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HISTOIRE
DE LA
NOUVELLE-FRANCE
HISTOIRE
df: i.A
NOUVELLE -FRANCK
PAR MARC LESCARBOT
SUIVIE DES
MUSKS HK I.A N()i;\ KI.LK FHANCl-
NOUVELLE ÉDITION
PUBLIÉE PAR EDWIN TROSS
AVEC (iUATHK CARTES CKOtlKAlIUliUES
DEUXIÈME VOLUME
PARIS
LIBRAIRIE TROSS
5, RUE NEO'VE-DES-PETITS-CHAMI'S, 5
1866
DE LA NOVVELLE-
FRANCE
Contenant les navigations, découvertes, et habi-
tations faites par Tes François es Indes Occiden-
tales et Nouvelle-France souz l'avœu et autho-
rité de noz Roys Tres-Cb retiens , cl les diverses
fortunes d'iceux en l'exécution de ces choses ,
depuis cent ans jusques à hui.
En quoy est comprise l'Histoire Morale , Naturele et Geo -
graphique de ladite province; Avec les Tables
et Figures d'ictUe.
Par Marc Lescarbot, Advocat en Parlement ,
Témoin oculaire d'vne partie des choses ici recitées.
MuUa reaojctntar qaitjcm cecidtrt csdtntqut.
Seuiule Edîiion, revcuè, conigéc ei augmcatte pu l'Autheur.
Avec les Mases de la Nouvelle - France.
SECONDE PARTIE.
lUPSïXÉ
POUR LA LIBRAIRIE TROSS, A PARIS
Histoire de la Notvbllb-Francb. 29t
Il CcBtmc le Capilaine lacques Quartur pan dt la rivière dt
Saguenay pour chercha vn port , et s'arrête à Saincte-
Croix. Poissons inconetu. GriinJes Tortacs. lU aux Coudrts.
Ile d*OrUans. Rapport de la terre da pais. Accueil des Fran-
çois par les Sauvages, Harangue des Capitaines Sauvages.
Chàp. Xll.
AtssOKS maintenant le sieur Cfaamplein
faire la Tabagie, et discourir avec tes Saga-
mot AnadabijoiL et BezoUatj et allons repren-
dre le Capitaine lacques (Quartier, lequel
nous veut mener ù-mont la rivière de Canada jusques
â Saincte-CroiXf lieu de sa retraite, où nous verrons
quelle chère on lui fit, et ce qui lui avint parmi ces
peuples nouveaux (j'enten nouveaux, parce qu'avant
lui jamais aucun n'estoit entre seulement en celte
rivière). Voici donc comme il poursuit.
Le deuxième jour de Septembre nous sortîmes de
ladite rivière pour faire le chemin vers Canada, et
trouvâmes la marée fort courante et dangereuse, pour
ce que devers le Su de ladite rivière y a deux iles A
Pentour desquelles a plus de trois lieues n'y a que
deux ou trois brasses semées de groz perrons comme
tonneaux et pippcs, et les marées décevantes par entre
lesdites ilesi de sorte que cuidames y perdre nôtre
gaillon, sinon le secours de noz || barques, et à U
choiste desdits plateis {c'est à dire, à la cheate desdits ro-
chers) y a de profond trente brasses et plus. Passé la-
dite rivière de Saguenay et lesdites iles, environ cinq
3o9
tgi
ÏTOIRE
3ii
lieues versleSuroÛest,y a vne autre île vers leNort,
aux cotez ile laquelle y a de moult hautes terres, le
travers desquelles cuiJames poser l'ancre pourcstal-
1er l'Ebe, et n'y peumes trouver le fond ù six vingts
brasses et vn trait d'arc de terre, de sorte que fumes
contraints de retourner dans ladite ilc, ou posâmes
trente-cinq brasses et beau fond.
Le lendemain au matin fimes voiles et appareil-
lames pour passer oqtre, et eûmes conolssance d'vne
sorte de poissons, desquels il n'est mémoire d'homme
avoir veu ni ouï. Lesdits poissons sont aussi gros
comme Moroux, sans avoir aucun estoc, et sont assez
faits par le corps et tête de la façon d'vn lévrier, aussi
blancs comme neige, sans aucune tache, et y en a
moult grand nombre dedans ledit fleuve, qui vivent
entre la mer et l'eau douce . Les gens du païs les nom-
ment AdhothaiSy et nous ont dit qu'ils sont fort bons à
manger, et si nous ont affirme' n'y en avoir en tout
ledit fleuve ni païs qu'en cet endroit.
Le sixi(;me jour dudit mois, avec bon vent, limes
courir à-mont ledit fleuve environ quinze lieues, et
vînmes poser à vne ilequi est bort à la terre du Nort,
laquelle fait vne petite baye et couche de terre, à la-
quelle y a vn nombre inestimable de i^randes tortues,
qui sont les environs d'icelle ile. Pareillement || par
ceux du païs se fait (£s environs d'icelle ile grande
pêcherie des Adhoîlms ci-devant écrits. 11 y a aussi
grand courant es environs dcladiteilej comme devant
Bourdcaux, de flot etebe (i). Icelle ile contient en-
[i) Ftot, c'esi truand \a mer vieni et remonte en dessus; tbe^
^oand elle se retire.
oc LA N0VVKL^B•FRAKCE.
39>
viron trois lieues de long et deiix de large, et est vne
fort bonne terre et grasse, pleine de beaux et grands
arbres de plusieurs sortes ; et entre autres y a plusieurs
Coudres franches que trouvâmes fort chargez de noî-
zilles aussi grosses et de meilleure saveur que les
nôtres, mais vn peu plus dures. Et par cela nom-
mâmes Vile es Coadres.
Le septième jour dudit mois, jour de Nôtre Dame,
après avoir ouï la Messe, nous parûmes de ladite ile
pour aller à-mont ledit fleuve , et vînmes à quatorze
ilcs qui estoient distantes de ladite Ile es Coudres de
sept à huit licuës, qui est le commencement delà
terre et province de Canada ; desquelles y en a vne
grande environ dix lieues de long et cinq de lai^e,
ûQ il y a gens demourans qui font grande pêcherie
de tous les poissons qui sont dans ledit fleuve selon
les saisons, dequoy sera fait ci-apres mention. Nous
cstans posez et â l'ancre entre iccllc grande ile et la
terre du Nort, fumes à terre et portâmes les deux
hommes que nous avions prin sic précèdent voyage (i),
et trouvâmes plusieurs gens du pais, lesquels com-
mencèrent â fuir, et ne voulurent approcher jusques
à ce que lesdits deux hommes commencèrent à parler
et leur dire qu'ils estoient Tai^^uragni et Domagaya: et
lorsqu'ils !i eurent L-onoissance d'eux , commencèrent
à faire grand' chère, dansans et faisans plusieurs cé-
rémonies, et vindrent partie des principaux à noz
bateaux, lesquels nous apportèrent force anguilles,
et autres poissons, avec deux ou trois charges de gros
mil, qui est le pain duquel ils vivent en ladite terre,
(i) Il n'est fait mention de ceci au précèdent voyage.
3l2
>94
HrSTOIRE
?i3
et plusieurs gros melons. Et icelle journée vindrent à
noz navires plusieurs barques dudit païs, chargées de
gens tant hoounes que femmes pour faire chère à aoz
deux hommes, lesquels furent tous bien receuz par
ledit Capitaine, qui les fétoya de ce qu'il peut, ^t
pour faire sa conoissance leur donna aucuns petits
presens de peu de valeur, desquels se contentèrent
fort.
I^ lendemain, le Seigneur de Canada nommé Dofi'
nacona en nom, et l'appellant pour seigneur Agouhanna,
vint avec deux barques accompagné de plusieurs
gens devant noz navires, puis en fil retirer en ar-
rière dix, et vint seulement avec deux à bord desdits
navire accompagné de seize hommes, et commenta
ledit Agoiikanna le travers du plus petit de noz navires
à faire vne prédication et prechement à kur mode en
démenant son corps et membres d'vne merveÈlleuse
sorte, qui est vne cérémonie de joye et asseurance.
Et lors qu'il fut arrivé A la nef générale oQ estoient
lesdits Taiguragny et Damagaya^ parla ledit Seigneur à
eux, et eux à lui, et lui commencèrent à conter ce
qu'ils avoient veu en France , et le bon traitement
qui leur avoit esté fait, dequoy fut ledit Seigneur
fort joyeux, et pria le Capitaine 1| de lui bailler ses
bras pour les baiser et accoller , qui est leur mode de
faire chère en ladite terre. Et lors ledit Capitaine
entra dedans la barque dudit Agouhanna , et com-
manda qu'on apportas! pain et vin pour faire boire
et manger ledit Seigneur et sa bende. Ce qui fut fait.
De quoy furent fort contens ; et pour lors ne fut
autre présent fait audit Seigneur, attendant lieu et
temps. Apres lesquelles choses faites se départirent
autres, et prindrent congé, et se retira
dit Agoahanna à ses barques, pour soy retirer et aller
en son lieu. Et pareillement ledit Capitaine fit ap-
porter noz barques pour passer outre, et aller à-mont
ledit fleuve avec le flot pour chercher hable et lieu de
sauveté, pour mettre les navires, et fumes outre ledit
fleuve environ dix lieues côtoyans ladite ilc, et au
bout d'icelle trouvâmes vn affourc d'eau fort beau et
plaisant, auquel lieu y a vne petite rivière, et hahle
de barre marinant de deux i\ ti-ois brasses, que trou-
vâmes lieu à nous propice pour mettre nosdites na-
vires àsauvet<î. Nous nommâmes ledit lieu Sajnctk-
Croix, par ce que ledit jour y arrivâmes. Auprès d*i-
celui lieu y a vn peuple dont est Seigneur ledit Don-
riacona et y est sa demeure, laquelle se nomme Stada-
coné , qui est aussi bonne terre qu'il soit possible de
voir et bien fructiferante, pleine de moult beaux ar-
bres de la nature et sorte de France , comme Chênes,
Ormes, Fraines, Noyers, Pruniers, Ifs, Cèdres,
Vignes, Aubépines, qui portent fruit aussi gros
que prunes de Damas, et autres ar- [[ bres, souz
lesquels croit aussi bon Chanvrcquc celui de France,
lequel vient sans semence ni labeur. Apres avoir vi-
sité ledit lieu , et trouvé estre convenable, se retira
ledit Capitaine et les autres dedans les barques pour
retourner aux navires. Et ainsi que sortîmes hors la-
dite rivière, trouvâmes au devant de nous l'vn des
seigneurs dudit peuple de Stadaconé , accompagné de
plusieurs gens tant hommes que femmes, lequel
Seigneur commença à faire vn prechement à la façon
et mode du païs, qui est joye et asseurancc, et les
femmes dansoient et chantoient sans cesse estans en
314
J.
l'eau jusques aux genoux. Le Capitaine voyant leur
bon amour et bon vouloir, fit approcher la barque oO
il estoit, et leur donna des couteaux et petites pate-
nôtres de verre, dequoy menèrent vne mer^'eilleuse
joyei de sorte que nous estans départis d'avec eux,
distans dVne lieuë ou environ, les oyons chanter.
danser, et mener fête de notre venue.
3i 5 II Retour du Capitaine laofues Quartier à l' (le d" Orléans, par Im
nommée l'Ile de Bacchus, et ce qu^ily trouva. Balises fi-
chées au port Saificte-Croix. Forme à*alliance. Navire mis à
sec peur hiverner. Saava^es ne trouvent bon (jue le Capi-
taine aille en Hochelaga. Etonnemtnt d'iceax au bourdon-
nement des canons.
Chap. XHl.
A saison s*avançoit dcs-ja fort et pressoit
le Capitaine lacques Quartier de cher-
cher vne retraite pour l'hiver , ce qui le
faisoït hâter, se trouvant en païs inconeu,
où jamais aucun Chrétien n'avoil esté. Puis il vou-
loit voir vne fin à la découverte de cette grande ri-
vière de Canada^ dans laquelle jamais nos mariniers
îi'estoient entrez, cuidans (à cause de son incroyable
largeur) que ce fust vn golfe ; et pour ce ledit Capi-
taine Quartier ne s'arrêta gueres ni en la rivière de
Saguenay^ ni es iles aux Coudres et d'Orléans (ainsi
s'appelle aujourd'hui celle où il mit à terre les deux
Sauvages qu'il avoit r'amenés de France). Il passa
D8 LA NoVTELLE-FllAMCB.
197
chemi
perdi
mps , et ayant rencontré
vn lieu assez commode pour loger ses navires (ainsi
que nous avons n*a guercs veu;, il délibéra de s'y
arrêter. Et ayant laissé lesdites navires en ladite ile
d*Orleans , il les retourna qucrir, comme nous ver-
rons par la suite de son histoire, laquelle il continue
ainsi.
Il Apres que nous fumes arrivez auec les barques 3i6
ausditz navires j et retournez de la rivière Saincte-
Croix , le Capitaine commanda apprêter lesdites bar-
ques pour aller à terre à ladite ile voir les arbres (qui
sembloient à voir fort beaux) et la nature de la terre
d*icelle. Ce qui fut fait. Et estant à ladite ile, la trou-
vâmes pleine de fort beaux arbres , comme Chênes.
Ormes, Pins, CeJres, et autres bois de la sorte
des nôtres, et pareillement y trouvâmes force vignes,
ce que nous n'avions veu par ci-devant en toute
la terre. Et pour ce la nommâmes nie de Bacchus.
Icelle ile tient de longueur environ douze Heuês,
et est moult belle terre et vnie, pleine de bois, sans
y. avoir aucun labourage, fors qu'il y a petites mai-
sons, oCi ils font pêcherie, comme ci-devant est fait
mention.
Le lendemain partîmes avec nosdîts navires pour
les mener audit lieu de Sainctc-Croix, et y arrivâmes
le lendemain quartorzitimc dudit mois; et vindrent
au devant de nous Icsditz Donnacona, Taigura^ni et Do-
magaya ^ avec vîngt-cinc] barques chargées de gens,
lesquels venoient du lieu d'oti estions partis, et al-
loient suâ\tStiidaconé, oii es-t leur demeurance ; et vin-
drent tous à noz navires faisans plusieurs signes de
joye, fors les deux hommes qu^avîons apportés, sça-
19*
ISTOIftE
voir Taiguragm et Domagaya, lesquels estoient tout
changez de propos et de courage, et ne voulurent en-
trer dans nosdits navires , nonobstant qu'ils en fus-
sent plusieurs fois pri-^z , dequoy eûmes aucune def-
3 17 fiance. Le Capitaine || leur demanda s'ils vouloient
aller (comme ils lui avoicnt promis) avec lui à
Hochdaga, et ils répondirent qu'ouy, et qu'ils es-
toient deliberejB d'y aller, et alors chacun se retira.
Et le lendemain , quinzième dudit mois, le Capi-
taine, accompagne de plusieurs de ses gens, fut à terre
pour faire planter balises et nierchcs pour plus seu-
rement mettre lesnavires à seureté. Auquel lieu trou-
vâmes et se rendirent au devant de nous grand
aombre des gens du pais, et entre autres Icsdits Don-
nacùnuy noz deux hommes et leur bende, lesquels se
ttndrent à part souz vne pointe de terre qui est sur
le bord, dudit fleuve, sans qu'aucun d'eux vint en-
viron nous, comme les autres qui n'estoient de leur
hende faisoient. Et après que ledit Capitaine lut averti
qu'ils y estoient, commanda à partie de ses gens aller
avec lui, et furent vers eux souz ladite pointe, et
trouvèrent ledit Donnacona, Tatgurrigni , Domagaya et
autres. Et après sestre entre-saluez, s'avança ledit
Taigaragni de parler, et dit au Capitaine que ledit sei-
gneur Donmcona estoit marri dont ledit Capitaine et
ses gens poitoient tant de bâtons de guerre, parce
que de leur part n'en portoient nuls. Aquoy répondit
le Capitaine que pour sa marison ne laisseroit à les
porter, et que c'estoit !a coutume de France , et qu'il
le sçavoit bien. Mais pour toutes ces paroles ne lais-
sèrent lesdirs Capitaine et Donnacona de faire grand'
chère ensemble. Et lors apperceumes que tout ce que
disoît ledit Taigaragni ne venoit que de lui et son
compagnon. | Car avant de partir dudii lieu firent
vne asseurance ledit Capitaine et Seigneur de sorte
merveilleuse. Car tout le peuple dudit Donnacona en-
semblement jetterent et firent trois cris à pleine voix,
que c'estoit chose horrible à ouïr. Et à tant prin-
drent congé les vnsdes autres.
Le lendemain , seizième dudit mois, nous miroeit
noz deux plus grandes navires dedans ledit bable et
rjvjere, où il y a de pleine mer trois brasses, et de
basse eau demie-brasse, et fut laisse le galHon dedans
la rade pour mener à Hocheiaga. Et tout încontînenl
que lesdits navires furent audit hable à sec, se trou-
vèrent devant lesdits navires lesdits Donnacona, Taigu-
ragni et Domagaya , avec plus de 5oo. personnes, tant
hommes, femmes qu'enfans. Et entra ledit seigneur
avec dix ou douze autres des plus grands person-
nages, lesquels furent par ledit Capitaine et autres
fétoyez et receuz selon leur état, et leur furent donnez
aucuns petits presens ; et fut par Ta'igaratinx dit audit
Capitaine que ledit seigneur estoit marri dont il al-
loit  Hochehga (t), et que ledit seigneur ne vouloît
point que lui qui parîoit allât avec lui , comme il
avoir prorais, parce que la rivière ne valoit rien (c'est
vne façon de parier des Sauvages , pour dire qa'eïle est dange-
rease, comme de vérité elle ist, passé le liea de Sainae-Crcix).
A quoy fit réponse ledit Capitaine, que pour tout ce
ne laisseroit y aller s'il lui estoit possible, parce qu'il
avoit commandement du Roy son maitrc d'aller au
(i ) Hochelaga es.! le païs au Nort de la graode rivière, à l'en-
droit du Sàul.
3iS
J
366
Histoire
jig plus avant qu'il lui seroit possi- |i ble ; mais si ledit
Taignragniy vouloit aller, comme il avoit promis, qu'on
lui feroit présent de quoy il feroit content et grand*
cherc , et qu'ils ne feroient seulement qu'aller voir
Hockeiaga, puis retourner, Aquoy répondit ledit Tai-
guragni qu'il n'iroit point. Lors se retirèrent en leurs
maisons.
Le lendemain, dix-septiérae dudit mois, ledit Don-
nacona et les autres revindrent comme devant, et ap-
portèrent force anguilles et autres poissons, duquel
* se fait grande pêcherie audit fleuve, comme sera ci-
apres dit. Et lors qu'ils furent arrivez devant nosdits
navires, ils commencerentâ danser et chanter comme
ils avoient de coutume. Et après qu'ils eurent ce fait,
fit ledit Donnacona mettre tous ses gens d'vn côté, et
fit'vn cerne sur le sablon , et fit mettre ledit Capi-
taine et ses gens, puis commença vne grande ha-
rangue tenant vne fille d'environ de laage de dix ans
en l'vne de ses mains, puis la vint présenter audit
Capitaine, et lors touttrs les gens dudit Seigneur se
prindrent à faîretroisciisen signe dejoye et alliance,
puis derechef présenta deux petits garçons de moindre
aage l'vn après l'autre, desquels firent telz cris et cé-
rémonies que devant. Duquel présent fut ledit Sei-
gneur par ledit Capitaine remercié. Et lors Taiguragnî
dit audit Capitaine que la tille estoît la propre fille
de la sœur dudit Seignuur. eî l'vn des garçons frère
de lui qui parloit; et qu'on les lui donnoit sur l'in-
330 tentioii qu'il n'ailat point || A Hochelaga. Lequel Capi-
taine répandit que si on les lui avoit donnés sur cette
intention, qu'on les reprînt, et que pour rien il ne
laisseroit à aller audit Hochelagat parce qu'il avoit
DE LA NoTTEULB-FraNCB. 3o|
commandement de ce faire. Sur lesquelles paroles
DomagaySy compagnon àuAit Taigaragny, d'il audit Capi-
taine que IcditSeigncurlui avoit donné lesditsent'ans
pour bon amour et en signe d'asscurance, et qu'il
estoit content d'ailer avec ledit Capitaine a Hochdaga :
dcquoy eurent grosses paroles Ic&dits Taigiiragm et
Domagaya. Dont apperceumes que ledit Tuiguragni ne
valoit riens, et qu'il ne songeoit que trahison, tant
parce, qu'autres mauvais tours que nous lui avions
veu faire. Et sur ce ledit Capitaine fit mettre tesdits
cnfans dedans les navires, et apporter deux espces,
vn grand bassin d'airain plain , et vn ouvré à laver
les mains, et en ât présent audit Oonnacona, qui fort -
s'en contenta et remercia ledit Capitaine, et com-
manda à tous ses gens chanter et danser; et pria le
Capitaine de faire tirer vne pièce d'artillerie, parce
que Tuiguragni et Domagaya lui en avoienl fait fcîc, et
aussi que jamais n'en avoient veu ni ouï. Lequel Ca-
pitaine répondit qu'il en estoit content , et commanda
tirer vne douzaine de bargucs avec leurs boulets le
travers du bois qui estoit joignant Icsdils navires et
hommes Sauvages; dcquoi furent tous si étonnez
qu'ils pensoient que le ciel lust cheu sur eux, et se
prindrcnt à hurler et hucher si tresfort, qu^il sem-
bloit qu'enfer y fust vuidc. El auparavant qu'ils se
retirassent, ledit Taigu- [| ragni fit dire par inierposccs 32i
personnes que les compagnons du gallion, lesquels
estoicnt en la rade, avoient tué deux de leurs gens de
coups d'artillerie, dont se retirèrent tous si à grand
hâte qu'il sembloit que les voulussions tuer.. Ce qui
ne se trouva vérité, car durant ledit jour ne fut dudît
gallion tiré artillerie.
302
Histoire
Ruse inepte des Sauvages poar diiourner le Capitaine Jaojues
Quartier du voyage tn Hochelaga. Comme iis figurent le
diable. Départ du sieur CItampiein de Tadoassac pour aller
à Saincie-Croix. Nature et rapport du pais. Ile d'Orléans.
Kebec. Diamans audit Kebec. Rivière de Batiscan.
Chap. XIV.
, E ne trouve point en tout ce discours le su-
ijet pourqLioy les Sauvages de Canada habi-
'tuez prûs Suincte-Croix ne voulaient point
que le Capitaine Quartier allât en Hochelaga,
qui est vers le saut de la grande rivière. Neantmoins
je pense que c'estoient leurs ennemis, ci pour ce n'a-
voient point ce voyage agréable, ou bien ils crai-
gnoient que ledit Capitaine ne les abandonnât, et
allât demeurer en Hochelaga. Et pour ce, voyans que
pour leurs beaux ieux icelui Capitaine ne vouloit
point dilïerer son entreprise, ils s'avisèrent d'vne
ruse grossière (de vérité; envers nous, qui sommes
322 armez du bouclier de la foy, mais qui || n*est point
impertinente entre eux et leurs semblables. Voici
donc ce que l'Autheur en dit,
Le dix-huitiéme jour dudit mois de Septembre,
pour nous cuider toujours empêcher d'aller à Hoche-
laga, songèrent vue grande rinesse, qui fut telle: Ils
lirent habiller trois hommes en la iaçon de trois dia-
bles, Icsquelz estoient vêtus de peaux de chiens noirs
et blancs, et avoient cornes aussi longues que le bras.
DE LA INOVVELLB-r RANGE.
et estoient peints par le visage de noir comme char-
bon, et les tirent mettre dans vnc de leurs barques A
nôtre non sceu. Puis vindrent avec leur bende comme
avolent de coutume auprez de noz navires, et se
tindrent dedans le bois sans apparoitre environ deux
heures, attendons que Thcure et mai ée fust venue pour
l'arrivée de ladite barque, â laquelle heure sortirent
tous et se présentèrent devant nosdites navires sans
eux approcher ainsi qu'ils souioicnt faire. Et com-
menta Taiguragni à saluer le Capitaine, lequel lui de-
manda s'il vouloit avoir le bateau. A quoy lui répon-
dit ledit Taiguragni que non pour l'heure, mais que
tantôt il entreroit dedans lesdits navires. H( inconti-
nent arriva ladite barque, où estoient Icsdils trois
hommes apparoissans eslre trois diables, ayans de
grandes cornes sur leurs têtes, et laisoit celui du mi-
lieu, en venant, vn merveilleux sermon, et passèrent
le long de noz navires avec leurditc barque, sans
aucunement tourner leur vcu£ vers nous, et allèrent
assener et donner en terre avec leurdite barque, et
tout II incontinent ledit Donnaccna et ses gens prin-
drent ladite barque et lesdits hommes, lesquelz s'cs-
toient laisse choir au loiid d'icelle, comme gens morts,
et portèrent le tout ensemble dans les bois, qui estoit
distant desdites navires d'vn jet de pierre, et ne de-
meura vne seule personne que tous ne se retirassent
dedans ledit bois. Et eux estans retirez comman-
cerent vne prédication et preschement que nous oyons
de noz navires, qui dura environ demie-heure. Apres
laquelle sortirent ledit TaiguTagm et Domagaya dudit
bois marchans vers nous ayons les mains jointes et
leurs chapeaux souz leurs coudes, faisans vne grande
323
3 04
Histoire
324
admiration. Et commença ledit Taiguragni à dire et
proférer par trois fois lesus, Icsus, Icsus, levant les
yeux vers le cicl(i). Puis Domagaya. commiinça à dire,
lesus Maria, Jacques Quartier, regardant le ciel
comme l'autre. Et le Capitaine voyant leurs mines
et cérémonies leur commença à demander qu'il y
avoit, et que c'estoit qui esioit survenu de nouveau ;
lesquelz répondirent qu'il y avoit de piteuses nou-
velles, en disant, Ncnni est il bon [c'est à dire qu'elles
ne âOnt point bonnes.] Et le Capitaine leur de-
manda derechef que c'estoit. Et ils lui dirent que
Caàoaagm (2) avoit parle à Hochclaga^ et que les trois
hommes devant dits esloient venus de par lui leur
annoncer les nouvelles , et qu'il y avoit tant de
glaces et neiges, qu'ils mouroient tous. Desquelles
paroles nous primes tous à rire, et leur dire que
Cadoaagni n'estoît qu'vn sot, et qu'il ne sçavolt qu'il
disoit, et qu'ils le |] disent à ses messagers, et que
Icsus les garderoit bien du froid s'ils lui vouloient
croire. Et lors ledit Taiguragni et son compagnon de-
mandèrent audit Capitaine s'il avoit parlé à lesus.
Et il leor répondît que ses Hreires y avoîent parlé,
et qu'il teroit beau temps. Dequoy remercièrent fort
ledit Capitaine, et s'en retournèrent dedans le bois
dire les nouvelles aux autres, lesquels sortirent dudit
bois tout incontinent fuignans cstre joyeux desdites
paroles. El pour montrer qu'ils en cstoient joyeux,
tout incontinent qu'ils furent devant les navires
commencèrent dVne commune voix ù faire trois cris
( I ) Il avoit appris cette façon de parier en France.
(a) Dieu des Canadiens.
■
et heurlemens, qui csi leur signe Je Joye, et se prin-
drent à danser et chanter comme avoientdc coutume.
Mais par resolution lesdits Taigurjgni et Domagaya di-
rent audit Capitaine que ledit Donnaconn ne vouloit
point que nul d'eux allât A Hochdaga avec lui s'il ne
bailloil plcgc qui demeurât à terre avec ledit Donna-
cona A quoy leur répondit le Capitaine que s'ils
n'estoieni délibérez y aller de bon courage, qu'ils de-
meurassent, et que pour eux ne latrroient mettre
peine à y aller.
Or devant que notre Capitaine iacques Quartier
s'embarque pour faire son voyage, allons quérir le
sieur Champlcin, lequel nous avons laissé à Tadoussac
entretenant les Sauvages de discours Thcologlques.
Nous le laisserons en garnison à Saincte-Croix, tan-
disque ledit Capitaine fera la découverte de la grande
rivière jusques au saut à iiûckeiagn ; et en venant par
aventure remarquerons-nous avec lui || quelques
partie ula ri te2 que nous n'avons pas veuiis : car je n'es-
time point qu'il y ait peu fait d'avoir remarqué et
comme poniillê jusques aux petites roches et battures
qui sont dans la rivière pour la seuretc des navigans,
et à tin qu'en moins de temps ils puissent pénétrer
partout, marchans souz cette conduite comme sur vn
chemin tout frayé. Il dit donc ;
Le Mercredy dix-huictîéme jour de luin nous par-
limes de Tadoussac pour aller au Saut. Nous passâmes
pi*és d'vne ile qui s'appelle Tile du Lièvre, ^jui peut
estre à deux lieues de la terre el bende du Nort, à
quelque sept lieuësdudit Tadoussac, et àcinq lieuCs
de la terre du Su. De Tlle du Lièvre nous rcngeames
la côte du Nort, environ demie-lieuë, jusques à vne
335
3o6
HiSTOlKB
pointe qui avance à la mer, où il faut prendre plus
au large. Ladite pointe est à. vne lieuë d'vne ile qui
s'appelleriteauxCoudres, qui peut tenirenviron deux
lieues de large, et de ladite ile d. la terre du Nort il y
a vnc lieuC. Cette île est quelque peu vnie, venant en
amoindrissant par les deux bouts. Au bout de l'Ouest
il y a des prairies et pointes de rochers qui avancent
quelque peu dans la rivière. Elle est quelque peu
agréable pour les bois qui l'environnent. Il y a force
ardoise, et y est la Icrrc quelque peu graveleuse; au
bout de laquelle il y a vn rocher qui avance â la mer
environ demie-lieuë. Nous passâmes au Nort de la-
dite ile, distante de l'Ile au Lièvre de douze lieues.
326 Le leudy ensuivant nous en partîmes et {| vînmes
mouiller l'ancre à vne ance dangereuse du côté du
Nort, où il y a quelques prairies, et vne petite rivière,
où les Sauvages cabanenl quelquefois. Gedil jour,
rengeans toujours ladite côte du Nort, jusques â vn
lieu où nous relâchâmes pour les vents qui nous es-
toient contraires, où il y avoit force rochers et lieux
fort dangereux, nous fumes trois jours en attendant
le beau temps. Toute cette côte n'est que montagnes
tant du côté du Su que du côté du Nort, la pluspart
ressemblant à celle du Saguenay.
LeDimanchevingt-deuxiéme jourduditmois, nous
en partîmes pour aller à l'Ile d'Orléans, où il y a
quantité d'iles à la bcnde du Su, lesquelles sont bas-
ses, et couvertes d'arbres, semblans estre fort agréa-
bles, contenans (selon que j'ay peu juger) ks vnes
deux lieues, et vne lieuë, et autres demie: Autour de
ces ites ce ne sont que rochers et basses fort dange-
reux à passer, et sont éloignez quelque deux lieues
de la grand' terre du Su. Et de là vinmens renger à
l'Ile d'Orléans du côté du Su. Elle ést à vne lieu*
de la terre du Nort, fort plaisante et vnie, contenant
de long huit Iieuc5. La côte de la terre du Su est
terre basse, quelque deux lieuës avant en terre;
lesdltes terres commencent à cstrc basses à l'en-
droit de ladite ile, qui peut estre à deux lieuës de
la terre du Su. A passer du côte du Nort, il y fait
fort dangereux pour les bancs de sable et rochers qui
sont entre ladite île et la grand' terre, et assèche
préque toute la basse mer. Au || bout de ladite ile '\c
vis vn torrent d'eau qui débordoït de dessus vne
grande montagne de ladite rivière du Canada, et
dessus ladite montagne est terre vnie et plaisante à
voir, bien que dedans lesdites terres l'on voit de
hautes montagnes qui peuvent estre à quelque vingt
ou vingt-cinq lieuës dans les terres^ qui sont pro-
ches du premier Saut du Saguenay. Nous vînmes
mouiller l'ancre à f^ebec, qui est vn détroit de la-
dite rivière de Canada, qui a quelque trois cens pas
de large. Il y a à ce détroit du cûté du Nort vne
montagne assez haute qui va en abaissant des deux
cotez. Tout le reste est païs vnl et beau, oti il y a de
bonnes terres pleines d'arbres comme chênes, cyprez,
bôuUes, sapins et trembles, et autres arbres fruitiers
sauvages et vignes : qui fait qu'à mon opinion si elles
estoient cultivées elles seroieni bonnes comme les
nôtres. Il y a le long de la côte dudit Kebec des dia-
mans dans des rochers d'ardoise, qui sont meilleurs
que ceux d'Alençon. Dudit Kebec jusques à l'Ile aux
Coudrcs il y a vingt-neuf lieuës.
Le Lundi vingt- troisième dudit mois nous par-
337
^
3o8
HCSTOIRC
times de Xffrfc , où la rivière commence à s'élargir
quelquefois dVne lieuë, puis de lieuë et demie ou
deux lieues au plus. Le pais va de plus en plus en
embellissant. Ce sont toutes terres basses, sans ro-
chers, que fort peu. Le côté du Nort est rempli de
rochers et bancs de sable, ît faut prendre celui du
Su comme d'vne demie-lieuë loin de terre. II y a
328 quelques petites jf rivières qui ne sont point navi-
gables, si ce n'est pour les canots des Sauvages, aus-
quelles îl y a grande quantité de sauts. Nous vînmes
mouiller l'ancre jusques à Saincte-Croix , distante de
Kebec dç quinze lieues. C'est vnc pointe basse qui va
en haussant des deux côiez. Le païs est beau et vni ,
et les terres meilleures qu'en lieu que jeusse veu ^
avec quantité de bois, mais fort peu de sapins et cy-
prez. U s'y trouve en quantité de vignes, poires, noï-
settesj cerises, grozelles rouges et vertes, et de cer-
taines petites racines de la grosseur d'vne petite noix,
ressemblant au goust comme treffes , qui sont très-
bonnes rôties et bouïllies. Toute cette terre est noire,
sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantité
d'ardoise; elle est fort tendre, et si elle estoit bien
cultivée, elle seroit de bon rapport. Du côté du Nort
il y a vnc autre rivière qui s'appelle BAÛscan, qui va
fort avant en terre, par o£i quelquefois les Algounie-
quins viennent; et vne autre du même côté, à trois
lieues dudit Saincte-Grois sur le chemin de ii-ebet:,
qui est celle oU fut lacques Quartier au commence-
ment de la découverture qu'il en fit . et ne passa point
plus outre.
DSLaNÔv V KL LE- F R X N C K.
log
I Voyagedu Capitaine laajius Quartur àHocheh^a. Nature 32g
et fruits du pais. Réception des François par tes Sauvages.
Abondance de vignes et raisins. Grand lac. Rats musfjues.
Arrivée en Hochelaga. Merveilleuse réjouissance desdits
Sauvages.
Chap. XV.
N Poëte Latin, parlant des langues et die-
tions qui périssent bien souvent, et se
remettent sus selon tes humeurs et vsages
des temps, dit fort bien :
Multa renascentur qu<i jam cecidere^ cadtnîque (i).
Ainsi est-il des faits de plusieurs personnages, des-
quels la mémoire se pert bien souvent avec les hom-
mes et sont frustrez de la loOnnge qui leur appar-
tient. Et pour n'aller chercher des exemples externes,
le voyage de nôtre Capitaine lacqucs Quartier, depuis
Saincte Croix jusques au saut de la grande rivière,
estoit inconeu en ce temps ici , les ans et les hommes
(car Belle- Forest n'en parle point) lui eu avoicnt ravi
la louange, si bien que le sieur Champlein pensoit
csrre le premier qui en avoit gaigné le prix. Mais il
taul rendre à chacun ce qui lui appartient, et suivant
ce, dire que ledit Champlein a ignoré rhistoire'du
voyage dudït lacques Quartier,^ etj neantmoins ne
i) Horace, en son Art poetiqat.
tïô
lïSTOÎRE
laisse point d'estre loUable en ce qu'il a fait. Mais je
330 m'éton- |I ne que le sieur du Pont , Capitaine hantant
dés long temps les Terres-neuves, et conducteur de
la navigation dudit Champlein, lequel a esté habitant
de Sainct-Malo, ait ignoré cela. Or, pour ne nous
amuser, voilà la description du voyage dudit Quartier
au-dessus du port de Saincte-Croix.
Le dix-neufiéme jour de Septembre nous appareil-
lames et fimes voile avec le galîion et les deux bar-
ques pour aller avec la marée à-mont ledit fleuve^ où
trouvâmes avoir des deux cotez d'icelui les plus belles
et meilleures terres qu'il soit possible de voir, aussi
vnies que l'eau , pleines des plus beaux arbres du
monde, et tant de vignes chargées de raisins le long
du fleuve, qu'il semble mieux qu'elles y ayent esté
plantées de main d'homme qu'autrement. Mais
pource qu'elles ne sont cultivées ni taillées, ne sont
lesdits raisins si doux , ne si gros comme les nôtres.
Pareillement nous trouvâmes grand nombre de mai-
sons sur la rive dudit fleuve, lesquelles sont habitées
de gens qui font grande pêcherie de tous bons pois-
sons selon les saisons, Et venoient en noz navires en
aussi grand amocr et privante que si eussions esté du
païs , nous apportans force poisson et de ce qu'ils
avoient pour avoir de nôtre marchandise, tendans les
mains au ciel, faisans plusieurs cérémonies et signes
de joye. Et nous estans posés environ à vingt-cinq
lieues de Canada, en vn lieu nommé Achelad , qui est
vn détroit dudit fleuve, fort courant et dangereux
33 1 tant de pierres que d'autres choses, |] là vindrent plu-
sieurs barques à bord, et entre autres y vint xr\ grand
Seigneur du païs, lequel fit vn grand sermon en ve-
DE I.A NovvEi.LE- France.
3ii
nant et arrivant d bord , montrant par signes evidens,
avec les mains et autres cérémonies, que ledit fleuve
cstoit vn peu plus ù-mont fort dangereux , nous
avertissant de nous en donner garde. Et présenta
celui Seigneur au Capitaine deux de ses enfans à don,
lequel print vne HUe de l'aage d'environ huit à neuf
ans, et refusa vn petit garçon de deux ou trois ans,
parce qu'il cstoit trop petit. Ledit Capitaine festiva
ledit Seigneur et sa bcndc de ce qu^il peut, et lui
donna aucun petit présent, duquel remercia ledit
Seigneur le Capitaine, puis s'en allèrent â terre,
D'cmpuis sont venus celui Seigneur et sa femme voir
leur fille jusqucs à Canada j et apporter aucun petit
présent au Capitaine.
D'cmpuis ledit jourdix-neuâeme jusques au vingt-
huitième dudit moisnousavons esté navigans â-mont
ledit fleuve, sans perdre heure ni jour, durant lequel
temps avons veu et trouvé aussi beaucoup de païs et
terres aussi vnics que l'on sçauroit désirer, pleines de
beaux arbres du monde , sçavoir chênes , ormes ,
noyers, pins, cèdres, prucheS, fraines, boulles, sauls,
ozicrs, et force vignes (qui est le meilleur), lesquelles
avoient si grande abondance de raisins, que les com-
pagnons (c'est à dire les matelots) en venoient tous char-
gez à bord. Il y a pareillement force grues, cygnes,
outardes, oyes, cannes, aloQettes, faisans, perdris,
merles, mauvis, tourtrcs, chardonnerets, se- || rins, li-
nottes, rossignols et autres oyseaux comme en Fran-
ce, et en grande abondance.
Ledit vingt-huitième dcSeplerabre nous arrivâmes
à vn grand lac et plaine dudit fleuve, large d*environ
cinq ou six lieues, et douze de long. Et navigames ce
33a
3l3
Histoire
333
jour à-mont ledit lac sans trouver par tout iceluî que
deux brasses de parfond également sans hausser ni
baisser. Et nous arrivans à IVn des bouts dudit lac,
ne nous apparoissoit aucun passage ni sortie , ains
nous sembloit icelui estre tout clos, sans aucune ri-
vière, et ne trouvâmes audit bout que brasse et demie,
dont nous convint poser et mettre Pancre hors, et
aller chercher passage avec nos barques, et trouvâmes
qu'il y a quatre ou cinq rivières toutes sortantes du-
dit fleuve en icelui lac, et venantes dudit Hochelaga.
Mais en icelles ainsi sortantes y a barres et traverses
faites par le cours de Teau, oii il n'yavoit pour lors
quvne brasse de parfond, et lesdites barres passées y
a quatre ou cinq brasses, qui estoit le temps des plus
petites eaux de l'année, ainsi que vimcs par les flois
desdl tes eaux qu'elles croissent de plus de deux brasses
de pic.
Toutes icelles rivières circuissent et environnent
cinq ou six belles iles qui font le bout d'icelui lac,
puis se rassemblent environ quinze lieues à-mont
toutes en vne. Celui jour nous tûmes à l'vne d'icelles,
où trouvâmes cinq hommes qui prenoient des bétes
sauvages, lesquels vindrent aussi privément à noz
barques que s'ils nous eussent vcuz toute leur |[ vie,
sans en avoir peur ni crainte. Et nozdites barques
arrivées à terre, Vvn d'keux hommes print ledit Ca-
pitaine entre ses bras, et le porta à terre ainsi qu'il
eust fait vn enfant de six ans, tant estoit icelui
homme fort et grand. Nous leur trouvâmes vn grand
monceau de Rats sauvages qui vont en l'eau , et sont
gros comme Connils^ et bons à merveilles à manger,
desquels tirent présent audit Capitaine » qui leur
donna des couteaux et patenôtres pour récompense.
Nous leur demandâmes par signes si c'cstoit le che-
min de Hochdaga, et ils nous répondirent qu'ouï, et
quUl y avoit encore trois )ournces à y aller.
Le lendemain vingt-neuHémc de Septembre, le Ca-
pitaine, voianr qu*tl n'csioii possible de pouvoir pour
lors passer ledit gallion, fit avictuailler et accoutrer
les barques, et mettre victuailles pour le plus de temps
qu'il fut possible et que lesdites barques en peurent
accueillir, et se partant avec icelles accompagné de
partie des Gentils-hommes, sçavoir de Claude du
Pont-Briant. Eschanson de Monseigneur le Dauphin.
Charles de la Pommerayc, lan Gouyon,et vingt-huit
mariniers, y compris Macé ïalober et] Guillaume le
Breton, ayant la charge souz ledit Quartier des deux
autres navires, pour aller à-mont ledit fleuve au plus
loing qu'il nous seroit possible. Et navigames de
temps à gré jusques au deuxïiime jour d'Octobre, que
nous arrivâmes à Hochelaga^ qui est distant du lieu où
estoit demeuré le gallion d'environ quarante-cinq
lîeuës.
|] Durant lequel temps et chemin faisans, trou-
vâmes plusieurs gens du pais qui nous apportèrent
du poisson et autres victuailles, dansans et mcnans
grand* joie de nùtrc venue. Kt pour les atrairc cî tenir
en amitiii avec nous leur donnoit ledit Capitaine pour
recompense des couteaux, patenôtres et autres me-
nues bardes, dequoy se contentoient fort. Et nous
arrivez audit Hochetaga, se rendirent audevant de
nous plus de mille personnes tant hommes, femmes
qu'enfans, lesquels nous lirent aussi bon recueil que
jamais père fit à enfant , menans vne joye merveil-
334
i
3i4
H
ISTOinE
335
leuse- Car les hommes en vne bende dancoient, et les
femmes de leur part, et leurs enfans d'autre, lesquels
nous apportoient force poisson et de, leur pain fait de
gros mil, lequel ils jettoient dedans nozdîtes bar-
ques, en sorte qu'il sembloit qu'il tombât de l'air.
Voyant ce, le Capitaine desceniiit à terre accompagné
de plusieurs de ses gens, et si-tôt qu'il fut descendu,
s'assemblèrent tous sur lui et sur les autres, en fai-
sans vne chère inestimable; et apportoient les femmes
leurs enfans à brassëes pour les faire toucher audit
Capitaine et es autres qui estoient en sa compagnie,
en faisant vne fête qui dura plus de demie^heure, Et
voyant ledit Capitaine leur largesse et bon vouloir,
ifit asseoir et ranger toutes les femmes, et leur donna
certaines patenôtres d'étain et autres menues beson-
gnes; et â parlie des hommes des couteaux. Puis se
retira à bord desdites barques pour soupper et passer
la nuit, durant la- |j quelle demeura icelui peuple
sur le bord dudit fleuve, au plus prés desdites bar-
ques, faisans toute la nutt plusieurs feuz et danses,
en disant à toute heures Aguiazé^ qui est leur dire
du salut et joye.
DE LA Novvkllk-Frawce. 3i5
Comment Us Capitaines et îes CentÛs-homnus de sa compagnie,
avec ses mariniers bien armez et en bon ordre, allèrent à la
ville de Hochelaga. Situation du lieu. Fruits du pats. Ba-
timens et manière de vivre des Sauvages.
Chap. XVI.
E lendemain au plus matin le Capitaine
s*accoutra, et fit mettre ses gens en ordre
pour aller voir la ville et demeurance du-
dît peuple, cl vnc montagne qui est ja-
cente à ladite ville, où allèrent avec ledit Capitaine
les Gentils-hommes et vingt mariniers, et laissa le
parsus pour la garde des barques, et print trois hom-
mes de ladite ville de Hochelaga pour les mener et
conduire audit lieu. Et nous estans en chemin, le
trouvâmes aussi battu qu'il soit possible de voir.en
U plus belle terre et meilleure plaine; des chênes
aussi beaux qu'il y en ait en tbrest de France , souz
lesquels estoit toute la terre couverte de glans. Et
nous ayans fait environ lieuë et demie, trouvâmes
sur le chemin l'vn des principaux seigneurs de ladite
ville de Hochelaga, avec plusieurs per- j| sonnes, lequel 336
nous fit signe qu'il se falloit reposer audit lieu prés
vn feu qu'ils avoient fait oLidît chemin. Et lors com-
mença ledit seigneur à faire vn sermon et preche-
ment^ comme ci-devant est dit estre leur coutume de
faire joye et conoissance, en faisant celui seigneur
chcrc audit Capitaine et sa compagnie, lequel Capi-
H
tSTOIRE
337
tainc lui donna vne couple de haches et vne couple
de couteaux, avec vne Croix et remembrance du Cru-
cifix qu'il lui &t baiser, et le lui pendît au col. De-
quoy il rendit grâce audit Capitaine. Ce fait, mar-
châmes plus outre , et environ demie-lieuè de U
commençâmes à trouver les terres labourées, et belles
grandes campagnes pleines de blé de leurs terres, qui
est comme mil de Brésil ^ aussi gros ou plus que
pois, duquel ils vivent ainsi que nous faisons de fro-
ment. Et au parmi d'icelles campagnes est située et
assise ladite ville de Hocheiagn, prés et joignant vne
montagne qui est à l'entour d'icelle, bien labourée et
fort fertile, de dessus laquelle on voit fort loin. Nous
nommâmes icellc montagne k Morit-Koyai. Ladite ville
est toute ronde et close de bois à trois rangs, en façon
dVne Pyramide croisée par le haut, ayant la rengée
du parmi en façon de ligne perpendtculairej puis ren-
gée de bois couchez de long bien joints et cousus à
leur mode, et est de la hauteur d'environ deux lances.
Et n'y a en icelle ville qu'vne porte et entrée, qui
ferme à barres, sur laquelle et en plusieurs endroits
de ladite clôture y a manières de galleries et échelles
à y monter, lesquelles sont garnies de || rochers et
cailloux pour la garde et deffense d'icelle, Il y a dans
icelle ville environ cinquante maisons longues d'en-
viron cinquante pas eu plus chacune, et douze ou
quinze pas de large, toutes faites de bois, couvertes
et garnies de grandes écorccs et pelures desdits bois,
aussi larges que tables, bien cousues artificiellement
selon leur mode ; et par dedans icelles y a plusieurs
aires et chambres ; et au milieu d''icelles maisons y a
vne grande salle par terre ou font leur feu et vivent
ï
en communauté, puis re retirent en leursdites cham-
bres les hommes avec leurs femmes et enfans,
et pareillement ont j;rcnicrsau haut de leurs maisons
où. mettent Jeur blé, duquel ils font leur pain, qu'ils
appellent Caracoai, et te font en la manière cî-aprcs.
Ils outdcs piles de bois, comme à piler chanvre, et
battent avec pilons de boïs ledit blé en poudre, puis
l'amassent en pâte, et en font des tourteaux, qu'ils
mettent sur vne pierre chaude, puis le couvrent de
cailloux chauds, et ainsi cuiscut leur pain en lieu de
tour. Ils font pareillement force potages dudit blc et
de fèves et pois, desquels ils ont assez; et aussi de
gros concombres et autres fruits. Ils ont aussi de
grands vaisseaux comme tonnes en leurs maisons, oQ
ils mettent leur poisson, sçavoir anguilles et autres,
qui seichent à la fumée durant Tlitè, et vivent en
Hiver, et de ce font vn grand amas, comme nous
avons veu par expérience. Tout leur vivre est .sans
aucun goût de sel, et couchent sur écorces de bois
étendues sur la terre, avec ij méchantes couvertures
de peaux, dequoy font leurs vétemens, sçavoir Loires,
Bievrcs, Martres, Renars, Chats sauvages, Daims,
Cerfs et autres sauvagines; mais la plus grande part
d'eux sont quasi tout nuds.
La plus précieuse chose qu'ils ayent en ce monde
est Esurgni (i), lequel est blanc, et le prennent audit
fleuve en Cornibots en la manière qui ensuit. Quand
vn homme a deservi lu mort ou qu'ils ont prius au-
cuns ennemis â k guerre, ils le tuent, puis Tincisent
338
(0 Voyez au liv. 6, oîi est parlé des ornements des Sanvages,
qu'ils appellent Mutûibia.
3i8
HiSTOCRE
par les fesses et cuisses, et par les jambes, bras et
épauks à grandes taillades. Puis es lieux où est ledit
Esurgni avallent kdii corps au fond de l'eau, et le lais-
sent dix ou douze heures, puis le retirent à-mont,
et trouvent dedans lesdites taillades et incisions les-
dits Cornibots, desquels ils font des patenôtres, et de
ce vstnt comme nous faisons d"'or et d'argent, et le
tiennent la plus précieuse chose du monde. Il a la
vertu d'étancher le sang des nazilles, car nous lavons
expérimenté. Cedit peuple ne s'adonne qu'à labou*
rage et pêcherie pour vivre. Car des biens de ce monde
ne font compte, parce qu'ils n'en ont conoissance, et
qu'ils ne bougent de leur pals, et ne sont ambula-
toires comme ctuxdeCanada et duSagaemy, nonobstant
que lesditsCainadiens leur soient sujets, syec huit ou
neuf autres peuples qui sont sur ledit fleuve.
DE LA NoVVKLLE-FrAHCE.
3tg
Iliimy^É Ju Capitaine Quartier à Hochelaga. Accueil et
caresses à iai faites. Mahiies lut sont apportez pour les tou-
cher. Mont-Royal. Saat de la grande rivière de Canada.
Etat de ladite rivière entre ledit Saut. Mines. Armures de
bçis, duquel ysent certains peuples. Regret de sa dipanie.
Chap. XVII.
339
IN51, comme tûmes arrivés auprès d'icelle
, viUe, se rendirent au devant de nous grand
nombre des habitants d'icelle, lesquels à
leur façon de taire nous tirent bon recueil,
et par noz guides et conducteurs fumes remenez au
milieu d'icelle ville, oti il y a vne place entre les mai-
sons spacieuse d'vn jet de pierre en quarré, ou envi-
ron, lesquelz nous firent signe que nous arrêtassions
audit lieu, ce que nous limes, et tout soudain s'as-
scmblcrent toutes les femmes et tilles de ladite ville,
dont l'vnc partie cstoicnc chargées denfans entre
leurs bras, qui nous vindrent baiser le visage, bras et
autres endroits de dessus le corps oii ils pouvoient
toucher, pleurans de joye de nous voir, nous faisans
la meilleure chcrc qu'il leur estoït possible, en nous
faisant signe qu'il nous pleust toucher leursdîts en-
fans. Apres ces choses faites, les hommes tirent reti-
rer les femmes, et s'assirent sur la terre à-l'entour de
nous comme si eussions voulu jouËr vn mystère. Et
tout II incontinent rcvjndrent plusieurs femmes qui 340
apportèrent chacune, vnc natte quarrée en façon de
320
Histoire
341
lapisserie, et les étendirent sur la terre au milieu de
ladite place, et nous firent mettre sur icelles. Apres
lesquelles choses ainsi faîtes, fut apporte par neuf ou
dix hommes le Roy et Seigneur du païs, qu'ils appel-
lent en leur langue Agoahannûj lequel estoit assis sus
vne grande peau de cerf, et le vindrent poser dans
ladite place sur lesdites nattes prcsdu Capitaine^ en
faisans signe que c'estoit leur Seigneur. Celui Agou-
hanaa estoit de l'aage d'environ cinquante ans, et n'es-
toit point mieux accoutré que les autres, fors qu*il
avoit à l'entour de sa tête vne manière de liziere rouge
pour sa Corone, faîte de poil d'hérissons, et estoit
celui Seigneur tout perclus et malade àz ses mem-
bres. Apres qu'il eut £iit son signe de salut audit
Capitaine et à ses gens, en leur faisant signes évtdens
qu'ils fussent les bien venus, il montra ses bras et
jambes audit Capitaine, le priant les vouloir toucher,
comme s'il lut eust demandé guerison et santé. Et
lors te Capitaine commença à lui frotter les bras et
jambes avec les mains; et print ledit Agoiihanna la
liziere et Corone qu'il avoit sur sa tête, et la donna
audit Capitaine. El tout incontinent furent amenés
audit Capitaine plusieurs malades, comme aveugles,
borgnes, boiteux, impotens, et gens si très-vieux, que
les p;iupieres des ïeux leur pendoient sur les joues:
et seoicnt et couchaient prés ledit Capitaine pour les
loucher : tellement qu'il sembloit que Dieu fust là
des- Il cendu pour les guérir. Ledit Capitaine voyant
la pitic et loy de cedit peuple, dit l'Evaugile saîncC
Jean, sçavoîr Vin prindi-na, faisant le signe de la Croix
sur les pauvres malades, priant Dieu qu'il leur don-
nât conoissance de nôtre saincle Foy, et de la passion
nôtre Sauveur, el grâce de recouvrer Oiréticnt^ et
Bapréme. Puis print ledit Capitaine vne paire d'Heu-
res, et tout hautement leut mot à mot la Passion de
nôtre Seigneur, si que tous les assistons la pcurenc
ouïr, oh tout ce pauvre peuple tit vn grani silence,
et furent merveilleusement bien cntendibles, regar-
dans le ciel et taisans pareilles cérémonies qu^ils nous
voyoicnt faire. Apres laquelle ât ledit Capitaine ran-
ger tous les hommes d'vn côté, les femmes d'vn
autre, et ies entans d'autre, et donna es principaux
et autres des couteaux et des bachots, et es femmes
des patenôtres et autres menues choses; puis jctta
parmi la place entre lesdits cnlans des petites bagues
et Agnits Dei d^etain, dequoy menèrent vne merveil-
leuse joye. Ce lait, le Capitaine commanda sonner
les trompettes et autres instrumens de Musique, de-
quoy ledit peuple fut fort rejouï. Apres lesquelles
choses nouîi primes congé d*cux, et nous retirâmes,
Voyans ce, les femmes se mirent au devant de nous
pour nous arrêter et nous apporteront de leurs vivres,
lesquels ils nous avoienc apprêtez, sçavoir poisson,
potages, levés, pain, et autres choses, pour nous cui-
der faire repaitre, et dîner audit lieu. Et pource que
lesdits vivres n'estoicnt à nôtre goust, et |I qu'il n*y 342
avoit goust de sel, les remerciâmes, leur faisans signe
que n'avions besoin de rcpaitre.
Apres que nous fumes sortis de ladite ville, fumes
conduits par plusieurs hommes et femmes d'icelle
sur la montagne derant dite, qui est par nous nona-
mêe Mont-Koyal, distant dudit lieu d'vn quart de
lieufi. Et nous estaiis sur ladite montagne, eûmes
conoîssance de plus de trente lieues à l'environ d'i-
32 î
Histoire
343
celle, dont il y a vers le Nort vnc rangée de mon-
tagnes, qui sont Est et Ouest gisantes, et autant vers
le Su ; entre lesquelles montagnes est la terre la plus
belle qu'il soit possible de voir, labourable, vnie et
plaine ; et par le milieu desdites terres voyons ledit
fleuve outre le lieu oti estoient demeurées nozdites
barques, où il y a vn Saut d'eau le plus impétueux
qu'il soit possible de voir, lequel ne nous fut possible
de passer, et voyons ledit fleuve tant que l'on pou-
voit regarder grand, large et spacieux, qui alloit au
SuroUest, et passoit par auprès de trois belles mon-
tagnes rondes que nous voyons, et estimions qu'elles
estoient à environ quinze Heiiës de nous; cl nous fut
dit et montré par signes par les trois hommes qui
nous avoient conduit, qu'il y avoit trois itieux Sauts
d'eau audit Beuve comme celui où estoient nozdites
barques; mais nous ne peumes entendre quelle dis-
tance il y avoit entre l'vn ei l'autre. Puis nous mon-
troient que lesdits Sauts passez, Ton pouvoll navi-
guer plus de trois lunes {c'est à dire trois mois) par ledit
fleuve. Et là-dessus me souvient que || DonnacûnHf
seigneur des Canadiens, nous a dit quelquefois avoir
esté à vne terre où ils sont vne lune à aller avec
leurs barbues depuis Canada jusL]ues à ladite terre, en
laquelle il y croit force canelle et girofle, Et appellent
ladite canelle AdoUihuiy le girofle CanQnotha. Et outre
nous montroient que le long desdites montagnes
estant vers le Nort y a vne grande rivière qui des-
cend de l'Occident comme ledit fleuve. Nous esti-
mons que c*est la rivière qui passe par le royamc et
province du Sagasnay. Et sans que leur fissions au-
cune demande et signe, prindrent la chaîne du sifflet
DE LA Novvellr-Franck. ia3
du Capitaine qui est d'argent, et va manche de poi-
gnard qui csloit de laiton jaune comme or, lequel
estoit au côté de l'vn de nez mariniers, et montrèrent
que cela venoit d'ù-mont ledit fleuve, et qu'il y ovoil
des Agojada, qui est à dire mauvaises gens, qui e$-
loient armez jusques sur les doigts, nous montrans
la façon de leurs armures, qui sont de cordes et bois
lassez et tissus ensemble, nous donnans à entendre
que lesdits Agojuda menoient la guerre continuelle les
vns es autres; maïs par défaut de langue ne pcumes
avoir conoissance combien il y avoit jusques audit
pals. Ledit Cupitaioc leur montra du cuivre rouge,
quMls appellent Cdigaedazéj leur montrant vers ledit
lieu, et demandant par signe s'il venoït de là. Ils
commenccrcni à secoQer la tête disans que non, et
montrans qu'il venoit de Sagninay^ qui est au con-
iraire du précèdent. Apres lesquelles choses ainsi
vcuès et II entendues nous rctiratucs à. doz barques, 3^4
qui ne fut sans avoir conduite de grand nombre du-
dit peuple, dont partie d'eux quand venoient noz
gens las les chargeoient sur eux comme sur chevaux,
cl les portoicnt. Et nous arrivez à noz barques fimes
voiles pour retourner à aôtre gallion pour doute
qu'il n'eust aucun encombrlcr. Lequel parlement ne
fut sans grand regret dudit peuple. Car tant qu'ils
nous peurent suivir à val ledit Heuve, ils nous sui-
virent. Et tant fumes que nous arrivâmes â nâiredit
gallion le Lundi quatrième jour d'Octobre.
3m
Histoire
Retour de laajues Quanier au port de Saincte-Croix, après avoir
esté à Hochelaga. Sauvages gardeiii les télesde leurs enm-
rrns. Les Toudamas, ennemis des Canadiens.
Cbap. XVIIÏ.
E Mardi cinquième jour dudit mois d'Oc-
tobre, nous fîmes voiles et appareillâmes
avec nôtredit gallion et barq^ues pour re-
_ tourner à la province de Canada, au port
de Saincte-Croix, où e^toicnt demeurez nosditz na-
vires, et le septième jour nous vînmes poser le tra-
vers d'vne rivière qui vient devers le Non sortant
audit fleuve, à l'entour de laquelle y a quatre petites
iles, et pleines darbres. Nous nommâmes icclle ri-
345 viere la Rivieu de Fouez (je crois qu'il nut dire \\ Foix). Et
pource que l'vne d'icelles iles s'avance audit fleuve,
et la voit-on de loin, ledit Capitaine fit planter vne
belle Croix sur la pointe d'icelle, et commanda ap-
porter les barques pour aller avec marée d<;dans icelle
rivière, pour voir le parfond et nature d'icelle. Et na-
gèrent celui jour à-mont ledit fleuve. Mais parce
qu'elle fut trouvée de nulle expérience, ni profonde,
retournèrent, et appareillâmes pour aller à-val.
Le Lundy vnziéme jour d'Octobre, nous arrivâmes
au hable de Saincte-Groix, où estoient noz navires,
et trouvâmes que les Maîtres et mariniers qui estoient
demeurés avoient fait vn Fort devant lesdits navires
;rosses pièces de bois plantées debout
joignant les vncs aux autres, et tout A l'entour garni
d'artillerie, et bien en ordre pour se défendre contre
tout le païs. Et tout incontinent que le Seigneur du
païs fut averti de nôtre venue, vint le lendemain ac-
compagné de Taîguragnif Domagaya et plusieurs autres
pour voir ledit Capitaine, et lui firent vnc merveil-
leuse fête, feignans avoir grand" joye de sa venue,
lequel pareillement leur fit assez bon recueil, toute-
fois qu'ils ne l*avotent pus dcscrvi. Le Seigneur Don-
nacona pria le Capitaine d'aller le lendemain voir à
Canada. Ce que lui promit ledit Capitaine. Et le len-
demain, treizième dudit mois, ledit Capitaine, ac-
compagné des Gentils-hommes et de cinquante Com-
pagnons bien en ordre, allèrent voir ledit Donnacofin
et son peuple, qui est distant du lieu oit cstoïent noz
navj- II res de demie-lieuë, et se nomme leur dcmcu-
rance Stadaconé. Et nous arrivés audit lien, vindrent
les habitans au devant de nous loin de leurs maisons
d'vn jet de pierre, ou mieux, et là se rangèrent er
assirent à leur mode et façon de fairL-, les homïnes
d'vne part et les femmes de l'autre, debout, chantans
et dansans sans cesse. Et après qu'ils s'entrefurent
saluez et fait cherc les vas aux autres, le Capitaine
donna es hommes des couteaux et autre chose de
peu de valeur, et fit passer toutes les femmes et filles
pardevant lui, et leur donna A chacune vne bague
d'étain, dequoy ils remercièrent ledit Capitaine, qui
fut par ledit Donnacona et Tûigaragni mené voir leurs
maisons, lesquelles estoîcnt bien étorées de vivres
selon leur sorte pour passer leur hiver. Et fut par
ledit Donnacona montré audit Capitaine les peaux de
346
UB
Histoire
H?
cinq têtes d'hommes étendues sur des bois, comme
peaux de parchemin; et nous dit que c*estoil des
Toudatnas de devers le Su, qui leur menoient conti-
nuellement la guerre. Outre nous fut dît qu'il y a
deux ans passez que lesdits Toudamas les vindrent
assaillir jusques dedans ledit fleuve, â vne ile qui est
le lavers du Saguenay, où ils estoient â passer la nuit
tendans aller à Hongnedo leur mener guerre avec en-
viron deux cens personnes tant hommes, femmes
qu'enfans, lesquels furent surpris en dormant dedans
un Fort qu'ils avoient fait, oti mirent lesdits Touda-
mas le feu tout à l'entour, et comme ils sortoient les
ruèrent tous, reservez cinq qui échappèrent. De la-
quelle Il détrousse se plaignent encore fort, nous
montrans qu'ils en auroient vengeance. Apres les-
quelles choses veu£s nous retirâmes en noz navires.
voyage , et particuiUremeiU la riv'ure , le peuple et le pats
des Iroi^uois.
AR le rapport des quatre derniers chapitres
nous avons veu que (contre l'opinion du
sieur Champlein) le Capitaine lacques
Quartier a pénétré dans la grande rivière
jusques où il est possible d'aller. Car de gaigner le
dessus du Saut, qui dure vnc lieue, tombant toujours
ladite rivière en précipices et parmi les roches, il n'y
a pas de moyen avec bateaux. Aussi le même Cham-
plein ne l'a point fait et ne recite point de plus
grandes merveilles de cette rivière que ce que nous
avons entendu par le récit dudit Quartier. Mais il ne
nous faut pas pourtant négliger ce qu'il nous en a
laissé par écrit. Car on pourroit par aventure accuser
iceluy Quartier d'avoir fait à croire ce quMI auroit
voulu , et par le témoignage et rap- |] port d'vn qui
ne s^voit point la vérité de ses découvertes la chose
sera mieux confirmée. Car En la bouche de deux ou trois
témoins toute parole sera resoiac et arrêtée (i). loint qu'en
vn voyage de quelque deux cens lieuës qu'il y a de-
34S
9, vers. ij.
