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Full text of "Histoire de la Nouvelle-France"

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HISTOIRE 



DE LA 



NOUVELLE-FRANCE 



HISTOIRE 

df: i.A 

NOUVELLE -FRANCK 

PAR MARC LESCARBOT 

SUIVIE DES 

MUSKS HK I.A N()i;\ KI.LK FHANCl- 

NOUVELLE ÉDITION 

PUBLIÉE PAR EDWIN TROSS 

AVEC (iUATHK CARTES CKOtlKAlIUliUES 



DEUXIÈME VOLUME 



PARIS 
LIBRAIRIE TROSS 

5, RUE NEO'VE-DES-PETITS-CHAMI'S, 5 
1866 




DE LA NOVVELLE- 

FRANCE 

Contenant les navigations, découvertes, et habi- 
tations faites par Tes François es Indes Occiden- 
tales et Nouvelle-France souz l'avœu et autho- 
rité de noz Roys Tres-Cb retiens , cl les diverses 
fortunes d'iceux en l'exécution de ces choses , 
depuis cent ans jusques à hui. 

En quoy est comprise l'Histoire Morale , Naturele et Geo - 

graphique de ladite province; Avec les Tables 

et Figures d'ictUe. 

Par Marc Lescarbot, Advocat en Parlement , 
Témoin oculaire d'vne partie des choses ici recitées. 

MuUa reaojctntar qaitjcm cecidtrt csdtntqut. 

Seuiule Edîiion, revcuè, conigéc ei augmcatte pu l'Autheur. 

Avec les Mases de la Nouvelle - France. 



SECONDE PARTIE. 



lUPSïXÉ 

POUR LA LIBRAIRIE TROSS, A PARIS 




Histoire de la Notvbllb-Francb. 29t 




Il CcBtmc le Capilaine lacques Quartur pan dt la rivière dt 
Saguenay pour chercha vn port , et s'arrête à Saincte- 
Croix. Poissons inconetu. GriinJes Tortacs. lU aux Coudrts. 
Ile d*OrUans. Rapport de la terre da pais. Accueil des Fran- 
çois par les Sauvages, Harangue des Capitaines Sauvages. 

Chàp. Xll. 

AtssOKS maintenant le sieur Cfaamplein 
faire la Tabagie, et discourir avec tes Saga- 
mot AnadabijoiL et BezoUatj et allons repren- 
dre le Capitaine lacques (Quartier, lequel 
nous veut mener ù-mont la rivière de Canada jusques 
â Saincte-CroiXf lieu de sa retraite, où nous verrons 
quelle chère on lui fit, et ce qui lui avint parmi ces 
peuples nouveaux (j'enten nouveaux, parce qu'avant 
lui jamais aucun n'estoit entre seulement en celte 
rivière). Voici donc comme il poursuit. 

Le deuxième jour de Septembre nous sortîmes de 
ladite rivière pour faire le chemin vers Canada, et 
trouvâmes la marée fort courante et dangereuse, pour 
ce que devers le Su de ladite rivière y a deux iles A 
Pentour desquelles a plus de trois lieues n'y a que 
deux ou trois brasses semées de groz perrons comme 
tonneaux et pippcs, et les marées décevantes par entre 
lesdites ilesi de sorte que cuidames y perdre nôtre 
gaillon, sinon le secours de noz || barques, et à U 
choiste desdits plateis {c'est à dire, à la cheate desdits ro- 
chers) y a de profond trente brasses et plus. Passé la- 
dite rivière de Saguenay et lesdites iles, environ cinq 



3o9 





tgi 



ÏTOIRE 



3ii 



lieues versleSuroÛest,y a vne autre île vers leNort, 
aux cotez ile laquelle y a de moult hautes terres, le 
travers desquelles cuiJames poser l'ancre pourcstal- 
1er l'Ebe, et n'y peumes trouver le fond ù six vingts 
brasses et vn trait d'arc de terre, de sorte que fumes 
contraints de retourner dans ladite ilc, ou posâmes 
trente-cinq brasses et beau fond. 

Le lendemain au matin fimes voiles et appareil- 
lames pour passer oqtre, et eûmes conolssance d'vne 
sorte de poissons, desquels il n'est mémoire d'homme 
avoir veu ni ouï. Lesdits poissons sont aussi gros 
comme Moroux, sans avoir aucun estoc, et sont assez 
faits par le corps et tête de la façon d'vn lévrier, aussi 
blancs comme neige, sans aucune tache, et y en a 
moult grand nombre dedans ledit fleuve, qui vivent 
entre la mer et l'eau douce . Les gens du païs les nom- 
ment AdhothaiSy et nous ont dit qu'ils sont fort bons à 
manger, et si nous ont affirme' n'y en avoir en tout 
ledit fleuve ni païs qu'en cet endroit. 

Le sixi(;me jour dudit mois, avec bon vent, limes 
courir à-mont ledit fleuve environ quinze lieues, et 
vînmes poser à vne ilequi est bort à la terre du Nort, 
laquelle fait vne petite baye et couche de terre, à la- 
quelle y a vn nombre inestimable de i^randes tortues, 
qui sont les environs d'icelle ile. Pareillement || par 
ceux du païs se fait (£s environs d'icelle ile grande 
pêcherie des Adhoîlms ci-devant écrits. 11 y a aussi 
grand courant es environs dcladiteilej comme devant 
Bourdcaux, de flot etebe (i). Icelle ile contient en- 



[i) Ftot, c'esi truand \a mer vieni et remonte en dessus; tbe^ 
^oand elle se retire. 



oc LA N0VVKL^B•FRAKCE. 



39> 



viron trois lieues de long et deiix de large, et est vne 
fort bonne terre et grasse, pleine de beaux et grands 
arbres de plusieurs sortes ; et entre autres y a plusieurs 
Coudres franches que trouvâmes fort chargez de noî- 
zilles aussi grosses et de meilleure saveur que les 
nôtres, mais vn peu plus dures. Et par cela nom- 
mâmes Vile es Coadres. 

Le septième jour dudit mois, jour de Nôtre Dame, 
après avoir ouï la Messe, nous parûmes de ladite ile 
pour aller à-mont ledit fleuve , et vînmes à quatorze 
ilcs qui estoient distantes de ladite Ile es Coudres de 
sept à huit licuës, qui est le commencement delà 
terre et province de Canada ; desquelles y en a vne 
grande environ dix lieues de long et cinq de lai^e, 
ûQ il y a gens demourans qui font grande pêcherie 
de tous les poissons qui sont dans ledit fleuve selon 
les saisons, dequoy sera fait ci-apres mention. Nous 
cstans posez et â l'ancre entre iccllc grande ile et la 
terre du Nort, fumes à terre et portâmes les deux 
hommes que nous avions prin sic précèdent voyage (i), 
et trouvâmes plusieurs gens du pais, lesquels com- 
mencèrent â fuir, et ne voulurent approcher jusques 
à ce que lesdits deux hommes commencèrent à parler 
et leur dire qu'ils estoient Tai^^uragni et Domagaya: et 
lorsqu'ils !i eurent L-onoissance d'eux , commencèrent 
à faire grand' chère, dansans et faisans plusieurs cé- 
rémonies, et vindrent partie des principaux à noz 
bateaux, lesquels nous apportèrent force anguilles, 
et autres poissons, avec deux ou trois charges de gros 
mil, qui est le pain duquel ils vivent en ladite terre, 

(i) Il n'est fait mention de ceci au précèdent voyage. 




3l2 



>94 



HrSTOIRE 



?i3 



et plusieurs gros melons. Et icelle journée vindrent à 
noz navires plusieurs barques dudit païs, chargées de 
gens tant hoounes que femmes pour faire chère à aoz 
deux hommes, lesquels furent tous bien receuz par 
ledit Capitaine, qui les fétoya de ce qu'il peut, ^t 
pour faire sa conoissance leur donna aucuns petits 
presens de peu de valeur, desquels se contentèrent 
fort. 

I^ lendemain, le Seigneur de Canada nommé Dofi' 
nacona en nom, et l'appellant pour seigneur Agouhanna, 
vint avec deux barques accompagné de plusieurs 
gens devant noz navires, puis en fil retirer en ar- 
rière dix, et vint seulement avec deux à bord desdits 
navire accompagné de seize hommes, et commenta 
ledit Agoiikanna le travers du plus petit de noz navires 
à faire vne prédication et prechement à kur mode en 
démenant son corps et membres d'vne merveÈlleuse 
sorte, qui est vne cérémonie de joye et asseurance. 
Et lors qu'il fut arrivé A la nef générale oQ estoient 
lesdits Taiguragny et Damagaya^ parla ledit Seigneur à 
eux, et eux à lui, et lui commencèrent à conter ce 
qu'ils avoient veu en France , et le bon traitement 
qui leur avoit esté fait, dequoy fut ledit Seigneur 
fort joyeux, et pria le Capitaine 1| de lui bailler ses 
bras pour les baiser et accoller , qui est leur mode de 
faire chère en ladite terre. Et lors ledit Capitaine 
entra dedans la barque dudit Agouhanna , et com- 
manda qu'on apportas! pain et vin pour faire boire 
et manger ledit Seigneur et sa bende. Ce qui fut fait. 
De quoy furent fort contens ; et pour lors ne fut 
autre présent fait audit Seigneur, attendant lieu et 
temps. Apres lesquelles choses faites se départirent 




autres, et prindrent congé, et se retira 
dit Agoahanna à ses barques, pour soy retirer et aller 
en son lieu. Et pareillement ledit Capitaine fit ap- 
porter noz barques pour passer outre, et aller à-mont 
ledit fleuve avec le flot pour chercher hable et lieu de 
sauveté, pour mettre les navires, et fumes outre ledit 
fleuve environ dix lieues côtoyans ladite ilc, et au 
bout d'icelle trouvâmes vn affourc d'eau fort beau et 
plaisant, auquel lieu y a vne petite rivière, et hahle 
de barre marinant de deux i\ ti-ois brasses, que trou- 
vâmes lieu à nous propice pour mettre nosdites na- 
vires àsauvet<î. Nous nommâmes ledit lieu Sajnctk- 
Croix, par ce que ledit jour y arrivâmes. Auprès d*i- 
celui lieu y a vn peuple dont est Seigneur ledit Don- 
riacona et y est sa demeure, laquelle se nomme Stada- 
coné , qui est aussi bonne terre qu'il soit possible de 
voir et bien fructiferante, pleine de moult beaux ar- 
bres de la nature et sorte de France , comme Chênes, 
Ormes, Fraines, Noyers, Pruniers, Ifs, Cèdres, 
Vignes, Aubépines, qui portent fruit aussi gros 
que prunes de Damas, et autres ar- [[ bres, souz 
lesquels croit aussi bon Chanvrcquc celui de France, 
lequel vient sans semence ni labeur. Apres avoir vi- 
sité ledit lieu , et trouvé estre convenable, se retira 
ledit Capitaine et les autres dedans les barques pour 
retourner aux navires. Et ainsi que sortîmes hors la- 
dite rivière, trouvâmes au devant de nous l'vn des 
seigneurs dudit peuple de Stadaconé , accompagné de 
plusieurs gens tant hommes que femmes, lequel 
Seigneur commença à faire vn prechement à la façon 
et mode du païs, qui est joye et asseurancc, et les 
femmes dansoient et chantoient sans cesse estans en 



314 




J. 



l'eau jusques aux genoux. Le Capitaine voyant leur 
bon amour et bon vouloir, fit approcher la barque oO 
il estoit, et leur donna des couteaux et petites pate- 
nôtres de verre, dequoy menèrent vne mer^'eilleuse 
joyei de sorte que nous estans départis d'avec eux, 
distans dVne lieuë ou environ, les oyons chanter. 
danser, et mener fête de notre venue. 



3i 5 II Retour du Capitaine laofues Quartier à l' (le d" Orléans, par Im 
nommée l'Ile de Bacchus, et ce qu^ily trouva. Balises fi- 
chées au port Saificte-Croix. Forme à*alliance. Navire mis à 
sec peur hiverner. Saava^es ne trouvent bon (jue le Capi- 
taine aille en Hochelaga. Etonnemtnt d'iceax au bourdon- 
nement des canons. 

Chap. XHl. 



A saison s*avançoit dcs-ja fort et pressoit 
le Capitaine lacques Quartier de cher- 
cher vne retraite pour l'hiver , ce qui le 
faisoït hâter, se trouvant en païs inconeu, 
où jamais aucun Chrétien n'avoil esté. Puis il vou- 
loit voir vne fin à la découverte de cette grande ri- 
vière de Canada^ dans laquelle jamais nos mariniers 
îi'estoient entrez, cuidans (à cause de son incroyable 
largeur) que ce fust vn golfe ; et pour ce ledit Capi- 
taine Quartier ne s'arrêta gueres ni en la rivière de 
Saguenay^ ni es iles aux Coudres et d'Orléans (ainsi 
s'appelle aujourd'hui celle où il mit à terre les deux 
Sauvages qu'il avoit r'amenés de France). Il passa 



D8 LA NoVTELLE-FllAMCB. 



197 



chemi 



perdi 



mps , et ayant rencontré 
vn lieu assez commode pour loger ses navires (ainsi 
que nous avons n*a guercs veu;, il délibéra de s'y 
arrêter. Et ayant laissé lesdites navires en ladite ile 
d*Orleans , il les retourna qucrir, comme nous ver- 
rons par la suite de son histoire, laquelle il continue 
ainsi. 

Il Apres que nous fumes arrivez auec les barques 3i6 
ausditz navires j et retournez de la rivière Saincte- 
Croix , le Capitaine commanda apprêter lesdites bar- 
ques pour aller à terre à ladite ile voir les arbres (qui 
sembloient à voir fort beaux) et la nature de la terre 
d*icelle. Ce qui fut fait. Et estant à ladite ile, la trou- 
vâmes pleine de fort beaux arbres , comme Chênes. 
Ormes, Pins, CeJres, et autres bois de la sorte 
des nôtres, et pareillement y trouvâmes force vignes, 
ce que nous n'avions veu par ci-devant en toute 
la terre. Et pour ce la nommâmes nie de Bacchus. 
Icelle ile tient de longueur environ douze Heuês, 
et est moult belle terre et vnie, pleine de bois, sans 
y. avoir aucun labourage, fors qu'il y a petites mai- 
sons, oCi ils font pêcherie, comme ci-devant est fait 
mention. 

Le lendemain partîmes avec nosdîts navires pour 
les mener audit lieu de Sainctc-Croix, et y arrivâmes 
le lendemain quartorzitimc dudit mois; et vindrent 
au devant de nous Icsditz Donnacona, Taigura^ni et Do- 
magaya ^ avec vîngt-cinc] barques chargées de gens, 
lesquels venoient du lieu d'oti estions partis, et al- 
loient suâ\tStiidaconé, oii es-t leur demeurance ; et vin- 
drent tous à noz navires faisans plusieurs signes de 
joye, fors les deux hommes qu^avîons apportés, sça- 




19* 



ISTOIftE 



voir Taiguragm et Domagaya, lesquels estoient tout 
changez de propos et de courage, et ne voulurent en- 
trer dans nosdits navires , nonobstant qu'ils en fus- 
sent plusieurs fois pri-^z , dequoy eûmes aucune def- 
3 17 fiance. Le Capitaine || leur demanda s'ils vouloient 
aller (comme ils lui avoicnt promis) avec lui à 
Hochdaga, et ils répondirent qu'ouy, et qu'ils es- 
toient deliberejB d'y aller, et alors chacun se retira. 
Et le lendemain , quinzième dudit mois, le Capi- 
taine, accompagne de plusieurs de ses gens, fut à terre 
pour faire planter balises et nierchcs pour plus seu- 
rement mettre lesnavires à seureté. Auquel lieu trou- 
vâmes et se rendirent au devant de nous grand 
aombre des gens du pais, et entre autres Icsdits Don- 
nacùnuy noz deux hommes et leur bende, lesquels se 
ttndrent à part souz vne pointe de terre qui est sur 
le bord, dudit fleuve, sans qu'aucun d'eux vint en- 
viron nous, comme les autres qui n'estoient de leur 
hende faisoient. Et après que ledit Capitaine lut averti 
qu'ils y estoient, commanda à partie de ses gens aller 
avec lui, et furent vers eux souz ladite pointe, et 
trouvèrent ledit Donnacona, Tatgurrigni , Domagaya et 
autres. Et après sestre entre-saluez, s'avança ledit 
Taigaragni de parler, et dit au Capitaine que ledit sei- 
gneur Donmcona estoit marri dont ledit Capitaine et 
ses gens poitoient tant de bâtons de guerre, parce 
que de leur part n'en portoient nuls. Aquoy répondit 
le Capitaine que pour sa marison ne laisseroit à les 
porter, et que c'estoit !a coutume de France , et qu'il 
le sçavoit bien. Mais pour toutes ces paroles ne lais- 
sèrent lesdirs Capitaine et Donnacona de faire grand' 
chère ensemble. Et lors apperceumes que tout ce que 



disoît ledit Taigaragni ne venoit que de lui et son 
compagnon. | Car avant de partir dudii lieu firent 
vne asseurance ledit Capitaine et Seigneur de sorte 
merveilleuse. Car tout le peuple dudit Donnacona en- 
semblement jetterent et firent trois cris à pleine voix, 
que c'estoit chose horrible à ouïr. Et à tant prin- 
drent congé les vnsdes autres. 

Le lendemain , seizième dudit mois, nous miroeit 
noz deux plus grandes navires dedans ledit bable et 
rjvjere, où il y a de pleine mer trois brasses, et de 
basse eau demie-brasse, et fut laisse le galHon dedans 
la rade pour mener à Hocheiaga. Et tout încontînenl 
que lesdits navires furent audit hable à sec, se trou- 
vèrent devant lesdits navires lesdits Donnacona, Taigu- 
ragni et Domagaya , avec plus de 5oo. personnes, tant 
hommes, femmes qu'enfans. Et entra ledit seigneur 
avec dix ou douze autres des plus grands person- 
nages, lesquels furent par ledit Capitaine et autres 
fétoyez et receuz selon leur état, et leur furent donnez 
aucuns petits presens ; et fut par Ta'igaratinx dit audit 
Capitaine que ledit seigneur estoit marri dont il al- 
loit  Hochehga (t), et que ledit seigneur ne vouloît 
point que lui qui parîoit allât avec lui , comme il 
avoir prorais, parce que la rivière ne valoit rien (c'est 
vne façon de parier des Sauvages , pour dire qa'eïle est dange- 
rease, comme de vérité elle ist, passé le liea de Sainae-Crcix). 
A quoy fit réponse ledit Capitaine, que pour tout ce 
ne laisseroit y aller s'il lui estoit possible, parce qu'il 
avoit commandement du Roy son maitrc d'aller au 

(i ) Hochelaga es.! le païs au Nort de la graode rivière, à l'en- 
droit du Sàul. 



3iS 



J 



366 



Histoire 



jig plus avant qu'il lui seroit possi- |i ble ; mais si ledit 
Taignragniy vouloit aller, comme il avoit promis, qu'on 
lui feroit présent de quoy il feroit content et grand* 
cherc , et qu'ils ne feroient seulement qu'aller voir 
Hockeiaga, puis retourner, Aquoy répondit ledit Tai- 
guragni qu'il n'iroit point. Lors se retirèrent en leurs 
maisons. 

Le lendemain, dix-septiérae dudit mois, ledit Don- 
nacona et les autres revindrent comme devant, et ap- 
portèrent force anguilles et autres poissons, duquel 
* se fait grande pêcherie audit fleuve, comme sera ci- 
apres dit. Et lors qu'ils furent arrivez devant nosdits 
navires, ils commencerentâ danser et chanter comme 
ils avoient de coutume. Et après qu'ils eurent ce fait, 
fit ledit Donnacona mettre tous ses gens d'vn côté, et 
fit'vn cerne sur le sablon , et fit mettre ledit Capi- 
taine et ses gens, puis commença vne grande ha- 
rangue tenant vne fille d'environ de laage de dix ans 
en l'vne de ses mains, puis la vint présenter audit 
Capitaine, et lors touttrs les gens dudit Seigneur se 
prindrent à faîretroisciisen signe dejoye et alliance, 
puis derechef présenta deux petits garçons de moindre 
aage l'vn après l'autre, desquels firent telz cris et cé- 
rémonies que devant. Duquel présent fut ledit Sei- 
gneur par ledit Capitaine remercié. Et lors Taiguragnî 
dit audit Capitaine que la tille estoît la propre fille 
de la sœur dudit Seignuur. eî l'vn des garçons frère 
de lui qui parloit; et qu'on les lui donnoit sur l'in- 

330 tentioii qu'il n'ailat point || A Hochelaga. Lequel Capi- 
taine répandit que si on les lui avoit donnés sur cette 
intention, qu'on les reprînt, et que pour rien il ne 
laisseroit à aller audit Hochelagat parce qu'il avoit 



DE LA NoTTEULB-FraNCB. 3o| 

commandement de ce faire. Sur lesquelles paroles 
DomagaySy compagnon àuAit Taigaragny, d'il audit Capi- 
taine que IcditSeigncurlui avoit donné lesditsent'ans 
pour bon amour et en signe d'asscurance, et qu'il 
estoit content d'ailer avec ledit Capitaine a Hochdaga : 
dcquoy eurent grosses paroles Ic&dits Taigiiragm et 
Domagaya. Dont apperceumes que ledit Tuiguragni ne 
valoit riens, et qu'il ne songeoit que trahison, tant 
parce, qu'autres mauvais tours que nous lui avions 
veu faire. Et sur ce ledit Capitaine fit mettre tesdits 
cnfans dedans les navires, et apporter deux espces, 
vn grand bassin d'airain plain , et vn ouvré à laver 
les mains, et en ât présent audit Oonnacona, qui fort - 
s'en contenta et remercia ledit Capitaine, et com- 
manda à tous ses gens chanter et danser; et pria le 
Capitaine de faire tirer vne pièce d'artillerie, parce 
que Tuiguragni et Domagaya lui en avoienl fait fcîc, et 
aussi que jamais n'en avoient veu ni ouï. Lequel Ca- 
pitaine répondit qu'il en estoit content , et commanda 
tirer vne douzaine de bargucs avec leurs boulets le 
travers du bois qui estoit joignant Icsdils navires et 
hommes Sauvages; dcquoi furent tous si étonnez 
qu'ils pensoient que le ciel lust cheu sur eux, et se 
prindrcnt à hurler et hucher si tresfort, qu^il sem- 
bloit qu'enfer y fust vuidc. El auparavant qu'ils se 
retirassent, ledit Taigu- [| ragni fit dire par inierposccs 32i 
personnes que les compagnons du gallion, lesquels 
estoicnt en la rade, avoient tué deux de leurs gens de 
coups d'artillerie, dont se retirèrent tous si à grand 
hâte qu'il sembloit que les voulussions tuer.. Ce qui 
ne se trouva vérité, car durant ledit jour ne fut dudît 
gallion tiré artillerie. 




302 



Histoire 



Ruse inepte des Sauvages poar diiourner le Capitaine Jaojues 
Quartier du voyage tn Hochelaga. Comme iis figurent le 
diable. Départ du sieur CItampiein de Tadoassac pour aller 
à Saincie-Croix. Nature et rapport du pais. Ile d'Orléans. 
Kebec. Diamans audit Kebec. Rivière de Batiscan. 

Chap. XIV. 




, E ne trouve point en tout ce discours le su- 
ijet pourqLioy les Sauvages de Canada habi- 
'tuez prûs Suincte-Croix ne voulaient point 
que le Capitaine Quartier allât en Hochelaga, 
qui est vers le saut de la grande rivière. Neantmoins 
je pense que c'estoient leurs ennemis, ci pour ce n'a- 
voient point ce voyage agréable, ou bien ils crai- 
gnoient que ledit Capitaine ne les abandonnât, et 
allât demeurer en Hochelaga. Et pour ce, voyans que 
pour leurs beaux ieux icelui Capitaine ne vouloit 
point dilïerer son entreprise, ils s'avisèrent d'vne 
ruse grossière (de vérité; envers nous, qui sommes 
322 armez du bouclier de la foy, mais qui || n*est point 
impertinente entre eux et leurs semblables. Voici 
donc ce que l'Autheur en dit, 

Le dix-huitiéme jour dudit mois de Septembre, 
pour nous cuider toujours empêcher d'aller à Hoche- 
laga, songèrent vue grande rinesse, qui fut telle: Ils 
lirent habiller trois hommes en la iaçon de trois dia- 
bles, Icsquelz estoient vêtus de peaux de chiens noirs 
et blancs, et avoient cornes aussi longues que le bras. 




DE LA INOVVELLB-r RANGE. 

et estoient peints par le visage de noir comme char- 
bon, et les tirent mettre dans vnc de leurs barques A 
nôtre non sceu. Puis vindrent avec leur bende comme 
avolent de coutume auprez de noz navires, et se 
tindrent dedans le bois sans apparoitre environ deux 
heures, attendons que Thcure et mai ée fust venue pour 
l'arrivée de ladite barque, â laquelle heure sortirent 
tous et se présentèrent devant nosdites navires sans 
eux approcher ainsi qu'ils souioicnt faire. Et com- 
menta Taiguragni à saluer le Capitaine, lequel lui de- 
manda s'il vouloit avoir le bateau. A quoy lui répon- 
dit ledit Taiguragni que non pour l'heure, mais que 
tantôt il entreroit dedans lesdits navires. H( inconti- 
nent arriva ladite barque, où estoient Icsdils trois 
hommes apparoissans eslre trois diables, ayans de 
grandes cornes sur leurs têtes, et laisoit celui du mi- 
lieu, en venant, vn merveilleux sermon, et passèrent 
le long de noz navires avec leurditc barque, sans 
aucunement tourner leur vcu£ vers nous, et allèrent 
assener et donner en terre avec leurdite barque, et 
tout II incontinent ledit Donnaccna et ses gens prin- 
drent ladite barque et lesdits hommes, lesquelz s'cs- 
toient laisse choir au loiid d'icelle, comme gens morts, 
et portèrent le tout ensemble dans les bois, qui estoit 
distant desdites navires d'vn jet de pierre, et ne de- 
meura vne seule personne que tous ne se retirassent 
dedans ledit bois. Et eux estans retirez comman- 
cerent vne prédication et preschement que nous oyons 
de noz navires, qui dura environ demie-heure. Apres 
laquelle sortirent ledit TaiguTagm et Domagaya dudit 
bois marchans vers nous ayons les mains jointes et 
leurs chapeaux souz leurs coudes, faisans vne grande 



323 




3 04 



Histoire 



324 



admiration. Et commença ledit Taiguragni à dire et 
proférer par trois fois lesus, Icsus, Icsus, levant les 
yeux vers le cicl(i). Puis Domagaya. commiinça à dire, 
lesus Maria, Jacques Quartier, regardant le ciel 
comme l'autre. Et le Capitaine voyant leurs mines 
et cérémonies leur commença à demander qu'il y 
avoit, et que c'estoit qui esioit survenu de nouveau ; 
lesquelz répondirent qu'il y avoit de piteuses nou- 
velles, en disant, Ncnni est il bon [c'est à dire qu'elles 
ne âOnt point bonnes.] Et le Capitaine leur de- 
manda derechef que c'estoit. Et ils lui dirent que 
Caàoaagm (2) avoit parle à Hochclaga^ et que les trois 
hommes devant dits esloient venus de par lui leur 
annoncer les nouvelles , et qu'il y avoit tant de 
glaces et neiges, qu'ils mouroient tous. Desquelles 
paroles nous primes tous à rire, et leur dire que 
Cadoaagni n'estoît qu'vn sot, et qu'il ne sçavolt qu'il 
disoit, et qu'ils le |] disent à ses messagers, et que 
Icsus les garderoit bien du froid s'ils lui vouloient 
croire. Et lors ledit Taiguragni et son compagnon de- 
mandèrent audit Capitaine s'il avoit parlé à lesus. 
Et il leor répondît que ses Hreires y avoîent parlé, 
et qu'il teroit beau temps. Dequoy remercièrent fort 
ledit Capitaine, et s'en retournèrent dedans le bois 
dire les nouvelles aux autres, lesquels sortirent dudit 
bois tout incontinent fuignans cstre joyeux desdites 
paroles. El pour montrer qu'ils en cstoient joyeux, 
tout incontinent qu'ils furent devant les navires 
commencèrent dVne commune voix ù faire trois cris 



( I ) Il avoit appris cette façon de parier en France. 
(a) Dieu des Canadiens. 



■ 



et heurlemens, qui csi leur signe Je Joye, et se prin- 
drent à danser et chanter comme avoientdc coutume. 
Mais par resolution lesdits Taigurjgni et Domagaya di- 
rent audit Capitaine que ledit Donnaconn ne vouloit 
point que nul d'eux allât A Hochdaga avec lui s'il ne 
bailloil plcgc qui demeurât à terre avec ledit Donna- 
cona A quoy leur répondit le Capitaine que s'ils 
n'estoieni délibérez y aller de bon courage, qu'ils de- 
meurassent, et que pour eux ne latrroient mettre 
peine à y aller. 

Or devant que notre Capitaine iacques Quartier 
s'embarque pour faire son voyage, allons quérir le 
sieur Champlcin, lequel nous avons laissé à Tadoussac 
entretenant les Sauvages de discours Thcologlques. 
Nous le laisserons en garnison à Saincte-Croix, tan- 
disque ledit Capitaine fera la découverte de la grande 
rivière jusques au saut à iiûckeiagn ; et en venant par 
aventure remarquerons-nous avec lui || quelques 
partie ula ri te2 que nous n'avons pas veuiis : car je n'es- 
time point qu'il y ait peu fait d'avoir remarqué et 
comme poniillê jusques aux petites roches et battures 
qui sont dans la rivière pour la seuretc des navigans, 
et à tin qu'en moins de temps ils puissent pénétrer 
partout, marchans souz cette conduite comme sur vn 
chemin tout frayé. Il dit donc ; 

Le Mercredy dix-huictîéme jour de luin nous par- 
limes de Tadoussac pour aller au Saut. Nous passâmes 
pi*és d'vne ile qui s'appelle Tile du Lièvre, ^jui peut 
estre à deux lieues de la terre el bende du Nort, à 
quelque sept lieuësdudit Tadoussac, et àcinq lieuCs 
de la terre du Su. De Tlle du Lièvre nous rcngeames 
la côte du Nort, environ demie-lieuë, jusques à vne 



335 





3o6 



HiSTOlKB 



pointe qui avance à la mer, où il faut prendre plus 
au large. Ladite pointe est à. vne lieuë d'vne ile qui 

s'appelleriteauxCoudres, qui peut tenirenviron deux 
lieues de large, et de ladite ile d. la terre du Nort il y 
a vnc lieuC. Cette île est quelque peu vnie, venant en 
amoindrissant par les deux bouts. Au bout de l'Ouest 
il y a des prairies et pointes de rochers qui avancent 
quelque peu dans la rivière. Elle est quelque peu 
agréable pour les bois qui l'environnent. Il y a force 
ardoise, et y est la Icrrc quelque peu graveleuse; au 
bout de laquelle il y a vn rocher qui avance â la mer 
environ demie-lieuë. Nous passâmes au Nort de la- 
dite ile, distante de l'Ile au Lièvre de douze lieues. 
326 Le leudy ensuivant nous en partîmes et {| vînmes 
mouiller l'ancre à vne ance dangereuse du côté du 
Nort, où il y a quelques prairies, et vne petite rivière, 
où les Sauvages cabanenl quelquefois. Gedil jour, 
rengeans toujours ladite côte du Nort, jusques â vn 
lieu où nous relâchâmes pour les vents qui nous es- 
toient contraires, où il y avoit force rochers et lieux 
fort dangereux, nous fumes trois jours en attendant 
le beau temps. Toute cette côte n'est que montagnes 
tant du côté du Su que du côté du Nort, la pluspart 
ressemblant à celle du Saguenay. 

LeDimanchevingt-deuxiéme jourduditmois, nous 
en partîmes pour aller à l'Ile d'Orléans, où il y a 
quantité d'iles à la bcnde du Su, lesquelles sont bas- 
ses, et couvertes d'arbres, semblans estre fort agréa- 
bles, contenans (selon que j'ay peu juger) ks vnes 
deux lieues, et vne lieuë, et autres demie: Autour de 
ces ites ce ne sont que rochers et basses fort dange- 
reux à passer, et sont éloignez quelque deux lieues 




de la grand' terre du Su. Et de là vinmens renger à 
l'Ile d'Orléans du côté du Su. Elle ést à vne lieu* 
de la terre du Nort, fort plaisante et vnie, contenant 
de long huit Iieuc5. La côte de la terre du Su est 
terre basse, quelque deux lieuës avant en terre; 
lesdltes terres commencent à cstrc basses à l'en- 
droit de ladite ile, qui peut estre à deux lieuës de 
la terre du Su. A passer du côte du Nort, il y fait 
fort dangereux pour les bancs de sable et rochers qui 
sont entre ladite île et la grand' terre, et assèche 
préque toute la basse mer. Au || bout de ladite ile '\c 
vis vn torrent d'eau qui débordoït de dessus vne 
grande montagne de ladite rivière du Canada, et 
dessus ladite montagne est terre vnie et plaisante à 
voir, bien que dedans lesdites terres l'on voit de 
hautes montagnes qui peuvent estre à quelque vingt 
ou vingt-cinq lieuës dans les terres^ qui sont pro- 
ches du premier Saut du Saguenay. Nous vînmes 
mouiller l'ancre à f^ebec, qui est vn détroit de la- 
dite rivière de Canada, qui a quelque trois cens pas 
de large. Il y a à ce détroit du cûté du Nort vne 
montagne assez haute qui va en abaissant des deux 
cotez. Tout le reste est païs vnl et beau, oti il y a de 
bonnes terres pleines d'arbres comme chênes, cyprez, 
bôuUes, sapins et trembles, et autres arbres fruitiers 
sauvages et vignes : qui fait qu'à mon opinion si elles 
estoient cultivées elles seroieni bonnes comme les 
nôtres. Il y a le long de la côte dudit Kebec des dia- 
mans dans des rochers d'ardoise, qui sont meilleurs 
que ceux d'Alençon. Dudit Kebec jusques à l'Ile aux 
Coudrcs il y a vingt-neuf lieuës. 
Le Lundi vingt- troisième dudit mois nous par- 




337 




^ 



3o8 



HCSTOIRC 



times de Xffrfc , où la rivière commence à s'élargir 
quelquefois dVne lieuë, puis de lieuë et demie ou 
deux lieues au plus. Le pais va de plus en plus en 
embellissant. Ce sont toutes terres basses, sans ro- 
chers, que fort peu. Le côté du Nort est rempli de 
rochers et bancs de sable, ît faut prendre celui du 
Su comme d'vne demie-lieuë loin de terre. II y a 
328 quelques petites jf rivières qui ne sont point navi- 
gables, si ce n'est pour les canots des Sauvages, aus- 
quelles îl y a grande quantité de sauts. Nous vînmes 
mouiller l'ancre jusques à Saincte-Croix , distante de 
Kebec dç quinze lieues. C'est vnc pointe basse qui va 
en haussant des deux côiez. Le païs est beau et vni , 
et les terres meilleures qu'en lieu que jeusse veu ^ 
avec quantité de bois, mais fort peu de sapins et cy- 
prez. U s'y trouve en quantité de vignes, poires, noï- 
settesj cerises, grozelles rouges et vertes, et de cer- 
taines petites racines de la grosseur d'vne petite noix, 
ressemblant au goust comme treffes , qui sont très- 
bonnes rôties et bouïllies. Toute cette terre est noire, 
sans aucuns rochers, sinon qu'il y a grande quantité 
d'ardoise; elle est fort tendre, et si elle estoit bien 
cultivée, elle seroit de bon rapport. Du côté du Nort 
il y a vnc autre rivière qui s'appelle BAÛscan, qui va 
fort avant en terre, par o£i quelquefois les Algounie- 
quins viennent; et vne autre du même côté, à trois 
lieues dudit Saincte-Grois sur le chemin de ii-ebet:, 
qui est celle oU fut lacques Quartier au commence- 
ment de la découverture qu'il en fit . et ne passa point 
plus outre. 



DSLaNÔv V KL LE- F R X N C K. 



log 



I Voyagedu Capitaine laajius Quartur àHocheh^a. Nature 32g 
et fruits du pais. Réception des François par tes Sauvages. 
Abondance de vignes et raisins. Grand lac. Rats musfjues. 
Arrivée en Hochelaga. Merveilleuse réjouissance desdits 
Sauvages. 

Chap. XV. 

N Poëte Latin, parlant des langues et die- 
tions qui périssent bien souvent, et se 
remettent sus selon tes humeurs et vsages 
des temps, dit fort bien : 

Multa renascentur qu<i jam cecidere^ cadtnîque (i). 

Ainsi est-il des faits de plusieurs personnages, des- 
quels la mémoire se pert bien souvent avec les hom- 
mes et sont frustrez de la loOnnge qui leur appar- 
tient. Et pour n'aller chercher des exemples externes, 
le voyage de nôtre Capitaine lacqucs Quartier, depuis 
Saincte Croix jusques au saut de la grande rivière, 
estoit inconeu en ce temps ici , les ans et les hommes 
(car Belle- Forest n'en parle point) lui eu avoicnt ravi 
la louange, si bien que le sieur Champlein pensoit 
csrre le premier qui en avoit gaigné le prix. Mais il 
taul rendre à chacun ce qui lui appartient, et suivant 
ce, dire que ledit Champlein a ignoré rhistoire'du 
voyage dudït lacques Quartier,^ etj neantmoins ne 



i) Horace, en son Art poetiqat. 




tïô 



lïSTOÎRE 



laisse point d'estre loUable en ce qu'il a fait. Mais je 

330 m'éton- |I ne que le sieur du Pont , Capitaine hantant 
dés long temps les Terres-neuves, et conducteur de 
la navigation dudit Champlein, lequel a esté habitant 
de Sainct-Malo, ait ignoré cela. Or, pour ne nous 
amuser, voilà la description du voyage dudit Quartier 
au-dessus du port de Saincte-Croix. 

Le dix-neufiéme jour de Septembre nous appareil- 
lames et fimes voile avec le galîion et les deux bar- 
ques pour aller avec la marée à-mont ledit fleuve^ où 
trouvâmes avoir des deux cotez d'icelui les plus belles 
et meilleures terres qu'il soit possible de voir, aussi 
vnies que l'eau , pleines des plus beaux arbres du 
monde, et tant de vignes chargées de raisins le long 
du fleuve, qu'il semble mieux qu'elles y ayent esté 
plantées de main d'homme qu'autrement. Mais 
pource qu'elles ne sont cultivées ni taillées, ne sont 
lesdits raisins si doux , ne si gros comme les nôtres. 
Pareillement nous trouvâmes grand nombre de mai- 
sons sur la rive dudit fleuve, lesquelles sont habitées 
de gens qui font grande pêcherie de tous bons pois- 
sons selon les saisons, Et venoient en noz navires en 
aussi grand amocr et privante que si eussions esté du 
païs , nous apportans force poisson et de ce qu'ils 
avoient pour avoir de nôtre marchandise, tendans les 
mains au ciel, faisans plusieurs cérémonies et signes 
de joye. Et nous estans posés environ à vingt-cinq 
lieues de Canada, en vn lieu nommé Achelad , qui est 
vn détroit dudit fleuve, fort courant et dangereux 

33 1 tant de pierres que d'autres choses, |] là vindrent plu- 
sieurs barques à bord, et entre autres y vint xr\ grand 
Seigneur du païs, lequel fit vn grand sermon en ve- 



DE I.A NovvEi.LE- France. 



3ii 



nant et arrivant d bord , montrant par signes evidens, 
avec les mains et autres cérémonies, que ledit fleuve 
cstoit vn peu plus ù-mont fort dangereux , nous 
avertissant de nous en donner garde. Et présenta 
celui Seigneur au Capitaine deux de ses enfans à don, 
lequel print vne HUe de l'aage d'environ huit à neuf 
ans, et refusa vn petit garçon de deux ou trois ans, 
parce qu'il cstoit trop petit. Ledit Capitaine festiva 
ledit Seigneur et sa bcndc de ce qu^il peut, et lui 
donna aucun petit présent, duquel remercia ledit 
Seigneur le Capitaine, puis s'en allèrent â terre, 
D'cmpuis sont venus celui Seigneur et sa femme voir 
leur fille jusqucs à Canada j et apporter aucun petit 
présent au Capitaine. 

D'cmpuis ledit jourdix-neuâeme jusques au vingt- 
huitième dudit moisnousavons esté navigans â-mont 
ledit fleuve, sans perdre heure ni jour, durant lequel 
temps avons veu et trouvé aussi beaucoup de païs et 
terres aussi vnics que l'on sçauroit désirer, pleines de 
beaux arbres du monde , sçavoir chênes , ormes , 
noyers, pins, cèdres, prucheS, fraines, boulles, sauls, 
ozicrs, et force vignes (qui est le meilleur), lesquelles 
avoient si grande abondance de raisins, que les com- 
pagnons (c'est à dire les matelots) en venoient tous char- 
gez à bord. Il y a pareillement force grues, cygnes, 
outardes, oyes, cannes, aloQettes, faisans, perdris, 
merles, mauvis, tourtrcs, chardonnerets, se- || rins, li- 
nottes, rossignols et autres oyseaux comme en Fran- 
ce, et en grande abondance. 

Ledit vingt-huitième dcSeplerabre nous arrivâmes 
à vn grand lac et plaine dudit fleuve, large d*environ 
cinq ou six lieues, et douze de long. Et navigames ce 




33a 



3l3 



Histoire 



333 



jour à-mont ledit lac sans trouver par tout iceluî que 
deux brasses de parfond également sans hausser ni 
baisser. Et nous arrivans à IVn des bouts dudit lac, 
ne nous apparoissoit aucun passage ni sortie , ains 
nous sembloit icelui estre tout clos, sans aucune ri- 
vière, et ne trouvâmes audit bout que brasse et demie, 
dont nous convint poser et mettre Pancre hors, et 
aller chercher passage avec nos barques, et trouvâmes 
qu'il y a quatre ou cinq rivières toutes sortantes du- 
dit fleuve en icelui lac, et venantes dudit Hochelaga. 
Mais en icelles ainsi sortantes y a barres et traverses 
faites par le cours de Teau, oii il n'yavoit pour lors 
quvne brasse de parfond, et lesdites barres passées y 
a quatre ou cinq brasses, qui estoit le temps des plus 
petites eaux de l'année, ainsi que vimcs par les flois 
desdl tes eaux qu'elles croissent de plus de deux brasses 
de pic. 

Toutes icelles rivières circuissent et environnent 
cinq ou six belles iles qui font le bout d'icelui lac, 
puis se rassemblent environ quinze lieues à-mont 
toutes en vne. Celui jour nous tûmes à l'vne d'icelles, 
où trouvâmes cinq hommes qui prenoient des bétes 
sauvages, lesquels vindrent aussi privément à noz 
barques que s'ils nous eussent vcuz toute leur |[ vie, 
sans en avoir peur ni crainte. Et nozdites barques 
arrivées à terre, Vvn d'keux hommes print ledit Ca- 
pitaine entre ses bras, et le porta à terre ainsi qu'il 
eust fait vn enfant de six ans, tant estoit icelui 
homme fort et grand. Nous leur trouvâmes vn grand 
monceau de Rats sauvages qui vont en l'eau , et sont 
gros comme Connils^ et bons à merveilles à manger, 
desquels tirent présent audit Capitaine » qui leur 



donna des couteaux et patenôtres pour récompense. 
Nous leur demandâmes par signes si c'cstoit le che- 
min de Hochdaga, et ils nous répondirent qu'ouï, et 
quUl y avoit encore trois )ournces à y aller. 

Le lendemain vingt-neuHémc de Septembre, le Ca- 
pitaine, voianr qu*tl n'csioii possible de pouvoir pour 
lors passer ledit gallion, fit avictuailler et accoutrer 
les barques, et mettre victuailles pour le plus de temps 
qu'il fut possible et que lesdites barques en peurent 
accueillir, et se partant avec icelles accompagné de 
partie des Gentils-hommes, sçavoir de Claude du 
Pont-Briant. Eschanson de Monseigneur le Dauphin. 
Charles de la Pommerayc, lan Gouyon,et vingt-huit 
mariniers, y compris Macé ïalober et] Guillaume le 
Breton, ayant la charge souz ledit Quartier des deux 
autres navires, pour aller à-mont ledit fleuve au plus 
loing qu'il nous seroit possible. Et navigames de 
temps à gré jusques au deuxïiime jour d'Octobre, que 
nous arrivâmes à Hochelaga^ qui est distant du lieu où 
estoit demeuré le gallion d'environ quarante-cinq 
lîeuës. 

|] Durant lequel temps et chemin faisans, trou- 
vâmes plusieurs gens du pais qui nous apportèrent 
du poisson et autres victuailles, dansans et mcnans 
grand* joie de nùtrc venue. Kt pour les atrairc cî tenir 
en amitiii avec nous leur donnoit ledit Capitaine pour 
recompense des couteaux, patenôtres et autres me- 
nues bardes, dequoy se contentoient fort. Et nous 
arrivez audit Hochetaga, se rendirent audevant de 
nous plus de mille personnes tant hommes, femmes 
qu'enfans, lesquels nous lirent aussi bon recueil que 
jamais père fit à enfant , menans vne joye merveil- 




334 



i 



3i4 



H 



ISTOinE 



335 



leuse- Car les hommes en vne bende dancoient, et les 
femmes de leur part, et leurs enfans d'autre, lesquels 
nous apportoient force poisson et de, leur pain fait de 
gros mil, lequel ils jettoient dedans nozdîtes bar- 
ques, en sorte qu'il sembloit qu'il tombât de l'air. 
Voyant ce, le Capitaine desceniiit à terre accompagné 
de plusieurs de ses gens, et si-tôt qu'il fut descendu, 
s'assemblèrent tous sur lui et sur les autres, en fai- 
sans vne chère inestimable; et apportoient les femmes 
leurs enfans à brassëes pour les faire toucher audit 
Capitaine et es autres qui estoient en sa compagnie, 
en faisant vne fête qui dura plus de demie^heure, Et 
voyant ledit Capitaine leur largesse et bon vouloir, 
ifit asseoir et ranger toutes les femmes, et leur donna 
certaines patenôtres d'étain et autres menues beson- 
gnes; et â parlie des hommes des couteaux. Puis se 
retira à bord desdites barques pour soupper et passer 
la nuit, durant la- |j quelle demeura icelui peuple 
sur le bord dudit fleuve, au plus prés desdites bar- 
ques, faisans toute la nutt plusieurs feuz et danses, 
en disant à toute heures Aguiazé^ qui est leur dire 
du salut et joye. 




DE LA Novvkllk-Frawce. 3i5 



Comment Us Capitaines et îes CentÛs-homnus de sa compagnie, 
avec ses mariniers bien armez et en bon ordre, allèrent à la 
ville de Hochelaga. Situation du lieu. Fruits du pats. Ba- 
timens et manière de vivre des Sauvages. 

Chap. XVI. 

E lendemain au plus matin le Capitaine 
s*accoutra, et fit mettre ses gens en ordre 
pour aller voir la ville et demeurance du- 
dît peuple, cl vnc montagne qui est ja- 
cente à ladite ville, où allèrent avec ledit Capitaine 
les Gentils-hommes et vingt mariniers, et laissa le 
parsus pour la garde des barques, et print trois hom- 
mes de ladite ville de Hochelaga pour les mener et 
conduire audit lieu. Et nous estans en chemin, le 
trouvâmes aussi battu qu'il soit possible de voir.en 
U plus belle terre et meilleure plaine; des chênes 
aussi beaux qu'il y en ait en tbrest de France , souz 
lesquels estoit toute la terre couverte de glans. Et 
nous ayans fait environ lieuë et demie, trouvâmes 
sur le chemin l'vn des principaux seigneurs de ladite 
ville de Hochelaga, avec plusieurs per- j| sonnes, lequel 336 
nous fit signe qu'il se falloit reposer audit lieu prés 
vn feu qu'ils avoient fait oLidît chemin. Et lors com- 
mença ledit seigneur à faire vn sermon et preche- 
ment^ comme ci-devant est dit estre leur coutume de 
faire joye et conoissance, en faisant celui seigneur 
chcrc audit Capitaine et sa compagnie, lequel Capi- 



H 



tSTOIRE 



337 



tainc lui donna vne couple de haches et vne couple 
de couteaux, avec vne Croix et remembrance du Cru- 
cifix qu'il lui &t baiser, et le lui pendît au col. De- 
quoy il rendit grâce audit Capitaine. Ce fait, mar- 
châmes plus outre , et environ demie-lieuè de U 
commençâmes à trouver les terres labourées, et belles 
grandes campagnes pleines de blé de leurs terres, qui 
est comme mil de Brésil ^ aussi gros ou plus que 
pois, duquel ils vivent ainsi que nous faisons de fro- 
ment. Et au parmi d'icelles campagnes est située et 
assise ladite ville de Hocheiagn, prés et joignant vne 
montagne qui est à l'entour d'icelle, bien labourée et 
fort fertile, de dessus laquelle on voit fort loin. Nous 
nommâmes icellc montagne k Morit-Koyai. Ladite ville 
est toute ronde et close de bois à trois rangs, en façon 
dVne Pyramide croisée par le haut, ayant la rengée 
du parmi en façon de ligne perpendtculairej puis ren- 
gée de bois couchez de long bien joints et cousus à 
leur mode, et est de la hauteur d'environ deux lances. 
Et n'y a en icelle ville qu'vne porte et entrée, qui 
ferme à barres, sur laquelle et en plusieurs endroits 
de ladite clôture y a manières de galleries et échelles 
à y monter, lesquelles sont garnies de || rochers et 
cailloux pour la garde et deffense d'icelle, Il y a dans 
icelle ville environ cinquante maisons longues d'en- 
viron cinquante pas eu plus chacune, et douze ou 
quinze pas de large, toutes faites de bois, couvertes 
et garnies de grandes écorccs et pelures desdits bois, 
aussi larges que tables, bien cousues artificiellement 
selon leur mode ; et par dedans icelles y a plusieurs 
aires et chambres ; et au milieu d''icelles maisons y a 
vne grande salle par terre ou font leur feu et vivent 



ï 



en communauté, puis re retirent en leursdites cham- 
bres les hommes avec leurs femmes et enfans, 
et pareillement ont j;rcnicrsau haut de leurs maisons 
où. mettent Jeur blé, duquel ils font leur pain, qu'ils 
appellent Caracoai, et te font en la manière cî-aprcs. 
Ils outdcs piles de bois, comme à piler chanvre, et 
battent avec pilons de boïs ledit blé en poudre, puis 
l'amassent en pâte, et en font des tourteaux, qu'ils 
mettent sur vne pierre chaude, puis le couvrent de 
cailloux chauds, et ainsi cuiscut leur pain en lieu de 
tour. Ils font pareillement force potages dudit blc et 
de fèves et pois, desquels ils ont assez; et aussi de 
gros concombres et autres fruits. Ils ont aussi de 
grands vaisseaux comme tonnes en leurs maisons, oQ 
ils mettent leur poisson, sçavoir anguilles et autres, 
qui seichent à la fumée durant Tlitè, et vivent en 
Hiver, et de ce font vn grand amas, comme nous 
avons veu par expérience. Tout leur vivre est .sans 
aucun goût de sel, et couchent sur écorces de bois 
étendues sur la terre, avec ij méchantes couvertures 
de peaux, dequoy font leurs vétemens, sçavoir Loires, 
Bievrcs, Martres, Renars, Chats sauvages, Daims, 
Cerfs et autres sauvagines; mais la plus grande part 
d'eux sont quasi tout nuds. 

La plus précieuse chose qu'ils ayent en ce monde 
est Esurgni (i), lequel est blanc, et le prennent audit 
fleuve en Cornibots en la manière qui ensuit. Quand 
vn homme a deservi lu mort ou qu'ils ont prius au- 
cuns ennemis â k guerre, ils le tuent, puis Tincisent 



338 



(0 Voyez au liv. 6, oîi est parlé des ornements des Sanvages, 
qu'ils appellent Mutûibia. 




3i8 



HiSTOCRE 



par les fesses et cuisses, et par les jambes, bras et 
épauks à grandes taillades. Puis es lieux où est ledit 
Esurgni avallent kdii corps au fond de l'eau, et le lais- 
sent dix ou douze heures, puis le retirent à-mont, 
et trouvent dedans lesdites taillades et incisions les- 
dits Cornibots, desquels ils font des patenôtres, et de 
ce vstnt comme nous faisons d"'or et d'argent, et le 
tiennent la plus précieuse chose du monde. Il a la 
vertu d'étancher le sang des nazilles, car nous lavons 
expérimenté. Cedit peuple ne s'adonne qu'à labou* 
rage et pêcherie pour vivre. Car des biens de ce monde 
ne font compte, parce qu'ils n'en ont conoissance, et 
qu'ils ne bougent de leur pals, et ne sont ambula- 
toires comme ctuxdeCanada et duSagaemy, nonobstant 
que lesditsCainadiens leur soient sujets, syec huit ou 
neuf autres peuples qui sont sur ledit fleuve. 



DE LA NoVVKLLE-FrAHCE. 



3tg 



Iliimy^É Ju Capitaine Quartier à Hochelaga. Accueil et 
caresses à iai faites. Mahiies lut sont apportez pour les tou- 
cher. Mont-Royal. Saat de la grande rivière de Canada. 
Etat de ladite rivière entre ledit Saut. Mines. Armures de 
bçis, duquel ysent certains peuples. Regret de sa dipanie. 

Chap. XVII. 



339 



IN51, comme tûmes arrivés auprès d'icelle 
, viUe, se rendirent au devant de nous grand 
nombre des habitants d'icelle, lesquels à 
leur façon de taire nous tirent bon recueil, 
et par noz guides et conducteurs fumes remenez au 
milieu d'icelle ville, oti il y a vne place entre les mai- 
sons spacieuse d'vn jet de pierre en quarré, ou envi- 
ron, lesquelz nous firent signe que nous arrêtassions 
audit lieu, ce que nous limes, et tout soudain s'as- 
scmblcrent toutes les femmes et tilles de ladite ville, 
dont l'vnc partie cstoicnc chargées denfans entre 
leurs bras, qui nous vindrent baiser le visage, bras et 
autres endroits de dessus le corps oii ils pouvoient 
toucher, pleurans de joye de nous voir, nous faisans 
la meilleure chcrc qu'il leur estoït possible, en nous 
faisant signe qu'il nous pleust toucher leursdîts en- 
fans. Apres ces choses faites, les hommes tirent reti- 
rer les femmes, et s'assirent sur la terre à-l'entour de 
nous comme si eussions voulu jouËr vn mystère. Et 
tout II incontinent rcvjndrent plusieurs femmes qui 340 
apportèrent chacune, vnc natte quarrée en façon de 





320 



Histoire 



341 



lapisserie, et les étendirent sur la terre au milieu de 
ladite place, et nous firent mettre sur icelles. Apres 
lesquelles choses ainsi faîtes, fut apporte par neuf ou 
dix hommes le Roy et Seigneur du païs, qu'ils appel- 
lent en leur langue Agoahannûj lequel estoit assis sus 
vne grande peau de cerf, et le vindrent poser dans 
ladite place sur lesdites nattes prcsdu Capitaine^ en 
faisans signe que c'estoit leur Seigneur. Celui Agou- 
hanaa estoit de l'aage d'environ cinquante ans, et n'es- 
toit point mieux accoutré que les autres, fors qu*il 
avoit à l'entour de sa tête vne manière de liziere rouge 
pour sa Corone, faîte de poil d'hérissons, et estoit 
celui Seigneur tout perclus et malade àz ses mem- 
bres. Apres qu'il eut £iit son signe de salut audit 
Capitaine et à ses gens, en leur faisant signes évtdens 
qu'ils fussent les bien venus, il montra ses bras et 
jambes audit Capitaine, le priant les vouloir toucher, 
comme s'il lut eust demandé guerison et santé. Et 
lors te Capitaine commença à lui frotter les bras et 
jambes avec les mains; et print ledit Agoiihanna la 
liziere et Corone qu'il avoit sur sa tête, et la donna 
audit Capitaine. El tout incontinent furent amenés 
audit Capitaine plusieurs malades, comme aveugles, 
borgnes, boiteux, impotens, et gens si très-vieux, que 
les p;iupieres des ïeux leur pendoient sur les joues: 
et seoicnt et couchaient prés ledit Capitaine pour les 
loucher : tellement qu'il sembloit que Dieu fust là 
des- Il cendu pour les guérir. Ledit Capitaine voyant 
la pitic et loy de cedit peuple, dit l'Evaugile saîncC 
Jean, sçavoîr Vin prindi-na, faisant le signe de la Croix 
sur les pauvres malades, priant Dieu qu'il leur don- 
nât conoissance de nôtre saincle Foy, et de la passion 




nôtre Sauveur, el grâce de recouvrer Oiréticnt^ et 
Bapréme. Puis print ledit Capitaine vne paire d'Heu- 
res, et tout hautement leut mot à mot la Passion de 
nôtre Seigneur, si que tous les assistons la pcurenc 
ouïr, oh tout ce pauvre peuple tit vn grani silence, 
et furent merveilleusement bien cntendibles, regar- 
dans le ciel et taisans pareilles cérémonies qu^ils nous 
voyoicnt faire. Apres laquelle ât ledit Capitaine ran- 
ger tous les hommes d'vn côté, les femmes d'vn 
autre, et ies entans d'autre, et donna es principaux 
et autres des couteaux et des bachots, et es femmes 
des patenôtres et autres menues choses; puis jctta 
parmi la place entre lesdits cnlans des petites bagues 
et Agnits Dei d^etain, dequoy menèrent vne merveil- 
leuse joye. Ce lait, le Capitaine commanda sonner 
les trompettes et autres instrumens de Musique, de- 
quoy ledit peuple fut fort rejouï. Apres lesquelles 
choses nouîi primes congé d*cux, et nous retirâmes, 
Voyans ce, les femmes se mirent au devant de nous 
pour nous arrêter et nous apporteront de leurs vivres, 
lesquels ils nous avoienc apprêtez, sçavoir poisson, 
potages, levés, pain, et autres choses, pour nous cui- 
der faire repaitre, et dîner audit lieu. Et pource que 
lesdits vivres n'estoicnt à nôtre goust, et |I qu'il n*y 342 
avoit goust de sel, les remerciâmes, leur faisans signe 
que n'avions besoin de rcpaitre. 

Apres que nous fumes sortis de ladite ville, fumes 
conduits par plusieurs hommes et femmes d'icelle 
sur la montagne derant dite, qui est par nous nona- 
mêe Mont-Koyal, distant dudit lieu d'vn quart de 
lieufi. Et nous estaiis sur ladite montagne, eûmes 
conoîssance de plus de trente lieues à l'environ d'i- 




32 î 



Histoire 



343 



celle, dont il y a vers le Nort vnc rangée de mon- 
tagnes, qui sont Est et Ouest gisantes, et autant vers 
le Su ; entre lesquelles montagnes est la terre la plus 
belle qu'il soit possible de voir, labourable, vnie et 
plaine ; et par le milieu desdites terres voyons ledit 
fleuve outre le lieu oti estoient demeurées nozdites 
barques, où il y a vn Saut d'eau le plus impétueux 
qu'il soit possible de voir, lequel ne nous fut possible 
de passer, et voyons ledit fleuve tant que l'on pou- 
voit regarder grand, large et spacieux, qui alloit au 
SuroUest, et passoit par auprès de trois belles mon- 
tagnes rondes que nous voyons, et estimions qu'elles 
estoient à environ quinze Heiiës de nous; cl nous fut 
dit et montré par signes par les trois hommes qui 
nous avoient conduit, qu'il y avoit trois itieux Sauts 
d'eau audit Beuve comme celui où estoient nozdites 
barques; mais nous ne peumes entendre quelle dis- 
tance il y avoit entre l'vn ei l'autre. Puis nous mon- 
troient que lesdits Sauts passez, Ton pouvoll navi- 
guer plus de trois lunes {c'est à dire trois mois) par ledit 
fleuve. Et là-dessus me souvient que || DonnacûnHf 
seigneur des Canadiens, nous a dit quelquefois avoir 
esté à vne terre où ils sont vne lune à aller avec 
leurs barbues depuis Canada jusL]ues à ladite terre, en 
laquelle il y croit force canelle et girofle, Et appellent 
ladite canelle AdoUihuiy le girofle CanQnotha. Et outre 
nous montroient que le long desdites montagnes 
estant vers le Nort y a vne grande rivière qui des- 
cend de l'Occident comme ledit fleuve. Nous esti- 
mons que c*est la rivière qui passe par le royamc et 
province du Sagasnay. Et sans que leur fissions au- 
cune demande et signe, prindrent la chaîne du sifflet 



DE LA Novvellr-Franck. ia3 

du Capitaine qui est d'argent, et va manche de poi- 
gnard qui csloit de laiton jaune comme or, lequel 
estoit au côté de l'vn de nez mariniers, et montrèrent 
que cela venoit d'ù-mont ledit fleuve, et qu'il y ovoil 
des Agojada, qui est à dire mauvaises gens, qui e$- 
loient armez jusques sur les doigts, nous montrans 
la façon de leurs armures, qui sont de cordes et bois 
lassez et tissus ensemble, nous donnans à entendre 
que lesdits Agojuda menoient la guerre continuelle les 
vns es autres; maïs par défaut de langue ne pcumes 
avoir conoissance combien il y avoit jusques audit 
pals. Ledit Cupitaioc leur montra du cuivre rouge, 
quMls appellent Cdigaedazéj leur montrant vers ledit 
lieu, et demandant par signe s'il venoït de là. Ils 
commenccrcni à secoQer la tête disans que non, et 
montrans qu'il venoit de Sagninay^ qui est au con- 
iraire du précèdent. Apres lesquelles choses ainsi 
vcuès et II entendues nous rctiratucs à. doz barques, 3^4 
qui ne fut sans avoir conduite de grand nombre du- 
dit peuple, dont partie d'eux quand venoient noz 
gens las les chargeoient sur eux comme sur chevaux, 
cl les portoicnt. Et nous arrivez à noz barques fimes 
voiles pour retourner à aôtre gallion pour doute 
qu'il n'eust aucun encombrlcr. Lequel parlement ne 
fut sans grand regret dudit peuple. Car tant qu'ils 
nous peurent suivir à val ledit Heuve, ils nous sui- 
virent. Et tant fumes que nous arrivâmes â nâiredit 
gallion le Lundi quatrième jour d'Octobre. 




3m 



Histoire 



Retour de laajues Quanier au port de Saincte-Croix, après avoir 
esté à Hochelaga. Sauvages gardeiii les télesde leurs enm- 
rrns. Les Toudamas, ennemis des Canadiens. 



Cbap. XVIIÏ. 

E Mardi cinquième jour dudit mois d'Oc- 
tobre, nous fîmes voiles et appareillâmes 
avec nôtredit gallion et barq^ues pour re- 

_ tourner à la province de Canada, au port 

de Saincte-Croix, où e^toicnt demeurez nosditz na- 
vires, et le septième jour nous vînmes poser le tra- 
vers d'vne rivière qui vient devers le Non sortant 
audit fleuve, à l'entour de laquelle y a quatre petites 
iles, et pleines darbres. Nous nommâmes icclle ri- 
345 viere la Rivieu de Fouez (je crois qu'il nut dire \\ Foix). Et 
pource que l'vne d'icelles iles s'avance audit fleuve, 
et la voit-on de loin, ledit Capitaine fit planter vne 
belle Croix sur la pointe d'icelle, et commanda ap- 
porter les barques pour aller avec marée d<;dans icelle 
rivière, pour voir le parfond et nature d'icelle. Et na- 
gèrent celui jour à-mont ledit fleuve. Mais parce 
qu'elle fut trouvée de nulle expérience, ni profonde, 
retournèrent, et appareillâmes pour aller à-val. 

Le Lundy vnziéme jour d'Octobre, nous arrivâmes 
au hable de Saincte-Groix, où estoient noz navires, 
et trouvâmes que les Maîtres et mariniers qui estoient 
demeurés avoient fait vn Fort devant lesdits navires 




;rosses pièces de bois plantées debout 
joignant les vncs aux autres, et tout A l'entour garni 
d'artillerie, et bien en ordre pour se défendre contre 
tout le païs. Et tout incontinent que le Seigneur du 
païs fut averti de nôtre venue, vint le lendemain ac- 
compagné de Taîguragnif Domagaya et plusieurs autres 
pour voir ledit Capitaine, et lui firent vnc merveil- 
leuse fête, feignans avoir grand" joye de sa venue, 
lequel pareillement leur fit assez bon recueil, toute- 
fois qu'ils ne l*avotent pus dcscrvi. Le Seigneur Don- 
nacona pria le Capitaine d'aller le lendemain voir à 
Canada. Ce que lui promit ledit Capitaine. Et le len- 
demain, treizième dudit mois, ledit Capitaine, ac- 
compagné des Gentils-hommes et de cinquante Com- 
pagnons bien en ordre, allèrent voir ledit Donnacofin 
et son peuple, qui est distant du lieu oit cstoïent noz 
navj- II res de demie-lieuë, et se nomme leur dcmcu- 
rance Stadaconé. Et nous arrivés audit lien, vindrent 
les habitans au devant de nous loin de leurs maisons 
d'vn jet de pierre, ou mieux, et là se rangèrent er 
assirent à leur mode et façon de fairL-, les homïnes 
d'vne part et les femmes de l'autre, debout, chantans 
et dansans sans cesse. Et après qu'ils s'entrefurent 
saluez et fait cherc les vas aux autres, le Capitaine 
donna es hommes des couteaux et autre chose de 
peu de valeur, et fit passer toutes les femmes et filles 
pardevant lui, et leur donna A chacune vne bague 
d'étain, dequoy ils remercièrent ledit Capitaine, qui 
fut par ledit Donnacona et Tûigaragni mené voir leurs 
maisons, lesquelles estoîcnt bien étorées de vivres 
selon leur sorte pour passer leur hiver. Et fut par 
ledit Donnacona montré audit Capitaine les peaux de 



346 




UB 



Histoire 



H? 



cinq têtes d'hommes étendues sur des bois, comme 
peaux de parchemin; et nous dit que c*estoil des 
Toudatnas de devers le Su, qui leur menoient conti- 
nuellement la guerre. Outre nous fut dît qu'il y a 
deux ans passez que lesdits Toudamas les vindrent 
assaillir jusques dedans ledit fleuve, â vne ile qui est 
le lavers du Saguenay, où ils estoient â passer la nuit 
tendans aller à Hongnedo leur mener guerre avec en- 
viron deux cens personnes tant hommes, femmes 
qu'enfans, lesquels furent surpris en dormant dedans 
un Fort qu'ils avoient fait, oti mirent lesdits Touda- 
mas le feu tout à l'entour, et comme ils sortoient les 
ruèrent tous, reservez cinq qui échappèrent. De la- 
quelle Il détrousse se plaignent encore fort, nous 
montrans qu'ils en auroient vengeance. Apres les- 
quelles choses veu£s nous retirâmes en noz navires. 




voyage , et particuiUremeiU la riv'ure , le peuple et le pats 
des Iroi^uois. 



AR le rapport des quatre derniers chapitres 
nous avons veu que (contre l'opinion du 
sieur Champlein) le Capitaine lacques 
Quartier a pénétré dans la grande rivière 
jusques où il est possible d'aller. Car de gaigner le 
dessus du Saut, qui dure vnc lieue, tombant toujours 
ladite rivière en précipices et parmi les roches, il n'y 
a pas de moyen avec bateaux. Aussi le même Cham- 
plein ne l'a point fait et ne recite point de plus 
grandes merveilles de cette rivière que ce que nous 
avons entendu par le récit dudit Quartier. Mais il ne 
nous faut pas pourtant négliger ce qu'il nous en a 
laissé par écrit. Car on pourroit par aventure accuser 
iceluy Quartier d'avoir fait à croire ce quMI auroit 
voulu , et par le témoignage et rap- |] port d'vn qui 
ne s^voit point la vérité de ses découvertes la chose 
sera mieux confirmée. Car En la bouche de deux ou trois 
témoins toute parole sera resoiac et arrêtée (i). loint qu'en 
vn voyage de quelque deux cens lieuës qu'il y a de- 



34S 



9, vers. ij. 




