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e00037032L
HISTOIRE
DE ÏA.
MARINE FRANÇAISE
PCNOANT LA GUERRE
DE L'INDÉPENDANCE AMÉRICAINE
HISTOIRE
DE LA
MARINE FRANÇAISE
PENDANT LA GUERRE
DE L'INDÉPENDANCE AMÉRICAINE
PARIS. — TYPOfiRAPHIK LAHURE
Hue do F'.eurus, 0
HISTOIRE
DE LA
MAMNE FRANÇAISE
PENDANT U GlIEllRE
DE L'INDÉPENDANCE AMERICAINE
E. CHEVALIER
LIBRAIRIE HACHETTE ET C"
79, B01(J.KVà[ID SAINT-CEBHittN, 19
■/.
-/ 7-
/
i
PRÉFACE
La guerre de rindépcndancc américaine est une des
époques les plus glorieuses de notre histoire. Ses résul-
tats permirent à la France d'effacer Thumiliant traité que
l'Angleterre lui avait imposé en 1763. Nous ne croyons
pas que le rôle considérable, joué par notre marine
de 1778 à 1783, ait été fidèlement rapporté. Il subsiste
encore aujourd'hui, sur les personnes et sur les choses
de ce temps, des erreurs qu'il est utile de détruire. On a
dit que Texcessive prudence des ministres avait enlevé
loule initiative aux amiraux et nui au succès de nos opé-
rations. Au début de la crise qui amena la guerre, le ca-
binet de Versailles fut beaucoup trop circonspect. Il se
trompa sur les intérêts militaires du pays en ne devan-
çant pas l'attaque de nos voisins. Mais, aussitôt que le
combat d'Ouesssant eut prouvé la solidité de nos esca-
dres, le gouvernement reprit toute confiance et il poussa
les amiraux plus qu'il ne les retint. Nous verrons le
comte d'Eslaing se justifier auprès de M. de Sar-
tines de ne pas avoir été aussi audacieux qu'on l'eût sou-
haité à Paris. Le maréchal de Castries écrivait, en 1781,
au commandant de l'escadre de l'Inde : « Le Roi, en lais-
sant les généraux maîtres de déterminer les opérations
qu'ils estimeront les plus utiles et les plus glorieuses k
ses armes, leur prescrit d'attaquer les Anglais séparés ou
réunis, partout où il sera possible de le faire, sauf l'évi-
dence de la destruction de leurs forces. Elle se borne, en
conséquence, à faire cbnnaltre au sieur comte d'Orves
1
2 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que l'inaclivité de son escadre est ce qu'elle défend [irin-
cipalement, que des événements malheureux ou l'inac-
Uon seront également contraires à ses vues.... Sa Majesté
daigne en même temps assurer au comte d'Orves qu'elle
ne le rendra pas responsable des événemeats malheu-
reux qui pourraient arriver, mais qu'il le serait, s'il
n'employait pas toutes les ressources que son esprit et sou
courage peuvent lui inspirer pour rendre la campagne
également utile et glorieuse à ses armes. » 11 est didicile
de tenir k des généraux un langage ix la fois plus ferme
et plus encourageant.
A en croire quelques historiens, l'esprit de désobéis-
sance et d'indiscipline était la marque particulière des
ofliciers de celte époque. Nous ferons ressortir les graves
erreurs qui ont été commises sur ce [loinf. Les Français
n'admettent pas facilement qu'ils puissent être battus.
Lorsque ce malheur leur arrive, ils sont disposés à voir
dans ceu.v qui les commandent des lâches ou des traî-
tres. Dans le cas, assez rare d'ailleurs, oii l'opinion prend
parti pour les généraux, c'est dans les rangs inférieurs
qu'elle cherche des coupables. S'il est juste do blAmer les
Français de cette regrettable tendance, on doit surtout se
montrer sévère envers les écrivains qui se font, sans
preuves, l'écho de ces bruits. Nous reconnaissons que
celte méthode simplifie singulièrement leur t&che. Elle
les dispense des recherches, souvent longues et difiiciles,
qui sont nécessaires pour arriver à la constatation de la
vérité. Ces accusations banales n'ont pas seulement le
tort d'être injustes, elles ont d'autres consè<iuences beau-
coup plus graves. Quelles leçons tirer des événements, si
1. Quand OQ Atudic le combat de li Dominii/ue dans I01 ducumeati ori-
f^inoui, on cherche inutiliMUcnl suriiuoi onl \m i'a|i|iusur tea liUtorient
qui onl (HirtA conlre le* rapilaines do l'i'scadic rnuitniso de» •ccuHltoni
d'indJH-iidiiie, de hvtiliU ou dr jaloual<>. C*«bI un (iivc^it bcile joiur expli-
quer !• perte de U bataille, mai* c'cal ahiuluraenl incucl. Ou [leul TtLins
de> obtcrvatioiia analogue! i propos dii ronibal d'Ilueisant tt de la cani*
(lagiie <lu tamle d'EaUing aur lea c6lM do l'Amtrii|ue wplentrtonsU et dam
In iliitille<.
PRÉFACE. 3
le manque de courage, Tindiscipline ou rincapaciié sont
présentés comme l'unique cause de nos défaites? Quelle
importance une nation peut-elle attacher aux institutions
militaires, si on l'entretient dans la persuasion que la
bravoure suffit à tout? De tels procédés ont pour consé-
quence de déshabituer les esprits du travail et de la ré-
flexion.
La guerre de Tindépendance américaine a été faite par
une marine fortement constituée dans toutes ses parties.
Les institutions qui la régissaient dataient de Colbert et
de Seignelay. Elles avaient subi, depuis 1689, des modi-
fications qui n'étaient pas à l'épreuve de la critique, mais,
dans leur ensemble, elles étaient éminemment propres à
donner à la France de bonnes escadres. Néanmoins, soit
(|u'à Paris on n'eût pas prévu la durée de la guerre, soit
que les idées d économie eussent prévalu, notre organi-
sation maritime n'avait pas été assise sur une base assez
large. L'insuffisaiTce des cadres apparut dès le début des
hostilités. L'extension que prirent les armements aggrava
cette situation. En résistant à cette épreuve, le personnel
de la marine montra qu'il possédait une très-grande
force, mais cet état de choses amena une diminution
sensible dans la valeur de nos flottes. L'élasticité des
cadres, et c'est une considération qu'on ne doit pas per-
dre de vue pendant la paix, a une limite qu'on ne peut
pas franchir sans danger.
La personnalité du bailli de Sufl^ren se détache avec
une vigueur particulière au milieu des amiraux anglais
et français qui commandèrent de 1778 à 1783. Les succès
qu'il remporta sur la côte de Coromandel firent oublier
l'issue malheureuse du combat de la Dominique, Ce qui
a été écrit sur la campagne de l'Inde a été emprunté, pour
la plus grande partie, si ce n'est en totalité, à une rela-
tion faite par M. Trublet de la Yillejégu*. Ce livre
1. M. Trublet de la Villejégu élail second du vaisseau de cinquante^ le
Flaitiandj qui appartenait à Tescadre de l'Inde. Farli de France^ comme
capitaine de brûlot, il fut fait, à son relour, cUcvalier de Sainl-Louis et
4 msTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE.
contient des erreurs d'autanl plus fâcheuses qu'elles
portent principalement sur les personnes. On ne peut
connaître la vérité sur cette mémorable campagne, qu'en
consultant, non quelques lettres, mais toute la corres-
pondance de SufTren. Le journal tenu par le major de
l'escadre de l'Inde fournil aussi de précieux renseigne-
ments.
Il existe aux archives de la Marine de nombreux docu-
ments concernant la guerre de l'indépendance améri-
caine '. J'en ai cité quelques-uns, pris parmi ceux qui
m'ont paru avoir une valeur particulière. Les pièces de
cette nature, lorsqu'elles sont mises à la fin d'un livre, '
passent presque toujours inaperçues. Aussi ai-je cru utile
de les placer là oii elles servent de démonstration. Cette
méthode est surtout nécessaire, lorsqu'il s'agit d'événe-
ments ayant soulevé de nombreuses discussions, tels que
le combat d'OuessanI, l'expédition de l'armée franco-es-
pagnole, en 1779, la campagne du comte de Grasse, celle
de l'Inde et l'attaque de Gibraltar par les batteries flot-
tantes du colonel d'Ar(;on. Il n'y a que les documents
originaux qui ])uisscnt, dans certains cas, donner une idée
tr6s-nclte de la pensée des ministres ou des amiraux. Il
m'a semblé, en outre, que des lettres d'hommes comme
Suffren, d'Orvilliers, de Guichen, Lamotte-Picquet, écri-
tes sur des affaires de guerre nu sur des sujets ayant
trait & la marine, seraient lues avec un grand înlér^t.
Le récit des événements, auxquels nos escadres ont
pris part de 1778 & 1783, est précédé d'une étude sur la
marine militaire de la France avant cette époque. J'ai
IwutoDIint de vaiucau. Cii11« double récoropense iadiqn« qii'il avail wrvi
Irèi-bonDratilenivat. Dam tu relalîon da la ciiD)|iBgn« de Tlnde, il rapporlo,
«Tcc une Iwnne foi qu'il n') a pa« lieu de «iispocler, ce qui se disait autour
de lui. Quelques exemples niontrcmnl. unK Toi» de plus, combien il dt dif-
Ocile, alors mtnie qu'on eit présent dnus une ariiii!^ uu dan» une escadre,
de savoir ce qui lo ixkMC sur le cliaiiip de balaillc.
1. Ce* docuoient« roroiont un loUl de ccdI Irenio-trois volumes monu-
tcriU, tor lesquels quaraule-qualre *odI conucrés aa combat de la Domi-
nique.
PRÉFACE. 5
rappelé les débuts de cette marine créée par Richelieu,
abandonnée sous la régence, relevée et définitivement
établie par Louis XIV et Colbert. Quelques-uns des faits
maritimes les plus importants ont été rapportés. Je suis
entré dans quelques détails sur les batailles navales de
Tannée 1672, afin de combattre Topinion généralement
accréditée que la France a manqué de loyauté à Tégard
de l'Angleterre *.
On ne peut apprécier les éléments d'une campagne, soit
sur terre, soit sur mer, qu'à la condition de bien connaî-
tre les éléments avec lesquels elle a été entreprise. C'est
pourquoi j'ai voulu indiquer d'une manière précise l'or-
ganisation de la marine française au moment où a éclaté
la guerre de l'indépendance américaine. Il est difficile de
parler des institutions d'une époque sans dire quelques
mots de celles qui les ont précédées. Dans cet ordre d'idées
les choses s'enchaînent, et le régime d'aujourd'hui est
toujours en relation directe avec celui de la veille. Ceci est
au moins la règle pour les temps réguliers. J'ai donc été
conduit à parler des institutions maritimes se rattachant
aux époques antérieures à 1778. J'ai pris pour point de
départ le commencement du dix-septième siècle. La ma-
rine militaire, telle que nous la comprenons aujourd'hui,
n'existait pas avant le ministère du cardinal de Richelieu.
Quelles que soient les transformations que subisse le
matériel, les principes sur lesquels repose l'art mili-
taire ne changent pas. L'étude des guerres passées a ce
grand avantage qu'elle permet aux hommes placés à la
tête des flottes ou des armées d'éviter les fautes commi-
ses par leurs devanciers. Elle leur fournit des points de
comparaison, toutes les fois qu'ils se trouvent en pré-
sence d'événements inattendus. On improvise peu sur
les champs de bataille, et, dans la marine comme dans
l'armée, il faut arriver devant l'ennemi avec une instruc-
1. Un roman maritime d'Eugène Sue, intitulé Histoire de la Manne
française, a beaucoup servi à accréditer cette erreur.
HISTOIRE tlK LA MARINK FRANÇAISE.
lion acquise h l'avance. La hardiesse dans le conseil,
'énergie el la promptiludc des décisions procèdent du
savoir beaucoup plus que du lempi^rapicnt, ce que le
public n'esl pas toujours disposé A croire. Un orQcicr qui
ne se rend pas un compte exact de sa position et do celle
de l'ennemi est rarement entreprenant. Quoique le lieu-
tenant général d'Estaing se distinguât par une bravoure
personnelle evlrèmement brillante, nous le verrons agir,
comme chef d'escadre, avec une extrême timidité. Il n'osa
que l'écrivait Suffren, -■ attaquer avec douze
sept petits, parce qu'ils étaient défendus
par quelques batteries à terre'. « Des instructions, en-
joignant au commandant de l'escadre de l'Inde de ramo-
ner ses vaisseaux ii l'tle de France, parvinrent il Suffren
au milieu de l'année 1782. Convaincu que cet ordre était
contraire A nos inléréis, il n'hésita pas à l'enfreindre. En
rerusant d'aller au-devanl des renforts annoncés par le
mini.''tre, il assumait la responsabilité des échecs qu'il
pourrait essuyer. Il se chargeait, en outre, de faire sub-
sister son escadre sur la côte de Coromandel, où nous
n'avions ni ports ni magasins. Suffren étant un homme
exceptionnel, sa conduite ne peut serrir de règle, mais
nous pouvons citer l'exemple du lieutenant général d'Or-
villiers. Celui-ci croisait, au mois de juillet 1778, à l'en-
trée de la Manche, lorsque le gouvernement français fui
informé de la sortie de l'amiral Keppel. La flotte anglaise
était supérieure ù la nfttre par le nombre des canons.
M, de Sartines, en portant cette nouvelle ù la con-
naissance du commandant de notre armée, lui donna
l'aulorisalion de revenir à Brest. «J'ai prévenu les capi-
taines de mon escadre, répondit l'amiral, que je comptais
rester un mois A la mer, et, A moins d'un ordre formel,
1. Le MB Ire-ami rnl Birringlon, après avoir dtbarqué de* Iroupes rd-
, gbiiM à Sainte-Lucio. au uuii de dfcemhro 1119, avait moaillé avpr Kpl
imincanx dani une dt» baie* dr rite. U'Eilainp vini do la M>rlinic|iie au
s de Sainif-I.iifk' avec dei troupe* de débait|Oflnient et une etniilre
de doum vaianraiit.
PRÉFACE. 7
je ne rentrerai pas avant le moment que j'ai indiqué. » Le
parti que prenait cet officier général n'impliquait, de sa
part, aucune intrépidité particulière. Sa réponse était
celle d'un chef d'escadre ayant de la fermeté et surtout
des lumières*. C'est dans des résolutions de cette nature
que consiste le courage des généraux.
1. Le comte d'Orvilliers était considéré par toute la marine comme l*ofn-
cîer général le pins capable de commander une ^nde escadre. Il avait fait
les deux guerres de 1741 et de 1756. II était âgé de soixante-huit ans au
commencement de la guerre de Pindépendance américaine.
LIVRE I
La marine militaire, en France, date de l/>nis XIII. — Suppression de la
charge de grand amiral. — Le cardinal de Richelieu est nomme grand
maître, chef et sorintendant de la navigation et du commerce. — Créar
lion des premières troupes afTectécs au service de la flotte. — Efforts du
cardinal pour jeter les bases d'un établissement maritime permanent. —
Services rendus par les forces navales sous son minif^tère. — \a marine
militaire décroît sous la régence d'Anne d*Autriche. — Uègne de lx>ui8XIV.
— Colbert, ministre de la marine. — Développement rapide de nos forces
navales. — Institutions et ordonnances de Colbert. — Ministère du mar-
quis de Seignelay. — Principaux événements auxquels prend fiart la
marine sous Louis XIY.
I
La marine militaire, telle que nous Fentendons aujour-
d'hui, c'est-à-dire comprenant un matériel et un personnel
entretenus aux frais de TÉtat et exclusivement consacrés
à son service, ne date que de Louis XIII '. Henri IV avait
eu la pensée de créer une marine militaire, mais les diT-
Acuités des temps où il vivait ne lui avaient pas permis
d'entreprendre cette tAche patriotique. Douze ans après
1. « On chercherait en vain dans les archives, avant Tannée 16G0. des
correspondances assez suivies pour en former un tableau satisfaisant de
notre marine. Je n*y ai trouvé qu'un p4>tit nombn' de pièces originales et
quelques états antérieurs à cette éiMM{ue. Cependant. |H)ur ne i>as laissiT
un vide aussi considérable dans c<itte |>artie intéressante, j'ai cru devoir
remonter plus haut Je suis i»ar\'enu à commencer le détail de nos
différents armements de Tannée 1610, lorstpie I/>uis XIII fuirvint au trOne.
Je me suis lixé. avec d'autant phis de raison, au règne de ce primée, <{u'on
peut le regarder comme le restaurateur de notre marine qui était toml>ée
dans un si grand anéantissement depuis Henri II, qu'à peine, sous Henri lY,
la France aurait pu mettre «piatre vaisseaux en mer. {IIintoif*e manuxrrite
de la Marine franraiiw de IGIO n 1761J.) • I/auteur, M. l*orque d*Amécourt,
était garde des archives et premier commis du dé|N^t des |»apiers de la ma-
rine et des colonies. Il a «>\i-n'è c<'s fonctions de 1161 à 17K.'>.
PRÉFACE. 9
ravéaement au trône de son successeur, notre faiblesse,
au point de vue maritime, était telle que le gouverne-
ment ne put mettre en mer une flotte suffisante pour
arrêter les déprédations que commettaient quelques na-
vires protestants sur les côtes de la Guyane, du Poitou
et de la Bretagne. En 1625, Louis XIII fut obligé de
demander l'assistance d'une puissance étrangère pour
combattre les Rochellois révoltés. En vertu d'un traité
signé à la Haye, par notre ambassadeur, le comte de
Lesdiguières, les États-Généraux s'engagèrent à mettre
à notre disposition vingt bâtiments de guerre. Il fut con-
venu que douze de ces bâtiments auraient des capitaines
et des équipages français. Nous avions introduit cette
clausf^ dans la crainte que les Hollandais ne prissent parti
pendant la campagne pour leurs coreligionnaires. Cette si-
tuation était aussi humiliante pour l'amour-propre national
que dangereuse pour notre sécurité. Le cardinal de Ri-
chelieu résolut de donner à la France une flotte de guerre
qui lui permît de prendre parmi les nations maritimes
le rang que lui assignaient l'étendue de ses côtes et les
ressources de son territoire. Les institutions de celte
époque présentaient de sérieux obstacles à l'exécution de
ses projets. Les affaires maritimes étaient placées sous
la direction d'un dignitaire qui portait le titre d'amiral
de France. Cet amiral était un prince du sang ou un des
hommes les plus considérables de l'État. Il avait de droit
le commandement des armées navales et des ports.
C'était à lui qu'appartenait la nomination des officiers et
des fonctionnaires servant dans la marine. Les opéra-
tions, de quelque nature qu'elles fussent, exécutées dans
les arsenaux pour le compte du Roi, relevaient de son
autorité. Avec cette organisation, l'unité de vues indis-
pensable pour atteindre le but que poursuivait le cardi-
nal ne pouvait exister. Il était en effet difficile de croire
que l'amiral consentît à n'être que l'instrument docile
des volontés du ministre. D'autre part, le pouvoir, dont
disposait ce personnage, était un fait absolument incon-
10 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ciliable avec les idées de Richelieu en matière de gouver-
nement. L'amiralat, dont le titulaire, Henri de Montmo-
rency, reçut une indemnité de douze cent mille livres, fut
supprimé en 1626. La charge qui disparaissait avait
constitué, en son temps, un progrès très-réel sur le passé.
Elle avait absorbé les amirautés particulières, celles du
Levant, de la Guyenne, de la Normandie et de Tlle de
France. Par suite de cette mesure, le gouvernement de
notre pays avait fait un pas dans la voie de la centralisa-
tion. La réforme pratiquée par Richelieu acheva Tœuvre
commencée. Le Roi créa la charge de grand maître chef
et surintendant de la navigation et du commerce, et il la
confia au Cardinal ^
Celui qui occupait ce nouveau poste devait jouir, si ce
n'est de tous les honneurs, au moins de tous les droits
dévolus jusque-là à l'amiral de France. En conséquence,
Richelieu se trouva en possession de l'autorité nécessaire
à l'exécution de ses desseins. L'assemblée des Notables,
réunie à Paris à la fin de l'année 1626, demanda au
Roi, sur sa proposition, que l'État entretînt d'une ma-
nière permanente quarante-cinq bâtiments de guerre. On
devait également avoir dans la mer Méditerranée un cer-
tain nombre de galères toujours prêtes pour un service
actif. Sans marine, fut-il dit à cette occasion, on ne peut
ni profiter de la paix, ni faire la guerre d'une manière
avantageuse. Ce serait une erreur de penser que ces
maximes aient perdu de leur valeur. La main du Cardinal
s'était déjà montrée dans les afTaircs de la marine. Lors-
qu'il s'était trouvé dans l'obligation de recourir aux
États-Généraux pour assurer la sécurité de nos côtes, il
avait commandé aux constructeurs les plus habiles de la
Hollande dix bâtiments de guerre pour le compte du gou-
vernement français. C'était lui qui avait décidé, en 1622,
1. I^ dignité de vice-nmiral, qui existait à cette époque^ fut supprimée
en ni^mc tcmpH que l'amiralat. Un intendant général de la navigation rem-
plaça le vice-amiral, do même que le grand maître chef et sarintendant de
la navigation et du commerce remplaçait l'amiral.
PRÉFACE. 1 1
la création de cent compagnies destinées, sous le titre de
compagnies ordinaires de la marine, à faire le service
sur les bâtiments de guerre. Jusque-là, les soldats em-
barqués sur les flottes étaient pris dans les rangs de
l'armée de terre. En 1627, les cent compagnies détachées
furent supprimées, et les hommes qui en faisaient partie
formèrent un régiment qui prit le nom de régiment de la
marine. Les compagnies franches de 1622 et le régiment
de la marine dans lequel elles vinrent se fondre, cinq
ans après, sont les premières troupes de la marine dont
Texistence ait été officiellement constatée*. On remar-
quera qu'il ne s'agissait pas de troupes destinées à servir
dans les ports ou dans les colonies, mais d'hommes
appelés à former une fraction très-importante des équi-
pages de la flotte de guerre. En 1627, le Roi fit marcher
une armée contre la ville de la Rochelle, place forte que
les protestants possédaient en vertu de l'édit de Nantes.
Le gouvernement de la Grande-Bretagne, prétendant être
garant des traités conclus avec les réformés, envoya une
flotte, sous les ordres de Buckingham, pour les secourir.
Les Anglais occupèrent une partie de l'île de Ré. Nos
troupes parvinrent à les en chasser, mais l'ennemi, res-
tant maître de la mer, conserva la possibilité de ravitail-
ler la place. Vingt petits bâtiments, réunis par les soins
du Cardinal, apportaient un concours utile aux opéra-
tions militaires. C'était avec leur aide que nous avions
débarqué dans l'île de Ré, mais cette flottille était insuffi-
sante pour couper les communications des assiégés avec
le large. Or, les généraux déclaraient que la Rochelle se-
rait imprenable aussi longtemps que cette condition ne
serait pas remplie. Ne disposant pas d'une force navale
qui lui permît de satisfaire à cette exigence, le Cardinal
se décida à fermer le port par une digue. Ce travail,
grâce à l'habileté de l'ingénieur Clément Métézau, chargé
1. Les archives de la marine ne contiennent aucun document indiquant
Tcxistence des troupes de la marine avant celte date.
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE
de celle importuote opération, et au dévouenienl de nos
soldais, fut terminé au milieu de l'année 1626 '. Dès lors,
toutes les tentatives pour Taire pénétrer des secours dans
ville Turent inutiles. La Rochelle, vaincue par la fa-
mine, ouvrit ses portes, au mois d'octobre. Richelieu
avait présidé h toutes les opérations du sié|^, en qualité
de lieutenant du Roi. Il avait été témoin des difficultés
que l'armée avait rencontrées. Si le mode employé pour
fermer le port constituait un titre d'honneur pour les
assié{;eants, d'autre part, la construction de la digue
avait coûté beaucoup de temps et d'argent qui eussent
été épargnés, si une escadre française, croisant devant
la Rochelle, en eût interdit l'accès à l'ennemi. Le Car-
dinal, plus que jamais convaincu de l'infériorité à la-
quelle la France se trouverait condamnée, si elle n'avait
pas de marine militaire, se mit immédiatement à l'œuvre
pour jeter les bases d'un grand établissement maritime.
Les bdtiments de guerre devinrent la propriété de l'Ëtal,
Les ports furent améliorés et Tortifiés, et, ù la tête de
chacun d'eux, une ordonnance, portant la date du 29
mars 1631, plaça un commissaire général et un chef d'es-
cadre'. Ces deux fonctionnaires, auxquels des officiers
furent adjoints, reçurent la mission de réparer et d'en-
tretenir les bâtiments qui se trouvaient dans nos arse-
naux, cl d'armer ceux que k' ministre ilésignait pour
aller & la mer. Les capitaines et les lieutenants, destinés
& embarquer sur les bdlimenls de guerre, Turent main-
tenus au service d'une manière permanente. Richelieu
leur alloua une solde à terre distincte de celle qu'ils re-
1. Colle (ligue itnit liinfiin de ftopt cent quarante loises. 1:11e BVtit Ireite
piiilf do haut el dîi'butt iiicils de \aige à «a base, tin k CDtiitruÎBit en
eniilant de» btUincnla rempli» de niatonnerie. Les détaiU de reiéculion
lurent l'iinlli'x a un matire nmcon de Parie, du nom Je Jeun Tircol.
1. Sou* Colbcrt, noui verrons luus les lervices. dan* lei [lorla, aboutir
h dcut fbncliuniiairvu, l'un militaire et l'autre apparlenanl à l'ordre rivil,
•avoir : le commandant de la marine el l'intcnduil. Boni cei deux fnnc-
lionnairva, i\ Mt lurile de reconnaître le eommitaair» général et le chef
d'eicadre, fibcui |iar l'ordonnance du ItUl k la Itle dea ports.
PRÉFACE. 13
cevaient à la mer. Il fonda des écoles de canonnage et il
nomma y dans chaque port, un officier spécialement
chargé du service de Tartillerie*. On disposa dans les ma-
gasins le matériel nécessaire pour armer les bâtiments
à flot. Un deuxième régiment des troupes de la marine,
qui prit le nom de régiment royal des vaisseaux, fut créé
en 1635. Le service des officiers et des équipages à terre
et à la mer fut réglementé. Il n'y avait, à cette époque,
aucune législation parlicutière pour la marine de guerre.
Dans les ports militaires, aussi bien que sur les vaisseaux
armés provisoirement pour le compte du Roi, on appli-
quait les lois et les coutumes en usage sur les navires de
commerce. Un code pénal, destiné à la marine de TÉtat,
parut en 1634*.
Quoique rejetées au second plan par Tavènement des
vaisseaux ronds, c'est ainsi qu'on appelait les navires à
voiles, les galères conservaient une grande importance.
Elles étaient dirigées par Pierre de Gondi qui portait le
litre de général des galères. Cette qualité lui donnait le
commandement des îles d'Hyères et la lieutenance géné-
1. Les quelques lignes suivantes, empruntées à un état de dépenses
approuvé par Richelieu^ donneront une idée des vues du cardinal et de son
erjprit d'organisation. « A cent canonniers qui, outre ceux qui sont actuel-
lement stipendiez dans les vaisseaux, seront obligez de servir en toutes
occasions où ils seront mandez, chacun cinquante livres, montant en tout
cinq mille livres; à trois maîtres canonniers qui seront aux trois escholles
càtablics en Normandie, brctaigne et Guyenne, qui seront obligez d'ins-
truire la jeunesse en leur art, chacun deux cents livres, montant six cents
livres. A cent cinquante jeunes hommes, depuis Tàge de quinze ans jusqu'à
vingt-cinq, do toutes les castes les plus proches des villes où seront éta-
blies les escadres pour être instruitz pour être canonniers, chacun dix
livres, montantz en tout quinze cents livrcj<. Pour les pouldres qui seront
consommées es trois escholles de canonniers estabiies cy dessus, à raison
de quatre milliers par eschoUe, qui font douzo milliers qui. à dix solz la
livre de pouldre, reviennent à six mille livres. Pour les prix qui seront
donnez douze fois Tannée, à chacune des escholles qui, pour les trois, font
trente-six, à raison de trente livres et pour prix qui seront emploicz en
draps pour habiller ceux qui les gaigneront, montant en tout mil quatre
vingts livres. » On voit que le grand ministre comprenait la nécessité d'a-
voir, non-seulement une réserve, mais une réserve instruite.
2. Ce travail fut fait, par ordre de Richelieu, sous la direction du com-
mandeur de la Porte, intendant général de la navigation.
l'é HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
raie du Roi dans les mers du Levant. Richelieu obtint,
moyennant une indemnité de cinq cent soixante mille
livres, la cession de cette charge en faveur du lils d'une
de ses sœurs, le marquis François de Vignerot du Pont
de Courlay. Ce dernier exerça les fonctions de sa charge,
en ce qui concernait la partie militaire. Il commanda les
galères, lorsqu'elles furent envoyées à la mer, mais le
Cardinal garda entre ses mains la direction supérieure
de ce service. C'était, d'ailleurs, le but qu'il s'était pro-
posé, en confiant cet emploi à son neveu. En 1635, la
guerre éclata entre la France alliée à la Hollande et l'Es-
pagne. Quarante bâtiments de guerre, ayant de huit à
cinquante deux canons, six brûlots et quatorze navires
de charge furent réunis, au mois de juin 1636, sur la
rade de Belle-Ue. Cette flotte, dont l'armement représen-
tait, de la part du Cardinal et de ses agents, un elTort
considérable, était commandée par Henri de Lorraine,
comte d'IIarcourt. Ce dernier avait, auprès de lui, comme
Conseiller, monseigneur d'Escoubleau de Sourdis, arche-
vêque de Bordeaux, qui avait joué un rôle très-brillant
au siège de la Rochelle*. Le capitaine du navire amiral,
le commandeur Des Gouttes, vieil officier, ayant une
grande expérience de la mer, était au point de vue pure-
ment maritime, le véritable chef de l'armée*. Les in-
structions adressées au comte d'Harcourt lui prescrivaient
de se rendre dans la Méditerrannée. Il devait s'entendre
avec le maréchal de Vitry, gouverneur de Provence
1. Le lioi iioninmil Parclievi^ue « chef de ses cuuseillers près ledil coiiile
d*llarcoiirl , jwiir l'assisler dans les conseils qui se tiendront en rem-
ploi de Tarniée el sur toutes lesafTaires concernant ladite année, et |)Our,
sous rautoiité de Sa Majebté et celle diidit comte d'IIarcourt; avoir la di-
rection de ce (|ui serait de la subsistance de ladite armée, vivres, nuini-
lions et équipages, avec pouvoir de faire prendre, sur tous les vaisseaux
qui se rencontreraient en mer, les victuailles, a^rès et munitions dont
ladite armée navale pourrait avoir besoin, en |>a>ant, laissant néan-
moins auxdits vaisseaux ce qui leur serait nécessaire pour le reste de leur
vovaj^e. »
*2. Le cardinal avait, dans les lumières de c<'t ofQcier el dans sa ciqui-
cité maritime, la conliance la plus entière.
PRÉFACE. 15
pour reprendre les îles de Lérins que les Espagnols nous
avaient enlevées, l'année précédente. Le Roi et son ministre
tenaient particulièrement à Texécution de ce projet.
Après avoir embarqué un corps de quatorze mille soldats,
la flotte fit route vers le détroit*. Dans les premiers
1. On lira avec intérêt la composition de cette flotte. En se reportant à la
situation maritime de la France, au moment du siège de la Rochelle, on se
rendra compte des résultats obtenus par le cardinal, dix ans après qu'il
eût pris possession de sa charge de grand maître, chef et surintendant de
la navigation et du commerce. Les navires de guerre n'étaient pas classés,
comme ils le furent quelques années après, et leur force se trouvait, à
cette époque, indiquée par le tonnage. Le comte d'Harcourt se dirigeait
vers la Méditerranée avec les bâtiments désignés ci-après : le Grand
Saint-Louis, de mille tonneaux, Des Gouttes, capitaine; la Fortune^ de
cinq cents tonneaux, de Poincy, capitaine ; la Licorne, de cinq cents ton-
neaux, de Montigny, capitaine; le Corail, de cinq cents tonneaux, Rigault,
capitaine; la Ciguè\ de cinq cents tonneaux, de Cangè, capitaine; le Cocq^
de cinq cents tonneaux, de La Fayette, capitaine; le Saint-Michel, de
cinq cents tonneaux, de Cou, capitaine; la Sainte-Genefuieiie, de cinq
cents tonneaux, de Beaulieu, capitaine; la Perle, de trois cents tonneaux,
de Boisjoly, capitaine ; la Magdelaine, de trois cents tonneaux, de Guitault,
capitaine; V Eglise, de trois cents tonneaux, de Miramont, capitaine; l'//er-
mine, de deux cents tonneaux, de Coursac, capitaine ; la Sainle-Marie, de
deux cents tonneaux, de Portenoire, capitaine; la Royale, de cent vingt
tonneaux, Rozet, capitaine; la Patache de M. de Cou, de cinquante
tonneaux, Pourpardin, capitaine; V Europe, de cinq cents tonneaux, de
Mante, capitaine: le Saint-Louis, de cinq cents tonneaux, de Giron, capi-
taine; le Lion-d^Or, de trois cents tonneaux, de Beaulieu-Pressac , capi-
taine; V Intendant, de trois cents tonneaux, d'Arpantigni , capitaine; le
Saint-Louis de Hollande, de trois cents tonneaux, de Vaillebois, capitaine ;
la lienommée, de trois cents tonneaux, Charles Duval de Couppeauville,
capitaine; le Saint-Jean, de trois cents tonneaux, Vaslin, capitaine; la
Marguerite, de deux cents tonneaux, de La Treille, capitaine; le Sainl-
Franrois, de deux cents tonneaux, Reguicr, capitaine; la Lionne, de deux
cents tonneaux, Beaulieu le jeune, capitaine; la Palmande, de deux cents
tonneaux, Cazennac, capitaine; V Espérance, de deux cents tonneaux,
d'Arrérac, capitaine ; r^n^e, de deux cents tonneaux, de Petonnicr, capi-
taine ; la Frégate gasconne, de cent vingt tonneaux, Cabaret, capitaine ;
le Saint-Vincent, de trois cents tonneaux, de La Bouilierie, capitaine; la
Magdeiaine, de trois cents tonneaux, du Mé d'Aplemonl, capitaine; la Mar-
guerite, de deux cents tonneaux, de Chastellux, capitaine; la Sainte-Anne,
de deux cents tonneaux, de Pontrincourt, capitaine; V Aigle, de deux cents
tonneaux, Louis Havart, capitaine ; la Levrette, de deux cents tonneaux,
Daniel, capitaine; le Neptune, de deux cents tonneaux. Du Quesne, capi-
taine ; le Griffon, de deux cents tonneaux, de La Chcsnaye, capitaine. Le
nombre des CanonSj sur l'ensemble de cette Hotte, était de quatre cent
deux. Le navire amiral, le Grand-Saint- Louis, avait quai*antcsix pièces
l
10 JIISTorUE DE LA MARINE FRANÇAISE.
jdin'H «rnoiU, loromlo d'Harcourt rallia, aux lies d'Hjrères,
lf*H ^n\rn*s (lu marquis du Pont de Courlayet une escadre
il v(mI(*n nmuuiiïuU*^ par le baron d'Alk-ma^e. Il prit,
roiif'oriii('*MM*nt aux ordres do la cour, le commandemeDl
t'ti i'iwï d(; loul(*s nos forces navales. Par suite de contes-
fiiliouH Hurv(*nnes enlre le pouverneur de Provence et le
roMih* d'Ilairourt, Tannée se passa dans l'inaction. Le
tniiréflidl de Vilry avait laissé prendre les Iles de Lérins
pur hfi néKliKencc*. Le Hoi, se souvenant peut-être de la
|oiirnéi*du 'àU avril 1017, et supposant, d'autre part, que
le iiiiin|uiH d(* Vilry lerail tous ses efforts pour réparer
M.i l'iiulc, hV'IiiII nioiilré IW's-indul^^ent*. Cependant, cédant
ini\ nihlaiMTM du cardinal, il avait placé le maréchal
ifouM lu lulcjjc de ninnsci^Mieur Gabriel de Beauveau de
hivjirciiiic, c\^(|U(' de Nantes. Ce prélat était arrivé àson
poule au mois de jaii\ier 1036, mais il n'était pa:> par\'enu
/i iidoiicir riiiimeiir violente de celui qu'il devait diriger.
Iiaiih un conseil de ^nuMTe, tenu au commencement de
ir,;i7, le iiiiiréclial, mécontent de trouver monseigneur
de Sourdis peu disposé à ncc(*plor ses avis, s'emporta au
point de le l'iiipper. Lorsque ces faits furent connus, le
lloi ii|ouriiii eiirore iiiu* fois l(»s mesures de sévérité; mais
le nijirérliiil ii)jitil coiilinué, malgré les ordres formels de
lit ci»iir, à vivre en mauvaise intelligence avec l'arche-
\êque, lui a|»|M'|é à Paris ". Le coude d'IIarcourt sVmpara
des llcNde Lériiis nu mois de mai 1637. Le 1"' se|)tembre
Ki.jM, une rencontre eut lieu, sur les eûtes d'Italie, non
loin de (n'iies, eiilie les /galères de France et d'Espagne.
Le marquis du Pont de Coiirlay remporta une brillante
t'\ ilni\ fini i\tiii\ir xiiiL'l «|iiin/»' lioinnios irrM|iii|)afrc. \.o nombre des
rjiimii" l'i ri'iiii i|i>n lioiniiirh iriM|ui|iiiui> ôlait |>ri>|N»rlioiin(>I ail tonnage.
I. 1^" 'M nviil Ull";. >in»|;i«, (Ir IHiipilal , iiianiiiiH «l«» >ilr\. av.iil tué
•I Mil niu|i fif |»i-lo|r|, Miir !»• iMiiit «lu l.imvrc, Cmirini. (le iiiaréclial
<l \lHlf).
7. A|»ri'« avoir vU- »irvi'rt*inont répritiinmli'. le marrchal fiil renvoie à
M»ii »;i»u\iTiii'iiii'iit. Sii rfimliiitf* t\r K'aiiioliurant jMm, ni disprAct» dJvini
drliiiihvr. Il fui «rri*l«\ If 77 orl«.|»rr 1027, nu milieu de se» lruu|H;s et con-
duit a l*n^l^. Mih u la Uahlille, il nVn hurlit «lu'aiirt's la mort du cardinal.
PRÉFACE. 17
vicloire. Cette même année, monseigneur de Sourdis ap-
puya, avec une flotte comprenant trentensept bAtiments
de guerre et quatre brûlots, les opérations de Ciondé qui
assiégeait Fontarabie. Il infligea des pertes très-sérieuses
à une division espagnole mouillée dans le petit port de
Guetaria'. L'année suivante, au mois de juillet, Farche-
vèque faisait route vers la Corognc, lorsque son escadre
fut dispersée par un coup de vent d'une extrême violence.
Quelques-uns de ses bâtiments disparurent dans la tour-
mente ; d'avitres firent des avaries considérables. Après
être resté quelque temps à Belle-Ile pour se réparer,
monseigneur de Sourdis reprit la mer. Il termina sa cam-
pagne sans avoir eu la bonne fortune de rencontrer l'en-
nemi. En 1640, Armand Maillé de Brézé, placé à la tête
de l'escadre de l'Océan, défit les Espagnols au large de
Cadix. En 1641, monseigneur de Sourdis, appelé au com^
mandement de nos forces navales dans la Méditerranée,
fut chargé de bloquer Tarragone qui était assiégée par
une armée française. Il eut, le 3 juillet, avec les galères
d'Espagne, un premier engagement qui lui fut favorable.
Attaqué, le 22, par des forces supérieures, l'archevêque
se vit contraint de lever le blocus. Notre retraite permit
aux Espagnols de ravitailler Tarragone. Or, cette ville
manquait de vivres, et elle était sur le point de capituler.
Les assiégeants désappointés adressèrent à Paris des
plaintes très-vives contre l'escadre. La conduite de mon-
seigneur de Sourdis, les 3 et 22 juillet, avait été irrépro-
chable. Telle était l'opinion de ses principaux officiers,
au nombre desquels figurait Du Quesne. Néanmoins, son
échec devant Tarragone amena sa disgrâce. Il perdit son
1 . Le vaisseau la Couronne faisait partie de Pescadre de Mgr de Sourdis.
Ce bâtiment^ le plus grand que nous eussions à cette époque, avait cent
vingt pieds de quille et deux cents pieds de longueur totale, mesuré de
rarrière du château de poupe à Textrémité de l'éperon. Sa plus grande lar-
geur était de quarante-quatre pieds, et sa hauteur, du haut de la dunette
à la quille, de soixante-quinze pieds. Ce vaisseau portait soixante-douze
canons en batteries. La Couronne avait été construite, à I.a Roche-Bernard,
par un constructeur dicppois, du nom de Morieu.
2
18 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
commandenient, et il lui fui fait défense de venir A Paris
pour se justifier. Depuis quelque temps déjA, les services
de l'archevCque nY'taient pas apprécies favorablement à.
lacour.Après avoir été rtiommedecoiirianceducardiiial,
monseigneur de Sourdis était devenu suspect, et un oi'li-
cier, monsieur de Besançon, avait été placé auprès de lui
pour le surveiller. L'archevêque s'était compromis par des
paroles imprudentes, et il étiiîL entré en relation avec les
ennemis du cardinal, ce que ce dernier ne pardonnait pas.
A la mort de Louis XIII, arrivée en mai 1643, quelques
mois après celle de son ministre ', la .situation mariUme
de la France témoignait avec éclat des elTorts du cardinal
et du succès do son entreprise. Le pavillon rran<;ais nc
montrait avec honneur sur loulcs les mers. Nous avions
des ports, des arsenaux, des fonderies, un personnel spé-
cialement destiné h la marine de guerre cl des vaisseaux
en état de naviguer et de comhattre. La mnrinc du com-
merce, qui avait été l'objet de l'attention particulière du,
cardinal, avait pris un rapide essor.La France possédait
des établissements aux Antilles, dans les Florides, au
Canada, sur les côtes d'Afrique et à Madagascar. La co-
lonisation avait re<;u, sur tous ces points, une très-vive
impulsion. En se substituant à l'amiral de France, sous le
titre de grand maître chef et surintendant de la naviga-
tion et ilu commerre, le cardinal n'avait pas ohéi & un
sentiment d'amhilion vulgaire'. L'intérêt de la Franco,
au\ destin<^cs de laquelle il présidait, avait été l'unique
mobile de sa conduite.
Lorsque ce grand ministre mourut, sun œuvre n'était
pas achevée, mais, dans l'organisation qu'il laissa der-
rière lui, il est facile de reconnaître les principes qui,
plus tard, servirent de base aux institutions de Colberl.
1. Le cantintl ûlait luorl le ^ û6rvmhrc IC41.
3. Conforminii^nl ft la ilemntiilc du cardinal, le I(ul ■viii Jdcidti tiiie l«
nouvelle rlurge ne coTii|iortereit |>a« [l'oppoiitinmrnU. U'Aulre |«i-l. Riche-
n'était [«a ap|ieli^ h Maimanrler les esriidrea. Ce qui lui restait, c'dlail
^é Dteeeuire {wur diriger la ni.vine telon »n vtica.
PRÉFACE. 19
II
Pendant les premières années de la régence d'Anne
d'Autriche, la marine joua un rôle très-honorable. Le duc
de Brézé, à la tête de vingt-deux bâtiments de guerre et
de deux brûlots, rencontra les Espagnols, le 9 août 1643,
au large de Barcelone. Il les attaqua et il leur prit cinq
bâtiments. Dans une seconde rencontre qui eut lieu, le
3 septembre, l'ennemi subit de nouvelles pertes. Les
Espagnols, très-affaiblis par ces deux défaites, restèrent
quelques années sans rien entreprendre sur mer. Dans le
mois de juin 1646, le duc de Brézé croisait devant Orbi-
tcllo pour couvrir le siège de cette place du côté de la
mer avec vingt-cinq bâtiments de guerre, vingt galères
et dix brûlots, lorsque Tennemi fut signalé. L'amiral don
Francisco Diaz Pimienta avait sous son commandement
vingt-cinq va^jsseaux, trente galères et huit brûlots. Après
un combat très-vif,ramiral espagnol, quoiqu'il eût la supé-
riorité du nombre, nous abandonna le champ de bataille.
Le duc de Brézé, qui s'était très-vaillamment conduit,
ayant été tué, Mazarin lui donna pour successeur celui
qui était le véritable chef de l'armée, le commandeur Des
Gouttes. En 1647 et en 1653, les escadres françaises, sous
le commandement du maréchal de la Meilleraye, du duc
de Richelieu et du duc de Vendôme, appuyèrent avec
succès les opérations des troupes françaises en Espagne
et en Italie. Les troubles de la Fronde ruinèrent cette ma-
rine naissante. Les arsenaux furent laissés dans le dénû-
ment, les bâtiments à flot dépérirent, et on n'entrepril
aucune construction neuve. Le personnel, aussi négligé
que le matériel, disparut ou fut détourne de sa destina-
lion. Lorsque l'autorité royale eut été rétablie, Mazarin
donna quelque attention à la marine, dont les services
lui étaient nécessaires pour combattre les Espagnols.
Les tentatives faites, à cette époque, pour réorganiser
20 HISTOIRE DE LA MAitINE FUANi;AIâE.
DOS furccs navales, ne furent pas poussées avec une
vigueur sulTisaiitc pour aboutir à un résultat sérieux. Le
développement de la marine ne reprit sa niarclie qu'en
1666. Colbert eut l'honneur d'achever, ou pour parler
d'une manière plus conforme à la vérité, de faire sienne
l'œuvre commencée par Richelieu. Lorsqu'il arriva aux
alTaires comme intendant des finances, ayant le dépaiio-
nicnl de la marine, il trouva le trésor vide et les revenus
(te plusieurs années dépensés ù l'avance. Dans nos ports,
oii régnait l'abandon le plus complet, nous avions une
trentaine de bâtiments, parmi lesquels on comptait trois
vaisseaux de soixante à soixantcnlix canons. Une année
après, grdce à l'ordre qu'il apporta dans les finances,
Louis \IV put donner cinq millions au Hoi Charles U
irAnglelerre pour racheter Dunkerque. Des travaux furent
immédiatement entrepris pour fortifier cette place et
creuser un bassin cnlrc la ville et la citadelle. Les ports
lie Brest et de Toulon reçurent des agrandissements, cl
celui de Hochefort fut créé. Les hommes virantdu mélier
lie la mer, pêcheurs, caboteurs et marins naviguant au
long coui-3, furent portés sur des listes spéciales. Le mi-
nistre eut une base lui permettant de calculer l'étendue
qu'il était possible de donner & nos armements. Les ma-
rins furent divisés en trois classes devant servir tour à
tour sur les bâtiments de l'État. Cette législation rem-
plaça avec avantage les mesures violentes, 4 l'aide des-
quelles on recrutait, k celte époque, les équipages de la
flotte de guerre. Néanmoins, les nouvelles ordonnances
tirent peser sur les populations marilimes une lourde
charge'. Ce fut jmur l'atténuer que Colbert institua la caisse
I. Loreqne l'Ëtal faiuùt d«BrnemenUï Unst, ft Toulon on &nocliprorl. on
(uimait io» é<4ui|>ago« t^a t'empanint par la forco dea malclolt qui se iroir
it liaai \e% port» voiiio». Si colle mesure éuil inaudiMUile, Ies port* il«
nrrra i-Uieiit fvmté» Bur une Mrtalno élcntluc du lilloral. Il i^luit dé-
fendu aux btlimcolfl marchMida de prendre la nier avant que le [leraonacl
rwMire aux Iwiiuiu* du niument ulll,At* rduol. Uotii cci conditions, te
mic iniiiKin^ |>>ir Cullivrt connlituut un avautoge IKv-si'Tiuiit |>our lot
(iliiti'ini niurihmFx. N r« •voU'Uk' nvail ToiitUi-nne n'tniliOri'rni-ul, il eût
PRÉFACE. 21
des invalides. Une ordonnance de 1673 décida qu'il serait
fait, à l'avenir, une retenue de six deniers par livre sur
les appointements des officiers généraux et particuliers
de la marine et sur les salaires des équipages « pour la
subsistance, l'entretien et la récompense des officiers
mariniers et matelots estropiés sur les vaisseaux et pour
la fondation d'un hôpital général dans chacun des arse-
naux de Rochefort et de Toulon. » Ces deux hôpitaux ne
furent pas construits, mais, avec les fonds destinés à cet
usage, le département de la marine donna des secours
aux hommes qui auraient eu le droit d'entrer dans ces
établissements. Telle est l'origine de la caisse des inva-
lides de la marine et des pensions connues sous le nom
de demi-soldes. Le système fut complété en 1703. A partir
de cette époque, on préleva trois deniers, par livre, sur
le produit de toutes les prises. En 1709, la retenue sur la
solde, faite au profit des invalides, fut abaissée, mais elle
atteignit les traitements du personnel de Tordre civil,
ainsi que les gages payés par les armateurs aux matelots
(les bâtiments de commerce : « Pour ôtre lesdits deniers
employés au paiement des pensions que nous accorde-
rons tant aux officiers invalides de nos vaisseaux et ga-
lères qui en seraient jugés dignes, qu'aux intendants et
autres officiers de nos ports et arsenaux, comme aussi
été considéré par les marins comme un bienfait. Mais ce no fui pas ainsi
que les choses se passèrent. Les guerres qui remplirent le règne de Louis XIV
eikigèrcnt de continuels armements. Le département de la marine aurait
encouru une grave responsabilité^ si le manque d'hommes avait clé un
obstacle au départ de nos escadres. La formation des équipages fut une des
plus pénibles préoccupations de la carrière de Colbert. Celte situation ne
lui permit presque jamais d'appliquer la règle qu'il avait faite. Au lieu
d'être appelées tour à tour, les classes furent confondues, et, le plus sou-
vent, tous les hommes de l'inscription maritime, présents dans nos ports,
furent envoyés sur les bâtiments de guerre. Cette mesure était très-natu-
relle, puisque tous étaient nécessaires à la défense du pays. Ces idées, qu'on
admet très-bien aujourd'hui , n'étaient pas comprises à cette époque.
D'autre part, cet appel général, coïncidant avec un règlement qui ne par-
lait que d'appels particuliers, laissa dans l'esprit des populations une haine
profonde contre l'inscription maritime, dont nous retrouverons pendant
longtemps la trace.
22 HISTOIRE DE LA -MARINE FRANÇAISE.
pour la demi-solde, tant des matelots et soldats que des
ouvriers de nos arsenaux et des galères, qui auront été
estropiés ou qui auront vieilli, auxquelles récompenses
seront pareillement admis les officiers, matelots et soldats
invalides ou estropiés sur les vaisseaux marchands. »
Colbert organisa avec un soin tout particulier le service
de Tartillerie. Des compagnies d'apprentis-canonniers
des classes et des compagnies de bombardiers furent
attachées d'une manière permanente aux ports de Brest,
de Toulon et de Rochefort. Ces compagnies, dont refTectif
s'élevait à cent hommes, pour les premières, et à cin-
quante, pour les secondes, étaient commandées par un
lieutenant et un enseigne de vaisseau. Les apprentis-ca-
nonniers passaient huit mois dans les ports. Après ce
laps de temps, consacré à leur instruction, ils rentraient
dans leurs quartiers, tandis que des marins de nouvelles
levées venaient prendre leur place. L'État entretenait
d'une manière permanente, dans chacun de nos poris
militaires, un certain nombre de maîtres-canonniers*.
Les troupes de la marine, composées des deux régi-
ments. « la marine et royal des vaisseaux », créés par
Richelieu, le premier en 1626, et le second en 1635, furent
augmentées en 1669 et en 1670, de deux nouveaux régi-
ments, savoir: «royal marine et amiral. x> En 1671, ce
personnel s'étant trouvé supérieur aux besoins de la flotte,
Louvois obtint du Roi que ces quatre régiments seraient
mis à sa disposition. Colbert leva cent compagnies fran-
ches pour le service de son département*. Les soldats de
1. Une ordonnance do 1694 élablit deux canonnicrs amiraux et deux ca-
nonniers vice-amiraux à Hrosl el à Toulon, et deux canonnière vice-amiraux
à Hochefort. Les canonnier8 vice-amiraux étaient pris parmi les canonniers
entretenus, et les canonniers amiraux parmi les canonniers vice amiraux.
I^s canonniers amiraux et vice-amiraux n'embarquaient <|ue sur les
vaisseaux à bord desquels était art>orée la mar(|ue distinctive d'un oflicier
général.
2. lA'scompagni»"» franches disparurent, en 1689, pour Taire place aux sol-
dats gardiens. \a nouvelle institution ne dura |)as. Les compagnies franches
Turent rétablies en 169'i. Leur eiïectiT était de cent hommes; elles étaient
PRÉFACE. i3
ces compagnies montaient la garde dans les arsenaux,
lorsqu'ils n'étaient pas embarqués*. A bord des t>âtimentSy
outre le service de garde et celui de la police qui leur in-
combaient, ils prenaient part à tous les travaux. Ceux
d'entre eux qui étaient en état de jouer un rôle utile dansla
mâture, recevaient un supplément de solde. Les ordon-
nances et règlements, dont nous venons de donner une
rapide analyse, assuraient aux bâtiments de guerre des
matelots capables, des canonniers habiles et une bonne
mousqueterie. Les cadres des compagnies franches com-
prenaient le nombre de sous-ofGciers nécessaires à la
bonne direction de ce personnel. Quant aux ofGciers ma-
riniers proprement dits, en dehors de ceux qui existaient
parmi les marins des classes, TÉtat entretenait des maî-
tres de toutes professions. Ces maîtres, lorsqu'ils n'étaient
pas embarqués, étaient employés à la garde et à l'entre*
tien des bâtiments désarmés.
Colbert avait fondé des arsenaux, créé des flottes et
formé des équipages. L'organisation d'un corps d'officiers
était le complément indispensable de son œuvre. Confor-
mément aux dispositions d'une ordonnance royale, parue
en 1669, les cadres des officiers de la marine comportèrent
trois lieutenants généraux, six chefs d'escadre, soixante
capitaines, soixante lieutenants, soixante enseignes et
vingt capitaines de brûlot*. Ce personnel semble peu con-
commandées par trois officiers qui embarquaient avec leurs compa-
gnies.
1. Pendant leur séjour à terre , les soldats des compagnies franches
étaient envoyés par détachements aux écoles de canonnage. On leur appre-
nait l'exercice des différentes bouches à feu employées dans la marine. Ils
étaient en outre exercés à charger et à jeter des grenades.
2. Colbert eut la pensée de créer, à côté du corps royal de la marine, un
autre corps composé d'officiers ayant fait un long apprentissage du métier
delà mer dans les rangs inférieurs. Il écrivit, en 1669, à Colbert du Terron :
■ Je voudrais môme mettre toujours ensemble, autant qu'il se pourrait, un
bon capitaine gentilhomme, un lieutenant et un enseigne de même, avec
trois officiers matelots en second, le tout d'un même pays ou amis, en sorte
qu'ils puissent bien s'accommoder ensemble. Bien entendu que toutes les fois
que cela serait utile au service du Roi, on mettrait le matelot en preor
' sidérabli
HISTOIltE DR LA MAIUNE FRANÇAISE.
sidérable, alors même qu'on se reporte nu matériel exis-
tant a cette époque. Mais le temps n'était pas éloigné oti
le capitaine, le lieutenant et i^uclquerois l'enseigne re-
présentaient ce qiie nous appelons aujourd'hui l'état-
major d'un b&timent. Une ordonnance de 1676 porta aux
chifTres indiqués ci-après le nombre des officiers de la
marine, savoir : un amiral de France, deux vice-amiraux,
Irois lieutenants généraux, six chefs d'estadre, quatre-
vingt-six capitaines de vaisseau, quatre majors, vingt
capitaines de frégate légère, cent vingt lieutenants de
vaisseau, vingt capitaines de brûlot, cent cinquante en-
seignes, dix lieutenants de frégate et dix capitaines de
flûte. Dans les nouveaux cadres, rendus nécessaires par
le brusque développement donné à la marine, figuraient
des officiers qui n'élaîcnt pas très-propres à remplir
leurs fonctions. Les uns avaient peu navigué, les autres
n'avaient paru, sur le pont des navires de guerre, que
comme officiers des troupes de la marine. Enfin, quel-
ques-uns avaient quitté le service de l'armée de terre pour
prendre immédiatement tsoit le commandement d'une es-
cadre, soit le commandement d'un bâtiment, il rcsiait
uux officiers de cette catégorie la ressource d'apprendre
leur nouveau métier^ mais, en supposant qu'ils en eussent
la volonté, il devait s'écouler un temps assez long avant
que ci; résultat pût être atteint'. En 1680, le maréchal
cl le piitilliuiiiiiie im wx-onil. i-l m Majp^li v ni retiendrait loiijour» wiiianlp
cnpibiiiip», uiiuinle lirut«iianls rt «uiianlc coscignps. • Il ne Tul pas donaù
tuile k m pmjot.
I . On rumaniuoni le* ainintlieri cumpromi* auxquels Ciilbcrt élail obligé
(l'avoir rKuurs, [lor rniilc du la coui|Hiiiliaii ilii personacl. Sa Majeaté, Atail-il
ditdana uiicuidonnanee rojalc, portant lailale du Ik mara 1673, aysnl ncKirdé
des coinmiiuinni de caplIaioeR en aerond A plu«ieurf jeunes offlàers pour
trrvir tur m« vaiuMux de guerre, et voulant prévenir les dilTérend* qui
pourroicnl arriver au «m'el du coniniandcaient entre lesdits capitaines en
lecnnd et les anciens liont«n*nts, Sa Majesttt veut Cl ordonne qu'en ou
il'glMcnce, maliilie ou aiilrement des capitame* rn pied eommundanl les
vuiucaDK, les dits aut-ieua llputcnanliaicnt le principal rom mandement du
bord, a l'eiclualon di^ dits mpitaines en seeond ; veut el entend na Majesté
iju* Iradil» lieutcunnls Miienl clinrt|;#* du «oin de la (tarnilure. agréi: et m-
iluiih de» Miissenuv dnn* le («rt. «an* pfliivnir Mrc iiilerrcmpu» pnr lp«dil"
L
PRÉFACE. 25
d'Estrées écrivait au marquis de Seignelay : « Trouvez
bon que je puisse vous représenter encore ce que je vous
ai fait plusieurs fois, que, nonobstant ce grand nombre
de gentilshommes qui se jettent dans la marine, elle ne
laisse pas d'avoir besoin d'officiers matelots, c'est-à-dire
de gens élevés par les dégrés et nourris dans le métier
qui aient beaucoup plus d'application que les gentils-
hommes, de sorte qu'il y aurait à souhaiter quMl y en eût
jusqu'à quarante, tant lieutenants qu'enseignes, pour le
moins, dans tout le corps. » Colbert avait abandonné la
pensée de créer les « officiers matelots» que réclamait le
maréchal, mais il avait laissé subsister dans la pratique
({uelque chose qui se rapprochait de cette organisation. Le
département de la marine employait des officiers pourvus
de commissions temporaires. Ces officiers, nommés par
le ministre, quelquefois même par les capitaines des bâti-
ments sur lesquels ils étaient embarqués, étaient en gé-
néral des officiers-mariniers ou des pilotes qui, par leur
habileté professionnelle, étaient parvenus à cette situa-
lion'.
Colbert ne pouvait improviser ce qu'on obtient seule-
ment avec le temps, c'est-à-dire un corps d'officiers capa-
ble et homogène. Se trouvant dans la nécessité de for-
mer, en quelques années, un nombreux étal-major, obli-
capitaines, ny qu'ils s'en puissent mesler d'autre manière que pour y assister
seulement, et s'acquérir l'expérience nécessaire pour se bien acquitter des
commandements quelle leur donnera dans la suite. »
1. ÏAi marérhal d'Estrées écrivait à M. de Seignelay, le 16 août 1680 :
• Il y a déjà sept ansque j'ay engagé le capitaine Brice^qui est capitaine d'ar-
mes sur VKxcellentj dans le service delà marine, et je l'ay empêché depuis
de quitter, quoi qu'on lui ofTrtt des compagnies d'infanterie, sur l'espérance
que je pourrais luy procurer une petite subsistance. Je l'ay vu. en des occa-
sions fort périlleuses, conserver beaucoup de sangfroid et de courage. 11
s'entend fort bien à dresser les soldats ; il a de l'esprit, de la mine et est
d'assez bonne famille; ct*quoiquc je n'aie, monsieur, l'honneur de vous en
jiarler que dans la vue du service, je vous serai toutefois infiniment obligé
de faire quelque chose pour lui. » On appelait alors capitaine d'armes un
officier qui prenait rang, à bord des b&timents, après l'enseigne. Le capitaine
d'armes était chargé des mousquets, pistolets, balles, bandouil 1ères, pcr-
tuisaines. spontons. caisses de tambour, piques et haches d^armes.
Î6 HISTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE.
gé, (l'autre part, de le prendre, si ce n'est en tululilé, du
moins pour la plus grande partie, dans le milieu social
auquel apparlenaîenl les officiers de l'armée, il ne put
que s'eiïorcer de concilier ces diverses exigences. Après
avoir fait face, ainsi que nous venons de le dire, aux
difBcultés du présent, il se préoccupa de l'avenir.
Bien convaincu que le personnel est le fondemcmt le plus
Bolide de toute organisation militaire, il voulut assurer le
recrutement de l'élat-major de la flotte dans des condi-
tions meilleures que celles qui avaient présidé A sa for-
mation. Richelieu avait décidé, en 1627, que seize gentils-
hommes, entretenus aux frais de l'Etat, seraient instruits
de tout ce qui touchait h la marine et à la navigation.
C'était, dans l'esprit du cardinal, le point de dépfirl d'une
institution destinée i former des officiers pour la marine
royale. Co projet n'eut pas de suite immédiate, et il ne
semble pas qu'il ait été repris par ses successeurs '. A la
mort du duc de Beauforl, tué ou siège de Candie, en 1669,
la cliarge de grand-maître, chef et surintendant de la na-
vigation et du commerce, fut supprimée. L'amiralat, ré-
labli dans des conditions qui ne faisaient plus de cette
dignité un obstacle à l'action du ministre, fut donné à
Louis de Bourbon, comte de Vermandois*. Les grands-
maîtres et surintendants de la navigation et du commerce
avaient une garde particulière. Celle du duc de Beaufort
1. Lu premier àa» wervtmun de Richelieu fut toa ncvou, Armand de
Maillé duc Je rron«ac ut •!« Ktézi. A la niurl d'ArmanJ do Hsillé, tu6 le
U juin 1646, duiB une tvticontre entre lea gilArea de France et cellua d'Et-
pagne, Mauirin son||;sa i prendre la direction du In marine. Ks se crojraut
pas atw'/ Tort pour imiter Rivhetinu, il d£i-ida la Heine Anne d'Aulricbe t
■'aUrihuer ta f^ndfl uialtriiu. En 16S0, Cèwir di^ Vendôme Tut pnurvn do
Mtlo cliarge et, apria lui, en 16eâ, Min DU Francis de VeudOme duc de
Beaufort.
7. Lu cuintii de Vermandoii avait alors deni ann. Il devait e'écouler quel-
que tenipa avant qu'il a'ocfupAt do« aiTaireu de ia marine. I.B char^
d'intendant gdntral 6e la navi|^lion et du commerce du France diiparut en
la^me temps que relie du grand maître, chef et nuriDt«ntliint général de la
navigntioD et du commerce dv France. Le rétablisiemeut de l'ami rai h1 lit
charRc dp ïicc-amirnl.
PRÉFACE. 27
ùlaity au moment de sa mort, de quarante-neuf gardes,
sur lesquels vingt-cinq furent désignés pour être attachés
à la personne du grand amiral. Ces vingt-cinq gardes,
appartenant tous à la noblesse du royaume, formèrent le
premier noyau des gardes de la marine appelés à deve-
nir officiers. Une ordonnance du 22 avril 1670 décida qu'il
serait fait deux détachements de la compagnie des gardes,
dont Tun servirait dans la Méditerranée et l'autre dans
l'Océan. Cette compagnie fut licenciée, en 1671, mais elle
reparut en 1672. En 1682, le Roi ordonna la création, dans
chacun des ports de Brest, de Rochefort et de Toulon, d'une
compagnie de gentilshommes gardes de la marine. En
1676, Teffectif des compagnies comprenait sept cent six
gardes ou officiers. Les gardes recevaient une instruction
spéciale et devenaient enseignes de vaisseau, après avoir
satisfaite certaines conditions d'embarquement. A partir
de l'année 1673, on voit des gardes de la marine promus
à ce grade.
Colbert porta son attention sur toutes les parties du
service. Les devoirs des capitaines et des officiers, la dis-
cipline, la solde et la nourriture des équipages, l'arme-
ment et l'équipement des navires furent réglementés.
L'État disposa de tous les bois utiles à la marine. Un
conseil, établi dans chaque port, fut chargé de délibérer
sur les constructions neuves et sur les radoubs en cours
d'exécution. Ce conseil reçut, en outre, la mission de si-
gnaler au ministre les améliorations et les perfectionne-
ments introduits en France et à l'étranger dans l'archi-
tecture pavale. L'organisation des arsenaux, qui joue,
dans Tensemble du service de la marine, un rôle consi-
dérable, fut l'objet de dispositions soigneusement étu-
diées. L'ordonnance de 1689 parut sous le ministère du
marquis de Seignelay, mais elle ne fit que reproduire,
avec de très-légères modifications indiquées par l'expé-
rience, les règlements édictés par Colbert*.
]. Quelques chiffres démontreront éloquemment rextension que pr
HISTOIRE DE I.A MARINE KHAX(;AISP;.
III
Les premiers armemenls faila par Colbert furent dirif^és
contre les barbaresi|ucs. Dans le couraiildc l'année 1663,
deux escadres reçurent la mission de diïtruirc les corsai-
res des régences d'Alger, de Tunis et de Tripoli. L'année
suivante, le duc de îteaurort appareilla de Toulon, le a
juillet, et il se rendit ùMnlion. Après «voir opéré sa jonc-
tion avec deux vaisseaux venus de l'Océan, il se dirigea,
le 17 juillel, sur les côtes de l'Algérie. Les forces placées
sons son commandement comprenaient seize vaisseaux,
huit galères, douze navires de charge et vingt-cinq petits
bAtiments portant des vivres et du matériel. Sept galères
de Malte s'étaient rangées sous son pavillon. Des trou-
pes expéditionnaires étaient embarquées sur l'escadre.
Après avoir touché h. Bougie, le 21 juillet, l'armée arriva
le 22, devant Djijelly. Le duc de Beaufort avait l'ordre
de s'emparer de ce point, que le gouvernement français
comptait occuper d'une manière permanente. Los trouiies,
mises à terre sous la protection des vaisseaux et des ga-
lères, entrèrent dans la ville après un combat très-vif.
Le duc de Beaufort appareilla, le 27 octobre, avec le gros
de l'escadre. L'armée ayant fait, quelques jours après,
■narini! ppndnnt le pa»Mge aux airnircs de te |rmnd iiiinlstrc. En 1661. la
lialle niiliUiiv coiii|>ri:naLl Itoib vnixBcaux lii- premier ranK- <Jc »ui«ante h
■nixanlr-dix cnnonï, huit vkiucnux de denxIAme ran|ç, de quarante t
cinquont* canona.Pl wpl raiiiwaux de troisiitme rang, de Irenle ft quantnli>
canon*. En iri83, nu nranient ob Ccilbrrl mourut, noiin posaUioni duuM
VBÎMeaul lie (mniicr rang, de auixnnle-eeiie A cent-vingt ranons, vin^ vai»-
*eu>x do deuxiAmc rang, de !tM»intc-<|iintrc k mixanln-qualorTA' ninoiu,
tnnle-neur faiesraux de Iruiii^Die rang, de cinquante A «oitnnle canoni,
vingt^einq l'aicscaut de qualritme raii^, de quarante h cinquanle l'aDons,
vinKt-«t-uu vaitiwaux de ciaquiiina rang, de vingt-qiinlro A trente canona,
cl vingt-cinq vaikuaui de aiti^iuv ran;^. de «i< t vingt-quatre canons. D:<ni
ce nombre ne wnl {vu comprit les galtrea, les navires portanl rooin* de ait
lei brOlotn et les navireH de charge. Knus «Tiont. en O'itre, en I6H3,
itanle-liull liAtim<'nl> rn cinslrurlion, f.n ri^tuniA, nnua avioni diihull
irrerri Itilil, et rnil qiiarniilcdeiii eu ItUU.
PHÉFACE. 29
des pertes assez sérieuses dans une rencontre avec les
Arabes, se montra Irès-découragée. Les généraux, réunis
en conseil, furent unanimes pour déclarer que les cir-
constances exigeaient l'abandon de Djijelly. Le marquis
de Harlel avait mouillé, le 22 octobre, devant la ville, avec
six vaisseaux. Les troupes s'embarquèrent sur son esca-
' dre dans la nuit du 31 octobre. Un déplorable événement
marqua la fin de cette expédition. Un bâtiment de trans-
port, sur lequel se trouvaient plusieurs centaines de sol-
dats, coula en vue de Marseille. On ne parvint à sauver
qu'un très-petit nombre d'hommes. Le duc de Beaufort
fit, en 1665, une nouvelle campagne sur la côte septen-
trionale d'Afrique. A son retour, il reçut l'ordre de tenir
son escadre prête à passer dans l'Océan. Louis XIV avait
résolu de s'unir à la Hollande qui était alors en guerre
avec la Grande-Bretagne. Leduc de Beaufort appareilla de
Toulon, à la fin d'avril 1666, avec une escadre forte de
trente bâtiments et de dix brûlots. Arrivé dans les der-
niers jours de mai sur les côtes du Portugal, il s'établit
en croisière, conformément aux ordres de la cour, pour
protéger la navigation d'une escadre que commandait
Du Quesne. Ce dernier était chargé de conduire Made-
moiselle d'Aumale à Lisbonne. Le départ de la future
Reine de Portugal ayant été retardé, de nouvelles ins-
tructions prescrivirent au duc de Beaufort de mouiller à
rentrée du Tage. A la fin du mois de juillet, craignant de
manquer de vivres, il fit route pour la Rochelle, où il
mouilla le 23 août. Les Hollandais ne nous avaient pas
attendus, et leur flotte, commandée par Ruyter, avait
livré bataille aux Anglais, les 11 juin et 4 août^ Le duc
de Beaufort, après avoir été rallié par Du Quesne, ' prit
la mer pour rejoindre nos alliés. Il avait été convenu que
1. Dans le premier engagement^ les Hollandais avaient remporté sur les
Anglais un léger avantage, mais, dans le second, ils avaient été battus.
2. Du Quesne avait accompli trés-beureusement ^a mission. Il était entré
dans le Tage le 1*' août, sans avoir fait de fâcheuse rencontre, et il était
reparti, le 12 du m«>me mois, pour rejoindre le duc de Beaufort.
raO HISTOIRE DE LA MAtUNE FRANÇAISE.
la flotte des État se porterait au devant des f
:
jusqu'à l'enlrée de la mer du Nord. Notre escadre arrivait
devant Dieppe, lorsque le duc de Beaufort apprit que les
Hollandais étaient rentrés dans le Texcl. Il traversa de
nouveau In Manclie, et il réussit à gagner Brest sans
avoir été aperçu par les Anglais qui tenaient la mer avec
des forces supérieures. Au printemps do l'année 1667,
une trêve, bientôt suivie de la paix, fut conclue entre la
France et la Grande-Bretagne '.
Au commencement de l'année 1669, Louis XIV prit la
détermination de secourir les Vénitiens assiégés par les
Turcs dans Candie. Le 7 juin, le duc de Beaufort appa-
reilla de Toulon avec seize vaisseaux, dix brûlots et une
vingtaine de transports. Monsieur de Vivonne était parti
quelques jours auparavant avec treize gaR>res. Huit
mille hommes, commandes par le général de Navailles,
avaient ]iris passage sur les bâtiments de l'expédition. Le
19, toute les forces placées sous le commandement du
duc de Beaufort, k l'exception des galères, mouillèrent
devant Candie. Les troupes débarquèrent immédiatement
et une sortie générale fut décidée. Le 25, au point du
jour, les Français et une partie de la garnison sortirent
de la place. Douze cents hommes, pris parmi les équipa-
ges et les soldats de marine, furent mis i terre. Le com-
mandant en chef de l'escadre, le duc de Beaufort, n'a-
vait voulu céder li personne l'honneur de les mener
au feu. Nos troupes, vigoureusement conduites, culbu-
(ërenl tout ce qu'elles Irouvérenl devant elles. Aprt's
quelques heures de combat, elles avaient enlevé les
principales positions de l'ennemi. Les généraux fran-
çais BG considéraient déjà comme certains du succj^^,
lorsqu'un événement inattendu vint changer la face des
choses. Une explosion formidable eut lieu dans une bat-
I. En juin 1667, ivont i|ue la |«k r<ll conclu<> cntn> In Hollande cl U
Gnmde-Breltgnc, Huiler prit la mer avec toixaolr-ucuf vai^svaui. Apri^a
t«oir dHruit Im établi un me tils d« Chalhaoi, Il (cniuuU U Taniiso jusqu'«
Crav«s«nd et il (It Inmlilc-r L'mrtrrs.
PRÉFACE. 31
terie turque dont nous nous étions emparés. Le feu avait
pris à un dépôt de poudre et de grenades. Les soldats,
croyant qu'ils marchaient sur un sol miné, s'enfuirent
saisis d'une terreur panique. Les Turcs, qui étaient en
pleine retraite, s'apercevant du désordre qui régnait dans
nos rangs, revinrent à la charge. Le duc de Beaufort, in-
digné, se jeta sur Tennemi avec une poignée d'hommes.
Il fut tué ainsi que la plupart de ceux qui l'accompa-
gnaient. Quelques jours après, les vaisseaux de l'escadre,
les galères de M. de Vivonne, les galères du Pape, de
Malte et de Venise prirent position près de la côte. Tous
ces bâtiments ouvrirent sur le camp turc un feu très-vif.
Pendant cette canonnade, qui n'eut d'autre résultat que
de tuer quelques hommes à l'ennemi, la Thérèse^ capi-
taine d'Estoc, sauta. On avait eu Timprudence de monter
un approvisionnement de gargousses dans la batterie.
Les embarcations de l'escadre, mises immédiatement à la
mer, ne recueillirent que quelques hommes. Monsieur de
Navailles, ayant renouvelé, sans succès, la tentative du
25 juin, se décida à se rembarquer. Le général des galères,
monsieur de Vivonne, devenu commandant en chef de
l'escadre par la mort du duc de Beaufort, ramena les bâ-
timents et les troupes à Toulon.
Le corps du duc de Beaufort n'avait pas été retrouvé.
Pendant quelque temps, le bruit courut, à Paris, que le
prince était prisonnier. Cette version ne fut pas accueillie
à la cour, et le Roi disposa, le 12 novembre 1669^, de la
charge de grand maître de la navigation et du commerce.
Le duc de Beaufort était entré dans la marine en 1665.
Il n'était pas devenu, en quelques années, ce qui, d'ail-
leurs, n'a rien qui puisse surprendre, un véritable chef
d'escadre, mais il avait montré le plus grand zèle pour
son nouveau métier. Il avait été plus souvent sur le pont
des bâtiments qu'à terre et dans les ports qu'à Paris.
1. Nous avons déjà dit que le Roi abolit la charge de grand maître à la
mort du duc de Beaufort, et qu'il rétablit Tamiralat en faveur du comte de
Vermandois.
Ji dl^Z'JiSLE DE LA JLifUXE FHA^'ÇAISE.
Fnrin. :i ivsit pris part à toutes les opérations maritimes
•il? {uei«{ue jnportance qui avaient eu lien depuis qu'il
i»t;ut :T'm\i oiaitre. Sa bniToure et son esprit d'entreprise
étaient connus. On ne pouvait lui reprocher, le 25 juin,
if sivoir oomprjmis le salut de Taroiée en se battant
oomiuo tm iOLitat. puLsque le commandement en chef était
e\enre uar monsieur de Xavailles. S*il s'était précipité
:Hir les Turcs, à la t^te de quelques hommes, c'était avec
respennce d'dmîter Tennemî pendant un temps assez
loQ^ pour permettre à nos soldats de se reformer. Il se
de%ousi pour donner Teiemple et ramener au feu des
troupes ebrmlees. O^and un :rênéral meurt dans de telles
oonditioas on doit honorer sa mémoire *.
Depuis que la France avait conclu la paix avec TEs-
pd^ne. eu Ic^^. notre marine n'avait combattu que les
tKirbares<iues. Une êpreu\e plus sérieuse attendait les
esciulres crw^es par Colbert. Au commencement de l'an-
née lç?*i> Louis XIV >*unit à l'Angleterre contre la Hol-
landt\ Lo comte d Ustrtes rallia, le 13 mai, sur la rade
do sainte Hélène, devant Portsmouth, les forces que
commandait lo duc d'York. Ouelques jours après, quatre-
l. IVa-'UnC ^luoa tonutudit a Tvmioa li*» prir(>arati^ «le cette eipédilioD,
•>n «« prx*« wupait A l^ins ào rv«r(<fr U& r^ituativa rvs{Nn'ti\e ik» chefs de la
n*4ti' iC .U* L iruitv. .1 I**ar JLrrT\>.v<i iandie. Le duc ô^ Beaufort apprit qu'il
tUit '\\u^;^ n •!«' limiter '^wi n'-U- au «iobari|ueaieot Je la petite armée de
M. .K> N.o;iiîLv>. U« («« ti>«v «ijkvM^er de $i>u ^aisMau aux o|iéralioDS des
trou|ie> TiodiCTia. Il ecn^u luuuK'duiU'iueQt *& Colhert une leltre contenant
!•* fa>«ire <u;\3nt : • l\ «;r .e {m <<l de nwi, M-'iiMeur. je n*ai jamais eu la
pen««^ lie aiettn* |>uhI a tertx* «)u'a\iV le> Ia>u(v> do la marim\ laissant les
^ai^-eaui en silrcte. J>« U* ili*man>lai au Koi de it«tuche. de celte manière, et
il me l'avait |>roti)i>. 1 a<^in;u)t d'une b«'niie inteHi:j:ence entre M. de Navailles
et mol. Chacun faiMut s^n fait et fort daovvrd. les actions en auraient clé
plii« ^ûrc> et a\t'e |>lu^ «1 eilat. .M<^nie je me lia>anlai de dire à Sa Majesté
qn«î j#ï «-ro\ai<^ nétn» |vis inulilo in telle r^MKvnlrt» i»ù la i|ualilc cl la liertc
n «'taifrni |>aj* iniitilo. ci* qui e>t f«»rt ei>usiderê dan- lelevanl. Ue plus, jom.*-
rai flirt* qij*: lf>tr«iu[»csde Icrie no îh raient i»as f;Wliét>de nie %oir à leur côlé
l»r»ijr k^ ^«;rondfr ou !»«.>utonir : i-l ^'lI faiil. c>tmnicil > a a[iparenee. (|iie toutes
l'-4 fMtiofM qui roni|«»*i«nt 1 arnioo iiavali'. I.-Mpiolli's me doi\ont obéir,
ffi* ll'fil >U-A jf#.n- /,|..^ mal.Iols .mi d.s >,.I,|at«i «le manne) à lern'. srtreiuenl
tU ït'î nronnallrai. 1,1 ,«,^ \|. do .Na> ailles. » •• «pu ferait un u'rand «ItJMirtIre.
Il -1 M Un^imiUn^t iiiord.miiail «le dvscondro |H>ur commander ce détache-
PRÉFACE. 33
vingts vaisseaux, sur lesquels trente vaisseaux français,
se dirigèrent vers les côtes de Hollande. Le 29 juin, les
alliés se trouvèrent en présence de Tennemi. Le jour
touchant à sa fin, le commandant de l'armée combinée
crut prudent de remettre l'attaque au lendemain. Une
brume très-épaisse enveloppa les deux flottes pendant la
nuit. Lorsqu'elle se dissipa, dans la matinée du 30, les
Hollandais étaient hors de vue. Le duc d'York ramena
ses vaisseaux près de la côte d'Angleterre et il jeta l'ancre
à Southwood bay*. La direction générale du mouillage
était nord et sud. Les trois escadres de l'armée anglo-
française étaient rangées dans Tordre suivant : l'escadre
française, formant l'avant-garde, puis, en remontantvers
le nord, le corps de bataille et l'arrière-garde. Le 7 juin
au point du jour, les frégates signalèrent la flotte des
États-Généraux. Les Hollandais gouvernaient sur South-
woad bay avec une légère brise de nord-est. Arrivés &
petite distance de terre, ils serrèrent le vent, les amures
à bâbord, et ils prolongèrent notre ligne du nord au sud
en la canonnant. Les alliés surpris se hâtèrent de mettre
ment, faudrait-il que je le refusasse, et ne serait-ce pas une honte pour moi,
qui d'ailleurs n'ai guéres accoutumé de garder les manteaux » Âpres
tyoir cité celte lettie, M. Jal, auteur de la vie de Du Quesne, ajoute : M. de
Beaufort désirait que le bailli Rospigliosi (ce personnage devait représenter
le Pape à Candie pendant toute la durée de Tcxpédition) lui donnât de l'Al-
tesse, et Ton était en négociation avec Rome sur cetle aflaire. « Il n'y a
misérable à qui on ne donne celui d'excellence, disait le duc de Beaufort
dans cette môme lettre. Sa Majesté y aura tel égard qu'elle voudra, cette
qualité me louchant cent fois moins que l'envie de me signaler. Je mépriseray
toat, hors les occasions de m'illustrcr. Quoique j'en aie vu quelques-unes, je
serais bien marri d'être las d'en voir. » Et plus loin : « Jamais M. de Navailles
ne se peut formaliser que je commande des troupes qui sont sous ma charge,
lesquelles, moi n'y étant pas, ne lui obéiraient pas volontiers. En ces
aflàires-ci, encore une fois, il est bon d'intéresser fortement la mer et la
terre ensemble De TÂllesse et du reste, je m'en moque. » L'amiral, ajoute
M. Jal, gagna son procès si chaudement plaidé par lui dans cette lettre d'un
bon et franc caractère, et pleine d'ailleurs de raison.
Toute cette correspondance montre le duc de Beaufort sous un jour qui lui
est très-favorable.
1. La baie de Southwood bay est à trente lieues dans le nord de l'embou-
chure de la Tamise.
3
34 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
SOUS voiles. Quelques bâtiments coupèrent leurs c&bles ;
d'autres laissèrent à terre une partie de leurs embarca-
tions. Le corps de bataille, qui était sous les ordres
directs du duc d*York, et Tarrière-garde, commandée par
le comte de Sandwich, prirent les amures à tribord.
Buyter, avec la première escadre, et un de ses lieutenants,
Tamiral Van Cent, avec la troisième, suivirent le mouve-
ment des Anglais. Le commandant de Tavant-garde hol-
landaise, Tamiral Bankaert, continua sa route vers le
sud. Il se dirigea sur les Français qui avaient pris, en
appareillant, les amures à bâbord*. Aussitôt qu'il fut à
portée, il ouvrit le feu sur nos vaisseaux. Quoiqu'il fût
I. Voici quelle était la composition de Tescadre française : 1*^ division.—
ViUustre, de soixante-quatre canons, capitaine de Granc«y; le Tétnéraire,
de cinquante--deux canons, capitaine de Larson; VAdmirabU, de soixante-
quatre canons, capitaine de Beaulieu ; le Tert*iblej de soixante-dix canons,
monté par DuQuesne, capitaine de Rosmadek; le i'onqu^mnl. de soixante-
six canons, capitaine de Thiras; le HasardeuXj de trente-quatre canons,
capitaine de la Viergerie-Treslebois ; le Bourbon, de quarante-huit canons,
capitaine de O^cnr^n - V Alcyon j de treute-six canons, capitaine Bitant de
Bléor; le Princt, de rioquante canons, capitaine d'AmfreTille ; le rciiKanl,
de cinquante-deux canons, capitaine le chevalier de Nesmond. — V division
ou division du centre. — Le Fottdro^fantj de soixante^lix canons, capitaine
Jean Gabarei; le Brav^, de quarante-huit canons, capitaine de VaJbelle;
Til^uiTDn, de quarante-huit canons, capitaine dUailly; le Tonnant, de
soixante-quatre canons, capitaine des Ardents ; capitaine en second, le che-
valier de BèUiune; le Saint- Philippe , de soixante-seize canons, moolé par
le comte dXstrées, et dont de Cou était capitaine ; le Grand, de soixante-
quatre canons, capitaine Gombaud ; le Dite, de quarante^init cmnons, capi-
taine le che^i-alier de Sêbeville; VÉole, de trente-six canons, capitaine le
dievmlier Cogolin de Guers; VOri flamme, de cinquante canons, capitaine
de kerjean-Lesoioûal ; VEartUefit, de soixante canons, capitaine du SlafiMM ;
IMrro^iNl, de trente4iuit canons, capitaine de ViHeneore-Ferrieffesi. —
S* di\i«îon. — Le Fort, de soixante canons, capitaine de Blëoac: le Ruhis,
de quarante-huit canons, capitaine Saint-Aubin d'infr^ville : le Galant, âm
qvarante^quatiY canons, capitaine le che^-aiier de Flacoart; le Sans- Pareil,
de s^Hxaate-quatre canons, capitaine de U CKvheierie; le Su^'erbe^ de
•oixante^ix canons, monté par de IUbe:»ier«.s Tr^lebots, dieC d*ejc«lrY,
capitaine de Thcoune ; le 5j^. de cinquante canv4i<. capitaine le chevalier
de TourviUe; le Hardi, de trente-detix canon«. capitaine de la IU)N|«e;
ri/cwt.x. de quaranti^hu.t ca^^fts. capitaine Paonriief: Vlntincih^e. de
siH\aBte^u«tre cAao«>. ca^>iUine le chc\alior de Nerdiikr. A ces- trmle %at»-
Ma«x il faut a/mter hcit brûk>ts et quatre Crwates. Toas c«^ bàtusests fùc-
1 a^-ant^icanle de 1 aniM« aKii>-fraD{ai9e.
PRÉFACE. 35
au vent, et par conséquent libre de choisir la distance à
laquelle il voulait combattre, il ne s'approcha pas de
notre ligne. L'engagement entre les Hollandais, conduits
par les amiraux Ruyter et Gent, et les Anglais, fut autre-
ment vif. Les vaisseaux des deux nations se mêlèrent, et,
de part et d'autre, il y eut des navires complètement dé-
semparés. Le duc d'York, obligé d'abandonner son vais-
seau, le Royal Prince, porta successivement son pavillon
sur le Saint-Michel et le London, Le RoyalJacqueSj de cent
canons, que montait le comte de Sandwich, commandant
de la troisième escadre, fut incendié par un brûlot. Levais-
seau de Ruyter, les Provinces-UnieSy fut Irès-maltraité.
Dans la soirée, les Hollandais tinrent le vent et le feu
cessa sur toute la ligne. L'amiral Bankaert fit roule pour
rejoindre le gros de son armée, et le comte d'Estrées
manœuvra pour rallier le duc d'York. Un grand nom-
bre de vaisseaux anglais et français^ sous-ventés au
moment de l'appareillage, n'avaient pris qu'une part
insignifiante au combat. Quelques-uns, par suite de
leur éloignement, n'avaient pas tiré un coup de canon.
Après être restées en présence, dans la journée du 8 juin,
les deux armées se séparèrent. Rujter rentra dans le
Texel et le duc d'York ramena ses bâtiments dans les ports
d'Angleterre. Avant de tenter les chances d'une nouvelle
rencontre, les deux flottes avaient à subir d'importantes
réparations.
Quelques écrivains ont prétendu que Louis XIV avait
donné au vice-amiral d'Estrées l'ordre de ménager ses
vaisseaux. S'il n'existe, à l'appui de cette assertion,
d'autre preuve que la conduite de notre escadre, l'histoire
doit écarter cette accusation. Avec les vents soufflant du
nord-est, l'armée combinée ne pouvait se mettre en ligne,
les amures à tribord, aussitôt après avoir appareillé *.
1. La démonstralion est facile à faire. Les bâtiments de Tarmée se rele-
vaient sur* une ligne nord et sud, puisque telle était la direction générale
du mouillage. Or, en prenant les amures à tribord, ils gouvernaient au
Dord-nord-ouest. De plus, ils ne pouvaient courir longtemps à ce cap sans
p
HISTOIRE UE Lk MABINE FRANÇAISE.
La troisième escadre et ceu\ des bdliments de la première
qui précédaient Iq ftoyal Prince pouvaient, à la condition
toutefois que le voisinage do la terre le leur permît, se
placer par un mouvement d'arrivée sur l'avant de ce
vaisseau- Quant aux navires de la première escadre qui
étaient en arrière du Royal Prince et tous ceux de la
deuxième, ceux-là avaient l'obligation de s'élever au vent
pour prendre leurs postes. Enlin, la difficulté de se ranger
dans les eaux du commandant en chef était d'autant plus
grande que les bâtiments se trouvaient i)lus éloignés. Ce
cas était celui de l'escadre française mouillée dans le sud
de l'armée'. Le vice-amiral d'Eslrées prit les amures h
bdbord avec l'intention de courir un bord au large, puis
de virer de bord pour rallier le duc d'York. L'ennemi ne
lui laissa pas le temps d'exécuter cette manœuvre; il fut
attaqué avant d'avoir changé d'amures. Une fois l'aflalre
engagée, le comte d'Estrées n'eut plus la liber lé de ses
mouvements. Si les Hollandais ne le pressèrent pas
davantage, ce n'est pas à lui qu'il faul en demander
compte. Nous ne trouvons jusqu'ici rien qui donne le
droit de dire que le commandant de noire escadre ait
reçu l'ordre do ménager ses vaisseaux'. D'autre part, les
rencnnlror la lerrc, doni le giscDicnl, à cet tendrait, ust à peu pris nord ut
■nd, ta plupart àee vaisseaux anglais, une tais rafTsire cnp^cëe, furent
obligés do viicr dt bord. L« Ruyat Prince, de cent dix canons, sur lequel
In duc d'York avait son pavillon, fat au nombre des vaisseaux iiiii, peu
■prtff l'appareil l«^. prironl ks amures h bAbord pour ne pas échouer.
Cb (ut une de» causes de la m#léc qui eut lieu entre les Anglais el lc«
Hollandais.
1. Comme GonM'nucncn de ce raisonncroeni, nous dirons que, parmi lea
bïtiinvnls do l'eicadrc Trantaise, conx qui devaient rencontrer le plus da
dinicultâB ù prendre leurs poslca eiaienl les vaiMeaut de la première divi-
aion. command^B par bu Quoinc. En elTel, celle division, formant l'avant-
gardo de notre etcodre, tlait au *ud de toute rarniùc.
3, Faut- il oiaïuiacr l'hypothèse d'une entente entre les gouvernemenU
de France et de Hollande, par suite de laquelle l'aniiral Bankaert ne nooi
aurait |>as preMM Irés-yivement T Oela ne semble pas trbs-sérleui. Il eût
fallu mettre dani le necrct, outre Louis XIV. le Slatlioudcr et leurs mi-
Distro', Rujtrr, »cn diiui cliefÉ d'escadre, voire mOuic des chef* da divi.
sioD, d'Entrées, ni'i deux liculcnanl», Du <Jui;ine Cl du lia beinj ire- Très! •-
PRÉFACE. 37
Français occupèrent, toute la journée, Tavant-garde hol-
landaise qui représentait le tiers de la flotte des Etats-
Généraux, de môme que Tescadre française représentait
le tiers des forces placées sous le commandement du duc
d'York*. En conséquence, chacune des trois escadres de
l'armée combinée combattit un nombre d'ennemis pro-
portionné à sa force. Comment, dès lors, peut-on dire
que nous ayons laissé écraser nos alliés. Le passage sui-
vant, emprunté aux mémoires du duc d'York, rapporte
d'une manière simple et vraie la part prise par les
Français au combat du 7 juin : «.... L'escadre de Zélande,
commandée parBankaert,eut afi'aîre à l'escadre française,
commandée par le comte d'Estrées. Tous deux gouver-
naient vers le sud et étaient amures à bâbord dès le
commencement du combat, tandis que le duc et le comte
de Sandwich se tenaient orientés au plus près du vent,
les amures à tribord.... Les Français gouvernaient vers
le sud, orientés aussi près du vent qu'ils le pouvaient....
Mais Bankaert et l'escadre zélandaise ne les pressèrent
pas aussi vivement qu'ils auraient pu le faire, car à peine
les approchèrent-ils à plus de demi-portée de canon, ce
qui ne diminua pas peu la réputation qu'avaient acquise
les Zélandais dans les deux dernières guerres, d'être les
plus braves d'entre les marins hollandais : aussi ces deux
escadres soulTrirent-elles fort peu.... »
Le comte d'Estrées écrivit au ministre que plusieurs ca-
pitaines n'avaient pas fait tout ce qui était en leur pou-
voir pour s'approcher de l'ennemi. Au nombre des offi-
ciers dont il se plaignit, se trouvait le commandant de la
première division, le lieutenant général Du Quesne. D'au-
tre part, on apprit, à Paris, que des bruits malveillants
pour notre marine circulaient en Angleterre. Des person-
bois. etc.. Enfin, croiUon que, sous quelque gouvernemenl que ce soit, on
trouve beaucoup de généraux disposés à sacrifier leur honneur aux exi>
gences de la politique ?
1. L'armée combinée était, comme la flotte des États-Généraux, divisée en
trois escadres : Tavant-garde, le corps de bataille et Tarrière-garde.
38 HISTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE.
nages politiques, ennemis de l'alliance française, atta-
quaient avec beaucoup de vivacité le rûle joué par notre
escadre. Celle-ci, disait-on, n'avait déployé aucune vi-
gueur dans l'engagement qu'elle avait soulenn contre les
Hollandais. Des bâtiments qui la composaient, les uns
n'avaient pas tiré un coup de canon et les autres s'étaient
battus de très-loin. On s'émut, à Versailles, de ces accu-
sations et des explications furent demandées au comte
d'Estrées. Le marquis de Croissy, ambassadeurde France
à Londres, reçut l'ordre do prendre toutes les informations
de nature à éclairer le Koi sur la conduite des généraux et
des capitaines de l'armée. L'ambassadeur s'empressa de
se rendre k Chatham où étaient mouillés nos vaisseaux.
Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était chargé d'une mis-
sion diflicile. Les officiers étaient divisés en deux camps,
les uns soutenant d'Estrées et les autres Du Quesne. Les
renseignements qu'il obtint furent tellement contradic-
toires qu'il ne parvint pas A discerner la vérité'. Le vice-
amiral d'Estrées persista dans ses premières plaintes. Il
répéta au ministre que plusieurs vaisseaux " ne s'étaient
pas bien tenus dans leurs rangs et n'avaient pas observé
exactement sa manœuvre ».
Pour bien comprendre les divers incidents de la journée
du 7 juin, en ce qui nous concerne, il faut appliquer à
l'escadre française le raisonnement que nous avons fait
plus haut pour l'armée combinée. En serrant le vent,
bâbord amures, aussitôt après avoir levé l'ancre, les vais*
seaux du comte d'Estrées étaient obligés, pour se mettre
en ligne, de se former sur le bdtiment le plus sous-venté,
c'est-A-dirc sur le Témérain; chef de file de la première
division'. Or, le Saint-Philippe, portant le pavillon du
commandant en chef, tint le vent. Les bâtiments qui
1. On duil rcconnatirt que, <tana ces coodilions el pour iin homme
dlntnger A la niaritiB, il Alail dlflici]l^ (Ib *e Tonner une o|>lnion réfléchie
■ar Ik Mn que cIuil-ud avait joué an combat de SoulhHOod liay.
3. Lea rtnl* étant au nord-col, le* vaiuoiiux, prenant le plu« près lea
■murrf k bAlrard, (;ouvi!rnér«nl ù t'r)il-siid-<<Hl. fin ne rap[iclle qnc l'cf-
PRÉFACE. 39
étaient dans le nord de ce vaisseau, pouvaient se placer
dans ses eaux, en laissant porter, mais ceux qui étaient
dans le sud étaient condamnés à rester sous le vent de la
ligne jusqu'à ce qu'ils eussent assez gagné dans l'est pour
prendre leurs postes. C'est ce qui explique que le corps de
bataille et surtout l'arrière-garde, cette dernière comman-
dée par le chef d'escadre de Rabesniëre-Treslebois, prirent
part immédiatement au combat, tandis que Tavant-garde
n'arriva que dans l'après-midi sur le champ de bataille.
Ce retard était la conséquence de la brusque apparition
des Hollandais et de la manœuvre du comte d'Estrées. Ce
dernier se battit très-bravement, et il s'approcha de l'en-
nemi, autant qu'il le pût. Mais sa conduite fut celle d'un
capitaine et non d'un amiral. Au lieu de faciliter la for-
mation de son escadre, il ne se préoccupa que de s'élever
au vent. Le dissentiment survenu entre Du Quesne et
d'Estrées prit de telles proportions, qu'on reconnut, à
Paris, l'impossibilité de laisser ces deux officiers généraux
en présence Tun de l'autre. Colbert, qui connaissait Du
Quesne, ne croyait pas qu'il eût manqué à son devoir.
D'autre part, le vice-amiral d'Estrées avait une très-grande
situation à la cour; de plus, son vaisseau s'était bien battu,
et, lui-même, avait conquis les sympathies des officiers
anglais. Le Roi décida que Du Quesne ne serait pas em-
ployé pendant la campagne de 1673. Nous nous sommes
étendu sur l'affaire de Southwood bay dans le double but
de combattre une erreur historique et de montrer la ma-
rine française à l'œuvre, la première fois qu'elle parut sur
un grand théâtre. Quoique le rôle de notre escadre, le
7 juin 1672, eût été très-effacé, l'esprit reste frappé de
l'importance des résultats obtenus par Colbert en quel-
ques années. On se rend compte de la somme considéra-
ble d'efforts que l'armement de ces trente vaisseaux et la
cadre était moaillée sur une ligne allant du nord au sud. Nous devons
ajouter que la terre n*eût pas gêné la formation immédiate d'une ligne de
bataille, les amures à bâbord, puisque la côte d'Angleterre, à la hauteur de
Southwood, court nord et sud.
40 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
composition de leurs élats-majors ont coûté au grand
ministre. Si le vice-amiral d'Estr^-es n'a pas le savoir et
l'expérience ni^cessaires pour exercer ce commandement,
il a pour lieutenants Du Quesnc et le chef d'escadre
de Rabesni^re-Treslebois'. A cùlé de quelques officiers,
récemment entrés dans la marine et qui ne sont pas
encore A la hauteur de leurs Tonctions, il \ a des capitaines
qui se nomment Tourville, des Ardents, Cabaret '.
En 1673, la mer du .Nord fut le théâtre de nouveaux com-
bats entre les alliés et les Hollandais. Les deux floltes en-
nemies se rencontrèrent, les 7 et l&juin et le 21 août. L'af-
faire du 15 juin fu) une simple canonnade, mais , le
ai août, on se battît très-sérieusement. De nouvelles et
on pourrait dire d'interminables discussions s'élevèrent A
la fin de la campagne. Elles rappelaient celles de l'année
précédente, et elles n'avaient pas plus de portée. Nous
avions montré, le 7 juin, une vigueur à laquelle les An-
glais avaient rendu hommage. Le 21 août, les choses ne
s'étaient pas aussi bien passées. Ce jour-lA, il n'y avait eu
aucun ensemble dans la manœuvre de la tlolte anglo-
rrunçaise. Le priuce Rupcrl, qui avait remplacé le duc
d'Vork dans le commandement de l'armée, se plaignit do
ses deux lieutenants, le contre-amiral Spragge et le comte
d'Estrées. Ces deux officiers généraux protestèrent très-
vivement contre les reproches qui leur étaient adressés,
et ils accusèrent, & leur tour, le prince Ruperl d'avoir
manœuvré avec sa propre escadre sans se préoccuper des
1. Nous aa parlerons pat de Du Que«ne, qai te cbBrg«a, qoclquei annécia
•prés, de montrer tuul co qu'il volait, Nous mppcllcruna Kiileoiont qu'«o
I6'je. ce gnoii marin Ugurait déjà dans la mariae do l'Élst. Il commandait
an bAtiment da gnftre dans la DoUf de M(ir do Sourd», qnj l'appréciait
d'une manitre |iartii:uliér«. l^ chef d'cucndro de It«li«Miière-TreilatMib
était un visil ofac:ior, ajant une excellents répulaliou au puiol de rue de ta
capacité prorctiionnclln et de In bravoure. Il mourut de* iiiilcit d'une Llca-
•ure rvfuri au «imbal de SouUiwuod bay.
S. Le capilaine des Ardent* fut nomniA clief d>«rBdro K la place de H. de
RatMMiiAre-TreilelMii. Tourville, qui était rorljuune, pu pi>a*aJl jiaii «n-
core préleftilrc i cet avancetneat. Il débutait comme capitaine do «ait-
PRÉFACE. 41
deux autres. Le comte d'Estrées eut, en outre, des démê-
lés avec ses propres officiers. Dans le rapport qu'il envoya
à Paris, sur le combat du 21 août, il blâma avec une très-
grande sévérité la conduite du lieutenant général marquis
de Martel. Celui-ci avait remplacé Du Quesne dans le com-
mandement de la première division de Tescadre. Moins
heureux que son prédécesseur, le marquis de Martel ne se
lira pas d'affaire par la perte de son commandement. Il
fut mis à la Bastille, où il resta jusqu'au mois de février
de l'année suivante. M. de Seuil, intendant de la marine
à Brest, reçut une mission semblable à celle que l'ambas-
sadeur de France à Londres avait eue, l'année précé-
dente. Il fut chargé de faire une enquête sur le combat du
21 août. Le 23 novembre, il écrivit à Colbert « Je ne puis
distinguer ici ceux qui m'ont été nommés pour être plus
capables de soutenir et d'entreprendre de bonnes actions,
parce que j'y ai trouvé assez de contradictions pour me
faire craindre que l'on m'en ait parlé avec passion, inté-
rêt ou esprit de cabale, en sorte qu'il ne serait pas sûr
d'y ajouter foi. » C'était là l'écueil bien naturel de ces
sortes d'informations, n'ayant d'autre base que des con-
versations particulières ou des interrogatoires officieux.
D'autre part, à quel juge compétent fallait-il soumettre
la conduite du commandant en chef et les contesta-
tions survenues entre lui et ses lieutenants? Non-seule-
ment le vice-amiral d'Estrées n'avait pas, en dehors du
ministre, de supérieur dans la marine, mais il n'avait
pas d'égal. Derrière lui, venaient deux lieutenants géné-
raux et trois chefs d'escadre. Le premier de ces lieute-
nants généraux. Du Quesne, était en disgrâce, et le second,
le marquis de Martel, était en prison. Enfin, un des trois
chefs d'escadre se trouvait sous les ordres directs du
comte d'Estrées. Colbert n'avait pas, à sa disposition, des
moyens réguliers d'informations. 11 devait, avec le sens
supérieur qui le distinguait, tout voir et tout juger*. Cet
1. Ces considérations montrent la grandeur de la lâche que Colbert s'é-
42 HISTOIRE DE LA MARINK FRANÇAISE.
état de choses, d'ailleurs, touchait à sa lin. Le temps n'é-
tait pas éloigné oii la marine française compterait dans
ses rangs un grand nombre d'officiers généraux capables
et de capitaines expérimentés.
Les ennemis de l'alliance française l'ayant emporté
dans les conseils du Roi Charles II, l'Angieterre) fit la
paix avec les Provinces-Unies des Pays-Bas. Notre marine
se trouva seule en présence des forces réunies de la Hol-
lande et de l'Espagne'.
M. lie Vivonne, venant de Toulon, arrivait, avec neuf
vaisseaux, â l'entrée du détroit de Messine, lorsqu'il fut
attaqué, le 10 janvier 1675, par vingt-neuf vaisseaux
espagnols. L'escadre française, à laquelle vinrent se
joindre six vaisseaux sortis de Messine, obligea l'ennemi
4 s'éloigner. Un bflllment, portant quarante-quatre ca-
nons, resta entre nos mains '. Du Quesne battîl Ruyter
les 8 janvier et 22 avril 1676. La première de ces ren-
contres eut lieu dans le voisinage des lies Stromboli
et Salini. Les Français avaient vingt-deux vaisseaux,
et les Hollandais dix-huit vaisseaux et neuf galères.
Huyter se proposait d'empêcher la jonction de Du
Quesne avec les forces françaises mouillées à Messine.
Après un engagement très-vif qui dura toute la journée,
les Hollandais laissèrent le passage libre à notre escadre*.
luil imiMove, et le mérite qu'il eut à rsccomfilir. D'aatre part, ellM do«
ppriDDllunt de dire que le* rtpfiort» des ïDteDdanli, lor^tqu'ils ont trait h
des iu]cl< purement maritimes, doivent *tre tournis à un examen \rit-
■tivnti?. (>K pièces conservent une certaine importance, mais il ne butpai
leur accorder uns trop grande autorité.
1. I.n basiilitds sur mer n'avaient pas encore commencé a*ec l'Espagne,
■nais, depuis qaelquc lernp* déjA, nous élians en guerre avec cette pujs-
1. La duc de Vironne Ht le plus Rrand élt^e de Du Quesne. Il lui tllribnm
l'honneur de la prise faite par J'ascaOrc française.
3. Quelqnes Jour» après le coroUil du H jnnvier, l'escadre eut é snppoi^
t#r du mauvais tempa. l'Iusieurs bAlinienti s'aburdérent, et deux vaisseaux
(ureot obligés, ]*r suite de leur« avaries, de se séparrr de l'armée. Dn
Qufsna écrivit, h en propos, au minii>tr« : • Je vous avouerai, Monseigneur,
que les offlciers et capitatnes, qui n'ont servi qu'es mers du Levant, ne sont
(Ma inl«tli)(ents A rabservnliun de* ordres et signaux de marche *t de
PRÉFACE. 43
Le 22 avril, nous avions trente vaisseaux et neuf brûlots.
L'escadre ennemie comprenait dix-sept vaisseaux hollan-
dais, douze vaisseaux espagnols, cinq brûlots et neuf
galères. Les Hollandais se conduisirent avec leur fer-
meté'habituelle, mais ils ne furent que médiocrement
soutenus par les Espagnols. Dans la soirée, Tennemi
nous abandonna le champ de bataille et il fit route pour
Syracuse. L'échec que venaient de subir les alliés n'était
rien en raison de Timmense perte qui les attendait.
Ruyter avait reçu une blessure dont il mourut le 29 avril ".
Le conunandement en chef de la flotte hispano-hollan-
daise passa entre les mains de l'amiral espagnol don
Diego de Ibarra.
Le duc de Yivonne sortit de Messine, le 28 mai, avec
vingt-neuf vaisseaux, vingt-cinq galères et neuf brûlots.
Le l** juin, Tai'mée arriva en vue de la baie de Palerme,
dans laquelle les alliés s'étaient retirés. La flotte enne-
mie, forte de vingt-sept vaisseaux, était mouillée en
demi-cercle, à petite distance de terre. Dix-neuf galères
étaient placées sur les ailes ou dans les créneaux. La
balaille, comme il se doit, faute de Tavoir exercée, et môme, pour n*avoir
pas cette expérience, ils ont peine de Tapprouver, ce que nous reconnais-
sons être aux Hollandais Tavantage quMls ont sur nous de naviguer presque
en tous temps, notamment en présence de leurs ennemis, nuit et jour, en
bataille ; qu'ainsi, ils évitent les abordages entre eux, à quoi Ton est trop
sujet parmi les ^'aisseaux du Roi. Si Sa Majesté me fait l'honneur de me
continuer le commandement dans ses armées, je suis obligé de lui deman-
der une forte protection pour réduire ces officiers et capitaines à l'obser-
vation de cet exercice de marine, et même quand il échéra d'être en mer,
l'hiver, en présence des ennemis, d'avoir pour agréable que j'indique les
vaisseaux et les capitaines propres à tels services ; car souvent tel vais-
seau, même un seul qui sera méchant de bouline, obligera une armée
à perdre l'avantage du vent ou de l'abandonner; et, quoique dans le grand
nombre des vaisseaux du Roi, il ne se peut éviter qu'il y en ait de moins
bons à la voile que d'autres, ils ne seront pas inutiles si on les emploie à
ce quoi ils sont propres. >
1. Ruyter mourut à l'âge de soixante-dix ans. Son corps fut transporté
en Hollande et inhumé, en grande pompe, à Rotterdam. Louis XIV avait
ordonné que tous les bâtiments de la marine française, en vue desquels
passerait le navire portant les dépouilles de ce grand homme, salueraient
do canon. Des instructions semblables avaient été adressées aux gouver-
neurs des places du littoral.
r
W HISTOIRE I)K LA MARINE FRANÇAISE.
gauche élaîl appuyée au mule, à l'exlrémité duquel élait
placée une batterie de dix pièces de canons; le cenire
étail proli'gè pur la rorteresso de Caslellamare, et la droite
par les fortifications de la ville. Le 2 juin, dans la mati-
née, l'escadre française, favorisée par une jolie brise de
nord-est, se dirigea sur l'ennemi. Vn détachement do
neuf vaisseaux, auquel le duc de Vivonne avait adjoint
neuf galères, avait l'ordre de faire une attaque A fond sur
l'aile droite des alliés '. Ce détachement, vigoureusement
conduit par le chef d'escadre de Preuilly d'Humières.
jeta l'ancre sur les bouées des vaisseaux qu'il devait
combattre. L'action débuta, de part et d'autre, avec un
véritable acbarnenienl. Aidés par la brise du large, quel-
ques capitaines de brûlot réussirent à accrocher plu-
sieurs vaisseaux hollandais et espagnols. Ces navires
coupèrent leurs cdbles pour aller à la cdte. En dérivant,
ils jetèrent le désordre et la confusion dans leur armée.
Les résultats de la journée furent désastreux pour nos
adversaires. Sept vaisseaux et deux galères devinrent la
proie des llammes. Les amiraux espagnols don Diego de
Ibarra et don Francisco Freire de la Cerda*, les conlre-
amiraux hollandais Jean de lla^n et Hlddellandt perdirent
la vie dans celte affaire. Les alliés ne comptèrent pas
moins de deux mille hommes, ofliciers, marins et soldats,
tués ou blessés. Le duc de Vivonne ne jugea pas utile de
poursuivre ce succès. Quoique sou escadre n'eût'pas souf-
fert, il retourna à Messine.
Le traité de Nimègue, conclu en 1678,mitfin aux hosti-
lités. En 1688, la paix fut encore une fois rompue avec la
Hollande. Au commencement de l'année suivante, l'An-
I. tl tvait éU d^M^, dans un coiucit do t-ueriti tenu le l" juin, qoe
nom sllii(]iiRriuii8, nvcc une vigueur particulière, l'silo droils des allii«,
■Du d» ruui|>rp leur \\pu< sur ce point.
1. l/uiniral don Fruiciica Frein <lu la Ccrda. qui commandait re«cad(o
•«pagnulB nu mmbat du 3J avril, avait tic remplacé, sur l'ordre de aon
Souverain, par iluu Iiienu de Ibnrra. Au livu du riintrnr en Eijtagno, il était
reRlil aur le vniui-au nniiral poiir servir ciinime voloiiluire, tnontraut Ùnd
que, l'il «tnil un uiihIimiti- gWrol, il avait le courutie d'un suidai.
PRÉFACE. 45
gleteire et l'Espagne nous ayant déclaré la guerre, la
France se trouva seule en présence des trois grandes
puissances maritimes de cette époque. Le 4 juin 1690,
soixante-dix vaisseaux, portant de cinquante-deux à cent
dix canons, sortirent de Brest. La nation pouvait, à bon
droit, être fière de cette flotte. Tourville la commandaiL
Il avait sous ses ordres le vice-amiral Victor d'Estrées,
les lieutenants généraux de Villette Mursay, de Château-
renault, d'Amfreville, Gabaret Louis, les chefs d'escadre
de Relingue, de Langeron, de Nesmond, de Laporte, de
Coêtlogon, de Flacourt et Pannetier.A l'exception du vice-
amiral Victor d'Estrées, entré depuis peu dans la marine,
tous ces lieutenants généraux ou chefs d'escadre se bat-
taient sur mer depuis vingt-cinq ans. Il en était de même
de la plupart des capitaines de vaisseau. Le 10 juin,
Tourville battit, non loin du cap Beachy-Head, l'armée
anglo-hollandaise, forte de soixante vaisseaux. L'ennemi
perdit trois vaisseaux; l'un d'eux se rendit au Souverain
et les deux autres furent coulés. Le 12 septembre, les
alliés, activement poursuivis, sacrifièrent sept vaisseaux
qui, par suite de leurs avaries, restaient en arrière. Quel-
ques jours après, six bâtiments démâtés furent aperçus
sous la terre. Une division française s'étant dirigée sur
ces bâtiments, ceux-ci se jetèrent à la côte. Notre armée,
ralliée par une escadre de galères, parut le 1" août devant
Torbay. Un détachement de matelots et de soldats, placé
sous les ordres du vice-amiral d'Estrées, débarqua à
Teignmouth. Une batterie qui défendait la rade fut dé-
truite et douze bâtiments capturés. La flotte française
mouilla, le 17 août, sur la rade de Bertheaume.
Le 29 mai 1692, la marine française livra la bataille de
la Hogue. Obéissant aux ordres du Roi qui lui prescri-
vaient de combattre l'ennemi « fort ou faible et en quel-
que lieu qu'il le rencontrât, » Tourville attaqua quatre-
vingt-dix-sept vaisseaux anglo-hollandais avec quarante-
cinq vaisseaux. Lorsque le feu cessa, après un combat
qui n'avait pas duré moins de dix heures, la flotte Iran-
HISTOIRE DE LA MAUIXE FRANÇAISE,
çaise était intacte. L'ennemi avait perdu deux vaisseaux,
l'un avait sauté et l'autre était cuuiî'. L'anni^c se diriges
sur Brest, seul point où elle prtt être en sùrelé, puisque
nous n'avions pas de port dans la Hanche. Contrariée
par le calme et les courants, elle (It peu de roule dans la
journée du 30. Le 31, dans la matinée, Tourville s'enga-
gea dans le raz Blanchard, avec l'espoir de devancer
l'ennemi qui Taisait route vers l'ouest par le nord des
CasqueU. Vingt vaisseaux avaient déji\ franrhi ce pas-
sage difficile, lorsque, le calme et la fin du Jusant surve-
nant, quinze vaisseaux, au nombre desquels était YAmbi-
lieux que montait le commandant en chef, furent obligés
de mouiller'. Les ancres ayant chassé avec le (lot, toute
cette partie de l'escadre fut ramenée en arrière. Tourville
était séjtaré de son armée, et entouré par des forces supé-
rieures, fleconnaissant l'impossibilité de sauver ses bflli-
menls, il se décida A les jeter à la côte. Quinze vaisseaux
furent incendiés, suit par nous, soit par les Anglais, à
Cherbourg et à la Hogue. Telle fut l'issue de cette funeste
journée. Jacques II avait donné à Louis XIV l'assurance
qu'une partie de la flotte britannique se rangerait sous
le pavillon de Tourville, aussitôt l'alTaîre engagée. Notre
armée était à la mer depuis quelques jours, lorsque le
Roi reçut de Londres la nouvelle qu'aucun officier
anglais ne ferait défection. Ponchartrain , qui était
alors ministre de la marine, se hdta d'expédier, de
difTércnts points de lu côte, de» avisos purleurs de dé-
pêches ordonnant à Tourville de ne pus combattre.
Aucun des bfltiments envoyés à sa recherche ne parvint
& l'atteindre'.
1. Le vaissiviu da Tourville, le SulriI-no)/ti(, lur lequel [>luBl«tira vais-
Bcnui ennemi! aVKianl dirigA Icun cnups, le 19 mai, éUiL ilniu l'étal da
drilaLremiiril le plui ^uiid. Touriilla avait mm sen pavilluii lur VAntti-
1. L'afTsire de la flocue éuit un malheur d'aulanl plus grand, qn'nuruna
un oiililaire, inUrcHiant noire sûirlj, ne nous oMiiçeail A aborder l'cn-
li daii» \n cundilionn d'infcrionlG oU twui eiiuna le !9 mai. Le* veia-
PRÉFACE. 47
On a dit que la journée de la Hogue avait consommé la
ruine de notre marine. Il sufGt de rappeler la force des
escadres mises en mer, l'année suivante, pour montrer
combien peu cette assertion est fondée. En 1693, Tourville
était à la tête d'une flotte de soixante et onze vaisseaux,
lorsqu'il intercepta, entre Lagos et Cadix, un convoi con-
sidérable placé sous l'escorte d'une flotte anglo-hollan-
daise. Après cette affaire, il vint à Toulon, où se trouvait
l'escadre du comte d'Estrées. L'armée réunie sur la rade
s'éleva au chiffre de quatre-vingts vaisseaux. Ce qui est
vrai, c'est que l'année 1692 marque, sous le règne de
Louis XiV, le point culminant de notre fortune maritime.
A partir de la journée de la Hogue, la marine française
va en décroissant. Cet état de choses n'est pas la consé-
quence de notre défaite, mais le résultat inévitable de la
situation des finances. Le pays, épuisé d'argent, ne peut
plus subvenir aux dépenses de la marine. De 1694 à 1697,
époque à laquelle la paix fut signée, nous restons sur la
défensive. Au début de la guerre de la succession d'Es-
pagne, la France s'impose les plus durs sacrifices pour
faire encore une fois de grands armements. Le comte de
Toulouse, amiral de France, parait, en 1704, dans la Médi-
terranée, avec cinquante vaisseaux de ligne. Le 24 août, il
attaque, au large de Malaga, l'armée anglo-hollandaise
commandée par l'amiral Rook. Dans cette affaire, nous
n'infligeons aucune perte sérieuse à l'ennemi, mais nous
le forçons à nous abandonner le champ de bataille. Ce
retour, vers les temps prospères du règne de Louis XIV,
est le dernier. A la guerre d'escadre qui avait fait la gloire
des Tourville, des Du Quesne, des Chateaurenault, des
seaux qui avaient combattu, ce jour-là, ne représentaient pas la seule force
dont la France disposât. Tourville pouvait attendre, avant de prendre la
mer, les renforts que lui amenaient le vice-amiral d'Estrées et les lieute-
nants généraux De Laporte et de Chateaurenault Dans cette hypothèse, la
supériorité numérique de Tennemi eût été Irès-faiblc. Commandée par
Tourville et composée d'éléments très-solides, notre armée eût été à l'en-
nemi avec de grandes chances de succès.
48 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Gabaret, des d'Amfreville, des Valbelle, des Coôtlogon,
des Langeron et de tant d'autres officiers distingués,
succède la guerre de course illustrée par les exploits des
Duguay-Trouin, des Jean-Bart, des Nesmond, des Pointis,
des Ducasse et des Cassard.
LIVRE II
Al^andoD s>sténia(iqi]e de la marine sous la régence et pendant le minis-
tère du cardinal Meury. — La guerre éclate entre la France et l'Angle-
terre. — Traité d'Aix-la-Chapelle, conclu en 1748. — Nouvelle guerre
avec l'Angleterre, en 1756. — Traité de Paris, signé le 10 février 1763.
— Modilications successives apportées aux institutions maritimes. —
— Êcunoniie générale des lois qui régissent la marine, au moment où
éclate la guerre de l'Indépendance américaine.
L'élablissemcni maritime créé par Louis XIV fui systé-
matiquement livré à Tabandon sous la régence et pendant
la durée du ministère du cardinal Fieury. Lorsque sur-
vint la guerre de la succession d'Autriche, notre marine
fut hors d'état de résister aux forces navales de l'Angleterre.
A la paix d'Aix-la-Chapelle, signée en 1748, il ne nous
reslait que vingt-deux vaisseaux de ligne. Le gouverne-
ment sembla reconnaître la faute qu'il avait commise,
en s'écarlant des traditions de Richelieu, de Colbert et de
Louis XiV. Le ministère donna une plus vive impulsion
aux constructions et quelques armements furent ordon-
nés. Ces mesures n'avaient pas encore porté leurs fruits
(lue la guerre éclatait de nouveau entre la France et l'An-
gleterre. L'avantage remporté par le marquis de la
Galissonnière sur l'amiral Byng jeta quelque éclat sur
les débuts de la campagne, mais l'issue définitive de la
lutte ne pouvait être douteuse. Notre infériorité nous
condamnait fatalement à la défaite. Le traité de 1763 est
un des plus malheureux que nos annales aient eu à enre-
gistrer. La France céda à sa rivale le Canada, l'île du
cap Breton et toutes les îles et parties de côte qu'elle occu-
pait dans le golfe de Saint-Laurent. Non contente d'as-
50 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Burer le présent, la cour de Londres voulut lixer l'avenir
en exigeant que la France renonçât à toute prOlciilion sur
l'Acadie et la Nouvelle-Ecosse'. La rivière du Sénégal,
nos établissements sur la cOte occidentale d'Afrique, la
Grenade, Saint-Vincent, la Dominique et Tabago devin-
rent la propriété de l'Angleterre. La France rendit toutes
les conquêtes qu'elle avait faites dans l'fnde depuis la
paix d'Aix-la-Chapelle. Ia^s Anglais reprirent Hînorquc
en échange do Belle-Ile, dont ils s'étaient emparés le
7 juin 1761. En vertu d'une convention particulière,
signée le même jour que les préliminaires de paix, la
France donna la Louisiane à l'Espagne. Nous voulions
dédommager cette puissance des sacrilices auxquels elle
avait été obligée de consentir pour amener la Un des hos-
tilités. L'Espagne avait abandonné à l'Angleterre la Flo-
ride et Pensacola'.
Soutenus par une forte tradition, souvenir glorieux du
règne de Louis XIV, les oflicîcrs de la marine ne déses-
pèrent pas de l'avenir. Au lieu de se laisser aller au
découragement, ils s'adonnèrent A l'étude. Ce fut ainsi
qu'ils maintinrent la situation de la marine française,
sinon au point de vue du nombre, du moins sous le rap-
port de la qualité, à la bauteur des marines rivales. Il
est peu d'époques où les travaux scientifiques, appliqués
à la marine, aient été aussi considérables que sous le
régne de Louis XV. L'académie de marine, fondée à Brest,
en 1752, abandonnée pendant quelques années, et enfin
réorganisée, en 1769, eut une très-grande pari dans ce
résultat.
I. Lm limites d«B [HMMSxions fntn<;aiN« pt nnglalsos, sur le conlinsnl
d* rAmi-rique scpIcntrionulK, Turent ftxtrt p«r une ligne allant du roia-
lioucliure <lu Hiasissipi jiiii|u'A lu rtvii-re d'il lom lie «I, de là. rc-juipnanl
la nier, en poMaot au milieu de cvttc rivière et de« Ucs MnurotHifi ol fun
cliarlrain.
1, Ix Iriltri d'alliance ofTeniive et di^fcnslve, appeU parle du famille,
avait M «i^né i-iiir« la France et l'Eti^^ni', le là août 1761. I.o 3 jan-
vier ITSI.l'Eipufnie avait dâclard lo guerre (i l'Angleterre. LeihottililiJsenlra
la Pranre et l'Angleterre avaient commencé en ITâ6, Houa dtiona réduit* à
rimpuiiaance lonquc l'Eapagnc t'était décida A le Joindre A noui,
PRÉFACE. 51
Le rôle des officiers de marine s'était successivement
modifié depuis le comnvencement du dix-huitième siècle.
Sans cesser d'être militaire, il était devenu plus maritime.
Le capitaine et les officiers commençaient à prendre, à
bord des bâtiments, la place qu'ils y occupent aujourd'hui.
L'art de la navigation avait fait de grands progrès. Le
voyage de circumnavigation de Bougainville, les cam-
pagnes des Verdun de la Crenne, des Fleurieu et des
Borda avaient excité l'émulation des officiers et répandu
parmi eux le goût des connaissances nécesaires à la con-
duite des bâtiments. Les pilotes, considérés comme offi-
ciers de route, n'avaient pas encore disparu, mais leur
importance avait été en diminuant, tandis que la situation
des capitaines et des officiers n'avait cessé de grandira
L'institution des gardes de la marine, créée par Colbert
pour assurer le recrutement des états-majors, avait été
maintenue. Une nouvelle compagnie, dite des gardes du
pavillon, avait été formée en 1716. Cette compagnie, dont
le personnel était pris parmi les gardes de la marine,
avait pour mission principale de servir près de la per-
sonne de l'amiral de France, soit dans les ports, soit à la
mer*. Bezout avait été nommé, en 1763, examinateur de
la marine. A la demande du duc de Choiseul, il composa
un cours de mathématiques renfermant l'ensemble des
1. On était luiii du temps où Colbert attribuait à Tignorance des pilotes
la perte des l>âtimenls qui s'étaient jetés sur les fies d'Aves. Dans une
lettre qu'il adressait^ sur cette affaire, à l'intendant do Seuil, le ministre
constatait avec regret que les pilotes les plus habiles aimaient mieux com-
mander les navires de commerce que servir sur les bâtiments de TÉtat.
Colbert fit mieux, d'ailleurs, que de se plaindre de la pauvreté des sujets,
il reconnut la nécessité d'améliorer la position des pilotes, afin d'attirer
les plus capables au service de TÉtat.
2. Une ordonnance de 1764 fixa à quatre-vingts le nombre des gardes de
chacune des trois compagnies des gardes de la marine et de la compagnie
des gardes du pavillon amiral. Le chiffre de trois cent vingt, représentant
la totalité des gardes des quatre compagnies, était trop élevé, eu égard au
petit nombre des vacances qui se produisaient, chaque année, dans le
cadre des enseignes. Cet effectif fut réduit, en 1773, à cent soixante gardes
répartis ainsi qu'il suit, savoir : quatre-vingts gardes du pavillon amiral
et quatre-vingts gardes de la marine.
52 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
connaissances que devaient posséder les gardes pour de-
venir enseignes de vaisseau ^ Les gardes embarquaient
toutes les fois que les besoins du service l'exigeaient, et
ils reprenaient leurs études lorsque, par suite du désar-
mement de leurs navires, ils se trouvaient de nouveau à
terre. Cette organisation semblait s'en remettre au hasard
du soin de les instruire. Elle ne pouvait convenir à une
époque où les progrès des sciences rendaient les études
théoriques chaque jour plus nécessaires. M. de Boynes,
devenu ministre de la marine, en 1771, supprima les gar-
des et il fonda au Havre une école de la marine royale*
Son successeur, M. de Sartines, n'osa pas s'associer à
cette réforme. 11 rétablit l'institution des gardes à laquelle
il apporta d'utiles améliorations*. 11 eut surtout le mérite
de régler mieux que ne l'avaient fait ses prédécesseurs
le temps consacré aux études théoriques et pratiques.
1. (le Cours de mathématiques comprenaïl six volumes, dont un était
consacré à l'astronomie et à la navigation.
2. Il sera établi une école ro\alc de marine dans le port du Hàvre^ pour
y in>truirc et y exercer, tant dans la théorie que dans la pratique, les
jeunes f^ens qui se destineront an service de la mer, se réservant^ Sa Ma-
je>U>, do faire, dans la suite, un pareil élablissemenl dans un des ports de
la M«'di(orianée. Les admis |K)rteron( le titre d'élèves de l'École ro\ale de
la marine ; leur nombre sera de quatre-vingts ap|>ointés, Sa Majesté se
réM>rvai)l don recevoir un plus grand nombre non ap^winté. Aucun aspi-
rant ne |K)urra être admis s'il n'a <iua(orze ans. s il ne sait écrire correcte-
mont et s'il ne connaît les premières règles de rarilhmétique. I^s élèves
n'aunml aucun rang entre eux. Chaque école sera commandée |>ar un capi-
taine do \aissoau: dos lieutenants de vaisseau et des maîtres \ seront atta-
ches. Les olèvos seront exercés, (lendant trois ou 4iualre mois d'été, à la
pratique de la mer sur îles corvellcs armées exprès. Doux qui auront satis-
fait aux examens exigés, seront destines à entrer dans les huit brigades
ou régiments du eorps royal de la marine
3. Supprime, Sa Majesté, les écoles royales do marine cré<»cs par Tor-
donnanco du *i*J août 1773. xotiianl que loi élèves de l'école établie au
llAvre soient admis et riHjus on qua'ité d'aspirants gardes do la marine et,
en ct^nMijucnoe, repartis entre les tn->i< ports de Itre^t, Toulon et Itoche-
fort ît»rdonnani"e du '2 mars 177.».). La même ordonnance fixa a cinquante
rolTiilif des oom|»;tirmes de»i irardes «le la marine et à quatre \ mgts le nombre
de< ganlt-s du pa\illon. Kilo créa dos aspirants gardes places a la suite des
comjMv'nie*. Le> jeunes gens ain>i doignos étaient ap(H'lo> a remplir le^
xacauco qui \onaiont a >c pn^duire. Les oloves de lecole de manne du
Havre devinrent a>piiauU irarde>.
PRÉFACE. M
Les ministres qui se succédèrent à la marine, après la
guerre de 1756, ne portèrent pas seulement leur allentioD
sur le corps des ofGciers de vaisseau. Ils réorganisèrent
le commissariat de la marine et le sen iœ de santé. Une
ordonnance du 25 mars 1765 créa le corps des ingénîears-
constructeurs ^ Le gouvernement établit à Paris, sons la
direction de Bezout et de Duhamel du lionceau, une école
spéciale destinée à former des élèves ingénieurs.
Le duc de Choiseul dirigeait, en 1761, les deux dépar-
tements de la guerre et de la marine. Il décida que le
service de Tartillerie, à bord des vaisseaux, serait fait par
l'artill^e de terre*. A la même époque, les régiments
de l'armée fournissaient le personnel composant les gar-
nisons des bâtiments de guerre. £n 1774, M. de Sartines
forma cent compagnies franches partagées en trob divî-
sions, placées, la première à Toulon, la seconde à Rochefort
et la troisième à Brest. L ensemble de ces divisions était dé-
signé sous le titre de corps royal d'inlanterie de marine.
Les compagnies, fortes de cent dix-huit hommes, avaient
1. Sa Majesté s'étant (ait n^ftseaâer les articles de rordMaaaoe 4m
lô arril 16S9. qui ont rapport au ooftttmdioos et iDait/i» ckaiptsUen «*-
tretenas qui, soos ce titre, étaient alors charrâ à^ UmciM'jm 4it% ^xm-
structears actuels de ses Taif^^eam. et ayazÀt oott^ûkré qoe c«> d^rm^^rr.
depuis leur établissement dans ses port^. s'ciaol partJcsJcruMttt »pf«^
qués à réunir toutes les connaissances de tbéiune et de praliqoe qv exiçe ia
construction des Tai«seaax. y ont fût des propres oA^itntles: T/>c:ai,i
exciter de plu? en plus Fétade des sciences qvi ImI la \am0: 4e otX art. et
fixer Tétat et les fonctions de oeax qui Texercent d'aile akait>ere 7*1 ny^^t^fU:
à l'utilité de leurs serrices. Elle a ordonné et ordonne ce qu vUi : « b»
coDstructenrs de raisseanx de Sa Haiesié seronl. a laTenir, afç«»iéA in-
génieurs-constmciears de la marine. Ordonnance da ^ oort V.r,1.
2. Le personnel de rarlillerie de terre fut amrs&entt 4^ t/'y» ir-jrikief .
Sauf quelques exceptions laites en fiTeor d'olficvtrs d^artilkfvr ^ t^rre,
les officiers de marine furent appelés à ooa{»jiaer léiai^irt/yr 6^ t^nz^kdéM
DOUYellement formées. Les officiers d'artilleiie de terre, qui fcr^t «doiH
dans les brigades destinées au senrice de la/tilkne »i^ak, ^juuiz^rerât
les grades dont ils étaient rerêtns contre le grade er^aivaieiit dan« i« o^rp»
des officiers de marine. Chaqœ brigade était compMèe de «^; c/xibyk^çbi^^
de canonniers et d'une compagnie de bombardîert. L'effectif d«* if^,^ Iai-
gades était de denz mille boit cent Tîngt-qaatre boauDes.
54 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
à leur lèle trois ofliciers, un lieuteDant de vaisseau et
deux enseignes. Le corps royal d'inraiiteric de marine
appartenait au personnel naviguant. Un délachement de
cette arme etnbaniuait, dans une proporlion déterminée
par les règlements, sur chacun de nos navires. Les soldats
arrivaient à bord sachant manier le fusil el connaissant
l'exercice du canon. Ils Taisaient le quart comme les ma-
telots et aidaient à la manœuvre. Ces hommes consti-
tuaient un élément tr^s-solide dans la composition des
équipages '.
Une ordonnance royale du 26 décembre 1774 rétablit
dans chacun des poris de Brest, Rochctort et Toulon une
compagnie de bombardiers. Ces compagnies étaient com-
mandées par quatre ofQciers de la marine, deux lieute-
nants de vaisseau et deux enseignes. Elles étaient compo-
sées de matelots des classes, Agés de dix-huit A trente
ans, ayant faitpreuveà la mer de capacité professionnelle.
Les bombardiers étaient appelés à servir sur les galiotes
à bombes cl sur les vaisseaux. Des compagnies d'apprcn-
tis-canonniers des classes furent formées dans les ports de
Toulon et de Rochefort. La môme ordonnance permit au
ministre d'eu augmenter le nombre toutes les fois que les
besoins du service l'exigeraient. Le déj)artement de la
marine revenait au régime créé par Colbcrt^. 11 élail glo-
rieux pour la mémoire du grand ministre qu'on crût né-
cessaire, après tant de tâtonnements et d'hcsilations, de
I. Le carpi royal d'iofaDlene de marine du 1774 n'nvnil «ucuo twini
cominuo avec l'iiirBiiteric de marine, telle qu'elle eiislc aujourd'hui. Celle
derniiro ■ été ciiét dans le Lut unïi[ue de (enir i;arni«un dam Ici cutooiea.
Elle a élé pincée, k cause de cetio deilinatiou, tous la direction du miaistrt-
de la marine. C'ttA un corps d'iaruitorio qui a vailJainineDl combattu du»
toutes loï partiel du monde, et qui l'est acquih par u conduite, pendant la
guerre de 1S70, tiac réputstioD lAgilimc ; mais cette troupe a ioqjoart été
et elle est encore aliaolument étrangère au fcrvicr do la Oolte.
3. N. de Sartinei revenait aux diaposiliung Uo t'ordonnance de I7«.
Olle^i n'était, en ee qui concernait le aerviu de rartinerie eur les btti-
tnenlt d* la Hutte, que la roproduclion de l'orduoaance de 1089, Celle der-
nière, ainsi que noue l'avons d^jt dit. avait paru sous le mwqnit da
Sri(nii'lni, mail, #n réalité, elle était l'ieuvrn de Colbnrl.
PRÉFACE. 55
se conformer aux dispositions que lui-même avait
adoptées.
11 nous reste à indiquer brièvement les modifications
successives apportées dans l'organisation des arsenaux.
Lorque Golbert prit en mains les affaires de la marine, il
chercha autour de lui des collaborateurs. Après avoir fait
choix de quelques hommes d'un mérite reconnu, il donna
à chacun d'eux un arsenal à diriger sous sa surveillance
immédiate. 11 avait le droit de compter sur Tobéissance et
sur le dévouement de ces fonctionnaires. Il n'en eût pro-
bablement pas été de même, si les sommités de l'armée
navale avaient été placées à la tête des arsenaux. Outre
que Golbert eût difflcilement obtenu que des officiers
généraux, appartenant à la plus haute noblesse, consen-
tissent à habiter, pendant un temps assez long, Brest,
Toulon ou Rochefort, il craignait de ne pas rencontrer
chez eux cette obéissance ponctuelle qui était nécessaire à
l'exécution de ses desseins. Enfin, il redoutait Tinfluence
d'hommes qui, par leur situation à la cour, auraient pu
traverser ses plans. On doit donc croire qu'il écarta sys-
tématiquement les officiers militaires du service des
ports. Les années s'écoulèrent, et ces dispositions, qui
avaient eu leur raison d'être, ne répondirent plus aux
besoins. Tous les officiers de la marine n'habitaient pas
Versailles, et un grand nombre d'entre eux demandaient
que leur expérience fût mise à profit pour la préparation
de nos forces navales. En 1765, le duc de Choiseul donna
satisfaction à ce sentiment. 11 ne toucha pas à l'économie
générale de l'ordonnance de 1689, mais il augmenta les
attributions des officiers militaires. Les mouvements du
port furent placés sous les ordres du commandant de la
marine. Celui-ci eut, en outre, le droit de surveiller les
travaux exécutés dans l'arsenal. Nous ne parlerons pas
des changements introduits dans le service des ports,
en 1772 et en 1773, par M. de Boynes. Ce que fit ce ministre
disparut le jour où il cessa ses fonctions. M. de Sartines
remit provisoirement en vigueur le régime de 1765. Une
lA HWTOnŒ DE LA MARINE FRAX* AISE.
ordoonaDce, portant la date du i3 septembre 1776, étendit
coDAidérableinent les fonctions des commandants de la
marine. Les marctiés, les approvisionnements, la distri-
bution des matières, leur conservation dans les maga-
sins, les revues et la solde des officiers, des troupes, des
gens de mer, Tinscription maritime, les hôpitaux et les
cbiourmes restèrent entre les mains de rinlendanl. L^es
attributions du commandant de la marine comprirent,
outre la garde des arsenaux et le commandement des
troupes, les directions des mouvements du port, des
constructions et de Tartillerie, réunies toutes trois sous
l'autorité directe et immédiate d'un chef d'escadre, avant
le titre de directeur générale Telle était, au point de vue
du personnel, de l'administration et du ser\ice des arse-
naux, l'économie générale des lois qui régissaient la ma-
rine en 1778, c'est-&-dire au moment où éclata la guerre
de l'indépendance américaine.
1. ÏÂin conulnicUonA^ lea armements, désarmemeDU. réparations^. ra>
doat», \en travaux (quelle que fût leur nature), exécutés dans les ateliers
de Tarsenal, la ^rde et la conservation (\(^ b&timents. furent placés sous
Tautorité du commandant de la marir.e. In directeur général, pris parmi
les chefs d'escadre, fut placé à la l»*le «les trois dirtMrlions de Tarsenal, les
mouv«rments du |K*rl, les tra\au\et lartillerie. (Uf directeur général était
lui-même sous les ordres du comuiandanl de la marine. Chacune des dirtH!-
lions que nous venons d'indiquer était dirigée par un capitaine de \*ais-
seau, ayant dans son service des lieutenants et des ensiMgnes de vaisîieau.
HISTOIRE
DE LA
MARINE FRAxNCAISE
LIVRE I
Le trailé de Paris établit la saprématM mantime 4^ U Gra»le4arctaizft^.
— Contestations entre les colonies de rAiiién*|oe wfilealrMaale ci la
métropole. — Impôt du timbre. — Taie sur le tli«. — ThmiU» 4f Bi^^ml
— Mesures de répression prises par le gouTemenieol bntawii*|Be. — Ue«
députes nommés (lar les assemblées proTÏnciales forme*! ■■ Ojflçm «fSf
se réunit à Philadelphie dans le mfH'i de «eptembre IZZi. — Oiflifcat 4^
Leiington. le 19 avril 1773. — Déclaration s<>Iennelle et Vi»itf0tw§t::M^ 4^
colonies anglo^méricaines. le 4 juillet 17 76. — Lt goqverBtmi^.ad fnmfptt^
suit avec une attention particulière les évéoemeals qm f'aciMaifi4M«<ikt
de l'autre côté de l'Atlantique. — Rebtions du cabine •!« Xttsàtiûr* av«<
les insurgés. — .arrivée à Paris de trois commissaire^ e&To^é* pkr ^
coa?rè<. — Le 6 février 1778, la France sifDe arec les Êlats^s» «• îmfé
d'aniitié et de commerce et un traité éveotocl d'alliance. — La cocr ^
Lriodrcs rap|)elle son ambas5adeur. — Prrparalif« marît.-nr*'^ bi«.« 4^
chaque côté du détroit. — Départ du cumle d'Lftaiar. — ]f;*^i',ii f^fAiêéf:
à cet ofUcier général. — Tentative faite auprtr«> de la oiur 4 L«f«k;nt«^ p^Asr
ramen<T à conclure avec la France un traité d'alliance oflrffcHi^ H Mi^-ik-
j^ive. — Relations entre les mannes de France et d'.\nrl<ii!Tre. — Vn^
des frégates la Licorne et la PnUa* et du longre le tonreur, — fyjOkiita
des frégates la BelU-PouU et VArtthuêa. — ftésoltaU de laUit^le
iodêcibe prise par le gouYememeot francs. — L'escadre de Br»r«t T*t/Ai
Tordre dapoareiller.
I
Le traité de Paris conclu, en 1763, entre la France et
la Grande-Bretagne, consacra, aux yeux de l'Europe, la
HISTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE.
suprématie maritime de notre rivale. Cependant )a guerre
de l'indépendance américaine, qui nous permit, vingt
ans plus lard, de prendre notre revanche, fut la consé-
quence des succès remportés par nos adversaires pen-
dant la campagne de 1756. Les Anglais, poursuivis de-
puis longtemps par le désir de rester seuls maîtres de la
partie septentrionale du continent américain, avaient
saisi le moment où l'état de notre marine nous interdi-
sait toute lutte sérieuse pour nous attaquer. Ils avaient
atteint le but qu'ils s'étaient proposé; mais, dès le len-
demain de leur victoire, ils rencontrèrent des dinîcultés
qu'ils n'avaient pas prévues, quoiqu'elles fussent inhé-
rentes à leur nouvelle situation. Les colons américains,
descendant pour la plupart de familles qui s'étaient expa-
triées ù la suite de persécutions religieuses ou politi-
ques, ne pouvaient avoir pour la couronne d'Angleterre
un dévouement très-profond. L'occupation du Canada
par les Français et de la Floride par les Espagnols don-
nait à la souveraineté de la Grande-Bretagne un caractère
de nécessité qui s'imposait aux habitants. Ceux-ci recon-
naissaient qu'ils étaient redevables & la mère-patrie de la
sécurité dont ils jouissaient. Aussi, les contestations qui
s'élevaient entre les Anglo-Américains et le gouverne-
ment britannique, et ces contestations étaient fréquentes,
se dénouaîent-cllcs facilement. La cession du Canada et
de la Floride modifia cet état de choses. L'Angleterre se
trouva en présence d'une population nombreuse, éner-
gique, établie sur un sol fécond, et A laquelle son appui
n'était plus indispensable. Dans les conditions créées par le
traité de 1763, le gouvernement des colonies américaines
exigeait une extrême habileté et de grands ménagements.
La législation qui réglait les rapports commerciaux de
la Grande-Bretagne avec ses colonies, assurait aux négo-
ciants de la métropole des bénéfices excessifs. Les Améri-
cains s'inclinaient devant l'omnipotence que s'était ar-
rogée, sur celte matière, le Parlement anglais. Les perles
qu'ils éprouvaient constituaient, A leurs yeux, l'équivalent
LIVRE I. 59
des impôts payés par les habitants des îles britanniques
pour subvenir aux dépenses publiques. S'ils ne récla-
maient aucun allégement aux charges qui pesaient sur
eux, ils n'étaient pas disposés à en supporter de nou-
velles. Pendant la guerre, la Grande-Bretagne avait
augmenté sa dette dans une proportion considérable.
Lorsque la paix fut conclue, le gouvernement trouva
équitable de demander aux colonies de TAmérique quel-
ques sacrifices, en échange des avantages qu'elles avaient
retirés du traité de Paris. En 1763, la Chambre des com-
munes vota, sur la proposition des ministres, Timpôt
du timbre. Cette nouvelle souleva, de l'autre côté de
l'Atlantique, de nombreuses protestations. Les assem-
blées provinciales déclarèrent illégal et inconstitutionnel
tout impôt ou taxe établi par le Parlement britan-
nique, dans lequel les Américains n'avaient pas de re-
présentants. Ce mouvement d'opposition fut d'autant plus
marqué que, depuis une année, les colons, prévenus des
projets du ministère, se préparaient à la résistance.
L'unanimité avec laquelle le nouvel impôt fut repoussé
par toutes les classes de la population, alarma les mi-
nistres. Convaincus qu'ils seraient obligés de recourir à
la force, s'ils voulaient mettre la loi à exécution, ils en
demandèrent, eux-mêmes, l'abrogation. La Chambre des
communes y consentit, mais elle affirma très-nettement
sa souveraineté en déclarant « que les colonies étaient
dans la dépendance absolue de la Couronne et du Parle-
ment de la Grande-Bretagne, lesquels possédaient l'auto-
rité nécessaire pour faire des lois auxquelles les colonies
étaient tenues d'obéir dans toutes les circonstances et
dans tous les cas possibles. » La lutte se trouvait ajour-
née à l'époque où l'Angleterre croirait le moment venu
de faire l'application de ce principe. Deux années s'écou-
lèrent, pendant lesquelles aucune cause de dissentiment
grave ne surgit entre les colonies et la métropole. Dans
le courant de l'année 1767, le gouvernement décida, avec
l'autorisation des Chambres, qu'une taxe serait perçue
HISTOIRE DE LA MARIXE FRANÇAISE.
sur certaines marchandises importées d'Angleterre en
Amérique, telles que le thé, le verre, le papier, le plomb,
le carton et les couleurs. Celle disposilion fut très-mat
accueillie par les colons qui ne pouvaient voir dans les
nouvelles taxes qu'un impùt déguisé. D'un commun ac-
cord, ils résolurent do ne plus faire usage des marchan*
dises dont l'eutrée était frappée d'un droit. Sur la pro-
position de lord Norlli, devenu premier ministre en 1770,
le Parlement supprima toutes les taxes, sauf celle qui
avait été mise sur le thé. C'était une illusion de croire
que celle concession ramènerait le calme dans les esprits.
Kn laissant subsister la taxe sur le thé, le ministre main-
tenait intact le droit, pour la Couronne et le Parlement,
d'établir des impôts. Or, c'élail contre ce droit que S'éle-
vaient les Américains, quelque nom qu'il prit et Bous
quelque forme qu'il se présentdt.
L'assemblée de Virginie délibéranl, en 1765, sur l'impôt
du timbre, avait adopté, sur la proposition de JcfTerson,
qui fut plus tard président de la république, la résolution
suivante : « Celle assemblée possède seule l'autorité né-
cessaire pour établir des impôts dans cette colonie. L'ne
personne ou un corps quelconque, autre que ladite as-
semblée générale, qui tenterait d'e-\ercer ce pouvoir,
violerait & la fois les libertés britanniques et les libertés
américaines. » Celte résolution exprimait Pidélement l'opi-
nion de la grande majorité du peuple américain daos la
question imprudemment soulevée par l'Angleterre. Soit
que les colons eussent fait A l'amour de l'indépendaDce
le sacrifice de leurs habitudes, soit que les contrebandiers
eussent introduit le thé nécessaire ik la consommation, la
nouvelle luxe ne rapporta rien au trésor. Le gouverne-
ment dissimula son mécuntentcmcnt.ct quelques années
s'écoulèrent pendant lesquelles la tranquillité ne fut pas
troublée. En 1773, l'arrivée à Boston de trois bâtiments
chargés de thé fit éclater une émeute dans la ville. La
foule se porta & bord de ce^ trois bâtiments, dont les car-
gaisons furent jetées à la mer.
