Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
V
-^
c
HISTOIRE
DE
LA NOUVELLE HÉRÉSIE
DU XIX« SIÈCLE.
' /
■y
^
• «•
• • ••
•••• • ••
» • • • ••
• • • • m
•• •• .
»•• •
• • • •
• • ••
IMPRIMERIE DE P. BAUDOUIlf ,
RTF. KT HÔTEL MICKOIf , 2.
HISTOffiE
DE LÀ
nrOUYELLE HÉRÉSIE
DU XEL« SIÈCLE,
or
RÉFUTATION COBEPLÉTE
DES OUVRAGES DE l'aBBÉ DE LA MENNAIS^
PAR Rf.-N.-S. 6UILL0N,
PROFESSEUR D^ÉLOQUENCE SAC&SE À LA FACUlTi DE THBOLOGIR DE PAEIf .
TOME PREMIER.
- \ . . -- - - . . ■ / ' V
1 - ■ -, ^ '-y
PAUI. BEÉQUIONON JR* C% UBRAZBS8-JÉBITJB1IB8 ,
BUE DES 9AINTS-P£RES , 16;
LOUIS MARTIN y ÉDITEUR, RUE laONON , S.
1835.
- - ' -*-
'--: r
• • • » •' ' ^
*• •••
• * , • • ••
- t. •
„ »
» ^ •
« w
** ' ^
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
La divine Providence avait résolu de
mettre à 1 épreuve la foi du sacerdoce fran-
çais. La révolution dé 1790 lui fut envoyée
comme un ouragan terrible. La persécution
déploya toutes ses fureurs. La même Pro-
vidence en avait marqué le terme. Les
miracles de la primitive Eglise se renou*
volèrent ; le sang des martyrs demanda
grâce : la France fut sauvée. .
La patrie avait eu , durant une longue
suite d'années , à déplorer Tabsence de sa
Te I» a
II DISCOUIIS
monarchie et de son sacerdoce , lorsque ,
contre toute espérance, un homme puissant
en œuvres reçut du ciel la mission de re-
lever son trône et ses autels , de rétablir
l'harmonie entre touâ les principes qui gou-
vernent les hommes , et de replacer la so-
ciété ïtir tes bases bMvreltea^ Aprèi; avoir
mis fin a la révolution de 1790, enchaîné
la république ci Tanarchie , conquis le trône
par son génie et ses victoires , cicatrisé
les plaies de l'état , créé une législation ,
reculé et affermi les limites de l'Empire ,
tH côhlmandé it l'Europe entière en Souve-
râhi , Napoléoii tôulut» jornidre k tous set
titres de glbiré celai de {lacifîiïaleiic de
TËglise , eti rendant k la France sa religîoiRf
s6i^ "épîscôpat et son sacerdoce. Soa géûjie
■ -
férine , é\e\é j accoutumé à triompiher de
t^tftcs les résistances , atait reconnii qu'il
gavait uii empire supérieur k ceini qu'il
venait de fonder par les plus étonnantes
vtetoin^es. Le Concordat de 4804 fit centrer
^
PREUHIMAJA^. Ili,
s^u sein de la patrie et rendit aux tbnctip^;^.
du saint ministère les prêtres que lalem-
pete avait dispersés. La paix fut donnée k
TEglise i Tonction sacrée , imprimée pai^|
les mains 4^1 Souverain Pontife sur la tête,
de Napoléon , en fut le sceau. Le schismCi
qu'avait enfanté .la constitution civile du
■ *
clergé i^'inquiéta plus les consciences; Routes
les dissidences reli2;ieusesj5'anéantirent dans
■ ■ '
la recounai^ance universelle de l'autorité:
du Siège apostolique. En même tcmps^toutesi
les ruines se remuaient a la fois j l'antique
édifice se relevait; la i^eligion qu'^.vaienl,
illustrée les Denis , les Hilajire dç Poiti^jr^^
les Germain d'Âuxerre et de Paris, le^.
Hennuyer et le§ Bçlzunçe , lesFénelon, le»!
Bossuet Qt les Laluzerne ,: ne comptait plu9 1,
a dit un des orateurs dq l'époque | d'ep-
nemis parmi les bons et les sages (4). Elle,
(1) Discours sur le Concordât', pronônce'Sânsraé-
lëiftlité« dè0Mêtkâs'dlu:'tt.lMiiie^le ilî^ ^va6fM
un X, paç 1^1 Caçipp d/d Nys^ï-P^ 3S, ;,
IV DISCOURS
fut proclamée la religion de la majorité du
peuple français ; c'était la simple énoncia-
tion d'un fait public^ incontestable, au-
devant duquel s'arrêtaient d'elles-même^
toutes les inductions de l'esprit de parti.
La reconnaissance , l'admiration , mieux
encore , la conscience du devoir , unissaient
tous les esprits et toutes les âmes dans un
commun sentiment d'amour de la paix, d'ou«
bli du passé. Mais les jours de l'Empire
avaient été comptés. L'instrument dont la
Providence s'était servi pour opérer tant
de merveilles fut brisé par elle seule. La
journée de \^alerloo expia l'abus que Na-
poléon avait fait de sa puissance , et ne
laissa au possesseur de tant de royaumes
que son rocher de Sainte-Hélène et la mé-
moire impérissable de ses grandes actions.
Louis XVIII , ramené sur le trône de ses
pères par une main invisible , fut enlevé
trop.tot à la Restauration. Ne jugeons point
celui qui lui s'uècéda. Pour nous , le malheur
PRÉtlMINAIBE. V
est sacré. Sous ce règne , que la tempête
de 1850 a emporté en un moment , il n'y a
qu'un événement en effet mémorable : c'est
la prodigieuse accélération du mouvement
religieux dans toutes les classes de la société.
Le feu rallumé par les mains de Napoléon
avait pris les plus heureux accroissemens ,
et partout; le zèle des ministres du sanctuaire
était puissamment secondé par la ferveur
des peuples et les efforls des gens de bien.
C'était la un phénomène bien digne de fixer
l'attention de l'homme d'état et du législa-
teur; il n'échappa point a la sagacité de
l'un de nos publicistes les plus profonds.
