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Full text of "Histoire de la nouvelle hérésie du XIX siècle : ou, Réfutation complète des ouvrages de l'Abbé de La Mennais"

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V 


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HISTOIRE 


DE 


LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE 


DU  XIX«  SIÈCLE. 


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IMPRIMERIE  DE   P.    BAUDOUIlf , 

RTF.   KT   HÔTEL  MICKOIf ,  2. 


HISTOffiE 


DE  LÀ 


nrOUYELLE  HÉRÉSIE 

DU  XEL«  SIÈCLE, 


or 


RÉFUTATION  COBEPLÉTE 

DES    OUVRAGES  DE   l'aBBÉ   DE   LA   MENNAIS^ 

PAR  Rf.-N.-S.  6UILL0N, 

PROFESSEUR  D^ÉLOQUENCE  SAC&SE  À  LA  FACUlTi  DE  THBOLOGIR  DE  PAEIf . 


TOME    PREMIER. 


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1  -  ■      -,  ^ '-y 


PAUI.  BEÉQUIONON  JR*  C%  UBRAZBS8-JÉBITJB1IB8 , 

BUE  DES  9AINTS-P£RES  ,    16; 

LOUIS   MARTIN  y    ÉDITEUR,    RUE   laONON ,    S. 

1835. 


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DISCOURS  PRÉLIMINAIRE. 


La  divine  Providence  avait  résolu  de 
mettre  à  1  épreuve  la  foi  du  sacerdoce  fran- 
çais. La  révolution  dé  1790  lui  fut  envoyée 
comme  un  ouragan  terrible.  La  persécution 
déploya  toutes  ses  fureurs.  La  même  Pro- 
vidence en  avait  marqué  le  terme.  Les 
miracles  de  la  primitive  Eglise  se  renou* 
volèrent  ;  le  sang  des  martyrs  demanda 
grâce  :  la  France  fut  sauvée.   . 

La  patrie  avait  eu ,  durant  une  longue 

suite  d'années  ,  à  déplorer  Tabsence  de  sa 
Te  I»  a 


II  DISCOUIIS 

monarchie  et  de  son  sacerdoce  ,   lorsque  , 
contre  toute  espérance,  un  homme  puissant 
en  œuvres  reçut  du  ciel  la  mission  de  re- 
lever son  trône  et  ses  autels ,   de  rétablir 
l'harmonie  entre  touâ  les  principes  qui  gou- 
vernent les  hommes  ,  et  de  replacer  la  so- 
ciété ïtir  tes  bases  bMvreltea^  Aprèi;  avoir 
mis  fin  a  la  révolution  de  1790,  enchaîné 
la  république  ci  Tanarchie ,  conquis  le  trône 
par  son   génie   et  ses  victoires ,    cicatrisé 
les  plaies  de  l'état ,   créé  une  législation  , 
reculé  et  affermi  les  limites  de  l'Empire  , 
tH  côhlmandé  it  l'Europe  entière  en  Souve- 
râhi ,  Napoléoii  tôulut»  jornidre  k  tous  set 
titres  de  glbiré  celai  de  {lacifîiïaleiic   de 
TËglise ,  eti  rendant  k  la  France  sa  religîoiRf 
s6i^  "épîscôpat  et  son  sacerdoce.  Soa  géûjie 

■  - 

férine  ,  é\e\é  j  accoutumé  à  triompiher  de 
t^tftcs  les  résistances ,  atait  reconnii  qu'il 
gavait  uii  empire  supérieur  k  ceini  qu'il 
venait  de  fonder  par  les  plus  étonnantes 
vtetoin^es.  Le  Concordat  de  4804  fit  centrer 


^ 


PREUHIMAJA^.  Ili, 

s^u  sein  de  la  patrie  et  rendit  aux  tbnctip^;^. 
du  saint  ministère  les  prêtres  que  lalem- 
pete  avait  dispersés.  La  paix  fut  donnée  k 
TEglise  i  Tonction  sacrée ,  imprimée  pai^| 
les  mains  4^1  Souverain  Pontife  sur  la  tête, 
de  Napoléon ,  en  fut  le  sceau.  Le  schismCi 
qu'avait  enfanté  .la  constitution   civile  du 

■  * 

clergé  i^'inquiéta  plus  les  consciences;  Routes 
les  dissidences  reli2;ieusesj5'anéantirent  dans 

■  ■    ' 

la  recounai^ance  universelle  de  l'autorité: 
du  Siège  apostolique.  En  même  tcmps^toutesi 
les  ruines  se  remuaient  a  la  fois  j  l'antique 
édifice  se  relevait;   la  i^eligion  qu'^.vaienl, 
illustrée  les  Denis ,  les  Hilajire  dç  Poiti^jr^^ 
les  Germain   d'Âuxerre   et  de   Paris,  le^. 
Hennuyer  et  le§  Bçlzunçe  ,  lesFénelon,  le»! 
Bossuet  Qt  les  Laluzerne ,:  ne  comptait  plu9 1, 
a  dit  un  des  orateurs  dq  l'époque  |  d'ep- 
nemis  parmi  les  bons  et  les  sages  (4).  Elle, 

(1)  Discours  sur  le  Concordât',  pronônce'Sânsraé- 
lëiftlité«  dè0Mêtkâs'dlu:'tt.lMiiie^le  ilî^ ^va6fM 
un  X,  paç  1^1  Caçipp  d/d  Nys^ï-P^ 3S,  ;, 


IV  DISCOURS 

fut  proclamée  la  religion  de  la  majorité  du 
peuple  français  ;  c'était  la  simple  énoncia- 
tion  d'un  fait  public^  incontestable,  au- 
devant  duquel  s'arrêtaient  d'elles-même^ 
toutes  les  inductions  de  l'esprit  de  parti. 
La  reconnaissance ,  l'admiration ,  mieux 
encore  ,  la  conscience  du  devoir ,  unissaient 
tous  les  esprits  et  toutes  les  âmes  dans  un 
commun  sentiment  d'amour  de  la  paix,  d'ou« 
bli  du  passé.  Mais  les  jours  de  l'Empire 
avaient  été  comptés.  L'instrument  dont  la 
Providence  s'était  servi  pour  opérer  tant 
de  merveilles  fut  brisé  par  elle  seule.  La 
journée  de  \^alerloo  expia  l'abus  que  Na- 
poléon avait  fait  de  sa  puissance  ,  et  ne 
laissa  au  possesseur  de  tant  de  royaumes 
que  son  rocher  de  Sainte-Hélène  et  la  mé- 
moire impérissable  de  ses  grandes  actions. 
Louis  XVIII ,  ramené  sur  le  trône  de  ses 
pères  par  une  main  invisible ,  fut  enlevé 
trop.tot  à  la  Restauration.  Ne  jugeons  point 
celui  qui  lui  s'uècéda.  Pour  nous ,  le  malheur 


PRÉtlMINAIBE.  V 

est  sacré.  Sous  ce  règne ,  que  la  tempête 
de  1850  a  emporté  en  un  moment ,  il  n'y  a 
qu'un  événement  en  effet  mémorable  :  c'est 
la  prodigieuse  accélération  du  mouvement 
religieux  dans  toutes  les  classes  de  la  société. 
Le  feu  rallumé  par  les  mains  de  Napoléon 
avait  pris  les  plus  heureux  accroissemens  , 
et  partout;  le  zèle  des  ministres  du  sanctuaire 
était  puissamment  secondé  par  la  ferveur 
des  peuples  et  les  efforls  des  gens  de  bien. 
C'était  la  un  phénomène  bien  digne  de  fixer 
l'attention  de  l'homme  d'état  et  du  législa- 
teur; il  n'échappa  point  a  la  sagacité  de 
l'un  de  nos  publicistes  les  plus  profonds. 
M.  le  vicomte  de  Bonald ,  dans  une  opinion 
prononcée  a  la  Chambre  des  Pairs,  et  rendue 
publique  en  1825,  en  faisait  l'authentique 
déclaration.  Une  année  ne  s'était  pas  écou- 
lée ,  qu'un  écrivain  déjà  célèbre  protestait 
solennellement  contre  cette  assertion,  et 
domialt  aux  espérances  du  noble  pair  le 
démenti  le  plus  explicite  par  ces  paroles  : 


>  Vl  DISCOURS 

«  Après  trois  siècles  d'hérésie  et  près  d*un 

t 

if  siëde  dlncrédulité  ,  la  société  changea 
ff  de  nature,  et  cela  nécessairement...  Qii*est- 
V  elle  aujourd'hui  en  France?  quel  genre  de 
•f  gouvernement  a  remplacé  la  monarchie 
*  chrétienne?  La  prétendue  Réforme  du  sei- 
•r  zième  siècle  avait  ébranlé  le  système  po- 
«  litique  :  partout  où  elle  s'établit,  on  vit 
«  naître  aussitôt  le  despotisme  ou  Fanar- 

«f  cîiie La  révolution  française  (de  1790) 

«f  n'avait  été  qu'une  application  rlgoureuse- 
«  ment  exacte  des  dernières  conséquences 
(t  du  Protestantisme  .qui  enfanta  la  philoso- 
«  phle  du  dix-huitième  siècle.  Chacun  dés- 
ir lors  ne  dépendant  plus  que  de  soi-même, 
•f  dut  jouir  d*une  pleine  souveraineté  ,  dut 
If  être  son  maître ,  son  roi ,  son  dieu.  Tous 
ff  les  liens  qui  unissent  les  hommes  entre 
<f  eux  et  avec  leur  auteur  étant  ainsi  brisés, 
ff  il  ne  resta  plus  pour  rel  g'bn  que  l'a- 
ff  théisme,  et  que  l'anarchie  pour  société, 
ir  Les  afti^usês  j^Poscripkions  qui  ensânglaiï- 


PAELIMDIAIBE.  VU 

«  tèrent  la  FrancQ  à  cette  époque  de  crime, 
<r  révélèrent  tout  ce  qu'il  y  avait  au  tond 
9  des  doctrine^  philosophiques.  Le  meurtre 
«  s'arrêta  ;  mais  les  doctrines  restèrent ,  elles 
«  n*ont  pas  un  moment  cessé  de  régner  ; 
«  elleç  deviennent  chaque  jour  une  espèce 
«  dé  syinhole  national,  consacré  parles  insti- 
<r  tutions  publiques ,  et  révéré  de  ceux 
«f  mAmes  qui  l'avaieut  combattu  (1).  »  . 

Une  accusation  aussi  grave ^  qui  frappait 
non-seulement  l'époque  qu'elle  signale,  mais 
embrassait  toute  la  période  qui  l'a  suivie  , 
méritait,  certes,  dit  l'auteur,  d'être  exami- 
née de  près ,  et  devait  servir  k  résoudre  bien 
des  questions  (2).  Elle  avait  de  quoi  étonner 
au  qioins  par  la  singularité  du  contraste  avec 
tout  ce  qui  se  passait  alors  autour  de  nous. 
La  France ,  rentrée  paisiblement  en  pos- 

(1)  La  Rfiligion  considérée  dms  ses  rapports  avec 
V^fàre  eif>il  ei  poliHqU^,  ï  veî.  W  8*.  Pwît .  iW6, 
p,  i?,48,49. 

<2)/ôiJ.,p.  19.  , 


Vm  DISCOUBS 

session  de  sa  foi  antique ,  sous  les  trois  règnes 
que  nous  avons  vus ,  sa  vieille  constitution 
rajeunie  par  le  bienfait  d'une  liberté  légale; 
sa  religion ,  naguère  poursuivie  de  cachots 
en  cachots  ,  retrempée  dans  le  sang  de  ses 
martyrs ,  se  produisant  au  grand  jour  pour 
bénir  et  pardonner  ;  son  Eglise  remplaçant 
par  des  vertus  dignes  des  temps  apostoliques , 
des  prérogatives  mondaines  qui  ne  furent 
jamais  sa  véritable  richesse ,  et  faisant  re- 
tentir incessamment  sous  les  voûtes  de  nos 
temples  l'hymne  de  l'unité  catholique  :  qu'y 
avait-il  la  qui  ressemblât  au  schisme  et  à 
l'athéisme? 

Pour  motiver  de  pareilles  accusations ,  il 
fallait  insinuer  d'abord ,  puis  déclarer  ou- 
vertement que  la  plaie  dont  la  société  chré- 
tienne était  travaillée  ,  toujours  également 
vive  et  profonde ,  ne  cessait  de  dévorer  len- 
tement ses  entrailles  ,  et  la  menait  à  une 
dissolution  inévitale  et  prochaine  ;  «  qu'à 
<r  l'agitation ,  à  la  fièvre  dont  le  siècle  pré* 


mEtniiNAïu.  tx 

tr  cèdent  avait  été  travaillé  ,  succédait  une 
n  léthargique  indifférence.  Plus  de  conlen* 
<  tiens ,  plus  de  querelles  :  on  dirait  une 
«  parfaite  paix  :  paix  lugubre ,  paix  déso* 
cr  lante ,  paix  mille  fois  plus  destructive  que 
ir  la  guerre  qui  l'a  précédée  :  c'était  le  calme 
<r  et  le  silence  de  la  mort  (1).  » 

Le  reproche  ne  s'adresse  pas  seulement 
à  la  Réforme  protestante ,  ni  à  Imcrédulité 
philosophique,  qui,  du  moins  alors,  n'avaient 
rien  de  redoutable;  il  s'étend  a  toutes  les 
classes  de  la  société,  sans  excepter  même  le 
sanctuaire  dégénéréj  corrompu  (  ne  cessera* 
t^n  de  nous  dire)  par  les  doctrines  du 
schisme  et  de  l'athéisme,  à  la  suite  desquels 
marcha  toujours  Tindifférence,  lèpre  conta-* 
gieuse,  sommeil  volontaire  de  l'âme,  en- 
gourdissement universel  des  facultés  mora* 
les,  privation  absolue  d'idées  sur  ce  qu'il 
importe  le  plus  à  1  homme  de  connaître. 

(1)  E8$ai  aur  VIndif,  mtrod.,  p*  24,  25. 


DiSCOUBS 


lie  tout  tèmpà,  les  Proplièteâ  dé  TàndéÀiié 
et  dé  la  nouvelle  Eglise,  nos  saints  Dôétetirs 
et  les  Prédicateurs  dé  communions  diverses 
ont  loriné  contre  lés  désordres  publiés  et 
p^vés/rëpânaus  au  sêiri  de  la  §ôciëlé;  léui* 
kh\è  n'épargna  jamais  la  liédèftp  et  l'indo- 
lence dans  le  service  de  la  i'élîgfoti.  S*expri- 
jfnâiênt-ils  avec  cet  emportement^  et  por- 
tàicnt-ils  si  loin  les  consiéqiiences  du  mal 
Qu'ils  déploraient,  eût-il  été  mtaujt  prouvé? 

Quoi  qu'il  éii  feoît ,  l'œilvre  de  la  Restau- 
i*àtion  n'était  rien  moins  que  complète  ;  k 
^eïne  était-elle  ébauchée.  Au  milieu  du  lé- 
thargique engourdissement  où  l'Europe  en- 
tière était  plongée,  on  venait  lui  apprendre 
^é  la  régénération  du  Catholicisme  était 
néceâsaii'é;  qu'elle  était  invoquée  par  tous 
lés  vœux  comme  par  tous  les  besoins;  qu'une 
sainte  ligue  s'était  organisée  depuis  quinze 
ans  pour  lui  rendre ,  sons  lïne  fdtmfe  nou- 
velle et  avec  des  progrès  nouveaux,  la  force 
et  la  vie  qui  Tavaient  abandonné,  et  rame- 


F-      ^  k^ 


FREtlMINAtEE.  XI 

taër  enfin  pafmi  nous ,  aprës  une  longue 
éclipsé  de  quatre  siècles ,  la  vérité  partout 
tûécôrtnue  ou  négfigée  ;  que  la  eWilisalion 
européenne,  Tœuvre  du  Cliristianisme  et  dé 
ses  Pontifes,  entravée  constamment  parlé 
despotisme  des  princes  et  Vabjccle  servilité 
des  peuples,  devait  être  ramenée  a  ses  anti- 
ques élemens,  a  savoir  :  l'unité  absolue  dans 
Tordre  religieux  et  politique  ;  que  le  Chris- 
tianisine ,  qui  avait  rallié  tous  les  peuples 
soiis  la  bannière  de  la  liberté,  «r  après  avoir 
«  Ibng-lemps  conservé  la  souveraineté,  avait 
«  éédé  à  la  fiii  k  l'opinion  qu'il  élait  pôssi-^ 
«  ble  d*e ri  conserver  lès  bienfaits  en  cessant 
•r  d*ôtre  clirétîeni*d*oîi  Ton  avait  pris  occa- 
i  ^iôh  de  nier  même  ces  bienfaits,  et  d*ac- 
«  cuser  le  Sauveur  des  hommes  de  tous 
•r  ieé  maili  de  lliunàanité  ;  qu*à  ce  moment 
«  Dieu  s'étuit  trouvé  comme  embarrasse',  et 
«  que,  pour  châtier  ces  générations  superbes, 
^  il  8'étàii  retiré  du  Biiiiieu  d'elles,  et  les 
«  aVâît  laissées  À^égarèr  dans  leur  tiéant. 


Xn  DISCOVBS 

•r  lorsque,  contraint  de  respecter  sa  parole j, 
ir  Dieu  prit  un  autre  moyen  de  s'absenter, 
«(  autant  qu'il  était  possible,  d'une  société 
¥  qui  le  méconnaissait,  en  accordant  à  ses 
«  ennemis  de  prévaloir  eux  et  leurs  princi- 
ir  pes  dans  le  gouvernement  des  aflfaires  hu- 
i<  maines  (i).  »  De  lu  ces  doctrines  bâtardes 
qui  ont  dominé  et  dominent  encore  dans  le 
sanctuaire,  où  elles  entretiennent  les  poi- 
sons du  schisme  et  de  l'athéisme  \  de  la,  sous 
le  nom  de  protection  donnée  a  l'Eglise ,  la 
persécution  hypocrite ,  la  plus  dangereuse 
de  toutes,  sous  laquelle  l'Eglise  gémissait  et 
gémira  toujours,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit 
affranchie  par  une  séps^ation  totale  avec 
l'état.  Heureux  jour,  s'écrie  dans  un  ouvrage 
tout  récent  un  de  nos  modernes  Kéforma- 
leurs,  heureux  jour  où  les  peuples  et  les 
rois,  reconnaissant  leurs  erreurs,  rebâti- 


(4)  M.  Lacordaîre,  Considérations  sur  le  Sy$t.  ds 
M.deLaMennais,  p.  21-25.  (1  vol.  in-Ss  1834,) 


pftiumiiAnuE.  x^, 

ront  ensemble  Jérusalem  démolie  (1)!» 
En  même  temps  que  les  vrais  principes 
cle  la  hiérarchie  et  de  la  discipline  de  TE- 
glise  étaient  universellement  méconnus,  ceux 
de  laThéologic  et  de  laPhilosophie  catholique 
n^étaient  pas  plus  respectés;  c'est  ce  qu'affir* 
ment  de  concert  tous  les  adeptes  de  la  nouvelle 
école  :  aussi  se  croit-elle  destinée  à  recréer 
l'intelligence  humaine.  Selon  elle,  il  n'exis- 
tait  point  encore  pour  FEglise  de  philoso- 
phie catholiqu^e;  ses  Docteurs,  réputés  jus- 
qu'ici les  oracles  de  la  Théologie,  en  avaient 
tous  profondément  altéré  l'enseignement  : 
ff  Les  preuves  employées  d'ordinaire  par  les 
tr  Apologistes  de  la  Religion  chrétienne  pour 
«r  établir  l'existence  de  Dieu  et  la  vérité  du 
«  Christianisme  sont  incomplètes  par  faute 
<r  du   premier  principe   auquel  elles   s'at- 
«  tachent  ;  elles  portent  sur  une  supposi- 

r 

«  tion  très -fausse  et  destructive  de  toute 
«r  vérité;  avec  elles,  on   est   conduit  pas 

(1)  M,  Lacordaire  ,  ConêidêrtU.,  p.  23» 


XI\  DISCOURS 

«  à  pas  jusqu'au  scepticisiQC  universel  (1).  » 
N'y  aura-t-il  pas  du  moins  quelque  excep- 
tion en  faveur  de  saint  Thpnias  d'Aquin, 
par  exemple,  à  qui  Tassentiment  de  tous  les 
siècles  chrétiens  a  décerné  le  surnom  d'Ans;é 
de  l'école,  et  que  ses  immenses  travaux  sur 
toutes  les  parties  de  la  science  tliéologique 
reçommpndept  si  éminemment  a  la  véné- 
ration  publique  ?  N'y  en  aura-t-il  pas  pour 
cet  év-cque  d'Hippone,  regardé  comme  le 

-«ri»  •  ■  ' 

j        ■  ■ 

représentant  de  TEglise  universelle,  et  pour 
-•■..■' 
Bossuety  compté  dç  son  vivant  au  rang  des 

Pères  de  î'EgiisçîNon.  Le  premier  n'a  laissé 

sur  l'essence  de  la  loi,  sur  son  principe,  son 

objet  et  ses    caractères,  sur  la  certitude 

"■     ■  .'■  ■    i  »   '.^  ■'.     ''■■•■., 

qu'une  théorie  vague ^  obscure,  iriinteMigi- 

.r-  '  '.s      '     '   '  '    .<    ,      •.      ■■     ■  "   . 

blej  le  second,  ils  le  citent,  mais  en  le  dé- 

naturant,  soit  par  des  traductions  infidèles, 
soit  par  des  inductions  arbitraires ,  contrai- 
res à  sa  doctrine  (2)j  le  troisième,  ils  llm- 

.  *  ■  *         •        '  ■ 

(2)   Voyesi  les  preuves  qu'en  donnent  MM.  Roza- 


( 

t 


PRELIUDIAmE.  XV 

inolçnt  au  ininis(rç  Claiulc;  et  l'un  d'euf 
regrette  mo4esleroenl  de  n'avoir  pu  diclejr 
au  grand  évêque  de  Meaux  les  réponses  qu'il 
avait  a  opposçr  f^ux  diiÇcultés  de  son  adve|v> 

saice,  danssarauieuseConfc^rence  aYeclui(^^. 

■'■•'     ■.-■.■' 

Egalement  pré^opfiptiieux,  çt  lgrs(|u'ils  dé* 

•  ■  ■ 

truisent,  e^  loi:squ'ils  codifient ,  ils  rejettent 
Tense^ement  i^naniinç    des   sièclQ^  pour 

IV,..  .    ,  ■  ^.     •»■ 

courir  au  .hasard  aprè$  d,es  fantômes  qu'ili 
se  son(  faits.  Pour  bâtir  leur  sysl^iue  de 
Théologie  et.de  Philosophie ,  ils  bcouiUjBnt 
ou  amalfi^ament  indi£fércmmçnt  les  ques- 
tions  qui  sont  dja  ressQ|*t  de  Tune  et  de  l'au- 
tre,  confondent  la  foi  dlvi^  et  la  foi  hu- 

m;aine,  l'incertilude  avec  rînfaiUlbUUé  «  le 

•  ■    '    *      ■.*... 

principe  de  la  foi  avec  a.a  règle ,  l'acte  de 

•  ■         ■       *  ■   ^.» 

rentendemç;iit  avec  l'acte  de  la  volonté.  Us 
s'inscrip.ont  ei)  fauxcoi^tre  révidence.meront 

Tén  et  Boy er,  lé  premier,  p.  fOO,  IQS,  lïl,  irî, 
1£^,  lâài  Ctû.;  leiei^ftids  ehJ  ym^  p.  AM  etJêsiJmK 

(j)  M.  Rozaven,  Ewamen ,  chap.  viii,  p.  428  et 
•uiv.,  et  4S&   "     ■ 


XVI  DlSCOtHS 

les  droits  de  la  raison,  et  les  remplacent  par 
leur  chimère  de  Raison  générale  ou  commun 
consentement,  a  qui  ils  prêtent  une  autorité 
égale  à  celle  de  l'église  catholique.  Ils  pro* 
clament  infaillible  le  genre  humain,  et  fon- 
dant toute  la  défense  du  Giristianisme  sur 
cette  prétendue  infaillibilité,  ils  se  vante- 
ront  d'avoir  trouvé  enfin  le  leuier  seul  capa- 
ble d'arracher  l'Eglise  à  ses  ruines,  et  là 
société  a  sa  mortelle  indifférence  (i). 

Quelle  puissante  voix  appellera  la  lumière 
au  sein  du  chaos  où  toutes  les  intelligences 
restent  ensevelies?  Ce  profond  assoupisse- 
ment où  dort  l'Europe  entière ,  qui  l'en  ti- 
rera ?  Qui  soufflera  sur  ces  ossemens  arides 
pour  les  ranimer  (2)  ? 

■ 

Un  homme  s^est  rencontré  d^un  rare  ta-* 
lent  fêcondé  par  la  lecture  du  philosophe 
de, Genève  et  de  notre  grand  évêque  de 
Meaux ,  quelquefois  comparable  a  l'un  par 

(\)  M.  Lacordaire  ,  Considérai,,  p.  15^ 
(2)  Eêêaiiur  Vlniiffêr. /miroà.,^.  1, 


PRÉLIHINAmE.  XVII 

son  insidieuse  logique,  a  l'autre,  par  sa  ner- 
veuse éloquence;  novateur  hardi ,  écrivain 
disert ,  élégant  si  Ton  veut ,  mais  bien  loin 
de  seà  modèles;  plus  jaloux  de  célébrité  que 
de  solide  gloire;  maniant  avec  une  égale 
souplesse  le  sarcasme  et  l'argumentation; 
outrant  tous  les  principes;  indiflférent  sur 
les  conséquences  ;  se  jouant  des  traditions 
les  plus  révérées  et  des  renommées  les  plus 
imposantes. 

Les  premiers  écrits  de  M.  l'abbé  de  La 
Mennais  avaient  fixé  sur  sa  personne  les 
regards  publics.  Brillant  météore,  il  s'éle- 
vait du  sein  de  nos  tempêtes  politiques ,  et 
la  religion  conçut  quelques  espérances.  Il 
avait  cru  découvrir  dans  les  ravages  de  la 
philosophie  moderne  unie  au  protestan- 
tisme ,  les  causes  de  V indifférence  répandue 
dans  toutes  les  classes  de  la  société  :  elle 
devenait  dans  ses  principes  le  châtiment  de 
cette  intempérance  de  Uberté  dont  les  no 

vateurs  du  xv®  siècle  avaient  fait  leur  évan  : 
T,  I.  h 


gile.  Aujourd'hui,  changeant  de  langage, 
dévoué  déformai»  à  la  défense  de  cette 
même  liberté,  non-seulement  il  pardonne  à 
ses  écarta  ^  il  les  provoque ,  il  les  canonise , 
en  irrite  les  emportemena.  L'ardeur  de  son 
zèle  n'a  pas  assez  des  flots  de  sang  qui  inon- 
dent les  plaines  de  la  Belgique  et  de  la  Po- 
logne (i  )  ;  c'est  le  monde  tout  entier  qu'il 
^  demande  pour  holocauste,  heureux  d'ache- 
ter k  ce  prix  les  triomphes  qu'il  promet  a 
sa  nouvelle  divinité.  Chaque  jour»  se  con- 
fondant avec  la  dernière  lie  des  folliculaires 
du  moment,  s'affiliant  avec  tous  les  entre* 
preneurs  de  secte  et  d'utopie  dans  son  jour- 
nal de  VAi^nir^  il  agite  le  tocsin  de  la  ré- 
volte ,  verse  le  mensonge  et  l'outrage  sur 
nos  institutions  les  plus  chères;  arme  ses 
Séïdes  des  poignards  de  la  Ugue ,  insulte  k 

(1)  Ce  portrait  du  célèbre  écrivain  fut  composé 
en  1831 ,  peu  ajirès  la  publication  des  premiers  nu- 
méros de  son  journal  l'Avenir,  Voyez  la  note  de  la 
page  xxiu  cirâprès. 


PlUtaLnBlAlRE.  HZ 

lllpifleopal,  et  traîne  notre  Eglisede  France 
aux  GréiAfiies. 

Peu  lui  importe  de  contredire  et  l'Evan- 
gile et  l'histoire  et  les  monumens.  Aspirant 
à  se  faire  chef  de  secte  ^  il  n'y  a  que  trop 
bien  réussit  A  Dieu  seul  appartient  de  ju- 
ger quelles  intentions  onl  dirigé  sa  plume  : 
le  siècle  présent  est  témoi]\  des  résultats 
qu'il  a  déjà  obtenus.  Une  jeunesse  ardente 
et  toute  novice  dans  la  science  de  la  Reli- 
^on,  s'est  précipitée  sous  la  bannière  du 
nouveau  prophète ,  se  croyant  tout  savoir, 
quand  elle  avait  peine  k  le  comprendre  (1). 
Entraînée  par  lui  des  mystères  de  la  méta- 
physique dans  les  champs  de  la  polémique  » 

« 

elle  a  juré  sur  la  foi  du  maître  et  formé  au- 
tour de  lui  une  phalange  redoutable.  L'ad- 

(1)  «  Je  crus  comprendre  sa  philosophie ,  quoi- 
«  que  je  ne  la  comprisse  pas  du  tout ,  comme  je  m^en 
«  sois. aperçu  un  peu  plus  tard.  »  M.  Tabbé  Lacor* 
daire ,  Cansidér,  sur  le  Syst.  de  M,  de  La  MennaiSj 
p.  160.  (Paris,  1834.)  M.  de  La  Mennais  s'est  tou- 
jours plaint  cpoiMn  ne  Pavait  pas  compris. 


XX  .  DISCOURS 

^  f 

miration  qu'elle  lui  a  vouée  ne  s'est  pas 
bornée  à  l'éloge  de  son  talent  :  eïÊ  Fa  pré- 
senté comme  un  nouvel  Atlianase ,  luttant 
de  toutes  les  forces  de  son  génie  et  de  son 
caractère  contre  l'apostasie  du  siècle  ;  mais 
saint  Athanase ,  toujours  conséquent  k  lui- 
même  ,  ne  se  rencontrait  pas  sous  les  éten- 
dards de  Julien ,  mêlé  avec  les  ennemis  du 
Christianisme,  pour  battre  des  mains  aux 
fêtes  des'Euménides. 

S'il  n'y  avait  là  qu'une  question  de  poli- 
tique, que  des  opinions,  et  non  pas  des 
doctrines,  nous  garderions  le  silence,  et 
nous  abandonnerions  à  d'autres  des  discus- 
sions que  tant  d'excellens  écrits  publiés  sur 
ces  matières  rendent  inutiles  ;  mais  ici ,  la 
cause  de  la  Religion  est  liée  à  celle  de  la 
Patrie,  l'intérêt  de  l'ordre  sacerdotal  à  celui 
de  Tordre  social  tout  entier.  Les  événemens 
qui  nous  pressent  réagissent  inévitablement 
sur  un  long  avenir.  La  foi  des  peuples  ébran- 
lée chancelle  de  toutes  parts.  Un  nouvel 


PllEUMINÂIlŒ.  XXI 

Evangile  est  proclamé  dans  les  livres  desti- 
nés a  rinstruction  d'une  jeunesse  que  tour- 
mente le  besoin  insatiable  de  nouveautés. 
Nos  sacrés  oracles  sont  méconnus ,  la  voix 
des  Sages  repoussée  par  les  sarcasmes  d'une 
orgueilleuse  ignorance.  Livrée  à  l'anarchie 
des  opinions ,  la  société  chrétienne  parmi 
nous  semble  n'être  plus  qu'un  foy^r  oii  fer- 
mente une  vaste  conspiration  contre  l'œuvre 
du  Seigneur. 

Si  les  dépositaires  de  l'autorité  civile  sont 
intéressés  à  l'examen  des  doctrines  sédi- 
tieuses qui  sont  venues  envahir  le  domaine 
de  la  foi  antique ,  si  c'est  pour  les  magistrats 
eux-mêmes  un  rigoureux  devoir  de  bien 
connaître  l'esprit  qui  les  anime  et  les  pro- 
page ,  d'en  calculer  l'influence ,  d'en  préve- 
nir les  funestes  conséquences  sur  tout  l'ordre 
public ,  les  Ministres  de  la  Religion  pour- 
raient-ils voir  d'un  œil  indifférent  les  dan- 
gers dont  elles  menacent  le  Sanctuaire?  C'est 
à  eux  spécialement  que  s'adresse  cet  écrit. 


UUn  DttCOOBS 

Il  faudrait  assurément  n'être  ni  Français 
ni  Chrétien,  pour  s'abuser  sur  les  consé- 
quences d'un  système  qui  bouleverse  la 
hiérarchie,  détruit  la  discipline  antique, 
viole  dans  son  essence  la  constitution  don^ 
née  à  l'Eglise  par  son  divin  fondateur, 
attaque  les  fondemens  de  toute  autorité 
civile  et  religieuse.  C'était  là  le  venin  ca- 
ché dans  son  premier  ouvrage  sur  l'indiffé- 
rence. Les  bons  esprits  ne  s'y  laissèrent  pas 
tvomper,  et  ne  craignirent  pas  de  mani- 
fester leurs  défiances.  La  Religion  d'im  l)ieu 
qui  est  vérité  et  charité,  pouvait-elle  se 
défendre  par  des  paradoxes  «t  piur  le  \kvk* 
gage  du  mépris  et  de  la  colère?  Etait-ce 
ainsi  que  l'avaient  enseignée  et  défendue  les 
Origène,  les  Augustin,  les Chrysost^e ?  U 
n'est  pas  besoin  d'examiné  ici  leqùel,^  de 
l'mdîfférence  ou  du  fanatisme,  est  le  j^bis 
formidable  dams  uii  Etat;  il  suffit  que  p^r«* 
simne  ne  puisse  nier  que  l'un  et  fantré  sont 
peraicifiux.  Qu'importe  quio  M4oiti'oiau  ^tar 


gnante  du  marais,  ou  celle  du  torrent  dévas- 
tateur, qui  amène  les  ruines  et  creuse  les 
abîmes, 

M.  de  La  Mennais  luinnême  n'a  pu  dissî* 
muler  les  inquiétudes  qu'avaient  suscitées 
aes  étranges  théories  (1). 

Déjà  plus  d'un  critique  sévère  avait. in* 
terrogé  ces  doctrines ,  que  leur  nouveauté 
seule  rendait  suspectes;  et  l'épiscopat  fn» 
çais  n'avait  pas  tardé  à  manifester  soa  im« 
probation.  Si  Rome  n'avait  pas  encore 
parlé,  si  la  sentence  du  Siège  Apostolique 
n'avait  pas  encore  confirmé   la    censufè 

(1)  rëerîvûîs  ces  ligxes  dans  les  premiers  uois  ût 
1831  s  trois  ans  aTant  que  le  livre  d«s  ParUis  d'un 
Croyant  eut  paru.  Un  journal  a  réoemment  publié 
ce  morceau  [Xe^Etiides religieuses y^mdX  J834).  Ren- 
dant compte,  le  premier  de  tons,  des  Paroieë  d'un 
Cre^né ,  ce  jouroal  obseri^a  que  «  «'il  eût  été  im- 
«  primé  à  celte  époque  ,  ce  portrait, jugé  eu  quel- 
«  que  sorte  prophétique ,  eût  élé  sans  doule  alofs 
«  tsité  d'etAip^ratioÀ  ;  mais  ài^gourd^bni ,  que  répon- 
«  dre?  Le  dernier  écrit  de  M.  de  La  Memiais  a  de- 
«  passé  totites  les  prévisl<ms  ;  le  novat€rtir  a  désor* 


XXIV  DISCOURS 

des  évêqiies ,  c'était  par  ménagement  pour 
le  fougueux  Novateur,  qui  laissait  craindre 
qu'il  n'attendît  que  ce  moment  pour  lever 
la  bannière  de  Luther.  Les  suites  ont  fait 
voir  si  le  pressentiment  a  été  faux. 

A  la  suite  de  l'Essai  sur  V Indifférence  et 
de  sa  Défense^  avaient  paru  diverses  pro- 
ductions du  même  écrivain.  Il  ne  faisait 
toujours,  en  s'y  copiant  lui-même,  qu'en- 
chérir sur  les  erreurs  des  précédentes,  et 
lever  graduellement  chacun  des  voiles 
qu'une  prudente  réserve  savait  y  retenir. 
Pas  un  des  articles  de  son  Sermon  quoti-^ 
dien  (1)  de  V  Avenir  y  qui  ne  se  retrouvât 
textuellement  dans  ses  écrits  antérieurs, 
plus  particulièrement  dans  le  livre  publié 
en  \  826  sous  le  titre  La  Religion  considérée 
dans  ses  rapports  avec  l'ordre  civil  et  poli- 
tique (2).  Ce  livre^  moins  connu  que  V  Essai  y 
mais  plus  substantiel,  pouvait  être  regardé 

(1)  Expression  du  journaliste  dans  r^venir^n.  395. 

(2)  1  Tol.  in-8«.  Paris,  1826,  troisième  édition. 


PR£LUf£^AIB£.  XXV 

a  la  fois  comme  le.  Commentaire  du  précô* 
dent  et  l'Introduction  à  ceux  qui  allaient 
suivre.   U Essai   sur  V Indifférence  aurait 
suffi  pour  révéler  aux  yeux  attentifs  les 
doctrines  déposées  dans  la  pensée  de  Tau^ 
teur,  et  qui  allaient  être  développées  dans 
IcL  Religion  considérée^  etc.  Celui-ci,  à  son 
tour,  préparait  aux  saturnales  de  V Avenir; 
et  ce  dernier  amenait ,  par  une  filiation  di- 
recte, les  Paroles  d^un  Croyant.  Dégagés 
des  digressions  parasites  et  ramenés  à  un 
protocole  général ,  tous  o&ent  la  preuve 
d'une  conjuration  ourdie  dès  long-temps, 
et  poursuivie  sans  relâche.  Elle  n'avait  fait 
que  déguiser  sa  marche  jusqu'au  moment  où 
la  Révolution  de  Juillet  lui  eût  fourni  l'occa- 
sion d'éclater.  C'est  alors  qu'il  a  commencé 
à  se  montrer  au  grand  jour;  alors  qu'il  a 
plus  ouvertement  levé  l'étendard  de  l'inr 
surrection.  D Avenir  avait  un  but  direct  et 
proclamé  sans  mystère  :  c'était  d'amener  sa 
révolution  religieuse  par  des  '  révolutions 


XX\1  NSfSeVM 

pi^itiqii^.  Voilà  la  mission  que  M«  4e  Là 
Meniiâis  s'est  proposée ,  et  qu'il  s^est  cranté 
d'aYoir  remplie  avec  un  succès  supérieur  à 
tes  espérances;  car  il  n'était  que  trop  vrai, 
la  funeste  propagation  de  ces  nouveautés 
«'était  fait  sentir  jusque  parmi  le  Bacerdoce. 
L'un  des  hommes  le  plus  à  portée  d'appré-^ 
cier  ces  systèmes  prétendus  philosophiques^ 
d'en  calculer  l'influence ,  n'a  pas  craint  de 
s^exprimer  en  ces  termes  ^  dans  une  excel- 
lente réfutation  qu'il  en  a  publiée  :  «  Nous 
«  aimions  ^  considérer  nM  Séminaires 
««r  -comme  de  pieux  asiles  où  la  vérité  s'était 
M  ïréfogiée ,  comme  une  terre  de  Gressen 
•<r  oii  le  soleil  de  la  vérité  continuait  à  b^^il- 
"k  Itt  et  à  éclairer  les  âmes  des  plus  put% 
«  rayons  de  la  èaine  doctrine  ;  et  voiU  un 
«  #afax  Docteur  qui  s'élève  au  milieu  de  nous, 
K  lève  l'étendard  de  la  révolta  contre  les 
^  évèques ,  et  appelle  k  lui  la  jeunesse  déri- 
fr  ôàle  pdur  l'égarer  dans  les  fausses  routes 
^  ^utiejAilo^hie  absurde^  d'une  chéolo^e 


I 


t  erronée^  d'une  polidMfae  scandaleitte  (1  )•  » 

Cependant,,  derait-on  dè8-4ors  an  portar 

un  aussi  rigoureux  jugement?  et  n'y  avait-il 

pas  plus  d'une  exèuse  légitime  à  Êiire  valoir 

en  £siveur  de  l'écrivain  et  de  ses  ouvrages  ? 

Quelques  erreurs  parsemées  ça  et^là  dans  la 

cours  de  plusieurs  volumes,  supposaient-elles 

on  système  ?  Le  dessein  de  l'auteur ,  en  p«JH 

bbantBon  Eisaisur  V Indifférence^  ne  devait^ 

il  pas  en  faire  pardonner  l'emportement  ?  «c  II 

fr  avait  bien  fallu  ehàtier ,  par  une  logique 

t  de  fer  9  l'insolence  de  la  Philosophie  du 

«  jour  (2)^  »  Les  ténàiéraires  asaertibns  domi<- 

nantes  dans  le  livre  de  la  Religion  von^ 

aérée  daàs  ses  rapports  àf^c  l'^rdte  c<Vi7  «| 

poUHque^  semblaient  palliées  jpar  l'ardeutr 

d'un  oèle  respectable  jtisque  dans  ses  écarts^ 

L'janrtume^  l'eMspération  de  aes  rép<msei^ 

Mennais  ,  p.  261.  taris ,  1834. 
(2)  M:  Lacordaire,  Considér.  sur  le  Système,  etc. 

P.  36.  :  ,  .1^,'^   T     \ 

m  «««..  '.«1. 


XXVm  DISCOURS 

à  ^s  critiques  retombaient  sur  ses  imprudens 
agresseurs.  Le  rôle  d'accusateur  public  que 
lui  imposait  son  journal  de  V Avenir  per- 
mettait-il la  modération  de  caractère  et  la 
mesure  de  langage  ?  Avec  cela  ,  un  amour 
si  filial ,  s%  abandonné  k  l'autorité  du  saint 
Siège  Apostolique ,  un  empressement  si  ré- 
signé à  soumettre  ses  écrits  au  jugement  de 
l'Eglise  et  de  son  auguste  chef  !  Le  danger 
de  ses  doctrines  se  trouvait  couvert  par  l'hu- 
milité  de  ses  protestations  d'obéissance. 

Telles  étaient  les  apologies  que  Ton  aurait 
opposées  à  nos  pressentimens.  Les  Paroles 
et  un  Croyant  TL^  les  ont  que  trop  justifiés. 
La  frénésie  qui  a  dicté  cette  dernière  pro- 
duction explique  toutes  les  autres.  Lé  feu 
couvait  sous  la  cendre ,  jusqu'au  moment 
de  l'explosion  oii  l'incendie  s'est  manifesté. 
La  piété  simple ,  ingénue ,  qui  ne  soupçonne 
pas  le  mal ,  comme  dit  l'Apôtre  (1  ) ,  avait 

(1)  I.  Cior;  xni,  S. 


% 


PRÉLIMCIAmE.  XXIX 

pu  se  laisser  aisément  éblouir  par  la  haute 
renommée  de  FécriTain  ,  par  la  pompe  de 
son  imagination  ,  et  par  l'accent  religieux 

m, 

dont  elle  paraissait  empreinte.  «  On  abon- 
c  dait  dans  son  sens ,  souvent  avec  plus  de 
«c  précipitation  que  de  réflexion ,  et  presque 
«  toujours  avec  des  idées  plus  confuses  que 
r  nettes  et  précises  sur  sa  doctrine  et  ses 
c  écrits  (1).  »  Peut-être  même  le  charme 
n'a-t-il  pas  été  tout-k-fait  rompu,  malgré  la 
fâcheuse  impression  que  le  dernier  a  excitée 
parmi  ceux  qui  s'obstinaient  k  l'admirer 
même  sans  le  comprendre;  témoin  les  dé- 
fenses que  Ton  a  osé  en  publier ,  et  les  pal- 
liatif dont  on  a  prétendu  en  colorer  les 
blasphèmes. 

J  S'il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  des  Hérésies ^ 
il  ne* Test  pas  moins  qu'elles  soient  démas- 
quées et- confondues.  «  Il  nefautpas  croire,  » 
nous   dit  l'oracle   des   siècles   modernes  , 


(1)  M.  Boyer,  «w/)f.,^t?an^Pr(?/)o«,p.  iv. 


ir  que  les  Hérésies  aient  toujours  pour  au* 
«  teurs  des  impies  ou  des  libertins  qui ,  de 
«  propos  délibéré ,  fassent  servir  la  religion 
«  àleurs  passions.  Saint  Grégoire  deNazianse 
«r  ne  nous  représente  pas  les  Hérésiarques 
«r  comme  des  hommes  sans  Religion  ,  mais 
ir  comme  des  hommes  qui  prennent  la  Reli^ 
•f  gion  de  travers.  Ce  sont ,  dit-il ,  de  grands 
«r  esprits ,  car  les  âmes  feibles  sont  égale-^ 
«  ment  inutiles  pour  le  bien  et  pour  le  maL 
ir  Mais  ces  grands  esprits ,  poursuît-il ,  sont 
«r  en  même  temps  des  esprits  ardens  et 
ff  impétueux  qui  prennent  la  Religion  avec 
If  une  ardeur  démesurée ,  c'est-k-dire ,  qui 
«  ont  un  faux  zèle ,  et  qui ,  mêlant  à  la  Re- 
«r  ligion  un  chagrin  superbe ,  une  hardiesse 
ff  indomptée  et  leur  propre  esprit,  poussent 
r  tout  à  l'extrémité  (i).  »  Violer  la  tradition 
catholique ,  altérer  et  pervertir  la  sainte 
doctrine ,  attaquer  et  détruire  tous  les  prin- 

(1)  Bossuet ,  Hist.  des  Variât.,  liv.  v,  n.  1,  l.  III, 
in-4»,  p.  488. 


« 


àftM  de  Tordre  tocul, 
et  la  réTolte  août  le  nom  de  liberté,  répand- 
tire  le  menaonge  et  la  caloninie  contre  U$ 
pontifeg  sacrés  ei  lespiimces  de  la  terre  j  en 
présenter  Tafatorité  sainte  comme  l'œuvre 
du  péché  et  oomme  puissance  de  Satan  y 
tffiBcter  partout  le  langage  de  TElcriture 
•aînte ,  et ,  par  une  audacieuse  perfidie  , 
fiiire  plier  ce  langage,  qui  est  celui  de  Dieu , 
a  inculquer  ces  utopies ,  comme  s'en  plaint 
l'interprète  sacré  de  la  doctrine  chrétienne, 
le  pape  Grégoire  XVI  dans  sa  dernière  en- 
cyclique (1  )  :  quelle  hérésie  fut  jamais  plus 
vaste  et  plus  criminelle?  c'était  celle  des 
fougueux  sectaires  du  xnr*  siècle ,  qui  cou- 
vrirent TEurope  de  ruines  et  de  cendres. 

Ce  qui  rend  une  opinion  dangereuse, 
c'est  moins  son  opposition  avec  les  prindpes 
de  la  foi  et  de  la  morale ,  que  la  confiance 
qu'on  lui  accorde;  c'est  sa  propagation  et 

(1)  Encycl.  du  25  juin  1734. 


XXXn  DISCOURS 

le  nombre  de  ses  sectateurs.  Or*  c'eist  là 
surtout  ce  qui  excitait  nos  alarmes.  La  doc- 
trine de  M.  de  La  Mennais,  nous  dit  un  de 
ses  disciples  les  plus  ardens ,  bien  que  re- 
poussée par  le  corps  épiscopal,  avait  fait 
néanmoins  de  nombreuses  conquêtes  parmi 
les  ecclésiastiques  du  second  ordre,  que 
l'exercice  du  saint  ministère  met  en  point 
de  contact  journalier .  avec  les  habitans  des 
villes  et  des  campagnes.  C'était ,  de  l'aveu 
du  même,  écrivain,  une  puissance  élevée 
dans  le  sanctuaire  k  côté  de  l'autorité  épis- 
copale,  et  souvent  supérieure  à  la  sienne  (1  ). 
Elle  exerce  sur  une  portion  considérable 
de  la  Jeunesse  cléricale  un  ascendant  pres- 
que irrésistible  (2).  Avant  qu'il  n'eût  publié 
ses  Paroles  â!un  Croyant ^  M.  de  La  Men- 
nais  était  encore  k  l'apogée  de  sa  gloire , 
et  peut-être  que  l'autorité  même  des  cen- 

(1)  M:  Lacordaire,  Considérât.,  etc.,  p.  36,  37. 

(2)  M.  Boyer,  Examen  du  Syst,,  etc.,  préface, 

p.  XXXI. 


I 


PEÉUMDiAIRE.  X^XIU 

sures  dont  ses  précédens  écrits  étaient  l'objet, 
n'eût  pas  prévalu  contre  la  séduction  qu'ils 
avaient  entraînée.  Il  n'y  avait  que  lui  qui  pût 
se  détrôner  lui-même.  S'il  est  vrai  que  le  trait 
le  plus  marqué  du  caractère  de  M.  de  La 
Mennais  fut  l'esprit  de  prosélytisme,  ja- 
mais novateur  n'eut  plus  que  lui  à  s'applau- 
dir de  ses  succès.  U  est  bon  d'entendre  à 
cette  occasion  un  critique  qui  paraît  l'avoir 
bien  connu.  «Ce  besoin  de  domination  qui 
«  l'a  tqujours  travaillé ,  cette  espèce  d'at- 
«  traction  presque  invincible  qu'il  a  exercée, 
«  dès  le  commencement  même  de  sa  car- 
ir  rière ,  sur  presque  tout  ce  qui  était  jeune, 
K  intelligent  et  curieux  de  l'avenir,  cette 
ft  soif  de  conquête  entretenue  par  des  vic- 
ir  toires  dont  la  dernière  en  appelait  pres- 
ft  que  toujoTU's  une  autre  plus  glorieuse  en- 
«  core  y  cet  apostolat  intellectuel ,  en  exal- 
((  tant  sans  mesure  en  lui  la  conscience 
cr  d'ailleurs  si  profonde  de  sa  force ,  a  été  , 
«  ce  nous  semble ,  l'une  des  causes  les  plus 

T.    I.  C 


If  aetWeê  à^  êa  renonmiée*  a  Ce  n^Mt  pM 
tout;  et  fM  ce  ^(m  «ût  «n  "verra  «î  noue 
«▼ons  toft  de  craindre  que  aen  4cola  ait 
déserté  s^n  drapeau*  «  Ce  Loui$  XIV  de 
«  la  pensée  (  pourrait  réeriram  que  noua 
ff  citions,)  avait  bien  comprit  qu'il  ne  lui  était 
9  pas  bon  d'être  eeul^  il  a  eu  pemr  d'un  nom 
«  solitaire,  et,  comme  ces  astres  qui  n'appa* 
«  ratssent  dans  le  ciel  qu'environnés  de 
«  leurs  satellites,  il  n*a  voulu  se  montrer  au 
«  monde  qu'au  milieu  d'ime  garde  nom<* 
«  breuse  et  puissante,  qui  ooBsentit  à  n^^tre 
«  grande  que  par  lui,  et  k  cenfondre  à  ja- 
«  mais  sa  force  dans  sa  force  et  sa  gloire 
«  dans  sa  gloire  (1  ) .  » 

Je  le  demande  encore  :  Mo«ia  étûmshnous 
exagéré  \  nous-^mêmes  les  dangers  de  la 
doctrine  nouyelle  et  de  son  école  ? 

Que  si  rimputation  d'hérésie  fait  peine  à 
M.  de  La  Mennaîs  et  k  ses  partisans ,  qu'il 

(J)  BainsVUniversreligieuûfy  n.  184,  article:  Bu 
Livre  de  M,  Lacordaire, 


PRÉUHDiAIlE.  XXXV 

ne  s'en  prenne  qu'à  lm*même.  Ce  n'est  pas 
nous  qui  la  lui  donnons;  c'est  lui  qui  Ta 
choisie.  L'hérésie  n'est  appelée  de  ce  nom 
que  parce  cpi'elle  se  sépare  de  l'ancienne 
croyance.  Fille  de  l'orgueil  et  d'une  curio« 
site  vaine,  au  jugement  de  tous  les  saints 
Docteurs ,  elle  se  croit  seule  sage ,  se  roidit 
contre  toutes  les  oppositions ,  tantôt  altière, 
hautaine ,  tantôt  souple ,  artificieuse ,  s'en- 
veloppant  de  mensonges  et  de  sophismes. 
Graduant  sa  marche ,  elle  s'agite  dans  l'om- 
bre jusqu'à  ce  qu'elle  se  croie  assez  forte 
pour  braver  l'autorité  qui  la  condamne ,  et 
lever  le  masque  impunément. 

On  l'a  démontré  invinciblement  :  la 
doctrine  de  M.  de  La  Mennais  est  hétéro- 
doxe, anti-sociale.  Les  théologiens  de  Rome 
l'ont  qualifiée  s  Philosophie  absurde,  poli- 
tique sgandâleusb,  ignorance  complète  de 
LA  TQEOLOGiB  (1  ).  Nos  évêqucs  français  en 

(1)  Philosophia  absurda ,  Politica  scandalosa , 
TheoÎ0gia  nuïlm. 


XXXVl  DISCOURS 

ont  porté  le  même  jugement  ;  le  Siège  Apos- 
tolique Ta  confirmé  par  sa  sanction  souve- 
raine. Voilà  celle  que  nous  dénonçons  par 
cet  écrit  à  tout  le  peuple  chrétien.  Nous  la 
combattons  non-seulement  dans  sa  dernière 
production ,  où  elle  a  rompu  toute  digue , 
mais  dans  son  ensemble  et  dans  chacun  des 
précédens  écrits  où  elle  avait  eu  Tart  de  se 
contenir. 

Leur  progression  nous  fournit  la  distri- 
bution naturelle  de  la  présente  Réfutation , 
et  la  preuve  d'un  Système  suivi ,  uniforme  , 
persévéramment  en  opposition  avec  les 
doctrines  qui  nous  ont  été  transmises  par 
nos  pères,  Nous  distribuons  donc  cet  ou- 
vrage en  quatre  parties  : 

La  première  est  l'examen  de  V Essai  sur 
V Indifférence  en  matière  de  religion^  suivi 
de  La  Défense  que  l'auteur  en  a  publiée. 

La  seconde  a  pour  objet  le  livre  du  même, 
intitulé  :  La  Religion  considérée  dans  ses 
rapports  avec  V ordre  civil  et  politique. 


PRÉLnUNAlRE.  XXXVU 

La  troisième ,  le  Journal  de  V Avenir. 

La  quatrième ,  les  Paroles  dun  Croyant. 

Au  reste ,  cette  constance  de  M.  de  La 
Mennais  k  soutenir  ses  paradoxes  a  été  re- 
levée avant  nous ,  mais  dans  un  autre  des- 
sein. On  a  prétendu  lui  en  faire  un  mérite. 
On  va  plus  loin  encore.  Au  reproche  de 
contradiction  qui  sans  cesse  le  fait  voir  en 
opposition  avec  lui-même,  on  essaie  de 
répondre  qu'il  n'en  est  pas  moins  resté 
conséquent  à  ses  principes,  parce  qu'il  a 
toujours  marché  vers  le  même  but,  bien  que 
par  des  sentiers  différens(l).  C'est  l'habile 
général  qui  varie  ses  manœuvres  suivant  les 
positions  où  il  se  trouve  engagé.  Il  ne  nous 
en  faudrait  pas  davantage  pour  justifier 
toute  notre  accusation.  Nous  disons  que, 
sous  le  prétexte  hautement  avoué  par  lui 
de  régénérer  le  Catholicisme^  M.  de  La 
Mennais  a  essayé  d'introduire  parmi  nous 

(1)  Voy.  la  Kevue  des  deux  Mondes  ,  1^'  septem- 
bre 1834 ,  p.  860  et  suiv. 


xxxnu  DisGOums 

un  système  de  philosophie  et  de  théologie 
contraire  a  l'enseignement  de  l'Eglise  ca- 
tholique ,  et  qu'il  l'a  poursuivi  persévéram- 
ment  depuis  ses  premiers  ouvrages  jusqu'à 
sa  production  la  plus  récente  ;  et  nous  le 
démontrons  par  la  filiation  des  Uvres  qu'il 
a  publiés.  A  travers  les  nuances  diverses 
d'opinions  en  apparence  les  plus  contra- 
dictoires, il  n'abandonne  pas  le  but  qu'il 
s'était  proposé  dans  le  commencement. 
Suivez  l'écrivain  dans  la  longue  carrière 
qu'il  a  déjà  parcourue  :  d'abord  zélateur 
ardent  du  pouvoir  absolu ,  il  ne  permet  pas 
qu'il  lui  soit  porté  la  plus  légère  atteinte , 
et  le  défend  contre  toute  Charte  qui  sem- 
ble en  affaiblir  l'intégrité.  Il  lui  faut  la 
Monarchie  pure  et  sans  conditions.  Bientôt 
il  la  répudie ,  U  l'abaisse  aux  pieds  du  pou- 
voir pontifical ,  centre  d'unité  dans  4'ordre 
politique  comme  daAs  l'ordre  spirituel , 
jusqu'à  ce  que  vienne  le  moment  de  les 
anéantir  l'un  et  l'autre.  Gallican  dam  la 


fté&cù  de  MD  premier  ourrage  (  De  tlnsti^ 
tution  canonUpu  dis  euéques  )^  il  ne  se  sou* 
'  Tient  plus  dans  ton*  les  autres  de  la  doetrine 
de  Bossoet  f  que  pour  la  flétrir  des  plus  ka- 
jarieuses  qualifications  et  la  vouer  a  Fana- 
tiième.  Oa  Va  tu  ,  panégyriste  outré  du  roi 
Ferdinand  VU,  proposer  ce  monarque  a 
l'eiemple  des  autres  Souverains  de  la  chré- 
tienté. «  Il  n'avait  point  assez  d'éloges  pour 
cr  ce  prince  »  »  dit  l'auteur  d'un  ar  licle  fcnrt 
bien  Cût ,  dans  VUnivers  religieux.  A  quoi 
il  ajoute  :  «  Ces  paroles  d'alors  forment  un 
«  Mngidier  contraste  avec  celles  qu'il  vient 
«  de  consigner  sur  le  même  prince  dan» 
«  le  livre  Jtun  Croyant  (^\),  »  Quelle  force I 
quelle  fraiicliise  d'expression  en  apparence 
daiM  les  attaques  qu'il  livre  a  la  Démocratie  I 
Elle  est  la  éourcê  de  tous  les  désordres.  Chez 
un  grand  peuple j  elle  détruirait  infaillible^ 
ment  le  Christianisme.  Celle  de  notre  temps 

(1)  Dans  1#)6Wm4  imitiilé  i  POM^ft^  ¥Mgi0itm, 
n.  177. 


XL  DISCOURS 

repose  sur  le  dogme  athée  de  la  soui^eraineté 
primitwe  et  absolue  du  peuple.  Parlant  de 
Tégalité  :  <f  Le  système  de  l'égalité  absolue 
«  n'est  au  fond  qu'un  système  de  destruction 
i<  absolue  (1).  »  Dans  le  même  ouvrage  : 
«  Point  d'ordre  social  sans  hiérarchie ,  de 
K  société  sans  pouvoir  et  sans  sujets ,  sans 
«  le  droit  de  commander  et  le  devoir 
cf  d'obéir  (2).  » 

Une  opinion  aussi  prononcée  peut-elle  ja- 
mais revenir  sur  ses  pas?  Oui,  M.  de  La  Men- 
nais  nous  en  a  donné  la  preuve.  La  pensée  do- 
minante de  son  journal  de  V Avenir  sera  de 
montrer  que  la  souveraineté  du  peuple  est  de 
droit  divin  ;  que  c'est  par  la  voix  du  peuple, 
par  l'élection  de  tous  que  Dieu  fait  les  rois  ; 
et  ses  Paroles  d'un  Croyant  nous  appren- 
dront qu'il  n'y  eut  jamais  de  princes  légi- 
times que  ceux  qui  ont  été  choisis  par  le 

(1)  Essai j  t.  I ,  p.  348.  Tout  le  chap.  x  de  Fou- 
vrage  est  employé  à  cette  démonatration. 

(2)  Ihid.,1^.  33J. 


PRÉUmNAOUE.  sut 

libre  consentement  des  peuples.  Encore 
n'est-ce  là  qu'une  transition  pour  arriver  à 
les  déclarer  tous  oppresseurs,  tyrans  affamés 
de  larmes,  de  sang,  de  rapines,  assassins 
des  peuples  !  Le  même  homme  qui  a  fait  de 
la  liberté  une  idole  à  laquelle  tout  doit  être 
immolé,  même  ses  propres  sacrificateurs  (1  ); 
le  même  qui  a  déclaré  si  énergiquement  que 
la  liberté  de  conscience  était  un  des  droits 
les  plus  imprescriptibles  de  l'homme ,  c'est 
lui  qui  affirmait  que  tolérer  tous  les  cultes, 
c'était  les  mépriser  tous  également,  et  que, 
s^il  est  permis  désormais  a  l'athée  de  profes- 
ser publiquement  son  impiété,  il  ne  le  sera 
jamais  de  reconnaître  les  libertés  gallicanes, 
sous  peine  de  renverser  tout  ordre  religieux 

(i)  «  S'il  est  quelque  chose  de  grand  sur  la  terre, 
«  c'est  la  résolution  ferme  d'un  peuple  qui  marche 
«  à  la  conquête  des  droits  qu'il  tient  de  Dieu  ;  qui 
«  ne  compte  ni  ses  blessures,  ni  les  jours  sans  repos, 
«  ni  les  nuits  sans  sommeil ,  et  qui  se  dit  :  Qu'est-ce 
«  que  cela  ?  la  justice  et  la  liberté  sont  dignes  de 
«bien  d'autres  travaux.  »  Paroles  d'un  Croyant, 
p.  Î16. 


01:  politiqtié^  En  cbangetnt  dd  l«ngag«^ 
M.  de  La  Meimab  ne  changeait  point  d« 
vfstème.  Révùlutiannain  eoê  n^rvicé  JPumà 
vieille  causêy  il  ne  fiiit  qa'cmbrassev  la  nour 
Yelle  (1).  PfoTocateury  k  l'en  creôte^  de  lu 
RéTolution  de  Juillet^  il  nW  était  pas  moint 
son  pins  Yiolent  ennemi.  Une  feinte  técotk* 
ciHatkm  n'est  paa  toiijoniii  on  snr  indice  dm 
paix.  Ces  fastueities  proclamatkna  qae  l'on 
fait  retentir  le  lendemain  d'one  i^nerre  auaii 
yiolenle^  pouTait^on^  devaît-Km  lea  accepte^ 
sans  quelque  défiance?  Saint  Anibreise  a  dit 
d'Auxence  ;  «  Cette  peaa  de  brebis,  ne  Youa 
ff  y  fiez  pas  ;  elle  cache  im  loup  déguisé  i 
Exuit  lupum^  indiiit  Uipum^  UhraiSiontaii 
on  gallican,  monarchiste  cm  ifépvbticain^ 
calholique  soumis  en  promesse  à  la  voix  du 
SouTorain  Pontife ,  aujourd'hui  réfiractaire 
opiniâtre  aux  décisions  du  Juge  strprênte  ; 
tour  à  tour ,  et  souvent  dans  le  même  ou- 

(1)  M.  L'H^rminier,  Revuo  des   deus  UotuhSf 
1«'  septembre  1834,  p.  560. 


Tra^  soutenant  k  pour  et  le  contre;  pané» 
gyriste  de  la  raison  (1)  et  son  détracteur  le 
plos  impitoyable  ;  sectateur  fanatique  de  la 
tolérance  9  après  s'en  être  montré  le  plus 
ardent  antagoniste  (2),  «  il  a  toujours  pour- 
(r  suivi  le  même  but ,  parce  cpi'il  a  toujours 
cTOuln  arracher  la  société  à  sa  tiédeur 
«  égoïste,  à  sa  corruption  matérielle,  depuis 
«  son  Essai  sur  V Indifférence  jusqu'à  ses 
«  Paroles  d'un  Croyant^  parce  qu'il  a  tou«- 
t  jours  Toulu  régénérer ,  ressusciter  mora- 
t  lement  ce  qui  ne  lui  apparaissait  plus  que 
f  comme  un  cadayre  (3).  » 

Et  ne  croyez  pas  qu'aujourd'hui  encore 
le  fier  athlète  de  la  Réforme  ait  quitté  son 
champ  de  bataille.  Son  disciple,  M.  Lacor- 
daire,  a  grand  soin  de  nous  instruire  que 
«jamais  M.  de  La  Mennais  n'a  été  plus 

«  puissant  qu'aujourd'hui.  C'est  Achille  sous 

(1)  Essai  sur  Vlndif,  t.  I,  p   44- 

(2)  /WJ.,  introd.  »  p.  25. 

(3)  Retme  des  deux  Mandes ,  supr. 


at  politiqfiM»^  En  cbangetnt  dd  Imgag*,. 
M.  de  La  Meimab  ne  changeait  point  dte 
vfstème.  Révùlutiaimain  eoê  Meruicû  JPumà 
vieille  causêy  il  ne  fiiit  qa'cmbrassev  la  nour 
Yelle  (1).  PfoTocateur,  k  l'en  creôte^  de  1* 
Rérolution  de  Jnîllety  il  nW  était  pas  uoiné 
son  pins  Yiolent  ennemi.  Une  feinte  téany* 
ciHatkm  n'est  pas  toirjoniii  on  sur  indice  d# 
paix.  Ces  fastueuses  proclamatkns  ipte  l'on 
fait  retentir  le  lendemain  d'one  ^^nerre  aussi 
\iolenle,  pouf  ait^on^  devaît-^cm  les  acc^tei^ 
sans  quelque  défiance?  Saint  Ambreite  a  dit 
d'Auxence  :  «  Cette  peaa  de  brebis,  ne  Youa 
«r  y  fiez  pas  ;  elle  cache  un  loup  déguisé  t 
Exuit  lupum^  induit  hipum^  Uhraiftiontaii 
ou  gallicsHi,  monarchiste  om  ifépvWcain^ 
calholique  soumis  en  promesse  à  la  voix  du 
SouTerain  Pontife ,  aujourd'hui  réfiractaire 
opiniâtre  aux  décisions  du  Juge  suprême  ; 
tour  à  tour ,  et  souvent  dans  le  même  ou- 

(1)  M.  L'H^rminier,  Revuù  de$   deu»  Jtofuhs  ^ 
1«'  septembre  1834,  p.  560. 


PRiumBUURE. 

vrage,  soutenant  k  pour  et  le  contre;  pané» 
gyriste  de  la  raison  (i)  et  son  détracteur  le 
plus  impitoyable  ;  sectateur  fanatique  de  la 
tolérance  9  après  s'en  être  montré  le  plus 
ardent  antagoniste  (2),  «  il  a  toujours  pour- 
«  suivi  le  même  but ,  parce  qu'il  a  toujours 
r  voulu  arracher  la  société  à  sa  tiédeur 
«  égoïste,  à  sa  corruption  matérielle,  depuis 
«  son  Essai  sur  l* Indifférence  jusqu'à  ses 
«  Paroles  d'un  Croyant^  parce  qu'il  a  tond- 
it jours  voulu  régénérer ,  ressusciter  mora- 
t  lement  ce  qui  ne  lui  apparaissait  plus  que 
V  comme  un  cadavre  (5).  » 

Et  ne  croyez  pas  qu'aujourd'hui  encore 
le  fier  athlète  de  la  Réforme  ait  quitté  son 
champ  de  bataille.  Son  disciple,  M.  Lacor- 
daire,  a  grand  soin  de  nous  instruire  que 
cr  jamais  M.  de  La  Mennais  n'a  été  plus 
«  puissant  qu'aujourd'hui.  C'est  Achille  sous 

(1)  Essai  sur  VIndiff.,  t.  I,  p   44 

(2)  Ibid.,  introd.,  p.  25. 

(3)  Revue  des  deux  Mandes ,  8Upr. 


XUV  DISCOURS 

ft  la  tente.  M.  de  La  Mennais  règne  encore  : 
tf  un  nouveau  parti  se  forme  autour  de  lui  ; 
tf  des  hommes  distingués  s'unissent  pour  le 
<r  soutenir  ;  plusieurs  feuilles  religieuses  Yoht 
(c  se  constituer  plus  ou  moins  ouvertement 
«  ses  champions  (1).  » 

Quand  l'erreur  parle  si  haut,  pourquoi 
la  vérité  garderait-elle  le  silence? 

Convaincu  que  la  vérité  porte  avec  elle 
un  caractère  d'autorité  qui  frappe  tous  les 
yeux,  indépendamment  des  formes  qu'elle 
emprunte  et  du  nom  de  celui  qui  en  est 
l'organe ,  j'ai  pensé  que  tout  prêtre  catho- 
lique était  appelé  à  défendre  l'héritage  de 
la  foi  et  de  la  paix  publique. 

D'autres  se  sont  présentés  avant  moi  dans 
la  lice.  Signalons  particulièrement  a  l'estime 
et  à  la  reconnaissance  publique  les  Examens 
de  la  doctrine  de  M.  de  La  Mennais  que 
MM.  Rozaven  et  Boyer   en   ont  publiés. 

(1)  Lettre  rapportée  dans  V Univers  religieux, 
n.  211. 


PRÉLIMINAIRE.  XLV 

Toute  ma  prétention,  en  venant  après  eux, 

fut  d'apporter  ma  faible  offrande  k  la  suite 

du  riche  présent  qu'ils  ont  fait  à  l'Eglise ,  et 

de  contribuer,  par  mon  infériorité  même , 

à  répandre  de  plus  en  plus  ces  excellens 

ouvrages.  Qu'avais-je  de  mieux  a  faire  que 

de  marcher  sur  leurs  traces  ?  En  profitant 

de  leur  travail ,  mais  avec  la  précaution  de 

déclarer  les  emprunts  que  je  leur  ai  faits, 

j'ai  suivi  l'exemple  de  M.  de  La  Mennais, 

dont  les  plus  belles  pages  peut-être  sont 

dues  k  Pascal  ,    a   Nicolle,  à  Bossuet,  a 

M.  PSfecker  lui-même. 

Parvenu  au  terme  de  ma  carrière,  je  dé- 
posé sur  le  seuil  de  ma  tombe  ce  nouveau 
gage  de  concorde  et  de  charité ,  le  dernier 
sans  doute  qu'il  me  sera  donné  de  léguer  a 
mes  concitoyens. 


HISTOffiE 

DE 

LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE 

DU  XIX«  SIÈCLE. 


PREMIERE  PARTIE. 

EXAMB5  DO  LIVRE  DE  M.  DE  LÀ  MEXNÀIS  ,  HTTITCLA  *. 
ESSAI  SUR  L*IlfDIFFÉRBEfCB  EN  MATIÈRE  DE  REU- 
GION ,  SUIVI  DE  SA.  DÉFENSE ,  PAR  LE  MÊME. 


LIVBE  PREMIER. 

su  hvnJL  iMTiTcii  :  imài  sue  ii^raBiFrÂESircB  ma  lUTitiB 

M  REUGION. 


CHAPITRE  L 

Rapproohemenê  de  la  nouvelle  hêrine  avec  celle  des 
pr^enduê  Réformée  du  xvi*  êiècle, 

Dspms  que  nous  ayions  tu  là  Philosophie 
se  dédarer  hautement  l'ennemie  de  la  Re- 

T.    I.  i 


s  IIISTC^IEB 

ligion  ,  les  ein^drleïnens  aàtqliels  la  pre- 
mière s'était  livrée ,  rindifférence  presque 

générale  où  l'autre  était  tombée  ,   avaient 

* 

fait  perdre  Pespérance  qu'il  pût  s'établir 
entre  les  deux  rîtaleâ  aucun  rapproche- 
ment. 

M.  l'abbé  de  La  Mennais  entreprit ,  nous 

1*  ■    ' 

es  irécènciUer ,  et  de  reconstituer 

la  société  par  Vuiiion  des  intelligences.  U 
rasseihbla  toutes  leé  fôrèës  de  son  esprit  et 
de  son  caractère ,  pour  fonder  sur  une  école 
philosophique  la  paix  du  monde  et  le  salut 
de  Vqs'enir.  Son  Essai  sur  V Indifférence  ^ 
publié  k  une  époque  où  la    Philosophie, 
fière  de  ses  triomphes ,  méditait  de  nou- 
veaux chants  de  joie  sur  les  dernières  ruines 
du  Christianisme ,  proclama  l'alliance  de  la 
foi  et  de  la  raisoh.  Un  dés  disciples  les  plus 
renommés  de  son  école  nous  déclare  en  ces 
termes  là  pensée  de  l'illustre  auteur  :  r  Ce 
(c  sont  ces  de jUL  puissances  jalouses  queM.  de 
«  La  Mennaip ,  par  un  hardi  <f  easein ,  a  tenté 


DE   LA  NOUVCIXE   HÉRÉSIE.  5 

n  de  rëduire  a  Une  seule ,  non  pas  en  dé- 
if  tiruisant  Tune  ou  Tautre ,  mais  en  les  con- 
4  traignant  de  partir  du  même  point ,  de 
«  suivre  une  méine  voie ,  quoique  sans  se 
«c  confondre  ,  et  de  se  rejoindre  enfin  dans 
«  un  foyer  commun ,  comme  deux  branches 
«  d'une  ellipse  (1  ).  j»  Si  le  dessein  était  hardi ^ 
était-il  aussi  nouveau  ,  aussi  original  qu'on 
a  Tair  de  oous  le  faire  croire?  Combien 
d'ouvrages  publiés  chez  tous  les  peuples 
savans ,  dans  la  vue  de  faire  reconnaître 
l'accord  de  la  foi  avec  la  raison!  Saint  Au- 
gustin ne  laissait  aucun  doute  à  cet  égard. 
<r  L'Eglise ,  avait  dit  le  saint  docteur,  s'atta- 
«  che  à  mettre  bien  avant  dans  l'esprit  des 
ce  hommes  cette  maxime  certaine  qu'elle  fait 
K  profession  de  croire ,  et  qui  est  le  fonde- 
ir  ment  de  leur  salut ,  que  la  philbsophie  et 
4r  la  vraie  religion  ne  sont  point  choses  diffé- 

(1)  M.  TaM^é  Lacordaire ,  Cûtuid,  sur  U  Système 
phUasoph,  de  M.  de  La  Mennaû,  p.  41.  (1  yoI.  in-S. 
Paris ,  iS3&.  )  Ibid. ,  p.  140. 


.1 


4  HISTOIRE 

«  rentes  (1).  »  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  opî- 
nion ,  que  nous  nous  proposons  de  discuter, 
ailleurs ,  était-ce  Ta  Tunique  but  de  l'écri- 
vain? et  les  suites  n'ont-elles  pas  révélé  un 
dessein  plus  étendu ,  conçu  avec  profon- 
deur, poursuivi  avec  non  moins  d'audace 
que  de  persévérance ,  eniécuté  avec  plus  de 
succès  peut-être  qu'il  n'eût  osé  l'espérer? 
M.  l'abbé  de  La  Mennais  ne  l'a  pas  désavoué. 
Depuis  quinze  ans  ,  dit  son  journal  de  1'^- 
i^enir  j  il  n'a  pas  cessé  de  travailler  k  régé- 
nérer le  Catholicisme  ;  à  lui  rendre^  sous  une 
forme  noui^elle  et  avec  des  progrès  nous^eaux^ 
la  force  et  la  vie  qui  Valaient  abandonné  (^^ 

m 

Lui  et  ses  confédérés  déclarent  à  la  face  de 
l'univers  leur  ferme  résolution  de  se  dé- 
vouer au  triomphe  de  cette  noble  cause  ^  et 
de  poursuivre ,  en  dépit  de  toutes  les  ré- 

(1  )  Traité  de  la  vraie  Religion,i.  l,  Bénéd. ,  p.  751 . 
Dans  Bibliothèq^iç  choisie  des  Pèreê  ^  jton^,  XXI , 
p.  128. 

(2)  Avenir^  supplém,  du  2  feyr. ,  u<>  i  \t9. 


bfc. 


DK   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  ^ 

sistances  ,  leur  "grand  œuvre  de  la  régénéra;- 
tion  religieuse  ^  dont  le  travail  fut  médité 
pendant  quinze  ans  (1). 

Pour  cela ,  il  ne  faut  rien  moins  qu'abattre 
tout  ee  qui  existe  (2) ,  reporter  sur  de  nou- 
velles bases  l'édifice  entier  de  l'intelligence , 
en  renversant  les  doctrines  qu'une  philo- 
sophie niaise  et  ahsurde  avait  accréditées  ; 
persuader  à  la  génération  présente  que  les 
preuves  adoptées  jnsqulei  sans^  trop  d^ exa- 
men  pour   établir  la    vérité    chrétienne  , 
étaient  insuffisantes ,  inociaiplètes ,  équivo- 
ques ,  absurdes  même*;  et  qu'enfin,  après 
tant  de  siècles  iUnstréâ  par  le  géflie  des  Au- 
gustin, des  Thomas  d'Aquin^des  Descartes, 

des  Bossnet,    la  lumière  allait  sortir  du 
chaos. 

(1)  Avenir  y  Vi^  395. 

(2)  «  Renrerêer  do  fond  en  comble  Tantique  br- 

H  ganisation  de  la  vérité,  ail  est  permis  de  parier 

«  ainsi.  »  Tel  a  été,  suivant  M.  Lacordair^,  l'œuvre 

de  son  maitre.  {Considérai,  sur  le  Système,  eta.  y 

p.  147. 


0  MISTOIllB 

La  nouvelle  croisade  qui  devait  émanci- 
per le  genre  humain  fut  proclamée  dans 
le  premier  volume  de  V Essai  Sur  V Indiffé- 
rence. 

Toute  entreprise  humaine  a  ses  commen- 
çemens ,  son  progrès  et  son  dénoûment.  Ce 
n'est  point  au  premier'  jour  que  les  projets 
se  manifestent.  Il  faut  graduer  sa  marche 
pour  la  mieux  assurer.  Le  volcan  prépare 
son  éruption  avant  qu'elle  n'éclate. 

Que  M.  de  La  Mennais  eût  débuté  par 
4ÇS  Paroles  d'un  Croyant^  Tindignation 
43^\J)ilique  eût  marqué  cette,  production  du 
^me  sceau  jdpnt  eU^  a  flétri  les  furibondes 
orgies  de  93  et  le  délire  des  clubs  repu- 
blicaifis.  Gqs  rugissemens  de  la  fureur ,  ces 
cris  forcenés  de  haine  et  de  vengeance 
contre  toute  autorité  civile  et  religieuse  , 
cette  Apocalypse  de  Satan ,  comme  on  Ta 
désignée  ,  eût  affligé  sans  doute  tous  les 
cœurs  fabnnêtes;  elle  eut  bien  moins  étonné 
dans  un  siècle  accoutumé  aux  violentes  dé- 


DK   LA   I\OIJVfiI«L£   HÉRK6UE.  7 

damations  des  Diderot ,  des  Marat  et  des 
Babeuf.  Mais  un  prêtre  signalé  parmi' Lss 
défenseurs  du  Christianisme ,  porté,  par  la 
complaisante  admiratipp  de  34$^  disciples, 
à  la  suite  des  Pèr^s  de  l'Eglise  ,  ofirir  tant 
a  coup  un  contraste  ai  révoltant ,  il  y  avait 
là  de  quoi  surprendre  ^t  déconcerter  Le^ 
panégyristes  içt  quiçqnque  n'avait  ppii^t 
porté  sur  ses  compositiofia  intérieures  un 
coup  d'çeil  ^sez  réfléchi'' pour  en  saisir  {(ss 
intermédiaires ,  et  attacher  1^  çonséqu^nçi^ 
aui  principes. 

Qu'on  lise  dans  l'histoire  de  l^  Réforme 
telle  que  la  racontant ,  je  ne  dis  pa$  seule- 
a^ent  nos  écrivains  catholique^,  fn^is  }j^ 
Protçstans-  eux-mêmes  et  ses  £)pologistes , 
qu'ors  y  lise  le  récit  des  emportemens  de 
Luther,  après  sjai  condamnation ,  en  15^ , 
exhalaqt  sans  pudeur  les  plus  brutales  im- 
précations contre  ce  qu'il  y  avait  alors  de 
plus  révéré  sous  le  ciel  ;  empruntant  les  pa- 
roles du  prophète  et  les  accens  de  l'inspi- 


8  flISTOIRK 

ration  pour  déyouer  ses  adversaires  au 
carnage,  à  Pextermination  (1);  de  pareik 
excès  fîirentt-iis  l'explosion  snbite  d'un  coeur 
exaspéré  par  la  contradiction  ?  On  ne  laisse 
échapper  de  sa  plume  de  semblables  paroles 
qae  quand  elles  ont  long-temps  fermenté. 
Le  livre  delà  Liberté  chrétienne ,  plein ,  dît 
Bossuet,  de  paradoxes  dont  l'Europe  ne 
tarda  pas  k'  voir  les  funestes  eflfets  (3) ,  et 
pourtant  si  modéré  auprès  de  Fécrit  récent 
de  M.  de  La  Mennais ,  avait  eu  déjà  bien 
des  avant-coureurs  qui  préparaient  il  sa^oc- 
trine.  De  l'époque  où  le  livre  paiut ,  remon- 
tez a  Tannée  i  51 7,  qui  fut  le  point  de  départ 
du  fougueux  hérésiarque ,  comme  trois  siècles 
après  ,  ^  une  pareille  année  1817  ,  devait 
édore  le  premier  écrit  du  nouveau  réfor- 
mateur :  suivez  ses  pas  dans  la  carrière. 
D'abord,  des  propositions  hasardées  contre 

(1)  Voyes    BoMael,  Hisi.   deê    Vmrimi,,  liv.  i, 

B.  XXIT,  XXV. 

(1)  Ihid.,  B.  XXIII ,  t.  lll,  p.  75,  cdit.  in-i*. 


DE   LA    NOUVEtLB   BÉRÉSIE.  9 

le  sentiment  commun ,  des  singularités  où 
il  s'étudie  en  toutes  choses  h  prendre  le 
contre-pied  de  l'Eglise  (1),  et,  avec  cela,  la 
protestation  que  personne  n'est  plus  docile 
a  sa  doctrine ,  plus  soumis  à  ses  décisions (3). 
Que  le  Souverain  Pontife,  ému  des  clameurs 
qu^excitait  déjà  la  nouveauté  de  ses  systèmes, 
en  prenne  connaissance  :  c'iest  alors  qu'il  se 
montre  le  plus  respectueux.   Il  lui  écrit  : 
Donnez  la  pie  ou  la  mort^  appelez  ou  rap- 
pelez ^  approuvez  ou  réprouvez^  comme  il 
voua  plaira ,  j'écouterai  votre  voix  comme 
celle  de  Jésus-Christ  mêmew(3).  «r  S'il  avait 
<r  pris  la  plume ,  ce  n'était  pas ,  à  Dieu  ne 
<r  plaise, que  cefitîtdansaucunevue humaine, 
«r  Homme  timide  et  retiré,  il  avait  été  traîné 

(1)  fipssuet,  HUt.  des  Variationê^  n.  xxiii,  t.  III, 
p.  72,  édit.  m-4*. 

(2)  Hisi,  de  la  Réformation ,  par  de  Sekendorf , 
t.  I,  p.  53.  M.  de  La  Mennais,  Eaaai  sur  l'Indiff,, 
1. 1,  p.  178. 

(3)  BoBSuet,  supr.,  p.  73.  Lutheri  opéra,  t.  I, 


ici  aiSTOIAK 

«  par  force  dans  le  public,  et  jeté  dans  cçs 
«  troubles  plutôt  par  hasard  que  de  dessein. 
ff  Ilaavait  bien  que  Jésus-Christ  n'avaitbesoin 
ir  ni  de  son  travail  ni  de  ses  services  (i  ).  »  Ce- 
pendant, ajoute  Bossuet,  on  ressentait  dans 
ses  écrits  je  ne  sais  qijioi  ^e  fier  et  d'em- 
porté (2);  à  travers  jçette  feinte  modé- 
ration, perçait  l'orgueU  du  sectaire;  il  se 
faisait  reconnaître  ^ux  |i;ien^ces  adr^^ées 
a  ses  contradicteurs.  Jiui  pa^rlaitron  de  ré- 
tracter OU-  d'expliquer  daiis^  un  sens  plus 
exact  ceftginqs  opinion^  énoncées  ^mé- 
rairement?  Ëijgagé  coinme  il  Tétait,  ^n 
honneur  ne  lui  permettait  pas  ^e  rç^ur 
1er  (3\).  A.mesniro  que  le  parti  grossisfs^it , 
il  1^  prenait  d'un  ton  encore  plus  haut. 
Ce  n'était  plus  un  harangueur  qui  se  laissât 
emporter  à  des  propos  insensés  dans  la  cha- 
leur du  discours ,  c'était  un  docteur  qui  ^og- 

(1)  De  Sekend(vf,  Hist.  de  la  Réform.,  t.  1,  p.  46. 

(2)  Bossuet ,  supr.y  p.  74. 

(3)  Luth.,  Episf.adLeon,  X.  Bossuet,  p.  75. 


DE   LA   NOUVELLK   HÉRÉSIB.  il 

matisait  de  saog-firoid ,  et  qui  mettait  en 
tbèse  toutes  ses  fureurs  (i  ).  Ses  expressions 
à  regard  du  pape  ont  bien  changé,  r  Je  ne 
c  m'arrête  pas,  dit^il,kce  qui  plaît  ou  déplaît 
«  à  réyêquj^  dp  Roine;  il  esthomn^e  comqi^e 
«  les  autres  hommes.  J'écoutp  le  p^p^  en  fa 
«  qualité  ^  pape  (2).  f  ^^w  d'autre  ^mps  il 
aurait  dit  ;  Cp.mipe  papç,ouij;  çQmmepfinc^, 
non  (3).  {i'électeur  Frédéric  de  Sa^  ,  son 
protçpt^ur  le  pliis  déplar^  ,  c^qyenai^  lui- 
niêofie  ^u'il  allait  irop  loin  ;  tout  ce  g^'il 
auraijb  ypulu  ,*  c'était  qu'il  eût  agi  avec  plus 
4e  douceur  et  de  circonspecti^on  (4).  Erqisme 
etMéls^ficbfo^lm  faisaieii,t  les  mêmes  repro- 
ches. Dele^ijcaveu^qn  yayQJt  dan^  tout  son 
discofurs  les4eux'pF)ai^qjae9  4'vin  orguei^  outré, 
la  moquerÎQ  e|t  \^,  violençeX^s  fièvres  les  plus 

(1)  Botsaet,p.79.      ,  . 

(2)  HUt.^dela  H^/orm.,  parde  Sekeadorf ,  p.  59. 

(3)  Distinction  de  M.  de  La  iMTennais  dans  sa  cor- 
respondance avec  Mgr'.,  résèque  dé  Rennes."  ■ 

(4)  DeSekendorf,p.  449.  . 


tS  RfSTOIRK 

violentes  ne  causent  pas  de  pareils  transe- 
ports.  Et  voîlk  ce  qu'on  appelait  dans  leparti 
hauteur  de  courage.  On  lui  pardonnait  tbut, 
parce  qu*il  avait  parlé  avec  un  grand  éclat 
de  belles  paroles  et  une  heureuse  élégance 
de  la  langue  maternelle.  Ce  qui  fait  dire  h 
Bossuet ,  après  qu'il  a  rapporté  ces  contra- 
dictions :  cr  Quand  je  considère  taht'd*em- 
«  portement  après  tant  de  soumission ,  je 
•f  suis  en  peine  d'oîi  jwuvait  venir  ciètte  ha- 
ie milité  apparente  à  tin  honlme  de  ^e  iua- 
«  tureL  Etait-ce  dissimulation  et  ftrtiBcie? 
«  ou  bien  est-ce  que  rorgueil  hë  se  comiaii 
<r  pas  lui-même  darhsseé  comn^fehcemens ,  et 
K  que ,  timide  d'ibôrd ,  il  se  èaelie  sous  son 
cr  contraire,juéqu*kce'q[n'il  ait  trouvé  Focca- 
«  sion  de  se  déclarer  avec  avàrttage  (i)  ?  j» 

Que  si  nous  comparons  le  fond  de  la  doc- 
trine :  la  ressemblance  n'est  pas  moins  frap-^ 
pante ,  a  la  seule  différence  près  des  matières 
quel'espritdu  siècle  imposait  a  ses  écrivains. 

V 

(1)   Variât. y  liv.  i,  ii.  xxvi,  p.  77. 


Jm  LA   NOUVELUS    HÉRÉSIE.  15 

Luther,  au  dix-neu^ièmc siècle,  auraitparlé 
de  tou(  autre  chose  que  des  indulgences, 
de  la  justification  et  du  libre  arbitre.  Trans- 
porté parmi  nous  à  une  époque  d'anarchie 
où  rien  n'est  défendu  par  personne  (1))  il 
eût  commencé  à  sonder  la  plaie  vive ,  pro- 
fonde ,  qui  ronge  la  société  ;  il  eût  fait  tom- 
ber de  sa  plume  éloquente  une  philosophie 
nouvelle ,  hardie ,  régénératrice  ,  destinée  , 
selon  son  opinion ,  à  sceller  dans  leurs  fon- 
demens  même  l'alliance  de  la  foi  et  de  la 
raison  (2)  ,  sans  trop  s'embarrasser  si  par  le 
fait  il  ne  renversait  pas  l'une  et  l'autre, 
mais  toujours  protestant  que  quiconque  tou- 
che à  la  foi  touche  a  la  prunelle  de  notre 
œil  (3);  et,  sur  les  ruines  de  tous  les  an- 
ciens systèmes  philosophiques  et  théologi- 
qiies,  il  eût  élevé  ce  quelque  chose  qui, 

(1)  M.  Lacordaire ,  p.  200.  M.  de  La  Meimais, 
Introd.  a  V Essai  sur  Vlnêifér. 

(2)  M.  Lacordaire,  Considérât,^  p.  80. 

(3)  JJbid,,  p.  36,  93, 371. 


14  msTonts 

coiilthe  parle  M.  Lacordaire,  a  Vair  de 
vis>re  et  de  s* entendre  y  bien  qu'on  lie  cesse 
de  nous  crier  que  personne  rCy  a  rien  com- 
pris (1).  Luther,  au  dix-neuvième  siècle. 
Serait  ce.  qu'est  M.  de  La  Mennais  ;  son 
premier  ouvrage  eut  été  V Essai  sur  Pin- 
différence. 