LIVRE I. 61
Depuis le début de la crise dont nous venons de tracer
le rapide tableau, les ministres de la Grande-Bretagne
s'étaient montrés inférieurs à leur tâche. Reculant devant
remploi de la force pour triompher de la résistance des
Américains, manquant de sincérité et de franchise lors-
qu'ils faisaient des concessions, ils n'avaient su être, à
propos, ni énergiques, ni conciliants. Par son peu de
clairvoyance, le gouvernement de la Grande-Bretagne
avait conduit, lui-même, les choses au point où elles
étaient arrivées. En apprenant ce qui s'était passé à Bos-
ton, la Couronne et le Parlement encouragés, il faut le
dire, par l'opinion générale, se disposèrent à agir avec
vigueur. Il fut défendu de charger ou de décharger des
marchandises sur les quais de la ville de Boston. Le port
fut fermé, et la douane reçut Tordre de se rendre à Sa-
lem. On suspendit la charte de TÉtat de Massachussetts
(Boston est la capitale de cet État), et tous les pouvoirs
passèrent entre les mains du représentant de l'autorité
royale. Enfin, des troupes, commandées par le général
Gage, furent chargées d'assurer l'exécution de ces me-
sures. L'ensemble de la population américaine n'avait
pas encore envisagé, d'une manière sérieuse, la possibi-
lité de rompre le lien qui attachait les colonies à la mé-
tropole. Les décisions du Parlement britannique pous-
sèrent les esprits dans cette voie. Il ne restait plus aux
Américains que le choix entre deux partis, celui de la
résistance armée ou de la soumission la plus entière. Si
les ministres pouvaient impunément supprimer la charte
de l'État de Massachussetts, ce n'était plus seulement leur
argent, mais leur liberté qui était menacée. Un congrès,
composé de députés nommés par les différents États, se
réunit à Philadelphie dans le mois de septembre 1774.
Cette assemblée, après avoir protesté contre l'illégalité
du traitement infligé à la ville de Boston et à l'État de
Massachussetts, déclara qu'il était du devoir des citoyens
américains de repousser la force par la force. Ces conseils
furent entendus, et les milices provinciales prirent les
IIISTÙIRE DE LA MARINE FRANC-AISE.
armes. La première rencontre des troupes royales avec les
insurgés eut Heu le 19 avril 1775. 11 existait à Concon),
petite ville située 4 vingt milles de Boston, un dépôt de
munitions et d'approvisionnements militaires. Un détache-
ment, expédié par le général Gage pour le détruire, ren-
trait, après avoir accompli sa mission, lorsju'il fut atta-
qué près du bourg de Lexington. Les Anglais, harcelés pur
leurs adversaires jusque sous les murs de la ville de Bos-
ton, firent des pertes très-sérieuses. Le k juillet 1776, le
congrès déclara solennellement l'indépendance des colo-
nies anglo-américaines. Les treize États dont les noms
suivent : New-Hampshire, Massachussetls-bay, Bhode-
Island, Conneclicul, New-York, New-Jersey, Pensylvanie,
Delaware, Marytand, A'irgiiiic, la Caroline septentrionale,
la Caroline méridionale et la Géorgie formèrent une con-
fédération qui prit le nom d'Ëtats-Unis d'Amérique.
H
Le duc de Choiseul, qui avait pris le portefeuille de la
marine à In place de Berryer, en 1761, avait, au plus
haut degré, le sentiment de l'honneur national. S'il avait
négocié, de concert avec son cousin le comte deChoiseul-
Praslin, alors ministre des alTaires étrangères, le traiUi
de 1763, c'était avec l'espoir que la France, mieux gou-
vernée, serait, un jour, en mesure de venger l'humilia-
tion qu'elle était contrainte de subir. La pai\ était à peine
conclue, qu'il travaillait avec ardeur à relever la marine
de son abaissement. Le moment était favorable pour
tenter encore une fois de rétablir noire puissance navale.
Le commerce maritime avait pris, depuis lo commcnec-
ment du dix-huitième siècle, un très-grand développe-
ment. La perte des colonies cédées & l'Angleterre, en
verlu du Iraité de Paris, avait porté atteinte k de nom-
breux întérèls. Une réaction très-marquée kc produisit en
faveur de la marine militaire, dont le pays, éclairé par
LIVRE I. 63
les événements, comprit mieux la nécessité. Déjà,
en 1762, dans un élan de patriotisme, la ville de Paris,
les États du Languedoc , de Bourgogne , des Flandres et
de TArtois, le parlement et la ville de Bordeaux, l'armée,
l'ordre du Saint-Esprit, la corporation des marchands
de Paris, le commerce de Marseille, les receveurs et fer-
miers généraux avaient fait don à l'Etat des fonds néces-
saires à la construction de quinze vaisseaux de ligne ^
Le duc de Choiseul, qui était, sinon le premier ministre,
du moins le personnage principal du cabinet, fit accorder
au département de la marine les crédits nécessaires pour
pousser les constructions et remplir nos magasins.
En 1766, il échangea, avec son cousin, le duc de Choiseul-
Praslin, le département de la marine contre celui des
affaires étrangères. Le nouveau ministre apporta, dans
la direction des affaires maritimes, le même zèle et la
même ardeur que son parent. Lorsqu'à la fin de 1770,
une disgrâce imméritée et due à d'indignes motirs les
enleva tous deux à l'œuvre patriotique qu'ils poursui-
vaient, la France possédait soixante-quatre vaisseaux de
ligne, cinquante frégates ou grosses corvettes, et cin-
quanle bâtiments d'un rang inférieur. Le port de Lorient
et le matériel de la compagnie des Indes étaient devenus
la propriété de l'État. Aussi longtemps qu'il garda le
pouvoir, le duc de Choiseul suivit avec la plus grande
attention ce qui se passait de l'autre côté de l'Atlantique.
11 prévoyait l'insurrection des colonies anglaises, et il
était convaincu que cet événement fournirait à la France
l'occasion de réparer les malheurs de la dernière guerre.
M. de Vergennes, devenu, en 1774, ministre des affaires
étrangères, envoya en Amérique un agent chargé, quoi-
qu'il n'eût aucun caractère officiel, d'entrer en relations
avec les membres les plus importants du congrès. A la
fin de l'année 1775, les colons adressèrent à la France,
1. Od retrouvera ces vaisseaux dans les escadres de la guerre de l*indé>
peodance américaine.
64 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
par rintermédiaire de cet agent, une demande de secours.
Louis XVI était très-indécis relativement à la ligne de
conduite que son gouvernement devait adopter. Turgot,
qui était alors ministre des finances, insistait, dans le
conseil, pour que la France observât la plus stricte neu-
tralité. Il regardait comme utile à nos intérêts que l'An-
gleterre triomphât de la résistance des insurgés. Si les
colonies sortaient épuisées de la lutte, elles ne pour-
raient, pendant un temps assez long, fournir aucun se-
cours à la métropole. Dans le cas où, après leur soumis-
sion, elles conserveraient quelque vigueur, les Anglais,
craignant un nouveau soulèvement, maintiendraient en
Amérique des forces considérables. Dans Tune et Tautre
hypothèse, la puissance britannique serait amoindrie,
sans que ce résultat nous eût coûté aucun sacrilice. « En
parcourant avec M. le comte de Yergennes, disait Turgol
dans un mémoire portant la date du mois d'avril 1776,
les différentes manières dont on peut supposer que se
terminera la querelle de l'Angleterre avec ses colonies, il
m'a paru que l'événement le plus désirable, pour l'in-
térêt des deux Couronnes, serait que l'Angleterre sur-
montât la résistance de ses colonies, et les forçât à se
soumettre à son joug*. Le ministre des affaires élran-
1. Ce mémoire esl intitulé : Rr flexions rviliijces ù ioccaaion tlu mémoirt
remis par M. le comte de Vergennes sur la manière dont la France et
CEspagne doivent envisager les suites de la querelle contre la Grande^
Bretagne et ses citlonies. \jx ^ituation embarrassée de nos liiiancet; î»e
trouve clairement indiquée dans un {>as>age du même mémoire. Les ren-
seignemeuls très-|»récis qu'il contient ont non-seulemenl |K»ur I histoire de
celte jruerre. mais pour les événements suL»>é«{uents, une imporlance par-
tieulièrt\ C'est |Htun]uoi nous le tran>crivons ci-apn-s : « Le hoi. di>ait Tur-
^<»t. connaît la situation de ses linances. 11 sait que. malgré les économies
et les améliorations déjà faites depuis le commencement de son rèjme, il y
a eiilre la recette »'t la dep^Mise une ditTereuce de 20 millions dont la dépense
evrt'de A la vérité, dans la dépense, sont compris les remtK>un»ements
awiirnes. mais auxquels le Itoi ne peut maiK{uer sans altérer la foi publique
et le cn^lic. H n > a que trois moyens de remplir ce delicil : une augtnenta-
tion d imjNJIs une tK-m'iiierctute (dus ou moins forte, plus ou moins de?ui>ée,
et une CK'onouiie considérable soil dans les dépenses, soit dans les fniis de
|erce,>lion la l>.»nlo du lloi, sa justice, le soin ae sa gUnn? lui ont (ait. dés
LIVRE I. 65
gères était loin de partager l'opinion de Turgot. 11 n'ad-
mettait pas que la France restât simple spectatrice des
troubles qui agitaient les colonies anglaises, et négligeât
roccasion qui se présentait d'affaiblir sa rivale. M. de
Yergennes estimait qu'il fallait de grandes illusions pour
croire à la possibilité de conserver la paix. Si la guerre
était certaine, il était d'une bonne politique de nous assu-
rer, à l'avance, des alliés. Une rupture avec l'Angleterre
lui semblant prématurée, il était d'avis que le cabinet de
Versailles continuât à vivre en bonne intelligence avec la
cour de Londres. D'autre part, il proposait de donner des
encouragements aux insurgés et de leur faire passer se-
crètement des secours. Si la situation venait à se modi-
fier, le gouvernement français conformerait sa conduite
aux événements. Les idées de M. de Yergennes prévalu-
rent dans le conseil, et le Roi leur donna son approbation.
La franchise et la sincérité sont aussi nécessaires dans les
relations internationales que dans les rapports entre les
personnes. Aussi doit-on désapprouver les moyens dont
M. de Yergennes recommandait l'emploi. Mais il est utile
de faire remarquer (juc les Anglais n'avaient, sur ce
le premier luomenl, rejeter le moyen de la banqueroute en tout temps et
celui d'une augmentation d'impôt pendant la paix. ïa voie de l'économie
est possible-; il ne faut pour cela qu'une volonté ferme. La première éco-
nomie doit être celle des dé|>enscs, parce qu'elle seule peut fonder la
cuntiancc du public, et parce que la confiance du public est nécessaire pour
trouver à gagner dans la partie des finances en remboursant des engage-
ments trop onéreux, ce qui ne se peut faire qu'en empruntant à des deniers
plus avantageux. En même temps que le Roi a trouvé ses finances obérées et
en désordre, il a trouvé son militaire et sa marine dans un état de faiblesse
qu'on aurait eu peine à imaginer. Tour les rétablir et rendre îi la Franco le
degré de force et de considération qu'elle doit avoir, il faut que le lioi dé-
pense, lorsque Tétat de ses finances lui prescrit d'épargner. Notre état,
néanmoins, n'est pas tellement désespéré que, s'il fallait absolument soutenir
une guerre, on ne trouvât des ressources, surtout si c'était avec une proba-
bilité de succès qui pussent en abréger la durée. Mais au moins faut-il
avouer qu'on doit l'éviter comme le plus grand des mallieurs, puisqu'elle
rendrait im|>ossiblc, pour bien longtemps et peut-être pour toujours, une
réforme absolument nécessaire à la prospérité de l'État et au soulagement
des peuples. En faisant un usage prématuré de nos forces, nous risquerions
d'éteiTiiser notre faiblesse. »
5
66 HISTOIRE DE LA MAKINE FRANÇAISE.
point, aucun reproche à nous adresser. En juin 1755,
Tamiral Boscawen attaquait, avec des forces supérieures,
Tescadre de Tamiral Dubois de la Motte et lui prenait deux
vaisseaux de soixante-quatre, le Lys et VA Icide. Au même
moment, les croiseurs britanniques et les corsaires en-
levaient deux cent cinquante navires marchands. Pen-
dant que ces faits s'accomplissaient, la cour de Londres
semblait prendre au sérieux les négociations entamées
avec le cabinet de Versailles pour arriver à un arran-
gement amiable des difficultés survenues entre les -gou-
verneurs des colonies anglaises et françaises dans l'Amé-
rique septentrionale. La république de Gênes avait cédé
à la France, en 1768, Tlle de Corse dont nous occupions
les parties principales depuis 1764. L'Angleterre ne s'était
pas opposée à l'exécution de notre traité avec la Répu-
blique, mais elle avait fourni de l'argent et des armes
au général Paoli ({ui refusait de reconnaître notre sou-
veraineté. Enfin, nous savions que des démarches trës-
actives étaient faites pour amener une entente entre l'An-
gleterre et l'Amérique. Les deux pays se seraient unis
pour nous faire la guerre, et l'indépendance des colonies
américaines eût été le prix de celle alliance. Ce |)rojel
était soutenu à Londres par des [)ersonnages poUti<iues
jouissant, de l'un et l'autre côté de l'Atlantique, d'une
grande influence.
Après la déclaration solennelle du 4 juillet 1776, le con-
grès avait décidé Tenvoi, dans (|uel(|ues-unes des cours
de l'Europe, de commissaires chargés de plaider la cause
des Élals-Unis. Le célèbre Franklin, messieurs Silas
Deane et Lee, désignés pour se rendre on France, trouvè-
rent, à Paris, un très-bon accueil. M. de Yergennes ne les
reçut pas oHiciellemenl, mais il entra immédiatement en
relation avec eux.
Le cabinet de Versailles ne trouvait pa^ que le moment
fiU venu de se départir de la ligne de con<luile qu'il
avait adoptée. Il faisait parvenir, par la voie du commerce,
des armes, des munitions et de l'argent aux insurgés.
LIVRE I. 67
Dans nos ports, les Tonctionnaires de la douane fermaient
les yeux sur les envois d'objets de matériel de guerre
faits par nos négociants, pour leur propre compte ou
pour celui des insurgés. Nous devons nous empresser
d'ajouter que la cour de Londres, malgré les défenses les
plus formelles, ne pouvait empêcher les armateurs an-
glais de faire le même genre d'opérations. La catastrophe
(lu général Burgoyne', battu à Saratoga, le? octobre 1777,
et réduit, quelques jours après, à mettre bas les armes,
précipita les événements. Toutes les puissances de l'Eu-
rope crurent au triomphe de l'insurrection américaine.
Dans le sein du parlement britannique, des voix s'élevè-
rent pour conjurer le gouvernement de ne pas poursuivre
une lutte pleine de périls. Franklin et ses collègues, sai-
sissant avec ^habileté le moment favorable, insistèrent
auprès de M. de Yergennes pour obtenir une réponse ca-
t^orique aux demandes de secours qu'ils lui avaient
adressées. Le cabinet de Versailles, quel que fût son dé-
sir de temporiser, ne pouvait échapper à la nécessité de
prendre un 'parti. La cause des États-Unis avait excité
dans tous les rangs de la société française un enthou-
siasme très-sincère. La nation avail, en outre, le pressen-
Ument que l'insurrection des colonies anglaises lui per
inellrait de déchirer les traités de 1763 dont elle gardait
'c plus amer souvenir. Le gouvernement pouvait difficile-
ment résister à ce double courant d'opinion. Le Roi, qui
éprouvait une très-grande hésitation à s'engager dans
celle guerre, surmonta ses derniers scrupules et il auto-
^^^ son ministre des affaires étrangères à entamer des
"^^ociations avec les envoyés du congrès. Le 6 février 1 778,
^û traité de commerce et d'amitié fut conclu, à Paris,
^"Jtre les États-Unis et la France. Cet acte diplomatique
instituait, de la part du cabinet de Versailles, la recon-
'^^issance implicite de l'indépendance américaine. Il n'é-
1- Le désastre de Burgoyne à Saratoga fut connu^ à Paris, dans les pre^
^•crs jours de décembre.
68 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
lait pas douteux que la guerre avec TAnglelerre ne fût la
conséquence de notre conduite. En prévision de cet évé-
nement, les plénipotentiaires français et américains signè-
rent un second traité qui fut tenu provisoirement secret.
ce Sa majesté très-chrétienne et les États-Unis d'Amérique,
était-il dit dans le préambule, ayant conclu aujourd'hui
un traité d'amitié et de commerce, pour l'avantage réci-
proque de leurs sujets et citoyens, ont cru nécessaire de
prendre en considération les moyens de raffermir ces en-
gagements, et de les rendre utiles à la sûreté et à la tran-
quillité des deux parties, surtout dans le cas que la
Grande-Bretagne, par ressentiment de cette liaison et de
bonne correspondance, qui est l'objet du dit traité, rom-
pit la paix avec la France, soit par des hostilités directes,
ou en empêchant son commerce et sa navigation, d'une
manière contraire au droit des gens ou aux traités qui
subsistent entre les deux couronnes : et Sa Majesté et les
dits États-Unis ont résolu de joindre dans ce cas leurs
projets et leurs efforts contre les entreprises de leur en-
nemi commun*. » Si cette dernière hypothèse venait à se
réaliser, nous prenions l'engagement de ne pas poser les
armes avant que rAnglctcrre eût reconnu l'indépen-
dance de l'Amérique. Après la conclusion de ces deux
traités, le Roi reçut Franklin comme le représentant oftî-
1. Nous donnons ci-après les arlicles les plus inléressanls de ce traité :
Art. 2. ïa" l»ul essentiel et direct de la présente alliance défensive est de
maintenir efficacement la liberté, la souveraineté et rindéi)endancc absolue
et illimitée des dits Ktats-Unis tant on nature de gouverneiucDt que de
commerce.
Aht. g. Sa majesté très-clirélienne renonce pour Jamais à la possession
<1<'S lies des Itermudes, ainsi qu'il celle <raucuno partie du continent de
rAméri«iue septentrionale (pii, avant le trailé, a été reconnue comme appar-
tenant à la (N>uronne iU*. la (îrande-llretairne ou aux Ktals l'nis, ci-devant
upiH^lés colonie» britanniques ou <{ui est à présent ou a été récemment sous
le |»ouvoir du Itoi et de la (^oun>rmt> de la (irande-Hrelaf^ne.
Aht. 8. Aucune des deux parties ne conclura ni i>aix ni trévo avec la
(irandc-hreta^no sans en avoir obtenu au préalable le consentement formel
dt* l'autre, et i-lles sVnga^ent nmtuellement à ne pas mettre t>as les armes
u\'aut <|U(' l'indépendance de> Ltats-tnis ne soit assurée formellement on
tacitement, par le traité ou les traités qui termineront la guerre.
LIVRE I. 69
ciel des États-Unis. Sans attendre les demandes d'expli-
cations de l'Angleterre, le gouvernement français or-
donna au marquis de Noailles, notre ambassadeur auprès
du Roi George, de notifier au cabinet de Saint-James le
traité de commerce et d'amitié conclu le 6 février 1778.
La cour de Londres, ainsi qu'on devait le supposer, ré-
pondit à cette communication par le rappel de son am-
bassadeur. Quoique décidée, dès ce jour, à nous faire la
guerre, l'Angleterre dissimula son ressentiment. Avant de
pousser les choses plus loin, elle voulut assurer la ren-
trée de ses flottes marchandes. Le personnel qui les mon-
tait lui était nécessaire pour former les équipages des
nombreux bâtiments qu^)lle possédait dans ses arsenaux.
Deux escadres furent armées, l'une, & Portsmouth, à la
tète de laquelle fut placé l'amiral Keppel, et l'autre, &
Plymouth, sous le commandement de l'amiral Byron.
L'ordre fut envoyé dans l'Inde, par la voie de Suez, de
nous attaquer sans délai. Ces dispositions prises, le ca-
binet de Saint-James résolut d'attendre le moment qui lui
semblerait le plus favorable pour commencer les hostili-
tés en Europe.
Depuis le conunencement de cette crise, nous n'avions
pas augmenté d'une manière sensible les forces que nous
entretenions pendant la paix. L'attitude menaçante de
l'Angleterre, après le rappel de son ambassadeur, modifia
les allures circonspectes de notre gouvernement. Outre
les frégates ou autres bâtiments d'un rang inférieur des-
tinés à protéger notre commerce, le ministère fit préparer
deux escadres, l'une à Toulon, sous les ordres du lieute-
nant général d'Estaing, l'autre à Brest, commandée par le
lieutenant général d'Orvilliers. Quelques troupes, des vi-
vres et du matériel furent expédiés dans les colonies. Le
13 avril 1778, le comte d'Estaing mit à la voile avec les
vaisseaux le Languedoc de quatre-vingt-dix, le Tonnant
de quatre-vingts, le César ^ V Hector y le Zété^ le Guerrier ,
kMarseillais et le Protecteur ^ de soixante-quatorze, le Vail-
lant^ la Provence et le Fantasque^ de soixante-quatre, et le
70 HISTOIRE DK l.A MARlNtl FRANi.:AISE.
Haffillaire de cinquante. Cch bAlimisnU étaient comnian-
dés pur IcB capitaines de vaisseau de Boulainvilliers, de
Bruyères, do Itaymondis.dc Burras Saint-Laurent, Moriès-
CastcIlet,deBougainïille,Lapoypc-Verlrieux,d'Apchon,dc
Clinbert, de Champorcin, commandeur de Suffren et d'Al-
bert de Rions. Les chefs d'escadre de Broves et de Breu-
gnon avaient leur pavillon sur les vaisseaux le César et le
7'untiant,elle lieutenant général d'Estaing montait le Lau-
^çuei^r. Le gouvernement français avait fait r<^pandre, à
dessein, le bruit que cette escadre se rendait h Brest. En
réalité, elle faisait route vers les côtes de l'Amérique sep-
tentrionale. M. Gérard, nommé minisire plénipotentiaire
de la cour de France près le congrès des Etats-Unis, et un
des envoyés américains, Si las Deane, avaientpris passage
sur le vaisseau amiral. Chacun d'eux avait dissimulé son
nom et sa qualité. Jusqu'au moment où toute communi-
cation avec la terre avait été interrompue. Nous savions
que les Anglais avaient, sur les eâtes de l'Amérique sep-
ienlrionale, douze vaisseaux, six de soixante-quatre et
six de cinquante. L'amiral Howe était mouillé, avec nenf
vaisseaux, à l'embouchure de la Delawure. On espérait,
à Paris, que d'Estaing surprendrait cette escadre et la dé-
truirait. Dans cette hypothèse, le général Clinton, qdij
occupait Philadelphie, pris entre la flotte française ti'
l'armée américaine, eùl été forcé de capituler. Si, à notre
arrivée sur les câtes d'Amérique, les Anglais n'étaient
plus & l'embouchure de la Delawaro, il était prescrit au
comlc d'Estaing de les attaquer partout oii il pourrait le
faire avec avantage. Le gouvernement laissait & cet ol
cîer général une très-grande liberté d'action, mais il
tendait qu'il profitât de sa supériorité pour tenter qt
que entreprise glorieuse pour nos armes et utile A
alliés. Dans le cas où l'amiral Howe recevrait des renfc
assez considérables pour nous placer dans une positii
d'iofériorité marquée, nous devions nous retirer &
ton, et, de là, faire roule pour lu mer des Antilles.
Le cabinet de Vrrsaillew fuisait d'at'livtrs démai
4
LIVRE I. 71
pour amener la cour de Madrid à conclure avec la France
un traité d'alliance offensive et défensive. Louis XVI, joi-
gnant son action à celle de ses ministres, écrivit plusieurs
lettres très-pressantes au Roi Charles III pour le décider
à suivre noire politique. Il semblait naturel que l'Espa-
gne profitât du conflit anglo-américain pour réparer les
perles qu'elle avait faites pendanl la dernière guerre.
Mais cette puissance, maîtresse de vastes territoires situés
hors d'Europe, voyait avec plus d'inquiétude que de satis-
faction le soulèvement des colonies anglaises. Quoiqu'elle
eût à l'affaiblissement de l'empire britannique un intérêt
particulier, elle jugeait impolitique de poursuivre ce but
en faisant cause commune avec des rebelles. Elle voulut
s'interposer entre la France et l'Angleterre, mais le cabi-
net de Sainl-James ayanl posé comme condition préalable
à toute négociation le retrait de la note du 13 mars^, la
bonne volonté de l'Espagne demeura sans résultat. Pen-
dant que les trois puissances faisaient entre elles un
échange inutile de notes diplomatiques, nos relations
avec l'Angleterre annonçaient une rupture très-prochaine.
De nombreuses plaintes s'élevaient, dans nos ports de
commerce, contre les procédés de la marine britannique.
Des navires marchands, arrêtés contrairement au droit
des gens, avaient été conduits dans les ports anglais, et
nous en réclamions en vain la restitution. Nos officiers
rencontraient, chaque jour, sur nos côtes ou dans la Man-
che, des bâtiments de guerre anglais. Lorsque les croi-
seurs des deux nations passaient à petite distance les uns
des autres, les équipages étaient à leurs postes de combat
et prêts à commencer le feu*. L'Angleterre se chargea de
dénouer cette situation.
1. C'était après la remise de cette note par le marquis de Noailles que
TAngleterre avait rappelé son ambassadeur.
2. Ce qui suit donnera une idée exacte des relations des deux marines.
La Pérouse, alors lieutenant de vaisseau, étant en croisière dans la Manche
arec une corvette qu'il commandait, fut chassé par quatre bâtiments. Il
continua sa route, ainsi que le lui prescrivaient ses instructions. Quelques
heures après, il fut joint par deux corvettes et deux sloops. Une des cor-
Les frégates la Belle-Poule et la Licoitie, la corvette
Vllirnnilclle et le lougre le Catirenr sortirent de Brest, le
15 juin 1778. Ces bAliments, placés sous les ordres du ca-
pitaine de la Belle-Poule, le lieutenant de vaisseau
Cliadeuu de la Cloclieterie, étaient cnvoyt^s en croisîfcrc,
à l'entrée de la Manche. Le 17, dans la matinée, cette di-
vision courait, les amures A bAbord, avec une brise
d'ouest-sud-ouest, lorsqu'elle se trouva en vue d'une
escadre anglaise. Quoique la guerre ne fAt pas déclarée,
M. de la Ciocheterie crut prudent de prendre la bordée
qui le conduisait sur Ouessant. Les Anglais suivaient
la même roule, et quelques-uns de leurs bAtiments se
rapprochèrent rapidement des nôtres. Le commandant
de la division donna liberté de manœuvre à l'Hirondelle
et A la Licorne, adn de permettre A ces deux navires de
s'éloigner sous l'allure la plus favorable A leur marche.
Ayant remarqué qu'un cotre et une frégate avaient pris
la tète des chasseurs, il conserva auprès de lui le lougre
le Coureur. Dans l'après-midi, la Licorne, coimnandêe
par M. de Belizal, lieutenant do vaisseau, fut jointe
par une frégate que suivait de près un vaisseau A deux
ponts. Le capitaine de la Licorne, informé par la frégate
anglaise que le commandant en chef de l'escadre britan-
nique le priait de passer A poupe de son vaisseau, se di-
veUei le lirila el lui demaniln it'ota il venait cl où 11 alJuit : a|irj« avoir dH
qu'il venait de lireat et qu'il allait b la uiar, il adrciM lu mfme quMtion k
l'nrUrier qui l'avait interpellé. Celui-ci rd|)onilil qu'il venait dt> PlyniouUi,
pui« Im b&timents anglais s'éloigntrenl. • Kuus avionn Tait, ajoute La P*-
rouw! duia soD rapport, nos dispositions pour le cuniliat, mus noua dow
flme* des polilvssas en nom quittant. • Lettre de La Pérouse au minislrt
du 2» mare ■';». Ilans la tatt des Antilles, les fait* avaient plus de fi«*il4.
Les croiseurs britanniques poursuivaient les navjrvs américains Jusque dan*
les bfties ol les criques des Iles rran^istss. Lorsque cm fttils «e produtsueal
dans le voisinage d'une lisltoric de cAte, nos cannnnieTs ouvraient iamé-
diatenient le teu >ur \t» Anglais.
i
LIVRE I. 73
rigea sur le Victory^ à bord duquel était arboré le pa-
villon du vice-amiral Keppel. A six heures el demie du
soir, la frégate VArethusa, capitaine Marshall, était à
petite distance par la hanche de sous le vent de la Belle-
Poule. Parvenu à portée de voix, le capitaine anglais in-
vita, en termes polis, rofficier qui commandait la frégate
française à se rendre auprès de Tamiral Keppel. M. de
la Clocheterie manœuvra tout d'abord pour enlever à
YArethxAsa l'avantage de la position qu'elle avait prise.
Lorsqu'il se fut placé par son travers, il fit connaître au
capitaine Marshall sa détermination bien arrêtée de ne pas
s'écarter de sa route. VArethxisa lui ayant envoyé sa bor-
dée, il riposta sur-le-champ, et un combat très-vif s'en-
gagea entre les deux b&timents, à la vue de Tescadre
anglaise qui était encore à quelques lieues en arrière.
Les deux frégates couraient grand largue, avec une légère
brise d'ouest qui les portait sur la côte de Bretagne. Vers
onze heures et demie, la mâture et la voilure de VAre^
thusa étaient dans le plus grand désordre. Craignant, s'il
tardait davantage, d'être hors d'état de se retirer du feu,
le capitaine Marshall manœuvra pour rallier son esca-
dre. M. de la Clocheterie ne poursuivit pas ÏArethusa
qui l'eût conduit sous la volée des vaisseaux anglais*. 11
continua sa route, et, à minuit, il mouilla dans l'anse de
Camplouis,surlacôtede Plouescat. L'^teW, c'était le nom
du cotre anglais, et le lougre français n'étaient pas restés
1. I^ frégate VArethusa devait avoir, neuf mois après, un destin plus
làcheux. ïje 10 mars 1779, à la chute du jour el par un temps assez mau-
vais, M. de la Bretonnièrc, commandant la frégate VA igrelle, qui se trou -
Tait trés-prés de l'entrée de Brest, puisqu'il était en dedans des pierres
noires, fut très-surpris de reconnaître, dans un b&timent en vue à petite
distance, une frégate ennemie qu'il ne s'attendait certainement pas à ren-
contrer là. Après un engagement assez court, cette frégate serra le vent ;
peu après VArethusa, car c'était elle, toucha sur Tlle Molène où elle fut
promptement détruite par la mer. L'équipage gagna la terre, à l'exception
de quinze hommes qui tentèrent d'atteindre la côte d'Angleterre dans une
chaloupe. VArelhiisaj sortie peu de jours avant des ports d'Angleterre, se
croyait à cinquante lieues au large d'Ouessanl. Les Anglais se plurent à re-
connaître que l'équipage de VArelhiisa avait été traité par les Français avec
la plus grande humanité.
HISTOIRE LIE LA MARINU FRANÇAISE.
simples spectateurs de l'engagement des deux frégates.
L'Alet't avait quatre-vingts hommes d'équipage, douze
canons de six livres de balles et douze perriers. Le Cou-
reur n'avait que cinquante matelots, huit canons de deux
livres de balles, deux de trois et six perriers. Le capitaine
du lougre, M. de Rosily, enseigne de vaisseau, n'était
pas disposé à tenir compte de la supériorité de son adver-
saire. Au premier coup de canon tiré par cette frégate, il
envoya sa volée 4 VAlert. Après un engngoment très-vif
qui dura Jusqu'à neuf heures, le lougre amena son pa-
villon'.
Le IS juin, au point du jour, la Belle-Poule aperçut
deux vaisiieaux anglais qui l'observaient. Hais les capi'
laines de ces bâtiments, reculant devant la difliculté
d'arriver jusqu'à la frégate française, rejoignirent leur
escadre qui les attendait au large. La Beltc-Pouta entra &
1. L'vlrctAutu joignit la Belle-Pnulr, et lo colre ru préienU le long do
mon boM, sous le vunL H n'y a pa* de vaiMsau de Mii\nDte-i|uaton!<- uuMJ
furtamenl l^istingiic. An momi^nt du coinl>«l on no pouvait voir un soni
hoiuaic. Dîna mon lougre, l'Ëpaisgoar du bfttiment ii'pbI pua d'un poure «t
demi; je n'avaif ptùot de basUngagc, nous étiuns déco uvart» jusqu'à ti
boucle du «outier. J'avais buil canons de deux livres de balles, deu\ de
trois, six perriers, cinquante hommes tout compris. Le i^pilaine me dit ea
NDglaie d'aller trouver l'amiral, ^e lis d'sburd MOiblanl de ne pas l'enten-
dre; il ms le Ht répéter en ui&uvais Trantiais par plusieurii de oes gms, Jo
lui dis que non, et prenant le porte-voix, je lui dis on snglaii qu'il n'eût
|)Oint * se donner tant de peine, parce que j'étais décidé b ne point <f alUr
et ti no faire que te qup ina frégate ferait. Pondant la conviirsalion, à me-
sure que l'un des deux bltimcnls culoït ou allait de l'avanl de l'autre noua
nuuB suivions avi>c les ranons. VAi'clhui-ji se trouvant trés-prés en arrièro
de In BelU-l'auU |ar-dcBsova le vent, je vis notre frégate clionger sa route.
M. do ta Clochetcrie voulant apparemment changer la mauvaise poaiUoa
ub il se trouvait, je m'adreisai an capitaine da cotre et lui dis d'arriver
parce que ma fTé^e le faisait, et ipie, comme il me gtaait, s'il no se prê-
tait pas h ma manieuvre, je l'aborderais, mettant en m^me teiiipa mon goa-
veriMiil k hire arriver. Les frégates se Urérent du canon ; la mitraille même
de VAmhuta tomlin trét-prés de nous. Je tirai aussi ma volée sur le eotr«,
qui m* ripueta sur-le-champ. Nous cnntinuàines. pendant quelque temps, le
combat 11 petite portée de pistolet, ayant toujours chacun notre hunier sur
le mil. (Je ne voiilaii pas faire do voila, parce que, étant «Ar d'être pria,
j'avais suivi les frégates qui rombatlai^iit en fnituiiil mutr, le cotre se se-
11 encore trouve \ mémo d'oidur XArtihiaa, auioiti)! ipi'il m'aurait en-
LIVRE I. 75
Brest au milieu des acclamations enthousiastes de tous
les bâtiments mouillés sur la rade.
Le capitaine Bélizal, qui avait consenti à faire route sur
le Viciory, n'avait pu communiquer avec ce vaisseau
dans la journée du 17 juin. La matinée du 18 se passa
sans amener de changement dans la situation de la fré-
gate française. Le capitaine Bélizal, mécontent de lui-
môme, péniblement affecté du rôle qu'il jouait, prit la ré-
solution de faire de la toile et de s'éloigner. Avant de
mettre ce projet à exécution, il voulut tenter une dernière
démarche, et il expédia un canot porteur d'une lettre pour
le chef de l'escadre anglaise. Aucun des vaisseaux près
desquels il se trouvait, ne permit à l'embarcation fran-
çaise d'accoster le long de son bord. Celle-ci revenait vers
son bâtiment, lorsque deux coups à boulet furent tirés
sur la Licorne par le vaisseau YHector. Le capitaine Béli-
zal envoya sa bordée des deux bords aux vaisseaux qui
l'entouraient, et il amena son pavillon. La corvette l'/Zi-
le?é....) Je comballis ane heure et demie bord à bord dans cette position.
I^ combat avait commencé à sept heures et j'amenai à neuf. Je coupai
la vergue de b6me en deux endroits, j'abtmai toutes ses manœuvres et
voiles, et lui donnai quelques coups à fleur d*eau, mais jamais je ne pus
entamer son bastingage. Les canons étaient chargés d'un boulet de six, d'un
paquet de mitraille et d'une botte de fer-blanc remplie de balles. Ce sont des
canons courts, renforcés, qu'ils appellent « double fortiÛed », excellents dans
ces petits bâtiments, et qui peuvent se charger jusqu'à la gueule sans ris-
quer de les faire crever. Je n*aurais jamais pu être joint si j'eusse voulu fuir,
ayant un avantage considérable sur tous les b&timents quelconques. J'avais
adopté depuis peu un nouveau gréement qui avait été trouvé si avantageux,
tant pour la célérité de la manœuvre que pour la marche, dans ma dernière
croisière, sous les ordres de la Danaé^ que M. le comte d'Orvilliers s*était
décidé à me prendre pour sa découverte. Elle apercevait des bâtiments de
la tète de ses mais, me faisait signal de chasse, et je les joignais avec une
vitesse incroyable. Je me suis vu chasser dix b&timents qu'elle avait aperçus
à midi au vent, ne pouvant les voir de mon b&timent, les avoir joints à
six heures du soir, malgré qu'ils forçassent de voiles au plus près, et laisser
la Danaé à 4 lieues sous le vent à moi. Je n'ai jamais vu dans cette croi-
sière aucun bâtiment de quelque espèce que ce fût, que je ne l'aie gagné.
J'avais encore l'avantage, quand je suis sorti sous les ordres de la BelU-
PouUj d'être espalmé de frais. Je cite ceci pour faire voir que j'étais le
maître de n'être point pris, et que, si je l'ai été, ce n'est que par subordina-
tion et dévouement réel au service. Rapport de M. Rosily au ministre.
76 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
rondelle y le quatrième bâtiment de la division chassée,
le 16 juin, par Tescadre de l'amiral Keppel, avait pu
atteindre Tile de Batz. La frégate la Pallas^ qui était, de-
puis quelques jours, en croisière dans la Manche, fut
jointe, dans la matinée du 16 juin, par un vaisseau et
deux frégates. Les capitaines de ces trois bâtiments invi-
tèrent, tour à tour, l'officier qui commandait la frégate
française à passer à poupe du Victory. Ils affirmèrent que
leur amiral était animé, à Tégard de notre marine, des
sentiments les plus courtois. Son seul désir était d'avoir
la certitude que la frégate portait légitimement les cou-
leurs françaises. Les bâtiments américains, disaient les
Anglais, hissent le pavillon blanc lorsqu'ils nous aper-
çoivent, et, à Taide de ce subterfuge, ils par\1ennent &
nous échapper. Sommé de se'rendre, aussitôt que sa fré-
gate fut au milieu de l'escadre britannique, le capitaine
de la Patins amena son pavillon. La conduite déloyale
des Anglais ne pouvait excuser la faute que les capitaines
de la Pullas et de la Licorne avaient commise en n'oppo-
sant pas, ainsi que l'avait fait le lieutenant de vaisseau
de la Ciochcterie, un refus net et catégorique aux de-
mandes do l'amiral Keppcl.
Dans la lutte que M. de la Clocheterie avait soutenue pour
maintenir intact Thonncurde son pavillon, sa frégate avait
éprouvé des pertes considérables*. Le lieutenant de vais-
seau Green de Saint-Marsault, second de la Belle-Poule,
avait été tué; le capitaine de la (clocheterie, l'enseigne de
vaisseau de la Roclie Kerandraon et M. Bouvet, officier
auxiliaire, étaient au nombre des blessés. En rendant
comi)te au lieutenant général d'Orvilliers de son combat
avec YAvpthusa^ M. de la Clocheterie disait : « Je ne sau-
rais trop louer, mon général, la Naleur et le sang-froid de
mes ofliciers. M. le chevalier de Capellis a su inspirer toute
1. X.WrdhHfia et la lidh'-Poulr, louU's dfux de iiiômo forcv, avaient
roiiiluittii iiV(H* un vtM'ilahU* arliariiciiirrit. lu licUe-l*uuie avait viiif;t-si\
^alloll^ (Ir douze et quatre do neuf. !.«• rapiUine de la Clocheterie dit dan«
Kun rapjMirtque ÏArrihnêa avait vin^t-liuit canons do douze.
LIVRE I. 77
son audace aux équipages de la batterie qu'il commandait.
M. de la Roche Kerandraon qui a eu un bras cassé, une
heure et demie après le commencement du combat, a été se
faire panser, et il est venu reprendre son poste*. MM. Da-
mard et Sébire, officiers auxiliaires, se sont comportés avec
toute la bravoure et le sang-froid qu'on doit attendre des
militaires les plus aguerris. M. Bouvet, officier auxiliaire,
blessé grièvement, n'a jamais voulu descendre. Mon équi-
page est digne de partager la gloire que se sont acquise
mes officiers. » Le capitaine de la Belle-Poule fut nommé
capitaine de vaisseau, et M. Bouvet, lieutenant de frégate.
M. de la Roche Kerandraon, enseigne de vaisseau, reçut
la croix de Saint-Louis et une pension de quatre cents
livres. Une lettre de félicitation fut adressée, par ordre
du Roi, aux officiers et aux gardes de la marine. Le gou-
vernement accorda aux veuves des hommes tués pendant
le combat une pension de cent cinquante francs, avec
une augmentation de vingt francs pour chaque enfant.
Enfin, tous les hommes de Téquipage reçurent une grati-
fication de deux mois de solde. La dépêche du ministre,
annonçant les récompenses accordées à la Belle-Pouk^
arriva à Brest, par le retour du courrier qui avait porté
à Paris le rapport du capitaine de la Glocheterie.
La cour de Londres avait pris la résolution de nous
faire la guerre, le jour où elle avait eu connaissance du
traité de commerce que nous avions conclu avec les
États-Unis d'Amérique. Depuis le 15 mars, date du rap-
pel de son ambassadeur, elle s'était soigneusement abs-
tenue de toule démarche qui nous eût révélé ses inten-
tions. L'agression violente dont la division de M. de la
Glocheterie avait été l'objet, indiquait que le cabinet de
Saint-James jugeait le moment venu de commencer les
hostilités. Avant de donner à l'amiral Keppel la mission
de ramener les bâtiments de guerre qu'il pourrait ren-
contrer, l'Angleterre avait expédié des renforts dans toutes
1. M. de la Roche Kerandraon n'était âgé que de dix sept ans.
78 HISTOIRE DE LA MARINE I^'RANÇÂISE.
ses stations. Treize vaisseaux étaient partis pour rAmé-
rique septentrionale, où se trouvait déjà l'amiral Howc
avec onze vaisseaux. Un vaisseau de cinquante, le Romtiey^
et des frégates avaient été envoyés à Terre-Neuve. Deux
vaisseaux, sous le commandement de Tamiral Barring-
ton, étaient dans la mer des Antilles oii nous n'avions
que des frégates. Au milieu du mois de juin 1778, la
Grande-Bretagne avait cinquante vaisseaux & la mer et
vingt-cinq dans les ports de la Manche prêts à appareiller.
En ne prévenant pas l'attaque dont nous étions menacés
depuis plusieurs mois, nous avions méconnu les condi-
tions de la puissance navale des deux peuples. Les Anglais
possédaient plus de navires que nous ; mais, en raison de
leur organisation maritime, ils ne pouvaient les armer
promptement. On écrivait de Londres a notre ministre de
la marine, que l'amirauté britannique rencontrait de
très-grandes diflicultés pour se procurer des matelots.
Malgré l'offre de primes trës-élevées, peu d'hommes se
présentaient pour servir sur les bâtiments de guerre.
« On n'osait pas, ajoutait la personne qui donnait ces
renseignements à M. de Sartincs, loucher aux matelots
du commerce. » Les autorités locales dans les ports mar-
chands, s'appuyant sur ce que la guerre n'était pas dé-
clarée, faisaient à l'emploi de la « presse » une opposition
très-vive. Dans le but de nous prémunir contre le retour
des violences qui avaient man|uê le début de la guerre
de 1756, nous avions mis l'embargo sur les navires
anglais qui étaient dans nos ports. Le cabinet de Saint-
James, ayant procédé de la même manière à l'égard des
bAtiments français qui se trouvaient dans les |)orts de la
Grande-Bretagne, le gage, destiné à indemniser notre
marine marchande des pertes illégitimes (|u elle {lourrait
faire, était de faible importance. En attaquant la Helle-
Poule et le Coureur sans déclaration de guerre, et en
s'emparant, par un subterfuge indigne d'une grande na-
tion, de la Pnllasei de la Licorne, le gou\ernement bri-
tannique avait violé toutes les règles observées par les
LIVRE I. 79
peuples civilisés. La mission confiée au lieutenant général
d'Estaing, nous enlevait le droit de blâmer la conduite de
nos adversaires*. Après le départ des treize vaisseaux de
Byron pour l'Amérique, FAngleterre n'avait dans la
Manche que les vingt et un vaisseaux de Keppel. Or, ainsi
qu'on le verra plus loin, nous avions, à la fin du mois de
juin, trente-deux vaisseaux sur la rade de Brest. Si nous
avions hâté nos armements, et cela était non-seulement
possible, mais facile en raison de notre organisation ma-
ritime, nous pouvions avoir, dans le mois de mai, des
forces égales à celles des amiraux Keppel et Byron réu-
nis. Dans ce cas, le gouvernement britannique aurait
retardé le départ de cet amiral pour l'Amérique septen-
trionale, ce qui eût laissé le champ libre à l'amiral d'Es-
taing. Si les Anglais s'étaient décidés à envoyer Byron
au secours de Howe, nous aurions été, pendant quelque
temps, supérieurs à l'ennemi dans la Manche. La rentrée
de nos navires marchands eût été assurée et le commerce
de l'ennemi aurait probablement subi de grandes pertes.
Nous avions donc commis une faute, en ne mettant pas à
profit l'avantage que nous donnaient nos institutions. Si
nous considérions la guerre comme inévitable, et nous
ne pouvions avoir à cet égard aucune illusion, nous ne
1. Le caractère de la mission dont était chargé le comte d'Eslaing se
trouve nettement indique dans Tordre ci-joint donné par cet officier général
à la frégate VAlcmèney avant le départ de Toulon : « 11 est ordonné à la
frégate du Hoi VAlcmène^ si, malgré toutes les précautions qu'elle aura dû
prendre, elle se trouve séparée de Tescadrc après avoir dépassé le méridien
du cap Saint-Vincent, de se repdre, pour point de rendez-vous, au port de
Boston, à la côte de la Nouvelle-Angleterre, où elle recevra de mes nou-
velles. Elle évitera en chemin de se faire reconnaître des bâtiments qu*elle
pourrait rencontrer. Si cependant une flotte anglaise, allant ou revenant de
la Nouvelle-Angleterre, se trouvait dans le cas d'être attaquée avec avantage,
elle s'en emparerait. Elle n'amarinerait que ce qui pourrait Tétre sans tro|)
s'aibiblir, et elle détruirait le reste. Elle protégerait ouvertement et elle
traiterait en amis et en alliés du Roi tous les b&timents appartenant aux
États-Unis d'Amérique. »
d'Est AiNG.
Fait à bord du vaisseau le Languedoc, en la rade de Toulon, le
12 avril 1778.
HISTOIHE OE LA MARINE FHAN'
devions pas laisser la cour de Londres libre de la com-
mencer lorsqu'elle le jugerait convenable.
l^s Anglais avaient apjjriiii, à la Un du mois do mai, que
l'escadre partie de Toulon, le 13 avril, s'était dirigée
vers l'Ouest, après avoir franchi le déiroit de Gibraltar.
Persuadés que le comte d'Eslaing se rendait surles eûtes
d'Amérique, ils avaient pressé l'iiiinement des bflliments
destinés fk renforcer l'escadre de Howe. L'amiral Kepjiel
avait rallié, le 13 juin, devant Plymoulh, les treize vais-
seaux de l'amiral Byrou, et il les avait accompagnes jus-
qu'à vingt lieues d'Ouessant. Il rentrait dans la Manche,
lorsqu'il avait rencontré les quatre bdtimenls placés
sous les ordres de M. de la Ciochelerie. Le cabinet de
Versailles, inexactement renseigné sur les mouvements
des Anglais, ignorait que les vaisseaux sortis de Ply-
mouth eussent fait roule vers l'Amérique. On croyait, k
Paris, que l'amiral Byron, après avoir escorté un convoi
au large, devait, h son retour, se réunir à l'escadre de la
Hanche. Dans cette hypothèse, l'amiral Keppol aurait eu,
sous ses ordres, trente-quatre vaisseaux, Or, ù ce mo-
ment, nous n'avions à Brest que vingt-six vaisseaux
complètement armés. Quoique le ministère fût pénétré
de la nécessité de faire une démonstration, il hésitoit à
donner à notre escadre l'ordre d'appareiller. Le gouver-
nement craignait de compromettre dans une lutle inégale,
et dès te début de la guerre, la partie la plus impor-
tante de nos forces navales, M. de Kerguelen, qui jouis-
sait, comme oflicier de marine, d'une certaine notoriété,
écrivait à celte époque au ministre : <■ Je pense que si'
l'Espagne ne se déclare pas, vous ferez bien do ne pas>
faire sortir de grosses escadres et de ne pas risquer d6j
batuilles décisives. Je pense <|ue quarante vaisseaux'
eu rade de Brest et des troupes sur les lùles feronl
plus de mal A l'Angleteri-e que s'ils étaient en mer,'
parce qu'ils obligeront les ennemis ù armer soixante
vaisseaux de ligne, mais il faul avoir quelques vais-
seaux et t>L-aucou|i de frégates en mer pour détruire leur
'm
uire leur J
LIVRE I. 81
commerce par des croisières soutenues. Si nous avions
le dessous dans une première affaire importante, nous
serions perdus, c'est l'opinion qui conduit les hommes. »
Depuis qu'une rupture avec l'Angleterre était immi-
nente, plusieurs mémoires conçus dans le même sens
avaient été adressés à monsieur de Sartincs. Il est donc
légitime de reconnaître que le gouvernement n'était pas
seul à porter la responsabilité de cette opinion. Le com-
mandant en chef de l'arméc-navale, réunie sur la rade de
Brest, jugeait tout autrement la situation. Il écrivait, le
22 juin, c'est-à-dire quatre jours après le retour de la
Belle^Poule à Brest : « Mon avis ne serait pas de faire
entrer l'armée dans la Manche, où nous n'avons aucun
port propre à la recevoir, et où elle serait en risque
d'être chargée par un vent d'ouest ou de sud-ouest
qui l'appellerait nécessairement à la côte d'Angleterre,
mais de la faire croiser à une distance convenable du
canal pour n'y être pas emportée par les courants. »
il ajoutait un peu plus loin : « Dans la position que j'ai
indiquée ci-dessus, elle est à portée d'attaquer l'amiral
Byron à son retour et de s'opposer à sa réunion avec
l'amiral Keppel. » Le lieutenant général d'Orvilliers pre-
nait envers le ministre l'engagement d'agir avec une
extrême circonspection. Néanmoins, il ne pouvait pas
lui donner l'assurance qu'il parviendrait à éviter tout
engagement avec les Anglais. En admettant qu'il fût
obligé de livrer bataille aux forces réunies de Byron et
de Eeppel, il était convaincu que son escadre se tirerait
avec honneur de cette rencontre. Le gouvernement, sur-
montant ses dernières hésitations, lui envoya l'ordre
d'appareiller. Le cabinet de Versailles, continuant à se
faire d'étranges illusions sur les projets de la cour de
Londres, n'admettait pas que nous fassions en guerre
avec la Grande-Bretagne. Dans les instructions adressées
au lieutenant général d'Orvilliers, il n'était question que
de représailles à exercer contre nos voisins. Cet olfi-
cier général devait croiser à l'entrée de la Manche et ra-
6
82 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
mener à Brest, en employant la force si cela était né-
cessaire, les biltiments de guerre et de commerce qu'il
pourrait joindre *.
Les vents contraires retinrent l'escadre sur la rade pen-
dant quelques jours. Le département de la marine mit ce
tem]^ h profit, et six vaisseaux furent ajoutés à Tescadre.
Le 8 juillet, trente-deux vaisseaux, onze frégates, cor-
vettes et bricks, soit quarante-trois bâtiments, sortirent
de Brest en bon ordre. L'esprit de l'armée était excellent
et un seul désir l'animait, celui de venger l'injure faite à
notre |>avillon |>ar la prise de la Licorne^ de la Paiias et
du fomvtir. Le général d'Orvilliers écrivait, le 9 juillet, à
monsieur de Sartines : <^ Les officiers généraux et les
capitaines, réunis à lK>ni de la Breiagne pour entendre
la kniure des ordres du Boi, m ont donné de nouvelles
assurances de leur zélé et m'ont prié, monseigneur le
duc de Charirvs i leur tête, de vous supplier d'obtenir
du Boi la pennission d entrer dans la Manche, et d'y
aller attaquer Taniiral KeppeK même jusque dans ses ra-
dos« s'il s'obstinait à ne point sortir. ^ A lextrème pni-
denoE" du ministre et aux hésitations du gouvernement, les
gônérauv et les capitaines rviK>ndaient par la demande
d aller à rennomi. La conette le Li'.v/y, chassée par les
frviratos de Tescadrv dans la journée du 9 juillet, fut
jointe jvar 17/ %iv,vi:V, L'officier anglais déclina l'incita-
tion qui lui fut faite de (vasser à (oupe de la Brt'Pj*jM.
Après a\oir rvcu la tvnUv de la frvgate française, il
amena son fvi^iUon. O^t^'î-U**^^ jours après la sortie de
LIVRE I. 83
notre escadre, monsieur de Sartines apprit que Tamiral
Keppel avait paru de nouveau dans la Manche. Avant de
rentrer au port, les Anglais s'étaient emparés de plu-
sieurs bâtiments marchands. Le cabinet de Versailles, ne
pouvant plus se méprendre sur les véritables intentions
de l'Angleterre, se décida à considérer comme définitive
notre rupture avec cette puissance. Une lettre adressée
par le Roi au duc de Penthièvre, qui était alors grand
amiral, apprit à l'Europe notre nouvelle situation à l'é-
gard de la Grande-Bretagne. Le lieutenant général d'Orvil-
liers fut immédiatement informé de la résolution prise
par le Gouvernement français. II Taccueillit avec d'autant
plus de satisfaction qu'elle faisait cesser toute incertitude
sur la conduite qu'il avait à tenir. Son devoir se trouvait
nettement tracé ; il devait courir sur tous les bâtiments
])ortant pavillon anglais.
L'amirauté britannique avait déployé la plus grande
activité pour renforcer l'escadre de Keppel. Elle était par-
venue, dans les premiers jours de juillet, à placer vingt-
six vaisseaux sous le commandement de cet amiral. En
portant cette nouvelle à la connaissance du commandant
de notre flotte, le ministre l'invitait à agir avec une ex-
trême prudence. Quelques jours après, on sut, à Paris,
que l'escadre anglaise, augmentée de quatre nouveaux
vaisseaux, c'est-à-dire forte de trente vaisseaux de ligne,
avait mis à la voile: Un aviso, porteur de dépêches an-
nonçant la sortie de Keppel et la force de son armée, fut
immédiatement expédié à la recherche de d'Orvilliers.
L'escadre anglaise, quoique comptant deux vaisseaux de
moins que la nôtre, lui était supérieure par le nombre
des canons. Les ministres, poursuivis par la crainte d'un
échec, rassurés, d'autre part, par l'attitude de la flotte et
de son chef, étaient fort irrésolus. Dans cette occurrence,
ils abandonnèrent au général d'Orvilliers le choix du
parti à prendre et la responsabilité des événements qui
pourraient en être la conséquence. « Puis(|ue vous me
laissez libre. Monseigneur, répondit le général, de cou-
84 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
tinuer ma croisière, je ne ferai point rentrer Tarmée &
Brest, à moins que des ordres positifis ne m'y obligent,
avant que le mois de navigation, expliqué dans mes
instructions et connu de tous les capitaines, soit écoulé.
Jusque-là, je ne fuirai pas devant l'amiral Keppel, quel-
ques forces qu'il puisse avoir; seulement si je le connais
trop supérieur, j'éluderai de mon mieux un combat dis-
proportionné, mais j'avoue que si l'ennemi cherche vé-
ritablement à le livrer, il sera Irès-difBcile de l'évitera »
1. LeUre écrite en mer. en réponse à une dépêche du ministre portant la
dateda 12 juillet.
LIVRE II
Combat d'Oaessant. — Rentrée des Anglais à Portsmoutli et des Français à
Brest. — Discassions que soaléve la journée du 27 juillet de Pun et Tautro
côté du détroit. — Incident relatif au lieutenant général duc de Chartres,
commandant delà troisième escadre. — Le vice-amiral Keppel, accusé d'in-
capacité par un de ses lieutenants, comparait devant une cour martiale. —
Nouvelle sortie des deux escadres. — Elles rentrent au port sans avoir
combattu. — Engagement, au large de Fondichéry, des divisions du
Commodore Yemon et du capitaine de vaisseau de Tronjolly. — Les
Anglais s*emparent des établissements français dans Tlnde. — Prise des
îles Saint-Pierre et Miquelon.
I
L^amiée française croisait à cinquante lieues environ
dans l'ouest-nord-ouest d'Ouessant, lorsque, le 23 juillet,
nos éclaireurs signalèrent Tennemi. L'amiral Keppel
était sorti de Portsmouth avec trente vaisseaux, vingt-
quatre heures après notre départ de Brest. Quatre jours
s'écoulèrent pendant lesquels la brise fut très-fraîche de
l'ouest et la raer grosse. Les Français manœuvrèrent
pour conserver l'avantage du vent que les Anglais vou-
laient leur enlever. Le 27 au lever du soleil, les deux es-
cadres couraient les amures à bâbord, le cap au nord-
ouest, avec des vents d'ouest-sud-ouest. Le Victory^ que
montait Tamiral Keppel, restait à une lieue et demie en-
viron dans l'est-nord-est du vaisseau la Bretagne, sur
lequel était arboré le pavillon du lieutenant général d'Or-
villiers. Le Duc-de-Bourgogne, de quatre-vingts canons,
et VA lexandrCy de soixante-quatorze, s'étant séparés de
notre armée, dans la nuit du 23 au 24 juillet, le nombre
des vaisseaux était le môme de part et d'autre. Toutefois,
86 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
nous ne comptions, sur noire escadre, que deux mille
cent dix-huil bouches à feu, tandis que le total des ca-
nons, sur les vaisseaux anglais, s'élevait à deux mille
deux cent quatre-vingt-deux. Enfin, trois vaisseaux fran-
çais, le Fier, le Saint-Michel et le Triton, représentant
cent soixante-quatorze canons, étaient d'un trop faible
échantillon pour figurer dans une ligne de bataille *. Vers
neuf heures du matin, le temps étant devenu maniable,
le comte d'Orvilliers fit virer ses vaisseaux lof pour lof
par la contre-marche pour se rapprocher de Tennemi.
Les Anglais, qui avaient continué à courir les amures à
bâbord, favorisés par un changement de brise, se trou-
vèrent très-promptement dans nos eaux. L'amiral Eeppel
prit les mêmes amures que nous, et il se couvrit de voiles
afin d'atteindre notre arrière-garde. Le lieutenant géné-
ral d'Orvilliers, jugeant d'un œil très-sûr les dangers aux-
quels il était exposé, signala à son armée de virer de
bord vent de vent, toute à la fois, puis de former la ligne
de bataille, les amures à bâbord, en ordre renversé. Celte
évolution, exécutée avec une grande promptitude, modifia
la situation relative des deux escadres. Les Anglais, qui
avaient manœuvré avec une grande précipitation, étaient
en désordre. Quelques-uns de leurs vaisseaux étaient
lombes sous le vent cl couraient le risque d'ôlre coupés
par les nôtres. L'amiral Keppel se décida à laisser porter
pour les rallier, et il gouverna sous le vent de la ligne
française. Les deux escadres étaient placées dans l'ordre
suivant :
1. Kii réalité iiou5( avions 1944 canons contre 228?.
LIVRE li.
87
ARMÉE FRANÇAISE.
Ligne de bataille. — Ordre renversé.
r
Noms des raisseaux.
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Escadre bleue.
Le Dîadôme . . .
Le Conquérant.
Le Solitaire . . .
Linlrépide
Le Saint-Esprit
I.e Zodiaque. .
Le Roland.. . .
Le Robuste. . .
Le Sphinx
l/ArtéHÎen.. .
LOrient
L'Actionnaire ,
Le Fendant...
I^ Bretagne
Le .Magnifique . . .
L'Actif
La Ville de Paris.
LeRéOéchi
74
74
64
74
80
74
64
74
64
La Cardonnie.
De .Monteil.
De Briqueville.
De Bcaussier.
^Le duc de Chai'tres, lieul. général.
Lamotte-Pictiuct, chef d'escadre.
De la Porte Vezins.
De PArchantcI.
De Grasse.
De Soulnnges.
Escadre blanche.
64
74
64
74
110
74
74
ÎK)
64
Des Touches.
Hector.
De Croissy.
De Vaudreuil.
D'Orvillicrs, lieutenant général.
Du Pavillon, major de rarméc.
Dupicssis Parscau.
Chevalier de Drach.
Thomas d'Orves.
Do (luichcn.
De Cillart Survillo.
Escadre blanche et bleue.
Le Vendeur.
Le Glorieux
L'Indien . . .
Le Palmier.
La Couronne
Le bien-Aimé
L'Eveillé
L'Amphion
Le Dauphin Royal. .
64
74
64
74
80
74
64
50
70
D'Amblimonl.
De Dcausset.
De la Grandière.
De rȎals.
l'Duchaiïault, lieutenant général.
JHuon de Kcrmadec.
Daubcnlon.
De Botdéru.
DeTrobriant.
De Nieuil.
Vaisseaux hors la ligne.
Triton
Saint-Michel.
Fier
64
60
ÔO
De Ligondès.
Mi thon de Genou il ly.
Turpin de Breuil.
88
HfSTOlRE DK LA MAUINK KUANÇAISE.
ARMÉE ANGLAISE.
-Ligne de bataille.
r
Noms des T«iMeaux.
Qiiccn . ...
Sandwich . . .
Slirewsbury .
Torrihle. . .*. .
Thuntlerer . .
Vengeanc»^ . .
Yaliant
Vigilanl
VorccHlcr. . . .
StirlingcafttU'
Victon
Duke
iici'wick. . .
Cumbcrlniiil.
(lourageiix .
Ccntaur. . .
Egmoiit —
Klizabetli...
America —
BienraisnnI .
K\Her .
Forniidahle.
OriMii
I*riiict* iieorp'
F(»U(lro\aiil. .
Hector
Muiiarcli . . . .
Itainillio^
UobuHl
Nombre
de
canuDS.
Noms df H rapitain«>K.
Avant-garile.
90
90
74
74
74
74
74
64
64
74
Hartland, vicc-amiraL
Edward »i.
RORS.
Bickerton.
Valsinghaiii.
Clément».
(jower.
Kingsmill.
Rohinson.
Douglas.
('nrpn debalaiUc.
100
90
74
74
74
74
74
74
64
Faulkner.
Sir Auguslus Kepi^l, amiral.
Drerelon.
Ste>\arl.
Ve\Um.
m
Mulpravo.
Cmsby.
Allen.
Maitland.
Lonjxford.
Hride.
ArÊ'ii'rr-ijnvth'.
G'i
74
90
90
7'»
8'i
7'i
70
7'i
7'»
(iooilnll.
Moore.
ipalliser, vice-amiral.
Laforesl.
Lindsav
Jervis.
Ilaniillon.
«
Uowele^.
||0<Hi'.
UVHE II. 89
Les Anglais passèrent hors de portée des vaisseaux le
Diadème^ le Conquérant et le Solitaire. Ce fut Y Intrépide^
le quatrième vaisseau de la ligne française, qui tira les
premiers coups de canon. Les deux escadres défilèrent à
contre-bord, chaque vaisseau recevant la bordée de Ten-
nemi et lui envoyant la sienne. Quelques-uns de nos
vaisseaux, au nombre desquels étaient V Artésien et la
Ville-de-Paris, se trouvèrent très-près des Anglais. Le
premier avait manqué une fois à virer, et le second tenait
très-mal le vent. Le vaisseau à trois ponts, le Saint-Es-
prit^ laissa porter pour couvrir VArtésien. Quant à la
Ville-de-PariSj elle eut, pendant un moment, à combattre,
à tribord le Viclory, et, à bâbord, le Foudroyant. Ce der-
nier vaisseau n'avait pas hésité à passer entre la Ville-
de-Paris et la hgne française. Le feu, qui avait commencé
à onze heures du matin, cessa vers une heure et demie.
Le lieutenant général d'Orvilliers, décidé à continuer le
combat, donna Tordre à Tescadre bleue, qui faisait Favant-
garde, de laisser arriver par un mouvement successif, et à
Tarmée de former la ligne de bataille, les amures à tri-
bord. Les signaux hissés, à bord de la Bretagne, pour
Texécution de cette manœuvre, ne furent pas aperçus
par les premiers bâtiments de l'escadre bleue. Cet inci-
dent était d'autant plus regrettable que les deux escadres,
courant à contre-bord, s'éloignaient rapidement. Or, l'é-
volution prescrite par le général ne pouvait avoir d'effi-
cacité qu'à la condition d'être faite sans délai. Les vais-
seaux qui marchaient en tête de l'armée, continuant à
courir bâbord amures, le Saint-Esprit laissa arriver et
commença le mouvement. Dans le but d'être exactement
informé des intentions du commandant en chef, le duc de
Chartres passa à portée de voix de la Bretagne. Le lieu -
tenant général d'Orvilliers lui fit connaître qu'il se pro-
posait de prolonger la ligne anglaise, de la queue ù la
tête, par-dessous le vent. La force de la brise ayant em-
pêché nos vaisseaux de se servir de leurs batteries basses,
il voulait placer les ennemis dans la même position.
90 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Lo^^iquc l'armée française fut Tonnée A l'autre bord, elle
se trouva sous le vent et h une distance assez grande en
arrière «les Anglais. Dans cette situation, l'iailiaUve de
l'altaifue ne lui appartenait plus.
Après le défilé à contre-bord des deux escadres, les
Anglais, qui avaient combattu avant d'fitre régulièrement
formés, étaient dans le plus grand désordre. Plusieurs
vaisseaux, ayant éprouvé de graves avaries dans leurs
mdtures, étaient tombés sous le vent. Lorsque la fumée
se fut dissipée, l'amiral Keppel put se rendre compte de
la position des deux armées. Reconnaissant que ceux de
ses b&timcnts qui étaient dégrés courraient le risque
d'être coupés, s'il suivait son avant-garde, il s'empressa
(le rappeler l'amiral Harllaod. Son armée manœuvra
pour se reformer, mais, à lachuledu jour, la plupart des
vaisseaux anglais n'avaient pas repris leurs postes. Les
deux escadres continuèrent ik courir, les amures & tribortl,
les Anglais au vent et sur l'avant des Français. Pendant
la nuit, l'amiral Keppel lit route pour Portsmouth, oii il
entra quelques jours après, ne laissant qu'une faible
division en croisière dans la Mancbe. Dans la soirée du
28 Juillet, l'escadre française, portée dans l'est par les
courants, eut connaissance de l'Ile d'Ouessant. Le Duc~àe-
lidUfijitijne et \'.Hexau<ln-, (|ui s'étaient séparés de l'armée
dans la nuit du 23 au ik, n'avaient pas reparu. Aprts
l'engagement du 27 Juillet, dans lequel il avait perdu
une partie de sa mâture, VAmpliion s'était dirigé sur
LIVRE II. 91
armée, trois, le Saint-Michel^ le Fier et le Triton ne pou-
vaient pas être mis en ligne. Ces vaisseaux avaient été
placés, dans la journée du 27 juillet, sous le vent, avec
les frégates. Ces considérations décidèrent le lieutenant
général d'Orvilliers à rentrer à Brest. Il comptait repren-
dre la mer, aussitôt que ses vaisseaux seraient en état de
soutenir un nouvel engagement. Le 31 juillet, trois vais-
seaux et deux frégates furent envoyés en croisière à
l'entrée de la Manche.
La rencontre du 27 juillet fut moins une bataille qu'un
engagement extrêmement vif et de peu de durée. Les
pertes de la flotte française, forte de trente vaisseaux, ne
s'élevèrent qu'à cent soixante et un tués et cinq cent
treize blessés ^ Elles auraient été bien autres, si les deux
escadres avaient combattu en courant aux mômes amures.
Dans cette journée, nous avions remporté sur les Anglais,
non une grande victoire, mais un avantage indiscutable.
L'amiral Keppel, maître de continuer le combat, puisque
son armée était au vent de la nôtre, avait profité de sa
position pour s'éloigner. Ce succès de notre marine em-
pruntait aux circonstances une importance particulière.
Les désastres de la dernière guerre avaient laissé une (race
profonde dans les esprits. Il semblait difficile que nos
amiraux, nos capitaines et nos officiers eussent, au môme
degré que leurs adversaires, la connaissance et surtout
la pratique des manœuvres d'escadre. Ce n'était donc pas
sans une certaine appréhension que le gouvernement et
nous devons ajouter la nation tout entière avaient envi-
1. MM. Besscy de )a Vouslo, capitaine de vaisseau, de Vincellcs, enseigne,
Damart, lieutenant de frégate, de Molorc et de Fortnianoir, officiers d'infan-
terie, furent tués au comlmt d'Ouessant. Se trouvaient au nombre des bles-
sés, MM. le lieutenant général Duchaffault, les capitaines de vaisseau
d'Aymar et de Sillans, les lieutenants de la Croix, de Cœflier de Brcuil, le
chevalier Duchaffault, de Fayard, de Vigny, de Beaumanoir, les enseignes
Desnos de la Hautière, de Melfort, le chevalier du Bouexic, d'Abbadic Saint-
(jermain, les gardes de la marine de Montuchon, de Doisguehcnneuc, les
ofiiciers auxiliaires Jambom et Rouillard, les ofiiciers d'infanterie de Cha-
leau-Oiron, de Rivière, de Bucheran.
92 HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
sage un nouveau choc avec une puissance dont l'ascen-
dant sur mer était aussi bien établi que celui de l'Angle-
terre. Aussi la France accueillit-elle avec un véritable
enthousiasme les résultats de cette première rencontre
entre les deux marines. Louis XVI écrivit au lieutenant
général d'Orvilliers pour le complimenter sur sa conduite,
et le charger de transmettre aux officiers et aux équi-
pages de Tescadre toute sa satisfaction. Le Roi disait en
terminant : « J'ai ordonné qu'on prît le plus grand soin
des blessés. Dites aux veuves et parents des morts
combien je suis sensible à la perte qu'ils ont faite%
M. de Sartines vous fera passer mes ordres ultérieurs et
je suis assuré du succès par la manière dont ils seront
exécutés. »
II
Quelques jours après la rentrée de l'escadre à Bresl,
les divers incidents de la journée du 27 juillet furent
connus. On sut que l'inexécution des ordres du comman-
dant en chef nous avait empochés de continuer le combat
dans des conditions qui, selon toute probabilité, nous
auraient valu un brillant succès*. Une réaction très-vive
se produisit dans les esprits, et à la joie du premier
1. 1.0 lieutenant général d'Orvilliers disait que les vaisseaux de t^te di*
l'escadre bleue avaient vraisemblablement privé la nation d*un brillant succès,
et il ajoutait : « Je dis vraisemblablement, car il reste incertain quel |>arti
Pamiral Kep|)el aurait suivi des deux seuls |Nirlis qu'il avait à prendre.
C4>lui d'al>andonner los vaisseaux de son arrière-j^arde. qui auraient été iofaiU
libloment cou|Ȏs et battus |)arles quatre vaisseaux de mon avant-garde qui
n'avaient |»as combattu, ainsi (jue |>ar les trois en réserve^ que j'avais destinés
à cet objet, ou de venir au secours des siens et de faire des efforts p*)ur les
dé^a^rer. • Dans le premier cas, il avouait lionteusemenl sa défaite; dans le
deuxième, la mêlée serait devenue très-chaude. Mais il ) a lieu de croire
qu'il aurait eu, dans cette seconde rencontre, d'autant plus de désavantage
que. |M»ur serourir son arrière-garde, il eût été obligé de coml>attre de nou-
\eau les escadres blanche et bleue, et que notre attaque axant lieu |Kir des-
sous le Vent, il |H'rdail la force su|>érieure de ses vaiSM'aux à trois ponts
dont je rendais inutiles les |»remières liatteries.
LIVRE II. 93
moment succéda un très-grand mécontentement. Le
commandant de Tescadre bleue fut accusé d'avoir man-
qué à ses devoirs comme général et même comme soldat.
Il eût été facile d'éclairer Topinion et de la faire
revenir à des impressions plus conformes à Téquilé.
Mais cette affaire, au lieu de rester dans le domaine
purement militaire, fut transportée sur le terrain poli-
tique, et, dès lors, il ne fut plus possible, pour le public,
de connaître la vérité.
Le duc de Chartres ne servait pas depuis un temps
assez long dans la marine pour exercer, dans toute sa
plénitude, le commandement qui lui avait été confié. Le
chef d'escadre de Lamotte-Picquet, un des officiers géné-
raux les plus braves et les plus capables de la marine
française, avait été placé auprès de lui pour lui servir
de guide. Dans une monarchie, la place des princes étant
là où on se bat, le duc de Chartres représentait sur la
flotte la famille royale. Depuis le jour de son arrivée à
Brest, il avait manifesté hautement le désir de voir notre
armée en venir aux mains avec les Anglais. 11 avait tenu
le même langage, le 9 juillet, lors de la réunion des
officiers généraux et des capitaines à bord de la Bretagne.
Le 26 juillet, c'est-à-dire la veille du jour où avait eu lieu
le combat d'Ouessant, le Saint-Esprit avait communiqué
avec la Bretagne. Le duc de Chartres avait profité de cette
circonstance pour faire connaître au commandant en chef
qu'il était d'avis, ainsi que le chef d'escadre de Lamotte-
Picquet, de combattre l'amiral Keppel. Cette démarche
indiquait, de la part du prince, l'intention bien arrêtée
de soutenir, à Paris, les décisions énergiques vers
lesquelles inclinait le commandant en chef. Quant à son
attitude, le jour du combat, elle avait été celle d'un homme
de son rang et d'un Français. Les témoignages les
phis authentiques ne laissent aucun doute à cet égard.
Si, le jour du combat, le duc de Chartres avait voulu,
pour une cause, d'ailleurs parfaitement inexplicable, se
soustraire à l'obligation d'exécuter les ordres du lieu-
HISTOIRE nu LA MARINE FRANÇAISE. '
tenant général d'Orvilliers, il eût fallu que son conseiller
gardât un silence coupable. U n'est pas permis de soup-
çonner Lamotlc-Picquet d'avoir accepté un pareil rôle.
Nous allons maintenant examiner les faits avec la si?ule
préoccupation d'établir la vérité sur cet épisode du com-
bat d'Ouessant> Le signal fait à l'escadre bleue " arriver
par un mouvement successif» exprimait un ordre donné
directement par le commandant en chef au\ bftlimenls
de l 'avant-garde, et auquel tous l'taient tenus d'oWtr, en
se conformant strictement, dans l'exécution, aux règles
de la tactique. Or, d'après ces règles, l'évolution devait
commencer par le vaisseau qui marchait en têlede notre
llotte. Ainsi, le râle principal n'appartenait pas au com-
mandant de l'avant-garde, mais bien au capitaine du
vaisseau le Diadème. Quant à l'officier général dont le
pavillon était arboré sur le Saini-Exprii, que ce fût le
duc de Cliartrcs ou tout autre, il avait l'obligation de
surveiller et de presser, s'il le jugeait nécessaire, l'exé-
cution des ordres du chef de l'armée. Il pouvait, dans ce
but, adresser au Diadème ou A tel autre vaisseau de son
escadre des signaux particuliers. Eniin, si aucun dt's
vaisseaux placés sur son avant n'obéissait au signal, il
lui appartenait de commencer le mouvement'. H résulte
de ce qui précède que le reproche d'avoir fait échouer lu
combinaison du général d'Urvilliers atteignait les vais-
seaux qui précédaient le Saint- Espril. Ces baiimcnla
n'avaient pas aperçu, en temps opportun, les pavillons
flottant aux mii\st\e\^Brela(jnf,A*i Saint-EsprilfXA^^X^ a
sieurs autres répétiteurs'. Était-ce lu fumée qui avait eofl
I. C'i'el la niouvemeni du Sitinl-Eiiirii qui il<;riiJa l'aniirnl K«|ipel à njH
peler le ficc-amirftl Hartlniid qui avait revirii pour pounuiviv notre nrriire-
girde. (napfxirt de d'Urvillii^rij,}
3. • J'ai tt6U de croiri! i|uo si la tiîe Ae l'escadre bleue, dans l'ordre rcn-
v«r«é où noua avons combaUii, avait niieui ri'poiidii t uim aï^iuiui. U
Providcnca aurait couronné nos travaux d'une journée uusai glorieuan pont
votre ministère qu<> pntir le (lavitlon rraiii:aiB. Mais «t elle n'a pa* pemi*
qu* no» mais aÎMit Hé mmpleli', au moin» n-l elle nccnrdii une protectÎM
visiblo nui nriiii'sdii Itiii, u'n\a<il ijui' n'Ianli'i'i'lle riiunu'ii>re <-■! hitunl v\i-
-J
LIVRE II. 95
péché le Diadème^ le Conquérant^ le Solitaire et Y Intrépide
de voir les signaux, ou bien cette partie du service était-
elle négligée à bord de ces quatre vaisseaux? Il est difficile
de le dire aujourd'hui, mais que ce regrettable résultat
tût dû à Tune ou Tautre de ces deux causes, on ne pouvait
reprocher aux capitaines de la Cardonnie, de Monteil, de
Bricqueville, de Beaussier, d'avoir désobéi à des ordres
dont ils n'avaient pas eu connaissance*. Dans une lettre
du 3 août, le lieutenant général d'Orvilliers appela l'at-
tention du ministre sur quelques capitaines dont il était
extrêmement satisfait. «Voici, Monseigneur, lui écrivit^il,
les noms des vaisseaux et capitaines qui m'ont paru
manœuvrer avec le plus de précision et d'attention. Je ne
comprends point les officiers généraux qui ont presque
tous mon suffrage, et j'ai cherché à mériter le leur. Ces
vaisseaux et capitaines sont : Y Orient^ Hector; le Fendant^
marquis de Vaudreuil, sur tout autre ; le Magnifique^ de
Brach; ces deux derniers étaient mes matelots dans le
combat et jamais on n'en a eu de meilleurs; le Dauphin
Royal^ marquis de Nieul ; V Artésien^ Des Touches ^ »
Guler avec précision toutes les autres qu'elle m*a inspirées. » (Lettre île
d'Orvilliers au ministre.)
1. On m'accuse, écrivit le capitaine la Cardonnie, d'être cause qu'une
partie de Tarrière-garde ennemie n'a pas été détruite parce que je n'ai pas
arrivé dessus. Le signal en a été fait à bord du Saint-Esprit , chef de Tcs-
cadre dont je faisais partie. Je réponds que je n'ai pas vu ce signal. Je Taf-
finue avec tous mes officiers et pilotes. On dit qu'il est très-étonnant que
je oe l'aie pas vu, d'autant, ajoute-ton, que le Fier l'a répété. Je réponds
qu'il n'y a rien d'étonnant qu'on ne Tait pas vu, à bord du Diadème qui
était le quatrième en avant du Saint-Esprit, et que, si le Fier l'a répété, il
était hors de portée pour distinguer les pavillons d'autant qu'il était vers lu
queue de l'armée et dans le soleil par rapport à nous. Enfin je ne saurais
trouver étonnant qu'on n'ait pas aperçu de mon bord ce signal fait à bord
du Saint-Esprit, puisque trois vaisseaux, placés par l'ordre de bataille entre
le chef et nous, ne l'ont pas aperçu, et je pense qu'ils no l'ont pas \u, puis-
qu'il est positif qu'ils ne l'ont pas répété.
2. Revenant sur le même sujet, le comte d'Orvilliers disait dans une Icllie
du ô août : « Le Fendant, dont le feu a égalé la précision des manœuvres
dans toute la campagne, et dont le capitaine, M. le marquis de Vaudreuil,
ne saurait recevoir assez d'éloges. Le Magnifique, autre matelot de la Dre~
tarjne, s'est également distingué pi.r son feu et par son attention à serrer
96 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Dans la journée du 27 juillet, ratlitude du comman-
dant de l'avant-garde avait été non-seulement correcte,
mais utile au succès de la journée. A l'exception des
premiers vaisseaux de Tescadre bleue qui, suivant
l'expression du comte d'Orvilliers, avaient manqué d'at-
tention aux signaux, la conduite de l'armée avait été irré-
prochable. Tous, capitaines, ofliciers, matelots et soldats
s'étaient fait remarquer par leur zèle et leur bonne
volonté. Après ce récit, appuyé sur des documents cer-
tains, authentiques, on cherche inutilement ce qui a pu
servir de base à ces accusations de désol>éissance et
d'indiscipline, dirigées à cette épocjue contre d'honorables
officiers, et qu'on répète encore volontiers aujourd'hui.
m
Soit que M. de Sarlines crût utile, au début de la
guerre, d'user de sévérité, soit qu'il voulût donner satis-
faction à l'opinion publique, il résolut de traduire devant
un conseil de guerre les capitaines des vaisseaux le Z)m-
dèmey le Conquérant*, le Duc-de-Bourgogne, l'Alexandre^, le
iSphinx et le capitaine de la frégate la Fortunée^, Le lieu-
tenant général d'Orvilliers, certain du zèle et du dévoue-
ment de ses officiers, persuadé que les erreurs commises
pendant cette courte campagne étaient dues à l'inexpé-
de pK'S le OV»i#'ra/. VActif a hravemrnl coniluiUii, mais le vaisseau ilc
loiile l'armée «jiii a cssu\é le plus de feu, el qui au*si en a le plus rendo.
e>l la l'ilie-iii'-Paris qui, dérivant plus que les autres, a laissé itasMge
au vent à lui au h'tmdroifant qui le battait à l»;\hord, lorsque Tamiral Kep-
|K»I qui avait dt\jà arrivé sous le feu de la Drelnt/m' le tirait à trilwrd.... Le
iMtuphiu-Iinijdl vi le Paimier se sont di^tin^'ués par la vivacité do leur
feu. •
1 l.e Ititvitnne et le Com/W't'iiut étaient les deux preniierN vaisseaux de
I arnire. If '21 juillet.
•i. I,e bnr-iie-HoHrtjOijne el VAUx'Ui'ire s'étaient sé|»arés «le l'année,
dans la nuit du Tl au *2^ juillet.
J. Le >fffunx et la f\»r/uMtr ^ étaient alM»rd«'>-
LIVRE II. 97
riencc de la navigation d'escadre, se montra opposé à
toute poursuite. Il expliqua sa pensée au ministre dans
des lettres dont nous joignons ici lès passages les plus
intéressants :
« Le temps, Monseigneur, est trop court pour pou-
voir entreprendre Tinstruction du procès ou Texamen de
la conduite de MM. de Rochechouart et de Trémigon sur
leur séparation de Tarrnée, la nuit du 23 au 24 juillet,
puisque, dans six jours, si le temps continue, je mets à la
voile. Il en est de môme de l'examen des vaisseaux le
Diadème et le Conquérant qui, dans l'ordre renversé, fai-
saient la tête de l'escadre bleue, et enfin de l'abordage
de la frégate la Fortunée et du vaisseau le Sphinx. Les
informations mettraient sous le coup des conseils de
guerre et de marine, et nécessairement pour un temps
considérable, une quantité d'officiers dont les services
dans ce moment nous sont absolument nécessaires. C'est
donc une partie forcée de remettre les informations et les.
jugements au retour de l'armée. Mais permettez que je
vous dise ma pensée ; si vous sévissez avec cette sévérité
dans les commencements de la guerre, vous allez ôter
toute l'énergie des âmes. La plupart de nos officiers ne
peuvent se dissimuler à eux-mêmes qu'ils manquent
d'expérience dans l'ensemble des armées et des escadres;
que, conséquemment, ils sont dans le cas de faire des
fautes involontaires, et si l'espérance de l'indulgence
leur est interdite, la crainte de voir leur honneur com-
promis les retiendra dans une timidité qui, bien loin de
les préparer à mieux faire, absorbera les talents et empê-
chera les progrès que l'on doit attendre de l'expérience.
11 vous sera libre. Monseigneur, de ne plus employer les
officiers dont vous ne serez pas content, et, si vous adop-
tez mon avis, dicté par l'amour du bien du service et la
gloire de voire ministère, ce sera la seule suite que doit
avoir la journée du 27 juillet, d'ailleurs honorable pour
la nation.
7
98 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
« MM. (le Rochechouart * et Trémigon* Tatné
assurent n'avoir aperçu les signaux que j'ai fait faire, à
huit heures et demie du soir, le 23 juillet, et que le chan-
gement de vent avait occasionnés. S'ils avaient été plus
consommés dans le métier, ils auraient aperçu, par eux-
mêmes, que le mouvement ordonné était indispensable
pour ne pas abandonner l'avantage du vent aux ennemis,
sous le vent desquels ils se sont trouvés, en effet, le len-
demain. L'éloignement des feux de l'armée du Roi, que
j'ai fait allumer et que j'ai conservés toute la nuit, était
encore un avertissement sensible de la manœuvre qu'ils
devaient faire. Mais tout cela ce sont des fautes d'inexpé-
rience, ou, pour dire le vrai mot, d'ignorance qui, quoi-
que considérables, ne touchent point à l'honneur et à la
droiture d'intention. D'après les événements, je pense de
M. de Trémigon l'aîné (capitaine de VAlexaiidre)^ et de
M. de la Gardonnie (capitaine du Diadème]^ que l'un et
l'autre ont prouvé leur valeur. Je les crois bons marinSi
mais je ne puis leur accorder d'être offlciers, le dernier
surtout
« Mais enfin, Monseigneur, les fautes sont pure-
ment d'ignorance, et il n'y aura jamais d'affaire générale
entre deux armées considérables de terre ou de mer, qu'il
ne s'en rencontre de semblables. Je maintiens donc tou-
jours et je pense que ce sera le sentiment le plus univer-
sel (ju'il ne faut pas rechercher les choses avec une
grande sévérité, surtout lorsque le succès est favorable.
D'ailleurs votre corps de la marine est trop réduit pour
pouvoir vous priver des services d'une partie de ses
membres qu'il est impossible de remplacer. »
La fermeté est indispensable pour conduire les hommes,
mais cette qualité n'a toute sa valeur que lorsqu'elle est
appli<iuée à propos. Le comte d'Orvilliers, qui avait une
1. Le chef d>Madre (|ui avait hon pavillon sur le vaisseau le Duc-de-
Dourgotjnc.
î. Le capilaine Uc V Alexandre.
LIVRE II. 90
expérience particulière de la navigation d'escadre, n'igno-
rait pas combien il était difOcile, au début de la guerre,
de composer, aussi bien, d'ailleurs, en Angleterre qu'en
France, une flotte de trente -deux vaisseaux, manœuvrant
bien, ayant une cohésion parfaite et complètement dans
la main de son chef. Dans une lettre, portant la date du
12 juillet et écrite en mer quatre jours après la sortie de
Brest, il avait prévenu le ministre que plusieurs de ses
capitaines manœuvraient mal, et il avait ajouté cette
observation dont on a eu souvent, depuis cette époque,
Toccasion de vérifler l'exactitude. «Ceci, Monseigneur,
vient à l'appui de ce que je vous ai dit plusieurs fois, de
la nécessité des escadres d'évolutions en temps de paix.»
M. de Sartines, se rangeant à l'opinion du lieutenant
général d'Orvilliers, renonça aux mesures de sévérité
qu'il avait crues nécessaires. Toutefois, M. de la Cardonnie,
capitaine du Diadème^ perdit son commandement.
Après le départ de Tamiral Keppel, sorti de Portsmouth,
le 9 juillet, pour se porter à notre rencontre, le peuple
anglais avait attendu avec impatience la nouvelle de
notre défaite. La vieille renommée de la marine britan-
nique, sa supériorité incontestée pendant les dernières
guerres, étaient à ses yeux un sûr garant de la victoire.
La vérité, lorsqu'elle fut connue, causa chez nos voisins
on très-vif désappointement. On disait, pour consoler
Tamour-propre national, que les Français avaient profité
de leur position sous le vent pour laisser arriver pendant
la nuit et courir sur Brest. Mais ceci n'exph'quait pas à
une nation habituée aux choses de la mer l'inaction de
l'escadre anglaise dans l'après-midi du 27 juillet. Pour-
quoi l'amiral Keppel, ayant l'avantage du vent, ne nous
avait -il pas attaqués, s'il était réellement en étal de le
faire? Ce n'était pas le temps qui lui avait manqué, puis-
que les derniers coups de canon avaient été tirés vers
deux heures de l'après-midi, et que, à cette époque de
Tannée et par cette latitude, la nuit ne vient que très-
tard. Il était donc bien avéré que le commandant eu chef
I
100 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de la flotte britannique, orficier aussi expérimenté que
brave, avait reculé devant un second engagement. Les
manœuvres exécutées par Tescadrc anglaise, dans Taprës-
midi du 27 juillet, devinrent le thème de discussions pas-
sionnées. L'amiral Keppel jouissait d'une telle popularité
qu'il fut mis hors de cause, mais les Anglais voulaient un
coupable, et ils crurent le trouver dans le vice-amiral
Palliser. Il fut accusé de s'être maintenu au vent de l'ar-
mée, malgré les signaux qui enjoignaient à son escadre
de prendre son poste. L'obstination de cet officier général
à rester éloigné du corps de bataille et de l'avant-garde
avait empêché, disait-on, le commandant en chef de for-
mer une ligne régulière, et par suite de renouveler le
combat. Le vice-amiral Palliser, croyant que l'état-major
du Victory n'était pas étranger aux attaques dont il était
l'objet, se plaignit très-vivement à l'amiral Keppel de la
conduite des officiers de ce vaisseau. Il le pria de démen-
tir publiquement les bruits qui portaient atteinte à son
honneur. N'ayant pas obtenu la satisfaction à laquelle il
crovait avoir droit, le vice-amiral Palliser adressa à l'ami-
rauté une plainte contre son chef. 11 déclara que l'amiral
Keppel avait compromis, par sa négligence et son incapa-
cité, l'honneur du pavillon anglais. Le ministère, sacri-
liant les intérêts de la discipline à des rancunes poli-
tiques, prit la singulière détermination de traduire, sur
la plainte d'un de ses inférieurs, le chef de la flotte devant
une cour martiale. L'amiral, honorablement acquitté,
ainsi qu'il était facile de le prévoir, re^-ut les félicitations
(les deux chambres et de la ville de Londres. Son adver-
saire fut obligé de résigner son emploi dans l'escadre, et
de donner sa démission de membre de la Chambre des
coHHUunes. Le capitaine du Duke^ vaisseau de soixante
canons, accusé de n'avoir pris aucune part à l'action,
<|uoiqu'il eût passé à pi;tite distance de la ligne française,
fut déclaré indigne de servir.
La vivacité des débats qui sVlevèrenl, de l'un et de
l'autre côté du détroit, ^u^ lcfc> divers incidents de la
LIVRE II. 101
journée du 27 juillet, s'explique par Timportance que
les deux nations attachaient aux résultats d'une première
rencontre. Il s'agissait pour l'Angleterre de savoir si, dans
cette nouvelle lutte, elle allait trouver les succès faciles
des dernières guerres. La France se demandait, non sans
quelque anxiété, si elle pourrait prendre cette revanche
à laquelle le pays aspirait depuis le traité de 1763. Celle
affaire « honorable. pour la nation », ainsi que l'avait dit,
avec une parfaite justesse d'expression, le lieutenant gé-
néral d'Orvilliers, inspira aux Anglais le respect de notre
marine et à nous-mêmes une juste confiance dans les sui-
tes de la guerre. Telles sont les circonstances qui don-
nent, au point de vue historique, un intérêt particulier
au combat d'Ouessant.
IV
Le lieutenant général d'Orvilliers mit sous voiles, le
16 août, avec vingt-trois vaisseaux, les seuls qui fussent
en état d'appareiller. Quelques jours après, cinq vais-
seaux sortirent de Brest et vinrent le rejoindre au large
d'Ouessant. Après être restée jusqu'au 27 août à l'ouver-
ture de la Manche et sur les côtes méridionales d'Angle-
terre, l'armée se dirigea vers le sud, et elle établit sa
croisière à la hauteur du cap Finisterre. M. de Sartines
ayant prescrit au comte d'Orvilliers de rentrer avant les
coups de vent de l'équinoxe, cet officier général mouilla
à Brest, le 18 septembre. La Jujion, appartenant à son
escadre, avait rencontré, à quarante lieues environ dans
le sud-sud-ouest d'Ouessant, la frégate le Fox^ de trente
canons. Après un combat très-vif, la frégate anglaise, dé-
mâtée de tous ses mâts, avait amené son pavillon*.
1. Le capitaine de BeaumontGt connattrc au ministre toute la satisfaction
que lui avait fait éprouver la conduite de ses officiers et de son équipage.
Il cita particulièrement MM. de Chavagnac , lieutenant de vaisseau ,
de Hoquefeuil, enseigne de vaisseau, Duclos, Boursier et Mongon, officiers
102 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
C'était la seule prise de quelque importance, faite pen-
dant cette campagne qui avait été contrariée par des
brumes très-épaisses. Toutefois, cette sortie avait eu
pour résultat de chasser les bâtiments de guerre et les
nombreux corsaires qui infestaient nos côtes. Les cabo-
teurs purent naviguer en toute sécurité depuis Ouessant
jusqu'au fond du golfe de Gascogne*. Ce fut au retour
de l'escadre que le duc de Chartres débarqua du SaitU^
Esprit et quitta définitivement le service de la marine.
Le lieutenant général d'Orvilliers demeura, ainsi que le
prouve sa correspondance officielle, absolument étranger
à cette détermination. L'amiral Keppel ayant paru dans
la Manche pendant la sortie de l'escadre française, on
nous accusa, de l'autre côté du détroit, d'avoir volontai-
rement évité un nouvel engagement. Le lieutenant
général d'Orvilliers avait reçu l'ordre de livrer bataille à
l'ennemi, s'il le rencontrait. D'autre part, la marche de
son escadre ayant été tracée dans ses instructions, il
n'avait eu ni à fuir ni à rechercher les Anglais. Quant à
ces derniers, ils ne pouvaient sérieusement soutenir
qu'ils avaient pris la mer avec l'intention de nous com-
battre. L'escadre française était restée, pendant dix jours,
à l'ouverture de la Manche, et elle avait passé vingt jours
sous le cap Finisterre ou dans le golfe de Gascogne. Si
Tamiral Keppel avait eu le dessein bien arrêté de nous
joindre, il y serait facilement parvenu'. Ce qui était vrai.
auxiliaires. M. de Beaumont, qui était capitaine de vaisseau, fut appelé au
commandement d'un vaisseau de ligne.
1. Dans une lettre du 21 septembre du comte d'Orvilliers, nous relevons
le passage suivant ayant trait à plusieurs capitaines de son escadre dont
les noms reparaîtront dans le cours de cette histoire : « M. Des Touches est
un bon capitaine et du nombre de ceux avec lesquels je n'hésiterais pas à
entreprendre des manœuvres délicates. Si vous me destinez à commander
Tannée, Tannée procliaine, je vous demande, dés à présent, de le désigner
pour en faire partie. M. le marquis de Vaudreuil et M. de Brach. mes deux
matelots dans la première sortie et dans le combat, m'ont donné, dans cette
dernière, le témoignage d'amitié de préférer leurs postes au commandement
d'une division. »
2. Faisant allusion à ces bruits, le comte d'Orvilliers écrivait au minis-
LIVRE II. 10
c'est que, ni à Paris ni à Londres, on ne désirait un se-
cond engagement entre les forces que commandaient les
amiraux Eeppel et d'Ôrvilliers. Le gouvernement français
était très-sérieusement occupé d'un projet de descente
en Angleterre. Des troupes étaient dirigées sur les côtes
de Bretagne et de Normandie, et des dispositions étaient
prises pour réunir des bâtiments de transport dans les
ports de la Manche. Ces préparatifs devenaient inutiles, si
nous ne conservions pas une force navale suffisante pour
prot^er le passage de nos sol Jais. Après la journée du
27 juillet, qui avait donné satisfaction à Tamour-propre
national, un nouveau combat semblait inopportun. Quant
aux Anglais, ils pouvaient, par une série de victoires,
sinon anéantir notre marine, au moins la réduire à l'im-
puissance, ainsi que cela était arrivé pendant les guerres
de 1741 et de 1756. La journée du 27 juillet avait montré
que ce but n'était pas facile à atteindre. D'autre part, la
Grande-Bretagne avait eu, depuis le début de la guerre, à
satisfaire à de nombreuses exigences. Malgré l'immensité
de ses ressources, il ne lui restait, pour défendre son
littoral, que les vaisseaux de Keppel. C'est pourquoi elle
tenait à ne pas compromettre ces remparts de bois qui
étaient sa meilleure sauvegarde contre les périls d'une
invasion. Des détachements de Tescadre de d'Orvilliers
furent successivement envoyés en croisière à l'ouverture
de la Manche et dans le golfe de Gascogne. Des frégates
et des corvettes reçurent la mission d'assurer la sécurité
de la navigation près de notre littoral. Des divisions
légères furent envoyées dans la mer du Nord, autour des
Iles Britanniques et sur les côtes de Portugal et d'Es-
tére : « Je ne puis me persuader que les Anglais aient eu jamais sérieuse-
ment, pendant notre dernière sortie^ l'intention de nous rencontrer. L'armée
du Roi a constamment navigué à découvert par de fréquents signaux h
coups de canon et des feux allumés toutes les nuits. Enfin, pour rentrer à
Brest, nous avons fait notre attérage sur Oucssant, où Tarméc anglaise
était sûre de nous rencontrer, et où nous n'avons aperçu aucune de ses
traces. »
HISTOIRE DE LA MAHINK FIIANI.IAISE.
pagne. Tel fut, jusqu'à la fin de l'année 1778, le rôle dea
b&timents mouillés sur In rade de Breel'.
Après le rappel de son ambassadeur, l'Angleterre, ainsi
que nous l'avons dit plus haut, avait expédié dans l'Inde
l'ordre de nous attaquer. Le lo juillet, les troupes britan-
niques prirent possession de la ville de Chanderna^or*.
Dans les premiers jours du mois d'août, le général Munro,
à la léte de seize mille hommes, vint mettre le siège de
vani Pondichéry. Le '.0, le commodore Vernon parut de-
vant la ville avec un vaisseau, une frégate et trois cor-
vettes. Le vaisseau de soixante-quatre le Brillant, la
frégate la Pourvoyeuse, de trenle-lmit canons, et trois
navires de la compagnie des Indes armés en guerre, le
Sartines, le Lauriatim et le Brissun, étaient sur rade. Ces
bâtiments mirent immédiatement sous voiles pour se por-
ter au-devant des Anglais. Après un combat qui dura
environ deux heures, et dont les résultats furent indécis,
les deux divisions se séparèrent. Le commodore Vernon
alla à Madras et les Français revinrent A Pondichéry. Le
gouvernement français ne s'était pas préoccupé, en Lennps
opportun, de mettre la ville de Pondicliéry en état de sou-
tenir un siège. L'effectif des troupes était insufQsant el^
les fortifications, abattues en 1763, n'avaient pas été com-
plètement relevées*. Quoique le gouverneur, M. de Belle-
combe, eût la ferme résolution de se défendre jusqu'à la
dernière extrémité, le sort de la jilace n'était pas douteux.
I, Nm c^oiM^a^8 rcvenaii'nt prosqui.- Uiujoim nvecdei pris»*; «prèiul
lorlio do qunlquoB joura, Lamatte-I*icqiiet nsntra avec dix UtimenU.
^. Cbandurnngor étnil une villa OQTerta. — llans l« rapport nrtrnmrf pi
Ie gouverneur au minittrc pour lui taire coannllm ut dvAnenieat, on H
re lui suit : • La canuil de Calciillfi ajMl reçu, le 7 du mois do juillnt. k
nouvullo i]UF la (ruerm avait étri dir.lar^ en Euri>|K, le 15 niars, l'a tcnoa i|
Mtrtlv qite jv u'co ai H6 inriirm^ que le 10, A la vue deit troupe* aogMatt
■lui ont paru t cinq heures dii malin. ■•
3, Au contmennnieDl de 1778, le ministre avait envoyé on ofUcier de gtei*;
le «« pilai ne- major de Caire, pour compIMer les fort i G calions de PoadieUiy:.'
Farti Hur In vaismii le Flamanil. cri ofGrier était arriva, le l&mai, * TVêl
de France. 1* navire marrliand, sur It^uel il salait cmlinrquétuiurwiv
A sa Jcstinnlion nvnil Ht- [iri* h l'nlli'riigi' j-nr le ^njflnii.
I.IVHK II, 105
Le L'omiiioilore Vernon avnil reru des renforts (|ui lui
(lonmiient sur la division française une su[iénorilé mar-
([u^e. Convaincu qu'il serait réduit 4 la nécessité de brû-
ler flCK hdliincntâ ou de les rendro h l'ennemi, s'il ne se
lidlait de s'éloigner, M. de Tronjolly fit route pour l'Ile de
Fnince. Un de ses navires, le Surlities^ en mission sur la
cûte, fui capturé par les Anglais. Le 17 octobre, après
imo IW-H-belle défense, M. de Bellecombe capitula. L<>
général Munro, rendant bommoge A la conduite de nos
trou|>es, leur accorda les conditions les plus bonorables.
1^ garnison sortit de la place, tambours battant, mèche
allumée, les drapeaux déployés, emmenant avec elle six
Ciinons et deux mortiers. Elle devait être renvoyée en
France aux frais du gouvernement britannique '.
Une clause spéciale du traité de 1763 nous interdisait de
forlitîer les Iles de Saint-Pierre et Uiquelon. La garnison
de ces deux Iles n'était composée que du nombre de sol-
dats strictement nécessaire pour assurer le service de In
police. Le contre-amiral Montagu, qui commandait la sta-
tion anglaise uu Canada, détacha quelques frégates pour
les occuper. Conformément aux instructions du gouver-
nement britannique, le commodore Evans, chargé de cette
expédition, 01 conduire en France tous les habitants.
Leurs demeures, les magasins, les constructions affectées
I. U, (le Bellecombe Biiui que les ofOciurs et les soidaU de la garnison de
PoiMliclidry Toreat renvoyéi en France sur le Surfin», armé en ]iarlemen-
Inlre, et t bord duquel w Imnvait un commissaire anglais. Ce liAtinient
courail Uiiite* voiles dehors vers le détroit de Gibraltar, loriHiu'il Tut cliNMé,
sons U cap saint Vincent, par le *aisse«u de cinquante le Romney. I« Sarli-
■ifi rentra ses bonnellet, cargus ses pcrroqueU vt sei baues voilu^ et 11 resta
sous ses hDDïera, ayant en Itte de aM le pavillon parlementaire. Arrivé h
|H>rt^ de canon do cebUimonl, le Romneti remplaça la flamme et le pa*illo>
blanc qu'il avait eus jusque-là par les couleurs anglaises, et il envoya toute J
sa bordée au Sarlina. Le capilaioe et deui soldats Tarent tu^ et douu ]
hommes furent blessa. Le commandant du vaïs»eau [lorut regrcll«r Irvs-
Bincérvment le mol qu'il avait fait. Ou le capitaine du Bomneji avait conuni»
un ode de brutalité indigne d'un orBcier, ou il régnait un tel désordre, à
iHird de son navire, qu'il était arrivé h petite distance du Sarline» snns que
In position de ce Ultimeut edt élé reconnue. Dans les deox cas sa conduite
étnit *ans i-KU.^e,
i
106 HISTOIRE DE LA MAIUNE FRANÇAISE.
au service de la pèche furent démolis ou brûlés. Ces
procédés barbares offrent un contraste frappant avec les
sentiments d'humanité et de courtoisie qui présidèrent,
pendant le cours de cette guerre, aux relations des deux
marines.
LIVRE III
Traversée de l'osrAdre française, partie de Toulon, le 13 avril.— Les troupes
anglaises évacuent Philadelphie, à la fin de juin. — L'amiral Howc se
relire à Sandy-Ilook. — Arrivée des Français à Tembouchure de la
Delav^are, le 8 juillet. — Notre escadre mouille sur la côte, près de New-
York. — Le comte d'Estaing se dirige sur Hhode-Island. — Attaque pro-
jetée de New-Port. — Apparition de Tamiral Howe devant Rhode-Island.
^ Le comte d'Estaing appareille pour le poursuivre. — Dispersion des
deux escadres à la suite d'un coup de vent. ^ Les Français se retirent à
Boston. — Défiart de notre escadre pour la Martinique. — Prise de la
Dominique par le marquis de Bouille. — Les Anglais attaquent Sainte-
Lucie que d'Eslaing tente inutilement de secourir. — L'île se rend aux
Anglais. — Arrivée de Pamiral Byron dans la mer des Antilles.
I
Les vaisseaux partis de Toulon, le 13 avril, franchirent
le détroit de Gibraltar, dans la nuit du 17 au 18 mai.
Le 20, les capitaines ayant reçu Tordre d'ouvrir les plis
cachetés qui leur avaient été remis avant le départ, appri-
rent la véritable destination de l'escadre. Nos vaisseaux
étaient envoyés au delà de l'Atlantique pour secourir les
États-Unis d'Amérique. Le comte d'Estaing devait com-
mencer les hostilités, lorsqu'il serait à quarante lieues,
dans l'ouest du cap Saint-Vincent. « Le 20, à onze heures
du matin, dit le chevalier de Borda* dans son journal, on
a dit la messe, à bord du Languedoc^ avec beaucoup de
pompe. Tout l'état-major y a assisté en grand uniforme.
On a pavoisé et on a mis le pavillon de commandement
avec le grand pavillon de poupe. On a ensuite publié
l. Le chevalier de Borda était major de Tescadre.
108 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Tordre de représailles et de courre sur les vaisseaux an-
glais, ainsi que Tordre sur la distribution des prises.
L'équipage y a répondu par des acclamations de joie réi-
térées, à différentes fois, avec des cris de « vive le Roi ! »
L'époque à laquelle le comte d'Eslaing était parti de
Toulon et le secret qui avait entouré sa mission lui don-
naient les chances les plus sérieuses de surprendre et de
battre l'escadre de Howe. Celle escadre, ainsi que nous
Tavons dit, était retenue, à l'entrée de la Delaware, par
la position du général Clinton à Philadelphie. Toutefois,
pour atteindre le but que nous poursuivions, il était indis-
pensable d'arriver sur les côtes des États-Unis avant que
les Anglais eussent reçu des renforts. Une traversée ra-
pide était donc une des conditions les plus essentielles
du succès. Nous allons examiner s'il était possible, avec
les vaisseaux qui composaient Tescadre, d'obtenir ce
résultat. D'Estaing écrivait au ministre par la frégate la
Flore^ expédiée, à la lin du mois de mai, dans un «les
ports de la côte d'Espagne, pour porter à Paris de ses
nouvelles : « Le Langtiedoc et le César ont une marche
supérieure. Le Tonnant est le troisième voilier de Tesca-
dre; après ce vaisseau viennent V Hector et le Zélé, Le
Protecteur, le Fantasque et le Sagittaire sont ce qu'on
appelle trois vaisseaux de compagnie. Le Marseillais ei la
Provence marchent médiocrement. Quant au Guerrier et
au Vaillayitj ils sont tous deux les plus mauvais voiliers
de Tescadre. M. de Bougainville est au désespoir. Toutes
les frégates de Tescadre sont obligées de porter leurs
perroquets lorsque le Languedoc et le César n'ont que
leurs huniers, les ris pris; tout ce que peut faire VAima-
blcy c'est de nous suivre. » D^Estaing ajoutait : « Ce qui
pourra, Monseigneur, vous donner une idée de la lenteur
à laquelle nous sommes condamnés par le Guerriei^ et le
Vaillant, c'est que tous les bâtiments marchands qui se
sont ralliés à nous ne se sont séparés de Tescadre (jue
lorsqu'ils Ton! voulu. Ces deux vaisseaux souffrent et
(ont courir des risques à leur mtlture, en restant toujours
LIVRE III. 109
couverls de toile, tandis que nous roulons et que la mer
nous mange, parce qu'il faut sans cesse tout carguer
l)Our les attendre. » Ainsi, pour une cause indépendante
du mérite de l'amiral et de ses capitaines, notre escadre
se dirigeait vers les côtes des États-Unis avec une extrême
lenteur. Le ministre avait fait armer des vaisseaux, mais
il ne s'était pas préoccupé de réunir des bâtiments ayant
les qualités requises pour opérer ensemble*. A ce tort,
absolument personnel à M. de Sartines et à son adminis-
tration, vint se joindre une faute dont la responsabilité
retombe tout entière sur le comte d'Estaing. Celui-ci fit
exécuter, pendant la traversée, de très-fréquentes évolu-
tions. Or, une escadre, qu'elle soit à voiles ou à vapeur,
ne peut aller vite qu'à la condition de ne faire que les
manœuvres strictement indispensables. Avec les forces
dont il disposait et étant donné la mission qu'il avait à
remplir, on a le droit de dire que le comte d'Estaing se
trompa en ne sacrifiant pas tout à la célérité. L'escadre
française n'eut connaissance de la terre que dans les
premiers jours de juillet. Quelques navires marchands, et
un corsaire portant vingt-deux pièces de canon, furent
capturés. La frégate le Memiaid^ se voyant dans l'impos-
sibilité d'échapper aux bâtiments qui la chassaient, se
jeta à la côte. Le 8 juillet, quatre-vingt-sept jours après
leur départ de Toulon, nos vaisseaux laissèrent tomber
l'ancre à l'embouchure de la Delaware. Nous avons indi-
qué avec précision les véritables causes de la lenteur de
cette traversée non-seulement parce qu'elles contiennent
une leçon qui n'a pas perdu de sa valeur, mais aussi
parce qu'elles nous permettent de réfuter péremptoire-
ment les reproches de désobéissance et d'indiscipline
auxquels Fescadre de d'Estaing n'a pas plus échappé que
l'armée de d'Orvilliers. On a dit que plusieurs capitaines,
1. Il est inutile de dire que celle observation est aussi vraie aujourd'hui
qu'elle Tétait en 1778. Les escadres doivent être homogènes, sous peine de
placer entre ien mains des amiraux des inslrumcnUs dont ils tireront difûci-
jement parti.
110 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
en haine de leur général, s'étaient fait un jeu coupable,
pendant les nuits obscures, soit de diminuer de toile, soit
de se laisser sous-venter. Dans la correspondance de
d'Estaing, correspondance très-volumineuse, car cet offi-
cier général écrivait beaucoup, on ne trouve rien qui
puisse servir, je ne dirai pas de base, mais de prétexte à
cette accusation. En effet, si le comte d'Estaing se plai-
gnait delà marche de ses vaisseaux, il louait le zèle et la
bonne volonté de ses capitaines.
Les périls auxquels une guerre avec la France exposait
Tcscadre de Howe n'avaient pas échappé à Tattcntion du
gouvernement anglais. Avant que les hostilités fussent
commencées. Tordre avait été envoyé au général Clinton
d'évacuer Philadelphie et de se retirer à New-York. Les
troupes britanniques s'étaient mises en mouvement,
le 22 juin, suivies de très-près par les Américains. Le 30,
elles avaient atteint Middletown, petite ville située sur le
littoral, dans la baie de New-York. L'escadre anglaise,
retenue par les calmes, à l'entrée de la Delaware, n'était
arrivée devant Middletown que la veille, c'est-à-dire le
29 juin. La petite armée de Clinton avait passé sur
Sandy-Hook, et, delà, elle avait été transportée par mer
à New-York. L'amiral Howe avait quitté l'embouchure
de la Delaware avec six vaisseaux de soixante-quatre,
trois de cinquante et des transports portant les vivres,
les munitions et les bagages les plus lourds de Tannée.
Si le comte d'Est<iing avait rencontré l'escadre anglaise,
soit au mouillage, soit à la mer, il l'aurait certainement
battue. Dans le premier cas comme dans le second, les
troupes britanni(|ues, privées de Tappui de la flotte,
eussent été impuissantes h gagner New-York. C'est parce
que le général Clinton avait reconim la difficulté de se
rendre directement dans cette ville, qu'il avait conduit
ses soldats à Middletown. Sur sa route, il avait eu un en-
gagement, non avec la totalité mais avec une partie des
forces détachées à sa poursuite, et il a\ait subi un échec.
Si, arrivé à Middletown, il n'avait pas trouvé l'escadre de
LIVRE m. 111
>
Howe, le passage sur Sandy-Hook était impossible, et il
ne lui restait d'autre ressource que de revenir sur ses
pas. Avant d'avoir atteint New -York,, il eût été entouré
et contraint de se rendre à discrétion.
Après avoir expédié la Chimère à Philadelphie pour y
conduire M. Gérard, notre ministre auprès du congrès, le
comte d'Estaing reprit la mer, et il arriva, le 10 juillet, en
vue de Sandy-Hook. L'amiral Howe était prévenu, depuis
plusieurs jours, de la présence d'une escadre française
sur la côte. Supposant probablement que nous n'avions
pas l'intention de Tattaquer, il n'avait pris aucune posi-
tion défensive. Les passes, qui du large conduisent dans
l'intérieur de la baie de New-Vork, n'ont pas une grande
profondeur. Le comte d'Estaing, ignorant si des vaisseaux
à grand tirant d'eau, comme le Languedoc et le Césars
pouvaient les franchir sans danger, ne voulut prendre
aucune détermination, & cet égard, avant d'avoir consulté
les pilotes. En conséquence, il fit mouiller l'escadre à
quelques milles de New-York, devant une petite ville du
nom de Shrewsbury. La question qui préoccupait le com-
mandant en chef demandait une prompte solution. Les
Anglais, revenus de leur surprise, déployaient ha plus
grande activité pour réparer le temps perdu, et s'établir,
avec l'aide des ressources que leur offrait l'arsenal de
New- York, dans une forte position. Les pilotes américains
n'arrivèrent à bord du Languedoc que le 16 juillet. Lors-
qu'ils eurent appris que nos vaisseaux tiraient vingt-trois,
vingt-quatre et vingt-cinq pieds d'eau, aucun d'eux ne
voulut assumer la responsabilité de les mener en dedans
de Sandy-Hook. Ils affirmèrent qu'il n'y avait, de haute
mer, dans la passe, que vingt-trois pieds anglais, soit
vingt et un pieds et demi de France. M. de Ribiers, lieu-
tenant de vaisseau, désigné par le commandant en chef
pour exécuter des sondages avec les pilotes, ne trouva,
sur la barre, que vingt-deux pieds d'eau*. Le 20 juillet,
1. Le major de l'escadre qui avait été à terre en est revenu^ à onze heures,
112 HISTOIRE DE LA MAUIiNE FRANÇAISE.
le comte d'Eslaing réunit les capitaines de Tescadre à son
bord, et, en leur présence, il oiTrit cent cinquante mille
francs aux pilotes américains, s'ils consentaient & entrer
Tescadre. Ceux-ci ayant affirmé de nouveau qu'il était im-
possible de franchir les passes avec nos vaisseaux, ce pro-
jet fut définitivement abandonné. Alors même qu'aucune
considération maritime ne se fût opposée à l'exécution de
cette entreprise, il eût été difficile, le 20 juillet, de la ten-
ter avec des chances de succès. Les équipages de l'esca-
dre anglaise avaient été complétés par des matelots pris
sur les navires de commerce et des soldats de l'armée de
Clinton. L'amiral Howc avait adjoint à son escadre plu-
sieurs transports, sur lesquels il avait fait placer des ca-
nons. Tous les bâtiments en état de prêter le travers à
nos vaisseaux formaient une ligne très-serrée dont les
extrémités étaient défendues par des batteries. Dans ces
conditions, nous n'étions pas sûrs de vaincre, et, en cas
d'insuccès, nous n'avions pas. de retraite. Le congrès fit
proposer au commandant de notre escadre d'attaquer, de
concert avec les Américains, la ville de New-Port, située
dans HluKlc-Island. Le comte d'Estaing, qui désirait trou-
\er l'occasion de rendre des services a nos alliés, v con-
sentit.
nynnl Iravorsé heiircust'mcnl la Kinv. Il êlail accoiiipacrnô de M. le lioule-
naiil-coloiiel l^urens^ lils du président du oongrt'S et aide de camp du
général Washinulon dont il ap|H)rtait les lettres, et qui amenait en même
lempM plusieurs pilotes jurés américains envoyés par le congrès, sur la
demande de M. le comte d'Estaing. |H)ur faire entrer nos vaissk'aux en
d(\lans de Sandy-lltK>k. (les pilotes. a)ant appris que nos vai>seaux liraienl
>in^t trois. vini:t quatre et vingt cinq pietls d'eau, ont unanimement décidé
qu'il leur Mirait im|K>ssible de nous entrer, s étant tous acconlés à dire qu'il
n'y a dans la |vasse que vin^t-ln>i< pit^ls aiivrlais. de haute mer. ce qui
re^ient a \ingl et un pieds et demi de France. (!omme le général ne s'en
tenait qu*a\ec peine à leur rap|>4>rt et t|u*il leur a annoncé qu'il ferait alléger
les >ai»*s<»aux le plus qu'il sérail |Mt>>ihle. ces pil«»tes ont demandé à aller
MUider sur la Uirre au milieu de la |»ass<' et «fuils seraient acct>mpagn(*s par
un nllirier «pii \erilierait ce qui >e trouverait. 1^» général a nommé en con-
séquence M. «le Itiluers «pii est parti a\eo eux M. de Itihiers a r^ndu
compte au gênerai «pie les pilotes ont '4«>n«lé au milieu el dans toute la lon-
gueur de la |»asse t-t quiK n'ont tri>ine. à l»asse mer. que Irois brasM> H
demie. {Jonrtml du /..i»f^Hfv/of «lu 16 juilltt.)
LIVRE III. 113
L'escadre française mit sous voiles, le 22 juillet, et
elle se dirigea vers le sud *. Aussitôt qu'elle fut hors de
vue des Anglais, le comte d*Kstaing fit route pour cette
nouvelle destination.
II
L'île de Rhode est située dans une vaste baie découpée
dans le littoral de l'Etat qui porte ce nom. La direction
principale de l'île est nord et sud. Le bras de mer qui sé-
pare sa partie orientale de la terre ferme est appelé
Sea Ghannel ou passage de l'Est. L'île de Conanicut, pla-
cée parallèlement à Rhode-Islandflui fait face dans l'ouest.
C'est entre ces deux îles que se trouve le passage princi-
pal. Entre l'île de Conanicut et le continent, il y a une
troisième passe, appelée passe de l'Ouest ou de Narragan-
set. Les forces anglaises, commandées par le général Pi-
got, étaient concentrées à New-Port. Il avait été convenu
que le général Sullivan débarquerait dans la partie nord
de l'île. L'escadre française était chargée d'assurer le
libre passage des troupes américaines. Le comte d'Es-
laing devait, en outre, pénétrer dans le canal principal
et prendre à revers les fortifications de la ville. Le 29
juillet, nos vaisseaux laissèrent tomber l'ancre à l'ouvert
de la grande passe. Le Fantasque et le Sagittaire furent
chargés de surveiller la passe de Narraganset. Les fré-
gates V Aimable, YAlcmène^ et la corvette le Stanley,
mouillèrent à l'entrée de la passe de l'est, dans laquelle
il n'y avait de fond que pour les corvettes. L'occupation
des trois issues qui conduisaient vers la mer coupait la
1. Le 20, le général fit assembler les commandants^ attendu que les pilotes
ne voulaient pas entrer l'escadre. Il avait envoyé M. de Ribicrs, lieutenant de
vaisseau. |)our sonder la passe, et cet officier n'avait trouvé sur la l)arre que
vinfrl h vingtdeux pieds d'eau. Le comte d'Estaing proposa aux pilotes,
devant le conseil assemblé, cent cinquante mille francs, s'ils voulaient se
charger d'entrer l'escadre, ils refusèrent. Le général se décida, de l'avis du
conseil, à appareiller de celle rade pour se rendre à Rhode-Island. {Journal
du major de ieacadre.)
8
114 HISTOIRB DE LA MARINE FRANÇAISE.
retraite aux bAliments anglais qui étaient dans Tintérieur
de la baie. L'officier qui les commandait, se voyant dans
Timpossibilité de s'échapper, fit débarquer les vivres,
l'artillerie et les munitions, et il se tint prêt à les détruire
à notre approche. Le 5 août au point du jour, le Sat/it-
taire et le Fantasque mirent sous voiles pour remonter
la passe de TOuest. Après avoir doublé la pointe de File
de Conanicut, ils laissèrent tomber l'ancre dans la passe
du milieu. Plusieurs navires ennemis, mouillés dans le
nord de la position prise par les deux vaisseaux, furent
livrés aux flammes. Nous ne laisserons pas dans l'oubli
un trait de générosité qui fait honneur au caractère de
notre nation. Le commlhdeur de SutTren, que son ancien-
neté appelait au commandement du Sagittaire et du Fan-
tasqucy défendit par signal de tirer sur les embarcations
qui portaient & terre les équipages anglais. Le Protecteur
et la Provence remplacèrent le Sagittaire et le Fantasque
à l'entrée de la passe de Narraganset. Le comte d'Estaing
attendait, pour entrer dans le chenal principal, que le
général Sullivan eût terminé ses préparatifs. Ayant ap-
pris, le 8 août 1778, que les Américains étaient préls à
passer sur rtle de Rhode, il franchit la passe avec huit
vaisseaux. Les Anglais ouvrirent sur nos bâtiments un
feu très-vif auquel ceux-ci répondirent énergiquement.
L'escadre mouilla, aussitôt qu'elle fut hors de portée de
canon des forts, et elle prit les dispositions nécessaires
pour s'embosser au premier ordre. Le comte d'Estaing
voulait être en mesure de repousser l'amiral Ho\%e, si
celui-ci, après avoir reçu des renforts, se présentait pour
l'attaquer. Le Fantasque et le Sagittaire rallièrent l'esca-
dre dans la soirée. Le Protecteur et la Provence, chargés
de la surveillance de la passe de Narraganset, vinrent au
mouillage le lendemain matin. Les Anglais avaient coulé
les bâtiments qui étaient à l'ancre devant New-Port, lors-
que nous avions paru dans le chenal. Dans la nuit du 8
au 9 août, le général Sullivan débarqua dans Je nord de
l'Ile aw^c dix mille hommes et une nombreuse artillerie de
LIVRE m. 115
campagne. Le 9 dans la matinée, quatre mille soldats et
matelots, pris sur les bâtiments de Tescadre, furent mis
à terre dans Tîle de Conanicut. Ce corps était destiné, sous
le commandement direct du lieutenant général d'Estaing,
à marcher, avec les troupes américaines, à Tattaque des
lignes anglaises. En attendant que le moment d'agir fût
venu, ce personnel avait été réuni sur Tîle de Conanicut
pour y être organisé et instruit.
L'amiral Howe avait éprouvé une très-vive satisfaction,
lorsqu'il avait vu notre escadre disparaître, le 22 juillet,
à l'horizon. Il attendait des bâtiments qui fussent inévi-
tablement tombés entre nos mains, si nous étions restés
plus longtemps au mouillage de Shrewsbury. Mais la for-
lune, à laquelle à la guerre, comme en toutes choses,
il faut faire une part, avait favorisé nos adversaires. Du
22 au 30 juillet, quatre vaisseaux, le Comivallde soixante-
quatorze, le Raisonnable de soixante-quatre, le Centurion
et le Renown de cinquante, étaient arrivés séparément à
Sandy-Hook. Le premier, qui appartenait à l'escadre de
Tamiral Byron, s'était séparé de son armée pendant un
gros temps; deux venaient d'Halifax et le dernier arrivait
des Indes occidentales. On ne tarda pas à apprendre, à
New- York, la double attaque dont le général Pigot était
menacé. La situation des troupes britanniques avait
ceci de particulièrement grave que, n'ayant pas de re-
traite, elles étaient réduites, en cas d'insuccès, à mettre
bas les armes. L'amiral Howe eût encouru une grave
responsabilité en ne faisant pas tout ce qui était en son
IK)uvoir pour empêcher le retour d'une nouvelle conven-
tion de Saratoga. H quitta Sandy-Hook avec treize vais-
seaux, un de soixante-quatorze, sept de soixante-quatre
et cinq de cinquante, sept frégates et plusieurs trans-
ports portant des troupes, des vivres et des munitions.
L'amiral anglais avait été exactement informé des dispo-
sitions que le comte d'Estaing avait prises, à son arrivée
devant Rhode-Island. Il savait que plusieurs bâtiments
avaient été détachés dans les passes de l'Est et de l'Ouest,
116
HISTOIRE DE LA MAHINE FRAN(;AISE.
tandis que le gros de l'escadre était mouillé à l'ouvert du
canal principal. En admettant que rien ne fût changé à
celte situation, il nous attaquait avec l'avantage du nom-
bre. Si nous avions franchi lapasse, il débarquait saus
diniculté, au sud de l'île, les secours destinés à la ga.T-
nison. Dans cette dernière hypothèse, il avait l'espoir
d'effectuer son opération sans combat. L'entrée du canal
principal, formée par la pointe des Iles de llliode et de
Conanicut,él<int très-étroite, une escadre, mouillée devant
New-Port, ne peut gagner le large que si les vents vien-
nent du nord. Or, ces vents sont ceux qui, pendant le mois
d'août, soufflent le moins fréquemment. Ix)rsque Howc
parut en vue de Rhode Island, dans la journée du 9, il
aperçut l'escadre fram;aise dans le canal principal. Il
signala aux transports de jeler l'ancre près de la cdte, et
il resta sous voiles avec les bâtinienl» de guerre. L'ap-
parition soudaine de l'ennemi modifia les projets dujl
comte d'Eslaing. Les hommes et ie matériel furcnl^
rembarques, et l'escadre prit ses dispositions pour re-
pousser les Anglais, dans le cas oii ceux-ci tenteraient de
pénétrer dans la baie. Le 10 août, à sept heures du malin,
la brise, par une exception très-rare dans cctlc saison, s'é-
tant établie ou nord -nord-est, l'armée appareilla en cou-
pant les cAbles. Deux heures après, elle élait hors de la
passe faisant route sur l'ennemi. L'amiral Howe, surprifl
parla rapidité de nos mouvements, rappela les bAtimentaJ
qui étaient au mouillage, el il se dirigea vers le large es J
se couvrant de (oile. H tenait A éviter un cngagem(ait3
désuviintagoux, et, d'autre pari, il voulait profiter do cetti
circonstance pour nous éloigner dolthode-lsland. La jour-
née se passa sans incident particulier. Notre escadre i
rapprocha des Anglais, mais elle ne les gagna pos i
pour les obliger & combattre. Le lendemain, dans l'aprè
midi, nous avions l'espoir de les joindre, lorsque, vM
cinq heures du hoir, la hrise, qui avail fraîchi rapidi
ment, soufllu en coup de veut. Les di'iix escadres furentl
dispersées, et, le 13 au poini du Joui', te vaisseau da|
LIVRE III. 117
comte d'Estaing se trouva seul. Son beaupré s'étant
rompu, toute la mâture vint en bas; il eut, en outre, la
mauvaise fortune de casser la barre de son gouvernail.
Le Languedoc était dans cette situation, lorsque, un peu
avant le coucher du soleil, il fut attaqué par le Renown
de cinquante canons. Le capitaine du Renown, après avoir
reconnu la position du bâtiment français, manœuvra de
manière à lecanonner par Tarrière. Le Languedoc se dé-
fendit avec ses pièces de retraite jusqu'au moment où
Tobscurité mit fin au combat. Le 14, dans la journée,
tous les vaisseaux, à Texception du César, rallièrent le
pavillon du commandant en chef. Le temps étant de-
venu maniable, le comte d'Estaing fit mouiller Tesca-
dre, afin de permettre au Languedoc d'installer une
mâture de fortune et aux autres bâtiments de réparer
leurs plus grosses avaries. Le Marseillais, après avoir
perdu son mât de misaine et son beaupré, avait été
attaqué par un vaisseau de cinquante canons, VIsis, qui
avait été obligé de se retirer. L'escadre mit sous voiles,
le 17 août, et elle mouilla, le 20, devant Rhodc-Jsland.
L'amiral Byron avait quitté Plymouth, le 12 juin 1778,
avec treize vaisseaux, pour renforcer Howe que le départ
de d'Estaing mettait en péril. Assailli pendant sa traver-
sée par des gros temps, son escadre avait été dispersée.
Quelques-uns de ses vaisseaux, et le sien était du nombre,
avaient relâché à Halifax; les autres avaient continué
leur route sur New-York où ils étaient entrés depuis
quelques jours. Le marquis de la Fayette s'empressa de
venir à bord du Languedoc pour porter cette nouvelle au
comte d'Estainf>. Quel que fût le désir du général fran-
çais de tenir la promesse qu'il avait faite aux autorités
américaines, il se voyait contraint de renoncer à l'expé-
dition de Rhode-Island. La supériorité de l'ennemi et
l'état dans lequel étaient ses vaisseaux, notamment le
Languedoc et le Marseillais, lui imposaient d'autres devoirs.
11 réunit à son bord les officiers généraux et les capi-
taines, afin de les consulter sur le parti qu'il convenait
118 HISTOmE DR LA MARINE FBAÎÎÇAISE.
(leprcndrc.TouP Turent d'aviiicrnllrrù Boston, oh l'escadre
pourrait trouver des ressources, et où elle ferait ses répa-
rations avec plus de Récurilé qu'à New-Port. Les membres
du conseil ajoutèrent qu'il fallait nous h&ter de partir, si
nous ae voulions pas trouver les Anglais sur notre route.
Il n'était pas douteux que l'amiral Howe, ayant en ce
moment l'avantage du nombre, ne fit tous ses elTorts
pour nous joindre. Le général Sullivan, qui s'était établi,
pendant notre absence, en face des lignes anglaises, al-
icndiiit impatiemmeni notre retour pour continuer ses
opérations et atfaquer New-Port. Sa déception fut extrême
en apprenant que notre départ était résolu, mais ses in-
stances pour obtenir que le comte d'Eslaing revint sur cette
détermination demeurèrenlsansrésultat. Le lendemainai,
l'escadre française se dirigea sur Boston où elle arriva»
le 28. Le César était depuis huit jours à ce mouillage,
rendez-vous qui avait été assigné à l'armée, en cas de
séparation, lorsqu'elle avait quitté New-Port, le 10 août.
Ce vaisseau avait eu un engagement assez vif avec le
Protifon de cinquante canons, monté par le commodore
Hotham. La présence de deux vaisseaux ennemis et la
rupture <lc la roue du gouvernail avaient décidé le César
à s'éloigner. Le iMnf/ne'Ior, le yfarseillais et le Protec-
teur, qui avaient fi faire de grandes réparations, laissé*
renl tomber l'ancre près do la ville, tandis que le reste
de l'escadre mouillait dans la baie de Nantasket. Les lies,
au milieu desquelles se trouvent les passes qui condui-
LIVRE III. 119
avait fait de sérieux progrès. Le 1*' septembre, nous
avions, sur Fîle George, six mortiers et deux batteries.
Tune de onze pièces de canon de vingt-quatre, et l'autre
de huit pièces de dix-huit et de vingt-quatre. Cette der-
nière battait la grande passe et la passe étroite située au
nord de Tlle George. Trente canons de dix-huit et de
vingt-quatre, placés sur Tlle de Nantasket, tiraient dans
la direction de la grande passe. Des batteries, d'une im-
portance moindre, étaient déjà commencées sur quelques-
unes des nombreuses îles qui avoisinaient la rade. L'es-
cadre française, loin de redouter l'attaque de Howe, la
souhaitait très-vivement. Le comte d'Estaing avait quitté
le Languedoc^ mouillé près de Boston, et il avait mis
son pavillon sur le César. A bord de tous les vaisseaux
les dispositions étaient prises pour présenter le travers à
l'ennemi. Après avoir reconnu la force de notre position,
Tamiral Howe fit route sur Rhode-Island.
Le départ de l'escadre française, le 21 août, avait placé
le général Sullivan dans une position difficile dont il s'était
tiré très-heureusement. Après avoir fait filer sa grosse
artillerie, il avait opéré sa retraite en bon ordre, s'arré-
tant pour combattre, quand il était serré de trop près.
Le 31 août, il était en sûreté avec ses troupes et son maté-
riel sur le continent. Les Américains durent se féliciter
de la rapidité avec laquelle ils avaient exécuté leur mou-
vement. Le 1" septembre, des transports, escortés par
quelques navires de guerre, amenèrent à New-Port le
général Clinton avec quatre mille hommes. Si les Anglais,
après la rentrée de l'escadre de Howe, à la suite du coup
de vent du 1 1 août, avaient déployé une activité égale à
celle du général américain, celui-ci, bloqué du côté de la
mer, poursuivi par le général Clinton avec des forces
doubles des siennes, eût couru les plus grands dangers.
L'amiral Howe, après avoir touché à Rhode-Island, où les
événements que nous venons de rapporter rendaient sa
présence inutile, revint à New-York. Le général Sulli-
van n'avait pas admis la légitimité des motifs qui avaient
120 HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
déterminé le comte d'Estaing à se retirer à Boslon. Ou-
bliant la réserve que lui imposaient la siliialion de son
pays et les fonctions qu'il exerçait, il avait prolesté, en
termes peu convenables, contre la conduite du comman-
dant de notre escadre. La nouvelle de ce dissentiment
s'était très-promptement répandue dans les provinces
septentrionales, auxquelles appartenaient les milices qui
avaient combattu sous les ordres de ce général, et elle
avait soulevé l'opinion contre nous. Un mouvement po-
pulaire, dans lequel deux officiers de l'escadre, HM. de
Saint-Sauveur et le Plévîlle le Peley, furent grièvement
blessés, éclata à Boston'. La sagesse des autorités amé-
ricaines, le calme et la modération du comte d'Estaing,
apaisèrent cette efTervescence. Les généraux Washington,
Gates, Greene et plusieurs personnages imporlanls s'em-
pressèrent de désavouer le générai Sullivan. Ces dif-
licultés avaient pris de telles proportions que le congrès,
regardant son intervention comme nécessairpT adopta
la résolution suivante : « Le congrès conserve le plus
haut sentiment du zélé et de l'attachement que le comté |
d'Estaing a montrés A ia caiise des États-llnis en pltf J
sieurs occasions, et particulièrement dans l'offre noblo b|1
généreuse qu'il a faite de venir à Boston, à la tiHe de SM 3
troupes, pour coopérer à la réduction de Rhode-lsland. ■ '
La nouvelle de l'arrivée sur le continent des troupes amé-
ricaines avait rendu inutile cette proposition qui avait
été réellement faite par le comte d'Estaing. Il est permis
d'ajouter qu'elle n'était pas trés-prudente. Comment noua '
serions-nous défendus, sur la rade de Nantasket, contnl
une attaque de l'escadre anglaise, si l'élite de no» éqill
pages était partie, par la voie de terre, pour se battre a
l'Ile de Rhode?
L'Angleterre n'avait pas seulement h faire la guerre suti
mer, elle devait défendre son sol, ses colonies, et conti^
nuer la lutte engagée avec le peuple américain. PouM
M, il' Sainl-Sailvoiir siicrcimbH ji se» lilnxurf n.
• LIVriE III. 121
satisfaire à toutes ces exigences, une armée considérable
était nécessaire. Or, les Iles-Britanniques fournissaient
peu de soldats, et les ressources qu'offrait la Hosse et
quelques autres parties de TAllemagne pour le recru-
tement des troupes anglaises étaient limitées. Pro-
fitant de rapproche de Thiver^ saison pendant laquelle les
opérations de guerre subissaient dans le nord des Etats-
Unis un ralentissement forcé, la cour de Londres pre-
scrivit au général Clinton d'envoyer cinq mille hommes
aux Indes occidentales. Ces troupes devaient quitter
Sandy-Hook, dans les premiers jours de novembre, sur
cinquante bâtiments de transport escortés par le Commo-
dore Hotham avec cinq vaisseaux. L'amiral Byron, le nou-
veau commandant en chef des forces navales de l'Angle-
terre, était arrivé, le 16 septembre, à New- York. Il vint, à
la fin d'octobre, devant Boston, afin de couvrir le passage
du Commodore. A la suite d'un coup de vent très-violent,
tous les bâtiments anglais furent dispersés ; quelques-uns
rentrèrent à New- York et les autres relâchèrent à Rhodc-
Island. Le Somerset^ de soixante-quatorze, se jeta à la
côte, à l'entrée de la Chesapeak, et son équipage fut fait
prisonnier. Le comte d'Estaing, réduit à l'inaction par la
supériorité de l'ennemi, n'attendait qu'une occasion favo-
rable pour se rendre dans les Antilles. Profitant de l'éloi-
gnement des Anglais, il fit route pour la Martinique. Le
25 novembre, trois navires, appartenant au convoi qui
avait quitté Sandy-Hook dans les premiers jours du mois,
furent chassés et pris par nos frégates. Cette rencontre
nous apprit ce que nous ignorions complètement, c'est-
à-dire le départ du commodore Hotham avec des forces
considérables pour la mer des Antilles. Les capitaines
des bâtiments capturés s'étaient séparés, la nuit précé-
dente, de l'escadre anglaise, mais ils ignoraient quelle
était sa destination. La route qu'ils suivaient, au moment
où nous les avions aperçus, les faisait passer au vent de
toutes les îles. Il y avait lieu de croire que les Anglais se
dirigeaient sur la Barbade, mais le comte d'Estaing se
12Î HISTOIRE DK L\ MARINE FRANÇAISE. ♦
persuada qu'ils allaient à Ântigue. Il fit de la toile afin
de rejoindre Tennemi dont nous étions évidemment très-
près. Le 6 décembre, Tescadre française arriva par la
latitude de la Désirade, point d'attcrage des navires qui
se rendent à Antigue. Après avoir croisé, pendant qua-
rante-huit heures, à la hauteur de cette île, sans aperce-
voir l'ennemi, le comte d'Estaing se décida à faire roule
pour la baie de Fort-Royal où il mouilla le 9 décembre.
Pendant le séjour qu'il venait de faire sur les côtes de
l'Amérique septentrionale, le lieutenant général d'Eslaing
n'avait fait aucune opération de guerre proprement' dite.
Il était arrivé trop tard pour surprendre les Anglais à
Tembouchure de la Delaware. Le refus obstiné des pilotes
de conduire nos vaisseaux au mouillage de Sandy-Hook
ne lui avait pas permis d'attaquer l'amiral Howe. Enfm,
l'expédition de Rhode-Island, à peine commencée, avait
été abandonnée. Cependant nous avions déjà rendu & la
cause des Etats-Unis des services très-réels. C'était l'atti-
tude du cabinet de Versailles qui avait appelé l'attention
du ministère anglais sur les dangers auxquels Howe était
exposé. En donnant à cet amiral l'ordre de quitter sa
[)Osition, la cour de Londres avait été obligée de prescrire
l'évacuation de Philadelphie, puisque l'armée de Clinton
ne pouvait se passer de l'appui de la marine. Il était donc
exact de dire que ce résultat était entièrement dû à l'al-
liance française. Des commissaires, munis de pleins pou-
voirs pour négocier le rétablissement de Tunion entre
l'Angleterre et ses anciennes colonies, avaient débarqué
i\ New-York, au commenccmcnl de juin 1778. C'était un
dernier effort que tentait le ministère britannique pour
empêcher le congrès de ratifier les traités conclus avec
nous. L*abandon d'une ville de l'importance de Phila-
delphie avait montré aux moins clairvoyants que c^était
la faiblesse et non la générosité qui avait inspiré aux
hommes irÉtat de la Grande-Bretagne cette démarche en
apparence conciliante. Les .américains s'étaient sentis
d'autant plus forts pour repousser les propositions d'ac-
LIVRE III. 123
commodément (le lacoiirdeLon(lres,qirils avaient la cer-
titude d'être soutenus par la France. En effet, les traités
signés à Paris, le 6 février 1778, avaient été remis,
le 2 mai, au congrès par Simon Deane*, qui avait pris
passage sur la frégate laSensi6/e, partie de Brest, le 8 mars.
L'arrivée du lieutenant général d'Estaing, en augmentant
la confiance du congrès dans le succès déHnitif de Tin-
surrection, avait enlevé aux commissaires anglais toute
espérance de réussir dans leur mission. La corvette le
Stanley j les corsaires la Rose^ et la Fanny et dix-huit
navires marchands avaient été capturés par nos bâti-
ments. Le Sloop Yo7'k était tombé entre nos mains, maïs
il avait été repris par les Anglais. La frégate le Mei-maidy
de vingt-huit canons, sur le point d'être jointe par le
FanUisqueùX le SctgUtaire^ s'était jetée à la côte, le 8 juillet,
à l'embouchure delà Delaware.A Rhode-lsland, la frégate
le Grand-DuCy de quarante canons, les frégates Orphée^
LarckjJunon et Flore^ de trente-deux, le Cerbère, de vingt-
huit, les corvettes Kings Ficher et Falcon et quelques
petits bâtiments avaient été brûlés ou coulés par les An-
glais. La corvette le Sénégal et une galiote à bombe
avaient été prises par nos frégates , après le coup de
vent du 11 août.
III
La frégate la Concorde, arrivée, le 17 août, à la Marti-
nique, avait apporté au gouverneur général des lles-du
1. Simon Deane était le frère de Silas Deane, un des trois envoyés des
Étais-Unis auprès de la cour de Versailles. C'était ce dernier qui avait pris
passage sur le Ixinguedoc,
2. Ce corsaire, armé de vingt-deur: pièces, fut aperçu, le 5 juillet, par
Tescadre. Le Languedoc signala à la frégate VEngacfeanU de le chasser.
U Boi<e n^amena son pavillon qu'après une Irés-vive résistance. Ce bâtiment
était dans un tel état, qu'on fut obligé de le couler. Le corsaire eut une
grande partie de son équipage hors de combat ; sept hommes de l'équipage
de V Engageante furent blessés
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Vent la nouvelle des actes d'hostilités commis par l'ami-
ral Keppel et l'ordre du Roi d'user de représailles envers
les Anglais. Enlre la Martinique et la Guadeloupe, et à la
VHe de chacune de ces Iles, se trouve la Dominique. Le
ministre de la marine presrrivait au marquis de Bouille
de saisir toute occasion de se rendre maître de celte Ile
que nous avions cédée à la Grande-Bretagne, en 1763.
Les Anglais avaient mis un soin particulier à la for-
lilicr, mais, en raison de l'étendue des ouvrages qu'ils
avaient construits et de l'artillerie qui les armait, lu dé-
fense exigeait un nombreux personnel. A la fin du mois
d'août 177S, la garnison, par suile d'une négligence difti-
cile A comprendre de la part des autorités britanniques,
comptait à peine quelques centaines de soldais réguliers.
Le marquis de Bouille, informé de cette situation, résolut
de mettre immédiatement h exécution les ordres de M. de
Sartines. Les forces navales dont il disposait étaient infé-
rieures & celles de l'ennemi, mais il se proposait d'agir
avec une telle promptitude que le commandant de la
station anglaise, le contre-amiral Barrington, arriverait
trop tard pour s'opposer à ses desseins. Le 6 septembre,
après le coucher du soleil, dou7.e cents soldats et mille
volontaires créoles, blancs et hommes de couleur, furent
embarqués sur les frégates lu Tourterelle, lu Dilif/«nte,
VAmphitrite, la corvette ÏÊtourtHe et une llottille de
transports. Nos troupes, mises à terre le lendemain dans
la matinée, occupèrent, sans coup férir, les positions qui
couvraient la capitale de l'Ile. Le gouverneur, voulant
épargner A la petite ville du Roseau les conséquences
d'une prise d'assaut, demanda h capituler. Le général
français traita les habitants avec lu plus grande généro-
sité. U décida qu'ils conserveraient, jusqu'à la paix, Ii<
réj{ime administratif et judiciaire sous lequel ils vivaient.
Si lu Dominique restait fruni;jiise, les colons qui ne con-
sentiraient pas A changer de nationalité auraient toute
liberté de sortir de l'Ile en emportant ce qu'ils possé-
daient. Aucun» violence ne fut commise contre let
Irc les pavj
LIVRE m. 12^
sonnes ou contre les propriétés, et les ennemis eux-mêmes
rendirent hommage à l'exacte discipline observée par no<
soldats. Cent soixante -quatre pièces de canon, vingl-
qualre mortiers, des vivres, des munitions et des effels
militaires tombèrent entre nos mains. Après avoir désigné
les troupes qui devaient occuper notre nouvelle conquête,
M. de Bouille reprit la route de la Martinique. Lorsque le
contre-amiral Barrington avait eu connaissance de l'at-
taque dirigée contre la Dominique, il s'était hâté de venir
au secours de l'île, mais, à son arrivée, le pavillon fran-
çais flottait sur tous les forts et nos bâtiments avaient
disparu. 11 retourna à la Barbade, attendant avec la plus
vive impatience les renforts qui lui étaient annoncés
d'Amérique. II se proposait de tenter quelque opération
dont le succès atténuât Teffet que devait produire eu
Angleterre la perte de la Dominique. Ignorant que le
comte d'Estaing eût quitté Boston, il se considérait comme
maître de la mer, et, par conséquent, libre de se porter là
oii il le jugerait convenable. Il jeta les yeux sur Sainte-
Lucie, dont la possession avait, pour la marine britan-
nique, une importance particulière. De cette île, placée à
petite distance de la Martinique, on pouvait surveiller les
mouvements des forces françaises mouillées dans la baie
de Fort-Royal Le 11 décembre, vingt-quatre heures après
l'arrivée du commodore Hotham à la Barbade, l'amiral
Barrington fit route sur Sainte-Lucie. Il avait avec lui
sept vaisseaux et un convoi portant quatre mille homme>.
Les troupes débaniuèrent, le 13, près de l'anse du Cul-
(Ic-Sac, et elles s'emparèrent immédiatement des hau-
teurs qui dominent cette petite baie. Ce premier avan-
lairc donna aux Anglais un bon mouillage. Le len-
demain, l'ennemi marcha sur le Morne Fortuné, capitale
de l'île, que le gouverneur, M. de Micoud, évacua dans
la crainte d'être enveloppé. La garnison française
posée de quelques centaines de soldats et de o
be relira dans les montagnes. Les Anglais
gèrenl immédiatement sur la baie du Garéo)
126 lUSTUlHK UK LA MARINE FRANÇAISE.
& trois milles dans le nord de l'anse du Cul-de-Sac. Les
deux exti-éniifôs de la baie, ainsi que le Horae de la
Vierge, position Tortillée qui domine le mouillage, furent
occupés. Le 14 décembre dans la soirée, les généraux
Grant et Meadows, qui commandaient le corps expédi-
tionnaire, étaient maîtres de ioiit le littoral, s'étendant
do la pointe nord de la baie de Carénage à la limite sud
de l'anse du Cukte-Sac. Ces événements s'étaient accom-
plie avec une telle rapidité que les Français n'avaient
pas eu le temps ou avaient négligé, dans la précipitation
do leur reiraile, d'encloucr leur artillerie et de détruire
les munitions.
