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THE MUSIC LIBRARY
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HISTOIRE
DB LA
MUSIQUE
ÉTATS SCANDINAVES
DES ORIGINES AU XIX« SIECLE
HISTOIRE
DX LA
MUSIQUE
PAR
ALBERT §PUBIES
Publication couronnée par l'Acadimit
des Beaux- Arts
lÉTATS SCANDINAVES^
DES ORIGINES AU XIX« SlàCLE
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
E. FLAMMARION SUCCESSEUR
Ruê Ricine, 16, près de TOdéon
MOCCCCI
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HARVARD UNiVERSITV
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U CHAPITRE I.
^^ DES ORIGINES AU XVI 11^ SIECLE.
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(^ On peut confondre sous le nom de
Scandinaves les populations, ethno-
ç^^ graphiquement si caractérisées, et
douées d'une originalité intellectuelle
si forte et si distincte, qui occupent
les trois pays septentrionaux de
TEurope: le Danemark, la Suède et
la Norvège — unie maintenant à la
Suède après avoir longtemps par-
tagé les destinées du Danemark.
Politiquement, les royaumes Scan-
dinaves ont tenu, dans l'époque mo-
derne, une place considérable. Mais
2 HISTOIRE
nous n*avons pas à envisager ici ces
aspects de Thistoire. Ce qui nous
intéresse, c'est le rôle intellectuel de
ces pays, fort lettrés, où la science
est depuis longtemps en honneur,
et qui ont produit un important
contingent d*érudits, de littérateurs
et d'artistes. Aujourd'hui, en parti-
culier, on sait quels succès ont ob-
tenus chez nous les puissants drama-
turges norvégiens. — Ces régions
possèdent un des principaux éléments
de la grande poésie et du grand art:
un fonds très riche de traditions hé-
roïques, d'épiques souvenirs. Paral-
lèlement à ces légendes séculaires,
la nature grandiose et sévère de ces
contrées, en favorisant l'aptitude à
la rêverie, a engendré la disposition
d'ânre mélancolique et sentimentale,
d'où sont sortis des chants populaires
d'une rare couleur, d'un accent pé-
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 3
nëtrant« C'est de ce chant populaire,
de tant de relief, que cherchent au-
jourd'hui, avec raison, h s'inspirer
les musiciens qui constituent 1.^ bas
une école oris^inale et curieuse.
Il n'entre point dans notre pensée
de méconnaître les caractères par
lesquels se différencient le Danemark,
la Norvège et la Suède. Mais en
considération des affinités de tout
genre qui les relient, nous avons cru,
en vue d'obtenir une exposition plus
complète à la fois et plus brève,
pouvoir tracer en commun l'histoire
des trois royaumes pour ce qui con-
cerne l'art musical.
Sur la question des origines, nous
serons, selon notre coutume, fort
concis. Nous ne parlerons point de
4 HISTOIRE
ces époques reculées, antérieures à
la propagation du christianisme, où
régnait en Scandinavie le culte
d*Odin et toute cette mythologie
imposante que Wagner a si admi-
rablement mise en œuvre dans sa
TétralogU, Ce qui est certain, c'est
que la poésie, une poésie sans doute
un peu fruste, mais remplie d'éclat
et d'arôme, était en faveur à la Cour
des vieux rois de Norvège. Cette
poésie, comme il est arrivé dans la
plupart des littératures primitives,
était chantée. La tradition a conservé
le nom d'un scalde islandais, Arnor
Jarlaskald, qui vécut au onzième
siècle, où il fut le contemporain des
deux princes Magnus le Bon et
Harald, fils de Sigurd. La mélopée,
fort colorée, d'une de ses complaintes,
a subsisté, non sans des surcharges et
des variantes, dans le folklore na-
DE LA MUSK^E SCANDINAVE 5
tional. Au siècle suivant, nous re-
levons la trace d'un autre scalde,
également natif d'Islande, Arnald,
loué pour ses talents poétiques par
Saxon le Grammairien, et qui fut
attaché au roi de Danemark Wal-
demar le Grand. Arnald soutenait
ses chants à l'aide de cette harpe élé-
mentaire dont nous avons eu à parler
dans notre Histoire dt la musique aHe-
mande.
Nous disions un mot, tout à l'heure,
du chant populaire. Le plan que nous
suivons en ces rapides et brèves études
nous interdit de nous arrêter longue-
ment aux questions complexes que
soulèverait cette partie de notre sujet.
Tout au plus pouvons-nous, sur ce
point, renvoyer nos lecteurs à divers
écrits spéciaux, notamment, en ce
qui concerne la Suède, au savant
travail de M. Adolphe Lindgren.
6 HISTOIRE
Nous pouvons encore, d'après lui,
faire allusion aux hypothèses ingé-
nieuses soutenues, à cet égard, par
Rosenberg, Schiick, Berggreen, re-
lativement aux (f ballades »,. parfois
datant du Moyen Age, et dans les-
quelles, en général, prévaut le mineur,
souvent peut-être par Tinfluence de
la musique religieuse, et en vertu de
TafBnité du mineur avec les modes
dorique, phrygien, etc., usités dans
la musique ecclésiastique. D*après
Berggreen, ce qui domine dans les
mélodies suédoises, c'est la tendresse,
l'expression passionnée ; dans les mé-
lodies danoises, c'est le sérieux sévère ;
dans les mélodies norvégiennes, c'est
la grâce idyllique , mélangée de
mélancolie. — Intéressants aussi
seraient les renseignements que Ton
pourrait grouper sur les danses popu-
laires, originaires du pays, et aux-
DE LA MlSll^UE SCANDIN>AVE 7
quelles, vers le quinzième siècle, se
sont jointes des danses, purement ins-
trumentales, venues de Tétranger.
Pour ce qui regarde les instruments,
auprès de la harpe mentionnée ci-
dessus, il con\ient de ranger tout
d*abord, selon M. Lindgren, ces
tt clairons de bronze du Nord »,
trouvés, croyons-nous, dans des
fouilles, et remarquables par a leur
construction d'une perfection surpre-
nante A et leur « richesse en sons
harmoniques élevés », — puis succes-
sivement et sous des formes plus ou
moins imparfaites, le fifre, la corne-
musc, de primitifs instruments à
archet, le chalumeau, la trompette,
le tambour, etc.
Nous nous sommes borné à in-
diquer les souvenirs appartenant, en
quelque sorte, à la préhistoire de la
musique. Beaucoup plus tard, les
8 HISTOIRE
annales de cet art nous présentent le
nom d*un dominicain, Aquinus, fixé
en Suède, mais vraisemblablement
d'origine helvétique ou souabe, et
qui, travaillant en théoricien, com-
posa un traité, en un livre unique, le
De numerorum et sonorum proportion
nibus, d'après les principes, à ce
moment passablement démodés et
arriérés, de Boèce.
La musique religieuse avait été in-
troduite naturellement de l'étranger
avec le christianisme, — bien que,
pour la Suède, les chants spécia-
lement adressés aux saints nationaux,
Erick et Birgitta, puissent, par leur
caractère, donner l'impression de pro •
ductions nées dans le pays même.
Vers i5oo, nous voyons qu'à
l'école primaire de Stockholm, une
heure par jour était consacrée à la
musique. Les élèves avaient le devoir de
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 9
chanter le dimanche aux offices. Nous
rencontrons, vers la même date, la
trace de l'emploi de quelques instru-
ments, trombone, serpent, etc. Plus
tard fut constituée une bibliothèque,
composée de motets, psaumes, etc.
***
Au seizième siècle, en Suède, nous
trouvons la musique très en faveur à
la Cour de Gustave Vasa (i52 3-
i56o). Il attira dans son royaume
plusieurs musiciens étrangers. Au
temps de ses fils, signalons, dans la
Chapelle Royale, la présence de
chanteurs italiens. A la tête de celte
Chapelle fut placé, sous Charles IX,
un maître suédois, Torstenius Jo-
hannis. Sous le règne de Gustave II
Adolphe, au commencement du dix-
septième siècle, nous avons à noter
a
lO HISTOIRE
Texislence d*un cours de musique à
l'Université d*Upsal, destinée à ac-
quérir par ia suite une si grande noto-
riété musicale. D'autre part, nous
rencontrons, en i525, la mention
d'un .premier recueil de chants, et
c'est de 1 567 que date le Psautier
suédois. Il y aurait lieu, d'ailleurs,
d'insister sur l'extrême richesse de
l'église suédoise en compositions
chorales sur des textes écrits en
langue nationale.