Cependant  il  était  impossible  qu'il  ne  s'é- 
levât  des  doutes,  des  réclamations.  —Le  no- 
vateur de  Wîrlemberg  ne  permet  pas  qu'on 
l'attaque.  «  Si  on  m'attaque,  puisque  j'ai 
If  Jésus-Chrisl  pour  maître ,  je  ne  demfeu- 
<c  rérai  pas  sans  réplique.  Pour  ce  qui  est  de 
tf  chanter  la  palinodie,  que  personne  ne  s'y 
•f  attende  (2)  ;  »  et  il  tient  parole  par  la  pu- 
blibation  de  sa  Défense^  suivie  bientôt  d'iihé 
nuée  d'écrits  apologétiques,  Réflexions ^ 
Mélanges ,  Lettres ,  où  il  développe  de  plus 
en  plus  le  mystère  de  vérité  auquel  il  se  pré- 
tend appelé.  Dans  celle  qu'il  adresse  auxévê- 

(1)  M.Lacordaire,  p.  180  et  200. 

(2)  DeSekendorf,  p.  98 .130,  170. 


^ 


DK  LA  NOtVELLE   RÉEÉSIE.  IS 

qaes ,  il  leur  déclare ,  afin  qu'ils  n'en  pré- 
tendent cause  d'ignorancci ,  que  sa  vocation 
spéciale  est  de  publier  les  oracles  de  la  vé- 
rité ,  de  les  annoncer  ai^ec  un  mépris  magni-^ 
fifue  dteux  et  de  Satan  ;  et  que  si  on  lui  de- 
tnatffde  lès  titresf  de  sa  mission,  il  n'a  d'autre 
chose  à  répondre ,  sinon  qu'il  Va  reçue  non 
des  hommes  ni  par  t  homme  ^  mais  par  le  don 
de  Dieu  et  par  la  réi^élation  de  Jésus-Christ. 
Sur  quoi  Bossnet  :  «  Le  voilà  donc  appelé  à 
tr  noéitie  titre  que  saint  Paul ,  aussi  immé- 
«r  diàteinëAt,  eitr^ordinairemen t  (1  ) .  »  Pleins 
dû  Inémé  esprit  que  leur  maître ,  les  disèi- 
pies  de  M.  de  La  Mennais  répondront  k  leur 
tôûr  à  la  même  question  ;  «r  Notre  mission , 
ir  elle  nous  yiéht  de  notre  conscience  ,  de  là 
c  foi  catholique ,  des  lois  de  l'Église ,  dés 
tf  concile^ ,  dé  là  tradition  chrétienne  (2)  !  ;i 
Qui  oserait  combattre  le  nouvel  Ecclésiaste 


(i)  Hiêt'des  Variât,,  liv.  i,  n.  xxxvil 
(2)  Avenir  y  n,  60. 


16  UIStOIRE 

(  nom  que  Luther  se   doiine  k  lui-même 

eu  têle  de  ses  ouvrages  ),  et  ces  apâtres  à 

qui  le  ciel  a  commandé  de  régénérer  le  Ca-- 

tholicisme  déchu  ^  d'y  ranimer  à  tout  prix  la 

force  et  la  vie  tjui  depuis  long^tempsT avaient 

abandonnéPTelle  est  la  mission  qu'ils  avaient 

k  remplir  ;  et  c'est  k  cette  régénération  que 

lui  et  les  siens  n'ont  pas  cessé  de  travailler 

depuis  quinze  ans.  Luther  non  plus  ne  cessa 

jamais  de  tenir  ce  langage^  il  lie  voulait  que 

ramener  le  Christianisme  k  sa  simplicité  pri« 

mitive ,  en  le  présentant  aux  intelligences 

tel  qu'il  le  concevait  eii  lui-même ,  et  non 

tel  que  les  doctrines  surannées  de  la  scolas- 

tique  et  les  superstitions  des  siècles  précé- 

dens  l'avaient  défiguré  (4  ).  Pour  cela,  il  fallait 

décrier  et  les  scolastiques  et  les  théologiens 

des  siècles  précédons ,  sans  faire  grâce  k  au- 

(i)  Yillers ,  E$aai  sur  l' Esprit  de  la  ré  format,  de 
Luther,  p.  54.  Ponce,  Essai  histor.  sur  le  même 
siget,  p.  47.  Malle  ville,  2*  Disc,  sur  le  Luthéran., 
p.  iôOetsqiv. 


K 


DE  LA   NOUVELLE  HÉRÉSIE,  17 

cun.  Tout  ce  que  l'épiscopat  et  le  sacerdoce 
catholique  comptait  de  plus  vénérable  par 
réminence  des  talens  et  des  vertus ,  chargé 
des  plus  odieuses  imputations ,  n'échappait 
au  reproche  d'ignorance  que  pour  tomber 
sous  celui  de  la  plus  abjecte  servilité  (1). 
La  Sorbonne ,  entre  autres ,  dont  l'autorité 
s'était  fait  remarquer  avec  tant  d'éclat  aux 
conciles  de  Constance  et  de  Baie ,    devint 
par  Ikmême,  après  qu'elle  eut  osé  censurer  sa 
doctrine,  le  point  de  mire  de  ses  plus  véhé- 
mentes agressions. Les  plus  grossières  injures 
lui  étaient  prodiguées  ;  et  rien  n'est  compa- 
rable à  l'acharnement  avec  lequel  ces  soi- 
disant  apôtres  de  la  charité   évangélique 
s'exprimaieql;  sur  cette  école  fameuse  dans 
tout   le  monde  chrétien.  Toutefois  je  ne 
sache  pas  que  Luther ,  ni  aucun  de  ses  dis- 

(1)  M.  Lacordaire  convient  que  la  nouvelle  phi- 
losophie fîit  repoussée  par  le  corps  épiscopal  et  par 
les  docteurs ,  ce  qui  n^ empêcha  pas  les  sectaires  de 
passer  outre.  (Con«ûicV.,p.  30.  ) 

T.   I.  2 


18  »M1IIB 

ôples»  ait  poussé  la  démence  jusqu'à  Pacci 
d'athéisme. 

Oser^û^je  le  dire?  car,  même  en  expri« 
mant  ici  ma  pensée  avec  toute  la  réaerye 
que  m'imposent  la  rigueur  des  principes  et  le 
respect  des  convenances ,  je  tremble  encore 
que  des  lecteurs  médiocrement  versés  dans 

l'histoire  de  ce  déplorable  schisme  et  des 
causes  qui  ramenèrent,  ne  s'en  prévalent 
pour  autoriser  la  révolte  par  laquelle  Luther 
remplaça  la  réformation.  La  face  de  l'Eglise 
était  alors  si  étrangement  défiguré^9  la  dis- 
cipline tout  entière  si  méconnue,  Tétude 
des  sciences  ecclésiastiques  si  fort  négligée 
par  ceux-là  même  qui  se  vantaient  le  plus 
haut  de  leur  érudition  (i  ) ,  le»  distinctions 
sur  ces  matières  étaient  si  subtiles  et  si  em- 
barrassées ,  quHl  était  bien  difficile  de  se 
tenir  ferme  sur  le  terrain  glissant  où  l'on  s'é- 
tait engagé.  Un  zèle  mal  éclairé  pouvait  s'y 

(i)  Voyez  Mgr.  Pévéqne  de  Strasbourg,  IH8ci$99, 
amicale,  1. 1,  p.  69,  85  ;  et  t.  II,  p.  354  et  suit. 


>^ 


PB  LA  PfOOVKUA  HÉBÉSIE.  t9 

mépr&àdx^  :  je  ne  parle  que  des  commença- 
mens.  Or  y  il  e$t  prouvé  que  ceux  de  Luther 
n'txcédaient  pas  les  bornes  où  s'arrêtèrent 
les  Erasme ,  les  Gerson ,  les  Pierre  d'AUly. 
A  leur  exemple ,  les  esprits  pacifiques,  yraii 
enfiins  de  l'ÉgHse,  sollicitaient  avec  énergie, 
mais  sans  aigreur ,  sans  emportement ,  la 
râfonne  devenue  nécessaire  tant  dans  le 
cbef  que  dans  les  membres  ;  dût  le  médecin 
plonger  le  fer  au  fond  de  la  blessure  pour  en 
M(tirjp«p  un  mal  profond  et  invétéré  (1). 
Calaient  là  y  comme  parle  Bessuet,  les  farts 
4e  f  Eglise,  dont  nulle  tentation  ne  pouvait 
ébranler  la  foi  ni  les  arracher  de  l'unité  (3); 
mw  le  nombre  en  était  petit  et  l'auto- 
rité impuissante.  Luther  s'était  d'abord 
rangé  de  ce  parti.  S'il  accusait,  c'étaient 

(1)  Vay9t  les  témoi^ages  de  Gill.  de  Viterbe, 
dans  VHist.  des  Conc.  Richer,  liv.  iv,  part,  ii,  p.  8  ;  da 
eard.  Jolien  ,  Episiola  I  ad  Eugen,  IV ^  inter  opéra 
£n.  Silv.,  p.  67  et  seq.  Bérault-Bereastel ,  Hitt  de 
VEgl.yt,  XI,  p.  95.  (Besançon.) 

(2)  flirt,  deê  rafiat.,\iy'\,n,  5,  t.  III  in.4^p.  65. 


iM  HISTÛmE 

des  abus  notoires  ,  crians ,  avoués  pai" 
les  pontifes  et  par  les  conciles,  auxquels 
on  refusait  opiniâtrement  d'apporter  re- 
mède (1).  Il  écrivait  à  Farchevêque  de 
Mayence  pour  lui  exposer  ses  doutes  et  s'é- 
clairer de  ses  lumières  (2)  ;  il  se  soumettait 
àl'avance  aujugementdupapeet  de  l'Eglise, 
h  la  décision  de  ses  docteurs,  consultés  par 
lui ,  disait'il ,  avec  la  simplicité  d'un  enfant. 
Nul  esprit  de  système  ;  rien  qui  ressentît  la 
prétention  d'innover.  Il  condamne  sévère- 
ment le  zèle  indiscret  de  ses  premiers  disci- 
ples qui  avaient  pris  sa  défense,  par  d'inju- 
rieuses représailles,  contre  le  bouillant 
Tzetzès  (3) ,  et  se  plaint  que  la  violence  de 
ses  ennemis ,  portée  (Bossuet  en  convient)  (4) 


(1)  Maimb.,  Hist,  du  Luthéran.,  t.  I,  in-4<» ,  p.  8, 
10.  Bossuet,  liv.  v,  p.  190. 

'  (2)  Sleidan,  Comment,,  liv.  i,  p.  2.  De  Sekend., 
Hist.  de  la  Réform,,  t.  I,  p.  2o. 

(3)  De  Sekend.,  Hist,  delà  Réform.,ji,  41. 

(4)  Bossuet ,  Variât,,  liv.  v,  t.  III,  p.  190. 


mt  LA   KaU\EU4E   HÉEÉSIE.  SI 

jusqu'à  Taigreur  et  rcmportement  (1),  et  la 
nécessité  de  se  défendre ,  l'avaient  entraîné* 
par-delà  les  bornes  de  la  modération.  Mais 
combien  les  choses  étaient  différentes  ! 
M.  de  La  Mennais  n'avait  pas  sous  les  yeux 
ces  scandaleux  désordres  dont  l'Église  était 
alors  déshonorée.  La  foi  de  notre  Eglise  ca- 
tholique était  intacte  ;  sa  discipline ,  sa  con- 
stitution sainte  étaient  sorties  victorieuses 
des'combats  que  lui  avaient  portésle  schisme 
et  l'hérésie*  Plus  de  controverse  dans  le 
sanctuaire  ;  ses  ruines  se  relevaient  paisi- 
blement sous  l'autorité  paternelle  de  ses 
évêques ,  et  rien  ne  retardait  le  travail  ré- 
parateur confié  aux  mains  de  la  sagesse  et 
de  l'expérience.  Que  s'il  laissait  quelque 
chose  encore  à  désirer  du  côté  de  la  science, 
non  moins  nécessaire  en  effet  au  sacerdoce 
que  la  piété  elle-même,  le  champ  de  la 
science  ecclésiastique  avait-il  été  épuisé  ?  i^e 

(1)  Luther,  t.  V,  in  cap,  i  ad  Galat,  Ibid. ,  foLllO. 
Erasme  ,  Episi.  ad  eard.  Sadolet, 


HBTOniE 

«'ouvrait-il  pas ,  riche  de  trésors ,  à  la  noble 
'  émulation  d'une  jeunesse  studieuse?  mai^- 
quait-on  de  guides  sûrs ,  d'oracles  éprouvé»? 
Entre  les  plus  illustres  Églises  du  monde 
chrétien ,  se  présentait  k  tous  les  regards 
notre  Eglise  de  France ,  brillante  de  génie 
et  de  vertu ,  forte  comme  cette  tour  âe 
David  dont  parle  l'Écriture  (1) ,  investie  de 
toutes  parts  des  mille  boucliers  que  nospon* 
tifes  ont  suspendus  k  ses  murailles.  Pourquoi 
n'y  pas  apporter  son  propre  trophée?  Poui^- 
quoi  I  au  contraire ,  lancer  contre  elle  les  traiter 
du  Philistin  ?  Le  livre  de  M.  de  La  Mennâis 
était ,  nous  dit-on ,  une  résurrection  tèdmi^ 
tablé  des  raisonnemens  anciens  et  éternefe 
qui  prouvent  aux  hommes  la  nécessité  de  la 
ibi«  Je  veux  le  ci*oîrè;  mais  ces  raisonne- 
mens $  nous  dit  M.  Lacordaire,  étaient  ren- 
dus nouveaux  par  leur  application  a  des 
«reurs  plus  vastes  qu'elles  n'avaient  étédann 


(1)  Cata.  iv/4. 


BE  LA   KOUVSLLB  HERESIE. 

les  siècles  antérieurs.  Pourquoi  ne  pas  s'en 
tenir  là?  Quel  intérêt  et  quel  besoin  la 
Yéiité  chrétienne  avait-elle  que  M.  de  La 
Mennais  ajoutât  de  nouvelles  preuves  a  sa 
démonstration?  Les  anciennes  étaient,  nous 
dit-on,  incomplètes^  insiiffisantes ,  plus  pré- 
judiciables à  la  religion  qu'elles  ne  peuvent 
lui  être  utiles.  Mais  ces  preuves ,  «i  dédai^ 
gnées  par  la  moderne  école,  c'étaient  pouiv 
tant  les  mêmes  qui  avaient  triomphé  de  l'or- 
gueilleuse incrédulité  et  des  sophismeii  de 
l'hérésâe.  C'étaient  les  seules  qui  avaient  servi 
a  saint  Augustin  pour  confondre  a  la  fois  les 
Ariens ,  les  Donatistes  et  les  Manichéens  ;  à 
Bossuet ,  p'our  réduire  au  silence  Claude  et 
tout  son  part] .  Depuis  ces  grands  hommes , 
il  atait  été  fait  des  objections  nouvelles ,  et 
les  erreurs^  devenues  plus  vastes  qu'elles 
n'muûiènt  jamais  été  dans  les  siècles  anté^- 
riêut%  (1)5  Appelaient  utie  polémique  plus 


<!}  tti  ULO0ftA9ke,  CtHkM.,  etc.,  p.  86. 


M  HISTOIRE 

savante ,  de  plus  profonds  théologiens ,  des 
philosophes  mieux  exercés.  M.  de  La  Men- 
nais  s'est  présenté  dans  l'arène,  pour  y  rem- 
placer les  Augustin ,  les  Thomas  d'Aquin , 
les  Bossuet ,  et  les  faire  oublier  !  Et  ce  sont 
des  prêtres  catholiques  qui  nous  tiennent 
un  pareil  langage  !  Quel  triomphe  pour  les 
ennemis«du  nom  chrétien  !  Ces  orgueilleux 
détracteurs  de  nos  vérités ,  a  qui  nous  oppo- 
sions ,  dans  la  simplicité  de  notre  foi ,  les 
savantes  apologies  des  Tertullien  et  des 
Origène,  comme  les  ayant  terrassés  à  l'a- 
vance ,  ils  auront  raison  désormais  de  nous 
répondre  que ,  de  l'aveu  de  l'un  de  nos  dé- 
fenseurs, ces  preuves  étaient  incomplètes, 
insuffisantes.  Gloire  a  M.  de  La  Mennais , 
qui  en  a  créé  de  nouvelles,  inconnues  à  l'an- 
tiquité !  Quoi  !  le  livre  de  la  Cité  de  Dieu , 
les  chefs-d'œuvre  des  Vives ,  des  Grotius  , 
des  Abbadie  et  des  Arnaud ,  avaient  laissé 
en  arrière  des  raisonnemens  oubliés  contre 
les  erreurs  et  les  sophismes  de  l'impiété  ? 


DE   LA   NOUVELLE   HERESIE.  VA 

Quoi  !  il  Êdlait  des  preuves  nouvelles  contre 
cette  philosophie  de  nosjours  que  l'immortel 
Pie  VI ,  <{ui  en  fut  le  contemporain ,  appelle 
une  hérésie  universelle  (1)?  Et  Xejlambeau 
de  la  vérité  s'était  arrêté  sur  le  seuil  de  l'a- 
bîme ,  attendant  que  M.  de  La  Menns^is  vint 
le  porter  jusqu'au  fond?  Telles  sont  pour- 
tant  les  prétentions  de  M.  de  La  Mennais. 
Je  le  demande  encore  une  fois  :  rencontreat- 
vous  rien  de  pareil  chez  Luther  à  ses  com- 
mencemens  ? 

Quel  est  donc  l'ordre  d'argumens  qui 
avaient  échappé  durant  tant  de  siècles  à  tous 
les  amis  comme  à  tous  les  ennemis  du  nom 
chrétien  ?  C'est  la  philosophie  humaine ,  la 
raison  générale  du  genre  humain  qui  les 
fournit  à  l'apôtre  du  xix®  siècle,  v  De  même 
fc  que  la  religion  est  née  de  la  parole  divine, 
cr  qu'elle  repose  sur  des  faits ,  qu'elle  est 
tf  une  autorité ,  qu'elle  a  une  Eglise  ensei- 

(i)  Bref  du  10  mars  1791,  dans  notre  Collect,  des 
Brefs  du  pape  Pie  FI,  t.  I,  p.  94. 


M  UToms 

«  gnante  et  itifâilUble ,  M.  de  La  Menkuûs  â 
«r  Toulu  que  la  philosophie  naquit  de  la  pa« 
«r  rôle  diyine ,  reposât  sur  des  faits ,  fut  une 
^  autorité,  eAt  une  Eglise  enseignante  et 
«  infaillible  ;  il  a  voulu  que  ees  deux  orgm^» 
ir  nés  infaillibles  de  la  Vérité ,  <Viant  mU 
«  monde  les  mêmes  choses,  eussent  été 
te  réunis  par  le  Christ  dans  une  indissoltthU 
•e  et  étemelle  unité  (1).  » 

Tel  est ,  au  rapport  de  l'un  de  ses  dâsci*^ 
pies ,  de  son  plus  fervent  propagateur  ^  le 
système  philosephico^théologiqUe  de  M.  de 
La  Mennais.  te  U  manquait  k  FËgUse  une 
<e  philosophie  catholique;  il  n'en  existait 
¥  pas ,  et  n*en  pouvait  pas  même  exister»  U 
(r  fallait  bien  recourir  autétrangéirsi  et  cette 
te  nécessité  même  était  heureuse.  *  La  l*ai* 
son  qu'il  en  donne  ne  sera  que  le  dévelop» 
pement  du  principe  posé  par  son  maître  t 
que  la  foi  vient  du  dehors ,  et  que  le  genre 

(1)  M.  Lacordaire,  QmsiiiNÊ.i  eMt^p.U. 


DE   L.\   ^OWBLLC   U£R£SI£.  Sf 

hamûn  en  avait  été  Torgane  infaillible; 
ff  car ,  ajoote-t-il ,  la  philosophie  ne  pouvant 
«r  être  dans  l'Eglise  qu'une  préparation  k 
«la  foi ,  une  confirmation  et  une  expli* 
«r  cation  de  la  foi ,  il  valait  mieux  s'appuyer 
V  au  dehors  qu'au  dedans  (1).  » 

Voilà  dbnc  les  philosophes  de  Tanti*- 
qoité  païenne  transformés  en  Docteurs  de 
l'Eglise!  ils  furent  ou  les  patriarches  ou 
les  interprètes  de  nos  dogmes  sacrés  !  Avant 
le  christianisme ,  c'était  la  philosophie  qui 
préparait  a  la  foi  ;  depuis  le  christianisme , 
c'est  elle  encore  qui  confirme  la  foi ,  et  qui 
en  explique  les  saintes  obscurités  ;  elle  qui 
suppléait  la  tradition,  constituait  l'Eglise 
de  Jésus -Christ,  formait  le  critérium  de 
la  vérité,  le  tribunal  suprême  et  unique  "  , 
de  la  foi,  l'oracle  universel  du  genre  hu- 
main! Les  caractères  que  nous  assignons 
à  nôtre  Eglise  catholique  comme  marques 

(1)  M.  Lnitordairé^  CtmM.,^.  106. 


98  HISTOIRE 


de  son  infaillible  vérité,  à  savoir,  son  unité, 
son  antiquité,  sa  perpétuité,  ils  se  trou- 
vaient avant  elle  dans  l'autorité  de  la  tra- 
dition du  genre  humain!  A  quoi  bon  Jé- 
sus-Christ était-il  venu  sur  la  terre  pour 
apporter  au  monde  la  lumière ,  quand  elle 
existait  chez  les  étrangers  !  A  quoi  bon  pro- 
mettre k  son  Eglise  sa  continuelle  assis- 
tance ,  et  qu'avait-on  besoin  de  son  divin 
Esprit?  Nos  saints  Pères  furent  platoniciens  ; 
l'école  de  Socrate  et  de  ses  disciples  conjîr* 
mait^  expliquait  suffisamment  la  foi  à  la- 
quelle ils  aidaient  préparé  Yuni\ersl  L'éclec- 
tisme prévalut  dans  la  société  chrétienne  ! 
Pour  peu  qu'on  ait  étudié  nos  saints  Pères, 
un  simple  coup  d'œil  suffit  pour  apercevoir 
le  faux  et  les  dangereuses  conséquences  de 
ce  système.  Il  est  réfuté  invinciblement  par 
les  doctes  ouvrages  publiés  sur  cette  ma- 
tière, et  mieux  encore  par  tous  les  écrits 
des  temps  apostoliques.  Une  pareille  opi- 
nion ne  pouvait  sourire  qu'a  l'hérésie,  qui 


DE  LA  liOOVSLLE  IIÉRÉSIE.  SO 

s'en  est  emparée  avidement.  S'il  en  était 
ainsi,  la  jeunesse  philosophicpie  de  nos  écoles 
aurait  eu  raison  de  ne  voir  dans  l'établisse- 
ment du  Christianisme  qu'une  œuvre  hu- 
maine où  la  main  de  Dieu  disparaît.  11  se 
réduit  à  n'être  qu'une  secte  plus  heureuse 
que  les  autres ,  laquelle  s'est  avancée  k  tra- 
vers des  ruines  qu'elle  n'avait  pas  faites.  Ne 
vous  y  trompez  pas  :  les  Docteurs ,  les  con- 
quérans  du  monde ,  ne  furent  ni  les  apô- 
tres ni  les  confesseurs  de  la  foi  chrétienne , 
et  Jésus  -  Christ  ne  joue  dans  le  drame  de 
la  conversion  de  l'univers  qu'un  rôle  subal- 
terne ! 

Je  le  confesse ,  j'ai  lu  dans  le  temps  avec 
quelque  attention  les  livres  de  Luther;  étude 
indispensable  au  dessein  exécuté  par  l'ou- 
vrage du  Parallèle  des  résolutions ,  publié 
en  i  791  (1  ) ,  duquel  résultent ,  ainsi  qu'on 
peut  le  Toir^  la  confrontation  la  plus  rigou- 

(4)  1  vol.  in-8«,  par  M.-N.-S.  Guillon. 


89  ns&jovm 

r^use  et  la  re$$emblance  la  plus  fidèle  ealra 
le&  décrets  de  l'Assemblée  constituante  et 
l'acte  de  constitution  civile  du  clergé,  avec 
les  sentimens  et  les  expressions  de  Luther 
sur  les  matières  alors  controversées.  J'af* 
firme  n'avoir  rien  lu  dans  tout  l'œuvre  de 
Luther  qui  se  rapproche  de  cette  opinion 
de  M,  de  La  Mennais,  «  que ,  comme  la  reli- 
gion ,  la  philosophie  eût  eu  une  autorité,  et 
qu'elle  fût  une  Eglise  enseignante  et  infail- 
lible^  que  jusqu'à  Tavénement  de  Jésus- 
Christ  parmi  les  hommes ,  elles  aient  tenu 
le  même  langage,  appris  les  mêmesvérités.  » 
Doctrine  aussi  dangereuse  dans  ses  consé- 
quences qu'elle  est  fausse  et  absurde  dans 
ton  principe.  Luther  ne  la  soupçonna  ja- 
mais j  il  l'a  combattue  et  foudroyée  k  Ta- 
vance.  Quelque  erronée  que  fût  sa  doctrine 
sur  l'Eglise ,  il  se  gardait  bien  de  la  confon- 
dre avec  celle  qu'il  reconnaissait  toujours 
être  la  colonne  de  la  vérité  et  l'unique  fon- 
dement du  salut.  Il  disait,  et  toute  la  Ré- 


DE  LA  Nomnmji  hérésie.  SU 

ferme  lerép4taîl  avec  lui  :  Nous  n'ayons  pas 
rAyé  qae  l'Eglise  soit  la  cité  de  Platon  (1). 
Jésns-Ghrist  était  pour  lui  ce  quHl  était  dans 
le  dogme  chrétien  aux  termes  de  saint  Paul, 
fapôtrey  le  pontife  de  la  confession  chré- 
tienne non  révélée  avant  lui ,  V auteur  et  le 
consommateur  de  notre  foi;  principe  unique 
de  la  justification ,  «  qui  devait ,  à  la  vérité , 
«r  venir  de  Dieu ,  mais  qui  enfin  devait  être 
«  en  nous,  parce  que,  pour  être  justifié, 
«f  c'est-a-dire ,  de  pécheur  être  fait  juste  et 
«  agréable  a  Dieu,  il  fallait  avoir  en  soi  la 
tf  justice ,  comme  pour  être  savant  et  ver- 
^  tûeux,  il  faut  avoir  en  soi  la  science  et 
«  la  vertu  (2).  »  Ce  que  Luther  ne  compre- 
nait pas;  et  bien  moins  encore  les  Sages  du 
paganisme ,  ensei^elisj  comme  tout  le  genre 
humain,  dans  l'ombre  de  la  mort^  c'est-à- 
dire,  de  leur  ignorance  et  de  leur  corruption 

(1)  Apolog.  de  la  confess,  d'Augshourg,  t.  II  ;  de 
VEglUe,^,  148. 

(2)  Boasuet,  ^am^.^liv.  v,  n.  1 ,  p.  66. 


naturelles.  Quelle  honte  pour  un  prêtre  ca- 
tholique de  n'avoir  pour  précurseur  dans 
ses  paradoxes  que  les  Socin ,  les  Jurieu ,  les 
Bayle  et  les  d'Holbach  ! 


CHAPITRE  n. 


Nouveau   système  de  théologie ,  de  philosophie , 
de  politique ,  par  M,  de  La  Mennuiê, 

Ce  n'était  plus  le  temps  où  le  sarcasme 
tenait  lieu  du  raisonnement ,  où  Ton  ne  par* 
lait  du  Qiristianisme  qu'avec  le  ton  de  l'in- 
sulte et  du  mépris.  La  philosophie,  décriée 
par  ses  propres  excès ,  était  muette  ou  res- 
pectueuse. Un  des  écrivains  les  plus  remar- 
quables de  cette  époque  affirmait  que ,  non- 
*  seulement  en  France,  mais  d'un  bout  à 
l'autre  de  l'Europe,  un  mouvement  tout 

T.    I.  3 


• 


6A  HISTOIRE 

contraire  a  celui  du  siècle  précédent  em- 
portait les  esprits  vers  la  religion  (i  ).  Bo- 
naparte avait  su  le  reconnaître  et  en  pro- 
fiter: Après  lui ,  ce  retour  aux  idées  saines 
de  la  religion  et  de  la  morale  n'avait  fait 
que  s'accroître  et  se  multiplier.  Dans  toutes 
lés  classes  de  la  société ,  une  heureuse  ému- 
lation faisait  éclore  sous  mille  formes  les 
miracles  de  la   charité,  excitait  les  utiles 
institutions ,  les  salutaires  réformes ,  encou-* 
rageait  la  pompe  extérieure  du  culte ,  et  la. 
ramenait  k  son  anciehne  magnificence.  Les 
bons  exemples  n'étaient  pas  sans  influence  9 
et  le  scandale  n'eut  pas  osé  se  produire  im.— 
punément.  La  dévotion  se  montrait  k  tons 
les  regards  peut-être  avec  plus  de  complai- 
sance que  la  piété  elle-même.  Si  la  législa- 
tion était  timide ,  elle  était  suppléée  par  Tac- 
tion  bien  plus  forte ,  et  plus  pénétrante  àem 
mœurs  publiques.  Qu'il  vînt  h,  se  reneontr'ev 

(1)  M.  de  Bonald,  cité  par  M.  de  La  Mennaia  f 
Religion  considérée ^  etc.,  p.  76. 


DE  LA  mUTELLE   HÉRÉSIE.  SS 

des  firidaine,  des  Vincent  de  Paule,  dont  le 
zèle,  tempéré  par  la  miséricorde,  retraçât 
la  TÎTe  image  de  celui  dont  il  avait  été  dit 
qa*U  ne  foulerait  pas  sous  les  pieds  le  roseau 
4  demi  brisé  ^  et  n*  éteindrait  pas  le  lumignon 
fuijume  encore(i  ),  partout  ils  étaient  accueil- 
lis aTec  transports ,  écoutés ,  du  moins  avec 
Reconnaissance.  Dans  une  disposition  aussi 
&Torable  des-esprits ,  quels  ennemis  M.  de 
LaMennaîs  avait-il  a  combattre?  Et  quel  que 
dût  être  Tobjet  de  ses  attaques ,  la  religion 
lui  mettait-elle  a  la  main  les  armes  de  la 
satire  et  de  la  colère?  M.  de  La  Mennais 
semblem'en  pas  connaître  d'autre.  Envelop- 
pant dans  ses  généralités  et  les  nations  et 
les  individus,  il  ne  fait  grâce  h  aucuns.  An- 
ciens et  modernes ,  réformés  ou  catholiques, 
chrétiens  insoucians ,  chrétiens  même  rc- 
U^eux  (2) ,  tous ,  à  l'entendre ,  sont  atteints 

(1)  Isaïe^  xLii,  3. 

(2)  Essai  sur  l'Indiff.j  p.  24.  Voici  comme  il  en 
parle  ailleurs  ;  «  Bonnes  gens  qui  se  croient  rcli- 


56  HISTOIRE 

de  celle  lèpre  contagieuse ,  dévorante ,  qu'il 
appelle  l'indifférence  5  monslre  hideux  et 
stérile  qui  conduit  directement  à  toutes 
les  calamités  et  à  4:ous.les  crimes,  et  qui  ya 
précipitant  la  société  tout  entière  dans  la 
dissolution  et  dans  la  mort.  «  Qu'apercevez- 
«  vous  de  toutes  parts ,  qu'une  indifféreince 
cf  profonde  sur  les  devoirs  et  sur  les  croyan- 
ce ces,  avec  un  amour  effréné  des  plaisirs  et 
((  de  l'or,  au  moyen  duquel  il  n'est  rien  qu'on 
w  ne  puisse  obtenir?  Tout  s'achète ,  parce 
«  que  tout  se  vend ,  conscience ,  honneur , 
et  religion  ,  opinion  ,  dignités,  pouvoir^, 
«  considération  ,  respect  même  ;  va3te  nau- 
<c  frage  de  toutes  les  vérités  et  de  toutes  les 
ce  vertus.  Quand  un  peuple  arrive  à  cet  état 
«  d'indifférence,  sa  fin,  n'en  doutez  pas. 


*  gieux,  qui  le  sont  réellement,  et  qui,  imperturbables 
dans  leur  confiance  hébétée  en  des  malheureux  qui 
se  jouent  de  leur  incurable  innocence  ,  s'imaginent 
faire  merveille  et  sauver  la  religion.  >»  La  Religion 
considérée  dans  ses  rapports,  etc.,  p.  97. 


DE   L.1   NOli\ELLE    ll£R£i»l£.  57 

t  est  prochaine.  C'est  le  signe  le  moins  équi- 
tr  Yoque  de  la  décrépitude  des  nations'(i).  » 
Et  c'était  au  moment  même  que  la  so- 
ciété ,  sortie  de  ses  ruines  sanglantes ,  ten- 
dait, de  son  aveu ,  a  la  régénération,  que  le 
sinistre  prophète  en  trace  ainsi  l'inscription 
fimèbre  sur  son  tombeau  entr'ouvcrt.  Il  en- 
tend le  bruit  des  révolutions  qui  grondent 
dans  Favenir  et  préparent  l'inévitable  dé- 
noûment;  il  contemple  chacun  des  symp- 
tômes de  l'incurable  agonie  qui  déjà  a 
commencé  pour  elle.  Ce  qu'il  dit  des  règnes 
de  Louis  XVIII  et  de  Charles  X,  il  le  rodira 
de*celui  de  Louis-Philippe.  Toujours  la  phi- 
losophie ,  unie  au  protestantisme ,  a  creusé 
le  gQufire  ténébreux  de  l'indifférence,  où 
le  crime ,  stupidement  tranquille  ,  s'endort 
entre  les  bras  de  la  volupté,  aux  pieds  de 
l'affireuse  idole   du  néant  (2).  L'abîme  de 

'à 

l'indifférence  appellera  l'abîme  de  l'athéis- 

(1)  Essai,  p.  21,  22,  49,  oO. 

(2)  /&»rf.,p.  21,23. 


58  HISTOIRE 

tous  les  esprits  vers  rindiflférence ,  les  gou<* 
me.  Maître  de  la  société  politique  et  civile , 
l'atliéisine  passera  bientôt  dans  la  société 
domestique ('!).  Luthériens,  sociniens ,  déis- 
tes ,  athées ,  sous  ces  divers  noms,  qui  indi- 
quent les  diverses  phases  d'une  même  doc-* 
trine ,  tous  poursuivent  avec  une  infatigable 
persévérance  leur  plan  d'attaque.  «  Us  nient 
((  les  mystères  du  Christianisme,  ils  nient  sa 
ce  morale ,  ils  nient  son  auteur,  ils  nient 
ff  Dieu ,  ils  se  nient  eux-mêmes  (2).  »  Indi£- 
férence ,  athéisme ,  sont  pour  lui  mots  syno- 
nymes. 

Il  raconte  le  délire  des  opinions ,  les  cris 
forcenés  de  la  rage  s'aidant  également  de 
la  hache  du  bourreau  et  de  la  plume  du  so-^ 
phismc  :  il  traîne  ses  lecteurs  aux  pieds  des 
échafauds  d'où  la  philosophie  proclamait 
l'athéisme,  et  il  conclut  qu'aujourd'hui, 
grâce  au  penchant  irrésistible  qui  pousse 

(1)  Essaiy  et  Religion  considérée j  p.  74. 


/c»\       "ry 


DE  LA  NOUVELLE   UEEÉSIE.  38 

vernemens  le  iavorisent  de  tout  leur  pou« 
Toir,  et,  cliose  inouïe  !  s'efforcent  d'entraîner 
le  Christianisme  dans  ce  système  -(i).  Ce 
n^est  donc  pas  à  la  France  seule ,  et  a  la 
France  bouleversée  par  ses  convulsions  po- 
litiques, torrens  éphémères  bientôt  écou- 
lés, que  s'adresse  le  reproche;  il  s'étend 
à  la  plupart  des  nations  modcnievS,  énet^ 
i^ées  et  séduites^  qui  succombent  sous  le  far- 
deau des  institutions  humaines  et  des  doc- 
trines du  néant  j  nations  mourantes ^  oii  ]a 
société  n'£st  plus  qu'un  cadavre  (2).  Depuis 
plusieurs  siècles,  l'Europe ,  travaillée  par  un 
fermait' secret  de  démocratie,  nourrissait 
dans  son  sein  l'athéisme ,  qui  de  tout  temps 
eu  a  été  le  produit  ou  la  source  inévitable  (5)  ; 
le  dogme  absurde ,  impie ,  de  la  souverai- 
neté  du  peuple  en  est  le  principe  fécond. 

; 

(1)  Essai,  p.  137. 

(2)  Ibid.,  p.  80,  472. 

(3)  Und,,  p.  80,  51,  381,  387.  Religion  considé- 
rée, etc.,  p.  354. 


40  HISTOIRE    . 

De  là  tout  ce  que  nous  voyons  :  la  société 
assise  tout  entière  sur  le  volcan  de  l'athéis- 
me 5  dépravation  universelle ,  licence  effré- 
née dans  tous  les  rangs ,  égale  ignorance  du 
bien  et  du  mal,  oubli  profond  et  mépris 
toujours  croissant  de  la  religion  et  de  ses 
premiers  devoirs  :  ce  Non  -  seulement  les 
«  vertus  se  sont  évanouies  ;  mais  le  crime , 
«  j'ai  horreur  de  le  dire  ,  le  crime ,  sans  in- 
flf  famiè  comme  sans  remords ,  n'est  plus 
f^  qu'une  simple  combinaison  de  chances , 
If  une  spéculation  vulgaire,  un  calcul,  un 
(T  jeu  dont  l'enfance  amuse  son  oisiveté , 
If  et  qui  devient  pour  elle  une  habitude 
«  avant  que  les  passions  en  aient  fait  un  be- 
c<soin(1).  Que  dire 'd'une  sembljible  so- 
«  ciété,  de  ses  doctrines,  de  ses  lois?  que 
i<  dire  de  ceux  qui ,  possédés  de  je  ne  sais 
c(  quel  esprit  de  vertige ,  jettent  les  peuples 
«  dans  cet  abîme?  » 


(1)  Essiiiy  p.  80,  42  et  suiv. 


DE  LA  NOUVELLE   UERÉSIE.  41 

Si  le  portrait  est  fidèle,  comment ,  en 
effet,  une  telle  société  n'a-t-elle  pas  déjà 
péri,  puisque,  de  son  aveu ,  la  seule  tenta- 
tive de  substituer  l'athéisme  a  la  religion 
a  bouleversé  de  fond  en  comble  la  société 
en  France  (i  )  ?  Quel  rayon  d'espérance  peut 
luire  encore  au  sein  d'un  aussi  exécrable  dé' 
sordre  ?  que  reste-t-il  à  l'homme  de  bien , 
s'il  en  peut  exister  encore ,  que  se  couvrir 
la  tête  de  son  manteau  et  désespérer  de  la 
vertu?  Or,  voilà  le  mal  que  produit  chez 
nous  l'indifférence ,  et  auquel  il  n'est  pos- 
sible d'échapper  désormais  que  par  une 
régénération  également  universelle.  Tel  est 
le  vœu  hautement  proclamé  par  lui  et  par 
son  école. 

Qu'est-ce  donc  que  M.  de  La  Mennais  en- 
tend par  le  mot  indifférence  ?  Dans  une  ma- 
tière aussi  importante ,  peut-on  apporter 
trop  d'exactitude  dans  les  termes  ?  Il  Tap- 


(1)  E$êai,i^.  57. 


0H  m$TimB 

pelle  (c  rextînction  de  tout  sentiment  d'a- 
ir mour  ou  de  haine  dans  le  cœur,  à  raÎMa 
«  de  l'absence  de  tout  jugement  et  de  toute 
r  croyance  dans  l'esprit  (1).  »  Une  pareille 
situation  est-elle  dans  la  nature?  peut-dJn^ 
devenir  générale?  Juger,  croire^  aimer» 
haïr,  sont  des  actes  tellement  inhérens  k  la 
constitution  de  l'homme,  qu'il  est  impôt* 
sible  de  l'en  dépouiller  sans  Tanéantir*  C'est 
là  pourtant  l'accusation  qu'il  fait  peser  6ur 
la  plus  grailde  partie  du  genre  humain*  U 
peut  bien  se  rencontrer  des  êtres  morts,  k 
tout  sentiment  noble  et  généreux ,  à  toute 
curiosité  louable  sur  les  intérêts  les  plus  né- 
cessaires ,  a  toute  affection  justç  et  légitime} 
c'est  la  une  apathie  brutale  et  stupide ,  gpà, 
détruit  l'homme  lui-même ,  en  fait  un  être 
sauvage  et  isolé,  qui  a  rompu  la  plupart  de$ 
liens  qui  l'attachaient  au  reste  de  l'univers  | 
ce  que  Ton  nomme  insensibilité ,' qvA  esta 

(1)  Edaai,^,  43. 


DE   LA  KOVVELUi   nÉRÉSlE.  W 

rame  ce  que  la  léthargie  est  au  corps.  L'in- 
différence ne  les  engourdirait  pas  au  point 
d'étouffer  en  eux  les  passions  impétueuses , 
les  inclinations  aveugles ,  les  désirs  fantas- 
tiç[ues.  M.  de  La  Mennais  les  confond  per- 
pétuellement l'une  avec  l'autre,  le  crime 
de  l'endurcissement  avec  celui  de  la  tiédeur, 
de  l'inattention ,  de  la  frivolité  ;  plaies  en 
effet  trop  vives  et  trop  communes  dans  la 
société  chrétienne,  et  contre  lesquelles  le 
zèle  de  nos  prédicateurs  ne  saurait  s'armer 
de  trop  de  foudres^  mais  quels  fruits  produi- 
raient-ils sur  leurs  auditoires ,  s'ils  ouvraient 
sous  leurs  yeux  les  gouffres  de  l'athéisme , 
et  les  marquaient  du  sceau  de  la  réproba- 
tion? 

Nous  aurons  souvent  l'occasion  de  le/e- 
marquer  :  le  vice  habituel  de  M.  de  1^^ 
Mennais  est  de  se  jouer  des  définitions ,  et 
de  mettre  sa  logique  .en  défaut  par  ses  exa- 
gérations ou  par  ses  équivoques. 

Que  M.   de  La  Mennais,  voué  par  la 


44  HISTOIRE 

double  vocation  de  son  ministère  et  de  son 
talent  à  la  défense  du  christianisme  et  de 
l'unité  catholique ,  eût  entrepris  de  venger 
l'un  et  l'autre  des  attaques  que  lui  ont  li- 
vrées l'hérésie  et  le  philosophisme ,  on  ne 
pourrait  qu'applaudir  à  ses  utiles  efforts.  On 
lui  aurait  su  gré  d'ajouter  de  beaux  chapitres 
aux  chefs-d'œuvre  de  Bossuet  sur  cette  ma- 
tière, à  la  savante  Discussion  amicale  de 
M.  l'évêque  de  Strasbourg,  à  tant  d'excellen- 
tes apologies  publiées  encore  de  nos  jours , 
et  qui ,  nous  osons  V^flivjxi^Vyiront  loin  dans 
lapostéritéy  quoi  qu'en  puisse  dire  l'orgueil- 
leuse critique  des  exclusifs  admirateurs  du 
patriarche  de  la  nouvelle  école  (1).  On  eût 
même  aisément  pardonné  à  quelques  écarts 
d'une  jeune  imagination  impatiente  de  se 
produire,  pourvu  toutefois  qu'elle  con- 
sentît a  ne  point  se  croire  infaillible.  Bien 
loin  donc   de  condamner  indifféremment 

(1)  M.  Lacordaire ,  Considér.  sur  le  Sysi. ,  p.  36. 


DE  LA  IBOOXLLE   HÉRÉSIE.  40 

tout  ce  qui  est  sorti  de  la  plume  de  rillustre 
éarÎTain ,  nous  eussions  été  les  premiers  a 
hi  déférer  le  tribut  de  notre  admiration 
personnelle.  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  mé* 
connaissons  dans  un  très-grand  nombre  de 
pages  de  son  Essai  les  brillantes  qualités 
qui  lui  ont  Talu  les  éloges  d'hommes  étran- 
gers a  son  parti.  U  a  même  des  chapiires 
entiers  où  la  Tenté  se  montre  sans  mélange, 
parée  des  riches  ornemens  de  l'érudition , 
de  l'éloquence  et  de  l'imagination.  Indi- 
qaons  particulièrement  ceux  où  l'orateur 
controversiste  discute  les  grandes  questions 
de  la  nécessité  de  la  Révélation ,  de  l'insuf- 
fisance de  la  religion  naturelle ,  de  la  sou- 
Teraineté  du  peuple ,  de  la  liberté  et  de  l'é- 
gaUté ,  remarquez-le  bien ,  pour  les  accuser 
d'avoir,  dans  tous  les  temps ,  et  chez  les  an- 
ciens et  chez  les  modernes ,  bouleversé  la 
société ,  enfanté  tous  les  crimes  et  toutes  les 
calamités,  en  détruisant  les  principes  de 
l'autorité  comme  ceux  de  l'obéissance ,  sans 


46  HISTOIRC 

antre  résnltat  que  les  excès  du  despotigmé 
et  de  Panarchie  (1).  Publions-le  avec  le 
sentiment  d'une  conviction  profonde  :  due 
dialectique  pressante ,  féconde  et  pittores* 
que  k  la  fois  ,  rajeunit  des'  matières  ce 
semble  épuisées  par  Bossuet.  Avec  quelle 
supériorité  elle  lutte  pour  ainsi  dire  corps 
a  corps  avec  le  philosophe  de  Genève ,  nt 
joue  des  sophismes  de  Gibbon ,  de  Bolint^ 
broke,  de  Bayle,  de  Jùrieu!  Saurin  n'a 
rien  de  plus  impétueux ,  Jean- Jacques  RoiiiS-^ 
Seau  rien  de  plus  nerveux  ni  de  plus  anjj^ 
mé.  A  travers  ces  dissertations  philosophie 
ques,  des  tableaux  peints  a  grands  traîtt 
des  ravages  de  l'incrédulité  et  des  varia* 
tîons  de  Thérésie  (2),  des  caractères  pro- 
près  à  l'Eglise  catholique  (3)  et  de  son  an* 
torité  (4),  des  vanités  humaines,  des  déi^- 


(1)  jBwai,  t.I,p.  345,  361. 

(2)  iiîi.,  t.I,p.  203.    . 

(3)  Ibid.,^,  249. 

(4)  Ghap.  ir. 


DB  Uk  nùtWUM  VÈBÉSSE.  ^Bf 

éets  raameii»  du  chrétien  (1),  des  bienfaits 
Al  Cbrifltîanlmie  et  des  avantages  inappré* 
dâbles  de  la  tnorale  évan^lique  (2).  Que 
Piastre  ëcriiraîn  s^en  fut  tenu  à  ce  langage, 
MB  lirre  n'eût  assurément  pas  trouvé  de 
censeurs ,  et  n'aurait  pas  eu  besoin  d'apolo- 
gnte;  il  n'aurait  pas  assujetti  à  des  opinions 
aibitraires  des  principes  consacrés  par  la 
Tenté  et  par  Pexpériehce ,  et  ne  se  serait 
pas  traîné  d'erreurs  en  erreurs  jusqu'à  cet 
excès  d'audace  ou  de  démence  qui  a  si- 
gnalé ses  dernières  productions.  Mais  le 
cercle  est  tracé  ;  prétendre  en  reculer  les 
Kmites  :  présomption  insensée  !  Au  -  delà 
cormmence  l'erreur.  H  n'était  plus  possible, 
au  îct*  siècle ,  d'inventer  iien  qui  ne  fôt 
ane  répétition  ou  une  parodie.  Emporté 
sous  un  horizon  étranger,  par  l'ambition 
des  découvertes ,  il  s'égare  et  nous  donne 


(1)  Essai,  chap.  iz. 

(2)  Page  319, 


JK  HISTOIRE 

les  rêves  de  son  imagination  pour  des 
aperçus  réels.  Semblable  à  ces  voyageurs 
qui  y  surpris  par  la  nuit ,  voient  les  objets  di- 
vers se  dessiner  a  leurs  yeux  sous  des  for- 
mes fantastiques ,  son  prisme  trompeur  jette 
sur  tous  les  aspects  des  couleurs  infidèles,  et 
décrédite  par  ses  exagérations  les  vérités 
les  plus  irrécusables.  Ainsi ,  prévenu  de  la 
double  opinion  que  la  Réforme  luthérienne 
et  le  moderne  philosophisme  ont  précipité 
l'Europe  dans  les  plus  désastreuses  révolu- 
tions ,  ce  que  personne  ne  lui  conteste ,  il 
suppose  que  l'Europe  est  tout  entière  lu- 
thérienne,  socinienne,  déiste,  athée  (i)« 
Le  protestantisme  conduisait  inévitable- 
ment k  la  tolérance  universelle  ou  a  l'indif- 
férence absolue  des  religions:  doctrine, 
culte ,  morale ,  tout  s'écroule ,  et  l'athéisme 
reste  seul  au  milieu  de  l'intelligence  en 
ruines  (2).  Dans  ses  synodes  éphémères ,  la 

(1)  Essai,  p.  225  et  suiv. 

(2)  Ibid.,  p.  ViC). 


mS  LA  NOWELUB   HÉRÉSIE.  49 

Réforme  proclamait  l'abolition  de  tous  les 
dogmes  religieux  et  soGiaux(i  ),  et  réalisait  ce 
que  la  raison  de  tons  les  siècles  et  l'autorité 
de  tons  les  témoignages  historiques  démon- 
traient  inexécutable,  hors    de   la  nature 
comme  des  voies  de  la  Providence ,  à  savoir, 
l'existence  d'une  vaste  société  livrée  tour  à 
tour 9  et  tout  a  la  fois,  aux  convulsions  du 
despotisme ,  aux  fureurs  de  l'anarchie ,  aux 
extravagances  de  l'athéisme ,  sans  qu'il  pût 
eûster  d'autre  contre-poids  à  tant  de  mo- 
biles de  destruction  que  des  pactes  illu- 
soires entre  la  tyrannie  et  la  servitude  (2). 
Un  aussi  tranchant  ostracisme  a  besoin 
de  preuve  ;  la  voici  :  «  U  avait  été  reconnu 
%  jusque-la  que  l'Église  et  tous  ses  dogmes 
«reposaient  sur  l'autorité  comme  sur  un 
«roc  inébranlable.  Une  constante  fidélité  à 
«  ce  principe  fondamental  de  l'Eglise  chré- 


(1)  Essai,  f»  \9, 

T.  I.  4 


ao  shtodob 

»  tienne  avait  garanti  l'Europe  pendant 
ic  quinze  siècles,  non  des  scandales  paasa- 
«c  gcrs  de  l'erreur,  mais  du  mortel  assonpit- 
i<  sèment  de  l'indifférence.  On  ne  yit  re^ 
«  naître  en  son  sein  cette  maladie  terrible, 
«  qu'au  moment  oii  la  raison,  rebelle  k  Pan- 
«t  torité  suprême  qui  l'avait  guidée  jusqu'à** 
«  lors,  s'efforça  de  recouvrer  la  servile  in- 
ff  dépendance  dont  le  Christianisme  l'avait 
«t  affranchie  (i)..  Aussitôt  la  multitude  des 
«  sectaires,  divisés  sur  tout  le  reste,  s'unissent 
f(  pour  saper  le  fondement  de  toutes  les  Té^ 
«  rites  (2).  » 

Est-ce  bien  là  le  portrait  que  l'histoire 
nous  a  laissé  des  quinze  siècles  qui  précé- 
dèrent le  Luthéranisme  ?  Sans  parler  ni  des 
révolutions  politiques ,  toujours  mêlées  anx 
révolutions  religieuses,  qui,  depuis  Constan- 
tin jusqu'au  dernier  de  ses  successeurs ,  ne 


(i)  Za  Religion  considérée ,  p.  148. 


(2)  Ibid.,^.  19. 


1MB  LA  MirVIfiULE  HÉRÉSIE*  Kl 

eeasèrent  pas  un  instant  d'agiter  l'empire  et 
FEglise  9  et  marquent  en  caractères  de  sang 
diaciine  de  leurs  annales ,  ni  de  cette  nuit 
profonde  qui,  de  Paveu  de  tous  les  écriyains 
comme  de  tous  les  monumens,  s'était  appe- 
santie sur  l'Europe  entière,  que  de  vives 
j^es  portées  k  ce  principe  fondamental  de 
FEglise  chrétienne  !  Le  docte  écrivain  peut- 
fl  avoir  oublié  quels  malheureux  succès 
avait  obtenus  l'Arianisme,  jusqu'à  faire  de- 
mander a  saint  Jérôme  s'il  y  avait  encore 
des  catholiques  dans  le  monde  étonné  de 
se  trouver  arien  ?  Avait-il  été  reconnu  par 
lés  Donatistes,  qui,  pendant  deux  cents  ans, 
tarent  résister  aux  vertus  des  plus  saints 
éfêcpes,  k  la  voix  des  conciles,  aux  édits  de 
h  puissance  impériale  ?  Fut-il  respecté  da- 
vantage par  Pelage ,  parvenu  a  infecter  de 
•es  erreurs  l'Angleterre,  l'Afrique,  Rome 
cUe-mème,  et  a  surprendre  par  ses  cap- 
tieuses promesses  d'obéissance  le  saint  pape 
Sezîme?  La  vérité  prévalut  Elle  triomphera 


/ 


t}2  HISTOIRE 

dans  tous  les  temps,  soutenue  par  la  toute- 
puissante  main  qui  dirige  a  travers  les  écueiis 
et  les  tempêtes  le  vaisseau  de  l'Eglise.  Mais 
ses  victoires  mêmes  supposent  des  combats  ; 
et  ce  n'est  pas  durant  son  pèlerinage  sur  la 
terre  que  l'Eglise  de  Jésus-Christ  est  desti- 
née a  goûter  les  douceurs  de  la  paix.  Que 
l'on  se  rappelle  encore  les  violentes  hérésies 
de  Nestorius  et  d'Eutychès  :  n'y  eut-il  là  que 
les  scandales  passagers  de  V erreur?  le  Ma- 
nichéisme ,  bravant  les  bûchers  et  les  pro- 
scriptions; le  Monothélisme,  s'appuyant  à  la 
fois  sur  la  chaire  patriarcale  de  Constanti- 
nople,  sur  la  protection  de  l'empereur  Hé- 
raclius  et  la  faiblesse  du  pape  Honorius,  les 
Iconoclastes  couvrant  l'Orient  de  ruines  et 
de  cendres,  poursuivant  le  fer  et  la  torche 
a  la  main  le  principe  d'autorité  jusque  dans 
les  tombeaux.  L'islamisme  le  transporte  sur 
le  trône  des  Califes.  Mutilé  depuis  plusieurs 
siècles  dans  l'Orient  par  la  jalouse  ambition 
des  Grecs,  affaibli  dans  l'Occident  par  le 


DE   LA   KOlTiELLE   HÉBÉSIE.  35 

schisme  ,  il  cède  aux  nombreux  assauts  que 
Wiclef,  Jean  Hus  et  les  autres  précurseurs 
de  Luther  livrent  à  la  foi  catholique ,  pour 
disparaître  au  moment  de  la  Réforme. 

Mais  si  le  Christianisme  a  perdu  son  prin- 
cipal appui ,  il  n'est  pas  vrai  de  dire  qu'il 
fat  anéanti ,  et  que  la  Réforme  ait  entraîné 
h  raine  de  toute  religion,  de  toute  morale, 
de  toute  législation  divine  et  humaine ,  ni 
cp'ellc  ait  &it  reculer  l'esprit  humain  jus- 
qu'au paganisme  (i). 

Outre  que  l'Eglise  reverdissait  ,  nourrie 
d'une  sève  plus  robuste  y  retrempée  par  les 
persécutions,  et  que  de  ses  entrailles  déchi- 
rées ,  mais  toujours  fécondes  ,  sortaient  de 
nouveaux  enfans  qui  la  consolaient  de  ceux 
qu'elle  avait  perdus,  M.  de  La  Mennais  en 
convient  :  «  Les  sectes  primitives  nées  au 
V  sein  de  la  Réforme  tenaient  encore  for- 
«  tement  à  plusieurs  vérités  principales  du 

(1)  £Miii,p.  68. 


54  msTOiuE 

<r  Chmtianiame  ;  et  malgré  les  maximes  qù 
«  le  proscrivaient,  le  principe  d'autorité  de- 
«  meurait,  et  y  demeurera  aussi  long-tempe 
(c  qu'on  y  croira  à  quelque  chose  (1).  »  On  né 
détruit  pas  l'autorité,  on  la  déplace;  elle 
existe  de  fait  partout  où  se  trouvent  dÉ$ 
dogmes  quelconques,  un  culte  quelconque^ 
une  foi  quelconque,  et  la  différence  n*e9i 
jamais  que  de  l'autorité  légitime  k  l'autorité 
usurpée.  Reprochez  à  Luther  ses  ëmp6rt^ 
mens  et  ses  inconséquences ,  les  excès  où  la 
témérité  de  ses  commencemens  a  entraîné 
l'imprudent  hérésiarque ,  les  malhettredn 
exemples  donnés  k  un  trop  grand  nomWo 
de  ses  disciples,  aussi  ardens  que  leur  maître 
a  innover,  k  enchérir  encore  sur  lui;  dér 
plorons  la  perte  de  tant  d'âmes  ;  gémissoBs 
sur  le  sort  de  tant  de  villes,  de  tant  de  pro* 
vinces  et  de  royaumes  victimes  de  la  séduc» 
tion  et  de  l'erreur.  C'est  bien  assez  du  crime 


(1)  Essai,  t,  I,p.  180; 


IKB  LA  NOm/BLUB  HÉRÉSIE.  S5 

de  rapMtaaie,  sans  l'aggraver  encore  par 
une  accusatioii  qui  ne  peut  tomber  que  sur 
dm  ûoidividus,  et  que  l'immense  majorité  re- 
pousse comme  calomnieuse.  Non,  la  divine 
Providence  ne  permit  point  que  le  naufrage 
fut  universel.  Dire  avec  M.  de  La  Mennais 
^  l'athéisme  n'est  que  la  dernière  consé* 
qœiice  de  la  Réforme  ^  que  le  Protestantisme 
n'est  qu'une  solennelle  protestation  non- 
Mulement  contre  le  Christianisme,  mais  en-^ 
core  contre  toute  religion  quelconque  (1  ) , 
(fast  aller  contre  le  témoignage  de  l'expé- 
nence ,  c'est  imiter  le  farouche  stoïcien  qui 
P9ttait  tous  les  crimes  au  même  niv  eau. 

Pas  un6  communion  protestante  qui  n'ait 
dimné  le  démenti  le  plus  formel  à  la  dénon- 
dation,  et  n'ait  repoussé  avec  horreur  la  so- 
lidarité dont  un  zèle  exagérateur  a  prétendu 
la  charger.  En  Angleterre,  les  CoUins  et  les 
Tindal  faisaient  exception  a  la  foi  commune, 
et  trouvèrent  au  sein  de  leur  propre  nation 

(1)  Esmi,  p.  69,  et  Religion  considérée ,  p.  168. 


80  UISTOIRE 

de  puissans  adversaires.  L'Allemagne,  la 
Suisse ,  les  Pays-Bas  ont  réclamé  avec  une 
égale  énergie  ;  et  si  l'incrédulité  a  exercé , 
comme  en  France,  ses  ravages  dans  ces  con- 
trées ,  pourquoi  repousser  de  nos^  cœurs  le 
consolant  espoir  que  ces  mêmes  contrées, 
échappées  enfin  à  la  fatale  ivresse  qui  les 
tient  encore  sous  le  joug  de  l'hérésie,  rom- 
pront ce  dernier  lien  pour  revenir  au  sein 
de  l'unité  catholique  ?  Des  malades  peuvent 
guérir^  les  cadavres  ne  ressuscitent  point. 

M.  de  La  M ennais  est  à  l'égard  de  la  Ré- 
forme ce  que  fut  Jurieu  a  l'égard  des  catho- 
liques, controversiste  impétueux,  tour  à  tour 
sophiste  et  prophète,  versant  à  pleines  mains 
l'injure  et  le  sarcasme  mêlés  aux  plus  si- 
nistres  prédictions ,  poussant  l'outrage  jus- 
qu'aux derniers  excès  de  l'emportement, 
criant  à  Tindifférence  ou  a  l'idolâtrie,  accu- 
sant d'une  léthargie  stupide  et  d'un  hrutal 
assoupissement  quiconque  ne  partageait  pas 
ses  fureurs ,  et  devenu ,  dit  M.  de  La  Men- 


/ 

DE   LA   KOirVELLE   HÉIŒSIE.  ^ 

nais,  lefléan  de  son  propre  parti  (1  ).  Le  même 
écrivain  qui  bientôt  se  montrera  le  plus  to- 
lérant des  hommes,  se  fait  voir  ici  non  moins 
intolérant  que  le  fougueux  calviniste.  Il  ne 
manque  à  la  parité  qu'un  Bossuet  pour  com- 
battre le  nouveau  Jurieu. 

La  vérité  n'admet  aucune  exagération  ; 
l'esprit  du  Christianisme  est  la  modération  , 
qui  exclut  tous  les  excès ,  qui  tempère  jus- 
qu'à Fexercice  des  vertus,  et  qui  recom- 
mande la  sobriété  même  de  la  sagesse  (2). 
Vous  ne  savez  pas  encore  de  quel  esprit  vous 
étes^  disait  Jésus-Christ  k  ses  Apôtres ,  qui 
demandaient  à  faire  descendre  le  feu  du 
ciel  sur  Tinfidèle  Samarie  (3). 

La  philosophie  se  confond  dans  la  pensée 
de  M.  de  La  Mennais  avec  la  Réforme  ;  elles 
auraient  Tune  et  l'autre  engendré  Tindiffé- 

(1)  JE^ot,  t.  I,p.  199. 

(2)  Ecoles, f  VII,  17.  Rom,,  xii,  3. 

(3)  Instruc,  pastorale  de  M.  Fér.  de  Langres, 
card.  de  La  Luzerne ,  p.  25 ,  in-4<>. 


r^ce^  dbjet  s{^cial  de  ses  atJaquea.  Il  ne  la 
distingue  pas  de  cette  fausse  sagesse  qui  aa 
distingue  essentiellement  de  Vautre,  et  à  qpk 
l'on  a  donné  le  nom  de  philosophisme,  tt 
eût  été  plus  juste  de  les  séparer,  puisqu'ellea 
se  ressemblent  si  peu.  U  y  a  entre  les  dew 
la  même  différence  qu'entre  les  m^ts  de  so- 
phiste et  de  philosophe.  M.  de  La  Mennaiv 
affecte  de  n'en  reconnaître  aucune;  et  la 
philosophie  est  tout  entière  l'objet  de  sw 
éternelles  récriminations. 

Il  y  a  soixante  ans ,  les  alarmes  de  l'écri* 
vain  sur  les  progrès  de  la  moderne  philoso- 
phie eussent  été  sans  doute  légitimes.  La  li* 
cence  des  mœurs  l'avait  accréditée  à  la  cour t 
à  la  yille,  dans  les  provinces;  elle  régnait  en 
souveraine  dans  la  littérature  et  la  science. 
Dieu  ne  lui  permit  de  prévaloir  un  moment 
que  pour  manifester  au  monde  l'immensité 
de  son  néant(l).  Parvenue  à  Fapogée  de  sa 

(1)  M.  Lacordaire,  ComMr.y  p.  23. 


k 


DE  LA  NOinnNUUI  HÉRÉSIE.  Ûè 

gloire ,  elle  se  vantait  d'avoir  écrasé  la  sun 
perstiiion  chrétienne.  Dieu  se  riait  de  ses 
vains  complots  ;  le  Christianisme  triompha 
de  toutes  les  puissances  de  l'enfer.  La  Conn 
vention  vint,  qui  se  vanta  aussi  d'avoir  aboli 
le  nom  chrétien  ;  elle  se  vit  forcée  de  recu- 
ler devant  le  spectre  de  l'athéisme,  et  le 
Biépris  général  fit  justice  de  ce  simulacre 
de  religion  forgé  sous  le  nom  de  Culte  de 
la  Raison,  M.  de  La  Mennais,  à  son  tour,  est 
venu  crier  que  tout  était  désespéré.  L'expé- 
nence  et  le  succès  de  ses  Uvres  en  appelé-^ 
nmt  die  ses  sinistres  prédictions  j  et  du  sé«- 
pulcre  même  où  il  prétendait  que  Tindiffé-r 
rence  enchaînait  les  esprits ,  sortirent  des 
milUers  dé  voix  attestant  que  le  christia- 
nisme vivait  indestructible  au  fond  de  nos 
iMeiira,  au  fond  de  nos  institutions  et  de  nos 
lois,  au  fond  des  âmes. 

U  n'en  continue  pas  moins  de  £adre  le 
procès  a  la  philosophie;  et  sa  doctrine  à  ce 
sujet  paraîtra  sans  doute  embarrassée  à  ceux 


00  HISTOIRE 

de  ses  lecteurs  qui  demandent  plus  de  pré"- 
cision  dans  les  idées.  Il  faut  bien  rétablir 
les  faits',  quand  le  paradoxe  et  le  sophisme 
aflFectent  de.  les  dénaturer  et  de  les  con- 
fondre. 

L'histoire  de  la  philosophie  se  partage 
naturellement  en  deux  époques  :  la  pre- 
mière avant  le  Christianisme ,  l'autre  de- 
puis l'établissement  du  Christianisme  :  un 
caractère  commun  les  unit  au  même  centre. 

«  Pour  arriver  au  même  terme  que  la  phi* 
<c  losophie  antique ,  c'est-a-dire  k  l'athéisme 
fc  d'abord,  et  ensuite  a  l'indififérence,  qui 
«c  renferme  toutes  les  erreurs  ensemble 
«  parce  qu'elle  exclut  à  la  fois  toutes  les 
«  vérités  (1)  5  la  philosophie  s'était  autrefois 
«  armée  de  la  raison.  »  Quels  fîirent  les  fruits 
de  cet  arbre  empoisonné?  «  Dépravation, 
i(  anarchie  universelle,  ignorance  de  tout 
(T  ce  qui  constitue  l'ordre  social  j  oubli  de 

(1)  Essai  8}ir  Vhiiiff,,  p;  69, 


DE  LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  Gi 

«r  rhumanité  dans  la  guerre  comme  dans  la 
«c  paix,  dans  les  lois  comme  dans  les. mœurs, 
c  dans  les  temples  comme  au  théâtre  ;  sa- 
fr  orifices  licencieux  ou  barbares  (1).  » 

Ces  reproches ,  dont  on  a  de  tout  temps 
accablé  l'ancienne  philosophie,  n'étaient  as- 
surément que  trop  mérités.  Les  saints  Pères 
ne  les  ont  pas  épargnés  aux  Sages  de  la  Grèce 
et  de  fi.ome.  Pourquoi?  Parce  qu'au  lieu  de 
s'éclairer  du  flambeau  de  leur  raison ,  ils  en 
obscurcissaient  la  lumière  par  les  mensonges 
de  leur  orgueil  et  les  recherches  d'une  curio- 
sité vaine.  La  seule  raison ,  a  dit  saint  Paul, 
aurait  pu  leur  suffire  pour  connaître  ce  qui 
se  peut  découvrir  de  Dieu  par  l'a'spect  visi- 
ble de  ses  divines  perfections ,  manifestées 
a  tous  les  yeux  par  la  magnificence  de  ses 
œuvres  (2).  Ce  n'était  pas  la  vérité  qui  leur 
nianquait,  c'étaient  eux  qui  manquaient  c2 


(1)  Essai,  page  10. 
(1)  Rom.,  1,18, 19. 


la  vérité^  la  retenant  captive  dans  V injustice. 
tr  Philosophe  éloquent,  grand  homme!  »dit 
Lactance  en  parlant  de  Cicéron ,  «r  au  lieu 
<^  de  te  traîner  serrilement  aux  pieds  dldo- 
v  les,  méprisable  ouvrage  de  la  main  des 
ir  hommes ,  à  la  suite  d'une  multitude  égm- 
<r  rée ,  que  n'employais-tu  Teffort  de  ta  puifl- 
r  santé  voix  k  démasquer  Terreur  CI)?  »  Le 
crime  de  lldolâtrie  ne  fut  pas  d'i^orer 
Dieu,  mais,  poursuit  TApôtre  des  nations, 
de  ne  pas  le  glorifier  comme  Dieu^  de  mol-* 
tiplier  la  Divinité  bien  loin  de  la  nier.  «  O 
ir  Athéniens!  ;»  leur  disait-il  au  milieu  de 
leur  Aréopage,  <f  il  me  semble  que  vous  êtes 
ff  en  toutes  choses  religieux  k  l'excès ,  per 
r  omnia  superstitiosoreSj  »  parce  que,  non 
contens  d'adorer  les  dieux  vulgaires,  ils 
avaient  des  autels  pour  celui  même  qu'ils  ne 
connaissaient  pas  (2).  Je  ne  croyais  pasqu*il 


(1)  Biblioth.  choisie  des  Pères  y  t.  III,  p.  392. 

(2)  Act.,  XVII,  22,  23.  Rom.,  i,  18,  26. 


DB  LA  NOOVRXB  nÉHlSglE.  €B 

At  pomble  de  calomnier  la  raison  humaine 
jvsqtt'k  dire  qu'elle  eût  refusé  jamais  ses  in- 
timesT  révélations  a  la  philosophie ,  quand 
dk  aurait  pu  seule  l'arracher  a  ses  erreurs. 
Le  ^rice  de  Tune  et  de  l'autre  était  d'être  de 
lenr  natuM  impuissantes  k  découvrir  toute 
la  Tenté.  «  Concevoir  la  fausseté  du  poly- 
m  thtéinBe ,  dit  encore  Lactance ,  la  sagesse 
«  humaine  pouvait  aller  jusque-la  ;  pousser 
«  jtnqu'k  la  vraie  religion ,  il  n'y  avait  que 
«la  grâce  divine  qui  pût  apporter  au  genre 
«  htanain  un  pareil  bienfait  (4  ).  »  Nier  la  Di- 
vinité, mettre  en  problème  son  existence 
9m.  ^sa  providence  dans  le  gouvernement  de 
Pimîvers,  ce  qui  est  le  crime  de  l'athéisme, 
jamsûs  rien  de  semblable  n'a  paru  et  ne  pa- 
rtStn  parmi  les  hommes.  Pas  une  nation , 
quelque  barbare  qu'on  la  suppose ,  qui  s'en 
fut  readue  coupable ,  ni  la  philosophie  non 


(1)  Lact.,  edit.  varier,  p.  151;  Siblioth,  choisie 
deê  fèffBê,  t.  IH,  p.  395, 


04  mSTOIRE 

plus.  Socrate  buvant  la  ciguë,  et  ses  juges 
qui  rayaient  commandée ,  protestent  égale- 
ment contre  l'athéisme. 
*  La  philosophie  n'avait  d'autre  objet  que 
l'étude  de  la  sagesse  ou  des  choses  divines 
et  humaines ,  c'est-k-dire  des  rapports  qui 
les  lient  entre  elles.  C'était  là  son  institu- 
tion j  et  l'on  aura  toujours  droit  à  la  rappeler 
à  son  étymologie.  Tous  les  esprits  spécula* 
ti&  de  tous  les  âges  se  sont  constamment 
ralliés  autour  de  cette  bannière  sacrée ,  et 
se  sont  plus  ou  moins  écartés  du  but  qu'ils 
se  proposaient  (1). 

Parmi  eux ,  les  uns  n'ont  étudié  la  nature 
de  Dieu  que  par  rapport  aux  choses  sensi- 
bles dont  ils  tâchaient  de  comprendre  ro- 
rigine  et  la  formation.  Au  lieu  de  soumettre 
la  physique  à  la  théologie ,  ils  ne  fondaient 
leur  théologie  que  sur  leur  physique ,  et  les 
différentes  manières  dont  ils  arrangeaient 

(1)  D'Olivet,  Théologie  païenne^  U  I,p.  12». 


DB   LA   NOUVELLB    HÉRÉftlE.  SS 

le  aystème  de  runivers  disaient  leurs  diffé- 
rentes croyances  touchant  la  DiTÎnité. 

D'autres  ont  fait  un  pas  de  plus  vers  là 
oonnaissanœ  deia  Divinitë;  Frappés 4'ad* 
miration  à  la  vue  de  Tordre  régulier  :^i 
règne  dans  le  monde ,  ils  sentirent  Ia^  né- 
cessité d^une  inteUigence  souverainement 
puissante  et  sage;  ils  comprirent  qu'dUe  ne 
pouvait  être  matérielle  ;  et  s'élevant  jusqu'à 
ridée  de  la  spiritualité /distinguèrent  réel- 
lement la  cause  d'avec  l'effet ,  l'agent  d'avec 
la  matière.  H  n'y  eut  qu'un  trës«petit  nom- 
bre qui  donnèrent  dans  le  matérialisme  gros^ 
âer,  exclusif  de  toute  intelligence  divine,  tel 
^'il  s'est  reproduit  dans  les  temps  moder-^ 
aes  sous  la  phimpe  des  Vanini ,  des  Diderot, 
des  La  Metthrie  et  des  d'Holbach.  Diago- 
1^,  soupçonné  d^athéàsme^^n^ala^ssé  qu'une 
mémoire  infâme  dans  la  postérité  (1).  Tkéor 
^f»fe  dç  <!)yrène ,  surnommé  ¥  athée  y  ensei- 

(^)  Bruoker,  InêtU.  pkihi.,  p.  266. 

T.    I.  5 


e<-# 


-l.-..-.     .1    HlftTIMniB- 

gtilA  çpi'Aïufj'  àwAt  point  de.  cbëux  ^  86«  cot»- 
citoy ràto  i  firèik t .  ëclaté v .  leur  ■.  indignatto ti  em 
lé  chaesadt;  dé>leiiqr  nrillé»  iRéfbgîé- à;  Is  cour 
deftoléobée;  âU^deDagiis^  ayant^^-éivFMi«- 
dîpccéiioii-  de.  fliafliif ester  sa  ddctrine  4  il  eo 
fut  pâi  :de  U0r b  (il  ).  Qnelqufis  ^  mis  de  ces 
fihiittsojdieft  ont  atteint  dîterses  Tiâritéti  auK 
yalesl;,  bien  quPeûa  ly»  méls^nt  de'  griiyes  «V7 
reitrs;  eft  opfièdèfent  av.ècsuccè9ii>iïé.  digne 
ab  >tDlvenf  da  1  la .  dé^binratitù».  «  Blendbiié 
v;auit  |iJDilD8éph€fl>de> llanticpiité  là  juâdcé 
qox)  le w  eat  dvie  ^.  »»»  a  dit.  un  de&^  plus  granils 
émi[qpfiSidfa:dé»n«Br  lièelèr  «  Plu^ieiicsd'ttiit 
}f;t|rtféuic.of»t.a;|çi(bi$  des  droiJbsià.']k>  reponr 
4r  ]ihi8aanGe.de»«iaAtoiis  ^^fc  les  diéeouTèrtqs 
/4«i»]^kéftaafce$:ai3aq\i(eU£b  les ;«(  élevées  larsui- 
«(  ^U^té  de:  ibelfr:  igéiiieî.  EJr:  4ui«  s&it  sa  «ds 
«;  jgrap de  {liGlrBQnpaçai oie  iuront  pas  suscitét 
m^J  là  :  PMiàdenjcer  poiir  empêcher  Védf 
^ûam  dë^liEk^VeMaidepéiirdaarls  les  pensée» 


(1)  Bnicker;'/t»»li^.  pHU^opH,  p.  f  50i 


DIE    LA    ^'OOVBLUI   HÉRÉSIE.  87 

«  deê  homiries  (4)?  "  Dieu  avait  donné  la 
pbîlosopliib  aux  Gaoâler,  comme  la  loi  aUx 
Jtiifr,  ponr  qtt'ellé  servit  d'iniroductkm  ah 
Gtirifltiatâsme  (3)/ 

Tous  les  législateurs  avaient  fondé  sur  le 
coite  ded  dieux  et  sur  les  préceptes  de  la 
morale  la  base  de  leur  constitution  et  dé 
leur  gourernemênt;  Chez  les  Grecs  ,  on 
s'im^ageintpar  les  plus  rédoùtableb  sem^ens, 
dâiis  lé  temple  d'Aglaùre ,  ii  maintenir  le 
culte  des  ancéNtrès ,  a  combattre  jusqu'au  dep- 
ïàét  soupir  pour  la  défense  de  la  religion 
etde  la  piailnne.  A  Rome,'  après  que  le  ma- 
térialisme  d'Epicnite  ie  fut  fait  jour  parmi 
tak  jemiesse  frivole  (^'enÎTraient  les  arts 
du  luxe  et  de  la  mollesse ,  k  qui  rien  dé 
Romain  lie  restait  que  le  nom^  la  corruption 
déii  ihoefiirs'  avait  pénétré   profondément 

■  ■  ■  *    ' 

(1)  M.  le  card.  de  La  Luzerne ,  Instr, .  poêior,  ^. 
p.  21,22. 

(2)  S.  Clém:  d  Âlex.\  daÀs  lA  BtBKoth.  hkdHè  ehê 
Pér^#>  t. 4,  p.  443. 


68  msTOiRB 

toutes  les  veines  du  corps  social;  symptôme 
infaillible  de  sa  prochaine  destruction ,  cause 
senle  efficace  et  toute -puissante  de  rinévi- 
table  dénoûment.  Nul  doute  que  l'indiffé- 
rence religieuse  n'accélère  les  progrès  de  la 
décadence  chez  les  peuples  oii  elle  trouve 
des  élémens  de  dissolution  ;  c'est  la  gangrène 
qui  achève  de  plonger   dans  la  mort  les 
membres  déjà  viciés  par  la  maladie,  ly , 
Sidon  ,  Memphis  ,  Babylone  avaient  péri  ; 
nos    saints    prophètes   n'attribuent  pas  k 
cette  cause  la  ruiné  de  ces  opulentes  cités. 
Numance  ,  Carihage  avaient  cédé  k  Tépée 
des  Romains.  Les  destinées  de  la  ville  eïe/^- 
neUe  s'accomplissaient  indépendaniment  des 
vices  ou  des  vertus  des  peuples.  Rapporter 
k  cette  seule  cause  la  chute  de  la  république 
et  de  l'empire  romain ,  c'est  prendre  l'effet 
pour  la  cause  ,  c'est  mentir  a  l'histoire  et  k 
tous  les  mônumens,  c'est  dépouiller  le  Chris- 
tianisme des  caractères  delatoute^puissance 
surnaturelle  qui  finit  par  le  faire  prévaloir, 


D£   LA   XOUVKLLB   HÉEÉSIE.  09 

en  attribuant  son  triomphe  à  la  décrépitude 
où  l'on  prétend  que  l'idolâtrie  était  tombée , 
et  lui  enleyer  l'un  de  ses  plus  beaux  tropbées, 
l'héroïsme  de  ses  martyrs.  M.  de  LaMennaîs 
a  beau  nous  dire  que  le  culte ,  deyenu  un 
Tain  simulacre ,  ne  se  liait  a  aucune  croyance 
religieuse  ;  .qu'il  n'était  conservé  que  par 
habitude  ,  a  cause  de  ses  pompes  et  de  ses 
fêtes  ;  que  les  sages  et  les  grands  le  ren- 
Toyaient  avec  mépris  k  la  populace,  qui  vou- 
lait des  dieux  pour  complices  de  ses  désor- 
dres (1  )  :  comme  si  les  chaînes  de  l'habitude, 
des  intérêts,  des  préjugés,    des  passions, 
n'étaient  pas  assez  fortes  pour  retenir  la 
populace  sous  le  joug  de  ses  superstitions. 
On  lui  répondra  que  l'instinct  religieux  , 
lont  froissé  qu'il  était  par  la  corruption  uni- 
verselle ,  ne  restait  pas  sans  action  ,  même 
sur  les  classes  accoutumées  à  dominer  l'opi- 
^^oa  et  la  conduite  du  peuple  (2).  Les  lois 

'i)   Essai, ^.i\. 

(^)   Voy.  l'Histoire  de  l'étabL  du  Christ,,  p.  74. 


20  HKTOIRË 

et  les  mœurs  pubiiipies  soutenaient  dt  cou- 
cert  la  majesté  du  cuite  aatique ,  à  qui 
Ton  se  croyait  redevable  de  sept  câits 
années  de  triomphe  et  de  gloire.  Cicéron 
ne  permettait  pas  que  l'on  agitât  publi- 
quement aucune  dispute  sur  les  dieux ,  de 
peur  d'affaiblir  le  respedt  qui  leur  était 
dû  (i  )  ;  Auguste  ne  voulait  :pas  qu'il  y  £uLt  lâen 
innové.  Quelque  changement  que  la  doc- 
trine  d'E^^icure  eût  pu  apporter  dans  les 
mœurs  de  la  jeunesse  romaine ,  elle  n'influa 
pas*  tellement  sur  l'esprit  public ,  qu'elle  Taii 
poussé  jusqu!au  mépris  de  toute  religion. 
:«  Quelle  que  fut  la  corruption  de  Rome  » 
(  dit  Montesquieu  dans  le  même  chapitre 
où  il  accuse  justement  la  ^cte  d'Epicure 
d'avoir  contribué  beaucoup  à  gâter  le  ccaur 
et  l'esprit  dés  Romains),  »  tou$  les  malheurs 


•  Non,  disaient  les  paiens  ,  il  n'y  a  rten  de  surnata- 
«  rei  dans  rétablisement  du  Christianisme,  etc.  »> 

(4)  Lactance,  dans  la  Biblioth.  choisie  des  Pères  y 
t.  UI ,  p.  392. 


HE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.         71 

«  ne  s'y  4|t|dient  pas  introduits  ;  la  force  de 
<c  ton  institution  s'y  ^tait  conservée  au  p^iliejui 
«  des  richesses ,  de  la  tnoUea^e  et  dQ  la  y^qt 
«  lapté  (1).  n  Ce  qu'il  applique  k  la  valeur 
guerrière  peut  s'appliquer  ^gal^tnent  k  l'es- 
prit religieux  ^  témoin  ce  que  les  cpi^ttempo- 
rains  nous  raçpnteut  de  ces  teiyips  nil^eu- 
reux.  On  a  observé  avec  praisop  quq  le  poçBA^ 
de  Luqrèce ,  oii  la  doctrine  du  qifrïi^risdîsiiie 
est  exposée  en  si  beaux  vers ,  trouvait  a  peine 
pudiques  lecteurs  dans  tout  l'empire  (%)  ; 
^^ndis  que  les  hymnes  d'Horace  en  l'hAiin 
^eur  des  dieux  4^  pays   étaient  répétés 
<i.ans  tous  les  lieux  de  l'univers ,  partout 
ailleurs  ique  dans  les  obscures  catacoml^s, 
oii  les  chrétiens  dérobaient  à  VofH  des  hourr 
reaux  leurs  mystères  proscrits.  Qu'on  lise 

X. 

dans  l'écrivain  Y alère^iy|[^iine  1^  nQn)b|reu;i 
exemples  qu'il  cite  de  la  piété  envers  les 
dieux  y  de  la  foi  aux  oracles  ,  aux  songes  ,  k 

(')  Grand,  et  déçad.  des  Ram.\  rhap.  x. 
C^)  M.  Villemain,  Mélanges. 


Tlfà  .1       ni^TouLK. 

tout  ce  qui  était  cher  a  la  superstition.  Tacite 
et  Tite-Liye ,  Polybe  et  Plutarqùe  croyaient 
avec  ferveur  ;  et  s'indignaient  que  quelques 
esprits  forts  de  teur  temps  combattissent  par 
un  pyrrhonisme  occulte  les  croyances  popu- 
laires. A  Rome  ,  un  temple  s'élevait  dans  l'île 
du  Tibre  en  l'honneur  de  Simon-le-Magi- 
cien  (i).  Les  peuples  de  l'Asie  se  précipi- 
taient en  foule  sur  les  pas  d'Apollonius  dé 
Thyane.  La  magie  avait  ses  pontifes  et  ses 
initiés ,  ses  évocations  et  ses*  mystères  ho- 
norés delà  faveur  des  maîtres  du  monde. 
Gibbon  notis  dit  que  les  différens  genres  de 
culte  qui  régnaient  dans  le  monde  romain 
étaient  tous  admis  indifféremment,  parce 
qu'ils  étaient  tous  considérés  par  le  peuple 
comme  également  vrais;  par  la  philosophie, 
comme  également  faux  ;  par  le  magistrat , 
comme  également  utiles  (2).  x\utant  d'erreurs 

(1)  Simoni  Deo.  Tiliem. ,  Mévi,  cccllés.^i.  1,  p.  lOo. 

(2)  Hist.  de  la  décad.  et  de  la  chute  de  i* Empire 
rom,,  liv.  i,  chap.  ii. 


DB   LA   MOUlOELIiB   HÉRÉSIE.  f% 

que  de  mots.  S'il  en  eût  été  ainsi ,  le  Chris- 
tianisme aurait  pu  s'établir  sans  conlradic<- 
tion  et  s'étendre  à  son  aise  sous  le  patronage 
de  la  mutuelle  indulgence  que  s'accordaient 
les  sectes  diverses  ,m%me  les  plus  opposées. 
U  n'eût  été  qu'une  religion  humaine ,  et  man- 
<piait  k  la  fois  et  aux  vues  de  la  Providence, 
et  à  la  vérité  des  prophéties.  Quoi  donc  ! 
était-ce  par  indifférence  pour  son  culte  que 
iVéron  donnait  le  premier  signal  d'une  guenre 
d'extermination  poursuivie  par  ses  succes- 
seurs avec  le  plus  implacable  acharnement  ? 
H^ 'indifférence  a-t-elle  jamais  armé  les  pas- 
^mons  humaine's  du  fer  et  de  la  torche  contre 
1^' ennemi  qui  se  présente  pour  leur  disputer 
V  empire  (1  )  ?  Les  peuples ,  a  grands  flots  , 
se  précipitent  sous  leur  bannière  ,  nous  dit 
^I.  de  La  Mennais  ^  l'avarice  y  conduit  les 
prêtres  des  idoles  ;  l'orgueil  y  amène  les 
*3ges ,  la  politique  les  empereurs.  N'y  eût-il 

(4)  A'wai,p.  12,  13. 


94  m^TOIRE 

I 

qw  ce»  seules  passions?  le  fanatisme  qu'elles 
aUamftient  dans  tant  de  cœuRs  pouvait-il  s'y 
alUer  atec  la  froide  apathie  que  l'indifférence 
suppose  en  &it  d'opinions,  et  surtout  d'^pÂiv 
nions  religieuses  ?  Que  Gibbon ,  aveuglé  païf 
son  ^epticisme  calculé,  vienne  noua  direqm 
la  superstition  du  peuple  n'était  mêlée  d'ttUr 
ciwe  haine ,  d'aucune  aigreur  théologiqué  i 
ni  enchaînée  dans  le  cercle  d'un  système 
esLclusif  ;  que  les  philosophes  ^honnea  gtms, 
regardaient  du  même  oeil  toutosles  religions 
df  la  terrie  ;  qu'il  leur  était  fort  indifféront 
que  les  Jolies  de  la  multitude  prissent  teUe 
fio^rme  plutôt  que  telle  autre  (t)  :  nous  ne  £eii-? 
sons  pas  à  M.  de  La  Mennais  l'injure  de  le 
croire  de  ceux  qui  veulent  que  le  Chl?istia-r 
nism^  se  soit  établi  naturellement ,  et  par  jio 
seul  discrédit  où  étaient  tombées  les  supers^ 
titîons  antiquesf.  La  tolérance  qui  s'accordait 
aux  divinités  étrangères  avait  ses  contra4ic-7 

(I)  Essai,  li.  12,  i;^ 


DE    LA   NOIiym4*E:#£RÉSlE.  fé 

ienBn.i  «es  exceptions;  e|;  malgré  le  vœu  4fo 

Tibère  qui^wsiandàît  pour  JésusfOuist  r^af; 

««iClipi«dk(<1  ) ,  nous  ne  yoypn^pe^  q^'il  »\ 

obKfiavkù  akément  mn  4coit  de  boiurgeQΧif^ 

dafiaai«ctiiiede0  cités  de  l'univeiv,  pas  m^w^ 

daas  oeUe  dont  i)  avait  fidt  U  tM^tre4e,s^ 

«sQTres  les  phis  extraordinaire^.  P/ét^it  apr 

ÎNiremmeot  p^r  iodifféir^P^^  <IUj9^1e  ¥p)[iip- 

«mm  Hér^e  Qiyjonnajit  |e  miissacre  d»^ 

prevoiefBriiéi ,  afin  d';9Péwtifr  d^ns  fpfi  bei;<- 

ceau  la  religion  du  Qiri^t  ;  que  la  synagf|gi)e 

demandait  k  grands  cris  qu'il  £àt  cruçii^é 

pour  Tepger  la  loi  de  Moïse  et  l'honoeur  du, 

temple.  Qav^rez  toutes  les  jbis^pires  ;  jeûnais 

con(jurati<w  ^i  plus  uqiapime  dans  ses  agei|s, 

ni  plus  uniforme  dansées  motifs  9  ,<:'çst  la 

caHse  dfts  dieux  qui  arme  et  les  roi»  ei  les 

peuples.  Dajus  chacuit  des  fléaux  qui  désolent 

l'empire  romain  5  on  croit  )ire  les  ordres  du 

ciel  4fui  demande  pour  e^^piation  le  sang 

(i)  TertuU.,  jàpolqgct,,  oup.  v. 


76  HiSTomE 

des  chrétiens.  Après  Néron  ,  Domittett> 
Trajan  ,  Marc-Aurète  ,  Septîme-^yèrt , Ici 
plus  humains  des  empereurs,  offrent  k  leur» 
dieux  les  chrétiens  en  holocauste.  Les  viltês 
entières  leur  écrivaient ,  soit  pour  les  re- 
mercier des  édits  de  proscription  qu'ils  ont 
rendus  contre  les  chrétiens ,  soit  pour  les 
exciter  à  de  nouvelles  fureurs  (1).  Le  cri 
barbare  :  Les  chrétiens  aux  lions!  a  fait 
tressaillir  de  joie  une  multitude  ivre  de  san^, 
et  qui  n'en  a  jamais  assez.  On  n'épargne , 
même  de  leur  temps,  ni  âge,  ni  sexe  ,  ni 
condition ,  ni  les  services  rendus  à  la  patrie. 
Les  places  publiques ,  les  routes ,  les  champs 
même  et  les  lieux  les  plus  déserts  se  couvrent 
d'instrumens  de  torture  ,  de  chevalets  ,  dé 
bûchers ,  d'échafauds;  la  rage  des  bourreaux 
s'étudie  à  enchérir  sans  cesse  sur  elle-même 
par  l'invention  de  nouveaux  supplices  ;  les 
jeux  se  mêlent  au  carnage  ;  de  toutes  parts 

(3)  Rullct,  Hist.  de  l'Etabliss.  du  Christ.,  p.  63. 