^ 



3x8 



Histoire 



349 



puis Sainclc-Croix jusques audit Saut, ledit Cham- 
plein a remarqué des choses à quoy ledit Quartier 
n'a point pris garde. Oyons donc ce qu'il dit en la 
relation de son voyage. 

LeMercredy vingt-quatrième jour du mois de luin, 
nous partîmes dudit Saincte-Croix, où nous retar- 
dâmes vne marée et demie, pour le lendemain pouvoir 
passer de jour, à cause de la grande quantité de rochers 
qui sont au travers de ladite rivière (chose étrange à 
voir), qui assèche préque toute la basse naer; mais à 
demi-flot l*on peut commencer à passer librement, 
toutes fuis i! faut y prendre bien garde, avec la sonde 
à la main, l.a mer y croit prés de trois brasses et 
demie. Plus nous allions en avant et plus le pais est 
beau. Nous fumes à quelque cinq lieues et demie 
mouïllcr l'ancre à la bende du Nort. Le mercredi en- 
suivant nous partîmes de ccdit lieu, qui est païs plus 
plat que celui de devant, plein de grande quantité 
d'arbres comme à Saincte-Croix. Nous passâmes prés 
d'vne petile ile qui estoit remplie de vignes, et vînmes 
mnuïller l'ancre à la bende du Su, prés d'vn petit co- 
teau, maïs estant dessus, ce sont terres vnîes. Il y a 
vne autre petite ile îl trois lieuës de Saîncte-Croix, 
proche de la terre du Su. Nous partîmes le leudî en- 
suivant dudit coteau, cl passâmes prés d'vne petite 
ile II qui est proche de la bende du Nort, où je fus à 
quelque six petites rivières, dont il y en a deux qui 
peuvent porter bateaux assez avant, et vne autre qui 
a quelque trois cens pas de large : à son entrée il y ;i 
quelques iles, et va fort avant dans terre. C'est la 
plus creuse de toutes tes autres, lesquelles sont fort 
plaisantes à voir, les terres estant pleines d'arbres qui 



ressemblent à des noyers et en ont la même odeur; 
mis je n'y ay point veu de fruit, ce qui me met en 
doute. Les Sauvages m'ont dit qu'il porte son fruit 
comme les nôtres. Passant plus outre, nous rencon- 
trâmes vne ile, qui s*appellc Sainct-Eloyy et vne autre 
petite île, laquelle est tout proche de la terre du Nort. 
Nous passâmes entre ladite ile et ladite terre du 
Nort, où il y a de l'vnc à l'autre quelque cent cin- 
quante pas. De ladite Ile jusques à la bende du Su 
vne lieuë et demie passâmes proche dVnc rivicrc ob 
peuvent aller les canots. Toute cette côle du Nort est 
assez bonne. L'on y peut aller librement^ neantmoins 
la sonde à la main , pour éviter certaines pointes. 
Toute cette côte que nous rengeames est sable mou- 
vant, mais entrant quelque peu dans les bois la terre 
est bonne. Le Vendredi ensuivant nous partimesde 
cette ile, côtoyans toujours la bende du Non tout 
proche terre, qui est basse et pleine de tous bons ar- 
bres, et en quantité jusques aux (rois rivières, où il 
commence d'y avoir température de temps quelque 
peu dissemblable à celuy de Saïncle-Croix, d'au- 
IJ tant que les arbres y sont plus avancez qu'en aucun 35o 
lieu que j'eusse encore veu. Des trois rivières jusques 
à Saincte-Croix il y a quinze lieues. En cette rivière 
il y a six iles, trois desquelles sont fort petites, et les 
autres de quelque cinq A six cens pas de long, fort 
plaisantes et fertiles, pour le peu qu'elles contiennent. 
Ilyena vne au milieu de ladite rivicrc qui regarde le 
passage de celle de Camuia , et commande aux autres 
éloignées de la terrCj tant d'vn côté que d'autre, de 
quatre à cinq cens pas. Elle est élevée du côté du Su, 



^ 



\ 



33o 



Histoire 



35 1 



et va quelque peu en baissant du côté du Nort. Ce 
seroit à. mon jugement vn lieu propre pour habiter, 
et pourroit-on le fortifier prompteraent, car sa situa- 
lion est forte de soy, et proche d'vn grand lac qui n'en 
est qu'à quelque quatre lieues, lequel préque joint 
la rivière du Saguenay^ selon le rapport des Sauvages 
qui vont prés de cent lieues au Nort et passent 
nombre de Sauts, puis vont par terre quelque cinq ou 
six lieues, et entrent dedans vn lac d'où ledit Saguenay 
prend la meilleure part de sa source, et lesdits Sau- 
vages viennent dudit lac à Tadoassac. Aussi que l'ha- 
bitation des trois rivières seroit vn bien pour la 
liberté de quelques nations qui n'osent venir par là, 
ù cause desdits /roijutiii leurs ennemis, qui tiennent 
toute la rivière de C^iiaii.i bordée; mais estant habité, 
on pourroit rendre lesdits {roquoïs et autres Sauvages 
amis, ou tout le moins souz la faveur de ladite habi- 
tation lesdits Sauvages viendroient librement sans 
crainte et dan- 1! ger, d'autant que ledit lieu des trois 
rivières est vn passage. Toute la terre que je vis à 
ÏA terre du Nort est sablonneuse. Nous entrâmes en- 
viron vne lieuë dans ladite rivière, et ne peumcs 
passer plus outre, .^ cause du grand courant d'eau. 
Avec vn esquif nous fumes pour voir plus avant, 
mais nous ne lïmes pas plus d'vne lieuë que nous 
rencontrâmes vn Saut d'eau fort étroit, comme de 
douze pas, ce qui fut occasion que nous ne peumes 
passer plus outre. Toute la lerre que je vis au bord 
de ladite rivière va en haussant de plus en plus, qui 
est remplie de quantité de sapins et cyprez, et fort 
peu d'autres arbres. 



Le Samedi ensuivant nous partîmes des trois ri- 
vières et vînmes mouïller Tancre à vn lac (i) où il y 
a quatre lieues. Tout ce païs, depuis les trois rivières 
)U8qucs à l'entrée dudit lac, est terre â fleur d*eau, 
ft du côté du Su quelque peu plus haute. Ladite terre 
est tres-bonnc et la plus plaisante que nous eussions 
encores veuê; les bois y sont assez clairs, qui Tait que 
Pon les pourroit traverser aisément. Le lendemain. 
vingt-neu6cme de luin, nous entrâmes dans le lac, 
qui a quelque quinze lieuËs de long et quelque sept 
ou huit licuës de large. A son entrée du côté du Su, 
environ vne lieue, il y a vnc rivière qui est assez 
grande, et va dans les terres quelque soixante ou 
quatre vingts lieues , et , continuant du même côté, il 
y a vne autre petite rivière qui entre environ deux 
lieues en terre , et sort de dedans vn autre petit lac 
qui peut contenir quelque trois ou quatre || lieues du 
côté du Nort , otj la terre y paroist fort haute, on voit 
jusques à quelque vingt lieues, mais peu à peu les 
montagnes viennent en diminuant vers l'Ouest 
comme païs plat. Les Sauvages disent que la pluspart 
de ces montagnes sont mauvaises terres. Ledit lac a 
quelque trois brasses d'eau {2) par où nous passâmes, 
qui fut préque au milieu. La longueur gît d'Kst et 
Ouest , et la largeur du Nort au Su. Je croy qu'il ne 
laisseroit d'y avoir de bons poissons, comme les es- 
pèces que nous avons par-decà. Nous le traversâmes 
en ce même jour et vinmes mouïller Tancre environ 



352 



(i) Ce lac est décrit par laccjaes Quartier ci-dessus, chap 1 j, 
(2) Jacques Quartier n'en ra«t que deux et demie, mais c'esloit 
en octobre. 




A 



333 



Histoire 



353 



deux iieuës dans la rivterc qui va au haut, A l'entrée 
de laquelle il y a trente petites iles; selon ce que j*ay 
peu voir, les vnes sont de deux iieuës . d'autres de 
lieuë et demie, El quelqucs-vnes moindres, lesquelles 
sont remplies de quantité de Noyers, qui ne sont 
gueres differens des nôtres, et croy que les noix en 
sont bonnes en leur saison. l'en vis en quantité souz 
tes arbres, qui estoient de deux façons, les vnes petites 
et les autres longues, comme d'vn pouce, mais elles 
csloient pourries. Il y a aussi quantité de vignes sur 
le bord desdttes iles; mais quand les eaux sont gran- 
des, la pluspart d*icelles sont couvertes d'eau ; et ce 
païs est encore meilleur qu'aucun autre que j'eusse 
veu. Le dernier de luin, nous en partimes, et vînmes 
passer à l'entrée de la rivière des iroijaois, où estoient 
cabancz et fortifiez les Sauvages qui leur alloient 
faire la guerre. Leur fortci-esse est faite de quantité 
de bâtons fort pressés les vns contre les autres , la- 
II quelle vient joindre d'vn côté sur le bord de la 
grand' rivière, et l'autre sur le bord de la rivière Ats 
hoqaoïs^ et leurs canots arrengez les vns contre les 
autres sur le bord, pour pouvoir promptement fuir. 
si d'aventure ils sont surprins des !rocfaois; car leur 
forteresse est couverte d'écorce de chênes, et ne leur 
sert que pour avoir le temps de s'embarquer. Nous 
fumes dans la rivière des Iro^uois quelque cinq ou six 
Iieuës, et ne peumes passer plus outre avec nôtre bar- 
que, à cause du grand cours d'eau qui descend, et 
aussi que l'on ne peut aller par terre el tirer la barque 
pour la quantitéd'arbres qui sont sur le bord. Voyans 
ne pouvoir avancer davantage, nous primes nôtre 
esquif, pour voir si le courant estoit plus addoucy; 



I 



• 



mais allant â quelque deux lieues, il estoit encore 
plus fort, et ne peumes avancer plus avant. Ne pou- 
vans faire autre chose, nous nous en retournâmes en 
nôtre barque. Toute cette rivière est large de quelque 
trois à quatre cens pas, fort saine. Nous y vîmes cinq 
lies, distantes les vnes des autres d'vn quart ou de 
deroielieuë, ou d'vnc lieuë au plus; vne desquelles 
contient vne lieue, qui est la plus proche, et les au- 
tres sont fort petites. Toutes ces terres sont couvertes 
d'arbres, et terres basses, comme celles que j'avois 
vcu auparavant , mais il y a plus de sapins et cj-prez 
qu'aux autres lieux. La terre ne laisse d'y estre bonne 
bien qu'elle soïl quelque peu sablonneuse. Cette ri- 
vière va comme au SuroUest. Les Sauvages disent qu'a 
quelque quinze licuës d'où || nous avons esté, il y a vn 
Saut qui vient de tort haut, où ils portent leurs ca- 
nots pour le passer environ vn quart de lieuë, et en- 
trent dedans vn lac, où à l'entriie il y u trois iles; et 
estans dedans^ ils eu rencontrent encores quclques- 
vnes. Il peut contenir quelque quarante ou cinquante 
lieues de long, et de large quelque vingt-cinq Ueufe, 
dans lequel descendent quanticé de rivières, jusques 
au nombre de dix , lesquelles portent canots assez 
avant. Puis venant à la lin dudit lac, 11 y a vn autre 
Saut, et rentrent dedans vn autre lac qui est de la 
grandeur dudit premier, au bout duquel sont cabanez 
les iroijuoii. Us disent aussi qu'il y a vne rivière qui 
va se rendre à la cote de la Floride, d'où il y peut 
avoir dudit dernier lac quelque cent ou cent quatre 
Lieues. Tout le païs des lro*}tiois est quelque peu mon- 
tagneux, neantmoJns tres-bon, tempère, sans beau- 
coup d'hiver, que fort peu. 




354 




334 



Histoire 



Arrivée au Saut. Sa description rt ze qai s'y void de remar- 
quable, avec le rapport des Sauvages touchant h fin ou pius' 
tôt l'origine de la grande rivière, 

Chap. XX. 




V partir de la rivière des IroquoiSy nous 
fumes moûilkr l'ancre â trois lieues de Jâ, 
,à la bcnde du Norr. Tout ce pais est vnc 
: terre basse, remplie de toutes les sortes 
d'arbres que j'ay dit ci-dessus. Le premier jour de 
;*55 Iwillet, jl nous côtoyâmes la bendedu Nort, où lebois 
y est fort clair, plus qu'ea aucun lieu que nous eus- 
sions encores vcu auparavant, et toute bonne terre 
pour cultiver, le me mis dans vn canot ù la bcnde du 
Su, où je veis quantit»; d'îles, lesquelles sont fort 
fertiles en fruits, comme vignes, noix, noisettes, et 
vne manière de fruit qui semble à des châtaignes, 
cerises, chênes, tremble, pible, houblon, frcne, érable, 
hêtre, cyprez, fort peu de pins et sapins. Il y a aussi 
d'autres arbres que je ne conois point, lesquels sont 
fort agréables. Il s'y trouve quantité de tVaizes, fram- 
boises, grozelles rouges, vertes et bleuËs. avec force 
petits fruits qui y croissent parmi grande quantité 
d'herbages. 11 y a aussi plusieurs bétcs sauvages, 
comme orignacs, cerfs, biches, daims, ours, porc- 
épics, lapins, renards, castors, loutres, rats musquez, 
et quelques autres sortes d'animaux que je ne conois 
point, lesquels sont bons à manger, et dequoy vivent 



DE LA NoTVBLLE- France. 



335 



les Sauvages. Nous passâmes conirc vne ile qui est 
fort agréable, et contient quelque quatre licuôs de 
long, et environ demie de large, le vcis à la bendc 
du Su deux hautes montagnes, qui paroissoient 
comme à quelque vingt Heuës dans les terres. Les 
Sauvages me dirent que c'cstoit le premier saut de la 
rivière des Iroquois. Le Mercredi ensuivant, nous 
partîmes de ce lieu, et timcs quelque cinq ou six 
lieues, noua vimcs quatitilc d'îles. La (erre y est fort 
basse, et sont couvertes de bois, ainsi que celles de la 
rivière des Iroquois. Le jour ensuivant, || nous ùmes 
quelques licuës, et passâmes aussi par quantité dau- 
tres lies qui sont très- bonnes et plaisantes, pour la 
quantité des prairies qu'il y a, tant du côté de la 
terre ferme que des autres iles ; et tous les bois y sont 
fort petits, au regard de ceux que nous avions passé. 
En fin nous arrivâmes cedit jour à l'entrée du saut, 
avec vent en poupe, et rencontrâmes vne ile qui est 
préque au milieu de ladite entrée, laquelle contient 
vn quart de lieue de long ; et passâmes â la bende du 
Su de ladite île, oCi il n'y avoit que trois à quatre ou 
cinq pieds d'eau, et aucunes ibis vne brasse ou deux, 
et puis tout â vn coup nous n'en trouvions que trois 
ou quatre pieds. Il y a force rochers, et petites iles, 
où il n'y a point de bois, et sont à fleur d'eau. Du 
commencement de la susdite ile, qui est au milieu 
de ladite entrée, l'eau commence â venir de grande 
force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne 
peumcs-nous en toute nôtre puissance beaucoup 
avancer^ toutefois nous passâmes ladite Île, qui est à 
l'entrée dudit saut. Voyans que nous ne pouvions 
avancer, nous vinmes uaouïller Tancrc à la bende du 



1 



336 



I8TOIHB 



Non, contre \'ne petite île qui est fertile en la plus- 
part des fruits que j'ay dît ci-dessus. Nous appareil- 
lâmes aussi tôt nôtre esquif, que Ton avoit fait faire 
exprés pour passer ledit saut : dans lequel nous en- 
trames ledit sieur du Pont et moy, avec quelques 
autres Sauvages que nous avions menez pour nous 
montrer le chemin. Parians de nôtre barque, nous 
ne fumes pas à trois cens pas, qu'il nous lallut des- 
357 cendre, et quelques Mate- |j lots se mettre à l'eau pour 
passer nôtre esquif. I.e canot des Sauvages passoit 
aisément. Nous rencontrâmes vne infinité de petits 
rochers qui estoîcnt à tleur d'eau, où nous touchions 
souventefois, et des iles en grand nombre, grandes et 
petites, voire .si grand, qu'on ne les peut à peine 
compter, lesquelles passées il y a vne manière de lac, 
où sont toutes ce& iles, lequel peut contenir quelque 
cinq lieues de long, et prêque autant de large, où il 
y a quantité de petites iics qui sont rochers. II y a 
proche dudit saut vne montagne qui découvre assez 
loin dans Icsdites terrc-s, et vne petite rivière qui 
vient de ladite montagne tomber dans le lac. L'on 
voit du coté du Su quelque trois nu quatre montagnes 
qui paroissent comme à quelque quinze ou seize 
lieues dans les terres. Il y a aussi deux rivières, i'vne 
qui va au premier lac de la rivière des iroquois^ par 
où quelquefois les Aigonmcijuins leur vont faire la 
guerre, et l'autre qui est proche du saut qui va quel- 
que peu dans les terres. Venans à approcher dudit 
saut avec nôtre petit esquif et le canot, je vous as- 
seure que jamais je ne visvn torrent d'eau déborder 
avec vne telle impétuosité comme il fait, bien qu'il 
ne soit pas beaucoup haut, n'étant en d'aucuns lieux 




re brasse ou d 
descend comme de Jegré en degré, et en chaque lieu 
ob il y a quelque peu de httuleur il s'y fait un éboiill- 
lonncmcnt éiranfje de la force et roidcur que xii l'eau 
en traversant ledit saut, qui peut c..nii.nir vnc I eue; 
il y a fvce rochers dc|| l;;rge.ct environ le irilieu il 
y a des îles qui sont fort étfoit^sct fort longues. oU il 
y a vn saut t^nt du côté de.^i^i es îles ijui sont au Su, 
comme du côte du Nort, oli il tbjt si dangereux, qu'il 
est hors de la puissance d'hommes d'y passer vn ba- 
teau, pour petit qu'il soit. Nous fumes par terre dans 
les bois pour en voir la fin, oli il y a vne lieue, et oU 
l'on ne voit plus de rochcis ni de sauts, mats l'eau y 
va si vile qu'il est impossible de plus; et ce courant 
contient quelques t:ois ou quatre lieues; de façon 
que c'est en vain de s'imaginer que l'on peut laire 
passer aucuns baicaux par Icsdîts jauts. Mais qui les 
voudioit passer il se fauJroit accommoder des canots 
des Sauvages, qu'vn homme peur porter aisément; 
car de rorter bateaux, c'est chose Inquelle ne se peut 
faire en si bref temps comme il le f.iudroit pour pou- 
voir s'en retourner en France, si l'on n'y hivcrnoit. 
El outre ce saut premier, il y en a dix autres, la plus- 
part difficiles à passer, de façon que ce scroit de 
grandes peines et travaux pour pouvoir voir et faire 
ce que l'on pourroit se promettre par bateau, si ce 
n'estoit à grands fraïz et dépens, et cncores en danger 
de travailler en vain; mais avec les cunots des Sau- 
vages l'on peut aller librement et promptement en 
toutes les terres, tant aux petites rivferes comme aux 
grandes. Si bien qu'en se gouvernant par le mnyen 
desdits Sauvages et de leurs canois, l'on pourra voir 

ai 




358 



ISTOIRE 

tout ce qui se peut, bon et mauvais, dans vn an ou 
deux. Tout ce peu de païs du côté dudit saut que 

359 nous traversâmes [' par terre, est bois fort clair, oU 
l'on peut aller aisément avec armes sans beaucoup de 
peine ; l'air y est plus doux et tempéré, et de meil- 
leure terre qu'en lieu que j'eusse vcu , oïi il y a quan- 
tité de bois et fruits, comme en tous les autres lieux 
ci-dessus, et est par les quarante-cinq degrez et quel- 
ques minutes. Voyons que nous ne pouvions faire 
davantage, nous en retournâmes en nôtre barque, oU 
nous interrogeâmes les Sauvages que nous avions de 
la fin de ta rivière, que je leur fis figurer de la main, 
et de quelle partie procedoitsa source. Ils nous dirent 
que passé le premier saut que nous avions veu, ils 
faisoient quelques dix ou quinze lieues avec leurs 
canots dedans la rivière, où il y a vne rivière qui va 
en la demeure des Algounui^iims, qui sont à quelque 
soixante lieues éloignez de la grande rivière ; et puis 
ils venoient à passer cinq sauts, lesquels peuvent 
contenir du premier au dernier huit lieues, desquels 
il y en a deux oU ils portent leurs canots pour les 
passer, chaque saut peut tenir quelque demi-quart 
de lieue, ou vn quart au plus. Et puis ils viennent 
dedans vn lac qui peut tenir quelque quinze ou seize 
lieues de long. De li ils rentrent dedans vne rivière 
qui peut contenir vne lieue de large, et sont quelque 
deux licLiës dedans, et puis rentrent dedans vn autre 
lac de quelque quatre ou cinq lieues de long; venant 
au bout duquel ils passent cinq autres sauts, distans 
du premier au dernier quelques vingt-cinq ou trente 
lieues, dont il y en a trois où ils portent leurs canots 

360 11 pour les passer, et les autres deux ils ne les font 



que traîner dejans l'eau, d'autant que le cours n'y 
est si fort ni mauvais comme aux autres. De tous ces 
sauts aucun n'est si difficile à passer comme celui 
que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans vn 
lac qui peut tenir quelque quatre-vingts lieues de 
long, où il y a quantité d'ilcs, et qu'au bout d'icelui 
l'eau y est salubre et Phiver doux. A la lin dudit lac 
ils passent un saut, qui est quelque peu élevé, où il 
y a peu d'eau, laquelle descend: là ils portent leurs 
canots par terre environ vn quart de licuc pour pas- 
ser ce saut. De là ils entrent dans vn autre lac qui 
peut tenir quelque soixante Ucufs de long, et que 
l'eau en est fort salubre: estans A la lin ils viennent 
à vn détroit qui contient deux lieues de large, et va 
assez avant dans les terres : qu'ils n'avoîcut point 
passé plus outre, et n'avoient veu la fin d*vn lac qui 
est à quelque quinze ou seize lieues d'où ils ont esté, 
ni que ceux qui leur avoicnt dit eussent veu homme 
qui l'eust veu, d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne 
se hazarderoient pas de se mettre au large, de peur que 
quelque tourmente ou coup de vent ne les surprint: 
disent qu'en été le Soleil se couche au Nort dudit lac, 
et en Phîver il se couche comme au milieu ; que l'eau 
y est tres-mauvaîse, comme celle de cette mer. le 
leur dcraanday, si depuis cedit lac dernier qu'ils 
avoicnt veu, l'eau descendoit toujours dans la rivière 
venant à Gachcpé. Ils me dirent que non, que depuis 
le troisième lac elle descendoit seulement venant au- 
dit Gachcpé^ mais que depuis le I dernier saut, qui est 36 1 
quelque peu haut, comme j'ay dit que l'eau cstoît 
préque pacifique, et que ledit lac pouvoir prendra 
cours par autres rivières, lesquelles vont dedans les 




34^ 



H 



ISTOITte 



terres, soit au Su ou au Non, dont il y en a quantité 

qui y refluent et dont ils ne voyent pas la fin. 



Rttour du Sauf à Tadoussac, arec h conjrontallan du mp- 
port de plusieurs Sauvages toudianî !a longueur c! commen- 
cement de la grande rmae de Canada. Du nombre des Sauts 
et lacs qu'elle traverse, 

Chap. XXI. 



Ovs partîmes dudit lac le Vendredi qua- 
trième jour de Juillet, et revînmes cedit 
jour ù la rivière des Iro^uois. Le Dimanche 
ensuivant nous en partîmes, et vînmes 
mouiller l'ancre au lac. Le Lundi ensuivant nous 
fumes mouiller l'ancre aux trois rivières. Le Mardi 
ensuivant nous vînmes à Kibcc, et le lendemain nous 
fumes au bout de l'Ile d'Orléans, oii les Sauvages 
vindrcnt à nous, qui estoient cabanez à la grand' 
terre du Nort. Nous interrogeâmes deux ou trois /1/- 
goumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec 
ceux que nous avions interrogez touchant la fin et le 
commencement dé ladite rivière de Canada. Ils dirent, 
362 comme ils l'ont figuré, que passé le Saut [| que nous 
avions veu, environ deux ou trois lleuës, il y a vue 
rivière en leur Jen^eure, qui est i'i la hende du Nort. 
Continuant le chemin dans ladfte grande rivière, ils 
passent vn Saut, oti ils portent leurs canots, et vien- 
nent â passer cinq autres Sauls, lesquels peuvent con- 



DE LA NOWELLE-PRANCC 



34. 



tenir, du premier au dernier, quelque neuf ou dix 
licuËs, et que les.iits ?aius ne sint poinr difficiles à 
passer, et ne foni que traîner leurs can xs en la plus- 
pirt desdits Sauts, iiors m s à deux où ils les portent. 
De là viennent à entrer d;:duns vnc rivière, qui est 
comme vne manière de lac, laquelle peut contenir 
quelque six ou sept lieues, et puis passent cinq autres 
Sauts, où ils Irainent leurs canots comme ausdits 
premiers, hors mis à deux, oCi ils les portent comme 
aux premiers, et que du premier au dernier il y a 
quelque vingt ou vingt-cinq lieues; puis viennent 
(icdans vn lac qui contient quelque cent cinquante 
lieues de long, et quelque quatre ou cinq lienës à 
l'entrée dudit lac, il y a vne rivière qui va aux Atgoa- 
mftjiiîns vers le Non., et vne autre qui va aux liùqaaUy 
par oti lesdiis Aîgo\tmt(\uim et Iroifuoisst font la guerre. 
£t va peu plus haut, à la bcnde du Su dudit lac, il 
y a vne autre rivière qui va aux Iroqaols; puis, venant 
à la fin dudit lac , ils rencontrent vn autre Saut , où 
ils portent leurs canots; de lu ils entrent dedans vn 
autre trirs-grand lac, qui pcutcoiUenir autant comme 
le premier. Ils n'ont esté que fort peu dans ce der- 
nier, et ont ouï dire qu'à ïa fin dudit lac il y a vne 
mer, dont ils n'ont veu la fin , ne ouï dire qu'aucun 
Il Tait veuë. Mais que là où ils ont esté Teau n'est 
point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point avancé 
plus haut, et que le cours de leau vient du côté du 
Soleil couch:int venant à l'Orient, et ne sç.iveni si 
passé ledit Lie qu'ils ont veu il y a autre cours d'eau 
qui aille du côté de l'Occident; que le Soleil se cou- 
che à main droite dudit lac, qui est selon mon juge- 
ment au Noroiiest, peu plus ou moins, et qu^au 



363 




364 



34a Histoire 

premier lac l'eau ne gelé point, ce qui fait juger que 
le temps y est tempéré, et que toutes les terres des 
Algoumeijuins sont terres basses, remplies de fort peu de 
hais, et du cûtt: des hoquois sont terresrnontagncuses; 
ncantmoins elles sont tres-honnes et fertiles, et meil- 
leures qu'en aucun endroit qu'ils aycnt veu. Lesdîts 
Iroqaois se tiennent à quelque cinquante ou soixante 
lieuiis dudit grand lac. Voilà au certain ce qu'ils 
m'ont dit avoir veu, qui ne diffère que bien peu au 
rapport des premiers. 

Cedit journous fumes prochesde l'Ueaux Coudres, 
comme environ trois Ueuës. Le leudi dixième dudlt 
mois, nous vînmes ù quelque lieue et demie de Pile 
au Lièvre, du côté du Nort, oti il vint d'autres Sau- 
vages en nôtre barque, entre lesquels il y avoit vn 
jeune homme Algoume/juiri qui avoit fort voyagé dedans 
ledit grand lac. Nous l'interrogeâmes fort particuliè- 
rement comme nous avions l'ail les autres Sauvages. 
Il nous dit que passé ledit Saut que nous avions veu, 
à quelque deux ou trois lieues, il y a vne rivière qui 
[j vaausdits Algoameifulns, où ils sontcabanez, et qu'al- 
lant en ladite grande rivière il y a cinq Sauts, qui 
peuvent contenir du premier au dernier quelque huit 
ou neuf lieues, dont il y en a trois où ils portent 
leurs canots, et deux autres o'i ils les traînent; que 
chacun desdits Sauts peut tenir vn quart de lieue de 
long, puis viennent dedans vn lac qui peut contenir 
quelque quinze lieues. Puis i!s passent cinq autres 
Sauts, qui peuvent contenir du premier au dernier 
quelque vingt à vingt-cinq lieues, oîi il n'y a que 
deux desdits Sauts qu'ils passent avec leurs canots; 
aux autres trois ils ne les font que traîner, De là ils 



entrent dedans vn grandissime lac, qui peut contenir 
quelque trois cens licuësdc long. Avançant quelque 
cent iieuës dedans ledit lac^ ils rencontrent vne ite 
qui est fort grande, où au delà de ladite ile Teau est 
salubre^mais que passant quelque cent lieues plus 
avant, l'eau est encore plus mauvaise. Arrivant ft la 
fin dudit lac, l'eau est du tout salée. Qu'il y a vn 
Saut qui peut contenir vne lieiië de large, d'où il des- 
cend vn grandissime courant d*eau dans Icdïi lac. 
Que passé ce Saut on ne voit plus de terre ni d'vn 
côté ne d'autre, sinon vne mefsi grande qu'ils n'en 
ont point veu la fin, ni ouï dire qu'aucun Tait veuC; 
que le Soleil se couche à main droite dudit lac, et 
qu'à son entrée il y a vne rivière qui va aux Algoamt' 
jjai/w, et l'autre aux Iroijnois, par oti ils se font la 
guerre. Que la terre des Iroijuois est quelque peu mon- 
tagneuse, ncantmoins fort fertile, oQ il y a quantité 
Il de blé d'Inde et autres fruits qu'ils n'ont point en 
leur terre. Que la terre des Algoaniei^mrs est basse ec 
fertile, le leur denianday s'ils n'avoient point conois- 
sance de quelques mines. Us nous dirent qu'il y a 
vne nation, qu'on appelle les bons /ro^uoù, qui vien- 
nent pour troquer des marchandises que les vaisseaux 
François donnent aux Algaumajuins , lesquels disent 
qu'il y a à la partie du Nort vne mine de franc cuivre, 
dont ils nous en ont montré quelques brasselets qu'ils 
avoient eu desdits bons Iroqnois. Que si l'on y vouloit 
aller, ils y meneroient ceux qui seroient députez pour 
cet effet. Voilà tout ce que j'ay peu apprendre des vns 
et des autres, ne se dîfferans que bien peu, sinon que 
les seconds qui furent interrogez dirent n'avoir point 
beu de l'eau salée; aussi ils n'ont pas esté si loin dans 




365 



344 



H 



ISTOIRE 



ledit lac comme les autres, et différent quelque peu 
de chemin, les vns le r:is;!ns p'us court et les autres 
plus long. De l'.içon que, selon I.-ur rapport, du Saut 
où nous avons esté il yajusquesù lu mer salcc , qui 
peut estrc celle du Su, quelque quatre cens Heuës. Le 
Vendredi onzième dudir mo:s, nous fumes de retour 
à TadouSiac^ où estoic nôtre vaisseau, le i6. jour après 
la d;:;partie. 



356 [i Description de U gramie miere àt Canada, et aaîres qui 
s'y deschargeni. Des piupies i^ai habitent le long d'icelle. Des 
fruits de la terre. Des bêtes et oyseauXy et particull rement 
d'i'fie bête à deux piez. Des poissons abondons en ladite 
grande tiviere. 

CiiAP. XXII. 



PRES avoir parcouru la grande rivière de 

\CAnadvi jusques au premier et grand Saut, 
»et ramené n^z voyageurs vn chacun en 
■ son lieu, sçavoir le Capitaine lacques 
Quartier au port SLiincte-Croix, et le sieur Cham- 
plein. ù Ait/ûiJîJLir, il est besoin, vtîle et nécessaire de 
sçavoir le omportemcnt du noz Fran:ois, ce qui leur 
al■ri^a, et leu s diverses fortunes durant vn Hver et 
vn printemps ensuivant qu'ils passèrent audit port 
Sancte Croix. Et quant audit Ghampkin, nous nous 
contenterons de le r amener de Tadoimac en France 
(par ce qu'il n'a point hiverné en ladite rivière de 





Canada), après que nous aurons combattu le Coagoa 
« dissipé les Ghtmcrcs des Arniouchiquois. 

Mais avant que ce faire, nous re.it, rons ce que 
ledit Cap.tainc Quartier rapponc en gênerai des mer- 
veilk's du grand fleuve de Canada: ensemble de la 
rivière de Saguenay et de celle des Iroquois, afin de 
confronter le discours qu'il en fait avec ce qu'en a 
escrit ledit || Champlein, duquel nous avons rapporté 
les paroles cî-dessus. 

Ledit fleuve donc (ce dit-il) commence passée l'Ile 
de l'Assumption, le travers des hautes montagnes de 
Hongnedo et des Sept Iles ; et y a de dislance en travers 
trente cinq ou quarante lieues, et y a au parmi plus 
de deux cens brasses de parfond. Le plus parfond et 
le plus seur à naviguer est du côté devers le Su, et 
devers le Nort, s<^avoir esdiics Sept Iles; y a d'vn 
côté et d'autre, environ sept lieues loin desdites îles, 
des grosses rivières qui descendent des monts du Sa- 
gnenay^ lesquelles font plusieurs bancs à la mer fort 
dangereux. A l'entrée desdiics rivières avons veu 
grand nombre de Baillâmes et Chevaux de mer. 

Le travers desdites i!es y a vne petite rivière qui 
va trois ou quiitre lieues en terre pardessus les ma- 
rais, en laquelle y a vn merveilleux nomLirc de tous 
lesoyseaux de rivière. Depuis le commencement du- 
dit fleuve jusqjes t Hochcla^a y a trois cens. I euCs et 
plus; et le commencement d'icclui à la rivi::rc qui 
vient du Sagaenav, laquelle sort d'entre hautes mon- 
tagnes et entre dedans loi^it fteuvc auparavant qu'ar- 
river à la province de Canada de la bcnde devers te 
Nort. Et est icelle rivière fort profonde, étroite et 
dangereuse â tuviguer. 



367 




À 



346 



H ISTOIRE 



Apres ladite rîvicrc est la province de Canada, oii il 
y a plusieurs peuples par villages non clos. Il y a 
aussi es environs dudit Canada dedans ledit fleuve 
368 plusieurs iks tant grandes j] que petites. Et entre 
autres y en a vne qui contient plus de dix lïeuîis de 
long, laquelle est pleine de beaux et grands arbres, 
et force vignes. Il y a. passage des deux cotez d'icelle. 
Le meilleur et le plus seur est du cùtt: devers le Su. 
Et au bout d'icelle île vers lOuest y a vu affourq 
d'eau bel et délectable pour mettre navires, auquel il 
y a vn d>étroit dudit fleuve fort courant et profond, 
mais il n*ade large qu'environ vn quart de lieuë; le 
travers duquel y a vne terre double de bonne hau- 
teur toute labourée, aussi bonne terre quil soit pos- 
sible de voir. Et là est la ville et demcurance du sei- 
gneur i)o;macond et de nos hommes qu'avions prins 
Je premier voyage, laquelle demcurance se nomme 
Stadaconé. Et auparavant qu'arriver audit lieu il y a 
quatre peuples et demeuranccs, sçavoir Ajoasîé^ Star' 
nataruy Tailla^ qui est sur vne montagne, et Satadin. 
Puis ledit lieu de Stadaconé, souz laquelle haute terre 
vers le Nort est la rivière et hable de Sainte-Croix, 
auquel lieu avons esté depuis le quinzième jour de 
Septembre jusqucs au sixième jour de May mil cinq 
cens trente-six; auquel lieu les navires demeurèrent 
à sec, comme cy-devant est dit. Passé ledit lieu est la 
demeurance du peuple de Tequenoaday et de Hochday^ 
lequel Tte^aenonday est sur vne montagne, et l'autre en 
vn plain païs. 

Toute, la terre des deux cotez dudit fleuve jusques 
à Uochelaga^ et outre, est aussi belle et vnîe q;uc jamais 
homme regarda. Il y a aucunes montagnes assez loin 



DE LA NovvELLE- France. 



347 



dudit fleuve qu'on 



Icsdites terres, des- 369 
usieurs rivières qui entrent 



quelles II descend plusieurs rivières qui entrent dans 
ledit fleuve. Toute cette dite terre est couverte et 
pleine de bois de plusieurs sortes, et force vignes, 
exccpiÉ à i'cntour des peuples, laquelle Ils ont déser- 
tée pour faire leur demeurance et labeur. Il y a grand 
nombre de grands Cerfs, Daims, Ours et autres bêtes. 
Nous y avons veu les pas d'vne bête qui n*a que 
deux piez, laquelle nous avons suivie longuement par- 
dessus le sable et vaze, laquelle a les piez en cette 
façon grands d'vne paume et plus. Il y a force Lou- 
tres, Biévres, Martres, Uenars, Chats sauvages, Liè- 
vres, Connins, Escurieux, Rats, lesquels sont gros à 
merveilles, et autres sauvagines. Us s'accoutrent des 
peaux d'icellcs bctes, parce qu'ils n'ont nuls autres 
accoutremens. Il y a grand nombre d'oyseaux, sça- 
voir Grues, Outardes, Cygnes, Oyes sauvages blan- 
ches et grises, Cannes, Cannars, Merles, Mauvis, 
Tourtres, Ramiers, Chardonnerets, Tarins, Serins, 
Linottes, Rossignols, Passes solitaires, et autres oy-^ 
seaux comme en France. 

Aussi, comme par ci-devant est fait mention es 
chapitres precedens, cedit fleuve est le plus abon- 
dant de toutes sortes de poissons qu'il soit mémoire 
d'homme d'avoir jamais veu ni ouï. Car depuis le 
commencement jusqucsû la fin y trouverez selon les 
saisons la pkispart des sortes et espèces de poissons de 
la mer et eau douce. Vous trouverez jusques audit 
Canada force Baillâmes, Marsoins, Chevaux de mer, 
AMcthays, qui est vne sorte de poisson |[ duquel nous 
n'avions jamais veu ni ouï parler. Ils sont blancs 
comme nege, et grands comme marsoins, et ont Je 



u. 



à 



348 



Histoire 



corps et la tête comme lièvres, lesquels se tiennent 
entre la mer et l'eau douce, qui commence entre la 
rivière du Sa^iicnaj et Canada. Iicm y trouverez en 
luin, luillet et Aoust foac Maquereaux, Mulets, 
Bars, dartres, grosses Anguilles, et autres poissons. 
Ayant leur saison passée, y trouverez l'Eplan aussi 
bon qu'en la rivière de Seine Puis au renouveau y a 
force l.aaiproyes et Saunions, Passe ledit Canada y a 
force Brochets, Truites, Carpes, Brame--;, et autres 
poissons d'eau douce, et de touies ces sortes de pois- 
sons fait leJit peuple de chacun selon leur saison 
grosse pêcherie pour leur substance et victuaille. 



De la ririere de Saguenay. De» peuples ^ui habitent vers son 
origine. Autre rivière yenant dudil Saguenay au dessus da 
saut de la grande rimre. De la rimrs des Iroquois venant 
devers ia Fioride, pm sans neges ni glaces. Singularikz dH- 
celai pais. Soupçori sar Ses Sauvages de Canada. Cad noc- 
turne. Reddition d'i-ne fdle échappée. Rscûticiitation des Sau- 
vages avec les François. 

Chap. XXIII. 

Epvis estre arrivez à Hochelaga avec le gal- 
Hon et les barques avons conversa , allé et 
ivenu , avec les peuples les plus prochains 
'de noz navires en douceur et amitié^ fors 
371 que par fois avons eu au- cuns differens avec au- 
cuns mauvais garçons, dont les auues e:toient fort 
marris et courroucez. Et avons entendu par le Sei- 




gncuT Donnacoftay Tai^aragni et Domagayaet autres, que 
la rivière devant dite , et nommée la rivière du Sa- 
gaeaayy va jusqu«s audit Sagutnay, qui est loin du 
commencement de plus d'vne lune de chemin vers 
rOOest-NoroUest; et que passé huit ou neuf jour- 
nées, elle est plus parfonde que par bateaux; mais le 
droit el b:;n chemin et plus seur est par ledit fleuve 
jusqucs au dessus de HochcUga, à vne rivière qui des- 
cend dudit Siiguenay et entre audit lieuve (ce qu'avons 
veu), et que de là sont vne lune à y aller. Et nous 
ont fait entendre qu'audit lieu les gens sont ha- 
billez de drap, comme nous, et y a force villes et 
peuples, et bonnes gens, et qu'ils ont quantité d'or 
et cuivre rouge. Et no.is ont dit que le tour de la 
terre d^empuis ladite première rivière jusques audit 
Hûchehga et Saguenay est vne ile, laquelle est circuite 
et environnée de rivières et dudit fleuve; et que 
passé ledit S:igueiiay va ladite rivière entrant en deux 
ou trois grands lacs d'eau fort larges; puis que l'on 
trouve vne mer douce, de laquelle n'est mention 
avoir vcu le bout, ainsi qu'ils ont ouï par ceux du 
Sdgaenay, car ils nous on dit n'y avoir esté (i). Outre 
nous ont donné A entcnire qu'au lieu où avions laissé 
notre gallion quand fumes à Hochdaga y a vne rivière 
qui va vers le SuroUcst, oti semblablemen: sont vne 
lune â aller avec leurs barques depuis Saincte-Croix 
jusques â vne terre o'd il n'y a || jamais glaces ni 
neges, maïs qu'en cette dite terre y a guerre conti- 
nuelle les vi.s contre k's autres, et qu'en-icclle y a 
Orengcs, Amandes, Noix, Prunes, et autres sortes 



372 



(i)Vo]r. cetju'endit Champliin ci-dessus, chap. 8 et 9. 




373 



35o "HlstÔIHB 

de fruits et en grande abondance, et font de l'huile 
qu'ils tirent des arbres tres-boiinc à la guerison des 
playes. Et nous oQt dit les hommes et habiïans d'i- 
cclle terre cstre vêtus et accoutrez de peaux comme 
eux. Apres leur avoir demandé s'il y a de l'or et du 
cuivre, nous ont dit que non. l'estime à leur dire 
ledit lieu estre vers la Terre-neuve où, fut le Capi- 
taine Ican Verrazzan, à ce qu'ils montrent par leurs 
signes et merches. 

Et d'empuis de jour en autre venoit ledit peuple à 
noz navires, et apportoient force Anguilles et autres 
poissons pour avoir de nôtre marchandise» dequoy 
leur estoient baillez couteaux , alênes , patenôtres, et 
autres mêmes choses, dont se contentoient fort. Mais 
nous apperceumes que les deux mcchans qu'avions 
apporté leur disoient et donnoient à enlendrc que ce 
que nous leur baillions ne valloit rien, et qu^îls au- 
raient aussi-tôt des bachots comme des couteaux pour 
ce qu'ils nous ballloient, nonobstant que le Capi- 
taine leureust fait beaucoup de presens, et si ne ccs- 
soient à toutes heures de demander audit Capitaine, 
lequel fut averti par vn Seigneur de la ville de Hagou- 
chouda qu'il se donnast garde de Donnâcoiux et desdits 
deux méchans, et qu'ils estoient Agojudd , qui est â 
dire traîtres, et aussi en fut averti par aucuns dudit 
Canada, et aussi que nous apperceumes de leur ma- 
lice, parce qu'ils vou-Jlloienl retirer les trois en- 
fans que ledit Z)o/iMCofiflavoit donnés audit Capitaine. 
Et de fait firent fair la plus grande des filles du na- 
vire. Apres laquelle ainsi fuie, fit le Capitaine pren- 
dre garde aux autres; et par l'avertissement desdits 
Taiguragnicl Domagaya s'abstindrent et déportèrent de 



d^Ij^No WELLE -France, 



venir avec nous quatre ou cinq jours, sinon aucuns 
qui venoicnt en grande peur et crainte. 

Mais N'ayant la malice d'eux, doutans qu'ils ne 
songeassent aucune trahison, et venir avec vn amas 
de gens sur nous , le Capitaine fit renforcer le Fort 
tout à Tcntour de «ms J'ckscz , larges et parfonds, 
avec porte à pont-lcvis et renfort de paux de bois au 
contraire des premiers. Et tut ordonné pour le guet 
de la nuit pour le temps avenir cinquante hommes 
à quatre quarts, et à chacun changement dcsdit.s 
quarts les trompettes sonnantes. Ce qui fut fait selon 
ladite ordonnance. Et Icsdits Donmcona, Taiguragni, et 
Domagaya cstans avertis dudit renfort, et de la bonne 
garde et guet que Ton faisoit furent courroucez d'estre 
en la malgracc du Capitaine; et envoyèrent par plu- 
sieurs fois de leurs gens Icignans qu'ils fussent d'ail- 
leurs , pour voir si on leur feroit déplaisir, desquels 
on ne tint compte, et n'en fut fait ni montré aucun 
semblant. Et y vindrent lesdits Donnaconat Taigaragni, 
Domagaya et autres plusieurs fois parler audit Capi- 
taine, vne rivière entre deux, lui demandant s'il estoit 
marri, et pourquoy il n'alloit les voir. Et le Capi- 
taine leur répondit qu^ils n'estaient que traîtres, et 
IJ méchans, ainsi qu'on lui avoit rapporté; et aussi 
qu'il l'avoit appcrceu en plusieurs sortes , comme de 
n'avoir tins promesse d'aller â Hochslaga et d'avoir 
retiré la fille qu'on lui avoit donnée , et autres mau- 
vais tours qu'il lui nomma. Mais pour tout ce , que 
s'ils vouloient estre gens de bien, et oublier leur mal- 
volonté , il leur pardonnoit , et qu'ils vinssent seure- 
ment â bord faire bonne chère comme pardevant. 
Desquelles paroles remercièrent ledit Capitaine et 



374 



953 



Histoire 



375 



lui promirent qu'ils lui rendroient la fille qui s'ea 
estoit Iule d.ms trois jours. Et le qu:itriéme jour de 
Novembre, Domagaya , i\ccompagné de sixautr^-s hom- 
mes, vindrcnc à r.oz navires j^our dire au Capitaine 
que le Seigneur Dortriùcona csloit allti par le pals cher- 
cher ladite tiik, et que le ienJemain elle lui scroit 
par lui menée. Et O'itre dit qi-e Taigiiragni estoit fjrt 
malade, et qu'il prioit le Capitaine lui envoyer vn 
peu de sel et de pain. Ce que fil ledit Capitaine, le- 
quel lui manda que c'cstoit lesus qui estoit marri 
contre lui pour les mauvais tours qu'il avoît cuidé 
jouer. 

Et le lendemain ledit Donnaconây Taigaragni, Doma- 
gjya et plusieurs autres vindrent et amenèrent la- 
dite hlle, la représentent audit Capitaine, lequel 
n'en tint compte, et dit qu'il n'en vouloit point, et 
qa*ils la remenassent. A quoy répondirent faisans 
leur excuse, qu'ils ne lui avoient p.TS conseillé s'en 
aller, ains qu'elle s'en estoit allée parce que les pages 
l'avoicnt battue, ainsi qu'elle leur avcit dit ; et priè- 
rent derechef ledit Capitaine de la reprendre, et 
Il eux-mémts la menèrent jusquesaus navires. Apres 
lesquelles choses le capitaine commanda apporter 
pain et vin, et les fétoya. Puis prlndrent congé les 
vns des autres Et depuis sont allés et venus à noz 
navires , et nous à leur demeurance, en aussi grand 
arcour que pardevant. 





MortaUU entre les Sauvages. Maladie éiTange et inconeué entre 
Us Français Derûttons et fxiiz, Oarerture d'vn corps mort. 
Dissimulation envers les Sauvages sur îesdiies maladies et 
mortaiitè. Cuerison merveilleuse d'icelle maladie. 



XXIV. 



V mois de Décembre fumes avertis que la 

>mortalité scsioit mise audit peuple de 
tStadaconé y rcllement que ja en estoienc 
morts par leur confession plus de cin- 
quante. Au moyen dcquoy leur ftmcs défenses de 
non venir à nôire Fort, ni tntOLir nous. Mais non- 
obstant les avoir chassés, commença la mortalité 
entour nous d*vne merveilleuse surte^ et la plus in- 
coneuC. Car les vns pcrdoient la soutenue, et leur de- 
venoicnt les jambes grosses et entk-es, et les nerfs 
retirez, et noircis comme charbons, et aucunes toutes 
semc'es de gouttes de sang, comme pourpre. Puis 
montoit ladite maladie aux hanches, caisses, épaules, 
aux bras et au col. Et a tous venoit Ja bouche si 
infecte || et pourrie par les gencives , que toute Iti 
chair en tomboit jusques à la racine des dents, les- 
quelles tomboicnt préquc toutes. Et icUemcnt se-. 
print ladite maladie en noz trois navires, qu'a la mi- 
Fevricr de cent dix hommes que nous estions il n'y 
en avait pas dix sains, tellement que l'vn ne pouvoît 
secourir l'autre. Qui cstoit chose piteuse à voir, con- 
sidéré le lieu oU nous estions. Car tes ^ens du païs 

33 



376 




4 



377 



354 Histoire 

venoient tous les jours devant nôtre Fort qui peu 
de gens voyoient debout, et ja y en avoit huit de 
morts, et plus de cinquante oti on n^esperoit plus de 
vie. Nôtre Capitaine voyant la pitié et maladie ainsi 
emeuë, fait mettre le monde en prières et oraisons, et 
fit porter vne image et remembrance de la Vierge 
Marie contre vn arbre distant de nôtre Fort d*vn 
trait d'arc le travers les neges et glaces, et ordonna 
que le Dimanche ensuivant l'on diroit audit lieu la 
Messe, et que tous ceux qui pourroient cheminer 
tant sains que malades iroient A la procession chan- 
tans les sept Psaumes de David, avec la Litanie en 
priant ladite Vierge qu'il lui pleust prier son cher 
enfant qu'il eusi pitié de nous. Et la messe dite et 
chantée devant ladite image, se fit le capitaine pèle- 
rin à nôtre Dame, qui se fait de prier â Roquema- 
dou [pour miiux dire, à Rcque amadou, c'«f à dire des amans. 
C'est vn bourg en Qaerci, cà il y va force pèlerins], promet- 
tant y aller si Dieu lui donnoît grâce de retourner en 
France. Celui jour trcspassa Philippe Rougemont, 
natifd'Amboise, de Taagc d'environ vingt ans. 

Il Et pource que ladite maladie estoit inconcufi, 
fît ledit Capitaine ouvrir le corps pour voir si au- 
rions aucune conoissance d'icelle, pour préserver si 
possible estoit le parsus. Et fut trouvé qu'il avoit le 
cœur tout blanc et fietri, environné de plus d'vn pot 
d'eau, rousse comme datte. Le foyebeau, mais avoit 
le poulmon tout noirci et mortitîé, et s'estoit retiré 
tout son sang au-dessus de son cœur. Car quand il 
fut ouvert sortit au dessus du cœur vne grande 
abondance de sang noir et infect. Pareillement avoit 
la ratte vers l'échiné vn peu entamée environ deux 



DE LA N0VVELLE*FltANCE, 



355 



doigts, comme si elle eust cst<i frottée sur vne pierre 
rude. Apres cela veu, lui fut ouvert et incise vue 
cuisse, laquelle estoit fort noire par dehors, mais par 
dedans la chair fut trouvée assez belle. Ce fait, fut in- 
humé au moins mal que Ton peut. Dieu par sa 
saiacte grâce pardoïnt à son ame, et à tous trespas- 
sez, Amen. 

Et depuis, de jour en autre s'est tellement conti- 
nuée ladicte maladie , que telle heure a été que par 
tous Icsdits trois navires n'y avoit pas trois hommes 
sains. De sorte qu'en V\n desdits navires n'y avoit 
homme qui eust peu descendre souz le tillac pour ti- 
rer à boire tant pour lui que pour les autres. Et pour 
l'heure y en avait ja plusieurs de morts, lesquels il 
nousconvinc mettre par foiblesse souz les neges. Car 
il ne nous estoit possible de pouvoir pour lors ouvrir 
la terre qui estoit gelt-c, tant estions foiblca et avions 
peu de puissance. Et si estions en vne crainte merveil- 
leuse des gens du païs qu'ils || ne s*apperceussent de 
nôtre pitié et foiblesse. Et pour couvrir ladite mala- 
die j lors qu'ils venoicnt prés de nôtre Fort, nôtre 
Capitaine, que Dieu a tûusjours préservé debout, 
sortoit audevant d'eux avec deux ou trois houimes, 
tant sains que malades, lesquels il faisoit sortir 
après lui. Et lors qu'il les voyoit hors du parc, fai- 
soit semblant les vouloir battre, et crians, et leur jet- 
tans bâtons après eux, les envoyant à bord, mon- 
trant par signes esdits Sauvages qu'il faisoit beso- 
gner ses gens dedans les navires , les vns ù gallifcster, 
les autres à faire du pain et autres besongnes, et qu'il 
n'cstoit pas bon qu'ils vinssent chommer dehors, ce 
qu'ils croyolent. Et faisoit ledit Capitaine battre et 




356 Histoire 

mener bruit esdits mal<ides dedans les navires avec 
bâtons et cailloux fcignans gallifester. Et pour lors 
estions si épris de ladite maladie qu'avions quasi 
perdu l'espérance de jamaîs retourner en France, si 
Dieu par sa bonté InHiile el miséricorde ne nouseust 
regardé en pité. et donné conoissanced'vn remeJe 
contre toutes maladies le plus excellent qui fut jamais 
veu ni trouve sur la lerre, ainsi que nous dirons 
maintenant. Mais premièrement faut entendre que 
depuis la mi Novembre, jusqucs au dix-huitiéme jour 
d'Avril avons esté continuellement enfermez dedans 
les places, lesquelles avoicut plus de deux brasses 
d'épaisseur; et dessus la terre y «voit la hauteur de 
quatre picz de nege et plus de deux brasses d'épais- 
seur : tellement qu'elle estoit plus haute que les 
"bords de noz navires, lesquelles ont duré jusqucs au- 
379 dit temps; en |t sorte que noz breuvages cstoient tout 
gelez deilans les futaiHes, er par dedans lesdits navi- 
res tant bas que haut estoit la glace contre les bois à 
quatre doïgtz d'épaisseur ; et estoit tout ledit fleuve 
par autant que l'eau douce en contient jusques au 
dessus de HoditUgJ, gelé. Auquel temps nous deccda 
jusques au nombre de i5. personnes des principaux 
et bons compagnons qu'eussions, lesquels moururent 
de la maladie susdite ; et pour Thcurc y en avoit plus 
lie quarante cri qui on n'espcroit plus de vie, elle 
parsus tous m.aliides, que nul n'en estoit exempté, 
excepté trois ou quatre. Mais Dieu par sa saîncle 
grâce nous regarda en pitié, et nous envoya vn re- 
mède de nôtre guciîson et santé de la sorte et ma- 
nière que nous allons dire. 

Vn jour» nôtre CapitaÎDC voyant la maladie si 



emeuë et ses gens si fort épris d'icelle, estant sorti 
hursdu Fort, soy promenant sur la glace, Jippcrceut 
venir vne bcnde de g.ns de Stadaconé (i), en laquelle 
estoit DomtîgJVJ, lequel le Caf îtuine avoil vcu dcpms 
dix ou douze jours fort malade de la propre maladie 
qu'avoicnt ses gens : Car il avoit vnc de ses jambes 
aussi grosse qu'vn enfant de deux ans, et tous les 
nerfs d'icclle retirez, lesjJciïts perdues et gâtées, et 
les gencives pourries et infectes. Le Capitaine voyant 
ledit Domufittyj sain et guéri, fut fort JQveuXj espérant 
par lui sçavcir comme il s^cstoit guéri, à iîn de don- 
ner aide et secours a ses gens. Ht lors qu'ils furent 
arrivez près le Fort , le Capitaine lui demanda 
comme il s'estoit gucri de sa mula^lie : || lequel Domâ- 38o 
gaya répondit qu'avec le jus des fueillcs d'vn arbre et 
le marc il s'estoit guéri, et que c'estoît le singulier 
remède pour cette maladie. Lors le Capitaine de- 
manda s'il y en avoIt point lii cntour, et qu'il lui en 
montrât, pour guérir son serviteur qui avoit prîns 
ladite maladie en la miùsun du seigneur Donrtaconaj 
ne lui voulant déchirer le nombre des compîignons 
qui estoient malades. Lors ledit Domag^ay^ envoya deux 
femmes avec nôtre Capitaine pour en quérir, les- 
quel'esen nppLTtcrcnt neuf ou dix rameaux, et nous 
montrèrent qu'il falloit piler l'ccorce et les fueillcs 
duilii bnis, ei mctlrc le tout bouillir en eauO, puis 
boire de ladite eauS de deux jours l'vn, et mettre le 
marc sur tes jambes cnflt'us et malades, et que de 
toutes maladies ledit arbre gucrissoït. Et s'appelle 
ledit arbre en leur langage Anncdda. 



(i) Stadacon^, c'est \s vilUgedes Canadiens. 




358 



ISTOIRE 



38l 



Tôt après le Capitaine fit faire du breuvage pour 
faire boire ùs malades, desquels n*y avoit nul d'eux 
qui voulast icelui essayer, sinon vn ou deux qui se 
mirent en aventure d'icelui essayer. Tôt après qu'ils 
en eurent beu ils curent ravantage.qui se trouva cstre 
vn vray et évident miracle. Car de toutes maladies de 
quoy ils cstoient entachés, apresen avoir beu deux ou 
trois fois, recouvrèrent santé et guerisonj tellement 
que tel des compagnons qui avoit la vérole puis cinq 
ou six ans auparavant la maladie, a esté par icclle 
médecine curé nettement. Apres ce avoir veu y a eu 
telle presse qu'on se vouloit tuer sur ladite médecine 
à qui premier en auroit : de sorte qu'vn arbre aussi 
Il gros et aussi grand que je vis jamais arbre a estd 
employé en moins de huit jours; lequel a fait telle 
opération, que si tous les médecins Je Louvain et 
Montpellier y eussent escé avec toutes les drogues 
d'Alexandrie, ils n'en eussent pas tant fait en vn an 
que ledit arbre en a Fait en huit jours. Car il nous a 
tellement proufité, que tous ceux qui en ont voulu 
vser ont recouvert santé et guerison, la grâce à Dieu. 





Soupçon sur la longue absence du Capitaine des Sauvages. 
Retour d'kelai avec multitade de gens. Débilité des François. 
Navire délaissé pour n'avoir la force de ie remener. Récit des 
richesses da Sagueaay et autres choses merveilleuses. 



Chap. XXV. 

VRANT le temps que la maladie et morta- 
lité regnoit en noz navires, se partirent 

DonnacQtiiXj Taigaragni et plusieurs autres 
feignans aller prendre des cerfs et autres 
bétcs, lesquels ils nomment en leur langage Ajonnesta 
et Asqucnoado, parce que les neges estoient grandes, et 
que les glaces estoient ja rompues dedans le cours 
du fleuve, tellement qu'ils pourroient naviger par 
icplui. Et nous fut par Domagaya et autres dit qu'ils 
ne scroient que quinze jours, ce que croyons; mais 
ils furent deux mois sans retourner. Au moyen de- 
quoy eûmes suspe-||ction qu'ils ne se fussent allés 
amasser grand nombre de gens pour nous faire dé- 
plaisir, parce qu'ils nousvoyoient si affoiblis. Nonob- 
stant qu'avions mis si bon ordre en nôtre fait, que si 
toute la puissance de leur terre y eust esté, ils n'eus- 
sent sceu faire autre chose que" nous regarder. Et 
pendant le temps qu'ils estoient dehors venoient tous 
les jours force gens à noz navires, comme ils avoient 
de coutume, nous apportans de ta chair freche de 
cerfs, daims et poissons fraiz de toutes sortes qu'ils 
nous vendojent assez cher, ou mieux l'aimotent rem- 



383 




36o 



HlSTOlBE 



383 



porter, parte qu'ils avoient nécessité de vivres pour 
lors, à cause de l'tiîv'er qui avoït este long, et qu'ils 
avoient mangt leurs vivres et etourcmens. 

Et le vingt-vniême jour du mois d'Avril Domagaya 
vint à bord de noz navires, accompagné de plusieurs 
gensj lesquels estoient beaux et puissans, et n'avions 
accoutumé de les voir, qui nous dirent que le sei- 
gneur Donnacona seroit le lendemain venu, et qu'il 
apporreroit force chair de cerf et autre venaison. Et 
le lendemain arriva ledit Donnacona, lequel amena en 
sa compagnie gnmd nombre de gens audit StadiKoni. 
Ne sçavions h quelle occasion ni pourquoy. Mais 
comme on dit en vn proverbe, qui de tout se garde et 
d'aucuns échappe. Ce que nous estoil de nécessité, 
car nous estions si affoiblis, tant de maladies, que de 
noz gens morts^ qu'il nous falut laisser vn de noz na- 
vires audit lieu de Saincte-Croix. 

Il Le Capitaine estant averti de leur venut, et 
qu'ils avoient amené tant de peuple, et aussi que Do- 
magayd le vînt dire audit Capitaine, sans vouloir pas- 
ser la rivière qui cstoit entre nous et ledit Statijcani^ 
ains fit dithculté de passer, ce que n'avoit accoutumé 
de faire, au moyen dcquoy eûmes suspection de irahi- 
son. Voyant ce, ledit Capitaine envoya son serviteur 
nommé Charles Guyot, lequel esloit pîus que nul 
autre aimé du peuple de tout le païs, pour voîr qui 
estott audit lieu, et ce qu^ils faisoient, ledit serviteur 
feignant estre allé voir ledit Seigneur £>oflntjcona, parce 
qu'il avoit demeuré long temf's avec lui, lequel lui 
porta aucun présent. Et lorsque ledit Donntitonii fut 
averti de sa venuti, rit le malade et se couchaj disant 
audit serviteur qu'il estoit tort malade. Apres alla 




ledit serviteur en U maison de Taigura^ni pour le voir, 
oD par Inut il trouva les maisons si pleines de gens 
qu'on ne se pouvait tourner, lesquels on n'avoit ac- 
coutumé de voir, et ne voulut pcrnictl.re ledit Taiga- 
ragni que ledit serviteur allast es autres maisons, ains 
le convoya vers les navires environ la moitié du che- 
min, et lui dit que si le Capitaine lui' vnuloit faire 
plaisir de prendre vn se'gneur du païs nommé Agona^ 
lequel lui avoit fuit dcplasir, et l'emmener en 
France, il feroit tout ce que voudroit ledit Capiiaine, 
et qu'il retournost le lendemain dire la réponse. 

Quand te Capitaine tut averti du grand nombre 
de gens qui estoient audit StiXdMoné, ne sçachant à 
quelle fin, se délibéra leur jouer ||vne finesse, et pren- 384 
dre leur Seigneur, Tjigui.igmy flo/Tr.ïgiivj et des princi- 
paux, et aussi qu'il estoil bien délibéré de mener le- 
it Seigneur Donnacona en France pour conter et dire 
,U Roy ce qu'il avoit veu es païs Occidentaux des 
merveilles du monde; car il nous a certifié avoir esté 
à la terre du Suguenny, où il y a infini Or, Rubis et 
autres richesses, et y sont les hommes blancs comme 
en France, et accoutrez de draps de laine. Plus dit 
avoir vcu autre païs oCi les gens ne mangent point, 
et n'ont point de fondement, et ne digèrent point, 
ains font seulement eau par la verge. Plus dit avoir 
este en autre fais de Pkijiu'fiiaasj et autres païs oti les 
gens n'ont qu'vne jambe, et autres merveilles lon- 
gues à raconter. Ledit Seigneur est homme ancien et 
ne cessa jamais d'aller par païs depuis sa conoissance, 
tant par fleuves rivières que par terre. 

Apres que ledit serviteur eut fait son message et 
dit à son maître ce que ledit Taiguragni lui mandoit, 





363 



Histoire 



renvoya le Capitaine sondit serviteur, le lendemain, 
dire audit Taiguragni qu'il le vint voir, et lui dire ce 
qu'il voudroir, et qu'il lui feroit bonne chère et par- 
tie de son vouloir. Ledit Taiguragni lui manda qu'il 
viendroit le lendemain et qu'il meneroit Donnacona, 
et ledit homme qui lui avait fait déplaisir. Ce que ne 
fit, ains fut deux jours sans venir, pendant lequel 
temps ne vint personne es navires dudit Stadaconi, 
comme avoient de coutume, mais nous fuycient 
comme si les eussions voulu tuer. Lors apperccumcs 
385 leur mauvaitié. || Et pource qu'ils furent avertis que 
ceux de Stadin alloient et venoient entour nous, et 
que leur avions abandonné le fond du navire que 
laissions, pour avoir les vieux doux, vlndrent tous 
le tiers jour dudit Siadaconé de l'autre bord de la ri- 
vière, et passèrent la plus grand' partie d*eux en pe- 
tits bateaux sans difficulté. Maïs ledit Donnacona n'y 
voulut passer et furent Taiguragni, et Donmgaya plus 
dVne heure à parlementer ensemble avant que vou- 
loir passer; mais en fin passèrent et vindrent parler 
audit Capitaine. El pria ledit Taiguragni le Capitaine 
vouloir prendre et emmener ledit homme en France. 
Ce que refusa ledit Capitaine, disant que le Roy 
son maître lui avoit défendu de non amener homme 
ni femme en France, mais bien deux ou trois petits 
garçons pour apprendre le langage. Mais que volon- 
tiers l'emmeneroit en Terre-neuve, et qu'il le met- 
troit en vne ile. Ces paroles dîsoit le Capitaine pour 
les asseurer, et à celle fin d'amener ledit Donnacona, 
lequel estoit demeuré delà l'eau. Desquelles paroles 
fut fort pycux ledit Taiguragni, espérant ne retourner 
jamais en France, et promît audit Capitaine de re- 



tourner le lendemain, qui cstoit le jour de Saincte 
Croix, et amener Icdil seigneur Donnacona et tout le 
peuple audit Stadaconi, 




\\ Croix plantée par Us François. Capture des principaux 
Sauvages pour les amener en France et faire récit au Roy 
des merveilles da Saguenay. Lamentations des Sauvages, 
Presens reciproifoes du Capitaine Quartier et d'iceux Sau- 
vages. 

Chap. XXVI. 

E troisième jour de May» jour €t fétc 
Saincte Croix, pour la solennité et fête, 
le Capitaine fil planter vnc belle Croix 
de la hauteur d'environ trente-cinq pîcz 
de longueur, sous le croizillon de laquelle y avoit vn 
écusson en bosse des armes de France, et sur icclui 
cstoit écrit en lettre Attiquc (i) : Fhanciscvs pri- 

MVS DeI GRATIA FrANCORVM ReX REGNAT. Et 

celui jour environ midi vindrent plusieurs gens de 
Stadaconé, tant hommes, femmes qu'cnfans, qui nous 
dirent que leur Seigneur Donnuconay Taiguragni, Doma- 
gaya et autres qui estoient en sa compagnie, venoient; 
dcquoy fumes ioyeux, espcians nous eu saisir, les- 
quels vindrent environ deux heures après midi. Et 
lors qu'ils furent arrivez devant noz navires, nôtre 
Capitaine alla saluer le seigneur Donnacona, lequel 
pareillement lui fit grand' chère, mais toutefois avoit 
rœil au bois et vne crainte merveilleuse. Tôt après 



386 



(i) le croisqu'il veut dire Antiijuc. 