Sur Gustave Vasa et ses successeurs,
nous résumerons les détails curieux
donnés par Schûck : sans parler des
troupes ambulantes de musiciens
attirées à la Cour, Gustave Vasa avait
à son service, à poste fiae, trois mu-
siciens. Plus tard, il en eut seize.
C'étaient en partie des étrangers. Le
roi aimait tout à la fois les voix et
les instruments, en particulier le luth,
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE I I
sur lequel il s'exerçait lui-même. Il
chantait le soir, avait une belle voix,
composait pour se distraire, possédait
une bibliothèque musicale. Ses en-
fants, la princesse Elisabeth, le prince
Erick, étaient également musiciens.
Il engagea des violonistes italiens et
d'autres virtuoses. — En dépit de son
humeur austère, Charles IX jouait
du luth, du violon, et entretenait une
importante Chapelle. — Cette Cha-
pelle Royale fut encore augmentée
sous Gustave-Adolphe. Composée de
nationaux et d'étrangers elle arriva à
coûter douze mille écus par an. —
Les compositions exécutées étaient
fréquemment dues à des Néerlandais,
à des Allemands, à des Anglais.
Les fêtes de la Cour étaient bril-
lantes. Tour à tour on y vit paraître
des troupes théâtrales allemandes,
hollandaises, italiennes. Ultérieu-
1 2 HISTOIRE
rement, Tinfluence française se fit
sentir, et Ton fit venir à Stockholm
une compagnie française de théâtre.
If
En ce qui concerne le Danemark, ce
fut vers 1 599 que Christian IV envoya
en Italie, pour y perfectionner son
goût et sa capacité technique, Hans
Nieisen (Jean Fontejo], homme de
quelque valeur. C'était le temps du
grand rayonnement de l'école vé-
nitienne. Nieisen se rendit à Venise,
et y reçut les leçons de Jean Gabrieli,
alors au sommet de la notoriété
comme organiste de la Sérénissime.
A Venise même, le musicien du Nord
publia deux livres de madrigaux cor-
rectement écrits. Il retourna dans sa
patrie, et s'y trouvait, comme com-
positeur de la Cour, en 1606.
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE l3
Ajoutons qu'en Danemark il tra-
vailla avec le grand luthiste anglais
Dowland, lequel, de 1600 à 1609,
vécut dans ce pays.
La musique régulière, sous la forme
qui était à la mode par toute l'Eu-
rope, était désormais introduite en
Danemark. La Chapelle Royale com-
prenait dès lors trente-un chanteurs,
seize trompettes, et trente autres ins-
trumentistes divers. Un compositeur
de réel mérite, Melchior Borchgre-
vingk, qui avait atteint sur l'orgue
un degré considérable de virtuosité,
et qui était, lui aussi, attaché au
service royal, s'exerça non sans talent
dans le genre madrigalesque. Son
recueil, en deux livres, parut à Co-
penhague même (c'est sans doute
l'une des premières publications mu-
sicales qui portent l'indication de ce
lieu d'origine) en i6o5 et 1606. A
14 HISTOIRE
côié de ses propres compositions, il
avait fait, dans cette collection, une
large place aux œuvres des maîtres
les plus réputés de la Péninsule, tels
que Monteverde et Léo Léoni. Les
paroles étaient italiennes; italien
aussi le titre, conçu dans le goût
régnant: Giardino nuovo belUssimo di
vari fiori musicali seltissimi. L'artiste
danois avait fait choixde pièces à cinq
voix. Cette disposition, nous en avons
déjà fait ailleurs la remarque, était
alors très appréciée, à cause de la
plénitude qu'elle prête à l'harmonie.
Des noms précédents il faut rap-
procher celui de Mogens Pedersen,
qui étudia en Italie. Il se fit apprécier
comme musicien instruit, et figura,
à titre, croyons-nous, de second
maître, dans la Chapelle Royale.
Le madrigal et le motet étaient
les formes artistiques en vogue. On
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE I 5
peut cilcr les motets de Hunnius,
qui était né en Thuringe, mais qui
pratiqua son art en Danemark. —
Dans Tordre de la musique reli-
gieuse, il convient de mentionner le
KituaU Eccleslx donné à Stockholm,
en 1619, par Nicolas Andréa qui
avait rempli des fonctions ecclésiiis-
tiques en Laponie. Un Suédois,
Bauwart,qui fit sa carrière à Tétran-
ger, écrivit plusieurs messes, d'un
tour assez peu remarquable. Il avait
toutefois une véritable habileté dans
la combinaison polyphonique. Une
de ses messes, à trois chœurs, cum
triplici basso ad organum, est, sous le
rapport de la disposition compliquée,
vraiment digne d'attention.
Nous ne devons pas omettre de
signaler que le grand musicien al-
lemand, Henri Schùtz, fit, de i633 à
i635, trois voyages à Copenhague,
t6 HISTOIRE
pour y concourir à l'organisaiion de
la Chapelle. Rappelons que, dans le
siècle suivant, d'autres étrangers il-
lustres, Sarti et Gluck, séjournèrent
également dans cette capitale.
La culture de Torgue marchait
parallèlement à celle de la musique
vocale. Nous trouvons Sistinus à
l'orgue de l'église Sainte-Marie de
Copenhague, et, dans la même ville,
vers la même date, Laurent Schroe-
der, à l'église du Saint-Esprit. Il est
l'auteur d'un éloge latin de la mu-
sique, Laus musicx, où il traite la
question, controversée là comme ail-
leurs, de la convenance et des avan-
tages de l'introduction delà musique
dans le service divin. Il s'adonna en
outre à la construction des clave-
cins. Schattenberg fut attaché à
Téglise Saint-Nicolas. Comme com-
positeur on lui doit les Cantiones
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 1 7
sacrx quatuor vocihus dccantandx
et le Jubilus S. Btrnhardi de nO"
mine Jésus quatuor vocibus decantatus.
Un peu postérieur, le fils de Laurent
Schrœder, Daniel, acquit une bril-
lante réputation, et, doué de beau-
coup d'application et de fécondité,
remplit assez longtemps l'emploi
d'organiste à Stralsund. L'orgue
nous fournit encore le nom de Ber-
tholosius, compositeur renommé,
qui fit tour à tour partie de la mai-
son des rois de Pologne et de Suède.
— Nous avons, dans notre Histoire
de la Musique allemande, parlé de
Buxtehude, si particulièrement émi-
nent parmi les organistes. Bornons-
nous ici à faire observer qu'il était
né Danois.
La seconde partie du dix-septième
siècle nous présente deux hommes qui
ont droit à une mention élogieuse ;
3
l8 HISTOIRE
Tun est Saur ou Saurins, né à Kiel,
auteur d'une grande cantate pour la
cérémonie de prestation du serment
au duc de Holstein ; Tautre est Fos-
sius, dont le livre manuscrit De arU
musica est signalé dans la Cimbria
litterata de Moller, et qui, ayant fait
ses études à l'Université de Copen-
hague, longtemps cantor, puis pas-
teur dans un village, publia une ver-
sion du Psautier en vers danois, sur
lesquels il avait arrangé des mélo-
dies de divers compositeurs alle-
mands connus, comme Krieger et
Hammersciimidl.
A la fin du dix-septième siècle, il
y a lieu de relever, pour la Suède, le
nom de Gustave Dtiben, présenté dans
quelques livres, comme « le premier
compositeur suédois », — le pre-
mier, du moins, de ceux qui mé-
ritent réellement ce litre.
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 1 9
Son père, Anders Dûben, venu
d'Allemagne, avait été organiste de
la Cour et maître de la Chapelle
Royale. On lui doit, entre autres
œuvres, une composition écrite à la
mémoire de Gustave Adolphe. Quant
à Gustave Dûben, il dirigea, lui
aussi, la musique du roi. C'était un
musicien fort savant, très versé dans
la connaissance des ouvrages des
grands maîtres. Il contribua à ré-
pandre la culture musicale. Il a pro-
duit beaucoup de musique vocale,
notamment sur des paroles de Sam.
Columbus.