^
3x8
Histoire
349
puis Sainclc-Croix jusques audit Saut, ledit Cham-
plein a remarqué des choses à quoy ledit Quartier
n'a point pris garde. Oyons donc ce qu'il dit en la
relation de son voyage.
LeMercredy vingt-quatrième jour du mois de luin,
nous partîmes dudit Saincte-Croix, où nous retar-
dâmes vne marée et demie, pour le lendemain pouvoir
passer de jour, à cause de la grande quantité de rochers
qui sont au travers de ladite rivière (chose étrange à
voir), qui assèche préque toute la basse naer; mais à
demi-flot l*on peut commencer à passer librement,
toutes fuis i! faut y prendre bien garde, avec la sonde
à la main, l.a mer y croit prés de trois brasses et
demie. Plus nous allions en avant et plus le pais est
beau. Nous fumes à quelque cinq lieues et demie
mouïllcr l'ancre à la bende du Nort. Le mercredi en-
suivant nous partîmes de ccdit lieu, qui est païs plus
plat que celui de devant, plein de grande quantité
d'arbres comme à Saincte-Croix. Nous passâmes prés
d'vne petile ile qui estoit remplie de vignes, et vînmes
mnuïller l'ancre à la bende du Su, prés d'vn petit co-
teau, maïs estant dessus, ce sont terres vnîes. Il y a
vne autre petite ile îl trois lieuës de Saîncte-Croix,
proche de la terre du Su. Nous partîmes le leudî en-
suivant dudit coteau, cl passâmes prés d'vne petite
ile II qui est proche de la bende du Nort, où je fus à
quelque six petites rivières, dont il y en a deux qui
peuvent porter bateaux assez avant, et vne autre qui
a quelque trois cens pas de large : à son entrée il y ;i
quelques iles, et va fort avant dans terre. C'est la
plus creuse de toutes tes autres, lesquelles sont fort
plaisantes à voir, les terres estant pleines d'arbres qui
ressemblent à des noyers et en ont la même odeur;
mis je n'y ay point veu de fruit, ce qui me met en
doute. Les Sauvages m'ont dit qu'il porte son fruit
comme les nôtres. Passant plus outre, nous rencon-
trâmes vne ile, qui s*appellc Sainct-Eloyy et vne autre
petite île, laquelle est tout proche de la terre du Nort.
Nous passâmes entre ladite ile et ladite terre du
Nort, où il y a de l'vnc à l'autre quelque cent cin-
quante pas. De ladite Ile jusques à la bende du Su
vne lieuë et demie passâmes proche dVnc rivicrc ob
peuvent aller les canots. Toute cette côle du Nort est
assez bonne. L'on y peut aller librement^ neantmoins
la sonde à la main , pour éviter certaines pointes.
Toute cette côte que nous rengeames est sable mou-
vant, mais entrant quelque peu dans les bois la terre
est bonne. Le Vendredi ensuivant nous partimesde
cette ile, côtoyans toujours la bende du Non tout
proche terre, qui est basse et pleine de tous bons ar-
bres, et en quantité jusques aux (rois rivières, où il
commence d'y avoir température de temps quelque
peu dissemblable à celuy de Saïncle-Croix, d'au-
IJ tant que les arbres y sont plus avancez qu'en aucun 35o
lieu que j'eusse encore veu. Des trois rivières jusques
à Saincte-Croix il y a quinze lieues. En cette rivière
il y a six iles, trois desquelles sont fort petites, et les
autres de quelque cinq A six cens pas de long, fort
plaisantes et fertiles, pour le peu qu'elles contiennent.
Ilyena vne au milieu de ladite rivicrc qui regarde le
passage de celle de Camuia , et commande aux autres
éloignées de la terrCj tant d'vn côté que d'autre, de
quatre à cinq cens pas. Elle est élevée du côté du Su,
^
\
33o
Histoire
35 1
et va quelque peu en baissant du côté du Nort. Ce
seroit à. mon jugement vn lieu propre pour habiter,
et pourroit-on le fortifier prompteraent, car sa situa-
lion est forte de soy, et proche d'vn grand lac qui n'en
est qu'à quelque quatre lieues, lequel préque joint
la rivière du Saguenay^ selon le rapport des Sauvages
qui vont prés de cent lieues au Nort et passent
nombre de Sauts, puis vont par terre quelque cinq ou
six lieues, et entrent dedans vn lac d'où ledit Saguenay
prend la meilleure part de sa source, et lesdits Sau-
vages viennent dudit lac à Tadoassac. Aussi que l'ha-
bitation des trois rivières seroit vn bien pour la
liberté de quelques nations qui n'osent venir par là,
ù cause desdits /roijutiii leurs ennemis, qui tiennent
toute la rivière de C^iiaii.i bordée; mais estant habité,
on pourroit rendre lesdits {roquoïs et autres Sauvages
amis, ou tout le moins souz la faveur de ladite habi-
tation lesdits Sauvages viendroient librement sans
crainte et dan- 1! ger, d'autant que ledit lieu des trois
rivières est vn passage. Toute la terre que je vis à
ÏA terre du Nort est sablonneuse. Nous entrâmes en-
viron vne lieuë dans ladite rivière, et ne peumcs
passer plus outre, .^ cause du grand courant d'eau.
Avec vn esquif nous fumes pour voir plus avant,
mais nous ne lïmes pas plus d'vne lieuë que nous
rencontrâmes vn Saut d'eau fort étroit, comme de
douze pas, ce qui fut occasion que nous ne peumes
passer plus outre. Toute la lerre que je vis au bord
de ladite rivière va en haussant de plus en plus, qui
est remplie de quantité de sapins et cyprez, et fort
peu d'autres arbres.
Le Samedi ensuivant nous partîmes des trois ri-
vières et vînmes mouïller Tancre à vn lac (i) où il y
a quatre lieues. Tout ce païs, depuis les trois rivières
)U8qucs à l'entrée dudit lac, est terre â fleur d*eau,
ft du côté du Su quelque peu plus haute. Ladite terre
est tres-bonnc et la plus plaisante que nous eussions
encores veuê; les bois y sont assez clairs, qui Tait que
Pon les pourroit traverser aisément. Le lendemain.
vingt-neu6cme de luin, nous entrâmes dans le lac,
qui a quelque quinze lieuËs de long et quelque sept
ou huit licuës de large. A son entrée du côté du Su,
environ vne lieue, il y a vnc rivière qui est assez
grande, et va dans les terres quelque soixante ou
quatre vingts lieues , et , continuant du même côté, il
y a vne autre petite rivière qui entre environ deux
lieues en terre , et sort de dedans vn autre petit lac
qui peut contenir quelque trois ou quatre || lieues du
côté du Nort , otj la terre y paroist fort haute, on voit
jusques à quelque vingt lieues, mais peu à peu les
montagnes viennent en diminuant vers l'Ouest
comme païs plat. Les Sauvages disent que la pluspart
de ces montagnes sont mauvaises terres. Ledit lac a
quelque trois brasses d'eau {2) par où nous passâmes,
qui fut préque au milieu. La longueur gît d'Kst et
Ouest , et la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne
laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les es-
pèces que nous avons par-decà. Nous le traversâmes
en ce même jour et vinmes mouïller Tancre environ
352
(i) Ce lac est décrit par laccjaes Quartier ci-dessus, chap 1 j,
(2) Jacques Quartier n'en ra«t que deux et demie, mais c'esloit
en octobre.
A
333
Histoire
353
deux iieuës dans la rivterc qui va au haut, A l'entrée
de laquelle il y a trente petites iles; selon ce que j*ay
peu voir, les vnes sont de deux iieuës . d'autres de
lieuë et demie, El quelqucs-vnes moindres, lesquelles
sont remplies de quantité de Noyers, qui ne sont
gueres differens des nôtres, et croy que les noix en
sont bonnes en leur saison. l'en vis en quantité souz
tes arbres, qui estoient de deux façons, les vnes petites
et les autres longues, comme d'vn pouce, mais elles
csloient pourries. Il y a aussi quantité de vignes sur
le bord desdttes iles; mais quand les eaux sont gran-
des, la pluspart d*icelles sont couvertes d'eau ; et ce
païs est encore meilleur qu'aucun autre que j'eusse
veu. Le dernier de luin, nous en partimes, et vînmes
passer à l'entrée de la rivière des iroijaois, où estoient
cabancz et fortifiez les Sauvages qui leur alloient
faire la guerre. Leur fortci-esse est faite de quantité
de bâtons fort pressés les vns contre les autres , la-
II quelle vient joindre d'vn côté sur le bord de la
grand' rivière, et l'autre sur le bord de la rivière Ats
hoqaoïs^ et leurs canots arrengez les vns contre les
autres sur le bord, pour pouvoir promptement fuir.
si d'aventure ils sont surprins des !rocfaois; car leur
forteresse est couverte d'écorce de chênes, et ne leur
sert que pour avoir le temps de s'embarquer. Nous
fumes dans la rivière des Iro^uois quelque cinq ou six
Iieuës, et ne peumes passer plus outre avec nôtre bar-
que, à cause du grand cours d'eau qui descend, et
aussi que l'on ne peut aller par terre el tirer la barque
pour la quantitéd'arbres qui sont sur le bord. Voyans
ne pouvoir avancer davantage, nous primes nôtre
esquif, pour voir si le courant estoit plus addoucy;
I
•
mais allant â quelque deux lieues, il estoit encore
plus fort, et ne peumes avancer plus avant. Ne pou-
vans faire autre chose, nous nous en retournâmes en
nôtre barque. Toute cette rivière est large de quelque
trois à quatre cens pas, fort saine. Nous y vîmes cinq
lies, distantes les vnes des autres d'vn quart ou de
deroielieuë, ou d'vnc lieuë au plus; vne desquelles
contient vne lieue, qui est la plus proche, et les au-
tres sont fort petites. Toutes ces terres sont couvertes
d'arbres, et terres basses, comme celles que j'avois
vcu auparavant , mais il y a plus de sapins et cj-prez
qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne
bien qu'elle soïl quelque peu sablonneuse. Cette ri-
vière va comme au SuroUest. Les Sauvages disent qu'a
quelque quinze licuës d'où || nous avons esté, il y a vn
Saut qui vient de tort haut, où ils portent leurs ca-
nots pour le passer environ vn quart de lieuë, et en-
trent dedans vn lac, où à l'entriie il y u trois iles; et
estans dedans^ ils eu rencontrent encores quclques-
vnes. Il peut contenir quelque quarante ou cinquante
lieues de long, et de large quelque vingt-cinq Ueufe,
dans lequel descendent quanticé de rivières, jusques
au nombre de dix , lesquelles portent canots assez
avant. Puis venant à la lin dudit lac, 11 y a vn autre
Saut, et rentrent dedans vn autre lac qui est de la
grandeur dudit premier, au bout duquel sont cabanez
les iroijuoii. Us disent aussi qu'il y a vne rivière qui
va se rendre à la cote de la Floride, d'où il y peut
avoir dudit dernier lac quelque cent ou cent quatre
Lieues. Tout le païs des lro*}tiois est quelque peu mon-
tagneux, neantmoJns tres-bon, tempère, sans beau-
coup d'hiver, que fort peu.
354
334
Histoire
Arrivée au Saut. Sa description rt ze qai s'y void de remar-
quable, avec le rapport des Sauvages touchant h fin ou pius'
tôt l'origine de la grande rivière,
Chap. XX.
V partir de la rivière des IroquoiSy nous
fumes moûilkr l'ancre â trois lieues de Jâ,
,à la bcnde du Norr. Tout ce pais est vnc
: terre basse, remplie de toutes les sortes
d'arbres que j'ay dit ci-dessus. Le premier jour de
;*55 Iwillet, jl nous côtoyâmes la bendedu Nort, où lebois
y est fort clair, plus qu'ea aucun lieu que nous eus-
sions encores vcu auparavant, et toute bonne terre
pour cultiver, le me mis dans vn canot ù la bcnde du
Su, où je veis quantit»; d'îles, lesquelles sont fort
fertiles en fruits, comme vignes, noix, noisettes, et
vne manière de fruit qui semble à des châtaignes,
cerises, chênes, tremble, pible, houblon, frcne, érable,
hêtre, cyprez, fort peu de pins et sapins. Il y a aussi
d'autres arbres que je ne conois point, lesquels sont
fort agréables. Il s'y trouve quantité de tVaizes, fram-
boises, grozelles rouges, vertes et bleuËs. avec force
petits fruits qui y croissent parmi grande quantité
d'herbages. 11 y a aussi plusieurs bétcs sauvages,
comme orignacs, cerfs, biches, daims, ours, porc-
épics, lapins, renards, castors, loutres, rats musquez,
et quelques autres sortes d'animaux que je ne conois
point, lesquels sont bons à manger, et dequoy vivent
DE LA NoTVBLLE- France.
335
les Sauvages. Nous passâmes conirc vne ile qui est
fort agréable, et contient quelque quatre licuôs de
long, et environ demie de large, le vcis à la bendc
du Su deux hautes montagnes, qui paroissoient
comme à quelque vingt Heuës dans les terres. Les
Sauvages me dirent que c'cstoit le premier saut de la
rivière des Iroquois. Le Mercredi ensuivant, nous
partîmes de ce lieu, et timcs quelque cinq ou six
lieues, noua vimcs quatitilc d'îles. La (erre y est fort
basse, et sont couvertes de bois, ainsi que celles de la
rivière des Iroquois. Le jour ensuivant, || nous ùmes
quelques licuës, et passâmes aussi par quantité dau-
tres lies qui sont très- bonnes et plaisantes, pour la
quantité des prairies qu'il y a, tant du côté de la
terre ferme que des autres iles ; et tous les bois y sont
fort petits, au regard de ceux que nous avions passé.
En fin nous arrivâmes cedit jour à l'entrée du saut,
avec vent en poupe, et rencontrâmes vne ile qui est
préque au milieu de ladite entrée, laquelle contient
vn quart de lieue de long ; et passâmes â la bende du
Su de ladite île, oCi il n'y avoit que trois à quatre ou
cinq pieds d'eau, et aucunes ibis vne brasse ou deux,
et puis tout â vn coup nous n'en trouvions que trois
ou quatre pieds. Il y a force rochers, et petites iles,
où il n'y a point de bois, et sont à fleur d'eau. Du
commencement de la susdite ile, qui est au milieu
de ladite entrée, l'eau commence â venir de grande
force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne
peumcs-nous en toute nôtre puissance beaucoup
avancer^ toutefois nous passâmes ladite Île, qui est à
l'entrée dudit saut. Voyans que nous ne pouvions
avancer, nous vinmes uaouïller Tancrc à la bende du
1
336
I8TOIHB
Non, contre \'ne petite île qui est fertile en la plus-
part des fruits que j'ay dît ci-dessus. Nous appareil-
lâmes aussi tôt nôtre esquif, que Ton avoit fait faire
exprés pour passer ledit saut : dans lequel nous en-
trames ledit sieur du Pont et moy, avec quelques
autres Sauvages que nous avions menez pour nous
montrer le chemin. Parians de nôtre barque, nous
ne fumes pas à trois cens pas, qu'il nous lallut des-
357 cendre, et quelques Mate- |j lots se mettre à l'eau pour
passer nôtre esquif. I.e canot des Sauvages passoit
aisément. Nous rencontrâmes vne infinité de petits
rochers qui estoîcnt à tleur d'eau, où nous touchions
souventefois, et des iles en grand nombre, grandes et
petites, voire .si grand, qu'on ne les peut à peine
compter, lesquelles passées il y a vne manière de lac,
où sont toutes ce& iles, lequel peut contenir quelque
cinq lieues de long, et prêque autant de large, où il
y a quantité de petites iics qui sont rochers. II y a
proche dudit saut vne montagne qui découvre assez
loin dans Icsdites terrc-s, et vne petite rivière qui
vient de ladite montagne tomber dans le lac. L'on
voit du coté du Su quelque trois nu quatre montagnes
qui paroissent comme à quelque quinze ou seize
lieues dans les terres. Il y a aussi deux rivières, i'vne
qui va au premier lac de la rivière des iroquois^ par
où quelquefois les Aigonmcijuins leur vont faire la
guerre, et l'autre qui est proche du saut qui va quel-
que peu dans les terres. Venans à approcher dudit
saut avec nôtre petit esquif et le canot, je vous as-
seure que jamais je ne visvn torrent d'eau déborder
avec vne telle impétuosité comme il fait, bien qu'il
ne soit pas beaucoup haut, n'étant en d'aucuns lieux
re brasse ou d
descend comme de Jegré en degré, et en chaque lieu
ob il y a quelque peu de httuleur il s'y fait un éboiill-
lonncmcnt éiranfje de la force et roidcur que xii l'eau
en traversant ledit saut, qui peut c..nii.nir vnc I eue;
il y a fvce rochers dc|| l;;rge.ct environ le irilieu il
y a des îles qui sont fort étfoit^sct fort longues. oU il
y a vn saut t^nt du côté de.^i^i es îles ijui sont au Su,
comme du côte du Nort, oli il tbjt si dangereux, qu'il
est hors de la puissance d'hommes d'y passer vn ba-
teau, pour petit qu'il soit. Nous fumes par terre dans
les bois pour en voir la fin, oli il y a vne lieue, et oU
l'on ne voit plus de rochcis ni de sauts, mats l'eau y
va si vile qu'il est impossible de plus; et ce courant
contient quelques t:ois ou quatre lieues; de façon
que c'est en vain de s'imaginer que l'on peut laire
passer aucuns baicaux par Icsdîts jauts. Mais qui les
voudioit passer il se fauJroit accommoder des canots
des Sauvages, qu'vn homme peur porter aisément;
car de rorter bateaux, c'est chose Inquelle ne se peut
faire en si bref temps comme il le f.iudroit pour pou-
voir s'en retourner en France, si l'on n'y hivcrnoit.
El outre ce saut premier, il y en a dix autres, la plus-
part difficiles à passer, de façon que ce scroit de
grandes peines et travaux pour pouvoir voir et faire
ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce
n'estoit à grands fraïz et dépens, et cncores en danger
de travailler en vain; mais avec les cunots des Sau-
vages l'on peut aller librement et promptement en
toutes les terres, tant aux petites rivferes comme aux
grandes. Si bien qu'en se gouvernant par le mnyen
desdits Sauvages et de leurs canois, l'on pourra voir
ai
358
ISTOIRE
tout ce qui se peut, bon et mauvais, dans vn an ou
deux. Tout ce peu de païs du côté dudit saut que
359 nous traversâmes [' par terre, est bois fort clair, oU
l'on peut aller aisément avec armes sans beaucoup de
peine ; l'air y est plus doux et tempéré, et de meil-
leure terre qu'en lieu que j'eusse vcu , oïi il y a quan-
tité de bois et fruits, comme en tous les autres lieux
ci-dessus, et est par les quarante-cinq degrez et quel-
ques minutes. Voyons que nous ne pouvions faire
davantage, nous en retournâmes en nôtre barque, oU
nous interrogeâmes les Sauvages que nous avions de
la fin de ta rivière, que je leur fis figurer de la main,
et de quelle partie procedoitsa source. Ils nous dirent
que passé le premier saut que nous avions veu, ils
faisoient quelques dix ou quinze lieues avec leurs
canots dedans la rivière, où il y a vne rivière qui va
en la demeure des Algounui^iims, qui sont à quelque
soixante lieues éloignez de la grande rivière ; et puis
ils venoient à passer cinq sauts, lesquels peuvent
contenir du premier au dernier huit lieues, desquels
il y en a deux oU ils portent leurs canots pour les
passer, chaque saut peut tenir quelque demi-quart
de lieue, ou vn quart au plus. Et puis ils viennent
dedans vn lac qui peut tenir quelque quinze ou seize
lieues de long. De li ils rentrent dedans vne rivière
qui peut contenir vne lieue de large, et sont quelque
deux licLiës dedans, et puis rentrent dedans vn autre
lac de quelque quatre ou cinq lieues de long; venant
au bout duquel ils passent cinq autres sauts, distans
du premier au dernier quelques vingt-cinq ou trente
lieues, dont il y en a trois où ils portent leurs canots
360 11 pour les passer, et les autres deux ils ne les font
que traîner dejans l'eau, d'autant que le cours n'y
est si fort ni mauvais comme aux autres. De tous ces
sauts aucun n'est si difficile à passer comme celui
que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans vn
lac qui peut tenir quelque quatre-vingts lieues de
long, où il y a quantité d'ilcs, et qu'au bout d'icelui
l'eau y est salubre et Phiver doux. A la lin dudit lac
ils passent un saut, qui est quelque peu élevé, où il
y a peu d'eau, laquelle descend: là ils portent leurs
canots par terre environ vn quart de licuc pour pas-
ser ce saut. De là ils entrent dans vn autre lac qui
peut tenir quelque soixante Ucufs de long, et que
l'eau en est fort salubre: estans A la lin ils viennent
à vn détroit qui contient deux lieues de large, et va
assez avant dans les terres : qu'ils n'avoîcut point
passé plus outre, et n'avoient veu la fin d*vn lac qui
est à quelque quinze ou seize lieues d'où ils ont esté,
ni que ceux qui leur avoicnt dit eussent veu homme
qui l'eust veu, d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne
se hazarderoient pas de se mettre au large, de peur que
quelque tourmente ou coup de vent ne les surprint:
disent qu'en été le Soleil se couche au Nort dudit lac,
et en Phîver il se couche comme au milieu ; que l'eau
y est tres-mauvaîse, comme celle de cette mer. le
leur dcraanday, si depuis cedit lac dernier qu'ils
avoicnt veu, l'eau descendoit toujours dans la rivière
venant à Gachcpé. Ils me dirent que non, que depuis
le troisième lac elle descendoit seulement venant au-
dit Gachcpé^ mais que depuis le I dernier saut, qui est 36 1
quelque peu haut, comme j'ay dit que l'eau cstoît
préque pacifique, et que ledit lac pouvoir prendra
cours par autres rivières, lesquelles vont dedans les
34^
H
ISTOITte
terres, soit au Su ou au Non, dont il y en a quantité
qui y refluent et dont ils ne voyent pas la fin.
Rttour du Sauf à Tadoussac, arec h conjrontallan du mp-
port de plusieurs Sauvages toudianî !a longueur c! commen-
cement de la grande rmae de Canada. Du nombre des Sauts
et lacs qu'elle traverse,
Chap. XXI.
Ovs partîmes dudit lac le Vendredi qua-
trième jour de Juillet, et revînmes cedit
jour ù la rivière des Iro^uois. Le Dimanche
ensuivant nous en partîmes, et vînmes
mouiller l'ancre au lac. Le Lundi ensuivant nous
fumes mouiller l'ancre aux trois rivières. Le Mardi
ensuivant nous vînmes à Kibcc, et le lendemain nous
fumes au bout de l'Ile d'Orléans, oii les Sauvages
vindrcnt à nous, qui estoient cabanez à la grand'
terre du Nort. Nous interrogeâmes deux ou trois /1/-
goumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec
ceux que nous avions interrogez touchant la fin et le
commencement dé ladite rivière de Canada. Ils dirent,
362 comme ils l'ont figuré, que passé le Saut [| que nous
avions veu, environ deux ou trois lleuës, il y a vue
rivière en leur Jen^eure, qui est i'i la hende du Nort.
Continuant le chemin dans ladfte grande rivière, ils
passent vn Saut, oti ils portent leurs canots, et vien-
nent â passer cinq autres Sauls, lesquels peuvent con-
DE LA NOWELLE-PRANCC
34.
tenir, du premier au dernier, quelque neuf ou dix
licuËs, et que les.iits ?aius ne sint poinr difficiles à
passer, et ne foni que traîner leurs can xs en la plus-
pirt desdits Sauts, iiors m s à deux où ils les portent.
De là viennent à entrer d;:duns vnc rivière, qui est
comme vne manière de lac, laquelle peut contenir
quelque six ou sept lieues, et puis passent cinq autres
Sauts, où ils Irainent leurs canots comme ausdits
premiers, hors mis à deux, oCi ils les portent comme
aux premiers, et que du premier au dernier il y a
quelque vingt ou vingt-cinq lieues; puis viennent
(icdans vn lac qui contient quelque cent cinquante
lieues de long, et quelque quatre ou cinq lienës à
l'entrée dudit lac, il y a vne rivière qui va aux Atgoa-
mftjiiîns vers le Non., et vne autre qui va aux liùqaaUy
par oti lesdiis Aîgo\tmt(\uim et Iroifuoisst font la guerre.
£t va peu plus haut, à la bcnde du Su dudit lac, il
y a vne autre rivière qui va aux Iroqaols; puis, venant
à la fin dudit lac , ils rencontrent vn autre Saut , où
ils portent leurs canots; de lu ils entrent dedans vn
autre trirs-grand lac, qui pcutcoiUenir autant comme
le premier. Ils n'ont esté que fort peu dans ce der-
nier, et ont ouï dire qu'à ïa fin dudit lac il y a vne
mer, dont ils n'ont veu la fin , ne ouï dire qu'aucun
Il Tait veuë. Mais que là où ils ont esté Teau n'est
point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point avancé
plus haut, et que le cours de leau vient du côté du
Soleil couch:int venant à l'Orient, et ne sç.iveni si
passé ledit Lie qu'ils ont veu il y a autre cours d'eau
qui aille du côté de l'Occident; que le Soleil se cou-
che à main droite dudit lac, qui est selon mon juge-
ment au Noroiiest, peu plus ou moins, et qu^au
363
364
34a Histoire
premier lac l'eau ne gelé point, ce qui fait juger que
le temps y est tempéré, et que toutes les terres des
Algoumeijuins sont terres basses, remplies de fort peu de
hais, et du cûtt: des hoquois sont terresrnontagncuses;
ncantmoins elles sont tres-honnes et fertiles, et meil-
leures qu'en aucun endroit qu'ils aycnt veu. Lesdîts
Iroqaois se tiennent à quelque cinquante ou soixante
lieuiis dudit grand lac. Voilà au certain ce qu'ils
m'ont dit avoir veu, qui ne diffère que bien peu au
rapport des premiers.
Cedit journous fumes prochesde l'Ueaux Coudres,
comme environ trois Ueuës. Le leudi dixième dudlt
mois, nous vînmes ù quelque lieue et demie de Pile
au Lièvre, du côté du Nort, oti il vint d'autres Sau-
vages en nôtre barque, entre lesquels il y avoit vn
jeune homme Algoume/juiri qui avoit fort voyagé dedans
ledit grand lac. Nous l'interrogeâmes fort particuliè-
rement comme nous avions l'ail les autres Sauvages.
Il nous dit que passé ledit Saut que nous avions veu,
à quelque deux ou trois lieues, il y a vne rivière qui
[j vaausdits Algoameifulns, où ils sontcabanez, et qu'al-
lant en ladite grande rivière il y a cinq Sauts, qui
peuvent contenir du premier au dernier quelque huit
ou neuf lieues, dont il y en a trois où ils portent
leurs canots, et deux autres o'i ils les traînent; que
chacun desdits Sauts peut tenir vn quart de lieue de
long, puis viennent dedans vn lac qui peut contenir
quelque quinze lieues. Puis i!s passent cinq autres
Sauts, qui peuvent contenir du premier au dernier
quelque vingt à vingt-cinq lieues, oîi il n'y a que
deux desdits Sauts qu'ils passent avec leurs canots;
aux autres trois ils ne les font que traîner, De là ils
entrent dedans vn grandissime lac, qui peut contenir
quelque trois cens licuësdc long. Avançant quelque
cent iieuës dedans ledit lac^ ils rencontrent vne ite
qui est fort grande, où au delà de ladite ile Teau est
salubre^mais que passant quelque cent lieues plus
avant, l'eau est encore plus mauvaise. Arrivant ft la
fin dudit lac, l'eau est du tout salée. Qu'il y a vn
Saut qui peut contenir vne lieiië de large, d'où il des-
cend vn grandissime courant d*eau dans Icdïi lac.
Que passé ce Saut on ne voit plus de terre ni d'vn
côté ne d'autre, sinon vne mefsi grande qu'ils n'en
ont point veu la fin, ni ouï dire qu'aucun Tait veuC;
que le Soleil se couche à main droite dudit lac, et
qu'à son entrée il y a vne rivière qui va aux Algoamt'
jjai/w, et l'autre aux Iroijnois, par oti ils se font la
guerre. Que la terre des Iroijuois est quelque peu mon-
tagneuse, ncantmoins fort fertile, oQ il y a quantité
Il de blé d'Inde et autres fruits qu'ils n'ont point en
leur terre. Que la terre des Algoaniei^mrs est basse ec
fertile, le leur denianday s'ils n'avoient point conois-
sance de quelques mines. Us nous dirent qu'il y a
vne nation, qu'on appelle les bons /ro^uoù, qui vien-
nent pour troquer des marchandises que les vaisseaux
François donnent aux Algaumajuins , lesquels disent
qu'il y a à la partie du Nort vne mine de franc cuivre,
dont ils nous en ont montré quelques brasselets qu'ils
avoient eu desdits bons Iroqnois. Que si l'on y vouloit
aller, ils y meneroient ceux qui seroient députez pour
cet effet. Voilà tout ce que j'ay peu apprendre des vns
et des autres, ne se dîfferans que bien peu, sinon que
les seconds qui furent interrogez dirent n'avoir point
beu de l'eau salée; aussi ils n'ont pas esté si loin dans
365
344
H
ISTOIRE
ledit lac comme les autres, et différent quelque peu
de chemin, les vns le r:is;!ns p'us court et les autres
plus long. De l'.içon que, selon I.-ur rapport, du Saut
où nous avons esté il yajusquesù lu mer salcc , qui
peut estrc celle du Su, quelque quatre cens Heuës. Le
Vendredi onzième dudir mo:s, nous fumes de retour
à TadouSiac^ où estoic nôtre vaisseau, le i6. jour après
la d;:;partie.
356 [i Description de U gramie miere àt Canada, et aaîres qui
s'y deschargeni. Des piupies i^ai habitent le long d'icelle. Des
fruits de la terre. Des bêtes et oyseauXy et particull rement
d'i'fie bête à deux piez. Des poissons abondons en ladite
grande tiviere.
CiiAP. XXII.
PRES avoir parcouru la grande rivière de
\CAnadvi jusques au premier et grand Saut,
»et ramené n^z voyageurs vn chacun en
■ son lieu, sçavoir le Capitaine lacques
Quartier au port SLiincte-Croix, et le sieur Cham-
plein. ù Ait/ûiJîJLir, il est besoin, vtîle et nécessaire de
sçavoir le omportemcnt du noz Fran:ois, ce qui leur
al■ri^a, et leu s diverses fortunes durant vn Hver et
vn printemps ensuivant qu'ils passèrent audit port
Sancte Croix. Et quant audit Ghampkin, nous nous
contenterons de le r amener de Tadoimac en France
(par ce qu'il n'a point hiverné en ladite rivière de
Canada), après que nous aurons combattu le Coagoa
« dissipé les Ghtmcrcs des Arniouchiquois.
Mais avant que ce faire, nous re.it, rons ce que
ledit Cap.tainc Quartier rapponc en gênerai des mer-
veilk's du grand fleuve de Canada: ensemble de la
rivière de Saguenay et de celle des Iroquois, afin de
confronter le discours qu'il en fait avec ce qu'en a
escrit ledit || Champlein, duquel nous avons rapporté
les paroles cî-dessus.
Ledit fleuve donc (ce dit-il) commence passée l'Ile
de l'Assumption, le travers des hautes montagnes de
Hongnedo et des Sept Iles ; et y a de dislance en travers
trente cinq ou quarante lieues, et y a au parmi plus
de deux cens brasses de parfond. Le plus parfond et
le plus seur à naviguer est du côté devers le Su, et
devers le Nort, s<^avoir esdiics Sept Iles; y a d'vn
côté et d'autre, environ sept lieues loin desdites îles,
des grosses rivières qui descendent des monts du Sa-
gnenay^ lesquelles font plusieurs bancs à la mer fort
dangereux. A l'entrée desdiics rivières avons veu
grand nombre de Baillâmes et Chevaux de mer.
Le travers desdites i!es y a vne petite rivière qui
va trois ou quiitre lieues en terre pardessus les ma-
rais, en laquelle y a vn merveilleux nomLirc de tous
lesoyseaux de rivière. Depuis le commencement du-
dit fleuve jusqjes t Hochcla^a y a trois cens. I euCs et
plus; et le commencement d'icclui à la rivi::rc qui
vient du Sagaenav, laquelle sort d'entre hautes mon-
tagnes et entre dedans loi^it fteuvc auparavant qu'ar-
river à la province de Canada de la bcnde devers te
Nort. Et est icelle rivière fort profonde, étroite et
dangereuse â tuviguer.
367
À
346
H ISTOIRE
Apres ladite rîvicrc est la province de Canada, oii il
y a plusieurs peuples par villages non clos. Il y a
aussi es environs dudit Canada dedans ledit fleuve
368 plusieurs iks tant grandes j] que petites. Et entre
autres y en a vne qui contient plus de dix lïeuîis de
long, laquelle est pleine de beaux et grands arbres,
et force vignes. Il y a. passage des deux cotez d'icelle.
Le meilleur et le plus seur est du cùtt: devers le Su.
Et au bout d'icelle île vers lOuest y a vu affourq
d'eau bel et délectable pour mettre navires, auquel il
y a vn d>étroit dudit fleuve fort courant et profond,
mais il n*ade large qu'environ vn quart de lieuë; le
travers duquel y a vne terre double de bonne hau-
teur toute labourée, aussi bonne terre quil soit pos-
sible de voir. Et là est la ville et demcurance du sei-
gneur i)o;macond et de nos hommes qu'avions prins
Je premier voyage, laquelle demcurance se nomme
Stadaconé. Et auparavant qu'arriver audit lieu il y a
quatre peuples et demeuranccs, sçavoir Ajoasîé^ Star'
nataruy Tailla^ qui est sur vne montagne, et Satadin.
Puis ledit lieu de Stadaconé, souz laquelle haute terre
vers le Nort est la rivière et hable de Sainte-Croix,
auquel lieu avons esté depuis le quinzième jour de
Septembre jusqucs au sixième jour de May mil cinq
cens trente-six; auquel lieu les navires demeurèrent
à sec, comme cy-devant est dit. Passé ledit lieu est la
demeurance du peuple de Tequenoaday et de Hochday^
lequel Tte^aenonday est sur vne montagne, et l'autre en
vn plain païs.
Toute, la terre des deux cotez dudit fleuve jusques
à Uochelaga^ et outre, est aussi belle et vnîe q;uc jamais
homme regarda. Il y a aucunes montagnes assez loin
DE LA NovvELLE- France.
347
dudit fleuve qu'on
Icsdites terres, des- 369
usieurs rivières qui entrent
quelles II descend plusieurs rivières qui entrent dans
ledit fleuve. Toute cette dite terre est couverte et
pleine de bois de plusieurs sortes, et force vignes,
exccpiÉ à i'cntour des peuples, laquelle Ils ont déser-
tée pour faire leur demeurance et labeur. Il y a grand
nombre de grands Cerfs, Daims, Ours et autres bêtes.
Nous y avons veu les pas d'vne bête qui n*a que
deux piez, laquelle nous avons suivie longuement par-
dessus le sable et vaze, laquelle a les piez en cette
façon grands d'vne paume et plus. Il y a force Lou-
tres, Biévres, Martres, Uenars, Chats sauvages, Liè-
vres, Connins, Escurieux, Rats, lesquels sont gros à
merveilles, et autres sauvagines. Us s'accoutrent des
peaux d'icellcs bctes, parce qu'ils n'ont nuls autres
accoutremens. Il y a grand nombre d'oyseaux, sça-
voir Grues, Outardes, Cygnes, Oyes sauvages blan-
ches et grises, Cannes, Cannars, Merles, Mauvis,
Tourtres, Ramiers, Chardonnerets, Tarins, Serins,
Linottes, Rossignols, Passes solitaires, et autres oy-^
seaux comme en France.
Aussi, comme par ci-devant est fait mention es
chapitres precedens, cedit fleuve est le plus abon-
dant de toutes sortes de poissons qu'il soit mémoire
d'homme d'avoir jamais veu ni ouï. Car depuis le
commencement jusqucsû la fin y trouverez selon les
saisons la pkispart des sortes et espèces de poissons de
la mer et eau douce. Vous trouverez jusques audit
Canada force Baillâmes, Marsoins, Chevaux de mer,
AMcthays, qui est vne sorte de poisson |[ duquel nous
n'avions jamais veu ni ouï parler. Ils sont blancs
comme nege, et grands comme marsoins, et ont Je
u.
à
348
Histoire
corps et la tête comme lièvres, lesquels se tiennent
entre la mer et l'eau douce, qui commence entre la
rivière du Sa^iicnaj et Canada. Iicm y trouverez en
luin, luillet et Aoust foac Maquereaux, Mulets,
Bars, dartres, grosses Anguilles, et autres poissons.
Ayant leur saison passée, y trouverez l'Eplan aussi
bon qu'en la rivière de Seine Puis au renouveau y a
force l.aaiproyes et Saunions, Passe ledit Canada y a
force Brochets, Truites, Carpes, Brame--;, et autres
poissons d'eau douce, et de touies ces sortes de pois-
sons fait leJit peuple de chacun selon leur saison
grosse pêcherie pour leur substance et victuaille.
De la ririere de Saguenay. De» peuples ^ui habitent vers son
origine. Autre rivière yenant dudil Saguenay au dessus da
saut de la grande rimre. De la rimrs des Iroquois venant
devers ia Fioride, pm sans neges ni glaces. Singularikz dH-
celai pais. Soupçori sar Ses Sauvages de Canada. Cad noc-
turne. Reddition d'i-ne fdle échappée. Rscûticiitation des Sau-
vages avec les François.
Chap. XXIII.
Epvis estre arrivez à Hochelaga avec le gal-
Hon et les barques avons conversa , allé et
ivenu , avec les peuples les plus prochains
'de noz navires en douceur et amitié^ fors
371 que par fois avons eu au- cuns differens avec au-
cuns mauvais garçons, dont les auues e:toient fort
marris et courroucez. Et avons entendu par le Sei-
gncuT Donnacoftay Tai^aragni et Domagayaet autres, que
la rivière devant dite , et nommée la rivière du Sa-
gaeaayy va jusqu«s audit Sagutnay, qui est loin du
commencement de plus d'vne lune de chemin vers
rOOest-NoroUest; et que passé huit ou neuf jour-
nées, elle est plus parfonde que par bateaux; mais le
droit el b:;n chemin et plus seur est par ledit fleuve
jusqucs au dessus de HochcUga, à vne rivière qui des-
cend dudit Siiguenay et entre audit lieuve (ce qu'avons
veu), et que de là sont vne lune à y aller. Et nous
ont fait entendre qu'audit lieu les gens sont ha-
billez de drap, comme nous, et y a force villes et
peuples, et bonnes gens, et qu'ils ont quantité d'or
et cuivre rouge. Et no.is ont dit que le tour de la
terre d^empuis ladite première rivière jusques audit
Hûchehga et Saguenay est vne ile, laquelle est circuite
et environnée de rivières et dudit fleuve; et que
passé ledit S:igueiiay va ladite rivière entrant en deux
ou trois grands lacs d'eau fort larges; puis que l'on
trouve vne mer douce, de laquelle n'est mention
avoir vcu le bout, ainsi qu'ils ont ouï par ceux du
Sdgaenay, car ils nous on dit n'y avoir esté (i). Outre
nous ont donné A entcnire qu'au lieu où avions laissé
notre gallion quand fumes à Hochdaga y a vne rivière
qui va vers le SuroUcst, oti semblablemen: sont vne
lune â aller avec leurs barques depuis Saincte-Croix
jusques â vne terre o'd il n'y a || jamais glaces ni
neges, maïs qu'en cette dite terre y a guerre conti-
nuelle les vi.s contre k's autres, et qu'en-icclle y a
Orengcs, Amandes, Noix, Prunes, et autres sortes
372
(i)Vo]r. cetju'endit Champliin ci-dessus, chap. 8 et 9.
373
35o "HlstÔIHB
de fruits et en grande abondance, et font de l'huile
qu'ils tirent des arbres tres-boiinc à la guerison des
playes. Et nous oQt dit les hommes et habiïans d'i-
cclle terre cstre vêtus et accoutrez de peaux comme
eux. Apres leur avoir demandé s'il y a de l'or et du
cuivre, nous ont dit que non. l'estime à leur dire
ledit lieu estre vers la Terre-neuve où, fut le Capi-
taine Ican Verrazzan, à ce qu'ils montrent par leurs
signes et merches.
Et d'empuis de jour en autre venoit ledit peuple à
noz navires, et apportoient force Anguilles et autres
poissons pour avoir de nôtre marchandise» dequoy
leur estoient baillez couteaux , alênes , patenôtres, et
autres mêmes choses, dont se contentoient fort. Mais
nous apperceumes que les deux mcchans qu'avions
apporté leur disoient et donnoient à enlendrc que ce
que nous leur baillions ne valloit rien, et qu^îls au-
raient aussi-tôt des bachots comme des couteaux pour
ce qu'ils nous ballloient, nonobstant que le Capi-
taine leureust fait beaucoup de presens, et si ne ccs-
soient à toutes heures de demander audit Capitaine,
lequel fut averti par vn Seigneur de la ville de Hagou-
chouda qu'il se donnast garde de Donnâcoiux et desdits
deux méchans, et qu'ils estoient Agojudd , qui est â
dire traîtres, et aussi en fut averti par aucuns dudit
Canada, et aussi que nous apperceumes de leur ma-
lice, parce qu'ils vou-Jlloienl retirer les trois en-
fans que ledit Z)o/iMCofiflavoit donnés audit Capitaine.
Et de fait firent fair la plus grande des filles du na-
vire. Apres laquelle ainsi fuie, fit le Capitaine pren-
dre garde aux autres; et par l'avertissement desdits
Taiguragnicl Domagaya s'abstindrent et déportèrent de
d^Ij^No WELLE -France,
venir avec nous quatre ou cinq jours, sinon aucuns
qui venoicnt en grande peur et crainte.
Mais N'ayant la malice d'eux, doutans qu'ils ne
songeassent aucune trahison, et venir avec vn amas
de gens sur nous , le Capitaine fit renforcer le Fort
tout à Tcntour de «ms J'ckscz , larges et parfonds,
avec porte à pont-lcvis et renfort de paux de bois au
contraire des premiers. Et tut ordonné pour le guet
de la nuit pour le temps avenir cinquante hommes
à quatre quarts, et à chacun changement dcsdit.s
quarts les trompettes sonnantes. Ce qui fut fait selon
ladite ordonnance. Et Icsdits Donmcona, Taiguragni, et
Domagaya cstans avertis dudit renfort, et de la bonne
garde et guet que Ton faisoit furent courroucez d'estre
en la malgracc du Capitaine; et envoyèrent par plu-
sieurs fois de leurs gens Icignans qu'ils fussent d'ail-
leurs , pour voir si on leur feroit déplaisir, desquels
on ne tint compte, et n'en fut fait ni montré aucun
semblant. Et y vindrent lesdits Donnaconat Taigaragni,
Domagaya et autres plusieurs fois parler audit Capi-
taine, vne rivière entre deux, lui demandant s'il estoit
marri, et pourquoy il n'alloit les voir. Et le Capi-
taine leur répondit qu^ils n'estaient que traîtres, et
IJ méchans, ainsi qu'on lui avoit rapporté; et aussi
qu'il l'avoit appcrceu en plusieurs sortes , comme de
n'avoir tins promesse d'aller â Hochslaga et d'avoir
retiré la fille qu'on lui avoit donnée , et autres mau-
vais tours qu'il lui nomma. Mais pour tout ce , que
s'ils vouloient estre gens de bien, et oublier leur mal-
volonté , il leur pardonnoit , et qu'ils vinssent seure-
ment â bord faire bonne chère comme pardevant.
Desquelles paroles remercièrent ledit Capitaine et
374
953
Histoire
375
lui promirent qu'ils lui rendroient la fille qui s'ea
estoit Iule d.ms trois jours. Et le qu:itriéme jour de
Novembre, Domagaya , i\ccompagné de sixautr^-s hom-
mes, vindrcnc à r.oz navires j^our dire au Capitaine
que le Seigneur Dortriùcona csloit allti par le pals cher-
cher ladite tiik, et que le ienJemain elle lui scroit
par lui menée. Et O'itre dit qi-e Taigiiragni estoit fjrt
malade, et qu'il prioit le Capitaine lui envoyer vn
peu de sel et de pain. Ce que fil ledit Capitaine, le-
quel lui manda que c'cstoit lesus qui estoit marri
contre lui pour les mauvais tours qu'il avoît cuidé
jouer.
Et le lendemain ledit Donnaconây Taigaragni, Doma-
gjya et plusieurs autres vindrent et amenèrent la-
dite hlle, la représentent audit Capitaine, lequel
n'en tint compte, et dit qu'il n'en vouloit point, et
qa*ils la remenassent. A quoy répondirent faisans
leur excuse, qu'ils ne lui avoient p.TS conseillé s'en
aller, ains qu'elle s'en estoit allée parce que les pages
l'avoicnt battue, ainsi qu'elle leur avcit dit ; et priè-
rent derechef ledit Capitaine de la reprendre, et
Il eux-mémts la menèrent jusquesaus navires. Apres
lesquelles choses le capitaine commanda apporter
pain et vin, et les fétoya. Puis prlndrent congé les
vns des autres Et depuis sont allés et venus à noz
navires , et nous à leur demeurance, en aussi grand
arcour que pardevant.
MortaUU entre les Sauvages. Maladie éiTange et inconeué entre
Us Français Derûttons et fxiiz, Oarerture d'vn corps mort.
Dissimulation envers les Sauvages sur îesdiies maladies et
mortaiitè. Cuerison merveilleuse d'icelle maladie.
XXIV.
V mois de Décembre fumes avertis que la
>mortalité scsioit mise audit peuple de
tStadaconé y rcllement que ja en estoienc
morts par leur confession plus de cin-
quante. Au moyen dcquoy leur ftmcs défenses de
non venir à nôire Fort, ni tntOLir nous. Mais non-
obstant les avoir chassés, commença la mortalité
entour nous d*vne merveilleuse surte^ et la plus in-
coneuC. Car les vns pcrdoient la soutenue, et leur de-
venoicnt les jambes grosses et entk-es, et les nerfs
retirez, et noircis comme charbons, et aucunes toutes
semc'es de gouttes de sang, comme pourpre. Puis
montoit ladite maladie aux hanches, caisses, épaules,
aux bras et au col. Et a tous venoit Ja bouche si
infecte || et pourrie par les gencives , que toute Iti
chair en tomboit jusques à la racine des dents, les-
quelles tomboicnt préquc toutes. Et icUemcnt se-.
print ladite maladie en noz trois navires, qu'a la mi-
Fevricr de cent dix hommes que nous estions il n'y
en avait pas dix sains, tellement que l'vn ne pouvoît
secourir l'autre. Qui cstoit chose piteuse à voir, con-
sidéré le lieu oU nous estions. Car tes ^ens du païs
33
376
4
377
354 Histoire
venoient tous les jours devant nôtre Fort qui peu
de gens voyoient debout, et ja y en avoit huit de
morts, et plus de cinquante oti on n^esperoit plus de
vie. Nôtre Capitaine voyant la pitié et maladie ainsi
emeuë, fait mettre le monde en prières et oraisons, et
fit porter vne image et remembrance de la Vierge
Marie contre vn arbre distant de nôtre Fort d*vn
trait d'arc le travers les neges et glaces, et ordonna
que le Dimanche ensuivant l'on diroit audit lieu la
Messe, et que tous ceux qui pourroient cheminer
tant sains que malades iroient A la procession chan-
tans les sept Psaumes de David, avec la Litanie en
priant ladite Vierge qu'il lui pleust prier son cher
enfant qu'il eusi pitié de nous. Et la messe dite et
chantée devant ladite image, se fit le capitaine pèle-
rin à nôtre Dame, qui se fait de prier â Roquema-
dou [pour miiux dire, à Rcque amadou, c'«f à dire des amans.
C'est vn bourg en Qaerci, cà il y va force pèlerins], promet-
tant y aller si Dieu lui donnoît grâce de retourner en
France. Celui jour trcspassa Philippe Rougemont,
natifd'Amboise, de Taagc d'environ vingt ans.
Il Et pource que ladite maladie estoit inconcufi,
fît ledit Capitaine ouvrir le corps pour voir si au-
rions aucune conoissance d'icelle, pour préserver si
possible estoit le parsus. Et fut trouvé qu'il avoit le
cœur tout blanc et fietri, environné de plus d'vn pot
d'eau, rousse comme datte. Le foyebeau, mais avoit
le poulmon tout noirci et mortitîé, et s'estoit retiré
tout son sang au-dessus de son cœur. Car quand il
fut ouvert sortit au dessus du cœur vne grande
abondance de sang noir et infect. Pareillement avoit
la ratte vers l'échiné vn peu entamée environ deux
DE LA N0VVELLE*FltANCE,
355
doigts, comme si elle eust cst<i frottée sur vne pierre
rude. Apres cela veu, lui fut ouvert et incise vue
cuisse, laquelle estoit fort noire par dehors, mais par
dedans la chair fut trouvée assez belle. Ce fait, fut in-
humé au moins mal que Ton peut. Dieu par sa
saiacte grâce pardoïnt à son ame, et à tous trespas-
sez, Amen.
Et depuis, de jour en autre s'est tellement conti-
nuée ladicte maladie , que telle heure a été que par
tous Icsdits trois navires n'y avoit pas trois hommes
sains. De sorte qu'en V\n desdits navires n'y avoit
homme qui eust peu descendre souz le tillac pour ti-
rer à boire tant pour lui que pour les autres. Et pour
l'heure y en avait ja plusieurs de morts, lesquels il
nousconvinc mettre par foiblesse souz les neges. Car
il ne nous estoit possible de pouvoir pour lors ouvrir
la terre qui estoit gelt-c, tant estions foiblca et avions
peu de puissance. Et si estions en vne crainte merveil-
leuse des gens du païs qu'ils || ne s*apperceussent de
nôtre pitié et foiblesse. Et pour couvrir ladite mala-
die j lors qu'ils venoicnt prés de nôtre Fort, nôtre
Capitaine, que Dieu a tûusjours préservé debout,
sortoit audevant d'eux avec deux ou trois houimes,
tant sains que malades, lesquels il faisoit sortir
après lui. Et lors qu'il les voyoit hors du parc, fai-
soit semblant les vouloir battre, et crians, et leur jet-
tans bâtons après eux, les envoyant à bord, mon-
trant par signes esdits Sauvages qu'il faisoit beso-
gner ses gens dedans les navires , les vns ù gallifcster,
les autres à faire du pain et autres besongnes, et qu'il
n'cstoit pas bon qu'ils vinssent chommer dehors, ce
qu'ils croyolent. Et faisoit ledit Capitaine battre et
356 Histoire
mener bruit esdits mal<ides dedans les navires avec
bâtons et cailloux fcignans gallifester. Et pour lors
estions si épris de ladite maladie qu'avions quasi
perdu l'espérance de jamaîs retourner en France, si
Dieu par sa bonté InHiile el miséricorde ne nouseust
regardé en pité. et donné conoissanced'vn remeJe
contre toutes maladies le plus excellent qui fut jamais
veu ni trouve sur la lerre, ainsi que nous dirons
maintenant. Mais premièrement faut entendre que
depuis la mi Novembre, jusqucs au dix-huitiéme jour
d'Avril avons esté continuellement enfermez dedans
les places, lesquelles avoicut plus de deux brasses
d'épaisseur; et dessus la terre y «voit la hauteur de
quatre picz de nege et plus de deux brasses d'épais-
seur : tellement qu'elle estoit plus haute que les
"bords de noz navires, lesquelles ont duré jusqucs au-
379 dit temps; en |t sorte que noz breuvages cstoient tout
gelez deilans les futaiHes, er par dedans lesdits navi-
res tant bas que haut estoit la glace contre les bois à
quatre doïgtz d'épaisseur ; et estoit tout ledit fleuve
par autant que l'eau douce en contient jusques au
dessus de HoditUgJ, gelé. Auquel temps nous deccda
jusques au nombre de i5. personnes des principaux
et bons compagnons qu'eussions, lesquels moururent
de la maladie susdite ; et pour Thcurc y en avoit plus
lie quarante cri qui on n'espcroit plus de vie, elle
parsus tous m.aliides, que nul n'en estoit exempté,
excepté trois ou quatre. Mais Dieu par sa saîncle
grâce nous regarda en pitié, et nous envoya vn re-
mède de nôtre guciîson et santé de la sorte et ma-
nière que nous allons dire.
Vn jour» nôtre CapitaÎDC voyant la maladie si
emeuë et ses gens si fort épris d'icelle, estant sorti
hursdu Fort, soy promenant sur la glace, Jippcrceut
venir vne bcnde de g.ns de Stadaconé (i), en laquelle
estoit DomtîgJVJ, lequel le Caf îtuine avoil vcu dcpms
dix ou douze jours fort malade de la propre maladie
qu'avoicnt ses gens : Car il avoit vnc de ses jambes
aussi grosse qu'vn enfant de deux ans, et tous les
nerfs d'icclle retirez, lesjJciïts perdues et gâtées, et
les gencives pourries et infectes. Le Capitaine voyant
ledit Domufittyj sain et guéri, fut fort JQveuXj espérant
par lui sçavcir comme il s^cstoit guéri, à iîn de don-
ner aide et secours a ses gens. Ht lors qu'ils furent
arrivez près le Fort , le Capitaine lui demanda
comme il s'estoit gucri de sa mula^lie : || lequel Domâ- 38o
gaya répondit qu'avec le jus des fueillcs d'vn arbre et
le marc il s'estoit guéri, et que c'estoît le singulier
remède pour cette maladie. Lors le Capitaine de-
manda s'il y en avoIt point lii cntour, et qu'il lui en
montrât, pour guérir son serviteur qui avoit prîns
ladite maladie en la miùsun du seigneur Donrtaconaj
ne lui voulant déchirer le nombre des compîignons
qui estoient malades. Lors ledit Domag^ay^ envoya deux
femmes avec nôtre Capitaine pour en quérir, les-
quel'esen nppLTtcrcnt neuf ou dix rameaux, et nous
montrèrent qu'il falloit piler l'ccorce et les fueillcs
duilii bnis, ei mctlrc le tout bouillir en eauO, puis
boire de ladite eauS de deux jours l'vn, et mettre le
marc sur tes jambes cnflt'us et malades, et que de
toutes maladies ledit arbre gucrissoït. Et s'appelle
ledit arbre en leur langage Anncdda.
(i) Stadacon^, c'est \s vilUgedes Canadiens.
358
ISTOIRE
38l
Tôt après le Capitaine fit faire du breuvage pour
faire boire ùs malades, desquels n*y avoit nul d'eux
qui voulast icelui essayer, sinon vn ou deux qui se
mirent en aventure d'icelui essayer. Tôt après qu'ils
en eurent beu ils curent ravantage.qui se trouva cstre
vn vray et évident miracle. Car de toutes maladies de
quoy ils cstoient entachés, apresen avoir beu deux ou
trois fois, recouvrèrent santé et guerisonj tellement
que tel des compagnons qui avoit la vérole puis cinq
ou six ans auparavant la maladie, a esté par icclle
médecine curé nettement. Apres ce avoir veu y a eu
telle presse qu'on se vouloit tuer sur ladite médecine
à qui premier en auroit : de sorte qu'vn arbre aussi
Il gros et aussi grand que je vis jamais arbre a estd
employé en moins de huit jours; lequel a fait telle
opération, que si tous les médecins Je Louvain et
Montpellier y eussent escé avec toutes les drogues
d'Alexandrie, ils n'en eussent pas tant fait en vn an
que ledit arbre en a Fait en huit jours. Car il nous a
tellement proufité, que tous ceux qui en ont voulu
vser ont recouvert santé et guerison, la grâce à Dieu.
Soupçon sur la longue absence du Capitaine des Sauvages.
Retour d'kelai avec multitade de gens. Débilité des François.
Navire délaissé pour n'avoir la force de ie remener. Récit des
richesses da Sagueaay et autres choses merveilleuses.
Chap. XXV.
VRANT le temps que la maladie et morta-
lité regnoit en noz navires, se partirent
DonnacQtiiXj Taigaragni et plusieurs autres
feignans aller prendre des cerfs et autres
bétcs, lesquels ils nomment en leur langage Ajonnesta
et Asqucnoado, parce que les neges estoient grandes, et
que les glaces estoient ja rompues dedans le cours
du fleuve, tellement qu'ils pourroient naviger par
icplui. Et nous fut par Domagaya et autres dit qu'ils
ne scroient que quinze jours, ce que croyons; mais
ils furent deux mois sans retourner. Au moyen de-
quoy eûmes suspe-||ction qu'ils ne se fussent allés
amasser grand nombre de gens pour nous faire dé-
plaisir, parce qu'ils nousvoyoient si affoiblis. Nonob-
stant qu'avions mis si bon ordre en nôtre fait, que si
toute la puissance de leur terre y eust esté, ils n'eus-
sent sceu faire autre chose que" nous regarder. Et
pendant le temps qu'ils estoient dehors venoient tous
les jours force gens à noz navires, comme ils avoient
de coutume, nous apportans de ta chair freche de
cerfs, daims et poissons fraiz de toutes sortes qu'ils
nous vendojent assez cher, ou mieux l'aimotent rem-
383
36o
HlSTOlBE
383
porter, parte qu'ils avoient nécessité de vivres pour
lors, à cause de l'tiîv'er qui avoït este long, et qu'ils
avoient mangt leurs vivres et etourcmens.
Et le vingt-vniême jour du mois d'Avril Domagaya
vint à bord de noz navires, accompagné de plusieurs
gensj lesquels estoient beaux et puissans, et n'avions
accoutumé de les voir, qui nous dirent que le sei-
gneur Donnacona seroit le lendemain venu, et qu'il
apporreroit force chair de cerf et autre venaison. Et
le lendemain arriva ledit Donnacona, lequel amena en
sa compagnie gnmd nombre de gens audit StadiKoni.
Ne sçavions h quelle occasion ni pourquoy. Mais
comme on dit en vn proverbe, qui de tout se garde et
d'aucuns échappe. Ce que nous estoil de nécessité,
car nous estions si affoiblis, tant de maladies, que de
noz gens morts^ qu'il nous falut laisser vn de noz na-
vires audit lieu de Saincte-Croix.
Il Le Capitaine estant averti de leur venut, et
qu'ils avoient amené tant de peuple, et aussi que Do-
magayd le vînt dire audit Capitaine, sans vouloir pas-
ser la rivière qui cstoit entre nous et ledit Statijcani^
ains fit dithculté de passer, ce que n'avoit accoutumé
de faire, au moyen dcquoy eûmes suspection de irahi-
son. Voyant ce, ledit Capitaine envoya son serviteur
nommé Charles Guyot, lequel esloit pîus que nul
autre aimé du peuple de tout le païs, pour voîr qui
estott audit lieu, et ce qu^ils faisoient, ledit serviteur
feignant estre allé voir ledit Seigneur £>oflntjcona, parce
qu'il avoit demeuré long temf's avec lui, lequel lui
porta aucun présent. Et lorsque ledit Donntitonii fut
averti de sa venuti, rit le malade et se couchaj disant
audit serviteur qu'il estoit tort malade. Apres alla
ledit serviteur en U maison de Taigura^ni pour le voir,
oD par Inut il trouva les maisons si pleines de gens
qu'on ne se pouvait tourner, lesquels on n'avoit ac-
coutumé de voir, et ne voulut pcrnictl.re ledit Taiga-
ragni que ledit serviteur allast es autres maisons, ains
le convoya vers les navires environ la moitié du che-
min, et lui dit que si le Capitaine lui' vnuloit faire
plaisir de prendre vn se'gneur du païs nommé Agona^
lequel lui avoit fuit dcplasir, et l'emmener en
France, il feroit tout ce que voudroit ledit Capiiaine,
et qu'il retournost le lendemain dire la réponse.
Quand te Capitaine tut averti du grand nombre
de gens qui estoient audit StiXdMoné, ne sçachant à
quelle fin, se délibéra leur jouer ||vne finesse, et pren- 384
dre leur Seigneur, Tjigui.igmy flo/Tr.ïgiivj et des princi-
paux, et aussi qu'il estoil bien délibéré de mener le-
it Seigneur Donnacona en France pour conter et dire
,U Roy ce qu'il avoit veu es païs Occidentaux des
merveilles du monde; car il nous a certifié avoir esté
à la terre du Suguenny, où il y a infini Or, Rubis et
autres richesses, et y sont les hommes blancs comme
en France, et accoutrez de draps de laine. Plus dit
avoir vcu autre païs oCi les gens ne mangent point,
et n'ont point de fondement, et ne digèrent point,
ains font seulement eau par la verge. Plus dit avoir
este en autre fais de Pkijiu'fiiaasj et autres païs oti les
gens n'ont qu'vne jambe, et autres merveilles lon-
gues à raconter. Ledit Seigneur est homme ancien et
ne cessa jamais d'aller par païs depuis sa conoissance,
tant par fleuves rivières que par terre.
Apres que ledit serviteur eut fait son message et
dit à son maître ce que ledit Taiguragni lui mandoit,
363
Histoire
renvoya le Capitaine sondit serviteur, le lendemain,
dire audit Taiguragni qu'il le vint voir, et lui dire ce
qu'il voudroir, et qu'il lui feroit bonne chère et par-
tie de son vouloir. Ledit Taiguragni lui manda qu'il
viendroit le lendemain et qu'il meneroit Donnacona,
et ledit homme qui lui avait fait déplaisir. Ce que ne
fit, ains fut deux jours sans venir, pendant lequel
temps ne vint personne es navires dudit Stadaconi,
comme avoient de coutume, mais nous fuycient
comme si les eussions voulu tuer. Lors apperccumcs
385 leur mauvaitié. || Et pource qu'ils furent avertis que
ceux de Stadin alloient et venoient entour nous, et
que leur avions abandonné le fond du navire que
laissions, pour avoir les vieux doux, vlndrent tous
le tiers jour dudit Siadaconé de l'autre bord de la ri-
vière, et passèrent la plus grand' partie d*eux en pe-
tits bateaux sans difficulté. Maïs ledit Donnacona n'y
voulut passer et furent Taiguragni, et Donmgaya plus
dVne heure à parlementer ensemble avant que vou-
loir passer; mais en fin passèrent et vindrent parler
audit Capitaine. El pria ledit Taiguragni le Capitaine
vouloir prendre et emmener ledit homme en France.
Ce que refusa ledit Capitaine, disant que le Roy
son maître lui avoit défendu de non amener homme
ni femme en France, mais bien deux ou trois petits
garçons pour apprendre le langage. Mais que volon-
tiers l'emmeneroit en Terre-neuve, et qu'il le met-
troit en vne ile. Ces paroles dîsoit le Capitaine pour
les asseurer, et à celle fin d'amener ledit Donnacona,
lequel estoit demeuré delà l'eau. Desquelles paroles
fut fort pycux ledit Taiguragni, espérant ne retourner
jamais en France, et promît audit Capitaine de re-
tourner le lendemain, qui cstoit le jour de Saincte
Croix, et amener Icdil seigneur Donnacona et tout le
peuple audit Stadaconi,
\\ Croix plantée par Us François. Capture des principaux
Sauvages pour les amener en France et faire récit au Roy
des merveilles da Saguenay. Lamentations des Sauvages,
Presens reciproifoes du Capitaine Quartier et d'iceux Sau-
vages.
Chap. XXVI.
E troisième jour de May» jour €t fétc
Saincte Croix, pour la solennité et fête,
le Capitaine fil planter vnc belle Croix
de la hauteur d'environ trente-cinq pîcz
de longueur, sous le croizillon de laquelle y avoit vn
écusson en bosse des armes de France, et sur icclui
cstoit écrit en lettre Attiquc (i) : Fhanciscvs pri-
MVS DeI GRATIA FrANCORVM ReX REGNAT. Et
celui jour environ midi vindrent plusieurs gens de
Stadaconé, tant hommes, femmes qu'cnfans, qui nous
dirent que leur Seigneur Donnuconay Taiguragni, Doma-
gaya et autres qui estoient en sa compagnie, venoient;
dcquoy fumes ioyeux, espcians nous eu saisir, les-
quels vindrent environ deux heures après midi. Et
lors qu'ils furent arrivez devant noz navires, nôtre
Capitaine alla saluer le seigneur Donnacona, lequel
pareillement lui fit grand' chère, mais toutefois avoit
rœil au bois et vne crainte merveilleuse. Tôt après
386
(i) le croisqu'il veut dire Antiijuc.