Jl 



364 



Histoire 



387 arriva || Tajgurjgni^ lequel dit audit seigneur Donna^ 
cona qu*il n'eatrât poiut duJans le Fort. Et lors fut 
parl'vndc leurs gens apporté du feu hors dudît Fort, 
et aHumé pour ledit seigneur. Nôtre Capitaine le 
pria de venir boirer et manger dedans les navires, 
comme avoïl de coutume et semblablement ledit Tai- 
guragni, lequel dit que tantôt ils iroient. Ce qu'ils 
firent et entrèrent dedans ledit Fort. Mais aupara- 
vant avoit esté nôtre Capitaine averti par Domagaya 
que ledit Taiguragni avoit mal parlé, et qu'il avoJt dit 
au seigneur Donnacona qu"il n"entrât point dedans les 
navires. Et nôtre Capifaine voyant ce, sortit hors du 
parc QLi il estoit et vit que les femmes s'en fuioient 
par l'avertissement dudit Tdigaragm, et qu'il ne de- 
meuroit que les hommes, lesquels estoient en grand 
nombre. Et commanda le Capitaine â ses gens pren- 
dre ledit seigneur Dainacona, Taigiiragniy Domagjya et 
deux autres des principaux qu'il montra; puis qu'on 
fit retirer Ees autres. Tôt après ledit Seigneur entra 
dedans avec ledit Capitaine. Mais tout soudain ledit 
Tatgura^ni \\nl pour le faire sortir. Nôtre Capitaine 
vûiant qu'il n'y avoit autre ordre se print à crier 
qu'on les print. Auquel cri sorlirenl les gens dudit 
Ca.pitaine, lesquels prindrent ledit seigneur, et ceux 
qu'on avoit délibéré piendre. Lesdlts Canadiens 
voyans ladite prise, commencèrent à fuir et courir 
comme brebis devant le loup, les vns It; travers la 
rivière, les autres parmi les bois, cherchant chacun 
son avantage. Ladite prise ainsi faite des dessusdits, 

388 et que les |[ autres se furent tous retirez, furent mis 
en seure garde ledit seigneur et ses compagnons. 

La nuit venue, vindrent devant noz navires (la 



rivière entre deux) grand nombre de peuple dudit 

Dcmacona , huchans et hurlans toute la nuit comme 
loupsj crians sans cesse Agohanna, Agohanna^ pcnsans 
parier a lui. Ce que ne permit ledit Capitaine pour 
l'heure, ni le matin jusques environ midi, ParLjuoy 
nous faisotent signe que les avions tués et pendus. 
Et environ l'heure de midi retourneront derechef, et 
aussi grand nombre qu'avions vcu de nôtre voyage 
pour vn coup, eux tcnans cachez dedans le bois, fors 
aucuns d'eux qui crioient et appeMoient à haute voix 
ledit Donnacona, Et lors commanda le Capitaine faire 
monter leJit Ûonnacona haut f^our parlera eus. Et lui 
dit ledit Capitaine qu'il fist bonne chère, et qu'après 
avoir parlé au Roy de France son maître, et conté 
ce qu'il avoit vcu au Saguenay et aurrcs lieux, il re- 
viendroit dans dix ou douze lunes, et que le Roy lui 
feroit vn grand présent. Dequoy fut fort joyeux ledit 
Dcmacona^ lequel ledit es autres en parlant à eux, 
lesquels en firent trois merveilleux cris en signe de 
joye. Et à l'heure firent lesdits peuples et Donrtacona 
entre eux plusieurs prédications et cérémonies, les- 
quelles il n'est possible d'écrire par lante de l'enten- 
dre. Nô're Capitaine dit audit Donnacona qu'ils vins- 
sent seurement de l'autre bord pour mieux parler 
ensemble, et qu'il les asseuroit. Ce que leur dit ledit 
Donnacnmi, Et sur ce vindrent vne barque des princï- 
Ij paux à bord desdits navires, lesquels derechef com- 38o 
mencerent à faire plusieurs prechcmens en donnant 
louange à nôtre CupiCainCf et lui firent présent de 
vinjîT-quatre colliers d'Esurgm^ qui est la plus grande 
richesse qu'ils aycnt en ce monde, car ils l'estiment 
mieux qu'or ni argent. 




i 



366 



Histoire 



3go 



Apres qu'ils eurent assez parlementé et devisé les 
vns avec les autres , et qu'il n'y avoir remède audit 
seigneur d'eschapper, et qu'il falloït qu'il vint en 
France, il leur commanda qu'on lui apportât vivres 
pour manger par la mer, et qu'on les lui apportât le 
lendemain. Nôtre Capitaine fit présent audit Donna- 
cona dedeuxpailles d'airain, et de huit hachots, et au- 
tres menues besongnes, comme couteaux et patenô- 
tres : dequoy fut fort joyeux, ù son semblant, et les 
envoya à ses femmes et enfans. Pereîllement donna 
ledit Capitaine à ceux qui estoient venus parler audit 
Donnacona aucuns petits presens, dcsquelz remerciè- 
rent fort ledit Capitaine. A tant se retirèrent et s'en 
allèrent à leurs logis. 

Le lendemain cinquième dudit mois, au plus ma- 
tin, ledit peuple retourna en grand nombre pour par- 
ler à leur seigneur, et envoyèrent vnc barque qu'ils 
appellent Casurni, en laquelle y estoient quatre iem- 
mes, sans y avoir aucuns hommes, pour te doute 
qu'ils avoient qu'on ne les retint, lesquelles apportè- 
rent force vivres : sçavoirgros mil, qui est le blé du- 
quel ils vivent, chair, poisson, et autres provision.s à 
leur mode, esquelles après estre arrivées 6s na- j| vires 
fit le Capitaine bon recueil. Et pria Donnacona le Ca- 
pitaine qu'il leur dist que dedans douze lunes il re- 
tourneroit, et qu'il ameneroit ledit Donnacona à Ca- 
nada : et ce disoit pour les contenter. Ce que fit ledit 
Capitaine : dont lesdites femmes firent vn grand 
semblant de joye, et inontrans par signes et paroles 
audit Capitaine que mais qu'il retournât et amenât 
ledit Donnaconay et autres, ils lui feroient plusieurs 
presens. Et lors chacune d'elles donna audit CapJ- 




DE LA 



taine vn collier d*Esargni, puis s'en allèrent de l'autre 
bord de la rivîere, oti esioît coût le peuple dudît 
Stadaconé ; puis se retirèrent et prindrent congé du- 
dit seigneur Donnacona. 




Retour du Capitaine îacques Quartier en France. Rencontre de 
certains Sauvages qui avaient des couteaux de cuivre. Pre- 
sens réciproques entre tesdits Sauvages et ledit Capitaine. Des- 
cription des Ueux où la route s'est adressée. 

Chap. XXVII. 

\e Samedi sixième jour de May nous ap- 
pareillamesdu havre Saîncte-Croix, et vîn- 
mes poser au bas de l'Ile d'Orléans, envi- 
ron douze [ieuës dudit Saincte-Croix. Et 
le Dimanche vînmes à l'Ile es Coudres, oti avons 
esté jusques au lundi seizième jour dudît mois laîs- 
saos amortir les eaux, lesquelles estoient trop cou- 
rantes et dangereuses || pour avaller ledit fleuve. 
Pendant lequel temps vindrent plusieurs barques 
des peuples sujets de DontiaconJ, lesquels venoîent de 
la rivière du Saguenay. Et lors que par Domagaya fu- 
rent avertis de la prjnse deux, et la façon et manière 
comme on menoit ledit Donnacona en France, furent 
bien étonnez. Mais ne laissèrent à venir le long des 
navires parler audit Donmicona^ qui leur dit que dans 
douze lunes il retourncroit, et qu'il avait bon traite- 
ment avec le Capitaine et compagnons. Dequoy tous 



hi 




368 



H 



ISTOIHE 



392 



à vne voix remercièrent ledit Capitaine, et donnè- 
rent audit Donnacona trois pacqucts de peaux de Bié- 
vres et loups marins, avec un grand couteau de cui- 
vre rouge, qui vient dudit Sd^uenaj, et autres choses. 
Ils donnèrent aussi au Capitaine vn collier d'Esargni. 
Pour lesquels presens leur fit le Capitaine donner 
dix ou douze bachots , desquels furent fort contcns 
et joyeux, rcmercians ledit Capitaine; puis s'en re- 
tournèrent. 

Le passage est plus seur et meilleur entre le Nort 
et ladite île que vers le Su, pour le grand nombre 
de basses, bancs et rochers qui y sont, et aussi qu'il 
y a petit fond. 

Le lendemain sezitme de May nous appareillâmes 
de ladite lU es Coadres^ et vînmes poser ù vns ile qui 
est à environ quinze lieues d'icelle iie es Coudrcs, la- 
quelle est grande d'environ cinq lieues de long ; et là 
posâmes celui jour pour passer la nuit, esperans le 
lendemain passer les dangers du Sngtienayf lesquels 
sont II fort grands. Le soir fumes à ladite ile, où trou- 
vâmes grand nombre de lièvres, desquels nous eû- 
mes quantité. Et pour ce la nommâmes l'Jlê es Lievns. 
Et la nuict le vent vint contraire et en tourmente, 
tellement qu'il nous fallut relâcher à IMlc es Coudres 
d'où estions partis, parce qu'il n'y a autre passage 
entre lesditCs îles, et y fumes jusques au... (1) 
jour dudjt mois, que le vent vint bon, et tant fimes 
par nos journc-s que nous passâmes jusques à Hon- 
gnedo, entre l'Ile de l'Assumplion et ledit Hongncdp : 
lequel passage navoit pardcvaiit esté découvert ; et 



(1) Lacune dans l'cdition originelle (Nolt Hc l'cdticur.) 




fîmes courir jusquesle travers du Cap de Prato, qui est 
le commencement de la Baye deCaUiir. Et parce que le 
vent estoit convenable et bon à plaisir, fimcs porter 
le jour et la nuit. Et le lendemain vînmes quérir au 
corps Vile de Bihn^ ce que voulions faire pour la barge 
de nôtre chemin, gisantes les deux terres Sutst et 
Norotiest vn quart de l'Est et derOtiest; et y a entre 
eux cinquante lieues. Ladite ilc est en quarante-sept 
degré?, et demi de latitude. 

Le leudî vingtcinquîcnie jour dudit mois, jour 
et fête de l'Ascension nôtre Seigneur, nous trouvas- 
mes â vne terre et sillon de basses araincs, qui de- 
meurent au Suroucsl de ladite Ik de Saint- Pierre j envi- 
ron huit lieues, par sus lesquelles y a de grosses 
terres pleines d'arbres, et y a une mer enclose, dont 
n'avions veu aucune entrée ni ouverture parob entre 
icelle- mer. 

Et le Vendredi vingt-sixième , parce que le vent 
chargeoit à la côte, retournâmes à ladite || lie de Brion, 
où fumes jusqucs au premier jour de luin, et vîn- 
mes quérir vne terre haute qui demeure au Suest 
de ladite île , qui nous apparoissoit estre vne lie, et 
là rengeames environ vingt*deux lieues et demie, 
faisans lequel chemin eûmes conoissance de trois 
autres iles qui demeuroîent vers les araincs; et pa- 
reillement lesdites araînes estre ile, et ladite terre, 
qui est terre haute et vnïe, estre terre certaine se ra- 
battant au Noroûest. Apres lesquelles choses coneuës 
retournâmes au cap de ladite terre, qui se fait à deux, 
ou trois caps hauts à merveilles, et grand profond 
d'eau, et la marée si courante, qu'il n'est possible de 
plus. Nous nommâmes celui cap !e Cap de Lorraine^ 

34 




393 




Î70 



Histoire 



qui est en quarante-six degrez et demi, au Su du- 
quel cap y a vne basse terre, et semblant d'entrée de 
rivière ; mais il n'y a hable qui vaille, parsus les- 
quelles vers le Su demeure vn cap que nous nommâ- 
mes !e Cap Sain((-Pii!i! , qui est au quarante-sept de- 
grez vn quart. 

I.e Dimanrhe troisième jour dudît mois, jour et 
fête de la Pentecôte, eûmes conoissance de la côte 
d'Est-Suest de Terre-neuve, estant à environ vingt- 
deux lieues dudiî cap. Et pour ce que le vent estoit 
contraire, fumes ti vn hable que nous nommâmes !e 
Hable au SiXinct'Eipni^ jusques au Mardi qu'appareiUa- 
mcs dudit hable et reconçumes ladite côte jusques 
aux His de Sainct-Purre, Lequel chemin faisans, tour- 
namics le long de ladite coie plusieurs ilcs et basses 
fort dangereuses estant en la route d'Jist-Suest, et 
394 OOest-NoroOest, à deux, trois || et quatre lieues à la 
mer. Nous fumes ausdilcs lies Saind-Plerre et trouvâ- 
mes plusieurs navires tant de Frani;e que de Bre- 
tagne, 

Depuis le jour Sainct-Barnabé, vnziéine de luin, 
jusques au sezicme dudit mois qu'appareillâmes des 
dites lies Satnct- Pierre, vînmes au Cap de Razi, et en- 
trâmes dedans vn hable nommé Rongnomi, où primes 
eau Cl bois pour traverser la mer; et là laissâmes 
vnc de nnz barques; et appareillâmes dudit hable le 
Lundi dix neuvième jour dudît mois; et avec bon 
temps avons navigé par la mer : tellement que le 
sczicme jour de luillet sommes arrivez au hable de 
Sainct-Malo, la grâce au Crcateur, le priant, faisant 
fin à notre navigation, nous donner sa grâce, et Pa- 
radis à la An. 




Rencontre des Monicignez (Sauvages de Tadoussac) et Iro- 
quois. Privilège de celui tjui est Nessé à la gatne. Céré- 
monies des Scuvages devant qu'alter â U guerre. Contes 
fabuleux de la monstrubsisé des Annonchitjnois , et de la 
Mine reluisante au Soieily et du Gougou. Arrivée aa Havre 
de Crace. 

Chap. XXVIII. 

YANS r'aniené le Capitaine lacques Quar- 
ttier en France, il nous faut retourner 
.quérir le sieur Champlcln, lequel nous 
'avons laissé à Tadoussac, A fin qu'il 
nous dise quelques nouvelles Je ce qu'il aura veu et 
out parmi les Sauvjges depuis que nous || Pavons 
quitté. Et a6n qu'il ait vn plus beau champ pour 
rejouïr ses auditeurs, je voy le sieur Prevcrf, de 
Sainct-Malo qui l'attend à l'Ile Percée ::n intention 
de lui en bailler d'vne; et s'il ne se contente de cela, 
lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la 
plaisante histoire du Coucou qui fait peur aux petits 
enfans, afin que par après le sieur Caycr soit aussi 
de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy. 
Voici donc ce que ledit Champlein en rapporte en la 
conclusion de son voyage. 

Estans arrivez A "Tadoussac nous trouvâmes les 
Sauvages que nous avions rencontrez en la rivière 
des Iroquuis, qui avoïent fait rencontre au premier 
lac de trois canots Iroquois, lesquels ils battirent et 
apportèrent les téies des Iroquois à Tadoussac, et 



395 



% 



372 



HlSTOIKK 



n'y eut qu'vn Montagnez blessé au bras d'un coup de 
flèche, îetjuel songeant quelque chose, il fallait que 
tous les dix autres le missent en exécution pour le 
rendre content, croyiinl aussi que sa playe scn doit 
mieux porter. Si cedit Sauvage meurt, ses païens 
vengeront sa mort, soit sur lyir nation, ou sur d'au- 
tres, ou bien il faut que les Capitaines fecent des pre- 
scns aux parens du defunct, alin qu'il soient contcns, 
ou autrement, comme j'ay dit, ils vseroient de ven- 
geance, qui est vne grande méchanceté cnlre-eux. 
Premier que Icsdits Montagnez partissent pour aller 
à la guerre, ils s'assemblèrent tous, avec leurs plus 
riches habits de fourrures, castors et autres peaux, 
parez de patenôtres et cordons de diverses couleurs, 
396 et 11 s'assemblèrent dedans vne grande place publi- 
que, où il y avoit au devant d'eux vn Sagamo qui 
s'appeloit Be^oiim! qui les menoit à la guerre, et 
estûicnt lesvns derrière les autres, avec leurs arcs et 
flèches, massues et rondelles, dequoy ils se parent 
pour se battre; et ailoicnl sautans les vns après les 
autres, en faisans plusieurs gestes de leurs corps, ils 
faisaient maints tours de limaçon; après ils com- 
mencèrent à danser à la façon accoutumée^ comme 
i'ay dit ci-dessus, puis ils firent leur Tabagie, et 
après l'avoir tuitc , les femmes se despouillcrcnt 
toutes nues, parées de leurs plus beaux mat.KhiaZy et 
se mirent dedans leurs canots ainsi nues en dan- 
sant, et puis elles se vindrent mettre à l'eau en se 
battant à coups de leurs avirons, se jettant quan- 
tité d'eau les vncs sur les autres, toutefois elles ne se 
faisoient point de mal, car elles se parolent des coups 
qu'elles s'entre-ruoient. Apres avoir fait toutes ces ce- 




remonies elles se retirèrent en leurs cabones, et les 
Sauvages s'en allerentàla guerre contre les Iroquois. 
Le seziémc jour d'Aousl nous partimcs de Tadoussac^ 
et le dix-huUidmc dudit mois arrivâmes à l'Ile Per- 
cée, où nous trouvusracs le sieur Prevcri, de Sainct- 
Malo, qui venoit de la mine, où il avoit esté avec 
beaucoup de peine, pour la crainte que les Sauvages 
avoicnt de faire rencontre de leurs ennemis, qui sont 
les Armouchiquois, Icsquelz sont hommes sauvages 
du tout monstrueux, pour la forme qu'ils ont : car 
leur tête est petite et le corps court , les bras menus 
commcd'vn cschclet,et Icscuissessem- |] blablement; 397 
les jambes grosses et longues, qui sont toutes d'une 
venue, et quand ils sont assis sur leurs talons, les 
genoux leur passent plus d'vn demi-pied pardessus la 
t<îtc, qui est chose étrange, et semblent estre hors de 
nature : ils sont neantmoins fort dispos, et détermi- 
nez, et sont aux meilleures terres de toute la côte de 
la Cadie. Aussi les Souriquois les craignent fort. 
Mais avec l'assurance que ledit sîeur de Prcvert leur 
donna, il les menti jusques à ladite mine, où les 
Sauvages le guidèrent. C'est une fort haute monta- 
gne, avançant quelque peu sur la mer, qui est fort 
reluisante au Soleil, où il y aqurntitti de vcrd de gris 
^ui procède de ladite mine de cuivre. Au pied de la- 
dite montagne, il dît que de basse mer y avoit en 
quantité de morceaux de cuivre, comme il nous a esté 
montré, lequel tombe du haut de la montagne. Ce- 
dit lieu oti est la mine gist par les quarante-cinq de- 
grcz cl quelques minutes. 

Il y a encore vne chose étrange digne de reciter, 
que plusieurs Sauvages m'ont asseuré cstre vray. 




â] 



374 



Histoire 



C'est que proche de la baye de Chaleur, tirant qu Su, 
est vne ileoti fait rcsidencevn monstre épouventablc, 
que les Sauvages appellent Cougou, cl m'ont. dit qu'il 
avoit 1:1 forme J'vne lemme, mais fort effroyable, et 
d'vne telle f;raiiJeur qu'ils me disoîtnt que le bout 
tics mats de notre vaisseau ne lui fust pas venu jus- 
ques à la ceinturC; tant ils le peignent grand, et que 
souvent il a dévore et dévore beaucoup de Sauvages, 
lesquels il met dedans vne grande puche quand il ]es 
398 peut altrapper |1 et puis les mange; et disoient ceux 
qui avoient évité le péril de cette mal-heureuse bête, 
que sa poche estoit si grande, qu'il y cusi peu mettre 
nôtre vaisseau. Ce monstre fait des bruits horribles 
dedans cette ile, que les Sauvages appellent Gougoa; et 
quand ils en parlent ce n'est qu'avec vne peur si 
étrange qu'il ne se peut dire de plus; et m'ont as- 
scuré plusieurs l'avoir vcu. Même ledit sieur Prevert, 
de Sainct-Malo, en allant à la deeouverture des mi- 
nes (ainsi que nous avnns dit au L-hapitrc précèdent), 
m'a dit avoir passé si proche de la demeure de cette 
effroyable bcte, que lui et tous ceux de son vaisseau 
entendoicnt des silUcmcns étranges du bruit qu'elle 
laisoit^ et que les Sauvages qu'il avoit avee lui lui 
dirent que c'estoit la même bétc, et avoient vne telle 
peur qu'ils se cachoient de toutes parts, craignans 
qu'elle fust venue ù eus pour les emporter; et qui 
me fait croire ce qu'ils disent, c'est que tous les Sau- 
vages en général la craignent, et en parlent si étran- 
gement, que si je mettois tout ce qu'ils en disent, ^ 
l'on le clendroit pour fables; mais je tiens que ce soit 
la résidence de quelque diable qui les tourmente de 
la façon. Voilà ce que j'ay apprins de ce Goagoa. 




ït-quatriétnc jour d*Aoust, nous pa 
de Cacbepé. Le deuxième jour de Septembre, nous 
faisions état d'estre ausisi avant que le Cap de Razé, 
Le cinquième jour duilir mois, nous entrâmes sur le 
Banc II oti se fait la pêcherie du pDÎsson. L^ seziùme 
dudit mois, nous estions A la Sonde, qui peut estre à 
quelque cinquante lîcucs d'OUcssunt. Le vïngtifîmc 
duJit mois, nous arrivâmes par la grâce de Dieu avec 
contentement d'vn chacun, et tousjours le vent favo- 
rable, au port du Havre de Cîrace. 



399 



Discours sur le Chapitre prccedenî. Credalifé légère. Armoa- 
chiquois tjuels Saiivogts toinjours en crainte. Cmises des 
terreurs pjnniqufs^fjufses visions et imaginjtions. Gougou 
proprement ^ne c'est. Aulheur à'ictlm. Mine de cuivre. 
Haiino. Carthaginois . Cemur: s sur certains aulheurs qui ont 
écrit de la Nouvede-France. 

Chxv. XXIX. 

■ 

II, pour revenir aux Armouchiquois et à 
îa mal-béte du Gougou, il est arrivé en cet 
endroir au sieur Cliamptein ce qu'<icrit 
Pline de Cornclius Nepos (1), lequel il dit 
avoir crcu très -avide ment (c'est A dire comme s'y 
portant desoy-mcsme) les prodii;fcax mensonges des 
Grecs, quand il a parle de la ville de Larah {ou Ussa\ 
laquelle (souz la fby et parole d'autrul) il a écrit 

(1) Pline, liv, j, chap 1, . 





ji 



376 



H 



ISTOIRE 



grand ( 



la grande 



estre font et beaucoup ] 

400 Carthagc, et autres choses de même étoffe, j] Ainsi 
ledit Champlein s'cstant fié au récit du sîeur Pre- 
vertj de Sainct-Malo, qui se donnoit carrière, a écrit 
ce que nous venons de rapporter touchant les Ar- 
mouchiquois et le Gourou, comme semblablemcnt ce 
qui est de la lueur de la mine de cuivre. Toutes les- 
quelles choses iceluy Cbamplein a depuis reconu 
estre fabuleuses i car, quant aux. Armouchiquois, ils 
sont aussi beaux hommes (souz ce mot je comprens 
aussi les femmes) que nous, bien composés et dispos, 
comme nous verrons ci-aprcs. Et pour le regard du 
Gougou, je laisse à penser à chacun quelle apparence 
il y a, encores que quelques Sauvages en parlent et 
en ayent de l'appréhension, mais c'est à la façon 
qu'entre nous plusieurs esprits foîbles craignent le 
Moine bouru. Et d'ailleurs ces peuples, qui vivent en 
perpétuelle guerre el ne sont jamais en asseurance 
(portans avec eux cette malédiction pour ce qu*ils 
sont délaissez de Dieu), ont souvent des songes et 
vaines persuasions que l'ennemi est à leur porte, et 
ce qui les rend ainsi plains d'appréhensions est parce 
qu'ils n'ont point de villes fermées, au moyen de- 
quoy ils se trouvent quelquefois, et le plus souvent^ 
surpris et deffaits,ce qu'estant, ne se faut émerveiller 
s'ils ont aucunefois des terreurs panniques et des 
imaginations semblables à celles des hypochondria- 
ques, leur estant avis qu'ils voyent el oyent des cho- 
ses qui ne sont point, comme j'ai mémoire d'avoir 
veu certains hommes bien rcsolus, et qui le cas ave- 
nant fussent allez courageusement à vnc brèche, 

401 neantmoins par vne; j| je jie sçay quelle débilité 





esprit, bien bcuvans et hicn mangcans, estoicnt 
tourmentez de l'appréhension continuelle qu*ils 
avoient qu'vn mauvais dcmon les suivoit incessam- 
ment, et les frappoil, et se reposoit dessus eui. Ainsi 
en voyons nous qui s'imaginent des loups-garoux. 
Ainsi plusieurs grands et petits ont peur des Esprits 
(quand iU sont sculcls) au mouvement d\'ne souris. 
Ainsi les malades ayans l'imagination troublée, di- 
sent quelquefois qu'ils voyent tantôt vne vierge Ma- 
rte, tantôt vn diable, et autres fantasics qui leur 
viennent au devant, ceci cause par le défaut de nour- 
riture, ce qui fait que le cerveau se remplît de va- 
peurs melancholiques qui apportent ces imagina- 
tions. Et ne sçay si je dey point mettre en ce rang 
plusieurs anciens qui par les longs jeûnes {lesquclz 
sainct iîasile n'approuve point) avoiciU des visions 
qu'ils nous ont donne pour chose certaine, et y en a 
des livres pleins. Maïs telle chose peut aussi arriver 
à ceux, qui sont sains de corps, comme nous avons 
dit. El les causes en sont partie extérieures , partie 
intérieures. Les extérieures sont les fâcheries et en- 
nuis; les intérieures sont IVsagc des viandes melan- 
choliques et corrompues, d'oii s'elcvcnt des vapeurs 
malignes et pernicieuses au cerviyu, qui pervertis- 
sent les sens, troublent la menaoïre et égarent l'en- 
tendement. Item ces causes intérieures proviennent 
d'vn sang mctancholic et brulë, contenu dans vn cer- 
veau trop chaud, ou dispersé par toutes les veines et 
toute l'habitude du corps, ou qui abonde dans les 
hippo- Il chondrcs, dans la rate et mesantere, d'où 
sont suscitées des fumées et noires exhalaisons, qui 
rendent le cerveau obscur, ténébreux, offusqué, et Te 




402 



4o3 



378 HiSTOIHK 

noircissent et couvrent ni plus ni moins que les ténè- 
bres font la face du ciel, d'oti s'ensuit immédiatement 
que ces noires fumées ne peuvent apporter aux hom- 
mes qi;i en sont couverts que frayeurs et crainte. 
Or, selon la diversité de ces exhaluisoiis provenantes 
d'vne diversité et variété de sang, duquel sont pro- 
duites ces fumées et suyes, il y a diverses sortes 
d'appréhensions et melancholies qui attaquent di- 
versement et dépravent sur tout les functions de la 
faculté imaginatrice; car comme la varielc du sang 
diversifie lentendement, ainsi l'action de lame 
changée change les humeurs du corps. 

De cette mutation et dépravation d'humeurs, mé- 
mement aux temperamens melancholiques, survien- 
nent des bizarres et étranges imaginations causées 
par ces fumées ou suyes noires engeance de cette hu- 
meur melancholique. 

Telle est la nature et l'humeur de quelques Sau- 
vages de qui toute la vie souillée de meurtres qu'ils 
commettent les vns sur les autres, et particulière- 
ment sur leurs ennemis, ils ont des appréhensions 
grandes et s'imaginent vn Ooiigou (i) qui est le bour- 
reau de leurs consciences, ainsi que Caïn après le 
massacre de son frère Abel avoit l'ire de Dieu qui le 
talonnait, et n'avoir en nulle part asseurance, pen- 
sant toujours avoir ce Gourou dL-vant les ïcux, de sorte 
qu'il fut le premier qui dompta le cheval ppur 
Il prendre la fuite, et qui se renferma de murailles 
dans la ville qu'il bâtit. Et encores ainsi qo'Orestes, 
lequel on dit avoir esté agité des furiea pour le par- 



( i ) Gougou proprement dît, c'est le remortt de conscience. 




ricide par lui commis en la personne de sa mère. Et 
n'est pas incroyable que le diable pcisscdant ces peu- 
ples ne leur donne beaucoup d'illusions. Mais pro- 
prement, cl à dire la vcritti, ce qui a fortifié l'opinion 
du Goisgou a esté le rapport dudit sïcur Prevert, lequel 
conçoit vn jour au sieur de Poatrincourt vne fable de 
même aloy, disant qu*il avoit vcu vn Sauvage )Oufir 
à la crûce contre vn diable, et qu'il voyoit bien la 
croce du diable jouer, maïs quant A Monsieur le dia- 
ble, il ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt, 
qui prenoît plaisir à Tentcndre, faisoit semblant de 
le croire pour lui en faire dire d'autres. 

Et quant à la mine de cuivre reluisante au Soleil, 
il s'en faut beaucoup qu'elle soit comme l'tmeraudc 
de Makké, de laquelle nous avons parle au discours 
du second voyage fait au Bre.sil. Car on n'y voit que 
de la roche, au bas de laquelle se trouvent des mor- 
ceaux de franc cuivre, tels que nous avons rapporté 
en France ; et parmi ladite roche y a quelquefois du 
cuivre, mais il n'est pas si luisant qu'il eblouïsse les 
ïeux. 

Or, si ledit Champlcin a csiy crédule, vn sçavant 
personnage que j'honore beaucoup pour sa grande 
littérature est encore en plus grand'fautc, ayant mis 
en sa Chronologie septénaire de l'histoire de la paix, 
imprimée l'an || mil six cens cinq, tout le discours 
dudit Champlcin, sans nommer son aulheur, et ayant 
baillé les fables des Arnaouchîquois cl du Goitgoa 
pour boime monnoye. le croy que si le conte du 
diable jouant ^ la cioce cust aussi esté imprimé, il 
l'eust creu, et mis par escrit comme le reste. 




404 



38o 



Histoire 



40 5 



Pline(i) récite que Hanno, Capitaine Cartliagcoîs, 
ayant eu la commission pour découvrir toute l'Af- 
frique et le circuit d'icelle, avoit laissé des amples 
commentaires de ses voyages; mais ils estoient trop 
amples, car ils contenoient plus que la vérité; et 
estoienï vrayeraent commentaires , parce qu'ils 
estoient accompagnés de raenTerîes. Plusieurs Grecs 
et Latins Tayans suivi, et s'asseurant sur iceux, en 
ont fait à-croire à beaucoup de gens par après, ce dit 
l'autheur. Il faut croire, mais non pas toutes choses. 
Et faut considérer premièrement sî cela est vray- 
semblable ou non. Du moins quand on a cotté son 
autheur on est hors de reproche. 

Il y en a qui sont touchez de cette maladie (et 
peut estrc moy-raesme en cet endroit qui n'ay eu le 
loisir de relire ce que j'cscrîs) que le I^ocle luvenal 
appelle insanahUe scnbendi cacodkes, lesquels écrivent' 
beaucoup sans rien digérer; de quoy j'accuserois ici 
aucunement le sieur de Belle- Forest, n'esloil la révé- 
rence que je porte à sa mémoire. Car ayant eu des 
avis du Capitaine lacques Quartier, et par aventure 
ayant extrait par lambeaux ceux quej'aî rapportés ci- 
dessus, il n'a pas quelquefois bien pris les cho- \\ ses, 
estant précipité d'écrire, comme quand au premier 
desdits voyages il dit que les iles de la Terre-neuve 
sont séparées par petits fleuves ; que la rivière des 
Barques est par les cinquante degrez de latitude; 
quand il appelle LisbraAor le païs de la Baye de Cha- 
leur, laquelle il a premièrement mise en la terre de 



(i) PlineJ. (, cti. I. 




Norumbega, là o(i il dît qu'il fait plus chaud qu'en 
Hespagne, et toutefois on sçait que Labrador est par 
soixante dcgrez. Item quand en la relation du second 
voyage dudit Quartier, il dit par conjecture que les 
Canadiens sacrilîenC des hommes, parce qu'iccluî 
Quartier allant voir vn Capitaine Sauvage (que 
Belle-Forcst appelle Roy), il vit des têtes de ses en- 
nemis estendutis sur du bois comme des peaux de 
parchemin. Item que les Canadiens (qui ont quantité 
de vignes et au païs desquels est assise l'Ile d'Or- 
léans^ autrement dite de Bacchus) sont à Tcgal du 
païs de Danncmark et Norvège; que le petun du- 
quel ils vsent ordinairement tient du poivre et du 
gingembre, et n'est point petun; qu'ils mangent 
leurs viandes crues. El là-dessus je diray, qu'ores 
qu'ils le fissent (ce qui peut arriver quelques fois), ce 
n'est chose éloignée de nous : car j'ay veu maintes- 
fois nez matelots prendre vne morue sèche, et mor- 
dre dedans de bon appetîr. Item quand il met en 
vne île le village Stadaconé, oh il dit qu'est la maison 
Royale (notez que ce n'estoient que cabanes cou* 
vertes d'écorce) du seigneur Canadien; item quand 
il met la terre de Bacaloz (c'est à dire de Morues) vis- 
à-vis Il de Saincte-Croix, où hiverna lacques Quar- 
tier, Qt Labrador au Nort de la grande rivière, lequel 
païs auparavant il avoit assis au Su d'icelle ; Item 
quand il dit que la rivière de Sagucnay fait des iles 
où il y a quantité de vignes; ce que son authcur n'a 
point dit ; item que les Sauvages de la rivière de Sa- 
guwiïy s'approchèrent familièrement des François, et 
leur montrèrent le chemin à Uochdagd; item que les 
Canadiens estimoient les François fils du Soleil. 




k 



406 



382 



H 



ISTOrRE 



Item est plaisant qunnd au village de Hocheitga il 
figure cinquante Palais, outre la maison Royale, 
avec trois étages ; item que les Chrétiens appellerent 
la ville de Hûchdaga Mont-Royal; îtem que le village 
Hochdiiy est ù la pointe eî embouchure de la rivière 
de Sagiienay^ et par les degrez de cinquante cinq à 
soixante; item quand il dît que les Sauvages adorent 
vn Dieu qu'ils appellent Cudouagni ; car de vérité ils 
ne font aucune adoration; item quand il représente 
que dix hommes apportèrent par honneur le Roy de 
Hochditgj dans vne peau devant le Capitaine Fran- 
çois, sans dire qu'il estoit paralytique; item qu'il se 
faisûit entendre par truchement, et Jacques Quartier 
dit k contraire, c'est à dire qu'il faute de truchement 
il ne pouvoir entendre ceux de Hochâaga; item que le 
Roy de Hocbelaga pria ledit Capitaine de lui bailler 
secours contre ses ennemis, etc. 

Or, quand je considère ces précipitations estre ar- 
rivées en vn personnage tel que ledit Sieur de Belle- 
Forcst, homme de grand jugement, je ne m*étonne 
407 pas s'il y en a quelquefois es an- || cïcns autheurs, et 
s'il s'y trouve des choses desquelles on n'a encore eu 
nulle expérience. Il me semble qu'on se doit conten- 
ter de faillir après les autheurs originaires, lesquels 
on est contraint de suivre, sans cxtravaguer à des 
choses qui ne sont point, et de sortir hors les limites 
de ce qu'iceux autheurs ont écrit, principalement 
quand cela est sans dessein et ne revient à aucune 
vtilitc. 

Quelqu'vn pourroît accuser le Capitaine Quarlier 
d'avoir fait ces contes h plaisir, quand il dit que tous 
les navires de France pourroient se charger d'oy- 



DE T.* NOVTEI-I.B- 



RANCE. 



rîle 



a 



383 

et de 



rr 

y 






sëâûx en 1 ne qu il a nommée des Oysea 
vérité je croy que cela est vn peu hyperbolique; 
mais il est certain qu'en cette Ile il y en a tant que 
c'est chose incroyable. Nous en avons vcu de sem- 
blables cil nôtre voyage, oti il ne fallait qu'assom- 
mer, recueillir et charger nôtre vaisseau. Item quand 
a raconic avoir poursuivi vne bête à deux piez, et 
u'és pais du Saguenay il y a des hommes accoutrez 
'de draps de laine comme nous, d'autres qui ne man- 
gent point et n*ont point de fondement, d'autres qui 
n*ont qu'vne jambe; item qu'il y a par delà vn païs 
e Pigmées et vne mer douce. Quant à la béte à 
,eux piez, je ne sçay que j'en doy croire, car il y a 
'des merveilles plus étranges en la Nature que cela : 
puis ces terres lA ne sont point si bien découvertes 
u'on puisse sçavoir tout ce qui y est. Mais pour le 
este il a son autheur qui lui en a fait le récit, 
homme vieillart, lequel avoit couru de grandes con- 
rées toute sa vie. Kt cet autheur il l'amena par force 
au Roy pour lui faire récit de ces choses par sa 
propre bouche, afin qu'on y adjoutât telle foy qu'on 
voudroit. Quant à la mer douce, c'est le grand lac 
qui est au bout de la grande rivière de Canada^ duquel 
nul des Sauvages de deçà n'a veu l'extrcmité Occi- 
dentale, et avons vcu par le rapport fait audit Cham.- 
pleiii qu'il a trente journées de long, qui font trois 
cens lieues è dix lieues par jour. Cela peut bien estre 
ppellé mer par ces peuples, prenant la mer pour 
ne grande étendue d'eau. Pour le regard des Pig- 
ées, je sçay que par le rapport que plusieurs m'ont 
fait, que les Sauvages de ladite grande rivière disent 
qu'es montagnes des Iroquois il y a des petits hom- 



408 




409 



384 Histoire 

mes fort vaillans, lesquels Us Sauvages plus Orien- 
taux redoutent et ne leur osent faire la guerre. 
Quant aux hommes armez jusqucs au bout des 
doigts, les mêmes m'ont récite avoir veu des armures 
semblables à celles que décrit ledit Quartier, les- 
quelles résistent aux coups de flèches. Tout ce que 
je doute en l'histoire des voyages d'icelui Quartier, 
est quand il parle de la Baye de Chaleur, et dit qu'il 
y fait plus chand qu'en Espagne. A quoy je répons 
que comme vne seule hirondclc ne fait pas le Prin- 
temps, aussi que pour avoir fait chaud vne fois en 
cette Baye, ce n'est pas coustume. Je doute aussi de 
ce que dit le même lacques Quartier qu'il y a des as- 
semblées, et comme des Collèges où les filles sont 
prostituées, jusques à ce qu'elles soient mariées, et 
que les femmes veuves ne se remarient point ; ce que 
nous avons référé à dire en son lieu. || Mais pour re- 
tourner audit Champlein, je voudrois qu'avec le 
Coagou il n'eusl point mis par écrit que les Sauvages 
de la Nouvelle-France, pressez quelquefois de faim, 
se mangent l'vn l'autre ; ni tant de discours de notre 
saincte Foy, lesquels ne se peuvent exprimer eu 
langue de Sauvages, ni par truchement, ni autre- 
ment. Car ils n'ont point de mots qui puissent repré- 
senter les mystères de notre Religion, et seroit im- 
possible de traduire seulement l'Oraison Dominicale 
en leur langue, sinon par périphrases. Car entre eux 
ils ne sçavent que c'est de sanctitication, de règne ce- 
leste, de pain supersubstantiel (que nous disons 
quotidien) ni d'induire en tentation. Les mots de 
gloire^ vertu, raison, béatitude, Trinité, Sainct Es- 
prit, Anges, Archanges, Résurrection, Paradis, En- 



k 




fer, Eglise, Baptême, Foy, Espérance, Charité, et 
autres infinis ne sont point en vsagc chés eux. De 
sorte qu'il n'y sera pas besoin de grands Docteurs 
pour le commencement. Gir par nécessité il faudra 
qu'ils apprennent la langue des peuples qui les vou- 
dront réduire à la Foy Chrétienne, et à prier en no- 
tre langue vulgaire, sans leur penser imposer le dur 
fardeau des langues inconcucs. Ce qu'estant de cou- 
tume et de droit positif, cl non JVucune luy divine, 
ce sera de la prudence des Pasteurs de les enseigner 
vtileraent et non par fantasias , et chercher le che- 
min plus court pour parvenir à leur conversion. 
Dieu vueiUe en donner les moyens à ceux qui en ont 
la volonté. 



Entreprise du Sitar de Roberval pour l'habitation de la terre 410 
de Canada, avtx dapens da Roy. Commission du Capitaine 
lac^uis Qaanur. Fin de ladite entreprise. 

Chap. XXX. 

PRES la découverte de la grand* rivière 
de Canada faite par le Capitaine Quartier 
en la manière que nous avons récite ci- 
dessus, le Roy, en l'an mil cinq cens qua- 
rante, fit son Lieutenant général es terres neuves de 
Canada, HocheUga et Sagacnay, tt autres circonvoi- 
sines, messire Ican François de la Roque, dit le Sieur 
de Roberval, Gcnlil-homme du païs de Vimeu en 

2i 




J 



386 



HlSTOlRli 



411 



Picardie, auquel ÎI fit délivrer sa Commission le 
quinzit^me de lanvier audit an, A l'etîect d'aller ha- 
biter lesdites terreSj y bâtir des Forts, et conduire 
des familles. Et pour ce faire sa Majesté fit délivrer 
quarante-cinq mille livres par les mains de maistre 
lean du Val, Thresorier de son Epargne. lacques 
Quartier fut nomme par sadite Majesté Capitaine 
gênerai et maistre Pilote sur Tous les vaisseaux de 
racr qui seroient employés à cette entreprise, qui 
furent cinq en nombre du pois de quatre cens ton- 
neaux de charge, ainsi que ic trouve par le compte 
rendu desdits deniers par ledit Quartier, qui m'a esté 
communiqué par le sieur || Samuel Georges, Bour- 
geois de la Rochelle. 

Or, n'ayant peu iusques ici recouvrer ladite Com- 
mission de Roberval, je me contenteray de donner 
aux lecteurs celle qui peu après fut donnée audit 
Quartier, dont voici la teneur. 




RANçois, par la grâce de Dieu Roy de 
France, A tous ceux qui ces présentes 
lettres verront, Sa!ur. Comme pour le 
dcsir d'entendre et avoir conoissancc de 
plusieurs païs qu'on dit inhabités, et autres cstrc 
possédez par pens Sauvages vivans sans conotssance 
de Dieu et sans vsage (i) ^c raison, eussions dés 
pieça à grands frais et mises envoyé déjouvrir esditz 
pals par plusieurs bons pilotes et autres noz sujets 
de bon entendement, sçavoir et expérience, qui 
d'iceux pais nous avoicnt amené divers hommes que 
nous avons par long temps tenus en nôtre Royaume, 
les faisans instruire en l'amour et crainte de Dieu et 
de sa Saincie Loy et doctrine Chrétienne, en inten- 
tion de les faire remcncr csdits païs en compagnie 
de bon nombre de noz sujets de bonne volonté, afin 
de plus facilement [] induire les autres peuples d'i- 
ccux pais à croire en nôtre sainctc Foy- et entre 
autres y eussions envoyé nôtre cher et bien amé 
Tacqucs Quailier, lequel auroit découvert grand païs 
des terres de Canada et Hochdaga, faisant vn bout de 
l'Asie du côté de l'Occident, lesquels païs il a trouvé 



412 



(i) Mot abusif. 




38S 



HiSTOISE 



(ainsi qu'il nous a rapporté) garnis de plusieurs 
bonnes commodîlez, tt les peuples d'iceux bien four- 
nis de corps et de membres, et bien disposez d'esprit 
et entendement, desquels il nous a semblablement 
amené aucun nombre, que nous avons par long 
temps fait voir et instruire en nôtredite saincte Foy 
avec nosdits sujets, En considération de quoy et de 
leur bounc inclination nous avons avisé cl delibcré 
de renvoyer ledit Quartier esdits pais de Canada et 
HocheiiSgj, et jusques en la terre de Sagueaay (s'il peut 
y aborder), avec bon nombre de navires et de toutes 
qualitiîs, arts et industrie, pour plus avant entrer es- 
dits païs, converser avec lesdiis peuples d'iceux, et 
avec eus habiter (si besoin est), aftn de mieux parve- 
nir à notre dite intention, et à faire chose agréable à 
Dieu nôtre Créateur et Rédempteur, et que soit à 
l'augmentation de son sainct et sacré Nom, et de 
nôtre mère saincte Eglise Catholique, de laquelle 
nous sommes dit et nommé le premier fils : Parquoy 
soit besoin pour meilleur ordre et expédition de la- 
dite entreprise députer et établir vn Capitaine gênerai 
et maistre Pilote desdits navires, qui air regard À la 
conduite d'iceux, et sur les gens, officiers et soldats 
y ordonnés et établis: || Sçavoir faisons que nous 
il plein confians de la personne dudlt lacques Quar- 
tier, et de SCS sens, sullisancc, lojauté, preud'homie, 
hardiesse, grande diligence et bonne expérience, ice- 
lui, pour les causes et autres à ce nous raouvans, 
Avons fait, constitue et ordonne, faisons, consti- 
tuons, ordonnons et établissons par ces présentes, 
Capitaine gênerai et maistre Pilote de tous les na- 
vires et autres vaisseaux de mer par nous ordonné 



DE LA NowELLB' France. 



389 



-tadi 



menez pour ladite entreprise et expédition, pour 
, ledit état et charge de Capitaine gênerai et maistre 
Pilote d'iceux navires et vaisseaux avoir, tenir et 
exercer par ledit Jacques Quartier aux honneurs, 
prérogatives, prééminences, franchises, libertcz, ga- 
ges et bien-faicts, tels que par nous lui seront pour ce 
ordonnez, tant qu'il nous plaira. Et lui avons donné 
et donnons puissance et authorité de mettre, establir 
et instituer ausdîtz navires tels Lieutenans, patrons, 
pilotes et autres oaînislrcs nécessaires pour lu fait et 
conduite d'iceux, et en tel nombre qu'il verra et co- 
noitra csire besoin et nécessaire pour le bien de la- 
dite expédition. Si donnons en mandement par ces- 
dites présentes à nôtre Admirai ou Vic'-Admiral, que 
prinset rcceududit lacques Quartier le serment pour 
ce deub et accoutumé, icelui mettent et instituent, 
ou faccnt mettre et instituer de par nous en posses- 
sion et saisine dudit Etat de Capitaine gênerai et 
maistre Pilote, et d'îcelui ensemble des honneurs, 
prérogatives et prééminences, franchises, libertez, 
gages et bien-faicts telz que par |i nous lui seront 
pour ce ordonnez, le facent, souffrent et laissent jouïr 
etvser pleinement et piusibicment, et à lui obéir et 
entendre de tous ceux, et ainsi qu'il appartiendra es 
choses touchant et concernant ledit Etat et charge. 
Et outre lui face, souffre et permette prendre le petit 
Gallion appelle l'Emerillon, que de présent il a de 
nous, lequel est ja vieil et caduc, pour servir à l'a- 
doub de ceux des navires qui en auront besoin, et 
lequel nous voulons estre prins et appliqué par ledit 
Quartier pour l'efTect dessusdiî, sans qu'il soit tenu 
en rendre aucun autre compte ne reliquat et duquel 



414 




4i5 



390 Histoire 

compte et reliqua nous l'avons diîchargé et déchar- 
geons par icelles présentes, par lesquelles nous man- 
dons aussi à noz Frevostzde Paris, Bailli fs de Rouen, 
de Caen,d'Orlcans, de Bloîs et de Tours, Scnechaux 
du Maine, d'Anjou et Guicnnc, et à tous nos autres 
Baillis, Sénéchaux, Prevosts, Alloués et autres noz 
lusticicrs et Officiers, tant de nôtre Royaume que 
de nôtre païs de Bretagne vni k celui, par devers les- 
quels sont aucuns prisonniers, accusés uu prcvcnuz 
d'aucuns crimes quels qu'ils soient, fors de crimes 
de lèse Majesté divine et humaine envers nous, et de 
fauxmonnoyeurs, qu'ils aycnt incontinent à délivrer, 
rendre et bailler es mains dudit Quartier, ou ses com- 
mis et dcputcjï portans ces présentes, ou le duplicata 
d'icclles, pour nôtre service en ladite entreprise et 
expédition, ceux desdits prisonniers qu'il conoitra 
estre propres, suffisans et capables pour || servir en 
icelle expédition, jusqu'au nombre de cinquante per- 
sonnes, et selon le choix que ledit Quartier en fera, 
iceux premièrement jugés et condamnez selon leurs 
démérites et la giavitc de leurs metfaîts, si jugés et 
condamnés ne sont ; et satisfaction aussi préalable- 
ment ordonnée aux parties civiles et intéressées, si 
faire n'avoit esté, pour laquelle toutefois nous ne 
voulons la délivrance de leurs personnes csditcs 
mains dudit Quartier (^s'il les trouve de ser^'ice) estre 
retardée ne retenue; mais se pixndra ladite satisfac- 
tion sur leurs biens seulement. Et laquelle délivrance 
dcsditz prisonniers, accusés ou prevenuz, nous vou- 
lons estre faite esdites mains dudJt Quartier pour 
l'cflcct dessus dit par nosditz lusticiers et Officiers 
respectivement, et par chacun d'eux en leur regard 1 



DE LA NotTELLE-FrAHCE. 



39, 



pouvoir et jurisdiction , nonobstant oppositions ou 
appellations qtic1cO[K)ucs faites ou â faire, relevées 
ou à relever, et sans que par le moyen d'icelles icellc 
délivrance en la manière dessus dite soit aucunement 
différée. Et afin que plus grand nombre n'en soit 
tiré outre lesditz cinquante, Nous voulons que la dé- 
livrance que chacun de nosditz Officiers en fera audit 
Quartier soit écrite cl ccrtîficc en la marge de ces 
présentes, et que ncantmoins registre en soit par eux 
fait et envoyé incontinent par devers nôtre amé et féal 
Chancellier pourconoistrc le nombre et la qualité de 
ceux qui auront esté baillés et délivrés. Car tel est 
nôtre plaisir. En témoin de ce, nous avons feii met- 
tre nôtre scel à ccsdites présentes. Donné à Sainct- 
Pris, le dix-septicme jour || d'Octobre, l'an de grâce 
mil cinq cens quarante, et de nôtre règne le vingt- 
sixième. Ainsi signé sur le repli : Par le Roy, vous 
Monseigneur le Chancellier et autres prescns. De la 
Chesnaye. Et scellées sur le repli à simple queue de 
cire jaune. 

Les affaires expédiées ainsi que dessus, lesditz De 
Roberval et Quartier firent voiles aux Terres-neuves 
susdites, et se fortifièrent au Cap Breton, où il reste 
encores des vestiges de leur édifice. Mais s'appuyans 
trop sur le bénéfice du Koy, sans chercher le moyen 
de vivre du païs même, et le Roy occupé à de gran- 
des affaires qui pressoient la France pour lors, il n'y 
eut moyen d'envoyer nouveau rafraîchissement de 
vivres à ceux qui dévoient avoir rendu le pais capa- 
ble de les nourrir, ayans eu vû si bel avancement de 
sa Majesté, et par aventure que ledit De Roberval fut 
mandé pour servir le Roy par deçà, car je trouve par 




416 



393 



Histoire 



417 



le compte dudit Quartier qu'il employa huit mois à 
l'aller quérir après y avoir demeuré dix-sept mois. 
Et ose bien penser que Thabiiation du Cap Breton 
ne fut moins funeste qu'avoit esté six ans auparavant 
celle de Sainctc-Croix en la grande rivière de Ca- 
nada, où avoit hiverné ledit Quartier; car ce païs 
estant assis sur la première rive des terres, et sur le 
Golfe de Cûnjda, qui est glace tous les ans jusques 
sur la En de May, il n'y a point de doute qu'il ne 
soit merveilleusement âpre et rude, et sous vn ciel 
tout plein d'inclémence. De manière que cette entre- 
prise ne réussit point, faute de s'estrc logé en vn clî- 
[I raat tempéré. Ce qui se pouvoit aisément faire, 
estant la province de telle étendue qu'il y avoit â 
choisir vers le Midi autant que vers le Nort. 




1 le dessein d'habiter la terre de Canada 

n*a cî-dcvani rclissî, il n'en faut ja blâmer 
la tcrrc^ mais accuser nôtre incon.stance et 
lâcheté. Car voici qu'après la mort du Roy 
François premier on cnlreprcnt des voyages au Bré- 
sil et à la Floride, lesquels n'ont pas eu meilleur 
succès, quoy que Icsdites provinces soient sans hiver 
et jouissent d'vne verdure perpétuelle. 11 est vray 
que Pennemi public des hommes a torcu les nôtres à 
quitter le païs par del.l, mais cela ne nous excuse 
point, et ne peut nous garentir de faute. Tandis 
qu'on a eu espérance en ces entreprises plus méri- 
dionales et outre l'^E^jQateur, on a oublié les décou- 
vertes de lacques Cartier : de sorte que plusieurs 
années se sont écoulées ausquelles noi! François ont 
estes endormis, et n'ont rien faict de mémorable par 
mer. Non qu'il ne se trouve des hommes aventureux 
qui pourroient l'aire quelque chose de j] bon, mais ils 
ne sont ni soulagez, ni soutenuz de ceux sans les- 
quelz toute entreprise est vainc. Ainsi , en l'an mil 
cinq cens quatre vingtz huit , le Sieur de la launaye 
Chaton et lacques Noël, neveux et héritiers dudit 



4l8 




4»9 



394 HlSTOlBE 

Quartier, s'estant efforcez de continuer à leurs dé- 
pens les errcmens de leurdit oncle, souffrirent des 
perttrs notables par le brulement qui leur lut fait de 
trois ou quatre pataches par les hommes de deçà. De 
sorte qu'ils furent contraints d^avoîr recours au Roy, 
auquel ils présentèrent requête aux fins d'obtenir 
Commission pareille à celle dudit Quartier, leur 
oncle, rapportiîe ci-dessus, en considération de ses 
services, et qu'au voyafîc de l'an 1540, it avoit em- 
ployé la somme de r638. livres pardessus l'argent 
qu'il avait reccu, dont il n'avoît este remboursé. Rc- 
querans en outre^ pourayder à former \'ne habitation 
framboise, vn privilège pour 12. ans de tfaffîquer 
seuls avec les peuples sauvages desdites terres, et 
principalement au regard des pelleteries qu'ils amas- 
sent tous les ans; et defences estre faîtes à tous les 
suiets du Roy de s'întermetre dudit trafiîc, ni les 
troubler en la jouïssance dudit privilège et de quel- 
ques mines qu'ils avoient découvertes pendant ledit 
temps. Ce qui leur fut accorde par lettres patentes 
et Commission qu'ils en eurent du quatorzième de 
Unvier i588. Mais après s'esire bien donnez de la 
peine ù obtenir cela, ils en eurent peu, ou plustôt 
rien de contentement. Car incontinent voici l'envie 
des marchans de Saînct-Malo qui prend les armes 
pour ruiner tout ce qu'ils avoient fait, cl cmpescher 
l'avan-ll cément et du Christianisme et du nom Fran- 
çois en CCS tcrrcs-là : comme ils ont sceu fort bien 
pratiquer depuis en mcme sujet à l'endroit du sieur 
de Monts. Si-tôt donc qu'ils eurent la nouvelle de 
ladite Commission portant le privilège susdit, incon- 
tinent ils présentèrent leur requête au Conseil privé 




du Roy pour la faire révoquer. Sur quoy ils curent 
Airest en leur dcsir du 5. Je May ensuivant. 

On dii qu'il ne faut point emptichcr la liberté na- 
turcUcmcnl acquise iv toute personne de trafTiqucr 
avec les peuples de delà. Maïs je demanderay volon- 
tiers qui est plus à préférer ou la Religion Chrétienne 
et TampHllcation du nom François, ou le prolit par- 
ticulier d'vn marchant qui ne tait rien pour le ser- 
vice de Dieu ni du Roy ? Et ce-pendant cette belle 
dame Liberté a seule empêché jusqucs ici que ces 
pauvres peuples crrans aient esté faicts Chrétiens, et 
que les François n'ayent parmi eux planté des colo- 
nies, qui eussent rcccu plusieurs des nôtres, lesquels 
depuis ont enseigné nos arts et métiers aux Alle- 
mans, Flamens, Angloïs et autres nations. Et celte 
mérae Liberté a fait que par l'envie des marchans 
les Castors se vendent aujourd'hui huit livres et de- 
mie, lesquels au temps de ladite Commission ne se 
vendoient qu'environ cinquante sols. Certes la con- 
sidération de la Foy et de la Religion Chrétienne 
mérite bien que Ton octroyé quelque chose à ceux 
qui cmployent leurs vies et fortunes pour l'accrois- 
sement d'icelle, et en vn mot, pour le public. 




396 



Histoire 



420 II Voyage du Marcfais de la Roche aux Terres-neuves. Ile de 
Sahle. Son retour en France d*vne incroyable façon. Ses 
gens cin^ ans en ladite ile. Leur retour. Commission dadit 
Marquis. 

Chap. XXXII. 

1 'avtant que jusques ici nous n'avons parlé 

que d'entreprises vaines, lesquelles n'ont 

esté secondccs comme il falloit, j'en acljou- 

iteray encor ici vne pour le parachèvement 

de ce livre, qui est du Sieur Marquis de la Roche, 

GcnIJI-homme Breton rempli de bonne volonté, mais 

auquel on n'a tenu les prom<^sses q^u^on lui avoït 

faites pour l'exécution de son dessein. 

En l'an iSgS, le Uoy avant audit sieur Marquis 
conârmé le don de Lîeutenance générale es terres 
dont nous parlons, à luy fait par le Roy Henry III, 
et octroyé sa Commission, il s'embarqua avec envi- 
ron soixante hommes, et n'ayant encore reconeu le 
païs, il iit descente à l'île de Sable, qui est à 2 5. ou 
3o, licucs de Campscau, ile étroite, mais longue d*en- 
viron vingt lieues, gisante par les 44. et 43. degrez, 
assez stérile, mais où il y a quantité de vaches et 
pourceaux, ainsi que nous avons touclié ailleurs (t). 
Ayant là déchargé ses gens et bagage , il fut question 



[i) Ci-dessus iiv. i, ciii^p. 5. 




de chercher quelque bon port en la terre ferme, et à 
cette rin il s'y en al- || la dans vne petite barque; 
mais au retour il fut surpris d*vn vent si fort et vio- 
lent, que contraint d'aller au gré d'iceluî, il se trou\-a 
en dix ou douze jours en France. Et pour montrer la 
petitesse de sa barque, et qu'il talloit céder à la fu- 
reur du vent, j'ai plusieurs fois ouï dire au Sieur de 
Poutrincourt que du bord d'iccllc il lavoit ses mains 
dans la mer. Estant en France, le voilà prisonnier 
du Duc de Mercœur ! et celui ù qui les dieux les plus 
inhumains, j^^ole et Neptune, avoicnt pardonné, ne 
trouve point d'humanité en terre. Cependant ses 
gens demeurent cinq ans dégrades en ladite ile, se 
mutinent, et coupent la gorge Tvn à Tautrc, tant que 
le nombre se racourcit de jour en jour. Pendant les- 
ditz cinq ans ils ont là vécu de pêcherie et des chairs 
des animaux que nous avons dit, dont ils en avoient 
apprivoisez quelques-vns qui leur founiissuicnt du 
laictagc et autres petites commoditcz. Ledit Marquis 
estant délivré, fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui 
estoit sun-cnu. Le Roy commanda à Chefd'hostcl , 
Pilote, d*aller recueillir ces pauvres hommes quand 
il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, et en trouva 
douze de reste, ausquels il ne dit point le comman- 
dement qu'il avoit du Roy, afin d'attrjpper bon 
nombre de cuirs et de peaux de Loups-marins, dont 
ils avoicnt fait réserve durant lesditcs cinq années. 
Somme, revenus en France, ils se présentent à sa 
Majesté vêtus desdites peaux, de Loups-marins. Le 
Roy leur fait bailler quelque argent, et se retirent. 
Mais il y eut procès entre eux et ledit Pilote, pour 
Il les cuirs et pelleteries qu'il avoit extorqué d'eux; ^23 




Histoire 

dont par après ils composèrent amiablemcnt. F!t d'au- 
tant que ledit Sieur Marquis faute de moycris ne 
continua ses voyages, et peu après deceda, je veux ici 
adjoustcr seulement l'extrait de sadïte Commission 
ainsi que s'ensuit. 



Edit da Roy conlcnant le pouvoir et Commission donnée par sa 
Majesté au Martjm dt Cottenmeal et de ia Roche, pour la 
conqaèti des terres de Canada^ Labrador, lie de SabU, A'o* 
rembergae, et pays adjacens. 



423 



I ENBY, par la grâce de Dieu Roy de France 
ict de Navarre, A tous ceux qui ces pré- 
sentes lettres verront, Salut. Le feu Roy 
François premier, sur les avis qui lui au- 
roient esté donnez que aux iles et païs de Canada, 
lie de Sable, Terres-neuves, et autres adjacentes, 
païs très fertiles et abondans en toutes sortes decom- 
moditez, il y avoit plusieurs sortes de peuples bien 
formez de corps et de membres, et bien disposez d'es- 
prit et d'entendement, qui vivent sans aucune co- 
noiss.ince de Dieu, anroit (pour en avoir plus ample 
conoissance) iceux païs fait découvrir par aucuns 
bons pilotes et gens à ce conoissans. Ce qu'ayant re- 
coneu véritable, il auroit (poussé d'vn zele et arTcction 
de l'exaltation du nom Chrétien) dés le quinzième 
lanvier mil cinq cens quarante, donné potivoirà lean 
François de la Roque, sieur de Robcrval, pour la 
con- tl quête desdits païs. Ce que n'ayant esté exécuté 



DE LA NoVVELLE-FraSCE. 



399 



-lors, pour les grandes afTaîres qui seroient surve- 
nues à cette Gsuronne, Nous avons résolu, pour per- 
fection d'vn si bel œuvre et de si saincte et loUabJe 
entreprise, au lieu dudït feu sieur de Roberval, de 
donner la charge de cette conquête à quelque vaillant 
et expérimenté personage, dont la fidélité et affection 
à nôtre service nous soit conçue , avec les mûmes 
pouvoirs, authoritez, prérogatives et prééminences 
qui csioient accordées audit feu sieur de Robcrval 
par lesdites lettres patentes dudit feu Roy Francis 
premier. 



ft 



SÇAVOIR FAISONS, que pour la bonne et 
ntiere confiance que nous avons de la personne de 
nôtre amc et féal Troïllus du MesgoQets^ Chevalier 
de nôtre Ordre, Conseiller en nôtre Conseil d'Ktat, 
et Capitaine de cinquante hommes d'armes de nos 
ordonnances, Le sieur de la Roche, Marquis de Cot- 
tcnraeal , Baron de Las, Vicomte de Carentcn et 
Sainct-Lo en Normandie, Vicomte de Trevallot, 
sieur de la Roche, Gommard et Quermoalec, de 
Cornac, Bontcguigno et Liscuît, et de ses loliables 
vertus, qualitez et mérites; aussi de l'entière affec- 
tion qu'il a au bien de nôtre service et avancement 
de nos afiaires. Iceluy pour ces causes et autres à ce 
nous mouvans, Nous avons, conformément à la vo- 
lonté du feu Roy dernier dccedc nôtre tres-honoré 
Sieur et frère, qui jà avoit fait élection de sa pcrsonc 
pour l'exécution de ladite entreprise, iceluy fait, fai- 
sons, créons, || ordonnons, establissons parcespre- 434 
sentes signées de nôtre main, nôtre Lieutenant gê- 
nerai csdits paiis de Canada, Hocheiaga, Terres<neuvcs, 




435 



Histoire 

Labrador, rivière de la grand Baye, de Norember- 
guc (i) er terres adjacentes desdites Provinces et ri- 
vières, lesquelles cstans de grande longueur et csten- 
duii de païs. sans Scelles estre habitées par subjcis de 
nul Prince Chrétien, et pour cette saincte œuvre et 
agrandissement de la foy Catholique, cstablîssons 
pour conducteur, chef, Gouverneur et Capitaine de 
ladite entreprise : Ensemble de tous les navires, vais- 
seaux de mer, et pareillement de toutes pcrsones, 
tant gens de guerre, mer, que autres par nous or- 
donnez cr qui seront par lui choisis pour ladite en- 
treprise et exécution, avec pouvoir et mandement 
spécial d'élire, choisir les Capitaines, Maitres de na- 
vires et Pilotes; commander, ordonner et disposer 
souz nôtre authoritê; prendre, emmener et faire par- 
tir des Ports et Havres de nôtre Royaume les nefs, 
vaisseaux mis en appareil, equippez et munis de 
gens, vivres et artilleries et autres choses nécessaires 
pour ladite entreprise, avec pouvoir en vertu de noz 
Commissions de faire la levée de gens de guerre qui 
seront nécessaires pour ladite entreprise, et iceux 
faire conduire par ses Capitaines au Heu de son em- 
barquement, et aller, venir, passer et repasser esdits 
ports étrangers, descendre et entrer en iceux et mettre 
en nôtre main tant par voyes d'amitié ou amiable 
composition si faire se peut, que par force d'armes, 
Il main forte, et toutes autres voyes d'hostilité, as. 
saillir villes, châteaux, forts et habitations, Iceux 
mettre en nôtre obéissance , en constituer et édifier 
d'autres, faire loix , statuts et ordonnances polîtic- 



(i) C'est la rivière de Canada. 



ques, iceux faire garder, observer et entretenir, faire 
punir les delinquans, leur pardonner ei remettre 
selon qu'il verra bon cstre, pourveu toutefois que ce 
ne soient païs occupez ou e.stans souz la sujection et 
obtïssancc d'aucuns Princes et poicniats nos amis, 
alliez et confcdercz. Et ù tin d'augmenter etaccroistre 
le bon vouloir, courage et aflection de ceux qui ser- 
viront à l'exécution et expédition de ladite entrc- 
prisC) et mêmes de ceux qui demeureront csdites ter- 
res, nous lui avons donné pouvoir d'Icelles terres 
qu'il nous pourroit avoir acquises audit voyage, 
fairebailpourcnjouïr parceuxA qui elles seront affec- 
tées et leurs successeurs en tous droits de propieté. A 
scavoir» aux Gcnlils-hommcs et ceux qu'il jugera 
gens de mérite, eu Kiefs , Seigneuries, Chastelenies , 
Corniez, Vicomtoz, Baronnics et autres dignitez re- 
levans de nous, telles qu'il Jugera convenir à leurs 
services : à la charge qu'ils serviront à la tuition et 
defence desdits païs. Et aux autres de moindre con- 
dition, à telles charges et redevances annuelles qu'il 
avisera, dont nous consentons qu'ils en demeurent 
quittes pour les six premières anniies ou tel autre 
temps que nôtredit Lieutenant avisera bon estre et 
conoitra leur estre nécessaire; excepté toutefois du 
devoir et service I| pour la guerre. Aussi qu'au retour 426 
de nôtredit Lieutenant il puisse départir à ceux qui 
auront faille voyage avec lui les gaignages et profits 
mobiliaires provenus de ladite entreprise , et avan- 
tager du tiers ceux qui auront fait ledit voyage; re- 
tenir vn autre tiers pour lui pour ses fraiz et dtîpens, 
et Pautre tiers pour estre employé aux œuvres com- 

26 




402 



Histoire 



427 



munes, ortifications du païs et fraiz de guerre. Et â 
fin que nôtrcdit Lieutenant soit mieux assiste et ac- 
compagné en ladite entreprise^ nous lui avons donné 
pouvoir de se faire assister en ladite armce de tous 
Gentils-hommes j Marchans, et autres noz sujets qui 
voudront aller ou envoyer audit voyage , payer gens 
et équipages et munir nefs ù leurs despens. Ce que 
nous leur défendons trcs-cxprcssément faire ni traf- 
fiquersans le sceu et consentement de nôtrcdit Lieu- 
tenant, sur peine à ceux qui seront trouvez de perdi- 
tion de tous leurs vaisseaux et marchandises. Prions 
aussi et requérons tous Potentats, Princes nos alliez 
et confedereZj leurs Lieutenans et sujets, en cas que 
nôtrcdit Lieutenant ait quelque besoin ou nécessité, 
lui donner aide, secours et confort, favoriser son en- 
treprise. Enjoignons et commandons â tous noz su- 
jets, en cas de rencontre par mer ou parterre, de lui 
esire en ce sccourables et se joindre avec lui, révo- 
quant dés à présent tous pouvoirs qui pourroient 
avoir p.sté donnez, tant par noz prédécesseurs Roys 
que nous, à quelques persones et pour quelque cause 
et occasion que ce soit, au préjudice dudit Marquis 
nôtrcdit Lieu- [j tenant geneml. Et d'autant que pour 
l'ertet dudit voyage il sera besoin passer plusieurs 
contracts et lettres, nous les avons des à présent va- 
lidez cï approuvons, ensemble les seings et seaux de 
nôlredit Lieutenant et d'autres par lui comcnts pour 
ce regard. Et d'autant qu'il pourroît survenir à nôtre- 
dit Lieutenant quelque inconvénient de maladie, ou 
arriver faute d'icclui, aussi qu'à son retour il sera 
besoin laisser vn ou plusieurs Lieutenans : Voulons 



et entendons qu'il en puisse nommer et constituer 
par testament et autrement comme bon lui semUera, 
avec pareil pouvoir ou partie dicelui que lui avons 
donné. Etafin que nôtrcdit Lie utenantpuibsc plust'aci- 
Icmeni mettre ensemble le nombre de gens qui lui est 
nécessaire pour ledit voyage et entreprise, tant de 
Tvn que de l'autre sexe, Nous lui avuns donné pou- 
voir de prendre, élire et choisir, et lever telles pcr- 
sones en nôtredit Royaume, paTs, terres et Seigneu- 
ries qu'il conoitra estre propres , vtiles et nécessaires 
pour ladite entreprise , qui conviendront avec lui 
aller^ lesquels il fera conduire et acheminer des lieux 
où ils seront par lui levez jusqucs au lieu de l'em- 
barquement. Et pource que nous ne pouvons avoir 
particulière conoissance desdits païsetgens étrangers 
pour plus avant spécifier le pouvoir qu'entendons 
donner à nôtredit Lieutenant gênerai, voulons et nous 
plait qu'il ait le même pouvoir, puissance et autho- 
rité qu'il estoit accordé par ledit feu Roy François 
audit sieur de Robcn'al, encorcs || qui! n'y soit ni 
particulièrement spécifié; et qu'il puisse en cette 
charge, faire , disposer et ordonner de toutes choses 
opinées et inopinées concernant ladite entreprise, 
comme il jugera û propos pour nôtre service et les 
affaires et nécessitez le requérir, et tout ainsi et 
comme nous-mêmes ferions et faire pourrions si 
presens en pei"sonne y estions, jacoit que le cas re- 
quiert mandement plus spécial; validans des à presens 
comme pour lors tout ce que par nôtredit Lieutenant 
sera fait, dit, constitué, ordonné et établi, contracté, 
chcvi et composé, tant par armes, amitié, confede- 



428 




i 



404 



Histoire 



ration et autrement en quelque sorte et manière que 
ce soit ou puisse estre pour raison de ladite entre- 
prise, tant par mer que par terre; et avons le tout 
approuve, agréé et ratifie, agréons, approuvons et 
ratifions par ces présentes et l'avouons et tenons , et 
voulons estre tenu bon et valable , comme s'il avoit 
esté par nous fait. 