Le 13 décembre, un corsaire américain apporta ft la
Martinique la nouvelle do la sortie du contre-amiral Bar-
rington. On crut, d'après le rapport du capitaine de ce
bdtiment, <|uc les Anglais «liaient à la Grenade, mais, le
U, le comte d'Estaing eut la certitude qu'ils attaquaient
Sainte-Lucie. Depuis que la guerre était imminente,
M. de Bouille n'avait jiris aucune disposition pailiculiére
pour mettre cette Me eu état de défense. Ce nVtail pas
(|ue le ^'ouvcnicur général des Iles-du-Vent cùl manqué
d'activité et de pré\o\uncc. Il possédait au plus haut de-
gré ces deux qualités, mais, en s'emparant de la Donii-
ni<pic et on abanilonuant Saintc-Lut-ie à ses propres
forces, il s'était «Irictement conformé aux ordres du mi-
nistre. Quelles (pie Tussent, sur ce jioint, les instructions
de H. de Sarlines, le comte d'Estaing pouvait d'autant
i.ivnr: 111. 127
le gouvernement avait conQé au comte d'Estain^f le cuni-
mandement militaire des lles-du-Vent.Cct officier général
expédia des bâtiments A la Guadelou|iG et à la Dominique
pour prendre une partie de lu garnison de ces deux Iles,
Il mit 50US voiles, le U, avec l'escadre, sur laquelle étaient
embirqués les troupes réunies à Fort-Royal et les volon-
taires créoles, et il arriva, dans la soirée, en vue de Sainte-
Lucie. Le 15, au point du jour, il se dirigea sur la baie du
Carénage qu'il croyait encore en notre possession. Un
feu Irès-vir, (jui accueillit nos vaissemux lorsqu'ils TuriMil
h itorlée de canon, apprit au comte d'Estaing le véritable
état des choses. 11 no s'agissait plus de secourir l'ile, il
fallait la reconquérir. Il gouverna sur l'anse du Cul-de-
Soc avec l'intontion de combattre l'escadre anglaise. Le
contre-amiral Barrînglon, dont les bAtimenls étalent sans
ordre, la veille, avait travaillé toute la nuit pour rectilier
sa position. Ses vaisseaux étaient embosscs sur une seule
ligne, un peu en dedans de l'entrée qui est très-étroite,
couvrant les navires de transport. Sur plusieurs points,
l'ennumi élevait des batteries pour défendre le mouillage.
Le comte d'Estaing passa une première fols au large de
la baie, en échangeant des boulets avec les vaîsseau.\ du
contre-amiral fiarrington. Il recommença la même ma-
nœuvre quelques heures aprè.s, mais cette canonnade
n'amena, de part et d'autre, que des avaries sans impor-
tance. Le commandant de notre escadre, qui ne semblait
pas obéir à un plan mûrement réfléclii, abandonna l'at-
taque de l'escadre anglaise et il vint jeter l'ancre dans
l'anse du Choc. Prenant alors la détermination de s'em-
parer de la baie du Carénage, il fit mettre à terre le coqis
expéditionnaire. Le 18, les Frau(;ais, divisés en trois
colonnes, commandées par le lieutenant général d'Es-
laing, le marquis de Bouille et le comle de Lowendal, se
mirent en mouvement. Soit que nos troupes se fussent
égarées, ou qu'elles eussent suivi des guides infidèles, les
trois ilétachements débouchèrent sur un terrain décou-
vert, situé au pied du Morue de la Vierge. Nos soldats.
L
I
128 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
quoiqu'ils fussent accablés de fatigue, marchèrent à l'en-
nemi avec la plus grande vigueur. Les Anglais, abrités
derrière des retranchements défendus par une nom-
breuse artillerie, occupaient une position très-forte.
Après une lutte de plusieurs heures, les Français furent
contraints de se retirer; ils avaient quarante et un
officiers et huit cents hommes hors de combat. Le
comte d'Estaing revint à la pensée d'attaquer l'escadre
anglaise. Comprenant sans doute l'inutilité de l'engage-
ment qui avait eu lieu, le 15, il résolut de combattre les
bâtiments ennemis bord à bord. 11 ne pouvait mettre ce •
projet à exécution que si la brise de l'est-nord-est à l'est-
sud-est, qui soufflait habituellement, pénétrait jusque
dans la baie. Le 24, la frégate VIphigénic ayant fait con-
naître par signal que la brise arrivait jusqu'aux navires
anglais, l'escadre reçut l'ordre d'appareiller. Il était trois
heures de l'après-midi lorsque nos vaisseaux furent en
ligne. Soit que le comte d'Estaing trouvât la journée trop
avancée, soit qu'il doutât encore une fois du succès de
cette entreprise, il reprit le mouillage de l'anse du Choc.
Ayant appris, le 28, que l'amiral Byron était attendu aux
Iles-du-Vent, il prit le parti de s'éloigner. Les troupes
furent rcmbarquées dans la nuit du 28 au 29, sans (juc
l'ennemi songedt à nous inquiéter, et l'escadre fit route
pour la Martini(|ue, où elle mouilla le 30 décembre. Après
le dé|)art de la flotte, le gouverneur de Sainte-Lucie,
M. de Micoud, capitula*. Depuis le début des hostililc^i
nos adversaires n'avaient obtenu (jue des avantages in-
signifiants plus que compensés par la perte de la Domi-
nique. La prise de Sainte-Lucie, accon)pagnée di* Téchec
1. (Quoiqu'il puisse paraître sin^rnlier qur le ministre eût donné, aiitti
que nous Pavons dit plus haut, l'ordre d'aliaudonncr Sainte-Lucie à MH
propres forces, le fait n«' fKMil rln* mis en d(»ule. Le uian|uis de bouille
écrivait au maréchal de Oaslries, le 11 se|>teud)re ]'81 : * Quanl à
M. lie Micoud, je n'ai pcrsonnellemenl aucune raison de nren plaindre. Ce
n'cAl qu'en consétpience des ordres ^ecrcts et |>ar écrit de M. de Sarlioet
que j'ai al>andonné Sjiinle-Lucie à >es propres force» cl que j'ai pris Mir
moi d attaquer la Dominique. On a gagné l'une et on a perdu l'autre, co
LIVRE 111. li&
du comte d'Esiaing, causa une très-vive satisfaction en
Angleterre. L'amiral Barrington et les généraux Grant et
Meadows s*élaicnt conduits dans cette affaire avec promp-
titude et résolution. Toute justice devait leur être rendue,
mais la vérité obligeait également à reconnaître que nos
propres fautes avaient eu une grande part dans le succès
de nos adversaires. La capture faite, le 25 novembre, de
trois navires appartenant au convoi du commodore Ho-
tham, était une bonne fortune pour Tescadre française.
Nous apprenions que nous avions devant nous une flotte
de transports conduisant cinq mille hommes dans les
Antilles, sous l'escorte de cinq vaisseaux, dont trois de
soixante-quatre et deux de cinquante. Si nous parvenions
à les joindre, nous remportions une victoire facile qui
eût laissé sans défense les possessions britanniques des
lles-du-Vent. Dans ses conjectures sur la direction suivie
pur le commodore Hotham, le comte d'Estaing se trompa.
Il admit que le commodore se rendait à Antigue, quoique
la route des transports anglais, au moment de leur cap-
ture, fût contraire à cette supposition, et il perdit deux
jours devant la Désirade. Arrivé à Fort-Royal, il garda
SCS frégates auprès de lui, au lieu de s'en servir pour
connaître la destination des bâtiments qu'il avait pour-
suivis. Après avoir déployé la plus grande activité pour
se porter au secours de l'Ile, il montra la plus grande
indécision quand il se trouva en face de Tennemi. Pressé
d'en fmir, il voulut enlever, par un coup de main, des
positions très-solides défendues par de bonnes troupes et
du canon. En engageant cette affaire dans ces conditions
et sur un terrain que nous n'avions pas suffisamment
qui devait être aioM sans qa*il y eût de U Iule des airenb ^ohaturmi, •
le gouvernement français oe croyait pas que la guerre dtt avoir aae
durée. Il voulait rt^prendre Tilede la DomÎBÎqse. placée ealve 11
H la Guadeloupe^ mais on supposait probaUemcal à ^um
demanderaient Sainle-Locie en échange. Le cabiaet de Tinril
doote pensé que le meilleor moyen d^arriivr à ce résiMM é
eonquète de la Dominiqoe et de Iais94»r les Angine wmmÊ^
Au moment de traiter de la peu, chaaa eit gir4ê ce ^1
130 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
reconnu, nous devions être battus. Quant à l'attaque par
mer, elle ne fut pas menée avec l'énergie qui en eût as-
suré le succès. Nous avons, sur ce point, un témoignage
décisif, celui de SulTren, qui commandait le Fantas<iiie
dans l'escadre. 11 écrivait, à la date du 18 décembre, au
commandant en chef : « Monsieur, il est du devoir d'un
capitaine à qui le Roi a fait l'tionneur de confier un vais-
seau, de représenter qu'ayant cent cinquante hommes de
moins dans son équipage, il n'est en état ni de manœu-
vrer ni de combattre. J'aimerais mieux servir comme vo-
loniaîre, à terre, sous vos ordres, que de commander un
b&limenl dans cet élat. Au moins, n'ayant à répondre que
de ma personne, mon honneur serait dans mes mains.
. Les circonstances nous ayant obligés de débarquer nos
soldats, si vous le jugiez à propos, nous pourrions ob-
vier au très-grand inconvénient d'avoir une escadre dés-
armée, en prenant des remplaçants sur les corsaires, les
frégates et les transports....
« .... Je prends la liberté de vous envoyer un mémoire
sur noire situation. Autant je serais éloigné de donner
des avis à un général, autant je crois qu'il est du devoir
d'un bon citoyen de faire part des idées qu'on croit utiles
au bien de l'État, surtout à un général qui m'a témoigné
de la confiance, de la bonté, el à la gloire de qui je m'in-
téresse. Malgré le peu de suile des deux canonnades du
15 décembre, du malheureux échec qu'ont essuyé nos
troupes, nous pouvons encore attendre des succès. Hais
le seul moyen d'en avoir, c'est d'attaquer vigoureusement
l'escadre qui, vu notre supériorité, ne pourrait pas tenir
malgré leurs fortifications à. terre, dont l'elTet deviendrait
nul, si nous les abordions ou mouillions sur leurs iMsuées.
Si nous retardons, mille circonstances peuvent les saih* |
ver. Ils peuvent profiter de la nuit pour s'en aller ea '
abandonnant du monde dans un posie qui couvrirait leur
relrnite. Il est des temps, tel que celui de l'avant-der-
nière nuit, uii loute la vigilance des croiseurs ne pourrait
empêcher leur fuite. D'ailleurs, l'encadre étant désarmée,
LIVRE III. i3i
elle n'est en étal ni de manœuvrer ni de combattre. Que
ferait-on, si l'escadre de l'amiral Byron arrivait? Que de-
viendraient les vaisseaux sans monde, sans général? Leur
défaite entraînerait la perte de l'armée et celle de la co-
lonie. Détruisons cette escadre; l'armée de terre, man-
quant de tout, dans un mauvais pays, serait bien obligée
de se rendre. Que Byron vienne après, il nous fera plaisir.
Je crois qu'il n'est pas nécessaire de faire remarquer que,
pour cette attaque, il faut du monde et des dispositions
bien concertées avec ceux qui doivent les exécuter. » Cette
lettre, dont chaque ligne renferme une leçon militaire,
emprunte à la personnalité de celui qui l'a écrite une
importance sur laquelle nous n'avons pas à insister.
Après ravoir lue, on demeurera persuadé que le comman-
dement de cette escadre n'avait pas été confié à des mains
capables de l'exercer*.
1. Le comte d'Estaing avait consulté, pendant celte malheureuse expédi-
tion, le général de Bouille et les capitaines de vaisseau de Bougainville et
de Soflrcn. Nous devons ajouter qu'il n'avait pas suivi leurs conseils. Le
marquis de Bouille, au retour de cette expédition, voulait retourner en
Europe.
LIVRE IV
L'amiral Byron, venant des côtes de rAmérique septentrionale, rallie I*ami-
rai Barrington. — Le comte d'Estaing reste sur la défensive. — I^es
escadres française et anglaise reçoivent des renforts. — I^ division de
Yaudreuil mouille dans la baie de Fort-Hoyal, après avoir fait la conquête
du Sénégal. — Prise de Ttle Saint-Vincent. — Arrivée de Lamoltc-Picquet
avec six vaisseaux. — Les Français s'emparent de la Grenade. — Combat
des escadres de Byron et de d*Estaing. — Les Anglais se retirent à Saint-
Christophe. — Prise des Iles Cariaçou et des petites Grenadines. — Le
comte d'Estaing mouille successivement à la Guadeloupe et à Saint-
Domingue. — Il se dirige vers les c6tes de TAmérique septentrionale. —
Échec des Français et des Américains devant Savannah. — Retour en
Europe des vaisseaux partis de Toulon, le 13 avril 1778. — Engagement
de Lamotte-Picquet avec Fescadre de Tamiral Parker à rentrée de la baie
de Fort-Royal.
I
Le comle d'Eslaing apprit, dans les premiers jours de
janvier, que l'amiral Byron était arrivé à la Barbade. Il
mit sous voiles, le 11, et il se dirigea sur Sainte-Lucie,
atin de reconnaître la position des Anglais. Nos frégates
ayant compté quinze vaisseaux ennemis au mouillage, il
acquit la certitude que les amiraux Barrington et Byron
avaient opéré leur jonction. Le 19 février, le comte de
Grasse, venant de Brest avec les vaisseaux le Dauphin
Boyaly le Magnifique^ le Robuste et le Vengeur, mouilla
dans la baie de Fort-Royal. L'amiral Byron ayant été re-
joint, à la môme époque, par quatre vaisseaux aux ordres
du Commodore Rowlev, la relation existant entre nos for-
ces et celles de Tennemi ne fut pas modifiée. Le comte
d*Estaing prit la détermination de rester sur la défensive,
jusqu'à ce qu'il eût reçu les renforts qu'il attendait d'Eu-
LIVRE IV. 133
rope. Le chef d'escadre de Vaudreuil* arriva, le 26 avril,
à la Martinique avec le Fendant et le Sphinx. Le Fier^ de
cinquante canons, était entré, la veille, dans la baie de
Fort-Royal avec un convoi. L'escadre anglaise, qui avait
également reçu des renforts, continuait à avoir, sur la
nôtre, la supériorité du nombre. Soit circonspection de la
part du comte d'Estaing, soit qu'il ne trouvât rien à ten-
ter avec les forces dont il disposait, l'escadre française
resta immobile sur ses ancres. Dans les premiers jours
de juin, une flotte marchande, en partance pour les ports
de la Grande-Bretagne, était réunie à Saint-Christophe,
attendant une escorte annoncée par l'amiral Byron. La
présence de nos vaisseaux à la Martinique décida l'amiral
anglais à ne pas diviser ses forces. Il appareilla de Sainte-
Lucie, le 6 juin, avec toute son escadre pour conduire ce
convoi hors des débouquemcnts. Il supposait que les
Français, ignorant quelle pourrait être la durée de son
absence, n'oseraient rien entreprendre. Le comte d'Es-
taing, très-promptement instruit des mouvements de son
adversaire, résolut de s'emparer de Saint-Vincent. Les
Caraïbes, qui occupaient une partie de. l'île, souffraient
impatiemment la domination anglaise. Ils avaient envoyé
1. Le chef d'escadre de Yaudreuil avait appareillé de Ouiberon, le 25 dé-
cembre 1778, avec les vaisseaux le Sphinx el le Fendant^ les frégates la
Ntpnphe et la Résolue j les corvettes VEpervier, la Lunette et le Livehj et
deux goélettes. Des troupes, placées sous le commandement du duc de
Lauzun^ étaient embarquées sur ces bâtiments. La conquête du Sénégal et la
destractioD des établissements anglais compris entre Gorée et Sierra-Leone,
tel était le but assigné à cette expédition. Les îles de Gorée et de Saint-
Louis furent prises, au commencement de février. Après ce premier succès,
le marquis de Yaudreuil fit route vers les Antilles, el le duc de I^uzun
retourna en Europe avec les troupes qui n'étaient pas destinées à tenir gar-
nison dans la colonie. L'exécution de la seconde partie des instructions du
gouvernement fut confiée au lieutenant de vaisseau Ponteve/. Gien, capitaine
de la Résolue. Cet ofllrier, ayant sous ses ordres la Nymphe, VÊpermer et
les deux goélettes, 8*empara des forts et dos comptoirs que les Anglais possé-
daient dans la Gambie et dans la rivière de Sicrra-Leone. Au commencement
du mois d'avril, le cotre et les goëlettcs revinrent au Sénégal, et lo. Nymphe
partit pour les Antilles. La Résolue canoniia les différents points occupés
par Tennemi dans le golfe de Guinée, et elle les fit évacuer, lorsque Tétat de
la mer permit à son équipage de descendre à terre.
134 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
un agent à la Martinique pour nous donner l'assurance
qu'ils combattraient à nos côtés, le jour où nous attaque-
rions Saint-Vincent. Cette mission fut confiée au lieute-
nant de vaisseau Trolong du Rumain, capitaine de la cor-
vette le Lively, Cet officier partit de la baie de Fort-Royal,
le 9 juin, avec trois corvettes et deux goélettes, sur les-
quelles quatre cents soldats ou volontaires créoles avaient
pris passage. L'expédition, contrariée par les calmes et
les courants, n'arriva que le 17 en vue de Saint- Vincent.
Aussitôt que le débarquement eut été effectué, les Caraï-
bes, fidèles à leurs promesses, vinrent se joindre à nous*.
Le lieutenant de vaisseau du Rumain s'empara immédia-
tement des hauteurs qui dominent la capitale de l'île, la
ville de Kingstown. Quoique la garnison se composât de
trois cents hommes de troupes régulières, commandés
par un lieutenant-colonel, le gouverneur, cédant proba-
blement à la crainte que l'intervention des Caraïbes in-
spirait aux habitants, entra en pourparlers pour la reddi-
tion de la colonie. Les conditions accordées par le
marquis de Bouille aux habitants de la Dominique ser-
virent de base h la capitulation qui fut signée le lende-
main •.
Lorsque la nouvelle de noire échec devant Sainte-Lucie
était arrivée en France, le ehef d'escadre de Ternay ter-
minait rarmement de six vaisseaux avec lesquels il de-
vait aller dans l'Inde. Le gouvernement déei<la (jue ces
bAliments seraient envoyés dans la mer des Antilles. Le
ministre retint en France M. de Ternay, aucpiel il donna
1. (in lialiitant de la MartiniqiK^, onhirr dans la milice, M. Laroqup-
Pcrcin. joua un rôle 1res honorable dans cfllp alVairo. Il délmrqua dans Tile
avant rr\fM»dition, et il sr rendit au milieu des (!araiLM»s dont d dirigea le*
inou\eni<'nts jus(|u'à iii>tre arrivêt*.
*i.r«' lieutenant de vaisseau du Humain arnHait les termes de la ca|iitula-
lioM. lor^juil fut fjrevenu qu'(»n apercevait au lar^^'e plusieurs navires. Il
r»'\int a son lM>rd. roupa >ou r:\lde rt lit route fmur les reeonnaitre. Les
l»:Uiuirnt< ««n vue étaient des navires de eonnnrree nn^'lais qui prirent
«liasse devant la eorvette de M. du Humain, mais o-lui-ri enjoi^'nit deux
qu'il ramena fi Saint-Vineent.
LIVRE IV. 135
provisoirement un commandement dans l'armée du lieu-
tenant général d'Orvilliers. Son successeur, le chef
d'escadre de Lamotte-Picquet, fit route le !•' mai pour
la Martinique. Le 27 juin, il entra dans la baie de Fort-
Royal avec VAnnibal^ le Diadème, le Réfléchi^ VArtésieyi^
YAmphioriy les frégates la Blanche^ VAmazone, la For^
lunée et soixante bâtiments de transport. Le comte d'Es-
taing fit embarquer des troupes sur son escadre, et
il prit la mer, le 31 juin, avec vingt-cinq vaisseaux. Il
avait rintention d'attaquer la Barbade, mais ayant trouvé
dehors des vents qui ne lui permettaient pas d'atteindre
cette île à la bordée, ce fut sur la Grenade qu'il se diri-
gea. Le 2 juillet, l'escadre mouilla près de la pointe de
Beauséjour, à petite distance de George-Town, la capitale
de l'Ile.
Sur une hauteur qui domine la ville, les Anglais avaient
établi un camp retrapché, défendu par des pièces de gros
calibre. Cette position, connue sous le nom de morne de
l'hôpital, était occupée par un détachement de troupes
réglées et de miliciens, d'environ huit cents hommes. Le
gouverneur de la Grenade, lord Macarteney, la regar-
dait comme imprenable, et il y avait fait apporter les objets
les plus précieux de la colonie. Quant à lui, il se tenait,
de sa personne, dans un fort placé entre le morne de l'hô-
pital et George-Town. Le comte d'Estaing, prévoyant la
prochaine arrivée de l'amiral Byron, désirait recouvrer
le plus promptement possible sa liberté d'action. Il réso-
lut de se rendre maître par un coup de main du camp re-
tranché, qu'on pouvait considérer comme la clef de la po-
sition. Aussitôt que le soleil fut couché, le corps expédi-
tionnaire, divisé en trois colonnes, commandées par les
colonels Arthur et Edouard Dillon et de Noailles, se mit
on mouvement. Afin de détourner l'altenlion de l'ennemi,
on fit, dans la soirée, sur un poste anglais placé près de
la mer, une démonstration à laquelle prirent part quel-
ques navires de l'escadre. Vers onze heures, nos soldats
gravirent silencieusement les pentes escarpées qui condui-
136 HISTOIRE DE I.A MABINE FRANÇAISE.
suient au sommet du morne Quoique les Anglais eussent
accumulé les obstacles, tels que palissades et murs en
pierres sèches, rien ne put arrêter Télan des troupes.
D'Eslatng sauta un des premiers, l'épée à la main, dans
les re Iran elle nie nts ennemis. Après une lutte très-vive,
mais de peu de durée, les Anglais mirent bas les armes.
Le ^1, au point du jour, le comte d'Estaing fit lirerquelques
coups de canon sur le ((tri dans lequel se trouvait le gou-
verneur. Lord Macarleney, sachant que toute résistance
devenait inutile, envoya un orQcicr pour traiter de la ca-
pitulation. Les propositions qu il adressa au comte d'Ei^-
taing ayant été rejetées, il se rendit à discrétion. Cent
deux pièces de c^non, Rcizc mortiers, trois drapeaux, des
vivres, des munilions,lrefite bâtiments marchands, tombè-
rent entre nos mains. Le & juillet, les troupes quin'étaîeul
pas destinées A occuper la ville et les forts furent rem-
barquées.
L'amiral Byron avait été informé à Saint-Christuphe,
oîi il était revenu le l" juillet, de la perte de Saînt-Vin-
cent. Extrêmement préoccupé de l'efTet que produirait
en Angleterre la nouvelle de cet événement, il avait pris
la résolution de nous enlever immédiatement celte con-
quête. Il faisait route sur Saint-Vincent avec vingt et un
vaisseaux et vingt-huit transports portant des troupes de
débarquement, lorsqu'il apprit, par un bâtiment expédié '
à sa recherche, que la Grenade élail attaquée. Il se dirigea
sur cette lie, en se couvrant de voiles, afin dé la défendre,
s'il en était encore temps. Le comte d'Estaing, înstruil,
dans la nuit du 5 juillet, de l'aiiproche de l'amiral Bynin,
donna, h quatre heures du matin, l'ordre d'appareiller.
Au ]K)int du jour, on aperçut, des hauteurs de l'Ile, l« .
flotte anglaise que nos frégates signalaient en tirant (lu
canon. Elle courait, les amures h hAbord, avec des vents <
d'esl-nord'cst, serrant de près la cùte occidentale de l'Ile.
Les Français manœuvraient pour former une ligne par
rang de vitesse, les amures & Iribord. Plusieurs vaisseaux,
(pli a\ nient passé la nuit sous voiles pour nous prémunir
LIVRE IV. 137
contre toute surprise, étaient sous-ventés. A l'aspect de
notre escadre qui semblait en désordre, Tamiral Byron
Gt le signal de chasser en avant et de serrer Tennemi au
feu. Yers sept heures et demie, les meilleurs marcheurs
de son armée arrivèrent à portée de canon de notre avant-
garde. Celle-ci les accueillit par un feu si bien dirigé que
plusieurs vaisseaux, notamment le Prince-de-Galles^ le
Boynes et le Sultan^ furent très-maltraités*. D'autres
vaisseaux ne tardèrent pas à rejoindre les bâtiments qui
étaient engagés, et le combat continua avec une grande
vigueur. LeMonimoulhy le Grafton, le Cornwallei le Lion,
se conformant strictement aux ordres de leur amiral,
nous combattirent de très-près. Dix vaisseaux français, qui
étaient sous le vent, ne prirent aucune part à cette affaire.
Lorsque les deux lignes se furent dépassées, Tamiral
Byron poursuivit sa route le long de terre. Ignorant que
Eingstown fût en notre pouvoir, il ne voyait devant lui
aucun obstacle qui pût l'empêcher d'atteindre la baie do
Saint-George. La conOance qu'il avait dans le succès de
son entreprise ne fut pas de longue durée. Peu après, il
arrivait à portée de canon de la ville, et les forts, après
avoir hissé le drapeau blanc, ouvrirent le feu sur ses
vaisseaux. L'amiral anglais signala à son armée de virer
de bord vent arrière, toute à la fois, et au convoi de forcer
de voiles. Les deux escadres formèrent alors deux lignes
parallèles, et le combat recommença avec une nouvelle
vivacité. Le comte d'Estaing ayant laissé porter pour ral-
lier un certain nombre de vaisseaux qui n'étaient pas
encore parvenus à prendre leurs postes, les Anglais tin-
rent le vent et l'action cessa vers midi. Quatre vaisseaux,
le Montmouth, le Comwallj le Graflon et le Lion, i\n\
avaient des avaries considérables dans leurs mâtures,
étaient sous le vent et en arrière de leur escadre. A trois
heures de l'après-midi, l'armée française, bien ralliée.
l. 1^ vice-amiral Barrington, qui avait son pavillon sur \e Prince-de-
GalUs, fut au nombre des blessés.
138 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
vira (le bord vent devant, toute à la fois. L'amiral Byron
signala la même manœuvre à ses vaisseaux, mais trois
d'entre eux, le Comwalljle Grafton et le Lioriy ne purent
l'exécuter. Le Comwall et le Grafton ne voulant pas virer
vent arrière, ce qui les eût rapprochés des Français, con-
tinuèrent & courir les amures & tribord. Le capitaine du
Lton, désespérant de rejoindre les siens, laissa porter,
vent arrière, et il fit route dans l'ouest. Ce vaisseau au-
rait été infailliblement pris, si un des nôtres avait été dé-
taché à sa poursuite. La retraite des Anglais rendait défi-
nitive la conquête de la Grenade. Le comte d'Estaing,
craignant de compromettre ce succès, ne voulut ni divi-
ser ses forces ni s'éloigner. Par son ordre, Tescadre fran-
çaise prit le plus près, les amures à bâbord, en se formant
sur le serre-file, c'est-à-dire sur le vaisseau le plus sous-
venté de l'armée. Le Comwall et le Grafton^ que les An-
glais ne songeaient pas à défendre, et qui eussent été pris,
si le comte d'Estaing en avait eu la volonté, passèrent à
contre-bord et au vent de notre ligne. Ces deux bâtiments,
déjà très-maltraités, reçurent la bordée de plusieurs vais-
seaux français. Pendant la nuit, notre escadre fit (|uelques
bords sans s'écarter de terre, et elle reprit, le lendemain,
le mouillage de Saint-George. Un transport, sur lequel
se trouvaient cent cinquante soldats, tomba entre nos
mains. Ce fut Tunique trophée de cette journée, dans la-
quelle nous pouvions prendre le Lion, le Cornwnll^ le
Grafton et le Montmouth. Le délabrement de ce dernier
vaisseau était tel que l'amiral anglais l'expédia à Antigue,
dans la soirée du 6 juillet. Cet amiral, en rendant compte
à son gouvernement des divers incidents du combat de la
Grenade, exprima sa surprise que les Franrais n'eussent
envoyé aucun bAtimentàla poursuite du Ljo/i. Il déclara,
en oulre, qu'il eût été facile de couper le Cormrall ci le
Grafton, et surtout le Cornwnll, (|ui se trouvait à une
très-grande distance sous le vent de la ligne anglaise.
Dans une lettre particulière, SulTren disait : « Le général
s'est conduit par terre et par mer avec beaucoup de va-
LIVRE IV. 139
leur. La victoire ne peut lui être disputée, mais, s'il avait
été aussi marin que brave, nous n'aurions pas laissé
échapper quatre vaisseaux démâtés »*. Suffren n'était pas
enclin à l'indulgence, mais, d'autre part, il avait avec le
comte d'Estaing, qui lui marquait une estime particulière,
les meilleures relations. Nous devons donc croire que
l'appréciation contenue dans cette lettre exprimait très-
exactement l'opinion de ce grand marin sur le combat de
la Grenade. On se rappelle que, le 6 juillet, l'engagement
entre les deux escadres avait commencé à sept heures et
demie du matin. Le feu avait cessé une première fois,
lorsque les deux lignes s'étaient dépassées. Â ce moment,
les Anglais couraient largue, bâbord amures, vers le
mouillage de Saint-George, tandis que les Français fai-
saient route, au plus près, les amures à tribord. Il fut dit,
après le combat, que si, à ce moment, nous avions viré
vent devant par la contre-marche, nous aurions vraisem-
blablement coupé l'armée anglaise et remporté sur elle
un grand avantage. Le comte d'Eslaing crut devoir
s'excuser auprès du ministre de ne pas avoir exécuté
ce mouvement. Il le fît dans les termes suivants :
1. Nous trouvons dans cette lettre, écrite le 10 juillet, c'est-à-dire quatre
jours après le combat de la Grenade, le passage suivant qu'on lira avec
rintérèt qui s'attache à tout ce qui vient de Suffren : « Les deux escadres
allaient à rencontre Tune de Vautra. J'étais h. la tét« et j'essuyai le premier
feu de Tescadre anglaise, composée de vingt et un vaisseaux. Cela dura
près d'une heure et demie. L'escadre anglaise revira, de sorte que les deux
lignes se trouvèrent à peu près parallèles. J'eus alors près d'une heure et
demie d'intervalle , après quoi le combat recommença et dura près de
deux heures et demie. Mon vaisseau a été fort maltraité, mais point en pro-
portion du feu que j'ai essuyé. J'ai le camr navré de la perte de mon second,
le chevalier de Camprédon, qui jouait si bien du piano forte. J'ai eu vingt-
deux hommes tués et quarante- trois blessés, dont vingt grièvement. D'Albert
et mes neveux se portent bien. Le SayUtaire s'est très-bien conduiL Je ne
vous dis rien du Fantasque, mais ayant attaqué ù un poste d'honneur qui
ne lui était pas destiné, et, pendant une heure et demie, essuyé le feu des
vingt et un vaisseaux, les gens désintéressés en diront du bien, et ses enne-
mis, s'il en a, n'oseront pas en dire du mal. Les Anglais avaient en mer un
convoi de troupes, dans l'espoir que l'escadre serait battue, l'armée prise
et la Grenade sauvée. L'escadre anglaise est fort maltraitée ; si elle ne reçoit
des renforts très-considérables, elle ne se montrera plus. •
UO HISTOIRE DK LA MAflINE FRANÇAISE.
" ÛH vous écrira que, si j'avais Tait virer vent devant
parla contre -marche, lorsque l'armée anglaise a eu dé-
passé celle du Roi, l'armée anglaise eût été coupée. Je
pense le contraire. Si je l'avais fait, notre ligne informe
aurait été coupée, beaucoup de nos vaisseaux étant trop
sous le vent. On grand mouvement, une évolution lente
et dangereuse, exigent au moins qu'on soit en ordre avant
de les hasarder. J'aurais tout risqué et je n'aurais rien
gagné. Mais ce qui tranche le point de difficulté, c'est
que M- de Lamotte-Picquet et plusieurs autres vaisseaux
pleins d'ardeur et de ztle n'ont pu virer que deux heures
après que j'en ai eu fait le signal, non pas pour cou-
per, mais simplement pour reprendre la ligne, tant ils
étaient dégréés. » Le comte d'Eslaing affirmant que notre
ligne était en désordre, l'évolution dont il est ques-
tion ci-dessus eût été inopportune. Quoi qu'il eu soit
de cet incident, on peut dire, sans se tromper, que le
jugement sur l'affaire de la Grenade a été rendu par
Suffren dans la lettre que nous avons citée plus haut.
Quant & l'amiral Byron, il avait montré, le 6 juillet, plus,j
de hardiesse que d'habileté. En arrivant en vue de l'esca-J
dre française, il s'était complètement trompé sur sa posï-f
tion. Croyant que nos vaisseaux étaient dispersés, aloraj
qu'ils manœuvraient pour se former, il nous avait com-'ï
battus sans s'astreindre ii aucim ordre. Les avarie^
considérables éprouvées par plusieurs vaisseaux angld
avaient été la conséquence de ce mode d'attaque.
Anglais, s'étant battus au vent, avaient i>crdn moins (
monde que les Français, mais leurs vaisseaux élaieai|
plus dégréés que les nôtres. Ils avaient cinq cent viogl
neuf hommes hors de combat, parmi lesquels ceot ■*
quatre-vingt-trois tués et trois cent quarante-six blessés*.
De notre côté, le nombre des tués s'élevait à cent quatre-
vingt-dix et celui des blessés!^ sept centcinquante-nruf.
1. i«
Biiglnil.
LIVRE IV. 141
Le comte d'Estaing, trës-saiisfait de son escadre et des
troupes qui avaient conquis la Grenade, écrivit au minis-
tre : « La victoire n*est pas resiée indécise, généraux, offi-
ciers, matelots et soldats se sont conduits de môme, lis
sont tous dignes du maître que nous servons, des bontés
du Roi et des vôtres ^ » Les rapports particuliers des
officiers généraux commandant en sous-ordre et des
capitaines étaient conçus dans le même esprit. Nous en
citerons un, celui de Lamotte-Picquet : « Tous mes offi-
ciers en général de la marine et auxiliaires et gardes de
la marine ont donné l'exemple de la plus grande bra-
voure, et exécuté mes ordres avec la plus grande préci-
sion; ils méritent les grâces du Roi. Je ne demande rien
de particulier pour mon équipage ; tous se sont compor-
tés en héros. Une gratification propoirtionelle à la paie de
chacun d'eux me paraîtrait juste et nécessaire. Cet
équipage, au commencement du combat, était, tout
compris, composé de quatre cents hommes, dont trente-
deux ont été tués raide et quarante-trois blessés grave-
ment. » Les vaisseaux présents au combat de la Grenade
Qaengo, commandant VAmphion; de Montaii il; commandant \e Fier-Rodri^
Que; de Gotho, le chevalier de Gotlio, de Marguery, Jacquelot, de Camprc-
don, lieutenants de vaisseau; Buisson, officier auxiliaire; Bernard de la
Tarmelîère, Tuffinde Ducis, gardes de la marine; de Fremond, de Clairant,
officiers d'infanterie, étaient au nombre des morts. On comptait parmi les
blessés : MM. de Dampierre, de Retz, de Cillart de Suvilie, de Castellet;
capitaines de vaisseau; Le Normand de Victor, Massillan de Sanilhac,
Deâglaiseaux de Vanal et de Carné-Carvallet, lieutenants de vaisseau,
SGOslicrna, officier suédois; de Boulouvard de Barentin, de la Martinière,
le Rey, Frossard, Jugand, officiers auxiliaires; de Reyniès, de Biarges,
gaides de la marine; le comte Edouard Dillon, le chevalier de Lameth,
de Peyrelongue, Plaquet, Raffin, le vicomte de Mory, officiers d'infan-
terie.
1. Le comte d'Estaing adressa au ministre, après le combat de la Gre-
nade, des demandes très-nombreuses de récompenses. Ces demandes
portaient sur des officiers de tout grade et de toute catégorie, officiers de
marine, officiers de troupe, appartenant au corps de débarquement ou
compoî»ant les garnisons des vaisseaux, officiers d'administration et clii-
mrgiens. Lea officiers-mariniers, les pilotes et les maîtres n'étaient pas
onbliés. Enfin, le commandant en chef priait le ministre d'accorder des
pensions aux veuves de ceux qui avaient été tués en combattant.
142 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
étaient commandés parles capitaines de SuiTren, de Brach,
de Bruyères, de Grasse-Limermont, Turpin de Breuil,
Desmichels de Cliamporcin, de Peynicr, de Montault, de
Boulainvilliers, de Chabert, d'Albert de Rions, de Bou-
gainville, de Soulanges,de Dampierrc, Perron du Quongo,
de Lapoype-Vertrieux , de Castellet aîné, de Retz et
Cillart de Surville. Les chefs d'escadre de Broves, de
Breugnon et de Lamotte-Picquet, commandaient en sous-
ordre. Le comte d'Estaing appela d*une manière spéciale
l'attention du ministre sur MM. de Suffren et d'Albert de
Rions qu'il considérait comme les meilleurs capitaines
de son armée, et il le pria, avec les plus vives instances,
de les nommer chefs d'escadre. M. de Sartines, moins
clairvoyant que le comte d'Estaing, n'admit pas la valeur
exceptionnelle de ces deux capitaines, et il refusa de leur
donner cet avancement. M. d'Albert de Rions reçut une
lettre de félicitations pour sa belle conduite pendant la
campagne, et le commandeur de Suffren une pension de
quinze cents livres". La corvette la Diligente porta en
France la nouvelle du combat naval du 6 juillet et de la
conquête de la Grenade. Un officier de marine et un
officier de Tarméc, chargés de remeltre au Roi les dra-
peaux pris sur Tennemi, étaient sur ce bâtiment. La
nation accueillit, avec un enthousiasme plus grand peut-
être que ne le comportaient les circonstances, la nouvelle
des événements qui venaient de s'accomplir dans la mer
des Antilles. Un Te Deum fut chanté à Paris et dans
1. I^ commandeur de SuflTren, étail-il dit dans le rapport adressé au Uoi.
capitaine de vaisseau qui a commandé le vaisseau le Fantasque, dans
Tescadre du comte d'Estaing, a donné, pendant la longue cam|»agne que
cette escadre a faite, les plus grande;^ preuves de zèle cl d'activité dans toutes
les missions particulières dont il a été chargé ainsi ({ue de bravoure et d*lui-
bileté dans les combats. Il s'est particulièrement distingué à celui de la
(irenade, où il était chef de lile de l'escadre, (^esl un des meilleurs capi-
taines de vaisseau que Sa Majesté ait à son service, et, puisqu'elle ne peut
l'avancer en ce moment, il est digne au moins de quelque maniue distinguée
de sa satisfaction. On propose à Sa .M.ijesté de lui arcorder, en récomjKMise
de ses services très utiles pendant cette cam|)iifrne, une |M*nsion de quinze
cents livres.
LIVRE IV. 143
toutes les grandes villes de France, pour remercier le ciel
de la protection qu'il accordait à nos armes.
Le gouvernement français avait défendu au comte
d'Estaing d'occuper les îles dont il pourrait s'.emparer.
Il devait faire les garnisons prisonnières, détruire les
fortiGcations, enlever les canons, les armes, les muni-
tions, les approvisionnements, et se retirer. L'abandon de
la Grenade aurait été très-nuisible au rétablissement de
nos nombreux blessés. Ceux-ci avaient été mis à lerre,
le 7 juillet, et il eût fallu les rembarquer au moment
de l'appareillage de l'escadre. Le comte d'Estaing résolut
de prendre provisoirement possession de l'île. L'état dans
lequel se trouvaient les vaisseaux de l'amiral Byron et
l'approche de l'hivernage mettaient, pendant quelques
mois, notre nouvelle conquête à l'abri de toute entre-
prise. Si le ministre désapprouvait le parti auquel s'ar-
rêtait le commandant de notre escadre, il pouvait en-
voyer, avant la reprise des opérations aux Iles-du-Vent,
l'ordre d'évacuer la Grenade. Les îles Cariac ou et de
l'Union furent prises par une division que commandait
le capitaine de vaisseau de Suffren. Enfin, le gouver-
neur de Saint-Vincent s'empara des petites îles Grena-
dines.
Le comte d'Estaing mit sous voiles, le 15 juillet, pour
se rendre à la Guadeloupe où il arriva le 19. Il reprit la
mer, le 20, avec une flotte marchande destinée à effectuer
son retour en Europe. Le 22, l'escadre française défila
devant la rade de la Basse-Terre, dans l'île de Saint-
Christophe, où l'amiral Byron s'était retiré après le
combat de la Grenade. La position des vaisseaux anglais,
embossés sous la protection des forts, ne nous permettait
pas de les attaquer avec avantage. Le comte d'Estaing fut
informé que deux vaisseaux ennemis, dont un était dé-
mâté, étaient mouillés à la petite île hollandaise de Saba.
H n'eut pas la pensée de s'emparer de ces deux bâtiments
que les batteries de l'île auraient été impuissantes à dé-
fendre. « Le seul pavillon des États-Généraux, écrivit-il
Hk HISTOIRE DE LA MAHINE KIUNÇAISE.
au miDistre, m'a sulTG pour m'empècher d'aller les y
attaquer. Je sais que Sa Majesté ne veut pas qu'on iniile
la conduite impûricuse des Angliiis, » L'esoadre continua
sa route pour le Cap Français où elle arriva le 31 juillol.
Des lettres, venues d'Amérique, apprirent au comte d'Es-
taing que la Géorgie était tombée au pouvoir des Anglais,
et que la Caroline du Sud était très-sérieusement mena-
cée. Le consul de France & Charleston et le général
Lincoln, gouverneur de la Caroline du Sud, prélendaient
que la présence de l'escadre et quelques milliers de
soldats sufQraient pour reprendre la Géorgie et obliger
l'ennemi à évacuer la Caroline '. H. de Sartines avait
prescrit de renvoyer en France les douze vaisseaux et les
quatre frégates partis de Toulon, le 13 avril 1778. Le
reste de nos forces devait rester dans les Antilles, sous
les ordres des chefs d'escadre de Grasse et Lamotte-
Picquet. Malgré les instructions très-précises du ministre,
le comte d'Estaing appareilla, le 16 août, de Saint-
Domingue, avec toute son escadre, et il se dirigea vers les
côtes des Etats-Unis. Il n'avait en vue, au moment de son
départ, aucune opération particulière. Il se demandait s'il
devait »ecourir les provincesdu Sud, ou se porter sur les
eûtes de l'Amérique septentrionale. Peut-être pourrail-il,
en se hdtant, délivrer la Géorgie de l'occupation anglaise,
et, après ce premier succès, se joindre 4 Washington
pour attaquer New-York. Il se réservait de prendre une
résolution définitive, lorsqu'il aurait communiqué avec
la terre'.
A
I. Dm luIln-B que m'avaient nJrei'Hfi a Saint-Doniingue la cornu)
France ft tlharlmton, le gouverneur aiuérirain de Is Caroline cl H.
iiiirquit de Préllgny, annuncuenlde grandci rncilîtéi cl deroaixlnicnl peu
de tecourt pour muver In Caroline du Sud et pour repronilre la Géorgie. Je
doutaia, niaii il Aillait «'instruire et durtnul connaître cr qui ne pn^sait dani
la partie leplentrionale dn continent, {[.etlre du comte d'Gstaing au nu-
7. rremier lieu de rendez-vous en cas de stparaLion . ChariestoD i
la Caroline du Sud, devant lequel on rroiaera pendant huti jour* ei
en Bltendnnl l'armée navale. Second lieu de rend»
boXun dwvanl k l.ighl Hnuav, ou on atlendra de nouveaux ordre». On pourt^l
LIVRE IV. 145
II
Le 31 août, noire escadre laissa tomber l'ancre devant
Tembouchure de la rivière de Savannah. M. de Fonlan-
ges, officier du corps expéditionnaire, fut envoyé à
Cbarleston, avec la mission de rapporter au général des
renseignements très- précis sur Tétat des affaires. 11
avait Tordre de se montrer très- réservé relativement au
concours que nous étions en mesure de donner à nos
alliés. Enfin, il devait déclarer que le comte d'Estaing ne
consentirait pas à rester plus de huit jours sur la côte. Le
2 septembre, Tescadre reçut au mouillage un coup de
vent d'une extrême violence. Cinq vaisseaux, au nombre
desquels était le Languedoc^ cassèrent leurs gouvernails.
\jt comte d'Estaing se trouvait dans l'impossibilité de re-
prendre la mer, avant que ces importantes avaries eus-
sent été réparées. Ne pouvant aller à New- York, il prit le
parti d'agir dans les provinces du Sud. 11 crut qu'il serait
facile d'enlever aux Anglais la ville de Savannah capitale
de la Géorgie, et il promit son concours pour cette opéra-
tion. Le commandant supérieur des troupes britanniques,
le général Prévost, était à Savannah, avec un petit nombre
d'hommes. Sachant qu'il n'avait rien à craindre des Amé-
ricains, il avait divisé sa petite armée en plusieurs déta-
chements. L'un d'eux, le plus important, placé sous les
ordres du colonel Maitland, occupait l'île de Port-Royal,
sur les côtes de la Caroline du Sud. Si nous avions quel-
en cas que rennemi survienne, ou que h» temps l'exige, entrer dans la rade
de Nantaskct. Si Ton se séparait avant que rarnjée eût passé devant Charles-
Ion, le prennicr rendez-Vous aurait lieu, et ensuite le second. Si la sépara-
tion se faisait , après que rarmée aurait passé devant Charleston, on n'irait
qu'au second lieu de rendez-vous. Four copie conforme à l'original, signé
d'Estaing, et daté à bord du vaisseau le La7iguedoc, en rade du Cap, île de
Saint-Domingue, le 12 août 1779. —Chevalier de Borda. Cet ordre, donné
aux capitaines de Tescadre, montre que le comte d'Estaing n'avait aucun
projet arrêté en quittant Saint-Domingue.
10
146 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que chance de battre les Anglais, c'était à la condition de
les attaquer avant que leurs colonnes fussent réunies.
Malheureusement, nos alliés, qui n'avaient pas été pré-
venus de rarrivée d'une escadre française, n'étaient pas
prêts à entrer en campagne. Sans se préoccuper de cette
situation , le comte d'Estaing se mit en devoir d'exécuter
le plan convenu. Des bâtiments de son escadre occupè-
rent les différentes passes qui, du large, conduisaient dans
la Savannah. Les frégates et les corvettes remontèrent le
fleuve, aussi haut que le leur permit leur tirant d'eau. Le
passage suivant d'une lettre adressée au comte d'Estaing
par le colonel Laurens montre l'accueil empressé qui
nous fut fait, la situation des troupes américaines, et, de
l'aveu de nos alliés, la position périlleuse de l'escadre sur
la côte de Géorgie : « Mon général, votre présence dans ce
moment-ci est comme celle d'une divinité tulélaire. Vous
allez écraser l'ennemi commun et répandre la joie et la
reconnaissance dans tous les cœurs. Il ne manque à mon
bonheur individuel que de vous rendre mon hommage
en personne. Les ordres que vous m'avez envoyés par
M. le vicomte de Fontanges m'ont privé de l'occasion
de le faire aussitôt (luc mon cœur le désirait. Mais j'es-
père que mon bonheur ne sera retardé que de (luehjuos
jours. En attendant, mon général, je ne négligerai rien
de ce qui dépendra de moi pour hàlcr la marche des
troupes aussi bien (juc pour en augmenter le nombre.
Le bien commun de la France et de l'Amérique et le désir
do contribuer i\ votre gloire sont des motifs trop puis-
sants pour laisser des doutes h\-dessus. Je n'ignore pas
combien votre situation est critique, ce que peuvent les
orages sur une côte qui n'olfre i)oinl d'asile aux gros vais-
seaux, combien enfin il faut mettre de promptitude et de
justesse dans nos opérations. » Nos soldats furent mis à
terre, le 13 septembre, à quelques lieues de la ville de
Savannah. Le temps (jui s'était écoulé depuis notre ar-
rivée sur la côte avait été mis h prolit par rennemi.
Lorsque le général Prévost avait été informé de la pré-
LIVRE IV. 147
sence de notre escadre, il avait expédié à ses troupes Tordre
de le rejoindre. Les navires mouillés dans les divers bras
du fleuve s'étaient rapprochés de la ville. Quelques-uns
d'entre eux avaient été coulés pour en défendre les ap-
proches, et leurs équipages étaient venus augmenter l'ef-
fectif de la garnison. Des noirs, requis en grand nombre,
avaient travaillé, nuit et jour, aux fortifications. Le 15 se[H
lembre, le comte d'Estaing se présenta devant Savannah
avec le corps français et un faible détachement de cava-
lerie américaine. Le 16, il fit sommer le général Prévost
de rendre la ville, le menaçant, s'il n'acceptait pas les condi-
tions avantageuses qu'il lui ofl'rait, de donner immédia-
tement l'assaut. Le général anglais, qui était sans nou-
velles du colonel Maitland, avait intérêt à gagner du
temps. Après quelques pourparlers, il réussit à obtenir
un armistice de vingt-quatre heures pendant lequel il
devait examiner, de concert avec ses officiers, nos propo-
sitions. Les troupes du colonel Maitland ayant pénétré, la
nuit suivante, dans la place, le général déclara qu'il était
décidé à se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Une
attaque de vive force étant devenue impossible, par suite
de l'arrivée du colonel, les alliés mirent le siège devant
Savannah. Dans les premiers jours d'octobre, nos opéra-
tions n'avaient fait aucun progrès ; d'autre part, la néces-
sité d'éloigner l'escadre de la côte devenait, chaque jour,
plus urgente. Plusieurs coups de vent s'étaient succédé,
pendant lesquels nos vaisseaux avaient été compromis.
Dans les conseils de la petite armée franco-américaine,
on résolut de courir les chances d'un assaut. Le succès
de cette tentative était d'autant plus incertain que les for-
tifications de la ville n'avaient pas soufTcrt. De plus, l'en-
nemi disposait d'une nombreuse garnison et d'une puis-
sante artillerie, très-bien servie par les matelots anglais.
Le 9 octobre, un peu avant le jour, les alliés se mirent
en mouvement. Malgré des prodiges de bravoure et
l'exemple des généraux qui marchèrent en tête des trou-
pes, nos soldats, décimés par le feu de la place, furent
148 HISTOIRE HE LA MARINE FRANÇAISE,
obligés de battre en retraite. Le comte d'Estaiug, qui
s'ùtait conduit avec son intrépidité liabituellc, avait été
blessé. Les alliés levèrent le siège de Savannah, le 18 oc-
tobre. Quelques jours après, les Américains étaient en
sûreté sur la rive gauche du fleuve, et nos troupes avalent
rejoint leurs vaisseaux. Nous avions eu, pendant cette
courte campagne, seize odicicrs, cent soixante-tiuil sous-
officicrs, marins et soldats tués, et quarante-sept offi-
ciers et quatre cent onze soua-orficiers, marins et soldats
blessés.
Malgré l'échec que nous venions de subir, la présence
de l'escadre française sur la côte n'avait pas été sans
utilité pour la cause des Ëtats-L'nis. Les Anglais, igno-
rant le point oit nous avions l'Intention de nous porter,
étaient restés partout sur la défensive. Le général Clin-
ton, craignant que New-York ne fût attaqué par terre el
par mer, avait concentré toutes ses forces dans cette
ville. Par son ordre, l'tlc de Rbode avait été évacuée, et
telle avait été la prëcipilalion de la retraite que les Amé-
ricains avaient trouvé dans la place des vivres, des muni-
tions et des pièces d'artillerie qu'on avait négligé d'en-
clouer. Le tiuyillaire, commandé pir M. d'Albert de
liions, s'était emparé de VExpei^inent de cinquante ca-
nons, sur lequel nous avions trouvé la somme de six cent
cinquante mille francs. La frégate VAriel, de vingt-six ca-
nons, avait été prise par VAmaiojte. Une frégate et quel*
qucs bflliments de rang inférieur avaient été coulés par
les Anglais dans la Savannah. F.nlin, plusieurs transports,
chargés de vivres , de munitions et d'approvisionnementâ
de toutes sortes, étaient tombés entre nos mains, |
Lorsque le comte d'Estaing revint à bord dn Langu»- i
linc, tous les bdliments de l'escadre étaient prêts* & appa-
reiller. Avant de ramener en France les vaisseaux avee
lesquels il élnit parti de Toulon, le 13 avril 1778, il avait
 prendre quelques mesures dont il s'occupa immédiale-
mont. Onatre frégnles, la Forlunëc, lu Blanclip, \bl Cért»^
la floMt/ciwe, et la corvette \'Ellix, furent désignées pour
\
LIVRE IV. 149
porter à la Grenade et à Saint-Vincent des hommes, des
vivres et de l'argent. Les soldats appartenant à la gar-
nison de Saint-Domingue furent embarqués sur les
vaisseaux de Lamotte-Picquet. Quant aux troupes prove-
nant des Iles-du-Vent, elles prirent passage sur l'escadre
du comte de Grasse. Cet officier général devait faire des
vivres dans la baie de la Chesapeak, avant de faire route
pour la Martinique. Il appareilla, le 26 octobre, avec le
Robuste^ le Fendant, le Diadème et le Sphinx, et il attendit,
sous voiles, que le Vengeur, le Dauphin-Royal g\.Y Artésien
fussent prêts à le suivre. Telle était la situation de la
flotte lorsque, le 28, le mauvais temps interrompit toute
communication entre les vaisseaux. Le Languedoc avail A
la mer deux ancres, les seules qu'il n'eût pas perdues dans
les coups de vent précédents. Le cdble de Tune d'elles
s'étant rompu, le vaisseau chassa, après avoir fait tète
sur la seconde ancre. L'ordre fut donné de couper le câble,
et le vaisseau amiral mit sous voiles. La plupart des
vaisseaux n'avaient d'autres ancres que celles sur les-
quelles ils étaient mouillés. Cette considération , jointe à
l'assurance donnée par le pilote que le mauvais temps ne
serait pas de longue durée, détermina le commandant en
chef à faire le signal de ne pas imiter sa manœuvre. Le
même jour, deux autres vaisseaux, la Provence et le Ton-
nant, furent forcés d'appareiller. Le 5 novembre, le Layi-
guedoc était à cent quatre-vingts lieues au large. Persuadé
que nos vaisseaux avaient quitté la côte d'Amérique , le
comte d'Estaing se dirigea sur Brest où il arriva dans les
premiers jours de décembre. Après le départ du comte
d'Estaing, le commandement des vaisseaux mouillés à
l'embouchure de la Savannah appartenait au chef d'es-
cadre de Broves. Toutes les dispositions qui avaient été
arrêtées par le comte d'Estaing pour la répartition des
troupes sur les divers bâtiments de l'escadre furent exé-
cutées. Les navires désignés pour retourner dans la mer
des Antilles Brent route pour leur destination. M. de Bro-
ves appareilla, le I" novembre, pour se rendre à Brest,
150 HISTOIRE DE r,A MARINE FRANÇAISE,
avec le Ci'snr, sur lerjucl il avail son pavilloi], IV/ccfor, le '
Guerrier, le Protecteur, le Vaillant, le Zi'l^, le Marseillais,
le Sayittaire, le Fantasque el \'Ex)>eriment. Le 2i,'/é el le
Marseillais se séparèrent de l'escadre dans la nuit du
1" au 2 novembre. Ces deux vaisseaux, ayant rencotilré
du gros temps et des vents conlraires, se dirisfcrent sur
Cadix. Après quelques jours de rclAclie dans ce port, les
capitaines de ces deux bftlimenls allèrent à Toulon, au
lieu de se rendre à Brest, ainsi qu'ils en avaient reçu
l'ordre*. A l'exception du Tonnant^, otiligé de relâcher
aux Antilles pour réparer ses avaries, les vaisseaux, partis
de l'embouchure de la Savannah pour rentrer en Europe,
arrivèrent dans nos poris dans le mois de décembre.
Le comte d'Estaing venait de terminer une campagne
qui n'avait pas complètement répondu aux espérances du
gouvernement français. La lenteur de sa traversée, en
partant de Toulon, ne lui avait pas permis do sur-
prendre l'amiral Howe à l'embouchure de la Delaware.
Pendant son séjour sur les eûtes dç l'Amérique septen-
trionale, il avait élé de l'entrée de New-Vork ù Rhode- ^
Island, et de Bbode-lsland & Boston, sans trouver une 1
seule fois l'occasion de se servir de l'escadre qu'il cota» J
mandait. A son arrivée aux Antilles, il avait subi, en ten* 1
tant de secourir l'Ile de Sainte-Lucie, un échec très-l
sérieux. Au combat du 6 juillet, l'escadre française avaita
remporté sur l'ennemi un avantage indiscutable. Cepci
dant les résultats de celte journée n'étaient pas s
rieurs h ceux que nous avions obtenus à Ouessant. Or, j
Ouessant, le nombre des vaisseaux était le même dep
et d'autre, mais le total des bouches & feu était moîa
considérable sur notre escadre que sur les veisseatll
I. I.e miaicUo (al trtB-ox^ontenl de In crimliiîte iIm cnmmtndanls 4
X^U ni Aa M'tmeHUià, Tau* ilnii\ fan-nl rrapf>és J'uao intonlictian i
comiiiBndeniMil, \e plus utcicn, le capilainn du ifuractllaû, pour m
indénni. Imecond, prndnnt quatre moi*.
3. Lo Tnnnant partît de SaiDl-Domingue dans \r mnit de JHnvier ITt
nmrtani un canvnl mtrcband, «tm lequel il arriva i-n r>d« de* 8
I* U mani.
LIVRE IV. 151
anglais. A la Grenade, au contraire, c'était à nous qu*ap-
partenail la supériorité du nombre, puisque nous avions
vingt-cinq vaisseaux contre vingt et un. A son arrivée à
la Martinique, le comte d'Estainir avait pris, en vertu des
ordres du ministre, le commandement des troupes fran-
çaises stationnées aux Iles-du-Vent. En cette qualité, il
avait dirigé les opérations militaires pendant la cam-
pagne. Si la prise du morne de l'hôpital, à la Grenade,
était une action très-brillante, Fattaque des positions
anglaises à Sainte-Lucie avait eu les conséquences les
plus graves. A Savannah, où nous nous étions lancés en
avant avec plus de hardiesse que de réflexion, nous
n'avions pas été plus heureux qu'à Sainte-Lucie. Quoique
le comte d'Eslaing eût attaché son nom à une journée
très-honorable pour nos armes, il était permis de dire
qu'il ne s'était distingué ni comme chef d'escadre, ni
comme général. Ce qui était hors de toute contestation,
c'était la rare intrépidité dont il avait fait preuve en toutes
circonstances. Mais le courage personnel, quand il n'est
pas appuyé par des connaissances spéciales, est de peu
de ressource pour les chefs des flottes et des armées.
Ainsi, le comte d'Estaing, qui désirait vivement reprendre
Sainte-Lucie, n'avait pas osé conduire son escadre dans
l'anse où étaient mouillés les vaisseaux de l'amiral Bar-
rington. N'ayant pas le coup d'œil assez sûr pour se
rendre compte de la possibilité du succès, il avait reculé
devant la responsabilité qu'un échec eût fait peser sur lui.
Ce serait une erreur de croire que les instructions du
gouvernement l'obligeaient à se montrer circonspect. Loin
de le retenir, le ministre le poussait en avant. Nous en
avons la preuve dans le passage suivant d'une lettre du
comte d'Estaing à M. de Sartines : « Les lettres. Mon-
seigneur, dont vous m'avez honoré, constatent la volonté
de Sa Majesté. Ses intentions et les vôtres sont que la
gloire des armes du Roi soit soutenue avec autant d'au-
dace que de fermeté. » Le comte d'Estaing avait il trouvé
chez les ofticiers généraux et les capitaines de son escadre
I
152 HISTOIRE DE LA HARWE mANÇAISE.
le concours sur lequel il avait le droit de compter? Ses
rapports et les nombreuses demandes de nVompensps
qu'il adressa au ministre, soit aprJ-s le combat de la Gre-
nade, eoit À lu suite de sa campagne sur les cdtes de
l'Amérique septentrionale, ne permettent d'élever aucun
doute sur ce point'. A Savannab, la marine n'avait eu que
du mauvais temps à supporter. Toutefois, c'était elle qui
avait fourni au corps expéditionnaire des vivres, des mu-
nitions et des approvisionnements. Ce service, que les
circonstances rendaient quelquefois diiTicile, avait élu
dirigé par les chefs d'escadre de Brovcs et de Lamottc-
Picquct avec autant de zèle que de bonne volonté. Celait
d'ailleurs ce que reconnaissait hautement le comte d'Es-
laing qui écrivait au ministre : « M, le comte de Broves,
secondé par les soins et par le travail aussi immense
qu'utile de H. le chevalier de Borda, major de l'escadre,
m'a fait passer, pendant le cours du siège, tous les secours i
qui ont dépendu de lui. M. de Lamotic-Picquet a fait, de
son cdté, la même chose avec le plus grand zèle et en
1. E'Brmi Icb rapilaineB de vnisscnii que le coiiile d'Eslsing proposa k soa |
arrivée en France giour le graJe de chef d'escadre, «e Irquvail M. de BouIbio. 1
vllliera, ion capilalne de pavillon. Cet officier, qoi n»it rendu di« ser
pendant la campagne, i^Uit d'une très- mauvaise santé. Le camle d'Eslaing |
priait le minisire de le nommer cherd'ebcadre et de le mettre en retraite huit J
jours après h promotion. A lo débuts dans la marine, M. de Bon lai nvil liera 1
avait assiBlé à un àvénanient de mer que nous allons rapporter. CmI um-J
page d'kialalrft marilime qui ne doit pas être laissée dans l'oubli. Son piM J
commaRdait, ea 1741, le vaisseau le Bourbon, blsnnl porlio àe l'escadre Ja'l
duc d'Aatin. Cette esûdre, qui était Torte de dii-ncuf vaisseaux, revenait dM fl
Antilles en Europe. Arrivée aux Açores, elle se divisa en deui parties : I'ub* i
lit route sur Toulon, et l'autre pour Drcit. Le '! avril, i la suite d'un graia,
le Bourban se truuva sépare de son escailre. Ce vaisseau avait une voie
d'esu qui prit rapidement des proportions inquiétantes. Le eapitaioe St
gouverner sur la cAt« de Portugal dont il n'était pas «loisné. Le vwaaeaa,
alourdi |iar l'eau, marchait IrAs-lontement. Le 11 avril, le Bnurlnm élagl m
vue de ttrre, trois embarcations furent expédiées vers la céte. L'ofllcief qui
les commandait ^tait cbargé de trouver un point favorable pour A:hou(r le
vaisseau, tl avait également l'ordre d'envoyer au llnurboit tous les bateaoc ,
di. pécbe nu sulre<i qu'il aperreTraîL. Ijis embarcations Ploient à petit* dis*—
lu, lonque celui-ci disparuL Les trois canots portant trente J
f bomiMPs, ufDcierscompris, arrivèrent a la l^orogne. baua une relatîM l
1 évéDUiunt, datée de la Corogne, et qui est du IU« du ca|utaine di J
LIVRE IV. 153
s'impatientant souvent contre les vents et les contrariétés
que tout autre aurait eu de la peine à vaincre. » En ren-
dant compte au ministre de la prise de VExperiment par le
Sagittaire j que commandait le capitaine d'Albert de Rions,
le comte d'Estaing disait : « Le Roi n'a point de capitaine
de vaisseau plus hardi, ayant plus de désir de bien faire,
ni meilleur manœuvrier que M. d'Albert de Rions. »
Pendant la guerre de 1756, le comte d'Estaing s'était
très-honorablement battu dans l'Inde. Après avoir servi
comme colonel et comme brigadier dans l'armée de Lally
Tollendal, il avait pris part à plusieurs expéditions ma-
ritimes qui avaient fait beaucoup de mal au commerce
anglais. Sa bravoure, son esprit d'entreprise, son patrio-
tisme, avaient appelé l'attention sur sa personne. Au lieu
de lui donner, dans l'armée de terre, l'avancement auquel
il avait droit, le gouvernement l'avait nommé lieutenant-
général des armées navales ^ En entrant dans la marine
avec un grade aussi élevé, d'Estaing s'était condamné à
rester au-dessous de la position qu'il avait recherchée.
Pour expliquer ses insuccès, on a prétendu, suivant une
Bourbon, celui-là même qui commandait le Languedoc en 1778, on lit :
« Nos six cents hommes, tant officiers que gardes-marine, n'ont pas quitté
Touvrage depuis le 10 au matin, et ils ont servi sans relâche les sept pom-
pes et les deux cents seaux. Le H au soir, nous avions de quinze à dix-huit
pieds d'eau dans le vaisseau. Dans la nuit du 11 au 12, on aperçut la terre.
Il D*y a eu dans l'équipage aucune faiblesse, pas un cri, pas un murmure,
point de confusion, chacun à sa besogne. » Une autre relation qui doit Hrc
do consul de France dit : « Le capitaine de vaisseau de Boulainvilliers a
rempli de point en point l'ordonnance, ayant subi le sort du navire que le
Roi lui avait confié, laissant une digne mémoire de constance, de valeur et
de grandeur d'&me qui mérite toutes les louanges possibles. Ne doutant
point du péril extrême et inévitable, il ordonna à son fils de s'embarquer
dans le petit canot, ce à quoi on ne put parvenir à l'obliger. Le premier
lieutenant, M. de Cany et les autres officiers le mirent par force dans le
petit canot, ce qui sauva ce digne reste de cette illustre familie. » I^ famille
de Boulainvilliers était d'ailleurs une famille militaire. Le frère aine du capi-
taine du Bourbon avait été tué sur le vaisseau le Maur ; enfin un troisième
était mort à Brest, étant lieutenant des gardes du pavillon. Le capitaine de
boulainvilliers du Languedoc fut fait chef d'escadre, le 5 mai 1780, et il
reçut, le 13, la permission de se retirer du service.
1. Pendant la guerre de 1756, la marine, négligée depuis longtemps par
le gouvernement, très-inférieure en nombre h la marine anglaise, avait été
154 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
coutume éminemment française, qu'il n'avait pas trouvé
chez ses capitaines la stricte obéissance qui lui était due.
Nous avons montré, en nous appuyant sur des preuves
irrécusables, l'inexactitude de cette assertion. Ce sont
1& des erreurs historiques qui se transmettent, si on peut
s'exprimer ainsi, de livre en livre. Ce qu'on peut dire
avec vérité, c'est que la plupart des officiers ne croyaient
pas à la capacité maritime du comte d'Estaing. Dans un
corps qui comptait des officiers généraux comme d'Or-
villiers, de Guichen, Lamotte-Picquet et quelques autres,
ce fait n'a rien qui puisse surprendre. L'obéissance la
plus absolue est de rigueur dans les corps militaires.
Quant & la confiance, elle ne s'impose pas, et les généraux
doivent la conquérir par leur conduite, leurs actions et
surtout par leur supériorité.
III
Les divisions du comte de Grasse et de Lamotte-Picquet
furent dispersées par le mauvais temps, et les bâtiments
qui les composaient firent route isolément pour leur des-
tination. Trois frégates, la Blanche^ VAlnnène et la For-
tunée, tombèrent entre les mains de l'ennemi. VAnnibal^
le Magnifique, le Diadème, le Dauphin, le Vengeur, VAr-
léaien et le Réfléchi arrivèrent à la Martini(iue dans les
premiers jours de décembre. Tous ces vaisseaux avaient
à réparer d'importantes avaries, faites pendant la traversée
do retour des côtes d'Amérique aux Antilles, ou au inouil-
la^'ode la Savannah. Quatre vaisseaux, le Magnifique, le
Dauphin Royal, le Diadème et Y Artésien furent provisoi-
rement désarmés.
hallue. I /opinion n'avait vu qiio nos défaites, ol il avait M^mblé, à celle épo-
que, qu'en prenant les officiers hors de la marine il y avait [dus de chances
qu'ils valu8«<eut «pielque chose. I^ pouvernenient, obéissant proijahlement
ii ce courant de ropinion, avait fait ci'lle nomination. Il > a des circon-
stances (Ml les gouvernements perdent, comme les foules, le sens droil des
chose»**.
LIVRE IV. 155
Le 18 décembre 1779, un convoi de vingl-six navires de
commerce, parti de Marseille, dans le courant du mois
d'octobre, sous la conduite de la frégate VAurorej parut
au large de la pointe des Salines. L'amiral Hyde Parker,
qui avait remplacé l'amiral Byron dans le commande-
ment en chef des forces navales de l'Angleterre dans la
mer des Antilles, était au Gros Ilet de Sainte-Lucie. A la
vue de la firégate française et des navires qu'elle escor-
tait, il mit sous voiles avec quatorze vaisseaux. Le capi-
taine de V Aurore, après avoir fait le signal de serrer le
vent et de forcer de toile, se plaça bravement derrière son
convoi. Selon toute apparence, nos bâtiments devaient
être joints par les Anglais avant d'avoir atteint la baie de
Forl-Royal. VAnnibalj le Vengeur et le Réfléchi n'avaient
pas de voiles en vergue, et leurs poudres ainsi que leurs
boulets avaient été débarqués. EnGn, la plus grande
partie des hommes formant Téquipage de ces trois vais-
seaux étaient à terre, soit comme malades, soit comme
convalescents. Quelles que fussent les difficultés de ctetle
situation, Lamotte-Picquet ne voulut pas assister en
simple spectateur à la prise de nos bâtimenrts. Le signal
de faire route sur l'ennemi monta aux mâts de VAnnibal,
Les préparatifs de l'appareillage furent faits avec une
activité et une ardeur que surexcitait la vue de l'escadre
de l'amiral Parker. Des matelots, provenant des navires
qui étaient dans le port, complétèrent lés équipages de
nos vaisseaux. Lorsque VAnnibalj qui fut le premier sous
voiles, arriva à portée de canon des Anglais, V Aurore se
défendait avec la plus grande énergie. Peu après, le Ven-
geur et le Réfléchi parurent sur le champ de bataille.
Les Français se retirèrent sous petites voiles, couvrant
les bïltiments de commerce qui n'avaient pas été capturés,
au moment où Lamotte-Picquet était intervenu. La nuit
mit fin à ce combat inégal pendant lequel trois vais-
seaux français avaient combattu la plus grande partie de
l'escadre de l'amiral Parker. Sur les vingt-six bâtiments
dont se composait le convoi, dix tombèrent entre les
I
156 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
mains des Anglais, douze entrèrent sains et suiirs à Fort-
Royal et quatre bg jctërent à la câte. Ces derniers furent
perdus, mais on parvint A sauver leurs cargaisons. La
population avait assista du rivage A toutes les péripéties
de cette brillante alTalre. La hardiessede Lamotte-Picquel,
son haliileté, sa bravoure, excitèrent dans la colonie le
plus grand enthousiasme. Les oiTiciers anglais n'admi-
rèrent pas moins que les belliqueux créoles de la Marti-
nique la manœuvre de nos vaisseaux. L'amiral Hyde
Parker écrivit à Lamotle-PJcquel : « Monsieur, j'ai reçu la
lellre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrîre
par le petit Saint-Michel. Quoiqu'il y ail Tort peu de temps
que vous m'ayez enlevé une frégate et plusieurs autres
hAtimcnts, je ne puis m'empôcher de vous estimer et de
vous admirer. La conduite que Voire Excellence a tenue
dans l'affaire du 18 de ce mois justilie pleinement la ré-
putation dont vous jouissez parmi nous, et je vous assure
que je n'ai pu, sans envie, être témoin de l'habileté que
voifsavez fait voir en cette occasion. Nos inimitiés sont
passagères et dépendent de nos maîtres, mais votre mé-
rite a gravé dans mon ctriir la plus grande admiration
pour vous. Je prendrai toujours le plus grand soin pour
que vos parlementaires et vos prisonniers soient bien i
traités, et Je saisirai avec plaisir toutes les occasions qui i
pourront se présenter pour vous donner des preuves de I
la considération et de l'estime avec lesquels je suis de Voire |
Excellence >> Cette lettre fait le plus grand honneur j
au caractère élevé de l'amiral anglais, en même trmips 1
qu'elle montre les sentiments de parfaite courtoisie dont j
étaient animés, les uns envers les autres, les ofliciers des j
deux nations.
Dans lo courant de l'année 1779, les Espagnols s'er
parèrent des établissements que la Grande-Bretagne pos- 1
Bédaitdaos le Mississipi. Les Anglais prirent le fort d'Omoa <
dans lu baie de Honduras.
LIVRE V
L'Espagne déclare la guerre à rAnglcterrc. — Le lieutenant général d'Or-
villiers sort de Brest pour opérer sa jonction avec don Luis de Cordova.
— État sanitaire des équipages de notre flotte. — Réunion tardive des
deux escadres. — Préparatifs faits sur les côtes de Bretagne et de Nor-
mandie^ en vue d*un débarquement en Angleterre. — L'armée combinée,
arrivée à l'ouvert de la Manche, est repoussée au large i>ar un coup de
vent d'est. — Les alliés poursuivent, sans succès, Tamiral Hardy. —
Développement de la maladie qui sévit à bord des vaisseaux français. —
La flotte franco-e8|)agnole rentre à Brest. — Situation de Tcscudre
française. — Ues|K>nsabilité du ministre de la marine.
I
Charles III, après avoir longtemps hésité, résolut
de prendre part à la guerre. Le 12 avril 1779, MM. de
Montmorin et de Florida-Blanca ^ plénipotentiaires de la
France et de TEspagne, signèrent à Aranjuez un traité
d'alliance offensive et défensive. En échange d'avantages
peu importants qu'elle nous garantissait, au moment où
la paix serait conclue, l'Espagne se proposait d'obtenir
la restitution de Gibraltar, de Minorque et de Pensacola,
et la possession de la rivière et du fort de Mobile. Nous
nous engagions à ne pas déposer les armes avant que
nos alliés fussent maîtres du rocher de Gibraltar'. Les
1. M. de Montmorin était ambassadeur de France auprès de la cour d'Ks-
fiagne. Le comte dé Florida-Blanca avait le département des aflaires
étrangères, en même temps qu'il était le principal ministre de Sa Majesté
catholique.
2. Nous donnons ci-après les articles les plus importants de la conven-
tion du 12 avril :
« Art. ô. — Pour le cas futur de li paix et le traité définitif que doit
158 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
cours de Madrid et de Versailles étaient convenues d'opé-
rer une descente en Angleterre. Une flotte, composée des
escadres que les deux nations avaient dans les mers
d'Europe, devait couvrir le passage d'une armée française
partie des ports de la Manche. Les Anglais, confiants
dans les dispositions pacifiques de TEspagne, n'avaient
conservé, sur leurs côtes, que les forces nécessaires pour
tenir en échec l'escadre de Brest. Quarante vaisseaux^
amener la guerre, Sa Majesté très-chrétienne entend se procurer ou
acquérir les avantages ou utilités suivantes : 1* La révocation de Paboli-
lion de tous les articles qui privent Sa Majesté très-chrétienne de la liberté,
qui lui appartient de droit, de faire à Dunkerque tels travaux de mer ou
de terre qu'elle jugera nécessaires; 2* l'expulsion des Anglais de Ttlc et do
la pèche de Terre-Neuve; 3* la liberté absolue et indéliuie du commerce
des Indes-Orientales , et celle d'y accfucrir et fortifier tels comptoirs que
Sa Majesté très-chrétienne trouvera convenables; 4* le recouvrement <iu
Sénégal et la plus entière liberté du commerce d'Afrique hors des comp-
toirs anglais; 5* la possession irrévocable de Pile de la Dominique, et
6* Tabolition ou l'entière exécution du traité de commerce conclu à
Utrecht, en 1713, entre la France et l'Angleterre.
Art. 7. — Le Roi catholique entend se procurer, de son côté, fiar le
moyen de la guerre et du futur traité de paix^ les avantages suivants :
1* La restitution de Gibraltar; 2* la possession de la rivière et du fort de
Mobile; 3* la restitution de Pensacola, avec loule la ciMe de la Fioritle qui
s'étend le long du canal de Bahania, de manière qu'aucune puissance
étrangère n'ait d'établissement sur ce canal; 4" l'expulsion des Anglais
hors de la Imie de Honduras, et l'exécution de la pritliibition, stipulée |>ar
le dernier traité de Taris de 1 année 17G3, de ne foniior aucun établisse-
ment en cette baie, non plus (jue dans les autres territoires es|»agiK»ls ;
b" la révocation du privilège accordé aux mêmes Anglais, de couper le
bois de teinture sur la côte de (iampéclie, et G" la restitutitm de Tile de
Minorque.
Art. 9. — Leurs Majestés très-clin*lienne et catliolitiue promettent de
faire tous leurs efforts |)our se procurer et acquérir tous les avantages
sjHîciliés ci-dessus, et de continuer ces ellorts jusipià ce qu'elles aient
obtenu le but qu'elles se proposent, s'otTrant niutuellement de ne (la
poser les armes et de ne faire au(*nn traité de paix, trêve ou sus|>ension
d'hostilités, sans avoir au nïoins obtenu et s'être respectivement assuré la
restitution de (Gibraltar et l'alntlition des traités relatifs aux fortifications
d(> Dunkenjue, ou, à défaut de cet article, tout autre objet, à la volonté
de Sa .Majesté très-clirélienne - M. de Vergennes, voulant obtenir l'alliance
de rKspagne, fut oblige d'accepter les conditions contcuuies dans l'ar-
ticle 7 , mais celte clause pevii lourdement , pendant loule la durée de
la guerre, Mir la eondiiitu des opérations militaires. EuUn, elle créa de
sérieuses diflieullés au gouvernement fran^-ais, lorst^ue le moment >inlde
conclure la paix.
LIVRE V. 159
commandés par l'amiral Hardy^ prolégeaicnt la Grande-
Bretagne oontre tout danger d'invasion. A la fin du mois
de mai, on se préoccupa, à Madrid et à Paris, de la réu-
nion des forces navales des deux Couronnes. Le gouver-
nement français, craignant que la cour de Londres,
instruite des projets de l'Espagne, ne fit croiser Tamiral
Hardy devant Brest, envoya au comte d'Orvilliers l'ordre
de prendre la mer. L'escadre, placée sous le commande-
ment de cet officier général, n'était pas en mesure d'ap-
pareiller. L'administration du port ne pouvait lui donner
les quatre mille hommes qui eussent été nécessaires pour
compléter ses équipages ^ M. de Sartines connaissait la
convention du 12 avril et le plan de campage qui avait été
arrêté à cette époque. Néanmoins, soit négligence, soit
impossibilité momentanée, il n'avait pris aucune mesure
pour faire face à cette difficulté.
Le lieutenant général d'Orvilliers, vivement pressé par
le ministre, désarma plusieurs bâtiments afin de se pro-
curer quelques matelots, et il embarqua deux mille sol-
dats. L'escadre, forte de vingt-huit vaisseaux, sortit de
Brest, le 4 juin. Elle arriva, le II, à la hauteur de la
petite Ile de Cizarga, où elle devait, d'après les instruc-
tions du ministre, opérer sa jonction avec les Espagnols.
A la fin de juin, huit vaisseaux venant de la Corogne
rallièrent notre armée. Dans les premiers jours de juillet,
plusieurs vaisseaux français, notamment la VUlc-de-
Paris j le Bien-Aimé^ V Auguste^ le Caton, le Saint-Esprit,
la Couronne, signalèrent un grand nombre de malades.
Le commandant en chef envoya successivement ces
navires à la Corogne, afin de donner du repos aux équi-
pages. Cette situation n'avait pas de gravité, mais elle
1. Ce n'étaient pas quatre mille hommes, comprenant des novices, ma-
telotis, canonnière, soldats, etc., qui manquaient pour compléter les effec-
tifs des vaisseaux du lieutenant général d'Orvilliers, mais quatre mille
hommes de mer. Ces quatre mille matelots étaient d'autant plus néces-
saires, que la proportion des hommes élran^^ers à la mer dans la comp:)-
sition des équipages avait augmenté defiuis lu commencement de la
guerre.
160 HISTOIRE DE LA MARINE KHANÇAISE.
loquiétait le comte d'Orvilliers. << Noua sommes bien en
état, écrivait-il au ministre, d'altaquer les ennemis cl d'en-
tamer les opérations; mais les moments sont d'autant
plus précieux que la saison avance, et qu'il est à craindre
que la maladie ne se propage dans nos vaisseaux, où
nous avons des fitvrcB putrides ou de la petite vérole. 11
nous faut, d'ailleurs, un temps à souhait pour ne perdre
que quatre ou cinq jours, après la jonction de monsieur
Gaston, nécessaires à régler les postes, y mettre les vais-
seaux et les ranger au moins deux fois en bataille. Je suis
persuadé de la valeur et delà bonne volonté de nos alliés;
mais ce que je vois de leur manœuvre me confirme jilus
que jamais qu'ils sont fort éloignés d'être bons ofGciers
de mer. » Vers le milieu de juillet, le mal fil des progrès
très-rapides. Quoique cinq cents hommes eussent été mis
à. terre, A la Corogne et au Ferrol, il restait environ deirx
mille malades'. Le port de Brest ne s'était pas trouvé en
mesure de donner h tous les bAtiments les quantités de
médicaments réglementaires. Enfin, plusieurs vaisseaux
avaient pris la mer sans médecins. Le comte d'Orvilliers
fit connaître sa position au ministre, et il le pria de lui
envoyer des secours d son passage devant t)ues8anL Le
chef d'escadre de Ternay, en relAchc à la Corogne, in-
forma directement M. de Sarlines que le Saint-Esprit, sur
lequel élail arboré son pavillon, comptait cent trente
malades. Ce vaisseau avait, h son départ de ilrest, soi*
xante hommes de moins que son efTectif, et, depuis cette
époque, il avait |K!rdu neuf hommes. Le Bicn-Aimi', qui
était à la Corogne avec le Saint-Eaprit, avait quatre-vingt-
sept hommes & l'hâpital, et une vingtaine de malades k
bord. Celte situation était celle do la plupart des bAliments
de l'escadre. Le temps marchait et le lieutenant géni-ral
d'Orvilliers ne recevait aucune dépêche de Paris. Suri)ris
de ce silence, il écrivit, le Sû juillet, au ministre ; « Je
lllln legcrc? ili<ll.>|>a»ilin[i,
LIVRE V. Ifll
me flatte. Monseigneur, que c'est Tincertitude du lieu
qu'occupe l'escadre du Roi qui me prive de vos nouvelles
et de vos ordres depuis six semaines que je suis ici....
J'ai l'honneur de vous prévenir, Monseigneur, que, si nous
continuons à être affligés de malades au point d'embar-
rasser les vaisseaux pour le combat, j'autoriserai les ca-
pitaines, en quittant ce parage pour aller dans la Manche,
à mettre en hotte une partie de leur troisième plan, pour
se procurer dans leur cale un emplacement suffisant pour
y déposer leurs malades. Je sais que l'ordonnance le dé-
fend, mais je n'ai imaginé aucun autre moyen de nous
mettre en état de combattre. Le faux pont doit être libre
pour recevoir les blessés. » Le 23, le lieutenant général
don Luis de Cordova parut avec vingt-huit vaisseaux.
Quoique cet officier général fût plus ancien de grade que
le lieutenant général d'Orvilliers , il avait été convenu,
entre les cours de Madrid et de Versailles, que le com-
mandement en chef serait exercé i)ar l'amiral français.
Seize vaisseaux, placés sous la direction de don Luis de
Cordova, devaient former une escadre particulière, dite
d'observation.
Quelques jours s'écoulèrent pendant lesquels les deux,
généraux procédèrent à l'organisation de rarmée. Une
question importante, celle des signaux, avait été complè-
tement négligée dans les négociations particulières rela-
tives à la réunion des deux escadres : « J'ai été bien
surpris. Monseigneur, écrivit le lieutenant général d'Orvil-
liers au ministre, lorsque j'ai appris que les signaux de
l'armée n'avaient pas été imprimés en Espagne, et que
H. Mazzaredo (major de la flotte espagnole) avait été obligé
de les copier & la main depuis son départ de Cadix. Je
puis vous assurer qu'il n'est jamais arrivé que deux es-
cadres, en se réunissant en mer, aient été réduites à
improviser un corps entier de signaux. C'est cependant
ce qu'il m'a fallu faire. U est heureux que j'aie eu à trai-
ter, pour la traduction et les ordres à donner, à un major
très-intelligent et rempli de bonne volonté. Fort heureu-
u
162 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
sèment aussi, le calme a facilité la communication, en
sorte que tout a été distribué hier 28. » Le 28 et le 29,
les bâtiments détachés au Ferrol et à la Corogne ralliè-
rent le pavillon du commandant en chef. Le 30 juillet,
Tannée combinée, forte de soixante-six vaisseaux de li-
gne, trente franc^ais (deux vaisseaux, la Victoire et la
Bourgogne, avaient rejoint l'escadre à la mer) et trente-six
espagnols, et de quatorze frégates des deux nations, se
dirigea vers le nord. La flotte franco-espagnole était dis-
posée dans l'ordre suivant* :
Ligne de bataille.
B
Noms des bâtiments.
Le Citoyen —
Le Saint-Michel.
L'Auguste
Le Prolée
LeSan-Pablo..
L'Éveillé
Arrogante
Ville-de-Paris. .
Le Glorieux
Le Serio
L'Indien
Le Saint-Pedro. ,
Le Saint- Joseph.
Le Palmier
La Victoire
Le Zodiaque,
Le Guerrier. ,
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Avant-garde,
74
70
80
64
70
64
70
104
74
70
64
70
70
74
74
De Nieuil.
De Rochechouart, chef d*e8cadre.
De Cacqucray.
De Ballerov.
m
lluon de Kermadcc.
Le comte de Guichen, lient, général.
de Bcaussel, chef d'escadre.
De la Grandière.
De Hrale.
D'Albert Saint-HippoUte.
Corps de 6(i/(i (//(.'.
74
70
iDe Porte Vezins.
1. Li com|K)îiilion do la flotte combinée a été prise, telle qu'elle est in-
diquée ici, dans les étaU annexés aux rup|K)rts du lieutenant général
d'Orvillior»*.
LIVRE V.
163
Noms des bâtiments.
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Coppi de bataille (suite).
Le Saint-Vinccnl.
Le Scipion
Le Bien-aimé —
Le Saint-Carlos .
La Bretagne
Le Neptune
Le Vincendor
Le Destin
Le Saint- Joaqu in
Saint-lsabcl
La Bourgogne —
Le Solitaire
80
74
74
80
110
80
70
74
70
70
74
64
Le comte d'Arec, lieutenant général.
De Cherisey.
D'Aubenton.
Duplessis Parscau.
Le comte d'Orvilliers, lieut. général
Hector, chef d'escadre.
D'Espinouse.
De Marin.
De Monteclerc.
Arrière-garde.
L'Hercule
Le Septentrion.
Le Saint-Esprit.
Llntrépide
L'Ange Gardien .
Le Bizarre
Le Conquérant..
Le Rayo
Le Saint-DamaF.
L'Actionnaire. . .
L'Alexandre
Le Brillant
Le Saint-Luis . . .
Le Caton
Le Pluton
74
64
80
74
70
64
74
80
70
64
64
70
80
64
74
Le comte d'Amblimont.
Ternay, chef d'escadre.
Beaussier.
De Saint Kiveul.
De Monleil, chef d'escadre
De l'Archantel.
De Trémigon.
De Scillant.
Escadre d^observation
La Trinité
Le Phénix
L'Orient
Le Monarque
I^ Vaillant
Le Saint- Julien . .
Le Saint- Nicolas .
l^ Busé
Le Saint-Raphaôl.
122
80
70
70
70
70
80
60
70
«•'
164
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Noms des bilimenls.
Nombre
dé
canoDS.
Noms des capitaines.
Escadre cCobservation (suite).
La Princesse
La Sainte-Françoise
Le Dilip:enl
Le Saint-Victor
Le Saint-Eugène
Le Saint-François de PauL
La Galice.
Saint-iMichel ,
Espafia
Couronne . . .
Mucho
Triton.
l
70
70
70
70
70
70
70
Escadre légère.
60
64
80
52
64
de Labiochaye.
breil de Rays.
Levassor de Latouche, lieul. général.
Cbadcau de Laclocheterie.
Par suite d'un ordre auquel on attachait, à Paris, une
importance particulière, les vaisseaux qui n'apparte-
naient pas à Tescadre spécialement dirigée par Cordova
étaient mêlés à nos bdliments. Cette disposition avait
l'avantage de mettre toute cette partie de l'armée espa-
gnole dans les mêmes conditions que la nôtre, en cas de
rencontre avec Tennemi. D'autre part, elle imposait à
notre escadre la marche de nos alliés qui était regardée
comme très-mauvaise.
Au moment où ce formidable armement faisait route
vers l'entrée de la Manche, il s'était écoulé près de deux
mois depuis notre départ de Brest. L'escadre avait con-
sommé la plus grande partie de ses vivres et de son eau *,
et nos équipages étaient Irès-affaiblis. Malgré ces condi-
1. Lorsque IVscadre avait appareillé, elle n'avait pas quatre mois com-
plets de vnres et d'eau. Il est inutile de dire que le minislrc connaissait
très- bien cette situation.
LIVRE V. 165
lions défavorables, le lieutenant général d'Orviliicrs ,
persuadé que le ministre lui ferait parvenir tous les se-
cours qui lui étaient nécessaires, ne voyait aucun obsta-
cle à l'accomplissement de sa mission. Il écrivait à M. de
Sartines, à la date du 2 août : « Je ferai route pour aller
reconnaître Ouessant, où je compte que je trouverai des
avisos avec des ordres et des avis de votre part. J'en-
verrai même un lougre à cette île, dans Tespérance que
vous aurez pu y faire passer des paquets avec ordre au
gouverneur de me les faire parvenir par tous les moyens
qui lui seraient possibles. Nous irons chercher Tennemi
à la côte jusqu'à la rade de Sainte-Hélène, et alors, si je
trouve cette rade libre, ou que je m'en sois rendu maître,
j'enverrai donner avis à M. de Vaux au Havre, comme
vous me l'avez recommandé, et lui ferai part des moyens
que j'emploierai pour la sûreté de son passage qui dépen-
dront des forces supérieures des Anglais ; c'est-à-dire,
j'opposerai, de ce côté-là, l'armée combinée pour contenir
l'ennemi, et je ferai passer, dans l'autre partie, une esca-
dre légère et des forces suffisantes en vaisseaux et frégates,
ou je proposerai à M. de Cordova d'occuper cette partie
pour que le passage de l'armée de terre soit libre et en
sûreté. Je suppose qu'alors, soit par le combat que j'au-
rai livré aux ennemis, soit par leur retraite dans leurs
ports, je serai certain de leur situation et du succès de
l'opération. » Le comte d'Orvilliers insistait sur la néces-
sité d'envoyer à l'armée combinée des pratiques de la
côte d'Angleterre. Il rappelait également au ministre que
les deux tiers des vaisseaux français n'auraient plus d'eau
le 1" septembre.
Un cruel malheur atteignit le commandant de notre
escadre. Son fils, lieutenant de vaisseau sur la VUle-de-
PariSj succomba aux atteintes de la maladie qui sévissait
sur nos bâtiments. Le malheureux père supporta cet
événement avec la fermeté qui convenait à sa position.
« Le Seigneur m'a ôté, écrivit-il au ministre, tout ce que
j'avais dans ce monde, mais il m'a laissé la force de ter-
166 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
miner celte campagne, et le plus grand désir que ce soit
à votre satisfaction. »
II
Dans les premiers jours du mois d'août, les préparatifs
faits par notre gouvernement pour opérer un débarque-
ment en Angleterre étaient terminés. L'armée d'invasion
était divisée en deux corps principaux, dont l'un occu-
pait le Havre et l'autre Saint-Malo. Quatre cents bâti-
ments de transport étaient prêts à les recevoir. Le com-
mandant en chef de l'expédition, le maréchal de Vaux,
n'attendait que l'arrivée de la flotte combinée & Sainte-
Hélène pour donner à ses troupes Tordre de s'embarquer.
L'Angleterre, surprise par la brusque agression de l'Es-
pagne, n'avait à opposer aux soixante-six vaisseaux de
la flotte franco-espagnole que les quarante vaisseaux
commandés par l'amiral Hardy. Si nous étions maîtres de
la mer, le débarquement de l'armée française était assuré.
Or, <\ ce moment, les meilleurs soldats de TAnglelerru
combattaient au dehors, et les milices, appelées à la hdle,
n'offraient pas les éléments d'une solide résistance. Des
complications intérieures s'ajoutaient aux difficultés de
cette situation. Par suite de l'agitation qui régnait dans
les esprits, la cour de Londres était obligée de laisser en
Irlande une partie des troupes dont elle disposait. Les
instructions adressées au maréchal de Vaux déno-
taient, de la part du gouvernement français, l'intention
d'agir avec une extrême prudence. Le ministre de la
guerre disait : « Dans la supposition où Portsmouth se-
rait inatta(iuable, se borner à faire l'attaqui; de l'Ile de
Wight et s'y établir avec les troupes de Sa Majesté; s*y
fortifier de manière qu'on ne puisse en être chassé et que
le voisinage de cette île et les troupes qu'elle contiendra
puissent occuper assez les ennemis sur les côtes du
continent anglais, pour qu'ils soient obligés de dégar-
LIVRE V. 167
nir les environs de Portsmouth. Quand les troupes du
Roi auront fait les fortifications et les retranchements
suffisants pour que Tlle de Wight puisse être conservée
par dix mille hommes contre toutes les forces de Ten-
nemi, M. le comte de Vaux est autorisé à aller tenter un
autre débarquement, sous la protection de l'armée navale,
sur le point où, de concert avec M.lecomted'Orvilliers, ils
trouveront possible, l'un et l'autre, de débarquer, jusqu'à
Bristol; mais, dans le cas où on ne pourrait s'assurer
d'avoir d'heureux succès, on se contentera, jusqu'à ce
qu'on ait reçu de nouveaux ordres de Sa Majesté, de faire
quelque entreprise dans les contrées les plus voisines
de l'île de Wight, et qu'ils jugeront la plus convenable.
Sa Majesté s'en remet, sur le choix de tous ces objets,
aux lumières et connaissances locales que M. le comte de
Vaux pourra se procurer. » Le 7 août, la flotte franco-
espagnole atlérit sur Ouessant avec des vents d'est fai-
bles et une belle mer. Ces circonstances étaient très-favo-
rables pour opérer le ravitaillement de l'escadre, mais
aucun ordre n'avait été donné à Brest, et il ne vint que
des approvisionnements insignifiants. Les pratiques de la
côle d'Angleterre, que le comte d'Orvilliers avait deman-
dées, ne lui furent pas envoyées. Le ministre lui annonça
que des mesures étaient prises pour satisfaire aux be-
soins de son escadre, lorsque celle-ci serait entrée dans
la Manche. Après avoir reconnu le cap Lézard, le 14, le
comte d'Orvilliers continua sa route vers Test. 11 avait
l'intention, s'il ne pouvait atteindre promptement Sainte-
Hélène, de mouiller sur la rade de Torbay, pour embar-
quer le matériel, les vivres et le personnel expédiés de
Brest. Le 16 août, il fut avisé d'un changement survenu
dans les projets du gouvernement. Ce n'était plus à l'île
de Wight, mais sur la côte de Cornouailles , près de
Falmouth, que devait avoir lieu le débarquement des
troupes françaises. Il était prescrit au comte d'Orvilliers
de bloquer les Anglais dans Plymouth, et de détacher deux
divisions, l'une à Saint-Malo et l'autre au Havre, pour
168 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
escorter les transports sur lesquels nos soldais devaient
s'embarquer. Le gouvernement, disait le ministre dans
la m<imo dépéctie, avait l'intention de laisser l'armée
combinée à la mer encore pondant quelques mois. Il est
difficile d'imaginer un changement plus complet dans le
plan primitivement adopté. On doit croire que M. de Sar-
tines ne se rendait aucun compte de la portée de ses
nouveaux ordres. Le port, considéré comme indispen-
sable pour abriter l'escadre contre les mauvais temps cl
assurer son ravitaillement, disparaissait. Le débarque-
ment de l'armée ayant lieu, d'après les nouvelles instruc-
tions, dans les environs de Falmouth, la Hotte combinée
était obligée, non-seulement de tenir la mer, mais de
croiser près de la côte pour rester en communication
avec nos troupes. Or, comme le maréchal de Vaux ne
pouvait être mis à terre avant la tin d'août, il en résul-
tait que nos vaisseaux étaient appelés à Taire ce se^^■ice
pendant les mois de septembre, d'octobre et peut-être
de novembre. Il est inutile d'ajouter que, h cette époque,
nous n'avions pas de port dans la Manche. Nous lais-
serons le comte d'Orvilliers montrer lui-même ce que
valaient les instructions du ministre de la marine : « Après
le mois de septembre, écrivit-il à M. de Sartines, la
Manche n'offre plus que des coups de vent et point d'a-
bris. Les Anglais, qui ont tous leurs ports sous le vent
de l'ouest et du sud-ouest, peuvent, sans rien hasar-
der, mettre dehors leurs escadres et leurs flottes. Il n'en
est pas de même des forces réunies de la France et
de l'Espagne. Si ce grand nombre de vaisseaux est
battu par une tempêto d'ouest, ils n'ont d'autre ressource
que d'onlilor le canal et de Taire de l'est. Si le coup de
vent est du sud, du sud-sud-ouest et même du sud-ouest,
un grand nombre ne pourra doubler la pointe sud de
l'Angleterre', d'où il résulte que la marine des deux.
LIVRE V. 169
puissances est très-exposéc, dans cette mer, pendant l'au-
tomne et l'hiver. Le ravitaillement de cette nombreuse
armée mérite aussi, Monseigneur, votre considération.
N'ayant ni port ni rade à votre disposition, on sera forcé
de faire, à la mer, le renversement de transports que je
suppose arrivés sans accident, dans une saison où, très-
souvent, la communication est impraticable et les trans-
ports d'un vaisseau à l'autre impossibles. On saisira les
courts moments qui se présenteront, mais on ne peut se
flatter qu'ils suffisent à cet énorme travail. Selon les ren-
seignements que je prends ici des Normands qui font la
pêche à la côte d'Angleterre, Falmouth n'est d'aucune
ressource pour la relâche de quelques vaisseaux de
guerre. L'eau du port n'est pas suffisante, et la rade, trop
petite pour contenir une escadre, est, de plus, exposée à
tous les vents du large. Elle est, d'ailleurs, semée de ro-
ches qui rongent les câbles, font perdre les ancres et
quelquefois les vaisseaux. En général, les Anglais n'y
mouillent pas. C'est un grand malheur, mais un malheur
prévu, que la jonction de nos alliés ait été aussi tardive,
et un malheur encore plus grand le fléau qui désarme
nos vaisseaux. C'est encore une contradiction bien déso-
lante que les opérations ne puissent commencer que lors-
que l'armée française est à la fin de son eau, et bientôt de
ses vivres. Si nous recevons les secours qui nous sont
annoncés de Brest, je serai obligé de perdre trois ou
quatre jours de beau temps dans la baie de Torbay pour
en faire le renversement, heureux encore si tout arrive
en entier et sans accidents. C'est aujourd'hui le quatrième
jour que nous sommes à la vue du cap Lézard et de la
côte d'Angleterre qui le suit dans l'est. Néanmoins, je n'ai
rencontré aucun bateau pécheur où je puisse prendre
des pilotes pratiques. Ceux annoncés par M. le comte de
Carades n'ont pas plus paru que ceux arrêtés à Saint-
Malo, ou ailleurs, de sorte que nous naviguons comme au
hasard, et sans connaissance des dangers et des cou-
rants de la côte. Les Espagnols en gémissent encore plu
170 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
que nous, et ne cessent de faire entendre leurs cris. »
Le 17 août, nos frégates d'avant-garde s'emparèrent, à
rentrée de Plymouth, du vaisseau de soixante-quatre
canons V Ardent. Un coup de vent d'est, qui souffla pen-
dant quelques jours avec une grande force, rejeta la flotte
hors de la Manche. Le 22 août, le temps étantdevenu ma-
niable, le comte d'Orvilliers s'empressa de répartir d'une
manière égale Teau et les vivres sur tous les bâtiments.
Lorsque cette opération fut terminée, la flotte se trouva
approvisionnée jusqu'au 20 septembre. Le 25 août, on
apprit que l'escadre anglaise, forte de trente-neuf vais-
seaux, se trouvait dans les parages des Sorlingues, où
l'avaient poussée ces mômes vents d'est qui nous avaient
empêchés de gagner Torbay. Les divers événements sur-
venus depuis le jour où l'armée avait attéri sur Ouessant
faisaient peser sur le lieutenant général d'Orvilliers une
très-lourde responsabilité. Il n'ignorait pas que, s'il re-
nonçait à s'engager de nouveau dans la Manche, il ferait
avorter le projet de descente en Angleterre, sur lequel,
non-seulement la France, mais l'Europe entière avait les
yeux fixés. D'autre part, l'état sanitaire des équipages,
loin de s'améliorer, avait été en empirant, et la plus grande
partie de nos vaisseaux n'étaient plus en état de navi<ruer.
Le 25 août, les principaux officiers de Tarmée furent ap-
pelés c\ bord de la Ville-de-Paria pour délibérer sur la si-
tuation. Tous furent d'avis de renoncer à rentrer dans la
Manche pour y tenter une expédition, soit par les seuls
moyens des deux flottes, soit avec Taide des troupes fran-
çaises. Puis(|ue l'escadre anglaise était aux Sorlingues, il
fiillail manœuvrer pour la joindre. Dans le cas où nous
ne réussirions pas à l'atteindre, nous de\ions rester en
croisière, A l'entrée de la Manche, jusqu'au 8 septembre.
Si, A celte date, les vaisseaux n'avaient pas emban|ué le
personnel, le matériel et les vivres nécessaires pour con-
tinuer la rampairne, les deux flottes se sépareraient. Les
Franeai^ rentreraient à Brest, tandis que les Espagnols
feraient roule sur Cadix. Se conformant à l'opinion émise,
LIVRE V. 171
h riinanimité, par les officiers généraux de rarmée*, le
comté d'Orvilliers se mit à la recherche des Anglais. Le
31 août, les frégates signalèrent Tennemi qui prit chasse
aussitôt qu'il nous eut reconnus. Le 2 septembre, Tesca-
dre anglaise que nous avions un peu gagnée, mais dont
nous étions encore éloignés de quatre ou cinq lieues, ar-
riva à l'entrée de Plymouth. On put croire un moment
que la fortune nous réservait une compensation. Les vais-
seaux de queue signalèrent quinze grands bâtiments à
trois mâts sous le vent de l'armée. La satisfaction des
officiers et des équipages ne fut pas de longue durée. Les
navires en vue faisaient partie d'une flotte marchande
hollandaise qui revenait en Europe, sous l'escorte de quel-
ques frégates. Le comte d'Orvilliers ayant reçu, quelques
jours après, l'ordre de revenir à Brest, mouilla sur cette
rade, le 14 septembre. Nos alliés, qui devaient faire
route directement pour un port d'Espagne, avaient de
nouvelles instructions qui leur prescrivaient de nous
accompagner. Le nombre des malades avait pris de telles
proportions que la plupart des vaisseaux français étaient
hors d'état de manœuvror.
Nous allons montrer, par des chiffres, l'importance des
difficultés avec lesquelles, non-seulement le comte d'Or-
villiers, mais les capitaines, les officiers et les équipages
de l'escadre, s'étaient trouvés aux prises. A la fin d'août
et dans les premiers jours de septembre, les vaisseaux le
Bien-Aiméylsi Victoire, V A ciifj Y Intrépide, le Saint-Michel^
le Caton, la Ville-de'Pa7^s et VAuguste, avaient été ren-
voyés à Brest. La Mlle-de-Paris^ avait cinq cent soixante
1. Le procès- verbal de la séance du conseil de guerre, tenu à bord du
▼aisseai: la Bretayne^ le 25 août 1779, est signé, du C(Mé des Français,
par les lieutenants généraux et chefs d'escadre dont les noms suivent :
Gaichen, Rochechouart, Latouche-Tréville, le chevalier de Ternay, Hector,
de Monteil et de Beausset.
2. En transmettant le procès-verbal du chirurgien-major de son vais-
seau, le lieutenant général de Guichen insistait sur la nécessité de faire
rentrer la ViiU^de-Paris à Brest. Quant à lui, il demandait à mettre son
pavillon sur an autre vaisseau.
172 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
hommes exempts de service, et V Auguste^ cinq cents. Le
premier de ces vaisseaux avait perdu soixante et un
hommes, et le second quarante-quatre. A bord de Vlntré-
pide^ le chiffre des morts s'élevait à soixante-dix, et celui
des malades à cinq cent vingt-neuf. V Actif avait quatre
cents malades, et le Galon, petit vaisseau de soixante-qua-
tre, trois cents. La Vicloire, le Bien-Aimé, le Saint-Michel,
n'étaient pas dans de meilleures condi tions. Parmi les vais-
seaux qui étaient restés à la mer jusqu'au dernier jour,
la Couronne avait près de deux cents malades, et elle avait
laissé deux cent quarante hommes à Thôpital de la Coro-
gne. Le Pa/mier avait trois cent trente malades, la Bour-
gogne deux cent trente, le Destin trois cents, et le Triton,
vaisseau de soixante canons, cent soixante. VAlexan-
dre n'avait que soixante-dix malades , mais trois cents
hommes de son équipage, atteints par l'épidémie pen-
dant la campagne, n'avaient pas encore recouvré leurs
forces et ne pouvaient rendre aucun service. Le capitaine
de ce vaisseau écrivait au ministre, au commencement
d'octobre : « J'ai l'honneur de vous rendre compte que,
le 6 de ce mois, on a passé une revue de mon é(|uipagc.
Il ne s'est trouvé de bien portants et n'ayant jamais été at-
taqués par cette cruelle maladie, parmi les hommes ayant
appartenu î\ mon ancien équipage, (pio quarante-(iualre
ofliciers-mariniers, douze officiers-mariniers surnumê-
rairos, soixante-dix-scpl matelots, gabiers, timoniers,
charpentiers et calfats, vingt-quatre novices ou garde-
1. J'ai l'Iionnonr do vous prévenir, monsieur le comle, i\\io V AwfUftf
est hors «lélat de tenir la mer encore quatre jours. Nous avons trois cent!
hommes sur li's eadre«< vi deux cents au moins (|ui ne valent puùri» mieux.
Nous ne pouvons pas faire de la voile, parce tpie nous n'avons |>as assez
de inonde de quart |M)ur la car^uer. Nous avons été près dune lieure à
rarpuer la grande v<»ile. la dernière nuit. Il m'est impossible de faire le
liranle-has. v{ à peine aurais je du monde pour armer ma seconde batterie.
Si vous voulez faire tenir la wwr à VAutfuslr^ il faut (pie vous donniez
quatre cents hommes et (|ue >ous retiriez ses malades.
Je suis avec respect,
HoCUEaiOCABT.
LIVRE V. 173
côtes et vingt-sept mousses. » D'après les règlements en
vigueur à cette époque , les vaisseaux à trois ponts ,
tels que la Fi'We-rfe-Pam, de cent (jualre canons, et la
Bretagne^ de cent dix, avaient de mille à onze cents hom-
mes d'équipage. Les vaisseaux de quatre-vingts avaient
huit cents hommes, les vaisseaux de soixante-quatorze
sept cents, et les vaisseaux de soixante-quatre cinq cents.
En mettant ces chiffres en regard du nombre des malades,
on comprendra mieux le degré de faiblesse et de désor-
ganisation auquel l'escadre était arrivée.
Le lieutenant général d'Orvilliers appela l'attention du
ministre sur les capitaines des frégates et des petits bâti-
ments. Tous étaient des officiers zélés, actifs et capables.
11 signala le peu d'habileté, au point de vue de la navi-
gation d'escadre, de quelques-uns de ses capitaines de
vaisseau. Mais il n'eut que des éloges pour la conduite
des généraux, des capitaines, des officiers et des équipages
pendant les cruelles épreuves que l'escadre avait traver-
sées. « Jamais, écrivit-il dans une lettre relative à la pour-
suite de l'amiral Hardy, la nation française n'a montré
plus de bonne volonté et de bravoure que dans cette occa-
sion. Cela s'est manifesté au point que, loin de réfléchir
sur l'état fâcheux et trop diminué des équipages, chacun
a dit ne plus sentir son mal, depuis qu'on chassait
l'ennemi. » Le lieutenant général d'Orvillicrs s'exprimait
sur les choses et sur les personnes avec autant de fran-
chise que d'indépendance. On doit considérer tout ce qu'il
écrivait comme l'expression sincère de sa pensée.
III
En apprenant la rentrée de cette flotte qui ne ramenait
d'autre trophée que le vaisseau V Ardent^ pris par nos
frégates à Tattérage de Plymouth, la France ressentit
une très-vive émotion*. La nation, persuadée (lue le
1. L'Ardent, utte pelile corvette prise à la vue de l'escadre anglaise.
HISTOIRE UE LA MARINE FRANi;A1SE.
lieutenant général d'Orviliicrs serait maître de la mer
pendant un temps assez long pour assurer la descente en
Angleterre, avait maniTesté une grande confiance dans
les résultais de cette entreprise. Elle avait entrevu
une paix glorieuse comme conséquence des succès de
nos soldats. L'arrivée à Brest de l'urméc combinée dé-
truisait toutes ces espérances. Lu lenteur des Espagnols,
l'épidémie qui avait sévi sur nos bdtimenls, la persis-
tance des vents contraires ou moment où la flotte remon-
tait vers le nord, le coup de vent d'est du 17 août, telles
étaient les principales causes des malheurs de la cam-
pagne. Mais on doit ajouter que le ministre n'avait rien
fait, rien tenté pour vaincre les obstacles que le com-
mandant de l'escadre avait rencontrés. Notre escadre,
partie de Brest, le k juin, avait consommé, dans l'inac-
tion, une partie de son eau et de ses vivres. S'était-on
trompé, Â Paris, au pointdccroirequelesEspagnoIsnous
rallieraient pendant le mois de juin? Le gouvernement:
avait-il eu hâte de voir le lieutenant général d'Orvilliers'
hors de Brest, dans lacrainte qu'il ne fiit bloqué, s'il re»^
tait au port? Ce départ précipité, quel qu'en fût, d'aillcur^,
le motif, nous mettait dans l'obligation de passer &
mer le temps pendant lequel nos alités terminaient Icui
préparatifs. Il appartenait au ministre d'aviser aux con-
séquences résultant de cet état de choses. Le ravitaille-
ment de l'escadre, sinon complet, au moins dans des con-
ditions qui nous eussent permis de continuer la campa-
gne, était possible devant Oucssant, S'il eût été néces-
saire, pour eflectuer promptement et sûrement cette opé-
ration, que la Hotte mouillAtù Bcrtlieaume, à Camaretct
même à Brest, le ministre ne devait pas hésiter k l'or-
donner. Ne recevant aucun secours, le comte d'Orvillieri']
continua sa route avec la pensée de se rendre le plut'
promptement possible à Sainte-Hélène. En s'cmparant de
ce mouillage, il s'acquittait de la tAclie dévolue à la ma-
ie-
°°j
lis M
«nU |irisonniors, tel tut la
1
J
LIVRE V. 175
rine. De plus, il conquérait le port qui lui était nécessaire
pour abriter son escadre contre le mauvais temps, et as-
surer rembarquement des vivres et du matériel attendus
de Brest. Avant que ce projet eût été mis à exécution, le
plan de la descente était modifié. L'escadre, obligée de
croiser devant Falmouth pendant les mois d'octobre et de
novembre, n'avait plus de refuge, si elle recevait un coup
de vent d'ouest. Alors que toutes les ressources d'une
administration active et intelligente eussent été à peine
suffisantes pour conjurer le mal, le ministre parut croire
qu'il ne fallait au comte d'Orvilliers que de l'énergie et de
la volonté pour remplir sa mission. Au lieu de lui faire
passer les secours, sans lesquels il ne pouvait rien, il lui
donna des ordres qui eussent été d'une exécution difficile
pour une escadre bien pourvue et en parfait état. Si nous
examinons la conduite du commandant en chef, nous cher-
chons inutilement les reproches qu'on est en droit de lui
adresser. Après avoir été rejoint par les Espagnols, il se
présenta à l'entrée de l'Iroise, avec la conviction bien
naturelle que le ministre, tenant compte de ses deman-
des, lui enverrait des hommes, des vivres et du matériel.
A partir du jour où l'escadre reprit sa marche vers le
nord, le lieutenant général d'Orvilliers resta sans influence
sur les événements. Les circonstances, plus que sa propre
volonté, dictèrent ses résolutions. Mal accueilli à son arri-
vée, il se déclara prêt à résigner son commandement.
Cette oflre fut acceptée avec un empressement d'autant
plus grand, qu'en sacrifiant le commandant de l'escadre,
M. de Sartines donnait le change à l'opinion. Il faisait re-
tomber sur le général les fautes que, lui-même, avait
commises. Le comte d'Orvilliers emporta dans sa retraite
les regrets de son escadre, le respect et l'estime de toute
la marine.
Depuis le commencement de la guerre, il n'y avait eu
que deux grandes rencontres entre les flottes de France
et d'Angleterre. Dans chacune d'elles, nous étions restés
maîtres du champ de bataille. Le 27 juillet 1778, nous
176 HISTOIRE DE L\ MARINE FRANÇAISE,
avions le mfime nombre de vaisseaux que les Anglais,
avec celte différence toutelois que les navires anglais
étaient plus forls que les nûLres, Le 6 juillet 1779, le vice-
amiral Byron élait à la t€(c de vingt et un vaisseaux,
tandis que la comte d'Ëslaing en avuil vingt-cinq. Aussi
le combat d'Ouessant était-il considéré comme supérieur
à celui de la Grenade. Les ofliciers de marine se souve-
naient que ce premier succès , dii au comte d'Orvilliers,
avait placé notre marine sur le même pied que la marine
anglaise dans l'opinion de l'Europe'. Le capitaine de
vaisseau du Pavillon, un des meilleurs ofliciers de la ma-
rine française^ était major de l'escadre. Consulté par
M. de SarLines sur les divers événements qui s'étaient
produits pendant la campagne, il lui écrivit la lettre re-
marquable que nous joignons ici. ° Mon général vieutdc
me dire qu'il est désapprouvé de n'avoir pas poursuivi
l'armée plus longtemps, et de n'avoir pas ordonné la
chasse sans égard A l'ordre prescrit entre les vaisscaus
rangés en ligue de bataille. J'avoue, Monseigneur, que ma
surprise est extrême. Comment pouvait-il poursuivre un
ennemi qui était à sept lieues dans le vent, et dont le
port était ouvert pour lui et fermé il l'armée combinée?
Comment pouvait-il se dispenser de courir sur une
Hotte signalée à j)lusieurs reprises par des personnes
graves! Si elle se fût trouvée anglaise, on l'aurait liien
mieux condamné. iCnlîn , Monseigneur, comment mon
général pouvait-il négliger un seul instant de ressortir de
la Manche, puisqu'il élait menacé des vents du sud-ouest,
que l'événement a prouvé qu'il les a\ait trouvés, qu'il
manquait absolument d'eau, de vivres et même de mate-
lots? Vous devez sentir aujourd'hui. Monseigneur, puis-
que vous connaissez l'état et les progrès de l'épidémie
t{ui ravage tous les vaisseaux du Uoi, que quelques jours
du retord dans la sortie de la Manche auraient [ail
1. U* li«ulenaiit géai.'nil il'Orvillien te relira k Moulin
«ion. Il muurul, danacelto ville, le 14 avril 1191, t l'Age de qualK-vt
UVRE V. 177
perdre au Roi ses vaisseaux et le reste de ses matelots >
Ce fait n'est que trop prouvé ; il Test également aux yeux
de toute l'armée que jamais son général n*a élé aussi
grand, aussi supérieur à Thumanité et aux adversités que
dans cette campagne, laquelle n'a manqué que parce
qu'on a mal choisi le point de réunion (Gizarga) des vais-
seaux des deux puissances. Quant à la poursuite dont on
parle à Paris, et qui n'aurait pas été assez vive parce
qu'on n'a pas fait chasser sans ordre sur une armée en-
nemie de trente-neuf vaisseaux, il est aisé de répondre
à cette méchanceté absurde. 1<» Les vaisseaux français
n'étaient ni à portée, ni en état de combattre, puisqu'ils
étaient de vrais hôpitaux, plutôt que des vaisseaux de
guerre. 2* Les ordres du Roi étaient contraires à de pa-
reilles dispositions, puisque les Espagnols et les Français
étaient entremêlés dans la ligne de bataille, d'après mûr
examen de la cour, quoiqu'il ait été propose, dès le prin-
cipe, de composer l'avant-garde de l'armée combinée en-
tièrement de vaisseaux français. A^ous m'avez demandé,
Monseigneur, mon sentiment sur tous ces objets, je vous
le donne sans détour et avec la môme franchise. J'ai
l'honneur de vous assurer que jamais le tableau de ce
qui arrive à M. d'Orvilliers ne sortira de ma mémoire. Je
tâcherai d'en faire mon profit pour être plus sage et
moins ambitieux, car je ne penso pas qu'on puisse mon-
trer plus de force d'âme et de zèle pour le service du Roi
que ce digne général n'en a montré depuis la mort de son
fils. J'ajouterai à tout ceci, d'après vous-même, Mon-
seigneur, que M. d'Orvilliers ne peut être remplacé en ce
moment, ni pour la guerre, ni pour le cabinet. Comment
donc est-iî possible que de simples propos de quelques
individus méprisables puissent nuire à un pareil homme?»
Celle lettre est un titre d'honneur pour le capitaine de
vaisseau du Pavillon et pour le chef qui inspirait de tels
sentiments.
Par suite d'un aveuglement difficile à comprendre, le
ministre ne se rendait pas compte de la gravité de la
12
178 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
situation. Il prescrivit au lieutenant général Duchaffault,
successeur provisoire du comte d'Orvilliers, de compléter
son eau, ses vivres et ses rechanges, et de se tenir prêt à
appareiller. Très-surpris d'apprendre, par une lettre du
nouveau commandant en chef, que l'état sanitaire des
équipages réduisait nos vaisseaux à l'impuissance, M. de
Sartines chargea un conseil de guerre de décider si l'es-
cadre pouvait continuer la campagne. Le maréchal de
Vaux, les généraux de Jaucourt et de Puységur furent
envoyés à Brest pour assister à ce conseil. Le comman-
dant en chef de Tarmée et ses lieutenants devaient rester
étrangers aux discussions relatives à la partie purement
maritime. MM. Duchaiïault, de Guichen, de Cordova,
Gaston et d'Arce déclarèrent que Tescadre était hors d'état
de reprendre la mer. L'armée prit ses (juarticrs d'hiver,
mais elle conserva son organisation afin d'être prête &
marcher au premier ordre.
Nous avons établi avec exactitude les causes du désas-
tre auquel aboutit le plan de la descente en Angleterre.
L'étude de cette expédition montre Fimporlance du rôle
joué par le ministre chargé de la direction des opérations
militaires. Si celui-ci ne possède pas le savoir, rinlelli-
gence et l'esprit d'organisation nécessaires, on doit s'at-
tendre aux résultats les plus filcheux. A la guerre, le suc-
cès ne dépend pas seulement de ceux qui sont à la tête
des troupes. Les meilleures armées peuvent êtreréiluites
à l'impuissance, si les généraux n ont pas derrière eux une
administration ferme, habile, (jui .Hache prévoir leurs be-
soins et y pourvoir. On a prétendu (jue de graves dissenti-
ments survenus entre le lieutenant général d'Orvilliers et
don Luis (le Gordova avaient eu une grande part dans Téchec
de l'expédilion. Les lettres du commandant en chef et les
rapports du major de l'escadre monlrent que cette asser-
tion n'est pas fondée. Quoique la canipa^Mie de la flotte
combinée constitue un des épisodes les plus importants
de la guerre de l'indépendance américaine, les détails en
«ont peu connus. Aussi la plupart des historiens ont-ils
LIVRE V. M 9
évité de se prononcer sur la responsabilité incombant,
soit au ministre, soit au commandant en chef ^ Nous pen-
sons avoir donné les moyens de porter sur cette alTaire
un juif^ement définitif.
La situation de nos vaisseaux, qui fut promptement
connue de l'autre côté de la Manche, rendit à la marine
britannique sa liberté d'action. La cour de Madrid, crai-
gnant qu'une escadre ennemie ne fût envoyée dans le
détroit, rappela don Luis de Cordova avec quinze vais-
seaux. Peu après, le gouvernement espagnol, ayant acquis
la certitude qu'on faisait en Angleterre de grands prépa-
ratifs pour secourir Gibraltar, donna à don Miguel Gaston,
resté à Brest avec vingt et un vaisseaux, Tordre d'aller à
Cadix. La France et l'Espagne abandonnèrent provisoire-
ment le projet de descente en Angleterre. Bloquer Gi-
braltar, avoir des forces suffisantes en Amérique et en
Asie pour résister aux Anglais, et prendre l'offensive dans
les Antilles, tel fut le plan de campagne adopté par les
alliés pour l'année 1780'. Le lieutenant général de Gui-
chou, employé dans l'armée de DuchalTault,/ut appelé au
commandement en chef de Icscadre que le gouverne-
ment français se proposait d'envoyer <\ la Martinique.
Deux vaisseaux, VAjax et le Protée, et une frégate, la
CharnHintey entrèrent en armement pour aller dans l'Inde.
L'Kspagne prit l'engagement d'avoir, à la Havane, douze
vaisseaux et dix mille soldats. Les forces navales de la
France, dans la merdes Antilles, ne devaient pas être infé-
rieures à vingt-cinq vaisseaux.
1. En général, les biisturiens ont fait pencher la balance en faveur du
ministre. I/échcc tic la (icscente en Anglelerie el la disgrAcc du conunau-
dant en chef expliquent ce résultat. En rabsence de renseignements, on a
[»enwS qu'un homme malheureux et disgracié devait élre coupable. Il a été
dit que les mauvaises mesures, voire nit^ne l'incurie du lieutenant géné-
rai d Orviliiers, avaient amené i'insua*ès de l'ex|KHlili<m. Il y a lieu d'être
surpris» que les faits de notre histoire ne soient pas mieux connus.
2. Lettre du ministre des affaires étrangères à notre ambassadeur au-
près de la cour de Madrid.
LIVRE VI
I/amiral Rodney reçoit la mission de ravitailler Gibraltar. — Prise par le»
Anglais du vaisseau le Ouipuscoa. — Destruction de Pcscadre de don
Juan de Langara. — L'amiral Hodney, après avoir conduit son convoi à
(iibraltar, prend la route des Antilles. — L'amiral Digby s'empare do
Prnlée. — Arrivée à la Martinique de Tescadre du lieutenant général de
Duichpn. — Rcnconires des 17 avril, 15 et 19 mai. entre les escadres
française et anglaise. — L'amiral don Solano, avec une escadre venant
de Cadix, mouille à Fort-Boyal. — Kitat sanitaire des équi|>ages et des
troupes passagères. — Départ du lieutenant général de fJuicben avec
Tescadre espagnole. — Le comte de Guichen quitte Saint-Domingue
|K)ur rentrer en Europe. — Dé|)art du chef d'escadre de Ternay |K>ur let
côtes de l'Amérique septentrionale, avec sept vaisseaux et un convoi
portant un corps de six mille hommes, sous les ordres du lieutenant
général comte de Hochambeau. — Kcnconlre de la division du Commo-
dore Cornwallis. — Arrivée de l'escadre et du convoi à Hhodo-lsland. —
Inaction de l'escadre et des troupes, par suite de la 8u|>ériorité de l'oo-
nenii. — Mort du chef d'escadre de Ternay.
I
L'amiral Roilncy appareilla de Porlsmoulh, le 3 janvier
17eO, avec une escadre de vingt et un \aisseau\. 11 con-
voyait des transports destinés au ravitaillement de Gi-
braltar. Cette place, qui était blocpiée par terre et par
mer depuis le mois de juin 1779, avait un besoin pressant
de secours. Le 8, ù la bauteur du cap Finisterrc, les
Anglais capturèrent quinze navires marchands et leur
escorte, composée du vaisseau le GHipusnm^ de ({uatre
frégates et de deux bricks. Le 16, par un temps brumeux,
les frégates (|ui éclairaient la marche de la Hotte britan-
ni(|ue aperçurent plusieurs grands navires sous le
cap Saini-Vincent. L'amiral Hodney avait Theureuse for-
lune de M» trouver en pré.sence d'une CMadre espagnole
LIVRE VI. 181
de neuf vaisseaux, commandée par I*amiral don Juan de
Langara. Celle escadre courait la bordée qui la rappro-
chait des Anglais. Loin de s'émouvoir de cette situation,
don Juan de Langara ne modiOa pas la direction de sa
route. Comme s'il n'eût attaché aucune importance à être
promptement renseigné sur les bâtiments qu'il avait
devant lui, il ne donna pas à ses frégates Tordre de se
porter en avant pour les reconnaître. Lorsque les deux
escadres furent à petite dislance Tune de l'aulre, il se dé-
cida à laisser porter et à faire route sur Cadix. L'amiral
Rodney, qui ne voulait pas laisser échapper une aussi
belle proie, fit le signal de chasser l'ennemi en route libre.
Vers quatre heures du soir, les meilleurs marcheurs de
son armée arrivèrent à portée de canon de l'arrière-garde
espagnole. Les vaisseaux de don Juan de Langara se
défendirent avec beaucoup d'énergie ; mais la lutte entre
des forces aussi disproportionnées ne pouvait aboutir
qu'à un désastre. A deux heures du matin, le Saiito Do-
mingo avait sauté* et six vaisseaux étaient pris'. Quelque»
jours après, Rodney arrivait à Gibraltar sans avoir fait de
nouvelle rencontre. Dans le milieu du mois de février, il
repassa le détroit avec vingt-deux vaisseaux, au nombre
desquels se trouvaient le Phniix, le Dilijent^ le Monarca
et la Princessa^ capturés dans la nuit du 16 janvier.
Pendant que l'amiral anglais remplissait aussi heureu-
sement sa mission, vingt vaisseaux espagnols et quatre
vaisseaux français, formant l'escadre chargée, sous le com-
mandement de don Luis de Cordova, de bloquer Gibraltar,
étaient mouillés sur la rade de Cadix. Cette escadre répa-
rait des avaries, faites pendant un coup de vent reçu au
commencement de janvier. En apprenant la présence
d'une flotte britannique sur la côte, Cordova avait réuni
les officiers généraux de l'armée en conseil. Tous avaient
1. Des six cents hommes composant Téquipage de ce vaisseau, pas un
ne fut saavé.
1. Un des vaisseaux capturés périt corps et biens. Un autre Gt prisonnier
Téipipage anglais et rentra à Cadix.
132 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
été d*avis de se porter à la rencontre de Tennemî, Soit
que les travaux de réparation n'eussent pas été menés
avec une activité suffisante, soit que Cordoya, ne se fai-
sant aucune illusion sur la valeur de ses vaisseaux, ne
crût pas prudent de se mesurer avec les Anglais, l'armée
espagnole était au mouillage de Cadix, au moment où
Tescadre britannique franchissait le détroit. A défaut de
Cordova, on pouvait croire que don Miguel Gaston, parti
de Brest, le 13 janvier, avec vingt-cinq vaisseaux, arri-
verait à temps pour combattre Rodney. Il n'en fut rien,
et l'ennemi était loin de Gibraltar que don Miguel Gaston
n'avait pas encore paru du côté de Cadix. Après avoir fait
cinquante lieues au large, Rodney expédia le contre-ami-
ral Digby en Angleterre avec les prises, et il se dirigea vers
les Antilles. Le 23 février, l'amiral Digby rencontra un
convoi français qui se rendait dans l'Inde, sous l'escorte
des vaisseaux le Prolée et YAjnx, et de la frégate la Char^
mante. Le commandant de la division, le capitaine de
vaisseau du Chilleau, se plaça à la queue du convoi.
Lorsque la nuit fut venue, l'/l^ox et les bâtiments de trans-
port firent une fausse route et s'échappèrent. Los Anglais
suivirent le vaisseau qui fut joint pendant la nuit. Après
une très-belle défense, le capitaine du Chilleau amena son
pavillon.
Le ravitaillement de Gibraltar, la prise du Pro/fV et des
vaisseaux espagnols, causèrent en Angleterre une joie
très-vive. La chambre des communes et la chambre des
lords votèrent des remercîments au commandant en chef
de Tescadre anglaise. L'amiral Rodney avait très-heureu-
sement accompli sa mission, mais on chercherait inuti-
lement les difficultés qu'il avait rencontrées pendant sa
traversée des côtes d'Angleterre au détroit. On ne pouvait
considérer comme une affaire sérieuse rengagement des
vingt et un vaisseaux qu'il commandait avec les neuf vais-
seaux de don Juan de Langara. Les forces espagnoles, qui
auraient pu s'opposer à IVxéoution de ses projets, n'a-
vaient pas paru. Don Luis de Conlova était resté à Cadix,
LIVRE VI. 183
et don Miguel Gaston avait reldché au Ferrol avec des
mâts cassés, des vergues rompues et des voiles empor-
tées. Le mauvais temps, tel était l'obstacle dont avaient
triomphé les Anglais. Leurs bâtiments avaient navigué
en bon ordre et sans faire d'avaries. Ce résultat faisait
le plus grand honneur à l'amiral Rodney et à ses capi-
taines; mais, dans le succès, il convenait de faire une
part aux arsenaux de la Grande-Bretagne. Si les officiers
espagnols n'avaient pas, au même degré que leurs adver-
saires, l'habitude de la navigation d'escadre, on devait
reconnaître que leurs vaisseaux étaient dans les con-
ditions les plus mauvaises pour tenir la mer. La corres-
pondance du chef d'escadre de Beausset nous fournit, sur
ce point, des renseignements curieux et instructifs.
Cet ofOcier général commandait une division de quatre
vaisseaux qui avait été adjointe à l'escadre de don Miguel
Gaston. A son arrivée à Cadix, il rendit compte au mi-
nistre des divers incidents de sa traversée. Après avoir
peint, sous les couleurs les plus fâcheuses, la situation
des vaisseaux espagnols, au point de vue de la mâture
et de la voilure, il disait : « Ces vaisseaux vont tous si
mal qu'ils ne sauraient joindre aucun autre vaisseau de
guerre ou lui échapper. Ainsi, ils ne peuvent rien prendre
et ne sauraient éviter de l'être. Le Glorieux est un mau-
vais voilier dans l'armée française, et le meilleur de l'ar-
mée espagnole. Nous avons beaucoup de gabarres qui
vont mieux que les frégates espagnoles. Je dois rendre
justice à M. de Gaston et à son major Mazzaredo. Le
premier est un général expérimenté et prudent, qui a
fait tout ce qu'il a pu pour établir l'ordredans son escadre,
et la conduire avec une grande sagesse; l'autre est un
sujet de la première distinction, rempli de talents et d'ac-
tivité. » La destruction de Tescadre de l'amiral don Juan
de Langara par la flotte brilannique inspirait au chef
d'escadre de Beausset les réflexions suivantes : « L'es-
cadre de M. de Langara aurait échappé à l'ennemi, si
elle avait su profiter de la nuit qui allait se faire, de la
184 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
force du vent, et prendre chasse à propos, et si tout vais-
seau espagnol vu n'était pas un vaisseau joint. Ceux de
cette escadre ont été surpris étant à des distances im-
menses les uns des autres. Ils ne naviguent pas autre-
ment, et leur négligence et leur sécurité sur ce point est
incroyable. J'ai souvent fait l'observation qu'il serait
aisé à l'ennemi de couper et d'enlever un de ces vaisseaux,
à la vue de son escadre, sans qu'il pût être secouru. »
II
Le personnel de nos équipages avait été gravement at-
teint par les événements de la campagne de 1779. Au
commencement de l'année 1780, nous n'étions pas encore
parvenus à remplacer les matelots que les maladies épi-
démiques avaient enlevés sur les vaisseaux du lieutenant
général d'Orvilliers. Il fallait, ou désarmer des bâtiments,
ou augmenter la proportion des soldats entrant dans la
composition des équipages des divers bâtiments de la
flotte. Ce fut à ce dernier parti que s'arrêta le ministre.
De nouveaux ré^riments, appartenant à l'armée de terre,
furent mis à la disposition de la marine. Le corps des of-
ficiers, très-peu nombreux au début des hostilités, était
devenu complètement insuffisant. Le lieutenant «général
de Guichen rencontra les plus grandes difficultés pour
former les états-majors et les équipages de son escadre.
II prit la mer, le 3 février, pour se rendre aux Antilles
avec des vaisseaux « mal armés », ainsi qu'il récrivait
au ministre *. On savait, à Paris, par une déi)éche du chef
d'escadre de Lamotte-Picquet, que les Anglais croisaient au
vent de la Martinitjue, afin d'intercepter les secours envoyés
aux Ues-du-Vent. Par suile de Textréme surveillance de
l'ennemi, noscolonies étaient complètement dépourvuesde
vivres et d'approvisionnements. Le ministre recommanda
1. L«'ltr«* «lu litMitiMiaiit ^<'iirral «le riiiiclieii nu ministre, du 28' j*in-
\irr 1:h«».
LIVRE VI. 185
très-particulièrement au lieutenant général deGuîchen de
veiller à la sûrelé de son convoi. 11 lui prescrivit d'éva-
cuer les possessions anglaises dont il parviendrait à s'em-
parer dans la mer des Antilles, après avoir détruit les
munitions, les magasins et les ouvrages militaires. Il fit
une exception pour Ttle de Sainte-Lucie que nous devions
occuper, si nous réussissions à la reprendre aux Anglais.
Le ministre invitait le commandant de notre escadre « à
tenir la mer, autant que les forces que l'Angleterre entre-
tenait aux Iles-du-Yenl pourraient le lui permettre, sans
trop compromettre celles qui lui étaient confiées. » Le
comte de Guichen arriva à la Martinique, le 23 mars 1780,
sans avoir aperçu Tennemi. Il mouilla sur la rade de Fort-
Royal, où il opéra sa jonction avec la divison du comte de
Grasse. Le chef d'escadre de Lamotte-Picquet était parti,
le 13 mars, pour rallier Saint-Domingue, où l'appelaient
les ordres antérieurs du ministre'. Le lieutenant général
de Guichen voulut faire une tentative pour s'emparer de
Sainte-Lucie; mais la présence de l'amiral Hyde Parker
au Gros Ilet, avec dix-sept vaisseaux, ne lui [>ermit pas
(le donner suite à ce projet.
Le 13 avril 1780, l'escadre mit sous voiles p^iur couvrir
le départ d'un convoi qui se rendait à Saint-Domin^ru^',
sous l'escorte du ¥\er de cinquante et de la frégate la
Boudeuse. Trois mille soldats, commandés par le marqui*»
1. LamoUe-Picqaet était prêt à partir pour Saint-DoiDÎofriMr. lorv|a il fut
retenOj sur la rade de Fort-Royal, par l'ordre «uivant : « En ij/f$^iH*'ité *•
du résultat du conseil de guerre tenu, à b ré {uWitiitn du ut^r'\u%» tU-
Bouille; sur la situation de la colonie, a bord do H^MfijJiU. k \1 natt* y^Wt.
il est ordonné à M. de Lamotte-Picquet de «««pendre, ju^^-iu m u*f*n*^ or*Uf,
l'exécution de ses instructions. La pottitioo ^ la c//U/riie ru oUU'/" i^wir
le bien du ser^'ice, de prendre mit moi de f>u*p<^rtdre ^rtt 4*r\Ari, —
\1 mars 1780. De Grasse. » Ijc lendemain, 13 ni4r«. U- t/ttuXf <)«- itr**»*'
ayant été informé, par un aviM>.de l'arrivée yntrltsutt*: du Ii«rul^ri4rit '/ht*'tH\
de Guichen. donna au chef d'escadre de l^aruott/'-l'K/pM-t I aufori«j»ti'/ri '1^
se rendre à Saint-Domingue. Qoel<{oe* hi^Uityu* Mit hVtiuér ijuttiAt*-
Picquet de ne pas être resté à la Martinique, *Ai «a pré*^!*'/- ^^u ^i^mu^ hh
lieutenant général de Guichen une Krzu^it tM\férffnU: Mjr H^t'iu^rt, ht$ r^/it
que Lamotte-Picquet n'était parti de la Startiriiqu'- 'iw \iff*tr m- >jmV*9tu*f
aux ordres du ministre.
186 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
de Bouille, avaient pris passage sur nos vaisseaux. Il avait
été convenu entre ce dernier et le lieutenant général de
Guichen que nous proFiterions de toute circonstance
favorable pour attaquer les colonies anglaises, et notam-
ment la Barbade où se trouvaient les prisonniers Tran-
çais. Le 16 avril, l'escadre louvoyait pour s'élever au vent
de la Martinique, en passant par le canal de la Domini-
que, lorsque nos frégates signalèrent l'ennemi . Le len-
demain, dans la matinée, les deux escadres couraient les
amures k bâbord, les Anglais au vent des Français. Elles
étaient rangées dans Tordre suivant :
ESCADRE FRANÇAISE.
Ligne de bataille.
Nom» dfs bâtiments.
Dostin
Venirt'ur
Saint-Michel
IMulon
Triomphant.
StHivorain.
St>htairt» .
C.itou'n . .
t'a ton
Victoire. .
Koiiilant.
I oun^nno
l'ulmir*r. . .
In^lifu . .
ActioanAin*.
Nombre
de
canons.
Noms dfS capitaines.
Avant-ff'irde.
7i
60
80
Duniaitz de Goimpy.
De Betz.
DWyniar.
Ih* Lamarthonic.
\De (iras-Préville.
Comte «le Sade, chef d'escadre.
De (ilandevês.
iW Cicé-Champion.
Corps lif t* U'iUU.
t>4
De Nieuil.
IK» Framond.
I^'AIIktI Saint-llipftathte.
D»' Vaudreuil. chef d'eM*adn\
\\iu*^T de la Chari^uliêre.
)lU»mte de <îui«*heo. lient, général.
l>e Monteil. clu-f dV-nradre.
IV Balleroy
Ik* l.archantel.
LIVRE VI.
187
Noms des bAtiments.
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Arrière-garde.
Intrépide. . .
Triton
Magnifique .
Robusle. . . .
Sphinx
Artésien. . .
Hercule . . . .
74
64
74
74
74
74
74
Du plessîs-Parscau .
Brun de Boades.
De Brach.
Comte de Grasse, chef d*escadre.
De Soulanges.
De Peynier.
D'Amblimont.
ESCADRE ANGLAISE.
Ligne de bataille.
Noms des bâtiments.
SUrling Castle
Ajax
ElizabeUi
Princess Royal
Albion . .
Terrible.
Trident .
Graflon . .
Yarmoulh.
Comwall .
Sandwich.
Suflblk . . .
Boyne ....
Vigilant. . .
Vengeance
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Avant-garde.
64
74
74
90
74
74
64
Carkelt.
Uvedale.
Maitland.
^Hammond.
JHyde Parker, contre-amiral.
Bowyer.
Douglas.
P. Molloy.
Corps de. bataille.
74
64
74
90
74
68
64
74
Gollingwood.
Bateman.
Edwards.
Young.
Sir George Brydges Rodney, amiral.
Crespin.
Cotton.
Home.
Hotbam.
HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
Nunitdr. Uiimrntt.
' "Z N'odit da cipitniM*.
M«l*«)
Ani're-garde.
6(1 [EJiuondAmcck.
Con(|iieror
Intrepid
Mapiilkeiit
Onlurion
74
U4
WaUon.
SaiDt John.
ElpbJnstoDe.
Vers une lieure df l'après-midi, l'amiral Rodncy laissa
arriver parim mouvcmi>nt tout & la fois, cl il se Tonna
parallèlement h notre li^fne. Le feu commcnra aussildt
([ne les deux escadres furent ù porlée de canon. L'engage-
ment durait depuis iiuclque temps dV-ji^, lorsque le lieu-
tenant ^(^nérnl de Guiclien s'aperçut que Rodncy ma-
nœuvrait puur passer, avec son vaisseau le Sandwich,
dans un vide que YActiomiaire, en dérivant, avait laissé
dans notre li^iie. Il si}^nala immédiatement à son armée
de virer de boixl loT pour lof, toute à la fois. Notre mouve-
ment était à peine indiqué que les Anglais revenaient au
plus prés. Le comte de Guiclien annula son premier or-
dre, mais (]ucl<)ues vaisseauvn'ayant pas aperçu à temps
lomlièrt'Qt sLins le veiil. L'escadre Fran'
LIVRE VI. 189
le Triomphant, ne portaient que quatre-vingts canons.
Enfin, nous avions plus de vaisseaux de soixante-quatre
que nos adversaires. Le 17, lorsque le jour se fit, nos
vigies interrogèrent inutilement l'horizon, la flotte bri-
tannique avait disparu.
Le 9 mai, Tescadre française faisait ses préparatifs
pour attaquer le Gros Ilet de Sainte-Lucie. Déjà six cents
hommes étaient embarqués sur les frégates, lorsque Ten-
nemi fut signalé sous le vent. Les Français, dont la ma-
nœuvre fut imitée par les Anglais, serrèrent le vent, les
amures à tribord. Aussitôt que les deux escadres furent
en dehors du canal, le comte de Guichen laissa por-
ter avec l'intention d'engager une affaire générale*.
L'amiral Rodney, qui voulait nous attirer loin de Sainte-
Lucie et de la Martinique, prit chasse dans le sud-ouest.
Quelques jours s'écoulèrent pendant lesquels les deux
escadres restèrent en vue Tune de l'autre. Dans l'après-
midi du 15 mai, notre armée, à laquelle les variations
de la brise avaient donné l'avantage du vent, se diri-
gea sur l'ennemi. Des sautes de vent successives modi-
fièrent la position relative des deux flottes, et retardèrent
le moment de l'engagement. A la chute du jour, les deux
escadres défilèrent à contre-bord, les Français au vent
des Anglais. Lorsque les deux avant-gardes arrivèrent à
portée de canon, le feu commença. L'amiral de Guichen,
craignant que son adversaire ne tentât de couper son ar-
rière-garde, fit revirer promptement ses vaisseaux, afin
de se trouver aux mêmes amures que l'ennemi. Avant
que celte évolution fût terminée, la nuit était venue,
et les Anglais s'étaient éloignés. Le 19 mai, les Anglais
parurent décidés à accepter un nouvel engagement. Vers
I. • Je louvoyai devant l'ennemi, afin de lenpaper à sortir du canal pour
le combattre. Lorsque les Anglais ont été dehors, j'ai arrivé, vent ar-
rière, sur eux. trois jours de suite, pour leur présenter le combat et enjjra-
ger une affaire générale, à laquelle l'amiral Hr>dney s'est refusé, en pliant
continuellement pour nous attirer dansle sud, où je le suivais [>our le forcer
au combat. * {Lettre du lieutenant yénéral de Guichen au miniatre.)
190 HISTOIRE DE LA MAHINlî FRANÇAISE,
trois-heures de l'après-inidi, les deux armées couraicnl à
contre-bord, avec des vents de l'est à l 'est-sud-est. Les
vaisseaux de tfite de rarniéo française, rangés en ligne de
bataille, les amures à bÂbord, passèrent sur l'avant et k
petite distance de l'avant-gardc de la flotte anglaise qui
courait les amures à tribord. Celle-ci, au lieu de couliDuer
sa route, ce qui l'etU amenée à couper notre ligne,
à quelques vaisseaux en arriére du chef de Qlc, laissa
porter par un mouvement successif. Les deux escadres
dénièrent à conlre-bord sur deux lignes parallèles. Le
feu, qui avait commencé aussitôt que les deux avant-
gardes s'étaient trouvées h portée de canon, devint bien-
tôt très-vif. L'amiral Rodney, croyant à lapossibîlitô d'en-
velopper notre ai-rière-garde, lit à son avant-garde le
signal de virer de bord et de forcer de toile, afin de pla-
cer nos derniers vaisseau:: entre deux feux. Ce mouve-
ment était & peine accusé, que le comte de Guichen or-
donnait à son avant-garde et au corps de bataille de virer
de bord vent de vent, tout à la fois. Avant que cette évt^ i
lution fitt achevée, l'amiral anglais, comprenant rioil-
lilîté de sa tentative, annula l'ordre qu'il avait donné. I
feu cessa aussitôt que le dernier vaisseau fran(;ais e
doublé leserrc-fllc de la ligne anglaise. L'ennemi courati
les amures & tribord, et le lendemain on ne le revit pluB(C
Plusieurs vaisseaux anglais avaient été trës-maltraiU
pendant ce dernier engagement. Le Cornwall ne put i
teindre Sainte-Lucie que grdce au beau temps et <
efTorts de son éi{uipa^o. Les avaries de nos vuisseati;
n'avaient pas de gravité. Nos pertes pour les cotnbatl
des 17 avril, 15 et 19 mai, s'élevèrent à cent cinquante'
huit tués et huit cent vingt blessés '. Le licutenanlgéo^
I
1, On coinptail parmi le> mnrU : MM. ilc Giiii^hcn, do l^tity. lieul
MOU da TBJUMU ; lie ChefTootalni', du Ranialiicllv, i>DM>iKni«;
do Gusn, oTOcivr* ■uu'IUiroii; do Seftuin, de Mnnl«>urric'r, d'AiguilT, d
Boatille, ofndora d'inrsnleriR. MH. DitnmiU <]>> Gniiiiji). Uihiim, dr r
d'AfiTMT, cKfHtnlnM de vninpnu ; de l^rnlHiiir, du ItiPiu. de Choiubcll^, d
Ganl^K, de lllois. llurnnt, ciisi.'i({iio«, élaicnt au iiutntirv des Ueuài.
LIVRE VI. 191
rai de Guichen eut la douleur de perdre son (ils qui ser-
vait dans l'escadre comme lieutenant de vaisseau.
Nos bâtiments n'ayant plus que six jours de vivres, le
commandant en chef se dirigea sur Fort-Royal où il
mouilla le 22 mai. Si on en juge par les avaries des vais-
seaux anglais, les Français obtinrent sur leurs adver-
saires, dans les combats des 17 avril, 15 et 19 mai,
un avantage marqué. Néanmoins, Tcnnemi atteignit le
but qu'il s'était proposé, puisque le comte de Guichen
et le marquis de Bouille furent mis dans Timpossibililé
d'attaquer les possessions britanniques des Iles-du-Vent.
