitl,  suiviDl  leur  rang,  le  aombre  d'nfliriers  daignés  ci-aprAs,  savoir  : 
les  vsissesux  de  cent  canons  ol  au-dessus,  deux  rspilsincs  de  Tiissmii. 
tinq  lieutenant*,  cin<[  PHneignes  et  igoalru  oflicicrti  luxîliairco  ;  le«  vaisseaux 
dp  qnalre-viiiKl-di\,  rieiix  cipit.iinPt*  i\e  vniswnu,  cin(|  Meutpiianis,  Hriq  rn- 


WO  HISTOIRE  DE  Là  MAIUNE  PRANf.AISK. 

il'OrviUiprs  i^îpiala  l'insiifllsance  fies  caiires.  Otie  nn- 
iiL'c,  nous  avions  ceni  soixuiite-seiicG  Mtiments  armH.  (^ 
cliilTre  s'éleva,  en  1779,  à  deux  cent  Boixanle-([ualri>,  t-l, 
en  1782,  &  trois  cent  vingt-cinq.  Il  fallut  remplacer  le« 
officiers  tués,  ceux  qui,  par  suite  de  l'état  de  leur  sanl<' 
ou  de  leurs  blessures,  étaient  hors  d'état  de  naviguer,  el 
pourvoir  aux  besoins  nécessités  par  les  nouveaux  annis 
monts.  De  nombreuses  promotions  eurent  lieu.  Le  cadre 
des  capitaines  de  vaisseau  perdit  de  sa  solidité,  et  reliii 
des  lieutenants  et  des  enseignes  s'épuisa.  Le  ministre  se 
vil  obligé  d'employer  tous  les  officiers,  même  reux  (jii'il 
eût  volontiers  écarlés.  On  augmenta  le  nombre  des  ofti- 
liers  auxiliaires,  et  on  lit  appel  aux  anciens  ofliciors  (!«■ 
In  Compagnie  des  Indes.  Les  conditions  dans  lesf|ue)l<->i  N' 
Proipctew  fut  pris  par  le  FoutlroyaiU  montrent  les  n'-.Mil- 
lals  Huxcjuels  on  peut  arriver,  lorsque,  jiendanl  la  \m\, 
on  ne  se  ménage  pas  des  ressources  suffisanles  p^mr 
faire  la  guerre*.  Ces  armemenis,  qui  étaient  hors  de  pro- 
portion avec  nos  préparatifs,  auraient  complélemcnl 
di''sorganisé  le  personnel  de  la  marine,  si  relui-ci  nnvnil 
pas  eu  une  tr6s-grande  solidité.  Le  gouvernement  fran- 
çais avait,  au  début  de  la  guerre,  l'intention  d'agir  dan:^ 
l'Inde  avec  vigueur.  Une  première  escadre,  prête  à  faire 

sci^CB  et  ImiH  oDiciert  auxiliatrrsj  le»  vaisseaux  de  quatre-TinKts,  dnii 
rapilAineu  de  vaisseau,  quatre  iieuteiianl!>,  quatre  enseignes  el  Irais  officirr' 
auxiliaires;  tes  vaisseaux  de  Boiiiante-qualaree,deuxcapilBines  àa  vaisseau, 
quatre  lieulrnant!!,  Irais  enseignes  et  trois  oDiciers  auxiliaires  :  leH  vaisseani 
lie  Koixanlc-quBtrc.  un  capilaine  de  vaisseau,  quatre  lirutenanls  de  vaii<*ei>, 
Irais  enseignes  et  Irais  «fliciers  auxiliaires;  les  vaisseaux  t)e  dnquuilr, 
un  eii]>ilBinc  de  vaisseau,  quatre  lieulenanls  devaisKeau,  deux  enseieae<dr 
vnisseau  el  deux  oUicicrs  auxitinires,  I^s  fregales  commandi^  par  un  cap>- 
Inine  de  vaisseau  devaient  avoir  un  lieutenant  de  vaisseau,  deux  enseigo'» 
ettraiH  olTIricrs  auxiliaires.  4  belles  qui  étaient  cuuimandées  par  un  lirulenanl 
de  vaisseau  avaient  un  lieulenanl  de  vaisseau,  deux  en«ei|mes  el  Ikh^ 
«rileiers  auxiliaires. 

1.  On  Hn  ra|)|>ellc  ijue  le  plus  ancien  officier  d'un  vaisseau  de  soixante- 
quatorze  iMait  un  jeune  enseigne  de  dix-neuf  ans.  Dans  le  mmlial  <le  l> 
llrUotie  el  du  Coirriifri/,  le  capitaine,  le  lieulenanl  de  vaisseau  <le  Pirrrr- 
verl,  neveu  Je  Suflrau.  ajanl  élé  tué,  ce  fut  un  officier  auxiliaire  qui  lui 
■urréda.  Ce  dernier  aiant  eu  le  même  sort  que  son  capilaine,  le  comumi- 
demcnt  de  la  fréRalo  (inssa  k  on  officier  napolitain. 


LIVRE  XV.  491 

roule  pour  l'Ile  de  France,  reçut  brusquement  Tordre 
de  rallier  le  comte  d'Eslaing,  tenu  en  échec  à  la  Marti- 
nique par  Tamiral  Byron.  Une  seconde  escadre,  ayant  la 
même  destination,  était  sur  le  point  de  prendre  la  mer, 
lorsqu'elle  fut  sacrifiée  à  un  besoin  non  moins  pressant. 
Le  ministère,  qui  reconnaissait  rimpcrieuse  nécessité 
d'envoyer  des  troupes  en  Amérique,  ne  disposait  pas 
d'une  force  suffisante  pour  protéger  leur  passage.  Il  est 
inutile  de  rappeler  les  résultats  considérables  obtenus 
par  le  corps  de  Rochambeau.  Quelques  vaisseaux,  pres- 
que tous  médiocremefnt  armés,  furent  expédiés  isolément 
h  rile  de  France*.  La  division  navale  de  l'Inde  avait 
joué  jusque-là  un  rôle  trop  effacé  pour  que  les  comman- 
dements de  ces  navires  fussent  recherchés.  Les  officiers, 
quel  que  fût  leur  grade,  demandaient  à  servir  là  ou  ils 
avaient  le  plus  de  chances  de  rencontrer  l'ennemi,  c'est- 
à-dire  en  Europe  el  dans  les  Antilles*.  Lorsque,  plus  tard, 
l'escadre  de  l'Inde  passa  sous  les  ordres  de  Suffren,  la 
plupart  des  capitaines  ne  se  trouvèrent  pas  à  la  hauteur 
des  obligations  que  leur  imposa  le  génie  entreprenant 
de  leur  chef^  On  connaissait  si  bien  cette  situation. 


1.  Nous  devons  ajouter  que  les  vaisseaux  expédiés  à  l'Ile  de  France  arri- 
vèrent à  leur  destination  extrêmement  alTaiblis.  Le  capitaine  de  vaisseau 
«l'Orves,  en  rel.\che  au  cap  de  Bonne-Espérance  avec  le  vaisseau  l'OriciW, 
écrivait  au  ministre  qu'il  avait  perdu  quarante-neuf  hommes  |)cndant  sa 
traversée.  l\  annonçait  qu'il  laisserait  en  parlant  vingt  hommes  dans  la 
colonie.  Il  avait  deux  cent  soixante-dix-huit  hommes  sur  les  cadres  ou  hors 
d'état  de  servir.  Les  autres  vaisseaux  ne  souffrirent  pas  autant  que  VOrienl. 
mais  tous  perdirent  du  mondc^  et  ils  eurent  un  grand  nombre  de  malades. 

2.  Les  amiraux  servant  en  Europe  et  dans  les  Antilles  usaient  de  leur 
influence  pour  conserver  dans  leurs  escadres  les  meilleurs  ofllciers.  Suffren 
ne  put  obtenir  que  le  capitaine  d'Albert  de  Rions  vint  avec  lui,  quoique  lo 
ministre  fût  disposé  à  le  lui  donm^r.  D'Albert,  écrivait  Suftren  dans  une  lettre 
particulière  portant  la  date  du  26  février  1781,  avait  autant  envie  de  venir 
avec  moi  que  j'en  avais  de  l'avoir  :  «  M.  de  Grasse  s'y  est  opposé  et  l'a 
emporté.  • 

3.  Ce  qui  suit  fournira  un  nouvel  exemple  des  difficultés  avec  lesquelles 
Suffren  el  ses  capitaines  avaient  eu  û  lutter.  Deux  vaisseaux  français, 
VAnuibal  et  VAjaXj  rentrant  en  Europe  après  la  paix,  touchèrent  au  cap  de 
Bonne- Espérance.  VAnnibal  avait  perdu  soixante  hommes  du  scorbut 
pendant  sa  traversée;  et  il  ne  comptait  pas  moins  de   cent  soixante  ma- 


492  HISTOmiv  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE 

k  Paris,  que  le  maréchal  écrivait  4  SulTren  le  17  avpit 
1782.  «  Vous  avez  vu,  monsieur,  par  toutes  les  disposi- 
tions qui  ont  suivi  celles  de  voire  départ,  que  te  Roi  a  en 
l'intention  de  ne  nommer  au  commandement  des  vais- 
seaux qui  sont  passés  dans  l'Inde  que  des  odiciers  en  élij 
de  vous  seconder  dans  des  opérations  que  M-  d'Orves 
et  vous  jugeriez  devoir  être  Tormées.  u  Poursuivi  par  la 
pensée  de  réduire  IVscadre  anglaise  à  l'impuissance, 
SufTren  ne  voulait  que  des  alTaires  décisives.  Lorsque  lu 
circonstances  ne  lui  permetlaient  pas  d'apporter  dam 
son  attaque  la  méthode  et  la  régularité  qui  eussent  renila 
Tacile  la  lAche  de  chacun,  ses  signaux  indiquaient  nette- 
ment le  but  qu'il  poursuivait.  Il  pensait  que  ses  capi- 
taines sauraient  agir  sans  attendre  des  ordres  qil'R 
n'était  plus  possible  de  leur  donner  une  fois  l'alTaire  en- 
gagée. Celte  espérance  fut  constamment  trompée.  Esceplê 
à  l'alTairc  (ki  20  juin,  il  se  produisît  dans  les  combalff 
livrés  sur  la  cdte  de  Goromandel  des  incidents  qui  obli- 
gèrent les  capitaines  à  ne  prendre  conseil  que  (l'eun^ 
mêmes.  Le  17  février,  le  12  avril,  le  6  juillet  aprts  la 
saule  de  vont,  et  le  3  septembre,  le  succès  dépendait  ié 
la  capacité  particulière  de  chacun  d'eux.  SuITlren  i 
trouva  pas  dans  son  escadre  cotte  souplesse  et  celte  faci- 
lité de  manœuvre  qui  eussent  été  nécessaires  A  l'exécu- 
tion de  SCS  desseins.  Est-il  surprenant  qu'il  se  soit  plaint-| 
avec  autant  d'amertume  de  l'infériorité  de  ses  capilaîneaïa 
Quand  on  mesure  les  obstacles  qu'il  a  dil  vaincre,  son 
génie  semble  encore  plus  grand. 