SI DONNONS en mandement à nôtre amc et 
fcûl le Sieur Comte de Chiverny, ClianceUicr de 
France, et à nos amez et féaux Conseillers, les gens 
tenans noz Cours de Parlement, grand Conseil, Bail- 
lifs, Seneschaux, Prévois, luges et leurs Lîeutenans 
et tous autres nos ÏListiciers, et Officiers chacun en 
droit soy, comme il appartiendra, que nôtredit Lieu- 
tenant, duquel nous avons ce jourd'hui prins et 
recen le serment en tel cas accoutumé, ils facent et 
laissent, souffrent jouir et vser pleinement et paisi- 
blement , à icelui obéir et entendre , et à tous ceux 
429 qu'il appartiendra es choses |[ touchons et concernans 
nôtreditc Lieulenancc. 



MANDONS en outre à tous noz Lîeutenans gé- 
néraux, Gouverneurs de noz Provinces , Admîraux , 
Vic'Admiraux, Maître des ports, havres er passa- 
ges, lui bailler chacun en l'étendue de son pouvoir, 
aide, confort, passage, secours et assistance, et à ses 
gens avouez de lui, dont il aura besoin. Et d'autant 
que de ces prcsentcs l'on pourra avoir affaire en plu - 
sieurs et divers lieux, Nous voulons qu'au V'uiimitsd'i- 
celles dcuëmenl coUutionné par vn de nos amez et 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 



40 5 



féaux Conseillers, Notaires ou Secrétaires, ou fait 
par-devant Notaires Royaux, foy soit adjoutée comme 
au présent original. Car tel est nôtre plaisir. En té- 
moin de quoy nous avons fait mettre nôtre seel esdites 
présentes. Donné à Paris le douzième jour de lan- 
vier l'an de grâce mil cinq cens quatre-vingts-dix- 
huit, et de nôtre règne le neufiéme. 

Signé HENRY. 





L'HISTOIRE DE LA NOVVELLE-FRANCK 
Contenant les voyages des Sieurs de Monts 



Intention de t'Authcur. Avis au Roy sur l'habitation delà Nou- 
veUe-Francc. Commission au Sieur de Monts. Défenses pour 
le trafjic des pelleteries. 

CUAP. I. 

'AY à reciter en ce livre la plus courageuse 
de toutes les entreprises que noz François 
ont faites pour Phabilation de Terres neu- 
ves d'outre l'Océan , et la moins aydée et 
secourue. Le sieur de Monts, dit en son nom Piere 
Dv GvA, Gentilhomme Xaintongeois, en est le pre- 
mier motif, lequel ayant le cœur porté à choses hau- 
tes, et voyant la France en repos par la paix heu- 
reusement traitée à Vervin, Heu de ma naissance, 
proposa au Roy \\ vn expédient pour faire vne habita- 
tion solide csdites terres d'outre-mer sans rien tirer 




40S HiSTOIRB 

des coffres de sa Majesté, qui cslaîi le même Çà 
peu prés) que nous avons vcu ci-dessus avoir esté 
octroyc à. Ëstîennc Chaton, sieur de la lauaayc» et 
iucques Noël, Capitaine de la marine, neveux ec 
héritiers de feu lacques Quartier, sans que toutefois 
ledit Sicurdc Montseust euavis telle chose avoir esté 
auparavant par eux impctrcc (i) Ce conseil trouvé 
bon et vtilc, lettres incontinent furent expédiées au- 
dit sieur pour la Licutcnance générale du Roy es 
terres comprises souz le nom de la Nouvelle-France, 
ju-squcs à certains dcgrcz; et conscjuemment autres 
lettres portant défendes à tous sujets de sa Majesté 
autres qu'icclui sieur de Monts et ses associez, de 
Traffiquer de pelleterie, et autres choses, avec les peu- 
ples habitans Icsdites terres, sur grandes peines, en 
la manière qui s'ensuit. 

Commission du Roy ou Sieur de Monts , 
pour t habitation es terres de la Cadie , 
Canada et autres endroits en la Nouvelle- 
France, 

Ensemble les défenses à tous antres de traffiquer avec Us Sau- 
vages dtsJius terres. 

, BNRY, par la grâce de Dieu Roy de France 
et de Navarre, A nôtre cher et bien amé 
le sieur de Monts, Gentil-homme ordi- 
naire de nôtre Chambre, Salut. Comme 
nôtre plus grand soin et travail soit et ait toujours 

(i) Chdcssas, liv. j, clup. ji. 





DE LA NovVELLE-FrANCE. 



409 



Estdj depuis nôtre avènement ù cette Couronne, de 433 
la maintenir et conserver en son ancienne dignité, 
grandeur et splendeur, d'étendre et amplifier autant 
que leffitimement se peut faire les bornes cl limites 
d*iceUe; Nous estans dès long temps a informez de 
la situation et condition des païs et territoire de la 
Cfldie; Mcuz sur toutes choses d'vn zelc singulier et 
d'une dcvoîe et ferme resolution que nous avons 
prinse. avec l'aide et assistance de Dieu, authcur, 
distributeur et protecteur de tous Royaumes et états, 
de faire convertir, amener et instruire les peuples qui 
habitent eu cette contrée, de présent gens barbares, 
athées, sans foy ne Religion, au Christianisme, et en 
la créance et profession de nôtre foy et religion, et 
les retirer de l'ignorance et infidélité oti ils sont; 
ayans aussi dus long temps reconcu, sur le rapport 
des Capitaines de navires, pilotes, marchans et au- 
tres qui de longue main ont hanté, fréquenté, et traf- 
fïqué avec ce qui &e trouve de peuples esdits lieux, 
combien peut cstre fructueuse, commode et vtilc à 
nous, à noz états et sujets, la demeure, possession et 
habitation d'iceux pour le grand et apparent profit 
qui se retirera par la grande fréquentation et habi- 
tude que l'on aura avec les peuples qui s*y trouvent, 
et le iraffic et commerce qui se pourra par ce moyen 
seurcment traiter et négocier, Novs, pourccs causes, 
à plein conlians de vôtre grande prudence, et en la 
conoissance et expérience que vous avez de la qua- 
lité, condition et situation dudit païs de la ]{ Cadie, 434 
pour les diverses navigations, voyages, et fréquenta- 
tions que vous avez faits en ces terres et autres pro- 
ches et circonvoisines; nous asseurans que cette nô- 




410 



IlSTOIBH 



435 



tre resolution et intention vous estant (.omnoisè, 
vous la sçaurcz attentivement, diligemment et non 
moins courageusement et valeureusement exécuter 
et conduire à la perfection que nous désirons^ Vous 
avons expressément commis et établi, et par ces pré- 
sentes signées de nôtre main, Vous commettons, or- 
donnons , faisons, constituons et établissons nôtre 
Lieutenant gênerai , pour représenter nôtre persone 
aux ptCi^j territoires, câtcs et conlins de la Cadic, à 
commencer dés le quarantième degré jusques au 
quarante-sixième; Et en icelle étendue ou partie 
d'icellc, tant et si avant que faire se pourra, établir, 
étendre et faire conoitre nôtre nom , puissance et 
authorité, et à icelle assujettir, subraettre et faire 
obéir tous les peuples de ladite terre et les circon- 
voisinsj et par le moyen d'icelles et toutes autres 
voycs licites, les appcUer, faire instruire, provoquer 
et émouvoir à la conoissance de Dieu et ù la lumière 
de la Foy et religion Chrétienne , la y établir et en 
l'exercice et profession d'icclle maintenir, garder et 
conserver lesdits peuples et tous autres habituez es- 
dits IteuXj et en paix, repos et tranquillité y corn-, 
mander tant par mer que par terre; ordonner, déci- 
der, et faire exécuter tout ce que vous jugerez se de- 
voir et pouvoir faire, pour maintenir, garder et con- 
server lesdits lieux souz nôtre puissance et authp- 
rité, par les |[ formes, voyes et moyens prescrits par 
nos ordonnances. Et pour y avoir égard avec vous, 
commettre, établir et constituer tous Officiers, tant 
es affaires de la guerre que de lusiice et police pour 
la première fois, et de là en avant nous les nommer 
et présenter, pour en estre par nous disposé et don- 



ner les lettres, tiltres et provisions tels qu'ils seront 
nécessaires. Et selon les occurrences des affaires, 
vous-mêmes avec Pavis de gens prudens et capables, 
prescrire souz notre bon plaisir, des loix, statuts et 
orJounances autant qu'il se pourra conToraics aux 
nôtres, notamment es choses et matières ausquelles 
n'est pourvcu par icellesj traiter et contracter à 
même effet paix, alliance et confédération, bonne 
amitié, correspondance et communication avec les- 
dils peuples et leurs Princes, ou autres ayans pou- 
voir et commandement sur eux : Entretenir, garder 
et soigneusement observer, les traitez et alliances 
dont vous conviendrez avec eux, pourveu qu'ils y sa- 
tisfacent de leur part. Et à ce défaut, leur faire guerre 
ouverte pour les contraindre et amener à telle raison 
que vous jugerez nécessaire, pour Thonneur, obéis- 
sance et service de Dieu, et l'étahlissement, manu- 
tention et conservation de nôtre dite authorite parmi 
eux; du moins pour hanter et fréquenter par vous 
et tous noz sujets avec eux, en toute asseurance, li- 
berté, fréquentation et communication, y ncgoticr et 
trafiquer amiablemcnt et paisiblement, leur donner 
et octroyer grâces et privilèges, charges et honneurs. 
Lequel entier pouvoir susdit, [| Voulons aussi et or* 
donnons que vous ayez sur tous nosdits sujets et 
autres qui se transporteront et voudront s'habituer, 
traftiquer, négocier et résider csdits lieux, tenir, 
prendre , reserver et vous approprier ce que vous 
voudrez et verrez vous cstrc plus commoJc et pro- 
pre à votre charge, qualité et vsage desdites terres, 
en départir telles parts et portions, leur donner et at- 
tribuer tels tiltres, honneurs, droits, pouvoirs et fa- 




436 



4ïa 



Histoire 



437 



cultez que vnus verrez besoin estre , selon les quali- 
tez, conditions et mcritcs des personnes du païs ou 
autres. Sur tout peupler, cultiver et faire habituer 
Icsdites terres le plus promptement, soigneusement 
et dextreraent que le temps, les lieux et commoditez 
le pourront permettre; en faire ou faire faire à cette 
fin la découverturc et reconoissance en l'étendue des 
côtes maritimes et autres contrées de la terre Icrrac 
que vous ordonnerez et prescrirez en l'cspaL-e susdite 
du quarantième degré jusques uu quarante-siiicmc, 
ou autrement tant et si avant qu'il se pourra le long 
desdites côtes et en la terre ferme; Faire soigneuse- 
ment rechercher et reconoitre toutes sortes de mi- 
nes d'or et d'argent, cuivre et autres métaux et mi- 
néraux, les faire fouiller, tirer, purger et aftîner, 
pour estre convertis en vsage, disposer suivant que 
nous avons prescrit par les Edits et règlements que 
nous avons faits en ce Royaume du protit et émolu- 
ment d'icelles, par vous ou ceux que vous aurez éta- 
blis à cet effet, nous reservans seulement le dixième 
denierde ce qui proviendra de celles |[ d'or, d'argent, 
et cuivre, vous affectant ce que nous pourrions pren- 
dre auxdits autre métaux et minéraux, pour aider et 
soulager aux grandes dépenses que la charge susdite 
vous pourra apporter. Voulans cependant que pour 
vôtre seurctd et commodité, et du: tous ceux de noz 
sujets qui s'en iront, habitueront et traffiqueront es- 
dites terreSjCommcgcncralement de tous autres qui s'y 
accommoderont souz nôtre puissance et authortté , 
vous puissiez faire bâtir et construire vn ou plusieurs 
forts, places, villes et toutes autres maisons, demeu- 
es et habitations, ports, havres, retraites et loge- 



ments que vous conoiîrez propres, vtiles ei nécessai- 
res à l'exécution de ladite entreprise. Etablir garni- 
sons et gens de guerre â la garde d'iceux ; vous aider 
et prévaloir aui effets susdits des vagabonds, per- 
sones oyscuses et sans aveu, tant es villes qu'aux 
champs, et des condamnez à bunissemcnl perpétuel, 
ou à trois ans au moins hors nôtre Royaume, pour- 
veu que ce soit par avis et consentement et de l*au- 
thorité de nos Officiers. Outre ce que dessus, et qui 
vous est d'ailleurs prescrit, mandé et ordonné par les 
commissions et pouvoirs que vous u donnez nostre 
très-cher cousin le sieur d'Ampville, Admirai de 
France, pour ce qui concerne le fait et la charge de 
l'Admirauté, en l'exploit, expédition et executiondes 
choses susdites, taire généralement pour la conquête, 
peuplement , hahituaiion et conservation de ladite 
terre de laCadic.ct des côtes, territoires cir- |] convoi- 
sins et de leurs appartenances et dépendances souz 
nôtre nom et authorité, ce que nous-mêmes ferions 
et faire pourrions si presens en persone y estions, 
jacoit que le cas requit mandement plus spécial que 
nous ne le vous prescrivons par cesdïtes présentes, 
au contenu desquelles, Mandons, ordonnons et tres- 
expressémcnt enjoignons à tous nos justiciers, ofii- 
ciers et sujets, de se conformer; Et à vous obeïr et 
entendre en toutes et chacunes les choses susdites, 
leurs circonstances et dépendances; Vous donner 
aussi en l'exécution d'iccllcs tout ayde et confort, 
main-forte et assistance dont vous aurez besoin et 
seront par vous requis, le tout à peine de rébellion et 
desobeïssance; Ht à fin que personne ne prétende 
cause d'ignorance de celte nôtre intention , et se 





438 



4T4 



HtSTOlRE 



439 



vueille immiscer en tout ou partie de la charge, di- 
gnité et authorîté que nous vous donnons par ces 
présentes, Nous avons de noz certaine science, pleine 
puissance et auihorité Royale, révoqué, supprimé et 
déclaré nuls et de nul effet ci-apres et dés à présent, 
tous autres pouvoirs et Commissions, Lettres et ex- 
péditions donnez et délivrez à quelque personc que 
ce soit, pour découvrir, conquérir, peupler et habi- 
ter en l'étendue susdite desdites terres situées depuis 
ledit quarantième degré jusques au quarante-sixième 
quelles qu'elles soient. Et outre ce, mandons et or- 
donnons à tous nosdits Officiers de quelque qualité 
et condition qu'ils soient, que ces présentes, ou Vidi- 
mus deuïmentcol- 1| lationné d'icelles par l'vn de noz 
amez et féaux Conseillers, Notaires et Secrétaires, ou 
autre Notaire Royal, ils faccnt & vôtre requête, pour- 
suite et diligence, ou de noz PiT)cureurs, lire, pu- 
blier et registrer es registres de leurs jurisdictions, 
pouvoirs et détrois^ ccssans en tant qu'à eux appar- 
tiendra , tous troubles et cmpdchemens à ce contrai- 
res. Car tel est nôtre plaisir. Donné à Fontainebleau 
le huitième jour de Novembre, l'an de grâce mil six 
cens trois, et de nôtre règne le quinzième. Signé, 
HENRY. Et plus bas : Par le Roy, Potier. Et 
scellé sur simple queue de cire jaune. 





Défenses du Roy à tous ses sujets autres efiie le siear de Monis 
et ses associe:, de traffiquer de Petfeteries et autres choses 
avec Us Sauvages de Ntendui du pouvoir par luy donné au- 
dit sieur de Monts et ses associez , sur grandes peines. 

lENBY, par la grâce de Dieu Roy de Fiance 
'et de Navarre, à noz amcz et féaux Con- 
seillers, les officiers de nôtre Admirauté, 
de Normandie , Bretagne , Picardie et 
Guyenne, et à chacun d'eux en droit soy, et en l*é- 
tenduîi de leurs ressorts et jurisdictions, Salut. Nous 
avons, pour beaucoup d'importantes occasions, or- 
donné, commis et établi le sieur de Monts, Gentil- 
homme ordinaire de nôtre chambre, nôtre Lieutenant 
gênerai, pour peupler et habituer les terres, côtes cl 
païs de la Cadie, et autres ctrconvoisins, en l'étendue 
duquarantiémcdcgrêjusquesau quarante-sixième; et 
là établir nôtre authorité, et autrement j] s'y loger et 440 
asseureur : en sorte que noz sujets désormais puissent 
estre receuz, et y hanter, résider et traffîquer avec 
les Sauvages habitans desdïcs lieux; comme plus ex- 
pressément nous l'avons déclaré par noz lettres pa- 
tentes cxpcdiécseï délivrées pour cet effet audit sieur 
diC Monts le huitième jour de Novembre dernier, et 
suivant les conditions et articles, moyennant les- 
quelles il s'est chargé de la conduite et exécution de 
cette entreprise. Pour faciliter laquelle , et à ceux 
qui s'y sont joints avec lui , et leur donner quelque 
moyen et commodité d'en supporter la dépcnce, 
nous avons eu agréable de leur permettre et asseu- 




fl 



4i6 



Histoire 



441 



rerqu*il ne seroit permis à aucuns autres noz sujets, 
qu'à ceux qui cnlrcroicnt en association avec lui, 
pour faire ladite dépence , de traffiqucr de pelleterie, 
et autres marchandises, durant dîs années, es terres, 
pais, ports, rivières et avenues Je JVtcnduë de sa 
charge. Ce que nous voulons avoir lieu. Novs, pour 
ces causes et autres considérations à ce nous mou- 
vans. Vous mandons et ordonnons que vous ayez 
chacun de vous en l'ctenduc de voz pouvoirs, juris- 
dictions et détrois à faire de nôtre part, comme de 
nôtre pleine puissance et authorité Royal nous fai- 
sons, très expresses inhibitions et defenccs , à tous 
marchans, maîtres et Capitaines de navires, mate- 
lots, et autres noz sujets de quelque état, qualité et 
condition qu'ils soient , autres neantmoins et fors ù. 
ceux qui sont entrez en association avec ledit sieur 
de Monts pour la- [! dite entreprise , selon les articles 
et conventions d'icclks , par nous arrêtez ainsi que 
dit est, d'eqnjpper aucuns vaisseaux, et en iccux 
aller ou envoyer faire traffic et troque de pelleterie 
et autres choses avec les Sauvages; fréquenter, né- 
gocier, et communiquer durant ledit temps de dix 
ans, depuis le Cup de Kaze jusqucs au quarantième 
degré, comprenant toute la côte de la Cadie, terre et 
Cap Breton, Bayes de Sainct-Cler, de Chaleur, Ile 
Percée, Gachopé, Chinschedec, McsamichJ, Lesquc- 
min , Tadoussac , et la rivière de Canada , tant d'un 
côté que d'autre, et toutes les Bayes et rivières qui 
entrent au dedans desdites côtes : A peine de déso- 
béissance, et contiscation entière de leurs vaisseaux, 
vivres, armes et marchandises, au profit dudù sieuf 
de Monts et de ses associez, et de trente mille livres 



d'amende; pour l'asseurance et acquit de laquelle, et 
de la co^rtion et punition de leur désobéissance, vous 
permettrez comme nous avons aussi permis et per- 
mettons audit sîcur de Monts et ses associez, de 
saisir, appréhender et arrêter tous les conlrevenans à 
nôtre présente dcfence et ordonnance, et leurs vais- 
seaux, marchandises, armes et victuailles, pour les 
amener et remettre es mains de la lustïce, et estre 
procédé tant contre les personnes que contre les 
biens desditz dcsubeïssans ainsi qu'il appartiendra. 
Ce que nous voulons et vous mandons et ordonnons 
de faire incontinent publier et lire par tous les lieux 
et endroits publics de vosdîts pouvoirs et juHsdic- 
lions oU vous jugerez besoin estre , à 1 1 ce qu'aucun 
de nosdtts sujets n'en puisse prétendre cause d'i- 
gnorance, aios que chacun obéisse et se conforme sur 
ce  nôtre volonté. De ce faire nous vous avons donné 
et donnons pouvoir et commission et mandement 
spécial. Car tel est nôtre plaisir. Donné à Paris, le 
dix-huiliéme Décembre l*an de grâce mil six cens 
trois, et de nôtre règne le quinzième. Ainsi signé, 
HENRY. Et plus bas: Par le Roy, Potibb. Et 
scellé du grand seel de cire jaune. 

Ces lettres ont esté coniirmécs par autres secondes 
defences du vingt-deuxième Janvier mil six cens 
cinq. 

Et quant aux marchandises vcnans de la Nouvelle' 
France, voici la teneur des lettres patentes du Roy 
portantes exemption de subsides pour icelles. 



27 




443 



J 



4i8 



HlSTOlJtt 



Déclaration du Roy. 



ENRY^ par la grâce de Dieu Roy de France 
et de Navarre, A nos amez et féaux Con- 
seillers, les gens tenans nôtre Cour des 
Aides à RouCn , Maîtres de noz ports, 
Licutenans, luges et OHicicrs de nôtre Admiraulc, 
et de noz traites foraines établis en nôtre province de 
Normandie, et chacun de vous en droit soy, Salut. 
Nous avons cy-devant, par noz lettres patentes du 
huitième jour de Novembre mil six cens trois, dont 
copie est cy-i'oinie, souz le contre-sccl de nôtre Chan- 
cellerie, ordonné et établi nôtre cher et bien, amé le 
sieur de Monts nôtre Lieutenant generpl représen- 
tant notre persone es côtes, terres et confins de la 
443 Cadie, Canada, et au- |[ 1res endroits en la Nouvelle- 
France, pour habiter Icsdites terres» et par ce moyen 
amènera la conoissance de Dieu les peuples y estans, 
et là établir nôtre authoritc. Et pour subvenir aux 
fraiz qu'il conviendroit faire, par nos autres lettres 
patentes du dix-huitiémc Décembre ensuivant, nous 
aurions donné , permis et accordé audit sieur de 
Monts et â ceux qui s 'associ croient avec lui en cette 
entreprise la traite des pelleteries et autres choses qui 
se troquent avec les Sauvages desdites terres à plein 
specilices parksdites patentes; ayansparlemoyendc 
ce que dit est assez donné à entendre quelesdits pals 
estoient par nous reconuz de nôtre obéissance, et 
les tenir et avoQer comme dépendances de nôtre 
Royaume et Couronne de France. Neantmoins nos 



Officiers des traites foraines, ignoranspeut estre jus- 
qucs à ceîte heure nfitre volonté, veulent au préju- 
dice d'icclle contraindre Icdrl sieur de Monts et ses 
associez de payer les mêmes droits d'entrée des mar- 
chandises vcnans desdits pais, qui sont deuz par 
celles qui viennent d'Hespagne et autres contrées 
étrangères, ne se contcntans que pour icelles l'on ait 
paie noz droits d'entrée deuz aux lieux où elles ont 
esté déchargées, et aux autres endroits où elles ont 
depuis passé par nôtre Royaume, que doivent les 
marchandises y venans de noz autres provinces et 
terres de nôtre obcïssance estans du cru d'icclles. Et 
de fait vn nomme François le Buffe, Pvn des gardes 
à cheval du bureau de noz traites foraines à CaËn, 
auroit arrêté souz ce prétexte dés le || vnziéme jour 
de Novembre dernier, au lieude Condé sur Narreau, 
vingt-deux balles de castors, appartenans audit sieur 
de Monts et ses associez, vcnans desdites terres de la 
Cadic et Canada, prétendant pour le fermier gênerai 
desdites traites foraines de Normandie, nôtre Pro- 
cureur joint, la confiscation desdites marchandises. 
Ce qui est et seroit grandement préjudiciable audit 
sieur de Monts et ses associez, frustrez de l'espe- 
rancc qu'ils avoient de faire prompiement argent 
d^celles marchandises, pour subvenir et emploier A 
l'achapt des vivres et munitions et autres choses né- 
cessaires qu'il convient envoyer cette année avec 
nombre d'hommes pour l'exécution de ladite entre- 
prise. L'cffecî de laquelle demeurant par ce moyen 
traversé et interrompu au prcjudice de nostre service, 
Et voulons y remédier et sur ce faire conoitrc à cha- 
cun nôtre intention, à fin que l'on n'en puisse pre- 



444 




420 



Hjstoihe 



tendre à l'avcnircausc d^jgnorance. Povr cescavses, 
et pour la considération et mérite particulier de cet 
affaire, du bon succez duquel par la prudente con- 
duite dudit sieur d*; Monts, nous espérons vn grand 
grand bien devoir réussir à la gloire de Dieu, salut 
des Barbares, honneur et grandeur de nos états et 
seigneuries, Nous avons déclaré et déclarons par ces 
présentes, que toutes marchandises qui à l'avenir 
viendront desdits puis de la Cadîc, Canada, et autres 
endroits qui sont de l'estenduë du pouvoir par nous 
donné audit sieur de Monts et spécifiez par nosditcs 
44S lettres des huituime Novembre || et dix-huitiéme Dé- 
cembre mil srx cens trois, lesquelles ledit sieur de 
Monts et scsdits asaocicz feront amener desdits lieux 
en notre Royaume, suivant la permission qu'ils en 
ont, ou auircs de leur gré, congé et exprés consente- 
ment, ne payeront autres ne plus grands subsides 
que les droits d'entrée, et ceux qui se payent d'ordi- 
naire pour les marchandises qui passent de i'vne de 
noz Provinces en l'autre, et qui sont du cru d'icellcs. 
Et pour le regard des vingt-deux balles de castors 
saisis et arrêtez comme dit esi , par ledit François le 
Buffe, audit lieu de Condc sur Narreau : Pour les 
mêmes raisons et considérations susdites, Nous avons 
fait et faisons uudit sieur de Monts et ses associez 
pleineet entière main-levée d'icellcs vingt-deux balles 
de castors. Voulons et nous plait prompte et entière 
restitution et délivrance leur en estre faite, en payant 
toutefois pour iceîles, les droits d'entrée en nôtre 
province de Normandie, que doivent lesdiics mar- 
chandises, selon qu'ils se payent au bureau é:ably au 
lieu de laBiu-rc, entre les mains de nôtre fermier 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 43 1 

gênerai desdites traites foraines , ou son commis au- 
dit Bureau de Caën, sans autres fraiz ny dépens. Et 
en ce faisant, voulons et ordonnons que chacun de 
vous en droit soy, vous faites, souffrez et laissez 
jouïr ledit sieur de Monts et sesdits associez , pleine- 
ment et paisiblement de l'entier et prompt effet de 
nôtre présente déclaration , vouloir et intention. Si 
vovs MANDONS publicr, lire et registrer ces présentes, 
chacun en l'étendue de voz ressorts que besoin sera, 
à la di- Il ligence dudit sieur de Monts et de sesdits 446 
associez. Cessans et faisans cesser tous troubles et 
empechemens à ce contraires; Gontraignans et fai- 
sans contraindre à ce faire, souffrir et y obeïr tous 
ceux qu'il appartiendra, mêmes ledit le Buffe, en- 
semble nôtredît fermier du bureau de Caën et ses 
commis, à la délivrance et restitution desdites 22. 
balles de castors , et de mêmes à la décharge des 
pleigeset cautions, si aucuns sont baillez pour asseu- 
rance desdits castors, et generallement tous autres qui 
pour ce seront à contraindre par toutes voyes deuës 
et raisonnables, nonobstant oppositions ou appella- 
tions quelconques, pour lesquelles et sans préjudice 
d*icelles ne sera par vous différé. De ce faire vous 
avons donné et donnons pouvoir, authorité, com- 
missions et mandement spécial. Et par ce que de ces 
présentes l'on auï-a affaire en plusieurs lieux, nous 
voulons qu'au Vidimus d'icelles deuëment coUationné 
par l'vn de noz amez et féaux Conseillers, Notaires et 
Secrétaires, ou autre Notaire Royal, foy soit ad- 
joutée comme au présent original. Car tel est nôtre 
plaisir. Donné à Paris , le huitième jour de Février 
l'an de grâce i6o5 , et de nôtre règne le seziéme. 



423 



HiSTOIHB 



Ainsi signé, HENRY. Et plus bas : Par le Roy, 
Potier. Et scelle en simple queue du grand sceau 
de cire jaune. 

Lesdiles lettres patentes du î8. Novembre et i8. 
Décembre i6o3. et autres du dix-nculiémc lanvier 
mil six cens cinq , ont esté verîiiées en la Cour de 
Parlement de Paris le scziémc Mars mil six cens 
cinq. 



447 ^oj^S' ^" ^''^'' ''^ ^fonis tn la Noavetk-Fratia. Des atci- 
dens sarv-nus audit i>ayage. Causes dis b.vtcs de glaces en 
ta Terre-Neuve. Imposisians de noms à certains ports. Per- 
plexité pour le returdcnunt de Vautre rtarire, 

Chap. II. 

|b sieur de Monts ayant fait publier les 

Commissions et defen.ses susdites par la 

France et particulièrement par les villes 

maritimes de ce Royaume, il fit equippcr 

deux navires, l'vn soux la conduite du Capitaine Ti- 

mothée, du Havre de Grâce, l'autre du Capitaine 

Morel, de Honfleur. Dans le premier il se mit avec 

bon nombre de gens de qualité tant Gentils-hommes 

qu'autres. Et d'autant que le sieur de Poutrincourt 

estoit désireux dés y avoit long temps de voir ces 

terres de la Nouvelle- France, et y choisir quelque 

lieu propre pour, s'y retirer, avec sa famille, femme 

et enfants, pour n'cstre des derniers qui courront el 

participeront ùl la gloire d'vne si belle et généreuse 



entreprise, il lui print envie d'y aller. El de fait il 
s'emtxirqua avec ledit sieur de Monts , et quant et 
lui Bt perler quantii<id*armcs et munitions de guerre, 
et levèrent les ancre* du Havre de Grâce le septième 
jour de Mars l'an mil six cens quatre, Maisestans 
partis de bonne heure i| avant que l'biver eust eucor 
quitte sa robbe fourrée, Us ne manquèrent point de 
trouver des bancs de glaces, contre lesquels ils pen- 
sèrent heurter et se perdre; mais Dieu, qui jusques 
à présent a favorisé ïa navigation de ces voyages, les 
préserva. 

On se pourroit étonner, et non sans cause, pour- 
quoy en même parallèle il y a plus de glaces en cette 
mer qu'en celle de France. A quoy je nipond que les 
glaces que l'on rencontre en cetiedite mer ne sont 
pas originaires du climat, maïs viennent des parties 
Septentrionales poussées sans empeschemeni parmi 
les plaines de cette grande mer par les ondées, bour- 
rasques et âots impétueux que les vcnt^ d'Elst et du 
Nort élèvent en hiver et au printemps, et les chas- 
sent vers le Su et L*Oilest. Mais la mer de France est 
couverte de l'Ecosse, Angleterre et Irlande, qui est 
cause que les glaces ne s"y peuvent décharger. Il y 
pourroit aussi avoir vne autre raison prise du mou- 
vement de la mer, lequel se porte davantage vers ces 
paTtics>là, à cause de la course lu plus grande qu'il a 
à foire vers l'Amérique que vers les terres de deçà. 
Or le péril de ce voyage ne fut seulement à la ren- 
contre desdits bancs de glaces , mais aussi aux tem- 
pête» qu'ils curent à soulirir, dont y en eust vnc qui 
rompit les galleries du navire. Et en ces affaires y 



448 




4H 



H 



ISTOIRE 



eut vn menuisier qui d'vn coup de vague fut porté 
au chemin de perdition, hors le bord, mais il se 
retint à vn cordage qui par cas d'aventure pcndoit 
hors icelui navire. 
449 Ij Ce voyjge fut long û cause des vens contraires, 
ce qui arrive peu souvent à ceux qui partent en Mars 
pour aller aux Tcrrcs-ncuvcs, lesquels sont ordinai- 
rement poussez de vent d'Est ou de Nort propres à 
la route d'icelles terres. Et ayans pris leur brisée au 
Su de rilc de Sable pour éviter les glaces susdites. 
Us pensèrent tomber de Carybde en Scylle^ et s'aller | 
échouer vers ladite île durant les brumes épaisses 
qui sont ordinairement en celti mer. 

En rtn Je sixième de May ils terrireni à vn certain 
port, où ils trouvèrent le Capitaine Rossignol, du 
Havre de Grâce, lequel troquoit en pelleterie avec 
les Sauvages, contre les dclcnses du Roy. Occasion 
qu'on lui confisqua son navire, et ("ut appelle eu port 
le Port du Rossignol, ayant eu en ce desastre vn bien 
qu'vn port bon et commode en ces côtes-là est 
appelle de son nom. 

De là, côtoyans et découvrans les terres, ils arri- 
vèrent à vn autre port, qui est très-beau , lequel ils 
appelèrent le Port da Mouton, à. l'occasion d'un mouton 
qui s'estant noyé revint tl bord, et fut mangé Uc 
bonne guerre. C'est ainsi que beaucoup de noms an- 
ciennement ont este donnez brusquement et sans 
grande délibération. Ainsi le Capitolc de Rome eut 
son nom, parce qu'en y fouissant on ti-uuva vne tête 
de mort. Ainsi la ville de Milan a esté appeliée Mtdio- 
ianam, c'est-à-dire demi-iaine, parce que les Gaullois, 



DE LA NoVVBLLE-FraNCB. 



425 



ai 



1 



iettans les fonJemens d'icelle, trouvèrent vnc truyc 
qui estoit â moitié couverte de laine. Et ainsi ùq 
plusieurs autres. 

Estans au Port du Mouton , ils se cabancrent|| là 
A Ifl mode des Sauvages, attendans des nouvelles de 
Tautre navire, dans lequel on avoît mis les vivres et 
autres choses ncccssai.es pour la nourriture et entre- 
tenement de ceux qui estoieni de la réserve pour hi- 
verner, en nombre d'environ cent hommes. En ce 
Port ils attendirent vn mois en grande perplciJiè, de 
crainte qu'ils avoicnt que quelque sinistre accident 
ne fust arrivé à l'autre navire, parti dés le dixième 
de Mars, oîi cstoicnt le sieur du Pont, de Honfleur, 
et le Capitaine Morcl. Et ceci estoit d'autant plus 
important, que de la venue de ce navire dépendoit 
tout le su-'CL'z de l'afTuire. Car mcmcsur celte lonf{uc 
attente il fut mis en délibération sçavoir si on rc- 
tourneroitcn France, ou non. Le sieur de Poutrjn- 
courl fut d'avis qu'il valoir mieux là mourir. A quoysc 
conforma ledit sieur de Monts. Cependant plusieurs 
alloient à la chasse, ei plusieurs û la pêcherie, pour 
ire valoir la cuisine. Prés ledit Port du Moutnn il 
y a vn endroit si rempli de lapins, qu'on ne man- 
geoit prcque autre chose. Cependant on envoya le 
sieur Charaplcin avec vnc chaloupe plus avant cher- 
cher vn lieu propre pour la retraite, et tant demeura 
en cette expédition, que sur la délibération du retour 
on le pensa abandonner : car il n'y avoit plus de vi- 
vres, et se servûit-ou de ceux qu'on avoit trouves au 
navire de Rossignol, sans lesquels il eust fallu s'en 
revenir en France, et rompre vnc belle entreprise à 
sa naissance, ou mourir la de faim après avoir lait la 




450 



426 



Histoire 



chasse aux lapins, qui n'eussent tou)ours duré. Or 

45 1 ce qui causa ce retardement de la || venue desdits 
sieur du Pont et Capitaine Morel, turent deux occa- 
sions, l'vneque manquansde bateau, ils ^'amusèrent 
à en bâtir vn en h lerre oU ils arrivèrent première- 
ment) qai Fut le Port aux Angloîs ; l'autre qu'estans 
venus au Port Je Campseau, ils y trouvèrent quatre na- 
vires de Basques qui troquoient avec les Sauvages 
contre les défenses susdites , lesquels ils dépouillè- 
rent et en amenèrent les maitres autlit sieur de 
Monts, qui ks traita fort humainement. 

Trois semaines passées , icelui sieur de Monts 
n*ayant aucunes nouvelles dudtt navire qu'il atten- 
doit,delibera d'envoyer le long delà côte les chercher, 
et pour cet etfect dépêcha quelques sauvages, ausquels 
il bailla vn françois pour les accompagner avec let- 
tres. Lesdits Sauvages promirent de revenir ù point 
nommé dans huit jours, â quny ils ne manquèrent 
point. Mais comme la société de Phomme avec la 
femme bien d'accois ensemble est vnc chose puis- 
sante, ces Sauvages devant que paitir curent soin de 
leurs femmes et enfans, et demandèrent qu'on leur 
baillât des vivres pour eux. Ce qui fut fait. Ets*es- 
tans mis à la voile, trouvèrent au bout de quelques 
jours ceux qu'ils chcrchoicnt en vn lieu dit la Baye 
des lla^ lesquels u'estaîent moins ea peine d udîc sieur 
de Monts que lui d'eux, n'ayans en leur voyage 
trouvé les marques et enseignes qui avoient esté 
dites; c'est que le sieur de Monts passant ù Campseau 
devoit laisser quelque Cruîx à vn arbre, ou missive 
y iittachée. Ce qu'il ne fit point, ayant outre-passé 

452 ledit lieu de Campseau de beaucoup pour || avoir pris sa 




DE LA NoVVKLLE-FilANCE. 



427 



k 



roule trop au Su, à cause de& bancs de glaces, comme 
nous avons die. Ainsi, après avoir leu les lettres, les- 
dits sieur du Pont et Capitaine Morel se Jêcharge- 
rent des vivres qu'ils avoient apportes pour la provi- 
sion de ceux qui dévoient hiverner, et s'en retournè- 
rent en arrière vers la grande rivicrc de Canada pour 
la traite des pelleteries. 



Débarquement da Port au Mouton. Accident 4'vn homme 

perdu séz€ jours dans les haïs. Haye Françoiie. Port-RoyjL 

^. Hmere de PEt^mlle. Mine de cuivre. Mai-heur des mines 

^B (Tor, DiamanSy Turquoises. 



Chap. IM. 




^: 



ovTB la Nouvelle France en fin assem- 
blée en deux vaisseaux, on lève les ancres 
du Port au Mouton pour employer le temps 
et découvrir les terres tant qu'on pour- 
roir avant l'hiver. On va gaigner le Cap de SabtCy et de 
là on fait voile à la Baye Sainde-Marie , ob noz gens 
furent quinze jours à lancrc, tandis qu'on reconois- 
soit les terres et passages de mer et de rivières. Cette 
Baye est vn fort beau lieu pour habiter, d'autant 
qu'on est là tout porté à la mer s^ns varier. Il y tt de 
minede fer et d'argent, mais elle n'est point abon- 
ante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delA et en 
France. Apres avoir là séjourne douze ou tréze 
Kiurs, il arriva vn accident étrange tel que ]'e|[vay 453 
dire. 11 avoit pris envie â vn certain Iiommc d'E- 




428 



Histoire 



454 



glise, Parisien de bonne famille, de faire voyage: 
le sieur de Monrs , et cv contre le gré de ses pai 
lesquels envoyèrent exprès à Honfleur pour lel 
verîir et r'amener à. Paris. Or, les navires csians* 
Tancre en ladite 5uye Suincte Marie , il se mit en 
troupe de quelques vns qui s'alloient égayer par le 
bois. Avini que s'étant arrêté pour boire ù vn ruïi 
seau il y oublia son cpée, et poursuivoit son chemij 
avec les autres quand il s^cn appcrccut. Lors il 
tourna en arrière pour l'aller chercber ; mais l'ayai 
Trouvée, oublieux de la part d'où il estoit venu , 
regarder s'il falloit aller vers le Levant, ou le P< 
nant, ou autremcni (car il n*y avoît point de sei 
lier) il prent sa voye à conire-pas, tournant le d( 
à ceux qu'il avoît laissé , et tant fait par ses allées 
venui-s qu'il se trouve au rivage de la mer, là où 
voyant point de vaisseaux (car ils estoient en l'aul 
part d'vnc langue de terue qui s*avancc à la mer), 
s'imagina qu'on l'avoil délaissé, et se mit à lamente 
sa fortune sur vn roc. La nuit venue, chacun estât 
retiré, on le trouve menquer; on le demande à cet 
qui avoient esté es bois, ils disent en quelle façon 
estoit parti d'jvcc eux, et que depuis ils n'en avoieï 
point eu de nouvelles. Déjà on accusait vn certaîi 
de la religion prétendue reformée de l'avoir tu^ 
pour ce qu'ils se picquoient quelquefois de propï 
pour le fait de ladite religion Somme on fait sonn^ 
la trompette parmi la forest, on tire le canon ph 
sieurs fois. Mais en vain. Car k bruit de la mer pli 
Il fort que tout cela rcchassoit en arrière le son 
dits canons et trompettes. Deux,tro;s, et quatre joui 
se passèrent. Il ne omparoit point. Cependant 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 429 

temps pressoit de partir, de manière qu'après avoir 
attendu jusques à ce qu'on le tenoit pour mort, on 
leva les ancres pour aller plus loin , et voir le fond 
d'vne baye qui a quelques quarante lieues de lon- 
gueur et quatorze, voire dix-huit de largeur, laquelle 
a £sté appellée la Baye Françoise. 

En cette Baye est le passage pour entrer en vn port, 
auquel entrèrent nos gens, et y firent quelque séjour, 
durant lequel ils eurent le plaisir de chasser vn 
Ellan , lequel traversa à nage vn grand lac de mer 
qui fait ce Port, sans se forcer. Cedit port est envi- 
ronné de montagnes du côté du Nort : vers le Su ce 
sont coteaux, lesquels (avec lesdites montagnes) ver- 
sent mille ruisseaux, qui rendent le lieu agréable 
plus que nul autre du monde , et y a de fort belles 
cheutes pour faire des moulins de toutes sortes. A 
l'Est est vne rivière entre lesdits côtaux et monta- 
gnes , dans laquelle les navires peuvent faire voile 
jusques à quinze Heuës ou plus , et durant cet espace 
ce ne sont que prairies d'vne part et d'autre de ladite 
rivière , laquelle fut appellée VEquille ,' parce que le 
premier poisson qu'on y print fut vne Equille. Mais 
ledit Port pour sa beauté fut appelle le Port- 
Royal. Le sieur de Poutrincourt ayant trouvé ce 
lieu à son gré, il le demanda, avec les terres y conti- 
nentes, au sieur de Monts, auquel le Roy avoit par 
la commission insérée ci-dessus baillé la distribution 
des terres j| de la Nouvelle-France depuis le quaran- 45 5 
tiéme degré jusques au quarante-sixième. Ce qui lui 
fut octroyé, et depuis en a pris lettres de confirma- 
tion de sa Majesté, en intention de s'y retirer avec 
sa famille, pour y établir le nom Chrétien et Fran- 



43o 



Histoire 



çois tant que son pouvoir s*étendra, et Dieu lui en 
doint le moyen. Ledit Port a huit lieues de circuit, 
stins comprendre la rivière de TEquille, dite mainte- 
nant la ri%*iere du Dauphin. 11 y a deux îles dedans 
fort belles et agrcablcs, l'vne ù l'cnlrce de ladite ri- 
vière, que je fay de lu grandeur de la ville de Beau- 
vaîs; l'autre à côté de lembouchure d'vnc autre ri- 
vière large comme la rivière d'Oise, ou Marne, en 
trant dans ledit Port; ladite ilc préque de la grandeur 
de l'autre; et toutes deux Ibretîcrcs. C'est en ce Port et 
vis-à-vis de la première ile que nous avons demeuré 
trois ans après ce voyage. Nous en parlerons plus a 
picment en autre lieu cî-aprcs. 

Au partir du Purl-Royaî, tis firent voile à la mine 
de cuivre de laquelle nous avons parlé ci-dessus (i). 
C'est vn haut rocher entre deux bayes de mer où le 
cuivre est enchâssé dans la pierre, fort beau et fort 
pur, tel que celui qu'on dit cuivre de rozefte. Plu- 
sieurs orfèvres en ont veu en France, lesquels disent 
qu'au dessous du cuivre il y pourrolt avoir de la 
mine d'or. Mais de s'îiniuser à la rechercher, ce n'est 
chose encore de saison. La première mine, c'est d'» 
voir du pain et du vin, et du bestial, comme nou 
disions au commencement de cette histoire. Nôtre 
456 félicité ne git point es mines, principale- 1| ment d'o*" 
et d'argent, k-squellcs ne servent point au labourage 
de la terre, ni A l'vsage des métiers. Au contraire l'a 
bondance d'icelles n'est qu'vne sarcine, vn fardeau, 
qui tient l'homme en pcrpctucHc inquiétude, et tant 
plus il en a, moins a-il de repos, et moins lui est sa 
vie asseuree. 



IL , 



(0 l'iv- il ctup. 2S et 39. 



DE LA NoVVSLLK-FrANGE. ^1 

Avant les voyages du Pérou, on pouvoii serrer 
beaucoup de richesses en peu de piace, au lieu qu'au- 
lourd'hui l'or et Targenr cstans avillis par l'abon- 
dance, il faut des grands coffres pour retirer ce qui 
se pouvoii mettre en vnc petite bouge. On pouvoit 
faire vn long Irait de chemin avec vnc bourse dans 
^b10 manche, au lieu qu'aujourd'hui îl faut vnc valizc 
^Ptt vQ cheval exprtîs. Et pouvons à bon droit maudire 
l'heure quand jamais Tavaricca porté THespagnol en 
l'Occident, pourlcs mal-heurs qui scn sont ensuivis. 
Car quand ju considère que par son avarice il a al- 
lumé et entretenu la guerre en toute la Chrétienté, 
a - et s*cst cstudic i\. ruiner ses voisins, et non point le 
^^frurc, je ne puis penser qu'autre que le diable ait 
^^TSti! authcur de leurs voyages. Et ne iaut point m*al- 
leguer ici le prétexte de la Religion. Car (comme 
nous avons dit ailleurs) ils ont tout tuez les origi- 
naires du païs avec des supplices les plus inhumains 
que le diable a peu excogiter. Et par leurs cruautés 
ont rendu le nom de Dieu vn nom de scandale â ces 
pauvres peuples, et l'ont blasphémé continuellement 
par chacun jour au milieu des Gentils, ainsi que le 
Prophète le reproche au peuple d'Israël (i). Témoin 
celui qui aima mieux || estre damné que d'aller au 
Paradis des Hespagnols. 

Les Romains (de qui l'avarice a toujours esté in- 
satiable) ont bien guerroyé les nations de la terre 
pour avoir leurs richesses, mais les cruautés Hespa- 
gnoles ne se trouvent point dans leurs histoires. Ils 
sont contentez de dépouiller les peuples qu'ils 



457 



(1^ Esai. J2, vers. j. Ci-dessus, IJv. (, chap. iS. 



432 Histoire 

oat veincus , sans leur ôter la vie. Un ancien au- 
theur Payen (i), faisant vn essay de sa veine Poéti- 
que, ne trouve point plus grand crime en eux, sinon 
que s'ils découvroient quelque peuple qui eust de 
l'or, il estoit leur ennemi. Les vers de cet Autheur 
ont si bonne grâce que je ne me puis tenir de les cou- 
cher ici, quoy que ce ne soit pas mon intention d'al- 
léguer gueres de Latin : 

Orbemjam totum Romanus victor habebat, 
Qaà mare, qaà terra, quà sidas curr'it vtram(^ue, 
Nec satiatas erat : gravidis fréta puisa carinis 
îam per agrabantur : si quis sinus abditus vltra^ 
Si qua foret îellus qu^fulvum mitteret auram 
Hosîis erat : fatisque in tristia bella paraîis 
Qu£rebanlur opes. 

Mais la doctrine du sage fils de Sirach nous en- 
seigne toute autre chose. Car reconoissant que les 
richesses qu'on fouille jusques aux antres de Pluton 
sont ce que quelqu'vn a dit, irritamenta malorum, il apro- 
noncé celui-là heureux qui n'a point couru après l'or , et n'a 
point mis son espérance en argent et thresors, adjoutant qu'il 
doit estre estimé avoir fait choses merveilleuses, entre tous ceux 
de son peuple , et estre l'exemple de gloire , lequel a esté tenté 
par Tor, et est demeuré parfait (2). Et par vn sens con- 
458 II traire, celui là malheureux qui fait autrement. 

Or, pour revenir à noz mines, parmi ces roches de 
cuivre se trouvent quelque fois des petits rochers 

(1) Petronius Arbiter. 

(2) Ecclesiast. 31, vers. 8, 9 et 10. 



DE LA NovvELLE- France. 433 

couverts de Diamans y attachés. le ne veux asseurer 
qu'ils soient fins, mais cela est agréable à voir. Il y a 
aussi de certaines pierres bleues transparentes , les- 
quelles ne valent moins que les Turquoises. Le sieur 
de Champdoré nôtre conducteur es navigations de ce 
païs-là , ayant taillé dans le roc vne de ces pierres, 
au retour de la Nouvelle-France il la rompit en deux, 
et en bailla l'vne au sieur de Monts, l'autre au sieur 
de Poutrincourt, lesquelles ils firent mettre en œuvre, 
et furent trouvées dignes d'estre présentées, l'vne au 
Roy par ledit sieur de Poutrincourt, l'autre à la 
Roynepar ledit sieur de Monts, et furent fort bienre- 
ceuës. l'ay mémoire qu'un orfèvre offrit quinze escus 
au sieur de Poutrincourt de celle qu'il présenta à sa 
Majesté. 11 y a beaucoup d'autres secrets et belles 
choses dans les terres, desquelles la conoîssance n'est 
point encore venue jusques à nous, et se découvri- 
ront à mesure que la province s'habitera. 




28 



434 



HlSTOtRE 



459 (1 Description de la rivière Sainct-îean et de t'Ue Saincte-Croix. 
Homme pirda dans les bois trouvé te seziéme jour. Exemples 
de q\u}ques abstinences étranges. Dijfcrems des Sauvages 
remis au jugement du sieur de Monts. Authorité paterruU en' 
trt lesdils Sauvages. Quels maris clwisissent à leurs fUUs» 

Chap. III. 



460 



PRES avoir reconii ladite mine, la troupe 
, passa de l'aute côté de la Raye Françoise, 
,et allèrent vers le profond d'icelle; puis 
en tournant le Cap vindrcnl en la 
rtricif Sainct-Iciin^ ainsi appellée (à mon avts) pour ce 
qu'ils y arrivèrent le vingt-quatrième luin, qui est le 
jour et fête de S. lean Baptiste. Là il y a vn beau port, 
mais L'entrée en est dangereuse à qui lï'en sçaît les 
addresses, parée que hors icelle entrée il y a vn 
long banc de rochers qui se découvrent seulement 
de basse mer, lesquelz servent comme de rempart à 
ce port, dans lequel quand on a esté une lieue, on 
trouve un sfiut impétueux de ladite rivière, laquelle 
se précipite en bas des rochers , lors que la mer 
baisse, avec vn bruit merveilleux : car cstans quel- 
quefois à l'ancre en mer nous l'avons ouï de plus de 
deux lieues. Mais la mer étant haute on y peut pas- 
ser avec de grands vaisseaux. Cette rivière est vne 
des plus belles qu'on puisse voir, ayant quantité 
d'ilcs, et fourmillant en poissons. Cette année der- 
nière mil six cens huit, ledit Sieur (| de Cbampdorû 



DE LA NovvELLB- France. 



435 



al 

: 



vcc vn des gens dudït sieur de Monts, a esté quel- 
ques cinquante licuës ù-mont icellc, et témoignent 
qu'il y a grande quantité de vignes le long du rivage, 
niais les raisins n'en sont si gros qu'au pals des Ar- 
tnouchiquois; il y a aussi des oignons, et beaucoup 
d'autres sortes de bonnes herbes, Quant aux arbres, 
ce sont les plus beaux qu'il est possible de voir. Lors 
que nous y estions nous y rcconcumes des Cadres en 

rand nombre. Au regard des poissons, ledit Champ- 
'dorc nous a rapporte qu'en mettant la chaudière sur 
le feu ils en avoienc pris suffisamment pour eux dis- 
ner avant que l'eau fust chaude. Au reste, cette ri- 
vière s'etendant avant dans les terres, les Sauvages 
abbregent merveilleusement de grands voyages par 
le moyeu d'icelle. Car en six jours ils vont à Gaclupéy 

aîgnant la baye ou golfe de Chaleur quand ils sont 
au bout, en portant leurs canots par quelques lieuC-s. 
Et par la même rivière en huit jours ils vont à 
TaJoussdc par vn bras d'icdlc qui vient devers le No- 
rouëst. Di; sorte qu'au Port-Royal on peut avoir en 
quinze ou dix-huit jours des nouvclLcs des François 
habituez en la grande rivière de Canaid par de telles 
voyes, ce qui ne se pourroit taire par racr en vn 
mois, ni sans hasard. 

Quittant la rivière Sainct-Ican, ils vindrcnt suivant 
la côte à vingt lieues de là en vne grande rivière (qui 
est proprement mer) où ils se campèrent en vne pe- 
tite île size au milieu de cette rivière, que ledit sieur 
^Champlein avoit esté rcconoitrc. Et la voyant tbrte 

e nature || et de facile garde, joint que la saison 
commeni^oit à se passer, et partant falloit penser de 
se lugct-, sans plus courir, ils résolurent de s'y arré- 




46J 



436 



Histoire 



462 



ter. le ne veux point rechercher curieusement les 
raisons des vns et des autres sur la rcsoluiioa de cette 
demeure, mais je scray toujours d'avis que quicon* 
que va en vn pals pour posséder Li terre ne s'arrête 
point aux ilcs pour y estrc prisonnier. 

Car avant toutes choses il faut se proposer la cul- 
ture d'icelle terre. £t je demanderois volontiers 
comme on la cultivera s'il faut à toute heure, matin, 
midi et soir, passer avec grand'pcinc vn large trajet 
d'eau pour aller aux choses i:ju'on requiert de la terre 
fermer Et si on craiui Tennemi, comment se sauvera 
celui qui sera au labourage ou ailleurs en affaires né- 
cessaires, estant poursuivi ? Car on ne trouve point 
toujours de bateau à point nommé, ni deux hommes 
pour le conduire. D'ailleurs nôtre vie ayant besoin 
de plusieurs commodités, vne ile n'est pas propre 
pour commencer l'établissement d*une colonie s'il 
n*y a des courans d'eau douce pour Je boire et le mé- 
nage, ce qui n'est point en des petites îles. Il faut 
du bois pour le chauffage, ce qui n'y est point sem- 
blablemcnt. Mais surtout il faut avoir les abris des 
mauvais vents et des froidures, ce qui est difficile de 
trouver en vn petit espace environné d*cau de toutes 
parts. Neantmoins la compagnie s'arrêta là au milieu 
d'une rivière large oCi le vent de Nort et Norouëst 
bat â plaisir. Et d'autant qu'à deux licuCs au dessus 
il y a des ruisseaux qui viennent comme en croix se 
déchar- [] ger dans ce large bras de mer, cette ile de la 
retraite des François fut appelée Saincte-Crûix , 
a vingt-cinq lieues plus loin que le Port-Royal. Or 
ce-pendant qu'on commencera à couper et abattre les 
Cèdres et autres arbres de ladite ile pour faire les ba- 



h 



DB LA NovVELtE-FFANCE. 



437 



timents nécessaires, retournons chercher Maître Ni- 
colas Aubrî , perdu dans les bois, lequel on lient 
our mort il y a long temps. 
Comme on estoit après à déserter llle, le sieur 
hampdorc, fut r*envoyc à la Baye Sainctc-Maric 
vec un maître de mines qu'on y avoit amen£ pour 
tirer de la mine d'argent et de fer, ce qu'ils firent. Et 
comme ils eurent traversé la Baye Françoise, ils en- 
trèrent en ladite Baye Saîncte-Marie^par vn passage 
étroit qui est entre la terre du Port-Royal et vnc ilc 
dite Vile Longue, là oti après quelque séjour, allans pé- 
cher, ledit Aubri les appcrccut , et commença d'vne 
foibîe voix à crier le plus hautement qu'il peut. Et 
pour seconder sa voix il s'avisa de Caire ainsi que 
jadis Arîadnc à Thésée, ainsi que le recite Ovide en 
s vers : 



le mis vn linge blanc sur le bout d'vne lance 
Pour leur donner de moy nouvelle souvenance. 



^^xes \ 

^^Eiettant son mouchoir à son chapeau au bout d'vn 
^Hbaton, ce qui le donna mieux à conoitre. Car comme 
quelqu'vn eut ouï la voïx, et dit à la compagnie si 
ce pourroit cstre le sîeur Auhri, on s'en mocquoit. 
Mais quand on eut veu le mouvement du drappeau et 
du chapeau, on creut qu'il en pouvoit estre quelque 
chose. Et s'cstans approchés, ils rcconeurem J par- 
faitement que c'esloit lui-même, et le recueillirent 
dans leur barque avec grande joye et contentement, 
le sc^sicrac jour aprcs son égarement. 

Plusieurs en ces derniers temps, se flattans plus 
que de raison, ont farci leurs livres et histoires de 




463 



438 



Histoire 



464 



maints miracles ob il n'y a pas si grand sujet d'ad- 
miration qu'ici. Car durant ces seze jours il ne vé- 
quit que de je ne sçay quels petitz fruits semblables à 
des cerises sans noyau (non toutefois si délicats) qui 
se trouvent assez rarement dans ces bois. Et de vérité 
en ces derniers voyages s*est reconeuë vne spéciale 
grâce et faveur de Dieu en plusieurs occurrences, les- 
quelles nous remarquerons selon que l'occasion se 
présentera. Le pauvre Aubri 0^ l'appelle ainsi à 
cause de son affliction) cstoit merveilleusement exté- 
nué, commcon peut penscr.On lui bailla à manger par 
mesure, et le remena-on vers la troupe à l'ile Saincte- 
Croix, dont chacun receut vne incroyable joye et con- 
solation, et particulicrcmcnt le sieur de Monts, â qui 
cela touchoit plus qu'à tout autre. Il ne faut point 
ici m'alleguer les histoires de la fille de Confolans en 
Poitou, qui fut deux ans sans manger, îl y a environ 
six ans; ni d'vne autre d'auprès de Berne en Suisse, 
laquelle perdit l'appetît pour toute sa vie, il n*y a pas 
dix ans, et autres semblables. Car ce sont accidens 
avenus par vn debauchement de la Nature. Et quant 
à ce que recite Pline qu'aux dernières cxtreraîtez 
de rindie, es parties basses de l'Orient, autour de 
la fonteîne et source du Gange, il y |1 a vne nation 
d'Astomcs, c'est à dire sans bouche, qui ne vit que 
de la seule odeur et exhalation de certaines racines , 
fleurs et fruits, qu'ils tirent par le nez, je ne l'en 
voudroy point aisément croire; ni pareillement le 
Capitaine lacques Quartier quand il parle de cer- 
tains peuples du Scguenit^ ,■ qu'il dit n'avoir point 
aussi de bouche, et ne manger point (par le rapport 
du Sauvage Dimnaconay lequel il amena en France 




DE LA NoVTELLE-FraHCE. 



faire 



Roy), 



ch( 



+39 

ék»- 






reat ai 
de commune croyance. Mais quand bien cda 
seroit> telles gens ont la nature di&pos^ A cette façon 
de vivre. Et ici ce n'est pas de même. Car ledit Au- 
bri ne manquoit d'appetir, et a vécu seze ^urs nourri 
en partie de quelque force nutritive qui est en fair 
de ce païs-Ià , et en partie de ces petits fruits que 
j'ay dit. Dieu lui ayant donné la force de soutenir 
cette longue disette de vivre sans franchir le pas de U 
mort, ce que je trouve étrange» et lest vrayement. 
Mais es histoires de nôtre temps sont récitées de 
choses qui semblent dignes de plus grand étonne- 
ment. Entre autres d'vn Henri de Hasscld, marchant 
trafiquant des païs bas à Berg en Norvv^e, lequel 
ayant ouï vn gourmand de Prêcheur parler mal Jes 
jeûnes miraculeux, comme s'il n'estoii plus en U 
puissance de Dieu de faire ce qu'il a fait par le passe, 
indigné de cela , essaya de jeûner, et s'abstint par 
trois jours, au bout desquelz, pressé de faim, il print 
vn morceau de pain en intenticn de Tavaller avec vn 
yerre de bicre; mais tout cela lui demeura tellement 
|en la gorge qu'il fut quarante jours et quarante 
uits sans boire ni manger. Au bout de ce temps il 
rejetta par la bouche la viande et le breuvage qui lui 
estaient demeurez en la gorge. Vne si longue absti- 
nence Paffoiblit de telle sorte qu'il fallut le substan- 
ter et remettre avec du laict. Le Gouverneur du pa'is 
ayant entendu cette merveille, le fit venir et s'cnquit 
de la vérité du fait : à quoy ne pouvant adjouter de 
foy, il en voulut faire vn nouvel essay, et l'ayant lait 
soigneusement garder cti vne chambre , trouva la 
chose véritable. Cet homme est recommandé de 



465 




466 



440 HlSTOlRB 

grande pieté , principalement envers les pauvres. 
Quelque temps après, estant venu pour ses affaires à 
Bruxelles en Brahant, vn sien débiteur, pour gaigner 
ce qu'il lui devoit, l'accusa d'hérésie, et le fit brusler 
en l'an mil cinq cens quarante-cinq. 

Et depuis encore vn chanoine de Liège, voulant 
faire essay de ses forces à Jeûner, ayant continué jus- 
ques au dix-scpticmc jour, se sentit lellcment abbatu. 
que si soudain on ne Teust soutenu d'vn boD restau- 
rent, il defailloit du tout. 

Vne jeune fille de Buchold, au territoire dcMuna* 
tre en Vvestphalie, affligée dt: tristesse et ne voulant 
bouger de la maison, fut battue à cause de cela par 
sa mère. Ce qui redoubla tellement son angoisse, 
qu'ayant perdu le repos, elle fut quatre mois sans 
boire ni nianger, fors que parfois elle machoit quel- 
que pomme cuite, et se lavoit la bouche avec vn peu 
de tisane. 

Il Les histoires Ecclésiastiques (i), entre vn grand 
nombre de jeûneurs, font mention de trois saincts 
hermites nommez Simeon, lesquels vivoieiit en aus- 
térité étrange, et longs jeûnes, comme de huit et 
quinze jours, voire plus, n'ayant pour toute de- 
meure qu'vne colonne où ils babîtuicnt et passoient 
leur vie : à raison de quoy ils furent surnommez Ste- 
litcs , c'est-à-dire Colomnaires , comme habitans en 
des Colomnes. 

Mais tous ces gens ici s'estojent partie résolus à 
Iclz jeûnes, partie s'y estoient peu à peu accoutumez 



(i) Evagrius, liv. i de l'Hwf. EccUskst., chip. if;Baronitts, 
sur U Martyroi. Rom., 9 Unv. 



DE LA NoVVBULB-FraNCK. 



44 



csCoir 



de 



î étrange 

duquel nous parlons. Et pour ce 
son jeune est d'autant plus admirable, qu'il ne s*y 
estoit nullement tUsposé et n'avoit accoutumé ces 
longues austérités. 

Or après qu'on l'eut fétoyé, et scjourné encore par 
quelque temps à ordonner les affaires et reconoitrc 
la terre des environs l'ilc Saincte-Croix, on parla de 
r*cnvoycr les navires en France avant l'hiver, et â 
tant se disposèrent au retour ceux qui n'estoicnt al- 
lez lu pour hiverner. Ce-pendant les Sauvages de 
tous les environs venoient pour voir le train des 
François, et se rengeoicnt volontiers auprès d'eux; 
niétnes en certains differens faisoîent le sieur de 
Monts Juge de leurs débats y qui est vn commen- 
cement de sujection volontaire > d'où on peut conce- 
voir vne espérance que ces peuples se rangeront bien 
tôt à nôtre façon de vivre. 