D'autre part, en Norvège, c'est à
ce même siècle que remonte l'exis-
tence des musiciens de ville »,
en général assez médiocres, mais
dont quelques-uns, cependant, ont
exercé une action utile sur le déve-
loppement d'un art musical encore
20 HISTOIRE
dans l'enfance. Ce fut seulement à la
fin du siècle suivant que l'on décida
d'attribuer de préférence ces postes,
comme garantie d'instruction et de
mérite, à des membres de la Cha-
pelle Royale de Danemark.
L'aptitude à l'érudition et à la
critique a toujours été Tun des apa-
nages des peuples du Nord. Danois,
Norvégiens et Suédois montrèrent
de bonne heure, à cet égaid, une
grande puissance de travail et de
compréhension , analogue à celle
que, dans un précédent ouvrage,
nous avons eu à vanter chez les
adeptes germaniques de l'art musi-
cal. Ces capacités du lettré et de
l'érudit appartenaient au plus haut
point à Sartorius , humaniste et
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 31
poète, qui paraît être Tauteur d'un
Encomium musicx, que Mattheson a
loué pour les vastes connaissances
dont il témoigne, aussi bien que
pour Téiégance de la forme latine
sous laquelle il est traité. Cet
ouvrage sert en quelque sorte de
préface à un curieux écrit, destiné
à retracer, sous le voile de l'allé-
gorie, la lutte entre le plain-chant
et le chant figuré. L'armée du
chant figuré est censée avoir pour
conducteur et pour commandant
Orphée en personne, ayant sous ses
ordres, en guise de guerriers, les
chanteurs, les joueurs de flûte,
les organistes, les violonistes. Sar-
torius n'était pas seulement un littéra-
teur et un théoricien. Musicien ins-
truit, il avait été, à dix ans, enfant
de chœur dans la Chapelle du duc
de Gottorp. Il a écrit des canons ex-
2 2 HISTOIRE
trêmement bien faits. Canior et pro-
fesseur, il obtenait d'excellents ré-r
sultats par la qualité des chœurs
qu'il dirigeait et qu'il avait habile-
ment façonnés.
A l'ordre de la littérature musicale
se rapportent quelques-uns des tra-
vaux du jésuite suédois Biedermann,
qui alla enseigner la théologie à
Rome, où il mourut. Il est l'auteur de
l'ouvrage, au titre piquant, appelé :
Utopia, seu Sales musicî, quitus /u-
dicra mixtim et séria denarrantur.
Nous avons ailleurs mentionné
Meibomius, figure originale, vrai
type de savant, non exempt de ru-
desse et de pédantisme, tel que pou-
vait le concevoir le siècle de Yadius.
Meibomius appartient à notre sujet
actuel, puisqu'il était né en SIeswig
et qu'il fut attaché à la reine de
Suède, puis au roi de Danemark
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 2 3
Frédéric III. La rare valeur de philo-
logue de Meibomius, sa compétence
archéologique ne sauraient être con-
testées. Mais il portait dans la polé-
mique des habitudes fâcheuses de
violence et de grossièreté. C'est à
Taide de ces procédés qu'il soutint la
discussion engagée au sujet du seul
de ses ouvrages qui ait été publié à
Copenhague, le De proportionihus
dialogus, entretien dont les interlo-
cuteurs imaginaires ne sont pas moins
qu'Archimède, Apollonius, Théon
d'Alexandrie, etc. Un des véritables
services que Meibomius rendit à la
science fut la publication du texte de
sept auteurs antiques qui ont traité
de la musique : Aristoxène, Euclide,
Nicomaque, Alypius,Gaudence, Bac-
chius r Ancien et Aristide Quintilien.
— Nous aurons l'occasion, dans
notre Histoire, en préparation, dt la
24 HISTOIRE
mu$lqut italienne, de parler du 5a/^-
ricon de Martianus Capeila. Le neu-
vième livre, relatif à la musique, de
cet ouvrage, est joint par Meibomius
aux sept traités, complets ou fragmen-
taires, qu'il édita ou restitua, en
les enrichissant d*un commentaire
où la conjecture a parfois trop de
part. Ce travail important, imprimé
en Hollande, était dédié à la
reine Christine, qui attira Tauteur et
le pensionna. Ce fut à la Cour de
cette princesse que lui advint une mé-
saventure, dont rinstigateur était le
médecin Bourdelot. Celui-ci suggéra
à la souveraine l'idée de faire chanter
parMeibomius un morceau d'ancienne
musique grecque, en présence des
courtisans. On peut juger du succès
de cette tentative, rendue plus co-
mique par la lourdeur et le défaut de
justesse de la voix de l'helléniste. Il
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 2 5
sut d'où partait le coup et se vengea
en souffletant le malicieux médecin.
Nous ne quitterons pas Meibo-
mius sans rappeler les notes qu'il
fournitàuneédition de Vitruve donnée
par un autre érudit. Il s'y rencontre
des indications excellentes sur la mu-
sique antique. La sagacité de notre
auteur, en particulier, s'y est exer-
cée sur la fameuse description de
l'orgue hydraulique, qui, par ses ob-
scurités et ses énigmes, a misa la tor«
ture plusieurs générations d'exégètes.
La Finlande était encore suédoise
lorsque la ville d'Abo, sa capitale en
ce temps-là, eut pour évcque Jean
Gezelius très versé dans la connais-
sance de l'antiquité, et qui a touché à
la musique dans son Encyclopxdia
4
2b HIbTOIRE
synoplica tx optimis et accuratissimis
Pli'dosophis collecta. — Schiebel,
poète et musicien, recteur et cantor
à Ratzbourg, en Danemark, fut l'au-
teur d'un livre d'allure plus Légère, les
Merveilles curieuses que la nature
exerce par des sons harmonieux sur
Vhomme, les animaux, etc. — Nous
citerons, toujours dans le même ordre
d'idées, la dissertation du Suédois
Samuel Lychor, Disputatio de inten-
dendis sonis, — Un autre Suédois sou-
tint à l'Université d'Abo une thèse
De usu organorum in templis, — La
thèse d'Olaus Retzel De tactu musico
est un peu postérieure. — Un excel-
lent livre. Orchestra seu de saltationi-
bus veterum, plein d'aperçus judicieux
sur les danses des anciens et la mu-
sique dont ellesétaientaccompagnées,
fut Tœuvrc de Billberg qui, après
avoir professé les mathématiques à
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 27
Upsal, se fit recevoir docteur en théo-
logie et devint évêque de Strœg-
nœsen Suède. — L'ouvrage du Da-
noisGaspardBartholin,filsde Thomas
Bartholin, illustre médecin du roi de
Danemark, le De tibiis vtltrum et ea^
rum ustî, ne brille point par la même
supériorité dans le sentiment critique,
mais il témoigne de très vastes lec-
tures. L'auteur d'ailleurs le composa à
vingt-deux ans : il se voua par la suite
à des recherches d'anatomîe et de
science médicale. — A titre de curio-
sité nous ferons une petite place à la
dissertation latine d'un antiquaire nor-
végien, Sperling, sur une monnaie de
l'impératrice Tranquillina, femme de
Gordien IIL La description du revers
de cette médaille est pour cet érudit
un prétexte à donner d'intéressants
détails sur la lyre des anciens et sur
les rivalités qui se produisirent, dans
28 HISTOIRE
Tantiquité, entre les virtuoses sur les
instruments à cordes et les joueurs de
flûte.
Vers la fin du dix-septième siècle,
nous rencontrons un savant danois,
Schacht, dont l'activité fut mul-
tiple, et qui mena une vie assez
aventureuse. Ses études Pavaient
conduit à Leipzig, à léna, à Franc-
fort. Il habita ensuite Upsal et Vi-
borg. Il séjourna successivement
à Dantzig, à Kœnigsberg, à Copen-
hague, dans les Pays-Bas, avant de
se fixer en Finlande, où il remplit les
fonctions de cantor et de professeur.
Quand il mourut, en 1700, il était
recteur à Kierteminde, en Dane-
mark. Parmi ses ouvrages, demeurés
manuscrits, figurent diverses compo-
sitions musicales et un lexique de
musique, suivi d*un traité de cet art,
en langue latine.
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 29
La littérature musicale de tous les
pays contient quelque dissertation
sur l'application de la musique,
comme procédé thérapeutique, aux
personnes qui ont été piquées de la
tarentule. La Scandinavie ne fait pas
exception à cette règle. Un médecin
de Copenhague, Jean Muller, publia
en 1679 un in-quarto sur ce sujet,
intitulé : Dt tarentula^ et vi musicx in
ejus cùratione.