Au  moment  oii  la  paix  fut  signée,  l'opinion  publique,  en 
France,  ne  distinguait  d'une  manière  parliculii-rc  aucun 
des  amiraux  ayant  commandé  en  Europe,  nux  Anlill(a|U 
ou  sur  les  côtes  d'Amérique.  Le  combat  d'Ouossanl  cl  l 
services  du  lieiilenanl  général  d'Orvillicrs  avaient  été  p 
dus  de  vue,  à  la  suite  de  l'expédition  désasireuse  de  1711 

IddcK.  Tr*iil<^m>pl  hommi»  étaient  mortK,  h  bord  de  VAjiii 
part  de  Triiiqui'malaj,  ('l  il  j  nvail  cent  Ir^iHe  linmmc*  b 
VAnnilial  nv.iit  Tiiil  jijsr|u'li  ili\-liuii  [wiuccs  il'enu  il  Thnire. 


LIVRE  XV.  493 

Ces  derniers  événements  étaient  encore  trop  proches  pour 
qu'onrendîtàcet  officier  général  lajusticequi  luiétaitdue. 
Le  comte  d'Estaing,  rentré  en  France  après  son  échec  de- 
vant Savannah,  n'avait  repris  la  mer  que  pour  conduire 
une  escadre  de  Cadix  à  Brest.  Les  brillants  résultats  de  la 
campagne  de  1781  avaient  donné  au  comte  de  Grasse  une 
popularité  qui  avait  disparu  le  jour  où  le  fatal  combat 
de  la  Dominique  avait  été  connu.  Il  restait  les  lieutenants 
généraux  de  Guichen  et  de  Lamotte-Picquet.  Le  premier 
avait  bien  dirigé  son  escadre  dans  les  trois  rencontres 
qu'il  avait  eues  avec  Rodney  en  1780.  S'il  n'avait  pas  in- 
fligé de  grandes  pertes  à  l'ennemi,  il  n'en  avait  subi 
aucune.  A  la  fin  de  cette  campagne,  il  s'était  démis  de 
son  commandement  qu'il  trouvait  au-dessus  de  ses  forces, 
et,  depuis  cette  époque,  il  n'avait  joué  qu'un  rôle  secon- 
daire. Quant  à  Lamotte-Picquet,  on  se  souvenait  de  l'au- 
dace qu'il  avait  déployée,  au  mois  de  décembre  1779,  en 
se  portant  avec  quatre  vaisseaux  au-devant  de  l'escadre 
de  Parker.  Mais  au  milieu  des  grands  événements  qui 
s'étaient  succédé  pendant  cette  guerre,  il  n'avait  exercé 
aucun  commandement  importante  Nous  ne  parlerons  pas 
du  chef  d'escadre  de  Ternay,  mort  à  Rhode  Island  avant 
d'avoir  trouvé  l'occasion  de  se  distinguer.  Lorsque  Suffren 
avait  pris,  en  1781,  le  commandement  de  la  division  que 
•le  ministre  envoyait  à  l'Ile  de  France,  il  n'avait  pas  de 
notoriété  en  dehors  de  la  marine.  La  hardiesse  de  sa 
manœuvre  à  l'affaire  de  la  Praya  appela  sur  lui  l'atten- 


1 .  On  ne  s'explique  pas  que  Lamotlc-Picquel  n'ait  [Ols  éié  employé,  pendant 
cette  gue.'re,  d'une  manière  plus  conforme  à  son  mérite.  Il  semble  qu'aucun 
commandement  n'eût  été  au-dessus  de  ses  forces.  On  ne  doit  pas  attacher 
une  trop  grande  importance  à  ce  qu'on  dit  des  officiers,  à  leur  entrée  dans 
la  carrière.  Les  espérances  qu'on  conçoit  alors  ne  se  réalisent  pas  toujours. 
Néanmoins,  on  lira  avec  intérêt  la  note  suivante  donnée  à  Lamotte-Picquet 
en  1142.  Celui-ci  avait  alors  vingt-deux  ans  :  «  Lamotte-Picquet  a  beaucoup 
d'esprit  et  d'application,  a  bien  fait  ses  études,  bon  géomètre,  grand 
aritlmiéticicn,  saisit  toutes  les  parties  du  métier  avec  facilité.  Estimé  de 
tout  le  monde,  est  un  très-digne  sujet,  sera  un  excellent  officier,  n'ayant  rien 
omis  dans  ses  campagnes  pour  acquérir  toutes  les  connaissances  nécessaires, 


4tl4  IllSTOinB  DE  LA  MAHIXK  FUANCAISK. 

tioii.  Ses  iircmicr»  combats  dans  l'Inde  eurent  en  France 
un  très-yrand  retentissement.  Les*  avantages  qu'il  rem- 
porta le  17  février,  le  12  avril  el  le  6  juillet  «tonnèrent  à 
i'iunour-propre  national,  cruellement  atteint  par  la  dùfaîlc 
du  comte  de  Grasse,  une  très-vive  satisfaction.  Lu  prisf 
de  Trinqueinalay  el  la  campagne  de  1783  excitèrent  l'ud- 
miratiun  gtinéralo  et  mirent  le  comble  h  sa  réputation'. 
Le  nom  de  SufTren  acquit,  non-seulement  dans  iiotr« 
pays  et  clicz  nos  alliés,  mais  ilaus  toute  l'Europe,  un  pa-s- 
tige  éilalanl.  La  France  ne  se  montra  pas  ingrutfi  envcr§ 
l'honune  qui,  non  loin  du  tliC-iUre  de  la  gloire  des  Du]ileii 
et  des  Labourdunnaye,  avait  soutenu  avec  autant  it'éelat 
riionneurde  notre  pavillon.  Partout  oii  il  parut,  sa  pri'-- 
scncG  souleva  un  enthousiasme  extraoni inaire.  La  foule 
accourait  sur  son  passage  pour  l'apercevoir  et  le  saluer 
de  ses  acclamations.  Louis  XVI,  la  Rcino  et  les  membrt-« 
de  la  famille  royale  le  IraitJTeut  avec  une  distinction  parti- 
culière. Les  plus  grands  serviteurs  de  la  France,  Turenne, 
le  maréchal  de  Saxe,  n'avaient  pas  été  mieux  accueillis. 
Nommé  clief  d'escadre  en  1782,  SufTiftn  avait  été  fait  lieu- 
tenant trénérni  en  1783.  Le  Roi  décida  ((u'uiic  qnutri<-iii<' 
charge  de  vice-amiral  serait  créée  en  sa  faveur,  el,  le  18 


esl  hoiiiiiic:  Hur  lequel  on  (tuul  Jeter  les  ji'ux  |iour  de  c;ertain«  emplois  |«r  lî» 
UlenU.  ■ 

I.  Sulfi'en  avnit  êlé  noinmii  cliel  d'escadre  |>our  ralTaire  di'  la  rra^n.  U 
grade  de  liellletiant  (ténéral  était  la  récoiii|wn»c  îles  conibnU  Je»  17  fi'VriiT. 
n  avril  et  S  Jiiiltcl.  Danit  une  lettre  inrticulière,  SulTreii  a|i)irèi:iait.  nin«i 
qu'il  suit,  ce  qu'il  avait  bit  api'és  ee  dernier  cnitibal  :  -  Je  juuis.  ma  cUcrt 
amie,  du  plaisir  que  tu  auras  eu  ippreuanl,  au  uioin  de  uiars  1Ï83,  quv  je 
itllis  l'Iier  d'escadre,  et  vn  mars  Xi  que  je  suÎh  lieuleiiuiit  t^ènenil.  En  IiashI 
la  fttUKlle,  car  c'est  |iar  lii  quc!  lu  l'ourn»  ui>|>ri».  lu  aurtu  Tait  nu  Iwau  en  A- 
jove.  A  présent,  je  ta  le  dis  dans  la  sincérité  de  nuui  ca'ur  et  )Hiur  toi  ^uli-. 
ee  que  J'ai  fait  depulii  vaut  iiilinimeut  mieux  que  ee  que  j'avais  fait  pnii'- 
demiueut.  Tu  sais  la  jirisc  et  le  cciniliat  de  Trinqueiiiataj,  mais  la  lin  <lr  la 
campagne  et  ce  qui  s'est  (lassé  du  iuui4  de  mars  jusqu'à  la  lin  tie  juin  •'>) 
Tort  au-dessus  de  tuut  ce  qui  s'est  fait  dnus  In  marine  depuis  que  j';  sui>; 
peut-iHrc  j  at-il  eu  plus  de  bonlieur  que  bien  j"ué,  mais  le  résultat f-t 
agrénlile  |>our  moi  et  mee  amis,  et  trés-avai)la|^u\  |>uur  l'ktat.  car  rescadrr 
était  hasardéi!  et  l'arniéeperdue.  Aussi  je  crois  que  M.  te  man[uiHdc  t^slrli? 
ne  se  repentira  pas  de  m'avoiraccordd  une  grâce  inouïe.  • 


.     LIVRE  XV.  495 

avril  1784,  il  fut  élevé  à  cette  dignité*.  Les  Étals  Généraux 
envoyèrent  une  députation  à  Paris  pour  lui  remettre 
une  épée  d'honneur.  Ils  firent,  en  outre,  frapper  une  mé- 
daille qui  devait  consacrer  le  souvenir  des  services  que 
l'illustre  amiral  avait  rendus  à  la  Hollande. 


1 .  La  position  de  vice-amiral  n'était  pas  seulement  un  grade  militaire, 
c'éiait  aussi  une  des  charges  importantes  de  l'État.  La  quatrième  place  du 
vice-amiral  créée  en  faveur  de  Suffren  devait  l'être  supprimée  après  lui.  On 
trouvera,  à  la  fin  de  ce  volume,  le  texte  de  Tordre  royal  que  lui  conférait 
celte  charge.  Ce  document  est  surtout  intéressant  parce  qu'il  relate  les  états 
de  service  de  SulTren  avant  et  pendant  la  campagne  de  Tlnde. 


FIN. 


APPENDICE 


Mémoire  pour  seruir  dHnsb^ction  au  sieur  Gérard,  secrétaire  du 
Conseil  dEtat,  allant  résider,  de  la  part  du  Roi,  auprès  du 
Congrès  général  des  Etats-Unis. 

19  mars  1778. 

Les  États-Unis  de  rAmérique  ayant  donné  une  base  légale  à  leur 
indépendance  par  Pacte  du  k  juillet  de  Tannée  1776,  le  Roi  jugea 
que  son  intérêt  politique  ne  devait  pas  s^opposer  à  la  consistance 
qu'ils  pourraient  acquérir;  qu'il  pourrait  môme  en  résulter  des 
relations  utiles  à  son  royaume.  C'est  dans  cette  vue  que  Sa  Ma- 
jesté leur  a  accordé  dans  ses  ports  toutes  les  facilités  de  com- 
merce compatibles  avec  les  engagements  alors  existants, 

La  défaite  du  général  Burgoyne  ^  ayant  précipité  les  événements 
au  delà  de  toute  attente,  le  Roi  sentit  la  nécessité  de  prendre  enfin 
un  [)arti  décisif  à  Tégard  de  TAmérique.  Cette  nécessité  devint 
d'autant  plus  urgente,  que  PAngleterre,  de  son  côté,  commença  à 
ouvrir  les  yeux  sur  ses  fautes  et  son  impuissance  et  qu'elle  songea 
sérieusement  aux  moyens  de  se  réconcilier  avec  ses  colonies;  les 
conditions  mômes  qu'elle  se  proposait  de  leur  faire  accepter  mon- 
traient si  manifestement  son  but  hostile  contre  la  France,  quMl  n'y 
avait  pas  un  moment  à  perdre  si  Ton  voulait  sérieusement  en  pré- 
venir l'effet. 