Il Entre autres choses survenues avant le parle- 
ment desdits navires, avint vn jour quVn Sauvage 
nommé S//uj/n', trouvant bonne la cuisine dudit sieur 
de Monts, s'y estoit arrêté, et y rendoit quelque ser- 
vice : et ncantmoins faisoit l'amour â vne fille pour 
l'avoir en mariage, laquelle ne pouvant avoir de gré 
et du consentement du perc, il la ravit et la print 
pour femme. Là-dessus grosse querelle. Et enfin la 
611e lui est enlevée , et retourne avec son perc. Vn 
grand débat se préparait, n'eust esté que Bitaattl s*es- 
tant plaint de cette injure au sieur de Monts, les au- 
tres vinrent défendre leur cause, disans, à sçavoir 
le père assisté de ses amis, qu'il ne vouloit point 
bailler sa fille à vn homme qui n'eust quelque indus* 



467 




44» 

trie 



Histoire 

:Ile et les enfants 



nourrir eue et les entants qui provien- 
drotent du mariage. Que quant à lui il ne voyoîl 
point qu^Jlsceut rien faire. Qu'il s'amusait à la cui- 
sine de lui sieur de Monts et uc s'exerçait point à 
chasser. Somme qu'il n'auroît point la tille, et dc- 
voit se contenter de ce qui s'estoit passé. Ledit sieur 
de Monts les ayant ouys, il leur remontra qu'il ne 
le detenoit point, et qu'il estoit gentil garçon, et 
qu'il iroit à la chasse pour donner preuve de ce qu'il 
sçavoit faire. Mais pour tout cela, si ne voulurent-ils 
point lui rendre la fille qu'il n*eust montré par effet 
ce que ledit sieur de Monts prometcoit. Bref il va t la 
chasse (du poisson), prent force saumons. La fille lui 
est rendue, et Je lendemain il vint revêtu d'un beau 
manteau de castors tout neuf bien orné de matachtai 
46B au Fort qu'on II conimcnçoit â batîr pour les Fran- 
çois, amenant sa femme quant et lui, comme triom- 
phant et victorieux, Payant gaignée de bonne guerre; 
laquelle il a toujours depuis fort aimée par dessus la 
coutume des autres Sauvages, donnant d entendre que 
ce qu'on acquiert avec peine on le doit bien chérir. 

Par cet acte nous reconoissons les deux points les 
plus considérables en affaires de mariage cstrc obser- 
vez entre ces peuples, conduits seulement par la loy 
de Nature : c'est à sçavoirrAulhorïté paternelle et l'in- 
dustrie du mari. Chose que j'ay plusieurs fois admi- 
rée : voyant qu'en notre Eglise Chrétienne, par je ne 
scay quels abus, on a vécu plusieurs siècles, durant 
lesquels l'authorité paternelle a esté baffoQée et vili- 
pendée, jusques à ce que les assemblées Ecclesiasti' 
ques ont debendé les ïeux, et reconeu que cela estoit 
contre la nature même ; et que aoz Roix pax £dits 



DE LA NoVYELLK-FraHC». 



443 



I 



ont remise en son entier cette paternelle authorité, 
laquelle neantmoins es mariages spirituels et vœux 
Je Religion n'est point encore r'cntrce en son lustre, 
et n*a en ce regard son appui que sur les Arrests des 
Parlements, lesquels souventefois ont contraint les 
détenteurs des enfants de les rendre à leurs pères. 




Il Description de VJle Saincte-Croix. Entreprise du sieur de Monts 469 
di^iU et généreuse , et persécutée d'envies. Retour du sieur 
de Poittrincourt en France. Périls du voyage. 

Chap. V. 

EVANT que parler du retour des navires en 
France, il nous faut dire que l'Ile de 
Saincte-Croix est difficile à trouver à qui 
n'y a esté, car il y a tant d'îles et de 
grandes bayes à passer devant qu'on y soit, que je 
m'étonne comme on avoit peneti'é si avant pour 
l'aller trouver. Il y a trois ou quatre montagnes emi- 
nentcs par dessus les autres aux cotez; mats de la 
part du Nort d'où descend Ea rivière, il n'y en a sinon 
vne pointue éloignée de plus de deux lîeut-s. Les 
bois de la terre ferme sont beaux et relevez par admi- 
ration el les herbages scmblabtemcnt. Il y a des ruis- 
seaux d'eau douce très -agréable s vis-à-vis de l'ile, où 
plusieurs des gens du sieur de Monts faisoient leur 
ménage } et y evoient cabane. Quant à la nature de 
la terre, elle est très-bonne et heureusement abon- 
dante. Car ledit sieur de Monts y ayant lait cultiver 




444 



Histoire 



quelque quartier de terre, et icelui ensemencé àt 
seigle (je n*y ay point ven de froment), il n'eut moyen 
d'attendre la maturité d'icclui pour le recueillir, et 
470 ncantmoins le grain tombe- a sur- || creu et rejette si 
merveilleusement, que deux ans après nous en re- 
cueillîmes d'aussi beau , gros et pesant qu'il y en ail 
point en France, que la terre avoit produit sans cul- 
ture : et de présent il contiûuC- à. rcpullulcr tous les 
ans. Ladite ilc a eaviroa demie-lieuë de tour, et ao 
bout du côte de la mer il y a vn tertre et comme vn 
îlot séparé, où estoit placé le canon dudit sieur d« 
Monts , et là aussi est la petite chappclle bâtie à la 
Sauvage. Au pied d'icelle il y a des moules tant que 
c'est merveilles, lesquelles on peut amasser de basse 
mer, mais elles sont petites. le croy que les gens 
dudit sieur de Monts ne s'oublièrent point à prendre 
les plus grosses, et n'y laissèrent que la semence et 
menue génération. Or quant à ce qui est de l'exer- 
cice et occupation de noz François, durant le temps 
qu'ils ont esté là j nous le toucherons sommairement 
apresquenousauronsreconduitles navires en France. 
Les frais de la marine en telles entreprises que 
celle du sieur de Monts sont si grands que qui n'a 
les reins fors succombera racilemeni : et pour éviter 
aucunement ces frais il convient s'incommoder beau- 
coup et se mettre au péril dcdcmcuier dégradé parmi 
des peuples qu'on ne conoit point, et qui pis est, en 
vne terre inculte et toute forétiere. C'est en quoy cette 
action est d'autant plus généreuse, qu'on y voit le 
péril emincnt, et neantmoins on ne laisse point de 
braver la Fortune, et sauter par dessus tant d'épines 
qui s'y présentent au devant. Les navires du sieur de 



I 
I 




■DE LA NovvELLE- France. 445 

Monts retournans en France, || le voilà demeuré en 471 
vn triste lieu avec vn bateau et vne barque tant seu- 
lement. Et ores qu'on lui promet de Tenvoier quérir 
à la révolution de l'an, qui est-ce qui se peut asseu- 
rer de la fidélité d'JEole et de Neptune, deux mau- 
vais maîtres, furieux, inconstans et impitoyables? 
Voilà l'état auquel ledit sieur de Monts se reduisoit, 
n'ayant point d'avancement du Roy comme ont eu 
ceux desquels (hors-mis le feu sieur Marquis de la 
Roche) nous avons ci -devant rapporté les voyages. 
Et toutefois c'est celui qui a plus fait que tous les au- 
tres, n'ayant point jusques ici lâché prise. Mais en 
fin je crains qu'il ne faille là tout quitter, au grand 
vitupère et reproche du nom François, qui par ce 
moyen est rendu ridicule et la fable des autres na- 
tions. Car comme si on se vouloit opposer à la con- 
version de ces pauvres peuples Occidentaux, et à 
l'avancement de la gloire de Dieu et du Roy , il se 
trouve des gens pleins d'avarice et d'envie, gens qui 
ne voudroient point avoir donné vn coup d'épée 
pour le service de sa Majesté , ni souffert la moindre 
peine du monde pour l'honneur de Dieu, lesquels 
empêchent qu'on ne tire quelque profit de la province, 
même pour fournir à ce qui est nécessaire à l'établis- 
sement d'vn tel œuvre, aimans mieux que les Anglois 
et HoUandois s'en prevaillent que les François, et 
voulans faire que le nom de Dieu demeure inconeu 
en ces parties-là. Et telles gens , qui n'ont point de 
Dieu (car s'ils en avoient ils seroient zélateurs de son 
nom) on les écoute, on les croit, on leur donne gain 
de cause. 

Il Or sus, appareillons et nous mettons bientôt à 472 



446 



Histoire 



la voile. Le sieur de Houtrincourt avoii fait le voyâf 
par delà avec quelques hommes de mise , non pour 
y hiverner, mais comme pour y aller marquer soQ 
logis, et reconoitre vne terre qui lui fust agréable. 
Ce qu'ayant fait, il n'avoit besoin d'y séjourner plus 
long temps. Par ainsi les navires cstans prêts û partir 
pour le retour, il se mît a ceux de sa compagnie de- 
dans l'vn d'iceux. Ce-pcndant le bruit estoit par deçà 
de toutes parts qu'il laisoit merveilles dedans Ôstcnde, 
pour lors assiégée dés y avoit trois ans passez par 
les Altesses de Klandrcs. Le voyage ne fut sans tour- 
mente et grands périls. Car entre autres j'en recl- 
teray deux ou trois que l'on pourroit mettre parmi 
les miracles , n'estoit que les accidens de mer sont 
assez journaliers, sans toutefois que je vueiUeobscur- ^J 
cir la faveur speciak' que Dieu a toujours montré en ^| 
ces voyages. ^w 

Le premier est d'vn grain de vent qui sur le milieu 
de leur navigation vint de nuit en vn instant donner 
dans les voiles avec vne impétuosité si violente, qu'il 
renversa le navire en sorte que d'vne part la quille 
estoit préque à Ûeur d'eau , et la voile nageant des- 
sus sans qu'il y cust moyen, ni loisir de l'amcnefi 
ou desamarrer Us écoutes. Incontinent voilà la mer 
comme en feu (les mariniers appellent ceci le feu 
sainct GoudranJ. Kt de malheur, en cette surprise 
ne se trouvoit vn seul couteau pour couper les ca- 



bles ou les voiles. Le pauvre vaisseau ce-pendant en 
473 ce tl lortunal demcuroii en l'état que nous avons dit, 
porté haute: bas. Bref plusieurs s'attendoient d'aller 
boire à leurs amis, quand voici vn nouveau renfort 
de vent qui brisa la voile en mille pièces învtilcs par 



4 




DE LA NoVTBLLB-FrANCE. 



447 






après à toutes choses. Voile heureuse d'avoir par sa 
ruine sauvé tout ce peuple. Car si cliecust esté neufve 
le pcrîl yeust esté beaucoup plus grand. Mais Dieu 
tente souvent les siens et les conduit jusques uu pas 
de la mort, afin qu'ils recognoissent sa puissance et 
!e craignent. Ainsi le navire commença à se relever 
peu à peu, et se remettre en estât d'asscurancc. 

Le deuxième lut au Casquet (ile ou rocher en 
forme de casque entre France et Angleterre, oU il 
n'y a aucune habitationj ;\ trois lieues duquel estant 
parvenus, il y eut de la jalousie entre les maîtres de 
navire (mal qui ruine souvent les hommes et lesat- 
faires) l'un disant qu'on doubleroît bien ledit Cas- 
quet, l'autre que non, et qu'il lalloit dériver vn petit 
de la droite loute pour passer au dessous de l'ilc. En 
ce fait le mal cstoit qu'on ne sçavoit l'heure du jour, 
parce qu'il faisoit obscur, à cause des brumes, et 
par conséquent on ne sçavoit s'il cstoit ebe ou Hot. 
Or s'il eust este âot, ils eussent aisément doublé; 
mais il se trouva que la mer se retiroii, et par ce 
moyen l'ebe avoit retardé et empêché de gaigncr le 
cssus. Si bien qu'approchans dudit roc ils se virent 
au desespoir de se pouvoir sauver, cl falloir nécessai- 
rement aller choquer ù l'cncontrc. Lors chacun de 
prier Dîeu, et demander pardon les vus aux autres, 
et se lamenter pour le dernier réconfort. Sur ce point 
le Capital- II ne Rossignol (de qui on avoit pris le 471 
navire en la Nouvelle-France, comme nuus avons 
dit) tira vn grand couteau pour tuer le Capitaine Ti- 
mothée, gouverneur du présent voyage, lui disant : 
<L Tu ne te contentes point de m'avoir ruiné, et tu 
me veux encore ici taire perdre ! » Mais il fut retenu 




k 



448 



Histoire 




1 



et empeschcî de faire ce qui! vouloit. Et de vérité 
c^estoit ea lui vne grande fol ie, ou plustôt rage, d'aller 
tuer vn homme qui s'en va mourir, et que celui qui 
veut faire le coup soit en même péril. En bii comme ^Él 
on alloit donner dessus Ieroc,lcsicurde Poutrincourt ^H 
demanda à celui qui csteit à la hune s'il n*y avoit 
d^esperancc : lequel dit que non. Lors il dit à quel- 
qucs-vns qu'ils l'aidassent ù changer les voiles. Ce 
que tirent deux ou trois seulement, et ja n'y avoit 
plus d'eau que pour tourner ic navire, quand la fa- 
veur de Dieu les vînt aider et détourner le vaisseau 
du péril sur lequel ils esToîcnt ja portes. Quelques- 
vns avoient mis le pourpoint bas pour essayer de se 
sauver en grimpant sur le rocher. Mais ils n'en eu- 
rent que la peur pour ce coup, fors que quelques 
heures après, cstans arrivez près vn rocher qu'on ap- 
pelle Le Nid ù 1 Aigle, ils cuidercnt l'aller aborder 
pensons que ce fust vn navire, parmi l'obscurité des 
brumes ; U*oCi cstans derechef échappés, ils arrivèrent 
en hn au lieu d'oti ilséioient partis, ayant ledit sieur 
de Poutrincourt laissé ses ;irmcs et munitions de 
guerre en Pile Saincte-Croix en la garde dudit sieur 
de Monts, comme vn arre et gage de la bonne vo- 
lonté qu'il avoil d'y retourner. 

Mais je pourroy bien mettre ici encore vn || mer- 
veilleux danger duquel ce racme vaisseau fut ga- 
ranti peu après le départ de Saincie-Croix, et ce par 
l'accident d'vn mal duquel Dieu sceut tirer vn bien. 
Car vn certain altéré estant de nuit furtivement des- 
cendu par la coutille au fond du navire pour boire 
son saoul et emplir de vin sa bouteille, il trouva 
qu'il n'y avoit que trop à boire , et que ledit navire 




DB LA NoVVBLLE-FrAHCB. 



440 



I 



stoit dds-ja à moitié plein d*eau : de sorte que le 
ïeril estoit emîncnt; et curent Je la peine infinie à 
retancber avec la pompe. En fin en estans venus à 
bour, ils trouvèrent qu'il y avoit vnc voye d*cau par 
la quille, laquelle ils étouperent en grand' dili- 
gence. 



Bâtiments de VUe SaiacU -Croix, tncommoditez des François 
audit lieu. Maladies inconeuïs. Ample discours sur icciles. 
î De leurs causes. Des peuples qut y sont sujets. Des viandes, 
' maui'dises eaux, air, vents, Ua ^ pourriture des ôois^ sai- 
j sonSf disposition de corps des jeunes, des vieux. Avis de 
I i'Autheur sur U gouvernement de la santé et guerisons deS' 
J^m dites maladies. 



Chap. VI. 




END A. NT la navigation susdite, le sieur de 
Monts fai^oit travailler à son Fort, lequel 
il avoit assis au bout de Tile, à l'opposîtc 
du lieu oîi nous avons dit qu'il avoit logé 
son canon, Ce qui estoit prudemment considéré, à 
fin de tenir touîc la rivière sujete en haut et en bas. 
Mais il y avoit vn mal que ledit Fort estoit du côté 
du Nort, et sans ]] aucun abri, fors que des arbres 476 
qui estoiunt sur lu rive de l'ilc, lesquels tout â l'en- 
viron il avoit defenJu d'abattre. Et hors icelui Fort 
il y avoit le logis des Suisses, grand et ample, et au- 
tres petits rcprcsentans comme vn faux-bourg. Qucl- 
ues-vns s'estoient cabanes en la terre ferme prés le 

29 




::x 



4So 



Histoire 



477 



ruisseau. Mais dans le Fort estaient le logis dudlt 
sieur de Monts, fait d*vne belle et artificielle charpea- 
terie, avec la bônnicrc de France au dessus. D'vne 
autre part estoit le magazin , oîi rcposoit le salut et 
la viu d'vn chacun, fait semblablcment de belle char- 
penterie, et couvert de bardeaux. Et vis-à-vis d 
magazin estoîent les logis et maisons des sieurs d'Or- 
vilk, Champiein , Champdorc, et autres notables 
personages. A l'opposite du logis dudit sieur de 
Monts estait vnc gallcrie couverte pour l'exercice soit 
du jeu ou des ouvriers en temps de pluie. Et entre 
ledit Fort et la Plateforme où estoit le canon, tout 
estoit rempli de jardinages, à quoy chacun s^cxercoît 
de gaieté de cœur. Tout l'automne se passa à ceci ; 
et ne fut pas mal allé de s'estre logé et avoir défriché 
l'île avant l'hiver, tandis que par-dcça on faisoil cou- ^^ 
rir les livrets souz le nom de maitre Guillaume^^H 
farcis de toutes sortes de nouvelles, par lesquels^* 
entre autres choses ce pronostiqueur disoit que le 
sieur de Monts arrachoit des épines en Canada. Et 
quand îoui est bien considéré, c'est bien vrayeraent 
arracher des épines que de faire de telles entrepris 
remplies de fatigues et périls continuels, de soins 
d'angoisse et d'incommoditcz. Mais la vertu et le 
cou- Il rage qui dompte toutes ces choses fait, que ces 
épines ne sontqu'œillets et roses â ceux qui se ré- 
solvent à ces actions héroïques pour se rendre re- 
commandables à la mémoire des hommes, et ferment 
les yeux aux plaisirs des douillets qui ne sont bons 
qu'à garder la chambre. 

Les choses plus nécessaires estant faites, et le porc 
grisart, c'est à dire l'iiiver, estant venu, force fut de 



is, 1 



K 



tCi 

m:ii 






DE L4 Novtellë-Frakce. 45i 

(jarder la maison, ec vivre vn chacun chez soy. Du- 
rant lequel temps nosgens curent troisincommoditez 
rincipales en cette ilc , à sçavoir lautc de bois (car 
c qui estoit en ladite île avoit servi aux bâtiments), 
'aut d'eau douce, et le guet qu'on faïsoit de nuit crai- 
gnant quelque surprise des Sauvages qui cstoicut 
cabanes au pîcd de ladite lie, ou autre cancini. Car 
la malédiction ce rage de beaucoup de Chrétiens est 
telle, qu'il se faut plus donner garde d'eux que des 
peuples infidèles. Chose que je dis â regret j mais A la 
mienne volonté que je fusse menteur en ce regard, et 
que le sujet de le dire fiist ûlé. Or quand îl falloil 
avoir de Teau ou du bois on estoit contraint de pas- 
ser la rivière, qui est plus de trois fois aussi large que 
Seine de chacun côté. Cestoit chose pénible et de 
ngue haleine. De sorte qu'il lalloit retenir le ba- 
teau bien souvent vn jour devant que le pouvoir ob- 
enir. Lù-dessus les froidures et neges arrivent et la 
;elée si forte que !e cidre estoit glace dans les ton- 
eaux, et falloit à chacun bailler sa mesure au poidiâ. 
uant au vin, il n'esioit distribué que par certains 
jours de la semaine. Plusieurs paresseux buvoient 
de l'eau de nege, sans pren- \\ dre la peine de passer 
la rivière. Uref voici des maladies inconeuës sembla- 
bles à celles que le Capitaine lacqucs Quartier nous 
a représentées ci-dessus , lesquelles pour cette cause 
je ne decriray pas, pour ne faire vne répétition vaine. 
remède il ne s'en trouvoit point. Tandis les pau- 
vres malades languissoicnt, se consommans peu à 
peu, n'ayans aucune douceur comme de laictagc ou 
bouïllie, pour sustenter cet estoraach qui ne pouvoit 
recevoir les viandes solides, â cause de l'empeclie- 



478 




452 



Histoire 



479 



ment d'vne chair pourrie qui croissoit et surabondoît 
dans la bouche, et quand on la pensoiï enlever elle 
renaissoil du jour au lendemain plus abondamment 
que devant. Q.uant à l'Arbre Annedda duquel ledit 
Quartier fait mention, les Sauvages de ces terres ne 
leconoissent point. Si bien que c'estoit grande pîtié 
de voir tout le monde en langueur, excepté bien peu, 
les pauvres malades mourir tous vifs sans pouvoir 
estre secourus. De cette maladie il y en mourut 
trente-six, et autres trente-six ou quarante qui en 
estoienc touchez guérirent à l'aide du printemps si- 
tôt qu'il fut venu. Mais la saison de mortalité en 
icelle maladie sont la fin de lanvier, le mois de Fé- 
vrier et Mars, ausquels meurent urdinaîrcment les 
malades chacun ù son rang selon qu'ils ont commencé 
de bonne heure à estre indisposez : de manière que 
celui qui commencera sa maladie en Février et Mars 
pourra échapper ; mais qui se hâtera trop, et voudra 
se mettre au licE en Décembre et lanvier il sera en 
danger de mourir en Février, Mars, ou commence- 
ment I] d'Avril, lequel temps passé il est en espérance 
et comme en asseurance de salut. 

Le sieur de Monts estant de retour en France, 
consulta nos Médecins sur le sujet de celte maladie, 
laquelle ils trouvèrent fort nouvelle , â mon avis, car 
je ne voy point que lors que nous nous en allâmes, 
nôtre Apothicaire fust chargé d'aucune ordonnance 
pour la guerison d'iceUe. Et toutefois il semble 
qu'Hippocrate en a eu conoissance, ou au moins de 
quelqu'vne qui en approchoit. Car au livre De inlernis 
affect. il parle de certaine maladie où le ventre, et puis 
après la rate s'enfle et endurcit, et y ressentent des 



I 






DEi.* Novvblle-France. 



453 



pointures douloureuses, la peau devient notre et 
palle, rapponant la couleur d'vne grenade verte; les 
aureiUes et gencives rendent des mauvaises odeurs, 
ei se séparent icelles gencives d'avec les dents j des 
pustules viennent aux jambes; les membres sont at- 
ténuez, etc. 

Mais particulièrement les Septentrionnaux y sont 
sujets plus que les autres nations plus méridionales. 
Témoin les Holandois, Frisons, et autres circonvoi- 

^sins, entre lesquels iccux Holandois écrivent en leurs 
lavîgations qu'allans aux Indes Orientales plusieurs 

'd*entre eux furent pris de ladite maladie, estans sur 
la côte de la Guinée, côte dangereuse, et portant vn 
air pestilcnt plus de cent licut^s avant en mer. Et 
les mêmes (j'entens les Holandois) estans allez en 
l'an 1606. sur la côte d'Hespagne pour la garder et 

kmpccher l'armée Hcspugiiolc, furent contraints de 
se retirer à cause Je ce mal, ayans jette 22. de leurs 
morts en la mer. Et si on veut encore ouïr le témoi- 

Lgnage d'O/flUJ Magnus{i) traitant des nations Sep- 1 1 ten- 

'trionales d'où il estoit, voici ce qu'il en rapporte : 
« Il y a (dit-il) encore vnemaladiemilitaire qui tour- 
« mente et affiige les assiégez, telle que les membres 
<c epessisparvnecertaine stuprditécharneuse,ctparvn 
• sang corrompu, qui est entre chairet cuir, s'ecoulans 
•i comme cire; ils obeïsscnt à la moindre impression 
■ qu'on fait dessus avec le doigt , et étourdit les 
les dents comme prés à cheoir; change la couleur 
blanche de la peau en bleu, et apporte vn engour- 

[v disscmcnt, avec vn degoust de pouvoir prendre 

(i)Olaus, liv. 16, chap. ;i. 




480 



454 



H ISTOIRE 



481 



« médecine; et s'appelle vulgairement en la langue 
« du pajfs Scorbut y en Grec K'>/îîta , par aventure à 
a cause de cette molesie putride qui estsouz le cuir, 
« laquelle semble provenîrde l'vsagedes viandes sat- 
B lées et indigestes et s'entretenir par la froide exha- 
« latson des murailles. Maïs clic n'aura pas tant de 
n force la où on garnira de planche le dedans des 
a maisons. Que si elle continue davantage, il la faut 
« chasser en prenant tous les jours du bruvage d'ah- 
« sinthe, ainsi qu'on pousse dehors la racîricdu calcul 
« par vne décoction de vieille cervoise beuë avec du 
■ beurre. » Le même Autheur dit encore en vn 
autre lieu (1) vne autre chose fort remarquable : 
« Au commencement (dit-il) ils soutiennent le siège 
« avec la force, mais en fin, le soldat estant par la 
« coniinuiJ affoibli, ils enlèvent les provisions des 
« assiegcans par artifices, finesses, et embuscades, 
« principalement les brebis, lesquelles ils emmènent, 
« et les font paître es lieux herbus de leurs maisons, 
« de peur que par défaut de )| chairs freches ils ne 
9 tombent en vne maladie, la plus tristes de toutes 
<f les maladies, appellée en la langue du païs Scorbut, 
« c'est à dire vn estomach navré desséché par cruels 
« tourmens et longues douleurs. Car les viandes 
« Éroides et indigestes prises gloutonnement sem- 
bicnt estre la vraye cause de cette maladie. » 

l'ay pris plaisir à rapporter ici les mois de cet Au- 
theur, pource qu'il en parle comme sçavantet repré- 
sente assez le mal qui a assailli les nôtres en la Nou- 
velle-France, sinon qu'il ne fait point mention que 



(0 C'est au tiv. 9, chap. }8. 



DB LA NoVVELLE-FraHCE. 



455 



i5 des jarrets se roîdîssent, ni d*vne abondance 
de chair à demi pourrie qui croist et abonde dans la 
bouche, et si on la pense ôter elle repullule toujours. 
Mais il dit bien de l'esromach navré. Car le sieur de 
Poutrincourt fit ouvrir vn Negrc qui mourut de cette 
maladie en nôtre voyage , lequel se trouva avoir les 
parties bien saines, bors-mis l'cstomach, lequel avoit 
des rides comme vlcerées. 

Et quant à la cause des chairs salées, ceci est bien 
véritable, mais il y a encore plusieurs autres causes 
concurrentes qui fomentent et entretiennent cette 
maladie, entre lesquelles ']q mcttray en gênerai les 
mauvais vivres, comprenant sous ce nom les bois- 
sons ', puis le vice de l'air du païs, et apre^ la mau- 
vaise disposition du corps; laissant aux Médecins à 
rechercher ceci plus curieusement, A quoy Hippo- 
crate (1) dit que le Médecin doit prendre garde soi- 
gneusement, en considérant aussi les saisons, les 
vents, les aspects du Soleil, les eaux, la terre même, 
sa natu- jl re et situation, le naturel des hommes, 
leurs façons de vivre et exercices. 

Quant à la nourriture, cette maladie est causée par 
des viandes froides, sans suc, grossières et corrom- 
pues. Il faut donc se garder des viandes salées, en- 
fumées, rances, moisics, crues et qui sentent mau- 
vais, et semblablement de poissons séchez, comme 
morues et rayes empunaisies, bref de toutes viandes 
melancholiqucs, lesquelles se cuisent difficilement 
en Testomach, se corrompent bien-tôt, et engendrent 
m sang grossier et melancholique. le ne voudroy 

(1) Au commencement da liv. Deatrt, a/fais^ et toc. 




482 



483 



"Histoibe' 

pourtant estre si scrupuleux que les Médecins, fi 
quels mettent les chairs de boeufs, d'ours, de san- 
gliers, de pourceaux (ils pourroicnt bien aussi adjou- 
Icr Les Castors , lesquels ncantmoins nous avons 
trouvé fort bons) entre les melancholiques et gros- 
sières : comme ils font entre les poissons , les tons, 
dauphins, et tous ceux qui portent lard; entre les oi- 
seaux, les hérons, canars, et tous autres de rivière : 
car pour estre trop religieux observateur de ces cho 
ses on tomberoit en atrophie, en danger de mourir 
de faim. Us mettent encore entre les viandes qu'il 
faut fuir, le biscuit, les févcs et lenlUlcs, le fréquent 
vsage du laiclj le fromage, le gros vin et celui qui est 
trop délié, le vin blanc, et l'vsagc du vinaigre, la 
bière qui n'est pas bien cuite, ni bien ecumée, et où 
il n'y a point assez de houblon j item les eaux qui pas- 
sent par les pourritures des bois, et celles des lacs et 
marais dormantes et corrompues, telles qu'il y en a 
beaucoup en Holande et Frise, là où on a obser- [| vé 
que ceux d'Amsterdam sont plus sujets aux paralysies 
et roidissemens de nerfs que ceux de Rotterdam, pour 
la cause susdite des eaux dormantes ; lesquelles outre 
plus engendrent des liydropisies , dysenteries, aux 
de ventre, fièvres quartes et ardantcs, enflures, vice- 
res de poulmons, difficultez d'haleine , hergncs aux 
enfans, enflures de veines et vlceres aux jambes; 
somme, elles sont du tout propres à la maladie de 
laquelle nous parlons, estans attirées par la rate, où 
elles laissent toute leur corruption. 

Quelquefois aussi ce mal arrive par vn vice qui 
est même 6s eaux de fontaines coulantes, comme si 
elles sont parmi ou prés des marais, ou si elles sor- 



4 



4 



I 

' I 

4 



DR LA NoVVELLE-FrANCE. 



4S7 



^ 



T n 



tent d'vne Terre boueuse, ou d'vn lieu qui n*a point 
l'aspect du Soleil. Ainsi Pline (i) recite qu'au voyage 
que fit le Prince César Germanicus en Allemagne, 
ayant donné ordre de faire passer le Rhin à son ar- 
mée, à iin de gaigner toujours païs, il la fit camper 
le long de la marine es côtes de Frise, en vn lieu oti 
ne se trouva qu'vne seule fontaine d'eau douce, la- 
quelle ncantmoins fut si pernicieuse, que tous ceux 
qui en bcurcnt perdirent les dents en moins de 2, ans, 
et eurent les genoux si lâches et denoUcz, qu*ils ne 
se pouvoient soutenir. Ce qui est proprement la ma- 
ladie de laquelle nous parlons, laquelle les Médecins 
appelloient Stomaccacé, c'est à dire Mal de bouche, et 
Sctbtyrbé, qui veut dire Tremblement de cuisses et 
jambes. Et ne fut possible de trouver remède, sinon 
par le moyen d'vne herbe dite Britannica, qui d'ail- 
leurs est fort bonne aux nerfs, aux maladies et || ac- 
jdens de la bouche, à la squinancie, et aux morsures 
es scrpens. Elle a les fucilles longues, et tiranr sur 
e verd brun, et produit vnc racine noire, de laquelle 
on tire le jus, comme on fait des fueillcs. Strabon dit 
qu'il en print autant à l'armée qu'^îllius GalUis 
mena en Arabie par la commission de l'Empereur 
Auguste. Et autant encore en print à l'armée de 
sainct Loys en Mgypte, selon le rapport du sieur de 
oinville. On voit d'autres effets des mauvaises eaux 
ssez prés de nous, sçavoir en la Savoyc, oli les fem- 
mes (plus que les hommes, A cause qu'elles sont 
plus froides) ont ordinairement des enflures à la 
gorge grosses comme des bouteilles. 



(1) Pline, )jv. 2j,cltap. j. 




484 



458 



Histoire 



Apres les eaux, lair aussi est vn des pères de la 
gencralion de celte maladie es lieux marécageux et, 
humides, et opposés au Midi, lequel volontiers est^ 
pluvieux. Mais en la Nouvelle-France il y a encorej 
vne autre mauvaise qualité de l'air, à-cause des Lacs 
qui y sont frequens, cr des pourritures qui sont 
grandes dans les bois, l'odeur desquelles les corps 
ayans humé es pluies de l'automne et de rhy\*er, ai- 
sément s'y engendrent les corruptions de bouche et 
enflures de j'ambcs dont nous avons parlé, et vn froid 
insensiblement s'insinue là dedans, qui engourdit les 
membres, roidit les nerfs, contraint d'aller à quatre 
pieds avec deux potences et en fin tenir le lict. 

Et d'autant que les vents participent de l'air, voire 
sont vn air coulant d'vne force plus véhémente que 
l'ordinaire, et en cette qualité ont vne grande puis- 
4,85 sancc sur la santé et les ma- 1| ladie des liomracs, di- 
sons-en quelque chose , sans nous éloigner ncant- 
moins du fil de nôtre histoire. 

On Tient le vent de Levant (appelé par les Latins 
Subsoianus^ qui est le vent de l'Est) pour le plus sain 
de tous, et pour cette cause les sages architectes don- 
nent avis de dresser leurs bâtiments â l'aspect de 
l'Aurore. Son opposite est le vent qu'on appelle Favo- 
mui, ou Zephyre. que noz mariniers nomment Olicst 
ou Ponant, lequel est doux et germeux par-deça. Le 
vent de Midi, qui est le Su (appelle /îw/er par les La- 
tins) j est chaud et sec en Afrique; mais en traver- 
sant la mer Méditerranée il acquiert vne grande hu- 
midité, qui le rend tempétueux et putrefaclif en Pro- 
vence et Languedoc. Son opposite est le vent de 
Nort, autrement dit Borcas^ Bizc, Tramontane, lequel 




DE LA NoVVELI-E-FbAHCE. 



439 



est froid et sec, chasse les nuages et balaye la région 
aeréc. On le tient pour le plus sain après le vent du 
Levant. Or ces qudlitez de vents reconcuès par-deça 
font point vne reiglc générale par toute la terre. 
Sar le vent du Nort au dcU de la ligne cquinocliale 
n'est point froid comme pûr-de»ja, ni le vent du Su 
chaud, pour ce qu'en vne longue traverse ils em- 
pruntent les qualité?, des régions par ob ils passent; 
int que le vent de Su en son origine est rafraichis- 
mt, à ce que rapportent ceux qui ont fait des voya- 
ges en Afrique. Ainsi iJ y a des régions au Pérou 
(comme en Lima et aux plaines, où le vent de Nort 
est maladif et ennuyeux; et par toute cette cÔte, qui 
dure plus de || cinq cens lieues, ils tiennent le Su 
pour vn vent sain et frais, et qui plus est tres-serain 
et gracieux, mêmes que jamais il n'en picul (â ce qiic 
recite loscph Acosta) (1), tout au contraire de ce 
que nous voyons en nôtre Europe. Et en llespagnc 
le vent de Levant que nous avons dit estre sain, le 
même Acosta rapporte qu'il est ennuyeux et mal 
sain. Le vent Ctra'uJ, qui est le Nordest, est si impé- 
tueux et bruyant, ci nuisible, aux rives Occidentales 
de Norwege, que s'il y a quelqu'vn qui entreprenne 
de voyager par là quand il souffle, il faut qu'il 
fasse état de sa perte, et qu'il soit suffoqué; et est ce 
vent si froid en cette région qu'il ne souffre qu'au- 
cun arbre ni ahrisseau y naisse : tellement qu'à 
faute de bois il faut qu'ils se servent d'oz de grands 
poissons pour cuire leurs viandes (2). Ce qui n'est 



11) Liv. j, chap. j. 

(2)0iaiis Magnus, liv. i,ctup. 10. 




4^6 



460 



Histoire 



par-dcça. De même avons-nous expérimenté en ! 
Nouvelle-France que les vents de Nort ne sont p 
bons pour la sanlé; cl ceux de NoroUest (qui sont 
les Aquilons roides, âpres et tempétueux) encores 
pircsi lesquels noz malades et ceux qui avoient là hi- 
verné l'an précèdent redoutoient fort, pourcc qu'i, 
y tomboit volontiers quclqu'vn lors que ce vea 
soufHoit, aussi avoicnt-ils quelque ressentiment de 
ce vent, ainsi que nous voyons ceux qui sont sujets 
aux hernies et enteroceles supporter de grandes dou- 
leurs lors que le vent de Midi est en campagne; et 
comme nous voyons les animaux mêmes par quel- 
ques signes prognostiquer les changements des 
temps. Cette mauvaise qualité de vent (par mon avis) 
4S7 vient de la nature de la terre par oii il passe, \\ \a»^m 
quelle (comme nous avons dit) est fort remplie d^^^ 
lacs, et iceux trcs-grands, qui sont eaux dormantes, 
par manière de dire. A quoy j'adjoute les exhalai- 
sons des pourritures des bois, que ce vent apporte, 
et ce en quantité d'autanl plus grande que la partie 
du Noroûest est grande, spacieuse et immense. 

Les saisons aussi sont A remarquer en celte mala- 
die, laquelle fe n'ay point veu, ni ouï dire qu'elle 
commence sa batterie uu printcraps, ni en Pelé, ni 
en l'automne, si ce n'esta la fin; mais en l'hiver. Et 
la cause de ceci est que comme la chaleur renaissante 
du printemps fait que les humeurs resserrées durant 
l'hiver se dispersent jusqucs aux cxtrcmitezdu corpSi 
cl le déchargent de la melancholie, et des sucs exor- 
bitans qui se sont amassés durant l'hiver , ainsi i*au- 
tomne à mesure que l'hiver approche les fait retirer 
au dedans, et nourrit cette humeur melancholiqu< 





DE LA NoVVHLLK-FraNGK. 



461 



^^n 



et noire, laquelle abonde principalement en cette 

Saison, ce l'hiver venu t'ait puroitie ses effets au dé- 

)ens des patieiis. Et Galien (1) en rend la raison, 

b'sant que les sucs du corps ayant esté rôtis par les 

Irdeurs de rété, ce qu'il y en peut rester après que te 

chaud a esté expulsé, devient incontinent froid et 

^■ec : c'est à sçavoir froid par la privation de la cha- 

^^kur, et sec entant qu'au dessèchement de ces sucs 

^H^ut rhumidc qui y estoit a esté consommé. Et de là 

^^ent que les maladies se fomentent en cette saison, 

et plus on vd avant, plus la nature est foîble, et lc:> 

intempéries froides de l'air s'cstans insinuiies lians vn 

corps ja disposé, elles le manient à baguette, comme 

on dit, et n'en ont point de pitié. 

Il J'adjouteray volontiers à tout ce que dessus les 488 
mauvaises nourritures de la mer, lesquelles apportent 
beaucoup de corruptions aux corps humains en vn 
long voyage. Car il faut par nécessité après quatre 
ou cinq jours vivre de salé, ou mener des moutons 
vifs, et force pouljJUes; mais ceci n'est que pour les 
maîtres et gouverneurs des navires; et nous n'en 
avions jwint en nôtre voyage sinon pour la reserve et 
^BlultiplJcation de la terre ob nous allions. Les maic- 
pKts donc cr gens passagers souffrent de l'incommo- 
dité tant au pain qu'aux viandes et boissons. Le bis- 
cuit devient rance et pourri, les moruSs qu'on leur 
baille sont de mêmes, et les eaux cmpunaistes. Ceux 
qui portent des douceurs soit de chaîrs ou de fruits, 
et qui vsent de bon pain et bon vin et bons potages^ 
évitent aisément ces maladies, et oserois par ma- 



^OGalen., Comni. js>'<v- i, Dtnat. kom. 




462 



Histoire 



niere de dire, rdpondre de leur santc, sMIs ne sont 
bien mal sains de nature. Et quand je considère que 
ce mal se prent aussi bien en Hoiande , en Krize, en 
Hcspagnc et en la Guinée quVn Canada, bref que 
tous ceux de deçà qui vont au Levant y sont sujets, 
je suis induit à croire que la principale cause d'iceluï 
est ce que je vien de dire, et qu'il n'est particulier à 
la Nouvelle-France. 

Or après tout ceci il fait bon en tout lieu cstrc bien 
compose de corps pour se bien porter et vivre lon- 
guement. Car ceux qui naturellement accueillent des 
sucs froids et grossiers, et ont la masse du corps po- 
reuse, item ceux qui sont sujets aux oppilationsdc 
la rate, et ceux qui mènent vnc vie sédentaire, ont 
489 vnc aptitu- Il de plus grande à recevoir ces maladies. 
Par ainsi vn Médecin dira qu'vn homme d'estude ne 
vaudra rien en ce païs-là, c'est à dire qu'il n'y vivra 
point sainement, ni ceux qui ahannent au travail, ni 
les songe-creux, hommes qui ont des ravassemens 
d'esprit, ni ceux qui sont souvent assaillis de fièvres, 
et autres sortes de telles gens. Ce que je croiroy bien, 
d'autant que ces choses accumulent beaucoup de me- 
lancholie et d'humeurs froides et superflues. Mais 
toutefois j'ay éprouvé par raoy-méme, et par autres, 
le contraire, contre Topinion de quelques-vns des 
nôtres, voire même du Sagamos Membertou, qui fait 
le devin entre les Sauvages, lesquels (arrivant en ce 
païs-là) disoient que je ne retournerois jamais en 
France) ni le sieur Boullet (jadis Capitaine du régi- 
ment du sieur de Poutrincourt), lequel la pluspart 
du temps y a esté en fièvre (mais il se tmîtoît bien), et 
ceux-là mêmes conseïlloient nos ouvriers de ne guère 



I 



4 

I 




DK LA NoVVELLE-FrANCB. 



463 



le: 
m 



m 



:r au travail (ce qu'ils ont lort bien retenu), 
puis dire sans mentir que jamais je nay tant 
travaillé du corps, pour le plaisir que je prenois à 
dresser et cultiver mes jardins, les lermer contre la 
iourmandise des pourceaux, y faire des parterres, 
igncrles allées» bâtir des cabinets, semer Tromcnt, 
gle, orge, avoine, fèves, pois, herbes de jardin, et 
les arrouser, tant j'avoy désir de rccoiioïtre la terre 
par ma propre expérience. Si bien que les jours d'esté 
m'estoient trop courts, et bien souvent au printemps 
j'y esiois encore a la lune. Quant esi du travail del'es- 
it, j'en avois bon- || netcment. Car chacun esïani 
tircau soir, parmi les cnquets, bruits et Untamares, 
i'estois enclos en mon étude lisant ou écrivant quel- 
que chose. Même je ne seray point honteux de dire 
qu'ayant este prié par le sieur de Poutrincourt nôtre 
chef de donner quelques heures de mon industrie a 
enseigner Chrétiennement notre petit peuple, pour 
ne vivre en bêtes, et pour donner exemple de nôtre 
fa^on de vivre aux Sauvages, je Tay fait en la neccs 
site, et cil estant requis, par chacun Dimanche, et 
quelquefois excraordinairement, pré(]ue tout le temps 
que nous y avons esté. Et bien me vint que j'avoy 
porté ma Bible et quelques livres, sans y penser : car 
autrement vne telle charge m'eust fort fatigué, et 
st esté cause que je m'en serols excusé. Or cela ne 
t point sans fruit, plusieurs m'ayant rendu témoi- 
gnage que jamais ils n'avoicnt tant ouï parler de 
jeu en bonne part, et ne sçachant auparavant aucun 
ncipe de ce qui est de la doctrine Chrétienne, qui 
l'état auquel vit la pluspart de la Chrétienté. Et 
y eut de l'édification d vn côté, il y eut aussi de 




490 



464 Histoire 

la médisance de l'autre, par ce que d'vne liberté Gal- 
licane je disois volontiers la vérité. A propos de quoy 
il me souvient de ce que dit le Prophele Amos (i) : 
Ils oni /wr (dit-il) celai qui les arguoii à la yorte, et ont ca 
en abomiruxlion celui (jui parloit en intégrité. Mais enlin nous 
avons tous este bons amis. Et parmi ces choses Dîen 
m'a toujours donné bonne et entière santé, toujours 
le goul généreux, toujours gay et dispos, sinon 
qu'ayant vne fois couché dans les bois, près dvn 
491 ruisseau. Il en temps de nege, j'eu comme vne crampe 
ou sciatique à la cuisse l'espace de quinze jours, sans 
toutefois manquer d'appctit. Aussi prenoîs-jc plaisir 
à ce que je laisois, désireux de confiner \à ma vie, si 
Dieu benissoit les voyages. 

le serois trop long si je voulois ici rapporter ce qui 
est du naturel de toutes persones, ei dire quant aux 
enfans qu'ils sont plus sujets que les autres à cette 
maladie, d'autant qu'ils ont bien souvent des viceres 
a la bouche et aux gencives, â-causcdc la substance 
aigueuse dont leurs corps abondent, et aussi qu'ils 
amassent beaucoup d'humeuis cieuës par leur dérè- 
glement de vivre, et par les fruits qu'ils mangent en 
quantité et ne s*en saoulent jamais, et au moyen de 
quoy ils accueillent grande quantité de sang sereujt, 
et ne peut la rate oppilce absorber ces sérosités. 
quant aux vieuxj qu'ils ont la chaleur cncrvcc et ne^ 
peuvent résistera la maladie, estans remplis de cru- 
dités, et d'\ne température iVoide et humide, qui est 
la qualité propre à la promouvoir, susciter et nourrir. 
Ie ne veux entreprendre sur l'office des Médecins, 

(1) Amos, i.vers. 10. 




ÛB LA NoVVBLLK-FrANCB. 



465 



frctgnant la verge censoriale, cl toutefois avec leur 
^ennission, sans toucher â leurs ordonnances d'aga- 
ric, d'aloes, de rubarbe et autres ingrediens, jediray 
ici ce qui me semble cstrc plus prompt aux pauvres 
gens qui n'ont moyen d'envoyer en Alexandrie, tant 
pour la conservation de leur santé que pour le re- 
mède de la maladie. 
C'est vn axiome certain qu'il faut guérir vn con- 
lire par son contraire. Cette maladie |j donc pro- 
ïnantd\ne indigestion de viandes rudes, grossières, 
froides et melancholiqucs, qui otîcncent lestomach, 
ie trouve bon (saut" meilleur avis) de les accompagner 
de bonnes saulccs soi t de beurre, d'huile ou de graisse, 
le tout fort bien cpicé, pour corriger tant la qualité 
des viandes que du corps intérieurement refroidi. 
Ceci est dit pour les viandes rudes et grossières, 
comme levés, pois, et pour le poisson. Car qui man- 
gera de bons chappons, bonnes pcrdris, bons canars 
et bons lapins, il est asseuré de sâ santé, ou il aura 
le corps bien mal fait. Nous avons eu des malades 
qui sont ressuscitez de mort à vie, ou peu s'en t'au'l, 
pour avoir mangé deux ou trois (bis du consommé 
d'vn coq. Le bon vin pris selon la nécessité de la 
nature est vn souverain préservatif pour toutes ma- 
ladies, et particulièrement pour celle-ci. Les sieurs 
Macquin et Georges, honorables marchans de la Ro- 
chelle, comme associez du sieur de Monts, nous en 
avoient fourni de quarante-cinq tonneaux en nôtre 
voyage, dont nous nous sommes fort bien trouvez. 
Et noz malades mêmes ayans la bouche gâtée, et ne 
pouvons manger, n'ont jamais perdu le goût du vin, 
Jequel ils prenoient avec vn tuiau. Ce qui en a ga- 



492 



IlSTOIKB 

renti plusieurs de la mon. Les herbes tendres au 
printemps sodi aussi fort souveraines. Et outre ce 
que la raison veut qu'on le croye, je l'ay expérimenté 
Cû estant moy-méme allé cueillir plusieurs fois par 
les bois pour noz malades avant que celles de noz 
jardins fussent en vsage. Ce qui les remcttoit en goût 
493 II et leur cunfortoit IVstomach débilité. Depuis quel- 
ques jours j*ay eu avis que l'essence de Vitriol y aeroit 
bonne en gargarisant la bouche d'ïcelle, ou frottant 
cette chair surcroissante à rcnîour des dents, le 
croy que l'eau seconde des Chirurgiens n'est point 
mauvaise, et que mâcher souvent de la Sauge servi- 
roit beaucoup à, prévenir ce mal. 

Et pour ce qui regarde Textcrieur du corps, nous 
nous sommes fort bien trouvés de porter des galoches 
avec noz souliers pour éviter les humidités. Ne faut 
avoir aucune ouverture au logis du côte d'OUest ou 
Noroûest, vent dangereux; ains du côte de l'Est ou 
du Su. Fait bon estre bien couché (el m'en a bien 
pria d'avoir porté les choses à ce nécessaires), et sur 
tout se tenir nettement. Maisjetrouvcroisbonrvsage 
des poêles tels qu'ils ont en Allemagne, au moyen 
desquels ils ne sentent point d'hiver, sinon entant 
qu'il leur piait, estans en la maison. Voire même es 
jardins ils en ont en plusieurs lieus qui tempèrent 
tellement la froidure de l'hiver, qu'en cette saison 
âpre et rude on y voit desorengers, limoniers, figuiers, 
grenadiers et toutes telles sortes d'arbres, produire 
des fruits aussi bons qu'en Provence. Ce qui esl 
dautant plus facile à faire en cette nouvelle terre, 
qu'elle esl toute couverte de bois (hors-mis quand o: 
vient au païs des Armouchiquois, à cent lieues plu 



DS LA NoVVBLLE-FhaNCE. 



le Port-Royal), 



467 



;n taisant de l'hiver vn 
été on découvrira la terre, laquelle n'ayant plus ces 
grands obstacles qui empêchent que le Soleil lui face 
l'amour et || réchauffe de su chaleur, il n'y a point 
de doute qu'elle ne devienne temperiie et ne rende vn 
air trcs-doux et bien sympathisant a nôtre humeur, 
n'y ayant, même à présent, ni froid ni chaud cx- 
cessil. 

Or les Sauvages qui ne sçavent que c'est d'Alle- 
magne ni de leurs coutumes, nous enseignent cette 
même leçon, lesquels, à-cause des mauvaises nourri- 
tures et entretencmens, estans sujets à ces maladies 
(comme nous avons veu au voyage de lacques Quar- 
tier), vsent souvent de sueurs, comme de mois en 
mois, et par ce moyen se garcntisscnt, chassans par 
ta sueur toutes humeurs froides et mauvaises qu'ils 
pourroienl avoir amassées. Maïs vn singulier preser- 

«lif contre cette maladie coquine et traitresse, qui 
ent insensiblement, et depuis qu'elle s'est logée ne 
veut f>oint sortir, c'est de suivre le conseil du Sage 
des Sages, lequel, après avoir considéré toutes les 
afllictions que l'homme se donne durant sa vie, n'a 
rien trouvé meilleur que de se rejouir et bien faire ^ et 
prendre plaisir à ce iju'on fait (i). Ceux qui ont fait ainsi 
en nôtre compagnie se sont bien trouvez; au con- 
traire, quciques-vns toujours grondans, grongnans, 
mal-contens, iaineans, ont esté attrappez. Vray est 
que pour se réjouir il fait bon avoir les douceurs des 
viandes fréches, chairs, poissons, laictages, beurres, 
huiles, fruits, et semblables, ce que nous n'avïous 



(2) Ecoles ),vers. 13 et ^i. 




\ 



494 



468 Histoire 

point à souhait (j'cnten le commua, car en la table 
du sieur de Poutrincourt quelqu'vn de la troupe ap- 
495 portoit toujours quelque gibier, ou || venaison, ou 
poisson fraiz). Et si nous eussions eu demie -douzaine 
de vaches, je croy qu'il n'y fust mort personne. 

Reste vn préservatif nécessaire pour l'accomplisse- 
ment de réjouissance, et afin de prendre plaisir à ce 
que Ton fait, c'est d'avoir t'huanctc compagnie vn 
chacun de sa l'enime légitime; car sans cela la cherc 
n'est pas entière, on a toujours la pensée tendue à ce 
que Ion aime et désire, il y a du regret, le corps 
devient cacochyme, et la maladie se forme. 

Et pour vn dernier et souverain remède, je ren- 
voyé le patient à Tarbre de vie (car ainsi le peut-on 
bien qualifier), lequel lacques Quartier ci-dessus 
appelle Anniddâ (1), non eacores coneu en la cutc du 
Port-Royal, si ce n'est d'aventure le Sassafras, dont 
il y a quantité en certains lieux, et est certain que 
ledit arbre y est fort singulier. Mais le sieur Cham- 
plein qui est présentement en la grande rivière de 
Canada, passant l'hiver au quartier même où ledit 
Quartier hiverna, ,a charge de le reconoitre et en 
&ire provision. 



Il) Voyez ci^cssus cti3,p, 34. 



DE LA NovvELLS- France. 469 



Découverte de nouveiles terres par le siear de Monts. Contes 496 
fabtdeax de k rivière et ville feinte de Norombcga. Réfu- 
tation des Autheurs qui en ont écrit. Bancs des Morues en la 
Terre-neuve. Kinibeki, Choûakoct. Malebarre. Armou- 
chiquois. Mort d'an François tué. Mortalité des Anglais en 
la Virginie. 

Chap. VII. 




K 



A saison dure estant passée, le sieur de 
Monts, ennuie de cette triste demeure de 
Saincte-Croix, délibéra de chercher vn 
autre port en paTs plus chaud et plus au 
Su, et â cet effet fit armer et garnir de vivres vne 
^barque pour suivre la côte et aller, en découvrant païs 
ouveaux, chercher vn plus heureux port en vn air 
plus tempéré. Et d'autant qu*en cherchant on ne 
peut pas taul avancer comme lors qu'on va à pleins 
voiles en la haute mer, et que trouvant des bayes et 
golfes gisans entre deux terres, il faut pénétrer de- 
dans, pour ce que là on peut aussi tôt trouver ce que 
l'on cherche comme ailleurs, il ne fit en son voyage 
qu'environ six-vingts lieufis, comme nous dirons à 
cette heure. Depuis Saincte-Croix jusqucs à soixante 
licuës de là en avant, la côte git Est et OQest, et par 
les quarante-cinq degrez, au bout desquelles soixante 
licuës est la rivière dite par les Sauvages Kinibeki. De- 
ll puis (i) lequel lieu jusques à Malebarre elle gitNort 493 



(0 Les folios 49J, 494, 49^ et 496 ont, par une inadvertance 
typographique, étî doublés dlns l'édition originale {Nott tic i'Uii.) 



47« 



HiSTOIRB 



494 



et Su, et y a de l'vn à l'autre encore soixante lieues 
à droite ligHEj sans suivre les bayes. C'est od se ter- 
mina le voyage dudit sieur de Monts, auquel il avoir 
pour conducteur de sa barque IcsieurdcChampdoré. 
En toute cette côte jiisques à Kinibeki il y a beaucoup 
de lieux où les navires peuvent estre à couvert parmi 
les lies, mais le peuple n'y est fréquent comme il est 
au delà, et n'y a rien de remarquable (du moins 
qu*on ait veu au dehors des terres) qu'vne rivière de 
laquelle plusieurs ont écrit des fables à la suite IVri 
de l'autre, de mêmes que ceux qui, sur la foy des 
Commentaires de Hanno, Capitaine Carthaginois (i), 
avoiciu feint des villes en grand nombre par lui bâ- 
ties sur la côte de l'Afrique qui est arrousée de 
rOcean, par ce qu'il fit vn coup héroïque de naviger 
iusques aux îles du Gap de Ven, et long temps depuis 
lui personne n'y avoit esté, la navigation n'estant 
point alors tant asseurée sur cette grande mer qu'elle 
est aujourd'hui par le benelice de l'aiguille marine. 

Sans donc amener ce qu'ont dît les premiers Hes- 
pagnols et Portugais, je reciteray ce qui est au der- 
nier livre intitulé Histoire vnîverselle des Indes Oc 
cidentaks, imprimé à DoCay ?an dernier mil six 
cens sept, lors qu'il parle de Nvrombcga. Car en rap- 
portant ceci, i*auray aussi dit ce qu'ont écrit les pré- 
cédents, de qui les derniers sont tenanciers. 

a Plus outre vers le Septentrion (dit TAutheur 
B après avoir parlé de la Virginie) est || Norombega, la- 
B quelle d'vne belle ville et d'vn grand fleuve est assez 
« coneuë, encore que l'on ne trouve point d'où elle 

(i) Pline, liv. j.cbap. i. 



À 



I 




DE LA NoVVBLLK-FrAMCE. 



471 



< tire ce nom : car les Barbares l'appellent Agguncia. 
Sur l'entrée de ce fleuve il y a vne ile fort propre 
pour la pêcherie. La région qui va 1c long de la 
'h mer est abondante en poisson, et vers la Nouvclte- 
». France a grand nombre de bt;tcs sauvages, et est 
« fort commode pour la chasse, et les habitans vî- 
« vent de même façon que ceux de la Nouvelle- 
« France. « Si cette belle ville a oncques esté en na- 
ture, je voudrois bien scavoir qui l'a démolie : car il 
n'y a que des cabanes par ci par là faites de perches 
et couvertes d'écorces d'arbres, ou de peaux , et s'ap- 
pellent l'habitation et la rivière tout ensemble Pun- 
pregool, et non Agguncia. La rivière, hors le flux de la 
mer, ne vaut p»as la rivière d'Oise. Et ne pourroit en 
cette côte-là y avoir de grandes rivières, pour ce qu'il 
n*y a point assez de terres pour les produire, à cause 
de la grande rivière de Canada^ qui va comme cette 
côte, et n'est point à quatre-vingts lieues loin de là, 
en traversant les terres , laquelle d'ailleurs reçoit 
beaucoup de rivières qui prennent leurs sources de- 
vers Noromhcga, à Tentrée de laquelle tant s'en faut 
qu'il n'y ait qu'vne île, que plustôt le nombre en est 
(par manière de dire) infini , d'autant que cette rir 
vierc s'elargissant comme vn Lambda , lettre Grec- 
que A, la sortie d'icellc est toute plaine d'Îles, des- 
quelles y en a vne bien avant (et la première) en 
mer, qui est haute et remarquable sur les autres. 

li Mais quelqu*vn dira que je m'cquivoque en la 
situation de Norombega et qu'elle n'est pas là où je la 
prens. Acelajc répons que l'Authcur de qui j'ay n'a- 
gueres rapporté les paroles, m'est suffisante caution 
en ceci, lequel en sa Charte géographique a &itué l'em- 



495 




472 



Histoire 



496 



bouchure de cette rivière par les quarante-quatre de- 
grez, et sa prétendue ville par les quarante-cinq. En 
quoy nous ne sommes dîfferens que d*vn degré, qui est 
peu de chose. Car la rivière que j'entens est au qua- 
rante-cinquième degré, et de ville il n'y en a point. 
Or faut-il bien nécessairement que ce soit cette ri- 
vière, par ce qu'icclle passée, et celle de Kembeki (qui 
est en même hauteur), il n'y a point d'autre rivière 
en avant dont on doive faire cas jusques à la Virgi- 
nie, l'adjoute encore que puis que les Barbares de 
Norombega vivent comme ceux de la Nouvelle-France, 
et ont de la chasse abondamment, il faut que leur 
province soit assise en nôtre Nouvelle- France : car à 
cinquante lieui^s plus loin il n'y a plus tant de 
chasse, parce que les bois y sont plus clairs , et les 
habilans arrêtés et en plus grand nombre qu'à. No- 
rombega. 

Bien est vray qu*vn Capitaine de marine nommé 
lean AU'onse, Xainctongeoîs, en la relation de ses 
voyages aventureux, a écrit que « passé Tlle de 
« Sainct-Iean (laquelle je prens pour celle que j*ay 
a appellée ci-dessus l'Ile de Bacaillos), la côte tourne 
« à rOûest et Oucst-Surottest ^ jusques à la rivière 
« de Norembergae, nouvellement découverte (ce dit-il^ 
« par les Portugalois et Hespagnols, laquelle est A 
« trente || degrez; adjoutant que cette rivière a en son 
u entrée beaucoup d'iles, bancs et rochers, et que de- 
« dans bien i5. ou vingt lieues est bâtie vne grand 
« ville, oQ les gens sont petits et noirâtres comme 
a. ceux des Indes, et sont vêtus de peaux dont ils 
« ont abondance de toutes sortes. Item que là vient 
a mourir le Banc de Terro^neuve, et que passé cette 



I 
I 




DE LA NoVVBLLE-FrANCE. 



473 



'I rivicrc la côte tourne à i'Ottest et OUcst-Norottesï 
« plus de deux cens cinquante lieues vers vn pats où. 
a il y a des villes et châteaux. * Mais je ne reconois 
rien ou bien peu de vérité en tous les discours de cet 
homme ici : et pcut-ii bien appellcr ses voyages aven- 
tureux, non pour lui , qui jamais ne fut en la cen- 
tième partie des lieux qu'il dticnt (au moins il est 
aise à le conjecturer), mais pour ceux qui voudront 
suivre les routes qu'il ordonne de suivre aux mari- 
niers. Car si ladite rivière de Sorembergue est à trente 
degrcZt il faut que ce soit en la Floride, qui est con- 
tredire il tous ceux qui en ont jamais écrit, et à la vé- 
rité même. Quant à ce qu'il dit du liane de Terrt-neuvt , 
il finit (par le rapport des mariniers) environ l'Ile de 
Sable, à l'endroit du Cap Breton. Bien est vray qu'il 
y a quelques autres bancs, qu'on appelle te Bantjue- 
reau et te Banc îaa]iiit^ maïs ils ne sont que de cinq , 
ou six, ou dix lieues, et sont séparez du Grand Banc di 
Terre-neuve. Et quant aux hommes, ils sont de belle et 
haute sTature en la terre de Nciromhiga. Et de dire que 
passé cette rivière la câlc git Ouest et O(iest-No- 
rotiest^ cela n*a aucune preuve. Car depuis le Cap 
Breton jusques à la pointe ]| de la Floride qui re- 
garde l'ile de Cuba, il n'y a aucune côte qui gise 
Oiiest-NoroUest, seulement y a en la partie de la 
vraye rivière dite Norombcga quelque cinquante Heuës 
de côte qui gît Est et Ociest. Somme, de tout le récit 
dudit Jean Alfonse je ne rcçoi sinon ce qu'il dit 
que cette rivière dont nous parlons a en son entrée 
beaucoup d'îles, bancs et rochers. 

Passée la rivière de ^ioTombiga , le sieur de Monts 
alla toujours côtoyant jusques â ce qu'il vint à Kim- 




497 



498 



474 



HtSTOIAR 



vnc rivière qui peut accourcir le che- 
min pour aller à la grande rivière de Canada. Il y a 
la nombre de Sauvages cabanez, et y commence la 
terre à cstrc mieux peuplée. De Kinibeki en allant plus 
outre on trouve la Baye de Marchtn, nommée du nom 
du Capitaine qui y coramandoit. Ce Marchin fut tué 
Pannée que nous partimes de la Nouvelle-France, 
mil six cens sept. Plus loin est vne autre Baye dite 
Chouakoel, où y a grand peuple au regard des païs 
prcccdcns. Aussi cultivent-ils la terre, et commence 
la région à estrc plus tempérée , s*elevant par-dessus 
le quarante<inquiéme degré; et pour témoignage de 
ceci il y a quantité de vignes en cette terre Voire 
même il y en a des îles pleines (qui sont plus expo- 
sées aux injures du vent et du froid). ainsi que nous 
dirons ci-apres. Entre Clwaakoet et Malebarre il y a plu- 
sieurs bayes et iles, et est la côte sabloneusc, avec 
peu de fond approchant dudit Malebarre, si qu'à 
peine y peut-on aborder avec les barques. 

Lus peuples qui sont depuis la rivîereSainct- || Ican 
jusques à Kinihiki (en quoy sont comprises les riviè- 
res de Saincte-Croix et Norombega') s'appellent Euthe- 
mins; et depuis Kinshfki jusques à Malebarrc, et plus 
outre, ils s'appellent Armouchiquois. Ils sont traîtres 
er larrons, et s'en faut donner de garde. Le sieur de 
Monts s'cstant arrêté quelque peu à Malebarre, les vi- 
vres commencèrent à lui défaillir, et fallut penser du 
rîrtour, mcmement voyant toute la côte si fâcheuse 
qu'on ne pouvoit point passer outre sans péril, pour 
les basses qui se jcncnt fort avant en mer, et de telle 
façon que plus on s'éloigne de terre moins il y a de 
fond. Mais avant que partir il uvint vn accident de 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 



475 



mort à vn charpentier Maloîn, lequc) allant qucrir 
de l'eau avec quelques chauderons, vn Armouchl- 
quois, voyant l'occasion propre à dérober l'vn de ces 
chanderons lors que le Maloin n'y prcnoît pas garde, 
le print et s'enfuit hâtivement avec sa proye. Le Ma- 
loin voulant courir après fat tué par cette mauvaise 
gent; et ores que cela ne lui fust arrivé, c'cstoit en 
vain poursuivre son larron : car tous ces peuples Ar- 
mouchiquois sont légers à la course comme des lé- 
vriers, ainsi que nous dirons encore ci-aprcs en par- 
lant du voyage que fit là même le sieur de Poutrin- 
court en l'an mil six cens six. Le sieur de Moms eut 
vn grand regret de voir telle chose, et cstoient ses 
pens en bonne volonté d'en prendre vengeance (ce 
qu'ils pouvoient faire, attendu qne les autres Barba- 
res ne s'cloigncrenl tant des François qu'vn coup de 
mousquet ne les eut peu gâter, lequel] ils avoient ]a 
couché en joue pour mirer |I chacun son homme), 
mais icclui sieur de Monts , sur quelques considéra- 
tions que plusieurs autres estans en sa qualité n'eus- 
sent eu, fit baisser à chacun le serpentin, et les lais- 
sèrent, n^ayant jusque là trouvé lieu agréable pour y 
former vnc demeure arrêtée. Et à tant ledit sieur de 
Monts fit appareiller pour retourner à Sainctc-Croix, 
oti il avoit laisse vn bon nombre de ses gens encore 
infirmes de la secousse des maladies hivernales, de 
la santé desquels il estoit soucieux. 

Plusieurs qui ne sçavent que c'est de la marine 
[lensent que l'établissement d*\'ne habitation en terre 
inconcuë soit chose facile, mais par le discours de ce 
voyage et autres suivans, ils trouveront qu'il est 
beaucoup plus aisé de dire que de faire, et que le 



499 




47* 



H 



ISTOIRR 



sieur de Monts a beaucoup exploité de choses en 
cette première année d'avoir veu toute la côte de 
cette terre jusques à Malebarre, qui sont plus de 
quatre cens lieues en rengeant icclle côte, et visitant 
jusques au fond des bayes: outre le travail des loge- 
mens qu'il lu; convint faire faire à Saincte-Croîi, le 
soin de ceux qu'il avait là mené, et du retour en 
France, le cas avenant de quelque pcri! ou naufrage 
ù ceux qui lui avoient promis de l'aller qucrir après 
l'an révolu. Maïs on a beau courir et se donner de la 
peine pour rechercher des ports où la Parque soit 
pitoyable. Elle est toujours semblable A ellc-raéme. 
Il est bon de se loger en vn doux climat, puisqu'on 
est en plein drap, et qu'on a â choisir, mais la mort 
nous suit partout, l'ay entendu d'vn pilote du Havre 
5oo de Grâce qui || fut avec les Anglois en la Virginie U 
y a vingt-quatre ans, qu'estans arrivez là il y en 
mourut trente-six en trois mois. Et toutefois on tient 
la Virginie estre par les trente-six, trcntc-scpt et 
trente-huitième degrez dp latitude, qui est bon tem- 
pérament de païs. Ce que considérant, je croy encore 
vn coup l'car je l'ay dés-ja ci-devant dit) que telle 
mortalité vient du mauvais traitement ; et est du tout 
besoin en tel païs d*y avoir dés le commencement du 
bestial domestic et privé de toute sorte, et porter 
force arbres fruitiers et entes, pour avoir bien-tôt la 
récréation nécessaire à la santé de ceux qui désirent 
y peupler la terre. Que si les Sauvages mêmes sont 
sujets aux maladies dont nous avons parlé, c'est rare- 
ment, et cela arrivant, je l'attribue à la même cause 
du mauvais traitement. Car ils n'ont rien qui puisse 
corriger le vice des viandes qu'ils prennent, et tous- 







ns t.Ai Novvblle-Francb. 477 

jours sont nuds parmi les humiJîtcz de ta terre, ce 

ui est le vray moyen d'accueillir quantité d'humeurs 

rrompuës qui leur causent ces maladies aussi bien 

vi'auxètranger.'ï qui vont par-delà, quoi qu'ils soient 

nais à cette façon de vivre. 






Arrivée du sieur du Pont à VHe Saincîe-Croix, Habitaiton 
transférée au Port-Royal. Retour du tieur de Monts en 
France. Difficutté des mouiiAs à bras, iùtjui^ge duiiit sieur 
du Pont pour aller découvrir (es Terra-ncuns outre Male- 
barre. Naufrage. Prci-oyiiiice pour le retour en France. Corn- 
fforaison de ces voyages avec ceux de la Floride, tilame de 
ceux qui méprisent ia culture de la terre. 

Chap. Vlll. 