Pour compléter ces indications sur
la contribution des Scandinaves à
Pœuvre de la théorie et de l'érudi-
tion, nous n'avons plus à signaler que
la collaboration de Bellmann et de
George Wallerius, Suédois l'un et
l'autre, pour l'opuscule imprimé à
Upsal sous ce titre : Df antiqua et
mediî xvi musica.
En dehors de ce qui se rapporte à
l'orgue, nous n'avons eu jusqu*à pré-
3o HISTOIRE
sent que peu de chose à dire de la
musique instrumentale. Observons
que ce fut une Anglaise, Arabella
Hunt, morte en lyoS, et dont Con-
greve a célébré les talents, que Ton
fit venir pour enseigner l'art de jouer
du luth à la princesse Anne de Dane-
mark.
CHAPITRE II.
LE XVI II" SIÈCLE.
Le dix-huitième siècle a été pour
la musique, un peu partout, une
époque de croissance rapide, de
riche développement poussé dans
tous les sens. On sait notamment ce
qu*il produisit en Allemagne, les
changements que détermina dans
Taspect de Tart la venue d'hommes
tels que Bach, Ha^dn, Mozart et
Beethoven, — pour toute une partie
de sa carrière. Constitution décisive
de Toriglnaliié germanique dans l'in-
vention, immenses acquisitions dans
32 HISTOIR£
le domaine de la technique, tels sont
les deux caractères principaux de
l'évolution musicale en Allemagne au
dix-huiiième siècle. — Cependant
ritalie poursuivait, surtout dans le
genre dramatique, l'éclatante carrière
commencée aux siècles précédents, et
la France prenait peu à peu un rang
élevé parmi les nations véritablement
musiciennes.
Dans les pays Scandinaves (notons
d'ailleurs en passant que le goût de
la musique s'y répandit fort, et que,
particulièrement en Suède, les dames
de la noblesse s'adonnèrent toutes,
dès lors, à la pratique du clavier), ce
dix-huitième siècle, ailleurs si fécond,
ne fut guère encore qu'une ère de re-
cueillement et d'étude, où s*accrut
le dépôt de la science, où se répandit
et se fortifia la connaissance du mé-
tier, où se prépara, en un mot, l'état
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 33
de choses qui devait, dans notre
siècle, conduire les compositeurs du
Nord, ayant pris enfin conscience de
leur originalité nationale, à donner
au monde des œuvres d'un relief dis-
tinct et d'une saveur spéciale. Nous
n'allons, pour le moment, rencontrer
sur notre route que les noms de tra-
vailleurs assez obscurs. Ils marquent
du moins les étapes d'une route as-
censionnelle; c'est grâce à leurs
efforts prolongés que ces régions, si-
tuées aux extrémités de l'Europe, ont
été progressivement mises au point
de participer avec succès aux mani-
festations de la vie musicale.
L'autonomie artistique n'étant pas
jusque-là, dans ces contrées, décidé*
ment constituée, l'étranger, Italien
ou Allemand, était encore assez fré-
quemment appelé à y occuper la situa-
tion de maître. C'est ainsi que, dans
5
34 HISTOIRE
le premier quart du siècle, la Cha-
pelle du Roi, en Danemark, fut di-
rigée par un habile musicien, Ber-
nardi, qui arrivait du pays des Scar-
latti et des Marcello. En revanche,
la muse nationale apparaissait, sinon
comme fort inspirée, du moins comme
régulièrement cultivée avec des com-
positeurs tels que Thilo. Plus tard,
nous trouvons les gracieuses pièces
de clavecin, coilrtes, mais d*un tour
élégant et délicat, de Musaeus, au-
teur du Divertimento musico (l'italien
prévalait dans les titres, comme il est
resté usité pour la désignation même
du genre des morceaux, alUgro,
scherzo ou andante); en véritable
homme du Nord, consciencieux et
réfléchi, Musseus se croit obligé de
démontrer dans une préface les in-
fluences des études musicales sur le
bon équilibre de Tâme. D'autre part.
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 3 S
Niels Bredal, d'abord investi de fonc-
tions publiques en Norvège, puis
établi à Copenhague, écrivait des
pièces vocales assez agréables et in-
génieuses, sous des appellations qui
sont bien caractéristiques du temps :
U Berger irrésolu, U Solitaire, le R«-
cruieur heureux, etc. C'est à peu près
vers la même date qu'un autre Danois,
Rein, d'Altona, s'exerçait dans le
genre sévère du choral à quatre
parties.
On se rappelle encore quel succès
obtinrent, à l'Exposition de 1889
(et ce succès s'est renouvelé à
celle de 1900], les faïences de la
manufacture royale de Copenhague.
Un des directeurs, au dix-huitième
siècle, de cet établissement, si remar-
quable par la qualité rare et fine
de ses produits, fut un amateur
distingué de musique. Il se nommait
, 36 HISTOIRE
Grœnland. Aimable et instruit, il
écrivit jpour le piano, et mit en
musique des poésies allemandes. Il
fut aussi le collaborateur, au moins
occasionnel, de Cramer pour la rédac-
tion de son Magasin de musique.
*
En Suède, dès la première moitié
du siècle, nous avons à mentionner
«
Johan Agrell, compositeur très estimé
en Allemagne, où Ton fit plusieurs
éditions de ses œuvres; il est peut-
être, si Ton se reporte à des œuvres
de lui conservées à la bibliothèque
de l'Académie de Musique de Stock-
holm, le premier ou l'un des pre-
miers artistes qui, dans le genre ins-
trumental, aient composé de véri-
tables sonates ; — et un élève de
Hândel, Johann Roman qui, se
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 3 7
conformant à des habitudes alors
assez fréquentes, italianisa son nom
en se faisant appeler Romano, et qui
fut à la tête de la Chapelle du Roi.
Il est intéressant de noter qu'il
donna des concerts publics à Stock-
holm. A ses aptitudes de chef d'or-
chestre il joignait celles de composi-
teur. Ses sonates pour deux fhites
avec basse continue ont de la valeur;
un des recueils qu'il composa dans ce
genre, imprimé à Amsterdam, porte
la marque de cette célèbre maison
Roger dont, autre part, nous avons
signalé l'importance. Il s'appliqua
également à la musique religieuse.
Organistes aussi bien qu'auteurs
d'ouvrages théoriques, les Suédois
Zettrin et Zeilbell ont aussi le droit
de n'être point passés sous silence.
Le dernier fut le fondateur de l'Aca-
démie de Musique et Tinstigateur
38 HISTOIRE
des concerts publics donnés au Palais
de la Noblesse. Ce fut là que, plus
tard, on exécuta, un vendredi saint,
la Création de Haydn, avec tant de
succès, que Touvrage dut, depuis,
être joué, à la même date, chaque
année, attirant successivement des
milliers d'auditeurs. Zellbell vécut en
partie sous le règne d'Adolphe Fré-
déric, grand amateur de musique, et
lui-même violoncelliste habile, tandis
que la reine sa femme était une clave-
ciniste passionnée.
Le nom de Philippe-Emtnanuel
Bach se rattache, d'une façon indi-
recte, à l'histoire de la musique da-
noise, ce maître ayant donné des
conseils à Niels Schiœrring, attaché
un moment au personnel musical de
la Cour de Copenhague. Ce dernier
publia un choix de cantiques, avec
basse continue, en langue danoise. Il
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 89
avait projeté un travail analogue,
plus général et plus considérable,
pour les cantiques en langue alle-
mande. Il avait, à cet effet, rassemblé
toute une bibliothèque d'anciens
livres, depuis le temps de la Réforme.
Emmanuel Bach eut entre les mains
le manuscrit de ce voluminux recueil,
et y ajouta la basse chiffrée pour
Taccompagnement. Cette entreprise
méritoire, d'ailleurs, n'aboutit point,
car, pour prendre l'expression de
Victor Hugo, « la fin de l'auteur
arriva avant la fin du livre ».
Laborieux et intelligent, Schiœr*
ring avait formé une collection icono-
graphique curieuse, comprenant les
portraits de douze cents musiciens
plus ou moins illustres. Cette sorte
de petit musée a subsisté. Il n'en
fut malheureusement pas de même
de son importante bibliothèque^ qui.