En  conséquence,  le  Roi  fit  traiter  avec  les  députés  du  Congrès  ; 
et  il  a  été  conclu  avec  eux,  le  6  février,  un  traité  d'amitié  et  de 
commerce  et  un  traité  d'alliance  éventuelle.  Comme  le  sieur  Gé- 
rard a  lui-môme  signé  et  expédié  ces  traités,  il  serait  superflu  de 
rappeler  ici  les  circonstances  qui  les  ont  précédés  et  accompagnés , 
il  suffira  de  lui  en  remettre  des  copies,  et  de  faire  connaître  Tes- 


1.  ASaratoga. 

32 


498  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 

prit  dans  lequel  ils  ont  èlé  dirigés  et  les  moyeas  que  k  Km  ni 

résolu  d'employer  pour  les  remplir. 

L'indépendance  de  l'Amérique  septentrionale  et  son  union  per- 
manente avec  la  France  ont  été  le  but  principal  du  ttoi  et  c'est  pour 
assurer  l'un  et  l'autre  que  Sa  Majesté  s'est  portée  aui  stipulationa 
éventuelles  renTerinées  dans  le  traité  d'3l]iaiic«,  et  que,  dans  le 
traité  de  commerce,  elle  ne  s'est  assuré  aucun  avantage  exclusif. 

La  Grande-Bretagne  ne  regardant  la  communication  amicale  <tiii 
lui  a  Été  faite  de  la  signature  du  traité  de  commerce,  ni  comnie 
une  provocation  de  guerre,  ni  comme  un  acte  d'hostilité,  rend  abso- 
lues et  défioitives  les  stipulations  qui  n'étaient  encore  qu'éventuel- 
les; c'est  de  leur  exécution  qu'il  s'agit  aujourd'hui. 

La  première  et  la  plus  essentielle  de  toutes  est  qu'aucune  des  deui 
parties  ne  fera  ni  paix  ni  trêve  sans  le  conseotement  do  l'autre; 
son  exécution  Qdèle  sera  lu  garant  des  avantages  que  l'une  et  l'autre 
pourront  se  procurer  durant  la  guerre,  et  il  est  essenlid  que  k 
sieur  Gérard  pénëlre  le  Congrès  de  cette  vérité,  et  qu'il  le  prému- 
nisse par  Ifi  contre  les  suggestions  que  les  Anglais  pourraient  lui 
faire  pour  eoncture  une  paix  séparée.  Il  l'assurera,  en  même  tompi, 
de  la  manière  la  plus  positive,  que  le  Boi,  de  son  cAlé,  rcjctlri 
toute  proposibon  de  cette  nature  qui  lui  serait  faite  par  l'enaerni 
commua,  et  qu'il  ne  posera  les  armes  que  lorsque  l 'in dépendante 
plénif'ce  et  absolue  des  treize  Étals-Ums  aura  été  reconnue  par  la 
Grand  e-Br  etagn  e. 

Quant  aux  opérations  militaires  que  les  deux  parties  denDnl 
entreprendre,  elles  dépendront  des  circonstances.  Cependant  le 
sieur  Gérard  pourra  assurer  le  Congrès  que  le  Roi  fera  tous  ses 
efforts  pour  empêcher  l'Angleterre  d'envoyer  de  nouvelles  fortes 
en  Amérique,  au  moyen  de  quoi  les  Américains  pourront  d'autant 
plus  facilement  vaincre  l'armée  du  général  Howo,  que  l'on  a  lieu 
de  se  flatter  que  la  Dotte  commandée  par  le  comte  d'Estaing 
détruira  l'escadre  anglaise  qui  est  dans  la  Delawaro,  ou  au  moiDS 
l'empêchera  d'approvisionner  l'armée  royale. 

Il  est  possible  que  les  opérations  de  l'armée  contlnentak 
et  de  la  flotte  aient  besoin  d'être  combinées;  mais  comme  ni 
ce  besoin  m  les  moyens  d'y  satisfaire  ne  sauraient  être  pré- 
vus dès  à  présent,  les  arrangements  qu'il  sera  question  de  faire 
ne  pourront  être  concertés  qu'avec  le  commandant  de  la  flotte  i 
qui  on  donnera  à  cet  effet  les  pouvoirs  nécessaires.  Il  est  un  poiol 
qui  importe  lort  au  Koi,  et  qui  exigera  toute  la  dextérité  du  sieur 
Gérard  :  ce  sont  les  stipulations  à  ménager  en  faveur  de  rivâpt- 
gne.  Il  sait  que  celle  puissance  n'a  pria  aucune  part  aux  deux  Irai- 


APPENDICE.  499 

tés,  quoiqu'elle  n*y  répugne  point,  et  que,  jusqu'à  présent,  elle  n*ait 
rien  articulé  des  conditions  auxquelles  elle  pourrait  y  accéder  dans 
la  suite.  Cependant  on  a  lieu  de  croire  qu'elle  désirerait  acquérir 
les  Florides,  une  part  aux  pêcheries  sur  les  bancs  de  Terre-Neuve 
et  la  Jamaïque.  Ce  dernier  objet  est  entre  les  mains  du  Roi,  puis- 
qu'elle se  l'est  assuré  éventuellement,  par  le  traité  d'alliance.  Le 
second  dépendra  également  d'elle,  du  moins  en  grande  partie, 
ainsi  il  n'y  aura  rien  à  négocier  de  ce  côté  avec  le  Congrès. 

Quant  aux  Florides,  elles  entrent  dans  le  plan  de  conquête  des 
Américains;  il  s'agira  donc  de  les  préparer  à  un  désistement 
éventuel  ;  le  Roi  en  charge  d'une  manière  spéciale  le  sieur  Gérard, 
et  Sa  Majesté  s'en  rapporte  entièrement  à  sa  prudence  sur  les 
moyens  à  employer  pour  remplir  cet  objet.  On  lui  fera  seulement 
observer  qu'il  évitera  soigneusement  de  parler  au  nom  de  l'Es- 
pagne, car  Sa  Majesté  Catholique  n'a  encore  rien  articulé  relative- 
ment à  ses  intentions  et  à  ses  vues.  Au  surplus,  le  sieur  Gérard 
connaît  les  principaux  motifs  qui  doivent  faire  désirer  k  TEspagne 
la  possession  des  Florides  :  il  les  fera  valoir  .-autant  qu'il  sera  en 
son  pouvoir  ;  mais  s'il  ne  peut  pas  réussir  à  obtenir  le  tout,  il  s'ef- 
forcera au  moins  d'obtenir  Pensacola  et  les.  parties  des  côtes  qui 
seront  jugées  être  le  plus  à  la  convenance  de  la  cour  de  Madrid. 

Le  Roi  s'attend  que  la  cour  do  Londres  fera  ses  derniers  efforts 
pour  se  former  un  parti  dans  le  Congrès  et  pour  semer  la  division 
dans  les  différentes  provinces. 

Le  sieur  Gérard  sentira  de  lui-même  combien  il  est  important  de 
rompre  toutes  ses  mesures,  et  de  maintenir  l'union  et  le  parfait 
accord  qui  ont  régné  jusqu'à  présent  parmi  les  treize  provinces 
confédérées.  On  n'indique  pas  au  sieur  Gérard  les  moyens  qu'il 
aura  à  employer  pour  atteindre  cet  objet  :  ils  dépendront  des  cir- 
constances locales,  sur  lesquelles  on  ne  saurait  avoir  dès  à  présent 
aucune  notion.  Le  sieur  Gérard  sait  que  le  Congrès  n'a  pas  encore 
ratifié  les  deux  traités.  Mais  il  est  à  présumer  que  cette  formalité 
essentielle  pour  la  validité  se  trouvera  remplie  à  son  arrivée  en 
Amérique*,  si  cependant  cela  n'était  pas,  son  premier  soin  serait 
d'y  engager  le  Congrès,  et  Ton  ne  présume  pas  qu'il  veuille  s'y 
refuser. 

Les  députés  du  Congrès  avaient  proposé  au  Roi  de  prendre  l'en- 
gagement de  favoriser  la  conquête  que  les  Américains  entrepren- 
draient du  Canada,  de  la  Nouvelle-Ecosse  et  des  Florides,  et  il  y  a 
lieu  de  croire  que  le  projet  tient  fort  à  cœur  au  Congrès.  Mais  le 
Roi  a  considéré  que  la  possession  de  ces  trois  contrées,  ou  au 
moins  du  Canada  par  l'Angleterre,  serait  un  principe  utile  d'inquié- 


500  HISTOIRK  Dli  LA  MARINE  FtlANGAlSK. 

tude  et  ds  vigilance  pour  les  AméricaÎDS,  qui  leur  fera  »eutir  dav^- 
tage  tout  le  besoin  qu'ils  ont  de  l'alliaDce  et  de  l'amitié  du  Roi: 
il  n'est  pas  de  son  inlérâl  de  le  détruire.  D'après  cela.  Sa  Majealt! 
pense  qu'elle  ne  doit  preaiire  aucun  engageaient  relatif  i  la  coo- 
quèle  dont  il  9'agit.  Cependant,  si  le  Congrès  un  fait  l'ouveiiuiv, 
comme  il  est  présumable,  le  sieur  Gérard  répondra  que  le  Roi  w 
prêtera  toujours  avec  empressement  à  tout  ce  qui  pourra  con?cnif 
aux  États-Unis,  et  qu'il  concourra  volontiers  à  l'efTcctualion  de 
leur  plan  de  conqnëte,  autant  que  les  circonstances  le  permellronl; 
mais  que  l'incertitude  et  U  variabilité  de  ses  engagements  ne  lui 
permettent  pas  d'en  prendre  l'engagement  formel.  Toi  est  le  prin- 
cipe de  Sa  Majesté  par  rapport  à  cet  objet,  et  son  intention  est  que 
le  sieur  Gârard  le  pranne  comme  base  de  son  lan^^age  et  de  ses 
Insinuations.  Si  cependant  le  Congrès  devenait  trop  pressant,  et 
que  le  sieur  Gérard  jugeât  que  le  Roi  ne  pourrait  refuser  de  coopé- 
rer à  ses  vues  sans  fiùro  soupçonner  sa  bonne  volonté  ot  la  droi- 
ture de  ses  intentions,  il  pourrait  alors  condescendra  à  leurs  dé- 
sirs, mais  eu  leur  faisant  entendre  toutefois  que  la  conquête  qu'il 
s'agira  de  faire  ne  devra  pas  faire  une  condition  essentielle  de  U 
prochaine  paix.  Le  sieur  Gérard  sentira  de  lui-même  que  cette 
dernière  insinuation  devra  être  faite  avec  assez  de  dextérité  pour 
qu'elle  n'indispose  point  le  Congris. 

11  est  probable  aussi  que  le  Congres  marque  le  désir  d'obtenir 
des  subsides  de  la  |>art  de  la  Fraucc.  Mats  le  sieur  Gérard  lui  Un 
observer  que  les  cITorts  que  le  Roi  lait  pour  la  cause  américaine 
e.xigent  de  lui  des  dépenses  extraordinaires  qui  absorbent  loM^ 
ses  moyens;  que  d'ailleurs  l'envoi  de  la  flotte  dans  l'AmériqUi 
septentrionale,  chargée  de  faire  tout  le  mal  possible  aux  Anglâi' 
opérera  une  diversion  infiniment  plus  avantageuse  pour  lee  i 
ricains  que  si  le  Roi  se  bornait  à  leur  donner  de  l'argent.  Sa  M» 
jesté  est  persuadée  que  le  Congriis  se  rendra  sons  petno  à  des  nn>fl 
sons  aussi  prépondérantes. 