DB   LA   NOUVKUB   HEBBSIK.  7T 

on  fi'^mpresse  pour  jouir  de  l'agonie  et  de  la 
mort  des  innocens  qu'on  égorge.  Ce  n'est 
poîiil;  une  persécution  de  quelques,  jours  ; 
c'est  par  dtis  siècles  qu'il  faut  compter  les 
souffrances  de  l'Eglise.  On  ne  peut  la  suivre, 
durmt  trois  cents  années ,  qu'a  la  trace  du 
sang  cpi'jelle  répand,  et  à  la  lu^ur  desbûchers 
aU«iinés  contre  elle  (1). 

Voilà  ce  que  M.^^  de  La  Mennais  appelle 
de  l'indifférence  !  U  n'y  avait  plus ,  dit-il , 
de*  paganisme ,  plus  de  philosophie.  <c  La 
ir  philosophie ,  laissant  en  paix  l'idolâtrie, 
«  ne  s'occupait  qoe  de  diriger  ses  attaques 
«  ciMitre  les  vérités*  importunes  aux  passions  # 
«  contre  les  prineipes  de  la  morale ,  contre 
«  hé»  peines  •  ^et  les  récompenses  fiitures , 
«  cobtre  l'immortalité  de  l'âme  et  V^^i^ 
«V  tence  de  Dieu  (3).  »  U  Êiut  comptef 
éirsiiigeihent  sur  '  la  crédulité  de  ses  lec- 

^%  y  BMiêtW,  dUôie  dtf«  Péri» ,  p.  244. 


Bieti  toîff  q^  la  phUoi^bp^it^  ^îaisiunt  M 
?  idolâtrie  y  ^  dmgé  ^aittaguieir  centra 

écFit- ,  p^  titi  motAHÀetti  ^-àë  ee»  temp»  rèira-' 

siècle  4e  JufttiïiiëA,  4^^  n'^^téstife'  vftw  tM» 
les  efforts  de  la  philoéopUle  païenne  h^méit 
(^'ptitt»  ùbjm  là  lutte  du*  jpaganisme  €t  de 
l'ËTM^é.  fje  Obpîstianiybiieet  ridôlâtrii^  6* 
pfrësence  l-|itt*d«'l'attfrey*  dcmune  dèuxiennoi* 
vtàk  ëk  ^idp  ctos ,  s'étaient:  itfèckvfi  lime 
fgèiélfltê  ^  môr%.^  Hèi  dehr  oâtâi  ^  L'atta<pw  let 
kf-défeniie  ont  déployé  tbiitéa  leuyitciMW^ 
^1 -Ce»  hkmed' cftieitio»^:  ifK^  deiôM 
^à%fipfé^ii^  k»  jEf^to  lAéâiMife V  ne  fimhl 
piÉ!(  •  ^^géèkf  dat^iintallJ8>  par  céiix  rd'tdJon. 
Eilîl'^^ikHbsdphiey  Uée.  sm  pot^ehiaiiie  v  eaiti« 
p^«hs^i«  bi<^n  que  o^en  était  farit  d^ellesrVB^ 
vangile  venait  a  prévaloir.  Eveillée  par  le 
bruit  de  sei^  pvédicàtioris  et  de  se»  victoires, 
vous  la  voyez  redoubler  d'efforts ,  se  liguer 


DE    LA   NOUVÉLtE    HÉRKSIE.  VO 

avec  rhérësie,  faire  cajnse  comiDune  Bttet 
les  bdttrredux.  Saint  Justin ,  dans  eê»  belk» 
ajiôlogiesioù  il  venge  la  sainteté  du  Chtisiiai- 
tnitne,  combat,  avec  autant  de  tadenii  ^fUè 
de  boKttrage^  tes  prévention»  des  «hiifi,  les 
ealoiôines  de»  païens  et  des  philosophes, 
attaque  siir  son  tréne  leur  Jupiter  souillé 
ée  crimei  înflines,  établit  la  vérité  des 
devines  de  la  vie  lutore  f  de  l'unité  de  Dieu, 
de  la'Si-oTidènce,  dd  libre  arbitre.  Le  phi- 
Ufsophe  Grescent  répondit  par  un  cri  de 
mon.  U  Allait  venger  à  leur  tour,  jpjlrla 
movt  des  (Chrétiens,  la- majesté  de -ces  dieu» 
dié*  ceaa»^  disaient  hautement  qu'ils  n'é^ 
tuent  que'  -  des,  hoaûnss  ou  des  démcNks. 
PUilât  f  cbmnle  récrivïdt  l'empereur  Anto^ 
nm-  TOX  vilks  d^Asiey  que  de  la»ser  a  tscà 
dâdm  le-  toîn  de  e&âti»p  ces  hommés'  qui 
leur  refusaient  1^  honneurs  divîfns  (i),  tm 


(^)  Vnifèz  don  édit   dans   Biblioth.    ehoiêie  déë 
P*rM,  t.  I,p.  313. 


80  HISTOIRE 

leur  iiumolait  les  chrétiens  ;  c'était  au  nom 
des  dieux  que  les  chrétiens  étaient  envoyés 
à  la  mort.  Celse  ramasse ,  dans  un  discours 
artificieux,  tous  les  mensonges  accumulés 
contre  les  chrétiens  par  la  haine  publique 
ou  sa  malignité  propre ,  et  que  la  philoso- 
phie du  xYiii^  siècle  se  glorifiait  d'avoir 
inventés  :  vous  croyez,  en  le  lisant^  avoir  en 
mams  \&  Dictionnaire  encyclopédique.  Ori- 
gène ,  en  lui  répondant ,  ne  laisse  rien  non 
plus  à  inventer  aux  siècles  qui  le  suivront. 
Oest  que  le  Cfariistianisme ,  sorti  tout  entier 
de  la  pensée  de  son  divin  auteur  ^  eut  d'à- 
bocd  toute  sa  perfection ,  et  n'eut  pas  k  subir 
cette  progression  que  lui  suppose  M.  de  La 
Mennais  et  ses  disciples  (1  ) ,  dans  l'orgueil- 
leuse pensée  qu'appelés  a  être  les  régénéra- 
teurs du  Christianisme,  ils  devaient  y  ajouter 
des  démonstrations  nouvelles. 


(1)  Esami,  1. 1,  p.  1^,  Jo;  et  M.  Lacordaire,  Con^ 
sidérât. ,  etc.,  p.  36. 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.         8t 

A  peine  un  siècle  s'est  écoulé  :  déjà,  d*uïi 

bout  à  l'autre  du  monde ,  le  Christianisme 

fixe  tous  les  regards.  Le  pacte  de  famille 

cjui  unit  l'hérésie  a  la  philosophie  enfante 

les  sectes.  Les  plus  hautes  spéculations  de  la 

métaphysique  et  de  la  morale  s'empai'ént 

cle  toutes  les  intelligences.  On  y  mêle  les 

ireveries  orientales ,  les  pratiques  de  la  magie 

^t  les  superstitions  de  la  Grèce.  C'est  par  Ik 

c[u'on   veut  expliquer  les  miracles   et   les 

dogmes  de  la  religion  nouvelle.  Saturnin, 

fiasilide,  Marcion,  Manès,  Hermogène,lcs 

Talentiniens  et  les  Gnostiques,  poussent 

l'erreur  jusqu'à  ses  dernières  limites.  Dieu 

avait  suscité  à  son  Eglise  des  vengeurs  dans  la 

personne  des  Terlullien ,  des  Orîgène,  des 

Qément  d'Alexandrie ,  des  Lactance.  Saint 

^énée  démasque  et  confond  toutes  les  héré- 

•  

^*es.  Sous  Adrien ,   paraissent  Plutarque , 

*^J>ictète ,  Favorin ,  Ëlien ,  Florus  :  le  paga- 

^^^me  ne  manquait  donc  pas  de  défenseurs. 

^cirien  l'avait  fait  asseoir  jusque  sur  les  lieux 

T.  I.  6 


88  msTOBis 

consacrés  par  les  plus  augustes  souvenirs  de 
la  rédemption;  Marc-Aurèle  le  fait  monter  à 
côté  delà  philosophie,  sur  son  propre  trône, 
et  devient  lui-même  un  Dieu  après  sa  mort. 
Capitolin  dit  «  qu'avant  la  fin  de  sa  pompe 
«r  fimèbre ,  le  sénat  et  tout  le  peuple  le  nona- 
«c  mèrent  par  acclamation,  tous  à  la  fois, 
(c  Dieu  propice ,  ce  qui  ne  s'était  jamais  fait 
ir  et  n'est  point  arrivé  depuis»  Ce  fut  peu  de 
«  chose  de  voir  les  personnes  de  tout  âge , 
<c  de  tout  sexe ,  de  tout  état  et  de  tout  rang , 
K  lui  rendre  les  honneurs  divins  ;  on  regarda 
«r  de  plus  comme  des  impies  détestables 
<c  ceux  qui,  pouvant  et  devant  avoir  chez  eux 
<t  son  image,  ne  l'avaient  point  (i). 

M.  de  La  Mennais  s'efforce  vainement 
de  justifier  ces  siècles -là  du  reproche  de 
fanatisme ,  pour  le  réduire  a  'celui  de  l'in^ 
différence  :  il  est  réfuté  par  chacun  dos 


(4)  Capitol.  inAureHo,  De  J0I7,  Penêéesde'Vefn- 
per,  MarC'Aurèle  Anton. ^  p.  xl.  (Paris,  4773.  )     < 


DE   LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  85 

faits  qui    en  composent    l'histoire;  il  les 
passe  sous  silence ,  comme  pour  en  anéan- 
tir la  mémoire.  Qu'aura-t-il  a  répondre  au 
seul  £siit  de  Julien ,  et  de  tant  d'efforts  ten- 
tés par  cet  empereur ,  non-*seulement  pour 
abolir  le  Christianisme ,  mais  pour  rétablir 
Pidolâtrie?  Sans  revenir  tout-a-fait  au  sys- 
tème des  persécutions  sanguinaires  (car  les 
païens  eux-mêmes  lui  en  ont  reproché ,  et 
ses  propres  lettres  en  offrent  la  preuve)  (1), 
le  sophiste   couronné    imagina  un    autre 
plan  d'attaques.  A  la  tactique  vieillie  des 
calomnies  absurdes  et  dégoûtantes  dont  on 
chargeait  les  disciples  de  Jésus-Christ,  il 
substitua    les   traits    de   satire,    décochés 
comme  au  hasard ,  les  insidieuses  allusions, 
les  louanges  hypocrites,  les  diffamations, 
remplaçant  les  échafauds  par  le  sarcasme , 
et  les  proscriptions  par  le  ridicule. 

Son  amour  pour  les  dieux  qu'adore  le  pa- 

(1)  Voyez  Biblioth.  choisie  des  Pères,  1. 1 ,  p.  237. 


84  HISTOIRE 

ganisme  s'enflamme  de  toutes  les  ardeurs  du 
prosélytisme.  «  Que  ceux,  dit-il,  qui  ont  vu 
ou  entendu  de  ces  hommes  assez  sacrilèges 
pour  insulter  aux  temples  et  aux  images  de 
nos  dieux,  ne  forment  aucun  doute  sur  la 
puissance  et  la  supériorité  de  ces  mêmes 
dieux (1).  » 

Julien  avait  bien  senti  que  pour  conser- 
ver l'édifice ,  il  fallait  l'asseoir  sixt  des  bases 
nouvelles,  et  que  pour  mieux  combattre  la 
vérité  chrétienne,   il  fallait  paraître  s'en 
rapprocher.  Tel  fut  le  plan  qui  lui  fut  con- 
seillé ,  soit  par  son  propre  génie ,  soit  par 
les  philosophes  qu'il  avait  appelés  k  sa  cour, 
et  qui  se  partageaient  ses  faveurs.  «  Aux 
«  idées  pures  et  simples  d'un  Dieu  unique  , 
c(  on  substitua  les  idées  platoniques  sur  la 
«  divinité  ;  k  un  Dieu  en  trois  personnes , 
((  cette  fameuse  trinité  ds  Platon ,  aux  anges 

(j)  S.  Cyrill.  Alex.  Adv.  Julian.y  liv.  x.  Bullet, 
Hist.  de  rEtabliss.y  etc.,  p.  279.  La  Blelterie,  Fie 
de  Julien  y  p.  350. 


% 


DE    LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  85 

«  et  aux  démons,  la  doctrine  des  génies 
«  créés  pour  remplir  l'intervalle  entre  Dieu 
«  et  l'homme;  a  l'idée  d'un  Dieu  médiateur, 
«  la  théurgie  qui ,  a  force  de  sacrifices  et  de 
«  cérémonies  secrètes,  prétendait  dévoi- 
tf  1er  l'avenir,  et  opérer  aussi  des  pro- 
ie diges;  enfin,  à  la  vie  austère  des  chrë- 
tf  tiens ,  des  pratiques  à  peu  près  sembla- 
«  ble.s,  et  des  préceptes  d'abstinence  et 
tf  de  jeûne  pour  se  détacher  de  la  terre 
ir  en  s'élevant  à  Dieu  (1).  » 

C'était  là  le  système  de  Porphyre,  d'iam- 
blique ,  de  Plotin ,  de  Proclus ,  et  de  tous 
ces  Eclectiques  qui  de  l'école  d'Alexandrie  se 
répandirent  dans  l'Italie  et  dans  l'Orient. 
Presque  toute  la  philosophie  était  donc  deve- 
nue théologique,  dit  l'historien  des  hércsie.s. 
Le  livre  d'iamblique  sur  les  mystères  est  un 
traité  de  théologie  dans  lequel   le  plato- 


(I)  Thimicis,  Jissai  sur  les  Klo(jc8 ,  chap.  xx,  t.  J, 
p.  274.  (Kdit.  de  Paris,  1773.  ) 


86  HfiTonue 

nisme  est  visiblemeiit  ajusté  sur  le  Christia- 
nisme ,  et  dans  lequel ,  au  milieu  de  mille 
absurdités ,  on  yoit  beaucoup  d'esprit  et  de 
sagacité  ,  quelquefois  une  morale  subli- 
me (1).  Ils  en  imposaient  principalement 
par  leur  morale ,  qui  tendait  à  dompter  les 
passions  et  à  affranchir  l'homme  de  l'em- 
pire des  sens  ;  car  c'était  vers  cet  objet  que 
tendait  le  mouvement  général  des  esprits. 
Cette  disposition  était  l'effet  d'une  fermen- 
tation générale  causée  par  le  malheur  des 
peuples ,  et  par  les  grands  intérêts  politi- 
ques et  religieux.  Il  est  faux  de  dire  ,  avec 
M.  de  La  M ennais ,  que  le  fanatisme  n'y 
était  pour  rien,  et  que  le  Christianisme 
avait  trouvé  l'empire  dans  cet  état  de  dé- 
faillante morale  ou  d'indifférence  qui  pré- 
sage une  dissolution  prochaine  (2). 
Il  devient  évident  que  l'auteur  a  pour  objet 

(1)  Pluquet ,  Dictionn.  des  Hérésies  ,  Disc,  préli- 
min. y  t.  I ,  p.  138,  157. 

(2)  Essai,  t.  I ,  p.  64. 


DE   LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  87 

de  ses  sinistres  prédictions  la  France  et 
l'Earope  entière.  On  peut  répondre  a  ses 
sombres  pressentimens  par  les  aveux  même 
qui  lui  échappent  :  «  Que  s'il  y  a  moins  de 
chrétiens ,  les  chrétiens  ne  sont  pas  chan- 
gés; que  les  plus  pures  vertus,  des  vertus 
dignes  des  premiers  siècles ,  honorent  en- 
core le  Christianisme,  et  que  l'Eglise  de  Jé- 
sus-Christ ne  peut  perdre ,  qu'aussitôt ,  de 
ses  entrailles  déchirées ,  mais  toujours  fé- 
condes ,  ne  sortent  une  foule  de  nouveaux 
enfans  qui  la  consolent  de  ceux  qu'elle  a 
perdus  (i).  «  Toute  dégradée  qu'elle  est  par 
la  corruption  de  nos  mœurs,  que  l'huma- 
nité élève  sa  voix  au  milieu  de  la  société  : 
que  de  prodiges  de  courage  et  de  cha- 
rité !  Vous  l'allez  voir  *  voler ,  chez  les 
^  peuples  sauvages ,  au  bout  du  monde , 
«pour  les  éclairer,  soulager  leurs  maux, 
¥  adoucir  leurs  mœurs,  pour  étendre   le 

(1)  Essai,  t.  1,  p.  18. 


88  HISTOIRE 

tr  saint  empire  de  la  vérité  ;  vous  la  verrez 
«  descendre  au  fond  des  cachots ,  aller  au« 
<r  devant  de^  tortures  pour  lui  rendlre  un 

■ 

w  éclatant  témoignage,  et  mourir  avec  joie 
ff  pour  préparer  son  triomphe  (4).  ;> 

Est-il  permis  de  désespérer  d'une  so- 
ciété où  se  rencontrent  encore  des  princî^ 
pes  de  vie  si  actifs  et  si  ]^uissans  ? 

Quelle  avait  donc  été ,  encore  une  fois  y 
l'intention  de  l'illustre  écrivain  en  nous  don- 
nant  sous  un  jour  aussi  faux  l'histoire  de  nos 
premiers  siècles  chrétiens,  et  en  substituant 
ses  romanesques  visions  aux  monumens 
qu'elle  nous  présente  ?  Sans  attendre  même 
que  les  volumes  subséquens  de  son  Essai 
surrindifférencenousmdimfestent  sa  pensée, 
il  la  trahit  dans  vingt  endroits  de  celui-ci . 

Son  intention  était  de  déclarer  à  la  Raison 
humaine  une  guerre  â  outrance^  de  l'humi- 
lier profondément,  en  la  chargeant  à  la  fois 

(1)  Essai  ,  p.  465  ,  et  Introd,,  p.  18. 


DE   LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  W 

de  tous  les  crimes  de  la  Réforme  protestante 
et  de  la  moderne  philosophie ,  source  com- 
mune de  Fathéisme.  «  Au  principe  d'auto- 
«  rite,  base  nécessaire  de  la  foi  religieuse  et 
tr  sociale,  on  substitua  le  principe  d'examen; 
(T  c'est-k-dire  que  l'on  mit  la  raison  humaine 
«r  k  la  place  de  la  raison  divine,  ou  l'homme 
(c  à  la  place  de  Dieu.  L'homme  alors  rede- 
K  vint  ennemi  de  l'homme ,  parce  que , 
«  souverain  de  droit  dans  l'ordre  politique 
(T  comme  dans  Tordre  religieux ,  chacun 
«  prétendit  de  fait  k  l'empire ,  et  voulut 
«  établir  le  règne  de  sa  raison  particulière 
«  et  de  son  pouvoir  jparticulier  :  prétention 
«  absurde ,  qui  devait  aboutir  inévitable- 
«  ment  à  la  servitude  politique  et  a  l'anar- 
^  chîe  religieuse  (1).  »    • 

«  Pour  tirer  tes  hommes  de  l'indifférence 
«  où  les  jette  l'abus  de  la  raison ,  il  n'y  a , 
«  dit -il,  qu'un  moyen,  c'est  de  dompter 


(1)  Essai,  p.  65. 


90  HKTQIBE 

t(  cette  raison  altière,  en  la  forçant  dé  ployer 
«  sous  une  autre  si  haute  et  si  éclatante 
<r  qu'elle  n'en  puisse  méconnaître  les  droits.  » 

Et  cette  raison  supérieure,  règle  immua- 
ble du  vrai,  quelle  sera*t-elle?  Sans  doute 
celle  de  Dieu  ?-— Oui  ;  mais  la  raison  de  Dieu 
manifestée  par  la  raison  générale ,  par  le 
commun  consentement  du  genre  humain. 
(c  Faites  intervenir  la  raison  pour  juger  si 
cr  elle  doit  admettre  ou  rejeter  les  dogmes 
ce  que  Dieu  nous  révèle  ;  aussitôt  le  magni- 
«  fique  et  immense  édifice  de  la  religion, 
<c  transporté  sur  cette  base  fragile  ,  croule 
ce  de  toutes  parts ,  et  écrase  sous  ses  ruines 
<r  la  raison  présomptueuse  qui  s'était  crue 
f(  capable  de  le  soutenir  (1  ).  j» 

Ainsi  la  rai^n  est  déclarée  incapable 
d'arriver  à  la  connaissance  de  Dieu. 

Quelle  sera  donc  la  règle  de  nos  juge- 
mens?  Dieu  nous  a-t-il  laissés  sans  boussole, 
k  la  merci  des  ignorances  et  des  fluctuations 

(1)  Essai,  Intfod.,  |>.  S,  et  t.  I,  p.  49i). 


DE    LA   NOUVELLE    HÉRÉSIE.  9i 

de  la  raison  privée?  La  divine  Providence 
a  ménagé  dans  tous  les  temps  k  la  société 
humaine  un  critérium  de  vérité ,  une  voie 
d'autorité  qui  ne  s'égare  point,  également 
toute  puissante  et  infaillible  :  «  L'autorité 
«  générale  prévaut  toujours ,  et  nécessaire- 
ff  ment ,  sur  les  autorités  particulières  qui 
.c  tendraient  à  renverser  l'ordre,  ou  par  la 
c  violence  ouverte ,  ou ,  plus  dangereuse- 
«  ment ,  par  des  opinions  ;  et  c'est  même 
«  la  raison  de  la  durée  perpétuelle  de  la 
«  société  religieuse ,  dont  l'autorité  géné- 
c  raie ,  en  vertu  d'un  privilège  divin ,  est  a 
«  l'abri  des  erreurs  (1).  ^ 

c  Comment  nous  assurons-nous  de  l'exis- 
«  tence  de  l'âme  dans  les  autres  hommes , 
«  si  ce  n'est  par  la  communication  des  pen- 
«r  sées?  et  la  pensée  d'autrui  ne  nous  serait- 
<r  elle  pas  totalement  inconnue,  si  elle  ne 
«  nous  était  révélée  par  la  parole?  Sans 
«  cette  révélation,  notre  âme,  éternellement 

(1)  Essai  y  p.  30. 


1K2  HISTOIRE 

t 

«  solitaire,  vivrait  dans  une  ignorance  abso- 
V  lue  des  êlres  semblables  à  elle  :  or ,  s'il 
(t  faut  nécessairement  que  l'homme  parle  à 
c<  l'homme  pour  être  connu  de  lui,  corn- 
er ment  l'homme  connaîtrait-il  Dieu^si  Dieu 
«f  ne  lui  parlait  point(1  )  ?  » 

ff  Par  cela  même  qu'elle  a  des  bornes,  l'in- 
•r  telligence  humaine  n'aperçoit  rien  avec  une 
«c  parfaite  clarté.  Ce  qu'elle  ignore,  obscur- 
cr  cit  plus  ou  moins  ce  qu'elle  connaît  ;  car 
«  chaque  partie  ayant  des  rapports  néces- 
(T  saires  au  tout,  il  faut  connaître  le  tout 
ff  pour  connaître  parfaitement  la  moindre 
(T  de  ses  parties.  De  là  vient  que  la  raison 
<r  ne  comprend  rien  pleinement.  Une  faible 
«r  et  vacillante  lueur  marque  à  peine  quel- 
<r  ques  légers  traits  des  objets  qu'elle  consi- 
or  dère.  Incapable  d'affirmer,  incapable  de 
K  nier ,  perpétuellement  flottante  au  gré 
((  des  probabilités  contraires  sur  la  vaste 
<(  mer  du  doute ,  ce  ne  sera  pas  elle  qui 

(1)  Essai,  p.  493. 


MB   LA   KOirVELLE   HÉftÉSIE.  95 

«  affermira  la  pensée  de  l'homme  jusqu'à  la 
tr  rendre  aussi  inébranlable  que  la  pensée 
«  de  Dieu  ;  et  néanmoins  il  le  faut ,  pour 
(T  que  notre  intelligence  soit  véritablement 
«  l'image  de  l'intelligence  infinie  en  certi* 
ir  tudè  comme  en  étendue  (i).  » 

«  La  religion  supplée  par  la  foi  h  la 
«r  faiblesse  de  l'intelligence.  Après  avoir 
V  prouvé  son  autorité  divine ,  elle  ordon- 
«  nera  à  l'homme  de  croire  ce  qu'il  ne  peut 
tr  encore  comprendre ,  et  elle  mettra  dans 
«r  ses  croyances  infinies  dans  leur  objet,  in- 
«r  finies  en  certitude ,  puisqu'elles  reposent 
«  sur  un  témoignage  divin ,  le  même  ordre 
tr  qui  existe  dans  les  idées  de  Dieu;  et  comme 
«r  les  mêmes  vérités  sont  connues  par  la 
«  même  foi  de  toutes  les  intelligences ,  il  y 
«  a  société  entré  elles  et  le  grand  Etre  qui 
cf  les  a  créées  pour  lui  (2).  )* 


(1)  Essai,  ^.  48i),  486. 

(2)  Ibid, 


94  HISTOIRE 

((  NouB  ne  trouvons  en  nous-mêmes  au- 
ff  cune  vérité  ;  elles  nous  viennent  toutes 
«  du  dehors.  La  raison  n'est  que  la  capacité 
(c  de  les  recevoir ,  de  les  reconnaître  et  de 
<r  les  combiner  (1).  > 

ce  De  cette  sorte ,  la  certitude  du  témoi- 
«f  gnage  remplaçant  la  certitude  de  l'évi- 
er dence ,  l'homme  a  pu ,  sans  changer  de 
«(  nature ,  posséder  pleinement  la  vérité 
K  infinie  (2).  j» 

cr  Jésus-^Christ  a  porté  dans  notre  nature 
«  le  fondement  de  la  perpétuité  de  la  reli- 
«  gion  ;  il  conserve  la  vérité  dans  la  pensée 
ce  de  l'homme ,  comme  la  pensée  même  se 
«c  conserve  par  la  parole  transmise  (3),  » 

«  Je  doute  qu'aucun  homme  crut  ferme- 
«  ment  en  Dieu,  si  le  témoignage  de  sa  raî- 
ir  son  n'était  confirmé  par  l'autorité  du  genre 
w  humain.  » 

(1)  Essai,  p.  487. 

(2)  Ibid.,  p.  489. 

(3)  Tbid.,  p.  180. 


DE   LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  96 

V  Le  Christianisme  n'apporta  point  au 
«  inonde  une  Révélation  nouvelle ,  il  ne  fît 
«  que  développer  la  foi  existante  dans  l'uni- 
«  vers;  il  ne  naissait  pas,  il  croissait  (i). 

Telle  est  la  doctrine  théologique  qui  déjà 
se  découvre  dans  le  premier  volume  de  1'///- 
différencCy  celui  de  tous  qui  ait  excité  la 
plus  vive  sensation  ;  tous  ceux  qui  Font  suivi 
n'en  étaient  que  le  prolixe  développement; 
et  réduisent  tout  le  système  à  ces  points 
principaux  :  que  la  raison  individuelle  est 
sans  autorité  pour  servir  de  règle  k  nos  ju- 
gemens;  que  ni  l'évidence,  ni  le  sens  in- 
time ou  la  conscience  ne  nous  donnent 
point  de  motifs  de  certitude  ;  que  l'autorité 
de  la  raison  générale  ou  commun  consente- 
ment du  genre  humain  est  l'unique  crité- 
rium de  la  vérité  ;  que  seule  elle  en  est  le 
tribunal  infaillible. 


(1)  Essai,  ^.  289. 


96  msTome 

Sa  théorie  politique  n'y  est  pas  moins 
clairement  exprimée  : 

«r  Le  pouvoir  n'a  d'autre  principe   que 
«  la  force.  Quand  il  n'est  pas  dirigé  par  la 
«  force,  il  cesse  d'être  légitime  ;  il  est  tyran- 
crnie,   oppression,    domination    \iolenle. 
«  La  société  chrétienne  ne  connaît  de  pou- 
«  voir  que  celui  dont  le  dépositaire  est  prêt 
«  à  s'immoler  pour  le  salut  de  tous  (1). 
<c  L'homme  est  si  grand,  que  Dieu  seul  a 
«  droit  de  lui  commander  ;  noble  vassal  qui 
«r  ne  relève  que  de  l'Eternel.  Quand  Jésus- 
cr  Christ  apparut  au  monde ,  l'homme  par- 
ie tout  était  l'esclave  de  l'homme»  Avant  lui, 
<r  nulle  part  on  n'avait  l'idée  de  ce  qu'est 
tf  la  royauté  ;  l'Evangile  a  proclamé  la  li- 
er berté  pour  tous  les  peuples  et  tous  les  in* 
tr  dividus(2).  Il  fallait  que  la  sagesse  même 
«  de  Dieu  descendît  sur  la  terre,  je  ne  dis 
«  pas  seulement  pour  délivrer  le  genre  hu- 

(1)  Essai  y  p,  1^6, 

(2)  Ibid.y  p.  413. 


DE  tA  NOIIVELLB   HÉRÉSIE.  07 

main  des  calamités  qui  l'accablaient ,  mais 
pour  lui  donner  l'espérance,  pour  lui  inspi- 
rer le  désir  d'en  être  affranchi  (1). 

.  tr  La  société  humaine  n'est  une  véritable 
«r  société  que  lorsque  ses  membres,  unis  par 
tr  des  lois  relatives  a  leur  nature  intelli- 
«r  gente ,  obéissent  au  pouvoir  suprême  qui 
ff  régit  tous  les  êtres  intelligens  ;  car  il 
tr  n'existe  de  véritable  société  qu'entre  les 
«  intelligences  (2).  » 

Même  doctrine  que  celle  qui  sera  dévelop- 
pée amplement  dans  ses  productions  ultérieu- 
res :  seulement,  ce  ne  sont  pas  encore  ni  les 
fougueuses  déclamations  du  Mémorial  catho' 
Uque  et  des  Mélanges  religieux  et  politiques 
du  même  auteur,  ni  les  sarcasmes  amers  de 
iAs^enir^  ni  les  séditieuses  provocations  des 
Paroles  (P un  Croyant.  Ici  déjk,pas  une  forme 
de  gouvernement  qui  n'excite  ses  outrages  ou 


(1)  Essai  y  p.  425. 

(2)  Ibid,,  p.  /5'47. 

T.   T. 


98  HI6T<»B£ 

ses  alarmes.  Toutes  les  nations  modernes 
sont  minées  sourdement  par  le  despotisme 
ou  par  l'anarchie  9  fruits  de  l'athéisme  et  des 
institutions  de  néant  qui  les  régiisexit(4). 
fc  Mais  les  peuples  ont  aussi  leur  intérte  »  et 
«  leur  orgueil  est  plus  terrible  que  celui 
«  d'aucun  tyran.  De  la  une  hame  secrète 
«  entre  le  pouvoir  qui  les  gêne  et  les  humi*- 
<c  lie  ;  haine  qui  s'étend  du  pouvoir  a  tous  les 
«  agens  du  pouvoir,  à  toutes  les  institutions , 
K  à  toutes  les  lois ,  à  toutes  les  distinctions 
«  sociales  (2).  »  Où  est  dans  ce  conflit  per^ 
pétuel  la  séciu'ité  du  gouvernement?  où  est 
le  lien  de  l'obéissance?  Aussi,  à  proprement 
parler,  n'existe-t-il  plus  de  société.  Elle 
n'exista  réellement  qu'au  temps  du  moyen 
âge.  i<  Dans  les  âges  qu'on  appelle  bai4>are$, 
(c  le  Christianisme  avait  affermi  et  tempéré 
<c  le  pouvoir,  sanctionné  l'obéissance,  éta« 


(1)  £waî,p.  75,4Î^2. 

(2)  Ibid.,  p.  345. 


DB  lA  NOUVSUUB  HÉRÉSIE.  99 

c  bU  lea  vrais  rapports  sociaux ,  épuré  les 
K.  BUBurs  et  souTent  suppléé  les  lois.  Alors 
«L'hammQ  était  sacré  pour  Thomme;  le 
tt  gouvemoment  était  doux  et  fort ,  et  le 
«  peuple  libre  et  soumis  (1  )•  La  société  se 
•  trouvait  régie  par  une  puissance  infinie 
«  d-amour  (3L).i^  Le  souverain  pontificat  était 
à<l2^tête  de  la>  civilisation  ;  l'harmonie  ré- 
élût dans  toutes  les  parties  du  corps  social, 
liées  entre  elles  par  la  suprématie  univer- 
sdlemeat  reconnue  du  siège  apostoliqucti 
tf  Malgré  des  désordres  partiels  et  de  légères 
mrdé^iationsj  l'Europe  s'avançait  vers  laper- 
Mt  ii^fitâon  QVL  le  Christianisme  appelle  les  peu*- 
JT-ples^comme  les  individus,  lorsque  la  Ré- 
»  femie  vint  subitement  arrêter  ses  progrès 
«»  et  la  précipiter  dans  un  abîme  où  elle 
«.s^'enfonce  tous  les  jours,  et  dont  nous  ne 
«  cannaissons  pas  encore  le  fond  (3).  »  De 

(1)  Essai,  p.  39,  77. 

(2)  Ibid.,p.ii. 

(3)  Ibid.,  p.  42. 


100  msTontE 

celte  époque ,  «  les  gouvernemens  et  les  peu- 
«r  pies ,  établis  dans  une  sorte  de  guerre 
r  (  faute  du  contre-poids  que  leur  donnait 
ff  l'autorité  pontificale  ) ,  ont  été  contraints 
ir  de  se  demander  des  garanties  mutuelles , 
«  et  de  chercher  leur  sûreté  dans  des  pactes 
«  illusoires  (  tels  que  le  traité  de  Westpha* 
K  lie  ).  Telle  est  la  cause  qui  enfante  en 
«  Europe  cette  foule  de  constitutions  moitié 
If  monarchiques ,  moitié  républicaines ,  vé- 
«  ritables  traités  temporaires  entre  le  des- 
cf  potisme  et  ranarchie(l).  » 

On  n'a  pas  oublié  que  l'étemel  cri  de 
guerre  de  M.  de  La  Mennais  dans  ses  der- 
nières productions  était  la  séparation  ab- 
solue de  l'Eglise  et  de  l'Etat ,  le  renoncement 
de  la  part  du  clergé  au  traitement  qui  lui 
est  alloué  par  la  Constitution.  Dès  les  pre- 
mières pages  du  livre  de  V  Indifférence  y  le 
nouveau  réformateur  avait  dit  :  i<  Contem- 

(1)  Ibid.y  p.  77;  et  Religion  considérée^  etc., 
p.  148, 


DE   LA   KOUVKLLE   HÉRÉSIE.  iOi 

«  plez  l'état  de  la  religion  :  on  ne  la  proscrit 
K  pas,  mais  on  l'asservit^  on  n'égorge  plus 
erses  ministres,  mais  on  les  dégrade  pour 
(T  mieux  enchaîner  le  ministère;  on  lui  pro- 
ie digue  l'outrage  et  le  dédain,  et  l'injure 
K  encore  plus  amère  d'une  insultante  pro- 
tf  tection.  Quelques  pièces  de  monnaie  que 
«  l'avarice  qui  donne  envie  a  la  misère  qui 
(f  reçoit,  des  hommages  dérisoires,  des  en- 
ff  traves  sans  nombre ,  des  lois  oppressives , 
K  des  dégoûts  perpétuels  et  des  fers,  voilà 
<c  les  magnifiques  largesses  dont  la  plupart 
f(  des  gouvernemens  ne  se  lassent  point  de 
«  la  combler  (1).  » 

Que  dans  le  livre  des  Paroles  d'un 
Croyant j  il  excite  les  peuples  a  briser  les 
liens  de  la  subordination ,  il  n'est  que 
conséquent.  Il  avait  dit ,  dès  son  entrée 
dans  la  carrière  ,  qu'on  ne  devait  rien 
à  l'homme  en  tant  qu'homme  ,   parce  que 


(4)  /wffod.jp.  26. 


102  HISTOIRE 

Dieu  seul  est  le  principe  comme  le  terrn^ 
de  tous  les  devoirs  (1  ).  Qu'il  nous  fasse  acnifi^ 
ter  au  dernier  jugement  (2),  c'est  pour  nous 
faire  croire  que  le  seul  crime  de  la  dureté 
envers  les  pauvres  dictera  la  sentence  du 
souverain  Juge  contre  les  prévaricateurs  de 
son  Évangile  :  «  Parodie  aflfreuse  !  >i  s'écrie 
un  journaliste.  «  Non,  ce  n'est  pas  la  la  doo- 
«  trine  de  Jésus -Christ  (5)!  » 

M.  de  La  Mennais  n'a  fait,  dans  chacun 
de  ses  ouvrages ,  que  se  répéter  lui-même  j 
celui-ci  contenait,  dès  son  premier  volume, 
toutes  les  erreiu*s  répandues  dans  les  suivans. 

Mais  les  erreurs  étaient  inaperçues;  la 
séduction  du  talent  de  l'auteur  ne  permet- 
tait ni  a  la  simplicité  de  la  foi  de  les  soup- 
çonner, ni  à  la  sévérité  de  la  critique  de  les 
signaler;  et,  comme  au  temps  de  l'Aria- 


(1)  Essai,  ^.  513. 

(2)  Ibid.,  et  Paroles  d'un  Croyant,  p.  221. 

(3)  L'Univers  religieux,  n<*  190.  Réponse  d'un 
Chrétien  auss  Paroles  d'un  Croyant, 


AE  LA  NOUVELLE  HERESIE.  10^ 

nisme,  la  France,  long* temps  surprise  par 
les  artifices  du  langage ,  éveillée  enfin  par 
la  voix  apostolique ,  a  pu  dire  avec  les  Pè- 
res de  Rimini  :  ce  Ce  qui  nous  a  trompés, 
«  c'est  d'avoir  eu  trop  bonne  opinion  d'une 
«f  école  qui  le  méritait  si  peu('l).  » 

Qu'est-ce  que  la  certitude?  quels  en  sont 
les fondemens ?  Qu'est-ce  que  la  raison,  l'é- 
vidence ,  l'autorité  ?  quels  en  sont  les  rap- 
ports avec  la  foi?  Hautes  questions  sur 
lesquelles  l'école  de  M.  l'abbé  de  La  Mennais 
va  nous  donner  enfin  les  lumières  qui  avaient 
échappé  jusqu'ici  a  la  sagacité  des  Bacon , 
des  Leibnitz,  des  Descartes,  des  Bossuet. 

(1)  S.  Hilaire ,  Fragm.,  p.  487.  S.  Hicroii,,  Dia- 
log,  inter  Lucifer  et  Orihod,,  t.  IV,  p.  30'J.  Dans 
£iUi9th.  choisie  des  Pères ,  t.  XX  >  p.  3%. 


CHAPITRE  m 


Des  Fondemens  de  la  Certitude,  et  premièrement  de  la 

Raison. 

Pour  arriver  à  ce  qu'il  appelle  le  critérium 
de  la  vérité,  qu'il  fera  consister  exclusive- 
ment dans  la  raisongénérale,rauteur  a  com- 
mencé par  établir  son  opinion  sur  la  raison 
individuelle  :  opinion  dont  il  fait  un  dogme  ca- 
pital ,  le  pivotde  son  système,  la  pierre  fonda- 
mentale sur  laquelle  reposent  en  même  temps 
et  la  foi  catholique  et  la  société  humaine.  La 


mSTOIKE  DE   LA   KOtVELLE   HÉRÉSIE.        1CN( 

raison  est  la  faculté  de  percevoir,  la  vérité  » 
qui  nous  est  démontrée  par  les  moyens  di- 
vers que nousavons  de  connaître.  Cesmoyens 
sont  dans  nous  et  hors  de  nous  ;  à  savoir  : 
l'évidence ,  les  sens ,  le  sentiment ,  le  raison- 
nementselonlui ,  autant  de  sources  d'erreur . 
Ainsi  rien,  absolument  rien  de  ce  qui  porte 
sur  ces  divers  moyens,  pas  même,  affîrme-t-il, 
notre  propre  existence ,  ne  peut  être  légi* 
timement  admis  comme  ayant  un  véritable 
caractère  de  certitude  :  d'oîi  il  conclut  que 
toute  philosophie  qui  recherche  le  fonde- 
ment de  la  certitude  dans  la  raison  indivi- 
duelle ,  conduit  nécessairement  au  pyrrho- 
liisme  absolu.  Quoi  donc  !  n'y  aura-t-il  point 
pour  l'homme  de  fondement  de  certitude? 
U  en  existe  un  autre,  solide,  inébranlable  au 
doute,dans  la  raison  universelle, qu'il  nomme 
l'autorité  du  témoignage  ou  le  sens  commun. 
M.  de  La  Mennais  ne  s'embarrasse  pas  de 
prouver  la  solidité  de  ce  fondement  ;  il  le 
suppose  comme  un  fait  incontestable ,  inhé- 


108  tÊSftÙÊKt 

treht  k  là  nature  de  llioiiitte ,  attesté  p»  Ul 
manière  habituelle  dont  les  hommes  Se  c&Êh 
duiscnt.  Telle  est  l'analyse  que  lui-ttiâtte 
expose  de  son  système  ,  réduit  k  ces  qiiatn 
propositions  : 

1  ""  La  philosophie  qui  place  le  prifieifiÉ 
de  la  certitude  dans  Thomme  indiridfiel) 
ne  peut  parvenir  à  trouver  une  vérité  oef^ 
taine  d'où  il  déduise  toutes  les  autres,  y 
compris  Texislence  de  Dieu  ; 

â^  Celte  philosophie  ne  donne  pas  à 
Iliomme  individuel  une  règle  infaillible  de 
jugement  ; 

S""  Pour  éviter  le  scepticisme  où  coniMU; 
la  philosophie  de  l'homme  isolé ,  au  lien  de 
chercher  en  soi  le  principe  de  la  certitude 
rationnelle  d'une  première  vérité^  il  ùat 
partir  d'un  fait  qui  est  cette  foi  inmmwm^ 
table ,  inhéretite  a  Mitre  âatore ,  et  adnMttre 
tomme  vrai  ce  que  tous  les  hbmmM  croient 
invinciMemeirt  ; 
¥  L'ftUtorité  mi  la  misMi  générale  ^  ie 


DB  LA  NMmOB  HÉRÉfllE.  Ht 

«luwlitanent  oaininiiii,  wt  k  règle  dw  jVh- 
gemens  de  l'homme  Mdiyidud.  Le  Oirislii^ 
nÎRiie ,  tfvânt  Jésus^Christ ,  ét»t  la  raison 
génétole  manifestée  par  le  témoignage  <dm 
genre  humain;  le  Christianisme,  depws 
Jésns-CSirist ,  développement  naturel  de 
l'intelligence ,  est  la  raison  générale  mani- 
festée par  le  témoignage  de  l'Eglise. 

Une  remarque  qui  n'a  échappé  à  aucun 
des  adversaires  de  M.  de  La  Mennais ,  c'est 
que  partout  dans  cet  ouvrage ,  et  dans  le  vo- 
eabulaire  de  la  nouvelle  école,  les  mots 
sont  détournés  de  leur  véritable  sens;  on 
les  transporte  k  d'autres  idées  que  celles  où 
les  enfermait  le  commun  usage.  On  les  mé- 
tamorphose par  des  alliances  étrangères  et 
des  significations  nouvelles  qui  les  déna- 
turent. M.  de  La  Mennais  affecte  de  se 
créer  une  langue  comme  un  système,  où 
il  est  difficile  de  le  suivre;  et  les  défini- 
tions, non -seulement  manquent  de  clarté 
pour  la  plupart,  mais  lui  échappent,  elle 


146  mgTOiBE 

jettent  lui  et  son  école  dans  de  perpétuelles 
contradictions  (1  ) .     ^ 

Prenons  pour  exemple  la  théorie  qu'elle 
nous  donne  de  la  certitude  par  rapport  à  la 
foi.  c<  Cette  question  fondamentale  de  la 
théologie,  gu' est-ce  que  croire?  dépend , 
nous  dit-elle ,  de  cette  question  fondamen- 
tale de  la  philosophie^  qu'est-ce  que  la  cer- 
titude(^.  ;»  M.  de  La  Mennais  en  fait  une 
question  simplement  théologique ,  et  la 
place  tout  entière  dans  la  foi.  (c  La  certi- 
tude  n' est  qu' une  foi  pleine  dans  une  autorité 
infaillible.  Rien,  poursuit-il,  de  ce  qu'affirme 
une  raison  qui  peut  se  tromper,  ou  une  raison 

(1)  On  peut  en  voir  Texposé  dans  les  réfatations 
qu'en  ont  publiées  M.  Boyer  ,  Examen ,  p.  36  ; 
M.  Rozaven,  Examen,  eia,,  p.  112  et  178. 

(2)  «  Je  pense  que  la  première  de  ces  questions 
o  est  tout  aussi  philosophique  que  la  seconde ,  et 
«  qu'elle  ne  dépend  pas  plus  de  la  seconde  que  la 
a  seconde  ne  dépend  de  la  première.  »  M.  Rozaven, 
Examen  yi^,  95.  Toujours  est-il  que  pour  ces  messieurs 
la  question  est  autant  du  ressort  de  la  théologale  que 
de  la  philosophie. 


nB   LA   NOtiYELLE   HÉRÉSIE.  109 

faillible^  n'est  certain  :  donc  chercher  la  cer- 
titude, c'est  chercher  une  raison  infailli* 
ble(1).» 

Le  mot  certitude   devient    donc   syno« 
nyme  de  celui  d'infaillibilité? 

«Que  feit-on,  demande  M.  de  La 
V  Mennais  ,  quand  on  cherche  la  certi^ 
«  tude?  On  cherche  une  raison  qui  /le  puisse 
tf  pas  se  tromper  dans  ses  jugemens ,  une 
«  raison  infaillible  en  tout  et  toujours  :  au- 
«  trement  elle  ne  serait  jamais  assurée  de 
«l'être.  »  Ainsi,  tout  ce  qu'affirme  une 
ff  raison  faiUible  peut  être  faux ,  et  tout 
«  ce  qu'elle  nie  peut  être  vrai  (2).  »  Donc 
toute  intelligence  nécessairement  finie  et 
faillible  ne  peut  être  assurée  de  rien.  Et 
pour  elle  il  n'y  a  point  de  certitude  ,  même 
sur  les  choses  de  la  foi.  Parce  qu'elle  peut 

(J)  Essai ^  t.  IL  Avertissem.^-p,  vu  et  p.  113. 

(2)  Ibid.y  a  Si  vous  pouvez  dire  fexisie^  il  n'y  a 
«  pas  de  raison  pour  que  vous  ne  soyez  aussi  ipfail- 
«  lible  que  Dieu  et  ses  anges.  «>  M.  de  La  Mennayi 
dans  M.  Boyer,  p.  60. 


V 


se  trompée  quelquefois  y  elle  n'a  jamais  In 
certitude  qu'elle  ne  &e  tj^ompe  pas  actuel- 
lement. Mais  parce  que  toutes  les  vérités  ne 
QÀ)us  sont  pas  connues  ^  est-ce  à  dire  que 
nous  n'en  connaissions  aucunes  et  que.  je 
doive  errer  en  tout   parce  qu'il  m'arrive 
dTerrer  quelquefois  ?  S'il  en  est  aini» ,  la  cer- 
titude n'est  qu'un  mot  vide  de  sens  ;  car  j^ 
Mste  toujours  incertain  si  je  ne  me  trompe 
pa«,  incertain  s'il  existe  une  autorité  à  la^ 
quelle  je  doive  croire,  incertain  si  je  crois 
en  effet ,  pourquoi  et  comment.  Donc  plus 
ombre  de  certitude ,  profonde  obscurité , 
tout  l'abîme  du  scepticisme.  Que  devient  ^ 
dans  cette  hypotbèse ,  la  définition  vulgaict! 
dm  mot    certitude  ?  qu'elle    est  ,  dans  le 
sens  strict  et  rigoureux,  l'assentiment  formes 
et  inébranlable  de  l'esprit  à  une  vérité  con^- 
nue  i  qu'elle  est ,  selon  le  langage  des  phi- 
sophes  tant  anciens  que  modernes,  une 
assurance  ferme  qui  tranquillise  pleinement 
la  raison;  qu'elle  suppose  dans  Tintelli- 


M  LA  ifoonoLU  nimiani.  iàA 

gmM  ime  •éeuiité  entière  et  une  con* 
fidîui  ipaifidle  que  la  vérité  est  telle 
fDiW  la  conçuU  (i).  Est-^ce  qa'îl  n'y  a 
|M  »  liors  4e  la  foi,  des  vérités  tdlement 
claires  et  icontestables  qu'elles  exclnent 
tenta  espèce  de  dente  et  d'hésitation  ?  liTen. 
Ma  ntisonf  essentiellement  et  toujours 
Inble,  ne  m'éclaire  en  rien,  l'évidence 
n^est  ipi'ime  loeur  infidèle  9  anm  sens  intime 
cp'un  guide  trompeur.  Le  moyen  de  mar- 
tk»t  dans  la  nuit,  quand  tous  les  flam- 
kmnx  sont  éteints?  Point  de  certitude, 
point  de  foi ,  toot  l'édifice  relÂgieux:  reste 
ttus  &Ddemmt.  La  main  qui  me  l'enièTef 
iiUelle  une  main  catholique? 

Tandis  que  toute  l'école  se  travaille  k 
BOUS  rendre  intelligible  la  doctrine  de  son 
msîlsie ,  voilàque  l'on  jette  dans  l'arène  une 
nvweUe  définition  de  la  certitude  !  SUe 


seau,  Midit.y  3,  4.  M.  Boyer,  Eaamen,  p.   59. 
M.  Recevear,  p.  45,  etc. 


IIS  HISTOIRC 

est  «  Vunion  des  esprits  dans  les  divers 
«  ordres  de  la  pensée  ^  sous  les  lois  de  diverses 
ir  autorités  légitimes  et  évidentes  (1).  »  Nou- 
veau dédale  où  ma  raison  n'entrevoit  au- 
cune issue. 

Tout  ce  que  ces  prétendus  philosophes 
théologiens  nous  disent  de  la  foi ,  de  l'au- 
torité ,  de  l'évidence  ,  du  témoignage ,  de 
la  raison  individuelle  ou  générale  ^  n'est  ni 
plus  légitime  ni  plus  évident. 

Au  simple  énoncé  de  cette  théorie  ,  il  eût 
suffi,  pour  la  battre  en  ruines ,  de  répondre 
par  ces  paroles  de  saint  Augustin  dans  son 
plus  savant  ouvrage  :  «  La  Cité  de  Dieu  dé^ 
«  teste  une  telle  manière  de  douter  comme 
<r  une  extravagance,  ayant,  par  les  choses 
i<  qu'elle  comprend,  par  l'entendement  et 
«r  PARLA  RAISON, une  scicfice ,  petite  à  la  vê- 
te rite,  à  cause  du  corps  qui  appesantit  Vâme^ 
<f  parce  que,  comme  dit  l'Apôtre,  nous  sa- 
(c  vons  en  partie ,  mais  néanmoins  TKJbs-GER- 

(4)  M.  de  Lacordaire  ,  Considérai.,  p.  148. 


DE  LA  KOOTIXE  HÉRÉSIE.  115 

ctaike;  et  elle  ajoute  foi  aux  sens  dans 
«  L'ÉnDENGB  de  chaque  chose  desquels  Ten- 
f  tendement  se  sert  par  le  corps  ;  parce  que 
«  ceux  qui  ne  croient  pas  qu'il  faille  jamais 

V  se  fier  à  eux,  se  trompent  d'une  manière 

V  bien  plus  digne  de  compassion  (1  )•  » 
Ceux  dont  le  saint  Docteur  combat  ici  la 

pitoyable  philosophie ,  c'étaient  les  Mani- 
chéens. 

(j)  CM  de  Dieu,  liv.  xix,  chap.  xviii,  traduit  par 
Huet,  Faibl.  de  V Esprit  hum,,ji,  210.  Il  ajoute  un 
passage  deVEnchiridion,  ou  Manuel  du  même  samt 
Docteur,  dans  le  même  sens. 


T.   I.  8 


CHAPITRE  IT. 


fe 


£e  système^  de  M.  de  La  Mennais  lui  appartient-Ut 

Le  but  avoué  de  l'auteur  est  de  décrier  la 
raison ,  de  la  déshériter  des  nobles  privilèges 
qu'elle  a  reçus  du  Créateur ,  d'en  condamner 
tous  les  actes  sous  le  prétexte  qu'éjant  bor- 
née ,  donc  faillible  de  sa  nature ,  elle  ne 
peut  garantir  aucun  de  ses  jugemens.  Ainsi 
l'homme  n'est  pas  un  ange  :  donc  il  faudra 


mSTOIRE  DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.   IIS 

le  reléguer  au-dessous  des  animaux;  Thomme 
n'est  pas  le  Tout-Puissant ,  donc  il  n'a  nulle 
puissance.  £t  de  la  cette  longue  énuméra- 
tion  des  grieâ  intentés  contre  la  raison  hu- 
maine dans  la  foule  de  livres  publiés  depuis 
Arcésilaiis  et  Pyrrhon,  jusqu'aux  sceptiques 
modernes  (1);  autorités  mendiées,  où  il  y  a, 
dit  Huet,  plus  d'ostentation  que  de  vérité  (2). 
On  ne^  dira  pas  du  moins  que  l'agression 
fat  nouvelle.  Un  savant  contemporain  qui , 
dans  son  examen  de  la  doctrine  de  M.  de 

(1)  Arcésilaiis ,  séduit  par  les  sophismes  de  Pyr- 
Aon,  son  contemporain,  se  jeta  dans  l'excès  opposé 
à  oeloi  des  dogmaticjues ,  et  osa  ayancer  qu'il  n^y 
aiait,  dans  les  choses  humaines,  ni  évidence  ni 
^rtitude.  Sur  quoi  le  sage  Rollin  :  «  L'entreprise 
«  de  combattre  toutes  les  connaissances  humaines , 
«  et  de  rejeter  non-seulement  le  témoignage  des  sens, 
«  quûs  aussi  le  témoignage  de  la  raison  ,  est  Ja  plus 
«  hardie  qu  on  puisse  former  dans  la  république  des 
«lettres,  »  {Hût.  anc,  t.  XII,  p.  503)  et  la  plus 
téméraire;  «  car,  ajoute-t41 ,  le  scepticisme  fut  tou- 
< jours  la  ressource  de  ceux  qui  ne  veulent  rien 
«  croire .  » 

(2)  De  la  Faxblesêe  de  VE$prit  humain,  p.  100. 


116  msTOiRfi 

La  Mennais,  a  fait  preuve  d'une  érudition 
plus  solide ,  remarque  avec  justesse  que  le 
fonds  du  système  auquel  M.  de  La  Mennais 
a  donné  son  nom  n'était  pas  de  lui,  et  qu'il 
n'a  fait  que  l'emprunter  a  M.  Huet ,  l'évê- 
que  d'Avranebes  (1).  Son  seul  traité  de  la 
Faiblesse  de  l' Esprit humain^çvibMé  aAmster- 
dam  après  sa  mort  (2) ,  suffisait  pour  repro* 
duire  ce  long  inventaire  d'exagérations  con- 
tre la  plus  noble  de  nos  facultés.  Mais  le 
pieux  et  savant  évêque  était  bien  loin  d'en 
tirer  les  conséquences  auxquelles  M.  de  La 
Mennais  s'est  livré.  Son  but  était  de  prouver 
que ,  hors  de  la  foi  et  de  l'autorité  de  l'E- 

(i)  M.  Fabbé  Boyer,  Examen  de  la  doctrine  de 
M.  de  La  Mennais.  Paris,  J834.  Livre  excellent,  qui 
bat  en  raines  tout  le  système. 

(2)  En  1722.  Huet  était  mort  un  an  auparavant. 

L'abbé  d'Olivet ,  qui  en  fut  T éditeur,  nous  apprend 
qu'il  avait  été  fait  concurremment  avec  l'ouvrage 
des  Questiones  adletanœ,  où  il  affaiblit,  en  cherchant 
à  rétendre  par-delà  toutes  bornes,  la  belle  démons- 
tration de  la  vérité  évangélique,  par  son  rapproche- 
ment avec  Tancienne  mythologie. 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.  117 

glise»  il  n'existe  nulle  part,  ni  en  lui  y  ni  en 
aucun  autre  homme  ^  de  faculté  naturelle 
par  laquelle  on  puisse  découvrir  la  vérité 
avec  une  pleine  et  entière  assurance;  que  la 
source  de  toutes  les  erreurs ,  c'est  la  préci- 
pitation de  notre  esprit,  qui  nous  fait  ajouter 
foi  trop  légèrement  aux  opinions  qui  nous 
sont  proposées  (1  )  ;  d'où  il  infère  l'inutilité 
des  efforts  de  l'esprit  pour  connaître  la  vé- 
rité par  le  secours  de  la  seule  raison ,  et  la 
nécessité  de  reconnaître  la  bonté  de  Dieu , 
qui  a  réparé  ce  défaut  de  la  nature  humaine 
en  nous  accordant  ce  don  inestimable  de  la 
fbi^  qui  confirme  la  raison  chancelante  et 

(1)  Préface,  p.  9.  Ce  qu'il  entend  par  découvrir 
la  vérité  avec  une  pleine  et  entière  assurance ,  c^est 
en  avoir  une  claire  et  certaine  connaissance,  par 
laquelle^  non-seulement  on  connaît  la  vérité,  mais  on 
£Biit  encore  très-certainement  que  Ton  connaît  toute 
la  vérité.  (Liv.  n,  chap.  i,  p.  181.  )  C'est  lavoir,  non 
plus  per  spéculum,  mais  fade  ad  faciem;  ce  qui  est 
réservé  à  la  vision  béatifique  ou  à  la  plénitude  de  la 
lumière  céleste.  Saint  Aug^tin  et  saint  Thomas  ne 
désavouent  pas  cette  assertion. 


118 

corrige  cet  embarras  des  doutes  qull  hmi 
apporter  à  la  connaissance  des  choses  (4  )  ;  ce 
qui  l'a  engagé  dans  son  acte  d'accusation 
contre  la  raison  abandonnée  à  ses  seules  lu* 
mières.  Affirmons,  sans  croire  manquer  au 
respect  dû  à  la  mémoire  d'un  si  grand 
homme ,  que  l'ouvrage  est  indigne  de  lui  ; 
que  ses  preuves  sont  iutiles,  ses  témoignages 
plus  qu'équivoques,  souvent  controuTésj 
sa  thèse  générale  mal  détendue.  La  censun 
qu'il  y  fait  de  Descartes  ne  pouvait  être 
goûtée  de  Bossuet,  qui  connaissait  mieux  ce 
philosophe ,  et  repoussa  l'ouvrage  d'un  re- 
gard. Leibnitz ,  malgré  son  admiration  pour 
l'auteur,  mettait  sans  doute  cette  produc- 


(1)  Ghap.  Il  du  livre  ii,  p.  182.  «  Ce  qui  manque , 
«  dit-il  encore  ,  à  la  nature  humaine  pour  avoir  vue 
«  parfaite  connaiësanoe  des  choses ,  la  gpràoe  de  Dieu 
«  le  supplée  par  la  foi  ;  elle  fortifie  la  faiblesse  de  la 
«  raison  et  des  sens;  elle  chasse  Tobscurité  des dcraib» 
«  tes,  et  soutient  r entendement  chancelant*  »  (Lrr.  i, 
chap.  I,  p.  12.  )  U  n'est  là  nullement  question  du 
genre  humain. 


M  LA  MirVHU  HteBfB.  119 

tîoik  âé  Haet  an  nombre  de  celles  à  qui  il 

refimdt  son  estime  (1).  L'anleur  l'avait  c<m« 

damné  aux  ténèbres  ,  et  ce  fut  le  zèle  peut* 

étM  indiscret  d'an  ami  qui  le  mit  au  jour  (2). 

C'est  renverser  la  religion  que  de  lui  donner 
pour  appui  un  pyrrhonisme  qui  jette  Tinter* 

dit  sur  les  témoignages  de  la  raison.  Mais, 
quelque  répréhensible  que  fut  l'ouvrage, 
vous  n'y  trouveriez  rien ,  absolument  rien , 
qui  a^roche  de  cette  proposition  fonda- 
mentale dans  ce  manifeste  de  M.  de  La 
Mennais  :  que  la  raison  est  tellement  impuis- 
sante qu'elle  ne  saurait  se  justifier  à  elle- 
même  sa  propre  existence  ;  que  la  vérité  lui 
vient  du  dehors ,  c'est-a-dire  du  geure  hu- 
main ,  qui  lui  transmet  la  parole  révélée  à 
l'homme  dès  l'origine  du  monde  ^  que  ses 
pensées,  ses  sensations,  ses  jugemens,  ses  rai- 


(1)  Voy.  Pensées  de  Leibn,,  par  M.  Emery,  t.  I, 
p.  263. 

(2)  Voy.  d'OUvet,  Trad.  du  livre  De  lu  Nature^ 
des  Dieux 9 1. 1,  p.  168  et  suiv. 


190   mSTOIRE  DE  LA  NOUVELLE  HÉEÉSIE. 

sonnemens,  ses  sentimens,  se  terminent  à  un 
doute ,  a  un  peut-être  (1).  Huet  ne  permet 
ni  à  soij  ni  à  aucun  autre  homme  quelcon- 
que ,  l'absolue  dictature  de  la  raison  ;  il  la 
sacrifie  impitoyablement  sur  l'autel  de  la  foi: 
la  piété  chrétienne  n'agrée  point  un  pareil 
holocauste.  M.  de  La  Mennais  ne  l'immole 
que  pour  mettre  a  sa  place  une  autre  idole, 
cette  raison  universelle ,  inconnue  à  ce  sa- 
vant évêque,  k  qui  pas  un  des  secrets  de  l'an- 
tiquité semble  n'avoir  échappé. 

(i)  M.  Boyer,  Introd.^  p.  3. 


CHAPITRE  T. 


Reproches  faits  h  la  raison  humaine. 

Que  si  M.  de  La  Mennais  difi%re  tant  de 
Tévêque  d'Avranches  dans  les  conséquences 
du  système  qui  semble  leur  être  commun  à 
Tun  et  à  l'autre ,  combien  il  s'en  éloigne  plus 
encore  par  son  langage  !  Jamais  le  dogma- 
tisme ne  prit  un  ton  aussi  tranchant  que  le 
fait  la  critique  du  nouveau  Pyrrhon.  «^  Rien 
«  de  ce  qu'affirme  une  raison  qui  peut  se 
«  tromper  ou  une  raison  faillible  n'est  cer- 
«  tain  (1  ) ,  »  avait-il  dit  dès  l'avertissement 

(1)  Essaiy  p.  486-595.  Avertiss.  du  t.  II,  p.  vu. 


12S  BOSTOIRE 

de  son  ouvrage;  concluant  du  particulier 
au  général  :  parce  qu'elle  se  trompe  quel- 
quefois ,  nécessairement  elle  se  trompe  tou- 
jours. «Entendez,  poursuit-il  dans  tout  le 
cours  du  livre  ,  chaque  homme  parler  de  la 
raison  telle  cfu'il  t'aperçoit  0n  lui-même  ;  il 
en  vante  les  lumières ,  il  en  proclame  l'in- 
faillible certitude.  De  bonne  foi,  quelle  con- 
fiance mérite-t-elle,  cette  raison  si  fière  avec 
si  peu  dé  notife  pmir  fèlre?  Misérable  hé- 
ritière  du  péché  d'Adam,  enveloppée  des 
ténèbres  de  son  ignorance  et  de  sa  corrup- 
tion ,  esclave  de  ses  sens  et  de  ses  préjugés , 
éternellement  dupe  de  ses  illusions ,  eHe  ne 
marche  qu^au  sein  de  la  plus  profonde  obscu- 
rite ,  et  ne  saurait  faire  un  pas  sans  donner 
dans  un  écueil.  Aussi ,  que  de  mécomptes , 
que  de  honteux  égaremens ,  et  sans  que  l'ex- 
périence lui  profite  \  Son  histoire  ,  qu^est- 
elle ,  que  lliumiliant  tables^u  de  ses  chutes 
et  de  ses  erreurs  ?  Rien  de  fixe  ni  d'uniforme 
dans  ses  jugemen»  :  eha^pie  individu  l'inter- 


^ 


HE  LA  fimmUM  HEBESIE. 

pirèta  comme  il  Fentend ,  et  persmine  qui 
Fentende  delà  même  manière.  EUè  approuve 
et  condamne ,  elle  loue  et  censure  au  hsn 
sârd.  Point  de  croyance,  quelque  absurde 
qu'on  la  suppose ,  a  qui  elle  ne  fournisse  tout 
farsenal  de  ses  captieuses  subtilités.  Elle 
dit  à  l'athée  qu'il  n'y  pas  de  Dieu ,  au  déiste 
que  tout  est  problème  dans  la  religion ,  au 
pUloeophe  qu'il  s'abrutit  à  croire  ce  qu'il  ne 
comprend  pas.  Pauvre  raison  humaine,  qui 
se  croit  suffire  a  elle-même  et  se  fait  sa  pro* 
pre  règle ,  souveraine ,  indépendante  !  Elle 
prétend  diriger  l'homme  :  il  faudrait  qu'elle 
eommençât  par  être  sûre  qu'il  existe;  sa 
pensée  est  pour  elle-même  une  énigme.  Le 
peu  qu'elle  sait  lui  vient  de  source  étran-' 
gère  4  Qui  cherche  la  vérité  par  sa  rai-^ 
son  individuelle,  n'embrasse  que  la  nue; 
pour  être  conséquent,  il  faut  douter  de 
tout  (4).  » 

(i)  Emoi  9wr  l'JnUféreneê^  t.  i,  p.  3,  37.  iW>. 
/èfise,  passim.  Ainsi    dira-t-il   dans  àeti   Ai^néf  ? 


1S4  «  HISTOmE. 

i 

Telquelevainqueur,  de  son  char  de  victoire 
il  chante  l'hymne  du  triomphe ,  en  s'admi* 
rant  lui-même  et  insultant  aux  ruines  qu'il  a 
faites.  (T  II  fallait,  poursuit>-il,  humilier  pro* 
«r  fondement  cette  orgueilleuse ,  la  pénétrer 
«  davantage  de  l'obligation  étroite  où  elle  est 
ft  de  captiver  son  intelligence  sous  le  joug 
<(  de  la  foij  il  fallait  pousser  l'homme  jusqu'au 
«  néant ,  Tépouvanter  de  lui-même ,  déses- 
«  pérer  toutes  ses  croyances ,  même  les  plus 
«  invincibles.  » 

Est-ce  là  un  vœu,  une  imprécation  ? 
La  rigueur  de  cet  arrêt,  comme  on  le 
voit ,  n'excepte  rien ,  pas  même  les  croyant 
ces  les  plus  invincibles;  ni  les  œuvres  de 
cette  raison  si  ignorante  j  si  dépravée  , 
qui  par  l'organe  des  Législateurs  rassem- 
blait les  multitudes  éparses  pour  les  domp- 


«  Les  yérités  crues  avec  raveuglement  le  plus  su- 
«  perstitieux  par  tel  parti ,  ne  sont  pas  plus  vraies 
«  que  ceUes  que  cherclie  à  proposer  lé  parti  con- 
«  traire.  »  N.  234. 


DE  LA  NOUVELLE  HÉEÉ8IE.  19S 

ter  par  le  frein  de  la  civilisation  ;  ni  les  ad- 
mirables découvertes  de  la  science  et  du 
génie,  lesquelles,  bien  que  mêlées  à  des  er- 
reurs, n'en  ont  pas  moins  répandu  la  lumière 
sur  leurs  traces  :  astres  brillans  jetés  par  la 
divine  Providence  a  travers  la  nuit  épaisse 
qui  les  environnait;  ni  les  utiles  travaux  de 
ces  bommes,  la  plupart  inconnus  de  leur 
siècle,  qui,  les  uns  par  leurs  doctes  veilles, 
ont  reculé  le  cercle  des  connaissances  bu-   * 
maines  et  Font  étendu  aussi  loin  que  Dieu 
Fa  permis,  les  autres,  par  leurs  sublimes 
institutions,  ont  entretenu  ou  vivifié  les  se- 
mences de  vertu ,  de  justice ,  d'honnêteté , 
quand  elles  périssaient  parmi  le  genre  bu- 
main.  Qui  est-ce  qui  a  fait  tout  cela ,  si  ce 
n'est  la  raison  ?  Vous  nous  parlez  de  ses 
écarts  ;    vous  oubliez    ses  bienfaits.  Quoi 
donc  !  la  boucbe  de  Balaam  ne  s'ouvre-t-elle 
que  pour  maudire  ?  Vous  comptez  les  liens 
dont  elle  est  garrottée.  Ouvrez  les  yeux  ! 
N'est  -  ce  point  par  le  secours  des  ailes  que 


tS6  msTOmfi 

Dieu  lui  a  données  qu'elle  a  pu  s'élancer 
dans  les  cieux,  parcourir  le  monde  d'une 
extrémité  à  l'autre,  plonger  jusque  dans  ses 
abîmes?  Prométhée,  enchaîné  sur  le  Cau?» 
case  9  n'en  est  pas  moins  le  Prométhée  qui 
avait  su  dérober  le  feu  du  ciel.  Ma  citation 
est  profane;  corrigeons  cette  £iute  par  la 
pensée  d'un  saint  Docteur  :  «  La  sagesse  ou 
la  science ,  n'importe  (  ces  mots  sont  ton* 
jours  synonymes  sous  la  plume  de  saint  Au- 
gustin), consistant  dans  l'union  avec  Dieu^ 
et  Dieu  étant  la  raison,  la  vérité  souveraine^ 
à  l'homme  l'ignorance  et  la  folie,  a  Dieu  la 
sagesse  j  mais  la  raison  tient  le  milieu  entre 
la  folie  de  l'homme  et  la  sagesse  et  la  vérité 
deDieu(l).  i» 

(i)  Cutn  enim  sapiens  ait  Deo  ita  mente  ceujune- 
tus  ut  nihil  interponatur  quod  separet;  Beus  enim 
est  veritas  ^  nec  uîlopacto  sapiens  quisquam  est  si  non 
fferUatem  mente  eonjungat  ^  ne^re  non  petsumus  4m- 
ter  stullitiam  hominis  et  sincerissimam  Dei  veritmr 
tem  médium  quiddam  interpositam  esse  hominis  sa- 
jManffom.  S.  hx^.^  De  %Hilk.  eredenii,  cap.  xv. 


BB  LA  NomnoMM  niBiiésiE.  MSr 

Hewewemeiit  la  religion  ne  nous  adresse 
pas  d'aussi  désespérantes  paroles. 

Dieu,  en  châtiant  rhomme  coupable,  ne 

Ta  pomt  tout-à-Êiit  abandonné.  Il  l'a  chassé 

da  jardin  de  délices,  mais  il  ne  Ta  point 

déshérité  de  son  paternel  amour.  Au  sein  de 

sa  disgrâce,  l'homme  conserve  d'asses  beaux 

restes  de  ce  qu'il  fut  autrefois,  et  laisse  re- 

connaître  en  lui  à  quelle  image  il  fut  créé 

et  pour  quelles  destinées.  L'empreinte  de 

sa  suUime  ressemblance  ayec  son  auteur 

est  dégradée ,  sans  doute ,  Iqs  marques  de 

[     cette  dégradation  se   montrent  partout; 

mais  le  brait  caractéristique  de  ressemblance 

n'en  existe  pas  moins  ;  il  est  da^is  l'intelli* 


t  VIII  Bénéd.,  p.  ê,  67.  «  Lee  Ecritures  appellent 
«  Dieu  la  raison  y  noa-seulemeat  parce  qu^il  est  U 
«  soarce  de  toute  raison ,  de  toute  intelligence  et 

*  de  toute  sagesse  ,  mais  principalement  parce  que 

*  isnisoB  de  Dieu  est  «impie  comme  son  essence.  • 
Sadnt  Denys  Taréop.,  dans  .Bi&/t#/&.  choùie  des  Pèr$s, 
^'  XlX,  p.  4S3.  Et  qu'est-ce  que  la  raison  humaine, 

«m  éaanatifm  de  cet^  raison  dirinef  (îhid.) 


1S8 


HISTOIRE 


gencè.  Roi  détrôné",  qui  porte  encore  sur 
le  front  l'empreinte  ineflfaçable  de  sa  gran- 
deur passée,  il  promène  fièrement,  a  travers 
les  ravages  de  sa  nature ,  et  le  souvenir  de 
sa  gloire  déchue,  et  le  pressentiment  de  sa 
future  réparation.  Dieu  n'en  a  point  agi 
avec  lui  comme  avec  l'ange  rebelle ,  qu'il  a 
précipita  dans  les  enfers  en  l'y  enchaînant 
à  la  nécessité  du  mal  :  Le  malheureux^  il 
n^ aime  pas.  Dans  sa  terre  d'exil,  l'homme 
pense  a  Dieu  sans  le  maudire.  Seul  de  tous 
les  animaux  à  qui  nos  modernes  sophistes 
aiment  tant  à  le  comparer  quand  ils  ne  vont 
pas  jusqu'à  le  ravaler  au-dessous  d'eux,  seul 
il  connaît  son  Créateur,  et  lui  rend  un  culte* 
seul  il  a  la  perception  de  son  être  et  l'in- 
telligence de  sa  pensée;  seul  il  possède  le 
sentiment,  le  désir  et  le  besoin  de  la  vérité; 
il  l'aime  et  dans  lui  et  dans  les  autres  ;  il 
la  cherche,  il  l'embrasse  avec  joie  quand 
elle  se  présente  a  lui  ;  il  la  poursuit  jusque 
dans  son  ombre  ;  il  comprend  sa  voix,  dit 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE. 


19» 


saint  Augustin ,  quand  elle  parle  intérieure- 
ment à  son  âme  (1).  Il  n'est  donc  pas  obligé 
d'aller  la  chercher  au  dehors ,  ni  de  la  faire 
venir  de  la  société^  ni  d'interroger  le  genre 
humain ,  qu'il  trouverait  muet  et  sourd  à  sa 
voix.  «r 

(i)  Veritas  sine  sono  inius  meniibus  loquitur. 
(S.  Aug.y  t.  II  Bénéd.,  p.  652.)  Haheiin  se  ipso  Ve^ 
rufn  unde  non  duhiMi^(^Ihid,  ) 


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T.    I. 


CHAPITRE  yi. 


Certitude  du  jugement  de  la  raison  individuelle  dang 
la  connaissance  de  certaines  vérités  ou  des  pre- 
miers principes^ 

Il  existe ,  de  l'aveu  de  nos  adversaires , 
un  ordre  de  vérités  dont  notre  entendement 
a  une  perceptidn  naturelle,  invincible,  iné- 
branlable au  doute;  vérités  nécessaires,  qui 
sont  le  fonds  commun  de  toutes  les  intelli^ 
gences ,  et  con^ituent  ce  que  l'on  appelle 

le  sens  commun;  vérités  que  l'on  ne  dé* 

\  .1 


'BlSTOnfi  DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.        i5l 

montre  point ,  au-delà  desquelles  il  est  im<^ 
possible  de  remonter  (1  ).  Elles  sont  de  tous  les 
temps,  ou,  pour  mieux  dire,  elles  sont  avant 
tous  les  temps,  et  seront  toujours  au-delà 
de  toute  durée  compréhensible  :  d'où  vient 
que  Fénelon ,  qui  a  si  éloquemment  déve^^ 
loppé   ce  qu'en  -avait  dit  avant  lui    Télo- 

(i)  Par  exemple ,  je  ne  puis  entrer  dans  nn  doute 
sérieux  pour  savoir  que  le  tout  est  plus  grand  qu'une 
de  ses  parties  ;  si  deux  choses  identiques  avec  ime 
troisième  sont  identiques  entre  elles;  qu'il  est  im- 
possible d*être  e£  de  n'être  pas,  etc. 

M.  de  La  Mennais  :  «  Nous  croyons  invincible* 
«  ment  que  le  soleil  se  lèvera  demain  ;  qu'en  con- 
«  fiant  des  semences  à  la  terre ,  elle  nous  donnera 
«  des  moissons.  Qui  jamais  douta  de  ces  «hoses?  » 
Qui  ?  lui-même  ;  car  il  n'ose  affirmer  que  son  exis- 
tence, donc  son  propre  corps,  soit  autre  chose 
qfu'^une  chimère,  une  illusion  «  Le  premier  qui  adUi 
Je  suis  ,  a  prononcé  le  plus  impénétrable  mystère  du 
symbole  des  intelligences  humaines.  { Essai  ^  t.  II  , 
p.  22.  Défense  de  l'Essai  _,  p.  41.  ) 

J'observerai  que  les  vérités  morales  but  un 'degré 
de  certitude  supérieur  à  celle  des  vérités  physiques 
auxquelles  les  miracles  ont  souvent  dérogé'.  Par 
exemple ,  la  rétrocession  du  jour  pour  opérer  1« 


199  HISTOIRE 

quentévéqiie'd'Hippone(l),  les  nomme  idées 
universelles ,  éternelles ,  immuables.  Quelle 
en  est  l'origine  et  la  nature ,  leurs  classifi- 
cations, leurs  rapports  entre  elles?  Faut-il 
croire  ,  avec  certains  philosophes ,  qu'elles 
sont  inhérentes  à  l'âme,  innées  dans  elle,  de 
telle  sorte  qu'elles  contiennent  originaire- 
ment les  principes  de  certaines  notions  capi- 
tales que  les  sens  et  l'expérience  ne  feront  qu'é- 

défaite  des  Gabaonites  :  Stetit  j,taque  sol  in  medio 
eœli,  ei  non  festinavit  occumbere  spacio  unius 
dici,  (  Jo8.  ,  X,  J3,  )  Il  n  y  eut  pas  de  lever  de 
soleil  ,  puisqu^il  n'y  eut  pas  de  couchaDt.  De 
même  pour  le  miracle  d^Ëzéchias.  (  Isaïe,  xxxvn,  8. 
J^oy.  la  Synapse,  t.  1,  p.  967.)  «  Tous  les  exemples 
«  qui  confirment  une  vérité  générale  dans  Tordre 
«  physique ,  ne  suffisent  pas ,  dit  Leibnitz ,  pour  éta- 
«  blir  la  vérité  universelle  de  cette  même  vérité  ; 
(Pensées,  dans  M.  Emery,  1. 1,  p.  179.)  Voyez  aussi 
M.  de  Maistre  ,  Considérât,  philos,  sur  le  Christian^ 
p.  88. 

.  (1)  Traité  de  V Existence  de  Dieu,  1"  part. ,  n,  lu, 
p.  174,  édiU  Paris,  4726.  S.  August.,  2)e  serm, 
Domini  in  ^nonte,  lib.  u,  ch.  xv.  Confess,,  lit.  xi, 
ch.  m. 


us   LA   KOUVELLK   HÉRÉSIE.  Î55 

veillerpar  suite  avec  d'autres? ou  bien,  que 
l'âme,  entrée  dans  le  corps  entièrement  vide, 
et  semblable,  selon  Âristole,  a  une  table  rase 
où  nuls  caractères  ne  sont  écrits,  les  re- 
çoit successivement  de  ses  rapports  avec  les 
objets  extérieurs  ?  Laissons  h  la  métaphysique 
à  résoudre  ces  problèmes ,  si  elle  le  peut  (i  ). 
Qu'il  nous  suffise  d'affirmer ,  ce  que  l'on  ne 
nous  conteste  pas ,  que  nous  portons  au-de- 
dans  de  nous  la  connaissance  de  certaines 
vémës  qui  forment  l'apanage  nécessaire  de 
Ta  raison  ;  que  chaque  individu  de  l'espèce 
humaine  les  trouve  gravées  dans  son  esprit, 
et  qu'il  ne  saurait  re  reployer  sur  lui-même 
par  la  réflexion  sans  les  apercevoir ,  ni  les 
apercevoir  sans  être  forcé  de  les  admettre, 
-^ous  les  distinguons  des  connaissances  posi- 

v'*)  ^''oy.  Leibuitz,  Nouv.  Essais  sur  V Entende- 
•  Gnt  humain,  \i.  4;  et  avant -propos  y^  dans  Pen- 
^^^^  €ie  Letbnitz,  par  M.  Emery,  t.  I,  p.  177.  On 
peut,  -voir  ces  questions  clairement  discutées  dans  les- 
-^^^9^^  de  Philosophie  de  M.  La  Romiguière,  t-  Hy 
P-  ^"i  >  192,  249.  Il  a  épuisé  la  matière. 


L 


iit  HISTOIRE 

tiyes  et  accidentelles  qu'il  nous  est  indiffé- 
rent de  ne  pas  acquérir ,  et  que  nous  ne  re- 
cevons jamais  sans  en  examiner  les  titres 
auparavant,  tandis  que,  pour  les  autres, 
nous  n'en  exigeons  aucune  preuve ,  aucune 
raison  ;  ce  sont  des  règles  essentielles  mani* 
festées  par  nos  propres  lumières ,  lesquelles, 
par  le  seul  rayon  de  cette  raison  créée  qui 
est  l'émanation  de  la  raison  incréée ,  nous 
servent  elles-mêmes  k  acquérir  et  k  juger 
toutes  les  autres, et  k  fonderies  conséqflen* 
ces  qui  découlent  de  ces  premiers  principes. 
11  est  impossible  de  parler  de  l'homme  sans 
indiquer  un  Être  raisonnable,  doué  d'intelli* 
gence ,  de  la  faculté  de  connaître  et  de  rai- 
sonner, (c  Dieu ,  nous  dit  d'Aguesseau ,  nous 
«  a  créés  capables  de  voir  par  lumière  ou 
«  par  sentiment ,  et  par  conséquent  il  a 
((  voulu  que  je  connusse  par  ces  deux  voies. 
K  Ma  raison  estk  mon  esprit  ce  que  mon  œil 
i<  est  k  mop  corps.  Celui  qui  m'a  créé  rai- 
tf  sonnable   n'a  pas  voulu  que  je  pusse  ré-^ 


DE   LA    NOirVBLU   HÉRÉSIE.  iStS 

«  sbter  à  ma  raison  lorsqu'elle  se  montre 
«  a  moi  dans  toute  sa  clarté  (i).  »  L'ange 
de  l'école  et  saint  Augustin  l'avaient  dit 
avant  l'illustre  chancelier  (2). 

'Que  leur  répondra  M.  de  La  Mennais  ? 
Que  saint  Thomas  et  saint  Augustin  ont  été 
des  docteurs,  mais  qu'ils  ne  sont  pas  des 
conciles. 

Mais  outre  ces  vérités  sensibles  à  tous  les 
yeux,  n'est-il  donc  pas  aussi  une  autre  série 
de  vérités  également  naturelles  et  indubi- 
tables ,  qui  se  découvrent  aux  intelligences 
les  plus  bornées  et  dominent  les  hommes 
les  moins  raisonnables ,  celles-là  qui  font  la 
base  delà  morale,  comme  les  aûomes  gé- 
néraux sont  la  base  de  la  logique?  Nommez- 
les,avec  les  Sages  d'autrefois,  la  loi  naturelle , 
l'instinct  de  la  conscience ,  notions  cardi- 
nales,  primitives,  empreintes  dans  toutes  les 

(1)  Méditations philosoph,  11.  Descartee,  Lettres, 
t.  I.  p.  94.  M.  Lacordaire  ,  Considér,  p.  44. 

(2)  T.  VI,  p.  18.   Foyez  leurs  témoJgniages  re- 


136  HlSTOlfiE 

■ 

âmes  ;  avec  Platon  et  saint  Augustin  ,  ima*- 
ges  réfléchies  de  cette  lumière  substantielle 
qui  est  Dieu  et  éclaire  tout  homme  venant 
au  monde  (1);  feux  vivans,  traits  Inmi- 
neux  cachés  au-dedans  de  nous,  a  qtroi  il 
faut  bien  reconnaître  quelque  chose  de  di- 
vin et  d'éternel  qui  se  montre  avec  éctat, 
surtout  dans  les  vérités  nécessaires  (2);  avec 
le  grand  Apôtre ,  le  code  proposé  au  genre 
humain  par  le  souverain  Législateur ,  im- 
primé par  ses  divines  mains  au  foild  de  toutes 
les  âmes,  Opus  legis  scriptum  in  cordibus  (5): 
toujours  est-il  qu'il  se  rencontre  le  même 
chez  tous  les  hommes,  malgré  les  varia- 
tions infinies  des  opinions  qui  naissent  en 
eux,  de  leurs  passions,  de  leurs  distractions 
ou  de  leurs  caprices;  qu'il  s'est  fait  entendre 

cueillis  par  M.  Rozaven,  dans  sa  réponse  à  M.  Ger- 
bet,  p.  150.  Du  Voisin  ,  Essai  polém.  sur  la  relig. 
natur.  chap.  m  ,  p.  188. 

(1)  Joann.  i.  19. 

(2)  Leibnitsde  M.  Emery,  t.  I,  p.  177, 

(3)  Rom.  II,  15. 


DE   LA    NOUVELLE    HÉRÉSIE.  IS7 

jusqu'aux  extrémités  de  la  terre ,  et  ne  s'est 
pas  ressenti  de  la  confusion  de  Babel;  la 
même ,  a-t-on  répété  des  milliers  de  fois,  a 
Rome ,  a  Athènes ,  au  cœur  de  Socrate  bu- 
vant la  ciguë  ,  de  Régulus  en  présence  du 
féroce  Carthaginois ,  du  jeune  Scipion  ren- 
dant kson  époux  l'étrangère  que  lui  donnait 
sa  victoire.  Alexandre,  dans  Tivresse  de  ses 
brutales  orgies ,  n'avait  pas  besoin  que  les 
Scythei^  vinssent  lui  apprendre  son  devoir 
dans  une  langue  étrangère  :  il  savait  de  ce- 
lui-là même  qui  instruit  les  Scythes  et  les 
nations  les  plus  barbares  les  règles   de  la 
justice  qu'il  aurait  dû  suivre  (i).  Eh  !  qui  le 
lui  avait  appris  k  lui ,  comme  au   dernier 
de  ses  esclaves?  Le  maître  intérieur  qu'on 
nomme  Raison,  qui  nous  fait  penser  encore 
aujourd'hui  comme  on  pensait  il  y  a  quatre 
mille  ans;  qui  me  donne  k  moi,  comme  k 
vous,  M.  de  La  Mennais,  l'idée  du  désordre, 

(1)  Mallebranche  ,  Recherche  do  la  Vérité^  dans 
«a  préface. 


tSB  HISTOIRE 

<le    rinjastice    et    de    l'oppression  ;    érige 
Klans  mon  cœur,  comme  dans  le  vôtre,  un 
autel  secret  à  la  vertu ,  à  la  religion ,  à  la 
piété ,  quand  j'ai  le  malheur  d'eh  violer  les 
saintes  lois.  Car,  pourquoi  cette  indignation 
.naturelle  contre  tout  ce  qui  les  blesse?  Ai-je 
attendu ,  pour  m'en  trouver  saisi ,  la  parole 
de  mon  voisin ,  et  moins  encore  le  consen- 
tement du  genre  humain?   Pourquoi'  ces 
vives  réclamations  de  la  conscience,  c^s re- 
mords cruels  qui  arrêtent  l'homme  prêt  a 
s'abandonner  au  vice ,  ou  qui  le  punisseiit 
lorsqu'il  s'est  rendu  coupable ,  si  déjà  l'on 
ne  portait  en  soi  les  principes  du  devoir,  les 
règles  de  la  justice  pour  juger  les  actions 
qui  viennent  frapper  nos  sens?  Rien  n'est 
vicieux    que  pour  s'écarter  de  l'ordre   et 
bouleverser  l'ordre.  Tout  dépravés    qu'ils 
sont,  les  hommes  n'ont  point  encore  osé 
donner  ouvertement  le  nom  de  vertu  au 
vice  ;  et  bien  que  triomphant  dans  le  mon- 
de ,  le  vice  est  çncore  réduit  a  s'y  déguisçir 


BE   LA   NOliV£LIJB    HÉRÉSIE.  188 

SOUS  le  masque  de  l'hypocrisie  ou  de  la  fausse 
probité,  pour  s'attirer  une  estime  qu'il  n'ose 
espérer  en  se  montrant  k  découvert.  Ainsi , 
malgré  toute  son  impudence  ,  il  rend  un 
hommage  forcé  a  la  vertu  ,  en  voulant  se 
parer  de  ce  qu'elle  a  de  plus  beau  pour  rece- 
voir les  honneurs  qu'elle  se  fait  rendre  (1  ).  U 
faut  donc  avoir  l'idée  de  la  règle  pour  juger 
ce  qui  s'en  écarte  ;  et  d'oîi peut-elle  venir,  si 
ce  n'est ,  dit  l'éloquent  patriarche  de  Con- 
stantinople ,  «  du  Dieu  qui  nous  a  donné  la 
«  raison  pour  qu'elle  dissipe  l'ignorance 
«  de  l'esprit ,  règle  le  jugement ,  lui  ap- 
i<  prenne  k  ne  pas  se  méprendre  sur  la  valeur 
ce  des  choses?  11  nous  l'a  donnée  comme  une 
(c  lumière  qui  doit  nous  diriger ,  comme  une 
«  armure  qui  nous  défende  contre  les  divers 
«  accidens  de  la  vie.  Mais  ce  don  précieux 
if  de  la  libéralité  divine,  nous  le  méconnais- 
«  sons, nous  en  corrompons  la  sublime  ins- 
(c  titution ,  nous  le  mettons  sous  le  joug  des^ 

(i)  Fénelon,  EarUt,  de  Dieu  ^  chap.  iv.  «ect.  3p. 


t4M)  mSTOlAE 

<<  plus  frivoles  dissipations  ;  l'àme ,  qui  en 
•f  est  le  siège,  est  comptée  poiir  rien.  Mais  à 
«  quoi  servent  des  soldats  couverts  d'armes 
«  éclatantes  d'or ,  quand  le  général  est  em- 
«c  mené  prisonnier  ?  Vous  décorez  le  vais- 
«  seau  de  magnifiques  peintures,   et  vous 

■ 

«  souffrez  que  le  pilote  soit  subniergé  (1)  ^  * 
Ce  n'est  donc  point  la  faute  de  la  raison 
si  nous  tombons  si  souvent  dans  l'erreur. 
Est-ce  sa  faute  si  votre  œil  malade  n^enr 
aperçoit  pas  la  lumière  ?  Ce  n'est  pas  elle 
qui  vous  trompe  ,  c'est  vous  qui  vous  trom- 
pez vous-même.  Le  Soleil  de  vérité,  de  qui 
émane  ce  rayon  qui  luit  encore  au  milieude 
vos  ténèbres  (2)  ;  il  est  immuable,  infaillible  ; 
le  rayon  qui  s'en  échappe  participe  à  sa 
nature  ,  immuable ,  infaillible  comme  lui  ; 
mais  vos  ténèbres  ne  la  comprennent  pas  , 
parce  qu'elles  vous  aveuglent.   Si  l'on   ne 

(1)  Homel.  XX  in  Math.,  t.  XII  de  la  Bibliothèque 
choisie  des  Pères ,  p.  300. 