Jl
364
Histoire
387 arriva || Tajgurjgni^ lequel dit audit seigneur Donna^
cona qu*il n'eatrât poiut duJans le Fort. Et lors fut
parl'vndc leurs gens apporté du feu hors dudît Fort,
et aHumé pour ledit seigneur. Nôtre Capitaine le
pria de venir boirer et manger dedans les navires,
comme avoïl de coutume et semblablement ledit Tai-
guragni, lequel dit que tantôt ils iroient. Ce qu'ils
firent et entrèrent dedans ledit Fort. Mais aupara-
vant avoit esté nôtre Capitaine averti par Domagaya
que ledit Taiguragni avoit mal parlé, et qu'il avoJt dit
au seigneur Donnacona qu"il n"entrât point dedans les
navires. Et nôtre Capifaine voyant ce, sortit hors du
parc QLi il estoit et vit que les femmes s'en fuioient
par l'avertissement dudit Tdigaragm, et qu'il ne de-
meuroit que les hommes, lesquels estoient en grand
nombre. Et commanda le Capitaine â ses gens pren-
dre ledit seigneur Dainacona, Taigiiragniy Domagjya et
deux autres des principaux qu'il montra; puis qu'on
fit retirer Ees autres. Tôt après ledit Seigneur entra
dedans avec ledit Capitaine. Mais tout soudain ledit
Tatgura^ni \\nl pour le faire sortir. Nôtre Capitaine
vûiant qu'il n'y avoit autre ordre se print à crier
qu'on les print. Auquel cri sorlirenl les gens dudit
Ca.pitaine, lesquels prindrent ledit seigneur, et ceux
qu'on avoit délibéré piendre. Lesdlts Canadiens
voyans ladite prise, commencèrent à fuir et courir
comme brebis devant le loup, les vns It; travers la
rivière, les autres parmi les bois, cherchant chacun
son avantage. Ladite prise ainsi faite des dessusdits,
388 et que les |[ autres se furent tous retirez, furent mis
en seure garde ledit seigneur et ses compagnons.
La nuit venue, vindrent devant noz navires (la
rivière entre deux) grand nombre de peuple dudit
Dcmacona , huchans et hurlans toute la nuit comme
loupsj crians sans cesse Agohanna, Agohanna^ pcnsans
parier a lui. Ce que ne permit ledit Capitaine pour
l'heure, ni le matin jusques environ midi, ParLjuoy
nous faisotent signe que les avions tués et pendus.
Et environ l'heure de midi retourneront derechef, et
aussi grand nombre qu'avions vcu de nôtre voyage
pour vn coup, eux tcnans cachez dedans le bois, fors
aucuns d'eux qui crioient et appeMoient à haute voix
ledit Donnacona, Et lors commanda le Capitaine faire
monter leJit Ûonnacona haut f^our parlera eus. Et lui
dit ledit Capitaine qu'il fist bonne chère, et qu'après
avoir parlé au Roy de France son maître, et conté
ce qu'il avoit vcu au Saguenay et aurrcs lieux, il re-
viendroit dans dix ou douze lunes, et que le Roy lui
feroit vn grand présent. Dequoy fut fort joyeux ledit
Dcmacona^ lequel ledit es autres en parlant à eux,
lesquels en firent trois merveilleux cris en signe de
joye. Et à l'heure firent lesdits peuples et Donrtacona
entre eux plusieurs prédications et cérémonies, les-
quelles il n'est possible d'écrire par lante de l'enten-
dre. Nô're Capitaine dit audit Donnacona qu'ils vins-
sent seurement de l'autre bord pour mieux parler
ensemble, et qu'il les asseuroit. Ce que leur dit ledit
Donnacnmi, Et sur ce vindrent vne barque des princï-
Ij paux à bord desdits navires, lesquels derechef com- 38o
mencerent à faire plusieurs prechcmens en donnant
louange à nôtre CupiCainCf et lui firent présent de
vinjîT-quatre colliers d'Esurgm^ qui est la plus grande
richesse qu'ils aycnt en ce monde, car ils l'estiment
mieux qu'or ni argent.
i
366
Histoire
3go
Apres qu'ils eurent assez parlementé et devisé les
vns avec les autres , et qu'il n'y avoir remède audit
seigneur d'eschapper, et qu'il falloït qu'il vint en
France, il leur commanda qu'on lui apportât vivres
pour manger par la mer, et qu'on les lui apportât le
lendemain. Nôtre Capitaine fit présent audit Donna-
cona dedeuxpailles d'airain, et de huit hachots, et au-
tres menues besongnes, comme couteaux et patenô-
tres : dequoy fut fort joyeux, ù son semblant, et les
envoya à ses femmes et enfans. Pereîllement donna
ledit Capitaine à ceux qui estoient venus parler audit
Donnacona aucuns petits presens, dcsquelz remerciè-
rent fort ledit Capitaine. A tant se retirèrent et s'en
allèrent à leurs logis.
Le lendemain cinquième dudit mois, au plus ma-
tin, ledit peuple retourna en grand nombre pour par-
ler à leur seigneur, et envoyèrent vnc barque qu'ils
appellent Casurni, en laquelle y estoient quatre iem-
mes, sans y avoir aucuns hommes, pour te doute
qu'ils avoient qu'on ne les retint, lesquelles apportè-
rent force vivres : sçavoirgros mil, qui est le blé du-
quel ils vivent, chair, poisson, et autres provision.s à
leur mode, esquelles après estre arrivées 6s na- j| vires
fit le Capitaine bon recueil. Et pria Donnacona le Ca-
pitaine qu'il leur dist que dedans douze lunes il re-
tourneroit, et qu'il ameneroit ledit Donnacona à Ca-
nada : et ce disoit pour les contenter. Ce que fit ledit
Capitaine : dont lesdites femmes firent vn grand
semblant de joye, et inontrans par signes et paroles
audit Capitaine que mais qu'il retournât et amenât
ledit Donnaconay et autres, ils lui feroient plusieurs
presens. Et lors chacune d'elles donna audit CapJ-
DE LA
taine vn collier d*Esargni, puis s'en allèrent de l'autre
bord de la rivîere, oti esioît coût le peuple dudît
Stadaconé ; puis se retirèrent et prindrent congé du-
dit seigneur Donnacona.
Retour du Capitaine îacques Quartier en France. Rencontre de
certains Sauvages qui avaient des couteaux de cuivre. Pre-
sens réciproques entre tesdits Sauvages et ledit Capitaine. Des-
cription des Ueux où la route s'est adressée.
Chap. XXVII.
\e Samedi sixième jour de May nous ap-
pareillamesdu havre Saîncte-Croix, et vîn-
mes poser au bas de l'Ile d'Orléans, envi-
ron douze [ieuës dudit Saincte-Croix. Et
le Dimanche vînmes à l'Ile es Coudres, oti avons
esté jusques au lundi seizième jour dudît mois laîs-
saos amortir les eaux, lesquelles estoient trop cou-
rantes et dangereuses || pour avaller ledit fleuve.
Pendant lequel temps vindrent plusieurs barques
des peuples sujets de DontiaconJ, lesquels venoîent de
la rivière du Saguenay. Et lors que par Domagaya fu-
rent avertis de la prjnse deux, et la façon et manière
comme on menoit ledit Donnacona en France, furent
bien étonnez. Mais ne laissèrent à venir le long des
navires parler audit Donmicona^ qui leur dit que dans
douze lunes il retourncroit, et qu'il avait bon traite-
ment avec le Capitaine et compagnons. Dequoy tous
hi
368
H
ISTOIHE
392
à vne voix remercièrent ledit Capitaine, et donnè-
rent audit Donnacona trois pacqucts de peaux de Bié-
vres et loups marins, avec un grand couteau de cui-
vre rouge, qui vient dudit Sd^uenaj, et autres choses.
Ils donnèrent aussi au Capitaine vn collier d'Esargni.
Pour lesquels presens leur fit le Capitaine donner
dix ou douze bachots , desquels furent fort contcns
et joyeux, rcmercians ledit Capitaine; puis s'en re-
tournèrent.
Le passage est plus seur et meilleur entre le Nort
et ladite île que vers le Su, pour le grand nombre
de basses, bancs et rochers qui y sont, et aussi qu'il
y a petit fond.
Le lendemain sezitme de May nous appareillâmes
de ladite lU es Coadres^ et vînmes poser ù vns ile qui
est à environ quinze lieues d'icelle iie es Coudrcs, la-
quelle est grande d'environ cinq lieues de long ; et là
posâmes celui jour pour passer la nuit, esperans le
lendemain passer les dangers du Sngtienayf lesquels
sont II fort grands. Le soir fumes à ladite ile, où trou-
vâmes grand nombre de lièvres, desquels nous eû-
mes quantité. Et pour ce la nommâmes l'Jlê es Lievns.
Et la nuict le vent vint contraire et en tourmente,
tellement qu'il nous fallut relâcher à IMlc es Coudres
d'où estions partis, parce qu'il n'y a autre passage
entre lesditCs îles, et y fumes jusques au... (1)
jour dudjt mois, que le vent vint bon, et tant fimes
par nos journc-s que nous passâmes jusques à Hon-
gnedo, entre l'Ile de l'Assumplion et ledit Hongncdp :
lequel passage navoit pardcvaiit esté découvert ; et
(1) Lacune dans l'cdition originelle (Nolt Hc l'cdticur.)
fîmes courir jusquesle travers du Cap de Prato, qui est
le commencement de la Baye deCaUiir. Et parce que le
vent estoit convenable et bon à plaisir, fimcs porter
le jour et la nuit. Et le lendemain vînmes quérir au
corps Vile de Bihn^ ce que voulions faire pour la barge
de nôtre chemin, gisantes les deux terres Sutst et
Norotiest vn quart de l'Est et derOtiest; et y a entre
eux cinquante lieues. Ladite ilc est en quarante-sept
degré?, et demi de latitude.
Le leudî vingtcinquîcnie jour dudit mois, jour
et fête de l'Ascension nôtre Seigneur, nous trouvas-
mes â vne terre et sillon de basses araincs, qui de-
meurent au Suroucsl de ladite Ik de Saint- Pierre j envi-
ron huit lieues, par sus lesquelles y a de grosses
terres pleines d'arbres, et y a une mer enclose, dont
n'avions veu aucune entrée ni ouverture parob entre
icelle- mer.
Et le Vendredi vingt-sixième , parce que le vent
chargeoit à la côte, retournâmes à ladite || lie de Brion,
où fumes jusqucs au premier jour de luin, et vîn-
mes quérir vne terre haute qui demeure au Suest
de ladite île , qui nous apparoissoit estre vne lie, et
là rengeames environ vingt*deux lieues et demie,
faisans lequel chemin eûmes conoissance de trois
autres iles qui demeuroîent vers les araincs; et pa-
reillement lesdites araînes estre ile, et ladite terre,
qui est terre haute et vnïe, estre terre certaine se ra-
battant au Noroûest. Apres lesquelles choses coneuës
retournâmes au cap de ladite terre, qui se fait à deux,
ou trois caps hauts à merveilles, et grand profond
d'eau, et la marée si courante, qu'il n'est possible de
plus. Nous nommâmes celui cap !e Cap de Lorraine^
34
393
Î70
Histoire
qui est en quarante-six degrez et demi, au Su du-
quel cap y a vne basse terre, et semblant d'entrée de
rivière ; mais il n'y a hable qui vaille, parsus les-
quelles vers le Su demeure vn cap que nous nommâ-
mes !e Cap Sain((-Pii!i! , qui est au quarante-sept de-
grez vn quart.
I.e Dimanrhe troisième jour dudît mois, jour et
fête de la Pentecôte, eûmes conoissance de la côte
d'Est-Suest de Terre-neuve, estant à environ vingt-
deux lieues dudiî cap. Et pour ce que le vent estoit
contraire, fumes ti vn hable que nous nommâmes !e
Hable au SiXinct'Eipni^ jusques au Mardi qu'appareiUa-
mcs dudit hable et reconçumes ladite côte jusques
aux His de Sainct-Purre, Lequel chemin faisans, tour-
namics le long de ladite coie plusieurs ilcs et basses
fort dangereuses estant en la route d'Jist-Suest, et
394 OOest-NoroOest, à deux, trois || et quatre lieues à la
mer. Nous fumes ausdilcs lies Saind-Plerre et trouvâ-
mes plusieurs navires tant de Frani;e que de Bre-
tagne,
Depuis le jour Sainct-Barnabé, vnziéine de luin,
jusques au sezicme dudit mois qu'appareillâmes des
dites lies Satnct- Pierre, vînmes au Cap de Razi, et en-
trâmes dedans vn hable nommé Rongnomi, où primes
eau Cl bois pour traverser la mer; et là laissâmes
vnc de nnz barques; et appareillâmes dudit hable le
Lundi dix neuvième jour dudît mois; et avec bon
temps avons navigé par la mer : tellement que le
sczicme jour de luillet sommes arrivez au hable de
Sainct-Malo, la grâce au Crcateur, le priant, faisant
fin à notre navigation, nous donner sa grâce, et Pa-
radis à la An.
Rencontre des Monicignez (Sauvages de Tadoussac) et Iro-
quois. Privilège de celui tjui est Nessé à la gatne. Céré-
monies des Scuvages devant qu'alter â U guerre. Contes
fabuleux de la monstrubsisé des Annonchitjnois , et de la
Mine reluisante au Soieily et du Gougou. Arrivée aa Havre
de Crace.
Chap. XXVIII.
YANS r'aniené le Capitaine lacques Quar-
ttier en France, il nous faut retourner
.quérir le sieur Champlcln, lequel nous
'avons laissé à Tadoussac, A fin qu'il
nous dise quelques nouvelles Je ce qu'il aura veu et
out parmi les Sauvjges depuis que nous || Pavons
quitté. Et a6n qu'il ait vn plus beau champ pour
rejouïr ses auditeurs, je voy le sieur Prevcrf, de
Sainct-Malo qui l'attend à l'Ile Percée ::n intention
de lui en bailler d'vne; et s'il ne se contente de cela,
lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la
plaisante histoire du Coucou qui fait peur aux petits
enfans, afin que par après le sieur Caycr soit aussi
de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.
Voici donc ce que ledit Champlein en rapporte en la
conclusion de son voyage.
Estans arrivez A "Tadoussac nous trouvâmes les
Sauvages que nous avions rencontrez en la rivière
des Iroquuis, qui avoïent fait rencontre au premier
lac de trois canots Iroquois, lesquels ils battirent et
apportèrent les téies des Iroquois à Tadoussac, et
395
%
372
HlSTOIKK
n'y eut qu'vn Montagnez blessé au bras d'un coup de
flèche, îetjuel songeant quelque chose, il fallait que
tous les dix autres le missent en exécution pour le
rendre content, croyiinl aussi que sa playe scn doit
mieux porter. Si cedit Sauvage meurt, ses païens
vengeront sa mort, soit sur lyir nation, ou sur d'au-
tres, ou bien il faut que les Capitaines fecent des pre-
scns aux parens du defunct, alin qu'il soient contcns,
ou autrement, comme j'ay dit, ils vseroient de ven-
geance, qui est vne grande méchanceté cnlre-eux.
Premier que Icsdits Montagnez partissent pour aller
à la guerre, ils s'assemblèrent tous, avec leurs plus
riches habits de fourrures, castors et autres peaux,
parez de patenôtres et cordons de diverses couleurs,
396 et 11 s'assemblèrent dedans vne grande place publi-
que, où il y avoit au devant d'eux vn Sagamo qui
s'appeloit Be^oiim! qui les menoit à la guerre, et
estûicnt lesvns derrière les autres, avec leurs arcs et
flèches, massues et rondelles, dequoy ils se parent
pour se battre; et ailoicnl sautans les vns après les
autres, en faisans plusieurs gestes de leurs corps, ils
faisaient maints tours de limaçon; après ils com-
mencèrent à danser à la façon accoutumée^ comme
i'ay dit ci-dessus, puis ils firent leur Tabagie, et
après l'avoir tuitc , les femmes se despouillcrcnt
toutes nues, parées de leurs plus beaux mat.KhiaZy et
se mirent dedans leurs canots ainsi nues en dan-
sant, et puis elles se vindrent mettre à l'eau en se
battant à coups de leurs avirons, se jettant quan-
tité d'eau les vncs sur les autres, toutefois elles ne se
faisoient point de mal, car elles se parolent des coups
qu'elles s'entre-ruoient. Apres avoir fait toutes ces ce-
remonies elles se retirèrent en leurs cabones, et les
Sauvages s'en allerentàla guerre contre les Iroquois.
Le seziémc jour d'Aousl nous partimcs de Tadoussac^
et le dix-huUidmc dudit mois arrivâmes à l'Ile Per-
cée, où nous trouvusracs le sieur Prevcri, de Sainct-
Malo, qui venoit de la mine, où il avoit esté avec
beaucoup de peine, pour la crainte que les Sauvages
avoicnt de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont
les Armouchiquois, Icsquelz sont hommes sauvages
du tout monstrueux, pour la forme qu'ils ont : car
leur tête est petite et le corps court , les bras menus
commcd'vn cschclet,et Icscuissessem- |] blablement; 397
les jambes grosses et longues, qui sont toutes d'une
venue, et quand ils sont assis sur leurs talons, les
genoux leur passent plus d'vn demi-pied pardessus la
t<îtc, qui est chose étrange, et semblent estre hors de
nature : ils sont neantmoins fort dispos, et détermi-
nez, et sont aux meilleures terres de toute la côte de
la Cadie. Aussi les Souriquois les craignent fort.
Mais avec l'assurance que ledit sîeur de Prcvert leur
donna, il les menti jusques à ladite mine, où les
Sauvages le guidèrent. C'est une fort haute monta-
gne, avançant quelque peu sur la mer, qui est fort
reluisante au Soleil, où il y aqurntitti de vcrd de gris
^ui procède de ladite mine de cuivre. Au pied de la-
dite montagne, il dît que de basse mer y avoit en
quantité de morceaux de cuivre, comme il nous a esté
montré, lequel tombe du haut de la montagne. Ce-
dit lieu oti est la mine gist par les quarante-cinq de-
grcz cl quelques minutes.
Il y a encore vne chose étrange digne de reciter,
que plusieurs Sauvages m'ont asseuré cstre vray.
â]
374
Histoire
C'est que proche de la baye de Chaleur, tirant qu Su,
est vne ileoti fait rcsidencevn monstre épouventablc,
que les Sauvages appellent Cougou, cl m'ont. dit qu'il
avoit 1:1 forme J'vne lemme, mais fort effroyable, et
d'vne telle f;raiiJeur qu'ils me disoîtnt que le bout
tics mats de notre vaisseau ne lui fust pas venu jus-
ques à la ceinturC; tant ils le peignent grand, et que
souvent il a dévore et dévore beaucoup de Sauvages,
lesquels il met dedans vne grande puche quand il ]es
398 peut altrapper |1 et puis les mange; et disoient ceux
qui avoient évité le péril de cette mal-heureuse bête,
que sa poche estoit si grande, qu'il y cusi peu mettre
nôtre vaisseau. Ce monstre fait des bruits horribles
dedans cette ile, que les Sauvages appellent Gougoa; et
quand ils en parlent ce n'est qu'avec vne peur si
étrange qu'il ne se peut dire de plus; et m'ont as-
scuré plusieurs l'avoir vcu. Même ledit sieur Prevert,
de Sainct-Malo, en allant à la deeouverture des mi-
nes (ainsi que nous avnns dit au L-hapitrc précèdent),
m'a dit avoir passé si proche de la demeure de cette
effroyable bcte, que lui et tous ceux de son vaisseau
entendoicnt des silUcmcns étranges du bruit qu'elle
laisoit^ et que les Sauvages qu'il avoit avee lui lui
dirent que c'estoit la même bétc, et avoient vne telle
peur qu'ils se cachoient de toutes parts, craignans
qu'elle fust venue ù eus pour les emporter; et qui
me fait croire ce qu'ils disent, c'est que tous les Sau-
vages en général la craignent, et en parlent si étran-
gement, que si je mettois tout ce qu'ils en disent, ^
l'on le clendroit pour fables; mais je tiens que ce soit
la résidence de quelque diable qui les tourmente de
la façon. Voilà ce que j'ay apprins de ce Goagoa.
ït-quatriétnc jour d*Aoust, nous pa
de Cacbepé. Le deuxième jour de Septembre, nous
faisions état d'estre ausisi avant que le Cap de Razé,
Le cinquième jour duilir mois, nous entrâmes sur le
Banc II oti se fait la pêcherie du pDÎsson. L^ seziùme
dudit mois, nous estions A la Sonde, qui peut estre à
quelque cinquante lîcucs d'OUcssunt. Le vïngtifîmc
duJit mois, nous arrivâmes par la grâce de Dieu avec
contentement d'vn chacun, et tousjours le vent favo-
rable, au port du Havre de Cîrace.
399
Discours sur le Chapitre prccedenî. Credalifé légère. Armoa-
chiquois tjuels Saiivogts toinjours en crainte. Cmises des
terreurs pjnniqufs^fjufses visions et imaginjtions. Gougou
proprement ^ne c'est. Aulheur à'ictlm. Mine de cuivre.
Haiino. Carthaginois . Cemur: s sur certains aulheurs qui ont
écrit de la Nouvede-France.
Chxv. XXIX.
■
II, pour revenir aux Armouchiquois et à
îa mal-béte du Gougou, il est arrivé en cet
endroir au sieur Cliamptein ce qu'<icrit
Pline de Cornclius Nepos (1), lequel il dit
avoir crcu très -avide ment (c'est A dire comme s'y
portant desoy-mcsme) les prodii;fcax mensonges des
Grecs, quand il a parle de la ville de Larah {ou Ussa\
laquelle (souz la fby et parole d'autrul) il a écrit
(1) Pline, liv, j, chap 1, .
ji
376
H
ISTOIRE
grand (
la grande
estre font et beaucoup ]
400 Carthagc, et autres choses de même étoffe, j] Ainsi
ledit Champlein s'cstant fié au récit du sîeur Pre-
vertj de Sainct-Malo, qui se donnoit carrière, a écrit
ce que nous venons de rapporter touchant les Ar-
mouchiquois et le Gourou, comme semblablemcnt ce
qui est de la lueur de la mine de cuivre. Toutes les-
quelles choses iceluy Cbamplein a depuis reconu
estre fabuleuses i car, quant aux. Armouchiquois, ils
sont aussi beaux hommes (souz ce mot je comprens
aussi les femmes) que nous, bien composés et dispos,
comme nous verrons ci-aprcs. Et pour le regard du
Gougou, je laisse à penser à chacun quelle apparence
il y a, encores que quelques Sauvages en parlent et
en ayent de l'appréhension, mais c'est à la façon
qu'entre nous plusieurs esprits foîbles craignent le
Moine bouru. Et d'ailleurs ces peuples, qui vivent en
perpétuelle guerre el ne sont jamais en asseurance
(portans avec eux cette malédiction pour ce qu*ils
sont délaissez de Dieu), ont souvent des songes et
vaines persuasions que l'ennemi est à leur porte, et
ce qui les rend ainsi plains d'appréhensions est parce
qu'ils n'ont point de villes fermées, au moyen de-
quoy ils se trouvent quelquefois, et le plus souvent^
surpris et deffaits,ce qu'estant, ne se faut émerveiller
s'ils ont aucunefois des terreurs panniques et des
imaginations semblables à celles des hypochondria-
ques, leur estant avis qu'ils voyent el oyent des cho-
ses qui ne sont point, comme j'ai mémoire d'avoir
veu certains hommes bien rcsolus, et qui le cas ave-
nant fussent allez courageusement à vnc brèche,
401 neantmoins par vne; j| je jie sçay quelle débilité
esprit, bien bcuvans et hicn mangcans, estoicnt
tourmentez de l'appréhension continuelle qu*ils
avoient qu'vn mauvais dcmon les suivoit incessam-
ment, et les frappoil, et se reposoit dessus eui. Ainsi
en voyons nous qui s'imaginent des loups-garoux.
Ainsi plusieurs grands et petits ont peur des Esprits
(quand iU sont sculcls) au mouvement d\'ne souris.
Ainsi les malades ayans l'imagination troublée, di-
sent quelquefois qu'ils voyent tantôt vne vierge Ma-
rte, tantôt vn diable, et autres fantasics qui leur
viennent au devant, ceci cause par le défaut de nour-
riture, ce qui fait que le cerveau se remplît de va-
peurs melancholiques qui apportent ces imagina-
tions. Et ne sçay si je dey point mettre en ce rang
plusieurs anciens qui par les longs jeûnes {lesquclz
sainct iîasile n'approuve point) avoiciU des visions
qu'ils nous ont donne pour chose certaine, et y en a
des livres pleins. Maïs telle chose peut aussi arriver
à ceux, qui sont sains de corps, comme nous avons
dit. El les causes en sont partie extérieures , partie
intérieures. Les extérieures sont les fâcheries et en-
nuis; les intérieures sont IVsagc des viandes melan-
choliques et corrompues, d'oii s'elcvcnt des vapeurs
malignes et pernicieuses au cerviyu, qui pervertis-
sent les sens, troublent la menaoïre et égarent l'en-
tendement. Item ces causes intérieures proviennent
d'vn sang mctancholic et brulë, contenu dans vn cer-
veau trop chaud, ou dispersé par toutes les veines et
toute l'habitude du corps, ou qui abonde dans les
hippo- Il chondrcs, dans la rate et mesantere, d'où
sont suscitées des fumées et noires exhalaisons, qui
rendent le cerveau obscur, ténébreux, offusqué, et Te
402
4o3
378 HiSTOIHK
noircissent et couvrent ni plus ni moins que les ténè-
bres font la face du ciel, d'oti s'ensuit immédiatement
que ces noires fumées ne peuvent apporter aux hom-
mes qi;i en sont couverts que frayeurs et crainte.
Or, selon la diversité de ces exhaluisoiis provenantes
d'vne diversité et variété de sang, duquel sont pro-
duites ces fumées et suyes, il y a diverses sortes
d'appréhensions et melancholies qui attaquent di-
versement et dépravent sur tout les functions de la
faculté imaginatrice; car comme la varielc du sang
diversifie lentendement, ainsi l'action de lame
changée change les humeurs du corps.
De cette mutation et dépravation d'humeurs, mé-
mement aux temperamens melancholiques, survien-
nent des bizarres et étranges imaginations causées
par ces fumées ou suyes noires engeance de cette hu-
meur melancholique.
Telle est la nature et l'humeur de quelques Sau-
vages de qui toute la vie souillée de meurtres qu'ils
commettent les vns sur les autres, et particulière-
ment sur leurs ennemis, ils ont des appréhensions
grandes et s'imaginent vn Ooiigou (i) qui est le bour-
reau de leurs consciences, ainsi que Caïn après le
massacre de son frère Abel avoit l'ire de Dieu qui le
talonnait, et n'avoir en nulle part asseurance, pen-
sant toujours avoir ce Gourou dL-vant les ïcux, de sorte
qu'il fut le premier qui dompta le cheval ppur
Il prendre la fuite, et qui se renferma de murailles
dans la ville qu'il bâtit. Et encores ainsi qo'Orestes,
lequel on dit avoir esté agité des furiea pour le par-
( i ) Gougou proprement dît, c'est le remortt de conscience.
ricide par lui commis en la personne de sa mère. Et
n'est pas incroyable que le diable pcisscdant ces peu-
ples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais pro-
prement, cl à dire la vcritti, ce qui a fortifié l'opinion
du Goisgou a esté le rapport dudit sïcur Prevert, lequel
conçoit vn jour au sieur de Poatrincourt vne fable de
même aloy, disant qu*il avoit vcu vn Sauvage )Oufir
à la crûce contre vn diable, et qu'il voyoit bien la
croce du diable jouer, maïs quant A Monsieur le dia-
ble, il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt,
qui prenoît plaisir à Tentcndre, faisoit semblant de
le croire pour lui en faire dire d'autres.
Et quant à la mine de cuivre reluisante au Soleil,
il s'en faut beaucoup qu'elle soit comme l'tmeraudc
de Makké, de laquelle nous avons parle au discours
du second voyage fait au Bre.sil. Car on n'y voit que
de la roche, au bas de laquelle se trouvent des mor-
ceaux de franc cuivre, tels que nous avons rapporté
en France ; et parmi ladite roche y a quelquefois du
cuivre, mais il n'est pas si luisant qu'il eblouïsse les
ïeux.
Or, si ledit Champlcin a csiy crédule, vn sçavant
personnage que j'honore beaucoup pour sa grande
littérature est encore en plus grand'fautc, ayant mis
en sa Chronologie septénaire de l'histoire de la paix,
imprimée l'an || mil six cens cinq, tout le discours
dudit Champlcin, sans nommer son aulheur, et ayant
baillé les fables des Arnaouchîquois cl du Goitgoa
pour boime monnoye. le croy que si le conte du
diable jouant ^ la cioce cust aussi esté imprimé, il
l'eust creu, et mis par escrit comme le reste.
404
38o
Histoire
40 5
Pline(i) récite que Hanno, Capitaine Cartliagcoîs,
ayant eu la commission pour découvrir toute l'Af-
frique et le circuit d'icelle, avoit laissé des amples
commentaires de ses voyages; mais ils estoient trop
amples, car ils contenoient plus que la vérité; et
estoienï vrayeraent commentaires , parce qu'ils
estoient accompagnés de raenTerîes. Plusieurs Grecs
et Latins Tayans suivi, et s'asseurant sur iceux, en
ont fait à-croire à beaucoup de gens par après, ce dit
l'autheur. Il faut croire, mais non pas toutes choses.
Et faut considérer premièrement sî cela est vray-
semblable ou non. Du moins quand on a cotté son
autheur on est hors de reproche.
Il y en a qui sont touchez de cette maladie (et
peut estrc moy-raesme en cet endroit qui n'ay eu le
loisir de relire ce que j'cscrîs) que le I^ocle luvenal
appelle insanahUe scnbendi cacodkes, lesquels écrivent'
beaucoup sans rien digérer; de quoy j'accuserois ici
aucunement le sieur de Belle- Forest, n'esloil la révé-
rence que je porte à sa mémoire. Car ayant eu des
avis du Capitaine lacques Quartier, et par aventure
ayant extrait par lambeaux ceux quej'aî rapportés ci-
dessus, il n'a pas quelquefois bien pris les cho- \\ ses,
estant précipité d'écrire, comme quand au premier
desdits voyages il dit que les iles de la Terre-neuve
sont séparées par petits fleuves ; que la rivière des
Barques est par les cinquante degrez de latitude;
quand il appelle LisbraAor le païs de la Baye de Cha-
leur, laquelle il a premièrement mise en la terre de
(i) PlineJ. (, cti. I.
Norumbega, là o(i il dît qu'il fait plus chaud qu'en
Hespagne, et toutefois on sçait que Labrador est par
soixante dcgrez. Item quand en la relation du second
voyage dudit Quartier, il dit par conjecture que les
Canadiens sacrilîenC des hommes, parce qu'iccluî
Quartier allant voir vn Capitaine Sauvage (que
Belle-Forcst appelle Roy), il vit des têtes de ses en-
nemis estendutis sur du bois comme des peaux de
parchemin. Item que les Canadiens (qui ont quantité
de vignes et au païs desquels est assise l'Ile d'Or-
léans^ autrement dite de Bacchus) sont à Tcgal du
païs de Danncmark et Norvège; que le petun du-
quel ils vsent ordinairement tient du poivre et du
gingembre, et n'est point petun; qu'ils mangent
leurs viandes crues. El là-dessus je diray, qu'ores
qu'ils le fissent (ce qui peut arriver quelques fois), ce
n'est chose éloignée de nous : car j'ay veu maintes-
fois nez matelots prendre vne morue sèche, et mor-
dre dedans de bon appetîr. Item quand il met en
vne île le village Stadaconé, oh il dit qu'est la maison
Royale (notez que ce n'estoient que cabanes cou*
vertes d'écorce) du seigneur Canadien; item quand
il met la terre de Bacaloz (c'est à dire de Morues) vis-
à-vis Il de Saincte-Croix, où hiverna lacques Quar-
tier, Qt Labrador au Nort de la grande rivière, lequel
païs auparavant il avoit assis au Su d'icelle ; Item
quand il dit que la rivière de Sagucnay fait des iles
où il y a quantité de vignes; ce que son authcur n'a
point dit ; item que les Sauvages de la rivière de Sa-
guwiïy s'approchèrent familièrement des François, et
leur montrèrent le chemin à Uochdagd; item que les
Canadiens estimoient les François fils du Soleil.
k
406
382
H
ISTOrRE
Item est plaisant qunnd au village de Hocheitga il
figure cinquante Palais, outre la maison Royale,
avec trois étages ; item que les Chrétiens appellerent
la ville de Hûchdaga Mont-Royal; îtem que le village
Hochdiiy est ù la pointe eî embouchure de la rivière
de Sagiienay^ et par les degrez de cinquante cinq à
soixante; item quand il dît que les Sauvages adorent
vn Dieu qu'ils appellent Cudouagni ; car de vérité ils
ne font aucune adoration; item quand il représente
que dix hommes apportèrent par honneur le Roy de
Hochditgj dans vne peau devant le Capitaine Fran-
çois, sans dire qu'il estoit paralytique; item qu'il se
faisûit entendre par truchement, et Jacques Quartier
dit k contraire, c'est à dire qu'il faute de truchement
il ne pouvoir entendre ceux de Hochâaga; item que le
Roy de Hocbelaga pria ledit Capitaine de lui bailler
secours contre ses ennemis, etc.
Or, quand je considère ces précipitations estre ar-
rivées en vn personnage tel que ledit Sieur de Belle-
Forcst, homme de grand jugement, je ne m*étonne
407 pas s'il y en a quelquefois es an- || cïcns autheurs, et
s'il s'y trouve des choses desquelles on n'a encore eu
nulle expérience. Il me semble qu'on se doit conten-
ter de faillir après les autheurs originaires, lesquels
on est contraint de suivre, sans cxtravaguer à des
choses qui ne sont point, et de sortir hors les limites
de ce qu'iceux autheurs ont écrit, principalement
quand cela est sans dessein et ne revient à aucune
vtilitc.
Quelqu'vn pourroît accuser le Capitaine Quarlier
d'avoir fait ces contes h plaisir, quand il dit que tous
les navires de France pourroient se charger d'oy-
DE T.* NOVTEI-I.B-
RANCE.
rîle
a
383
et de
rr
y
sëâûx en 1 ne qu il a nommée des Oysea
vérité je croy que cela est vn peu hyperbolique;
mais il est certain qu'en cette Ile il y en a tant que
c'est chose incroyable. Nous en avons vcu de sem-
blables cil nôtre voyage, oti il ne fallait qu'assom-
mer, recueillir et charger nôtre vaisseau. Item quand
a raconic avoir poursuivi vne bête à deux piez, et
u'és pais du Saguenay il y a des hommes accoutrez
'de draps de laine comme nous, d'autres qui ne man-
gent point et n*ont point de fondement, d'autres qui
n*ont qu'vne jambe; item qu'il y a par delà vn païs
e Pigmées et vne mer douce. Quant à la béte à
,eux piez, je ne sçay que j'en doy croire, car il y a
'des merveilles plus étranges en la Nature que cela :
puis ces terres lA ne sont point si bien découvertes
u'on puisse sçavoir tout ce qui y est. Mais pour le
este il a son autheur qui lui en a fait le récit,
homme vieillart, lequel avoit couru de grandes con-
rées toute sa vie. Kt cet autheur il l'amena par force
au Roy pour lui faire récit de ces choses par sa
propre bouche, afin qu'on y adjoutât telle foy qu'on
voudroit. Quant à la mer douce, c'est le grand lac
qui est au bout de la grande rivière de Canada^ duquel
nul des Sauvages de deçà n'a veu l'extrcmité Occi-
dentale, et avons vcu par le rapport fait audit Cham.-
pleiii qu'il a trente journées de long, qui font trois
cens lieues è dix lieues par jour. Cela peut bien estre
ppellé mer par ces peuples, prenant la mer pour
ne grande étendue d'eau. Pour le regard des Pig-
ées, je sçay que par le rapport que plusieurs m'ont
fait, que les Sauvages de ladite grande rivière disent
qu'es montagnes des Iroquois il y a des petits hom-
408
409
384 Histoire
mes fort vaillans, lesquels Us Sauvages plus Orien-
taux redoutent et ne leur osent faire la guerre.
Quant aux hommes armez jusqucs au bout des
doigts, les mêmes m'ont récite avoir veu des armures
semblables à celles que décrit ledit Quartier, les-
quelles résistent aux coups de flèches. Tout ce que
je doute en l'histoire des voyages d'icelui Quartier,
est quand il parle de la Baye de Chaleur, et dit qu'il
y fait plus chand qu'en Espagne. A quoy je répons
que comme vne seule hirondclc ne fait pas le Prin-
temps, aussi que pour avoir fait chaud vne fois en
cette Baye, ce n'est pas coustume. Je doute aussi de
ce que dit le même lacques Quartier qu'il y a des as-
semblées, et comme des Collèges où les filles sont
prostituées, jusques à ce qu'elles soient mariées, et
que les femmes veuves ne se remarient point ; ce que
nous avons référé à dire en son lieu. || Mais pour re-
tourner audit Champlein, je voudrois qu'avec le
Coagou il n'eusl point mis par écrit que les Sauvages
de la Nouvelle-France, pressez quelquefois de faim,
se mangent l'vn l'autre ; ni tant de discours de notre
saincte Foy, lesquels ne se peuvent exprimer eu
langue de Sauvages, ni par truchement, ni autre-
ment. Car ils n'ont point de mots qui puissent repré-
senter les mystères de notre Religion, et seroit im-
possible de traduire seulement l'Oraison Dominicale
en leur langue, sinon par périphrases. Car entre eux
ils ne sçavent que c'est de sanctitication, de règne ce-
leste, de pain supersubstantiel (que nous disons
quotidien) ni d'induire en tentation. Les mots de
gloire^ vertu, raison, béatitude, Trinité, Sainct Es-
prit, Anges, Archanges, Résurrection, Paradis, En-
k
fer, Eglise, Baptême, Foy, Espérance, Charité, et
autres infinis ne sont point en vsagc chés eux. De
sorte qu'il n'y sera pas besoin de grands Docteurs
pour le commencement. Gir par nécessité il faudra
qu'ils apprennent la langue des peuples qui les vou-
dront réduire à la Foy Chrétienne, et à prier en no-
tre langue vulgaire, sans leur penser imposer le dur
fardeau des langues inconcucs. Ce qu'estant de cou-
tume et de droit positif, cl non JVucune luy divine,
ce sera de la prudence des Pasteurs de les enseigner
vtileraent et non par fantasias , et chercher le che-
min plus court pour parvenir à leur conversion.
Dieu vueiUe en donner les moyens à ceux qui en ont
la volonté.
Entreprise du Sitar de Roberval pour l'habitation de la terre 410
de Canada, avtx dapens da Roy. Commission du Capitaine
lac^uis Qaanur. Fin de ladite entreprise.
Chap. XXX.
PRES la découverte de la grand* rivière
de Canada faite par le Capitaine Quartier
en la manière que nous avons récite ci-
dessus, le Roy, en l'an mil cinq cens qua-
rante, fit son Lieutenant général es terres neuves de
Canada, HocheUga et Sagacnay, tt autres circonvoi-
sines, messire Ican François de la Roque, dit le Sieur
de Roberval, Gcnlil-homme du païs de Vimeu en
2i
J
386
HlSTOlRli
411
Picardie, auquel ÎI fit délivrer sa Commission le
quinzit^me de lanvier audit an, A l'etîect d'aller ha-
biter lesdites terreSj y bâtir des Forts, et conduire
des familles. Et pour ce faire sa Majesté fit délivrer
quarante-cinq mille livres par les mains de maistre
lean du Val, Thresorier de son Epargne. lacques
Quartier fut nomme par sadite Majesté Capitaine
gênerai et maistre Pilote sur Tous les vaisseaux de
racr qui seroient employés à cette entreprise, qui
furent cinq en nombre du pois de quatre cens ton-
neaux de charge, ainsi que ic trouve par le compte
rendu desdits deniers par ledit Quartier, qui m'a esté
communiqué par le sieur || Samuel Georges, Bour-
geois de la Rochelle.
Or, n'ayant peu iusques ici recouvrer ladite Com-
mission de Roberval, je me contenteray de donner
aux lecteurs celle qui peu après fut donnée audit
Quartier, dont voici la teneur.
RANçois, par la grâce de Dieu Roy de
France, A tous ceux qui ces présentes
lettres verront, Sa!ur. Comme pour le
dcsir d'entendre et avoir conoissancc de
plusieurs païs qu'on dit inhabités, et autres cstrc
possédez par pens Sauvages vivans sans conotssance
de Dieu et sans vsage (i) ^c raison, eussions dés
pieça à grands frais et mises envoyé déjouvrir esditz
pals par plusieurs bons pilotes et autres noz sujets
de bon entendement, sçavoir et expérience, qui
d'iceux pais nous avoicnt amené divers hommes que
nous avons par long temps tenus en nôtre Royaume,
les faisans instruire en l'amour et crainte de Dieu et
de sa Saincie Loy et doctrine Chrétienne, en inten-
tion de les faire remcncr csdits païs en compagnie
de bon nombre de noz sujets de bonne volonté, afin
de plus facilement [] induire les autres peuples d'i-
ccux pais à croire en nôtre sainctc Foy- et entre
autres y eussions envoyé nôtre cher et bien amé
Tacqucs Quailier, lequel auroit découvert grand païs
des terres de Canada et Hochdaga, faisant vn bout de
l'Asie du côté de l'Occident, lesquels païs il a trouvé
412
(i) Mot abusif.
38S
HiSTOISE
(ainsi qu'il nous a rapporté) garnis de plusieurs
bonnes commodîlez, tt les peuples d'iceux bien four-
nis de corps et de membres, et bien disposez d'esprit
et entendement, desquels il nous a semblablement
amené aucun nombre, que nous avons par long
temps fait voir et instruire en nôtredite saincte Foy
avec nosdits sujets, En considération de quoy et de
leur bounc inclination nous avons avisé cl delibcré
de renvoyer ledit Quartier esdits pais de Canada et
HocheiiSgj, et jusques en la terre de Sagueaay (s'il peut
y aborder), avec bon nombre de navires et de toutes
qualitiîs, arts et industrie, pour plus avant entrer es-
dits païs, converser avec lesdiis peuples d'iceux, et
avec eus habiter (si besoin est), aftn de mieux parve-
nir à notre dite intention, et à faire chose agréable à
Dieu nôtre Créateur et Rédempteur, et que soit à
l'augmentation de son sainct et sacré Nom, et de
nôtre mère saincte Eglise Catholique, de laquelle
nous sommes dit et nommé le premier fils : Parquoy
soit besoin pour meilleur ordre et expédition de la-
dite entreprise députer et établir vn Capitaine gênerai
et maistre Pilote desdits navires, qui air regard À la
conduite d'iceux, et sur les gens, officiers et soldats
y ordonnés et établis: || Sçavoir faisons que nous
il plein confians de la personne dudlt lacques Quar-
tier, et de SCS sens, sullisancc, lojauté, preud'homie,
hardiesse, grande diligence et bonne expérience, ice-
lui, pour les causes et autres à ce nous raouvans,
Avons fait, constitue et ordonne, faisons, consti-
tuons, ordonnons et établissons par ces présentes,
Capitaine gênerai et maistre Pilote de tous les na-
vires et autres vaisseaux de mer par nous ordonné
DE LA NowELLB' France.
389
-tadi
menez pour ladite entreprise et expédition, pour
, ledit état et charge de Capitaine gênerai et maistre
Pilote d'iceux navires et vaisseaux avoir, tenir et
exercer par ledit Jacques Quartier aux honneurs,
prérogatives, prééminences, franchises, libertcz, ga-
ges et bien-faicts, tels que par nous lui seront pour ce
ordonnez, tant qu'il nous plaira. Et lui avons donné
et donnons puissance et authorité de mettre, establir
et instituer ausdîtz navires tels Lieutenans, patrons,
pilotes et autres oaînislrcs nécessaires pour lu fait et
conduite d'iceux, et en tel nombre qu'il verra et co-
noitra csire besoin et nécessaire pour le bien de la-
dite expédition. Si donnons en mandement par ces-
dites présentes à nôtre Admirai ou Vic'-Admiral, que
prinset rcceududit lacques Quartier le serment pour
ce deub et accoutumé, icelui mettent et instituent,
ou faccnt mettre et instituer de par nous en posses-
sion et saisine dudit Etat de Capitaine gênerai et
maistre Pilote, et d'îcelui ensemble des honneurs,
prérogatives et prééminences, franchises, libertez,
gages et bien-faicts telz que par |i nous lui seront
pour ce ordonnez, le facent, souffrent et laissent jouïr
etvser pleinement et piusibicment, et à lui obéir et
entendre de tous ceux, et ainsi qu'il appartiendra es
choses touchant et concernant ledit Etat et charge.
Et outre lui face, souffre et permette prendre le petit
Gallion appelle l'Emerillon, que de présent il a de
nous, lequel est ja vieil et caduc, pour servir à l'a-
doub de ceux des navires qui en auront besoin, et
lequel nous voulons estre prins et appliqué par ledit
Quartier pour l'efTect dessusdiî, sans qu'il soit tenu
en rendre aucun autre compte ne reliquat et duquel
414
4i5
390 Histoire
compte et reliqua nous l'avons diîchargé et déchar-
geons par icelles présentes, par lesquelles nous man-
dons aussi à noz Frevostzde Paris, Bailli fs de Rouen,
de Caen,d'Orlcans, de Bloîs et de Tours, Scnechaux
du Maine, d'Anjou et Guicnnc, et à tous nos autres
Baillis, Sénéchaux, Prevosts, Alloués et autres noz
lusticicrs et Officiers, tant de nôtre Royaume que
de nôtre païs de Bretagne vni k celui, par devers les-
quels sont aucuns prisonniers, accusés uu prcvcnuz
d'aucuns crimes quels qu'ils soient, fors de crimes
de lèse Majesté divine et humaine envers nous, et de
fauxmonnoyeurs, qu'ils aycnt incontinent à délivrer,
rendre et bailler es mains dudit Quartier, ou ses com-
mis et dcputcjï portans ces présentes, ou le duplicata
d'icclles, pour nôtre service en ladite entreprise et
expédition, ceux desdits prisonniers qu'il conoitra
estre propres, suffisans et capables pour || servir en
icelle expédition, jusqu'au nombre de cinquante per-
sonnes, et selon le choix que ledit Quartier en fera,
iceux premièrement jugés et condamnez selon leurs
démérites et la giavitc de leurs metfaîts, si jugés et
condamnés ne sont ; et satisfaction aussi préalable-
ment ordonnée aux parties civiles et intéressées, si
faire n'avoit esté, pour laquelle toutefois nous ne
voulons la délivrance de leurs personnes csditcs
mains dudit Quartier (^s'il les trouve de ser^'ice) estre
retardée ne retenue; mais se pixndra ladite satisfac-
tion sur leurs biens seulement. Et laquelle délivrance
dcsditz prisonniers, accusés ou prevenuz, nous vou-
lons estre faite esdites mains dudJt Quartier pour
l'cflcct dessus dit par nosditz lusticiers et Officiers
respectivement, et par chacun d'eux en leur regard 1
DE LA NotTELLE-FrAHCE.
39,
pouvoir et jurisdiction , nonobstant oppositions ou
appellations qtic1cO[K)ucs faites ou â faire, relevées
ou à relever, et sans que par le moyen d'icelles icellc
délivrance en la manière dessus dite soit aucunement
différée. Et afin que plus grand nombre n'en soit
tiré outre lesditz cinquante, Nous voulons que la dé-
livrance que chacun de nosditz Officiers en fera audit
Quartier soit écrite cl ccrtîficc en la marge de ces
présentes, et que ncantmoins registre en soit par eux
fait et envoyé incontinent par devers nôtre amé et féal
Chancellier pourconoistrc le nombre et la qualité de
ceux qui auront esté baillés et délivrés. Car tel est
nôtre plaisir. En témoin de ce, nous avons feii met-
tre nôtre scel à ccsdites présentes. Donné à Sainct-
Pris, le dix-septicme jour || d'Octobre, l'an de grâce
mil cinq cens quarante, et de nôtre règne le vingt-
sixième. Ainsi signé sur le repli : Par le Roy, vous
Monseigneur le Chancellier et autres prescns. De la
Chesnaye. Et scellées sur le repli à simple queue de
cire jaune.
Les affaires expédiées ainsi que dessus, lesditz De
Roberval et Quartier firent voiles aux Terres-neuves
susdites, et se fortifièrent au Cap Breton, où il reste
encores des vestiges de leur édifice. Mais s'appuyans
trop sur le bénéfice du Koy, sans chercher le moyen
de vivre du païs même, et le Roy occupé à de gran-
des affaires qui pressoient la France pour lors, il n'y
eut moyen d'envoyer nouveau rafraîchissement de
vivres à ceux qui dévoient avoir rendu le pais capa-
ble de les nourrir, ayans eu vû si bel avancement de
sa Majesté, et par aventure que ledit De Roberval fut
mandé pour servir le Roy par deçà, car je trouve par
416
393
Histoire
417
le compte dudit Quartier qu'il employa huit mois à
l'aller quérir après y avoir demeuré dix-sept mois.
Et ose bien penser que Thabiiation du Cap Breton
ne fut moins funeste qu'avoit esté six ans auparavant
celle de Sainctc-Croix en la grande rivière de Ca-
nada, où avoit hiverné ledit Quartier; car ce païs
estant assis sur la première rive des terres, et sur le
Golfe de Cûnjda, qui est glace tous les ans jusques
sur la En de May, il n'y a point de doute qu'il ne
soit merveilleusement âpre et rude, et sous vn ciel
tout plein d'inclémence. De manière que cette entre-
prise ne réussit point, faute de s'estrc logé en vn clî-
[I raat tempéré. Ce qui se pouvoit aisément faire,
estant la province de telle étendue qu'il y avoit â
choisir vers le Midi autant que vers le Nort.
1 le dessein d'habiter la terre de Canada
n*a cî-dcvani rclissî, il n'en faut ja blâmer
la tcrrc^ mais accuser nôtre incon.stance et
lâcheté. Car voici qu'après la mort du Roy
François premier on cnlreprcnt des voyages au Bré-
sil et à la Floride, lesquels n'ont pas eu meilleur
succès, quoy que Icsdites provinces soient sans hiver
et jouissent d'vne verdure perpétuelle. 11 est vray
que Pennemi public des hommes a torcu les nôtres à
quitter le païs par del.l, mais cela ne nous excuse
point, et ne peut nous garentir de faute. Tandis
qu'on a eu espérance en ces entreprises plus méri-
dionales et outre l'^E^jQateur, on a oublié les décou-
vertes de lacques Cartier : de sorte que plusieurs
années se sont écoulées ausquelles noi! François ont
estes endormis, et n'ont rien faict de mémorable par
mer. Non qu'il ne se trouve des hommes aventureux
qui pourroient l'aire quelque chose de j] bon, mais ils
ne sont ni soulagez, ni soutenuz de ceux sans les-
quelz toute entreprise est vainc. Ainsi , en l'an mil
cinq cens quatre vingtz huit , le Sieur de la launaye
Chaton et lacques Noël, neveux et héritiers dudit
4l8
4»9
394 HlSTOlBE
Quartier, s'estant efforcez de continuer à leurs dé-
pens les errcmens de leurdit oncle, souffrirent des
perttrs notables par le brulement qui leur lut fait de
trois ou quatre pataches par les hommes de deçà. De
sorte qu'ils furent contraints d^avoîr recours au Roy,
auquel ils présentèrent requête aux fins d'obtenir
Commission pareille à celle dudit Quartier, leur
oncle, rapportiîe ci-dessus, en considération de ses
services, et qu'au voyafîc de l'an 1540, it avoit em-
ployé la somme de r638. livres pardessus l'argent
qu'il avait reccu, dont il n'avoît este remboursé. Rc-
querans en outre^ pourayder à former \'ne habitation
framboise, vn privilège pour 12. ans de tfaffîquer
seuls avec les peuples sauvages desdites terres, et
principalement au regard des pelleteries qu'ils amas-
sent tous les ans; et defences estre faîtes à tous les
suiets du Roy de s'întermetre dudit trafiîc, ni les
troubler en la jouïssance dudit privilège et de quel-
ques mines qu'ils avoient découvertes pendant ledit
temps. Ce qui leur fut accorde par lettres patentes
et Commission qu'ils en eurent du quatorzième de
Unvier i588. Mais après s'esire bien donnez de la
peine ù obtenir cela, ils en eurent peu, ou plustôt
rien de contentement. Car incontinent voici l'envie
des marchans de Saînct-Malo qui prend les armes
pour ruiner tout ce qu'ils avoient fait, cl cmpescher
l'avan-ll cément et du Christianisme et du nom Fran-
çois en CCS tcrrcs-là : comme ils ont sceu fort bien
pratiquer depuis en mcme sujet à l'endroit du sieur
de Monts. Si-tôt donc qu'ils eurent la nouvelle de
ladite Commission portant le privilège susdit, incon-
tinent ils présentèrent leur requête au Conseil privé
du Roy pour la faire révoquer. Sur quoy ils curent
Airest en leur dcsir du 5. Je May ensuivant.
On dii qu'il ne faut point emptichcr la liberté na-
turcUcmcnl acquise iv toute personne de trafTiqucr
avec les peuples de delà. Maïs je demanderay volon-
tiers qui est plus à préférer ou la Religion Chrétienne
et TampHllcation du nom François, ou le prolit par-
ticulier d'vn marchant qui ne tait rien pour le ser-
vice de Dieu ni du Roy ? Et ce-pendant cette belle
dame Liberté a seule empêché jusqucs ici que ces
pauvres peuples crrans aient esté faicts Chrétiens, et
que les François n'ayent parmi eux planté des colo-
nies, qui eussent rcccu plusieurs des nôtres, lesquels
depuis ont enseigné nos arts et métiers aux Alle-
mans, Flamens, Angloïs et autres nations. Et celte
mérae Liberté a fait que par l'envie des marchans
les Castors se vendent aujourd'hui huit livres et de-
mie, lesquels au temps de ladite Commission ne se
vendoient qu'environ cinquante sols. Certes la con-
sidération de la Foy et de la Religion Chrétienne
mérite bien que Ton octroyé quelque chose à ceux
qui cmployent leurs vies et fortunes pour l'accrois-
sement d'icelle, et en vn mot, pour le public.
396
Histoire
420 II Voyage du Marcfais de la Roche aux Terres-neuves. Ile de
Sahle. Son retour en France d*vne incroyable façon. Ses
gens cin^ ans en ladite ile. Leur retour. Commission dadit
Marquis.
Chap. XXXII.
1 'avtant que jusques ici nous n'avons parlé
que d'entreprises vaines, lesquelles n'ont
esté secondccs comme il falloit, j'en acljou-
iteray encor ici vne pour le parachèvement
de ce livre, qui est du Sieur Marquis de la Roche,
GcnIJI-homme Breton rempli de bonne volonté, mais
auquel on n'a tenu les prom<^sses q^u^on lui avoït
faites pour l'exécution de son dessein.
En l'an iSgS, le Uoy avant audit sieur Marquis
conârmé le don de Lîeutenance générale es terres
dont nous parlons, à luy fait par le Roy Henry III,
et octroyé sa Commission, il s'embarqua avec envi-
ron soixante hommes, et n'ayant encore reconeu le
païs, il iit descente à l'île de Sable, qui est à 2 5. ou
3o, licucs de Campscau, ile étroite, mais longue d*en-
viron vingt lieues, gisante par les 44. et 43. degrez,
assez stérile, mais où il y a quantité de vaches et
pourceaux, ainsi que nous avons touclié ailleurs (t).
Ayant là déchargé ses gens et bagage , il fut question
[i) Ci-dessus iiv. i, ciii^p. 5.
de chercher quelque bon port en la terre ferme, et à
cette rin il s'y en al- || la dans vne petite barque;
mais au retour il fut surpris d*vn vent si fort et vio-
lent, que contraint d'aller au gré d'iceluî, il se trou\-a
en dix ou douze jours en France. Et pour montrer la
petitesse de sa barque, et qu'il talloit céder à la fu-
reur du vent, j'ai plusieurs fois ouï dire au Sieur de
Poutrincourt que du bord d'iccllc il lavoit ses mains
dans la mer. Estant en France, le voilà prisonnier
du Duc de Mercœur ! et celui ù qui les dieux les plus
inhumains, j^^ole et Neptune, avoicnt pardonné, ne
trouve point d'humanité en terre. Cependant ses
gens demeurent cinq ans dégrades en ladite ile, se
mutinent, et coupent la gorge Tvn à Tautrc, tant que
le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant les-
ditz cinq ans ils ont là vécu de pêcherie et des chairs
des animaux que nous avons dit, dont ils en avoient
apprivoisez quelques-vns qui leur founiissuicnt du
laictagc et autres petites commoditcz. Ledit Marquis
estant délivré, fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui
estoit sun-cnu. Le Roy commanda à Chefd'hostcl ,
Pilote, d*aller recueillir ces pauvres hommes quand
il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, et en trouva
douze de reste, ausquels il ne dit point le comman-
dement qu'il avoit du Roy, afin d'attrjpper bon
nombre de cuirs et de peaux de Loups-marins, dont
ils avoicnt fait réserve durant lesditcs cinq années.
Somme, revenus en France, ils se présentent à sa
Majesté vêtus desdites peaux, de Loups-marins. Le
Roy leur fait bailler quelque argent, et se retirent.
Mais il y eut procès entre eux et ledit Pilote, pour
Il les cuirs et pelleteries qu'il avoit extorqué d'eux; ^23
Histoire
dont par après ils composèrent amiablemcnt. F!t d'au-
tant que ledit Sieur Marquis faute de moycris ne
continua ses voyages, et peu après deceda, je veux ici
adjoustcr seulement l'extrait de sadïte Commission
ainsi que s'ensuit.
Edit da Roy conlcnant le pouvoir et Commission donnée par sa
Majesté au Martjm dt Cottenmeal et de ia Roche, pour la
conqaèti des terres de Canada^ Labrador, lie de SabU, A'o*
rembergae, et pays adjacens.
423
I ENBY, par la grâce de Dieu Roy de France
ict de Navarre, A tous ceux qui ces pré-
sentes lettres verront, Salut. Le feu Roy
François premier, sur les avis qui lui au-
roient esté donnez que aux iles et païs de Canada,
lie de Sable, Terres-neuves, et autres adjacentes,
païs très fertiles et abondans en toutes sortes decom-
moditez, il y avoit plusieurs sortes de peuples bien
formez de corps et de membres, et bien disposez d'es-
prit et d'entendement, qui vivent sans aucune co-
noiss.ince de Dieu, anroit (pour en avoir plus ample
conoissance) iceux païs fait découvrir par aucuns
bons pilotes et gens à ce conoissans. Ce qu'ayant re-
coneu véritable, il auroit (poussé d'vn zele et arTcction
de l'exaltation du nom Chrétien) dés le quinzième
lanvier mil cinq cens quarante, donné potivoirà lean
François de la Roque, sieur de Robcrval, pour la
con- tl quête desdits païs. Ce que n'ayant esté exécuté
DE LA NoVVELLE-FraSCE.
399
-lors, pour les grandes afTaîres qui seroient surve-
nues à cette Gsuronne, Nous avons résolu, pour per-
fection d'vn si bel œuvre et de si saincte et loUabJe
entreprise, au lieu dudït feu sieur de Roberval, de
donner la charge de cette conquête à quelque vaillant
et expérimenté personage, dont la fidélité et affection
à nôtre service nous soit conçue , avec les mûmes
pouvoirs, authoritez, prérogatives et prééminences
qui csioient accordées audit feu sieur de Robcrval
par lesdites lettres patentes dudit feu Roy Francis
premier.
ft
SÇAVOIR FAISONS, que pour la bonne et
ntiere confiance que nous avons de la personne de
nôtre amc et féal Troïllus du MesgoQets^ Chevalier
de nôtre Ordre, Conseiller en nôtre Conseil d'Ktat,
et Capitaine de cinquante hommes d'armes de nos
ordonnances, Le sieur de la Roche, Marquis de Cot-
tcnraeal , Baron de Las, Vicomte de Carentcn et
Sainct-Lo en Normandie, Vicomte de Trevallot,
sieur de la Roche, Gommard et Quermoalec, de
Cornac, Bontcguigno et Liscuît, et de ses loliables
vertus, qualitez et mérites; aussi de l'entière affec-
tion qu'il a au bien de nôtre service et avancement
de nos afiaires. Iceluy pour ces causes et autres à ce
nous mouvans, Nous avons, conformément à la vo-
lonté du feu Roy dernier dccedc nôtre tres-honoré
Sieur et frère, qui jà avoit fait élection de sa pcrsonc
pour l'exécution de ladite entreprise, iceluy fait, fai-
sons, créons, || ordonnons, establissons parcespre- 434
sentes signées de nôtre main, nôtre Lieutenant gê-
nerai csdits paiis de Canada, Hocheiaga, Terres<neuvcs,
435
Histoire
Labrador, rivière de la grand Baye, de Norember-
guc (i) er terres adjacentes desdites Provinces et ri-
vières, lesquelles cstans de grande longueur et csten-
duii de païs. sans Scelles estre habitées par subjcis de
nul Prince Chrétien, et pour cette saincte œuvre et
agrandissement de la foy Catholique, cstablîssons
pour conducteur, chef, Gouverneur et Capitaine de
ladite entreprise : Ensemble de tous les navires, vais-
seaux de mer, et pareillement de toutes pcrsones,
tant gens de guerre, mer, que autres par nous or-
donnez cr qui seront par lui choisis pour ladite en-
treprise et exécution, avec pouvoir et mandement
spécial d'élire, choisir les Capitaines, Maitres de na-
vires et Pilotes; commander, ordonner et disposer
souz nôtre authoritê; prendre, emmener et faire par-
tir des Ports et Havres de nôtre Royaume les nefs,
vaisseaux mis en appareil, equippez et munis de
gens, vivres et artilleries et autres choses nécessaires
pour ladite entreprise, avec pouvoir en vertu de noz
Commissions de faire la levée de gens de guerre qui
seront nécessaires pour ladite entreprise, et iceux
faire conduire par ses Capitaines au Heu de son em-
barquement, et aller, venir, passer et repasser esdits
ports étrangers, descendre et entrer en iceux et mettre
en nôtre main tant par voyes d'amitié ou amiable
composition si faire se peut, que par force d'armes,
Il main forte, et toutes autres voyes d'hostilité, as.
saillir villes, châteaux, forts et habitations, Iceux
mettre en nôtre obéissance , en constituer et édifier
d'autres, faire loix , statuts et ordonnances polîtic-
(i) C'est la rivière de Canada.
ques, iceux faire garder, observer et entretenir, faire
punir les delinquans, leur pardonner ei remettre
selon qu'il verra bon cstre, pourveu toutefois que ce
ne soient païs occupez ou e.stans souz la sujection et
obtïssancc d'aucuns Princes et poicniats nos amis,
alliez et confcdercz. Et ù tin d'augmenter etaccroistre
le bon vouloir, courage et aflection de ceux qui ser-
viront à l'exécution et expédition de ladite entrc-
prisC) et mêmes de ceux qui demeureront csdites ter-
res, nous lui avons donné pouvoir d'Icelles terres
qu'il nous pourroit avoir acquises audit voyage,
fairebailpourcnjouïr parceuxA qui elles seront affec-
tées et leurs successeurs en tous droits de propieté. A
scavoir» aux Gcnlils-hommcs et ceux qu'il jugera
gens de mérite, eu Kiefs , Seigneuries, Chastelenies ,
Corniez, Vicomtoz, Baronnics et autres dignitez re-
levans de nous, telles qu'il Jugera convenir à leurs
services : à la charge qu'ils serviront à la tuition et
defence desdits païs. Et aux autres de moindre con-
dition, à telles charges et redevances annuelles qu'il
avisera, dont nous consentons qu'ils en demeurent
quittes pour les six premières anniies ou tel autre
temps que nôtredit Lieutenant avisera bon estre et
conoitra leur estre nécessaire; excepté toutefois du
devoir et service I| pour la guerre. Aussi qu'au retour 426
de nôtredit Lieutenant il puisse départir à ceux qui
auront faille voyage avec lui les gaignages et profits
mobiliaires provenus de ladite entreprise , et avan-
tager du tiers ceux qui auront fait ledit voyage; re-
tenir vn autre tiers pour lui pour ses fraiz et dtîpens,
et Pautre tiers pour estre employé aux œuvres com-
26
402
Histoire
427
munes, ortifications du païs et fraiz de guerre. Et â
fin que nôtrcdit Lieutenant soit mieux assiste et ac-
compagné en ladite entreprise^ nous lui avons donné
pouvoir de se faire assister en ladite armce de tous
Gentils-hommes j Marchans, et autres noz sujets qui
voudront aller ou envoyer audit voyage , payer gens
et équipages et munir nefs ù leurs despens. Ce que
nous leur défendons trcs-cxprcssément faire ni traf-
fiquersans le sceu et consentement de nôtrcdit Lieu-
tenant, sur peine à ceux qui seront trouvez de perdi-
tion de tous leurs vaisseaux et marchandises. Prions
aussi et requérons tous Potentats, Princes nos alliez
et confedereZj leurs Lieutenans et sujets, en cas que
nôtrcdit Lieutenant ait quelque besoin ou nécessité,
lui donner aide, secours et confort, favoriser son en-
treprise. Enjoignons et commandons â tous noz su-
jets, en cas de rencontre par mer ou parterre, de lui
esire en ce sccourables et se joindre avec lui, révo-
quant dés à présent tous pouvoirs qui pourroient
avoir p.sté donnez, tant par noz prédécesseurs Roys
que nous, à quelques persones et pour quelque cause
et occasion que ce soit, au préjudice dudit Marquis
nôtrcdit Lieu- [j tenant geneml. Et d'autant que pour
l'ertet dudit voyage il sera besoin passer plusieurs
contracts et lettres, nous les avons des à présent va-
lidez cï approuvons, ensemble les seings et seaux de
nôlredit Lieutenant et d'autres par lui comcnts pour
ce regard. Et d'autant qu'il pourroît survenir à nôtre-
dit Lieutenant quelque inconvénient de maladie, ou
arriver faute d'icclui, aussi qu'à son retour il sera
besoin laisser vn ou plusieurs Lieutenans : Voulons
et entendons qu'il en puisse nommer et constituer
par testament et autrement comme bon lui semUera,
avec pareil pouvoir ou partie dicelui que lui avons
donné. Etafin que nôtrcdit Lie utenantpuibsc plust'aci-
Icmeni mettre ensemble le nombre de gens qui lui est
nécessaire pour ledit voyage et entreprise, tant de
Tvn que de l'autre sexe, Nous lui avuns donné pou-
voir de prendre, élire et choisir, et lever telles pcr-
sones en nôtredit Royaume, paTs, terres et Seigneu-
ries qu'il conoitra estre propres , vtiles et nécessaires
pour ladite entreprise , qui conviendront avec lui
aller^ lesquels il fera conduire et acheminer des lieux
où ils seront par lui levez jusqucs au lieu de l'em-
barquement. Et pource que nous ne pouvons avoir
particulière conoissance desdits païsetgens étrangers
pour plus avant spécifier le pouvoir qu'entendons
donner à nôtredit Lieutenant gênerai, voulons et nous
plait qu'il ait le même pouvoir, puissance et autho-
rité qu'il estoit accordé par ledit feu Roy François
audit sieur de Robcn'al, encorcs || qui! n'y soit ni
particulièrement spécifié; et qu'il puisse en cette
charge, faire , disposer et ordonner de toutes choses
opinées et inopinées concernant ladite entreprise,
comme il jugera û propos pour nôtre service et les
affaires et nécessitez le requérir, et tout ainsi et
comme nous-mêmes ferions et faire pourrions si
presens en pei"sonne y estions, jacoit que le cas re-
quiert mandement plus spécial; validans des à presens
comme pour lors tout ce que par nôtredit Lieutenant
sera fait, dit, constitué, ordonné et établi, contracté,
chcvi et composé, tant par armes, amitié, confede-
428
i
404
Histoire
ration et autrement en quelque sorte et manière que
ce soit ou puisse estre pour raison de ladite entre-
prise, tant par mer que par terre; et avons le tout
approuve, agréé et ratifie, agréons, approuvons et
ratifions par ces présentes et l'avouons et tenons , et
voulons estre tenu bon et valable , comme s'il avoit
esté par nous fait.