M. le vicomte de Bonald , dans une opinion
prononcée a la Chambre des Pairs, et rendue
publique en 1825, en faisait l'authentique
déclaration. Une année ne s'était pas écou-
lée , qu'un écrivain déjà célèbre protestait
solennellement contre cette assertion, et
domialt aux espérances du noble pair le
démenti le plus explicite par ces paroles :
> Vl DISCOURS
« Après trois siècles d'hérésie et près d*un
t
if siëde dlncrédulité , la société changea
ff de nature, et cela nécessairement... Qii*est-
V elle aujourd'hui en France? quel genre de
•f gouvernement a remplacé la monarchie
* chrétienne? La prétendue Réforme du sei-
•r zième siècle avait ébranlé le système po-
« litique : partout où elle s'établit, on vit
« naître aussitôt le despotisme ou Fanar-
«f cîiie La révolution française (de 1790)
«f n'avait été qu'une application rlgoureuse-
« ment exacte des dernières conséquences
(t du Protestantisme .qui enfanta la philoso-
« phle du dix-huitième siècle. Chacun dés-
ir lors ne dépendant plus que de soi-même,
•f dut jouir d*une pleine souveraineté , dut
If être son maître , son roi , son dieu. Tous
ff les liens qui unissent les hommes entre
<f eux et avec leur auteur étant ainsi brisés,
ff il ne resta plus pour rel g'bn que l'a-
ff théisme, et que l'anarchie pour société,
ir Les afti^usês j^Poscripkions qui ensânglaiï-
PAELIMDIAIBE. VU
« tèrent la FrancQ à cette époque de crime,
<r révélèrent tout ce qu'il y avait au tond
9 des doctrine^ philosophiques. Le meurtre
« s'arrêta ; mais les doctrines restèrent , elles
« n*ont pas un moment cessé de régner ;
« elleç deviennent chaque jour une espèce
« dé syinhole national, consacré parles insti-
<r tutions publiques , et révéré de ceux
«f mAmes qui l'avaieut combattu (1). » .
Une accusation aussi grave ^ qui frappait
non-seulement l'époque qu'elle signale, mais
embrassait toute la période qui l'a suivie ,
méritait, certes, dit l'auteur, d'être exami-
née de près , et devait servir k résoudre bien
des questions (2). Elle avait de quoi étonner
au qioins par la singularité du contraste avec
tout ce qui se passait alors autour de nous.
La France , rentrée paisiblement en pos-
(1) La Rfiligion considérée dms ses rapports avec
V^fàre eif>il ei poliHqU^, ï veî. W 8*. Pwît . iW6,
p, i?,48,49.
<2)/ôiJ.,p. 19. ,
Vm DISCOUBS
session de sa foi antique , sous les trois règnes
que nous avons vus , sa vieille constitution
rajeunie par le bienfait d'une liberté légale;
sa religion , naguère poursuivie de cachots
en cachots , retrempée dans le sang de ses
martyrs , se produisant au grand jour pour
bénir et pardonner ; son Eglise remplaçant
par des vertus dignes des temps apostoliques ,
des prérogatives mondaines qui ne furent
jamais sa véritable richesse , et faisant re-
tentir incessamment sous les voûtes de nos
temples l'hymne de l'unité catholique : qu'y
avait-il la qui ressemblât au schisme et à
l'athéisme?
Pour motiver de pareilles accusations , il
fallait insinuer d'abord , puis déclarer ou-
vertement que la plaie dont la société chré-
tienne était travaillée , toujours également
vive et profonde , ne cessait de dévorer len-
tement ses entrailles , et la menait à une
dissolution inévitale et prochaine ; « qu'à
<r l'agitation , à la fièvre dont le siècle pré*
mEtniiNAïu. tx
tr cèdent avait été travaillé , succédait une
n léthargique indifférence. Plus de conlen*
< tiens , plus de querelles : on dirait une
« parfaite paix : paix lugubre , paix déso*
cr lante , paix mille fois plus destructive que
ir la guerre qui l'a précédée : c'était le calme
<r et le silence de la mort (1). »
Le reproche ne s'adresse pas seulement
à la Réforme protestante , ni à Imcrédulité
philosophique, qui, du moins alors, n'avaient
rien de redoutable; il s'étend a toutes les
classes de la société, sans excepter même le
sanctuaire dégénéréj corrompu ( ne cessera*
t^n de nous dire) par les doctrines du
schisme et de l'athéisme, à la suite desquels
marcha toujours Tindifférence, lèpre conta-*
gieuse, sommeil volontaire de l'âme, en-
gourdissement universel des facultés mora*
les, privation absolue d'idées sur ce qu'il
importe le plus à 1 homme de connaître.
(1) E8$ai aur VIndif, mtrod., p* 24, 25.
DiSCOUBS
lie tout tèmpà, les Proplièteâ dé TàndéÀiié
et dé la nouvelle Eglise, nos saints Dôétetirs
et les Prédicateurs dé communions diverses
ont loriné contre lés désordres publiés et
p^vés/rëpânaus au sêiri de la §ôciëlé; léui*
kh\è n'épargna jamais la liédèftp et l'indo-
lence dans le service de la i'élîgfoti. S*expri-
jfnâiênt-ils avec cet emportement^ et por-
tàicnt-ils si loin les consiéqiiences du mal
Qu'ils déploraient, eût-il été mtaujt prouvé?
Quoi qu'il éii feoît , l'œilvre de la Restau-
i*àtion n'était rien moins que complète ; k
^eïne était-elle ébauchée. Au milieu du lé-
thargique engourdissement où l'Europe en-
tière était plongée, on venait lui apprendre
^é la régénération du Catholicisme était
néceâsaii'é; qu'elle était invoquée par tous
lés vœux comme par tous les besoins; qu'une
sainte ligue s'était organisée depuis quinze
ans pour lui rendre , sons lïne fdtmfe nou-
velle et avec des progrès nouveaux, la force
et la vie qui Tavaient abandonné, et rame-
F- ^ k^
FREtlMINAtEE. XI
taër enfin pafmi nous , aprës une longue
éclipsé de quatre siècles , la vérité partout
tûécôrtnue ou négfigée ; que la eWilisalion
européenne, Tœuvre du Cliristianisme et dé
ses Pontifes, entravée constamment parlé
despotisme des princes et Vabjccle servilité
des peuples, devait être ramenée a ses anti-
ques élemens, a savoir : l'unité absolue dans
Tordre religieux et politique ; que le Chris-
tianisine , qui avait rallié tous les peuples
soiis la bannière de la liberté, «r après avoir
« Ibng-lemps conservé la souveraineté, avait
« éédé à la fiii k l'opinion qu'il élait pôssi-^
« ble d*e ri conserver lès bienfaits en cessant
•r d*ôtre clirétîeni*d*oîi Ton avait pris occa-
i ^iôh de nier même ces bienfaits, et d*ac-
« cuser le Sauveur des hommes de tous
•r ieé maili de lliunàanité ; qu*à ce moment
« Dieu s'étuit trouvé comme embarrasse', et
« que, pour châtier ces générations superbes,
^ il 8'étàii retiré du Biiiiieu d'elles, et les
« aVâît laissées À^égarèr dans leur tiéant.