(2)  Joaiin.  I. — Lua;  venit  in  mundiim,  et  dilexerunt 
honUnes  magls  tenehras  quant  lucem.  (Ibîd.  ni.  i&.  ) 


f 


DS   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  141 

peut  point  -dire  que  Thomine  se  donne  k 
lui-même  les  pensées  qu'il  n'avait  pas  ,  on 
peut  encore  moins  dire  qu'il  les  reçoive  des 
autres  hommes ,  parce  qu'il  est  certain ,  nous 
dit  encore  Fénelon  9  qu'il  n'admet  et  ne 
feut  rien  admettre  du  dehors  sBnsle  trouver 
aussi  dans  son  propre  fonds,  en  consultant 
au-dedans  de  soi  les  principes  de  la  raison 
pour  voir  si  ce  qu'on  lui  dit  y  répugne. 

Uyadonc  une  école  intérieure  où  l'homme 
reçoit  ce  qiiil  ne  peut  ni  donner  ni  attendre 
des  hommes  qui  vivent  d'emprunt  comme 
lui.  Dans  la  nuit  obscure  où  le  péché  nous 
a  plongés,  quelle  que  soit  la  faible  portée  de 
notre  raison  et  sa  facilité  à  se  laisser  trom- 
per ,  quelque  variables  que  soient  ses  juge- 
mens,  elle  n'en  reste  pas  moins  tout  ce  que. 
Dieu  l'a  iaite.  Elle  n'en  connaît  pas  moins 
tout  ce  qu'elle  a  appris  du  seul  véritable 
Maître  qui  enseigne  tout,  et  sans  lequel  on 
n'apprend  rien.  Les  autres  maîtres  nous  ra- 
mènent toujours  dans  cette  école  intérieure^ 


149  ff»TOllltE 

OÙ  il  parle  seul.  «  L'âme ,  quoiqu'unie  att 
«  corps  d'une  manière  fort  étroite ,  ne  laisse 
n  pas  d'être  unie  a  Dieu  ;  et  dans  le  temps 
ff  même  qu'elle  reçoit  par  son  corps  ces  sen- 
<(  timens  yifs  et  confus  que  ses  passions  lui 
u  inspirent ,  elle  reçoit  de  la  vérité  étemelle 
<f  qui  préside  à  son  esprit  la  connaissance 
«  de  son  devoir   et  de   ses   déréglemens. 
«  Lorsque  son  corps  la  trompé,  Dieu  là' it^ 
t(  troinpe  ;  lorsqu'il  la  flatte ,  Dieu  là  Mésje; 
«  lorsqu'il  la  loue  et  lui  applaudit;;  Dieù'hiî' 
«  fait  intérieurement  de  sanglàns  reprochëi^ 
«  et  il  la  condamne'  par  la  maniftistajtidil'  I 
V  d'une  loi  plus  pure  et  plus  sainte  quéceUé- 
<r  de  la  chair  qu'elle  a  suivie  (1).   »  Noti*^ 
pouvons  téfiiser  de  l'écouter  et  nous  étoill^ 
dir;  maïs  en  l'écoutant,  nous  ne  pouvons  té- 
contrédirè.  Inspiration  faible  et  moinentlt^ 
née  d'une  raison  primitive,  supérieure,  su*^ 
prême ,  îthmnable ,  qui  se  commuTiiqûë  avec 


(1)  Mallebr.,  Préface  de  la  Recherche  de  la  Vè- 
rite.  Descaites ,  Principes  de  la  Philos. ,  prèfece. 


\ 
i 


\ 


DB   &A   NOirVELUB   HÉIUÊSIE.  145 

mesiire  k  toutes  les  intelligences,  ma  raison 
pent  faillir ,  soit  dans  les  points  obscurs  que 
présente  la  recheirche  de  la  vérité ,  soit  dans 
les  fausses  règles  de  conduite  oiinos  passions 
nous  engagent  :  elle  est  infaillible  k  la  lu- 
mière de  révidence  des  premiers  principes 
et  de  leurs  cotisécpiences  immédiates  (1). 
Elle  Test  au  jugement  de  ses  détracteurs  eux- 
niêmes,  qui  en  appellent  à  son  tribunal  dans 
toutes  les  controverses ,  jusque  dans  celles  où 
ils  prétendent- là  dépouiller  de  ses  titres. 
C'est  la  raison  qu'ils  invoquent ,  la  raison 
qu'ils  veûleat  convaincre  et  par  les  faits  et 
(^r  les  raislonnemens  ;  enfin ,  pour  ruiner 
Tempire  de  là  raison ,  c'est  son  empire  qu'ils 
réclâihent  (2).  EUe  Test,  au  jugement  de 

■ 

saint  Thomas ,  même  indépendamment  de 
la  foi.  Dans l'opinioh' constante  du  saint  doc- 
teur/comme  dans  celle  dé  saint  Augustin  y 

(1)  M.  Boyer,  Examen,  p.  240. 

■  *  '        '       '  ■ 

(2)  M.  de  Cârdatllac  y  J^çons  élément,  de  Philoê,, 
t.  I,  p.  302. 


144  III8TOIR£ 

la  raison  individuelle  ne  sera  pas,  si  vous 
voulez  ,  le  principe  absolu  de  la  certitude  ^ 
mais  un.  principe  de  certitude.  Elle  est  in- 
faillible ,  non  par  nature ,  il  n'y  a  que  Diçu 
qui  le  soit ,  parce  que  l'Ltre  infini  possède 
seul  la  connaissance  pleine  et  parfaite  de 
toutes  les  vérités  ^  elle  Test  par  la  commu- 
nication qui  lui  est  donnée  de  certaines  vé- 
ritéS)  non  pas  de  toutes  les  vérités;  TinfailUbi- 
lité  de  l'être  fini  consistant  non  k  tout  savoir, 
mais  à  avoir  l'intuition  des  vérités  qui  lui  sont 
connues.  Encore  une  fois; donc,  parce  qu'elle 
se  trompe  quelquefois,s'ensuit-il  qu'elle  doive 
se  tromper  toujours?  Parce  qu'étant  homme^ 
je  suis  menteur  (1),  s'ensuit-il  que  je  ne  puisse 
ouvrir  la  bouche  que  pour  mentir  7  L'erreur, 
comme. li^s.  autres  misères  de  l'homme  ,  est 
une  ^uite ,  non  de  sa  nature ,  mais  du  péché 
qui  a  corrompu  sa  nature  (2).  Si  donc  l'homme 


(i)   Omnis  homo  mendaw,  p8.  çxv,  1. 
'(2)  S.  Aùgu8t.,  De  Fera  Religione ,  cap.  Lxvir. 


VE  LA  NOUVELLE  DÉRÉSIE.  145 

pouyait  s'abstenir  du  péché  y  il  pourrait  éga* 
lement  se  préserver  de  l'erreur;  et  de  même 
que^  malgré  sa  corruption,  il  peut  avoir  en 
bien  des  occasions  l'assurance  qu'il  ne  pèche 
pas ,  rien  n'empêche  qu'il  ne  puisse  être 
aussi  certain  qu'il  ne  se  trompe  pas  en  beau- 
coup de  ses  jugemens  (1). 

Cest  ce  que  démontre  péremptoirement  le 
docteur  Angélique ,  saint  Thomas  ;  et  pour 
cela  il  n'a  pas  besoin  d'avoir  recours  au  témoi- 
gnage  de  la  foi.  U  reconnaît  dans  la  raison  hu- 
maine un  principe  de  certitude ,  non  dans  la 
raison  générale  de  M.  de  La  Mennais ,  mais 
dans  la  raison  individuelle  ;  non  dans  lajbi 
qui  nous  vienne  du  dehors ,  mais  dans  la  lu- 
mière naturelle  que  nous  tenons  de  Dieu  : 
Non  abhomine  exterius  loquentf^  éed  a  solo 
Deo^  quinobis  lumen  rationis  indidit  ^  pei' 
quodprincipia  cognoscimus^  ex  quibus  orituv 
scientiœ  certitudo.  Dire  ,  avec  M.  de  La 

(1)  yoyez  Dans  M.  Rozaven,  Eûsamen  des  Doc-- 
trinesphiloêoph,  sur  la  certitude,  p.  142>-lii7. 
T.  I.  10 


148  mSTCMBE 

Mennais  Bt  ses  disciples ,  que  la  ibi  piniti 
seule  nous  donner  l'assurance  de  ce  «qa 
nous  croyons  ^  c'est  se  montrer  étranger' 
toute  philosophie  comme  à  toute  théologie 
Plus  de  base  à  la  foi  ;  car  enfin ,  pour  qoSi 
soit  possible  de  croire  ,  il  faut  bien  que  1 
raison  voie  qu'elle  doit  croire.  Une  raisoi 
qui  n'aurait  en  elle  *  même  aucun  prinoip< 
de  certitude  serait  par  là  même  une  raÎMi 
incapable  de  foi,  ou  du  moins  d'une  foi  cor 
taine;  car  la  foi  certaine  suppose  la  connaôs 
sance  certaine  é^  l'autorité  infiiillible  à  la< 
quelle  on  croit,  k  L'autorité  sacrée  de  !'£ 
fx  glise  elle-même ,  toute  infaillible  qu'elL 
ir  est,  nous  dit  un  profond  théologien  d< 
«  nos  jours,  n'est  pas  pour  cela  le  princip« 
«  de  notre  |[oi  ;  elle  en  est  seulement  la  règl< 
f(  et  le  guide  infaillible  ;  elle  nous  montra 
V  ce  que  nous  devons  croire ,  mais  nott 
«  croyons  sur  l'autorité  seule  de  Dieu  (4  )•  » 


(1)  M.  RoïAvfth,  Espamén,tic.,p.  48. 


]>B  LA  MOVËtUi  HÉRÉSIE.  147 

Mds  n'y  a-t-il  encore  qtte  nos  Docteurs 
dhrétiens  qm  aient  &it  Tapologie  de  la  rai- 
Mu?  Nous  savons  trop  combien  M.  de  La 
Mennai»  et  sa  jeune  école  ont  réussi  k  décré- 
diter leur  témoi^age.  Ils  respectent  si  peu 
l'Ecriture  saintel  pourquoirespecteraient-ils 
davantage  les  Pères  de  notre  Eglise?  Ce 
qu'ils  étudient  de  préférence ,  ils  ne  s'en 
défendent  point,  ce  sont  ces  mêmes  écri- 
vains que  l'Eglise  a  flétris  de  ses  censures. 
£h  bien!  qu'ils  restent  condamnés  k  leur 
tour  par  les  mêmes  hommes  dont  ils  font 
leurs   oracles.   L'auteur  du   Christianisme 
raisonnable^  Locke,  tant  vanté  par  nos 
modernes  incrédules,  consulté  sur  les  prin- 
cipes de  certitude  :  a  Dieu,  répond-il,  noils 
«  a  donné  la  raison  comme  un  oracle  qui 
€  parle  en  son  nom ,  que  nous  devons  con- 
c  sulter  en  tout  temps,  et  qui  peut  nous  in- 
«f  struire  en  toutes  sortes  de  rencontres  (1  ).  » 


(1)  Tom.  Il,  p.  301, 


148  HISTOIIUS 

Pas  un  seul  de  nos  sceptiques  le.  plus  ac- 
coutumés k  déclamer  contre. la  raison  et  ses 
jugemens,  Montaigne  a  leur  tête,  Lamothe 
Le  Vayer,  Bayle,  Jean-Jacques  Rousseau, 
qui  n'eussent  à  nous  fournir  les  textes  les 
plus  contraires  à  ce  qu'ils  avaient  d-abord 
avancé  le  plus  témérairement. 

La  raison  n'est  dangereuse  que  par  l'abus 
que  l'on  en  fait.  Elle  a  ses  éclipses  comme 
la  foi  ses  obscurités.  C'est  la  colonne  du  dé- 
sert, lumineuse  d'un  côté,  ténébreuse  de 
l'autre,  v  Le  ciel,  ô  homme!  t'a  donné  un 
i<  juste ,  un  heureux  degré  d'aveuglement  et 
i<  de  faiblesse  dont  ta  raison  est  le  contre- 
ce  poids  (1).  »  Mais  notre  auteur  confond  à 
dessein  l'abus  avec  le  principe;  la  raison 
droite ,  douée  de  perceptions  claires  et  dis- 
tinctes ,  avec  la  raison  dans  l'ivresse ,  égarée 
par  les  passions,  qui,  selon  l'expression  de 

(j)  Vo'pe,  Essai  sur  r  Homme.  Pascal,  Pensées, 
p.  45.  Fénélon,  Ea^ist.  de  Dieu  ^  p.  202.  (édit. 
Paris,  1811.) 


DE  LA  KOt'VEIXE   IlEAÉSIE.  149 

Montaigne ,  desbauchent  si  honteusement  la 
tranqniUité  de  l'âme  et  le  jugement  de  l'in- 
telligence (1). 

Cette  parole  du  philosophe  français  ne 
serait-elle  pas  la  peinture  fidèle  de  l'étrange 
argumentation  où  se  jette  notre  écrivain  ? 

ANdéfaut  du  sable  mouvant  où  nous  place 
la  raison  individuelle,  il  nous  porte  sur  un 
terrain  plus  ferme,  c'est  la  raison  univer- 
selle. Quand  la  certitude  manque  à  nos 
raisonnemens ,  nous  la  retrouvons  dans  Fau- 
torité  du  consentement  général;  c'est  là 
qu'elle  réside,  expression  de  la  parole  de 
Dieu,  infaillible  connue  elle.  Nous  avions 
cru  jusqu'ici  que  cette  prérogative  auguste 
de  l'inÊdllibilité  ne  se  trouvait  pas  hors  de 
notre  Eglise  catholique.  C'étaient  Ik  de  ces 
doctrines  surannées  dont  M.  de  La  Mennais 
vient  nous  apprendre  à  secouer  le  joug. 
«A  moins  de  supposer  la  raison  hiunaine 
cr  infaillible ,  il  n'y  a  plus  de  certitude  pos- 

(1)  Essai  de  Morale^  livre  II. 


tKù  flimaui 

«  sible;  et  pour  être  coftséquent,  il  faudrait 
ff  douter  de  tout  sans  exception(1  ),  ji  Eiamnge 
supplément  qui  nous  laisse  sans  point  d'tp* 
pui ,  et  à  la  place  d'un  flambeau ,  quel  qu'il 
soit,  ne  nous  présente  qu'un  nuage  d'une 
profonde  obscurité  !  Cette  raison  générale  » 
qu'a-t-elle  de  plus  que  la  raison  particulière , 
puisqu'elle  n'est  que  la  collection  des  raisang 
individuelles  ?  quels  sont  les  témoignages  tle 
son  infaillibilité  ?  quelles  en  sont  les  preuves* 
quand  son  histoire  dépose  tout  entière 
contre  elle?  Ce  genre  humain,  où  est^il? 
qui  l'a  vu?  quel  en  est  l'organe?  «  Le  genre 
ce  humain ,  interrogé ,  se  tait  d'un  silence 
(c  éternel.  Il  est  mort  ou  n'est  pas  né;  et  les 
(c  générations  qui ,  s'agitent  entre  ces  deux 
a  tombeaux  condamnés  a  l'ignorance  ne 
«  connaissent  ïii  leurs  pères  ni  leur  posté* 
«  rite  (2).»  Pour  découvrir  la  vérité  quelque 
part ,  il  faut  bien  que  je  la  cherche  ou  que 

(1)  Essai f  t.  U,  chap.  xiv. 

(2)  M.  Lacordaire  ^  C(mmd, ,  p.  i70. 


DB  LA  NOUVELLE   HÉBÉSIE.  ISI 

je  Fécoute;  que  j'aille  vers  elle,  ou  que  je 
la  laisse  venir  jusqu'à  moi.  Mais  où  aller, 
quand  je  ne  rencontre  partout  que  des  abî- 
mes ,  quand  peut-être  je  ne  suis  moi-mêiiie 
qu'un  fantôme  ?  Et  puisqu'il  n'y  a  plus  enfin 
de  certitude  possible^  me  voila,  pour  ctic 
conséquent^  réduit  à  douter  de  tout^  même 
si  j'existe  ! 


■1 


CHAPITRE  VIL 


La,  raison  a  la  certitude  infaillible  de  son  exiitenco. 
Extravagance  du  doute  universel.  Axiome  de  Bes^ 
cartes  :  je  pense  ,  donc  je  suis.  Sophisme  de  M.  de 
La  Mennais, 

De  toutes  les  vérités-,  celle  qui  se  pré- 
sente  la  première  à  la  pensée  de  l'homme 
est  celle  de  sa  propre  existence  (1).  Peut-on 
croire  que  M.  de  La  Mennais  parlât  sérieu- 
sement quand  il  a  dit  que  pour  la  raison  de 

(1)  Fénélon,  Traité  de  l'Existence  de  Dieu,  p.  286 
et  8uiv.  chap. ,  intitulé  Quatre  premières  vérités  ccT" 
tavnes. 


mSTOIAB  DE  LA    NOlTbEIXB  HÉBÊSIE.       183 

rhomme  tout  était  douteux,  jusqu'à  son 
existence}  et  que,  pour  en  être  assuré,  il 
fdlait  d'autre  témoignage  que  celui  de  son 
être  tout  entier  qui  le  lui  atteste  ?  C'est  là 
pourtant  ce  qu'il  répète  à  chaque  page,  c'est 
là  tout  l'esprit  de  son  système;  et  il  faut 
après  lui  devenir  sceptique  pour  ne  pas 
tomber  dans  le  scepticisme.  Etrange  logique 
que  celle  qui  dirait  :  Prenez  du  poison  pour 
éviter  d'être  empoisonné!  Mais  que  peut 
rechercher  ou  découvrir  celui  qui  n'existe 
pas?  Dès-lors  qu'on  veut  penser,  raisonner, 
croire,  douter  même,  peut-on,  sans  une 
contradiction  qui  va  jusqu'à  Fabsurde,  se 
demander  si  l'on  existe  réellement?  C'est  là 
un  fait  si  généralement  vrai  que  l'on  est 
forcé  de  le  supposer}  même  pour  le  nier  : 
aussi  personne  n'est-il  asse2  jTou  pour  le  nier 
sérieusement.  Je  sens  invinciblement  que 
j'existe;  et  comme  il  est  impossible  de  sen- 
tir ce  qui  n'est  pas,  il  faut  donc  indubi- 
tablement que  mon  existence  soit  réelle , 


IM  nvMiu 

pniscpie  sentir  n'est  autre  chose  qu'ètam  mm 
exister.  Cette  Térité  produit  en  moi  nmm 
conviction  si  par£ute  qu'il  m'est  impossiUc 
d'en  souhaiter  ou  même  d'en  concevoir  mie 
plus  grande  ;  et  dès- lors  je  ne  saurais  crain- 
dre d'être  trompé.  D'ailleurs,  s'est^on  avisé 
jamais  de  chercher  un  critérium  de  vérité 
pour  celui  qui  n'existerait  pas  ?  Ainsi  donc , 
ou  j'existe ,  et  je  veux  partir  de  la  comme 
d'un  point  incontestable;  ou  je  n'existe  pas, 
et  alors  je  n'ai  besoin  d'aucun  moyen  pour 
arriver  k  la  certitude.  Il  n'y  a  pas  de  miUeu; 
car  vouloir  en  douter,  ce  serait  nécessaire^ 
ment  supposer  et  affirmer  même  que  l'on 
n'existe  pas(1). 

Moi ,  pyrrhonien ,  je  n'affirme  ni  ne  nie 

(1)  Voyez  M.  Boyer,  Examen  du  Syat,  de  M.  de 
La  Mennais,  p.  79.  «Tant  que  Thomme  restera 
«honuue,  quelqiia  forcené  qu^il  puisse  être ,  serft-4ril 
«  jamaia  asses  fou  pour  se  croire  une  chimère  ?  Non. 
«  La  nature  lui  défond  cet  excès  de  délire  ;  et  il  doute 
«  si  peu  de  son  existence  qu'il  oraint  à  tout  moment 
«  de  la  perdre,  et  qa^il  fait  tous  ses  efforts  pour  te 
«^conserver.  »  M.  Receveur.  { Observât»,  etc.  f.  53.) 


I 


1»  LA  monuA  «sftKsn.  Ui 

mon  «nilmcei  toitt  ca  que  j'aa  prommM 
8ID  rédoîl;  à  im  peutr^tre.  Mai»  tous  l'avex 
dv  moiiit  ce  peutp-ètre  :  or,  fii  tous  n'existai 
pat 9  qu'étes^Yous?  Rien;  et  le  rien  peut-41 
douter?  car  douter,  c'est  être  quelquo 
ehose. 

Peut-être  que  ma  vie  et  mon  être  tout 
entier  ne  sont  autre  chose  qu'un  songe  et  un 
rê^e  de  la  nuit.  Donc  vous  vives  et  voua 
êtes;  car  le  néant  ne  peut  ni  rêver  ni  r^ 
conter  des  songes  (1).  Vous  aures  de  la  joie 

(1)  M.  Boyer,  Examen  du  Syit,  philos,  de  M.  de  La 
Ibmmk,  p.  79.  (1  toI.  m-8%  Paris,  1834.  )  M,  Geis 
bçt  entreprit  la  défense  du  système  de  M.  dQ  I^ 
Mennais  dans  un  ouvrage  publié  sous  le  titre  Des 
Docirines  philosophiques  sur  la  certitude ,  semé  d^er- 
reum  ^myeê  Yietorieusement  réfutées  par  M.  Bo* 
zayen,  1  vol.  in-8«,  Avignon,  1833.  Il  y  convient 
^e  quiconque  douterait  s'il  existe,  s'il  y  a  d'autres 
hmmeê  ,  a'^il  eai  en  rapport  avec  eu»,  s'il  y  a  un  /«m- 
gaye,  serait  déclaré  fou.  <«  Et  c'était  là,  noua  dit  uq 
autre  de  sea  disciples ,  la  conséquence  où  M.  de  La 
Hennais  voulait  amener  ses  lecteurs.  »  (M.  Lacor- 
daire ,  Coneidér,,  p.  149.  )  La  solution  doium  par 
luirmâiae  k  ao^  proUèmo  a  &it  voir  do  ^1  o^ié 
était  la  folie. 


i 


tm  «ttTOlEB 

du  de  la  souflfrance  :  les  confondress-yous 
Funo  avec  l'autre  ?  Vous  avez  faim  ou  soif  : 
direz-vous  de  ce  mets  que  vous  savourez, 
de  ce  ruisseau  où  votre  soif  vient  de  s'étan- 
cher,  qu'ils  n'étaient  que  fantastiques?  Un 
précipice  vient  tout  k  coup  s'ouvrir  sous  mes 
pas  durant  la  route  où  je  marche  ;  met- 
trai-je  un  bandeau  sur  mes  yeux,  au  risque 
de  m'y  précipiter?  Vous  persisterez  k  me 
répondre  que  vous  doutez  encore  que  tout 
soit  douteux,  cr  Non ,  vous  dira  Bayle  lui- 
flc  même ,  vous  ne  pensez  pas  ce  que  vous  di- 
«  tes;  votre  doute  ne  va  pas  jusqu'à  l'anéan- 
(T  tissement  de  votre  raison.  Ce  doute  même, 
«  s'il  est  sincère ,  est  pour  vous  un  axiome , 
<f  un  fait  palpable  qui  ne  me  laisse  plus  contre 
«f  vous  d'autre  argument  que  de  dire  que  l'on 
f(  ne  raisonne  pas  contre  un  cerveau  dérangé 
cf  et  en  délire.  » 

Poussons  plus  avant  avec  M.  de  La 
Mennais. 

«r  Lepremier  qui  a  dit:  Je  suis  y  a  prononcé 


I 


SB  LA  NOUVEUJE.  HÉRÉSIE.  tiKT 

le  plus  impénétrable  mystère  du  symbole 
des  mtelligences  humaines.  Que  sais-je  si 
je  ne  suis  pas  un  fantôme ,  une  chimère , 
si  mon  existence  elle-même  n'est  pas  une 
illusion?  Pour  la  mettre  à  couvert  des 
surprises  de  mon  ignorance ,  il  aurait  fallu 
commencer  par  me  faire  connaître  Dieu, 
principe  unique  de  toutes  les  existences. 
Hors  de  cette  cause  essentielle ,  primor- 
diale de  tout  ce  qui  est ,  ma  propre  exis- 
tence n'est  plus  que  problématique.  Tout 
ce  que  ma  raison  m'en  découvre,   c'est 
que  je  suis  un  être  contingent ,  venu  dans 
le  monde  pour  n'y  paraître  qu'un  mo- 
ment, et  dont  on  pouvait  bien  se  passer. 
Or,  de  l'idée  d'un  être  contingent ,  on  ne 
déduira  jamais  son  existence  actuelle  ;  et 
tous  les  êtres  finis  ne  pourraient ,  séparés 
de  la  cause  première  qui  les  a  faits,  ac- 
quérir la  certitude   rationnelle  de  leur 
«  existence.  Demandez-le  aux  philosophes 
^  et  aux  théologiens  réunis  ensemble ,  les 


MB  flMMm 

«  pi'euTes  données  jnsqa'ici ,  tant  du 
•  tianisme  en  général  que  du  dogme  pftitr*- 
^  tôlier  de  l'existence  de  Dieu ,  que  sonfe^ 
«  elles?  Toutes  insuffisantes,  incoïRplèfcei9> 
«  parce  qu'elles  portent  toutes  (  celle  da 
tr  consentement  des  hommes  excepté  )  sur 
«  un  principe  faux.  Donc  la  supposition  aï^ 
«  bitraire  de  mon  existence,  philosophie 
M  absurde,  niaise,  destructive  de  toute  vé- 
«  rite ,  et  dont  la  solution  vient  abontir  au 
ir  chaos  du  scepticisme  (1).  » 

Ici  l'attaque  de  M.  de  La  Mennais  se  di- 
rige spécialement  contre  Descartes,  et  porte 
la  discussion  sur  un  autre  point  de  vue,  qui 
toutefois  ne' s'écarte  pas  du  premier. 

Descartes  a  placé  son  critérium  de  vérité 
dans  l'évidence.  L'évidence  a  fait  luire  à  ses 
yeux  cette  proposition  :  Je  pense ^  donc  je 
suis;  car  pourrais-je  penser  si  je  n'existais 
pas?  Un  pas  de  plus,  et  c'en  est  assez 

(1)  DlferisB  ie  VEisai ,  p.  189 ,  183  et  «uîv. 


f 


DE  Uk  NOmnULB  HÉRÉSIE.  iilB 

pcmr  Mrrrer  k  la  démonstration  :  donc 
Diea  existe.  Ge  pas,  il  Ta  fait,  et  le  four 
dément  est  inébranlable.  C'était  Ik  le  point 
d'Ârchimède;  il  le  saiût,  et  toute  l'école 
aj^laudit.  Vainement  on  se  récriera  après 
loi  comme  de  son  yivant  :  r  Oser  se  vanter 
«d'ayoir  enfin  découvert  la  seule  preuve 
c  de  Texistence  de  Dieu ,  la  seule  voie  qui 
«  mène  a  Dieu,  c'est  en  quelque  sorte  aecu- 
tr  ser  d'athéisme  le  genre  humain  tout  en- 
ff  tier  (i).  »  Le  même  philosophe  de  qui 
nous  empruntons  cette  objection,  résolue 
par  Descartes  lui-même,  n'en  dira  pas  moins, 
€t  des  milliers  de  voix  répéteront  avec  lui  : 
«  Ce  grand  homme ^  on  peut  le  dire,  a  régé- 
«f  néré  en  quelque  manière  l'esprit  humain, 
«  lorsqu'il  l'a  averti  de  revenir  sur  tous  les 
tf  jugemens  portés  dès  l'enfance,  lorsqu'il  lui 
r  a  ordonné  de  résister  aux  mouvemens  irré- 


el) M.  de  La  Romig^ière ,  Leçfmt  iê  Fkilo9,,  1. 1, 
p.  279.  (Paris,  1838.) 


MB  flMMm 

«  preuTes  données  jnsqa'ici ,  tant  du 
•  tianisme  en  général  que  du  dogme  pftitr*- 
41  culier  de  l'existence  de  Dieu ,  que  sonfe^ 
«  elles?  Toutes  insuffisantes,  incomplèten^ 
«t  parce  qu'elles  portent  toutes  (  celle  da 
«  consentement  des  hommes  excepté  )  sur 
t  tm  principe  faux.  Donc  la  supposition  af- 
«  bitraire  de  mon  existence,  philosophie 
«  absurde ,  niaise ,  destructive  de  toute  vé^ 
«  rite ,  et  dont  la  solution  vient  abontir  au 
m-  chaos  du  scepticisme  (1).  » 

Ici  l'attaque  de  M.  de  La  Mennais  se  di- 
rige spécialement  contre  Descartes,  et  porte 
la  discussion  sur  un  autre  point  de  vue,  qui 
toutefois  ne' s'écarte  pas  du  premier. 

Descartes  a  placé  son  critérium  de  vérité 
dans  l'évidence.  L'évidence  a  fait  luire  à  ses 
yeux  cette  proposition  :  Je  pense ^  donc  je 
suis;  car  pourrais-je  penser  si  je  n'existais 
pas?  Un  pas  de  plus,  et  c'en  est  assez 

(1)  Hefense  ie  rËisài ,  p,  159 ,  183  et  suîv. 


DE  lA  NOmnULB  HÉRÉSIE.  iilB 

pcmr  «frirer  k  la  démonstration  :  donc 
Dieu  existe.  Ce  pas,  il  Ta  fait,  et  le  £on* 
dément  est  inébranlable.  C'était  Ik  le  point 
d'Archimède;  il  le  saisit,  et  toute  l'école 
applaudit.  Vainement  on  se  récriera  après 
fan  comme  de  son  yivant  :  r  Oser  se  vanter 
«tfaToir  enfin  découvert  la  seule  preuve 
c  de  l'existence  de  Dieu ,  la  seule  voie  qui 
«  mène  a  Dieu,  c'est  en  quelque  sorte  accu- 
-«  ser  d'athéisme  le  genre  humain  tout  en- 

«tier  (i).  »  Le  même  philosophe  de  qui 

I 

.  nous  empruntons  cette  objection,  résolue 
^  Descartes  lui-même ,  n'en  dira  pas  moins, 

!  fit  des  milliers  de  voix  répéteront  avec  lui  : 
«  Ce  grand  homme ^  on  peut  le  dire,  a  régé- 

*  néré  en  quelque  manière  l'esprit  humain, 
«  lorsqu'il  l'a  averti  de  revenir  sur  tous  les 

*  jngemens  portés  dès  l'enfance,  lorsqu'il  lui 
•f  a  ordonné  de  résister  aux  mouvemens  irré- 


el] M.  de  La  Romig^ière ,  Leçfm$  iê  Fkihif,,  1. 1, 
p.  279.  (Paris,  1838.) 


100  HISTOIBE 

ft  fléchis  de  l'habitude  et  aux  illusions  des 
«  sens;  lorsqu'il  nous  a  appris  k  soumettre  les 
«  préjugés  à  la  raison,  à  nous  méfier  de  la  rai- 
«  son  elle-même  (1).  »  Oui,  sans  doute,  airec 
la  mesure  convenable  ;  car  il  est  bien  loin 
de  récuser  indéfiniment  le  témoignage  de 
la  raison,  et  de  la  dépouiller  de  son  carac- 
tère de  certitude,  quand  il  a  pour  base  Té- 
videncë.  Il  est  étrange  que  M.  de  La  Men- 
nais,  qui  lui  doit  son  principe,  dont  il  abuse, 
ne  s'en  serve  que  pour  déprécier  l'auteur. 
Serait-ce  que  la  gloire  du  grand  homme 
offusquerait  son  génie?  Descartes  règne  dans 
l'école;  il  y  a  détrôné  Aristote.  Pourquoi 
n'aspirerait-il  pas  à  l'honneur  d'y  régner  à 
son  tour  ?  et  il  faut  commencer  par  abattre 
le  piédestal. 

Cette  philosophie  est  niaise^  dangereuse^ 
autant  qu'elle  est  absurde. 

(1)  M.  de  La  Romiguière ,  Leçons  de  PhUoê,  1. 1, 
p.  256.  La  mémoire  de  Descartes  a  été  vengée  avec 
éclat  par  M.  Boyer,  p.  281  et  suiv. 


% 


DE  LA  NOUVELLE   HERESIE.  161 

Un  moment ,  téméraire  censeur  !  j'allais 
dire  :  orgueilleux  Zoïle  !  l'accusation  ne  s'ar- 
rête-pas  à  Descartes  seul;  elle  rétombe  di- 
rectement sur  deux  de  nos  plus  illustres 
Saints  ;  sur  l'Eglise ,  qui  a  sanctionné  leur 
doctrine  par  son  suffirage;  sur  une  foule 
innombrable  de  Catholiques ,  qui  rendent 
gloire  à  Dieu  de  cette  preuve  nouvelle 
ajoutée  surabondamment,  à  toutes  les  dé- 
monstrations de  son  existence.  Le  fameux 
axiome  de  Descartes  :  Je  pense ^  donc  je  suisj 
pouvait  n'être  qu'une  réminiscence,  ce  De 
toutes  les  rencontres  que  M.  Descartes  a  pu 
fûre  avec  les  anciens,  dit  Baillet  dans  sa 
Vie,  il  [n'y  en  a  point  qui  l'ait  surpris  plus 
agréablement  que  celle  de  saint  Augustin , 
qm,  en  matière  de  philosophie,  est  regardé 
comme  le  chef  des  académiciens  du  Chris- 
tianisme. 11  fut  redevable  k  un  de  ses  amis 
de  la  remarque  qui  en  fut  faite  pour  la  pre- 
mière fois  en  i  640  (i  )  ;  et  notre  philosophe 

(1)  Liv.  viii,  chap.  x,  2«  part.,  p.  53S, 

T.    I.  11 


ÏVK  JUUBI'VUIB 

Ven  reoMTciai  dam  les  teram  Uë  plus 
modeste»,  ea  cotkrentmï  h»-iBè»»  de  n 
cenfioniifté  (i).  Elle  résulte  «n  êÊkt  <kB 
passages  aaivsiis  de  sanit  À«giisfM  ^  : 
«  Noaia  smnmes  et  new  «erniaÎBsam  que 
Aous  somnes^  et  noiM^  aknoiie  netre  4ttte 
et  nc^e  ceiutaMsance  |  je  sais  tr&s<4?eftidii 
pw  xnoi-mêiaM  qne  je  sois ,  i|ae  je  ceannss 
et  qoe  j'aîme  men  ^e*  le  n'appfi^ietMiers 
poinrt  ici  les  argomens  des  neadâtmeietiflr,  nS 
qu'ils  me  disent  :  Mais  m.  voas  tetts 
piez?  Car  si  je  me  trompe)  je  sais, 
l'on  ne  peut  se  timnper  si  Y&n  n'4est.  IH10 
dofiic  ^e  je  stiis,  moi  4p  me  trompe,  emib— 
fnent  paifr-je  «e  tromper  à  creire  xpte  j^ 
fi«is,  TU  quii  est  certain  que  je  suis,  -Afa 

» 

me  trompe?  Ainsi,  puisque  je  serais  toûjotti'^ 
mot  qui  serais  trompé ,  quand  9  sersnt  TTar- 
^e  je  me  tromperais,  H  est  indobitdble  tjtr^ 

(i)  LêUifM,  U II,  p.  ^63. 

(î)  De  Cvoii.  Bei,  lib.  xi,  cap.  xxvi  (  traduct.  d^- 
Lombert),  t.  fl,  p.  4Ô8  et  smv. 


Dl  LA  NOmnELLK  HÉEiSDB.  165 

]e  ne  pni»  me  tromper  lorsque  je  crois  que 
je  suis,  eCG«  »  Par  cette  argumentation ,  le 
MasÉt  évêqm  entre  de  plain-pied  dans  la 
prevre^  nùn  pa»  seulement  de  l'existence  de 
D&eu^  mab  de  la  Trinité»  qui  en  compose  la 
•ijfBléneuse  es^nce»  dont  Pimage  se  trouTO 
rttéehie  dans  nos  âmes  (1  ). 

A  ponnuift  le  même  raisonnement  dans 
mt  antre  de  ses  livres. 

Saint  Ansdme  a  soutenu  la  même  opi- 
fllon,  wnouvelée  par  Descartes  ;  et  Leibnitz, 
^  la  tÊppeMtj  est  bien  loin  de  flétrir  cetter 
èodiine  deg  qualifications  à^alsfwrde^  niaise , 
retoinbiait  de  tout  son  poid$  dans  Ta- 
ibétime  (3).  M.  de  La  Mennais  n'ignorait 
pas  0an8  doute  que  cette  belle  théorie  avait 
pour  auteur  le  grand  évèque  d'Hifipone. 

ft  oKEie  la  braver;»  qui  plus  est,  il  a  cru,  nous 

< 

(1)  lue  TriniiatOy  Iib.  x,  cap.  x.  Fénelon  déve- 
Isfpéëioqaeninieiit  ce«  paroles  dans  son  beau  cha- 
pitre du  Doute  universel.  (  Exist.  de  Dieu,  p.  269 
et  suiv.) 

(2)  Pensées  de  Leihn,,  par  M.  Emery,  t.  I,  p.  82. 


164  HISTOIRE 

dit  son  intime  confident ,  M.  l'abbé  Lacor* 
daire ,  découvrir  dans  cette  doctrine  un  ve- 
nin funeste  et  caché  (i).  lia  dit  que  ce  n'était 
pas  à  l'évidence,  mais  au  genre  humain,  à 
décider  la  question;  c'est-k-dire  qu'il  a  pré- 
féré l'autorité  du  genre  humain,  autorité 
toute  humaine,  à  l'autorité  divine  confé- 
rée par  Jésus-Cbrist  à  l'Eglise  catholique. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  car  nous  n'examinons 
pas  encore  ici  la  question.  Descartes  s'en 
applaudissait  (2) .  «  Il  était  si  content,  dit  Bail-* 
let,  de  l'évidence  dejla  démonstration  qu'il 
croyait  avoir  trouvée ,  qu'il  ne  faisait  point 
difficulté  de  la  préférer  a  toutes  celles  des 
vérités  géométriques,  son  principal  titré  à 
la  gloire  de  génie  inventeur.  »  Parlant  de  ce 
procédé  si  éminemment  philosophique >  il 
disait  :  «  C'est  une  chose  qui  de  soi  est  si 
<r  simple  et  si  naturelle  à  inférer  de  ce  qu'on 
«  doute  ^  qu'elle  aurait  pu  tomber  sous  la 


(1)  Cofuidér,,  etc.  pag.  152. 

(2)  r»e,p.  506. 


DB  LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  iOtt 

tf  plume  de  qui  que  ce  soit.  »  A-t-il  par 
là  répudié  les  autres  preuves  que  Ton  tire 
du  monde  physique ,  ces  preuves  sensibles , 
en  quelque  sorte  matérielles,  dont  saint 
Paul  se  sert  avec  tant  d'avantage  contre  les 
épicuriens?  Nullement;  il  repousse  l'objec- 
tion comme  une  calomnie  dont  il  s'indigne, 
tant  dans  ses  Lettres  que  dans  ses  Médita- 
tions (i  ).  Seulement  il  se  borne  k  cette  preuve, 
parce  qu^elle  est  la  première  de  toutes  et  la 
plus  immédiate  qui  se  présente  à  l'esprit  du 
philosophe  qui  procède  avec  ordre ,  et  que 
l'homme  même  privé  de  la  vue  n'en  a  pas 
besoin  pour  y  croire.  Descartes  veut  prou- 
ver l'être  d'un  Dieu  par  la  vérité  de  nos 
facultés,  et  la  vérité  de  nos  facultés  par 
l'être  d'un  Dieu.  De  cet  argument  :  Je  pense ^ 
donc  je  suis^  dont  chacun  de  nous  porte  la 
conscience  au-dedans  de  soi ,  le  philosophe 
français  déduira  par  une  filiation  immédiate 
sa  démonstration  de  Texistence  de  Dieu  et 

(1)  Voyez  868  Lettres ,  t.  II,  p.  S63. 


1(16  HKTOUUE 

de  la  spiritualité  de  l'âme ,  def  de  k  méta^ 
physique,  pivot  de  toute  la  théologieypriune 
lumineux  ajouté  aux  anciemies  preuves  de 
la  reUgion.  Arnaud  y  voit  un  rempart  in- 
vincible contre  l'irréUgion  et  le  libertinage; 
Bpssuet  empreint  ces  hautes  spétulattons 
du  double  sceau  de  sa  puissante  dialectique 
et  de  sa  sublime  éloquence  (1);  Fénel<m  y 
répand  le  charme  de  sa  puissante  onction  f 
Duguet ,  dans  ses  Principes  de  la  foi,  sait  y 
découvrir  des  aperçus  nouveaux,  et  conver- 
tir le  doute  même  sur  la  divinité  en  ime 
démonstration  triomphante  de  son  exis- 
tence (2).  Attaqué  du  vivant  même  de  Des- 

(1)  Introd,  à  la  Philos,^  chap.  iv. 

(2)  Duguet ,  Principes  de  la  foi,  1. 1,  p.  45.  «  Je 
«  ne  puis  concevoir  l'idée  de  Dieu  qfae  je  ïie  le  con- 
«  çoive*  comme  un  être  infiniment  parfait;  et  je  ne 
«  puis  le  conceYoir  ainsi,  que  je  ne  comprenne  dans 
«  son  idée  Pexistence  actuelle  ,  parce  qu'elle  est  de 
«  toutjes  les  perfections  la  première  et  la  pluft  oswn- 
«  tielle.  t)r,  c'est  un  principe  infaillible  du  raison- 
«  nement ,  qu'on  doit  assurer  d'une  chose  tout  ce 
«  qu'on  découvre  dans  son  idée  :  nous  n'avons  point 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.       167 

caftM  parla  SMiUTtise  foi,  il  avait  fini  par 
ttiaraphfir  de  la  préventioa  et  da  g<^phisBie« 
«  Paar  ne  nm  dire  4{ae  de  clair^  »  répétait  la 
âède  entier  de  Bossuet,  «  ii  n'y  a  rien  que 
nena  concevions  plus  distinctement  que 
notre  pensée  memet  ni  de  propoakion 
qui  naua  puisse  êlre  plus  claire  que  celle^ 
là  :  Je  pense,  donc  je  suis.  Or,  nous  ne 
powrianB  avoir  aucune  certitude  de  cette 
proposition,  si  nous  ne  concevions  dis- 
tinctement ce  que  c'est  qu'on  être,  et  ce 
«pMi  c'est  que  penser;  et  il  ne  nous  ëuA 
point  demander  que  nous  expliquions  ces 
tonneaf  parce  qu'ils  sont  du  nombre  de 
ceux  qui  sont  si  bien  entendus  par  tout  le 
mondes  qu'on  les  dbscurcirait  en  les  vou* 


dTautre  règle  pour  raisonner  juste.  Il  est  donc  aussi 
fMitaîn  qœ  Dm  existe  néceseairement ,  qu^il  est 
OBrl«iuquor«xisteBoaAet|seileest  nécessairofuent 
comprise  dans  Tidée  dNin  être  infiniment  par- 
fitiC^  ftUk  •  Tout  ea  qwi  sailB*sst  pas  taoim  wMde 
et  concluant. 


168  HUTOUC 

«  lantexpUquer(l).  ■  De  ce  point  de  dé- 
part, l'intelligence,  développée  pat  la  médi- 
tation ,  remonte  au  premier  Etre ,  qui  est  la 
source  de  son  être ,  et  qui  produit  en  elle 
le  sentiment  de  son  existence  et  le  type  de 
toute  vérité.  De  là  donc  la  croyance  néces- 
saire d'un  Etre  supérieur  et  la  certitude  de 
nos  conceptions,  dont  il  devient  lui-même 
le  garant  infaillible.  Entraînés  invincible- 
ment par  le  sentiment  de  notre  être  bomé^ 
vers  une  cause  infinie  qui  soit  le  principe: 
de  tout  ce  que  nous  sommes ,  nous  partons 
nécessairement  de  nous-mêmes,  parce  que 
nous  sommes  en  nous ,  et  qu'a  moins  de: 
n'exister  pas,  c'est-à-dire,  de  n'être  qu'un. 
cadavre  ou  une  brute  insensible,  il  nous  est 
impossible  d'ignorer  que  nous  existons.  Est- 
il  besoin,  pour  en  avoir  l'infaillible  certitude, 
de  remonter  jusqu'à  la  première  des  cau!ses^ 
qui  est  Dieu ,  pour  avoir  la  certitude  de  nub 

(1)  Logique  Je  Porl-Royal ,  chap.  t,  p. 
Paris,  i'76-2. 


DB  LA  NOirVELLE  HEEÉSIE.  168 

propre  existence  ?  d'attacher  immédiatement 
Teffet  k  la  cause,  la  conséquence  au  prin- 
cipe ,  d'embrasser  toute  la  chaîne  des  êtres 
pour  envisager  k  leur  sommet  celui  sans 
lecpiel  on  sait  bien  que  pas  un  seul  autre 
n'ensterait,  moins  encore  pour  s'assimiler  à 
lui ,  comme  on  nous  accuse  d'en  avoir  la  pré- 
tention ?  Non  ;  notre  raison  bornée  ne  le  per- 
met pas  ;  mais  toute  bornée  qu'elle  est,  elle 
saisit  cet  anneau  de  la  chaîne  ;  elle  s'y  recon- 
naît ,  heureuse  de  s'y  tenir  suspendue  ;  elle 
ne  s'en  sépare  point,  elle  ne  dit  point  :  Je 
suis  celui  qui  est^  qui  a  en  soi  le  principe 
et  la  nécessité  d'être  :  elle  dit  simplement 
^vec  Descartes  :  Je  pense^  je  porte  en  moi 
le  rayon  de  la  divine  intelligence  qui  m'a 
créé  à  son  image;  donc  je  suis^  et  la  vie 
qui  m'a  été  donnée  à  moi,  être  contingent, 
qui  n'étais  pas  hier  et  qui  ne  serai  plus  de- 
main, je  ne  l'ai  reçue  que  par  émanation 
de  cette  plénitude  de   vie,    dont  seul  il 
est  la  source,  et  qui  n'appartient  qu'à  l'Etre 


seul  oécessaire  et  îorumorteL  Que  M.  de  I^ 
Meanak  se  récrie  z  Otez  Dieu  de  funUmrsj^ 
et  Vuni^ers  n*é8t  plus  ^u'uue  grande  ilb^ 
êiouj  et  comme  une  vague  man^estution 
d'un  doute  ùifimj  je  réponds  :  L'idée  41e 
Texisteûce  de  Dieu,  loin  de  s'isoler  de  lidée 
de  la  mieime  propre ,  s'y  endiaîne  indissp^ 
Idblement.  Mettre  la  pren^ère  en  pro^dèmet 
c'est  également  dire  que  si  Dieu  n'existait 
pusj  rien  n'existerait  :  blasphème  impie,  ezr 
travagant  aux  yeux  de  De^cartes,  qui  le  x^ 
pousse  de  toute  la  puissance  de  sa  raison  cooi- 
tre  les  athées  j  comme  aussi  jeter  des  doutes 
sur  ma  propre  existence  :  criminelle  abiuTr- 
dite  que  le  même  philosophe  n'a  cessé  de  re^ 
pousser  contre  le!»  sceptiques.  Loin  4one 
d'entrer  pour  cela  d^s  une  défiance  uni- 
verselle  ^  c'est  précisément  ce  qui  nous  £ût 
conclure  avec  une  pleine  assurance  qu'il 
doit  donc  nécessairement  exister.  JDfe  pou* 
Tant,  encore  une  fois,  niçr  notre  existence 
sans  exister  déjà»  tout  ce  ^  est  nécessaire 


1»  LA  nmrmâm  hérésie.  tri 

pour  en  rendre  ndson,  Join  do  now  rame» 
Qer  an  doute ,  MHjniert  par  Ut  même  une 
certiUnde  mébrankdile  au  doute. 

An»  tons  les  défenseurs  de  la  Yérité  chré- 

tknone  que  i'Esprit  de  Dieu  a  suscités  dans 

tous  lei  âges  pour  le  soutien  ou  l'omemenl 

de  «on  Eglise ,  n'ayaient-ils  songé  jamais 

à  eh«rcher  hois  de  ee  cercle  les  caractères 

de  rin&flttUe  certitude.  Ils  ne  disputaient 

pn  à  lu  raison  ses  inaliénables  prérogatives  ; 

Huds  la  iroyant  dans  son  origine  et  dans  sa 

Muree  ,  ib  prenaient  dans  ses  propres  élé* 

mens  tes  règles  de  conduite  fondées  sur  les 

fdniéiélemelks  quHlspreposdent  aaxpe»> 

plds.  Ib  n'en  dinsmulaicoit  pas  les  fii&ksses 

m  les  lumteua  égaremens  ^  tant  sTen  ùxkU 

'Sk  ne  songent  pas  k  îa  désespérera  non,  «s- 

sarément  ;  ib  ne  veulent  que  l'anMuer  à 

la  reconnaissance  de  ses  imperfectkms  et 

k  f  aven  qaHl  y  a  par-dessin  elle  une  ftai- 

ien  plus  haute  &  qui  elle  doit  son  être  et 

4«  4q|ai  'dk  «fttend  son  f^rfectâennemont. 


m  fldSTOllUE 

alors  que  ne  Toyant  plus  les  choses  L 
demi,  comme  par  un  miroir  et  en  énigme^. 
elle  les  embrassera  telles  qu^elles  sont ,  eib 
dans  leur  plénitude.  Us  ne  rejetaient  pas  lu 
force  du  consentement  général  des  peuples,, 
témoin  ce  qu'en  ont  dit  les  Origène ,  les 
Ghrysostome,  les  Augustin ,  les  TertuUien  ^ 
mais  pour  déplorer  les  monstrueuses  er- 
reurs qu'ils  y  avaient  mêlées ,  non  pour  s'en 
prévaloir  contre  l'excellence  des  autres  té- 
moignages. Mais  non ,  savant  Origène,  pro- 
fond Augustin  ,  éloquent  Ghrysostôme  . 
sublime  Bossuet!  vous  tous  prophètes  el 
apôtres  de  l'alliance  que  Dieu  a  daign€ 
contracter  avec  les  hommes  pour  leur  op- 
prendre  toute  vérité^  non ,  vous  n'avez  fail 
que  balbutier  ;  flétris  désormais  du  nom  de 
Cartésiens  j  vous  ne  soupçonniez  pas  lea 
premiers  élémens  de  la  philosophie;  vos 
preuves  sont  insuffisantes  y  incomplètes; 
Celse,  Porphyre  et  JuUen  l'apostat  avaient 
eu  raison  de  les  juger  telles  :  car  voici  qu'un 


I»  LA  HOUTELLE  HÉRÉSIE.        i73 

prêtre  du  dix-neuvième  siècle ,  se  qualifiant 
l'ayocat  du  Christianisme,  ose  prononcer 
qu'elles  ne  sont  rien  moins  que  décisives , 
^'elles  ne  forment,  après  tout,  qu'une 
philosophie  niaise^  absurde,  dangereuse^ 
et  qu'elles  retombent  de  tout  leur  poids  dans 
U  scepticisme  1  ' 


...    .  c.— 


CHAPITRE  VIIL 


II 


Certitude  rationnelle  de  M,  Je  La  Mennais. 

Toutefois,  M.  de  La  Mei^nais  accorde 
bien  que  nous  sommes  dans  l'impuissance 
absolue  de  douter  jamais  de  notre  propre 
existence,  mais  que  nous  ne  saurions  en 
avoir  une  certitude  rationnelle ,  c'est-à-dire 
une  certitude  telle  que  la  raison  ne  décou- 
vre aucune  possibilité  que  ce  qui  lui  paraît 


HPSTOIIB  I»  lA  nUVBLLB  BJEteB.       ITS 

rnà  smi  fion  (i)^  et  toute  ton  école  s'est 
atladbiée  opiniataréineiit  à  cette  opinion. 

liais  comment  accorder  cette  impuissance 
de  da«ter  srree  Is  possiliilité  de  Tillusion? 
Qttsi  l 'veilà,  de  Toijre  aveu,  une  série  de  ve- 
ntés qpse  ne«s  sesnmes  forcés  de  cnÂre 
parce  que  la  nature  mms  j  centraînt  ia« 
finciblemeiit  9.  qu'elles  sont  inébranlables 
Stt  doute  ^  et  qu'dJes  ferment  »  selon  fé* 
tran^  expression  de  l'un  de  yos  adeptes  ^ 
\e$  tolonaes  et  Hercule  de  Pesprit  (2)  ^  au- 
ielà  desquelles  l'intelligence  ne  saurait 
aMnccy  d'un  pas  ;  en  les  ébranlant,  on  ris- 
^f  ait  de  détruire  l'intelligence  eUenoiême  : 
et  pourtant  eela  ne  prom^  rien^  ne  dé'- 
momire  rien;  et  y  si  l'an  est  conséquent  , 
Ctt  dûute  de  tout  sans  la  certitude  ratioiH 
iMiUe.  TièX  qu'est-ce  que  cette  certkude  ra- 
tionnelle peui  ajouter  à  laciectitude absolue^ 


(2)  M.  Lacordaire ,  Conaidér,  philos,  sur  le  Syst. 
8>sW,  SeLa  Mennais ,  p.  48. 


1(16  HKTOUUE 

de  la  spiritualité  de  l'âme ,  def  de  k  meta* 
physique, pivot  de  toute  la  théologieypiiMne 
lumineux  ajouté  aux  anciemies  preuve»  de 
la  religion.  Arnaud  y  voit  un  rempart  in» 
vincible  contre  l'irréligion  et  le  libertinage; 
Bossuet  empreint  ces  hautes  spétulations 
du  double  sceau  de  sa  puissante  dialectiqpœ 
et  de  sa  sublime  élocpence(l);  Fénelon  y 
répand  le  channe  de  sa  puissante  onctum  f 
Duguet,  dans  jses  Principes  de  la  foi,  sait  y 
découvrir  des  aperçus  nouveaux,  et  conver- 
tir le  doute  même  sur  la  divinité  en  ime 
démonstration  triomphante  de  son  exis- 
tence (2).  Attaqué  du  vivant  même  de  Dm» 

(1)  Introd,  à  la  Philos,^  chap.  iv. 

(2)  Dnguet ,  Principes  de  la  foi,  1. 1,  p.  45.  «  Je 
«  ne  puis  concevoir  Tidée  de  Dieu  qfae  je  ïie  le  con- 
«  çoive -comme  un  être  infiniment  parfait;  et  je  ne 
«  puis  le  conceYoir  ainsi,  que  je  ne  comprenne  dans 
«  son  idée  F  existence  actuelle  ,  parce  qu'elle  est  de 
«  toutjes  les  perfections  la  |M*einiére  et  la  plus  eseen* 
«  tielle.  br,  c'est  un  principe  infaillible  du  raison- 
«  nement ,  qu'on  doit  assurer  d'une  chose  tout  ce 
«  qu'on  découvre  dans  son  idée  :  nous  n'avons  point 


DE   LA  NOUVEUJB   HÉRÉSIE.  i77 

tioalAttendra-t-elle,  pour  devenir  ration- 
nelle, qu'elle  ait  comparé  ses  croyances 
avec  celles  du  genr%  Au/raaz/z?  Quelle  étude! 
^e  de  recherches  !  quel  labyrinthe  !  et  en- 
core sans  autre  issue  que  le  doute  I  Qui  me 
répondra  de  son  témoignage ,  quand  je  ne 
puis  compter  sur  celui  de  ma  raison?  A 
(piel  tribunal  évoquerai-je  la  cause ,  si  elle 
vient  à  subir  partage  dans  les  opinions ,  et 
qui  jugera  en  dernier  ressort? 


T.   I.  12 


CHAPITRB  IX. 


% 


Accord  d9  la  roWof»  eé  de  la  foi. 

Pourtant  rien  de  plus  tranchant  que 
l'assertion  de  M.  de  La  Mennais ,  «  que  la 
cr  foi  n'a  pas  besoin  de  la  raison;  que  si 
<c  Yous  faites  intervenir  la  raison  pour  ap- 
i<  prendre  d'elle  si  on  doit  admettre  ou 
ff  rejeter  les  dogmes  que  Dieu  nous  révèle , 
<c  aussitôt  le  magnifique  et  immense  édifice 
f<  de  la  religion  croul%  de  toutes  parts ,  et 
«  écrase  sous  ses  ruines  la  raison  présomp- 


HISTOIRE   DE    LA   NOUVELLE    IIÉ11É81B.        179 

<r  tueuse  qui  s'était  crue  capable  de  le  sou- 
<'  tenir (i).»  Quoi  donc!  le  Christianisme 
ne  peut-il  supporter  les  regards  de  la  raison? 
C'est  s'éloigner  également  de  saint  Tho- 
mas ,  de  saint  Augustin  et  de  la  vérité  ca- 
tholique, que  de  supposer  l'opinion  d'un 
divorce  absolu  entre  la  raison  et  la  foi; 
comme   si,  de  leur  nature,  elles  étaient 
incompatibles,  et  que  Dieu  pût  être  con- 
traire   à  lui-même.  N'est-ce  pas  lui  qui 
les  a  faites  toutes  deux?  Il  les  a  séparées, 
comme  il  a  fait  la  lumière  et  les  ténèbres , 
œuvre  de  sa  souveraine    toute-puissance, 
pour   qu'elles  concourussent  également  à 
Futilité  <le  l'homme.  Le  Manichéen  seul  y 
voit  un  élément  de  discorde ,  la  production 
de  son  double  principe.  Non,  Dieu  ne  les 
a  pas  faites  ennemies  l'une  de  l'autre.  Elles 
existaient  avatit  la  chute  de  l'homme  ;  car 
Adam,  créé  raisonnable  et  libre,  reçut  au 
même  jour  l'ordre  de  croire  aveuglément 

(1)  Essai,  t.  I,  p.  490. 


180  HisToms 

h  la  parole  de  son  Créateur.  La  raison  et  la 
foi  ont  chacune  leur  domaine  ;  les  Sages  de 
tous  les  temps  ont  bien  su  en  déterminei 
les  limites  et  marquer  Tétendue.  L'Esprit 
saint,  en  daignant  se  charger  lui-même  de 
la  direction  de  nos  intelligences  par  la  lu- 
mière de  la  Réyélation ,  a  laissé  un  champ 
immense ,  la  nature  entière  aux  recherches 
de  la  raison  (1).  Il  a  fait  plus  encore;  il  n*a 
pas  dédaigné  de  soumettre  ses  propres  ora- 
cles a  l'examen  de  la  raison.  Il  s'est  réservé 
k  lui-même  le  sanctuaire  qu'il  a  défendu 
par  ime  nuée  inaccessible  ;  mais  il  nous  en 
abandonne  les  avenues  extérieures.  Le  Sau- 
veur appelle  tous  les  hommes  h  l'examen 


(1)  Mundum  tradivit  disputationi  corum.  {Eccle- 
siast.j  III,  44.  ) 

«  Telle  est  la  supériorité  de  la  Religion  chré- 
«  tienne  sur  toutes  les  autres  ,  qu'elle  admet  ou  re- 
«  jette  Fusage  de  la  raison  et  de  la  discussion  ,  sni- 
«  vant  les  circonstances,  et  sous  la  condition  qu'elle 
»  se  renferme  dans  de  justes  bornes.  »  (Bacon,  dant^ 
Emery,  t.  11,  p.  i45.  ) 


DE    LA   XOLVCLLE    HÉRÉSIE.  IftI 

de  sa  doctrine ,  ou  du  moins  des  témoigna- 
ges qui  l'appuient  (1).  Interrogez  les  Ecri- 
tures^ disait-il  aux  questionneurs  de  son 
temps  ;  et  telle  a  été  la  pratique  con- 
stante de  l'Eglise.  Jamais  elle  n'a  interdit 
à  ses  enfans  le  droit  d'user  librement  de 
leur  raison  ;  mais  elle  n'a  jamais  permis  non 
plus  que  personne  en  exagérât  les  préro- 
gatives. Pas  un  de  ses  Docteurs  qui  ait  songé 
a  placer  le  principe  de  la  foi  dans  la  raison , 
pas  plus  dans  la  raison  collective  que  dans 
la  raison  individuelle ,  parce  qu'après  tout 
et  n'est  toujours  qu'une  raison  humaine, 
qu'un  principe  humain.  Le  principe  de  la 
foi  divine  n'est  et  ne  peut  être  que  l'auto- 
rité de  Dieu  même  ^  c'est  k  Dieu  que  nous 
croyons,  et  c'est  l'infaillibilité  de  sa  parole 
qui  fait  seule  la  certitude  de  notre  foi (2). 

(2)  Joann.,  v,  39. 

(2)  «  Aussi  tous  les  tliéologiens  catholiques  dis- 
«  ting^ent-ils  deux  sortes  de  foi ,  la  foi  divine  et  la 
«  foi  humaine,  et  par  conséquent  aussi  deux  prin- 


182  HISTOIRE 

Laissez  faire  M.  de-  La  Mennais^  et  après 
qu'il  aura  fait  de  sa  raison  générale  V ex- 
pression de  la  raison  de  Dieu  même  y  fondé 
rinfaillibilité  de  cette  raison  générale  sur 

»  cipes  ou  fondemens  de  la  fui.  La  foi  divine  est 
M  fondée  sur  le  témoignage  de  Dieu,  témoignage  es- 
«  sentiellemeut  infaillible;  et, par  conséquent,  la  foi 
«  qui  repose  sur  ce  fondement  donne  une  certitude 
«  complète.  La  foi  humaine  est  fondée  sur  le  témoi- 
u  gnage  des  hommes ,  témoignage  faillible  de  sa 
M  nature ,  et  auquel  nous  ne  pouvons  nous  fier  aveu- 
u  glément  et  sans  garantie.  Ce  témoignage  peut  in- 
«  duire  et  induit  souvent  en  erreur,  quand  on  n^use 
«  pas  des  précautions  que  la  raison  prescrit.  Mais  il 
<c  arrive  quelquefois  qu^il  est  revêtu  des  condition» 
«  qui  excluent  tout  péril  d* erreur ,  et  alors  on  peut 
«  s'y  fier  avec  assurance.  Il  s'en  suit  de  là  que  le 
«  principe  de  la  certitude  que  donne  la  foi  divine 
u  réside  dans  le  témoignage  de  Dieu  ,  parce  que  ce 
<c  témoignage  n^est  autre  que  celui  de  la  vérité  même , 
«  (pli  ne  peut  jamais  nous  induire  en  erreur  :  mais 
«  que  le  principe  de  la  certitude  que  donne  quelque- 
«  fois  le  témoignage  des  hommes  ne  réside  pas  dans 
«  le  témoignage  même ,  puiscpie  ce  témoignage  est 
«  failUble  de  sa  nature ,  et  que  c'est  à  notre  raison 
a  de  distinguer  quand  nous  pouvons  et  quand  nous 
tt  ne  pouvons  pas  nous  y  fier.  »  (M.  Rozaven ,  Ré^ 
futation  des  Doct,  philos,  de  M,  Gerbetj  p.  253, 254.) 


DB  &A  ROtnrEUJI  KéRdBlE.  185 

ses  rapports  avec  Dieu ,  vous  Tallez  voir, 
renversant  son  propre  édifice,  Tisoler  de 
tout  rapport  at^c  Dieuj  et  affirmer  que  le 
seul  système  social  aujourcPhui  possible j  est 
celui  qui  ne  serait  fondé  que  sur  la  raison 
humaine,  sans  nul  rapport  avec  Dieu(i). 
D'après  la  doctrine  constante  des  Pères 
et  des  théologiens,  la  vérité  du  Christia- 
nisme,  prouvée  par  les  prophéties  et  les 
miracles,  se  trouve  garantie  par  une  évi- 
dence palpable  au  jugement  de  la  raison , 
invoquée  comme  arbitre  dans  chacun  des 
procès  intervenus  sur  cette  matière ,  sinon 
quant  au  fond  des  choses,  toujours  quant 
à  la  validité  du  témoignage  et  du  raisonne- 
ment. A  défaut  de  Févidence  intrinsèque 
réservée  aux  jours  de  la  consommation, 
nous   avons   l'évidence    extérieure,  argw- 
mentum  non  apparentium  (2)^  dit  l'Apôtre; 
sorte  de  vue  intellectuelle  que  saint  Thomas 

(1)  Avenir f  29  noyembre  1830. 

(2)  Hebr.,  xi,  i. 


184  HISTOIRE 

appelle  une  intuition  indirecte^  résultante 
des  m'otifi  de  crédibilité  que  la  raison  et 
l'autorité  présentent  à  la  foi.  De  là  l'axiome 
de  saint  Augustin ,  k  que  la  certitude  de  nos 
«  connaissances ,  c'est  la  raison  qui  nous  la 
ff  donne  ;  et  celle  de  nos  croyances ,  nous  la 
fr  puisons  dans  l'autorité  (1).jb  Jésus-Christ, 
en  nous  donnant  sa  religion,  savait  bien 
qu'elle  embrassait  un  grand  nombre  de 
vérités  auxquelles  notre  raison  ne  pouvait 
atteindre?  U  savait  aussi  qu'il  y  en  a  d'autres 
accessibles  à  notre  raison ,  indépendamment 
de  la  révélation.  Pour  toutes,  il  nous  a 
donné  un  double  flambeau  qui  nous  sert 
dans  la  nuit  où  nous  marchons  ici  bas,  jus- 
qu'à ce  terme  heureux  de  notre  pèlerinage 
où  toutes  les  ténèbres  seront  dissipées,  où 
toutes  les  vérités  se  manifesteront  à  tous 
les  regards ,  où  seront  compris  tous  les 
mystères  de  la  divine  essence  telle  qu'elle 

(j)  Qiiod  intelligimus  debetnus  rationi;  quod  cre-^ 
dimus  auctoritati.  (  De  Vtilit,  credendi ,  n.  25.  ) 


H 


DB   LA  NOUVELLE    HÉRÉSIB.  i8tt 

est  :  videbimus  eum  sicuti  est.  Jusque-là  y 
étrangers  sur  la  terre  d'exil,  enfans  ({ui 
trébuchons  à  chaque  pas,  depuis  le  berceau 
jusqu'à  la  tombe,  deux  guides  s'offrent  à 
nous  dans  la  carrière  :  pour  les  vérités  su- 
périeures à  la  raison ,  le  flambeau  de  la  foi 
qui  nous  les  fait  croire  sans  les  comprendre  ; 
pour  les  vérités  accessibles  à  la  raison,  le 
flambeau  de  la  raison  elle-même  qui  pèse 
les  motifi  de  sa  croyance ,  qui  confirme  et 
perfectionne  en  nous  la  connaissance  des 
choses  que  nous  comprenons.  Par  exemple , 
et  c'est  le  raisonnement  de  saint  Thomas , 
nous  ne  comprenons  pas  le  mystère  de  la 
Trinité ,  et  cependant  nous  le  croyons  par 
la  révélation  de  ce  que  la  foi  nous  en  ap- 
prend. Le  dogme  de  l'existence  de  Dieu, 
la  raison  suffit  bien  pour  nous  l'enseigner; 
«f  mais ,    ajoute  le  saint  Docteur ,   la  plus 
"  haute  perfection  a  laquelle  l'homme  puisse 
^  parvenir  consistant  dans  la  connaissance 
^  de  Dieu ,  il  ne  peut  l'atteindre  que  par 


,166  HISTCMRK 

ir  l'opération  et  renseignement  de  Di^u ,  qui 
«  se  connaît  parfaitement  lui-même  (1).  » 
Par  là  s'établit  merveilleusement  l'harmo- 
nie  entre  la  foi  et  la  raison  ;  double  principe 
de  certitude  dont  chacune  a  son  caractère 
et  ses  attributions  :  la  raison  prépare  la  foi 
et  la  justifie  ;  la  foi  éclaire  la  raison ,  la  di- 
rige ,  l'achève. 

Saint  Augustin  développe  cette  belle  éco^ 
nomic  de  la  bonté  divine  à  l'égard  des 
hommes  dans  son  traité  De  t utilité  de  lafoiy 
en  réponse  aux  Manichéens.  <r  Pour  les  in- 
«  telligences  vulgaires ,  pour  les  simples , 
<r  dit-il,  la  voie  de  l'autorité 5  pour  les  sa- 
n  vans,  pour  les  intelligences  cultivées, 
ic  capables  d'embrasser  les  motifs  qui  por- 
«  tent  l'esprit  humain  jusque  à  V  intelligence 
(f  divine  y  la  voie  du  raisonnement,  le  flam- 
ff  beau  de  la  raison  qui  discute ,  compare , 

(j)  Q.  14,  DeFide,  art.  10.  M.  RozaveD^  Examen, 
p.  4  38.  f^oy,  ILolden,  Divinœ  fidei  Analy sis  y  cap.  vi, 
p.  60,édit.  Paris,  1767. 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  187 

ce  pèse  les  raisons,  Il  est  des  esprits  témé- 
«  raires ,  impétueux ,  qu'il  feut  comprimer  ; 
«  il  est  des  esprits  lents  qu'il  faut  exciter , 
«  des  ignorans  qu'il  faut  instruire.  La  mul^ 
«  titude  qui  manque  des  moyens  et  de  la 
N  sagesse  nécessaires,  lui  interdirons-nous 
«  la  connaissance  de  la  religion  ?  L'y  ame- 
«  ner  par  degrés ,  l'introduire  de  connais- 
K  sance    en    connaissance    jusqu'au    sanc* 
«  tuaire,  voilà  notre  méthode;  en  est-il  de 
K  plus  raisonnable  ?  Ainsi  aux  enfans,  au  com- 
ir  mun  des  hommes ,  l'autorité ,  l'Eglise ,  la 
ff  foi;  aux  esprits  plus  relevés,  la  raison (1).j» 
Par  là ,  les  moyens  divers  de  l'instruction 
sont  appropriés  aux  intelligences  diverses. 
A.U  temps  des  saint  Augustin,  des  Origène, 
des  Clément  d'Alexandrie,  comme  au  nôtre, 
la  méthode  d'enseignement  se  proportion- 
nait à  la  portée  de  tous  les  esprits. 
«  L'autorité  requiert  la  foi  et  prépare 

(1)  De  rutilUé  de  la  Foi,  dans  Biblioth.  choisie 
des  Pères,  t.  XXI,  p.  116. 


188  HISTOIRE 

ff  l'homme  a  la  raison  ;  la  raison  le  conduit 
i<  k  l'intelligence  et  a  la  connaissance  (1).  » 

Laquelle  des  deux ,  de  la  raison  ou  de  la 
foi ,  précède  l'autre  ? 

Cette  question,  soulevée  par  M.  de  La 
Mennais,  est  par  lui  résolue  affirmativement 
en  faveur  de  la  foi.  «  La  foi ,  dit-il ,  précède 
«  la  raison  (2).  » 

La  question  n'aurait  rien  d'embarrassant, 
si  l'on  n'était  parvenu  à  l'obscurcir  par  de 
captieuses  subtilités.  La  religion  commande 
à  l'homme  de  croire  ce  qu'il  ne  peut  encore 
comprendre;  et  dans  ce  sens,  la  foi  doit 
marcher  avant  la  raison.  Cela  est  vrai  ;  mais 
doit-elle  marcher  sans  la  raison? 

Qui  est-ce  qui  ne  convient  pas  que  la 
raison  n'intervienne  dans  toutes  les  ques- 
tions non-seulement  premières  et  fonda- 

(1)  Auctoritas  fidem  fiagitat  et  ratio  ni  préparât  ho- 
minem  :  ratio  ad  intellectum  cognitionemque  perdu- 
cvt.  (S.  August.^  De  ver.  Religione ,  n.  45.  ) 

(2)  Essai,  t.  I,  p.  486,  J88. 


DB   LA   NOirVILLB   HÉRÉSIE.  189 

mentales ,  mais  métaphysi({ues  et  religieuses, 
comme  dans  toutes  les  connaissances  hum  ai- 
nes ?  «r  La  foi  n'entre  dans  notre  âme  que  par 
(T  l'intermédiaire  de  la  raison ,  à  moins  que 
r  de  vouloir  en  faire  l'instrument  aveugle 
V  et  irréfléchi  de  l'animal (1).  »  La  foi, 
{H)ur  s'introduire  dans  le  cœur,  a  besoin 
d'être  entendue  par  l'organe  de  l'ouïe ,  qui 
la  fait  passer  à  l'intelligence  :  Jîdes  ex  auditu. 
Mais,' dans  toute  question  aussi,  le  raisonne- 
ment, opération  de  la  raison,  n'est-il  pas 
également  nécessaire?  Dans  la  pensée  de 
saint  Augustin ,  si  clairement  exprimée ,  le 
droit  et  même  le  devoir  de  la  raison  est 
d'examiner  si  elle  doit  croire  avant  que  de 
croire,  examiner  quelle  est  l'autorité  au 
nom  de  laquelle  la  religion  commande  de 
croire  sans  comprendre.  Et  dans  le  vrai ,  si 
ce  premier  acte  de  la  foi  n'est  pas  jugé  et 
approuvé  par  la  raison ,  cette  foi  n'est  pas 


(1)  M.  Boyer,  Examen,  p.  d  J9. 


_^^ 


A80  HISTOIRE 

raisonnable,  Quicredit  cità^  levis  corde  e$t{A  )i 
La  raison  prend  l'homme  comme  par  la 
main  pour  l'introduire  dans  le  sanctuaire 
de  la  Religion ,  et  le  laisse  sur  le  seuil.  Elle 
ne  lui  permet  pas  de  s'avancer  au  hasard  ^ 
elle  interroge  la  Révélation  elle-même ,  et 
commence  par  s'enquérir  de  ses  lettres  de 
créance.  Montrer  le  chemin  k  quelqu'un , 
l'aplanir  devant  lui ,  en  ôter  les  pierres  et 
les  encombres ,  ce  n'est  pas  le  construire , 
c'est  seulement  le  rendre  praticable.  Selon 
saint  Augustin ,  la  raison  mène  à  la  vérité , 
et  en  est  distinguée  comme  le  guide  de 
l'aveugle  qu'il  conduit  par  la  main  (2). 

La  foi  précède  la  raison  j  et  lui  prépare 
les  voies.  La  proposition  est  vraie  dans  ce 
sens  que  la  foi ,  don  de  la  bonté  divine ,  est 
aussi  la  vie  de  la  raison  humaine  ;  qu'elle 
agrandit    et  développe   son  intelligence; 

(1)  Eccl,y  XVIII,  4. 

(2)  M.  Boyer,  Eœamen,  p.  121  ;  et  M.  Rozaven 
p.  191. 


■% 


DB    LA   IVOirVELLB    HÊUBSIB.  IM 

(javelle  corrige  les  saillies  de  $on  înlempé- 
rance,  réprime  les  écarts  d'une  indiscrète 
curiosité  ;  qu'elle  assure  k  la  soumission  le 
mérite  et  les  récompenses  promises  k  la 
foi,  qui  est  aussi  une  yertu.  (i). 

Elle  est  fausse  et  erronée  par  les  con- 
séquences que  M.  de  La  Mennais  et  son 
école  en  ont  tirées.  Pour  élever  un  tronc 
à  l'autorité ,  il  immole  la  raison  et  anéan- 
tit la  lumière  qui  nous  mène  k  la  Révé- 
lation ,  et  ne  laisse  a  sa  place  que  le  doute. 

M.  de  La  Mennais  avait  donné  l'exemple 
de  la  révolte  contre  la  raison  ;  ses  disciples 

(i)  «  Celai  qui  croit ,  dit  saint  Thomas  d' Aquin  y 
«  a  un  motif  safiiBant  qui  le  porte  à  croire ,  car  il  y 
«  est  porté  par  F  autorité  de  la  doctrine  divine,  con- 
«  firmée  par  des  miracles  ;  et ,  ce  qui  est  encore  plus 
«  efficace ,  par  un  mouvement  intérieur  de  Dieu  qui 
«  invite  à  croire  :  alors  ce  n'est  point  par  légèreté 
"qu'il  croit.  Néanmoins  ce  motif  n  est  pas  suffisant 
«  pour  comprendre ,  ou  lui  donner  Fintelligence  ou 
^  la  science  ;  et  ainsi  il  y  a  pour  lui  lieu  de  mériter.  » 
[Sermon,  théolog.,  part,  ii,  quest.  ii,  art.  9  :  Utrum 
crederesit  nterUorium.  ) 


i9S  A8TOIRB 

Font  suivi.  Sous  prétexte  qu'elle  e%l  finie ^ 
elle  est  nulle. 

Pascal,  qu'ils  aiment  à  citer,  réfiite  tous 
les  sophismes  par  ces  paroles  :  «  Ce  sont 
i<  deux  excès  également  dangereux,  d'exclure 
ff  la  raison ,  de  n'admettre  que  la  raison. 
ce  Dieu  ne  prétend  pas  nous  rendre  rais^ 
i<  de  toutes  choses  ;  il  n'entend  pas  nonjplw 
«  que  nous  soumettions  notre  créance  à  lui 
«  sans  raison,  et  nous  assujettir  avec  tyrau- 
«  nie.  Il  nous  fait  voir  clairement  des  mar- 
tf  ques  divines  en  lui  qui  nous  convainquent 
«  de  ce  qu'il  est,  et  des  preuves  que  nous 
f<  ne  puissions  refuser  (1  ).  « 

ce  Le  fini  peut-il  comprendre  l'infini?  » 
Non  sans  doute,  pas  même  le  concevoir  ;  car, 
par  cela  même  qu'il  est  l'infini,  qu'il  échappe 
a  toutes  les  intelUgences ,  il  cesserait  d'êtire 
ce  qu'il  est,  disent  tous  les  Pères,  si  je  pou- 
vais définir  seulement  ce  qu'il  est.  S'ensuit- 

(1)  Pensées ,  ch.  v,  p.  46;  etchap.  xxviii,  p.  235, 
«dit.  Paris,  171 J. 


DS   LA  NOUVELLE   nÉRESIE.  195 

îl  que  tout  caché  gu'il  est ,  il  ne  8e  soit  pas 
fait  connaître  à  ma  raison?  Saint  Paul  dit  le 
contraire^et  n'oppose  au  paganisme  que  cette 
théologie.  Ces  dogmes,  qui  sont  ceux  de  la 
religion  naturelle ,  ma  raison  parvient  k  les 
connaître^  mais  elle  ne  peut  s'élever  jusqu'à 
1^  comprendre.  U  lui  est  également  impos- 
able de  les  nier  et  de  les  concilier. 

«f  Par  la  foi  seule,  et  sans  le  secours  de 
<  la  raison ,  l'homme  connaît  aussi  pleine- 
v.ment  que  .Dieu  même,  n 

Hérésie  que  saint  Jean  Chrysostome  4 
(combattue  avec  force  dans  ses  éloquentes 
homélies  contre  les  Anoméens. 

Vous  accusez  la  raison  de  parler  de  l'in- 
fini sans .  le  .  comprendre  :  le  comprenons- 
i^os  par  la  foi  ?  Pas  davantage.  La  foi  £iit 
précisément  ce  que  fait  la  raison  ayant  elle. 
L'unje  et  l'autre  nous  obligent  a  croire  l'in- 
fini dans  toutes  les  perfections  divines ,  sans 
nous  le  faire  comprendre  dans  aucune. 
L'esprit  humain  ne  va  point  jusquc-lk.  Re- 

T.   I.  i.  13 


•  î.  •" 


/ 


i  ■ 


IM  iftST6ndt 

connaissons  ses  bornes  ;  mais  ne  les  éx«gé 
ron8pas(1). 

K  Si  l'homme  ponyait  par  lui-même  ré- 
ff  connaître  la' vérité  de  la  Révélatiort ,  t(M 
v  {fOLérir ,  par  les  senles  forces  de  sa  rakoij, 
«  Qrat  ce  qui  est  nécessaire  an  salut ,  il  sersA 
«r*  complètement  indépendant  dans  sa  9CieilÉ!i! 
«  comme  dans  sa  fi>i  :  il  ne  faudrait  jiinÉ  fil 
«  IKeu  niEgKse.  ^ 

Quelle  confusion  d^nsr  les  idées*!  (^i 
faut-il  pour  savoir  qu^il'  existe  un  tflfeii 
Créateur ,  que  Dieu  s'est  révélé  par  Mobe 
et  par  Jésus-Christ?  Il  su£Sit  de  faire  uss^ 
de  sa  raison.  Cesr  deux  vérités  conduisètli 
k  la  foi;  cflles  en  sont  les  prélimittaires 
et  iïon  les  objets,  c^  La  raison  serait  iiir 
(^dépendante!  elle  n'aurait  plus  besoin  Ya 
«  de  Dieu  ni  dIEgfise  !  Mais ,  au  contrant, 
tr  S'écrie  M;  de  Trevern  dans  sa  Réponse  k 
«r  M.  Bautain  y  les  seuls  qui  en  sentent'  lê 

(1)  M.  révêque  de  Strasbourg,  Réfui,deM,  Bau^ 


DE   LA   XÔU\£LLE   HÉBÉSIB.  ttSi 

tr  besoin  indispensable  sont  ceux  qui  récoh- 
«  naissent  la  divinité  delaRévélalion;  ceux 
€  qui  ïa  rejettent  ne  s^occupenf  point  de  ses 
«  préceptes  et  de  ses  dogmes.  »  Eh!  depuis 
qa&hd  suflSt-il  de  connaître  un  Créateur, 
ei  qilPil  sT  daigné  se  révéler  aux  hommes , 
^our  acquérir  et  posséder  tout  ce  qui  est  né- 
cessaire au  saluO  ]Ve  faut-il  pas  de  plus  fuir 
Té  vice  ,  pratiquer  les  vertus ,  accomj^lir  les 
précej^fès  du  Sauveur?  Combien  de  chré- 
nënàr  convaincus  des  vérités  de  la  foi ,  et  qui 
îés  violent  dans  la  pratique  ! 

€f  La  vérité  entre  dans  Famé  en  sôuve- 


«  ràihé.  » 


Toujours  des  géhéf  alités ,   toujours  des 
■•    ■  •  ■ 
équivoques  de  mots. 

Oui ,  sans  doute ,  il  est  certaines  vérités 

qui  s'emparent  de  Pâme  en  souveraines,  telles 

■  ■  .  "  '  ■ 

que  ces  vérités  naturelles  et  morales  dont  il 
a  été  parlé  plus  haut;  et  encore  à  comLien 
de  controverses  n'ont-elles  psgs  donné  lieu  au 
sein  des  diverses  écoles!  itfais,  de  bonne 


i06  HISTOIRE 

foi ,  cette  maxime  serait-elle  applicable  à  h 
raison  générale  dont  jamais  on  n'avait  en* 
tendu  parler?  car  voilà  où  M.  de  La  Men< 
nais  en-  veut  venir  ;  c'est  là  qu'il  place  li 
critérium ,  le  sanctuaire  de  la  vérité  j  e 
cçmme  les  mêmes  vérités  ^ont^  dît-il^  con^ 
nues  par  la  même  foi  de  toutes  les  intelU' 
gences  ^  il  y  a  société  entre  elles  et  le  grant 
Etre  qui  les  a  créées  pour  lui^  et  de  là  rinr 
faillibilité  du  consentement  général. Qu'est- 
ce  que  les  décisions  de  la  raison  géné- 
rale en  religion ,  en  i^orale  ,  en  politiques 
Avaient-elles  eu  jamais  la  lumière  de  l'évi- 
dence ,  puisqu'elles  n'avaient  enfanté  jamaû 
que  les  opinions  les  plus  contradictoires? 

«  La  vérité  exerce  son  empire  en  conser- 
<c  vant  à  l'intelligence  sa  liberté  ;  car  si  Tes- 
if  prit  n'est  pas  libre  de  refuser ,  d'acquies- 
«f  cer  à  l'évidence ,  la  volonté  est  toujours 
«  libre  d'écouter  ou  non  son  témoignage; 
•f  et  c'est  même  ainsi  qu'en  croyant  sans  y 
«  être  forcé  par  une  évidence  intrinsèque  et 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.        i07 

«  invincible ,  l'homme  rend  volontairement 
«  à  Dieu  un  hommage  digne  de  lui.  » 

Mais  depuis  quand  ceux  que  la  force  de 
leur  Maison  ,*  ou  l'atlrait  du  sentiment,  ou 
la  douce  violence  de  la  grâce  ont  amenés  à 
croire  ,  accusent-ils  leur  servitude  ?  La  rai- 
son, quand  elle  s'est  bien  convaincne  des 
preuves  de  la  vérité ,  se  croit-elle  opprimée 
en  voyant  clairement  qu'il  faut  croire  ?  Elle 
consent  à  s'aveugler,  mais  pour  Dieu  seul  ; 
a  sacrifier  ses  lumières ,  mais  uniquement  k 
celui  de  qui  elle  les  tient.  En  rend-elle  a 
Dieu  un  hommage  moins  digne  de  lui ,  en 
reconnaissant  que  hors  de  lui  il  n'y  a  que 
trouble  et  agitation  d'esprit  ? 

La  vérité  peut  se  présenter  a  l'esprit  de 
telle  manière  qu'on  doive  croire  et  qu'on 
puisse  ne  pas  croire.  Alors  la  foi  est  un  de- 
voir ,  mais  non  une  nécessité  ;  elle  est  en 
même  temps  libre  et  volontaire.  Combien 
de  personnes  sont  persuadées  qu'elles  doi- 
vent croire  sans  avoir  pour  cela  la  foi  !  La 


(HjS  HISTOIRE 

raison  en  esjb  que  Tobiet  de  ■  la  foi  restant 
obscur,  l'acte  de  foi  est  une  ^oumissipn  de 
potre  raison^  laquelle  dépend  toujours  de 
notre  volonté  ;  et ,  quelque  convainci^s  gu6 
nous  soyons  que  nous  devons  obéir  à  l'ailt^ 
rite  qui  nous  commande  la  foi ,  l'obéissance 
rQste  toujours  en  notre  liberté.  M.  de  La 
Mennais  luirmême  le  déclare  en  ces  termes: 
«  Sous    l'empire    ^Ç^6     de    l'évidence , 

§    w 

<«  l'homme  demeure  libre ,  non  p^s  de  se 
«r  méprendre ,  mais  de  se  révolter  ;  jiqn  pas 
«  de  ne  point  voir,  mais, de  nier  ce  cpi'il 
«  voit.  Liberté  terrible,  qui,  trop  souvent 
•f  réduite  en  usage ,  devient ,  pour  quicqn- 
K  que  sait  penser ,  la  preuve  la  moins  équi- 
¥  voque  du  vice  originel  de  notre  n^tu- 
«  re  (i)\  » 

D^  tous  nos  Docteurs ,  saint  Thomas  est  - 
après  saint  Augustin ,  celui  qui  a  porté  le 
plus  de  lumière  dans  ces  questions.  Les  prin- 


(4)  fyvi^ml'h^W'  (iRtwJ.).p.  17.; 


DE   LA   NOUirj&IXK  HEBÉSIK.  ^^ 

c^Cf  ^'i]i  jéteU^t MUT  la  f;liéprie  de  lafpi  e^ 

d/9  Jta  certitude ,  sur  les  avantages  irespectî^ 

dt  la  foi  et  de  la  raison ,  répondent  à  toutes 

1^1^  objections.  L'accusera*t-on  d^être  Garr 

tfflifn?   Indiquons  surtout   son   Coiniqien^ 

Vaipp    4tt    lY^   ch^pjltre    de  )'£vapgîle  de 

avilit  Jean.  J^pus  abrégeons,  k  Trois  choses  » 

dîl-iji,  nous  conduisent  à  la  foi  en  Jésus* 

Gl^ist  :  premièrement  }a  raison  naturelle  » 

9fieQ^^€saent  le  témoignage  de  la  loi  et  des 

pr#plièftes,    troisièmement  la  prédication 

4^9  Apptres,  de  leurs  disciples  e%  de  leurs  4uc* 

cesseurs.  Celui  qui  est  conduit  cpimne  par 

la  main  à  la  fois  par  ces  trois  moyens  »  peut 

dire  que  rien  de  tout  cela  n'est  le  fondement 

ou  le  motif  de  la  foi ,  et  qu'il  ne  croit  ni  suf 

le  fondement  de  la  raison  naturelle ,  ni  sur 

.  celui  du  témoignage  de  la  loi ,  ni  sur  celui 

de  la  prédication ,  mais  uniquement  sur 

le  fondement  de  la  vérité  même.  La  foi  doit 

être  certaine  j  car  celui  qui  doute  en  matière 

defpi  est  infidèle.  La  certitude  est  commune 


t 


ÉW  HBTOWB 

à  la  science  et  a  la  foi;  car,  de  même  que  la 
science  est  certaine ,  la  foi  Test  aussi  ;  elle 
l'est  même  beaucoup  plus ,  car  la  certitu<le 
de  la  science  est  fondée  sur  la  certitude  de 
la  raison  humaine,  qui  peut  errer  ,  au  lieu 
que  la  certitude  de  la  foi  repose  sur  la  rai- 
son divine ,  qu'on  ne  peut  contredire.  Dé 
même  que  nous  avons  la  certitude  de  la 
science  par  le  moyen  des  premiers  princi]pes 
que  notre  intelligence  et  notre  raison  nous 
font  connaître ,  nous  connaissons  aussi  lès 
principes  de  la  foi  par  la  lumière  que  Dieu 
met  en  nous.  » 

Dans  cette  théorie  de  la  foi ,  ajoute  Tha* 
bile  réfutateur  de  M.  de  La  Mennais ,  saint 
Thomas  ne  dit  pas  un  mot  dé  la  raison  gé- 
nérale ,  du  consentement  commun  ou  du 
plus  grand  nombre.  Est-ce  oubli?  est-ce 
ignorance?  est-ce  omission  coupable?  Il 
parle ,  il  est  vrai ,  de  la  raison  naturelle ,  et 
la  donne  pour  un  des  moyens  qui  nous  con- 
duit k  la  foi;  mais  cette  raison  naturelle 


t 


I 

m  LA  HODVELLB  BEKÉSIB.       90t 

n'est  point  la  raison  générale ,  la  raison  hu- 
maine proprement  dite^  comine  l'appelle 
H.  de  La  Mennais  ;  car  il  convient  qu'elle 
peut  errer,  quœfalU  potes t,  et  Ton  nous 
dit  que  la  raison  générale  est  Infaillible. 
Mais  ce  qui  est  vraiment  surprenant ,  c'est 
c[ne ,  dans  la  doctrine  de  saint  Thomas  , 
cette  raison  qui  peut  errer,  est  pourtant 
aussi  capable  de  certitude ,  et  qu'elle  obtient 
cette  certitude,  non  par  le  moyen  d'une  rai- 
son supérieure  en  laquelle  elle  croit ,  mais 
par  la  lumière  naturelle  qui  est  en  elle ,  et 
qui  lui  fait  connaître  les  premiers  principes. 
Enfin ,  bien  loin  de  reconnaître  un  principe 
unique  de  certitude  qui  soit  identique  au 
prii^pe  de  la  foi ,  saint  Thomas  distingue 
expressément  le  principe  de  certitude  de  la 
science ,  du  principe  de  certitude  de  la  foi. 
«  La  foi  tire  sa  certitude  d'une  lumière  que 
^  Dieu  répand  dans  l'âme  ;  la  science  tire 
«  la  sienne  de  la  lumière  naturelle.  » 
Assurément,  si  nos  nouveaux  Docteurs 


909  HisiioiLs 

r        u  ■ 

npus  enseignent  la  vérité ,  saint  Tlunuds  en« 
SjBignait  l'erreur  ;  et  ce  Pocteur  4^  ^'Eglise  « 
appelé  depui3  des  siècles  l'ange  de  i'écple , 
a  joui  jusqu'à  présent  d'une  réputation  u^ur* 
pée  (<).     • 

Ce  qui  a  jeté  l'école  Lamenaifienne  dan« 
cette  perpétuelle  logomachie,  c'est  la  préoc- 
cupation d'esprit  en  faveur  du  sycflènie  de 
la  raison  générale ,  laquelle  a  brouillé  toutes 
les  idées  sur  la  certitude  et  l'évidence.  Ainsi 
a-t^elle  confondu  les  motife  de  la  foi  avec 
les  objets  4e  la  foi.  Les  motifs  de  lalbi  doi- 
vent être  évidens,  les  objets  de  la  foi  évidem- 
ment croyables ,  et  tous  les  théologiens  ca* 
tholiques  parlent  le  même  langage.  En  effet, 
le  mot  croyable  ne  peut  s'appliquer  q^au:^ 
objets  de  la  foi,  non  aux  motife,  lesquels 
doivent  être  non-seulement  croyables ,  mai^ 
certainement  connus ,  pour  que  la  foi  soit 
possible.  Les  pbJQts  de  notre  foi  ne  peuvent 
pas  être  évidens  par  rapport  à  nous ,  mais  ils 

(1)  M.  HoxaveQ ,  Examen ,  p.  378. 