Les deux amiraux se conduisirent dans ces trois ren-
contres avec une extrême prudence. L'un et l'autre dé-
ployèrent beaucoup d'habileté, mais les ressources de la
tactique leur servirent moins pour attaquer que pour se
défendre. Le 17 avril et le 15 mai, Rodney sembla recher-
cher une action décisive, mais les tentatives, d'ailleurs
très-timides, qu'il fit pour arriver à ce résultat, furent
immédiatement repoussées. L'amiral anglais se plaignit
avec beaucoup de vivacité de quelques-uns de ses capi-
taines. L'amiral français, au contraire, se montra satis-
fait de son escadre. « Si j'ai été assez heureux, écrivit-il
au ministre, pour avoir un avantage décidé sur l'ennemi,
je dois cet agrément à la bravoure et à l'exactitude dans
l'exécution des signaux des capitaines qui ont combattu
sous mes ordres. Les plus petits vaisseaux ont soutenu,
avec la plus grande fermeté, le feu des plus forts de l'en-
nemi. VArté^ien et le Sphinx, petits vaisseaux, ont tenu
pendant une heure contre trois vaisseaux, dont un à trois
ponts. Enfm, Monseigneur, tous messieurs les capitaines
se sont distingués. C'est une justice que je leur rends
avec bien de la satisfaction. » Il appela d'une manière
particulière l'attention du ministre sur le major de l'es-
cadre, le capitaine de vaisseau Buor de la Charoulière,
officier d'un très-grand mérite. Quoique le lieutenant
général de Guichen eût exercé trcs-honorablement son
commandement, il trouva la responsabilité qui pesait sur
192 inSTOmE DE L\ MARINE FRANÇAISE,
lui beaucoup trop lourde, et il résolut d'en décliner le
Tardeau. Il écrivit au ministre, le 38 mai, c'est-à-dire à
son arrivée à la Martinifjue : " J'attends vos ordres. Mon-
seigneur, et mon rappel, ayant l'honneur de vous assurer
très-sincèrement que la conduite d'une escadre aussi con-
sidérable est infiniment au-dessus de mes forces à tous
égards, et que ma santé ne pourrait soutenir une
fatigue et une inquiétude aussi continuelles; aussi j'ose
espérer. Monseigneur, que vous voudrez bien m'en dis-
penser. »
Dans les premiers jours du mois de juin, une frégate
espagnole arriva sur la rade de Fort-Royal, Elle précé-
dait de quelques jours une escadre de douze vaisseaux
qui faisait route sur la Havane. Cette escadre escortait un
convoi, sur lequel étaient embarques un matériel consi-
dérable et dix mille cinq cenls soldats. L'amiral dou
Solano, sous le commandement duquel elle était placée,
désirait que son attérago sur les Iles-du-Vcnt fùl protéfié
par les Fran(;ais. Le comte de Guichen lui fit connaître la
position des Anglais; il le pria d'envoyer son convoi h
Saint-Pierre et de venir avec son escadre dans la baie de
Fort-Royal. Cette prot>osition fut repoussée par l'amiral
espagnol qui se disait obligé de se rendre, sans perdre de
temps, à Porto-Rico, Le 9 juin, le comte de Guichen le
rallia avec quinze vaisseaux, les seuls qui fussent en étal
de prendre la mer. Après de longs pourparlers, don Solano
se décida & mouiller sur la rade de Fort-Royal, et à expé-
dier son convoi sur la rade de la Basse-Terre. Le lieule-
liant général de Guirlien et le marquis de Bouille firent
de vains elTorts pour amener les Espagnols A prendre
parla quelque entre|irise, soit contre l'escadre de Rodney,
soit contre les Iles anglaises. Non-seulement don Solano
ne voulut pas y consentir, mais il demanda à être ac-
compagné jusqu'à sa destination. Le lieutenant général
de Guichen avait rei;u du ministre l'ordre de quitter les
Iles-du-Vent A l'époque de l'hivernage. Il devait se rendre
ù Saint-Domingue, et, de là, cITeoluer son retour A I
son retour A Brest, .^
L4VRE VI. 193
en escortant une flotte marchande. L'insistance de l'ami-
ral espagnol le détermina à partir un peu avant Tépoque
fixée par ses instructions. L'état sanitaire des équipages
pouvait, sinon justifier, du moins expliquer la conduite
de l'amiral espagnol. Une maladie épidémique faisait un
grand nombre de victimes à bord de ses bâtiments. « Je
conviens que l'état de cette flotte, écrivait le lieutenant
général de Guichen au ministre, était misérable par la
quantité de malades. Si l'escadre espagnole était arrivée,
un mois plus tôt, en état d'enlreprendre quelque chose, on
aurait pu attaquer avec succès l'ennemi. Dans la position
où elle est arrivée, c'est à l'escadre du Roi qu'elle doit
son salut. » Ce qu'il était légitime de reprocher àTamiral
espagnol, c'était le peu de résolution dont il avait fait
preuve, en arrivant dans le canal de la Dominique. A ce
moment, il apprenait d'une manière certaine qu'aucune
force ennemie ne se trouvait sous le vent. Il devait, ou
continuer sa route, ou expédier son convoi, sous l'escorte
de quelques vaisseaux, et se réunir, avec le gros de ses
forces, à l'escadre française. Le lieutenant général de
Guichen appareilla de Fort-Royal, le 5 juillet, avec les
Espagnols. Après les avoir conduits jusqu'à l'entrée du
\ieux canal de Bahama, il se rendit à Saint-Domingue. 11
trouva dans cette colonie la division du chef d'escadre de
Lamotte-Picquet. Cet officier général avait eu un engage-
ment avec plusieurs navires appartenant à la division du
Commodore Cornwallis. 11 croisait, le 22 mars 1780, sur les
côtes de Saint-Domingue, avec VAnnibal^ de soixante-
quatorze, sur lequel il avait son pavillon, le Diodème, de
soixante-dix, le Ré/léchi^de soixante-quatre, clV Amphiony
de cinquante. Trois voiles ayant été aperçues, il donna
l'ordre de les chasser en route libre. Les bâtiments en
vue étaient les vaisseaux le Lion, de soixante-quatre, le
Bristol, de cinquante, et le Janus, de quarante. Grdce à la
supériorité de sa marche, VAnnibal se rapprocha très-
rapidement des Anglais. Aussitôt qu'il fut à portée de
canon, Lamotte-Picquet fit commencer le feu. Le calme
194 HISTÛIHE DE LA MARINE FRANÇAISE.
étant survenu, VAnnibal combattit seul , pendant plu-
sieurs heures, les trois vaisseaux anglais. Par suite des
variations de la brise et de l'action du courant, les b&ti-
ments se trouvèrent séparés au coucher du soleil. Le
lendemain, au point du jour, VAnnibal joignit de nou-
veau les Anglais, et la lutte recommença avec une nou-
velle vivacité. Les capitaines du Diadème^ du Réfléchi et de
r^ mpAion, étaient désespérés de ne prendre aucune part
au combat, mais tous leurs efforts pour rallier Lamolte-
Picquet furent inutiles. Pendant que VAnnibal réparait des
avaries de mâture assez graves, les trois vaisseaux anglais
s'éloignèrent. Peu après, trois grands bâtiments, dans
lesquels on ne tarda pas à reconnaître des vaisseaux an-
glais, furent signalés. Notre division fit route sur le Cap
Français, où elle mouilla le môme jour. Lamotte-Picquet,
blessé pendant le combat, n'avait pas quitté le pont de
son bâtiment.
Le lieutenant général de Guichcn trouva au Cap Fran-
çais des lettres du chevalier de la Luzerne, notre ministre
auprès du Congrès des États-Unis, et du marquis de la
Fayette, qui Tinvilaient à se rendre sur les rôles de
l'Amérique septentrionale. 11 déclina celle olïVc (|ui était
contraire à ses instructions. Le 16 aoiM, il lit route
pour TEurope, laissant à Saint-Domingue le chef d'es-
cadre de Monloil avec dix vaisseaux. Vne dépêche ca-
chetée qu'il ouvrit, conforinémcnl aux ordres du minis-
tre, en dehors du canal de Bahama, lui apprit qu'il devait
aller à Cadix. Il mouilla dans ce port, le 'ik octobre, avec
dix-neuf vaisseaux et son convoi. Lorscjue l'amiral Rod-
ney avait été informé de notre départ, il avait détaché
dix vaisseaux à la Jamaïtiue, et, avec le reste de ses for-
ces, il s'était dirigé sur New-York.
LIVRE VI. 195
III
Au commencement de Tannée 1780, l'insurreclion des
colonies anglaises avait fait peu de progrès. L'en-
thousiasme des premiers jours était passé, et le peuple
américain se demandait s'il conquerrait jamais cette
liberté pour laquelle il avait fait tant de sacrifices. Le
gouvernement français, préoccupé de celte situation, se
décida à faire passer des troupes de Tautrc côté de l'At-
lantique. Cette mission fut confiée au chef d'escadre de
Ternay qui avait le commandement d'une division de
sept vaisseaux. Dans le milieu d'avril, cet officier général
était sur la rade de Bertheaume, attendant des vents
favorables pour appareiller. Dans la nuit du 2 mai, les
vents ayant passé au nord-est, il mil sous voiles avec les
vaisseaux le Duc de Bourgogne^ de quatre-vingts canons,
le Neptune et le Conquérant^ de soixante-quatorze, la
?To\3ence^ VÈveillé^ le Jason et YArdent^ de soixante-
quatre, deux frégates, la Surveillante et YAinazone^ cl
Ircnle navires de transport. Six mille hommes, comman-
dés par le lieutenant général de Rochambcau, étaient
embarqués sur les bdtimcnls de l'escadre et du convoi.
M. de Ternay n'était pas sans appréhension sur la possi-
bilité de cacher son départ aux Anglais. Il savait <iue
l'amiral Graves aclievait,à Portsmouth, l'armement d'une
^cadre spécialement chargée de le poursuivre et de le
combattre. L'expédition française fut retenue, pendant
Huelijues jours, dans le golfe, par un coup de vent
d'ouest qui succéda brusquement à la brise de nord-est
^vec laq^jelle nous avions quitté la rade de Bertheaume.
Néanmoins, elle gflgna le large sans avoir aperçu un seul
croiseur ennemi. Les instructions de notre gouvernement
Prescrivaient à M. de Ternay de se rendre à Rliodc-lsland,
sil apprenait, à son arrivée sur la côte d'Amérique, que
'^^6 n'était pas occupée par les Anglais. Apres avoir mis
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
à terre les troupes du général de Bochamlieaii, il devait
rester sur la côte et diiférer aux demandes de concours
qui lui seraient adressées, soit par le général, soît par
les autorités américaines. Toutefois, le ministre le lais-
sait libre de décliner les propositions qui lui paraîtraient
de nature h compromeltre l'escadre placée solis son com-
mandement. Si les forces navales, que l'Angleterre entre-
tenait sur les côles des États-Unis, se trouvaient supé-
rieures aux siennes, il avait l'autorisalion de demander
des renforts au commandant en chef de notre flotl« dans
les Antilles.
Le 20 juin, l'escadre était dans le sud-ouest des Ber-
mudes, faisant route, grand largue, avec des vents de
l'est au sud-est, lorsque nos frégates signalèrent cinq
vaisseaux dans le nord-est. Ces bdliments gouvernèrent
immédiatement sur nous en se couvrant de voiles. Après
avoir donné au convoi l'ordre de se former sous le vent
de l'escadre, M. de Tornay vint au plus près, les amures
à bâbord, afin de se rapprocher des navires en vue. I!
avait devant lui l'Hector et le Sultan, de soixante-qua-
lorae, le Lion et le Ruby, de soixante-quatre, le Bristol,
de cinquante, et la frégate le Niger, de trente-deux. Ces
bAtimcnts faisaient partie do la division du commodore
Cornwallis qui retournait aux Antilles, aprèsavoir escorté
un convoi jusqu'à la hauteur des Bermudes. Lorsqoa /
les Anglais eurent reconnu sept vaisseaux, au mili'
navires qu'ils avaient pris de loin pour une (lolle c
chaude, ils serrèrent le vent les amures à Irilmrd. Un
leurs vaisseaux, le Ruby, qui avait chassé en avi
division, se trouva sous-venté. Le Neplunc et le Jaso
faisaient de la toile pour le joindre, mais le chef de t
escadre, s'apercevant que ces deux vaisseaux éU
Ir^s-éloignés du b&timent qui les suivait dans la ligt
leur signala de diminuer de voiles. Le liuhy, se rcndaol
compte des dangers de sa position, prît les amures I
bAbord. Il passa au vent et à portée de cannn du .Vf;>(tu
du Jafvn et du l>ur tic Dourgognf, ijui ou\rirent sur li
LIVRE VI. 197
un feu très-vif. La division anglaise se contenta de tirer
sur nous, de loin, pour protéger son retour. M.deTernay,
craignant d'exposer son convoi aux entreprises du com-
modore Cornwallis, ne poursuivit pas le Ruby. Il vira de
bord et les deux escadres coururent au plus près, les
amures à tribord, les Anglais au vent et à grande distance
des Français. Aussitôt que la nuit fut venue, le Commo-
dore reprit sa première roule, tandis que M. de Ternay
ralliait son convoi et se dirigeait vers la côte d'Amérique.
Le 4 juillet, un peu avant le coucher du soleil, l'escadre
arrivait à l'ouvert de la Chesapeak, lorsque les frégates
signalèrent dix ou douze voiles au mouillage dans la
baie. M. de Ternay, se croyant en présence dos forces
d'Arbuthnot et de Graves, fit plusieurs fausses routes
pendant la nuit, et, le lendemain, il mit le cap sur Rhode-
Island. Le 12 juillet, après quelques jours d*une navigation
que des brumes persistantes rendirent difficile, les bâti-
ments de l'expédition mouillèrent devant New-Port. Un
des transports, qu'on avait perdu de vue, le 8 juillet,
alla à Boston, rendez-vous qui avait été assigné à tous
les navires, en cas de séparation.
La mission dont était chargé le chef d'escadre de Ter-
nay se trouvait heureusement remplie. Cependant, des
critiques très-vives s'élevèrent contre sa conduite ; on le
blâma de ne pas avoir fait plus d'efforts, le 20 juin, pour
atteindre la division du commodore Cornwallis, ou au
moins le Ruby. Nous allons examiner la valeur de ces
reproches. Le chevalier de Ternay avait reçu du minis-
tre l'ordre de conduire le plus promptement possible,
à leur destination, les troupes (jue la France envoyait au
secours des Américains. Cet officier général ne pouvait
ignorer l'intérêt qui s'attachait à la mission qui lui avait
été confiée. En l'état des affaires aux États-Unis, le dé-
barquement d'un corps français était un événement d'une
grande portée politique et militaire. Il devait donc tenir
très -particulièrement à honneur de bien remplir les
obligations qui lui incombaient dans le plan de campagne
198 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
du gouvernement. Un avantage, remporté sur les vais-
seaux que nous avions rencontrés à la mer, eût tourné
au profit de nos forces navales dans les Antilles, puisque
le Commodore Cornwallis faisait roule pour rejoindre
l'amiral Rodney. Cela n'était pas douteux, mais il était
également certain qu'il eût fallu un succès d'une véritable
importance pour compenser l'échec de l'expédition. Les
événements, d'ailleurs, montrèrent combien étaient lé-
gitimes les préoccupations de M. de Ternay. L'amiral
Graves, qui avait, ainsi que nous l'avons dit. Tordre de
le poursuivre, était sorti de Plymouth, dans les premiers
jours de mai, avec sept vaisseaux. Ses instructions lui
enjoignaient expressément de faire les plus grands efTorls
pour capturer ou disperser les bâtiments du convoi. Les
Anglais avaient reçu, dans la Manche, le coup de vent
d'ouest qui nous avait assaillis, peu de jours après notre
départ. Obligé de relâcher, par suite du mauvais temps,
l'amiral Graves avait passé quinze jours dans le port de
Plymouth. Lorsqu'il avait repris la mer, il avait forcé de
voiles pour nous devancer sur la côte d'Amérique. Le
13 juillet, c'est-à-dire vingt-quatre heures après notre
arrivrc à Rhode-lsland, son escadre entrait à New- York
où se trouvait lamiral Arbulhnot avec quatre vaisseaux.
Si notre traversée avait été retardée de quelques jours,
employés, soit à poursuivre Tcnnemi, soit à réparer les
avaries d'un combat même heureux, nous aurions trouvé
la route de Rhode-lsland barrée par onze vaisseaux.
Faire du mal à l'ennemi, toutes les fois quo cela est pos-
sible, est évidemment un principe de guerre excellent,
mais il ne faut pas perdre de vue que, sur les flottes et
dans les armées, l'obéissance est le premier de tous les
devoirs. Comment pourrait-on exéouler un plan de cam-
pagne, exigeant le concours de plusieurs généraux, si
chacun d'eux refusait d'admettre qu'il fût lié par ses
instructions.
Aussitôt après le mouillage de notre escadre, les
troupes du général de Rorhambeau furent débarquées
LIVRE VI. 199
sur nie de Rhode. L'état sanitaire du corps expédition-
naire était loin d'être favorable à une action immé-
diate; nous avions, sur les cadres, plus d'un tiers de
refFectif, par suite des fatigues de la traversée. Le 21 juil-
let, les amiraux Graves et Arbuthnot parurent au large
avec onze vaisseaux, dont un de quatre-vingt-dix, six de
soixante-quatorze, trois de soixante- quatre et un de cin-
quante. D'autre part, le commandant en chef de Tarmée
anglaise qui voulait, avec raison, combattre Rochambeau,
avant que celui-ci eût opéré sa jonction avec les Amé-
ricains, se proposait de débarquer sur l'île de Rhode avec
dix mille hommes. Les amiraux anglais, reculant devant
la détermination de forcer la passe sous le feu de Tes-
cadre française, résolurent d'attendre l'arrivée du général
Clinton, aOn d'agir à la fois sur terre et sur mer. Nous
n'étions pas préparés à recevoir la double attaque dont
nous étions menacés. Défalcation faite des malades et
des trois cent cinquante passagers du transport qui
s'était séparé de l'escadre, le 8 Juillet, nous n^avions pas
plus de quatre mille hommes en élat de porter les armes.
Enfin, les batteries et les fortifications nécessaires pour
rendre solide la position de l'escadre et des troupes
n'avaient pu être construites. Quelques dissentiments
survenus entre l'amiral Arbuthnot et le général Clinton
retardèrent le départ de l'expédition. Pendant que nos
adversaires perdaient un temps précieux, nos alliés se
mettaient en mesure d'agir. L'arrivée d'un corps français
à Rhode-Island avait ranimé le courage un peu abattu
de la population. Le général Washington, profitant habi-
lement de cette circonstance, donna à quelques régiments
de milice l'ordre de le rejoindre. Aussitôt qu'il eut réuni
douze mille hommes, il passa l'Hudson et il menaça
New-York. En recevant cette nouvelle, le général Clinton
fit mettre à terre ses soldats, qui étaient déj<\ embarqués
sur des bâtiments de transport mouillés à Hunlingdon,
dans Long-Island. A la fin de septembre, l'amiral Rodney,
qui arrivait des Antilles, parut à la vue de l'île avec
I
^
200 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
vingt et un vaisseaux. Depuis le IS juillet, date de notre
arrivée à Rhode-Iâland, la marine et l'armée n'étaient
pas restées inactives. Plusieurs ouvrages, armés avec des
pièces de tiente-six el de vinyl-qualre, avaient été élevés
A la pointe Brenton ille de Rliode), ainsi que sur les lies
Conanicul et Race. Ces ballcries appuyaient noire ligne
d'enibossage, ou croisaient leur feu avec celui des vais-
seaux pour défendre l'entrée de la rade'. Après avoir
reconnu notre position, l'amiral anglais rentra ft New-
York. Le chef d'escadre de Tcrnay avait écrit, le 3 aoflt,
au commandant de nos forces navales dans la mer des
Antilles, pour le prier, conformément aux ordres du mi-
nistre, de lui envoyer cinq vaisseaux. A ce moment, nous
n'avions k combattre que les onze vaisseaux d'Arbuthnot,
et ce renfort eflt suffi pour rendre à l'escadre, et par suite
& l'armée, sa liberté d'action. Nous n'avions pas tardé à
apprendre que le lieutenant général de Guichcn avait
fait route pour l'Europe avec la plus grande partie de ses
vaisseaux, et que, de ce côté, nous ne pouvions espérer
aucun secours.
M. de Ternay se décida & expédier un b&timent en
France pour informer le gouvernement de l'impuissance
A laquelle l'escadre el les troupes se trouvaient momen-
tanément réduites. La frégate l'Hennione, commandée
par le lieutenant de vaisseau de la Pérouse, apparcillit,
le 28 octobre, avec ses dépêche» et celles du général
Rochambeau. Un coup de veut avait dispersé les Ldli-
ments anglais qui se tenaient babituellement en obser-
vation devant l'tle. Néaimioins l'Hermione fut aperçue par
quelques croiseurs ennemis ; grdce  la supériorité de sa
marche, elle échappa la leur poursuite. Dans le courant
I. I.e ubet d'pKfndrc de Tern.i) écrivait co i]iii suit nur W» itiin)fi>n< ilr
la [MBilinn iIb IVêcsdro & llliudn-înUnd : • J'.iî rendu lo cùl* da In p»er
anMt fort qu'il iNtiit rmre |«r les balUrns miiltipliùe» quo j'mi fait «levf*.
HftiH j« n'oulilii» pas iiuu l'escadre el les Iranipurta nineaiis pFonMlfl
POlicr |iar la pa»*e de l'oiic*!, tnlré Conauicul et la Irm ferme, mouiIlM
lions le nord de la nie que )'ih'i-ii|>c ortupltcmcnl, «t elTecKwr la dwMBil
que j') puiiue niHlic nlihlorlr.'...
LIVRE VI. 201
du mois de novembre, l'amiral Rodney reprit la route des
Antilles, laissant douze vaisseaux à Tamiral Ârbuthnot
Celui-ci vint mouiller dans la baie de Gardner, à la pointe
de Long-Island, afin de surveiller Tescadre française. Le
mois de décembre fut marqué, à Rhode-Island, par un
malheureux événement : le chef d'escadre de Ternay fut
enlevé, après quelques jours de maladie.
Le 15 décembre 1780, Famiral Rodney attaqua Tllc de
Saint-Vincent, mais il fut repoussé et il se retira à Sainte-
Lucie.
LIVRE VII
Prise d'un convoi de soixante voiles par la flotle combinée, sous le com*
mandement de don l^uis de Cordova. — Arrivée à Cadix du lieutenant
général de Guiclien. — DTstaing prend le commandement des vaisseaux
français réunis sur la rade de Cadix, et il les ramène à. Brest. — I^ cour
de l^ndres fait des efforts inutiles pour amener la Hollande à prendre
I>art à la guerre comme alliée de la Crande-Bretagne. — Les procédés
de la marine anglaise soulèvent parmi les puissances neutres un mécon-
tentemoiit général. — Convention conclue entre la Bussie, le Danemark
et la Suède, pour assurer la liberté du commerce maritime. — Difticul-
tés qui s'élèvent entre la Hollande et la Grande-Bretagne. — Huptur^
entre ces deux puissances. — Accession tardive de la Hollande au projet
de neutralité armée.
I
Au printemps de Tann^^e 1780, ramiranté britannique
avait réuni dans les ports de la Manche (|uarante-cinq
vaisseaux de li<rne. Nous n'avions à opposer à des forces
aussi considérables (jue l'escadre du lieutenant général
DucbaiTault. Or, par suite de l'envoi du comte de Guichen
aux Antilles et de M. de ïernay en Amérique, Tescadre
de Brest était réduite i\ douze ou (piinze vaisseaux. Nous
ne pouvions plus assurer la rentrée des bûtiments atten-
dus dans ce port. C'était la crainte de compromettre les
vaisseaux du comte de Guicben (jui avait déterminé le
ministre t\ donner à cet officier général l'ordre de se rendre
h Cadix. Depuis qu'elle prenait part à la guerre, l'Espagne
n'avait d'autre objectif (|ue Gibraltar. Pour complaire à
cette puissance, vingt vaisseaux français, sortis des ports
de la Méditerranée et de TOcéan, s'étaient rangés sous le
pavillon du lieutenant général don Luis de (Cordova. Par
suite de ces dispositions, les Anglais tenaient en échec,
LIVRE VII. 203
avec leur escadre du canal , les forces que nous avions à
Brest et à Cadix. Les croiseurs ennemis parcouraient li-
brement les parages compris entre le cap Lézard et le
détroit. Une division, commandée par un officier très-
habile, le Commodore Johnstone , faisait de nombreuses
prises sur les côtes de Portugal. Les choses en étaient
arrivées à ce point que les communications entre le Fer-
rol et Cadix n'étaient pas assurées. Dans le mois de juil-
let, la cour de Madrid consentit à envoyer don Luis de
Cordova à la mer. Cet amiral devait croiser depuis le cap
Saint-Vincent jusqu'à la hauteur de Vigo,en poussant ses
bordées jusqu'à cinquante lieues de terre*. Trente-deux
vaisseaux espagnols et français sortirent de Cadix le
31 juillet. Le 9 août, l'armée chassa en route libre un
grand nombre de voiles qui furent aperçues sous le cap
Saint-Vincent. C'était un convoi ennemi, de soixante-
quatre bâtiments, naviguant sous l'escorte d'un vaisseau
(le soixante-quatorze , le Ramillies, et de deux frégates.
Quelques-uns de ces navires portaient des troupes et des
approvisionnements dans l'Inde et en Amérique. Le chef
d'escadre de Beausset, avec Tescadre légère, se mit à la
poursuite de l'escorte, mais il ne put l'atteindre. Soixante
et un bâtiments furent capturés; le nombre des prison-
niers, en y comprenant les soldats passagers, s'éleva à
trois mille cent quarante-quatre. Quelques jours après,
l'armée franco-espagnole rentra à Cadix avec ses prises.
Le lieutenant général d'Estaing, envoyé en mission à Ma-
drid par le gouvernement français, devait examiner, de
concert avec les ministres du Roi d'Espagne, ce qu'il était
possible d'entreprendre avec les forces navales des deux
nations. Si nos alliés s'obstinaient à rester près de Gi-
1- Lobjet de la sortie de l'escadre espagnole était déterminé, ainsi qu'il
'"'t, dans les instructions adressées par le gouvernement espagnol à Cor-
dova : !• Intercepter les vaisseaux et frégates aux ordres du commodore
Mnslune, et les corsaires répandus sur ces parages ; 2* proléger l'atlérage
<^6s b&timents espagnols et français qui viennent reconnaître les côtes;
3* assurer les communications du Ferrol à Cadix.
204 HISTOIRE DE LA MAIUNE FRANÇAISE,
braltar, le comte d'Estaing avait l'ordre de prendre le coin-
niandemenl des vaisseaux françaisetde les ramener à Brest.
Charles [11 estimait que l'Espagne avait fait à la cause
commune un sacrifice suffisant en envoyant douze vais-
seaux à la Havane. Il repoussa toute combinaison qui
ne lui pernietlait pas de conserver l'escadre de Cordova
& portée du détroit. D'Estoîng se rendit à Cadix, et il mit
son pavillon sur le vaisseau de cent dix canons le Tei^
rible. Le gouvernemenl espagnol lui lit proposer le con-
cours de Cordova, dans le cas où il jugerait nécessaire
de se porter au-devant du lieutenant général deGuielien.
D'Estaing ne croyait pas (|ue les vaisseaux attendus des
Antilles eussent rien à redouter de l'ennemi. Supposant
que l'empressement de la cour de Madrid cachait le désir
secret de le garder le plus longtemps possible sur les
côtes d'Espagne, il déclina cette otTre. Le lieutenant gé»
néral de Guichen mouilla à Cadix, le 23 octobre, avec
dix -neuf vaisseaux et la flotte marchande de Saint-
Domingue. Le commandeur de SulTren accompagna, avec
cinq vaisseaux et deux frégates, les b&tîmenls qur se ren-
daient dans la Médilerranée. Le 7 novembre, trente-huit
vaisseaux français prirent la route de Brest. Les liAti-
menls de commerce qui allaient dans les ports de l'OcV-an
gorlirent avec l'escadre. Huit vaisseaux espagnols nnvi-
guiîront avec nous jusqu'à la hauteur du cap Lagos.
D'Estaing arriva à Brest, apr6s une traversée de cin- 1
quante-sept jours ' .
l
I, Dui* iino klUe écrilc, p^mlsnl coUe Iravenée. |>«r le comte <I*E*- J
Uing HD chef d'e«cadro de I^uioUn-Pkquet, qui «Uil malode a
nous lisnn'' ; • Les t'aiiûriux teU nue von» soal, datia lu «crvice Ju Roi,
recnédo i luus lua niniix, el la vue dM ennauiia du Itui eti un renMc *ttr!l
pour do tuli inkladea. • On volt «luelle élail la nolure àr» relatioiM !■ f
EoinnmndRnt an cbcf avuc un de «es princitiaui lieuUnanU. On ■« nppellt J
qiH lo CBpiUine de voinoau la Cnrdoaaie cooiniuidail, ta Hltt, '
(tf ni«, qui #(ait chef âe (lia in l'armée >u cumbal d'Oueuanl. Il anûl pi
ton EomtnaDdeinRnl à 1b suite de cette alhire. Le 3 juin 17811, le m
lui avait donné le cammandotnent de VAeltf. Ce vaiMMan tliil an m
de cnuii que d'Eilaiiiç ranicnail b llrcul. Pfwlanl In IraveruS». le o
dnnl en dief lui écrivit: • M. il'Ketaing n l'Iionueur ilo rtimemer ILIa-]
LIVRE VII. 205
II
Depuis Touverture des hostilités, TAngleterrc s'efforçait
de nouer des alliances sur le continent. Elle avait princi-
palement porté ses vues sur la Hollande, à laquelle rat-
tachaient des relations très-anciennes. Les négociations
entamées avec cette puissance n'ayant pas été couronnées
de succès, la cour de Londres chargea sir Joseph York,
son représentant à La Haye, de demander officiellement au
gouvernement néerlandais des troupes et des vaisseaux.
Les Anglais prétendaient que les Provinces-Unies des
Pays-Bas, en vertu d'un article secret du traité du 19 fé-
vrier .1674, dont les dispositions se trouvaient répétées
dans le traité de 1678 et dans celui de 1716, étaient tenues
de leur prêter assistance*. Les États-Généraux décidèrent
qu'aucun engagement antérieur ne les obligeait à fournir
le secours réclamé par la cour de Londres ^ La marine
cheralier de la Cardonnie. Le vaisseau V Actif a toujours été un des plus
exacts et des plus prompts dans toutes ses manœuvres; il na nul besoin
d'indulgence, et le général le prie d'agréer Thommagc de son approba-
tion et de ses louanges. Le talent et la volonté réparent les avaries et le
défaut des voiles. J'ai Thonneur d'être avec les mômes sentiments que
M. le chevalier do la Cardonnie veut bien avoir pour moi.... »
1. Le cinquième article de Palliance défensive perpétuelle entre noire
cour et les États-Généraux, conclue à Westminster, le 3 mars 1678, outre
une obligation générale de fournir des secours, stipule expressément que
• celui des deux États alliés qui ne sera point attaqué sera oblige de rompre
avec Pagresseur deux mois après que la partie attaquée l'en aura requis. •
Déclaration de guerre contre les Hollandais. Manifeste du roi d'Angle-
terre. 17 décembre 1780.
2. « Et pour ce qui est du secours demandé, leurs Hautes Puissances
ne peuvent dissimuler leur surprise que Sa Majesté britannique ait cru
pouvoir insister, avec la moindre apparence de justice ou d'équité, sur les
secours stipulés par les traités, dans un temps où déjà auparavant elle
s'était soustraite à l'obligation que les tmités lui imposaient envers la
République. »
(Contre-manifeste des Hollandais, en réponse au manifeste du roi d'An-
gleterre, du 19 décembre 1780.)
206 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
hollandaise apportait dans nos ports des bois de mdture
et de construction. L'article 4 du traité de commerce con-
clu, le 1*^ décembre 1674, entrer les Provinces-Unies et l'An-
gleterre, disait expressément que les mâtures et les bois
de construction n'étaient pas compris parmi les articles
de contrebande de guerre. Le point de droit importait peu
à l'Angleterre, habituée depuis longtemps à imposer ses
volontés au monde maritime. Ce qu'elle voulait , c'était
empêcher des relations commerciales qui avaient une
importance particulière pour notre marine militaire. Dans
un des traités conclus entre la Grande-Bretagne et la
Hollande, il existait une clause qui défendait à une des
deux puissances de fournir à l'ennemi de l'autre des ar-
mes, des munitions et des vaisseaux. S'appuyant sur ce
texte, la cour de Londres déclara que l'importation en
France des bois de construction, quoique ces objets fus-
sent désignés nominativement dans le traité de commerce
de 1674 comme n'étant pas sujets à saisie, constituait un
secours donné à une puissance ennemie de la Grande-
Bretagne. Elle demandait ou plutôt elle exigeait que cet
article fût interprété, à La Haye, dans ce sens. Pendant
que celle question était traitée par la voie diplomatique,
la marine anglaise capturait les navires hollandais por-
tant en France et en Espagne les marchandises (|ni fai-
saient l'objet (lu débat. Ces navires étaient déclarés do
bonne prise par les tribunaux britanniques. Dans le but
de faciliter les négociations pendantes, le cabinet de
Saint-James consentit à restituer ces bAtimenls à leurs
propriétaires, mais il s'appropria les cargaisons dont il
paya le prix, d'après une estimation faite par des experts.
La Hollande céda, et la doctrine soutenue à Londres fut
acceptée par les ministres de la Uépublique. On con\int
que les bois de niAture et de construction seraient considtV
rés désormais comme contrebande de guerre. Le duc de la
Vauguyon représentait la France auprès des Klats-(iénê-
raux. Par sa sagacité, par l'babileté de sa conduilt», ce
diplomate était parvenu à rétablir notre influence dans
LIVRE VII. 207
un pays où l'envoyé de la Grande-Bretagne jouissait de-
puis longtemps d'une autorité incontestée. Grâce à ses
efforts , il s'était formé un parti qui penchait vers notre
alliance et sur lequel nous pouvions nous appuyer. Le
duc de la Vauguyon s'éleva avec beaucoup de force con-
tre la mesure prise à la demande de l'Angleterre. Cette
concession était une violation flagrante de la neutralité
que la Hollande était tenue d'observer à l'égard des bel-
ligérants. La France, qui ne demandait rien pour elle-
même, avait le droit d'exiger qu'on n'accordât aucune
faveur à la puissance avec laquelle elle était en guerre.
Le cabinet de Versailles déclara que, si les États-
Généraux persistaient dans leur résolution, les bâtiments
de la République seraient privés du bénéfice des disposi-
tions libérales contenues dans l'article premier du règle-
ment du 26 juillet 1778. Enûn, il menaça la Hollande
d'augmenter les droits auxquels était soumis son com-
merce avec la France*. L'attitude très- ferme de notre
gouvernement triompha de l'influence anglaise. Le duc
de la Vauguyon reçut l'assurance qu'il ne serait apporté
aucune modification aux traités conclus antérieurement
avec la Grande-Bretagne.
La Hollande ne tarda pas à se trouver en présence de
nouvelles difficultés. Le capitaine Paul Jones, de la ma-
rine américaine, croisait, sur les côtes d'Ecosse, avec
une petite division, composée des frégates américaines,
\îi Bonhomme-Richard et V Alliance, et du corsaire fran-
çais la Vengeance. Le 23 septembre 1779, il rencontra un
convoi anglais, escorté par la frégate le Sérapis et la cor-
1. Les menaces du gouvernemenl français reçurent un comnicnccnienl
d'exécution. Le» dispositions de l'article 1*' du règlement du '26 juillet 1778
foreat suspendues^ en ce qui concernait la marine hollandaise. Toutefois,
le cabinet de Versailles fit une exception en faveur des villes d'Amsterdam
^1 de Harlem. Ces deux villes avaient protesté contre la faveur accordée
* l'Angleterre à notre détriment. Ces mesures furent rapportées, et les
choses rétablies en Télat où elles étaient avant cet incident, aussitôt que les
■^rovinces-Unies eurent annulé la décision qui rangeait les bois de mâture
et de construction parmi les objets de contrebande de guerre.
208 HlSTOmE DK LA UARINE FRANÇAISE,
vetfc la Comtesse-de^carborough. Après od combat san-
glant, les deux b&timcnts anglais ameoèrent leur^vil-
lon. Le Bonhomme-Richanl coula sous les pieds de Paul
Joncs qui passa sur le Sémpis avec son équipage. L'af-
faire avait été tros-rude, et les bAtiments américains aussi
bien que les biltimcnts anglais étaient tiors d'état de tenir
la mer. Le capitaine Paul Jones entra dans le Texel avec
SCS prises pour se réparer'. Sir Joseph York adressa
immédiatement au ministre des arfaires étrangères de la
Bépubliquc une note dans laquelle il exigeait qu'on lui
livrât le Sci-apis, la ComlC6se-dc-6carborough, ainsi que
les équipages américains. L'envoyé de la Grande-Bretagne
ajoutait que le capitaine Paul Jones, n'ayant pas de com-
mission émanant d'un pouvoir souverain, devait être con-
sidéré comme pirate. Quel que filt le désir du Stalhouder
de vivre en bonne intelligence avec la cour de Londres,
l'opinion publique ne lui eiU pas permis de souscrire i
de [larcilles conditions. La présence, au milieu des navires
américains, de doux bdtinienls portant le pavillon fron-
(;ais, l'obligeail d'ailleurs à une nxlrCme circonspeclîon.
Le gouveiiiemenl boUandais, aprts un mûr examen de la
question, adopta la solution suivante. 11 lit défendre de
fournir ù lu division américaine aucun approvisionnement
propre à la guerre. Le capitaine PaulJones reçut l'injunc-
lion de quitter le Toxel, aussitôt (piil aurait terminé les
réparations les plus urgentes. II fut prévenu qu'on em-
ploierai! la force, si cela était nécessaire, pour assurer
l'cxéirulion de ces mesures'. Le nif'L'ontoutcmcnt
LIVRE VII. 209
causa à Londres cette solution amena de promptes repré-
sailles.
Le Commodore Fielding, en croisière dans la mer du
Nord, rencontra, le 26 décembre 1779, un convoi composé
de dix-sept navires hollandais, naviguant sous Tescorte
de quelques bâtiments commandés par le contre-amiral
comte de Bylandt. Le commodore fit connaître à Tamiral
hollandais qu'il avait l'intention de visiter son convoi.
Celui-ci déclara qu'il s'opposerait par la force à l'exécu-
tion d'une mesure offensante pour le pavillon de son
pays. Les instructions très-précises de l'amirauté britan-
nique ne permettaient pas au commodore de tenir compte
de cette observation. Les Hollandais ayant tiré sur les
embarcations anglaises expédiées à bord des bâtiments
du convoi, le commodore Fielding envoya un coup de
<^non à boulet sur l'avant du navire que montait l'ami-
^l Bylandt. Ce dernier, ne voulant pas engager une
'l'Ile que l'infériorité de ses forces eût rendue désas-
trevisepour sa division, répondit par toute sa bordée, et,
lorsqu'il eut reçu celle de l'ennemi, il amena son pavil-
'^O, Les Anglais, après avoir capturé neuf bâtiments,
W^sèrent l'amiral hollandais libre de continuer sa route.
'^Itii-ci rehîssa ses couleurs, mais, ne voulant pas se sé-
P^t'er des navires confiés à sa garde, il suivit les Anglais
^ Spithead.
Les bâtiments arrêtés par le commodore Fielding furent
Î^Çés et déclarés de bonne prise. « Il est sans importance,
*^l^il dit dans les considérants de l'arrêt rendu par la
^Ur de l'amirauté britannique, que le blocus des côtes
^^tïemies soit formé par la clôture du Pas-de^ Calais ou
P^r des croisières devant les ports de Brest et de Lorient.
ï^*8^ & bord (lu Séi*api$ et de la Comtesse-de-Scarborougk, sur les-
^^U fol hissé le pavillon français. La Pallas el la Vengeance ne conser-
^^■^t que le nombre d'hommes nécessaire pour naviguer. Le ministre
ï^'f'crivil de conduire les deux prises anglaises à Brest, et les deux cor-
**>tes à Dunkerque. Toutes ces dispositions reçurent leur exécution^ nial-
K^é la nirveillance Irés-activc de la croisière anglaise.
U
I
210 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Tous les vaisseaux pris avaient cherché à violer le blocus.
Par sa position insulaire, la Grande-Bretagne établit un
blocus naturel devant tous les ports de la France et de
l'Espagne. Elle a le droit de tirer parti de sa position
comme d'un don de la Providence. » On imaginerait difii-
cilement un abus plus criant do la force. Les événements
que nous venons de rapporter soulevèrent l'opinion en
Hollande, et unirent tous les partis contre l'Angleterre.
Mais celle puissance était décidée à persister dans la ligne
de conduite qu'elle avait adoptée, quelles qu'en pussent
être les conséquences. Loin d'admelire qu'elle eût dos
torts envers la Hollande, elle se plaignit uvcc hauteur
du coml« de Rylandl. Cet amiral, en faisant tirer sur
les embarcations chargées de procéder à la visite des
b&timents de son convoi, avait violé le droit dos gens.
Le 21 mars 178û, sir Joseph York réclama avec plus d'in-
sistance qu'il ne l'avait fait, l'année précédente, l'exécu-J
tion des clauses contenues dans les traités de 167^1
1678 el 1716. 11 ajouta que, si dans l'espace de trois se-"
maincs il n'était pas fait une réponse satisfaisante à celle
demande, la Hollande serait traitée comme les puissances
avec lesquelles l'Angleterre n'était liée par aucune con-
vention particulière. Avant de prendre une décision de
cette importance, le pouvoir exécutif élait obligé, en vertu
de la Constitution, de consulter tous les États. Tout en
prolestant de son désir sincère de vivre en bonne intelli-
gence avec son ancienne alliée, la Hollande déclara que
le délai fixé par sir York était insullisant pour remplir.,
cette formalité. Le 17 avril, la cour de Londres mit & e
cution la menace contenue dans la noie du 81 mars,
ordre royal, rendu en conseil des ministres, supprima fa
privilégesdoiil jouissait le commerce des Provinces Uniei
en vertu des traités régulièrement passés avec la Grandi
Bretagne. Des instructions furent adressées aux croiseui
de la marine britannique, leur enjoignant de condutd
dans les ports anglais les bAlinients hollandais & 1
desquels on trouverait « quelques cffels appartenant a
LIVRE Vil. 211
ennemis de Sa Majesté, ou des elîeis qui sont regardés
comme contrebande par la loi générale des nations. »
11 leur fut en outre prescrit de capturer les bâtiments
hollandais rencontrés près de nos côtes, les ports français,
disait la cour de Londres, se trouvant, par le fait seul que la
guerre existait<între les deux puissances, en état de blocus.
Depuis la paix d'Utrecht, la force de la Grande-Bretagne
s'était accrue de la condescendance que lui témoignaient
ses adversaires. Après ses succès dans les guerres de
1741 et de 1756, cette puissance avait paru considérer la
souveraineté des mers comme un des attributs légitimes
de la couronne d'Angleterre. Quoiqu'elle fût engagée dans
une guerre qui exigeait, de sa part, de très-grands efforts
et l'emploi de toutes ses ressources, elle ne renonçait à
aucune de ses prétentions*. Dans ses relations avec les
neutres, elle continuait à n'avoir d'autre règle que ses
intérêts. Ses croiseurs arrêtaient, sous de vains prétex-
tes, les navires, quel que fût leur pavillon, portant en
France ou en Espagne des approvisionnements mariti-
mes. Or, on savait par expérience que, sauf de très-rares
exceptions, les navires conduits dans les {iorts anglais
étaient perdus pour leurs propriétaires. Cependant, il s'a-
1. Le chancelier de Tempire russe, le comte Panin, entretenant le mi-
nistre d'Angleterre des plaintes que les neutres faisaient entendre contre
les procédés de la marine britannique, lui. disait : « Trois puissances, le
Danemark, la Suéde et la Hollande, prient instamment Tlmpératrice de se
joindre à elles pour se plaindre des procédés de votre marine. II est im-
possible à Sa Maje^*té de voir avec indifTércnce les vexations auxquelles le
oofflmerce du Nord est exposé de la part de vos navires de guerre et do
vos navires armés en course. Vos déHnilions, relativement aux matières
destinées aux constructions navales, présentent si peu de préciision, que
Toos pouvez saisir toutes les productions de notre pays. L'Impératrice, par
suite de la position que la Russie occupe en Europe, est obligée de vous
adresser des représentations. Elle doit insister pour que les instructions
données à vos croiseurs soient modifiées. Il est indispensable que vos com-
mandants observent désormais, dans leurs relations avec les bâtiments
neutres, plus de circonspection. * Le ministre anglais défendit avec chaleur
les instructions données \)ar Pamirauté britanni<|ue, pour déterminer les
objets concernaut les constructions navales qui étaient sujets à saisie.
EnOn, il fit entendre que la cour de I^ndros ne pourrait nccepler, sur ce
point, aucune remontrance de la part d'une puissance amie.
Slî HISTOIRE UE r.A MARINE FRANÇAISE.
gîBsait le plus souvent de marchandises dûment spéci-
fiées dans les traités comme appartenant au commerce
licite. Les navires du Nord, russes, danois, suédois, prus-
siens, par suite de la nature spéciale de leur chargement,
dans lequel il entrait presque toujours du bois, dti chan-
vre et du goudron, étaient exposés à des vexations et à des
tracasseries continuelles. Cet état de choses soulevait,
dans toutes les cours de l'Europe, une très-vive irritation
contre l'Angletorre. M. de Yergennes écrivait, le 32 novem-
bre 1778, à M. de Corberon, notre minisire à Saint-Péters-
bourg : « L'impératrice donnerait une preuve éclalanle de
ses sentiments de dignité et de justice, si, en faisant cause
commune avec la Suëile, le Danemark, la Hollande et
la Prusse, elle amenait le Roi d'Angleterre à des prin-
cipes plus équitables sur la liberté des mers et le com-
merce des neutres. Elle rendrait ainsi un grand service
à toute l'Europe. DéjA, la Hollande arme des navire'* pour
convoyer ses escadres marchandes, et le Danemark
annonce qu'au printemps prochain il mettra en mer une
escadre pour le même objet. La Prusse se verra paroîlle-j
ment obligée de prendre une mesure de ce genre. Tant
d'armements simultanés peuvent aisément donner occa-
sion A des incidents fAclieux, et allumer une guerre mari-,
time qui deviendrait générale. Mais l'Impératrice de
Kussie n'aurait aucune peine à rendre la sécurité au>'
commerce de ses Étals, si, par des représentations éner*
giques, elle voulait appuyer celles que les autres nations,
ncutresdans le coallit actuel, sont déjà décidées A faire, a
Le Danemark, la Suéde et la Prusse faisaient à Saint-
Pétersbourg des démarches très-actives pour amener la
formation d'une ligue des neutres, d la télé de laquelle
se placerait la Russie. Le chancelier de l'empire, le comta
Panin, accueillait favorablement ces ouvertures, il esti-
mait qu'il était d'une bonne politique de conserver, à l'é-
gard de l'Angleterre, une attitude trts-ferme. SirHarris,
plus connu sous le nom de lord Matmcsbury, rcprésen-
Irtil IlI cour du' Londres à Sîiinl-Pét(>r>bourg. Ce diplo-
I
LIVRE VJI. 213
mate sVfTorçail, par tous les moyens en son pouvoir, de
nouer une alliance étroite entre la Bussie et la Grande-
Bretagne. Ses tentatives auprès du chancelier étant demeu-
rées sans résultat, il était parvenu à mettre le prince
Polemkin dans ses intérêts. Malgré l'influence de ce per-
sonnage, le comte Panin combattait avec succès les pro-
jols de Sir Harris'.
Telle était la situation, lorsqu'un incident, survenu à la
fin de l'année 1779, remit toutes choses en question. Les
pratiques des tribunaux anglais, en matière de prises,
provoquaient, de la part des belligérants, des représailles
dont les neutres avaient à souiïrir. La marine britan-
nique ayant capturé des bAtlments neutres porteurs de
marchandises espagnoles, la cour de Madrid prescrivit A
ses croiseurs d'arrêter tous les navires, quelle que fût
leurnation&Iité,sur lesquels on trouverait des marchan-
dises anglaises. Deux navires russes, la Concordia et
le Saint-Nicolas, qui étaient dans ces conditions, furent
rencontrés dans la Méditerranée et conduits à Cadix.
L'Impératrice Catherine résolut de demander â l'Espa-
gne une réparation éclatante de l'insulte faite à son pa-
villon. Elle donna l'ordre d'armer une escadre de quinze
vaisseaux et de cinq frégates, et une note, formulée en
termes énergiques, fut adressée & la cour de Madrid. Le
ministre anglais n'était pas étranger & ces résolutions*.
1. • Je m'estime heureax d'avoir pa raaBureraiUI Votre Mijeslé sur li
■accès des leaUlivea du ministre d'Angleterre. De ta muiière que le comtt
Panio l'a ctnporti don» cette aflïire imporlanle, il • prouvé que, uns joaii
de la faveur de sa iSouveraine, Elle rend justice > ses lumiàros, et qu'auss
longlriupa qu'il vivra il soutiendra toujours le système politique qu'il i
hit prendre ti la Itussie. • I Lettre du comte de Cuortz au roi Frédéric,
1 janvier 1780.)
Le comte de Goertz vUil ambassadeur de Prusee A la cour de Russie.
3. Depuis mon dernier rapport, les iiitriKucB du niini.'^lre d'Angleterre
m'ool donné de nouvelles alarmes. J'avais bien trouvé, dan» l'entretien que
j'avais eu avec le comte l'onin, et dont j'ai fait mention, que ■
n'était pas dans son assiette naturelle, mais se plaidait de i^s
■prés le compte que le chargé d'alTain.'s de France m'avait rendu de son
entretien avec le favori, je me suis cru autorisé de dire à Voire Majesté qur
J
214 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Instruit des difficultés qui s'étaient élevées entre l'Es-
pagne et la Russie, il avait cru le moment opportun pour
tenter nn nouvel eiïort. Il avait obtenu de l'Impératrice,
par l'intermédiaire du prince Potemkin, une audience
particulitre dans laquelle il n'avait rien négligé pour aug-
menter l'irritation que cette Souveraine ressentait contre
l'Espagne. Le cliancelicr de l'empire avait été tenu en
dehors de cette négociation. Toutes les lettres qui avaient
été envoyées, soit & Madrid, soit aux cours neutres,
étaient revêtues de la signature de l'Impératrice*. Sir
Harris put un moment se croire arrivé au but qu'il
Ip» nouvelles im-nérH du ministre «l'Angleterre ne porteraient probable-
ment pat coup. I^ jour du départ de In twsle, on m'avertit que Ilmpén-
Iricc de Itusiiic, m trouvant offense de ce que l'Ecpagne venait d'arrHcr
Je nouveau un vaisseau rasue, destiné niinic pour l'îlspagne, l'ordre veuil
d'iMrc donné d'équiper Inreuammenl quinte vaisMaux de ligne et cisf
frétcales pour prutdRer son pavillon contre toute insulte. Je me readii
d'iil>cjrd ctiez le vict'-elinncelier pour apprendre ce qu'il en était, en lui
léinoignnnt mes inquiétudes sur les menéeH du nieur Uarrif. 11 in'asnm
que, juw|u'â présent, ce ministre ne lui avait pas encore adressé la pa-
role sur ces n^ocialinns ; qu'il était vrai que l'Impératrice était trte-Adife
contre les [irocédés des EsjiaffnoU; qu'un avait non-seulement arrêté a
vninscan russe cl vendu h cargaison, destinée pour l'Espagne, à un bas
prix, umis i[u'on n'avait mi'me pas jicrmis au capitaine russe de mettre
pied •■ terre, ni prévenu du fuit le consul; mais que, probiblemant, le mi-
iiisti'rc d'Ks|>agnu désapprouverait celle conduite, et que cela ne pourrait
avoir des suites. Je lui dis, sur rela, qu'on m'avait dit qu'il v avait un
orilrc pour la marine d'équiper des vaisseaux. Il me répandit qu'on le
disait en ville, mais qu'il pouvait ni'assurer n'avoir point encore connais-
sance de cette nouvelle, avec l'nnecdolc i|ue l'Impératrice devait avoir, elle-
niéme, minuté l'ordre sans le concours du ministère. (Lettre dn crante de
LIVRE VU. î*^
poursuivait, mais il devait encore une fois Hn tottx
par le ministre russe. Celui-ci, sans èlre en CiT««r
près de sa Souveraine, jouissait d'un ïits-rnBi
dit qui était basé sur sa capacité politique. Vdbân: 4t
la Concordia et du Sainl-Nicoiaê ayant été ««uni» la
conseil, le chancelier persuada facilement à «« ^rfîè-
gués que, dans les circonstances actuelles, il éUîi iaiçiîr-
lilique de venir en aide à lAngleterre. D St j*«i- î
amena sa Souveraine à enrisager la qae$ik«i *ciK «a
véritable jour*.
lime, et il espère, par là, poumi qot rEf^acK aûa«!r jar
première aigreur, troarer le moyea de pctler «■ cun, wbmiik i ' locst^^
terre par cette même démarche, a ïàqpeOtt j» aCnrv^ te mu. Bioum»
avaient donné nécessité. Le ministre a d^ {^.«tt <» icao. «mb j^ vas ut
rimpératrice, et on m*assiire que. si Dk l'af fr^.<rv> '.;\mmit vl ^ «mr. -t
que les antres cour* Tagréent, se« ynMs^A «caftibf j^iur ta^L» *«iim9^ fK
droit public maritime scrool moins açrénUes a riaÇMAtm 91* a iM&t
puissance. Dès que Flmpératrice de RoMÎe Tnara a^frin?^ i yttigsk,
cessaounent, arec œ plan . un coorritT qu |r»Afira a Hfon* iwii»
celai qui a été expédié par ordre de Sa Xaicslè TOi^TsMtt • jUlot ftt
comte de Goertz ao roi FrédériC; T mars ITW .
1. « Je m'empresse de donner la Uak K«T*Lje a 1 ucr» SiyaCie tiw* e
comte Panin vient de me confier d aT.>ir la \k^a çndite ^ruMaiiitK (*' Sun»
échouer de noureau les intriguer du d«»Tiii»f Wetrr^. Ei *!0!r «. «nnn»'
raioe ayant approuvé le plan de ce m ai«£7». l ^ ^ wittnsitjt uvt ''t^ Cr
cet armement naval, dont le mini^j^ avriiLH tciu: wr^^ifui. i Sur» ir*ri*«rt»
la résolution dan< un moment dlkcsMvr 71 ;! Yv-bi. 5umf»a^ vuirna fMn
tourner contre sa nation, ^in vi eif»*»5b*r ne» •jMur^i»^» >\nr «••>/':ibuum
Copenhague, La Haye. Fari^. Mftind <£ LHCUioort: lue ^#wir i^ti-urr' 0»
puissances maritimes neutres de rc<«9t!i'.ai 0^ r^siat «^w mn^:*^:ii*> o» yrv^
té^er son commerce, et de le» iarÉxr a •>«- r>-uutr r^<!n a huw*» v^nr «ft^
blir des principes de droit paLbt fciar k 0Mmit»?r^ (m» iiuMswr^si tr?tf n*»
pendant le cours d'une roerre sart^jm^ ju^ ^«uiif inn «.«fiiMiir» «^ni»
résolution et les principes q« m troc* »^j»w«fi.r»^ ^ «fïtcuir v^nr & ^^lue^r
des puissances bellig^ranlef. Le omuI^ Hain 7\«ji ^.'» «iir •ji*» a jbuhwrfr
entrera volontiers dans ce oHbnrL t <?«1 «fr ft»^ a «ntro* e 01. ;UM#*<«uao
et il se flatte que la France eflen^fty*:. yjv v- >r^»^ir «r **9 viv(tir:u.A« in
Nord; qui lui sont indifffettnUef. afç#sai*ein •:rM»»snfsvr i •> vsm ^jtf
dépend, à ce qu'il convint \m-m»»m»*: }e»^^*rvrjmj^sïr. Ci». u, ttutué^' %^
r^pagne s'eipliqoera svr le* jv^ef ptvst.^ çu^ a jhtHMi* m « ^jn.^»m^
Si elle y répond d'nœ manière «k::â«iii«uc^. ^jur* 1 «ir yt^'Ruui^ ^^ ^^i
retomba »ur le ministre d'.InçVt^^ir?» o^nc i n» }<isit. ^im*« mmi^ >
conduite, et il se flatte qne Kû et k Buinn^r»^ s«rr.«miui|i«^ «r
de s être permis de pnreilk» uâhgmM, Âaa nmiqnmutm ^^ ^
r2!6 msTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
L'Espagne, d isail le chancel ier, était loi n de prétend re qu e
les navires russes eussent éléarrêtés légalement. Gettcpuis-
sance avait conrornié sa conduite à celle de la Grande-Bp&-
tagne qui capturait les bâtiments de toutes nation» por-
teurs demarcliandises espagnoles'. S'il était légitime de ré-
clamer la Conconlia et le Satnl-Nf colas, il était surtout im-
portant de ramener les belligérants à une plus juste ap-
préciation de leurs devoirs à l'égard des neutres. L'attaque
du convoi escorté parle comte de Bylandt était une preuve
de la Justesse de celte opinion. Ce qui était en cause,
c'était une question de droit public qui intéressait toutes
les puissances maritimes. L'impératrice, jusque-là hési-
tante, prit un parti qui attira sur la Hussie l'attention de
toute r£urope. Elle adressa, le 28 février, au\ cours de
Versailles, de Madrid el deLondres, une note dans laquelle
étaient exposés les principes de droit international dont
l'adoption, par les belli^-érants, lui semblait nécessaire
pour assurer la liberté du commerce maritime. Ces prin-
cipes étaient résumée dans les propositions indiquées ci-
après : Les vaisseaux neutres pourront naviguer librement
de port en port et sur les côtes des nations en guerre. Les
elTcts appartenant au\ sujets desdites puissances en
guerre seront libres sur les vaisseaux neutres, à l'exccp-
iion de la contrebande de guerre. L'Impératrice se lient,
10 m'* pu FM^H
«our, me pwlIL^
Bur ce* glorieux Buccèa, ce ministre, malgré sa modcaLiu, i
inaeniible, et In tournure haliiie qu'il a donnée à celle nlTaire ir
duiB un moment crilii|Ue où il lutte entièrement conliv la favour, o
elTectivemeDl un cheT-dVuvre, cl, vu la grande admiration (]
iumi^rei Bupéricurei de Votre Htjeité, jo «uis pereoadé que. si elle op-
ptouve ce qu'il vient de Taire, cela le ilatlera eiLrtmeuicnt. • (l.eUr« du
cumiede Unerti au roi Frédéric, 10 mars 1780.)
1. • Diïs le commencement do la présente guerre, le Roi déclara par mis
ordonoanoes aiir la conr&e, pullide« h 1* vue de toul le momie, qu'a l'^rd
lie» marcbandise*, producliomt et eOels anglais cliargés t bord des Uti-
ment* portant pavillon ami ou neutre, Sa Uiyosté se conduirail suivant
te procédé doul tes Anglais en useraient envcn lee chargemeals du même
genre, alln d'cviler, par celte réciprocité de conduite, l'inégalité énorme,
le préjudice ou même la ruine, auiqueli le commères el les sig^ de M
Majesté M trouvcruientetposés.- (Lettre du ministre JeiiDDiires étrangirM
d'L>i>agnr au minîMn.' de In marine, du 13 mars 1779.) '"
d
LIVRE VII. liT
quant à la fixation de celle-ci, à ce qui est énoncé dans
son traité de commerce avec la Grande-Bretagne du 2j
juin 1766, en étendant ces obligations à toutes les puissan-
ces en guerre. Pour déterminer ce qui caractérise un port
bloqué, on n'accordera cette dénomination qu'à celui où
il y aura, par la disposition de la puissance qui Fattaque
avec des vaisseaux suffisamment proches, un danger évi-
dent d'entrer. Ces principes serviront de règle dans les
procédures et les jugements sur la légalité des prises.
L'Impératrice terminait en disant qu'elle avait Tinlention
d'observer fidèlement, ainsi qu'elle l'avait fait depuis le
début des hostilités, la plus stricte neutralité. Mais elle
était décidée à donner à ses forces navales les ordres né-
cessaires pour faire respecter, partout où besoin serait, les
droits de ses sujets et l'honneur de son pavillon. La note
russe fut considérée à Londres comme une injure à la-
quelle, en toute autre circonstance, on eût répondu par
une déclaration de guerre ^ La situation des afTaires ne
permettait pas au gouvernement anglais de donner un
libre cours à l'orgueil national. L'initiative prise par la
Russie et l'attitude des cours du Nord révélaient un dan-
ger qu'il fallait soigneusement écarter. Sans s'expliquer
1. La déclaration de Tlmpératrice fut, en Angleterre, le sajet dediscus-
Mons très-vives. Lord Sbelburne, chef de l'opposition dans la Chambre de«
jords, exprima son étonnemenlqaerempire moscovite qui comptait à peine,
il y a trente ans, parmi les puissances maritimes, tentât de dicter des lois,
^r mer, à la Grande-Bretagne. Selon un autre membre de la même
Chambre, le manifeste russe ne tendait à rien moins qu'au renversement
J« toutes les règles observées jusque-là dans les relations internationales,
"0 a raison de dire qu'on ne peut, à la foi*, être juge et partie.
U note russe pouvait se résumer ainsi : • Navire libre, marebaodises
libres, à lexception de la contrebande de guerre. • H n'était pM qoentio»
^ la marchandise neutre chargée sur un navire ennemi, Uans ane ordo»*
^ce de rimpératrice, concernant le pavillon marchand de tovic» U»
■^o^ies et portant la date du 19 mai 1780, oo lit ce qoi soit :
* ". Nos sujets doivent aussi avoir soin de ne p«s tmUvqatfé
^1 leur appartiennent sur des Ukliments tU» natMMM i
^fre, afin d'éviter ainsi loos désagréments et l#>irtea
P«*l>l€8. > U règle la pins généralement loivi*. à r/ilU
^ Q^cbandise neutre était saisissable sur It: Ufiwcil
21? HISTOIUE DK I.A MARINE FRANÇAISE.
d'une manière calégoriiiue sur les propositions russes, le
cabinet de Saint-James protestade ses senliraenlsd'i'quilé
à l'égard des ncytres et de son respect pour les traités qui
le liaicnl nus différentes cours de l'Europe. Le point sur
lequel In cour de Londres insista particulièrement, ce fui
sur son désir de vivre en bonne intelligence avec la Russie.
Au commencement de l'année 177B, les lois françaises,
relativesaux prises maritimes, avaient pour base l'ordon-
nance do 1661. Un des articles de cclteordonnance disait:
<t Tous navires qui se trouveront chargés d'elTets apparte-
nanl & nos ennemis et les marchandises de nos sujets et
alliés qui se trouveront dans un navire ennemi seront pa-
reillement de bonne prise'. » En 17ii4, la législation sur
la matière avait été légèrement modiliée. La confiscation
des marchandises ennemies chargées sur des navires
neutres avait été maintenue, mais on avait décidé que
les bâtiments seraient relâchés. Tel était l'élat de la ques-
tion au moment où avait éclaté la guerre de l'indépendance
américaine. Le règlement français du £6 juillet 1778 con-
sacra le principe que le pavillon neutre neutralise la mai^
chundise ennemie, à l'exception de la contrebande de
guerre. Aussi ta déclaration de l'Impératrice Catherine fut-
elle accueillie, & Paris, avec une très-grande satisfaction*.
L'Espagne, qui avait adopté notre législation en matière
de prise, s'empressa de donner son adhésion aux propo-
sitions russes. Dans le courant du mois de mai 1780, te
Danemark, avec l'acquiescement de la Suède et de la Rus-
sie, interdit l'accès de la mer Baltique aux bAtimenls t
1. La France s'élail ristrié le druil d« révoquer co i^li^nii
t)ui*sance> annemiefl n'accardsicnl pa» In réciprocilé dnoi te d#l«i de «I
moi*, h {larlir de la publicalîon.
a. rr eiisLiil, entre le riglemenl dn ïb Jtjlllel 1778 et les pn,
ronlenues JBn<i ta nol« russe, une dilT^rcnce nur nous alloui indiqg
L'article 3 dl^il que les elTete apparlcimnl no sujet des puissanc
guerre MaienI libre* sur ie« vaiii»o*ui! neutres, à reKceplion de Ik a
bonde de guerre, lanilîs (|ue \r règlement franiaii pmnon(all laconSM
lien dr la car^aiion entière H du navire, lorsque lea marchan dises de 0
Irvbande composaienl lc« trois qiiorti de la valeur du chargemenl.
LIVRE VII. 219
guerre de la France, de l'Angleterre et de l'Espagne.
Deux mois après, les rois de Danemark et de Suède adres-
sèrent aux cours de Londres, de Versailles et de Madrid,
une note absolument conforme à la déclaration de Tlmpé-
ratrice Catherine. Enfin, la Russie, le Danemark et la
Suède se lièrent par une convention ayant pour but de
défendre, même par les armes, les droits de leurs sujets.
La Russie se hâta de notifier aux puissances belligérantes
l'accession des deux autres cours au projet de neutralité
armée dont elle avait pris l'initiative ^ Le prince Galitzin,
qui représentait la cour de Saint-Pétersbourg à La Haye,
avait remis, le 3 avril, au ministre des affaires étrangères
de la République, la déclaration adressée par sa Souve-
raine aux puissances belligérantes. Le prince avait reçu
de son gouvernement la mission d'amener les Provinces-
Unies à se joindre aux cours du Nord pour défendre la
liberté du commerce maritime. Les États-Généraux déci-
dèrent, le 24 avril, que des plénipotentiaires spéciaux se-
raient envoyés à Saint-Pétersbourg pour cet objet. L'An-
gleterre voyait avec un mécontentement toujours croissant
la Hollande échapper à son influence. Un incident qui se
produisit dans le mois de septembre vint encore accroître
la mésintelligence existant entre les deux nations. M. Henri
Laurens, ancien président du congrès, fut nommé mi-
nistre des Etats-Unis à La Haye. Le bâtiment sur lequel
il prit passage pour se rendre à son poste tomba entre
les mains des Anglais. On trouva dans ses papiers la copie
d'un traité de paix et d'amitié entre la Hollande et les
Etats-Unis. Ce traité avait été signé, le 4 septembre 1778,
par MM. Adam de Neufville, agissant d'après les ordres du
1. Les puissances dont les noms suivent donnèrent leur adhésion aux
principes énonces dans la déclaration de l'Impératrice Catherine aux épo-
ques indiquées ci-après, savoir : I^ Prusse, le S mai 1781; l'Autriche, le
9 oclobre 1781; le Portugal, le 13 juillet 1782; le royaume de Naples, le
l*' février 1783. Le congrès des États-Unis avait adopté, le 5 octobre 1780,
en séance publique, les propositions contenues dans la note de rimpératrico
de Russie.
220 HISTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE,
conseiller Van Bercket, pensionnaire de la ville d'AmsIer'
dam, et William Lee, commissaire du congrus*.
Celte pièce, dont le gouvernement de la République
ignorait l'existence, ne pouvait engager qu'un seul État,
celui de Hollande. Les Ëlats-Géiiéraux, par une délibéra-
tion en date du 27 novembre, désavouèrent publi-
quement la conduite du premier magistral de la ville
d'Amsterdam. Les eiTorts que faisaient les Provinces-
Unies pour apaiser la cour de Londres étaient, inutiles.
L'Angleterre voulait, en soulevant ces continuelles diffi-
cultés, intimider la Hollande et l'amener à. subir sa vo-
lonlé. Reconnaissant l'impossibilité d'arriver à ce résul-
tat, elle se décida à l'avoir pour ennemie. Deux partis sa
disputaient la dircclion des alTaires dans les Provinces-
Unies des Pays-Bas. L'un, à la léle duquel était placé la
Stathouder, était partisan de l'alliance anglaise ; l'autre,
dont le pensionnaire de la ville d'Amsterdam était le chef,
recherchait l'appui de la France, Le premier insistait surit
nécessité d'augmenter les forces de l'armée de terre, tan-
dis que le dernier demandait que la marine fat mise eB
état de détendre l'honneur du pavillon hollandais contra
les insultes de l'Angleterre. Il était résulté de ce choc d'in-
fluences que la Hollande n'avait armé ni sur terre, ni sur
mer. En déclarant la guerre t cette puissance, la cour d«
Londres n'augmentait pas le nombre de ses ennemis.
Elle voyait, au contraire, dans la conquête des colonies
néerlandaises, une compensation aux pertes qu'elle-mëmfr
pourrait éprouver. «Si nous déclarons la guerre A la,
Hollande, écrivait sir York à lord Stormont* le 3 ikh
1. L'uttcle 1" de re traiU éUit ainti conçu : • Il y aura une p»i\ ter
invialnblF et unjrersclje, el une lisci'rc «niilié enlro kun Haulm P
micoa, les ËtaU det «ept provincci unica do Hollande, et Ici Ëtals-l'nii
l'Amériquv Beplenlrionnle, el lus sujet» el Iw peupli» desdite* lartics, il
entre les pu;», lien, ville» et buiirgs dii|>cndant de ti juridiction dndiM
Ëtatn-lniï dn llullunde, el dfstliU ËtulirtiuiB de l'Amérique, el de lean<
peujilci el habitants do loule condilion, sans exception de penonncs ou di
3. I.e ministre des nlTaires ëlrangére» dans lu cabim-t de lurd North.
LlVllE VII. 221
vembre 1780 , nous trouverons cet État dépourvu d'artil-
lerie et d'approvisionnements de quelque nature que ce
soity n'ayant ni flotte, ni armée, ni aucune de ses posses-
sions hors d'Europe en état de défense. » Revenant sur
le même sujet il disait, le 7 décembre : « Ce pays ci n'est
en aucune manière préparé pour la guerre. Tous sont
encore disposés à considérer une lutte avec l'Angleterre
comme une impossibilité. Le pouvoir exécutif, dans le
gouvernement de la République, n'a jamais cessé d'être
opposé au parti de la guerre. Tous les établissements de
la Hollande, dans les Indes orientales et occidentales,
sont actuellement dans une condition déplorable. Entre
tous, Saint-Eustache, aussi dépourvu que les autres, est
la grande mine des profits pour le commerce hollandais, v
Le 20 novembre, les Etats-Généraux ayant décidé, à la
majorité de quatre provinces contre trois, que la Répu-
blique prendrait part à la ligue formée par la Russie, le
Danemark et la Suède, l'Angleterre résolut de brusquer
les événements. Sir York fut chargé de demander la pu-
nition des autorités qui avaient conclu le traité signé à
Amsterdam, le 4 septembre 1778. Ne pouvant obtenir
cette satisfaction, ce à quoi, d'ailleurs, elle ne s'attendait
pas, la Grande-Bretagne rappela son ambassadeur, le 12
décembre, et, le 20, elle envoya à La Haye une déclaration
de guerre qui précéda de quelques jours l'acte d'acces-
sion des Provinces- Unies des Pays-Bas aux conventions
maritimes conclues, les 9 juillet et l^août, entre la Rus-
sie, le Danemark et la Suède. Les Etats-Généraux s'em-
pressèrent alors de requérir les puissances qui avaient
donné leur adhésion au système de la neutralité armée
de venir à leur secours. Mais les cours du Nord, se fon-
dant sur ce que l'acte d'accession des Provinces-Unies était
postérieur à la déclaration de guerre de la Grande-Bre-
^e, déclinèrent cette demande.
L'alliance des puissances du Nord ne soutint pas l'éclat
Qui avait présidé à sa formation. Les stipulations rela-
tives aux armements que devaient faire les trois cours pour
222 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
protéger leur commerce ne furent pas fidèlement obser-
vées. L'Angleterre revint à ses anciennes pratiques et ses
croiseurs reprirent les habitudes de violences devenues
traditionnelles dans la marine britannique. Néanmoins,
on doit considérer les discussions qui eurent lieu, a cette
époque, sur ces importantes questions, comme lé point
de départ d'un nouveau droit public.
LIVRE VIII
Hodney reçoit Tordre d*atlaqaer les possessions hollaivliises dans le^ lod«4
occidentales. — Il s'empare saGce&<ivement des Ue« de Sainl EfttJadie. d-
Saînt-Martin et de Saba. — Les colonie* de Denierari. dX'^^eqoiUi et d<;
Berbice sont occupées par les Anglai». — l*ri>e de i'ile fran'^ue de Siinl-
Barlhélemy. — Arrivée da comte de Grasse à la Martiniqoe. — EiunireiiieD>
des 29 et 30 avril. — Fausse attaque de Sainte-Lucie. — Fns«r de TatAiT'i,
— L'escadre française, après avoir tooché à la Martinique, se dihs*: scr
Saint-Domingue. — Eyénements sarrenus sur le« cMes de rAmén«|a-:
septentrionale depuis le oonmieDcement de l'ano^^ 1781. — Fri^ do
Romnlus. — Combat du 16 mars entre les escadres d'Arbotfanot et du capi-
taine de Taisseau Des Touches. — Arrivée du comt« de Oras«e dam la baie
de la Chesapeak. — ApparitioQ de la flotte anglaise. — Engagemeat du
S septembre. — Capitulation de Comwallis. — Le comte de Grasse et l'a-
miral Hood retournent dans la mer des Antilles. — Le marqui« de fvwîlk
reprend les Iles de Saint-Eostacbe, de Saint-Martin et de .SaJw. — ffYise
de PensacoU et de la Floride occidentale par les Eépagools et le«(
Français.
I
L'amiral Rodney était à Sainte-Lucie, lorsqu'il rerut
l'ordre de commencer les hostilités contre les Hollandai»».
II prit la mer, le 30 janvier 1781, ayant des troufK.'S de
débarquement sur son escadre, et il se présenta, le même
jour, devant la baie de Fort-Ro\al. Aussit/jt que la nuit
fut venue, laissant le contre-amiral Drake [Kiur «yiineilier
quatre vaisseaux français, il fit route .sur.Sairil-'fjj.sta^:tie.
Le gouverneur de cette colonie ne disposait d'aucune d^^n
ressources nécessaires pour se défendre. Surpris par la
brusque arrivée de l'escadre britannique, il livra Tlle,
le 3 février, au général Yau^rhan. iJeux cents Ultimenl-)
de commerce et une frégate de Irente-liuit ranons loffi-
bërent entre les mains des Anglais. Krxinev dét;iclia une
224 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
division à la poursuite d'une flotte marchande qui avait
appareillé, quelques jours auparavant, sous Tescorte d'un
vaisseau de soixante canons. Ce convoi, composé de trente
bâtimenls richement chargés, fut joint et capturé. Avant
de se rendre, le vaisseau hollandais combattit vaillam-
ment pour l'honneur de son pavillon.
Depuis que la guerre avait arrêté les transactions com-
merciales entre les sujets des grandes puissances mari-
times, l'Ile de Saint-Ëuslache avait acquis une importance
particulière. Elle était considérée, dans la mer des Antilles,
comme un terrain neutre, sur lequel les commerçants de
tous les pays se rencontraient sans danger. Au moment
où les Anglais en prenaient possession, elle renfermait
des quantités de marchandises très-considérables, appar-
tenant & des Hollandais et à des étrangers. L'amiral
Rodney et le général Yaughan, ne tenant aucun compte
de cette situation, déclarèrent propriété hollandaise tout
ce qui était dans l'île. Leurs agents s'emparèrent, noo-
seulement de ce que renfermaient les magasins de l'Etat,
mais encore des marchandises contenues dans les maga-
sins particuliers. Les habilanls, à rexreption des sujets
anglais, furent transportés dans les îles voisines. Ces
malheureux, exposés pendant la traversée aux plus mau-
vais traitements, perdirent leurs bagages qui furent pillés
par les matelots. La valeur du butin failàSaint-Eustache,
en y comprenant les bâtiments capturés, atteignit la
somme, énorme pour celle é|)0(iuo,desoixanlc-quinze mil-
lions de francs. Le général Vaughan fit occuper les Iles
de Saint-Martin et de Saba. Les habitants de ces deux
colonies n'eurent pas moins à souffrir cjne ceux de Sainl-
Kustache de la rapacité des vainqueurs*.
L'amiral Rodney, ayant reru de Londres l'axis que des
l.ljea procédés barbares de Hodoey et do Vaughan soulevèrent une rt'pro-
bation universelle. Des voix généreuses s'élevèrent, au sein du l'arlenienl
britannique, pour dénoncer la violence commise à Saint-Kustache contre \tt
)M>rs<»nnes et 1rs propriétés. Burkc présenta, le 14 mai 17K1. une motion lea-
UVHE Vin. Î25
forces françaises étaient sur le point de partir de Brest
I)Our la mer des Antilles, ordonna à son lieutenant, lamiral
Hood, de se rendre devant la baie de Fort-Royal. Celui-
ci devait intercepter les bâtiments qui feraient route pour
laMartinique. Ne voulant laisser à personne le soin d'ache-
ver Tœuvre de spoliation qu'il avait commencée, lamiral
Rodnev resta à Saint-Eustache avec son vaisseau, le
Sawlwicfiyde quatre-vingt-dix, et le Triumph^ de soixante-
quatorze. Il fit vendre aux enchères publiques une partie
des marchandises trouvées dans Tile; ce qui restait des
dépouilles des malheureux habitants de Saint-Eustache
fut expédié, en Angleterre, sur trente-quatre bâtiments
de commerce, escortés par quatre vaisseaux.
Dans le courant du mois de février 1781, des corsaires
anglais parurent dans les eaux de Demerari et dXssé-
quibo, et ils s'emparèrent de plusieurs navires de com-
merce. Le gouverneur des établissements néerlandais,
sur la côte de la Guyane, n'était pas en mesure de
repousser une aussi faible attaque. Dans le but d'empê-
cherque les personnes et les propriétés fussent à la merci
de quelques aventuriers, il fit connaître aux autorités
brilannlques à la Barbade qu'il était prêt à remettre la
colonie entre leurs mains. Il demandait, ignorant i quelles
calamités il s'exposait, que la Guyane fût traitée comme
l'avait été l'île de Saint-Eustache. Des troupes, expédiées
des Antilles sur les frégates la Surprise et la Barbade^
prirent possession de la colonie hollandaise dans les pre-
miers jours de mars. Nous devons dire que les officiers
anglais usèrent envers les habitants des procédés les plus
généreux. L'île française de Saint-Barthélémy fut prise,
le 15 mars, par l'amiral Rodney.
dtDl à ce qu'une enquête fût ouverte sur la conduite des deux généraux. la
proposition, combattue par les ministres, fut rcjetée, mais elle réunit quatre-
vingts voix sur deux cent quarante volants.
15
226 HISTOIRE DE LA MARÎNE FRANÇAISE.
II
Le 22 mars 1781, vingt-six vaisseaux et quatre frégates
sortirent de Brest, sous le commandement du lieutenant
général de Grasse*. Le 29 mars, la frégate la Concorde^
sur laquelle le successeur deM.de Ternay,le chef d'escadre
de Barras, avait pris passage, se sépara de l'armée et fit
route pour sa destination. A la hauteur des Açores, cinq
vaisseaux et une frégate, sous les ordres du capitaine de
vaisseau, commandeur de SufTren, se dirigèrent vers le
cap de Bonne-Espérance. Le 5 avril, le vaisseau le Sagit-
taire^ ayant à bord des munitions et six cents soldats
pour renforcer la petite armée de Rochambcau, mit le cap
sur Boston. Le 28, c'est-à-dire trente-sept jours après le
départ de Brest, le comte de Grasse arriva en vue des
terres de la Martinique. Afin de rendre sa traversée plus
rapide,il avait fait remorquer par ses vaisseaux les vingt-
trois bâtiments les plus mauvais marcheurs du convoi '.
Ayant eu connaissance, un peu avant le coucher du soleil,
d'une escadre ennemie, il craignit de compromcltre ses
transports, et il resta au large de la pointe des Salines.
Un officier, qu'il avait envoyé à la pointe Sainte-Anne
pour avoir des rcnsfignemcnls, lui apprit que la baie de
Forl-Royal était blo(juéedei)uis quarante jours par l'amiral
Hood.Le lendemain matin, l'escadre française se mit en
mouvement. A huit heures, nos frégates signalèrent dix-
neuf vaisseaux an^^lais manœuvrant pour s'élever au
vont, et, à onze heures, les deux escadres commencorenl
à échanger des boulots. Aussitôt que noire armée eu
|)ris i)Osilion au vont do l'onnomi, nos bâtiments de trans
1. Ix' conilc do Grasso nélail t-n réalité i\\\v chef d\'m'adro, mais il a>aî
rtMMi la coinnussion provisoin* de lioutonanl ^onéral.
2. I,e comte de (îrasse avait donné Pexeniple. I.e vaisseau à trois pt»DL
la l'illc-dc-Puris, sur lequel il avait son pa>iIlon, remorquait un navire »-
convoi.
LIVRE VIII. â27
port entrèrent dans la baie de Fort-Royal. Au même
moment, les vaisseaux la Victoire^ de soixante-quatorze,
le Caton^ le Solitaire et le Réfléchi, de soixante-quatre,
appareillèrent en filant leurs câbles et rallièrent Tarmée.
Malgré notre supériorité numérique, le comte de Grasse
se tint près de terre jusqu'à ce que tous les navires de son
convoi fussent eh sûreté. Il voulut alors se rapprocher
des Anglais, mais ceux-ci firent de la toile et s'éloignè-
rent. Vers six heures du soir, le commandant en chef
n'avait auprès de lui que treize vaisseaux. Les autres
b&timents de Tarmée, quoique couverts de voiles, étaient
à une grande distance en arrière. Plusieurs vaisseaux
ennemis, au nombre desquels se trouvaient le Russel, le
Centeuret l'/n^r^û/e, étaient très-maltrailés. LeRmsel fut
sur le point de couler bas avant d'arriver à Saint-Eus-
tache, où il avait reçu l'ordre de relâcher*. L'amiral
Hood continua sa retraite, s'arrétant pour tirer sur nos
meilleurs marcheurs, lorsque ceux-ci paraissaient vou-
loir le serrer de trop près. S'apercevant qu'il jouait un
jeu dangereux, il se décida, dans la soirée du 30 avril,
à faire route vent arrière : « Je ne crus pas convenable,
dit-il dans son rapport, de continuer à défier l'ennemi ;
je pensai, au contraire, qu'il était de mon devoir d'ar-
river vent arrière, et j'en fis le signal à huit heures du
soir. » Le lendemain matin, le comte de Grasse ne put
se faire aucune illusion sur les résultats de la poursuite.
•Je vis avec douleur, écrivit-il au ministre, qu'il n'était
flue trop vrai que la marche de l'Anglais était bien
supérieure à la nôtre. Il n'y avait plus avec moi que
onze vaisseaux qui étaient à portée de joindre; les au-
1* Je dois à la vérité, Monsieur, de vous faire connaître la satisfaction
Jpwj'ai éprouvée de la conduite de l'équipage de la Vitle-de- Paris f>cndanl
le combat \\ semblait que chaque individu voulût surpasser son camarade,
^*^ faire distinguer des ofGciersqui le commandaient directement. Ceux ci
^Haient occupés qu'à maintenir le silence et la subordination établie par
*• de Sainte- Césaire, capitaine de pavillon. (Lettre du comte de Grasse
^ nainistre.)
SS8 HISTOIRE UK LA MARINE FRANÇAISE.
trcs, couverts de voiles, étaient excesBiremeat de l'ar-
riërc. Quelques-uns même étaient hors de vue. > Le
comte de Grasse leva la chasse, et il reprit la roule de
Fort-Royal, oti il mouilla le 6 mai'. L'amiral Hood avait
évidemment sur son adversaire l'avantage très grand
de commander une escadre composée de bAUments
doublés en cuivre. Néanmoins, on doit rendre hommage
ù son habileté et à la conriaace qu'il montra daos ses
caiiitaincK.Si quelques-uns de ses vaiBeeaux étaient restés
de l'arrière, par suite d'avaries, il eût été contraint de
les sacrifier ou de combattre contre des forces supi-
rieures. L'amiral Rodney, en restant à Saint-Eustacbe,
avait privé l'escadre anglaise de deux vaisseaux, dont un
& trois ponts. Quant au comte de Grasse, il semble qu'il
se soit trop préoccupé, le 29 avril, de la sûreté de son
convoi. L'amiral Hood s'était montré, ce jour-l&, beau-
coup moins circonspect qu'il ne le fut le lendemain, et
peut-être cCit-ilélé possible d'engager une action décisive.
Un parut croire, à Paris, que le cher de notre escadre
11 aviiil pas été tr^s-bien secondé par tous ses capitaines.
Le ministre lui écrivit,relalivementà la journée du Î9avril
et àla]ioursuilede l'escadre anglaise." Toutes vos manœu-
vres ont été dictées par la prudence, le zèle et la fermeté;
mats il n'a point échappé à Sa Majesté que vous auriez
di^ obtenir une victoire complète, si toute votre armée
vous uut secondé. C'est sans doute & la mauvaise marche
d(.'s vaisseaux qu'il faut attribuer le peu d'ensemble de
LIVRE VIII. 229
Si quelques fautes de détail avaient été commises dans
la journée du 29 ou dans la nuit du 29 au 30, elles n'avaient
eu qu'une importance secondaire. La mauvaise marche
de nos vaisseaux, dont quelques-uns seulement étaient
doublés en cuivre, telle était la véritable raison de l'inu-
tilité de notr« poursuite. Nous n'avions pu joindre les
Anglais, et, par conséquent, profiter de l'occasion qui se
présentait d'écraser dix-neuf vaisseaux avec vingt-huit,
parce que notre matériel était moins perfectionné que
celui de l'ennemi.
Le 8 mai, le P/u/on,de soixante-quatorze, V Expérimenta
decinquante,etquelquesfrégates,portanttreize cents hom-
mes, se dirigèrent sur Tabago. Le même jour, l'escadre
se plaça au vent de Sainte-Lucie, afin d'être en mesure
de combattre les Anglais, si ceux-ci se présentaient au vent
de l'île, et de les joindre, s'ils arrivaient par dessous le
vent. Le marquis de Bouille débarqua, dans la nuit, au
Gros-llet, avec douze cents hommes. Après avoir reconnu
Timpossibilité de terminer, en quelques semaines, les tra-
vaux de défense nécessaires pour mettre cette posrlion à
l'abri de toute attaque, il se rembarqua avec sea troupes.
Il ramena avec lui une centaine de prisonniers faits pen-
dant cette courte expédition. L'escadre revint à la Marti-
nique,oû elle mouilla le 15 mai. Le 22, le comte de Grasse
fut informé que l'amiral Hood avait quitté Saint-Chris-
tophe. D'après la route suivie par les Anglais, au moment
où ils avaient été aperçus, on supposait qu'ils allaient à
la Barbade. Une frégate fut immédiatement expédiée à
Tabago, afin de faire connaître au capitaine d'Albert de
Wons, du Plutoriy et au commandant des troupes, M. de
Wanchelande, que toute l'armée se portait à leur secours.
L'escadre embarqua trois mille soldats, et elle mit sous
voiles.
Le Rmselj venu en relâche ^ Saint-EusUiche, par suite
^rte à maintenir la bonne intelligence qui a régné entre vous et M. de
^illé. Dans toutes les circonstances où vous opérerez avec les généraux
^^e, ce sera de cette union que naîtront les syccès.
S30 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
des avaries qu'il avait reçues dans le combat du S8 avril,
avait annoncé à l'umiral Rodney l'arrivée d'une escadre
française dans la mer des Antilles. Celui-ci, s'arrachanti
d'indignes occupation^;, était parii pour Antigue avec le
.^nmltfich et le Triiimph. Après être resté quelques jours
dans cette lie pour se ravitailler, il s'élait rendu à la Bar
bade, oîi il avait trouvé l'amiral Hood. Recevaat, dans la
nuit du 26 mai, la nouvelle que les Français avaient
opéré un débarquement à Tabago, il expédia le contre-
amiral l>rakc,avcc six vaisseaux, pourporterdes renforts
il lu ffarnison. L'escadre française attérissait sur Tabago,
nu niuiiicnt oii l'amiral Drake paraissait en vue de l'tk.
Le comie de Grasse se mil à sa poursuite, mais les Anglais
étaient au vent et à grande dislance, et il ne réussît pas
à les atteindre. Dans la nuit du 30 au 31 mai, le corps
expéditionnaire rejoignit les troupes qui avaient été mises
A terre, le ik mai, sous la protection du Pluton et de
VI-'xiH'riiiifliit. Le gouverneur de Tabago, le général Fer-
gusson, avait abandonné la petite ville de Scarborough
dans IjHpielle nous étions entrés, et il s'était retiré sur le
mont Concordia avec quatre cents soldats, cinq cents mi-
liciens, (juclqucs centaines de nègres armés et dix pièces
de canon. Le colonel de Blancbelande ne disposant pas
do forces suHisaules pour l'attaquer avec des chances de
succès, s'était contenté jusque là de l'observer. Le mar-
(luîs de Souillé prescrivit immédiatement les dispositions
nécessaires pour marcher, au point du jour, sur le monl
mais une partie de ses trc-aîe?. *: 'jtîût^ i.Hr ii îiôiru^.
ravail abandonné. Les milici-aiï -k i^ zm^uwtt ^*H\ja&
restés auprès de lui, oc»nnaIs>tr.: >Tr Hife-iurrr nimr-
rique, et sachant, d'autre p^art. ri"^ i»^ :»:irTiii*ar iitt^iiim
aucun secours, étaient très-iéM -zrt^^ Iniii? i^stn ^nut-
tion,le général se rit contraint : "i;!.:^a^ inif :2gmiuBXini
dont le marquis de Bouille ii-rt* j*î vmH*. L* i jun.
les troupes anglaises mirnit ta? ie? imef ^ » nj!if=n.-
tuèrent prisonnières de goerr». L^ ilicttos ik Imuili:^
montra à l'égard de lapof»aitl>:«: x» r^srr^j^s^ i Buau
plus grande que celle-ci araît >*^ à»^ juut inoit^ -îBr^
pour nous repousser. Les oi^sàtrtiiia» au* j* i5-f!
fit valoir pour expliquer >è oioitJV!: ni^rrttai r -ïr*. •«!
portées. « Les milices. éoirit-Z tx nni^iT* •niurtuçu-
rent le général Fergusson à rat ÎKiiUii^r uih vinjnuii-
tien qu'elles laissèrent à ma li^vc-nruo. *sl hk î«Li«ftai
dire qu'elles s'en rapportakci! a =:i:il îi:fmi*r«»fit ^ i. ii&
générosité. Je leur en ai aor:ri* z2A v»?%-iii!uii»r nie ^e
vous envoie. La manière pitrl-i^j-it*: vj-st jucrwfli* r-s^
habitants se sont conduits, q::: ce: ixi!aii^ «iT-dit esirk
propriétés à révénemenl àr Li rvfTTt. u mt n«jim
beaucoup d'estime et méritent î** -t:»!.**. »
A l'arrivée du contre -amiral I.»ni* i a iitrwitfc ' inurru
Rodney avait appareil!*^ av*i! v-«i*i*îtj** jir*>-B Dir i U*^
posait. Le 4 juin, en appn>±.i:i: i*: Tuitjn i uinr-i -ju*
'Me était en notre pouvoir -itçii-:* riitriarr^ i«u--r-. ..y^
«eux escadres passèrent la ]• .:«ïn»*i^ ::i î ;iui -*n • i*- ' uu»
"® ï 'autre. Tandis que noo* 0^:0* *£:crj-.rw îmj tiutr- p^,
^"^Slais, ceux-ci, qui étaient *a -î*îi:^ '.ij^;u»*n: t** ïi i u**
P^^ï* conserver cet avaota^. L,r%riii ji m r 'w. '*niu»
'^'ï^iral Rodney reprit la rocte irt ^fc*r;;4i:** ?«> jVurê-n
^' I^ comte de Dnioo joinit iiioLlt 1» r^nmi ?«rri^«r.fi -f^r^ii ^^
^^^K^issioo et tronrm les tnop» 4 j» miii*;;^ .-iif^bMv «^#-1 < ^ '.<>tf*-^
?^^^, qoî Tooiait toojo«n façai»r ».yi — ;ïiut [-«^.^ in ium;v.i **-
f^^tlé ao ministre.) Cette bMÉ»it4ft X. le &»iiuUe «nit m. 'imi: iiirii -^^r
^ ^^Qénl anglais.
232 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
s'attendaient à une affaire générale, et leur déception fut
grande lorsqu'ils eurent la certitude que Tennemi avait
disparu. Nous avions vingt-trois vaisseaux et les Anglais
vingt et un, mais la plupart des vaisseaux anglais étaient
plus forts que les nôtres*. Après avoir rembarqué les
troupes qui n'étaient pas destinées à tenir garnison à
Tabago, le comte de Grasse mit sous voiles. Il toucha
successivement à la Grenade et à Saint-Vincent, afin de
s'assurer que ces deux îles étaient bien approvisionnées.
Le 5 juillet, l'escadre française, ayant sous son escorte un
convoi de deux cents bâtiments de commerce, appareilla
de la Martinique pour se rendre à Saint-Domingue.
III
Après la mort de M. de Ternay, le commandement des
forces françaises, stationnées sur les côtes de l'Amérique
septentrionale, passa entre les mains de rofficier le plus
ancien, le capitaine de vaisseau Des Touches. Dans le
courant de janvier 1781, l'escadre de Taniiral Arbuthnot
fut surprise, à la mer, par un coup de vent d'une extrême
violence. Le Culloden se jeta à la côte, le Brdfort déniAta,
et, pondant (juoI(|ue temps, l'aniirai fut sans nouvelles
d'un troisième vaisseau, Y America, Profitant de coite cir-
constance, M. Des Touches envoya dans la baie do la Che-
î^apeak le vaisseau YKveUlê^ les fré^'atos la Gentille ot ia
Surveillante cl le cotre la GurjfC. Lo capilaino de VHveilléy
M. do Tiliy, était chargé de détruire une flotlillo, aux or-
dres du général Arnold, qui exorcail de nombreuses dé-
prédations sur les côtes de l'Klat de Virginie. Lors(|UC
l'amiral Arbuthnot, après avoir réparé ses vaisseaux à
New- York, parut do nouveau dans la baie de Gardner,
1. IJi (!<» nos vaisseaux, V Hector, qui avait ponlu son iMMuprô el son mât
«lo misaine (iaiis un abordage aver le l't'ani\ dan> la nuit du 30 au \\\ mai,
a>ait quitté l'eseadro. I.i' comte de (irasse l*a>ail envo\é à la (irenado.
LIVRE VIH. 233
nos bâtiments furent rappelés à Rbode-Island. M. de Tilly
n'avait pu s'emparer de la flottille anglaise, qui s'était
mise hors d'atteinte en remontant le cours de l'Élizabeth
mais il avait capturé le Romulus de quarante-quatre ca-
nons, un brick, une goélette et quelques transports. Les
Américains, attachant un grand intérêt à chasser le gé-
néral Arnold de la Virginie, réunirent quelques troupes
pour le combattre. Le général Rochambeau et le com-
mandant Des Touches, vivement sollicités par Washin-
gton, promirent de donner leur concours à cette expédi-
tion. Il fut convenu que notre escadre, sur laquelle onze
cents soldats français prendraient passage, irait dans la
baie de la Chesapeak. La mission que la marine avait
acceptée, était, par suite de la mauvaise marche de quel-
ques-uns de nos vaisseaux, d'une exécution difTicile. Le
commandant Des Touches ne pouvait réussir dans cette
entreprise qu'à la condition de dérober sa sortie aux fré-
gates d'Ârbuthnot. Il fallait, en outre, qu'il eût assez
d'avauce, sur l'ennemi, lorsque son départ serait connu,
pour n'avoir pas à craindre d'être rejoint. Il mît sous
voiles, le 8 mars 1781, à l'entrée de la nuit, avec un vais-
seau de quatre-vingts, deux de soixante-quatorze, quatre
de soixante-quatre, le Romulm qu'il avait armé et une
frégate de trente-deux. L'escadre fit route au large, et. le
l<^odemain au jour, aucun navire ne fut aperçu à rhori-
^n. Le 16 mars, par un temps brumeux, nous faisions
i^oute sur la terre, dont nous nous supposions à quinze
lieues environ, lorsque, dans une éclaircie, nos frégal#r^
découvrirent l'ennemi. L'amiral Arbuthnot, promptement
prévenu de notre appareillage, venait en toute hâte poor
i^ous barrer la route de la Chesapeak. L'amiral angUu,
^ont le pavillon était arboré sur le London de quatre-vin^-
di^-huit, avait, en outre, deux vaisseaux de soixaiïte-
^^atorze, quatre vaisseaux de soixante-quatre, ua r«î--
^^u de cinquante et trois frégates. Les deux t*
couraient, les amures à bâbord, avee des reatm
^^^^^t, les Anglais au vent des Français. Ptm
234 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
brise ayant sauté au nord-nord-ouest, les Anglais Bcrrtrent
le vent, tribord amures, tandis que les Français prenaient
la bordée du large. Grâce à la supériorité de leur marche,
noB adversaires se trouvèrent très-promplement dans nos
eaux. Se formant alors aux mêmes amures que nous, ils
se couvrirent de toile afin d'atteindre notre arrlèrc-garde.
Le commandant Des Touches signala à son escadre de vi-
rer lof pour lof par la contre-marche, et il se dirigea sur
l'ennemi avec rintentlori de le prolonger par tribord. Le
fou s'ouvrit, dès que les premiers vaisseaux des deux es-
cadres furent à portée de canon. L'avant-garde anglaise
ayant laissé porter, nos vaisseaux recourent l'ordre de ve-
nir au plus près, bdbord amures, par un mouvement
successif. Otle manœuvre lit défiler toute notre escadre
sur l'avant de la ligne anglaise, dont les trois premiers
vaisseaux s'éloignèrent en désordre. L'arrière-gardc en-
nemie arriva à la hauteur de nos derniers vaisseaux, au
moment où ceux-ci achevaieni leur évolution. Le combat
l'ut alors très-vif, mais les Anglais ayant diminué de voiles
afin de couvrir les navires qui avaient souffert au début
de l'action, les deux escadres se dépassèrent et le feu
cessa. Les Français et les Anglais prirent les amures &
bilbord et coururent vers In terre, sous petites voiles.
Quoique nos adversaires eussent l'avantage du vent, ils
ne firent aucun mouvement qui indiquât, de leur part,
l'intention de reprendre la lutte. Pendant la nuit, que
notre escadre passa en panne et les feux allumés, l'amiral
Arbutbnot entra dans la Chesapcak. Le Conquérant et
YAvdeut n'étaient pas en position de supporter un coom
de vent. Les bas mâts de ces vaisscaax avaient ét£ l
versés par les bouleU, et le gouvernail du Cont/uérxmt é
hors de service. Les capitaines français réunis, le lendl
main, & bord du Due de Bourgogne, furent d'avis qu'ij
l'état où se trouvaient le Contiuéranl et 1'^ j-deni, l'e
ne pouvait remplir sa mission. Le commandant I
Touches, se conformant ù l'avis du conseil, r
bAtiments h Rhodu-Island.
LIVRE VIII. 235
Nous uvioDS soutenu un combat honorabli?, muis nous
avions ûclioué dans notre entreprise. Sî la traversée de
l'escadre Trançaise avait i^té plus rapide, l'amiral anglais
eût Iroavé nos vaisseaux cmbossés, à l'entrée de la ri-
viitrc James, dans une position inexpugnable, et l'expédi-
tion projetée aurait eu lieu. Or, la lenteur de notre tra-
versée, et, par suite, notre insuccès n'avaient d'aulre cause
que la marche de ceux de nos vaisseaux qui n'étaient pas
doublés en cuivre. << La disproportion étonnante de mar-
che que cela occasionne, écrivait le chef de notre escadre
au ministre, a toujours mis de grands obstacles & tous
les mouvements que j'ai voulu faire, et je puis vous dire,
Monseigneur, que j'aurais primé les Anglais dans la Che-
sapeak, si les quatre vaisseaux de mon escadre qui ne
sont pas doublés en cuivre, n'étaient pas, faute de mar-
che, restés plusieurs lieues de l'nrrière et sous le vent. «
Tellesélaient les conséquences de la faute que nous avions
commise en n'appliquant pas à nos bdlimcnts l'impor-
tante amélioration que nos voisins avaient adoptée. Le
rapport dans lequel le chevalier Des Touches Dl connaître
au ministre les divers incidents de la journée du 16 mars,
contenait le passage suivant: >> Les capitaines comman-
dant les vaisseaux de l'escadre m'ont fait les plus grands
éloges de leurs états-majors et équipages; je dois vous
faire celui de MM. de la Grandiére, de Harigny et de Mé-
dîne. M- de Médine, commandant le Neptune, a été blessé
A la t€te. Cet ofQcier a su profiter d'un moment bien in-
téressant dans le combat, lorsqu'un vaisseau de tête de
l'ennemi, ne pouvant plus supporter le feu de ceux de
mon avant-garde, a été forcé d'arriver et de présenter
l'arrière. Le Neptune s'est placé h. portée de mousqueterie
de sa poupe et l'a enfile de toute sa bordée, sans que le
vaisseau anglais pAt lui répondre d'un seul coup de ca-
non, u Nos pertes s'étaient élevées à soixante-douze tués
et cent douze blessés. Le Conquérant et VAràentj com-
mandés par MM. de la Grandiére et de Uédine, avaient
porté le poids de la bataille. Le Conquérant comptait
i
236 HISTOIBE DE LA MARINE FRANÇAISE,
quarante-trois tués et cinquante blessés, VArJenl qua-
torze tués et trente-neuf blessés. Le chevalier Des TouctiM
avait trouvé chez ses camarades, non-sculument l'obéis-
sance qui lui était due, mais le concours le plus dévoué.^
Les capitaines de sou escadre n'avaient fait que leur de-
voir, mais en présence des accusations d'indiscipline*
portées contre la marine ilc Louis XVI, il n'est pas hors
de propos de le signaler.
Depuis le commencement de la guerre, il n'y avait eu,
sur les côtes des États-Unis, aucune rencontre entre les
escadres de France et d'Angleterre. Aussi le prestige que
les succès des deux dernières guerres avaient donné aa
pavillon de la Grande-Bretagne, n'avait-il subi, dans cette
partie du monde, aucune atteinte. Or, il n'était pas pei^
mis de douter que l'escadre d'Arbuthnot, dont la supério-
rité sur la nûtre, sans être très-grande, était réelle, n'eût
décliné les conséquences d'un second engagement. Si les-
Fran<;ais n'avaient remporté, le 16 mars, aucun avantagOJ
sérieux, le champ de bataille leur élajl resté. Ce résullaV
quoique incomplet, produisit un Irës-lieureux effet sur;
l'esprit du peuple américain, enclin, malgré l'irritatioB;
qu'il nourrissait contre nos adversaires, à croire & leufï
supériorité maritime. Le congrès partageant l'opinioni
générale et désireux, d'aulre part, de montrer sa recoi
naissance envers la France, adopta, le b avril, la résolo-i
tion suivante : « Arrête que le Président transmettra les
remerciements des États-Unis, assemblés en congi'ès, aU'
comte de Rocliambeau et au chevalier Des Touches coin*i
mandant l'armée et l'escadre envoyées par Sa Majesté;
tr(rs-chrétîenne au secours de ses alliés, pour le zèle e(
la vigilance qu'ils ont montrés, en toute occasion, pour
remplir les intentions généreuses de leur Souverain et
l'attente de ces États; qu'il présentera leurs remercie-
ments au chevalier Des Touches et aux oflicîers et équi-
pages des vaisseaux sous son commandement, pour
bravoure, la fermeté et la bonne conduite qu'ils ont mon-
trées dans l'entreprise faite dcrniéreniont contre l'ennemit
LIVRE VIII. 237
à Portsmouth, en Virginie, dans laquelle, quoique des
événements imprévus les aient empochés de remplir leur
objet, le combat opiniâtre, si avantageusement et si cou-
rageusement soutenu, le I6 mars dernier, à la hauteur
des caps de la baie de la Chesapeak, contre une escadre
anglaise supérieure, fait honneur aux armes de Sa Ma-
jesté très-chrétienne, et il est un heureux présage d'a-
vantages décisifs pour les États-Unis. » Le gouvernement
anglais ratifia le jugement porté par le peuple américain
et le congrès, en remplaçant l'amiral Arbuthnot dans son
commandement, aussitôt que parvint à Londres la nou-
velle du combat du 16 mars.
Cette affaire ne fut pas appréciée, en France, à sa juste
valeur. On laissa de côté le combat pour ne voir que Tin-
succès de la mission. Le capitaine de vaisseau Des Tou-
ches, qui avait commandé avec succès une division de
sept vaisseaux devant l'ennemi, ne fut pas nommé chef
d'escadre. Au lieu de cette récompense, à laquelle il se
croyait les plus justes droits, il eut une pension. Le
major de l'escadre, le lieutenant de vaisseau de Granchain,
officier du plus grand mérite et fort ancien, ne fut pas
fait capitaine de vaisseau, quoique ce grade eût été
demandé pour lui avec les plus vives instances par
M. Des Touches*. Le chef d'escadre de Barras, qui
1- Le capitaine de vaisseau Des Touches adressa au ministre la lettre sui-
^^ : « Je me trouve très-honoré de la pension de huit cents livres que
Si Majesté a bien voulu m^accorder, parce qu'elle me prouve la satisfaction
<|ii'slle veut bien avoir de mes services. Mais cette espèce de récompense
b'^ jamais été celle que j*ai ambitionnée. Je vois mes cadets dans la marine
^b veille d'être ofticiers généraux, et ils n'ont pas devant eux le titre d'avoir
nltu les ennemis de Sa Majesté avec des forces prouvées très-inférieures et
9^\ n'oDt dû le succès d'un combat en ordre qu'à la supériorité de leurs
"^^avrcs. Le rappel d'Arbulhnot le prouve assez, et j'ose avancer, Mon-
seigneur, que les armes du Hoi ont acquis un nouveau lustre sous mes
^wtlres dans l'esprit de tous les Anglais... » M. de Granchain écrivit égale-
in^tau ministre. Voici un passage de sa lettre : « J'étais loin de m'attcndre
906 la réponse aux lettres dans lesquelles on a rendu compte du combat
OQ 16 mars ne m'apporterait qu'un passe-droit. Cette humiliation m'est d'au-
^t plus sensible que j'avais conçu les espérances les plus diamétralement
^H^oeées : au surplus, je ne demande aucune réparation. Une récompense
238 HISTOIRE IJK L\ MAJUKE FRANÇAISE,
vint, ainsi que nous le verrons plus loin, prendre le cont-
mandemcnt de la division navale réunie à Rhode-Island,
considéra comme un devoir de modifier l'opinion qu'oB
s'était faite, à Paris, sur la conduite de notre escadre it
16 mars. II écrivit au ministre, le 30 septembre 1781 :
B Monseigneur, j'ai vu avec peine qu'on n'a pas attaché,
en France, au combat de M. Des Touches, tout le mérite
qu'il a réellement et qu'on lui a justement attribué es
Angleterre. Si on le compare cependant aux sept grande»
batailles navales de cette guerre, on verra qu'il n'y en m
aucune 011 nos escadres aient combattu avec des forces
aussi Inférieures que l'a fait M. Des Touches. La hardiessA
qu'a eue ce commandant de mettre en ligne le ftumuhtt,
dont il venait de s'emparer sur les ennemis, et la fermeté
de l'officier qui a tenu ce poste périlleux, ont pu rendre la
ligne française égale en nombre k celle des Anglais, maÎB
elles n'ont pas fait que les lignes fussent réellement éj
les, et un simple coup d'œil sur la liste des deux escadi
suffit pour voir combien les ennemis avaient d'avantu;
D'après celle supériorité bien constatée, c'était h lU
mirai Arbuthnot, et non à M, Des Touches, à chercher
combat décisif, et la nation anglaise l'a si bien senti qi
cet amiral a été bafoué par le peuple do New- York et n
tardive, et qu'où regarderait comme arractioo par l'imporlunilé, ne t
nn dâdonimagenicQt pour moi, et je n'aspire qu'au nioiiieni o
renoncé h tout le» honneurs militaire», je n'aurai plus qu'à tatn des v
en bon cJluyen, pour que Ions les ollicicrs qui, A dilTi'h^ntss i^pwjuM, »
ilè mieux Irnitéi que moi, «errent le Roi avec autant de ii^le et, j'oer igoulsr.
aussi utilement que mui.,.. ■ |j! ministre réfiondit ft M, de Qr«nchatn :
• J'avais propo«d >u lloi, monsieur, de voue accorder le (crade de capitaine
de vaisseau à prendre rang a la première promutian] maii
30 septembre e«t arrivée tort mil A propos pour l'eigi^dilion do celte grk
Sa Majesté, remarquant le Ion amflr et trop préeomplucut de celle U
tju(^ h propos de remettre ft un aulre temps l'examen de vu« pri
et J'ai senli que co n'Atail pas le moment d'insister auprès d'Elle pi
avancement. Je suis McliA que vous ayet mis cet obstacle k i
volunlépour vous. • Le miaîstredonna celle saliiracliont la diuiplini
il regretta de s'AIre Irnmp*. l.'nnnrie suivante, il nnmma le lleuln
vaisseau de Granchain capilsiiiu de vaisseau. La promotioa de U. Dca Xi
ma grade de cherd'eicadrc eut lieu en nH4. •
LIVRE VlII. 239
pelé par le ministère britannique. Quant à l'avantage
qu'ont eu les Anglais de remplir leur objet, c'est une
suite nécessaire de leur supériorité, et, plus encore, de
leur position purement défensive. Il est de principe de
guerre qu'on doit risquer beaucoup pour défendre ses
propres positions, et très-peu pour attaquer celles des
ennemis. M. Des Touches, dont l'objet était purement
oITensif, a pu et a dû, lorsque les ennemis lui ont opposé
des forces supérieures aux siennes, renoncer à un projet
qui ne pouvait plus avoir de succès qu'autant qu'il vien-
drait à bout, contre toute probabilité, non-seulement de
battre, mais encore de détruire entièrement cette escadre
supérieure. Dans cette position, il ne lui restait plus à faire
que de se retirer avec honneur, après avoir châtié l'arro-
gance des ennemis, et avoir établi la réputation des armes
françaises aux yeux du peuple d'Amérique, si longtemps
abusé par les relations mensongères des Anglais. La voix
de toute la marine, celle des Américains, qui ont rendu
les témoignages les plus honorables à M. Des Touches,
réclament pour ce commandant une récompense plus dis-
tinguée que n'est une pension, donnée en partie pour des
blessures précédentes, et à peu près égale à celles qui ont
été accordées à de simples capitaines pour avoir gardé
avec fermeté leur poste dans une ligne de bataille. J'ose
attendre, Monseigneur, qu'après avoir pris une connais-
sance plus parfaite de toutes les circonstances du combat
honorable soutenu par M. Des Touches, vous sentirez tout
le mérite de cette action, et que vous vous croirez d'au-
tant plus obligé de le récompenser, qu'il sera dû, en
quelque sorte, un dédommagement à M. Des Touches pour
la mortification qu'il éprouve, aujourd'hui, de ne rece-
voir aucune marque réelle de satisfaction, et de n'avoir
aucunes grâces à annoncer aux officiers de son escadre.
De toutes ces grâces, celle dont le refus lui a été le plus
sensible, est la demande qu'il a faite de la commission de
capitaine de vaisseau pour M. de Granchain, major de son
escadre. Cet avancement paraissait tellement mérité qu'un
ikO
HISTOiilE DE I,\ MARINE FRANÇAISE.
grand nombre d'ofTiciers, sur ta nouvelle qu'il était arrive
des réponses aux lettres qui ont annoncé le combat du
16 mars, sont venus d'avance faire leurs compliments à
M. de Granchuin, et je ne saurais vous peindre quel a été
leur étonnement, lorsqu'ils ont appris qu'il n'avait reçu
rien autre chose qu'un passe-droit. Je suis loin de biftmer
la récompense qui a été accordée à M. de la Touche-Tré-
ville, et que j'ai sollicitée moi-même ; mais il nv m'est
jamais entré dans l'idée qu'il put Cire avancé au préju-
dice de M. de Granchain, et lui-même a eu de la peine à
a'oire que cela fût. Je vous demande, avec la dernière
instance, Monseif^neur, de réparer sans délai une erreur
qui a blessé cruellement, et à très-juste litre, la suscep-
tibilité de cet oriicicr. n
IV
Le chef d'escadre de Barras, successeur de M. de
Ternay, arriva, le 10 mai 1781, i\ Rhode-Island, sur la
Conconle. Le (ils du général de Rochanibeau, qui avait
pris passage sur cette frégate, apportait À son père les
instructions de notre gouvernement. Le ministre de la
guerre informait le général que l'escadre partie de Brest,
le S2 mars 1781, pour se rendre dans la mer des Antilles,
80US le commandement du comte de Grasse, viendrait sur
leseâtes de l'Amérique septentrionale, |>cndant la saison
de l'hivernage. 11 l'invitait à arrêter, de concert avec les
autorités américaines, un plan de campagne auquel la
marine pourrait donner son concours. Si nos troupes
quittaient la position qu'elles occupaient, U. de Du>*^
rus devait se retirer h Boston. Par la Concorde,
avait navigué quelques jours avec son escadre, le coi
de Grasse avait écrit au général de Rochanibeau i>our Ifl
prier de l'aviser à l'avance de ses intentions. Enfin, il
avait donné AM.de Barras l'ordre de lui envoyer des
avisos & Saint-Domingue avec les dépêches du génAr
I
1
LIVRE VIIÏ. 241
ral et des pilotes. Les généraux Washinglon et Rocham-
beau se rencontrèrent, le 20 mai, à Westcrfield, près
Hartford. Dans cette entrevue, ils discutèrent les chances
de deux opérations également importantes, savoir une
expédition en Virginie et une attaque sur New-York. Le
premier projet, plus spécialement soutenu par Rocham-
beau, fut provisoirement adopté. Les deux généraux con-
vinrent de se mettre en marche immédiatement, et d'opé-
rer leur jonction sur les rives de THudson. C'était là
qu'ils devaient attendre les lettres du comte de Grasse,
et arrêter leurs résolutions définitives. Dans la crainte
que nos vaisseaux, privés de l'appui de la terre, ne fus-
sent plus en sûreté à Rhode-lsland, il avait été décidé
que M. de Barras irait à Boston, après le départ des
troupes. Le général Washington avait particulièrement
insisté pour que l'escadre s'éloignât. Son avis, sur cette
question, se trouvait mentionné, ainsi qu'il suit, dans
une note indiquant les différents points débattus à Wes-
terûeld: «Le plan de campagne exigera que l'armée fran-
çaise marche vers le nord, aussitôt qu'il sera possible.
En conséquence, M. le comte de Barras, selon les instruc-
tions données dans cette supposition, fera prudemment
de profiter du premier moment favorable pour aller à
Boston avec l'escadre qu'il commande ». M. de Barras
n'assistait pas à la conférence du 20 mai. Ayant été
informé, au moment où il se disposait à quitter Rhode-
lsland en compagnie du général Rochambeau, que Ta-
niiral Graves était sorti de New-York, il avait mis a la
^oile, avec tous ses bâtiments, pour assurer la rentrée
<i'un convoi. Il apprit, avec un profond regret, que les
forces placées sous son commandement, seraient, par
suite de leur éloignement, tenues en dehors des opéra-
tions qu'on préparait. Un conseil de guerre, réuni sur sa
demande, déclara que nos vaisseaux pouvaient sans in-
convénient rester à New-Port. Washington, prévenu par
'®s soins de M. de Barras du changement apporté
^ux dispositions prises le 20 mai, exprima le désir que
16
242 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
cette affaire fût soumise à une nouvelle délibération. Par
déférence pour Topinion du généralissime américain,
HM. de Rochambeau et de Barras assemblèrent, le
8 juin, un deuxième conseil do guerre qui confirma, à
l'unanimité, l'opinion précédemment émise. La marine et
l'armée étaient représentées dans ce conseil par les capi-
taines de vaisseau Bernard de Marigny, Chadeau de la
Clocheterie, le Gardeur de Tilly, la Villebrune,de Médine,
de Lombard, de la Grandière, Des Touches, le chef d'es-
cadre de Barras, les colonels de Laval, de Lauzun, Cus-
tine, les brigadiers de Béville et de Choisy, les maréchaux
de camp baron de Vioménil, comte de Yioménil, de
Chastellux, et le lieutenant général de Rochambeau. 11 est
non-seulement intéressant, mais utile au point de vue
historique, de rappeler les considérations invoquées par
nos officiers pour justifier leur opinion. « Le désir ex-
trême, disaient-ils, qui anime tout ce qui compose les
forces françaises pour concourir également et efficace-
ment au bien de la cause commune, a donné lieu à de
nouvelles réflexions. On a pensé que l'espèce de retraite
de l'escadre dans le port de Boston, tandis cjuc les trou-
pes déterre s'avanceraient sur New-York, pourrait paraî-
tre aux ennemis une dcmarclie contradictoire cl affaiblir
l'efTet (ju'une marche offensive par terre devait produire.
D'après ces réflexions, on a jugé que le départ des trou-
pes de terre étant décidé par son Excellence, celui de
Tescadre n'était qu'une sinjple précaution tMctée par la
prudonci». Celte précaution n'élant i)lus jugée nécessaii*c
par la marine du Roi, elle a désiré, elle-niôme, ne pas
être un obstacle au système général de la campagne,
au(juel elle espère concourir par son séjour à New-Porl,
dans ce moment-ci, el plus encore par la facilité qu elle
trouvera à agir plus promptonicnl, aussitôt que les se-
cours (ju'on a lieu d'espérer seront arrivés. » Ce passage,
(jue nous avons cilé avec intenlion, montre le zèle el la-
bonne volonté (jue déployèrcnl l'armée el la marine
Pendant cette campagne, nos officiers n'eurent d'autn
LIVRE VIII. 243
préoccupation que de conibaltrc avec vigueur les enne-
mis de la France et de TAniérique. Washington, en ap-
prenant la décision prise par le deuxième conseil de
guerre, écrivit, le 13 juin, de son quartier général de
New-Windsor, au comte de Barras : « Monsieur, j'ai eu
rhonneur de recevoir hier la lettre de votre Excellence
du 9 courant, accompagnée du résultat du second con-
seil de guerre. Ayant le plus grand respect pour Topi-
nion de Messieurs les officiers qui le composaient,
j'aurais été satisfait, alors même qu'ils se fussent con-
tentés de mentionner qu'après un nouvel examen ils
croyaient utile à l'intérêt commun de persister dans leur
première détermination. Mais en présence des nouveaux
arguments qui ont été exposés en faveur de la continua-
lion du séjour de l'escadre à New-Port, auxquels s'ajou-
tent ceux que votre Excellence m'a exprimés dans sa
lettre, je demeure convaincu que le parti qui a été pris
est excellent. Je vous prie de témoigner toute ma recon-
naissance à Messieurs de la marine pour les raisons qui
leur font désirer personnellement de rester dans la rade
<le New-Port plutôt que de s'en aller à Boston. » Quelques
historiens prétendent que Washington éprouva un mécon-
tentement très-vif en apprenant qu'une question, résolue
4 WesterGeld, avait été mise en délibération à Rhode-
'sland. Le comte de Barras avait mieux vu les choses
lorsqu'il écrivait, à propos de cet incident, au maréchal de
Gastries : « La différence d'opinion du général Washington
Reparaît venir plutôt d'une extrême délicatesse qui lui fait
Craindre de compromettre les forces du Roi, que d'une
inquiétude fondée qu'il puisse avoir sur la sûreté de l'es-
cadre. » La lettre du généralissime américain, que nous
^vons citée plus haut, suffit d'ailleurs pour rétablir la
Vérité sur ce point. Washington apportait, dans les
affaires publiques, la même honnêteté que dans les
Maires privées. Il n'eût pas voulu servir les intérêts de
^on pays en compromettant ceux de ses alliés. Le gouver-
liement français ayant tracé la ligne de conduite que
244 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
M. de Barras devait suivre, dans le cas où les troupes de
Rochambeau quitteraient Rhode-Island, Washington avait
insisté pour que Tescadre se rendît au point désigné,
c'est-à-dire à Boston. Lorsqu'il sut qu'un conseil de
guerre avait reconnu la convenance de s'écarter des
instructions du cabinet de Versailles, il poussa le scru-
pule jusqu'à demander que la résolution adoptée fût sou-
mise à un nouvel examen. Les ofticiers français ayant
maintenu leur première décision, sa responsabilité se
trouva complètement dégagée. Il manifesta alors ses
véritables sentiments, en adressant à M. de Barras et à la
marine les remercîments les plus sincères. Nous verrons
plus loin le service que les vaisseaux restés à Rhode-
Island rendirent à l'armée alliée *. La Concorde, partie de
Boston, le 20 juin 1781, avec des pilotes pour nos vais-
seaux et des dépêches pour le commandant en chef de
l'escadre, mouilla, le 8 juillet, sur la rade du Cap Français.
Lorsque le comte de Grasse, venant de la Martinique,
arriva à Saint-Domingue, il sut immédiatement quelle
était la nature des services que l'on attendait de lui. Les
lettres qu'il reçut d'Amérique présentaient l'état dos affai-
res sous le jour le plus alarmant. Peu de temps avant le
départ de la Concorde, le général Clinton, qui avait roru
d'Angleterre des renforts importants, était à New- York
avec douze mille hommes, alors (jue les alliés, campés
sur les rives de l'Hudson, n'avaient que neuf mille sol-
dats à lui opposer. Les forces de la Fayette, chargé de
défendre la Virginie contre loni Cornwallis, étaient à
I . I.<' iluc (le I^iu/.un «hlqu'il (Hait personncllcmcnl d'avis nue roscadr»* se reli-
rai à Hosloii. Or, son nom fleure au l>as ilu procès \erbalde la séance du (Y)n>eil
du8juin,dansle«jucl la décision contraire, prise une première foi<. le 31 mai.
à l'unanimiU*, fulconlirmêe dan^ les unîmes conditions. Puisque nous parlons
du duc de l.auzuii, il ciMnient de rappeler <]n'il se montra, pendant cette
campagne, braNe, actif et dcN«»ue à la causo qu'il était venu défendre. I|
n'i'Nl p;is le seul. dev«»n>-n(»us ajouter, qui, écrivant (piel({ue temps après les
éNeiniiietiU et >ur de.s s(Mi\efiir> perMiniie|>. sf ^iit trompé. I)ans Icn nié-
m(»iie:» relatifs a la guerre de riiidepeiidance anieiie.tiiie, il > a peu de fait*
a^ant liait à la inaiine qui soient exactement ia|>portés.
LIVRE VllI. 245
peine suffisantes pour tenir la campagne. Les généraux
Washington et Rochambeau, le chef d'escadre de Rarras,
M. de la Luzerne, notre ministre auprès du congrès,
priaient très-instamment le comte de Grasse de venir à
leur secours avec une flotte nombreuse, des troupes et
de l'argent. Parmi les vaisseaux mouillés sur la rade du
Cap, dix étaient depuis longtemps dans la mer des An-
tilles. Le ministre avait prescrit de les renvoyer en
France, en plaçant, sous leur escorte, les bâtiments mar-
chands prêts à prendre la mer. Le comte de Grasse réso-
lut de les emmener avec lui sur les côtes de l'Amériquo
septentrionale. S'il pouvait, par ce moyen, disposer d'une
nombreuse escadre, il lui était difficile d'avoir des
troupes et de l'argent. Le gouverneur de Saint-Domin-
gue, H. de Lillancourt, qui se conduisit en cette circons-
tance avec un dévouement qu'on ne saurait trop louer,
lui donna trois mille deux cents hommes, dix pièces de
campagne, quelques pièces de siège et deux mortiers.
Ne voulant pas que sa marche fût embarrassée par un
convoi, le comte de Grasse fit embarquer les hommes et
le matériel sur ses vaisseaux. N'étant pas parvenu, mal-
gré ses efforts, à résoudre la question d'argent à Saint-
Domingue, il envoya V Aigrette à la Havane. Le capitaine
<le ce bâtiment devait prier le gouverneur de la colonie
de nous faire l'avance de douze cent mille livres, somme
jugée nécessaire par le général de Rochombeau pour
subvenir aux besoins de son armée. Le 28 juillet, la Cou-
corde fit route pour Roston, précédant de quelques jours
uotre escadre qui prit la mer le 5 août. Le comte dcî
firasse fut rejoint par r-^tgre/Ze, à l'entrée du canal do
^hama. Lorsque cette frégate avait mouillé à la Havancî,
'cs caisses de l'État étaient vides. Cependant, grâce h
'* l>onne volonté des principaux habitants, son capitaine
'éprenait la mer, six heures après son arrivée, avec la
^QïmequeréclamaitRochambeau. Notre floUe franchit
^^ canal de Rahama, et elle mouilla, le 30 août, près du
^P Henri, à l'entrée de la Chesapeak.
I
246 HISTOIRK DE LA. MARINE FRANÇAISE.
Conrorniémeiit aux conventioas Faites dans l'entrevue
de Westerfield, les Français et les Américaine se trou-
vÈrent réunis, à la fin de juitlel, à Philippsbnrg, non loin
de New-York. Les dispositions prises par les alliés sem-
blèrent annoncer l'inlcntion d'attaquer la ville. Le com-
mandant en chef de l'armée britannique, le général
Clinton, se laissant tromper par ces démonstrations, coD-
serva auprès de lui les troupes qu'il se proposait d'en-
voyer dans les provinces du sud. !1 lit plus, il prescrivit:
à lord Cornwallis de se rapprocher de la baie de It'
Chesapcak, afm que ce (général fût en mesure de se por-
ter par mer à son secours, si les circonstanees le ren-
daient plus tard nécessaire. Telle élait la situation, lors-
que la Concorde revint de Saint-Domingue avec les let-
tres du comte de Grasse. Certains de la prochaine arri-
vée de la flotte, sacfianl qu'ils pouvaient conipler sur un
rcnrort de plus de trois mille soldats, Washington et
Rochambeau ne songèrent qu'à l'exécution du plan de
campagne si habilement préparé. Ils se mirent en mou-
vement comme s'ils eussent voulu prendre de nouvelles
positions, sans cesser d'avoir New- York pour objecUt. A
quelques jours de là, ils tournèrent brusquement le do«
& cette ville, et ils se dirigèrent, à marches forcées, vi
l'embouchure de l'Elk, située à l'extrémité septentrion!
de la baie de la Chesapeak.
Le comte de Grasse avait écrit & M. de Barras qu'il
laissait libre d'agir comme il le jugerait convenable,
priant seulement de l'inTormer du parti auquel il
rait devoir s'arrêter. M. de Barras était convaincu que
lieutenant général de Grasse, venant sur les cdies
l'Amérique septentrionale avec vingt-huit vaisst
n'avait aucun besoin de ses services. D'autre part,
traversée de New-Port à la Chesapeak, présentait, di
les circonstances actuelles, de sérieuses diniculléa.
vaisseaux pouvaient se trouver pris entre l'escadre
Graves, mouillée en ce moment dans la baie de Gi
et celle de Kodncy qui cfait iilteniliu; des AiiLilIcs. Ei
UVRE VIII. 247
séquence, il avait eu la pensée de faire route pour l'île de
Terre-Neuve, où les instructions du ministre lui permet-
taient de faire une expédition. Les généraux Washington
et Rochambeau s'étaient très-vivement opposés à ce pro-
jet, et tous deux avaient demandé au comte de Barras de
se rendre dans la baie de la Chesapeak avec l'artillerie
de l'armée, et les quelques troupes restées à Rhode-
Island. « Je suis fâché, écrivit M. de Barras au général
de Rochambeau, que le projet que je vous ai communiqué
éprouve une aussi forte opposition de votre part. Je l'ai
cru et je le crois encore plus avantageux à la cause com-
mune qu'une jonction avec M. le comte de Grasse, regardée
comme inutile par ce général lui-même, qui connaît
mieux que personne les forces qu'il doit amener à cette
côte et celles que Rodney est en état d'y conduire. Cepen-
dant, comme votre avis et celui du général Washington
sont absolument opposés au mien sur ce projet, je me
décide, à tout événement, à me rendre dans la Chesa-
peak avec mon escadre et à y conduire votre artillerie,
comme vous le désirez, et quelques bâtiments de trans-
port. Je dois vous répéter cependant que cette réunion
est hasardeuse, et je présume que M. le comte de Grasse
en a senti les inconvénients, lorsqu'il m'a laissé la liberté
de ne pas venir le rejoindre à la Chesapeak, si je le jugeais
è propos. L'escadre de Graves, telle qu'elle est, ne m'ar-
rêtera certainement pas. Mais, selon ce que me marque le
général Washington, cet amiral peut être renforcé par
Digby, et, selon l'opinion générale, Rodney doit venir
incessamment sur cette côte. La rencontre que je pour-
rais faire de l'une ou de l'autre de ces escadres, n'est pas
une de ces chances contre lesquelles il y a mille à parier
contre un; ce doit être, au contraire, le résultat des com-
binaisons des ennemis qui, lorsqu'ils me sauront à la
mer, doivent tourner toutes leurs vues et diriger tous
leurs efforts pour intercepter mon escadre et mon con-
voi. Quoi qu'il en soit, je n'hésite pas à me rendre à
votre réquisition et & celle du général Washington, et
HISTOIRE DE LA MAHINE FRANÇAISE,
je vais rembarquer mon arlilleric et la vôtre pour nw
mettre en état de partir au premier vent favorable, ■
M. de Barras avait quitU; New-Porl, le 25 aofll, avec,
huit vaisseaux, quatre fr<!'galcs, di\ transports et huit
bateaux américains, te riM« joué par le chef d'escadre dS'
Burras, peudant celte campagne, n'a pas dlé exactcmcDl
indiqué. Selon les uns, cet oflicier général aurait con-
senti, quoiqu'il fût le supérieur du comte de Grasse, k.
laisser à ce dernier le commandement des vaisseaux réuH
nis dans la Chesapeak. Selon les autres, M. de Barras, qui
était l'inférieur du comte de Grasse, ce dernier ayant éti^
nommé, quelques mois auparavant, lieutenant général,
avait fait preuve d'une grande abnégation en se plaçAnl,
de lui-même et sans y être obligé, sous les ordres d'ua,
officier entré après lui au service. Il était fort regi
table, a-t-on dit aussi, que des instructions précii
n'eussent pas réglé la position réciproque de ces dei
généraux. Ces diiïérentes assertions sont erroDi
M5I. de Barras et de Grasse étaient chefs d'escadre, et la
premier précédait le second sur les listes de la marine;
mais en nommant le comte de Grasse au commandement
de nos forces navales dans la mer des Antilles, le gou-
vernement lui avait donné une couunissJon provisoire
lieutenant général. Il était donc le supérieur liiérai
chique de tous les chefs d'escadre, quelle que fût
ancienneté. De plus, il avait le droit de donner d<
ordres A M. de Barras, ainsi que le prouve le pas&age s
vani d'une lettre qu'il lui écrivait le 28 juillet. ■ Je
laisse le mallre, mon cher Barras, de venir me joindj
ou d'agir de ton câté pour le hien de la cause comn
Donne-m'en avis seulement aQn que nous ne nous
sions pas sans le vouloir. " M. de Barras avait moni
l'excellent esprit qui l'animait en restant k Ktiodi
Islande au lieu de se retirer à Boston, ainsi qu'on
désirait ù Paris. Quant à sa jonction avec le comte
Grasse, nous savons qu'elle n'avail pas été spontané
Toutefois, il n'avait pas résisti' au\ instances de Washinfr'a
UVRE VllI. 249
ton et de Rochambeau, et il avait fait route, sur leur
demande^ pour la Chesapeak.
Lord Cornwallis, occupait avec toutes les forces dont il
disposait^ la ville d'York, sur la rive droite du York River,
ainsi que la ville de Glocester, située sur la rive opposée.
Une division navale, composée d'un vaisseau de cinquante
et de plusieurs navires d'un rang inférieur, était mouillée
dans le York River. Le marquis de la Fayette, posté un
peu au delàde Williamsburg, avec dix-huit cents hommes
de bonnes troupes et quelques miliciens, observait les
mouvements des Anglais. Un de ses aides de camp, qui
attendait, depuis plusieurs jours, au cap Henri, l'arrivée
de l'escadre, apprit au comte de Grasse que les alliés ne
tarderaient pas à paraître à l'embouchure de l'EIk. Les
généraux Washington et Rochambeau demandaient au
commandant de la flotte française que leurs soldats fus-
sent transportés par mer sur le théâtre des opérations.
Le corps expéditionnaire, placé sous le commandement
du marquis de Saint-Simon, fut envoyé à James-Town,
sur les embarcations de l'escadre , quoique celles-ci eus-
sent à faire plus de vingt-cinq lieues pour se rendre &
'eur destination. M. de Saint-Simon comptait se réunir à
'* Fayette, qui s'était avancé jusqu'à Williamsburg, lors-
qu'il avait appris l'entrée de la flotte française dans la
^l'esapeak. Des bâtiments furent échelonnés dans le James
^iy^T pour protéger le passage de nos canots et empêcher
^ï*nwallis de traverser le fleuve. Quelques navires pri-
^^t position à l'embouchure du York River pour bloquer
^^ division anglaise mouillée entre York et Glocester.
^Pt vaisseaux et quelques frégates se tinrent prêts à
P^^lir pour le nord de la baie, où ces bâtiments devaient
^'^4>arquer la petite armée franco-amcricaino. Le comte
^ Orasse avait l'intention de les expédier aussitôt que ses
^l^tiarcations, à bord desquelles se trouvaient quatre-
^^é?t-dix officiers et dix-huit cents matelots ou soldats,
^**î3iient de retour,
-^près notre appareillage du Cap Français, l'amiral
250 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Rodney, dont la santé était altérée, était retourné en
Europe. Il avait laissé une partie de ses vaisseaux à la
Jamaïque, et il avait envoyé les autres à New-York, sous
le commandement de Tainiral Hood. Croyant que la plu-
part des vaisseaux du comte de Grasse avaient fait route
pour nos ports, Taniiral Rodney ne doutait pas que les
forces navales de la Grande-Bretagne ne fussent supé-
rieures aux nôtres , aussitôt que les amiraux Hood et
Graves auraient opéré leur jonction. Sir Samuel Hood
parut devant Sandy Hook, le 28 août, avec quatorze vais-
seaux et quatre frégates. Il annonça au contre-amiral
Graves qu'une escadre française avait quitté Saint-Do-
mingue pour se rendre sur les côtes de l'Amérique sep-
tentrionale. Le même jour, on reçut à New- York la nou-
velle que M. de Barras était sorti de Rhode-Island avec
tous ses vaisseaux et des bâtiments de transport Le
contre-amiral Graves, auquel revenait, en vertu de son
ancienneté, le commandement en chef, se hâta de prendre
la mer avec les deux escadres. Il força de voiles afin de
se placer entre le comte de Grasse et M. de Barras, qu'il
espérait combattre séparément. Le 5 septembre, à rou-
vert de la Clicsapeak, sa surprise fut extrême en aper-
cevant une flotte nombreuse à l'ancre prés du cap Henri.
A l)ord des vaisseaux français, on crut un moment que
les bdliments en vue appartenaient à Tcscadre de M. de
Barras, mais la frégiite de découverte ayant signalé vingt
vaisseaux et sept frégates, il ne fut plus possible de
douter de la présence de l'ennemi. Le comte de Grasse
lit imniédialemcnt le signal de se préparer à appareiller,
et à midi, Theure de la marée étant favorable, Tarmée
sortit de la baie. Elle s'avança vers les Anglais, formée
par rang de vitesse, les amures à bdbord, avec une jolie
brise de nord-nord-est. Nous laissions, à l'embouchure
du James River, Y Eue périment^ le Triton^ le Glorieux et le
Vaillant. Dans l'après-midi, les deux escadres couraient
l'une sur l'autre, rangées dans l'ordre suivant :
ESCADRE FItAM(JAlUE.
Ligoe de baUillo.
Anguslc
DiodèDic
SBÎDt-Eiprit..
D'Albert lia Rions.
\>c Cnslutlnne de Ma!<Jn»lrr.
[lc Chorille.
Cillorl de Snvirle.
tDv ltou(rainvillu. clief d'i'BcaJrt'.
iC-ialcllan.
jllu MoDluclurc.
Ilu Lliikl)ert.
\1)k Fraiiiund.
Sceptre
NorDiumberiaaJ . .
Palmier
Soliturâ
Uoriotis d'Bs|iinuuM.
Duinaiti de Ooimpy.
De Gros», lioutoaaDt j:ûiiùrai.
De iiBiDle-Cdtoii'e,
lie YaugirauJt, m^or de rarniêt
D'Albrrl Saint-]];|>pulilo.
Itu Vaudrcuil.
De Driqucville.
D'Arros d'ArReios.
De Cicû Cliaju|iiuii.
CilojcR . .
Hercule...
DElhï.
l)e Clavcl.
Le Dégue.
De Tjrpin de Dreuil.
!Dc MuDlcil, clicf d'incadrc.
Dupleanis J'arseou.
De tiroH-Prùvdle.
Renaud d'Alein».
De <ilundcve.i.
252
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ESCADRE ANGLAISE.
Ligne de bataille.
Noms des Itâtiments.
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Shrewsbary
Intrepid. . . .
Alcide
Princessn.
Ajax....
Terrible.
Earopa .
Avanl-garde.
82
72
82
82
82
82
72
Robinson.
Mollov.
Charles Thompson.
) Charles Knatchhiill.
Samuel Drako.
(]liarrington.
Finch.
Child.
Munlagu .
Royal Oak
London
Ikulford . . .
Résolution.
America . .
Onlaur. . .
Corps de bataille.
82
82
108
82
82
72
82
(ieorfçes Roivon.
ArJ^'soif.
\(iravf's.
/(îiaves. ronire-a mirai.
(iraves.
Robert Mannrrs.
Samut'l Tliompson.
John hifrlclirld.
Arrirre (fiirtle.
Monarch
Rardeur.
Invinrihlo
Rclli({uous
Alfred.....
Adnniant. .
SolelxiN . .
82
1()0
82
72
82
(>0
7-2
I Francis Reynolds.
John Kni^'lit.
Sir Samuel Rood. conire-umiml
Saxion.
Rrine.
William Ra^ue.
Jolin.<tone.
LIVRE VIII. 253
Les Anglais, qui arrivaient vent arrière, vinrent sur
bâbord, par un mouvement successif, afin de se placer au
même bord que nous. Les têtes de ligne ne tardèrent pas
à se rapprocher, et un combat très-vif s'engagea entre les
deux avant-gardes. Le vent refusa de trois quarts avant
que les Anglais eussent achevé leur évolution, c'est-à-dire
avant qu'ils fussent tous rangés sur la ligne du plus
près, les amures à bdbord. Ceux des vaisseaux ennemis
qui gouvernaient grand largue, serrèrent le vent afin
de prendre le plus tôt possible les eaux de leur chef de
file. Celui-ci était obligé, par suite de la variation de la
brise, de venir sur tribord. Il résulta de cet état de choses
que Tarrière-garde et quelques vaisseaux du corps de
bataille restèrent hors de portée des bâtiments qui leur
correspondaient dans notre armée. Le changement ([ui
s'était produit dans la direction du vent avait mis nos
^^sseaux en échiquier. Dans le double but de reformer
'^«Ire ligne, et de préserver T avant-garde du danger d'être
^upée, le comte de Grasse signala aux vaisseaux de tête
d'arriver de deux quarts. Pendant que nous exécutions
^^Ue manœuvre, les Anglais tinrent le vent et le feu cessa.
^^ngustej le PliUon, le Marseillais, la Bourgogne, le Hé-
^<^Aj, le Diadème, le Saint-Esprit, le Caton, le César, le
^^^iin, la Ville-^e-Parisy la Victoire, le Sceptre, le Noi^
^'^Urnberland et le Palmier étaient les seuls vaisseaux qui
^^ssent pris part à cette affaire. Du 6 au 10 septembre,
les Français manœuvrèrent pour enlever aux Anglais
* avantage du vent. La mauvaise marche de quclques-
^ïis de nos vaisseaux, qui n'étaient pas doublés en
cuivre, rendait difficile l'exécution de ce dessein. Ce-
Pendant, le 10 dans la soirée, grâce k quelques varia-
hons dans la brise, les Français se trouvèrent au vent de
'ennemi, et le comte de Grasse put concevoir l'espérance
"G livrer, le lendemain, un combat décisif. Plusieurs
^^isscaux anglais, notamment le Terrible, le Montagu,
'6 Sfirewsbury, Vlntrepid et VAjax , avaient été très-
'^^Hraités le 5 septembre. Lorsque la nuit fut venue.
254 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
ramiral Graves , reculant devant les conséquences d'un
nouveau combat, livra aux flammes le Terrible^ qui ne
pouvait le suivre, et il fit roule pour New York. Le len-
demain, le comte de Grasse n'apercevant plus l'ennemi,
craignit que son adversaire ne se fût dirigé sur la Che-
sapeak, et il força de toile pour rentrer dans la baie.
Deux frégates, Ylsis et le Richmondy détachées par
l'amiral anglais pour communiquer avec Cornwallis , fu-
rent capturées. Dans la soirée, l'escadre reprit le mouil-
lage qu'elle avait quitté six jours auparavant pour aller
au-devant des Anglais. Le comte de Grasse était attendu
avec la plus vive impatience par les généraux la Fayette
et de Saint-Simon qui avaient suspendu, pendant son ab-
sence, toutes les opérations militaires. Nos vaisseaux
reprirent leurs embarcations revenues à Lynn Haven,
après avoir accompli très-heureusement leur mission dans
le James River. Le chef d'escadre de Barras était entré, la
nuit précédente, dans la Chesapeak avec tous ses bâti-
ments. Il avait eu la bonne fortune de ne pas être aperçu
par l'amiral Graves, quoique celui-ci fût arrivé en vue du
cap Henri cinq jours avant lui. Si la traversée du lieute-
nant ^^énéral de Grasse s'était prolonp'c, M. de Harras
aurait trouvé l'entrée de la Chesaj)eak j^ardée par \ingl
vaisseaux. On doit reconnaître que les observations faites
par ce chef d'escadre sur les dan^^ers de sa mission étaient
fondées.
Le RomiihiSy plusieurs fré^Mtes (*l des navires de trans-
port furent expédiés dans le nord de la baie pour enil)ar-
(juer les troupes des ^'^énéraux Washin^^lon et Roehani-
beau. Les alliés, partis, le 19 a()ûl, des ri\es de THudson,
arrivt'^rent, le 7 septembre, à l'enibouchurc de l'Klk.
Deux mille honunes prirent j)assa^e sur des bateaux du
pays pour se rendre dans le James River, et l'année ron-
liiuia sa marche vers Annapolis, où elle s'embanjua, le
18, sur les bAlimenls en\oyés par b* comte de Grasse. Le
26 septembre, loules les forces niarilimes et militaires
mises en mouvement pour eelle importante expédition
UVRE VIII. 255
élaicnl rt^imies, cl, lo 29, la villed'Voik étail investie pur
lerre et par mer. L'historien américain Bancrofl raconte
qui', peu de jours après avoir rejoint la Fayelle A Williams-
bur^', Washington se trouva en présence dune dirticultâ
inattendue. Le comte de Grasse, apprenant que l'amiral
firaves avait reçu des renforts , munirestait l'inlcntion
irapparfillcr en laissant deux vaisseaux à. l'embouchure
du York Blver. Washington lui écrivit : « Je croirais
manquer A mon devoir, non-seulement envers l'Amé-
riquo, mais aussi envers la France, .si Je ne vous priais,
avec les plus vives instances, de persévérer dans l'exécu-
tion du plan que nous avons si heureusement préparé
ensemble. » La Fayette porta la lettre du généralissime
A bord de la ViUe-de-Paris, et il fit, personnellement, les
plus grands efforts pour que le comte de Grasse ne s'éloi-
gii&t pas de la Chesapeak. Le commandant de l'escadre
franraise, ajoute l'historien américain, consentit, mais
non sans regret, à revenir sur sa détennination, Ce récit,
sans être inexact, ne présente pas la conduite du comte
de tirasse sous son véritable jour. Cet officier général
avait été prévenu que des frégates, entrées dans les pre-
miers jours de septembre k New-York, annonçaient l'ar-
rivée très-prochaine d'une escadre venant d'Angleterre,
sous les ordres de l'amiral Dîgby. 11 ne doutait pas que
l'amiral Graves, connaissant les dangers auxquels Cor-
nwallis était exposé, ne fit une nouvelle tentative pour le
secourir. Craignant d'être surpris dans une position dé-
savantageuse, il eut la pensée, ainsi que le dit son chef
d'élat-raajor dans son journal, ■■ d'épargner la moitié du
chemin k l'amiral Graves ». Les principaux officiers de
son escadre, qu'il consulta avant de mettre ce projet ù
exécution, furent d'avis de rester dans la baie, ils n'ad-
mettaient pas que l'amiral anglais osAt nous attaquer.
Le comte de Grasse, se rangeant àleuropinion, fil prendre
A SCS vaisseaux une position qui leur permit de se porter
rapidement au-devant de rcnriemi, si celui-ci venait A
être signalé. Il n'eut plus alors d'autre préoccupation
L
256 IIISTOIHE DK LA MAIUNE FRANÇAISE.
(]uc de concourir, par tous les moyens eo son pouvoir,
aux opérations de l'armée. Bancrofl dit que Washington
écrivit au commandant en chef de la flotte française,
lorsqu'il fut informé de sa décision définitive: « Ungraad
caractère sait faire le sacrilice de ses vues personnelles
pour assurer au bien public d'imiKtrtants avantages. »
Huit cents hommes, pris à bord de nos vaisseaux, re-
joignirent le corps franco-américain, chaîné, sous les
ordres du brigadier de Choisy, de bloquer Glocesler.
Lord Gornwallis se trouvait renfermé dans York-Tomi
avec huit mille soldats, sur lesquels quinze cents environ
étaient déjà dans les bOpllaux. Il avait peu de vivres,
peu de munitions, et la retraite de l'escadre britannique
ne lui laissait aucun espoir d'èlre secouru. L'effectif de
l'armée alliée, l'artillerie dont clic disposait et la situt-
lion de la place no lui pcrmeltaient pas de se faire illu-
sion sur le sort qui l'attendait. Il forma le projet de tra-
verser le York-Rivcr et de gagner la campagne , après
avoir culbuté les troupes de M. de Choisy. Un violent
orage, qui coula ou dispersa les bateaux de sa flottille,
au moment oii il se préparait à s'embarquer avec tous
les hommes en clat de )>ortcr les armes, l'obligea à ny
iiuncer à cette tcnlalive. Dans la nuit du Ik au 15 octobre,
deux redoutes, qui formaient au dehors la principale
défense de la ville, furent enlevées, l'une par un détache-
ment américain, sous les ordres de la Fayette, l'autre par
les Frani^ais, commandés par M. de Yioménil. Ne pou-
r la lulle. Cori
LIVRE VllI. 257
avait imposées à la garnison de Charleston, lorsqu'il
s'était emparé de cette ville, Tannée précédente. 11 y avait
dans York-Town un certain nombre de loyalistes, c est-à-
dire d'Américains dévoués à la cause de l'Angleterre.
Livrés à l'armée de Washington, ils eussent été consi-
dérés, non comme des prisonniers de guerre, mais
comme des traîtres. Dans le but de les soustraire au sort
qui leur était réservé, Cornwallis avait insisté très-vive-
ment pour obtenir que la corvette la Bonnelta se rendit à
New-York sans être visitée. Les généraux alliés avaient
accepté cette condition , quoiqu'ils eussent facilement
pénétré le motif secret de cette demande. Il avait été con-
venu que les passagers de la Bonnelki, ne pourraient
servir dans la présente guerre, avant d'avoir été réguliè-
rement échangés. Après avoir accompli sa mission, ce
l>Atiment devait revenir dans la Chesapeak et être livré
aux alliés.