Le  sieur  Gérard  est  sans  doute  persuadé  de  toute  l'iraport 
de    la  mission  que  le  Roi  confie  à  ses  soins;  Sa  Majesté  est  p 
suadée  qu'il  lui  donnera,  dans  cette  occasion,  de  nouvelles preuTi 
de  sa  capacité,  de  son  attachement  pour  sa  personne  ot  de  son  U  ' 
pour  son  service. 


Provisions  accordées  par  le  Roi,  le  k  avril  17tt4,  à  son  trts-chtr  I 
et  bicn-aimé  le  bailli  de  SuffrenSainl-Troper,  lieutenant  général  d«  S 


APPENDICE.  501 

ses  armées  navales,  d'une  quatrième  charge  de  vice-amiral  de 
France  que,  par  une  distinction  particulière,  le  Roi  a  créée  pour  lui 
seul,  pour  lui  donner  des  marques  éclatantes  de  sa  satisfaction, 
portant  que  les  preuves  qu'il  a  constamment  données,  depuis  près 
de  quarante  ans,  de  sa  valeur,  de  sa  vigilance,  de  sa  bonne  con- 
duite et  de  ses  talents,  rendent  Sa  Majesté  pleinement  convaincue 
de  son  affection  à  son  service  et  de  son  expérience  dans  la  guerre 
et  la  navigation  ;  qu'ayant  été  fait  garde  de  la  marine,  au  mois 
d'octobre  1743,  il  fut  embarqué  en  cette  qualité,  en  1744,  sur  le 
vaisseau  le  Solide^  faisant  partie  de  l'armée  combinée  de  France 
et  d'Espagne,  et  se  trouva  au  combat  rendu  par  cette  armée,  le 
22  février,  à  la  hauteur  du  cap  Sicié;  le  fut  encore,  la  même  année, 
sur  le  vaisseau  le  Trident,  sur  lequel  il  fit  campagne  dans  la  Mé- 
diterranée et  ensuite  à  la  Martinique,  en  1745,  sur  la  oorvette 
la  Pa/me,  qui  rendit  un  combat  dans  la  rade  à  Calais;  en  1746,  sur 
le  vaisseau  le  Trident^  faisant  partie  de  l'escadre  du  duc  d'Anville  ; 
en   1747,  sur  le  vaisseau  le  Monarque  de  l'escadre  du  sieur  de 
l'Étenduère,  qui  essuya,  au  cap  Finisterre,  un  brillant  mais  malheu- 
reux combat,  dans  lequel  il  reçut  deux  légères  blessures  et  fut  fait 
prisonnier;  qu'ayant  été  fait  enseigne  de  vaisseau,  en  avril  1748,  il 
passa  à  Malte  pour  y  faire  ses  caravanes  jusqu'en  1751  ;  en  1753, 
il  fut  embarqué  sur  la  galère  la  Hardie,  et,  en  1752,  sur  la  frégate 
la  Rose,  faisant  partie  de  l'escadre  commandée  par  le  sieur  de  la 
Galiosonnière,  campagne  d'évolutions;  en  1755,  il  passa  à  Brest  et 
y  fut  embarqué  sur  le  Dauphin-Royal,  armé  en  transport,  dans 
l'escadre  du  sieur  du  Bois  de  la  Motte;  fut  fait  lieutenant  de  vais- 
seau en  mars  1756,  et,  étant  embarqué  sur  le  vaisseau  V Orphée, 
faisant  partie  de  l'escadre  commandée  par  le  sieur  de  la  Galisson- 
nière,  il  se  trouva  au  combat  rendu  sur  Minorque  ;  il  fut  embar- 
qué, en  1759,  sur  le  vaisseau  V Océan,  commandé  par  le  sieur  de 
la  Clue,  qui  s'échoua,  après  un  combat,  sur  la  côte  de  Lagos  où  il 
fut  pris;  que  ne  pouvant  être  échangé  pendant  le  reste  de  la 
guerre,  il  passa   à  Malte  et  y  fit  quelques  campagnes  jusqu'à  la 
paix;  en  1763,  il  fut  embarqué  sur  la  frégate  la  Pleyade,  faisant 
partie  de  la  division   destinée   à   croiser  contre    les   Salatins; 
en  1764,  il  eut  le  commandement  du  chebeck  le  Caméléon,  ayant 
la  même  destination,  et  se  sauva  d'un  naufrage  par  sa  vigueur  et 
son  courage;  en  1765,  il  commanda  une  division  de  chebeks  dans 
la  Méditerranée,  joignit  l'escadre  commandée  par  le  sieur  Duchaf- 
fault,  et  se  trouva  au  bombardement  de  Salé  et  de  Larache,  et  ren- 
tra ensuite  avec  sa  division  dans  la  Méditerranée,  où  il  croisa  jus- 
qu'au mois  d'octobre;  en  1767,  il  fut  embarqué  à  Brest  sur  le 


HISTOIRE  DE  LA  MARINE  FRANÇAISE, 
vaisseau  l'ihiion,  cotnniaadii  par  le  comU:  de  Breugnon;  «jivayè<| 
ambissadi!  &u  Maroc,  il  fut  fait  capilaine  de  tré^ale  au  retour  tb 
la  campagne;  en  1769,  il  passa  à  Malt£  pour  y  commander  udc 
galAre,  et  ae  trouva,  en   1770,  au  bombardement  do  Bizerte;  fui 
feit  capilaine  de  vaisseau,  au  mois  de  février  1772,  et   eut  le  com- 
mandemetit  Aa  la  frégate  la  Miijnonnc: ea  lllk,  le  méine  comman- 
dement; en  1776,  celui  de  la  frégate  CAlcmènc,  dans  l'escadra 
d'évoluUons   commandée  par  le  sieur  Duchallault,  et,  en   1777, 
celui  du  vaisseau  le  Fantasqua  dans  l'eBcadr»  du  sieur  Barras  m 
croisière  sur  les  c4tas  de  Provence  ;  que  la  conflaQC«  qu'avait  déjù 
SaMajestélBdâtermiiia,enl77B,AlitidonQerlâcommandeiuoatdu(n^ 
me  vaisseau  dans  l'esuadre  du  sieur  comtt:  d'iistaiug,  qu'elle  envoya 
au  secours  dos  Étala-Unis  d'Amérique;  qu'il  justifia  pleinement  cctl* 
confiance  dans  cette  campagne  qui  dura  prËs  de  deux  ans,  et  pen- 
dant laquelle  il  se  distingua  d'une  manière  remarquable  dans  tou- 
tes les  occasions  qui  se  pré:«ent6r->nt,  et  particulièrement  à  Nea- 
l'ort,  où  il   força   l'cnlrèt!  de  la  rade  et  obligea  cinq    ù^gatcs 
anglaises  à  se  brûler;  et  au  combat  du  6  juillet  1779,  devant  la 
lirenadc,  où  il  fut  chef  de  file  pondant  tout  le  temps  «{ue  les  il«ii 
armées  combattirent  à  bord  opposé  et  eut  soixante  hommes  tn^ 
ou  blessés;  que  sur  les   comptes  très- avantageux  que    le  coml« 
d'Estaing  rendit  à  Sa  Majesté  de  sa  conduite  pen/lant  culte  fam- 
pagne,  elle  lui  en  marqua  sa  satisfaction  en  lui  accordant  une 
pension  de  1500  livres,  qu'en  1780  Sa  Majesté  le  chargea  du  com- 
mandement des  vaisseaux  le  Zélé  et  le  Marseillais  avec  lesqueb  il 
fit  une  croisière,  joignit  à  Cadix  l'armée  combinée  de  France  et 
d'Espagne,  commandée  par  le  sieur  de  Cordova,  croisa  avec  elle  et 
rentra  ensuite  à  Brest  sous  tes  ordres  du   comte  d'Estaing;  qu'au 
commencement  de  1781,  Sa  Majesté  voulant  envoyer  une  dinsioii 
de  ses  vaisseaux  dans  les  mers  de  l'Inde  pour  y  augmenter  ta 
forces  et  secourir  préalablement  le  cap  de  Bonne-Espérance,  elle 
crut  ne  pouvoir  faire  un  meilleur  choix  que  de  lui  pour  ce  cop»- 
mandement,  et  que  c'est  dans  cette  campagne  qu'il  a  développa 
tous  ses  talents,  ainsi  que  le  Eèle  le  plus  actif  poiTr  le  succès  et  1* 
gloire  de  ses  armes;  que,  parti  de  Brest,  le  30  mars  1781,  avec  cette 
division  de  cinq  vaisseaux  et  un  corps  de  troupes  et  d*&rtJIIerie,  i! 
trouva,  le  16  avril,   à  la  rade  de  la  Praya,  à  l'tle  de  San  Ysgo, 
l'escadre  anglaise  expédiée  pour  aller  attaquer  le  cap  de  lloaD^ 
Espérance;  que,  coasultant  moins  le  danger  que  l'importance  de 
l'entreprise,  il  l'attaqua  au  mouillage,  la  retarda  par  les  dommagtt 
qu'il  lui  causa,  arriva  avant  elle  au  Cap,  y  débarqua  ses  troupes  et 
sauva  cet  établissement;  qu'il  joignit,  au  mois  d'octobre,  l'escidn 