SI DONNONS en mandement à nôtre amc et
fcûl le Sieur Comte de Chiverny, ClianceUicr de
France, et à nos amez et féaux Conseillers, les gens
tenans noz Cours de Parlement, grand Conseil, Bail-
lifs, Seneschaux, Prévois, luges et leurs Lîeutenans
et tous autres nos ÏListiciers, et Officiers chacun en
droit soy, comme il appartiendra, que nôtredit Lieu-
tenant, duquel nous avons ce jourd'hui prins et
recen le serment en tel cas accoutumé, ils facent et
laissent, souffrent jouir et vser pleinement et paisi-
blement , à icelui obéir et entendre , et à tous ceux
429 qu'il appartiendra es choses |[ touchons et concernans
nôtreditc Lieulenancc.
MANDONS en outre à tous noz Lîeutenans gé-
néraux, Gouverneurs de noz Provinces , Admîraux ,
Vic'Admiraux, Maître des ports, havres er passa-
ges, lui bailler chacun en l'étendue de son pouvoir,
aide, confort, passage, secours et assistance, et à ses
gens avouez de lui, dont il aura besoin. Et d'autant
que de ces prcsentcs l'on pourra avoir affaire en plu -
sieurs et divers lieux, Nous voulons qu'au V'uiimitsd'i-
celles dcuëmenl coUutionné par vn de nos amez et
DE LA NoVVELLE-FrANCE.
40 5
féaux Conseillers, Notaires ou Secrétaires, ou fait
par-devant Notaires Royaux, foy soit adjoutée comme
au présent original. Car tel est nôtre plaisir. En té-
moin de quoy nous avons fait mettre nôtre seel esdites
présentes. Donné à Paris le douzième jour de lan-
vier l'an de grâce mil cinq cens quatre-vingts-dix-
huit, et de nôtre règne le neufiéme.
Signé HENRY.
L'HISTOIRE DE LA NOVVELLE-FRANCK
Contenant les voyages des Sieurs de Monts
Intention de t'Authcur. Avis au Roy sur l'habitation delà Nou-
veUe-Francc. Commission au Sieur de Monts. Défenses pour
le trafjic des pelleteries.
CUAP. I.
'AY à reciter en ce livre la plus courageuse
de toutes les entreprises que noz François
ont faites pour Phabilation de Terres neu-
ves d'outre l'Océan , et la moins aydée et
secourue. Le sieur de Monts, dit en son nom Piere
Dv GvA, Gentilhomme Xaintongeois, en est le pre-
mier motif, lequel ayant le cœur porté à choses hau-
tes, et voyant la France en repos par la paix heu-
reusement traitée à Vervin, Heu de ma naissance,
proposa au Roy \\ vn expédient pour faire vne habita-
tion solide csdites terres d'outre-mer sans rien tirer
40S HiSTOIRB
des coffres de sa Majesté, qui cslaîi le même Çà
peu prés) que nous avons vcu ci-dessus avoir esté
octroyc à. Ëstîennc Chaton, sieur de la lauaayc» et
iucques Noël, Capitaine de la marine, neveux ec
héritiers de feu lacques Quartier, sans que toutefois
ledit Sicurdc Montseust euavis telle chose avoir esté
auparavant par eux impctrcc (i) Ce conseil trouvé
bon et vtilc, lettres incontinent furent expédiées au-
dit sieur pour la Licutcnance générale du Roy es
terres comprises souz le nom de la Nouvelle-France,
ju-squcs à certains dcgrcz; et conscjuemment autres
lettres portant défendes à tous sujets de sa Majesté
autres qu'icclui sieur de Monts et ses associez, de
Traffiquer de pelleterie, et autres choses, avec les peu-
ples habitans Icsdites terres, sur grandes peines, en
la manière qui s'ensuit.
Commission du Roy ou Sieur de Monts ,
pour t habitation es terres de la Cadie ,
Canada et autres endroits en la Nouvelle-
France,
Ensemble les défenses à tous antres de traffiquer avec Us Sau-
vages dtsJius terres.
, BNRY, par la grâce de Dieu Roy de France
et de Navarre, A nôtre cher et bien amé
le sieur de Monts, Gentil-homme ordi-
naire de nôtre Chambre, Salut. Comme
nôtre plus grand soin et travail soit et ait toujours
(i) Chdcssas, liv. j, clup. ji.
DE LA NovVELLE-FrANCE.
409
Estdj depuis nôtre avènement ù cette Couronne, de 433
la maintenir et conserver en son ancienne dignité,
grandeur et splendeur, d'étendre et amplifier autant
que leffitimement se peut faire les bornes cl limites
d*iceUe; Nous estans dès long temps a informez de
la situation et condition des païs et territoire de la
Cfldie; Mcuz sur toutes choses d'vn zelc singulier et
d'une dcvoîe et ferme resolution que nous avons
prinse. avec l'aide et assistance de Dieu, authcur,
distributeur et protecteur de tous Royaumes et états,
de faire convertir, amener et instruire les peuples qui
habitent eu cette contrée, de présent gens barbares,
athées, sans foy ne Religion, au Christianisme, et en
la créance et profession de nôtre foy et religion, et
les retirer de l'ignorance et infidélité oti ils sont;
ayans aussi dus long temps reconcu, sur le rapport
des Capitaines de navires, pilotes, marchans et au-
tres qui de longue main ont hanté, fréquenté, et traf-
fïqué avec ce qui &e trouve de peuples esdits lieux,
combien peut cstre fructueuse, commode et vtilc à
nous, à noz états et sujets, la demeure, possession et
habitation d'iceux pour le grand et apparent profit
qui se retirera par la grande fréquentation et habi-
tude que l'on aura avec les peuples qui s*y trouvent,
et le iraffic et commerce qui se pourra par ce moyen
seurcment traiter et négocier, Novs, pourccs causes,
à plein conlians de vôtre grande prudence, et en la
conoissance et expérience que vous avez de la qua-
lité, condition et situation dudit païs de la ]{ Cadie, 434
pour les diverses navigations, voyages, et fréquenta-
tions que vous avez faits en ces terres et autres pro-
ches et circonvoisines; nous asseurans que cette nô-
410
IlSTOIBH
435
tre resolution et intention vous estant (.omnoisè,
vous la sçaurcz attentivement, diligemment et non
moins courageusement et valeureusement exécuter
et conduire à la perfection que nous désirons^ Vous
avons expressément commis et établi, et par ces pré-
sentes signées de nôtre main, Vous commettons, or-
donnons , faisons, constituons et établissons nôtre
Lieutenant gênerai , pour représenter nôtre persone
aux ptCi^j territoires, câtcs et conlins de la Cadic, à
commencer dés le quarantième degré jusques au
quarante-sixième; Et en icelle étendue ou partie
d'icellc, tant et si avant que faire se pourra, établir,
étendre et faire conoitre nôtre nom , puissance et
authorité, et à icelle assujettir, subraettre et faire
obéir tous les peuples de ladite terre et les circon-
voisinsj et par le moyen d'icelles et toutes autres
voycs licites, les appcUer, faire instruire, provoquer
et émouvoir à la conoissance de Dieu et ù la lumière
de la Foy et religion Chrétienne , la y établir et en
l'exercice et profession d'icclle maintenir, garder et
conserver lesdits peuples et tous autres habituez es-
dits IteuXj et en paix, repos et tranquillité y corn-,
mander tant par mer que par terre; ordonner, déci-
der, et faire exécuter tout ce que vous jugerez se de-
voir et pouvoir faire, pour maintenir, garder et con-
server lesdits lieux souz nôtre puissance et authp-
rité, par les |[ formes, voyes et moyens prescrits par
nos ordonnances. Et pour y avoir égard avec vous,
commettre, établir et constituer tous Officiers, tant
es affaires de la guerre que de lusiice et police pour
la première fois, et de là en avant nous les nommer
et présenter, pour en estre par nous disposé et don-
ner les lettres, tiltres et provisions tels qu'ils seront
nécessaires. Et selon les occurrences des affaires,
vous-mêmes avec Pavis de gens prudens et capables,
prescrire souz notre bon plaisir, des loix, statuts et
orJounances autant qu'il se pourra conToraics aux
nôtres, notamment es choses et matières ausquelles
n'est pourvcu par icellesj traiter et contracter à
même effet paix, alliance et confédération, bonne
amitié, correspondance et communication avec les-
dils peuples et leurs Princes, ou autres ayans pou-
voir et commandement sur eux : Entretenir, garder
et soigneusement observer, les traitez et alliances
dont vous conviendrez avec eux, pourveu qu'ils y sa-
tisfacent de leur part. Et à ce défaut, leur faire guerre
ouverte pour les contraindre et amener à telle raison
que vous jugerez nécessaire, pour Thonneur, obéis-
sance et service de Dieu, et l'étahlissement, manu-
tention et conservation de nôtre dite authorite parmi
eux; du moins pour hanter et fréquenter par vous
et tous noz sujets avec eux, en toute asseurance, li-
berté, fréquentation et communication, y ncgoticr et
trafiquer amiablemcnt et paisiblement, leur donner
et octroyer grâces et privilèges, charges et honneurs.
Lequel entier pouvoir susdit, [| Voulons aussi et or*
donnons que vous ayez sur tous nosdits sujets et
autres qui se transporteront et voudront s'habituer,
traftiquer, négocier et résider csdits lieux, tenir,
prendre , reserver et vous approprier ce que vous
voudrez et verrez vous cstrc plus commoJc et pro-
pre à votre charge, qualité et vsage desdites terres,
en départir telles parts et portions, leur donner et at-
tribuer tels tiltres, honneurs, droits, pouvoirs et fa-
436
4ïa
Histoire
437
cultez que vnus verrez besoin estre , selon les quali-
tez, conditions et mcritcs des personnes du païs ou
autres. Sur tout peupler, cultiver et faire habituer
Icsdites terres le plus promptement, soigneusement
et dextreraent que le temps, les lieux et commoditez
le pourront permettre; en faire ou faire faire à cette
fin la découverturc et reconoissance en l'étendue des
côtes maritimes et autres contrées de la terre Icrrac
que vous ordonnerez et prescrirez en l'cspaL-e susdite
du quarantième degré jusques uu quarante-siiicmc,
ou autrement tant et si avant qu'il se pourra le long
desdites côtes et en la terre ferme; Faire soigneuse-
ment rechercher et reconoitre toutes sortes de mi-
nes d'or et d'argent, cuivre et autres métaux et mi-
néraux, les faire fouiller, tirer, purger et aftîner,
pour estre convertis en vsage, disposer suivant que
nous avons prescrit par les Edits et règlements que
nous avons faits en ce Royaume du protit et émolu-
ment d'icelles, par vous ou ceux que vous aurez éta-
blis à cet effet, nous reservans seulement le dixième
denierde ce qui proviendra de celles |[ d'or, d'argent,
et cuivre, vous affectant ce que nous pourrions pren-
dre auxdits autre métaux et minéraux, pour aider et
soulager aux grandes dépenses que la charge susdite
vous pourra apporter. Voulans cependant que pour
vôtre seurctd et commodité, et du: tous ceux de noz
sujets qui s'en iront, habitueront et traffiqueront es-
dites terreSjCommcgcncralement de tous autres qui s'y
accommoderont souz nôtre puissance et authortté ,
vous puissiez faire bâtir et construire vn ou plusieurs
forts, places, villes et toutes autres maisons, demeu-
es et habitations, ports, havres, retraites et loge-
ments que vous conoiîrez propres, vtiles ei nécessai-
res à l'exécution de ladite entreprise. Etablir garni-
sons et gens de guerre â la garde d'iceux ; vous aider
et prévaloir aui effets susdits des vagabonds, per-
sones oyscuses et sans aveu, tant es villes qu'aux
champs, et des condamnez à bunissemcnl perpétuel,
ou à trois ans au moins hors nôtre Royaume, pour-
veu que ce soit par avis et consentement et de l*au-
thorité de nos Officiers. Outre ce que dessus, et qui
vous est d'ailleurs prescrit, mandé et ordonné par les
commissions et pouvoirs que vous u donnez nostre
très-cher cousin le sieur d'Ampville, Admirai de
France, pour ce qui concerne le fait et la charge de
l'Admirauté, en l'exploit, expédition et executiondes
choses susdites, taire généralement pour la conquête,
peuplement , hahituaiion et conservation de ladite
terre de laCadic.ct des côtes, territoires cir- |] convoi-
sins et de leurs appartenances et dépendances souz
nôtre nom et authorité, ce que nous-mêmes ferions
et faire pourrions si presens en persone y estions,
jacoit que le cas requit mandement plus spécial que
nous ne le vous prescrivons par cesdïtes présentes,
au contenu desquelles, Mandons, ordonnons et tres-
expressémcnt enjoignons à tous nos justiciers, ofii-
ciers et sujets, de se conformer; Et à vous obeïr et
entendre en toutes et chacunes les choses susdites,
leurs circonstances et dépendances; Vous donner
aussi en l'exécution d'iccllcs tout ayde et confort,
main-forte et assistance dont vous aurez besoin et
seront par vous requis, le tout à peine de rébellion et
desobeïssance; Ht à fin que personne ne prétende
cause d'ignorance de celte nôtre intention , et se
438
4T4
HtSTOlRE
439
vueille immiscer en tout ou partie de la charge, di-
gnité et authorîté que nous vous donnons par ces
présentes, Nous avons de noz certaine science, pleine
puissance et auihorité Royale, révoqué, supprimé et
déclaré nuls et de nul effet ci-apres et dés à présent,
tous autres pouvoirs et Commissions, Lettres et ex-
péditions donnez et délivrez à quelque personc que
ce soit, pour découvrir, conquérir, peupler et habi-
ter en l'étendue susdite desdites terres situées depuis
ledit quarantième degré jusques au quarante-sixième
quelles qu'elles soient. Et outre ce, mandons et or-
donnons à tous nosdits Officiers de quelque qualité
et condition qu'ils soient, que ces présentes, ou Vidi-
mus deuïmentcol- 1| lationné d'icelles par l'vn de noz
amez et féaux Conseillers, Notaires et Secrétaires, ou
autre Notaire Royal, ils faccnt & vôtre requête, pour-
suite et diligence, ou de noz PiT)cureurs, lire, pu-
blier et registrer es registres de leurs jurisdictions,
pouvoirs et détrois^ ccssans en tant qu'à eux appar-
tiendra , tous troubles et cmpdchemens à ce contrai-
res. Car tel est nôtre plaisir. Donné à Fontainebleau
le huitième jour de Novembre, l'an de grâce mil six
cens trois, et de nôtre règne le quinzième. Signé,
HENRY. Et plus bas : Par le Roy, Potier. Et
scellé sur simple queue de cire jaune.
Défenses du Roy à tous ses sujets autres efiie le siear de Monis
et ses associe:, de traffiquer de Petfeteries et autres choses
avec Us Sauvages de Ntendui du pouvoir par luy donné au-
dit sieur de Monts et ses associez , sur grandes peines.
lENBY, par la grâce de Dieu Roy de Fiance
'et de Navarre, à noz amcz et féaux Con-
seillers, les officiers de nôtre Admirauté,
de Normandie , Bretagne , Picardie et
Guyenne, et à chacun d'eux en droit soy, et en l*é-
tenduîi de leurs ressorts et jurisdictions, Salut. Nous
avons, pour beaucoup d'importantes occasions, or-
donné, commis et établi le sieur de Monts, Gentil-
homme ordinaire de nôtre chambre, nôtre Lieutenant
gênerai, pour peupler et habituer les terres, côtes cl
païs de la Cadie, et autres ctrconvoisins, en l'étendue
duquarantiémcdcgrêjusquesau quarante-sixième; et
là établir nôtre authorité, et autrement j] s'y loger et 440
asseureur : en sorte que noz sujets désormais puissent
estre receuz, et y hanter, résider et traffîquer avec
les Sauvages habitans desdïcs lieux; comme plus ex-
pressément nous l'avons déclaré par noz lettres pa-
tentes cxpcdiécseï délivrées pour cet effet audit sieur
diC Monts le huitième jour de Novembre dernier, et
suivant les conditions et articles, moyennant les-
quelles il s'est chargé de la conduite et exécution de
cette entreprise. Pour faciliter laquelle , et à ceux
qui s'y sont joints avec lui , et leur donner quelque
moyen et commodité d'en supporter la dépcnce,
nous avons eu agréable de leur permettre et asseu-
fl
4i6
Histoire
441
rerqu*il ne seroit permis à aucuns autres noz sujets,
qu'à ceux qui cnlrcroicnt en association avec lui,
pour faire ladite dépence , de traffiqucr de pelleterie,
et autres marchandises, durant dîs années, es terres,
pais, ports, rivières et avenues Je JVtcnduë de sa
charge. Ce que nous voulons avoir lieu. Novs, pour
ces causes et autres considérations à ce nous mou-
vans. Vous mandons et ordonnons que vous ayez
chacun de vous en l'ctenduc de voz pouvoirs, juris-
dictions et détrois à faire de nôtre part, comme de
nôtre pleine puissance et authorité Royal nous fai-
sons, très expresses inhibitions et defenccs , à tous
marchans, maîtres et Capitaines de navires, mate-
lots, et autres noz sujets de quelque état, qualité et
condition qu'ils soient , autres neantmoins et fors ù.
ceux qui sont entrez en association avec ledit sieur
de Monts pour la- [! dite entreprise , selon les articles
et conventions d'icclks , par nous arrêtez ainsi que
dit est, d'eqnjpper aucuns vaisseaux, et en iccux
aller ou envoyer faire traffic et troque de pelleterie
et autres choses avec les Sauvages; fréquenter, né-
gocier, et communiquer durant ledit temps de dix
ans, depuis le Cup de Kaze jusqucs au quarantième
degré, comprenant toute la côte de la Cadie, terre et
Cap Breton, Bayes de Sainct-Cler, de Chaleur, Ile
Percée, Gachopé, Chinschedec, McsamichJ, Lesquc-
min , Tadoussac , et la rivière de Canada , tant d'un
côté que d'autre, et toutes les Bayes et rivières qui
entrent au dedans desdites côtes : A peine de déso-
béissance, et contiscation entière de leurs vaisseaux,
vivres, armes et marchandises, au profit dudù sieuf
de Monts et de ses associez, et de trente mille livres
d'amende; pour l'asseurance et acquit de laquelle, et
de la co^rtion et punition de leur désobéissance, vous
permettrez comme nous avons aussi permis et per-
mettons audit sîcur de Monts et ses associez, de
saisir, appréhender et arrêter tous les conlrevenans à
nôtre présente dcfence et ordonnance, et leurs vais-
seaux, marchandises, armes et victuailles, pour les
amener et remettre es mains de la lustïce, et estre
procédé tant contre les personnes que contre les
biens desditz dcsubeïssans ainsi qu'il appartiendra.
Ce que nous voulons et vous mandons et ordonnons
de faire incontinent publier et lire par tous les lieux
et endroits publics de vosdîts pouvoirs et juHsdic-
lions oU vous jugerez besoin estre , à 1 1 ce qu'aucun
de nosdtts sujets n'en puisse prétendre cause d'i-
gnorance, aios que chacun obéisse et se conforme sur
ce  nôtre volonté. De ce faire nous vous avons donné
et donnons pouvoir et commission et mandement
spécial. Car tel est nôtre plaisir. Donné à Paris, le
dix-huiliéme Décembre l*an de grâce mil six cens
trois, et de nôtre règne le quinzième. Ainsi signé,
HENRY. Et plus bas: Par le Roy, Potibb. Et
scellé du grand seel de cire jaune.
Ces lettres ont esté coniirmécs par autres secondes
defences du vingt-deuxième Janvier mil six cens
cinq.
Et quant aux marchandises vcnans de la Nouvelle'
France, voici la teneur des lettres patentes du Roy
portantes exemption de subsides pour icelles.
27
443
J
4i8
HlSTOlJtt
Déclaration du Roy.
ENRY^ par la grâce de Dieu Roy de France
et de Navarre, A nos amez et féaux Con-
seillers, les gens tenans nôtre Cour des
Aides à RouCn , Maîtres de noz ports,
Licutenans, luges et OHicicrs de nôtre Admiraulc,
et de noz traites foraines établis en nôtre province de
Normandie, et chacun de vous en droit soy, Salut.
Nous avons cy-devant, par noz lettres patentes du
huitième jour de Novembre mil six cens trois, dont
copie est cy-i'oinie, souz le contre-sccl de nôtre Chan-
cellerie, ordonné et établi nôtre cher et bien, amé le
sieur de Monts nôtre Lieutenant generpl représen-
tant notre persone es côtes, terres et confins de la
443 Cadie, Canada, et au- |[ 1res endroits en la Nouvelle-
France, pour habiter Icsdites terres» et par ce moyen
amènera la conoissance de Dieu les peuples y estans,
et là établir nôtre authoritc. Et pour subvenir aux
fraiz qu'il conviendroit faire, par nos autres lettres
patentes du dix-huitiémc Décembre ensuivant, nous
aurions donné , permis et accordé audit sieur de
Monts et â ceux qui s 'associ croient avec lui en cette
entreprise la traite des pelleteries et autres choses qui
se troquent avec les Sauvages desdites terres à plein
specilices parksdites patentes; ayansparlemoyendc
ce que dit est assez donné à entendre quelesdits pals
estoient par nous reconuz de nôtre obéissance, et
les tenir et avoQer comme dépendances de nôtre
Royaume et Couronne de France. Neantmoins nos
Officiers des traites foraines, ignoranspeut estre jus-
qucs à ceîte heure nfitre volonté, veulent au préju-
dice d'icclle contraindre Icdrl sieur de Monts et ses
associez de payer les mêmes droits d'entrée des mar-
chandises vcnans desdits pais, qui sont deuz par
celles qui viennent d'Hespagne et autres contrées
étrangères, ne se contcntans que pour icelles l'on ait
paie noz droits d'entrée deuz aux lieux où elles ont
esté déchargées, et aux autres endroits où elles ont
depuis passé par nôtre Royaume, que doivent les
marchandises y venans de noz autres provinces et
terres de nôtre obcïssance estans du cru d'icclles. Et
de fait vn nomme François le Buffe, Pvn des gardes
à cheval du bureau de noz traites foraines à CaËn,
auroit arrêté souz ce prétexte dés le || vnziéme jour
de Novembre dernier, au lieude Condé sur Narreau,
vingt-deux balles de castors, appartenans audit sieur
de Monts et ses associez, vcnans desdites terres de la
Cadic et Canada, prétendant pour le fermier gênerai
desdites traites foraines de Normandie, nôtre Pro-
cureur joint, la confiscation desdites marchandises.
Ce qui est et seroit grandement préjudiciable audit
sieur de Monts et ses associez, frustrez de l'espe-
rancc qu'ils avoient de faire prompiement argent
d^celles marchandises, pour subvenir et emploier A
l'achapt des vivres et munitions et autres choses né-
cessaires qu'il convient envoyer cette année avec
nombre d'hommes pour l'exécution de ladite entre-
prise. L'cffecî de laquelle demeurant par ce moyen
traversé et interrompu au prcjudice de nostre service,
Et voulons y remédier et sur ce faire conoitrc à cha-
cun nôtre intention, à fin que l'on n'en puisse pre-
444
420
Hjstoihe
tendre à l'avcnircausc d^jgnorance. Povr cescavses,
et pour la considération et mérite particulier de cet
affaire, du bon succez duquel par la prudente con-
duite dudit sieur d*; Monts, nous espérons vn grand
grand bien devoir réussir à la gloire de Dieu, salut
des Barbares, honneur et grandeur de nos états et
seigneuries, Nous avons déclaré et déclarons par ces
présentes, que toutes marchandises qui à l'avenir
viendront desdits puis de la Cadîc, Canada, et autres
endroits qui sont de l'estenduë du pouvoir par nous
donné audit sieur de Monts et spécifiez par nosditcs
44S lettres des huituime Novembre || et dix-huitiéme Dé-
cembre mil srx cens trois, lesquelles ledit sieur de
Monts et scsdits asaocicz feront amener desdits lieux
en notre Royaume, suivant la permission qu'ils en
ont, ou auircs de leur gré, congé et exprés consente-
ment, ne payeront autres ne plus grands subsides
que les droits d'entrée, et ceux qui se payent d'ordi-
naire pour les marchandises qui passent de i'vne de
noz Provinces en l'autre, et qui sont du cru d'icellcs.
Et pour le regard des vingt-deux balles de castors
saisis et arrêtez comme dit esi , par ledit François le
Buffe, audit lieu de Condc sur Narreau : Pour les
mêmes raisons et considérations susdites, Nous avons
fait et faisons uudit sieur de Monts et ses associez
pleineet entière main-levée d'icellcs vingt-deux balles
de castors. Voulons et nous plait prompte et entière
restitution et délivrance leur en estre faite, en payant
toutefois pour iceîles, les droits d'entrée en nôtre
province de Normandie, que doivent lesdiics mar-
chandises, selon qu'ils se payent au bureau é:ably au
lieu de laBiu-rc, entre les mains de nôtre fermier
DE LA NoVVELLE-FrANCE. 43 1
gênerai desdites traites foraines , ou son commis au-
dit Bureau de Caën, sans autres fraiz ny dépens. Et
en ce faisant, voulons et ordonnons que chacun de
vous en droit soy, vous faites, souffrez et laissez
jouïr ledit sieur de Monts et sesdits associez , pleine-
ment et paisiblement de l'entier et prompt effet de
nôtre présente déclaration , vouloir et intention. Si
vovs MANDONS publicr, lire et registrer ces présentes,
chacun en l'étendue de voz ressorts que besoin sera,
à la di- Il ligence dudit sieur de Monts et de sesdits 446
associez. Cessans et faisans cesser tous troubles et
empechemens à ce contraires; Gontraignans et fai-
sans contraindre à ce faire, souffrir et y obeïr tous
ceux qu'il appartiendra, mêmes ledit le Buffe, en-
semble nôtredît fermier du bureau de Caën et ses
commis, à la délivrance et restitution desdites 22.
balles de castors , et de mêmes à la décharge des
pleigeset cautions, si aucuns sont baillez pour asseu-
rance desdits castors, et generallement tous autres qui
pour ce seront à contraindre par toutes voyes deuës
et raisonnables, nonobstant oppositions ou appella-
tions quelconques, pour lesquelles et sans préjudice
d*icelles ne sera par vous différé. De ce faire vous
avons donné et donnons pouvoir, authorité, com-
missions et mandement spécial. Et par ce que de ces
présentes l'on auï-a affaire en plusieurs lieux, nous
voulons qu'au Vidimus d'icelles deuëment coUationné
par l'vn de noz amez et féaux Conseillers, Notaires et
Secrétaires, ou autre Notaire Royal, foy soit ad-
joutée comme au présent original. Car tel est nôtre
plaisir. Donné à Paris , le huitième jour de Février
l'an de grâce i6o5 , et de nôtre règne le seziéme.
423
HiSTOIHB
Ainsi signé, HENRY. Et plus bas : Par le Roy,
Potier. Et scelle en simple queue du grand sceau
de cire jaune.
Lesdiles lettres patentes du î8. Novembre et i8.
Décembre i6o3. et autres du dix-nculiémc lanvier
mil six cens cinq , ont esté verîiiées en la Cour de
Parlement de Paris le scziémc Mars mil six cens
cinq.
447 ^oj^S' ^" ^''^'' ''^ ^fonis tn la Noavetk-Fratia. Des atci-
dens sarv-nus audit i>ayage. Causes dis b.vtcs de glaces en
ta Terre-Neuve. Imposisians de noms à certains ports. Per-
plexité pour le returdcnunt de Vautre rtarire,
Chap. II.
|b sieur de Monts ayant fait publier les
Commissions et defen.ses susdites par la
France et particulièrement par les villes
maritimes de ce Royaume, il fit equippcr
deux navires, l'vn soux la conduite du Capitaine Ti-
mothée, du Havre de Grâce, l'autre du Capitaine
Morel, de Honfleur. Dans le premier il se mit avec
bon nombre de gens de qualité tant Gentils-hommes
qu'autres. Et d'autant que le sieur de Poutrincourt
estoit désireux dés y avoit long temps de voir ces
terres de la Nouvelle- France, et y choisir quelque
lieu propre pour, s'y retirer, avec sa famille, femme
et enfants, pour n'cstre des derniers qui courront el
participeront ùl la gloire d'vne si belle et généreuse
entreprise, il lui print envie d'y aller. El de fait il
s'emtxirqua avec ledit sieur de Monts , et quant et
lui Bt perler quantii<id*armcs et munitions de guerre,
et levèrent les ancre* du Havre de Grâce le septième
jour de Mars l'an mil six cens quatre, Maisestans
partis de bonne heure i| avant que l'biver eust eucor
quitte sa robbe fourrée, Us ne manquèrent point de
trouver des bancs de glaces, contre lesquels ils pen-
sèrent heurter et se perdre; mais Dieu, qui jusques
à présent a favorisé ïa navigation de ces voyages, les
préserva.
On se pourroit étonner, et non sans cause, pour-
quoy en même parallèle il y a plus de glaces en cette
mer qu'en celle de France. A quoy je nipond que les
glaces que l'on rencontre en cetiedite mer ne sont
pas originaires du climat, maïs viennent des parties
Septentrionales poussées sans empeschemeni parmi
les plaines de cette grande mer par les ondées, bour-
rasques et âots impétueux que les vcnt^ d'Elst et du
Nort élèvent en hiver et au printemps, et les chas-
sent vers le Su et L*Oilest. Mais la mer de France est
couverte de l'Ecosse, Angleterre et Irlande, qui est
cause que les glaces ne s"y peuvent décharger. Il y
pourroit aussi avoir vne autre raison prise du mou-
vement de la mer, lequel se porte davantage vers ces
paTtics>là, à cause de la course lu plus grande qu'il a
à foire vers l'Amérique que vers les terres de deçà.
Or le péril de ce voyage ne fut seulement à la ren-
contre desdits bancs de glaces , mais aussi aux tem-
pête» qu'ils curent à soulirir, dont y en eust vnc qui
rompit les galleries du navire. Et en ces affaires y
448
4H
H
ISTOIRE
eut vn menuisier qui d'vn coup de vague fut porté
au chemin de perdition, hors le bord, mais il se
retint à vn cordage qui par cas d'aventure pcndoit
hors icelui navire.
449 Ij Ce voyjge fut long û cause des vens contraires,
ce qui arrive peu souvent à ceux qui partent en Mars
pour aller aux Tcrrcs-ncuvcs, lesquels sont ordinai-
rement poussez de vent d'Est ou de Nort propres à
la route d'icelles terres. Et ayans pris leur brisée au
Su de rilc de Sable pour éviter les glaces susdites.
Us pensèrent tomber de Carybde en Scylle^ et s'aller |
échouer vers ladite île durant les brumes épaisses
qui sont ordinairement en celti mer.
En rtn Je sixième de May ils terrireni à vn certain
port, où ils trouvèrent le Capitaine Rossignol, du
Havre de Grâce, lequel troquoit en pelleterie avec
les Sauvages, contre les dclcnses du Roy. Occasion
qu'on lui confisqua son navire, et ("ut appelle eu port
le Port du Rossignol, ayant eu en ce desastre vn bien
qu'vn port bon et commode en ces côtes-là est
appelle de son nom.
De là, côtoyans et découvrans les terres, ils arri-
vèrent à vn autre port, qui est très-beau , lequel ils
appelèrent le Port da Mouton, à. l'occasion d'un mouton
qui s'estant noyé revint tl bord, et fut mangé Uc
bonne guerre. C'est ainsi que beaucoup de noms an-
ciennement ont este donnez brusquement et sans
grande délibération. Ainsi le Capitolc de Rome eut
son nom, parce qu'en y fouissant on ti-uuva vne tête
de mort. Ainsi la ville de Milan a esté appeliée Mtdio-
ianam, c'est-à-dire demi-iaine, parce que les Gaullois,
DE LA NoVVBLLE-FraNCB.
425
ai
1
iettans les fonJemens d'icelle, trouvèrent vnc truyc
qui estoit â moitié couverte de laine. Et ainsi ùq
plusieurs autres.
Estans au Port du Mouton , ils se cabancrent|| là
A Ifl mode des Sauvages, attendans des nouvelles de
Tautre navire, dans lequel on avoît mis les vivres et
autres choses ncccssai.es pour la nourriture et entre-
tenement de ceux qui estoieni de la réserve pour hi-
verner, en nombre d'environ cent hommes. En ce
Port ils attendirent vn mois en grande perplciJiè, de
crainte qu'ils avoicnt que quelque sinistre accident
ne fust arrivé à l'autre navire, parti dés le dixième
de Mars, oîi cstoicnt le sieur du Pont, de Honfleur,
et le Capitaine Morcl. Et ceci estoit d'autant plus
important, que de la venue de ce navire dépendoit
tout le su-'CL'z de l'afTuire. Car mcmcsur celte lonf{uc
attente il fut mis en délibération sçavoir si on rc-
tourneroitcn France, ou non. Le sieur de Poutrjn-
courl fut d'avis qu'il valoir mieux là mourir. A quoysc
conforma ledit sieur de Monts. Cependant plusieurs
alloient à la chasse, ei plusieurs û la pêcherie, pour
ire valoir la cuisine. Prés ledit Port du Moutnn il
y a vn endroit si rempli de lapins, qu'on ne man-
geoit prcque autre chose. Cependant on envoya le
sieur Charaplcin avec vnc chaloupe plus avant cher-
cher vn lieu propre pour la retraite, et tant demeura
en cette expédition, que sur la délibération du retour
on le pensa abandonner : car il n'y avoit plus de vi-
vres, et se servûit-ou de ceux qu'on avoit trouves au
navire de Rossignol, sans lesquels il eust fallu s'en
revenir en France, et rompre vnc belle entreprise à
sa naissance, ou mourir la de faim après avoir lait la
450
426
Histoire
chasse aux lapins, qui n'eussent tou)ours duré. Or
45 1 ce qui causa ce retardement de la || venue desdits
sieur du Pont et Capitaine Morel, turent deux occa-
sions, l'vneque manquansde bateau, ils ^'amusèrent
à en bâtir vn en h lerre oU ils arrivèrent première-
ment) qai Fut le Port aux Angloîs ; l'autre qu'estans
venus au Port Je Campseau, ils y trouvèrent quatre na-
vires de Basques qui troquoient avec les Sauvages
contre les défenses susdites , lesquels ils dépouillè-
rent et en amenèrent les maitres autlit sieur de
Monts, qui ks traita fort humainement.
Trois semaines passées , icelui sieur de Monts
n*ayant aucunes nouvelles dudtt navire qu'il atten-
doit,delibera d'envoyer le long delà côte les chercher,
et pour cet etfect dépêcha quelques sauvages, ausquels
il bailla vn françois pour les accompagner avec let-
tres. Lesdits Sauvages promirent de revenir ù point
nommé dans huit jours, â quny ils ne manquèrent
point. Mais comme la société de Phomme avec la
femme bien d'accois ensemble est vnc chose puis-
sante, ces Sauvages devant que paitir curent soin de
leurs femmes et enfans, et demandèrent qu'on leur
baillât des vivres pour eux. Ce qui fut fait. Ets*es-
tans mis à la voile, trouvèrent au bout de quelques
jours ceux qu'ils chcrchoicnt en vn lieu dit la Baye
des lla^ lesquels u'estaîent moins ea peine d udîc sieur
de Monts que lui d'eux, n'ayans en leur voyage
trouvé les marques et enseignes qui avoient esté
dites; c'est que le sieur de Monts passant ù Campseau
devoit laisser quelque Cruîx à vn arbre, ou missive
y iittachée. Ce qu'il ne fit point, ayant outre-passé
452 ledit lieu de Campseau de beaucoup pour || avoir pris sa
DE LA NoVVKLLE-FilANCE.
427
k
roule trop au Su, à cause de& bancs de glaces, comme
nous avons die. Ainsi, après avoir leu les lettres, les-
dits sieur du Pont et Capitaine Morel se Jêcharge-
rent des vivres qu'ils avoient apportes pour la provi-
sion de ceux qui dévoient hiverner, et s'en retournè-
rent en arrière vers la grande rivicrc de Canada pour
la traite des pelleteries.
Débarquement da Port au Mouton. Accident 4'vn homme
perdu séz€ jours dans les haïs. Haye Françoiie. Port-RoyjL
^. Hmere de PEt^mlle. Mine de cuivre. Mai-heur des mines
^B (Tor, DiamanSy Turquoises.
Chap. IM.
^:
ovTB la Nouvelle France en fin assem-
blée en deux vaisseaux, on lève les ancres
du Port au Mouton pour employer le temps
et découvrir les terres tant qu'on pour-
roir avant l'hiver. On va gaigner le Cap de SabtCy et de
là on fait voile à la Baye Sainde-Marie , ob noz gens
furent quinze jours à lancrc, tandis qu'on reconois-
soit les terres et passages de mer et de rivières. Cette
Baye est vn fort beau lieu pour habiter, d'autant
qu'on est là tout porté à la mer s^ns varier. Il y tt de
minede fer et d'argent, mais elle n'est point abon-
ante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delA et en
France. Apres avoir là séjourne douze ou tréze
Kiurs, il arriva vn accident étrange tel que ]'e|[vay 453
dire. 11 avoit pris envie â vn certain Iiommc d'E-
428
Histoire
454
glise, Parisien de bonne famille, de faire voyage:
le sieur de Monrs , et cv contre le gré de ses pai
lesquels envoyèrent exprès à Honfleur pour lel
verîir et r'amener à. Paris. Or, les navires csians*
Tancre en ladite 5uye Suincte Marie , il se mit en
troupe de quelques vns qui s'alloient égayer par le
bois. Avini que s'étant arrêté pour boire ù vn ruïi
seau il y oublia son cpée, et poursuivoit son chemij
avec les autres quand il s^cn appcrccut. Lors il
tourna en arrière pour l'aller chercber ; mais l'ayai
Trouvée, oublieux de la part d'où il estoit venu ,
regarder s'il falloit aller vers le Levant, ou le P<
nant, ou autremcni (car il n*y avoît point de sei
lier) il prent sa voye à conire-pas, tournant le d(
à ceux qu'il avoît laissé , et tant fait par ses allées
venui-s qu'il se trouve au rivage de la mer, là où
voyant point de vaisseaux (car ils estoient en l'aul
part d'vnc langue de terue qui s*avancc à la mer),
s'imagina qu'on l'avoil délaissé, et se mit à lamente
sa fortune sur vn roc. La nuit venue, chacun estât
retiré, on le trouve menquer; on le demande à cet
qui avoient esté es bois, ils disent en quelle façon
estoit parti d'jvcc eux, et que depuis ils n'en avoieï
point eu de nouvelles. Déjà on accusait vn certaîi
de la religion prétendue reformée de l'avoir tu^
pour ce qu'ils se picquoient quelquefois de propï
pour le fait de ladite religion Somme on fait sonn^
la trompette parmi la forest, on tire le canon ph
sieurs fois. Mais en vain. Car k bruit de la mer pli
Il fort que tout cela rcchassoit en arrière le son
dits canons et trompettes. Deux,tro;s, et quatre joui
se passèrent. Il ne omparoit point. Cependant
DE LA NoVVELLE-FrANCE. 429
temps pressoit de partir, de manière qu'après avoir
attendu jusques à ce qu'on le tenoit pour mort, on
leva les ancres pour aller plus loin , et voir le fond
d'vne baye qui a quelques quarante lieues de lon-
gueur et quatorze, voire dix-huit de largeur, laquelle
a £sté appellée la Baye Françoise.
En cette Baye est le passage pour entrer en vn port,
auquel entrèrent nos gens, et y firent quelque séjour,
durant lequel ils eurent le plaisir de chasser vn
Ellan , lequel traversa à nage vn grand lac de mer
qui fait ce Port, sans se forcer. Cedit port est envi-
ronné de montagnes du côté du Nort : vers le Su ce
sont coteaux, lesquels (avec lesdites montagnes) ver-
sent mille ruisseaux, qui rendent le lieu agréable
plus que nul autre du monde , et y a de fort belles
cheutes pour faire des moulins de toutes sortes. A
l'Est est vne rivière entre lesdits côtaux et monta-
gnes , dans laquelle les navires peuvent faire voile
jusques à quinze Heuës ou plus , et durant cet espace
ce ne sont que prairies d'vne part et d'autre de ladite
rivière , laquelle fut appellée VEquille ,' parce que le
premier poisson qu'on y print fut vne Equille. Mais
ledit Port pour sa beauté fut appelle le Port-
Royal. Le sieur de Poutrincourt ayant trouvé ce
lieu à son gré, il le demanda, avec les terres y conti-
nentes, au sieur de Monts, auquel le Roy avoit par
la commission insérée ci-dessus baillé la distribution
des terres j| de la Nouvelle-France depuis le quaran- 45 5
tiéme degré jusques au quarante-sixième. Ce qui lui
fut octroyé, et depuis en a pris lettres de confirma-
tion de sa Majesté, en intention de s'y retirer avec
sa famille, pour y établir le nom Chrétien et Fran-
43o
Histoire
çois tant que son pouvoir s*étendra, et Dieu lui en
doint le moyen. Ledit Port a huit lieues de circuit,
stins comprendre la rivière de TEquille, dite mainte-
nant la ri%*iere du Dauphin. 11 y a deux îles dedans
fort belles et agrcablcs, l'vne ù l'cnlrce de ladite ri-
vière, que je fay de lu grandeur de la ville de Beau-
vaîs; l'autre à côté de lembouchure d'vnc autre ri-
vière large comme la rivière d'Oise, ou Marne, en
trant dans ledit Port; ladite ilc préque de la grandeur
de l'autre; et toutes deux Ibretîcrcs. C'est en ce Port et
vis-à-vis de la première ile que nous avons demeuré
trois ans après ce voyage. Nous en parlerons plus a
picment en autre lieu cî-aprcs.
Au partir du Purl-Royaî, tis firent voile à la mine
de cuivre de laquelle nous avons parlé ci-dessus (i).
C'est vn haut rocher entre deux bayes de mer où le
cuivre est enchâssé dans la pierre, fort beau et fort
pur, tel que celui qu'on dit cuivre de rozefte. Plu-
sieurs orfèvres en ont veu en France, lesquels disent
qu'au dessous du cuivre il y pourrolt avoir de la
mine d'or. Mais de s'îiniuser à la rechercher, ce n'est
chose encore de saison. La première mine, c'est d'»
voir du pain et du vin, et du bestial, comme nou
disions au commencement de cette histoire. Nôtre
456 félicité ne git point es mines, principale- 1| ment d'o*"
et d'argent, k-squellcs ne servent point au labourage
de la terre, ni A l'vsage des métiers. Au contraire l'a
bondance d'icelles n'est qu'vne sarcine, vn fardeau,
qui tient l'homme en pcrpctucHc inquiétude, et tant
plus il en a, moins a-il de repos, et moins lui est sa
vie asseuree.
IL ,
(0 l'iv- il ctup. 2S et 39.
DE LA NoVVSLLK-FrANGE. ^1
Avant les voyages du Pérou, on pouvoii serrer
beaucoup de richesses en peu de piace, au lieu qu'au-
lourd'hui l'or et Targenr cstans avillis par l'abon-
dance, il faut des grands coffres pour retirer ce qui
se pouvoii mettre en vnc petite bouge. On pouvoit
faire vn long Irait de chemin avec vnc bourse dans
^b10 manche, au lieu qu'aujourd'hui îl faut vnc valizc
^Ptt vQ cheval exprtîs. Et pouvons à bon droit maudire
l'heure quand jamais Tavaricca porté THespagnol en
l'Occident, pourlcs mal-heurs qui scn sont ensuivis.
Car quand ju considère que par son avarice il a al-
lumé et entretenu la guerre en toute la Chrétienté,
a - et s*cst cstudic i\. ruiner ses voisins, et non point le
^^frurc, je ne puis penser qu'autre que le diable ait
^^TSti! authcur de leurs voyages. Et ne iaut point m*al-
leguer ici le prétexte de la Religion. Car (comme
nous avons dit ailleurs) ils ont tout tuez les origi-
naires du païs avec des supplices les plus inhumains
que le diable a peu excogiter. Et par leurs cruautés
ont rendu le nom de Dieu vn nom de scandale â ces
pauvres peuples, et l'ont blasphémé continuellement
par chacun jour au milieu des Gentils, ainsi que le
Prophète le reproche au peuple d'Israël (i). Témoin
celui qui aima mieux || estre damné que d'aller au
Paradis des Hespagnols.
Les Romains (de qui l'avarice a toujours esté in-
satiable) ont bien guerroyé les nations de la terre
pour avoir leurs richesses, mais les cruautés Hespa-
gnoles ne se trouvent point dans leurs histoires. Ils
sont contentez de dépouiller les peuples qu'ils
457
(1^ Esai. J2, vers. j. Ci-dessus, IJv. (, chap. iS.
432 Histoire
oat veincus , sans leur ôter la vie. Un ancien au-
theur Payen (i), faisant vn essay de sa veine Poéti-
que, ne trouve point plus grand crime en eux, sinon
que s'ils découvroient quelque peuple qui eust de
l'or, il estoit leur ennemi. Les vers de cet Autheur
ont si bonne grâce que je ne me puis tenir de les cou-
cher ici, quoy que ce ne soit pas mon intention d'al-
léguer gueres de Latin :
Orbemjam totum Romanus victor habebat,
Qaà mare, qaà terra, quà sidas curr'it vtram(^ue,
Nec satiatas erat : gravidis fréta puisa carinis
îam per agrabantur : si quis sinus abditus vltra^
Si qua foret îellus qu^fulvum mitteret auram
Hosîis erat : fatisque in tristia bella paraîis
Qu£rebanlur opes.
Mais la doctrine du sage fils de Sirach nous en-
seigne toute autre chose. Car reconoissant que les
richesses qu'on fouille jusques aux antres de Pluton
sont ce que quelqu'vn a dit, irritamenta malorum, il apro-
noncé celui-là heureux qui n'a point couru après l'or , et n'a
point mis son espérance en argent et thresors, adjoutant qu'il
doit estre estimé avoir fait choses merveilleuses, entre tous ceux
de son peuple , et estre l'exemple de gloire , lequel a esté tenté
par Tor, et est demeuré parfait (2). Et par vn sens con-
458 II traire, celui là malheureux qui fait autrement.
Or, pour revenir à noz mines, parmi ces roches de
cuivre se trouvent quelque fois des petits rochers
(1) Petronius Arbiter.
(2) Ecclesiast. 31, vers. 8, 9 et 10.
DE LA NovvELLE- France. 433
couverts de Diamans y attachés. le ne veux asseurer
qu'ils soient fins, mais cela est agréable à voir. Il y a
aussi de certaines pierres bleues transparentes , les-
quelles ne valent moins que les Turquoises. Le sieur
de Champdoré nôtre conducteur es navigations de ce
païs-là , ayant taillé dans le roc vne de ces pierres,
au retour de la Nouvelle-France il la rompit en deux,
et en bailla l'vne au sieur de Monts, l'autre au sieur
de Poutrincourt, lesquelles ils firent mettre en œuvre,
et furent trouvées dignes d'estre présentées, l'vne au
Roy par ledit sieur de Poutrincourt, l'autre à la
Roynepar ledit sieur de Monts, et furent fort bienre-
ceuës. l'ay mémoire qu'un orfèvre offrit quinze escus
au sieur de Poutrincourt de celle qu'il présenta à sa
Majesté. 11 y a beaucoup d'autres secrets et belles
choses dans les terres, desquelles la conoîssance n'est
point encore venue jusques à nous, et se découvri-
ront à mesure que la province s'habitera.
28
434
HlSTOtRE
459 (1 Description de la rivière Sainct-îean et de t'Ue Saincte-Croix.
Homme pirda dans les bois trouvé te seziéme jour. Exemples
de q\u}ques abstinences étranges. Dijfcrems des Sauvages
remis au jugement du sieur de Monts. Authorité paterruU en'
trt lesdils Sauvages. Quels maris clwisissent à leurs fUUs»
Chap. III.
460
PRES avoir reconii ladite mine, la troupe
, passa de l'aute côté de la Raye Françoise,
,et allèrent vers le profond d'icelle; puis
en tournant le Cap vindrcnl en la
rtricif Sainct-Iciin^ ainsi appellée (à mon avts) pour ce
qu'ils y arrivèrent le vingt-quatrième luin, qui est le
jour et fête de S. lean Baptiste. Là il y a vn beau port,
mais L'entrée en est dangereuse à qui lï'en sçaît les
addresses, parée que hors icelle entrée il y a vn
long banc de rochers qui se découvrent seulement
de basse mer, lesquelz servent comme de rempart à
ce port, dans lequel quand on a esté une lieue, on
trouve un sfiut impétueux de ladite rivière, laquelle
se précipite en bas des rochers , lors que la mer
baisse, avec vn bruit merveilleux : car cstans quel-
quefois à l'ancre en mer nous l'avons ouï de plus de
deux lieues. Mais la mer étant haute on y peut pas-
ser avec de grands vaisseaux. Cette rivière est vne
des plus belles qu'on puisse voir, ayant quantité
d'ilcs, et fourmillant en poissons. Cette année der-
nière mil six cens huit, ledit Sieur (| de Cbampdorû
DE LA NovvELLB- France.
435
al
:
vcc vn des gens dudït sieur de Monts, a esté quel-
ques cinquante licuës ù-mont icellc, et témoignent
qu'il y a grande quantité de vignes le long du rivage,
niais les raisins n'en sont si gros qu'au pals des Ar-
tnouchiquois; il y a aussi des oignons, et beaucoup
d'autres sortes de bonnes herbes, Quant aux arbres,
ce sont les plus beaux qu'il est possible de voir. Lors
que nous y estions nous y rcconcumes des Cadres en
rand nombre. Au regard des poissons, ledit Champ-
'dorc nous a rapporte qu'en mettant la chaudière sur
le feu ils en avoienc pris suffisamment pour eux dis-
ner avant que l'eau fust chaude. Au reste, cette ri-
vière s'etendant avant dans les terres, les Sauvages
abbregent merveilleusement de grands voyages par
le moyeu d'icelle. Car en six jours ils vont à Gaclupéy
aîgnant la baye ou golfe de Chaleur quand ils sont
au bout, en portant leurs canots par quelques lieuC-s.
Et par la même rivière en huit jours ils vont à
TaJoussdc par vn bras d'icdlc qui vient devers le No-
rouëst. Di; sorte qu'au Port-Royal on peut avoir en
quinze ou dix-huit jours des nouvclLcs des François
habituez en la grande rivière de Canaid par de telles
voyes, ce qui ne se pourroit taire par racr en vn
mois, ni sans hasard.
Quittant la rivière Sainct-Ican, ils vindrcnt suivant
la côte à vingt lieues de là en vne grande rivière (qui
est proprement mer) où ils se campèrent en vne pe-
tite île size au milieu de cette rivière, que ledit sieur
^Champlein avoit esté rcconoitrc. Et la voyant tbrte
e nature || et de facile garde, joint que la saison
commeni^oit à se passer, et partant falloit penser de
se lugct-, sans plus courir, ils résolurent de s'y arré-
46J
436
Histoire
462
ter. le ne veux point rechercher curieusement les
raisons des vns et des autres sur la rcsoluiioa de cette
demeure, mais je scray toujours d'avis que quicon*
que va en vn pals pour posséder Li terre ne s'arrête
point aux ilcs pour y estrc prisonnier.
Car avant toutes choses il faut se proposer la cul-
ture d'icelle terre. £t je demanderois volontiers
comme on la cultivera s'il faut à toute heure, matin,
midi et soir, passer avec grand'pcinc vn large trajet
d'eau pour aller aux choses i:ju'on requiert de la terre
fermer Et si on craiui Tennemi, comment se sauvera
celui qui sera au labourage ou ailleurs en affaires né-
cessaires, estant poursuivi ? Car on ne trouve point
toujours de bateau à point nommé, ni deux hommes
pour le conduire. D'ailleurs nôtre vie ayant besoin
de plusieurs commodités, vne ile n'est pas propre
pour commencer l'établissement d*une colonie s'il
n*y a des courans d'eau douce pour Je boire et le mé-
nage, ce qui n'est point en des petites îles. Il faut
du bois pour le chauffage, ce qui n'y est point sem-
blablemcnt. Mais surtout il faut avoir les abris des
mauvais vents et des froidures, ce qui est difficile de
trouver en vn petit espace environné d*cau de toutes
parts. Neantmoins la compagnie s'arrêta là au milieu
d'une rivière large oCi le vent de Nort et Norouëst
bat â plaisir. Et d'autant qu'à deux licuCs au dessus
il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se
déchar- [] ger dans ce large bras de mer, cette ile de la
retraite des François fut appelée Saincte-Crûix ,
a vingt-cinq lieues plus loin que le Port-Royal. Or
ce-pendant qu'on commencera à couper et abattre les
Cèdres et autres arbres de ladite ile pour faire les ba-
h
DB LA NovVELtE-FFANCE.
437
timents nécessaires, retournons chercher Maître Ni-
colas Aubrî , perdu dans les bois, lequel on lient
our mort il y a long temps.
Comme on estoit après à déserter llle, le sieur
hampdorc, fut r*envoyc à la Baye Sainctc-Maric
vec un maître de mines qu'on y avoit amen£ pour
tirer de la mine d'argent et de fer, ce qu'ils firent. Et
comme ils eurent traversé la Baye Françoise, ils en-
trèrent en ladite Baye Saîncte-Marie^par vn passage
étroit qui est entre la terre du Port-Royal et vnc ilc
dite Vile Longue, là oti après quelque séjour, allans pé-
cher, ledit Aubri les appcrccut , et commença d'vne
foibîe voix à crier le plus hautement qu'il peut. Et
pour seconder sa voix il s'avisa de Caire ainsi que
jadis Arîadnc à Thésée, ainsi que le recite Ovide en
s vers :
le mis vn linge blanc sur le bout d'vne lance
Pour leur donner de moy nouvelle souvenance.
^^xes \
^^Eiettant son mouchoir à son chapeau au bout d'vn
^Hbaton, ce qui le donna mieux à conoitre. Car comme
quelqu'vn eut ouï la voïx, et dit à la compagnie si
ce pourroit cstre le sîeur Auhri, on s'en mocquoit.
Mais quand on eut veu le mouvement du drappeau et
du chapeau, on creut qu'il en pouvoit estre quelque
chose. Et s'cstans approchés, ils rcconeurem J par-
faitement que c'esloit lui-même, et le recueillirent
dans leur barque avec grande joye et contentement,
le sc^sicrac jour aprcs son égarement.
Plusieurs en ces derniers temps, se flattans plus
que de raison, ont farci leurs livres et histoires de
463
438
Histoire
464
maints miracles ob il n'y a pas si grand sujet d'ad-
miration qu'ici. Car durant ces seze jours il ne vé-
quit que de je ne sçay quels petitz fruits semblables à
des cerises sans noyau (non toutefois si délicats) qui
se trouvent assez rarement dans ces bois. Et de vérité
en ces derniers voyages s*est reconeuë vne spéciale
grâce et faveur de Dieu en plusieurs occurrences, les-
quelles nous remarquerons selon que l'occasion se
présentera. Le pauvre Aubri 0^ l'appelle ainsi à
cause de son affliction) cstoit merveilleusement exté-
nué, commcon peut penscr.On lui bailla à manger par
mesure, et le remena-on vers la troupe à l'ile Saincte-
Croix, dont chacun receut vne incroyable joye et con-
solation, et particulicrcmcnt le sieur de Monts, â qui
cela touchoit plus qu'à tout autre. Il ne faut point
ici m'alleguer les histoires de la fille de Confolans en
Poitou, qui fut deux ans sans manger, îl y a environ
six ans; ni d'vne autre d'auprès de Berne en Suisse,
laquelle perdit l'appetît pour toute sa vie, il n*y a pas
dix ans, et autres semblables. Car ce sont accidens
avenus par vn debauchement de la Nature. Et quant
à ce que recite Pline qu'aux dernières cxtreraîtez
de rindie, es parties basses de l'Orient, autour de
la fonteîne et source du Gange, il y |1 a vne nation
d'Astomcs, c'est à dire sans bouche, qui ne vit que
de la seule odeur et exhalation de certaines racines ,
fleurs et fruits, qu'ils tirent par le nez, je ne l'en
voudroy point aisément croire; ni pareillement le
Capitaine lacques Quartier quand il parle de cer-
tains peuples du Scguenit^ ,■ qu'il dit n'avoir point
aussi de bouche, et ne manger point (par le rapport
du Sauvage Dimnaconay lequel il amena en France
DE LA NoVTELLE-FraHCE.
faire
Roy),
ch(
+39
ék»-
reat ai
de commune croyance. Mais quand bien cda
seroit> telles gens ont la nature di&pos^ A cette façon
de vivre. Et ici ce n'est pas de même. Car ledit Au-
bri ne manquoit d'appetir, et a vécu seze ^urs nourri
en partie de quelque force nutritive qui est en fair
de ce païs-Ià , et en partie de ces petits fruits que
j'ay dit. Dieu lui ayant donné la force de soutenir
cette longue disette de vivre sans franchir le pas de U
mort, ce que je trouve étrange» et lest vrayement.
Mais es histoires de nôtre temps sont récitées de
choses qui semblent dignes de plus grand étonne-
ment. Entre autres d'vn Henri de Hasscld, marchant
trafiquant des païs bas à Berg en Norvv^e, lequel
ayant ouï vn gourmand de Prêcheur parler mal Jes
jeûnes miraculeux, comme s'il n'estoii plus en U
puissance de Dieu de faire ce qu'il a fait par le passe,
indigné de cela , essaya de jeûner, et s'abstint par
trois jours, au bout desquelz, pressé de faim, il print
vn morceau de pain en intenticn de Tavaller avec vn
yerre de bicre; mais tout cela lui demeura tellement
|en la gorge qu'il fut quarante jours et quarante
uits sans boire ni manger. Au bout de ce temps il
rejetta par la bouche la viande et le breuvage qui lui
estaient demeurez en la gorge. Vne si longue absti-
nence Paffoiblit de telle sorte qu'il fallut le substan-
ter et remettre avec du laict. Le Gouverneur du pa'is
ayant entendu cette merveille, le fit venir et s'cnquit
de la vérité du fait : à quoy ne pouvant adjouter de
foy, il en voulut faire vn nouvel essay, et l'ayant lait
soigneusement garder cti vne chambre , trouva la
chose véritable. Cet homme est recommandé de
465
466
440 HlSTOlRB
grande pieté , principalement envers les pauvres.
Quelque temps après, estant venu pour ses affaires à
Bruxelles en Brahant, vn sien débiteur, pour gaigner
ce qu'il lui devoit, l'accusa d'hérésie, et le fit brusler
en l'an mil cinq cens quarante-cinq.
Et depuis encore vn chanoine de Liège, voulant
faire essay de ses forces à Jeûner, ayant continué jus-
ques au dix-scpticmc jour, se sentit lellcment abbatu.
que si soudain on ne Teust soutenu d'vn boD restau-
rent, il defailloit du tout.
Vne jeune fille de Buchold, au territoire dcMuna*
tre en Vvestphalie, affligée dt: tristesse et ne voulant
bouger de la maison, fut battue à cause de cela par
sa mère. Ce qui redoubla tellement son angoisse,
qu'ayant perdu le repos, elle fut quatre mois sans
boire ni nianger, fors que parfois elle machoit quel-
que pomme cuite, et se lavoit la bouche avec vn peu
de tisane.
Il Les histoires Ecclésiastiques (i), entre vn grand
nombre de jeûneurs, font mention de trois saincts
hermites nommez Simeon, lesquels vivoieiit en aus-
térité étrange, et longs jeûnes, comme de huit et
quinze jours, voire plus, n'ayant pour toute de-
meure qu'vne colonne où ils babîtuicnt et passoient
leur vie : à raison de quoy ils furent surnommez Ste-
litcs , c'est-à-dire Colomnaires , comme habitans en
des Colomnes.
Mais tous ces gens ici s'estojent partie résolus à
Iclz jeûnes, partie s'y estoient peu à peu accoutumez
(i) Evagrius, liv. i de l'Hwf. EccUskst., chip. if;Baronitts,
sur U Martyroi. Rom., 9 Unv.
DE LA NoVVBULB-FraNCK.
44
csCoir
de
î étrange
duquel nous parlons. Et pour ce
son jeune est d'autant plus admirable, qu'il ne s*y
estoit nullement tUsposé et n'avoit accoutumé ces
longues austérités.
Or après qu'on l'eut fétoyé, et scjourné encore par
quelque temps à ordonner les affaires et reconoitrc
la terre des environs l'ilc Saincte-Croix, on parla de
r*cnvoycr les navires en France avant l'hiver, et â
tant se disposèrent au retour ceux qui n'estoicnt al-
lez lu pour hiverner. Ce-pendant les Sauvages de
tous les environs venoient pour voir le train des
François, et se rengeoicnt volontiers auprès d'eux;
niétnes en certains differens faisoîent le sieur de
Monts Juge de leurs débats y qui est vn commen-
cement de sujection volontaire > d'où on peut conce-
voir vne espérance que ces peuples se rangeront bien
tôt à nôtre façon de vivre.