« Le général Cornwallis^ dit le capitaine de vaisseau de
Vaugirault, major de l'escadre, dans son journal de la
campagne de 1781, se rendit prisonnier de guerre avec
^îx mille hommes de troupes anglaises ou allemandes et
flttinze cents matelots. On trouva dans la place vingt-deux
^Irapeaux, cent soixante pièces de canon, dont soixante-
fl^itize en fonte et huit mortiers. » Un vaisseau de qua-
'^nie-quatre et quelques transports avaient été incendiés
Wf le feu de nos batteries, ou coulés par les Anglais,
^^is il restait environ quarante bâtiments, au nombre
desquels se trouvait une corvette, qui étaient intacts,
^enfermement à un des articles de la capitulation, le ma-
^Hel naval fut livré à la marine française et les matelots
^ftvinrentles prisonniers de l'escadre. Dans une lettre qui
^^t rendue publique, le général Cornwallis se plut à re-
^nnaître l'attitude parfaitement correcte des Américains
* ï'^ard de son armée. Mais ce fut dans les termes les
P'^s chaleureux qu'il parla des attentions particulières
"^nt lui et ses officiers étaient l'objet de la part des Fran-
î^^s. « Leur générosité, disait-il, leur délicatesse, le ta''*
17
258 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
qu'ils apportent dans leurs relations avec nous, sont au-
dessus de tout éloge. J'espère que le souvenir de leur con-
duite sera présent à l'esprit des ofiiciers anglais, toutes
les fois que, par suite des hasards de la guerre, un offi-
cier français tombera en leur pouvoir ».
L'amiral Graves, rentré à New-York, le 20 septembre,
fut rejoint,.au commencement d'octobre, par six vaisseaux.
Dans un conseil de guerre, auquel assistèrent les ofTicicrs
généraux de terre et de mer, il fut décidé qu'on tenterait
un nouvel effort pour dégager Cornwallis. L'escadre, sur
laquelle le général Clinton s'embarqua avec sept mille
hommes, mit à la voile le 19 octobre. Les Anglais ayant
appris, en approchant de la Chesapeak, la capitulation
d'York-Town, retournèrent à New-York.
La nouvelle de ce grand événement fut saluée dan^s*
toute l'Amérique par un long cri de joie. Le congrès, s*:^
faisant Tinlerprète des sentiments de reconnaissance deIssL
population, vota des remerciements au général de Rochan^ -
beau, « pour la cordialité, le zèle, le talent et le courafr^^
avec les(iucls il avait avancé cl secondé les opératioi^ — ï^
de rarnice alliée contre la ^^arnison britannique d'York.
De semblables rcnicrclcmonts furent adressés au conil^^ le
de Grasse pour « rhabileté et la valeur qu'il avait dév(
loppécs, en attacjuant et on battant la flotte britanniqui
à la hautour de la Chesapeak, et pour le zèle et Tanlei
avec lescjuels il avait donné, avec l'armée navale à seso
dres, les secours et la protection les plus ellîcaces et l-
plus dislingués aux opérations de l'armée alliée en Yir^
nie. j> Vi\ monument eonniiéinoratif, élevé à York-Tow
devait rappeler aux ^^'nérations futures le désastre
l'arniét» de Cornwallis et la part <|ue la France avait prKT se
t\ ce ^Horieux fait d'armes. La campagne des alliés -^fi
Virginie exerça sur les événementN ultérieurs une influer» <'t'
i
UVRE VIII. ' 259
décisive. La capitulation de Burgoygne, à Saraloga, en
octobre 1777, avait exalté le courage des Américains et
montré aux troupes britanniques ce que valaient leurs
adversaires. Néanmoins, peu de temps après ce désastre,
les Anglais avaient réparé leurs pertes et repris vigou-
reusement TofTensive. Nous avons dit que ^VasiHngton,
Rochambeau, M. de la Luzerne et le chef d'escadre
de Barras, écrivant au comte de Grasse, en juin 1781, dé-
peignaient l'état des affaires sous les couleurs les plus
sombres. Après la prise d'York-Town, les choses chan-
gèrent de face. Le peuple anglais comprit l'inutilité des
sacriflces qu'il s'imposait pour ramener les colonies de
l'Amérique septentrionale sous sa dépendance. Le mi-
nistère, qui avait pour chef lord North, fut obligé de se
retirer. Enfln, à partir de celle époque, les opérations
militaires cessèrent sur le continent américain. Le géné-
ral Clinton conserva des garnisons dans les villes de
Savannah, Charleston et New- York, mais il n'osa plus
tenir la campagne. La capitulation de Cornwallis est donc
l'événement militaire le plus considérable qui se soit pro-
duit pendant la lutte engagée entre la GranJe-Brelagnc
et ses colonies. Dans l'expédition de Virginie, dont il ne
faut pas juger l'importance sur le nombre d*hommes qui
étaient en présence, mais sur ses résultats, la France eut
une action prépondérante. Nous allons le montrer en peu
de mots, en appuyant particulièrement sur le rôle joué
par la marine. L'escadre partie de Brest, le 22 mars 1781,
pour se rendre dans les Antilles, avait l'ordre de venir sur
les côtes de l'Amérique septentrionale pendant les mois
d'août, de septembre et d'octobre. Le comte de Grasse
voulut être informé, à l'avance, des services qu'il pourrait
rendre avec les forces placées sous son commandement.
Le 29 mars, il écrivit au chef d'escadre de Barras, qui
allait à Rhode-Island avec la Conronh^ une lettre dans
laquelle il lui disait : « Je vous adresse, Monsieur, copie
de la lettre que j'écris à M. le comte de Rochambeau, au
sujet de mon séjour sur la côte de l'Amérique seplentrio-
260 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
nalc. Je vous prie de vous aboucher avec ce général, el
(le me faire parvenir, par plusieurs avisos, des pilotes
bons cdliers à Saint-Domingue, afin que je puisse agir
tout de suite, ù mon arrivée, sans perdre de temps à des
préparatifs toujours nuisibles aux opérations militaires. ■
La lettre que le comte de Grasse adressait au général
Hocliambcau, était conçue dans les termes suivants: "Si
Majesté, Monsieur, m'a confié le commandement des for-
ces navales destinées à protéger ses possessions dans
l'Amérique méridionale et celles dé ses alliés dans l'Amé-
rique se])tL'ntrionale. Les forces que je commande. Mon-
sieur, sont suflisantcs pour reznplir les vues oITensives
qu'il Cbt de l'iiitéréi des puissances alliées d'exécuter
pour parvenir à une paix lionorable. Mais, je dois avoir
l'bonneur de vous faire observer que, si les vaisseaui
.sont nécessaires à l'exécution des projets que vous pou-
vez former, il serait utile au service que MM. de Barras
et Des Touches en fussent instruits, afin que les pilotes
qui nous sont nécessaires nous soient envoyés. 11 me
semble, Monsieur, qu'il serait utile à la cause commune
que je fusse informé, à Saint-Domingue, où je serai à la
lin de juin, de la [Ktsition de l'ennemi. >> Ce fut donc la
prévoyanie du chef de l'escadre française qui permit à
Wasliingloii et à Rochambcuu d'arrêter, en temps oppor^
tuii, le plan de l'expédition de Virginie. Enfin, si le comte
de Grasse, en recevant à Saiiit-Dominguc les propositions
des deux généraux, eût, ainsi (lue cela arrive fréquem-
mcnt en pareil cas, soulevé des difTicultés ou demandé
LIVRE Vllï. 261
de Saint-Domingue, et de l'argent des habitants de la
Havane. La Concorde^ qu'il expédia du Gap Français, le
28 juillet, porta à M. de Barras la lettre suivante: « A
mon arrivée au Cap, j*ai vu avec bien du chagrin la dé-
tresse où se trouve le continent et la nécessité du prompt
secours que demande le comte de Rochambeau. Je par-
tirai, le 3 août, pour me rendre, en toute diligence, dans
la baie de la Chesapeak, lieu qui me paraît indiqué, par
vous, mon cher Barras, et par MM. Rochambeau,
Washington et de la Luzerne, comme le plus sûr pour
opérer le bien qu'on se propose. »
L'escadre, arrivée la première au rendez-vous, coupa
toutes les communications de Cornwallis avec la mer.
Renforcé par les trois mille deux cents hommes que com-
mandait le marquis de Saint-Simon, la Fayette put
prendre, à Williamsburg, une position défensive assez
forte pour empêcher les Anglais de se retirer par cette voie.
Après avoir battu Tamirol Graves, le comte de Grasse fit
transporter d'Annapolis sur les bords du James-River la
plusgrandepartie des sohiatsde Washington et deRocham-
beau. Huit mille Français et dix mille Américains se trou-
vèrent réunis devant York-Town'. Ainsi fut opérée, dans
les conditions prévues par les auteurs du plan de cam-
pagne, la jonction de la petite armée partie des rives de
THudson et de Tescadre venant des Antilles avec des
troupes empruntées à la garnison de Saint-Domingue.
L'histoire offre peu d'exemples d'une opération militaire
qui ait été mieux conque et mieux exécutée. En résumé,
l'habileté déployée i)ar Washington, Rochambeau et le
comte de Grasse, Tentcnte parfaite qui ne cessa de régner
entre les officiers des deux nations, telles furent les causes
du succès des alliés en Virginie. Si le 4 juillet 1776 est la
date officielle, le 19 octobre 1781 est la date véritable de
l'indépendance des États-Unis d'Amérique.
1. Les dix mille Américains comprcnaienl six mille soldats réguliers et
quatre mille hommes de milices.
J62 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Le romtc de Grasse mil sous voiles, le b novembre, ne
laissant sur les côles de l'Amérique septentrionale que le
flomii/iw et deux frégates. Les vaisseaux la Victoire, le
Vaillant, la Proi-enre el le Triton, les frégates la Gentille
et la ttailleuse furent expédiés i Saint-Domingue, avec
l'ortlre <le ramener en Europe une Rotte marchande.
VI
Dans les premiers jours du mois de novembre 1781, le
gouverneur général des llcs-du-Venl apprit que la garni-
Ron de Saint'Eiistaclie se gardait avec beaucoup de négli-
gence. 1^ gouverneur de cette colonie semblait convaincu
qu'il n'avait rien ti redouter des Français pendant l'ab*
senco du comte de Grasse. M. de Bouille résolut de profi-
ter de cotte imprudente confiance pour s'emparer de Hle
par surprise. Il fil répandre le bruit qu'il avait l'inteD-
lion de se porter an-devant de l'escadre attendue des côtes
d'Amérique. Douze cents hommes furent embarqués sur
irs frégates VAmazone, la Galathée, la corvette VAigle et
quelques bateaux du pays. Cette division mita la voile, le
16 novembre, mais elle fut contrariée par le temps, et ce
fui seulement dans la nuit du 25 qu'elle atteignit Saint-
Eustaclic. La mer était grosse, et la plupart dos embarea-
tions danii lesquelles nos troupes s'embarquèrent, furent
brisées en arrivant ù la plage. Vers trois heures du ma-
(Uifilrp cents lir>ninii-s élaii'ot A \frrc
UVRE VIII. 263
de la place. Trompés par l'uniforme rouge des chasseurs
irlandais placés en tête de la colonne française, les sol-
dats anglais nous laissèrent approcher sans défiance. Ils
ne furent tirés de leur erreur (ju'en recevant, à bout por-
tant, une volée de mousqueterie. Saisis d'une terreur
paniipie, ils s'enfuirent dans le plus grand désordre. Le
gouverneur rentrait en ville, après avoir fait une prome-
nade à cheval, lorsqu'il fut entouré et fait prisonnier. Deux
cents hommes, commandés par lecomtede Dillon, allèrent
droit aux casernes, tandis que cent hommes, sous les or-
dres du major de Frône, se dirigeaient sur le fort. Le major
de Frêne et son détachement firent une tellediligence qu'ils
entrèrentdans le fort sur les pas des Anglais. Ils rendirent
inutiles les efTorts que faisaient quelques ofliciers pour
fermer le pont-levis. A cette heure matinale, les hommes
qui n'assistaient pas à l'exercice étaient épars dans les
casernes et dans la ville. Us furent faits prisonniers avant
d'avoir eu le temps de se réunir. Ce hardi coup de main
livra les sept cents hommes, dont se composait la gar-
nison, à la petite troupe du marquis de Bouille. Le géné-
ral se conduisit, après la victoire, avec une générosité
toute française. Il fit distribuer aux habitants le butin
que Famiral Rodncy et le général Vaughan avaient laissé
dans l'Ile. Enfin, il restitua au gouverneur, avec le con-
sentement de tous les officiers, une somme fort élevée
que celui-ci affirma, sur l'honneur, être sa propriété per-
sonnelle..
Les îles de Saint-Martin et de Saba furent reprises par
un détachement expédié de Saint-Euslache. Après avoir
mis des garnisons dans les Iles conquises, le marquis
de Bouille revint à la Martinique. Il y trouva l'escadre du
comte de Gnisse (|ui avait mouillé, le 26 novembre, dans
la baie de Fort-Royal.
Au commencement de l'année 1781, nous avions pris
part à une expédition dirigée contre les établissements
anglais de la Floride. Une division, placée sous les ordres
du chef d'escadre de Monteil, et l'escadre espagnole com-
S64 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
mandée par don Solano, étaient sur le point d'appareiller
de la Havane pour se rendre & Saint-Domingue, lorsque,
le 8 avril, le bruit se répandit que sept grands b&timendi
avaient été vus sous le cap Sainl-Autoine. Le capitaine
général de l'Ile de Cuba crut que des Torces anglaises
étaient envoyées au secours de Pensacola, attaqué par
don Galvez, gouverneur de la Louisiane. Il suspendit le
départ de don Solano pour Sainl-Domingue, el, quel-
ques jours après, il lui envoya l'ordre de faire route pour
ie golfe du Mexique. Cédant aux instances très-pressantes
de l'amiral espagnol, M. de Monteil se décida à l'accom-
pagner avec les vaisseaux le Palmier, le Destin, Vlntré-
pide, ie Triton et la frégate VAndromaque. Les Anglais
n'avaient pas jiaru sur la côte; mais la présence de l'e»»
cadre combinée permit à don Calvez de pousser les opM
rations du siège avec vigueur. Des matelots et des soldktJ
appartenant au^ deux escadres furent mis à. sa disposition^
Le 9, le général Campbell qui commandait dans Pens»i|
cola se vit contraint de capituler. La garnison, forle d«'
quatorze cents hommes, devait être transportée dans un
des ports de la Grande-Bretagne situé hors de la mer des
Antilles, à la condition de ne pas servir contre l'Espagne
ou ses alliés avant d'avoir été régulièrement échangée:
La prise de Pensacola donna à l'Espagne l'entière pot-
session de la Floride occidentale. A la suite de cette at
faire, H. de Monteil écrivit au ministre: «Le général espi)
gnol s'est loué avec éclat de la conduite des canonnicfl
français, soit de Brest, sott du détachement du corp
royal de Saint-Domingue, des chasseurs d'Agenoîs et dj
toutes autres portions de troupes que j'ai pu mettre I
terre, enfin dos officiers de terre et de mer qui ont cont
mandé les troupes et les marins débarqués. » Il aJoutaH
que la plus grande harmonie n'avait cessé de régner eiH
tre les officiers des deux nations.
L
i
LIVRE IX
EvénemeoU rarvenus en Europe pendant le cours de Tannée 1781.— Une
escadre, sous le commandemeul de Tamiral Darby. ravitaille la place Je
Gibraltar. — Le chef d*escadre de I^motte-Picquet s'empare du convoi de
^nt-Euslache. — Combat du Dogfrer liank entre les Anglais et les HoU
Modais. -^ Croisière de Tarmce franco-espagnole sous le commandement
^ don Luis de Ccrdova. — Débarquement des Espagnols à Minorque. —
f^ise de Mahon. — I^ duc de Crillon assiège le fort Saint-Philippe. — lin
^rps auxiliaire français sous les ordres du baron de Falkenhayn se joint
AUX troupes espagnoles. — Sortie du général de Guichen »vec des renforts
expédiés aux Antilles et dans Tlnde.— Le convoi naviguant sous Tescorle
^c cet officier général est surpris par le contre-amiral Kempenfeldt.
I
La France ne disposait pas de forces suffisantes pour
i^^er, à la fois, un rôle important dans les Antilles, sur
»^s côtes de FAmérique septentrionale, en Asie et dans
1^ mers d'Europe. Le cabinet de Versailles appela Tat-
^ntion de la Hollande et de l'Espagne sur la nécessité
"^ réunir à Brest une flotte assez forte pour tenir en
"^pect les vaisseaux que la Grande-Bretagne conservait
^^ns la Hanche. Les Hollandais restèrent dans le Texel et
'^s Espagnols ne sortirent pas de Cadix. Il résulta de
^t état de choses que les Anglais bloquèrent, avec qua-
"^nte vaisseaux, soixante-dix vaisseaux appartenant aux
Puissances alliées.
ï-cs événements se chargèrent de montrer à la cour de
Madrid l'étendue de la faute qu'elle avait commise en re-
P^^ssant nos propositions. Depuis le mois de février 1780,
*^ forteresse de Gibraltar n'avait reçu aucun secours. Au
k-
266 HISTOIRE DE LÀ MARINE FRANÇAISE.
commencement de 1781, les vivres apportés par Ti
Rodney étaient presque complètement consommés. Cette
situation, qui était connue en Angleterre, préoccupait
très-vivement l'opinion. L'amiral Darby, à la tête d'une
flotte de vingt-huit vaisseaux, appareilla* de Portsmouth
le 13 mars. Après avoir croisé pendant quelques jours sur
la côte d'Irlande, pour rallier les b&timents de transport
attendus de Cork, il se dirigea sur le détroit. Trois cents
b&timents marchands gagnèrent le large sous la pro-
tection de son escadre. Cinq vaisseaux et un convoi
de trente voiles portant des vivres, des munitions et
trois mille soldats, naviguèrent avec l'armée anglaise
jusque par le travers du cap Finisterre. Le commodore
Johnstone, placé & la tête de cette escadre, et le général
Meadows, qui commandait les troupes, se rendaient dans
rinde avec Tordre de s'emparer du Gap de Bonne-Espé»
rance.
Les Espagnols étaient & la mer, lorsqu'ils furent infon —
mes du départ de l'amiral Darby. Ui\ navire neufare, ave^
lequel ils communiquèrent, leur annonça qu'il ne préc^
dait l'escadre britannique que de quelques jours,
qu'il eût des ordres secrets de son gouvernement,
qu'à l'avance il considér&t sa défaite comme certaine,
tentait de se mesurer avec les Anglais, le lieutena
général don Luis de Cordova ramena son armée au poi
L'amiral Darby voulut, avant de s'engager dans le détn
être renseigné sur la position de l'ennemi. Surpris de
pas le rencontrer dans les parages du cap Sainl-Vincei
il continua sa route vers Cadix. Arrivé au large de ce
ville, il acquit la certitude que lescadrc espagnole él
tout entière sur la rade. 11 signala immédiatement
contre-amiral sir John Lockart Ross de faire route
Gibraltar avec sa division et le convoi. Quant & I
après avoir conûé à quelques-unes de ses frégates
mission de surveiller les mouvements de Tcscadre es
gnole, il se plaça avec le gros de ses forces entre &!-<&
et le détroit. Les bâtiments anglais ayant été pris par le
LIVRE IX. 267
calme, & l'ouvert de la baie de Gibraltar, furent attaqués
avec beaucoup de vigueur par une division de canon-
nières et de bombardes que commandait le contre-amiral
Moreno. La brise s'étant levée, les canonnières se hâtè-
rent de se rapprocher de la côte, et les Anglais gagnèrent
le mouillage. L'opération du ravitaillement de la forte-
resse ne rencontra pas d'autre obstacle. Le 20 avril,
sir John Lockart Ross quitta la baie pour rallier l'esca-
dre anglaise qui l'attendait en dehors du détroit. Aussi-
tôt que tous ses bâtiments furent réunis, Tamiral Darby
reprit la route de l'Angleterre.
On avait été promptement instruit, à Paris, des événe-
ments qui s'étaient accomplis à Saint-Eustache. Le
ministre connaissait Tépoque probable du départ des
bâtiments qui portaient en Angleterre les dépouilles des
habitants de l'île. Enfin, nous savions que l'escorte,
placée sous les ordres du commodore Hotham, était forte
de quatre vaisseaux. Le ministre désirait vivement faire
une capture de cette importance, mais il craignait que
l'escadre expédiée pour prendre le convoi de Saint-
Eustachc, ne fût elle-même interceptée par l'amiral
Darby. Ce dernier, d'après la connaissance que nous
avions de ses mouvements, devait paraître sur les côtes
d'Angleterre en môme temps que le commodore Hotham.
Le maréchal de Castries était dans cette disposition d'es-
prit, lorsqu'il reçut du chef d'escadre de Lamotte-Picquet
une lettre qui s'appliquait très-exactement à la situation.
Cet officier général était à Brest, où il surveillait l'arme-
ment de six vaisseaux dont il avait le commandement. « J'ai
conféré, disait-il au ministre, avec M. Hector* sur l'objet
de ma destination. 11 me paraît que c'est pour Cadix. Je
vous avouerai, Monseigneur, que je préférerais une
croisière entre les Sorlingues et les Açores. Je pense
qu'elle serait plus préjudiciable à l'ennemi que mon
séjour sur une rade d'Espagne. Quoi qu'il en soit, vous
1. Chef d'escadre et commaadant de la marine au port de Brest.
268 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
pouvez compter sur tout mon zèle et sur mon activité :
Je n'ai jamais eu tant d'envie de bien faire, et j'espère en
trouver l'occasion. » On savait en ce moment que plu-
sieurs convois, dont un très-considérable, venant de la
Jamaïque, étaient attendus en Angleterre. Lamotte-
Picquet supposait avec raison que le maréchal de Castries
était préoccupé des dangers que courrait une escadre
envoyée en croisière, au moment où l'amiral Darby
remontait, avec vingt-six vaisseaux, du détroit vers la
Manche. Il lui écrivit, le 18 avril : « Me sera-t-il permis
de vous déduire ici les raisons qui me font désirer de
sortir en ce moment où les flottes ennemies sont prêtes à *
rentrer? Il n'y a pas lieu de craindre qu'une escadre
de six bons vaisseaux et quelques frégates puisse être
interceptée. Il n'y en a jamais eu d'exemple, et les pré-
cautions qu'une expérience continuelle doit me suggérer
me mettront à l'abri d'un pareil malheur. Il n'est pas
possible, en outre, que je ne m'empare de quelque flotte,
la manière dont elles sont convoyées ne permet pas d'en
douter. Si, toute l'année, nous avions en croisière une
escadre de huit vaisseaux, peu de bAtimenls ennemis
parviendraient à leur destination. Le moyen le plus silr,
selon moi, de vaincre les Anglais, c'est de les atta(|uer
dans leur commerce. » Après avoir rocu ces deux lettres,
le ministre put donner avec confiance un ordre (|no
Lamotto-Picquel ne demandait (ju'à exécuter. C.e dernier
prit la mer, le 25 avril, avec les vaisseaux Vlnvlticihlr do
cent dix canons, le Bien-Aimé et ï Actif do soixante-
quatorze, VAIrxan(h'r,\Q Hardi ot le JAon de soixante-
quatre, les frogatos la Nôvcide et la Sijbilh'^ les cotres le
(lidssrur ol la Levrette, On réi)andil lo bruit (|u'il se ren-
dait au Ferrol, où il devait opérer sa jonction avec une
division ospa^mole. Après (|uclques jours do croisière, il
ont rhourousi» fortune (rai)orc(*voir le convoi de Saint-
Kuslacho. ÏA*s vaisseaux réussirent à s'échapper, mais,
sur trente navires marchands, vin^l-deux furent capturés.
Au moment où nous exécutions cet heureux coup de
LIVRE IX. 269
main, l'amiral Darby approchait des côtes d'Angleterre.
Prévenu de cet événement par un bâtiment neutre, il
détacha huit vaisseaux à la poursuite de Lamotte Picquet.
L'oflicier général auquel il en confia le commandement
fit force de voiles afin d'arriver à rentrée de Tlroise avant
les Français. Dans la matinée du 24 mai, les Anglais don-
nèrent la chasse à un grand navire dans lequel ils ne
tardèrent pas à reconnaître un vaisseau. C'était V Actifs de
soixante-quatorze, commandé par M. de Boades, qui
s'était séparé de Lamolte-Picquet la nuit précédente. Ce
vaisseau fut joint dans la soirée par le Non Such^ de
soixante-quatorze, avec lequel il eut un engagement
très-vif. L'action, interrompue par la nuit, reprit le
lendemain à six heures du matin. Le vaisseau anglais
ayant fait quelques avaries s'éloigna. Le capitaine de
V Actif y craignant d'être joint par les bâtiments de l'esca-
dre dont faisait partie son adversaire, continua sa route
sur Brest où il mouilla le même jour*. Lamotte-Picquet
était sur la rade avec ses vaisseaux et ses prises. Ainsi
se trouva terminé ce que le marquis de Bouille avait si
bien commencé. La plus grande partie des richesses ac-
quises par les moyens odieux que nous avons signalés,
furent perdues pour TAngleterre.
II
Depuis l'époque de sa rupture avec la(irande-Bretagne,
la Hollande n'avait rendu d'autre service à la cause com-
mune que d'obliger les Anglais à conserver quelques
vaisseaux dans la mer du Nord. Une escadre peu nom-
breuse, placée sous le commandement de l'amiral Parker,
avait reçu la mission d'intercepter les bâtiments de guerre
qui tenteraient de gagner les ports de France ou d'Espa-
L M. (Je Boades fut récum|>cnsé pour sa rondiiite liaos coUe afTaire. 11
avait é(H blcftiM^ pendant l'action.
270 HISTOIRE DE LA MARINE PlUVNÇAISE.
gne. Dans le courant du mois de juin 1781, cet amiral
fut chargé de conduire un convoi dans la Baltique. Son
escadre, qui était forte de cinq vaisseaux et de deux fré-
gates, fut rejointe, quelques jours après sa sortie, par
deux vaisseaux, un de soixante-quatorze et un de qua-
rante-quatre. Les armements de la Hollande avaient marché
avec une lenteur qu'on eût pu croire calculée. Cependant,
dans le mois de juillet 1781, l'amiral Zoutman prit la
mer avec sept vaisseaux. Le 5 août au point du jour, il
'était arrivé à la hauteur du Dogger Banck, lorsque ses
frégates signalèrent l'escadre de Parker. Cet amiral reve-
nait de la Baltique escortant une flotte marchande. Après
avoir signalé aux bâtiments du convoi de serrer le vent,
il laissa arriver sur l'escadre hollandaise. Celle-ci, sans
montrer aucune hésitation dans sa manœuvre, forma la
ligne de bataille en diminuant de voiles. Les amiraux
Parker et Zoutman semblèrent d'accord pour n'engager
qu'une affaire décisive. Pas un coup de canon ne fut tiré,
avant que les |deux bâtiments amiraux, Famiml tic
Ruyter et la ForliludCy fussent par le travers l'un de
l'autre, cl à portée de pistolet. A ce moment l'action sVn-
gageu sur toute la ligue avec uue extrême vivacité. Liï^
deux escadres étaient placées dans l'ordre suivant :
KSCADHE HULKANDAISE.
Noms (tes l>àliriii'iil>.
I.e Princo hénMlilairt' . . .
l/Ainiral j^ciiéral
I/Ar^o
Le iialave
1/Amiral lie |{uU<'r .. ..
l/Aïuiral Picl lloin
l.a llullandc
N"iiil>r«-
('allons.
04
44
- t
C8
r.8
Nt'iu-i "li'S iMpilaiiies.
Vaii l!raa<-k.
Vaii ninsInTgrii.
Slarin^'.
I.(> l>ar()fi Jo honlinck.
y.ouUiKui. amiral.
(Slariiig.
Van Itraam.
Dtdol.
LIVRE IX.
271
ESCADRE ANGLAISE.
Noms des bâtiments.
Le Bienfaisant
LeBerwick
Le Preston
La Fortitude
L'Artois
Le Dolphin
La Princesse Améiia.
Le Buflalo
Nombre
de
canons.
64
74
50
74
40
44
80
60
1
Noms des capitaines.
Braithwaite.
Fergusson.
Groeme.
Ulyde Parker
/Robertson.
Mac Bride.
Blair.
Macarlncy.
Truscot.
Les vaisseaux anglais et hollandais, rangés sur deux
lignes parallèles, se canonnèrent sans que, de part et
d'autre, on lenULt aucune manœuvre. Après trois heures
quarante minutes d'un feu violent, le combat cessa par
suite du désordre et de 1 eloignement des deux escadres.
Les efforts que firent les amiraux Zoutman et Parker pour
reformer leurs lignes furent inutiles. Les vaisseaux étaient
hors d'état de gouverner et aucun d'eux ne parvint à re-
prendre son poste. L'amiral Zoutman fit route sur le
Texel, tandis que son adversaire ralliait la côte d'Angle-
'^nre. Le vaisseau la Hollande, de soixante-huit, coula,
1© lendemain, et les embarcations de l'escadre n'eurent
^ue le temps de 'sauver l'équipage. Les perles s'éle-
vèrent, de chaque côté, à cinq cents hommes environ
'ués ou blessés. De tous les combats livrés pendant
^Ite guerre, celui du Doggcr Banck, si on considère le
Nombre des bâtiments engagés, fut le plus meurtrier.
^Ue affaire avait emprunté aux circonstances un carac-
tère particulier d'acharnement. Les Hollandais avaient
^lué avec joie, dans la matinée du 5 août, la vue des
Vaisseaux de l'amiral Parker. Combattre les Anglais à
égalité de forces, c'était pour eux qui n'avaient pas de
272 HISTOIRE DE LA MARINS FRANÇAISE.
marine, une véritable bonne fortune. Sortir victorieux
de celte rencontre, telle fut la pensée qui s'empara de
l'amiral Zoutman, de ses officiers et de ses équipages.
Pour atteindre ce réBullat, les vaisseaux hollandais se
battirent jusqu'à l'entier épuisement de leurs forces.
Moins habiles que les Anglais, tirant moins vite et moins
bien, ils montrèrent une opiniâtreté qui ne se démentît
pas un instant. Surpris, au début de l'action, par l'attî-
lude de leurs adversaires, les Anglais redoublèrent d'ar-
deur pour triompher d'une résistance à laquelle ils ne
s'attendaient pas. Pént^lrës du sentiment de leur supério-
rité, ils n'admirent pas qu'ils pussent être vaincus.
Lorsque l'escadre britannique cessa son feu, l'écarlenicnt
des deux lignes le rendait inutile. Le délabrement de ses
vaisseaux empêcha l'amiral Parker de poursui^TC l'enne-
mi. La Hollande accueillit avec enthousiasme la nouvelle
du combat du Dogger-Banck. La vaillance des marins de
l'amiral Zoutman éveillait le souvenir des rudes com-
bals livrés par les Ruyler et les Tromp, pendant le coure
du siècle précédent, aux flottes de la Grande-Bretagne.
La Réi)uhliquc se montra reconnaissante envers ceux de
ses enfants qui avaient dignement soutenu le vieil hon-
ntHir du pavillon néerlandais. L'amiral Zoulman et plu-
sieurs de ses capitaines furent promus & un grade
supérieur. De nombreuses récompenses furent accordéei
aux états-majors et aux équipages.
L'escadre britannique no fut pas traitée moins favo-
rablcineiii. Le Uui vint i\ Port-^moutli
LIVRE IX. 273
les États-Généraux à demander la paix. Alors même que
cette hypothèse ne se serait pas réalisée, la destruction des
forces navales de la Hollande eût délivré le commerce des
Anglais de toute crainte. L'amiral Parker ne pardonna
pas à son gouvernement de Tavoir privé d'un triomphe
éclatant en n'augmentant pas son escadre de quelques
vaisseaux. Malgré les instances qui furent faites auprès
de lui, il résigna son commandements
m
L'Espagne avait très-vivement ressenti l'échec que
l'amiral Darby avait infligea l'armée de Gordova en ravi-
taillant Gibraltar. Elle voulut prendre sa revanche en di-
rigeant une expédition contre Minorque. Depuis le com-
mencement de la guerre, celte île était le rendez-vous de
nombreux corsaires qui causaient à notre commerce et à
celui de nos alliés un dommage considérable. Le gouver-
nement français se montra disposé à soutenir une entre-
prise qui avait pour but d'enlever aux Anglais une posi-
tion avantageuse dans la Méditerranée. 11 ne semblait pas
que cette opération dût présenter de sérieuses difficultés.
I-a. Grande-Bretagne, obligée de se défendre en Asie,
®0 Europe et en Amérique, ne disposait que d'un petit
'ïombre de soldats. L'effectif des troupes qui occupaient
*'*le, BOUS le commandement des généraux Murray et
"^aper, ne dépassait pas trois mille hommes. Les Anglais
avaient fait du fort Saint-Philippe une place de premier
^iHire. Us pouvaient, ainsi qu'ils l'avaient fait quelques
*^€is auparavant, apparaître inopinément, à l'entrée du
^^Iroil, et expédier un convoi qui eût débarqué des
1. « Je souhaite à Votre Majesté, dit le vieil amiral au Hoi, de.'i officiers
l^^tis jeunes et des vaisseaux plus solides. » La plupart des vaisseaux de son
^^^^adre, et notamment celui sur lequel il avait son pavillon, étaient de vieux
^^timents, jugés impropres à faire une campagne lointaine.
18
274 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
troupes, des vivres et du matériel, sous le canon de celte
forteresse. La cour de Madrid, redoutant celte éventua-
lité, demanda que les vaisseaux français mouillés sur la
rade de Brest fussent envoyés à Cadix. Dix-neuf vaisseaux,
sous les ordres du lieutenant général de Guichen, firent,
le 6 juillet, leurjonctionavecrescadrede Cordova. Le 23,
l'armée franco-espagnole, forte de quarante-neuf vais-
seaux, mit sous voiles. Elle accompagna jusque dans la
Méditerranée les bâtiments de guerre et de transport qui
se rendaient à Minorque. Lorsque le lieutenant général
don Luis de Cordova n'eut plus aucune crainte sur leur
sûreté, il repassa le détroit et l'armée combinée remonta
vers le nord.
Le duc de Crillon avait été nommé par la cour de Ma-
drid au commandement en chef de l'expédition. Les
troupes, dont l'eflcctif s'élevait à onze mille hommes,
étaient embarquées sur quatre-vingt-cinq bâtiments de
transport. L'escorte, placée sous les ordres du contre-
amiral don Buonaventura Moreno, était composée de
vingt bâtiments de tous rangs. L'armée débarquée, le
9 août 1781, dans le nord de Minorque, se dirigea, à
marches forcées, sur la capitale de rilo. Lesdclachemenls
(jui tenaient la campagne se replièrent devant les Es-
pagnols, mais le duc de Crillon fit une telle diligence
(lu'il pénétra dans Mahon à la suite des Anglais. La ville,
l'arsenal et le port tombèrent sans coup lÏTircn son pou-
voir. Le général Murray n'avait pas ou le temps de dé —
Iruirelos amies, les vivres, les munilions el le niatérieL
considcrai)le (jue renfermait rarsenal. Les vainqueurs
trouvèrent des magasins remplis do marchandises pro —
venant dos prises faites sur les marinos marchandes de
la France et de rAngleterre*. L'année espagnole mil lo
1. Si on (Ml ju^'cdaprès une note faite par un onicitT appailmanl à loUl-
niaj(»r du duc df Oillori. nos alliés auraient trouvé dans la ville, rar^ena/
et le port de Mahon, de vérilaMes ri(li<'s«-("<. (lelle noie tpii e-^t écrite en
français est ain>i conçue : « In arsenal très ^naritl, avec un entrepôt de h<ni
de construction, des inAts de la première jjrandeur, «les voiles et des cor-
LIVRE IX. 275
siège devant le fort Saint-Philippe, dans lequel les troupes
britanniques s'étaient retirées. Le duc de Grillon fut re-
joint, peu après, par un corps de quatre mille soldats
français, commandé par le maréchal de camp de Falken-
hayn.
Lorsque la flotte franco-espagnole eut doublé le cap
Saint-Yincent, elle se maintint à cinquante lieues au
large, afin de ne pas être vue par les bâtiments neutres
naviguant sur les côtes d'Espagne. Le commandant en chef
espérait surprendre les Anglais dans le golfe de Gas-
dages propres à équiper des vaisseaux de premier ordre, et en assez grande
quantité pour armer deux escadres, ou, suivant l'expression de don Moreno,
bien plus qu'il n'y en a dans les trois déparlements de Cadix, de Carthagène
et du Ferrol ', cent soixante canons de bronze et de fer, de quatre jusqu'à
douze livres de balles; vingt-cinq mille piastres fortes; un plan fait par un
ingénieur pour des mines et autres projets de défense; deux grands maga-
sins remplis de blé et deux autres remplis d'autres grains^ de cochon et de
bœuf salé et de plusieurs autres provisions de bouche; trois frégates et quatre
chebecks prêts à mettre à la voile et armés en course ; environ vingt gros
bâtiments ; un magasin considérable d'eflels de toute espèce^ pris par les
corsaires mahonnais et achetés à ceux-ci par le Roi d'Angleterre. M. do
Grillon l'évalue presque autant que l'arsenal et estime celte prise aussi
importante que celle des Anglais à Saint-Euslache. On a trouvé dans la
maison du gouverneur le modèle d'un vaisseau à trois ponts en argent, avec
ses canons en or, dont le gouverneur se proposait de faire présent à son
maître. M. de Grillon vient de renvoyer, par un de ses aides de camp, à la
princesse des Asturies. Les officiers sonl occupés à continuer rinvenlairc
des effets qu'on découvre à chaque instant et qu'on dit être de grande valeur.
Nous sommes maîtres du port et nous nous sommes emparés de plusieurs bâ-
timents barbaresques chargés de viande et autres provisions. I^ quartier
général est établi à Mahon où M. de Grillon a reçu le serment de fidélité des
habitants. Ge général a fait publier une ordonnance par laquelle il fait con-
naître à tous ces insulaires qu'ils seront traités comme Espagnols. Celte
publication s'est faite au son des cloches et aux acclamations réitérées de :
Vite le Roi d'Espagne I » M. de Grillon a traité chez lui les principaux habi-
tmU de l'Ile, et il a admis à sa table cinq officiers anglais qui ont été faits
prisonniers avec cent cinquante hommes.
Gc général a été reconnaître le fort Saint-Philippe dont la garnison est
composée de deux mille cinq cents hommes : savoir : deux bataillons hano-
▼riens, un anglais et quatre cents matelots. l\ a trouvé la place bien for-
tifiée, mais il ne la croit pas imprenable; il demande au Roi huit â
dix mille hommes d'infanterie, six cents dragons et deux cents artil-
leurs.
Nous apprenons par des déserteurs hanovriens que le fort de Saint-Philippe
manque de vin, de bois et de charbon.
376
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
u ruinpngiK
cogne, mais il arriva à la hauteur de Brest sans avoir
aperçu l'ennemi. La cour de Londres était dans l'igno-
rance la plus complète de nos mouvements. Lorsque l'ami-
ral Darby, qui était dans la Manche avec vingt vaisseaux,
apprit l'arrivée de l'armée Tranco-espagnole, il mouilla à
Torbay pour y attendre des renforts. L'alarme que notre
I)résence causa sur les côtes méridionales d'Angleterre
ne fut pas de longue durée. Aprts une courte croisière,
Cordova, se conformant aux ordres de son gouverocmenl,
revint vers l'entrée de l'Iroise. Le 5 septembre, il signala
au lieutenant général de Guichen qu'il le laissait libre
d'entrer à Brest, et il fitroute pour Cadix. Neuf vaisseaux
fran(;ais, dont cinq à trois ponts, tous doublés en cuivre,
accompagnèrent l'escadre espagnole. _
La campagne que venait de faire la flotte combîaAaA
était de nature à porter atteinte à la considération de Ift ■
France et de l'Espagne. Ces deux puissances avaient fait
im grand déploiement de forces qui n'avait abouti à
aucun résultat. Non-seulement nous n'avions remporté
aucun avantage sur l'ennemi, mais nous n'étions pas
restés assez, longtemps k la mer, soit pour inlerceplcr
les convois attendus en Angleterre, soit pour assurer la
rentrée des nôtres'. En annonçant son arrivée à Bre
avec dix vaisseaux, le lieutenant général de Guichen é
vit au ministre : « La campagne n'a pas été assez brik
tante' pourm'atiloriser à. vous demander des gr&ces pon
les commandants et les ofOciersde l'escadre, maisjen'oi
dois pas moins vous rendre compte que j'ai été lré9- '
satisfait de l'attention que MM. les capitaines ont apportée
dans leurs manœuvres et dans l'exécution dessignaux. •
Le chef d'escadre de Lamotte-Picquet était tombé m»- ■
I . Je Buis liii^n l(iucli<V. Moiiiirîgneur, que M. <te Corilom nn m «>il pu 1
rvndu a mc5 insinuées [mur pralonger la croisière qai *>At pu 6ln ravoraUi I
au rduur du cohtoi que ooub atlsudoi» de Suol-Uomin^e. (L«IU« d> I
lieuU-'nnnt gourai de (iuichen au miniulre.)
3, l)«ii» une Biilr* leltr» il diimil : • MuiisHigiHur, jn auit do rdowd'iu
ruinpagiH- [utiguntr, iiidii pomL glurii
LIVRE IX. 277
lade pendant la traversée de la flotte combinée de Cadix
à la Manche. Le 21 août, il avait informé le ministre que
Tétat de sa santé exigeait son retour en France. Il ter-
minait la lettre qu'il lui écrivait à ce sujet en disant.
« Je suis on ne peut plus satisfait de mes ofQciers ;
M. de la Yoyrie, mon capitaine de pavillon, est en état
de conduire une escadre. Je prends la liberté de vous
demander pour lui le commandement d'un vaisseau.'
Quanta moi, je serai toujours assez récompensé, si je puis
faire quelque chose pour l'honneur du pavillon. Je ne
vous demande pas le commandement d'une armée. Lors-
que je serai rétabli, sept à huit bons vaisseaux me suffi-
ront. Avec cela, je ne crains pas toutes les forces navales
de l'Angleterre. Veuillez, Monseigneur, faire attention
qu'il me reste peu de temps à pouvoir servir, et daignez
me mettre en même d'en profiter. » Lamotte-Picqiiet,
ainsi qu'il l'écrivait au ministre, commandait la neuvième
division de l'armée de Cordova. Cette situation ne pou-
vait convenir & un homme de sa valeur et de son carac-
tère*.
La retraite de l'armée combinée permettait à la Grande-
Bretagne de disposer d'une partie des forces qu'elle avait
conservées dans la Manche. II y avait lieu de croire qu'elle
profiterait de cette circonstance pour envoyer des bâti-
tlients sur les deux points où nous luttions énergique-
Oient contre elle, c'est-à-dire dans les Antilles et en Asie.
L.a situation du comte de Grasse attirait particulièrement
l'attention du gouvernement français. Cet officier général
n'avait reçu, depuis qu'il avait quitté Brest, ni renforts,
ïii approvisionnements. D'autre part, il était obligé,
d'après ses instructions, de renvoyer en Europe les bA-
timents partis de nos ports depuis le commencement de
1. Il avait à ce momcot quarante-sept ans de services, trente campagnes
lointaines, douze combats et six blessures. Lamotte-Picquet était surpris,
non sang raison, de ne pas être nomme lieutenant général. (Il l'écrivit au
ministre, qui fut évidemment de son avis, puisqu'il le nomma à ce grade
quelques mois après.)
■ h ion l.
HISTOmE DE LA MARINE FRANÇAISE,
l'année 1780. Le ministre prescrivit les mesures néces- "
saires pour expédier à la Martinique des vaisseaux et
un convoi portant des hommes, des vivres et du maté-
riel. Les exigences auxquelles nous avions à faire face
étaient si nombreuse», eu égard au peu d'étendue de nos
ressources, que les bâtiments désignés pourceservice ne
furent prêts que dans les premiers jours de décembre.
Le 10 de ce mois, sept vaisseaux, dont cinq allaient à
la Martinique et deux à l'Ile de France, prirent la mer,
sous la conduite du liculenant général de Guichen.
Après avoir escorté au large tous ces bàtimenls, cet
ofiicicr général avait l'ordre de se diriger sur Cadix
avec les douze vaisseaux qui étaient placés sous son
commandement. 11 devait, avant d'entrer dans ce port^
détacher Lamolte-Picquet avec deux vaisseaux au-devas^
d'un convoi venant de Saint-Domingue'. Le gouvemfr;
ment anglais, instruit de nos préparatifs, avait envoya
l'amiral Kempcnteldt en croisière dans le golfe de
cogne. Supposant que les renforts expédiés à dos
lions extérieures ne seraient pas accompagnés par des
forces considérables , l'amirauté britannique ne lui
avait donné que treize vaisseaux. Le 12 décembre, 1'
cadre française était à cinquante lieues environ dans
l'ouest-sud-ouestd'Oucssant. Elle faisait route à l'oue
avec une fraîche brise de sud-est; la mer était grosse
le temps couvert et & grains. Dans l'aprës-midi, les m
vires de guerre, par suite d'une négligence extrémemeidl
fAcheuse, étaient en avant et sous le vent du convoi, lors-
que, tout è. coup, dans une éctaircie, on aperçut, au vont
de nos biltimcnts, les vaisseaux de l'amiral Kempenfeldt.
Celui-ci, jugeant la situation d'un coup d'œil très-sÛr,
gouverna sur le convoi. Il avait très-bien compris qu'U
pourrait capturer une partie de nos transports, avant que
I. Quand hs in«lruction> onlonnuil te d^iutrt writârent i Breat,
I^equel,<|ui commandAil une division dr cpUu oscadr», ttaïl '
d'uae violenta allaqur de goutte, il Qt dire à Guichen qu'il
' ■- liont. (Lettre de Uuiclien au raiiiislre.)
LIVRE IX. 279
les vaisseaux fussent en mesure de les secourir. Les bâ-
timents du convoi prirent chasse en se dispersant dans
toutes les directions, mais vingt d'entre eux tombèrent
entre les mains de Tennemi. L'escadre française assistait
impuissante & cette brusque attaque; formée en ligne de
bataille, elle s'efforçait de s'élever au vent. Deux vaisseaux,
Y Actif elle Triomphant^ furent les seuls qui échangèrent
des boulets avec les Anglais ^ La nuit, qui survint très-
promptement, nous déroba les mouvements de l'ennemi.
L'amiral Kempenfeldt rallia ses bâtiments, et il s'établit
au même bord que notre escadre. Le lendemain au jour,
ayant reconnu notre supériorité, il profita de sa posi-
tion au vent pour s'éloigner. Il regagna l'Angleterre avec
ses prises, à bord desquelles il y avait environ mille
soldats passagers et un matériel considérable. Quel-
ques jours après, l'escadre fut assaillie par un coup
de vent très-violent. Plusieurs vaisseaux, parmi lesquels
se trouvaient la Bretagne et la Couronne^ que montaient
Guichen et Lamotte-Picquet, perdirent une partie de leur
mâture*. Le Triomphant^ sur lequel le chef d'escadre de
1. Le capitaine Macarty, de V Actif y avait montré beaucoup de vigueur
et de résolution, en canonnant le chef de flic de Tescadre anglaise. (Lettre
du chef d'escadre de Vaudreuil au ministre.)
2. A son arrivée à Brest, le chef d'escadre de Lamotte-Picquet écrivit au
VDinistrc pour lui recommander quelques hommes de son équipage qu
i^vaient été blessés dans le démfttemcnt de son vaisseau. Nous empruntons
^ cette lettre le passage suivant qui offre un véritable intérêt, en ce qu'il
clonne ane idée des relations existant, à cette époque, entre les équipages et
leurs chefs : « Je joins ici, Monseigneur, la liste des hommes de mon équi-
|>age qui ont été blessé» dans le démâtement du 22 décembre 1781. Je dois
"VOUS faire observer que ce &ont toujours les meilleurs matetots auxquels ces
sortes d'accidents arrivent. Cette classe d'hommes a bien besoin d'encoura-
gement et de récompenses. J'ai l'honneur de recommander ceux-ci à votre
bonté et à votre générosité, surtout mon maître voilier qui, depuis plus de
vingt ans, embarque avec moi en ladite qualité. — C'est un sujet de la plus
grande distinction en son état et qui seul faisait subsister une femme et des
enfants qui vont tomber dans la misère, si vous n'avez la bonté de venir à
leur secours ; pour comble de malheur, le pauvre malheureux n'a point eu
part aux parts de prises que j'ai faites, il était alors embarqué sur le Zodia-
que, •
Le maître voilier, Mathias Respigel^ mourut de ses blessures. Le ministre
HISTOIRE DE LA MARINE FKANÇAISE.
vaudreuil avait son pavillon, le Bra«e cl quelques Irnns-
ports furent les seuls navires en élal de continuer leur
route. Tous les autres bdliments de l'escadre etdu cuuvui
rentrèrent dans nos ports.
S'il est un exemple qui montre l'impérieuse nécessité
d'observer, en toutes circonstances, les précautions pres-
crites par les règlements, c'est l'ôvéneraent que nous
venons de rapporter. La négligence du lieutenant général
de Guichen, qui se trouvait en avant et sous le vent de
son convoi, nous avait coûté vingt bâtiments de Iruns-
porU En arrivant ù Brest, cet officier général, mil
par un sentiment qu'on ne saurait trop apprécier, voulut
quitter son commandement. Cette résolution lui semblait
la conséquence uaturelle de la faute qu'il avait commise.
Le gouvernement, se souvenant de ses services, et burtout
des trois combats qu'il avait livrés dans les Antilles â
rumiral'Hodney, au commencement de 1780, le maintint
a la létc de son escadre.
iccoriJa uiiPjKusionfi ei veuve el une^ratillfationauiamtebU qui avitirnl
été bleMA» dans le dfmatament de la Cottronne.
Ed remerciant le ministre, LamoUe-Picquet (goûtait : ■ Il me reste t
récompeiuer le nommé Laurqil Demai, mon premier maître, et voas avez
eu la bonté de m'asanrer qu'il ne aérait pas oublié. > — Ce maître venait d*
M distinguer dans nn coup de vent de nord, reçu A bord du Robutlt tt
février 1781.
LIVRE X
Les Français attaquent Saint-Christophe. — L'amiral llood tente de jeter
des secours dans l'Ile. — Engagement entre les escadres anglaise et
française. ~ L'amiral Hood mouille sur la rade de la Basse-Terre. —
Capitulation de Brimstone-Hill. — L'escadre anglaise s'échappe pendant
la nuit. — Reiidition des Iles Saint-Christophe, Nièves et Montserrat. —
Retour de l'escadre française à la Martinique. — Préparatifs faits ()ar la
France et l'Espagne, en vue de la conquête de la Jamaïque. — Arrivée do
Rodney. — Concentration des forces anglaises à Sainte-Lucie. — Appa-
reillage des deux escadres. — Engagement du 9 avril. — Bataille de la
Dominique. — Les Français perdent cinq vaisseaux. — Discussion relative
à la journée du 12 avril. — Arrêt rendu par le conseil de guerre réuni à
Lorient pour juger la conduite des officiers généraux et des capitaines
placés sous les ordres du comte de Grasse. — Arrivée de l'escadre
française à Saint-Domingue.
I
Le 5 janvier, le comte de Grasse se dirigea sur SainU
Christophe avec vingt-six vaisseaux. Le il, il mouilla
dans la baie des Salines, un peu au sud de la ville de la
Basse-Terre, sur la côte occidentale de Tlle. Le comman-
dant militaire, le général Frazer, s'étant retiré dans la
position fortifiée de Brimstone-Hill, le corps expédition-
naire débarqua sans trouver de résistance. Les exactions
commises & Saint-Eustache avaient fait éprouver au com-
ïïïerce de Saint-Christophe des pertes considérables*.
Û*^utre part, certaines mesures législatives, récemment
^ • L'indignation soulevée à Saint-Christophe par la conduite de Rodney
^^ <le Vaughan avait été telle que le soliciter général de la Couronne avait
'^'Sé lui-même le mémoire que les habitants avaient adressé à Londres
^^^ se plaindre des exactions dont ils avaient été les victimes. Des mar-
^^^(iises leur appartenant et qui se trouvaient à Sainl'Eustache avaient été
^■ï^rées de bonne prise.
282 HISTOIRE DE I.A MARINE FRANÇAISE.
adoptées par le Parlement britannique, avaient porté
atteinte aux intérêts des colons. Ceux-ci prirent la déter-
mination de rester étrangers à la querelle qui divisait
les gouvernements de France et d'Any;lcterre. Us envoyè-
rent au comte de Grasse une députation chargée de lui
donner l'assurance qu'aucun acte d'hostilité ne serait
commis contre nous. Le réduit dans lequel s'était réfugiée
la garnison était établi sur un morne élevé de quelques
centaines de mètres. Le marquis de Bouille, ayant reconaut
l'impossibilité de s'en rendre maître par une attaque de
vive force, prit ses dispositions pour en faire le siège.
L'amiral Hood avait appris à la Barbade noire départ delà
Martinique et le but de notre expédition. Quoique les
forces dont il disposait fussent inférieures aux nôtres, il
n'héstta pas à mettre sous voiles. Après avoir touché h
Antigue pour prendre le général Prescol et quelquM-
Iroupes, il fît route sur Saint-Christophe, Le 24, nos fré^
gales signalèrent vingt-deux vaisseaux anglais près d4
l'Ile de Nièves. Le comte de Grasse appareilla avec d'au-
tant plus d'empressement que la présence de l'ennomi
compromettait nos conim uni cations avec la Martinique.
11 attendait des vaisseaux qui étaient restés à Fort-Royal
pour achever leurs réparations, et des transports por-
tant des vivres et des munitions'. Le général français
supposa que sir Samuel Hood avait l'intention de gagner
le mouillage de Sandy-Point, situé sur la côte, au nord
de 1(1 Basi^e-Tcrre. La rade et la ville de Sandy-Point
étant sous le canon de Brimstooe-Hill, l'escadre anglaise
aurait eu la possibilité de faire passer des secours su
général Frazer. Le comte de Grasse comptait s'opposer i
l'exécution de ce projet, et il voulait, en outre, proUlar de
la supériorité de ses forces pour engager une afTaire dé-
cisive. Le 25 au point du jour, les Anglais étaient sous
Montserrat, courant des bordées pour s'élever au v
Au moment oQ ils arrivaient près de terre, les vents
k.
1. LUtclor, undeA vuisseaui ulti'ndus, rallia le même jour.
LIVRE X. 283
soufflaient de Test-nord-est reculèrent jusqu'à Test-sud-
est. Cette circonstance permit à Tamiral Hood de faire
route grand largue vers le nord. II passa entre Tîle de
Nièves et les Français que le changement de brise avait
rejetés sous le vent. Nos vaisseaux de tête échangèrent
quelques boulets avec son arrière-garde, mais cette ca-
nonnade à longue portée ne put arrêter la marche des
Anglais, qui prirent, & la chute du jour, le mouillage que
nous avions quitté la veille ^ Les vaisseaux de l'amiral
Hood s'embossèrent beaupré sur poupe, présentant le
travers au large. Trois vaisseaux se placèrent entre la
terre et* l'escadre, afin de battre ceux de nos bâtiments
qui tenteraient de doubler une des extrémités de la li-
gne. Le lendemain, aussitôt que la brise fut faite, le
comte de Grasse attaqua les Anglais. Il défila au large
de leur ligne , portant son principal effort sur Tavant-
garde. Quelques vaisseaux coupèrent leurs câbles et
changèrent de mouillage, mais aucun d'eux ne subit de
dommage sérieux. Dans l'après-midi, nos vaisseaux re-
nouvelèrent cette manœuvre, et ils combattirent princi-
palement le centre et l'arrière-garde de l'ennemi. Cette
seconde tentative n'ayant pas eu plus de succès que la
première, le comte de Grasse prit le parti de bloquer
l'escadre britannique. 11 se proposait de lui livrer bataille
le jour où elle appareillerait. Dans les engagements des
25 et 26 janvier, nous avions eu cent sept tués et deux
cent sept blessés. Quoique ces deux canonnades n'eus-
sent pas une grande importance, le commandant en chef
1. On a dit que les manœuvres des Français avaient contribué plus que
les Tariations -de la brise au succès de Pamiral Hood. Ce point nous semble
difficile à éclaircir. Ce qui paraît certain, c'est que le comte de Grasse, en
appareillant le 24, n'eut pas la pensée que son mouillage pourrait convenir
4 Vescadre britannique. Il supposa que son adversaire chercherait à se rap-
procher de Brimstone-Hill. En conséquence, sa seule préoccupation fut de
lui barrer la route de Sandy- Point. Ayant négligé de se tenir près de
terre dans la nuit du 24, il ne se trouva pas le 25 en position de défendre
Vaccés de la rade de la Basse-Terre. Quant à l'amiral Hood, il profita de la
faute du comte de Grasse avec un coup d'œil et une habileté qui lui faisaient
le plus grand honneur.
284 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
écrivit au ministre qu'il avait été très-satisfait de la con-
duite de son escadre, et il appela son attention sur les
capitaines de vaisseau de Glandcvez, du Souverain ^
d'Albert de Rions, du Pluton^ et d'Escars, du Glorieux,
Les Anglais avaient eu trois cent seize hommes hors de
combat, soixante-douze tués et deux cent quarante-quatre
blessés. L'amiral Hood envoya son capitaine de pavillon
à bord de la Ville^e-Paris^ pour demander qu'il lui fût
permis d'expédier un bâtiment à Antigue avec ses bles-
sés. Le comte de Grasse s'empressa d'accorder cette au-
torisation. Lorsque l'amiral anglais fut convaiçcu qu'il
n'avait plus à craindre d'être attaqué à son mouillage, il
voulut tenter une diversion en faveur de la garnison de
Brimstone-Hill. Le 28 janvier, le général Prescot s'avança
sur la ville de la Basse-Terre & la tête de quinze cents
hommes. Le colonel de Fléchin, qui occupait cette place
avec un faible détachement, se porta à sa rencontre, et il
l'arrêta pendant une journée. Le marquis de Bouille,
instruit du débarquement des Anglais, s'était mis en
marche avec une partie du corps expéditionnaire. En
€ipi)renanl cette nouvelle, le général Prescot battit en re-
traite, et il regagna les vaisseaux de l'amiral Hood. Le
transport sur lequel était embarquée Tartillerie de siège
s'était brisé sur les roches près de la Basse-Terre. Cet
événement, joint à la prise, par l'escadre de l'amiral
Hood, d'une frégate qui portait des munitions, avait re-
tardé le cours des opérations militaires. Les Françalî»
trouvèrent au pied du morne huit pièces de vingt-quatre,
plusieurs mortiers, des bombes et des munitions, qu'ils
parvinrent à transporter, de nuit, dans leur camp. Ce
matériel était depuis quelcjue temps déjà dans la colo-
nie, et les Anglais, qui avaient commis la faute de ne pas
le mettre en place, en temps opportun, avaient né^li?»-'
de \o détruire lorsqu'ils s'étaient retirés à Brimstoiie-
Hill. (lelle ressource étant insuffisante pour dominer le
fi'U iW rennemi, qui était très-vif et bien dirigé, le diton
reçut l'ordre de débarquer ses pièces de vingt-i|uatro.
Enlin, nos marins sauvtrenl les canons embarqués sur
le b&timcnt de transport qui s'était perdu sur la côte.
Lorsque le marquis de Bouille eut à sa disposition les
moyens nécessaires, il mena le siège avec la vigueur et
l'énergie qui lui étaient habituelles. Le 13 février, toutes
les défenses de Brimstone-Hill étaient ruinées, et la gar-
nison n'avait plus d'abris. Le général Frazer, qui ne con-
servait aucun espoir d'être secouru, se décida à capituler.
Le marquis de Bouille accorda & la garnison et aux habi-
tants les conditions les plus favorables. II promit de
n'apporter, jusqu'à ta conclusion de la paix, aucun chan-
gement dans le régime administratif et judiciaire de l'Ile.
Nous nous engagions & ne percevoir, pendant la durée
de l'occupation, que les deux tiers des impâts payés par
les colons au gouvernement britannique. Les troupes
sortirent de la place avec les honneurs de la guerre. Elles
devaient être transportées en Angleterre, à la condition
de ne pas servir contre nous avant d'avoir été régulière-
ment échangées. Le marquis de Bouille, désirant donner
au général Frazer et au major général Shirley une
marque particulière d'estime pour leur belle défense, ne
voulut pas les considérer comme prisonniers de guerre.
Le major général Shirley, qui élail gouverneur d'Antigue,
reprit ses fonctions, et le général Frazer retourna en
Angleterre avec toute liberté de servir pendant la guerre.
Un convoi apportant des approvisionnements pour
l'escadre mouilla, le 13 février, près de l'Ile de Niéves,
qui était depuis quelques jours en notre possession. Le
comte de Grasse, pressé de faire des vivres, dont nos
vaisseaux étaient, à ce moment, complétementdépourvus,
\intjeter l'ancre auprès des bAtiments de transport. Cette
détermination lui parut avoir d'autant moins d'inconvé-
nients que, de son mouillage, il apercevait les feux des
Anglais. Enfin, il comptait reprendre, le lendemain, sa
croisière au large de la baie des Salines. L'amiral Hood,
nui se trouvait obligé, par suite de l'infériorité de ses
forces, d'éviter tout engagement, résolut de profiter de
2
386 UISTOIKE UK LA MARINE FitANCAISE.
noire éloignemcnt pour 6'6chapper. Au milieu de laniiil,
les Anglais mirent sous voiles en coupant leurs c&blcs.
Chaque bdllmenl laissa, en appareillant, un Tcu sur sa
bouée. Le 15, au point du jour, l'ennemi était à toute vue,
et le comte de Grasse jugea inutile de le poursuivre.
La présence de l'escadre britannique avait été sans
inOuence sur les événemenls. L'amiral Hood était resté
sur la rade de la iBassc-Tcrre, spectateur impuissant de
la reddition de Brimslone-Hill. Néanmoins, son empres-
sement à venir au secours de l'Ile, malgré l'inrérioritéde
ses forces, le coup d'œil dont il avait fait preuve, le 26 jan-
vier, en prenant possession de noire mouillage, et l'habi-
leté aveclaquelle il s'était dérobé k notre surveillance,
rendaient trés-honorable le rûte qu'il avait Joué. Quant
au lieutenant général de Grasse, des critiques, qui sem-
blent justifiées, s'élevèrent contre sa conduite. Il était
difficile d'expliquer son inaction du Î6 janvier au 13 fé-
vrier. £taient-ce les moyens d'action qui lui manquaient}
Le dernier des quatre vaisseaux restés à la Martinique
pour se réparer était arrivé, le 1" février, à Snint-Chris-
toplie. Le Triomphant et le Brave, qui faisaient partie du
convoi dispersé par le mauvais temps dans le golfe d«
Gascogne, le 20 décembre 1781, avaient rallié l'armée M'
lendemain. L'escadre anglaise n'était pas, comme celltf
de l'amiral Barrington à Sainte-Lucie, appuyée par deQi
batteries. On pouvait mouiller auprès d'elle, au vent ct
sous le vent, sans avoir rien à craindre de la terre. Danf
ces conditions, ct avec trentc-tleux vaisseaux contn
vingt-deux, nous avions le droit de compter sur un avan»
tage décisif. On savait que l'amiral Kodney, nommé bQ
commandement des forces navales de la Grande-Urelagiur'
dans la mer des Antilles, était attendu avec une escadn
de douze ou quinze vaisseaux. Nous avions, par consé^-
quent, le plus grand intérêt h battre l'amiral Hood'
avant l'arrivée de son cbef. Ce résultat avail, pour Ve
semble des opérations, une tout autre importance qi
la conquête de Saint-Chrisloplie.
LIVRE X. 287
Après avoir rembarqué les troupes qui n'étaient pas des-
tinées à tenir garnison dans Tîle, le comte de Grasse fit
route pour la Martinique où il arriva le 26 février. L'île
de Montserrat s'était rendue, le 22, à un détachement de
l'escadre commandé par le lieutenant général de Barras*.
Le commencement de l'année 1782 ne fut pas favora-
ble à nos adversaires. Le capitaine de vaisseau de Kersainl
reprit Demerari le 22 janvier, et les établissements de
Berbicc et d'Essequibo les 5 et 8 février.
II
il avaitété convenu entre les cours alliées que l'expédition
(le la Jamaïque, plusieurs fois décidée et toujours différée,
aurait lieu définitivement au commencement de 1782. Le
commandement des troupes était conQé au lieutenant gé~
néral don Galvez*, et celui des forces navales au comte de
Grasse. Une division portant quatre mille hommes avait
quitté Cadix dans les premiers jours de janvier, se dirigeant
vers le cap Français, rendez-vous assigné à l'escadre de
donSolanoet aux soldats que cet amiral avait amenés d'Es-
pagne en 1780. Le comte de Grasse avait ordre de pren-
dre sur ses vaisseaux toute la partie disponible des
garnisons des Iles-du-Vent, et de se rendre à Saint-Domin-
gue aussitôt que ses bâtiments seraient en état d'appa-
reiller. Les magasins de la Martinique étant complète-
ment vides, cet officier général fut obligé d'attendre, pour
se ravitailler, l'arrivée d'un convoi venant d'Europe. Le
lieutenant général de Guichen, rentré à Brest à la fin de
décembre 1781, à la suite d'un coup de vent, avait repris
1. M. de Barras avait été fait lieutenant général après la capitulation
de York-Town.
2. Ce fut avec le plus grand regret que le gouvernement français, cédant
aux instances de TEspagne, priva le marquis de Bouille d*un commandement
qui était dû à sa capacité et à ses services.
288 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
la mer le ll février 1782*. II avait reçu la mission d'ac-
compagaer au large la divisioD de Peynier qui allait
dans l'Inde, et les vaisseaux le Dauphin-Royal et la Cou^
rutmc expédiés à la Harlinique avec un convoi. Quelques
jours après sa sortie, il avait atteint, saus faire aucune
rencontre, la limite habituelle des croisières anglaises.
Le comte de Guichen s'était alors dirigé sur Cadix, et la
navires qu'il escortait avaient fait route pour leur desti-
nation *.
L'amiral Rodney, parti d'Angleterre, le 8 janvier, avec
dix-sept vaisseaux, était arrivé aux Antilles à. la fin de fé-
vrier. Après avoiropérésojonction avec sir Samuel Hoo<l,
il résolut d'intercepter les secours attendus dans la bsie
de Kort-Iloyal. Ses vaisseaux s'échelonnèrent, au venldti
lies fran(:aiscs, depuis la Désirade jusqu'à Sainl-Yinceal,
et ses frégates formèrent une ligne en avant des vais-
seaux. L'Iiabilcté du capitaine de vaisseau Mithon de
Gcnouilly, chnrgé (le la conduite du convoi, déjoua les cal-
culs de l'amiral anglais. Cet officier doubla la Désirade
par le nord, et il lit route sur la Martinique, en serrail
de pn's IfS terres do !a fiuadelnupe et de la DomîniqM.
II mouilla, le 20 mars, sur lu rade de Port-Royal avecsm
convoi. Après cet insuccès qui lui causa un très-vif désap-
pointement, l'amiral Rodney s'établit au gros Met de
Sainte-Lucie. II détacha ses meilleures frégates pour sur-
veiller nos mouvements, et II se tint prêt à appareiller.
L1VR£ X. 289
L'arrivée tardive des approvisionnements nécessaires à
notre escadre rendait très-difficile la tdche que le comte
de Grasse avait à remplir. Cet officier général devait con-
duire à Saint-Domingue un convoi considérable, en pré-
sence d'une armée plus forte que la sienne. Il dut proba-
blement regretter de ne pas avoir combattu avec plus
de vigueur le lieutenant de Rodney à Saint-Christophe.
III
Le 8 avril, au point du jour, le lieutenant général de
Grasse fit appareiller le convoi sous l'escorte des vais-
seaux VExperimefil et le SagiUaire^ et des frégates la Rail-
i^u^e^Y Engageante et le Rirhmond. Quelque» heures après,
Tannée, forte de trente-trois vaisseaux, mit sous voiles.
Dans la journée, une frégate de Tarrière-garde signala
quarante voiles à toute vue. C'était la flotte de l'amiral
Rodney qui avait quitté Sainte-Lucie, aussitôt qu'elle avait
®u connaissance de nos mouvements. Les Français pas-
^rent presque toute la nuit en calme sous la Dominique.
^ 9, au lever du soleil, on aperçut très-distinctement,
®^rnotre arrière et un peu sous le vent, trente-six vaisseaux
^^ut cinq à trois ponts. Le Zélé et VAugvste^ qui s'étaient
'^issé sous-venter pendant la nuit, n'étaient pas très-loin
"^^8 vaisseaux anglais les plus avancés. Le comte de Grasse
®*^nala au convoi de mouiller à la Guadeloupe, et à l'ar-
*^^ de se préparer au combat. Dans la matinée, Tavant-
S'^rde ennemie, favorisée par la brise du large, qu'elle
'^^ÇUt la première, se rapprocha du Zélé et de Y Auguste.
^^ Ville-de-Paris signala la ligne de bataille, les amures
^ bâbord, en ordre renversé. Lorsque notre avant-garde
^^ trouva à la hauteur des vaisseaux de tête de l'ennemi,
'^^Ire armée reprit les amures à tribord. L'ordre fut alors
^^nné à notre deuxième escadre d'attaquer l'avant-garde
^^^ Bodney. Le marquis de Vaudreuil laissa arriver pour
^ ^n rapprocher, et lorsqu'il fut à une demi-portée de ca-
19
S90 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
non, il commença le feu '. Le Northwnberland, le Sceptre
et le Citoyen, qui appartenaient au corps de bataille, pri-
rent part h cette afTaire. Après une heure de combat, le
Royal-Oak, ayant eu ma grand mAt coupé à la havlenr
du ton, laissa arriver et s'éloigna. Le Montagu, qui ve-
nait après le Royal-Oak, perdit ses deux mftls de hunei'
tomba sous le \'ent. L'avant-garde anglaise ayant porit
largue, tandis que les Français continuaient & tenir le
vent, la distance entre les deux lignes augmenta rapide-
ment, et, de part et d'autre, on cessa de tirer*. Le comk
de Tirasse, préocrupé de la mission qu'il avait h remplir,
ne crut pas devoir i)oust<cr plus loin ses avantages. Per-
suadé que le retard apporté & la marche de l'armée su-
glaise, par suite des avaries de son avant-garde, doo»-
rait au convoi une avance sutrisanlfi pour Taire route en
toute sécurité, il lui envoya l'ordre de reprendre la mer.
Les deux flottes réparèrent leurs avarios pendant la nuit,
et, le lendemain, elles conlinuûninl j'i courir au plusprès,
les amures à tribord, avec des venis de l'est au nord-
est. Dans le but d'emmener l'ennemi loin du convoi, le
comte de Grasse comptait passer au vent des lies pour
se rendre à sa destinalion. Dans la nuit du 10 au 11 avril,
le Jason et le Zélé s 'étant abordés, le premier de ces vws-
seaux relâcha ù la Guadeloupe. Il y fut rejoint par le f*
lan dont la mflturc élail en mauvais état. Dans la joumét
du U, l'armée était sur le point de doubler les Sainte,
lorsque le comte de Grasse se décida à laisser porter,
. LIVRE X. 291
pour couvrir deux vaisseaux, le Magnanime et le Zéléj qui
étaient tombés sous le vent. Dans la nuit du 11 au 12, les
deux flottes manœuvrèrent avec du calme et des brises
variables. A deux heures du matin, le Zélé^ courant les
amures à bâbord, croisa la route de la Ville-de-Paris,
qui était au plus près, les amures à tribord. L'officier
de quart à bord du Zélé, se trompant sur la position du
vaisseau qu'il avait devant lui , lofa au lieu de laisser
porter". Un abordage d'une extrême gravité, si on consi-
dère les circonstances dans lesquelles nous nous trou-
vions, fut la conséquence de cette fausse manœuvre. La
^ille-Hte-Paris eut des voiles emportées, et le Zélé cassa
son beaupré et son mdt de misaine. Le général fit dire
^ la frégate VAstrée, par le cotre le Clairvoyant, de pren-
^^0 ce vaisseau à la remorque et de le conduire à la Gua-
deloupe. Au jour, l'armée était sans ordre, et il y avait
^ne distance de plusieurs lieues entre les bâtiments sous-
^©ntés et ceux qui étaient le plus dans l'est*. A quelques
'ailles sous le vent de la Ville-de-Paris, le Zélé, remor-
qué par VAslrée, faisait route sur la Basse-Terre. Plu-
sieurs vaisseaux anglais faisaient de la toile et chassaient
'e Zélé. Le comte de Grasse crut que ce vaisseau tombe-
''^ît entre les mains de l'ennemi, s'il ne se hâtait de le
Couvrir. Quoique l'armée française, par suite des inci-
^^nts de la nuit, eût fort peu gagné dans son louvoyage,
^^lo était encore au vent des Anglais. A cinq heures trois
^^a.rts, la Ville-de-Paris signala la ligne de bataille, les
^ïHures à bâbord, en ordre renversé, et à six heures
. ^ • Le comte de Grasse avait pris la précaution de rappeler à Tarmée que
**» pendant le louvoyage, deux vaisseaux, courant à conlre-bord, vcnaienl à
I Croiser, celui qui était b&bord amures laisserait porter, tandis que Taulre
^'erait. Le commandant en chef avait ajouté que tous les vaisseaux, quelle
2^^ fût Tanciennclé des capitaines, qu'ils eussent ou qu'ils n'eussent pas
^ lïiarque distinclivc, étaient tenus de se conformer à cette règle.
^> Le comte de Grasse dit trois lieues dans Tun de ses mémoires, tandis
^^^ les rapports des capitaines parlent de cinq lieues. On conçoit l'inlérôl
2^* s'attache à celte question. 11 s'agit de savoir si l'armée a eu le temps
^ ^c former avant le commencement de la bataille .
292 HISTOIRE DE LA. MARIHB FRANÇAISE.
elle répéta le même signal, en y joignant celui de forcer
de voiles. La manœuvre des Français détermina l'amiral
Rodney à rappeler les chasseurs. Ceux-ci étaient sous le
vent et à quatre ou cinq milles du Zélé, lorsqu'ils aban-
donnèrent la poursuite. Vers sept heures, le marquis dt
Vaudrcuil, commandant de la deuxième escadre, arrivai!
avec le Triomphant dans les eaux de la Ville-dc-Pant.
Peu après, VAiiguste, portant le pavillon du chef d'escadre
de Bougainvillc, commandant de la troisième escadre qui
faisait l'avaiit-^anle dans Tordre renversé, prenait sob
poste. Les deux armées dont les routes se croisaient s'é-
taient rapprochéûs. Le capitaine du Mariborough, vaisseau
(le leie de la flotte britannique, supposant qu'il ne pas-
serait pas au vent de VHercule, gouverna de manière*
lirolonger notre ligne sous lèvent. A sept heures et de-
mie, le comte defirasse signala de se préparer au combat
A ce moment, le Zélé était à environ dix milles des blli-
ments ennemis qui l'avaient chassé. Ce vaisseau pouvnit
être considéré, depuis six heures du malin, comme élael
hors do toute atteinte'. Quelques-uns des vaisseaux qui
étaient le plus au vent, lorsque la Ville-dc-Paris avait si-
gnalé la ligne de bataille, les amures à hâbord, n'avaierl
pas encore rallié. Un peu avant huit heures, le jVarf^-
rov'jh et {'Hercule étaient par le travers l'un de l'aulrç.
Le mouvement d'arrivée des Anglais avait amené un as-
sez gnind écarlemenl entre les deux lignes. Elles ten-
daient de nouveau à se rapprocher, le Mariborough élaal
LIVRE X.
293
FLOTTE FRANÇAISE.
Ligne de bataille. — Ordre renversé.
Troiitième escadre ou escadre bleue.
llerciilo
Souverain
Palmier
Northuinberlnml
Neptune
Auguste
Ardent
Scipion
Hrave
Citoyen
74
74
74
74
74
80
64
74
74
74
Chadeau de la Clocheterie.
De (ilandevès.
De Martel ly-Chau tard.
De Sainte-Césaire.
Renaud d'Aleins.
(De llougainville j chef dVscadrc.
'De Castellan.
Do Gouzillon.
Clavel.
D*Acnblimont.
DElhy.
Première escadre ou escadre blanche.
Hector
César
Dauphin-Ro^al
Languedoc . . . .
VilIc-de-Paris
Couronne
Eveillé. . .
Sceptre . .
(îlorieuK .
74
74
70
80
104
80
t>4
74
74
De la Vicomte.
De Marigny.
De Roquefêuil-Montpéroux.
D*Arro8 d'Argelos.
iConile de Grasse, lieutenant général
\De l^villéon.
vDe Vaugirault, major.
MithoD de Genou il ly.
I^e Gardeur de Tilly.
Do Vaudreuil.
D'Escars.
Deuxième encadre ou escadre blanche et bleue.
Diadème
î)estin
Magnanime
Réfléchi
Con<|uérant
Magnifique
Triomphant
Bourgogne
Duc- de-Hou rgogne
Marseillais
Pluton
74
74
74
64
74
74
KO
74
80
74
74
De Monteclcrc.
Dumaitz de Goimpy.
liO Bégiie.
Do Mi'dinc.
be la Grandiérc.
.Macarty Macteigne.
jDc Vaudreuil, chef d'escadre.
'Le chevalier du Pavillun.
De Charitte.
Coriolis d'Fspinousc, chef d*escadre.
De Chamnmartin.
De Castellane Majastre.
D'Albert de Rions.
j
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
FLOTTE ANGLAISE.
Ligna de baUills. — Ordn ranvanA.
Trotiiime eteadrt.
Mcu-llnrou^li...
AiciX... !''"
N'onsiich
t^nqueroi'
rhocMie
Prince Ctori^'. .
Tajlor Penny.
Snniuel Coraieb.
Ctiriile«Thom pson.
William TniBcolt.
Gc«rKe Bdfour.
Sumiiel Drak«, contrc-ainiml.
Cliarlet Knstchbull.
Jnmes Williame.
John Gidoin.
Wiltiani Blajr.
Itniwrt Itarber.
Jahim Saamarec.
Premiire aead--t
llilsolution . . .
AKBiuemnon , .
Diikc
Formidnble. , ,
Ssinl-Âlban!! .
Caiiadfl
Rùpul>o
Aja»
Boafurd
Samuel Tliompoon.
Ili^nnr t^avage.
Cliartoe Biickner.
Ilaliert Honoers.
lienjamiD Caldnell.
illoD Gardner.
G, B. Hndooy, vice-amirat.
Cliaries DouKiaa.
Jolis SymaDds.
Crnnston.
[niçliE.
William '.arnwajtis.
Thomas Uuojaresq.
CtiarrinEtoD.
noburt Fansliaw.
Anieck, Commodore.
LIVRE X. 295
Les premiers coups de canon furent tirés sur le Marlbo-
rough par le Brave, qui était de quelques rangs en ar-
rière de Y Auguste. Les Anglais courant au plus près, les
amures à tribord, et les Français quatre quarts largue,
les amures à bdbord, la distance qui nous séparait de
l'ennemi fut promptement franchie. L'avant-garde an-
glaise n'avait pas encore doublé notre chef de file qu'une
partie des vaisseaux de notre troisième escadre combat-
tait à petite portée. Vers huit heures et demie, le
signal de virer de bord lof pour lof, tout à la fois, fut
hissé à bord de la Ft7/e-de-Pam. Le vaisseau du comman-
dant de la deuxième escadre le répéta, en Tappuyant de
plusieurs coups de canon. C'était au Pluton, serre-file de
l'armée, qu'il appartenait de commencer le mouvement.
Le capitaine d'Albert de Rions aperçut le signal de VAur-
gusle, mais il demeura persuadé que ce vaisseau se trom-
pait dans la répétition des signaux. Cetteopinion lui parut
d'autant plus fondée, que les vaisseaux placés entre le
t^luion et le Triomphant n'avaient pas en tête de mdt les
pavillons exprimant cet ordre. Convaincu que cette ma-
nœuvre ne pouvait avoir que des conséquences désas-
tï'cuses, il ne voulut pas croire qu'elle eût été ordon-
'^ée. En effet, nos vaisseaux, pris en enfilade pendant un
^^nips d'autant plus long que la brise était très-faible,
^^ raient subi, dès le début, des pertes considérables*.
^n ne doit pas perdre de vue que, à ce moment, dc-
P^isl'/fercMZP/ jusqu'au Maynifique, on se battait de près.
'^^u après, le Triomphant^, matelot d'arrière du Magni-
1 . Le Triomphant et les vaisseaux qui le suivaient étaient assez rap-
l^^chés pour communiquer à la voix. Le lieutenant général de Vaudreuil
'^^^mploya pas ce moyen pour donner au Platon Tordre de commencer le
Mouvement. M. d'Albert de Rions y vil une nouvelle preuve que le signai,
^U»é à bord du Triompfiant^ n'exprimait pas un ordre de celte impor-
*^nce.
3. Le chef d'escadre de Vaudreuil dit formellement^ dans un de ses
"Mémoires, que le Marlborowjh passa à portée de fusil du Triomphant. Or jk
^ moment, la Ville-d&'Paris avait encore, à léte de m&l, le signal de virer
^of pour lof, tout à la fois.
r
i
296 HISTOIRE DE LA MAHINE FRANÇAISE.
/l'^we, le Duc'de-Bourgogne, le MaTse'dlaii et le Pluton,
ëtaicDt engagés. Les frégates de l'avanlr-garde avaient
fait conDattrc que le signal de virer lof pour lof, tout à
la fois, avait été vu par la troisième escadre. Voulant
sans doute faire cesser l'indécision qui devait régner dans
l'armée, par suite de l'inexécution de cet ordre, le comte
de Grasse amena le premier signal, et il le remplaça par
celui de serrer le vent, les amures à bibord. Entre huit
heures quarante-cinq et neuf heures, le comte de Grasse j-^,
signala de virer de bord lof pour lof par la contre- ^
marche. A bord de VUurcuk, on vit, pendant un monicnl, ^ ^\
v.e. signal aux mâts du vaisseau du commandant Avn'^^ ^
l 'avant-garde, mais la fumée ayant presque immédiate :^^g,
menl enveloppé VAtujusle, le capitaine Chadeau de lae« ^ij
Clocbeterie ne voulut pas assumer la responsabilité de c^ ^:x,i
mouvement. Vers neuf heures trois quarts, les vents, qu .sLvui
jusque-là avaient été à l'est, passèrent au sud-est. Alv^.Au
moment oii se produisit celte variation dans la brise quK^»- ;ui
exerça une influence décisive sur le sort de la journée^^^e,
l'arrière - garde anglaise venait d'entrer en ligne. Le^^— es
vaisseaux français, obligés de laisser arriver pour ne pa^ES.«as
masquer, se trouvèrent en échiquier. Dans cet ordre, \W M: ils
ne pouvaient conserver, en combattant, une formatio<i:» ou
régulière. L'avant-garde anglaise continua A courir soi».» *"s
le vent de notre flotte. Au centre de l'armée britannique «-ue,
le Formidable, sur lequel le commandant en chef a\a-^^"*ît
son pavillon, et ses deux matelots, serrèrent le vent. Vcrm ^am
dix heures et un quart, le Namur, le Formidable, le JJu/!V--e-''fa
et le Canada coupèrent la ligne française sur l'arrière dfc» **"
Glorieux. Ce vaisseau de soixante-quatorze, qui avait déj ^^j*
supporté le feu de l'avunt-garde anglaise, fut démAté iL^ ^^■
tous ses mfils- Ces quatre vaisseaux prolongèrent, pE
bdburd, notre deuxième escadre qui fut obligée de cotn
battre des deux bord.s. Sir Samuel Hood, imitant la m;» *"■"
nœuvre de Hodney, passa, avec son escadre, sur l'arrièi» **"'
du César. Ce vaisseau et VHector qui le précédait dan» K '"
ligne, canonnés par tous les bâtiments de l'arrière-ganK
UVRE X. 297
anglaise, furent très-maltraités. Au lieu de laisser porter,
pour prolonger au vent noire première escadre, sir Sa-
muel Hood courut au plus près, les amures à tribord. La
Ville-^le-Paris et plusieurs vaisseaux de notre centre ces-
sèrent leur feu à dix heures et demie, n'ayant plus d'en-
nemiSi soit au vent, soit sous le vent. Sur tous les autres
points, et principalement à Tavant-garde, le combat
continua avec beaucoup de vivacité. La brise, qui était
très-faible, fraîchit un peu vers onze heures. Le Glorieux^
€2omplétement démâté, n'avait pu suivre le mouvement
de son escadre, et il restait isolé. Le comte de Grasse
Ayant fait aux frégates le signal de conduire ce vaisseau
hors du feu, une d'elles, le Richmond, capitaine Mortemart,
^int intrépidement se placer sur son avant, et elle lui
donna une remorque. Quelques vaisseaux anglais, met-
tant & proQt la légère brise qui soufflait en ce moment,
gouvernèrent sur le Glorieux. Le lieutenant de vaisseau
Trogoff de Kerlessi, qui avait remplacé le vicomte d'Es-
cars, tué à neuf heures du matin, fit couper la remorque.
Il ne voulut pas accepter le dévouement de cette frégate
qui se serait perdue sans pouvoir le sauver.
Vers une heure, une légère brise d'est s'étant élevée,
la fumée disparut, et on put se rendre compte de la situa-
tion des deux armées. Les Français étaient divisés en
trois groupes principaux. La troisième escadre était au
vent et à deux milles environ de la Ville-^e-Paris, auprès
de laquelle se tenaient ses deux matelots, le Languedoc et
la Couronne^ et quatre autres vaisseaux. La deuxième
escadre était à trois ou quatre milles sous le vent du
vaisseau du commandant en chef. Le GloHeux était au
vent de la Ville-de-Paris; V Hector et le César se trou-
vaient un peu au vent de notre avant-garde. Les vais-
seaux qui, sous la conduite des amiraux Rodney et Hood,
avaient coupé notre ligne, les premiers sur l'arrière du
Glorieux^ les seconds sur l'arrière du César^ étaient au
vent de notre armée. L'avant-garde ennemie continuait &
courir au plus près, les amures & tribord, afm d'être en
298 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
mesure de nous doubler au vent après avoir viré de bord.
Une brise fraîche, qui goufflait à l'ouvert du canal, favo-
risait les mouvements de nos adversaires. A une heure el
un quart, le comte de Grasse signala de se rallier à l'ordre
de bataille, les amures à bAbord, dans l'ordre reaversi.
Peu après, il signala à la deuxième escadre de tenir le
venl, tout à lu fois, et, à deux heures, il répéta son pre-
mier signal. Par suite de sa position près de terre, l'anufa
française était presque en calme. De temps à autre, il
s'élevait un peu de brise variant en force et en directioa.
Cette circonstance, jointe & l'état dans lequel setrouvaieBl
queligues-uns de nos vaisseaux, rendait nos mouvemcoli
lrè.s-lcnts et toute formation difficile, sinon impossible-
Le Ohrii-ux, démdté de tous ses mdts, VUector et le Cétar,
presque complètement dégréés, ne pouvaient plus ries,
s'ils n'étaient pus secourus. Plusieurs vaisseaux de
l'avant- garde, devant lesquels toute l'armée anglaise
avait défilé dans la matinée, ne manœuvraient que diffi-
cilement. VAtiguste, porlant le pavillon du conimandanl
de latroisièmc escadre, avnil rendu, à midi, sa manœum
indépendante, et, depuis ce Icmps, il réparait ses avaries.
Pendant que les Français, dispersés par suite des varit
lions de la brise et des incidents de la matinée, s'effw-
raient de rétablir l'ordre primitil' de combat, l'avant-garde
ennemie rejoignait Hood ef Rodney. Les vaisseaux anglais,
répandus sans ordre au ventdc notre ligne, gouvemaienl
sur ceux de nos biUiments qui étaient isolés. A trots
LIVRE X. 299
point. La Ville-tle-Paris et quelques-uns des vaisseaux
qui étaient auprès d'elle, tels que la Bourgogne^ le Triom»
pliant, le Languedoc, la Couronne, le Plulon, le Sceptre^
le Magnifique et le Mariieillais se battirent des deux bords.
Le vaisseau amiral, quoique épuisé par une journée de
lutte, opposa aux attaques de ses nombreux adversaires
une résistance héroïque. A cinq heures et demie, il fut
canonné par neuf vaisseaux. Un peu avant six heures, un
trois ponts, le Barfleur, monté par le vice-amiral Hood,
vint se joindre aux assaillants. A six heures un quart,
le comte de Grasse rendit aux Anglais un vaisseau que
lui, ses officiers et son équipage avaient défendu avec la
plus admirable valeur. Le corps du vaisseau était criblé
de coups de canon, la chute de la mdture était imminente,
les munitions étaient épuisées et le navire était encombré
de morts et de blessés*. Cet événement donnait le com-
mandement de Tarmée au chef d'escadre de Vaudreuil.
Le nouveau général n'avait que le temps strictement
nécessaire pour prendre les mesures que comportaient
les circonstances. La nuit approchait, et il fallait empê-
cher que la direction de notre flotte fût abandonnée au
hasard. Le marquis de Vaudreuil ordonna à la voix & la
Bourgogne, qui était le vaisseau le plus rapproché de la
Ville-de-Pam , de faire de la toile. Lui -môme, sur le
Triomphant, laissa arriver et s'éloigna du champ de ba-
taille, ayant entête de mdt le signal de ralliement. Il héla
les vaisseaux près desquels il passa pour leur faire con-
naître la route qu'il comptait suivre. Il ne voulut pas
faire de signaux dans la crainte que l'ennemi ne parvint
à les interpréter". L'armée française se retira sans être
1. Les Anglais rcuiorquèrent la VilU-de-Paris iusqu'klà Jamaïque.
2. Les quelques lignes <|ui suivent, empruntées à un passage des mémoires
du marquis de Vaudreuil, indiquent avec précision les derniers moments
de la bataille : « Jusqu'au moment où la ViUe-de-Paris s'est rendue, je n*ai
eu de vuiles que ce qui était nécessaire pour gouverner. Nous suivions
exactement les mouvements de la ViUe-de-Paris dans toutes les oloffées et
arrivées pour ne nous point éloigner. A six heures et demie, l'ayant vue
venir en travers, après avoir tiré des deux bords, cesser son feu et amener
300 HISTOIRE DE LA, MARINE FRANÇAISE,
inquiétée. L'amiral Rodney, dans son rapport, n'accusa
que deux cent trente-sept nions et sept cent soixante-six
blessés. Les pertes des Français Turent certainement
beaucoup plus considérables. Nous ne les donnons pas,
parce que nous n'avons trouvé aucune pièce les indi-
quant, pour tous les Mlimenls, avec un caractère sufti-
sant d'autlienlicité. lin grand nombre d'ofGciers Turent
tués ou blessés dans cette journée'.
Tel est le récit des divers incidents qui marquèrent le
Tuneste journée du 12 avril. Après cet exposé, auqur-
nous n'avons joint aucun commentaire, nous reclier
obérons quel fut le plan du général et lus moyens qu'
.employa pour l'exécuter. Nous examinerons égalemcH
s'il trouva, chez les oTIiciers généraux et les capitaines l
son armée, le concours qu'il avait le droit d'en atteudr'
La bataille de la Dominique est l'événement maritime
plus considérable de la guerre de l'Indépendance ; de plii
la journée du 12 avril a été diversement appréciée, A
double titre elle mérite un examen approfondi.
KR pavillons de Bi^Bi», j'ai r^^rdâ «oo bUon de pavillon, lo pnïilliim--^^
uncné. C'etX alors que j'ai crié à M, de Cbaritle de foire d« la vullv, -
jVn ai fait moi-même et que J'en ai Tail Taire aux autres vai&M'agi, L^K
donnant la roule qu'il fallait tenir. .
I. Uo cQmptail parmi les premiers : MU. do Sainl-Oéntire, du Paviir M
d'Escars, de la Clochelerie, de la YicoinU, Bernard de Mnrignj, capital '
do vaisseau 1 de la MeUrie, l'Hermito-Mai liane, de Karvel, d'Orvin, de "
leneuTc-Flajosc, de Rebeodcr, lieulcnanb de vaisseau; de Itcauc»^^ ''
Visdelnu de Lisctiuel, do Quallromaai, enseignes do vaisseau; de Knxr^ — ^
reull, tloracin, nfDciers amiliairM ; de Kerolaio. farde de la marine : •! ■^^'
Forgerin, de TroRolT, ofOcicrs d'ioraDtcric. omeiers blessa : Mil. île \~— ^
dreail. chef dVscadro; LeDùfriie, deThy.de NMine, de ChampmaKin.r:
tainesda vaisseau; do Mallel, du Koure, doVieuibourgdeRosily, rioCIri
bert, de ChaiTipa)^y, Dopuy, de Carcaradec, d'Assas-Jiondardier, Treden:
Lciercc, Despiés, de TrogelT, do ["ortiampar, lioutcnnnU de
de Huntbas, de [.aulsnie, do Hamiéros di- Monlipij, enseifrnes da vaiva
de Blessingn, de Toit, orOderi suMois; Charroa-Dupnrlnille,
■«vilain, duFrossoy, bichor, Martin, QuinnrI, nnidcrs auxiliaires: leli^
de Chiteaurur, gardes de la marine; du Munlezun, de Couillard, de V â
deNnnIel, de QueUeville, de Mnntalenibert, delà Krosse, Dejean, Tana«|
Deshayes, d'Adhtmar. de Coquet, de Truurunl. de Kprlerrc, d« Si ~
de Ilcnounnl, de llni^^nlin, oniners d'inranterie.
UVRE X. 301
IV
L'amiral Rodney avait sous ses ordres Irente-six vais-
seaux, dont cinq à trois ponts. Le comte de Grasse, après
«tifoir désigné deux vaisseaux pour accompagner le con-
voi, avait pris la mer avec trente-trois vaisseaux, parmi
lesquels un seul, la Ville-de-PariSy était & trois ponts. Du
S au 12 avril, il renvoya successivement le Caton^ le Jason
et le Zélé. Au combat de la Dominique, il avait trente
Vaisseaux représentant deux mille deux cent quarante-six
Canons, tandis que, sur la flotte anglaise, le nombre des
^Bouches à feu s'élevait à deux mille six cent soixante-
C|uatorzç. Il est donc certain qu'il y avait entre les deux
armées une grande disproportion de force. Néanmoins,
les fautes commises par le commandant en chef con tribu ë-
x*en», plus que la supériorité numérique de Tennemi, à la
tjcrte de la bataille. Le 9 avril, le comte de Grasse avait
C31J, si ce n'est la certitude, au moins des chances très-sé-
irieuscs d'écraser une fraction de la flotte britannique. 11
n'avait pas voulu en profiter dans la crainte d'être amené
4 livrer une bataille générale qui eût empêché l'accomplis-
sement de sa mission. Comment, le 12, s'exposait-il à livrer
cette même bataille, avec trente vaisseaux, alors que, le 9,
il en avait trente-trois? Était-ce pour couvrir le Zélé? Alors
le comte de Grasse commit une erreur bien malheureuse.
En admettant, ce qui était douteux, que le Zélé eût été un
moment compromis, la démonstration de la Ville-de-Paris
avait suffi pour le délivrer de tout danger. En consé-
quence, aussitôt après le rappel des chasseurs par l'ami-
ral Rodney, le général français avait toute liberté de
reprendre les amures à tribord. Si le comte de Grasse, se
trompant sur la situation du Zélé, s'exposait aux risques
d'un engagement général pour sauver ce vaisseau, au
moins devait-il se placer dans les conditions les meil-
leures pour combattre. C'est ce que malheureusement il
302 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
ne fit pas. 1^ 12 avril, au point du jour, les bâUmenls
français ùtalcul dispersés, et la distance qui les séparait
les uns des autres variait entre trois et cinq lieues. Ou-
bliant celte situation, le comte de Grasse gouverna sur
l'ennemi avec son propre vaisseau. H mil un tel emprcs- J
sèment à venir au secours du Zélé, qu'il ne donna pas le ^Ê
temps à son escadre de se former. Enlin, en courant sur ^^f
la Dominique, il alla au-devant des calmes et des chan _,
gements de venl. Soit qu'il eût reconnu que la brise mol— .^'\,
lissait, à mesure qu'on approchait de terre, soit que, s<^^^^
souvenant de la journée du 9 avril, il se flattât de n'avoi «^i
qu'un engagement partiel, le comte de Grasse voulut s.^^ ^
mettre au même bord que les Anglais. Il Qtd'abord, ain» -«msi
qu'on l'a vu, le signal de virer do bord lof pour iof, tout ^^ [ 4
la fois, puis celui de virer de bord lof pour lof, par " ■ Ja
contre-marche. Ces signaux aperçus pendant un momc" ?--- ^-ni
par quelques vaisseaux, au nombre desquels se Irc •^cnu-
vaient le Plulon et l'Hercule, disparurent dans la fumt^»- ^êi'.
M. d'Albert de Rions, un des meilleurs officiers de la
marine française, el M. de la Cloclicterie, l'ancien r~m 1 l
pitaine de la Bctlc-Poulc, se trouvant livrés à leur profr^Birc
inspiration , reculèrent devant l'exécution d'une u" aiia-
nœuvro qui devait avoir pour l'armée des conséquen^^^'cs
désastreuses. Il n'est pas inutile de faire remarq l^— ler
que, dans cette afTaire, ces deux capitaines n'élai<
pas seuls en cause. Le Pluion el Yllercuh continuanKi:
courir, les amures â bâbord, sans répondre aux signite. 1
de l'amiral, il eût été du devoir des chefs d'escadre <l
Vaudrcui), dans le premier cas, el de BougaînvilS^,
dans le second, de prendre l'inilifilive du mouvement,
ainsi que l'avait fait le Saint-Esjirtt, au combat d'Ouïs-
sant. Ces deux ofiiciers généraux n'avaient pas plus que
les capitaines de Rions et de la Clochelerie le droit de
discuter les ordres du commandant en chef. Cependant,
aucun d'eux n'eut la pensée de sortir de la ligne pour
commencer l'évolution, parce que, en réalité', au nionunt
k où lurent bis.sés les signaux relatifs au changcmeni
UVRE X. 303
d*amurcs, Tarmée française n'avait plus la liberté de ses
mouvements'. Le comte de Grasse dit dans un de ses
mémoires : « Comme les vaisseaux qui essuyaient déjà le
feu des ennemis pouvaient être aussi malheureux que la
ViUe-de-PariSy qui avait le plus grand nombre de ses
manœuvres coupées et ses voiles criblées, ce qui les au-
rait empêchés de virer vent devant, et que tout vaisseau,
même dégréé, peut toujours virer vent arrière, je fis à
l'armée le signal de virer toute ensemble vent arrière". »
^nsi le comte de Grasse reconnaissait qu'il était impos-
sible de virer de bord vent devant. Quant à un virement
de bord lof pour lof, que ce fût par la contre-marche ou
t^ut à la fois, la proximité de la ligne ennemie n'en
permettait pas l'exécution. « Notre ligne, écrivait, après la
l)ataiile, le chef d'escadre de Vaudreuil, s'est formée sous
le feu de la mousqueterie. Les Anglais avaient de lanou-
^'elle artillerie qui de près dégréait promptement les
vaisseaux*. Si le Pluton avait commencé le revirement,
lorsque le général a fait le signal de virer ensemble,
lof pour lof, il n'y aurait eu que quatre ou cinq vais-
seaux qui eussent pu virer de bord , ce qui aurait
fait une séparation, les autres étant engagés de trop près.
Une armée ne vire pas de bord, vent arrière, lorscjue
1. Lorsque le signal do virer lof pour lof, tout à la fois, fut amené, c'est-à-
dire au moment où le chef d'escadre de Vaudreuil aurait dû commencer le
mouvement que n'exécutait pas le PlutoUy le Triomphant^ sur lequel il
avait son pavillon, se battait à portée de fusil.
2. On voit, parle témoignage du commandant en chef lui-même, que le
vaisseau de tétc de l'armée ennemie avait dépassé notre centre, au moment
où furent liis.sés les signaux relatifs au changement d'amures. Ceci con-
corde bien avec raffirmalion du capitaine du Plutoyi, disant que le Marlho^
rough était arrivé par le travers du MaynifujuCy matelot d'avant du
Triompfuxnlj vaisseau du commandant de la deuxième escadre, lorsque le
signal de virer lof pour lof, tout à la fois, avait été aperçu à bord de ce
dernier vaisseau. Il semble difficile d'admettre que les deux armées fussent
séparées par une grande distance, ainsi que le dit le comte de Grasse, en
lisant dans son propre rapport que, à ce moment, c'est-à-dire au début de
l'action, la VUlc-de-Pari» avait le plus grand nombre de ses manœuvres
coupées et ses voiles criblées.
3. Dans le rapport que le chef d'escadre de Vaudreuil adressa au ministre,
304 lUSTOIUE DE M. MAAINK PaANÇAISB.
l'armce ennemie est sous le vent& portée de la mousqne-
tcric. » Ce fut parce que le comte de Grasse combattit Its
amures à b&bord que notre ligne fut coupée par les
Anglais. Celte manœuvre, dans laquelle on ne doitTOÙ-
aucunc combinaison militaire préconçue, mais un ade
hardi, inspiré par les circonstances, eut, sur les résultait
de la journée, une influence décisive. Des cinq navire
qui restèrent aux mains de l'ennemi, trots, le Gtorieut,
l'Hector et te César avaient été totalement désempares
dans ta matinée par les b&timents qui avaient traversé
notre ligne. A une heure cl quart, le signal de se ralliera
l'ordre de bataille, les amures à b&bord, en ordre reit-
icrsé, fut iiissé & bord de la Ville-de-Paris. Ce promptral*
licinent de la llolle était évidemment le but vers lequel
nous devions tendre, mais le moyen employé par le
comte de Grasse élait-ll le plus propre à l'atteindre? Pour
rclal>lir l'ordre primilif de combat, tous les bâtiments, i
l'exception de ceux qui appartenaient h la deuxième
escadre, étaient obligés de laisser porter. On ne pouvait,
en ctTel, revenir à la ligne de l)ataille, les amures à bâ-
bord, qu'en se Turmant sur les vaisseaux sous-ventés.
Or, la deuxième escadre était à plusieurs milles sous le
vriil de lu i)remière qui était, elle-même, sous le vent de
la tmisicuic. Peiil-étre cùt-il mieux valu reformer ^a^
inéc sur la première escadre. La deuxième eût fait un
bord pour prendre son poste, et les b&tlments, restés au
vent, eussent été plus facilement secourus. Le mouve-
LIVRE X. 305
■
rarméc anglaise conlinuait à courir les amures à tribord *.
Quoi qu'il en soit, le Glorieux, le César et VHector ne
pouvaient exécuter les ordres du commandant en chef,
c'est-à-dire rallier Tarmée, s'ils n'étaient pas secourus.
Ce rôle incombait & Tavant-garde qui était au vent de la
première escadre. Mais cette avant-garde avait soutenu,
dans la matinée, un combat très-vif contre toute Tarmée
anglaise déniant à contre-bord. Elle avait été très-mal-
traitée, et la plupart des bâtiments qui la composaient
étaient dégréés. VAuguste s'étant tenu hors du feu,
depuis midi jusqu'à cinq heures du soir, pour réparer ses
avaries, la troisième escadre ne reçut pas l'impulsion
précise et énergique qui lui eût été nécessaire, dans les
circonstances où elle se trouvait, pour agir avec ensemble.
Le Neptune et Yllercule, qui s'étaient très-bien battus
dans la matinée, ne firent pas des eflbrts suffisants pour
rallier la ViUe-de-Paris, lorsque l'ordre fut donné, à
quatre heures du soir, de former la ligne de bataille, les
amures à tribord, dans l'ordre naturel*. Un des vaisseaux
de cette escadre, le SouveraWy voulut sauver le Glorieux,
mais avant d'être à portée de lui donner une remorque,
le capitaine de Glandevès dut faire de la voile et s'éloi-
gner. Plusieurs vaisseaux anglais manœuvraient pour le
couper. Le Duode-Bouryogne, appartenant à la deuxième
escadre, avait eu sa mâture fort endommagée dans le
combat du matin, et il était tombé sous le vent. Son capi-
taine s'occupa moins de rejoindre son poste que de mettre
son bâtiment en état de faire de la toile. Après avoir re-
levé ces fautes de détail inséparables de toute opération
militaire, nous avons à signaler les belles actions qui se
produisirent pendant cette journée. Nous devons citer
1 . Telle était la pensée du marquis de Vaudreuil. Il se disposait à courir
un bord jwur s'élever au vent et prendre les eaux de la Ville-de-Parity
lorsque le comte de Grasse flt à son escadre le signal de forcer de toile. Il
obéit immédiatement à ce dernier ordre.
*i. Le capitaine^ Chadeau de la (Ilocheterie avait été tué dans la mati-
née.
306 HISTOIRE DE LÀ. MARINE FRANÇAISE,
tout d'abord la magnifique déFense de la Ville-de-Parit.
« Que pouvaient, écrivit le comte de Grasse dans un de ses
mémoiros, le nom et les cent canons de mou vaisseau
contre dix aulrcs qui le Toudroyaient par plus de quatre
cents, tous ù la fois, en ne leur prêtant qu'un seul câti!
Privée ilo tous ses agrès, regréée sousle feu des ennoni^
et toujours dégréée, ses m&ts percés, Tacillanls, ses voila
criblées, en lambeaux, ses vcrguea coupées, ses équipage
sans avoir pris aucune nourriture depuis le point du jour
jusqu'à la nuit close, la ViUe-de-Paris pouvait se nvàn
sans honte et sans reproche, et je voulus la défendreeii-
core ; mais obligé de lenir tous les sabords ouverts pour
faire feu de bftl)ord et de tribord et de l'arrière, mes p^
gousses B'épwisfercnt. Je ne pus ensuite faire chargcrn»
canons qu'à la cuillerée, A la seule lueur de mes fanaoi,
et j'eus la douleur de ne pouvoir jamais les garder allâ-
mes, k cause de la fumée et de la double commottoD.
Alors ne pouvant plus tirer un seul couj», canonné d'assa
près pour perdre beaucoup de monde, et, en mfime tcmp!,
d'assez loin pour ne pouvoir faire usage de ma mousqtif-
lerie, il fallut me rendre. J'élais réduit à un tel étal qiK
les ennemis, te 13 au matin, pour amener le pavillon dt
commandement, furent obligés de couper les mais, it
crainlc, en y montant, d'être entraînés dans la mcri»
écrasi^s par leur chulc. o
La conduite des officiers qui commandèrent successiTe-
ment le César, \'!(cctor cl le Glorieux, fui au-dessus Ji'
LIVRE X. 307
de Beaumanoir, qui les remplacèrent dans le comman-
dement du César^ du Glorieux et de r//ec/or, se mon-
trèrent dignes de succéder à de tels chefs. Dans la soirée
du 12 avrily le feu se déclara à bord du César. Le capi-
taine Bemcord de Marigny était étendu sur son lit, lors-
que des matelots, se précipitant dans sa chambre, crièrent
que le navire allait sauter. « Tant mieux! leur répon-
dit-il, les Anglais ne l'auront pas. Fermez ma porte,
ines amis, et tâchez de vous sauver. » Il est difflcile de
IH)osser plus loin que ne le Tirent ces officiers le senti-
ment de l'honneur militaire. Leurs noms ne doivent pas
tomber dans l'oubli ^ Le chef d'escadre, marquis de Yau-
dreuil, sur le Triomphant, les capitaines d'Albert de
Hions, du Pluion, Charitte, de la Bourgogne, Castellane,
do Mar&eilUiis, Macarty Macteigne, du Magnifique, dé-
ployèrent autant d'habileté que de bravoure. La Languedoc
et la Couronne, les deux matelots de la Ville-Je-Paris,
luttèrent vaillamment pour la défense de ce vaisseau. Je
puis affirmer, écrivit le marquis de Vaudreuil, « que le
soir, à six heures et demie, lorsque la Ville-de-Paris s'est
rendue, le Languedoc était devant moi, éloigné à portée
de voix et dans le plus grand délabrement. Il se battait
contre les mêmes vaisseaux qui faisaient rendre M. le
comte de Grasse. Il n'y avait entre lui et la Ville-dc -Paris
que le Triomphant et la Bourgogne ; la Couronne était
paiement en avant de moi et peu éloignée. L(i Languedoc
et la Couronne étaient venus, ainsi que le Sceptre et plu-
sieurs autres vaisseaux du corps de bataille, joindn^ leurs
efforts aux nôtres pour dégager la Ville-de-Paris, et ils se
placèrent où ils purent. C'était aux vaisseaux les plus
1. Aucun des vaisseaux pris, lo |12 avril, no toucha aux rivages de la
Grande-Bretagne. La VilU-de'Pari8f le Glorieux^ VHector, périrent, corps
et biens, en reven^int en Europe. Deux vaisseaux anglais, le Centaure cl le
BamiUies, partagèrent leur sort. VArdent n'eut pas une fin aussi tragique.
Quelques jours après avoir pris la mer pour venir en Angleterre, ce vais-
seau rentra à la Jamaïque coulant bas d'eau. Considéré comme hors d'état
<le naviguer, il fut démoli.
308 HISTOIRE DE LA UARINE FRANÇAISE,
près de la Villc-de-Paris à se sacrifier comme l'ont faille
l^ccptre, la Couronne, le Langtiedoc, le Triomphant, la
iiourijofjne et plusieurs autres qui n'ont fait de la roile
(juc lorsque le général leur en a donné l'ordre, après que
la l'ille-de-Paris eût amené et que je leur aie dit la roule
qu'il fallait tenir. Cependant, il y avait longtemps, lors-
que la Ville-df^Paria s'est rendue, que nous nous battit»
(les dcu\ bords, ainsi que la Bourgogne et le Lm-
ijuedoc '. »
Il n'sullcdc ce qui précède que les véritables caniet
de Dofrc défaite sont, avant toutes choses, raveuglemnil
inexplicable (]ui s'empara du comte de Grasse, dès le
mutin du 12 avril. Il voulut sauver le Zété^ alors que a
vaisseau ne cuurait aucun danger. En admettant qull se
filt trompé sur ce point, il devait, à six heures et demie
du matin, Olrc bien convaincu que le Zélé ne pouvaitUre
joint par les bûtimcnis qui le chassaient. II était donc
libre de conlinucrsa roule vers le Nord. Au lieu de pren-
dre celte iltlcrmi nation, impérieusement commandée par
les circons lances, il gouverna sur l'ennemi sans latm
donner le temps à ses vaisseaux de se mettre en liffne.
Ayant l'intention de combattre les amures à tribord, il '
I, 1.' opinion du chef d'etcadre de Yandreuil araît une comportance w-
'culifre. La conduite de ce brave oIBcier avait Hà approuvée par Ir toalt
'"'■ 'l S Paris. I* comte de Grasse lui avait écrit de fa Jamaïque, Ik
mni nSÎ, que ses manœuvres ainsi que les signaux faits i«i It
ni A la deuxième eetadre -— ■-"' ■"■■
LIVRE X. 309
s'approcha tellement près des Anglais que son armée
n*eut plus devant elle l'espace nécessaire pour virer de
bord. Celte faute capitale pour un chef d'escadre, le comte
de Grasse la commit et rien ne saurait Ten disculper. Les
signaux qu'il fit pour se mettre au môme bord que l'en-
nemi doivent être considérés comme n'ayant aucune
signification, puisqu'ils furent faits à un moment où le
commandant en chef aurait dû s'apercevoir qu'on ne pou-
vait pas les exécuter. La saute de vent, qui permit i\
l'amiral Rodney de couper notre ligne, acheva de mettre
le désordre dans nos rangs. Enfin, l'ennemi trouva de la
brise à l'entrée du canal des Saintes, tandis que nous
n'avions, sous la Dominique, que du calme ou des faibles
brises avec lesquelles nos vaisseaux ne pouvaient pas
manœuvrer. En résumé, le comte de Grasse se battit sans
nécessité avec trente vaisseaux contre trente-six, et les
dispositions qu'il prit, loin d'améliorer celle situation
déjà défavorable, n'eurent d'autre résultat que de l'aggra-
ver.
Ici se place une observation qui ne concerne plus le
comte de Grasse, mais le département de la marine. On
se rappelle que le marquis de Vaudreuil avait appuyé
sur le rôle joué par les « caronades obusiers ou petites
pièces d'un très-gros calibre qui armaient les gaillards
des bûtiments anglais, et dont l'efTet était on ne peut plus
meurtrier à la portée delà mousqueterie.» Il avait dit que
celte nouvelle artillerie tirant de près « dégréait très-
promptement les vaisseaux. » L'absence de cette môme
artillerie, sur nos bâtiments, n'avait pas amené la perte
de la bataille, mais elle y avait eu une certaine part, puis-
qu'on s'était battu de très-près. La faute commise par le
déparlement de la marine, en n'adoptant pas cette inno-
vation, était d'autant plus grande qu'une proposition du
même genre lui avait été soumise, avant la guerre, par le
capitaine de Sufi^ren. Avant de prendre une décision, le
ministre avait voulu consulter les ports. La question posée
avait été celle-ci : serait-il avantageux d'embarquer des
310 HISTOIHE DE LA MARINE FRANÇAISE.
obus sur les vaisseaux ? Après avoir reçu les réponses ^i
Brest, Rochefort et Toulon, les bureaux rédigèrent pour^ 1
ministre une note ainsi conçue : « Le port de Brest pré(^^]
multiplier les perriers ; les deux autres ports propos^^
de faire l'essai des obus, mais ils ne laissent apercei^-^o
aucune présomption pour ou contre », et plus loin « Te^^is]
des obus est proposé purement et simplement par ]^
ports de Rochefort et de Toulon. » C'était bien queL <jo,
chose qiie deux ports eussent émis un avis favors^l^/e.
Les bureaux n'en jugèrent pas ainsi, et l'affaire en r^esU
là.... Suffren, armant le Zélé à Toulon, en 1779, revint sur
cette idée, et dans un rapport adressé au ministre il dit:
a De tout temps la bombe a été regardée comme fort i
craindre pour les vaisseaux, et je crois que c'est avec rai-
son. Les obus le sont moins, mais ils le sont beaucoup
aussi, de sorte que je crois qu'on devrait embarquer des
obusiers, en les plaçant sur la dunette d'où ils feraient
une exécution terrible, s'ils étaient chargés à mitraille. Je
demanderais à en faire l'expérience. Pour cela on pour-
rait en emprunter deux à la guerre, et, sur le succès, on
déciderait si on doit les adopter ou les rejeter. » Il ne fut
donné aucune suite à cette demande. Il n'est jamais facile
d'obtenir le triomplie des idées nouvelles '.
La victoire de Tamiral Rodney souleva en Angleterre un
enthousiasme facile à comprendre. C'était le premier
avantage sérieux remporté par nos adversaires dans une
bataille rangée. Les deux chambres volèrent des remer-
ciements à l'amiral Rodney, aux amiraux Samuel Hcod et
Drake, au conmiodore Affleck, au capitaine sir Charles
Douglas, du Formidable^ et à tous les capitaines, officiers,
matelots et soldats embarqués sur la flotte. Rodney fut
élevé h la pairie, le vice-amiral Samuel Hood devint
pair d'Irlande, et le contre-amiral Drake ainsi que le
conimodore Affleck furent faits baronnets. L'Angleterre ne
1. On trouvera aux pièces placées à la fin de ce volume une note sur ai''
férenteR pro|M)8itions faites |)ar Suffren.
LIVRE X. 311
récompensa pas seulement les vivants, elle voulut aussi
honorer les morts. La Chambre des communes décida
qu*un monument serait élevé (ï la mémoire des capitaines
Bayne, de ryl//'rerf,Blair, de T^nson, lord Robert Manners,
de la Rt'solulion^ qui avaient trouvé une mort glorieuse
dans les combats des 9 et 12 avril. La nouvelle de notre
défaite produisit en France une très-vive émotion. Les
amiraux d'Orvilliers, d'Estaing, de Guichen, le capitaine
Des Touches, n'avaient pas eu Theureuse fortune de pren-
dre des navires à l'ennemi, mais aucun de ceux qu'ils
commandaient n'était tombé entre les mains des Anglais.
Dans ces rencontres, où l'avantage nous était presque
toujours resté, notre attitude avait témoigné de la soli-
dité de nos escadres. Si l'issue malheureuse du combat
de la Dominique blessa le juste orgueil de la nation, elle
ne fit que surexciter son patriotisme. Le Corps de ville
de Paris, comme on disait alors, les États de Bourgogne,
les armateurs des principaux ports de commerce, les
négociants des grandes villes, votèrent des sommes con-
sidérables, auxquelles vinrent se joindre de nombreuses
souscriptions particulières, pour construire de nouveaux
vaisseaux.
Ce fut par une lettre écrite à bord du Formidable^ le
lendemain de la bataille, que le comte de Grasse apprit
au gouvernement français le désastre que venaient de
subir nos armes. Dans cette lettre, qu'on ne peut lire
sans éprouver une pénible surprise, il rejeta sur la plu-
part de ses capitaines les malheurs de la journée. Les
uns avaient désobéi à ses signaux, d'autres, et parmi ces
derniers le Languedoc et la Couronne^ c'est-à-dire ses
deux matelots, l'avaient abandonné. A ce premier rap-
port, le comte de Grasse fit succéder, pendant le séjour
qu'il fit à Londres, plusieurs mémoires dans lesquels il
traita son armée avec la plus extrême sévérité. Il ne se
313 HISTOIKK DE LA HARINE FRANÇAISE,
contenta pas, ainsi qu'il eût été de son devoir de le faire,
(l'adresser ces mémoires au ministre, il les répandit dus
toute l'Europe. Le gouvernement, croyant à la sincérilé
du comte de Gruiise, résolut de rechercher les coupables
e( de les frapper sans aucun ménag^ement. Le marèdul
de Castries nomma, dans chaque port, une commissiu
chargée de procéder à l'interrogatoire des capitaines,
omciers et premiers maîtres embarqués sur les navire
présents au combat de la Dominique. Toutes les déposi-
tions ainsi que les journaux de l>ord Furent expédiés à
Paris. Aussilét que ta paix fut signée, des ordres roreot
donnés pour retenir dans les ports les onicicrs qui
avaient appartenu & l'armée du comte de Grasse. An
commencement de l'année 1784, presque tousse trou-
vÎTcnt û la disposition du ministre. Un conseil de
gticrre, composé des lieutenants généraux Breugnon, de
Cuiclien, Lacarry, Deshayes de Cry, Laniottc-Picquel, et
des chefs d'escadre d'Ai)chon, Nieuil, Balleroy, Kerou-
dcc, Thévcnard et Chcrîseys, s'assembla à Loricnt. U
mission du conseil était définie dans le passage suivaol
d'une lettre que le maréchal de Castries adressait & soii
président, le lieutenant général de Breugnon : « Les onlffî
du itoi, disait le minisire de la marine, portent de ju^'er
.si les ordres du général, transmis par les signaux, ont
élé exécutés dans {ajournée du 12 avril; si les matelots
du général se sont plus occupés de la conservation du
vaisseau |)avilIon que de la leur propre ; enfin, si chaque
UVRE X. 313
12 avril. Ces officiers, suivant le langage du temps,
étaient décrétés « d'ajournement personnel », tandis
que les autres capitaines de l'armée « étaient assignés
pour être ouïs. » Les lettres du comte de Grasse carac-
térisaient avec une telle sévérité la conduite des capi-
taines du Languedoc et de la Couronne, que le ministre,
convaincu de leur culpabilité, les avait fait incarcérer à
leur arrivée en France. Quelques jours avant la réunion
du conseil, MH. Mithon de Genouilly et d'Arros furent
transférés dans la citadelle de Port-Louis. L'arrêt du
conseil fut rendu en mai 1784. Nous reproduisons ci-
après les dispositions principales de ce jugement qui
mit fin aux contestations trop nombreuses soulevées
par le combat de la Dominique.
Vu en la chambre du conseil...
L^arrèté du Conseil do guerre du 23 janvier, qui ordonne que
Kl. le comte de Grasse sera mandé au Conseil pour être entendu à
la requête du procureur du Roi....
Les assignations données aux témoins et auxdits sieurs comte de
Orasse, d*Arros et de Mithon, à la requête dudit procureur du Roi....
I^'arrêté du Conseil de guerre du k février, portant que la requête
présentée au Conseil par M. le comte de Grasse sera rejetée comme
contenant des termes qui ne peuvent être admis, et que son mé-
Ynoîre, énoncé en ladite requête, sera reçu par le Conseil *, la requête
présentée au Conseil par ledit sieur comte de Grasse, tendant à ce
C|u'il soit ordonné que sa réponse aux observations de M. le mar-
c]uis de Vaudreuil soit déposée au greffe, ainsi que les pièces jus-
lifieatives qui lui ont servi de base....
Le mémoire de M. le marquis de Vaudreuil en fin duquel est sa
réquisition, tendant à ce qu*il plaise au Conseil ordonner que les
deux premières phrases du paragraphe du mémoire justificatif de
M. le comte de Grasse, pages 19 et 20, commençant par ces mots :
« La deuxième escadre s*apercevant, » et finissant par ceux-ci : « En*
touré de partout », seront rayées et bifîées comme calomnieuses,
comme aussi qu*il soit pareillement ordonné que les planches gravées
qui sont jointes audit mémoire seront rejetées comme contraires à
la vérité, et capables de donner à la plus grande partie du public, qui
ne serait pas à portée d'en remarquer les erreurs, une idée fausse
314 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
da combat du 12 avril 1782, et qu*ii soit ordonné, en outre, la sup»
pression de la réponse du sieur comte de Grasse, comme renfer-
mant des mots injurieux, des faits calomnieux, invraisemblables et
contraires à Thonneur et à la réputation dudit sieur marquis de
Vaudreuil
Le Conseil de guerre, n^ayant aucunement égard aux conclusions
du procureur du Roi, tendant à régler le procès à rextraordinaire,
ni à la requête dudit sieur de Charitte, a donné et donne lettre»
auxdits sieurs niarquis de Vaudreuil, comte de Vaudreuil, de Bou—
gain ville.... de ce que, eu conformité de Tarticle 19 du titre 14 de
Tordonnance de 1670, ils prennent droit par les charges, et de ce
qu*ils s'en rapportent aux dépositions des témoins, comme aussi de
ce qu'ils consentent au jugement définitif du procès dans Téiat ac-
tuel sans faire plus ample instruction, et enOn de leurs réquisi-
tions d'être jugés sur leurs interrogatoires ou réponses person-
nelles.
Faisant droit sur le tout, et procédant au jugement définitif du-
dit procès,
A loué et loue la conduite tenue par Joseph-Gabriel de Poulpi-
quet, chevalier de Coatlès, lieutenant de vaisseau, ayant pris le
commandement de VHercule à la place de M. de la Clocheterie, ca-
pitaine commandant, tué le 12 avril 1782, dans toutes les circon-
stances de la journée. Mais pour n'avoir pas fait tout ce qu'il était
possible de faire, ledit jour, pour rallier la Ki/ic-cie-Paris, après le
signal d'ordre de bataille l'amure à tribord, ordre naturel, fait vers
quatre heures du soir, le condamne à être mandé en la chambre
du Conseil pour y être admonesté, en présence du tribunal assem-
blé, décharge de toute accusation le sieur Joseph Amasieu de Ruai,
lieutenant sur ledit vaisseau.
Pour, Laurent-Emmanuel de Renaud Daleins, capitaine, com-
mandant le vaisseau le Neptune^ n'avoir pas fait tout ce qu'il
était possible de faire, ledit jour, 12 avril, pour se rallier à la ViUc-
dc-PariSy après le signal d'ordre de bataille l'amure à tribord, ordre
naturel, fait vers quatre heures, le Conseil do guerre le condamne
à être mandé en la chambre du Conseil pour y être admonesté on
présence du tribunal assemblé.
Décharge de toute accusation Jean-Baptiste de Glandevès, capi-
taine, commandant le vaisseau le Souverain.
Décharge de toute accusation Joseph-Jacques-François do Mar-
telli Cliautard, capitaine, commandant le vaisseau le Palmier.
A loué et loue la mémoire do M . de Sainte-Césaire, capitaine, com-
mandant le vaisseau le Norlhumbei*land^ c^, la mémoire de de La-
LIVRB X. 315
mettrie, embarqué en second sur ledit vaisseau, lesquels ont com-
battu vaillamment, savoir : M. de Sainte-Gésairo jusqu'au mo-
ment où il a été blessé mortellement, et de Lamettrie jusqu^à sa
mort.
Décharge do toute accusation Marie-Gabriel de Combaud de Ro-
quebrune, enseigpie de vaisseau, qui a pris le commandement dudit
▼aisseau le Northumberland.
Le Conseil de guerre le déclare unanimement susceptible de mé-
riter les grâces du Roi.
Déclare la conduite de Louis-Antoine de Bougainville, chef d^es-
cadre, commandant la troisième escadre deParmée du Roi, ou escadre
bleue, sur le vaisseau VAxÂgiiste, irréprochable jusqu'à midi de la
journée dudit jour, 12 avril 1782. Mais ce chef d'escadre n'ayant
pas, dans l'après-midi, particularisé ses signaux et fait manœuvrer
son escadre pour le plus prompt ralliement possible au corps de
bataille, le condamne à être mandé on la chambre du Conseil, pour
y être admonesté en présence du tribunal assemblé.
Décharge de toute accusation Pierre-Joseph de Castellan, capi-
taine de pavillon dudit vaisseau V Auguste^
Et Augustin de Truguet, lieutenant de vaisseau, embarqué sur
ledit vaisseau, faisant les fonctions de major de ladite escadre
leue.
A déclaré et déclare la conduite de Jean-Guillaume-Michel de
Gouzillon, commandant le vaisseau V Ardent, irréprochable dans la
journée dudit jour, 12 avril, jusqu'au moment où il a amené son
pavillon. Mais pour n'avoir pas prolongé sa résistance autant qu^il
eût pu le faire, Pinterdit pour trois mois de ses fonctions.
Décharge de toute accusation Alexandre Demalys Le Grand, lieu-
tenant, embarqué sur ledit vaisseau VArdenl, en qualité de com-
mandant en second et de lieutenant en pied; Guillaume-Casimir le
Veneur, Loui&-Casimir-Marie-AvicedeTourville,Joseph-Anatase de
Saint-Pern, Antoine Pinière de Clavin, et Charles-François le Groiny
de la Romage, enseignes, embarqués sur le même vaisseau.
A loué et loue la conduite tenue par Pierre-Antoine de Clavel,
capitaine, commandant le vaisseau le Scipion, dans le combat dudit
jour, 12 avril, qui, quoique très-malade, s'est fait transporter sur
son pont où il a très-bien combattu le matin. Mais trop faible, par
son état de marasme, pour s^occuper ensuite des manœuvres qui
auraient été convenables à l'exécution des signaux et à son rallie-
ment, sur l'accusation contre lui intentée, met les parties hors de
cour et de procès.
Décharge de toute accusation Claude-François Regnard Defus-
/^Pk
il6 HISTOIRE DE Là MARINE FRANÇAISB,
diamberg, eomte d'Amblimont, eapttaiiie, commandant le faîman
leBrotw,
El Jean-Baptiste de Marbotin Rubérona, lieutenant, embarqué
aur ledit Yaiaaeau et diai^ des sig^iaiix.
A loué et loue unanimement la conduite et les manounea d^A»
lexandre d*Ethy, capitaine, commandant le Taîsseau le CUoyen^ tant
dana le combat que dans la journée dudit Jour, 12 arril, et le dé-
cbarge de toute accusation.
A loué et loue la mémoire de M. de la Vicomte, cq>itaine, com-
mandant le vaisseau VHedor^ qui a défendu ce Taisseau aToc la plua
grande taiToure jusqu'à quatre heures un quart du soir, ledit jour,
12 avril, époque à laquelle il a été tué, ayant combattu sans inter-
mpttoii d€Îmis le matin jusqu'à deux heures et demie, et dqniia
ieette époque n'avait eu que des intervalles très-courts, ayant M
réaltaijpié par des forces supérieures.
A loué et loue la conduite de Julien-François de Beaumanoir, ca»
pitaine, embarqué en qualité de lieutenant en second, ayant pris le
commandement dudit vaisseau VHecUnr à quatre heures un quart^
le 12 avril, et ayant continué le combat pendant un quart d'heure,
malgré l'état de délabrement où se trouvait réduit le vaisseau à la
dite époque, elle le décharge de toute accusation.
Décharge pareillement de toute accusation "
IMonorial, lieutenant de vidsseau;
Marie-Jean-Ëlie Demoulins de Rochcfort, aussi lieutenant de
vaisseau;
Cbarles-Armand-Mathurin de la Garde, lieutenant de frégate ;
Jean Bassière, officier auxiliaire, tous embarqués sur ledit vais-
seau.
Décharge- de toute accusation la mémoire de Joseph-François-
Hubert Delahayrie, lieutenant embarqué sur ledit vaisseau, décédé
dans le cours de rinstruction.
Le Conseil de guerre juge les officiers de terre et de mer, em-
barqués sur ledit vaisseau, susceptibles des grâces du Roi et de
Testime de la nation, ainsi que Téquipage.
Le Conseil de guerre a unanimement loué et loue la mémoire de
M. de Marigny, capitaine, commandant le César, pour avoir com-
battu avec la plus grande valeur, ledit jour, 12 avril, jusqu'à neuf
heures du matin qu'il a été blessé mortellement.
A loué et loue la conduite de Michel-Georges Laub, capitaine, em-
barqué en second sur ledit vaisseau, dont il a pris le commande-
ment à cette époque, ayant combattu sans interruption jusqu'à trois
heures et demie avec la plus grande opiniâtreté, et fait la plus belle
LIVRE X. 317
défcDSo jusqu*au moment où il a été forcé de céder aux forces su-
périeures, n'ayant plus que trente-six coups de canon à tirer, de
tous calibres, et ayant ses voiles en lambeaux et ses mâts hors de
service. En conséquence, le décharge de toute accusation.
Décharge pareillement de toute accusation Louis-Simon de Brou-
tières, enseigne sur ledit vaisseau.
Et Joseph Ruault-Duplacy, officier auxiliaire, embarqué sur ledit
vaisseau,
Loue aussi les officiers de terre et de mer embarqués sur ledit
vaisseau, et les juges susceptibles des grâces du Roi et de Testime
de la nation, pour avoir combattu avec tant de valeur, de sang-
froid, et fait une si belle résistance, ainsi que Téquipage.
Sur Taccusation intentée contre Pierre-Antoine de Monlpéroux,
capitaine commandant le Dauphin-Royal, cet officier ayant com-
battu valeureusement le matin dudit jour, 12 avril, avec un vieux
Taisseau, mais étant le soir éloigné de son poste du corps de ba-
taille, le met hors de cause et de procès.
Décharge de toute accusation Jean-Baptiste-Roch de Guerpel de
Bar, enseigne, embarqué sur ledit vaisseau.
Décharge de toute accusation Jean-François, baron d'Arros, com-
mandant le vaisi^eau le Languedoc, matelot d'avant de la FUle-de-
Paris dans la ligne de bataille bâbord amures, ordre renversé.
A supprimé et supprime tous mémoires, lettres et écrits en ce
qu'ils contiennent d'attentatoire à son honneur et à sa réputation.
Décharge de toute accusation Jean-Baptiste-François de Lavil-
léon, capitaine de pavillon de la VUle-de- Paris, commandant ledit
vaisseau sur les ordres de Tamiral *,
Picrre-Bené-Marie de Vaugirault de Rosnay, capitaine, faisant
les fonctions de major de Tarméc;
Jean-Baptiste de Cibon, capitaine, embarqué sur ledit vaisseau
la Ville-de-Paris en qualité d'intendant de Tarmée;
Jean-Louis Trédern Dele/.erec, lieutenant de vaisseau;
Jean-Louis-Charles chevalier de Brach, lieutenant de vaisseau;
Jacques-Paul-Robert Delezardière, enseigne de vaisseau;
Charles de Blois, aussi enseigne ;
François-Marie du Bouexic, aussi enseigne,
Et Joseph de Tanouarn, aussi enseigne, tous embarqués sur la
ViUe-de^Paris.
Décharge de toute accusation Claude de Mithon, capitaine, com-
mandant le vaisseau la Couronne, matelot de l'arrière de la Ville-
àe-Paris dans la ligne de bataille bâbord amures, ordre renversé.
A supprimé et supprime tous mémoires, lettres et écrits en ce
318
HISTomE DE LA MARINE FRANÇAISE.
l
qu'ils contiennent d'altenUtoire à son honneur et h sa répukalioit.
Décharge do toute accusation Armand le Gardeurde Tilly, capi-
taine, commandant le vaisseau l'Èveillè.
Décharge de toute accusation Louis de Rîgaud, comte de Vai^
dreuil, cher d'escadre, commandant le Sceptre.
Le Conseil do guerre témoigne ses regrets sur la perte do M. I«
baron d'Escars, capitaine, commandant le vaisseau le Glm-Uux, at
loue sa mémoire, ayant Tait une vigoureuse défense jusqu'à neuf
fleures du malin, ledit jour, 12 avril, époque & laquelle il a 61^ tué,
ayant été successivement combattu par l'amiral anglais el son m^
tclot d'arriËre qui ont laissé son vaisseau sans mâts quelconquea>
Décharge do toute accusation Jean-Honoré de TrogotT de Kerlessi,
lieutenant do vaisseau, ayant pris le commandement du vaisseau k
la placo du baron d'Escars, ledit jour, 12 avril.
Décharge pareillement do toute accusation Louis-Hippolyto-M*-
rio Vinoj de Portzamparc, enseigne devdsseau,
El Charles -Paul- Léonard de Montigny, aussi enseigne, tous dew
embarqui>3 sur ledit vaisseau.
A loué et loue la conduite de TrogofT dans son opiniâtrolé dans
la défense dudit vaisseau. Sa résistance, sa valeur, ses ressources
et sa résolution sont des titres qui lui méritent les grâces du Roi
et lui assurent i'eslimo du corps.
Loue pareillement la conduite des ofTiciers de terre et de mer qui
l'ont bien secondé dans sa défense, ainsi que l'équipage dudit vais-
seau, qui ont combattu arec courage et fermeté, et qui, par celte
considération, méritent également les grâces du Roi.
Décharge de toute accusation la mémoire de Louis- Augustin dv
Montoclerc, capitaine, commandant la vaisseau le Diadème, décé<U
dans le cours do l'instruction.
Décharge de toute accusation Franco îs-Louis-iidme-Gabriol Di^
maitz do Goimpy, capitaine, commandant lu vaisseau le Destin.
Décharge de toute accusation Jean-Antoine Le Géguc, capitaine,
c<immandant le vaisseau le Magnanime,
Lui enjoint d'être à l'avenir plus circonspect ilans ses termes ai
expressions qu'il ne l'a été dans son journal et son compte runill
au Ministre, à l'occasion du combat dudit jour, 13 avril.
Décharge de toute accusation Charles de Médinu, capitaine da
vaisseau le iiéfléchi;
Charles-Marie de la Uraudiërc, capitaine du Cimqturant;
Jean-Baptiste de Macarty Macteigne, capitaine du Magnt/lquÊS,
Et le loue de sa valeur dans le combat dudit jour, 12 avril, et da
son activité, tant dans l'exécution des manœuvres de son vaissean
LIVRE X. 319
quQ pour rallier avec le commandant do son escadre la Ville-iic-
Paris, et de son attention à se porter do manière à conserver son
poste de matelot du Triomphant.
Décharge do toute accusation Louis-Philippe de Rigaud, marquis
de Vaudreuil, lieutenant général, commandant la seconde escadre
de l'armée du Roi sur le vaisseau le Triomphant,
Et loue sa conduite dans toutes les circonstances de la journée
dudit jour, 12 avril, tant comme commandant dudit vaisseau que
comme amiral commandant la seconde escadre.
A supprimé et supprime toutes lettres, mémoires et écrits en ce
qu'ils contiennent d'attentatoire à son honneur et à sa réputation.
Décharge pareillement de toute accusation Joseph -Saturnin
Mont-Cabrié de Peytes, capitaine de pavillon sur ledit vaisseau à
la place de M. le chevalier du Pavillon, tué au combat dudit jour,
13 avril.
Et Louis Frager, chevalier de TEguille, lieutenant, embarqué sur
ledit vaisseau, faisant les fonctions de major de ladite escadre.
Loue la mémoire du chevalier du Pavillon, pour avoir combattu
valeureusement jusqu'à sa mort ledit jour.
Décharge de toute accusation Charles de Gharitte, capitaine du
vaisseau la Bourgogne,
Et le loue de ses manœuvres pendant la journée dudit jour,
12 avril.
Pour, Charles-Régis-Goriolis d'Espinouse, chef d*escadre, mon-
tant le vaisseau le Duc-de-Bourgogne , s'être trop occupé dans
Taprës-midi dudit jour, 12 avril, du danger de démâter, au lieu de
faire tout son possible pour ne pas s^éloigner de son escadre, le
Conseil de guerre le condamne à être mandé en la Chambre du
Conseil pour y être admonesté en présence du tribunal assemblé.
Décharge de toute accusation Pierre Joseph-François Samson de
Champmartin, capitaine de pavillon dudit vaisseau;
Henri-César de Castellane-Majastre, capitaine du vaisseau le Mar-
seillais,
Et le loue de son zèle, de sa fermeté et de son attention la plus
suivie dans Texécution des mouvements généraux de son escadre,
et de ceux particuliers de son vaisseau dans ladite journée du
12 avril.
Décharge de toute accusation François-Hector d'Albert de Rions,
capitaine du vaisseau le Pluton,
Et loue sa conduite dans ladite journée.
Décharge de toute accusation Charles-Elzéar Bourgarel de Mar-
tignan, enseigne de vaisseau, commandant la frégate VAmaxone,
330 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
aux lieu et place de M. de Montguyot, commandant ladite frégib.
Le Conseil Je guerre honore la mémoire dudit Monlgujol, tiK
dans un combat antérieur au 12 ami.
Décharge de toute accusation Jcan-Baptïste-Françoîs de SumiMt,
lieutenant do vai^eau, commandant la frégA\A VA intable;
François Kobcrt, vicomte Daché, ensei^e de Taisseau, cODunan-
dant ie cutter le Clairvoyant,
Et le loue de sa conduite dans la journée du 'iS avril.
Itécharfce de toute accusation Joachim de Koquart, lieuteniot*
vaisseau, commandant la frégate \kGalathée;
Louise ean- Marie, baron de Paroy , lieutenant de vaisseau, ma-
mandant la cor^'i-tte la Ccrèa.
Le Conseil il<: guerre a loué et loue la mémoire de M. le \\cmit
lie Morlemart, commandant la Mgatc le Rickemond, ayant élé bt-
nninient utile ledit jour, 13 avril, par sa manœuvre hardie et dii-
lintru<^e en prenant lu (iforictu; à la remorque, qu'il a conservé afet
o|iiiitAtrL'lé sous le feu de l'ennemi, ne l'ayant abandonné qu'apiti
Us ordres riitiîrcs de M. de TrogofT, conmiandant Éo Glorieux, qui
voyait que cette frégate allait être enlourée. Cette action hardie <t
valeureuse justifie les regrets que le corps conserve d'avoir penin
eu brave militaire.
DOcliargo de ti>ute arcusaUon Joseph-Louis de Canillac, cmbar-
i|ui^, en qualité de liculenant de vaisseau en second sur ladite tn-
giltc.
Sur le 3ur|)luH des demandes des parties, les met hors de eau»
et de procès.
Quoique le Zélé ci\l été ta cause première de la bataille,
L-b \'aiNacau n'était pas au nombre des bâtiments dont 1«
conduite avait ùié déférée à l'examen du conseil.
LIVRE X. 321
UAstrée passa, à deux heures trois quarts, à poupe du
vaisseau, et elle fit route à cinq heures ^ Eu égard aux
circonstances de temps et de mer, et aussi en raison
de la situation relative des deux flottes, il ne semble pas
que YAslrée ait manœuvré avec célérité. La Pérouse, car
c'était l'illustre La Pérouse qui commandait VAslréCf
repoussa les reproches qui lui furent adressés par le
comte de Grasse, en disant qu'il avait reçu Tordre de
porter secours à un vaisseau sous-venté, sans être infor-
mé de la nature des services qu'il était appelé à rendre.
L'obscurité de la nuit ne lui ayant pas permis de voir
que le Zélé était démdté, il avait passé à poupe de ce
vaisseau afln de savoir ce qu'on attendait de lui. De 1&,
un retard dont il ne croyait pas devoir accepter la res-
ponsabilité. Quoi qu'il en soit de cet incident, nous rap-
pellerons que, si le comte de Grasse avait repris, à six
heures et demie, sa route vers le nord, le jiélé n'en eût
pas moins continué sa route en toute sûreté pour la Gua-
deloupe. Le comte de Grasse écrivit au ministre pour pro-
lester contre l'arrêt du conseil de guerre et demander de
nouveaux juges. Cet officier général se faisait sur sa pro-
pre situation et sur l'autorilé qu'il pouvait encore avoir, à
^^ris, les illusions les plus étranges. Le débat était clos,
^t le gouvernement ne voulait pas le faire renaître. D'au-
^'^o part, l'avis motivé, émis par le conseil sur la conduite
^^ chacun des officiers généraux et des capitaines, dans
*^ journée du 12 avril, avait montré l'injustice des accu-
1. Il résulte des témoignages de MM. Brueys d^Aigallier et de Hoguen,
^'^Qtenants de vaisseau, embarqués, le premier sur le Zétéj et le second sur
-^Btrée , que cette frégate passa, à deux heures trois quarts, dans la nuit
^U 11 au 12 avril, à poupe du vaisseau le Zélé, La frégate héla le vaisseau
^^ lai dit d'amener un canot pour lui envoyer une amarre. Le vaisseau ayant
^^I>ondu que sa situation ne lui permettait pas de mettre une embarcation à
^^ mer, la frégate mit en panne sous le vent et envoya un canot à l)ord du
^^U. \jbl frégate étant tombée sous le vent, courut une bordée pour s'élever
^i reprendre son canot qui avait Tamarre du vaisseau. VA$trée prit le Zélé
^ la remorque, à quatre heures trois quarts, et à cinq heures elle ût roule
l^>ur sa destination.
21
L
322 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
salions dirigées par le comle de Grosse contre son
armée. Le Roi et le ministre de la marine regrellaienl
Irès-vivemenl les mesures prises contre d'honorables
officiers qui n'avaient trouvé', pour récompense de leur
bravoure et de leur dévouement, que la prison et de mau-
vais traitements. Le maréchal de Castries crut néces-
saire de rappeler le comte de Grasse au sentiment do sa
situation. 11 lui écrivit à la date du 2 juin : « Le Itoi a
lu, Monsieur, la lettre par laquelle vous récusez d'avance
les membres du conseil de guerre et vous suppliez
Sa Majesté de vous juger Elle-même. Sa Majesté n'a point
approuvé les motifs de la réclamation anticipée que vous
avez formée contre le jugement définitif qui vient d'être
rendu par le conseil de guerre assemblé à Lorient, et
Elle n'a pu les approuver davantage depuis que ce ju^*
ment est connu. Sa Majesté a fait examiner et a examina
Elle-même, avec la plus grande attention, fous les cbeî
d'accusation qui se trouvent compris dans les lettres ail
mémoires que vous avez répandus en Europe et que vom'
avez portés contre l'armée navale dont vous aviez IêM
commandement. Elle a vu que toutes les inculpations da
désobéissance aux signaux et d'abandon du pavillon
amiral, dans la journée du 12 avril 1782, étaient détruites
par le prononcé du conseil de guerre et qu'on ne pou-
vait attribuer aux fautes particulières qui ont été com
mises la perle de la bataille. Il résulte de cejugemei
que vous vous êtes permis de compromettre, par (
inculpations mal fondées, la réputation de plusieurs ]
ofliciers, pour vous jusliGer, dans l'opinion publique, {
d'un événement malheureux dont vous eussiez pcut-^tn J
pu trouver l'excuse dans l'inrcriorilé de vos forces, daVl
l'incerlilude du sort des armes et dans des circoQslaaCM J
qu'il vous était impossible de maîtriser. Sa Majesté vMri
bien supposer que vous avez fait ce qui était en votn
pouvoir pour prévenir les malheurs de la journée, mtll 1
Elle ne peut pas avoir la même indulgence sur les fatti j
que vous imputez injustement à ceux des officiers de s> '
LIVRE X. 323
marinequîsontdéchargésd'accusalion. SaMajcsté, mécon-
tente de votre conduite à cet égard, vous défend de vous
présenter devant Elle. C'est avec peine que je vous
transmets ses instructions et que j'y ajoute le conseil
d'aller, dans les circonstances actuelles, dans votre pro-
vince. » Cette lettre fait ressortir Tesprit de justice et
d'impartialité qui furent la marque particulière de Tad-
ministralion du maréchal de Castries. Elle a, plus, cette
impoilance qu'elle nous montre le Roi et son ministre se
rangeant résolument à l'opinion du conseil de guerre.
Pendant la durée de son commandement, le comte de
Grasse avait remporté sur l'ennemi des avantages mar-
qués. La capitulation de l'armée de Cornwallis, qui avait
assuré l'indépendance de l'Amérique, était en partie son
œuvre. Battu, au combat de la Dominique, il s'était
honoré en défendant le vaisseau sur lequel flottait son
pavillon avec une énergie qu'il était difficile de surpas-
ser. Son courage personnel avait été, dans cette journée
malheureuse, au-dessus de tout éloge. En échange des
services qu'il avait rendus, la France lui devait l'oubli
des fautes qu'il avait commises le 12 avril. Quant à lui,
après la perte de la bataille de la Dominique, il avait la
stricte obligation de garder le silence et de vivre dans la
retraite. Au lieu de se résigner à ce rôle, le seul qui lui
convînt, il se livra à de stériles et injustes récrimina-
tions. Il ne sut pas, ce qui n'est d'ailleurs l'apanage que
de très-peu d'hommes, se montrer digne dans le mal-
heur.
VI
Des vingt-cinq vaisseaux qui composaient l'armée
française, après la .reddition de la Ville-de-Paris, onze
se trouvèrent réunis, le lendemain matin, auprès du
Triomphant, Le marquis de Vaudreuil expédia le Con-
quérant au Cap Français pour y porter la nouvelle du
combat de la Dominique, et il croisa pendant quelques
324 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
jours sur les côtes de SaiiiUDomin^ue. Il voulait atten-
dre ceux de nos b&tiDicals qui se diri^raient isolémeol
sur le Cap Français, rendez-vous assigné à l'arma, a
cits <tc séparation. 11 arriva, le 25, sur cette rade aTec le
Triomjilianl, la Bourgogne, le Réfléchi, le Afajnoniow, le
Destin, le Diadème, le Sceptre, le Languedoc, le DaufiAû-
Itoyal, le Citoyen, le Brave, le Sctpion, le ^orthunAa-
land, le Palmier, le Souverain et le Neptune. Le cooiw,
composé (le cent vingt-trois voiles, et les vaîsseauile
Puc-ile-Bourgoyne, la Couronne, le Magni/ique, étaient u
mouilla;;c. Le Sagittaire et l'Ea-perimerK, les frégates la
Railleuse, l'engageante, le Ridtmond et neuf vaisseaui
pspapnoU qui avaient appareillé, le 22, pour se porter »ii-
dcviiiitdcnus bdtimcnts, rentrèrent quelques jours après.