APPENDICE.  503 

commandée  par  le  siem*  d'Orves,  à  l'Ile  de  France,  et  partit  avec 
elle,   en  décembre,  pour  la   côte  de  Coromandel.  Le  22  jan- 
vier 1782,  il  chassa  et  prit,  après  une  demi-heure  de  combat,  le 
vaisseau  anglais  VHannibcU  de  cinquante  canons  ;  que  devenu  com- 
mandant en  chef,  par  la  mort  du  sieur  d'Orves,  le  9  février,  il  bat- 
tit, le  17,  à  la  hauteur  de  Sadras,  Tescadre  anglaise  qui  profita  de 
la  nuit  pour  se  dérober  à  sa  poursuite.  Le  22,  il  débarqua  à  Porto- 
Novo  Tarmée  de  terre  qu'il  transportait  et  ses  munitions^  et  il 
repartit  pour  aller   chercher   l'escadre   anglaise,   la   joignit   le 
12  avril,  après  Pavoir  chassée  pendant  trois  jours  sur  la  côte  de 
Ceylan,  lui  livra  un  combat  très>-vif  qui  ne  fut  terminé  que  par  la 
nuit,  Tendommagea  et  la  mit  dans  une  telle  détresse  qu'elle  cher- 
cha son  salut  en  mouillant  dans  des  bancs  inaccessibles,  et  la  tint 
bloquée,  pendant  six  jours,  dans  cette  position,  appareilla  et  croisa 
ensuite  pour  Pattirer  à  un  nouveau  combat,  mais  l'escadre  anglaise 
s'étant  renfermée  à  Trinquemalay,  il  prit  le  parti  de  retourner  à  la 
côte  de  Coromandel  ;  que,  le  2  juillet,  ayant  appris  que  Tescadre 
anglaise  était  sortie  de  Trinquemalay  et  mouillée  devant  Négapa- 
tam,  il  alla  au-devant  d'elle,  la  combattit  vivement,  le  6  juillet,  lui 
causa  de  notables  dommages  qui  Tobligèrent  à  retourner  à  Néga- 
patam,  et  il  vint  pour  réparer  les  siens  à  Goudelour.  Le  nabab 
Hyder-Ali  Kan  Bahader,  allié  de  sa  Majesté,  se  rendit,  à  la  tète  de 
cent  mille  hommes,  pour  conférer  avec  lui  sur  les  opérations  com- 
binées, et  lui  donner  de  grandes  marques  d^estime  et  de  confiance; 
que,  le  1"  août,  il  partit  de  Goudelour  et  joignit,  le  23,  les  vais- 
seaux de  Sa  Majesté,  VlUiAStre  et  le  Saint-Michel,  qui  lui  ame- 
naient un  convoi.  Avec  ce  renfort,  il  alla  attaquer  Tnnquemalay,  y 
débarqua  et  se  rendit  maître  des  deux  forts  en  cinq  jours  ;  que,  le 
3  septembre,  l'escadre  anglaise  étant  venue  au  secours  de  cette 
place,  il  appareilla,  Tattaqua  et  la  força  de  regagner  Madras,  ce 
qui  détermina  le  général  Goot,  campé  avec  son  armée  près  de  Pon- 
dichéry  et  menaçant  Goudelour,  de  se  retirer  aussi  vers  Madras  ; 
qu'il  revint  à  Trinquemalay  réparer  ses  vaisseaux,  et  particulière- 
ment le  sien  qui  avait  soutenu  les  plus  grands  efforts  de  l'armée 
anglaise    et    s'était   couvert   de   gloire-,    qu'au    commencement 
de  1783,  après  avoir  hiverné  à  Achem,  il  fit  une  croisière  sur  les 
côtes  d'Orixa,   prit  une  frégate  anglaise,   le  Cowentry,  prit  ou 
détruisit  cinquante  bâtiments  marchands,  vint  à  Trinquemalay 
pour  y  attendre  le  marquis  de  Bussy,  commandant  en  chef  des  for- 
ces de  Sa  Majesté  en  Asie,  en  partit  avec  lui  en  mars,  le  conduisit 
à  la  côte  de  Coromandel,  y  débarqua  l'armée  et  ses  munitions, 
revint  à  Trinquemalay;  que,  le  11  juin,  ayant  appris  les  mou ve- 


HISTOTRE  TiF.  LA  MARINE  PIIANÇAISE. 

ments  de  l'armâe  anglaise  mcnacjint  GoiidelDur,  il  nppuvilU  nvec 
l'escadre  à  ses  ordres,  composéo  alors  di-  rjuinzo  vaisseaut,  tleiu 
frégates  et  un  brûlot;  arriva,  le  13,  ft  la  côl*,  se  trouva,  le  16.  en 
présence  de  l'escadro  anglaise,  conipgsAe  de  dix-huit  vaisseaux, 
tous  doublés  en  cuivre,  maia  ne  put  enga^r  le  combat,  la  nuit 
survenant;  le  17,  il  se  porta  9Ur  Goudelour,  y  prit  des'  troupea 
pour  compléter  ses  étguipages,  manœuvra  pour  disputer  la  vent  t 
l'escadre  anglaise  jusqu'au  20,  àquatn:  heures  du  soir,  qu'il  par- 
vint à  engager  un  couibal  qui  ne  finit  que  par  la  tiuîl,  pendant 
laquelle  l'escadre  anglaise  s'échaiipa;  qu'elle  reparut  le  3S,  fut 
poursuivie  h  force  do  voiles,  prenant  la  fuite,  et  se  rendit  il  Madras; 
qu'ainsi  Goudelour  et  l'armée  de  terre  se  Iraurèrunt  dégagés;  que 
In  paix  mit  fin  à  ces  victoires  et  à  ces  entreprises,  conduiUis  avec 
autant  d'activité  et  d'audace  que  de  justesse  et  do  combiaaisgn ; 
qu'aussi  fécond  en  ressources  pour  réparer  ses  vaisseaux  et  tain 
subsister  ses  équipages  que  constant  h  lutter  contre  k)t  difficultés 
et  les  obstacles,  le  bnilli  de  SutTren  a  trouvé  les  moynnN  do  tenir 
son  escadre  pendant  dix-huit  mois  aux  cdtea  de  rindo  prcsiiue 
sans  autres  secours  que  ceux  de  son  génie  et  ceux  que  ses  vie- 
toires  sur  l'ennemi  lui  ont  procurés  ;  qu'après  avoir  pourvu  k  la 
protection  des  établissements  do  Sa  Majesté  par  uno  division  d« 
vaisseaux  laissée  dans  ces  mors,  il  a  ta.il  des  dispositions  pour  le 
retour  des  autres  en  Europe  et  est  arrivé  à  Toulou,  au  mois  de 
mars  178'»,  sur  le  vaisseau  If  Hcnm  qu'il  eominandait  ;  que  tant 
d'importants  et  signalés  services  déterminèrent  Sa  Majesté,  pen- 
dant cette  glorieuse  campagne, à  l'avancer  successivement  au  grade 
de  chef  d'escadre,  en  janvier  1782,  et  à  celui  de  lieutenant  général 
de  ses  armées  navales,  an  février  1763  ;  qu'à  son  arrivée  à  la  cour. 
Sa  Majesté  lui  donna  les  témoignages  les  plus  distingués  de  son 
estime  et  de  sa  satisfaction,  le  désigna  chevalier  de  ses  ordres,  lui 
accorda  les  entrées  de  sa  chambre,  et  que,  voulant  l'élever  aux 
premières  dignités  de  la  marine  et  au  commandement  supérieur 
de  ses  forces  navales  dont  il  est  si  digne  par  ses  éminent^  qua- 
lités, Elle  a  créé,  pour  lui,  une  quatrième  charge  de  vice-amiral. 
Ces  provisions,  datées  de  Versailles,  signées  Louis  et  par  le  Roi, 
le  maréchal  de  Castries,  et  scellées,  avec  l'acte  de  sa  prestation  de 
serment  entre  les  mains  de  Sa  Majesté  pour  ladite  charge,  du 
16  avril  1764. 

Signé  :  le  maréchal  de  CasTRrES. 


APPENDICE.  505 

Si  nous  en  jugeons  par  une  note  que  nous  reproduisons  ci-après,  il 
fut  un  momentquestion  de  faire  Suiïren  maréchal  de  France  ainsi  que 
l'avaient  été  Tourville,  les  deux  d'Estrées  et  Châteaurenaud.  Cette 
note  est  ainsi  conçue  :  a  Le  bailli  de  SufTren,  dans  son  mémoire 
pour  la  demande  du  grade  de  maréchal  de  France,  s'est  borné  à 
exposer  ses  services.  Il  n'a  point  fait  observer  que  MM.  d'Estrées 
père  et  fils,  MM.  de  Tourville  et  de  Châteaurenaud,  ont  obtenu  cette 
dignité  sans  avoir  autant  d'années  de  service  et  sans  avoir  battu 
autant  de  fois  les  ennemis.  M.  de  Tourville  avait  été  défait  au 
combat  de  la  Hogue,  et  Tescadre  de  M.  de  Châteaurenaud  avait  été 
brûlée  dans  le  port  de  Vigo.  Il  n'a  pas  fait  observer  que,  quoique 
la  marine  ait  été  relevée  par  le  Roi,  qui  s'y  est  appliqué  et  qui  la 
connaît  bien,  ce  service  n'est  généralement  pas  recherché  par  les 
grands  seigneurs,  moins  parce  qu'il  est  dur  que  parce  qu'on  est 
moins  récompensé  que  dans  celui  de  terre.  A  l'importance  de  don- 
ner de  l'émulation  au  corps  par  l'espoir  des  récompenses,  il  se 
joint  une  raison  politique.  En  cas  de  guerre,  nous  serions  joints 
aux  Espagnols,  et,  si  on   faisait  des  maréchaux  de  France  dans  ce 
moment,  ils  croiraient  qu'on  les  a  faits  pour  les  commander,  ce 
qui  pourrait  leur  donner  de  l'humeur.  > 


Lettre  de  M.  le  marquis  de  Castries  à  M,  le  bailli  de  Suffren, 

Versailles,  6  avril  1783. 

N'ayant  eu.  Monsieur,  aucune  nouvelle  de  M.  de  Bussy  depuis  le 
mois  de  juillet  de  l'année  dernière,  et  plusieurs  avis  venus  indirec- 
tement me  donnant  les  plus  vives  inquiétudes  sur  le  dépérisse- 
ment de  sa  santé,  j'ai  cru  devoir  prendre  les  ordres  du  Roi,  pour 
le  cas  où  mon  dit  sieur  de  Bussy  serait  mort,  ou  viendrait  à  manquer 
avant  l'exécution  du  traité  définitif.  Sa  Majesté  a  senti  la  nécessité 
d'y  pourvoir,  et  de  prévenir  les  inconvénients  qui  pourraient  résul- 
ter du  partage  de  l'autorité,  et  jugeant  ne  pouvoir  mieux  placer  sa 
confiance  qu'entre  vos  mains,  au  défaut  de  M.  de  Bussy,  elle  vous 
donne  le  commandement  en  chef  de  ses  forces  et  de  ses  établisse- 
ments au  delà  du  cap  de  Bonne-Espérance,  avec  les  mômes  pleins 
pouvoirs  qu'elle  avait  accordés  à  mon  dit  sieur  de  Bussy. 

Et  elle  ordonne  que  ledit  cas  prévu  arrivant,  vous  soyez 
reconnu,  par  qui  il  appartiendra,  comme  commandant  en  chef,  sans 
autre  ordre  de  sa  part  que  la  présente  lettre. 


506  HISTOIRE  DE  LA  MARINE  PRAN(;A1SE. 

J'onvpfrai,  par  la  frégate  du  Hoi  ta  Swveiitantc,  lâs  onlres  ito 
Sa  Majusl*  il  ce  sujet,  h  l'Ile  de  Franco  ot  au  cap  Je  Rumie-Est4> 
ranco. 


Ullre  fk  M.  le  iiwm/"w  do  Cuslrtci  à  M.  U-  liaUH  île  fyufTi'cn. 

VotMitlei,  S  arrilnsa. 

Depuis  la  Ipllro  qiiu  j'ai  ou  l'Iionncur  de  vous  écriro  par  1p  sinar 
Prnnient,  j'ai  reçu  les  Hdpfclios  qui  dous  nppivnnent  la  priso  Ae 
Trinijuemalay  et  la  rtHraito  <io  l'armiie  navale  de^  Anglais  mua 
Mndras.  Voilà  la  cinquième  foia  que  vous  combattez  les  Anglais. 