Il Entre autres choses survenues avant le parle-
ment desdits navires, avint vn jour quVn Sauvage
nommé S//uj/n', trouvant bonne la cuisine dudit sieur
de Monts, s'y estoit arrêté, et y rendoit quelque ser-
vice : et ncantmoins faisoit l'amour â vne fille pour
l'avoir en mariage, laquelle ne pouvant avoir de gré
et du consentement du perc, il la ravit et la print
pour femme. Là-dessus grosse querelle. Et enfin la
611e lui est enlevée , et retourne avec son perc. Vn
grand débat se préparait, n'eust esté que Bitaattl s*es-
tant plaint de cette injure au sieur de Monts, les au-
tres vinrent défendre leur cause, disans, à sçavoir
le père assisté de ses amis, qu'il ne vouloit point
bailler sa fille à vn homme qui n'eust quelque indus*
467
44»
trie
Histoire
:Ile et les enfants
nourrir eue et les entants qui provien-
drotent du mariage. Que quant à lui il ne voyoîl
point qu^Jlsceut rien faire. Qu'il s'amusait à la cui-
sine de lui sieur de Monts et uc s'exerçait point à
chasser. Somme qu'il n'auroît point la tille, et dc-
voit se contenter de ce qui s'estoit passé. Ledit sieur
de Monts les ayant ouys, il leur remontra qu'il ne
le detenoit point, et qu'il estoit gentil garçon, et
qu'il iroit à la chasse pour donner preuve de ce qu'il
sçavoit faire. Mais pour tout cela, si ne voulurent-ils
point lui rendre la fille qu'il n*eust montré par effet
ce que ledit sieur de Monts prometcoit. Bref il va t la
chasse (du poisson), prent force saumons. La fille lui
est rendue, et Je lendemain il vint revêtu d'un beau
manteau de castors tout neuf bien orné de matachtai
46B au Fort qu'on II conimcnçoit â batîr pour les Fran-
çois, amenant sa femme quant et lui, comme triom-
phant et victorieux, Payant gaignée de bonne guerre;
laquelle il a toujours depuis fort aimée par dessus la
coutume des autres Sauvages, donnant d entendre que
ce qu'on acquiert avec peine on le doit bien chérir.
Par cet acte nous reconoissons les deux points les
plus considérables en affaires de mariage cstrc obser-
vez entre ces peuples, conduits seulement par la loy
de Nature : c'est à sçavoirrAulhorïté paternelle et l'in-
dustrie du mari. Chose que j'ay plusieurs fois admi-
rée : voyant qu'en notre Eglise Chrétienne, par je ne
scay quels abus, on a vécu plusieurs siècles, durant
lesquels l'authorité paternelle a esté baffoQée et vili-
pendée, jusques à ce que les assemblées Ecclesiasti'
ques ont debendé les ïeux, et reconeu que cela estoit
contre la nature même ; et que aoz Roix pax £dits
DE LA NoVYELLK-FraHC».
443
I
ont remise en son entier cette paternelle authorité,
laquelle neantmoins es mariages spirituels et vœux
Je Religion n'est point encore r'cntrce en son lustre,
et n*a en ce regard son appui que sur les Arrests des
Parlements, lesquels souventefois ont contraint les
détenteurs des enfants de les rendre à leurs pères.
Il Description de VJle Saincte-Croix. Entreprise du sieur de Monts 469
di^iU et généreuse , et persécutée d'envies. Retour du sieur
de Poittrincourt en France. Périls du voyage.
Chap. V.
EVANT que parler du retour des navires en
France, il nous faut dire que l'Ile de
Saincte-Croix est difficile à trouver à qui
n'y a esté, car il y a tant d'îles et de
grandes bayes à passer devant qu'on y soit, que je
m'étonne comme on avoit peneti'é si avant pour
l'aller trouver. Il y a trois ou quatre montagnes emi-
nentcs par dessus les autres aux cotez; mats de la
part du Nort d'où descend Ea rivière, il n'y en a sinon
vne pointue éloignée de plus de deux lîeut-s. Les
bois de la terre ferme sont beaux et relevez par admi-
ration el les herbages scmblabtemcnt. Il y a des ruis-
seaux d'eau douce très -agréable s vis-à-vis de l'ile, où
plusieurs des gens du sieur de Monts faisoient leur
ménage } et y evoient cabane. Quant à la nature de
la terre, elle est très-bonne et heureusement abon-
dante. Car ledit sieur de Monts y ayant lait cultiver
444
Histoire
quelque quartier de terre, et icelui ensemencé àt
seigle (je n*y ay point ven de froment), il n'eut moyen
d'attendre la maturité d'icclui pour le recueillir, et
470 ncantmoins le grain tombe- a sur- || creu et rejette si
merveilleusement, que deux ans après nous en re-
cueillîmes d'aussi beau , gros et pesant qu'il y en ail
point en France, que la terre avoit produit sans cul-
ture : et de présent il contiûuC- à. rcpullulcr tous les
ans. Ladite ilc a eaviroa demie-lieuë de tour, et ao
bout du côte de la mer il y a vn tertre et comme vn
îlot séparé, où estoit placé le canon dudit sieur d«
Monts , et là aussi est la petite chappclle bâtie à la
Sauvage. Au pied d'icelle il y a des moules tant que
c'est merveilles, lesquelles on peut amasser de basse
mer, mais elles sont petites. le croy que les gens
dudit sieur de Monts ne s'oublièrent point à prendre
les plus grosses, et n'y laissèrent que la semence et
menue génération. Or quant à ce qui est de l'exer-
cice et occupation de noz François, durant le temps
qu'ils ont esté là j nous le toucherons sommairement
apresquenousauronsreconduitles navires en France.
Les frais de la marine en telles entreprises que
celle du sieur de Monts sont si grands que qui n'a
les reins fors succombera racilemeni : et pour éviter
aucunement ces frais il convient s'incommoder beau-
coup et se mettre au péril dcdcmcuier dégradé parmi
des peuples qu'on ne conoit point, et qui pis est, en
vne terre inculte et toute forétiere. C'est en quoy cette
action est d'autant plus généreuse, qu'on y voit le
péril emincnt, et neantmoins on ne laisse point de
braver la Fortune, et sauter par dessus tant d'épines
qui s'y présentent au devant. Les navires du sieur de
I
I
■DE LA NovvELLE- France. 445
Monts retournans en France, || le voilà demeuré en 471
vn triste lieu avec vn bateau et vne barque tant seu-
lement. Et ores qu'on lui promet de Tenvoier quérir
à la révolution de l'an, qui est-ce qui se peut asseu-
rer de la fidélité d'JEole et de Neptune, deux mau-
vais maîtres, furieux, inconstans et impitoyables?
Voilà l'état auquel ledit sieur de Monts se reduisoit,
n'ayant point d'avancement du Roy comme ont eu
ceux desquels (hors-mis le feu sieur Marquis de la
Roche) nous avons ci -devant rapporté les voyages.
Et toutefois c'est celui qui a plus fait que tous les au-
tres, n'ayant point jusques ici lâché prise. Mais en
fin je crains qu'il ne faille là tout quitter, au grand
vitupère et reproche du nom François, qui par ce
moyen est rendu ridicule et la fable des autres na-
tions. Car comme si on se vouloit opposer à la con-
version de ces pauvres peuples Occidentaux, et à
l'avancement de la gloire de Dieu et du Roy , il se
trouve des gens pleins d'avarice et d'envie, gens qui
ne voudroient point avoir donné vn coup d'épée
pour le service de sa Majesté , ni souffert la moindre
peine du monde pour l'honneur de Dieu, lesquels
empêchent qu'on ne tire quelque profit de la province,
même pour fournir à ce qui est nécessaire à l'établis-
sement d'vn tel œuvre, aimans mieux que les Anglois
et HoUandois s'en prevaillent que les François, et
voulans faire que le nom de Dieu demeure inconeu
en ces parties-là. Et telles gens , qui n'ont point de
Dieu (car s'ils en avoient ils seroient zélateurs de son
nom) on les écoute, on les croit, on leur donne gain
de cause.
Il Or sus, appareillons et nous mettons bientôt à 472
446
Histoire
la voile. Le sieur de Houtrincourt avoii fait le voyâf
par delà avec quelques hommes de mise , non pour
y hiverner, mais comme pour y aller marquer soQ
logis, et reconoitre vne terre qui lui fust agréable.
Ce qu'ayant fait, il n'avoit besoin d'y séjourner plus
long temps. Par ainsi les navires cstans prêts û partir
pour le retour, il se mît a ceux de sa compagnie de-
dans l'vn d'iceux. Ce-pcndant le bruit estoit par deçà
de toutes parts qu'il laisoit merveilles dedans Ôstcnde,
pour lors assiégée dés y avoit trois ans passez par
les Altesses de Klandrcs. Le voyage ne fut sans tour-
mente et grands périls. Car entre autres j'en recl-
teray deux ou trois que l'on pourroit mettre parmi
les miracles , n'estoit que les accidens de mer sont
assez journaliers, sans toutefois que je vueiUeobscur- ^J
cir la faveur speciak' que Dieu a toujours montré en ^|
ces voyages. ^w
Le premier est d'vn grain de vent qui sur le milieu
de leur navigation vint de nuit en vn instant donner
dans les voiles avec vne impétuosité si violente, qu'il
renversa le navire en sorte que d'vne part la quille
estoit préque à Ûeur d'eau , et la voile nageant des-
sus sans qu'il y cust moyen, ni loisir de l'amcnefi
ou desamarrer Us écoutes. Incontinent voilà la mer
comme en feu (les mariniers appellent ceci le feu
sainct GoudranJ. Kt de malheur, en cette surprise
ne se trouvoit vn seul couteau pour couper les ca-
bles ou les voiles. Le pauvre vaisseau ce-pendant en
473 ce tl lortunal demcuroii en l'état que nous avons dit,
porté haute: bas. Bref plusieurs s'attendoient d'aller
boire à leurs amis, quand voici vn nouveau renfort
de vent qui brisa la voile en mille pièces învtilcs par
4
DE LA NoVTBLLB-FrANCE.
447
après à toutes choses. Voile heureuse d'avoir par sa
ruine sauvé tout ce peuple. Car si cliecust esté neufve
le pcrîl yeust esté beaucoup plus grand. Mais Dieu
tente souvent les siens et les conduit jusques uu pas
de la mort, afin qu'ils recognoissent sa puissance et
!e craignent. Ainsi le navire commença à se relever
peu à peu, et se remettre en estât d'asscurancc.
Le deuxième lut au Casquet (ile ou rocher en
forme de casque entre France et Angleterre, oU il
n'y a aucune habitationj ;\ trois lieues duquel estant
parvenus, il y eut de la jalousie entre les maîtres de
navire (mal qui ruine souvent les hommes et lesat-
faires) l'un disant qu'on doubleroît bien ledit Cas-
quet, l'autre que non, et qu'il lalloit dériver vn petit
de la droite loute pour passer au dessous de l'ilc. En
ce fait le mal cstoit qu'on ne sçavoit l'heure du jour,
parce qu'il faisoit obscur, à cause des brumes, et
par conséquent on ne sçavoit s'il cstoit ebe ou Hot.
Or s'il eust este âot, ils eussent aisément doublé;
mais il se trouva que la mer se retiroii, et par ce
moyen l'ebe avoit retardé et empêché de gaigncr le
cssus. Si bien qu'approchans dudit roc ils se virent
au desespoir de se pouvoir sauver, cl falloir nécessai-
rement aller choquer ù l'cncontrc. Lors chacun de
prier Dîeu, et demander pardon les vus aux autres,
et se lamenter pour le dernier réconfort. Sur ce point
le Capital- II ne Rossignol (de qui on avoit pris le 471
navire en la Nouvelle-France, comme nuus avons
dit) tira vn grand couteau pour tuer le Capitaine Ti-
mothée, gouverneur du présent voyage, lui disant :
<L Tu ne te contentes point de m'avoir ruiné, et tu
me veux encore ici taire perdre ! » Mais il fut retenu
k
448
Histoire
1
et empeschcî de faire ce qui! vouloit. Et de vérité
c^estoit ea lui vne grande fol ie, ou plustôt rage, d'aller
tuer vn homme qui s'en va mourir, et que celui qui
veut faire le coup soit en même péril. En bii comme ^Él
on alloit donner dessus Ieroc,lcsicurde Poutrincourt ^H
demanda à celui qui csteit à la hune s'il n*y avoit
d^esperancc : lequel dit que non. Lors il dit à quel-
qucs-vns qu'ils l'aidassent ù changer les voiles. Ce
que tirent deux ou trois seulement, et ja n'y avoit
plus d'eau que pour tourner ic navire, quand la fa-
veur de Dieu les vînt aider et détourner le vaisseau
du péril sur lequel ils esToîcnt ja portes. Quelques-
vns avoient mis le pourpoint bas pour essayer de se
sauver en grimpant sur le rocher. Mais ils n'en eu-
rent que la peur pour ce coup, fors que quelques
heures après, cstans arrivez près vn rocher qu'on ap-
pelle Le Nid ù 1 Aigle, ils cuidercnt l'aller aborder
pensons que ce fust vn navire, parmi l'obscurité des
brumes ; U*oCi cstans derechef échappés, ils arrivèrent
en hn au lieu d'oti ilséioient partis, ayant ledit sieur
de Poutrincourt laissé ses ;irmcs et munitions de
guerre en Pile Saincte-Croix en la garde dudit sieur
de Monts, comme vn arre et gage de la bonne vo-
lonté qu'il avoil d'y retourner.
Mais je pourroy bien mettre ici encore vn || mer-
veilleux danger duquel ce racme vaisseau fut ga-
ranti peu après le départ de Saincie-Croix, et ce par
l'accident d'vn mal duquel Dieu sceut tirer vn bien.
Car vn certain altéré estant de nuit furtivement des-
cendu par la coutille au fond du navire pour boire
son saoul et emplir de vin sa bouteille, il trouva
qu'il n'y avoit que trop à boire , et que ledit navire
DB LA NoVVBLLE-FrAHCB.
440
I
stoit dds-ja à moitié plein d*eau : de sorte que le
ïeril estoit emîncnt; et curent Je la peine infinie à
retancber avec la pompe. En fin en estans venus à
bour, ils trouvèrent qu'il y avoit vnc voye d*cau par
la quille, laquelle ils étouperent en grand' dili-
gence.
Bâtiments de VUe SaiacU -Croix, tncommoditez des François
audit lieu. Maladies inconeuïs. Ample discours sur icciles.
î De leurs causes. Des peuples qut y sont sujets. Des viandes,
' maui'dises eaux, air, vents, Ua ^ pourriture des ôois^ sai-
j sonSf disposition de corps des jeunes, des vieux. Avis de
I i'Autheur sur U gouvernement de la santé et guerisons deS'
J^m dites maladies.
Chap. VI.
END A. NT la navigation susdite, le sieur de
Monts fai^oit travailler à son Fort, lequel
il avoit assis au bout de Tile, à l'opposîtc
du lieu oîi nous avons dit qu'il avoit logé
son canon, Ce qui estoit prudemment considéré, à
fin de tenir touîc la rivière sujete en haut et en bas.
Mais il y avoit vn mal que ledit Fort estoit du côté
du Nort, et sans ]] aucun abri, fors que des arbres 476
qui estoiunt sur lu rive de l'ilc, lesquels tout â l'en-
viron il avoit defenJu d'abattre. Et hors icelui Fort
il y avoit le logis des Suisses, grand et ample, et au-
tres petits rcprcsentans comme vn faux-bourg. Qucl-
ues-vns s'estoient cabanes en la terre ferme prés le
29
::x
4So
Histoire
477
ruisseau. Mais dans le Fort estaient le logis dudlt
sieur de Monts, fait d*vne belle et artificielle charpea-
terie, avec la bônnicrc de France au dessus. D'vne
autre part estoit le magazin , oîi rcposoit le salut et
la viu d'vn chacun, fait semblablcment de belle char-
penterie, et couvert de bardeaux. Et vis-à-vis d
magazin estoîent les logis et maisons des sieurs d'Or-
vilk, Champiein , Champdorc, et autres notables
personages. A l'opposite du logis dudit sieur de
Monts estait vnc gallcrie couverte pour l'exercice soit
du jeu ou des ouvriers en temps de pluie. Et entre
ledit Fort et la Plateforme où estoit le canon, tout
estoit rempli de jardinages, à quoy chacun s^cxercoît
de gaieté de cœur. Tout l'automne se passa à ceci ;
et ne fut pas mal allé de s'estre logé et avoir défriché
l'île avant l'hiver, tandis que par-dcça on faisoil cou- ^^
rir les livrets souz le nom de maitre Guillaume^^H
farcis de toutes sortes de nouvelles, par lesquels^*
entre autres choses ce pronostiqueur disoit que le
sieur de Monts arrachoit des épines en Canada. Et
quand îoui est bien considéré, c'est bien vrayeraent
arracher des épines que de faire de telles entrepris
remplies de fatigues et périls continuels, de soins
d'angoisse et d'incommoditcz. Mais la vertu et le
cou- Il rage qui dompte toutes ces choses fait, que ces
épines ne sontqu'œillets et roses â ceux qui se ré-
solvent à ces actions héroïques pour se rendre re-
commandables à la mémoire des hommes, et ferment
les yeux aux plaisirs des douillets qui ne sont bons
qu'à garder la chambre.
Les choses plus nécessaires estant faites, et le porc
grisart, c'est à dire l'iiiver, estant venu, force fut de
is, 1
K
tCi
m:ii
DE L4 Novtellë-Frakce. 45i
(jarder la maison, ec vivre vn chacun chez soy. Du-
rant lequel temps nosgens curent troisincommoditez
rincipales en cette ilc , à sçavoir lautc de bois (car
c qui estoit en ladite île avoit servi aux bâtiments),
'aut d'eau douce, et le guet qu'on faïsoit de nuit crai-
gnant quelque surprise des Sauvages qui cstoicut
cabanes au pîcd de ladite lie, ou autre cancini. Car
la malédiction ce rage de beaucoup de Chrétiens est
telle, qu'il se faut plus donner garde d'eux que des
peuples infidèles. Chose que je dis â regret j mais A la
mienne volonté que je fusse menteur en ce regard, et
que le sujet de le dire fiist ûlé. Or quand îl falloil
avoir de Teau ou du bois on estoit contraint de pas-
ser la rivière, qui est plus de trois fois aussi large que
Seine de chacun côté. Cestoit chose pénible et de
ngue haleine. De sorte qu'il lalloit retenir le ba-
teau bien souvent vn jour devant que le pouvoir ob-
enir. Lù-dessus les froidures et neges arrivent et la
;elée si forte que !e cidre estoit glace dans les ton-
eaux, et falloit à chacun bailler sa mesure au poidiâ.
uant au vin, il n'esioit distribué que par certains
jours de la semaine. Plusieurs paresseux buvoient
de l'eau de nege, sans pren- \\ dre la peine de passer
la rivière. Uref voici des maladies inconeuës sembla-
bles à celles que le Capitaine lacqucs Quartier nous
a représentées ci-dessus , lesquelles pour cette cause
je ne decriray pas, pour ne faire vne répétition vaine.
remède il ne s'en trouvoit point. Tandis les pau-
vres malades languissoicnt, se consommans peu à
peu, n'ayans aucune douceur comme de laictagc ou
bouïllie, pour sustenter cet estoraach qui ne pouvoit
recevoir les viandes solides, â cause de l'empeclie-
478
452
Histoire
479
ment d'vne chair pourrie qui croissoit et surabondoît
dans la bouche, et quand on la pensoiï enlever elle
renaissoil du jour au lendemain plus abondamment
que devant. Q.uant à l'Arbre Annedda duquel ledit
Quartier fait mention, les Sauvages de ces terres ne
leconoissent point. Si bien que c'estoit grande pîtié
de voir tout le monde en langueur, excepté bien peu,
les pauvres malades mourir tous vifs sans pouvoir
estre secourus. De cette maladie il y en mourut
trente-six, et autres trente-six ou quarante qui en
estoienc touchez guérirent à l'aide du printemps si-
tôt qu'il fut venu. Mais la saison de mortalité en
icelle maladie sont la fin de lanvier, le mois de Fé-
vrier et Mars, ausquels meurent urdinaîrcment les
malades chacun ù son rang selon qu'ils ont commencé
de bonne heure à estre indisposez : de manière que
celui qui commencera sa maladie en Février et Mars
pourra échapper ; mais qui se hâtera trop, et voudra
se mettre au licE en Décembre et lanvier il sera en
danger de mourir en Février, Mars, ou commence-
ment I] d'Avril, lequel temps passé il est en espérance
et comme en asseurance de salut.
Le sieur de Monts estant de retour en France,
consulta nos Médecins sur le sujet de celte maladie,
laquelle ils trouvèrent fort nouvelle , â mon avis, car
je ne voy point que lors que nous nous en allâmes,
nôtre Apothicaire fust chargé d'aucune ordonnance
pour la guerison d'iceUe. Et toutefois il semble
qu'Hippocrate en a eu conoissance, ou au moins de
quelqu'vne qui en approchoit. Car au livre De inlernis
affect. il parle de certaine maladie où le ventre, et puis
après la rate s'enfle et endurcit, et y ressentent des
I
DEi.* Novvblle-France.
453
pointures douloureuses, la peau devient notre et
palle, rapponant la couleur d'vne grenade verte; les
aureiUes et gencives rendent des mauvaises odeurs,
ei se séparent icelles gencives d'avec les dents j des
pustules viennent aux jambes; les membres sont at-
ténuez, etc.
Mais particulièrement les Septentrionnaux y sont
sujets plus que les autres nations plus méridionales.
Témoin les Holandois, Frisons, et autres circonvoi-
^sins, entre lesquels iccux Holandois écrivent en leurs
lavîgations qu'allans aux Indes Orientales plusieurs
'd*entre eux furent pris de ladite maladie, estans sur
la côte de la Guinée, côte dangereuse, et portant vn
air pestilcnt plus de cent licut^s avant en mer. Et
les mêmes (j'entens les Holandois) estans allez en
l'an 1606. sur la côte d'Hespagne pour la garder et
kmpccher l'armée Hcspugiiolc, furent contraints de
se retirer à cause Je ce mal, ayans jette 22. de leurs
morts en la mer. Et si on veut encore ouïr le témoi-
Lgnage d'O/flUJ Magnus{i) traitant des nations Sep- 1 1 ten-
'trionales d'où il estoit, voici ce qu'il en rapporte :
« Il y a (dit-il) encore vnemaladiemilitaire qui tour-
« mente et affiige les assiégez, telle que les membres
<c epessisparvnecertaine stuprditécharneuse,ctparvn
• sang corrompu, qui est entre chairet cuir, s'ecoulans
•i comme cire; ils obeïsscnt à la moindre impression
■ qu'on fait dessus avec le doigt , et étourdit les
les dents comme prés à cheoir; change la couleur
blanche de la peau en bleu, et apporte vn engour-
[v disscmcnt, avec vn degoust de pouvoir prendre
(i)Olaus, liv. 16, chap. ;i.
480
454
H ISTOIRE
481
« médecine; et s'appelle vulgairement en la langue
« du pajfs Scorbut y en Grec K'>/îîta , par aventure à
a cause de cette molesie putride qui estsouz le cuir,
« laquelle semble provenîrde l'vsagedes viandes sat-
B lées et indigestes et s'entretenir par la froide exha-
« latson des murailles. Maïs clic n'aura pas tant de
n force la où on garnira de planche le dedans des
a maisons. Que si elle continue davantage, il la faut
« chasser en prenant tous les jours du bruvage d'ah-
« sinthe, ainsi qu'on pousse dehors la racîricdu calcul
« par vne décoction de vieille cervoise beuë avec du
■ beurre. » Le même Autheur dit encore en vn
autre lieu (1) vne autre chose fort remarquable :
« Au commencement (dit-il) ils soutiennent le siège
« avec la force, mais en fin, le soldat estant par la
« coniinuiJ affoibli, ils enlèvent les provisions des
« assiegcans par artifices, finesses, et embuscades,
« principalement les brebis, lesquelles ils emmènent,
« et les font paître es lieux herbus de leurs maisons,
« de peur que par défaut de )| chairs freches ils ne
9 tombent en vne maladie, la plus tristes de toutes
<f les maladies, appellée en la langue du païs Scorbut,
« c'est à dire vn estomach navré desséché par cruels
« tourmens et longues douleurs. Car les viandes
« Éroides et indigestes prises gloutonnement sem-
bicnt estre la vraye cause de cette maladie. »
l'ay pris plaisir à rapporter ici les mois de cet Au-
theur, pource qu'il en parle comme sçavantet repré-
sente assez le mal qui a assailli les nôtres en la Nou-
velle-France, sinon qu'il ne fait point mention que
(0 C'est au tiv. 9, chap. }8.
DB LA NoVVELLE-FraHCE.
455
i5 des jarrets se roîdîssent, ni d*vne abondance
de chair à demi pourrie qui croist et abonde dans la
bouche, et si on la pense ôter elle repullule toujours.
Mais il dit bien de l'esromach navré. Car le sieur de
Poutrincourt fit ouvrir vn Negrc qui mourut de cette
maladie en nôtre voyage , lequel se trouva avoir les
parties bien saines, bors-mis l'cstomach, lequel avoit
des rides comme vlcerées.
Et quant à la cause des chairs salées, ceci est bien
véritable, mais il y a encore plusieurs autres causes
concurrentes qui fomentent et entretiennent cette
maladie, entre lesquelles ']q mcttray en gênerai les
mauvais vivres, comprenant sous ce nom les bois-
sons ', puis le vice de l'air du païs, et apre^ la mau-
vaise disposition du corps; laissant aux Médecins à
rechercher ceci plus curieusement, A quoy Hippo-
crate (1) dit que le Médecin doit prendre garde soi-
gneusement, en considérant aussi les saisons, les
vents, les aspects du Soleil, les eaux, la terre même,
sa natu- jl re et situation, le naturel des hommes,
leurs façons de vivre et exercices.
Quant à la nourriture, cette maladie est causée par
des viandes froides, sans suc, grossières et corrom-
pues. Il faut donc se garder des viandes salées, en-
fumées, rances, moisics, crues et qui sentent mau-
vais, et semblablement de poissons séchez, comme
morues et rayes empunaisies, bref de toutes viandes
melancholiqucs, lesquelles se cuisent difficilement
en Testomach, se corrompent bien-tôt, et engendrent
m sang grossier et melancholique. le ne voudroy
(1) Au commencement da liv. Deatrt, a/fais^ et toc.
482
483
"Histoibe'
pourtant estre si scrupuleux que les Médecins, fi
quels mettent les chairs de boeufs, d'ours, de san-
gliers, de pourceaux (ils pourroicnt bien aussi adjou-
Icr Les Castors , lesquels ncantmoins nous avons
trouvé fort bons) entre les melancholiques et gros-
sières : comme ils font entre les poissons , les tons,
dauphins, et tous ceux qui portent lard; entre les oi-
seaux, les hérons, canars, et tous autres de rivière :
car pour estre trop religieux observateur de ces cho
ses on tomberoit en atrophie, en danger de mourir
de faim. Us mettent encore entre les viandes qu'il
faut fuir, le biscuit, les févcs et lenlUlcs, le fréquent
vsage du laiclj le fromage, le gros vin et celui qui est
trop délié, le vin blanc, et l'vsagc du vinaigre, la
bière qui n'est pas bien cuite, ni bien ecumée, et où
il n'y a point assez de houblon j item les eaux qui pas-
sent par les pourritures des bois, et celles des lacs et
marais dormantes et corrompues, telles qu'il y en a
beaucoup en Holande et Frise, là où on a obser- [| vé
que ceux d'Amsterdam sont plus sujets aux paralysies
et roidissemens de nerfs que ceux de Rotterdam, pour
la cause susdite des eaux dormantes ; lesquelles outre
plus engendrent des liydropisies , dysenteries, aux
de ventre, fièvres quartes et ardantcs, enflures, vice-
res de poulmons, difficultez d'haleine , hergncs aux
enfans, enflures de veines et vlceres aux jambes;
somme, elles sont du tout propres à la maladie de
laquelle nous parlons, estans attirées par la rate, où
elles laissent toute leur corruption.
Quelquefois aussi ce mal arrive par vn vice qui
est même 6s eaux de fontaines coulantes, comme si
elles sont parmi ou prés des marais, ou si elles sor-
4
4
I
' I
4
DR LA NoVVELLE-FrANCE.
4S7
^
T n
tent d'vne Terre boueuse, ou d'vn lieu qui n*a point
l'aspect du Soleil. Ainsi Pline (i) recite qu'au voyage
que fit le Prince César Germanicus en Allemagne,
ayant donné ordre de faire passer le Rhin à son ar-
mée, à iin de gaigner toujours païs, il la fit camper
le long de la marine es côtes de Frise, en vn lieu oti
ne se trouva qu'vne seule fontaine d'eau douce, la-
quelle ncantmoins fut si pernicieuse, que tous ceux
qui en bcurcnt perdirent les dents en moins de 2, ans,
et eurent les genoux si lâches et denoUcz, qu*ils ne
se pouvoient soutenir. Ce qui est proprement la ma-
ladie de laquelle nous parlons, laquelle les Médecins
appelloient Stomaccacé, c'est à dire Mal de bouche, et
Sctbtyrbé, qui veut dire Tremblement de cuisses et
jambes. Et ne fut possible de trouver remède, sinon
par le moyen d'vne herbe dite Britannica, qui d'ail-
leurs est fort bonne aux nerfs, aux maladies et || ac-
jdens de la bouche, à la squinancie, et aux morsures
es scrpens. Elle a les fucilles longues, et tiranr sur
e verd brun, et produit vnc racine noire, de laquelle
on tire le jus, comme on fait des fueillcs. Strabon dit
qu'il en print autant à l'armée qu'^îllius GalUis
mena en Arabie par la commission de l'Empereur
Auguste. Et autant encore en print à l'armée de
sainct Loys en Mgypte, selon le rapport du sieur de
oinville. On voit d'autres effets des mauvaises eaux
ssez prés de nous, sçavoir en la Savoyc, oli les fem-
mes (plus que les hommes, A cause qu'elles sont
plus froides) ont ordinairement des enflures à la
gorge grosses comme des bouteilles.
(1) Pline, )jv. 2j,cltap. j.
484
458
Histoire
Apres les eaux, lair aussi est vn des pères de la
gencralion de celte maladie es lieux marécageux et,
humides, et opposés au Midi, lequel volontiers est^
pluvieux. Mais en la Nouvelle-France il y a encorej
vne autre mauvaise qualité de l'air, à-cause des Lacs
qui y sont frequens, cr des pourritures qui sont
grandes dans les bois, l'odeur desquelles les corps
ayans humé es pluies de l'automne et de rhy\*er, ai-
sément s'y engendrent les corruptions de bouche et
enflures de j'ambcs dont nous avons parlé, et vn froid
insensiblement s'insinue là dedans, qui engourdit les
membres, roidit les nerfs, contraint d'aller à quatre
pieds avec deux potences et en fin tenir le lict.
Et d'autant que les vents participent de l'air, voire
sont vn air coulant d'vne force plus véhémente que
l'ordinaire, et en cette qualité ont vne grande puis-
4,85 sancc sur la santé et les ma- 1| ladie des liomracs, di-
sons-en quelque chose , sans nous éloigner ncant-
moins du fil de nôtre histoire.
On Tient le vent de Levant (appelé par les Latins
Subsoianus^ qui est le vent de l'Est) pour le plus sain
de tous, et pour cette cause les sages architectes don-
nent avis de dresser leurs bâtiments â l'aspect de
l'Aurore. Son opposite est le vent qu'on appelle Favo-
mui, ou Zephyre. que noz mariniers nomment Olicst
ou Ponant, lequel est doux et germeux par-deça. Le
vent de Midi, qui est le Su (appelle /îw/er par les La-
tins) j est chaud et sec en Afrique; mais en traver-
sant la mer Méditerranée il acquiert vne grande hu-
midité, qui le rend tempétueux et putrefaclif en Pro-
vence et Languedoc. Son opposite est le vent de
Nort, autrement dit Borcas^ Bizc, Tramontane, lequel
DE LA NoVVELI-E-FbAHCE.
439
est froid et sec, chasse les nuages et balaye la région
aeréc. On le tient pour le plus sain après le vent du
Levant. Or ces qudlitez de vents reconcuès par-deça
font point vne reiglc générale par toute la terre.
Sar le vent du Nort au dcU de la ligne cquinocliale
n'est point froid comme pûr-de»ja, ni le vent du Su
chaud, pour ce qu'en vne longue traverse ils em-
pruntent les qualité?, des régions par ob ils passent;
int que le vent de Su en son origine est rafraichis-
mt, à ce que rapportent ceux qui ont fait des voya-
ges en Afrique. Ainsi iJ y a des régions au Pérou
(comme en Lima et aux plaines, où le vent de Nort
est maladif et ennuyeux; et par toute cette cÔte, qui
dure plus de || cinq cens lieues, ils tiennent le Su
pour vn vent sain et frais, et qui plus est tres-serain
et gracieux, mêmes que jamais il n'en picul (â ce qiic
recite loscph Acosta) (1), tout au contraire de ce
que nous voyons en nôtre Europe. Et en llespagnc
le vent de Levant que nous avons dit estre sain, le
même Acosta rapporte qu'il est ennuyeux et mal
sain. Le vent Ctra'uJ, qui est le Nordest, est si impé-
tueux et bruyant, ci nuisible, aux rives Occidentales
de Norwege, que s'il y a quelqu'vn qui entreprenne
de voyager par là quand il souffle, il faut qu'il
fasse état de sa perte, et qu'il soit suffoqué; et est ce
vent si froid en cette région qu'il ne souffre qu'au-
cun arbre ni ahrisseau y naisse : tellement qu'à
faute de bois il faut qu'ils se servent d'oz de grands
poissons pour cuire leurs viandes (2). Ce qui n'est
11) Liv. j, chap. j.
(2)0iaiis Magnus, liv. i,ctup. 10.
4^6
460
Histoire
par-dcça. De même avons-nous expérimenté en !
Nouvelle-France que les vents de Nort ne sont p
bons pour la sanlé; cl ceux de NoroUest (qui sont
les Aquilons roides, âpres et tempétueux) encores
pircsi lesquels noz malades et ceux qui avoient là hi-
verné l'an précèdent redoutoient fort, pourcc qu'i,
y tomboit volontiers quclqu'vn lors que ce vea
soufHoit, aussi avoicnt-ils quelque ressentiment de
ce vent, ainsi que nous voyons ceux qui sont sujets
aux hernies et enteroceles supporter de grandes dou-
leurs lors que le vent de Midi est en campagne; et
comme nous voyons les animaux mêmes par quel-
ques signes prognostiquer les changements des
temps. Cette mauvaise qualité de vent (par mon avis)
4S7 vient de la nature de la terre par oii il passe, \\ \a»^m
quelle (comme nous avons dit) est fort remplie d^^^
lacs, et iceux trcs-grands, qui sont eaux dormantes,
par manière de dire. A quoy j'adjoute les exhalai-
sons des pourritures des bois, que ce vent apporte,
et ce en quantité d'autanl plus grande que la partie
du Noroûest est grande, spacieuse et immense.
Les saisons aussi sont A remarquer en celte mala-
die, laquelle fe n'ay point veu, ni ouï dire qu'elle
commence sa batterie uu printcraps, ni en Pelé, ni
en l'automne, si ce n'esta la fin; mais en l'hiver. Et
la cause de ceci est que comme la chaleur renaissante
du printemps fait que les humeurs resserrées durant
l'hiver se dispersent jusqucs aux cxtrcmitezdu corpSi
cl le déchargent de la melancholie, et des sucs exor-
bitans qui se sont amassés durant l'hiver , ainsi i*au-
tomne à mesure que l'hiver approche les fait retirer
au dedans, et nourrit cette humeur melancholiqu<
DE LA NoVVHLLK-FraNGK.
461
^^n
et noire, laquelle abonde principalement en cette
Saison, ce l'hiver venu t'ait puroitie ses effets au dé-
)ens des patieiis. Et Galien (1) en rend la raison,
b'sant que les sucs du corps ayant esté rôtis par les
Irdeurs de rété, ce qu'il y en peut rester après que te
chaud a esté expulsé, devient incontinent froid et
^■ec : c'est à sçavoir froid par la privation de la cha-
^^kur, et sec entant qu'au dessèchement de ces sucs
^H^ut rhumidc qui y estoit a esté consommé. Et de là
^^ent que les maladies se fomentent en cette saison,
et plus on vd avant, plus la nature est foîble, et lc:>
intempéries froides de l'air s'cstans insinuiies lians vn
corps ja disposé, elles le manient à baguette, comme
on dit, et n'en ont point de pitié.
Il J'adjouteray volontiers à tout ce que dessus les 488
mauvaises nourritures de la mer, lesquelles apportent
beaucoup de corruptions aux corps humains en vn
long voyage. Car il faut par nécessité après quatre
ou cinq jours vivre de salé, ou mener des moutons
vifs, et force pouljJUes; mais ceci n'est que pour les
maîtres et gouverneurs des navires; et nous n'en
avions jwint en nôtre voyage sinon pour la reserve et
^BlultiplJcation de la terre ob nous allions. Les maic-
pKts donc cr gens passagers souffrent de l'incommo-
dité tant au pain qu'aux viandes et boissons. Le bis-
cuit devient rance et pourri, les moruSs qu'on leur
baille sont de mêmes, et les eaux cmpunaistes. Ceux
qui portent des douceurs soit de chaîrs ou de fruits,
et qui vsent de bon pain et bon vin et bons potages^
évitent aisément ces maladies, et oserois par ma-
^OGalen., Comni. js>'<v- i, Dtnat. kom.
462
Histoire
niere de dire, rdpondre de leur santc, sMIs ne sont
bien mal sains de nature. Et quand je considère que
ce mal se prent aussi bien en Hoiande , en Krize, en
Hcspagnc et en la Guinée quVn Canada, bref que
tous ceux de deçà qui vont au Levant y sont sujets,
je suis induit à croire que la principale cause d'iceluï
est ce que je vien de dire, et qu'il n'est particulier à
la Nouvelle-France.
Or après tout ceci il fait bon en tout lieu cstrc bien
compose de corps pour se bien porter et vivre lon-
guement. Car ceux qui naturellement accueillent des
sucs froids et grossiers, et ont la masse du corps po-
reuse, item ceux qui sont sujets aux oppilationsdc
la rate, et ceux qui mènent vnc vie sédentaire, ont
489 vnc aptitu- Il de plus grande à recevoir ces maladies.
Par ainsi vn Médecin dira qu'vn homme d'estude ne
vaudra rien en ce païs-là, c'est à dire qu'il n'y vivra
point sainement, ni ceux qui ahannent au travail, ni
les songe-creux, hommes qui ont des ravassemens
d'esprit, ni ceux qui sont souvent assaillis de fièvres,
et autres sortes de telles gens. Ce que je croiroy bien,
d'autant que ces choses accumulent beaucoup de me-
lancholie et d'humeurs froides et superflues. Mais
toutefois j'ay éprouvé par raoy-méme, et par autres,
le contraire, contre Topinion de quelques-vns des
nôtres, voire même du Sagamos Membertou, qui fait
le devin entre les Sauvages, lesquels (arrivant en ce
païs-là) disoient que je ne retournerois jamais en
France) ni le sieur Boullet (jadis Capitaine du régi-
ment du sieur de Poutrincourt), lequel la pluspart
du temps y a esté en fièvre (mais il se tmîtoît bien), et
ceux-là mêmes conseïlloient nos ouvriers de ne guère
I
4
I
DK LA NoVVELLE-FrANCB.
463
le:
m
m
:r au travail (ce qu'ils ont lort bien retenu),
puis dire sans mentir que jamais je nay tant
travaillé du corps, pour le plaisir que je prenois à
dresser et cultiver mes jardins, les lermer contre la
iourmandise des pourceaux, y faire des parterres,
igncrles allées» bâtir des cabinets, semer Tromcnt,
gle, orge, avoine, fèves, pois, herbes de jardin, et
les arrouser, tant j'avoy désir de rccoiioïtre la terre
par ma propre expérience. Si bien que les jours d'esté
m'estoient trop courts, et bien souvent au printemps
j'y esiois encore a la lune. Quant esi du travail del'es-
it, j'en avois bon- || netcment. Car chacun esïani
tircau soir, parmi les cnquets, bruits et Untamares,
i'estois enclos en mon étude lisant ou écrivant quel-
que chose. Même je ne seray point honteux de dire
qu'ayant este prié par le sieur de Poutrincourt nôtre
chef de donner quelques heures de mon industrie a
enseigner Chrétiennement notre petit peuple, pour
ne vivre en bêtes, et pour donner exemple de nôtre
fa^on de vivre aux Sauvages, je Tay fait en la neccs
site, et cil estant requis, par chacun Dimanche, et
quelquefois excraordinairement, pré(]ue tout le temps
que nous y avons esté. Et bien me vint que j'avoy
porté ma Bible et quelques livres, sans y penser : car
autrement vne telle charge m'eust fort fatigué, et
st esté cause que je m'en serols excusé. Or cela ne
t point sans fruit, plusieurs m'ayant rendu témoi-
gnage que jamais ils n'avoicnt tant ouï parler de
jeu en bonne part, et ne sçachant auparavant aucun
ncipe de ce qui est de la doctrine Chrétienne, qui
l'état auquel vit la pluspart de la Chrétienté. Et
y eut de l'édification d vn côté, il y eut aussi de
490
464 Histoire
la médisance de l'autre, par ce que d'vne liberté Gal-
licane je disois volontiers la vérité. A propos de quoy
il me souvient de ce que dit le Prophele Amos (i) :
Ils oni /wr (dit-il) celai qui les arguoii à la yorte, et ont ca
en abomiruxlion celui (jui parloit en intégrité. Mais enlin nous
avons tous este bons amis. Et parmi ces choses Dîen
m'a toujours donné bonne et entière santé, toujours
le goul généreux, toujours gay et dispos, sinon
qu'ayant vne fois couché dans les bois, près dvn
491 ruisseau. Il en temps de nege, j'eu comme vne crampe
ou sciatique à la cuisse l'espace de quinze jours, sans
toutefois manquer d'appctit. Aussi prenoîs-jc plaisir
à ce que je laisois, désireux de confiner \à ma vie, si
Dieu benissoit les voyages.
le serois trop long si je voulois ici rapporter ce qui
est du naturel de toutes persones, ei dire quant aux
enfans qu'ils sont plus sujets que les autres à cette
maladie, d'autant qu'ils ont bien souvent des viceres
a la bouche et aux gencives, â-causcdc la substance
aigueuse dont leurs corps abondent, et aussi qu'ils
amassent beaucoup d'humeuis cieuës par leur dérè-
glement de vivre, et par les fruits qu'ils mangent en
quantité et ne s*en saoulent jamais, et au moyen de
quoy ils accueillent grande quantité de sang sereujt,
et ne peut la rate oppilce absorber ces sérosités.
quant aux vieuxj qu'ils ont la chaleur cncrvcc et ne^
peuvent résistera la maladie, estans remplis de cru-
dités, et d'\ne température iVoide et humide, qui est
la qualité propre à la promouvoir, susciter et nourrir.
Ie ne veux entreprendre sur l'office des Médecins,
(1) Amos, i.vers. 10.
ÛB LA NoVVBLLK-FrANCB.
465
frctgnant la verge censoriale, cl toutefois avec leur
^ennission, sans toucher â leurs ordonnances d'aga-
ric, d'aloes, de rubarbe et autres ingrediens, jediray
ici ce qui me semble cstrc plus prompt aux pauvres
gens qui n'ont moyen d'envoyer en Alexandrie, tant
pour la conservation de leur santé que pour le re-
mède de la maladie.
C'est vn axiome certain qu'il faut guérir vn con-
lire par son contraire. Cette maladie |j donc pro-
ïnantd\ne indigestion de viandes rudes, grossières,
froides et melancholiqucs, qui otîcncent lestomach,
ie trouve bon (saut" meilleur avis) de les accompagner
de bonnes saulccs soi t de beurre, d'huile ou de graisse,
le tout fort bien cpicé, pour corriger tant la qualité
des viandes que du corps intérieurement refroidi.
Ceci est dit pour les viandes rudes et grossières,
comme levés, pois, et pour le poisson. Car qui man-
gera de bons chappons, bonnes pcrdris, bons canars
et bons lapins, il est asseuré de sâ santé, ou il aura
le corps bien mal fait. Nous avons eu des malades
qui sont ressuscitez de mort à vie, ou peu s'en t'au'l,
pour avoir mangé deux ou trois (bis du consommé
d'vn coq. Le bon vin pris selon la nécessité de la
nature est vn souverain préservatif pour toutes ma-
ladies, et particulièrement pour celle-ci. Les sieurs
Macquin et Georges, honorables marchans de la Ro-
chelle, comme associez du sieur de Monts, nous en
avoient fourni de quarante-cinq tonneaux en nôtre
voyage, dont nous nous sommes fort bien trouvez.
Et noz malades mêmes ayans la bouche gâtée, et ne
pouvons manger, n'ont jamais perdu le goût du vin,
Jequel ils prenoient avec vn tuiau. Ce qui en a ga-
492
IlSTOIKB
renti plusieurs de la mon. Les herbes tendres au
printemps sodi aussi fort souveraines. Et outre ce
que la raison veut qu'on le croye, je l'ay expérimenté
Cû estant moy-méme allé cueillir plusieurs fois par
les bois pour noz malades avant que celles de noz
jardins fussent en vsage. Ce qui les remcttoit en goût
493 II et leur cunfortoit IVstomach débilité. Depuis quel-
ques jours j*ay eu avis que l'essence de Vitriol y aeroit
bonne en gargarisant la bouche d'ïcelle, ou frottant
cette chair surcroissante à rcnîour des dents, le
croy que l'eau seconde des Chirurgiens n'est point
mauvaise, et que mâcher souvent de la Sauge servi-
roit beaucoup à, prévenir ce mal.
Et pour ce qui regarde Textcrieur du corps, nous
nous sommes fort bien trouvés de porter des galoches
avec noz souliers pour éviter les humidités. Ne faut
avoir aucune ouverture au logis du côte d'OUest ou
Noroûest, vent dangereux; ains du côte de l'Est ou
du Su. Fait bon estre bien couché (el m'en a bien
pria d'avoir porté les choses à ce nécessaires), et sur
tout se tenir nettement. Maisjetrouvcroisbonrvsage
des poêles tels qu'ils ont en Allemagne, au moyen
desquels ils ne sentent point d'hiver, sinon entant
qu'il leur piait, estans en la maison. Voire même es
jardins ils en ont en plusieurs lieus qui tempèrent
tellement la froidure de l'hiver, qu'en cette saison
âpre et rude on y voit desorengers, limoniers, figuiers,
grenadiers et toutes telles sortes d'arbres, produire
des fruits aussi bons qu'en Provence. Ce qui esl
dautant plus facile à faire en cette nouvelle terre,
qu'elle esl toute couverte de bois (hors-mis quand o:
vient au païs des Armouchiquois, à cent lieues plu
DS LA NoVVBLLE-FhaNCE.
le Port-Royal),
467
;n taisant de l'hiver vn
été on découvrira la terre, laquelle n'ayant plus ces
grands obstacles qui empêchent que le Soleil lui face
l'amour et || réchauffe de su chaleur, il n'y a point
de doute qu'elle ne devienne temperiie et ne rende vn
air trcs-doux et bien sympathisant a nôtre humeur,
n'y ayant, même à présent, ni froid ni chaud cx-
cessil.
Or les Sauvages qui ne sçavent que c'est d'Alle-
magne ni de leurs coutumes, nous enseignent cette
même leçon, lesquels, à-cause des mauvaises nourri-
tures et entretencmens, estans sujets à ces maladies
(comme nous avons veu au voyage de lacques Quar-
tier), vsent souvent de sueurs, comme de mois en
mois, et par ce moyen se garcntisscnt, chassans par
ta sueur toutes humeurs froides et mauvaises qu'ils
pourroienl avoir amassées. Maïs vn singulier preser-
«lif contre cette maladie coquine et traitresse, qui
ent insensiblement, et depuis qu'elle s'est logée ne
veut f>oint sortir, c'est de suivre le conseil du Sage
des Sages, lequel, après avoir considéré toutes les
afllictions que l'homme se donne durant sa vie, n'a
rien trouvé meilleur que de se rejouir et bien faire ^ et
prendre plaisir à ce iju'on fait (i). Ceux qui ont fait ainsi
en nôtre compagnie se sont bien trouvez; au con-
traire, quciques-vns toujours grondans, grongnans,
mal-contens, iaineans, ont esté attrappez. Vray est
que pour se réjouir il fait bon avoir les douceurs des
viandes fréches, chairs, poissons, laictages, beurres,
huiles, fruits, et semblables, ce que nous n'avïous
(2) Ecoles ),vers. 13 et ^i.
\
494
468 Histoire
point à souhait (j'cnten le commua, car en la table
du sieur de Poutrincourt quelqu'vn de la troupe ap-
495 portoit toujours quelque gibier, ou || venaison, ou
poisson fraiz). Et si nous eussions eu demie -douzaine
de vaches, je croy qu'il n'y fust mort personne.
Reste vn préservatif nécessaire pour l'accomplisse-
ment de réjouissance, et afin de prendre plaisir à ce
que Ton fait, c'est d'avoir t'huanctc compagnie vn
chacun de sa l'enime légitime; car sans cela la cherc
n'est pas entière, on a toujours la pensée tendue à ce
que Ion aime et désire, il y a du regret, le corps
devient cacochyme, et la maladie se forme.
Et pour vn dernier et souverain remède, je ren-
voyé le patient à Tarbre de vie (car ainsi le peut-on
bien qualifier), lequel lacques Quartier ci-dessus
appelle Anniddâ (1), non eacores coneu en la cutc du
Port-Royal, si ce n'est d'aventure le Sassafras, dont
il y a quantité en certains lieux, et est certain que
ledit arbre y est fort singulier. Mais le sieur Cham-
plein qui est présentement en la grande rivière de
Canada, passant l'hiver au quartier même où ledit
Quartier hiverna, ,a charge de le reconoitre et en
&ire provision.
Il) Voyez ci^cssus cti3,p, 34.
DE LA NovvELLS- France. 469
Découverte de nouveiles terres par le siear de Monts. Contes 496
fabtdeax de k rivière et ville feinte de Norombcga. Réfu-
tation des Autheurs qui en ont écrit. Bancs des Morues en la
Terre-neuve. Kinibeki, Choûakoct. Malebarre. Armou-
chiquois. Mort d'an François tué. Mortalité des Anglais en
la Virginie.
Chap. VII.
K
A saison dure estant passée, le sieur de
Monts, ennuie de cette triste demeure de
Saincte-Croix, délibéra de chercher vn
autre port en paTs plus chaud et plus au
Su, et â cet effet fit armer et garnir de vivres vne
^barque pour suivre la côte et aller, en découvrant païs
ouveaux, chercher vn plus heureux port en vn air
plus tempéré. Et d'autant qu*en cherchant on ne
peut pas taul avancer comme lors qu'on va à pleins
voiles en la haute mer, et que trouvant des bayes et
golfes gisans entre deux terres, il faut pénétrer de-
dans, pour ce que là on peut aussi tôt trouver ce que
l'on cherche comme ailleurs, il ne fit en son voyage
qu'environ six-vingts lieufis, comme nous dirons à
cette heure. Depuis Saincte-Croix jusqucs à soixante
licuës de là en avant, la côte git Est et OQest, et par
les quarante-cinq degrez, au bout desquelles soixante
licuës est la rivière dite par les Sauvages Kinibeki. De-
ll puis (i) lequel lieu jusques à Malebarre elle gitNort 493
(0 Les folios 49J, 494, 49^ et 496 ont, par une inadvertance
typographique, étî doublés dlns l'édition originale {Nott tic i'Uii.)
47«
HiSTOIRB
494
et Su, et y a de l'vn à l'autre encore soixante lieues
à droite ligHEj sans suivre les bayes. C'est od se ter-
mina le voyage dudit sieur de Monts, auquel il avoir
pour conducteur de sa barque IcsieurdcChampdoré.
En toute cette côte jiisques à Kinibeki il y a beaucoup
de lieux où les navires peuvent estre à couvert parmi
les lies, mais le peuple n'y est fréquent comme il est
au delà, et n'y a rien de remarquable (du moins
qu*on ait veu au dehors des terres) qu'vne rivière de
laquelle plusieurs ont écrit des fables à la suite IVri
de l'autre, de mêmes que ceux qui, sur la foy des
Commentaires de Hanno, Capitaine Carthaginois (i),
avoiciu feint des villes en grand nombre par lui bâ-
ties sur la côte de l'Afrique qui est arrousée de
rOcean, par ce qu'il fit vn coup héroïque de naviger
iusques aux îles du Gap de Ven, et long temps depuis
lui personne n'y avoit esté, la navigation n'estant
point alors tant asseurée sur cette grande mer qu'elle
est aujourd'hui par le benelice de l'aiguille marine.
Sans donc amener ce qu'ont dît les premiers Hes-
pagnols et Portugais, je reciteray ce qui est au der-
nier livre intitulé Histoire vnîverselle des Indes Oc
cidentaks, imprimé à DoCay ?an dernier mil six
cens sept, lors qu'il parle de Nvrombcga. Car en rap-
portant ceci, i*auray aussi dit ce qu'ont écrit les pré-
cédents, de qui les derniers sont tenanciers.
a Plus outre vers le Septentrion (dit TAutheur
B après avoir parlé de la Virginie) est || Norombega, la-
B quelle d'vne belle ville et d'vn grand fleuve est assez
« coneuë, encore que l'on ne trouve point d'où elle
(i) Pline, liv. j.cbap. i.
À
I
DE LA NoVVBLLK-FrAMCE.
471
< tire ce nom : car les Barbares l'appellent Agguncia.
Sur l'entrée de ce fleuve il y a vne ile fort propre
pour la pêcherie. La région qui va 1c long de la
'h mer est abondante en poisson, et vers la Nouvclte-
». France a grand nombre de bt;tcs sauvages, et est
« fort commode pour la chasse, et les habitans vî-
« vent de même façon que ceux de la Nouvelle-
« France. « Si cette belle ville a oncques esté en na-
ture, je voudrois bien scavoir qui l'a démolie : car il
n'y a que des cabanes par ci par là faites de perches
et couvertes d'écorces d'arbres, ou de peaux , et s'ap-
pellent l'habitation et la rivière tout ensemble Pun-
pregool, et non Agguncia. La rivière, hors le flux de la
mer, ne vaut p»as la rivière d'Oise. Et ne pourroit en
cette côte-là y avoir de grandes rivières, pour ce qu'il
n*y a point assez de terres pour les produire, à cause
de la grande rivière de Canada^ qui va comme cette
côte, et n'est point à quatre-vingts lieues loin de là,
en traversant les terres , laquelle d'ailleurs reçoit
beaucoup de rivières qui prennent leurs sources de-
vers Noromhcga, à Tentrée de laquelle tant s'en faut
qu'il n'y ait qu'vne île, que plustôt le nombre en est
(par manière de dire) infini , d'autant que cette rir
vierc s'elargissant comme vn Lambda , lettre Grec-
que A, la sortie d'icellc est toute plaine d'Îles, des-
quelles y en a vne bien avant (et la première) en
mer, qui est haute et remarquable sur les autres.
li Mais quelqu*vn dira que je m'cquivoque en la
situation de Norombega et qu'elle n'est pas là où je la
prens. Acelajc répons que l'Authcur de qui j'ay n'a-
gueres rapporté les paroles, m'est suffisante caution
en ceci, lequel en sa Charte géographique a &itué l'em-
495
472
Histoire
496
bouchure de cette rivière par les quarante-quatre de-
grez, et sa prétendue ville par les quarante-cinq. En
quoy nous ne sommes dîfferens que d*vn degré, qui est
peu de chose. Car la rivière que j'entens est au qua-
rante-cinquième degré, et de ville il n'y en a point.
Or faut-il bien nécessairement que ce soit cette ri-
vière, par ce qu'icclle passée, et celle de Kembeki (qui
est en même hauteur), il n'y a point d'autre rivière
en avant dont on doive faire cas jusques à la Virgi-
nie, l'adjoute encore que puis que les Barbares de
Norombega vivent comme ceux de la Nouvelle-France,
et ont de la chasse abondamment, il faut que leur
province soit assise en nôtre Nouvelle- France : car à
cinquante lieui^s plus loin il n'y a plus tant de
chasse, parce que les bois y sont plus clairs , et les
habilans arrêtés et en plus grand nombre qu'à. No-
rombega.
Bien est vray qu*vn Capitaine de marine nommé
lean AU'onse, Xainctongeoîs, en la relation de ses
voyages aventureux, a écrit que « passé Tlle de
« Sainct-Iean (laquelle je prens pour celle que j*ay
a appellée ci-dessus l'Ile de Bacaillos), la côte tourne
« à rOûest et Oucst-Surottest ^ jusques à la rivière
« de Norembergae, nouvellement découverte (ce dit-il^
« par les Portugalois et Hespagnols, laquelle est A
« trente || degrez; adjoutant que cette rivière a en son
u entrée beaucoup d'iles, bancs et rochers, et que de-
« dans bien i5. ou vingt lieues est bâtie vne grand
« ville, oQ les gens sont petits et noirâtres comme
a. ceux des Indes, et sont vêtus de peaux dont ils
« ont abondance de toutes sortes. Item que là vient
a mourir le Banc de Terro^neuve, et que passé cette
I
I
DE LA NoVVBLLE-FrANCE.
473
'I rivicrc la côte tourne à i'Ottest et OUcst-Norottesï
« plus de deux cens cinquante lieues vers vn pats où.
a il y a des villes et châteaux. * Mais je ne reconois
rien ou bien peu de vérité en tous les discours de cet
homme ici : et pcut-ii bien appellcr ses voyages aven-
tureux, non pour lui , qui jamais ne fut en la cen-
tième partie des lieux qu'il dticnt (au moins il est
aise à le conjecturer), mais pour ceux qui voudront
suivre les routes qu'il ordonne de suivre aux mari-
niers. Car si ladite rivière de Sorembergue est à trente
degrcZt il faut que ce soit en la Floride, qui est con-
tredire il tous ceux qui en ont jamais écrit, et à la vé-
rité même. Quant à ce qu'il dit du liane de Terrt-neuvt ,
il finit (par le rapport des mariniers) environ l'Ile de
Sable, à l'endroit du Cap Breton. Bien est vray qu'il
y a quelques autres bancs, qu'on appelle te Bantjue-
reau et te Banc îaa]iiit^ maïs ils ne sont que de cinq ,
ou six, ou dix lieues, et sont séparez du Grand Banc di
Terre-neuve. Et quant aux hommes, ils sont de belle et
haute sTature en la terre de Nciromhiga. Et de dire que
passé cette rivière la câlc git Ouest et O(iest-No-
rotiest^ cela n*a aucune preuve. Car depuis le Cap
Breton jusques à la pointe ]| de la Floride qui re-
garde l'ile de Cuba, il n'y a aucune côte qui gise
Oiiest-NoroUest, seulement y a en la partie de la
vraye rivière dite Norombcga quelque cinquante Heuës
de côte qui gît Est et Ociest. Somme, de tout le récit
dudit Jean Alfonse je ne rcçoi sinon ce qu'il dit
que cette rivière dont nous parlons a en son entrée
beaucoup d'îles, bancs et rochers.
Passée la rivière de ^ioTombiga , le sieur de Monts
alla toujours côtoyant jusques â ce qu'il vint à Kim-
497
498
474
HtSTOIAR
vnc rivière qui peut accourcir le che-
min pour aller à la grande rivière de Canada. Il y a
la nombre de Sauvages cabanez, et y commence la
terre à cstrc mieux peuplée. De Kinibeki en allant plus
outre on trouve la Baye de Marchtn, nommée du nom
du Capitaine qui y coramandoit. Ce Marchin fut tué
Pannée que nous partimes de la Nouvelle-France,
mil six cens sept. Plus loin est vne autre Baye dite
Chouakoel, où y a grand peuple au regard des païs
prcccdcns. Aussi cultivent-ils la terre, et commence
la région à estrc plus tempérée , s*elevant par-dessus
le quarante<inquiéme degré; et pour témoignage de
ceci il y a quantité de vignes en cette terre Voire
même il y en a des îles pleines (qui sont plus expo-
sées aux injures du vent et du froid). ainsi que nous
dirons ci-apres. Entre Clwaakoet et Malebarre il y a plu-
sieurs bayes et iles, et est la côte sabloneusc, avec
peu de fond approchant dudit Malebarre, si qu'à
peine y peut-on aborder avec les barques.
Lus peuples qui sont depuis la rivîereSainct- || Ican
jusques à Kinihiki (en quoy sont comprises les riviè-
res de Saincte-Croix et Norombega') s'appellent Euthe-
mins; et depuis Kinshfki jusques à Malebarrc, et plus
outre, ils s'appellent Armouchiquois. Ils sont traîtres
er larrons, et s'en faut donner de garde. Le sieur de
Monts s'cstant arrêté quelque peu à Malebarre, les vi-
vres commencèrent à lui défaillir, et fallut penser du
rîrtour, mcmement voyant toute la côte si fâcheuse
qu'on ne pouvoit point passer outre sans péril, pour
les basses qui se jcncnt fort avant en mer, et de telle
façon que plus on s'éloigne de terre moins il y a de
fond. Mais avant que partir il uvint vn accident de
DE LA NoVVELLE-FrANCE.
475
mort à vn charpentier Maloîn, lequc) allant qucrir
de l'eau avec quelques chauderons, vn Armouchl-
quois, voyant l'occasion propre à dérober l'vn de ces
chanderons lors que le Maloin n'y prcnoît pas garde,
le print et s'enfuit hâtivement avec sa proye. Le Ma-
loin voulant courir après fat tué par cette mauvaise
gent; et ores que cela ne lui fust arrivé, c'cstoit en
vain poursuivre son larron : car tous ces peuples Ar-
mouchiquois sont légers à la course comme des lé-
vriers, ainsi que nous dirons encore ci-aprcs en par-
lant du voyage que fit là même le sieur de Poutrin-
court en l'an mil six cens six. Le sieur de Moms eut
vn grand regret de voir telle chose, et cstoient ses
pens en bonne volonté d'en prendre vengeance (ce
qu'ils pouvoient faire, attendu qne les autres Barba-
res ne s'cloigncrenl tant des François qu'vn coup de
mousquet ne les eut peu gâter, lequel] ils avoient ]a
couché en joue pour mirer |I chacun son homme),
mais icclui sieur de Monts , sur quelques considéra-
tions que plusieurs autres estans en sa qualité n'eus-
sent eu, fit baisser à chacun le serpentin, et les lais-
sèrent, n^ayant jusque là trouvé lieu agréable pour y
former vnc demeure arrêtée. Et à tant ledit sieur de
Monts fit appareiller pour retourner à Sainctc-Croix,
oti il avoit laisse vn bon nombre de ses gens encore
infirmes de la secousse des maladies hivernales, de
la santé desquels il estoit soucieux.
Plusieurs qui ne sçavent que c'est de la marine
[lensent que l'établissement d*\'ne habitation en terre
inconcuë soit chose facile, mais par le discours de ce
voyage et autres suivans, ils trouveront qu'il est
beaucoup plus aisé de dire que de faire, et que le
499
47*
H
ISTOIRR
sieur de Monts a beaucoup exploité de choses en
cette première année d'avoir veu toute la côte de
cette terre jusques à Malebarre, qui sont plus de
quatre cens lieues en rengeant icclle côte, et visitant
jusques au fond des bayes: outre le travail des loge-
mens qu'il lu; convint faire faire à Saincte-Croîi, le
soin de ceux qu'il avait là mené, et du retour en
France, le cas avenant de quelque pcri! ou naufrage
ù ceux qui lui avoient promis de l'aller qucrir après
l'an révolu. Maïs on a beau courir et se donner de la
peine pour rechercher des ports où la Parque soit
pitoyable. Elle est toujours semblable A ellc-raéme.
Il est bon de se loger en vn doux climat, puisqu'on
est en plein drap, et qu'on a â choisir, mais la mort
nous suit partout, l'ay entendu d'vn pilote du Havre
5oo de Grâce qui || fut avec les Anglois en la Virginie U
y a vingt-quatre ans, qu'estans arrivez là il y en
mourut trente-six en trois mois. Et toutefois on tient
la Virginie estre par les trente-six, trcntc-scpt et
trente-huitième degrez dp latitude, qui est bon tem-
pérament de païs. Ce que considérant, je croy encore
vn coup l'car je l'ay dés-ja ci-devant dit) que telle
mortalité vient du mauvais traitement ; et est du tout
besoin en tel païs d*y avoir dés le commencement du
bestial domestic et privé de toute sorte, et porter
force arbres fruitiers et entes, pour avoir bien-tôt la
récréation nécessaire à la santé de ceux qui désirent
y peupler la terre. Que si les Sauvages mêmes sont
sujets aux maladies dont nous avons parlé, c'est rare-
ment, et cela arrivant, je l'attribue à la même cause
du mauvais traitement. Car ils n'ont rien qui puisse
corriger le vice des viandes qu'ils prennent, et tous-
ns t.Ai Novvblle-Francb. 477
jours sont nuds parmi les humiJîtcz de ta terre, ce
ui est le vray moyen d'accueillir quantité d'humeurs
rrompuës qui leur causent ces maladies aussi bien
vi'auxètranger.'ï qui vont par-delà, quoi qu'ils soient
nais à cette façon de vivre.
Arrivée du sieur du Pont à VHe Saincîe-Croix, Habitaiton
transférée au Port-Royal. Retour du tieur de Monts en
France. Difficutté des mouiiAs à bras, iùtjui^ge duiiit sieur
du Pont pour aller découvrir (es Terra-ncuns outre Male-
barre. Naufrage. Prci-oyiiiice pour le retour en France. Corn-
fforaison de ces voyages avec ceux de la Floride, tilame de
ceux qui méprisent ia culture de la terre.