DE   Lii  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  905 

la  volonté ,  qai  peut  refuser  sa  soumission  k 

rÉ 

l'autorité  la  plus  évidente  et  la  plus  légi- 
time. L'autorité  est  un  motif  suffisant  de  foi, 
et  voilà  pourquoi  la  foi  est  libre ,  et  que  la 
science  ne  l'est  pas. 

Terminons  cette  discussion ,  aride  peut- 
être,  mais  indispensable ,  par  ces  belles  pen- 
sées de  M.  Boyer,  dans  son  examen  du  sys- 
tème Lamenaisien  :  «  La  vérité,  selon  saint 
Augustin ,  est  une  lumière  qui  est  en  nous , 
un  rayon,  une  émanation  de  la  clarté  de 
Dieu  réfléchie  dans  notre  âme,  une  illustra- 
tion de  notre  raison ,  ce  flambeau  allumé  à 
la  lumière  de  Dieu.  Il  y  a  en  nous  un  prin- 
cipe intérieur,  un  moi  intelligent,  qui  cher- 
che  la  vérité,  qui  arrive  jusqu'à  elle  pour  la 
Voir,  la  contempler,  se  nourrir  en  quelque 
^orte  de  cette  immortelle  substance.  U  y  a 
Xoin  de  cette  doctrine  a  cette  vérité  Lame- 
^aisienne    répandue    dans    tout    l'univers 
^omme  ^n  océan  de  lumière ,  et  qui  entre 
^ians  notre  âme  comme  l'air  et  l'eau  dans 


n 


Uri  tâse  videf.  f^oiir  peu  qu'oti  sbît  Vér^ê 
dams  lès  ouvrages  de  saint  Augusûh,  ôii  ié- 
tonti^ii  cette  doctrine,  repifoduité  sôiis  Miué 
formés.  A  cela  fe vient  cette  liaute  mëtapîijr- 
sique  que  Fénelon,  Bossùëé  et  tarit  de  pltî'- 
Fosophës  modernes  ont  puisée  dans  tes  ou- 
vrages de  ce  saint  Docteur,  (Jui  se  plut  sou- 
vérit  k  asseoir  la  tliéologié  la  plus  prôfonaê 
sur  le  fond  de  la  philosophie  la  plus  éle- 
vée. Je  parle  de  ces  vérités  éterneltes  cpié 
rho'mmè  ne  crée  pas,  mais  qu'il  voit,  qtfîj 
aperçoit,  et  dont  ïe  type  et  le  modelé  dori 
être  quelque  part.  Elles  ne  sont  pas  té  pfo- 
duîl ,  mais  là  règle  immuable  qiii  corrigé  éi 
redressé  tous  ses  jugeiheris.  On  ne  peut  l'eî 
^  concevoir  et  s'en  former  l'idée ,  saris  se  re- 
préseiïter  eh  même  temps  un  Èfre  supi'êirié, 
universel ,  éternel,  en  qui  elles  sont  reçues , 
et  dont  l'entendement  est  comme  là  régîbri 
où  habîlerit  en  idée  tous  les  êtres  réels  ou 
li'ritéÛigîblés,  visibles  du  invisîBres.  lia  i^àièbh 

j 

(îStefhehé  et  sôû^éi'àiÀè  diéÈlièli' étant'  fà 


f 


Itt  LA  NOUVELLE  HÉftiSIE.  1107 

source  d'où  émane  toute  vérité ,  notre  rai- 
son est  une  émanation  de  cette  suprême 
intelligence ,  une  lumière  allumée  au  feu  et 
à  la  clarté  du  Soleil  étemel  de  vérité  et  de 

justice  (1).  » 

m 

« 

(i)  EsanM^i.  iùS'iM^ 


.£•.£  • 


I 


%*v 


LIVRE  DEUXIÈME. 


COHTIHirATIOTC  DU  PRiciOKNT.  SUE  LT.S  FOltDBMTJXS  DK  LA  CF.ailTIJ: 


^ 


CHAPITRE  L 


De  l'évidence. 

Plein  du  fi^rdi  dessein  de  renverser  de  fo) 
en  comble  V antique  organisation  de  la  7) 
rité(i)j  le  Régénérateur  de  llntelligence 
pris  à  tâche  de  démolir  chacune  des  pierr 
de  Fancienne  construction.    Ses  premic 

\1)  M.  Lacordaire ,  Considér,^^.  M7. 


HISTOIRE   DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.        !fe09 

coups  ont  été  dirigés  contre  la  raison  indi- 
viduelle ;  il  n'épargnera  pas  davantage  Tévi- 
dence ,  autre  fondement  de  certitude.  La 
raison  universelle  du  genre  humain  est  le 
levier  qu'il  met  en  action  contre  le  témoi- 
gnage de  la  raison  individuelle  ;  c'est  le 
même  qu'il  emploie  contre  Iç  témoignage 
de  l'évidence.  Pour  en  établir  le  souverain 
empire  ,  il  ne  craindra  pas  d'en  substituer 
Tautorité  à  celle  de  l'Eglise  catholique  ;  il 
enlève  à  celle-ci  sa  base  tombée  du  ciel , 
édifiée  par  les  mains  de  son  divin  auteur^ 
ce  qui  nous  la  rend  sacrée ,  à  savoir,  la  certi- 
t:ude  résultant  de  l'enchaînement  de  mcr- 
>^illes  dont  se  compose  son  histoire  (1). 

En  effet ,  ce  qui  nous  garantit  la  certitude 
^e  la  vérité  du  Christianisme  et  de  notre 
église ,  c'est  l'évidence  des  preuves  dont  la 
Maison  et  l'autorité  environnent  le  sanctuaire 

(1)   «  La  Révélation  est  un  fait;  elle  peut,  par 

«I  conséquent ,  et  doit  être  prouvée  comme  les  au- 

.««  ires  faits ,  et  nous  pouvons  en  acquérir  la  c.erti- 

'^  tude  de  la  même  manière.  »  (M.  Rozaven,  p.  240.) 

T.  I.  14 


^hf 


LIVRE  DEUXIÈME. 


COmimrATIOTf  r<V  PRiciORNT.  SVK  LFJi  FOIIDBin»S  DE  LA  CKaVlTtJAE 


s^ 


CHAPITRE  L 


De  l'évidence. 

Plein  du  h^rdi  dessein  de  renverser  de  f on 
en  comble  r antique  organisation  de  la  vé- 
rité (\)^  le  Régénérateur  de  llntelligence 
pris  à  tâche  de  démolir  chacune  des  pierre 
de  l'ancienne  construction.   Ses  premie 

VI)  M.  Lacordaire ,  Considér,,-^,  J47. 


HISTOIRE   DE   LA   NOUIXLLE    HÉRÉSIE.        909 

coups  ont  été  dirigés  contre  la  raison  indi- 
viduelle ;  il  n'épargnera  pas  davantage  l'évi- 
dence ,  autre  fondement  de  certitude.  La 
raison  universelle  du  genre  humain  est  le 
levier  qu'il  met  en  action  contre  le  témoi- 
gnage de  la  raison  individuelle  ;  c'est  le 
même  qu'il  emploie  contre  Iç  témoignage 
de  l'évidence.  Pour  en  établir  le  souvei*ain 
empire  ,  il  ne  craindra  pas  d'en  substituer 
l^autorité  à  celle  de  l'Eglise  catholique  ;  il 
enlève  a  celle-ci  sa  base  tombée  du  ciel , 
édifiée  par  les  mains  de  son  divin  auteur, 
ce  qui  nous  la  rend  sacrée ,  à  savoir,  la  certi- 
t:ude  résultant  de  l'enchaînement  de  mcr- 
"veilles  dont  se  compose  son  histoire  (1). 

En  effet ,  ce  qui  nous  garantit  la  certitude 
de  la  vérité  du  Christianisme  et  de  notre 
Eglise ,  c'est  l'évidence  des  preuves  dont  la 
raison  et  l'autorité  environnent  le  sanctuaire 

(1)  «  La  Réyélation  est  un  feit;  elle  peut,  par 
M  conséquent ,  et  doit  être  prouvée  comme  les  au- 
■M  ires  faits  ,  et  nous  pouvons  en  acquérir  la  certi- 
«  tude  de  la  même  manière.  »  (M.  Rozaven,  p.  240.) 

T.  I.  44 


SIO  HISTOIRE 

de  la  Révélation.  S'il  n'y  avait  point  d'évi- 
dence ,  bien  moins  encore  y  aurait-il  de 
certitude.  Onne  croirait  pas,  sion  ne  voyait 
pas  ce  que  l'on  doit  croire.  Delà  l'essentielle 
différence  entre  la  foi  et  la  science  :  la  pre- 
mière ,  assentiment  ferme  aux  vérités  qui 
nous  ont  été  révélées ,  que  nous  croyons  sur 
la  parole  de  Dieu  ,  oracle  infaillible  de  la 
vérité,  mais  que  nous  ne  voyons  pas,  et  qui 
ne  seront  vues  que  dans  le  séjour  des  Bien- 
heureux. La  science ,  nous  l'acquérons  par 
les  principes  connus  par  eux-mêmes ,  vus 
intellectuellement,  ce  que  nous  appelons  la 
vue  intellectuelle.  D'où  les  théologiens  con- 
cluent que  le  principe  de  la  certitude  qu^ 
donne  la  science  n'est  autre  que  Vintuitipn 
de  la  vérité ,  et  que  ,  par  une  conséquence 
ultérieure,   nous  possédons  une  infaillible 
certitude  de  la  vérité  ,  commencée  par  la 
foi ,  perfectionnée  parla  science  ,  pqur  être 
enfin  un  jour  consommée  par  la  claire  vue 
de  Dieu  et  de  ses  mystères.  Nous  sommes 


DB    LA    NOUVBLLB    IIÉBÉ8IB.  Sli 

donc  fondés  à  p^urler  d'évidence  et  a  croire 
à  9on  îoËdUttiilité  (1).  M.  de  La  Mennais 
aura  beau  entasser  les  nuages,  il  ne  per- 
suadera à  personne  que  la  certitude  et  les 
iBOti&  4pii  la  fondent  soient  illusoires. 

Elle  repose  sur  quatre  colonnes  solides  , 
inébranlables  :  l'évidence ,  le  sens  intime 
ou  la  conscience ,  les  sens ,  le  témoignage 
des  hommes  limité  aux  restrictions  que  la 
yérité  réclame.  De  la  force  et.  surtout  de 
Tasaociation  de  ces  moti&,  résulte  un  faisceau 
de  lumière  inébranlable  au  doute ,  qiû  dé- 
termine les  jugemens  de  la  raison  ,  con*- 
State  la  certitude,  assure  invinciblement  le 
trioiBphe  de  la  vérité. 

IjOs  théologiens  de  la  nouvelle  école  se 
sont  fhm  à  brouiller  ici  toutes  les  idées.  Les 
appuis  que  l'évidence ,  le  sens  intime ,  la 
rdation  de$  sens  prêtent  à  la  certitude ,  ils 

(1)  Certitudo  quœ  est  in  scientiâ  et  in  intellectu 
est  es  ipsa  evidenti»  earumi  quœ  certa  eêse  dicuntur, 
(S.  Thomas,  3,  d.  q.  2,  art.  2,  q.  3.) 


SIS  HISTOIRE 

^'efforcent  à  les  renverser.  Cette  théorie , 
si  bien  démontrée  par  saint  Augustin  et  saint 
Thomas,  approuvée  par  les  Docteurs  ca- 
tholiques ,  consacrée  par  l'Eglise ,  ne  fut , 
comme  l'autorité  de  la  raison  individuelle , 
que  le  rêve  de  Descartes,  l'œuvre  d'une 
philosophie  niaise ,  absurde ,  menant  au 
5c^^/cûm6.  Jusqu'à  M.  deLaMennais,  nous 
dit  l'écrivain  qui  se  donne  pour  acteur  prin- 
cipal dans  tout  ce  qui  s'est  passé  (1  ),  on  avait 
cru  que ,  dans  l'ordre  philosophique  et  reli- 
gieux ,  l'évidence  se  prononçait  hardiment 
en  faveur  de  l'Eglise  cathohque,  comme 
preuve  de  son  infaillibihté.  «  M.  deLaMen- 
ic  nais  a  cru  découvrir  dans  cette  doctrine  un 
«  venin  funeste  et  caché;  il  a  ditque  ce  n'était 
ff  pas  à  l'évidence,  mais  au  genre  humain  de 
«  juger  la  question  (2).  »  Ecoutons  l'oracle  : 
Qu'il  y  ait  un  moyen  d'arriver  à  la  certitude, 
ce  n'est  ni  la  raison,  ni  la  nature  ou  l'évi- 

(1)  M.  Lacordaire,  Considérât. ,  p.  34. 

(2)  Le  même ,  p.  J52. 


DE  LA  NOUVBUB  HERESIE.        SIS 

dence  de  la  chose  qui  le  fournit  ;  la  raison  me 
commande  de  douter ,  la  nature  me  le  dé- 
fend ;   ni  l'une  ni  l'autre  ne  démontrent 
rien.  Jeté  par  une  fluctuation  éternelle  entre 
le  scepticisme  et  l'erreur ,  l'homme  est  dans 
l'impuissance  naturelle  de  démontrer  au- 
cune vérité  ,  et  d'admettre  certaines  véri- 
tés. «  Une  chose  qui  peut  être  vraie  ou 
m  fausse,  répète  avec  lui  son  école  entière  (1), 
«  n'est  pas   certaine.    Tout  ce  qu'affirme 
«  comme  vrai  une  raison  qui  peut  se  trom- 
«  per  peut  être  faux  ;  tout  ce  qu^elle  affirme 
«  comme  faux  peut  être  vrai.  Dieu  et  son 
«  existence ,  l'immensité  et  l'harmonie  de  ses 
«  perfections ,  l'âme  humaine  et  ses  facultés, 
«  autant  d'énigmes  où  la  foi  toute  seule  pou- 
«  vait  nous  apporter  la  solution  ;  et  la  foi 
«  elle-même  deviendra  k  son  tour  un  fonde- 


(4)  M.  Gerbet,  p.  67,  etson  livre  entier  intitulé  : 
Des  Doctrines  phUosoph.  sur  la  Certitude.  M.  Bau- 
tain,  dans  V Avertissent,  pastoral  de  M.  Tévéque  de 
Strasbourg,  p.  6. 


1214  HISTOIRE 

i(  ment  ruineux  pour  lequel  il  faudra  encore 
i<  un  nouveau  point  d'appui.  Pour  qu'il  y  eût 
«  certitude ,  il  faudrait  qu'il  y  eût  infaillibi- 
i<  lité  ;  car  il  existe  une  liaison  nécessaire 
•(  entre  l'une  et  Tautre.  i»Donc,  dansFimpos- 
((  sibilité  où  est  tout  hoinme  de  rien  affirmer , 
«  il  doit ,  pour  être  conséquent ,  douter  de 
w  tout*  Point  de  certitude  là  où  il  n'y  a  point 
«  de  jugement  infaillible  ;  et  peut  -  il  en 
(c  exister  de  la  part  d'une  raison  toujours 
«  bornée  et  faillible?  » 

Il  est  clair  que  ce  sophisme ,  qui 
ébranle  la  certitude  du  témoignage  de  la 
raison ,  n'attaqué  pas  moins  la  certitude  du 
témoignage  de  l'évidence.  Nous  y  avons 
répondu  pour  ce  qui  concerne  la  raison  (1). 
Il  n'a  pas  plus  de  force  contre  l'évidence , 
'  a  qui  il  porte  une  égale  atteinte;  car  s'il 
faut  douter  de  tout ,  puisqu'il  est  impossible 
de  rien  affirmer ,  il  faut  conclure  qu'il  n'y  a 
rien  de    certain    rien   d'évident.    Mais   le 

(1)  Liv.  I,  chap.  vu,  p.  152  et  suiv. 


DE    LA    IWUVELLB    HÉRÉSIE.  SIS 

moyen  de  rester  suspendu  sur  cet  abîme  du 
doute?  M.  de  La  Mennais  nous  o£fre  un 
point  d'appui  unique  ,  universel ,  h  savoir, 
l'infaillibilité  du  genre  humain,  ce  J'ouvre 
«  les  yeux ,  je  vois  que  dans  l'appréciation 
«  du  vrai ,  partout  les  hommes  se  détermi- 
<t  nent  par  le  consentement  des  hommes. 
«  Point  de  témoignage  certain,  s'il  n'est  con- 
«  firme  par  l'autorité  du  genre  humain  (1  ).  » 

Voilà  donc  à  la  fin  le  tribunal  de  l'in- 
faillible certitude  !  voilà  l'évidence  pour 
M.  de  La  Mennais  ! 

Puisque  M.  de  La  Mennais  invoque  avec 
tant  d'assurance  le  témoignage  universel, 
il  nous  sera  bien  permis  de  le  consulter  à 
notre  tour,  et  de  lui  demander  à  lui-même 
les  titres  qui  fondent  le  privilège  de  l'infail- 
libilité en  faveur  du  genre  humain ,  comme 
nous  sommes  toujours   empressé  de  pro- 

(1)  Essai,  p.  180,  225,  495;  t.  II,  p.  41,  43, 143 
et  suiv.  Défense,}^.  93,  94.  M.  Lacordaire,  Consid,, 
p.  J54. 


Si6  msTOiBE 

duire  en  faveur  de  notre  Eglise  les  preuves 
qui  lui  en  assurent  la  possession. 

L'évidence,  nous  répond  le  genre  hu- 
main par  la  voix  des  Sages  qui,  de  tout 
temps,  en  furent  les  organes  et  les  plus 
dignes  représentans,  consiste  à  apercevoir 
clairement  et  distinctement  la  conve- 
nance ou  la  répugnance  existant]  entre 
deux  idée».  Je  vois ,  par  exemple,  que  deux 
et  deux  font  quatre,  parce  qu'il  y  a  une 
convenance  évidente ,  sensible  k  tous  les 
yeux,  un  rapport  manifeste  d'identité  avec 
les  termes  que  je  compare ,  et  qu'en  ajou- 
tant un  chi£fre  de  plus ,  je  n*ai  plus  le  même 
nombre.  Je  vois  avec  évidence  que  le  tout 
est  plus  grand  que  la  partie,  parce  que 
j'aperçois  clairement  la  vérité  du  rapport 
que  j'établis  entre  ces  deux  objets.  Or,  il 
m'est  impossible  d'apercevoir  clairement, 
distinctement,  de  la  convenance  entre  deux 
idées,  s'il  n'y  en  avait  point  réellement, 
puisqu'on  ne  peut  concevoir  ce  qui  n'est 


BB   LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.         917 

point.  Les  perceptions  claires  de  mon  esprit 
supposent  donc  nécessairement  la  réalité 
de  ce  qui  en  est  l'objet.  Ces  principes  tien- 
nent à  la  nature ,  donc  à  Dieu  qui  en  est 
l'auteur.  Le  sauvage  sous  sa  hutte  les  croit 
comme  le  savant  qui  pâlit  sur  ses  livres, 
parce  que  l'un  et  l'autre  ont  des  yeux  pour  le 
voir.  Cette  foi  invincible  est  un  fait  incon- 
testable, universel,  dont  l'infaillible  cer- 
titude est  attestée  par  un  sentiment  intime 
et  par  une  expérience  continuelle.  De  là 
vient  que  l'évidence  est  la  dernière  raison 
que  Ton  apporte  en  faveur  de  la  vérité ,  et 
la  règle  infaillible  à  laquelle  on  reconnaît 
qu'on  ne  s'égare  point.  Elle  est  le  fonde- 
ment nécessaire  et  universel  sur  lequel  re- 
posent toutes  nos  croyances;  et  l'homme  ne 
peut  admettre  aucune  vérité  sans  aperce- 
voir eW^mm^n^  ouïe  rapport  immédiat  des 
idées,  ou  l'existence  et  l'infaiUibilité  du  motif 
quel  qu'il  soit  qui  le  force  d'y  adhérer  (1). 

(1)  Voy.  M.  Receveur,  Recherches  philos.,  p.  82. 


• 


918  HISTOIRE 

Eh  !  n'est-ce  pas  là  ce  qu'exprime  le  seul 
nMt  d'évidence?  Claire  vue  de  l'âme,  parce 
<^e  Actif e  âme  est  douée  de  la  faculté  de 
voii*  Comme  notre  corps  ;  ou  plutôt  notre 
âme  voit  par  les  yeux  de  l'entendement 
coilime  par  ceux:  du  corps.  Toutes  les  fois 
'donc  que  l'esprit  voit  quelque  chose  clai- 
rement et  nettement,'  ce  qu'il  voit  n'est  pas 
Terreur,  c'est  la  vérité.  L'évidence  est  le 
caractère  qui  distingue  le  vrai  du  faux  (1). 

Interrogé  dans  chacun' des  individus  dont 
se  compose  l'universalité  dti  genre  humain, 
te  genre  humain  n'a  point  d'autre  langage. 
Vous  l'avez  dit ,  M.  de  La  Mennais  :  «r  Plus 
<(  l'accord  est  général ,  plus  la  confiance  est 
«  grande  ;  et  la  certitude  est  aussi  complète 

(1)  Le  chancelier  d^Âguesseau ,  Méditât,  iv.  Buf- 
fier,  TraUé  des  premières  Vérités,  chftp.  i.  MaUe- 
btanche,  Recherche  de  la  Vérité,  t.  I,  p.  22.  M,  de 
Cardaillac,  Elém.  de  Philos.,  t.  I,  p.  306.  M.  La- 
cordaire ,  Considér.^  p.  10.  Dans  le  système  de  M.  de 
La  Mèmiaié  lui-même  ,  comme  dans  la  doctrine  or- 
dinaire ,  r  évidence  est  la  dernière  raison  des  choses. 
[Ihid.,Yi.  153.) 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.        219 

<r  qu'elle  puisse  l'être,  quand  l'accord  est 
r  unanime  (1).  » 

Que  si  l'on  nous  demande  les  preuves  de 
cette  assertion ,  nous  répondons  qu'elle  est 
à  elle-même  sa  démonstration ,  «  que  c'est 
(f  là ,  ;i  comme  s'exprime  un  philosophe  mo- 
derne ,  vrai  théologien ,  «  la  belle  préroga- 
i<  tive  de  l'évidence ,  son  honneur,  sa  gloire, 
«  d'être  dans  le  monde  intellectuel  ce  beau 
€<  soleil  qui  se  manifeste  par  lui-même ,  et 
€<  qui  n'emprunte  pas  d'une  lumière  étran- 
<r  gère  la  clarté  dont  il  brille ,  et  que  c'est 
«  par  là  qu'elle  mérite  d'être  appelée  le 
«  premier  principe  (2).  » 

Mais  notre  philosophe  s'embarrasse  peu 
de  se  contredire  lui-même. 

«  Quelle  foi,  demande-t-il,  pouvons-nous 
ajouter  à  l'évidence  ?  Elle  ne  fait  que  des 
dupes.  Qui  est-ce  qui  oserait  affirmer  que 
telle  chose  qui  lui  semble  vraie  ne  soit  pas 

(1)  Essai  sur  VIndipr.,  t.  II,  p.  143. 

(2)  M.  Boyer,  Examen^  p.  210. 


lUMI  1115T0IAE 

fausse,  et  réciproquement?  Est-il  une  ques- 
tion sur  laquelle  les  hommes  ne  se  soient 
partagés,  et  qui  ne  présente  des  motife 
également  plausibles  d'admettre  ou  de  re- 
jeter telle  opinion?  N'est-ce  pas  au  nom  de 
l'évidence  que  chacun  se  dit  en  droit  de  dé- 
fendre la  sienne?  Athées,  déistes,  calvi- 
nistes, sociniens,  tous  crient  à  l'évidence. 
Ce  qui  est  évident  pour  l'un,  un  autre  le  juge 
obscur,  incertain.  De  quel  droit  prétendez- 
vous  que  votre  évidence  doive  céder  à  la 
sienne?  Le  oui  et  le  non  ne  se  rencon- 
trent-ils pas  tour  à  tour  dans  un  même  es- 
prit avec  une  égale  certitude  ?  Ce  que  l'on 
affirmait  hier  sera  demain  rendu  problénîa- 
tique.  Tous  les  jours  je  suis  le  jouet  de  mille 
illusions,  et  je  me  vois  k  tout  moment  forcé 
de  revenir  sur  mes  pas,  après  avoir  cru  qu'il 
m'était  impossible  de  m'égarer  dans  mon 
jugement.  Partout  apparences  trompeuses , 
nulle  certitude  ;  pas  une  évidence  qui  ne 
soit  démentie  par  une  évidence  contraire.  » 


DE    LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  5121 

Ne  dirait-on  pas,  a  entendre  M.  de  La 
Mennais ,  que  nous  vivons  dans  un  monde 
enchanté ,  peuplé  d'êtres  chimériques ,  et 
sans  autre  réalité  que  celle  dont  l'imagina- 
tion les  revêt ,  jetés  on  ne  sait  comment  à 
travers  des  omhres  mobiles  et  changeantes? 
La  société  tout  entière  ne  serait  qu'une  scène 
continuelle  d'illusions  et  d'impostures ,  où 
les  objets  ne  se  présentent  aux  regards  que 
sous  de  fausses  couleurs,  pareils  à  ces  repas 
fantastiques  que  le  caprice  de  nos  roman- 
ciers fait  éclore.  Car  la  conséquence  immé- 
diate du  scepticisme  de  M.  de  La  Mennais 
aboutit  à  ce  dilemme  :  Ou  ce  que  nous  voyons 
existe  réellement,  puisque  nous  le  voyons, 
et  l'évidence  n'a  plus  pour  nous  rien  d'équi- 
voque; ou  rien  n'existe  réellement,  et  la 
nature  entière  n'est  plus  k  nos  yeux  qu'une 
vaste  fantasmagorie.  «  Peut-être  que  ma  vie 
(T  et  tout  mon  être  ne  sont  autre  chose  qu'un 
«  songe  et  nn  rêve  delà  nuit.  »  Que  je  prenne 
en  main  V Iliade  ou  V Esprit  des  Lois  ^  que 


99Sà  HISTOIEJS 

mes  yeux  coq.tejpoplent  avec  admiration  la 
coupole  de  Saint-Pierre  ou  la  colonnade  du 
Louvr^e,  je  demanderai  s'il  exista  un  Ho- 
mère ,  un  Miche]L-Ange ,  un  émule  heureux 
du  Bernin.  —  Quelle  prei^ive  en  ^yez-vous  ? 
médira  M.  de  LaMennais.r^- La  preuve,  c'est 
que  je  les  ai  dans  les  mains,  sou$  les  yeux, 
que  je  les  vois,  que  le  seul  aspect  dç  ces 
chefs-d'œuvre  enflamme  mes  sens  et  les  ra- 
vit, et  que  je  ne  verrais,  que  je  ne  sentirais 
rien  de  tout  cela,  s'ils  n'existaient  pas.  De- 
mandezr-moi  la  preuve  de  la  lumière  dix 
soleil  :  Milton  aveugle  ne  la  voit  plus,  mais 
il  la  $ient.  ]\i  moi  non  plus  je  n'ai  p^s  vu  la 
statue  de  Pierre-le-Grand  k  Saint-Pétcrs- 
hourg  pour  savoir  indubitablement  qu'elle 
existe,  quand  des  milliers  de  témoins  attes- 
tent que  la  capitale  de  l'empire  russe  pos- 
sède ce  hardi  monument,  comme  ijious  avons 
à  Paris   les  statues   de   Henri   IV  et   de 
Louis  XIV.  Avec  les  principes  de  M.  de  La 
Mennais ,  l'hérétique  Marcion  n'avaitpas  tort 


^ 


DB   LA    NOUVJBLLfi    HÉRÉSIE.  9g|5 

de  nier  que  J4»us*Qhmt;  pût  coaversé  ayec 
les  hoflimes  dan^  ^^e  chiiif  y érUa^Ue  »  ^% 
eût  été  réellement  ^tta^cké  à  lax^roix,  jréçjUie- 
ment  déposée  dans  le  tombeau  ;  il  f  vait  r^Upp 
de  chercher  à  ez^Uquer  les  jpiysçères  de  Fiar 
ca^rnatioa  et  de  la  rédemption,  en  les  anéim- 
tissant  par  ces  subtilités  impies  :  «  C'é|taif 
«(bien  une  chair  et  non  une  chair,  un 
•f  homme  et  non  ^^  up  ho];i^me ,  un  jDjieu 
«  et  non  pas  un  Dieu.  »  Cajc.epfin,  dans  ce 
temps^là,  ce  n'était  p^s  le  ténipji^age  jçb 
genre  humain  qui  pûjt  encqre  jréiuterle  Was- 
phémateur;  les  seuls  té^pins  capables  .^e 
constater  l'humanité  du  VerbjB,  ce  n'étaiepit 
que  des  dépositionj^jp^rtielles,  que  Tévidenice 
résultant  du  ténioignage  de  ceux  qui  Ta  valent 
vu  de  leurs  yeux ,  qui  avaient  mangé  avec  lui 
après  3a résurrection ,  avaient  introduitleurs 
mains  dans  ses  blessures  ;  et  cependant  l'élpr 
quent  Tertullien  n'en  dirait  pas  mpJLps  ay^^p 
une  invincible  assurance  :  «  Si  Jésus-Christ 
If  n'est  pas  véritablement  moTtysa  lïàissahce 


9A4  HiSTomE 

«  ne  fiit  également  qu'imaginaire;  tous  les  té- 
«  moignages  qui  en  constatent  le  fait,  autant 
ff  de  mensonges;  sa  vie  entière,  une  illusion 
ff  perpétuelle.  Plus  d'Emmanuel,  plus  de 
ff  Christ ,  plus  de  Dieu  avec  les  hommes  ; 
ff  l'histoire  tout  entière  n'est  plus  qu'un 
«  problème  (1).  » 

M.  de  La  Mennais  ne  craint  pas  de  don- 
ner le  démenti  à  Tertullien.  Respect era-t-il 
davantage  l'autorité  de  saint  Paul?  L'Apôtre 
des  nations  reproche  aux  philosophes  du 
paganisme  leur  ignorance  et  leur  corruption 
vraiment  inexcusables  d'avoir  retenu  captive 
la  lumière  de  la  vérité ,  quand  ses  rayons 
perçaient  de  toutes  parts.  Où  va-t-il  cher- 
cher son  argument?  il  prend  l'évidence  à 
témoin  de  leur  impiété.  Saint  Paul  savait 
bien  assurément  quelle  était  la  vertu  de  la 
foi  et  sa  nécessité  ,  puisqu'avant  d'intenter 
son  acte  d'accusation  contre  ces  Sages  or- 

(1)  Traité  de  la  chair  de  J.'C.^  p.  484,  édît.  de 
Rig.  Btblioth,  choisie,  t.  II,  p.  508. 


> 


msTonus  de  la  nouvelle  hérésie.     9SBi 

gueiUeux  qui  prenaient  leur  raison  seule 
pour  guide  de  leurs  jugemens,  il  avait 
commencé  par  déclarer  que  la  justice  vient 
de  la  foi,  qu'elle  se  perfectionne  dans  la 
foi  y  selon  qu'il  est  écrit  :  le  Juste  vit  de  la 
Joi(i).  Méconnaîtra-t-il  pour  cela  les  droits 
de  la  raison  humaine  ?  Tant  s'en  faut  ;  car  le 
grand  crime  qu'il  reproche  a  ces  Philoso- 
phes ,  c'est  de  n'avoir  pas  fait  usage  de  leur 
raison ,  même  comme  suffisante  toute  seule 
pour  éclairer  leur  intelligence  etles  amener, 
par  la  seule  lumière  de  l'évidence ,  a  la  con- 
naissance de  Dieu  et  de  ses  infinies  perfec- 
tions. Car ,  poursuit-il ,  les  perfections  in- 
visibles de  Dieu,  sa  puissance  éternelle  et 
sa  divinité ,  sont  devenues  visibles  depuis  la 
création  du  monde,  parla  connaissance  que 
ses  créatures  nous  en  donnent  (2).  Ce  n'est 
donc  ni  le  témoignage  du  genre  humain  et 
de  sa  prétendue  raison  générale ,  ni  même 

{\)  Rom.,  1, 17. 
(2)  Ibid.  18-22. 

T.    I.  15 


896  HiSTOmË 

Fautorilê  de  la  foi,  qn^nvciqtie  le  grand 
Apôtre.  Rien  que  leurs  yeux  suffisaient  pour 
les  initier  dans  cette  première  de  toutes 
les  vérités.  Ils  ont  eu  des  yeux  pour  ne  pas 
voir  ;  et  la  justice  divine  a  châtié  Tavcugle- 
ment  de  leur  twxxr  par  l'aveuglement  4de 
leur  esprit. 

Le  même  Apôtre,  se  rencontrant  dans 
l'Aréopage  pour  y  prêcher  FEvangîle  de 
Jésus-Christ ,  disait-îl  a  ces  mêmes  Philoso- 
phes  rassemblés  autour  de  lui  :  «  Ayez  la 
foi;  commencez  par  croire  comme  de  sim- 
ples enfans;  imposez  un  silence  ahsolu  "k 
votre  raison.  »  Oest  au  contraire  par  leur 
propre  raison  qull  les  veut  ramener  au 
Dieu  qu'ils  adorent  sans  le  connaître ,  en 
promenant  leurs  regards  sur  le  spec- 
tacle de  la  création  (1).  Mais  Dieu  ne  les 
aveuglait  que  parce  que  les  premiers  ib 
avaient  fermé  les  yeux  a  la  lumière  de  l'€vi- 
dence ,  dédaignant  de  chercher  c^lui  qu'ils 

(1)  y^o^.,xvrr,  24,27.    • 


■H 


DS   LA^NOîJVELLE'^nÉIUSSIE.  897 

anraient  trompé  comme  avec  la  main  et  à  tâ- 
tons ^  quoiqiiil  ne  soit  pas  loin  de  chacun  de 
nous. 

Dire,  avec  l'école  de  M.  deLaMennais, 
que  Dieu  est  trop  grand  pour  être  compris 
par  des  intelligences  aussi  bornées  que  les 
nôtres;  qu'à  moins  d'avoir  la  plénitude  de 
la  science  de  Dieu ,  nous  n'en  possédons 
aucune  nolion  ;  que  c'est  un  Dieu  caché  ; 
que  le  spectacle  de  Tunivers  ne  nous 
ofire  que  des  efiets ,  que  des  résultats  ,  ce 
que  l'on  nomme  des  causes  secondes  ,  maïs 
que  de  la  on  ne  saurait  s'élever  jusqu'à 
l'existence  du  premier  principe ,  parce  que 
la  distance  entre  le  fini  et  l'infini  est  im- 
possible à  franchir  ;  que  les  cieux  racon- 
tent vainement  la  gloire  de  l'Eternel,  parce 
qu'ils  sont  muets  pour  ceux  qui  se  ferment 
les  oreilles  pour  ne  pas  écouter  la  voix 
de  l'Eternel  :  langage  impie  !  des  prê- 
tres de  Jésus  -  Christ ,  répéter  les  blas- 
phèmes du  déiste  et  de  l'athée  !  Saint  Paul 


998  HISTOIRE 

se  trompait  donc  en  affirmant  ce  qui  vient 
d'être  lu?  Il  affirme  que  l'immensité  de  Dieu 
ne  l'éloigné  pas  de  nous ,  puisqu'il  est  pro- 
che de  chacun  de  nous  ;  que  la  Philosophie 
humaine  aurait  pu  connaître  ce  qui  peut  se 
découvrir  de  Dieu ,  mais  qu'elle  fut  crimi- 
nelle et  inexcusable  de  ne  l'avoir  pas  voulu. 
De  ce  que  Dieu  est  caché ,  on  tire ,  comme 
le  païen  de  l'Aréopage ,  la  conclusion  qu'il 
est  inconnu.  Les  vrais  interprètes  de  saint 
Paul,  unFénelon,  un  Pascal,  répondront 
par  l'hymne  de  la  foi  chrétienne  :  ce  O  mon 
«  Dieu  !  je  passe  ma  vie  à  contempler  votre 
«  infini ,  Je  le  vois ,  et  ne  saurais  en  douter  j 
If  mais  ,  dès  que  je  veux  le  comprendre ,  il 
ce  m'échappe  ;  ce  n'est  plus  lui  ;  je  retombe 
K  dans  le  fini  :  j'en  vois  assez  pour  me  contre- 
ic  dire  et  pour  me  reprendre  toutes  les  fois 
et  que  j'ai  conçu  ce  qui  est  moins  que  vous- 
«  même.  Ainsi,  c'est  un  mélange  perpétuel 
ce  de  ce  que  vous  êtes  et  de  ce  que  je  suisj 
If  je  ne  puis  ni  me  tromper  entièrement ,  ni 


H 


DE  LA  NOUVELLE   HERESIE.  S28 

«  posséder  d'une  manière  fixe  votre  vérité . 
t<  Bien  loin  de  vous  méconnaître  dans  cet 
«  infini,  je  vous  reconnais  a  ce  caractère  né- 
K  cessaire  de  l'infini  qui  ne  serait  plus  Fin- 
ie fini  si  le  fini  pouvait  y  atteindre  (1).  » 
Pascal ,  à  son  tour ,  renfermant  la  preuve 
de  l'existence  de  Dieu  dans  le  langage  de 
la  seule  philosophie  :  «  On  peut  hien,  dit-il, 
«  connaître  qu'il  y  a  un  Dieu,  sans  savoir  ce 
«  qu'il  est.  Pour  vous  en  convaincre ,  je  ne 
t<  me  servirai  pas  de  la  foi,  par  laquelle  nous 
ce  la  connaissons  certainement;  je  ne  veux 
If  agir  avec  vous  que  par  vos  principes  mêmes, 
ic  Quftie  fait  ainsi  n'entend  pas  la  force  de 
«  la  raison  (2).  » 

Saint  Paul  et  tous  ceux  qui  l'ont  suivi 
étaient  donc  fondés  k  croire  que  l'évidence 
des  merveilles  de  la  nature  ou  des  mer- 
veilles du  Christianisme  pouvait,  soutenue 

(1)  Traité  de  Vesist,  de  Dieu,  2«  part.,  chap.  v, 
p.  367,  368,  édit.  Paris ,  1811. 

(2)  Pensie$,f.  46,  50,  édit.  Parie,  1714. 


1 

i 


5t30  msTOHΠ

par  la  grâce  divine  ,  amener  à  la  foi  Denys 
Taréopagite ,  et  tant  d'autres  jusque-la  opi- 
niâtres dans  Terreur  (1). 

Celse,  l'implacable  ennemi  des  Chrétiens, 
dirigeait  dans  un  autre  sens  ses  attaques  con- 
tre l'Eglise  naissante.  «Cettesoumission  aveu- 
gle qui  vous  enchaîne  a  la  parole  du  maître , 
leur  disait-il ,  n'est  que  petitesse  et  travers 
d'esprit ,  un  outrage  a  la  raison.  »  A  quoi^f  m\ 
Origènc  répondait:  «Cette  foi,  tout  aveugle^^  .e 
qu'elle  est ,  n'empêche  nullement  que  ceu 
qui  ne  se  contentent  pas  de  croire,  mais  qur  -^i 
veulent  aussi  faire  usage  de  leur  raison ,  n'é  ^s- 
tablissent  solidement  leur  croyance  j^ar  le^s.  s 
preuves  convaincantes  qui  se  présenten^^  t 
d'elles-mêmes  à  leur  esprit,  ou  que  leu 
fournit  une  étude  plus  approfondie  (2).  » 

Entre  la  foi  qui  croit  sans  examen  et  1 
raison  qui  ne  se  rend  qu'à  l'évidence ,  M. 
La  Mennais  pose  le  néant  de  son  doute  uni 

(1)  Act.  XVII.  34. 

(2)  Advers.  Cels.^  Biblioth,  choisie,  t.  II,  p.  32. 


JC 


DE   LA   MOUVELLE  HÉRÉSIE.  8S1 

versel,  jusqu'à  mettre  en  problème  sa  propre 
existence.  «  Nul  doute ,  lui  objecte  un  savant 
ce  théologien,que  le  sceptique  Lamennaisien, 
«  qui  doute  de  sa  propre  existence  avant  d'a- 
«  voir  consulté  le  genre  humain ,  n'arrive 
«  a  cette  conséquence,  que  le  néant  peut  pen- 
if  ser ,  douter  s'il  pense  ou  douter  s'il  rêve; 
«  et,  dans  tous  les  cas,  c'est  le  néant  qui 
«  doute ,  qui  rêve ,  qui  voit  tout  ce  qui  n'est 
r  pas ,  et  qui  est  quelque  chose  (1). 

Le  grand  argument  de  l'école  Lamcnnai- 
sienne  est  que,  la  raison  humaine  étant  trop 
bornée  pour  embrasser  l'essence  des  choses, 
nous  manquons  de  preuves  pour   en  con- 
naître  l'existence.    De   même   pour   l'évi- 
dence;  elle  ne  se  découvre  qu'en  partie, 
donc  elle  nous  échappe  en  totaUté ,  et  il  faut 
recourir  a  la  foi  pour  obtenir  quelque  cer- 
titude. C'est  le  raisonnement  de  Hobbes  et 
de  l'école  de  Spinosa,   dont  le  sceptique 
anglais  avait  été  le  précepteur. 

(9)  M.  Boyer,  Bgamen,  p.  77. 


258  HISTOIRE 

11  est  vrai ,  l'essence  de  Dieu  est  en  elle- 
même  incompréhensible,  parce  qu'il  ne 
nous  est  pas  possible  d'avoir  une  connais- 
sance parfaite  de  ses  attributs;  mais  son 
existence,  nous  étant  annoncée  par  le  spec- 
tacle de  la  nature,  par  Tidée  que  nous 
avons  d'une  première  cause  dont  dépendent 
toutes  les  causes  secondaires,  et  par  une 
foule  d'autres  preuves  également  sensibles, 
ne  saurait  être  incompréhensible.  Certes, 
nous  ne  comprenons  ni  toute  l'économie  de 
notre  corps,  ni  son  union  avec  l'âme,  ni 
la  manière  dont  les  objets  extérieurs  agis- 
sent sur  nos  sens  ;  faudra-t-il  hier  pour  cela 
que  nous  ayons  un  corps ,  une  âme  et  des 
sens?  Il  n'y  a  presque  aucune  chose  dans  la 
nature  qui ,  sous  un  certain  point  de  vue , 
ne  soit  incompréhensible ,  et  dont ,  sous  ce 
rapport,  on  ne  pût  contester  l'existence j 
ce  et  cependant,  dit  Clarke,  il  n'y  a  pas 
ce  d'homme  qui ,  faisant  usage  de  la  raison , 
ce  ne  puisse   s'assurer   plus   facilement  de 


DE   LA   NOU^XLLE   HÉRÉSIE.  3S5 

«r  Fexîstence  d'une  cause  suprême  et  indé- 
«r  pendante  que  de  l'existence  d'aucune  au- 
«c  tre  que  ce  soit(1).  » 

Hobbes ,  matérialiste  ,  a  trouvé  des  apo- 
logistes :  faut-il  s'étonner  que  M.  de  La 
Mennaîs  ait  trouvé  des  défenseurs  pour 
les  opinions  qui  se  rapprochent  de  celles 
du  philosophe  anglais? 

Cependant,  malgré  cette  propension  à 
douter  de  tout,  l'école  Lamennaisienne 
convient  qu'il  y  a  une  évidence  qu'il  faut 
croire.  Il  est,  de  son  aveu,  des  principes 
universels,  inaccessibles  au  doute;  les  dé- 
truire ,  ce  serait  détruire  l'intelligence  elle- 
même.  Ils  sont  certains,  ils  le  sont  d'une 
évidence  intrinsèque.  Notre  raison  les  saisit 
au  premier  coup  d'œil  ;  elle  les  affirme  d'une 
manière  absolue ,  et  ne  peut  guère  s'abste- 
nir de  les  affirmer  et  de  les  croire.  C'est  un 
fait ,  et  la  vérité  des  faits  ne  se  prouve  pas  ; 

(1)  Demonstr,  ofthe  Beingh,,  etc.,  propos.  3.  Ta- 
baraud ;  jETû^.  du  Philos,  Angl,,i,  ï,  p.  194. 


9M  umfUMA 

elle  se  constate  par  la  simple  obsarration. 
Point  de  doute  parce  qa'il  y  a  certitude  : 
ce  sont  là  toutes  expressions  de  M.  de 
La  Mennais.  Ce  n'est  pas  tout.  Les  motifs 
de  certitude  admis  universellement  par  la 
philosophie  et  par  l'expérience  comme  irré- 
fragahles ,  on  ne  les  réprouve  pas.  Permis 
de  les  invoquer  dans  la  recherche  de  la 
vérité,  mais  sous  condition.  M.  de  La 
Mennais  ne  veut  pas  qu'on  juge  sur  leur 
simple  rapport ,  sans  qu'au  préalable  on  ait 
confronté  leur  témoignage  avec  celui  de  la 
raison  générale,  et  que  l'on  ait  reçu  d'elle  une 
sanction  indispensable.  C'est  alors  seulement 
que  l'autorité  de  l'évidence  est  légitime.  Bien 
qu'elle  ne  donne  encore  pas  une  certitude  ab- 
solue jhïen  qu'elle  ne  soit  pas  rationnelle,  elle 
n'en  est  pas  moins  réelle^  inébranlable  au 
doute;  elle  n'est  ni  démontrée ,  ni  suscep- 
tible de  l'être;  on  l'appelle  le  fait  de  la 
certitude.  ((La  condition  de  l'homme, nous 

«  êStt  le  madame  bféropbante^  es^ckâdtter 


■\ 


DE  LA   KOITV'ELLE   HERESIE.  SStt 

«r  entre  les  deux  extrémités  de  l'être  et  du 
r  néant,  de  la  certitude  absolue  que  la  rai- 
((  son  nous  refuse ,  et  d'un  doute  également 
(f  absolu  contre  lequel  notre  nature  se  ré- 
tf  volte  (1).  »  Il  faut  revenir  aux  principes. 
Ce  que  les  philosophes  disent  de  la  raison, 
nous  l'appliquons  également  à  l'évidence. 
Autant  la  raison  droite  est  certaine ,  infail- 
lible dans  ses  vues  claires  et  distinctes, 
autant  elle  peut-êlrc  fausse ,  erronée  dans 
ses  jugemens  et  ses  raisonnemens.  L'erreur, 
quand  elle  se  rencontre,  n'est  pas  dans 
ridée,  mais  dans  le  jugement.  M.  de  La 
Mennais  confond  l'évidence  qui  est  dans 
les  choses  avec  la  certitude  qui  est  dans 
l'esprit  de  l'homme.  L'une  est  immuable, 
l'autre  variable  et  faillible  ;  et  ce  ne  serait , 
dit  un  métaphysicien  de  nos  jours,  que  par 
un  abus  manifeste  du  mot  qu'on  appellerait 
certain  ce  qui  est  incertain  ou  faux.  «  Il  suit 
t<  de  la,  ajoute-t-il,  que  la  certitude  d'une 

(1)  Essai,  i,  II,  p.  37. 


2IS6  HISTOIBE 

cf  vérité  n'exclut  pas  le  doute  ou  Terreur  en 
ff  général ,  mais  le  doute  et  Terreur  sur  telle 
«  et  telle  vérité  connue  avec  certitude.  La 
c(  certitude  est  donc  une  infaillibilité  par- 
tf  tielle  et  bornée  a  cette  vérité  actuellement 
ff  vue  et  aperçue  par  Tesprit,  non  cette 
«  clarté  qui  exclut  le  doute  ;  et  en  cela  elle 
K  difi(ère  de  l'infaillibilité  absolue,  qui  est 
«  l'impuissance  totale  d'errer  ou  même  de 
If  douter  (1).  » 

Cette  confusion  de  langage ,  générale  à 
tous  les  écrivains  du  parti ,  qui  les  jette 
dans  une  obscure  et  contradictoire  méta- 
physique, tient  a  Tune  des  erreurs  capitales 
du  système ,  savoir  qu'il  y  a  connexion  né- 
cessaire entre  la  certitude  et  l'infaillibilité; 
comme  s'il  y  avait  parité  entre  l'essence  de 
Dieu  et  la  nature  de  l'homme,  toujours 
séparées  Tune  de  Tautre  par  tout  l'abîme 
de  Tinfini ,  malgré  les  communications  que 
la  première  ait  daigné  faire  a  Tautre  de  ses 

(i)  M.  Boyer,  Examen  ^  p.  60. 


DB  LA  N01IYEU.B  IlÉBBfilË.  957 

adorables  perfections.  Il  y  a  donc  pour  nous 

certitude^me  y  mais  en  conclure  qu'il  puisse 

y  avoir  une  fausse  évidence  est  un  paralo-* 

gisme  absurde  ;  il  n'y  a  pas  plus  de  faussa 

évidence  que  de  fausse  vérité.  L'Esprit  saint 

l'a  dit  par  la  bouche  de  son  Apôtre  :  Quelle 

union  y  a-t^il  entre  la  lumière  et  les  ténè-' 

bres  (1)?  Elles  peuvent  se  mêler;  dira-t-on 

qu'elles  soient  identiques  ?  La  lumière  luit 

dans  les  ténèbres ^  et  nous  aidons  tous  reçu 

de  sa  plénitude.  «  Quoique  les  ténèbres  ne 

<f  V aient  point  comprise^  comme  parle  le 

^  saint  Evangéliste ,  et  qu'un  trop  grand 

«  nombre  d'hommes  s'obstinent  à  marcher 

V  dans  les  ténèbres  ^  s'ensuit  -  il  qu'il  n'y  ait 

«f  point  de  lumière ,  ou  que  celui-là  qui  s'est 

<f  appelé  lui-même  la  lumière  du  monde^  la 

«f  vraie  lumière ,  ne  soit  qu'une   lumière 

If  fausse ,  infidèle  ou  erronée  (2)  ?  » 

Qu'ily  ait  erreur  dans  nos  jugemens  ,1a  chose 

(i)  II  Cor.  VI,  14. 

(2)  Joann.  i,  5-16.  ~vni,  12. 


2kB8  DisTomE 

est  possible  ;  le  cercle  de  nos  facultés  est  sî 
étroit,  rhorizon  de  notre  intelligence  bordé 
de  tant  de  nuages,  comme  l'abus  de  la  raison 
SI  ordinaire  aux  hommes  même  les  plus  rai- 
sonnables! Les  préjugéSjle  défaut  d'attention 
ou  de  justesse  d'esprit ,  la  passion ,  agissent 
avec  tant  d'empire  sur  nos  décisions  !  Cha- 
cun se  fait  de  soi-même  son  oracle  et  son 
dieu  :  Sua  cuique  deus  fit  dira  libido.  La 
certitude  s'acquiert,  mais  avec  divers  degrés 
de  confiance  proportionnés  aux  divers  de- 
grés de  probabilité  que  les  objets  divers 
nous  présentent.  Parmi  les  connaissances 
que  l'homme  doit  a  l'étude,  à  la  méditation, 
a  la  conscience,  au  raisonnement,  il  n'en 
est  qu'une  partie  a  laquelle  appartienne  ce. 
caractère  si  précieux  de  certitude  absolue;  lest 
autres  ne  jouissent  que  d'un  degré  de  probabi- 
lité plus  ou  moins  élevé  ;  et,  comme Tobservf 
un  moderne  métaphysicien,  entre  la  plu 
légère  probabilité  et  la  certitude  se  trouvt 
un  nombre  infini  de  degrés  distingués  pa 


la  Bgne  ^  sépare  la  pins  grande  probaU* 
lîté  cpn  n'est  encore  ijoe  probabinté ,  de  fat 
cerâtnde  rêeUe,  est  fort  <fificile  a  détermi- 
ner d*mie  manière  exacte,  précise  et  rigon- 
reose;  msus  il  est  nn  grand  nombre  de  véri- 
tésj  elles  pins  importantes  surtout,  qui  sont 
si  fart  au-dessus  de  cette  ligne ,  que  ce  dé- 
tint de  détermination  n^altère  en  rien  la 
certitude  entière  et  absolue  dont  elles  jouis- 
sent (i).  Dans  ces  cas  Btigieux,  permis  a 
3\I.  de  La  Mennais  de  faire  le  procès  a  la 
:iraSson  individuelle,  de  slnscnre  en  faux 
contre  Tévidence  elle-même.  Une  voix  bien 
^lus  forte  que  la  sienne  invoque  un  autre 
tribunad,  en  faveur  de  qui  elle  exige  une 
pleine  soumission.  Que  cette  voix  tombée 
du  ciel  accuse  la  raison  en  lui  prouvant  que, 
conduite  par  l'orgueil  d^une  fausse  sagesse, 
elle  ne  fiit  que  Jolie/  qu'elle  trace  avec  les 

p.  341. 


fUO  mSTOIBB 

plus  vives  couleurs  le  hideux  tableau  de  ses 
ignorances  et  de  ses  déportemens ,  comme 
l'a  fait  saint  Paul  ;  qu'elle  humilie  profon- 
dément cette > superbe,  qu'elle  enchaîne  la 
rebelle  sous  le  joug  de  la  foi  :  nous  remer- 
cierons, avec  saint  Augustin  et  tous  les  Sages, 
la  bonté  divine  de  nous  avoir  donné  un  sup- 
plément à  sa  lumière  par  l'autorité,  non  pas 
de  celle-lk  que  nous  prêche  l'auteur  de  VEs- 
sai  sur  V Indifférence^  vain  simulacre,  idole 
de  Dagon ,  portée  par  ses  mains  sur  Tautel 
du  Dieu  vivant ,  mais  de  celle-là  que  tous 
les  siècles  chrétiens  ont  seule  connue ,  qui 
nous  vient  de  Dieu  et  non  pas  des  hommes, 
seule  infaillible  en  matière  de  doctrine.  Or, 
c'est  ici  surtout  que  prévaut  la  maxime  de 
saint  Augustin ,  que  dans  les  choses  de  pure 
spéculation,  libre  à  chacun  de  penser  comme 
il  veut,etque  dans  les  choses  de  la  Religion, 
la  foi  à  l'autorité  doit  avoir  le  p  as  sur  la  raison  • 
Qu'après  cela  il  y  ait  des  athées^  des  déistes^ 
des  cahinistesj  des  sociniens^  une  foule  in- 


DB  LA  KOUVEIXB   HÉEÉSIE.  Mt 

nombrable  de  sectes  pullulant  au  sein  de  la 
société ,  de  même  que  l'iTraie  sera  toujours 
mêlée  au  bon  grain  ;  qu'elles  s'arment  éga- 
lement du  nom  de  l'évidence  pour  com- 
battre notre  évidence  catholique  ;  qu'en  un 
mot  il  soit  nécessaire  y  selon  l'expression  de 
saint  Paul,  qu'il  y  ait  des  hérésies  y  et  il  y 
en  aura  jusqu'à  la  consommation  des  siècles: 
loin  que  l'on  puisse  s'en  prévaloir  contre  les 
titres  légitimes  de  la  raison  et  de  l'évidence; 
l'autorité  emprunte  de  la  raison  elle-mêmp 
une  égide  sûre  contre  leurs  sophismes,  et  dé- 
ifient l'infaillible  régulatrice  de  nos  juge- 
mens.  «La  confiance  dans  l'autorité,  comme 
«r  la  confiance  dans  nos  facultés  intellectuel- 
«  les ,  est  une  suite  de  la  raison  approuvée 
«  par  la  raison ,  et  par  conséquent  raison- 
tr  nables  l'une  et  l'autre ,  »  a  dit  le  même  phi^ 
losophe  que  nous  citions  tout* k -l'heure.  Au 
reste,  la  dissidence  des  opinions  ne  porte  pas 
sur  les  premières  vérités;  elles  se  présentent  h 
tous  les  esprits  avec  une  clarté  qui  ne  permet 

T.  I.  16 


MB  msTOfRtt 

k  personne  de  les  méconnaître.  Qae  s^il  est 
des  esprits  de  travers  qui  les  mettenl  en 
question ,  i^rmons,  pour  l'honneur  de  Vhv^ 
manité ,  que  ce  n'est  pas  le  plus  grand  ndiiH 
bre  :  les  oiseaux  de  nuit  ne  son£  pas  les  {4lil 
communs  dans  la  nature.  On  n'a  jâmai»  ouï 
dîi*e  que  les  hommes  aient  été  jamais  divisft 
d'opinion*  et  de  sentiment  sur  la  vérité  des 
premier»  axiomea  de  la  morale ,  de  la  xaéitt^ 
physique^  de  la  physique,  delà  géométrie {i)i 
La  controversé ,  soit  théologique ,  soit  phi«r 
losophique ,  a  pour  objet  les  questions  em<^ 
barrassées  où  Pintelligence,  mue  p2U*  les  dif- 
férentes causes  dont  nous  avons  parlée  prend 
une  direction  diverse ,  trop  souvent  Êtusse^ 
Alor&  l'évidence  immédiate  et  d'intuition^ 
pour  parler  le  langage  de  l'école ,  se  conJ&>nd 
avec  l'évidence  médiate  ou  de  déduction-,  et 
de  raisonnement.  C'est  par  rapporta  ceUe»? 
ci  qu'ont  lieu  ces  déplorable»  divergences  .o^ 

(1)  M.  Boyer,  Examen  y  p.  21G.  Voycï  le  chap.  r  * 
du  premier  Uvi«  ,  pag:^  1$0  etsuiv* 


DB    LA  NOt^lMUÉ  te^RÉSIE.  Mft 

les  deux  parties ,  à'àetorà  antre  eUfés  tsut  lé 
principe  de  la  eertitiide  de  Févidetite,  lie 
dnptitent  que  sot  le  faât  de  «areir  à  qtit  efie 
ipparlient.  A  peu  {^ës  mdifëréttte  sitt  Ié6 
matières  puremeflaent  pbttofserplrrqties ,  trt- 
ténnr»  oa  polilîqpfteiF,  la  dffiskm  qaf  existe 
daiH  les  espritft  prend  mt  caraet ère  pins  se- 
rieum  dans  les  nùrtièrés  où  la  religion  et  h 
eonicîence  se  trouveivl  intéressées^.  Et  catÈf- 
sMBl  les  vésoadre ,  si  ee  n'est  par  verie  d-arti^ 
iorité  ?  €Ni  en  serait-on  si  chatcân  se  tr&ytàt 
pèf ans  de  décider  d'aspi-ès  son  sen^  pmg  7 
L'expérience  ne  Fa   q«re  trop   fak  voit^; 
Or^    quelle   antorité   phn  rêoetâUe  qno 
celle  de  Dien  liù^nèine  ?  Qtre  Faùtorflépr^ 
^<H)ce ,  ce  n'est  plus  une  parc^le  bnitlainé  ^ 
^ais  la  parole  de  Dieu  ;  elle  est  donc  infail- 
lible» La  difficulté  sera  de  constater  arec 
^^Witnde  l'authenticité  du  témoignage  qui 
^^  fonde  et  la  transmet;  et  c'est  la-dessus 
^^Q  la  raison  exerce  souverainement  son  em- 
Pfcpe ,  qu'elle  juge  les  titres  de  là  crayancé , 


S44  msToniE 

que  le  raisonnement  les  appelle  à  la  discus- 
sion ,  et  les  résout  par  ce  qui  lui  paraît  être 
révidence.  Dans  tous  les  systèmes ,  comme 
dans  la  doctrine  ordinaire ,  Tévidence  est  la 
dernière  raison  des  choses  (1)- 

Qu'il  y  ait  donc  des  croyances  yraies  et 
des  croyances  fausses ,  des  croyances  certai- 
nes et  des  croyances  incertaines ,  une  foi  di- 
Tine  et  .une  foi  humaine  ,  on  ne  saurait  le 
contester.  Faute  de  discerner  les  unes  d'avec 
les  autres ,  on  se  laisse  aller  à  l'erreur  ;  oh 
prend  le  masque  de  la  vérité  pour  la  vérité 
elle-même ,  Vange  de  ténèbres  pour  Vange  de 
lumière;  on  se  sépare,  on  secoue  le  joug  de 
l'autorité  ;  une  vaine  et  présomptueuse  com- 
plaisance pour  ses  propres  idées  va  jusqu'à 

(1)  «  Au-delà  de  l'autorité  on  conçoit  toujours  cette 
«  question  :  Pourquoi  telle  autorité  plutôt  que  telle 
«  autre?  tandis  qu'au-delà  de  F  évidence  on  ne  con- 
«  coit  que  le  scepticisme  ,  ou  bien  cette  question  ri- 
«  ridicule  :  Pourquoi  telle  évidence  plutôt  que  telle 
«  autre?  c'est-à-dire^  pourquoi  la  lumière  plutôt 
»  que  la  lumière?  »  M.  Lacordaire,  Considérations, 
p.  153. 


DE  LA  NOUVELLE  HERESIE.  918 

s'emporter  contre  Dieu  même,  en  l'insultant 
dans  Tautorité  qui  le  représente  (1).  Chacun 
tourne  à  sa  £intaisie  la  doctrine  qu'on  lui  a 
enseignée ,  comme  celui  de  qui  il  l'a  reçue 
l'avait  inventée  à  sa  fantaisie  (2)  ,  sans  qu'il 
soit  possible  de  prévoir  un  terme  k  cette 
malheureuse  fécondité .  Et  par-là  s'accomplit 
le  terrible  oracle,  qu'il  est  nécessaire  quHljr 
ait  des  hérésies.  Au  lieu  de  voir  dans  cette 
diversité  d'opinions  un  argument  contre  la 
certitude  chrétienne ,  Origène  y  découvrait 
pour  elle  un  nouveau  triomphe  :  (^  C'est,  dit- 

V  il,  le  sort  de  toutes  les  bonnes  et  utiles  insti- 
«  tatioQs,d:'être  soumises  kdes  discussions  qui 
er  amènent-partage  dans  les  sentimens  (3).  » 
Saint  Augustin  achève  la  pensée  en  disant 
fr  qu'elles  onjt  au  moins  cette  utilité  d'ajouter 

V  àl'étude  et  au  développement  delà  doctrine 


(i)  Sahit  Gyinieii ,  EpiH.  lxiv,  lxviii. 

(2)  TertuU. ,  Presorip.y  e.  xli.  Biblioth,  choisie  des 
PifM,  t.  m,  p.  226. 

(3)  Advers,  Cels.,  t.  II.  BMiôth,  ohoieie,  p.  Ii8. 


f  HP  iif^TeAii  d^l^ré  de  clarté  «t  de  préoî* 
f  «UHi(4)'  f»  Qu'entrceque  ceiafeitalaVériië 

f$e  (pie  cela  fait  a  lacsartitnde  eUe-pciéme  que 
tH)u«  fnx  aYon^  ?  3^9  #aiats  brftcles  notis  ré- 
pimdent  qn'irUe  repoli  aur  de^IbndemfinB  itoi'*' 
^pU^U^  :  laîissea  tambei^  ce  liaiQaûnpitrqiit 
i^QyhJic  Teau ,  et  Tiinage  »'y  retracera  fidi^ 

T^hM^  9ciaQ^  a  doaa  so|i  éndence  ; 
f^  «  4Jit  Î^UM;  TbiQiiias  t  toute  science  s'ac^ 
cpi^rt;  ^n  vertQi  de  quelques  principes  con^ 
i)W  p?^  pw^Haameaf  et  par  conaéqucafit'o^u^y 
fc'i^t  pdur^u^  «il  faut  quetouficb  qw  l't>H 
^it  9oit  vu  011  quelque  jèâanièrQ;^  I^nier  des 
Yéf  ité3  ividmïA»  »  a  dit  i'arciieYèque  de 
C4fpl»)?ay  d*  j^rèa  saint  Thomas  '^.devient  une 
ejireur  auMÎâ^ii^f)  qu^  de  <;i}oii«&'légèffement 

(1)  Be  verâRelig.,  ibid.,  t.  XXI,  p.  132. 

(2)  Ps.  cxYï,  4.  «  La  vàûlç  prouvép  féftite  tputes 
«  lea  epitoirè  qiii  lui  sont  opposées  l  cpiislqae  forme 
«  qu'elles  reyétent ,  quelque  développement  qù^eUes 
<i  rftçoive&i.  m  M.  RssaiEeii ,  p.  38A«  > 


M 'Uk  MmwxK  mimÉsm.  tÊÊ 

h»  wéti^  (pli  ne  sont  pas  évidentes  (4  ). 
Et  Fénelov  condioait,  comme  sâiat  Au* 
fVfttifly  ^'ily  a  un  seul  et  même  principe  de 
cwtitude  pour  la  «ciènce  et  poor  la  foi. 
L'éeole  de  M.  de  La  Menaais  a  chercké  à 
brouiller  ici  toutes  les  idées  par  dea  distine^ 
tions  captieuses  et  des  subterfuges  sans  fin. 
Signalons  à  l'estime  et  à  la  reconnaissance 
publique  Vexamen  qu'en  a  fait  un  théolo- 
gien moderne ,  M.  Rozaven  (2).  Sa  réfuta- 
lion  ,  dirigée  en  particulier  contre  M.  Ger- 
bet ,  frappe  également  M.  de  La  Mennais , 
et  les  laisse  l'un  et  l'autre  écrasés  sous  le 
poids  de  sa  puissante  dialectique.  Il  poursuit 
pied  à  pied  le  disciple  dans  chacune  des 
routes  du  labyrinthe  où  il  s'est  engagé ,  dé- 
masque ses  sophismes ,  ses  ignorances ,  ses 
contradictions ,  venge  l'autorité  de  nos  saints 

(1)  Traité  de  VEœist,  de  Dieu  ,  deuxième  partie  , 
chap.  I ,  pag.  283  ,  édit.  Paris  ,  ISil. 

(2)  Eûffamen  d'un  ouvrage  intitulé  :  Des  Doctrines 
philosophiques  sur  la  Certitude  ^  par  M.  Vabbé  Ger- 
het,  p.  iOl  et  soir,  (i  vol.  in-8*,  Avignon,  1833.  ^ 


948    msToiu  ra  la  NOfjtEue  BiussiE. 

Docteurs  contre  la  téméraire  arrogance  de 
ces  théologiens  d'hier  qui  osent  les  accuser 
et  avoir  altéré  profondément  Venseignemeni 
de  la  théologie  y  et  démontre  combien  cei 
théories  nouvelles  sont  contraires  a  la  doc« 
trine  catholique. 


CHAPITRE  II 


Certitude  du  témoignage  des  sens  et  du  sentiment. 

Les  mêmes  argumens  qui  repoussent  les 
objections  proposées  contre  l'éyidence,  mi- 
litent en  faveur  du  témoignage  des  sens  et 
du  sentiment. 

Ayant  M.  de  La  M ennais ,  Empédocle , 
Métrodore ,  Leucippe ,  récusèrent  le  témoi- 
gnage des  sens.  Pyrrhon  et  Ârcésilas  enché- 
rirent sur  leurs  leçons  de  scepticisme  :  ce  sont 
les  Pères  de  l'école  nouvelle.  Les  sens  nous 


SItJO  HISTOIRE 

trompent ,  ne  cesse-t-on  de  nous  dire.  Les 
sens  nous  trompent  quelquefois,  donc  ils 
nous  trompent  toujours  ;  donc  ils  ne  nous 
laissent  contre  leurs  illusions  d'autre  res- 
source que  celle  du  doute  universel.  Et 
le  même  homme  qui ,  dans  son  Essai  sur 
V Indifférence  ^  proteste  si  énergiquement 
contre  ce  doute,  qa'îiTegaisde  c#mme  la  plus 
dangereuse  maladie  du  siècle^  nous  y  re- 
plonge par  l'impossibilité  d'y  échapper. 
Saint  Augustin  foudroie  ce  raisonnement 
dans  plusieurs  de  ses  livres  )  il  le  reproche 
aux  Académiciens  comme  une  extravagan- 
ce (4).  TertnlBiCii  s'exprâme  ainrï  :  k  11  ne 
tr  nous  est  pas  |Mnrims  de  ik^citer  de  la  fidé^^ 
r  lité  des  sens ,  dé  f>e«l-  que  l'on  n'en  doute 
«  aussi  en  ce  qui  regarde  le  Christ,  etqiiel'en 
c(  ne  dise  peut-être  qu'il  aura  vu  fausseâient 
«r  Satan  précipité  da  ciel,  ou  qu'il  a«ira  en^ 
tr  tendu  faussement  la  voit  du  Pèfe  hA  rên- 

(1)  Enchiridion j  cap.  xx,  et  De  Civitate  Dei , 
HIkt.  XIX, «ap.  48. 


DC  LA   KOOVBUB  flÉ&ifilB.  IBt 

c  dant  témoignage  (i).  m  Ce  qui  fait  dire  à 
l'mi  de  nos  premiers  philosophes  modernes  : 
«  Sk  l'homme  était  privé  de  toute  sensibi- 
«  lité  j  il  serait  en  même  temps  privé  de 
«  toute  intelligence  ;  il  n'aurait  idée  ni  de 
«  l'univers,  ni  de  l'auteur  de  l'univers,  ni 
ff  de  lui-^mème,  ni  des  rapports  qui  naissent 
tr  de  ces  idées.  N'étant  pas  averti  de  son 
tr  eustence  propre  ,  comm^it  pourrait-il 
«  soupçonner  d'autres  existences  (3)  ?  »  Mais 
rien  ici  de  plus  précis  cpie  les  paroles  de 
Pascal  V  qui  résument  toute  la  question  : 
«r  D'oùjilpprendrons-nous  la  vérité  des  faità? 
«r  Ce  sera  des  sens ,  ce  sera  des  yeux,  qui  en 
«  sent  les  légitimes  jugea ,  comme  la  raison 
r  l'est  des.  choses  naturelles ,  et  la  foi  des 

(1)  Zff  Animé j  cap.  vit.  ^ 

(2)  M.  de  La  Romiguière ,  Leçons  de  Fhilos.,  t.  II, 
p.  176;  Woy.  surtout  sa  xii»  leçon,  p.  S65  et  suîv., 
ou  H  fxptiqup  «Tec  une  u  liuninenae  tagaoîAé  sa 
thqorie  des  &cultés  sensibles ,  intelligentes  et  mo- 
rales, qui  renverse  tout  le  système  de  M.  de  La  Men- 
nais  et  de  son  école.     . 


ittift  msTomE 

ir  choses  surnaturelles  et  révélées,  selon  les 
K  sentimens  de  deux  des  plus  illustres  Doc-> 
«  teurs  de  l'Eglise ,  saint  Thomas  et  sainte 
«  Augustin.  Ces  trois  principes  de  nos  con- 
fc  naissances ,  les  sens ,  la  raison  et  la  foi , 
K  ont  chacun  leur  objet  séparé  et  leur  éer- 
«  titiide  dans  cette  étendue  ;  et  comme  Dieu 
«  a  voulu  se  servir  de  Tentremise  des  sens 
•r  pour  donner  entrée  à  la  foi ,  ^des  ex  au- 
it  ditu  y  taiit  s'en  faut  que  la  foi  détruise  la 
«  certitude  des  sens,  que  ce  serait,  au  con- 
ce  traire ,  détruire  la  foi  que  de  vouloir  ré- 
ff  voqucr  en   doute  le  rapport  fidèle  des 
«  sens  (1).  » 

Nous  attachons  le  caractère  de  cebrtitade 
au  témoignage  des  sens  qui  nous  attestent 
l'existence  des  êtres  ou  des  faits  extérieurs 
qui  sont  à  leur  portée ,  toutes  les  fois  que 
leur  témoignage  est  soutenu,  réglé,  uni- 
forme ,  et  que  la  raison  ne  le  contredit  pas. 
Nous  l'éprouvons  en  nous  dès  l'âge  le  plus 

(1)  Provinciale*,  lettre  X vin. 


1«  LA    KOUVEUE  HÉEÉSIE.  8tf5 

tendre  et  jusqu'à  la  plus  extrême  TieiUesse. 
«  Le  plus  intrépide  sceptique  osei^it-il ,  de 
V  sang-froid ,  s'élancer  dans  un  précipice 
«  qu'il  aperçoit  à  ses  pieds,  se  refuser  les 
«  alimens  nécessaires ,  sous  prétexte  qu'il 
«  doit  se  défier  de  ses  sens  qui  les  décou- 
«  yrent ,  et  que  peut-être  il  est  lui-même 
«r  un  Cuitome  ?  Voudra-t-il  jamais  contester 
«  la  réalité  du  corps  qui  Tient  de  le  frapper, 
«  et,  s'il  Toitl'épée  briller  sur  sa  tête  ou  qu'il 
«  entende  gronder  la  foudre ,  rester  tran- 
«r  quille  et  se  croire  en  sûreté  à  l'abri  de  ses 
«r  doutes  frivoles?  L'homme  sent  nécessai- 
«  rement  qu'il  a  un  corps  ;  il  le  nourrit ,  il 
tf  l'épargne ,  il  le  soigne  avec  précaution  ;  il 
«  craint  pour  lui  l'influence  des  objets  exté- 
«  rieurs  qui  le  menacent ,  et  jamais  il  ne 
«  pourra  heurter  indifféremment  tout  ce  qui 
«  l'environne  ;  toute  sa  conduite  et  ses  ac- 
«  tiens  démontrent  pleinement  sa  persua- 
ff  sien.  Or,  quelle  peut  être  la  cause  de  cette 
«  propension  si  universelle,  de  cette  croyance 


SM  nttTonu 

«  permanente  et  nécessaire  ?Nobre  âme  elk)- 
<r  même  en  ignore  l'origine,  et  ne  peut  d'âit- 
«  kurs  »'en  défaire  malgré  tous  ses  effort», 
te  Donc  c'est  Dieu  lui-même  qui  seul  en  est 
r  l'auteur  et  qui  la  produit  en  nous  pour  ré- 
ff  g)er  nos  démarches  ;  et ,  alors ,  connntnt 
r  prétendre  qu'elle  puisse  être  poclr  nous 
ic  une  source  d'erneurs  et  d'illusidns ,  sans 
(c  le%fair e  nécessairement  retomber  sur  Dieu 
(T  même?  Ne  serait-il  pas  contraire  a  sa  sa« 
«  gesse ,  à  sa  Téracité  ,  d'abandonner  aînsî 
«r  les  hommes ,  de  les  entraîner  même  h  des 
<r  méprises  continuellea  par  uh  penchant 
«e  trompeur  et  irrésniible  ?  pouitaitnil  ^  sons 
«  se  renoncer  lui-même ,  être  la  cause  de 
(c  taat  d'affections  isiefisongères  ?  NiHat  sans 
cr  doute  9  et  nécessiairement  il  doit  ^  en  les 
«(  produisant,  nous  en  garantir l'infaillibilfté^ 
«  ou  devenir  la  cause  efficiente  de  notre  il- 
K  lusion  ^  il  faut  donc ,  par  coiHéqoent  f 
«r  qu'elles  aient  un  prmcipe  réel  dans  les 
ff  corps  qui  les  occasionent ,  et  que  nos  sens 


DE   LA  NOmrSLU  HERESIE. 

M  fMSÂMent  nou8  tromper,  au  moins  quand 

Us  nma  attestent  en  général  leur  existence. 

^  Ansû  n'est -il  aucun  motif  de  certitude 

>airo«iéplusuiiiyerselleraent,niplus  authen** 

-  iiqpteoienEt  reconnu  pour  infaillible  ;  et  û 
Vaiiftorilté  peut  jamais  nous  assurer  de  rien, 
die  doit,  sans  contredit,  nous  interdire 
tMt  cbute  sur  ce  point.  U  suffit  de  pro^ 

-    Màcer,  pour  constater  un  fait ,  que  nous 

-  Xxfom  \XL  de  nos  propres  yeux  ;  et  si  Ton 

-  Qi'a  point  à  se  défier  de  notre  sincérité  , 
toutes  les  contradictions  cessent  à  Fins^ 
tant(1)^  >•• 
lies  objections  que  l'on  oppose  à  ces  prin^ 

^  $es  ne  peuvent  être  regardées  que  comme 
subtilités  que  la  moiudre  lueur  du  sens 
mmun  îaàl  évanouir. 
Par  ei^emple ,  on  vous  dira  que  d'habiles* 

(i)  M.   Receveur,    Recherches  philosoph.,    etc. 

\>-  63-93;  Da^oMeau,  Méditai,  philos ^^  iv.  Berg^er, 

•^fologie  de  la  Relig.  (art.  Certitude j  t.  II,  p.  379). 

^ergier y  jipologie  de  la  Religion  (art.  Certitude)^ 

t:  II,  p.  370. 


9tl6  ttlSTOIRB 

géomètres  ont  affirmé  comme  certaine  telle 
proposition  que  d'autres  venus  après  ont 
démentie;  qu'avant  Copernic,  on  croyait 
généralement  et  avec  certitude  que  c'était 
le  soleil  qui  tournait  :  aujourd'hui  il  «est 
prouvé  que  c'est  la  terre.  Eh!  qu'importe 
que  ce  soit  l'un  ou  l'autre  ?  En  est-il  moins 
certain,  par  le  rapport  de  tous  mes  sens, 
qu'il  y  a  au-dessus  de  moi  un  soleil  qui  m'é- 
chauflfe  de  ses  rayons ,  sous  mes  pieds  une 
terre  qui  fournit  à  mes  besoins  ?  Parce  que 
tel  géomètre  s'est  trouvé  en  défaut ,  en  con- 
cluerez-vous  qu'il  n'y  a  rien  de  certain  en 
géométrie  ?  Il  ne  peut  y  avoir  de  diversité 
dans  les  opinions ,  ni  d'erreur  dans  les  juge- 
mens ,  que  sur  la  cause  ou  sur  quelques  cir- 
constances du  fait.  Le  fait  en  lui-même  est 
d'une  vérité  immuable  et  éternelle. 

De  même ,  «  le  sentiment  est ,  de  l'aveu 
a  de  tous  les  philosophes ,  une  preuve  in- 
ce  contestable  des  affections  qui  sont  en  nous , 
tf  et  un  motif  infaillible  de  juger  avec  assu- 


DE    L.4    \UI.\iXLE    BÊRÊME.  S57 

^  rance  que  nous  les  éprouvons.  11  faut ,  en 
i  effet ,  que  nos  affections  soient  réelles  pour 
'  être  ^ntîes  ;  elles  ne  sauraient  agir  en  nous 
«  et  sur  nous  si  elles  n'existaient  pas;  et  Ton 
«  ne  peut  pas  supposer  que  Tàme  éprouve 
'  un  sentiment  quand  elle  ne  Téprouve  pas 
«  en  effet ,  parce  qu  elle  ne  saurait  sentir 
«  et  ne  pas  sentir  tout  à  la  fois.  Et  comment 
^  se  ferait-il  que   l'homme  ne  sentit  pas, 
^  quand  on  suppose  qu'il  sent  réellement  ? 
"  Lorsque  j'éprouve  de  la  douleur  ou  de  la 
"  Joie ,  je  ne  peux  être  trompé  que  dans  le 
<^    cas  oit  je  n'éprouverais  ni  douleur  ui  joie , 
^    or,  il  est  impossible  que  cela  soit  jamais , 
^   puisqu*on  suppose  préalablement  que  tou- 
^   tes  ces  affections  sont  réelles.  Le  doute  ici 
^   ne  peut  donc  exister  sans  contradiction  j 
^  on  est  obligé  de  détruire  le  sentiment  pour 
*  le  convaincre  d'incertitude ,  et  par  conse- 
il qaent  de  le  justiBer  dès  qu'on  veut  leren- 
^  dre  suspect,  m 

T.   I.  i7 


CHAPITRE  III. 


i 


Du  témoignage  des  hommee. 

Ce  raisonnement  s'applique  au  témoin 
gnage  des  hommes,  pour  en  garantir  la 
certitude  morale  et  infaillible.  Tout  est 
fondé  dans  le  monde  sur  cette  certitude.  Si 
nous  ne  savions  pas  nous  en  contenter  dans 
les  choses  qui  nous  importent  le  plus ,,  nôtres 
vie  serait  malheureuse.  C'est  la^  réflexion, 
d'un  sage  de  nos  jours,  que  l'écolç  die  M*  de^ 
La  Mennaiâ  regarde  comme  l'un   de  ses 


mSTOnE    DE    LA   NOLVELLB    IIEEÉSIE.        5tJSQ 

oracles,    ce   iVon-seulement    l'histoire  ,    les 
^  sermens ,   les  attestations ,  les  contrats , 
«  les   titres  deviendraient  inutiles  et  sans 
(<  force ,  mais  nous  ne  pourrions  en  rien 
«  nous  confier  a  personne.  Sachant  a  quel 
«  point  les  hommes  différent  par  l'humeur , 
((  par  le  caractère ,  par  les  passions  et  les 
(T  vices ,  par  les  préjugés  et  la  tournure  de 
K  leur  esprit ,  je  vois  qu'ils  ne  peuvent  avoir 
«c  tous  dans  le  même  moment  la  volonté  de 
«r  former  le  même  complot  pour  me  tromper 
K  de   la    même    manière,    par    les   mêmes 
ac  moyens  et  sur  le  même  objet.   Pour  cela , 
«  il  faudrait    qu'ils   eussent  tous  ce  qu'ils 
«  n'ont  jamais ,  les  mêmes  idées ,  les  mêmes 
c<  motifs,  le  m^me  intérêt,  les  mém^es  vues 
«  et  le  même  génie  ;  ce  qu'il  est  impossible 
i<  de  supposer.  C'est  de  ce  principe  que  tire 
«  sa  force  un  témoignage  venu  d'un  nombre 
f(  d'hommes  considérable;  tels  sont  les  té- 
<r  moignages  qui  m'assurent  de  l'existence 
«f  de  la  ville  de  Constantinople ,  etc.  Quand 


960  HISTOIRE 

K  je  n'ai  pas  la  fièvre ,  il  m'est  impossible 
f(  de  former  des  doutes  sérieux  sur  ces 
«  objets  (1).  » 

La  Théologie  puise  dans  le  témoignage 
des  hommes  une  de  ses  preuves  les  plus 
concluantes  pour  la  divinité  du  Christia- 
nisme. Tous  nos  Apologistes  fondent'  sur  cet 
argument  la  certitude  invincible  des  faits 
racontés  par  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testa- 
ment. Ce  sont  des  faits  publics ,  importans, 
extraordinaires  ,  vraiment  surnaturels  , 
opérés  pour  la  plupart  non  dans  les  ténè- 
bres, mais  au  grand  jour,  trop  sensibles 
pour  avoir  été  crus  s'ils  avaient  été  faux, 
attestés  par  des  témoins  nombreux,  les  plus 
dignes  de  foi ,  incapables  de  vouloir  trom- 
per ^  non  moins  incapables  de  se  tromper 
sur  les  choses  qu'ils  ont  vues  de  leurs  yeux, 
entendues  de  leurs  oreilles,  touchées  de 
chacun  de  leurs  sens,  qui  consentent  a  souf- 

(])  M.  le  comte  de  Maistre  ,  Considér.  philos,  sur 
le  Christian, y  chap.  xiii,  p.  8j . 


DK    LA    NOUVELLE    IIKRÉSIE.  Ml 

trir  la  mort  en  témoignage  de  leur  foi  ;  faits 
opérés  souvent  en  présence  de  peuples  en- 
tiers ,  soumis  a  Texamen  le  plus  sévère ,  aux 
enquêtes  des  ennemis  les  plus  intéressés  a 
les  contredire,  et  qui  en  ont  triomphé.  Il 
n'en  est  pas  des  faits  comme  d'une  opinion  : 
les  préjugés  rétablissent,  l'îgnovance  l'a- 
dopte ,  l'entêtement  la  maintient;  mais  des 
faits  énoncés  conune  récen»,  notoires,  pal- 
pables, éclatans,  racontés  comme  connus 
dans  toutes  les  circonstances,  ne  s'accré- 
ditent pas  ainsi ,  a  moins  d'être  vrais ,  sur- 
tout quand  ils  devaient  rencontrer  des 
obstacles  insurmontables^  changer  la  foi 
des  peuples,  et  faire  révolution  dans  le 
monde  entier.  Les  actes  qui  les  rapportent 
sont  eux-mêmes  revêtus  des  mêmes  carac- 
tères de  vérité  que  leurs  auteurs  et  leurs 
héros.  Us  excluent  absolument  et  à  la  ri- 
gueur toute  possibilité  de  douter  pour  qui- 
conque ne  veut  être  ni  sottement  crédule, 
ni  sceptique  jusqti^a  l'absurdité.  «  C'est  l'é- 


S68  HISTOIRE 

«  vidence  seule  qui  force  la  conviction  ('!).>» 
Les  uns  et  les  autres ,  éyénemens ,  écrivains, 
acteurs,  se  lient  entre  eux  par  une  chaîne 
indissoluble  qui  remonte  sans  nulle  inter- 
ruption jusqu'à  la  plus  haute  antiquité, 
traverse  les  siècles  et  les  domine;  témoi- 
gnage perpétué  d'âge  en  âge  par  une 
tradition  iconstante  et  toujours  uniforme. 
S'il  y  eut  jamais  quelque  chose  de  prouvé 
dans  le  monde ,  c'est  la  vérité  des  faits  dé- 
posés dans  les  livres  que  nous  appelons 
l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  et  l'au- 
thenticité de  ces  mêmes  livres;  donc  ,  par 
une  conséquence  invincible,  la  divinité  de 
la  Révélation  qui  s'y  trouve  manifestée. 

Les  adversaires  que  nous  avons  a  com- 
battre ne  sont  pas  de  ceux  qui  nous  contes- 
tent la  vérité  des  faits  sur  lesquels  s'appuie 
la  divinité  du  Christianisme.  M.  de  La 
Mennais  et  son  école  font  la  profession  de 

(1)  M.  Gerbet.  Des  Doct .  philosoph .  sur  la  Cer- 
titude y  p.  90. 


I»    LA    .'WU VELUE   HÉRÉSIE.  965 

croire  à  la  Révélation ,  tant  a  celle  de  Moïse 
qu'à  celle  de  Jésus- Christ.  Comment  se 
fait-il  qu'ils  en  ruinent  le  fondement? 

Le  fondement  du  Christianisme ,  c'est  la 
Révélation  qui  en  fut  faite  au  peuple  visi- 
blement Élit  exprès  pour  servir  de  témoin 
au  Messie  (i  ) ,  comme  le  Messie  se  choisit 
ses  Apôtres  pour  être  ses  témoins  dans  Jé- 
rusalem ,  dans  la  Samarie ,  et  dans  toutes  les 
contrées  du  monde  où  son  Evangile  devait 
être  prêché  (2).  Outre  les  prophéties  prédi- 
tes par  la  première  Révélation ,  accomplies 
par  Tautre,  nous  avons,  comme  preuves  des 
plus  authentiques,  les  miracles  consignés 
dans  l'une  et  dans  l'autre.  Comment  M.  de 
La  Mennais  et  ses  disciples  en  parlent-ils? 
Comment  se  fait-il  qu'ils  parlent  le  même 
langage  que  nos  antagonistes  les  plus  décla- 
rés? r  Quelles  preuves,  demandent -ils, 
«f  avons-nous  à  en  donner  aux  mécréans^ 

(!  )  Pascal ,  Fetiaéea  ^  p .  79 . 
(2)  Matth.  XXIV,  14.  Act.  1,  8. 