Xn DISCOVBS
•r lorsque, contraint de respecter sa parole j,
ir Dieu prit un autre moyen de s'absenter,
«( autant qu'il était possible, d'une société
¥ qui le méconnaissait, en accordant à ses
« ennemis de prévaloir eux et leurs princi-
ir pes dans le gouvernement des aflfaires hu-
i< maines (i). » De lu ces doctrines bâtardes
qui ont dominé et dominent encore dans le
sanctuaire, où elles entretiennent les poi-
sons du schisme et de l'athéisme \ de la, sous
le nom de protection donnée a l'Eglise , la
persécution hypocrite , la plus dangereuse
de toutes, sous laquelle l'Eglise gémissait et
gémira toujours, jusqu'à ce qu'elle soit
affranchie par une séps^ation totale avec
l'état. Heureux jour, s'écrie dans un ouvrage
tout récent un de nos modernes Kéforma-
leurs, heureux jour où les peuples et les
rois, reconnaissant leurs erreurs, rebâti-
(4) M. Lacordaîre, Considérations sur le Sy$t. ds
M.deLaMennais, p. 21-25. (1 vol. in-Ss 1834,)
pftiumiiAnuE. x^,
ront ensemble Jérusalem démolie (1)!»
En même temps que les vrais principes
cle la hiérarchie et de la discipline de TE-
glise étaient universellement méconnus, ceux
de laThéologic et de laPhilosophie catholique
n^étaient pas plus respectés; c'est ce qu'affir*
ment de concert tous les adeptes de la nouvelle
école : aussi se croit-elle destinée à recréer
l'intelligence humaine. Selon elle, il n'exis-
tait point encore pour FEglise de philoso-
phie catholiqu^e; ses Docteurs, réputés jus-
qu'ici les oracles de la Théologie, en avaient
tous profondément altéré l'enseignement :
ff Les preuves employées d'ordinaire par les
tr Apologistes de la Religion chrétienne pour
«r établir l'existence de Dieu et la vérité du
« Christianisme sont incomplètes par faute
<r du premier principe auquel elles s'at-
« tachent ; elles portent sur une supposi-
r
« tion très -fausse et destructive de toute
«r vérité; avec elles, on est conduit pas
(1) M, Lacordaire , ConêidêrtU., p. 23»
XI\ DISCOURS
« à pas jusqu'au scepticisiQC universel (1). »
N'y aura-t-il pas du moins quelque excep-
tion en faveur de saint Thpnias d'Aquin,
par exemple, à qui Tassentiment de tous les
siècles chrétiens a décerné le surnom d'Ans;é
de l'école, et que ses immenses travaux sur
toutes les parties de la science tliéologique
reçommpndept si éminemment a la véné-
ration publique ? N'y en aura-t-il pas pour
cet év-cque d'Hippone, regardé comme le
-«ri» • ■ '
j ■ ■
représentant de TEglise universelle, et pour
-•■..■'
Bossuety compté dç son vivant au rang des
Pères de î'EgiisçîNon. Le premier n'a laissé
sur l'essence de la loi, sur son principe, son
objet et ses caractères, sur la certitude
"■ ■ .'■ ■ i » '.^ ■'. ''■■•■.,
qu'une théorie vague ^ obscure, iriinteMigi-
.r- ' '.s ' ' ' ' .< , •. ■■ ■ " .
blej le second, ils le citent, mais en le dé-
naturant, soit par des traductions infidèles,
soit par des inductions arbitraires , contrai-
res à sa doctrine (2)j le troisième, ils llm-
. * ■ * • ' ■
(2) Voyesi les preuves qu'en donnent MM. Roza-
(
t
PRELIUDIAmE. XV
inolçnt au ininis(rç Claiulc; et l'un d'euf
regrette mo4esleroenl de n'avoir pu diclejr
au grand évêque de Meaux les réponses qu'il
avait a opposçr f^ux diiÇcultés de son adve|v>
saice, danssarauieuseConfc^rence aYeclui(^^.
■'■•' ■.-■.■'
Egalement pré^opfiptiieux, çt lgrs(|u'ils dé*
• ■ ■
truisent, e^ loi:squ'ils codifient , ils rejettent
Tense^ement i^naniinç des sièclQ^ pour
IV,.. . , ■ ^. •»■
courir au .hasard aprè$ d,es fantômes qu'ili
se son( faits. Pour bâtir leur sysl^iue de
Théologie et.de Philosophie , ils bcouiUjBnt
ou amalfi^ament indi£fércmmçnt les ques-
tions qui sont dja ressQ|*t de Tune et de l'au-
tre, confondent la foi dlvi^ et la foi hu-
m;aine, l'incertilude avec rînfaiUlbUUé « le
• ■ ' * ■.*...
principe de la foi avec a.a règle , l'acte de
• ■ ■ * ■ ^.»
rentendemç;iit avec l'acte de la volonté. Us
s'inscrip.ont ei) fauxcoi^tre révidence.meront
Tén et Boy er, lé premier, p. fOO, IQS, lïl, irî,
1£^, lâài Ctû.; leiei^ftids ehJ ym^ p. AM etJêsiJmK
(j) M. Rozaven, Ewamen , chap. viii, p. 428 et
•uiv., et 4S& " ■
XVI DlSCOtHS
les droits de la raison, et les remplacent par
leur chimère de Raison générale ou commun
consentement, a qui ils prêtent une autorité
égale à celle de l'église catholique. Ils pro*
clament infaillible le genre humain, et fon-
dant toute la défense du Giristianisme sur
cette prétendue infaillibilité, ils se vante-
ront d'avoir trouvé enfin le leuier seul capa-
ble d'arracher l'Eglise à ses ruines, et là
société a sa mortelle indifférence (i).
Quelle puissante voix appellera la lumière
au sein du chaos où toutes les intelligences
restent ensevelies? Ce profond assoupisse-
ment où dort l'Europe entière , qui l'en ti-
rera ? Qui soufflera sur ces ossemens arides
pour les ranimer (2) ?