Je  suis  dans  l'ignorance  la  plus  grande  do  ce  qui  s'est  passé  k  It  | 
cAto.  Si  nous  aTions  pu  connaître  vos  succès  avant  la  signature  des 
préliminaires,  il  est  h  présumer  que  nous  eussions  pu  tirer  avan- 
tage de  notre  situation 

Je  ne  saurais  trop  vous  faire  conniltrt  | 

la  satisfaction  du  Roi  sur  la  conduite  que  vous  toncK  à  la  lÈli?  dg  [ 
son  armée.  11  est  k  remarquer  qu'en  présentant  les  difficultés  da  ■ 
tous  les  genres  que  vous  rencoiilrt!/,  vous  apercevi'it  toujours  1m  ' 
moyens  de  les  vaincre,  et  les  observations  que  vous  m'avei  adres- 
sées sur  les  affaires  des  Indes  l'ont  confirmé  dans  l'opinion  qu« 
vous  lui  aviez  déjà  donnée  que  voua  étiez  un  homme  de  guerre 
sous  U>us  les  rapports.  Ces  observations  ne  demandent  plus  de 
réponse,  vu  la  signature  des  préliminaires.  Les  moyens  de  les  met- 
tre k  exécution  ne  sont  pas  sans  difficultés,  si  les  Anglais  veulent 
abuser  de  leurs  avantages.  C'est  dans  cette  supposition  et  dans 
celle  que  M.  de  Bussy  pourrait  être  mort,  que  j'ai  désiré  que  vous 
le  remplaciez  dans  le  commandement  général,  jusqu'à  la  signature 
du  traité  de  paix.  C'est  un  sacriGce  que  je  fais  au  bien  du  service 
du  Uoi,  car  j'aurais  soubaité  pouvoir  vous  consulter  sur  bien  dfss 
dispositions  à  faire  pour  la  marine. 

Je  suis  bien  fâché  de  n'avoir  pu  tirer  M.  d'Albert  de  Rions 
de  la  ligne  des  autres.  Si  la  guerre  avait  continué  je  vous  l'aurais 
envoyé.  Conservez  votre  santé,  elle  est  précieuse  au  Roi  et  à  l'Ktat 
et  ne  doutez  pas  du  désir  que  j'ai  de  vous  donner  des  preuves  d'uo 
attachement  inviolable. 


APPENDICE. 


507 


Avis   des   trois  ports   sur   les  observations 
de  M,  le  chevalier  de  Suffren. 

Conformémentauxordresde  Monseigneur,  ces  observations,  détail- 
lées dans  la  feuille  ci-jointe,  ont  été  communiquées  aux  conseils 
de  marine  de  Brest,  de  Toulon  et  de  Rochefort  sans  nommer  Tau- 
leur.  Voici  les  résultats  de  Pavis  des  trois  ports  : 


PROPOSITIONS. 


1. 


Savoir  si  le  capitaine  en  se- 
cond d^un  vaisseau  ne  serait  pas 
employé  plus  utilement  à  la  se- 
conde batterie  que  sur  le  gail- 
lard d'avant. 

2. 

S'il  ne  serait  pas  à  propos 
d'augmenter  le  nombre  des 
bâtiments  à  rames  sur  un  vais- 
seau. 


3. 

S'il  est  à  propos  de  faire  usage 
à  bord  des  vaisseaux  du  con- 
ducteur électrique  de  M.  Fran- 
klin. 


4. 

S'il  ne  serait  pas  avantageux 
d'embarquer  des  obus  sur  les 
vaisseaux. 


REPONSES. 


1. 


Les  trois  ports  s'accordent 
pour  maintenir  cet  officier  sur 
le  gaillard  d'avant. 


2. 

Le  port  de  Brest  en  général 
penche  i^our  laisser  les  choses 
sur  le  pied  où  elles  sont;  mais 
M.  le  comte  Duchaffault,  ainsi 
que  quelques  autres  officiers,  et 
les  ports  de  Toulon  et  de  Ro- 
chefort opinent  pour  avoir  un 
canot  de  plus. 

3. 

En  convenant  des  avantages 
que  ce  conducteur  pourrait  pro- 
curer, les  trois  ports  entre- 
voient beaucoup  de  difficultés 
pour  l'établir  et  l'entretenir  à 
bord. 

4. 

Le  port  de  Brest  préfère  de 
multiplier  les  pierriers  ;  les  deux 
autres  ports  proposent  de  faire 
l'essai  des  obus,  mais  ils  ne 
laissent  apercevoir  aucune  pré- 
somption pour  ou  contre. 


HISTOIRE   DE  LA  MARINE  FRANÇAISE. 


S'il  no  conviendrait  pas  de 
rairo  couler  des  pièiccs  de  huit 
ou  de  douze  à  l'usap^e  des  cha- 
loupes des  \ 


Lr:  port  de  Toulon  n'est  pM 
d'avis  de  faire  porter  du  canon 
aux  chaloupes;  ceux  de  Bresl  rt 
de  Rochefort  s'accordent  4  Uiri; 
que  les  canons  des  gailUrcis 
peuvent  servir  aux  chaloupi^s, 
en  observant  seulement  d'aroir 
pour  leur  usage  des  affflts  plats 
et  des  plates-formes  volantt^s. 


Il  résulte  de  l'avis  des  trois  ports  que,  sur  ]es  différents  ch.in- 
g«menls  proposi^s  par  M.  de  Stiffren.les  membres  ne  se  sont  amî- 
tés  qu'à  l'augmenlalion  des  bâtiments  à  rames.  «-L'essai  des  obus 
est  proposé  purement  et  simplement;  u  et,  quant  aux  canons  i 
Tuire  porter  aux  chaloupes,  comme  ceux  des  gaillards  des  vois- 
somix  peuvent  y  Être  employés,  il  n'est  question  que  de  leur  don- 
ner dos   alTfits  particuliers 


Le  ministre  it 
M.  de  Suffren. 


u  bas  de  cette  note  ;  Communiquer  le  tout  k 


Suffren  revint  sur  ces  propositions,  lorqii'il  «rm«  le  Z^  k  Tou- 
lon, en  1779.  II  adressa  au  ministre  plusieurs  rapports  auxquels 
nous  empruntons  les  passages  suivants  :  1»  L'ordonnance  de 
la  marine  ne  fixe  point  les  postes  des  oniciera  sur  les  vaisseaux  en 
cas  de  combat.  L'usage  de  tous  les  temps  a  été  de  mettre  le  se- 
cond sur  le  gaillard  d'avant.  Ce  poste  est  très-exposé,  mais  il  n'a 
que  cela  de  flatteur.  Le  second,  étantaouslesyeux du  capitaine,  ne 
commande  rien,  n'a  que  très-peu  de  monde  sous  ses  ordres,  et  il 
occupe  un  poste  qui  serait  rempli  par  un  enseigne.  Je  crois  qu'il 
devrait  avoir  l'inspection  des  deux  batteries  et  commander  parti- 
culièrement la  deuxième  :  étant  la  plus  exposée  au  feu,  c'est  le 
'  poste  d'honneur.  Il  serait  de  plus  k  portée  de  prendre  le  comman- 
dement si  le  capitaine  était  tué  ou  blessé,  et  de  se  mettre  à  latrie 
des  gens  destinés  h  l'abordage  si  l'occasion  se  présentait. 

3*  L'on  avait  imaginé,  la  semaine  dernière,  d'armer  d'un 
canon  des  gaillards  les  chaloupes  disposées  à  cet  eiïet.  Cette 
idée,  malgré  son  utilité,  a  été  abandonnée.  Je  pense  que  c'est  h 
cause  de  la  pesanteur  du  canon;  mais  maintenant  surtout  que  le 
système  de  l'artillerie  légère  prévaut,  on  pourrait  fondre  des  piè- 
ces destinées  k  cet  objet,  des  pièces  de  huit  pouvant  ne  peser  que 


APPENDICE.  509 

douze  cents  livres.  Si  la  dépense  de  la  fonte  arrêtait,  on  pourrait 
les  faire  en  fer.  Sur  les  chaloupes  de  vaisseaux  de  quatre-vingts 
canons,  on  pourrait  mettre  du  calibre  de  douze. 

Les  accidents  du  feu  ne  démontrent  que  trop  la  nécessité  d'avoir 
sur  les  vaisseaux  des  pompes  à  incendie.  Il  n'y  a  pas  de  frégate 
anglaise  qui  n'en  ait.  Je  crois  que  les  vaisseaux  armés  à  Brest  en 
ont.  A  Toulon  on  n'en  donnait  pas  quand  je  suis  parti. 

L'événement  de  mon  mât  de  hune  emporté  par  le  tonnerre  m'a 
fait  penser  au  conducteur  électrique  de  Franklin.  C'est  une  trop 
petite  dépense  pour  n'en  pas  fournir  à  tous  les  bâtiments. 

Nous  avons  rapporté,  à  propos  du  combat  de  la  Dominique, 
une  note  de  SufTren  relative  à  l'emploi  des  obusiers  sur  les  vais- 
seaux. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PR  éfACE I 

LivRB  I.  —  La  marine  militaire,  en  France,  date  de  Louis  XIIL  —  Suppres- 
sion de  la  charge  de  grand  amiral.  —  Le  cardinal  de  Richelieu  est  nommé 
grand  maître,  chef  et  surintendant  de  la  navigation  et  du  commerce.  — 
Création  des  premières  troupes  afTectées  au  service  de  la  flotte.  —  Eflorls 
du  cardinal  pour  jeter  les  bases  d'un  établissement  maritime  permanent. 
—  Services  rendus  par  les  forces  navales  sous  son  ministère.  —  La  ma- 
rine militaire  décroit  sous  la  régence  d'Anne  d'Autriche.  —  Règne  de 
Louis  XIV.  —  Colbert  ministre  de  la  marine.  —  Développement  rapide  de 
nos  forces  navales.  —  Institutions  et  ordonnances  de  Colbert.  —  Ministère 
du  marquis  de  Seignelay.  —  Principaux  événements  auxquels  prend  part 
la  marine  sous  Louis  XIV 8 

Livre  II.  —  Abandon  systématique  de  la  marine  sous  la  régence  et  pendant 
le  ministère  du  cardinal  Fleury.  —  La  guerre  éclate  entre  la  France  et 
l'Angleterre.  —  Traité  d'Aix-la-Cha|)elle,  conclu  en  1748.  —  Nouvelle 
guerre  avec  l'Angleterre,  en  1756.  —  Traité  de  Paris,  signé  le  10  février 
17G3.  —  Modifications  successives  apportées  aux  institutions  mai'itimes.  — 
Économie  générale  des  lois  qui  régissent  la  marine,  au  moment  où  éclate 
la  guerre  de  l'Indépendance  américaine 49 


LIVRE  I. 

Le  traité  de  Paris  établit  la  suprématie  maritime  ie  la  Grande-Rrelagnc. 

—  Contestations  entre  les  colonies  de  l'Amérique  septentrionale  et  la 
mctro()ole.  —  Impôt  du  timbre.  —  Taxe  sur  le  thé.  —  Troubles  de  Boston. 