264  HISTOIRE 

if  îinx  déistes?  quelle  garanlîe  leur  fourni- 
«  rons-nous  de  leur  vérité?  Le  récit  de  l'E- 
(f  vangile  et  le  témoignage  des  Apôtres,  qui 
'(  n'étaient  ni  trompeurs  ni  trompés?  Ne 
«  seront-ils  pas  en  droit  de  vous  dire  tout 
«  d'abprd  que  vous  faites  une  pétition  de 
w  principes;  que  vous  tournez  dans  un  cer- 
<f  de  ?  La  vérité  de  la  Révélation  évanffé- 
tf  gélique  qui  annonce  les  miracles  ne  pou- 
«  vant  pas  être  prouvée  rationnellement  par 
*f  les  miracles ,  et  en  outre ,  en  établissant 
«  que  les  Apôtres,  qui  étaient  hommes,  n'ont 
•f  pu  errer  ni  tromper,  vous  m'oppos.ez  un 
«  fait  aussi  extraordinaire  que  les  miracles 
«  mêmes  qu'ils  racontent.  » 

Cet  argument,  dont  les  libres  penseurs 
de  l'Angleterre,  tels  que  CoUins,  Mandeville, 
Tindall  et  autres  ennemis  du  Christianisme 
ne  manquaient  pas  de  s'armer  ,  et  qu'ils 
ont  transmis  a  Fréret ,  a  Diderot  et  a  l'é- 
cole philosopliique  du  xviii^  siècle  ,  de- 
vait-il se  produire  sous  des  plumes  callio- 


DE   LA    ^OUV£LLK    HERESIE. 

liqucs?  Il  va  droit  à  ranéantisscmcnt  de 
loute  la  foi  chrétienne  sur  la  divinité  de 
Jésus^Christ.  Nous  croyons  Jésus-Christ  Dieu 
et  homme;  non  pas  seulement  parce  qu'il 
Ta  dit,  mais  parce  qu'il  Ta  prouve.  Homme, 
il  a  dit  :  je  mourrai;  Dieu  :  je  ressusciterai. 
Ressuscité  en  effet,  il  dira  à  l'incrédule 
Thomas  :  Mets  ta  main  clans  ma  plaie^  et 
;issure-toi  que  je  suis  un  homme.  Conversant 
avec  ses  disciples,  il  leur  disait  :  Je  suis  m<iîtrc 
de  quitter  la  vie  et  de  la  reprendre.  «N'est-ce 
pas  évidemment  une  pétition  de  principes , 
s'écrie  le  déiste  ,  de  prouver  la  résurrection 
de  Jésus-Christ  par  sa  divinité,  et  sa  divi- 
nité par  sa  résurrection?»  Mauvais  logicien! 
Jésus-Christ  ne  dit  pas  :  je  suis  Dieu  parce 
que  je  me  déclare  Ici ,  mais  je  le  déclare 
parce  que  je  le  suis.  Il  ne  dit  pas  :  je  suis 
Dieu  et  homme  parce  que  je  ressuscite , 
mais  je  ressuscite  parce  que  je  suis  Dieu  et 
homme ,  et  que  je  le  prouve  en  ressuscitant 
les  morts  et  me  ressuscitant  moi-mcmc.  De 


206  HISTOIRE 

même  des  Apôtres.  Nous  ne  disons  pas  :  les 
Fidèles  ont  cru  sur  leur  parole  qu'ils  n'étaient 
ni  trompeurs  ni  trompés ,  mais  ils  les  oA^ 
réputés  tels ,  parce  qu'ils  avaient ,  et  que 
nous  avons  comme  eux  ,  dans  leur  témoi- 
gnage ,  les  preuves  certaines  qu'ils  ne  pou- 
vaient ni  se  tromper  ni  être  trompés.  Ce 
n'est  point  parce  qu'on  a  cru  aux  miracles 
que  les  miracles  sont  vrais  ;  on  ne  les  a  crus 
que  parce  qu'il  a  été  impossible  de  ne  pas  y 
croire.  Et  cette  foi ,  fondée  a  son*  tour  sur 
l'infaillible  certitude  des  preuves  fondées 
sur  la  raison  et  sur  l'évidence,  est  devenue 
la  foi  de  l'univers.  «  Où  donc  est  dette  ter- 
«  rible  pétition  de  principes,  si  ce  n'est  dans 
«f  l'imagination  de  nos  adversaires?  La  cer- 
V  titude  des  miracles  a  été  dans  le  temps  , 
»<  est  encore  et  sera  toujours  dans  l'aveu  des 
«  témoins  oculaires,  de  leurs  contemporains, 
w  dont  aucun ,  même  parmi  les  incrédules ,  n'a 
c<  nié  leur  existence;  dans  le  témoignage  uni- 
«  forme  de  toutes  les  communions   chré- 


DE   LA   NOUVELLE   UÉ^ESIe'.    -  967 

((  tiennes  qui  les  croient  aujourd'hui  comme 
V  ayant  toujours  été  crus,  de  générations  en 
fj^énérations  ascendantes  jusqu'à  celle  qui 
«  a  vu  Jésus-Christ' et  ses  Apôtres  (1).  » 

(1)  M.  Té-vêque  de  Strasb. ,  Avertissem.  en  répomû 
h  M,  hautain,  p.  23,24. 


CHAPITRE  lY. 


De  la  raison  générale  y  et  du  commun  consentement 

du  genre  humain. 

La  certitude  et  l'évidence  renversées  dans 
chacune  de  leurs  bases ,  quel  rôle  la  raison 
est-elle  appelée  a  jouer  dans  le  domaine  de 
l'intelligence  ?  Elle  n^est  pins  pour  Thommc 
qu'un  instrument  perfide  ,  qu^in  stérile  pré- 
sent oii  la  sagesse  du  Créateur  est  en  défaut, 
qu'une  lueur  infidèle  qui  ne  brille  a  ses  yeux 
que  pour  l'égarer,  triste  jouet  de  ses  illu- 
sions, a  qui,  comme  dit  M.  de  lia  Mennais,  il 


niSTOIllE   DE    LA    \OirVELLB   HÊIUSSIE.       fiW 

ae  reste  de  ressource  que  de  douter  de  tout, 
i   qui  sa  propre  existence   elle-même    est 
lin  problème,  par-lk  dégradée  au-dessous 
même  de  ranimai,  qui  du  moins  a  son  instinct 
pourTéclaireret  le  diriger.  Peu  satisfait  des 
reproches  que  le  scepticisme  ancien  ou  mo- 
derne accumula   contre  elle ,   on  enchérit 
sur  les  vieilles  accusations  par  les  termes 
les  plus  dégoûtans;  c'est  a  qui  tentera  le 
trait  le  plus  acéré.  Viendront  de  nouveaux 
assaiilans  qui,  non  contens  de  la  dépouiller 
de  sa  plus  riche  parure,  la  châtient  des 
honneurs   qu'elle    usurpa    en    la  traînant 
dans  la  fange ,  et  lui  marquant  le  front  du 
Sceau  de  l'infamie.  Entendez  un  d'entr'cux 
e^thalant  son  courroux  contre  les  adversaires 
de  la  doctrine  de  son  maître  :  ce  Voila  donc 
'<•  encore  une  fois  la  raison  placée  sur  Tau  tel! 
«^  Non,  ce  n'est  pas  la  raison,  mais  une  pros- 
'^  tituée  que  l'on  y  a  placée  contre  toute 
^<  raison,  et  à  l'éternel  opprobre  de  VIncré- 
^^  dulité.  »* 


970  HISTOIRE 

L'incrédulité  a  changé  de  bannière.  Ge 
que  l'on  appelait  jusqu'ici  les  Incrédules,  c'é- 
taient ces  soi-disant  Esprits  forts  qui  faisant 
irruption  dans  le  sanctuaire  de- la  Religion, 
arrachaient  yiolemment  le  double  flambeau 
de  la  raison  et  de  la  foi  qui  en  éclairait  les 
avenues,  aspiraient  à  ne  laissera  l'entour  que 
des  débris.  Aujourd'hui  c'est  être  incrédule 
que  d'en  révérer  les  oracles ,  que  de  s'en 
tenir  à  la  tradition  de  nos  pères,  et  de 
.  repousser  les  nouveautés  profanes. 

Elle  est ,  poursuit-on ,  la  prostituée  des 
siècles,  celle  qui  «  a  enfanté,  dans  son  com- 
<c  merce  adultère  avec  l'esprit  d'erreur , 
«  toutes  les  doctrines  bâtardes;  hideuse  pro- 
«  géniture  du  mensonge  qui  a  infecté  Tes- 
«  prit  humain  au  moment  funeste  de  sa 
<c  séduction  et  de  sa  dégradation  (1).  » . 

Le  Régénérateur  des  intelligences  n'abat 
le  vieil  édifice  de  la  certitude  que  pour  le 

(1)  De  y  Enseignement  de  la  Philosophie  en  France, 
par  M.  Fabbé  Bautain^  p.  51. 


DE    LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  87 1 

ii*ebâtir  sur  une  plus  vaste  échelle.  Voyons 
s'il  sera  aussi  heureux  a  édifier  qu'à  détruire; 
Toyons  si  la  main  de  l'homme  sera  aussi 
habile  a  remplacer  l'œuvre  de  Dieu ,  que 
la  main  du  Tout-Puissant  Ta  été  a  le  créer. 
Cette  raison ,  propre  a  chacun  de  nous , 
que  l'Auteur  de  notre  être  y  a  déposée  comme 
principe  de  certitude ,  lumière  naturelle  que 
nous  tenons  de  Dieu ,  a  laquelle  nous  devons 
la  connaissance  certaine  des  principes  né- 
cessaires à  la  conduite  de  la  vie,  et  d'où 
naît  la  certitude  de  la  science,  comme 
parle  saint  Thomas  (1  ) ,  M.  de  La  Mennais 
et  son  école  ont  déclaré  solennellement  n'en 
plus  vouloir;  ils  renvoient  à  Dieu  son  pré- 
sent ,  pour  lui  substituer  un  nouveau  prin- 
cipe de  certitude  qu'ils  vont  chercher  hors 
ue  l'homme ,  hors  de  Dieu  lui-même ,  si 
toutefois  il  en  peut  exister  dans   quelque 

r 

(1)  A  solo  Deo  qui  nobis  lucem  rationis  indidii^ 
pCf  quod  principia  cognoscwnus ,  ew  quihus  oritur 
^^ientiœ  certitudo,  (S.  Thomas.) 


278  HISTOIRE 

système  quelconque  (1).  Doute  exprimé  en 
termes  précis  par  Tun  des  adeptes  de  Fé- 
cole  Lamennaislenne  ;  et  le  maître  lui-même 
ne  nous  laissera  pas  long-temps  dans  le  doute 
de  savoir  si  l'intervention  de  Diçu  est  aussi 
nécessaire  qu'on  l'avait  pu  croire  jusqu'ici. 
C'est  donc  hors  de  l'homme  qu^il  faut 
chercher  exclusivement  le  fondement  de  1: 
certitude ,  à  la  société  qu'il  faut  le  deman- 
der, du  seul  genre  humain  qu'on  peut  l'ob- 
tenir. A  la  place  de  la  raison  particulière 
la  raison  générale;  et  c'est  Ih  enfin  le  cri- 
térium ,  la  marque ,  le  caractère  distinctiK:  » 
de  la  vérité  ,  le  tribunal  infaillible  de  nos  ju — ^' 
gemens ,  le  seul  guide  capable  de  régler 


(i)  «  Dans  aucun  système  quelconque,  rhoinme 
«  peut  se  démontrer  la  certitude.  »  M.  Gerbet,  Doc-  -^^" 
trines  philosophiqtteê  ^  p.  90.  Et  M.  de  La  Maïuuûsr 
«  L^homme  ne  peut  posséder  la  certitude  qa^autantr    -*^ 
«  qu'on  connaît  avec  certitude  la  raison  générale  ou-^*^ 
«  le  sens  commun  :  or,  il  ne  peut  la  connaître  qu^^*-^ 
«  par  le  moyen  de  la  raison  individuelle,  faillible,  e  ^=?**^* 
«  par  conséquent  sans  certitude.  » 


DE   LA   \(n3 VELLE   HÉRÉSIE.  273 

marche  de  notre  raison  individuelle,  et  de 
nous  garantir  de  ses  continuelles  méprises. 
Les  antres  motifs  de  certitude ,  M.  de  La 
Mennaisne  les  réprouve  pas  tout-à-fait,  Aais 
il  ne  les  admet  qu'en  partie,  et  pour  les 
subordonner  à  son  principe  absolu  de  rai- 
son générale.  Elle  est  pour  lui  la  première 
des  autorités,  l'autorité  essentielle,  celle  de 
qui  tontes  les  autres  relèvent ,  comme  n'en 
étant  q[ue  la  conséquence  et  la  manifesta- 
tion (1).  Rappelons  ses  paroles  :  «  Le  Chris- 
«  tianisme ,  avant  Jésus-Christ ,  était  la  rai- 
«  son  générale  manifestée  parle  témoignage 
ff  du  genre  humain  ;  le  Christianisme ,  de- 
tc  puis  Jésus-Christ ,  développement  naturel 
«  de  l'intelligence,  est  la  raison  générale  ma- 
te nifestéeparle  témoignage  de  l'Eglise  (2).  » 
Qu'est-ce  donc  que  la  raison  générale ,  ou 
raison  humaine  proprement  dite,  tantôt  en 
liarmonie  avec  la  raison  particulière,  tantôt, 

(1)  M.  Lacordaire,  Consid.,]},  153. 

(2)  Défense  de  rEssaiy  préface,  p.  xcrv. 

T.    I.  18 


274  HISTOIRE 

et  le  plus  souvent ,  en  opposition  directe  ; 
tantôt  Jbndement  et  règle  de  celle-ci^  tantôt 
son  ennemie  la  plus  déclarée  (i  )  ?  De  qud 
nofti  l'appellerez- vous?  Nommez-la  raison 
de  civilisation ,  la  civilisation  elle-même,  la 
méthode  d'autorité,  l'autorité  essentiefie; 
raison  universelle ,  consentement  générad  , 
sens  commun  :  toutes  ces  qualifications  di- 
verses lui  conviennent  ;  car  l'uniformité  des 
perceptions  et  l'accord  des  jugemens  consti- 
tuent ce  que  nous  appelons  raison  générale 
ou  l'autorité  (2).  «  La  raison  générale,  la 
a  raison  du  genre  humain  et  de  toutes  les 
<f  intelligences ,  n'est  originairement  qu'une 
i<  participation  de  la  raison  de  Dieu  la  plus 
«^  générale  qu'on  puisse  concevoir ,  puis- 
er qu'elle  est  infinie  comme  la  vérité,  ou 
i<  comme  Dieu  même  (5).  Elle  est  le  Chris- 
<f  tianismc  même  ,  l'Eglise  n'en  est  que  l'in- 

(1)  T.  II,  p.  102,140. 

(2)  Défense,  p.  233. 

(3)  Préface,  passim.  Essai,]),  125. 


WK  LA  %mjWWMMM  JÊÉMÉSŒ.  flW 

«  lerprèle  et  l'organe  (i).  Depuis  même 
«  l^mstitalioii  de  l'Eglise ,  la  fiii  dÎTine  se- 
m  T9it  impossible  sans  cette  autorité  inCùl- 
•r  lible,  distincte  de  l'Eglise  (2).  » 

Ainsi  l'école  de  M.  de  La  Mennais  n'héâ- 
fiera  pas  à  dire  après  lui  qne  le  principe  de 
la  fin  réside  dans  l'autorité  de  la  raison  gé- 
Bénde  (3).  Son  maître  le  loi  avait  appris,  que 
le  ^enro  hmnain,  comme  leniant,  a  sa  foi , 
<|ai  est  tonte  sa  raison  (4)  ;  car  il  doit  exister 
w  «I  moyen  perpétuel  et  muTeisel  ponr  ac- 
tf  quérir  la  foi  des  vérités  nécessaires  ;  il  a  dû 
«  exister  antérieurement  auChristianisme.  > 
Or  ce  moyen  n'est  évidemment  dans  ses  prin- 
ripes  que  la  raisim  générale  (5).  Donc  l'au- 
torité de  la  raison  générale  du  genre  humain 
est,  dans  la  doctrine  nouvelle,  le  principe  de 
certitude  fondamental ,  exclusif,  universel. 

(!)  T.  II,  Pr4f.,p.  94. 

(2)  VoyesM.  Roiaven ,  JEjrai»^» ,  p.  i3î. 

(3)  M.  Gerbet,  Deê  Ceriii.  pkiloê.y  p.  30. 

(4)  Essai,  ^.  122. 

(5)  M.  Gerbet,  Des  CeriU.  pkilosoph.,  p.  36. 


876  msTOiRE 

Ce  n'est  point  assez  :  Elle  est  aussi  le  prin- 
cipe de  la  foi  :  «  Point  de  foi .  aux  termes 
«  de  M.  de  La  Mennais ,  qui  ne  nous  vienne 
«  du  dehors;  l'homme  ne  conçoit  rien  que 
«  par  la  parole  (1).  Nous  ne  connaissons 
«r  Dieu  lui-même  que  par  sa  parole  ou  par 
<c  son  Verbe  (2)  ;  et  je  cjoute  qu'aucun  homme 
K  crût  fermement  en  Dieu,  si  le  témoignage 
<c  de  sa  raison  n'était  confirmé  par  l'autorité 
«  du  genre  humain  (3).  Le  genre  humain, 
fc  conduit  par  sa  foi  ',  s'éleva  a  la  certitude 
c<  du  témoignage  de  Dieu  (4).  Unie  intimé- 
es ment  au  Verbe  divin;  elle  fut,  dans  tous  les 
ff  temps,  la  raison,  la  parole  de  Dieu  même, 
«  l'expression  de  savérité,nlanifestéepar  lui 
cr  au  premier  homme,  transmise  de  siècle  en 

(1)  Essai,  p.  486,  490. 

(2)  Ibid. 

(3)  Ihid.y  p.  180^  et  dans  la  lettre  à  iS,,  l'Archevê- 
que de  Pai'is  :  «  La  vraie  raison  n'est  que  l'esprit 
«  humain  actuellement  uni  au  Verbe  oti  à  l'intelli- 
n  gence  de  la  vérité.  »  (P.  29.  ) 

(4)  Essai,  t.  M,  ^.  122. 


D£   L.\    \OLV£LLE   BÊRÊSIE.  877 

«  siècle ,  comme  un  patrimoine  impérissa- 
«  ble;  Eglise  enseignante  et  infaillible  qui 
«  s'est  conservée  d'âge  en  âge  a  travers  les 
«  traditions  de  tous  les  peuples  ;  Océan  de 
«r  lumière  dont  nous  sommes  pénétrés  de 
«  toutes  parts  (1).  La  société  est  en  quelque 
«  sorte  le  bassin  dont  les  écoulemens  arri- 
«  vent  à  chacun  de  nous  par  le  langage,  par 
«  l'éducation ,  etc.  » 

Tel  est  le  pompeux  échaffaudage  dont 
s'étaie  le  nouvel  édifice  que  l'on  a  décoré  du 
nom  de  philosophie  du  bon  sens.  Désormais 
toute  la  certitude  du  Christianisme  repose 
sur  l'infailUbité  du  genre  humain. 

Combien,  au  simple  aperçu,  d'hypothèses 
de  pure  imagination  dont  on  a  demandé  à 
l'auteur  et  à  ses  disciples  la  solution ,  sans 
que  pas  un  d'eux  ait  pu  la  donner  ! 

Pour  la  nouvelle  école ,  la  raison  générale 
est  tout  :  certitude, évidence,autorité,Eglise. 

(i)  Mssai.,  t.  II,  p.  15,  120, 129,  20o. 


978  DiSTonui 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  d'apprécier 
en  passant  cette  grande  idole  de  M.  de  La 
Mennais  ;  et  le  peu  qui  en  a  été  dit  dans  cet 
ouvrage  suffirait  peut-être  pour  en  décour 
vrir  la  vanité .  Dans  d'autres  temps  cette  ex- 
travagante conception  n'aurait  excité  que  le 
mépris  ;  mais  la  brillante  enluminure  dont 
le  talent  du  philosophe  l'a  revêtue  en  a  fait 
un  système  que  l'on  s'est  cru  obligé  de  com- 
battre. Les  extravagances  des  Gnostiques 
et  des  Valentiniens  ont  autrefois  obtenu  le 
même  honneur. 

Reprenons  chacune  des  parties  du  fant^is- 
tisque  édifice.  D'abord  la  raison ,  dans  son 
acception  la  plus  étendue,  il  la  définit  :  «  La 
(c  double  faculté  de  connaître  et  de  raison- 
fr  ner.  »  Est-ce  que  la  faculté  qui  connaît  est 
différente  de  la  faculté  qui  raisonne  ? 

La  raison  individuelle ,  à  la  fois  identique 
et  contraire  a  la  raison  générale  ;  identique 
en  tant  qu'elle  est  la  raison  de  la  société ^ 
V uniformité  des  perceptions ^  V accord  des  JU" 


DE  LA  NOUVELLE  DERKSIE.        279 

geniens  dii  genre  humain^  la  participation 
à  la  raison  commune  à  tous  les  hommes  (1  )j 
c'est  Taveu  que  font,  en  vingt  endroits,  le 
maître  et  les  disciples.  ^  Contraire  et  dans 
(c  une  perpétuelle  opposition  »  :  telle  est  la 
doctrine  fondamenlale  de  Tocole  entière. 
Celle-ci  est  le  critérium  de  la  vérité ,  l'autre 
en  est  l'antipode.  Qn'esl-ceque  ce  langage? 
sinon  le  froid  et  le  chaud ,  se  contredire , 
se  réfuter  soi-même,  montrer  à  la  fois  et 
que  l'on  n'a  point  de  principe  assuré  ,  et  que 
le  principe  nCsI  sans  fondement.  «  ïémé- 
tf  rair&s  architectes ,  s'écriait  saint  Hilairc  , 
i<  qui  bâtissent  sur  un  sable  mouvant ,  et 
«  tombent  en  s'engloutissant  dans  se$  i*ui- 


«  nés  !  » 


Ils  nous  disent  que  «  l'homme  ne  peut 
«  posséder  la  certitude  qu'autant  qu'on  con- 

(1)  «  Comment  peut-il  se  faire  que  dcsjujjemens 
«  individuels  soient  tout  à  la  fois  des  effets  de  la 
«  raison  et  des  causes  productives  de  la  raison  ?  » 
M.  Boyer,  Eaame'n,  p.  4D. 


(T  liait  avec  certitude  la  raison  générale  ou 
fc  le  sens  commun  ;  or  il  ne  peut  la  connaî- 
«  tre  que  par  le  moyen  de  la  raison  indi- 
(T  Tiduelle ,  faillible  en  tout  et  par  consé- 
«  (juent  sans  certitude.  »  Comment  donc  , 
avec  ce  seul  moyen  d'une  raison  faillible , 
d'une  raison  enveloppée  de  ténèbres ,  d'une 
riison  impuissante ,  jusqu'à  ne  pouvoir  affir- 
mer sa  propre  existence  ;  comment ,  dis-je , 
arriver  à  la  possession  d'uAe  certitude  quel- 
conque ,  a  commencer  par  celle  du  genre 
humain?  Ce  qui  est  le  plus* près  d'elle,  n'est 
pour  elle  qu'un  écueil ,  qu'un  abîme  ou  un 
fantôme  :  et  ellb  prétendrait  posséder  enfin 
la  certitude  et  la  vérité  par  la  seule  notion 
qu'il  existe  un  genre  humain  et  un  sens  com- 
mun !  Plongée  qu'elle  est  dans  son  ignorance, 

comment  soupçonner  qu'il  faille  aller  a  la - 

découverte  de  ce  monde  inconnu ,  comment::^^^ 
s'assurer  qu'elle  y  est  parvenue  ?  «  Cette  rai- 
<f  son  générale,  on  en  fait  un  Dieu,  puisqu'oi 
«  lui  attribue  Tirifaillibilité,  qui  est  une  deî 


i 


DB  LA  NOU^XLLK   HÉRÉSIE.  981 

«r  perfections  de  la  Divinité  ;  perfection  in- 
«  communicable  comme  la  Divinité  elle- 
«r  même  ;  mais  c'est  un  Dieu  qui  ne  peut 
«  £dre  entendre  sa  yoix  immédiatement  à 
«  ma  raison  ;  il  ne  parle  qu'à  mes  sens ,  de 
«  manière  q[ue  ses  leçons  infaillibles  me  sont 
«  transmises  par  des  sens  trompeurs  (i  )  !  ^ 

Mais  n'importe;  le  Toilà  infaillible,  le 
Toila  Dieu.  Tout  Dieu  ({u'il  est,  a-t-il  changé 
de  nature?  le  tout  est-il  devenu  soudaine- 
ment si  différent  de  ses  parties  ?  En  est-il  du 
genre  humain  comme  du  vaste  Océan,  ré- 
ceptacle de  toutes  les  eaux  ou  tombées  du 
ciel  ou  apportées  par  les  courans  partiels  , 
et  qui ,  en  se  confondant  avec  lui ,  contrac- 
tent une  nouvelle  saveur,  bien  que  ce  soient 
toujours  des  eaux  ?  Ainsi,  le  genre  humain  ne 
sera- t-il  constamment  que  la  vaste  agrégation 
des  générations  passées  ou  présentes;  et  sa 
raison  générale  n'est  toujours  que  la  raison 

(i)  M,  Rozaven ,  Examen ,  p.  249. 


.  • } 


988  msToiRE 

indwidualisée ;  elle  reste  donc  toujours  la 
même.  La  raison  de  chacun  des  hommes  eu 
particulier,  étant  faillible,  ne  peut  donner 
ce  qu'elle  n'a  pas  ;  comment  peut-elle  chan- 
ger la  nature  de  chacun  de  ces  hommes  en 
particulier,  qui  composent  le  genre  humain? 
Le  chêne  qui  orne  les  forêts,  n'est  pas  d'une 
autre  espèce  que  le  chêne  isolé  dans  la  prai- 
rie ,  ni  ce  dernier  différent  de  celui  qui  croît 
solitaire.  Quoi!  cette  raison  individuelle  ne 
valait^  dans  cliaque  particulier^  que  poi4r 
le  doute  et  V erreur  ;  la  voilà  devenue  tout  à 
coup  infaillible  !  Frappée  de  mort  \  sa  ra- 
cine ,  comment  imprime-t-elle  à  l'arbre  en- 
tier un  principe  de  vie  et  de  fécondité 
qu'elle  n'a  pas.  L'élément  et  le  germe  sont 
viciés  :  ce  qui  leur  ressemble  peut-il  ne  l'être 
pas  :  S'est'clle  métamorphosée  de  la  sorte 
par  sa  propre  yértu?  Elle  n'en  a  que 
pour  succomber  sous  le  poids  de  son  im- 
puissance naturelle.  Par  l'agrégation  des 
parties?  Mais,  chacune  d'elles  étant  finie, 


DE   LA   NOt}V£U4&  HÉRÉSIE.  9Q& 

iftomée,  essentiellement  faillible,  le  tout  ne 
peut  être  que  fini ,  borné ,  essentiellement 
Êdllible. 

Le  Créateur  de   l'univers    a    fait ,   de 
lien  y  le  ciel  et  la  terre;  il  n'a  pas  produit 
d'un  seul  jet  le  genre  humain  tout  entier, 
mais  l'a  fait  naître ,  par  la  succession  des 
temps ,  d'un  premier  homme.  Ce  premier 
honmie,  bien  que  pétri  du  limon  de  la  terre, 
il  étale  sur  son  front  le  signe  que  Dieu  lui 
a  donné  de  sa  propre  lumière  (i);  et  moi,  ob- 
scur descendant  du  père  de  la  race  humaine, 
moi  aussi,  je  ne  saurais  méconnaître  en  moi 
le  rayon  de  cette  divine  lumière  qui  m'est 
attestée  par  tous  ses  oracles ,  par  mon  sens 
intime.  Fils  d'Adam ,  je  fais  partie  du  genre 
bumain ,  je  ne  l'appellerai  pas  mon  père. 
Que  je  dise  à  la  poudre^  tu  es  ma  mère  :  j'en- 
tends sous  cette  poudre  une  voix  qui  me 
crie  que  je  suis  fils  de  Dieu,  gui  m'a  pétri 
tout  entier  de  ses  dis^ines  mains ^  comme  parle 

(i)  Psaîmiy,^. 


S84  HISTOIEE 

Job  (1  ).  Mais  le  genre  humain ,  mais  l'univers 
ont-ils  une  voix  pour  me  répondre  ?  L'hu- 
manité tout  entière  repose  obscure ,  silenr 
cieuse  dans  le  passé  et  l'avenir  (2).  Le  genres 
humain  ne  me  montre  que  ses  sépulchres  : 
({u'il  me  montre  son  berceau.  Son  berceau? 
C'est  Adam ,  Phomme  individuel ,  créé  à  Is^ 
ressemblance  de  Dieu;  par-delà  son  ber- 
ceau ,  le  néant ,  rien ,  ex  nihilo.  Je  voudrais 
bien  savoir  ce  que  le  genre  humain  a  de  plus 

•  que  moi ,  soit  dans  ses  destinées  futures, 
soit  dans  ses  annales  antiques.  Mai,  du 
moins ,  je  montre  avec  orgueil  l'Evangile  et 
la  Révélation.  Le  genre  humain!  qu'il  voile 

.  sa  face,  et  qu'il  demande  grâce  pour  quatre 
mille  ans  de  l'ignorance  et  de  la  corruption 
la  plus  dépravée. 

M.  de  La  Mennais,  personnifiant  le  genre 
humain ,  retrace  a  ma  pensée  la  fiction  si 
véritablement  épique  du  cardinal  de  Bernis 

(1)  Joh^  XVII,  14.  —  X,  8. 

(2)  M.  Lacordaire,  Consid.jf,  169. 


I 


DE   LA   XatVEIXE   HÉRÉSIE.  HMS 

dans  son  poème  de  la  Religion  vengée^  où 
il  décrit  dans  le  style  d'Homère  le  Dieu  de 

Spinosa  : 

«I 

Je  yis  sortir  alors  des  débris  de  la  terre 

Un  énorme  géant;  que  dis^e?  un  monde  entier. 

Un  colosse  infini,  mais  pourtant  rég^ulier,  etc. 

Le  monstre  déclare  qui  il  est,  et  termine 

son  discours  par  ces  mots  : 

'I 

De  cet  être  ignoré ,  de  cet  être  puissant 
Admire,  reconnais  le  principe  agissant. 
.     L'union  des  esprits  forme  mon  âme  entière  (1). 

Ainsi  M.  Fàbbé  Lacordaire  définit-il  le 
système  de  Técole  Lamennaisienne  :  l'union 
des  esprits  dans  les  diverses  œuvi^es  de  la 
pensée  (2). 

Et  de  fait,  avancer  que  la  raison  de  l'indi-- 
TÎdu  n'est  qu'une  partie  de  la  raison  hu- 
maine y  et  c'est  là  l'opinion  d'un  autre  des 

(1)  IChant  V,  p.  82  et  83,  édit.  n93. 

(2)  Considér. ,  p.  146 ,  et  «  L'autorité  des  faits,  dans 
«  l'ordre  physique ,  engendre  Vutiion  des  esprits , 
«  qu'on  appelle  la  science,*  Ibid.,  p.  145.  M.  Boyer, 
Examen,  p.  48. 


tes  mSTOIRE 

ilisciples  (1  ),  n'est  pas  moins  absurde  que  de 
dire  que  l'âme  de  chaque  individu  n'est 
qu'une  partie  de  l'âme  humaine ,  que  sa  vo- 
lonté n'est  qu'une  partie  de  la  volonté  hu- 
maine. Autant  vaut-il  ajouter  que  chaque 
corps  n'est  qu'une  portion  du  corps  humain. 
Ce  qu'était  le  genre  humain  d'autrefois , 
le  genre  humain  d'aujourd'hui  n'a  pas  cessé 
de  l'être.  ^  Réunissez  ,  dirons-nous  avec 
or  celui  des  Modernes  qui  ait  le  pkiâ  puis- 
«  samment  combattu  le  système  de  M.  de 
If  LaMennais,  tous  les  aveugles  des  Quinze- 
ff  Vingts ,  et  tous  les  fous  de  Charenton  : 
<c  vous  n'en  verrez  jamais  sortir  ni  un  voyaht 
«  ni  un  sage  ;  d'où  il  suit  qu'espérer  hi  cer- 
«  titude  d'une  collection  de  raisons  indivi- 
tc  duelles ,  faillibles  en  tout ,  c'est  attendre 
cr  im  effet  dont  les  élémens  ne  sont  nulle 
ce  part;  c'est-à-dire,  un  effet  sans  cause. 
<(  Rassemblez  le  genre  humain,  réunissez 
«  tout  ce  qu'il  y  aura  jamais  de  générations; 

(1)  M.  Gerbet,  des Doct.  philos.,  p.  129. 


% 


DE  LA  NOUVEIXE  HÉRÉSIE.  llffif 

«  VOUS  n'aurez  que  des  individus  faisant  por- 
ff  tion  du  tout  qu'ils  composent.  Feriez-vous 
«  un  édifice  avec  des  grains  de  sable  (1)?  » 
Et ,  par  une  conséquence  ultérieure ,  on  est 
contraint  logiquement  de  conclure  que  le 
genre  humain  n'est  qu'un  être  de  raison , 
«pi'une  dénomination  sans  réalité. 

Mais  non ,  la  raison  individuelle  ne  donne 
{MIS  ;  elle  reçoit*  De  qui?  du  genre  humain? 
Vous  supposez  toujours  son  infaillibilité, 
supposition  chimérique ,  combattue  par 
toutes  les  autorités  et  par  tous  les  raison- 
nemens.  Principe  absurde  établi  par  Pécole 
Iiamennaisienne,  avec  la  précaution  de  dire 
qu'il  n*a  pas  besoin  (fêtre  prouvé^  parce 
qu'elle  n'a  d'autre  appui  à  lui  prêter  que  le 
caprice  de  son  auteur. 

Appeler  la  raison  générale  la  raison  de 
DieUy  V expression  de  sa  parole  (2),  n'est-ce 
pas  un  blasphème  autant  qu'ime  absurdité? 


(J)  M.  Boyer,  t,xamen  y  p.  48. 
(2)  £m(w,p.  221. 


^08  HISTOIRE 

La  raison  de  Dieu ,  sa  parole ,  c'est  son  in- 
faillibilité. Glorieux  privilège  dont  il  est 
jaloux  (1) ,  et  qu'il  n'a  voulu  partager  avec 
personne;  car  son  Eglise  elle-même  n'est 
infaillible  que  parce  qu'elle  est  l'Esprit  même 
de  Dieu,  jjiarlantpa'rsoil  organe,  enseignant 
par  sa  parole  (2).  Donner  k  la  raison  géiié- 
rale  cette  attribiition,  c'est  l'eiilever  à  Dieu  ; 
c'est  oublier  qu'il  y  a  éternellement  entre 
Dieu  '  et  l'homme  tout  l'abîme  de  l'infini. 
Dans  la  nuit  sombre  du  paganisme  ,  cette 
vérité  s'était  fait  jour  auprès  de  quelques 

Sages  à  qui  leur  raison  l'avait  apprise.  Mettez 

•    ■      t 

(1)  Gloriam  meam  alterinon  dabo,,,.  Ego  wolu^ , 
et  non  est  alius  prœter  me , 

(2)  «  Je  crois  toutes  les  vérités  révélées ,  et  parmi 
«  elles,  Fautorité  de  FËglise ;  parce  que  Dieu  ,  au- 
«  teur  de  la  Révélation  y  est  la  vérité ,  et  ne  peut  pas 
«  plus  nous  tromper  que  se  tromper  lui-même.  Cette 
«  vérité  essentielle  de  la  parole  divine  fait  la  certi- 
«  tude  de  ma  foi.  Je  ne  crois  l'autorité  de  FEglise 
«  que  sur  ce  principe;  car  je  ne  crois  l'Eglise  infaiL 
o  lible ,  que  parce  que  Dieu  a  révélé  spn  infaillibi- 
«  lité.  »  (M.  Rozaven,  jE^amen,  p.  212.  ) 


DB   LA   KOU^'ELLE   HÉRÉSIE.  S89 

d'un  coté  tous  les  honimes  ensemble;  de 
l'autre ,  Dieu  seul  ;  et  demandez  à  Homère , 
demandez  à  tous  nos  prophètes  éclairés  par 
une  sagesse  bien  supérieure,  où  penchera  la 
balance,  et  qui  l'emportera  ?  Quelle  pitié  qu'il 
&ille  rappeler  à  des  prêtres  ce  que  la  sa- 
gesse humaine  n'ignore  point  :  qu'il  n'y  eut 
jamais  de  comparaison  légitime  entre  la 
rabon  de  l'homme  et  la  raison  de  Dieu. 

Telle  est  pourtant  l'ambiguité  de  leur 
langage ,  qu'à  les  entendre  on  serait  en  droit 
de  soupçonner  qu'il  affectent,  par  une  sin- 
gulière contradiction,  de  confondre  l'es- 
sence incommunicable  avec  la  raison  du 
genre  humain ,  l'autorité  des  hommes  avec 
l'autorité  de Dieu.Cetteobservationn^apoint 
échappé  a  la  sagacité  du  profond  théologien 
qui  les  a  combattus  avec  tant  de  vigueur  : 
ic  La  raison  générale ,  dit  M.  Boyer,  le  té- 
cr  moignage  universel,  le  consentement  com- 
K  mun,  voilà  le  premier  critérium  de  la 
<c  vérité  ;  ce  mot  est  comme  une  sorte  de  re- 

T.   I.  19 


ItO  HIgTOiRE 

«  frain  dans  les  éorits  de  M.  de  La  Mennais. 
M  D'autre  part ,  il  ne  cesse  de  nous  dire  «pc 
'n  Diea  est  la  première  wiatiÈà  et  la  pvMuèrt 

#  raison  des  choses^  «et  4ftt»  «'^qiftérâr  aYnant 
M  lui  de  quelque  Térké^  c'est  rberrher  imi 
wir  effet  sans  cause,  une  c^nsé^ifiice  mom 
jc  principes.  Y  a-t-â  Àonc  dieux  prenîeBs 

#  principes  de  la  véorité  ?  I>ieii  /et  le  §enare 
ce  humain ,  Dieu  «t  «a  parole ,  le  genre  iui- 
jr  main  et  la  raison  générale  (1 }?  ^ 

M.  de  La  Meunais  essaie  de  j^^er  «n  ]^ont 
enr  l'abîme  qu'il  s-eat  creusé  à  luir«iéme. 

Encore  un  pas ,  et  le  système  s'éclaircit^ 
let  la  pensée  de  M.  de  La  Meunais  enfante 
une  révélation  de  plus.  Quelle  révélation , 
^and  Dieu!  k  Le  seul  système  social  aU'- 
M  jouM'hui  possible  est  celui  qui  ne  serait 
^  fondé  que  sur  la  raison  humaine  y  sans  nul 
*c  RAPPORT  avec  Diôu  (2).  »  Et  voila  la  régé- 
nération promise  au  monde  par  la  nouvelle 

(1)  Tjxamen y  p.  234. 

(2)  ^«'(?m>,  29  novembre  18.^0, 


^ 


DE   LA  NOUVELLE  IfÉR^SIi:.  991 

école  !  que^l'on  nous  dise  si  l'école  philoso- 
phique du  XVIII®  siècle  porta  jamais  le  délire 
de  ses  criminelles  espérances  jusqu'à  pré- 
tendre ôter  Dieu  de  la  société  humaine  I 

Que  M.  de  La  Mennais ,  tiprès  avoir  jeté 
dans  le  public  son  programme  de  la  raison 
générale ,  se  fut  borné  à  des  rêveries  phi- 
losophiques où  ilest permis  à  chacun  d^errer^ 
il  n^avait  d'autre  risque  a  courir  que  d'être 
un  mauvais  lo^cien.  Dans  l'impuissance  de 
bien  saisir  les  caractères  de  quelque  chose 
qui  n'existe  pas ,  et  n'est  qu'une  abstraction 
sans  réalité  ,  il  pouvait  impunément  multi- 
plier les  définitions,  comme  l'aveugle  qui 
tâtonne  dans  les  ténèbres.  On  lui  pardonnait 
de  nommer  cette  raison  générale ,  raison  de 
la  société ,  raison  de  la  civilisation ,  la  civi- 
lisation elle-même;  mais  qu'était-elle  avant 
qu'il  y  eût  des  sociétés?  qu'ctaît-ellc  dans 
les  sociétés  même  où  il  n'y  avait  pas  de 
civilisation?  Ouvrez  Polybe,  Thucydide, 
Platon;  interrogez  et  les  historiens  et  les 


5I9S  mSTOTRE 

philosophes    anciens    et   modcrhes.    Touâ 
s'accordent  a  dire  que  les  premières  socié- 
tés ne  furent  que  de  sauvages  agrégations, 
comme  les  voyageurs  en  ont  découvert  dans 
le  Nouveau-Monde,  puisqu'on  nomme  ceux 
qui  en  furent  les  législateurs.  Qu'il  se  replie 
sur  les  mots  de  commun  consentement,  de 
sens  commun,    par    lesquels  il  essaie    de 
déterminer    enfin    la    notion    de    la    rai- 
son du  genre  humain;   nouvelles  énigmes. 
On  ne  cessera  de  lui  demander  quelle  affi- 
nité existe  entre  les  mots  raison  et  consen- 
tement, entre  ce    dernier   et  ce  que  l'on 
appelle  sens  commun;  le  mot  consentement 
indiquant  une  adhésion  à  des  idées  étrangères 
que  Ton  ne  peut  pas  avoir  soi-même  ;  celui  de 
sens  commun  supposant  nécessairement  la 
perception  intime ,  uniforn  t ,  îâivariable,  de 
notions  que  l'on  ne  se  donne  pas ,  et  aux- 
quelles on  ne  peut  se  refuser ,  qui  s'offrent 
d'elles-mêmes  a  tous  les  esprits ,  même  les 
plus  grossiers ,  et  que  chaque  homme  pos- 


DE   LA   XOmXIXE   DÉRÉSIE.  5105 

sède,  comme  chaque  animal  possède  son 
instinct  ;  toutefois  avec  cette  différence  si 
bien  sentie  par  Buffon ,  qu'il  y  a  plus  loin 
de  l'instinct  du  plus  subtil  des  animaux  h  la 
raison  de  l'homme  le  plus  grossier,  que 
de  celle-ci  au  génie  des  Ârchiniède  et  des 
Newton.  On  sera  en  droit  de  lui  demander 
encore  si  le  commun  consentement ,  iden- 
tique au  sens  commun,  est  le  sceau  de  la 
vérité;  pourquoi,  dans  les  sociétés  humai- 
nes, tant  de  manières  différentes  de  voir 
et  de  sentir  ;  autant  de  vérités  différentes  et 
opposées  qu'il  y  a  de  communs  consente- 
mens?  Était-il  possible  a  M.  de  La  Mennais 
de  se  le  dissimuler?  Non;  il  en  convient. 
La  religion  seule  n'est-elle  pas  la  matière 
des  controverses  les  plus  disparates?  La  di- 
versité des  cultes  prouve,  selon  M.  de  La 
Mennais ,  la  nécessité  de  l'examen  (  donc 
l'exercice  de  la  raison  individuelle  ) ,  pour 
s'assurer  laquelle  est  la  véritable.  En  sup- 
posant que  l'on  veuille  ou  que  l'on  puisse 


994  lUBTomiâ 

se  livrer  à  cet  examen ,  passer  en  revue  les 
religions  diverses  dans  lesquelles  se  parta- 
gent les  nombreuses  populations  de  l'Eu- 
rope ,  de  l'Asie ,  de  TAfrique  et  du  NoicVeau- 
Monde ,  quel  en  sera  le  résultat  unque  ? 
L'indispensable  nécessité  de  conclure  qu'il 
y  a  autant  de  communs  consentemens  qu'il 
y  a  de  sectes  et  de  religions  ^  de  nations  et 
âe  peuplades  disséminées  sur  la  vaste  sur- 
face du  globe;  autant  de  communs  consen- 
temens qui  se  heurtent,  se  combattent  et 
se  réprouvent  mutudÛement. 

Mais  l'auteur  nous  a  fait  bientôt  sorth^  du 
cercle  des  questions  de  la  philosoplûe,  peur 
nous  transporter  dans  la  région  de  la  théo- 
logie. Nous   l'avons   entendu   mêler  à  la 
masse  confuse ,  indigeste  de  ses  définhions 
arbitraires  celle  cpii  fait  de  le  raison  géiié- 
raie  la  raison  de  Dieu  :  «  La  raison  générale  -== 
^  n'est  que  la  raison  de  Dieu  même.  »  Noils^— - 
avons  dû  commencer  par  l'examen  de  cette— 
étrange  proposition  ;  les  suivantes  n'en  soitt 


DE  LA  KOLVELLE  HÉRÉSIE.  29S 

que  les  corollaires.  «  La  raison  générale 
«  n'est  que  l'expression  du  Verbe  de  Dieu, 
K  unie  à  rintelligence ,  à  l'esprit,  a  la  vérité, 
<r  déposée  au  sein  de  la  société  humaine, 
«  conservée  k  travers  les  âges,  soutenue  par 
f<  une  tradition  constante ,  perpétuelle.  » 
Eclairé  par  sa  lumière,  le  genre  humain 
fut  une  Eglise  visible  f  enseignante  ,  «  pour- 
fc  vue  » ,  nous  dit  toute  l'école  Lamennai- 
sienne ,  «  des  caractères  d'unité ,  de  perpé- 
«  tuité ,  d'universalité  que  nous  assignons  à 
ce  notre  Eglise  catholique,  en  un  mot,  in- 
«  £siillible  comme  elle.  »  C'est  la  ce  qu'ils 
appeUeroBtla  doctrine  d^auiorité  résidente 
dans  le  genre  humain. 

Tel  est  Fexcàs  eii  les  a  portés  leur  sys- 
tème de  dépréciation  de  raison  humaine. 

Sur  le  simple  énoncé  de  ces  propositions , 
on  se  demande  a  quelle  ReUgion  appartien- 
nent ceux  qui  les  professent.  Recherchons 
avec  eux  sur  quel  fondement  ils  les  appuient. 


CHAPITRE  V. 


Suite  du  précédent. 

Descartes  et  ceux  des  théologiens  catho- 
liques qui  ont  admis  sa  méthode ,  soutien- 
nent que  c'est  par  la  raison  donnée  à  chacun 
de  nous  que  l'on  acquiert  la  connaissance 
de  la  Révélation  et  de  l'autorité  de  l'Eglise, 
comme  en  étant  l'interprète  infaillible. 
Cette  doctrine ,  que  nous  avons  vu  être  celle 
de  saint  Thomas,  de  saint  Augustin,  de 
toute  TEglise  catholique ,  les  Réformateurs 


HISTOIRE  DE  LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.       907 

la  condamnent  ;  elle  n'est  pour  la  nouvelle 
école  qu'un  système  absurde,  niais,  qui  re- 
celé le  veninfuneste  du  scepticisme.  On  aura 
tout  dit ,  quand  on  aura  répondu  k  la  doc- 
trine adverse  :  «  Cest  du  cartésianisme.  La 
ir  raison  de  Thomme  ne  lui  apprend  rien. 
«  Nulle  connaissance  qui  ne  lui  vienne  du  de- 
•  hors;  tout  chez  lui  est  d'emprunt.  Ce  qu'il 
c  sait ,  il  le  reçoit  de  la  société  par  le  lan- 
«  gage,  par  l'éducation.  L'homme  ne  con* 
«(  naît  rien  que  par  la  communication  avec 
«  les  autres,  rien  que  par  la  parole.  Re- 
«  portons-nous  à  l'origine  des  choses  et  sui- 
«  vpns  la  série  des  siècles.  L'ordre  primitif 
ir  et  général  fut  que  les  pères  instruisissent 
«  leurs  enfans ,  et  que  la  foi  fut  conservée 
«  par  .une  tradition  générale.  Une  révélation 
c  primitive  fut  donnée  à  notre  premierPère, 
«  créé  dans  la  plénitude  de  l'âge  avec  la. 
•r  connaissance  de  la  science  et  de  la  parole., 
ff  Cet  ordre  établi  de  Dieu  pour  conserver 
«  la  vraie  Religion  étant  indépendant  de  la 


.;    : 

.1 


c  veloBlé  des  hommes  ,  '  a  dû  toii|ouf8  s«b-> 
ce  sister,  et  n'a  pti  eeater  janiais'  d'être  olffr* 
tf  gatetre  pour  tons*  £ii  effet,  ceitepaMle^. 
«dépotée  anisein  delà  Mclélér  tfsmtaDÉaMt 
«f  aux  familles  patriarcale^  par  le  pète  éiàr 
ce  genre  humain  y  portée  dam  téules  les  psar^ 
«  fies  du  monde  par  les  fondatens  àm  iia-^ 
c«  tiens  ^  dimseryée  d'àga  •»  âge  dan»  te» 
«-  traditions  de  tous  les  peuples,  a4cè  coiUfte 
«  un  océan  de  lumière  répsm'da  dââOi^  Ist 
(c  société.  &est  là  un  fait  attes«6  paÉ*  totis  lésr 
<f  historiens.  II  Mlait  bien  c(u'il  MiMât  tln^ 
«  moyen  constant ,  imitei^sel ,  d'dcqtM^ritt'  laf 
«  foi  qm  se  doit  à  IMS ,  aifjc  peuple^  cèâMbe 
ff  au  plus  simple  enËintr  Aasisi  lé  VoyoMs-^ 
et  mfm  maintenu  ihvariablemèfif^t  pai^  ttne 
ff  frftditiôh  tmiforme,  pérpéenelfe.  Si  Poirdre 
«  de  tradition,  reconnu  obligatoire  poni^ 
W  tous ,  eut  cessé  de  fait  dans  le  genre  hù- 
K  main ,  cette  unique  Voie  de  connaître  la 
«  Rèligioti  eût  été  à  la  fois  nécessaire  et 
^  iMpOisî^le.  Ây^t  Jésus-<}farist ,  il  y  atait 


DE   LA   NOirfBlLB  UÉRÉSU:.  9W 

«donc  «n  Christianisme,  c'était  la  raison 
ir  générale  manifestée  par  le  témoignage  dm 
te  genre  humain.  Depuis  Jésus-Christ^  le 
«  Christianisme ,  développement  naturel  de 
«  l'int^ffîgence ,  est  la  raison  générale ,  ma^ 
<r  nifestée  par  le  témoignage  de  TEglise.  Le 
«  témoignage  du  genre  humain  était  avant 
tf  Jésus-Christ  ce  qu'est  l'Eglise  depuis  Jé- 
ff  sus-Christ.  L'Eglise  a  donc  présenté  dans 
ir  tous  les  temps  les  caractères  de  la  plus 
(T  hante  autorité  visible.  Concluons  que  la 
<r  Révélation  primitive  a  été  pour  le  genre 
tf  humain  le  principe  de  la  foi  ;  que  j  d'après 
tr  l'ordre  établi  de  Dieu ,  cette  Révélation 
if  dotait  être  coiinu'e  de  siècle  en  siècle  par 
>  voie  de  tradition;  que  l'Eglise  univer- 
fc  sellé  se  composait  d'hommes  qui  confor* 
■é  Inaient  leurs  croyances  a  Fenseignement 
c  de  la  tradition  des  vérité»  primitivement 
«(  révélées.  Le  Christianisme  trouva  toutes 
flc  les  vérités  établies;  il  ne  naissait  pas,  il 
cr  croissait.  La  logique  des  nations  4bint 


300  HISTOIRE 

«  aussi  rigoureuse  que  la  Vérité  même  de 
ff  Dieu,  point  d'autre  certitude  que  celle 
«  qui  se  recueille  du  témoignage  universel. 
«  Le  commun  consentement  est  pour  nous 
«  le  sceau  de  la  vérité  »  et  il  n'y  en  a  point 
«  d'autres;  donc  le  genre  humain  est  un 
<r  tribunal  infaillible.  » 

A  ce  petit  nombre  de  textes,  transcrits 
scrupuleusement,  se  réduisent  les  cinq  vo- 
lumes de  V Essai  et  de  sa  Défense,  des  écrits 
sur  la  même  matière ,  publiés  par  ses  dis- 
ciples les  plus  célèbres,  MM.  Gerbet,  Beau- 
tin,  La  Cordaire'. 

Les  voici  ramenés  à  quelques  axiomes 
capitaux  proclamés  par  eux-mêmes.  La  foi 
vient  du  dehors  ;  la  raison  générale  est  in- 
faillible; le  témoignage  du  genre  humain 
est  le  fondement  de  la  Religion  ;  axiomes  par 

(1)  M.  de  La  Mennais,  Essai,  p.  39,  486,  490; 
t.  II,  Préf.,  p,  xcrv.  Défense,  p.  8,  29,  7i,  189. 
M.  Gerbet,  Doctr.  philos. y  p.  90,  135.  Coup  d'oeil 
sur  la  Controv.  chrét.,  p.  60  et  suiV.  M.  Lacordaîre, 
Considér, ,  p.  41,  53. 


DE   LA   NOUVELLE   nÉRÉSIE.  301 

lesquels  ils  expliquent  ces  paroles,  que  la  rai- 
son générale  est  l'expression  de  la  société 
communiquée  par  la  parole  ;  qu'elle  est  la 
civilisation ,  la  parole  de  Dieu ,  la  parole  du 
Verbe ,  de  tout  temps  manifestée  dans  Tu- 
niyers. 

«  La  foi  vient  du  dehors ,  et  nous  est  com- 
ff  muniquée  par  la  société.  » 

Nous  avions  toujours  cru  qu'elle  était  un 
don  de  Dieu;  avions-nous  besoin  de  nou- 
velles théories  de  la  foi  pour  savoir  ce  que 
le  plus  simple  catéchiste  en  apprend ,  que 
la  foi  est  une  lumière  que  Dieu  répand  dans 
l'esprit  pour  lui  faire  connaître  les  vérités 
qu'il  nous  a  révélées ,  et  nous  y  faire  croire 
fermement  avec  une  pleine  assurance ,  même 
a  celles  que  nous  ne  saurions  comprendre , 
lesquelles  nous  sont  enseignées  par  le  minis- 
tère de  son  Eglise ,  seule  dépositaire  infaillible 
de  sa  parole  ;  et  l'ange  de  l'école  S.  Tho- 
mas, nous  avait  appris  que,  si  la  foi  n'admet 
pas  un  examen  par  lequel  notre  raison  bor- 


SOS  mgTOiRE 

née  démontre  ce  que  l'on  croit  ;  elle  admet 
l'examen  des  motifs  qui  portent  a  croire , 
par  exemple ,  la  révélation  divine  confirmée 
par  les  miracles* 

Mais  cette  doctrine  était  bonne  pour  les 
temps  d'autrefois;  aujourd'hui  c'est. la  râi-- 
son  générale  exprimée  par  la  société,  qui 
est  indifféremment  principe  ou  canal  de  la 
foi.  Pour  remonter  a  Adam,  premier  anneau 
de  la  chaîne  sociale ,  créé  dans  la  plénitude 
de  rintelligence  et  de  la  raison ,  direz-vous 
qu'iljouit  dans  le  paradis  du  privilège  de  l'in- 
faillibilité ?  non  ;  pas  plus  que  les  Anges  dans 
le  ciel  ;  leur  chute  l'a  bien  fait  voir.  Libres 
de  faillir,  ils  n'étaient  donc  pas  infaillibles  ? 
Tant  que  la  première  Êimille  fut  a  elle  seule 
tout  le  genre  humain ,  les  Patriarches  du 
genre  humain  instruisaient  avec  soin  la  jeune 
postérité  croissante  autour  d'eux ,  des  faits 
et  des  dogmes  recueillis  de  la  bouche  du 
chef  de  la  race  humaine;  en  quoi  ils  sui- 
vaient Tordre  établi  de  Dieu  ;  et  la  foi  de- 


DE  LA  NmywiuL  HÉRÉSIE.  aB5 

'Venait  l'héritage  commun  ;  mais  y  fut-elle 
^ong-temps  consenrée ?  est-ce  que  Dieu ,  en 
jtabliamnt  cet  oi4re,  s'était  obtigé  k  le 
maintenir  inviolable  dans  la  sorîété  humai- 
ne ?  Hélas  I  Tarbre  de  la  science  du  bien  et 
du  flial  y  n  £ital  k  nos  premiers  parens ,  était 
passé  dq  jardin  d'Eden  dans  la  terre  de  Texil, 
<m  il  porta  toujours  ses  firuits  empcusonnés^ 
grâce  à  Tabus  de  la  liberté  dans  Tusage  que 
le»  hommes  en  ont  fait.  Que  devient  la  rai- 
son humaine  dans  une  société  bientôt  en- 
traînée ,  par  les  passions  des  hommes  ,  dans 
la  plus  brutale  corruption?   Abandonnée 
aux  pères  de  famille ,  cette  prétendue  raison 
générale,  émancipée  des  langes  delà  raison 
individuelle ,  se  précipita  dans  tous  les  ex- 
ces.  L'oracle  de  FEsprit  saint  fut  vérifié  a  la 
lettre ,  que  le  nombre  des  insensés  Remporta 
toujours  sur  celui  des  sages  ('I  )  ;  il  arriva  ce 
qui  était  Tinévitable  conséquence  de  Tarrêt 

(j)  Stnltorum  in-ftmtns  rsi  nvmprvs^VuCvW,^  i,  15; 


SM  msTonus 

terrible  prononcé  contre  l'homme  prévari- 
cateur. «  U  était  comme  impossible  que  les 
«  traditions  primitives  ne  se  perdissent  pas 
ir  ou  qu'elles  ne  s'altérassent  pas  essentielle- 
«  ment;  d'autant  plus  que  les  pères  de  fa- 
«  mille  n'avaient  aucune  promesse  divine,  ni 
«  d'assistance  particulière  pour  ne  point  se 
«  tromper,  ni  de  fidélité  pour  s'acquitter  de 
«  ce  devoir  (1).  » 

Ce  qui  venait  du  dehors ,  dans  cette  pé- 
riodede  corruption,  était-ce  la  foi^  après  que 
le  genre  humain  tout  entier  fut  tombé  dans  un 
état  de  barbarie  et  dans  une  ignorance  aussi 
.  profonde  que  si  jamais  Dieu  n'eût  rien  ensei- 
gné aux  hommes  (2)?  Ce  qui  réclamait  haute- 
ment contre  cette  violation  universelle  de 
toute  loi,  que  l'Apôtre  reproche  si  énergique- 
ment  a  la  gentilité  tout  entière,  et  qui  rendait 
inexcusable  l'opiniâtreté  dans  le  mal,  c'était 

(1)  M.  Rozayen ,  Examen^  p.  273. 

(2)  Lactance,  ïurrelin ,  Bergier,  Bossuet ,  Disc, 
sur  VUist.  univers, j^  p.  362  elsuiv.,  in-4**. 


SB   LA   NOUA'ELLE   HÉHfiSŒ.  SOtt 

en  dedans  qu'il  agissait,  c'était  par  l'impres- 
sion ineffaçable  de  cette  lumière  véritable  qui 
éclaire  tout  homme  venant  au  monde;  flam- 
beau toujours  allumé  au  milieu  des  nations 
dispersées,  comme  parle  saint  Augustin. 
«  Non ,  poursuivait  le  grand  évêque  d'Hip- 
ir  pône,  empruntant  le  langage  de  nos  Livres 
ir  saints ,  ce  n'est  pas  au  dehors  qu'il  faut  al- 
r  1er  cbcrcher  la  vérité  :  Noli foras  ire.  Re- 
flr  pliez-vous  sur  vous-mêmes  ;  c'est  dans  l'in- 
ir  térieur  de  votre  âme ,  non  dans  le  témoi- 
fc  gnage  des  hommes  du  dehors ,  que  se  fait 
ff  entendre  l'accent  de  la  vérité  (1).  »  Le 
Maître  de  tous  les  Docteurs  le  lui  avait  ap- 
pris, que  le  royaume  de  Dieu  et  de  sa  vérité 
n'est  pas  au  dehors^  mais  au  dedans  de 
nous  (2)  ;  que  c'est  la  qu'il  faut  le  chercher, 

(1)  (  De  Magistro  )  In  te  ipsum  redi;  in  interiore 
homine  habitat  veritas  ,  i.  I.  Bened.^p.  773. 

(2)  Regnum  Dei  intra  vos  est  y  Luc,  xvii,  21.  C'est- 
à-dire  que  chacun  porte  au  dedans  do  soi  le  flambeau 
de  la  raison  qui  Téclaire,  le  tribunal  de  la  conscience 
qui  le  juge. 

T- 1.  ao 


306  HISTOIRE 

et  non  dans  la  multitude,  téméraire,  em- 
.portée  et  poussant  a  tout  vent  de  doctrine. 
Moins  mobiles  et  inconstantes  sont  les  -va- 
gues de  rOcéan  :  l'expérience  de  tous  les 
siècles  ne  Ta  que  trop  confirmé.  Par-dessus 
ces  flots  incessamment  agités ,  s'élève  Fau- 
torité. ,  phare  lumineux  posé  par  la  main  de 
Jésus-Christ ,  pour  éclairer  les  nations  et  les 
diriger  vers  le  port  de  la  vérité  ;  phare  ac- 
cessible a  tous  les  regards ,  que  nulles  té- 
nèbres ne  sauraient  obscurcir,  contre  le- 
quel  les  portes  de  Tenfer  ne  prévaudront 
jamais. 

Mais  de  qui  cela  a-t-il  été  dit ,  par  l'oracle 
nxênfie  de  la  vérité?  k  qui  ces  magnifiques 
promesses    ont-elles    été ^ faites?  est-ce   au- 
genre  humain?  Le  genre  humain,  l'univers, 
le  monde ,  ces  mots  sont  synonymes   dans 

r 

nos  saintes  Ecritures ,  et  ne  rappellent  que 
lesanathèmes  lancés  contre  ses  scandales  (1  ). 
Ses  annales  et  ses  écrivains  ne  nous  disent 

(1)   Vœ  Mundo  à  8candali9,  Mattbt;  XVlii,  7. 


DB   LA   XOUIXLLE   HÉB^SIB.  SOT 

nvilepart  que  le  genre  humain  ait  été  chargé 
d'enseigner  la  vérité ,  et  ne  nous  parlent  que 
des  hommes  chargés  d'en  être  les  précep- 
teurs. Or  les  philosophes ,  qui  se  vantaient 
de  l'être,  que  lui  avaient-ils  appris? 


GHAPITIUB  VI. 


De  l'autorité. 

M.  de  La  Mennais  sait  bien  tout  ce  que 
le  mot  d'autorité  a  d'auguste  et  d'impo- 
sant pour  nous.  Il  en  abuse,  en  le  transpor- 
tant à  d'autres  sens  bien  éloignés  de  la  com- 
mune acception  qu'il  a  dans  l'ordre  civil 
et  religieux.  Dans  l'un  et  l'autre  :  autorité , 
puissance,  tout  vient  de  Dieu  :  omnis potes- 
tas  à  Deo.  D'où  vient  que  ce  qui  recom- 
mande à  nos  yeux  la  raison,  c'est  que  nous  y 


mSTOUE   DE   LA  NOUVELLE   E£RÉSIE.       309 

voyons  le  rayon  de  la  souveraine  intelligence 
qui  en  est  la  source  ;  de  même  ce  qui  nous 
enchaîne  a  l'autorité ,  ce  qui  nous  la  rend 
sacrée ,  ce  qui  lui  prête ,  par  exemple ,  un 
poids  si  considérable  dans  la  cause  de  la  vé- 
rité catholique  contre  les  Protestans ,  c'est 
l'assurance  qu'elle  a  son  invincible  fonde- 
ment  dans  les  promesses  que  Jésus  Christ  a 
faites  à  son  église  ;  d'oii  nous  concluons  avec 
certitude  qu'elle  est  infaillible. 

M.  de  La  Mennais  lui-même ,  dans  un 
autre  de  ses  écrits ,  rendra  hommage  à  ce 
principe  :  «  Tout  l'édifice  du  Christianisme, 
«  ses  dogmes ,  son  culte ,  sa  morale ,  repo- 
<r  sait  depuis  quinze  siècles,  et,  dans  les 
te  principes  catholiques ,  doit  reposer  tou- 
«  jours,  selon  l'institution  de  Jésus-Christ, 
«  sur  l'enseignement  d'une  autorité  divine- 
ff  mentin£B^iliibie(i).  » 

On  ne  pouvait  ignorer  que  saint  Augustin 
et  saint  Thomas  nous  avaient  laissé ,  sur  la 

(1)  Delà  Religion  ooneidirée,  oto.,  p.  304. 


iitt  HISTOIRE 

question  de  l'autorité  ,  lés  écrits  les  plus  Id- 
minéux.  Nos  jeunes  théologiens  pouvaient- 
ils  se  dissimuler  quel  poids  de  tels  noins 
apjportent  danis  la  balance.  Malgré  leuré 
efforts  pour  essayer  d'en  affaiblir  ràutôrtié, 
soiis  le  prétexte ,  disent-ils ,  que  ces  saints 

r 

Docteurs  n'étaient  pas  profondément  versée 
dans  ces  matières,  ils  ont  senti  qu'il  n'était 
pas  possible  de  les  passer  isous  silèhcé,  iet 
voulu  se  donner  le  mérite  de  les  aVôîr  lus. 
âi  même  il  fallait  les  en  croire ,  ces  saints 
fiocteurs  auraient  pensé  coiiime  eut  suf  Ifesr 
Questions  de  la  certitude,  de  la  foi,  de  la  t*ài- 
son  et  de  l'autorité. 

Nous  avons  vu  plus  haut  quelle  était  la 
doctrine  de  saint  Thomas  d'Aquin.  Écout'otis 
à  son  toiir  le  grand  évêque  d'Hippône  ':  « t)ièu, 
pour  nous  élever  vers  lui ,  nous  a  dôhti^ 
deux  moyens,  l'autorité  et  là  rsfiièbh ,  qui, 
loin  de  se  combaltre,  se  concilient  aiséUient 
Fùn  avec  l'autre  3  car  eh  obéissant  à  l'au- 
torité,  on  ne  «'écarte  pas  de  Ik  lufhièré  de 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  511 

la  raison ,  qui  nous  fait  voir  quel  est  celui  à 
qui  nous  croyons  (1).  » 

Voila  donc ,  dans  la  pensée  de  saint  Au- 
gustin ,  deux  principes  de  certitude  bien 
distincts  l'un  de  l'autre  :  l'autorité  et  la 
raison.  Avant  M.  de  La  Mennaîs,  aucun 
catholique  n'avait  pensé  qu'il  n'existât 
qu'un  seul  principe  de  certitude.  Tous,  sans 
exception ,  croyaient  que ,  puisqu'il  existé 
deux  classes  de  vérités  bien  distinctes,  dont 
l'une  est  l'objet  de  la  science ,  l'autre  celui 
dé  la  foi,  c'était  une  conséquence  nécessaire 
qu'il  doit  y  avoir  aussi  deux  princiipes  de 
certitude,  Tun  pour  les  vérités  de^b/^  l'autre 
pour  les  vérités  de  science.  Tous  disaient, 
avec  saint  Augustin  :  «  Ce  que  nous  com- 
prenons* nous  le  devons  à  la  raison-  ce  que 
nous  croyons ,  nous  le  devons  \  Fautôrité  : 
Quod  intellîgimus^  debemus  rafioni;  quod 
çredimus.  auctorildti,  » 

(\)  Traduit  dans  Pensées  Hq  Pascal,  cli.  v,  p.  45 
(Paris,  1714).  S.  August.,  Enchirid.^th..  XX. 


319  msTOiBE 

Que  l'autorité  soit  un  moyen  plus  sûr  à  la 
fois  et  plus  expéditif  de  parvenir  a  la  con- 
naissance de  la  vérité  ;  qui  le  conteste?  Saint 
Augustin  l'affirme  sans  doute  en  termes 
exprès.  Elle  seule,  dit-il,  ébranle  les  honunes 
ignorans;  il  ne  faut  que  des  yeux  pour  voir 
la  brillante  lumière  qui  en  jaillit  de  toutes 
parts  j  et  pourquoi?  Parce  que  le  plus  sim- 
ple raisonnement  saisit  sans  nul  effort  l'évi- 
dence des  moti&  qui  lient  les  conséquences 
au  principe,  a  savoir,  cet  enchaînement  de 
merveilles  qui  ont  porté,  selon  l'expression 
du  même  saint  Augustin,  notre  Église  catho- 
lique au  plus  haut  degré  d'autorité.  Par-là, 
l'évidence  devient  la  garantie  infaillible  de 
l'autorité  infaillible  de  l'Eglise .  Mais  la  base, 
oii  en  est-elle?  sinon  dans  la  raison.  Or, 
c'est  là  ce  que  le  saint  Docteur  établit  par 
cet  axiome  incontestable  :  la  raison  et 
l'autorité  ne  sont  jamais  entièrement  sépa- 
rées, parce  que  c'est  la  raison  qui  ^^cnsi- 

(j)  DeverdRiBligione,G\i,  xxiv,  xxv. 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  SIS 

dère  à  quelle  autorité  il  faut  croire  (1). 

Puisque  nous  sommes  redevables  de  la 
science  a  la  raison ,  et  qu'il  n'y  a  point  de 
science  sans  certitude, on  croyait  donc  qu'il  y  a 
dans  notre  raison  un  principe  de  certitude. 

Les   Manichéens  affectaient  de   ne    re- 
connaître d'autre  guide ,  dans  la  recherche 
de  la  vérité ,    que   la  raison.   Leur    grief 
j>rincipal  contre   l'Eglise   catholique   était 
qu'elle    commandait    a    ses    disciples    de 
croire  aveuglément,  sans  examen;  qu'elle 
avait  la  prétention  de  conduire  a  la  vérité 
par  la  foi,  c'est-a-dire,  par  la  soumission  k 
l'autorité  seule.  Même  reproche  de  la  part 
de  Celse,  si  bien  réfuté  par  Origène.  Saint 
Augustin  y  répond  par  son  traité  de  VUti-- 
lité  de  la  foi^  (  de  utilitate  credendij  )  oîi  il 
venge  également  les  droits  de  la  raison  et 
de  l'autorité.  Nos  Sectaires  modernes  n'a- 
doptent de  la  réponse  du  saint  Docteur  que 
.  ce  qu'elle  a  de  favorable  a  l'autorité.  Ils 

(1)  J>m%  Bihlioih.  choisie,  t.  XXI,  p.  120. 


Sl4  HISTOIRB 

aflfectent  a  leur  tour  d'exalter  ràutorilé, 
comme  si  nous  en  méconnaissions  les  au- 
gustes prérogatives ,  et  la  prépondérance 
sur  là  raison ,  nous  qiii  cesserions  d'être 
chrétiens ,  si  nous  cessions  de  répéter  avec 
le  même  saint  Augustin  :  «  S'il  n'est  point 
«f  de  voie  qui  mène  plus  sûrement  à  là  sa- 
«  gesse  et  au  salut,  que  de  plier  sa  raison  a 
«  la  foi,  n'est-ce  pas  méconnaître  étrange- 
«  ment  le  bienfait  que  nous  tenons  de  la 
i(  protection  divine,  que  de  vouloir  résister 
«  à  une  autorité  qui  se  recommandé  pài*  dé 
«  si  puissans  motife  (1)?  »  Mais  liiî  vouloir 
sacrifier  la  raison  :  autre  excès  non  nioiiis 
téméraire ,  au  jugement  de  saint  Augustin , 
et  c'est  là  le  but  constant  des  efforts  du 
parti.. Encore  à  présent,  que  les  savantes 
discussions  engagées  sur  cette  matière  ont 
mis  a  la  portée  de  tous  les  lecteurs  les  ou- 
vrages de  nos  saints  Docteurs;  les  disciples 
de  M.  de  La  Mennais  s'opinlâtrent  à  fermer 

(1)  iDaœiS Biblioih,  choisie,t  XXt,  chap.  nielt  vm. 


DE   LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE.  SÎé 

m 

lés  yeux.  Us  ne  cessent  de  reproduire  leurs 
ârgumèris  en  faveur  de  l'aulorité  que  noui 
inè  leur  contestons  point,  et  se  retranchent 
derrière  les  grands  noms  de  saint  Augustin  i 
de  saiiit  Thomas,  de  Suarez,  et  d'autres 
théologiens  catholiques,  pour  faire  croire 
qu'ife  -pensaient  comme  ciix,  que  c'est  noui 
qiiî  sommes  dans  l'erreur,  et  qui  nous  décla- 
rons, aux  termes  du  saint  évêque  d'Hippone; 
les  adversaires  de  la  vérité^  coupables  d'en- 
lever à  l'Eglise  ce  lustre  immense^  comMe 
^âHe  un  écrivain  de  nos  jours,  suspendu, 
hdùs  dit-on  ;  entre  le  ciel  et  la  terre ,  pour 
unir  les  intelligences  divisées.  Quant  k  là 
raison,  que  nos  saints  Docteurs  assimilent  k 
l'autorité ,  bien  qu'en  la  plaçant  dans  un 
rkng  inférieur,  ils  n'en  persistent  pas  moins 
a  la  rendre  éuspecte,  à  eh  déprécier  les  ju-^ 
geiheilsj  k  l'anéantir  dans  ses  actes  et  dani 
ses  rajjiports  avec  la  foi.  Parce  que  leur  maî- 
tre a  po^ë  Jpbiir  fondement  de  sa  dôttriiié 
ilnfailEbllité  du  genre  hmxLaih,  ils  poursui-^ 


816  HISTOIRE 

vront  sans  relâche  ce  principe  absurde,  sans 
nul  égard  pour  les  censures  qui  l'ont  con- 
damné ;  ils  y  reviennent  sous  toutes  les  for- 
mes. 

Ce  privilège  de  l'infaillibilité ,  qui  n'ap- 
partient en  propre  qu'a  Dieu ,  Dieu  l'a-t-il 
donné  à  d'autre  qu'à  son  Eglise  ?  L'a-t-il 
donné  a  la  raison  générale  du  genre  hu- 
main ?  Quel  texte  de  l'Ecriture  M.  de  La 
Mennais  alléguerait- il  en  faveur  dé  son 
assertion  ?  Oîi  verra-t-il  que  la  raison  gêné- 
ralcj  le  sens  commun  du  genre  humain  nous 
soit  présenté  par  Jésus-Christ  et  ses  Apôtres 
comme  l'oracle  et  l'infaillible  tribunal  de 
la  vérité?  A  qui  le  souverain  Législateur  a-t-il 
donné  la  mission  et  l'ordre  de  prêcher  son 
Evangile?  A  quelques  Apôtres,  non  à  la  mul- 
titude. Qui  a-t-il  établi  le  Chef  du  troupeau, 
la  colonne  et  le  fondement  de  son  Eglise?  On 
l'a  bien  reconnu  dans  chacune  des  contro- 
verses qui ,  sous  tant  de  formes  différentes , 
ont  agité  le  vaisseau  de  l'Eglise.  Du  temps 


DE   LA  NOUYELU   HÉIUÉSIE/  517 

de  l'Arianisme ,  le  genre  humain  presque 
tout  entier,  selon  l'expression  de  saint  Jé- 
rôme, semblait  être  du  côté  de  l'erreur  (1). 
Que  devenait  le  Christianisme,  s'il  n'y  avait 
eu  d'autre  autorité,  d'autre  règle  de  croyance 
que  le  commun  consentement  ?  D'où  le  sa- 
vait-on? Quiauraitpu  le  constater?  LesAriens 
se  vantaient  d'avoir  pour  eux  le  plus  grand 
nombre,  et  dans  les  pays  où  ils  dominaient, 
il  était  impossible  de  s'assurer  du  contraire. 
Heureusement,  Dieu  a  donné  à  son  Eglise, 
pour  terminer  les  controverses ,  un  moyen 
beaucoup  plus  sur  que  ce  consentement  si 
souvent  contesté  et  si  difficile  a  constater. 
On  se  souvint  qu'au  concile  de  Jérusalem , 
où  fut  débattue  la  question  des  cérémonies 
lévitiques,  saint  Pierre  prononça;  et  l'as- 
semblée, que  fit -elle?  Elle  se  tut  (2).  Ce 


(1)  Orhis  dehique  universus  miratus   est  se  esso 
jirianum  (  Dialog.  advers,  Lucifer,  ) 

(2)  Aet.,  XY.    Tacuit    antem  omnis  muîtiiudo, 
(Vers.  15.) 


918  mSTÛIBB 

n'est  point  la  multitude  qui  est  consultée , 
ce  71'est  point  elle  qui  prononce  le  juge- 
ment, ce  n'est  pas  ison  autorité  qui  décide 
la  question;  mais  elle  reçoit  la  décision 
avec  respect,  et  s'y  soumet  aussitôt.  Les 
esprits,  jusque -la  divisés,  s'unissent;  il  n'y 
a  plus  qu'un  sentiment.  Qui  ne  voit  qu'alors 
ce  consentement  est  un  consentement  d'o- 
béissance? Il  est  le  résultat  de  l'autorité}  il 
n'en  est  pas  la  source.  Ainsi  dans  la  cause 
de  r Arianisme ,  ce  moyen  fut  mis  en  usage 
pour  en  arrêter  les  progi*ès.  Un  petit  nom- 
bre d'évêques  s'assemblèrent  a  Nicée  (1). 
Par  leur  organe,  l'Esprit  saint  prononça 
que  la  Consubstantialité  du  Verbe  est  un 
dogme  de  notre  foi  ;  et  leur  décision ,  pu- 
bliée dans  toute  l'Eglise ,  devint  le  centre 
de  ralliement  de  tous  ceux  qui,  tenant  à 


(1)  «  Car  ils  n'étaient  que  318,  tous  de  Té^lise 
«  d'Orient,  et  Ton  «ait  combien ,  dan«  ce  temps,  était 
«  considérable  le  nombre  des  évêqucs  catholiques.» 
M.  Roza^en,  Ea^amen  f'p,  20. 


DE   LA  NOUVELLE   HlÉRESIÉ.  Sld 

la  foi  catholique,   avaient  pu  être  jusqu'à 
ce  moment  indécis  sur  ce  qu'il  fallait  pen- 
ser des  questions  agitées  par  les  novateiurs. 
En  vain  dira -t- on  que  les  décisions  des 
Conciles  généraux  elles-mêmes  et  celles  des 
Souverains   Pontifes    sont  fondées  sur   la 
foi  ancienne  et  commune  de  l'Eglise;  que 
c'est  cet  accord  qui  en  fait  l'autorité  ;  que 
l'Eglise,  lorsqu'elle  donne  des  décisions,  ne 
fait  pas  de  nouveaux  articles  de  foi,  mais 
proclame  seulement  la  foi  antique ,  déclare 
ce  qui  a  été  toujours  et  universellement 
cru,  aux  termes  de  saint  Vincent  de  Lé- 
ï^ius  j  donc  que  l'Eglise  elle-même  n'est  que 
la  manifestation  et  le  complément  de  la  rai- 
son générale.  Mais  c'est  prendre  l'effet  pour 
la.   cause ,  que  ^e  placer  l'autorité  dans  ce 
9piisentement  même,  au  lieu  de  le  recon- 
naître dans  l'action  continue  qui  produit  et 
Conserve  le  consentement.  U  faut  donc  bien 
^'entendre  sur  le  mot  de  Vincent  deLérins, 
H^e  ce  qui  a  été  cru  toujours  en  tout  lieu  et 


SSO  niSTOiBK 

par  tous  y  est  de  foi  catholique  (1).  Mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  le  saint  Docteur  ait  eu 
l'idée  de  présenter  sa  majsiime  comme  Tuni- 
que  règle  de  la  foi  catholique,  ni  même 
comme  la  première  ;  ce  serait  prendre  une 
règle  partielle  pour  la  règle  unique ,  et  par 
conséquent  contredire  la  doctrine  catholi- 
que. La  règle  principale  et  universelle  est 
la  définition  de  l'Eglise ,  qui  a  souvent  dé- 
cidé des  questions  long-temps  controversées 
et  douteuses ,  sur  lesquelles  les  saints  Pères 
eux-mêmes  n'étaient  pas  d'accord.  Il  est 
donc  vrai  que,  selon  la  doctrine  catholique, 
ce  n'est  point  le  consentement  commun  ou 
du  grand  nombre  qui  est  l'autorité,  juge 
suprême  des  controverses. 

La  maxime  de  saintVincenb  de  Lérins,  qui, 
comme  parle  Bossuet,  perce  au  cœur  toutes 

(1)  Nous  avons  emprunté  cette  suite  de  raison- 
nemens  à  M.  Rozaven,  dans  sa  réfutation  particulière 
de  M.  Gerbet ,  fortifie  par  une  décision  rendue  à 
Rome,  sous  le  pontificat  de  LéonXII.  {^Examen, 
p.  25  et  suiv.) 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  3S1 

les  hérésies ,  frappe  bien  plus  directement 
enopreM.  de  La  Mennais  et  son  système  nou- 
veau ,  inoui  dans  l'Eglise.  Car  enfin ,  d'où 
vient  ce  Donat,  et  de  quel  ciel  nous  est-il 
tombé?  demanderaient  encore  Tertullien  et 
le  grand  saint  Cyprien ,  en  entendant  cette 
étrange  nouveauté?  Elle  fut  inconnue  à  nos 
Pères.  Il  parle   de  consentement  général 
comme  sceau  de  vérité  ;  et  il  est  seul  ;  il  est 
d'hier  ,    avant -hier  on  ne  le  connaissait 
'3pas  (^  )•  A  peine  autour  de  lui  quelques  disci^ 
3ples  qui ,  de  son  aveu ,  ne  le  comprennent 
"^pas ,  Docteurs  imberbes ,  faisant  non-seule- 
onent  profession  d'ignorance ,  mais  d'ignorer 
onême  leur  ignorance  (2).  Le  suffrage  d'un 
»  petit  nombre  de  Clercs ,  est-  ce  la  tout 
3e  genre  humain  avec  sa  raison  générale  ? 
U existerait, ce  consentement  général,  com- 
ment encore  une  fois  le  découvrir?  A  quelles 

(1)  Unde  Bonatua  aut  è  quo  cœlo  ruitf  — *  Hester- 
fiug,  Hodiernus ,  Tertull.  p.  635,  édit.  Rig.  Voyez 
Ivoire Biblioth.  choisie  des  Pères,  t.  III,  p.  209  ctsuiv. 

(2)  Unci ,  Traité  de  la  Faiblesse,  p.  12?. 
T.   I.  21 


marques  le  reconnaître?  Queltribnnal  en  sera 
Forgane  ?  Quels  juges  prononceront  en  sop 
nom'?  Quel  chef- en  publiera  les  décisions' 
et  les  fera  respecter  et  obéir  (1  )  ?  Où  est-il  ce 
genre  humain ,  demande  M.  Lacordaire  lui- 
même.  Qui  l'a  vu,  qui  l'a  entendu  (2)?  Où  sont 
ses  missionnaires ,  quel  est  son  organe  ?  Je 
vois  bien  dans  TEglisc  catbotique  ce  tribu- 
nal, ce  chef,  ces  juges ,  cette  autorité  en  un^ 
mot  que  l'on  peut  consulter  et  qui  parle , 
qui  ordonne ,  qui  agit  et  se  fait  obéir.  Pour- 
quoi? Parce  que  son  divin  Fondateur  lui  a 
commandé  à! enseigner  ^  qu'il  a  doté  son 
épouse  de  sa  propre  puissance ,  qu'il  en  a 
garanti  l'immortelle  durée ,  qu'il  a  soumis 
toutes  les  intelligences  à  ses  décisions  j  et , 
par  tous  ces  moti& ,  je  suis  fondé  à  eroii*e 
à  l'infaillibilité  de  l'Eglise  catholique.  Mois 
qui  jamais  avait  osé  dire ,  avant  M.  de  La 
Mennais ,  que  ce  privilège  eût  été  donné  au 

(1)  M.  Boyer,  Examen ,  p.  132. 

(2)  (7ofM»(ieV.,  p.  168. 


DE   LA  mOVKXE  BÉRÉSIE.  '885 

genre  humain?  Quelles  promesses  de  ce 
genre  lui  ont-elles  jamais  été  faites  ?  De- 
mandez-«n  la  preuye  k  Thistoire  :  tout  en- 
tière elle  est  muette.  De  Torigine  des  choses, 
descendez  à  travers  les  siècles  jusqu'à  l'aTé- 
nement  de  Jésus-Christ ,  en  prenant  pour 
guide  non  pas  les  romans  que  l'on  nous 
débite  ici  sur  l'origine  des  sociétés  et  du 
langage ,  mais  les  récits  bien  autrement  au- 
thentiques de  nos  saintes  Écritures.  Elles  ne 
nous  parlent  que  d'un  funeste  héritage  d'i- 
gnorance, decriftie  et  de  malheur,  transmis 
par  le  crime  d'Adam  à  sa  postérité,  que  d'un 
joug  pesant  sous  lequel  le  genre  humain 
tout  entier  resta  courbé  pendant  quarante 
siècles ,  et  dont  il  ne  pouvait  être  émancipé 
que  par  le  sang  du  divin  Rédempteur  (1). 
Et  M.  de  LaMennais  ne  nous  parle  que  d'un 


(J)  Grave  jugum  super  filios  Adœ,  Eccli.,  XL,  1. 
Voyez  dans  Boisuet,  Elevât,  sur  le$  Mystères  ^  1. 1, 
X).  295  et  suiy.,  juscpi'à  la  page  330  (Edit.  in-12. 
Paris ,  1 727  )  les  suites  du  Péché  originel. 


iHM  msTomE 

patrimoine  d'infaillibilité  en  faveur  de  ce 
même  genre  humain ,  initié ,  nous  dit-on ,  à 
tous  les  mystères  de  la  future  Révélation  ! 
Qui  croire ,  de  TEsprit  saint  ou  de  M.  de  La 
Mennais  ?  Les  mêmes  Ecritures  nous  disent 
bien  que  notre  premier  Père,  au  moment 
de  sa  naissance ,  fut  mis  en  possession  d'un 
grand  nombre  de  vérités  qu'il  rendit  com- 
munes aux  familles  patriarcales  ;  et  de  là  les 
arts  et  les  sciences  répandues  dans  la  société 
humaine  ;  de  là  ces  vastes  souvenirs  si  pro- 
fondément empreints  dans  la  mémoire  des 
hommes  comme  sur  la  surface  du  globe  et 
dans  les  entrailles  de  la  terre ,  pour  attester 
à  jamais  la  vérité  de  l'historien  qui  nous  les 
raconte.  Mais  ces  lumières  primitives , 
vous  les  allez  voir  bientôt  s'effacer  et  dispa- 
raître dans  la  nuit  épaisse  qui  d'un  pôle  à 
l'autre  s'appesantit  sur  le  genre  humain. 
Quelques  éclairs  échappés  de  la  nue  ne  font 
pas  Iç  jour;  et  c'est  encore  l'Esprit  saint  qui 
nous  apprend  que  toute  chair  avait  cor" 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.  SM 

rompu  sa  voie  (1  ) ,  et  que  l'image  de  Dieu 
était  devenue,  dans  le  genre  humain,  ai 
méconnaissable ,  que  son  divin  Auteur  se 
repent  de  l'avoir  fait,  et  se  résout  de  le  re* 
nouvelerpar  un  déluge.  Le  genre  humain 
en  devient-il  meilleur  ?  Non.  Ses  iniquités 
passées  se  reproduisent  sous  des  formes  plus 
monstrueuses  qu'auparavant ,  quand  Dieu 
voulut  se  faire  un  peuple  à  part ,  dépositaire 
plus  fidèle  que  le  genre  humain  de  la  foi 
antique  partout  oubliée ,  portion  bien  fai- 
ble arrachée  à  la  corruption  universelle ,  et 
toujours  prête  elle-même  à  y  retomber. 
Abraham  paraît.  Le  saint  patriarche  ne  dut 
pas  assurément  à  l'autorité  de  la  raison 
universelle  et  du  commun  consentement 
la  Joi  par  laquelle  il  fut  justifié^  puisqu'il 
lui  fallut  une  vocation  particulière  pour  en 
faire  le  père  des  crojans  (2).  Quelle  était 
encore  la  situation  du  genre  humain  au 

(1)  Gen.,  VI,  12. 

(2)  iloifi.^iV»3, 11. 


temps  de  Moïse ,  des  Prophètes  et  de  tonte 
la  législation  mosaïque?  Une  nuit  profonde, 
où  toutes  les  opinions  erraient  à  Taventure, 
oit  tous  les  peuples  étaient  égarés  dans 
leurs  voies;  troupeaux  sans  pasteurs,  comme 
parie  Isaïe  (1).  Qu'était  le  peuple  juif  en 
proportion  de  tout  le  reste  du  monde  ?  Un 
faible  point  perdu  dans  l'immensité  du 
globe,  retraçant  k  chaque  instant  l'image 
de  cette  arche  conservatrice  de  la  race 
humaine  au  milieu  des  eaux  du  déluge  qui 
l'avaient  envahie  tout  entière.  Aussi  le 
reconnaissait-il  lui-même.  Le  seul  lieu  du 
monde  où  Dieu  soit  connu,  c'est  la  Judée; 
et  pas  une  autre  contrée  n'a  reçu  du  ciel 
un  aussi  précieux  bienfait  (2).  Partout  ail- 
leurs qu'à  Jérusalem ,  dans  un  si  petit  coin 
du  monde  ^  la  plus  délirante  idolâtrie  régna 
durant  une  longue  suite  de  siècles,  «  non- 

(1)  Isaïe,  LUI,  6. 

(2)  Notus  in  Judω  Deus ps.  LXXV,  2.  Non 

fecU  talUer  omni  natUmi^  ps.  CJOLVII,  20. 


DE   LA   NOUVEXLB   HÉRÉSIE.  TlUf 

M  seulement,  dit  l'Apôtre,  parmi  les  na^ 
«  tions  en  proie  à  l* impiété  et  à  V injustice  j 
<c  mais  parmi  les  Sages  eux-^memes  égards 
JBC  dans  leurs  oHiins  raisonnemens^  coupables 
'M  et  sans  excuse  de  retenir  la  vérité  cap^ 
>  tii^e  (i)'  »  L'histoire  de  l'humanité,  k 
chacune  de  ses  époques,  ne  fournit  que 
trop  de  preuves  à  cette  humiliante  accusa* 
lion.  Quels  monumens  l'érudition  de  M.  dç 
La  Mennais  opposait-elle  à  l'innombraUe 
multitude  de  témoignages  qui  la  confir» 
ment  ?  Lui-même  est  obligé  d'en  convenir^ 
C'est  même  sur  ce  fait  incontestable  qu'il 
établit  son  système  contre  l'aveuglement  de 
la  raison,  qui,  abandonnée  à  elle-même, 
s'est  plongée  tout  entière  dans  un  océaj;! 
d'erreurs ,  où  la  Religion  et  la  morale 
avaient  fait  avant  Jésus-Christ  un  si  déplo- 
rable naufrage  ;  mais,  pour  nous  faire  croire 
qu'elles  s'étaient  sauvées  dans  la  raison  gé- 
nérale comme  dans  une  arche  à  l'abri  des 

(1)  Rom.,  i,  18.  Eph,,i\,  17. 