■
Un homme s^est rencontré d^un rare ta-*
lent fêcondé par la lecture du philosophe
de, Genève et de notre grand évêque de
Meaux , quelquefois comparable a l'un par
(\) M. Lacordaire , Considérai,, p. 15^
(2) Eêêaiiur Vlniiffêr. /miroà.,^. 1,
PRÉLIHINAmE. XVII
son insidieuse logique, a l'autre, par sa ner-
veuse éloquence; novateur hardi , écrivain
disert , élégant si Ton veut , mais bien loin
de seà modèles; plus jaloux de célébrité que
de solide gloire; maniant avec une égale
souplesse le sarcasme et l'argumentation;
outrant tous les principes; indiflférent sur
les conséquences ; se jouant des traditions
les plus révérées et des renommées les plus
imposantes.
Les premiers écrits de M. l'abbé de La
Mennais avaient fixé sur sa personne les
regards publics. Brillant météore, il s'éle-
vait du sein de nos tempêtes politiques , et
la religion conçut quelques espérances. Il
avait cru découvrir dans les ravages de la
philosophie moderne unie au protestan-
tisme , les causes de V indifférence répandue
dans toutes les classes de la société : elle
devenait dans ses principes le châtiment de
cette intempérance de Uberté dont les no
vateurs du xv® siècle avaient fait leur évan :
T, I. h
gile. Aujourd'hui, changeant de langage,
dévoué déformai» à la défense de cette
même liberté, non-seulement il pardonne à
ses écarta ^ il les provoque , il les canonise ,
en irrite les emportemena. L'ardeur de son
zèle n'a pas assez des flots de sang qui inon-
dent les plaines de la Belgique et de la Po-
logne (i ) ; c'est le monde tout entier qu'il
^ demande pour holocauste, heureux d'ache-
ter k ce prix les triomphes qu'il promet a
sa nouvelle divinité. Chaque jour» se con-
fondant avec la dernière lie des folliculaires
du moment, s'affiliant avec tous les entre*
preneurs de secte et d'utopie dans son jour-
nal de VAi^nir^ il agite le tocsin de la ré-
volte , verse le mensonge et l'outrage sur
nos institutions les plus chères; arme ses
Séïdes des poignards de la Ugue , insulte k
(1) Ce portrait du célèbre écrivain fut composé
en 1831 , peu ajirès la publication des premiers nu-
méros de son journal l'Avenir, Voyez la note de la
page xxiu cirâprès.
PlUtaLnBlAlRE. HZ
lllpifleopal, et traîne notre Eglisede France
aux GréiAfiies.
Peu lui importe de contredire et l'Evan-
gile et l'histoire et les monumens. Aspirant
à se faire chef de secte ^ il n'y a que trop
bien réussit A Dieu seul appartient de ju-
ger quelles intentions onl dirigé sa plume :
le siècle présent est témoi]\ des résultats
qu'il a déjà obtenus. Une jeunesse ardente
et toute novice dans la science de la Reli-
^on, s'est précipitée sous la bannière du
nouveau prophète , se croyant tout savoir,
quand elle avait peine k le comprendre (1).
Entraînée par lui des mystères de la méta-
physique dans les champs de la polémique »
«
elle a juré sur la foi du maître et formé au-
tour de lui une phalange redoutable. L'ad-
(1) « Je crus comprendre sa philosophie , quoi-
« que je ne la comprisse pas du tout , comme je m^en
« sois. aperçu un peu plus tard. » M. Tabbé Lacor*
daire , Cansidér, sur le Syst. de M, de La MennaiSj
p. 160. (Paris, 1834.) M. de La Mennais s'est tou-
jours plaint cpoiMn ne Pavait pas compris.
XX . DISCOURS
^ f
miration qu'elle lui a vouée ne s'est pas
bornée à l'éloge de son talent : eïÊ Fa pré-
senté comme un nouvel Atlianase , luttant
de toutes les forces de son génie et de son
caractère contre l'apostasie du siècle ; mais
saint Athanase , toujours conséquent k lui-
même , ne se rencontrait pas sous les éten-
dards de Julien , mêlé avec les ennemis du
Christianisme, pour battre des mains aux
fêtes des'Euménides.
S'il n'y avait là qu'une question de poli-
tique, que des opinions, et non pas des
doctrines, nous garderions le silence, et
nous abandonnerions à d'autres des discus-
sions que tant d'excellens écrits publiés sur
ces matières rendent inutiles ; mais ici , la
cause de la Religion est liée à celle de la
Patrie, l'intérêt de l'ordre sacerdotal à celui
de Tordre social tout entier. Les événemens
qui nous pressent réagissent inévitablement
sur un long avenir. La foi des peuples ébran-
lée chancelle de toutes parts. Un nouvel
PllEUMINÂIlŒ. XXI
Evangile est proclamé dans les livres desti-
nés a rinstruction d'une jeunesse que tour-
mente le besoin insatiable de nouveautés.
Nos sacrés oracles sont méconnus , la voix
des Sages repoussée par les sarcasmes d'une
orgueilleuse ignorance. Livrée à l'anarchie
des opinions , la société chrétienne parmi
nous semble n'être plus qu'un foy^r oii fer-
mente une vaste conspiration contre l'œuvre
du Seigneur.
Si les dépositaires de l'autorité civile sont
intéressés à l'examen des doctrines sédi-
tieuses qui sont venues envahir le domaine
de la foi antique , si c'est pour les magistrats
eux-mêmes un rigoureux devoir de bien
connaître l'esprit qui les anime et les pro-
page , d'en calculer l'influence , d'en préve-
nir les funestes conséquences sur tout l'ordre
public , les Ministres de la Religion pour-
raient-ils voir d'un œil indifférent les dan-
gers dont elles menacent le Sanctuaire? C'est
à eux spécialement que s'adresse cet écrit.
UUn DttCOOBS
Il faudrait assurément n'être ni Français
ni Chrétien, pour s'abuser sur les consé-
quences d'un système qui bouleverse la
hiérarchie, détruit la discipline antique,
viole dans son essence la constitution don^
née à l'Eglise par son divin fondateur,
attaque les fondemens de toute autorité
civile et religieuse. C'était là le venin ca-
ché dans son premier ouvrage sur l'indiffé-
rence. Les bons esprits ne s'y laissèrent pas
tvomper, et ne craignirent pas de mani-
fester leurs défiances. La Religion d'im l)ieu
qui est vérité et charité, pouvait-elle se
défendre par des paradoxes «t piur le \kvk*
gage du mépris et de la colère? Etait-ce
ainsi que l'avaient enseignée et défendue les
Origène, les Augustin, les Chrysost^e ? U
n'est pas besoin d'examiné ici leqùel,^ de
l'mdîfférence ou du fanatisme, est le j^bis
formidable dams uii Etat; il suffit que p^r«*
simne ne puisse nier que l'un et fantré sont
peraicifiux. Qu'importe quio M4oiti'oiau ^tar
gnante du marais, ou celle du torrent dévas-
tateur, qui amène les ruines et creuse les
abîmes,
M. de La Mennais luinnême n'a pu dissî*
muler les inquiétudes qu'avaient suscitées
aes étranges théories (1).