40 HISTOIRE
iodépendamroent des documents rela-
tifs à l'histoire et à la tradition du
chant choral religieux, présentait un
ensemble précieux d'ouvrages musi-
caux de tout ordre, auxquels étaient
jointes beaucoup d*œuvres se rappor-
tant à la théorie et à toutes les
branches de la littérature technique.
Schiœrring était demeuré usufruitier
du tout,maisen en cédant la propriété
au roi de Danemark ; on sait que la
dynastie nationale a toujours été
très soucieuse d'accroître ainsi le
trésor de ses richesses scientifiques
et artistiques, mis libéralement à la
disposition du public. Un incendie
anéantit ce dépôt d'une valeur capi-
tale, grossi pendant la vie entière
d*un homme de grand savoir et de
rare compétence.
La deuxième moitié du siècle nous
présente, en Suède, un homme qui
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 41
n*est mort que dans le siècle suivant.
Haeffner, d'origine allemande, mais
devenu par adoption un Suédois
véritable, et qui, à toutes sortes de
points de vue, mérite l'attention de
l'historien. Lui aussi comprit tout
l'intérêt de l'ancienne musique cho-
rale religieuse ; il s'efforça de la
restituer dans sa pureté, avec toute
sa forte physionomie, en supprimant
les altérations que des réformes mal
comprises auraient pu y introduire.
Comme il arrive généralement à ceux
qui se livrent à de semblables tenta-
tives, il eut à lutter contre l'opposi-
tion inintelligente des simples empi-
ristes. Organistes et chantres se sou-
cièrent peu de rompre avec des habi-
tudes, prises à tort sans doute, mais
déjà couvertes par une prescription
quasi-séculaire. Peut-être Haeffner
ne déploya-t-il point toute la patience
6
42 HISTOIRE
et toute la modération désiiables
dans les discussions qu'il eut à sou-
tenir à ce propos. On doit, en tout
cas, lui savoir gré d'avoir, l'un des
premiers peut-être, senti la nécessité
de faire ressortir, en musique, le
cachet national. Ce ne fut pas seule-
ment dans le genre religieux qu'il
porta cette préoccupation. Il s'occupa
aussi à harmoniser les vieux airs
transmis par la tradition, et, en les
publiant, il consulta avec tact et res-
pecta avec goût la tonalité primitive
dans laquelle ils étaient conçus.
Sans parler de ses compositions
d'église — son office suédois à quatre
voix avec orgue, d'un grand carac-
tère, et ses préludes d'orgue pour les
pièces du choral — Haeffner a mon-
tré la vigueur de son invention et la
finesse de son sentiment artistique
dans les mélodies .qu'il écrivit sur
DE I.A MUSIQUE SCANDINAVE 43
des textes populaires en langue sué-
doise. Il y a du mérite dans les nom-
breux morceaux qu'il composa pour
les cérémonies académiques de l*Uni-
versité d*LJpsal, où il remplit les
fonctions de Director Musices, Il y
introduisit l'usage du chœur à quatre
voix d*hommes. Lui-même composa
dans cette forme plusieurs pièces,
sortes de « marches » d*un style
grandiose, chantées encore aujour-
d'hui par les étudiants dans certaines
solennités. Plusieurs mélodies natio-
nales furent arrangées par lui en qua-
tuors vocaux. — A la cathédrale
d'Upsal il se montra organiste des
plus capables. Il avait, à cet égard,
lors de ses études poursuivies en
pays germanique, reçu les leçons de
rhabile Vierling. Correcteur d'é-
preuves, à Leipzig, pour la maison
Breitkopf, il avait, dans sa jeunesse.
44
HISTOIRE
acquis, dans ces modestes travaux,
une sûreté de coup d'oeil et de main
peu ordinaire.
Haeffner fut très en faveur auprès
de Gustave III, le prince que les
historiens suédois ont surnommé « le
roi charmeur ». Son règne fut, nous
dit-on, une « époque joyeuse », un
temps où se renouvelaient sans cesse
les parties de plaisir, les festins, les
a courses en bateau », les bals. Il
en fut un peu de même, en Dane-
mark, pour le règne de Frédéric V,
imitateur des brillants et fastueux
rois de France.
Ami des arts, Gustave III fonda
l'Académie Royale de Musique. Il
s'intéressait beaucoup au théâtre et
particulièrement au théâtre musical.
Il fit le plan d'un opéra, Thétis et
Pélét, dont le teite fut écrit par
Wellander, ainsi que d'un Gustave
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 4 S
Vasa, qui, avec la musique de
Naumann, fut joué près de deux
cents fois, et qui, bien que composé
par un Allemand dans lestjle italien,
a * long temps été considéré comme
une -sorte d'opéra national.
C'est sur l'ordre de ce même
souverain que fut élevé le bâtiment
de l'Opéra, inauguré en 1782, et où
le roi lui-même devait, dix ans plus
tard, tomber sous la balle d'Ankas-
troem. Cette salle, avec quelques
changements peu importants, a servi
jusqu'à l'année 1891, date à laquelle
a été construit le beau monument
nouveau dont nous aurons à parler
plus tard.
Gustave III fit de Haeffner son
maître de chapelle. Celui-ci, que
sa carrière d'abord ambulante d'ac-
compagnateur et de chef d'orchestre
avait familiarisé avec la musique
46 HISTOIRE
dramatique, s*est adonné aussi à ce
genre. lia fait représenter àStockhoim
trois opéras Eltctre, Alcidt, Renaud.
Leuc musique, de structure sérieuse
e^ forte, mais quelque peu aride,
trahissait peut-être trop exclusi-
vement la préoccupation de se régler
sur le modèle de Gluck.
Au règne de Gustave III se rattache
le souvenir d'un artiste que quelques
critiques n'ont pas hésité à qualifier
de génial, Carl-Michaêl Bellman
« chanteur ou plutôt improvisateur»,
poète et musicien, mais musicien
s'inspirant pour ses mélodies de la mu-
sique en son temps courante « sur la
scène, à l'église, au fojer ». Entre cette
musique et les paroles de ses poèmes
il y a une adaptation si parfaite, que
poésie et chant, désormais insépara-
bles, sont, sous. la forme qu'il leur
avait donnée, demeurés populaires.
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 47
Puisque nous parlions à Pinstant
de théâtre, il n'est point hors de
propos de signaler les artistes de
chant que produisit, au dix-huitième
siècle, un pays qui devait plus tard
être celui des Lind et des Nilsson.
A vrai dire, nous ne pouvons tirer
de l'oubli que deux noms, l'un et
l'autre appartenant à la dernière
partie de cette période. Le premier
est celui de l'excellent ténor Karsten
qui remporta de vifs succès en Angle-
terre. Très complet, il ne brillait pas
moins par la rare élégance de son
allure en scène et par ses talents
d'acteur consommé que par son
éminent mérite vocal. Des études
patientes avaient perfectionné son
organe, très sonore et très souple. Il
a laissé une fille, qui, à un degré
moindre, marqua sa trace dans les
annales de l'art, et que les plus âgés
48 HISTOIRE
de nos contemporains, ceux du moins
qui ont pu visiter l'Allemagne il y a
une cinquantaine d'années, auraient
eu encore l'occasion d'entendre.
L'autre nom est celui d'une canta-
trice, Elisabeth Olin, qui fit quelque
temps les beaux jours, ou plutôt les
beaux soirs, de l'opéra de Stockholm.
Elle réussit notamment dans un
gracieux ouvrage, Cora, du maître
allemand Naumann, compositeurdont
les réels mérites furent rejetés dans
l'ombre, parles succès du répertoire,
plus vivace, plus robuste et géné-
reux, de Mozart.
Nous avons, en de précédents
ouvrages, insisté sur l'importance
des progrès de la lutherie, envisagés
dans leurs rapports avec l'évolution
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 49
même de Tart. Pour ce qui regardé
les instruments à archet, les trois
royaumes du Nord n'ont pas à reven-
diquer la gloire, réservée à d'autres
pays, d'une fabrication caractérisée
et originale. Il n'en est pas tout à
fait de même en ce qui concerne les
instruments à clavier. Dans ce genre
l'histoire artistique suédoise nous
présente Nicolas Brelin. Il avait
imaginé, pour le clavecin, des amélio-
rations notables, mais qui se trou-
vèrent sans objet par suite de l'expan-
sion du piano au détriment de
l'instrument rival. Les idées de Bre-
lin, exposées par lui dans un mémoire,
ont attiré l'attention d'un homme
aussi avisé et aussi pénétrant que
Marpurg, qui même a traduit une
partie de cet essai. Nicolas Brelin
avait cette étendue d'esprit que peut
donner une vie accidentée durant
So HISTOIRE
laquelle IVctivité mentale prend
successivement des formes multiples.