M8  HISTOIRE 

tempêtes,  c'est-à-dire,  que ,  bien  que  chacune 
des  ""raisons  particulières  fât  sans  Dieu  et 
sans  loij  le  genre  humain  croyait  a  Dieu 
et  professait  un   Christianisme    anticipé; 
c^est-à-dire,  que  tous  les  membres  du  corps 
individuellement  étaient  infectés  de  la  cor- 
ruption de  la  mort,  et  que  cependant  le 
corps  était  plein  de  vie.  Conçoive  qui  pourra 
^ette  théorie.  C'est  là  pourtant  tout  i'Evan- 
^e  de  M.  de  La  Mennais.  Nulle  équivoque 
dans  son  langage  :  «  La  vérité  chrétienne 
«r  ne  naissait  pas  avec  la  Révélation  évan- 
tr  gélique  ;  elle  croissait.  Jésus-Christ ,  ve- 
«r  nant  au  monde,  y  trouvait  toutes  les 
n  vérités  établies  (1).  La  raison,  manifestée 
«r  par  le  témoignage  du  genre  humain,  sup- 
<r  pléait  le  Christianisme ,  avant  qu'il  n'eût 
«  paru  sur  la  terre  (2).  Jésus-Christ,  le  Verbe 
<c  de  Dieu ,  uni  à  l'intelligence,  a  l'esprit,  à 

(1)  JBMa»,p.  289. 

(2)  T.  II,  Préf.,  p.  xciv. 


DE  LA  NOUVEIXE  HÉRÉSIE.  3M 

«  la  Térité ,  avait ,  dès  l'origine  de  la  société 
«r  humaine ,  apporté  dans  notre  nature  le 
«  fondement  de  la  perpétuité  de  sa  reli- 
«  gion  (1  ).  »  Donc,  ce  n'est  pas  Jésus-Christ 
qui  a  ouvert  au  monde  les  portes  du  salut , 
reconcilié  le  ciel  avec  la  terre,  fléchi  en 
itiveur  de  l'humanité  le  courroux  de  Dieu 
son  père ,  écarté  par  son  sang  l'Ange  pré- 
posé k  la  garde  du  paradis-  pour  en  défendre 
l'entrée  à  la  race  d'Adam  ;  et  son  Apôtre 
s'est  trompé,  quand  il  a  dit  que  c'était  la  le 
seul  nom  dans  qui  il  fut  possible  que  les 
hommes  fussent  sauvés  (52).  Non;  la  doc* 
de  M.  de  La  Mennais  est  plus  rassurante. 
Ecoutons  ses  disciples ,  qui  nous  en  donnent 
la  clef  :  «  Il  suffisait ,  pour  être  sauvé ,  de 
ir  reconnaître   la  croyance  des  premières 
«  vérités ,  et  tout  au  moins  de  l'existence 
«I  d'un  Dieu  créateur  du  ciel  et  de  la  terre. 

(1)  Essai,  p.  489. 

(2)  Nec  enim  aliud  nomen  est  sub  cœh  éUUum  h(h 
minibus  in  qtio  oportQot  nos  salvos  fieri,  ^cU,  iv^  2« 


V  Parce  que  cette  reconnaissance  a  toujputs 
M  été  regardée  par  les  théologiens  catho- 
tt  liques  comme  indispensable  au  salut,  U 
ir  faut  bien  croire  qu'il  eùstait  avant  le 
*c  Christianisme  un  moyen  perpétuel  et  unir 
«r  versel  d'en  acquérir  la  foi  infaillible  (1).  » 
Or  ce  moyen,  quel  était-il?  I^a  r4isonfé* 
néraU  du  genre  humain. 
.  .Encore  l'efficacité  de  ce. moyen  ji(e  aéra- 
jh9lle  pas  bornée  aux  temps  qui  ont  pré* 
cëdé  la  venue  du  Sauveur.  Elle  s'étend  a 
ceux  qui  l'ont  suivie  ;  car  le  moyen  perpé- 
tuel et  universel  d'acquérir  une  foi  in&il- 
lible ,  l'auteur  le  déclare  esq^ir^ssémeut 
dislinct  de  VaiUorité  de  VEgJfse^  donc  i .  4ajas 
la.  pensée  de  l'auteur,  même  df  puis  i'instif 
tutiôn  de  l'Eglise ,  k  la  foi  divine  serait  ia%- 
«  possible  sans  cette  autonté  infûUible, 
«(  essentiellement  di£(tincte  de  l'Eglise  (2);  ^ 
et  il  est  visible  que  le  genre  humain. est  ici 

(1)  M.  Gerbet,  Doct,  philos. ,  p.  36. 

(2)  M.  Lacordaire,  Considér.y  p.  42,  43. 


DE   LA   KOUVfiUX   HÉRÉSIE.  351 

le  principe  de  la  foi  et  du  salut.  £cout<Mift 
un  autre  disciple ,  l'Elisée  sur  qui  particu- 
lièrement s'est  reposé  l'esprit  de  son  maître  : 
«  Sans  doute ,  nous  dit  celui-là ,  la  vérité 
K  est  ce.  a  quoi  adhère  la  raison  humaine } 
K  mais  ce  a  quoi  elle  adhère  partout  ettou- 
«  jours;  ce  sur  quoi  elle  n'a  2/arié  en  aucun 
«(  lieu  ni  en  aucun  temps  ^  l'universalité  et 
«  la  perpétuité ,  voila  le  caractère  distinctif 
te  du  vrai.  Or,  où  est  l'universalité ,  sinon 
K  dans  les  croyances  de  tous  les  peuples? 
«on  est  la  perpétuité,  sinon  dans  les 
(T  croyances  de  tous  les  siècles?  où  sont  tous 
«  les  siècles  et  tous  les  peuples,  sinofi.  dans 
t  le  genre  humain?  L^  genre  hupiaio.  çst 
fc  donc  le  dépositaire  df  ^  la  vérité  ;-  il  en  est 
ic  Toracle  infaillible  (1).  »  £t  qu'on  ne  dise 
pas  queM.  Lacordaire  désapprouve  ultérieii^ 
rement  le  système  du  Maître,  jusqu'à  le  quaU- 
ficr  de  protestantisme.  pL'exposer  en  tettiies 
aussi  ménagés  qu'il  le  fait  en  cet  endroit , 

(1)  M,  Rozaven ,  Eaamen,^,  131 . 


S8S  BISTOUE 

n'est-ce  pas  en  faire  l'apologie  plutôt  qne  la 
censure?  Ce  qu'il  blâme,  c'est  la  trop  grande 
extension  que  M.  de  La  Mennais  lui  a  don-* 
née  ;  mais  il  la  rend  plausible  par  une  sorte 
d'affectation  à  l'autoriser  par  la  mauvaise 
application  des  témoignages  dont  il  la  for- 
tifie (1).  Nul  Aoute  que  V universalité  et  la 
perpétuité  ne  soient  le  caractère  distinctifdu 
n)rai;  et  certes  nous  sommes  fondés  à  les 
revendiquer  en  faveur  de  notre  Eglise  ca- 
tholique. Nos  Docteurs  chrétiens  de  tous 
les  temps  n'ont  pas  manqué  de  faire  valoir 
pour  elle  cette  preuve,  qui  la  distingue  n 
éminemment  de  tout  ce  qui  est  humain. 
Lisez  entre  autres  un  des  plus  beaux  discours 
de  Mas^on,  qui  la  développe  avec  éclat  (2). 
Et  qu'est-ce  que  l'admirable  discours  de 
Bossuet  sur  l'histoire  universelle?  qu'est-ce 

(1)  Comidir.,  p.  60  et  174.  Nous  y  répondronf 
au  cliapitre  vi. 

(2)  Carême ,  t.  I.  Serm. ,  Sur  la  Virité  de  fo  JRe- 


BB  LA  NODVBLU  nSlÉSIE.  S8S 

que  le  livre  de  la  cité  de  Dieu  de  saint  Au- 
gustin? que  la  savante  démonstration  de 
cette  vérité.   Jamais  homme  de  sens  ne 
songera  a  l'appliquer  au  genre  humain ,  bien 
que  le  genre  humain  se  compose  de  tous  les 
siècles  et  de  tous  les  peuples.  Mais  nous  avons 
encore  d'autres  titres  de  gloire  à  compter 
pour  notre  Eglise.  On  les  connaît;  ils  sont 
indiqués  dans  tous  les  livres.  Eh  bien  !  que 
les  partisans  de  l'infaillibilité  du  genre  hu- 
main osent  ici  établir  leur  parallèle  entre 
l'Eglise  et  le  genre  humain  !  Les  mettre  de 
pair  l'une  avec  l'autre  est  déjaune  absurdité. 
L'Eglise  catholique  a  pour  elle  une  évidence 
de  faits  solennels ,  irrécusables ,  à  la  portée 
de  tous,    tandis   que   l'autorité  du  genre 
humain  n'a  rien   qui  la  constitue  qu'une 
autorité    récente,    arbitraire   et   combat- 
tue (1).  L'Eglise  a  pour  elle  la  parole  de  son 
divin  Maître  ;  de  sa  bouche  sacrée  est  sortie 
la  promesse  que  les  portes  de  Venfer  ne 

(1)  M.  Lacordaire,  Considérai.,  p.  158. 


-préiHZudrorU  jamais  corUre  elle  :  les  portes 
de  l'enfer  l'ont  assaillie  et  se  sont  brisées. 
Qu'elle  nous  parle  de  son .  infÎEdllibîlité, 
certes  elle  en  a  le  droit;  mais  le  genre  hu- 
main ,  oii  sont  ses  titres  de  créance  ?  Je  de- 
mande quel  est  son  organe,  personne,  ne 
jrépond;  quel  est  son  chef,  ses  ministres, 
ses  miracles,  ses  sacremens;  tout  est  muet; 
seulement  on  nous  dit  «  que  son  aotorité 
f  est  un  fait  ausû  bien  que  l'autorité  de 
«  l'Eglise.  —  Du  moins  faut-il  le  prouver. 
•c  —  Non ,  nous  ne  le  prouvons  pas.  —^ Mais 
•V  si  vous  ne  le  prouvez  pas ,  comment  donc 
ft  l'établissez- vous  ?  —  Notre  réponse  est 
«:  bien  single  :  nous  l'établissons  comme 
r  fait,  qu'il  faut  admettre  sans  preuves,  sons 
r  peine  d'être  sceptique  ou  insensé  (1).  » 
De  bonne  foi,  si  nous  n'avions  à  alléguer 
dans  la  cause  de  notre  Eglise  que  de  pareils 
raisonnemens,  il  y  a  long-temps  que  les 
portes  de  l'enfer  auraient  prévalu  contre 

(1)  M.  de  La  Mennais ,  Essai  ,  !!•  vol. ,  oh.  XJV. 


DE   LA   StilbVtaUÉ  HÉRÉSIE.  iM 

elle ,  et  téduit  en  poudre  la  colonne  de  la 

"Vérité. 

» 

On  s'efforce  de  les  réunir  par  une  con- 
Aeiiion  intime  qui,  en    les  rapprochant, 
laisserait  à  l'Eglise  son  incontestable  supé- 
riorité   :    «  L'Eglise  avant  Jésus  -  Christ , 
«  raison  générale ,  manifestée  par  le  té- 
«  moignage  du  genre  humain^  »  Par-lh, 
Pautorité   et    Tinfaillibilité    de   l'Eglise  se 
communiquaient  au  genre  humain.  Autre 
contradiction ,   monstrueuse    alliance  que 
PApôtre  foudroyait  par  ces  paroles  :  k  Quelle 
*  transaction  peut-il  y  avoir  entre  Jésus** 
«r  Christ  et  Bélial  (1  )  ?  »  Dans  cette  Eglise 
amalgamée  de  la  sorte  avec  les  temps  d'a- 
vant Jésus-Christ ,  placez  k  côté  d'elle  une 
autorité  autre  que  la  sienne;  même  en  la 
déclarant  supérieure  ,  vous   la    dégradez. 
Comment  une  autorité  quelle  qu'elle  soit, 
pourrait-elle  être  plus  grande  qu'une  aiitre 
autorité  infaillible;   l'infaillibilité  étant  le 

(1)  Quce  convcntfo  ChristiadBelial  ^u^  Cop.  vi,12. 


886  HMTOtRfi 

terme  extrême  de  Fautorité?  Jésus^-Chist 
est-il  divisé?  Son  Eglise,  pas  davantage; 
elle  est  seule  on  n'est  rien«  Cessez  de  l'ap- 
peler une^  si  vous  lui  donnez  une  égale; 
sainte^  si  vous  l'associez  au  règne  de  rido* 
latrie.  Est-ce  qu'elle  n'existait  pas  alor» 
dans  la  synagogue  et  dans  le  peuple  juif? 
Oui,  sans  doute;  parce  que,  concentrée 
dans  son  sanctuaire,  elle  ne  se  répandait 
point  au  dehors.  Que  si  l'universalité  et  la 
perpétuité  de  croyance  était,  dans  le  sens  de 
la  nouvelle  école,  les  marques  distinctii^es 
du  vraij  et  si  la  raison  humaine ,  incapable 
de  rien  connaître  certainement ,  doit  tou- 
jours se  régler  d'après  l'accord  général  et 
le  consentement  le  plus  universel ,  le  paga- 
nisme fut  donc  alors  la  religion  véritable  ! 
L'idolâtrie  possédait  seule  la  certitude  iné- 
branlable ;  les  cultes  infâmes  de  Sérapis  et 
de  Molock,  d'une  Vénus  adultère,  d'un 
Mercure  voleur,  d'un  Jupiter  incestueux, 
étaient  les  seuls  légitimes,  puisque ^euls  ils 


DE   LA  NOITVELLE   HLRÉ8IE.  357 

étaient  reconnus  dans  tous  les  lieux  de  l'u- 
nivers, un  seul  petit  coin  du  monde  excepté  ! 
Jésus-Christ ,  le  verbe  de  Dieu  uni  à  l' intel- 
ligence j  a  l'esprit ,  a  la  vérité j  était  uni  au 
Sabéisme  de  l'Orient,  aux  superstitions  de 
Memphis  et  de  Babylone ,  aux  extravagances 
du  polythéisme  grec  et  romain  ;  et  l'Eglise 
des  Démons  fut  véritablement  l'Eglise  œcu- 
ménique! C'était  le  peuple  hébreu  qui  avait 
tort  de  préférer  ses  croyances  locales  et 
solitaires  a  l'autorité  universelle  du  genre 
humain;  et  Socrate,  condamné  à  boire  la 
ciguë  pour  avoir  cru  a  l'unité  d'un  Dieu , 
était  une  expiation  nécessaire,  demandée 
au  nom  de  la  vérité,  puisqu'elle  s'exécutait 
au  nom  de  la  religion  universelle* 


T.I. 


3S2 


CHAPITRE  yil. 


TradUio7i8  primitives  conservées  dans  le   genre 
humain.  ScntUnent  des  Pères, 

Vous  vous  méprenez,  nous  répond  St.  d< 
La  Mennaîs  :  l'erreur  n'était  que  dans  leis 
apparences  j  la*  vérité  existait  au  fond  d( 
toutes  les  croyances^toutes  dépravées  qù'ellei 
étaient,  elles  n'empêchaient  pas  que,  sousl; 
grossière  écorce  de  ses  superstitions ,  on  n( 
retrouvât  les  vérités  primitives  que  la  main^cr:^ 
de  Dieu    avait  semées   dans  l'univers, 
divine  parole,  déposée  au  sein  de  la  société, 
transmise  aux  familles  patriarcales  par  1( 


mSTOniE   Dfi  LA  KOfJVELLE  HÉRÉSIE.       STO 

Pèife  du  genre  humain ,  portée  dans  toutes 
1(B8  parties  de  ia  terre  par  les  fondateurs  des 
liatioM ,  s'est  conservée  fidèlement ,  pleine 
dé  yie  et  de  fécondité  dânà  îeâ  écrits  de  la 
gentilité,  dans  lés  monuttiens  et  les  t^di- 
tibns ,  dans  les  chants  de  la  poésie  ,  les  ré- 
cita de  rhistbire ,  lés  sehteiicés  des  {)hiloso- 
phes  et  les  mensonges  de  la  mytholb^e,  dans 
la  pompe  de  ses  fêtes  publiques ,  et  l'ombre 
de  ses  mystères;  poussière  sàclrée  que  fécon- 
dait lé  Verbe  de  Dieu ,  porte  ap|)areiiiment 
sur  le  chaos  de  l'idolâtrie ,  comme  autre- 
fdis  son  esprit  sur  l'abîme  des  eaux.  «  Cela 
«  posé ,  nrfus  dit-on ,  quelles  futent,  quelles 
«  sont  les  'croyances  du  genrte  huihâih?  Il 
W  croît  hôtt-seulement  k  ces  maximes  pre- 
W  inières  et  indémontrables ,  qui  sont  là  basé 
ff  de  toutes  les  scieh'ces ,  mais  ehcore  à  t'exîs- 
•r  tènce  d'un  Dieu  créateur  des  choses  vi- 
<c  sibles    et   invisibles ,   auquel    l'homme , 
cf  son  ouvrage ,  doit  un  culte  d'adoration  j 
ff  il  croit  au  bien  j  au  mal ,  à  la  punitîton  du 


CHAPITRE  YII. 


Tradiiio7i8  primitives  conservées  dans  le   genre 
humain.  Sentiment  des  Pères. 

Vous  vous  méprenez,  nous  répoiid  M.  dl 
La  Mennaîs  :  l'erreur  n'était  que  dans  le»   -^ 
apparences;  la* vérité  existait  au  fond  de^^  ® 

toutes  les  croyancesjtoutes  dépravées  qu'elles  -^ 
étaient,  elles  n'empêchaient  pas  que,  sous 
grossière  écorce  de  ses  superstitions ,  on  n< 
retrouvât  les  vérités  primitives  que  la  maîi 
de  Dieu    avait  semées   dans  l'univers, 
divine  parole,  déposée  au  sein  de  la  société, 
transmise  aux  familles  patriarcales  par  h 


mSTOniE   DE  LA  KOirVCLLE   HÉRÉSIE.       9SS0 

Pèife  du  g^nrë  humain ,  portée  dans  toutes 
llss  partleé  de  ia  terré  par  les  fbhdateurs  des 
tlfttiotift ,  s'est  conservée  fidèlemétit ,  pleine 
de  vie  et  de  fêcondité  dânà  îe^  éciits  de  la 
{[èiitilité,  daiis  lès  monûttoens  et  le^  ti^ddi- 
tibiis  i  dan^  les  chants  de  la  poésie  ,  les  ré- 
cita de  l'histoire ,  les  séiiteiicës  des  ^hiloào- 
phés  et  les  mensonges  dé  la  mytholb^e,  dans 
la  pbmpe  dé  Ses  fêtes  publiques ,  et  l'ombre 
de  sesinystëres;  pbussière  sàclrée  que  fécon- 
dait le  VeAë  de  Dieu ,  porte  ap|>areiiimeni 

i 

sur  le  chaoi  dé  l'idolâtrie ,  comme  àiitre- 
ibis  sbii  esprit  sttr  l'abîme  des  eaux,  k  Cela 
«f  pbié ,  rtbbs  dit-on ,  quelles  futent,  quelles 
fc  sonit  les  broyanc'és  du  genrb  huihàih?  Il 
V  cfoît  titttt-seulement  k  ices  maximes  pre- 
-ir  inîëres  et  indéblontrables ,  qui  sont  là  basé 
«  de  touteèles  sciéh'ces ,  imàis  ehcore  a  t'exîs- 
*  tëiricè  d'un  Dieu  créateur  dès  choses  vî- 
fc  sibles  et  invisibles  ,  auquel  l'homme , 
«f  son  ouvrage ,  doit  un  culte  d'adoration  ; 
«  il  croit  au  bien  j  au  mal  ^  à  la  punitibh  dû 


840  msTOiHB 

«  mal ,  à  la  récompense  du  bien  ;  il  croit 
fc  que  rhomme,  aujourd'hui  malheureux  et 
«  corrompu,  ne  l'a  pas  toujours  été  ;  qu'un 
«  Réparateur  lui  fut  promis,  qui  devait,  par 
«  un  grand  sacrifice ,  réconcilier  l'homme 
(c  avec  Dieu  ;  il  attendit,  il  salua  de  loin  ce 
«  Réparateur;  et  ce  Réparateur  est  Tenu, 
fc  puisqu'il  a  cessé  de  l'attendre  ;  et  l'Eglise 
fc  catholique ,  recevant  de  nouveau  par  le 
«c  Christ  la  parole  de  Dieu ,  source  primitive 
«  de  ces  traditions  universelles  et  perpé- 
«  tuelles ,  a  confirmé  la  foi  du  genre  hu- 
«c  main;  et  le  genre  humain,  se  confondant 
«  avec  l'Eglise  catholique  répandue  partout 
ir  l'univers,  n'a  plus  eu  qu'une  voix(1).  » 

Il  est  clair,  d'après  cette  théologie,  que 
l'univers  d'autrefois  crut  les  mêmes  dogmes 
que  croit  l'univers  d'aujourd'hui;  que  le 
genre  humain  a  joui  constamment  des  mêmes 

(1)  M.  Lacordaire  ,  Considérât./^.  43,  44,  171. 
Résumant ,  dans  ce  peu  de  lignes ,  les  six  ou  sept 
cents  pages  de  M.  de  La  Mennais  à  ce  si^yet. 


DB    LA   NOrVEIXB   DÉBÉSIE.  541 

priyiléges  que  l'Eglise  tient  de  la  toute-puis- 
sance   de    Jésus -Christ;   que  si  la  vérité 
manquait  à  ces  croyances,  comme  on  veut 
bien  en  convenir,  elles  avaient  du  moins 
pour  elles  l* unités  l'universalité^  la  perpé- 
tuité; ce  qui  pourtant  s'accorderait  assez 
mal  avec  tout  ce  que  les  historiens  et  les 
voyageurs  nous  racontent  de  peuples  anciens 
et  modernes  oîi  elles  furent  autrefois  à  peine 
connues,  ainsi  que  maintenant  encore  chez 
une  foule  de  nations  de  l'Asie,  de  l'Afrique 
et  des  deux  Amériques  ;  et  ne  s'accorderait 
pas  davantage  avec  ce  que  nous  savons  des 
anciennes   écoles    d'Ëpicure,    de   Zenon, 
d'Aristote  lui-même  ,  qui  rapportaient  tout 
à  la  matière  ou  k  la  fatalité;  qu'avant  Jésus- 
Cbritft  le  dogme  de  la  création  du  monde 
sans  le  concours  de  la  matière,  celui  de  la 
résurrection  des  morts  n'était  pas  même 
soupçonné  ailleurs  que  chez  les  Juifs.  Mais 
il  faut  bien  croire,  puisqu'on  nous  V^^rme 
avec  tant  d'assurance,  qu'il  n'y  eut  jamais 


!Mtt  msxfHRe 

dans  celte  cbaîne  iraditiqnnellcj  iii  vide  ni 
cibiCMrités.  Gar4ez*TQU8  donc  de  prandce  à 
la  letUe  le  récit  que  nous  font  les  livrea 
aaints  an  sujet  de  saint  Paul  et  de  son  voyage 
a  Athènes ,  lorsque ,  se  rencontrant  dans  la 
synagogue  et  dans  l-aréopage ,  entouré  de 
Juifs  et  des  philosophes  ^e  différentes  sectes^ 
pour  leur  annoncer  Jésus-Ghrist  et  sa  ré^ 
demption ,  la  création  du  monde  par  la  seule 
pacole  du  Dieu  Seigneur  unique  du  ciel  el 
de  la  terre,  sa  Proyidence  et  la  iîiture  ré* 
snrrection  des  morts ,  tous  ces  beaux-^esprits, 
aussi  curieux  d'antiquités  qu'avides  de  chosef 
nnuTelles ,  se  pressaient  autour  de  lui  pour 
lui  répondre  :  ^  f^ous  nous  dites  de  certaines 
«  choses  dont  nous  n'avons  point  encore  en^ 
«  tendu  parler^  nous  voudrions  bien  saiHHr 
M  ce  que  c'est(\).  »  Ce  que  l'univers  tout 
entier  savait  depuis  quatre  mille  ans ,  Athè^ 
nés  seule  l'ignorait  ! 

L'artificieux    sophiste   mêle   ici  comme 

(!)?Act.,  xvn,  IM% 


DE  LA  Noyyça^  ^résie.  S^j!^ 

p^toijt  If)  faux  ^t  le  vrai.  Sor  point  de  4ér 
p^t  ne  lui  $era  point  contesté.  11  avait  ét^' 
fixé  par  nos  Livres  saints  eux-mêmes ,  lors^ 
^'ik  repi:ophent  en  effet  aux  écrivaii^s  du 
paganisme  d'avoir  dérobé  aux  Livres  de  ^ 
loi  les  types  de  J^urs  fabuleuses  histoires  (i  ). 
Et  combien  de  savantes  controverses  à  e» 
suj^^t  i^'i^vaient- elles  pas  porté  jusqu'au 
dernjier  degiré  d'évidence  la  conformité  de 
c#a  tràvestissiemens  avec  nos  orignaux  sa*- 
cré^!  IL  s'en  fallait  donc  beaucoup  que  la 
découverte  en  appartînt  k  M.  de  La  Mennais  ; 
et  tpitt  ce  pompeux  étalage  d'une  érudition 
eiapr^ntée  à  quelques  livres  modernes  avait 
besoin ,  pour  échapper  au  reproche  de  pla-» 
^^j  de  s'étayer  de  quelque  chose  de  plus  per*- 
çonnel  a  lui.  Il  l'a  fait  par  l'énoncé  d'une  doc-p 
trine  où  personnene  lui  contestera  lapriorité« 
Il  suppose  que  quelques  traits  de  lumière 
çà  et  la  répandus  dans  4a  vaste  étendue  des 

(i)  Libros  îegis  de  quibusscrufabantur  pentes  simir- 
liêudinem  simuîacrorum  suorum,  I  Maca}).,  irr,4S. 


S44  HfSTOIllE 

quatre  mille  ans  qui  précédèrent  le  Chris* 
tianisme,  jetés  a  tr.ivers  la  nuit  épaisse  de 
l'idolâtrie,  n'en  avaient  pas  été  moins  suffi- 
sans  pour  en  dissiper  la  profonde  obscurité; 
que  ces  faibles  ruisseaux  égarés  de  la  source, 
et  traînant  après  eux  un  limon  impur  ^  étaient 
tespectables  comme  la  source  elle-même; 
que  quelques  fragmens  isolés ,  fugitifs ,  pro- 
clamés à  voix  basse  par  des  philosophes  qui 
les  expliquaient  arbitrairement ,  et  les  ré- 
servaient au  secret  de  leurs  écoles  et  de  leurs 
initiations,  formaient  tous  seuls  le  système 
entier  de  cette  Révélation ,  déposée  par  la 
parole  de  Dieu  au  sein  de  la  société ,  per- 
pétuée uniformément  k  travers  toutes  les 
vicissitudes.  Pour  cela ,  il  entasse  six  a  sept 
cents  pages  de  citations  extraites  des  poètes, 
des  philosophes,  des  lois,  des  historiens 
d'une  multitude  de  siècles  et  de  contiées. 
K  Quand  vous  lisez  cela ,  »  nous  dit  M.  La- 
cordaire,  «  votre  vue  se  trouble  à  tout  mo- 
(c  ment;  le  genre  humain  passe  devant  vous 


DE   LA  NOVYELLE  BÉIUSSDE.  345 

«r  SOU8  mille  costumes  divers,  en  parlant  mille 
t(  langues.  Si  vous  voulez  vérifier  les  textes, 
(f  les  peser,  les  comparer,  saisir  la  justesse 
«  des  interprétations  qu'on  en  donne;  c'est 
«r  un  travail  considérable,  même  pourTar- 
((  chéologue  le  plus  instruit;  les  six  cents 
H  pages  vous  forceront  d'en  lire  des  millions, 
tr  Si  vous  ne  vérifiez  rien ,  qui  vous  assure 
((  de  la  portée  véritable  des  textes  qui  pas- 
ft  sent  devant  vos  yeux?  Car  il  ne  s'agit  pas 
<r  de   l'exactitude    matérielle,   mais  de  la 
«  relation  d'une  i^u  de  deux  phrases  avec  la 
«r  pensée  intime  de  peuples  anéantis.  »  Il 
est  surprenant  que  ces  observations  si  sim- 
ples ne  se  soient  présentées  qu'après  gua^ 
torze  ans  k  la  pensée  du  subtil  a.dçpte  qui 
nous  les  fournit;  bien  plus  surprenant  en- 
core que  ni  Jésus^Christ ,  ni  ses  Apôtres ,  ni 
aucun  de  leurs  disciples,  aient  songé  jamaU  à 
imaginer  de  pareils  témoignages  en  faveur  de 
la  vérité  chrétienne  ;  qu'ils  en  aient  appelé 
souvent  à  Moïse  et  aux  Prophètes ,  jaqiais  à 


SéB  niSToiftE 

rautorité  de  )a  foi  du  genre  humain ,  ni  de 
ses  traditions.  Saint  Paul  cite  aux  Grecs  un 
vers  d-ifn  de  leurs  poètes,  seulement  pour 
les  mettre  en  contradiction  avec  eux-mêmes. 
Permis  d'employer  les  dépouilles  de  l'Egypte 
a  la  décoration  du  temple ,  non  à  sa  sUruc- 
ture.  Ainsi  des  Pères,  dans  l'emploi  qu'ils 
ont  fait  des  textes  profanes. 

Qu'il  existât  donc  parmi  les  hommes  un 
ordre  fie  vérités  généralement  reconnues , 
axiomes  universels,  invariables,  placés  hors 
de  la  controverse  et  de  la»  démonstration , 
on  ne  le  conteste  pas ,  et  nous  l'avons  exposé 
dans  les  commencemens  de  cet  ouvrage  : 
qu'avec  eux,  )es  principales  vérités  de  la  mo- 
rale se  manifestassent  d'elles-mêmes  a  toutes 
les  intelligences,  parce  que  le  sentiment 
s'en  trouvait  imprimé  dans  toutes  les  âmes  : 
cette  proposition  est  également  hors  de 
doute.  C'était  la  un  fonds  commun^  oii  les 
esprits  méditatifs  venaient  puiser  leurs  étu- 
des solitaires  sur  Thomme  et  la  société. 


DE   LA  NÛU¥flX|  HÉRÉSIE.  ^f 

L$^  naturQ  et  la  raiso^  çeu^e  y uflisai^t  à  Tacr 

np  p^s^ jami||9  ^întçppg^f:  là-de^ua  ^  rai- 
^OD  ^^p^r^le  >  puisque  chacyia  eq  ^puYa^t  fi) 
gq^mêf^P  k  t^tpQigftag^.  Poiqt  d'inppiç^îiq,! 
particulier^,  poj<^^  f^^  ^^^  4WaiUi))iUt4 
qui  ^  £{;  la  réyélatioif  aux  if)divi(|ifs  ispl($s, 
qfipins  encore  au  gp^t^e  humain.  Quaqt  auif 

fait3  iff^pprtan^  >  aft-des^w  de  Vqf 4ip*Mr?  * 
gui  ^yj^i^pf  dji  frapppf  l^agj^ftlîftfi  jles  çgij: 
tçmppraifis»  ^a^qé^pire  s'en  pqf^seryajf;  dan^ 
k  PR^^^f^^4  P^^  1^  canal  de  la  ^adifipn ,  e{; 
sqrya^  ^  prpuyqr  l'a^l^^atici^é  d^s  Ecriture! 
qui  en  contenaient  Ij^s  api^alqs  Iç^  plus  £4^7 
le^.  Toujours  exacts,  le3  Pèrpi^  4l^  TEgU^ 
grecque  et  latine  avai^qt  biei^  senti  V^'v^ff': 
tage  que  leurs  rapproçjiemens  .^vec  les  récits 
fies  écrivains  probes  dpnnaiept  k  la  caujs^ 
^éyapgéUque,  en  certifiant  leur  ai^tiquité 
qoatrp  leg  païeqs  »  qui  ]và  rçpr^b^^nJt  d^ 
tre  japuyeUe.  II?  ont  interrogé  lei  pQ^»i  le* 

%]»itt0B  sur  h  Çbrirt  >■  pQur  y  lire  ^»  w^ûuxi 


548  mgTOiHE 

non  des  prophéties  ;  ils  ont  fouillé  dans  les 
mystères  de  la  gentilité,  pour  forcer  les  dé- 
mons à  reconnaître  la  divinité  de  Jésus- 
Christ ,  mais  non  pour  en  faire  ses  apôtres; 
ils  ont  cité ,  accumulé  tant  qu'on  voudra,  les 
textes  et  les  monumens  pris  aux  siècles  païens, 
*comme  médailles ,  non  comme  révélations, 
moins  encore  comme  fondement  même  de 
la  certitude  et  de  la  vérité.  Même  en  accré- 
ditant Foplhion  que  quelques  philosophes 
d'un  ordre  supérieur,  par  exemple  un  Pla- 
ton ,  un  Socrate ,  se  fussent  élevés  par  leurs 
lumières  naturelles  on  par  des  communica- 
tions directes  avec  le  peuple  juif,  à  dés  no- 


tions voisines  des  vérités  chrétiennes,  îlrestc^ 
rait  à  prouver  qu'ils  en  avaient  rendu  la  con — 
naissance  populaire;  ce  qui  est  démenti  pa:^ 
tous  les  témoignages.  Pas  un  qui  n'eût  s^ 
doctrine  occulte ,  qu'ils  avaient  grand  soin 
de  ne  confier  qu'à  leurs  initiés;  aussi  saint 
Augustin  affirmait-il  que  si  hors  du  temple 
et  dans  leurs  écples  ils  s'éloignaient  des  opi- 


DE   LA   NOUVELLE  HÉRÉSIE.  549 

nions  vulgaires,  rassemblés  dans  le  temple, 
aux  pieds  des  mêmes  autels ,  ils  s'asservis- 
saient  aux  opinions  des  peuples;  «  car  tous 
«  ces  hommes,  ajoute  le  grand  évêque,  n'é- 
<c  taient  pas  nés  pour  convertir  les  peuples 
cr  de  la  superstition  des  idoles  et  de  la 
«  vanité  de  ce  monde,  au  culte  du  vrai 
«  Dieu  (1).  * 

Ces  antiques  traditions ,  M.  de  La  Men- 
nais  les  a  ramassées  dans  un  seul  faisceau , 
qui  lui  sert  à  composer  son  argument  d'au- 
torité en  faveur  du  consentement  universel 
du  genre  humain ,  son  critérium  de  la  vé- 
rité ,  le  principe  unique  de  la  certitude  et 
le  sceau  de  Finfaillibilité .  Sa  doctrine  à  ce 
sujet ,  déjà  manifestée  dans  le  premier  vo- 
lume de  V Essai  sur  l' Indifférence^  il  Ta  dé- 
veloppée prolixement  dans  toute  la  suite  de 
l'ouvrage,  et  consumera  pour  sa  défense 
quatre  volumes  de  raisonnemens  et  de  té- 
moignages; raisonnemens  sans  fin,  pour 

(1)  Deverd  Relig,,  Bened.,  1. 1,  p.  748. 


prouver  qu'il  faut  se  lenir  en  garde  cônlrb 
tout  raisonnement ,  et  réduire  au  silencfe  la 
raison,  qui  ne  raisonne  jamais  que  {ibtit 
exter.  Cest  là  le  cimeht  et  tout  lé  corps  dé 
son  ëdifide.  Soùs  la  commune  inspiration  de 
leur  màttre ,  le^  disciples  en  foîit  la  base  de 
leiir  cêirtitùde ,  sans  autre  deisiseih  (jpië  célili 
d'ébranler  toutes  les  certitudes.  Avec  Idi, 
ils  proclament  que  lé  principe  dé  la  Ibl ,  1 
fondéinent  de  toute  certitude  ;  est  'dâitit 
ràisijn  générale,  et  ne  s'en  éloighétit  q 
parleurs  variations,  caractère  dé  tout  tbnip 
inséparable  de  l'erreur;  tous  en  foiît  là  bas 
Ue  leurs  théories.  M.  Là  Cot*dairé  lui-mé^é^ 
'eh  l'abandonnant  comme  erronée  ;  Wj  Vbî 
pas  htoins  une  preuve  nouvelle  dé  Iti  r^Vé 
lâHôh  divine  (1).  C'eit  a  cellé-la  qu'ils  àftà^ 
ehetit  le  plus  grand  degré  dé  certitude  ;  le 
resté ,  ils  l'abandonnent  à  l'école  rëùtih^re 
du  câtt'ésiànisnie  ;  ils  le  dédaignent  c'&iiAnh 
incomplet,  insuffisant,  inintelligible,  làîàsiifiit 

(j)  Conêiàérai,,  p.  53^. 


-9 


DE   LA  NdOVÈLUS  HÉRÉSIE.  Jfttl 

dans  renseignement  théologiqne  un  vide  qui 
né  pouvait  être  fempli  que  par  eux:  Ile  île 
a^en  tiennent  pas  Ik  ;  ils  le  dénoncent  à  VH^ 
nivers  catholique  comme  ùh  vèftin  funèète 
et  taché. 

• 

M.  de  La  Metinais  pouvait  bien  ^e  cbh^ 
tèiitèr  de  faire  servir  les  mensonges  dé  Tàii- 
tiquité  au  triomphe  de  la  vérité  chrétienne, 
et  peu  de  personnes  Fauraient  cbnttedit; 
ifiais   il   fallait  au  pliis  puissant  génie  du 
iix*  Siècle  quelque  chose  h  quoi  personne 
TÎ'eût  encore  songé.  Quelle  gloire  de  récii- 
\eT  des  limites  où  s'était  arrêtée  la  pensée 
fies  plus  grands  hommes,  de  se  créer  un 
liorizon  sans  bornes ,  par-delà  ce  qu'àvâiéni 
âi[>erfcu  les  Justin,  lés  Clément  d'Alëxan- 
Jdrie ,  les  Eusèbe ,  les  Lactancé ,  les  Thomas 
d'Aqiiiri ,  lés  Augustin  et  les  Bossuét  !  N^y 
àvàit-il  pas  plus  d'audàcé  et  plus  de  gloire  a 
bâtir  une  église  sur  la  poussièrie  des  morts , 
iqU'a  là  bâtir  sur  le  roc  ? 

Us  savaient  bien,  tous  ces  grands  hommes, 


988  HI5T0UE 

rhonneur  de  la  raison  humaine  autant  que 
de  la  religion  ;  ils  savaient  bien  que  la  phi- 
losophie avait  pu  préparer  les  voies  a  la 
prédication  évangélique  ;  mais  qu'elle  avait 
laissé  ces  mêmes  voies  dans  une  obscurité 
profonde  que  la  seule  lumière  de  l'Evan- 
gile était  capable  de  dissiper;  que  la  tradition 
orale,  canal  de  la  vérité  primitive,  avait  été 
bientôt  rendue  méconnaissable  par  le  limon 
impur  des  superstitions  dont  elle  était  sur- 
chargée y  qu'elle  n'avait  ])as  pénétré  dans 
tous   les   lieux;    que    la   tradition    écrite, 
n'ayant  été  donnée  qu'a  un  seul  peuple  pri- 
vilégié, n'avait  été  nulle  part  remplacée  par 
la  raison  générale;  que  cette  tradition  écjrite 
avait  eu  elle-même  besoin  d'une  autorité 
parlante  etenseignante,  d'un  tribunal  chargé 
d'en  expliquer  les  oracles.  Aussi,  toutes  les 
fois  que  les  calvinistes  opposaient  Tautorité 
de   l'Ecriture  ,    comme  parole  de  Jésus  - 
Christ,  suffisante  pour  résoudre  les  doutes, 
en  matière  de  religion,  Bossuet  ne  s'en  con- 


DE   LA   KOUVELLE   UERESIE.  3S5 

tentait  pas,  et  ne  manquait  pas  de  leur  ré- 
jpondre  :  *  Faites  revenir  Jésus^Christ ,  en- 
cf  seignant,  préchant,  faisant  des  miracles; 
«r  je  n'ai  pins  besoin  de  l'Eglise;  mais  aussi, 
K  ôtez-moi  l'Eglise ,  il  me  faut  Jésus-Christ 
ce  en  personne,  parlant,  prêchant,  décidant 
(c  mec  des  miracles  et  une  autorité  infailli- 
«  ble.  —  Mais  vous  avez  sa  parole?  —  Oui, 
ir  sans  doute,  nous  avons  une  parole  sainte 
fr  et  adorable;  mais  qui  se  laisse  expliquer 
«  et  manier  comme  on  veut,  et  qui  ne  ré- 
tf  plique  rien  k  ceux  qui  l'entendent  mal.  Je 
(f  dis  qu'il  faut  un  moyen  extérieur  de  se 
ce  résoudre  sur  les  douteâ ,  et  que  ce  nloycn 
«  soit  certain  (i).  »  Or,  nous  l'avons,  con- 
cluent avec  Bossue t  tous  no^s  dix-huit  siè- 
cles chrétiens  ;  nous  l'avons  ,  cette  autorité 
une ,  divine ,  perpétuelle ,  infaillible ,  dis- 
tincte de  la  raison  humaine,  qui  n'est  ni 
divine ,  ni  infaillible ,  quoi  qu'en  puissent 
dire  M.  de  La  Mennais  et  ses  adhérf^ns. 

(1).  Conférence  avec  le  ministre  Claude. 

T.  1.  23 


V  èipes  laYcc  la  foi^  la  foi  humaine  avec 
r  foi  divine  ^  l'infiaiillibilité  frônàst  par  Je- 

■ 

«r  sus-C)irist  a  son  Eglise  avec  la  prétendue 
«  infaillibilité  d'une  certaine^  raison  générale 
¥  qu'ils  ne  sauraient  définir.  Constannaient 
«  en  contradiction  avec  eux-mêmes,  ik  veu- 
c  lent,  disent*ils  ,  prémunir  la  raison  indi^ 
i.  viduelle  contre  le  doute  universel ,  et  ils 
ff  commencent  par  enseigner  que  cette  raî- 
«r  ^n*  ne  peut  acquérir  sur  rien  une  vérita- 
tr  ble  certitude.  Us  reconnaissent  qu'il  est 
«:  des  vérités  si  claires  que  Thomme  est  dans 
r  la  liécessité  absolue  d'en  douter,  a  moins 
«  qu'il  ne  se  dépouille  de  sa  propre  nature, 
f^  €ft'  ils  cherchent  je  ne  sais  oti  une  certi'-' 
«T'Aide  plus  grande  que  celle  qui  ne  peut 
«r  permettre  absolument  aucun  doute.  Ils 
«r  enseignent  que  nous  ne  devons  pas  tenir 
(T  pour  infailliblement  certain  ce  qui  est  de 
«  la  dernière  évidence,  et  leur  système,  qui 
«r  est  rejeté  par  un  si  grand  nombre  de  gens 
«r  skges,  iis' veulent  que  nous. le  recevions 


DE    LA   NOUVELLE    HÉRÉSIE.  367 

ir  comme  s'il  était  tl'une  certitude  infaillible. 
«  D'après  ce  système ,  notre  raison  indivi- 
«  duelle ,  pour  arriver  a  la  certitude  d'une 
«  yérité,  doit  être  auparavant  certaine  d'une 
«  infinité  de  choses ,  elle  qui ,  suivant  eux , 
«  ne  peut  être  certaine  de  rien.  Ils  soutien- 
«'  nent  qu'on  ne  peut  rien  prouver  -par  le 
(c  raisonnemeM,  et  j^  publient  chaque  jour 
tr  des  livres  nouveaux,  où  ils  raisonnent  sans 
tr  fin  pour  établir  la  vérité  de  leur  vaine 
fc  philosophie.  Ils  prétendent  ne  vouloir 
«r  s'appuyer  que  sur  des  faits ,  tandis  qu'ils 
«r  ont  mis  61i  principe  que  la  raison  rndîvi- 
fc  duelle  ne  peut  avoir  la  certitude  d'aucun 
«  £|it ,  pas  même  de^ la  {uropna emtfliiM  (i)^» 

(1)  Mandement  du  2  août  4834  contre,  le  deriuer, 
ouvrage  de  M.  dé  La  Meimài»,  ïnliAiliê':  ParioJîfii  ' 
dfun  CroytuU.  •.•;y.-/^ 

•  *        i 

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«^ÀAfrltÂÈ  Viii. 


"•    , 


"'       •        ■  ■  !..    ï  •  .        .  '  ■  '    '  *■  )■!».■.•■•  ■■ 

i  .  t     : 

lU4aJWeiw.  <^#  iiwff  êur  l' Indifférence^ ,  jMir 
Jf.  âe  IJa  Mennais.  jiuiréè  euvraiàeê  du  mé^ne, 

-  ■■  I .    •  ■        \  '      '  »      *        II»  •        ...».-  .     . .  f    -        "^ 

Lt  |^rmiif«r  'iBOtpt»f  -Atr  -VlSêsêU  "pur  tlk" 

différence  avait  excité  dans  toutes  les  classes 
dé  la  société  ïa  plus  vive  impression.  Le 
succès  même  de  l'ouvrage  déposait  contre 
son  titre.  Il  y  eut  parmi  le  clergé  surtout 
une  longue  et  unanime  acclamation;  l'en- 
traînement fiit  général,  dit  M.  l'àbbé  Lacor- 
daire,  de  son  aveu,  l'un  des  acteurs  princi- 


HISTOULK    DE  LA  NOUVÊLLB  BÉRÉSIB.       8tfB 

jpaux  dans  tout  ce  qui  s'est  passé  (1).  De 
jeuaes  imaginations,  étrangères  à  la  langue 
de  la  Théologie  ,  exaltées  d'ailleurs  par 
l'exemple  du  siècle  grandissant  autour 
d'elles,  voyaient  dans  ce  ïivre  une  résurrec- 
tion admirable  des  raisonnemens  antiques  et 
éternels  qui  prouvent  aux  hommes  la  nécessité 
de  lafôi(3i).  Plus  d'autre  oracle  nécessaire  k 
consulter  pour  la  créance,  et  la  direction  des 
mœurs.  On  disait  apparaître  a  leurs  regards, 
ainsi  qu'autrefois  à  ceux  de  Saiil,  la  Pjrtho- 
nisse  d'Ettdor^  quij  tout  en  invoquarU  une 
fois  du  passé  V ombre  de  Samuel^  évoquait 
rniïlefois  tous  les  spectres  antiques  (5).  Elles 
crurent  comprendre  sa  philosophie^  bien 
qui  elles  ne  la  comprissent  pas  dit  tout  (A). 
Les  esprits  ne  se  divisèrent  qu'après  la  pu- 
blication du  second  volume,  lorsque  M.  d« 

(d)  Con$idêraiian$ ,  p.  34. 
(2)  I&trf.,  p.  32,  36. 
t3)  Ibid.,  p.  158.  • 
(4>  /Wd.,  p.  160. 


o60  HISTOIRE 

L«'i  Mennais  eut  substitué  aux  anciennes  au- 
torités une  autorité  unique,  dont  personne 
n'avait  jamais  entendu  parler.  Avec  cette 
extension  (1),  on  ferma  les  yeux  sur  les  pa- 
radoxes, déjà  pourtant  si  nombreux  et  si 
frappans,  répandus  dans  le  premier.  On 
avait  cédé  sans  trop  de  réflexion  à  l'impres- 
sion que  produisaient  dans  les  esprits  la  cha- 
leur et  l'énergie  des  tableaux,  lu  véhémence 
des  accusations,  le  pittoresque  du  style,  une 
sorte  de  vigueur  dans  le  raisonnement,  11 
n'y  avait  eu  qu'une  seule  voix  pour  y  recon- 
naître  un  talent  vrai,  qui  semblait  s'être 
fait  de  lui-même.  Censurer  est  un  besoin 
pour  tous;  c'est  un  dédommagement  .pour 
l'orgueil,  et  aussi  une  vengeance,  dit  M.  de 
La  Mennais  (2).  Le  regret  du  passé ,  con- 
solé par  l'espoir  de  trouver  enfin  un  uen- 
geiiPy  accueillit  avec  reconnaissance  le  cou- 
rageux écrivain,  qui  se  présentait  avec  tant 

(1)  Considérations,}^,  Jo7.  • 

(2)  Religion  considérée  y  eiv . 


DE    LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  301 

d'éclat  aux  amis  et  aux  ennemis.  Personne 
cpii  ne  voulût  le  connaître;  l'admiration 
prit  partout  l'accent  de  l'enthousiasme.  Les 
éditions  succédaient  aux  éditions.  M.  de 
Frayssinous  recommanda  l'ouvrage  du  haut 
de  la  chaire  où  il  prononçait  ses  belles  con- 
férences. Tout  k  coup  M.  de  La  Mennaisse 
vit  le  maître^  le  père  d'une  nombreuse  école, 
qui  lui  iwiia  pour  jamais  respect ^  fidélité ^ 
amour.  Les  voltimes  q[ui  ont  suivi  n'ont  pu, 
malgré  leur  évidente  infériorité ,  affaiblir 
l'activité  de  ces  sèntimens,  et  n'ont  fait 
qu'accroître  la  renommée  de  l'écrivain,  par 
les  débats  mêmes  qu'ils  suscitèrent.  En  ua 
geùl  jour,'  nous  dit  encore  M.  Lacordairc, 
M.  de  La  Mennais  se  troussa  investi' de  la 
puissance  de  Bossuet  (1  ). 

Ce  n'était  pas ,  il  fallait  bien  en  convenir, 
ni  cette  rigoureuse  précision  de  doctrine  et 
de  langage  qui  caractérise  si  éminemment^ 
le  grand  évêque  de  Meaux ,  toujours  plein 

(4)  M.  I/acordaire,  ConêiMrat.^p.  37. 


908  Bunomai 

de  la  sàve  dé  rantiqaîté  ^  m  cette  sfeigMse 
lumineuse  d'argumentatioh  qui  ne  rlaiawB 
rien  à  l'arbitrailrè,  pose  les  principes  et  ne 
tes  invente  pâs^  les  enchaîne,  par  la  justesse 
des  définitions  et  la  niéthode  graduelle 
des  déVéleppemens,  à-  d'infé^Usableci  ce^iisé- 
quences  ;  4i  cette  souplesse  d'îna'ginatîon'  et 
de  3tyle:^.  eâtle  in^iitatioA  Continua  v- qui 
nuUe  pairt  ne  #e  re^^exU  de.  la  contirainto  du 
travail)  moins  encore  la  délicate .  ob^rva* 
tiofi  des  convenani^es.,  que  la  religion  com- 
mande  envers  tous,  ^teté  dan&  l'arjène  des 
discussions  polémiquea,  au  sortir  de  se^^ 
premières  études ,  sans  avoir  eu  le  temps  de 
les  mûrir,  dominé  par  une  imagination  mé^ 
lancolique  et  sombre  «  égaré  par.de:  £iuk 
modèles,,  entre  autres  par  |a  lecture  du 
philosophe  de  Genève,  à  qui  il  affecte  de 
ressembler  par  sa  manière  d'écrire,  autant 
que  par  l'ambition  du  paradoxe  (1),  M.  de 

(1)  Il  le  copie  souvent ,  et  Ton  a  remarqué  que  h 
êophUie  de  Genève  n*eftt  pat  le  seul  écrivain  dont 


0K   LA   NOUVEtXB   ttÉUftlK.  3(KS 

La  Mennais  poiivait-il  voir  les  objets  autre- 
lisent  ipilL  (raVëts  un  prisme  mfi'dèlê  qui  les 
déhàtiire  à  ses  yeux,  connaître  l'antiquité 
aûtreibent  <j[ae  pour  la  travestir  avec  Pair 
de  la  citer  ?  Aussi  le  voyez'-Toùs  impatient 
de  produire  quelque  chose  qui  n*ait  pas  en*- 
cdre  été  iâirenlé ,  brisait  dans  sa  fougueuse 
indépènèaBce  les  bornes  po6^ées  par  nos* 
pèlpes,  t&ïAét  constamment  sous  les  pieds 
Tatitorité  t^t  civile  que  f eligiewe ,  pour 
Icd  substituer  le&nt%iie  de  je  ne  sais  quelle 
autorité  ilmagrnaire ,  caiômtiicfr  là  science 
des  âges  passés ,  Uvrer  au  mépris  1^  monu- 
mens  de  la  tradition  et  les  écrits  des  théo* 
logiens  et  des  philosophais;  Noofs  n'invefn- 
tons ,  nous  n'exagérons  rien  :  c'est  w  cela 
seulement  qu'il  s'est  montré  conséquent  a 

M.  de  LaMennais  ait  profité/  On  retrouverait  chez  lui 
des  pa{^  entières  de  Pascal ,  de  M.  Neeker,  dans 
80B  livi^  de  l'impofianee  de»  Opinioni  reH^useê; 
de  NifioUe,  de  Bossuetv  et,  quoiqu^il  cite  beaucoup, 
il  n'est  pas  toiigoufs  fidèle  à  indicpier  les  sources  où 
il  puise. 


504  msToiAE 

lui-même.  On  murmurait,  mais. tout  bas, 
contre  cette  confiance  préscuxiptueuse  avec 
laquelle  il  prononçait  sur  l^s  questions  les 

■ 
II 

plus  délicates,  contre  la  hardiesse  de  cer- 
taines propositions  répandues  dans  ce  liyr« 
en  assez  grand  nombre^  autant  d'énigitoes 
d^nt  on  attendait  impatiemment  la  solution , 
expliquées  depuis  par  ses  chimères,  d'infailli- 
bilité, de  raison  générale ,  de.cominun.con- 
sentement  et  du  fait  de  :  l'autorité^  On  ne 
comprenait  pas  mieux^e  qu'il  avançait  sur 
la  révélation  primitive,  sur  l'origine,  du. 
langage  humain ,.  assez  difficiles  à  accorder 
avec  l'Ecriture  et  la  saine  philosophie  (1). 
On  s'étonnait  bien  plus  encore  des  conce»-: 
sions  qu'il  y  fait,  au  pyrrhonisme  :  que  l'éivir 
dence ,  le  sens  intime ,  le  sentiment ,  le  rai- 
sonnement,  ne  fussent  pas  des  motifs  de 

(i)  Voyez  lea  .savantes  di8CiiS8Î0D8  à  oe  sij^t,  par 
M.  "Roiaren, Examen,  p.  318  et  suiv.  M.  Boyep,  p.  43 
et  suiv.  M.  Receycur,  p.  29  et  suiv.  M.  de  Bouald 
avait  jeté  le  germe  de  ce  système ,  que  M-  de  La 
Mennais  a  recueilli  pour  le  dénaturer.  .  .;i.  : 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  3tô 

certitude  de  nos  jugemens.  Certes,  ce  n'est 
pas  avec  cet  embarras,  affecté  ou  non ,  que 
Bossuet  .traite  ces  matières ,  bien  que  pure- 
ment philosophiques ,  mais  qui  se  rappro- 
chent si  près  de  la  Théologie  ;  et  quand  est- 
ce  que  le  théologien  fait  jamais  chez  lui  dis- 
paraître l'homme  éloquent?  Rien  donc  ne 
pouvait  autoriser  ce  rapprochement  entre 
Bossuet  et  M.  de  La  Mennais ,  que  pour  faire 
mieux  apercevoir  la  distance* énorme  qui 
les  sépare.  Car  ce  n'était  assurément  pas 
chez  M.  de  La  Mennais  qu'il  fallait  aller 
chercher  la  clarté  des  définitions,  la  jus- 
tesse dans  les  preuves ,  la  fidélité  dans  les 
allégations.  On  lui  a  reproche  son  obscurité 
de  langage ,  son  néologisme ,  les  mots  pris 
au  rebours  de  l'acception  commune ,  ses 
digressions,'  ses  défauts  habituels  de  logi- 
que ,  le  vide  de  ses  démonstrations;  et  l'oa 
en  a  fourni  des  milliers  de  preuves ,  toul 
l'artifice  des  sophistes.  N'attendez  pas  sur- 
tout ni  du  maître  ni  de  ses  disciples  le  res- 


306  '    iWTOinB 

péjct  filial  que  la.  j^iinesse  et  l^  «ll^voir  de  U 
profession  :  commandent  pour  les  fenoDOr- 
mées  consacrées  ptr  l'estime  «t  1^  vénéra- 
tion publiques  ;  ii»  now  diront  qu^  «  le»  aur 
«  ciêns  sont  toujours  entêtés  de.  leuto  mll-r 
tr  ques  doctrines  ;  que  les  coips  0nsjeignai|s 
«r  ne  sortent  pas  des  vieilles  lOnti^ref  4fK  I9 
ft  scolastique  ;  que  ces  he^mmet  ne  laîfH^ 
«  ront  jamais  ^trer  dans  le^rs  vieilles  %é^ 
Y  tes  une  idét^  nouvelle  (4).  ^  De  la  9  ce  tor^ 
rent  d'injures ,  renouvelées  ^  chaque  p9ge , 
contre  les  aoms  les  phis  ciiers  à  |a  science, 
aux  lettres,  a  la  Beligion;  le  ^ee^^  de  Jta 
diffamation  imprimé  sur  le  i^onjt  de  Pç&- 
cartes;  la  Sorlionue  tpjiijb  ^ntièi)e  ûnovoléfx  à 
la  vengeance  de  ces  prétendus  philosophes, 
qu'elle  avait  flétris  de  ses  censures.  A  l'es^em- 
pie  de  son  chef,  VécoU  de  M.  de  La  IVjlen- 
naîs  ne  tarjm  pas  sur  les  outrages  prodi- 
gués à  ooi^  Docteurs  j  un  de  ces  apprenjlji« 

(d)  Essai,  i.  II,  de  la  page  31  à  38;  et  Lettres  à 
Mgr.  l'arche véque  de  Paris. 


DE   LA   NOfJVSUV   HâRâSIE.  867 

théologiens  Tiendra  mettre  le  scellé  sur  la 
tombe  des  Beriner,  dea  Girard  ,.^  Barr 
^el,  dea  Pompignan,  des  Grenitl,  des  La 
Luzerne,  pour  prooioncer  fièrement  que,  de^ 
puis  Massillon,  l'Eglise  catholique  a  manqué 
tout-à-fait  de  ces  talensgtUwmt  loin  dans  la 
postérité^  et  que  M»  dje  La  Mennais  a  seul  re- 
noué,  la  chaîne  de  nos  grandi  écrivains  (1). 
Un  autre  osera  bien  £»ire  la  leçon  à  Bossuet  ; 
entreprendre  de  refaire  la  Conférance  f^vec 
Claude ,  et  gourmander  l'Ângustin  français 
de  la  faiblesse  de  aea  raisohnemens  dans  la 
cause  du  Protestantisme  (2). 

Cependant.  9  tout  en  rabattant  de  Texa^ 
gératîon  des  panégyriques,  et  en  faisant  la 
pattdê  la  crilique^  il  y  avait  aussi  de  quoi 

{!)  M.  I^aoordaire,  CoimiJfal.^  p.  37. 

(2)  Ge1i^-1à  s'appelle  Gë^het ,  auteur  d'une  dé- 
fense des  principes  de  M.  de  La  Mennais,  sous  le 
titre-:  Docirinêà  phUùBopkiques  sur  ta  Certifuâe. 
M.  Bjozaren  en  a  ^it  une  réfutaiion  tf^cejiaatù^  à 
laquelle  on  ne  pouvait  répondre  que  par  dea injures. 
On  n'y  a  pas  manqua,  foy.  lapréfece  de  son  Evanum, 


U  <*cvA»»°"      „i,  U  test»"*'"  ^ 
cet.-»''"*     tout  »'«""*"...  d'«" 


DE   LA    ROUVELLE   HÉRÉSIE.  869 

passons  k  l'écriTain  la  moitié  de  son  juge^ 
ment;  nous  ne  sommes  pas  de  son  a^is  pour 
le  reste.  Le  mérite  de  l'érudition ,  qualité 
indispensable  dans  ces  sortes  de  matières , 
quand  elle  est  unie  à  la  sagesse  de  la  dialec- 
tique ,  se  faisait  bien  mieux  remarquer  dans 
un  autre  ouvrage  du  même  genre  ,  mais 
conçu  dans  un  tout  autre  dessein ,  sous  le 
titre  de  Trcdté  historique  et  critique  de  /V- 
lection  des  évêques  (1),  contre  le  système 
des  élections  populaires ,  décrété  par  TAs* 
semblée  constituante ,  et  proposé  ,  de  nos 
jours ,  par  l'école  Lamennaisienne.  Mais 
l'auteur  était  sous  le  joug  d'une  inculpation 
grave  :  on  l'accusait  de  tenir  à  une  secte 
justement  repoussée  par  l'Eglise  ;  son  livre 
eût  peu  de  cours.  Celui  de  M.  de  La  Men- 
nais  fut  répandu  k  profusion  dans  les  sémi- 
naires. «  On  y  lisait  »  ,  dit  encore  le  jour- 
naliste déjà  cité ,  ^  des  pages  d'une  courar 

(1)  2  vol.  inS*,  Paris ,  4792;  par  M.  Tabarand  , 
prêtre  de  l'Oratoire. 

T.    I.  SW 


570  HISTOIRB 

«  geuse  indignation  contre   le  despotism^^ 
«r  d'alors  »    (  le  despotisme  impérial  ).   La 
préface  contenait  cette  note  :   Quant  au 
premier  article  de  la  déclaration  de  1682 , 
j'y  tiens  autant  que  qui  ce  soit.  (C'est  pour- 
tant contre  ce  premier  article  que  l'auteur 
déploie  le  plus  vivement  tout  l'arsenal  de  sa 
polémique,  comme  étamX,  principe  de  schisme^ 
d'apostasie  et  d' athéisme  {\).  «  Toutefois,  il 
«  y  a  dans  le  premier  ouvrage  une  expan- 
<c  sion  d'amourpour  la  chaire  de  saint  Pierre, 
«  une  soif  de  son  exaltation  ,  qui  peut  dès- 
K  lors  faire  présager  le  long  et  vif  combat 
«  que  l'auteur  livrera  pour  elle  contre  ceux 
K  qu'il  croira  ses  ennemis.  »  Pourvu  qu'elle 
n'improuve  pas  ses  opinions. 

Quelques  publications  moins  importantes 
avaient  suivi  VInstitution  canonique  des 
éi^êquesj  lesquelles  furent  réunies  sous  le 
titre  de  Mélanges,  On  trouve  dans  ces  Mé- 

(i)  Voyez  la  Religion  Considérée ,  etc.,  p.  205  et 
suiv. ,  et  tout  V Avenir, 


M  LA   NOUVELLE   HfclÉSlE.  371 

langes  bien  des  articles  qui  seraient  d'élo- 
quentes réponses  à  ce  que  l'auteur  a  écrit 
dans  ces  derniers  temps,  et  spécialement 
à  l'ouvrage  qu'il  a  composé,  dit-on,  pen- 
dant son  dernier  séjour  à  Rome ,  sur  cette 
même  situation  de  l'Eglise  chrétienne  (i  ). 

^1)  L'Univers  relig.,  i|.  177,  à  rarticle  :  Parûlm 
d'un  Crayani, 


w» 


CHAPITRE  IX. 


■« 


ConiinuaHon  du  précèdent, 

U Essai  sur  V Indifférence  présentait  un 
ouvrage  complet;  c'était  un  traité  spécial 
auquel  on  pouvait  appliquer  le  mot  du  poète: 
Mole  sud  stat.  Rien  n'y  faisait  sentir  le  be- 
soin d'une  suite ,  rien  n'y  supposait  qu'il  fiiit 
inacheifé.  C'étaient  des  explications,  non 
une  continuation  que  l'on  demandait  à  l'au- 
teur; et  il  est  plus  que  douteux  qu'en  pu- 
bliant son  premier  volume ,  M.  de  La  Men- 


HISTOIRE   DE   LA  NOUVELLE  HÉEÉSIE.        375 

nais  eût  bien  calculé  ce  que  pourrait  être  le 
second,  moins  encore  qu'il  rendît  néces- 
saires ceux  qui  devaient  venir  après.  Tran- 
chons le  mot.  M.  de  La  Mennais  a  sacrifié 
à  la  cupidité  de  ses  libraires ,  spéculateurs 
de  renommée,  que  la  vraie  gloire  de  l'écri- 
vain intéresse  peu,  pourvu  qu'elle  leur  rap- 
porte. Ce  que  l'on  a  publié  sous  le  nom  de 
Suite  au  Discours  de  Bossuet  sur  V Histoire 
universelle  j  n'est  qu'une  misérable  parodie 
de  ce  chef-d'œuvre  ;  mais  la  prétendue  con- 
tinuation est  un  œuvre  posthume.  M.  de  La 
Mennais  a  vu  toutes  les  éditions  de  la  sienne  ; 
il  les  a  publiées  lui-même  sous  un  titre  gé- 
néral qui  les  identifie  par  le  lien  de  Défense 
de  l'Essai  sur  V Indifférence ,  composant  un 
ouvrage  distinct ,  en  plusieurs  volumes.  Son 
sujet  épuisé  ,  qu'avait-il  à  dire?  S'il  a  voulu 
prouver  ce  que  c^est  qu'un  prêtre^  n'a-t-ilpas 
mieux  réussi  a  prouver  ce  que  c'est  que  Fhom- 
jne  ?  Ce  qu'il  avait  à  dire ,  c'était  d'imiter  le 
noble  exemple  donné  par  saint  Augustin  » 


374  fliSTOiEX 

dans  ses  RétiXictationSjiant^oixr  corriger  que 
pour  expliquer  certains  passages  de  son  livre 
qui  avaient  fourni  des  objections  plus  ou 
moins  légitimes  contre  sa  doctrine.  «  Jen'at- 
c(  tendrai  pas  plus  long-temps/dit  notre  saint 
<^  Evêque,  à  me  juger  moi-même  avec  la 
«  sévérité  de  mes  censeurs  sur  celles  de  mes 
i<  opinionsqui,mênieen  les  supposant  vraies^ 
((  laissent  encore  douter  de  la  nécessité  de 
^  les  publier,  quand  elles  paraissent  fausses 
«  k  d'autres  (1).  »  M.  de  La  Mennais  pou- 
vait sans  honte  avouer  qu'il  s'était  trompé. 
Ce  qui  fait  l'hérésie ,  ce  n'est  pas  l'erreur, 
mais  l'obstination  a  la  défendre.  Il  avait  été 
beau  k  un  jeune  athlète  de  jeter  le  gant  au 
milieu  d'une  arène  envahie  par  les  ennemis 
de  la  Religion.  L'orthodoxie  du  prêtre  ca- 

(  j  )  Differendum  esse  non  arbitror  ut  opuscula  tnea 
eum  judieiariâ  severitaie  recenseam y  et  quod  me 
offendit  vel  alios  offendere  posset  ^  velui  censorio  stylo 
dénotent  j  quœ  ,  ^i  non  falsa,  at  certè  videantur,  sivo 
etiam  convincantur  non  necessaria.  (Prolog.,  lib.  i. 
Rétractât. ^  cap.  r,  *2,  3.) 


DE    LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  57<S 

tholique  élait  h  couvert  de  toute, préven- 
tion ;  son  triomphe  rejaillissait  sur  toute  la 
Religion  ;  sa  gloire  restait  pure  encore ,  a 
travers  quelques  taches  mêlées  à  des  véri- 
tés fortes ,  courageuses ,  exprimées  avec  ta^ 
lent  et  avec  l'ardeur  aisément  enthousiaste 
d'une  conviction  profonde.  Son  livre ,  épuré 
de  quelque  alliage  et  du  langage  acerbe 
que  repousse  l'esprit  du  divin  Législateur , 
devenait  monument ,  et  plaçait  son  auteur 
parmi  les  écrivains  religieux ,  s'il  ne  le  pla- 
çait  pas  encore  au  rang  des  Pères  de  V Eglise. 
Le  seul  Discours  sur  l'Histoire  universelle 
n'aurait  pas  suffi  peut-être  k  Bossuet  pour 
obtenir  ce  titre  de  ses  contemporains  et  de 
la  postérité. 

Mais  de  tels  aveux  ont  toujours  été  pé- 
nibles à  l'amour-propre  :  plaignons  M.  de 
La  Mennais  de  n'avoir  pu  s'y  résoudre. 

((  L'Europe ,  nous  dit-on ,  attendait  im^ 
«  patiemment  la  continuation  de  son  ôu- 
K  vrage.  Enfin,  après  deux  ans  d'attente»^ 


576  HlttTOlAfi 

■ 

K  parut  la  Défense  (1).  »  L'éclair  parût  dn 
nuage,  moins  pour  répandre  la  lumière,  que 
pour  épaissir  Tobscurité.  Bien  cpie  par  son 
titre  il  offrît  avec  lui  quelque  affinité ,  il  s'en 
éloignait  évidemment  par  son  objet  et  par 
ses  formes.  C'était  de  la  polémique  snbsti^ 
tuée  a  l'éloquence ,  un  système  a  l'enseigne- 
ment consacré  par  la  tradition ,  et  des  ques- 
tions d'école  à  des  vérités  positives  qu'il 
n'était  pas  possible  de  contester  impuné- 
ment ,  sans  risquer  de  remettre  les  princi*- 
pes  eux-mêmes  en  problème.  Les  hautes 
questions  traitées  dans  le  précédent ,  quel- 
quefois avec  une  éclatante  supériorité  de 
logique  ,  toujours  avec  une  verve  remar- 
quable d'éloculion ,  s'absorbaient  dans  une 
controverse  arbitraire  ,  mal  soutenue  et 
vagabonde ,  souvent  inintelligible ,  et  qui 
se  réduisait  a  être ,  non  l'apologie  de  l'ou- 
vrage ,  mais  la  querelle  de  l'homme.  Ce  qui 
s'y  faisait  le  mieux  sentir,  ce  n'était  plus  le 

(1)  M.  Lacordaire  »  Considérai,,  p.  37. 


Y 


r 


DE   LA   :iiOVTEI.IJS   IlÉBittUC.  377 

talent  de  Fauteur,  mais  la  singularité  et  le 
(Ii>gmatisme  des  assertions ,  le  néologisme 
des  pensées ,  la  prétention  de  créer  quelque 
chose  qui  eût  échappé  aux  découvertes  ou 
a  l'imagination  des  devanciers,  le  désir >de 
régner  sans  rivaux  dans  le  domaine  des  in* 
ielligences ,  en  un  mot ,  l'ambition  de  se 
faire  chef  de  parti. 

Les  reproches  faits  a  son  premier  ouvrage 
avaient  porté  principalement  sur  l'irrégula- 
rité du  plan ,  le  vague  et  l'incohérence  du 
système,  la  nouveauté  d'une  doctrine  re- 
poussée constamment  par  les  croyances 
communes ,  sa  tendance  au  doute  universel, 
l'aigreur  et  l'emportement  de  ses  censures, 
les  atteintes  portées  à  la  foi  catholique ,  le 
mépris  de  l'autorité ,  de  l'épiscopat ,  de  la 
tradition,  et  par  une  conséquence  inévita- 
ble, le  renversement  du  Christianisme.  Com- 
ment la  Défense  répondait-elle  a  ces  alar- 
mes? £n  enchérissant  sur  les  précédentes 
erreurs,  en  y  ajoutant  de  nouvelles.   Le 


578  HISTOIRE 

commentaire,  en  leur  donnant  plus  de  jour, 
mettait  a  nu  le  dessein  de  l'auteur.  La  doc- 
trine occulte,  qui  ne  s'était  montrée  d'abord 
qu'enveloppée  de  nuages,  commençait  à  se 
manifester  avec  plus  de  clarté ,  mais  par  de 
plus  alarmantes  révélations.  Cette  raison  gé- 
nérale identifiée  avec  la  raison  de  Dieu  ;  le 
genre  humain,  quoique  souillé  de  tous  les  cri- 
mes de  l'idolâtrie ,  conservant  néanmoins  la 
parole  de  Dieu,  élevé  au  privilège  de  l'infail- 
libilité; l'autorité  d'un  consentement  général 
imaginaire,  associée  à  l'autorité  de  l'Eglise; 
le  Verbe  de  Dieu  servant  d'organe  à  la  philo- 
sophie du  matérialisme,  de  la  licence  et  de 
l'impiété  ;  les  haillons  du  paganisme  trans- 
formés dans  la  robe  de  Jésus-Christ ,  et  le 
genre  humain  porté  sur  le  même  trône  que 
l'Epouse  du  divin  Rédempteur  !  un  spino- 
sisme  réel  introduit  dans  la  théologie  par 
l'affinité  de  cette  raison  générale,  n'étant  que 
l'esprit  humain  actuellement  uni  au  Verbe, 
avecTâme  universelle  du  philosophe  d'Am- 


DE    LA    NOUVELLE   HÉRÉSIE.  879 

sterdam  :  de  telles  images  s'étaient- elles 
jamais  offertes  aux  chrétiens,  même  du 
temps  où  la  plus  violente  eflfervescence  des 
esprits  fiit  excitée  par  la  Réforme  contre 
notre  église  catholique.  11  fallait,  pourren-: 
contrer  rien  de  semblable  dans  l'histoire  de 
l'Hérésie,  remonter  jusqu'aux  rêveries  extra-' 
vagan  tes  des  Montan ,  des  Y alentiniens  et  des 
Gnostiques.  Prétendre  encore  que  toutes  les 
preuves  données  jusqu'ici  de  la  vérité  chré- 
tienne étaient  incomplètes ,  insuffisantes  , 
quel  triomphe  n'était-ce  pas  donner  a  la  mo- 
derne incrédulité  ?  Qui  donc,  si  ce  n'étaient 
les  Spinosa ,  les  Bayle ,  les  Collins  et  les 
Tindal,  avait  jeté  des  doutes  sur  la  force  des 
preuves  du  Christianisme ,  en  les  déclarant 
insuffisantes ,  incomplètes?  L'Apôtre  des  na- 
tions était  donc  dans  l'erreur,  quand  il  con- 
fondait les  Juifs  par  le  seul  argument  des  pro- 
phéties(l)?  Et  Jésus-Christ  lui-même  prêtait- 
il  le  flanc  aux  contradictions  des  Pharisiens, 

(1)  IIPetr.,1,  49. 


880  msTODie 

quand  il  leur  opposait  ses  miracles  comme 
témoignage  invincible  de  sa  divine  toute- 
puissance  (1)?  Au  lieu  d'invoquer   en  sa 
faveur  le  témoignage  de  Moïse  et  des  Pro- 
phètes ,  que  n'en  appelait-il  à  l'autorité  du 
genre  humain  y  s'il  était  vrai  que  le  genre 
humain,  initié  tout  entier  dans  la  connais- 
sance  de  la  Rédemption  future ,  eût  été  par 
cela  seul  l'oracle  infailUble  de  la  véritable  Re- 
ligion ?  Que  s'il  était  vrai  que  la  philosophie 
humaine  eût  été  dépositaire  des  traditions 
primitives  maintenant  enseignées  par  elle 
avec  autorité ,  reposant  sur  des  ^ts,  disant 
les  mêmes  choses  que  l'Eglise  catholique  ^ 
pourquoi  saint  Paul  l'avait-il  réprouvée  en 
la  flétrissant  du  nom  de  Jolie  et  d'impiété  (2)? 
Poussons  plus  loin  :  A  quoi  bon  ce  Calvaire 
avec  ses  opprobres  et  ses  tortures?  à  quoi 
bon  tout  le  mystère  de  la  Rédemption  san- 
glante du  Fils  de  l'homme,  si  la  raison  géné- 

(1)  Joann.,  x,  38. 

(2)  I  Cor.,  1,  19  et  »eq. 


DK   LA  NOITVBIXE 'nbuÉSIE.  881 

raie  suflbait  aux  croyances  du  genre  humain? 
Si  la  foi  universelle,  permanente,  aux  tradi- 
tions générales  est  le  sceau  de  la  vérité  et 
conséquemment  la  voie  du  sàlut  :  ce  qu'il  en 
faudra  conclure ,  c'est  que,  depuis  comme 
avant  Jésus-Christ,  la  plus  grande  partie  du 
genre  humain  sera  infailliblement  sauvée 
sans  avoir  connu  Jésus-Christ;  ce  qui  est  une 
hérésie  formélle,contraire  a  ce  double  dogme 
de  notre  foi  catholique  :  que  sans  la  foi 
il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu^  parce 
qu'aucun  autre  nom  sous  le  ciel  n'a  été  donné 
aux  hommes  y  par  lequel  nous  devions  être 
sauvés;  et  que  personne^  à  moins  qulil  ne  re- 
naisse  de  Veau  et  du  Saint-Esprit  >  ne  peut 
entrer  dans  le  royaume  de  Dieu  (1).  Mais 
uon  :  tout  cela,  doctrine  surannée  qu'il 
fallait  abandonner  a  la  poussière  des  écoles. 
"Tout  l'édifice  de  l'ancienne  philosophie  de- 
vait être  renversé  de  fond  en  comble.  Il 
avait  fallu,  selon  M.  de  La  Mennais,  refaire 

(1)  Hebr.,  xi.  —  Act.,  iv^  42.  —  Jean.,  m^  3. 


38S  HiSTons 

tout  le  système  des  connaissances  hamaines, 
régénérer  l'intelligence  y  renouyeler  tout 
l'enseignement  de  la  Philosophie  et  de  la 
Théologie,Yicié,  corrompu  jasqu'k  nos  jours, 
soit  par  des  omissions  coupables,  faute  de 
s'entendre  sur  les  vrais  caractères  de  la  cer^ 

■ 

titude  i  soit  par  des  doctrines-  infidèles  alh 
surdes  et  niaises ,  voisines  du  schisme  et  de 
l'hérésie,  tendantes  au  scepticisme  et  à 
l'athéisme  même.  Tout  le  mal  venait  de 
l'influence  que' Descartes  et  Bossuet  avaient 
prise  dans  nos  écoles. 

Le  premier,  après  avoir  examiné,,  dans  ses 
profendes  méditations ,  sur  quoi  repose  la 
certitude  de  nos  connaissances ,  en  avait  dé- 
couvert le  fendement  dans  l'évidence  (1  ) , 
conséquemment  dans  la  raison,  flambeau  al- 
lumé à  la  lumière  de  Dieu ,  donnée  à  l'homitie 


(1)  Pfincipêê  de  Philoêophie ,  préfiEicé.  Ce  bel  ou- 
vrage ,  Tabrégé  de  toute  sa  doctrine ,  finit ,  conme 
il  avait  commencé^  par  un  appel  à  la  raison ,  tant  de 
Tauteur  que  des  autres  à  ^ui  il  soumet  son  livre; 


DS   LA  :«OUVKIliB   HÉMSIB.  385 

comme  l'apanage  spécial  de  sa  nature,  noble 
privilège  qni  le  distingue  des  animaux  et  en 
&it  le  cheM'œnYre  de  la  création,  le  rayon 
de  la  diyine  intelligence  imprimé  sur  chacun 
de  nous  par  les  mains  du  sage  auteur  de 
notre  être.  Ainsi  avait  parlé  en  vingt  en- 
droits ce  grand  homme,  le  premier  des 
géomèlres  cpii  fut  jamais.  Mais  s'il  a  rendu 
les  plus  éclatans  hommages  aux  prérogatives 
de  la  raison ,  en  méconnaissait-il  les  imper- 
fections? D'abord  il  ne  reconnaissait  qu'une 
seule  autorité  inÊdlUble.  ir  Je  ne  mets  point, 
«(  dit-il,  ici  en  rang  la  Révélation  divine,  pour 
tr  ce  qu'elle  ne  nous  conduit  pas  par  degrés, 
«  mais  nous  élève  tout  d'un  coup  à  une 
créance  in£adllible  (1).  ^  Mais,  après  avoir 
posé  la  borne  où  s'arrête  la  raison  humaine, 
il  proclame  que ,  s'il  nous  arrive  souvent 


(1)  Lettre  à  Voêoe.  Traduction  servant  de  préfiice 
au  livre  des  Principeê.  de  Philosophie.  £t  ailleurs  : 
Quamvis  forte  lumen  rationis  quam  masimè  t^rum 
et  évident  aliud  quid  nohiê  suggerere  9idere§ur ,  toit 


S84  niSToniE 

d'être  égarés  par  la  faiblesse  de  notre  vue  et 
par  la  précipitation  de  notre  jugement,  il 
n'en  existe  pas  moins  des  principes  clairs, 
distincts,  supérieurs  au  doute,  dont  l'évi^ 
dence  nous  est  démoi}trée  par  la  lumière  de 
la  raison  (1). 

Bossuet^  dans  chacun  de  ses  admirables 
ouvrages,  établit  que  Jésns-^Christ  a  fondé 
dans  son  Eglise  une  autorité  visible,  perma- 
nente ,  infaillible ,  juge  souverain  dans  tout 
ce  qui  regarde  la  foi,  la  discipline  et  les 
mœurs,  comme  étant  perpétuellement  dirigé 
par  l'Esprit  saint  qui  lui  en  a  donné  l'infail- 
lible promesse  ;  que  l'Eglise  professe  qu'elle 
ne  ditrien  d'elle-même ,  et  qu'elle  n'invente 
rien  de  nouveau  dans  la  doctrine ,  ne  faisant 
en  cela  que  suivre  et  déclarer  la  Révélation 

tante fi  auctoriiati  dwinœ  potiùê  quàtn  proprio  nos- 
trojudicio  fidem  esse  adhibendam,  prœter  cœtera^  me- 
tnoriœ  nostrœ  pro  sum.mâ  régula  est  infigendum.  (Part 
prima, n.  lxxyi,  1. 1,  p.  20,  Oper.  philos.,  Amsterd., 
1664. ) 

(i)  Ihid.,n.  XXX,  p.  7, 


f. 


DE   LA   MKrVELU   HEBESV. 

ditine  (1).  Déplus,  il  éublil,  snrtoiii  dans 

•  - 

8fi  Péfiense  de  la  Déclaration  dn  clergé  de 
France  snr  les  quatre  articles  de  1681 ,  que 
IjB;  souYerain  Législateur ,  en  instituant  le 
collège  apostolique»  a  placé  à  la  tête  de  toutes 
les  églises  du  monde  chrétien  un  Chef  in- 
yesti  par  lui  de  la  plénitude  de  juridiction, 
centre  de  l'unité  catholique,  à  qui  tous  doi- 
yent  obéissance  comme  à  Jésus-Christ  lui- 
même,  dont  il  tient  la  place  sur  la  terre. 
Qulmporte  que  son  autorité  soit  supérieure 
k  celle  des  Conciles  généraux  ou  qu'elle  leur 
soit  subordonnée  ?  «  Hypothèse  en  effet  plus 
ir  idéale  que  réelle,  plus  chimérique  que  pos- 
sible (2).  Ces  choses  dont  on  dispute  dans 
les  écoles ,  il  n'est  pas,  poursuit  le  grand 
é\êque,  nécessaire  d'en  parler,  puisqu'elles 


(1)  Expos,  de  la  doct.  de  VEglise  cath.,  n.  xix, 
édit.  Paris,  1730;  ei Défense,  etc.,  Uv.  viii,  ch.  xiii, 
p.  465,  traduc.  franc. 

(2)  M.  Boyer  ,  Examen  de  la  doctrine  de  M,  de  La 

Mennais  ,^.  ÔJ. 

T.  I.  25 


368  mnnu 

ne  sent  pas  de  la  foi  catholique  (1).  L'Eglî^ 
n^  point  prononcé  Ik-desslls  de  jngeinènt 
définitif,  et  permet  de  discuter  libiieméiit 
te  pour  et  le  contre.  Et  pas  un  de  se^^iifkné 
ipi^  k  la  suite  de  ce  débat  de  famillb,  ^'ëilë 
qu^aitpu  être  son  opinion,  tie  s'écrit  âvéè 
l'imtnortel  évêque  :  <f  O  sainte  Eglise!  kàJ^ 
(T  des  églises  et  mère  de  toupies  fidèles,  é^ffise 
ir  tïhèisie  de  Dieu  pour  uttir  èeis  eiiOuis  Aktà  Ik 
(«  même  foi  et  dans  la  mêihe'  charité^  hôué 
é  tiendront  toujours  k  toi  par  le  fohd  dé  fato 
k  entrailles  (2).  »  Voila  le  €ai^tésiàirîsittè,Vbl& 
le  Gallicanisme  dont  M.  de  La  Metaiiâls  et 
son  école  ne  cessent  de  nous  épbttyanttsr. 
Bescartes  et  Bossuét  ont  ouvert  l^s  voies '4ti 
sbépticisme,  la  mortelle  maladie  dû  dii^ 
huitième  siècle!  Leitr  doctrine  h  l'un  et  kTâu- 
tren'apas  échappé  a  la  censure  de  Rome  (3). 

(1)  Bossuet,  supra,  n.  xxii,  p.  263. 

(2)  Bossuet ,  Serm,  sur  V  Unité. 

(3)  M.  Tabbé  Rohrbacher,  Lettres  d'un  anglican, 
cité  paV*  M.  de  Madrol ,  p.  S3.  Hist.  secrète  dû  parti 
de  M,  de  La  Mennais^  ï  vol.  iil-8%  1834. 


DE   LA   NUOVBLUr  HÉRÉSEE. 

Le  pbilb86|>he  a  feumi  des  ahnes  âu  inatd^ 
rialiame  de  Spinosa;  le  théologien  qui  ûi 
tomber  aux  pieds  de  la  vérité  cathôliqoe 
TWentie  et  la  maréchale  de  Duras,  l'autettf 
des  i^àriatiafis^  chef-d'œuvre  cdnçtl  p^t  le 
gâide,  exécuié  par  tDus  les  ialetis,  BoÊtstlél/ 
|>itiblamé  dèi  son  vivantanPÈftï  bë  t/EcLtàil 
ttBét  qke  des  sot^hismes  à  apposer  ati  itd'- 
liis«reGlâtide,danscéite  faMeiise  Cdnférëtiéé 
dit  il  rappelait  saint  Aiignstih  ailx  piri4èl 
Èiittc  les  Dônatisted.  Viendra  un  atitire  adepte 
4ci  la  nouvelle  école,  qui  dserà  dilrë  que  BèfS^ 
stièt,  k  la  coût  de  Louis  XIV,  défenseur  dd 
Ontilitanismè  ^  iretraçàit  Cratiffiér  livrait 
i'ëgli^e  btigiitane  aux  ordonnances  impies 
de  Henri  Vill.  Entraînés  par  l'atttdHté 
3è  ces  dèu*  hoinnies ,  tdut  ce  qu'il  y  a  eil 
de  pieux  et  de  savans  théologiens,  tant 
d'îlius(l*és  Docteurs^  si  clairvoyans  si  dU-i 
cÉ*nèr  rfetteur  de  la  vérité,  si  z;élés  k  pori*- 
sttivte  l'une ,  k  propager  l'autre  ^  n'aturaiént 
pas  même  soupçonné  le  venin  d'une  doc- 


S88  nsTOiRB 

trine  qui  recelait  dans  soii  sein  Tathéisme  ! 
îl  y  a  plus  :  Tous  en  auraient  été  les  com- 
plices !  Car,  assure  M.  de  La  Mennais,  et  le 
reproche  s'étend  sur  tous  les  défenseurs  du 
Christianisme  :  Avant  Descartes  et  Bossnet 
comme  après ,  les  preuves  qu'ils  en  ont  don- 
nées, appuyées  sur  un  principe  faux,  portent 
sur  une  supposition  destructive  de  toute 
vérité;  elles  mènent  droit  au  scepticisme; 
elles  contiennent  tout  le  fonds  de  la  philoso^ 
phie  cartésienne  y  absurde^  niaise^  et  qui 
retombe  de  tout  son  poids  dans  l'athéisme  (1  ), 
C'était  au  dix-neuvième  siècle  qu'était  rë^ 
çervé  l'honneur  de  nous  révéler  les  solides 
preuves  de  l'existence  de  Dieu  et  de  la  vérité 
c&tholique  si  fort  obscurcies  parles  ténèbres 
que  les  doctrines  de  Descartes  et  de  Bossuet 
avaient  répandues  sur  toute  la  surface  de 
l'Europe.  La  vérité  chrétienne  avait  donc 
attendu  tant  de  siècles ,  que  M.  de  La  Men^ 
nais  et  ses  disciples   vinssent  la  dégager 

(1)  Défense  de  V  Essai  sur  l'Indiffér.j  p.  465. 


DE   LA   XOL'IpELLE   HKBÉSIE.  380 

de  la  nuitprofonde  où  elle  était  ensevelie (i)\ 
Peuples  chrétiens  !  venez,  venez  vous  ranger 
autour  de  la  chaire  des  nouveaux  Evangé* 
listes.   Que  vont-ils  nous  apprendre  ?   La 

■ 

Défense  y 2l  peut-être  lever  tous  les  voiles 
jetés  avec  ou  sans  dessein  dans  les  premiens 
volumes,  éclaircir  toutes  les  difficultés-^' 
lever  tous  les  équivoques  de  langage ,  ren^ 
placer  les  hypothèses  par  des  démonstra<- 
tions.  Du  moins  l'auteur  appuiera  sur 
quelques  preuves  son  système  nouveau. 
Pîon.  11  répondra  fièrement  qu'il  n'a  pas 
besoin  d'en  fournir;  et  il  s'est  retrancha 
opiniâtrement  dans  les  dénégations.  U 
fallait ,  selon  lui ,  admettre  sans  preuues 
l'autorité  du  genre  humain  (2).  M.  Lacor^ 
daire,  citant  ses  propres  paroles ,  ne  peut 
s'empêcher  de  trouver  étrange  cette  logique 
qui  veut  être  crue  sur  parole  ,  quand  elle  a 


(1)  Aliquos  Marcioniias  et    Valentinianoê   libe* 
randa  Veritas  exspeciabat,  (TertulUeu ,  Prœscript,^ 

(2)  Eêèai,  t.  U,  p.  12Î.  .        ^ 


MO  msTûms 

tant  de  fois  et  si  despotiquement  prononcé 
ime  l'homme  qui  fait  de  sa  raison  ùuUviduéUe 
la  règle  de  ses  jugemens  ^  ne  peut  arrivet^  à 
nan  de  certain^  et  que^  sUl  est  conséquent^  il 
doutera  de  tout  (1)*  A  qui  pouvail-il  persua- 
des qu'il  fallût  croire  aveuglément  à  seq 
infiiillibilité? 

1^  Au  reste,  si  l'illustre  auteur  se  dispensait 
si  Gomplaisamment  de  prouyer  ce  qu'il 
avançait,  il  ne  s'embarrassait  guère  d'être 
compris,  quand  il  développait  sa  pensée. 
Sollicité  maintes  fois  de  descendre  à  un 
langage  plus  intelligible,  d'accorder  ses 
perpétuelles  contradictions,  il  était  égale- 
ment sourd ,  et  coupait  court  k  toutes  les 
objections  nouvelles ,  en  répliquant  :  f^ous 
ne  tue  comprenez  pas.  Personne  ne  l'avait 
compris  ;  personne ,  ni  ceux  qui  l'attaquaient 
après  avoir  donné  cependant  une  attention 
assez  sérieuse  au  livre  qu'ils  combattaient, 
ni  même,  de  l'aveu  de  M.  de  La  Mennais  et  de 
ses  plus  intrépides  apologistes ,  ceux  qui  tQUs 
(1)  ConMirat.,  p,  1S4, 156. 