Déjà plus d'un critique sévère avait. in*
terrogé ces doctrines , que leur nouveauté
seule rendait suspectes; et l'épiscopat fn»
çais n'avait pas tardé à manifester soa im«
probation. Si Rome n'avait pas encore
parlé, si la sentence du Siège Apostolique
n'avait pas encore confirmé la censufè
(1) rëerîvûîs ces ligxes dans les premiers uois ût
1831 s trois ans aTant que le livre d«s ParUis d'un
Croyant eut paru. Un journal a réoemment publié
ce morceau [Xe^Etiides religieuses y^mdX J834). Ren-
dant compte, le premier de tons, des Paroieë d'un
Cre^né , ce jouroal obseri^a que « «'il eût été im-
« primé à celte époque , ce portrait, jugé eu quel-
« que sorte prophétique , eût élé sans doule alofs
« tsité d'etAip^ratioÀ ; mais ài^gourd^bni , que répon-
« dre? Le dernier écrit de M. de La Memiais a de-
« passé totites les prévisl<ms ; le novat€rtir a désor*
XXIV DISCOURS
des évêqiies , c'était par ménagement pour
le fougueux Novateur, qui laissait craindre
qu'il n'attendît que ce moment pour lever
la bannière de Luther. Les suites ont fait
voir si le pressentiment a été faux.
A la suite de l'Essai sur V Indifférence et
de sa Défense^ avaient paru diverses pro-
ductions du même écrivain. Il ne faisait
toujours, en s'y copiant lui-même, qu'en-
chérir sur les erreurs des précédentes, et
lever graduellement chacun des voiles
qu'une prudente réserve savait y retenir.
Pas un des articles de son Sermon quoti-^
dien (1) de V Avenir y qui ne se retrouvât
textuellement dans ses écrits antérieurs,
plus particulièrement dans le livre publié
en \ 826 sous le titre La Religion considérée
dans ses rapports avec l'ordre civil et poli-
tique (2). Ce livre^ moins connu que V Essai y
mais plus substantiel, pouvait être regardé
(1) Expression du journaliste dans r^venir^n. 395.
(2) 1 Tol. in-8«. Paris, 1826, troisième édition.
PR£LUf£^AIB£. XXV
a la fois comme le. Commentaire du précô*
dent et l'Introduction à ceux qui allaient
suivre. U Essai sur V Indifférence aurait
suffi pour révéler aux yeux attentifs les
doctrines déposées dans la pensée de Tau^
teur, et qui allaient être développées dans
IcL Religion considérée^ etc. Celui-ci, à son
tour, préparait aux saturnales de V Avenir;
et ce dernier amenait , par une filiation di-
recte, les Paroles d^un Croyant. Dégagés
des digressions parasites et ramenés à un
protocole général , tous o&ent la preuve
d'une conjuration ourdie dès long-temps,
et poursuivie sans relâche. Elle n'avait fait
que déguiser sa marche jusqu'au moment où
la Révolution de Juillet lui eût fourni l'occa-
sion d'éclater. C'est alors qu'il a commencé
à se montrer au grand jour; alors qu'il a
plus ouvertement levé l'étendard de l'inr
surrection. D Avenir avait un but direct et
proclamé sans mystère : c'était d'amener sa
révolution religieuse par des ' révolutions
XX\1 NSfSeVM
pi^itiqii^. Voilà la mission que M« 4e Là
Meniiâis s'est proposée , et qu'il s^est cranté
d'aYoir remplie avec un succès supérieur à
tes espérances; car il n'était que trop vrai,
la funeste propagation de ces nouveautés
«'était fait sentir jusque parmi le Bacerdoce.
L'un des hommes le plus à portée d'appré-^
cier ces systèmes prétendus philosophiques^
d'en calculer l'influence , n'a pas craint de
s^exprimer en ces termes ^ dans une excel-
lente réfutation qu'il en a publiée : « Nous
« aimions ^ considérer nM Séminaires
««r -comme de pieux asiles où la vérité s'était
M ïréfogiée , comme une terre de Gressen
•<r oii le soleil de la vérité continuait à b^^il-
"k Itt et à éclairer les âmes des plus put%
« rayons de la èaine doctrine ; et voiU un
« #afax Docteur qui s'élève au milieu de nous,
K lève l'étendard de la révolta contre les
^ évèques , et appelle k lui la jeunesse déri-
fr ôàle pdur l'égarer dans les fausses routes
^ ^utiejAilo^hie absurde^ d'une chéolo^e
I
t erronée^ d'une polidMfae scandaleitte (1 )• »
Cependant,, derait-on dè8-4ors an portar
un aussi rigoureux jugement? et n'y avait-il
pas plus d'une exèuse légitime à Êiire valoir
en £siveur de l'écrivain et de ses ouvrages ?
Quelques erreurs parsemées ça et^là dans la
cours de plusieurs volumes, supposaient-elles
on système ? Le dessein de l'auteur , en p«JH
bbantBon Eisaisur V Indifférence^ ne devait^
il pas en faire pardonner l'emportement ? «c II
fr avait bien fallu ehàtier , par une logique
t de fer 9 l'insolence de la Philosophie du
« jour (2)^ » Les ténàiéraires asaertibns domi<-
nantes dans le livre de la Religion von^
aérée daàs ses rapports àf^c l'^rdte c<Vi7 «|
poUHque^ semblaient palliées jpar l'ardeutr
d'un oèle respectable jtisque dans ses écarts^
L'janrtume^ l'eMspération de aes rép<msei^
Mennais , p. 261. taris , 1834.
(2) M: Lacordaire, Considér. sur le Système, etc.
P. 36. : , .1^,'^ T \
m «««.. '.«1.