Il est assez remarquable que le
même personnage ait été tour à tour
jurisconsulte et luthier, soldat prus-
sien et théologien, voyageur par
aventure et artisan par nécessité.
Cette diversité d'expériences, funeste
pour une intelligence débile, est
salutaire à un cerveau vigoureux et
résistant. Admis un peu tardivement
dans l'Académie des Sciences de
Stockholm, Brelin a inséré dans les
Transactions de cette institution
célèbre des pages qui sont aussi
remarquables par la lucidité des
aperçus que par la rigueur de la
méthode et de l'argumentation.
Ajoutons que chez lui le calcul du
savant se doublait d'un très sûr
instinct de praticien.
L inventeur du clavecin royal —
* »
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 5l
instrument ingénieux par sa richesse
et sa variété de sonorité — Junger-
sen, ne doit pas non plus être omis.
Il avait d*abord été boulanger. Il
arriva à pratiquer son second métier
en théoricien éclairé, comme le
démontrèrent les articles qu'il fournit
à la Gazette musicaU de Leipzig.
Clavecins ou pianos, il donna des
modèles d'une fabrication très soi-
gnée, capables de soutenir la compa-
raison avec ce qui se produisait
ailleurs de plus accompli.
- C'est à l'histoire, malheureuse-
ment trop longue, des tentatives
intéressantes, mais, en définitive,
avortées, qu'appartient l'essai curieux
de Rieffelsen pour construire un
instrument, au son tout ensemble
très plein et très suave, composé
d'un système de diapasons, mis en
vibration par un archet, mû à l'aide
HARVARD UNIVERSITY
»A KUHN LOEB MUSIC UBRAHK
CAMRPfOGF 3R MASS.
52 HISTOIRE
d*uQ mécanisme auquel correspon-
daient des touches. Ce melodicon,
selon le nom que l'inventeur lui
donna, ne put, en dépit de perfec-
tionnements successifs, être corrigé
de défectuosités inhérentes à sa
nature même et qui, tout compte
fait, le rendaient pratiquement inuti-
lisable.
La virtuosité instrumentale ne
fournit point, ici comme ailleurs,
matière à d'interminables listes.
Elle offre néanmoins l'occasion de
réunir certains souvenirs et de grou-
per quelques noms. Pour l'orgue,
tout d'abord, nous rencontrons Jean-
Daniel Berlin, né Prussien (à Memel),
mais établi longtemps à Copenhague,
et finalement devenu, pour une
quarantaine d'années, titulaire du
grand orgue de la cathédrale de
Drontheim^ où il jouit d'une auto-
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 53
rite artistique considérable. De ses
compositions, d'un tour solide et
sérieux, il a survécu peu de chose.
On lui doit, dans Tordre didactique,
un traité élémentaire, clair et bien
distribué, qu'il rédigea en danois, et
que l'Allemagne apprécia et traduisit.
Quant à Londicer, il avait eu des
débuts presque prodigieux. Ce fut à
treize ans qu'il devint, à Stockholm,
organiste tout à la fois de la Cour et
de l'église Sainte-Marie-Madeleine.
Il était, à cette date, revenu d'un
voyage d'études qu'on l'avait, en le
subventionnant, envoyé faire à Cassel.
Dès l'âge de sept ans, il avait com-
posé, et dédié des œuvres déjà régu-
lières à de grands personnages. A
l'église Saint-Jacques ses improvisa-
tions enfantines avaient été quelque
temps l'objet de l'admiration géné-
rale. Les renseignements font défaut
^4 HISTOIRE
sur la suite de cette carrière triom-
phalement inaugurée, et qui ne réa-
lisa pas ce qu'elle annonçait.
En passant aux instruments à
cordes, c*est seulement pour mémoire
que nous rappellerons la virtuosité de
luthiste que déploya, avec beaucoup
d'autres aptitudes, un savant, huma-
niste et musicien suédois, Ber-
grot, auteur de VExerciiium acade-
micum instrumenta musica Unittr
delineans, titre dont le latin, comme
on voit, rappelle un peu celui des
médecins de Molière. — Le violon,
jusque-là, dans ces pays, n'avait pas
eu de destinées particulièrement bril-
lantes. Mais il était cultivé avec savoir
et avec goût dans les orchestres. Un
de ceux qui eurent, à cet égard, une
bonne influence sur le maintien de la
saine tradition, fut le Danois Lem,qui
a formé beaucoup d'élèves capables.
DK LA MUSIQUE SCANDINAVE 55
Le concerto de lui que Ton a publié à
Vienne, en lySS, ne révèle pas une
imagination puissante, mais il té-
moigne d*une rare connaissance du
style et du mécanisme de Pinstru-
ment, et des effets que Ton en peut
normalement tirer. Lem avait eu pour
maître un Allemand, Johan Hartmann ,
grand-père du célèbre compositeur
J.-J. Hartmann, établi au Danemark,
qui a beaucoup composé sur des
paroles danoises, qui a même écrit
un opéra sur un sujet de mythologie
Scandinave, la Mort de Balder, et à
qui Meyerbeer,. comme nous Pavons
noté jadis, a emprunté l'une des
mélodies de son Strucnsée. C'est à lui
qu'est dû le chant national danois.
Ce chant faisait partie d'un drame,
les Pêcheurs, du célèbre poète Ewald.
Si Lem, en tant que compositeur,
ne tira point un profit exceptionnel
36 HISTOIRE
des enseignements de ce Hartmann,
— savant, mais peu original, et
simple imitateur de Gluck, — il dut
au moins au commerce avec ce musi-
cien solide, imbu de la forte culture
allemande, le caractère sérieux et
délicat de son exécution, qu'il fit
apprécier comme violon solo des
Concerts de la Cour. Etant donné le
voisinage immédiat d'une pépinière
d'instrumentistes parfaits telle que
TAllemagne, c'était quelque chose,
pour un pays de dimension, somme
toute, exiguë, et de population peu
nombreuse, de pouvoir, échappant à
la presque inévitable infiltration étran-
gère, confier de pareilles fonctions,
avec une complète convenance, à un
artiste national.
C'est surtout aussi en qualité de
violoniste que Schall mérite une
place dans la nomenclature des mu-
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE Sy
siciens distingués du Danemark. Com-
positeur, il a, vers la fin du siècle,
fait représenter des ballets brillants,
comme VIdole dt Ccylan, dont, par
une exception assez rare, la partition
de piano existe. Il est également
Tauteurd'un opéra-comique en deux
actes, Us Voyageurs pour la Chine,
de Koméo et Juliette, Macbeth, etc.
Mais ses duos de violon et ses con-
certos pour cet instrument peuvent
peut-être passer pour ce qu'il a écrit
de meilleur. Ses Etudes sont d'un
homme qui possédait à fond la tech-
nique. II forma des élèves qui contri-
buèrent à maintenir ou à élever le
niveau de l'exécution dans la Cha-
pelle Royale. Sa réputation avait
dépassé les frontières étroites de sa
patrie. On le connaissait en Alle-
magne, où il s'était fait applaudir dans
plusieurs villes. Il eut d'ailleurs, dans
8
S8 HISTOIRE
ses voyages, l'occasion de jouer en
public, non sans succès, à Paris et en
Italie. Le roi, en lui conférant Tordre
national, consacra son mérite. De
tels encouragements, assez peu com-
muns, ailleurs, avant notre époque,
n*ont jamais manqué aux artistes
danois, selon les tendances généra-
lement libérales d'un gouvernement
porté, en tout, à favoriser les talents.