A saison du printemps passée au voyage 
des Armoudiiquois, le sieur de Monts 
attendit à Saincte-Croix le temps qu'il 
avoit convenu, dans lequel s'il n'avoit 
nouvelles de France il pourroit partir et venir cher- 
cher quelquevaisseau de ceux qui viennent à la Terre- 
neuve pour la pêcherie du poisson, à tin de repasser 
en France dans icelui avec sa troupe, s'il t;stoit pos- 
sible. Ce temps di^-ja esioit expire, et esioient prêts 
à faire voile, n"attendans plus aucun secours ni ra- 
aichisscmenSj quand voici arriver le sieur du Pont, 
rnommé Gravé, demeurant à Hoaflcur, avec vne 
ompagnie de quelque quarante hommes, pour rele- 
ver de sentinelle ledit sieur de Monts et sa troupe. 





Soi 



478 



HlSTOtRE 



Ce fut au grand contenteroeot d'vn chacun, comme 
Ton peut penser, et canonnades ne manquereni à ïa- 
borJ, selon la coutume, ni léclat des trompettes. Le- 
5o2 dit sieur du ,| Ponl ne st^chant encore I état de noz 
François, pensoit trouver là vnc demeure bien asseu- 
réc, et SCS logemens prcts; mais attendu les accidcns 
de la maladie étrange dont nous avons parle, il lut 
avisé de changer de lieu. Le sieur de Monts cust 
bien désiré que l'habitation nouvelle cust esté comme 
par les quarante dcgrez, sçavoir â six degrez plus au 
Midi que le lieu de Sainctc-Croîx; mais après avoir 
veu la côte jusques à Malebarre, et avec beaucoup de 
peines, sans trouver ce qu'il desiroit, on délibéra 
d*aller au Port-Royal faire la demeure, attendant 
qu'il y cust moyen de faire plus ample découverte. 
Ainsi voilà chacun embesoigné à trousser son pac- 
quct. On démolit ce qu'on avoit bâti avec mille tra- 
vaux, hors-mis le magasin, qui cstoït vne pièce trop 
grande à transporter, et en exécution de ceci plu* 
sieurs voyages se font. Tout estant arrivé au Port-' 
Royal, voici nouveau travail: on choisit la demeure 
vis à vis de rile qui est à l'entrée de la rivière l'E- 
quile, dite aujourd'hui la rivière du Dauphin, làoti 
tout estoii couvert de bois si épais qu'il n'est possible^ 
davantage, la le mois de Septembre arrivoit, et fal- 
loit penser de décharger le navire du sieur du Pont 
pour faire place à ceux qui dévoient retourner ei 
France. Somme, il y avoit de leicrcicc pour tous. 
Quand le navire lut en estât d'estre mis à la voile, le 
sieur de Monts ayant veu le commencement de lai 
nouvelle habitation, s'embarqua pour le retour et 
avec lui ceux qui voulurent le suivre. Neantmoins 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 479 

plusieurs de bon courage demeurèrent sans ap- 
11 prehender le mal passé, entre lesquels estoient les 5o3 
sieurs Champlein et Champdoré, l'vn pour la géo- 
graphie, et l'autre pour la conduite des voyages qu'il 
conviendroit faire sur mer. Atant ledit sieur de 
Monts met son vaisseau à la voile et laisse ledit sieur 
du Pont pour son Lieutenant par-delà , lequel ne 
manque de promptitude (selon son naturel) à faire 
et parfaire ce qui estoit requis pour loger soy et les 
siens, qui est tout ce qui se peut faire pour cette 
année en ce païs-là. Car de s'éloigner du parc durant 
l'hiver, mêmes après vn si long harassement, il n'y 
avoit point d'apparence. Et quant au labourage de 
la terre, je croy qu'ils n'eurent le temps commode 
pour y vacquer, car ledit sieur du Pont n'estoit pas 
homme pour demeurer en repos, ni pour laisser ses 
gens oisifs, s'il y eust eu moyen de ce faire. 

L'hiver estant venu, les Sauvages du païs s'assera- 
bloient de bien loin au Port-Royal pour troquer de 
ce qu'ils avoient avec les François, les vns apportans 
des pelleteries de Castors et de Loutres (qui sont 
celles dont on peut faire plus d'estat en ce lieu-là), 
et aussi d'EUans, desquelles on peut faire de bons 
buffles; les autres apportans des chairs freches, dont 
ils firent maintes tabagies (i), vivans joyeusement 
tant qu'ils eurent de quoy. Le pain onques ne leur 
manqua, mais le vin ne leur dura point jusques à la 
fin de la saison. Car quand nous y arrivâmes l'an 
suivant, il y avoit plus de trois mois qu'ils n'en 

(1) Tabaguïa, mot de Sauvages qui signilÎG banquet. 



48o 



Histoire 



avoient point, et furent fort rcjouïs ne nôtre venue, 
qui leur en tit reprendre le goût. 
5o4 11 La plus grande peine qu'ils avoient c*estoit de 
moudre le bled pour avoir du pain. Ce qui est chose 
fort pénible en moulins â bras, où il faut employer 
toute la force du corps. Et pour ce non sans cause 
anciennement uu menaçoit les mauvaises gens de les 
envoyer au moulin, comme à la chose la plus péni- 
ble qui soit, auquel métier on emploioit les pauvres 
esclaves avant l'vsage des moulins à vent et à eau, 
L'omme nous témoignent les histoires profanes, et 
celles de la sortie du peuple dMsrael hors du païs 
d'Egypte (i), là où pour la dcmicrc playe que Dieu 
veut envoyer à Pharao, il dénonce par la bouche de 
Moysc qu'environ k piinutt U passera au travers iU CEgypte, 
et tout premier-né y mourra jusqucs au premier-né de Pharao 
qui devait estre assis sur son throne, jusqaes au premier-né de 
ta servante tjat est employée à moudre. Et ce travail estant 
si grand, les Sauvages, quoy que bien pauvres, ne le 
sçauroient supporter, et aymcroicnt mieux se passer 
de pain que de prendre tant de peine, comme il a esté 
expérimente que leur voulant bailler la moitié de ta 
moulturc qu'ils feroient, ils aimoient mieux n'avoir 
point de blé. Et croirois bien que cela, avec d'autres 
choses, a aidé à fomenter la maladie de laquelle nous 
avons parlé en quelques-vns des gens du sieur du 
Pont; car il y en mourut vne demie- douzaine du- 
rant cet hiver en sa compagnie. Vray est que je 
trouve vn défaut es batimens de noz Franifois, c'est 






) 



(i) Exod. Il, vers. 4(. 



DE LA NOVTKI.LE- FrANTE. 

qu*il n'y avoit poîni de fosscz t\ lenteur, et s'ecou- 
loicnt le:ieaux de la terre prochaine par dessous leurs 
chambres basses, ce qui cstoït || fart contraire à. ta 
sauté. A quoy j'adioute encore les eaux mauvaises 
JcsqucUcs ils se scr\'oient, qui n'issoient point d\'nc 
source vive, comme telle que nous trouvimics assez 
prés de nostrc Fort, ains du plus prochain ruisseau. 
Apres que l'hiver fui passe, et la mer propre à na- 
vigcr, le sieur du. Pont voulut parachever l'entrc- 
prise commencée l'an précèdent par le sieur de 
Monts, et aller rechercher vu port plus au Su, oU la 
température de l'air fust plus douce, selon qu'il en 
uvoit eu charge dudit sieur de Monts. Et de fait il 
cquippa la barque qui lui estoit restée jwur cet etfett. 
Mais estant sorti du Port, et ja à la voile pour lirer 
vers Malebarre, il fut contraint par le vent contraire 
de relâcher deux l'ois, et à la troisième ladite barque 
se vint perdre comrc les rochers à l'cntrce du passage 
duditport. En cette disgrâce de Neptune les hommes 
furent sauvés, et la meilleure partie des provisions et 
marchandises. Mais quant ii la barque, elle fut mise 
en pièces. Et par ce désastre fut ixDnipu le \oyage, 
et intcrmis ce que tant l'on dcsiroit. Car encore ne 
jugeoil-on point bonne l'iiabitution du Port-Royal, 
cl toutefois il est hautement abrité de la pari du 
Nort et NoroUest, de montagnes éloignées tantôt 
d'vnc licuë, tantôt de demie, du Port et de la rivière 
de l'EquilIc. Voili\ comme Icï entreprises ne se ma- 
nient pas au désir des hommes, et sont accompa- 
gnées de beaucoup de périls. Si bien qu'il ne se faut 
émerveiller s'il y a de la longueur en l'établissement 
des colonies principalement en des terres si loin- 




5o5 



48: 



Histoire 



5o6 




taîncs des- [1 quelles on ne sçait point la nature, ni 
le tempérament de l'air, et où il faut combattre et 
abbatre les forets, et cstre contraint de se donner de 
garde, non des peuples que nous disons Sauvages, 
inajsde ceux qui se disent Chrétiens et n'en ont que 
le nom, gcnt maudite et abominable, pire que des 
loups, ennemis de Dieu et de la nature humaine. 

Ce coup donc estant rompu, le sieur du Pont ne^ 
sceut que faire, sinon d'attendre la venue du secours 
et rafraîchissement que le sieur de Monts lui avoii 
promis envoyer l'année suivante, lors qu'il partit du^ 
Port-Royal pour revenir en France. Et neantmoins, 
à tout événement, ne laissa point de préparer vne 
autre barque, et vne patachc, pour venir chercher 
des vaisseaux François es lieux oii ils font la seche- 
rie des morues (comme les Ports Campteau, des An- 
glots, de Afisijmichis, Baye de Chaleur, et des Morues, 
et autres en grand nombre), ainsi qu'avoit fait le 
sieur de Monts Fan précèdent, à fin de se mettre de- 
dans et retourner en France, le cas avenant qu'au- 
cun navire ne vinst le secourir. En quoy il fit sage- 
ment, car il fut en danger de n'avoir aucunes nou- 
velles de nous, qui estions destinez pour lui succé- 
der, ainsi que se verra par le discours de ce qui suit. 
Mais ce-pendant ici faut considérer que ceux qui se 
sont transportez par delà en ces derniers voyages ont 
eu vn avantage par dessus ceux qui ont voulu habi- 
ter la Floride, c'est d'avoir ce recours que nous avons 
dit aux navires de France qui fréquentent les Terres- 
ncuvcSj sans avoir la peine de façonner des grands 
vaisseaux, ni at- |[ tendre des famines extrOmes, 
commeont fait ceux-là de qui les voyages ont esté à 



DE LA Novvelle-France. 483 

déplorer en ce regard, et ceux-ci au sujet des mala- 
dies qui les ont persécutés. Mais aussi ceux de la 
Floride ont-ils eu de l'heur en ce qu'ils estoient en vn 
païs doux, fertile, et plus ami de la santé humaine 
que la Nouvelle -France, de laquelle nous avons 
parlé en ce second livre. Que s'ils ont eu de la fa- 
mine, il y a eu de la grande faute de leur part de 
n'avoir nullement cultivé la terre, laquelle ils avoient 
trouvée découverte, ce qui est vn préalable de faire 
avant toute chose à qui veut s'aller percher si loin 
de secours. Mais les François et préque toutes les 
nations du jourd'hui (j'entens de ceux qui ne sont 
nais au labourage) ont cette mauvaise nature, qu'ils 
estiment déroger beaucoup à leur qualité de s'ad- 
donner à la culture de la terre, qui neantmoins est à 
peu près la seule vacation où réside l'innocence. Et 
de là vient que chacun fuiant ce noble travail, exer- 
cice de noz premiers pères, des Rois anciens et des 
plus grands Capitaines du monde, et cherchant de 
se faire Gentil-homme aux dépens d'autrui, ou vou- 
lant apprendre tant seulement le métier de tromper 
les hommes, ou se gratter au soleil, Dieu ôte sa bé- 
nédiction de nous, et nous bat aujourd'hui , et dés 
long temps, en verge de fer, si bien que le peuple 
languit misérablement en toutes parts, et voyons la 
France remplie de gueux et mendians de toutes es- 
pèces, sans comprendre vn nombre infini qui gémit 
souz son toict et n'ose faire paroitre sa pauvreté. 



484 



HisTOinn 



5o8 Ij Motif el acceptuJion du voyage du sieur de Poutrincourt, eu. 
semble de l'Autlieuff en la Nouvelle France. Partement de la 
rUle de Paris pour aller à Ia Rochelle. Ad'ua à U France. 




ClIAP. X. 

N viRON le temps du naufrage menlionnc 
ci-dessus, le sieur de Monts songcoit par 
deçà aux moyens de dresser nouvel équi- 
page pour la Nouvelle-France. Ce qui lui 
sembluit dlflielle tant pour les grands frais que cela 
apportoit, que pour ce que cette province avoit esté 
tellement décriée à son retour, que ce scmbloiiestre 
chose vaine et infructueuse de plus continuer ces 
voyages à l'avenir. Joint qu'il y a sujet de croire 
qu'on ne irouveroit persone qui s'y voulust aller ba- 
zarder. Neantmoins, s:ichant le désir du sieur de 
i*outrincourt (auquel auparavant il avoil fait partage 
de la terre, suivant le pouvoir que le Hoy luy en 
avoit donné) qui estoit d'habiter par delà, et y établir 
sa famille et sa fortune, et le nom de Dieu tout en- 
semble, il lui écrivit, et envoya homme exprés pour 
lui faire ouverture du voyage qui se prcnscntoir. Ce 
que ledit sieur de Poutrincourt accepta, quittant 
toutes affaires pour ce sujet; quoy qu'il eust des pro- 
cès de conséquence, à la poursuite et défense des- 
509 quels sa présence csCoit bien requise, et qu'à || son 
premier voyage il eust éprouvé la malice de certains 
qui le poursuivoient rigoureusement absent, et de- 



vindrent soupples et muets à son retour. Il ne fut 
point pluslât rendu à Paris qu'il fallut partir sans 
avoir à peine le loisir de pourvoir à ce qui lui cstoic 
nécessaire. Et ayant eu Thonneur de le conoitre quel- 
ques années auparavant, il me demanda si je voulois 
estre de la partie. A quoy je dcmanday vh jour de 
terme pour lui répondre. Apres avoir bien consulté 
en moy-mcmc, désireux non tant de voir le païs que 
de reconoitrc la terre oculairement, à laquelle j'avoy 
ma volonté portée, et fuir vn monde corrompu, je lui 
donnny parole; estant mcme induit par l'injustice 
que m^avoicnt peu auparavant faite certains luges 
Prcsidiaux en faveur d^un personage d'cmincnie qua- 
lité que j'ay toujours honoré et révéré, laquelle sen- 
tence à mon retour a esté infirmée par Arrêt de la 
Cour, dont j'en ay particulièrement obligation ù Mon- 
sieur Servin, Advocat gênerai du Roy, auquel pro- 
prement appartient cet éloge attribué selon la lettre 
au plus sage et plus magnifique de tous les Rois : 

Tv AS AIMÉ IVSTICE, ET AS EV EN HAINE INI- 
QVITK (l). 

G*est ainsi que Dieu nous réveille quelquefois pour 
nous exciter û des actions généreuses telles que de 
ces voyages Ici , lesquelles (comme le monde est di- 
vers) les vns blâmeront, les autres approuveront. 
Mais n'ayant à répondre â personne en ce regard , je 
ne me soucie des discours que les gens oisifs, ou 
ceux qui ne me || peuvent ou veulent aider, pour- 
roient faire, ayant mon contentement en moy-mcmc, 
et estant prés de rendre servies à Dieu et au Roy es 



(i) Psalra. 4; Heb. 4(, ver*. 9. 




5 10 



486 



Histoire 



5ii 



terres d'outre mer qui porteront le nom de France, 
si ma fortune ou condition m'y ponvoit appeller, 
pour y vivre en repos par vn travail agréable, et fuir 
la dure vie à laquelle je voy par deçà la pluspart des 
hommes rcduits. 

Pour revenir donc au sieur de Poutrincourt, 
comme il eut fait quelques affaires, JI s'informa en 
quelques Eglises s'il se pourroît point trouver quel- 
que Prêtre qui eust du sçavoir pour le mener avec 
lui, et soulager celui que le sîcur de Monts y avoit 
laisse à son voyage, lequel nous pensions estre en- 
core vivant. Mais d'autant que c'estoît la semaine 
saincte, temps auquel ils sont occupés aux confes- 
sions, il ne s'en présenta aucun, les vns s'cscusans 
sur les incommodités de la mer et du long voyage, 
les autres rcmettans l'affaire après Pasques. Occasion 
qu'il n'y eut moyen d'en tirer quelqu'vn hors de 
Paris, parce que le temps pressoir, et la mer n'attend 
personne : par ainsi fallait partir. 

Rcstoit de trouver les ouvriers nécessaires au 
voyage de la Nouvelle- France. A quoy fut pourveu 
en bref (car souz le nom de Poutrincourt il se trou- 
volt plus de gens qu'on ne vouloit), pris fait de leurs 
gages, et pour se trouver à la Rochelle, où estoit le 
rendez-vous, chez k-s sieurs Macquin et Georges, ho- 
norables marchans de l.iditc ville associez du sieur de 
Monts, lesquels fournîssoient nôtre équipage. 

Il Ce menu peuple estant parti , nous nous ache- 
minâmes ù Orléans trois ou quatre jours après, qui 
fut le Vendredy Sainct, pour aller faire nos Pasques 
en ladite ville d'Orléans, où chacun fist le devoir ac- 
coustumé à tous Chresticns de prendre le Viatique 




DE LA NoVVELLE-FhANCE, 487 

Spirituel de la divine Communion, mesmement puis- 
que nous allions en voyage. 

Devant qu'arriver à la Rochelle , me tenant quel- 
quefois à quartier de la compagnie, il me print envie 
de mettre sur mes tablettes vn Adieu à la France, 
lequel je fis imprimer en ladite ville de la Rochelle le 
lendemain de nôtre arrivée, qui fut le troisième jour 
d'Avril mil six cens six ; et fut receu avec tant d'ap- 
plaudissemens du peuple , que je ne dedaigneray 
point de le coucher ici. 



ADIEV A LA FRANCE 



REs que la saison du printemps nous invite 
A seÛlonnerle dos de la vague Amphitrite, 
Et cingler vers les lieux où Pkœbas chaque lour 

Va faire tout lassé son humide séjour^ 

le veux oins tjue partir dire adieu à la France^ 

Celle qui m*a produit, et nourri dés l'enfance ; 

Adieu non pour toujours, mais bien sous cet espoir 

Qa'encores quelque jour je la pourray revoir. 
Adieu donc, douce mère; adieu, France amiable; 

Adieu, de tous humains le séjour délectable ; 

Adieu celle qui m'a en son ventre porté , 

Et du fruit de son sein doucement alaité. 
Il AdieUf Muses aussi qui à vôtre cadence 5 1 2 

Avez conduit mes pas dés mon adolescence; 




488 Histoire 

Adieu riches palais, adieu nobles cités 

Dont raspect a mes yeux mille fois contentés ; 

Adieu lambris doré, sainct temple de Justice, 

Où Themîs auxhumains d'vn pénible exercice 

Rend le Droit, et Python d'vn parler éloquent 

Contre l'oppression défend l'homme innocent ; 

Adieu tours et clochers dont les pointes cornues, 

Avoisinans les deux, s'élèvent sur les nues ; 

Adieu prés emaillés d'un million de fleurs 

Ravissans mes esprits de leurs soueves odeurs ; 

Adieu belles forets, adieu larges campagnes. 

Adieu pareillement sourcilleuses montagnes ; 

Adieu côtaux vineux, et superbes châteaux ; 

Adieu l'honneur des champs, verdure et gras troupeaux ; 

Et vous, ô ruisselcîs, fontaines et rivières, 

Qui m'avez délecté en cent mille manières, 

Et mille fois charmé au doux gazouillement 

De vos bruyantes eaux, adieu semblabtement. 

Nous allons recherchans dessus l'onde azurée 

Les journaliers hazars du îempeteux Nerée, 

Pour parvenir au lieux où d'vne ample moisson 

Se présente aux Chrétiens vne belle saison. 

combien se prépare et d'honneur et de gloire. 
Et sans cesse sera louable la mémoire 
A ceux-là qui poussez de saincte intention 
Auront le bel objet de cette ambition! 
Les peuples à jamais béniront Ventreprise 
Des Autheurs d'vn tel bien : et d'vne plume apprise 
A graver dans l'airain de l'immortalité 
l'en laisseray mémoire à la postérité. 
5x3 II Prélats que Christ a mis pasteurs de son Eglise^ 
A qui partant il a sa parole commise. 



DE LA NoVVELLE-FrANCE. 489 

Afin de l'annoncer par tout cet VniverSj 
Et à sa loy ranger par elle les pervers, 
Sommeillez-youSj hélas ! Pourquoy de vôtre zèle 
Ne faites-vous paroitre vne vive étincelle 
Sur ces peuples errans qui sont proye à l'enfer. 
Du sauvement desquels vous devriez triompher ? 
Pourquoy n^ employez-vous à ce sainct ministère 
Ce que vous employez seulement à vous plaire ? 
Cependant le troupeau que Christ a racheté 
Accuse devant lui vôtre tardiveté. 
Quoy donc' souffrirez-vous l'ordre du mariage 
Sur vôtre ordre sacré avoir cet advantage 
D'avoir eu devant vous le désir, le vouloir. 
Le travail, et le soin de ce Chrétien devoir ? 

De Monts, tu es celui de qui le haut courage 
A tracé le chemin à yn si grand ouvrage : 
Et pour ce de ton nom malgré l'effort des ans 
La feuille verdoira d'vn éternel printemps. 
Que si en ce devoir que j*ay dés-ja tracé 
Ambitieusement je ne suis devancé, 
le veux de ton mérite exalter la loOange 
Sur PEquille (i), et le Nil, et la Seine, et le Gange, 
Et faire l'Vnivers bruire de ton renom^ 
Si bien qu'en tout endroit on révère ton nom. 
Mais je ne pourray pas faire de toy mémoire. 
Qu'à la suite de ce je ne couche en l'histoire 
Celui duquel ayant conu la probité, 
Le sens et la valeur et la fidélité. 
Tu Vas digne trouvé à qui ta licutenancé 

(0 C'est la rivière du Port-Royal, dite maintenant la rivîere du 
Dauphin. 



490 



Histoire 



Fast seurement commise en la NomelU- France, 
Pour Je servir d'Hercule, et soulager le faix 
5l4 |] Qç/ te sarchargeroit an dessein que tu fais. 

PovTKtNcovRT, c'est dofK ti}y ijui as toucfié nton amc f 

Et lui as inspiré vne dévote fiame 
A ceîelirer ion los, et faire par mes vers 
QuM l'avenir ton nom vote par l^Vnivers : 
Ta valeur^ dés long temps en la France conué, 
Chercbevne nation aux hommes inconai ^ 
Pour la rendre sujette à l'empire François , 
Et encore y assoîr le tkrône de noz Rois : 
Ains plastôt (car en toy la Sagesse éternelle 
A mis je ne s^ay quoy digne d'une ame belle) 
Le motif :jm premier a suscité ton cœur 
A si loin rechercher va immortel iionnsur^ 
Est le zile dévot et l'affection grande 
De rendre à l'Eternel vne agréable offrande. 
Lui rouans toi, tes biens, ta vie et tes enfans, 
Que ta vas exposer à la merci des venîSy 
Et voguant incertain comme à i'n autre pole^ 
Pour son nom exalter et sa saincte parois. 

Ainsi tous deux portés de même affection, 
Ainsi Vvn secondant l'autre en intention^ 
Heureux, vous aajuerrés vne immortele vie. 
Qui de félicité toujours sera suivie : 
Vie non point semblable à celle de ces dieux 
Que Vanti(]ue ignorance a feinte dans les cieat 
Pour avoir (comme vous') reformé la nature ^ 
Les mœurs et h raison des hommes s.ins culture , 
Mais vne vie où gi( cette félicité 
Que les oracles saincSs de la Divinité 
Ont Ukrément promis aux saînctes âmes 



DE LA NoVVKLLE-FraNCB. 49! 

Que le ciel a formé de ses plus pures flammes. 
Tel est vôtre destin^ et cependant ça bas 

I] Vôtre nom glorieux ne craindra le trépas^ 5i5 

Et la postérité, de vôtre gloire éprise. 
Sera émue à suivre vne même entreprise j 
Mais vous serez le centre oà se rapportera 
Ce que l'âge futur en vous suivant fera. 

Toy qui par la terreur de ta saincîe parole 
Régis à ton vouloir les postillons d'Mole , 
Qui des flots irritez peux l'orgueil abaisser, 
Et les vallons des eaux en vn moment hausser, 
Grand Dieu, sois nôtre guide en ce douteux voyage, 
Puis que tu nous y as enflammé le courage : 
Lasche de tes thresors vn favorable vent 
Qui pousse nôtre nef en peu d'heure au Ponant, 
Etfay que là puissions, arrivez par ta grâce, 
letter le fondement d'vne Chrétienne race. 



Pour m'egayer l'esprit ces vers je composois 
Au premier que je vi les murs des Rochelois. 




49» 



HiSTOlKB 



5i6 lonas nom de nôtre navire. Mer basse à la Rochelle cause ii 
difficiU sortie. La Rochelle ville reformée. Menu peuple inso- 
lent. Croqaans. Accident de naufrage du lonas. Nouvel 
équipage. Foibks soldats ne doivent estre mis aux frontières. 
Ministres prient poar la conversion des Sauvages Peu de 
zelc des nôtres. Eucharistie portée par ïcs anciens Chrétittis 
en voyage. Diligence du sieur de Poutnncourt sur U 
de Vembarquemtnt, 

Ch*p. X. 




KitivEZ que nous fumes à la Rochell 
iHous y trouvâmes les sieurs de Monts 
,de Poutrincourt qui y csioicnt venus en 
■poste, et nôtre navire appelé le Ionas, du 
port de ccut cinquante tonneaux, prêt à sortir hors 
les chaînes de la ville pour attendre le vent. Cepen- 
dant nous faisions bonne chère, voire si bonne, 
qu'il nous tardoit que ne fussions sur mer pour faire 
diète. Ce que nous ne firaes que trop quand nous y 
fumes vne fois : car deux mois se passèrent avant que 
nous vissions terre, comme nous dirons tantôt. Mais 
les ouvriers parmi la bonne chère (car ils avoîent 
chacun vingt sols par jour) faisotent de merveilleux 
tintamarres au quartier de Sarnct-Nicolas, oti ils es- 
toicnt logez. Ce qu'on trouvoit fort étrange en vne 
ville si reformc'e que la Rochelle, en laquelle ne se fait 
5i7 aucune dissolution |1 apparente, et faut que chacun 
marche rœil droit s'il ne veut encourir la censure 



DE LA NoWELLE-FraNCC. 



493 



soît du Maire, soit des Ministres de la ville. De fait 
il y en eut qiiclqucs-vns prisonniers, lesquels on 
garda à IMiotcl de ville jusques à ce qu'il fallut par- 
tir) et eussent esté châtiez sans la considerarion du 
voyage, auquel ou sçavoit bien qu'ils n'auroicnt pas 
tous leurs aises ; car ils payèrent assez par après la 
folle enchère de la peine qu'ils avoient baill(:c aux 
sieurs Macquin et GLurj^cs, bourgeois de ladite ville, 
5X)ur les tenir en devoir. Je ne les veux toutefois met- 
tre tous en ce rang, d'autant qu'il y en avoit quel- 
ques-uns respectueux et modestes. Mats je puis dire 
que c'est vn étrange animal qu'vn menu peuple. Et 
me souvient à ce propos de la guerre des Croquans, 
entre lesquels je roe suis trouvé vne fois en ma vie, 
estant en Querci. G'estoit la chose la plus bjgcarre 
du monde que cette confusion de porteurs de sabots, 
d'oLi ils avoient le nom de Croquans, parce que leurs 
sabots clouez devant et derrière laisoient Croc à 
chaque pas. Cette sorte de gens confuse n'entendoit 
ni rime, ni raison, chacun y cstoit maitre, armés les 
vos d\'ne serpe au bout d'vn bâton, les autres de 
quelque epéc enrouitléc, et ainsi consequcmment. 

Nôtre lonas ayant sa charge entière, est entin tiré 
hors la ville à la rade, et pensions partit le huitième 
ou ncufîcmc d'Avril. Le Capitaine Foulques s'estoit 
chargé de la conduite du voyage. Mais comme il y a 
ordinairement de la négligence aux affaires des 
hommes, avint que ce || Capitaine (hommes ncant- 
moins que j'ay reconeu fort vigilant à la mer) ayant 
laissé le navire mal garni d'hommes, n'y estant pas 
lui-même, ni le Pilote, ains seulement six ou sept 
matelots tant bons que mauvais , vn grand vent de 



5i8 




Histoire 



le cable du lonas. 



5i9 



494 

Suest s'élcve la nuit, qui rompt 
tenu d'vne ancre tant seulement, et le chasse contre 
vn. avant-mur qui est hors la ville adossant la chuine, 
contre lequel il choque tant de fois qu'il se crève et 
coule à fonds. Et bien vint que la mer pour lors se 
reiiroit. Car si ce desastre lust arrive de flot, la navire 
cstoit en danger d*cstrc renverse , avec vne perte 
beaucoup plus grande qu'elle ne fut, mais il se sou* 
tint debout, et y eut moyen de le radouber, ce qui 
fut fait en diligence. On avertît nos ouvriers de venir 
aider à cette nécessité, soit à tirer à lu pompe, ou 
pousser au capestan, ou à autre chose, mais il y en 
eut peu qui se missent en devoir, et s'en rioientla 
piuspart. Quclqucs-vns s'cstant acheminez jusques h 
parmi la vaze, s'en retournèrent, se plaignans qu'on 
leur avoit jette de l'eau, s'estans mis du côté parob 
sortoit l'eau de la pompe que le vent éparpilloit sur 
eux. l'y allay avec le sieur de Poutrincourt et quel- 
ques autres de bonne volonté, où nous ne fumes inu- 
tiles. A ce spectacle estait préque toute la ville de la 
Rochelle sur les rempars. La mer estoit encore irri- 
tée, et pensâmes aller choquer plusieurs fois contre 
les grosses tours de la ville. En tin nous entrâmes 
dedans, bagues sauves. Le vaisseau fut vuidée ntie> 
rement, et fallut faire nouvel équipage. I| La perte 
fut grande et les voyages préque rompus pour jamais. 
Car après tant de coups d'essais, je croy qu'à l'aTC- 
nir nul se fust hazardé d^aller planter des colonies 
par delà : ce païs estant tellement décric, que chacun 
nous plaignoit sur les accidens de ceux qui y avoient 
esté par le passé. Neantmoins le sieur de Monts et 
ses associez soutindrent virilement cette perte. Et 






jL 



i^^^ 



DE LA NoVVELLE-FrANCB. 



495 



faut que je die en cène occurrence, que si {amais ce 
païs-lù est habile de Chrétiens et peuples civilisés, 
c'est aux autheurs de ce voyage qu'en sera deu6 la 
première louange. 

Cet esclandre nous retarda de plus dHTi mois, qui 
fut cmployc tant à dcchargcr qu'à recharger nôtre 
navire. Pendant ce temps nous allions quelquefois 
pourmcncr es voisinages de la ville, et particulière- 
ment aux Cordeliers» qui n'en sont qu'à dcmîe-lîcuf , 
là où estant vu Jour au sermon par vn Dimanche, je 
m'émerveillay comme en ces places frontières on ne 
mcttoit meilleure garnison, ayans de si forts .enne- 
mis auprès d'eux. Et puis que l'cntreprcns vnc his- 
toire narrative des choses en la façon qu'elles se sont 
passées, je diray que ce nous est chose honteuse que 
les Ministres de la Rochelle priassent Dieu chaque 
jour en leurs assemblées pour la conversion des pau- 
vres peuples Sauvages, et même pour nôtre conduite, 
et que nos Ecclésiastiques ne fissent point le sem- 
blable. De vérité nous n'avions prié ni les vns ni les 
autres de ce faire, mais en cela se rcconoit le zèle 
d'vn chacun. En fin peu auparavant nôtre départ il 
me souvint de demander || au sieur Curé ou Vicaire 
de la Rochelle s'il se pourroit point trouver quelque 
sien confrère qui voulust venir avec nous : ce que 
)*esperoys se pouvoir aisément t^irc, pour ce qu*ils 
cstoicnt U en assez bon nombre, et joinct qu'estans 
en vne ville maritime, je cuidoys qu'ils prinssent 
plaisir de voguer sur les flots; mais je ne peu rien 
obtenir; et me fut dit pour excuse qu'il faudroît des 
gens qui fussent poussez de grand zèle et pieté pour 
aller en tels voyages, et scroit bon de s'addresser aux 





520 




496 



Histoire 



52 1 



Pcrcs îcsuites. Ce que nous ne pouvions faire alorsfl 
nôtre vaisseau ayant préquc sa charge. A propos »iej 
quoy U me souvient avoir plusieurs fois ouï dire ai 
sieur de Poutriucourt qu*aprcs son premier voyage,' 
estant en Court, vn pcrsonagc Ecdcsiastic tenu pour 
fort zélé à la religion Chrétienne lui demanda ce i)uii 
se pourroit espérer de la conversion des peuples d< 
la Nouvelle-France, ci s'ils csloient en grand nom- 
bre. A quoy il répondit qu'il y avoit moyen d'iicquc* 
rir cent mille amcs à Icsus-Chrisr, mettant vn nom-^ 
bre certain pour vn incertain. Cet Ecclcsiastïc, fai' 
saut peu de cas de ce nombre, dit là-dessus par 
admiration; N'y a il que celai comme si ce n'csioil 
point vn sujet assez grand pour employer vn humme.^H 
Certes quand il n'y en auroit que la centième partie, ^^ 
voire encore moins, ou ne dcvroit point la laisser 
perdre. Le bon Pasteur ayant d'entre cent brebis vncj 
égarée, laîrra les nonantc-neuf pour aller chercher la 
centième (i). On nous enseigne (et je le croy ainsi) 
que quand il n'y eust eu qu'vn homme à sauver, 
nùtre Seigneur lesus-Christ n'cust dédaigné de venil 
|[ pour lui, comme il a tait pour tour le monde.' 
Ainsi ne faut point laire si peu de cas de ces pauvres 
peuples, quoy qu'ils ne fourmillent point comme 
dans Paris ou Constant! nop le. 

Voyant que je n'avoys rîen avancé à demander 
vn homme d'Eglise pour nous administrer les Sacrer 
mens, soit durant nôtre route, soit sur la terre, il 
me vint en mémoire l'ancienne coutume des Chré- 
tiens, lesquels allans en voyage portoient avec eux 

(i) Matt. i8j vers. 12, 1 j. 



'M 

er 




DE LA N0VVBLL8-FraKCS, 



497 

sacré pain de l'Fucharistic; et ce faiwient-ils pour- 
ce qu'en tous licruz ils ne rcncontroîcnt point des 
Prcstrcs pour leur administrer ce Sacrement, le 
monde estant lors encore plein de paganisme ou 
d'hcrcsics. Si bien que non mal A propos il csloit 
appelle Viatic, lequel ils portoîent avec eux allans 
par voycs; et neanimotns je suis d'accord que cela 
s'entend spiritueïeraent. Et considérant que nous 
pourrions cslrc réduits il cette nccessitc. n'y estant 
demeuré quvn Prêtre en la demeure de la Nouvelle* 
France (lequel on nous dît cstre mort quand nous 
arrivâmes là) jedemnnday si on nous voudroit faire 
de même qu'aux anciens Chrétiens, lesquels n'cstoîent 
moins sages que nous. On me dit que cela se taisoit 
en ce temps-ià pour des considérations qui ne sont 
plus aujourd'hui, le remontray que le frerc de sainct 
Ambroise, StKyrur, allant en voyage sur mer, se servoit 
de cette médecine spirituclc (ainsi que nous lisons 
en sa harangue l'unebre faite par ledit sainct Am- 
broise son frère) laquelle il portoit in orarh, ce que 
je prcns pour vn linge ou taffetas; et bien lui en 
print, car || ayant fait uaufraf;e, il se sauva sur vn 
aisdu bris de son vaisseau. Mais en ceci je fus écon.- 
duit comme au reste. Ce qui me donna sujet d*ctor- 
nement et me scmbloit chose bien rigoureuse d'estrc 
en pire condition que les premiers Chrétiens. Car 
l'Eucharistie n'est pas aujourd'hui autre cijoscqu'clle 
estoit alors, et s'ils lu tcnoient précieuse, nous ne la 
demandions point pour en faire moins de cas. 

Revenons A nostre lonas. Le voilà chargé et mis à 
la rade hors de la ville; il ne reste plus que le temps 
et ia marée à point, c'est le plus difficile de l'œuvre. 

3^ 



522 




498 



Histoire 



523 



de fond! 



à h 



Car es lieux oti il n'y a gueres de londs, comme 
Rochelle, il faut altcndre les hautes marées de pl«in&^^ 
et nouvelle lune, et lors par aventure n'aura-on pas^| 
vent à propos, et faudra rcaicttrc la partie à quin- 
zaine. Cependant lu saison se passe, et l'occasion de 
faire voyage, ainsi qu'il nous pensa arriver. Car uous 
vîmes l'heure qu'après tant de fatij;ues et de dépenses 
nous estions demeurez faute de vent, et pource que 
la lune vcnoit en decours, et conscqucmmenl la 
marée, le Capitaine Foulques sembloit ne se point 
affectionner à sa charge, et ne demeuroit point au 
navire, et disoit-on qu'il estolt secrètement solliciic 
des marchans autres que de la société du sieur de 
Monts, de faire rompre le voyage, et par aventure 
n'estoît il point encore d'accord avec ceux qui le met- 
toient en oeuvre. Quoy voyant ledit gieur de Pou- 
trincourt, il fit la charge de Capitaine de navire, et 
s'y en alla coucher l'espace de cinq ou six jours pour 
sortir au premier |] vent et ne laisser perdre l'occa- 
sion. En fia à toute force l'onzième de May mil six 
cens six, à la faveur d'vn petit vent d'Est, il gâîgna 
la mer et 6t conduire notre lonas ft la Palisse, et le 
lendemain douzième revint à Chefdebois (qui sont 
les endroits où les navires se mettent à l'abri des 
vents), là oU lespoir de la Nouvelle-France s'assem- 
bla, le di l'espoir pour ce que de ce voyage dcpcndoit 
l'entretenement ou la rupture de l'entreprise. 



i 



DB LA NovVELLE-FraNCE. 



499 



Partanent de h Rochelle. Rencontres dhcrs de navires et For- 
bans. Mer tempétueuse rt l'endroit des Essores, et Poarquoy. 
Vent d'Ouest poanjuoy fréquent en la mer du Ponant. D'où 
viennent tes vents. Marsoins prognosfiijaes de tempête. Façon 
de tes prendre. Tempêtes. Effects d'icelUs. Calmes. Grain de 
vent que c'est, comme il se formCy ses efects. Asseurance de 
Matelots. Révérence comme se rend au navire Royal. Suppu- 
tation de voyage. Mer chaude, puis froide. Raison de ce et 
des Bancs de glace en la Terre-neuve. 

Chap. XI. 



B Samedi veille de Pentecôte, trezîémc 
de May, nous levâmes les ancres et fimes 
voiles en pleine mer tant que peu à peu 
nous perdîmes de veut; les grosses tours 
et la ville de la Rochelle, puis les iles |[ de Kez et 
d'Oleron, disans adieu à la France. C'estoit vne 
chose apprehcnsivc à ceux qui u'avoieiU accoutumé 
une telle danse, de se voir portez sur vn élément si 
peu solide, et estre à tout moment (comme on dit) à 
deux doigtz prés de la mort. Nous n'eûmes pas fait 
long voyage que plusieurs firent le devoir de rendre 
ie tribut à Neptune. Cependant nous allions tou- 
jours avant, et n'estoit plus question de reculer en 
arrière depuis que la planche fut levée. Le seziémc 
jour de May nous eûmes en, rencontre treze navires 
Flamendes allans en Hespagne, qui s'enquirent de 
, et passèrent outre. Depuis ce temps 



524 



5oo 



Histoire 



52 5 



nous fumes vn mois entier sans voir autre chose qi 

ciel et eau hors nôtre ville florante, sinon un navire' 
environ rcndroit tics Essores (ou Açorcs) bien garni 
de gens mêlez de Flamans et Anglois. Ils nous vi 









drcnt couper chemin, et joindre d'assez prés. Et se- 
lon la coutume nous leur demandâmes d'où estoit le 
navire. Ils nous dirent qu*ils cstoient Terre-ncuvîcrs, 
c'est à dire qu'ils alloicnt à la peschcrie des Morti^s,, 
et demandèrent si nous voulions qu'ils vinssent avec 
nous de compagnie, de quoy nous les remerciâmes. 
Là-dessus ils beurent à nous ei nous à eux, et prin- 
drent \Tie autre route. Mais après avoir considéré 
leur vaisseau, qui estoil tout charge de mousse vertc^^ 
par le ventre et les cotez, nous {ugcamcs que c'cs<^| 
toicnr des Forbans et qu'il y avoit long temps qu'iU^* 
batloient la mer en espérance de faire quelque prise-.^'j 
Ce fut lors plus que devant que nous commcnçame^H 
à II voir sauter les moutons de Neptune (ainsi ap-^^ 
pclle-on les flots blanchissans quand la mer se veut 
émouvoir) et ressentir les rudes estocades de son 
Trident. Car ordinairement la mer est tempétueuse 
en l'endroit que j"ay dit. Que si on m'en demande la 
cause, je diray que j'estime cela provenir de certain 
cou dit des vents Orientaux et Oa-ïdcntaux qui se, 
rencontrent en cette partie de la mer, et principalc<i 
ment en été quand ceux d'Otlest s'clcvent, et d'vne' 
grande force pénètrent vn grand espace de mer jus- 
ques ù ce qu'ils trouvent les vents de dcci qui leul 
font résistance ; et à ces rencontres il fait mauvais se' 
trouver. Or cette raison me semble d'autant plus 
probable, que jusques environ les Essores nous, 
avions eu vent asscs à propos, et depuis prévue tou- 






DE LA NovVELLE-FrANCE. 



Soi 



)urs vent debout, ou Suroûest, ou Noroûcst, peu 
du Nort et de Su, qui ne nous cstoient que bons 
pour aller à la bouline. Oc vent d'Est rtcn du tout, 
sinon vne ou àtnix. fuis, lequel ne nous dura pour en 
faire cas. Il est bien certain que les vents d'OUcst 
régnent Tort au long et au large de celte mer, soit 
par vûc certaine repercussion du vent Oriental qui 
est rapide souz la ligne lequinoctiale, duquel nous 
avons parlé ci-dessua, ou parce que cette terre Occi- 
denale estant grande, le vent aussi qui en sort abonde 
davantage. Ce qui arrive principalement en Eté 
quand le soleil a la force d'attirer les vapeurs de la 

Srre. Car les vents en viennent et volontiers sortent 
baumes et cavernes d'iccllc. Et pour ce les PoCtes 

iigncnl qu'jî)ole les tient en des prisons, d'où il les 
tire II et les fait marcher en campagne quand il lui 
plaît. Mais l'esprit de Dieu nous le confirme encore 
mieux, quand il dit par ta bouche du Prophète (i)» 
que Dieu tout puissant entre autres merveilles tire 
les vents de ses thresors, qui sont ces cavernes dont 

tle, car le mot de thresor signifie en Hcbrieu 
iccrct cl caché. 

Et sur cette considération Christaphlc Colomb, Ge- 
■fiois, premier navigateur en ces derniers siècles aux 



oua 



Des recoins de la terre où ses limites sont^ 
Les pesantes vapeurs U souleye en amont^ 
H change Us éclairs en pluvieux ravages, 
Tirant de ses thresors ta vents et les orages. 



(i) Psalm. IJ4; Heb. iji, vers. 7. 




526 



502 



HlSTOIBE 



527 



îles de l'Amérique, jugea qu'il y avoit quelque gratit 
terre en rOccidtnt, s'estant pris gurde en allant sur 
mer qu'il y en venoit des vents continuels. 

Poursuivans donc nôtre route, nous eûmes quel* 
qucs autres tempêtes et difiicoltês causées pur les 
vents, que nous avions préque toujours contraires 
pour estre partis trop tard. Mais ceux qui partent eu 
Mars ont ordinairement bon temps, pour ce qu'alors 
sont en vogue les vents d'Est, Nordesl et Nort, pro- 
pres ù. ces voyages. Or ces tempêtes bien souvent 
nous estoient présagées par les Marsoins qui enviroo- 
noient nôtre vaisseau par milliers, se joûans d'vno 
façon fort plaisante. 11 y en eut quelques-vns à qui 
mal print de s'cstre trop approches, car il y avoit 
des gens uu guet souz le Beaupré (qui est en la par- 
tie de devant) du navire, avec des harpons en main 
qui les lardoicnt quelquefois et les faisoient venir à 
bord â l'aide des autres matelots, lesquels avec des 
GaHes 1| les tiroient en haut. Nous en avons pris plu- 
sieurs de cette laçon tant en allant qu'en venant, les- 
quels ne nous ont point fait de mal. Cet animal a 
deux doigts de lart sur le dos tout au plus. Quand 
il cstoit fendu, nous lavions noz mjins en son sang 
tout chaud, ce qu'on disoit estre hon à conforter les 
nerfs. Il a merveilleuse quantité de dents le long du 
museau, et pense qu'il tieat bien ce qu'il attrape vue 
fois. Au reste, les parties intérieures ont le goût en- 
tièrement comme de pourceau, et les 05 non en forme 
d'arrêtés, mais comme vn quadrupède. Ce qui y est 
de plus délicat est la crête qu'il a sur le dos, et la 
queue, qui ne sont ni chair ni poisson, ains meil- 
leures que cela, telle qu'est aussi en matière de queue 



I 
4 



4 



-^ 




DE LA NoVVELLE-FhANCE. 



5o3 



ccUe du Castor, laquelle semble estre écaillée. Ces 
Marsoins sont les seuls poissons que nous prtnies 
devant que venir au grand Banc des Morues. Mais 
de loin nous voions d*auîres gros poissons, qui fai- 
soîent paroitre plus de demi-arpent de leur cchine 
hors de Peau et poussoient plus de deux lances de 
hauteur des gros canaux d'eau en l'air par les trous 
qu^ils avoient sur la tête. 

Or, pour venir à nôtre propos des tempêtes durant 
nôtre voyage, nous en eûmes quelques-vnes qui 
nous firent mettre voiles bas et demeurer les bras 
croisez, portés au vouloir des fiots et balottez d'vne 
étrange façon, S'il y avoir queK^ue coffre mal amarré 
(je veux vscr de ce mot de marinier), on l'cntendoit 
rouler, faisant vn beau sabat. Quelquefois la marmite 
cstoil renversée, et en dinant ou soupant, noz plats 
Il voloicnt d'un bout de la table à l'autre, s'ils n'é- SaS 
toient bien tenus. I^our le boire , il falloit porter la 
bouche et le vcne selon le mouvement du navire. 
Bref, c'esToit vn passe-temps, mais vn peu rude à 
ceux qui ne f>ortent pas aisément ce branlcmciU. 
Nous ne laissions pourtant de rire la pluspart, car le 
danger n'y estoit point^ du moins apparemment, es- 
tans dans vn bon et fort vaisseau pour soutenir les 
vagues. Quelquefois aussi nous avions des calmes 
bien importuns durant lesquels on se baignoit en la 
mer, on dansoit sur le dllac , on grimpuit à la hune; 
nous chantions en Musique. Puis quand on voioic 
sortir de dessouz l'orizon vn petit nuage , c'estoit 
Jors qu'il falloit quitter ces exercices, et se prendre 
garde d'vn grain de vent qui esloit enveloppé là de- 
dans, lequel se desserrant, grondant, runHaut, sî- 



5o4 Histoire 

fiant, bruiant, tempêtant, bourdonnant^ estoît ca- 
pable de renverser nôtre vaisseau c'en dessus dessous, 
s'il n'y eust eu des gens prêts à exécuter ce que le 
maître du navire (qui estoit le Capitaine Foulques, 
homme fort vigilant) leur commandoit. Or, ces grains 
de vents, lesquels autrement on appelle orages, il 
n'y a point danger de dire comme ils se forment et 
d'où ils prenent origine. Pline en parle en son His- 
toire naturele (i), et dit en somme que ce sont exa- 
laisons et vapeurs légères élevées de la terre jusques 
à la froide région de Pair, et ne pouvans passer outre, 
ains plustôt contraintes de retourner en arrière, elles 
rencontrent quelquefois des exalaisons sulfurées et 
ignées, qui les environnent et resserrent de si prés, 
529 qu'il en || survient vn grand combat , émotion et agi- 
tation entre le chaud sulfureux et l'aëreux humide, 
lequel estant forcé par son plus fort ennemi de fuîr, 
il s'élargit, se fait faire jour, et siffle, bruit, tem- 
pête, bref se fait vent, lequel est grand ou petit , se- 
lon que l'exalaison sulfurée qui l'enveloppe se rompt 
et lui fait ouverture, tantôt tout à coup, ainsi que 
nous avons posé le fait ci-dessus, tantôt avec plus de 
temps, selon la quantité de la matière de laquelle elle 
est composée, et selon que plus ou moins elle est agi- 
tée par contraires qualitez. 

Mais je ne puis laisser en arrière l'asseurance mer- 
veilleuse qu'ont les bons matelots en ces conflicts de 
vents , orages et tempêtes , lors qu'vn navire estant 
porté sur des montagnes d'eaux, et de là glissé 
comme aux profons abymes du monde, ils grimpent 

(1) Pline, liv. 2,ch. 48. 



DR LA NoVTBLLE-FbANCB. 



5oS 



parmi les cordages non-seulcineTit à la hune et au 
bout du grand mast, mais aussi, sans degrez, au som- 
met d'un autre mast qui est ente sur le premier, sou- 
lus seulement de la force de leurs bras et pîés cn- 
irtiilés û l'entour des plus hauts cordages. Voire je 
diray plus qu'en ce grand branlement s'il arrive que 
le grand voile (qu'ils appellent Paphll, ou Papefust) 
soit denoQé par les extremitcz d'en haut, le premier 
à qui il sera commandé se mettra à chevaîon sur la 
Vergue (c'est l'arbre qui traverse le grand mast) , et, 
avecvn marteau â sa ceinture et demie-douzaine de 
clous à la bouche , ira r'altachcr au pcrll de mille vies 
ce qui estoît décousu- l'ay autrefois oui faire grand 
cas de la hardiesse d'un Suisse qui (après le ([ sicgc 
de Laon, et la ville estant rendue â l'obeïssance du 

IPoy) grimpa et se mit il chevaîon sur le travers de lu 
Croix du clocher de TÉglisc Notre-Dame dudit lieu, 
et y fit Parbre fourchu, les pîés en haut, qui fut 
vne action bien hardie; mais cela ne me semble rien 
au pris de ceci, estant ledit Suisse sur vn corps so- 
lide et sans mouvement, et celui-ci, au contraire, 
pendant sur vne mer agitée de vents impétueux, 
comme nous avons quelquefois vcu. 

Depuis que no.is eûmes quitté ces Forbans des- 
quels nous avons parlé ci-dessus, nous fumes jusques 
au dix huitîiéme de luin agirez de vents divers et 
préque tous contraires sans rien découvrir qu'vn na- 
vire fort éloigné, lequel nous n'abordâmes, et néant- 
moins cela nous consoloit. Et ledit jour nous rencon- 
trâmes vn navire de Honflcur oU commandoit le Ca- 
pitaine la Roche, allant aux Terres-neuves, lequel 
n'avoit eu sur mer meilleure fortune que nous. C'est 



53o 



5o6 



Histoire 



la coutume en mer que quand quelque navire parti- 
culier rencontie vn navire Royal (comme esioit le 
nôtre), de se mettre au dcssouz du vent, et se pré- 
senter non point côte ù côte, maïs en biaisant, même 
d^abatlrc son enseigne, ainsi que lit ce Capitaine la 
Roche, hor-mis renseigne qu'il n'aN'oit point non 
plus que nous, nVn estant de besoin en si grand 
voyage, sinon quand on approche la terre ou quand 
il se faut battre. Noz mariniers firent alors leur es- 
time sur la route que nous avions faite; car en tout 
navire les Maître Pilote et Contrcmaitre font rcgttre 
chaque jour des routes et airs de vents qu'ils ont 
53i suivi, par com- 1| bien d'heures, et l'estimation des 
lieues. Ledit la Roche donc estimoit estre par les 
45. degrtîs et à cent lieues du Banc. Nôtre Pilote, 
nommé Maitre Olivier Fleuriot, de S. Malo, par sa 
supputation, disoit que nous n'en estions qu'à soi- 
xante licuës , et le Capitaine Foulqutis à six vingts, 
el je croy qu'il jugeoit le mieux. Nous eûmes beau- 
coup de contentement de ce rencontre et primes bon 
courage, puis que nous commencions à rencontrer 
des vaisseaux , nous estant avis que nous entrions en 
lieu de conoissance. 

Mais il faut remarquer vne chose en passant que 
j'ay trouvée admirable, etoU il y a à philosopher; 
car, environ cedit jour 18. de luin, nous trouvâmes 
l'eau de la mer l'espace de trois jours fort tiède , et en 
estoit nôtre vin de même au fond du navire , sans 
que Tair fust plus échauffé qu'auparavant. Et le 21 
dudit mois tout au rebours nous fumes deux ou trois 
jours tant environnez de brouïUas et froidures, que 
nous pensions estre au mois de lanvier, et estoit Tcau 



4 
1 

4 



DE LA NoVVBLLB-FrANCB. 



507 



de la mer extrcmcment froide. Ce qui nous dura jus- 
ques à ce que nous vînmes sur le Banc, pour le re- 
gard desdits brouillas qui nous causoîent cette froi- 
dure au dehors. Quand je recherche la cause de cette 
antiperistase , je l'attribue aux glaces du Nort qui se 
déchargent sur la côte et la mer voisine di: la Terre- 
neuve et de Labrador, lesquelles nous avons dit ail- 
leurs cstrc U portées de la mer par son mouvement 
naturel, lequel se lait plus grand là qu'ailleurs, à- 
causc du grand espace qu'elle a ù courir comme dans 
vn golfe uu profond de TAmcrique, oQ la nature cc 
site de la terre vni- [] verscle la porte aisément. Or, 532 
ces glaces (qui quelquefois se voient eu bancs longs de 
huit ou dix lieues, et hautes comme monts et co- 
teaux, et trois fois autant profondes dans les eaux), 
tenans comme vn empire en cette mer, chassent loin 
d'elles ce qui est contraire à leur froideur, et conse- 
qucmment font resserrer par-deça ce peu que l'esté 
peut apporter de doux tempérament en la partie 
où elles se viennent camper , sans toutefois que je 
vueîlle nier que cette region-là en même parallèle ne 
soit quelque peu plus froide que celles de nôtre Eu- 
rope, pour les raisons que nous dirons ci-uprcs, 
quand nous parlerons de la tarJiveté des saisons. 
Telle est mon opinion, n'empêchant qu'vn autre ne 
dise la sienne. Et de cette chose memorative, j'y vou- 
lu prendre garde au retour delà Nouvelle -France, et 
trouvay la même tiédeur d'eau (ou peu s'en fallolt), 
quoy qu'au mois de Septembre, h cinq ou six jour- 
nées au dcca dudit Banc,daqucl nous allons parler. 



5o3 



HiSTOlSB 



533 [[ Du Grand Banc des Morues. Arrivée audit Banc. Descri 

d'icclm. Pescheries de Montés et d'oiseaux. Gourmandise des 
Happe-foyes. Périls divers. Fanars de Diea, Causes desfn 
^aenks et longues brumes en ïa mer Occidentale. Avertisse- 
iiicns de la terre. Veu'ê d'icclic. Odeurs merveilleuses. Aijori 
de deux chaloupes. Descente au port du Mouton. Arrivée a 
Perl Royal, De deux François y demeurez seuls parmi k 
Sauvages. 

Chap. XII. 



'M 



534 



.EVANT que parvenir au Banc duquel nous 
avons parlé ci-dessus, qui est le Grand 
Banc où se fait la pescherïe des Morues 
vertes (ainsi les appelle on quand elles ne 
sont point sèches, car pour les sécher il faut aller 
lerre), les Mariniers, outre la supputation qu'ils font 
de leurs routes, ont des a\'errissemens qu'ils en sont 
priîs par les oiseaux, lesquels on reconoit, tout ainsi 
qu'on fait en revenant en France, quand on en esta 
quelque cent ou six vingts lieues prés. De ces oi- 
seaux les plus frequens vers ledit Banc sont des Go- 
des, Fouquets, et autres qu'on appelle Happe-foycs, 
pour la raison que nous dirons tantôt. Quand donc 
on eut rcconu de ces oiseaux qui n'cstoient pas sem- 
blables à ceux que nous avions veu au milieu de la 
pleine mer, on jugea que nous n'estions pas loin d*i 
celui Banc; ce [j qui occasionna de jetter la sonde par 
un leudi vingt-deuxième de luin, et lors ne lut trouvé 



it^ 



'M 



DB LA N0VVELI.8-Fra«CE. 



509 



I îr 



Fond. Maïs le même jour, sur le soir, on la jelta de- 
rechef avec meilleur succès, car on trouva fond à 
trente-six brasses. le ne sçaurois exprimer la joye 
que nous eûmes de nous voir là oU nous avions tant 
dcsiré d'estrc parvenus. II n'y avoit plus de malades, 
chacun sautoit de liesse, et nous sembloit cstre en 
nôtre païs, quoy que nous ne fussions qu'à moitié 
de nôtre voyage , du moins pour le temps que nous 
y employâmes devant qu'arriver au Port-Royal , où 
ous tendions. 

Ici, devant que passer outre, je veux éclaircîr ce 
mot de Banc qui par aventure tient quelquVn en 
peine de sçavoir que t*est.. On appelle Bancs quel- 
quefois vn fond areneux où il n'y a gneres d'eau ou 
qui assèche de basse mer, et tels endroits sont mor- 
tels aux navires qui les rencontrent. Mais le Banc du- 
quel nous parlons ce sont montagnes assises en la 
profonde racine des abymes des eaux, lesquelles s>- 
Jcvent jusques ft trente, trente-six et quarante bras- 
ses prés de la surface de la mer. Ce Banc, on le tient 
de deux cens lieues de long, et dîx-liuÎE, vingt et 
vingt-quatre de large, passe lequel on ne trouve plus 
de fond non plus que par deçà, jusques à ce qu'on 
aborde la terre. Là-dessus les navires cstans arrivés, 
on plie les voiles, et fait-on la pcschcrie de la Morue 
verte, comme j'uy dit, de laquelle nous parlerons au 
livre suivant. Pour le contentement de mon lecteur, 
je l*ay figuré en ma Charte géographique de la Terre- 
neuve avec des |' poinctes, qui est tout ce qu'on peut 
faire pour le représenter. II y a plus loin d'autres 
bancs, ainsi que j'ay marqué en ladite Cliaric, sur 
lesquels on ne laisse de faire bonne pcsclierie : et plu- 




535 



5io 



Histoire 




sieurs y vont qui sçavent les endroits. Lors que nous 
partîmes de la Rochelle, il y avoit comme vne foref ,, 
de navires à Chefdebois (d'oU aussi ce lieu a pris i 
son nom) qui s'en allèrent en ce païs là tout d'vnc 
volte, nous ayans devancé de deux jours. 

Apres avoir reconeu le Banc, nous nous remîmes n 
à la voile et limes porter toute la nuit, suivant tou- 
jours nôtre route à l'Ouest. Mais k point du jour 
venu, qui cstoit la veille sainct lean Baptiste, ù boa 
jour bonne œuvre, ayans mis les voiles bas, nous 
passâmes la jouriiik: à la pcschcric des Morues avec 
mille rcjouïssances et contentcmens , à cause des 
viandes frcches que nous eûmes tant qu'il nous^i 
pleut, après les avoir long temps désirées. Parmi la-^| 
pescheric nous eûmes aussi le plaisir de voir prendre ^^ 
de ces oiseaux que les mariniers appellent Happe- 
foyes à-cause de leur avidité à recueillir les foyes des 
Morues que Ton jette en mer, après qu'on leur a ou- 
vert le ventre, desquels ils sont si frîans, que quoy 
qu'ils voient vne grande perche ou gafle dessus leur 
tête prête à les assommer, ils se bazardent d'appro- 
cher du vaisseau pour en attraper à quelque pris que 
ce soit. Et à cela passoient leur temps ceux qui n'es- 
toient point occupez à ladite pescherie, et firent tant 
par leur industrie et diligence, que nous en eûmes 
environ vne trentaine. Mais en cette action vn de 
noz charpentiers || de navire se laissa tomber dans la 
mer, et bien vint que le navire ne derivoît gueres, 
ce qui lui donna moyen de se sauver et gaigner le 
gouvernail , par où on Je tira en haut, et au bout fut 
châtié de sa faute par !e Capitaine Foulques. 

En cette pescheric nous prenions aussi quelquefois 




No WELLE- France. 



5ii 



chiens de 



les 



desquclz 



M( 



^ 



lens de mer, les peaux desqucjz noz Menw- 
sîcrs gardoient soigneusement pour addoucir leur 
bois de menuiserie; item des Merlus, qui sont meil- 
leurs que ks Morues, et quelquctois des Bars ; la- 
quelle diversité augmentoii nôtre contentement. Ceux 
qui ne tendaient ni aux Morues ni aux oiseaux pas- 
soient le temps à recueillir les cœurs, tripes et par- 
tics intérieures plus délicates desdites Morue, qu'ils 
mettoient en hachis avec du lart , des cpiccs et de la 
chair d'icelles MoruCs, dont ils faisoient d'aussi bons 
cervelats qu'on sçauroic faire dans Paris; et en man- 

ames de tort bon appétit. 

Sur le soir nous appareillâmes pour nôtre route 

ursuivre, après avoir fait bourdonner noz canons 
tant à-cause de la fétc de salnct Ican que pour l'a- 
mour du Sieur de Poutrincourt, qui porte le nom 
de ce Sainct. Le lendemain, quclques-vns des nôtres 
nous dirent qu'ils avoient veu vn banc de glaces; et 
là dessus nous tut recité que l'an prcccndant vn na- 
vire Olonois s'estolt perdu pour en estre approche 
trop priîs , et que deux hommes s'estans sauvez sur 
les glaces avoient eu ce bonheur qu'vn autre navire 
passant les avoît recueillis. 

Baut remarquer que depuis le dix-huitiémcdc luin 
jusques A nôtre arrivée au Port-Royal |j nous avons 
trouvé temps tout divers de ccllui que nous avions 
eu auparavant; car, comme nous avons dit ci-des- 
sus, nous eûmes des froidures et brouillas (ou bru- 
mes) devant qu'arriver au Banc (où nous fumes de 
beau soleil), mais le lendemain nous retournâmes 
aux brumes, lesquelles nous voions venir de loin 
nous envelopper et tenir prisonniers ordinairement 




537 



5l2 



Histoire 



53S 



trois joïirs durant pour deux jours de beau tcmj 
qu'elles nous pcrmcttoiem ; ce qui cstoit toujours ac- 
compagne de froidures par l'absence du soleil. Voiie 
même cil diverses saisons , nous nous sommes veus 
huit jours continuels en brumes épcsses par deux 
fois sans apparence du soleil que bien peu, comme 
nous reciterons ci-apres. Et de tels cffccts j'amene- 
ray vne raison qui me semble probable. Comme nous 
voyons que le feu attire l'humidité d'vn linge raouïUé 
qui lui est opposé , ainsi le soleil attire des humidîtez 
cl vapeurs de la terre et de la mer. Mais pour la re- 
solution d'iccUcs il a ici vne vertu , et par-delà vnc 
autre, selon les accidens et circonstances qui se pré- 
sentent. Es païs de deçà il nous enlevé seulement les 
vapeurs de la terre et de noz rivières, lesquelles va-. 
peurs terrestres estant pesantes et grossières, et te 
nans moins de l'élément humide, nous causent vi 
air chaud ; et la terre dépouillée de ces vapeurs est] 
plus chaude et plus rotîc. De là vient que cesditirs 
vapeurs ayans la terre d'vne part et le soleil del'auti 
qui les échauffent, elles se resoudent aisiSmcnt et 
demeurent gueres en l'air, si i^e n'est en hiver, quant 
la terre est refroidie et le Joleil || au dcU de la ligne 
aequinoctialc éloigna de nous. De cette raison vien< 
aussi la cause poarquoy en la mer de France les bru- 
mes ne sont point si fréquentes ne si longues qu'en 
la Terre-neuve j parce que le soleil passant de soa 
Orient pjir dessus les terres, cette mer, à la venuS 
d'icelui, ne reçoit quasi que des vapeurs terrestres, 
et par vn long espace il conserve cette vertu de bien- 
tôt résoudre les exalaisons qu'il a attiré à soy; mais 
quand U vient au milieu de la mer Qccannc et à la- 



DB LA NovTELLE-FrjLNCE. 



5i3 



^ite Terre-neuve, ayant élevé et auiré A soy en vn si 
long voyage vne grande abondance de vapeurs de 
toute cette plaine humide, il ne les résout pas aisé- 
ment, tant pou ae que ces vapeurs sont froides d'elles- 
mêmes et de leur nature, que pourcc que le dessouz 
sympatliizc avec elles et les conserve , cî ne sont point 
les rayons du soleil secondés à la resolution d'icclles, 
comme ils sont sur la terre; ce qui se reconoit même 
en la terre de ce païs-Ia, laquelle, encores qu'elle ne 
soit guercs échauffée à-causc de l'abondance des bois, 
toutefois elle aide à dissiper les brumes et brouillas 
qui y sont ordinairement au matin durant l'été, mais 
non pas comme à la mer, car sur les huit heures elles 
commencent à s'évanouïr et lui ser\'ent de rousée. 

l'espcre que ces petites digressions ne seront point 
désagréables au Lecteur, puis qu'elles viennent à 
nôtre propos. Le 28. de luîn nous nous trouvâmes 
sur vn Banquereau (autre que le grand Banc duquel 
nous avons parlé), à quarantes brasses; et le lende- 
main vn de noz matelots tom- |1 ba de nuitcn la mer, 
ctcstoitfait de lui s'il n'eust rencontré un cordage 
pendant en l'eau. De U en avant nous commençâmes 
à avoir des avcrlissemens de la terre (c'estoit la "Terre- 
neuve) par des herbes, mousses, ileurs et bois, que 
nous rencontrions toujours plus abondamment plus 
nous en approchions. Le 4. de luiller, noz matelots 
qui cstoient du dernier quart apperceurent dés le 
grand matin les ilcs Sainct-Picrrc, chacun estant en- 
core au lit; et le Vendredi 7. dudit mois nous décou- 
vrîmes estribort (t) vne côte de terre relevée longue 



{0 Estriiwrt c'est i droite. 




3Î 



539 



«rtii 



514 



Histoire 



à perte de veuë, qui nous remplit de rejoutssance 
plus qu'auparavant; en quoy nous eûmes vnc gronde 
faveur de Dieu d'avoir fait cette découverture de 
beau temps; et, estans encore loin, les plus hardis 
montoicnt à la hune pour mieux voir, tant nous es- 
tions tous désireux de cette terre vrayc habitation de 
l'homme. Le sieur de Poulrïncourt y monta et moy 
aussi, ce que nous n^avîons onques iait. Noz chiens 
mettoient le museau hors le bord pour mieux flairer 
Tair terrestre , et ne se pouvoicnr tenir de témoigner 
par leurs gestes l'aise qu'ils avoicnt. Nous en appro- 
châmes à vnc lieuG prés et (voiles bus) fimes pcschc- 
rie de Morues, la peschsric du Banc commençant à 
faillir. Ceux qui paravant nous avoient fait des voya- 
ges par-delà jugèrent que nous estions au Cap Bre- 
ton. La nuit venant , nous dressâmes le cap à la mer, 
et le lendemain, huitième dudit mois de luillet, 
comme nous approchions de la Baye de Campstaa^ 
vindrent les brumes sur le vépre, qui durèrent huil 
jours entiers , pendant Icsquelz nous nous |[ soutîn- 
mes en mer, louvians toujours, sans avancer che- 
min , contrariés des vents d'Ouest et Suroûcsî. Pen- 
dant ces huit jours , qui furent d'vn Samedi à vq^j 
autre, Dieu (qui a toujours conduit ces voyages, aus^H 
quels ne s'est perdu vn seul homme par mer) nous^^ 
fit paroitre une spéciale faveur, de nous avoir en- 
voyé parmi les brumes épesscs vn eclarcisscment Je 
soleil qui ne dura que demie-heure, et lors nous eû- 
mes la vcuë de la terre ferme, et conçûmes que nous 
nous allions perdre sur les brisans si nous n'eus- 
sions virement tourné le cap en raer. C'est ainsi qu'on 
recherche la terre comme vnc blca-almcc, laquelle 



^ 



DE LA NoWELLE-FraNCE. 