Chap. Vlll.
A saison du printemps passée au voyage
des Armoudiiquois, le sieur de Monts
attendit à Saincte-Croix le temps qu'il
avoit convenu, dans lequel s'il n'avoit
nouvelles de France il pourroit partir et venir cher-
cher quelquevaisseau de ceux qui viennent à la Terre-
neuve pour la pêcherie du poisson, à tin de repasser
en France dans icelui avec sa troupe, s'il t;stoit pos-
sible. Ce temps di^-ja esioit expire, et esioient prêts
à faire voile, n"attendans plus aucun secours ni ra-
aichisscmenSj quand voici arriver le sieur du Pont,
rnommé Gravé, demeurant à Hoaflcur, avec vne
ompagnie de quelque quarante hommes, pour rele-
ver de sentinelle ledit sieur de Monts et sa troupe.
Soi
478
HlSTOtRE
Ce fut au grand contenteroeot d'vn chacun, comme
Ton peut penser, et canonnades ne manquereni à ïa-
borJ, selon la coutume, ni léclat des trompettes. Le-
5o2 dit sieur du ,| Ponl ne st^chant encore I état de noz
François, pensoit trouver là vnc demeure bien asseu-
réc, et SCS logemens prcts; mais attendu les accidcns
de la maladie étrange dont nous avons parle, il lut
avisé de changer de lieu. Le sieur de Monts cust
bien désiré que l'habitation nouvelle cust esté comme
par les quarante dcgrez, sçavoir â six degrez plus au
Midi que le lieu de Sainctc-Croîx; mais après avoir
veu la côte jusques à Malebarre, et avec beaucoup de
peines, sans trouver ce qu'il desiroit, on délibéra
d*aller au Port-Royal faire la demeure, attendant
qu'il y cust moyen de faire plus ample découverte.
Ainsi voilà chacun embesoigné à trousser son pac-
quct. On démolit ce qu'on avoit bâti avec mille tra-
vaux, hors-mis le magasin, qui cstoït vne pièce trop
grande à transporter, et en exécution de ceci plu*
sieurs voyages se font. Tout estant arrivé au Port-'
Royal, voici nouveau travail: on choisit la demeure
vis à vis de rile qui est à l'entrée de la rivière l'E-
quile, dite aujourd'hui la rivière du Dauphin, làoti
tout estoii couvert de bois si épais qu'il n'est possible^
davantage, la le mois de Septembre arrivoit, et fal-
loit penser de décharger le navire du sieur du Pont
pour faire place à ceux qui dévoient retourner ei
France. Somme, il y avoit de leicrcicc pour tous.
Quand le navire lut en estât d'estre mis à la voile, le
sieur de Monts ayant veu le commencement de lai
nouvelle habitation, s'embarqua pour le retour et
avec lui ceux qui voulurent le suivre. Neantmoins
DE LA NoVVELLE-FrANCE. 479
plusieurs de bon courage demeurèrent sans ap-
11 prehender le mal passé, entre lesquels estoient les 5o3
sieurs Champlein et Champdoré, l'vn pour la géo-
graphie, et l'autre pour la conduite des voyages qu'il
conviendroit faire sur mer. Atant ledit sieur de
Monts met son vaisseau à la voile et laisse ledit sieur
du Pont pour son Lieutenant par-delà , lequel ne
manque de promptitude (selon son naturel) à faire
et parfaire ce qui estoit requis pour loger soy et les
siens, qui est tout ce qui se peut faire pour cette
année en ce païs-là. Car de s'éloigner du parc durant
l'hiver, mêmes après vn si long harassement, il n'y
avoit point d'apparence. Et quant au labourage de
la terre, je croy qu'ils n'eurent le temps commode
pour y vacquer, car ledit sieur du Pont n'estoit pas
homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses
gens oisifs, s'il y eust eu moyen de ce faire.
L'hiver estant venu, les Sauvages du païs s'assera-
bloient de bien loin au Port-Royal pour troquer de
ce qu'ils avoient avec les François, les vns apportans
des pelleteries de Castors et de Loutres (qui sont
celles dont on peut faire plus d'estat en ce lieu-là),
et aussi d'EUans, desquelles on peut faire de bons
buffles; les autres apportans des chairs freches, dont
ils firent maintes tabagies (i), vivans joyeusement
tant qu'ils eurent de quoy. Le pain onques ne leur
manqua, mais le vin ne leur dura point jusques à la
fin de la saison. Car quand nous y arrivâmes l'an
suivant, il y avoit plus de trois mois qu'ils n'en
(1) Tabaguïa, mot de Sauvages qui signilÎG banquet.
48o
Histoire
avoient point, et furent fort rcjouïs ne nôtre venue,
qui leur en tit reprendre le goût.
5o4 11 La plus grande peine qu'ils avoient c*estoit de
moudre le bled pour avoir du pain. Ce qui est chose
fort pénible en moulins â bras, où il faut employer
toute la force du corps. Et pour ce non sans cause
anciennement uu menaçoit les mauvaises gens de les
envoyer au moulin, comme à la chose la plus péni-
ble qui soit, auquel métier on emploioit les pauvres
esclaves avant l'vsage des moulins à vent et à eau,
L'omme nous témoignent les histoires profanes, et
celles de la sortie du peuple dMsrael hors du païs
d'Egypte (i), là où pour la dcmicrc playe que Dieu
veut envoyer à Pharao, il dénonce par la bouche de
Moysc qu'environ k piinutt U passera au travers iU CEgypte,
et tout premier-né y mourra jusqucs au premier-né de Pharao
qui devait estre assis sur son throne, jusqaes au premier-né de
ta servante tjat est employée à moudre. Et ce travail estant
si grand, les Sauvages, quoy que bien pauvres, ne le
sçauroient supporter, et aymcroicnt mieux se passer
de pain que de prendre tant de peine, comme il a esté
expérimente que leur voulant bailler la moitié de ta
moulturc qu'ils feroient, ils aimoient mieux n'avoir
point de blé. Et croirois bien que cela, avec d'autres
choses, a aidé à fomenter la maladie de laquelle nous
avons parlé en quelques-vns des gens du sieur du
Pont; car il y en mourut vne demie- douzaine du-
rant cet hiver en sa compagnie. Vray est que je
trouve vn défaut es batimens de noz Franifois, c'est
)
(i) Exod. Il, vers. 4(.
DE LA NOVTKI.LE- FrANTE.
qu*il n'y avoit poîni de fosscz t\ lenteur, et s'ecou-
loicnt le:ieaux de la terre prochaine par dessous leurs
chambres basses, ce qui cstoït || fart contraire à. ta
sauté. A quoy j'adioute encore les eaux mauvaises
JcsqucUcs ils se scr\'oient, qui n'issoient point d\'nc
source vive, comme telle que nous trouvimics assez
prés de nostrc Fort, ains du plus prochain ruisseau.
Apres que l'hiver fui passe, et la mer propre à na-
vigcr, le sieur du. Pont voulut parachever l'entrc-
prise commencée l'an précèdent par le sieur de
Monts, et aller rechercher vu port plus au Su, oU la
température de l'air fust plus douce, selon qu'il en
uvoit eu charge dudit sieur de Monts. Et de fait il
cquippa la barque qui lui estoit restée jwur cet etfett.
Mais estant sorti du Port, et ja à la voile pour lirer
vers Malebarre, il fut contraint par le vent contraire
de relâcher deux l'ois, et à la troisième ladite barque
se vint perdre comrc les rochers à l'cntrce du passage
duditport. En cette disgrâce de Neptune les hommes
furent sauvés, et la meilleure partie des provisions et
marchandises. Mais quant ii la barque, elle fut mise
en pièces. Et par ce désastre fut ixDnipu le \oyage,
et intcrmis ce que tant l'on dcsiroit. Car encore ne
jugeoil-on point bonne l'iiabitution du Port-Royal,
cl toutefois il est hautement abrité de la pari du
Nort et NoroUest, de montagnes éloignées tantôt
d'vnc licuë, tantôt de demie, du Port et de la rivière
de l'EquilIc. Voili\ comme Icï entreprises ne se ma-
nient pas au désir des hommes, et sont accompa-
gnées de beaucoup de périls. Si bien qu'il ne se faut
émerveiller s'il y a de la longueur en l'établissement
des colonies principalement en des terres si loin-
5o5
48:
Histoire
5o6
taîncs des- [1 quelles on ne sçait point la nature, ni
le tempérament de l'air, et où il faut combattre et
abbatre les forets, et cstre contraint de se donner de
garde, non des peuples que nous disons Sauvages,
inajsde ceux qui se disent Chrétiens et n'en ont que
le nom, gcnt maudite et abominable, pire que des
loups, ennemis de Dieu et de la nature humaine.
Ce coup donc estant rompu, le sieur du Pont ne^
sceut que faire, sinon d'attendre la venue du secours
et rafraîchissement que le sieur de Monts lui avoii
promis envoyer l'année suivante, lors qu'il partit du^
Port-Royal pour revenir en France. Et neantmoins,
à tout événement, ne laissa point de préparer vne
autre barque, et vne patachc, pour venir chercher
des vaisseaux François es lieux oii ils font la seche-
rie des morues (comme les Ports Campteau, des An-
glots, de Afisijmichis, Baye de Chaleur, et des Morues,
et autres en grand nombre), ainsi qu'avoit fait le
sieur de Monts Fan précèdent, à fin de se mettre de-
dans et retourner en France, le cas avenant qu'au-
cun navire ne vinst le secourir. En quoy il fit sage-
ment, car il fut en danger de n'avoir aucunes nou-
velles de nous, qui estions destinez pour lui succé-
der, ainsi que se verra par le discours de ce qui suit.
Mais ce-pendant ici faut considérer que ceux qui se
sont transportez par delà en ces derniers voyages ont
eu vn avantage par dessus ceux qui ont voulu habi-
ter la Floride, c'est d'avoir ce recours que nous avons
dit aux navires de France qui fréquentent les Terres-
ncuvcSj sans avoir la peine de façonner des grands
vaisseaux, ni at- |[ tendre des famines extrOmes,
commeont fait ceux-là de qui les voyages ont esté à
DE LA Novvelle-France. 483
déplorer en ce regard, et ceux-ci au sujet des mala-
dies qui les ont persécutés. Mais aussi ceux de la
Floride ont-ils eu de l'heur en ce qu'ils estoient en vn
païs doux, fertile, et plus ami de la santé humaine
que la Nouvelle -France, de laquelle nous avons
parlé en ce second livre. Que s'ils ont eu de la fa-
mine, il y a eu de la grande faute de leur part de
n'avoir nullement cultivé la terre, laquelle ils avoient
trouvée découverte, ce qui est vn préalable de faire
avant toute chose à qui veut s'aller percher si loin
de secours. Mais les François et préque toutes les
nations du jourd'hui (j'entens de ceux qui ne sont
nais au labourage) ont cette mauvaise nature, qu'ils
estiment déroger beaucoup à leur qualité de s'ad-
donner à la culture de la terre, qui neantmoins est à
peu près la seule vacation où réside l'innocence. Et
de là vient que chacun fuiant ce noble travail, exer-
cice de noz premiers pères, des Rois anciens et des
plus grands Capitaines du monde, et cherchant de
se faire Gentil-homme aux dépens d'autrui, ou vou-
lant apprendre tant seulement le métier de tromper
les hommes, ou se gratter au soleil, Dieu ôte sa bé-
nédiction de nous, et nous bat aujourd'hui , et dés
long temps, en verge de fer, si bien que le peuple
languit misérablement en toutes parts, et voyons la
France remplie de gueux et mendians de toutes es-
pèces, sans comprendre vn nombre infini qui gémit
souz son toict et n'ose faire paroitre sa pauvreté.
484
HisTOinn
5o8 Ij Motif el acceptuJion du voyage du sieur de Poutrincourt, eu.
semble de l'Autlieuff en la Nouvelle France. Partement de la
rUle de Paris pour aller à Ia Rochelle. Ad'ua à U France.
ClIAP. X.
N viRON le temps du naufrage menlionnc
ci-dessus, le sieur de Monts songcoit par
deçà aux moyens de dresser nouvel équi-
page pour la Nouvelle-France. Ce qui lui
sembluit dlflielle tant pour les grands frais que cela
apportoit, que pour ce que cette province avoit esté
tellement décriée à son retour, que ce scmbloiiestre
chose vaine et infructueuse de plus continuer ces
voyages à l'avenir. Joint qu'il y a sujet de croire
qu'on ne irouveroit persone qui s'y voulust aller ba-
zarder. Neantmoins, s:ichant le désir du sieur de
i*outrincourt (auquel auparavant il avoil fait partage
de la terre, suivant le pouvoir que le Hoy luy en
avoit donné) qui estoit d'habiter par delà, et y établir
sa famille et sa fortune, et le nom de Dieu tout en-
semble, il lui écrivit, et envoya homme exprés pour
lui faire ouverture du voyage qui se prcnscntoir. Ce
que ledit sieur de Poutrincourt accepta, quittant
toutes affaires pour ce sujet; quoy qu'il eust des pro-
cès de conséquence, à la poursuite et défense des-
509 quels sa présence csCoit bien requise, et qu'à || son
premier voyage il eust éprouvé la malice de certains
qui le poursuivoient rigoureusement absent, et de-
vindrent soupples et muets à son retour. Il ne fut
point pluslât rendu à Paris qu'il fallut partir sans
avoir à peine le loisir de pourvoir à ce qui lui cstoic
nécessaire. Et ayant eu Thonneur de le conoitre quel-
ques années auparavant, il me demanda si je voulois
estre de la partie. A quoy je dcmanday vh jour de
terme pour lui répondre. Apres avoir bien consulté
en moy-mcmc, désireux non tant de voir le païs que
de reconoitrc la terre oculairement, à laquelle j'avoy
ma volonté portée, et fuir vn monde corrompu, je lui
donnny parole; estant mcme induit par l'injustice
que m^avoicnt peu auparavant faite certains luges
Prcsidiaux en faveur d^un personage d'cmincnie qua-
lité que j'ay toujours honoré et révéré, laquelle sen-
tence à mon retour a esté infirmée par Arrêt de la
Cour, dont j'en ay particulièrement obligation ù Mon-
sieur Servin, Advocat gênerai du Roy, auquel pro-
prement appartient cet éloge attribué selon la lettre
au plus sage et plus magnifique de tous les Rois :
Tv AS AIMÉ IVSTICE, ET AS EV EN HAINE INI-
QVITK (l).
G*est ainsi que Dieu nous réveille quelquefois pour
nous exciter û des actions généreuses telles que de
ces voyages Ici , lesquelles (comme le monde est di-
vers) les vns blâmeront, les autres approuveront.
Mais n'ayant à répondre â personne en ce regard , je
ne me soucie des discours que les gens oisifs, ou
ceux qui ne me || peuvent ou veulent aider, pour-
roient faire, ayant mon contentement en moy-mcmc,
et estant prés de rendre servies à Dieu et au Roy es
(i) Psalra. 4; Heb. 4(, ver*. 9.
5 10
486
Histoire
5ii
terres d'outre mer qui porteront le nom de France,
si ma fortune ou condition m'y ponvoit appeller,
pour y vivre en repos par vn travail agréable, et fuir
la dure vie à laquelle je voy par deçà la pluspart des
hommes rcduits.
Pour revenir donc au sieur de Poutrincourt,
comme il eut fait quelques affaires, JI s'informa en
quelques Eglises s'il se pourroît point trouver quel-
que Prêtre qui eust du sçavoir pour le mener avec
lui, et soulager celui que le sîcur de Monts y avoit
laisse à son voyage, lequel nous pensions estre en-
core vivant. Mais d'autant que c'estoît la semaine
saincte, temps auquel ils sont occupés aux confes-
sions, il ne s'en présenta aucun, les vns s'cscusans
sur les incommodités de la mer et du long voyage,
les autres rcmettans l'affaire après Pasques. Occasion
qu'il n'y eut moyen d'en tirer quelqu'vn hors de
Paris, parce que le temps pressoir, et la mer n'attend
personne : par ainsi fallait partir.
Rcstoit de trouver les ouvriers nécessaires au
voyage de la Nouvelle- France. A quoy fut pourveu
en bref (car souz le nom de Poutrincourt il se trou-
volt plus de gens qu'on ne vouloit), pris fait de leurs
gages, et pour se trouver à la Rochelle, où estoit le
rendez-vous, chez k-s sieurs Macquin et Georges, ho-
norables marchans de l.iditc ville associez du sieur de
Monts, lesquels fournîssoient nôtre équipage.
Il Ce menu peuple estant parti , nous nous ache-
minâmes ù Orléans trois ou quatre jours après, qui
fut le Vendredy Sainct, pour aller faire nos Pasques
en ladite ville d'Orléans, où chacun fist le devoir ac-
coustumé à tous Chresticns de prendre le Viatique
DE LA NoVVELLE-FhANCE, 487
Spirituel de la divine Communion, mesmement puis-
que nous allions en voyage.
Devant qu'arriver à la Rochelle , me tenant quel-
quefois à quartier de la compagnie, il me print envie
de mettre sur mes tablettes vn Adieu à la France,
lequel je fis imprimer en ladite ville de la Rochelle le
lendemain de nôtre arrivée, qui fut le troisième jour
d'Avril mil six cens six ; et fut receu avec tant d'ap-
plaudissemens du peuple , que je ne dedaigneray
point de le coucher ici.
ADIEV A LA FRANCE
REs que la saison du printemps nous invite
A seÛlonnerle dos de la vague Amphitrite,
Et cingler vers les lieux où Pkœbas chaque lour
Va faire tout lassé son humide séjour^
le veux oins tjue partir dire adieu à la France^
Celle qui m*a produit, et nourri dés l'enfance ;
Adieu non pour toujours, mais bien sous cet espoir
Qa'encores quelque jour je la pourray revoir.
Adieu donc, douce mère; adieu, France amiable;
Adieu, de tous humains le séjour délectable ;
Adieu celle qui m'a en son ventre porté ,
Et du fruit de son sein doucement alaité.
Il AdieUf Muses aussi qui à vôtre cadence 5 1 2
Avez conduit mes pas dés mon adolescence;
488 Histoire
Adieu riches palais, adieu nobles cités
Dont raspect a mes yeux mille fois contentés ;
Adieu lambris doré, sainct temple de Justice,
Où Themîs auxhumains d'vn pénible exercice
Rend le Droit, et Python d'vn parler éloquent
Contre l'oppression défend l'homme innocent ;
Adieu tours et clochers dont les pointes cornues,
Avoisinans les deux, s'élèvent sur les nues ;
Adieu prés emaillés d'un million de fleurs
Ravissans mes esprits de leurs soueves odeurs ;
Adieu belles forets, adieu larges campagnes.
Adieu pareillement sourcilleuses montagnes ;
Adieu côtaux vineux, et superbes châteaux ;
Adieu l'honneur des champs, verdure et gras troupeaux ;
Et vous, ô ruisselcîs, fontaines et rivières,
Qui m'avez délecté en cent mille manières,
Et mille fois charmé au doux gazouillement
De vos bruyantes eaux, adieu semblabtement.
Nous allons recherchans dessus l'onde azurée
Les journaliers hazars du îempeteux Nerée,
Pour parvenir au lieux où d'vne ample moisson
Se présente aux Chrétiens vne belle saison.
combien se prépare et d'honneur et de gloire.
Et sans cesse sera louable la mémoire
A ceux-là qui poussez de saincte intention
Auront le bel objet de cette ambition!
Les peuples à jamais béniront Ventreprise
Des Autheurs d'vn tel bien : et d'vne plume apprise
A graver dans l'airain de l'immortalité
l'en laisseray mémoire à la postérité.
5x3 II Prélats que Christ a mis pasteurs de son Eglise^
A qui partant il a sa parole commise.
DE LA NoVVELLE-FrANCE. 489
Afin de l'annoncer par tout cet VniverSj
Et à sa loy ranger par elle les pervers,
Sommeillez-youSj hélas ! Pourquoy de vôtre zèle
Ne faites-vous paroitre vne vive étincelle
Sur ces peuples errans qui sont proye à l'enfer.
Du sauvement desquels vous devriez triompher ?
Pourquoy n^ employez-vous à ce sainct ministère
Ce que vous employez seulement à vous plaire ?
Cependant le troupeau que Christ a racheté
Accuse devant lui vôtre tardiveté.
Quoy donc' souffrirez-vous l'ordre du mariage
Sur vôtre ordre sacré avoir cet advantage
D'avoir eu devant vous le désir, le vouloir.
Le travail, et le soin de ce Chrétien devoir ?
De Monts, tu es celui de qui le haut courage
A tracé le chemin à yn si grand ouvrage :
Et pour ce de ton nom malgré l'effort des ans
La feuille verdoira d'vn éternel printemps.
Que si en ce devoir que j*ay dés-ja tracé
Ambitieusement je ne suis devancé,
le veux de ton mérite exalter la loOange
Sur PEquille (i), et le Nil, et la Seine, et le Gange,
Et faire l'Vnivers bruire de ton renom^
Si bien qu'en tout endroit on révère ton nom.
Mais je ne pourray pas faire de toy mémoire.
Qu'à la suite de ce je ne couche en l'histoire
Celui duquel ayant conu la probité,
Le sens et la valeur et la fidélité.
Tu Vas digne trouvé à qui ta licutenancé
(0 C'est la rivière du Port-Royal, dite maintenant la rivîere du
Dauphin.
490
Histoire
Fast seurement commise en la NomelU- France,
Pour Je servir d'Hercule, et soulager le faix
5l4 |] Qç/ te sarchargeroit an dessein que tu fais.
PovTKtNcovRT, c'est dofK ti}y ijui as toucfié nton amc f
Et lui as inspiré vne dévote fiame
A ceîelirer ion los, et faire par mes vers
QuM l'avenir ton nom vote par l^Vnivers :
Ta valeur^ dés long temps en la France conué,
Chercbevne nation aux hommes inconai ^
Pour la rendre sujette à l'empire François ,
Et encore y assoîr le tkrône de noz Rois :
Ains plastôt (car en toy la Sagesse éternelle
A mis je ne s^ay quoy digne d'une ame belle)
Le motif :jm premier a suscité ton cœur
A si loin rechercher va immortel iionnsur^
Est le zile dévot et l'affection grande
De rendre à l'Eternel vne agréable offrande.
Lui rouans toi, tes biens, ta vie et tes enfans,
Que ta vas exposer à la merci des venîSy
Et voguant incertain comme à i'n autre pole^
Pour son nom exalter et sa saincte parois.
Ainsi tous deux portés de même affection,
Ainsi Vvn secondant l'autre en intention^
Heureux, vous aajuerrés vne immortele vie.
Qui de félicité toujours sera suivie :
Vie non point semblable à celle de ces dieux
Que Vanti(]ue ignorance a feinte dans les cieat
Pour avoir (comme vous') reformé la nature ^
Les mœurs et h raison des hommes s.ins culture ,
Mais vne vie où gi( cette félicité
Que les oracles saincSs de la Divinité
Ont Ukrément promis aux saînctes âmes
DE LA NoVVKLLE-FraNCB. 49!
Que le ciel a formé de ses plus pures flammes.
Tel est vôtre destin^ et cependant ça bas
I] Vôtre nom glorieux ne craindra le trépas^ 5i5
Et la postérité, de vôtre gloire éprise.
Sera émue à suivre vne même entreprise j
Mais vous serez le centre oà se rapportera
Ce que l'âge futur en vous suivant fera.
Toy qui par la terreur de ta saincîe parole
Régis à ton vouloir les postillons d'Mole ,
Qui des flots irritez peux l'orgueil abaisser,
Et les vallons des eaux en vn moment hausser,
Grand Dieu, sois nôtre guide en ce douteux voyage,
Puis que tu nous y as enflammé le courage :
Lasche de tes thresors vn favorable vent
Qui pousse nôtre nef en peu d'heure au Ponant,
Etfay que là puissions, arrivez par ta grâce,
letter le fondement d'vne Chrétienne race.
Pour m'egayer l'esprit ces vers je composois
Au premier que je vi les murs des Rochelois.
49»
HiSTOlKB
5i6 lonas nom de nôtre navire. Mer basse à la Rochelle cause ii
difficiU sortie. La Rochelle ville reformée. Menu peuple inso-
lent. Croqaans. Accident de naufrage du lonas. Nouvel
équipage. Foibks soldats ne doivent estre mis aux frontières.
Ministres prient poar la conversion des Sauvages Peu de
zelc des nôtres. Eucharistie portée par ïcs anciens Chrétittis
en voyage. Diligence du sieur de Poutnncourt sur U
de Vembarquemtnt,
Ch*p. X.
KitivEZ que nous fumes à la Rochell
iHous y trouvâmes les sieurs de Monts
,de Poutrincourt qui y csioicnt venus en
■poste, et nôtre navire appelé le Ionas, du
port de ccut cinquante tonneaux, prêt à sortir hors
les chaînes de la ville pour attendre le vent. Cepen-
dant nous faisions bonne chère, voire si bonne,
qu'il nous tardoit que ne fussions sur mer pour faire
diète. Ce que nous ne firaes que trop quand nous y
fumes vne fois : car deux mois se passèrent avant que
nous vissions terre, comme nous dirons tantôt. Mais
les ouvriers parmi la bonne chère (car ils avoîent
chacun vingt sols par jour) faisotent de merveilleux
tintamarres au quartier de Sarnct-Nicolas, oti ils es-
toicnt logez. Ce qu'on trouvoit fort étrange en vne
ville si reformc'e que la Rochelle, en laquelle ne se fait
5i7 aucune dissolution |1 apparente, et faut que chacun
marche rœil droit s'il ne veut encourir la censure
DE LA NoWELLE-FraNCC.
493
soît du Maire, soit des Ministres de la ville. De fait
il y en eut qiiclqucs-vns prisonniers, lesquels on
garda à IMiotcl de ville jusques à ce qu'il fallut par-
tir) et eussent esté châtiez sans la considerarion du
voyage, auquel ou sçavoit bien qu'ils n'auroicnt pas
tous leurs aises ; car ils payèrent assez par après la
folle enchère de la peine qu'ils avoient baill(:c aux
sieurs Macquin et GLurj^cs, bourgeois de ladite ville,
5X)ur les tenir en devoir. Je ne les veux toutefois met-
tre tous en ce rang, d'autant qu'il y en avoit quel-
ques-uns respectueux et modestes. Mats je puis dire
que c'est vn étrange animal qu'vn menu peuple. Et
me souvient à ce propos de la guerre des Croquans,
entre lesquels je roe suis trouvé vne fois en ma vie,
estant en Querci. G'estoit la chose la plus bjgcarre
du monde que cette confusion de porteurs de sabots,
d'oLi ils avoient le nom de Croquans, parce que leurs
sabots clouez devant et derrière laisoient Croc à
chaque pas. Cette sorte de gens confuse n'entendoit
ni rime, ni raison, chacun y cstoit maitre, armés les
vos d\'ne serpe au bout d'vn bâton, les autres de
quelque epéc enrouitléc, et ainsi consequcmment.
Nôtre lonas ayant sa charge entière, est entin tiré
hors la ville à la rade, et pensions partit le huitième
ou ncufîcmc d'Avril. Le Capitaine Foulques s'estoit
chargé de la conduite du voyage. Mais comme il y a
ordinairement de la négligence aux affaires des
hommes, avint que ce || Capitaine (hommes ncant-
moins que j'ay reconeu fort vigilant à la mer) ayant
laissé le navire mal garni d'hommes, n'y estant pas
lui-même, ni le Pilote, ains seulement six ou sept
matelots tant bons que mauvais , vn grand vent de
5i8
Histoire
le cable du lonas.
5i9
494
Suest s'élcve la nuit, qui rompt
tenu d'vne ancre tant seulement, et le chasse contre
vn. avant-mur qui est hors la ville adossant la chuine,
contre lequel il choque tant de fois qu'il se crève et
coule à fonds. Et bien vint que la mer pour lors se
reiiroit. Car si ce desastre lust arrive de flot, la navire
cstoit en danger d*cstrc renverse , avec vne perte
beaucoup plus grande qu'elle ne fut, mais il se sou*
tint debout, et y eut moyen de le radouber, ce qui
fut fait en diligence. On avertît nos ouvriers de venir
aider à cette nécessité, soit à tirer à lu pompe, ou
pousser au capestan, ou à autre chose, mais il y en
eut peu qui se missent en devoir, et s'en rioientla
piuspart. Quclqucs-vns s'cstant acheminez jusques h
parmi la vaze, s'en retournèrent, se plaignans qu'on
leur avoit jette de l'eau, s'estans mis du côté parob
sortoit l'eau de la pompe que le vent éparpilloit sur
eux. l'y allay avec le sieur de Poutrincourt et quel-
ques autres de bonne volonté, où nous ne fumes inu-
tiles. A ce spectacle estait préque toute la ville de la
Rochelle sur les rempars. La mer estoit encore irri-
tée, et pensâmes aller choquer plusieurs fois contre
les grosses tours de la ville. En tin nous entrâmes
dedans, bagues sauves. Le vaisseau fut vuidée ntie>
rement, et fallut faire nouvel équipage. I| La perte
fut grande et les voyages préque rompus pour jamais.
Car après tant de coups d'essais, je croy qu'à l'aTC-
nir nul se fust hazardé d^aller planter des colonies
par delà : ce païs estant tellement décric, que chacun
nous plaignoit sur les accidens de ceux qui y avoient
esté par le passé. Neantmoins le sieur de Monts et
ses associez soutindrent virilement cette perte. Et
jL
i^^^
DE LA NoVVELLE-FrANCB.
495
faut que je die en cène occurrence, que si {amais ce
païs-lù est habile de Chrétiens et peuples civilisés,
c'est aux autheurs de ce voyage qu'en sera deu6 la
première louange.
Cet esclandre nous retarda de plus dHTi mois, qui
fut cmployc tant à dcchargcr qu'à recharger nôtre
navire. Pendant ce temps nous allions quelquefois
pourmcncr es voisinages de la ville, et particulière-
ment aux Cordeliers» qui n'en sont qu'à dcmîe-lîcuf ,
là où estant vu Jour au sermon par vn Dimanche, je
m'émerveillay comme en ces places frontières on ne
mcttoit meilleure garnison, ayans de si forts .enne-
mis auprès d'eux. Et puis que l'cntreprcns vnc his-
toire narrative des choses en la façon qu'elles se sont
passées, je diray que ce nous est chose honteuse que
les Ministres de la Rochelle priassent Dieu chaque
jour en leurs assemblées pour la conversion des pau-
vres peuples Sauvages, et même pour nôtre conduite,
et que nos Ecclésiastiques ne fissent point le sem-
blable. De vérité nous n'avions prié ni les vns ni les
autres de ce faire, mais en cela se rcconoit le zèle
d'vn chacun. En fin peu auparavant nôtre départ il
me souvint de demander || au sieur Curé ou Vicaire
de la Rochelle s'il se pourroit point trouver quelque
sien confrère qui voulust venir avec nous : ce que
)*esperoys se pouvoir aisément t^irc, pour ce qu*ils
cstoicnt U en assez bon nombre, et joinct qu'estans
en vne ville maritime, je cuidoys qu'ils prinssent
plaisir de voguer sur les flots; mais je ne peu rien
obtenir; et me fut dit pour excuse qu'il faudroît des
gens qui fussent poussez de grand zèle et pieté pour
aller en tels voyages, et scroit bon de s'addresser aux
520
496
Histoire
52 1
Pcrcs îcsuites. Ce que nous ne pouvions faire alorsfl
nôtre vaisseau ayant préquc sa charge. A propos »iej
quoy U me souvient avoir plusieurs fois ouï dire ai
sieur de Poutriucourt qu*aprcs son premier voyage,'
estant en Court, vn pcrsonagc Ecdcsiastic tenu pour
fort zélé à la religion Chrétienne lui demanda ce i)uii
se pourroit espérer de la conversion des peuples d<
la Nouvelle-France, ci s'ils csloient en grand nom-
bre. A quoy il répondit qu'il y avoit moyen d'iicquc*
rir cent mille amcs à Icsus-Chrisr, mettant vn nom-^
bre certain pour vn incertain. Cet Ecclcsiastïc, fai'
saut peu de cas de ce nombre, dit là-dessus par
admiration; N'y a il que celai comme si ce n'csioil
point vn sujet assez grand pour employer vn humme.^H
Certes quand il n'y en auroit que la centième partie, ^^
voire encore moins, ou ne dcvroit point la laisser
perdre. Le bon Pasteur ayant d'entre cent brebis vncj
égarée, laîrra les nonantc-neuf pour aller chercher la
centième (i). On nous enseigne (et je le croy ainsi)
que quand il n'y eust eu qu'vn homme à sauver,
nùtre Seigneur lesus-Christ n'cust dédaigné de venil
|[ pour lui, comme il a tait pour tour le monde.'
Ainsi ne faut point laire si peu de cas de ces pauvres
peuples, quoy qu'ils ne fourmillent point comme
dans Paris ou Constant! nop le.
Voyant que je n'avoys rîen avancé à demander
vn homme d'Eglise pour nous administrer les Sacrer
mens, soit durant nôtre route, soit sur la terre, il
me vint en mémoire l'ancienne coutume des Chré-
tiens, lesquels allans en voyage portoient avec eux
(i) Matt. i8j vers. 12, 1 j.
'M
er
DE LA N0VVBLL8-FraKCS,
497
sacré pain de l'Fucharistic; et ce faiwient-ils pour-
ce qu'en tous licruz ils ne rcncontroîcnt point des
Prcstrcs pour leur administrer ce Sacrement, le
monde estant lors encore plein de paganisme ou
d'hcrcsics. Si bien que non mal A propos il csloit
appelle Viatic, lequel ils portoîent avec eux allans
par voycs; et neanimotns je suis d'accord que cela
s'entend spiritueïeraent. Et considérant que nous
pourrions cslrc réduits il cette nccessitc. n'y estant
demeuré quvn Prêtre en la demeure de la Nouvelle*
France (lequel on nous dît cstre mort quand nous
arrivâmes là) jedemnnday si on nous voudroit faire
de même qu'aux anciens Chrétiens, lesquels n'cstoîent
moins sages que nous. On me dit que cela se taisoit
en ce temps-ià pour des considérations qui ne sont
plus aujourd'hui, le remontray que le frerc de sainct
Ambroise, StKyrur, allant en voyage sur mer, se servoit
de cette médecine spirituclc (ainsi que nous lisons
en sa harangue l'unebre faite par ledit sainct Am-
broise son frère) laquelle il portoit in orarh, ce que
je prcns pour vn linge ou taffetas; et bien lui en
print, car || ayant fait uaufraf;e, il se sauva sur vn
aisdu bris de son vaisseau. Mais en ceci je fus écon.-
duit comme au reste. Ce qui me donna sujet d*ctor-
nement et me scmbloit chose bien rigoureuse d'estrc
en pire condition que les premiers Chrétiens. Car
l'Eucharistie n'est pas aujourd'hui autre cijoscqu'clle
estoit alors, et s'ils lu tcnoient précieuse, nous ne la
demandions point pour en faire moins de cas.
Revenons A nostre lonas. Le voilà chargé et mis à
la rade hors de la ville; il ne reste plus que le temps
et ia marée à point, c'est le plus difficile de l'œuvre.
3^
522
498
Histoire
523
de fond!
à h
Car es lieux oti il n'y a gueres de londs, comme
Rochelle, il faut altcndre les hautes marées de pl«in&^^
et nouvelle lune, et lors par aventure n'aura-on pas^|
vent à propos, et faudra rcaicttrc la partie à quin-
zaine. Cependant lu saison se passe, et l'occasion de
faire voyage, ainsi qu'il nous pensa arriver. Car uous
vîmes l'heure qu'après tant de fatij;ues et de dépenses
nous estions demeurez faute de vent, et pource que
la lune vcnoit en decours, et conscqucmmenl la
marée, le Capitaine Foulques sembloit ne se point
affectionner à sa charge, et ne demeuroit point au
navire, et disoit-on qu'il estolt secrètement solliciic
des marchans autres que de la société du sieur de
Monts, de faire rompre le voyage, et par aventure
n'estoît il point encore d'accord avec ceux qui le met-
toient en oeuvre. Quoy voyant ledit gieur de Pou-
trincourt, il fit la charge de Capitaine de navire, et
s'y en alla coucher l'espace de cinq ou six jours pour
sortir au premier |] vent et ne laisser perdre l'occa-
sion. En fia à toute force l'onzième de May mil six
cens six, à la faveur d'vn petit vent d'Est, il gâîgna
la mer et 6t conduire notre lonas ft la Palisse, et le
lendemain douzième revint à Chefdebois (qui sont
les endroits où les navires se mettent à l'abri des
vents), là oU lespoir de la Nouvelle-France s'assem-
bla, le di l'espoir pour ce que de ce voyage dcpcndoit
l'entretenement ou la rupture de l'entreprise.
i
DB LA NovVELLE-FraNCE.
499
Partanent de h Rochelle. Rencontres dhcrs de navires et For-
bans. Mer tempétueuse rt l'endroit des Essores, et Poarquoy.
Vent d'Ouest poanjuoy fréquent en la mer du Ponant. D'où
viennent tes vents. Marsoins prognosfiijaes de tempête. Façon
de tes prendre. Tempêtes. Effects d'icelUs. Calmes. Grain de
vent que c'est, comme il se formCy ses efects. Asseurance de
Matelots. Révérence comme se rend au navire Royal. Suppu-
tation de voyage. Mer chaude, puis froide. Raison de ce et
des Bancs de glace en la Terre-neuve.
Chap. XI.
B Samedi veille de Pentecôte, trezîémc
de May, nous levâmes les ancres et fimes
voiles en pleine mer tant que peu à peu
nous perdîmes de veut; les grosses tours
et la ville de la Rochelle, puis les iles |[ de Kez et
d'Oleron, disans adieu à la France. C'estoit vne
chose apprehcnsivc à ceux qui u'avoieiU accoutumé
une telle danse, de se voir portez sur vn élément si
peu solide, et estre à tout moment (comme on dit) à
deux doigtz prés de la mort. Nous n'eûmes pas fait
long voyage que plusieurs firent le devoir de rendre
ie tribut à Neptune. Cependant nous allions tou-
jours avant, et n'estoit plus question de reculer en
arrière depuis que la planche fut levée. Le seziémc
jour de May nous eûmes en, rencontre treze navires
Flamendes allans en Hespagne, qui s'enquirent de
, et passèrent outre. Depuis ce temps
524
5oo
Histoire
52 5
nous fumes vn mois entier sans voir autre chose qi
ciel et eau hors nôtre ville florante, sinon un navire'
environ rcndroit tics Essores (ou Açorcs) bien garni
de gens mêlez de Flamans et Anglois. Ils nous vi
drcnt couper chemin, et joindre d'assez prés. Et se-
lon la coutume nous leur demandâmes d'où estoit le
navire. Ils nous dirent qu*ils cstoient Terre-ncuvîcrs,
c'est à dire qu'ils alloicnt à la peschcrie des Morti^s,,
et demandèrent si nous voulions qu'ils vinssent avec
nous de compagnie, de quoy nous les remerciâmes.
Là-dessus ils beurent à nous ei nous à eux, et prin-
drent \Tie autre route. Mais après avoir considéré
leur vaisseau, qui estoil tout charge de mousse vertc^^
par le ventre et les cotez, nous {ugcamcs que c'cs<^|
toicnr des Forbans et qu'il y avoit long temps qu'iU^*
batloient la mer en espérance de faire quelque prise-.^'j
Ce fut lors plus que devant que nous commcnçame^H
à II voir sauter les moutons de Neptune (ainsi ap-^^
pclle-on les flots blanchissans quand la mer se veut
émouvoir) et ressentir les rudes estocades de son
Trident. Car ordinairement la mer est tempétueuse
en l'endroit que j"ay dit. Que si on m'en demande la
cause, je diray que j'estime cela provenir de certain
cou dit des vents Orientaux et Oa-ïdcntaux qui se,
rencontrent en cette partie de la mer, et principalc<i
ment en été quand ceux d'Otlest s'clcvent, et d'vne'
grande force pénètrent vn grand espace de mer jus-
ques ù ce qu'ils trouvent les vents de dcci qui leul
font résistance ; et à ces rencontres il fait mauvais se'
trouver. Or cette raison me semble d'autant plus
probable, que jusques environ les Essores nous,
avions eu vent asscs à propos, et depuis prévue tou-
DE LA NovVELLE-FrANCE.
Soi
)urs vent debout, ou Suroûest, ou Noroûcst, peu
du Nort et de Su, qui ne nous cstoient que bons
pour aller à la bouline. Oc vent d'Est rtcn du tout,
sinon vne ou àtnix. fuis, lequel ne nous dura pour en
faire cas. Il est bien certain que les vents d'OUcst
régnent Tort au long et au large de celte mer, soit
par vûc certaine repercussion du vent Oriental qui
est rapide souz la ligne lequinoctiale, duquel nous
avons parlé ci-dessua, ou parce que cette terre Occi-
denale estant grande, le vent aussi qui en sort abonde
davantage. Ce qui arrive principalement en Eté
quand le soleil a la force d'attirer les vapeurs de la
Srre. Car les vents en viennent et volontiers sortent
baumes et cavernes d'iccllc. Et pour ce les PoCtes
iigncnl qu'jî)ole les tient en des prisons, d'où il les
tire II et les fait marcher en campagne quand il lui
plaît. Mais l'esprit de Dieu nous le confirme encore
mieux, quand il dit par ta bouche du Prophète (i)»
que Dieu tout puissant entre autres merveilles tire
les vents de ses thresors, qui sont ces cavernes dont
tle, car le mot de thresor signifie en Hcbrieu
iccrct cl caché.
Et sur cette considération Christaphlc Colomb, Ge-
■fiois, premier navigateur en ces derniers siècles aux
oua
Des recoins de la terre où ses limites sont^
Les pesantes vapeurs U souleye en amont^
H change Us éclairs en pluvieux ravages,
Tirant de ses thresors ta vents et les orages.
(i) Psalm. IJ4; Heb. iji, vers. 7.
526
502
HlSTOIBE
527
îles de l'Amérique, jugea qu'il y avoit quelque gratit
terre en rOccidtnt, s'estant pris gurde en allant sur
mer qu'il y en venoit des vents continuels.
Poursuivans donc nôtre route, nous eûmes quel*
qucs autres tempêtes et difiicoltês causées pur les
vents, que nous avions préque toujours contraires
pour estre partis trop tard. Mais ceux qui partent eu
Mars ont ordinairement bon temps, pour ce qu'alors
sont en vogue les vents d'Est, Nordesl et Nort, pro-
pres ù. ces voyages. Or ces tempêtes bien souvent
nous estoient présagées par les Marsoins qui enviroo-
noient nôtre vaisseau par milliers, se joûans d'vno
façon fort plaisante. 11 y en eut quelques-vns à qui
mal print de s'cstre trop approches, car il y avoit
des gens uu guet souz le Beaupré (qui est en la par-
tie de devant) du navire, avec des harpons en main
qui les lardoicnt quelquefois et les faisoient venir à
bord â l'aide des autres matelots, lesquels avec des
GaHes 1| les tiroient en haut. Nous en avons pris plu-
sieurs de cette laçon tant en allant qu'en venant, les-
quels ne nous ont point fait de mal. Cet animal a
deux doigts de lart sur le dos tout au plus. Quand
il cstoit fendu, nous lavions noz mjins en son sang
tout chaud, ce qu'on disoit estre hon à conforter les
nerfs. Il a merveilleuse quantité de dents le long du
museau, et pense qu'il tieat bien ce qu'il attrape vue
fois. Au reste, les parties intérieures ont le goût en-
tièrement comme de pourceau, et les 05 non en forme
d'arrêtés, mais comme vn quadrupède. Ce qui y est
de plus délicat est la crête qu'il a sur le dos, et la
queue, qui ne sont ni chair ni poisson, ains meil-
leures que cela, telle qu'est aussi en matière de queue
I
4
4
-^
DE LA NoVVELLE-FhANCE.
5o3
ccUe du Castor, laquelle semble estre écaillée. Ces
Marsoins sont les seuls poissons que nous prtnies
devant que venir au grand Banc des Morues. Mais
de loin nous voions d*auîres gros poissons, qui fai-
soîent paroitre plus de demi-arpent de leur cchine
hors de Peau et poussoient plus de deux lances de
hauteur des gros canaux d'eau en l'air par les trous
qu^ils avoient sur la tête.
Or, pour venir à nôtre propos des tempêtes durant
nôtre voyage, nous en eûmes quelques-vnes qui
nous firent mettre voiles bas et demeurer les bras
croisez, portés au vouloir des fiots et balottez d'vne
étrange façon, S'il y avoir queK^ue coffre mal amarré
(je veux vscr de ce mot de marinier), on l'cntendoit
rouler, faisant vn beau sabat. Quelquefois la marmite
cstoil renversée, et en dinant ou soupant, noz plats
Il voloicnt d'un bout de la table à l'autre, s'ils n'é- SaS
toient bien tenus. I^our le boire , il falloit porter la
bouche et le vcne selon le mouvement du navire.
Bref, c'esToit vn passe-temps, mais vn peu rude à
ceux qui ne f>ortent pas aisément ce branlcmciU.
Nous ne laissions pourtant de rire la pluspart, car le
danger n'y estoit point^ du moins apparemment, es-
tans dans vn bon et fort vaisseau pour soutenir les
vagues. Quelquefois aussi nous avions des calmes
bien importuns durant lesquels on se baignoit en la
mer, on dansoit sur le dllac , on grimpuit à la hune;
nous chantions en Musique. Puis quand on voioic
sortir de dessouz l'orizon vn petit nuage , c'estoit
Jors qu'il falloit quitter ces exercices, et se prendre
garde d'vn grain de vent qui esloit enveloppé là de-
dans, lequel se desserrant, grondant, runHaut, sî-
5o4 Histoire
fiant, bruiant, tempêtant, bourdonnant^ estoît ca-
pable de renverser nôtre vaisseau c'en dessus dessous,
s'il n'y eust eu des gens prêts à exécuter ce que le
maître du navire (qui estoit le Capitaine Foulques,
homme fort vigilant) leur commandoit. Or, ces grains
de vents, lesquels autrement on appelle orages, il
n'y a point danger de dire comme ils se forment et
d'où ils prenent origine. Pline en parle en son His-
toire naturele (i), et dit en somme que ce sont exa-
laisons et vapeurs légères élevées de la terre jusques
à la froide région de Pair, et ne pouvans passer outre,
ains plustôt contraintes de retourner en arrière, elles
rencontrent quelquefois des exalaisons sulfurées et
ignées, qui les environnent et resserrent de si prés,
529 qu'il en || survient vn grand combat , émotion et agi-
tation entre le chaud sulfureux et l'aëreux humide,
lequel estant forcé par son plus fort ennemi de fuîr,
il s'élargit, se fait faire jour, et siffle, bruit, tem-
pête, bref se fait vent, lequel est grand ou petit , se-
lon que l'exalaison sulfurée qui l'enveloppe se rompt
et lui fait ouverture, tantôt tout à coup, ainsi que
nous avons posé le fait ci-dessus, tantôt avec plus de
temps, selon la quantité de la matière de laquelle elle
est composée, et selon que plus ou moins elle est agi-
tée par contraires qualitez.
Mais je ne puis laisser en arrière l'asseurance mer-
veilleuse qu'ont les bons matelots en ces conflicts de
vents , orages et tempêtes , lors qu'vn navire estant
porté sur des montagnes d'eaux, et de là glissé
comme aux profons abymes du monde, ils grimpent
(1) Pline, liv. 2,ch. 48.
DR LA NoVTBLLE-FbANCB.
5oS
parmi les cordages non-seulcineTit à la hune et au
bout du grand mast, mais aussi, sans degrez, au som-
met d'un autre mast qui est ente sur le premier, sou-
lus seulement de la force de leurs bras et pîés cn-
irtiilés û l'entour des plus hauts cordages. Voire je
diray plus qu'en ce grand branlement s'il arrive que
le grand voile (qu'ils appellent Paphll, ou Papefust)
soit denoQé par les extremitcz d'en haut, le premier
à qui il sera commandé se mettra à chevaîon sur la
Vergue (c'est l'arbre qui traverse le grand mast) , et,
avecvn marteau â sa ceinture et demie-douzaine de
clous à la bouche , ira r'altachcr au pcrll de mille vies
ce qui estoît décousu- l'ay autrefois oui faire grand
cas de la hardiesse d'un Suisse qui (après le ([ sicgc
de Laon, et la ville estant rendue â l'obeïssance du
IPoy) grimpa et se mit il chevaîon sur le travers de lu
Croix du clocher de TÉglisc Notre-Dame dudit lieu,
et y fit Parbre fourchu, les pîés en haut, qui fut
vne action bien hardie; mais cela ne me semble rien
au pris de ceci, estant ledit Suisse sur vn corps so-
lide et sans mouvement, et celui-ci, au contraire,
pendant sur vne mer agitée de vents impétueux,
comme nous avons quelquefois vcu.
Depuis que no.is eûmes quitté ces Forbans des-
quels nous avons parlé ci-dessus, nous fumes jusques
au dix huitîiéme de luin agirez de vents divers et
préque tous contraires sans rien découvrir qu'vn na-
vire fort éloigné, lequel nous n'abordâmes, et néant-
moins cela nous consoloit. Et ledit jour nous rencon-
trâmes vn navire de Honflcur oU commandoit le Ca-
pitaine la Roche, allant aux Terres-neuves, lequel
n'avoit eu sur mer meilleure fortune que nous. C'est
53o
5o6
Histoire
la coutume en mer que quand quelque navire parti-
culier rencontie vn navire Royal (comme esioit le
nôtre), de se mettre au dcssouz du vent, et se pré-
senter non point côte ù côte, maïs en biaisant, même
d^abatlrc son enseigne, ainsi que lit ce Capitaine la
Roche, hor-mis renseigne qu'il n'aN'oit point non
plus que nous, nVn estant de besoin en si grand
voyage, sinon quand on approche la terre ou quand
il se faut battre. Noz mariniers firent alors leur es-
time sur la route que nous avions faite; car en tout
navire les Maître Pilote et Contrcmaitre font rcgttre
chaque jour des routes et airs de vents qu'ils ont
53i suivi, par com- 1| bien d'heures, et l'estimation des
lieues. Ledit la Roche donc estimoit estre par les
45. degrtîs et à cent lieues du Banc. Nôtre Pilote,
nommé Maitre Olivier Fleuriot, de S. Malo, par sa
supputation, disoit que nous n'en estions qu'à soi-
xante licuës , et le Capitaine Foulqutis à six vingts,
el je croy qu'il jugeoit le mieux. Nous eûmes beau-
coup de contentement de ce rencontre et primes bon
courage, puis que nous commencions à rencontrer
des vaisseaux , nous estant avis que nous entrions en
lieu de conoissance.
Mais il faut remarquer vne chose en passant que
j'ay trouvée admirable, etoU il y a à philosopher;
car, environ cedit jour 18. de luin, nous trouvâmes
l'eau de la mer l'espace de trois jours fort tiède , et en
estoit nôtre vin de même au fond du navire , sans
que Tair fust plus échauffé qu'auparavant. Et le 21
dudit mois tout au rebours nous fumes deux ou trois
jours tant environnez de brouïUas et froidures, que
nous pensions estre au mois de lanvier, et estoit Tcau
4
1
4
DE LA NoVVBLLB-FrANCB.
507
de la mer extrcmcment froide. Ce qui nous dura jus-
ques à ce que nous vînmes sur le Banc, pour le re-
gard desdits brouillas qui nous causoîent cette froi-
dure au dehors. Quand je recherche la cause de cette
antiperistase , je l'attribue aux glaces du Nort qui se
déchargent sur la côte et la mer voisine di: la Terre-
neuve et de Labrador, lesquelles nous avons dit ail-
leurs cstrc U portées de la mer par son mouvement
naturel, lequel se lait plus grand là qu'ailleurs, à-
causc du grand espace qu'elle a ù courir comme dans
vn golfe uu profond de TAmcrique, oQ la nature cc
site de la terre vni- [] verscle la porte aisément. Or, 532
ces glaces (qui quelquefois se voient eu bancs longs de
huit ou dix lieues, et hautes comme monts et co-
teaux, et trois fois autant profondes dans les eaux),
tenans comme vn empire en cette mer, chassent loin
d'elles ce qui est contraire à leur froideur, et conse-
qucmment font resserrer par-deça ce peu que l'esté
peut apporter de doux tempérament en la partie
où elles se viennent camper , sans toutefois que je
vueîlle nier que cette region-là en même parallèle ne
soit quelque peu plus froide que celles de nôtre Eu-
rope, pour les raisons que nous dirons ci-uprcs,
quand nous parlerons de la tarJiveté des saisons.
Telle est mon opinion, n'empêchant qu'vn autre ne
dise la sienne. Et de cette chose memorative, j'y vou-
lu prendre garde au retour delà Nouvelle -France, et
trouvay la même tiédeur d'eau (ou peu s'en fallolt),
quoy qu'au mois de Septembre, h cinq ou six jour-
nées au dcca dudit Banc,daqucl nous allons parler.
5o3
HiSTOlSB
533 [[ Du Grand Banc des Morues. Arrivée audit Banc. Descri
d'icclm. Pescheries de Montés et d'oiseaux. Gourmandise des
Happe-foyes. Périls divers. Fanars de Diea, Causes desfn
^aenks et longues brumes en ïa mer Occidentale. Avertisse-
iiicns de la terre. Veu'ê d'icclic. Odeurs merveilleuses. Aijori
de deux chaloupes. Descente au port du Mouton. Arrivée a
Perl Royal, De deux François y demeurez seuls parmi k
Sauvages.
Chap. XII.
'M
534
.EVANT que parvenir au Banc duquel nous
avons parlé ci-dessus, qui est le Grand
Banc où se fait la pescherïe des Morues
vertes (ainsi les appelle on quand elles ne
sont point sèches, car pour les sécher il faut aller
lerre), les Mariniers, outre la supputation qu'ils font
de leurs routes, ont des a\'errissemens qu'ils en sont
priîs par les oiseaux, lesquels on reconoit, tout ainsi
qu'on fait en revenant en France, quand on en esta
quelque cent ou six vingts lieues prés. De ces oi-
seaux les plus frequens vers ledit Banc sont des Go-
des, Fouquets, et autres qu'on appelle Happe-foycs,
pour la raison que nous dirons tantôt. Quand donc
on eut rcconu de ces oiseaux qui n'cstoient pas sem-
blables à ceux que nous avions veu au milieu de la
pleine mer, on jugea que nous n'estions pas loin d*i
celui Banc; ce [j qui occasionna de jetter la sonde par
un leudi vingt-deuxième de luin, et lors ne lut trouvé
it^
'M
DB LA N0VVELI.8-Fra«CE.
509
I îr
Fond. Maïs le même jour, sur le soir, on la jelta de-
rechef avec meilleur succès, car on trouva fond à
trente-six brasses. le ne sçaurois exprimer la joye
que nous eûmes de nous voir là oU nous avions tant
dcsiré d'estrc parvenus. II n'y avoit plus de malades,
chacun sautoit de liesse, et nous sembloit cstre en
nôtre païs, quoy que nous ne fussions qu'à moitié
de nôtre voyage , du moins pour le temps que nous
y employâmes devant qu'arriver au Port-Royal , où
ous tendions.
Ici, devant que passer outre, je veux éclaircîr ce
mot de Banc qui par aventure tient quelquVn en
peine de sçavoir que t*est.. On appelle Bancs quel-
quefois vn fond areneux où il n'y a gneres d'eau ou
qui assèche de basse mer, et tels endroits sont mor-
tels aux navires qui les rencontrent. Mais le Banc du-
quel nous parlons ce sont montagnes assises en la
profonde racine des abymes des eaux, lesquelles s>-
Jcvent jusques ft trente, trente-six et quarante bras-
ses prés de la surface de la mer. Ce Banc, on le tient
de deux cens lieues de long, et dîx-liuÎE, vingt et
vingt-quatre de large, passe lequel on ne trouve plus
de fond non plus que par deçà, jusques à ce qu'on
aborde la terre. Là-dessus les navires cstans arrivés,
on plie les voiles, et fait-on la pcschcrie de la Morue
verte, comme j'uy dit, de laquelle nous parlerons au
livre suivant. Pour le contentement de mon lecteur,
je l*ay figuré en ma Charte géographique de la Terre-
neuve avec des |' poinctes, qui est tout ce qu'on peut
faire pour le représenter. II y a plus loin d'autres
bancs, ainsi que j'ay marqué en ladite Cliaric, sur
lesquels on ne laisse de faire bonne pcsclierie : et plu-
535
5io
Histoire
sieurs y vont qui sçavent les endroits. Lors que nous
partîmes de la Rochelle, il y avoit comme vne foref ,,
de navires à Chefdebois (d'oU aussi ce lieu a pris i
son nom) qui s'en allèrent en ce païs là tout d'vnc
volte, nous ayans devancé de deux jours.
Apres avoir reconeu le Banc, nous nous remîmes n
à la voile et limes porter toute la nuit, suivant tou-
jours nôtre route à l'Ouest. Mais k point du jour
venu, qui cstoit la veille sainct lean Baptiste, ù boa
jour bonne œuvre, ayans mis les voiles bas, nous
passâmes la jouriiik: à la pcschcric des Morues avec
mille rcjouïssances et contentcmens , à cause des
viandes frcches que nous eûmes tant qu'il nous^i
pleut, après les avoir long temps désirées. Parmi la-^|
pescheric nous eûmes aussi le plaisir de voir prendre ^^
de ces oiseaux que les mariniers appellent Happe-
foyes à-cause de leur avidité à recueillir les foyes des
Morues que Ton jette en mer, après qu'on leur a ou-
vert le ventre, desquels ils sont si frîans, que quoy
qu'ils voient vne grande perche ou gafle dessus leur
tête prête à les assommer, ils se bazardent d'appro-
cher du vaisseau pour en attraper à quelque pris que
ce soit. Et à cela passoient leur temps ceux qui n'es-
toient point occupez à ladite pescherie, et firent tant
par leur industrie et diligence, que nous en eûmes
environ vne trentaine. Mais en cette action vn de
noz charpentiers || de navire se laissa tomber dans la
mer, et bien vint que le navire ne derivoît gueres,
ce qui lui donna moyen de se sauver et gaigner le
gouvernail , par où on Je tira en haut, et au bout fut
châtié de sa faute par !e Capitaine Foulques.
En cette pescheric nous prenions aussi quelquefois
No WELLE- France.
5ii
chiens de
les
desquclz
M(
^
lens de mer, les peaux desqucjz noz Menw-
sîcrs gardoient soigneusement pour addoucir leur
bois de menuiserie; item des Merlus, qui sont meil-
leurs que ks Morues, et quelquctois des Bars ; la-
quelle diversité augmentoii nôtre contentement. Ceux
qui ne tendaient ni aux Morues ni aux oiseaux pas-
soient le temps à recueillir les cœurs, tripes et par-
tics intérieures plus délicates desdites Morue, qu'ils
mettoient en hachis avec du lart , des cpiccs et de la
chair d'icelles MoruCs, dont ils faisoient d'aussi bons
cervelats qu'on sçauroic faire dans Paris; et en man-
ames de tort bon appétit.
Sur le soir nous appareillâmes pour nôtre route
ursuivre, après avoir fait bourdonner noz canons
tant à-cause de la fétc de salnct Ican que pour l'a-
mour du Sieur de Poutrincourt, qui porte le nom
de ce Sainct. Le lendemain, quclques-vns des nôtres
nous dirent qu'ils avoient veu vn banc de glaces; et
là dessus nous tut recité que l'an prcccndant vn na-
vire Olonois s'estolt perdu pour en estre approche
trop priîs , et que deux hommes s'estans sauvez sur
les glaces avoient eu ce bonheur qu'vn autre navire
passant les avoît recueillis.
Baut remarquer que depuis le dix-huitiémcdc luin
jusques A nôtre arrivée au Port-Royal |j nous avons
trouvé temps tout divers de ccllui que nous avions
eu auparavant; car, comme nous avons dit ci-des-
sus, nous eûmes des froidures et brouillas (ou bru-
mes) devant qu'arriver au Banc (où nous fumes de
beau soleil), mais le lendemain nous retournâmes
aux brumes, lesquelles nous voions venir de loin
nous envelopper et tenir prisonniers ordinairement
537
5l2
Histoire
53S
trois joïirs durant pour deux jours de beau tcmj
qu'elles nous pcrmcttoiem ; ce qui cstoit toujours ac-
compagne de froidures par l'absence du soleil. Voiie
même cil diverses saisons , nous nous sommes veus
huit jours continuels en brumes épcsses par deux
fois sans apparence du soleil que bien peu, comme
nous reciterons ci-apres. Et de tels cffccts j'amene-
ray vne raison qui me semble probable. Comme nous
voyons que le feu attire l'humidité d'vn linge raouïUé
qui lui est opposé , ainsi le soleil attire des humidîtez
cl vapeurs de la terre et de la mer. Mais pour la re-
solution d'iccUcs il a ici vne vertu , et par-delà vnc
autre, selon les accidens et circonstances qui se pré-
sentent. Es païs de deçà il nous enlevé seulement les
vapeurs de la terre et de noz rivières, lesquelles va-.
peurs terrestres estant pesantes et grossières, et te
nans moins de l'élément humide, nous causent vi
air chaud ; et la terre dépouillée de ces vapeurs est]
plus chaude et plus rotîc. De là vient que cesditirs
vapeurs ayans la terre d'vne part et le soleil del'auti
qui les échauffent, elles se resoudent aisiSmcnt et
demeurent gueres en l'air, si i^e n'est en hiver, quant
la terre est refroidie et le Joleil || au dcU de la ligne
aequinoctialc éloigna de nous. De cette raison vien<
aussi la cause poarquoy en la mer de France les bru-
mes ne sont point si fréquentes ne si longues qu'en
la Terre-neuve j parce que le soleil passant de soa
Orient pjir dessus les terres, cette mer, à la venuS
d'icelui, ne reçoit quasi que des vapeurs terrestres,
et par vn long espace il conserve cette vertu de bien-
tôt résoudre les exalaisons qu'il a attiré à soy; mais
quand U vient au milieu de la mer Qccannc et à la-
DB LA NovTELLE-FrjLNCE.
5i3
^ite Terre-neuve, ayant élevé et auiré A soy en vn si
long voyage vne grande abondance de vapeurs de
toute cette plaine humide, il ne les résout pas aisé-
ment, tant pou ae que ces vapeurs sont froides d'elles-
mêmes et de leur nature, que pourcc que le dessouz
sympatliizc avec elles et les conserve , cî ne sont point
les rayons du soleil secondés à la resolution d'icclles,
comme ils sont sur la terre; ce qui se reconoit même
en la terre de ce païs-Ia, laquelle, encores qu'elle ne
soit guercs échauffée à-causc de l'abondance des bois,
toutefois elle aide à dissiper les brumes et brouillas
qui y sont ordinairement au matin durant l'été, mais
non pas comme à la mer, car sur les huit heures elles
commencent à s'évanouïr et lui ser\'ent de rousée.
l'espcre que ces petites digressions ne seront point
désagréables au Lecteur, puis qu'elles viennent à
nôtre propos. Le 28. de luîn nous nous trouvâmes
sur vn Banquereau (autre que le grand Banc duquel
nous avons parlé), à quarantes brasses; et le lende-
main vn de noz matelots tom- |1 ba de nuitcn la mer,
ctcstoitfait de lui s'il n'eust rencontré un cordage
pendant en l'eau. De U en avant nous commençâmes
à avoir des avcrlissemens de la terre (c'estoit la "Terre-
neuve) par des herbes, mousses, ileurs et bois, que
nous rencontrions toujours plus abondamment plus
nous en approchions. Le 4. de luiller, noz matelots
qui cstoient du dernier quart apperceurent dés le
grand matin les ilcs Sainct-Picrrc, chacun estant en-
core au lit; et le Vendredi 7. dudit mois nous décou-
vrîmes estribort (t) vne côte de terre relevée longue
{0 Estriiwrt c'est i droite.