Cinq Miisseaux, YAuguste, portant le pavillon du cW
dVscndre de Bougainvîlle, l'Éveillé, l Hercule, le Mar-
Kfitlais et le Plitlon, rallièrent l'armée dans le mois de
mai, après avoir ri^parè leurs avaries à Cura(;ao.
Los Anglais, trop maltraités dans la journée du ISavril
pour nous poursuivre, passèrent la nuit en panne surit
lii-u du combat. Le calme les retint pendant trois jour
sous la Guadeloupe. Le vice-amiral Samuel Hood parlil
en avant avec dix vaisseaux, pris parmi ceux qui avaienl
le moins souffert. Il avait l'ordre de croiser, au large du
cap Tiboron, sur la côte de Saint-Domingue, jusqui
l'arrivée du commandant en chef. Rodney suppossil
que ce détachement pourrait intercepter quelques-uni
UVRE X. 325
VAstrée, VAimable o\. la Cérès^ partis quelques jours au-
paravant de la Guadeloupe. Entourés par des forces supé-
rieures, le Caton et le Jason furent obligés de se rendre.
Des trois frégates, VAslrée fut la seule qui parvint à se
dérober à la poursuite de Tennemi*. Rodney, après avoir
opéré sa jonction avec Hood, conduisit son armée à la
Jamaïque où il arriva à la fin d'avril.
Les pertes subies par les Français au combat de la
Dominique et la présence à la Jamaïque de Tarmée de
Rodney, déterminèrent les chefs d'escadre don Solano et
le maniuis de Vaudrcuil a renoncer à Tcxpédilion proje-
tée contre cette île. Toutefois, la victoire des Anglais
n'eut pas pour conséquence de paralyser les mouvemenfs
des alliés. Le marquis de Vaudreuil fit réunir au Cap les
bâtiments marchands répandus dans les difi*érenls ports
de Saint-Domingue. Il les expédia en Europe, sous bonne
escorte, en deux convois, comprenant chacun plus de cent
voiles. Une division, composée du vaisseau le Sceptre^
commandé par La Pérouse,des frégates VAstréeei VEnga-
géante commandées par les lieutenants de vaisseau de
Langle et de la Jaille, fut envoyée dans la baie d'Hudson
pour y détruire les établissements anglais*. Le 4 juillet,
les escadres française et espagnole appareillèrent de la
rade du Cap. Après avoir assuré l'entrée de don Solano à
la Havane, le marquis de Vaudreuil continua sa route
vers l'Amérique septentrionale avec treize vaisseaux.
Dans les premiers jours d'août, il parut sur les côtes des
États-Unis, où sa présence inattendue excita, chez l'en-
nemi, les craintes les plus vives. Les généraux anglais
crurent à une action concertée entre les Français et les
1. Cet événement faisait peser sur le capitaine da Caton ^ M. de Framond,
qui commandait la division par droit d'ancienneté, une grave responsabilité.
La route qu'il avait prise n'était |)oinl celle ipii était indiquée dans ses in-
structions. Le ministre fit rayer cet officier des listes de la marine.
'2. Malgré de très-grandes difTicultés , cette expédition fut conduite
par La IVrouse avec un plein succès. Elle fit éprouver à TAngleterre des
pertes considérables.
326 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Américains, et ils concentrèrenl des Iroupes autour de
New-York, Le marquis de Vaudi-cuil mouilla, le 10 août,
devant Boston, pour ravitailler son escadre et faire les
réparatious que les ressources insuffisantes du Cap ne
lui avaient pas permis d'entreprendre. Noli'e arrivée
dans la rade de Nantasket fut marquée par un évé-
nement malheureux. Le Magnifique, mal dirigé par son
pilote, se jeta à la côte; on sauva le malériel, mais le
vaisseau ne put ôlre relevé. Le Congrès, voulant donner
à la France un témoignage de la reconnaissance publi-
que, offrit au Roi l'América de soixante-quatorze canons.
C'était le premier vaisseau qui eilt élé construit dan» les
chantiers de la nouvelle République.
Les déprédations commises & Saiut-Eustachc avaient
soulevé en Angleterre une réprobation générale. L'amiral
Pigot, désigné pour remplacer Bodney, élait en mer, au
moment où parvenait à Londres la nouvelle du com-
bat de la Dominique. L'amirauté fit partir en toute hâte
un navire bon marcheur pour le rappeler. Dans le cas
0(1 il n'aurait pu rejoindre cet amiral en trmps oppor-
tun, le capitaine de ce h&timcnL était porteur d'une let-
tre qui laissait Rodney libre de rentrer en Angleterre
ou de rester à la tétc de son année. Lorsque cet aviso
rallia la flotte britannique, l'amiral Hodney avait re-
mis .son commandement à son successeur, cl il était
parti pour l'Europe. Pendant leur séjour & la Jamaïque,
les Anglais, occupés à se réparer, n'inquiétèrent pas nos
mouvements. Ils ne tirent aucune tentative, soit pour at-
taquer nos possessions, soit pour reconquérir les colo-
nies dont nous nous étions emparés. La victoire de Rodney
délivra la Jamaïque de toute crainte, ce qui était, on doit
le reconnaître, un point très-important; mais elle n'eut
pas pour l'ennemi, au point de vue oITensif, de consé-
quences directement favorables. Lorsque l'amiral Pigot re-
prit la mer, il y avait quelque temps déjà que le marquis
dcYaudrcuil avait quitté de Saint-Domingue. Les An-
glais nous suivirent sur les cOtes de l'Anu'riipie septcii-
^
1
LIVRE X. 327
trionale, et leur escadre mouilla à New-York, le 4 sep-
tembre 1782 *.
Aussitôt que notre escadre fut en état de prendre la
mer, elle se rendit & Porto-Cabello, où le marquis de Vau-
dreuil et don Solano étaient convenus de se réunir. Nos
alliés ne parurent pas au rendez-vous fixé, d'un commun
accord, dans le conseil de guerre tenu au Cap quelques
mois auparavant. Le capitaine général de Cuba n'avait
pas peAnisà Tamiral espagnol de s'éloigner de l'ile avant
l'arrivée d'une escadre qui, à ce moment, était attendue
d'Europe. Le marquis de Vaudreuil, informé de cette si-
tuation, fit route pour Saint-Domingue.
La défaite essuyée par le comte de Grasse ne modifia
point les projets de la France et de l'Espagne relativement
à la Jamaïque. Ces deux puissances décidèrent qu'elles ten-
teraient cette entreprise au commencement de l'année 1783.
Les forces que la Grande-Bretagne entretenait à la mer
s'élevaient à environ cent vaisseaux. En défalquant les
1 . L'inaction des Anglais permit au marquis de Vaudreuil de présenter, dans
Qn de ses mémoires, les observations suivantes : « Si les Français n'avaient
pas opposé la plus vigoureuse résistance, Tarmée anglaise aurait-elle été
autant de temps à se réparer à la Jamaïque? Ne nous serait-elle pas venue
bloquer au Cap? Elle n*a cependant pu empêcher l'expédition de la baie
d'Uudson de renvoyer les troupes aux lles-du-Vent, de rassembler les mar-
chandises qui étaient dans les différents ports de Saint-Domingue, de faire
partir deux différents convois de plus de cent voiles chacun. Les Espagnols
«ont retournés à la Havane sans être inquiétés; nos vaisseaux ont croisé
entre le Cap et Port-au-Prince ; nous avons été ensuite croiser à la tète de
la Nouvelle Angleterre avant qu'ils aient été en état de s'y rendre, et ils n'ont
été à New-York que pour achever de s'y réparer. Les convois de la Jamaïque
n'ont pu partir pour l'Europe aussitôt que les nôtres. De tous les vaisseaux
qn*ils nous ont pris, VArdentj en partant de la Jamaïque, s'est trouvé en
si mauvais état qu'il a été obligé d'y retourner sur le point de couler à fond;
tous les autres ont péri en pleine mer, au premier coup de vent qu'ils ont
reçu. Les Anglais ont-ils pu retirer quelque avantage de leur victoire ? On
ne les taxera pas cependant d'inactivité ou de n'être pas commandés par
des généraux entreprenants et habiles. Mais les Français, ne se laissant point
abattre par les revers, ont mis tant do célérité dans leurs travaux, qu'ils ont
été en état de prévenir, en tout, les Anglais, comme s'ils n'avaient pas été
battus. Ce sont ces mêmes officiers, Messieurs, qui attendent un jugement
qui répare leur honneur attaqué. >
328 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
b&limenU nécessaires à la protection de ses convois, les
navires qui étaient dans l'Inde et l'escadre de la Hanche,
l'Anglclerre disposait de quarante vaisseaux pourdéreo-
dre ses colonies des Indes occidentales. Nous avions vingt-
deux vaisseaux dans la mer des AJOtilIes, et les Elspagnols
douze & la Havane. Les cabinets de Versailles et de Vi-
drid convinrent d'envoyer à Saint-Domingue, à la Ëa it
décembre, trente vaisseaux, quinze français et quinze «■
pagnols, détachés de l'armée combinée réunie h. Cadii.
L'exécution de ces mesures devait nous permettre de (airt
l'expédition de la Jamaïque avec une flotte d'au maini
soixante vaisseaux.
LIVRE XI
Conquête de Minorque. — Réunion des forces navales de la France el de
TEspagne à Cadix. — La cour de Madrid forme le projet d'attaquer
Cibraltar par terre et par mer. — Prise du vaisseau le Pégase. — Les alliés
s'emparent d'un convoi anglais. — Apparition de la flolte combinée dans
la Manche. — Poursuite de l'escadre anglaise. — Howe sort pour ravi-
tailler Gibraltar. — Les Espagnols construisent, à Âlgésiras, dix batteries
flottantes sur les plans d'un offlcier français, le colonel du génie d'Arçon.
— Attaque de Gibraltar, le 13 septembre. — Les Espagnols évacuent les
batteries flottantes et les livrent aux flammes. — JBelle conduite d'un ofQ-
cier anglais, le capitaine de vaisseau Cnrtis. — Observations sur la jour-
née du 13 septembre. — Arrivée de l'escadre anglaise dans le détroit. —
L'amiral Howe parvient à ravitailler Gibraltar. — Engagement du
20 octobre. — Retour des alliés à Cadix. — Les Anglais poursuivent leur
route vers Portsmouth.
Au commencement de Tannée 1782, les Espagnols ache-
"Vèrent la conquête de Minorque. Le fort Saint-Philippe,
le seul point qui fût au pouvoir des Anglais, capitula le
^ février. La garnison, réduite à une poignée d'hommes,
^e rendit prisonnière de guerre. La cour d'Espagne, tou-
jours poursuivie par le désir de reprendre Gibraltar, ré-
solut d'attaquer cette place par terre et par mer. Les
Groupes qui avaient fait l'expédition de Minorque furent
transportées au camp de Saint-Roch. Charles III, espé-
rant que le duc de Grillon serait aussi heureux dans
ceite seconde entreprise que dans la première, plaça ce
général à la tête de l'armée assiégeante. La France, cédant
aux sollicitations de l'Espagne, envoya le lieutenant gé-
néral de Guichen à Cadix, avec une escadre, pour se join-
dre à Cordova. En présence des forces considérables que
les alliés avaient dans les mers d'Europe, les Anglais
conservèrent sur leurs côtes un nombre de vaisseaux suf-
fisant pour se prémunir contre toute nouvelle tentative
330 HJSTOIHE DE LA MARINE FRANÇAISE,
(l'invasion. Ces bâtiments furent divises en plusieurs es-
cadres. Une d'elles bloqua les Hollandais dans le Tcxcl,
cl Ins autres sortirent successivement pour attaquer notru
commerce et protéger celui de la Grande-Bretagne.
Le 20 avril, le vice-amiral Barrington, parti depuis
liuit jours de Porlsmouth avec douze vaisseaux, aperçut,
dans le sud-oucsl d'Ouessant, un grand nombre de voi-
les. C'était un de nos convois qui allait dans l'Inde, sous
l'escorte des vaisseaux de soixante-quatorze le Pégase el
le Prolecteur. Ces deux bâtiments prirent chasse, les
amures à tribord, avec des vents de sud-est, courant
sur Ouessant dont ils n'étaient pas éloignés. A sept beu-
res et demie du soir, l'ennemi les avait beaucoup gagnés. _
A huit heures et demie, le Pégase, qui était à une assez .»
grande distance en arrière du Protecteur, était serré de ^-^
Irès-près par un vaisseau anglais. Perdant tout espoir de ^^3s
franchir l'Iroise avant d'ôlre atteint, son commandant, le j»-^
capitaine de vaisseau de Silans, fit route vent arrière, allure =?-=>
qui lui parut la plus favorable pour échappcrùrennemi. .
Vers minuit, le Foudroyant, de quatre-vingts canons,^. ,
arriva à petite portée du Pégase. Un combat très-vif s'en
gagea immédiatement entre ces deux vaisseaux. A dcuxa^
heures du matin, le capitaine de Silans manœuvra pourr^v
aborder son adversaire. 11 réussit 4 engager le beaupré^**
du Foudroyant dans ses grands haubans, mais les deut^^
bâtiments se séparèrent presque immédiatement. A Iroijh.r' "
heures, le Pégase désemparé, ayant quatre-vingt-iliiu;^"*
hommes hors de combat, amena son pavillon. Le Fui»-
ilroyanl avait trois blessés et quelques avaries sans im^ ~
portante dans la mâture. Le vaisseau V Actionnaire, armé ^^s
en flûte, et douze transports, sur dix-huit dont le convoi -^■^
était composé, tombèrent entre les mains des Anglais. — -
Cet événement était d'autant plus malheureux que la -^*
plupart des bâtiments capturés par l'amiral Kempenfeldl, ~^
le Ik décembre 1781, se rendaient dans l'Inde.
La prise du Pégaup. souleva en France une légitime émo--
lion. Les rencontres qui avaient eu lieu , depuis
UVRE XI. 331
commencement de la guerre, entre des bâtiments isolés,
avaient été le plus souvent favorables à notre marine.
Dans les combats de la Belle-Poule et de VArelhusa^ de
Ib, Surveillante eX du Québec *, le courage des équipages et
l'habileté des capitaines avaient brillé d'un vif éclat.
LiOrsque la fortune des armes nous avait été contraire,
nos bâtiments, avant de succomber, avaient toujours in-
fligé à l'ennemi des pertes très-sérieuses. Le succès du
I^oudroyant^ dans les conditions que nous avons indi-
quées, était un fait d'autant plus difficile à comprendre,
que M. de Silans jouissait d'une très-bonne réputation.
Cet officier, ayant été très-promptement échangé, compa-
i^ut, le 22 octobre de la môme année, devant un conseil de
guerre réuni à Brest, sous la présidence du lieutenant
général de Breugnon. L'officier qui remplissait les fonc-
tions de procureur du Roi, le capitaine de vaisseau de
Pautras, termina le réquisitoire extrêmement sévère qu'il
prononça contre le capitaine du Pégase en disant : « Nous
requérons pour le Roi que le sieur chevalier de Silans
soit cassé et extrait du corps des officiers de la marine,
que son nom soit rayé de dessus les listes et états desdits
officiers, qu'il soit déclaré incapable de jamais servir le Roi
clans sa marine, ainsi que déchu et privé de tous hon-
neurs, prérogatives, attribués à ce corps, et qu'il soit con-
damné, en outre, à garder prison fermée pendant l'espace
de vingt ans, dans tel fort, citadelle, château et autres
endroits qu'il plaira à Sa Majesté de lui assigner '. » Le
1. Le combat de la Surveillantt et du Québec est une des plus belles ac-
tions de celte guerre. Les officiers et les équipages des deux nations firent
preave^ dans cette affaire, de la plus rare intrépidité. Après un engagement
À petite portée qui avait duré plusieurs heures, le Québec sauta. Le capi-
taine Farmer disparut dans l'explosion de son b&timent. Du Couddic, le vail-
lant capitaine de la Surveillante, mourut quelques mois après des blessures
reçues pendant le combat.
2. Le chevalier de Fautras demandait, en outre, que M. de Gambis, officier
en second du vaisseau, fût condamné à la prison pendant une année, avec
interdiction de toutes fonctions au service de la marine, jusqu'à ce qu'il plût
àSallajesté de le relever de cette interdiction. M. de Cambis fut acquitté.
I
832 HISTOIRE DE LA M.IHINE FRANÇAISE,
conseil n'admit pas les conclusions du procureur du Roi.
Le capitaine du Pégase fui interdit « de toutes fonctions
au service de la marine, jusqu'à ce qu'il plût & Sa Ma-
jesté dele relever de ladite interdiction'. «
Celle condamnation, relativement légère, oITrait un
contraste surprenant avec la gravité de l'événement qui
avait amené M. de Silans devant un conseil de guerre.
L'opinion d'un des juges, le capitaine de vaisseau de ^^
la Vaultière, que nous reproduisons ici, nous four
nira l'explication de cette indulgence apparente : = Jc^e^m
ne crois pas M. de Silans aussi réprélieusible, sur iiiiiiiiim m\
point, que de l'excès de zèle uu d'ambition qui l'aumiW ^t
porté à accepter le commandement d'un vaisseau mal ^^1
1. On trouvera dnns les considfraiiU du jugoment que uous donnoa .^Kriti
ci-a|irèH Un Saules àe manœuvre que le conseil reprochait au ca|illsiae iIb ^ÊIu
Pégate. Le conaeil de guerre a décUré et déclare ledit kieur cbenlicr dM^=ie
Silans ddmentaUeiDl et convaincu, premiËremeat: de s'£lre laiwé alteioirr— ^ i.
à portée de pistolet, avant d'avoir fait usage de seu canons de retrail<^^B«,
<li]Oique le Foudroyant tCtl resté pendant plus de quatre heures dan* w »s
eaux, manceuvre qui, outre les avantages qu'elle taisait perdre au Pigai^-' t,
lui a procuré l'ioconvcnient i'tlre réduit ï la m^cessiLé de comiuencer W Ir
combat dans une position déravorable, «on adversaire le serrant eu arrii>r^^^
par la hanche du vent à tribord ; secondenieot, d'avoir noo-Beuleiiienl cou— ^i-
mencé et continua le coul»t sani avoii placé lea grappins, m ses gens w ■'
le* gaillards et dunutles pour le service de la niousquelcrie, mais in^n=:=>*
d'avoir, dans un moment où il venait d'épiouver la mise hors de combat d'cfr^^^-
viron un septième de «on équipage et plusieun avaries h son vaisseau, ten^^^*'
iur ledit vaisseuu, le Fauilroyanl, un aturdage sana aucune di'lermioauc=^^^
el sans préparation ni pour ni contre celte allaquc ; d'avoir cependant, dair^^<
ce dcsuin, Tait monter indialinclenienl toutes les espèces d'individua. - •■
compromis ainsi la conservalion de son vaisseau, soit on ciputanl, d'apr*^^^*
ton déhiul de précaution, inconsidérément el sans apparence d'aranlAt:<-'t, ^^^"^
monde sur le pont, soit en laissant les batteries et l'intérieur du vausct^^^"
hors do défense par l'enlùvenieot des gens qui -j élaienl nécessaires ; cnB^^^"'
de n'avoir pas exactement rempli les dispositions dos ordonnances pour "
conservation de son vaisseau et l'honneur du pavillon do ll^i, ajaDl ^^^*''
contraire, sans Èln réduit à la dernière eitrémilé, a-nené son pavîllM ^ ' "^
rendu le Pégast nu vaisseau le Foudroyant dans une circunslaiioe où c^^^^
ennemi n'avait pas encore repris l'action depuis la tentative d'abordif*. -^ "*|
sans qu'aucun des trois autres vaisseaux de la division anglaise, qui t'eî-^-*^
élaienl approchés, eùl formé rallaquc. Tour réparation de tout qiwt **
couseII de guerre a condamné el condamne ledit sieur cbftatier de Si'
à être interdit de toutes fonclioni bu service do II marine, josqu'à ca tf
plaise k iia Majesté dt le rclevi-r de celle inlerdiclion.
LIVRE XI.
armi^ en matelots et raCme en orGciers, puisqu'un ensei-
gne de vaisseau de dix-neuT ans commandait la première
batterie. En conséiiiiencc, il mo paraît qu'an lieu d'enle-
ver un vaisseau très-supérieur, comme il y serait înTail-
libiemeut parvenu par l'audace de ses manœuvres, avec
un équipage plus marin, il n'a rien fait pour la gloire du
pavillon français, et il a compromis la sienne. C'est sur
cela que je porte lo bldme que je prononce sur lui, et
mon avis est de l'interdire', n Le Pégase avait été mis en
rade le 1 1 avril, quoiqu'il fût, A ce moment, dans un état
d'armement très-peu avancé. H. de Silans en avait pris le
commandement le 13, et il était parti de Brest le 19. L-e
conseil avait acquis la preuve que ce vaisseau était, sous
le rapport du personnel, dans des conditions non pas
mauvaises, mais déplorables. On a vu qu'un très-jeune
enseigne commandait la batterie bosse. Les matelots et
les canonniers manquant au port de Brest, l'équipage avait
été complété avec des hommes qui n'avaient jamais vu la
mer. Le Pégase avait été mis deliors avec une telle pré-
cipilalion, que les rdles de combat n'étaient pas termi-
nés, au moment oii il avait appareillé. Or, il s'était battu
le 30, c'est-à-dire le lendemain de son départ, contre un
vaisseau armé depuis longtemps, et qui était commandé
par un (les meilleurs officiers de la marine anglaise. L'issue
mallicureuse de celte rencontre avait été la conséquence
naturelle de la situation des deux vaisseaux. Les mem-
bres du conseil, divisés en ce qui concernait l'apprécia-
tion des manœuvres faites avant et pendant le combat,
s'étaient trouvés d'accord pour reconnaître que le com-
mandant du Pégase avait manqué gravement à son devoir
en n'adressontA l'autorité supérieure aucune observation
sur l'état de son vaisseau. L'accusation, elle-même, s'était
assoriée à cette manière de voir. Le capitaine de vaisseau
de Fautrafi avait reproché très-vivemenl à M. de Silans de
ne pas avoir fait à ses supérieurs les représentations que
1. A «Ik c'poquc le» jugMdonnaienl Inur npinion psr écrit.
F
1
334 HISTOIRE l)K I.A, MARINE FRANÇAISE.
comporlaiL la coniposilion ilc sod équipage'. Les débals
avaient fait ressortir clairement la part de responsabililû
revenaol au commandant du port de Brest, dans le mal-
heureux événement du 20 avril. La leçnn qui ressort de ce
qui précède n'a pas perdu de sa valeur. Les bdlimenLi ^
envoyés A fa mer doivent être en mesure, dès le lendp- —
main de leur appareillage, de faire honneur au pavillon. _ _
On doit d'autant plus insister sur celte observation, _^ m
que, \q plus souvent, les officiers ayant la mission de pré ^
parer les forces navales no soni pas chargés de s'en scr
Tir. On peut donc craindre qu'ils ne se laissent aller h tai^s J
tentation de faire vite, sans se préoccuper suffisammenr ^n
de faire bien.
Le k juin, trenle-deux vaisseaux, dont einq vaisscau^r ji
français, sortirent de Cadix et firent roule vers le NonI .^tl.
Le 25, don Luis de Cordova eut l'heureuse fortune d» Me
rencontrer un convoi allant d'Anglelerrc au Canada, sou -^s
l'escorte d'un vaisseau, de deux frégates eld'un sloop. Le^^^s
bAtimenIs de guerre réussirent à s'échapper, mais dii^^K-
huit navires de commerce, richement chargés, tomb{-rci^^'
cnlre nos mains. En raison de la supériorité numérîqu e
des alliés, les Anglais se tinrent sur la défensive. Ccppm^-
dant, l'amirauté britannique voulut assurer la renlr^'^ e
d'un riche convoi attendu de la Jamaïque. L'amiral Hoivc^^.
chargé de cette mission, se porta au-devant de ce convt^^i
en se tenant i l'ouest de la flotte combinée. Il parvint A I **
rejoindre, et il le ramena sain et sauf dans les poris d*li
lande. Dans les jjremiers jours de juillet, Lamotte-Pïc "
quet rallia l'armée combinée avec huit vaisseaux. C«5=s'l
officier général prit le commandement d'une escadre lé
gère, composée de {'Invincible, sur lequel était arboré so^K^
pavillon, du Robuste, du Guerrifr, du Protecteur et de^^
vaisseaux espagnols le Haintr-Vincent, X'Arrogi
ilca rnpréscntnliani convenable*
t rarnioUon Jci i^uiptiget.
ibict tondituil l'^^^l
• R«quiaiIoire i^^^^l
LIVRE XI.
Snnifl- Ysabel et le Santo-Ysidoro. La flolte franco-espa-
gnole croisait à \ingl lieues dans rouest-sud-ouosl
d'Oucssant, lorsque, le 12 juillet, k cinq heures du malin,
le»! frégates annoncèrent une escadre ù grande distance
dans le nord -est. Cordova fil le signal de chasser en route
libre. Peu nprts, les bâtiments avancés tirent connaître
qu'ils apercevaient vingt-deux vaisseaux.
[.'ordre Tut donné d'attaquer dès qu'on serait A portée
de canon. La supériorité de marche de l'ennemi rendit
toutes ces dispositions inutiles. Lamotte-Picqiict, avec
l'escadre légère, se rapprocha des Anglais, mais lo gros
de la flotte combinée resta en arrière. A six heures du
soir, le commandant en chef, reconnaissant l'impossibi-
lité de joindre les Anglais, hissa le signal de ralliement '.
A la Qn de juillet, don Luis de Cordova fit route pour
Cadix. L'escadre hollandaise était sortie du Texel, mais
elle n'avait pas osé se diriger vers la Manche. Après une
courte croisière dans la mer du Nord, elle était rentrée
sans avoir inlligé de dommage à l'ennemi. Une flotte
marchande, de près de quatre cents voiles, venant de la
Baltique avec une faible escorte, avait pu atteindre les
ports d'Angleterre sans être inquiétée. Le gouvernement
bntanni<|ue, délivre de toute crainte d'invasion, résolut
de tenter un effort énergique pour secourir Gibraltar.
Cette mission fut confiée à lord Howc, ayant sous ses
ordres les vice-amiraux Barrington et Milbank.LeU se|}-
tembre, l'armée anglaise, forte de trente-quatre vaisseaux,
1. l'ti l'booDear de vous idrpuer un précii At re qoi s'est paud duit II
chasse(|ueaou*avDn«donn£e, Icl2i]cce mois, à l'armic anglais, compasdc
de vÎDgl-denx TauMSUi de ligne, doni ouzo & Irois ponts et sii Trégales.
J'ai hil humuDemenl toat ce qu'il a été possible pour l'f ngafcer, sa ritqne
d'êlro éttAti ou pris, niais le tout inutikoieDl ; l'armée cunibinâ« était au
moins A deux lieues de nous, et une graode partit' beaucoup plot éloignie.
Si elle avait mieux marché, la marine anglaise était anéantie en wm mers.
Quelle journée, Monseigneur, nous avons manquée par la pesanteur des
vai-iwcani espagnol* I Ko* ofOciert et nos é4{uipages témoignaient la plus
grande ardeur, et je regretterai toute ma vie de n'avoir pu en faire usage.
(Lettre de Laniotte<Pici|uet du 14 juillrt \'iWl, ft douze milles dans le 9iid
du cap Lâiard.J
J
336 HISTOIRE DE LX MARINE FRANÇAISE,
mit SOUS voiles. Elle escorlait une floUe de transports
chargùc de vivres et de munitiODs. Des troupes, destinée
A ronrorcer la garnison, élaieot réparties sur les vaisseaoi
cl sur les bdlimcnts du coDvoi. Don Luis de Cordon,
arrivé le b septembre à CadiXj en était reparti, le 9, pour
se rendre & Algi^siras. Il tn>u\-a sur cette rade, oùf
mouilla le 12, huit vaisseaux espa^ols et deux ni-
seaux français. Ces renforts élevèrent la force de l'atiM
r4>mbîi)î-e A quuranlc-neuf vaisseaux, treole-cînq tsft
{rnols ol quatorze français.
Depuis la prise tle Minorque, la nation espagnole o'anit
vu dans la guerre engagée avec l'Angleterre d'autre bot
h iioursuivre que la conquête de Gibraltar. Toutes h
ressources des arsenaux avaient été mises à ta dispos-
lion du nouveau commandant en chef. L'armée, réunit
au camp de Saint-Roch, était forte de quarante mill*
hommes, sur lesquels on comptait dix mille Françaé.
Depuis son itrrivée, le duc de Crilloo avait ilooné aui
opérations une impulsion énergique. De nombiruî^
batteries de canons et de mortiers avaient été établies, fl
les assiégeants avaient fait subir à la place plusieun
bombardements. Néanmoins, les résultais obteo us jusque-
là pouvaient être considérés comme nuls. Il est, itai)-
leurs, facile de se rendre compte des difficultés de crilf
entreprise. Le duc de Grillon ne faisait pas le siège*
Cibrallar; la nature des lieux ne le lui permettait [«=■
Tous SCS efforts se portaient sur le front nord, nousM
pTLSqu'ilfi se Icnninc par un cap appelé Pointe d'Europe.
Elle esl limitée, du côlé de la Méditerranée, par un roc
coupé & pic. C'est sur le versant occidental que se trouve
lu ville. Au commencement de 1782, celle-ci était presque
cnti(:rcment détruite, mais cette situation n'avait, au
point de vue mililairc, aucune imporlAnce. II existait sur
la montagne, à dilTérentcs hauteurs, des camps retranclics
dans lesquels la garnison avait des abris assurés. La
presqu'île de Gibraltar est un des côtés d'une vaste baie
découpée dans les terres du sud de l'Espagne. Sur la côte
occidentale de la baie, se trouve Algésiras, qui fait face
à GiliraKar. La Pointe d'Europe n'est pas très-élevée, mais
en avançant vers le nord, la hauteur du sol augmente
rapidement. A l'extrémité de la presqu'île, elle atteint de
trois h quatre cents mètres. Les baticrics anglaises éle-
vées sur ce point Taisaient un feu plongeant sur le camp
espagnol. Un ne croyait pas, à Madrid, qu'il fût possiblo
de prendre Gibraltar en l'attaquant du côté de la terre.
Les deux sièges de 1705 et de 1J27 ne laissaient sur ce
point aucune espérance. D'autre part, il semblait douteux
que, même en sacriliant une escadre, on pût agir par mer
avec des cbances sérieuses de succès. Un officier français,
le colonel du génie d'Arçon, après avoir mûrement étudié
ce problème, soumit à l'examen du gouvernement espa-
gnol les plans de batteries flottantes propres & remplir
cet objet. Ces batteries, disait-il, n'avaient à redouter ni
le danger de couler, ni celui de brûler. Le colonel don-
nait à la quille et aux fonds de sea bâtiments une très-
grande épaisseur. Il les rendait impénétrables aux boulets
en les entourant d'une muraille de bois et de liège recou-
verte de cuir vert. Dans l'épaisseur de la muraille se
trouvait ménagé un espace rempli de sable. A la distance
de Gibraltar où il supposait que seraient mouillées les
baderies ilottanles, les boulets devaient s'arrêter  deux
pieds des murailles intérieures. Un toit incliné, fait h
l'aide d'une forte charpente recouverte d'un lit de vieux
cordages, mettait les batteries à l'abri de la bombe.
888 HISTOmB DE Lk MABINB FRANÇÂISB.
tfa système de caaaux, communiquant tee uns arec les
antras et s'entre-croisant, taravorsait la muraille exté-
rieure dans toutes ses parties. Tous ces canaux Tenaient
aix»utir à une sorte de réservoir, placé au sommet du
bUndage, et dans lequel les .pompes éleTaient Tean néces-
saire à la circulation |[én#itle. Ces damières disposi-
-tikms avaient pour but de rendre les batteries
incombustibles. Les propositions du colonel d'J
étato[it trop en dehors des idées reçues pour^ ne
soulever une très-vive opposition. Le gouveruMMat
pagnol, après avoir hésité longtemps, se décida, au mou
de février 1782, à les adopter. Le Roi, qui s'occiq»it
un soin particulier des afflakes militaires, ne Ait
étranger à cette détermination ^ Au lieu de commencr^ m
1. Le eoloDel d^Arçoa himi reposer récoiioiiiie de iod projet m lee
dpei aniraiiU : 1* lee plus forte calibrée ooiaiis, djeyt41 dau « de
MÉriniree, aoBt impoiesaats oontre cinq piede d'épaieeear tm d« bok
paetet di^oeé joiatÎTemeat
3* Lee boîs coatiaaeUeaieat eatreteaue, haaieetée jaeqa'an degré de
aiereioB tbtale, Bepeaveait penaettre aacaa [^ogrée d'âiceadie,
3* n existe saas doute telle composition cliimi<ioe qui brûlera
l*eau même et qui fera brûler quelques parties des bois qu'elle touch
immédiatement, mais jusqu'à consommation de la composition seulemc!^ -^l^
après quoi la nature reprend son cours ordinaire et Ton ne verra auc on
progrés d'incendie sur les bois imbibés par abandonnance.
4* Il ne faut plus rien prévoir à la guerre, si Ton ne veut pas adopter
principe que six pièces d'artillerie en feront taire une dans tous les
est bien entendu que, pour que cette machine puisse être adoptée dans to
sa force, il faut que toutes choses soient égales de part et d'autre, relativcm
à la sécurité des hommes employés au service de Tartillerie. Or, dans le
présent, la proportion de supériorité eût encore été fort augmentée en ~
de l'artillerie attaquante, puisque celle-ci devait exercer ses effets sur
espace découvert où les masures à demi semées eussent multiplié
ravages de quatre-vingt-dix mortiers et de troit< cents pièces de canons.
5* Un assaut exécuté sous la protection de quatre cents bouches à f<g^J^>
une fois maltresses, tous obstacles fortiûant étant effacés, n'est pas mé ^'
un assaut et n'est qu'une prise de possession sans coup férir. Tels sont
axiomes d'où l'inventeur est parti. Ce sont ou des faits éprouvés on
vérités de tous les temps. On lit dans un des mémoires du colonel d'Arv^ .
paru à Madrid le 26 novembre 1782 : « Batteries flottantes insubmersibles ^
incombustibles. » La première de ces propriétés devait s'obtenir
manière fort simple en préservant les carènes des batteries par la snréj
aeur de bois employé en redoublement. A l'égard de l'incombustiiNlr
Pauteur annonça sans mystère et sans prétention qu'on l'obtiendrait
i
LIVRE XI. 339
inimédialcment les travaux, le minisire de la marine ne
donna qu'à la un du mois de mai les ordres nécessaires
pour la transformation de dix bâtiments de charge en
batteries flottantes. Le colonel avait demandé , pendant
qu'on discutait ses plans, que les bois nécessaires à l'opé-
ration fussent réunis. Il faisait observer que ces bois
pourraient toujours être utilisés, alors même qu'on re-
jetterait ses propositions. Ce conseil si sage n'avait pas
été suivi. Dans les premiers jours de septembre, les bat-
teries flottantes furent presque complètement terminées.
Un premier essai de l'arrosage continu ne donna pas de
résultats satisfaisants. Soit que le calfatage eût été mal
fait, ou qu'il existât quelque défaut dans la construc-
tion, l'eau filtrait à l'intérieur des bâtiments. Le désir de
commencer le bombardement de Gibraltar était tel,
au camp de Saint-Roch, que le duc de Grillon ne
voulut pas accorder les délais nécessaires pour achever
les travaux. Il décida que les batteries flottantes servi-
raient dans l'état où elles se trouvaient. Les conduits
intérieurs furent bouchés, et on ne conserva que l'arro-
sage superficiel. Gette décision enlevait aux batteries
flottantes la plus grande partie de leur valeur militaire.
Le colonel d'Arçon ne se laissa pas aller au décourage-
ment. Il crut que, même dans ces conditions, les nou-
veaux bâtiments pourraient rendre de grands services.
Enfin, il pensa que, si une première expérience n'était
pas favorable, on se hâterait de les retirer du feu. En ce
cas, il aurait la liberté de revenir à ses premiers plans et
le temps de les exécuter. La marine espagnole montrait
la plus grande confiance dans les nouveaux bâtiments, et
la plupart des officiers briguaient l'honneur de les com-
Tantidote ordinaire du fen, en déterminant la présence active de l*eau par
une circulation générale dans toutes les parties des bois exposées à Tat-
touchemcnl et à la pénétration des boulets rouges. 11 était question de pro-
duire une expansion artificielle équivalente à Timmersion totale des bois.
De là résultait, après expérience faite, que leurs fibres, toujours imbibées
par abondance^ s'opposaient à toute espèce de progrès d*incendie.
340 HISTOIRE DE LA MAHINB FRANÇAISE,
mander. Elles formaient une division, composée ainsi
qu'il suii: Paslor a, Talla Piedra, la Pau/a PWnirt,flosario,
San Christoval, Principe Carlos, San Juan, Paula Secunda,
Sunta Anna, Dolores. Le nombre total des canons s'éle-
vait à cent cinquante-deux, du calibre de vingt-six, et
tous disposés d'un seul bord'. Ces dix bâtiments étaient
placés sous le commandement | du conire-amiral Mo-
rcno. Cet officier général reçut du duc de Grillon, dans la
soirée du 12 septembre, l'ordre d'attaquer Gibraltar le
lendemain. Le duc le prévenait qu'il avait les pouvoirs
nécessaires pour le démonter de son commandement, s'il
n'obéissait pas. Le contre-amiral Morcno éprouva une
extrême surprise en recevant cette communication. Il ne
croyait pas que le moment fût venu de conduire ses bâ-
timents au feu. Les préparatifs n'étaient pas complètement
terminés, et il n'avait établi aucune entente avec la flotte
combinée qui avait mouillé le même jour sur la rade. En
présence des instructions impératives du commandant en j
chef, il déclina la responsabilité de l'événement et il se s
disposa à appareiller.
La ligne de forliflcation du front nord de Gibraltar, k-i
laquelle faisait face l'armée espagnole, se reliait A une «
muraille qui bordait la côte occidentale de la presqu'île.
Sur cette muraille, épaisse de quinze pieds, étaient placées, .
de dislance en dislance, des batteries tirant & fleur d'eau.
Une seconde ligne de fortifications s'élevait au-dessus de
la première. Deux mules, terminés pardes ouvrages puis-
samment armés, s'avançaient au large. Le vieux mule,
situé le plus au nord, était à un mille et demi environ du
môle neuf. Dans un projet soumis au duc de Grillon par
le colonel français, les batteries flottantes prenaient jio-
sition dans le nord du vieux môle. Elles battaient de
front les ouvrages que les lignes de Saint-Roch prenaient
à revers. Le colonel avait indiqué, sur un plan, le poste
LIVRE XI. 341
de chaque navire. Trente onnonnif^res et autant de bom-
bardes, réunies à Algésiras, devaient appuyer l'attaque.
Enfin, les vaisseaux Taisaient une diversion en canonnant
un point de la cûte désigné par les amiraux. Les assié-
geants auraient disposé de trois cent quatre-vingt-dix-
huit bouches A Teu, savoir : de cent cinquante-deux pièces
provenant des batteries flottantes, de cent quatre-vingt-
six pii'ces de l'attaque de terre, de trente pièces des ca-
nonnières et des trente mortiers des bombardes. En sup-
posant les batteries flottantes mouillées aux postes qu'il
avait indiqués, le colonel estimait que les Anglais ne
pourraient nous opposer que quatre-vingt-six pièces.
Avec une différence, en notre faveur, de trois cent douze
canons, il était convaincu que notre feu acquerrait promp-
tement une très-grande supériorité sur celui des Anglais,
Le 13 septembre, à huit heures du matin, les vents étant
au nord -nord-ouest, les batteries tlottantes se dirigèrent
vers Gibraltar. La Pasiora, portant le pavillon du contre-
amiral Moreno, mouilla, vers neuf heures, par le travers
du bastion du Roi, un peu au sud du vieux môle'. Quatre
batteries mouillèrent au sud du b&tinient amiral, et cinq
au nord. Ces dernières se trouvaient à la hauteur du vieux
mule. Les bâtiments espagnols étaient sur une ligne dis-
tante de terre d'environ mille & douze cents mètres. La
Talla Piedra que commandait le prince de Nassau, et sur
laquelle se trouvaille colonel d'Arçon, était la plus rap-
prochée de l'ennemi. Quatre cents hommes, appartenant
aux troupes françaises, étaient embarqués sur les batte-
ries flottantes. Vers dix heures, celles-ci ouvrirent le feu
sur les forts de Gibraltar. Les lignes de Saint-Roch avaient
commencé à tirer A huit heures du matin. Soit qu'ils
n'eussent pas reçu d'ordres suflisammeut précis, soit
pour toute autre cause, les capitaines espagnols n'occu-
1. Le bulion du Roi était plsc^ au centre de la strcoDdc ligne de ToKiO-
calions. La première, «inii qae nou» l'avons dit plus haut, coniislail en
baUcries mianlefl établies sur la muraille qni boidait le litlonl ouest de
la prc»qu'ile de liibniltu'.
342 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
paient pas les postes que Tingénieur français avait indi-
qués dans son plan d'attaque. Au lieu de se concentrer au
nord du vieux môle, ils s'étaient placés sur une longue ligne
dont Textrémité sud se rapprochait du môle neuf. La po-
sition prise par nos alliés entraînait deux conséquences
également fâcheuses. D'une part, le nombre des bouches ^^^
à feu ayant vue sur les batteries flottantes devenait plus ^m
considérable, et, d'autre part, les bâtiments éloignés du mim- ji
vieux môle perdaient l'appui des lignes de Saint-Roch. Le^>.^<
manque absolu de direction apparut dès le début de la^^ Mb
journée. Quelques bombardes se mirent en mouvement,^ M jf,
mais elles retournèrent presque immédiatement à Algé—^^^^
siras. Les canonnières ne s'approchèrent pas de Gibral — Mil-
tar, et l'escadre combinée resta au mouillage ^
Les projectiles de l'ennemi restèrent impuissants contre ^ttc
les murailles des nouveaux bâtiments. Les coups d'em —
brasures furent les seuls qui atteignirent les équipages
Pendant quelques heures, les boulets rouges ne causèren
aucun mal. Dans l'après-midi, un commencement d'incen-^c"«"
die se déclara à bord de la Pastora et de la Talla Piedra. ^^e^-
Les équipages, malgré leurs efforts, ne parvinrent pas âS^ ^
s'en rendre maîtres. A trois heures, le capitaine de \^e^ ^^
Talla Piedra ralentit son feu, et, à cinq heures, il le cessa^
Le prince de Nassau expédia une embarcation pour d(
mander que son bâtiment fût conduit hors de portée d(
canon'. Ne recevant aucun secours, il voulut s'éloignei
par ses propres moyens, mais il ne put réunir un nombre
de matelots suffisant pour porter une ancre au large. Les
1. 1^8 relations espagnoles disent que l'état de la mer ne permit pas aux
chaloupes canonnières d appareiller. Telle n'était pas Topinion du colonel
d'Arçon,qui écrivit sur ce sujet : « La mer n'était pas trop forte iK>ur les cha-
loupes canonnières, puisifue quelques-unes appareillèrent en même temps
que les batteries flottantes et les accompagnèrent jusqu'au détroit. On
remarquera également que l'une des bombardes seulement jeta quelques
bombes dans la journée du 13, comme pour établir la preuve que les autres
auraient pu en faire autant. »
2. Lo colonel d'Arçon déclare dans ses mémoires qu'il n'existait (»a5 dr
signaux de convention entre les batteries et Algésiras.
LIVRE XI. 343
lignes (le Saint-Roch avaient cessé de tirer à cinq heures
du soir*. C'était compromettre inutilement les batteries
que de les laisser seules exposées au Teu des Anglais. Leur
retraite élait donc commandée, non-seulement par Tétat
dans lequel se trouvaient la Pastora et la Talla Piedra^
mais parla situation militaire elle-même. Après les fautes
(|ui avaient été commises dans cette journée, les assié-
geants devaient s'estimer heureux que la partie ne fût
pas complètement perdue. En s'éloignant promptement
du champ de bataille, il n'y avait dans la situation rien
qu'il ne fût possible de réparer. La position des batteries
flottantes et les demandes de secours adressées par quel-
ques capitaines causèrent le plus grand trouble à Al-
gésiras. Les instructions, prescrivant au contre-amiral
Moreno d'attaquer, étaient arrivées si inopinément qu'au-
cune disposition n'avait été prise en vue de ramener les
batteries en arrière. Perdant tout espoir de les retirer du
feu, et craignant, d'autre part, de les abandonner à l'en-
nemi, les autorités espagnoles donnèrent l'ordre de les
évacuer et de les brûler.
A deux heures du matin, douze chaloupes canonnières
sortirent de Gibraltar. Chacune d'elles portait , sur son
avant, un canon de vingt-quatre ou de dix-huit. Après
avoir pris position au sud de la ligne d'em bossage, le
capitaine de vaisseau Curtis fit ouvrir le feu sur les
batteries flottantes. Les premiers coups de canon produi-
sirent, à bord des bAtiments espagnols, des scènes de
confusion indescriptibles. Le personnel, composé presque
entièrement de soldats empruntés a l'armée assiégeante,
n'avait pas le sang-froid nécessaire pour aflTronter une
semblable situation. Parmi les embarcations venues pour
procéder à l'évacuation, quelques-unes furent prises, les
autres s'enfuirent vers Algésiras. Une chaloupe coula, et
1. D'Arçon afOrme que les munitions avaient manqué à cinq heures du
soir, d où la nécessité de cesser te feu. 11 ajoute que le tir des Espagnols
avait été mauvais. Quant aux lignes^ elles avaient peu souffert.
344 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
des quatre-vingts personnes qui la montaient, treize seu-
lement réussirent à gagner la terre. Les halteries brû-
laient, el, sur plusieurs d'entre elles, il y avait encore une
partie de l'équipage. Les Anglais montrèrent dans cette
circonstance des sentiments d'humanité qu'on ne saurait
trop louer. OITiciers et matelots coururent les plus
grands dangers pour arracher ces malheureux à une
mort certaine. Une chaloupe canonnière anglaise fui ^
coulée par des débris provenant de l'explosion d'une des
batteries. Une pièce de bois perça l'emburcalion dans In — ^
quelle était le capitaine de vaisseau Cnrtis. Le patron ef ^^kI
plusieurs matelots furent tué». Les Anglais sauvèren .mr^it
trois cent cinquante-sept personnes, au nombre desquelte: =;^aKs
se trouvaient vingt-neuf blessés dont un officier. Deii" -^cj\
batteries flottantes sautèrent pendant la nuit, et les hur ^^it
autres dans la journée du lendemain. Telle fut la fi
d'une entreprise sur laquelle l'Espagne fondait les plu
grandes espérances.
La victoire des Anglais eut un retentissement d'aula
plus grand, que toute l'Europe avait les yeux fixés s
Gibraltar. Deux princes français, le comte d'Arloîs et I
prince de Bourbon, étaient dans les rangs de l'armée as
siégeante. Enfin, la plupart des puissances neutres avaiei"
envoyé des officiers de marque au camp deSaint-Roch. l- — — *
gouvernement espagnol put mesurer la portée de la faul^^ '"^
qu'il avait commise en perdant un temps précieux a -^"
commencement de l'année 3782'. Si la construction def^'^^^^
batteries flottantes avait été terminée quelques moisplu.^*^*
tôt, on doit supposer que le duc de Grillon aurait per — ^"
1. Le projet tat adopté en Mvrief 1783, maU on no mil la main 1 roni»r -"* i
que vers la lin de mai. Les préparalioiu étaient imnienM's. cl la Do il ^!^M
mois de eepteniliro étant regardée comme une époque n^cnuaire, il blli^^^ H
rega^or le tempn perdu, h force do dé|ien»es et de célérité et par une adr ^~ |
vite qui, pouMée à l'eicés, ne pouvait que dirUcitemenI h concilier aft»"^
tes loini qu'exigeait In précision dci délaila. Ainsi te passèrent, dana n»-^*
octiTiM dirOcilc i peindre, lotmoi» de Juin, juillet et audl, à ta InniTortna —
lion de dix vataseaux do charge en baLterie* flolUintes, laquelle cxixe»*'
deu\ cent mille pieds ciihen du liois mis en luuïrc. (Rapport de d'Afïun.]
à
LIVRE XI. 345
mis il l'in^'énieur rrançais de corriger les imperrections
fjui s'étaient manifestées, après la première expérience,
lians le système de l'arrosage continu. Quoi qu'il en soit,
il est diriicile de comprendre que le duc de Grillon n'ait
pas donné au colonel d'Arçon le temps d'achever son
«ruvre. Le commandant de l'armée espagnole se préoc-
ciip(iit-il de la saison qui avançait, ou de la prochaine
arrivée d'une escadre anglaise, chargée de ravitaillrr la
fnrtercï^se? Outre que la possession de bâtiments n'ayant
rien h redouter des hoiilets rouges valait bien quelques
sacrifices, le duc de Grillon no se serait exposé & aucun
risque en dîfTérant l'attaque de Gibraltar par mer. Il était
très-sûr de trouver, à la fin de septembre, et même dans
le mois d'octobre, des temps favorables pour celle opéra-
lion. D'autre part, la présence des escadres de Gordova et
de Guichcn faisaitdisparallre toute crainte, àl'endroitde
la marine britannique. Enfin, en supposant les batteries
flullanlcs livrées à elles-mêmes, par suite de t'éloigne-
mentde la flotte franco-espagnole, elles n'auraient couru
aucun danger. Embossées i^ Algésiras, sous la protection
de la lerrc, elles eussent défié les efforts de l'escadre at-
tendue d'Angleterre. Le colonel d'Arçon aurait probablfr-
menl été Irès-heureux que l'ennemi voulût faire celte ex-
périence. Il résulte de ce qui précède que le duc de Gril-
lon, en ne permettant pas l'exéculion complète des plans
du colonel français, n'avait obéi à aucun raisonnement
maritime ou militaire.
Les Espagnols auraient dû se servir avec d'autant
plus de ménagements de l'instrument de guerre, remis
entre leurs msins par le colonel d'Arçon, que, depuis
1779, ils cherchaient, sans le trouver, un moyen d'agir
contre Gibraltar. Ce ne fut pas ainsi qu'ils comprirent
la situation. Nous avons vu que le duc de Grillon avait
envoyé, de son camp dé Saint-Roch, au conlre-amiral
Moreno, l'ordre impéralif d'attaquer Gibraltar. Les chefs
de la marine espagnole n'avaient pas été consultés, et
il n'existait aucune entente entre les dilTérents services
T^-P
HISTOraE DE LX MARINE FRANÇAISE.
appelés à donner leur concours à cette iniportaDle opé
ration. Enfin, il n'avait élé fait aucun préparatif pour
ramener à Algésiras des bdUtnenls qui n'avaient pas
encore été expérimentés et qui allaient au Teu pour la
première Tuis. Lorsque le capitaine de vaisseau CurlJs
sortit de Gibraltar, il put impunément s'approclier des ^
batterieB flottantes. Douze chaloupes canonnières an
glaises furent complètement maltresses du champ de?:^
bataille. Pendant ce temps, trente chaloupes canonnië — -
res espagnoles attendaient des ordres au niouillag^-^
d'Algésiras. Les Anglais s'étaient bien conduits, el cepen- .m-
dantilsauraientpu, sans courir aucun risque, se montres^
plus audacieux. Si le capitaine Curtis était sorti quelque:
heures plus tôt, il se serait emparé de plusieurs batterit-
qu'il eût emmenées sans dinicullé â Gibraltar.
Après cet échec, ou pour parler plus exactement, aprè
ce désastre, l'œuvre de d'Arçon fut très-vivement attaquée
Beaucoup de gens déclarèrent, comme il arrive le pli^c^-Js
souvent en pareil cas, qu'il n'avaient jamais eu confiancL-^w
dans les nouveaux bâtiments. Le mérite de l'ingénieuMK r,
ses elTorts, sa constance à poursuivre ses travaux a — *u
milieu des contrariétés de toutes sortes, son rûle le 13 sej^*"^
lembre, tout fut oublié. Le colonel serait-il parvenu ^
rendre les batteries flottantes incombustibles? Il esl dif^*'
flcilc de le dire, mais il n'est pas nécessaire d'être fixé suj^""
ce point pour juger la conduite du commandant de l'ar "^
mée espagnole. Quelle était la valeur des batteries flot -~
tantes lorsqu'elles furent envoyées au feu? Telle esl I ^
question qu'il s'agit d'examiner. Le colonel d'Arçon nM
quitta la Talla Piedra, sur laquelle il s'était embarqué, qutf
vers une heure du matin. Il raconte ainsi qu'il suit, dan^
un de ses mémoires, ce qui se passa sur ce bâtiment ;
V V.s.TaUa Piedra fut embosséc avant dix heures du matin.
Le feu de cette batterie commença immédiatement. Celui
de l'ennemi, très-vif et très-nombreux, fut pourtant ralenti
vers midi. Le nôtre fut soutenu \ivemenl jusque vers
trois heures du soir. Les progrès de l'incendie étaient
LIVRE XI. 347
forl lents. Ce n'était toujours que le même boulet dont la
rumée se manirestait par le trou extérieur et successive-
ment parles joints intérieurs; mais cet état, très-aisément
remédiable en s'éloignantdu feu de la place, dura plus de
six heures, et l'incendie même ne se déclara irrémédiable
€]u'après minuit. Les neufaulres balieries, beaucoup moins
pressées du feu de l'ennemi et plus éloignées de la place,
pouvaient, à plus forte raison, s'éloigner et se réparer. La
retraite était nécessaire pour toutes et il fallait l'exécuter.
Cette retraite prévue et très-facile à exécuter, et qui deve-
nait d'autant plus nécessaire, puisque la position était
manquée et que tous les auxiliaires et accessoires per-
sistaient dans un abandon mortel , cette retraite ne fut
pas même tentée. L'ordre fut donné de les évacuer et de
les incendier. » Au moment où les lignes de Saint-Roch
avaient cessé de tirer, c'est-à-dire à cinq heures du
soir, deux batteries étaient atteintes d'une manière assez
sérieuse, une troisième très-légèrement, et sept étaient
intactes. Si la Pastora et la Talla Piedra avaient été reti-
rées du feu dans la soirée, elles auraient été inévitable-
ment sauvées. Il convient en outre de faire remarquer
que la résistance des batteries flottantes eût été tout autre,
si, d'une part, elles n'avaient pas été disséminées sur une
ligne aussi étendue, et si, d'autre part, l'ennemi avait été
obligé de réserver une partie de son feu pour répondre à
celui des canonnières et des bombardes ' . Après cet exposé,
1. On alla se jeter ao centre de la forteresse, comme si on avait eu Tin-
tenlion de mettre en action contre nous toute l'artillerie de la place. On
dispersa toutes les batteries flottantes, on négligea l'accessoire des canon-
nières et des bombardes. Nous nous trouvâmes privés du concours de
l'attaque de terre, tant par Téloignement que par Timperfection des tirs et
par le manque de munitions. De sorte que ce prodigieux effet de trois cent
quatre-vingt-dix-huit bouches à feu se trouva réduit à soixante ou soixante-
dix pièces tout au plus, tirant à la muraille et par conséquent nulles contre
les feux de Tennemi. Faut-il donc s'étonner qu'une action si faible et si
opiniâtrement abandonnée ait cédé, après cinq heures de combat, contre
deux cent quatre-vingts bouches à feu de la place que rien ne troublait ?
Remarquez que nous combattions un contre dix, au lieu de combattre dix
contre un.... et jugez, malgré l'incomplet des machines, combien l'auteur
\
348 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
il ne peut rester aucun doute sur la valeur militaire des
batteries flottantes, nous ne disons pas telles qu'elles
auraient pu être, si les plans du colonel avaient reçu une
complète exécution, mais telles qu'elles étaient le 13 sep-
tembre ^ Les annales militaires offrent peu d'exemples-^^s
d'une opération de cette importance conduite avec autant^ .^it
de légèreté. Nous n'avons aucune raison d'accuser le corn — .^n-
mandant de l'armée espagnole d'avoir préparé l'échec de^ ^^^s
batteries; mais il est parfaitement certain que, si tell^^le
avait été son intention, il n'aurait pas agi autrement«.9^ it.
Dans tous les cas, on est en droit de dire que, dans un» mgr-ne
entreprise demandant de l'étude, de la méthode et dw JÊÊu
savoir, le duc de Grillon ne montra que de l'impatiencn^z^ce
et de l'irréflexion.
Le capitaine de vaisseau Buor de la Charoulière avait coimtt:!)-
signé dans les termes suivants, sur son journal, les divei -Mts
incidents de la journée du 13 septembre': « Le 12 à mid ^i,
l'armée a mouillé dans la baie d'Algésiras. Le 13, à se[--J>t
heures et demie du matin, les vents étant de la partie d -^u
nord-nord-ouest, les dix batteries flottantes destinées à faii
brèche ont commencé à mettre sous voiles. La premièi
s'est embossée vers neuf heures, et elle a été succossiv
ment suivie des neuf autres. Leur feu a été assez vif.
placey a répondu de difl*érentes batteries, en tirant sur ell(
à boulets rouges, jetant des bombes et une immensité 9
grenades royales, qui, dès avant midi, avaient mis pli»
sieurs fois le feu à la machine que montait M. le princ^-
du projet avait de raisons d'espérer du concours de tant de moyens puissanl'*-
(Mémoires de d'Arçon.)
1. I^ situation des dix batteries flottantes, à cinq heures du *;oir,
permet de se demander si, entre des mains inlolii«j^entes, elles ne seraient pa*
parvenues, après une ou plusieurs atlaipies, à réduire (iibraltar.
2. Le capitaine de vaisseau Buor de la Cliarouliére était un officier d'un
très-grand mérite. II avait été, en 17 KO, major de l'escadre qui avait com-
battu liodney avec succès dans les Antilles. Le ministre avait l'intention de
l'envoyer dans les Antilles pour renqdacer, à bord du Trûnnphauty le
capitaine de vaisseau du Pavillon, tué le 1*2 avril 1782, au combat de la
Dominique.
LIVRE XI. 349
de Nassau. On avait, chaque fois, réussi à Téleindre.
Cependant, ces bdtiments soutTrant beaucoup du feu delà
place et perdant beaucoup de monde, on en faisait conti-
nuellement le remplacement. Pour cet objet, on y envoya,
le soir, les chaloupes des vaisseaux. Le 14, à minuit et
demi, la position de ces batteries devint plus alarmante.
Le feu faisait des progrès rapides, surtout à bord de celle
de M. de Nassau ; on y envoya tous les canots, pour aider
& évacuer non-seulement les batteries incendiées, mais
encore celles qui ne Tétaient pas. L ordre avait été donné
de mettre le feu à ces dernières, qui étaient au nombre de
sept, auxquelles le feu de la place n'avait pas fait grand
dommage. A une heure et demie, une de ces machines
était totalement embrasée. A deux heures et demie, le feu
s'est manifesté dans une seconde. La première, au lever
du soleil, a sauté en Tair, ensuite trois autres, et succes-
sivement toutes ont subi le môme sort, jusque vers cinq
heures du soir que la dernière a terminé cette affreuse
scène, qui sans doute n'aurait pas eu lieu, si on avait prévu
et employé des moyens très-faciles pour les retirer du
feu de la place, lorsqu'on l'aurait voulu. Par une fata-
lité qu'on ne peut se permettre d'appeler négligence de
la part des chefs, mais au moins trop de sécurité, rien
n'était prévu. Point de moyen de retraite, point de diver-
sion de la part des chaloupes canonnières etbombardières,
pas même des ouvrages des lignes, dont le feu a cessé de
trop bonne heure au lieu de redoubler. Point de concert
avec les vaisseaux, qui auraient pu porter des secours.
Biais il faut savoir se taire sur un aussi cruel événement,
les réflexions ne remédiant à rien. Les chaloupes fran-
çaises ont été de la plus grande utilité pour sauver les
équipages; mais malheureusement elles n'étaient pas
assez nombreuses pour remplir entièrement cet objet im-
portant. Quelques chaloupes anglaises sorties du môle
en ont aussi sauvé. Mais malgré ces secours, il y a lieu
de craindre qu'on ait perdu beaucoup de monde par
avec la plus grande distincttoD. Le miniat
le présenta au Roi, (]ui lui adressa les p
llaticusctt. Uu témoignage ofGciel de sali;
adrcssO pour les services qu'il avait rendt
Enfin, il reçut une gratîGcation de quinze
une pension de deux mille livres.
1. ■IfRoi n'a pu éU, Mmuieur, moins p^iné que sur
tvénetnenl ilonllacuarrier, parti, ht 1i, dti cftmp dcvknt (
la nouvelle, rt S* Htgosté, en lùwDt In loUre qae vons m
de u'cc n ri-, 1d mtmo jour, « Uinoi^ni In plu» gmi
le Kort du niBlheureux qui ool été abandonna au gn
lureur A*a ttniuaiei. Elle a vu auui avec une véiitalilo pt
quelques onif itin de sec troupes et que d'autres ont été b
prévenir que sod iolenlion eil do dnaoer à cea derniers i
boulin, el, si qurlquuii-uns sont, fiar leura blessures, ho:
pile leur accordera leun appoiatcmcnls entiers poar 1
vondres bien, Monaieur, m'adreeser des détails qui me U
niiritca et lus malheurs do chacun d'eux. A l'égard des
etupbi^i sur le* huilerie* Oollautes, le témoignage que
manière dont ils ont tervi est un motif rarOsant pour leuri
vousie deuiBndw,ledMomma^enientdes pertesqii'ïls oni
de NoaMiu u liîcn jusLIîd, en celle occasion, ridée qn*.
«ujet de ronccvoir de son courage et de son înLelU|{ence ■
un nouveau droit t la bienveillance de Sa M^esté, qg
inetruilc de ce qu'il a fait. • (Lettre du 39 Hepteoibre du :
ministre de la guerre, au baron de Falckenbajti, comi
IniDcais.)
Le baroD d'Ainfeldl, lapilainc (tu Rojal-Suédoiii, inG
lui le dernier qui sortit de la TMa Pitdra avant «on ex|
seuté A N. lu comte d'Artois, qui lui Dl une pension ila six i
LIVRE XI. 351
III
Soit que le duc de Grillon eût un plan pour prendre
Gibraltar, soit qu'il voulût adoucir le coup que la nou-
velle du désastre du 13 septembre devait porter à son sou-
verain, il ajouta, en rendant compte des événements,
qu'il continuerait le siégea Sa. confiance, s'il en avait
véritablement dans les moyens qu'il se proposait d'em-
ployer, ne dura pas longtemps. Quelques jours après,
cédant aux observations qui lui furent faites par ses
principaux officiers, il renonça à ce projet. Le gros de
rarmée s'établit dans le voisinage, et on ne laissa au camp
que les troupes jugées nécessaires pour défendre les lignes
de Saint-Roch*. Il ne restait plus à l'Espagne d'autre
naoyen de prendre Gibraltar que de l'affamer. Pour con-
duire à bien cette tentative, il fallait maintenir, du côté
de la mer, un blocus tellement étroit que la forteresse ne
^ût aucun secours. Les circonstances semblaient favo-
f^bles à l'exécution de cette tâche que la marine espa-
Piole avait entreprise plusieurs fois, mais qu'elle n'était
P^ encore parvenue à remplir. La flotte mouillée à Algé-
^fras, en y comprenant la division du lieutenant général
1- En apprenant quMl était question de continuer le siège de Gibraltar^ le
^^t% de Vergennes écrivit au comte de Montmorin^ notre ambassadeur à
""^(id : nous ne sommes pas moins effrayés que vous Tavez été^ Monsieur,
^^^ue vous avez entendu le Roi d'Espagne dire : la prise de Gibraltar n*est
4^e retardée, M. de Grillon a un moyen sûr de le prendre, et il agit en
^i^séquence. Quel funeste aveuglement 1 Comment est-il possible qu*après
^ funeste expérience qu'on vient de faire, on s'entôte à en tenter une
^^^nde qui n'aura pas un résultat différent et qui en aura un plus désas-
^^ encore? Le projet de M. d*Arçon avait une apparence spécieuse, sa
''^^thode était nouvelle et pouvait promettre du succès. On est donc excu-
^le de ravoir tenté, mais le serait-on de se livrer désormais à des projets
^^certainement plus futiles que celui qui vient d'échouer? Je ne connais
^ celui de M. le comte de Grillon, mais il y a tout à parier, d'après la
^Dnaissance que l'on a de son caractère, qu'il est tout au moins roma*
*^ue.
3. « Lors du fâcheux événement des batteries flottantes, M. le duc de Grillon
3bi IIISTOIHK DE LA UARU«E FRAXÇ.VIâ£.
lie fîuichcn, était forle de quarante-huit vaisseaux, tandi-
que l'tscaJrcqui cliiilaUeiiduedans le délroîl n'en Q'iBir
lait que Ircale-qualrt. L'amiral Howe avait trouve de
ventfi coniraires co suiiant de la Mancfae, et le liéliut^
sa Iruvcre** livail été trë»-]cDt. L'amirauté brilanDique,
)iar ï^uile d'une mesure de- prévoyance extrémenienl stst.
avait eK]iédié des bAlimenls sur dilTéreDU poiats<lflt
c61c de Portugal. Cos navires devaîeot appareiller surets-
sivpnicnl et èv porter à la rencontre de la flotte anglais»,
alin de renseigner l'amiral sur les «événements qui séUirai
aoconipliit dans la baie de Gibraltar depuis son di^ptri^
Portsmoulh. Lord Howc ap[)rit ainsi IV-checquelesalii^
avaient éprouvé, le 13 seplenibrc, la force de l'est»)"
combinée et sa présence au mouillage d'AJgéiùras. &ilt-
ci, depuis le commencement du mois d'octobre, se ifoA
prèle à appareiller, & la première nouvelle de rapprodi'
des Anglais. Dans la journée du 10, la brise, qui était Irt^
fraîche du sud-ouest, souffla en coup de vent. Plusieun
\uis3eaux chassèrent sur leurs ancres et quelque^-ui»
s abordèrent. Le Han Pablo et la frégate le Crcsceni at
rent sous voiles et cnirèreni dans ta Mediterran^.D
f aisseau se jeta à la côte sur la pointe d'Orange, noD Im
d'Algésiras. Le Saiiil-Xicfu-I, de soixanle-dîs, porlanli'
pavillon du rontrc-amiral Moreno, s'échoua, pendant li
nuil, sous Gibraltar. Vigoureusement canonné au paii>
<ir (luiiner deit ««pùrances pour [a contimialion ilu t
liviil; XI. 353
<lii jour, il fui obliyi! do se rendre. Les lignes de Saint-
lluuh lirtrcnl alors sur ce vaisseau, mais elles ne lui
lirenl aucune avarie importante. Aussitôt que le temps
le permit, le capitaine Curtis ramena le fiaint-Michcl &
Uitiraltar. Le jour même oli se produisit cet événement
(]ui donnait aux Anglais un vaisseau de ligne et six cent
cinquante prisonniers, lord Howe parut 4 l'entrt'O du dé-
troit. Au coup de vent de sud-ouesl de la teille avait suc-
ct.Hlé une tr^ïs-faible brise de nord. Quatre transports et un
vaisseau de ligne, la Panthère, réussirent à gagner Gi-
braltar. Les autres bâtiments du convoi et l'escadre furent
entraînés dans la Méditerranée par les courants. Le calme
qui régnait dans la baie d'Algésiras ne permit pas au\
alliés d'appareiller. Le 13 octobre, la flotte combinée mil
A la voile avec une fuible brise d'oucst-oord-ouesl, et elle
franchit le détroit-
La position de lord Uowe présentait de sérieuses difli'
cultes. L'escadre anglaise ne coinpltiit que trente-trois
vaibscaux, et, de plus, elle était embarrassée par un convoi
considérable '. Enfin, il y mait entre elle et Gibraltar ht
flotte combinée qui était forte de quarante-six vaisseaux '.
Notre rôle consistait évidcmntcntà garder cette position,
atiu que lord Howe fût dans l'impossibilité de se rendre
As» destination sans livrer bataille. Nous avions un in-
térêt d'autant plus grand à agir ainsi que la plupart
de nos vaisseaux n'étaient pus doublés en cuivre et ne
marcbnient pas. Le lieutenant général de Cordova, fort
inquiet sur le sort du vaisseau et de la frégate qui avaient
déradé dans la nuit du 10 octobre, courut au large. Le
lendemain matin, il n'y avait aucun navire à l'horizon,
mais, dans l'uprès-midi, les Anglais furent aperçus dans
le sud de notre armée. Ainsi, le U au soir, l'amiral Howe
avait si bien manœuvré qu'il était plus près que nous de
1. Lit Irento-qutUiénH, la Punlhfrr, niait AGiliraltar.
■1. Le San fablu Aail tian» la McdîUtmiMie el le Saint-MtcM avait m
•M ]'U( \e» AngUi».
2S
354 HISTOUUS DE LA MARINS FRAKÇAlSB.
rentrée du détroits Dans la mirée la brise tomba, le temp^am
devint brumeux et les deux escadres cessèrent de se voir
Le 16, les vents s'établirent à Test et fraîchirent rapid<
ment. La flotte combinée , après être restée en cape ui
partie de la nuit du 17, se dirigea, le 18, vers le détroit
Le lendemain, au jour, les Anglais furent signalés
rouvert de la baie de Gibraltar. Lorsque les vents
passé à l'est, l'amiral Howe s'était emprise de faire de
toile. Le 18, il était entré dans le détroit, et le même jo
son convoi avait mouillé sous le canon de Gibraltar,
troupes qui devaient renforcer la garnison, furent
diatement mises à terre. Le général EUiot ayant
un supplément de munitions, qumze cents barils
poudre, pris sur les approvisionnements des ti
furent débarqués. Lorsque, le 19, les alliés
lord Howe, qui avait achevé son opération, s'éloigna
la direction de l'ouest 11 entra, le même jour, ù
rOcéan, suivi par la flotte combinée. Le lendemain, SO
tobre, la brise s'étant établie au iH>rd , les alliés se
vèrent au vent des Anglais. L'armée reçut Tordre de^ m
former par rang de vitesse et de gouverner sur l'ennecni.
Don Luis de Cordova signala de s'approcher des v^s-
seaux anglais jusqu'à deux encablures. Au coucher du iso-
leil, les deux armées n'étaient plus très-éloignées ramne
de l'autre. Le lieutenant général de Lamotte-Picquet, dont
le pavillon était arboré sur V Invincible y avait pris la 1^'c
de la ligne. Lorsqu'il fut à la distance prescrite du chef <te
file de l'escadre anglaise, il commença le feu. L'action
s'engagea par une très-belle nuit éclairée par la lune. L«s
deux escadres se tenaient rangées dans l'ordre suivant:
1. Avec une marche aussi lente que celle de Tarmée, il serait plus aTaoti-
geux de se tenir près du détroit pour y attendre les ennemis et les comball'V
an passage que de les aller chercher au large, puisqu'il leur sera focile, pv
la supériont(^ de leur marche^ d'éviter la poursuite. Les Anglais auront Til^
tcntion de rester en vue de la terre et leur flotte^ avec les premiers vfoU
frais de la partie de l'est, filera le long de la côte. (Journal de la campa^
de l'escadre aux ordres du lieutenant général de GuicheOi lena par le capi-
taine Buor de la Charoulière.)
MVRE XI.
ESCADRE COMBINÉE.
laTiacible
Gaerrier
Diclaleur
Robusle
Sui Iiidro
SorQuDt
Ooerrero
Arrogante
Santa Eliiabeth
Sui Uiurent
Zodiaque
Bajo
Terrible
San Yiccnte
Royal-Louis
San Joaquim
Caslîlla
San Juan Vaptislu . .
San Jasto
YcDcedor
GalSa. .■::]::::;:::
Bério
Triomphante
Krinnnte
Sk-ptentrion
Majestueux
^ IlaphaGl
Santa TriniJod
Urctagno
AcUr.
PurisBima I^Dcepcioi
Terrible
San Fernando
Bion-AIné
San Uigucl
AUaute
SanPalilo
San Eugcuio
{De ttivièro.
lAmotto-l'icquct, licut. gûnOral.
Duiileasls-Parscau.
De Lnclue.
DeMeuil.
Alvaro Lopci.
Uo Casiellel.
Lopcz Carizosa.
I)e Lungan-UoitsTùvrier.
Don AnlDiiio.
Tosada.
iKin Alaiinzî.-i Véranda.
Don Franciwo 'WinlJHiiiwii.
Don iKnacio fonce do I.C011.
Ilu Venlun de la Crcnuu.
De BcBuuet, chef d'escadre.
Irtn Carlos de Torrea.
[Ion Juan Quindwi.
" Fmncisco Idia'iuL'a.
JtnefCaitejou.
Francisco Vclasquez.
.. Claïi>rero.
filip (luuitalcs.
Oustarca.
JbaU Laudecho.
Ëruni <l'Eutrccai>tMii]\.
De llooheclioiiarl, Ituuk'ni
De L.BuLcjiiD.
Luis Curdova.
Ile Uanipicrn.'.
Cillart de Suvillu.
JMD âonnet.
Se Saiol-Flivcu..
De liiiiciicn, lieulcn
Anpiilo.
De Laï<|iieraï.
Juan More no.
Ilii'Ki» (Jucïi'do
l.uul\miot.
HISTOIRE D£ LA UARINE FRANÇAISE.
NumtdMUtinKnti.
Nombra
da
Nom* d« capiUiML
70
70
70
70
70
Juintbo Serano.
Antonio Ozomo.
DeCuenw,
îsin OaïuaiM
ESCADRE ANGLAISE.
Goliatli
llO)&lWiUi*m.*
lli'ilaniiia
Atlas
Panther
Kowlrovant
Wpar
l'olviiheinDs. . .
SuliilL
ViKilaDl
(ri)urageui
AÎcxander
Ssnipsun.
Hojal PrJDccBa.
DUmWim
Êgnioii[
HjJp Parkor, junioc.
FieldiiuF.
Allen.
llill.
Barrington, vic«-aininl.
Hl
77
HT
lloms.
DoaglM.
H2
Longtord.
73
IM
n
Bligh.
Mï
Ikimet.
Samuel IlooJ. conlro-amirBi.
IJVRE XI. 357
L'amiral anglais était trop hatrile f<»Tir oMnf*rc.TT>rV r*
le succès de la mission qu'il ayait si beureus^s>^ct rem-
plie, en se battant aTec trente-quatre Taisseaux o:<Dtre
quarante-six. Il avait remarqué le peu d'onire qui ré^ja:t
dans notre ligne, par suite de la mauTaise marche d'un
grand nombre de nos bâtiments. Douze vaisseaux français
et espagnols étaient à une trop grande distance en arrière
pour prendre part à Faction. Lord Howe vit immédiat^i^-
ment la possibilité de combattre l'armée combinée sar;^
être obligé de s'engagera fond. D nous avait attendu-,
sous une voilure réduite, mais, dès que les premîfrr^
coups de canon furent tirés, il gouverna largue en fajf^ar;t
de la toile. A dix heures et demie, les deux armées étaient
très-loin l'une de l'autre et le feu cessa. Une heure aprê«,
le lieutenant général de Cordova signala à ses vaisseaux
de serrer le vent. L'affaire n'avait été \ive qu'à l'avant-
garde et à l'arrière-garde de la flotte britannique. L'es-
cadre directement placée sous les ordres de Tamiral
Howe avait à peine combattu. Douze vaisseaux français
et espagnols, en tête desquels était le Terrible^ [Kjrtant
le pavillon du lieutenant général de Guichen, n'avaient
pas tiré un coup de canon. Ces vaisseaux, quoique
couverts de voiles, n'avaient pu suivre l'armée combi-
née ^ Au jour, les Anglais étaient à quatre lieues sous
le vent. Au lieu de continuer activement la poursuite,
Cordova fit peu de route pendant la journée du 21, afin
de donner aux vaisseaux qui avaient soufTert le temf»K
de réparer leurs avaries. Le lendemain, n'apercevant plus
l'ennemi, il ramena l'armée combinée à Cadix. Dans IVii-
sagement du 21 octobre, les Anglais avaient eu soixante*-
huit tués et deux cent soixante-huit blessés, et les alliés
1. « Le Terrible j quoique forçant de toile, n*a pas été à môme de faire frm
(à dix heures et demie le feu a cessé), la distance était trop f^rande. A ori/c
heures cinquante, Cordova a signalé de tenir le vent. A minuit, les yAiHwsmx
anglais les plus proches étaient à deux lieues, courant largue, sous la miHninn
et les perroquets, pour se ralliera leur tétc qu*on ne voyait plus.* (Journal du
major de Tescadre française.)
3D8 HISTOIRE DE I,A MARINE FRANÇAISE,
soixante liii''s cl trois crnl ^injrl blessés. Quelques jours
apri's, l'amiral Howe, certain de n'avoir plus rien à craio-
(irc de ia Ilolte rranco-espagnole , se dirigea sur Ports-
moiill), après avoir expédié huit vaisseaux aux An-
tilles'.
i.('s qualités que déploya lord Howe pendant cetle courte
cam|iagnc furent k la hauteur de la mission qu'il avait à
rcmiilir. Celte opt-ration, unedesplus belles de lagnemdf
l'indépendance américaine, mérîted'ëtrelouéeà l'égal d'uw
victoire. Si l'escadre anglaise fut favorisée par les ciiw»-
.stances, et il est rare qu'en de telles entreprises on puis»
réussir sans Être aidé par la fortune, ce furent surtout le
coup d'u'il ilu commandant en chef, la sûreté de son juire-
inonl ul la nipidîté de ses décisions qui assurèrent le sno
ivs. Apri's avoir rendu à lord Howe ce qui lui appartient.il
convient de îaire la pari de l'amiraulé britannique. Parai
les trente-quatre vaisseaux qu'elle avait donnés à i'anà-
rai, il n'y avait pas un de ces mauvais bâtiments qœ
mettent, à chaque instant, en péril les combinaisons d'un
commandant en chef. Tous les vaisseaux étaient douWé
en cuivre et de marche à peu près égale. Si lord Ho«
n'a\ ait pas la certitude absolue, il avait au moins de très-
grandes chances de rester maître d'accepter ou de refuse)
le combat. Celte supériorité de marche constituait unavan-
tage dont les différentes péripéties de la campagne avaient
montré toute la valeur. Enfin, si nous en jugeons parle
rt''sullals, lu commandant en chef de la flotte anglaise
LIVRE XI. 359
rations, ni abordages, ni vaisseaux avariés, et il ne se
produisit aucun de ces événements, si fréquents dans la
navigation d'escadre, qui obligent souvent les amiraux à
prendre un parti absolument opposé au but qu'ils pour-
suivent.
En présence de la navigation si sûre de Famiral Howe,
il est impossible de ne pas se rappeler les incidents mal-
heureux survenus, du 9 au 12 avril, dans l'escadre du
comte de Grasse. L'armée française, qui avait appareillé,
le 8, de la baie de Fort-Royal, fut obligée, le 9, de se por-
ter au secours du Zélé et de V Auguste, L'avant-garde an-
glaise s'approchant rapidement de ces deux vaisseaux, qui
s'étaient laissé sous-venter, il fallut se battre pour les
dégager. Dans la nuit du 10 au 11, le Jason et le Zélé
s'abordèrent; le premier de ces vaisseaux relâcha à la
Guadeloupe pour réparer ses avaries. Le 11, l'armée re-
vint encore une fois en arrière pour couvrir le Zélé et le
Magnanime^ qui étaient tombés sous le vent. Enfin, dans
la nuit du 11 au 12, ce même ZéU\ qui avait déjà compro-
mis deux fois l'armée, aborda la Ville-de-Pavis. S'il est
juste de reconnaître que lord Howe déploya les plus
grands talents, on doit ajouter qu'il eut entre les mains
des instruments excellents.
Le capitaine de vaisseau Buor de la Charoulière, major
de l'escadre française , en envoyant son journal au mi-
nistre, après cette campagne qui faisait beaucoup d'hon-
neur aux Anglais et très-peu aux alliés, disait : « J'ai
l'honneur de vous adresser un extrait du journal de la
campagne de l'armée combinée. Je crains beaucoup que
vous ne trouviez, dans quelques endroits, une opinion
trop décidée, mais je dois vous donner, Monseigneur, une
copie fidèle des articles portés dans mon journal qui n'a
pu être écrit qu'au fur et à mesure que les temps se sont
écoulés et dans les différentes circonstances. J'ai écrit ce
que j'ai vu et ce que je pensais. J'ose espérer, Monseigneur,
que vous voudrez bien ne pas me savoir mauvais gré
d'avoir écrit librement ma façon de penser sur tous les
360 HISTOIRE DE I^\ HARINB PRANCAI3B-
ùvénemeDls qui D'svaieiit pas une tournure fa\-(HtUti
nos désire. » Nous avons fait connaître l'opiaion i)e cet
ofliciorsur la journée du 13 wptembre et sur la ponRwilf
lie l'oscadrc anglaise.
LIVRE XII
Le Rouvcrneniont fran^n upprend qu'on foit ï Toretraoutli le* prépora-
lifi d'iinv ripMilion desUaée & s'emparor da Cap de ltoiuie-EB|iérBDce. —
ICnTui iliDK l'Inde de ciaq vaifi«caax, taae les ordres du commniidciir de
r)UlTn>ii. — Combat de la Praya, le tti avril 1781. — Arriviic dei Fnuiïnis
i Simon'» Eta].— Let Anglais se monlrent, fc la Un do juillet, dan» \m
paragei dn Cap. — Le commodore Johnslone retourne en Anglelerre awc
diHit vaiMcaux. — Trois vaisseaux font route pour Bombay. — La colo-
nie luillandaise e»l miM en élal de dérensc par dos troupes. — L'escadre
française appareille le !B aoai 1781. — SutTrcn est nommé chef d'cs-
radw. on récompense de sa conduite * l'aflaite de la Praya. — Évine-
nienU survenus don» l'Iode depuis la priw de PondichAry. — BttiroenU
envoiig i l'Ile do France. — Le capiUine do vaisseau Tronjolly est rcni-
plarc par le comte d'Orvea. — La nouveau commandant ru etief prend la
mrr avec six vaissetui. — S4jour de l'escadre sur la cdie de Coroman-
del. — Itplalions avec Hyder^Ali. — Retour du ccnile d'Orvcs It l'Ile dp
France, — DénûmenI de t'escadre. — Arrivée du commandeur de SuITren.
— ttinicull^s relatives au remplacement des capitaines de Trémi)con et
d(< rjirdaillac, tués au combat de la Prtys. — L'escadre rctouroo daus
rinilp.
Le fîouvernemcnt français fut informé, au commence-
ment <le l'annôe 1781, que iea Anglais faisaienl secrète-
ment, A Portsmouth, les préparatifs d'une expétlilion
ilcsliii^'e à faire la conquête du Gap de Bonne-Espérame.
Le commodore Johnstone, auquel cette mission était con-
fiée, avait, sous ses ordres, cinq vaisseaux et un couvoi
portant des troupes de débarquement. Les forces dont
disposait le commodore ne permettaient pas de douter
(lu succès de cette entreprise. Quoique la France eilt peu
d'aide à attendre de ses nouveaux alliés, il était de son
intérêt de les secourir. Nous nous étions proposé , en
commençant cette guerre, d'effacer les traités de 1763 et
mî IIISTOmK DE L\ MARINE FRANÇAISE.
irufTuiblir la piiissanrc de nos voisin»:. En s'cmpannl
(les ûtablisscmcnU coloniaux de la Hollande, ceux-ci »(
seruiciit niOoii^c à l'avance, des compensations aux per-
tes qu'ils niirujcat pu subir sur les cdtcs de l'Amérique
^optcnli-ionulc ou dans la mer desAotîlIes. En(în,la pos-
session du Cap par les Anglais eût compromis la si)rel«
de Bourbon et de l'Ile de France. Cinq vaisseaux, deu
do soixanlc-quatorze, le Héros et l'Annibal, et trotsde
}<(>i\anto-quatrc, le .S^tna;, le Vengeur et VArténien, fa-
iTiit dôsi};nés pour aller dans l'Inde. On leur adjoi^
()ucli]uos navires de commerce, sur lesquels on embv^
qiia onze cents liommcs d'infanterie, des vivres, des mu-
nitions cl cent artilleurs. Le nouveau minisire plan le
ruminandeur de SiifTrcn h la tète de cet armement. Odî.'
rappelle que M. de Sarti nés avait refusé, malgré les Iris-
vives instances du comte d'Estaing, de donner de l'aitfr
cernent & cet officier. SufTren ne fut pas promu au gn*
de chef d'escadre, mais le maréchal de Casiries déciiJi
r|u'il jouirait dos honneurs attachés â cette situation,
aussitâl qu'il aurait doublé le Capde Ronne-EspéraïKt
Les mêmes avaninges furent accordés au comte d'On»
qui était à l'Ile de France avec six vaisseaux. Ce derniff,
élanl plus ancien de grade que Suffren, était appel**
exercer le commandement en chef de nos forces navales,
après la jonction des dRux divisions. Il était prescrit M
commandeur, s'il arrivait au Cap avant Johnslone,de
nielire immédiatement ce point en état de défense. 11 (l^
lit expédier un bfltimcnt & l'Ile de France pour infonn»
LIVRE XII. 363
d'avril, l'état sanitaire des équipages, loin de s'a-
Tcr, prit des proportions inquiétantes. SufTren crai-
que sa division ne fût frappée d'impuissance, ainsi
l'avait été Tarmée du comte d'Orvilliers en 1779. De
les malheurs que pouvait lui réserver sa mauvaise
jne, celui-là était, à ses yeux, le plus grand. Aussi,
gré sa rare activité et son désir très-grand de faire une
mpte traversée, crut-il nécessaire de toucher aux lies
Cap-Vert pour y prendre des vivres frais et compléter
i eau ^ Il se proposait de profiter de cette relâche pour
^rer deux transports qui s'étaient fait, dans un abor-
ige, de graves avaries.
Le 16 avril, au point du jour, la division française,
près avoir reconnu l'île de San Yago, gouverna sur la
>aie de la Praya. A huit heures trois quarts, VArlésien^
^ui chassait en avant, fit le signal de : « Vaisseaux en-
tremis à l'ancre. » Il n'y avait pas lieu de douter que nous
tie fussions en présence de l'expédition dirigée contre le
Cap de Bonne-Espérance par les Anglais. Cette rencontre
Avait l'avantage de nous fixer sur la position de l'ennemi.
<)uel parti fallait-il tirer de cette circonstance? telle fut la
question que SufTren se posa. Nous avions assez d'eau,
en rationnant les équipages, pour arriver au Cap de
Bonne-Espérance. Si nous atteignions ce point les pre-
miers, nous mettions la colonie en état de défense, rem-
plissant ainsi l'objet principal de la mission confiée & l'es-
cadre. Les avaries des deux navires dont nous avons
parlé plus haut et la mauvaise marche du convoi détour-
nèrent Suffren de ce projet. Il eut la pensée de faire filer
les bAUments de transport, et de croiser à l'ouvert de la
baie, afin de combattre les Anglais lorsque ceux-ci pren-
draient le large. D'après les renseignements qui lui
avaient été envoyés de Paris, quelques jours avant son
1. V Artésien avait été joint à la division du commandeur, le 19 mars,
par le ministre lui-même, qui était présent à Brest. Ce vaisseau n*avait pas
eu le temps de compléter son eau.
364 mSTOIRE UE LA MARINE FRANÇAISE.
départ, il Bupposail Johnstone beaucoup plus fort que
celui-ci ne l'était réellement. Eu coQséquence, H ne crut
pas que, dans une action régulière, il remporterait su.
l'ennemi un avantage tel que celui-ci serait dans l'impos-
sibilité de continuer sa route vers le Cap. Il n'y avait
plus alors d'autre combinaison que d'entrer dans la baie
de la Praya et d'aller droit à l'ennemi. La position de nots
bdtimcnts n'était pas favorable à l'adoption de ce dernier
parti. h'Annibal et VArtésien étaient près du Héros, mais
le Sphituc et le Vengeur, le premier de ces vaisseaux ayanl
un navire à la remorque, étaient en arrière à grande dis-
tance. En engageant l'action sur-le-champ, nous avions
le bénéHce de la surprise, mais nous nous exposions i
supporter, avec trois vaisseaux et pendant un temps assez
long, le feu de toute l'escadre ennemie. D'autre part, si
le commandeur attendait le f^phinœ et le Vengeur, k
Héros, VAnnibal et l'Arlésien tombaient sous le venl.
Suffren pesa rapidement ces diverses considéralions,('til
se décida pour une attaque immédiate. La neutralité de
l'Ile était une question de peu d'importance pour un offi-
cier qui avait assisté à l'affairo de Lagos'. Peut-être le
commandeur n'était-il pas mt'content de rendre aux An-
glais ce que ceux-ci nous avaient fait en 1759.
Après avoir signalé à sa division de se préparer h coni'
battre, et aux vaisseaux arriérés de forcer de voiles (le
signal de mouiller avait été fait précédemment), SulTren
prit la tfitc de la ligne. Les vigies du Héros ne lardfTfiil
pas & apercevoir cinq vaisseaux , trois frégates d
grand nombre de transports portant le pavillon angl
L'escadre du commodoro Johustono était composée
Hero, de soixante-quatorze, du Montmoulh, de soïxi
3
1. En 17&9, une escadre sngtaiie de quatorM vummuh «nilil
qaatre vaîswaax fmntais, mouillés sur la rade de Lagos el soiu le caiH' '
dca Torla parlogaÎB. SuDrea élall lioulcoanl de vaisseau sur lo vaiaM
de quatre-rioKl' caaoas, l'Océan, qui portait le pavillon du chef d>«*dn
de la CluR. L'Océan, un des quatre vaiwoaut r^funiis t Lai|;«a, fol f»
pnr l'enncnii, H Sudrcn devint prlEoniiier i\ca Anglsti
ngis». jm
LIVRE XII. 365
quatre, du Romney et de VIsiSj de cinquante, des fré-
gates la Diane^ le Jckson et V Active^ de trente-deux, d'un
cotre, d'un brûlot et d'une galiote à bombe. La flotte de
transport comprenait trente-cinq bâtiments, portant dix,
vingt et trente pièces.
Le Commodore avait quitté l'Angleterre, le 13 mars, en
même temps que la grande escadre chargée, sous le com-
mandement de Tamiral Darby, de ravitailler Gibraltar. Il
s'en était séparé quelques jours après, et il avait mouillé,
le 11 avril, à la Praya, pour y faire de l'eau et des vivres.
Fermement convaincu que nous ignorions sa sortie , il
n'avait pris aucune disposition particulière en vue d'une
attaque à laquelle il ne croyait pas. Les vaisseaux étaient
niouillés sur une ligne irrégulière dont la direction allait
de l'est-sud-est à l'ouest-nord-ouest. Les frégates étaient
aux extrémités de cette ligne et les transports entre les
navires de guerre et la terre. La baie de la Praya, abritée
contre les vents de Test à l'ouest, en passant par le nord,
est complètement ouverte au sud. La brise soufflant du
nord-nord-est, nous avions à ranger de près la pointe
qui limite la baie au sud et à l'est, puis à serrer le vent,
les amures à tribord, pour atteindre le mouillage à la
bordée. Un peu avant dix heures du matin, les matelots
de VIsiSj le bâtiment mouillé le plus en dehors, aperçurent
trois vaisseaux qui gouvernaient pour doubler la pointe
orientale de la baie. Un moment après, les pavillons ayant
pour signification « la vue de l'ennemi » flottèrent en
tête des mâts de ce bâtiment. La surprise fut d'autant
plus grande, à bord des navires anglais , que les capi-
taines, ne soupçonnant aucun danger, avaient envoyé,
à terre, une partie de leurs équipages pour faire de l'eau
et des vivres. Le commodore n'eut pas un instant la
pensée que les Français respecteraient la neutralité de
rtle. Il savait que la conduite de l'Angleterre, non-seu-
lement à Tafl'aire Lagos, mais en plusieurs circonstances,
leur servirait d'excuse, s'ils avaient l'intention de l'atta-
quer. Il signala successivement à son escadre de rappeler
366 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
les canots, de faire le branle-bas de combat et de se pré-
parer à appareiller. Enfin, il quitta son vaisseau leilom-
neyy mouillé à l'extrémité de la ligne dans Touest-nord-
ouest, pour passer sur le Hero^ & bord duquel fat hissée
sa cornette. A onze heures du matin, le vaisseau du com-
mandant de Tescadre française, ayant son pavilloii dé-
ployé à l'arrière, pénétra dans la baie. Arrivé à portée de
canon de Tennemi, Suflîren ordonna d'ouvrir k feu des
deux bords. Les Anglais ripostèrent immédiatmient et le
combat s'engagea avec une très-gnmde vivacité, le
Héros jeta l'ancre par le travers et à deux ti^s 4'^
cablure du vaisseau monté par le commodore ^ SidGran
avait à tribord le Montmou^f le JupUety T/stg, les fré-
gates la Dicme et VActioe^ et, à bAbord, le flero, le
Romney et la frégate le Jason. Le commandant de VÂw^
nibaly M. de Trémigon, serra le vent, plus que ne IV
vait fait le Héros^ et il mouilla sur l'avant de ce visr
seau. Il était difficile de manœuvrer avec plus d'habileté.
Le Héros et VAnmibal^ se relevant nord -nord-est et
sud-sud-ouest, se trouvaient sur une ligne perp^idica-
laire à la ligne anglaise. Dans celte position, ils pou-
vaient, l'un et l'autre, faire usage de leurs batteries des
deux bords. Le capitaine de V Artésien rangea l'arrière du
Héros, et il se dirigea sur un bâtiment qu'à travers la
fumée il supposait être un vaisseau. Son intention étail
de se placer bord à bord de ce bâtiment, et de l'enlever à
l'abordage. Le commandement de mouiller venait d'ôlre
fait, lorsque le capitaine de Cardaillac tomba frappé par
une balle. Cet ordre ne fut pas exécuté et le vaisseau, qui
avait encore de l'aise, dépassa le navire anglais. UArtésief^
aborda un transport qui avait coupé son câble pour ga-
gner le large, et les deux bâtiments dérivèrent hors de
la baie, entraînés par le vent et le courant. Le lieutenant
] . Le Héros j en cvitaiil au vent, aborda un navire marchand dont il ^
dégagea en filant du càblc. Huil matelots de ce navire sautèrent à soo
bord.
LIVRE XII. 367
de vaisseau, appelé à prendre le commandement de VAr-
tésicHy parcourait les batteries au moment où son capi-
taine avait été tué. 11 s'écoula un temps relativement long
en pareille circonstance, avant qu'il eût été prévenu de cet
événement. Lorsqu'il parut sur le pont, VAiHésien ne pou-
vait rallier le champ de bataille qu'après avoir rétabli
sa voilure et s'être élevé au vent. Les capitaines de For-
bin et du Chilleau, commandant le Vengeur et le Spftm.r,
commirent la faute de ne pas serrer de près la pointe
méridionale de Tile. Ils eurent, de plus, la mauvaise for-
tune de trouver la brise au nord, lorsqu'ils vinrent sur
tribord pour atteindre le point où combattaient le Hrros
et VAnnibal. Il résulta de cet ensemble de circonstances
que les deux vaisseaux passèrent loin des bâtiments an-
glais et français. Arrivés de l'autre côté de la baie, le
Vengeur et le Sphinx virèrent de bord, mais, par suite de
la faiblesse de la brise et de l'action du courant, ces
deux vaisseaux furent très-promptemcnt hors de portée
de canon. Ainsi, sur les cinq vaisseaux dont se composait
la division française, deux seulement se trouvaient en
présence de l'ennemi. Cet état de choses permit à tous les
navires anglais, vaisseaux, frégates et transports, de di-
riger leurs coups sur le Hé7*os et VAnnibal. Ces deux
vaisseaux étaient, en outre, fort incommodés par un feu
très-vif de mousqueterie partantdes bâtiments qui avaient
des troupes passagères. Enfm, les Portugais ayant pris
le parti de défendre la neutralité de leur pavillon, un fort
qui dominait la baie envoya des boulets à notre escadre.
Il n'y avait pas une heure que les premiers coups de
canon s'étaient fait entendre, et déjà le Héros avait des
avaries très-graves. Les manœuvres étaient hachées, les
haubans coupés et les mAts traversés par les boulets.
VAnnibal ne semblait pas moins maltraité. Son mât
d'artimon était coupé au-dessus des joltereaux, et toute
sa m&ture était dans le plus grand désordre. Cette lutte,
en se prolongeant, ne pouvant aboutir qu'à un désastre,
SuQren [résolut de rejoindre le Sphinx^ le Vengeur et
i
368 HISTOIRE DE LA MARINE l'KANyAlSli.
YArtésieJi. Léo drisses de pavillon ayanl été coupées %^~,nr
le feu de l'eiinemi, U élait dans l'impossibililé de fi:^^iri(
connallre cette décision à VAnnibal. D'autre part, il ^e
fallait pas attendre, pour gagner le large, que les d ^^^^^
vaisseaux fussent complùlement dégréée. Le romir^.f,„.
dcur, persuadé que son compagnon imiterait sa 'wiia,
nœuvre, ordonna de couper le cdblc. Le lieutenant. ^
vaisseau de Galle, qui avait remplacé le capitaine de
migon, tué pendant le combat, suivait avec attention
qui se passait ù bord du vaisseau du cummandunf
chef. Aussilôl que le mouvement du Héros fut pronona',
il fit couper le cflble de VAnnibal. Quelques lambeaiittlc
voiles furent appareillés pour faciliter la manœuvre, mais
la milture, criblée par les boulets, ne put supporter im
aussi faible effort. Lorsiiue le vaisseau fut en travers au
vent, le grand mat cl le mât de misaine vinrent en liis.
Toutefois, l'évolution s'acheva,.ei le vaisseau sortit de Ih
baie vent arrière, A la vue de VAnnibal gouvernant dans
ses eaux, la satisfaction de SufTrcn fut extrême. Celte par-
tie, engagée avec tant d'audace, il ne l'avait pas perdue,
puisqu'il se retirait avec tous ses bâtiments. L'Annîbal
était ras comme un ponton et le Héros avait perdu deui
mflts do hune, mais le Sphinx, YArlêsien ei le Vengfw
étaient intacts. Quoique le commandeur ignordl les ava-
ries des vaisseaux anglais, il n'admettait pas (lu'ili
eussent reçu, pendant une heure, sans subir de nomiireux
dommages, le feu du Héros et de VAnnibal. 11 s'occup»
immédiatement de mettre sa division en mesure de rece-
voir l'ennemi, si celui-ci, ainsi qu'il te supposait, ap|ia-
reillait de la baie de la Praya. Aussitôt que des drisses de
pavillon eurent été repassées à bord de son vaisseau,
l'ordre fut donne au ><phinx de prendre VAnnibul à la re-
morque, et au convoi de faire route pour sa destination,
sous l'escorte de la Fortune^. Dix ou douze transporli
I . Celle corvdU' «marinnil |p brûloi VlnfeniiU, «u iiionii'Ot oO fal hi»*
k sigiinl niii la coiiccriitiit. 0>ni|ii'«nnnt la uic«sîil« J'uli^ir sua M")
LIVUE Xll. 369
aDglais qui avaient mis sous voiles, seraient inévitable-
ment tombés entre nos mains, si nous avions été plus
heureux dans notre attaque. La situation de VAnnibal et
robligation de couvrir notre convoi ne nous permettaient
pas de les chasser. A trois heures de l'après-midi, on aper-
çut les Anglais courant grand largue sur notre escadre.
SulTren fit serrer le vent, bâbord amures, VAnnibal à la
remorque du Sphinx, et il attendit Tennemi. Arrivé à une
portée et demie de canon, Johnston prit le plus près et
il se maintint dans cette position. Aussitôt que la nuit
fut faite, Sufîren se dirigea sur le Cap de Bonne -Espé-
rance. La crainte d'être entraîné sous lèvent du mouil-
lage, où il avait laissé une partie de son convoi, et le
mauvais état de quelques-uns de ses vaisseaux avaient
empêché le commodore de nous attaquer.
Le Héros perdit trente-quatre hommes, et il eut cin-
quante-six blessés. Le chiffre des morts s'éleva, sur
YAnnibal, à soixante-dix, et celui des blessés à cent trente.
Une faute commise par le capitaine de Trémigon ne fut
pas étrangère à ce résultat. Lorsque le signal de se pré-
parer au combat parut en tête des mâts du IléroSj les
malades, qui étaient fort no l'breux, et les pièces â eau
que, par un excès de zèle, on avait fait monter, à l'avance,
de la cale, encombraient les batteries. Persuadé que
Suffren respecterait la neutralité de l'île, le capitaine de
Trémigon ne crut pas qu'il fût nécessaire de les dégager.
En conséquence, les dispositions militaires que comporte
le branle-bas de combat ne furent que très-incompléte-
aou capitaine abandonna le navire anglais, en conservant le capitaine et
quinze hommes de l'équipage qu'il avait déjà fait passer à son bord.
Le capitaine de V Artésien avait jeté du monde à bord d'un navire de la
Compagnie des Indes^ mais^ par suite d'une erreur aussi regrettable (juc
difCcile à expliquer^ il avait mis vingt-deux hommes sur un navire qui
avait quatre-vingts hommes d'équipage. Le bâtiment anglais fut repris le
même jour, et l'escadre perdit fort inutilement vingt-deux matelots. Le
commandeur, qui était loin d'être satisfait du rôle que VArlésien avait
joué après la mort du capitaine de Cardaillac, se montra très-mécontent
de cette faute.
2^
StO HISTOIRB DB LA MABIHE FRANÇAIBK.
ment exécutées sur son Taisseau» la «iteBdaBt le ctBOo
retentir dans la baie^ il ooiii|Mrit toute la gFsvfté'de fOB
erreur. Quoique détarmé, il coutiDuaea route saiie dimi*
nuer de toile, recevant des boulets auxquels il ne pouvait
pas répondre. Son vaisseau avait bit des p&rtmttmài^
râbles avant d'être en mesure de commence le feu. Jkm
n'insisterions pas sur cette fente noblraEmntradietéei éV
n'était pas nécessaire de OKmtrer les oonséquences qse
peut entraîner rinexécution d'un tnrdre. VArÊê$tef^ cube
son capitaine qui ftit tué, eut dix-huit blessés. Tel fetle
combat de la Praya dans lequel deux vaisseaux Crançrii
luttèrent héroïquement oentre dnq vaisseaux anglais.
Les circonstances dans lesquellw se produisit aotoe
attaque enlevèrent à Suffirai toute action sur la eondMb
de ses bAtiments. Lorsque la présmioe de r«uieiDi frt
signalée, sa dividon n'était pas réguHèremait fennèe.
VAtmilmi était près du Hir&s, tandis que VArUÊim m
trouvait à quelque distance en avant et sous Je venLU
Vengeur et le^iruB, quimardiaienft mal, étaient enem
très-éloignés, et l'un d'eux avait un Mivire à laremorqitt^
Si Suffren se décidait à attendre le Vengeur et le Sphinx^
il perdait, ainsi que nous Tavons dit plus haut, ravanlag«
d'une attaque faite à l'improviste. D'autre pari, en allant
sur-le-champ à l'ennemi, il renonçait à communiquer
avec ses bâtiments, et à combattre suivant un plan arrêté
à l'avance. Obligé de prendre un parti, il choisit ce der-
nier comme le plus propre à atteindre le but qu'il pou^
suivait. Il crut que ses capitaines, jugeant la situation
comme il la comprenait lui-même, sauraient trouver leurs
postes decombat. Le capitaine de V AnnibcU jusiids. plei-
nement la confiance de son chef. Suivant de près le Héros,
il se rendit compte de la position de l'ennemi, et il fit un
mouillage qui excita l'admiration des officiers anglais et
français. Lorsque VArtésien se présenta dans la baie, I»
fumée était assez épaisse pour que le capitaine de Car-
daillac prit un navire de la Compagnie des Indes pour
un vaisseau de ligne. Si l'ordre de laisser tomber l'ancre
LIVRE XII. 371
avail été cxéculé, cet incident eût été sans importance.
Après avoir reçu un équipage de prise, la Forlilude^ cou-
pait son cdble et elle rejoignait notre convoi, laissant les
batteries de Y Artésien libres des deux bords. La mort du
capitaine de Cardaillac, la confusion qui en fut la consé-
quence, et l'inexécution de Tordre de mouiller privèrent
Suffren de Y Artésien, Le Vengeur et le S/>/ii>ix n'arrivèrent
sur le lieu du combat que plus d'une demi-heure après
le début de l'action. Les capitaines du Chilleau et de
Forbin traversèrent la baie sans mouiller, et, lorsqu'ils
eurent viré de bord, ils se trouvèrent sous-ventés. Cette
suite de circonstances défavorables modifiait complète-
ment le plan du général en chef. Suffren avait attaqué,
ou pour parler plus exactement, s'était jeté sur l'ennemi
avec deux vaisseaux, parce qu'il comptait que le troi-
sième, d'abord, puis les deux autres viendraient prompte-
ment à son secours. Trompé dans cette espérance, il
n'avait plus qu'à battre en retraite, ce qu'il fit avec calme
et résolution. On ne doit pas perdre de vue que ces divers
événements se passèrent avec une extrême rapidité. A
onze heures du matin, le Héros laissait tomber l'ancre
au milieu de l'escadre anglaise, et, à midi, il coupait son
cAble. Les capitaines de YAriésien^^ du Vengeur et du
Sphitix n'eurent pas le temps de réparer la faute qu'ils
avaient commise, en manquant leur mouillage. Il serait,
d'ailleurs, injuste de ne pas reconnaître que le Vengeur
et le Sphinx^ arrivant tard sur le champ de bataille, ren-
contrèrent plus de difficultés pour prendre leurs postes
que le Héros et Y Annibal qui avaient reconnu, à loisir, et
avant qu'un seul coup de canon eût été tiré, la position
de l'ennemi.
1. C'était le nom du navire de la Compagnie des Indes, sur lequel le
capitaine de Cardaillac s'était dirigé par erreur.
2. Il n*est que>tion de VA^téticn qu'à partir du moment où le capitaine
de Cardaillac fui tué.
IllâTOUlE DE lA HAAINK FRANÇAISE.
Après la sûjiaraliun des deux escadres, SuGTren n'eut
plus d'autre préoccupatioD que de gagner de vitesse SM
iidvcrsuirc. VAnnibal, remorqué par le Sphinx, instiUi
une mâture de forlune. Quant au Héros, qui, d'ailleun,
marchait très-bien, ses avaries Furent promplement »■
parées. Le 18 juÏD, l'escadre doubla le Cap de Bonne-Es>
péraiiuc. Ce jour-là, conformément aux ordres du Boi,
StilTrcn arbora, d bord de son vaisseau, le pavillon de d^T
dVscadrc'. Le SI, il entra à Simon 's bayoùil eut lastti^
Taclioii d'apprendre qu'on n'avait aucune nouvelle it
rraiit'iiii. La coloniL' n'6lait pas en 6lat de résister am
rurccsdu Commodore Johnstoue. L'eirectirde la ^anÙNJii
ne dèpaâbait pus quatre cents liommcs de troupes rég lie.
Les forliticalions n'avaient aucune importance et le malc
l'icl d'artillerie, à l'exception de quelques pièces récan-
mcnt arrivées d'Europe, était hors de service. Les liM-
pes embarquées sur nos vaisseaux furent envoyéesàli
ville du Cap, distante de quelques milles du mouiUige.
Pendant que le brigadier de Conway, sous les ordres Ai-
quel elles étaient placées, prenait ses dispositions poiB
repousser les Anglais, l'escadre se réparait et faisailda
vivres. A la fin de juin, la corvette la Fortune el te
Iransports rallièrent le pavillon du commandante
LIVRE XII. 373
défense faits par nos troupes, il ne se crut pas en mesure
de remplir la mission qui lui avait été confiée. Peu de
temps avant que Tescadre française mouillât à Simon's
bay, le bruit de la prochaine arrivée de Texpédition bri-
tannique s'était répandu dans la colonie. A ce moment,
cinq navires hollandais, richement chargés, se trouvaient
sur la rade du Cap. Certains d'être capturés, s'ils restaient
au mouillage, craignant de rencontrer les Anglais, s'ils
prenaient la mer, les capitaines de ces bâtiments s'étaient
retirés dans la baie deSaldanah*, comptant appareiller
le jour où ils seraient fixés sur la position des Anglais.
Ils avaient commis la faute de ne pas retourner au Cap,
aussitôt après notre arrivée. Ces divers incidents par-
vinrent à la connaissance du commodore. Celui-ci, per-
suadé que le tort fait au commerce de la Hollande, atté-
nuerait, aux yeux de ses concitoyens, les malheurs de sa
campagne, fit route pour la baie de Saldanah. Il y sur-
prit, le 21 juillet, au point du jour, les cinq bâtiments
qui se gardaient avec beaucoup de négligence. L'un d'eux
fut brûlé par son équipage, mais les quatre autres tom-
bèrent entre les mains des Anglais. Quoique VAnnibalna
fût pas en mesure de le suivre, Suffren mit sous voiles
aussitôt qu'il apprit la présence de l'ennemi sur la côte.
Après avoir inutilement cherché l'escadre anglaise, il
jeta l'ancre, le 10 août, devant la ville du Cap. La colo-
nie hollandaise n'avait plus rien & craindre des forces
placées sous les ordres de Johnstone. Le commodore était
parti, le 24 juillet, pour l'Angleterre, avec le Jupiter^ le
Romney, les frégates et les prises. Les vaisseaux lelfero^
le Montmouth^ VIsisei les transports s'étaient dirigés sur
Bombay. Le 16 août, la frégate la Consolante^ venant de
l'Ile de France, apporta au commandeur l'ordre de rallier
le comte d'Orves, s'il pouvait s'éloigner du cap sans com-
promettre la sécurité de la colonie. Le 28 août, les répa-
1. La baie de Saldanah est située sur la côte orientale de rAfri(iuc, h
soixante milles dans le nord du Cap de Bonne-Espérance.
Mk HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
nilions ilf VAnnibtil (taol terminées, SulTrcn appaniUa
avi'c l'escadre cl le convoi.
Qiicliiucs jours avant son départ, il avait expédié dd
navire rn Europe pour porter ses dépêches. Persaalê
(]ur le {irouvcrnemcnt n-ançais était instruit de l'affaindt
la l'ruya par le récit des journaux anglais, il se demiD-
■liiii, non sans quelque inquiétude, si sa conduite^
a|i|)rouvéc par la cour. Dans le but de se justiBffil
écrivait au ministre : " J'ai pris la détermination d'alU-
(|iii'r Johnstunc duns la baie de la Prnya par Tespoir Ir<-
ronde (le le (lùlruire. Le désordre du mouillage, U >iir-
prisc devaient inc procurer cet avantage dont le résaU
dc^ail l'Irii de couper racine à tous les plans et ^rv}^
ilf ci-lU' l'xpùdition, d'acquC-rir ta supériorité dans l'Inik
puur loii^'lcnips, supùriorilO de laquelle pouvait résot-
Irr une pai\ glorieunie, d'cmpCclicr les Anglais d'ar-
river au Cn|> avant niui, objet qui a été rempli et i]ui
('■tait le principal de ma mission. Par la note des foiR'
<'iini'mii-s (]iie vous m'aviez donnée, je n'avais aucune?-
poir tlo les batlre en pleine mer. Je devais donc saidi
l'iiiiasion de Icr attaquer dans une position qui mepTi:-
incltait ilu succi-s. Yuilji ce (jui regarde la partie milifatn-
Taiil nu'A la politicpic, j'ai l'honneur de vous faire obsff-
vcr ipH- Jolmsione iippcltc la Praya une baie, mais, scloo
l'i'U iuluc du mol portugais, elle n'est qu'une plage. Dan>
l()us les aulcurs du droit public, soit Grotius, PiiITcndorf,
St'Idcii, il n'y a ricni|ui puiRscétabtîr une règle con^laol^
LIVRE XII. 375
Suffrcn se préoccupait, à tort, de l'opinion du gouver-
oement français à son égard. Sa conduite n'avait trouvé,
dans les sphères ofiîciclles, que des approbateurs. Lors-
que le rapport du commodore Johnstone, inséré dans les
Journaux anglais, eut traversé le détroit, le maréchal
de Castries montra les dispositions les plus bienveillantes
pour le commandeur. Quoi(iu'il n'eiH aucune nouvelle de
l'escadre française et qu'il ignorât en quel état le Héros
et VAnnibal étaient sortis de la baie de laPraya, il écrivit
immédiatement à Suffrcn pour le rassurer sur les suites
de cette affaire*. Le cabinet de Versailles ne voyait pas
avec plaisir les difficultés que la violation du territoire
^jortugais devait soulever, mais le ministre voulait main-
tenir intact l'esprit d'entreprise (iuc révélait, chez Suffrcn,
le combat du 16 avril. Lorsque les rapports expédiés du
Cap parvinrent à Paris, le commandeur fut fait chef d'es-
cadre. Le ministre lui annonça sa promotion dans les
termes suivants* : « Le Roi vous a annoncé dans vos in-
structions, Monsieur, que toutes les actions courageuses
que ses généraux feraient, lors môme qu'elles n'auraient
pas le succès que leur conduite aurait mérité, n'en
seraient pas moins honorées par lui, et qu'il n'y aurait
que de leur inaction qu'il serait mécontent. Sa Majesté
n'avait pas connu, sur les premiers comptes qui lui avaient
été rendus, tous les caractères du parti que vous aviez
pris, lorsque vous vous êtes déterminé à attaquer le com-
modore Johnstone & la Fraya. Elle a reconnu depuis, par
1. Suffren reçut celte lettre à Tlle de France, en novembre 1781. Il répon*
dit au ministre : « J'ai reçu la lettre que vous m*avez fait Phonneur de
ni*écrire, en date du 1" juillet, relativement à l'affaire de la Praya. Je ne
saurais vous exprimer combien j'ai été sensible à la bonté que vous ayez
eue de me rassurer sur les craintes que je pouvais avoir que vous n'eussiez
pas approuvé ma conduite. >* Dans une lettre parUculière, il disait sur le
même sujet : • M. de Castries m'a écrit, sur la Praya, lUM '*
agréable qu'elle peut lêtre, sur une aflaire qu'il ne conult
relation anglaise. »
7. Suffren ne reçut celle lettre qa*à la fin d* ^
Trinquenialay,
.37fi HISTOIRE DIÎ I,A MARIKE FHANÇAÎSE.
divers iliHails qui lui sont parvenus, que vous vous ('[or
conduit, dans celle circonstance imporlanle, comme un
homme de guerre qui annom^ait de grands talents, ol,
sans avoir égard au résultat dont vous n'êtes point ga-
rant, ni au rang que vous tenez dans l'ordre de ses capi-
taines de vaisseau, elle m'a chargé de vous mander qu'elle
vous donnait le grade de chef d'escadre, en se réservant,
toulefols, de rendre le rang à ceux des capitaines de viiis-
seau, vos anciens, qui trouveraieni des occasions de se
distinguer dans le cours de cette campagne eoulement. »
ni
Le capitaine de vaisseau de Tronjolly, qui avait, au t]{—
but (le la guerre, le commandement des bAtimonts fran-
çais stationnés ilans l'Inde, avait quille la cùte de Oom-
mandel lorsque les Anglais avaient mis le siège devant
Pondichéry. Il s'était retiré à l'Ile de France oii il avait
trouvé le vaisseau le Flamaml, do cinquante canons, parti
de Brest avant l'ouverture des hostilités. M. de Tronjolly
avait reçu du ministre l'ordre de se considérer comme
spécialement affecté à la défense de Bourbon et de l'Ile
de France. Notre gouvernement, qui se disposait h
envoyer six vaisseaux dans l'Inde, jugeait inutile de
comi)romeltre la faible division de M. de Tronjolly
avant l'arrivée de ce puissant renfort. Contrairement &
ce que l'on supposait A Paris, les Anglais n'avaiL'nt
dans l'Inde que des forces insi^'niliantcs. Au lieu de se
porter sur les côtes de Mulabar et de Coromandel, où il
aurait pu les inquiéter, M. de Tronjolly, quoiqu'il eût été
successivement rallié par rOncnf, de soixante-quatorze,
et le Spt<ère, de soixante-quatre, s'en tinta la lettre de ses
instructions. 11 n'appareilla que pour faire une courte
croisière dans les parages du Cap de Bonne-Espérance. A
In nouvelle de l'érber du comte d'Estaing devant Sainte-
I.ufie, IV<cndre destinée A aller dans l'Inde fut dirigée
LIVHE XII. 377
sur les Antilles. Une seconde escadre, prôte à appareiller
pourTIle de France, fut encore une fois détournée de sa
destination. M. deTernay, qui en avait le commandement,
fut chargé de conduire à Rhode-Island les six mille hom-
mes du corps de Rochambeau.Le ministre expédia, à Tlle
de France, le Bizarre, puis, quelques mois après, le Pro-
lée, VAjcuc et quelques navires de transport. On se rap-
pelle que le Protée fut pris, avec plusieurs bâtiments de
son convoi, par Tescadre du contre-amiral Digby. A la fîn
de Tannée 1780, le comte d'Orves, qui avait remplacé
M. de Tronjolly, avait, sous ses ordres, les vaisseaux
l'Orient, de soixante-quatorze, le Brillant, le Bizarre, le
Sévère, YAjax de soixante-quatre, le Flamand, de cin-
quante, et quelques frégates. Le nouveau commandant
en chef ne voulut pas garder, avec six vaisseaux, deux
ties qu'aucun danger ne menaçait. Il insista auprès du
gouverneur général pour obtenir Tautorisation de se ren-
dre à la côte de Coromandel. Quoique le ministre n'eût
rien changé aux ordres qu'il avait précédemment donnés,
H. de Souillac acquiesça à cette demande, mais il mit
pour condition que le comte d'Orves éviterait toute opé-
ration de nature à compromettre son escadre. Les maga-
sins de la Compagnie étant vides, le gouverneur général
craignait de se trouver dans l'impossibilité de réparer
nos vaisseaux, s'ils revenaient avec des avaries* Il fut donc
convenu que cette sortie n'aurait d'autre objet que de
montrer notre pavillon sur la côte de Coromandel ^ Le
1 . I^ nature de la mission donnée à i^escadre se trouve clairement défi-
nie dans le passage suivant d'une lettre que le comte d'Orves écrivait au
ministre de la marine, à son retour de la côte de Coromandel : > Le journal
de ma campagne vous a fait connaître TinsufOsance des moyens qui m'é-
taient confiés pour la rendre aussi avantageuse qu'elle aurait pu Tôtre
avec dos approvisionnements qui m'eussent permis de garder plus long-
temps la côte de Coromandel. Je n'ai pu y paraître que pour remplir l'obji^t
essentiel de ma mission, qui était de montrer aux princes indiens des
forces qui leur donnaient une confiance fondée de notre puissance et de nos
dispositions à en réunir aux leurs de suffisantes pour les seconder dans la
gncrre qu*il8 font à nos ennemis, et les engager à la continuer. J'ai eu
378 HISTOIRE DK LK MARINE FRANÇAISE.
comlcd'Orves appareilla de Porl-Louis, Ift 14 octobre IT»,
avoc si\ vaisseaux et trois frégates. Après être restéquel-
ijiios jniir» à l'entrée de ta passe de Surale pour Taire dt
l'euii, Il parut, le S7 janvier, devant Madras. Les bâtiments
aiifflnis qui étaient sur la rade, s'élant réfugiés sons la
canons du fort Saint-George, nos vaisseaux poursuirirent
leur roule vers le sud, et ils mouillèrent à petite distann
(le Pundicliéry. Les Anfrlais, croyant que nous avions IIih
Icntion d'u|iércr un débarquement devant cette ville, Ht-
voytront des Irouiies dans cette direction.
Au inomenl oii loHcadre française arrivait sur la cî-ti'
de Coromandel, la piiifi^ance britanni<[ue dans l'Inde tn-
vcrsHJl une épreiive pleine de périls. Les chefs indig^n^
uubliitnt leurs querelles parliculiiTcs, s'étaient élroitf-
incnl unis cunlrc les Anglais. Au coninicncemcDtderu-
née 1780, IcslrmiiMîsde la Compagnie avaient été attt
i|ni>es sinuillunémont au Dengalc, & la côlc de Malabaret
A la cùlede Ciimmiuidel. Hyder-Ali qui, sous le titre J^
ivp'iit, frouvernait le royaume de Mysorr, nvail envahi 1'^
(^urniilic a^e^ cent mille liommes ctiinc nombreux arlii-
liTic. l'iusicursclétacbcmenls anglais avaient été faits i-tî-
siiniiiers par ses troupes, et il s'était emparé, aprèï «s
Mége régulier, de la ville d'Arcate, capitale de la Nababà
de ce nom. Un général fort habile, sir Eyre Coot, avaitl^
rClé les progrès du sultan, mais l'armée niysoréenne «»-
servait les |to»ition8 qu'elle avait conquises, et elle coiili-
e nabab, Irès-promplem»!
(.IVRE XII. 379
in»lruil du moirvoiiient des troupes briUmniqucs vers
Pondich^ry, se plai;a par iiiie marche rapide entre celte
vitli' et Maiiras. tes Anglais e'étant retirés à Goudelour,
l'iirmée indienne s'établit devant cette place (]uî était à
peine forlifiée.
Hydcr-Ali, en apprenant l'arrivée d'une escadre fran-
çulee, avait Tait tirer le canon duns son camp, en signe
de rAjonissance. Il accueillit avec le plus grand empresoe-
ment MM. de Salvert, capitaine de la Fine, et Pivron do
I Mortal, ancien procureur du Roi & Pondicliëry, envoyés en
mission auprès de lui par le comte d'Orves. Le nabab dé-
clara (|u'il èlail prûl A nous donner des hommes, des vi-
vres et de l'argent, si nous consentions à mettre A terre
un corps français. Celte proposition ne pouvant avoir
aucune suite, puisque nous n'avions pas de troupes do
débarquement, il réclama l'appui do l'escadre pour pren-
dre Goudelour. Il demanda, en outre, avec une ^ande
insistance, qu'un détachement français assistât son ar-
mée dans les opérations du siège. L'amiral Hu^^hcs ayant
quitté la côte de Goinmandel, le U octobre, pour se ren-
dre A Bombay, la place n'avait & attendre aucun secours
de la marine britannique. Attaquée par terre et par
mer, coupée de loutc comnmnicution avec Madras, la
ville so serait reiidtte à discrétion. Notre escadre n'avait,&
ce moment, que les vivres nécessaires pour effectuer sa
traversée de retour. Soit que le comte d'Urvos fût con-
vaincu qu'il ne parviendrait pas à s'en procurer sur la
cAte, soit que, étant parti pour l'Inde sans ordres, ou plu-
tôt malgré les ordres du gouvernement, il fût pressé de
revenir à l'Ile de France, il refusa son concours. M. de
Souillac, écrivit-il au sultan, lui avait défendu de la ma-
nière la plus formelle de débarquer un seul homme. Il
ajouta qu'il était obbgé, eu vertu d'instructions extrê-
mement précises, de se trouver à l'Ile de France, au
mois d'avril, pour o[)érer sa jonction avec une escadre
attendue d'Europe. Il oITrit au sultan de lui laisser deux
cent ciuquante soldatâ de marine, mais celui-ci déchna
L
3S0 HISTOIRE DR LA MARINE FRANÇAISE,
cette proposition'. L'escadre np|iareiIlH le 13 Tévrier, et
elle mouilla, le 31 mars, à l'Ile de France. Il ne lut res-
tait, à son arrivée, qu'un repas de buîscuit et du rii
pour huit jours. Le comte d'Orves ^lait donc parll i
temps, mais, s'il avait voulu prolonf^jer son séjour sur la
côte, on no peut pas admettre qu'il n'eût pas trouvé, soll
chez les Danois, à Tranquebar, soit chez les Hollandais,
tt Négapalam ou à Ceyian, des vivres pour six vaisseaux
pendant un mois. Or, la coopération réclamée par Hyder-
Ali n'aurait pas eu une plus longue durée.
La Fine avait quitté Hresl, le 16 mars 1781, pour porter,
à l'Ile de France, la nouvelle du départ de SufTren. AprèB
avoir touché le 25 mai au Cap de Bonne-Espérance, cette
frégate était arrivée, le 10 juillet, à sa destination. Les in-
structions qu'elle apportait au commandant de l'escadrft
laissaient ce dernier libre de choisir entre les trois partis
suivants: croiser dans les parages du Cap de Bonne-Es-
pérance pour intercepter Johnstone et son convoi, atten-
dre SulTren à l'Ile de France, ou faire route pour l'Inde en
donnant rendez-vous au commandeur. L'escadre devait
prendre les dispositions nécessaires pour faire une cam-
pagne de six mois. Le ministre ignorait absolument, au
moment oti il donnait ces ordres, la position du comte
d'Ûrves. Nous n'avions, à l'Ile de France, ni matériel, ni
approvisionnements d'aucune sorte. Quant aux ressour-
ces qu'on pouvait trouver dans le commerce, elles étaienlj
épuisées depuis longtemps. L'escadre n'avait fait aucune
réparation depuis son relour de la côte de CoromandeL,
Les efforts du comte d'Orves, A l'arrivée do la Fine, n'a»
1. • Voii8 nnus marqum i]uc voiia ae pouvez pas faire itesconiln la
tronpCB son* vos orilres; il ust ju«l(> qun vous suiviez Itrn unlrcs devii
Roi. Nous sammeB Irès-scnsibleà Toffre qiie vous nous faillis At tieui a
rinquante hommes, prenaol sur vous, mnl^ Souillac el Ternay. I
vous n'avcE pas [ce ontm pour déinrquor les troupes ie vos vu
nous De Eomuica pu d'avis de les nccapivr. Nous vouh cooMilloni iM M-
tourner au ].las ICI, pour nous mener vingl-tinq vitisseaui do guerre potf
prendre (oub les vainieaux anglais par mer, et mk mille b<Hnm«i i*
tniupc» tré«-«guerrieB pour faire la guerre aor torre, « (Byd«r-AII t _
1
^
UVA£ Xll. 381
vaicDl eu d'autre résultat que de mettre la Consolante en
étal de prendre la mer. Cet ofOcier écrivait au ministre le
1*' août 1781 : a Le vicomte de Souillac m'a donné toute
communication des instructions du Roi que vous nous
avez adressées.... Je suis pénétré de ne pas m'étre trouvé
en état de sortir, lorsque vos ordres me sont parvenus,
mais il m'est impossible de mettre en mer, avec quelque
sûreté, deux vaisseaux dans l'état de disette où sont les
magasins du Roi, ce qui nous fait prendre le parti d'expé-
dier la Consolante avec les instructions dont nous vous
rendons compte conjointement, ainsi que des projets que
la circonstance nous met en état de former. Tous les câ-
bles de l'escadre ne fournissent pas ceux qui sont néces-
saires & un seul vaisseau. Nous manquons absolument
de cordages, de voiles et de mâtures. Mais je ne puis vous
donner une idée plus juste de la position de la marine
dans cette île qu'en vous rendant compte de la nécessité
où nous avons été réduits, après avoir pris, à bord des six
vaisseaux, ce qu'ils ont pu fournir de provisions à la
Consolante^ d'acheter chez les particuliers, à tout prix,
pour la mettre en état de sortir. » Par suite de ce dénû-
ment, dont la responsabilité retombait sur l'administra-
tion de H. de Sartiues, l'escadre de l'Inde n'avait rendu
aucun service ^ Le comte d'Orves qui avait acquis, comme
capitaine de vaisseau, une honorable réputation, s'était
montré, pendant cette campagne, un très-médiocre géné-
ral. Cependant, nous devons faire ressortir la situation
particulièrement difGcile dans laquelle l'imprévoyance du
ministre l'avait placé.
Le commandeur de Suffren mouilla sur la rade de
Port-Louis, le 25 octobre 1781, avec sa division. Les ap-
provisionnements, vivres et munitions, chargés sur lesi
transports, furent débarqués, et les travaux, pour la ré-
organisation de notre escadre, commencèrent inmiédia-
tement.
1. M. de Sartines n'avait qaiUé le ministère qu'en oclotre 1780.
StiD^en (ivaît désigne les lieulenaDt» dei
el (le Bcauliou pour remplacer MM. de
Carilalllac. A)irèâla jondion des deux dn
tenait au comlc tl'Orvr^, en «a qualité de
chef, de pmnoncer, en dernier rcâsort, i
priHos par son lieutenant. La corvette la
(lu Cap de Bonnc-Esp^Tance, avait mouil
bre, sur la rade de Port-Louis. Elle av
tcUreB du commandeur qui avaient a
d'Orves tous les inridcntii de la journée
dernier avait manifetitâ publiquement I'Ie
dos mutations parmi les capitaines, aussi!
forces placéci) sous ses ordres seraient r^
nait notamment l'Annihal, de soixante-q
pilaincde vaisBeau Le (iourantde Tromelii
chaleureu Renient la cause de MU. de Galli
et il obtint que lo premier conserverait i
ment. Quant au second, dont les titres ât
à c«u\ de son collègue, il fut décidé qu'il
gâte. Lorsque le chanj^ement qui venait
dans le!4 dispositions du comte d'Orves
nombreuses prolestalions surf^irent. Plue
ne craignirent pas de dire qu'ils quitt«ra
menls, si le commandant de l'escadre mai
sion. Celui-ci, loiu de s'émouvoir d'un ac
aussi nettement caractérisé, revint sur l'ei
LIVRE XII. 383
Suflrcn, mécontent de la conduite du comte d'Orves, et
convaincu que l'escadre, sous un tel chef, n*aurait aucun
succès, songea à rentrer en France. Il écrivit au ministre
le 7 septembre 1781 : « Vous savez, Monseigneur, avec
quelle répugnance j'ai passé dans l'Inde. Vous n'ignorez
pas que j'y ai été décidé principalement par le désir de
mériter votre estime. Vous avez eu la bonté de me pro-
mettre de me faire revenir dans dix-huit mois, à compter
du mois de mars. J'ose vous supplier de vous en souve-
nir. Si vous m'en donnez la permission,jo vous assure que
je n'en profiterai pas tant que je croirai pouvoir être utile
au service dans ce pays. » Dans cette affaire, la forme avait
pris une telle importance qu'elle Tavait emporté sur le
fond. Il était non-seulement conforme aux convenances
hiérarchiques, mais utile, au point de vue militaire, de
donner le troisième vaisseau de soixante-quatorze au ca-
pitaine de vaisseau le plus ancien, après MM. d'Orves et
deSuCTren, c'est-à-dire à celui auquel revenait le comman-
dement do la troisième division. Si tel était l'avis du
comte d'Orves, et il était certainement très-bon *, pour-
quoi ne s'en était-il pas expliqué nettement avec SuflFrcn?
Si, au contraire, il jugeait utile d'accorder une récom-
pense exceptionnelle à un jeune officier qui avait honoré
notre pavillon devant l'ennemi, pourquoi n'avait-il pas
imposé sa volonté à son escadre? Enfin, quel que fût le
mérite de sa décision dernière, comment ne Tavait-il pas
maintenue, surtout en présence do l'attitude de quelques-
1. Suffrcn prit le commandement de Tescadrc, le 9 février 1782, après
la mort du comte d^Orves. Ce jour-là, il eut à sn disposition un vaisseau
de soixante-quatorze, VOrientj qu'il avait le droit de donner à Tancicn
tcoond de VAnnibal. S'il tenait à rendre h M. de (îalle le vaisseau avec
lequel celui-ci avait combattu à la Praya. il pouvait enlever VAnnibal h
M. de Tromelin, qui le commandait alors, et lui donner VOrienL M. de
Tromelin, échangeant un vaisseau de soixante-quatorze contre un vaisseau
do môme rang, n'aurait pas eu h. se plaindre. Telle ne fut pas, ainsi que
Bom le verrons plus loin, la ligne de conduite adoptée par Suiïrcn. Il
donna VHannibal anglais, de cinquante canons, à M. de Galle, et la Bellotie
à M. de Beaulieu. Il y eut, à ce moment, de nombreuses mutations parmi
les capitaines. Toutes eurent pour base l'ancienneté.
384 IIJSTUIHE DE LA MAUIME KltANÇAlSE.
uns de ses capilaiues ? Lorsque ces faits furent connus & ^
Paris, le ministre, extrêmement irrité, adressa au comte
d'Orves une dépêche conçue daas les termes suivants :
« Je vous adresse un ordre du Roi, Monsieur, pour con-
server h. M. de Galle le commandement de l'Annibat qu'il
a commandé d'une manière si distinguée. Je ne dois pas
vous laisser ignorer qu'il est revenu à Sa Majesté que
vous lui aviez ôté ce commandement, sur la représenta-
tion do ses anciens, et qu'ils vous l'avaient demandé en
vous annoni^anl qu'ils donneraient leur démission si letir -
ancienneté ne prévalait pas. Le Roi n'a pu croire qu'une =:
telle menace ait pu vous être faite, et encore moins que^
vous y ayiez cédé. Mais si, par hasard, lorsque vous re —
placerez M. de Galle h bord de VAnnibal (ce qui se fera^i
la réception de l'ordre du Roi), il y avait quelques-uns ilc-*
ses anciens qui voulussent donner leur démission, Sik^
Majesté vous ordonne de la recevoir, et de faire passer ei
Europe ceux qui viendraient vous l'offrir, »
Cette dépêche était fort dure pour le comte d'Orve^
puisqu'elle tranchait, dans un sens opposé à celui qu^
avait adopté, une question débattue publiquement c
son escadre. Mais le ministre le considérait, avec raisoi^
comme le principal coupable.Ilélaitconvaincuqu'aucuntf
résistance ne se fût produite, si le comte d'Orves avait moB^
Iré quelque énergie. Enfin, ne voulant pas désorganisa
l'escadre, en rappelant la plupart des capitaines, il aval
employé le seul moyen qu'il eAt h. sa disposition pond
détruire le mauvais effet produit par cet acte d'ioJ
discipline. Les instructions apportées par la Kt/ie doo^
naient au comte d'Orves toute liberté quant au choix dtM
opérations. Le ministre lui disait : « Le Roi, en laissanl
las généraux maîtres de déterminer les opérations qu'U|
estimeront les plus utiles et les plus glorieuses i ses a
mes, leur prescrit d'attaquer les Anglais séparés ou réu-
nis, partout uîi il sera possible de te faire, sauf révideace
de la destruction de leurs forces. La sagesse de Sa Majesté
ne lui a pas iiorniis de fixer, vn particulier, aucune o
J
ration. Elle sait qu'i roar» hlL* iH»b's cTIh.. L -e*
imprudent d'en déiEmiiiisr ôt ^i-ii;!-. t>. ^ Eii* ?^ i»Lini*_
en conséquence, à ftzrt rimiitJr"* hl ïjeur rjnn* c .»r-.^
Cjue rinactÎTiiê de 5*C'i* t&iaiir* t>- •.* 71 t;ljt d^oil irii-
cipaleinent,qiiede< tT t^enttîiiir HiiJiit'iir'.^ui îa J'iiiarîi'.a
seront également
se borne à dire an occul-t i 'Ir^ ^ c*^ ^riin^ ù* iL su:r-
riorité ou de rêsalîtê Ô€* îi-r-e? tl'I d.'H t* «ir •-'.t** tif-
née sur les Anglais. -itiH' jtî§ jutr* car^. itnu: ri^ii^
leur commerce et décrcjr!: rt^î:! ^^ jçLr* ^'lu •iiï-^nj**ii;-
qu'il pourra attaquer ti*^: rii'j::r-_ ^ Itits-*. cl^^i* vl
même temps aî^^oreraa cv:*r.i* i «l^ri*»» rt ^*: iit i*. r-^îiian.
pas responsable des tT-èîifi:!**!^ Hitlift-ur*!:! .ru ;t.»Lj-
raient arriTer, mais qui. i^ «.*rtr^ %"1 1 ••il'J'ji^c..: jm*
les ressources que sc-n e^çrâ *^ ••:*l 'j'jrrtr-»: ;»ev'*"i.; ,',:
inspirer pour rendre la ci:nj*trr»t értitij*^; uiij*: *^i i-.'.-
rieuse à ses armes*. » Od d^ î^t::rt:: trcj j:»-*r J V;.r:î j^hk
lequel étaient rédi?ê*-5 c^ :i:rtru:l>:L^. !>: r:'-"i*rnifio*xii
n'avait pas la prétention d*:ij :i :i ::rr i'-i/t i'.ii.>.rr j mw.
ce que l'escadre devait tx^vArrr. Le zn:n>Xr^ ^>:j r»ri/j^.l-
taitySur ce point, au zèle et àlliaLiiet^ del'o&iâ^ «u-ju^i
avait été conCé le commandem^mt de dc'^ forcer u^v^lii;*..
Toutefois^ les instructions a'ire-^ï^^eï au t-'AnmhiA^A dfr
l'escadre de l'Iode contenaient un ordre irt'^tj*A,fj:lu'i «Je
chercher l'ennemi et le combattre.
Nous n'avions à prendre d'autre résolution que de
retourner à la cùte de Coromandel et de renouer le* reJa-
lions entamées, au commencement de rannée, a\ ^r/; Hyder-
Ali. Conformément aux dispo>itioas arrêtées â Fari«ï, le*»
troupes, qui n'étaient pas absolument néce«»saires à la sû-
reté de rile de France et de Bourbon, furent embarquées
sur les vaisseaux de l'escadre ou sur les bètimeuts du
convoi*. L'armée mit sous voiles le 17 décembre 1781,
1. De la main du Roi, « approoré >.
2. On a dit que rembarqncnirat des troapes arait été le réfialut d'une
intrigue oardie autour de M. de ikKiillac. C'était tout «implemenl Texécn-
tion d'an ordre qui était ainsi conça : « Dana toutes ces suppositionii, Sa
25
386 HISTOIRE DE LA MARINE PRAKÇAISE.
Elle était composée des b&timents ci-aprës, sav<Hr:ra-
rt'ent, le Héros et l'Atmibal^de soixante-quatorze, leVn-
geur, le Sévère, le Biiarre, le SphinaCy VArténen et ÏÀja,
(le soixante-quatre, le Flamand, de cinquante, laPov-
Koyeuse, de trente-huit, la Fine et la Bellone, de trente-
deux, la Subtile^ de viogt-deux, la Sylphide, de seize, \t
brick le Diligent, de dix canonB, et un brûlot, le Pu'i-éri-
seur.Unnavire-bdpitaletsept transports accompagoaittf
l'escadre. L'elTeclif des équipages s'élevait &htiitimllt
cinq cent vingt-quatre hommes, et celui des troupes pe-
sagèrcs, en y comprenant l'inranterie, l'artillerie, desd-
()ayos pl des volontaires de l'Ile de France et de Bourbon,
li Iruis mille cent.
MajcBlt Bulome MM. d'Orv» cl de Sonillac à tirer di» IIe> et * embtiqie
sur l'cicoUre le nombre d'hommes qu'ils jugeront uéc^œairaa à Ictn n»
ll« } luiuH-Tonl ïvuloaieDl aaseï de forwii pour les meUre en sûrtli-tt
sU|>po>e qu'il* iNMirronl eu retirer quinze cents Itommes. •
LIVRE XIII
L*escadre s'empare, le H janvier t782, de Vllannibal^ de cinquante canons.
— Mort du comte d'Onres. — SuiTren se présente devant Madras. —
Neaf vaisseaux ennemis sont embossés sous la protection des forts. —
L'escadre anglaise met sous voiles. — Dispersion de notre convoi. —
Combat du 17 février 1782. — L*escadre française mouille à Pondichéry
et à Porto-Novo. — Relations avec llyder-Ali. — Débarquement des
tron|K*s françaises. — L'escadre appareille le 23 mars. \ — Suflren prend
la détermination de rester dans linde. — Combat du 12 avril. —
Mouillage des deux escadres sur la côte. — Ix's Français vont à Bâta-
calo. et les Anglais k Trinquemalay. — L'escadre se rend à Tranque-
bar et k Goudelour. — Suffren appareille de Goudelour le 3 juillet.
I
Le 20 janvier 1782, nos frégates signalèrent un grand
navire qui fut ctiassé par les meilleurs marcheurs de Tes-
cadre. Ce bâtiment, qu'on perdit de vue dans la soirée, et
qu'on aperçut de nouveau, le lendemain, fut joint, le 22,
par le JVéros. C'était le vaisseau VHannibal^ de cinquante
canons, qui faisait route sur Madras. Après un engagement
de peu de durée, le capitaine anglais amena son pavillon.
Ce vaisseau reçut un équipage français, et il prit place dans
notre escadre. On sut, par YHannibaly que le Sultan^ de
soixante-quatorze, et le Magnanime^ de soixante-quatre,
escortant un convoi portant des troupes, étaient attendus
d'Angleterre. Le comte d'Orves, dont la santé était, de-
puis quelque temps déjà, très-chancelante, mourut le
9 février. Cet événement plaça le commandeur à la tète
de douze vaisseaux. Par ordre du nouveau ^'énéral, quel-
ques changements eurent lieu dans le commandement des
navires de l'escadre. L'OrierU, de soixante-quatorze, que
3S8 HISTOIRE DE LA MARINE FRAMÇ.USE.
moulait le comte d'Orves, Tut donné à M. de la Pallîère,
le Sévère & M. de Cillart, Vllamiibal anglais au lieuleaant
de vaisseau de Galle, le second deM. deTrémigon au combat
de la Praya, la frégate la Pourvoyeuse à M, de Beaulieu,
la Bellone à M. de Ruyter, et la corvette la Subdle à M. de '
Galifel. Le lieutenant de vaisseau de Moissac fut nommé ^
major de l'escadre et capitaine de pavillon du comman-
dont on chef. Quoique l'amiral Hughes eût opéré sa jonc- ^
tion avec le Montmoutli, le Ilero et Vlsts, les Anglais ne ^»^(
pouvaient nous opposer que neutvaisseaux. SufTren ré -^
solul de se présenter à l'improvisie devant Madras et-V^^ei
d'attaquer l'ennemi au mouillage. L'escadre prit connais ^bb-
«ance de la terre dans le nord de cette ville; mais, au -M:.m.a
lieu des brises favorables sur lesquelles il comptait, Suf Tf-
frcn trouva des vents de sud le long de la côle, et il ne pa— -^^-
rut devant Madras que le 15 février. Neuf vaisseaux étaient ^^^t
embossés sous la protection des forts. Notre atterrage dan^ .*^s
le nord de Madras et la persistance des vents contraires :?^3s
avaient été pour nos adversaires deux circonstances très— -^^
heureuses. Los Anglais, venant deTrinquemalay, étaient -^'
arrivés sur la rude de Hadras, en deux divisions, la pre — ^^-
miëre, forte de six vaisseaux, le 8 février, et la seconde 1^^^
lendemain. Prévenu de notre présence sur la côte, l'amiraC^— '
Hughes avait fait & loisir tous ses préparatifs de défense.
Suiïren demeura convaincu que nous nous exposerions ^^
un échec en combattant l'ennemi dans la position qu'iff
occupait. Néanmoins, il voulut connaître, sur ce points j
l'opinion de ses capitaines, et il les appela à son bord. Tou9 /
furent d'avis qu'une attaque, faite dans ces conditions, /
seraitd'autantplus dangereuse, qu'en cemomentles vents j ^
soufflaient du large'. SufTren prit la route de Pondichéry / j-
1. H. Tmblel de la Villejégu prétend que le capitune ds la Fbtt, U
liculenant de vaisseau Terrier de Salvert, vota, dana la coowU, poor dm
attaque immédiate de l'escadre anfclaiee. Il ajoute que cet ofBcier Mvtiit
Btec twaucoup de vivaciti «on opînîoD contre te commaiMleaT. L'aOr-
■nation Irèi-Dette da major de l'escadre, disant que tou Im -tr'k^'™
furent d'avis de ne pas attaquer le« Anglaia, montre qM H. da la TlUt-
LIVRE Xlir. 389
OÙ il comptait faire de l'eau. Pendant la nuit, on perdit de
Tue nos bâtiments de transport. Lorsque le jour se Tit, on
Aperçut, du haut des mflts, l'escadre britannique entre
nos vaisseaux et le convoi.
L'amiral Hughes, craignant tjue nous n'eussions la
pensée d'attaquer Trinquemalay, avait mis sous vodos, le
16, danslasoiréeMl serrait la terre de près,cspërantDous
dérober sa marche vers le sud. SulTren força de voiles,
et il se dirigea sur les Anglais qui commençaient à chas-
ser dos bâtiments. La brise était très-faible, et, Acinq heu-
res du 8oir,nos meilleurs marcheurs se trouvaient encore
frës-éloignés de l'ennemi. Un peu avant le couclier du
soleil, les vaisseaux anglais rallièrent leur amiral et ils
formèrent la ligne de bataille, les amures à bûhord. Le
17, dans la matinée, les Anglais restaient & environ deux
lieues dans le sud-ouest de l'armée française. Une partie.
de la journée s'écoula sans que la distance qui séparait
les deux escadres fût sensiblement modifiée. Dans l'a-
près-midi, des grains de l 'est-sud-est, que nos vaisseaux
reçurent les premiers, nous permircntde nous rapprocher
tie DOS adversaires. A quatre heures du soir, le Héron,
qui avait pris la tête de la ligne, canonnait te vaisseau de
queue de l'armée anglaise, et il prolongeait l'ennemi au
vent jusqu'à la hauteur du Superb. Après avoir com-
battu pendant quelque temps le vaisseau amiral, Suiïrcn
se plaça par le travers de VEagle. Los deux escadri'«
étaient rangées dans l'ordre suivant :
j^S» ■'wt trompa. Comment, d'iilleura, aJmcHre qu'un joune ofllciprfnm-
mtDdiiDt ane frfgatc, c'est-à-dire nn bitimcnt qui ne dovoil [uih nlliT nii
fen, ne se mît pu .nogé k l'avU d'un homme JouiMant <lo prcclige que
doDDul à Suffren, je no dis pas m situnlion de commandant on chef, mw»
l'altaqne audacienie de l'eeadre nnf^liiiao dnn» la bain dr. U f""!*' J^^^"
1. Lei Anglais avaient enleTd aux Hallandaiti l'im|wrt«nlo y
Trinquemalay, le U janvier 1781.
m
HISTOIRE DE JJi MAIONS FRANÇAI8B«
V,
. 4
Noms des bfltiiàMito.
ti^ il
ESCADRE FRANÇAISE.
Héros. :
Orient:^
Sphinx.
Vongonr
Hannibal (anglais]
Ànnibal ;
Bizam.4 ....: .^.
Artésien...^...
^az. *. ...
Sévère......;
BriHmt^ ••• ...••.«. .....
Flamand. .. . .
Nombre
de
canoDS.
■■1
mm
ÉÊÈÊÊm
Nous des
74
74
64
64
50
74
64
64
64
64
64
50
iSaffiren.
Moissae.
DelaMlière.
Dq Gbillsaa.
Forbin.
DeGalls.
La Laiiëalle.
Manrnlle.
Booret
De Gillait.
SauUFéils.
GafwnUa;.
•^
P*
«BU
ESCADRE ANGLAISE
%'i"
i««i
Noms des bâtiments.
Worcester
Burford .
Monlmoulh
Eagle
Superb
Monarca
Hero
Isis
Exeler
Nombre
de
canons.
64
70
64
64
74
68
74
50
64
Noms des capitaines.
\
Wood.
Peter Rainier.
Alms,
Riddals.
Slevens.
Sir Edward Hughes, cootre-aminl»
Gell.