XXVm DISCOURS
à ^s critiques retombaient sur ses imprudens
agresseurs. Le rôle d'accusateur public que
lui imposait son journal de V Avenir per-
mettait-il la modération de caractère et la
mesure de langage ? Avec cela , un amour
si filial , s% abandonné k l'autorité du saint
Siège Apostolique , un empressement si ré-
signé à soumettre ses écrits au jugement de
l'Eglise et de son auguste chef ! Le danger
de ses doctrines se trouvait couvert par l'hu-
milité de ses protestations d'obéissance.
Telles étaient les apologies que Ton aurait
opposées à nos pressentimens. Les Paroles
et un Croyant TL^ les ont que trop justifiés.
La frénésie qui a dicté cette dernière pro-
duction explique toutes les autres. Lé feu
couvait sous la cendre , jusqu'au moment
de l'explosion oii l'incendie s'est manifesté.
La piété simple , ingénue , qui ne soupçonne
pas le mal , comme dit l'Apôtre (1 ) , avait
(1) I. Cior; xni, S.
%
PRÉLIMCIAmE. XXIX
pu se laisser aisément éblouir par la haute
renommée de FécriTain , par la pompe de
son imagination , et par l'accent religieux
m,
dont elle paraissait empreinte. « On abon-
c dait dans son sens , souvent avec plus de
«c précipitation que de réflexion , et presque
« toujours avec des idées plus confuses que
r nettes et précises sur sa doctrine et ses
c écrits (1). » Peut-être même le charme
n'a-t-il pas été tout-k-fait rompu, malgré la
fâcheuse impression que le dernier a excitée
parmi ceux qui s'obstinaient k l'admirer
même sans le comprendre; témoin les dé-
fenses que Ton a osé en publier , et les pal-
liatif dont on a prétendu en colorer les
blasphèmes.
J S'il est nécessaire qu'il y ait des Hérésies ^
il ne* Test pas moins qu'elles soient démas-
quées et- confondues. « Il nefautpas croire, »
nous dit l'oracle des siècles modernes ,
(1) M. Boyer, «w/)f.,^t?an^Pr(?/)o«,p. iv.
ir que les Hérésies aient toujours pour au*
« teurs des impies ou des libertins qui , de
« propos délibéré , fassent servir la religion
« àleurs passions. Saint Grégoire deNazianse
«r ne nous représente pas les Hérésiarques
«r comme des hommes sans Religion , mais
ir comme des hommes qui prennent la Reli^
•f gion de travers. Ce sont , dit-il , de grands
«r esprits , car les âmes feibles sont égale-^
« ment inutiles pour le bien et pour le maL
ir Mais ces grands esprits , poursuît-il , sont
«r en même temps des esprits ardens et
ff impétueux qui prennent la Religion avec
If une ardeur démesurée , c'est-k-dire , qui
« ont un faux zèle , et qui , mêlant à la Re-
«r ligion un chagrin superbe , une hardiesse
ff indomptée et leur propre esprit, poussent
r tout à l'extrémité (i). » Violer la tradition
catholique , altérer et pervertir la sainte
doctrine , attaquer et détruire tous les prin-
(1) Bossuet , Hist. des Variât., liv. v, n. 1, l. III,
in-4», p. 488.
«
àftM de Tordre tocul,
et la réTolte août le nom de liberté, répand-
tire le menaonge et la caloninie contre U$
pontifeg sacrés ei lespiimces de la terre j en
présenter Tafatorité sainte comme l'œuvre
du péché et oomme puissance de Satan y
tffiBcter partout le langage de TElcriture
•aînte , et , par une audacieuse perfidie ,
fiiire plier ce langage, qui est celui de Dieu ,
a inculquer ces utopies , comme s'en plaint
l'interprète sacré de la doctrine chrétienne,
le pape Grégoire XVI dans sa dernière en-
cyclique (1 ) : quelle hérésie fut jamais plus
vaste et plus criminelle? c'était celle des
fougueux sectaires du xnr* siècle , qui cou-
vrirent TEurope de ruines et de cendres.
Ce qui rend une opinion dangereuse,
c'est moins son opposition avec les prindpes
de la foi et de la morale , que la confiance
qu'on lui accorde; c'est sa propagation et
(1) Encycl. du 25 juin 1734.
XXXn DISCOURS
le nombre de ses sectateurs. Or* c'eist là
surtout ce qui excitait nos alarmes. La doc-
trine de M. de La Mennais, nous dit un de
ses disciples les plus ardens , bien que re-
poussée par le corps épiscopal, avait fait
néanmoins de nombreuses conquêtes parmi
les ecclésiastiques du second ordre, que
l'exercice du saint ministère met en point
de contact journalier . avec les habitans des
villes et des campagnes. C'était , de l'aveu
du même, écrivain, une puissance élevée
dans le sanctuaire k côté de l'autorité épis-
copale, et souvent supérieure à la sienne (1 ).
Elle exerce sur une portion considérable
de la Jeunesse cléricale un ascendant pres-
que irrésistible (2). Avant qu'il n'eût publié
ses Paroles â!un Croyant ^ M. de La Men-
nais était encore k l'apogée de sa gloire ,
et peut-être que l'autorité même des cen-
(1) M: Lacordaire, Considérât., etc., p. 36, 37.
(2) M. Boyer, Examen du Syst,, etc., préface,
p. XXXI.
I
PEÉUMDiAIRE. X^XIU
sures dont ses précédens écrits étaient l'objet,
n'eût pas prévalu contre la séduction qu'ils
avaient entraînée. Il n'y avait que lui qui pût
se détrôner lui-même. S'il est vrai que le trait
le plus marqué du caractère de M. de La
Mennais fut l'esprit de prosélytisme, ja-
mais novateur n'eut plus que lui à s'applau-
dir de ses succès. U est bon d'entendre à
cette occasion un critique qui paraît l'avoir
bien connu. «Ce besoin de domination qui
« l'a tqujours travaillé , cette espèce d'at-
« traction presque invincible qu'il a exercée,
« dès le commencement même de sa car-
ir rière , sur presque tout ce qui était jeune,
K intelligent et curieux de l'avenir, cette
ft soif de conquête entretenue par des vic-
ir toires dont la dernière en appelait pres-
ft que toujoTU's une autre plus glorieuse en-
« core y cet apostolat intellectuel , en exal-
(( tant sans mesure en lui la conscience
cr d'ailleurs si profonde de sa force , a été ,
« ce nous semble , l'une des causes les plus
T. I. C
If aetWeê à^ êa renonmiée* a Ce n^Mt pM
tout; et fM ce ^(m «ût «n "verra «î noue
«▼ons toft de craindre que aen 4cola ait
déserté s^n drapeau* « Ce Loui$ XIV de
« la pensée ( pourrait réeriram que noua
ff citions,) avait bien comprit qu'il ne lui était
9 pas bon d'être eeul^ il a eu pemr d'un nom
« solitaire, et, comme ces astres qui n'appa*
« ratssent dans le ciel qu'environnés de
« leurs satellites, il n*a voulu se montrer au
« monde qu'au milieu d'ime garde nom<*
« breuse et puissante, qui ooBsentit à n^^tre
« grande que par lui, et k cenfondre à ja-
« mais sa force dans sa force et sa gloire
« dans sa gloire (1 ) . »
Je le demande encore : Mo«ia étûmshnous
exagéré \ nous-^mêmes les dangers de la
doctrine nouyelle et de son école ?