La harpe est devenue, de notre
temps, un des organes intégrants de
Torchestre. Jadis elle n'apparaissait
■guère que comme instrument solo de
concert ou de salon. Ce que sa fac-
ture dut, dans les dernières années du
siècle, aux Krumpholz et aux Sébas-
tien Erard, nous Tavons expliqué
dans un de nos précédents livres. Sur
la harpe antérieurement en usage,
d'un maniement plus difficile et d'une
moindre richesse de ressources, un
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE $9
virtuose allemand, Kirchhoff, avait
acquis une extrême habileté. Il se
fixa à Copenhague, y fut attaché à la
florissante Chapelle du Roi, et y fit
un fort long séjour, coupé seulement
par une excursion artistique, cou-
ronnée de succès, en Russie, où Saint-
Pétersbourg commençait à devenir
une des cités les plus musicales de
l'Europe. — Kirchhoff a composé
pour son instrument des morceaux
non dépourvus de mérite.
Plus riche encore qu'au siècle pré-
cédent est, en Suède, en Danemark
et en Norvège, la littérature spéciale
se rapportant à la musique, à son
histoire, à sa théorie et à son ensei*
gnement. Parmi les ouvrages ou
opuscules purement historiques, nous
bo HISTOIRE
trouvons tout d'abord le livre élémen-
taire, en suédois, d'Orostander. —
Niedt, qui était né en Allemagne et
qui avait d*abord rempli, à léna, les
fonctions de notaire, fit ensuite, à
Copenhague, une vraie carrière de
compositeur et surtout d'écrivain di-
dactique. D'un esprit caustique et
agressif, il s'attira d'ailleurs plus
d'estime par ses connaissances que de
sympathie par son caractère. Il y a
de Tadresse et du talent dans ses
pièces pour hautbois ou violon, mais
la réputation lui vint plutôt de ses
écrits, bien que son ABC muskal,
à l'usage des instituteurs et des étu-
diants, dénote une certaine incohé-
rence. Les trois parties de son traité
d'harmonie et de composition cons-
tituent une exposition intégrale de la
science. La troisième partie, où les
chapitres sur le contre-point et les
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 6 1
canons sont remarquables, est pos-
thume, et fut mise au jour par Mat-
theson.
Les idées de Rameau sur la basse
fondamentale se répandirent assez
vite par toute TEurope. Un Suédois,
Lœfgrœn, les exposa en latin dans
une thèse, une Disputatio academîca,
soutenue à l'Université d'Upsal sous
ce titre : De basso fundamtntalu
C'est un peu à Tordre des amateurs
qu'appartient David Kellner, qui fut
officier dans les armées suédoises, qui
composa un traité de droit public, et
qui dirigea la partie musicale des
offices à l'église allemande de
Stockholm. Ses traités de basse con-
tinue et d'harmonie ne dépassent
guère les bornes d'une médiocrité
honnête.
Il en est tout autrement de Chré-
tien-Frédéric Breitendich, qui, au
62 HISTOIRE
palais de Christianborg, fut organiste
de la Chapelle du Roi, et qui, com-
positeur laborieux et habile, a de
plus laisse deux livres excellents :
VEssai abrégé pour acquérir soi-même
en peu de temps la pratique du chant
choral, etc., et VInstruction sur la
manière d'apprendre soi-même l'har-
monie, etc. On voit par ces intitulés,
où il est question de s'assimiler « soi-
même » la science, que ce n'est pas
de notre temps que datent, dans les
titres, les promesses illusoires et fal-
lacieuses sur les connaissances à ac-
quérir « avec ou sans maître ».
Après nous être borné à citer le
traité du chant de Hansen, nous pas-
serons à une autre branche d'écrits,
à ceux da'ns lesquels la théorie de la
musique est envisagée par les points
où elle confine à celle de l'acoustique,
à la physique générale, à ce que les
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 63
Allemands du temps de Schelling et
de Fichte appelaient la philosophie
naturelle. En cet ordre de produc-
tions les travaux d'Eric Burman
valent qu'on s'y arrête un moment.
Sans quitter le territoire de la Suède,
il y avait fait, en diverses localités
savantes, des études fort complètes,
joignant les humanités à la culture
des sciences exactes. Les beaux-arts
ne lui étaient point demeurés étran-
gers. Musicalement il avait profité
des excellents enseignements de Zel-
linger, maître de chapelle distingué
de la cathédrale d*Upsal. Par la suite,
il professa les mathématiques. Ses
travaux d'astronomie lui firent un
nom et le conduisirent à la Société
Royale des Sciences. S'intéressant à
la musique dans les rapports qu'elle
peut offrir avec les hautes connais-
sances dont il s'était fait une spécia-
64 HISTOIRE
lité, il écrivit en latin une disserta-
tion sur la Proportion harmoniqut.
Mentionnons également son Delaude
musîccs. Ce fut lui qui donna le sujet
et détermina les « positions » d'une
thèse universitaire soutenue par un
certain Tobie Westenbladt et publiée
sous ce litre : Spccimen aca4tmicum
de Triade harmonica. Signalons
encore un autre DcTriade harmonica,
qui fut l'œuvre d'un Suédois, West-
blad.
Ce qui est assez remarquable en
Burman, et ce qui prouve une com-
plexité d'aptitudes et de goûts dont
il serait peu aisé de trouver beaucoup
d'exemples, c'est que ce savant, in-
vesti de dignités pédagogiques, fut
en même temps, comme directeur de
la musique à la cathédrale d'Upsal,
le successeur de son maître Zellinger.
Dans la série des écrits où la mu-
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 65
sique est plutôt considérée comme
une science que comme un art, nous
avons encore à citer la thèse latine
d*un Danois, Jean Hansen, la Dispu-
tatio physica dt sonorum quorumdam
in chordis conspiratione ad principia
physicorum expUcata, On voit par ce
titre assez peu clair qu'il s'agissait là
delà question, si mystérieuse jusqu'à
Helmholtz, du phénomène des har-
moniques. Signalons encore le De
horologiis musico'automatis du Sué-
dois Asplind, ainsi que la thèse De
sono soutenue par un étudiant d'Up-
sal, Biberg, sous la présidence du
recteur Samuel Klingensljerna. — Un
académicien de Stockholm, Scheffer,
a inséré dans les mémoires de la com-
pagnie une Comparaison maihéma"
tique du rapport des sons entre eux,
— Riese, qui eut le titre de valet de
chambre du roi de Danemark, a pu-
66 HISTOIRE
blié un traité du tempérament musi-
cal, étudié au point de vue de Ta-
coustique plutôt que de la musique
proprement dite. — Nordwall s'est
occupé de la vitesse du son, dans
l'une de ces nombreuses thèses, do-
cumentées et intéressantes, que pro-
duisit l'Université d'Upsal. — On
doit quelques savants opuscules au
Danois Kratzenstein, à qui une in-
vention mécanique assez curieuse
valut un prix de l'Académie des
Sciences de Pétersbourg. — Tout à
la fin du siècle, nous rencontrons
l'écrit plein de savoir, la Dissertatio
de imagint soni seu écho que composa
le professeur Nordmark. Nous com-
prendrons enfin dans cette section
l'essai de Straehle sur le tempérament
et l'accord des instruments de mu-
sique.
A l'ordre des études de tour his-
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 67
torique se réfère toute une littérature
latine, d'origine universitaire, dans
laquelle nous ferons figurer la Dis"
sertatio de primis musicx invcntoribus
d'un professeur pourvu lui-même d'un
nom à désinence latine, Arrhenius,
qui occupa la chaire d'histoire à
Upsal. Beaucoup d'autres travaux se
rapportent à l'examen, poursuivi
également en Allemagne avec tant
de curiosité, de diverses ques*
lions ayant trait à la musique des
Hébreux de l'ancien Testament. C'est
ainsi que le savant orientaliste des
Universités d'Abo et d'Upsal, Daniel
Lund, qui finit par devenir évêque
de.Strengnaes, écrivit un De musica
Hchrxorum antiqua. — Bartholin,
mathématicien, qui fut membre du
Consistoire de Copenhague, et à qui
ses voyages dans la plupart des na-
tions cultivées de l'Europe avaient
68 HISTOIRE
contribué à ouvrir i'esprit, a traité,
avec une érudition qui nous paraît
quelque peu oiseuse, des effets théra-
peutiques de la musique sur le roi
Saûl. -» Le Danois Sonne essaya de
décrire les sonores et retentissantes
exécutions musicales, qui, d'après le
Livre des Rois et les Paralipomènes,
avaient lieu dans le temple de Jéru-
salem. — Eilschow avait entrepris
une oeuvre semblable, qu'il voulait
faire très complète. Il avait annoncé
une série de monographies relatives
aux divers éléments de la musique
religieuse, vocale et instrumentale,
des Juifs. Mais il ne réalisa pas son
projet. Il s'en tint à un essai prélimi-
naire De choro antlquo a Davidc ins-
tituto ut templo inserviret. Des sujets
d'un intérêt plus immédiat et plus ai-
sément perceptible occupaient aussi
les érudits du Nord. Par exemple,
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 69
toujours avec Temploi de la langue
latine, nous trouvons, sur les desti-
nées de la musique religieuse en Suède,
la trace d*une lecture académique im-
portante, dans les fastes de TUniver-
siié de Lunden. Ce travail conscien-
cieux est plein de curieux renseigne-
ments. L*auteur y démontre que,
dans l'église suédoise, les instruments
ont été de tout temps usités pour
soutenir les voix, même à Tépoque
où étaient encore en honneur les
hymnes en vieille langue gothique.