5iS 



quelquefois rebute bien rudement son amant. En fin^ 
le Samedi quinzit-mcdc luillet, sur les deux heures 
après midi , le ciel commcni^-a de nous saluer à coups 
de canonades, pleurant, comme fâché de nous avoir 
si longtemps tenu en peine. Sî bien que le beau 
temps revenu , voici droit à nous (qui estions à qua- 
tre lieues de terre"; deux chaloupes à voile déployée 
parmi vne mer encore emeuC. Cela nous donna beau- 
coup de contentement ; mais, tandis que nous pour- 
suivions nôtre route , voici venir de la terre des 
odeurs en suavité nompareîlles apportées d'vn vent 
chaut si abondamment , que tout l'Orient n'en sçau- 
roit produire davantage. Nous tendions noz mains, 
comme pour les prendre, tant elles cstoient palpa- 
bles, ainsi qu'il avint à l'abord de la Floride à ceux 
qui y furent avec Laudonniere. A tant s'approchent 
les deux chaloupes, l'vnc chargée de Sauvages qui 
avoient un Ellan peintù leur voile, l'autre de |I Fran- 
çois Maloins qui faisoient leur pescherie au port de 
Canipseau ; mais les Sauvages furent plus dilïgens, car 
ils arrivèrent les premiers. N'en ayans jamais veu , 
j'admiray du premier coup leur belle corpulance et 
forme de visage. Il y en eut vn qui s'excusa de n'a- 
voir point apporté sa belle robbe de Castors, par-ce 
que le temps avoit esté difficile. II n'avoit qu'vne 
pièce de frize rouge sur son dos et des Maîachiaz au 
col, aux poignets cT au dessus du coude, et à la cein- 
ture. On les fit manger et boire, et ce faisant ils 
nous dirent tout ce qui s'cstoit passé depuis vn an au 
Port-Royal, où nous allions. Cependant les Ma- 
loins arrivèrent et nous en dirent tout autant que 
les Sauvages, ajoutans que le Mercredi auquel nous 



54T 



1 



Histoire 






vn 

'm 



évitâmes les brisans, ils nous avoient vcu, et voii- 
loient venir à nous avec lesdits Sauvages, mais que 
nous cstans retournez en mer ils s'en estoieni dé- 
sistez; et davantage qu'à terre il avoit toujours d 
beau temps, ce que nous admirâmes tort; mais 
cause en a estti rendue ci-dessus. De cette incommo- 
dité se peut tirer ^Tadvemrvn bien, que ces brumes 
serviront de rempart au païs, et sçaura-on cou jour s i, 
en diligence ce qui se passera en mer. Ils nous dîiea^H 
aussi qu'ils avoient eu avis quelques jours aupara^f 
vant, par d'autres Sauvages, qu'on avoit veu vn 
navire au Cap Breton. Ces François de Saîncl-Ma 
cstoient gens qui faisoient pour les associez du sicu: 
de Monts , et se peignirent que les Basques, contre 
les défenses du Roy , avoient enicv*; et trocqué avec 
les Sauvages plus de || six mille Castors. Ils nous 
donnèrent de leurs poissons, comme Bars, Merlus et 
grans Flétans. Quant aux Sauvages , avant partir ils 
demandèrent du pain pour porter à leurs femmes. 
Ce qu'on leur accorda. Et le meritoient bien d'csirc 
venus de si bon courage pour nous dire en quelle 
part nous est ons, car depuis nous allâmes toujours 
asseu rément. 

A l'adieu quelque nombre de ceux de nôtre com- 
pagnie s'en allèrent ù terre au Port de Campseau, tant 
pour nous faire vcair du bois et de l'eau douce^ dont 
nous avions besoin, que pour de là suivre la côte 
jusqucs au Porr-Royal dans vnc chaloupe : car nous 
avions crainte que le sieur du Pont n'en fust dés-ja 
parti lors que nous arriverions. Les Sauvages s'of- 
frirent d'aller vers lui ù travers les bois , avec pro- 
messe qu'ils y seroient dans six jours , pour l'avertir 



DE LA NOVVELLE- FrAKCE. 



5i7 



de notre venue, afin de l'arrêter, d'autant qu'il avoit 
le mot de partir si dans le seizième du mois it n'avoit 
secours, à quov il ne faillit point. Toutefois noz 
gens, désireux de voir la terre de pri!'S, empêchèrent 
cela, et nous promirent nous ap^^urler le lendemain 
l'eau et le bois susdit si nous nous trouvions prés 

Kidite lerre. Ce que nous ne fimes point et poursui- 
imes nôtre route. 
Le Mardi dix-septième de luillct nous fumes d. 
accoutumée pris de brumes et de vent contraire. 
Mais le leudi nous eûmes du calme, si bien nous 
n'avancions rien ni de brumes ni de beau temps. 
Durant ce calme, sur le soir, vn charpentier de 
navire se baignant en la mer après avoir trop beu 
d'eau de vie, se trouva sur- |[ pris, le froid de !a 
marine combattant contre l'cchaufiement de cet es- 
prit de vin. Quelques matelots voyans leur com- 
pagnon en péril , se jetterent dans l'eau pour le 
secourir, mais ayant l'esprit trouble il se mocquoit 
d'eux , et n'en pouvait-on jou'ir. Ce qui occasionna 
encore d'autres matelots d'aller au secours et s'em- 
pcchercnt tellement l'un l'autre que tous se virent en 
péril. En fin il y en eut vn qui parmi cette confusion 
ouït la voix du sieur de Poutrincourt qui lui disoit : 
lean Hay, regardez moy, et prînt le cordage qu'on 
lui prcsentoit. On le tira en haut et le reste quant et 
quant fut sauvé. Maislauthcurdc la noise tomba en 
vne maladie dont il pensa mourir. 

Apres ce calme nous retournâmes pour deux jours 
au paîs des brumes. Et le Dimanche 23. dudit mois 
eûmes conoissance du Port du Rossignol et le m(;mc 
jour après midi de beau solcît nous mouïUames 



543 





5i8 



Histoire 



l'ancre en mer à l'entrée du Port au Mouton 
pen&amcs toucher estans venus jusqucs à deux brasseSj 
et demie de profond. Nous allâmes en nombre de i; 
à terre pour quérir de l'euu cl du bois qui nous dê-| 
failloicut. Lu nous trouvâmes encore entières leal 
cabanes et logemens du sieur de Monts qui y avoît 
sejoumé l'espace d\'n mois deux ans auparavant, 
comme nous avons dit en sou lieu. Nous y remar-j 
quanies parmi une terre sablonneuse force chcne«4 
porte-glans, cyprès, sapins, lauriers, roses muscades,' 
grozelles, pourpier, framboises» fougères, lysimacbia, 
544 espèce de scam- |1 monécj Calamus odoratus, Ange-, 
Uque et autres Simples, en deux heures que nous y ' 
fumes. Nous en reportâmes cri nôtre navire quantité 
de pois sauvages que nous trouvâmes bons. Nous 
n'eûmes le loisir d'aller il la chasse des lapins, qui 
sont en grand nombre non loin dudit Port; ainsi 
nous cil rclouniames si tut que nôtre charge d'eai 
et de buis fut faite, et nous mimes à la voile. 

Le Mardi vingt-cinquitime estions à l'endroit dii' 
Cap de Sable de beau temps, et fimcs bonne journée, 1 
car surlcsoirnous eûmes en veuë l'Ile iongue «la , 
Baye Saincte-Marie , mais ù cause de la minuit nous | 
reculâmes à la mer. Et Iclcndcmain vînmes mouiller 
l'ancre à l'entrée du Port-Royal , où ne peumes en- 
trer pour ce qu'il estoit ebc. Mais deux coups de 
canons furent tirez de nôtre navire pour saluer ledin: 
Port et avertir les François qui y esioient. ,^H 

Le leudi vingt-sepliéme de luillet nous cntrameS^H 
dedans avec le flot, qui ne fut sans beaucoup de 
diflîcultez pour ce que nous avions le vent 
et des rcvolins ertre les montagnes qui nous 



,si j 
lu" 



opposff j 
; pcns^ I 



DB LA NovTELLB-Fr&NCE. 



519 



rent porter sur les rochers. Et en ces affaires nôtre 
navire alloit à rebours U poupe devant , et quelque- 
fois tournoit, sans qu'on y pcust faire autre chose. 
En fin estans dedans le port ce nous estoit chose 
cmcrveillable de voir lu belle étendue d'icclui cr les 
montagnes et c6taux qui l'environnent, et m^ctonnois 
comme vn si beau lieu dumcun)it dcsnrt et tout 
rempli de bois, veu que tant de gens languissent au 
monde qui pour- |t roient l'aire prouHt de cette terre 545 
s'ils avoient seulement vn chef pour les y conduire. 
Peu à peu nous approchâmes de l'île qui est vis à-vis 
du Fort où nous avons depuis demeure; ilc di-je, la 
chose la plus agréable ù voir en son espèce qui soit 
possible de souhaiter, desirnns en nous-mêmes y 
voir portez de ces beaux batimcns qui sont inutiles 
par-deçà et ne servent que de retraite aux cercerelles 
et autres oiseaux. Nous ne sçavions encore si le sieur 
du Pont estoit parti, et partant nous nous attendions 
qu'il nous deust envoyer quelques gens au devant. 
Mais en vain, car il n'y estoit plus dés il y avoit 
douze jours. Et cependant que nous voguions par le 
milieu du port, voici que Membertou, le plus grand 
Sagamos (1) des Souriquois (ainsi s'appellent les peu- 
ples chez lesquelz nous estions), vient au Fort Fran- 
I çois vers ceux qui cstoîent demeurez en nombre de 

Rux tant seulement, crier comme un homme in- 
isé, disant en son langage : Quoy^ vous vous 
msez ici à dîner (il estait environ raidi) et ne 
fcz point vn grand navire qui vient ici et ne sça- 
vuHs quelles gens ce sont f Soudain ces deux hommes 



Kl] Sagainos c'est Capitaine. 




520 



HlSTOIRB 



courent sur le boulevert et apprêtent les canons en 
diligence, lesquels ils garnissent de boulets et dV 
morces. Membcnoa sans dilaycr vient dans son canot 
fait d'écorces, avec une sienne tille, nous reconoitre, 
e( n*ayant trouvé qu'amitié et nous reconoissant^j 
François, il ne fit point d'alarme. Ncantmoinsrva^| 
de ces deux hommes là demeurez, dit La Taille, vjnt^^ 
sur la rive du port la mccbc sur le serpentin pour 
546 sçûvoir qui nous estions (quoy qu'il le |j sceut bien 
car nous avions la baniere blanche déployée à la 
pointe du mast)» et si tôt voilà quatre volées de 
canons qui fout des Echoz Innumcrablcs et de nôtre 
part le Fort fut salut: de trois canonades et plusieurs 
mousquetades , en quoy ne manquoît nôtre Trom- 
peté A son devoir. A tant nous descendons à terre , 
visitons la maison et passons la journée â rendre 
grâces à Dieu, voir les cabanes des Sauvages et nous 
aller pourmener par les prairies. Mais je ne puis 
que je ne loue beaucoap le gentil courage de ces deux 
hommes, desquels j'ay nommé l'vn , Tauire s'appelle 
Miquckt ; et méritent bien d'estre ici nommez, pour 
avoir exposé si librement leurs vies à la conservation 
du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pon[ 
n'ayant qu'vne barque et vne palatlie , pour venir 
chercher vers la Terre-neuve des navires de France, 
ne pouvoit point se charger de tant de meubles, blez, 
farine et marchandises qui esloient par-delà, lesquels 
il eust fallu jetter dans la mer (ce qui cust esté à 
nôtre grand préjudice , et en avions bien peur) si ces 
deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer 
là pour la conservation de ces choses. Ce qu'ils 6rcnC 
volontairement et de gayeté de cœur. 



4 




DE La. NoVVELLE-FltlMCE. 



5ai 



Heurease rencontre du sitar da Pont. Son rncar ju Port- 
Royal. Rejoaiuditu. Descriptioa d(s tapirons dudit Porj, 
Conjecture sur Porigine dt ta grande riyierc de Cdruida. 
SemaiUes de hlez. Retour du suar du Pont en France. 
Voyage du sieur de Poalnncourt au pais da Armouchi^uots^ 
Beùu segle provenu sans culture. Exercices et façon de vivre 
au Port Royal. Cause des prairies de la riyierc de t'E^uilie^ 
dite aujourd'hui la rivière du Dauphin. 



547 



Chap. Xltll. 







K Vendredi lendemain de nôtre arrivée, 
le sieur de Poucrincourt, airectionné à 
cette erïtreprise comme pour soy-mérac, 
mit vnc partie de ses gens en besongne 
au labourage et culture de la terre, tandis que les 
autres s'occupoientà nettoyer les chambres, et chacun 
appareiller ce qui estoit de son métier. Cependant 
ceux des nôtres qui nous avoient quittez à Campseau 
pour venir le long de la côte rencontrèrent comme 
miraculeusement te sieur du Pont parmi des îles qui 
sont iVcqucntcs en ces parlics>là. De dire combien 
fut grande la joyc d'vne part et d'autre , c'est chose 
qui ne se peut exprimer. Ledit sieur du Pont à cette 
heureuse rencontre retourna en arrière pour nous 
venir voir au Port-Uoyal et se mettre dans le lonas 
ur repasser en France. || Si ce hazard lui fut vtile, 
l nous le fut aussi par le moyen de ses vaisseaux 
u'il nous laissa. Et sans cela nouscstion»cn vnc 




548 



532 



Histoire 



549 



telle peine que nous n'eussions sceu aller ni 'venîr 
nulle part après que nôtre navire cust esté de retour 
en France. Il arriva le Lundi dernier jour de iuillet 
et demeura encore au Poit-Hoyal lusques au vingt- 
buitieme d'Aousc. Et pendant ce mois grande re- 
jouKsiance. Le sieur de Poutrincourt fit mettre -vn 
muî de vin sur le cul, l'vn de ceux qu'on lui avoït 
baille pour sa bouche, et permission de boire à tous 
venans tant qu'il dura, si bien qu'il y en avoit qui se 
firent beaux cntans. 

Dés le commencement nous fumes désireux de 
voir le païs û-mont la rivière, oti nous trouvâmes 
des prairies prêquc continuellement jusqucs à plus 
de douze lieues , parmi lesquelles découlent des ruis- 
seaux sans nombre qui viennent des collines et mon- 
tagnes voisines; les bois fort épais sur les rives des 
eaux et tant que quelquefois on ne les peut traverser. 
Je ne voudroy toutefois les faire tels que loseph 
Acosta (i) récite estre ceux du Pérou , quand îl dît ; 
« Vn de noz frères , homme digne de foy , nouscon- 
« toit qu'estant égare et perdu dans les montagnes 
u sans sçavoir quelle part ni paroti il dcvoît aller, 
a il se trouva dans des buissons si épais qu'il fat 
M contraint de cheminer sur iceux sans mettre les 
M pieds en terre , par l'espace de quinze jours cn- 
■ tiers. » le laisse à chacun d*en croire ce qu*il 
voudra, mais cette croyance ni peut venir jusqucs 
à moy. 

Il Or en la terre de laquelle nous parlons les bois 
sont plus clairs loin des rives et des lieux humides, 



I 



(1) loseph Acostâ, liv. 4, chap. ;a. 



DE LA NovVELLE-FrANCE. 



5a3 



et en est la félicité d'autant plus grande à espérer, 

Ïu'elie est semblable à ta terre que Dieu promcttoil 
son peuple par la bouche de Moyse, disant : « Le 
Seigneur ton Dieu te va l'aire entrer en vn bon 
païs , païs de torrgns d'eaux , de fonteioes et 
abymcs, qui sourdcnt par campagnes, et ce païs 
> où tu ne mangeras point le pain en disette, auquel 
« rien ne te defaudra , pais duquel les pierres sont 
fer et des montagnes desquelles tu tailleras l'ai- 
rain (i). n Et plusoutre, contirmaniles promesses 
de la bonté et situation de la terre qu'il lui dcvoit 
donner : « Le païs (dît il) auquel vous allez passer 
• pour le posséder n'est pas comme le païs d'Egypte, 
« duquel vous estes sortis, là où tu semois ta semence 
- et Tarrousois avec le trauail de ton pied, comme 
m vn jardin ù herbes. Mais le païs auquel vous allca 
« passer pour posséder est vn païs de montagnes et 
« campagnes et est abbrcuvé d'eaux selon qu'il pleut 
■ des cieux (2). » Or, selon la de^^cription que nous 
avons faite ci devant du Porr-Koval etde ses environs, 
^^en décrivant le premier voyage du sicurde Monts, 
^■t comme nous le disions îci^ les ruisseaux y abon- 
^^cnt à souhait et n'est moins cette Terre heureuse (en 
ce regard) que IcsGauIies, ausqucUcsle lïoy Agrippa 

■||/aisant vnc harangue aux. luifs rapportée par loseph 
en sa Guerre luduïque) attribuoit vnc particulière 
félicité pource qu'elles avoîent des tbnteincs domes- 
tiques, et même vne partie d'icelle est appel lée Aqui- 
taine en cette considération. Quant aux pierres que 



(1) Deuieron. 8, vers 7, 9- 
{2) Deuteron. 11, vers. lo. 



> 



524 



Hi'sTomE 



nôtre Dieu promet devoir estre fer et les montagnes 

550 d'airain, cela ne signifie autre chose H quclesmînes 
de cuivre et de fer et d'acier desquelles nous avons 
dés-Ja parle ci-dessus et parlerons encore ci-apres. Et 

au regard des campagnes 'dont nous n'avons encore ^J 
parlé) il y en a du côté de TOticst audit Port-Roj'al.^H 
Et au dessus des montagnes il y a de belles cam-^^ 
pagnes où j'ay veu des lacs cî des ruisseaux ne plus 
ne moins qu'aux vallées. Mêmes au passage pour 
sortir d*icelui Port et se mettre en mer , il y en a vn 
qui tombe des hauts rochers en bas et en tombant 
s'dparpille en pluie menue, qui est chose fort dclec- 
table en été, par ce qu'au bas du rac il y a des grottes 
oli ion est à couvert tandis que cette pluie tombe si 
agréablement, et se fait comme vn arc en ciel dedans 
la grotte oO tombe la pluie du ruisseau, lors que le 
soleil luit : ce qui m'a causé beaucoup d'admiration. 
Vne r:}is nous allâmes depuis nôtre Fort jusques ù la 
mer ù travers les bois , l'espace de trois Iîcul-s, mais 
au retour nous fumes plaisamment trompes. Carau 
bout de nôtre carrière, pensans estre en plat païs, 
nous nous trouvâmes au sommet d'vne haute mon-j 
lagne et nous fallut descendre avec assez de peine à- 
cause des neges. Mais les montagnes en vne contrée 
ne sont point perpétuelles, A quinze lieues de nôtre 
demeure, le païs où passe la rivière de l'Equillc est ^^ 
tout plat, l'ay vcu par-delà plusieurs contrées où 1^ ^| 
païs est tout vni et le plus beau du monde. Mais la ' 
perfection est qu'il est bien arrousé. Et pour témoi- 
gnage de ce, non seulement au Port-Royal, mais] 
aussi en toute la Nouvelle-France, la grande rivière 

55 1 de Canada en fait foy , laquelle au || bout de quatre 




DE LA NovVELLK-FflANCE. 



535 



^ 



cens lieuËs est aussi large que les plus grandes rivières 
du monde, remplie d'Iles ec de rochers tnnumerablcs, 
prenant son origine de l'vn des lacs qui se rencon- 
trent au ni de son cours (et je le pense ainsi), si bien 
qu'elle a deux cours, l'vn en l'Orient vers la France, 
l'autre en Occident vers la mer du Su. Ce qui est 
admirable mais non sans exemple qui se trouve en 
nôtre Europe. Car la rivière qui descend à Trente et 
il Vérone prnceile d'vn lac qui produit vne autre 
rivière dont le cours tend oppositcment à la rivière 
du Lins, lequel se décharge au Danube. Ainsi le Nil 
procède d"va lac qui produit d'autres rivières les- 
quelles se déchargent nu grand Océan. 

Revenons Jt nôtre labourage : car c'est là où il nous 
faut tendre; c'est la première mine qu'il nous faut 
chercher, laquelle vaut mieux que les thrc5orsd*Ata- 

lippa : et qui aura du blé, du bestial, des toiles^ 
.udrap, du cuir, du ter, et au bout des Morues, 
îl n*aura que faire des thresors quanta la nécessité 
de la vie. Or tout cela est, ou peut estre en la terre 
que nous décrivons, sur Utquclle ayant le sieur de 
Poutrincourt fait faire à la quinzaine vn second la- 
bourage, il l'ensemença de nôtre blé François tant 
froment que segte, et de chanvre, lin, navettes, rai- 
forts, choux et autres semences ; et à la huitaine sui- 
vante vit son travail n'avoir esté vain, ains vne belle 
espérance par la production que la terre uvoit dés-ja 
fait des semences qu'elle avoit receues. Ce qu*ayanc 
esté montré au sieur du Pont, celui fut vn sujet de 

ire son rapport en France de chose toute nouvelle 
ce lieu-là. 
Il II csloit dés-ja le vingtième d^Aoust quand ces 552 



526 



Histoire 



553 



belles montres se firent, et admonctoit le temps ceux 
qui cstoicnt du voyage de trousser bagage, à quoy 
on commença de donner ordre tellement que le 
vingt -cinquième dudit mois , après maintes ca- 
uonades, l'ancre fut levée pour venir à l'embouchure 
du Port, qui est ordinairement la première journée. 

Le sieur de Monts ayant désiré de s'élever au Su 
tant qu'il pourroit et chercher vn lieu bien habita- 
ble pardelii Malcbarre, avoit prie le Sieur de Pou- 
trincourt de pouser plus loin qu'il n'avoît este, et 
chercher vn Port convenable en bonne température 
d'aîr, ne faisant plus de cas du Port-Royal que de 
Sainctc-Croix pour ce qui regarde la santé. A quoy 
voulant obtempérer ledit sieur de Poutrîncourt, il ne 
voulut attendre le printemps, sachant qu^il auroit 
d*autres exercices à s'occuper. Mais voyant ses se- 
mailles fuîtes, et la verdure sur son champ, il résolut 
de faire ce voyage et découverte avant Thiver. Ainsi 
il disposa toutes choses à cette fin, et avec sa barque 
vint mouiller l'ancre prés du lonasj alin de sortir par 
compagnie. Tandis qu'ils furent là attendans lèvent 
propre l'espace de trois jours, il y avoit vnc moyenne 
baleine (que les sauvages appellent Maria) laquelle vc- 
noit tous les jours au matin dans le Port avec le flot, 
joOant lù-dedans tout à son aise, et s'en rctournoit 
d'cbe. Et lors prenant vn peu de loisir, je lis en 
rime vn Adieu audit sieur du Pont et sa troupe, le- 
quel est i:i-apres couché parmi Les Mvses dk la 
Nov-lJVELLE France. 

Le vingt-huitiémc dudit mois, chacun print sa 
route qui deçà, qui delà, diversement, à la garde de 
Dieu, Q.uant au sieur du Pont, il deliberoil en pas- 



I 



4 



DE LA NoTVBI.LE-Ï'hANCE. 



'27 



rt d'attaquer vn marchant de Rouen nommé 
>ycr (lequel, contre les défenses du Roy, csioit allé 
ir-delà troquer avec les Sauvages après avoir isié 
ïclîvrê des prisons de la Rochelle par le consente- 
ment du sieur de Poutrincourt, et sous promesse 
qu'il n'iroit point), mais il cstoit ja parti. Et quant 
audiï sieur Je Poutrincourt, il print la route de l'ile 
Saincte-Ooix, première demeure des François, ayant 
le sieur de Champdortlpour maitrcet conducteur de 
sa barque; mais contrarié du vent, et pource que sa 
barque faisoit eau, il fui contraint de relâcher par 
deux fois. Enfin il franchit la Baye Françoise, et vi- 
sita ladite ile, là oCi il trouva du blé mur de celui que 
deux ans auparavant le sieur de Monts avoit scmc, 
^lequel estoit beau, gros, pesant et bien nourri. Il 
lous en envoya au Port-Royal, où j'i:rais demeuré, 
ayant esté de ce ^ni pour avoir l'oeil à la maison, et 
maintenir ce qui restait de gens en concorde. A quoy 
j'avoy condescendu (encores que cela eust esté laissé 
à ma volonté) pour l'asscurancc que nous nous don- 
nions que l'un suivant Thabitation se feroît en païs 
plus chaut par-delà Malebarre, et que nous irions 
tous du compagnie avec ceux qu'on nous cnvoyeroit 
de France. Pendant ce temps je me mis à préparer de 
la terre, et faire des clôtures et compartimens de 
jardins pour y semer des bk'z et herbes de ménage. 
^Nous fîmes aussi fai- [] re un fossé tout à l'entour du 
^ Fort, lequel cstoît bien nécessaire pour recevoir les 
eaux et huniiditcs qui paravant decouloient par-des- 
sous parmi les racines des arbres qu'on y avoir defrï- 
,cfacz, ce qui par avanture rcndoii le lieu mal sain. 
le ne veux m*arreter à décrire ici ce que nos autres 




554 



528 



Histoire 



555 



ouvriers faîsoient chacun en particulier. Il suffit que 
nous avions nombre de menuisiers, charpentiers, 
massons, tailleurs de pierre, serruriers, taillandiers, 
couturiers, scieurs d*ais, matelots, etc , qui faisoient 
leurs exercices, en quoy faisant ils cstoicnt fort hu- 
mainement traitez. Car on les quittait pour 3 heures 
de travail par jour. Le surplus du temps ils Tem- 
ploioîent à aller recueillir des Moules, qui sont de 
basse mer en grande quantité devant le Fort, ou des 
Houmars (espèce de Langoustes), ou des Grappes, 
qui sont abondamment sous les roches au Port- 
Royal, ou des Coques, qui sont sous la vazc de toutes 
parts es rives dudît Port. Tout cela se prcnt sans 
filets et sans bateaux. Il y en avoit qui prenoîent 
quelquetbisdu gibier, mais n'estant dressez à cela ils 
gatolcnt la chasse. Et pour nôtre regard, nous avions 
à nôtre table un des gens du sieur de Monts qui 
nous pourvoyoit en sorte que nous n'en manquions 
point, nous apportant quelquefois demi-douzaine 
d'outardes, quelquefois autant de canars, ou oves 
sauvages grises et blanches, bien souvent deux ou 
trois douzaines d'aloUettcs, et autres sortes d'oiseaux. 
I3e pain, nul n'en manquoit et avoit chacun trois 
chopines de vin pur et bon. Ce qui a duré tant que 
nous avons esté par-delà, sinon que quand ceux qui 
Il nous vindrent quérir, au Heu de nous apporter des 
commodités, nous eurent aidé A en faire vuîdange 
(comme nous le pourrons repeter cî-apres), il fallut 
réduire la portion à vnc pinte. Et neantmoins bien 
souvent il y a eu de Textraordinaire. Ce voyage en 
ce regard a esté le meilleur de tous, dont nous en de- 
vons beaucoup de louange audit sieur de Monts et à 



4 

n 



M 



^ 



DELA NoVVELLE-FhaNCE. 



ses associez les sieurs Macquin et George, Rochclois, 
qui nous en pourveurcnt tant honnêtement. Car 
certes, je trouve que cette liqueur Scptcmbralc est 
entre autres choses vn souverain préservatif contre la 
maladie du Scorbut ; et les épiceries, pour corriger le 
vice qui pourroit estre en l'air de cette région, lequel 
neantmoins j'ai toujours rcconeu bien pur et subtil, 
nonobstant les raisons que j'en pourroJs avoir tou- 
chées parlant ci-Jcssus dMcelle maladie. Pour la pi- 
lance, nous avions pois, fèves, ris, pruneaux, raisins, 
morues sèches, et chairs sallécs, sans comprendre les 
huiles et le beurre. Mais toutes et quantcs fois que les 
Sauvages habituez près de nous avoient pris quelque 
quantité d'Eturgcons, Saumons, ou menus poissons, 
item quelques Castors, Ellans, Caribous, ou autres 
animaux mentionnés en mon Adieu à la Nouvelle- 
France, ils nous en apportoicnt la moitié, et ce qui 
restoit ils rcxposoîent quelquefois en vente, en place 
publique, et ceux qui en vouloient troquoicnt du 
pain à rencontre. Voilà en partie nôtre façon de vi- 
vre par-delà. Mais jaçoit que chacun de nosdiis ou- 
vriers eust son métier || particulier, neantmoins il 
falloil s'employer à tous usages, comme plusieurs 
faisoicnt. Quelques massons et tailleurs de pierres se 
mirentà la boulengcrie, lesquels nous faisoient d'aussi 
boa pain que celui de Paris. Ainsi vn de nos scieurs 
d'ais nous fit plusieurs fois du charbon en grande 
quantité. 

Eu quoy est à noter une chose dont ici je me sou- 
vien. C*cst que, comme il fut nécessaire de lever les 
gazons pour couvrir la pile de bois assemblée pour 
faire ledit charbon, il se trouva dans les prez plus de 

34 



556 




557 



53o HisToias 

deux pieds de terre non terre, mais herbes mêlées de 
limon qui se sont entassées les vnes sur les auues 
annuellement depuis le commencement du monde, 
sans avoir esté fauchées. NcantmoJns la verdure eu 
est belle, servant de posture aux Fllans, lesquels nous 
avons plusieurs fois veu en noz prairies de delà en 
troupe de trois ou quatre, grands et petits, se lais- 
sant aucunement approcher, puis gaignans les bois. 
Mais je puis dire davantage avoir veu en traversant 
deux lieues de noz dîtes prairies, iccUcs toutes foui- 
lles de vestiges d'Ellans, car je ne sache point d'au- 
tres animaux à pîé fourchu. Et de ces animaux eu 
fut tué vn non loin de nôtre Fort, en vn endroit là 
où le sieur de Monts ayant fait faucher l'herbe deux 
ans devant, elle estoil revenue la plus belle du monde. 
Quelqu'vn pourra s'étonner comment se font ces 
prairies, veu que toute la Terre en ces lieux-là est 
couverte de bois. Pour à quoy satisfaire, le curieux 
scaura q^u'és hautes niaiccs, principalement en celles 
de Mars et de Septembre, le fiot || couvre ces rives-là : 
ce qui empêche les arbres d'y prendre racine. Mais 
par tout où Peau ne surnage point, s'il y a de la 
terre, il y a des bois. 



IQ 



1^. Xv-^-- -X.--! 




DE LA Novvelle-France. 53i 



Partemenîde l'île Saincte-Cro'ix. Baye de Marchin. Chonakoet. 
Vignes et raisins et largesse de Sauvages. Terre et Peuples 
Armouchiquois. Cure d'vn Armouchiquols blessé. Simplicité 
et ignorance de peuple. Vices des Armouchiquois. Soupçon. 
Peuple ne se souciant de vêtement. Blé semé et vignes plan- 
tées en la terre des Armouchiquois. Quantité de raisins. 
Abondance dépeuple. Mer périlleuse. 

Chap. XV. 

E VENONS au sieur de Poutrincourt, lequel 
nous avons laissé en l'ile Saincte- Croix. 
Apres avoir là fait vne reveuë et caressé 
les Sauvages qui y estoient, il s'en alla en 
quatre jours à Pemptegoet , qui est ce lieu tant re- 
nommé souz le nom de Norombega. Et ne falloit vn si 
long temps pour y parvenir , mais il s'arrêta par le 
chemin pour faire racoutrer sa barque : car à cette 
fin il avoit mené vn serrurier et un charpentier et 
quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à l'em- 
bouchure de la rivière et vint à Kinibeki, là où sa 
barque fut en péril à cause des grans courans d'eaux 
que la nature du lieu y fait. C'est pourquoy il ne s'y 
arrêta point, ains passa outre à la Baye de Marchin, 
qui est le nom d'vn Capitaine Sauvage , lequel à 
Il l'arrivée dudit sieur commença à crier hautement 558 
Hé hé, à quoy on lui repondit de même. Il répliqua 
demandant en son langage : Qui estes-vous? On lui 
dit que c'estoient amis. Et là-dessus à l'approcher le 




533 



Histoire 



559 



sieur de PoutrincourI traita amitié avec lui et lui fit 

des presens de couteaux, haches et matachiaiy c'est à 
dire escharpes, carquans et brassclets faits de pate- 
nostresou de tuyaux de verre blanc cl bleu dont il 
fut fort aise, même de la confédération que ledit sieur 
de Poutrincourt faisoit avec lui , rcconoissant bien 
que cela lui scniit beaucoup de support. Il distribua 
à tjuelques-vns d'vn grand nombre de peuple qu'il 
avoit BU tour de lui les presens dudit sieur de Pou- 
trincourt, auquel ii apporta force chairs d'Orignac 
ou EHan (car les Hasq^ues appellent vn Cerf ou Ellan 
Orignac) pour relVaichir de vivres la compagnie. 
Cela fait, on tendît les voiles vers Chouakoet, où est la 
rivière du Capitaine Olmahin et où se lit l'année sui- 
vante la guerre des SouriquoJs et Etechemins souz la 
conduite du Sagamos Membertoa , laquelle j'ay décrit 
en vers rapportez es Muscs de la Kouvellc-Francc. 
A l'entrée de la Baye dudit lieu de Chouakoet il y a 
vne ile grande comme de demie-lieue de tour, en 
laquelle noz gens découvrirent premièrement la vigne 
(car encores qu'il y en ait aux terres plus voisines du 
Port-Royal comme le long de la rivière Sainct-Jean, 
toutefois onn'cn avoitencoreeucûnoissance^, laquelle 
ils trouvèrent en grande quantité, ayant le tronc 
haut de trois à quatre pit:z et par bas gros comme le 
poing, les raisins beaux et gros ks vns comme des 
prunes, les autres moindres : au reste si noirs 
Il qu'ils iaissoicnt la teinture où sercpandoit leur li- 
queur; iceux raisins, di-jc, couchez sur les buissons 
et ronces qui sont parmi cette île, en laquelle les 
arbres ne sont si pressez qu'ailleurs, ains sont éloi- 
gnez comme de six ù. six toises. Ce qui lait que le 



lÉ^li^ 



raisin y meurit plus aisément, ayant d'ailleurs vne 
terre fort propre à cela, sablonneuse cl graveleuse. Ils 
n*y furent que deux heures , mais fut remarque que 
du cûtédu Nort n'y avoit point de vignes ainsi qu'en 
l'ile Saincte-Croix n'y a des Cèdres que du côté 
d'Ouest. 

De cette île ils allèrent à la rivière d'Olmecliin, port 
du Chouakoct^ là où. Marclùn et ledit Oimccbin amenèrent 
vn prisonnier Souriquois (et partant leur ennemi) 
au sieur de Poutrincourt , lequel ils lui donnèrent 
libéralement, Deux heures après arrivent deux Sau- 
vages, Vvn Ktcchcmin, nomme C/i^ou(/uw, Capitaine de 
la rivière Saînct-Iean, dite par les Sauvages Oigoudi; 
Tautrc Souriquois, nomme MfJMmoff, Capitaine ou 
Sagamos en la rivière du Port de la Mevc, sur lequel 
on avoit pris ce prisonnier. Ils avoient force mar- 
chandises troquées avec les François, lesquelles ils 
venoient là débiter, sçavoir : chaudières grandes, 
moyennes et petites, haches, couteaux, robbes, ca- 
pots, camisoles nnigcs, biscuit et autres choses. Sur 
ce voici arriver douze ou quinze batteaux pleins de 
Sauvages de la suiection A'Oltneckin , iceux en bon 
ordre tous peinturés à la face , selon leur coutume 
quand ils veulent estre beaux, ayans l'urc et la flèche 
en main et le carquois auprès d'eux, lesquels ils 
mirent bas à bord. A l'heure j| M cssamoet commence 
à haranijucr devant les Sauvages, leur remontrant 
comme par le passé « ils avoîent eu souvent de 
% l'amitié ensemble et qu'ils pourroient facilement 
• domter leurs ennemis s'ils se vouloient entendre et 
« se servir de l'amitic des François , lesquels ils 
« voioicnt là presens pour reconoitre leur païs , à 




56o 



JJ 



56 1 



534 HisTOinK 

c fin de leur porter des commodités à l'avenir et les 
« secourir de Uurs forces, lesquelles il scavoir et leur 
'h representûit d'autant mieux que lui qui parioît 
« estoit autrefois venu en France et y avoït demeuré 
« ta la maison du sieur de Grandmonl, Gouverneur 
Il de Bayonne. » Somme il tut prés d'vnc heure àj 
parler avec beaucoup de véhémence et d'affection et 
avec vn contournement de corps et de bras tel qu'il 
est requis en vn bon Orateur. Et à la fin jetta toutes 
ses marchandises (qui valoient plus de trois cens 
ecus rendues en ce païs-Ià) dans le bateau d'OlnKchirif. 
comme lui faisant présent de cela en asseurance de 
Pamitié qu'il lui vouloit témoigner. Cela fait, la nuit 
s'approchoit et chacun se retira. Mais Messamoet 
n'esioit pas content de ce qu."" Olmechin ne lui avoit fait 
pareille harangue m réalisation de son présent, car 
les Sauvages ont cela de noble qu'ils donnent libé- 
ralement jeCtans aux picz de celui qu'ils veulent 
honorer le présent qu'ils lui font ^ mais c'est ea 
espérance de recevoir quelque honnêteté réciproque, 
qui est vne façon de contracl que nous appelions sans 
nom : /f /*; donne A fin que îu me donnes. Et cela se lait 
par tout le monde. Parlant Messamoet des ce jour-lA 
songea dç fai- ([ re la guerre à Olmechm. Ncantmoins 
le lendemain malin lui et ses gens retournèrent avec 
va bateau chargé de ce qu'ils avorent, scavoir : blé, 
petun, fèves et courges, qu'ils distribuèrent deçà et 
delà. Ces deux Capitaines, Oîmcdun et Marchm ont 
depuis este tuez il la guerre. A la place desquels avoît 
esté cleu par les Sauvages un nommé Bessabes, lequel 
depuis notre retour a esté tué par les Anglais et au 
liêu d'icelui ont fait venir va Capitaine de dedans les 




terres nommé Asticou, homme grave, vaillant et re- 
douté, lequel d'vn clin d'œil amassera mille Sau- 
\'ages, ce que faisoienl aussi Ointecltin et Marchin. Car 
noz barques y cstans, incontinent la mer se voyoiC 
toute couverte de leurs bateaux chargez d'hommes 
dispos , se tenons droits 1.1 dedans , ce que nous ne 
sçaurions faire sans péril, n'cstans iccux bateaux que 
des arbres creusez à la façon que nous dirons au livre 
suivant. De lu donc le sieur de Poulrincourt pour- 
suivant sa route, trouva un certain port bien agréable 
lequel n'avoir esté veu par le sieur de Monts, et 
durant le voyage ils virent force fumées et gens à ta 
rive qui les invitoient de venir à terre, et voyans 
qu'on n'en tcnoit conte, ils suîvoient la barque le long 
du sable, voire la devançoient le plus souvent tant ils 
sont agiles, uyans l'arc en main et le carquois sur le 
dos, dansans toujours et chantans sans se soucier de 
quoy ils vîveront par les chemins. Peuple heureux, 
voire mille fois plus que ceux qui se font adorer 
par-deçà, s'il avoll la conoissance de Dieu et de son 
salut. 

Le sieur de Poutrincourt ayant pris terre à || ce 
port, voici parmi vnc multitude de Sauvages des fif- 
fres en bon nombre, qui joûoient de certains flagcol- 
lets longs, faits comme de cannes de roseaux, pein- 
turés par dessus, mais non avec telle harmonie que 
pourroicnt faire noz bergers : et pour montrer l'ex- 
cellence de leur art, ils siflloient avec le nez en gam- 
badant selon leur coutume. 

Et comme ces peuples accouroient précipitamment 
pour venir à la barque, il y eut un Sauvage qui se 
blessa grièvement au talon contre le trcnchant d'vne 



562 




536 



HtSTOIRE 



563 



roche, dont il fut contraint de demeurer sur la place. 
Le Chirurgien du sieur de Poutrîncourt â Tinstan 
voulut apporter â cl- mal ce qui estolt de son arc 
mais ils ne le voulurent permettre que premieremen' 
ils n'eussent fait i\ l'cntour de l'homme blesse leurs" 
chimagrées. Ils le couchèrent donc par terre l'vn, 
d'eux lui tenant la tête en son giron, et iîrcnt plu- 
sieurs criaillements cl chansons, â quoy le malade 
ne répondoit sinon Ho, d'vne voix plaintive, 
qu'ayant fait ils le permirent à la cure dudit Chirur- 
gien , et s'en allèrent cjmmc aussi le patient après 
qu*il fut pensé; mais deux heures après il retourna 
le plus gaiUart du monde, ayant mis à l'entour de sa 
tifte le bandeau dont estolt enveloppé sont talon, 
pour estre plus beau (ils. 

Le lendemain les nôtres entrèrent plus avant dans 
le port, U oti estant allé voir les cabanes des Sau- 
vages, vne vieille de cent ou six-vingts ans vint jeticr 
aux piez du sieur de Poutrincourt vn pain de blé 
qu'on appelle Mahis, et par-deçà Blé de Turquie, 
ou Sarrazin, puis de la chanve fort belle et haute, 
item des fèves, et raisins frais cuil- || lis, pource 
qu'ils en avoient vcu manger aux François à Choua- 
kçct. Ce que voyans les autres Sauvages qui n*en sça- 
voient rien, ils en apportojem plus qu'on ne vouloît 
a l'envi l'vn de l'autre, et en recompense on leur at- 
lachoit au front vne bende de papier mouillce de cra- 
chat, dont ils estotent fort glorieux. On leur montra, 
en pressant le raisin dans le verre, que de cela nous 
faisions le vin que nous beuvions. On les voulut faire 
manger du raisin, mais l'ayant en la bouche ils le 
crachuJcnt, et pensolcnl ainsi qu'Ammian Marcellin 



« 



lE LA NovTELLB- France. 



537 



récite de noz vieux OauHois) que ce fust poison, tant 
ce peuple est iijnorant de la meilleure chose que 
Dieu ait donné à l'homme, après le pain. Néant- 
moins si ne manquent-ils point d^csprit, et feraient 
quelque chose de bon s'ils estoïent civilisés, et avuieni 
Tvsage des métiers. Mais ils sont cauteleux, larrons 
et traîtres, et quoy qu'ils soient nuds, on ne se peut 
garder de leurs mains; car si ou dctoumoit tant soit 
peu l'œil, et voyent l'occasion de dérober quelque 
couteau, hache ou autre chose, ils n'y manqueront 
point, et mettront le larrecin entre leurs fesses, ou 
le cacheront sous le sable avec le pied si dcxtrenienc, 
qu'on ne s'en apercevra point, l'ay lu en quelque 
voyage de la Floride, que ceux de cette provmce sont 
de même naturel, et ont la même industrie de dcro- 
ber. De vérité, je ne m "étonne pas si vn peuple pau- 
vre et nud est lairon, mais quand il y a de la malice 
au cœur, cela n'est plus excusable. Ce peuple est ici 
qu'il le taut traiter avec terreur, car par amitié si on 
leur donne trop d'accès ils machineront quelque 
Il surprise, comme s'est reconeu en plusieurs occa- 564 
sions, ainsi que nous avons veu ci-dessus et verrons 
encor ci-apres. Et sans aller plus loin, le deuxième 
jour après estre arrivez, comme ils voyoicnt noz 
gens occupez sur la rive du ruisseau qui est là à 
faire la Jescivc, ils vindrent quelques cinquante à la 
Blc, avec arcs, ticchcs et carquois, en intention de 
faire quelque mauvais tour, comme on en a eu con- 
jecture sur la manière de procéder* Mais on les pré- 
vint, et alla-on au devant d'eux avec mousquets et la 
mèche sur le serpentin. Ce qui fit les vus t'uïr, et les 
autres estans enveloppez, après avoir mis les armes 




538 



Histoire 



565 



bas, vîndrent à vne pcnînsulc où estoîent noz genz, 
et i'aisans beau semblant demandcrciit à troquer du 
pctua qu'ils avoient contre noz marchandises. 

Le lendemain le Capitaine dudit lieu et port vint 
voir le sieur de Poutrincourt en sa barque. On fut 
étonné de le voir accompagné d'Olmeihin, vcu que la 
traite cstoît merveilleusemenr longue de venir li pa*" 
terre, et beaucoup plus briiivc par la mer. Cela don- 
noit sujet de mauvais soupçon, encore qu'il eut pro- 
mis amitié aux François. Ncanimoins ils furent hu- 
mainement receuz, et bailla le sieur de Pontrîncourt 
vn habit complet audit Otmeclm : dudit estant vêtu, il 
se regardoït en vn miroir, et rioit de se voir ainsi. 
Mais pi:u après sentant que cela l'erapeschoit, quoy 
que ce tust au mois d'Octobre, quand il fut retourné 
aux. cabanes il le distribua à plusieurs de ses gens , 
afin qu'vn seul n*en fust trop empcsché. Ceci devroît 
servir de le- 1| çon à tant de mignons et mignones de 
deçà, ùqui il faut faire des habits et corselets durs 
comme bois , où le corps est si misérablement 
géhenne, qu'ils sont dans leurs vêtemens inhabiles à 
toutes bonnes choses ; Et s'il fait trop chaud ils souf- 
frent dans leurs groz culs à mille replis des chaleurs 
insupportables, qui surpassent les douleurs que l'on 
fait quelquefois sentir aux criminels. 

Or durant le temps que ledit sieur de Poutrincourt 
fut là, estant en doute si le sieur de Monts vicadroit 
point faire vne habitation en cette côte, comme il en 
avoit désir, il y fit cultiver vn parc de terre pour y 
semer du blé et planter la vigne, comme il fît à l'aide 
de notre Apoticaire, M. Louis Hébert, homme qui 
outre l'expérience qu'il a en son an, prent grand 



DE LA Novvelle-Fbancs, 539 

plaisir au laboumge de la terre. Et peut-on ici com- 
parer le sieur de Poutrincourt au bon pcrc Noe, Je- 
qucl après avoir 6iit la culture la plus nécessaire qui 
regarde la seniaîlle des blez, se mit ii planter la vi- 
gne, de laquelle il ressentit les ctfcis par après. 

Sur le point qu'on déliberoit de passer ouire, Otme^ 
ehin vînt à la barque pour voir le sîcur de Poutrin- 
court, là où après s'eslre arrêté par quelques heures 
soit à deviser, soit à manger, il dit que le lendemain 
dévoient arriver cent baleaui contenant chacun six 
hommes; mais la venue de tcllt:s gcus n''cslaat qu'o- 
néreuse, le sieur de Pomrincouil ne les voulut at- 
tendre : ains s'en alla le jour mcme à Malebarrc, non 
sans beaucoup de diftïcultés à cause des grand cou- 
II rans et du peu de fnnd qu'il y a. De manière que 566 
la barque ayant touché à trois piez d'eau seulement, 
on pcnsoit estrc perdus, et commença-on à la des- 
charger et mettre les vivres dans la chaloupe qui es- 
toii derrière pour se sauver en terre ; mais la mer 
n*esiant en son plein , la barque fut relevée au bout 
d'vne heure. Toute cette mer est vnc terre vsurpiïe 
œmmc celle du Mont Sainct-Michel, terre sablon- 
neuse, en laquelle ce qui reste est tout plat païs jus- 
qucs aux montagnes que l'on voit à quinze lieues 
(Je là. Et ay opinion que jusques à la Virginie c*esc 
tout de mL-me. Au surplus ici grande quantité de rai- 
sins comme devant, et païs fort peuplé. Le sieur de 
Monts estant venu A Matcbarrccn autre saison, re- 
cueillit sculcnicm du raisin vert, lequel il fit confire, 
et en apporta au Roy. Mais ça esté vu heur d'y 
cstre venu en Octobre pour en voir la parfaite matu- 
rité, l'ay dit ci-devant !a difficulté qu'il y a d'entrer 




540 



Histoire 



au port de Malebarre. Cest pourquoy le sieur de 
Poutrincourt n'y entra point avec sa barque, ains y 
alla seulement avec vne chaloupe, laquelle trente 
ou quarante Sauvages aidèrent â mettre dedans, et 
comme la marée fut haute (or ici la mer ne baussc 
que de deux brasses, ce qui est rare à voir), ÏI en sor- 
tit et se retira en ladite barque, pour dés le lende- 
main si tôt qu'il ajourneroit passer outre. 



5C7 II Pfriîs. Langage inconnu. Sirudare d'vne forge et (Vvn foar. 
Croix plantée. Abondance et Conspiration. Dcsoheùsance. 
Assassinat. Fuite de trois cens contre dix. Agilité des Ar- 
mouchiquois. Mauvaise compagnie dangereuse. Accident d'vn 
mousijuet crevé. fnsoUnce , tinuditi, impiété et faite de Sau- 
vages. Port fortuné. Mer mauvaise. Vengeance. Conseil et 
resdution sur le retour. Nouveaux périls. Faveurs de Dieu. 
Arrivée du sieur de Poutrincourt aa Port-Royal et ta récep- 
tion à lui faite. 

Chap. XVI. 

A nuit commençant à plier bagage pour 
faire place à l'aurore, on mit la voile au 
vent, mais ce fut avec vne navigation fort 
périlleuse. Car avec ce petit vaisseau il 
esloit force de côtoyer la Terre, oU ils ne trouvoient 
de fond. : reculans à la mer c'est encore pis; de ma- 
nière qu'ils touchèrent deux ou trois fois, estant rele- 
vez seulement pur les vagues ; et fut le gouvernail 




I 



DE L\ NoVVELLE-FrANCE. 



54' 



rompu, qui estoit chose effroyable. En cette extré- 
milé furent contraints de mouiller l'ancre en mer à 
deux brasses d'eau et à trois licuËs loin de la terre. Ce 
que faitj il envoya Daniel Hay (homme qui se plait 
de montrer sa vertti aux périls de la mer (vers la 
côte, pour la reconoîtrc , et voir s'il y avoît point de 
port. Kt comme il fut prés de terre il vit un Sauvage 
qui dansoit chan- |I tant yo,yo, yo, le fit approcher, et 
par signes lui demanda s'il y avoit point de lieu 
propre à retirer navires cl où il y cust de l'eau douce. 
Le Sauvage ayant fait signe qu'ouï, il le reccut en sa 
chaloupe, et le mena à la barque, dans laquelle es- 
toit Chkottditn, Capitaine de la rivière Oigoiidî, autre- 
ment Sainct-Iean, lequel confronté à ce Sauvage, il ne 
rcntendoîl non plus que les nôtres. Vray est que par 
signes il comprenoît mieux qu'eux ce qu'il vouloît 
dire. Ce Sauvage montra les endroits oU il y avoît 
des basses, et où il n'y en avoit point : Et fit si bien 
en serpentant, toujours la sonde à la main, qu'enfin 
on parvint au port qu'il avait dit, auquel il y a peu 
de profond , là oii estant la barque arrivée, on lit di- 
ligence de faire vne forge pour la racoutrer avec son 
gouvernail; et vn four pour cuire du pain, parce que 
le biscuit estoit failli. 

Quinze jours se passèrent ù ceci, pendant lesquels 
le sieur de Poutrincourt, selon la louable coutume 
des Chrétiens, fit charpentcr et planter vne Croix sur 
vn tertre, ainsi qu'avoit fait deux ans auparavant le 
sieur de Monts ù Khiibdi et Malebarre. Or parmi ces 
laborieux exercices on ne laissoir de faire bonne 
chère de ce que la mer et la terre peut en cette part 
fournir, car en ce port il y a quantité de gibier, à la 



568 



542 



Histoire 



chasfe duquel plusieurs de noz genss'eniployoien77 
principalement les Alouettes de mer y sont en si 
grandes troupes que d'un coup d'arcjuebuze le sieur 
de Pouirincourt en tua vingt-huii. Pour le regard 
569 des poissons, il y j] a des marsoins et souffleurs en 
telle abondance que la mer en semble toute couverte. 
Maison n'avoit les choses nécessaires à faire cette pes- 
cherie, ains on s'arrctoit seulement aux coquillages, 
comme huitres, palourdes, ciguenauï et iiutres de 
quoy il y avoit moyen de se contenter. Les Sauvages 
d'autre part apportoient du poisson et des raisins 
pleins des paniers de joncs pour avoir en échange 
quelque chose de nos dcnriïcs. Ledit sieur de Pou- 
trincourt voyant la les raisins beaux à merveilles, 
avoit conuuandii à son homme de chambre de serrer 
dans la barque vn lais des vignes od ils avoient esté 
pris. Maître Louis Hébert, nôtre Apoticaire,desireux 
d'habiter L'c païs-là,en avoit arraché vnc bonne quan- 
tité, afin de les planter au Port-Royal où n'y en a 
point, quoy que la terre y soit fort propre au vigno- 
ble. Ce qui toutefois (par vne stupide oubliance) ne 
fut fait , au grand déplaisir dudit sieur et de nous 
tous. 

Apres quelques jours, voyant la grande assemblée 
de Sauvages, icelui sieur descendit à terre et pour 
leur donner quelque terreur fît marcher devant lui 
vn de ses gens jotiant de deux epées et faisant avec 
iccUes maints moUnets. De quoy ils estoient étonnez. 
Mais bien encore plus quand ils virent que noz 
mousquets perçoient des pièces de bois epesscs, où 
leurs flèches n'eussent sceu tant seulement mordre. 
El pour ce ne s'attaquèrent il jamais à noz gens tant 



4 






DE r,A Novvelle-Frakce. 

[u'ils se tindrent en garde. Et eust este bon de faire 
sonner la trompette au j| bout de chacune heure, 570 
comme faisoit le Capitaine lacques Quartier. Car 
(comme dit bien souvent le sieur de Poutrincourt) il 
ne faut jamais tendre aux brrors ; c'est qu'il ne faut point 
i^onner sujet il vn ennemi de penser qu'il puisse avoir 
prise sur vous, aîns faut toujours montrer qu'on se 
défie de lui et qu'on ne dort point, et principalement 
quand on a atfairc à des Sauvages, lesquels n'atta- 
queront jamais celui qui les attendra de pié ferme. 
Ce qui ne fut fait en ce lieu par ceux qui portèrent 
la folle enchère de leur négligence, comme nous 
allons dire. 

Au bout de quinze jours ledit de Poutrincourt, 
voyant sa barque rncoutrcc et ne rester plus qu'une 
fournée de pain à achever, il s*en alla environ trois 
lieues dans les terres pour voir s'il dccouvriroit 
quelque singularittî, mais au retour lui et ses gens 
apperceurent les Sauvages fuians par les bois en di- 
verses troupes de vingt j trente, et plus, les vns se 
baissans comme gens qui ne veulent point estre veuz, 
'autres se bîoutissans dans les herbes pour ne point 

tre apperceuz, d'autres trunsportans leurs bagages 
et canots pleins de blé , comme pour déguerpir. Les 
femmes d'ailleurs transportans leurs enfans et ce 
qu'elles pouvoient de bagages avec elles. Ces façons 
de faire donnèrent opinion au sieur de Poutrincourt 
que ces gens ici machinoient quelque chose de mau- 
vais. Partant quand il fut arrivé, il commanda à ses 
gens qui faisoient le pain de se retirer en la barque. 
Mais comjuc jeunes gens sont bien souvent oublieux 
de leur de- 1{ voir, ceux-ci ayans quelque gâteau ou 571 



544 



Histoirh 



572 



larte à faire aimèrent mieux suivre leur appétit que 
faire ce qui leur cstoit commandé et laissèrent venir 
la nuit sans se retirer. Sur la minuit, le sieur de 
Poutrincourt ruminant sur ce qui s'estoît passé la 
journée précédente , demanda s'ils cstoient dedans la 
barque, et ayant entendu que ncn, il cnvova la cha- 
loupe pour les prendre et amener à bord; a quoy ils 
ne voulurent entendre, fors snn homme de chambre 
qui craignoit d'estrc battu. Us estoicnt cinq armez 
de mousquets et epées, lesquels on avoît averty 
d'cstre toujours sur leurs gardes etneantmoins ne 
faisoient aucun guet, tant ils estoient amateurs de 
leurs volontés. IKstoitbruit qu'auparavant ilsavoicat 
tiré deux coups de mousquets sur les Sauvages pour- 
ce que quelqu'vn d'eux avoit dérobé vne hache. 
Somme iceux Sauvnges ou indignés de cela , ou par 
vn mauvais naturel , sur le point du jour vindrent 
sans bruit (ce qui leur est aisé à faire n'ayans ni che- 
vaux , ni chareltes , ni sabots) jusqucs sur !e lieu oti 
ils dormoient et voyans l'occasion belle à faire vn 
mauvais coup, ils donnent dessus A traits de flèches 
et coups de masses et en tuent deux, le reste demeu- 
rans blessés commencèrent à crier fuïans vers la rive 
de la mer. Lors celui qui faîsoit la sentinelle dans la 
barque s'écrie tout effrayé : Mon Dieu, on tue, on 
lue noz gens, on tue noz gens. A cette voix chacun 
se levé et hâtivement sans prendre le loisir de s'ha- 
biller ni d'allumersa mèche se mirent di.x dans la cha- 
loupe, des noms desquels il ne me souvient sinon du 
sieur Cham- || plein, Robert Gravé, fils du sieur du 
Pont, Daniel Hay, les Chirurgien et Apothicaire et 
le Trompette , tous lesquels suivans ledit sieur de 



dKi 



► E LA NoVVEI-LE-FhaNCK. 



545 



Poutrincourt, qui avoit son tils avec lui, descendi- 
rent à terre en pur corps. Mais les Sauvages s'en- 
fuirent belle erre, encores qu'ils fussent plus de trois 
cen.s, sans ceux qui pouvoient estrc bloutis dans des 
herbes (selon leur coutume) qui ne se montroieni 
point. En quoy se reconoit comme Dieu imprime je 
ne sçay quelle terreur en la face des fidcles à Tcn- 
_contre des mécreans, suivant sa parole, quand il dit 
son peuple : « Nul ne pourra subsister devant 
vous. Le Seigneur vôtre Dieu mettra vne frayeur 
tt et terreur de vous sur toute la terre, sur laquelle 
a vous marcherés (1). » Ainsi nous voyons que cent 
trente-cinq mille combattans Madtanïtcs s'enfuirent 
et s*entre-tuerent eux-mêmes au-devant de Gedeon 
qui n'avoitque trois cens hommes (2). Or de penser 
poursuivre ccux-ct c'cust ûté peine perdue, car ils 
sont trop légers à la course; mais qui auroit des 
chevaux il les gateroit bien, car ils ont force petits 
sentiers pour aller d'vn lieu à autre (ce qui n'est au 
Port-Royal), et ne sont leurs bois épais, et outre-ce 
encor ont force terre découverte. 

Pendant que le sieur de Poulrincourt venoit à 
terre, on tira de la barque quelques coups de petites 
pièces de fonte sur certains Sauvages qui estoient 
sur vn tertre, et en vit-on quelques-^ ns tomber, mais 
ils sont si habiles à sauver leurs morts qu'on ne sçait 
qu'en penser. Ledit sieur voyant qu'il ne profiteroit 
rien de les poursui- ]| vre, rit faire des fosses pour en- 
trer ceux qui estoient décédez, lesquels j'ay ditcstre 



(;) Deuleron. 1 1, vers. aj. 
(2) lugts, 7. 8. 




M 



A -N 



574 



5^6 Histoire 

deux, mais il y en eut vn qui mourut sur le bord de 
l'eau pensant se sauver, et vn quatrième qui fur $i 
fort nav:é de flfiches qu'il mourut estant rendu au 
Port-Royal. Le cinquième avoit une flèche dans la 
poitrine, mais il échappa pour cette fois-Jà : et vau-. 
droit mieux quMl y fust mort : car oo nous a frech 
ment rapporte qu'il s*est fait pendre en l'Iiabilatio 
que le sieur de Monts entretient à Kdfc sur la gran 
rivière de Canada^ ayant esté autfacur d'vne conspi- 
ration faite contre le sieur Champlcin sou Capitaine, 
qui y est présentement. Et quant à ce desastre, il a 
esté causé par la folie et désobéissance d'vn que je 
ne veux nommer, puis qu'il y est mort, lequel faisoit 
le coq entre des jeunes gens à lui trop crédules, qui 
autrement estoient d'assez bonne nature; et pource 
qu'on ne le vouloit point enivrer avoit jurè (selon sa 
coutume) qu'il ne retourneroit point dans la barque, 
ce qui avint aussi. Et celui-lù mémo fut trouvé mort 
la face en terre ayant vn petii chien sur son doz, tout 
deux cousus ensemble et transpercez d'vne même 
flèche. 

En cette mauvaise occurrence le Hls du sieur d 
" Pont susnommé cui trois doigts de la main emport 
de léclat d'un mousquet qui se creva pour cstre trop 
chargé. Ce qui troubla fort la compagnie, laquelle 
cstoit assez afliifjiit; d'aiUi:urs. Ncanlmoins on ne 
laissa de rendre le d^jruicr devoir aux morts, lesquels 
on enterra || au pied de la Croix qu'on avait \à 
plantée, comme a esté dît. Mais l'insolence de ce 
peuple barbare fut grande après les meurtres par eux 
commis, en ce que comme nos gens chantoient sur 
noz morts les oraisons et prières funèbres accoul 



deS 



ne 
opV 




DE LA NoVVBLLB-FraNCB. 



M7 



I 



mées en l'Eglis£, ces maraux, dis'je, dansoienl et 
{hurloient loin de là se rejouïssans de leur trahison ; 
t pourtant, quoy qu'ils fussent grand nombre, ne 
se hazardoicnl pas de venir attaquer ks nôtres, les- 
quels ayans à leur loisir fait ce que dessus pour ce 
que la mer baissoit fort, se retirèrent en la barque, 
dans laquelle cstoït demeure le sieur Champdoré 
pour la garde d'iccllc. Mais comme la mer fut basse, 
et n'y avoit moyen de venir à terre, cette méchante 
gent vint de rechef au lieu oCi iU avoîent fait le 
meurtre, arrachèrent la Croix, déterrèrent Tvn des 
morts, prindrent sa chemise et ta vêtirent, monirans 
leurs dépouilles qu'ils avoient emportées; et parmi 
ceci encor tournans le dos ù la barque jenoient du 
sable a deux mains par entre les fesses en dérision, 
hurlans comme des loups, ce qui fâcha merveilleu- 
sement Jes nôtres, lesquels ne manquoient de tirer 
sur eux leurs pièces de fonte, mais la distance estoit 
fort grande, et avoient des ja cette ruse de se jeiter 
par terre quand ils y voyoient mettre le feu, de sorte 
qu'on ne sçavoit s'jls avoient esté blessés ou autre- 
ment ; et fallut par nécessité boire ce calice, attendant 
la marée, laquelle estant venue et sufBsante pour 
porter à terre , comme ils virent nos gens serabar- 
quer en la chaloupe, ils s'enfuirent comme lé- 
vriers, se fians en leur agilité. Il y avoit avec les 
nôtres vn Sagamos nommé \\ Chkoudan ^ duquel nous 
avons parlé ci-devant, lequel avoit grand déplaisir 
de tout ceci, et vouloit seul aller combattre cette 
multitude, mais on ne le voulut permettre. Et à tant 
on releva la Croix avec révérence, et enterra-on de- 



575 



548 



Histoire 



576 



rechef le corps qu'Us avoicnc déterré. Et fut ce port] 

appelé le Port Fortuné. 

Le lendemain on mit la voile au \'ent pour passeï 
outre et découvrir nouvelles terres; mais on fut con- 
traint par le vent contraire de relâcher et d'entrer 
dans ledit Port. L'autre lendemain on tenta derechef 
d'aller plus loin, mais ce fut en vain, et fallut encores 
relâcher jusques â ce que le vent fut propre. Durant 
cette attente les Sauvages (pcnsans, je croy, que ce] 
ne fut que jeu ce qui s'estoit passé) voulurent se 
r'appnvoiscr, et demandèrent û troquer, faisant sem- 
blant que ce n'cstoient pas eux qui avoîcnt fait le 
mal, mais d'autres, qu'ils montroient s'en estre allez. 
Mais ils n'avoient pas l'avisement de ce qui est dît 
en vne fable, que la Cigogne ayant esté prise parmi 
les Crues qui furent trouvées en dommage, fut punie 
comme les autres , nonobstant qu*elle dist que tant ' 
s'en fallust qu'elle tist mal qu'au contraire cUc pur- 
geoit la terre de serpens qu'elle mangeoit. Le sieur 
de Houtrincourt donc les laissa approcher, et tit sem- 
blant de vouioir prendre leurs denrées, qui estoïent 
du pctun, quelques chaînes , colliers et brasselets 
faits de coquilles de Vignaux (appelles Esmgni uu 
discours du second voyage de lacques Quartier), fort 
estimez entre eux; item de leurs blé, j| fèves, arcs, 
flèches, carquois et auîrcs menues bagatelles. Et 
comme la société fut renouée, ledit sieur commanda 
à neuf ou dix, qu'il avûit avec lui de mettre les mèches 
de leurs mousquets en ta^on de laqs, et qu*au signal 
qu'il feroit chacun jetrat son cordeau sur la tête 
de celui des Sauvages qu'il auroit accosté, et s'en 



DE LA Novtelle-France. 549 

saisist, comme le maître des hautes œuvres fait de 
sa proye : ei pour Teffect de ce, que la moitié s*cn 
atlasseni à terre, tandis qu'on les amuseroit à troquer 
dans la chaloupe. Ce qui int fait; mais l'exécution ne 
fut pas selon son désir. Car il pretcndoit se servir de 
ceux que Ion prendroit commedeforçairesau moulin 
à bras et à couper des bois. A quoy par trop grande 
précipitation on manqua. Ncantmoins il y en eut 
six ou sept charpentés et taillés en pièces, lesquels 
ne peurent point si bien courir dans Teau comme en 
la campagne, et furent attendus au passage par ceux 
des nôtres qui estoîent demeurés à terre. 

Cela fait, le lendemain on s'efforça d'aller plus 
avant, nonobstant que le vent ne fust â propos, mais 
on avança peu, cl vït-on tant seulement vne ile â 
six ou sept licuiis loing, à laquelle il n'y eut moyen 
de pan'enir, et fut appelée Vile Douteuse. Ce que con- 
sidéré , et que d'vnc part on craignoit manquer de 
vivres, et d'autre que l'hyver n'eropcchast la course, 
et d'ailleurs encore qu il y avoit deux malaies, aus- 
quels on n'espéroit point de salut, conseil pris, fut 
résolu de retourner au Port-Royal : estant, outre ce 
que dessus, encore le sieur de |[ Poutrincourt en 
souci pour ceux qu'il avait bissés. Ainsi on vint 
pour la troisième fois au Port Fortuné, là où ne fut 
veu aucun Sauvage. 