Que si rimputation d'hérésie fait peine à
M. de La Mennaîs et k ses partisans , qu'il
(J) BainsVUniversreligieuûfy n. 184, article: Bu
Livre de M, Lacordaire,
PRÉUHDiAIlE. XXXV
ne s'en prenne qu'à lm*même. Ce n'est pas
nous qui la lui donnons; c'est lui qui Ta
choisie. L'hérésie n'est appelée de ce nom
que parce cpi'elle se sépare de l'ancienne
croyance. Fille de l'orgueil et d'une curio«
site vaine, au jugement de tous les saints
Docteurs , elle se croit seule sage , se roidit
contre toutes les oppositions , tantôt altière,
hautaine , tantôt souple , artificieuse , s'en-
veloppant de mensonges et de sophismes.
Graduant sa marche , elle s'agite dans l'om-
bre jusqu'à ce qu'elle se croie assez forte
pour braver l'autorité qui la condamne , et
lever le masque impunément.
On l'a démontré invinciblement : la
doctrine de M. de La Mennais est hétéro-
doxe, anti-sociale. Les théologiens de Rome
l'ont qualifiée s Philosophie absurde, poli-
tique sgandâleusb, ignorance complète de
LA TQEOLOGiB (1 ). Nos évêqucs français en
(1) Philosophia absurda , Politica scandalosa ,
TheoÎ0gia nuïlm.
XXXVl DISCOURS
ont porté le même jugement ; le Siège Apos-
tolique Ta confirmé par sa sanction souve-
raine. Voilà celle que nous dénonçons par
cet écrit à tout le peuple chrétien. Nous la
combattons non-seulement dans sa dernière
production , où elle a rompu toute digue ,
mais dans son ensemble et dans chacun des
précédens écrits où elle avait eu Tart de se
contenir.
Leur progression nous fournit la distri-
bution naturelle de la présente Réfutation ,
et la preuve d'un Système suivi , uniforme ,
persévéramment en opposition avec les
doctrines qui nous ont été transmises par
nos pères, Nous distribuons donc cet ou-
vrage en quatre parties :
La première est l'examen de V Essai sur
V Indifférence en matière de religion^ suivi
de La Défense que l'auteur en a publiée.
La seconde a pour objet le livre du même,
intitulé : La Religion considérée dans ses
rapports avec V ordre civil et politique.
PRÉLnUNAlRE. XXXVU
La troisième , le Journal de V Avenir.
La quatrième , les Paroles dun Croyant.
Au reste , cette constance de M. de La
Mennais k soutenir ses paradoxes a été re-
levée avant nous , mais dans un autre des-
sein. On a prétendu lui en faire un mérite.
On va plus loin encore. Au reproche de
contradiction qui sans cesse le fait voir en
opposition avec lui-même, on essaie de
répondre qu'il n'en est pas moins resté
conséquent à ses principes, parce qu'il a
toujours marché vers le même but, bien que
par des sentiers différens(l). C'est l'habile
général qui varie ses manœuvres suivant les
positions où il se trouve engagé. Il ne nous
en faudrait pas davantage pour justifier
toute notre accusation. Nous disons que,
sous le prétexte hautement avoué par lui
de régénérer le Catholicisme^ M. de La
Mennais a essayé d'introduire parmi nous
(1) Voy. la Kevue des deux Mondes , 1^' septem-
bre 1834 , p. 860 et suiv.
xxxnu DisGOums
un système de philosophie et de théologie
contraire a l'enseignement de l'Eglise ca-
tholique , et qu'il l'a poursuivi persévéram-
ment depuis ses premiers ouvrages jusqu'à
sa production la plus récente ; et nous le
démontrons par la filiation des Uvres qu'il
a publiés. A travers les nuances diverses
d'opinions en apparence les plus contra-
dictoires, il n'abandonne pas le but qu'il
s'était proposé dans le commencement.
Suivez l'écrivain dans la longue carrière
qu'il a déjà parcourue : d'abord zélateur
ardent du pouvoir absolu , il ne permet pas
qu'il lui soit porté la plus légère atteinte ,
et le défend contre toute Charte qui sem-
ble en affaiblir l'intégrité. Il lui faut la
Monarchie pure et sans conditions. Bientôt
il la répudie , U l'abaisse aux pieds du pou-
voir pontifical , centre d'unité dans 4'ordre
politique comme daAs l'ordre spirituel ,
jusqu'à ce que vienne le moment de les
anéantir l'un et l'autre. Gallican dam la
fté&cù de MD premier ourrage ( De tlnsti^
tution canonUpu dis euéques )^ il ne se sou*
' Tient plus dans ton* les autres de la doetrine
de Bossoet f que pour la flétrir des plus ka-
jarieuses qualifications et la vouer a Fana-
tiième. Oa Va tu , panégyriste outré du roi
Ferdinand VU, proposer ce monarque a
l'eiemple des autres Souverains de la chré-
tienté. « Il n'avait point assez d'éloges pour
cr ce prince » » dit l'auteur d'un ar licle fcnrt
bien Cût , dans VUnivers religieux. A quoi
il ajoute : « Ces paroles d'alors forment un
« Mngidier contraste avec celles qu'il vient
« de consigner sur le même prince dan»
« le livre Jtun Croyant (^\), » Quelle force I
quelle fraiicliise d'expression en apparence
daiM les attaques qu'il livre a la Démocratie I
Elle est la éourcê de tous les désordres. Chez
un grand peuple j elle détruirait infaillible^
ment le Christianisme. Celle de notre temps
(1) Dans 1#)6Wm4 imitiilé i POM^ft^ ¥Mgi0itm,
n. 177.