—  Mesures  de  répression  prises  p€ur  le  gouvernement  britannique.  —  Des 
députés  nommés  par  les  assemblées  provinciales  forment  un  congrès  qui 
80  réunit  à  Philadelphie  dans  le  mois  de  septembre  1774.  —  Combat  de 
Lexington  le  19  avril  1775.  —  Déclaration  solennelle  de  Tindépcndance  des 
colonies  anglo-américaines  le  4  juillet  1776.  —  Le  gouvernement  français 
suit  avec  une  attention  particulière  les  événements  qui  s'accomplissent 


biî  TABIJÙ  DKS  MATIËHES. 
ii<^  l'aulrc  i:olc  dn  l'Allanlique.  —  llrlaliuiis  du  ciiliinet  de  Venailli-»  a\itc 
[es  initurgùs.  —  Arrivée  il  Paris  de  Irais  conunusaîrw  envoyas  par  l« 
congrès. —  Le  6  TéTrier  1778,  la  Franc»  signe  avec  les  Ëlals-IJais  on  tniitâ 
d'amitié  et  de  commerce  et  un  Iraitd  éveuluel  d'allianM.  —  La  cour  du 
Londres  rappelle  son  aoiliassadeur.  —  Frépanlirs  iiurilinKA  laili  du 
chaque  c&tà  du  dtlroiL  —  Départ  du  couile  d'Eslatng.  —  Hission  conflée  ■ 
cet  onicicr  général.  —  Tentative  faile  auprès  liir  la  cour  d'E^iagnc  piiiir 
l'amener  ï  conclure  avec  lu  France  un  traita  d'alliance  olTi'Mive  et  détta- 
aivc.  —  Itelations  entre  les  marines  de  Francu  et  d'Angleterre.  —  Priie 
des  légales  la  Liooi-ne  et  la  Patla»  ai  du  lougrc  le  Coureur.  — 
des  fn^^a  la  Udle-PimU  et  VAnthnta.  —  RifiultaU  de  l'altitude  in 
ciir  prise  par  le  gouvumemeiil  Trançais.  —  L'escadre  de  iJrasl  rctoil  rop 
dra  d'appareiller 


LIVRE  IL 

CumLiat  d'Onessant.  —  Rentrée  des  Anglais  A  Turtsmouth  et  des  Pran$iitok9 
Brest.  —  Discussions  que  soulève  ta  journée  du  27  juillet  de  l'ui 
cûlé  du  détroit.  —  Incident  relatif  au  lieutnanl  g«nénl  duc  de  Uiartros,  g 
commandant  de  la  3*  escadre.  —  Le  vice-amiral  Kepp«i,  accusé  d'inmp»- 
cité  par  un  de  ies  lieutenants,  conipanlt  devant  une  cour  martiale.  — 
Nouvelle  sorlio  du  deux  escadres.  —  Elles  rentrent  au  port  san«  avoir 
combattu.  —  Engagement,  au  large  de  Pondicliér),  des  divisions  du  com-  _ 
uiodore   Veman  et  du   capiUinn  do  vaisseau  di-  Tronjolly.  —  Les  i 
glaia  s'eniparent  dut  établissements  Transis  dans  l'Inde.  —  Prisa  des  Hi 
Saint-Pierru  et  Hltiuclon 


UVIIE  III. 

Travi^i'N^c  do  l'escadre  rrantaise,  partie  de  Toulon  le  13  avril.  —  Les  IroaM 
anglaises  évacuent  Hhiladelpliie  à  la  &a  de  Juin.—  L'amiral  Uowe  i 
relire   A  Sandj-Uook.  —  Arrivée  des   Franfais  4   l'emboucbura  de  h 
DolaHare,  le  8  juillet.  —  Notre  csi-adre  mouille  sur  lacdle,  près  de  K 
York.  —  la  rumlo  d'EsUing  se  dirige  sur  Rliode-lslnnd.  —  AU 
jetée  de  New-Port.  —  Apparition  de  l'amirol  Ilowe  devant  Hbodv-lslaa 
—  le  comle  d'Exlaing  appareille  |>our  le  [wursuivre.  —  [Wsperaion  d 
deux  escadres  b  la  suite  d'nn  coup  devant.  —  Les  Français  se  r«lirent4  j 
Boston.  —  Départ  d«  autre  escadre  pour  ta  Martinique.  —  Prise  do  la 
Dominique  |iur  le  marquis  de  Bouilté.  —  Les  Anglais  attaquent  Saînle- 
l.ucio  que  d'Eslaing  lente  inutilement  de  secourir.  —  L'Jlc  se  rend  aui 
Anglais.  —  Arrivés  de  l'amiral  Itjroo  dans  la  mer  des  Antilles. . . 


TABLE  DE3  MATIÈRES. 


LIVRE  IV. 

L'amiral  Byron.  venanL  den  cAlea  àe  V\iaéTi<\ae  septenlrionale,  rnilie  l'a- 
miral Barrington.  —  Le  comte  d'Eslaing  reste  sur  la  dércnsjve.  —  Les 
escadres  Trancaise  Et  anglaise  reçoivent  dea  renforts.  —  La  division  de 
Vaudreuil  mouille  dans  la  baie  de  Fort-Royal,  nprèa  aroir  Tait  la  conquête 
du  Sénég;Bl.  —  Prise  do  l'Ilu  Saint-Vincent.  —  Arrivée  de  I^motte-Picqaet 
avec  sii  vaisseaux.  —  Les  Français  s'emparent  de  la  Grenade.  —  Combat 
des  escadres  de  Etyron  et  de  d'Eslaing.  —  Len  Anglais  se  retirent  A  Saint- 
Christophe.  —  Prixe  des  Iles  Cariaçon  et  d<^  petites  grenadines.  —  Le 
comte  d'Eataing  mouille  successivement  A  la  Guadeloupe  et  A  Saint- 
Domingue.  —  Il  KO  dirige  vers  les  cAtes  de  l'Amérique  septentrionale.  — 
Échec  des  Français  et  des  Américains  devant  Savonnait.  —  Retour  en 
Enrope  des  vaisseaux  partis  do  Toulon,  le  13  avril  1778.  —  Engagement 
de  Lamotte-Picqaet  avec  l'escadre  de  l'amiral  Parker  A  l'entrée  de  la  baie 
de  Fort-Rojal 132 


LIVRE  V. 

L^Espagne  déclare  ta  guerre  à  l'Angleterre.  —  Le  liculenanl  général  d'iJr- 
villicrs  sort  de  Brest  pour  opérer  sa  jonction  avec  don  l.uîs  de  Cordova.  — 
Ëlal  sanitaire  des  équipages  do  notre  Dolte.  —  Réunion  lanlive  des  deux 
escadres.  —  Préparatifs  faits  sur  tes  cAles  de  Bretagne  et  de  Normandie, 
en  vue  d'un  débarquement  en  Angleterre.  —  L'armée  combinée,  arrivée  A 
l'ouvert  de  la  Manche,  est  rcpuussée  au  large  par  un  coup  de  vent  d'osi. 
—  Les  alliés  poursuivent,  sans  succès,  l'amiral  Hardy.  —  Développement 
de  la  maladie  qui  sévit  A  bord  des  vaisseaa»  français.  —  Lu  flotte  franco-» 
espagnole  rentre  A  Brest.  —  Situation  de  l'escadre  française.  —  Respon- 
sabilité du  ministre  de  la  marine làG 


\ 


LIVRE  VI. 

L'amiral  Rodne;  reçoit  la  mission  de  ravitailler  Gibraltar.  —  Prise  par  les 
Anglais  du  vaisseau  le  Quipuacoa.  —  Destruction  de  l'escadre  do  don 
Juan  do  Langara.  —  L'amiral  Rodnev,  après  avoir  conduit  son  convoi  A 
Gibraltar,  prend  la  route  des  Antilles.  —  L'amiral  Digby  s'empare  do 
Proler..  —  Arrivée  à  la  Martinique  de  l'escadre  du  lieutenant  général  de 
Guichen.  —  Rencontres  des  17  avril,  là  et  19  mai,  entre  les  escadres 
française  et  anglaise.  —  L'amiral  don  Solano,  avec  une  escadre  venant 
de  Cndix,  mouille  A  Fort-Rojal.  —  État  sanitaire  des  équipages  et  de* 
troupes  passagères.  —  Départ  du  lieutenant  général  de  Guichen  avec 
l'escadre  espagnole.  —  t.e  comte  de  Guichen  quille  Saint-Domingue  p< 
rentrer  en  Europe.  —  Départ  du  chef  d'escadre  du  Ternay  pour  les  cAles 
33 


514  TABLE  T)ES  MATIÈRES. 

lie  l'Am^riquii  sFiitealrionale,  av^r.  ^t-pl  vaisscnux  cl  un  convoi  f>orlial 
un  c<ir])s  de  six  mitls  liommes,  sous  Im  Ordres  du  liuiiloamit  gcnrnl 
comte  ds  nocbambcBu.  —  ltuncuntr«  de  Ih  diviHiou  du  tummodorc  Oiro- 
«vallis.  —  Arrivée  de  l'oEcadre  el  du  touvoi  h  llliodi^-lBlnnd.  —  Inadion 
de  l'escadre  et  des  truupes,  imr  KUiio  do  la  supériorité  du  rcnn«ini.  — 
Mort  du  clierd'Mcadre  dp  Ternay... iwi 


LIVRE  VU. 

l'risc  d'uu  convoi  de  snixanle  viiilcii  juir  la  tlotlo  combmci^,  txiu!  li;  com- 
niandement  de  don  Luis  de  Cordova.  —  Airivâe  il  Cadix  du  IleuUnuuit 
gÉndral  dp  OuichcD.  —  I)'Ei>tBiDg  prend  le  commaudemont  dea  vMsamii 
frnngaia  réunis  sur  la  rade  de  Cadix,  el  îl  les  raïuâno  i  Utest.  —  l»  eoui 
de  Londres  fait  des  cObrU  inutiles  iMur  amener  la  UoUnnde  ft  picndrr 
|iArt  &  la  guerre  comme  nlliéo  de  In  Uninde -Bretagne.  —  l^s  ptucil» 
(le  la  marine  anglaise  soulèvent  parmi  les  [luissauccs  neutres  un  m^can- 
tuDlement  général.  —  Convention  conclue  entre  ia  lluseie,  le  Ikincmart 
Ht  la  Suède,  pour  ouurer  la  liberté  du  commerce  marilîme.  —  Difficullti 
iiui  s'élèTenl  entre  la  Hollande  et  la  Grande-Bretagne.  —  Dupturv  enlr«  ' 
cea  deux  puissnnceB,  —  ActcBsion  tardive  de  la  Hollanile  au  projet  *■ 
noulralité  armcc lœ 


UVilË  Vlll. 

Itodrie)  ri'i.'uit  l'ordre  d'attaiguLT  ]•:»  [iossca^Iuuii  hollandaises  daiis  les  Inde* 
occidentales.  —  Il  s'empare  successive  nient  des  Iles  de  &ainl-Eu»tadif, 
de  Sainl-Marlin  et  de  Saba.  —  Les  colonies  de  De  niera  ri,  d'Esscquibo  cl 
de  Berbîce  sont  occupik^s  par  les  An(;lais.  —  Prise  de  l'Ile  frantaiMik 
Saint-Barlhclemy.  —  Arrivée  du  comte  de  tirasse  à  la  Martinique.  —  En- 
gagements des 59  et  30 avril.  —  Fausse  attaijuode  Sainle-Lucic.  —  Priw 
de  Tobago.  —  L'escadre  française,  après  avoir  luuclié  a  la  Marliniqut, 
se  dirige  sur  Saint-Domingue.  —  Ëvénenicnts  survenus  sur  tes  cAle»  Je 
l'Amérique  septentrionale  depuis  le  commencement  de  l'année  17SI.— 
rrise  du  Romulu».  —  Combat  du  16  mars  entre  les  escadres  d'Arbulhnot 
et  du  capitaine  de  vaisseau  Des  Touches.  —  Arrivée  du  comte  de  GtasM 
dans  la  baie  de  la  Chesapeak.  —  Apparition  de  la  flotte  anglaise.  —  En- 
gagement du  i  septembre.  —  Capitulation  de  CorciHallis.  —  Le  comte  dr 
Grasse  et  l'amiral  Elood  retournent  dans  la  mer  des  Antilles.  —  Le  uut- 
quis  de  Booillé  reprend  les  tlesdc  Saint-Eustacbc,  de  Saint-Martin  i-ldr 
Saba.  —  Prise  de  Pcnsacola  et  de  la  Floride  occidentale  i>ar  les  EsiAguol* 
el  les  Fransais K3 


TABLE  DES  MAflÈRRS.  /  M5 


LIVRE  IX. 