3Î
539
«rtii
514
Histoire
à perte de veuë, qui nous remplit de rejoutssance
plus qu'auparavant; en quoy nous eûmes vnc gronde
faveur de Dieu d'avoir fait cette découverture de
beau temps; et, estans encore loin, les plus hardis
montoicnt à la hune pour mieux voir, tant nous es-
tions tous désireux de cette terre vrayc habitation de
l'homme. Le sieur de Poulrïncourt y monta et moy
aussi, ce que nous n^avîons onques iait. Noz chiens
mettoient le museau hors le bord pour mieux flairer
Tair terrestre , et ne se pouvoicnr tenir de témoigner
par leurs gestes l'aise qu'ils avoicnt. Nous en appro-
châmes à vnc lieuG prés et (voiles bus) fimes pcschc-
rie de Morues, la peschsric du Banc commençant à
faillir. Ceux qui paravant nous avoient fait des voya-
ges par-delà jugèrent que nous estions au Cap Bre-
ton. La nuit venant , nous dressâmes le cap à la mer,
et le lendemain, huitième dudit mois de luillet,
comme nous approchions de la Baye de Campstaa^
vindrent les brumes sur le vépre, qui durèrent huil
jours entiers , pendant Icsquelz nous nous |[ soutîn-
mes en mer, louvians toujours, sans avancer che-
min , contrariés des vents d'Ouest et Suroûcsî. Pen-
dant ces huit jours , qui furent d'vn Samedi à vq^j
autre, Dieu (qui a toujours conduit ces voyages, aus^H
quels ne s'est perdu vn seul homme par mer) nous^^
fit paroitre une spéciale faveur, de nous avoir en-
voyé parmi les brumes épesscs vn eclarcisscment Je
soleil qui ne dura que demie-heure, et lors nous eû-
mes la vcuë de la terre ferme, et conçûmes que nous
nous allions perdre sur les brisans si nous n'eus-
sions virement tourné le cap en raer. C'est ainsi qu'on
recherche la terre comme vnc blca-almcc, laquelle
^
DE LA NoWELLE-FraNCE.
5iS
quelquefois rebute bien rudement son amant. En fin^
le Samedi quinzit-mcdc luillet, sur les deux heures
après midi , le ciel commcni^-a de nous saluer à coups
de canonades, pleurant, comme fâché de nous avoir
si longtemps tenu en peine. Sî bien que le beau
temps revenu , voici droit à nous (qui estions à qua-
tre lieues de terre"; deux chaloupes à voile déployée
parmi vne mer encore emeuC. Cela nous donna beau-
coup de contentement ; mais, tandis que nous pour-
suivions nôtre route , voici venir de la terre des
odeurs en suavité nompareîlles apportées d'vn vent
chaut si abondamment , que tout l'Orient n'en sçau-
roit produire davantage. Nous tendions noz mains,
comme pour les prendre, tant elles cstoient palpa-
bles, ainsi qu'il avint à l'abord de la Floride à ceux
qui y furent avec Laudonniere. A tant s'approchent
les deux chaloupes, l'vnc chargée de Sauvages qui
avoient un Ellan peintù leur voile, l'autre de |I Fran-
çois Maloins qui faisoient leur pescherie au port de
Canipseau ; mais les Sauvages furent plus dilïgens, car
ils arrivèrent les premiers. N'en ayans jamais veu ,
j'admiray du premier coup leur belle corpulance et
forme de visage. Il y en eut vn qui s'excusa de n'a-
voir point apporté sa belle robbe de Castors, par-ce
que le temps avoit esté difficile. II n'avoit qu'vne
pièce de frize rouge sur son dos et des Maîachiaz au
col, aux poignets cT au dessus du coude, et à la cein-
ture. On les fit manger et boire, et ce faisant ils
nous dirent tout ce qui s'cstoit passé depuis vn an au
Port-Royal, où nous allions. Cependant les Ma-
loins arrivèrent et nous en dirent tout autant que
les Sauvages, ajoutans que le Mercredi auquel nous
54T
1
Histoire
vn
'm
évitâmes les brisans, ils nous avoient vcu, et voii-
loient venir à nous avec lesdits Sauvages, mais que
nous cstans retournez en mer ils s'en estoieni dé-
sistez; et davantage qu'à terre il avoit toujours d
beau temps, ce que nous admirâmes tort; mais
cause en a estti rendue ci-dessus. De cette incommo-
dité se peut tirer ^Tadvemrvn bien, que ces brumes
serviront de rempart au païs, et sçaura-on cou jour s i,
en diligence ce qui se passera en mer. Ils nous dîiea^H
aussi qu'ils avoient eu avis quelques jours aupara^f
vant, par d'autres Sauvages, qu'on avoit veu vn
navire au Cap Breton. Ces François de Saîncl-Ma
cstoient gens qui faisoient pour les associez du sicu:
de Monts , et se peignirent que les Basques, contre
les défenses du Roy , avoient enicv*; et trocqué avec
les Sauvages plus de || six mille Castors. Ils nous
donnèrent de leurs poissons, comme Bars, Merlus et
grans Flétans. Quant aux Sauvages , avant partir ils
demandèrent du pain pour porter à leurs femmes.
Ce qu'on leur accorda. Et le meritoient bien d'csirc
venus de si bon courage pour nous dire en quelle
part nous est ons, car depuis nous allâmes toujours
asseu rément.
A l'adieu quelque nombre de ceux de nôtre com-
pagnie s'en allèrent ù terre au Port de Campseau, tant
pour nous faire vcair du bois et de l'eau douce^ dont
nous avions besoin, que pour de là suivre la côte
jusqucs au Porr-Royal dans vnc chaloupe : car nous
avions crainte que le sieur du Pont n'en fust dés-ja
parti lors que nous arriverions. Les Sauvages s'of-
frirent d'aller vers lui ù travers les bois , avec pro-
messe qu'ils y seroient dans six jours , pour l'avertir
DE LA NOVVELLE- FrAKCE.
5i7
de notre venue, afin de l'arrêter, d'autant qu'il avoit
le mot de partir si dans le seizième du mois it n'avoit
secours, à quov il ne faillit point. Toutefois noz
gens, désireux de voir la terre de pri!'S, empêchèrent
cela, et nous promirent nous ap^^urler le lendemain
l'eau et le bois susdit si nous nous trouvions prés
Kidite lerre. Ce que nous ne fimes point et poursui-
imes nôtre route.
Le Mardi dix-septième de luillct nous fumes d.
accoutumée pris de brumes et de vent contraire.
Mais le leudi nous eûmes du calme, si bien nous
n'avancions rien ni de brumes ni de beau temps.
Durant ce calme, sur le soir, vn charpentier de
navire se baignant en la mer après avoir trop beu
d'eau de vie, se trouva sur- |[ pris, le froid de !a
marine combattant contre l'cchaufiement de cet es-
prit de vin. Quelques matelots voyans leur com-
pagnon en péril , se jetterent dans l'eau pour le
secourir, mais ayant l'esprit trouble il se mocquoit
d'eux , et n'en pouvait-on jou'ir. Ce qui occasionna
encore d'autres matelots d'aller au secours et s'em-
pcchercnt tellement l'un l'autre que tous se virent en
péril. En fin il y en eut vn qui parmi cette confusion
ouït la voix du sieur de Poutrincourt qui lui disoit :
lean Hay, regardez moy, et prînt le cordage qu'on
lui prcsentoit. On le tira en haut et le reste quant et
quant fut sauvé. Maislauthcurdc la noise tomba en
vne maladie dont il pensa mourir.
Apres ce calme nous retournâmes pour deux jours
au paîs des brumes. Et le Dimanche 23. dudit mois
eûmes conoissance du Port du Rossignol et le m(;mc
jour après midi de beau solcît nous mouïUames
543
5i8
Histoire
l'ancre en mer à l'entrée du Port au Mouton
pen&amcs toucher estans venus jusqucs à deux brasseSj
et demie de profond. Nous allâmes en nombre de i;
à terre pour quérir de l'euu cl du bois qui nous dê-|
failloicut. Lu nous trouvâmes encore entières leal
cabanes et logemens du sieur de Monts qui y avoît
sejoumé l'espace d\'n mois deux ans auparavant,
comme nous avons dit en sou lieu. Nous y remar-j
quanies parmi une terre sablonneuse force chcne«4
porte-glans, cyprès, sapins, lauriers, roses muscades,'
grozelles, pourpier, framboises» fougères, lysimacbia,
544 espèce de scam- |1 monécj Calamus odoratus, Ange-,
Uque et autres Simples, en deux heures que nous y '
fumes. Nous en reportâmes cri nôtre navire quantité
de pois sauvages que nous trouvâmes bons. Nous
n'eûmes le loisir d'aller il la chasse des lapins, qui
sont en grand nombre non loin dudit Port; ainsi
nous cil rclouniames si tut que nôtre charge d'eai
et de buis fut faite, et nous mimes à la voile.
Le Mardi vingt-cinquitime estions à l'endroit dii'
Cap de Sable de beau temps, et fimcs bonne journée, 1
car surlcsoirnous eûmes en veuë l'Ile iongue «la ,
Baye Saincte-Marie , mais ù cause de la minuit nous |
reculâmes à la mer. Et Iclcndcmain vînmes mouiller
l'ancre à l'entrée du Port-Royal , où ne peumes en-
trer pour ce qu'il estoit ebc. Mais deux coups de
canons furent tirez de nôtre navire pour saluer ledin:
Port et avertir les François qui y esioient. ,^H
Le leudi vingt-sepliéme de luillet nous cntrameS^H
dedans avec le flot, qui ne fut sans beaucoup de
diflîcultez pour ce que nous avions le vent
et des rcvolins ertre les montagnes qui nous
,si j
lu"
opposff j
; pcns^ I
DB LA NovTELLB-Fr&NCE.
519
rent porter sur les rochers. Et en ces affaires nôtre
navire alloit à rebours U poupe devant , et quelque-
fois tournoit, sans qu'on y pcust faire autre chose.
En fin estans dedans le port ce nous estoit chose
cmcrveillable de voir lu belle étendue d'icclui cr les
montagnes et c6taux qui l'environnent, et m^ctonnois
comme vn si beau lieu dumcun)it dcsnrt et tout
rempli de bois, veu que tant de gens languissent au
monde qui pour- |t roient l'aire prouHt de cette terre 545
s'ils avoient seulement vn chef pour les y conduire.
Peu à peu nous approchâmes de l'île qui est vis à-vis
du Fort où nous avons depuis demeure; ilc di-je, la
chose la plus agréable ù voir en son espèce qui soit
possible de souhaiter, desirnns en nous-mêmes y
voir portez de ces beaux batimcns qui sont inutiles
par-deçà et ne servent que de retraite aux cercerelles
et autres oiseaux. Nous ne sçavions encore si le sieur
du Pont estoit parti, et partant nous nous attendions
qu'il nous deust envoyer quelques gens au devant.
Mais en vain, car il n'y estoit plus dés il y avoit
douze jours. Et cependant que nous voguions par le
milieu du port, voici que Membertou, le plus grand
Sagamos (1) des Souriquois (ainsi s'appellent les peu-
ples chez lesquelz nous estions), vient au Fort Fran-
I çois vers ceux qui cstoîent demeurez en nombre de
Rux tant seulement, crier comme un homme in-
isé, disant en son langage : Quoy^ vous vous
msez ici à dîner (il estait environ raidi) et ne
fcz point vn grand navire qui vient ici et ne sça-
vuHs quelles gens ce sont f Soudain ces deux hommes
Kl] Sagainos c'est Capitaine.
520
HlSTOIRB
courent sur le boulevert et apprêtent les canons en
diligence, lesquels ils garnissent de boulets et dV
morces. Membcnoa sans dilaycr vient dans son canot
fait d'écorces, avec une sienne tille, nous reconoitre,
e( n*ayant trouvé qu'amitié et nous reconoissant^j
François, il ne fit point d'alarme. Ncantmoinsrva^|
de ces deux hommes là demeurez, dit La Taille, vjnt^^
sur la rive du port la mccbc sur le serpentin pour
546 sçûvoir qui nous estions (quoy qu'il le |j sceut bien
car nous avions la baniere blanche déployée à la
pointe du mast)» et si tôt voilà quatre volées de
canons qui fout des Echoz Innumcrablcs et de nôtre
part le Fort fut salut: de trois canonades et plusieurs
mousquetades , en quoy ne manquoît nôtre Trom-
peté A son devoir. A tant nous descendons à terre ,
visitons la maison et passons la journée â rendre
grâces à Dieu, voir les cabanes des Sauvages et nous
aller pourmener par les prairies. Mais je ne puis
que je ne loue beaucoap le gentil courage de ces deux
hommes, desquels j'ay nommé l'vn , Tauire s'appelle
Miquckt ; et méritent bien d'estre ici nommez, pour
avoir exposé si librement leurs vies à la conservation
du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pon[
n'ayant qu'vne barque et vne palatlie , pour venir
chercher vers la Terre-neuve des navires de France,
ne pouvoit point se charger de tant de meubles, blez,
farine et marchandises qui esloient par-delà, lesquels
il eust fallu jetter dans la mer (ce qui cust esté à
nôtre grand préjudice , et en avions bien peur) si ces
deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer
là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ils 6rcnC
volontairement et de gayeté de cœur.
4
DE La. NoVVELLE-FltlMCE.
5ai
Heurease rencontre du sitar da Pont. Son rncar ju Port-
Royal. Rejoaiuditu. Descriptioa d(s tapirons dudit Porj,
Conjecture sur Porigine dt ta grande riyierc de Cdruida.
SemaiUes de hlez. Retour du suar du Pont en France.
Voyage du sieur de Poalnncourt au pais da Armouchi^uots^
Beùu segle provenu sans culture. Exercices et façon de vivre
au Port Royal. Cause des prairies de la riyierc de t'E^uilie^
dite aujourd'hui la rivière du Dauphin.
547
Chap. Xltll.
K Vendredi lendemain de nôtre arrivée,
le sieur de Poucrincourt, airectionné à
cette erïtreprise comme pour soy-mérac,
mit vnc partie de ses gens en besongne
au labourage et culture de la terre, tandis que les
autres s'occupoientà nettoyer les chambres, et chacun
appareiller ce qui estoit de son métier. Cependant
ceux des nôtres qui nous avoient quittez à Campseau
pour venir le long de la côte rencontrèrent comme
miraculeusement te sieur du Pont parmi des îles qui
sont iVcqucntcs en ces parlics>là. De dire combien
fut grande la joyc d'vne part et d'autre , c'est chose
qui ne se peut exprimer. Ledit sieur du Pont à cette
heureuse rencontre retourna en arrière pour nous
venir voir au Port-Uoyal et se mettre dans le lonas
ur repasser en France. || Si ce hazard lui fut vtile,
l nous le fut aussi par le moyen de ses vaisseaux
u'il nous laissa. Et sans cela nouscstion»cn vnc
548
532
Histoire
549
telle peine que nous n'eussions sceu aller ni 'venîr
nulle part après que nôtre navire cust esté de retour
en France. Il arriva le Lundi dernier jour de iuillet
et demeura encore au Poit-Hoyal lusques au vingt-
buitieme d'Aousc. Et pendant ce mois grande re-
jouKsiance. Le sieur de Poutrincourt fit mettre -vn
muî de vin sur le cul, l'vn de ceux qu'on lui avoït
baille pour sa bouche, et permission de boire à tous
venans tant qu'il dura, si bien qu'il y en avoit qui se
firent beaux cntans.
Dés le commencement nous fumes désireux de
voir le païs û-mont la rivière, oti nous trouvâmes
des prairies prêquc continuellement jusqucs à plus
de douze lieues , parmi lesquelles découlent des ruis-
seaux sans nombre qui viennent des collines et mon-
tagnes voisines; les bois fort épais sur les rives des
eaux et tant que quelquefois on ne les peut traverser.
Je ne voudroy toutefois les faire tels que loseph
Acosta (i) récite estre ceux du Pérou , quand îl dît ;
« Vn de noz frères , homme digne de foy , nouscon-
« toit qu'estant égare et perdu dans les montagnes
u sans sçavoir quelle part ni paroti il dcvoît aller,
a il se trouva dans des buissons si épais qu'il fat
M contraint de cheminer sur iceux sans mettre les
M pieds en terre , par l'espace de quinze jours cn-
■ tiers. » le laisse à chacun d*en croire ce qu*il
voudra, mais cette croyance ni peut venir jusqucs
à moy.
Il Or en la terre de laquelle nous parlons les bois
sont plus clairs loin des rives et des lieux humides,
I
(1) loseph Acostâ, liv. 4, chap. ;a.
DE LA NovVELLE-FrANCE.
5a3
et en est la félicité d'autant plus grande à espérer,
Ïu'elie est semblable à ta terre que Dieu promcttoil
son peuple par la bouche de Moyse, disant : « Le
Seigneur ton Dieu te va l'aire entrer en vn bon
païs , païs de torrgns d'eaux , de fonteioes et
abymcs, qui sourdcnt par campagnes, et ce païs
> où tu ne mangeras point le pain en disette, auquel
« rien ne te defaudra , pais duquel les pierres sont
fer et des montagnes desquelles tu tailleras l'ai-
rain (i). n Et plusoutre, contirmaniles promesses
de la bonté et situation de la terre qu'il lui dcvoit
donner : « Le païs (dît il) auquel vous allez passer
• pour le posséder n'est pas comme le païs d'Egypte,
« duquel vous estes sortis, là où tu semois ta semence
- et Tarrousois avec le trauail de ton pied, comme
m vn jardin ù herbes. Mais le païs auquel vous allca
« passer pour posséder est vn païs de montagnes et
« campagnes et est abbrcuvé d'eaux selon qu'il pleut
■ des cieux (2). » Or, selon la de^^cription que nous
avons faite ci devant du Porr-Koval etde ses environs,
^^en décrivant le premier voyage du sicurde Monts,
^■t comme nous le disions îci^ les ruisseaux y abon-
^^cnt à souhait et n'est moins cette Terre heureuse (en
ce regard) que IcsGauIies, ausqucUcsle lïoy Agrippa
■||/aisant vnc harangue aux. luifs rapportée par loseph
en sa Guerre luduïque) attribuoit vnc particulière
félicité pource qu'elles avoîent des tbnteincs domes-
tiques, et même vne partie d'icelle est appel lée Aqui-
taine en cette considération. Quant aux pierres que
(1) Deuieron. 8, vers 7, 9-
{2) Deuteron. 11, vers. lo.
>
524
Hi'sTomE
nôtre Dieu promet devoir estre fer et les montagnes
550 d'airain, cela ne signifie autre chose H quclesmînes
de cuivre et de fer et d'acier desquelles nous avons
dés-Ja parle ci-dessus et parlerons encore ci-apres. Et
au regard des campagnes 'dont nous n'avons encore ^J
parlé) il y en a du côté de TOticst audit Port-Roj'al.^H
Et au dessus des montagnes il y a de belles cam-^^
pagnes où j'ay veu des lacs cî des ruisseaux ne plus
ne moins qu'aux vallées. Mêmes au passage pour
sortir d*icelui Port et se mettre en mer , il y en a vn
qui tombe des hauts rochers en bas et en tombant
s'dparpille en pluie menue, qui est chose fort dclec-
table en été, par ce qu'au bas du rac il y a des grottes
oli ion est à couvert tandis que cette pluie tombe si
agréablement, et se fait comme vn arc en ciel dedans
la grotte oO tombe la pluie du ruisseau, lors que le
soleil luit : ce qui m'a causé beaucoup d'admiration.
Vne r:}is nous allâmes depuis nôtre Fort jusques ù la
mer ù travers les bois , l'espace de trois Iîcul-s, mais
au retour nous fumes plaisamment trompes. Carau
bout de nôtre carrière, pensans estre en plat païs,
nous nous trouvâmes au sommet d'vne haute mon-j
lagne et nous fallut descendre avec assez de peine à-
cause des neges. Mais les montagnes en vne contrée
ne sont point perpétuelles, A quinze lieues de nôtre
demeure, le païs où passe la rivière de l'Equillc est ^^
tout plat, l'ay vcu par-delà plusieurs contrées où 1^ ^|
païs est tout vni et le plus beau du monde. Mais la '
perfection est qu'il est bien arrousé. Et pour témoi-
gnage de ce, non seulement au Port-Royal, mais]
aussi en toute la Nouvelle-France, la grande rivière
55 1 de Canada en fait foy , laquelle au || bout de quatre
DE LA NovVELLK-FflANCE.
535
^
cens lieuËs est aussi large que les plus grandes rivières
du monde, remplie d'Iles ec de rochers tnnumerablcs,
prenant son origine de l'vn des lacs qui se rencon-
trent au ni de son cours (et je le pense ainsi), si bien
qu'elle a deux cours, l'vn en l'Orient vers la France,
l'autre en Occident vers la mer du Su. Ce qui est
admirable mais non sans exemple qui se trouve en
nôtre Europe. Car la rivière qui descend à Trente et
il Vérone prnceile d'vn lac qui produit vne autre
rivière dont le cours tend oppositcment à la rivière
du Lins, lequel se décharge au Danube. Ainsi le Nil
procède d"va lac qui produit d'autres rivières les-
quelles se déchargent nu grand Océan.
Revenons Jt nôtre labourage : car c'est là où il nous
faut tendre; c'est la première mine qu'il nous faut
chercher, laquelle vaut mieux que les thrc5orsd*Ata-
lippa : et qui aura du blé, du bestial, des toiles^
.udrap, du cuir, du ter, et au bout des Morues,
îl n*aura que faire des thresors quanta la nécessité
de la vie. Or tout cela est, ou peut estre en la terre
que nous décrivons, sur Utquclle ayant le sieur de
Poutrincourt fait faire à la quinzaine vn second la-
bourage, il l'ensemença de nôtre blé François tant
froment que segte, et de chanvre, lin, navettes, rai-
forts, choux et autres semences ; et à la huitaine sui-
vante vit son travail n'avoir esté vain, ains vne belle
espérance par la production que la terre uvoit dés-ja
fait des semences qu'elle avoit receues. Ce qu*ayanc
esté montré au sieur du Pont, celui fut vn sujet de
ire son rapport en France de chose toute nouvelle
ce lieu-là.
Il II csloit dés-ja le vingtième d^Aoust quand ces 552
526
Histoire
553
belles montres se firent, et admonctoit le temps ceux
qui cstoicnt du voyage de trousser bagage, à quoy
on commença de donner ordre tellement que le
vingt -cinquième dudit mois , après maintes ca-
uonades, l'ancre fut levée pour venir à l'embouchure
du Port, qui est ordinairement la première journée.
Le sieur de Monts ayant désiré de s'élever au Su
tant qu'il pourroit et chercher vn lieu bien habita-
ble pardelii Malcbarre, avoit prie le Sieur de Pou-
trincourt de pouser plus loin qu'il n'avoît este, et
chercher vn Port convenable en bonne température
d'aîr, ne faisant plus de cas du Port-Royal que de
Sainctc-Croix pour ce qui regarde la santé. A quoy
voulant obtempérer ledit sieur de Poutrîncourt, il ne
voulut attendre le printemps, sachant qu^il auroit
d*autres exercices à s'occuper. Mais voyant ses se-
mailles fuîtes, et la verdure sur son champ, il résolut
de faire ce voyage et découverte avant Thiver. Ainsi
il disposa toutes choses à cette fin, et avec sa barque
vint mouiller l'ancre prés du lonasj alin de sortir par
compagnie. Tandis qu'ils furent là attendans lèvent
propre l'espace de trois jours, il y avoit vnc moyenne
baleine (que les sauvages appellent Maria) laquelle vc-
noit tous les jours au matin dans le Port avec le flot,
joOant lù-dedans tout à son aise, et s'en rctournoit
d'cbe. Et lors prenant vn peu de loisir, je lis en
rime vn Adieu audit sieur du Pont et sa troupe, le-
quel est i:i-apres couché parmi Les Mvses dk la
Nov-lJVELLE France.
Le vingt-huitiémc dudit mois, chacun print sa
route qui deçà, qui delà, diversement, à la garde de
Dieu, Q.uant au sieur du Pont, il deliberoil en pas-
I
4
DE LA NoTVBI.LE-Ï'hANCE.
'27
rt d'attaquer vn marchant de Rouen nommé
>ycr (lequel, contre les défenses du Roy, csioit allé
ir-delà troquer avec les Sauvages après avoir isié
ïclîvrê des prisons de la Rochelle par le consente-
ment du sieur de Poutrincourt, et sous promesse
qu'il n'iroit point), mais il cstoit ja parti. Et quant
audiï sieur Je Poutrincourt, il print la route de l'ile
Saincte-Ooix, première demeure des François, ayant
le sieur de Champdortlpour maitrcet conducteur de
sa barque; mais contrarié du vent, et pource que sa
barque faisoit eau, il fui contraint de relâcher par
deux fois. Enfin il franchit la Baye Françoise, et vi-
sita ladite ile, là oCi il trouva du blé mur de celui que
deux ans auparavant le sieur de Monts avoit scmc,
^lequel estoit beau, gros, pesant et bien nourri. Il
lous en envoya au Port-Royal, où j'i:rais demeuré,
ayant esté de ce ^ni pour avoir l'oeil à la maison, et
maintenir ce qui restait de gens en concorde. A quoy
j'avoy condescendu (encores que cela eust esté laissé
à ma volonté) pour l'asscurancc que nous nous don-
nions que l'un suivant Thabitation se feroît en païs
plus chaut par-delà Malebarre, et que nous irions
tous du compagnie avec ceux qu'on nous cnvoyeroit
de France. Pendant ce temps je me mis à préparer de
la terre, et faire des clôtures et compartimens de
jardins pour y semer des bk'z et herbes de ménage.
^Nous fîmes aussi fai- [] re un fossé tout à l'entour du
^ Fort, lequel cstoît bien nécessaire pour recevoir les
eaux et huniiditcs qui paravant decouloient par-des-
sous parmi les racines des arbres qu'on y avoir defrï-
,cfacz, ce qui par avanture rcndoii le lieu mal sain.
le ne veux m*arreter à décrire ici ce que nos autres
554
528
Histoire
555
ouvriers faîsoient chacun en particulier. Il suffit que
nous avions nombre de menuisiers, charpentiers,
massons, tailleurs de pierre, serruriers, taillandiers,
couturiers, scieurs d*ais, matelots, etc , qui faisoient
leurs exercices, en quoy faisant ils cstoicnt fort hu-
mainement traitez. Car on les quittait pour 3 heures
de travail par jour. Le surplus du temps ils Tem-
ploioîent à aller recueillir des Moules, qui sont de
basse mer en grande quantité devant le Fort, ou des
Houmars (espèce de Langoustes), ou des Grappes,
qui sont abondamment sous les roches au Port-
Royal, ou des Coques, qui sont sous la vazc de toutes
parts es rives dudît Port. Tout cela se prcnt sans
filets et sans bateaux. Il y en avoit qui prenoîent
quelquetbisdu gibier, mais n'estant dressez à cela ils
gatolcnt la chasse. Et pour nôtre regard, nous avions
à nôtre table un des gens du sieur de Monts qui
nous pourvoyoit en sorte que nous n'en manquions
point, nous apportant quelquefois demi-douzaine
d'outardes, quelquefois autant de canars, ou oves
sauvages grises et blanches, bien souvent deux ou
trois douzaines d'aloUettcs, et autres sortes d'oiseaux.
I3e pain, nul n'en manquoit et avoit chacun trois
chopines de vin pur et bon. Ce qui a duré tant que
nous avons esté par-delà, sinon que quand ceux qui
Il nous vindrent quérir, au Heu de nous apporter des
commodités, nous eurent aidé A en faire vuîdange
(comme nous le pourrons repeter cî-apres), il fallut
réduire la portion à vnc pinte. Et neantmoins bien
souvent il y a eu de Textraordinaire. Ce voyage en
ce regard a esté le meilleur de tous, dont nous en de-
vons beaucoup de louange audit sieur de Monts et à
4
n
M
^
DELA NoVVELLE-FhaNCE.
ses associez les sieurs Macquin et George, Rochclois,
qui nous en pourveurcnt tant honnêtement. Car
certes, je trouve que cette liqueur Scptcmbralc est
entre autres choses vn souverain préservatif contre la
maladie du Scorbut ; et les épiceries, pour corriger le
vice qui pourroit estre en l'air de cette région, lequel
neantmoins j'ai toujours rcconeu bien pur et subtil,
nonobstant les raisons que j'en pourroJs avoir tou-
chées parlant ci-Jcssus dMcelle maladie. Pour la pi-
lance, nous avions pois, fèves, ris, pruneaux, raisins,
morues sèches, et chairs sallécs, sans comprendre les
huiles et le beurre. Mais toutes et quantcs fois que les
Sauvages habituez près de nous avoient pris quelque
quantité d'Eturgcons, Saumons, ou menus poissons,
item quelques Castors, Ellans, Caribous, ou autres
animaux mentionnés en mon Adieu à la Nouvelle-
France, ils nous en apportoicnt la moitié, et ce qui
restoit ils rcxposoîent quelquefois en vente, en place
publique, et ceux qui en vouloient troquoicnt du
pain à rencontre. Voilà en partie nôtre façon de vi-
vre par-delà. Mais jaçoit que chacun de nosdiis ou-
vriers eust son métier || particulier, neantmoins il
falloil s'employer à tous usages, comme plusieurs
faisoicnt. Quelques massons et tailleurs de pierres se
mirentà la boulengcrie, lesquels nous faisoient d'aussi
boa pain que celui de Paris. Ainsi vn de nos scieurs
d'ais nous fit plusieurs fois du charbon en grande
quantité.
Eu quoy est à noter une chose dont ici je me sou-
vien. C*cst que, comme il fut nécessaire de lever les
gazons pour couvrir la pile de bois assemblée pour
faire ledit charbon, il se trouva dans les prez plus de
34
556
557
53o HisToias
deux pieds de terre non terre, mais herbes mêlées de
limon qui se sont entassées les vnes sur les auues
annuellement depuis le commencement du monde,
sans avoir esté fauchées. NcantmoJns la verdure eu
est belle, servant de posture aux Fllans, lesquels nous
avons plusieurs fois veu en noz prairies de delà en
troupe de trois ou quatre, grands et petits, se lais-
sant aucunement approcher, puis gaignans les bois.
Mais je puis dire davantage avoir veu en traversant
deux lieues de noz dîtes prairies, iccUcs toutes foui-
lles de vestiges d'Ellans, car je ne sache point d'au-
tres animaux à pîé fourchu. Et de ces animaux eu
fut tué vn non loin de nôtre Fort, en vn endroit là
où le sieur de Monts ayant fait faucher l'herbe deux
ans devant, elle estoil revenue la plus belle du monde.
Quelqu'vn pourra s'étonner comment se font ces
prairies, veu que toute la Terre en ces lieux-là est
couverte de bois. Pour à quoy satisfaire, le curieux
scaura q^u'és hautes niaiccs, principalement en celles
de Mars et de Septembre, le fiot || couvre ces rives-là :
ce qui empêche les arbres d'y prendre racine. Mais
par tout où Peau ne surnage point, s'il y a de la
terre, il y a des bois.
IQ
1^. Xv-^-- -X.--!
DE LA Novvelle-France. 53i
Partemenîde l'île Saincte-Cro'ix. Baye de Marchin. Chonakoet.
Vignes et raisins et largesse de Sauvages. Terre et Peuples
Armouchiquois. Cure d'vn Armouchiquols blessé. Simplicité
et ignorance de peuple. Vices des Armouchiquois. Soupçon.
Peuple ne se souciant de vêtement. Blé semé et vignes plan-
tées en la terre des Armouchiquois. Quantité de raisins.
Abondance dépeuple. Mer périlleuse.
Chap. XV.
E VENONS au sieur de Poutrincourt, lequel
nous avons laissé en l'ile Saincte- Croix.
Apres avoir là fait vne reveuë et caressé
les Sauvages qui y estoient, il s'en alla en
quatre jours à Pemptegoet , qui est ce lieu tant re-
nommé souz le nom de Norombega. Et ne falloit vn si
long temps pour y parvenir , mais il s'arrêta par le
chemin pour faire racoutrer sa barque : car à cette
fin il avoit mené vn serrurier et un charpentier et
quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à l'em-
bouchure de la rivière et vint à Kinibeki, là où sa
barque fut en péril à cause des grans courans d'eaux
que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y
arrêta point, ains passa outre à la Baye de Marchin,
qui est le nom d'vn Capitaine Sauvage , lequel à
Il l'arrivée dudit sieur commença à crier hautement 558
Hé hé, à quoy on lui repondit de même. Il répliqua
demandant en son langage : Qui estes-vous? On lui
dit que c'estoient amis. Et là-dessus à l'approcher le
533
Histoire
559
sieur de PoutrincourI traita amitié avec lui et lui fit
des presens de couteaux, haches et matachiaiy c'est à
dire escharpes, carquans et brassclets faits de pate-
nostresou de tuyaux de verre blanc cl bleu dont il
fut fort aise, même de la confédération que ledit sieur
de Poutrincourt faisoit avec lui , rcconoissant bien
que cela lui scniit beaucoup de support. Il distribua
à tjuelques-vns d'vn grand nombre de peuple qu'il
avoit BU tour de lui les presens dudit sieur de Pou-
trincourt, auquel ii apporta force chairs d'Orignac
ou EHan (car les Hasq^ues appellent vn Cerf ou Ellan
Orignac) pour relVaichir de vivres la compagnie.
Cela fait, on tendît les voiles vers Chouakoet, où est la
rivière du Capitaine Olmahin et où se lit l'année sui-
vante la guerre des SouriquoJs et Etechemins souz la
conduite du Sagamos Membertoa , laquelle j'ay décrit
en vers rapportez es Muscs de la Kouvellc-Francc.
A l'entrée de la Baye dudit lieu de Chouakoet il y a
vne ile grande comme de demie-lieue de tour, en
laquelle noz gens découvrirent premièrement la vigne
(car encores qu'il y en ait aux terres plus voisines du
Port-Royal comme le long de la rivière Sainct-Jean,
toutefois onn'cn avoitencoreeucûnoissance^, laquelle
ils trouvèrent en grande quantité, ayant le tronc
haut de trois à quatre pit:z et par bas gros comme le
poing, les raisins beaux et gros ks vns comme des
prunes, les autres moindres : au reste si noirs
Il qu'ils iaissoicnt la teinture où sercpandoit leur li-
queur; iceux raisins, di-jc, couchez sur les buissons
et ronces qui sont parmi cette île, en laquelle les
arbres ne sont si pressez qu'ailleurs, ains sont éloi-
gnez comme de six ù. six toises. Ce qui lait que le
lÉ^li^
raisin y meurit plus aisément, ayant d'ailleurs vne
terre fort propre à cela, sablonneuse cl graveleuse. Ils
n*y furent que deux heures , mais fut remarque que
du cûtédu Nort n'y avoit point de vignes ainsi qu'en
l'ile Saincte-Croix n'y a des Cèdres que du côté
d'Ouest.
De cette île ils allèrent à la rivière d'Olmecliin, port
du Chouakoct^ là où. Marclùn et ledit Oimccbin amenèrent
vn prisonnier Souriquois (et partant leur ennemi)
au sieur de Poutrincourt , lequel ils lui donnèrent
libéralement, Deux heures après arrivent deux Sau-
vages, Vvn Ktcchcmin, nomme C/i^ou(/uw, Capitaine de
la rivière Saînct-Iean, dite par les Sauvages Oigoudi;
Tautrc Souriquois, nomme MfJMmoff, Capitaine ou
Sagamos en la rivière du Port de la Mevc, sur lequel
on avoit pris ce prisonnier. Ils avoient force mar-
chandises troquées avec les François, lesquelles ils
venoient là débiter, sçavoir : chaudières grandes,
moyennes et petites, haches, couteaux, robbes, ca-
pots, camisoles nnigcs, biscuit et autres choses. Sur
ce voici arriver douze ou quinze batteaux pleins de
Sauvages de la suiection A'Oltneckin , iceux en bon
ordre tous peinturés à la face , selon leur coutume
quand ils veulent estre beaux, ayans l'urc et la flèche
en main et le carquois auprès d'eux, lesquels ils
mirent bas à bord. A l'heure j| M cssamoet commence
à haranijucr devant les Sauvages, leur remontrant
comme par le passé « ils avoîent eu souvent de
% l'amitié ensemble et qu'ils pourroient facilement
• domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre et
« se servir de l'amitic des François , lesquels ils
« voioicnt là presens pour reconoitre leur païs , à
56o
JJ
56 1
534 HisTOinK
c fin de leur porter des commodités à l'avenir et les
« secourir de Uurs forces, lesquelles il scavoir et leur
'h representûit d'autant mieux que lui qui parioît
« estoit autrefois venu en France et y avoït demeuré
« ta la maison du sieur de Grandmonl, Gouverneur
Il de Bayonne. » Somme il tut prés d'vnc heure àj
parler avec beaucoup de véhémence et d'affection et
avec vn contournement de corps et de bras tel qu'il
est requis en vn bon Orateur. Et à la fin jetta toutes
ses marchandises (qui valoient plus de trois cens
ecus rendues en ce païs-Ià) dans le bateau d'OlnKchirif.
comme lui faisant présent de cela en asseurance de
Pamitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait, la nuit
s'approchoit et chacun se retira. Mais Messamoet
n'esioit pas content de ce qu."" Olmechin ne lui avoit fait
pareille harangue m réalisation de son présent, car
les Sauvages ont cela de noble qu'ils donnent libé-
ralement jeCtans aux picz de celui qu'ils veulent
honorer le présent qu'ils lui font ^ mais c'est ea
espérance de recevoir quelque honnêteté réciproque,
qui est vne façon de contracl que nous appelions sans
nom : /f /*; donne A fin que îu me donnes. Et cela se lait
par tout le monde. Parlant Messamoet des ce jour-lA
songea dç fai- ([ re la guerre à Olmechm. Ncantmoins
le lendemain malin lui et ses gens retournèrent avec
va bateau chargé de ce qu'ils avorent, scavoir : blé,
petun, fèves et courges, qu'ils distribuèrent deçà et
delà. Ces deux Capitaines, Oîmcdun et Marchm ont
depuis este tuez il la guerre. A la place desquels avoît
esté cleu par les Sauvages un nommé Bessabes, lequel
depuis notre retour a esté tué par les Anglais et au
liêu d'icelui ont fait venir va Capitaine de dedans les
terres nommé Asticou, homme grave, vaillant et re-
douté, lequel d'vn clin d'œil amassera mille Sau-
\'ages, ce que faisoienl aussi Ointecltin et Marchin. Car
noz barques y cstans, incontinent la mer se voyoiC
toute couverte de leurs bateaux chargez d'hommes
dispos , se tenons droits 1.1 dedans , ce que nous ne
sçaurions faire sans péril, n'cstans iccux bateaux que
des arbres creusez à la façon que nous dirons au livre
suivant. De lu donc le sieur de Poulrincourt pour-
suivant sa route, trouva un certain port bien agréable
lequel n'avoir esté veu par le sieur de Monts, et
durant le voyage ils virent force fumées et gens à ta
rive qui les invitoient de venir à terre, et voyans
qu'on n'en tcnoit conte, ils suîvoient la barque le long
du sable, voire la devançoient le plus souvent tant ils
sont agiles, uyans l'arc en main et le carquois sur le
dos, dansans toujours et chantans sans se soucier de
quoy ils vîveront par les chemins. Peuple heureux,
voire mille fois plus que ceux qui se font adorer
par-deçà, s'il avoll la conoissance de Dieu et de son
salut.
Le sieur de Poutrincourt ayant pris terre à || ce
port, voici parmi vnc multitude de Sauvages des fif-
fres en bon nombre, qui joûoient de certains flagcol-
lets longs, faits comme de cannes de roseaux, pein-
turés par dessus, mais non avec telle harmonie que
pourroicnt faire noz bergers : et pour montrer l'ex-
cellence de leur art, ils siflloient avec le nez en gam-
badant selon leur coutume.
Et comme ces peuples accouroient précipitamment
pour venir à la barque, il y eut un Sauvage qui se
blessa grièvement au talon contre le trcnchant d'vne
562
536
HtSTOIRE
563
roche, dont il fut contraint de demeurer sur la place.
Le Chirurgien du sieur de Poutrîncourt â Tinstan
voulut apporter â cl- mal ce qui estolt de son arc
mais ils ne le voulurent permettre que premieremen'
ils n'eussent fait i\ l'cntour de l'homme blesse leurs"
chimagrées. Ils le couchèrent donc par terre l'vn,
d'eux lui tenant la tête en son giron, et iîrcnt plu-
sieurs criaillements cl chansons, â quoy le malade
ne répondoit sinon Ho, d'vne voix plaintive,
qu'ayant fait ils le permirent à la cure dudit Chirur-
gien , et s'en allèrent cjmmc aussi le patient après
qu*il fut pensé; mais deux heures après il retourna
le plus gaiUart du monde, ayant mis à l'entour de sa
tifte le bandeau dont estolt enveloppé sont talon,
pour estre plus beau (ils.
Le lendemain les nôtres entrèrent plus avant dans
le port, U oti estant allé voir les cabanes des Sau-
vages, vne vieille de cent ou six-vingts ans vint jeticr
aux piez du sieur de Poutrincourt vn pain de blé
qu'on appelle Mahis, et par-deçà Blé de Turquie,
ou Sarrazin, puis de la chanve fort belle et haute,
item des fèves, et raisins frais cuil- || lis, pource
qu'ils en avoient vcu manger aux François à Choua-
kçct. Ce que voyans les autres Sauvages qui n*en sça-
voient rien, ils en apportojem plus qu'on ne vouloît
a l'envi l'vn de l'autre, et en recompense on leur at-
lachoit au front vne bende de papier mouillce de cra-
chat, dont ils estotent fort glorieux. On leur montra,
en pressant le raisin dans le verre, que de cela nous
faisions le vin que nous beuvions. On les voulut faire
manger du raisin, mais l'ayant en la bouche ils le
crachuJcnt, et pensolcnl ainsi qu'Ammian Marcellin
«
lE LA NovTELLB- France.
537
récite de noz vieux OauHois) que ce fust poison, tant
ce peuple est iijnorant de la meilleure chose que
Dieu ait donné à l'homme, après le pain. Néant-
moins si ne manquent-ils point d^csprit, et feraient
quelque chose de bon s'ils estoïent civilisés, et avuieni
Tvsage des métiers. Mais ils sont cauteleux, larrons
et traîtres, et quoy qu'ils soient nuds, on ne se peut
garder de leurs mains; car si ou dctoumoit tant soit
peu l'œil, et voyent l'occasion de dérober quelque
couteau, hache ou autre chose, ils n'y manqueront
point, et mettront le larrecin entre leurs fesses, ou
le cacheront sous le sable avec le pied si dcxtrenienc,
qu'on ne s'en apercevra point, l'ay lu en quelque
voyage de la Floride, que ceux de cette provmce sont
de même naturel, et ont la même industrie de dcro-
ber. De vérité, je ne m "étonne pas si vn peuple pau-
vre et nud est lairon, mais quand il y a de la malice
au cœur, cela n'est plus excusable. Ce peuple est ici
qu'il le taut traiter avec terreur, car par amitié si on
leur donne trop d'accès ils machineront quelque
Il surprise, comme s'est reconeu en plusieurs occa- 564
sions, ainsi que nous avons veu ci-dessus et verrons
encor ci-apres. Et sans aller plus loin, le deuxième
jour après estre arrivez, comme ils voyoicnt noz
gens occupez sur la rive du ruisseau qui est là à
faire la Jescivc, ils vindrent quelques cinquante à la
Blc, avec arcs, ticchcs et carquois, en intention de
faire quelque mauvais tour, comme on en a eu con-
jecture sur la manière de procéder* Mais on les pré-
vint, et alla-on au devant d'eux avec mousquets et la
mèche sur le serpentin. Ce qui fit les vus t'uïr, et les
autres estans enveloppez, après avoir mis les armes
538
Histoire
565
bas, vîndrent à vne pcnînsulc où estoîent noz genz,
et i'aisans beau semblant demandcrciit à troquer du
pctua qu'ils avoient contre noz marchandises.
Le lendemain le Capitaine dudit lieu et port vint
voir le sieur de Poutrincourt en sa barque. On fut
étonné de le voir accompagné d'Olmeihin, vcu que la
traite cstoît merveilleusemenr longue de venir li pa*"
terre, et beaucoup plus briiivc par la mer. Cela don-
noit sujet de mauvais soupçon, encore qu'il eut pro-
mis amitié aux François. Ncanimoins ils furent hu-
mainement receuz, et bailla le sieur de Pontrîncourt
vn habit complet audit Otmeclm : dudit estant vêtu, il
se regardoït en vn miroir, et rioit de se voir ainsi.
Mais pi:u après sentant que cela l'erapeschoit, quoy
que ce tust au mois d'Octobre, quand il fut retourné
aux. cabanes il le distribua à plusieurs de ses gens ,
afin qu'vn seul n*en fust trop empcsché. Ceci devroît
servir de le- 1| çon à tant de mignons et mignones de
deçà, ùqui il faut faire des habits et corselets durs
comme bois , où le corps est si misérablement
géhenne, qu'ils sont dans leurs vêtemens inhabiles à
toutes bonnes choses ; Et s'il fait trop chaud ils souf-
frent dans leurs groz culs à mille replis des chaleurs
insupportables, qui surpassent les douleurs que l'on
fait quelquefois sentir aux criminels.
Or durant le temps que ledit sieur de Poutrincourt
fut là, estant en doute si le sieur de Monts vicadroit
point faire vne habitation en cette côte, comme il en
avoit désir, il y fit cultiver vn parc de terre pour y
semer du blé et planter la vigne, comme il fît à l'aide
de notre Apoticaire, M. Louis Hébert, homme qui
outre l'expérience qu'il a en son an, prent grand
DE LA Novvelle-Fbancs, 539
plaisir au laboumge de la terre. Et peut-on ici com-
parer le sieur de Poutrincourt au bon pcrc Noe, Je-
qucl après avoir 6iit la culture la plus nécessaire qui
regarde la seniaîlle des blez, se mit ii planter la vi-
gne, de laquelle il ressentit les ctfcis par après.
Sur le point qu'on déliberoit de passer ouire, Otme^
ehin vînt à la barque pour voir le sîcur de Poutrin-
court, là où après s'eslre arrêté par quelques heures
soit à deviser, soit à manger, il dit que le lendemain
dévoient arriver cent baleaui contenant chacun six
hommes; mais la venue de tcllt:s gcus n''cslaat qu'o-
néreuse, le sieur de Pomrincouil ne les voulut at-
tendre : ains s'en alla le jour mcme à Malebarrc, non
sans beaucoup de diftïcultés à cause des grand cou-
II rans et du peu de fnnd qu'il y a. De manière que 566
la barque ayant touché à trois piez d'eau seulement,
on pcnsoit estrc perdus, et commença-on à la des-
charger et mettre les vivres dans la chaloupe qui es-
toii derrière pour se sauver en terre ; mais la mer
n*esiant en son plein , la barque fut relevée au bout
d'vne heure. Toute cette mer est vnc terre vsurpiïe
œmmc celle du Mont Sainct-Michel, terre sablon-
neuse, en laquelle ce qui reste est tout plat païs jus-
qucs aux montagnes que l'on voit à quinze lieues
(Je là. Et ay opinion que jusques à la Virginie c*esc
tout de mL-me. Au surplus ici grande quantité de rai-
sins comme devant, et païs fort peuplé. Le sieur de
Monts estant venu A Matcbarrccn autre saison, re-
cueillit sculcnicm du raisin vert, lequel il fit confire,
et en apporta au Roy. Mais ça esté vu heur d'y
cstre venu en Octobre pour en voir la parfaite matu-
rité, l'ay dit ci-devant !a difficulté qu'il y a d'entrer
540
Histoire
au port de Malebarre. Cest pourquoy le sieur de
Poutrincourt n'y entra point avec sa barque, ains y
alla seulement avec vne chaloupe, laquelle trente
ou quarante Sauvages aidèrent â mettre dedans, et
comme la marée fut haute (or ici la mer ne baussc
que de deux brasses, ce qui est rare à voir), ÏI en sor-
tit et se retira en ladite barque, pour dés le lende-
main si tôt qu'il ajourneroit passer outre.
5C7 II Pfriîs. Langage inconnu. Sirudare d'vne forge et (Vvn foar.
Croix plantée. Abondance et Conspiration. Dcsoheùsance.
Assassinat. Fuite de trois cens contre dix. Agilité des Ar-
mouchiquois. Mauvaise compagnie dangereuse. Accident d'vn
mousijuet crevé. fnsoUnce , tinuditi, impiété et faite de Sau-
vages. Port fortuné. Mer mauvaise. Vengeance. Conseil et
resdution sur le retour. Nouveaux périls. Faveurs de Dieu.
Arrivée du sieur de Poutrincourt aa Port-Royal et ta récep-
tion à lui faite.
Chap. XVI.
A nuit commençant à plier bagage pour
faire place à l'aurore, on mit la voile au
vent, mais ce fut avec vne navigation fort
périlleuse. Car avec ce petit vaisseau il
esloit force de côtoyer la Terre, oU ils ne trouvoient
de fond. : reculans à la mer c'est encore pis; de ma-
nière qu'ils touchèrent deux ou trois fois, estant rele-
vez seulement pur les vagues ; et fut le gouvernail
I
DE L\ NoVVELLE-FrANCE.
54'
rompu, qui estoit chose effroyable. En cette extré-
milé furent contraints de mouiller l'ancre en mer à
deux brasses d'eau et à trois licuËs loin de la terre. Ce
que faitj il envoya Daniel Hay (homme qui se plait
de montrer sa vertti aux périls de la mer (vers la
côte, pour la reconoîtrc , et voir s'il y avoît point de
port. Kt comme il fut prés de terre il vit un Sauvage
qui dansoit chan- |I tant yo,yo, yo, le fit approcher, et
par signes lui demanda s'il y avoit point de lieu
propre à retirer navires cl où il y cust de l'eau douce.
Le Sauvage ayant fait signe qu'ouï, il le reccut en sa
chaloupe, et le mena à la barque, dans laquelle es-
toit Chkottditn, Capitaine de la rivière Oigoiidî, autre-
ment Sainct-Iean, lequel confronté à ce Sauvage, il ne
rcntendoîl non plus que les nôtres. Vray est que par
signes il comprenoît mieux qu'eux ce qu'il vouloît
dire. Ce Sauvage montra les endroits oU il y avoît
des basses, et où il n'y en avoit point : Et fit si bien
en serpentant, toujours la sonde à la main, qu'enfin
on parvint au port qu'il avait dit, auquel il y a peu
de profond , là oii estant la barque arrivée, on lit di-
ligence de faire vne forge pour la racoutrer avec son
gouvernail; et vn four pour cuire du pain, parce que
le biscuit estoit failli.
Quinze jours se passèrent ù ceci, pendant lesquels
le sieur de Poutrincourt, selon la louable coutume
des Chrétiens, fit charpentcr et planter vne Croix sur
vn tertre, ainsi qu'avoit fait deux ans auparavant le
sieur de Monts ù Khiibdi et Malebarre. Or parmi ces
laborieux exercices on ne laissoir de faire bonne
chère de ce que la mer et la terre peut en cette part
fournir, car en ce port il y a quantité de gibier, à la
568
542
Histoire
chasfe duquel plusieurs de noz genss'eniployoien77
principalement les Alouettes de mer y sont en si
grandes troupes que d'un coup d'arcjuebuze le sieur
de Pouirincourt en tua vingt-huii. Pour le regard
569 des poissons, il y j] a des marsoins et souffleurs en
telle abondance que la mer en semble toute couverte.
Maison n'avoit les choses nécessaires à faire cette pes-
cherie, ains on s'arrctoit seulement aux coquillages,
comme huitres, palourdes, ciguenauï et iiutres de
quoy il y avoit moyen de se contenter. Les Sauvages
d'autre part apportoient du poisson et des raisins
pleins des paniers de joncs pour avoir en échange
quelque chose de nos dcnriïcs. Ledit sieur de Pou-
trincourt voyant la les raisins beaux à merveilles,
avoit conuuandii à son homme de chambre de serrer
dans la barque vn lais des vignes od ils avoient esté
pris. Maître Louis Hébert, nôtre Apoticaire,desireux
d'habiter L'c païs-là,en avoit arraché vnc bonne quan-
tité, afin de les planter au Port-Royal où n'y en a
point, quoy que la terre y soit fort propre au vigno-
ble. Ce qui toutefois (par vne stupide oubliance) ne
fut fait , au grand déplaisir dudit sieur et de nous
tous.
Apres quelques jours, voyant la grande assemblée
de Sauvages, icelui sieur descendit à terre et pour
leur donner quelque terreur fît marcher devant lui
vn de ses gens jotiant de deux epées et faisant avec
iccUes maints moUnets. De quoy ils estoient étonnez.
Mais bien encore plus quand ils virent que noz
mousquets perçoient des pièces de bois epesscs, où
leurs flèches n'eussent sceu tant seulement mordre.
El pour ce ne s'attaquèrent il jamais à noz gens tant
4
DE r,A Novvelle-Frakce.
[u'ils se tindrent en garde. Et eust este bon de faire
sonner la trompette au j| bout de chacune heure, 570
comme faisoit le Capitaine lacques Quartier. Car
(comme dit bien souvent le sieur de Poutrincourt) il
ne faut jamais tendre aux brrors ; c'est qu'il ne faut point
i^onner sujet il vn ennemi de penser qu'il puisse avoir
prise sur vous, aîns faut toujours montrer qu'on se
défie de lui et qu'on ne dort point, et principalement
quand on a atfairc à des Sauvages, lesquels n'atta-
queront jamais celui qui les attendra de pié ferme.
Ce qui ne fut fait en ce lieu par ceux qui portèrent
la folle enchère de leur négligence, comme nous
allons dire.
Au bout de quinze jours ledit de Poutrincourt,
voyant sa barque rncoutrcc et ne rester plus qu'une
fournée de pain à achever, il s*en alla environ trois
lieues dans les terres pour voir s'il dccouvriroit
quelque singularittî, mais au retour lui et ses gens
apperceurent les Sauvages fuians par les bois en di-
verses troupes de vingt j trente, et plus, les vns se
baissans comme gens qui ne veulent point estre veuz,
'autres se bîoutissans dans les herbes pour ne point
tre apperceuz, d'autres trunsportans leurs bagages
et canots pleins de blé , comme pour déguerpir. Les
femmes d'ailleurs transportans leurs enfans et ce
qu'elles pouvoient de bagages avec elles. Ces façons
de faire donnèrent opinion au sieur de Poutrincourt
que ces gens ici machinoient quelque chose de mau-
vais. Partant quand il fut arrivé, il commanda à ses
gens qui faisoient le pain de se retirer en la barque.
Mais comjuc jeunes gens sont bien souvent oublieux
de leur de- 1{ voir, ceux-ci ayans quelque gâteau ou 571
544
Histoirh
572
larte à faire aimèrent mieux suivre leur appétit que
faire ce qui leur cstoit commandé et laissèrent venir
la nuit sans se retirer. Sur la minuit, le sieur de
Poutrincourt ruminant sur ce qui s'estoît passé la
journée précédente , demanda s'ils cstoient dedans la
barque, et ayant entendu que ncn, il cnvova la cha-
loupe pour les prendre et amener à bord; a quoy ils
ne voulurent entendre, fors snn homme de chambre
qui craignoit d'estrc battu. Us estoicnt cinq armez
de mousquets et epées, lesquels on avoît averty
d'cstre toujours sur leurs gardes etneantmoins ne
faisoient aucun guet, tant ils estoient amateurs de
leurs volontés. IKstoitbruit qu'auparavant ilsavoicat
tiré deux coups de mousquets sur les Sauvages pour-
ce que quelqu'vn d'eux avoit dérobé vne hache.
Somme iceux Sauvnges ou indignés de cela , ou par
vn mauvais naturel , sur le point du jour vindrent
sans bruit (ce qui leur est aisé à faire n'ayans ni che-
vaux , ni chareltes , ni sabots) jusqucs sur !e lieu oti
ils dormoient et voyans l'occasion belle à faire vn
mauvais coup, ils donnent dessus A traits de flèches
et coups de masses et en tuent deux, le reste demeu-
rans blessés commencèrent à crier fuïans vers la rive
de la mer. Lors celui qui faîsoit la sentinelle dans la
barque s'écrie tout effrayé : Mon Dieu, on tue, on
lue noz gens, on tue noz gens. A cette voix chacun
se levé et hâtivement sans prendre le loisir de s'ha-
biller ni d'allumersa mèche se mirent di.x dans la cha-
loupe, des noms desquels il ne me souvient sinon du
sieur Cham- || plein, Robert Gravé, fils du sieur du
Pont, Daniel Hay, les Chirurgien et Apothicaire et
le Trompette , tous lesquels suivans ledit sieur de
dKi
► E LA NoVVEI-LE-FhaNCK.
545
Poutrincourt, qui avoit son tils avec lui, descendi-
rent à terre en pur corps. Mais les Sauvages s'en-
fuirent belle erre, encores qu'ils fussent plus de trois
cen.s, sans ceux qui pouvoient estrc bloutis dans des
herbes (selon leur coutume) qui ne se montroieni
point. En quoy se reconoit comme Dieu imprime je
ne sçay quelle terreur en la face des fidcles à Tcn-
_contre des mécreans, suivant sa parole, quand il dit
son peuple : « Nul ne pourra subsister devant
vous. Le Seigneur vôtre Dieu mettra vne frayeur
tt et terreur de vous sur toute la terre, sur laquelle
a vous marcherés (1). » Ainsi nous voyons que cent
trente-cinq mille combattans Madtanïtcs s'enfuirent
et s*entre-tuerent eux-mêmes au-devant de Gedeon
qui n'avoitque trois cens hommes (2). Or de penser
poursuivre ccux-ct c'cust ûté peine perdue, car ils
sont trop légers à la course; mais qui auroit des
chevaux il les gateroit bien, car ils ont force petits
sentiers pour aller d'vn lieu à autre (ce qui n'est au
Port-Royal), et ne sont leurs bois épais, et outre-ce
encor ont force terre découverte.
Pendant que le sieur de Poulrincourt venoit à
terre, on tira de la barque quelques coups de petites
pièces de fonte sur certains Sauvages qui estoient
sur vn tertre, et en vit-on quelques-^ ns tomber, mais
ils sont si habiles à sauver leurs morts qu'on ne sçait
qu'en penser. Ledit sieur voyant qu'il ne profiteroit
rien de les poursui- ]| vre, rit faire des fosses pour en-
trer ceux qui estoient décédez, lesquels j'ay ditcstre
(;) Deuleron. 1 1, vers. aj.
(2) lugts, 7. 8.
M
A -N
574
5^6 Histoire
deux, mais il y en eut vn qui mourut sur le bord de
l'eau pensant se sauver, et vn quatrième qui fur $i
fort nav:é de flfiches qu'il mourut estant rendu au
Port-Royal. Le cinquième avoit une flèche dans la
poitrine, mais il échappa pour cette fois-Jà : et vau-.
droit mieux quMl y fust mort : car oo nous a frech
ment rapporte qu'il s*est fait pendre en l'Iiabilatio
que le sieur de Monts entretient à Kdfc sur la gran
rivière de Canada^ ayant esté autfacur d'vne conspi-
ration faite contre le sieur Champlcin sou Capitaine,
qui y est présentement. Et quant à ce desastre, il a
esté causé par la folie et désobéissance d'vn que je
ne veux nommer, puis qu'il y est mort, lequel faisoit
le coq entre des jeunes gens à lui trop crédules, qui
autrement estoient d'assez bonne nature; et pource
qu'on ne le vouloit point enivrer avoit jurè (selon sa
coutume) qu'il ne retourneroit point dans la barque,
ce qui avint aussi. Et celui-lù mémo fut trouvé mort
la face en terre ayant vn petii chien sur son doz, tout
deux cousus ensemble et transpercez d'vne même
flèche.
En cette mauvaise occurrence le Hls du sieur d
" Pont susnommé cui trois doigts de la main emport
de léclat d'un mousquet qui se creva pour cstre trop
chargé. Ce qui troubla fort la compagnie, laquelle
cstoit assez afliifjiit; d'aiUi:urs. Ncanlmoins on ne
laissa de rendre le d^jruicr devoir aux morts, lesquels
on enterra || au pied de la Croix qu'on avait \à
plantée, comme a esté dît. Mais l'insolence de ce
peuple barbare fut grande après les meurtres par eux
commis, en ce que comme nos gens chantoient sur
noz morts les oraisons et prières funèbres accoul
deS
ne
opV
DE LA NoVVBLLB-FraNCB.
M7
I
mées en l'Eglis£, ces maraux, dis'je, dansoienl et
{hurloient loin de là se rejouïssans de leur trahison ;
t pourtant, quoy qu'ils fussent grand nombre, ne
se hazardoicnl pas de venir attaquer ks nôtres, les-
quels ayans à leur loisir fait ce que dessus pour ce
que la mer baissoit fort, se retirèrent en la barque,
dans laquelle cstoït demeure le sieur Champdoré
pour la garde d'iccllc. Mais comme la mer fut basse,
et n'y avoit moyen de venir à terre, cette méchante
gent vint de rechef au lieu oCi iU avoîent fait le
meurtre, arrachèrent la Croix, déterrèrent Tvn des
morts, prindrent sa chemise et ta vêtirent, monirans
leurs dépouilles qu'ils avoient emportées; et parmi
ceci encor tournans le dos ù la barque jenoient du
sable a deux mains par entre les fesses en dérision,
hurlans comme des loups, ce qui fâcha merveilleu-
sement Jes nôtres, lesquels ne manquoient de tirer
sur eux leurs pièces de fonte, mais la distance estoit
fort grande, et avoient des ja cette ruse de se jeiter
par terre quand ils y voyoient mettre le feu, de sorte
qu'on ne sçavoit s'jls avoient esté blessés ou autre-
ment ; et fallut par nécessité boire ce calice, attendant
la marée, laquelle estant venue et sufBsante pour
porter à terre , comme ils virent nos gens serabar-
quer en la chaloupe, ils s'enfuirent comme lé-
vriers, se fians en leur agilité. Il y avoit avec les
nôtres vn Sagamos nommé \\ Chkoudan ^ duquel nous
avons parlé ci-devant, lequel avoit grand déplaisir
de tout ceci, et vouloit seul aller combattre cette
multitude, mais on ne le voulut permettre. Et à tant
on releva la Croix avec révérence, et enterra-on de-
575
548
Histoire
576
rechef le corps qu'Us avoicnc déterré. Et fut ce port]
appelé le Port Fortuné.
Le lendemain on mit la voile au \'ent pour passeï
outre et découvrir nouvelles terres; mais on fut con-
traint par le vent contraire de relâcher et d'entrer
dans ledit Port. L'autre lendemain on tenta derechef
d'aller plus loin, mais ce fut en vain, et fallut encores
relâcher jusques â ce que le vent fut propre. Durant
cette attente les Sauvages (pcnsans, je croy, que ce]
ne fut que jeu ce qui s'estoit passé) voulurent se
r'appnvoiscr, et demandèrent û troquer, faisant sem-
blant que ce n'cstoient pas eux qui avoîcnt fait le
mal, mais d'autres, qu'ils montroient s'en estre allez.
Mais ils n'avoient pas l'avisement de ce qui est dît
en vne fable, que la Cigogne ayant esté prise parmi
les Crues qui furent trouvées en dommage, fut punie
comme les autres , nonobstant qu*elle dist que tant '
s'en fallust qu'elle tist mal qu'au contraire cUc pur-
geoit la terre de serpens qu'elle mangeoit. Le sieur
de Houtrincourt donc les laissa approcher, et tit sem-
blant de vouioir prendre leurs denrées, qui estoïent
du pctun, quelques chaînes , colliers et brasselets
faits de coquilles de Vignaux (appelles Esmgni uu
discours du second voyage de lacques Quartier), fort
estimez entre eux; item de leurs blé, j| fèves, arcs,
flèches, carquois et auîrcs menues bagatelles. Et
comme la société fut renouée, ledit sieur commanda
à neuf ou dix, qu'il avûit avec lui de mettre les mèches
de leurs mousquets en ta^on de laqs, et qu*au signal
qu'il feroit chacun jetrat son cordeau sur la tête
de celui des Sauvages qu'il auroit accosté, et s'en
DE LA Novtelle-France. 549
saisist, comme le maître des hautes œuvres fait de
sa proye : ei pour Teffect de ce, que la moitié s*cn
atlasseni à terre, tandis qu'on les amuseroit à troquer
dans la chaloupe. Ce qui int fait; mais l'exécution ne
fut pas selon son désir. Car il pretcndoit se servir de
ceux que Ion prendroit commedeforçairesau moulin
à bras et à couper des bois. A quoy par trop grande
précipitation on manqua. Ncantmoins il y en eut
six ou sept charpentés et taillés en pièces, lesquels
ne peurent point si bien courir dans Teau comme en
la campagne, et furent attendus au passage par ceux
des nôtres qui estoîent demeurés à terre.
Cela fait, le lendemain on s'efforça d'aller plus
avant, nonobstant que le vent ne fust â propos, mais
on avança peu, cl vït-on tant seulement vne ile â
six ou sept licuiis loing, à laquelle il n'y eut moyen
de pan'enir, et fut appelée Vile Douteuse. Ce que con-
sidéré , et que d'vnc part on craignoit manquer de
vivres, et d'autre que l'hyver n'eropcchast la course,
et d'ailleurs encore qu il y avoit deux malaies, aus-
quels on n'espéroit point de salut, conseil pris, fut
résolu de retourner au Port-Royal : estant, outre ce
que dessus, encore le sieur de |[ Poutrincourt en
souci pour ceux qu'il avait bissés. Ainsi on vint
pour la troisième fois au Port Fortuné, là où ne fut
veu aucun Sauvage.
Au premier vent propre ledit sieur fit lever Tancre
pour le retour, et memoratif des dangers passez, fit
cingler en pleine mer, ce qui abbregca sa route. Mais
non sans vn grand desastre du gouvernail qui fut
derechef rompu ; de manière qu'estant à l'abandon
des vagues, ils arrivèrent en fin du mieux qu'ils
577
55o
Histoire
578
peurentaux iles de Norombrga^oW ils le racoutrerent.