Hawker.
Lumley.
! Reynolds
Charles King, oommodore.
LIVRE XUI. 391
La position prise par le commandant en chef nous per-
mettait de combattre six vaisseaux avec la totalité de l'es-
cadre, c'est-à-dire avec douze vaisseaux. SufTren se pro-
posait de porter la plus grande partie de ses forces sur
l*arrière-garde ennemie. Celle-ci, entourée au vent et sous
le vent, devait être écrasée avant que les trois premiers
vaisseaux anglais fussent en mesure de la secourir. Les
signaux, enjoignant à VAnnibal, à VAjax et au Flamand
de doubler l'ennemi par la queue, et à l'armée de combat-
tre à portée de pistolet, montèrent aux mâts du Héros.
Le chef de file de l'escadre française étant par le travers
de VEaglCy les trois premiers vaisseaux de la ligne an-
glaise n'avaient pas d'adversaires. Quel que fût le désir
de Tamiral Hughes d'éviter une affaire générale, il ne
pouvait échapper à la nécessité d'appeler ces bdliments
au secours de son arrière-garde. Dans cette supposition,
SufTren s'était placé à une distance suffisante de la ligne
ennemie pour que le Worcesler^ le Burford et le Mont-
mouth fussent dans l'impossibilité de le doubler au vent.
Cette manœuvre, qui était en contradiction apparente
avec le signal précédemment fait de combattre & portée
de pistolet, amena les capitaines français à ne pas tenir
compte de ce dernier ordre. Ils crurent être à leurs postes
en restant dans les eaux du Héros. VAnnibal et VAjax
n'ayant pas aperçu le signal qui leur prescrivait de dou-
bler l'ennemi par la queue, ce mouvement ne fut exécuté
que pdLTleFlamand.L'Annibalse trouvant à la hauteur du
serre-file de Tarmée anglaise, les bâtiments placés der-
rière lui n'avaient pas de vaisseaux par leur travers.
M. de Saint-Félix, fort mécontent de son rôle, rejoignit le
Flamand. Son vaisseau fut, de tous nos bâtiments, celui
qui s'approcha le plus près de l'ennemi. Le capitaine de
YAnnibalj H. de Tromelin, remplissait les fonctions de
chef de division. Il avait, en cette qualité, toute l'autorité
nécessaire pour donner des ordres aux navires qui étaient
éloignés du feu. 11 avait, en outre, reçu du commandeur
l'invitation très-expresse d'en agir ainsi, toutes les fois
3»S mSTOmB DB Là MABIMB FRÂNÇAJiak
que les ciroonstanoes Feiiger&ieiiL Gqpaiidaiit^ 0 se fitia-
cun signal au Bùarre^ i VArUsim^ à VAjax M ma âMre.
Ces vaisseaux, qui étaient au vent de la ligne, eontimiè*
renl à tirer obUquement et à grande distance sur les ^
bâtiments anglais^.
S'il avait été possible d'attaquer plus tAI, les entWMrc||
et les fautes que nous vencHis d*iniyquw n'anraieDt ps^i^
eu la même importance. Le signal, fait à VAnnibal et e^-:::
VAjax^ de passer sous le vent de rennemi, hissé de
veau i bord du Héros^ eût ^ iqierçu par ces deux
ments. Les capitaines du SMf^ de VAjam^ de VArUtimmii^
et du Bizarre^ soit d'eux^^némes, soit par suite des ordr-^
du commandant en dief , se seraient mis en poitàtlon ^
prendre une part plus active au combat. A l'toire ^
nous avions joint Tennemi, le traips mal emf^yé ét^
irréparabl^nent p^u. L'approche de la nuit, la ftfii
blesse de la brii^ Tinexécutton de l'ordre doaaé dt
combattre i portée de pistent, déddèrml SuflBreaèi»»
n^ttre l'aflàire au lend^nain. Yen m hmres et éffûk^ • -
leif^*oa tint le vent et les autres vaisseaux imitèrent at
manœuvre. Jusqu'& ce que l'obscurité fut complète, nos
vaisseaux échangèrent des boulets avec les Anglais. Plu-
sieurs bâtiments ennemis sortirent de cette rencontre
très-maltraités. VExeter^ suivant Texpression employée
par Tamiral Hughes, était dans la position d'un bâtiment
naufragé. Le Superb avait, outre des avaries considéra-
blés dans sa mâture, cinq pieds d'eau dans la cale. LeMo-
1. Le rapport de SufTren, sur le combat du 17 février, est accompagna
d'un croquis indiquant la position des deux escadres, k quatre heures et
demie. Cinq navires, le HéroSj portant son pavillon, VOrient^ capitaine de
la Palliére, le Sphinx, capitaine du Chilleau, le Ven^eurj capitaine de
Forbin, VHannibal anglais, capitaine de Galle, forment une ligne régu-
lière. Le vaisseau qui suit est VAnnibalf capitaine de Tromelin. En regard
du nom de ce vaisseau, on lit l'annotation « très-loin ». Le BiMarre^ capi*
taine de la Landelle, VArtésienf capitaine de Maurville, VAjcuOf capitaine
Bouvet, et le Sévère, capitaine de Cillart, sont placés en arrière et au vent
de VAnnibaL Les noms de ces quatre vaisseaux sont accompagnés de la
mention « en désordre et fort loin. »
LIVRE XIII. 393
narca^ le Hero et VIsis avaient souflert, mais dans une
proportion moindre. L'ennemi eut dans cette affaire cent
Tingt-sept hommes hors de combat. Le capitaine de VExe-
ter fut tué, et celui du Superb mourut des blessures qu'il
avait reçues pendant l'action. A l'exception du Brillant
qui eut dix-huit morts et quarante blessés, moins par
le feu de nos adversaires que par suite de l'explosion
d'une caisse de grenades, les vaisseaux français perdi-
rent peu de monde *. Quelques écrivains ont prétendu
que, le 17 février, l'escadre française s'était avancée
sur l'ennemi en deux colonnes, ayant pour objectif, l'une
le centre, et l'autre l' arrière-garde des Anglais. Nous
avons vu que telle n'avait pas été la manœuvre de notre
escadre. Suffren était parvenu à attaquer six vaisseaux
avec douze, c'est-à-dire à rendre trois vaisseaux ennemis
inutiles. Les moyens qu'il a employés pour arriver à ce
résultat valent bien ceux qu'on lui a prêtés. Dans tous les
cas, en toutes choses, il faut s'en tenir à la vérité *.
Afln de ne laisser subsister aucun doute sur le mode
d'attaque de notre escadre, nous citerons le passage sui-
vant du rapport que Suffren adressa au ministre. «Je vous
dois un compte particulier du combat du 17 février dont
a dépendu le sort de l'Inde. Je devais détruire l'escadre
anglaise, moins par la supériorité que par la disposition
avantageuse dans laquelle je l'ai attaquée. J'ai attaqué le
dernier vaisseau et j'ai prolongé la ligne anglaise jus-
qu'au sixième vaisseau. J'en rendais par là trois inutiles,
de sorte que nous étions douze contre six. Je commençai
le combat à trois heures et demie de l'après-midi, pre-
nant la tête et faisant le signal de former une ligne quel-
conque, sans cela je n'aurais point engagé. A quatre
heures, je fis le signal à trois vaisseaux de doubler par la
1. Le joarnal du major de l'escadre porte à trente le nombre des
morts, mais il n*indique pas le chiffre des blessés.
2. Ces écrivains ont évidemment cédé au désir d*établir un rapproche-
ment entre la journée du 17 février et les combats do la Dominique et de
Trafalgar.
394 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
queue, et à l'escadre d'approcher & portée de pisblel-
Ce signal, quoique répôlé, n'a point été exécuté. Je n'em
ai point donné l'exemple pour tenir en écliec les trois^s-^j
vaisseaux de tfite qui, en revirant, m'auraient doublé --^.
Cependant, excepté le Brillant, qui a doublé par la gnpufci— =^^.
aucun vaisseau n'a été aussi près que le mien, ni essuy- ~-^Ef
autant de coups. " Nous ajouterons que la manœuvre d- .^By
17 février n'avait pas été dictée par les circonstances -—^
Suffren écrivait, le 6 février 1782, à M. de Tromelin : - 1— _ij
fausse alerte d'avant-hier m'empêctie de ra'entretenir av»- cf
vous 6ur quelques motifs relatifs à la rencontre des Km^ j,.
glais. Si nous sommes assez heureux pour être au vccr— ]J
comme ils ne sont que huit ou neuf au plus, mon d&srs-
sein est de les doubler par la queue. Supposons que voft n>
division soit de l'arrière, vous verrez, par votre posilie^n,
quel nombre de vaisseaux débordera la ligne ennemie «
vous leur ferez le signal de doubler.Si nous sommes savs J
le vent et que vos vaisseaux puissent, en forçant de voi- M
les, doubler les ennemis, soit qu'ils ne soient pas uttaqu<^.4 ■:
bdu tout, ou qu'ils ne le soient que de loin et faiblemenl, ■
■vous pourriez les faire revirer pour doubler au vent. En- | ,
Ad, dans tous les cas, je vous prie de commander à voire
division les manœuvres que vous croirez les meilleures
pour assurer le succès de l'action. La prise de Trinque-
malay et celle de Négapatam et peut^tre de tout Geylao
doit nous faire désirer une affaire générale'. »
L'habileté des dispositions prises par Suffren et notre
1. Le mqjor de l'eseadra réBume aiiui qu'il mit, diDi son joniMl, 1>
rauMMivre de la joumâs et la peiiB^ de bod cbef : • A qnatie heoret, U
moment où noo» arrivionB par le traven du Superb, fût le aigiMl *
VAnnibat, ï VAjax, au Flamawi de doubler l'ennemi p«r 1» qoeM pûv
1« mettre entre deux feux, et celui d'approcher l'enneoii à portia de fU»-
let. Nous rormiona une ligne avec le Sphinx, le Vengeur, YHeumibat {iè-
glais) et VOrient, qui est venu prendre poste aprta nous. Nous eomb«lliem
toujours l'annie «oglaise, et noua restions à mAme de tombar vu l'aTail-
garde eanemie, si elle eût fait quelque mouvement. Mit eo vinst «nr do*,
■oit en arrivant vent arrière pour secourir son arriére-gvda. Le gAsMl
Mpérait, avec raison, que les derniers vaisseaux onnemis aetÛBat temiii
mais peu de nos vaisseaux approchèrent l'ennemi de tri*-)>tit. ■
LIVRE XIII. 395
supéilorité numérique nous assuraient, le 17 février, une
victoire décisive. Toutefois, à cause de l'heure avancée de
la journée, de la faiblesse et de l'inégalité de la brise qui
rendaient les manœuvres lentes et difficiles, nous ne pou-
vions profiter de nos avantages qu'à la condition d'agir
avec promptitude et résolution. Cinq capitaines sur douze
n'avaient pas compris cette situation. SufTren eut la pen-
sée de renvoyer en France les capitaines dont il était mé-
content. La crainte de ne pas trouver des officiers capa-
bles de commander des vaisseaux le fit reculer devant
cette détermination '.Il se plaignit au ministre avec beau-
coup de vivacité du chef de division de Tromelin qui
avait laissé sans direction les vaisseaux placés près de
lui. « Étant à la tète, lui dit-il, je ne pouvais bien voir
ee qui se passait à l'arrière. J'avais chargé M. de Trome-
lin de faire des signaux aux vaisseaux qui seraient près
de lui, il n'a fait que répéter les miens sans les faire exé-
cuter. » Il dénonça au maréchal de Castries la conduite
de MM. de Haurville, de la Landelle, Bouvet et de Cillart
qui étaient restés en ligne, quoiqu'ils n'eussent pas
d'adversaires. H. de Maurville était particulièrement
coupable de ne pas avoir pris une part plus active au
combat. Il avait été averti , par un aviso, que l'intention
du général en chef était d'attaquer avec les vaisseaux
doublés en cuivre. Or, V Artésien était de ce nombre, et,
de plus , il était bon voilier. Après avoir signalé les offi-
ciers dont le peu de coup d'œil et le manque d'initiative
nous avaient privés d'avantages importants , Suffren ap-
pela l'attention du ministre sur ceux qui s'étaient distin-
gués. Le Brillant et le Flamand^ écrivit-il, commandés
par MM. de Saint-Félix et de Cuverville, ont doublé par
la queue. Ils méritent des éloges, et surtout M. de Saint-
Félix, qui n'en avait pas reçu l'ordre*. Ce dernier s'est
1. H disait dans une de ses lettres au ministre : » Encore faut-il se servir
d'eux, car, dans les subalternes, on ne trouverait pas à les remplacer. »
2. On lit dans VHistoire de Suffren, de M. Cunat : « VAjax et le
396 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
battu de très-près, et son vaisseau a eu tlix-huit tués et
quarante blessés. Je demaude pour M. de Sainl-Fêlii
une pension sur Sainl-Louis de huit cents livres, et,
pour H. de Cuvervillc, la haute )>(tye- l^cs récompenses
accordées sur-le-champ excitent l'émulation et font md-
Flamand, por ud signal spécisl, curent ordre de combaltre l'ennemi pv-
ile!»iou« le vent. Ce dernier se couvre de Tmles pour accélérer
lourde et pesante. LMjox, en serre-Sle, laïase porter aussi, maii, ta tigii
que lui fait VAnnibid de reprendre îod posLe, bouvet uliéil, el, ft \i, i
ne rdpond pas ï l'ordre qui lui avnït éii donné par Suffreo et ne i'eiMril
|>oinl. Le Brillant, que monte de Sninl-Félii, tait la demande de raiu|ilMat
ue vaisseau ; il l'obtient, et concerte anwitdt avec de Cuvervllte Iciin "
positions de combat. Elles restent sans succiiï, parce que Varnin-pilt
lie l'enneini, pour les prévenir, ne diKontinaail pai d'arriver. Le BràtaU,
et le Flamand, par ce mouvement de« vaisseaux anglais qu'ils n'w
pas prévu, se gênent l'un l'autre. - Il y a là deux aflirmalions bieai
concernant r.1ji>x et le Brillant. Vojoos ce qu'elles couliennenl devnb'
Disons d'nbord que le Brillant ne rei^t pas l'ordre de passer soua l«
lie l'ennemi, el qu'il ne le demanda pas. Le capiUine de vaisseau de Si
Félix exÉciila celte mantouvro ilc son propre uiouvcnient. Le rapport É
Su Dren nu laisse aucun doute sur ce point. Ainsi, l'assertiou rellti'e
Brillant n'eal pas exacIe.Ondoil en dire autant décolle quia Irait à
L'Annilial n'eut pas il rappeler l'Ajax, par laraisou bien limpleqMt
dernier vaisseau, n'a^aul pas vu le signal qui lui était adressé, no Dl
mouvement. 11 est inutile d'ajouter que, si un pareil Tait s'était
SutTren n'eùl pas oublié de la faire connaître au ministre. Il
d'ailleurs, assez singulier de reproclier en mime temps A M. deTroaMM
d'avoir rappelé VAjax el de n'avoir Tail aucun signal aux bAliwenU^
étaienl près de lui. Cette dernière accusation est celle que le commamW
en cber porte coalrc H. de Tromelln. [it. Cunat avail emprunté celte «t^
sion i, H. Trublot de la Villojégu, maïs il ajoute, pour son propn
compte : • Des porsounes dignes de Toi m'ont raconté, k Pondictiér;, et
cela vingl-cinq ans seulement après l'èvénemoat, que M. Bouvet, chagni
de M conduite, se tenait le lendemain à l'écart dans la chambre da cobbiI
du Hirm, ob les capitaines avaient été appelés, n'osant approcher le géo^
rai, • Monsieur Kouvet, lui dit Sullrea, en l'avançant vers lui, votre tels «I
• vos InlenU m'étaient signalés, mais l'exemple de subordination que voM
• avei donné hier a achevé de vous faire connaître. Qa'il a dO vous t*
■ cuiller en vous retirant au moment oli vous alliez prendre pari au cms-
• bati Je ferai en sorte que vous n'essujiez plus de désagrémeal. •
H. Bouvet remercia son chef avec les expressions d'un cwur ému; mai*
•on grand âge et ses infirmités l'empiclièrenl de tenir l'engagemenl qu'il
contractait tacitement. ■ Que devient ce récit, lorsqu'on sait que M. de
Troinclin n'a pas rappelé VAjno!. Cependant, colle légende a éU acccpUe,
et on la retrouve cucore dans la plupart des livres ftila Mr ccUc CUB-
pBgae.
LIVRE XIII. 397
sidérer les chefs qui les font obtenir. MM. de la Palliëre,
du Ghilleau et de Forbin ont bien gardé leurs postes.
M. de Galle s'est conduit sur le petit Hannibaly comme il
l'avait fait sur le grand , comme il le fera toujours , c'est-
à-dire très-bien. »
II
SufTren avait fait cesser le combat, le 17 février, avec
IMntention de le reprendre le lendemain. Pendant la nuit,
le temps fut sombre et à grains , et , lorsque le jour se
leva, on ne vit plus les Anglais. Ce qui arrivait était
d'autant plus fâcheux que SufTren se trouvait momenta-
nément dans l'impossibilité de poursuivre Tennemi. Nos
vaisseaux n'avaient plus d'eau, et, d'autre part, il était
urgent de savoir ce que notre convoi était devenu. L'es-
cadre fit route pour Pondichéry, où elle mouilla le 19 fé-
vrier. Le même jour, M. Pivron de Morlat, notre envoyé
auprès du nabab , vint à bord du Héros. 11 apportait au
conunandeur des renseignements sur la situation des af-
faires dans l'Inde et plus particulièrement sur l'état de
nos relations avec Hyder-Ali. Les événements qui s'étaient
accomplis, dans le cours de l'année 1781, n'avaient pas
été favorables à la cause que le nabab défendait avec plus
d'ardeur et de sincérité que ses alliés. La diplomatie bri-
tannique était parvenue à mettre la désunion parmi les
confédérés. L'attitude purement défensive des chefs mar-
hattes et du Soubab du Decan avait permis aux Anglais
d'envoyer à Madras la plus grande partie de leurs forces.
Le général sir Eyre Coot avait battu l'armée mysoréenne
dans plusieurs rencontres. Néanmoins, la Compagnie des
Indes, qui tenait à ne nous laisser aucun allié, offrait au
nabab des conditions de paix très-avantageuses. Hydcr-
Ali était personnellement très-désireux de continuer la
guerre, mais il était obligé de ménager son entourage
qui le pressait d'accepter les propositions de nos enne-
mis. M. de Morlat avait reçu la mission spéciale d'empê-
396 HtSlXHRB JM LA MAfilNB fBAmQàâSÉi
cher le sultan de traiter a?6c les Anglais. IlyavattviMi
jasqae-U, mais fl regardait omame imposidbta d^itteiadn
désormais ce résultat, si nous ne yenioM pas an secoui
da nabab. Gelntcl avait ég^mnè^ l'année préoédente^ n
très-vif désiqppoinfement» knrsqae Teseadre tnùçàÊ^
iqprès quelques jours passés sur la cdte, était retoonéeà
rile de France, n s'était bercé de Vespoit que Sttflhi
amenait le corps de dâMirquement annoncé par le coali
d'Onres. Si nous nous éloignons, disait notre wvofli
sans mirer encommunication avec le sultan, celui?€l,eofr:
vaincu qu'il ne peut avoir aucune ccmfiance dans nos p-
rôles, fera la paix avec les Anglais. Suffiren étaK dédit
à resterdans l'Inde depuis le jourodilavaitiNrisleeail^
mandement de l'escadre. Aucun i^lbrt n'était néeesiiiM
pour le convaincre de. la néceœité de s'unir 4 Hjder4l-
Cette alUanceétdt,à sesyeux, lep(^tded^partdetorib
action sérieuse sur la cAte de Goromandel.TouiaAiis,ttii
voyait, avec beaucoup de regret, i»tvé de la liberté dnn
mouveiMntis, aumoment où il eûtMé nécessaire dessa#
tre à la poursuite de l^ennemi, afin de le combattre attiH
Tarrivée du Magnanime et du Sultan. Si Tamiral Hughes,
désirant éviter une rencontre, se retirait à Trinquema-
lay, nous pouvions nous établir au sud de Ceylan avec de
grandes chances d'intercepter ces deux vaisseaux. Cepen-
dant, prenant en considération, d'une part, les observa-
tions présentées par M. de Morlat, et, d'autre part, le désir
manifesté par le général Duchemin d'être mis à terre avec
ses troupes, SufTren renonça à prendre la mer. Voulant
se rapprocher d'Hyder-Ali, il conduisit l'escadre au mouil-
lage de Porto-Novo. MM. de Morlat» de Moissac et le lieu-
tenant-colonel de Canaples se rendirent auprès du sultan.
Il fut convenu entre nos ofRciers et les agents du nabab
que les Français, auxquels seraient adjoints deux mille
cavaliers et trois mille fantassins de l'armée indienne, fo^
meraient un corps indépendant. Hyder-Ali promit de nour-
rir nos soldats et de fournir des vivres à l'escadre, toutes
les fois que celle-ci serait mouillée sur la côte et & portée
LIVRE XIII. 399
de son camp. Il devait nous donner de l'argent, au fur
et à mesure de nos besoins. Enfin, il offrait d'abandonner
à la France, lors de la conclusion de la paix, un territoire
d'une étendue aussi grande que nous pourrions le désirer.
Ces propositions n'avaient ni la netteté, ni la précision
qui eussent été nécessaires dans une négociation de cette
importance. Le sultan ne prenait, sur aucun point, d'en-
gagement formel, mais les circonstances ne nous permet-
taient pas de nous montrer très-exigeants. En même
temps que MM. de Moissac, de Canaples et de Morlat,
ainsi que Suffren l'écrivait, quelques jours après, au mi-
nistre, se trouvaient, au camp d'Hyder-Ali, des envoyés
anglais qui offraient de l'argent, tandis que nous en de-
mandions. Le général Duchemin et le chef de l'escadre,
confiants dans la bonne foi du nabab, se décidèrent à
débarquer les troupes. Cette opération fut terminée le
22 mars, et, le 23, l'escadre fit route vers le sud à la re-
cherche des bâtiments du convoi dispersés dans la jour-
née du 16 février. Suffren expédia un navire en Europe
afin d'informer le ministre des événements survenus de-
puis le jour où l'escadre avait quitté l'Ile de France. « Je
suis dans la ferme résolution , lui écrivit-il , de ne point
quitter la côte jusqu'à l'hivernage. Les Anglais, après la
réunion du Suitan et du Magnanime , seront au moins à
forces égales. Mais, à moins que l'escadre ne soit, par de
grandes avaries ou par le manque de subsistances, dans
l'impossibilité absolue de rester, elle n'abandonnera pas
la côte. Je l'ai promis au nabab et je lui tiendrai parole. »
Suffren réclama les moyens d'action nécessaires pour
rendre sa présence sur la côte de Coromandel profitable
à nos intérêts. L'armée du sultan , qui ne comptait pas
moins de cent mille hommes, pouvait, si elle était soute-
nue par des troupes françaises, lutter avec avantage con-
tre les Anglais. Les succès remportés par Hyder-Ali
eussent affermi l'alliance très-ébranlée des princes in-
diens. En conséquence , il demandait qu'on fit passer
dans l'Inde deux bataillons d'infanterie, un bataillon
400 HI8T0IRB D£ LA MàRDIB FaAMÇàlGBBU
d'artillerie y un ttmn de campagne, des bombes ei des
mortiers' U priait le ministre de raTiser, par des b&ti-
mente expédiés directement à la cOte de GoromaDdd, du
départ des convois firançais et anglais, afin qu'il pût ia-
tei;cq[>ter les uns etassurer TamTéedes autrsa. Jinfin,&
insistait pour qu'on lui donnAt quelques frégates d^
blées en cuivre avec lesquelles il pût d^ruire le eommero
de Tennemi. Suffiren s'adressa à M* de SooiUae pour o^
tenir que le matériel et le personnel existant à lUe U
France fussent mis à sa dispodti<m. D lui taiv!t:«t
manque plus de six cente bommes à Tescadre. J'ai achiM
à Tranquebar trente Gafres, à soixante-dix pagodes; ji
tAcbe d'engagé d^ lascars, mais ce ne scwt que dit
moyens bien courts. EnToyeiHi<ms donc des bomoMi:
1* des marins; 2* des soMato; 3^ des volontaires; Véai
noirs. On a été très-content de ces derniers dans le eo»
bat du 17 février. »
Lorsque l'escadre avait quitté Pwlo-Noyo, les vifMiil
les recbanges étai^it presque com|^étmmit coosomnéi»
Six mille piastres, prises à l'Ile de France, et les rimé
embarqués sur le convoi, telles étaient nos seules res-
sources. Or, à ce moment , Suflren n'était pas exactement
renseigné sur le nombre des bâtiments de transport cap-
turés par l'ennemi. Les forces françaises étaient parfaite-
ment en mesure de lutter contre l'escadre de l'amiral an-
glais , alors même que celle-ci eût été renforcée par le
Magnanime et le Sultan. Ce qui avait paru impossible
jusque-là, c'était de ravitailler des vaisseaux sur une
côte 011 nous n'avions ni ports ni magasins. On était con.
vaincu , à Paris , qu'une escadre, opérant sur la côte de
Coromandel, était contrainte de faire route pour l'Ile de
France, le jour où elle n'avait plus que les vivres néces-
saires pour revenir à son point de départ. SuiTren ne re-
cula pas devant une détermination contraire aux idées
reçues et que le succès seul pouvait justifier.
I
LIVRE XIII. 401
m
Le 8 avril, dans la matinée, Tescadre française fut ral-
liée par un bâtiment marchand qui s'en était séparé, la
veille , pour aller à Batavia. Le capitaine annonça qu'il
avait aperçu douze ou quinze grands bâtiments cou-
rant au nord-nord-est. SufTren fit mettre le cap dans cette
direction, et, le lendemain, dans la journée, nos frégates
découvrirent onze vaisseaux. C'était l'escadre britannique
qui avait été rejointe, le 30 mars, par le SuUan et le
Magnanime. Le 10 et le 11 avril, par suite de la faiblesse
de la brise, nos vaisseaux doublés en cuivre furent les
seuls qui parvinrent à se rapprocher des Anglaise Dans
la Duit du 11 au 12, l'amiral Hughes laissa porter, afin
de se mettre en position d'entrer à Trinquemalay. Au
jour, on aperçut l'ennemi sous le vent, à une dis-
tance d'environ trois lieues. Vers neuf heures du matin,
les vents continuant à souffler de l'est-sud-est, nos meil-
leurs marcheurs se trouvèrent en position de canonner
les vaisseaux de queue de l'armée anglaise. L'amiral
Hughes, prenant alors la détermination de combattre, lit
former la ligne de bataille, les amures à tribord, sous pe-
tites voiles. Cette manœuvre fut imitée par les Français, et
les deux escadres coururent parallèlement Tune à Fautre.
A onze heures, notre ligne étant bien formée, Sufl'ren
signala de laisser arriver jusqu'à l'ouest-sud-ouest par
un mouvement tout à la fois. Nos vaisseaux ne se tinrent
pas sur la ligne de relèvement prescrite, et l'avant-garde,
composée des meilleurs voiliers, arriva la première à por-
tée de l'ennemi. A une heure , les vaisseaux de tète de
l'armée anglaise commencèrent à tirer sur le Vengeur et
VArUsien. Ces deux vaisseaux, étant venus en travers
1. Le 10, deux navires do commerce forent pris et brûlés à la vue des
Anglais.
26
Ml HISTOmK DE LA, HiSm FRAMCAlBt
pour répondre au fea de dos ■dvMBairaa, reçanntLai-
médiatement l'ordre de laisew pwter*. SaOraOt qui tw-
lùt nue acUon dédsive, coalinna sa routa, reotmt, «m
riposter, les conpsqoe l'ennemi dirigeait sqr son TaiiiBii
Lotsqnll fbt i portée d« pistaM du SHper*, a tt ttinr
le Tant et le signal (te oommeneer le ko painiteii Mie*
son grand m&t L'aa^td Hogiies n'ayant qn««n» ni»-
seaux, le Btiorrw, oonfianntaUBt aux diipudllsw pitai
par ie commiindaiil en chef, devait combaltrii, par la han-
che, le vaisseau de queue de l'armée anglaise, et lo dou-
bler par-dessous le vent, si les circonsl.tnccâ le lui \ift-
metUient. Au moment oit les premiers coups de cauoo if
firent eulendre, nos mauvais marcheurs étaient en arrién
de leurs postes. S'inspirant de la lettre et non de l'esprit
des ordres du commandant en chef, les capitaines de ces
btUmnita leAnbt en Mtee ta^ qm les «alnss
qnilBB prteMaient. nni4saUa^[nUIigi»fe«B^
forma une ceart» dont les oitréattes «Msat iiqsiMS
tées, i l'avaAt-^arde, par leKMfMir M tUclMM, «é»*
l'airitev-ganle, par le fiitorps} r^^oevt le SiMre. OeuM
conséquence de cette posidon, ces vaisseaux étaient trte-
éloigaés des b&Uments qui leur correspondaient dansU
ligne ennemie. Les avaries que le Héros reçut , au débat
de l'action , ne lui permirent pas de rester & la hauteur
du Superb. N'ayant pu masquer, à temps, ses hunio-s,
dont les bras avaient été coupés', il courut de l'avant et il
ne s'arrêta que par le travers du MonlmoiUh*. A detu
1, Ce signal Tut rtpité ao quart d'heure après. A am beai« Ima
quart*, le Hérot flt k I'ann4e le tïgaiX de combaUre l'etinomi t pocU*
de pistolet.
3. On Ut dans VHinloire du bailli de Su/fren, de M. Cnnat : • Saffna,
qui avait arrtté la Hirot par le traven du Superb que montait l'aounl
Hughes, combattait viclorieuaement celui-ci, lorsque, tout à coup, il aperfut
avec étonnement dos deux vaisscaui de lito, le Vengtvr et VArUntit,
dépassant ceux de l'ariute ennemie, et, quoiqu'an large du AnglaJs, ei
■ignalant quatorze brasses de Tond. Le commandeur, étonné, jette aton
rapidement un regard sur tes vaisseaux de queue, et il remarque que pls-
■leurs de ces vaisseaux n'avaient pas d'ennemis par leur travwa. AossilAt
il force de marche, abandonnanl i regret le Superb, et U se met botd à
LIVRE XIlI. 403
heures quarante minutes, ce vaisseau avait perdu son
grand mât et son mât d'artimon. Le Héros, qui avait
combattu le Superb avant d'avoir le Monimouth pour ad-
versaire, était, lui-même, très-dégréé. Il tomba sous le
vent, et, pendant un moment, il canonna le Superb avec
ses pièces de retraite. SufTren fit alors, à son mate-
lot d'arrière, le signal particulier, et à l'arrière-garde,
le signal général de laisser porter. Quoique YOrieiit
eût beaucoup souffert, le capitaine de la Pallière exé-
cuta sur-le-champ l'ordre du commandant en chef*. Il
fut suivi par M. de Saint-Félix qui montra, dans cette cir-
constance, l'esprit d'initiative dont il avait fait preuve, le
17 février. La manœuvre de ces deux vaisseaux dégagea
le Héros qui continua à combattre jusqu'à ce que VOiierU
et le BrillafU se fussent placés entre lui et l'ennemi.
L'amiral anglais passa sous le vent du vaisseau démâté,
et il rejoignit son avant-garde. Le mouvement en avant
de quelques-uns des vaisseaux de notre arrière-garde
rendait la situation du Monimouth très-périlleuse. Pour
sauver ce vaisseau et rétablir sa ligne de bataille qui était
fort en désordre, l'amiral Hughes fit, à trois heures qua-
rante minutes, le signal de virer de bord lof pour lof tout à
la fois. Les vents qui étaient au nord-est, au début de l'ac-
tion, avaient passé au nord, et les deux escadres s'étaient
rapprochées de la terre. Le Vengeur ayant signalé qua-
torze brasses de fond , les Français prirent les amures
bord du Monimouth, » Ce récit n^est pas exact. Ce fut contrairement à la
volonté de SufTren que le Héros dépassa le Superb, Le major de i^escadre
dit, dans son journal : « Le dessein du général était de combattre Tamiral,
mais des bras coupés nous ayant empêchés de coifTer nos huniers, nous
l'aTODS dépassé et couru jusque par le travers de son matelot de Pavant,
que nous avons, comlmttu. » Enfin, lorsque le Vengeur signala quatorze
brasses, le Héros, ainsi qu on le verra plus loin, avait cessé de combattre
le Montmouth, Il n'était pas une heure trois quarts, mais trois heures
et demie, ce qui est très-difTércnt. En d'autres termes, il n'y a aucun lien
entre la manœuvre du Héros et la conduite des capitaines du Vengeur et
de VArlétien,
1. VOrient faisait le signal « d'incommodité » au moment môme oii il
recevait cet ordre.
404 HISTOIRE DE LA MAfilNE FRANÇAISE.
à l'autre bord, ea virant vent arrière, tous en mén»
temps '.
Pendant gue les vaisseaux des deux escadres exéctt-
laient cette évolution, le Montmouth restait immobile e
tre les deux lignes. Suffren signala à l'armée de rorcertei
voiles, et il donna, A la voix, l'ordre au capitaine de VAf*
tésien de se diriger sur le navire désemparé. En ce mi
ment, ceux de nos bâtiments qui avaient combattu c
près le centre de l'armée anglaise n'étaient pas éloigaév
du Montmouth. Suffren put croire que cette journée lail*
serait un trophée entre ses mains, mais l'habileté d'iu
des capitaines anglais trompa cette espérance. Cet offider
envoya une amarre au Montmoutli, et il le remorqua hor
du feu. Après le virement de bord des deux escadres, iM
Anglais se trouvèrent sur l'avant des Français. Le déli»
brement d'un grand nombre de vaisseaux et les diverse^
péripéties du combat avaient mis le désordre dans I
deux lignes. Les bdliments de notre arrière-garde, deveniM
notre avant-garde, et quelques vaisseaux de notre cenbi
étaient seuls en mesure de comballre. A cinq heures qui»
rante minutes, le petit mdt de hune du Héros s'éU
rompu, le général mit son pavillon sur VAjax. Par suil
du calme et des variations de la brise, les deux escadra^
s'éloignèrent l'une de l'autre, et l'ordre fut donné de o
ser le feu. Néanmoins, le combat continua entre les v
seaux qui étaient & portée de canon jusqu'au moment ofe'
l'obscurité fut complète. Le voisinage de la terre préoo*
cupait les deux amiraux qui eussent voulu s'en éloigosT
avant la nuit, mais cette manœuvre n'était pas d'u
exécution facile. Les Anglais, dont la marche était ei
barrassèc par le Mmitmouth, mouillèrent à sept heurt!»
Quoique les Français eussent pris la bordée la plus favo"
rable pour gagner le large, VAjax loucha deux fois. D'aiH
1. Le Tir n^ur venait de «ipialer qualoire brasses de \aaà, LegMHF
» Tut le BigDsJ de virer veal «.iritre toaa ea mtme lemps. C«U« nuMHmf^
■prAs un combat chaud, D'à pu êlre ai prompte, ni gèntrata. Noos aw~
vrri, h bord du Hért», avec laide d'une embarcatiwi.
LIVRE XIII. 405
tare part, SuQren craignait que le Héros^ le Brillant et
VOrieni ne fussent pas en état de le suivre. En consé-
quence, à huit heures du soir, il fit à l'armée le signal
de mouiller où elle se trouvait. La préoccupation du
conunandant en chef à Tégard du Héros était légitime.
Ce vaisseau, après avoir inutilement tenté de virer de
bord pour s'éloigner de l'escadre anglaise, sur laquelle
le portait une petite brise de nord-est, avait laissé tom-
ber son ancre, à sept heures et demie. Du pont du Hérosy
on entendait distinctement les voix des hommes de l'é-
quipage du vaisseau anglais le plus rapproché. Tous les
canots ayant été brisés pendant le combat, M. de Moissac
ne pouvait conununiquer avec le commandant en chef.
Une embarcation de l'escadre, montée par un officier, s'é-
tant présentée le long de son bord, il s'empressa de pro-
fiter de cette circonstance pour faire connaître sa position
au général. Suffren fit donner à la Ftne, qui était encore
sous voiles, l'ordre de conduire le Héros au milieu de
Tescadre française. Malgré l'obscurité de la nuit, cette
frégate se présenta sur l'avant de ce vaisseau^ et elle lui
envoya un canot avec une amarre. Celle-ci était tournée,
lorsque le vaisseau l'Orient, passant entre la Fine et le
HéroSj cassa la remorque. Le capitaine de la Palliëre héla
leHéroSj et il le prévint que la Fine avait abordé un vais-
seau anglais*. La secousse produite par la rupture du
1. A sept heures et demie, le Héros ayant inutilement essayé de virer
veot arriére et vent devant, le vaisseau, absolument dégréé et hors d*état
d'être réparé dans peu de temps, ayant le petit m&t de hune et toutes ses
ToilcB et manœuvres qui en dépendent sur les haubans de misaine, j ai
été forcé, par le peu de fond et dérivant toujours, de mouiller par sept
brasses, fond de corail, au milieu de Tescadre anglaise et assez près d*un
de ses vaisseaux pour en distinguer les voix. Le vent toujours au nord-est,
preique calme. A ce moment, un ofQcier est venu à bord pour savoir si ce
n*élait pas nous qui avions tiré trois coups de canon. Je lui dis que je
croyais que c'était l'amiral anglais, dont ce pouvait être le signal de
mouiller. Je le priai d'instruire le général de notre position désagréable.
2. « Nous entendions effectivement des voix anglaises et françaises,
dit M. de Moissac dans son journal, se disputer, mais tout se passa en
paroles. >
cas mSTQIRS JX LA HABttl FRANÇAISE.
grelin, st^para le vaisseau et ta frégale. Peu après, fdle
dernière indiqua par signal qu'elle tl-lait écbouéc. M.ilc
MoiBS&c, désespérant d'être secouru, fit frapper une biii-
bosstire sur son câble. Il se tînt prêt à s'en servir, ^il
pour abattre, dans le cas où le vent deviendrait favoraltle,
SOit^ur présenter le travers à l'ennemi, si, comme il le
supposait, il était attaqué le lendemain au jour. Ce futli
première do ces prévisions qui se réalisa. A neuDiouit*
et demie, la brise s'étant levée du sud-ouest, le capitaine if-
MoÎBsac fit couper son câble, et, A dix heures et demie, il
laÎMa tomber l'ancre par le travers de VAjax. Quanl à 11
Wn*, iiprt's avoir éteint un commencement d'incendie qui
s'était déclaré à son bord, elle se déséchoua et elle rallii
l'armée. Ce ne fut pas le seul incident de cette nuit obs'
cure et pluvieuse. M. de Goy, enseigne de vaisseau, nide-
maj<^ de l'escadre, était à bord de la Fine, au moment ob
cette frégate avait abordé 17sis. Il embarqua dans son
canot pour retourner à bord de ]'Aja.T, mais son palroB,
an Iteu de le conduire à bord du bâtiment que montait
SaCfren, accosta le vaisseau amiral an;,'lais. M. de Goy el
ses hommes furent faits prisonniers. On a dit que le ca-
pitaine de la Fine avait eu la pensée d'abandonner sa M-
gate, au moment où celle-ci était bord & bord avec l'/tii.
SulTren, dans ses lettres au ministre, ne parle pas de ce
fait qui eût certainement appelé son attention. Il n'en est
pas question dans le journal du major de l'escadre. Or,
H. deMoissac relate avec soin tous les incidents de la auit
ayant trait t la frégate la Fine'. Cette accusation désho-
norante pour la mémoire de cet officier, n'est appuyée
par aucune preuve, et elle doit être repoussée*. Lors-
1. M. de Moissac dit : «La secoune qa'occMioniu l'OrienJ, ea oooput
le grelin, sépara lea deux bfttimentt. La Fine alla «'édiousr un pea plu
loia, m le signal d'iacommodilé, mit le Teu dans us porte-baubans, I'Hm-
gnit et M désëchoua. M. de Goy, eDwigna de vaisseau, aide-m^or, Mail sar
la Fine. 11 avait portd des ordres i ptnaieurs TaisscAus, qitaiid la Fûw
s'eil abordée avec l'hia. 11 embarqua dans son canot, mais, ag liea d'aller
k bord de VAîax, il alla i bord du Superh. •
1. On lit dana \'Hi$l0ire du baiUi de Saffrm, par H. Canal : • M. ds
LIVRE XIII. 407
que le jour parut, les deux escadres étaient mouillées en
pleine côte, et à deux milles de distance l'une de l'autre.
Elles se seraient probablement perdues, si le vent avait
soufQé grand frais du large pendant la nuit. « Six heures
de mauvais temps, écrivait Suifren, pouvaient faire per-
dre l'escadre. Ha seule consolation était que les ennemis
auraient le même sort. Au jour, nous nous sommes trou-
vés mouillés à deux tiers de lieue de l'escadre anglaise
(par 8* 8' de latitude septentrionale, sur la côte orientale
de Geylan, près de l'île de la Provedien), et chacun est
occupé à réparer son dommage*. » SufTren envoya un
parlementaire à bord du Superb pour proposer à l'ami-
ral Hughes réchange de M. de Goy. L'amiral anglais ré-
Salvert, stupéfait, ne voyant aucune* issue pour se soustraire à cet abor-
dage, et craignant une invasion de la part des Anglais, fit amener son
canot pour se sauver. M. Sébire de Beauchône fut invité par M. de Saivert
à descendre dans son canot et à le suivre dans sa retraite. Cet ofTicier, de
SaintrMalo, qui s'était distingué au combat de la Bdle-PouUy s'y refusa.
Sa belle contenance encouragea les plus timides et contribua au salut de la
Fine. » M. Cunat a emprunté cette version à M. de Villejégu. Ce dernier
était évidemment de très-bonne foi lorsqu'il rapportait un bruit qui avait
peut-être couru dans Tescadre et qu'il croyait vrai, mais la bonne foi, en
pareil cas, est à peine une circonstance atténuante. Quand on porte une
accusation de cette nature, il faut y joindre des preuves. Il est, d'ailleurs,
facile de voir d'où vient son erreur. Il sait que M. de Goy a été à bord du
Superbj mais il ignore que cet officier venait de la Fine, lorsqu'il a pris le
vaisseau amiral anglais pour VAjax, C'est la présence du canot de cet offi-
cier le long de la Fine, pendant Tabordage de cette frégate avec VIsis, qui
a donné naissance au bruit que M. de la Villejégu a accueilli trop facile-
ment, et que la plupart de ceux qui ont écrit sur la campagne de l'Inde ont
rapporté après lui.
1. Quelques historiens prétendent que, le 13, au matin, SufTren eut la
pensée de tirer sur les vaisseaux anglais qui étaient à portée de l'escadre.
il ne donna pas suite à ce projet, disent les uns, dans la crainte d'engager
une affaire générale. D'autres, au contraire, disent qu'il ne le fit pas parce
que cette canonnade n'aurait amené qu'un combat partiel. Le rapport de
Suffren met tout le monde d'accord. Il ne fut pas un instant question de
tirer sur les vaisseaux les plus rapprochés de nous. Comment croire,
d'ailleurs, que nous aurions usé notre poudre en envoyant des boulets à
des vaisseaux qui étaient à dix-huit encablures? Le major de l'escadre dit :
Quelques vaisseaux anglais, mouillés à portée de canon à tonte volée de
notre escadre, appareillent. Les vaisseaux mouillés trop près des roches ou
par des fonds trop petits, changent de mouillage.
'.. ^.
408 mSTOIRS DB LA MARINS FRANQAISB.
pondit que ses instructions ne lui permutaient pas d'a^
cueillir cette demande ' . Le 1 7, les Français avaient t^iidné
les travaux les plus urgents, et ils se tenaient prftts i
mettre sous voiles. Le lendemain, les Anglais ne fusant
aucun mouvement, Suffinm se décida à appardller. j^près
être resté, le 19 et une partie de la journée du iO, «i vue *
de l'ennemi, il fit route pour Batacalo, rendez-vous assi-.
gné à ses transports. Le commuideur crut devmr se ja9-
tifler, auprès du ministre, de ne pas avoir attaqué raminl
Hughes dans la position que celui-ci occupait. H le fit, en
donnant comme explication de sa conduite les raims
suivantes : « 1* L'incertitude du fond mêlé de corafl,
puisque, au large des Anglais, VAjaXf VOrimU et la Fin»
s'étaient échoués le is avril; t* dans ces sortes d*ratre-
prises, tout est à perdre, si on ne réusmt pas; 3* je n'ai
dans le moment des munitions de* guerre que pour on
combat; V peu de monde; 5* aucun moyen en rechanges
jpour réparer les gréements; 6* il manque à rescadie au
^èïioins douze mâts de hune derediange; T^jevusaiK
devant dé ceux qui sont à Galles où je trouverai du eor*
dage, quelques munitions de guerre et des hommes;
S*" pour tenter cela avec espérance de succès, il faut de la
capacité, de la volonlé, et assurément je les ai trop éprou-
vées pour risquer ainsi le tout pour le tout. »
La journée du 12 avril n'avait pas été, comme celle du
17 février, une simple escarmouche. On s'était sérieuse-
ment battu, et les pertes, de part et d'autre, étaient cod-
sidérables. Nous les faisons connaître dans le tableau
suivant qui indique la ligne de bataille des deux escadres.
1. Suffren avail pour M. de Goy une estime particulière. Il disait ao mi-
nistre, dans une lettre contenant la demande du grade de lieutenant de
vaisseau pour cet ofQcier : « C'est un jeune homme qui est au milieu du
feu d*un froid à faire plaisir h. ceux qui le voient. »
UVRE XIII.
409
ESCADRE FRANÇAISE.
Noms des Mtiments.
Vengear ,
Artésien
Hannibal (anglais).
Sphinx
Héros. . .
L*Orient
Brillanl.
Sévère. .
Ajax....
Annibal.
Flamand
Bizarre .
Nombre
de
canons.
64
64
50
64
74
74
64
64
64
74
50
64
Noms des capitaines.
Forbin
Maurville
De Galle
Du Chilleau
iSuffren
iMoissac
UPallière
Saint-Félix
Villeneuve-Cillart
Bouvet
De Tromelin. ...
Cuverville
La Landellc
Tués.
Totaux des tués et des blessés >
12
6
22
12
25
15
12
4
14
3
12
Blessés.
137
2
20
19
74
38
71
33
20
11
29
12
28
357
1. BfM.de Boardeilles, lieutenant de vaisseau, de Bielke. Lamercbienna (offlcier
suédois), de Rocberoore, d^ Cuers, enseignes, Le Vasseur ae Séligny, lieutenant de
frégate, de Barence, garde de marine, étaient au nombre des morts. On comptait
parmi les blessés, MM. de Cillart et de Galle, capitaines de vaisseau, Gouler, Pas-
trascour, officiers auxiliaires, d'Aigremont, garde de la marine.
ESCADRE ANGLAISE.
Noms des bâtiments.
Exeter
Sultan
Eagle
Burford. ...
Montmouth.
Superb . . • .
Monarca . . .
Magnanime.
Isis
Héro
Worcester. .
Nombre
de
canons.
64
74
64
70
64
74
68
70
50
74
64
Noms des capitaines.
King
Watt
Reddal
Rainier
Alms
Edward Hughes.
Gell
Wolseley
Lunley
Hawher
Charles King. . .
Totaux des tués et des blessés
Tués.
Blessé».
4
40
»
9
»
22
6
36
45
102
59
96
7
28
»
7
6
51
2
13
8
26
137
430
4ia msToms db jul luamn feançaibb*
Les ydiseaux des drax eBcadres Betroavaiil placés peB-
dant le combat dans Varéte indi^ cf^dessiiSy ôo peatb-
diraient reconnaître ceux qni ataient porté le pMds de la
bataille. On ramaïqimm qiie4e0 Taissepax miM^ itMat
sous le ?ent, ne pouvaient pas^ s'm^r^cher dea aâtoea.
Dans le rapport qu'il adressa au ministre rar le eoaibal
du IS avril» SutBrra ne ft»rmula contre 101. dé IboonriDei
ForUn, de GiUart, Bouvet «t. de! la Landelle aucuii grief
qpédal, mais il signala le rôle à peu près insignWant
Joué par les vaisseaux qu'ils emnmandàient A|ffès avoir
dit que M. de Tromdln» k| cbêf de div|d<m dont iluivatt
eu à se plaindre, le 17 ftvrter^. avaitiBdt scm devoir^ il si-
gnala la beUe conduite ébWH. de Saiiil-Féliz el de.te
PaUière. (tuant au commandant"^ du ^pklnx^ le ^pMf^p^
de vaisseau du GhiUeau, Sufifren accorda des éloges sans
réserves aux services qu'il avait rradus dans la jouniéa
du IS avril. « Si tous lès ofBders avaient ftiit comme la^
écrivit-il au maréchal de CSastries, l'eacadre anglaise ne
serait plus. »
Le 30 avril, nos vaisseaux mouillèrent dans la baie éê
Batacalo, sur la côte orientale de Ttle de Geylan. La
veille, SufTren avait communiqué avec le brûlot le Pulvé-
riseuvy envoyé à sa recherche par le capitaine de la Bd-
lone qui était à Pointe de Galles avec le convoi. Le Pul-
vériseur apportait des dépêches venues de Tlle de France
par un bâtiment hollandais*.
IV
Lorsque SufTren ouvrit les lettres adressées à son pré-
décesseur, il éprouva une très-pénible surprise. Le mi-
I. Le bâtiment hollandais apportait le duplicata de ces dépêcbes. Le pri-
mata avait été envoyé par la corvette VExpédUion, qui avait M priae pir
les Anglais.
LIVRE XIII. 411
nistre, en annonçant la prochaine arrivée d'un convoi es-
corté par deux vaisseaux, Vlllustre^ de soixante-quatorze»
et le Saint-Michely de soixante, prescrivait au comte d'Or-
ves de retourner à l'Ile de France. Il devait en repartir,
au mois d'avril, après avoir fait des vivres et réparé ses
b&timents. Si des ordres aussi précis lui étaient parve-
nus au mois de février, SufTren eût hésité à les enfrein-
dre. Les recevant à la fin d'avril, il considéra comme un
devoir de sa position de ne pas les exécuter. Les dépêches
apportées par le Pulvériseur soulevaient d'autres diffi-
cultés et ajoutaient aux perplexités du commandeur*
Quelle ligne de conduite adopterait M. de Souillac qui ne
pouvait ignorer les nouvelles instructions de la cour? Ex-
pédierait-il le convoi à la cdte de Goromandel, ou le re-
tiendrait-il sur la rade de Port-Louis, dans la pensée que
Suffren obéirait aux ordres du ministre? « L'intention du
Roi, écrivit SufTren à M. de Souillac, était que l'escadre
fût de retour à l'Ile de France, en mars, afin de repartir,
en avril, en forces réunies et bien réparées. Cela n'est
plus possible. Avant que j'aille à la côte de Goromandel
(on est au !•' mai) et que l'on puisse déterminer Hyder-
Ali à laisser embarquer nos troupes, que celles-ci aient
marché et que j'aie pu regagner Ceylan, c'est une affaire
d'au moins quarante-cinq jours, la traversée environ qua-
rante, le temps pour les radoubs au moins autant, la
traversée (pour le retour) trente. Récapitulation : Qua-
rante-cinq jours pour aller prendre nos troupes à la cdte
et les ramener à Ceylan, quarante jours de traversée,
quarante-cinq de radoubs, trente de traversée pour revenir
ici : total cent soixante. De sorte que voilà six mois de
perdus, et Dieu sait ce que les ennemis peuvent entre-
prendre pendant ce temps. Ce serait bien mal interpréter
les intentions du Roi et les vôtres, si j'entreprenais, à la
fin d'avril, ce que vous aviez prévu pour la fin de février,
et si, sur les assurances réitérées de ne pas quitter la
côte, et si, sur la certitude que vous aviez, par les Bons-
41S HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
vl mis et par leChetsseur', que la corvette' n'était point
arrivée, voua aviez jugé qu'il était trop tard, et que, sur
mes demandes, vous ayez fait partir le convoi, que de-
vicndrai-je à l'Ile de France? Je prends ce parti, quoique
le seul bon, à regret, parce que, comme il ne sera du goût
de personne, je serai désapprouvé par tout le monde. De
plus, si je quittais la côte après un combat, sir Hugbcs,
que j'ai battu deux fois, le 17 février et le 12 avril, ne
manquerait pas de dire que j'ai été battu. Ce qui m'af-
fecte le plus, c'est le manque de monde et la quantité de
malades, mais deux traversées de douze cents lieues ne
remettraient pas les équipages. »
Les transports qui étaient à Pointe de Galles arrivèrent
h Batacalo, sous la conduite de la Bellone et de la Syl-
phide. La séparation du convoi n'avait pas eu les suites
r&rbeuses que SulTren redoutait. Nos pertes se réduisaient
à deux bâtiments, le Laurision et le Toscan, pris par les
Anglais, le premier, à la mer, et le second, sur la rade
de Négapatam, où il avait cherché un refuge, ignorant
que cette place fût au pouvoir de l'ennemi. Quelques na-
vires hollandais, expédiés par le gouverneur de Ceyian,
apportèrent des vivres et des munitions. La frégate U
Bellone avait capturé, dans une de ses sorties, treize na-
vires de commerce et une petite corvette. Celle-ci re^til
un équipage et elle augmenta le nombre des bdtimenls
légers de l'escadre. Avec l'argent provenant de la vente
des prises, Suffren fit acheter à Tranquebar, comptoir
danois, les vivres, les munitions et les approvisionne-
ments de toutes sortes existant dans les magasins de la
Compagnie des Indes. Un des bâtiments dont s'était em-
parée la Bellone, avait été vendu cinq cent mille francs.
Malgré les nécessités du ravitaillement, SulTren ne né-
gligeait rien de ce qui avait trait à la question militaire.
I. Ces deux bAlinii^nU avaient éU expédié* à l'Ile de Franco, apréi ■■
eombal du 17 février.
3. tl l'agit de VExpMiîion qui, aîMi que noua l'avoiu (lit, Mail to
oolre les uiaîna doi Anglais.
LIVRE XIII. 413
Placés au sud de rennemi, qui s'était retiré à Trinque-
malay, nous étions en position de capturer les b&timents
venant d'Europe ou de Bombay et se dirigeant sur Ma-
dras. Nos frégates croisaient au large, et une division de
l'escadre était toujours prête à appareiller. Le 13 mai,
cinq voiles ayant été signalées, le Héros^ le Vengeur^ VAr-
tésien^le Sphinx et YAnnibal mirent sous voiles. Au cou-
cher du soleil, nous étions encore à plus de deux lieues
de ces bâtiments. SulTren, ne jugeant pas prudent de
mettre l'escadre anglaise entre les vaisseaux qu'il avait
avec lui et ceux qui étaient mouillés à Batacalo, leva
la chasse. On apprit, à quelque temps de là, que les bâ-
timents poursuivis venaient de Bombay avec des vivres,
du matériel et des munitions.
L'escadre française fit route, le 3 juin, pour Tranque-
bar, où elle devait trouver plusieurs navires hollandais
chargés de vivres. Elle arriva, le 5, & sa destination, après
être passée, la veille, devant Trinquemalay où les Anglais
terminaient leurs réparations. Notre nouvelle position
nous permettait d'intercepter les navires expédiés de Ma-
dras à l'escadre anglaise. Le 8 juin, une division compo-
sée des vaisseaux le Sphinx et VArtésien^ des frégates la
Fine et la BeUone, revint au mouillage amenant une prise,
le transport le RaikeSy chargé de vivres et de matériel.
Cinq navires, au nombre desquels était ce dernier bâti-
ment, avaient quitté Madras avec des approvisionne-
ments pour Trinquemalay. Le commandeur apprit, avec
le plus vif regret, que nous avions laissé échapper deux
de ces bâtiments. Dans la soirée du 5 juin, nos croiseurs
couraient sur deux navires qui avaient été aperçus au
coucher du soleil. La chasse se prolongea, et, par suite
de leur inégalité de marche, nos bâtiments se séparèrent.
La BeUone et la Fine étaient en avant, puis venait YArtésieny
et derrière lui le Sphinx. Les frégates s'étaient assez ap-
prochées de ces deux bâtiments pour reconnaître un
vaisseau et un brick. Telle était la situation, lorsque,
vers onze heures, VArtésienj qui était près de rejoindre
*■■
414 mstomft DK hk HABIHK VRAXCUBL* '
la Bellone et la Fine, diminua de voiles et disparut. U
capitaine de ce vaisseau avait fait route sur le Sphitt^c
qu'il était sur le point de perdre de vue. 1131. Je Beau-
lieu et de Salvert avaient suivi l'ennemi, sous petites
voiles, allumant des feui et tirant des fusùes pour inJi-
quer leur position. Un peu avant le jour, n'apercevant
plus le Sphinx et IM rtiittien, ignorant, d'autre part, quelle
pouvait èlre l'intention du commandant de la division,
ils s'étaient éloignés. On apprit plus tard que ces deux bl-
timcnts étaient le brick le Hodney et le vaisseau le ^an Car-
los, tous deux armés en flûte. SulTren se montra d'autant
plus irrité contre le capitaine de l'Artésien que la capture
de ces deux bâtiments eût été pour nous d'un pris ines-
timable. Quelques jours après, nos croiseurs amenfr-
renl à Tranquebar deux transports chargés de vivres.
L'un deux, la Résolution', portait seize canons et élsîl
doubla en cuivre. L'escadre mouilla, le 33 juin, devant la
Tille de Goadflknir, enlerfo sox AB^ab te s «nfl im.
Sor lairadBiW.troataient an mertn dftoaonidnB, dNigi
de Tfnee, et «n gread IraïUport^ q^MrteiiaBt t ta Gdm-
pagnie des Indes, qui avaient été capturés par la Fine. Le
dernier avait, & son bord, seize oraciers d'artillerie, des
canonnïers, des pièces de siège, de la poudre et des mu-
nitions de guerre. A quelques jours de là, un grand bi-
liment anglais, ayant trente pièces de canon, chargé de
riz et de blé, tomba entre nos maina. L'activité de nos
croiseurs faisait subsister notre escadre. SulTreo était
veau 4 Goudelour pour compléter ses vivres, déposer les
malades et examiner, de concert avec le général Duche-
mio, ce qu'il était possible d'entreprendre avec les trou-
pes et l'escadre. Le commandeur avait l'intention de coin-
battre une troisième Tois l'escadre anglaise, et, s'il sortait
victorieux de cette nouvelle rencontre, il désirait attaquer
Négapatam dont la possession, au double point de vue
1. Ce UUraent avait bit le tour du monde avec Cook. (/oumot Ai
mqfor de Paeadre.)
LIVRE XIII. 415
militaire et maritime, nous eût été fort utile. Le major
de l'escadre se rendit auprès d'Hyder-Âli pour lui sou-
mettre cette proposition et réclamer son concours. L'en-
voyé de Suffren trouva le nabab extrêmement irrité con-
tre le général Duchemin. L'armée mysoréenne avait eu,
avec les Anglais, plusieurs engagements auxquels le corps
expéditionnaire n'avait pris aucune part. Âpres s'être
emparée de la forteresse de Permacoul, elle aurait, disait
le sultan, remporté de très-grands avantages, si elle
avait été soutenue par nos soldats. Toutefois, Hyder-Âli
montra envers la marine les dispositions les plus favo-
rables, et il promit d'agir par terre lorsque le moment
serait venu. Il chargea M. de Moissac d'exprimer à
Suffren son désir de le voir, au retour de cette expédi-
tion. Le 25 juin, le commandeur ayant appris que les An-
glais étaient mouillés devant Négapatam, h&ta les prépa-
ratifs du départ. Pour compléter les vides qui existaient
dans ses équipages, il fit embarquer, sur les vaisseaux,
des compagnies de cipayes et des détachements emprun-
tés aux troupes de la garnison de Goudelour. Après avoir
pris sept cents blancs, écrivit Suffren au ministre, il ne
reste plus que six cents Européens en santé qui compo-
seront la garnison de Goudelour. Ils couvriront les hô-
pitaux et le dépôt jusqu'à l'arrivée des renforts. Si la
guerre dure, il faut nous envoyer de fortes frégates
doublées en cuivre. Si, depuis que je suis à la côte,
j'avais eu des frégates, nous aurions fait aux Anglais un
mal infini. Je n'en ai que deux, et elles ont été employées
autant que cela a été possible. Les circonstances ont fait
exécuter les intentions du Roi relativement à l'armée.
Si les renforts annoncés arrivent et qu'ils soient bien
commandés, tout ira bien. L'Inde n'est plus le même
pays que jadis. Le Carnatic et TArcate étant absolument
dévastés par la guerre, on n'y peut vivre qu'avec l'aide
d'Hyder-Ali. Celui-ci, avec des milliers de chameaux, fait
venir des vivres de l'intérieur. Sous ce rapport, on sera
toujours dans la dépendance du nabab. Mais, pour
416 HISTOIRE DE LA MAHINE FRANÇAISE. \
qu'elle soit moindre, il faut de l'argent; on n'en trouW
pas dans ce pays. Le nabab me témoigne autant de con-
liance que de considérafioii, et j'emploie toute celle qu'il
paraît avoir en moi pour le persuader de l'arrivée des
renrorl8,et qu'on ne fera pas la paix sans l'y comprendre,
a(in de l'empèchcr de faire la sienne. Tous ses gens le
désirent ; ils sont ennuyés de faire la guerre dans un
pays ofi il n'y a plus rien à prendre. Les Anglais, q\
voient combien leur position est critique, sèment l'arj
dans le Durbar, de sorte qu'il est le seul qui veuille
guerre. »
Les prisonniers, dont le nombre allait croissant, dev
naient pour l'escadre une cause sérieuse d'embarras, i
faiblesse de la garnison de Goudelour ne permeltail pi
de les laisser dans cette ville. D'autre part, nous n'avioi
pas de bdtiments disponibles pour les envoyer à l'Ile (
France. Enfin, les autorités anglaises repoussaient d'ui
manière absolue toute demande d'i^change. Dans ceU»
situation, SulTren prit le parti de les remettre entre 1
mains d'Hyder-Ali. Une convention spéciale fut pass
avec le nabab pour que les prisonniers fussent traités
nourris conformément aux habitudes européennes, t
commissaire français fat chargé de veiller à la strie
exécution des diverses clauses qu'elle contenait.
Au moment d'appareill«r pour aller, une troisième fd
à la recherche de l'escadre anglaise, SufTren put
au ministre avec un légitime orgueil : <• Depuis mon
vée A Ceyian, soit par le secours des Hollandais, soil ptl
les prises que j'ai faites, l'escadre est en mesure de vivW
pendant six mois, et j'ai des subsistances assurées en
et en riz pour plus d'un an. ■>
■
UVRK XIV
Coinbil da 6 Juillet 17(13. — Mouillage des duiii. uscudres sur la cû(«. —
Ij»s Frao^lB reluuruput & Goudelour. — Incideul rclotir nu captlaîno Ju
Sévère. — U. du Cillart est (témoalé de son coin oiuide ment. — Les
l'spitainn de Haurvilk', du l'Ai-léiien, de Forbin, du Ceiif/eur, soDl
rtsnvojéa ea Franci'. — EuL'evue de SuITren avec UyderAli. ^ DiSpurt de
l'enciulre pour Bntacalo. — Arrivée du Sainl-,Hichtl, de \'/Uusli-e el do
ta Fortune. — Prise de Trinqiiemalay. — Cumbel du 3 sepUrobre 1783.
— Les Frantais reulreat ï Trinquomalay. — Porto du vaisseau l'Orient.
— La nouvelle de U prise de TrinquemaloT et l'arrivéa de l'amiral
Hughes à Madras décident sir Ejre Coot à n'élDigner de Goudeluur, —
— Les Fraotais vodI A Acliem, l't hs Anglais à Bouibay. — SâulTren
fait roule, k 10 di'ci^mlire, pour ta cûlc d'Urixu.
I
L'escadre Traiiçiiise appareilla, le 3 juillet, de la rade
de Goudelour. Deux jours après, nos Trégales signalèrent
l'ennemi mouillé entre Naour et Négapatam. La brise qui
soufflait de l'ouest nous permit de faire route sur les An-
glais. A noire approclie, vers deu\ heures et demie, l'amiral
Hughes mit sous voiles. A trois heures, un grain blanc
démAta l'AJax de son grand mat de hune et de son mât
de perroquet de fougue '. Le Hcrus fit à ce vaisseau le
signal de prendre la queue de la ligne, et il donna à la
frégate la Belhne l'ordre de l'observer. Les vents ayant
passé au sud-sud-ouest, les Français se trouvèrent sous le
vent de l'ennemi. Au lieu de nous attaquer, pendant que
I. ■ A IroU litiures, le vaisseau l'.ljcij:^ a décuAlé de son grand m&[ do
bune el de son perroquet de fougue, dans un grain ou tourbillon qui,
quoique laligne fût serrée, n'a été reeseoti que par lui. ■ [Jaumaiau mi^oi-
Ikde Fucadrt.
4!8 HISTOIRE 1>E LA M.^SINE FRANÇAISE.
VAjax était hors d'état de combattre, l'amiral anglais Uni
le vent le cap au large. Le calme étan! survenu, les deux es-
cadres mouillcreut dans la soirée. La Trégale la Fine rcçulla
mission de surveillerles mouvements de l'ennemi, et la Syf*
phide alla se joindre à la Bellone pour secourir VAjax. U
commandeur ût au capitaine Bouvet la recooimandalion
très-expresse de se mettre le plus promplement possible en
étal de combattre. Le 6 juillet, au point du jour, les deux
escadres mirent sous voiles. VAjax ayant demandé è
rester au mouillage, il lui fut répondu par l'ordre il"ai>-
pareiller. Croyant qu Hufîlics manœuvrait pour
concentrer le gros c !s sur notre arrière-garde,
Suffren prescrivit à l'aisseau de soixante-qua-
torze, de prendre pv |ueuc de la ligne '. A dix
heures du matin, les -scadres couraient les amu-
res à bâbord, avec une fi irise de sud-ouest, les Aii-
glais au vent des Français. Quoiqu'il se fiU écoulé près
de vingl heures depuis que VAjax avait démAté de son
grand mût de hune et de son mAt de perroquet de fou^e,
les avaries de ce vaisseau n'étaient pas encore réparées
et il se tenait sous le vent de la ligne*. En conséquence,
nous avions le même nombre de vaisseaux que nos
adversaires. A dix heures et demie, l'amiral anglais laissa
1 . • Les deux escadres firent, dans la matinâc, quelques évolutions. A k|i>
heures et demie, ordre à l'ascadre do virer vent devant par la codIk-
marche. Le général espArail passer à portée de l'arrièro-gard« de l'en-
Qeinl, mais le Biiarrt, vaisseau de léte, a^anl manqué à virer, a reUrdé
l'évolution ; les vcuts étaient tion dons la partie de l'oneil. A huit bear«i,
ordre à la division de serrer la ligue ; k la même heure, le vaisseau de tMa
■ y'tti. A huit heures un quart, signal au Bharre de diminuer de voiles et
auSp/iiivx do serrer la ligne. A huit heures et demie, le Bùarrt, qniêliit
en panne, a ordre de faire servir. A huit heures trois quarts, ordre an
BUarre de tenir le vent. Ce vaisseau, ayant pris le signal de tenir le vi'st
pour celui de tenir le veut btbord amures, a viré de bord vont arriére.
L« général lui a donné l'ordre de prendre poste entre le Vtngtur e(
VOrient. ■ (Journal du major de rticadre.)
2, ' L'Ajax a demandé à relftcher, mais le général a refusé. Ce vaissean
n'ayant m ni se* barres, ni ses hunes brisées, il était bien extraordinaire
qu'il n'eût pa* encore repassi les m&ti de hune.> {Journal du m^for <<<
tetcadrt.)
LIVRE XIV. 419
porter sur notre armée par un mouvement tout à la fois.
Vers onze heures, Tavant-garde ennemie étant à portée
de canon, Suffren Qt commencer le feu. Le combat s'en-
gagea avec beaucoup de vivacité à Tavant-garde et au
corps de bataille. A Tarrière-garde, plusieurs vaisseaux
anglais restèrent à une grande distance au vent de notre
ligne. A midi trois quarts, quelques navires avaient déjà
beaucoup souffert. Le chef de file de Tarmée anglaise, le
Hero^ de soixante-quatorze canons, se relira du champ
de bataille. Dans notre escadre, Suffren fut obligé de cou-
vrir, avec son vaisseau, le Brillant^ qui avait perdu son
grand m&t. A une heure, au moment oii l'action était
très-chaude, le vent sauta brusquement au sud-sud-
est. La nouvelle direction de la brise, frappant par bâ-
bord les vaisseaux anglais et français, mit le désordre
dans les deux lignes. A l'exception du Sultan^ de ÏEagle
et du Worcester, qui laissèrent porter à temps, les bâti-
ments ennemis furent masqués et tombèrent sur tribord.
L'escadre anglaise se trouva divisée en deux parties,
dont l'une était poussée dans l'ouest et l'autre dans l'est.
L'amiral Hughes donna l'ordre à son armée de serrer
le vent, les amures à bâbord. Suffren fit le signal de virer
de bord lof pour lof, tout à la fois, et de former une li-
gne, sans avoir égard aux postes. Notre évolution avait
pour but de couvrir le Brillant et le Sévère^ qui avaient
abattu sur tribord, et de couper VEagle^ le Worcester et le
Sultan^ si ces trois vaisseaux ne manœuvraient pas avec
célérité pour rallier leur escadre. Le Worcester et VEagle
dirigeaient contre le Brillant un feu très-vif, mais le Hérosy
doublant ce dernier vaisseau au vent, le sépara de ses
deux adversaires. Le Worcester, après avoir échangé
quelques bordées avec VAnnibaly passa à contre-bord du
Héros, dont il reçut toute la bordée sans riposter, et il
s'éloigna du champ de bataille en courant grand largue
sous toutes voiles. Le Sévère^ de soixante-quatre, et
le Sultan, de soixante-quatorze, que la saute de vent
avait placés très-près l'un de l'autre^ se canonnèrent
kiO HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
avec vigueur. Pendant un moment, à bord du Héros, on
cessa d'apercevoii" le pavillon du Sévère, mais l'émotion
causée par cet incident, attribué à la rupture d'une drisse
de pavillon, ne fut pas de longuedurée. Les couleurs na-
tionales reparurent à l'arrière du vaisseau français dool
le feu sembla toujours très-soutenu '. Pendant ce rapide
engagement, le capitaine du Sultan virait de l)ord lo(
pour lof, et aussit(^t qu'il eut achevé son évolution, il
fit route sur son escadre. VEagle, le seul bAtïment en-
nemi qui restât à notre portée, était suivi, à petite dis-
tance, par le Vengeur et VAi-lésien. Si ces deux vaisseaux
parvenaient à le dégréer promptcment, et, par suite, &
ralentir sa marche, nous avions des chances d'autant
plus grandes de le prendre, que plusieurs navires francs,
au nombre desquels était le Héros, manœuvraient pour
le couper. Déjà, on remarquait quelques avaries dans sa
mâture, lorsquel'.-lrfési'en arriva tout plat, à lasuited'uue
explosion qui se produisit sur l'arrière de son mât d'ar-
timon. Ce mouvement était d'autant moins explicable,
qu'il devait avoir pour conséquence de porter l'incendie
sur l'avant du vaisseau. Suffren, très-irrîté contre le
capitaine de Maurville, lui donna immédiatement, par
signal, l'ordre de tenir le vent. La même injonction fut
faite au Ken^cMi-, qui courait largue et s'écartait de soo
adversaire. VEagle, mettant à profit le temps que nous
perdions, fut bientôt hors de porlée. A trois heures cin-
quante minutes, le feu ayant cessé, de part et d'autre^
Sulfren rallia ses bâtiments et il se dirigea sur l'ennemi.
Le gros de l'escadre anglaise, qui était déjà loin de nous.
Lotirait dans la direction de l'ouest. L'amiral Hughes avait
eu la pensée do faire un retour ofTensif, mais, en présence
de la situation de son armée, il s'était décidé fi la retraite.
1. -Le Siiiire était alurs à portée d'un anitantv-qa&torM eonenui im
liavilloD était amené, tx qui nous csuiait île lioqaiétude, roat* DOoi It
vîmes bisotût continuer à Taire Teu sur le vaiaaeau et Arriver dan* la ligna.
D'ailleun, noua étions aiB^i prèi {lour le leiourir en eu d'Mci<l«nt.> {/wr-
nat du major de Vfaradrt.)
LIVRE XIV. 421
Le Hero avait, en haut de ses mâts, des signaux de dé-
tresse, et le Worcester était à toute vue * sous le vent. Le
capitaine du Monarca, passant près du Superb, avait fait
connaître à l'amiral qu'il était hors d'état de retourner au
feu. Enfin, par suite des avaries qu'ils avaient reçues dans
leurs m&tures, la plupart des vaisseaux anglais ne ma-
nœuvraient que très-difficilement *. L'escadre anglaise se
rapprocha de la côte, et, à cinq heures et demie, elle
mouilla entre Négapatam et Nagore. Les bâtiments fran-
çais laissèrent tomber l'ancre à trois lieues environ dans
le nord des vaisseaux ennemis. Le lendemain, dans la
matinée, SufTren fit route sur Goudelour. Il était disposé
à reprendre le combat interrompu la veille, mais l'ami-
ral Hughes resta au mouillage. Le 7 juillet, nos vaisseaux
furent rejoints par un brick portant pavillon parlemen-
taire. M. de Moissac, major de l'escadre, se rendit à
bord de ce navire, où il trouva le capitaine James Watt.
Cet officier était porteur d'une lettre dans laquelle son
amiral réclamait le Sévère, affirmant que ce vaisseau
s'était rendu au Sultan •. Le commandeur n'avait reçu
de M. de Cillart aucune explication qui lui permît de
comprendre la démarche de l'amiral anglais. Il se rap-
pelait seulement que le Sévère avait combattu pendant
quelques instants sans pavillon. « Le général, dit le ma-
jor de l'escadre dans son journal, à qui M. de Cil-
lart n'avait pas encore rendu compte, a répondu à la-
miral que, sans doute, une drisse de pavillon coupée avait
pu faire imaginer que le vaisseau avait amené; mais que
cela n'avait jamais été son intention, et que, d'ailleurs,
il était, lui-môme, dans ce moment-là, assez près pour le
secourir, et môme pour le reprendre, en cas qu'il se fût
rendu *. » Désagréablement surpris que le commandant
1. Le Worcester ne rallia sod armée que le lendemain, 7 juillet.
2. Lettre de Tamiral Hughes au secrétaire de l'amirauté anglaise.
3. Dans la lettre de Tamiral anglais^ il était question de IMjax .c'était
une erreur de nom, l'amiral voulait parler du S*^ère,
4. Suffrcn rendit compte au ministre, dans les termes suivants, des
422 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
en chef de l'escadre britannique eùl base une réclamation
de celle importance sur un accident aussi simple que
celui de la rupture d'une drisse de pavillon, ii refusa de
recevoir le capitaine James Watt qui demandait h lui
présenter ses hommages. Au moment où le pavilloa du
Sévère avait disparu, ce n'était pas ce vaisseau, ainsi que
nous l'avons déjà fait remarquer, mais son adversaire
qui se trouvait compromis. Uenacé d'être coupé, le capi-
taineduSwi/onn'avaitd'autre préoccupation que d'achcvw
son virement de bord et de rallier son escadre. Si cette
réclamation n'avait au fond aucune valeur, le fait sur
lequel elle reposait était de la plus scrupuleuse exacti-
tude. Le pavillon du Sévère avait été amené, sur l'ordre
du capitaine de Cillart, au moment ob ce vaisseau él^t
bord à bord avec le Sultan. Les ofQciers, accourus sur le
pont, avaient fait £t leur commandant d'énergiques repré-
sentations auxquelles celui-ci avait cédé. Le pavillon
avait été rehissé, et le feu avait repris avec une nouvelle
vivacité '. Ces détails furent portés à la connaissance de
Suiïren, à l'arrivée de l'escadre à Goudclour. M. do Cil-
lart reçut immédiatement l'ordre de quillcr son comman-
dement et de s'embarquer, comme passager, sur un na-
vire prêt à partir pour l'Europe. L'irritation que ressentit
le commandeur, à la suite de celte alTaire, eut une très-
grande part dans la mesure qu'il prit à l'égard de deuï
réclamations qui Ini avaient été adreBoéos par l'amiral anglaii, ta (ajct d>
vaisseau le Sultan : • H. de Cillart, commandaut lo Sêvirt, t'êiMM,
rians l'airaire du 6 juillol, trouvé très-prés d'un vaisseau enaetni, an^
son pavillon, étant fort proche de plosieurs voiueaux dr l'eccadn. milim
ment du Ilà-o». Se» ofQcicrs l'engagèrent à l« faire rehisser et à canliaMT
liï oombat. J'ai cru que la drtsao de pavillon avait élé coopée. dtant bi«i
luin de soupcanoer nns telle infamie. Le 7, l'amiral Iluffhea mivayi M
parlemeitlaire pour le reclamer, Comme on ne m'avait rendu auon
compte, e répondis, ce que je crojnis, que la drisse du pavillon arait«M
coupée, et que ù ci- vaisMau w fOl rendu, j'étais asicï prés pour le rt»
prendre. >
I, I.e major de l'escmlro dit, dniis son journal, • qua tes olllcitrs 4m
Sfvfre et «on brave éqBîpagc n'avaient pas voulu consentir t 11 r«ddiliM
du ïnisseaii el avuienl continué à tirer sur l'ennemi. •
LIVRE XIV. 423
autres capitaines de l'armée. Depuis le jour où la mort du
comte d'Orves l'avait placé à la tête de l'escadre de l'Inde,
il était convaincu que plusieurs de ses capitaines n'avaient
ni la capacité, ni l'énergie nécessaires pour le seconder.
Le 17 février et le 12 avril, les résultats sur lesquels il
comptait avaient été compromis par les manœuvres de
quelques-uns de ses vaisseaux. Après ces deux combats,
était venu celui du 6 juillet. Ce jour-là, le peu d'activité
du capitaine de VAjax nous avait privés du concours
d'un vaisseau de soixante-quatre. Le commandeur n'était
pas disposé à se montrer sévère à l'égard de M. Bouvet,
dont la carrière était très-honorable. Mais en ce moment,
cet officier, doublement fatigué par l'âge et les maladies,
était hors d'élat d'exercer le commandement de son vais-
seau. Si, le 6 juillet, les capitaines du Vengeur et de
l'Artésien avaient mis plus d'énergie et d'habileté dans la
poursuite de YEagle^ ce vaisseau, promptcment dégréé,
eût été joint par les nôtres. Aucune circonstance particu-
lière ne plaidait la cause de ces deux officiers. Le Ven-
geur^ qui figurait au combat de la Praya, n'avait été,
dans cette affaire, d'aucun secours pour ses compagnons
d'armes. Il s'était bien conduit, le 17 février, mais, le
12 avril, étant chef de file de l'armée, il avait ouvert le feu
& une distance beaucoup trop grande, et, pendant toute
la durée du combat, il avait été de l'avant et loin de son
poste. Dans cette môme journée, le capitaine de V Arté-
sien avait suivi tous les mouvements du Vengeur^ et il
s'était rendu coupable des mêmes fautes. Quoique V Arté-
sien fût doublé en cuivre et qu'il eût une bonne marche,
M. de Maurville n'avait pas su, le 17 février, prendre un
poste qui lui permît de combattre. Enfin, le commandeur
se rappelait que ce même officier avait fait manquer la
prise du San-CarloSj bâtiment chargé de vivres et de ma-
tériel, alors que l'escadre française était dans le dénû-
ment le plus complet*. Il se décida à prendre, à l'égard
1. Le 5 juin, étant détaché avec deux vaisseaux et une frégate pour
Ii2k HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
des capitaines du Vengeur et de l'Artésien, une raeeure
devant laquelle il avait reculô, le 17 février, quoique déji
il la regardât comme nécessaire. M. de Forbin portait un
nom illustre dans la marine, et il était, par alliance, le
parent de SufTren. M. de Maurville, fils d'un lieutenant
général, avait cinq frères dans la marine. Ces considéra-
tions furent impuissantes k modifier une résolution qu1l
jugeait indispensable au bien de l'État. Les capitaines du
Vengeur et de VArlésien furent démontés de leur con»-
mandement et envoyés en France à la disposition dn
ministre. Quant au capitaine de VAjaXy il quilla son
vaisseau par suite du mauvais élat de sa santé'. Au
moment oii Suffren montrait celte vigueur dans l'exercirc
de son commandement, il n'était que capitaine de vais-
seau. Or, à cette époque, ainsi que le témoigne le passage
suivant d'une lettre qu'il écrivait au ministre, le règle-
ment ne permettait pas aux officiers généraux d'agir
ainsi qu'il l'avait fait. « Vous serez peut-êlre fâché, Mon-
seigneur, que je n'aie pas sévi plus tflt, mais je vous prie
de considérer que l'ordonnance ne donne même pas ce
droit aux officiers généraux et que Je ne le suis pas. ■
Suffren était, en réalité, chef d'escadre, mais il ne con-
naissait pas sa promotion.
Nous indiquons ci-après les chiffres des morts el dn
blessés sur les vaisseaux des deux escadres, ainsi que
l'ordre dans lequel celles-ci avaient combattu.
chasser un vaisgeau et iin« corvette, à t'e
voiles et il s'Aloigna, au point de ne pas Ali
rrnrent pas bbme Torleê pour attaquer m
Vftie. M. du Chilleau,
\lT6e de In nuit, il diminM dé
• ïu par \et Irégklea, ijui
vaieseau d« li^ne el une cor-
heures du
cliosse, ce qu'il n'clll pas fait ai lArlàien était rpsiâ entre lui el lea trigiiet.
I.G rnllieinent de VArlétien a fait manquer le vaisseau lo San-Carloê,
qui était chargé de muniltons de guerre navales el de renfarta d'éqni-
pjge. (Lettre de Suffren au ministre.)
1. • Je lui ai accordé avec plaisir, ^rivit Suiïrcn au roininUf, en p«^
tant du capitnïne de VAjax, la pentiission qu'il m'a demandée de patMT
en Europe pour cause de santé. Cet ofOder, qui éUII rArlIemenl lié -
BoulTranl, mounit le 6 octohro I7B3 k Trinquemalay. lue pension de huit
cent* livres, nir le Trésor rojal, fat accordée, h com|it«r du in«m« jour, i
LIVRE XIV.
ESCADRE FRANÇAISE.
Ligne d« batailla. — Ordra ranvané.
».„.,„ l«i,™,..
Konibiv
Noms dEa aipllaii>ei.
Tu--,
Blrssi^^
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i^me escadre.
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aii«ui.o<Bl,«d«in„rW.
-
436 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE-
Los Anglais ayant combattu au veni, (étaient trts-dé-
gréés, tandis que les Français, placés sous le vent, avaient
un grand nombre d'hommes hors de combat. Les perles,
à bord do quelques bAlïmcnls appartenant aux deux ar-
rière-gardes, étaient très-faibles, La position prise par
plusieurs vaisseaux de l'armée anglaise explique ce ré-
snllat. Les 17 février et 12 avril, nous étions au vent, el
par conséquent libres de nous rapprocher de nos adver-
saires. Le 6 juillet, les rôles étaient changés, et les Anglais
élaienl mallres de la distance à laquelle ils voulaient
combattre. L'amiral Hugbes, dont la manœuvre fut imilil
par la plupart de ses capitaines, se plaça très-près et
nous. Quelques navires de l'arrièrc-garde ne suivirent
pas cet exemple. Ils lofèrent trop tût, et ils restèrenl,
pendant Loule la durée du combat, loin des bAtimenlt
qui leur correspondaient dans notre ligne. " L'Orient et
le Bizarre, écrivit SufTren, ne prirent aucune pari M
combat, l'arrière -garde anglaise étant toujours rrslét
éloignée. » Les officiers qui commandaient les vaisseau
de queue de la ligne anglaise, ne s'étaient pas montré!
plus habiles manœuvriers, le 6 juillet, que ne l'avaient
élé, le 12 avril, les capitaines du Vmgeur et de V Artésien,
Quoiqu'il ne ressorte de celle comparaison rien qid
puisse atténuer la conduite de MM. de Forbin et de Maur*
ville, il est nécessaire de constater ces faits, afin de reft*
tituer aux fautes commises par nos officiers leur véritable
caractère.
L'escadre était arrivée à Goudelour avec des l>esoilll
auxquels ses ressources ne lui permellaient pas de satis-
faire. Notre dénùmcnt était tel que SufTren fut obligé it
dëmûter les frégates pour mAter les vaisseaux cl dé
prendre les mflts des corvettes pour les donner aux fré»
gales. Le major de l'escadre rapporte, ainsi qu'il suit,
dans son journal, les dispositions prises pour triomphef
d'obslacics qui eussent paru insurmontables à loul autn-
qu'à SufTren. « Nous sommes fort embarrassés pour avi
(les mats de hune, en ayant pei-du beaucoup dans les troil
UVRE XIV. 427
combats. Le général a ordonné que le grand mit de la
Pourvoyeuse^ avec ses mûls de hune, vergues, voiles, se-
rait donné au Brillant. La Fortitude donnera son grand
mit à la Pourvoyeuse^ et son màt d'ar limon pour un mit
de hune d'un vaisseau. La Sylphide donnera son grand
mât qui peut faire un mal de hune et mettra à sa place
un mât de fortune. Le Pidvériseur donnera ses deux bas
mâts qui peuvent faire des mâts de hune et sera remâté
avec ceux de la prise Yamiouth. L'intention du gé-
néral est d'envoyer la Pourvoyeuse à Malac, où elle fera
un grand mât et chargera des mâtures que les Anglais
font couper dans le détroit. La Fortitude ira au Pégou ;
elle y fera un grand mât et y chargera des bois de toutes
dimensions. » L'escadre française devait exécuter ces di-
verses opérations sur une rade foraine où la mer était
fort grosse lorsque la brise soufflait du large. La posi-
tion'de l'ennemi, resté au vent de Goudelour, ajoutait
aux difficultés de cette situation. Néanmoins, les travaux
furent immédiatement entrepris, et l'ordre fut donné de
les pousser, jour et nuit, avec toute l'activité que com-
portaient les circonstances.
II
Quelques jours après son arrivée sur la rade de Gou-
delour, Suffren reçut la nouvelle de l'arrivée à l'Ile de
France des vaisseaux le Saint-Michel^ de soixante, 1'//-
lustre^ de soixante-quatorze, et de plusieurs transports.
Le lieutenant général de Bussy, nommé au commande-
ment en chef des forces de terre et de mer au delà du Cap
de Bonne-Espérance, était à bord d'un des vaisseaux*. La
1. Le Saint-Michel, V Illustre, le cotre le Lézard, partis de Cadix le
4 janvier 1782, avaient mouillé, le 11 janvier, à Ténériffe, rendez- vous
assigné aux transports qui avaient quitté Brest, le 12 décembre 1781, en
même temps que Tescadre du lieutenant général de Guichen. La presque
totalité des b&timents capturés dans le coup de main audacieux de l'amiral
428 HISTOIRE DE LA MABINE FRANÇAISE,
frégate la Beltone, en mission à Tranquebar, amena k
Goudelour M. de Launay, qui commandait l'artillerie du
corps cxpédilionnaire. Cet oflicier était venu de l'Ile de
France â Pointe de Galles par le cotre le Lézard. De l'ilc
(le Ceyian, il avait passé sur la côte de Coromaiidel, et il
avait gagné Tranquebar par la voie de terre. L'iUusire^
le Sainl-Afichel, la frégate la Consolante et plusieurs na-
vires portant des vivres, des munitions navales et àx
cents soldats, devaient appareiller peu de Jours après le
départ du Lézard. M. de Launay apportait les dépCcbes
que le ministre adressait au commandeur et au général
Duchemin. Le maréchal de Castries annonçait que deux
nouveaux convois, portant cinq mille hommes, parti-
raient de nos ports au commencement de 1782,
Il avait été convenu que SutTrcn aurait, k son retour,
une entrevue avec Hyder-Ali. Ce prince, voulant donner
au grand bomme qui commandait notre escadre une
marque éclatanLc de sa considération, vint, avec toute
.son armée, forte d'environ cent mille hommes, s'établir i
quelques lieues de notre mouillage. Deux de ses princh-
panx officiers et une nombreuse escorte de cavalerie se
rendirent à Goudelour pour accompagner le commandeur
iV son camp. Celui-ci fut reçu, à son arrivée, par toute
l'armée mysoréenne sous les armes. La situation poli-
tique cl militaire du sultan avait subi une nouvelle
atteinte. Ce prince avait appris que ses anciens alliés
l'tttient sur lepoint de devenir ses ennemis. Les provin-
ces de son empire, qui confinaient i la côlc de Malaliar,
laissées sans défense par la défection des MAbratlea,
étaient attaquées par les Iroupes de la Présidence da
Bombay. 11 ne pouvait compter sur le corps français (|ul
était k peine suffisant pour garder Goudelour. En consé-
KcmpenrvtJt, appartenait nu convoi qui se ivnciail dans l'Indu. Troii
trnntiportH Rciilfriient élaiénl arrivés A T^n^rilTu. M. de Huhsv. JudI I» m<a
eûl Irnhi le» dessmiis de la Frtau sur l'Inde, s>lail mdu t Calit
LIVRE XIV. 429
quence, l'armée mysoréenne se trouvait seule en présence
de toutes les forces que la Grande-Bretagne avait dans
rinde. Enfin, il était informé que les Anglais attendaient
très-prochainement un convoi apportant des renforts
considérables ^ Cette situation lui imposait l'obligation,
soit de faire la paix, soit de s'éloigner du Carnatic pour
défendre ses propres États. SuiTren s'appliqua à com-
battre le découragement dont le nabab était atteint.
Les dépêches du maréchal de Castries, apportées par
M. de Launay, donnaient la certitude que cinq mille
soldats ne tarderaient pas à débarquer à l'Ile de
France. La désignation du lieutenant général de Bussy
pour commander les troupes indiquait, de la part du
gouvernement français, l'intention bien arrêtée de pren-
dre une part très-active aux affaires de l'Inde. Cédant
aux instances de Suffren, le nabab, auquel la pensée de
traiter avec les Anglais était extrêmement pénible, promit
d'envoyer son fils Tippo-Saïb à la côte de Malabar et de
rester, de sa personne, dans le Carnatic avec la plus
grande partie de ses forces. Avant de quitter le camp,
Suffren réussit à amener un rapprochement entre le
nabab et le général Duchemin. Si on en juge par le pas-
sage suivant d'une de ses lettres, le commandeur désap-
prouvait la ligne de conduite suivie par le général fran-
çais, a Ce prince, disait-il au ministre, en parlant d Hyder-
Ali, a pris en moi la plus grande confiance; il me traite
de frère et il me demande des conseils. Je puis aflirmer
que si on avait su prendre ce prince, on en aurait fait tout
ce qu'on aurait voulu. Je n'ai eu avec luid'autreastuceque
de n'en point avoir et de dire toujours vrai. » Après une
seconde entrevue avec Hyder-Ali, Suffren hâta les prépara-
tifs du départ. Il désirait rallier le plus promptement pos-
sible les bâtiments partis de l'Ile de France, peu de temps
après le Lézard. L'obligation de faire route pour Batacalo,
non moins que le voisinage de l'escadre anglaise qui
1. Celui du contre-amiral Bickerton, ()arti d'Angleterre le 6 février 1782.
430 HISTOIRE DE LÀ MARINE FRANÇAISE-
s'était retirée à Madras, ne lui permettaient pas d'alla-
quer Négapatam. Il voulut alors se mettre en mesure de
prendre Trinquemalay, dans le cas où l'amiral Hughes,
trompé sur ses mouvements, resterait dans le Nord.
L'escadre quitta Goudelour, le 1" août, avec six cenis
hommes d'infanterie et une compagnie de canonnière.
Un officier du génie, M. Des Roys, dans lequel le comman-
deur avait une grande conQance, prit passage à bord dn
Héros.
Les oriiciers français, envoyés & Tranquebar pour
approvisionner l'escudre, rencontraient de grandes diffi-
cultés pour accomplir leur mission. Les autorités daa<rf-
ses avaient montré, en plusieurs circonstances, uw
extrême partialité pour les Anglais. Le nabab, qui avul
particulièrement à s'en plaindre, voulait s'emparer de U
ville. Tranquebar nous était utile pour vendre nos prisM'
et acheter des objets de matériel. SulFren arrêta le sullan,
mais il avertit le gouverneur qu'il devait s'attendre, s%
ne changeait pas de conchiile, à de sévères représaillc*
de la part de l'armée mysorécnnc et de l'escadre fran-
çaise'. Le 8 août, le commandeur communiqua avec uM
embarcation envoyée ù sa rencontre par le capitaine du
Sam(-A/ic/iei. L'oflicier qui la commandait annonça qni
tous les bâtiments du convoi étaient arrivés h Pointe d
Galles. Le lendemain, l'escadre, à l'exception du colrt
le Lêiard, laissé en observation devant Trinquemalk^
mouilla dans la baie de Batacalo. La frégate la Bellotu^
en croisière sur la côte, rallia l'armée le 12 août. Elta
avait eu, la veille, un engagement avec une frégate ennft;
mie. Le capitaine de la Bdlone, le lieutenant de vaissoi
I. SuOren écrivil au gcavoToeur île Tmniiiiebnr : ■ Je dois voi
venir que si ce prince (H^dcr-Ali), juBlumiMit irrité de vus fiTocMtà,^
décidait k voua falro In Riierre, et l'il me iomiuail de conrir mit vot Wf
mcols, je De pourrais me dispenser de le faire. Vous seolei, inoonaifi
que vous seul seriez responsable envers votre cour, votre niiliim el i'EuNfl
mCme des maux qui rdaulloraieut de la dimarclie k laquelle vona m'
LIVRE XIV. 431
de Pierrevert, neveu de Suffren, avait 616 tué au début
de l'action. Quoique la frégate anglaise fût d'une force
inférieure à la nôtre, elle était parvenue à s'échapper
après une heure de combat*. Le 21 août, Y Illustre^ le
Saint-Michel, la corvette la Fortune, et sept transports
portant des vivres, des munitions et six cents hommes
d'infanterie rallièrent le pavillon du commandant en
chef. Quarante-huit heures après, toutes les opérations
relatives à la répartition et au transbordement des vivres
et du matériel étaient terminées et l'escadre reprenait la
mer. Ayant appris, le 24, par le capitaine du Lézard, que
les Anglais n'avaient pas paru, Suffren se dirigea sur
Trinquemalay. Arrivée, le 25, devant l'entrée, l'escadre
s'engagea dans la baie extérieure, et elle gagna, en
louvoyant avec une jolie brise du sud -ouest, l'ar-
rière-baie dans laquelle elle laissa tomber l'ancre hors
de portée de canon de la place. Quelques bordées, en-
voyées par les batteries près desquelles nos vaisseaux
étaient passés, avaient fait à VHannihal, au Sphinx
et au Saint'Michel des avaries sans importance. Deux
mille trois cents hommes, en y comprenant cinq cents
soldats de marine et six cents cipayes, furent mis à
terre, dans la nuit du 26 au 27 juillet. Les 27 et 28, les
Français élevèrent des batteries qui furent armées avec
des pièces prises sur nos bâtiments. Les forts de Trinque-
malay et d'Ostienbourg, sans communication entre eux,
défendaient la ville. Notre feu, ouvert le 29 dans la matinée,
1. Le major do Tescadrc rolato ainsi qu'il suit cet événoment : « La
BelUme est entrée en rade : un officier est venu rendre compte au général
que, la veille, la frégate s'était battue contre un autre bâtiment; qu'une
supériorité de mousqueterie et beaucoup de mitraille jetée par des obusicrs
avaient dégréé la BelUme^ dés le commencement du combat, et fait perdre
l'avantage que devaient lui donner le nombre et la force de ses canons. M. de
Pierrevert, commandant la frégate, neveu de M. de SufTren, avait été tué
au commencement de TafTaire. M. Boucher, officier auxiliaire, qui avait
le commandement après, avait été tué ; M. Stéphane, officier napolitain,
grièvement blessé. La frégate anglaise s'était éloignée après une heure do
combat, et avait laissé la Bellone dans l'impossibilité de la poursuivre.
Celle-ci avait eu quarante hommes hors de combat. »
43a HISTOIRE DE LA MARINE FKANCAISE.
acquit trës-promptement une supériorité marquée sut
celui de l'ennemi. Le 30 juillet, le commandanl du tort
6e Trinquemalay, le capitaine MacdowaI, sommé tie se
rendre, envoya un oTCcier au camp français pour trailef
de la capitulation. Qndquefl difficultés ^étaiA éleréo
entre les négotiateura, SuBïen les trancha ea faveor de
l'ennemi. Persuadé que ('lorriTée de l'amiral Hugbei
était imminente, il ne voulut pas retardw, par des exî-
gencas inutiles, le momnit oit une poàtioD de cette im*
portance serait remise enbe see mains. La gairnsoi,
composée de cent cinquante soldats blancs et tle trui«
cents cipayes, sortit de la ville avec les l]ouneui-s de la
guerre. Elle devait être transp<»iée à Madras aux n-ais de
notre gouvernement. Le commandant du fort <l'OslieiK
bourg se rendit, le 31 juillet, aux marnes conditions. Il
avait BOUS ses ordres le mteie nombre d'hommes que le
capitaine Macdoval. Ce succès, qui donnait & l'eitcadre
française le seul font existant sur la c6le, ne nous avait
coûté que vingt-cinq hommes tués ou blesses. Le général
prit immédiatemoit toutes les mesures que coniporUil
la prompte organisation de sa nouvelle conquête. Les
troupes destinées à tenir garnison dans la place furent
désignées, et nos vaisseaux reçurent l'ordre de rem-
barquer le personnel et le matériel qu'ils avaient mis à
terre.
Le 2 septembre, dans l'après-midi, nos vigies signa-
lèrent l'escadre anglaise. Les Français h&tèrent leurs
préparatifs de départ et ils appareillèrent, le lendemain,
au point du jour'. Les Anglais, qui s'étaient rapprochés
de la cAte, serraient le vent, les amures & tribord, avec
une fraîche brise de sud-ouest, se dirigeant sur l'entrée
de Trinquemalay. A la vue du pavillon français flollanl
sur tous les forts, l'amiral Hughes laissa arriver par un
mouvement successif, et il gouverna quatre quarts largue,
I. La Hèrotel VAimibal B'ftbardéreDl. La pnnùw d» CM ti
quelquM avariei.
ÎAWRE XIV. 433
SOUS petites voiles. Son intention était de n'accepter le
combat que tard dans la journée. S'il était battu, la nuit
couvrirait sa retraite; dans le cas où la fortune des
armes lui serait favorable, nos vaisseaux désemparés
seraient loin du port que nous avions conquis. SufTren
souhaitait très - vivement avoir une nouvelle occasion
de se mesurer avec Tennemi. L'escadre , disposée sur
une ligne de relèvement, se couvrit de toile pour at-
teindre les Anglais qui étaient sur notre avant et sous
le vent. L'amiral Hughes avait cinq vaisseaux de soixante-
quatorze, six de soixante-quatre et un de cinquante, soit
douze vaisseaux. Nous avions quatorze vaisseaux, parmi
lesquels trois de soixante-quatorze, sept de soixante-
quatre, un de soixante et trois de cinquante. Afin d'utili-
ser cette supériorité plus apparente que réelle, si on ne
considère que le nombre des canons, Suffren prescrivit
aux capitaines du Vengeur et de la Consolante de doubler
les derniers vaisseaux de la ligne anglaise par-dessous
le vent, aussitôt que l'action serait engagée. La force de
la brise, l'inégalité de marche de nos bâtiments, l'allure
du grand largue étaient autant d'obstacles à la régularité
de notre ligne. La plupart de nos vaisseaux et principa-
lement ceux de l'avant-garde n'étaient pas à leurs postes.
Quelques tentatives faites par le commandeur pour réta-
blir l'ordre demeurèrent sans résultat. Soit que Suffren
se laissât entraîner par le désir de joindre l'ennemi, soit
qu'il supposât que chaque capitaine saurait, une fois les
premiers coups tirés, prendre place par le travers d'un
vaisseau anglais, il continua sa route. A deux heures et
demie, après avoir fait environ vingt-cinq milles, nous
étions à petite distance de l'ennemi. A ce moment, le
Héros appuya d'un coup de canon le signal de laisser
arriver, qui était hissé en tête de ses mdts. Par suite
d'une erreur extrêmement regrettable, ce coup de canon
fut suivi de la bordée du Héros. Les capitaines, persua-
dés que le commandant en chef avait l'intention de com-
mencer le combat, suivirent cet exemple. Reconnaissant
23
434 HISTOIRE DE LA MAWNE FRANÇAISE,
l'iinpossibililé de faire cesser le Teu, Suff'ren fit le sij^iial
de comballie à portée de pistolet, résumant ainsi le bul
vers lequel devait tendre ctiaque bâtiment. Les Anglais
couraient largue, sous petites voiles, tandis que l'armée
française arrivait sur elle en dépendant Nos vaisseaux,
ayant le vent de la hanche de tribord, étaient obligés,
pour se conformer à l'ordre du commandant en chef, do
diminuer de toile et de calculer leur tour de manière i
se placer, avec la voilure convenable, par le travers det
bAliments qui leur correspondaient dans la ligne enne-
mie. La fumée qui couvrait le cbam|i de bataille, ajoutait
aux diflicultés de cette manœuvre. Lorsque chaque vais-
seau eut terminé son évolution, notre ligne fut dans le
plus grand désordre. Presque tous nos bâtiments avaient
conservé trop d'aire, en môme temps qu'ils avaient trop
prononcé leur mouvement d'oloffée. En conséquence, ils
se trouvèrent en avant et au vent de la position qu'ils all-
aient dû occuper. L'avant-garde tout entière et les deuï
premiers vaisseaux du corps de bataille formèrent un
groupe compacte en avant des premiers vaisseaux enne-
mis. L'Illustre, commandé par M. do Bruyères, le matelot
d'arrière du Héros, fut le seul vaisseau qui prit son poste.
Le Flamand et les vaisseaux de l'arrière-garde étaient au
vent et par le travers du Héros et de l'Illustre, Ces uavira
étaient confondus et se gênaient l'un l'autre, aussi bien
pour manœuvrer que pour combatlie. L'avaiit-garde et
les deux premiers vaisseaux du corps de bataille, stùt
sept vaisseaux sur quatorze, devinrent k peu près inu-
tiles. Le feu de ces vaisseaux ne partait que sur l'Exetcr^
le chef de file de l'armée anglaise, et sur r/si>qui le sut*
vait. Le Flamand, VAnnibal et le Biiarre tiraient de loin
et faisaient peu de mal h l'ennemi. Le capitaine de l'Ajax,
le lieutenant de vaisseau de Bcaumont, plus heureux ou
plus habile que ses camarades, parvint à se dégager dct
vaisseaux qui l'entouraient, et U vint se placer sur l'avant
du Héros. Le Vengeur et la Cuiisolanle, se conformant
aux ordres du commandant en chef, avaient laissé {>orler
J^
LIVRE XIV. 435
pour doubler, par-dessous le vent, le dernier vaisseau
de l'escadre anglaise, mais les capitaines de ces deux bâ-
timents voyant qu'ils n'étaient pas soutenus, ne voulu-
rent pas s'exposer au danger d'être coupés, et ils restèrent
au vent de l'ennemi. Peu après, le feu s'étant déclaré
dans la hune d'artimon du Vengeur, ce vaisseau s'éloigna
du champ de bataille. En réalité, trois vaisseaux, le
Héros, V Illustre et VAjax, supportaient le poids de la
bataille. Suffren multipliait les signaux pour rallier les
vaisseaux dispersés, mais la brise, très-fraîche au com-
mencement de l'action, tomba subitement et les bâtiments
des deux escadres demeurèrent immobiles là où ils se trou-
vaient. Le temps s'écoulait, et nos trois vaisseaux, battus
en travers par les vaisseaux du centre de l'armée an-
glaise, enfilés par ceux qui étaient placés aux extrémités
de la ligne, souffraient beaucoup. A quatre heures et
demie, le Héros avait ses voiles en lambeaux, toutes ses
manœuvres coupées et il ne pouvait plus gouverner.
VHlustre avait perdu son grand mât de hune et son mût
d'artimon. Vers cinq heures et demie, une légère brise de
sud-sud-ouest s'étant élevée, les Anglais virèrent de bord
lof pour lof tout à la fois. « Si les ennemis avaient viré
vent devant, dit le major de Tescadre dans son journal,
nous aurions été coupés et probablement détruits, » Après
avoir exécuté ce mouvement, nos adversaires continuè-
rent le combat en nous canonnant par bâbord. La brise
était favorable pour ramener nos vaisseaux sur le champ
de bataille, mais elle était très-faible et ceux-ci n'arri-
vaient que très-lentement. Pendant ce temps, le Héros,
VUlusire et VAjax continuaient à combattre avec la môme
énergie*. A six heures, le grand mât du Héros, criblé de
projectiles, tomba à la mer. A six heures trois quarts,
les Anglais qui couraient à contre-bord commencèrent à
1. Notre équipage, désespéré do la mauvaise manœuvre de nos vais-
seaux, n*en était cependant pas découragé, et nous avons répondu avec la
même vivacité au feu de Tennemi que nous recevions alors, à bord opposé,
réparti sur VAjckx, VlUustre et nous. {Journal du major de iescadre,)
[
436 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
s'éloigner. A la même beure, plusieurs vaisseaux, eu lète
desquels se trouvait VArlêsien, capitaÎDe de Saint-Félix,
passèrent entre le Hérua et l'ennemi'. Les Anglais lais-
sèrent arriver et gouvernèrent au nord-ouest pendant
que le gros de l'armée française serrait le vent les amures
à tribord. SulTreu quitta le Héros, ainsi qu'il avait déjà
été obligé de le faire dans la soirée du 12 avril, et il passa
sur VOrient. Aussitôt que nos vaisseaux eurent rallié le
pavillon du commandant en cheT, le Héros et ['Illustre
furent pris à la remorque, et l'escadre se dirigea vers U
côte de Ceylan. Dans la nuit du 6 au 7 septembre, voft
qualrc beurcs du matin, l'escadre louvoyant sans ordra^
avec une forte brise de terre, VOrient, un des trok
soixante-quatorze de l'armée, se jeta sur la pointe Sol^
à l'entrée de Trinquemalay*. Tous les efforts faits pour te
relever de la côte furent inutiles. Le vaisseau était vieuXf
fatigué et il se cassa Irès-promptemcnt. L'escadre, qU
avait mouillé près de VOrient pour procéder au sauveta^
du matériel, entra, le 17 septembre, à Trinquemalay
Plusieurs biUiments ennemis, notamment VEagle.
Burford, le Mvntmouth, et le Superb avaient été très~mal-
traités dans le combat du 3 septembre '. L'amiral HugbH
n'ayant plus de ports sur la côte, s'était dirigé sur
di'as, où il avait mouillé le 9 septembre.
Nous indiquons, ci-apr6s, l'ordre dans lequel les deui
escadres étaient rangées, au début de l'action, et lai
pertes qu'elles avaient subies. Le tableau relatif à notn
armée comprend, en outre, une note de SulTrcn aur la
conduite de chaque capitaine.
1. M. de Suiol-Félix avait quiUé le Ftamami, do cini[uanle. pour prcalM.
VArlùien, du soùaate^utlrt!, aprét le déport do >I. du Mnurvitle
!. Suin-ea n'éloitplus A bord de VOritnI.
3. KapiMirt de l'amiral Uugliea,
P
ESCADRE FRANÇAISE
Ligna da batiille.
L'Artésien G4 De Saint-Fûlix.
iaiDUMichet 60 D'Ajniar 3
îéïère 64 DeLaneli'.-.
Srillant 64 UeKersausnr
llannibal (an
Spbin»
j^roa
Illustre
Flamand —
Corpt de balaïUr,
] IDe Galle....
\ [DuClnlIuau.
L jSuITrcn
74 De Ërujùre».
50 Idg Salverl..
arriére-garde ,
64 DeBeaumnnt ..
Pian
Ilnnibal 14 DeTromelJn...
wCuvenilli-. ...
ÎBien dans I
, jTrÈa-bien ,
I peut mieux
1 |TrÈ»-mal.
tÛn ne peut plus
I il n'a jamais él( A
( iiortée dn canr-
(Un accident à
! l'acmpOcIiédB bien
( faire.
[Mal daua les quatre
Totaux des tués et des blessés '
I.IIH. de Lanslf, d<Ktn
î. OfScien Inéa': MH. d« Pin. dg ^
lïtn, eoMigna; Dnlmuuiiei, lintennn
"-'EienhiHMi: MM. duBmitm. Il
itipai],»nKieiiB;Allliclb, DsIbf,I
1, di SalTcrt, de Buiimon
defrigtle;D'l>lour-G<idiB,Siviii(
LIVRE XIV. 439
Suffren avait conçu l'espoir très-légitime, en raison de
la supériorité de ses forces, de battre l'armée anglaise.
L'insuccès relatif de cette journée lui causa une irritation
profonde. Jusque-là, il ne s'était plaint que de quelques-
uns de ses capitaines ; après le combat du 3 septembre,
il accusa la presque totalité de son armée de l'avoir
abandonné. Ce fut sous l'empire de ce sentiment qu'il
écrivit au ministre : « J'ai le cœur navré par la défection
la plus générale. Je viens de manquer l'occasion de
détruire l'escadre anglaise. J'avais quatorze vaisseaux et
la Consolante que j'avais mise en ligne. L'amiral Hughes
évitait sans fuir, ou pour mieux dire il fuyait en ordre,
conformant sa voilure à la marche des plus mauvais
voiliers. Larguant à mesure, il fit courir jusqu'à dix et
même douze aires de vent. Ce ne fut qu'à deux heures de
l'après-midi que je pus le joindre. Ma ligne à peu près
formée, j'attaquai et fis le signal d'approcher. J'avais fait
signal au Vengeur et à la Consolante de doubler par la
queue, on n'approcha point. Il n'y a eu que le Héros, Vil-
lustre etV Ajax qui aient combattu de près et enligne. Les
autres, sans égard à leurs postes, sans faire aucune ma-
nœuvre, ont tiraillé de loin ou, pour mieux dire, hors de
portéedecanon.Tous, oui tous, ont pu approcher puisque
nous étions au vent et de l'avant, et aucun ne l'a fait.
Plusieurs de ceux-là se sont conduits bravement dans
d'autres combats. Je ne puis attribuer cette horreur qu'à
l'envie de finir la campagne, à la mauvaise volonté et à
l'ignorance, car je n'oserais soupçonner rien de pis. Le
résultat a été terrible. Le Héros, llllustre ont perdu
grand màt, màt d'artimon, petit màt de hune, etc. Ce
seraient des avaries affreuses en Europe, jugez dans
l'Inde où nous n'avons aucune ressource en ce genre. Il
faut que je vous dise, Monseigneur, que des officiers
depuis longtemps à l'Ile de France ne sont ni marins, ni
militaires. Point marins, parce qu'ils n'y ont point navigué,
et l'esprit mercantile, d'indépendance et d'insubordination
est absolument opposé à l'esprit militaire. Les maîtres y
440 HISTOraE DE i.A MAHINE FRANÇAISE,
ont contracté un esprit de rapine, qu'il est impossible Je
réprimer. Vous ne sauriez imaginer, Monseigneur, toutes
les petites ruses qu'on a employées pour me faire revenir.
Vous n'en serez pas surpris si vous savez qu'à l'Ile de
France l'argent vaut dix-huit pour cent, et, quand on fail
des affaires, infiniment plus, et pour cela il faut y être.
MM. (Je la Landelle, de Tromelin, de Saint-Félix et ic
Galle ont demandé à quitter leurs vaisseaux; j'ai été trop
mécontent d'eux pour ne pas le leur accorder avec plaisir,
Si je ne change pas plusieurs autres, c'est faute d'avoir des
personnes en état de commander les vaisseaux ; je vous
envoie la liste apostillée. Il est affreux d'avoir pu quatre
fois détruire l'escadre anglaise, et qu'elle existe toujours.
Le choix des officiers pour l'Indo est des plus essentiels
parce qu'on n'est pas à même de les changer. Je ne crois
pas avoir les talenls qu'il faudrait: je ne suis rassuré que
par la confiance que vous avez en moi. Mais, en vérité, si
ma mort ou ma santé faisait vaquer le commandement,
qui me remplacerait? M. d'Aymar? Vous le connaissez.
M. Peynier est brave, zélé, excellent pour un jour de
combat, mais je croirais la conduite d'une grande escadre
fort au-dessus de ses forces dans ce moment, n'ayunt
point encore été éprouvé dans cette partie. Je ne connstl
qu'une personne qui ait toutes les qualités qu'on peul
désirer; qui est trës-brave, très-instruit, plein d'ardeur
et de zèle, désintéressé, bon marin : c'est M. d'Alltcrt de
Rions, et fût-il en Amérique, envoyez-lui une frégate.
J'en vaudrai mieux l'ayant, car il m'aidera; et si je menrH,
vous serez assuré que le bien du service n'y perdra rien.
Si vous me l'aviez donné quand )e vous l'ai demandé, nom
serions maîtres de l'Inde. Je puis avoir fait des fautes; à
la guerre qui n'en fait pas, mais on ne pourra m'imputor
aucune de celles qui font perdre les affaires. »
Sur les quatorze vaisseaux dont se composait l'armée
française, le Vengeur, l'Ithtslre, VAjax et le H^rot étaient
les seuls qui fussent mis hors de cause. Le fîùarrv, VAn*
nibal, le Flamnnd, l'Artif^^ien, VOrietil, le -S'oml-.WiVfcW, le
LIVRE XIV. 441
Sévère^ le Brillant^ VHannibal et le Sphinx^ soit dix vais-
seaux, étaient signalés comme n'ayant pris aucune part
au combat. Le capitaine du Bizarre^ M. de la Landelle,
s^était, en toutes circonstances, conduit très-médiocre-
ment. M. de Tromelin, après avoir joué un rôle absolu-
ment nul, le 17 février, avait tenu convenablement son
poste, le 12 avril, et il s'était distingué le 6 juillet. VAr^
iésien, VOrient^ le Saint-Michel^ le Sévère y le Brillant^
VAnnibal et le Sphinx appartenaient au groupe qui s'était
séparé, dès le début de Faction, du centre de notre armée.
Rendus immobiles par le calme, ramenés sur le champ de
bataille par la brise du sud-est, au moment oii l'ennemi
s'éloignait, ces vaisseaux n'avaient obtenu d'autre résultat
que d'obliger VExeter à sortir de la ligne. Ces bâtiments
étaient commandés par MM. d'Aymar, de Saint-Félix, de
la Pallière, Kersauson, de Langle, de Galle et du Chilleau.
Le capitaine de vaisseau d'Aymar, arrivé depuis peu
dans l'Inde, était un offlcier très-honorablement connu.
Il avait été cité par le lieutenant général de Guichen
conmie s'étant particulièrement distingué dans un des
combats livrés dans les Antilles & l'amiral Rodney.
MM. de Saint- Félix, de la Pallière, du Chilleau et de
Galle étaient présents aux combats des 17 février, 12 avril
et 6 juillet. Nous avons vu par la correspondance de
SufTîren en quelle estime il tenait ces capitaines et le cas
qu'il faisait de leur bravoure. Le départ de MM. de Forbin,
de Maurville, Bouvet et de Cillart avait laissé vacants les
commandements de quatre vaisseaux. SufTren les avait
donnés à des lieutenants de vaisseau que la distinction
de leurs services désignait pour cet emploi. On ne pou-
vait admettre que ces officiers n'eussent pas apporté la plus
extrême bonne volonté dans l'exercice de leurs nouvelles
fonctions. Ce qui était vrai, c'est que MM. de Kersauson et
de Langle, les capitaines de V Artésien et du Sévère^ de
même que M. de Salvert qui commandait le Flamand^
n'avaient pas su se dégager des vaisseaux au milieu des-
quels ils étaient, et prendre un poste de combat, ainsi que
442 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
l'avait fait leur collègue, le lieutenant de vaisseau de
Beaumont, capitaine de l'-^jax. En résumé, dans le nombre
des orCciers qui ne s'étaient pas battus, il y avait des
hommes comme MM. d'Aymar, de Saint-Félix, de Galle
et de la Palliëre. Cela seul suffit pour montrer que ce
n'est pas dans les accusations de défection et de lAcheté
qu'il faut chercher la cause de l'inaction de la presque
totalité de notre armée. Nous nous permettons d'exprimer
le regret que des expressions aussi malheureuses et, nous
n'hésitons pas à le dire, aussi Injustes se soient trouvées
sous la plume de Sufîren.
Le 3 septembre, le commandant de l'escadre française,
impatient de combattre, arriva & portée de canon de
l'ennemi avec une armée qui n'était pas encore parvenue
A se former. 11 alla au feu avec une impétuosité d'autant
moins explicable que lui-môme se plaignait du peu de
capacité de la plupart de ses capitaines. Or, ce jour-là, il
leur demanda ce qu'un amiral est seulement en droit
d'attendre des officiers les plus habiles, commandant des
vaisseaux excellents. La fortune, qui en toutes choses
prend sa part, quand on ne la lui fait pas, se déclara
contre nous. Ce fut d'abord la brise extrêmement fraîche
qui gêna la manœu\Te de nos vaisseaux, puis le calme
qui, les ayant surpris hors de leurs postes, les retint U où
ils étaient. Telle fut certainement, h en juger par sa con-
duite, ainsi que nous le verrons plus loin, la manière de
voir de SufFren sur le combat du 3 septembre, lorsque le
temps eutadouci les regrets que l'insuccès de cette journée
lui avait fait éprouver. MM. de Tromelin, de la Laodelle,
de Galle, de Saint-Félix, qui avaient demandé à quitter
leurs vaisseaux, partirent, le 14 septembre, pour l'Ile de
France'.
Un a dit que les drisses de pavillon du Héros ayant élè
1 . Le «lépart df HM. do Tromelin, de la Landeltc, de Cklie »t de Sciât*
Fi^lU cft iiioalionné ainsi qu'il suit dans le Journal du majoi' dt T*»-
euiln : . M, de Tronioliii a deniandû A quitter «on vai&iicBU pour \aijiiBr k
LIVRE XIV. 443
coupées pendant le combat[du 3 septembre, Suffren, trans-
porté d'indignation à la pensée qu'on pût croire son
vaisseau amené, s'était écrié : « Des pavillons blancs,
qu'on couvre mon vaisseau de pavillons. » Nous n'avons
trouvé, soit dans la correspondance de Suffren, soit dans
le journal du major de l'escadre, aucune trace de cet in-
cident. C'est pourquoi nous nous sommes abstenu de le
rapporter. Nous pensons n'avoir fait aucun tort à la
mémoire de Suffren. Sa conduite héroïque, que nous
avons fldëlement retracée, reste au-dessus des paroles les
plus éloquentes.
Suffren apprit, pendant son séjour à Trinquemalay,
que l'ordre de Malte lui avait conféré le titre de bailli.
III
Quelques jours après notre arrivée à Trinquemalay, on
apprit la mort du général Duchemin. Son successeur, le
colonel d'Hoffelize, écrivait que le corps français, diminué
par les maladies, était hors d'étal de tenir la campagne.
Il prêtait au général sir Eyre Coot, qui disposait de forces
considérables, l'intention de l'assiéger dans Goudelour.
Le pays était tellement dévasté que le nabab, arrêté par
le manque de vivres et de fourrages, ne pouvait que dif-
ficilement venir à son secours. Les Anglais, momenta-
nément maîtres de la mer, tiraient leurs approvisionne-
ments de Madras. Ces nouvelles étaient d'autant plus
inquiétantes que l'escadre était dans l'impossibilité de
sortir de Trinquemalay avant d'avoir été réparée. Suffren
eut encore une fois recours aux moyens qu'il avait em-
ployés, après le combat du 6 juillet. Le Bizarre donna
son grand mât au vaisseau Vlllustre, et il prit celui
868 affaires à Tlle de France^ et retourner en Europe. MM. de Saint-Félix,
de la Landelle et de Galle^ trés-incommodés, ont demandé à quitter leurs
vaisseaux pour aller à l'Ile de France rétablir leur santé. »
444 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
d'une des frégates. Le Héros se lit un grand mit avec le
tronçon du sien et le mil de misaine de VOrtetit. Les
mâts de misaine et d'artimon de Vlllustre et du Héros,
qui étaient criblés par les boulets , furent consolidés
iV l'aide de fortes jumelles. Malgré les ressources que
la perte mallieureuse de l'Orient mettait ù sa disposition,
Suffren désarma la frégate de quarante canons la Con-
solante. Le matériel et le personnel de cette frégate
étaient nécessaires pour mettre les vaisseaux en état «le
naviguer. Les travaux furent poussés avec une très-
grande activité et l'escadre fit route pour Goudelour.
Le lendemain, un grand transport anglais, chassé par
nos frégates et sur le point d'être pris, s'échoua sous
toutes voiles près de Négapatam. L'officier envoyé à bord
de ce bâtiment, croyant qu'on ne parviendrait pas k le
renflouer, le livra aux flammes. Cette déterminatioo
priva l'escadre et la garnison de Goudelour de res-
sources tri-s-précieuses. Ce navire élait chargé de vivres
et de matériel de guerre'. En arrivant sur la rade
de Goudelour, le 4 octobre 1782, la fermeté d'àme do
commandeur fut soumise à une nouvelle épreuve. Le
Bizarre, occupant le dernier rang dans la ligne, devait
prendre son mouillage après tous les vaisseaux de l'e»
cadre. Le capitaine, voulant se placer à terre des bdli-
nients qui avaient déjA leur ancre au fond, s'approchi
trop près de la côte et son vaisseau toucha. Il reçut immé-
diatement les secours que réclamait sa position, mail
tous les efforts faits pour remettre le Biïnrrc à flot furent
inutiles. Ce vaisseau, qui était vieux et fatigué, se ctenir
quelques heures apr^s son échouage. On apprit qH
l'amiral anglais, au mépris du droit des gens, avait
envoyé le Sultan à Tranquebar, avec l'ordre de s'enipawf
I. L« général aurait déeiré qu'on l'eAl conservé, d'auUnl mieu
n'élsnt échoué <|ae deisui la vase, on l'eQt aisérarnt retiré; loul Ib
*'éUîl lauvé t torre. Ce bAiimenl, qui apparlennit I la Compagnie i
liide», parlait vin^t-qualre csponi et èlail doublé NI cuivre. (Journal
major de l'acadre.)
LIVRE XIV. 445
des bAtiments français et hollandais mouillés sur la rade.
Le cotre le Lézard^ qui était fort heureusement le seul
navire que nous eussions devant cette place, avait été
pris. Le corps français était dans une situation meilleure
qu'on aurait pu le croire, d'après les dépêches du colo-
nel d'Hoflelize. En apprenant le retour de l'amiral Hu-
ghes & Madras, sir Eyre Coot, convaincu que Suffren ne
tarderait pas à paraître, s'était éloigné de Goudelour.
Ainsi le combat du 2 septembre, malgré ses résultats
incomplets, avait dégagé nos troupes.
L'amiral Bickerton avait quitté l'Angleterre, le 6 fé-
vrier 1782, avec six vaisseaux et un convoi pour se rendre
dans l'Inde. L'un de ces vaisseaux, le Sceptre^ qui s'était
séparé de son escadre pendant un gros temps, avait
mouillé à Madras au commencement d'octobre. L'arrivée
de l'amiral Bickerton devait porter à dix- sept le nombre
des vaisseaux placés sous le commandement de l'amiral
Hughes. Depuis la perte de VOrient et du Bizarre^ nous
ne pouvions opposer à des forces aussi considérables que
douze vaisseaux. V Argonaute et le Fendant^ de soixante,
Y Alexandre et le Hardi armés en flûte, et plusieurs na-
vires de transport étaient partis de France, le 12 fé-
vrier 1 782, pour rallier le comte d'Orves. Ces bâtiments
avaient marché avec une extrême lenteur, par suite du
mauvais état à^V Alexandre, Ce vaisseau, qui faisait beau-
coup d'eau, avait été plusieurs fois en danger de couler.
Un peu avant l'arrivée au Cap de Bonne-Espérance, une
épidémie s'était déclarée & bord des bâtiments de cette
division. L'officier qui la commandait, le capitaine de vais-
seau de Peynier, avait expédié un aviso & l'He de France
afln d'informer M. de Bussy qu'il serait probablement
forcé de prolonger son séjour à False-Bay bien au delà
du temps nécessaire pour faire de l'eau et des vivres frais.
Le général attendait impatiemment les renforts que le
ministre lui avait annoncés. Déjà, il avait prévenu Suffren
qu'il ferait route au mois d'août pour la côte de Coro-
mandel, où il supposait qu'un second convoi, parti de
446 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
Brest ie21 avril 1782, le rejoindrait très-promiilemenl.tJr,
en même leinps qu'il recevait lea lettres de M, de Pejnier,
il apprenait la prise du Pégase et la dispersion des traos-
purts que ce vaisseau avait sous son escorte '. Convaincu
que ni hommes ni bâtiments n'arriveraient, en teui|is
utile, pour rallier le bailli avant l'hivernage, il lui écrivit
qu'il irait k Achem, aussitôt que la division Peynîer
serait à l'Ile de France. En se rendant au point indiqin'
par le général, Suliren cessait de couvrir avec son escadre
l'importante possession de Trinquemalay. D'autre pari,
si l'amiral Hughes, qui n'avait pas de port de refuge sur
la côlc, se décidait à passer à Achem la saison de l'hi-
vernage, la division du commandant Peynier et son convoi
eussent été compromis. Il était douteux qu'en restant
à Trinquemalay l'escadre IrouvAt les ressources néces-
saires pour subsister, tandis que, à Achem, elle avait la
certitude d'avoir des vivres. Là, l'escadre serait, au retour
de la belle saison, au vent de la côte de Coromandel, cl,
par conséquent, en position de se porter sur lel point que
M. de Bussy jugerait convenable. La garnison de Trio-
quemalay comptait six cent cinquante soldats de l'Ile de
France, cent cinquante chasseurs hollandais, cent artil-
leurs de terre et de mer, six cents cipayes et six cents 1
lais, soit deux mille cent hommes avec des vivres et deflj
munitions de guerre. Le gouverneur, M. Des Roys, se croyal
en complète sûreté avec les Torccs dont il disposait.Apri
avoir pesé ces diverses considérations, SulTren prit i
parti d'aller à Achem, et il fit route, le i5 octobre, pool
celle destination. Dans une lettre particulière, Suffi
écrivait en quittant Goudelour : « Les grands objets n
cessaires au succès de l'expédition, sont des généraux e
de l'argent; on ne saurait trop insister sur ces doux artt-l
des, le premier surtout. Il faudrait nous foire passer des J
I. C'éXail là le BMWod convoi aimuncé ptr le mlDuln dwia uiw I
que Sun>eii avait retne sur Is rado do Goudelour, aprt* le oombaldal
SjnUlel. *
LIVRE XIV. 447
mâts, des hommes de mer et beaucoup de fortes frégates;
pour cent cinquante lieues de côte où on peut établir des
croisières, cinq détroits à garder, j'ai, en tout, deux fré-
gates doublées en cuivre, la Fine et la Bellone^ de sorte
que le commerce anglais se fait tranquillement. Cette
année, j'ai bien fait du dommage pour six millions, je
n'en ai réalisé qu'un et demi. Il me faudrait six vais-
seaux de cinquante canons et douze frégates ; avec cela je
ferais six divisions qui ruineraient le commerce des
Anglais. Quand même nous n'aurions pas de grands succès
sur terre, le commerce de l'Inde détruit, les Anglais ne
feraient pas la guerre pendant longtemps. Les efforts que
l'on fait annoncent une volonté décidée de jouer un rôle
dans l'Inde. M. de Bussy décidera les opérations. Comme
je ne sais trop ce qu'il fera de l'escadre, puisqu'elle est
sous ses ordres, je ne puis dire ce qu'elle deviendra. Mais,
pour réussir, il faudrait qu'on nous envoyât des avisos en
droiture, très*souvent, pour nous instruire des secoursqui
sont destinés et des mouvements des Anglais; 2<> qu'on ne
comptât pas sur les vivres du Cap, que la relâche de
Palse-Bay ne fût que pour faire de Teau, se reposer; qu'on
y laissât les malades, que ceux qui passeraient prendraient
en laissant les leurs ; qu'on recommandât l'activité dont
on n'a plus d'idée. M. de la Bourdonnais partit en avril
de Lorient, fut à l'Ile de France le 14 août, y arma ses
vaisseaux en guerre, en partit le 21, et il était à la côte
le 28 septembre. Notre division est partie en février ; elle
n'est pas aux tles aujourd'hui 10 octobre.
«t'On devrait bien nous envoyer de bons vaisseaux doublés
en cuivre, et du cuivre pour doubler ceux qui ne le sont
pas, mais on n'en aura peut-être pas le temps. Cette an-
née va décider du sort de l'Inde. »
HISTOIRE DK LA MARINE FRANÇAISE.
IV
L'escadre Trançaise laissa tomber l'aocre devant Acbi'iii
le 2 novembre 1782, Nos vaisseaux entrcjirirent inimt.^
diatemeni les Iravaux qu'il était possible d'exécuter sur
une rade. La Bellone et la Fine furent expédiées dans les
divers comptoirs que les Hollandais possÉduienI dans le
détroit, avec la mission de rapporter des vivres et du
matériel. Alin de garantir l'armée contre toute surprise, un
bâtiment fut placé en -roisièreà l'ouest du mouillage.Sut-
fren espérait être rejoint trés-promptement par la division
Peynier. 11 supposait que le général de Bussy quillerail
Achem, avant la mousson de nord-est, pour se rendre
à. Goudelour où nos intérêts militaires exigeaient depuis
longtemps sa présence. Le 2li, un navire de commerce,
le Dwc-</e-C/ioWres, venant de l'Ile de France avec des
vivres et des munitions pour l'escadre, mouilla à Acbein,
après avoir touché successivement à Galles, i Trinque-
malay et à Goudelour. Le capitaine de ce bâtiment appor-
tait des nouvelles de l'amiral Hughes. Deux jours après
notre départ de Trinquemalay, un coup de vent d'une
extrême violence avait obligé les bâtiments mouillés ^ur
la rade de Madras de prendre le large. Le vaisseau le
Superb avait perdu son grand mât, son mât d'artimon |l
son petit mât de hune, et plusieurs vaisseaux s'éta
trouvés en danger de couler. L'escadre anglaise ayant é
portée dans le sud par les vents et les courants, l'a
avait jugé que le retour à Madras pré.scnlerait <log
diflicultûs, et il s'était dirigé sur Bombay.
L'épidémie, qui avait arrêté la division de M. de Peyaiec
sévissait encore parmi les équipages et les troupes <
barquées sur le convoi, it. de Bussy, qui était lui
même tombé malade, écrivait au bailli qu'il était dai
l'impossibilité d'indiquer d'uuo manière précise l'époqiM^
de son départ. Eiilin, on apprit par le Duc-tle-Chartm
UVUK XIV. 4/* 9
que sir Richard Bickerton, après avoir paru lour à tour
sur la côte du Malabar et sur la côte de Coromandel,
avait rallié Tamiral Hughes à Bombay*. Les retards con-
tinuels qu'éprouvait l'arrivée de nos renforts plaçaient
Tescadre dans une situation pleine de périls. Aussi long-
temps que SulTren n'opérerait pas sa jonction avec la
division de M. de Peynier, il aurait six vaisseaux de moins
que l'ennemi. D'autre part, si le nabab, trouvant notre al-
liance illusoire, faisait la paix avec les Anglais, quel se-
rait le sort réservé à la garnison de Goudelour? SulTren,
reconnaissant qu'il ne pouvait compter que sur lui-môme,
résolut de partir pour la côte de Coromandel aussitôt
que ses bâtiments seraient prêts. 11 expédia le Duc-dc"
Chartres à l'Ile de France afin d'informer M. de Bussy de
sa décision : » II serait trop affligeant, lui écrivit-il, de
réfléchir à ce que nous aurions pu, si la jonction avait eu
son effet, il ne faut s'occuper que de l'avenir. Je ne sais
vraiment comment faire prendre patience au nabab. Je
vais lui dire que vous viendrez bientôt, et je ne doute pas
que, sur la nouvelle que Trinquemalay est à nous, et sur
le retardement de votre départ et celui de l'aviso, vous
n'ayez pris le parti d'y aller. Je lui annoncerai ce parti
comme étant plus sûr pour notre réunion, mais devant
1. L'amiral Bickerton avait déployé une rare activité. Il avait quitté TAn-
glelerre le 6 février 1782. Arrivé, le 29 avril, à Rio-Janeiro, avec un grand
MOibre de malades, il en était reparti le 3 juin. Ne trouvant pas Tescadre
liae à Bombay, il était revenu à la côte de Coromandel, et il avait
devant Madrat^ quelques jours après le départ de l'amiral Hughes,
e'ert-à-dire au mois d'octobre. Il avait repris, saus perdre de temps, la
roale du sud, et il était retourné à Bombay. L'extrême rapidité des mouvc*
Meols de Tamiral anglais formait un contraste làcheux avec la lenteur
de la division Peynier, sans que, d'ailleurs, cet onicier eût rien à se repro*
cher. Le vaisseau VAlexandrej qui avait retardé sa marche, avait fait jus-
qu'à quarante-quatre pouces d'eau à liieure. Le Hardi était également en
mauvais état. Sufiren écrivait au ministre, à propos de ces deux bâti-
ments : » Je remarquerai qu'il est inconcevable qu'on fasse partir de
Brest pour l'Inde des vaisseaux dans l'état où étaient le Hardi et
V Alexandre. » En résumé, les vaisseaux de Bickerton étaient à Bombay
avant que les nôtres fussent à l'Ile de France. La division de M. de Peynier
était partie le 12 février.
29
^i50 HISTOIRE Dli LA MAiUNE FRANÇAISK.
relai-der notre arrivée à. la cAte. Ces pcliU 8ubVcrru[,'CS
sont si forl contre mon caractère que je crains bien de
m'y prendre gauchement. "
Les frégates lu Pourvoyeuse, la DeUone el la Fine re-
vinrent à Achem dans les prcuaiers jours de décembre.
Le Vcngcin; Taisant de l'eau d'une manière înc]uiètanle,
partit directement pour Trliiquenialay, où il devait Cire
nbuttu en carÈne, sous l'escorte de la Pourvoyeuse. Le
20 décembre, SulTren flt roule pour la cûte d'Orîxa, lais-
sant à Achem la FoHu>u\ Le capitaine 6e cette corvette
étuil chargé de diriger sur Trinquemalay plusieurs
navires hollandais attendus de Malacca avec des approvi-
ttionnemcnts. Suffrcn, ayant acquis la certitude (|ue l'ami-
ral Hughes était parti pour Bombay, n'avait pas & m
préoccuper de l'escadre anglaise. Il se proposait d'atlcrrif
dans le nord de Madras, et de se rendre k Goudelouren
suivant la cAte de ti-ës-prèiî. 11 espérait faire asseis de
prises pour fournir du riz en abondance & noii b&timenU
et aux troupes. VHannibal et la Bellonc furent envoj^s
en croisière sur les brasser du Gange, oii, selon toute
apparence, ces deux bâtiments devaient faire beaucoup
de mal au commerce de l'ennemi •-
1. ■ M. du BuBsy m'nvail assurt^, dnna trois IcUrei, qu'il irait il IHm»
Il ne u'ordoonail pa» de vcuîr, mais cula lue sunisail. iv vuuUis, par k.
U meltre k inftmu, on raisant sa réunion au vent, d'aUaquer le poinl deh
cMc qu'il vaudrait. J'espiSraisy Iruuvcr cli;« uiDjeusde «ulMJttance. L>f>
demie qu'a «prouvée la dîvivion de M. pL'uiier a cnipi^li» vHtc rïw
qui SB ïornil faile, ft Achem, liiou traminillRmenl. VoilA niainUaaiil
Aii^lRis avec ilix-boil vojueaui, dont iIkuio douHi^ en cuitre. twié
ilim>:e, •lanl iik wuknienl doubléa, et |ilii?ieurK ea mauvais ûlal. J*
rtUMi- (iviliT leM Anglais ; d'autri: (mrl, «ViifurnuT dauH Trrnijuniiialav, i
muurl lie rniiii. • (Etirait d'une teUre renie \mt SufFron au iiiini!.lii-^ ■
le dé|>Brl Ac outre «cadre pour la cùtc d'Urixu.}
1
LIVRE XV
L'escadre française atlerrit devant Ganjam, sur la côte d'Orixa. — Frise de
la frégate le Cowenlnj, — Mort d'Uyder-Ali. — SulTren se rend à liou-
delour et à Trinquemalay. — Arrivée du lieutenant général de Dussy. —
L'escadre porte le général et ses troupes à Goudelour. — L'amiral
Hughes, venant de Bombay, arrive sur la côte de Coromandel avec dix-
huit vaisseaux. — Quinze vaisseaux français sortent de Trinquemalay
pour secourir Goudelour. — Combat du 20 juin. — Avantage remporté
sur les Anglais. — Accueil enthousiaste fait à Suffren par les tioupes
du général de Bussy. — On apprend à Madras que les articles prélimi-
naires de paix ont été signés entre la France, PEspagnc, TAngletcrre et
les États-Unis. — Les hostilités sont suspendues dans l'Inde, sur terre
et sur mer, à partir du 8 juillet 1783.
I
L'escadre française mouilla, le 8 janvier, devant Gan-
jam, sur la côte d*Orixa. Plusieurs bâtiments, chargés de
riz à destination de Madras, furent capturés. Les navires
qui n'étaient pas en état de nous suivre furent brûlés,
après que leur chargement eut été réparti sur les vais-
1. seaux. Le 10, au point du jour, les vigies aperçurent un
l bâtiment mouillé à deux milles dans le sud-est de l'es-
I cadre. Les ofBciers du Uéi^os crurent d'abord que c'était
e la Fine^ mais, après un examen plus attentif, ils reconnu-
rent une frégate anglaise. L'ordre fut immédiatement
donné au Saint -Michel et au Sphinx de mettre sous
voiles. Avant que nos vaisseaux eussent appareillé, la
frégate avait pris chasse en se couvrant de toile. Le
Sphinx et le Saint-Michel, l'ayant inutilement poursuivie
pendant une partie de la journée, rallièrent l'escadre
dans la soirée. Une frégate ennemie, en croisière dans le
Br.
452 HISTOIRE DE LA MARINE F«-VNi;AISE.
golfe du Bengale, fut prise, le lendemaJa, dans des cir-
cooslanœs qu'il est utile de rapporter, afin de montrer
avec quelle circonspection il convient, en temps de
ffuerrc, de s'approcher des bdliments iucouDus. Le
U janvier, un peu avant le coucher du soleil, nos vigies
eignalÈrentdeux bitiments à grande dislance dansicsud-
sud-ouest. Vers dix heures, on aperçut l'un d'eux Taisant
ruule vers le mouillage avec une légère brise du large.
Le temps était clair, et, dans ce navire, on ne larda pasi
reconnaître une frégate anglaise. Tandis que le Héros se
disposait à appareiller, tous les bAtiuients de l'cscudrc se
tenaient prêts Couvrir le feu sur le hdtiment en vue,
aussitôt que celui-ci serait à leur portée. A onze heure»
et demie, VAjax, VUliintre et le Brillant commencèreul i
tirer sur la frégate anglaise. Celle-ci, après avoir tentédi
fuir, ce que la faiblesse de la brise ne lui permît p
amena son pavillon. La frégate qui venait de tombcd
aussi facilement entre nos mains, était le Cowentry,\
tant vingt-huit canons. Quelques jours auparavant, t
biltîment de la Compagnie des Indes avait été chassé {HT J
la Fine. Le capilaine, ignorant qu'il y eût des navires 4lj
guerre français dans le golfe, avait pris la frégate {
un corsaire. Ayant communiqué avec le Gowentry, le 1
janvier, il lui avait fait part de cette rencontre, ajouta
que le navire suspect avait fait route pour GanjaiD,
après avoir levé la chasse. Le commandant du Cowentry,
le capitaine Wolscley, s'était dirigé en toute hàtc sur
ce point, avec la crainte d'arriver trop lard pour sauver
de la destruction une llotte marchande qu'il savait tin
sur cette rade. En ai>ercevant les hautes mdturcs de
nos vaisseaux, il crut être en vue des navires qu'il vou-
lait protéger. A petite distance du mouillage, où il n'ar-
rivait que très-lentement par suite de la faiblesse de Is
brise, il envoya un canot avec un officier à bord du biti-
ment le plus rapproché, afm d'avoir quchpics iiifornw-
lions sur le prétendu corsaire. Le canot ayant été Wlc
cil «njilais par I'-I^hj-, l'officier du Coivenlry était mont*
LIVRE XV. 453
sans hésitation à bord de ce vaisseau, où lui et ses hom-
mes avaient été faits prisonniers*. Lorsque le Cowenlry
avait quitté Madras, le bruit courait que notre fidèle allié,
le nabab Hyder-Ali, était mort le 7 décembre 1782, après
une courte maladie. Suffren, renonçant aux expéditions
qu'il se proposait de faire sur la côte, fil immédiatement
route pour Goudelour où il mouilla le 6 février. La nou-
velle annoncée par la frégate anglaise n'était que trop
vraie. L'adversaire le plus redoutable de la puissance
britannique dans l'Inde n'était plus de ce monde. Au
moment où cet événement s'était produit, Tippo-Saïb,
son fils aîné et son héritier, combattait les Anglais à la
côte de Malabar. La transmission régulière des pouvoirs
était, à cette époque, un fait rare dans ce pays. Il y avait
lieu de craindre que les trésors et les possessions du sul-
tan décédé ne devinssent la proie des gouverneurs de pro-
vince, des nations voisines du nouveau royaume de Mysore
et des Anglais. L'armée indienne eût été dispersée et le
corps français serait resté sans appui. Le colonel d'HolTe-
lize, appréciant sagement la situation, s'était porté au
camp d'Hyder-Ali avec ses troupes, prêt à soutenir par
les armes la cause de Typpo-Saïb. Les principaux chefs
de l'armée, dévoués à Hyder-Ali, s'étaient hâtés de faire
parvenir à son fils aîné la nouvelle de celte mort qu*il^^
avaient tenue secrète le plus longtemps possible. Quel-
ques officiers, soupçonnés d'entretenir des intelligences
avec les agents de la compagnie anglaise, avaient été
emprisonnés. Les troupes britanniques, dont la présence
eut peut-être suffi pour meltre l'armée indienne en fuite,
1. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que le général ayant onvoyi^
un canot à bord de V Illustre j le patron, étant seul, avait été droit i\ la fré-
gate anglaise. Mais on était si persuadé de l'existence du corsaire qu'on les
avait pris pour des matelots de ce bâtiment, et leur parlant ironiquement,
les regardant déjà comme une proie assurée, on les avait envoyés à Tcntrc-
pont. Au premier coup de canon, on les avait fait monter et on leur avait
demandé quels étaient les bâtiments mouillés. On peut juger de leur sur-
prise lorsqu'ils apprirent que c'était M. de Suffren. [Journal du major lU:
Veêccuire,)
454 HISTOIRE DE LA MARINE FIUNÇAISE.
relenues à Madras par le manque de vivres, oe s'étaîonl
pas montrées. Tippo-Saîb, arrivé au camp le 27 décembre
avait pris, sans trouver aucune résistance, le commande
ment de l'armée.
Les généraux anglais qui opéraient à la câfe de Mala-
bar avaient été Iri'S-promplement instruits du brusque
départ du (ils d'Hyder-Ali. Ils avaient marché en avant, et
ils s'étaient emparés sans coup férir de plusieurs places
très-importantes. Hyder-Nagur, résidence fovorile d'Hy-
dcr-Ali, dans laquelle se trouvait une partie de ses Ir^
sors, avait été livrée aux Anglais par le gouverneur.
Lorsque ces nouvelles arrivèrent à la côte de Coromsn-
del, Tippo-Snïb résolut d'abandonner le Carnatic pour se
porter au secours de ses États. M. Pivron de Morlal lit de
vains eJTorts pour obtenir qu'il attendit, avant de s'éloi-
gner, l'arrivée de M. de Bussy, A ce moment, disait notre
envoyé, on prendrait dans notre ormée un détacfiemenl
qui se joindrait aux troupes mysoréennes pour aller, sur
l'autre côte, combattre les Anglais. L'intervention de Suf-
Tren, qui écrivit directement au sultan, fut couronnée de
succès, Tippo-Saïb promit de rester sur la côte de Conv
mandel.
Aprts quelques jours passés à Porto-Novo, SulTren fd
roule |)our Trinqiiemalay, laissant le >iainl-M!chfl cl le
Cowenlry en croisière devant Madras. Il avait hAte de
réparer ses biltiments et de faire des vivres, afin d'être en
état de tenir la mer aussitôt que l'escadre angluitii*
paraîtrait sur la cdte. Il eut !a satisfaction de trouver
sur la rade de Trînquemalay, oii il mouilla le S3 février
1783, deux bâtiments hollandais avec dos munitions et
des vivres, des prises faîles par VJlannibal et la BnHone, et
la Furtitude, venant du Pégou, avec un chargement com-
plet de bois de construction.
Ce fui seulement 4 cette époque que Suffren apprit sa
nominalîon au grade de chef d'escadre. Celle récom-
pense lui avait été décernée immédiatement après l'arrî-
\ée, h Paris, ilr non rapport sur le cotnbnl de la l'rnya.
LIVRE XV. 455
Dans une lettre, portant la date du 17 avril 1782, le ma-
réchal de Castries écrivait au bailli. « En vous faisant
chef d'escadre, le Roi a compté que vous ne mettriez plus
de terme à votre retour, et que vous combattriez les
ennemis dans l'Inde, jusqu'à ce qu'ils fussent obligés de
désirer une paix raisonnable. J'espère que vous ne trom-
perez pas son attente. Je ne puis vous exprimer. Mon-
sieur, le degré de confiance que votre conduite a donné
de votre audace et de vos talents. J'espère que vous em-
ploierez l'un et l'autre en second comme en premier. »
Le ministre terminait une autre lettre, portant la date du
20 juillet 1785, par les lignes suivantes : « Vous avez
déjà acquis le grade de chef d'escadre par une action, je
voudrais bien qu'une seconde action aussi décisive que
la première me mit dans le cas de vous faire faire un
pas. Je vous prie de compter sur le désir que j'ai de con-
tribuer à l'emploi de vos talents. »
Le ministre attachait le plus grand intérêt à ce que le
comte d'Orves, dont il ignorait la mort au moment où il
écrivait ces dépêches, conservât auprès de lui un lieute-
nant tel que SufTren. On se rappelle que ce dernier,
blessé par les procédés de son chef, à l'arrivée de sa divi-
sion à rile de France, en octobre 1781, avait prié le ma-
réchal de Castries de le rappeler en Europe. Depuis qu'il
était à la tête de l'escadre, le bailli ne redoutait rien tant
que d'obtenir cette faveur*. Les lettres du maréchal le
rassurèrent complètement sur ce point. Suffren était
sans nouvelles de M. de Bussy. La corvette la Fortune,
1. « Le débarquement d'une armée, rapprovisionnement et la conduite
d*une escadre donnent beaucoup d'occupation. Depuis le combat du 17 fé-
vrier, les Anglais n'ont plus reparu. Notre débarquement s'est fait le plus
tranquillement. Me voici en mer ; je désire bien pouvoir vous donner
de bonnes nouvelles, mais il faut pour cela trouver les Anglais et les battre.