\ 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.  8W 

les  jours  rompaient  des  lances  pour  sa  cànse» 
f  Qn  ne  Fa  pas  compi^.  »  Qaoil  des 
hommes  accoutumés,  à  porter  la  lamièrà 
suc  lès  questions  de  la  métaphysique  la  plus 
^iKtrase    échouaient    contre  celle-ci!  Ce 
n'était  donc  pas  même  de  la  métaphysique^ 
Gâr>  tout  obscure  qu'elle  sott  dans  Hobbies, 
dans  Spinosa,  dans  le  baron  d'Holbach, 
elle  se  laisse  pénétrer;  et  l'antre  de  Tro- 
phonius  laisse    échapper  quelques  éclairs 
de  la  fumée  obscure  q|td  en  est  le  fond. 
S'il  était  vrai  qu'on  ne  l'eût  pas  compris , 
était-ce  la  faute  du  lecteur,  ou  de  l'écrivain? 
"Ne  serait-ce  pas  qu'il  aurait  négligé  ou  re- 
fusé de  donner  à  soii  ouvrage  la  première 
des  quahtés ,  la  plus  nécessaire ,  surtout  k 
un  ouvrage  dogmatique,  destiné  à  enseigner 
les   premiers   rudimens  de  l'intelligence, 
la  clarté.  Pascal  a  dit  que  les  meilleurs  ou- 
vrages sont  ceux  que  chaque  lecteur  croit 
qu'il  aurait  pu  faire.  L'obscurité  d'un  ou- 
yrage  indique  que  Fauteur  ne  $'est  pas  tou- 


/. 


1 


HISTOIRE 

jours  entendu  lui-même,  ou  qu'il  s'enve* 
loppe  de  ténèbi;e8  concertées.  Les  nouveaux 
Docteurs  ont  leurs  raisons  pour  aimer  le 
vague  et  l'équivoque  dans  les  expressions. 
Cette  manœuvre  leur  ménage  la  ressburGe , 
quand  ik  sont  pressés ,  de  dire  qu'on  ne  lest 
pas  compris  (i  ) .  Ces  admirateurs  sont  les  seuk 
qui  comprennent;  les  adversaires  n'y  en- 
tendent rien.  Un  tel  ostracisme  est  le  passe- 
port des  absurdités  et  des  paralogisme! 
sans  nombre  que  renferme  lé  système  de  la 

nouvelle  école. 

Toutefois,  son  fondateur  s'est  fait  assez  com- 
prendre dans  ses  écrits  subséquens»  Sa  doc^ 
trine,  déguisée  a  dessein  dans  son  Essai  sur 
V Indifférence^  n'a  pu  soutenir  long-temps  le 
masque  dont  elle  s'étaitcouverte.Sonsystème. 
de  la  raison  générale  n'était  que  le  prélimi- 
naire de  sa  théorie  politique  en  faveur  de  l'au«- 
torité  souveraine  de  la  multitude^  son  Jour- 
nal de  V Avenir^  que  le  commentaire  journa- 

(1)  M.  RouiYeii;  E^awien^  préf.y  p.  IJè, 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  305 

lier  des  doctrines  contenues  dans  son  livre  De 
la  Religiqndans  ses  rapports  avec  V ordre  civil j 
dontle  livre  des  Paroles  d'unCrojantVL^  été , 
à  son  tour,  que  la  complète  manifestation. 
Sa  doctrine  tout  entière  perçait  à  l'avance 
dans  ses  brutales  réponses  au  mandement 
de  M«ï*  l'archevêque  de  Paris,  au  P.  Ventura, 
à  Tévêque  d'Hermopolis  j  réponses  qui  sont 
autant  de  fastidieuses  répétitions  de  ce  qu'on 
lit  dans  ses  autres  brochures ,  où  il  n'y 
a  rien  de  neuf  que  les  sarcasmes  viru- 
lens  et  les  plus  grossières  injures.  Encore 
ces  illustres  assaillans  ont-ils  dû  à  leur  di^ 
gnité  la  grâce  de  n'être  pas  confondus  avec 
les  autres  adversaires ,  k  qui  l'on  n'accorde 
qu'une  insultante  pitié  :  Tactique  familière 
au  parti,  où  l'on  est  convenu  et  de  lutter 
avec  audace  contre  les  supériorités  de  rang, 
pour  avoir  l'air  de  traiter  avec  elles  d'égal 
à  égal,  ou  d'écraser  les  inférieurs  par  le 
silence  du  mépris,  pour  faire  croire  qu'ils 
sont  en  efîet  méprisables  ! 


t. 


•  * 


M .  Gerbet  ,  un  des  disciples  de  M .  de  La  Men- 
nais,  rendant  compte  de  la  Controverse  sou- 
levée  par  la  Philosophie  moderne,  et  du  rple 
que  la  Théologie  a  voulu  y  prendre,  y  voit  ui\ 
grand  et  puissant  développement  des  idées 
auxquelles  le  Christianisme  ne  fut  jamais 
étranger  (1).  M.  Gerbet  £^  raison ,  s'il  entend 
par-la  l'influence  que  le  Sacerdoce  eut  de 
tout  temps  sur  les  lumières  de  la  spci^té 
contemporaine.  Mais ,  soiis  le  prétexte  d.u 

(1)   Coup  d'œil  sur  Iq,  Çoniro.Vf  çJi4:ifiein^^^   p^v 
M.  l'abbé  Gerbet,  p.  84,  H4, 142. 


HKTOIftB   DK   I.A  KOlIVEUiB   HEEfiSDB. 

H^Dgr^s  qu'aumefit  £Mt  les  esprits  depuis 

tffgf  ^iàçl^^  prétendre  que  renseignement 

}héci}Qfîque  |i  dû  prendre  une  direction 

4|oinrell^,  contraire  k  celui  qui  nous  fut 

innonis  par  nos  plus  vénérables  Docteurs , 

ç'esl  une  prétention  qui  ne  pouvait  enfanter 

spiel'^iTeuif.Telest  rynique  résultat  qu'aient 

ipiiroduit  les  efforts  de  l'écrivain,  pour  pallior 

la  doctrine  de  son  maître,   paîrfaitement 

«ppropriée ,  dit-il ,  aux  besoins  des  esprits. 

Xi'école  Lamennaisienne  a  trop  oublié  que 

le  premier  besoin  de  la  jeunesse  sacerdotalf 

était  une  instruction  solide ,  puisée  dans  les 

antiques  traditions,  et  non  pas  dans  des 

ajitèmes  arbitraires. 

Analysons  celle  qu'il  nous  propose  dans  son 
écrit,  publié  sous  le  titre  Des  Doctrines  phiUh' 
êophiques  sur  la  ceriitudej^  si  puissamment 
.  xéfiité  par  M.  Rozaven.  Son  vigoureux  anta* 
goniste  lé  presse ,  Finvestit  de  toutes  parts  ^ 
l'accable  sous  le  poids  de  sa  dialectique. 

Pour  remplir  le  vide  existant  dans  Ten"* 


seignement  de  la  Philosophie  et  de  la  Théd^ 
logie,  M.  Gerbet  remonte  a  la  question  fon* 
damentale  de  Tune  et  de  l'autre  :  Qu'est-ce 
gue  la  certitudes  identique ,  selon  lui ,  k  la  qpies- 
lion  qu!est<e  que  croire;  et  recherche  quelle 
est  l'essence  delà  foi  divine.  Il  distingué  avec 
raison  la  foi  dé  la  science,  veut  pour  la  pre- 
mière un  témoignage  in&illible ,  la  parole 
de  Dieu,  et  de- plus,  que  ce  témoignage  soit 
traoMmis  infailliblement  :  ce  qui  a  eu  lieu  par 
la  tradition  universelle  du  genre  humain.  H 
place  le  principe  de  foi  pour  les  chrétiens  d^ns 
l'autorité  de  l'Eglise ,  contre  le  sentiment 
des  Théologiens  catholiques  :  qui  pensent 
que  l'aulorité  de  l'Eglise  étant  elle-même  un 
des  dogmes  proposés  a  notre  £bi,  il  appar- 
tient à  la  raison  de  juger  si  elle  doit  croire 
a  la  Révélation  qui* nous  l'enseigne.  Confon^^ 
daiit  le  principe  de  foi  avec  les  preuves  de  la 
Révélation,  il  s'en  prend  au  Cartésianisme , 
qu'il  affecte  de  présenter  d'une  manière  in- 
eMcte,  pour  le  mettre  en  opposition  avec  la 


DE   LA   NOUTBLLfi   HÉRÉSIE.  Sftf 

doctrine  catholique.  Après  ces  pFéiiminaires, 

il  cherche  a  établir  que  rinfaillibilité  de  la 

raiaon  commune  est  le  principe  constitutif 

de  la  raison  dans  chaque  homme ,  comme 

rinfisûllibilité  de  la  raison  commune  des 

Chrétiens  est  le  principe  constitutif  de  la 

raison  du  chrétien;  que  Tordre  établi  de 

Dieu  pour  transmettre  la  connaissance  de  la 

vraie  Religion,  étant  indépendant  de  lavo- 

Ion  té  des  hommes ,  a  dû  toujours  subsister, 

et  n'a  pas  cessé  d'être  obligatoire  pour  tous 

les  hommes;  que  l'Eglise  a  dû  posséder, 

dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  lieiix,  la 

{^lus  haute  autorité  lisible  ;  conséquemment 

^^u'elle  a  présenté  avant  Jésus-Christ  les 

mêmes  caractères  que  depuis  sa  venue,  k 

savoir,  l'unité,  l'utiiversalité ,  la  perpétuité. 

•Erreur  monstrueuse  qui  l'enferme ,  comme 

son  maître ,  dans  l'hérésie  de  l'infaillibilité 

du  genre  huinain. 

Dans  l'examen  infidèle  de  la  fameuse  Con- 
férence de  Bossuet  avec  le  ministre  Claude, 


il  avance  i^e  les  objections  dit  Miaistn'j 
dédtictions  rigoureuses  de  la  doctrinir  eartd^ 
tienne^  étaient^  par  conséquent,  insohdllM 
pour  Bossuet  cartésien,  et  que  ce  préiat  il'h 
dâ  qu'à  la  maladresse  de^Glâude  son  triMà^ 
phe  et  la  réputation  dont  il  a  joui,  d'ïittfft^'¥iëJ 
torièusément  coÉibattu  son  ahllagdttàsW(4)v 
U  juge  avec  la  même  sévérité  M.  Tévêi^ 
du  Puy  (  Lefranc  de  Pôtttpignan  )i  à  i'Mèl- 
sîon  d'une  coBtreverse  k  peu  près  sènibliibM 
aveè  un  ministre  de  Geiiëve  (9). 

M.  l'abbé  LaciKtdaire  lui  accotdê  sèif 
suffiragé  sans  nulle  restrictiori  (3)^  M.  HmsI^ 
ien  lui  reproche  d'éire»le  |ilus  douvéïit  hëH 
de  la  question,  d'ignorer  oh  de  mal  traddoff 
ks  textes  de  nos  saints  Ddctétirs  ^tii  l!8ttf-' 
battent  ses  doctrines,  et  de  toinber  diti§  dé 
perpétuelles  contradictions. 

(1)  Qu'on  en  lise  l'histoire  dang  M.  de  Beaueset , 
t.  II ,  p.  19  et  8uiv. 

(2)  Vofez-enle  détail  dans  M.  Rosaven,  EsiÊfkkn, 
p.  390. 

(i)  Considérai.,  p.  94.  ■ 


DE  JLA  NOUmU  HÉRÉSIE. 

M.  BâttAiK;  M.  révêqae  de  Strasboiung 
itlÉif  cénfié  à  tet  ecclésiastique  la  directiék 
de  Pim  dé  6éfl  sémifi tires.  Prévenu  que  Veà^ 
seignement  que  l'on  y  donnait  n'était  jpâl 
^éïtii  dé  TEgli^ ,  le  prélat  en  témoigna  ses 
lilqttiéludeft  pat  de  charitable^  avertisse^ 
)AêMi  restés  sâiis  succès;  ce  qui  le  dëtenââinà 
k  bn^agér  avet  lie  Dik*écteur  une  sorte  de 
Cioiiféreïice ,  ftûr  le  modèle  de  délié  de  saitit 
Att^thl  àtec  Pétilien^  et  rendue  publia 
qbe  (1).  Elle  porte  sur  Içs  questions  contrif^ 
Tlfet^ées  piir  M.  de  La  Metinais.  A  la  pre<- 

mièré  :  Si  le  raisonnement  Suffit  pour  prou^ 
tèt  Mèc  cél*titudé  l'etisténce  du  Créateur 
et  l'infinité  dé  sëé  perfectièm,  M.  BatltaiA 
répond  que  la  raison  keukj  par  le  setd  rai- 
sôHheiHèntj  fie  suffit  pas;  pal*cè  qu'étattt  trop 
K^tarhéé  pour  comprendre  tinis  immensité 
sans  bornes,  il  lui  est  également  impi()s$ible 
dé  là  comprendre  et  de  la  connaître  autre- 

(1)  Par  une  lettre  pastorale  de  M.  réTêq[ue  de 
Straibôargp,  4  Vol.  în-S<>,  StraéBoarg,  i'834. 


•  < 


ment  qne  parla  foi.  C'est,  dit*il,  anéantir  la 
foi  que  d'exalter,  comme  on  le  fait,  la  fi>rc« 

de  la  raison ,  soit  en  philMophie ,  aoit  en 

■• 

théologie. 

t(  La  Révélation  mosaïque  se  prouve-t^lle 
avec  certitude  par  la  tradition  orale  et 
écrite  de  la  Synanogue  et  du  Christianisme? 

ff  La  preuve  qui  se  tire  des  miracles  de  Je* 
sus*Christ  et  de  la  tradition,  en  faveur  delà 
Révélation  chrétienne,  sensible  et  frappante 
pour  les  témoins  oculaires ,  a-t-élle  con- 
servé la  même  autorité  auprès  des  généra- 
tions subséquentes  ? 

«  La  résurrection  du  Sauveur  se  prouve- 
t-elle  avec  certitude  par  le  raisonnement  7 

A  ces  questions ,  M.  Bautain  répolDul  né- 
gativement ,  et  conclut  que  la  foi  doit  non- 
seulement  précéder,  mais  exclure  tout 
exercice  de  la  raison. 

A  la  première  assertion  du  Professeur,  on 
répond  par  un  fait  décisif,  que  confirme 
l'autorité  de  saint  Paul,  a  savoir  :  que  la 


DE   LA   NOWELLB   HÉRÉSIE.  401 

connaissance  de  Dieu  a  été  obtenue  par  un 
grand  nombre  de  païens ,  au  milieu  de  la 
nuit  épaisse  du  paganisme»  par  la  seule  rai- 
son humaine,  conyainGue  de  cette  vérité, 
par  le  seul  aspect  des  merveilles  de  la  créa- 
tion (1  )•  Non ,  vous  n'avez  pas  besoin  d'un 
principe  plus  grand  que  l'infini  pour  acqué- 
rir l'idée  de  l'infini,  c  II  est  vrai ,  avait  lié- 
pondu  Fénelon,  que  je  ne  saurais  épuiser 
rinfini,  ni  le  comprendre,  c'est-à-dire  le 
connaître  autant  qu'il  est  intelligible.  Je  ne 
dois  pas  m'en  étonner;  car  j'ai  déjà  reconnu 
que  mon  inintelligence  est  finie  ;  par  consé- 
quent, elle  ne  saurait  égaler  ce  qui  est  infi- 
niment intelligible.  Il  est  néanmoins  con- 
stant que  j'ai  une  idée  précise  de  l'infini;  je 
discerne  trè^-nettement  ce  qui  lui  convient 
et  ce  qui  ne  lui  convient  pas.  Non-seule- 
^ment  j'ai  l'idée  de  l'infini,  mais  encore  j'ai 
celle  d'une  perfection  infinie.  Il  est  donc 
Trai,  et  je  ne  me  trompe  pas  en  le  disant, 

(1)  frayez  plus  haut ,  p.  228  et  suiv. 

T.  I.  26 


^[ue  J6  porte  ioojours  au-dedaira  de  moi, 
quoique  je  soi»  fini,  une  idée  qm  me  repré- 
sente une  chose  infinie  (1).  » 

Sur  la  seconde  question  :  Si  la  Réf4iMtmm 

mosaïque  ne  se  prouve  pas  ayoc  certituds 

par  la  tradition  orale  et  écrite.  4e  la  Symm- 

gogoe  et  duChriatiainisme  j  le  Prelesseur  di^ 

tiiRgiie  danslailéTélation  mee^'que  lea  «réii- 

téitde  fiiit  et  les  vérités  divines,  ^u  iâ  dinriMié 

dé  oette  Révélation^  La  raison  suffit,  ^WTmit 

hn/pour  constater  les  premièpce,  et;  «inUe- 

Éumt  poitr  constater  les  secondes.  Contrer 

dkttovi  firappante ,  lui  répond  fif.  Tévéque 

de:  Strasbourg  :  «  On  convient  qurs»  la  U»* 

dÂtion  otale  et  écrite  prouve  ^authenticité 

4p^,  Livras  4e  Moïse,    et  h  vérité  tles 

fyk$  historiques  qui  ^'y  lisent  ;  ipar  eoâ^ 

aéqueot  celle  des  plaies  d'Egypte  y  ^ivpa^ 

sage  de  la  mer  Rouge ,  de  la  sa«Fçe  d'eau 

jaillissante  du  rocher,  etc.^  car  ce;  sont  1^ 

(les  faits  historiques*  Que  fautril  de  plus  pour 

(1)  Traité  de  Vexist,  de  Dieu,  2*  part.,  chap.  ii, 
p.  2915. 


DE  LA  NOWEIM  IIÉRÉSIE.  4M 

attester  l'inspiration  de  Moïse?  G^estsur  ces 
faits  palpables  et  merveillenit  que  les  Hé^ 
breux  et  les  premiers  Chrétiens  ont  reconnu 
TaHthenticité  du  Pentateuque ,  et  Pont  prd^ 
clamée  d'une  génération  II  l'autre. 

On  lui  demande  si  la  preuve  tirée  des  ttii» 
racles  pour  établir  la  divinité  de  Jésus-Gbriit, 
a  perdu  sa  force-  avec  le  temps ,  et  si  la  tradi- 
tion orale  et  écrite* de*  tous  les  Chrétiens  ttt 
suffit  pas  pour  rendre  cette  preuve  solidi» , 
contre  ceux  qui  nient  la  Révélation  chrétien- 
ne? H  répond  :  Suffisante  peut-être  pour  fe^ 
fidèles,  elle  rie  l'est  pas  pour  les  savans,  potir 
les  déistes ,  et  les  incréddies  ;  qae  s'en  servir 
pour  démontrer  l'inspiration  de  l'Evangîlë, 
c'est  faire  une  pétition  de  principes. 

Qu'on  lise  ce  qu'un  de  nos  premiers  écrivains 
Contemporains,  des  mieux  accrédités  dans  ïe 
parti,  a  écrit  sur  la  certitude  du  témoignage, 
précisément  dans  la  question  actuelle  (1). 

(1)  M.  de  Maîstre,  Considérât,  phîlosoph,  sur  le 
Christianisme ,  chap.  xiri,  p.  83. 


4M  WMTOME 

Avec  non  moins  de  lucidité ,  M.  révêqne  de 
Strasbourg  interpelle  le  moderne  Sceptique 
pour  lui  demander  oit  nous  en  serions  aujour* 
dirai,  si  la  tradition  orale  ou  écrite  à^aif  sidii 
quelque  altération  ;  si  elle  n'avait  eu  pour  ca- 
naux que  les  simples  fidèles  ;  et  si  elle  n'eût 
pas  été  ÏL  l'épreuve  des  discussions  de  la 
science  ^t  de  la  critique.  Dans  Téloignement 
où  nous  en  sommes-,  il  ne  nous  resterait 
qu'une  probabilité  faible  et  surannée  sur 
les  miracles  de  l'Évangile,  sur  l'authenticité 
des  Livres  saints  et  leur  inspiration ,  et  |Mur 
conséquent,  sur  la  promesse  d'aspistance 
permanente  donnée  aux  Apôtres  et  à  leurs 
successeurs  (i). 

Quant  k  la  pétition  de  principes  repro- 
chée a  notre  argument ,  M.  Bautain  a  tort 
de  s'en  alarmer  j  elle  n'existe  que  dans  son 
imagination,  «  Dire  que  l'Eglise  enseignante 

(1)  Averiiaêêfn.  de  M.  l'évéque  de  Strasbourg,  en 
Répome  à  M.  Bautain ,  p.  40.  frayez  plus  haat , 
p.  266  et  suiv. 


DE  LA  NOUVELIiK  HÉWBSIC.  49K 

garantit  et  sanctionne  la  tradition  sur  les 
miracles,  c'est  intervertir  l'ordre  des  idées. 
Les  miracles  établissent  la  divinité  de  notre 
Sauveur  et  l'inspiration  de  ses  Apôtres.  Leur 
prédication  verbale  et  écrite  a  proclamé 
dans  l'univers  que  Jésu&-Christ  avait  donné 
la  promesse  d'une  assistance  permanente  a 
ses  Apôtres  et  k  leurs  successeurs  ;  voilà  l'o- 
rigine de  l'autorité  spirituelle.  L'invoquer  ici 
pour  prouver  ce  qui  la  prouve  eUe-même» 
c'est  Ik  la  pétition  de  principes^  le  plus  écla- 
tant des  cercles  vicieux  qui  heurtç  le  bon 
sens ,  et  trahit  un  défaut  de  notions  justes 
sur  les  fondemens  du  Christianisme  (i)»  » 

Pressé  enfin  sur  la  question  :  Si  la  raison 
ne  précède  point  la  foi ,  et  si  ce  n'est  point 
k  elle  qu'il  appartient  de  nous  conduire  k 
la  foi,  M.  Bautain  échappe  par  la  négative, 
.4t  s'esquive  dans  une  obscurité- oii.il  est 
difficile  de  le  suivre  ;  ressource  familière  au 
parti ,  pour  avoir  le  droit  de  dire  qu'on  ne 

(1)  Le  même,  ibid,,  p«  25. 


406  USTOIRE 

les  comprend  pas.  Un  seul  mot  de  saint 
Paul  tranche  la  diflBiculté  z  i<  Je  sais ,  dit  le 
grand  Apôtre,  à  qui  j'ai  donné  foi  j  sçio  cui 
€redidi(i  ).  j>  Il  avait  donc  la  connaissance,  k 
science  certaine  des  raisons  qui  l'avaient 
porté  à  croire.  Chez  lui  la  rabon  avait  évi«- 
demment  précédé  la  foi.  Où  en  serion^noiis; 
si  f  comme  parle  saint  Augustin ,  Vé^idence 
n'avait  contraint  l'univers  à  embrasser  in 
foi  chrétienne?  Jésus-Christ  avait  dit  :  Si 
vous  ne  croyez  pas  à  mes  paroles j  du  rnoitifi 
croyez  à  mes  œuvres  (2).  Croyez  à  mes  pa- 
roles, pourquoi?  Parce  que  mes  œuvrqs»  qui 
sont  celles  duTout-Pui8sant,attestent  que  mes 
paroles  sont  celles  du  Dieu  qui  est  la  vérité. 
Il  n'était  pas  difficile  de  reconnaître  dans 
la  doctrine  de  M.  Bautain  sa  généalogie 
directe  avec  cçlle  de  M.  de  La  Mennai«.  Le 
progrès  y  était  sensible.  Elle  tend  a  ruiner 
tous  les  fendemens  du  Christianisme,  en 

(1)  ITim.  I,  12. 

(2)  Joann.,  x,  38. 


DE   LA  NOUVELLE  HÉHESIE.  407 

ébranlant  ceux  de  la  tradition,  la  certitude 
des  miracles ,  l'autorité  de  l'Eglise  i  Ile- 
même.  Dans  son  système»  il  devenait  im- 
possible de  prouver  la  divinité  de  la  RelU 
gion,  puisque  la  raison  n'a  pas  assez  de  force 
ni  assez  de  clarté  pour  nous  guider  avec 
certitude  k  la  Révélation  faite  aux  Juifs  par 
Moïse,  aux  Chrétiens  par  notre  adorable 
homme-Dien.  Où  est  l'hérésie ,  si  elle  n'est 
pas  dans  les  propositions  avouées,  procla- 
mées par  M.  Bautain  :  que  toutes  les  preuves 
déduites  du  témoignage  des  Apôtres  et  de 
l'Eglise  ne  sonrt ,  pour  la  raison  incrédule , 
que  des  témoignages  humains,  que  des  dis- 
cours humains,  n'ayant  ni  la  vertu,  ni  l'au- 
torité nécessaires  pour  imposer  la  foi  ;  qu'il 
serait  téméraire  d'entreprendre  de  prouver 
rationnellement  à  un  déiste  la  vérité  de  la 
résurrection  de  Jésus-Christ j  que  des  té- 
moins auriculaires  ne  peuvent  obtenir  qu'une 
probabilité  plus  ou  moins  haute ,  et  que , 
comme  cette  probabilité  va  sans  cesse  8'af- 


406  BiSTomE 

faiblissant,  de  main  en  main,  d'une  généra- 
tion  a  l'autre,  on  pourrait  soumettre  an 
calcul  cette  décroissance  graduelle,  et  dé- 
terminer d'ayance  l'époque  où  la  probabilité 
doit  dépérir  et  s'éteindre  ;  qu'k  moins  de 
pouvoir  bien  expliquer  ce  que  c'est  que  la 
nature,  il  est  impossible  de  juger  si  les  faits 
extraordinaires  que  nous  désignons  par  le 
nom  de  miracles  répugnent  a  l'ordre  géné- 
ral, ou  s'ils  n'en  sont  pas  peut-être  des  ma- 
nifestations plus  éclatantes,  des  développe- 
mens  plus  énergiques.  Celse ,  Porphyre , 
Julien,  dans  l'impuissance  de  nier  les  mira- 
cles de  Jésus-Christ  et  de  ses  Apôtres  ^  les 
attribuaient  de  même  a  des  causes  naturelles 
et  aux  secrets  de  la  magie.  Et  ces  erreurs 
ont  trouvé  des  apologistes;  on  les  soutient, 
on  les  propage  contre  l'autorité  du  Supérieur 
ecclésiastique  ;  on  se  révolte  à  la  fois  contre 
ses  paternels  avertissemens,  et  contre  l'évi- 
dence de  ses  démonstrations  ;  on  s'opiniâtre 
à  charger  d'outrages  et  la  raison  et  ses  or- 


DE  LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.  408 

ganes,  la  science  et  ses  plus  respectables  dé- 
positaires. On  donne  le  signal  aux  plus  mon- 
strueuses erreurs.  On  viendra  nous  dire  que 
FEglise  n'est  invariable  que  ne  dans  Vidée  de 
«  Dieuj  éternelle  et  immuable,  du  moment 
«r  que  la  Révélation  l'a  fixée  dans  le  cœur 
«  de  rhomme;  mais  qu'il  n'en  est  pas  de 
«même  de  sa 'discipline,  laquelle  varie, 
«  se  modifie,  selon  les  besoins  des  temps.  » 
Ainsi,  à  l'exception  d'un  seul  dogme ,  de  ce 
qui  tient  essentiellement  à  la  nature  ou  à 
Vidée  de  Dieu  y  tout  dans  la  Religion  peut 
varier  et  se  modifier  selon  les  besoins  des 
temps.  Les  dogmes  de  la  spiritualité  et  de 
l'immortalité  de  l'âme  ,  du  péché  originel , 
de  l'éternité  des  peines  et  des  récompenses, 
les  préceptes  et  les  conseils  de  l'Evangile , 
toutes  choses  qui  ne  tiennent  pas  essentiel- 
lement à  Vidée  éternelle  et  immuable  de  Dieu, 
peuvent  varier  et  se  modifier  selon  les  cir- 
constances! De  ces  modifications  progres- 
sives dépend  la  régénération  du  monde; 


410  HI8T<»EB 

car  c'e^t  Ik,  nous  dit-on,  l'enseignexiient^iiii 
assure  au  clergé  catholique  les  moyens  U$ 
plus  efficaces  pour  seconder  le  mouitemetU 
des  intelligences! 

Quelque  égard  que  nous  devions  a  la  pec- 
sonne  de  M.  Bautain  et  de  M.  de  La  Men- 
nais,  pouvons-nous  ne  pas  appliquer  a  l'un 
et  a  l'autre  le  jugement  que  le  grand  saint 
Augustin  a  porté  de  l'hérétique  en  général, 
et  de  celui  qui  s'est  laissé  surprendre  pars«s 
artifices?  k  L'hérétique  est,  dit-il,  l'homme 
ir  qui  s'engage  dans  des  opinions  nouvelles 
«  et  erronées,  par  quelque  intérêt  husoain, 
«  par  des  vues  d'ambition  et  de  glofa*e  ;  l'au- 
cr  tre  est  celui  qui  s'attache  au  parti  de  l'ho- 
ir résie,  séduit  par  une  fiiusse  apparence  de 
«f  vérité  ou  de  piété  (1)-  » 

M.  Bautain  diffëre  de  M.  de  La  Mennak 
en  ce  qu'il  va  plus  loin  encore.  Ce  dernier 
admet,  comme  preuve  unique  de  la  certi- 
tude, le  témoignage  des  hommes,  qu'il  c«m>- 

(1)  Dans  Bihlioth.  chois,  des  Pères,  i,  XXI, p.  112. 


DE   LA   NOUVELLE   UEIIÉSIE.  411 

fond  avec  celui  de  Dieu ,  et  veut  que  sa  rè- 
gle du  sens  commun  soit  la  même  que  celle 
de  l'Eglise  catholique.  Le  professeur  de 
Strasbourg  ne  voit  de  certitude  que  dans  la 
foi  divine.  S'il  y  avait  des  degrés  dans  l'ab- 
surdité, nous  dirions  que  celle  du  Professeur 
alsacien  surpasse  celle  que  nous  trouvons 
dans  le  système  du  Philosophe  breton.  Tous 
deux  ont  voulu  humilier  et  abaisser  la  rai- 
son humaine  ;  et ,  au  lieu  de  l'abaisser,  ils 
Font  anéantie  (1). 

(1)  Rèflex,  de  M,  Clavè ,  en  réponse ,  etc.,  p.  24. 
Strasbourg ,  1834. 


GHAPITBE  XI. 


Succès  des  nouvelles  doctrines. 

De  quel  avantage  pouvaient  être  k  la  Re- 
ligion des  systèmes  qui  en  bouleversaient 
l'enseignement ,  lui  enlevaient  tous  ses  ap- 
puis ,  en  dégradaient  les  défenseurs ,  don- 
naient gain  de  cause  à  ses  ennemis  ? 

Cependant  ils  prenaient  faveur  ;  ils  s'ac- 
créditaient parmi  les  personnes  à  qui  un 
certain  langage  de  Religion  et  les  appa- 
rences du  zèle  en  dissimulaient  les  dangers. 


HISTOIRE   DE   LA   XOrV£LLE   nÉRKSIE.        415 

Bien  que  repoussée  par  le  corps  épiscopal, 
lanouvelle  philosophie  avait  fait  néanmoins 
de  nombreuses  conquêtes  parmi  les  ecclé- 
siastiques du  second  ordre  (i).  Le  cri  d'a- 
larme que  faisaient  entendre  quelques  voix 
isolées  était  étoujGTé  par  les  clameurs  de  l'ad- 
miration ,  publiant  en  tous  lieux  que  l'écri- 
Tain  si  peu  compris  n'en  était  pas  moins  le 
régénérateur  des  intelligences.  Plusieurs  de 
nos  Séminaires  avaient  adopté  son  ensei- 
gnement ,  et  en  faisaient  le  texte  de  leurs 
conférences.  Grand  nombre  de  leurs  Direc- 
teurs entretenaient  correspondance  avec  le 
grand  homme.  Pas  une  entreprise  littéraire 
ou  religieuse  qui  ne  se  fît  sous  son  patro- 
nage. Quelques  évoques  le  consultaient. 
Après  de  tels  sufirages,  eût-il  été  permis 
d'éleyer  le  moindre  doute  sur  son  ortho- 
doxie? C'eût  été  compromettre  la  sienne 
propre.  Les  reflets  de  sa  gloire  s'étendaient 
ftur  tout  ce  qui  avait  l'honneur  d'en  appro- 

(i)  M.  Lacordai^ ,  Considérai,,  p.  30. 


414  msTOiRG 

cher.  Se»  disciples  ne  Toulaient  pas  qv^on 
doutât  du  respect^  de  V amour ^  de  lafoiy  <|lic 
leur  inspirait  celui  que  Dieu  leur  avait  donné 
pour  Maître  et  pour  Père.  Tel  grand-vicaîre 
lui  promettait  sympathie  entière  dans  k 
clergé  et  hors  du  cierge  j  et  lui  garantissait 
unanimité  desentimens  et'd^afFectîonsdèla 
part  du  sacerdoce  français  (1).  L'engoue- 
ment allait  au  point ,  que  les  adeptes ,  et 
parmi  eux  Ton  comptait  des  hommes  d'un 
esprit  distingué,  suivaient,  avec  une  docilité 
et  une  bonne  foi  des  plus  étonnantes,  tous 
les  changemens  qui  se  faisaient  dans  sa  pen- 
sée (2).  On  affectait  de  publier  que  le  Pape 
Léon  Xn  accordait  a  la  doctrine  la  protec- 
tion la  plus  éclatante;  qu'une  chaire  Spé- 
ciale avait  été  créée  a  Rome  pour  un  savant 
Religieux  qu'on  savait  partager  les  idées 
philosophiques  de  M.  de  La  Mennàîs,  et 
qui  depuis  les  a  publiquement  désavouées; 

(1)  Voyez  r Avenir,  n,  11. 

(2)  I/Universreligieu.TyT\,  iW, 


i 


DE   LA   NOUVELUB   HÉRÉSIE.  41S 

que  lni-mâme  allait  être  incessamment  élevé 
à  la  pourpre  romaine  ;  et  l'on  murmurait 
assez  haut  contre  la  cour  de  Charles  X,  qui 
ne  s'empressait  pas  de  porter  sur  le  chande- 
lier de  l'Eglise  un  prâtre  notoirement  hos- 
tile à  son  gouvemement.  L'épiscopat  in^» 
certain  semblait  reculer  au-devant  de  celte 
puisscit^ce  doctrinale  étrangère  à  la  sienne, 
qui  lui  disputait  l'autorité  de  ses  jugemens, 
et  s'arrogeait  une  dictature  sans  limites.  La 
régénération  de  l'Eglise  de  France  com'^ 
mençait  k  ce  Sacerdoce  né  d'hier,  qui  tout 
k  coup  avait  passé  de  la  jeunesse  à  la  viri- 
lité ,  et  prétendait  par  ses  seules  forces  au 
gouvernement  des  intelligences  (i). 

M.  Tévêque  d'Hermopolis,  alors  ministre 
de  l'instruction  publique  et  des  cultes,  n'a*^ 
vouait  qu'à  voix  basse  combien  il  jugeait  le 
système  dangereux.  <c  Quelques  prélats,  dit 
«  le  savant  et  pieux  M.  Boyer,  ont  traité 
i<  jusqu'ici  les   partisans    de   ces  systèmes 

(1)  M.  Lacordaire  ,  supr.^p,  36,  37. 


416  mSTCHRE 

<  comme  les  enfans  priyilégiés  de  la. 
«  On  a  usé  envers  eux  des  plus  grands  mé* 
r  nagemens  ;  on  leur  a  même  prodigué  des 
«  faveurs.  Ils  ont  haussé  le  ton  k  mesure 
cr  que  l'autorité  baissait  la  voix.  Plus  on  les 
ir  prévenait  d'honneurs  et  de  condescen- 
«  dances ,  plus  ils  redoublaient  de  fierté  et 
«  d'arrogance  (1} .  x  C'est  convenir  nettement 
que  la  secte  s'était  déjà  rendue  redoutable; 
et  l'écrivain  bien  digne  de  foi  que  nous  ve- 
nons de  citer  en  apporte  des  exemples, 
ir  Monseigneur  l'évêque  de  Gap  sait  biep  ce 
«  qu'il  en  coûte  à  un  prélat  vénérable  par  le 
fc  double  titre  du  savoir  et  de  la  vertu,  pour 
«  avoir  eu  l'excessive  bonté  d'entrer  en  Uce 
«  avec  eux.  Un  évêque,  vénérable  par  son 
fc  âge,  par  un  savoir  distingué  et  des  mœurs 
«  irréprochables,  ce  vieillard  s'est  vu  traîner 
fc  par  ses  cheveux  blancs  dans  la  fange ,  et 

(i)  M.  Boyer ,  directeur  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  Examen  du  Syst,  de  M,  de  La  Metmais 
( préface ,  p.  xviii  et  xix  ) . 


DB  LA  NODVEIXB  HfiEÉSIE.  447 

«  son  crime  n'était  pas  autre  que  d'avoir 
«  élevé  la  voix  contre  eux  et  signalé  leurs 
«  écarts  (1).  >»  Nous  citons  un  écrivain  dont 
la  bonne  foi  n'est  pas  plus  contestée  que 
Té  tendue  et  l'exactitude  de  sa  doctrine. 

Les  Aumôniers  de  nos  maisons  princi- 
pales d'éducation  (c'étaient  alors  MM.  Ger- 
bet.et  Lacordaire)  s'étaient  raingés  des  pre- 
miers sous  la  bannière  du  nouvel  Athanasé; 
M.  de  La  Mennais  n'y  avait  pas  d'autre  nom. 
Rédacteurs  de  journaux,  ils  n'y  parlaient 
que  de  la  doctrine  tombée  du  ciel  y  des  pro- 
diges futurs  qu'elle  devait  faire  éclore  parmi 
nous;  et  malheur  à  qui  osait  les  contredire  ! 
Une  école  Lamennaisienne  s'établit  en  Bre- 
tagne sous  le  patronage  des  autorités  civile 
et  religieuse,  alimentée  par  les  passions  qui 
fermentent  dans  cette  contrée. 

Insulter  au  grand  nom  de  Bossuet ,  ana- 
thématiser  ses  doctrines  /  devint  le  proto- 
cole du  parti ,  le  texte  des  déclamations 

(4)  Prrf/bcd,  p.  xviH. 

T.  I.  27" 


«18 

journalières ,  le  point  de  mire  de  qaîconqoe 
T^ulait  se  faire  remarquer  ;  et  y  jusque  ^ans 
la  chaire  de  Sorbonne,  on  entendit  un  joune 
prédicânt  vou^  à  l'exécration  la  mémoire 
du  ^rand  érêque  et  les  traditions  de  J'& 
f^é.  de  France.  Dans  ces  fanatiques  homé- 
lies, Louis  XIV  était  assimUé  k  Henri  VIH, 
Bo«uet  k  Cranmer.  Ces  yocifératlot»  fè- 
tentissaiént  de  Paru  à  BruxeUes,  oà  la  {Mo- 
tion préparait  ses  foyers  de  liberté  répnMr 
cainé;  jusque  dans  le  sanctuaire  des  lois,  où 
l'abbé  de  La  Mennais  était  proclamé  le  ré- 
jgAiératêur  du  sacerdoce  français  /  juaqtie 
dans  la  chambre  de  nos  représentans ,  oè  il 
étaitappelé  le  dernier  des  Pères  de  tÉgHse{\)^ 
le  plus  grand  génie  des  temps  modernes. 
Que  de  moyens  pour  propager  la  dacfarîne  I 
Des  journaux  créés  ou  dirigés  par  et»t  :  cen- 
tres de  ralliement  qui  triplent  en  un  mo- 
ment les  forces  d'un  parti  ;  le  privilège  de 

(1)  Voyez  V Histoire  secrète  du  Parti  de  M,  de  La 
Mennais ,  par  M.  de  Madrol^  p.  82^  (PiqriSy  1834.) 


Dfi  LA  NOUVELLE   HÉRÉSIE^  419 

tout  dire  avec  impunité ,  d'ejffirayer  ses  ad- 
versaires par  la  crainte  du  ridicule  ou  de  la 
diffamation  ;  des  émissaires  ardens,  des  pro* 
sélytes  enthousiastes  distribuant  sans  appel 
le  blâme  ou  la  louange  :  tel  était  le  rôle  que 
le  clergé  du  second  ordre  s'était  réservé,  et 
qu'il  a  rempli  avec  trop  d'éclat,  Mais  l'épis- 
copat,  dans  sa  majeure  et  plus  saine  partie, 
que  pensait-il  de  la  philosophie  sceptique 
et  de  la  théologie  erronée  de  la  nouvelle 
école  ? 


CBAPITRii  XII. 


Jugement  de  Vêpiscopat  français  et  du  saint  Siégé 

Apostolique. 

Ces  Juges  en  Israël ,  sentinelles  vigilantes 
préposées  par  Jésus-Christ  même  à  la  garde 
de  son  Eglise,  ne  manquèrent  pas  à  leur 
devoir.  Sous  le  masque  de  spéculations  phi- 
losophiques et  (ï  opinions  libres  y  indifférentes 
à  la  foi  ^  ils  surent  bien  démêler  les  erreurs 
graves  qui  rejaillissaient  jusque  sur  la  foi , 
attaquaient  dans  leurs  bases  les  fondemens 
de  l'Eglise,  provoquaient  le  schisme,  en 
introduisant  une  puissance  doctrinale  étran* 


HISTOIRE   DE   LA  NÛLTELLE   HÉRÉSIE.       4Stl 

gère  k  celle  dont  Jésus-Christ  les  a  con* 
stitués  dépositaires  et  juges,  troublaient 
l'unité  sacerdotale ,  en  causant  des  dissen- 
sions violentes  dans  le  cierge  (i).  A  la  tête 
de  ces  vigilantes  sentinelles ,  citons  en  pre- 
mière ligne  le  savant  évêque  de  Gap,  qui, 
dans  ses  lettres  pastorales ,  s'empressa  de 
dénoncer  aux  Fidèles  de  son  diocèse  l'Essai 
sur  V  Indifférence  y  comme  conduisant  droit 
au  schisme  et  à  l'hérésie ,  rompant  la  chaîne 
de  la  tradition  catholique ,  introduisant  des 
nouveautés  dangereuses,  détruisant  la  né- 
cessité de  l'autorité  de  l'Eglise.  Depuis 
l'année  1827,  M.  l'évêque  de  Saint-Brieuc 
s'était  porté  sur  la  brèche,  :  défendant, 
comme  un  autre  saint  Hilaire  dé  Poitiers , 
le  patrimoine  de  renseignement  épiscopal , 
dénonçant  a  son  Clergé  les  dangereuses 
nouveautés  dont  on  avait  réussi  à  le  sur- 
prendre, réfutant  les  erreurs^  et  ses  efforts 

(1)  Toutes  expressions  de.  M.  Lacordaîre ,  Consir 


n^araient  pas  été  infructueux,  bien  qiit 
plusieurs  de  ses  mandemens  n^eusseM  pas 
été  lusj  ainsi  qu'il  s'en  plaint  ^  ^ après  les 
présentions  de  certains  prêtres^  qui  en  déro^ 
baient  la  connaissance  au  public.  La  yérité 
avait  fini  par  se  fkire  jour;  et  le  digne  érê- 
que  eut  la  consolation  de  voir  la  majeure 
partie  du  Sacerdoce  de  son  diocèse  abjùrdr 
Ferreur  par  une  déclaration  solennelle  cte 
soumission  pleine  et  entière  a  l'Encyclique 
du  pape (4).  A  leur  exemple,  d'autres  «e 
monlnrèrent  aussi  habiles  a  le  réfuter  comme 
théoUgiens,  qu'à  le  condamner  cos^se 
pasteum.  Distinguons  MM.  les  évèques  de 

•  (Siffiptres  et  d'Annecy.  Dans  le  mandemeii^ 

•  queM.  Parchevéque  de  Paris  publia  hVoc-^ 
éâsî^n  de  la  movt  du  pape  Léon  XIl  ^  d  ^ 
qui  le  sentiment  sur  M.  de  La  Menna^ 
s'était  manifesté  avec  éclat,  le  prélat  accusa 
cet  écrivain  «  d'ériger  en  dogmes  sefr  pro — 
tf  près  opinions ,  de  proclamer  sans  autorité 

(1)  |Voyez  VAmi  de  la  Religion  du  20  août  1834.  - 


DE  LA  NOirvinUJi  HÉRÉSIE.  489 

«  comme  sans  mi^ion  au  nom  dti  ciel ,  àeê 
*  doctrines  subTersives  de  Tordre  que  Jé^ 
«r  8Us*Christ  a  établi,  et  d'ébranler  la  société 
«  tout  entière   dans  ses  fondémens.  »  .On 
sait  dans  quels  termes  M.  de  La  Mennaiit 
répliqua  à  son  Supérieur  ecclésiastique  ;  eti 
termes  que  J.*J.  Rousseau ,  écrivamt  k  M.  do 
Beaumont ,  eut  rougi  de  laisser  échapper  de 
sa  plume.  Le  détracteur  de  la  raison  indi'- 
yiduelle,    qui  ne  cesse  de  la  poursuivre 
comme  faillible  en  tont^  sait  bien  faire  ex- 
ception a  la  sienne ,  et  veut  qu'on  la  regarde 
comme  infaillible.  «  On  en  croit  k  peine  ses 
ir  yeux ,  quand  on  songe  que  cet  amas  d'in- 
fr  jures  ,  plus  dignes  d'une  rixe   de  halle 
tf  que  d'une  controverse  théologique,   est 
«f  tombé  sur  tous  les  évêques  de  Francer, 
If  d'Irlande ,  d'Italie ,  et  en  général  sur  tant 
«  de  théologiens  de  divers  pays  et  surtout 
«  de  notre  France  (1).  » 

Il  était  temps  de  sortir  de  cette  lof  du 

{4)  M.  Boyer,  Examen  ^  etc.  {Préface ,  p.  xxvr). 


419  nsTom 

n^Taient  pas  été  infructueux,  bien  qà% 
plusieurs  de  ses  mandemens  n^eussent  pas 
été  lusj  ainsi  qu'il  s'en  plaint  ^  d'après  les 
préventions  de  certains  prêtres^  qui  en  déro^ 
baient  la  connaissance  au  public.  La  yérité 
avait  fini  par  se  fkire  jour;  et  le  digne  éré- 
que  eut  la  consolation  de  voir  la  majeure 
partie  du  Sacerdoce  de  son  diocèse  abjuretr 
Ferreur  par  une  déclaration  solennelle  de 
soumission  pleine  et  entière  a  rEncycliqiie 
du  pape (4).  A  leur  exemple,  d'autres  se 
monlnrèrent  aussi  habiles  a  le  réfuter  comme 
théoUgiens,  qu'à  le  condamner  ecNenme 
pasteum*  Distinguons  MM.  les  évêques  ck 
(Siartreft  et  d'Annecy.  Dans  le  mand«meflft 
que  M.  l'archevêque  de  Paris  publia  h  Toc- 
Msî^n  de  la  mort  du  pape  Léon  XII  $  de 
qui  le  sentiment  sur  M.  de  La  Mennais 
s'était  manifesté  avec  éclat,  le  prélat  accuse 
cet  écrivain  ^  d'ériger  en  dogmes  se&  pro- 
ie près  opinions ,  de  proclamer  sans  autorité 

(1)  |Voyez  VAmi  de  la  Religion  du  20  août  1834; 


DE   LA  NOimitJI  HÉRÉSIE.  419 

«  comme  sans  mi^ion  au  nom  du  ciel ,  de§ 
*  doctrines  subTersives  de  Tordre  que  «Té^ 
ir  sus*Christ  a  établi,  et  d'ébranler  la  société 
«  tout  entière   dans  ses  fondemens.  »  -On 
sait  dans  quels  termes  M.  de  La  Mennais 
répliqua  à  son  Supérieur  ecclésiastique  *  en 
termes  que  J.*J.  Rousseau ,  écrivant  k  M.  de 
Beaumont ,  eût  rougi  de  laisser  échapper  de 
sa  plume.  Le  détracteur  de  la  raison  indi^ 
yîduelle,    qui  ne  cesse  de  la  poursuivre 
comme  faillible  en  toat^  sait  bien  faire  ex- 
ception a  la  sienne ,  et  veut  qu'on  la  regarde 
comme  infaillible.  «  On  en  croit  k  peine  ses 
ir  yeux ,  quand  on  songe  que  cet  amas  d'in- 
9(  jares  ,  plus  dignes  d'une  rixe   de  halle 
«  que  d'une  controverse  théologique,   est 
(f  tombé  sur  tous  les  évêques  de  France, 
«  d'Irlande ,  d'Italie ,  et  en  général  sur  tant 
t<  de  théologiens  de  divers  pays  et  surtout 
«  de  notre  France  (1).  » 
Il  était  temps  de  sortir  de  cette  loi  du 

(1)  M.  Boyer,  Examen  ^  etc.  {Préface ,  p.  xxvr). 


4M  HiSTOIBK 

silence  que  la  sagesse  commande  en  cer- 
taines occasions,  mais  qu'elle  sait  rompre 
quand  il  lé  faut.  Nos  évêques  du  midi ,  réu- 
nis AU  nombre  de  quatorze,  sous  la  direction 
de  M.  l'archevêque  de  Toulouse,  rédigè- 
rent une  Censure  doctrinale  des  nouveautés 
profanes  de  l'école  Lamennaisienne ,  ana- 
lysées en  quarante -huit  propositions,  et 
flétries  par  eux  des  notes  à' erreur ^  à^hérésiey 
de  témérité  et  de  scandale.  Plus  tard ,  trente^ 
sept  y  ont  adhéré  purement  et  simplement^ 
dix  autres ,  en  improuvant,  défèrent  la  caus 
au  saint  Siège  ;  quatorze ,  sans  donner  leur*^ 
adhésion  pure  et  simple ,  manifestent  leuir:= 
improbation  pour  les  nouvelles  doctrines.  ^ 
L'administration  des  sièges  vacans,  au  nom — 
bre  de  six,  adhère  ou  improuve.  Jamais^ss 
tant  d'unanimité  dans  l'épiscopat.  La  nou-^ — 
velle  ne  tarda  pas  à  s'en  répandre  dans  la  -^ 
Capitale  du  monde  chrétien ,  et  le  Souverain  - 
Pontife,  informé  delà  demande  qui  lui  était 
faite  de  son  approbation,  n'hésita  pointa 


Dfi  LA  NOlTi'EIXE  HÉRÉSIE*  4Si6 

la  donner.  Sa  Sainteté  adressa  k  M.  l'ar- 
chevêque de  Toulouse  un  bref  du  8  mai 
i833,  oii  il  lui  témoigne  sa  gratitude  du  zèle 
qu'il  apporte  au  bien  de  l'Eglise ,  et  k  l'exa- 
men des  doctrines  en  question^  déclarées 
hérétiques^  erronées^  scandaleuses  y  témé" 
raires.  Déjk  son  vénérable  Prédécesseur, 
Jjéon  XII ,  avait  déclaré  son  sentin^ent  sur 
la  doctrine  politique  de  la  nouvelle  école  (1  ); 
mais  ce  n'était  encore  qu'une  décision  pri- 
vée ,  oîi  certes  il  avait ,  comme  Souverain , 
sa  part  d'intérêt  personnel  dans  une  cause 
qui  s'étend  k  la  société  tout  entière.  L'Eu- 
rope chrétienne  attendait  le  jugement  doc- 
trinal du  chef  de  l'Eglise.  Nos  évêques  de 
France,  conformément  k  l'usage  de  nos 
pères,  l'avaient  sollicité  ;  et  la  voix  de  Pierre 
avait  déjk  répondu  k  leur  vœu  par  l'Ency- 

(1)  «  Dès  1826  ,  Léon  XII  dit ,  à  propos  de  Tou- 
«  vrage  où  M.  de  La  Mennais  le  faisait  roi  dés  rois  : 
«  Qui  lui  a  donné  cette  mission  ?  Certes ,  ce  n'est  pas 
«  moi.  Lettre  de  M.  Clausel,  dans  la  Quotidienne  an 
n  23  août.  »  M.  de  Madrol^  Hi9t.  secrète,  p.  73^  note. 


416  msTOiBK 

clique  du  15  août  AS3%  adressé  a  tout  l'a- 
nivers  catholique ,  où  Grégoire  XVI  rap- 
pelle les  principes  de  la  subordination  aui 
puissances ,  proscrit  toutes  nouveautés  dan^ 
gereusesy  et,  par  une  condamnation  au  moins 
indirecte,  fait  retomber  sur  le  moderne 
novateur  tout  le  poids  de  la  censure  épis- 
eopale  ^[ont  il  se  trouvait  frappé  (i  )  ;  seule^ 
ment,  par  une  condescendance  toute  pater- 
nelle ,  le  saint  Père  s'abstient  de  nommer 
explicitement  les  coupables.  Bien  qu'il  dut 
les  croire  suffisamment  avertis,  il  daigne 

(1)  F'oy.  y  à  ce  sujet,  les  sages  réflexions  deM.  Fabbé 
Boyer,  préface  de  son  Examen ^  p.  xxvii.  M.  Roza- 
ven  ,  témoin  oculaire ,  pnisqu^îl  était  sur  les  lieux , 
affirme  que  TEncyclique  fut  publiée  avec  lei  solen- 
nités accoutumées,  le  jour  de  T Assomption  de  U 
très-sainte  Vierge.  L* Avenir  et  ses  rédacteurs  n'y 
sont  point  nommés  ;  mais  leurs  erreurs  sont  exprès^ 
sèment  réprouvées.  Et ,  afin  que  les  rédacteurs  ne 
pussent  pas  prétendre  ignorance ,  ou  se  méprendre 
sur  les  intentions  du  saint  Père ,  le  cardinal-doyen 
du  sacré  Collège  fut  chargé  par  Sa  Sainteté  d'en- 
voyer un  exemplaire  de  l'Encylique  à  M.  de  La 
Mennais^  et  de  l'accompagner  d'une  lettre  dans  la- 


DE  LA  NOUVELLE  IIERESIE.  49T 

faire  parvenir  directement  a  M.  de  La  Men^t 
Aais  U  déclaration  de  ses  sentimehs  sur  Fen- 
semble  de  ses  doctrines  et  leurs  fbnestes  con- 
séquences. Sa  Sainteté  avait  droit  de  compter 
sur  ces  protestations  d'obéissance  sans  bor^ 
nés ,  tant  de  fois  répétées  en  fkveur  de  l'E- 
glise mère  et  maîtresse  de  toutes  les  Églises; 
de  respect  filial  envers  les  évêques,  pasteurè 
et  gardiens  de  la  foi.  Qui  le  croirait?  Oïl 
dispute ,  on  chicane  sur  le  sens  et  les  expres- 
sions de  la  Censure  pontificale ,  de  l'Ency- 
clique; on  s'enveloppe  de  reserves  et  dé 
distinctions;    on    fait    répandre    dans  ses 

c^elle  U  lui  exposerait  en  détail  quels  étaient  les 
.principes  de  V Avenir  que  le  saint  Sié^e  réprouTait. 
Le  cardinal-doyen  s'acquitta  de  cette  commission. 
{Eœamen,  p.  72.  )  Or,  condamner  l'Avenir^  c'était 
condamner  les  erreurs  professées  dans  les  écrits  pré- 
cédons y  puisque  ce  sont  identiquement  les  mêmes 
qu'ils  expriment  dans  la  déclaration  de  leurs  doc- 
trines ,  au  n.  53  ,  dans  la  déclaration  du  2  iPévrier 
1831 ,  adressée  au  saint  Siège  (ibid,,  n.  113  ),  et  dans 
leurs  adieux  à  leurs  souscripteurs ,  du  Ip  novem- 
bro(»Wî^.,395). 


4S8  HISTOIRE 

joumaus ,  par  ses  adeptes   en  Belgique , 
en  France ,  par  des  écrits  ex-professo ,  que 
FEncyclique  n'est  pas  un  jugement  doctri- 
nal, mais  simplement  un  protocole  pour 
retarder,  s'il  se  peut,  de  quelques  moments^ 
la  chute  des  institutions  de  la  vieille  Europe. 
Pour  consoler  leur  maître  de  la  blessure 
que  lui  a  faite  l'Encyclique,  et  se  venger 
eux-mêmes  de  l'adhésion  qu'ils  lui  ont  pro- 
mise, les  disciples  redoublent  de  zèle  et 
d'efforts  en  faveur  de  la  raisongénérale.  Les 
écrits  se  multiplient ,  les  émissaires  sont  mis 
en  campagne,  les  journaux  s'aiguisent  de 
sarcasmes  et  d'impostures.  C'est  postérieu- 
rement k  l'Encyclique  du  pape  qu'ont  été 
publiés  la  plupart  des  écrits  en  faveur  de 
ce  système  du  sens  commun  et  de  Vinfailll- 
bilité  de  la  raison  générale^  que  le  Souverain 
Pontife   déclare   un   système  trompeur^  et 
digne  de  toute  improbation.  Alors  même  que 
Rome  les  condamne ,  ils  osent  se  vanter  que 
Rome  est  pour  eux,  avec  la  même  arro- 


DB   LA  NOUVELLE  HÉRÉSIE.  499 

gance  que  Luther»  condamné  par  le  saint 
Siège,  l'écrivait  à  Staupitz.  On  répond  : 
«  N'en  doutez  pas  que  je  ne  veuille  mainte- 
«  nir  la  liberté  avec  laquelle  j'ai  fondé  et 
<r  expliqué  l'Ecriture  sainte  ;  l'Encyclique  du 
«  pape  et  toutes  les  menaces  que  l'on  me  fait 
«  ne  m'épouvantent  point  du  tout  (i).  »  Ob- 
servez encore  qu'a  cette  époque  Luther 
n'avait  point  passé  le  Rubicon. 

(1)  De  Sekendorf.  Au  lieu  du  moi  Encyclique , 
Lutlier  parle  de  la  bulle  de  Léon  X. 


CHAPITRE  XIIL 


Réfutation  de  M.  de  La  Mennais.  MM,  de  CardaMae^ 
Receveur  y  Rozaven,  Boyer  et  autres. 

C'était  une  sainte  pratique  de  tout  temps 
usitée  dans  notre  Eglise  de  France,  que,  du 
moment  où  de  graves  erreurs  s'élevaient , 
on  commençât  par  les  déférer  au  Siège 
apostolique.  Saint  Bernard ,  prenant  la 
plume  pour  réfuter  Abailard,  ne  manque 
pas  de  rappeler  cet  usage  (1),  et  l'épiscopat 

(d)  Contra  error.  AbaiL  {prœfat,    ad  pap.   In- 
noc.  II,  p.  644,  edit,  Mabillon.  ^ 


mSTOIRE  DE  lA  ROmnELLE  HÉEÉSIE.       4SI 

irançals  avait  dignement  rempli  ce  devoir 
dans  la  circonstance  présente.  «  Est-il  » , 
tktnandait  l'éloquent  abbé  de  Clairvauk  , 
«  nn  cœur  chrétien  qui  ne  doive  repou^sét' 
«  avec  horreur  ces  profanes  nouveautés  de 
«  langage  et  de  conception  (i)T  »  Pln^  d'un 
athlète  se  présenta  dans  la  lice  ;  et  la  vé- 
rité trouva  de  àavans  dëfenseitrs  parmi  les 
laïques  eux-mêmes. 

XJn  des  premiers  que  Ton  vit  s'eiigager 
sur  ce  nouveau  terrain  fut  un  des  profei- 
s^rs  de  l'Université  de  Paris,  aussi  recom- 
inandable  par  ïa  lucidité  de  son  enseigne^- 
ment,  que  par  Taménité  de  ses  mœuri$. 
Dans  une  édition  nouvelle  de  ses  Leôoris 
ététnentaires  de  Philosophie^  M.  de  Cardail- 
làb ,  jaloux  de  prémunir  la  jeunesse  de  nos 
écoles  contre  le  danger  des  systèmes,  s'at- 
tacha, en  passant,  a  démasquer  celui-ci  (2). 

(1)  QuU  non  horreat  profawts  navitaies  H  vocum 
et^^sênmum  (  Ibid,,  p.  645). 

(2)  2  vol.  in-8%  Paris,  1832,  chap.xi,  p.  329. 


4S8  nsTOOUB 

Il  prouve  que  le  Novateur  détruit  fous  les 
principes  de  la  certitude  et  de  l'àutoHté  ;  il 
fait  ressortir  ses  paralogisme»,  ses  contradic- 
tions ,  ses  ùtax  raisonnenlens  ;  et ,  par  une 
lumineuse  dialectique ,  renverse  tcTut  l'édi- 
fice de  cette  raison  générale  du  genre  hu- 
main. 

La  Faculté  de  Théologie  de  Paris  n'avait 
pas  craint  de  faire  connaître  toute  sa  pen- 
sée sur  les  écrits  de  M.  de  La  Mennais.  On 
ne  le  lui  a  pas  pardonné. 

Dans  cette  même  Université,  si  fort  dé-^ 
criée  par  nos  docteurs  modernes;  où To^^ 
respire  avec  l'air,  nous  disent-ils  ,  l'ignc^  ^ 
rance  et  le  doute  (1) ,  cloaque  impur  d'infcf 
piété  et  de  corruption  (2) ,  un  autre  profea^** 
seur  jetait  sur  ces  doctrines  le  coup  d'œif 
pénétrant  d'une  logique  exercée  (3). 

(1)  M.  Lacordaire,  Considérât.,  p,  180. 

(2)  M.  de  La  Mennais ,  Avenir,  n.  10,  etc.  La  ite- 
ligion  dans  ses  Rapports,  p.  90,  92,  etc. 

(3)  Coup  d*œil  sur  le  Syst,  de  M*  de  La  Mennais  , 
par  M.  Pujol. 


DB  LA  NOtJVlStX&  HÉRÉSIE.  4SS 

Ailleurs,  un  jeune  cartésien,  mais  carté- 
sien comme  l'avaient  été  Bossuet ,  Dagues- 
seau  ,  Fénelon ,  vengeait  l'honneur  de  son 
école ,  et ,  dans  un  livre  publié  sous  le  titre 
ô!  Observations  critiques  sur  le  système  de 
M.  de  La  Mennais ,  réhabilitait  la  raison ,  la 
certitude  et  l'évidence ,  ébranlées  par  le 
py  rrhonisme  moderne  (1  )  * 

Des  théologiens ,  parmi  lesquels  nous  ci- 
terons avec  honneur  MM.  Bâton  et  Wrindts, 
discutaient  le  principe  d'autorité ,  avec  le 
bon  sens ,  la  sévérité  de  ton  et  de  style  qui 
conviennent  au  langage  de  la  vérité.  On  ne 
leur  répondait  que  par  d'insultantes  plai- 
santeries. Dans  un  écrit  à  qui  toutefois 
il  faut  reprocher  d'excéder  trop  souvent 
les  bornes  de  la  charité,  la  doctrine  de 
M*  de  La  Mennais  était  déférée  au  corps 
épiscopal,  à  l'Eglise  de  France  et  au  saint 

(i)  1  Tol.  iii-i2,  Besançon ,  1821 ,  par  M,  fiece* 
venr,  professeur  de  philosophie  à  Besançon,  aigour- 
d'hui  Suppléant  à  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 
T.  I.  38 


454  HISTOIRE 

Sîëge  ,    comme   destructive    du   Chrîstia* 
nisme  (1). 

Un  écrit  bien  supérieur  k  tous  ceux-là , 
composé  à  Rome,  et  publié  en  France,  a 
porté  au  plus  haut  point  d'évidence  la  dé- 
monstration des  erreurs  de  la  nouvelle 
école.  A  Poccasion  d'un  écrit  de  M.  Gerbet, 
apologétique  du  système  de  M.  de  La  Men- 
nais  (2),  M.  Rozaven  combat  à  la  fois  le 
maître  et  le  disciple,  en  suit  pas  à  pas  la 
doctrine  philosophico  "  théologique ,  la  ré- 
duit au  silence ,  et ,  par  sa  belle  méthode , 
par  la  vigueur  de  son  argumentation ,  par 
la  politesse  de  son  langage ,  reproduit  parmi 
nous  la  célèbre  Société  a  qui  la  science  et  la 
Religion  ont  dû  tant  d'utiles  monumens. 

Mais  la  vérité  catholique  allait  trouver  un 
organe  encore  plus  éloquent  dans  un  de 

(1)  Par  M.  Tabbé  Paganel. 

(2)  Examen  d'un  ouvrage  intitulé  :  des  Doctrines 
philosophiques  sur  la  certitude ,  par  M.  l'abbé  Ger- 
hêi  y  par  J.-L.  Rozaven  ,  de  la  compagnie  de  Jésus  , 
■j  vol.  in-8®.  Avignon  ,  4833, 


DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.  4SUS 

nos  plus  savans  théologiens  ,  nourri  k  l'é- 
cole des  Lachétardie ,  des  Wuitasse  ,  des 
Tronson,  des  Emery  :  M.  l'abbé  Boyer  pu- 
blia son  Examen  de  la  doctrine  de  M.  de 
La  Mennais  ,  considérée  sous  le  triple  rap- 
port  de  la  philosophie  y  de  la  théologie  et  de 
la  politique  (1  ) ,  et  il  fut  vrai  de  lui  appli- 
quer à  lui-même  ce  qu'il  dit  des  bons  li- 
vres en  général  :  (^  Que  ce  sont  ces  eaux  de 
«  la  sagesse  ,  ces  fleuves  de  science  et  de 
«r  vérité  qui  vivifient  le  champ  de  l'Eglise , 
cr  ce  beau  soleil  qui  dissipe  les  ombres  de 
«r  l'erreur  plus  redoutables  que  les  tene- 
ur bres  palpables  de  la  nuit  (2).  »  On  y  vit 
la  discussion  la  plus  étendue ,  la  plus  appro- 
fondie ,  qui  eût  encore  paru  sur  cette  ma- 
tière. Un  court  aperçu  de  cet  ouvrage  en 
fera  sentir  la  haute  importance. 
Après  une  lumineuse  exposition  du  6ys- 

(1)  1  vol.  ln-8%  Paris,  1834. 

(2)  Dans  XAvii  au  lecteur,  qui  précède  Tavant* 
propos. 


430  mftTOnic 

tème  de  M.  de  La  Mennaîs  (chap.  i),  Tan- 
leur  démontre  que  ce  système  est  suspect 
par  sa  nouveauté  ;  sophistique  dans  se% 
preuves  et  dans  son  langage  (chap.  n). 
Obscurité  générale  j  termes  non  définis  ou 
mal  définis  ^  questions  étrangères  mêlées  au 
sujet  principal  ;  état  de  la  «question  mal 
posé  :  tels  sont  les  vices  qu'il  lui  reproche. 
Il  Taccuse  d'être  faux  et  incohérent  dans 
ses  principes  (chap.  m)»  opposé  à  laraisen 
générale  ,  et  condamné  par  la  méthode 
d'autorité  (  chap.  v  )  ^  inutile  aux  vues  de 
l'écrivain  (ch^.  yi)^  impraticable  Çibîd.)^ 
dangereux  dans  ses  conséquences  inévita- 
bles (chap.  vu)  ;  contraire,  en  particulier, 
à  la  doctrine  de  saint  Augustin.  Il  répond 
(  chap.  m)  aux  objections  ;  venge  Descartes 
des  attaques  que  lui  porte  M.  de  La  Men- 
naie  ;  conclut  que  tout  le  système  est  en  op- 
position absolue  avec  la  foi  et  la  doctrine 
catholique. 

Telle  est  la  marche  de  ce  livre ,  excellent 


D£  LA  NOUVELLE  HÉRëSHT.        437 

tant  pouf  le  fond  des  choses,  que  pour  la 
netteté  ,  l'abondance  et  la  purelé  du  style. 

Honneur  donc  au  Sticerdoce  français,  qui 
n'a  pas  dégénéré  de  la  gloire  de  ses  përes  ! 

Les  Vétérans  du  Sacerdoce  avaient  beau 
s'effrayer  du  danger  de  ces  doctrines  et  lès 
signaler  à  l'autorité  épîscopale  ;  leur  nou^ 
veauté  était  couverte  par  Téclat  d'un-  style 
si  éblouissant^  auquel  on  était  si  peu  accou- 
tumé  dans  ces  sortes  de  matières ,  que  leurs 
objections  les  plus  solides  comme  les  plus  pa- 
cifiques étaient  comptées  pour  rien  ou  ren- 
voyées à  leurs  auteurs  avec  dédain.  Cétaicnt^ 
répondait-on,  des  vieillards  octogénaires  jus- 
qu'à l'imbécillité,  ne  vivant  que  de  quelques 
souvenirs  d'école ,  ensevelis  dans  les  vieilles 
routines  des  »ëcles  d'autrefoîis.  La  lumière 
s'était  fait  jour  avec  M.  de  La  Mennais.  La 
hardiesse  de  ses  pensées  le  mettait  seul  en 
harmonie  avec  la  marche  et  les  progrès  de 
Tesprit  du  siècle.  L'éloquence  dans  cet  écrit 
s'élevait  à  la  hauteur  de  là  théologie ,  pour 


438  BISTOIBE 

emprunter  ses  foudres  a  la  nuée  qui  l'enve- 
loppe. C'étaient  la  d'ailleurs  de  pures  spécu- 
lations philosophiques,  où  chacun  est  libre 
de  se  faire  un  système;  une  région  jusque-la 
inconnue ,  pour  laquelle  il  avait  bien  fallu 
créer  un  langage  nouveau.  On  ne  le  çomr 
prenait  pas  ;  et  c'était  là  en  effet  le  refrain 
habituel  du  parti. 

L'esprit  de  système  y  était  donc  à  peine 
aperçu  sous  cette  brillante  écorce.  Après 
tout,  le  zèle  comme  le  besoin  de  la  réforme 
excusaient  des  écarts  dont  l'auteur  prévenait 
d'ailleurs  le  danger  par  l'assurance  d'une 
soumission  sans  bornes  aux  décisions  du 
corps  épiscopal  et  du  saint  Siège  Apostoli- 
que. 

Tels  étaient  les  argumens  qu'opposaient  a 
toutes  les  objections  les  admirateurs  de  la 
Défense  conime  ceux  de  V Essai.  M.  de  La 
Mennais  leur  en  fournissait  tous  les  matét- 
riaux.  Ils  ne  faisaient  que  répéter  son  pro- 
pre langage,  et  s'en  contentaient. 


DS   LA   NOUVELLE   niflÉSIE.  451) 

Impatiens  d'abréger  la  route  de  la  scien- 
ce, et  bercés  de  l'espoir  d'arriver  du  pre- 
mier pas  à  l'extrémité  de  la  carrière,  nos 
jeunes  Docteurs  durent  saisir  avidement  un 
système  qui  comblait  V abîme  existant  entre 
V homme  et  VEglise^  entre  la  raison  humaine 
et  la  raison  divine^  entre  V homme  et  Dieu  (1  ). 
Telle  est  la  déclaration  que  nous  en  fait  dans 
son  dernier  ouvrage  M.  l'abbé  Lacordaire , 
comme  témoin  oculaire.  Dociles  adeptes,  ils 
se  laissaient  entraîner  sans  nul  effort  par  la 
magie  d'une  puissance  irrésistible  (2)^  et 
qui  sait?  peut-être  le  charme  dure  encore. 

(4)  M.  Tabbé  Lacordaire,  Con9idérai,,  p.   i:>5, 
300  ;  tout  le  chap.  ix. 
(2)  /&ûl.,p.  31. 


•   t 


< 


m         t        • 


CHAPITRE  XIV^ 


Autr9$  écrit»  d»  M.  delà  ÉletmaiSy  publiée  poéU- 
rietMrement  à  l'Essai  sur  ^Indifférence, 

■         ■  1  ■ 

Le  Ëyre  de  la  Dépense  avait  plus  nui  que 
profité  àVauteur  deV  Essai  sur  t  Indifférence. 
Bien  n'y  était  résolu  ni  éclairci;  mêmes 
sophismes,  mêmes  paradoxes  prolixemenl 
développés;  la  fièvre  d'imagination  que 
l'on  avait  prise  pour  de  l'éloquence  s'était 
atnortie  dans  les  arides  discussions  du  com* 
mentateur.  Elle  n'avait  fait  qu'amener  de 

i 


HISTOIRE   DE   LA   NOUVELLE   HÉRÉSIE.        441 

plus  profonds  dissentimens  (1).  La  surprise 
avait  fait  place  au  mécontentement.  La  cu- 
riosité trompée  se  vengeait  par  l'ennui  ou 
par  la  critique.  L'indignation  assoupie  s'é- 
veilla h  ta  lecture  des  écrits  qui  succédèrent. 
Ce  furent ,  entre  autres  productions  da 
^wéme  genre ,  les  Lettres  à  M8^  P arche- 
uêque  de  Paris ^  à  M,  Vévêque  '  JtHermo- 
poUsj  au  R,  P.  I^enturaj  théologien  de 
Rome^  qui,  d'abord  séduit  par  de  beaux 
dehord,  mais  bientôt  désabusé,  avait  ha- 
sardé quelques  observations.  Les  répliques 
de  M.  de  La  Mennais  avaient  soulevé  l'es 
cœurs  les  plus  indifférens.  Les  articles  insé- 
rés dans  le  Conservateur ^  dans  le  Drapeau 
blanc  /  les  Réflexions  sur  Vètat  de  V Eglise 
au  xvm^  siècle j  suivies  de  Mélanges  religieux 
et  philosophiques ,  le  Mémorial  catholique , 
précurseurs  du  journal  de  t Avenir  ou  ses 
continuateurs ,  fatiguaient  ses  partisans  eux- 
in^mes  pâi*  la  monotonie  des  déclamations 

(i)  M.  Lacordaire ,  Cansidér,,  p.  37. 


448  BiSTOiufi 

contre  lesProlestans  et  les  Philosophes,  les 
diatribes  contre  la  raison  individuelle ,  le& 
calomnies  convenues  au  sujet  du  Cartésia- 
nisme et  du  Gallicanisme  «  les  utopies  sédi- 
tieuses mêlées  k  l'hérésie.  Il  y  avait  dam 
cette  politique  haineuse  une  acrimonie  qui 
désolait  tous  les  amis  de  la  religion  ("j]^ 

C'est  l'aveu  d'un  écrivain  qu'il  n'accusera 

*  "y    ■ 

pas  d'avoir  été  son  ennemi.  M.  de  Jja  Meu- 
nais  voulut  ramasser  ces  traits  épars  daps 
un,  seul  faisceau ,  et  publia  les  deux  prpduç- 
tions  do.nt  nous  allons  rendre  cop^ntQ.:  Les 
ouvrages  antérieurs  composaient l^premi^e 
période  delà  conjuration  dont  ceux--ci.  pré-- 
sentent  le  second  acte.  , 

Dans  le  dessein  hautement  manifesté  de 

.1        .         ).<■  ••■•.■     ■»'.--i^    .»\' 

régénérer^  l'intelligence  Iifiméiine.^...fXip^^t 
nécessairement  la. réforme  de  tout  l'ordre 


«  /  « 
•  •_  •  •  • 


social.  La  nouvelle  école  ne  se  le  dissimu- 
lait  pas.;  Une  pente  naturelle  men^t  les 
esprits  des  discussions  théologiques  ^  celles 

(4)  L'Univers  religictM;f.n.  177. 


»  -j .» 


DE  LA  ^OLV£LLE  HÉRÉSIE.         4|5 

de  la  politique.  Luther  s'y  était  trouvé  porté 
par  la  seule  force  des  choses.  Non  contente  de 
tout  brouiller  dans  l'ordre  religieux,  la  Ré* 
forme  aspirait  à  tout  renQuvçler  dans  l'ordre 
civil  et  séculier.  Elle  l'a  bien  fait  voir  dans 
tous  ses  livres,  publiés  à  diverses  époques, 
pour  affranchir,  disait^elle,  les  peuples  de 
la  tyrannie  du  clergé.  «  Et  quand  la  Réfor^ 
«rmation,   disent   ses  historiens,   n'aurai^ 
•f  rendu  d'autre  service  au  monde  que  ce- 
«  lui-là ,  Luther  mériterait  la  reconnaissance 
«r  de  tous  le$  princes,  aussi  bien  que  de  tous 
i<  leurs  sujets.   U  attaqua  constamment  le 
<r  colosse  de  l'autorité  ecclésiastique,  qu'il 
«  renversa  dans  plusieurs  pays(1).  »  JVoii 
moins  ambitieuse  dans  ses  vues  d'amélioi^a* 
tion,  I4  secte  Lamennaisienne  prétend  % 
l'émancipation  de  l'humanité;  et  c'est  là  le 
grand  œuvre  qu'elle  ne  cesse  de  poursuivre. 
La   question    des  Indulgences  ,   première 

(d)  De  Sekendorf ,  HUt,  de  la  Réform,,  part,  i , 
i).  314  et  315,  note. 


444  HiSTomc 

pomme  de  discorde  jetée  dans  le  sanctuafre 
par  le  novateur  de  Wirtemberg ,  était  dWe 
bien  moindre  hnportance  que  celte  dé  la 
certitude  en  matière  de  foi  ;  et  si  cellé-là 
attaquait  la  tradition  dans  là  croyance  du 
purgatoire   et  dé  la-  justification;  celle-ci 
avait  des  conséquence»  biea  piVis  graves^ 
puisqu'elle  sapait  dans  ses  fondement  la 
tradition  et  Fautorité  de  l'Eglise  catholique 
tout  enrtière.  Luther  du  moin»  ne  prétendait 
pa»,   il  s'en  vantait  du  moins,  confondre 
F«neet  l'autre  juridiction.  11  avait  respecté 
la  barrière  posée   par  te  divin  législateur 
enftrt^  Tune  et  l'autre .  En  relevant  1- autorité 
Jkis  princes  et  des  magistrats ,  et  leur  don- 
nant  un  noui^eau  lustre^  il  ne  voulait  m 
àttsujétir l'Eglise  a  leur  domination ,  ni  don- 
ner \  Fautorité  séculière  l'empire  sur  ki  (o\ 
et  les  consciences  (1).  C'est  ce  qu'il  enseigne 
déetement  dans  son  livre  de  l'autorité  des 

(t)  DeSekondorf,  ffist,  de  la  Réforme.  M.  deL» 
Mennais,  Essai  sur  VlnéUffér, ^  t.  I^p.  178. 


DE  LA  NOUVELLE  nÊRËglE.  MSi 

magistrats^  publié  en  1534;  et  quand  Mun- 
cer,  avec  ses  Anabaptistes,  imagina  d'4tablir 
son  empire  universel ,  en  commençant  son 
règne  par  la  destruction  des  châteaux ,  le 
pillage  des  églises,  l'incendie  des  monas- 
tères et  le  massacre  des  magistrats,  pro- 
mettant aux  peuples  de  l'Allemagne  c[u<e  la 
dernière  heure  de  la  tyrannie  avait  sonné, 
et  que  c'en  était  fait  de  toutes  les  oppres- 
sions (1),  Luther  essaya,  par  ses  prédications 
et  ses  écrits  ^  de  réprimer  ces  fanatiques 
mouvemens.  <«  Quel  malheur  pour  l'Europe, 
«  s'écriait-il ,  si  j'avais  l'âme  sanguinaire, 
«r  et  si  j'étais  assez  audacieux  pour  exciter 
«  des  séditions  !  Combien  de  sang  n'aurais-je 
«.  pas  fait  couler  en  Allemagne  ?  »  Mais  il 
était  trop  tard.  C'était  lui-même  qui  avait 
donné  le  branle  à  tous  ces  mouvemens  sédi- 
tieux, et,  par  sa  première  révolte,  avait 

(1)  Gatrou,  Hiat,  dês  Anahapt,,  1. 1,  p.  26«  Sleidan, 
Comment,^  lib.  iv,  ad  ann.  1525,  t.  I,  p.  diO,  dit, 
Franco-Farti ,  dôdO.  Meyncrs,  Hist,  de  la  Réform^y 
p.  14. 


448  msTOiRE 

rendu  inévitables  les  sanglantes  tragédies 
dont  ses extravagans imitateursallaient  don- 
ner  le  spectacle   au  monde.  Il  suffisait  à 
Muncer,  h  Carlostad,  à  Storck ,  de  promener 
sur  les  cendres  de  la  Souabe  la  bannière  sur 
laquelle  le  patriarche  de  la  Réforme  avait 
écrit  de  sa  main  :  Frères^  vous  êtes  appelés 
à  la  liberté:  P^ocati  estis  adlihertatemyfra- 
très.  Il  avait  beau  faire  des  livres  sur  le  lé- 
gitime usage  de  la  liberté.  Ses  propres  actes 
et  les  passions  populaires  leur  donnaient  un 
caractère  tout  autrement  éloquent  et  per- 
suasif. Luther  du  moins  proteste  contre  les 
insurrections.  Nous  verrons  si  M.  de  La 
Mennais ,  armé  du  même  principe ,  a  res- 
pecté les  restrictions  que  le  fougueux  Apôtre 
du  xvi*'  siècle  y  avait  mises  lui-même  ;  et  s*il 
avait  réservé  k  ses  feuilles  de  VA\>enir  et  à 
ses  Paroles  dtun  Croyant  ses  confidenceis 
sur  les  rapports  religieux  avec  l'ordre  civil 
et  politique. 

Déjà  M.   l'abbé  de   La  Mennais   avait 


DE  LA  NOUVELLE  HÉAÉ8I1.        44f 

jeté   le    masque.   Irrité    des    protestations 
que  plusieurs  évêques  avaient  faites  contre 
ses  doctrines,  et  plus  encore  de  la  demande 
par  eux  adressée  au  Roi  pour  qu'il  voulûtbien 
faire  usage  de  sa  royale  autorité ,  à  l'effet  de 
mettre  un  frein  k  ses  emportemens  séditieux, 
M.  de  La  Mennais  publia  ses  Progrès  de  la 
Révolution.  C'était  un  appel  à  toutes  les 
passions  populaires ,  un  libelle  diffamatoire 
contre  tout  ce  qu'il  regardait  comme  opposé 
à  son  rêve  de  civilisation  universelle.  L'ou- 
vrage ,  déféré  aux  tribunaux ,  fut  flétri  par 
une   sentence  judiciaire.  C'était  deux  ans 
avant  la  révolution  de  juillet.  Profitant  de 
la  disposition  générale  des  esprits  en  faveur 
des  principes  religieux ,  et  d'un  retour  sin- 
cère k  l'unité  catholique ,  il  avait  imaginé 
de  se  rendre  plus  agréable  encore  au  Siège 
romain ,  en  outrant  ses  prérogatives  les  plus 
incontestables ,  et  d'enchérir  encore  sur  les 
prétentions  ultramontaines ,    abandonnées 
de  tous  les  partis.  Pour  cela,  il  fallait  re- 


448  msToiBE 

nouveler  les  idées  de  Grégoire  VII  et  de 
Boniface  Y III ,  faire  de  Fautorité  pontificale 
Tunique  puissance  qui  doive  régir  les  hom- 
mes; M.  de  La  Mennais  Tentreprit.  Tout 
devait  céder  a  son  génie ,  et  la  puissance  de 
Bossuet ,  et  les  vieux  souvenirs  de  la  France, 
et  les  répugnances  de  Rome  même  à  s'en- 
gager dans  une  querelle  que  sa  sagesse  avait 
toujours  écartée.  Encore  lui  eût -on  par- 
donné son  exagération  d'ultramontanisme  ; 
mais  prêcher  l'indépendance  absolue  ^  ar- 
mer les  peuples  contre  tous  les  gouverne- 
mens ,  outrager  la  majesté  royale  sur  tous 
les  trônes,  consacrer  l'anarchie,  anéantir 
dans  ses  bases  tout  Pordre  social:  un  pareil 
projet,  trop  clairement  exprimé,  réveilla 
les  cœurs  chrétiens  et  religieux.  On  com- 
mença enfin  a  ouvrir  les  yeux  sur  les  pro- 
ductions précédentes ,  et  Ton  découvrit  que 
même  V Essai  sur  V Indiffërence  couvait, ^ 
pour  ainsi  dire,  les  doctrines  anarchique» 
qui  devaient  éclore  plus  tard  ;  que  son  prin-« 


DB  LA  NOCrVELLB   HÉRÉSIE.  4M 

cipe  fondamental  de  la  raison  généralç  n'é- 
tait qu'une   proclamation  déguisée   de   la 
souveraineté  populaire;   son  prétendu  af- 
franchissement  de  l'Eglise,  qu'une  révolte 
contre  les  rois  et  les  magistrats  ;  sa  théorie 
de  liberté  indéfinie,    qu'une  conjuration, 
dont  le  but  était  le  bouleversement  de  la 
société  tout  entière;  qu'en  faisant  de  son 
témoignage  universel  une  autorité  vivante 
et  infaillible ,  c'était  forger  une  institution 
rivale  de  l'Eglise  chrétienne;  en  un  mot, 
qu'après  avoir  appliqué  aux  sociétés  civiles 
et  dans  toute  sa  rigueur,  l'axiome  :  P^ox  po- 
pulij  vox  Deij  plus  tard  il  se  verrait  amené 
logiquement  à  l'appliquer  k  la  société  reli- 
gieuse elle-même.  De  deux  choses  l'une  :  ou 
M.  l'abbé  de  La  Mennais  n'avait  pas  mesuré 
la  portée  de  son  principe;  et  dans  ce  cas, 
que  penser^  de  cette  profondeur  de  génie 
que  lui  supposent  ses  partisans?  Ou  il  en 
avait  calculé  toute  l'étendue  ;  et  alors ,  que 
penser  de  la  conscience  du  prêtre  qui  se 
T.  I.  29 


4U0  HISTOIRE 

dit  catholique?  Voyons  si  le  dilemme  va 
être  résolu  par  le  nouvel  ouvrage  que  nous 
allons  examiner.  Chacun  de  ses  livres  sert 
en  quelque  sorte  d'introduction  à  celui  qui 
va  suivre. 

Etait-ce  celui-là  qui  devait  faire  suite  a 
V Essai  sur  VIndifférencey  et  en  être  le  cin- 
quième volume ,  comme  l'auteur  l'annonce 
dans  une  note  (1).  C'est  la  même  intempé- 
rance de  zèle  frondeur  et  haineux,  la  même 
dureté  de  langage  dans  la  poursuite  du  Pro- 
testantisme, du  Philosophisme  du  dernier 
siècle,  avec  de  plus  violentes  excursions 
contre  le  Gallicanisme.  Les  révélations  s'y 
montrent  plus  à  découvert ,  et  la  calomnie 
s'abandoime  sans  nulle  pudeur  aux  plus  vio- 
lons excès. 

Ce  nouvel  écrit,  publié  en  1826,  dix  ans 
après  la  publication  de  V Essaie  en  était  la 
véritable  continuation.  Les  questions  qui  y 
sont  traitées  tiennent  au  fondement  même 

(1)  La  Religion  considérée  ,  etc.,  p.  153  (note). 


k 


DE    LA   NOUVELLE    HÉRÉSIE.  4Ki 

de  l'ordre  politique  et  de  Tordre  spirituel  j 
aussi  Fauteur  lui  donna-t-il  pour  titre  :  La 

Religion^  considérée  dans  ses  rapports  as^ec 
V ordre  cwil  et  politique. 


FIN   DU   PREMIER   VOLUME. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


DU   PREMIER   VOLUME. 


DISCOURS  PRELIMINAIRE. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Examen  du  livre  de  M.  de  La  Meainais  intitulé  :  Essai  sur 
V Indifférence  en  matière  de  Relgion,  suivi  de  ssl  Défense , 
par  le  même. 

LIVRE  PREMIER. 

DU  LIVRE  IirriTULé  :    ESSAI  SUR  L'iItDIFFéRENCB  EV  MATIÈRE 

DE   RELIGION. 

liages 

Chap.  I*'  Rapprochemens  de  la  nouvelle  hé- 
résie avec  celle  des  prétendus  réformés  du 
XVI®  siècle i 

Chap.  IL  Nouveau  système  de  théologie ,  de 
philosophie  et  de  politique,  par  M.  de  La  Men- 
nais 33 

Chap.  III.  Des  fondemens  de  la  Certitude  ,  et 
premièrement  de  la  Raison .   104 

Chap.  IV.  Le  système  de  M.  de  La  Mennais 
lui  appartient-il? •  .  114 


4M  TABLE 

Pages 

Ghap.  V.  Beproches  faits  à  la  raison  humaine.   121 

Ghap.  VI.  Gertitude  du  jugement  de  la  raison 
indi'viduelle  dans  la  connaissance  de  cer- 
taines vérités  ou  des  premiers  principes.   .    .   i30 

Ghap.   VII.  La  raison  a  la  certitude  infaillible 
de  son  existence.  Extrait agance  du  doute  uni- 
Tersel.  Axiome  de  Descartes  :  Je  pense,  donc 
ye  «{«M.  Sophisme  de  M.  de  La  Mennais.  .   .   .   152 

Ghap.  VIII.  Gertitude  rationnelle  de  M.  de  La 
Mennais 174 

Ghap.  IX.  Accord  de  la  raison  et  de  la  fcn.   .   .   178 

LIVRE  DEUXIEME. 

COMTUniATION  DU  PE^ciDENT.  SUR  LES  FONDEMENS  DE  Ll  CERTITUDE. 

Ghap.  !•'.  De  FEvidence 208 

Ghap.  II.  Gertitude  du  témoignage  des  sens  et 

du  sentiment 249 

Ghap.  III.  Du  témoignage  des  hommes.   .   .   .   258 
Ghap.  IV.  De  la  raison  générale  et  du  consen- 
tement du  genre  humain 268 

Ghap.  V.  Suite  du  précédent 298 

Ghap.  VI.  De  l'autorité 308 

Ghan.  vil  Traditions   primitives  conserTées 

dans  le  genre  humain.  Sentiment  des  Pérès.   338 
Ghap.  VIII.  De  la  Défense  du  livre  sur  Tindif- 
férence,  par  M.  de  La  Mennais.  Autres  ou- 
vrages du  même 358 

Ghap.  IX.  Gontinuation  du  précédent 372 

Ghap.  X.  MM.  Gerbet  et  Bautain.    ....  394 
Ghap.  XI.  Succès  des  nouvelles  doctrines.  .    .   412 


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DES   CHAPITRES.  4ttS 

lages 

Ghap.  XII.  Jugement  de  répiscopat  français  et 
du  saint  Siège  Apostolique. 420 

Ghap.  XIII.  Réfutations  de  M.  de  La  Mennais. 
MM.  de  Gardaillac  ,  Receveur ,  Rozaven , 
Boyer  et  autres 430 

Ghap.  XIV.  Autres  écrits  de  M.  de  La  Men- 
nais ,  publiés  postérieurement  à  V  Essai  sur 
l'Indifférence 440 


FIN   DE   LA   TABLE    DES   CHAPITRES. 


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