Événements  survenus  en  Europe  pendant  le  cours  do  Tannée  178L  —  Une 
escadre,  sous  le  commandement  de  Tamiral  Darby,  ravitaille  la  place  de 
Gibraltar.  —  Le  chef  d'escadre  de  Lamotte-Picquet  s'empare  du  convoi  de 
Saint-Eustnche.  —  Combat  du  Dogger  Bank  entre  les  Anglais  et  les  Hol- 
landais. —  Croisière  de  l'armée  franco-espagnole  sous  le  commandement 
(le  don  Luis  de  Cordova.  —  Débarquement  des  Espagnols  à  Minorque.  — 
Prise  de  Mahon.  —  Le  duc  de  Crillon  assiège  le  fort  Saint-Philippe.  —  Un 
corps  auxiliaire  français,  sous  les  ordres  du  baron  de  Falkenhayn,  se  joint 
aux  troupes  espagnoles.  —  Sortie  du  général  de  Guichen  avec  des  renforts 
expédiés  aux  Antilles  et  dans  l'Inde.  —  Le  convoi  naviguant  sous  l'escorte 
i\o  cet  officier  général  est  surpris  par  le  contre-amiral  Kempenfeldt.    265 


LIVRE  X. 

Les  Français  attaquent  Saint-Christophe.  —  L'amiral  Ilood  tente  de  jeter 
des  secours  dans  l'Ile.  —  Engagement  entre  les  escadres  anglaise  et 
française.  —  L'amiral  Hood  mouille  sur  la  rade  de  la  Basse-Terre.  — 
Capitulation  de  Brimstone  llill.  —  L'escadre  anglaise  s'échappe  pendant 
la  nuit.  —  Reddition  des  îles  Saint-Christophe,  Nièves  et  Montserrat.  — 
Retour  de  l'escadre  française  à  la  Martinique.  —  Préparatifs  faits  par  la 
France  et  l'Espagne,  en  vue  de  la  conquête  de  la  Jamaïque.  —  Arrivée  de 
Rodney.  —  Concentration  des  forces  anglais^  à  Sainte-Lucie.  —  Appa- 
reillage des  deux  escadres.  —  Engagement  du  9  avril.  —  Bataille  de  la 
Dominique.  —  Les  Français  perdent  cinq  vaisseaux.  —  Discussion  relative 
à  la  journée  du  12  avril.  —  Arrêt  rendu  par  le  conseil  de  guerre  réuni  à 
Lorient  pour  juger  la  conduite  des  ofliciers  généraux  et  des  capitaines 
placés  sous  les  ordres  du  comte  do  Grasse.  —  Arrivée  de  l'escadre  fran- 
çaise à  Saint-Domingue 281 


LIVRE  XL 

Conquête  de  Minorque.  —  Réunion  des  forces  navales  de  la  France  et  de 
l'Espagne  à  Cadix.  —  La  cour  de  Madrid  forme  le  projet  d'attaquer 
Gibraltar  par  terre  et  mer.  —  Prise  du  vaisseau  le  Pégase.  —  Les  alliés 
s'emparent  d'un  convoi  anglais.  —  Apparition  de  la  flotte  combinée  dans 
la  Manche.  —  Poursuite  de  l'escadre  anglaise.  —  Howe  sort  pour  ravi- 
tailler Gibraltar.  —  Les  Espagnols  construisent,  à  Algésiras,  dix  batteries 
flottantes  sur  les  plans  d'un  officier  français,  le  colonel  du  génie  d'Arçon. 
—  Attaque  de  Gibraltar,  le  13  septembre.  —  Les  Espagnols  évacuent  les 
l)atlcries  flottantes  et  les  livrent  aux  flammes.  —  Belle  conduite  d'un  offi- 
cier anglais,  le  capitaine  de  vaisseau  Curtis.  —  Observations  sur  la  jour- 


&16  TABI£  J)BS  MATIE 
née  ilu  II)  !>cplciiilii'e.  —  Arrivde  ilr  VusouIk  uii|i;lai»>  ilatis  le  dtlroil.  — 
L'amiral  llowe  parvient  à  ravilailkr  Gibrallar.  —  EngagL-menl  du  lU  at- 
Utbre.  —  Itclout  dns  nlliits  A  l'aiiix.  —  Leb  Anglais  poursiiiYcnl  leur  rvWt 
Tors  Portemriutli 33* 


LIVHE  Mt. 

Le  gDavcmemenl  rrancaiK  apprcud  qu'oa  fait  A  PoraUnnuUi  l«s  prqwralil'i 
d'une  eipédilinn  ilcstiiul-e  a  VemiArer  du  cap  de  lionne -EstiËraïKc.  — 
Envoi  dans  l'Inde  de  cinq  vniaee&ox  soiui  les  urdres  du  commandeur  àf 
SuUren.  —  Combat  de  la  Praja,  le  IG  avril  nSI.  —  Arrivi^  des  Frnnçaû 
h  Simon^a  Ilay.  —  Les  Anglais  se  montrent,  A  la  Qn  île  juillet,  don»  le« 
jArsges  du  Cap.  —  Le  coniniodaro  JolinuLone  relourno  en  Angleterre  axi^ 
dGu>  vainscaux.  —  Trois  vaiiîsciiUK  Tant  roule  pour  IkHoba].  —  La  colo- 
nie liollsnduibc  cBl  luïiHi  uu  élat  du  déri-iiso  par  no»  troujics.  —  L'cMadrr 
française  apjiaruille  le  38  août  ITtil.  -~  SulTruQ  tsl  nwnmé  cheT  d'e^ 
cadre,  en  réoHi]|)ease  de  aa  conduite  k  l'aDairu  ih  la  Prata.  —  £v#w>- 
mcDta  ijurvenos  dons  l'Inde  depuis  la  pri«e  de  Poodicliér].  —  lUtiiiicnU 
envoies  it  l'Ile  de  Fram/c.  —  Le  capitaine  de  vaiiwuau  Traujoll}  eat  reiD- 
placv  |iar  le  comte  d'Urvw.  —  Le  nouveau  commandant  en  chef  [irend  1* 
mer  avec  ajx  valsBuaux.  —  Séjour  de  l'escadre  sur  la  cAte  do  Ojruiuan- 
del.  —  Ilelalions  a>«c  Uyder-Ali.  —  Retour  du  comle  d'Urves  A  l'Ile  de 
France.  —  LlÉuûment  de  l'oscaUru,  —  Arrivée  du  contnuundeur  de  iiuOcen. 
—  ÛilDoult&i  relatives  nu  reni,>lai:i'ment  dos  cApilaiiies  do  Trémiigon  et  . 
de  t^ardaillac,  tuts  au  i^onilml  de  la  Pm^a,  —  L'eu^re  retourne  dMH-^ 
nndc ■. 381^ 


I.IVKE  Xlll. 

L'escadre  s'eni|iBre,  le  12  janviur  IIHl.  de  VHannibnl,  de  cinquante  canont. 

—  Mort  du  coiute  d'Orvei.  —  Suffren  se  présente  devant  Madras.  —  Neuf 
vaisseaux  ennemis  sont  embossis  sous  la  [iroteclion  des  forts.  —  L'escadre 
anglaise  met  sous  voiles.  —  Dispersion  de  noire  convoi.  —  Combat  du  lî 
février  \'S2.  —  L'escadre  frani^ise  mouille  A  Pondichtirjel  A  Porto-Nov». 

—  IlelBLioilK  avec  IIjdcr-Ali.  —  l}cbar<[ueinent  des  troupes  fraiiçaiws.  — 
L'ocadre  appareille  le  23  uiars.  —  SulTreii  prend  la  déle roi  i nation  de 
rester  dans  l'Inde.  —  Combat  du  13  avril.  —  Mouillage  des  deux  esodr» 
sur  la  c^te.  —  Les  français  vont  A  Itatacalo,  el  les  Anglais  à  Triniiuema- 
1.1).  —  l.'ewadre  ne  rend  ii  Tranquebnr  et  ii  lioiLdelour,  —  SulTren  ap[j- 
ruilie  lie  Goudelonr  le  J  juillet ;tKT 


TABLE  DES  MATIÈRES.  517 


LIVRE  XIV. 

Combat  du  6  juillet  1782.  —  Mouillage  des  deux  escadres  sur  la  côte.  — 
Les  Français  retournent  à  Goudelour.  —  Incident  relatif  au  capitaine  du 
Sévère.  —  M.  de  Cillart  est  démonté  de  son  commandement.  —  Les  capi- 
taines de  Maurville,  de  VArtésienj  de  Forbin,  du  Vengeur j  sont  renvoyés 
en  France.  —  Entrevue  de  SuCfren  avec  Hyder-Ali.  —  Départ  de  l'escadre 
pour  liatacalo.  —  Arrivée  du  Saint-Michel,  de  VlUustre  et  de  la  Fortune, 
—  Prise  de  Trinquemalay.  —  Combat  du  3  septembre  1782.  —  Les  Fran- 
çais rentrent  à  Trinquemalay.  —  Perte  du  vaisseau  VOrient.  —  La  nou- 
velle de  la  prise  de  Trinquemalay  et  l'arrivée  de  Tamiral  llughes  à  Madras 
décident  sir  Eyre  Coot  à  s'éloigner  de  Goudelour.  —  Les  Français  vont 
à  Achem  et  les  Anglais  à  Bombay.  —  Suffren  fait  route,  le  20  décembre, 
pour  la  côte  d*Ori\a 417 


UVRE  XV. 

L'escadre  française  atterrit  devant  Ganjam,  sur  la  côte  d'Orixa.  —  Prise  de 
la  frégate  la  Cowentry,  —  Mort  d'Hydcr-Ali.  —  Suffren  se  rend  à  Gou- 
delour et  à  Trinquemalay.  —  Arrivée  du  lieutenant  général  de  Bussy.  — 
—  L'escadre  porte  le  général  et  ses  troupes  à  Goudelour.  —  L'amiral 
llughes.  venant  de  ïtombay,  arrive  sur  la  côte  de  Coromandel  avec  dix- 
huit  vaisseaux.  —  Quinze  vaisseaux  français  sortent  de  Trinquemalay 
pour  secourir  Goudelour.  —  Combat  du  20  juin.  —  Avantage  remporté 
sur  les  Anglais.  —  Accueil  enthousiaste  fait  à  SufTren  par  les  troupes  du 
général  de  Bussy.  '—  On  apprend  à  Madras  que  les  articles  préliminaires 
de  paix  ont  été  signés  entre  la  France,  l'Espagne,  l'Angleterre  et  les 
États-Unis.  —  Les  hostilités  sont  suspendues  dans  Tlnde,  sur  terre  et  sur 
mer,  à  partir  du  8  juillet  1783 451 

Appendice 497 


FIN  DE  LA   TABLE. 


PARIS.  —  TYPOGRAPHIE  LAHURE 
Rue  de  Fleurus,  9