Et au sortir d'icellcs vindrent à Menane, ile d'environ
six licuiis de long entre Salnctc-Croix et le Port-
Royal, oti ils attendirent le vent, lequel estant venu
aucunement â soubait, au partir de là, nouveaux
désastres. Car la chaloupe qui cstoit attachée à la
barque fut poussée d'vn coup de mer si rudement,
que de sa pointe elle rompit tout le derrière d*icclle
barque, où esioit ledit sieur de Poutrincourt et au-
tres. Et d'ailleurs n'ayans peu gaigner le passage
dudit Port-Royal, la marée (qui vole en cet endroit)
les porta vers le fond de la Baye Françoise, d'où ils
ne sortirent point à leur aise, et se virent en aussi
grand danger qu*ils eussent esté onques auparavant :
d'autant que voulans retourner d'oQ ils cstoicnt venus
ils se virent portez de la maiée et du vent vers la
côte, qui est de hauts i-ochcrs et précipices, là où,
s'ils n'eussent doublé vne pointe qui les mcnaçoit de
ruine, c''eust esté fait d'eux. Maïs en des hautes en-
treprises Dieu veut éprouver la constance de ceux
qui combattent pour son nom, et voir s'ils ne bran-
II leront point : îî les meine jusques â la porte de
l'enfer, c'est à dire du sepulchre, et neantmoins les
tient par la main, atin qu'ils ne tombent dans la
fosse, ainsi qu'il est écrit: « Ce suis-je, ce suis-je
« moy, et n'y a point de Dieu avec moy, le fay
« mourir, et fay vivre; je navre, et je gucrî; et n'y a
« personnequi puisse dclivreraucunde ma main (i^.B
Ainsi avons-nous dit quelquefois ci-de%*ant, et veu
par effet, que combien qu'en ces navigations se
(t) DQuteron, }2, vers. 39.
ît veu ^L
soient ^M
DE LA Novvelle-France. 55i
présentez mille dangtrs, toutefois il ne s'est jamais
perdu vn seul homme par mer, jaçoit que de ceux
qui vont tant seulement pour les Morues et le traffic
des pelleteries, il y en demeure assez souvent : té-
moins quatre pécheurs Maloins qui furent engloutis
des eaux estans allez à la pêcherie, lors que nous
estions sur le retour en France : Dieu voulant que
nous reconoissions tenir ce bénéfice de lui et ma-
nifester sa gloire de cette façon, afin que sensible-
ment on voye que c'est lui qui est autheur de ces
sainctes entreprises, lesquelles ne se font point par
avarice, ni par l'injuste effusion du sang, mais par
vn zèle d'établir son nom et sa grandeur parmi les
peuples qui ne le conoissoient point. Or après tant
de faveurs du ciel, c'est à faire à ceux qui les ont
receuës à dire comme le Psalmiste-Roy bien aimé
de Dieu (i) :
Tu m'as tenu la dextre, et ton sage vouloir
M'a searement guidé, jusqu'à me faire voir
Mainte honorable grâce
En cette terre basse.
\\ Apres beaucoup de périls (que je ne veux com- 579
parer à ceux d'Vlysses ni d'jEneas, pour ne souiller
noz voyages saincts parmi l'impureté), le sieur de
Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième
de Novembre, où nous le receumes joyeusement et
avec vne solennité toute nouvelle par-delà. Car sur
le point que nous attendions son retour (avec grand
(0 Psalm. 72, vers. 23.
5 52
desii
Histoire
ph
mal lui fust
ce d autant pius que si mai iui lust arrive
nous eussions esté en danger d'avoir de la confusion),
je m'avisay de représenter quelque gaillardise en
allant audevant de lui, comme nous fîmes. Et d'au-
tant que cela fut en rhimes l'^rançoises faites à la
hâte, je Tay mis avec les MiUfS As la Noavdle-France,
sous le tiltre de Théâtre riK Neptvne, oti je renvoyé
le Lecteur. Au surplus, pour honorer davantage le
retour et nôtre action, nous avions mis au dessus de
la porte de nôtre Fort les armes de France, envi-
ronnées de couronnes de lauriers (dont il y a là
grande quantité au long des rives des bois) avec la de
vise du Roy : Dvn protfgit vkvs. Et au dessous celles
du sieur de Monts avec cette inscription : Dabit Devs
His QVOQVR FiNEM; et ccIles du sieur de Poutriocourt
avec cette autre inscription : Is via virtvti nvlla
EST vu, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de
lauriers.
DE LA NovVELLE-FraNCE.
553
I Etat de sematlles. Institution de l'Ordre de Bon-Temps. 5 80
Comportement des Sauvages parmi tes François, Etat de
PhivtT. PQurquoy en ce temps pluies et brames rares. Pour-
^uoy plaies frcqaentes entre Us Tropiques. Neges villes à la
terre. Etat de lani'ier. Conformité de temps en l'antique et
Nouvelle - France. Poarquoy printemps tardif. Culture de
jardins. Rapport dUceax. Moulin à eau. Manne de harens.
Préparation pour le retour. Invention du sieur de Poatrin-
court. Admiration des Sauvages. Nom'elles de France.
Chai-, XVII,
PRES la reiouïssancc publique cessée, le
sieur de Poutrincourt eut soin de voir ses
blés, dont il avait semé la plus grande
partie à deux lieues loin de nôtre Fort en
amont de la rivière du Dauphin, et l'autre à l'cntour
de nôtre dit Fort; et trouva les premiers semez bien
avancés, et non les derniers qui avoient esté semez les
sixième et dixième de Novembre, lesquels toutefois
ne laissèrent de croître souz la nege durant l'hiver,
comme je l'ay remarque en mes semailles. Ce seroit
chose longue de vouloir minuter tout ce qui se faisoit
durant l'hiver entre nous , comme de dire que ledit
sieur fit faire plusieurs fois du charbon, celui de forge
estant failli ; qu'il fit ouvrir des chemins parmi les
bois ; que nous allions à travers les fo- || rets souz la 58 1
guide du Kadran, et autres choses selon les occur-
rcDcçs. Mais je diray que pour nous tenir joieuse-
554
Histoire
583
ment et nettement quant aux vivres , fut établi vn
Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui
fut nommé l'Ordre ntiBoN-TcMPS, mis premièrement
en avant par le sieur Ciiamplein, auquel ceux tlMcelle
table estoient Mai tres-d' hôtel chacun à son jour, qui
estoit en quinze jours vne fois. Or avoit-il le soin de
faire que nous fussions bien et honorablement trait-
tcs. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les
^ourmcns de deçà, nous disent souvent que nous
n'avions point là la rue aux Ours de Paris) nous y
avons fait ordinairement aussi bonne chcrc que nous
sçaurions faire en cette rue aux Ours et à moins de
frais. Car il n'y avoir celui qui deux jours devant que
son tour vinst ne fut soigneux d'aller à la chasse, ou
à la pêcherie , et n*apportasl quelque chose de rare,
outre ce qui estoit de nôtre ordinaire. Si bien que
jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupi
quels de chair ou de poissons, et au repas de midi et
du soir cncor moins : car c'estoit le grand festin, U^
oùl'Architriclin,ou Maître d'hôtel i^^que les Sauvages
appellent Atocîegic), ayant fait préparer toutes choses
au cuisinier, marchoit la serviete sur Tépaule, le bâ-
ton d'office en main, et le colier de l'Ordre au col,'
qui valoit plus de quatre escus, cl tous ceux d'icelui
Ordre après lui, portans chacun son plat. Le même
estoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et
au soir, avant rendre gracesà Dieu, il resinoit le cwl-'
lier de l'Ordre avec vn verre de vin à son || successeur
en la charfîe,et buvoicnt l'vn à l'autre, l'ayditci-j
devant que nous avions du gibier abondamment ^J
Canars, Outardes, Oyes grises et blanches, Perdris,
Alouettes, et autres oiseaux ; plus des chairs d'El-
DB LA NoWELLC-FrAUCE.
555
lans, de Caribous, de Oistors, dç Loutres, d'Ours, de
Lapins, de Chats-Sauvages, ou Leopars. de Ntbachis,
et autres telles que les Sauvages prenoient, dont nous
faisions chose qui valoit bien ce qui est en la rôtis-
serie de la rue aux Ours et plus encor : car entre
toutes les viandes il n'y a rien de si cendre que la
chair d^ËIlan (dont nous faisions aussi de bonne pâ-
tisserie), ni de si délicieux que la queue du Castor.
Mais nous avons eu quelquefois demie douzaine
d^Eturgeons tout à coup que les Sauvages nous ont
apportez , desquels nous prenions vnc partie en
payant, et le reste on le leur permettoit vendre pu-
bliquement et troquer contre du pain, dont nôtre
peuple abondolt. Et quant à la viande ordinaire
ponde de France, cela estoit distribué également au-
tant au plus petit qu'au plus grand. Et ainsi estoit
du vin, comme a esté dit.
En telles actions nous avions toujours vingt ou
trente Sauvages hommes, femmes, filles et enfans,
qui nous regardoient ofticicr. On leur bailloit du
Ijain gratuitement comme on feroit ù des pauvres.
ais quant au Sagamos Membertoa, et autres Sugamos
quand il enarrivoit quelqu'vn), ilsestoientàlatable
I raengeans et buvans comme nous : et avions plaisir
de les voir, comme au contraire leur absence nous
estoit triste, ainsi qu'il arriva trois ou quatre fois
Iquc tous s'en allcrcnl es en- j| droits où ils sçavoient
b avoir de la chtisse, et emmenèrent vn des nAtres,
fequel véquit quelques six semaines comme eux sans
IbI, sans pain et sans vin, couché à terre sur des
peaux, et ce en temps de ncges. Au surplus ils avoient
soin de lui (comme d'autres qui sont souvent allez
qt
583
556
Histoire
584
avec eux) plus que d'eux-mestnes, disans que s'ils
mouroient on leur imposeroit qu'Us les auroîent
tués; et par ce se conoit que nous n'esïions point
commedegradés en vnc ilc, ainsi que le sieur de Vii-
legagnon au Brésil. Car ce peuple aime les François, ^_
et en vn besoin s'armeront Tous pour les soutenir. ^H
Or, pour ne nous égarer, tels régimes dont nous ^|
avons parlé nous servoient de préservatifs contre la
maladie du païs. Et toutefois il nous en deccda quatre
en Février et Mars, de ceux qui estoient ou chagrins
ou paresseux ; et me souvient de remarquer que tous
ils avoient leurs cliambres du côté d'Ouest, et regar-
dant sur l'étendue du Port, qui est de quatre lieues
préque en ovale. D'ailleurs ils estoient mal couchés,
comme tous. Car les maladies précédentes, et le de«
part du sieur du Pont en la façon que nous avons dit
avoient fait que Ton avoit jette dehors les matetats,
et estoient pourris, et ceux qui s*cn allèrent avec ledit
sieur du Pont emportèrent ce qui restoit de draps de
licts, disans qu'ils estoient à eux. De manière que
quclques-vns des nôtres eurent le mal de bouche, et
l'enflure de jambes, à la façon des phthisiques, qui
est la maladie que Dieu envoya à son peuple au dé-
sert (i), en punition de ce qu'ils s'estoient vou- 1| lu
engraisser de chair, ne se contentans point de ce que
le désert leur fournissoit par la volonté divine.
Nous eûmes beau temps préque tour l'hiver. Car
les pluies ni les brumes n'y sont point si trequen
qu'ici, soit en la mer, soit en la terre, et ce pour au^
tant que les rayons du soleil par la longue distance
(i) NoRib. M, ven. }i, et Psalm. iot,vers. i^
m
DE LA NovvELLB- Franck. 557
n'ont pas la force d'clevcr les vapeurs d'ici bas, mé-
mement en vn païs tout foretier. Mais en été cela se
fait sur tous les deux lors que leur lurcc est augmen-
tée, et se resoudent ces vapeurs subitement ou tardi-
vement selon qu'on approche de la ligne aequinoc-
ttale. Car nous voyons qu'entre les deux Tropiques
les pluies y sont abondantes en mer et en terre , et
spécialement au Ferou et en Mexique plus qu'en
rAfrique, pour ce que le Soleil par vn si long espace
de mer ayant humé beaucoup d-humiditcs de tout
rOccan, il les résout en vn moment par la grande
force de sa chaleur, là oU vers la Terre-neuve ces va-
peurs s'eatrctiennenl long temps en laîr devant que
selcondeoser en pluie, ou estre dissipées, ce qui est en
été (comme nous avons dit) et non en hiver, et en la
mer plus qu'en la terre. Car en la terre les brouïllas
du matin servent de rousce, et tombent sur les huit
heures; et en la mer ils durent deux, trois et huit
jours, comme nous avons souvent expérimenté.
Or puis que nous sommes sur l'hiver, disons que
£s pluies en tel temps estans rares par-deU, aussi y
it-il beau soleil après que la negc est tombée, la.
quelle nous avons eue sept ou huit |] l'ois, mais elle
se fondoit facilement es lieux découverts, et la plus
constante a esté en Février. Quoy que ce soit, la
nege est l'ortvtile aux fruits de la terre, pour les con-
server contre la gelée, et leur servir comme d'vne
robbe fourrée. Ce que Dieu tait par vne admirable
providence, pour ne ruiner les hommes, et comme
dit le Psalmistc (i).
(i) Psalm. 147', vers, s-
585
5S8
Histoire
H donne la nege chenue
Comme laine à tai blanchissai:'.
El comme la cendre même
Répand tes frimas brouissans.
Et comme le ciel n'est gucres souvent couvert de
nuées vers la Terre-neuve en temps d'hiver, aussi y
a il des gelées matinales^ lesquellc:s se renforcent sur
lu lin de lanvier, en Février, et au commencement de
Mars : car jusqaes audit temps de lanvier nous y
avons toujours esté en pourpoint, et me souvientquc
le 14. de ce mois par vn Dimanche après midi nous
nous rejouïssions chantans Musique sur la rivière de
rEquille, dite maintenant la rivière du Dauphin, et
qu'en ce même mois nous allâmes voir les blcz â
deux iieuës de nôtre Fort, et dînâmes joyeusemcni
au soleil. le ne voudrois loutelbis dire que toutes les
iinnées fussent semblables à celle-ci. Car comme cet
hiver-lâ fut semblabicment doux par-deçà, le dernier
hiver de Tan mil six cens sept et huit, le plus rigou-
reux qu'on vit jamais, a aussi esté de même par-delà,
en sorte que beaucoup de Sauvages sont morts par la
rigueur du temps, ainsi qu'en Fraat.c beaucoup de
jîauvres et de voyagers. Mais je dïray que raiince d«
586 de-ijvantque nous fussions en la Nouvelle-France,^
l'hivern'avoit point este rude, ainsi que m*ont tcsiifié
ceux qui y avoient demeure devant nous.
Voilà ce qui regarde la saison de l'hiver. Mais je^
ne suis point encore bien satisfait en la rechea'he de
la cause pourquoy en même parallèle la saison est
par delà plus tardive d'vn mois qu'ici, cl n'apparoîs-
IQ
DE LA NovvELLE- France. SSg
sent point les fueilles aux arbres que sur le déclin du
mois de May : si ce n'est que nous disions que l'epes-
seur des bois et grandeur des forets empçche le soleil
d'échauffer la terre ; item que le pais où nous estions
est voisin de la mer, et plus sujet au froid comme
participant du Pérou , païs semblablement froid à
i'egard de l'Afrique et d'ailleurs ; item que cette
terre n'ayant jamais esté cultivée, elle est plus con-
dense, et ne peuvent les arbres et plantes aisément
tirer le suc de leur mcre. En recompense de quoy
aussi l'hiver y est plus tardif, comme nous l'avons
recité ci-dessus.
Les froidures estans passées, sur la fin de Mars
tous les volontaires d'entre nous se mirent à l'envi
l'vn de l'autre à cultiver la terre, et faire des jardins
pour y semer, et en recueillir des fruits. Ce qui vint
bien à propos. Car nous fumes fort incommodez l'hi-
ver faute d'herbes de jardins. Quand chacun eut fait
ses semailles, c'estoit vn merveilleux plaisir de les
voir croître et profiter chacun jour, et encore plus
grand contentement d'en vser si abondamment que
nous fîmes ; si bien que ce commencement de bonne
espérance nous faisoit préque oublier nôtre pais ori-
ginaire, et principalement quand le pois- 1] son com- 587
mença à rechercher l'eau douce et venir à foison dans
noz ruisseaux, tant que nous n'en sçavions que faire.
Ce que quand je considère, je ne me sçaurois assez
étonner comme il est possible que ceux qui ont esté
en la Floride ayent souffert de si grandes famines,
veu la température de l'air qui y est préque sans hi-
ver, et que leur famine vint es mois d'Avril, May,
luin, ausquels ils ne dévoient manquer de poissons.
56o
HiSTOISK
588
Tandis que les vns travailloîent à la terre, le sieur
de Pouïrtncourt fit préparer quelques batlmcns pour
loger ceux qu'il esperoît nous devoir succéder. Et
considcrant combien le moulin â bras apportoit de
travail, il lit taire vu moulin à eau, qui fut fort ad-
miré des Sauvages. Aussi est-ce vne invention qui
n'est pas venue es esprits des hommes dés les pre-
miers siècles. Depuis cela nos ouvriers curent beau-
coup de repos, car ils ne faisoicnt préquc rien pour
la pluspari. Mais ic puis dire que ce moulin nous
fournissoit des harens trots fois plus qu'il ne nous en
eust fallu pour vivre, à la diligence de noz meuniers.
Le sieur de Poutrincourt en avoit fait sallcr deux
bariques, et vne barîquc de Sardines, pour en faire
montre en France, lesquelles demeurèrent à Sainct-
Malo, à nôtre retour, entre les mains des marchans.
Parmi toutes ces choses ledit sieur de Poutrin-
court ne laissait point de penser au retour, ce qui
estoit vn fait d'homme sage. Car il ne se faut jamais
tant fier aux promesses des hommes que l'on ne con-
sidère qu'il y arrive bien [j souvent beaucoup de
desastre en peu d'heures. Et partant dés le mois
d'Avril il tit accommoder deux barques, vne grande
et vne petite, pour venir chercher les navires de
France vers Campseaii, ou la Terre-neuve, le cas ave-
nant que nous n'eussions point de secours. Mais la
charpenteric faite, vn seul mal nous pouvoît arrêter,
c'est que nous n'avions point de bray pour calfester
no2 vaisseaux. Cela (qui estoit la chose principale) ._
avoit esté oublié au partir de la Rochelle. En ccste
nécessité importante ledit sieur de Poutrincourt
s'avisa de recueillir par les bois quantité de gommes
DB LA NoVVELLE-FraKCE.
56 1
de sapins. Ce qu'il fit avec beaucoup de trax-ail, y al-
lant lui même avec vn gaison ou deux le plus sou-
vent; si bien qu*cn fin il en eut cent livres. Or après
ces faiîjîues ce ne fut encore tout. Car il falloit fondre
et puriiier cela, qui estoit vn point nécessaire, et îo-
coneu à nôtre Maitre de marîne> le sieur de Champ-
doré, et â ses matelots, d'autant que le bray que nous
avons vient de Norvvcge, Suéde et Danzic. Neant-
moins ledit sieur de Poutrincourt inventa le moyen
de tirer la quinte essence de ces gommes et écorces
de sapins : et fit faire quantité de briques, desquelles
il façonna vn fourneau tout à jour, dans lequel il mit
vn alembic fait de plusieurs chaudrons enchâssez
Tvn dans Tauire, lequel il emplissoit de ces gommes
et écorces : puis estant bien couv;:rt on mettoit le
feu tout à l'cntour, par la violence duquel se fondoit
la gomme enclose dans ledit alembic, et tombuit par
embasdans vn bassin. Mais il ne falloit pas durmir
à l'cntour, |[ d'autant que le feu se prenant à la ma-
tière tout estoit perdu. Cela estoit admirable pour
vn personage qui n'en avoit jamais veu taire : dont
les Sauvages éîonnés disoîcnt en mots empruntés des
Basques Endia chavé Aorniti/idw , c*est à dire que les
j Normans sçavent beaucoup de choses. OrappcUent-
I ils tous les François Normans (exceptez les Basques),
I par ce que la pluspart des pécheurs qui vont aux
I Morues sont de celte nation. Ce remède nous vint
Nbien A point : car ceux qui nous vindrcut quérir es-
[pient tombez en même faute que nous,
I Or comme celui qui est en attente n'a point de
bien ni de repos j'usques à ce qu'il tienne ce qu'il
désire, ainsi en cette saison noz gens jctloicm sou-
l6
589
562
H ISTÛIRE
vcnc l'œil sur la grande étendue du Port-Royal pour
voir s'ils découvriroîcnt point quelque vaisseau arri*
ver. En quoy ils furent plusieurs lois trompez, se
figurans tantôt avoir ouï vn coup de canon, tantôt
appercevoir les voiles d'vn vaisseau, et prenans bien
souvent les chaloupes des Sauvages qui nous vcnoient
voir pour des chaloupes Françoises. Car alors grande
quantité de Sauvages s'assemblèrent au passage dudil
Port pour aller à la guerre contre les Armouchiquois,
comme nous dirons au livre suivant. EnAn on cria
tant Noé qu'il vint, et eûmes nouvelles de France le
)our de l'Ascension avant midi.
590 II Arrivée des François, Société du siear de Monts rompue, tt
poartjuoy. Avarice de ceux qai voient les morts, Feuz dejoye
pour Sa naissance de Monseigneur d'Orléans. Partement des
Sauvages pour aller à la guerre. Sagamos Memberlou.
Voyages sar la côte de la Baye Françoise. Trafic sordide.
vdle ii'Ouïgoudi. Sauvages comme font de grands voyages.
Mauvaise inimion d'iceux. Mine d'acier. Voix de Loups-
marins. Etat de i'ÏU Saincle-Croix. Amour des Sauvages
envers leurs enfans. Retour au Port-Royal.
Chap. XVIÏI.
E Soleil commcnçoit à échauffer la terre,
etœilla-der sa maîtresse d'vn regard amou-
reux, quand le Sagamos Memberlou (après
noz prières solennellement faites à Dieu,
et le desjeuner distribue au peuple, selon la cou-
tume) nous vint avertir qu'il avoit veu vnc voile sur
DR r.A Novvei,i.e-Frakce.
363
H ~ na
le lac qui venoit vers nôtre Fort. A cette joyeuse nou-
velle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il
pcrsone qui cust si bonne vcuc que lui , quoy qu'il
soit âgé de plus de cent ans. Neantmoinson vît bien-
tôt ce qui en estoît. Le sieur de Poutrincourt tu en
diligence apprêter la petite barque pour aller reco-
noitre. Le sieur de Champdorc et Daniel Hay y al-
lèrent, et par le signal qu'ils nous donnèrent cstans
certains que c'estoient amis, incontinent Hmes char-
ger quatre canons et vne douzaine de tau- j| conneaux,
pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin.
Eux de leur part ne manquèrent à commencer la
tête et décharger leurs pièces, ausquels fut rendu le
réciproque avec vsure. C'estpit tant seulement vne
petite turque marchant souz la charge d'vn jeune
homme de Sainct-Malo nomme Chevalier, lequel ar-
rivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrin-
court, lesquelles furent leues publiquement. On lui
mandoit que pour aider à sauver les frais du voyage,
le navire (qui eslott cncor le Ionas) s'arrcieroit au
port de Campseau pour y faire pêcherie de Morufis, les
marchans associez du sieur de Monts ne sacbans pas
qu*il y eut pêcherie plus loin que ce lieu ; toutefois
que s'il estoit nécessaire il fist venir ledit navire au
Port-Koyal. Au reste, que la société estoit rompue,
d'autant que contre l'Edit du Koy les Holaadois,
conduits par un traitre François nommé La leunesse,
avoient l'an précèdent enlevé les Castors et autres
pelleteries de la grande Rivière de Canada, chose qui
umoit au grand détriment de la société, laquelle
partant ne pouvoit plus fournir aux frais de Thabi-
tation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Et
5g i
564
Histoire
pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer
là après nous. Si nous eûmes de ia joye de voir nôtre
secours asscuré, nous eûmes aussi vne grande tris-
tesse de voir vne si belle et si saincte entreprise rom-
pue, que tant de travaux et de périls passez ne ser-
vissent de rien, et que Tesperance de planter là le
nom de Dieu et la Foy Catholique s'en allast eva-
393 noulie. Ncantmoîns, après que le || sieur de Poutrin-
court eut long temps songé sur ceci, il dit que quand
il y devroit veair tout seul avec sa famille, il ne quit-
terott point la partie.
Ce nous estoit,d! je, grand dueil d'abandonner ainsi
vne terre qui nous avoit produit de si beaux blez, et
tant de beaux ornemer^s de jardins. Tout ce qu'on
avoit peu faire jusques là ç'avoit esté de trouver lieu
propre à faire vne demeure arrêtée et vne terre qui
fut de bon rapport. Et cela estant fait , de quitter
l'entreprise, c'estoit bien manquer de courage. Car
passée vne autre année il ne tatloit plus entretenir
d'habitation. La terre estoit suffisante de rendre les
nécessitez de la vie. C'est le sujet de la douleur qui
poignoit ceux qui estoicnt amateurs de voir la Reli-
gion Chrétienne établie en ce païs-là. Mais d'ailleurs
le sieur de Monts et ses associés estans en perte, et
n'ayans point d'avancement du Roy, c'estoit chose
qu'ils ne pouvoicnt faire sans beaucoup de difficulté,
que d'entretenir vne habitation par-delà.
Or cette envie sur le traific des Castors avec les
Sauvages ne s'est piis SL'ulement glissée es cœurs des
Holandois, mais aussi des marchans François, de
manière qu'en (in le privilège qui avoit esté baillé
audit sieur de Monts pour dix ans a este' révoqué.
C'est chose étrange que de l'avarice insatiable des
hommes, lesquels n'ont aucun égard à ce qui est de
rhonnête, moyennant qu'ils rafâenc de quel côië
que ce soit. Et sur ce je dîray d'abondant, que de
ceux qui nous sont venus quérir en ce paîs-Ià il y en
a eu qui ont osé méchamment aller dépouiller les
morts et voler [j les Castors que ces pauvres peuples SgS
mettent pour le dernier bien-fait sur ceux qu'ils en-
terrent, ainsi que nous dirons plus amplement au
Hvre suivant. Chose qui rend le nom François odieux
et digne de mépris parmi eux, qui n'ont rien de sem-
blable, ains le cœur vrayment noble et généreux,
n'ayans rien de particulier, ains toutes choses com-
munes, et qui t'ont ordinairement des presens (et ce
tort libéralement, selon leur puissance) à ceux qu'ils
aiment et honorent. Et outre ce mal, est arrivé que
les Sauvages , lors que nous estions à Campseaa ,
tuèrent celui qui avoit montré à noz gens les sépul-
cres de leurs morts, le n'ay que l'aire d'alléguer ici ce
que recite Horodote de la vilenie du Roy Darius, le-
quel pensant avoir trouvé la merc au nid (comme on
dit), c'est à dire des grands thrcsors au tombeau de
Semiramis, Royne des Babyloniens, eut vn pié de
nez, ayant au dedans trouvé vn écriteau contraire au
premier, qui le tensoit aigrement de son avarice et
méchanceté.
Revenons A noz tristes nouvelles et aux regrets
d'icellcs. Le sieur de Poutrincourt ayant fait propo-
sera quelques-vnsde nôtre compagnie s'ils vouloient
là demeurer pour vn an, il s'en présenta huit, bons
compagnons, ausquels on promcttoît chacun vne
barique de vin, de celui qui nous restoit, et du blé
566
Histoire
suffisamment pour vne année; mais ils demandèrent
si hauts gages qu'il ne peut pas s'acommoder avec
eux. Ainsi il se fallut résoudre au retour. Le jour
déclinant, nous fimes les feuz de joye de la naissance
5g4 de II Monseigneur le Duc d'Orléans, et recommen-
çâmes â faire bourdonner les canons et fauconneaux^
accompagnez de force mousquctades, le tout après
avoir sur ce sujet chante le Te Dmm.
Ledit Chevalier apporteur de nouvelles avoit eu
charge de Capitaine au navire qui estoit demeuré â
Campseau, et en cette qualité on lui avoit baillé pour
nous amener six moutons, vingt-quatre poules, vne
livre de poivre, vingt livres de ris, autant de raisins
et de pruneaux, vn millier d'amendes, vne livre de
muscades, vn quarteron de canellc, vne demie-livre
de giroffles, deux livres d'ccorces de citrons, deux
douzaines de citrons, autant d'orenges, vn jambon de
Majence et six autres jambons, vne banque de vin
de Gascongne et autant de vin d'Hespagne, vne ba-
rique de bœuf salé, quatre pots et demi d'huile d*o-
Uvc, vn jarre d'olives, vn baril de vinaigre et deux
pains de sucre. Mais tout cela fut perdu par les che-
mins par fortune de .sueule, et n'en vimes pas grand
cas; neantmoins j'ay mis ici ces denrées afin que
ceux qui voudront aller sur mer s'en pourvoient.
Quant aux poules et moutons, on nous dit qu'ils
estoicnt morts durant le voyage, ce que cous crûmes
facilement, mais nous desirions au moins qu'on nous
en eust apporté les os. On nous dit encore, pour
plus ample resolution, que l'on pensoit que nous
fussions tous morts. Voilà sur quoy fut fondée la
mangeailte. Nous ne laissâmes toutefois de faire
iA
^
bonne chère audit Chevalier et aux siens, qui n*es-
toient pas petit nombre, ni buveurs semblables â feu
Monsieur le Marquis de Pisani. || Occasion qu'ils ne 59 5
se deplaisoient point avec nous : car il n'y avoit que
du cidre bien arrousé d'eau dans le navire oti ils
cstoient venus pour la portion ordinaire. Mais quant
audit Chevalier, dés le premier jour, il parla du re-
tour. Le sieur de Poutrincourt le tint quelque huit
iours en espérance, au bout desquels celui-ci voulant
s'en aller, ledit sieur mit des gens dans sa barque, et
le retint, sur quelque rapport que ledit Chevalier
avoit dit qu'estant â Campseau il mettroit le navire à
la voile, et nous laisseroit là.
A la quinzaine ledit sieur envoya vne barque audit
Campseau chargée d'vnc partie de nos ouvriers, pour
commencer a détrappcr la maison. Au commence-
ment de luin, les Sauvages en nombre d'environ
quatre cens partirent de la cabane que le Sagamos
Membertoa avoit façonnée de nouveau en forme de
ville environnée de hautes palUssades, pour aller à la
guerre contre les Armouchiquoîs, qui fut à Chouakoet,
à environ quatre-vingts licut's loin du Port- Royal,
d'où ils retournèrent victorieux par les stratagèmes
que je diray en la description que j'ay fait de cette
guerre en vers François. Les Sauvages furent prés de
deux mois à s'assembler là. Memberioa le grand Saga-
mos les avoit fait avertir durant et avant l'hiver, leur
ayant envoyé hommes exprés, qui estoient ses deux
(ils Aaaudin et Actaa(iinech\ pour leur donner là le
Rendex-voLis. Ce Sazamos est homme des-ja fort vieil,
et a veu le Capitaine lacques Quartier en ce païs-là,
auquel temps il estoit des-ja marié et avoit Ij enfans, Sg6
568
Histoire
597
et neantinoins ne paroit poiat avoir plus decinquante
ans. Il a esté fort grand guerrier et sanguinaire en
son jeune àgc et durant sa vie. C*cst pourquoy on dit
qu'il a beaucoup d'ennemis, et il est bien aise de se
tenir auprès des François pour vivre en seureté. Du-
rant cette assemblée il fallut lui faire des presens et
dons de blé et fèves, même de quelque baril de vin,
pour fêtoyer ses amis. Car il remontroit au sieur de
Poutrincourt : « le suis le Sagamoi de ce païs ici, j'ay
•i le bruit d'estrc ton ami et de Cous les Norraans
« (car ainsi appellent-ils les François, ainsi que j ay
« dit), et que vous faites cas de moy : ce me seroit
• va reproche si je ne montroîs les effects de telle
* chose, n Et ncantmoins , soit par envie ou autre-
ment, vn autre Sagamos nommé Cbkoudan, lequel est
bon ami des François et sans feintise, nous fit rap-
[K>rt que Mcmbertou machinoit quelque chose contre
nous, et avoit harangué sur ce sujet. Ce qu'entendu
par le sieur de Poutrincourt, soudain il l'envoya qué-
rir pour l'étonner, et voir s'il obcïroil. Au premier
mandement, il vint seul avec noz gens, et ne fit au-
cun refus. Occasion qu'on le laissa retourner en paix
après avoir receu bon traitement et quelque bouteille
de vin, lequel il aime, par ce (dit-il) que quand il en
a beu il dort bien, et n'a plus de soin ni d'appréhen-
sion. Ce Membertou nous dit au commencement que
nous vînmes là qu'il vouloit faire vn présent au Roy
de sa mine de cuivre, par ce qu'il voyoit que nous
faisions cas des métaux, et qu'il faut que les Sagamos
soient honétcs et libéraux les vns envers || les autres-
Car lui estant Saganws il s'estime pareil au Roy et â
tous ses Lieutenans , et disoit souvent au sieur de
DR LA NoWELI-E-FrANCE.
56o
Poutrincourt qu'il lui estoit grand ami, frère, com-
pagnon et dgal, montrant cette égalité par la jonction
des deux doigts de la main que Ton appelle Index, ou
le doigt démonstratif. Or jaçoit que le présent qu*il
vouloit faire à sa Majesté fust chose dont elle ne se
soucie , neantmoins cela lui partoit de bon courage,
lequel doit estre prisé comme si la chose estoit plus
grande, ainsi que fit ce roy des Perses qui receut
d'aussi bonne volonté \-ne pleine main d*eau d'vn
païsan comme les plus grands prcscns qu^on lui avoit
l'ait. Car si Mcmberlou eust eu davantage 11 l'cusl offert
libéralement.
Le sieur de Poutrincourt n'ayant point envie de
partir de là qu'il n'eust veu l'issue de son attente,
c'est à. dire la maturité des blcs, il délibéra après que
les Sauvages furent allez à la guerre de faire voyages
du long de la côte. Et pource que le Chevalier desi-
roit amasser quelques Castors, il l'envoya dans vnc
petite barque à la rivière Sainct-Iean, dite parles Sau-
vages Oaïgcudi, et l'ile Saincte -Croix, et lui Poutrin-
court s'en alla dans vnc chaloupe à ladite mine de
cui\Te. le tus du voyage dudit Chevalier, et traver-
sâmes la baye Françoise pourallerà ladite rivière, là
où si-tôt que nous fumes arrivez nous fut apportée
demie douzaine de Saumons freicheraent pris, et y
séjournâmes quatre jours, pendant lesquels nous al-
lame.»! es cabanes du Sagamos Chkoiiâun, là oU nous
vîmes |] quelque quatre-vingts ou cent Sauvages tout
nuds, hors-mis le brayet, qui faisoicnt Tabagie des
farines que ledit Chevalier avoit troqué contre leurs
vieilles pannes pleines de pous (car ils ne lui baillèrent
que ce qu'ils ne vouloîent poini). Ainsi tit-il là vn
59«
$70
HlSTOlSE
599
trafic que je prise peu. Mais il peut dire que l'odeur
du lucre est suave et douce de quelque chose que ce
soit, et ne dedaignoit pas l'Empereur Vcspasien de
recevoir par sa main le tribut qui lui vcnoit des pis-
sotières de Rome.
Etans parmi ces Sauvages, le Sagamos Chkûudan nous
voulut donner le plaisir de voir l'ordre et geste qu'ils
tiennent allans à la guerre, et les tit tau;* passer de-
vant nous, ce que Je reserve au livre VI, chap. 2 5.
La ville d^Ouïgoudi (ainsi j'appelle la demeure dudit
ChkouÂan) estoit vn grand enclos sur vn tertre fermé
de hauts et menus arbres attachez l'vn contre l'autre,
et au dedans plusieurs cabanes grandes et petites,
l'vne desquelles estoit aussi grande qu'vne halle, oii
se rctiroient beaucoup de ménages : et quant à celle
otiils faisoieiit lu Tabagie, elle estoit vn peu moindre.
Vne bonne partie desdits Sauvages estoient de Câ-
cliepé, qui est le commencement de la grande rivière
de Canada, et nous dirent que de leur demeure ils
venoient là en ^ïx jours, dont je fus fort étonné, veu
la distance qu'il y a par mer; mais Ils abbregent fort
leurs chemins, et font des grands voyages par le
moyen des lacs et rivières, au bout desquelles quand
ils sont parvenus, en portant leurs canots trois ou
qutilrc lieues, ils guignent d*autrcs || rivières qui ont
vn contraire cours. Tous ces Sauvages estoicnC là
venus pour aller à la guerre avec Membertoa contre les
Armouchiquois.
Or, d'autant que j'ay parlé de cette rivière d'Ouï-
goiidi au voyage du Sieur de Monts, je n'en dtray ici
autre chose. Quand nous retournâmes à nôtre barque
qui était à demi-lieuë de là à l'entrée du Port, à l'abri
d'une chaussée que la mer y a fait, noz gens, et par-
ticulièrement le Capitaine Champdoré, qui nous
conduisoit, étoient en peine de nous, et ayans veu
de loin les Sauvages en armes, pensoient que c'estoit
pour nous mal faire, ce qui eut esté aisé, pource
que nous n'estions que deux, et par ainsi furent
bien aises de nôtre retour. Apres quoy le lendemain
vint le Devin du quartier crier comme vn désespéré
à Pendroit de nôtre barque. Ne sachans ce qu'il vou-
loit dire, on l'envoya quérir dans un petit bateau, et
nous vint haranguer, et dire que les Armouchîquois
cstoient dans les bois qui les venoient attaquer, et
qu'ils avoicnt tud de leurs gens qui cstoient à la
chasse ; et partant que nous descendions k terre pour
les assister. Ayans ouï ce discours qui ne tendott à
rien de bon, selon notre jugement, nous lui dîmes
que nos journées étoient limitées et noz vivres aussi,.
et qu'il nous convenoît gaigncr païs. Se voyant écon-
duit, il dit que devant qu'il fust deux ans il fau-
droit qu^ils tuassent tous les Normands, ou que les
Normands les tuassent. Nous nous mocquames de
lui, et lui dimcs que nous allions mettre nôlre bar-
que devant leur Fort pour || les aller tous saccager.
Mais nous ne le fimes pas, L-ar nous partîmes ce
jour-là, et ayans vent contraire, nous nous mimes à
l'abri d'une petite i!e, où nous fumes deux jours pen-
dant lesquels l'vn allait tirer aux Canars pour la pro-
vision, l'autre taisait la cuisine, et le Capitaine
Champdoré et moy allions le long des rochers avec
marteaux et ciseaux cherchant s'il n'y auroit point
quelques mines. Ce que faisans nous trouvasmes de
l*acier en quantité parmi les roches, lequel fut depuis
600
572
Histoire
6nt
fondu par le sieur de Poutrincouri, qui en fil des
lingots, et setrous'a acier fort &n, duquel il fit faire
vn couteau qui tranchoit comme un razoir, lequel
à nôtre retour il moutra au Roy.
De là , nous allâmes en trois iournccs à Tilc
Saincte-Croix, estans souvent contrariez des vents.
Et pource que nous avions mauvaise conjecture sui
les Sauvages que nous avions veu en grand nombre
à la rivière Sainct-Iean, et que la troupe qui estoit
partie du Port-Royal estoit encore â Menane (i!c entre
ledit Port-Royal et Saincte-Croix), desquels nous ne
nous voulions pas fier^ nous faisions bon guet la
nuit, pendant lequel nous oyons souvent les voix des
Loups-marins , qui ressembloient préque celle des
Chats-huans ; chose contraire à l'opinion de ceux qui
ont dit et écrit que les poissons n'avorent point de
voix.
Arrivez que nous fumes dans ladite Ile de Saincte-
Croix, nous y trouvâmes les bâtimcns y laissez tout
entiers, fors que le magazin estoit découvert d'vn
côté. Nous y trouvâmes enco- \\ re du vio d'Hespa-
gnc au fond d'vn muy, duquel nous beumes, et n'es-
toit guère gâté. Quant aux jardins, nous y trouvâ-
mes des choux, ozeilles et laictucs, dont nous fimes
cuisine. Nous y fîmes aussi de bons patez de tourtres,
qui sont là fréquentes dans les bois. Mais les herbes
y sont si hautes, qu'on ne pouvoit les trouver quand
elles cstoient tuées et tombées à terre. La court y
estoit pleine des tonneaux entiers, lesquclz quelques
matelots mal disciplinez brûlèrent pour leur plaisir,
dont j'eu horreur quand je le vi, et Jugcay mieux que
devant que les Sauvages cstoient (du moins civÙe-
b.
DK t.A NovvELLR - France.
'73
ment) plus hi
ph
imains et plus gens bien que beaucoup
de ceux qui portent le nom de Chrétien, ayant de-
puis trois ans pardonné à ce lieu, auquel ils n'a*
voient point seulement pris vn morceau de bois, ni
du sel qui Y estoit on grande quantité dur comme
roche.
Au partir de là nous vînmes mouïller l'ancre
parmi vn grand nombre d'Iles confuses, où nous
ouïmes quelques Sauvages et criâmes pour les faire
venir. Ils nous r'eavoyerent le même cri. A quoy vn
des nôtres répliqua Oi'unklraix , c'cst-â-dire qui estcs-
vous? Ils ne voulurent se déclarer. Mais le lende-
main, Oagimont, Sagamos de cette rivière, nous vint
trouver, et conçûmes que c'estoît lui que nous avions
ouï. Il se disposoit pour suivre Mmkriou et sa
troupe â la guerre, là où estant il fut grièvement
blessé, comme j'ny dit en mes vers sur ce sujet. Ce
Oa^inwnl & vne fille àgee d'environ onze ans, bien
agréable, laquelle le sieur de Poutrincourt || desîroit
avoir, et la lui a plusieurs fois demandée pour la
bailler à la Royne, lui promettant que jamais il
n'auroit faute de bU^ ni d'autre chose; mais onques
il ne s'y est voulu accorder.
Estant entré en nôtre barque, il nous accompagna
jusques à la pleine mer, là oti il se mît en sa cha-
loupe pour s'en retourner, et de autre part tendîmes
au Port-Royal, à l'entrée duquel nous arrivâmes
avant le jour, maïs fumes devant nôtre Fort juste-
ment sur le point que la belle Aurore commençoit à
montrer sa face vermeille sur le sommet de noz cû-
taux chevelus. Le monde estoit encore endormi, et
n'y en eut qu'vn qui se leva au continuel abbayc-
602
574 HfSTomiî
ment des chiens; mais nous fimes bien réveiller 1?
reste à force de mousquetades et d'éclats de trom-
pettes. Le sieur de Poulrincourt estoit arrivé le jour
de devant de son voyage des mines, oU nous avons
dit qu*il devoit allerj et l'autre jour précèdent estoit
arrivée la barque qui avoit porté partie de nos ouvriers
à Campseau. SI bien que toulassemblcil ne restoit plus
que de préparer les choses nécessaires à nôtre enibar-
quement. Et en cette affaire nous vint bien à point
le moulin à eau. Car autrement il n'y cust eu aucun
moyen de préparer assez de farines pour le voyage.
Mais en fin nous en eûmes de reste, que Ton bailla
aux Sauvages pour se souvenir de nous.
6o3 II Pon de Campseaa. Panment du Port-Roya!. Brumes
huit jours. Arc-eit ciet paraissant dans l'eau. Pon Savalet.
Culture de la terre exercice honorable. Regrets des Sauvages
au partir da sieur de Poutrincourt. Retour en France.
Voyage au Mont Sain et- Michel. Fruits de la NouveUe-
France présentez aa Roy. Voyage en la Nouvelle-France de^
puis le retour dudit sieur de Poutrincourt, Lettre missin
dudit sieur aa Sainct Père à Rome.
Chap. XIX.
VR le point qu*il fallutdire Adieu au Port-
Royal, le sieur de Poutrincourt envoya
fson peuple lesvns après les autres trouver
le navire à CampseaUf qui est vn port entre
sept ou huit îles oii les navires peuvent estre à l'abri
des vents ; et là y a vne baye profonde de plus de
dix lieues, et large de trots; ledii lieu distant du-
dit Port-Royal de plus de cent cinquante lieues.
Nous avions vne grande barque, deux petites et
vne chaloupe. Dans l'vnc des petites barques, on
mit quelques gens que l'on envoya devant. El le
trentième de luiUct partirent les deux autres. l'es-
tois dans la grande, conduite par le sieur de Champ-
doré. Mais le sieur de Poutrincourt voulant voir vne
fin de noz blez semez, attendit la maturité d*iccux,
et demeura encore onze jours après nous. Cependant
nôtre première journée ayant esté au Passage J| de
Port-Royal , le lendemain les brumes vindrent s*é-
pendre sur la mer, qui nous tindreiu huit jours en-
tiers, durent lesquels cVst tout ce que nous sceumes
faire que de gaigner le cap de Sable, lequel nous ne
vimes point.
En ces obscuritez Cymcriennes ayans vn jour an-
tre en mer à cause de la nuit, nôtre ancre ruza telle-
ment qu'au matin la marée nous avoit poné parmi
des îles, et m'étonne que nous ne nous perdimes au
choc de quelque rocher. Au reste, pour le vivre le
poisson ne nous manquoit point. Car en vne demie
heure nous pouvions prendre des Morues pour
quinze jours, et des plus belles et grasses que j'ay
jamais veu , icelks de couleur de carpes, ce que je
n'ay onques reconeu qu'en cet environ dudit cap de
Sable, lequel après que nous eûmes passé, la marée
(qui vole en cet endroit) nous porta en peu de temps
jusques â la Hévc, ne pensans estre qu'au port du
Mouton. Là, nous demeurâmes deux jours, et dans le
port même nous voyons mordre ta Morue à l'ame-
çon. Nous y trouvâmes force grozelles ruugcs, et de
604
576
Histoire
I
la marcassite de mine de cuivre. On y fît aussi quel-
que iroquement de pelleteries avec les Sauvages.
De kl en avant nous eûmes vent à souhait, et du-
rant ce temps avitit vne fois qu'estant sur la proue je
criay à nôtre conducteur le sieur de Champdoré que
nous allions toucher, pensant voir le fond de la mer;
mais je fus deccu par l'Arc-en-ciel qui paroissoit avec
toutes ses couleurs dedans l*eau, causé par l'ombrage
6o5 que faisoit ]{ sur iccUc nôtre voile de Beaupré opposé
au Soleil, lequel assemblant ses rayons dans le creus
dudit voile, ainsi qu'il fait dans ta nuë, iceux rayons
estoient contraints de réverbérer dans l'eau, et foire
cette merveille. Enfin nous arrivâmes à quatre
lieues de Cumpseau, à vn Port où faisoit sa peschcrie vn
bon vicillart de Sainct-Jean de Lus nomme le Capi-
taine Savalet, lequel nous receut avec toutes les cour-
toisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui
est petit , mais ires-beau i n'a point de nom , je l'ay
qualifié sur ma Charte géographique du nom de Sa-
valet. Ce bon personage nous dît que ce voyage
csroic là le 42. qu'il faîsuit par-delà, et toutefois les
Terre-ncLiviers n'en font tous les ans qu'vn. Il estoit
men-eilleusement content de sa pescherie, et nous di-
soit qu'il fuisoit tous tes jours puur cinquante escus de
Morues, et que son voyage vaudroit dix mille francs.
II avoit seze hommes A ses gages, et son vaisseau es-
toit de quatre-vingts tonneaux, qui pouvoit porter
cent milliers de morues scches. Il estoit quelquefois
inquiété des Sauvages là cabanez, lesquelz trop pri-
vément et impudemment alloicnt dans son navire,
et lui emporcaient ce qu*ils vouloient. Et pour éviter
cela il les mena^oit que nous viendrions et les met-
hf. la
N
OVTEI.I.
LE- F
RAHCB.
577
irions tous au rtl de l'épée s'ils lui faisoient tort.
Cela les intimldoit, et ne lui t'aisoîent pas tout le
mal qu*autrcmcat ils eussent fait. Ncantmoins toutes
les fois que les pécheurs arrivoicnt avec leurs cha-
loupes pleines de poissons, ils choisissaient ce que
bonleur II sembioit.et ne samusoient point aux Mo-
rues, ains prenaient des Merlus, Bars, et Flétans qui
vaudroient ici à Paris quatre écus^ ou plus. Car c'est
vn merveilleusement bon manger, quand principale-
ment Us sont grands et épais de six doigts, comme
ceux qui se péchoient là. Et eust esté dinicile de le«
empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eust tou-
jours fallu avoir les armt's en main, et la besogne fast
demeurée. Or Phonnéieté de cet homme ne sétendit
pas seulement envers nous^ mais aussi envers tous les
nôlrcsqui passèrent à son Port, car c'cstoit !c passage
pour aller et venir au Port- Royal. Mais il y eut quel-
ques-vns de ceux qui nous vindrent quérir qui fai-
soient pis que les Sauvages, et se gouvcrnoient envers
lui comme fait ici le gen-d arme chez le bon homme,
chose que j'ouï fort à regret.
Nous fumes là quatre jours à cause du vent con-
traire. Puis vinmes à CampseaUj ob nous attendîmes
l'autre barque » qui vint dix jours après nous. Et
quant au sieur de Poutrincuurt, si-tôt qu'il vit que
le blé se pouvoit cueillir, il arracha du segle avec la
racine pour en montrer par-deça la beauté, bonté et
démesurée hauteur. Il fit aussi des glannes des autres
sortes de semences, froment, orge, avoine, chanvre
et autres, à même fin, ce que ceux qui sont allez ci-
devant au Brésil et à la Floride n'ont point fait. En
quoy j'ay i. me réjouir d'avoir esté de la partie et des
37
606
578
HlSTOIRR
premiers cutteurs de cette terre. Et à ce je me suis
pieu d'autant plus que je me remcttoy devant les
ïeux nôtre ancien père Noé, grand Roy, grand Prê-
607 tre et grand Prophète, de qui le œc- H tîer estoît
d'estre laboureur et vigneron : et les anciens Capi-
taines romains Serranus^ qui tut trouvé semant son
champ lors qu'il fut mandé pour conduire l'armée
romaine, et Quintas Cincinnatus ^ lequel tout poudreux
labouroit quatre arpcns de terre à tétc nuë et à este-
mach découvert quand l'huissier du Sénat lui ap-
porta les lettres de Dictature : de sorte que cctui
huissier fut contraint le prier de vouloir se couvrir
avant que lui déclarer sa charge. M'cstant pieu à cet
exercice, Dieu a bcni mon petit travail, et ay eu en
mon jardin d''aussi beau froment qu'il y st^uroit
avoir en France, duquel ledit sieur de Poutrincourt
me donna vne glanne quand il l'ut arrivé audit Port
de Campscasi.
11 estoit prêt de dire Adieu au Port-Royal, quand
voici arriver Membcrtou ex sa compagnie, victorieux
des Armouchiquois. Kt pource que j'ay fait vne
description de cette guerre en vers franifuis, je n'en
veux point ici remplir mon papier, estant désireux
d'abréger plustot que de chercher nouvelle matière.
A la prière dudil Membertou il demeura encore vn
jour. Mais ce tut la pitié au partir de voir pleurer ces
pauvres gens, lesquels on avoït toujours tenus en
espérance que quelques-vns des nôtres demeureroïent
auprès deux. Ln fin il leiu- fallut promettre que l'an
suivant on y envoyeroit des ménages et familles pour
habiter totalement leur terre, et leur enseigner des
métiers pour les faire vivre comme nous. En quoy
DE LA Nottellk-Franck 57<>
ils se consolèrent aucunement. Il y restoit dix {| b«- 6o9
riques de &rines qui leur furent baillées avec lea
blez de nôtre culture, et la possession du mandr^
s'ils vouloient en vser. Ce qu'ils n'ont pas fait. Car
ils ne peuvent estre constans en vne place et vivre
comme ils font.
L'onzième d'Aoust, ledit sieur de Poutrincpurt
paitit lui neufîéme dudit Port-Royal dans vne cha-
loupe pour venir à Campseau : Chose merveilleuse-
ment hazardeuse de traverser tant de bayes et mers
en vn si petit vaisseau chargé de neuf personnes, des
vivres nécessaires au voyage, et d'assez d'autres ba-
gages. Estans arrivés au Port du Capitaine Savalot ,
il leur iît tout le bon accueil qu'il lui fut possible^ et
de là nous vindrent voir audit Campseau, ob nous de-
meurâmes encore huit jours.
Le 3. jour de Septembre nous levâmes les ancres,
et avec beaucoup de diffîcultez sortîmes hors les bri-
sans qui sont aux environs dudit Campieau, Ce que
noz mariniers firent avec deux chaloupes qui por-
toient les ancres bien avant en mer, pour soutenir
nôtre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre tes
rochers. En fin estans en mer on laissa A l'abandon
Tvne desdites chaloupes, et Tautrc fut tirde dan» le
lonas, lequel outre nôtre charge portoit cent millier»
de Morues, que sèches que vertes. Nous eûmes assez
bon vent jusques à ce que nous approchâmes les
terres de t*Eun>pe. Mais nous n'avions pas tout le
boa traitemeat du monde, parce que, c€fmmt'}'siy dit,
ceux qui noos vindrent qomr, preMimaos que nou»
fiunons mortt, s'estoient acconuDodez de nos rutra't'
chisfcments. ; |i No» ooTriers ne beorent pli» de vin 6off
5So
Histoire
6io
depuis qu'il* nous curent quittés au Port-Royal. Et
nous n'en avions gueres , par ce que ce qui nous
abondoit fut beu icyeusement en la compagnie de
ceux qui nous apportèrent nouvelles de France.
Le 26. de Septembre nous eûmes en veuè les lies
de Sorlingues.qui sont à la pointe de Comuailles en
Angleterre. Et le 28, pensans venir à Saînct-Malo,
noui fumes contraints de relâcher à Roscoff en la
basse Bretagne faute de bon vent, où nous demeu-
râmes deux jours et demi  nous rafraichir. Nous
avions vn Sauvage qui se Irouvoit assez étonné de
voir les batimcns, clochers et moulins A vent de
France, mêmes les femmes qu'il n'avoit onques veu
vétuës à nôtre mode. De Roscoff nous vinmes avec
bon vent rendre grâces à Dieu à Sainct-Malo. En
quoy je ne puis que je ne loue la prévoyante vigi-
lance de nôtre Maître de navire Nicolas Martin de
nous avoir si dcxtrement conduit, en vne telle navi-
gation, et parmi tant d'écueils et capharêes rochers
dont est remplie la côte d'entre le cap d'Ouessans et
ledit Sainct-Malo. Que si celui-ci est louable en ce
qu'il a fait, le Capitaine Foulques ne Test moins de
nous avoir mené parmi tant de vents contraires en
des terres inconeuës où ont esté jettez les premiers
fondemens de la Nouvelle-France.
Ayans demeuré trois ou quatre jours à Sainct-
Malo, nous allâmes, le sieur de Poutrtncourt, son Ëls
et moy, au Mont Saînct-Michel, où nous vîmes les
Reliques, fors le Bouclier de ce || Sainct Archange. 11
nous fut dit que le sieur Evéque d'Avranches depuis
quatre ou cinq ans avoit deffendu de le plus montrer.
Quant au bâtiment, il mérite d'estre appelle la hui-
^
liérac mcnxille du monde, tant il est beau et grand
sur la pointe d'vne roche seule au milieu des ondes
quand la mer est en son plein. Vray est qu'on peut
dire que la mer n'y vcnoit point quand ledit bâti-
ment fut fait. Mais je repliqueray, qu'en quelque
façon que ce soit il est admirable. La plainte qu'il y
peut avoir en ce regard est que tant de superbes édi-
fices sont inutils pour le jourd'hui, ainsi qu'en la
pluspart des Abbales de France. Et à la mienne vo-
lonté que par les engins de quelque Archimcde ils
peussent cstre transportés en la Nouvelle-France
pour y estrc mieux employés au service de Dieu et
du Roy. Au retour nous vinmes voir la pescheriedes
huitres à Cancale.
'Apres avoir séjourné huit jours à Sainct-Malo,
nous vinmes dans vne barque â Honflcur, od nous
servit de beaucoup l'expérience du sieur de Poutrin-
court, lequel voyant que noz conducteurs estoient au
bout de leur Latin, quand ils se virent entre les îles
de lerzey et Sart (n'ayans accoutumé de prendre cette
route, où nous avions esté poussez par vn grand vent
d'Est-Sucst accompagné de brumes et pluyes), il
print sa Charte marine en main, et fit le Maître de
navire, de manière que nous passâmes le Raz-Blan-
chart (passage dangereux à des petites barques) et
vinmes fl l'aise suivant la côte de Normandie à Hon-
Aeur. Dont Dieu soit loûc éternellement. Amtn.
Il Estans à Paris, ledit sieur de Poutrincourt pré-
senta au Roy les fruits de la terre d'où il vcnoit, et
spécialement le blé, froment, segle, orge et avoine,
comme estant la chose la plus précieuse qu'on puisse
rapporter de quelque païs que ce soit, H eust esté
6ii
IL
^23j^^^
J
ItSTOIRE
bien séant de vouer ces premiers fruits à Dieu, et les
mettre entre les enseignes de triomphe en quelque
Eglise, à trop meilleure raison que les premiers Ûo-
mains, lesquels prescntoicnt à leurs dieux et déesses
champestres Terminas, Seja et Segesta (ï) les premiers
fruits de leur culture par les mains de leurs sacrifi-
cateurs des champs, institu<!s par RomuluSj qui fut le
premier ordre de la Nouvelle-Rome, lequel avoit
pour blason vn chapeau d'cpics de blé.
Le même sieur de Poulrîncourt avoit nourri vne
douzaine d'Outardes prises au sortir de la coquille,
lesquelles 11 pensoit faire toutes apporter en France,
mais il y en a eu cinq de perdues, et les autres cinq
il les a baillées au Roy, qui en a eu beaucoup de
contentement, et sont à Fontaine-Belleau.
Et d'autant que son premier but est d'<îtablir la
Religion Chrt'Iicnnc en la terre qu'il a pieu à sa Ma-
jesté lui octroyer, et à icelle amener les pauvres peu-
ples, lesquels ne désirent auue chose que de se
conformera nous en tout bien, il a esté d'avis de
demander la bénédiction du Pape de Rome premier
Evéqueen l'Eglise, par vne missive faite de ma main
au temps que j'ay commencé cette histoire, laquelle
a esté envoyée à sa Saincteté avec lettres de sadile
Majesté, en Octobre 1608, laquelle comme servant à
nôtre sujet, j'ay bien voulu coucher ici.
(1} Pline, liv. iS, ch. 2.
DE LA NoVVEtLE-pRANCE. 583
BEAT ISSI MO
DOMINO NOSTRO
Pap^ Pavlo V.
PONTIFICI MaXIHO.
EATissiME Pater, divinae Veritatis, etverae Di-
viriitatis oraculo scimus (0 Evangelium regni cœ-
iorum pradicandum fore in vniverso orbe in îesîimo-
nium omnibus gentibas, antequam ventât consummatio. Vnde
(quoniam in suum occasum ruit mundus) Deus his postremis
lemporibus recordatus misericordise suse suscitavit homines
fidei Christianse athletas fortissimos vtriusque militiç duces,
qui zelo propagande Religionis inflammati per multa peri-
cula Christiani nominis gloriam non solùm in vltimas terras,
sed in mundos novos (vt ita loquar) deportaverunt. Res
ardua quidem : sed
Invia virtuti nulla est tia...
inquil Poëta quidam vêtus. Ego Ioannes de Biencûvr,
vulgô De PovTRiNcovR a vitae religionis amator et assertor
(i) Matth. 24, vers. 34.
612
5fl4 Histoire
perpeiuus, v»trx Beatîtudinis seniis mtnimus, pari (ni tal-
6i3 lor) animo ductus, vnus ex raulUs devovi || me pro ChrUlo
et salute populonim ac stivesirium (vt vocani) hominum qui
Novx Franctx novas terras incolunt : eoque nomine jam
relinquo populum meum, et domum patris mei, vxoremque
et liberos periculorum meorum consortes facto, cnemor sci-
licet quod Abrabamus pater credemium idem fecerit (t^,
ignoTamquc sibi rcgioncm Deo duce peragrarit, quant pos-
sessurus esset populus de femore cjus veri Dei, verseque
religionis cultor. Non equidera pcio lerram auro argentoque
beatam, non exteras spoliare gcntes mihi est in animo ; Sai
mihi gratis Dei ;si hanc aliquo modo consequi possim'.' ter-
raeque mihi Regio dono concessx, ei maris annuus pro ven-
tus, dummodo populos lucrifaciam Christo. Messis qaideni
multa, operarii pauci (2). Qui enim splendide vivum, au-
nimque sibi congerere curant hoc opus negliguni , sciltcet
hoc sjeculum plus sequo diligemes. Quibus verô res est an-
gusia domi tanix rei molem suscipere nequeum^ et buic
oneri ferendo cenè suni impares. Quid igiiur? An deseren-
dum negotium verè Christianum et plané divinum? Ergo
frustra sex jam ab annîs tôt sustlnuimus labores, tôt evasi-
mus pcrtcula, tôt vicimus (dum ista mcditamur) aiûmi per-
turbaliones? Minime vei6. Cum enim UmenUbus Deum omnia
a>operentar in bonum (j), non est dubium quîn Oeus, pro
(i) Gènes, la.
(a) Mauh. 9, vers. J7.
{}) Rom. 8, vers. 28.
cujus gloria Her- [] culeum istud opus aggrcdiraur, adspirét 614
volis noslris, qui quondara populum suum isrâetem portavît
super atas a^uilarum (. t )i ^^ perduxit in terrain mdle el lacté
fluentem. Mac spe fretus, quïcquid est tnihi se\i {aculiaiDni,
seu corporis vel animi virium, In rc tam nobîli libenteret
alacri animo expcndcrc non vcrcor, hoc prssertini tempore
quo silcnt arma, ncc datur vînuu suo fungi munere, nisi si
in Turcas raucrones nosiros convcrlcrirous. Scd est quod
viilius pro re Chrisiiana faciamus. si populos islos laiissimè
patentes in Occidcnuli pldga ad Dei cognilionem adducere
conemur. Non cnim armorum vi sunt ad religionctn cogcndi.
Verbo tantùm et doctrina est opus, juncta bonorum morum
disciplina : quibus ârtibus olim Apostoli, sequenlîbus signis,
maximam hominum partem sibi, Deoque, et Christo ejus
concilia vcrunt : itaque vemcn extiiii illud quod scriplum
est : Popuiiis quem non cognovi servivit miliL, m atiditu aarn
obedivit mihi, etc. Filii alim menuti suni mihi, etc. (2). Filii
quidem alieni sunt populi Orientales jam à fide Christiana
alienij in quos prop!etea torqueri potesi illud Evangeiii quod
jam adimpletum videmus : Aaferetur à vùbi regntim Dei, et
dabitur genîi facienti Jructas ejus (j). Nunc auiem ecce tem-
pus acccptabile, ecce nunc dies salutîs, qua Dcus vîsilabit
et faciet rcderoplionem J plebis suœ, et populus qui eum 61 5
non cognovit serviet ipsi, sed et în auditu auris obediel, si
(1) Exod. 19, vers. 4.
(2j Psalm. 17, vers. 41.
[}) MaUh. 21, ttn. 4).
17-
586 Histoire DE la Novvelliî-France.
me indignum servum tanti tnuneris ducem esse patiator.
Qua in re Beatiiudinis vestrée chariiaiem per viscera mUeri-
cordioc Dei nostri deprecor^ auctoritatem ùnploro , adjuro
sanctitatcm, vL mibî ad illud opus janijam properami, vxori
charissimse, ac Uberis ; necnon domeslicis, sociïsque meis,
vestram benedictionem impertiri dignemini, quara ccrta fide
credo nobis plurimuni ad saluiera non solùm corporis, sed
etiam animae, addo et ad lerne nosirae vbeitatem et proposiii
nostri feticitatem, profutunim. Faxît Deus Optimus Maxi-
raus j Faxit Dominus noster cl Salvator lesus Christus, Faxiî
vnà et Spiriîus sanctus, vi in altissima Princîpis Apostolo-
rum puppi sedentes per multa saecula Ecclesi^ sanclae
clavura tenere possitis, ei in diebus vestris (quae vestra sanè
maxima gloria est) illud adimpletum videre quod de Christo
à sancto Propheta vaticinalum est : Adorabunt eam onuiet
Régies urrt : omnes génies serviciu ei (i).
Vestrx Bcatiladinis filins huraiilimut
»c devotissimus,
JOANNES DE BlENCOVB.
(i) Psalm. 71, vers 11.
FAR», tHPMHKRlB JQUAUST, RUB SAlNT^OHORl, }j8.
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