Je suis dans une superbe position, commandant douze vaisseaux de ligne j
mais il y a beaucoup de mais... Je crains, à présent, que M. le marquis
de Castries ne m'accorde la grâce que je lui ai demandée de me faire re-
venir, car nulle part je ne pourrais être employé d'une façon aussi bril-
lante. »
456 HISTOIBB DF. I,A MABINK FftANÇATSE.
qu'il avail laissée h Aciiem arriva le ïl ftivrier. Pendanl
sa croisière, elle n'avait vu aucun navire venant de l'Ile
de France. SiilTren craignant que le nabab ne s'rloî-
gnût, envoya M. de Moissac en mission auprès de
lui pour l'enRager à rester sur la côte de Coro-
niandel.
Le i mars, VHannibal et la Bellone rallièrent l'escadre,
après avoir fait de nombreuses prises. Le Sau-Carlox
n'avait échappé à leur poursuite qu'en jetant ses canon»
à la nier, et en s'écliouant sur les bancs de l'enlrée dit
Gange. Le Saint-Michel et le Cowentry, qui rentrèrent
quelques jours après, avaient capturé ou détruit dou7«
b&timents de commerce. Le 9, la frégate la ClèoinUre, les
vaisseaux le Fendant, sur lequel le lieutenant général île
Bussy avait pris passage, \' A rgunaulCj le Hardi et trente-
cinq b&timents de transport mouillèrent sur la rade. Le
convoi portait des viitres, des munitions et deux mille
cinq cents soldats. Le vaisseau Y Alexandre devait rallier
très-prochainement l'armée. La situation de nos alTaîres,
au moment où le nouveau commandant en chef arrivait
A son poste, était loin d'être satisfaisante. Les forces an-
glaises qui opéraient à la côte de MalalHir avaient fait des
progrès très-rapides. Elle.s s'étaient emparées du port da .
Mangalore qui abritait la marine créée par Hyder-AIL
Tippo-Saïb, fatigué d'attendre M. de Bufley, s'élait jKirté à
marches forcées au secours de ses États. Le colonel '
d'Hoffelize avait consenti, sur ses vives instances, h lui
donner un bataillon d'infanterie et une compagnie û'ar- I
tillerie placés sous les ordres du lieutenant-colonel Cos- J
signy. Les Français, trop aiïaiblis pour tenir la cam-J
pagne, étaient rentrés dans Goudelour. Telles étaient leS'J
l'onséquences des retards apporté.s par le général i
départ de In division Peynier.
L'épidémie qui avait sévi sur les équipages et les trouai
pes passagères avait cessé au commencement de no- f
vembre. Si le général était parti immédiatomenl, il i
serait arrivé, dans le mois de janvier 1 783, sur la cAlo d
LIVRE XV. 457
Ck)roinan(leI. Nos troupes, réunies à celles du nabab, eus-
sent été en position de mettre le siège devant Madras.
Nous aurions eu, sinon la certitude, du moins des chances
très- sérieuses de nous emparer de cette ville, avant que
l'escadre anglaise ne parût. Les succès obtenus dans le
Garnatic eussent compensé les pertes faites par Tippo-
Saîb à la côte de Malabar. Ayant pris la fâcheuse déter-
mination d'atlendre que le Hardi fût réparé, M. deBussy
n'avait quitté l'Ile de France que le 26 décembre 1782. Le
général n'était pas dans un état de santé |qui lui permît
d'exercer son commandement. Non-seulement il ne mon-
tait pas à cheval, mais la fatigue du palanquin était au-
dessus de ses forces. Parmi les officiers de son entourage,
il n'y en avait pas un qui, dans l'opinion de SufTren, eût
la capacité nécessaire pour le remplacer. S'il était urgent
de porter le corps expéditionnaire à Goudelour, d'autre
part l'exécution de cette mesure présentait de grandes
difncultés. Le temps avait marché, et nous pouvions,
chaque jour, recevoir la nouvelle que l'amiral Hughes
était sur la côte avec dix-sept vaisseaux. SufTren, obligé
de laisser à Trinquemalay le Brillant et le Vengeur, qui
étaient abattus en carène, ne disposait que de treize vais-
seaux. Il résolut de prendre la mer avec les bâtiments
doublés en cuivre, et quelques navires de commerce mar-
chant bien. Le bailli se proposait de transporter les trou-
pes et une partie du matériel d'artillerie. On aurait attendu
une circonstance favorable pour expédier les vivres et les
bagages de l'armée. Il y avait lieu de croire que l'opéra-
tion, ainsi faite, serait terminée avant l'arrivée de l'amiral
Htighes. Si l'escadre anglaise apparaissait, SufTren ne
doutait pas qu'il ne réussit à l'éviter. Le 14 mars, le
Héros, le Fendant et V Argonaute de soixante-quatorze, le
Sphinx et V Artésien, de soixante-quatre, le Saint-Miche!
de soixante, YHannibal, de cinquante, les frégates la
Cléopâtre^ la Fine, la Bellone, de trente-deux, le Cowen-
try,de vingt-huit, \sl Fortune, de dix-huit, quittèrent Trin-
quemalay. Le 16, au coucher du soleil, l'escadre laissa
458 HlSTOIllE DE LA M.YIUNE FRANÇAISE,
tomber l'ancre dcvunl Porto-Novo. Les Iroupes furent
mises A lerre pendant la nuit, et, le lendemain 17, SuF*
fren se rendit & Goudeloiir, où il débarqua le matériel et
les mimilions'. Le 4 avril, après quelques jours passés II
Porto-Novo pour faire de l'eau , SulTren reprit la mer,
laissant en croisière, devant Madras, le Fetulaiil, leS/iin|^
Michel et la CléopiUrc. Il espt'rait que celte division înl»-
ceplerail un convoi venant d'Europe, sous l'escorte dit
vaisseau de cinquante canons le Brhlol. Le 10 avril, U
l'entrait à Trinquemalay, lorsque la frégate la Dellunt
signala Tescadrc anglaise dans le sud. Nous avions apprii
que l'amiral Hughe» amenait sur ses vaisseaux des lrou]i
destinées ù. se joindre auv forces britanniques dans le
Tanjaour. En admettant l'exactitude de celte nouvelle,
M. de Bussy devait avant peu éti'c cerné au sud pai' Il
pclilc armée du Tanjaour, et an nord par les soldais de
sir Eyre Coot. Enrm , il y avait lieu de croire que les
communications de Goudelour avec Trinquemalay seraient
coupées par l'escadre anglaise. « Yu cette position e^
frayante, écrivait SulFren au ministre, le 1 1 avril, il est ni»
cessairequeje sorte dès que M, de Pey nier m'aura rejoint
Je désarmerai les frégates, je prendrai les équipages des
transports et je tenterai le sort des combats. Comme j0
ne puis pas partir avant vingt jours, la mousson sen
renversée, et je puis espérer de combattre au venL i*
désirerais bien, mais Je n'ose m'en natter, que les secours
partis en octobre fussent arrivés à cette époque. ■>
mirai Huglies ayant appris, le 11 avril, par un bàtimeni
neutre, que nous avions des bâtiments en croisière sur Is-
c()te, liàta sa marche dans l'espérance de les intercepte^.,
Arrivé h Madras sans les avoir vus, il détacha quatltf
vaisseaux et une frégate à leur poursuite. Après avoir,
1. ■ [>onné l'ordre de Jclnrqoer Je» troupes pendant la Duil arec \rs *iirM>'
iii'ceusiiireii. M. de Bu«ï) doit se rendra ■ Goudetoiir en pat&nqum, ci
Turt incommodii de [a giiulle, n'ajnnt point itu tout ruuig<? de fcs maii
<lél>an|uerBil difficiletncnl d'une clieliiigue , kl>iiI liAtiment qni puïti
rendre à tioudelour. ■ [.lo'irn'it du major de l'acadre.)
LIVRE XV. 459
couru pendant quelques jours dans la direction de Trin-
quemalay, ladivision anglaise revint au mouillage, accom-
pagnant le Bristol qu'elle avait rencontré à la mer. Suflfren
expédia la corvette la Naïade pour prévenir M. de Bussy
de la présence de l'escadre anglaise et rappeler les bâti-
ments qui étaient devant Madras. La mission confiée à
cette corvette avait d'autant moins de chances de succès,
que celle-ci marchait fort mal. Le bailli, voulant proba-
blement compenser les défauts du navire par la valeur
du capitaine, avait désigné M. de Villaret-Joyeuse, capi-
taine de la BellonCy pour la commander. Cet officier était
passé sur son nouveau bâtiment quelques heures avant
d'appareiller. Le Saint-Michel, le Fendant et la Cléopâtre
rentrèrent, le 20 avril, sans avoir aperçu Tennemi. Quant
à la Naïade, elle fut prise par le vaisseau de soixante-
quatorze, \q Sceptre, après un très-beau combat*. Suffren,
1. Ce fut Texprcssion dont se servit SufTren en rendant compte au ministre
de la prise de la Naïade par le Sceptre. Nous joignons ici le rapport que le
capitaine Villaret-Joyeuse adressa de Madras au général de Bussy : « Le
14; j*ai eu connaissance, au point du jour, d'un gros vaisseau croisant entre
Goudelour et Porto-Novo. Ne doutant pas que ce bâtiment ne fût ennemi, je
pris le large sur-le-champ pour ne pas compromettre ma mission. J'étais
au moins à trois lieues au vent du vaisseau, que je reconnus pour le Sceptre
qui avait déjà chassé la Bellone plusieurs fois. Ma corvette ne marchait pas,
mais Pcnnemi marchait très-bien, et il fut à môme de me conserver dans la
nuit. Dès dix heures du soir, il commença à me canonner, et, vers les onze
heures, il me héla et m'annonça sa force pour m'engager à ne pas faire de
résistance. Je lui envoyai ma bordée pour toute réponse, et, dès ce moment,
commença le combat le plus inégal et le plus opiniâtre. Je lui envoyai de
mille à douze cents boulets pendant notre engagement qui a duré cinq
heures, dont trois heures et demie vergue à vergue. Mes mâts de hune ayant
été enfin coupés, ainsi que mon gouvernail, sept pièces démontées, mes
bas-mâts percés d*outre en outre, prêts à tomber, et trente-quatre hommes
hors de combat, j'ai été enfin obligé, mon général, pour sauver le reste des
braves gens qui m'étaient confiés, de céder à la force. Le grand mât de mon
ennemi a été offensé, son grand mât de hune cassé, une pièce de sa première
baUerie démontée et les sept servants tués ou blessés. Il a eu vingt-deux
hommes hors de combat et deux officiers. J'ai eu le bonheur de n'en perdre
aucun, et ils se sont si supérieurement comportés que je ne ferai mention
que de mon second, M. le chevalier de Saint-Georges, qui est resté seul sur
le gaillard d'avanL J'ai été conduit à la remorque devant Madras. J'ai reçu
Taccueil le plus flatteur de la part des officiers de terre et de mer qui regar-
daient mon combat comme un phénomène. »
HISTOIRE DE LA MAIUNE FHANC.AISE.
ne recevant aucune nouvelle de la rftie, fit partir le Co-
wenlry pour Goudelour. Cette frégate apporta, le 13 mai,
des lettres du général prescrivant à SufTren d'apparoillcr
avec toute l'escadre pour lui porter des vivres et des mu-
nitions. Nos vaisseaux n'ayant pas achevé leurs répara-
tions, Suffren ne pouvait pas exécuter cet ordre. D'autre
part, il efit été très-imprudent de tenter le ravilailleiuent
lie Ooudelour avec une partie de nos forces. Le 24 mai,
l'escadre anglaise, forte de dix-sept vaisseaux, fut a)>erçu(>
au large de Trinquemalay faisant route vers le sud. Li-
Cowenlry, expédié pour observer ses mouvements, renlrn
après l'avoir suivie jusqu'à la hauteur de Batacalo. Suf-
fren se demanda quels pouvaient être les projets de l'ami-
ral Huglies. S'était-il placé dans le sud de Trinquemalay
pour intercepter les bâtiments français venant de l'Ile de
France, ou pour assurer l'arrivée d'un convoi attendu
d'Angleterre? Voulait-il , en laissant la route du nord
libre, nous engager à la prendre avec l'intention de «
porter sur Trinquemalay, dès que nous nous serions éloi-
gnés? Cette supposition était lu plus plausible, mais Suf-
fren n'était pas homme A se laisser prendre à un pareil
piège. L'existence de notre escadre dans les mers de l'Inde
était liée à la possession de Trinquemalay. Comment au-
rions-nous fait, si, après tant de combats, nous n'avions
pas eu ce port pour caréner le Brillant et le Vettgmir, et
faire subir à plusieurs vaisseaux des réparalions qu'il eût
élé impossible d'exécuter sur la câte. Les bâtiments ova-
rlés, ou plutôt l'escadre tout entière, eAt été depuis lonj^*
temps obligée de retournera l'Ile de France. Quoique tout 1
nos vaisseaux fussent, à la date du 36 mai, en étal de' 1
prendre la mer, le bailli résolut, malgré les instructioMl
contraires de H. de Bussy, de rester au mouillage. Il fi
partir pour Pioudelour deux transports avec desvivreaet di
rurtillerie,sous l'escorte du Fendant, dehiCléapâlreeiàM,Ë
Cou'putry. Il pensait, ce qui était exact, que le dix-huUièni
vaisseau anglais, ie Bristol, était resté en croisière daii*J
le nord. L'escadre anglaise reparut, le 31 mai, et, ce jouiwl
LIVRE XV. 461
là, elle vint très-près de l'entrée de Trinquemalay. Suffren,
croyant que l'amiral Hughes avait l'intention de nous
attaquer, signala à l'escadre, mouillée en ligne dans la
baie du large, de s'embosser et de se préparer au combat.
L'ennemi s'éloigna, et nos vigies le perdirent de vue fai-
sant route dans le nord. Le lendemain, le bailli, préoccupé
des dangers que couraient les bâtiments partis pour Gou-
delour, expédia une embarcation, le long de la côte, pour
les aviser de la présence de l'ennemi, et leur recommander
de naviguer très-près de terre. Cette division se trouvait,
le 3 juin, à petite distance de Trinquemalay, lorsque la
frégate qui marchait en avant eut connaissance de l'es-
cadre anglaise. M. de Peynier signala aux deux trans-
ports de prendre la bordée de terre. Quant à lui, il courut
au nord-nord -ouest avec les deux frégates, entraînant
l'ennemi à sa suite. II fit une fausse route pendant la
nuit, et, lorsque le jour se fit, il ne vit plus un seul des
bâtiments qui le poursuivaient. Le commandant de Pey-
nier rentra, le 10 juin, à Trinquemalay, où les deux trans-
ports étaient arrivés depuis trois jours. Les nouvelles
que cet officier apportait de l'armée étaient très-alar-
mantes. Nos troupes occupaient encore quelques positions
en dehors de Goudelour, mais il était facile de prévoir
qu'elles seraient très-prochainement contraintes de se
renfermer dans la place. Le général Stuart, dont les
forces étaient déjà supérieures aux nôtres , attendait de
Madras des renforts considérables. Tippo-Saïb avait
repris Hyder Nagur et infligé au général Mathews un
échec d'une extrême gravité. Néanmoins, il devait s'é-
couler un temps assez long avant qu'il fût en mesure
de se porter sur la côte de Coromandel. M. de Bussy,
revenant sur Tordre qu'il avait donné précédemment,
écrivit à SuflTren par le Cowentry de ne pas sortir de
Trinquemalay, « excepte dans le cas où, forcé dans ses
retranchements, il serait obligé de se renfermer dans
Goudelour, et celui où l'escadre anglaise le bloquerait ».
Les instructions du général n'étaient pas suffisamment
462 HISTOIRE DE LA MAHINE fRANÇAISn.
claires, et, en les recevant, tout sutre que SulTn.'ii eiil ùlù
livré à de grandes perplexités. Comnienl potivait-il être
informé du moment précis oîi nos troupes, forcî'es dans
leurs retranchements , rentreraient dans i^o\idelour.
D'autre part, en restant à Trinquemalay, il Olait dillicile
de connaître les mouvements de l'escadre anglaise et de
savoir si elle bloquait la ville. Celte dernière éventualité
n'était pas douteuse, et il était surprenant que M. de
Bussy en eAt parlé d'une manière hypothétique. Il n'y
avait pas lieu de douter que l'amiral Hughes n'appor-
tât son concours aux opérations des troupes brilaniii-
ques. Le général de Bussy avail-il voulu, en donnant
des ordres ambigus, laisser à SulTrcn la responsabilité
de la sortie de noire escadre et des événements qui en
seraient la conséquence? Lorsqu'il eut pris connaissance
des dépêches de M. de Bussy, le bailli appela les capitaines
à son bord. Après avoir exposé la situation de nos trou
pes, il les consulta sur la conduite que la marine devait
tenir. Tous furent d'avis de tenter le sort des armes pour
secourir Goudelour. Le lendemain, Il mai, l'escadre frao-
raise, forte de quinze vaisseaux et de trois frégatos, prit
la mer. L'amiral Hughes avait trois vaisseaux, dont un
de quatre-vingts, de plus que les Français. A rexccptioK
du Bristol, arrivé récemment d'Euro))e, tous les bdtimcatt
anglais avaient passé la saison de l'hivernage àKomliay^!
où ils avaient trouvé toutes les ressources que peut ofliir
un arsenal bien approvisionné. Cette escadre, dont prêt*
que tous tes bdliments étaient doublés en cuivre, av«î|
des qualités de marche et d'évolutions qui faisaienl con^
plétement défaut A la nâirc. La jdupartde nos vaisscatu^
dont huit seulement étaient doublés en cuivre, a'uvaieol'
pas été carénés depuis quatre ou cinq ans. Quelques-uiUn;
notamment le .Sninl-jtfie/iei et ['Illustre, faisaienl beaucoup
d'eau. Notre situation, sous le rapport du personnel, n'é»
tait pas plus satisfaisante. Depuis le départ de l'Ile dt'
Franco, le 7 décembre 1781 , nous n'avions pas re(;n til'
seul matelot pour compléter les vides existant dans la.
LIVRE XV. 463
équipages. Malgré la perte de VOrimt et du Bizarre et le
désarmement de tous les transports et de plusieurs fré-
gates, il n'y avait pas un seul vaisseau qui eût plus des
trois quarts de son effectif réglementaire. Nous devons
ajouter que les soldats et les cipayes entraient pour la
moitié dans la composition de ces équipages ainsi réduits.
II
Le 13 juin, les frégates de découverte signalèrent Tes-
cadre anglaise mouillée à petite dislance de Goudelour.
Dans la soirée, le calme étant survenu, les Français jetè-
rent Tancre à huit lieues dans le sud de cette ville. Ils mi-
rent sous voiles, le lendemain, mais, pendant trois jours,
la faiblesse de la brise ne nous permit pas de nous ap-
procher de Tennemi. Le 16juin, vers midi, les vents étant
au nord nord-ouest, nous n'étions plus qu'à trois lieues
des Anglais, lorsque ceux-ci se décidèrent à appareiller.
La brise ayant sauté au sud-est et à l'est, l'amiral Hughes,
qui avait pris la bordée du large, eut sur nous l'avantage
du vent. Suffren fit former la ligne de bataille, les amures
à tribord, mais la nuit arriva avant que les deux armées
fussent assez près l'une de l'autre pour engager le com-
bat. Le lendemain, les vents étant revenus à l'ouest et
l'escadre anglaise se trouvant à plus de cinq lieues sous le
vent, Suffren communiqua avec M. de Bussy. Il apprit
que nous avions eu, le 13 juin, un engagement très-vif
avec les assiégeants. Cinq cents hommes de notre petite
armée avaient été mis hors de combat, et douze pièces de
canon étaient tombées entre les mains des Anglais. Quoi-
que l'ennemi eût fait des pertes très-sensibles, nous
avions été obligés, à la suite de cette affaire, de nous
renfermer dans la ville. Bien convaincu que l'amiral
anglais essayerait de l'entraîner au large , s'il laissait
porter pour le rejoindre, Suffren se maintint près de
terre. Dans la soirée du 17, les vents étant restés à
464 HISTOIRE DE l.k MARINE FRAN(;A1SE.
l'ouoï^t, l'escadre française laissa tomber l'ancre devant
(ioiidelour. Le sort de la place et de la garnison dépeik*
dunl désormais des succès de notre eï>cadre, le généra
de Bussy s'empressa de dunner au bailli le nomi
d'hommes nécessaires pour compléter ses équipages. Peu™
dant la nuit du 17 au 18 juin, six cents soldats et six centK
cipuyes furent répartis sur les vaisseaux. Le 18, à nei
heures du matin, les Fran(;ais mirent sous voiles poat
aller à la rencontre desAnglais. Notre escadre, formée
li^ne de balaiilc, les amures à tribord, passa à cont»<
bord cl au vent de l'ennemi. L'amiral Hu{;hes, grâce ù
marche supérieure de ses vaisseaux, put facilement dè>.
cliner un engagement que nous paraissions recherclier^:
Le 19 Juin, les deux armées évoluèrent avec des bristi'
faibles et irrégulières, et elles eurent beaucoup de diA-
cultes à se maintenir en ordre. La persistance des veofl
d'ouest, Irès-rai-e dans celle saison, trompait les calcul!
de l'amiral anglais. Il avait compté sur la brise du lai^
pour nous combattre avec l'uvantage du veut, et, depuit
le 14 juin, ses vaisseaux avaient été constamment soûl
le vent des ndtres. Dans la journée du 30 juin, il sembk
que nos adversaires, fatigués d'attendre des vente d'esl,
fussent décidés t accepter le combat. Vers trois beurWi
la brise soufflant de l'ouest à l'ouest-nord-ouesl, l'tt*
cadre anglaise tint le vent sous petites voiles, lesamurM'
à bilbord. L'armée fninçaise, qui courait au\ mérnM
amures, laissa porter sur l'ennemi par un muuvenienl.
tout à. la fois. Un pou après quatre heures, les deux ligDM
étant t petite portée de caoon, l'ordre de venir au v«A
el de commencer le feu fut hissé A bord de la rrégale II
Cléopûtre, sur laquelle SufTren avait arboré son pavilIOD*.
I. > Suiïren svail rc(u, quelques muis au)>aravanl, la il«|HÏd)« <li
lirescrivaiit au cutiiiiiuiidaiil d'une esmidre *le |>lu« de iicur vsîBKiut
sur une rrégate en cas de combat. Je me coiifonneraî * cvt urdi'c, atiitHl
répondu au maréclial de Culriea, aulant que je pf nvcrai la cbote utilr u
Lien du service. Cu aérait mal rcm|ilir rcEpra de cet iirdre que dVn (mmUIm
pour uc iJSH donucr l'exemple qui^ doit un clicf dans les iiccoomob o(i il (Ml
cuitMiiander de son \aia»eDu auHHt bit'ii '[iie d ailltiun. •
niitJI^
LIVRE XV. 465
On se battit, de part et d'autre, avec une grande vigueur,
mais l'action fut particulièrement chaude à Tavant-garde
et au corps de bataille. Il se produisit un peu de désordre
parmi les vaisseaux des deux arrière gardes. Dans la
nôtre, le Vengeur et VAnnibal s'abordèrent et se firent
quelques avaries. Le feu cessa vers six heures et demie,
et, à sept heures, les deux escadres étaient hors de por-
tée de canon*. Les Français mouillèrent, le lendemain
21 juin, à deux lieues au nord de Pondichéry. Dans la
soirée, la frégate de découverte ayant signalé l'ennemi ,
nos vaisseaux se tinrent prêts à appareiller. Le 22, au
point du jour, les Anglais furent aperçus sous le vent,
faisant route sur Madras. SufTren fut sur le point
d'appareiller en coupant les cAbles et de les poursuivre.
Diverses considérations, que nous trouvons exposées dans
une de ses lettres, l'empêchèrent de prendre ce parti.
« Mon premier mouvement, écrivit-il au minisire, fut de
couper les câbles et de les chasser. Voilà les raisons qui
m'en ont empêché : j'étais trop mal en ancres et en câbles
pour en faire le sacrifice; 2* Goudelour était attaqué et
j'avais douze cents hommes de sa garnison. Cette escadre,
ayant sur la mienne une grande supériorité de marche et
prenant chasse à Test-nord-est, pouvait me mener assez
loin pour ne pouvoir plus regagner la côte, et elle aurait
été tranquillement à Madras. Dans cette saison, les navires
qui marchent mal ne rejoignent pas la côte quand ils la
1. Avant de sortir dé Trinquemalay; SutTren avait indiqué un ordre de
bataille dans lequel les cinq vaisseaux de soixante-quatorze prenaient la
queue de la ligne. En sup|)osant rarinée rangée dans cet ordre. api)elé ordre
de bataille n* 3 dans le Journal du major de l'escadre^ il était prescrit à ces
cinq vaisseaux de doubler l'ennemi par Tarrière-garde. Quant aux autres
bAliments de Tarmée, ils devaient se placer à grande distance les uns des
^^aolres et combattre toute Ja ligne anglaise. Les 14 et lô juin, Tordre de
bataille n* 'A avait été signalé. Le 20 juin, il ne s'était probablement proiJuit
aucun incident permettant d'appliquer cette combinaison.
On lit dans le Journal du major de l'escadre à la date du 14 : » Ce jour-K'i
le général, sur la Cleopdti'ej arrive toutes voiles dehors siir une frégate
anglaise qui était venue nous observer. Elle était à une lieue et demie de
nous. »
30
4M HIBTOmS DK Lk MAUXl VRANÇAISA.
quittent. L^nnierpoMée, un edond anglais fttt pria mr
. Porto-No A, le dnqnaiitfriiititièaie jour de ê(m départ de
Hadraa. L'eacadra fraaqaiae ffi nota pour GoaddooTt oA
' Soffiroi avait hlte d'arriTer.
Nrâa indiquons, du» leatiâilaanx d^prta, l'ordre daai
leqad les deoz «acadr» étaieot rangAâa, le lO Juin, etlM
pertea qn'dles anioit sol^ea.
ESCADRE PllANÇAlSE.
Ligno de bataille.
Sphinx....
Btillant. . .
Fendant. . ,
Flamand . ,
L'Ajax . . . ,
SaWert
Dupas de la MuoelJâre. .
Corpt Ot battMe.
Clovières. . .
Moiaaar . . . .
Unij ères . . .
Beaomonl . .
Vcnjçeor . . . .
Sdvire
Aanibal
Hardi
Arlûsion
Consoionlc . .
Cuvervillo.
De Langle..
D'Aymar . . .
Jlerliué
De Vignes..
CoBlebelle. .
Totaux det tuéa et dea blcsste ' .
MU. Dupaa de la MiDoNén, PairiH, de SiJxn,
nnol, anuignt ; Dieu, upiuiiu dt brllol ; rtuclto,
guct.uFlician iBiiliii»*; Dumoulin, offInFr d'iabaurit.
Tnb]n>«t : MH. d* Sainl-Pilii, cipituu d< niuun : de Riirorl, tjnil'-
d* BaDUTir, d* TbiB, «Hifnm: CnM^iiird. upl-
Ilicier iiiiili<i»;d* Villione, dEeinoiil.d» Lwiain,
, olShitn i'
dFiJloqnfun,
LIVRE XV.
467
ESCADUE AiNGLAISE.
Ligne de bataille.
Noms des bàtimenti».
Cumbcriand
MoDlmoulh
Rristol
lléro,
Eagic
Maguaninio,
Sceptre .
Burford .
Monarca.
Supcrb.
Sultan . . .
Africa . . .
Worcesler,
Nombre
de
canons.
Noms des capitaines.
Division rouge.
74
64
50
74
64
64
Tués.
William Allen
James Alms
James Rurney
!' Richard King, Commodore/
Théophile Jones \
Williams Clark
Thomas Mackensie
Division hleue.
•64
70
68
74
74
64
64
Samuel Graves
Peter ilainier
John (îell
l'Sir Edw. Hughes i
Vice admirai of Ihe Rlcue.j-
Henry New Comc
Audren Mitchell
Robert M. Donall
Charles Hughes
2
•2
0
4
1
4
H
Blcssi'
4l'S.
11
19
13
21
8
16
17
47
10
20
6
14
12
41
»
a
4
n
20
20
32
Division bbuiche*
Exeter . . .
Inflexible.
Gibraltar.
Isis....
Défense
64
64
80
50
74
John Smith
Hon J.-W. Chcliwiud. . . .
Sir R. Rikcrton, contre-
amiral
Thomas Hicks
Christopher Halliday
Tolauv des tuôs et des
bles.scs
km lUSTUlIlE DE LA MARINE KHAN'CAISK.
Le succès de l'escadre française était hors de toulecon-
lotitation. Le 13 juin, l'amiral Hughes bloquait Goudelour,
avec dix-huit vaisseaux et six frégates. Il protégeait, en
uutre, le débarquement des troupes, des vivres et des
niiinîUons envoyées de Madras à l'armée anglaise. Lors-
que SnlTren s'était placé entre la flotte hrilannîque et Is
ville assiégée, les nombreux transports niouillÉs surU
cùle s'étaient hAtés de fuir en coupant leurs râbles. Apre»
le combat du 20 Juin, l'amiral Hugbes a^ail disparu,
abandounaiHle général Stuart, tandis que iiou» prenioQ»,
devant Goudelour, la place que l'escadre anglaise occu-
pait quelques jours auparavant. Quoique l'eanemi a'edl
pus laissé un seul navire entre nos mains, il f\e pourail
s'élever aucun doute sur le résultat de cette rencontre.
SutTren se montra satisfait de la conduite de sescapi-
liiines. 11 loua particulièrement l'habile direction donnôr
à i'avanl-gardc par M. de Peynicr. Dans une lettre imr-
tant la date du U juillet, il disait au ministre : '< La su-
périorité de l'escadre anglaise sur la nôtre consistait eii
un vaisseau de quatre-vingts, un de soixanle-qualorteH
un de soixante-dix. M. de Peynier a conduit l'avant-
gurde avec autant de valeurque de précision. Depuis qu'il
m'a rejoint, je lui ai donné deux missions également im-
portantes et périlleuses dont il s'est parfaitement acquitta.
Si, pour cela, vous le faites chef d'escadre, et que ce De
soit qu'à prendre rang, ce n'est point assez en vérilé,
d'autant plus qu'au combat de la Grenade et dans ceui
de M. de Guichen, il s'est parfaitement bien conduU'.
Trois jours après le combat du 20 juin, l'escadre française
mouilla sur la rade de Goudelour. Aussitôt que nos vai^
1 . SiifTren disait au ininiatre dan» une autre letlre : < Je vous envoie l'etil
lies perles de J'escadre. J'attendrai d'être aoprèt de vous pour demandHdn
grâi^Gii pour lesonicicrs..MDUje vous réitère ma demande pour M. de Pe;DKi
Il Best acquitté parlifuljârc nient bien de deux miMion» tré&-é|iineuM<, d il
s'oal ciinduil. dans le comttal du 30 Juin, avec autant de bravoure ({ut d'i-
tflligence. I*i de^ raison)- parliculiAri:» vouii empêchent de le birt (Ik(
d'e«cadre, ripn ne peuli opposer ac« que voufilai doaiuea le eordoB ronce-'
LIVRE XV. 469
seaux eurent l'ancre au fond, Sufîren se rendit auprès
de M. de Bussv. A son arrivée à terre, les batteries de
la ville le saluèrent de quinze coups de canon. Les offi-
ciers et les soldats qui n'étaient pas retenus à leurs postes
par un devoir impérieux, s'étaient portés vers la plage.
Le bailli alla chez le général, suivi d'un immense cortège
qui faisait retentir Tair des cris de vive le Roi! et vive
Sufîren! Les mêmes manifestations se produisirent, lors-
qu'il se sépara du commandant en chef pour regagner
son canot. Les soldats et lescipayes, empruntés i\ l'armée
de M. deBussy, retournèrent à terre. L'escadre débarqua
mille hommes, pris parmi les soldats de marine et les
matelots, pour renforcer la garnison.
La victoire de Sufîren avait complètement modifié la
situation des troupes britanniques. Le général Stuart ne
pouvait plus recevoir ses approvisionnements par mer.
D'autre part, un détachement de cavalerie mysoréenne,
très-bien commandé, battait la campagne et coupait ses
communications avec Madras. Suffren, persuadé qu'une
sortie générale amènerait la retraite de l'ennemi, voulait
qu'on tentdt cette opération*. Ce conseil ayant été re-
poussé, le bailli resta étranger aux mesures prises par le
général de Bussy. Le 29 juin, une frégate anglaise, la
Médée^ portant pavillon parlementaire, parut devant Gou-
delour. Elle était chargée par lord Macarteney, gouver-
neur de la Présidence de Madras, et l'amiral Hughes de
nous apprendre que les hostilités avaient cessé en Eu-
rope. Cette nouvelle, que les Anglais regardaient comme
authentique, quoiqu'elle n^eût aucun caractère officiel,
était arrivée à Bombay par la voie de terre. Le capitaine
de la Médée remit à MM. de Bussy et de Sufîren les
journaux et les copies de lettres particulières dans les-
1. La présence d'un tel homme, écrivait le chef de Parmée anglaise, en
parlant de SufTren, nous oblige de faire nos approches avec la plus grande
prudence. 11 presse M. de Bussy de nous attaquer. Il lui offre de débarquer
la plus grande partie de ses équipages et de les conduire lui-mi^me à Passaut
de notre camp.
L
470 HISTOIRE DE LA MAKINE FHAJJÇAISE.
qucïls <jtaienl iiienlionués les articles préliminaires do puiv
signés, ù Paris, le 20 janvier 1783, par les reprcsenlanh
(le la France, de l'AngleLerre, de l'Espagne el des Etals-
Unis. Lord Macarteney et l'amiral Hughes demandaient
qu'une suspension d'armes fût conclue jusqu'à l'arrivée
des instructions des cours de Londœs et de Paris. Le gé-
néral de Bussy, auquel il appartenait, en sa qualité de
commandant en chef des forces de terre et de mer, de w
prononcer sur celle proposition, se trouva trës-embar-
rassé de son rôle. Les Anglais désiraient recouvi-cr le plus
promptomenl possible leur liberté d'action, uPindc mar-
cher avec toutes leurs forces contre Tippo Saïb. Il était
évident que leur démarche n'avait ptis d'autre but. Silo
gil-néral refusait la suspension d'armes, il ustiumaitune
grave responsabilité, et, s'il l'acceptait, que devenait noire
allié? Les commissaires venus sur la .Vérft?*), déclaraient que
les autoriti^s hrilunniques étaient décidées A donner aux
généraux l'ordre de ne plus lirer un coup de fusil. M. de
Bussv s'elTorça de sauvegarder les intérôls de Tippo Salh.
Los Anj;lctis promirent d'entrer en arningcnirnt.i avec le
sultan, aussitôt que celui-ci serait disposé & traiter, mais
ils ne voulurent prendre aucun engagement relativemeal
aux conditions de la paix. Si, comme le disait SufTren dans
une de ses lettres, « nous avions mieux fait la guerre,
l'entente, sur ce point, eût été plus facile ». Des suais
militaires nous eussent permis d'avoir des exigences que
notre situation ne comportait pas. Le général se décidai
envoyer à Madras le major de l'escadre et deux de ses
aides de camp avec les pouvoirs nécessaires pour cod'
dure une suspension d'armes. Ces trois officiers arrivè-
rent, dans les premiers jours de Juillet, auprès de l'amiral
Hughes et de lord Macarteney. 11 fut décidé que les hos-
tilités cesseraient, sur terre et sur mer, à partir du 8 juil-
let, et que les prisonniers seraient immédiatement ren-
dus. Le 1" août Suffren flt route pour Trinquemalay, oil
il mouilla, le 6, après avoir touché & Tranquebar et i Ka-
rikal. L'escadre compléta six mois de vivres, flt sooeau
LIVRE XV. 471
et se tint prête & appareiller. Le 13 septembre, le Sphinx
et V Artésien partirent pour l'Ile de France, où ils devaien
être mis en état de retourner en Europe.
III
A l'origine des troubles de TAmérique, il existait, dans
le parlement de la Grande-Bretagne, un parti politique
qui repoussait d'une manière absolue l'emploi de la force
pour résoudre les difficultés pendantes. Après l'ouverture
des hostilités, ces mêmes hommes combattirent énergi-
quement l'administration de lord North. Les revers des
armes anglaises et principalement la capitulation d'York
Town augmentèrent le nombre de leurs adhérents. A la
lin de l'année 1781, on ne se faisait, dans les deux cham-
bres, aucune illusion sur l'état des affaires. Les colonies
américaines étaient considérées comme irrévocablement
perdues pour l'Angleterre. Néanmoins le ministère, sou-
tenu par le Roi, voulait continuer la lutte. Le 22 février
1782, le général Gonway présenta à la Chambre des com-
munes une motion invitant le gouvernement à mettre fin
à la guerre d'Amérique. Cette proposition était appuyée
par des hommes tels que Fox, Pitt, Mahon, Burke, Caven-
dish et Wilberforce. Elle fut repoussée & une voix de ma-
jorité; mais une tentative du même genre, faite quelques
jours après, eut un plein succès. La Chambre décida, le
27 février, à dix-neuf voix de majorité, qu'une adresse
serait envoyée au Roi pour le prier de faire la paix avec
les colonies. Les 4 et 5 mars, des résolutions de même na-
ture furent adoptées par une majorité toujours croissante.
La nouvelle de la prise de l'île de Saint-Christophe et la
perte de Minorque augmentèrent le mécontentement gé-
néral. Le 20 mars, lord North donna sa démission. Le
marquis de Rockingham, après s'être assuré que le Roi
ne s'opposerait pas à la reconnaissance de l'indépendance
de l'Amérique, accepta la mission de former un nouveau
472 HISTOIRE DR LA MARINE FHANÇAISB.
cabinel. Lord Shelburne prit, Jans la nouvelle udiiiinis-
Lration, le minîslèie de l'intérieur, déparlemenl iiui|U'-l
SI' rattachaienl les colonies, il fit immédiatemenl partir
pour Paris uû agent ayant toute sa confiance. Cet agent
n'avait pas de caractère officiel, mais des lettres particu-
lières lui assuraient un très-bon accueil auprès de notre
ministre des aiïaires étrangères et de l'envoyé des États-
Unis. Il devait renseigner son gouvernement sur les
conditions auxquelles il serait possible de faire la
paix. La mort du marquis de Rockingham, survenue
dans le mois de juin, plaça lord Slielburnc â la léte du
cabinet. Cet homme d'État avait été un des champions
le.s plus déterminés du parti de ta guerre. 11 avait réclamé
l'emploi de moyens énergiques pour ramener les rebel-
les k l'obéissance. Les événements avaient modilié son
o|)inion, el il était convaincu que la reconnaissance
des colonies de l'Amérique scptenlrionale, comme EIA
ind.^pcndant, était la mesure la plus sage que son pays
pût adopter. Les négociations entamées à Paris, quoi-
que poursuivies, de part el d'autre, avec bonne fui, mar-
chèrent avec lenteur. Le gouvernement anglais, disposée
donner toute satisfaction sur la question américaine, il«-
mandait à s'en tenir, à l'égard de la France el de l'Espagne,
aux clauses du traité de 1763. Ce n'élaît pas pour arriver
à ce résultat que nous avions pris les armes en 1778.
D'autre part, les commissaires américains se montraient
extrêmement exigeants dans toutes les discussions rel«-
tives k leurs nouvelles frontières. Enfin les Espagnols ne
voulaient pasqu'onparldl de la paix, si on ne leur assurait
pas la possession de Gibraltar. Après de longues el Inlxv-
rieuses négociations, ce» difficultéss'aplanirent. Le 30 no-
vembre 1782, un premier traité fui conclu entre les plé*
nipotenliaires anglais el américains. Le S3 janvier 1783,
les préliminaires de paix entre la France, l'Espagne cl II
Grande-lïielagne furent signés à Paris.
Ce fut & Pondichéry, où il se Irouvail, le 8 seplemItKii
nver le //-«ros et la Cl^opAire, que les premières dèpt-;
LIVRE XV. 473
ches relatives à la paix parvinrent à Suffren. Elles avaient
été apportées à Madras par la frégate anglaise le Crocodile,
partie de Portsmouth, le 14 avril 1783. Nous devions
laisser dans Tlnde le même nombre de bâtiments que les
Anglais, et renvoyer les autres en France. Les soixante-
quatorze et les frégates cfTectuaient leur retour à Brest,
les soixante-quatre à Rochefort, à l'exception du Hnrdi
et de Y Alexandre qui allaient à Toulon. L'amiral Hughes
nous ayant fait connaître que cinq vaisseaux anglais
resteraient sur la côte, Suffren désigna, pour faire partie
de la station française, le Fendant^ V Argonaute, le Bril-
lant^ le Saint-Michel, VHannihal et les frégates la Surveil-
lante, la Bellone et le Cowentry, Cette division fut placée
sous le commandement de M. de Peynier.
SufFren avait été fait chef d'escadre pour TafTaire de la
Fraya. Après les combats du 17 février, du 12 avril et du
6 juillet, le Roi le nomma lieutenant général. Le ma-
réchal de Castries lui annonça cette nouvelle dans les
termes suivants : « Le plus grand plaisir qu'un ministre du
Roi puisse éprouver dans sa place, Monsieur, est de pou-
voir concourir à Tavancement d'un officier général aussi
distingué que vous et qui annonce des talents décidés
pour le commandement de ses armées. Quoique Sa Ma-
jesté ait en vue de vous récompenser, elle s'est proposé,
en même temps, en vous donnant le grade de lieutenant
général, de vous donner les moyens de nous rendre de
nouveaux services. Le Roi a été particulièrement frappé,
dans les comptes que vous lui rendiez, de la vérité et de
la force avec laquelle vous lui parlez de ceux des officiers
de sa marine qui l'avaient bien ou mal servi dans les
différentes occasions où vous avez combattu les An-
glais. y>
Après avoir arrêté avec M. de Bussy toutes les dispo-
sitions relatives au départ des vaisseaux qui rentraient
en France, Suffren se rendit à Trinquemalay *. VIllv^-
1 . Nous avons embarqué une soixantaine d'Indien», hommes et femmes ,
klk HISTOmE DE lA MAHIN'E FRANÇAISE.
tre, le Hardi, V.injtibal el VAjeix partirent (lirectemcnl
pour l'Eurupc, avec l'auturisslion de rel&cher au cap de
Bonne -Espérance. Le Héros, escortant le Vengeur qui fai-
sait beaucoup d'eau, Ot route le 6 octobre pour l'Ile do
France '. Ces deux vaisseaux mouillèrent, le 12 novembre,
sur la rade de Port-Louis.
Le^ habitants de l'Ile de France et de Bourbon avaient
suivi avec un intôrfit passionné les événements qui s'é-
laient accomplis sur la cflle de Coromandel. Ils avaient
pris part à la lutte, en fournissant des compagnies de vo-
lontaires qui avaient combattu A terre et sur nos vai»-
8caux. Plus rapprocbéa que nous des évënemcnU, il sem-
blait que Suffren fût leur héros avant d'être celui de la
France. Lorsque son arrivée fut connue, la population de
l'Ile accourut A Port-Louis pour apercevoir l'illustre ami-
ral et lui donner des marques de radmirution qu'elle
éprouvait pour sa personne. Le major de l*cscadrc re-
lelc ainsi qu'il suit, dans son journal, la n^ceplion faite
4 Suffren'. " A cinq beures et demie, le général est des-
cendu h terre. Il a été salué, en débarquant, de \ingt et
un coups de canon par la place, et reçu par le gouver-
neur, les officiers de la garnison, des habitants et un
monde infini qui faisait retentir l'air des cris de : Vive le
Roi, vive Suffren! Les musiques des régiments l'ont coo-
ouvriers en toile, que le gÉoéral compta envoyerà Malte. (Journal du major
de l'eacadre.)
1. Vendredi 7 novembre 1183, en vue de RoOrigueR. L'observation al
IrèH-jusIe par la distance de la lune au eoleil. [Journal du major de To-
cadre.)
2. Je puiit te dire qu'il eat incroyable la considération que j'ai dans l'Inde :
de» vers, îles cbansona, etc.... Mais Rare les rêver», le moindre ïafGnil
pour que les claquements de mains se changent en silllets.
Je ne sais pas, car personne ne m'a Écrit, les lettres du ministère rtaat
perdues, en quelle considération je suis eu France, et comment le public ■
pris mon avancement prématuré ; mais dans l'Inde, t Madras surtout, et du»»
nos [les du France et de Kourbon, je suis inQnlmeot plus considéré qw je
ne le mârite. Je suis accablù de vers, de cbansona, etc.... Si Je passe t l'Ilr
de France, ils feront des loliea, si leur cntbousiasme n'est point Rfmidi.
(LoUro particulier de SulTren du S février 17S3.)
LIVRE XV. 475
duitf ainsi que tout le monde, jusqu'au gouvernement où
il a soupe. Après souper, toutes les dames de la ville
sont venues lui faire une visite et lui ont donné une séré-
nade ». Le Héros ^ accompagné de la frégate la Cleo-
pâtrcj quitta Tlle de France, le 29 novembre et il mouilla,
le 22 décembre, à Table-Bay. Lorsque Sufîren descendit à
terre, il fut reçu par le gouverneur entouré des princi-
paux fonctionnaires de la colonie. Toute la garnison était
sous les armes, et une salve de vingt et un coups de canon
fut tirée en son honneur. Neuf vaisseaux anglais, revenant
de rinde, étaient mouillés sur la rade. Les capitaines de
ces bâtiments montrèrent un empressement particulier à
présenter leurs hommages au chef de Tescadre française ^
L'état dans lequel se trouvait le Héros ne permettant pas à
ce vaisseau d'aller & Brest, SufTren avait informé le minis-
tre qu'il irait à Toulon. Il appareilla de Table-Bay, le 3 jan-
vier 178(i, avec la Cléopâire & laquelle il signala, aussitôt
qu'il fut hors de la rade, de se rendre en route libre à sa
destination. Le Héros eut connaissance, le 19 mars, du
cap Spartel, et, le 26, il laissa tomber l'ancre sur la rade
de Toulon *.
IV
La campagne de l'Inde restera fameuse dans les
annales militaires de notre pays. On peut, & bon droit.
1. Je te ferais tourner latôte si je te racontais la façon dont on m*a reçu....
Les bons Hollandais m'ont reçu ici comme leur libérateur.... Mais parmi les
hommages qui m'ont le plus flatté, il n'y en a point qui m'aient fait plus de
plaisir que l'estime et la considération que m'ont témoignées les Anglais qui
se trouvent ici.
2. 1^ lieutenant de vaisseau de Moissac, qui avait eu le très-grand honneur
d'être à la fois, pendant cette campagne, le capitaine de pavillon de SufTren
et son chef d'état-major (major d'e£cadre)j adressa, en débarquant du Héros,
la lettre suivante au ministre de la marine : « M. le bailli de SufTren s'est
réservé de vous rendre compte des ofGciors qui ont servi sur le vaisseau ainsi
que des différenb! événements de la campagne. Le zèle que j'ai mis à exé-
cuter les ordres du général, soit comme capitaine de pavillon, soit comme
major de l'escadre, ou dans les différentes missions qu'il a daigné me
aiSTOIRE DR I.A MARINE FRANÇAISE,
ïrer comme l'œuvre personnellfi tie SulTrcn.
«silOL que ce grand homme eut prisie commandempnl
l*e re de l'fnde, toutes choses changèrent de fncp,
X hpRilaliona du comte d'Orves sucr^da une lifrne île
letle et bien ditemiinée. Il reconnut In néccs-
é de f'unir élroiteinenl h Hvder-Ali, et, lorsciii'il se
engagé A rester dans l'Inde, rien ne put le détourner
la voie qu'il s'était tracée. Sans ports, sans magasin.'^,
iftrvînl, après les combats des 17 février, 12 avril et B
el, A Taire vivi ' ' ' nî r son escadre. Ce ne fut
R dans ic couran' août, c'est-à-dire pri** de
mois après son l de l'Ile de France, que 1'//-
ttn>. et le Sainl'^' rivèrent A la côte de Coroman-
1 avec un con' « 11 y a I lit mois, écrivait SulTren
tans une lettre portani la date du 10 octobre 1782, que ji'
Muis dans l'Inde, dix passés depuis mon départ de l'Ile
de France. J'étais parti avec six mois de vivres et on ne
peut pas plus mal en rechanges. Je n'ai rei;» de serour»
des îles qu'il y a un mois el demi. J'ai livM quatre com-
bats, j'ai perdu trois grands mâts, quoique je fusse snns
magasins et sans ressources. A Torce de bonheur et de
conduite, nous existons encore. M. d'Apche, ayant Pondî-
chéry et les ports hollandais bien munis, n'a jamais |)ii
rester trois mois dans l'Inde, » Après chaque combat,
aussitôt que ses vaisseaux furent en état de tenir la mer,
il reprit, avec une ardeur qui ne se démentit jamais, U
poursuite de l'escadre anglaise. Il voulait, par une vic-
toire, s'assurer la liberté de ses mouvements et la possi-
bilité d'enlever k l'ennemi les points que eelui-ci occupait
sur la côte. Pendant que les vaisseaux anglais réparaient
les dommages qu'ils avaient éprouvés dans le combat
ronfler, peut me fairp PRp*rrr voire fuiti^rnclinn à mon épnrtl rt m* mériter
votre estime. Je reganlerak rrUe recom|tenKe comme aitxsi flaltcuse pour uioi
que lesitricesquevouH daifrneriez intero'nler pour moi auprès de Sa Màjetfé.
t^ioiqiie i iHrine arrivé d'une rampaicne longue et pénible, je serai loujoun
pr«t à exi^culer les urdrea de Sa .Majesté, si etle Jugeait à propCM de m'em-
ployer. •
LIVliE XV. 477
du 6 juillet, Sufîren s'empara de Trinquemalay. L'amiral
Hughes, soupçonnant trop tard les projets de son adver-
saire, se dirigea sur la côte orientale de Ccylan, mais il
n'apparut en vue du port, le 2 septembre, que pour aper-
cevoir le pavillon français flottant sur les forts. Dans la
lutte engagée sur la côte de Coromandel, la prise de Trin-
quemalay était un événement de la plus haute importance.
Nous avions un port, tandis que les Anglais se trouvaient
désormais condamnés à mouiller sur des rades foraines.
Au moment oii, après tant d'efforts et de difficultés vain-
cues, Suffren voyait l'état de ses affaires prendre une
tournure plus favorable, la fortune soumit la fermeté de
son âme à de nouvelles épreuves. Il perdit VOrieiU à
l'entrée de Trinquemalay, et le Bizarre devant Goudelour.
Il apprit l'arrivée de sir Richard Bickerton avec six vais-
seaux en même temps qu'il recevait la nouvelle de la
prise ou de la dispersion de deux de nos convois. Enfin
la division de M. de Peynier était retenue à l'Ile de
France par une épidémie qui sévissait avec beaucoup de
force sur les troupes et sur les équipages. Telle était no-
tre situation, lorsque la saison de l'hivernage obligea les
deux escadres à abandonner la côte de Coromandel. Suf-
fren, craignant de ne pas trouver à Trinquemalay des
ressources suffisantes pour faire subsister son escadre, se
décida à se rendre à Achem. Les Anglais, chassés par le
mauvais temps de la rade de Madras, firent route pour
Bombay.
Partie d'Achem, en décembre 1782, Tescadre française
parut près de Ganjam au commencement de l'année 1783.
Suffren avait l'inlention d'attaquer quelques-uns des
établissements anglais situés sur la côte d'Orixa, mais
la mort d'Hyder-Ali le rappela brusquement à Goude-
lour. M. de Bussy, ayant prolongé d'un mois son séjour
à l'Ile de France pour attendre le Hardi ^ ne rallia
Trinquemalay qu'à la fin de mars. Quoique l'arrivée de
l'escadre anglaise fût très-prochaine, il était impérieuse-
ment nécessaire de secourir nos soldats, sérieusement
VrS HISTOIIIE DE l,.\ MARING FR.\Ni;.AISE.
menacés par le général Stuart. Siifiren fit ctnbarquer,sur
les vaisseaux doublés en cuivre et les transports buii»
marcheurs, les troupes et l'artillene, et, sans se pri-occu-
per des dix-sept vaisseaux que l'amiral Hughes amenait
de Bombay, il se rendit à Goudelour. Au moment ofi hs
Fran(;ais rentraient à Trinqucmalay, l'escadre anglaise
fut aperçue Taisant route vers le nord. Tippo-Saïl), Tati-
gué d'attendre lo général de Bussy, était parti pour In
côte de Halabar. D'autre part, les généraux anglais avaient
re^u de nombreux renforts. Notre petite armée, qui cill
joué, quelques mois plus lot, unrûle important, fui con-
trainte de s'enTermer dans Goudelour. Suffren appareilla
de Trinquemalay avec quinze vaisseaux, qui étalent
presque tous dans de mauvaises conditions sous le double
rapport du matériel et du personnel. Par l'hahilelé de
ses manœuvres, il obligea son adversaire h prendre le
large. Ce premier succès obtenu, il communiqua avec la
place. Après avoir complété ses équipages avec des
troupes empruntées A la garnison, il se porta au-devant
de l'ennemi. La rencontre entre les deux armées cul lieu
le 21, et, le 23, les Français revenaient sur la rade de
(ïoudelour. Quant aux Anglais, quoiqu'ils eussent dix-
huit vaisseaux, ils abandonnèrent le général Stuart et ils
se retirèrent à. Uadras. Celte affaire, qui faisait le plus
grand honneur non-seulement à SufTren, mais à toute
notre escadre, termina brillamment la campagne.
Pendant la durée de son commandement, la conduite
de Snfi'ren fut en opposition constante avec ses instruc-
tions. 11 tint celles-ci pour non avenues, toutes les fois
qu'il les jugea contraires aux intérêts de la France. Ce
serait une erreur de croire que sa manière d'être à l'é-
gard du ministre, de M. de Bussy et de M. de Souillac
eût, à aucun degré, le caractère de l'indiscipline ou de
la désobéissance. 11 s'exprimait, dans sa correspondance
officielle, avec une entière liberté, mais il apportait un
soin particulier à donner sur tout ce qu'il voulait entre-
prendre les explications les plus précises. II ne Dégligeail
LIVRE XV. 479
aucun argument pour justifier le parti auquel il s'arrê-
tait. Suffren avait un sentiment très-élevé des droits que
lui conférait sa position de commandant en chef. Ayant
en ses lumières une confiance que nous devons trouver
bien légitime, il ne consentit jamais à exécuter des ordres
qu'il trouvait contraires au bien de l'État. Il se disait qu'à
la distance où il était de son pays, nul autre que lui ne
pouvait être juge des événements et de la ligne de con-
duite qu'il convenait d'adopter.
Le patriotisme le plus vrai était, en toutes choses, le
mobile de ses actions. L'intérêt de son escadre, c'est-à-
dire des forces directement placées sous ses ordres, dis-
paraissait aussitôt que l'intérêt général était en jeu.
Après le combat du 17 février, il avait le plus grand désir
de combattre les Anglais, avant que ceux-ci eussent été
ralliés par le Magnanime et le Sultan. Cependant il n'hé-
sita pas à rester au mouillage de Porto-Novo, lorsqu'il
eut reconnu la nécessité d'entrer immédiatement en négo-
ciation avec Hyder-Ali. Il se montra constamment préoc-
cupé de Goudelour et de la garnison. Il semblait s'être
donné la mission de protéger des gens qu'il consi-
dérait comme incapables de pourvoir eux-nlêmes à leur
sûreté.
Les difficultés matérielles ne furent pas les seules que
Suffren eut à surmonter pendant cette campagne. Peu
après notre arrivée sur la côte, le général Duchemin,
dont les pouvoirs étaient égaux aux siens, reçut de M. de
Souillac l'ordre de ne pas compromettre ses troupes
avant l'arrivée des renforts attendus d'Europe. D'autre
part, Hyder-Ali, dont nous nous disions l'allié, réclamait,
avec une insistance bien naturelle , l'appui de nos sol-
dats. Le général ne sut pas prendre le parti que com-
mandaient les circonstances, celui de donner un con-
cours loyal et empressé au plus redoutable ennemi de
l'Angleterre. Hésitant, inactif, il resta jusqu'à sa mort
sans autorité sur les siens et sans influence sur l'esprit
du chef de l'armée mysoréenne. Sans les instances réi-
mSlUniË DK LA UAHIKH nt:VM.:A.ISK.
Sulh*»!!, Je nubalt eût fait la paix avpc ]es<j|
Tut au moment où lu «otamandaiit de noir*
[;nlait Ir^^vivemeiit 1« poids de ces difficullé^,
prévenu du tlépurt de M. d« IJussy, envoyé
e pour prendra te cununaiidetnont eu di«r des
.,1 lerro et de mer. En accusant réreplion du U
iepéi.u& qui lui Aniiont;ait cette nouvelle, SuITi-cn ne ca-
illa pa» au ministre son gentiment sur cette memire.
" Par la patente de M. dt- Bussy, je suis sous ses ordnw.
Je n'eu suis r>lclié que parce qu'il n'en peut résulter
aucun bien pour le service; mais Je puis vous assurer qui'
je ferai mon possible pour qu'il n'eu résulte aucun mal.
-Ma rai;on de penser doit vous eu Ctrc uu sur j^urant. l)c
lieux choses l'une, ou le général de uier sait son métier,
uu bien il ne le tiait pas. Dans le premier cas, pourquoi
le mettre sous les ordres de quelqu'un qui Tignore ? dan»
le deuxième, pourquoi le laisser en tutelle? A quoi lui
serviraient loiS ordres de quelqu'un encore plu» ÎKnoranl
que lui, qui sera dans les terres el lui A la merîi»L'arri-
\éc du nouveau commandant en chef devint pour l'es-
cadre une nouvelle cause d'embarras. Suffren ne par\'int
pas à être exactement renseigné sur les intentions du
général, et il ne sut jamais d quelle époque et où il pour-
rait faire sa jonction avec lui. M. de Bussy perdit un
temps précieux à l'Ile de France, et il fit très -in utilement
la traversée d'Acliera où il n'avait aucune chance de ren-
contrer nos vaisseaux. Lorsqu'il parut sur le Ihéfltre de
la guerre, ce fut pour s'enfermer dans Goudeluur. Le nVIe
que nos troupes jouèrent sous sa direction arracha à
SultVen cette exclamation, lorsqu'il sut que la paix élait
faite: "Dieu soit loué de la paix! car, dans l'Inde, il élait
clair que tout en ayant de quoi faire la loi, tout eill été
perdu. J'attends vos ordres avec impatience et je désire
bien qu'ils me permettent de m'en aller. 11 n'y a que la
guerre qui puisse faire passer sur l'ennui de certaines
choses. » Le général de Bussy compromit, pendant cette
campagne, la brillante réputation qu'il s'était acquise ou
V-
■»
, V UVRE XV. . 481
début de sa carriëret Toutefois, il serait injùsie d'oublier
qu'il avait accepté par'dévouement à la chose publique
un commandement que son âge et l'état de sa santé lui
eussent permis de refuser.
Ce fut dans sa propre escadre que Suffren trouva les
plus grands obstacles & l'exécution de ses desseins. Ce
n'est pas à dire que nous devions considérer comme lé-
gitimes toutes les plaintes faites par le commandant de
l'escadre de l'Inde. Suffren faisait la guerre avec passion,
et il n'avait aucune indulgence pour les fautes ou les
erreurs commises par ses capitaines. Ses dépêches, lors-
qu'elles étaient écrites le lendemain d'un combat, trahis-
saient une extrême irritation contre les personnes, toutes
les fois que les résultats n'avaient pas répondu à son
attente. Le temps présent exerçait sur son esprit une
grande influence. Après une affaire, son opinion sur un
de ses capitaines se ressentait des événements de la jour-
née. 11 oubliait volontiers les fautes antérieures de celui
qui s'était bien battu; mais il avait une tendance non
moins grande à méconnaître les services deTofticier qui,
pour une cause quelconque, n'avait joué, ce jour-là,
qu'un rôle secondaire. Aussi n'est-ce pas dans ses dé-
pêches prises isolément, mais dans l'ensemble de sa cor-
respondance qu'on doit chercher la vérité sur le person-
nel de son escadre. Le capitaine du Chilleau était un
brave officier qui s'était fait remarquer à la Dominique,
à la Grenade et dans le combat du Pro^ée contre les vais-
seaux de l'amiral Digby. Si la paix avait été faite après
le combat de la Praya, il eût été considéré comme cou-
pable d'avoir abandonné son chef. Il serait resté, non-
seulement devant le ministre, mais encore devant l'opi-
nion, sous le coup de cette grave accusation. Fort
heureusement pour lui, la guerre continua et sa position
dans l'escadre avait complètement changé, lorsque Suffren
reçut du maréchal de Caslries une lettre conçue dans les
termes suivants : « Je viens de lire dans plusieurs lettres
31
482 msTOIIlE DK LA MAflINE FRANi;AISH.
purlicu iiuL'H du Ciij), Monsieur, que, si le Vetiyeur cl le
fyjihinx avaient rauuiilé el cxficuUt vos oiilrcs, vous fus-
siez détruit la Hotte de M. Jolinstune. Je vouij onloUDO,
Hunsieui', de la ])arl du Iloi, de me rendre couipti' de en
qui s'est passé, lors de votre attaque de la Prayo, et d«
renvoyer en France les commandants de vos vaisseAUX
dont vous auriez eu à vous plaindre. Il tic peut y avoir
d'égard ui de considération qui [luissc vous dispenser de-
vons faire! obéir et je compte que vous nie mettrez dans
le cas de faire connaître au Roi la vérité. Sa Majesli or-
donnerait uu conseil de guerre pour la vérification di'>
faitH, si les circonstances politiques ne faisaient eraiudri'
do rendre public un acte contraire au droit des gens en-
vers la cour du Portugal. » L'altitude du capitaine du
Cliilleau, au combat du 17 février, lui avait valu l'cstiiuv
de son chef cl l'oubli absolu de ce qui s'était passé dans
la baie de San Yago. Apres l'ttrfaire du 12 avril, SutTren
demandait au ministre, avec les plus vives instances, une
récunqiensepourle capitaine du Cbilleau, dontlacouduilc
était au-dessus de tout éloge. « Si tous les capitaiDU
a\iuent fait comme lui, avaii-il dit dans mn rapport, les
Anglais ne seraient plus. » Nul doute qu'à ce moment
Sull'ren ne vtt, sous son véritable jour, le combat du
16 avril 1781. Le capitaine du Cbilleau avait eu le tort de
ne pas serrer d'assez près la pointe orientale de la baie
de la Praya. Cette faute était évidemment fort gra*e,
puisqu'elle avait eu pour conséquence de l'empécber de
prendre part à l'action; mais il était contraire  l'équité
de dire qu'il avait abandonné son cbef. Dans un métier
aussi spécial que celui de la marine, les officiers qui ne su
trompent jamais sont fort rai es. Les premières dépêche»
arrivées de l'Inde apprirentau ministre queM. du Cbilleau,
dans lequel il avait craint de trouver un officier inca-
pable ou indiscipliné, était un des meilleurs capitaines
de l'escadre. Après le combat du 3 septembre, MM. de
Galle, le vaillant capitaine de l'Annibat à la Praya, de
Saint-Félix, dont la conduite avait été très-belle aux trois
LIVRE XV. 48S
combats des 17 février, 12 avril et 6 juillet, du Glnlleau,
de la Pallière, d*Aymar, n'échappèrent pas à Tirritation
que lit éprouver à SuITren l'insuccès de cette journée. Les
expressions regrettables que nous avons relevées dans
son rapport au ministre atteignaient tous les capitaines
de l'escadre, sauf MM. de Bruyères, de Y Illustre y de
Bcaumont, de YAjdx^ et de Cuverville, du Vengeur. Or,
après cette affaire, nous n*avions eu qu'une seule ren-
contre avec Tennemi, celle du 20 juin 1783. Dans cette
journée, Tescadre française avait fait Irès-brillamment
son devoir. Toutefois, à l'exception de M. de Peynier,
cité dans le rapport de Suffren, et de M. de Salvert, du
Flamand y qui avait laissé arriver fort à propos pour cou-
vrir son matelot de l'avant, aucun des capitaines n'avait
eu l'occasion de se distinguer d'une manière particulière.
Cependant, à son arrivée en France, Suffren lit accorder
des récompenses à la plupart des officiers qu'il avait
violemment attaqués dans sa lettre du 29 septembre.
On pourrait peut-être croire que certaines faveurs ont
été accordées par le ministre, en dehors du commandant
en chef de l'escadre de l'Inde. La haute situation de Suf-
fren et les déclarations très-nettes du maréchal de Gas-
Iries sur ce point excluent cette supposition. Vous pouvez
compter, monsieur, « que ce sera vous qui disposerez
des grâces que vous estimerez juste que le Roi fasse, et
qu'il approuvera toutes les punitions que vous aurez i)ro-
noncées », écrivait le ministre à Suffren, en lui annonçant
sa nomination au grade de lieutenant général.
MM. de Bruyères et d'Aymar ayant commandé, le pre-
mier Vlllv^tre et le second le Salnl-Micliel au combat du
3 septembre, furent nommés commandeurs de Saint-
Louis. Le capitaine de vaisseau du Chilleau eut une pen-
sion de quinze cents livres, et il fut fait, ainsi que
M. d'Aymar, chef de division en 1786. M. de Saint-Félix,
auquel une i)ension dehuitcenls livres avait été accordée,
après le combat du 12 avril, en eulune seconde de quatre
cents livres sur le trésor royal, en juillet 1784. M. de la
k
kSIi lUSTOIUE DE LA MAHINE FRANÇAISE.
Piilliëi'C, l'anciea capitaine de VOrient qui cLait, à causa
de l'état de sa santé, dans l'impossibilité de servir acliTfr;
meut, fut mis à la retraite avec la commission de chefi
division et une pension de trois mille six cents livres. (
ne doit pas perdre de vue que M. de la Pallièrc n'avi
rien fait depuis le combat du 3 septembre, puisque 84
vaisseau s'était perdu en rentrant à Trinqucmalay. Or,
Était dit dins les considérants du décret qui lui accordi
les avantages indiqués ci-dessus, « M. de la Paliière, a
cien capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes, ti
fait la guerre honorablement. Parti de France avec Ift
vaisseau le Sévère, -il a pris part à quatre combats, et tt
élait à la prise de Trinqucmalay. » M. de Galle, nomi
capitaine de vaisseau pour sa conduite à la Praya, obU
une pension & la fin de la campagne. Apres cette démoi
tration, basée non-seulement sur la corresjiondance, UDÛ
aussi sur la conduite de SulTrcn, il est permis de
qu'il ne faut pus allaclier une trop grande importance'
quelques-unes dos plaintes portées contre les cupitaiu
de l'escadre de l'Inde. UM. d'Aymar, du Cliilleau, de Sain
Félix, de la Paliière, de (ialle, traités très-sévfcrejiwi
dans la lettre du 29 septembre, eurent des croix ou A
pensions. Si le Bailli de SulTrcn cédait quelquefois, en r
digeant un rapport immédiatement après «ne bataille,
la vivacité de ses impressions, la loyauté de suncarDcÛif
le mettait au-dessus d'une injustice. II estinulile défaire
remarquer l'extrême sagesse qui préside à la distribution
de quelques-unes de ces récompenses. Données en dehoi&j
de toute faveur, elles montrent l'cprit qui dirigeait ï
lustre chef de l'escadre de l'Inde, M. de Peynier est
chef d'escadre jiarce qu'il est reconnu digne d'exercefi
importantes fonctions. Sufîren n'a pas, sur les talents
MM. d'Aymar et de Bruyères, une opinion aussi favi
ble. Néanmoins ces deux officiers ne sont pas oubliés,
croix de commandeur de Saint-Louis qui leur est
déo, n'est donnée, d'après les usages du temps, qu'
chefs d'escadre et aux lieutenants généiaux.
LIVRE XV. 485
Suffren ne veut pas, c'est qu'on donne à la bravoure ce
qui revient au mérite. Cette doctrine, soutenue par un
des plus grands de tous nos amiraux, doit être relevée.
Ce quMl faut à la tôle des flotlesct des armées, ce ne sont
pas seulement des hommes courageux, maïs des chefs ca-
pables de les conduire à la victoire.
Le ministre montra une très-grande sévérité à Tégard
des officiers dont le commandant de Tescadre de l'Inde
avait eu réellement à se plaindre. M. de la Landclle, re-
venu en France sur sa demande après le combat du 3 sep-
tembre, le lieutenant de vaisseau de Tréhouret, capitaine
du Bêsarre, lorsque ce vaisseau s'était perdu àGoudelour,
le lieutenant de vaisseau qui avait pris le commandement
de VArtésieny le 16 avril 1781, après la mort du capitaine
de Cardaîllac, furent mis à la retraite. M. de Forbin obtint,
comme une très-grande faveur, de quitter le service*.
MM. Bidé de Maurville* et de Cillart furent raves des listes
de la marine. M. de Cillart fit paraître un long mémoire
pour expliquer, si ce n'est môme pour justifier sa con-
duite. Il avait, disait-il, un très-faible équipage, peu de
matelots et de canonnîers. Enfin, au moment où il avait
cédé à la fatale détermination d'amener son pavillon, son
vaisseau se trouvait très-mal traité. M. de Cillart avait le
tort de ne pas comprendre que toute discussion sur ce
point était sans objet. Que le Sévère^ qui avait beaucoup
souffert pendant la première période de la bataille, frtt
incommodé du feu très-vif du Si/Z/an, celan'était pasdou-
1. Le comte de Forbin commandant le Vengeur h la Praya et dans Pfnde,
capitaine de vaisseau du dcpartomcnl de Toulon, ayant ofitenu la permissio
de quitter le service, ne sera plus porté sur les états do revue h. compter
du 12 septembre 1784 (archives de la marine). Le comte do Forbin avait
été enfermé au château du Pont-Saint-Esprit, à son arrivée en France. Il y
était resté jusqu'au moment oh cette décision avait été prise.
2. Le capitaine de vaisseau Hidé de Maurville, commandant de V Artésien
dans l'Inde, s'est constamment mal conduit dans los conil>ats du 17 février,
do 12 avril et du 6 juillet 1782. Le 5 juin, il laissa échapper un vaisseau
anglais en levant la chasse sans ordro. Détenu au château de Ttle de Ré, à
son arrivée en France, il fut élargi, le 2.S juillet 1784, jour où il fut rayé des
listes de la marine (archive de la marine.)
48B HISTOlflK DE I.A MARINE FRANÇAISE.
lcii\. Mais le niiiibal, oiigagt^ entre ces dmix vai!*seauv,
ne dpvait durer que le temps nécessaire au Sultan pour
Rchevor son viremenl de bord. Le capitaine James Wall,
qui était fort loin des siens ol Irts-prfes de nous, n'avait
et ne potivHÎt avoir d'autri; penste que de fuir. Cesl, d'ail-
leurs, ce qu'il fil aussitôt qu'il eut le cap en roule. Il edi
gurfi que M. de Cillart déployât un peu d'énei^ie pour
écliappcr A l'afTreuse situation dans laquelle il se pja<;a.
Le Sihtèfe avait joué un rôle Tort modeste, les 17 févriiT
el 12 avril, mais il avait tr{<s-braveinent fait »on dcvfiirlr
6 juillet, il est évident que cet orflcier perdit In tête Ior>-
qu'il Tnl bord h bord avec le .^uUnn. Dans les vaisseaux
rran(:ais qui évoluaient auluur de lui, cl dont quelqiie»-
uns nianœuvraient pour se porter à son secours, il nevil
que dR!; bdtiuienls qui l'abiindonnaient. M. de TromHin
n'nvuii pas quitté l'escadre de l'Inde dans les même» coii-
ditions que MM. de Manrvïtle et do Forbin. Après le com-
bat du 3 se]ifeinbro, il avait obtenu du cnmmaiidant en
chef l'autorisation de rentrer en France. Le capitaine de
YAïKiihnl st'Iait bien battu, le 12 a^Til, et encone mieux,
le 6 juillet, mais son rôle avait été nui, ie 17 février et le
3 septembre. Les fonctions de chef de division que rem-
plissait M. de Tmmelin, et les difTicultés qui s'étaient
élevées entre Suiïren et lui, à l'Ile de France, au sujet du
commandement de VAnnibal, avaient attiré l'altenlion du
ministre sur sa personne. Lorsqu'on apprit, à Paris, ()u'il
' s'était démis volontairement du commandement de son
vaisseau, sa radiation des bstes de la marine fut décidée'.
M. de Tromelin publia un long mémoire, et il fit des {té-
marches trés-aclives pour obtenir que la mesure prise à
son égard fût révoquée. Le ministre, (jul lui reprochait
d'avoir fait à son chef une opposition systématique, el
d'avoir montré une très-grande ignorance ou beaucoup
I. M. de Troindin. loiinnandanl lAiiuiUil (français) boiib Siifrrcn. fui
n)6 iJps lixtoB de la niannu en eti-culïon de ta décision rojale du l.'i jnil-
lel IIIW, dapr^ li's plainlcs portée» mtilre lui par M. de !iu(rn>i) (nrrhiie*
de In marine).
LIVRE XV. 487
(le mauvaise volonté, fut inflexible. M.deTromelin aurait
dû imiter la conduite de MM. de Saint-Félix et de Galle.
A leur arrivée à Tlle de France, ces deux officiers expri-
mèrent hautement leur regret d'être éloignés de Tescadre,
et le désir de la rejoindre, aussitôt que Tétat de leur santé
le leur permettrait'. Tous deux avaient déjà commandé
(les vaisseaux avec les(iuels ils avaient pris part à plu-
sieurs combats. Néanmoins ils n'hésitèrent pas à accep-
ter la position de capitaines en second, M. de Galle sur
V Argonaute, et M. de Saint-Félix sur le Fendant, pour re-
tourner dans rinde*. Quoi qu'il en soit, on doit exprimer
le regret que MM. de Forbin, deMaurville etdeTromelin
n'aient pas été traduits devant un conseil de guerre. Les
faits eussent été mieux connus, et Tarrôt qui serait in-
tervenu n'aurait permis à aucune réclamation de se pro-
duire.
Nous avons montré qu'on ne devait pas juger la con-
duite des officiers de l'escadre de l'Inde d'aj)rès quelques
lettres de Suffren, mais sur l'ensemble de sa correspon-
dance. Nous ajouterons qu'il ne faut pas confondre les
gens qui ne savent pas se battre avec ceux qui ne le veu-
lent pas. Sur le champ de bataille, et môme dans les ma-
nœuvres faites hors de la présence de l'ennemi, la bonne
volonté ne suffit pas. Le lieutenant de vaisseau de Tré-
1. Il fiaratt que MM. de Galle cl de Saint-Félix n'ont pas «voulu Hro con-
fondus dans la liste de ceux que Tcnnui du méti<TOu la mauvaise volonté a
ramenés aux Iles, (lettre du maréchal de (^astries d M. de Souillnc du
20 avril 1783.)
2. I^ 10 décembre 1782, M. de dalle s'embarqua, h l'Ile de France, comme
capitaine de vaisseau en .•second, sur V Argonaute, commandant (llaviéres.
Il était présent sur ce vaisseau au combat du 20 juin 1783. Le lendemain,
M. de SulTren lui pro[M>sa le commandement de VAjax. mais le mauvais étal
dans lequel était relond)ée sa santé ne lui |MTmit pas d'accepter ce
témoif^age flatteur de la bonté de son général. L'Anjoimutr restant dans
rindc, il passa sur le VeuQeur comme capitaine en second, (l-llats des ser-
vices de M. de Galle.) M. de Saint-Félix avait embarqué sur le vaisseau le
Fetidant commr capitaine en second, le \*' décend)re 1782. à l'Ile de France.
Il assista sur ce vaisseau au combat du 20 juin 1783, et Suiïrcn lui donna le
lendemain le commandement du Flamand.
488 IllSTOiriE DE LA MAIIIXR mANÇAISE.
Iiuurct, auquel Suffren avnil i-onllf le commandemcnl ilu
BinnTe nprès le déjiarl cie M. de la Landelle, Alail forl
honoré d« son nouveau poste, pI il ne soiihailnit rien Innl
que de le remplir h liisnlisrartionde son chf->f.Op|»cn(Ianl,
il perdit ce vaisseau en iiiouiltani sur la rade de 'joiide-
lour pnr un tr^s-llCaH temps. Cet oflicier fut puni decellf
faute par sa mise A In retraite. Il est permis de dire qu'il
paya fort cher l'honueiir d'avoir commandi^ trop \M un
vaixi^eau de ligne. Ce qui est d'une vérilé inconleslal'lc,
c'eftt l'extr^mo mMiocrili- de la plupart des capitaines H
des ofliciers places sous les ordres de SulTren'. Cetli-
situation tenait il un état général de la inarinr. h cptic
époque, que nous allons indiquer.
Les préparatifs de la guerre de l 'indépendance anuTÎ-
caine commencèrent le lendemain du jour oii fut sifim-
le traité de Paris. Le dur.de Choitteul travailla mna bruil,
atin de ne pas attirer l'attention de l'Anglctern!, maisaiiT
la plus frnmde activité d lu réorganisation de nos force«
navale». Il y cul, en 1776, un moment où la guerre fut
considérée comme très-proche. M. de Sartines, préoccnp*
de la question du personnel, mit à la retraite les offlciers
que leur &ge ou l'état de leur santé rendait incapables
de servir activement. On fit des promotions, et ou voit
dans les rapports adressés au Boi pour l'exécution de ces
mesures l'intention très-nede, de la part du ministre, lic
n'avancer que de bons ofilciers. Les résultais du eombal
1 , Je ne pais entrer dam ancDU ddtell, mai» ai, dana cttte eaoïdrr. on nt
change |>aB cinq ou lix uipitainca, on ne fero jaiuaif rii'n. (l.cUrc de SiilTmi
nu ininii'lre de la niarinr.) SufTren avait àijii ^ril, à [iropw de rnirnirr ilu
17 février, qu'il ne pouvait paa renvoyer lea mpilaine» dont il était méron-
tenl, parce qu'il ne trouverait paa dans fon escadre dea oniciers sufliMininirnl
capaÛpti ponr les remplacer.
Il faut nonii envoyer, diuil-il dans une autre lelire, des olOriers, rar aan*
«nx aucune ««cadre n'est pos5il)le. On pouvait nppliqurr avec justice t an
certain nombre de capitaine» ce que SulTren itiuiit de MN. Forbin, Mauniltr.
Bouvet, de la [jindHIe et Cillart apr.'» le couil'at du 17 avril : • Ont fait Iiîfb
médiocrement. Opendanl ce n'est le tu» ni de conneil de guerre ni dr
démonter ce» meimipur)'. -
LIVUE XV. 489
il'Ouossant monlrirent l'eflîcarité des moyens employés
depuis 1763 pour reconstiluer noire mnrïne. Certains de
valoir nos adversaires, nous n'avions plus & nous préoc-
cuper que de leur nombre. On ne larda pas à s'aperce-
voir que, si on avail bien Tait, on n'avait pas fait assez.
La paix qu'on considérait comme tri-s-proche ne se lit
pas. 1,'F^spagne se joignit à la France, mais eetle puissance,
absorbfc par la pens/^e de prendre fiibrultar, ne nous Tut
(jiie d'un Faible secours. Après l'Espagne, ce fut au lonr
des Elals-Généraux à se déclarer contre l'Anf^letcrre. L'al-
liance de la Hollande ne fit que nous créer dos embarras,
et la Frnace se trouva presque seule en face de son puis-
sant adversaire '. Notre marine ne recula pas devant celle
lâche, mais elle lut obligée d'avoir recours à des moyens
qui l'alTaiblircnt. Kn temps ordinaire, les garnisons des
vaisseaux étaient composées de soldats appartenant aux
troupes de la marine. Ces hommes, habitués à la vie de
bord, rompus fi toutes les exigences de leur métier, n'é-
tant plus assez nombreux, furent remplacés par des sol-
dais empruntés à l'armée de terre. Quand les matelots
devinrent rares, on diminua la proportion des hommes
de mer entrant dans la composition des équipages. Les
capitaines se trouvèrent sou\ent lieureux d'obtenir des
soldats dos troupes de la marine à la place de matelots
qn'on ne pouvait pas leur donner.
La question des états-majors ne présent» pas moins de
difficultés. Il ne fut pas possible de se conformer aux
dispositions réglementaires concernant l'embarquement
des officiers'. Dès le mois de juillet 1778, le comte
ï. pins je réflpcliis h i'pI objet (il «'agiisnit île In diiclnralinn dpfcuerri' <1e
Il GTande-Rretagne à la Hpllnnde), plus je suis i>mlarrii$)w pniir dislingner
■î nous devons nou!> réjouir do cet j^vËnemcnt ou ddiik rn aCDiRar. (Ij-llre
d« M. de Vergennea à H. de Montmoriti.)
3. Un réglrinienl du 14 fi^vriur 1778 dirait que les raituwaui a les IréKalm
luraieitl, suiviDl leur rang, le aombre d'nfliriers daignés ci-aprAs, savoir :
les vsissesux de cent canons ol au-dessus, deux rspilsincs de Tiissmii.
tinq lieutenant*, cin<[ PHneignes et igoalru oflicicrti luxîliairco ; le« vaisseaux
dp qnalre-viiiKl-di\, rieiix cipit.iinPt* i\e vniswnu, cin(| Meutpiianis, Hriq rn-
WO HISTOIRE DE Là MAIUNE PRANf.AISK.
il'OrviUiprs i^îpiala l'insiifllsance fies caiires. Otie nn-
iiL'c, nous avions ceni soixuiite-seiicG Mtiments armH. (^
cliilTre s'éleva, en 1779, à deux cent Boixanle-([ualri>, t-l,
en 1782, & trois cent vingt-cinq. Il fallut remplacer le«
officiers tués, ceux qui, par suite de l'état de leur sanl<'
ou de leurs blessures, étaient hors d'état de naviguer, el
pourvoir aux besoins nécessités par les nouveaux annis
monts. De nombreuses promotions eurent lieu. Le cadre
des capitaines de vaisseau perdit de sa solidité, et reliii
des lieutenants et des enseignes s'épuisa. Le ministre se
vil obligé d'employer tous les officiers, même reux (jii'il
eût volontiers écarlés. On augmenta le nombre des ofti-
liers auxiliaires, et on lit appel aux anciens ofliciors (!«■
In Compagnie des Indes. Les conditions dans lesf|ue)l<->i N'
Proipctew fut pris par le FoutlroyaiU montrent les n'-.Mil-
lals Huxcjuels on peut arriver, lorsque, jiendanl la \m\,
on ne se ménage pas des ressources suffisanles p^mr
faire la guerre*. Ces armemenis, qui étaient hors de pro-
portion avec nos préparatifs, auraient complélemcnl
di''sorganisé le personnel de la marine, si relui-ci nnvnil
pas eu une tr6s-grande solidité. Le gouvernement fran-
çais avait, au début de la guerre, l'intention d'agir dan:^
l'Inde avec vigueur. Une première escadre, prête à faire
sci^CB et ImiH oDiciert auxiliatrrsj le» vaisseaux de quatre-TinKts, dnii
rapilAineu de vaisseau, quatre iieuteiianl!>, quatre enseignes el Irais officirr'
auxiliaires; tes vaisseaux de Boiiiante-qualaree,deuxcapilBines àa vaisseau,
quatre lieulrnant!!, Irais enseignes et trois oDiciers auxiliaires : leH vaisseani
lie Koixanlc-quBtrc. un capilaine de vaisseau, quatre lirutenanls de vaii<*ei>,
Irais enseignes et Irais «fliciers auxiliaires; les vaisseaux t)e dnquuilr,
un eii]>ilBinc de vaisseau, quatre lieulenanls devaisKeau, deux enseieae<dr
vnisseau el deux oUicicrs auxitinires, I^s fregales commandi^ par un cap>-
Inine de vaisseau devaient avoir un lieutenant de vaisseau, deux enseigo'»
ettraiH olTIricrs auxiliaires. 4 belles qui étaient cuuimandées par un lirulenanl
de vaisseau avaient un lieulenanl de vaisseau, deux en«ei|mes el Ikh^
«rileiers auxiliaires.
1. On Hn ra|)|>ellc ijue le plus ancien officier d'un vaisseau de soixante-
quatorze iMait un jeune enseigne de dix-neuf ans. Dans le mmlial <le l>
llrUotie el du Coirriifri/, le capitaine, le lieulenanl de vaisseau <le Pirrrr-
verl, neveu Je Suflrau. ajanl élé tué, ce fut un officier auxiliaire qui lui
■urréda. Ce dernier aiant eu le même sort que son capilaine, le comumi-
demcnt de la fréRalo (inssa k on officier napolitain.
LIVRE XV. 491
roule pour l'Ile de France, reçut brusquement Tordre
de rallier le comte d'Eslaing, tenu en échec à la Marti-
nique par Tamiral Byron. Une seconde escadre, ayant la
même destination, était sur le point de prendre la mer,
lorsqu'elle fut sacrifiée à un besoin non moins pressant.
Le ministère, qui reconnaissait rimpcrieuse nécessité
d'envoyer des troupes en Amérique, ne disposait pas
d'une force suffisante pour protéger leur passage. Il est
inutile de rappeler les résultats considérables obtenus
par le corps de Rochambeau. Quelques vaisseaux, pres-
que tous médiocremefnt armés, furent expédiés isolément
h rile de France*. La division navale de l'Inde avait
joué jusque-là un rôle trop effacé pour que les comman-
dements de ces navires fussent recherchés. Les officiers,
quel que fût leur grade, demandaient à servir là ou ils
avaient le plus de chances de rencontrer l'ennemi, c'est-
à-dire en Europe el dans les Antilles*. Lorsque, plus tard,
l'escadre de l'Inde passa sous les ordres de Suffren, la
plupart des capitaines ne se trouvèrent pas à la hauteur
des obligations que leur imposa le génie entreprenant
de leur chef^ On connaissait si bien cette situation.
1. Nous devons ajouter que les vaisseaux expédiés à l'Ile de France arri-
vèrent à leur destination extrêmement alTaiblis. Le capitaine de vaisseau
«l'Orves, en rel.\che au cap de Bonne-Espérance avec le vaisseau l'OriciW,
écrivait au ministre qu'il avait perdu quarante-neuf hommes |)cndant sa
traversée. l\ annonçait qu'il laisserait en parlant vingt hommes dans la
colonie. Il avait deux cent soixante-dix-huit hommes sur les cadres ou hors
d'état de servir. Les autres vaisseaux ne souffrirent pas autant que VOrienl.
mais tous perdirent du mondc^ et ils eurent un grand nombre de malades.
2. Les amiraux servant en Europe et dans les Antilles usaient de leur
influence pour conserver dans leurs escadres les meilleurs ofllciers. Suffren
ne put obtenir que le capitaine d'Albert de Rions vint avec lui, quoique lo
ministre fût disposé à le lui donm^r. D'Albert, écrivait Suftren dans une lettre
particulière portant la date du 26 février 1781, avait autant envie de venir
avec moi que j'en avais de l'avoir : « M. de Grasse s'y est opposé et l'a
emporté. •
3. Ce qui suit fournira un nouvel exemple des difficultés avec lesquelles
Suffren el ses capitaines avaient eu û lutter. Deux vaisseaux français,
VAnuibal et VAjaXj rentrant en Europe après la paix, touchèrent au cap de
Bonne- Espérance. VAnnibal avait perdu soixante hommes du scorbut
pendant sa traversée; et il ne comptait pas moins de cent soixante ma-
492 HISTOmiv DE LA MARINE FRANÇAISE
k Paris, que le maréchal écrivait 4 SulTren le 17 avpit
1782. « Vous avez vu, monsieur, par toutes les disposi-
tions qui ont suivi celles de voire départ, que te Roi a en
l'intention de ne nommer au commandement des vais-
seaux qui sont passés dans l'Inde que des odiciers en élij
de vous seconder dans des opérations que M- d'Orves
et vous jugeriez devoir être Tormées. u Poursuivi par la
pensée de réduire IVscadre anglaise à l'impuissance,
SufTren ne voulait que des alTaires décisives. Lorsque lu
circonstances ne lui permetlaient pas d'apporter dam
son attaque la méthode et la régularité qui eussent renila
Tacile la lAche de chacun, ses signaux indiquaient nette-
ment le but qu'il poursuivait. Il pensait que ses capi-
taines sauraient agir sans attendre des ordres qil'R
n'était plus possible de leur donner une fois l'alTaire en-
gagée. Celte espérance fut constamment trompée. Esceplê
à l'alTairc (ki 20 juin, il se produisît dans les combalff
livrés sur la cdte de Goromandel des incidents qui obli-
gèrent les capitaines à ne prendre conseil que (l'eun^
mêmes. Le 17 février, le 12 avril, le 6 juillet aprts la
saule de vont, et le 3 septembre, le succès dépendait ié
la capacité particulière de chacun d'eux. SuITlren i
trouva pas dans son escadre cotte souplesse et celte faci-
lité de manœuvre qui eussent été nécessaires A l'exécu-
tion de SCS desseins. Est-il surprenant qu'il se soit plaint-|
avec autant d'amertume de l'infériorité de ses capilaîneaïa
Quand on mesure les obstacles qu'il a dil vaincre, son
génie semble encore plus grand.
Au moment oii la paix fut signée, l'opinion publique, en
France, ne distinguait d'une manière parliculii-rc aucun
des amiraux ayant commandé en Europe, nux Anlill(a|U
ou sur les côtes d'Amérique. Le combat d'Ouossanl cl l
services du lieiilenanl général d'Orvillicrs avaient été p
dus de vue, à la suite de l'expédition désasireuse de 1711
IddcK. Tr*iil<^m>pl hommi» étaient mortK, h bord de VAjiii
part de Triiiqui'malaj, ('l il j nvail cent Ir^iHe linmmc* b
VAnnilial nv.iit Tiiil jijsr|u'li ili\-liuii [wiuccs il'enu il Thnire.
LIVRE XV. 493
Ces derniers événements étaient encore trop proches pour
qu'onrendîtàcet officier général lajusticequi luiétaitdue.
Le comte d'Estaing, rentré en France après son échec de-
vant Savannah, n'avait repris la mer que pour conduire
une escadre de Cadix à Brest. Les brillants résultats de la
campagne de 1781 avaient donné au comte de Grasse une
popularité qui avait disparu le jour où le fatal combat
de la Dominique avait été connu. Il restait les lieutenants
généraux de Guichen et de Lamotte-Picquet. Le premier
avait bien dirigé son escadre dans les trois rencontres
qu'il avait eues avec Rodney en 1780. S'il n'avait pas in-
fligé de grandes pertes à l'ennemi, il n'en avait subi
aucune. A la fin de cette campagne, il s'était démis de
son commandement qu'il trouvait au-dessus de ses forces,
et, depuis cette époque, il n'avait joué qu'un rôle secon-
daire. Quant à Lamotte-Picquet, on se souvenait de l'au-
dace qu'il avait déployée, au mois de décembre 1779, en
se portant avec quatre vaisseaux au-devant de l'escadre
de Parker. Mais au milieu des grands événements qui
s'étaient succédé pendant cette guerre, il n'avait exercé
aucun commandement importante Nous ne parlerons pas
du chef d'escadre de Ternay, mort à Rhode Island avant
d'avoir trouvé l'occasion de se distinguer. Lorsque Suffren
avait pris, en 1781, le commandement de la division que
•le ministre envoyait à l'Ile de France, il n'avait pas de
notoriété en dehors de la marine. La hardiesse de sa
manœuvre à l'affaire de la Praya appela sur lui l'atten-
1 . On ne s'explique pas que Lamotlc-Picquel n'ait [Ols éié employé, pendant
cette gue.'re, d'une manière plus conforme à son mérite. Il semble qu'aucun
commandement n'eût été au-dessus de ses forces. On ne doit pas attacher
une trop grande importance à ce qu'on dit des officiers, à leur entrée dans
la carrière. Les espérances qu'on conçoit alors ne se réalisent pas toujours.
Néanmoins, on lira avec intérêt la note suivante donnée à Lamotte-Picquet
en 1142. Celui-ci avait alors vingt-deux ans : « Lamotte-Picquet a beaucoup
d'esprit et d'application, a bien fait ses études, bon géomètre, grand
aritlmiéticicn, saisit toutes les parties du métier avec facilité. Estimé de
tout le monde, est un très-digne sujet, sera un excellent officier, n'ayant rien
omis dans ses campagnes pour acquérir toutes les connaissances nécessaires,
4tl4 IllSTOinB DE LA MAHIXK FUANCAISK.
tioii. Ses iircmicr» combats dans l'Inde eurent en France
un très-yrand retentissement. Les* avantages qu'il rem-
porta le 17 février, le 12 avril el le 6 juillet «tonnèrent à
i'iunour-propre national, cruellement atteint par la dùfaîlc
du comte de Grasse, une très-vive satisfaction. Lu prisf
de Trinqueinalay el la campagne de 1783 excitèrent l'ud-
miratiun gtinéralo et mirent le comble h sa réputation'.
Le nom de SufTren acquit, non-seulement dans iiotr«
pays et clicz nos alliés, mais ilaus toute l'Europe, un pa-s-
tige éilalanl. La France ne se montra pas ingrutfi envcr§
l'honune qui, non loin du tliC-iUre de la gloire des Du]ileii
et des Labourdunnaye, avait soutenu avec autant it'éelat
riionneurde notre pavillon. Partout oii il parut, sa pri'--
scncG souleva un enthousiasme extraoni inaire. La foule
accourait sur son passage pour l'apercevoir et le saluer
de ses acclamations. Louis XVI, la Rcino et les membrt-«
de la famille royale le IraitJTeut avec une distinction parti-
culière. Les plus grands serviteurs de la France, Turenne,
le maréchal de Saxe, n'avaient pas été mieux accueillis.
Nommé clief d'escadre en 1782, SufTiftn avait été fait lieu-
tenant trénérni en 1783. Le Roi décida ((u'uiic qnutri<-iii<'
charge de vice-amiral serait créée en sa faveur, el, le 18
esl hoiiiiiic: Hur lequel on (tuul Jeter les ji'ux |iour de c;ertain« emplois |«r lî»
UlenU. ■
I. Sulfi'en avnit êlé noinmii cliel d'escadre |>our ralTaire di' la rra^n. U
grade de liellletiant (ténéral était la récoiii|wn»c îles conibnU Je» 17 fi'VriiT.
n avril et S Jiiiltcl. Danit une lettre inrticulière, SulTreii a|i)irèi:iait. nin«i
qu'il suit, ce qu'il avait bit api'és ee dernier cnitibal : - Je juuis. ma cUcrt
amie, du plaisir que tu auras eu ippreuanl, au uioin de uiars 1Ï83, quv je
itllis l'Iier d'escadre, et vn mars Xi que je suÎh lieuleiiuiit t^ènenil. En IiashI
la fttUKlle, car c'est |iar lii quc! lu l'ourn» ui>|>ri». lu aurtu Tait nu Iwau en A-
jove. A présent, je ta le dis dans la sincérité de nuui ca'ur et )Hiur toi ^uli-.
ee que J'ai fait depulii vaut iiilinimeut mieux que ee que j'avais fait pnii'-
demiueut. Tu sais la jirisc et le cciniliat de Trinqueiiiataj, mais la lin <lr la
campagne et ce qui s'est (lassé du iuui4 de mars jusqu'à la lin tie juin •'>)
Tort au-dessus de tuut ce qui s'est fait dnus In marine depuis que j'; sui>;
peut-iHrc j at-il eu plus de bonlieur que bien j"ué, mais le résultat f-t
agrénlile |>our moi et mee amis, et trés-avai)la|^u\ |>uur l'ktat. car rescadrr
était hasardéi! et l'arniéeperdue. Aussi je crois que M. te man[uiHdc t^slrli?
ne se repentira pas de m'avoiraccordd une grâce inouïe. •
. LIVRE XV. 495
avril 1784, il fut élevé à cette dignité*. Les Étals Généraux
envoyèrent une députation à Paris pour lui remettre
une épée d'honneur. Ils firent, en outre, frapper une mé-
daille qui devait consacrer le souvenir des services que
l'illustre amiral avait rendus à la Hollande.
1 . La position de vice-amiral n'était pas seulement un grade militaire,
c'éiait aussi une des charges importantes de l'État. La quatrième place du
vice-amiral créée en faveur de Suffren devait l'être supprimée après lui. On
trouvera, à la fin de ce volume, le texte de Tordre royal que lui conférait
celte charge. Ce document est surtout intéressant parce qu'il relate les états
de service de SulTren avant et pendant la campagne de Tlnde.
FIN.
APPENDICE
Mémoire pour seruir dHnsb^ction au sieur Gérard, secrétaire du
Conseil dEtat, allant résider, de la part du Roi, auprès du
Congrès général des Etats-Unis.
19 mars 1778.
Les États-Unis de rAmérique ayant donné une base légale à leur
indépendance par Pacte du k juillet de Tannée 1776, le Roi jugea
que son intérêt politique ne devait pas s^opposer à la consistance
qu'ils pourraient acquérir; qu'il pourrait môme en résulter des
relations utiles à son royaume. C'est dans cette vue que Sa Ma-
jesté leur a accordé dans ses ports toutes les facilités de com-
merce compatibles avec les engagements alors existants,
La défaite du général Burgoyne ^ ayant précipité les événements
au delà de toute attente, le Roi sentit la nécessité de prendre enfin
un [)arti décisif à Tégard de TAmérique. Cette nécessité devint
d'autant plus urgente, que PAngleterre, de son côté, commença à
ouvrir les yeux sur ses fautes et son impuissance et qu'elle songea
sérieusement aux moyens de se réconcilier avec ses colonies; les
conditions mômes qu'elle se proposait de leur faire accepter mon-
traient si manifestement son but hostile contre la France, quMl n'y
avait pas un moment à perdre si Ton voulait sérieusement en pré-
venir l'effet.
En conséquence, le Roi fit traiter avec les députés du Congrès ;
et il a été conclu avec eux, le 6 février, un traité d'amitié et de
commerce et un traité d'alliance éventuelle. Comme le sieur Gé-
rard a lui-môme signé et expédié ces traités, il serait superflu de
rappeler ici les circonstances qui les ont précédés et accompagnés ,
il suffira de lui en remettre des copies, et de faire connaître Tes-
1. ASaratoga.
32
498 HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
prit dans lequel ils ont èlé dirigés et les moyeas que k Km ni
résolu d'employer pour les remplir.
L'indépendance de l'Amérique septentrionale et son union per-
manente avec la France ont été le but principal du ttoi et c'est pour
assurer l'un et l'autre que Sa Majesté s'est portée aui stipulationa
éventuelles renTerinées dans le traité d'3l]iaiic«, et que, dans le
traité de commerce, elle ne s'est assuré aucun avantage exclusif.
La Grande-Bretagne ne regardant la communication amicale <tiii
lui a Été faite de la signature du traité de commerce, ni comnie
une provocation de guerre, ni comme un acte d'hostilité, rend abso-
lues et défioitives les stipulations qui n'étaient encore qu'éventuel-
les; c'est de leur exécution qu'il s'agit aujourd'hui.
La première et la plus essentielle de toutes est qu'aucune des deui
parties ne fera ni paix ni trêve sans le conseotement do l'autre;
son exécution Qdèle sera lu garant des avantages que l'une et l'autre
pourront se procurer durant la guerre, et il est essenlid que k
sieur Gérard pénëlre le Congrès de cette vérité, et qu'il le prému-
nisse par Ifi contre les suggestions que les Anglais pourraient lui
faire pour eoncture une paix séparée. Il l'assurera, en même tompi,
de la manière la plus positive, que le Boi, de son cAlé, rcjctlri
toute proposibon de cette nature qui lui serait faite par l'enaerni
commua, et qu'il ne posera les armes que lorsque l 'in dépendante
plénif'ce et absolue des treize Étals-Ums aura été reconnue par la
Grand e-Br etagn e.
Quant aux opérations militaires que les deux parties denDnl
entreprendre, elles dépendront des circonstances. Cependant le
sieur Gérard pourra assurer le Congrès que le Roi fera tous ses
efforts pour empêcher l'Angleterre d'envoyer de nouvelles fortes
en Amérique, au moyen de quoi les Américains pourront d'autant
plus facilement vaincre l'armée du général Howo, que l'on a lieu
de se flatter que la Dotte commandée par le comte d'Estaing
détruira l'escadre anglaise qui est dans la Delawaro, ou au moiDS
l'empêchera d'approvisionner l'armée royale.
Il est possible que les opérations de l'armée contlnentak
et de la flotte aient besoin d'être combinées; mais comme ni
ce besoin m les moyens d'y satisfaire ne sauraient être pré-
vus dès à présent, les arrangements qu'il sera question de faire
ne pourront être concertés qu'avec le commandant de la flotte i
qui on donnera à cet effet les pouvoirs nécessaires. Il est un poiol
qui importe lort au Koi, et qui exigera toute la dextérité du sieur
Gérard : ce sont les stipulations à ménager en faveur de rivâpt-
gne. Il sait que celle puissance n'a pria aucune part aux deux Irai-
APPENDICE. 499
tés, quoiqu'elle n*y répugne point, et que, jusqu'à présent, elle n*ait
rien articulé des conditions auxquelles elle pourrait y accéder dans
la suite. Cependant on a lieu de croire qu'elle désirerait acquérir
les Florides, une part aux pêcheries sur les bancs de Terre-Neuve
et la Jamaïque. Ce dernier objet est entre les mains du Roi, puis-
qu'elle se l'est assuré éventuellement, par le traité d'alliance. Le
second dépendra également d'elle, du moins en grande partie,
ainsi il n'y aura rien à négocier de ce côté avec le Congrès.
Quant aux Florides, elles entrent dans le plan de conquête des
Américains; il s'agira donc de les préparer à un désistement
éventuel ; le Roi en charge d'une manière spéciale le sieur Gérard,
et Sa Majesté s'en rapporte entièrement à sa prudence sur les
moyens à employer pour remplir cet objet. On lui fera seulement
observer qu'il évitera soigneusement de parler au nom de l'Es-
pagne, car Sa Majesté Catholique n'a encore rien articulé relative-
ment à ses intentions et à ses vues. Au surplus, le sieur Gérard
connaît les principaux motifs qui doivent faire désirer k TEspagne
la possession des Florides : il les fera valoir .-autant qu'il sera en
son pouvoir ; mais s'il ne peut pas réussir à obtenir le tout, il s'ef-
forcera au moins d'obtenir Pensacola et les. parties des côtes qui
seront jugées être le plus à la convenance de la cour de Madrid.
Le Roi s'attend que la cour do Londres fera ses derniers efforts
pour se former un parti dans le Congrès et pour semer la division
dans les différentes provinces.
Le sieur Gérard sentira de lui-même combien il est important de
rompre toutes ses mesures, et de maintenir l'union et le parfait
accord qui ont régné jusqu'à présent parmi les treize provinces
confédérées. On n'indique pas au sieur Gérard les moyens qu'il
aura à employer pour atteindre cet objet : ils dépendront des cir-
constances locales, sur lesquelles on ne saurait avoir dès à présent
aucune notion. Le sieur Gérard sait que le Congrès n'a pas encore
ratifié les deux traités. Mais il est à présumer que cette formalité
essentielle pour la validité se trouvera remplie à son arrivée en
Amérique*, si cependant cela n'était pas, son premier soin serait
d'y engager le Congrès, et Ton ne présume pas qu'il veuille s'y
refuser.
Les députés du Congrès avaient proposé au Roi de prendre l'en-
gagement de favoriser la conquête que les Américains entrepren-
draient du Canada, de la Nouvelle-Ecosse et des Florides, et il y a
lieu de croire que le projet tient fort à cœur au Congrès. Mais le
Roi a considéré que la possession de ces trois contrées, ou au
moins du Canada par l'Angleterre, serait un principe utile d'inquié-
500 HISTOIRK Dli LA MARINE FtlANGAlSK.
tude et ds vigilance pour les AméricaÎDS, qui leur fera »eutir dav^-
tage tout le besoin qu'ils ont de l'alliaDce et de l'amitié du Roi:
il n'est pas de son inlérâl de le détruire. D'après cela. Sa Majealt!
pense qu'elle ne doit preaiire aucun engageaient relatif i la coo-
quèle dont il 9'agit. Cependant, si le Congrès un fait l'ouveiiuiv,
comme il est présumable, le sieur Gérard répondra que le Roi w
prêtera toujours avec empressement à tout ce qui pourra con?cnif
aux États-Unis, et qu'il concourra volontiers à l'efTcctualion de
leur plan de conqnëte, autant que les circonstances le permellronl;
mais que l'incertitude et U variabilité de ses engagements ne lui
permettent pas d'en prendre l'engagement formel. Toi est le prin-
cipe de Sa Majesté par rapport à cet objet, et son intention est que
le sieur Gârard le pranne comme base de son lan^^age et de ses
Insinuations. Si cependant le Congrès devenait trop pressant, et
que le sieur Gérard jugeât que le Roi ne pourrait refuser de coopé-
rer à ses vues sans fiùro soupçonner sa bonne volonté ot la droi-
ture de ses intentions, il pourrait alors condescendra à leurs dé-
sirs, mais eu leur faisant entendre toutefois que la conquête qu'il
s'agira de faire ne devra pas faire une condition essentielle de U
prochaine paix. Le sieur Gérard sentira de lui-même que cette
dernière insinuation devra être faite avec assez de dextérité pour
qu'elle n'indispose point le Congris.
11 est probable aussi que le Congres marque le désir d'obtenir
des subsides de la |>art de la Fraucc. Mats le sieur Gérard lui Un
observer que les cITorts que le Roi lait pour la cause américaine
e.xigent de lui des dépenses extraordinaires qui absorbent loM^
ses moyens; que d'ailleurs l'envoi de la flotte dans l'AmériqUi
septentrionale, chargée de faire tout le mal possible aux Anglâi'
opérera une diversion infiniment plus avantageuse pour lee i
ricains que si le Roi se bornait à leur donner de l'argent. Sa M»
jesté est persuadée que le Congriis se rendra sons petno à des nn>fl
sons aussi prépondérantes.
Le sieur Gérard est sans doute persuadé de toute l'iraport
de la mission que le Roi confie à ses soins; Sa Majesté est p
suadée qu'il lui donnera, dans cette occasion, de nouvelles preuTi
de sa capacité, de son attachement pour sa personne ot de son U '
pour son service.
Provisions accordées par le Roi, le k avril 17tt4, à son trts-chtr I
et bicn-aimé le bailli de SuffrenSainl-Troper, lieutenant général d« S
APPENDICE. 501
ses armées navales, d'une quatrième charge de vice-amiral de
France que, par une distinction particulière, le Roi a créée pour lui
seul, pour lui donner des marques éclatantes de sa satisfaction,
portant que les preuves qu'il a constamment données, depuis près
de quarante ans, de sa valeur, de sa vigilance, de sa bonne con-
duite et de ses talents, rendent Sa Majesté pleinement convaincue
de son affection à son service et de son expérience dans la guerre
et la navigation ; qu'ayant été fait garde de la marine, au mois
d'octobre 1743, il fut embarqué en cette qualité, en 1744, sur le
vaisseau le Solide^ faisant partie de l'armée combinée de France
et d'Espagne, et se trouva au combat rendu par cette armée, le
22 février, à la hauteur du cap Sicié; le fut encore, la même année,
sur le vaisseau le Trident, sur lequel il fit campagne dans la Mé-
diterranée et ensuite à la Martinique, en 1745, sur la oorvette
la Pa/me, qui rendit un combat dans la rade à Calais; en 1746, sur
le vaisseau le Trident^ faisant partie de l'escadre du duc d'Anville ;
en 1747, sur le vaisseau le Monarque de l'escadre du sieur de
l'Étenduère, qui essuya, au cap Finisterre, un brillant mais malheu-
reux combat, dans lequel il reçut deux légères blessures et fut fait
prisonnier; qu'ayant été fait enseigne de vaisseau, en avril 1748, il
passa à Malte pour y faire ses caravanes jusqu'en 1751 ; en 1753,
il fut embarqué sur la galère la Hardie, et, en 1752, sur la frégate
la Rose, faisant partie de l'escadre commandée par le sieur de la
Galiosonnière, campagne d'évolutions; en 1755, il passa à Brest et
y fut embarqué sur le Dauphin-Royal, armé en transport, dans
l'escadre du sieur du Bois de la Motte; fut fait lieutenant de vais-
seau en mars 1756, et, étant embarqué sur le vaisseau V Orphée,
faisant partie de l'escadre commandée par le sieur de la Galisson-
nière, il se trouva au combat rendu sur Minorque ; il fut embar-
qué, en 1759, sur le vaisseau V Océan, commandé par le sieur de
la Clue, qui s'échoua, après un combat, sur la côte de Lagos où il
fut pris; que ne pouvant être échangé pendant le reste de la
guerre, il passa à Malte et y fit quelques campagnes jusqu'à la
paix; en 1763, il fut embarqué sur la frégate la Pleyade, faisant
partie de la division destinée à croiser contre les Salatins;
en 1764, il eut le commandement du chebeck le Caméléon, ayant
la même destination, et se sauva d'un naufrage par sa vigueur et
son courage; en 1765, il commanda une division de chebeks dans
la Méditerranée, joignit l'escadre commandée par le sieur Duchaf-
fault, et se trouva au bombardement de Salé et de Larache, et ren-
tra ensuite avec sa division dans la Méditerranée, où il croisa jus-
qu'au mois d'octobre; en 1767, il fut embarqué à Brest sur le
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE,
vaisseau l'ihiion, cotnniaadii par le comU: de Breugnon; «jivayè<|
ambissadi! &u Maroc, il fut fait capilaine de tré^ale au retour tb
la campagne; en 1769, il passa à Malt£ pour y commander udc
galAre, et ae trouva, en 1770, au bombardement do Bizerte; fui
feit capilaine de vaisseau, au mois de février 1772, et eut le com-
mandemetit Aa la frégate la Miijnonnc: ea lllk, le méine comman-
dement; en 1776, celui de la frégate CAlcmènc, dans l'escadra
d'évoluUons commandée par le sieur Duchallault, et, en 1777,
celui du vaisseau le Fantasqua dans l'eBcadr» du sieur Barras m
croisière sur les c4tas de Provence ; que la conflaQC« qu'avait déjù
SaMajestélBdâtermiiia,enl77B,AlitidonQerlâcommandeiuoatdu(n^
me vaisseau dans l'esuadre du sieur comtt: d'iistaiug, qu'elle envoya
au secours dos Étala-Unis d'Amérique; qu'il justifia pleinement cctl*
confiance dans cette campagne qui dura prËs de deux ans, et pen-
dant laquelle il se distingua d'une manière remarquable dans tou-
tes les occasions qui se pré:«ent6r->nt, et particulièrement à Nea-
l'ort, où il força l'cnlrèt! de la rade et obligea cinq ù^gatcs
anglaises à se brûler; et au combat du 6 juillet 1779, devant la
lirenadc, où il fut chef de file pondant tout le temps «{ue les il«ii
armées combattirent à bord opposé et eut soixante hommes tn^
ou blessés; que sur les comptes très- avantageux que le coml«
d'Estaing rendit à Sa Majesté de sa conduite pen/lant culte fam-
pagne, elle lui en marqua sa satisfaction en lui accordant une
pension de 1500 livres, qu'en 1780 Sa Majesté le chargea du com-
mandement des vaisseaux le Zélé et le Marseillais avec lesqueb il
fit une croisière, joignit à Cadix l'armée combinée de France et
d'Espagne, commandée par le sieur de Cordova, croisa avec elle et
rentra ensuite à Brest sous tes ordres du comte d'Estaing; qu'au
commencement de 1781, Sa Majesté voulant envoyer une dinsioii
de ses vaisseaux dans les mers de l'Inde pour y augmenter ta
forces et secourir préalablement le cap de Bonne-Espérance, elle
crut ne pouvoir faire un meilleur choix que de lui pour ce cop»-
mandement, et que c'est dans cette campagne qu'il a développa
tous ses talents, ainsi que le Eèle le plus actif poiTr le succès et 1*
gloire de ses armes; que, parti de Brest, le 30 mars 1781, avec cette
division de cinq vaisseaux et un corps de troupes et d*&rtJIIerie, i!
trouva, le 16 avril, à la rade de la Praya, à l'tle de San Ysgo,
l'escadre anglaise expédiée pour aller attaquer le cap de lloaD^
Espérance; que, coasultant moins le danger que l'importance de
l'entreprise, il l'attaqua au mouillage, la retarda par les dommagtt
qu'il lui causa, arriva avant elle au Cap, y débarqua ses troupes et
sauva cet établissement; qu'il joignit, au mois d'octobre, l'escidn
APPENDICE. 503
commandée par le siem* d'Orves, à l'Ile de France, et partit avec
elle, en décembre, pour la côte de Coromandel. Le 22 jan-
vier 1782, il chassa et prit, après une demi-heure de combat, le
vaisseau anglais VHannibcU de cinquante canons ; que devenu com-
mandant en chef, par la mort du sieur d'Orves, le 9 février, il bat-
tit, le 17, à la hauteur de Sadras, Tescadre anglaise qui profita de
la nuit pour se dérober à sa poursuite. Le 22, il débarqua à Porto-
Novo Tarmée de terre qu'il transportait et ses munitions^ et il
repartit pour aller chercher l'escadre anglaise, la joignit le
12 avril, après Pavoir chassée pendant trois jours sur la côte de
Ceylan, lui livra un combat très>-vif qui ne fut terminé que par la
nuit, Tendommagea et la mit dans une telle détresse qu'elle cher-
cha son salut en mouillant dans des bancs inaccessibles, et la tint
bloquée, pendant six jours, dans cette position, appareilla et croisa
ensuite pour Pattirer à un nouveau combat, mais l'escadre anglaise
s'étant renfermée à Trinquemalay, il prit le parti de retourner à la
côte de Coromandel ; que, le 2 juillet, ayant appris que Tescadre
anglaise était sortie de Trinquemalay et mouillée devant Négapa-
tam, il alla au-devant d'elle, la combattit vivement, le 6 juillet, lui
causa de notables dommages qui Tobligèrent à retourner à Néga-
patam, et il vint pour réparer les siens à Goudelour. Le nabab
Hyder-Ali Kan Bahader, allié de sa Majesté, se rendit, à la tète de
cent mille hommes, pour conférer avec lui sur les opérations com-
binées, et lui donner de grandes marques d^estime et de confiance;
que, le 1" août, il partit de Goudelour et joignit, le 23, les vais-
seaux de Sa Majesté, VlUiAStre et le Saint-Michel, qui lui ame-
naient un convoi. Avec ce renfort, il alla attaquer Tnnquemalay, y
débarqua et se rendit maître des deux forts en cinq jours ; que, le
3 septembre, l'escadre anglaise étant venue au secours de cette
place, il appareilla, Tattaqua et la força de regagner Madras, ce
qui détermina le général Goot, campé avec son armée près de Pon-
dichéry et menaçant Goudelour, de se retirer aussi vers Madras ;
qu'il revint à Trinquemalay réparer ses vaisseaux, et particulière-
ment le sien qui avait soutenu les plus grands efforts de l'armée
anglaise et s'était couvert de gloire-, qu'au commencement
de 1783, après avoir hiverné à Achem, il fit une croisière sur les
côtes d'Orixa, prit une frégate anglaise, le Cowentry, prit ou
détruisit cinquante bâtiments marchands, vint à Trinquemalay
pour y attendre le marquis de Bussy, commandant en chef des for-
ces de Sa Majesté en Asie, en partit avec lui en mars, le conduisit
à la côte de Coromandel, y débarqua l'armée et ses munitions,
revint à Trinquemalay; que, le 11 juin, ayant appris les mou ve-
HISTOTRE TiF. LA MARINE PIIANÇAISE.
ments de l'armâe anglaise mcnacjint GoiidelDur, il nppuvilU nvec
l'escadre à ses ordres, composéo alors di- rjuinzo vaisseaut, tleiu
frégates et un brûlot; arriva, le 13, ft la côl*, se trouva, le 16. en
présence de l'escadro anglaise, conipgsAe de dix-huit vaisseaux,
tous doublés en cuivre, maia ne put enga^r le combat, la nuit
survenant; le 17, il se porta 9Ur Goudelour, y prit des' troupea
pour compléter ses étguipages, manœuvra pour disputer la vent t
l'escadre anglaise jusqu'au 20, àquatn: heures du soir, qu'il par-
vint à engager un couibal qui ne finit que par la tiuîl, pendant
laquelle l'escadre anglaise s'échaiipa; qu'elle reparut le 3S, fut
poursuivie h force do voiles, prenant la fuite, et se rendit il Madras;
qu'ainsi Goudelour et l'armée de terre se Iraurèrunt dégagés; que
In paix mit fin à ces victoires et à ces entreprises, conduiUis avec
autant d'activité et d'audace que de justesse et do combiaaisgn ;
qu'aussi fécond en ressources pour réparer ses vaisseaux et tain
subsister ses équipages que constant h lutter contre k)t difficultés
et les obstacles, le bnilli de SutTren a trouvé les moynnN do tenir
son escadre pendant dix-huit mois aux cdtea de rindo prcsiiue
sans autres secours que ceux de son génie et ceux que ses vie-
toires sur l'ennemi lui ont procurés ; qu'après avoir pourvu k la
protection des établissements do Sa Majesté par uno division d«
vaisseaux laissée dans ces mors, il a ta.il des dispositions pour le
retour des autres en Europe et est arrivé à Toulou, au mois de
mars 178'», sur le vaisseau If Hcnm qu'il eominandait ; que tant
d'importants et signalés services déterminèrent Sa Majesté, pen-
dant cette glorieuse campagne, à l'avancer successivement au grade
de chef d'escadre, en janvier 1782, et à celui de lieutenant général
de ses armées navales, an février 1763 ; qu'à son arrivée à la cour.
Sa Majesté lui donna les témoignages les plus distingués de son
estime et de sa satisfaction, le désigna chevalier de ses ordres, lui
accorda les entrées de sa chambre, et que, voulant l'élever aux
premières dignités de la marine et au commandement supérieur
de ses forces navales dont il est si digne par ses éminent^ qua-
lités, Elle a créé, pour lui, une quatrième charge de vice-amiral.
Ces provisions, datées de Versailles, signées Louis et par le Roi,
le maréchal de Castries, et scellées, avec l'acte de sa prestation de
serment entre les mains de Sa Majesté pour ladite charge, du
16 avril 1764.
Signé : le maréchal de CasTRrES.
APPENDICE. 505
Si nous en jugeons par une note que nous reproduisons ci-après, il
fut un momentquestion de faire Suiïren maréchal de France ainsi que
l'avaient été Tourville, les deux d'Estrées et Châteaurenaud. Cette
note est ainsi conçue : a Le bailli de SufTren, dans son mémoire
pour la demande du grade de maréchal de France, s'est borné à
exposer ses services. Il n'a point fait observer que MM. d'Estrées
père et fils, MM. de Tourville et de Châteaurenaud, ont obtenu cette
dignité sans avoir autant d'années de service et sans avoir battu
autant de fois les ennemis. M. de Tourville avait été défait au
combat de la Hogue, et Tescadre de M. de Châteaurenaud avait été
brûlée dans le port de Vigo. Il n'a pas fait observer que, quoique
la marine ait été relevée par le Roi, qui s'y est appliqué et qui la
connaît bien, ce service n'est généralement pas recherché par les
grands seigneurs, moins parce qu'il est dur que parce qu'on est
moins récompensé que dans celui de terre. A l'importance de don-
ner de l'émulation au corps par l'espoir des récompenses, il se
joint une raison politique. En cas de guerre, nous serions joints
aux Espagnols, et, si on faisait des maréchaux de France dans ce
moment, ils croiraient qu'on les a faits pour les commander, ce
qui pourrait leur donner de l'humeur. >
Lettre de M. le marquis de Castries à M, le bailli de Suffren,
Versailles, 6 avril 1783.
N'ayant eu. Monsieur, aucune nouvelle de M. de Bussy depuis le
mois de juillet de l'année dernière, et plusieurs avis venus indirec-
tement me donnant les plus vives inquiétudes sur le dépérisse-
ment de sa santé, j'ai cru devoir prendre les ordres du Roi, pour
le cas où mon dit sieur de Bussy serait mort, ou viendrait à manquer
avant l'exécution du traité définitif. Sa Majesté a senti la nécessité
d'y pourvoir, et de prévenir les inconvénients qui pourraient résul-
ter du partage de l'autorité, et jugeant ne pouvoir mieux placer sa
confiance qu'entre vos mains, au défaut de M. de Bussy, elle vous
donne le commandement en chef de ses forces et de ses établisse-
ments au delà du cap de Bonne-Espérance, avec les mômes pleins
pouvoirs qu'elle avait accordés à mon dit sieur de Bussy.
Et elle ordonne que ledit cas prévu arrivant, vous soyez
reconnu, par qui il appartiendra, comme commandant en chef, sans
autre ordre de sa part que la présente lettre.
506 HISTOIRE DE LA MARINE PRAN(;A1SE.
J'onvpfrai, par la frégate du Hoi ta Swveiitantc, lâs onlres ito
Sa Majusl* il ce sujet, h l'Ile de Franco ot au cap Je Rumie-Est4>
ranco.
Ullre fk M. le iiwm/"w do Cuslrtci à M. U- liaUH île fyufTi'cn.
VotMitlei, S arrilnsa.
Depuis la Ipllro qiiu j'ai ou l'Iionncur de vous écriro par 1p sinar
Prnnient, j'ai reçu les Hdpfclios qui dous nppivnnent la priso Ae
Trinijuemalay et la rtHraito <io l'armiie navale de^ Anglais mua
Mndras. Voilà la cinquième foia que vous combattez les Anglais.
Je suis dans l'ignorance la plus grande do ce qui s'est passé k It |
cAto. Si nous aTions pu connaître vos succès avant la signature des
préliminaires, il est h présumer que nous eussions pu tirer avan-
tage de notre situation
Je ne saurais trop vous faire conniltrt |
la satisfaction du Roi sur la conduite que vous toncK à la lÈli? dg [
son armée. 11 est k remarquer qu'en présentant les difficultés da ■
tous les genres que vous rencoiilrt!/, vous apercevi'it toujours 1m '
moyens de les vaincre, et les observations que vous m'avei adres-
sées sur les affaires des Indes l'ont confirmé dans l'opinion qu«
vous lui aviez déjà donnée que voua étiez un homme de guerre
sous U>us les rapports. Ces observations ne demandent plus de
réponse, vu la signature des préliminaires. Les moyens de les met-
tre k exécution ne sont pas sans difficultés, si les Anglais veulent
abuser de leurs avantages. C'est dans cette supposition et dans
celle que M. de Bussy pourrait être mort, que j'ai désiré que vous
le remplaciez dans le commandement général, jusqu'à la signature
du traité de paix. C'est un sacriGce que je fais au bien du service
du Uoi, car j'aurais soubaité pouvoir vous consulter sur bien dfss
dispositions à faire pour la marine.
Je suis bien fâché de n'avoir pu tirer M. d'Albert de Rions
de la ligne des autres. Si la guerre avait continué je vous l'aurais
envoyé. Conservez votre santé, elle est précieuse au Roi et à l'Ktat
et ne doutez pas du désir que j'ai de vous donner des preuves d'uo
attachement inviolable.
APPENDICE.
507
Avis des trois ports sur les observations
de M, le chevalier de Suffren.
Conformémentauxordresde Monseigneur, ces observations, détail-
lées dans la feuille ci-jointe, ont été communiquées aux conseils
de marine de Brest, de Toulon et de Rochefort sans nommer Tau-
leur. Voici les résultats de Pavis des trois ports :
PROPOSITIONS.
1.
Savoir si le capitaine en se-
cond d^un vaisseau ne serait pas
employé plus utilement à la se-
conde batterie que sur le gail-
lard d'avant.
2.
S'il ne serait pas à propos
d'augmenter le nombre des
bâtiments à rames sur un vais-
seau.
3.
S'il est à propos de faire usage
à bord des vaisseaux du con-
ducteur électrique de M. Fran-
klin.
4.
S'il ne serait pas avantageux
d'embarquer des obus sur les
vaisseaux.
REPONSES.
1.
Les trois ports s'accordent
pour maintenir cet officier sur
le gaillard d'avant.
2.
Le port de Brest en général
penche i^our laisser les choses
sur le pied où elles sont; mais
M. le comte Duchaffault, ainsi
que quelques autres officiers, et
les ports de Toulon et de Ro-
chefort opinent pour avoir un
canot de plus.
3.
En convenant des avantages
que ce conducteur pourrait pro-
curer, les trois ports entre-
voient beaucoup de difficultés
pour l'établir et l'entretenir à
bord.
4.
Le port de Brest préfère de
multiplier les pierriers ; les deux
autres ports proposent de faire
l'essai des obus, mais ils ne
laissent apercevoir aucune pré-
somption pour ou contre.
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.
S'il no conviendrait pas de
rairo couler des pièiccs de huit
ou de douze à l'usap^e des cha-
loupes des \
Lr: port de Toulon n'est pM
d'avis de faire porter du canon
aux chaloupes; ceux de Bresl rt
de Rochefort s'accordent 4 Uiri;
que les canons des gailUrcis
peuvent servir aux chaloupi^s,
en observant seulement d'aroir
pour leur usage des affflts plats
et des plates-formes volantt^s.
Il résulte de l'avis des trois ports que, sur ]es différents ch.in-
g«menls proposi^s par M. de Stiffren.les membres ne se sont amî-
tés qu'à l'augmenlalion des bâtiments à rames. «-L'essai des obus
est proposé purement et simplement; u et, quant aux canons i
Tuire porter aux chaloupes, comme ceux des gaillards des vois-
somix peuvent y Être employés, il n'est question que de leur don-
ner dos alTfits particuliers
Le ministre it
M. de Suffren.
u bas de cette note ; Communiquer le tout k
Suffren revint sur ces propositions, lorqii'il «rm« le Z^ k Tou-
lon, en 1779. II adressa au ministre plusieurs rapports auxquels
nous empruntons les passages suivants : 1» L'ordonnance de
la marine ne fixe point les postes des oniciera sur les vaisseaux en
cas de combat. L'usage de tous les temps a été de mettre le se-
cond sur le gaillard d'avant. Ce poste est très-exposé, mais il n'a
que cela de flatteur. Le second, étantaouslesyeux du capitaine, ne
commande rien, n'a que très-peu de monde sous ses ordres, et il
occupe un poste qui serait rempli par un enseigne. Je crois qu'il
devrait avoir l'inspection des deux batteries et commander parti-
culièrement la deuxième : étant la plus exposée au feu, c'est le
' poste d'honneur. Il serait de plus k portée de prendre le comman-
dement si le capitaine était tué ou blessé, et de se mettre à latrie
des gens destinés h l'abordage si l'occasion se présentait.
3* L'on avait imaginé, la semaine dernière, d'armer d'un
canon des gaillards les chaloupes disposées à cet eiïet. Cette
idée, malgré son utilité, a été abandonnée. Je pense que c'est h
cause de la pesanteur du canon; mais maintenant surtout que le
système de l'artillerie légère prévaut, on pourrait fondre des piè-
ces destinées k cet objet, des pièces de huit pouvant ne peser que
APPENDICE. 509
douze cents livres. Si la dépense de la fonte arrêtait, on pourrait
les faire en fer. Sur les chaloupes de vaisseaux de quatre-vingts
canons, on pourrait mettre du calibre de douze.
Les accidents du feu ne démontrent que trop la nécessité d'avoir
sur les vaisseaux des pompes à incendie. Il n'y a pas de frégate
anglaise qui n'en ait. Je crois que les vaisseaux armés à Brest en
ont. A Toulon on n'en donnait pas quand je suis parti.
L'événement de mon mât de hune emporté par le tonnerre m'a
fait penser au conducteur électrique de Franklin. C'est une trop
petite dépense pour n'en pas fournir à tous les bâtiments.
Nous avons rapporté, à propos du combat de la Dominique,
une note de SufTren relative à l'emploi des obusiers sur les vais-
seaux.
TABLE DES MATIÈRES
PR éfACE I
LivRB I. — La marine militaire, en France, date de Louis XIIL — Suppres-
sion de la charge de grand amiral. — Le cardinal de Richelieu est nommé
grand maître, chef et surintendant de la navigation et du commerce. —
Création des premières troupes afTectées au service de la flotte. — Eflorls
du cardinal pour jeter les bases d'un établissement maritime permanent.
— Services rendus par les forces navales sous son ministère. — La ma-
rine militaire décroit sous la régence d'Anne d'Autriche. — Règne de
Louis XIV. — Colbert ministre de la marine. — Développement rapide de
nos forces navales. — Institutions et ordonnances de Colbert. — Ministère
du marquis de Seignelay. — Principaux événements auxquels prend part
la marine sous Louis XIV 8
Livre II. — Abandon systématique de la marine sous la régence et pendant
le ministère du cardinal Fleury. — La guerre éclate entre la France et
l'Angleterre. — Traité d'Aix-la-Cha|)elle, conclu en 1748. — Nouvelle
guerre avec l'Angleterre, en 1756. — Traité de Paris, signé le 10 février
17G3. — Modifications successives apportées aux institutions mai'itimes. —
Économie générale des lois qui régissent la marine, au moment où éclate
la guerre de l'Indépendance américaine 49
LIVRE I.
Le traité de Paris établit la suprématie maritime ie la Grande-Rrelagnc.
— Contestations entre les colonies de l'Amérique septentrionale et la
mctro()ole. — Impôt du timbre. — Taxe sur le thé. — Troubles de Boston.
— Mesures de répression prises p€ur le gouvernement britannique. — Des
députés nommés par les assemblées provinciales forment un congrès qui
80 réunit à Philadelphie dans le mois de septembre 1774. — Combat de
Lexington le 19 avril 1775. — Déclaration solennelle de Tindépcndance des
colonies anglo-américaines le 4 juillet 1776. — Le gouvernement français
suit avec une attention particulière les événements qui s'accomplissent
biî TABIJÙ DKS MATIËHES.
ii<^ l'aulrc i:olc dn l'Allanlique. — llrlaliuiis du ciiliinet de Venailli-» a\itc
[es initurgùs. — Arrivée il Paris de Irais conunusaîrw envoyas par l«
congrès. — Le 6 TéTrier 1778, la Franc» signe avec les Ëlals-IJais on tniitâ
d'amitié et de commerce et un Iraitd éveuluel d'allianM. — La cour du
Londres rappelle son aoiliassadeur. — Frépanlirs iiurilinKA laili du
chaque c&tà du dtlroiL — Départ du couile d'Eslatng. — Hission conflée ■
cet onicicr général. — Tentative faile auprès liir la cour d'E^iagnc piiiir
l'amener ï conclure avec lu France un traita d'alliance olTi'Mive et détta-
aivc. — Itelations entre les marines de Francu et d'Angleterre. — Priie
des légales la Liooi-ne et la Patla» ai du lougrc le Coureur. —
des fn^^a la Udle-PimU et VAnthnta. — RifiultaU de l'altitude in
ciir prise par le gouvumemeiil Trançais. — L'escadre de iJrasl rctoil rop
dra d'appareiller
LIVRE IL
CumLiat d'Onessant. — Rentrée des Anglais A Turtsmouth et des Pran$iitok9
Brest. — Discussions que soulève ta journée du 27 juillet de l'ui
cûlé du détroit. — Incident relatif au lieutnanl g«nénl duc de Uiartros, g
commandant de la 3* escadre. — Le vice-amiral Kepp«i, accusé d'inmp»-
cité par un de ies lieutenants, conipanlt devant une cour martiale. —
Nouvelle sorlio du deux escadres. — Elles rentrent au port san« avoir
combattu. — Engagement, au large de Pondicliér), des divisions du com- _
uiodore Veman et du capiUinn do vaisseau di- Tronjolly. — Les i
glaia s'eniparent dut établissements Transis dans l'Inde. — Prisa des Hi
Saint-Pierru et Hltiuclon
UVIIE III.
Travi^i'N^c do l'escadre rrantaise, partie de Toulon le 13 avril. — Les IroaM
anglaises évacuent Hhiladelpliie à la &a de Juin.— L'amiral Uowe i
relire A Sandj-Uook. — Arrivée des Franfais 4 l'emboucbura de h
DolaHare, le 8 juillet. — Notre csi-adre mouille sur lacdle, près de K
York. — la rumlo d'EsUing se dirige sur Rliode-lslnnd. — AU
jetée de New-Port. — Apparition de l'amirol Ilowe devant Hbodv-lslaa
— le comle d'Exlaing appareille |>our le [wursuivre. — [Wsperaion d
deux escadres b la suite d'nn coup devant. — Les Français se r«lirent4 j
Boston. — Départ d« autre escadre pour ta Martinique. — Prise do la
Dominique |iur le marquis de Bouilté. — Les Anglais attaquent Saînle-
l.ucio que d'Eslaing lente inutilement de secourir. — L'Jlc se rend aui
Anglais. — Arrivés de l'amiral Itjroo dans la mer des Antilles. . .
TABLE DE3 MATIÈRES.
LIVRE IV.
L'amiral Byron. venanL den cAlea àe V\iaéTi<\ae septenlrionale, rnilie l'a-
miral Barrington. — Le comte d'Eslaing reste sur la dércnsjve. — Les
escadres Trancaise Et anglaise reçoivent dea renforts. — La division de
Vaudreuil mouille dans la baie de Fort-Royal, nprèa aroir Tait la conquête
du Sénég;Bl. — Prise do l'Ilu Saint-Vincent. — Arrivée de I^motte-Picqaet
avec sii vaisseaux. — Les Français s'emparent de la Grenade. — Combat
des escadres de Etyron et de d'Eslaing. — Len Anglais se retirent A Saint-
Christophe. — Prixe des Iles Cariaçon et d<^ petites grenadines. — Le
comte d'Eataing mouille successivement A la Guadeloupe et A Saint-
Domingue. — Il KO dirige vers les cAtes de l'Amérique septentrionale. —
Échec des Français et des Américains devant Savonnait. — Retour en
Enrope des vaisseaux partis do Toulon, le 13 avril 1778. — Engagement
de Lamotte-Picqaet avec l'escadre de l'amiral Parker A l'entrée de la baie
de Fort-Rojal 132
LIVRE V.
L^Espagne déclare ta guerre à l'Angleterre. — Le liculenanl général d'iJr-
villicrs sort de Brest pour opérer sa jonction avec don l.uîs de Cordova. —
Ëlal sanitaire des équipages do notre Dolte. — Réunion lanlive des deux
escadres. — Préparatifs faits sur tes cAles de Bretagne et de Normandie,
en vue d'un débarquement en Angleterre. — L'armée combinée, arrivée A
l'ouvert de la Manche, est rcpuussée au large par un coup de vent d'osi.
— Les alliés poursuivent, sans succès, l'amiral Hardy. — Développement
de la maladie qui sévit A bord des vaisseaa» français. — Lu flotte franco-»
espagnole rentre A Brest. — Situation de l'escadre française. — Respon-
sabilité du ministre de la marine làG
\
LIVRE VI.
L'amiral Rodne; reçoit la mission de ravitailler Gibraltar. — Prise par les
Anglais du vaisseau le Quipuacoa. — Destruction de l'escadre do don
Juan do Langara. — L'amiral Rodnev, après avoir conduit son convoi A
Gibraltar, prend la route des Antilles. — L'amiral Digby s'empare do
Proler.. — Arrivée à la Martinique de l'escadre du lieutenant général de
Guichen. — Rencontres des 17 avril, là et 19 mai, entre les escadres
française et anglaise. — L'amiral don Solano, avec une escadre venant
de Cndix, mouille A Fort-Rojal. — État sanitaire des équipages et de*
troupes passagères. — Départ du lieutenant général de Guichen avec
l'escadre espagnole. — t.e comte de Guichen quille Saint-Domingue p<
rentrer en Europe. — Départ du chef d'escadre du Ternay pour les cAles
33
514 TABLE T)ES MATIÈRES.
lie l'Am^riquii sFiitealrionale, av^r. ^t-pl vaisscnux cl un convoi f>orlial
un c<ir])s de six mitls liommes, sous Im Ordres du liuiiloamit gcnrnl
comte ds nocbambcBu. — ltuncuntr« de Ih diviHiou du tummodorc Oiro-
«vallis. — Arrivée de l'oEcadre el du touvoi h llliodi^-lBlnnd. — Inadion
de l'escadre et des truupes, imr KUiio do la supériorité du rcnn«ini. —
Mort du clierd'Mcadre dp Ternay... iwi
LIVRE VU.
l'risc d'uu convoi de snixanle viiilcii juir la tlotlo combmci^, txiu! li; com-
niandement de don Luis de Cordova. — Airivâe il Cadix du IleuUnuuit
gÉndral dp OuichcD. — I)'Ei>tBiDg prend le commaudemont dea vMsamii
frnngaia réunis sur la rade de Cadix, el îl les raïuâno i Utest. — l» eoui
de Londres fait des cObrU inutiles iMur amener la UoUnnde ft picndrr
|iArt & la guerre comme nlliéo de In Uninde -Bretagne. — l^s ptucil»
(le la marine anglaise soulèvent parmi les [luissauccs neutres un m^can-
tuDlement général. — Convention conclue entre ia lluseie, le Ikincmart
Ht la Suède, pour ouurer la liberté du commerce marilîme. — Difficullti
iiui s'élèTenl entre la Hollande et la Grande-Bretagne. — Dupturv enlr« '
cea deux puissnnceB, — ActcBsion tardive de la Hollanile au projet *■
noulralité armcc lœ
UVilË Vlll.
Itodrie) ri'i.'uit l'ordre d'attaiguLT ]•:» [iossca^Iuuii hollandaises daiis les Inde*
occidentales. — Il s'empare successive nient des Iles de &ainl-Eu»tadif,
de Sainl-Marlin et de Saba. — Les colonies de De niera ri, d'Esscquibo cl
de Berbîce sont occupik^s par les An(;lais. — Prise de l'Ile frantaiMik
Saint-Barlhclemy. — Arrivée du comte de tirasse à la Martinique. — En-
gagements des 59 et 30 avril. — Fausse attaijuode Sainle-Lucic. — Priw
de Tobago. — L'escadre française, après avoir luuclié a la Marliniqut,
se dirige sur Saint-Domingue. — Ëvénenicnts survenus sur tes cAle» Je
l'Amérique septentrionale depuis le commencement de l'année 17SI.—
rrise du Romulu». — Combat du 16 mars entre les escadres d'Arbulhnot
et du capitaine de vaisseau Des Touches. — Arrivée du comte de GtasM
dans la baie de la Chesapeak. — Apparition de la flotte anglaise. — En-
gagement du i septembre. — Capitulation de CorciHallis. — Le comte dr
Grasse et l'amiral Elood retournent dans la mer des Antilles. — Le uut-
quis de Booillé reprend les tlesdc Saint-Eustacbc, de Saint-Martin i-ldr
Saba. — Prise de Pcnsacola et de la Floride occidentale i>ar les EsiAguol*
el les Fransais K3
TABLE DES MAflÈRRS. / M5
LIVRE IX.
Événements survenus en Europe pendant le cours do Tannée 178L — Une
escadre, sous le commandement de Tamiral Darby, ravitaille la place de
Gibraltar. — Le chef d'escadre de Lamotte-Picquet s'empare du convoi de
Saint-Eustnche. — Combat du Dogger Bank entre les Anglais et les Hol-
landais. — Croisière de l'armée franco-espagnole sous le commandement
(le don Luis de Cordova. — Débarquement des Espagnols à Minorque. —
Prise de Mahon. — Le duc de Crillon assiège le fort Saint-Philippe. — Un
corps auxiliaire français, sous les ordres du baron de Falkenhayn, se joint
aux troupes espagnoles. — Sortie du général de Guichen avec des renforts
expédiés aux Antilles et dans l'Inde. — Le convoi naviguant sous l'escorte
i\o cet officier général est surpris par le contre-amiral Kempenfeldt. 265
LIVRE X.
Les Français attaquent Saint-Christophe. — L'amiral Ilood tente de jeter
des secours dans l'Ile. — Engagement entre les escadres anglaise et
française. — L'amiral Hood mouille sur la rade de la Basse-Terre. —
Capitulation de Brimstone llill. — L'escadre anglaise s'échappe pendant
la nuit. — Reddition des îles Saint-Christophe, Nièves et Montserrat. —
Retour de l'escadre française à la Martinique. — Préparatifs faits par la
France et l'Espagne, en vue de la conquête de la Jamaïque. — Arrivée de
Rodney. — Concentration des forces anglais^ à Sainte-Lucie. — Appa-
reillage des deux escadres. — Engagement du 9 avril. — Bataille de la
Dominique. — Les Français perdent cinq vaisseaux. — Discussion relative
à la journée du 12 avril. — Arrêt rendu par le conseil de guerre réuni à
Lorient pour juger la conduite des ofliciers généraux et des capitaines
placés sous les ordres du comte do Grasse. — Arrivée de l'escadre fran-
çaise à Saint-Domingue 281
LIVRE XL
Conquête de Minorque. — Réunion des forces navales de la France et de
l'Espagne à Cadix. — La cour de Madrid forme le projet d'attaquer
Gibraltar par terre et mer. — Prise du vaisseau le Pégase. — Les alliés
s'emparent d'un convoi anglais. — Apparition de la flotte combinée dans
la Manche. — Poursuite de l'escadre anglaise. — Howe sort pour ravi-
tailler Gibraltar. — Les Espagnols construisent, à Algésiras, dix batteries
flottantes sur les plans d'un officier français, le colonel du génie d'Arçon.
— Attaque de Gibraltar, le 13 septembre. — Les Espagnols évacuent les
l)atlcries flottantes et les livrent aux flammes. — Belle conduite d'un offi-
cier anglais, le capitaine de vaisseau Curtis. — Observations sur la jour-
&16 TABI£ J)BS MATIE
née ilu II) !>cplciiilii'e. — Arrivde ilr VusouIk uii|i;lai»> ilatis le dtlroil. —
L'amiral llowe parvient à ravilailkr Gibrallar. — EngagL-menl du lU at-
Utbre. — Itclout dns nlliits A l'aiiix. — Leb Anglais poursiiiYcnl leur rvWt
Tors Portemriutli 33*
LIVHE Mt.
Le gDavcmemenl rrancaiK apprcud qu'oa fait A PoraUnnuUi l«s prqwralil'i
d'une eipédilinn ilcstiiul-e a VemiArer du cap de lionne -EstiËraïKc. —
Envoi dans l'Inde de cinq vniaee&ox soiui les urdres du commandeur àf
SuUren. — Combat de la Praja, le IG avril nSI. — Arrivi^ des Frnnçaû
h Simon^a Ilay. — Les Anglais se montrent, A la Qn île juillet, don» le«
jArsges du Cap. — Le coniniodaro JolinuLone relourno en Angleterre axi^
dGu> vainscaux. — Trois vaiiîsciiUK Tant roule pour IkHoba]. — La colo-
nie liollsnduibc cBl luïiHi uu élat du déri-iiso par no» troujics. — L'cMadrr
française apjiaruille le 38 août ITtil. -~ SulTruQ tsl nwnmé cheT d'e^
cadre, en réoHi]|)ease de aa conduite k l'aDairu ih la Prata. — £v#w>-
mcDta ijurvenos dons l'Inde depuis la pri«e de Poodicliér]. — lUtiiiicnU
envoies it l'Ile de Fram/c. — Le capitaine de vaiiwuau Traujoll} eat reiD-
placv |iar le comte d'Urvw. — Le nouveau commandant en chef [irend 1*
mer avec ajx valsBuaux. — Séjour de l'escadre sur la cAte do Ojruiuan-
del. — Ilelalions a>«c Uyder-Ali. — Retour du comle d'Urves A l'Ile de
France. — LlÉuûment de l'oscaUru, — Arrivée du contnuundeur de iiuOcen.
— ÛilDoult&i relatives nu reni,>lai:i'ment dos cApilaiiies do Trémiigon et .
de t^ardaillac, tuts au i^onilml de la Pm^a, — L'eu^re retourne dMH-^
nndc ■. 381^
I.IVKE Xlll.
L'escadre s'eni|iBre, le 12 janviur IIHl. de VHannibnl, de cinquante canont.
— Mort du coiute d'Orvei. — Suffren se présente devant Madras. — Neuf
vaisseaux ennemis sont embossis sous la [iroteclion des forts. — L'escadre
anglaise met sous voiles. — Dispersion de noire convoi. — Combat du lî
février \'S2. — L'escadre frani^ise mouille A Pondichtirjel A Porto-Nov».
— IlelBLioilK avec IIjdcr-Ali. — l}cbar<[ueinent des troupes fraiiçaiws. —
L'ocadre appareille le 23 uiars. — SulTreii prend la déle roi i nation de
rester dans l'Inde. — Combat du 13 avril. — Mouillage des deux esodr»
sur la c^te. — Les français vont A Itatacalo, el les Anglais à Triniiuema-
1.1). — l.'ewadre ne rend ii Tranquebnr et ii lioiLdelour, — SulTren ap[j-
ruilie lie Goudelonr le J juillet ;tKT
TABLE DES MATIÈRES. 517
LIVRE XIV.
Combat du 6 juillet 1782. — Mouillage des deux escadres sur la côte. —
Les Français retournent à Goudelour. — Incident relatif au capitaine du
Sévère. — M. de Cillart est démonté de son commandement. — Les capi-
taines de Maurville, de VArtésienj de Forbin, du Vengeur j sont renvoyés
en France. — Entrevue de SuCfren avec Hyder-Ali. — Départ de l'escadre
pour liatacalo. — Arrivée du Saint-Michel, de VlUustre et de la Fortune,
— Prise de Trinquemalay. — Combat du 3 septembre 1782. — Les Fran-
çais rentrent à Trinquemalay. — Perte du vaisseau VOrient. — La nou-
velle de la prise de Trinquemalay et l'arrivée de Tamiral llughes à Madras
décident sir Eyre Coot à s'éloigner de Goudelour. — Les Français vont
à Achem et les Anglais à Bombay. — Suffren fait route, le 20 décembre,
pour la côte d*Ori\a 417
UVRE XV.
L'escadre française atterrit devant Ganjam, sur la côte d'Orixa. — Prise de
la frégate la Cowentry, — Mort d'Hydcr-Ali. — Suffren se rend à Gou-
delour et à Trinquemalay. — Arrivée du lieutenant général de Bussy. —
— L'escadre porte le général et ses troupes à Goudelour. — L'amiral
llughes. venant de ïtombay, arrive sur la côte de Coromandel avec dix-
huit vaisseaux. — Quinze vaisseaux français sortent de Trinquemalay
pour secourir Goudelour. — Combat du 20 juin. — Avantage remporté
sur les Anglais. — Accueil enthousiaste fait à SufTren par les troupes du
général de Bussy. '— On apprend à Madras que les articles préliminaires
de paix ont été signés entre la France, l'Espagne, l'Angleterre et les
États-Unis. — Les hostilités sont suspendues dans Tlnde, sur terre et sur
mer, à partir du 8 juillet 1783 451
Appendice 497
FIN DE LA TABLE.
PARIS. — TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9