— Une autre dissertation en langue
vulgaire et ayant pour sujet la ques-
tion, si fréquemment effleurée ou ap-
profondie, de rintroduction de Torgue
dans Toffice chrétien, fut Tœuvre du
théologien Rhyzelius qui, après avoir
été l'aumônier de Charles XII, devint
évêque de Linkœping. — C'est en-
core l'orgue qui tient la place prin-
yO HISTOIRE
cipale dans le livre écrit en suédois
par Hulphers, de Westeras, qui d'ail-
leurs iraite sommairement dans cet
ouvrage de la musique en général
et des différents instruments, et qui
termine son œuvre par une rapide
description des orgues les plus beaux
et les mieux construits de la Suède.
Nous avons, dans nos études an-
térieures, rencontré un peu partout,
même en Espagne, des ennemis de
Tintervention de la musique dans
Téglise. Â vrai dire, ce que les ad-
versaires de l'art redoutaient, c'était
moins son emploi que ses abus. C'est
à ce point de vue, non exclusif, mais
sagement restrictif, que se place Té-
véque de Gothenburg, Wallin, dans
son écrit : Deprudentia in cantionibus
eccUsiasticis adhihtnda, — Un autre
membre du clergé, de rang moins
éminent, Lund, qui avait appris la
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 71
théologie à Wittenberg, la ville où
Hamlet avait fait ses études, et qui
devint diacre à Flensbourg, s*est,
comme le précédent, servi du langage
des humanistes pour composer, en
style châtié, son élégante Oratio dt
requîsitis bonx cantons.
Des considérations d^ordre moins
étroit étaient aussi parfois l'œuvre
des latinistes. £n ce sens, nous cite-
rons la dissertation de Waldner sur
les arts libéraux, parmi lesquels, tout
naturellement, la musique est com-
prise. — Muchler qui, au moins
comme traducteur, en donnant une
version des traités de l'Anglais Harris,
s'occupa également de l'art en géné-
ral, était sujet suédois par sa nais-
sance dans la partie de la Poméranie
alors soumise à la Suède. Mais, en
réalité, il était allemand par la race,
par son long séjour à Berlin, et par
72 HISTOIRE
la langue dont il se servait en écri-
vant.
Gerstenberg, qui fut consul de
Danemark à Lubeck, peut passer
pour ce qu'on appelle un polygraphe.
Il fut poète, philosophe, critique
d'art. Il a composé une sorte de tra-
gédie moderne, Minona ou Us Anglo-
Saxons, pour laquelle un compositeur
allemand a écrit de la musique. Gers-
tenberg avait complété à léna les
études qu'il avait commencées à
Altona. Il fut militaire, et fît la
guerre contre les Russes. Il a donné,
en langue allemande, quelques essais
de critique musicale, insérés dans des
revues germaniques telles que le
Magasin des sciences el de la Uttéra^
tare de Gœttingen, et le Magasin de
musique de Cramer. Parfois il s'atta-
quait à des sujets arides et techniques,
par exemple en exposant une nou-
DE 1.A MUSIQUE SCANDINAVE 78
velle manière de chiffrer les accords
dans la basse donnée. Parfois il abor-
dait des questions moins sévères,
notamment en ses considérations
judicieuses sur le récitatif et l'air dans
Topera italien, ou en son ingénieux
morceau sur la poésie lyrique ita-
lienne.
L'art du Midi est généralement
instinctif, spontané. L'art du Nord
est volontiers réfléchi, et fondé sur
une esthétique préalable. Aux pays
septentrionaux, dont nous nous occu-
pons. Ton a toujours beaucoup aimé
raisonner, d'une façon générale, sur
Tessencedela musique, surses applica-
tions, sur son influence, plus ou moins
salutaire, dans l'évolution de l'in-
dividu et de l'espèce. Aces difTérents
objets, également dignes de médita-
tion, se rapportent des écrits tels que
celui du Suédois Pape, De usa musices,
10
74 HISTOIRE
OU le De usu musicts morali du Finlan-
dais Mechelin, ou encore l'opuscule
du Danois Anchersen en deux parties
connexes, le De medicatione per must"
cam auquel répond symétriquement
le Quomodo musica in corpore agit cl
vires exercet» Le théologien Kofod,
qui fut chapelain de la Cour, à Co-
penhague, et qui se fît une réputa-
tion de prédicateur, se plaça au
double point de vue du philosophe
et de l'historien en développant des
considérations relatives à YJnfluence
de la musique sur l'espèce humaine où
sont examinés les effets, nobles et
purifiants, ou troublants et lascifs,
des modes, des mouvements, des
rythmes dans l'appareil d'art musical
des anciens et des modernes. —
C'est à peu près la mênie question
qui se trouve traitée avec plus d'am-
pleur, avec une finesse supérieure de
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 7 5
sentiment critique et historique,
dans un ouvrage de Johannes Boye,
qui fut Fauteur de livres intéressants
sur des sujets fort divers, qui se mêla
avec compétence de science politique
et d'économie sociale, qui donna, ni
plus ni moins que Lucien, un De la
manière d* écrire l'histoire , et qui, con-
temporain de Kant, aiguisa contre
la doctrine du maître de Kœnigsberg
les armes de la polémique. L*œuvre
spéciale, à laquelle nous faisions tout
à rheure allusion, porte ce titre: De
Vinfluence de la musique et du chant
sur l'amélioration de l'homme, Boye
s'y montre à la fois moderne, puis-
qu'il y joint la traduction de Todede
Dryden sur le pouvoir et les prestiges
de Tart des sons, — et classique,
puisqu'il y interprète et y commente
le passage où Cicéron, d*accord avec
Platon, soutient « nihil tam facile in
76 HISTOIRE
anlmos teneros atqut molles influere
quam varias cantndi sonos », ajoutant
que la musique, par sa vertu « et inci-
tât languentes et languefacit excitatos,
et tum remittit animas, tum contrahit » .
CicéroQ insiste, dans le même pas-
sage, sur Timportance qu'il y eut,
pour plusieurs cités de la Grèce, à
conserver scrupuleusement, dans sa
pureté, leur ancien mode national, à
le maintenir exempt d'altérations qui
auraient pu le rendre apte à inspirer,
non plus la vigueur et l'énergie, mais
la mollesse et la sensualité. — Boye,
en regard des effets merveilleux attri-
bués par la tradition à la musique
antique, évoque les impressions,
selon lui peut-être non moindres, que
peut causer sur les âmes la musique
de certains artistes de son époque. —
Mais si Tauteur, par la plus grande
partie de sa carrière, par ses origines
DE LA MUSIQUE SCANDINAVE 77
et ses analogies intellectuelles, appar-
tient à l'âge antérieur au nôtre, il
n*a publié Touvrage dont nous par-
lons qu'en 1824, c'est-à-dire dans
une péiiode dont l'étude' ne fait pas
l'objet du présent travail. Bientôt,
d'ailleurs, nous aurons l'occasion d'ex-
poser ce qu'au dix-neuvième siècle
ont produit de saillant et de caracté-
ristique, p^r ra^pport à la musique, la
pensée et l'art des trois pays Scandi-
naves.
20 mais 190 1 .
^fê»
TABLE
CHAPITRE I. — . Des oiigines au
xviue siècle i
CHAPITRE H. — Le xviiie siècle. 3i
^5»
Imp. Cerf.
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Histoire de la musique.
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