Au premier vent propre ledit sieur fit lever Tancre 
pour le retour, et memoratif des dangers passez, fit 
cingler en pleine mer, ce qui abbregca sa route. Mais 
non sans vn grand desastre du gouvernail qui fut 
derechef rompu ; de manière qu'estant à l'abandon 
des vagues, ils arrivèrent en fin du mieux qu'ils 




577 



55o 



Histoire 



578 



peurentaux iles de Norombrga^oW ils le racoutrerent. 
Et au sortir d'icellcs vindrent à Menane, ile d'environ 
six licuiis de long entre Salnctc-Croix et le Port- 
Royal, oti ils attendirent le vent, lequel estant venu 
aucunement â soubait, au partir de là, nouveaux 
désastres. Car la chaloupe qui cstoit attachée à la 
barque fut poussée d'vn coup de mer si rudement, 
que de sa pointe elle rompit tout le derrière d*icclle 
barque, où esioit ledit sieur de Poutrincourt et au- 
tres. Et d'ailleurs n'ayans peu gaigner le passage 
dudit Port-Royal, la marée (qui vole en cet endroit) 
les porta vers le fond de la Baye Françoise, d'où ils 
ne sortirent point à leur aise, et se virent en aussi 
grand danger qu*ils eussent esté onques auparavant : 
d'autant que voulans retourner d'oQ ils cstoicnt venus 
ils se virent portez de la maiée et du vent vers la 
côte, qui est de hauts i-ochcrs et précipices, là où, 
s'ils n'eussent doublé vne pointe qui les mcnaçoit de 
ruine, c''eust esté fait d'eux. Maïs en des hautes en- 
treprises Dieu veut éprouver la constance de ceux 
qui combattent pour son nom, et voir s'ils ne bran- 
II leront point : îî les meine jusques â la porte de 
l'enfer, c'est à dire du sepulchre, et neantmoins les 
tient par la main, atin qu'ils ne tombent dans la 
fosse, ainsi qu'il est écrit: « Ce suis-je, ce suis-je 
« moy, et n'y a point de Dieu avec moy, le fay 
« mourir, et fay vivre; je navre, et je gucrî; et n'y a 
« personnequi puisse dclivreraucunde ma main (i^.B 
Ainsi avons-nous dit quelquefois ci-de%*ant, et veu 
par effet, que combien qu'en ces navigations se 



(t) DQuteron, }2, vers. 39. 




ît veu ^L 
soient ^M 



DE LA Novvelle-France. 55i 

présentez mille dangtrs, toutefois il ne s'est jamais 
perdu vn seul homme par mer, jaçoit que de ceux 
qui vont tant seulement pour les Morues et le traffic 
des pelleteries, il y en demeure assez souvent : té- 
moins quatre pécheurs Maloins qui furent engloutis 
des eaux estans allez à la pêcherie, lors que nous 
estions sur le retour en France : Dieu voulant que 
nous reconoissions tenir ce bénéfice de lui et ma- 
nifester sa gloire de cette façon, afin que sensible- 
ment on voye que c'est lui qui est autheur de ces 
sainctes entreprises, lesquelles ne se font point par 
avarice, ni par l'injuste effusion du sang, mais par 
vn zèle d'établir son nom et sa grandeur parmi les 
peuples qui ne le conoissoient point. Or après tant 
de faveurs du ciel, c'est à faire à ceux qui les ont 
receuës à dire comme le Psalmiste-Roy bien aimé 
de Dieu (i) : 

Tu m'as tenu la dextre, et ton sage vouloir 
M'a searement guidé, jusqu'à me faire voir 

Mainte honorable grâce 

En cette terre basse. 

\\ Apres beaucoup de périls (que je ne veux com- 579 
parer à ceux d'Vlysses ni d'jEneas, pour ne souiller 
noz voyages saincts parmi l'impureté), le sieur de 
Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième 
de Novembre, où nous le receumes joyeusement et 
avec vne solennité toute nouvelle par-delà. Car sur 
le point que nous attendions son retour (avec grand 

(0 Psalm. 72, vers. 23. 



5 52 
desii 



Histoire 

ph 



mal lui fust 



ce d autant pius que si mai iui lust arrive 
nous eussions esté en danger d'avoir de la confusion), 
je m'avisay de représenter quelque gaillardise en 
allant audevant de lui, comme nous fîmes. Et d'au- 
tant que cela fut en rhimes l'^rançoises faites à la 
hâte, je Tay mis avec les MiUfS As la Noavdle-France, 
sous le tiltre de Théâtre riK Neptvne, oti je renvoyé 
le Lecteur. Au surplus, pour honorer davantage le 
retour et nôtre action, nous avions mis au dessus de 
la porte de nôtre Fort les armes de France, envi- 
ronnées de couronnes de lauriers (dont il y a là 
grande quantité au long des rives des bois) avec la de 
vise du Roy : Dvn protfgit vkvs. Et au dessous celles 
du sieur de Monts avec cette inscription : Dabit Devs 
His QVOQVR FiNEM; et ccIles du sieur de Poutriocourt 
avec cette autre inscription : Is via virtvti nvlla 
EST vu, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de 
lauriers. 



DE LA NovVELLE-FraNCE. 



553 



I Etat de sematlles. Institution de l'Ordre de Bon-Temps. 5 80 
Comportement des Sauvages parmi tes François, Etat de 
PhivtT. PQurquoy en ce temps pluies et brames rares. Pour- 
^uoy plaies frcqaentes entre Us Tropiques. Neges villes à la 
terre. Etat de lani'ier. Conformité de temps en l'antique et 
Nouvelle - France. Poarquoy printemps tardif. Culture de 
jardins. Rapport dUceax. Moulin à eau. Manne de harens. 
Préparation pour le retour. Invention du sieur de Poatrin- 
court. Admiration des Sauvages. Nom'elles de France. 

Chai-, XVII, 

PRES la reiouïssancc publique cessée, le 
sieur de Poutrincourt eut soin de voir ses 
blés, dont il avait semé la plus grande 
partie à deux lieues loin de nôtre Fort en 
amont de la rivière du Dauphin, et l'autre à l'cntour 
de nôtre dit Fort; et trouva les premiers semez bien 
avancés, et non les derniers qui avoient esté semez les 
sixième et dixième de Novembre, lesquels toutefois 
ne laissèrent de croître souz la nege durant l'hiver, 
comme je l'ay remarque en mes semailles. Ce seroit 
chose longue de vouloir minuter tout ce qui se faisoit 
durant l'hiver entre nous , comme de dire que ledit 
sieur fit faire plusieurs fois du charbon, celui de forge 
estant failli ; qu'il fit ouvrir des chemins parmi les 
bois ; que nous allions à travers les fo- || rets souz la 58 1 
guide du Kadran, et autres choses selon les occur- 
rcDcçs. Mais je diray que pour nous tenir joieuse- 





554 



Histoire 



583 



ment et nettement quant aux vivres , fut établi vn 
Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui 
fut nommé l'Ordre ntiBoN-TcMPS, mis premièrement 
en avant par le sieur Ciiamplein, auquel ceux tlMcelle 
table estoient Mai tres-d' hôtel chacun à son jour, qui 
estoit en quinze jours vne fois. Or avoit-il le soin de 
faire que nous fussions bien et honorablement trait- 
tcs. Ce qui fut si bien observé, que (quoy que les 
^ourmcns de deçà, nous disent souvent que nous 
n'avions point là la rue aux Ours de Paris) nous y 
avons fait ordinairement aussi bonne chcrc que nous 
sçaurions faire en cette rue aux Ours et à moins de 
frais. Car il n'y avoir celui qui deux jours devant que 
son tour vinst ne fut soigneux d'aller à la chasse, ou 
à la pêcherie , et n*apportasl quelque chose de rare, 
outre ce qui estoit de nôtre ordinaire. Si bien que 
jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupi 
quels de chair ou de poissons, et au repas de midi et 
du soir cncor moins : car c'estoit le grand festin, U^ 
oùl'Architriclin,ou Maître d'hôtel i^^que les Sauvages 
appellent Atocîegic), ayant fait préparer toutes choses 
au cuisinier, marchoit la serviete sur Tépaule, le bâ- 
ton d'office en main, et le colier de l'Ordre au col,' 
qui valoit plus de quatre escus, cl tous ceux d'icelui 
Ordre après lui, portans chacun son plat. Le même 
estoit au dessert, non toutefois avec tant de suite. Et 
au soir, avant rendre gracesà Dieu, il resinoit le cwl-' 
lier de l'Ordre avec vn verre de vin à son || successeur 
en la charfîe,et buvoicnt l'vn à l'autre, l'ayditci-j 
devant que nous avions du gibier abondamment ^J 
Canars, Outardes, Oyes grises et blanches, Perdris, 
Alouettes, et autres oiseaux ; plus des chairs d'El- 



DB LA NoWELLC-FrAUCE. 



555 



lans, de Caribous, de Oistors, dç Loutres, d'Ours, de 
Lapins, de Chats-Sauvages, ou Leopars. de Ntbachis, 
et autres telles que les Sauvages prenoient, dont nous 
faisions chose qui valoit bien ce qui est en la rôtis- 
serie de la rue aux Ours et plus encor : car entre 
toutes les viandes il n'y a rien de si cendre que la 
chair d^ËIlan (dont nous faisions aussi de bonne pâ- 
tisserie), ni de si délicieux que la queue du Castor. 
Mais nous avons eu quelquefois demie douzaine 
d^Eturgeons tout à coup que les Sauvages nous ont 
apportez , desquels nous prenions vnc partie en 
payant, et le reste on le leur permettoit vendre pu- 
bliquement et troquer contre du pain, dont nôtre 
peuple abondolt. Et quant à la viande ordinaire 
ponde de France, cela estoit distribué également au- 
tant au plus petit qu'au plus grand. Et ainsi estoit 
du vin, comme a esté dit. 

En telles actions nous avions toujours vingt ou 
trente Sauvages hommes, femmes, filles et enfans, 
qui nous regardoient ofticicr. On leur bailloit du 

Ijain gratuitement comme on feroit ù des pauvres. 

ais quant au Sagamos Membertoa, et autres Sugamos 

quand il enarrivoit quelqu'vn), ilsestoientàlatable 

I raengeans et buvans comme nous : et avions plaisir 

de les voir, comme au contraire leur absence nous 

estoit triste, ainsi qu'il arriva trois ou quatre fois 

Iquc tous s'en allcrcnl es en- j| droits où ils sçavoient 
b avoir de la chtisse, et emmenèrent vn des nAtres, 
fequel véquit quelques six semaines comme eux sans 
IbI, sans pain et sans vin, couché à terre sur des 
peaux, et ce en temps de ncges. Au surplus ils avoient 
soin de lui (comme d'autres qui sont souvent allez 



qt 



583 



556 



Histoire 



584 



avec eux) plus que d'eux-mestnes, disans que s'ils 
mouroient on leur imposeroit qu'Us les auroîent 
tués; et par ce se conoit que nous n'esïions point 
commedegradés en vnc ilc, ainsi que le sieur de Vii- 
legagnon au Brésil. Car ce peuple aime les François, ^_ 
et en vn besoin s'armeront Tous pour les soutenir. ^H 

Or, pour ne nous égarer, tels régimes dont nous ^| 
avons parlé nous servoient de préservatifs contre la 
maladie du païs. Et toutefois il nous en deccda quatre 
en Février et Mars, de ceux qui estoient ou chagrins 
ou paresseux ; et me souvient de remarquer que tous 
ils avoient leurs cliambres du côté d'Ouest, et regar- 
dant sur l'étendue du Port, qui est de quatre lieues 
préque en ovale. D'ailleurs ils estoient mal couchés, 
comme tous. Car les maladies précédentes, et le de« 
part du sieur du Pont en la façon que nous avons dit 
avoient fait que Ton avoit jette dehors les matetats, 
et estoient pourris, et ceux qui s*cn allèrent avec ledit 
sieur du Pont emportèrent ce qui restoit de draps de 
licts, disans qu'ils estoient à eux. De manière que 
quclques-vns des nôtres eurent le mal de bouche, et 
l'enflure de jambes, à la façon des phthisiques, qui 
est la maladie que Dieu envoya à son peuple au dé- 
sert (i), en punition de ce qu'ils s'estoient vou- 1| lu 
engraisser de chair, ne se contentans point de ce que 
le désert leur fournissoit par la volonté divine. 

Nous eûmes beau temps préque tour l'hiver. Car 
les pluies ni les brumes n'y sont point si trequen 
qu'ici, soit en la mer, soit en la terre, et ce pour au^ 
tant que les rayons du soleil par la longue distance 

(i) NoRib. M, ven. }i, et Psalm. iot,vers. i^ 




m 



DE LA NovvELLB- Franck. 557 

n'ont pas la force d'clevcr les vapeurs d'ici bas, mé- 
mement en vn païs tout foretier. Mais en été cela se 
fait sur tous les deux lors que leur lurcc est augmen- 
tée, et se resoudent ces vapeurs subitement ou tardi- 
vement selon qu'on approche de la ligne aequinoc- 
ttale. Car nous voyons qu'entre les deux Tropiques 
les pluies y sont abondantes en mer et en terre , et 
spécialement au Ferou et en Mexique plus qu'en 
rAfrique, pour ce que le Soleil par vn si long espace 
de mer ayant humé beaucoup d-humiditcs de tout 
rOccan, il les résout en vn moment par la grande 
force de sa chaleur, là oU vers la Terre-neuve ces va- 
peurs s'eatrctiennenl long temps en laîr devant que 
selcondeoser en pluie, ou estre dissipées, ce qui est en 
été (comme nous avons dit) et non en hiver, et en la 
mer plus qu'en la terre. Car en la terre les brouïllas 
du matin servent de rousce, et tombent sur les huit 
heures; et en la mer ils durent deux, trois et huit 
jours, comme nous avons souvent expérimenté. 

Or puis que nous sommes sur l'hiver, disons que 
£s pluies en tel temps estans rares par-deU, aussi y 

it-il beau soleil après que la negc est tombée, la. 
quelle nous avons eue sept ou huit |] l'ois, mais elle 
se fondoit facilement es lieux découverts, et la plus 
constante a esté en Février. Quoy que ce soit, la 
nege est l'ortvtile aux fruits de la terre, pour les con- 
server contre la gelée, et leur servir comme d'vne 
robbe fourrée. Ce que Dieu tait par vne admirable 
providence, pour ne ruiner les hommes, et comme 
dit le Psalmistc (i). 

(i) Psalm. 147', vers, s- 




585 



5S8 



Histoire 



H donne la nege chenue 
Comme laine à tai blanchissai:'. 
El comme la cendre même 
Répand tes frimas brouissans. 

Et comme le ciel n'est gucres souvent couvert de 
nuées vers la Terre-neuve en temps d'hiver, aussi y 
a il des gelées matinales^ lesquellc:s se renforcent sur 
lu lin de lanvier, en Février, et au commencement de 
Mars : car jusqaes audit temps de lanvier nous y 
avons toujours esté en pourpoint, et me souvientquc 
le 14. de ce mois par vn Dimanche après midi nous 
nous rejouïssions chantans Musique sur la rivière de 
rEquille, dite maintenant la rivière du Dauphin, et 
qu'en ce même mois nous allâmes voir les blcz â 
deux iieuës de nôtre Fort, et dînâmes joyeusemcni 
au soleil. le ne voudrois loutelbis dire que toutes les 
iinnées fussent semblables à celle-ci. Car comme cet 
hiver-lâ fut semblabicment doux par-deçà, le dernier 
hiver de Tan mil six cens sept et huit, le plus rigou- 
reux qu'on vit jamais, a aussi esté de même par-delà, 
en sorte que beaucoup de Sauvages sont morts par la 
rigueur du temps, ainsi qu'en Fraat.c beaucoup de 
jîauvres et de voyagers. Mais je dïray que raiince d« 
586 de-ijvantque nous fussions en la Nouvelle-France,^ 
l'hivern'avoit point este rude, ainsi que m*ont tcsiifié 
ceux qui y avoient demeure devant nous. 

Voilà ce qui regarde la saison de l'hiver. Mais je^ 
ne suis point encore bien satisfait en la rechea'he de 
la cause pourquoy en même parallèle la saison est 
par delà plus tardive d'vn mois qu'ici, cl n'apparoîs- 



IQ 



DE LA NovvELLE- France. SSg 

sent point les fueilles aux arbres que sur le déclin du 
mois de May : si ce n'est que nous disions que l'epes- 
seur des bois et grandeur des forets empçche le soleil 
d'échauffer la terre ; item que le pais où nous estions 
est voisin de la mer, et plus sujet au froid comme 
participant du Pérou , païs semblablement froid à 
i'egard de l'Afrique et d'ailleurs ; item que cette 
terre n'ayant jamais esté cultivée, elle est plus con- 
dense, et ne peuvent les arbres et plantes aisément 
tirer le suc de leur mcre. En recompense de quoy 
aussi l'hiver y est plus tardif, comme nous l'avons 
recité ci-dessus. 

Les froidures estans passées, sur la fin de Mars 
tous les volontaires d'entre nous se mirent à l'envi 
l'vn de l'autre à cultiver la terre, et faire des jardins 
pour y semer, et en recueillir des fruits. Ce qui vint 
bien à propos. Car nous fumes fort incommodez l'hi- 
ver faute d'herbes de jardins. Quand chacun eut fait 
ses semailles, c'estoit vn merveilleux plaisir de les 
voir croître et profiter chacun jour, et encore plus 
grand contentement d'en vser si abondamment que 
nous fîmes ; si bien que ce commencement de bonne 
espérance nous faisoit préque oublier nôtre pais ori- 
ginaire, et principalement quand le pois- 1] son com- 587 
mença à rechercher l'eau douce et venir à foison dans 
noz ruisseaux, tant que nous n'en sçavions que faire. 
Ce que quand je considère, je ne me sçaurois assez 
étonner comme il est possible que ceux qui ont esté 
en la Floride ayent souffert de si grandes famines, 
veu la température de l'air qui y est préque sans hi- 
ver, et que leur famine vint es mois d'Avril, May, 
luin, ausquels ils ne dévoient manquer de poissons. 



56o 



HiSTOISK 



588 



Tandis que les vns travailloîent à la terre, le sieur 
de Pouïrtncourt fit préparer quelques batlmcns pour 
loger ceux qu'il esperoît nous devoir succéder. Et 
considcrant combien le moulin â bras apportoit de 
travail, il lit taire vu moulin à eau, qui fut fort ad- 
miré des Sauvages. Aussi est-ce vne invention qui 
n'est pas venue es esprits des hommes dés les pre- 
miers siècles. Depuis cela nos ouvriers curent beau- 
coup de repos, car ils ne faisoicnt préquc rien pour 
la pluspari. Mais ic puis dire que ce moulin nous 
fournissoit des harens trots fois plus qu'il ne nous en 
eust fallu pour vivre, à la diligence de noz meuniers. 
Le sieur de Poutrincourt en avoit fait sallcr deux 
bariques, et vne barîquc de Sardines, pour en faire 
montre en France, lesquelles demeurèrent à Sainct- 
Malo, à nôtre retour, entre les mains des marchans. 

Parmi toutes ces choses ledit sieur de Poutrin- 
court ne laissait point de penser au retour, ce qui 
estoit vn fait d'homme sage. Car il ne se faut jamais 
tant fier aux promesses des hommes que l'on ne con- 
sidère qu'il y arrive bien [j souvent beaucoup de 
desastre en peu d'heures. Et partant dés le mois 
d'Avril il tit accommoder deux barques, vne grande 
et vne petite, pour venir chercher les navires de 
France vers Campseaii, ou la Terre-neuve, le cas ave- 
nant que nous n'eussions point de secours. Mais la 
charpenteric faite, vn seul mal nous pouvoît arrêter, 
c'est que nous n'avions point de bray pour calfester 
no2 vaisseaux. Cela (qui estoit la chose principale) ._ 
avoit esté oublié au partir de la Rochelle. En ccste 
nécessité importante ledit sieur de Poutrincourt 
s'avisa de recueillir par les bois quantité de gommes 





DB LA NoVVELLE-FraKCE. 



56 1 



de sapins. Ce qu'il fit avec beaucoup de trax-ail, y al- 
lant lui même avec vn gaison ou deux le plus sou- 
vent; si bien qu*cn fin il en eut cent livres. Or après 
ces faiîjîues ce ne fut encore tout. Car il falloit fondre 
et puriiier cela, qui estoit vn point nécessaire, et îo- 
coneu à nôtre Maitre de marîne> le sieur de Champ- 
doré, et â ses matelots, d'autant que le bray que nous 
avons vient de Norvvcge, Suéde et Danzic. Neant- 
moins ledit sieur de Poutrincourt inventa le moyen 
de tirer la quinte essence de ces gommes et écorces 
de sapins : et fit faire quantité de briques, desquelles 
il façonna vn fourneau tout à jour, dans lequel il mit 
vn alembic fait de plusieurs chaudrons enchâssez 
Tvn dans Tauire, lequel il emplissoit de ces gommes 
et écorces : puis estant bien couv;:rt on mettoit le 
feu tout à l'cntour, par la violence duquel se fondoit 
la gomme enclose dans ledit alembic, et tombuit par 
embasdans vn bassin. Mais il ne falloit pas durmir 
à l'cntour, |[ d'autant que le feu se prenant à la ma- 
tière tout estoit perdu. Cela estoit admirable pour 
vn personage qui n'en avoit jamais veu taire : dont 
les Sauvages éîonnés disoîcnt en mots empruntés des 
Basques Endia chavé Aorniti/idw , c*est à dire que les 
j Normans sçavent beaucoup de choses. OrappcUent- 
I ils tous les François Normans (exceptez les Basques), 
I par ce que la pluspart des pécheurs qui vont aux 
I Morues sont de celte nation. Ce remède nous vint 

Nbien A point : car ceux qui nous vindrcut quérir es- 
[pient tombez en même faute que nous, 
I Or comme celui qui est en attente n'a point de 
bien ni de repos j'usques à ce qu'il tienne ce qu'il 
désire, ainsi en cette saison noz gens jctloicm sou- 

l6 




589 



562 



H ISTÛIRE 



vcnc l'œil sur la grande étendue du Port-Royal pour 
voir s'ils découvriroîcnt point quelque vaisseau arri* 
ver. En quoy ils furent plusieurs lois trompez, se 
figurans tantôt avoir ouï vn coup de canon, tantôt 
appercevoir les voiles d'vn vaisseau, et prenans bien 
souvent les chaloupes des Sauvages qui nous vcnoient 
voir pour des chaloupes Françoises. Car alors grande 
quantité de Sauvages s'assemblèrent au passage dudil 
Port pour aller à la guerre contre les Armouchiquois, 
comme nous dirons au livre suivant. EnAn on cria 
tant Noé qu'il vint, et eûmes nouvelles de France le 
)our de l'Ascension avant midi. 



590 II Arrivée des François, Société du siear de Monts rompue, tt 
poartjuoy. Avarice de ceux qai voient les morts, Feuz dejoye 
pour Sa naissance de Monseigneur d'Orléans. Partement des 
Sauvages pour aller à la guerre. Sagamos Memberlou. 
Voyages sar la côte de la Baye Françoise. Trafic sordide. 
vdle ii'Ouïgoudi. Sauvages comme font de grands voyages. 
Mauvaise inimion d'iceux. Mine d'acier. Voix de Loups- 
marins. Etat de i'ÏU Saincle-Croix. Amour des Sauvages 
envers leurs enfans. Retour au Port-Royal. 

Chap. XVIÏI. 

E Soleil commcnçoit à échauffer la terre, 
etœilla-der sa maîtresse d'vn regard amou- 
reux, quand le Sagamos Memberlou (après 
noz prières solennellement faites à Dieu, 
et le desjeuner distribue au peuple, selon la cou- 
tume) nous vint avertir qu'il avoit veu vnc voile sur 



DR r.A Novvei,i.e-Frakce. 



363 



H ~ na 



le lac qui venoit vers nôtre Fort. A cette joyeuse nou- 
velle chacun va voir, mais encore ne se trouvoit-il 
pcrsone qui cust si bonne vcuc que lui , quoy qu'il 
soit âgé de plus de cent ans. Neantmoinson vît bien- 
tôt ce qui en estoît. Le sieur de Poutrincourt tu en 
diligence apprêter la petite barque pour aller reco- 
noitre. Le sieur de Champdorc et Daniel Hay y al- 
lèrent, et par le signal qu'ils nous donnèrent cstans 
certains que c'estoient amis, incontinent Hmes char- 
ger quatre canons et vne douzaine de tau- j| conneaux, 
pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. 
Eux de leur part ne manquèrent à commencer la 
tête et décharger leurs pièces, ausquels fut rendu le 
réciproque avec vsure. C'estpit tant seulement vne 
petite turque marchant souz la charge d'vn jeune 
homme de Sainct-Malo nomme Chevalier, lequel ar- 
rivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrin- 
court, lesquelles furent leues publiquement. On lui 
mandoit que pour aider à sauver les frais du voyage, 
le navire (qui eslott cncor le Ionas) s'arrcieroit au 
port de Campseau pour y faire pêcherie de Morufis, les 
marchans associez du sieur de Monts ne sacbans pas 
qu*il y eut pêcherie plus loin que ce lieu ; toutefois 
que s'il estoit nécessaire il fist venir ledit navire au 
Port-Koyal. Au reste, que la société estoit rompue, 
d'autant que contre l'Edit du Koy les Holaadois, 
conduits par un traitre François nommé La leunesse, 
avoient l'an précèdent enlevé les Castors et autres 
pelleteries de la grande Rivière de Canada, chose qui 
umoit au grand détriment de la société, laquelle 
partant ne pouvoit plus fournir aux frais de Thabi- 
tation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Et 



5g i 




564 



Histoire 



pour cette cause n'envoyoient persone pour demeurer 
là après nous. Si nous eûmes de ia joye de voir nôtre 
secours asscuré, nous eûmes aussi vne grande tris- 
tesse de voir vne si belle et si saincte entreprise rom- 
pue, que tant de travaux et de périls passez ne ser- 
vissent de rien, et que Tesperance de planter là le 
nom de Dieu et la Foy Catholique s'en allast eva- 
393 noulie. Ncantmoîns, après que le || sieur de Poutrin- 
court eut long temps songé sur ceci, il dit que quand 
il y devroit veair tout seul avec sa famille, il ne quit- 
terott point la partie. 

Ce nous estoit,d! je, grand dueil d'abandonner ainsi 
vne terre qui nous avoit produit de si beaux blez, et 
tant de beaux ornemer^s de jardins. Tout ce qu'on 
avoit peu faire jusques là ç'avoit esté de trouver lieu 
propre à faire vne demeure arrêtée et vne terre qui 
fut de bon rapport. Et cela estant fait , de quitter 
l'entreprise, c'estoit bien manquer de courage. Car 
passée vne autre année il ne tatloit plus entretenir 
d'habitation. La terre estoit suffisante de rendre les 
nécessitez de la vie. C'est le sujet de la douleur qui 
poignoit ceux qui estoicnt amateurs de voir la Reli- 
gion Chrétienne établie en ce païs-là. Mais d'ailleurs 
le sieur de Monts et ses associés estans en perte, et 
n'ayans point d'avancement du Roy, c'estoit chose 
qu'ils ne pouvoicnt faire sans beaucoup de difficulté, 
que d'entretenir vne habitation par-delà. 

Or cette envie sur le traific des Castors avec les 
Sauvages ne s'est piis SL'ulement glissée es cœurs des 
Holandois, mais aussi des marchans François, de 
manière qu'en (in le privilège qui avoit esté baillé 
audit sieur de Monts pour dix ans a este' révoqué. 




C'est chose étrange que de l'avarice insatiable des 
hommes, lesquels n'ont aucun égard à ce qui est de 
rhonnête, moyennant qu'ils rafâenc de quel côië 
que ce soit. Et sur ce je dîray d'abondant, que de 
ceux qui nous sont venus quérir en ce paîs-Ià il y en 
a eu qui ont osé méchamment aller dépouiller les 
morts et voler [j les Castors que ces pauvres peuples SgS 
mettent pour le dernier bien-fait sur ceux qu'ils en- 
terrent, ainsi que nous dirons plus amplement au 
Hvre suivant. Chose qui rend le nom François odieux 
et digne de mépris parmi eux, qui n'ont rien de sem- 
blable, ains le cœur vrayment noble et généreux, 
n'ayans rien de particulier, ains toutes choses com- 
munes, et qui t'ont ordinairement des presens (et ce 
tort libéralement, selon leur puissance) à ceux qu'ils 
aiment et honorent. Et outre ce mal, est arrivé que 
les Sauvages , lors que nous estions à Campseaa , 
tuèrent celui qui avoit montré à noz gens les sépul- 
cres de leurs morts, le n'ay que l'aire d'alléguer ici ce 
que recite Horodote de la vilenie du Roy Darius, le- 
quel pensant avoir trouvé la merc au nid (comme on 
dit), c'est à dire des grands thrcsors au tombeau de 
Semiramis, Royne des Babyloniens, eut vn pié de 
nez, ayant au dedans trouvé vn écriteau contraire au 
premier, qui le tensoit aigrement de son avarice et 
méchanceté. 

Revenons A noz tristes nouvelles et aux regrets 
d'icellcs. Le sieur de Poutrincourt ayant fait propo- 
sera quelques-vnsde nôtre compagnie s'ils vouloient 
là demeurer pour vn an, il s'en présenta huit, bons 
compagnons, ausquels on promcttoît chacun vne 
barique de vin, de celui qui nous restoit, et du blé 




566 



Histoire 



suffisamment pour vne année; mais ils demandèrent 
si hauts gages qu'il ne peut pas s'acommoder avec 
eux. Ainsi il se fallut résoudre au retour. Le jour 
déclinant, nous fimes les feuz de joye de la naissance 
5g4 de II Monseigneur le Duc d'Orléans, et recommen- 
çâmes â faire bourdonner les canons et fauconneaux^ 
accompagnez de force mousquctades, le tout après 
avoir sur ce sujet chante le Te Dmm. 

Ledit Chevalier apporteur de nouvelles avoit eu 
charge de Capitaine au navire qui estoit demeuré â 
Campseau, et en cette qualité on lui avoit baillé pour 
nous amener six moutons, vingt-quatre poules, vne 
livre de poivre, vingt livres de ris, autant de raisins 
et de pruneaux, vn millier d'amendes, vne livre de 
muscades, vn quarteron de canellc, vne demie-livre 
de giroffles, deux livres d'ccorces de citrons, deux 
douzaines de citrons, autant d'orenges, vn jambon de 
Majence et six autres jambons, vne banque de vin 
de Gascongne et autant de vin d'Hespagne, vne ba- 
rique de bœuf salé, quatre pots et demi d'huile d*o- 
Uvc, vn jarre d'olives, vn baril de vinaigre et deux 
pains de sucre. Mais tout cela fut perdu par les che- 
mins par fortune de .sueule, et n'en vimes pas grand 
cas; neantmoins j'ay mis ici ces denrées afin que 
ceux qui voudront aller sur mer s'en pourvoient. 
Quant aux poules et moutons, on nous dit qu'ils 
estoicnt morts durant le voyage, ce que cous crûmes 
facilement, mais nous desirions au moins qu'on nous 
en eust apporté les os. On nous dit encore, pour 
plus ample resolution, que l'on pensoit que nous 
fussions tous morts. Voilà sur quoy fut fondée la 
mangeailte. Nous ne laissâmes toutefois de faire 



iA 



^ 




bonne chère audit Chevalier et aux siens, qui n*es- 
toient pas petit nombre, ni buveurs semblables â feu 
Monsieur le Marquis de Pisani. || Occasion qu'ils ne 59 5 
se deplaisoient point avec nous : car il n'y avoit que 
du cidre bien arrousé d'eau dans le navire oti ils 
cstoient venus pour la portion ordinaire. Mais quant 
audit Chevalier, dés le premier jour, il parla du re- 
tour. Le sieur de Poutrincourt le tint quelque huit 
iours en espérance, au bout desquels celui-ci voulant 
s'en aller, ledit sieur mit des gens dans sa barque, et 
le retint, sur quelque rapport que ledit Chevalier 
avoit dit qu'estant â Campseau il mettroit le navire à 
la voile, et nous laisseroit là. 

A la quinzaine ledit sieur envoya vne barque audit 
Campseau chargée d'vnc partie de nos ouvriers, pour 
commencer a détrappcr la maison. Au commence- 
ment de luin, les Sauvages en nombre d'environ 
quatre cens partirent de la cabane que le Sagamos 
Membertoa avoit façonnée de nouveau en forme de 
ville environnée de hautes palUssades, pour aller à la 
guerre contre les Armouchiquoîs, qui fut à Chouakoet, 
à environ quatre-vingts licut's loin du Port- Royal, 
d'où ils retournèrent victorieux par les stratagèmes 
que je diray en la description que j'ay fait de cette 
guerre en vers François. Les Sauvages furent prés de 
deux mois à s'assembler là. Memberioa le grand Saga- 
mos les avoit fait avertir durant et avant l'hiver, leur 
ayant envoyé hommes exprés, qui estoient ses deux 
(ils Aaaudin et Actaa(iinech\ pour leur donner là le 
Rendex-voLis. Ce Sazamos est homme des-ja fort vieil, 
et a veu le Capitaine lacques Quartier en ce païs-là, 
auquel temps il estoit des-ja marié et avoit Ij enfans, Sg6 



568 



Histoire 



597 



et neantinoins ne paroit poiat avoir plus decinquante 
ans. Il a esté fort grand guerrier et sanguinaire en 
son jeune àgc et durant sa vie. C*cst pourquoy on dit 
qu'il a beaucoup d'ennemis, et il est bien aise de se 
tenir auprès des François pour vivre en seureté. Du- 
rant cette assemblée il fallut lui faire des presens et 
dons de blé et fèves, même de quelque baril de vin, 
pour fêtoyer ses amis. Car il remontroit au sieur de 
Poutrincourt : « le suis le Sagamoi de ce païs ici, j'ay 
•i le bruit d'estrc ton ami et de Cous les Norraans 
« (car ainsi appellent-ils les François, ainsi que j ay 
« dit), et que vous faites cas de moy : ce me seroit 

• va reproche si je ne montroîs les effects de telle 

* chose, n Et ncantmoins , soit par envie ou autre- 
ment, vn autre Sagamos nommé Cbkoudan, lequel est 
bon ami des François et sans feintise, nous fit rap- 
[K>rt que Mcmbertou machinoit quelque chose contre 
nous, et avoit harangué sur ce sujet. Ce qu'entendu 
par le sieur de Poutrincourt, soudain il l'envoya qué- 
rir pour l'étonner, et voir s'il obcïroil. Au premier 
mandement, il vint seul avec noz gens, et ne fit au- 
cun refus. Occasion qu'on le laissa retourner en paix 
après avoir receu bon traitement et quelque bouteille 
de vin, lequel il aime, par ce (dit-il) que quand il en 
a beu il dort bien, et n'a plus de soin ni d'appréhen- 
sion. Ce Membertou nous dit au commencement que 
nous vînmes là qu'il vouloit faire vn présent au Roy 
de sa mine de cuivre, par ce qu'il voyoit que nous 
faisions cas des métaux, et qu'il faut que les Sagamos 
soient honétcs et libéraux les vns envers || les autres- 
Car lui estant Saganws il s'estime pareil au Roy et â 
tous ses Lieutenans , et disoit souvent au sieur de 



DR LA NoWELI-E-FrANCE. 



56o 



Poutrincourt qu'il lui estoit grand ami, frère, com- 
pagnon et dgal, montrant cette égalité par la jonction 
des deux doigts de la main que Ton appelle Index, ou 
le doigt démonstratif. Or jaçoit que le présent qu*il 
vouloit faire à sa Majesté fust chose dont elle ne se 
soucie , neantmoins cela lui partoit de bon courage, 
lequel doit estre prisé comme si la chose estoit plus 
grande, ainsi que fit ce roy des Perses qui receut 
d'aussi bonne volonté \-ne pleine main d*eau d'vn 
païsan comme les plus grands prcscns qu^on lui avoit 
l'ait. Car si Mcmberlou eust eu davantage 11 l'cusl offert 
libéralement. 

Le sieur de Poutrincourt n'ayant point envie de 
partir de là qu'il n'eust veu l'issue de son attente, 
c'est à. dire la maturité des blcs, il délibéra après que 
les Sauvages furent allez à la guerre de faire voyages 
du long de la côte. Et pource que le Chevalier desi- 
roit amasser quelques Castors, il l'envoya dans vnc 
petite barque à la rivière Sainct-Iean, dite parles Sau- 
vages Oaïgcudi, et l'ile Saincte -Croix, et lui Poutrin- 
court s'en alla dans vnc chaloupe à ladite mine de 
cui\Te. le tus du voyage dudit Chevalier, et traver- 
sâmes la baye Françoise pourallerà ladite rivière, là 
où si-tôt que nous fumes arrivez nous fut apportée 
demie douzaine de Saumons freicheraent pris, et y 
séjournâmes quatre jours, pendant lesquels nous al- 
lame.»! es cabanes du Sagamos Chkoiiâun, là oU nous 
vîmes |] quelque quatre-vingts ou cent Sauvages tout 
nuds, hors-mis le brayet, qui faisoicnt Tabagie des 
farines que ledit Chevalier avoit troqué contre leurs 
vieilles pannes pleines de pous (car ils ne lui baillèrent 
que ce qu'ils ne vouloîent poini). Ainsi tit-il là vn 



59« 



$70 



HlSTOlSE 



599 



trafic que je prise peu. Mais il peut dire que l'odeur 
du lucre est suave et douce de quelque chose que ce 
soit, et ne dedaignoit pas l'Empereur Vcspasien de 
recevoir par sa main le tribut qui lui vcnoit des pis- 
sotières de Rome. 

Etans parmi ces Sauvages, le Sagamos Chkûudan nous 
voulut donner le plaisir de voir l'ordre et geste qu'ils 
tiennent allans à la guerre, et les tit tau;* passer de- 
vant nous, ce que Je reserve au livre VI, chap. 2 5. 
La ville d^Ouïgoudi (ainsi j'appelle la demeure dudit 
ChkouÂan) estoit vn grand enclos sur vn tertre fermé 
de hauts et menus arbres attachez l'vn contre l'autre, 
et au dedans plusieurs cabanes grandes et petites, 
l'vne desquelles estoit aussi grande qu'vne halle, oii 
se rctiroient beaucoup de ménages : et quant à celle 
otiils faisoieiit lu Tabagie, elle estoit vn peu moindre. 
Vne bonne partie desdits Sauvages estoient de Câ- 
cliepé, qui est le commencement de la grande rivière 
de Canada, et nous dirent que de leur demeure ils 
venoient là en ^ïx jours, dont je fus fort étonné, veu 
la distance qu'il y a par mer; mais Ils abbregent fort 
leurs chemins, et font des grands voyages par le 
moyen des lacs et rivières, au bout desquelles quand 
ils sont parvenus, en portant leurs canots trois ou 
qutilrc lieues, ils guignent d*autrcs || rivières qui ont 
vn contraire cours. Tous ces Sauvages estoicnC là 
venus pour aller à la guerre avec Membertoa contre les 
Armouchiquois. 

Or, d'autant que j'ay parlé de cette rivière d'Ouï- 
goiidi au voyage du Sieur de Monts, je n'en dtray ici 
autre chose. Quand nous retournâmes à nôtre barque 
qui était à demi-lieuë de là à l'entrée du Port, à l'abri 



d'une chaussée que la mer y a fait, noz gens, et par- 
ticulièrement le Capitaine Champdoré, qui nous 
conduisoit, étoient en peine de nous, et ayans veu 
de loin les Sauvages en armes, pensoient que c'estoit 
pour nous mal faire, ce qui eut esté aisé, pource 
que nous n'estions que deux, et par ainsi furent 
bien aises de nôtre retour. Apres quoy le lendemain 
vint le Devin du quartier crier comme vn désespéré 
à Pendroit de nôtre barque. Ne sachans ce qu'il vou- 
loit dire, on l'envoya quérir dans un petit bateau, et 
nous vint haranguer, et dire que les Armouchîquois 
cstoient dans les bois qui les venoient attaquer, et 
qu'ils avoicnt tud de leurs gens qui cstoient à la 
chasse ; et partant que nous descendions k terre pour 
les assister. Ayans ouï ce discours qui ne tendott à 
rien de bon, selon notre jugement, nous lui dîmes 
que nos journées étoient limitées et noz vivres aussi,. 
et qu'il nous convenoît gaigncr païs. Se voyant écon- 
duit, il dit que devant qu'il fust deux ans il fau- 
droit qu^ils tuassent tous les Normands, ou que les 
Normands les tuassent. Nous nous mocquames de 
lui, et lui dimcs que nous allions mettre nôlre bar- 
que devant leur Fort pour || les aller tous saccager. 
Mais nous ne le fimes pas, L-ar nous partîmes ce 
jour-là, et ayans vent contraire, nous nous mimes à 
l'abri d'une petite i!e, où nous fumes deux jours pen- 
dant lesquels l'vn allait tirer aux Canars pour la pro- 
vision, l'autre taisait la cuisine, et le Capitaine 
Champdoré et moy allions le long des rochers avec 
marteaux et ciseaux cherchant s'il n'y auroit point 
quelques mines. Ce que faisans nous trouvasmes de 
l*acier en quantité parmi les roches, lequel fut depuis 




600 



572 



Histoire 



6nt 



fondu par le sieur de Poutrincouri, qui en fil des 
lingots, et setrous'a acier fort &n, duquel il fit faire 
vn couteau qui tranchoit comme un razoir, lequel 
à nôtre retour il moutra au Roy. 

De là , nous allâmes en trois iournccs à Tilc 
Saincte-Croix, estans souvent contrariez des vents. 
Et pource que nous avions mauvaise conjecture sui 
les Sauvages que nous avions veu en grand nombre 
à la rivière Sainct-Iean, et que la troupe qui estoit 
partie du Port-Royal estoit encore â Menane (i!c entre 
ledit Port-Royal et Saincte-Croix), desquels nous ne 
nous voulions pas fier^ nous faisions bon guet la 
nuit, pendant lequel nous oyons souvent les voix des 
Loups-marins , qui ressembloient préque celle des 
Chats-huans ; chose contraire à l'opinion de ceux qui 
ont dit et écrit que les poissons n'avorent point de 
voix. 

Arrivez que nous fumes dans ladite Ile de Saincte- 
Croix, nous y trouvâmes les bâtimcns y laissez tout 
entiers, fors que le magazin estoit découvert d'vn 
côté. Nous y trouvâmes enco- \\ re du vio d'Hespa- 
gnc au fond d'vn muy, duquel nous beumes, et n'es- 
toit guère gâté. Quant aux jardins, nous y trouvâ- 
mes des choux, ozeilles et laictucs, dont nous fimes 
cuisine. Nous y fîmes aussi de bons patez de tourtres, 
qui sont là fréquentes dans les bois. Mais les herbes 
y sont si hautes, qu'on ne pouvoit les trouver quand 
elles cstoient tuées et tombées à terre. La court y 
estoit pleine des tonneaux entiers, lesquclz quelques 
matelots mal disciplinez brûlèrent pour leur plaisir, 
dont j'eu horreur quand je le vi, et Jugcay mieux que 
devant que les Sauvages cstoient (du moins civÙe- 



b. 



DK t.A NovvELLR - France. 



'73 



ment) plus hi 



ph 



imains et plus gens bien que beaucoup 
de ceux qui portent le nom de Chrétien, ayant de- 
puis trois ans pardonné à ce lieu, auquel ils n'a* 
voient point seulement pris vn morceau de bois, ni 
du sel qui Y estoit on grande quantité dur comme 
roche. 

Au partir de là nous vînmes mouïller l'ancre 
parmi vn grand nombre d'Iles confuses, où nous 
ouïmes quelques Sauvages et criâmes pour les faire 
venir. Ils nous r'eavoyerent le même cri. A quoy vn 
des nôtres répliqua Oi'unklraix , c'cst-â-dire qui estcs- 
vous? Ils ne voulurent se déclarer. Mais le lende- 
main, Oagimont, Sagamos de cette rivière, nous vint 
trouver, et conçûmes que c'estoît lui que nous avions 
ouï. Il se disposoit pour suivre Mmkriou et sa 
troupe â la guerre, là où estant il fut grièvement 
blessé, comme j'ny dit en mes vers sur ce sujet. Ce 
Oa^inwnl & vne fille àgee d'environ onze ans, bien 
agréable, laquelle le sieur de Poutrincourt || desîroit 
avoir, et la lui a plusieurs fois demandée pour la 
bailler à la Royne, lui promettant que jamais il 
n'auroit faute de bU^ ni d'autre chose; mais onques 
il ne s'y est voulu accorder. 

Estant entré en nôtre barque, il nous accompagna 
jusques à la pleine mer, là oti il se mît en sa cha- 
loupe pour s'en retourner, et de autre part tendîmes 
au Port-Royal, à l'entrée duquel nous arrivâmes 
avant le jour, maïs fumes devant nôtre Fort juste- 
ment sur le point que la belle Aurore commençoit à 
montrer sa face vermeille sur le sommet de noz cû- 
taux chevelus. Le monde estoit encore endormi, et 
n'y en eut qu'vn qui se leva au continuel abbayc- 



602 




574 HfSTomiî 

ment des chiens; mais nous fimes bien réveiller 1? 
reste à force de mousquetades et d'éclats de trom- 
pettes. Le sieur de Poulrincourt estoit arrivé le jour 
de devant de son voyage des mines, oU nous avons 
dit qu*il devoit allerj et l'autre jour précèdent estoit 
arrivée la barque qui avoit porté partie de nos ouvriers 
à Campseau. SI bien que toulassemblcil ne restoit plus 
que de préparer les choses nécessaires à nôtre enibar- 
quement. Et en cette affaire nous vint bien à point 
le moulin à eau. Car autrement il n'y cust eu aucun 
moyen de préparer assez de farines pour le voyage. 
Mais en fin nous en eûmes de reste, que Ton bailla 
aux Sauvages pour se souvenir de nous. 



6o3 II Pon de Campseaa. Panment du Port-Roya!. Brumes 

huit jours. Arc-eit ciet paraissant dans l'eau. Pon Savalet. 
Culture de la terre exercice honorable. Regrets des Sauvages 
au partir da sieur de Poutrincourt. Retour en France. 
Voyage au Mont Sain et- Michel. Fruits de la NouveUe- 
France présentez aa Roy. Voyage en la Nouvelle-France de^ 
puis le retour dudit sieur de Poutrincourt, Lettre missin 
dudit sieur aa Sainct Père à Rome. 

Chap. XIX. 

VR le point qu*il fallutdire Adieu au Port- 
Royal, le sieur de Poutrincourt envoya 
fson peuple lesvns après les autres trouver 
le navire à CampseaUf qui est vn port entre 
sept ou huit îles oii les navires peuvent estre à l'abri 
des vents ; et là y a vne baye profonde de plus de 



dix lieues, et large de trots; ledii lieu distant du- 
dit Port-Royal de plus de cent cinquante lieues. 
Nous avions vne grande barque, deux petites et 
vne chaloupe. Dans l'vnc des petites barques, on 
mit quelques gens que l'on envoya devant. El le 
trentième de luiUct partirent les deux autres. l'es- 
tois dans la grande, conduite par le sieur de Champ- 
doré. Mais le sieur de Poutrincourt voulant voir vne 
fin de noz blez semez, attendit la maturité d*iccux, 
et demeura encore onze jours après nous. Cependant 
nôtre première journée ayant esté au Passage J| de 
Port-Royal , le lendemain les brumes vindrent s*é- 
pendre sur la mer, qui nous tindreiu huit jours en- 
tiers, durent lesquels cVst tout ce que nous sceumes 
faire que de gaigner le cap de Sable, lequel nous ne 
vimes point. 

En ces obscuritez Cymcriennes ayans vn jour an- 
tre en mer à cause de la nuit, nôtre ancre ruza telle- 
ment qu'au matin la marée nous avoit poné parmi 
des îles, et m'étonne que nous ne nous perdimes au 
choc de quelque rocher. Au reste, pour le vivre le 
poisson ne nous manquoit point. Car en vne demie 
heure nous pouvions prendre des Morues pour 
quinze jours, et des plus belles et grasses que j'ay 
jamais veu , icelks de couleur de carpes, ce que je 
n'ay onques reconeu qu'en cet environ dudit cap de 
Sable, lequel après que nous eûmes passé, la marée 
(qui vole en cet endroit) nous porta en peu de temps 
jusques â la Hévc, ne pensans estre qu'au port du 
Mouton. Là, nous demeurâmes deux jours, et dans le 
port même nous voyons mordre ta Morue à l'ame- 
çon. Nous y trouvâmes force grozelles ruugcs, et de 




604 




576 



Histoire 



I 



la marcassite de mine de cuivre. On y fît aussi quel- 
que iroquement de pelleteries avec les Sauvages. 

De kl en avant nous eûmes vent à souhait, et du- 
rant ce temps avitit vne fois qu'estant sur la proue je 
criay à nôtre conducteur le sieur de Champdoré que 
nous allions toucher, pensant voir le fond de la mer; 
mais je fus deccu par l'Arc-en-ciel qui paroissoit avec 
toutes ses couleurs dedans l*eau, causé par l'ombrage 
6o5 que faisoit ]{ sur iccUc nôtre voile de Beaupré opposé 
au Soleil, lequel assemblant ses rayons dans le creus 
dudit voile, ainsi qu'il fait dans ta nuë, iceux rayons 
estoient contraints de réverbérer dans l'eau, et foire 
cette merveille. Enfin nous arrivâmes à quatre 
lieues de Cumpseau, à vn Port où faisoit sa peschcrie vn 
bon vicillart de Sainct-Jean de Lus nomme le Capi- 
taine Savalet, lequel nous receut avec toutes les cour- 
toisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui 
est petit , mais ires-beau i n'a point de nom , je l'ay 
qualifié sur ma Charte géographique du nom de Sa- 
valet. Ce bon personage nous dît que ce voyage 
csroic là le 42. qu'il faîsuit par-delà, et toutefois les 
Terre-ncLiviers n'en font tous les ans qu'vn. Il estoit 
men-eilleusement content de sa pescherie, et nous di- 
soit qu'il fuisoit tous tes jours puur cinquante escus de 
Morues, et que son voyage vaudroit dix mille francs. 
II avoit seze hommes A ses gages, et son vaisseau es- 
toit de quatre-vingts tonneaux, qui pouvoit porter 
cent milliers de morues scches. Il estoit quelquefois 
inquiété des Sauvages là cabanez, lesquelz trop pri- 
vément et impudemment alloicnt dans son navire, 
et lui emporcaient ce qu*ils vouloient. Et pour éviter 
cela il les mena^oit que nous viendrions et les met- 



hf. la 



N 



OVTEI.I. 



LE- F 



RAHCB. 



577 



irions tous au rtl de l'épée s'ils lui faisoient tort. 
Cela les intimldoit, et ne lui t'aisoîent pas tout le 
mal qu*autrcmcat ils eussent fait. Ncantmoins toutes 
les fois que les pécheurs arrivoicnt avec leurs cha- 
loupes pleines de poissons, ils choisissaient ce que 
bonleur II sembioit.et ne samusoient point aux Mo- 
rues, ains prenaient des Merlus, Bars, et Flétans qui 
vaudroient ici à Paris quatre écus^ ou plus. Car c'est 
vn merveilleusement bon manger, quand principale- 
ment Us sont grands et épais de six doigts, comme 
ceux qui se péchoient là. Et eust esté dinicile de le« 
empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eust tou- 
jours fallu avoir les armt's en main, et la besogne fast 
demeurée. Or Phonnéieté de cet homme ne sétendit 
pas seulement envers nous^ mais aussi envers tous les 
nôlrcsqui passèrent à son Port, car c'cstoit !c passage 
pour aller et venir au Port- Royal. Mais il y eut quel- 
ques-vns de ceux qui nous vindrent quérir qui fai- 
soient pis que les Sauvages, et se gouvcrnoient envers 
lui comme fait ici le gen-d arme chez le bon homme, 
chose que j'ouï fort à regret. 

Nous fumes là quatre jours à cause du vent con- 
traire. Puis vinmes à CampseaUj ob nous attendîmes 
l'autre barque » qui vint dix jours après nous. Et 
quant au sieur de Poutrincuurt, si-tôt qu'il vit que 
le blé se pouvoit cueillir, il arracha du segle avec la 
racine pour en montrer par-deça la beauté, bonté et 
démesurée hauteur. Il fit aussi des glannes des autres 
sortes de semences, froment, orge, avoine, chanvre 
et autres, à même fin, ce que ceux qui sont allez ci- 
devant au Brésil et à la Floride n'ont point fait. En 
quoy j'ay i. me réjouir d'avoir esté de la partie et des 

37 



606 



578 



HlSTOIRR 



premiers cutteurs de cette terre. Et à ce je me suis 
pieu d'autant plus que je me remcttoy devant les 
ïeux nôtre ancien père Noé, grand Roy, grand Prê- 
607 tre et grand Prophète, de qui le œc- H tîer estoît 
d'estre laboureur et vigneron : et les anciens Capi- 
taines romains Serranus^ qui tut trouvé semant son 
champ lors qu'il fut mandé pour conduire l'armée 
romaine, et Quintas Cincinnatus ^ lequel tout poudreux 
labouroit quatre arpcns de terre à tétc nuë et à este- 
mach découvert quand l'huissier du Sénat lui ap- 
porta les lettres de Dictature : de sorte que cctui 
huissier fut contraint le prier de vouloir se couvrir 
avant que lui déclarer sa charge. M'cstant pieu à cet 
exercice, Dieu a bcni mon petit travail, et ay eu en 
mon jardin d''aussi beau froment qu'il y st^uroit 
avoir en France, duquel ledit sieur de Poutrincourt 
me donna vne glanne quand il l'ut arrivé audit Port 
de Campscasi. 

11 estoit prêt de dire Adieu au Port-Royal, quand 
voici arriver Membcrtou ex sa compagnie, victorieux 
des Armouchiquois. Kt pource que j'ay fait vne 
description de cette guerre en vers franifuis, je n'en 
veux point ici remplir mon papier, estant désireux 
d'abréger plustot que de chercher nouvelle matière. 
A la prière dudil Membertou il demeura encore vn 
jour. Mais ce tut la pitié au partir de voir pleurer ces 
pauvres gens, lesquels on avoït toujours tenus en 
espérance que quelques-vns des nôtres demeureroïent 
auprès deux. Ln fin il leiu- fallut promettre que l'an 
suivant on y envoyeroit des ménages et familles pour 
habiter totalement leur terre, et leur enseigner des 
métiers pour les faire vivre comme nous. En quoy 



DE LA Nottellk-Franck 57<> 

ils se consolèrent aucunement. Il y restoit dix {| b«- 6o9 
riques de &rines qui leur furent baillées avec lea 
blez de nôtre culture, et la possession du mandr^ 
s'ils vouloient en vser. Ce qu'ils n'ont pas fait. Car 
ils ne peuvent estre constans en vne place et vivre 
comme ils font. 

L'onzième d'Aoust, ledit sieur de Poutrincpurt 
paitit lui neufîéme dudit Port-Royal dans vne cha- 
loupe pour venir à Campseau : Chose merveilleuse- 
ment hazardeuse de traverser tant de bayes et mers 
en vn si petit vaisseau chargé de neuf personnes, des 
vivres nécessaires au voyage, et d'assez d'autres ba- 
gages. Estans arrivés au Port du Capitaine Savalot , 
il leur iît tout le bon accueil qu'il lui fut possible^ et 
de là nous vindrent voir audit Campseau, ob nous de- 
meurâmes encore huit jours. 

Le 3. jour de Septembre nous levâmes les ancres, 
et avec beaucoup de diffîcultez sortîmes hors les bri- 
sans qui sont aux environs dudit Campieau, Ce que 
noz mariniers firent avec deux chaloupes qui por- 
toient les ancres bien avant en mer, pour soutenir 
nôtre vaisseau, à fin qu'il n'allât donner contre tes 
rochers. En fin estans en mer on laissa A l'abandon 
Tvne desdites chaloupes, et Tautrc fut tirde dan» le 
lonas, lequel outre nôtre charge portoit cent millier» 
de Morues, que sèches que vertes. Nous eûmes assez 
bon vent jusques à ce que nous approchâmes les 
terres de t*Eun>pe. Mais nous n'avions pas tout le 
boa traitemeat du monde, parce que, c€fmmt'}'siy dit, 
ceux qui noos vindrent qomr, preMimaos que nou» 
fiunons mortt, s'estoient acconuDodez de nos rutra't' 
chisfcments. ; |i No» ooTriers ne beorent pli» de vin 6off 



5So 



Histoire 



6io 



depuis qu'il* nous curent quittés au Port-Royal. Et 
nous n'en avions gueres , par ce que ce qui nous 
abondoit fut beu icyeusement en la compagnie de 
ceux qui nous apportèrent nouvelles de France. 

Le 26. de Septembre nous eûmes en veuè les lies 
de Sorlingues.qui sont à la pointe de Comuailles en 
Angleterre. Et le 28, pensans venir à Saînct-Malo, 
noui fumes contraints de relâcher à Roscoff en la 
basse Bretagne faute de bon vent, où nous demeu- 
râmes deux jours et demi  nous rafraichir. Nous 
avions vn Sauvage qui se Irouvoit assez étonné de 
voir les batimcns, clochers et moulins A vent de 
France, mêmes les femmes qu'il n'avoit onques veu 
vétuës à nôtre mode. De Roscoff nous vinmes avec 
bon vent rendre grâces à Dieu à Sainct-Malo. En 
quoy je ne puis que je ne loue la prévoyante vigi- 
lance de nôtre Maître de navire Nicolas Martin de 
nous avoir si dcxtrement conduit, en vne telle navi- 
gation, et parmi tant d'écueils et capharêes rochers 
dont est remplie la côte d'entre le cap d'Ouessans et 
ledit Sainct-Malo. Que si celui-ci est louable en ce 
qu'il a fait, le Capitaine Foulques ne Test moins de 
nous avoir mené parmi tant de vents contraires en 
des terres inconeuës où ont esté jettez les premiers 
fondemens de la Nouvelle-France. 

Ayans demeuré trois ou quatre jours à Sainct- 
Malo, nous allâmes, le sieur de Poutrtncourt, son Ëls 
et moy, au Mont Saînct-Michel, où nous vîmes les 
Reliques, fors le Bouclier de ce || Sainct Archange. 11 
nous fut dit que le sieur Evéque d'Avranches depuis 
quatre ou cinq ans avoit deffendu de le plus montrer. 
Quant au bâtiment, il mérite d'estre appelle la hui- 



^ 





liérac mcnxille du monde, tant il est beau et grand 
sur la pointe d'vne roche seule au milieu des ondes 
quand la mer est en son plein. Vray est qu'on peut 
dire que la mer n'y vcnoit point quand ledit bâti- 
ment fut fait. Mais je repliqueray, qu'en quelque 
façon que ce soit il est admirable. La plainte qu'il y 
peut avoir en ce regard est que tant de superbes édi- 
fices sont inutils pour le jourd'hui, ainsi qu'en la 
pluspart des Abbales de France. Et à la mienne vo- 
lonté que par les engins de quelque Archimcde ils 
peussent cstre transportés en la Nouvelle-France 
pour y estrc mieux employés au service de Dieu et 
du Roy. Au retour nous vinmes voir la pescheriedes 
huitres à Cancale. 

'Apres avoir séjourné huit jours à Sainct-Malo, 
nous vinmes dans vne barque â Honflcur, od nous 
servit de beaucoup l'expérience du sieur de Poutrin- 
court, lequel voyant que noz conducteurs estoient au 
bout de leur Latin, quand ils se virent entre les îles 
de lerzey et Sart (n'ayans accoutumé de prendre cette 
route, où nous avions esté poussez par vn grand vent 
d'Est-Sucst accompagné de brumes et pluyes), il 
print sa Charte marine en main, et fit le Maître de 
navire, de manière que nous passâmes le Raz-Blan- 
chart (passage dangereux à des petites barques) et 
vinmes fl l'aise suivant la côte de Normandie à Hon- 
Aeur. Dont Dieu soit loûc éternellement. Amtn. 

Il Estans à Paris, ledit sieur de Poutrincourt pré- 
senta au Roy les fruits de la terre d'où il vcnoit, et 
spécialement le blé, froment, segle, orge et avoine, 
comme estant la chose la plus précieuse qu'on puisse 
rapporter de quelque païs que ce soit, H eust esté 



6ii 



IL 



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J 



ItSTOIRE 

bien séant de vouer ces premiers fruits à Dieu, et les 
mettre entre les enseignes de triomphe en quelque 
Eglise, à trop meilleure raison que les premiers Ûo- 
mains, lesquels prescntoicnt à leurs dieux et déesses 
champestres Terminas, Seja et Segesta (ï) les premiers 
fruits de leur culture par les mains de leurs sacrifi- 
cateurs des champs, institu<!s par RomuluSj qui fut le 
premier ordre de la Nouvelle-Rome, lequel avoit 
pour blason vn chapeau d'cpics de blé. 

Le même sieur de Poulrîncourt avoit nourri vne 
douzaine d'Outardes prises au sortir de la coquille, 
lesquelles 11 pensoit faire toutes apporter en France, 
mais il y en a eu cinq de perdues, et les autres cinq 
il les a baillées au Roy, qui en a eu beaucoup de 
contentement, et sont à Fontaine-Belleau. 

Et d'autant que son premier but est d'<îtablir la 
Religion Chrt'Iicnnc en la terre qu'il a pieu à sa Ma- 
jesté lui octroyer, et à icelle amener les pauvres peu- 
ples, lesquels ne désirent auue chose que de se 
conformera nous en tout bien, il a esté d'avis de 
demander la bénédiction du Pape de Rome premier 
Evéqueen l'Eglise, par vne missive faite de ma main 
au temps que j'ay commencé cette histoire, laquelle 
a esté envoyée à sa Saincteté avec lettres de sadile 
Majesté, en Octobre 1608, laquelle comme servant à 
nôtre sujet, j'ay bien voulu coucher ici. 



(1} Pline, liv. iS, ch. 2. 



DE LA NoVVEtLE-pRANCE. 583 




BEAT ISSI MO 

DOMINO NOSTRO 
Pap^ Pavlo V. 

PONTIFICI MaXIHO. 

EATissiME Pater, divinae Veritatis, etverae Di- 
viriitatis oraculo scimus (0 Evangelium regni cœ- 
iorum pradicandum fore in vniverso orbe in îesîimo- 
nium omnibus gentibas, antequam ventât consummatio. Vnde 
(quoniam in suum occasum ruit mundus) Deus his postremis 
lemporibus recordatus misericordise suse suscitavit homines 
fidei Christianse athletas fortissimos vtriusque militiç duces, 
qui zelo propagande Religionis inflammati per multa peri- 
cula Christiani nominis gloriam non solùm in vltimas terras, 
sed in mundos novos (vt ita loquar) deportaverunt. Res 
ardua quidem : sed 

Invia virtuti nulla est tia... 

inquil Poëta quidam vêtus. Ego Ioannes de Biencûvr, 
vulgô De PovTRiNcovR a vitae religionis amator et assertor 

(i) Matth. 24, vers. 34. 



612 



5fl4 Histoire 

perpeiuus, v»trx Beatîtudinis seniis mtnimus, pari (ni tal- 
6i3 lor) animo ductus, vnus ex raulUs devovi || me pro ChrUlo 
et salute populonim ac stivesirium (vt vocani) hominum qui 
Novx Franctx novas terras incolunt : eoque nomine jam 
relinquo populum meum, et domum patris mei, vxoremque 
et liberos periculorum meorum consortes facto, cnemor sci- 
licet quod Abrabamus pater credemium idem fecerit (t^, 
ignoTamquc sibi rcgioncm Deo duce peragrarit, quant pos- 
sessurus esset populus de femore cjus veri Dei, verseque 
religionis cultor. Non equidera pcio lerram auro argentoque 
beatam, non exteras spoliare gcntes mihi est in animo ; Sai 
mihi gratis Dei ;si hanc aliquo modo consequi possim'.' ter- 
raeque mihi Regio dono concessx, ei maris annuus pro ven- 
tus, dummodo populos lucrifaciam Christo. Messis qaideni 
multa, operarii pauci (2). Qui enim splendide vivum, au- 
nimque sibi congerere curant hoc opus negliguni , sciltcet 
hoc sjeculum plus sequo diligemes. Quibus verô res est an- 
gusia domi tanix rei molem suscipere nequeum^ et buic 
oneri ferendo cenè suni impares. Quid igiiur? An deseren- 
dum negotium verè Christianum et plané divinum? Ergo 
frustra sex jam ab annîs tôt sustlnuimus labores, tôt evasi- 
mus pcrtcula, tôt vicimus (dum ista mcditamur) aiûmi per- 
turbaliones? Minime vei6. Cum enim UmenUbus Deum omnia 
a>operentar in bonum (j), non est dubium quîn Oeus, pro 



(i) Gènes, la. 

(a) Mauh. 9, vers. J7. 

{}) Rom. 8, vers. 28. 




cujus gloria Her- [] culeum istud opus aggrcdiraur, adspirét 614 
volis noslris, qui quondara populum suum isrâetem portavît 
super atas a^uilarum (. t )i ^^ perduxit in terrain mdle el lacté 
fluentem. Mac spe fretus, quïcquid est tnihi se\i {aculiaiDni, 
seu corporis vel animi virium, In rc tam nobîli libenteret 
alacri animo expcndcrc non vcrcor, hoc prssertini tempore 
quo silcnt arma, ncc datur vînuu suo fungi munere, nisi si 
in Turcas raucrones nosiros convcrlcrirous. Scd est quod 
viilius pro re Chrisiiana faciamus. si populos islos laiissimè 
patentes in Occidcnuli pldga ad Dei cognilionem adducere 
conemur. Non cnim armorum vi sunt ad religionctn cogcndi. 
Verbo tantùm et doctrina est opus, juncta bonorum morum 
disciplina : quibus ârtibus olim Apostoli, sequenlîbus signis, 
maximam hominum partem sibi, Deoque, et Christo ejus 
concilia vcrunt : itaque vemcn extiiii illud quod scriplum 
est : Popuiiis quem non cognovi servivit miliL, m atiditu aarn 
obedivit mihi, etc. Filii alim menuti suni mihi, etc. (2). Filii 
quidem alieni sunt populi Orientales jam à fide Christiana 
alienij in quos prop!etea torqueri potesi illud Evangeiii quod 
jam adimpletum videmus : Aaferetur à vùbi regntim Dei, et 
dabitur genîi facienti Jructas ejus (j). Nunc auiem ecce tem- 
pus acccptabile, ecce nunc dies salutîs, qua Dcus vîsilabit 
et faciet rcderoplionem J plebis suœ, et populus qui eum 61 5 
non cognovit serviet ipsi, sed et în auditu auris obediel, si 



(1) Exod. 19, vers. 4. 
(2j Psalm. 17, vers. 41. 
[}) MaUh. 21, ttn. 4). 



17- 




586 Histoire DE la Novvelliî-France. 

me indignum servum tanti tnuneris ducem esse patiator. 
Qua in re Beatiiudinis vestrée chariiaiem per viscera mUeri- 
cordioc Dei nostri deprecor^ auctoritatem ùnploro , adjuro 
sanctitatcm, vL mibî ad illud opus janijam properami, vxori 
charissimse, ac Uberis ; necnon domeslicis, sociïsque meis, 
vestram benedictionem impertiri dignemini, quara ccrta fide 
credo nobis plurimuni ad saluiera non solùm corporis, sed 
etiam animae, addo et ad lerne nosirae vbeitatem et proposiii 
nostri feticitatem, profutunim. Faxît Deus Optimus Maxi- 
raus j Faxit Dominus noster cl Salvator lesus Christus, Faxiî 
vnà et Spiriîus sanctus, vi in altissima Princîpis Apostolo- 
rum puppi sedentes per multa saecula Ecclesi^ sanclae 
clavura tenere possitis, ei in diebus vestris (quae vestra sanè 
maxima gloria est) illud adimpletum videre quod de Christo 
à sancto Propheta vaticinalum est : Adorabunt eam onuiet 
Régies urrt : omnes génies serviciu ei (i). 

Vestrx Bcatiladinis filins huraiilimut 
»c devotissimus, 

JOANNES DE BlENCOVB. 



(i) Psalm. 71, vers 11. 



FAR», tHPMHKRlB JQUAUST, RUB SAlNT^OHORl, }j8. 



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