XL DISCOURS
repose sur le dogme athée de la soui^eraineté
primitwe et absolue du peuple. Parlant de
Tégalité : <f Le système de l'égalité absolue
« n'est au fond qu'un système de destruction
i< absolue (1). » Dans le même ouvrage :
« Point d'ordre social sans hiérarchie , de
K société sans pouvoir et sans sujets , sans
« le droit de commander et le devoir
cf d'obéir (2). »
Une opinion aussi prononcée peut-elle ja-
mais revenir sur ses pas? Oui, M. de La Men-
nais nous en a donné la preuve. La pensée do-
minante de son journal de V Avenir sera de
montrer que la souveraineté du peuple est de
droit divin ; que c'est par la voix du peuple,
par l'élection de tous que Dieu fait les rois ;
et ses Paroles d'un Croyant nous appren-
dront qu'il n'y eut jamais de princes légi-
times que ceux qui ont été choisis par le
(1) Essai j t. I , p. 348. Tout le chap. x de Fou-
vrage est employé à cette démonatration.
(2) Ihid.,1^. 33J.
PRÉUmNAOUE. sut
libre consentement des peuples. Encore
n'est-ce là qu'une transition pour arriver à
les déclarer tous oppresseurs, tyrans affamés
de larmes, de sang, de rapines, assassins
des peuples ! Le même homme qui a fait de
la liberté une idole à laquelle tout doit être
immolé, même ses propres sacrificateurs (1 );
le même qui a déclaré si énergiquement que
la liberté de conscience était un des droits
les plus imprescriptibles de l'homme , c'est
lui qui affirmait que tolérer tous les cultes,
c'était les mépriser tous également, et que,
s^il est permis désormais a l'athée de profes-
ser publiquement son impiété, il ne le sera
jamais de reconnaître les libertés gallicanes,
sous peine de renverser tout ordre religieux
(i) « S'il est quelque chose de grand sur la terre,
« c'est la résolution ferme d'un peuple qui marche
« à la conquête des droits qu'il tient de Dieu ; qui
« ne compte ni ses blessures, ni les jours sans repos,
« ni les nuits sans sommeil , et qui se dit : Qu'est-ce
« que cela ? la justice et la liberté sont dignes de
«bien d'autres travaux. » Paroles d'un Croyant,
p. Î16.
01: politiqtié^ En cbangetnt dd l«ngag«^
M. de La Meimab ne changeait point d«
vfstème. Révùlutiannain eoê n^rvicé JPumà
vieille causêy il ne fiiit qa'cmbrassev la nour
Yelle (1). PfoTocateury k l'en creôte^ de lu
RéTolution de Juillet^ il nW était pas moint
son pins Yiolent ennemi. Une feinte técotk*
ciHatkm n'est paa toiijoniii on snr indice dm
paix. Ces fastueities proclamatkna qae l'on
fait retentir le lendemain d'one i^nerre auaii
yiolenle^ pouTait^on^ devaît-Km lea accepte^
sans quelque défiance? Saint Anibreise a dit
d'Auxence ; « Cette peaa de brebis, ne Youa
ff y fiez pas ; elle cache im loup déguisé i
Exuit lupum^ indiiit Uipum^ UhraiSiontaii
on gallican, monarchiste cm ifépvbticain^
calholique soumis en promesse à la voix du
SouTorain Pontife , aujourd'hui réfiractaire
opiniâtre aux décisions du Juge strprênte ;
tour à tour , et souvent dans le même ou-
(1) M. L'H^rminier, Revuo des deus UotuhSf
1«' septembre 1834, p. 560.
Tra^ soutenant k pour et le contre; pané»
gyriste de la raison (1) et son détracteur le
plos impitoyable ; sectateur fanatique de la
tolérance 9 après s'en être montré le plus
ardent antagoniste (2), « il a toujours pour-
(r suivi le même but , parce cpi'il a toujours
cTOuln arracher la société à sa tiédeur
« égoïste, à sa corruption matérielle, depuis
« son Essai sur V Indifférence jusqu'à ses
« Paroles d'un Croyant^ parce qu'il a tou«-
t jours Toulu régénérer , ressusciter mora-
t lement ce qui ne lui apparaissait plus que
f comme un cadayre (3). »
Et ne croyez pas qu'aujourd'hui encore
le fier athlète de la Réforme ait quitté son
champ de bataille. Son disciple, M. Lacor-
daire, a grand soin de nous instruire que
«jamais M. de La Mennais n'a été plus
« puissant qu'aujourd'hui. C'est Achille sous
(1) Essai sur Vlndif, t. I, p 44-
(2) /WJ., introd. » p. 25.
(3) Retme des deux Mandes , supr.
at politiqfiM»^ En cbangetnt dd Imgag*,.
M. de La Meimab ne changeait point dte
vfstème. Révùlutiaimain eoê Meruicû JPumà
vieille causêy il ne fiiit qa'cmbrassev la nour
Yelle (1). PfoTocateur, k l'en creôte^ de 1*
Rérolution de Jnîllety il nW était pas uoiné
son pins Yiolent ennemi. Une feinte téany*
ciHatkm n'est pas toirjoniii on sur indice d#
paix. Ces fastueuses proclamatkns ipte l'on
fait retentir le lendemain d'one ^^nerre aussi
\iolenle, pouf ait^on^ devaît-^cm les acc^tei^
sans quelque défiance? Saint Ambreite a dit
d'Auxence : « Cette peaa de brebis, ne Youa
«r y fiez pas ; elle cache un loup déguisé t
Exuit lupum^ induit hipum^ Uhraiftiontaii
ou gallicsHi, monarchiste om ifépvWcain^
calholique soumis en promesse à la voix du
SouTerain Pontife , aujourd'hui réfiractaire
opiniâtre aux décisions du Juge suprême ;
tour à tour , et souvent dans le même ou-
(1) M. L'H^rminier, Revuù de$ deu» Jtofuhs ^
1«' septembre 1834, p. 560.
PRiumBUURE.
vrage, soutenant k pour et le contre; pané»
gyriste de la raison (i) et son détracteur le
plus impitoyable ; sectateur fanatique de la
tolérance 9 après s'en être montré le plus
ardent antagoniste (2), « il a toujours pour-
« suivi le même but , parce qu'il a toujours
r voulu arracher la société à sa tiédeur
« égoïste, à sa corruption matérielle, depuis
« son Essai sur l* Indifférence jusqu'à ses
« Paroles d'un Croyant^ parce qu'il a tond-
it jours voulu régénérer , ressusciter mora-
t lement ce qui ne lui apparaissait plus que
V comme un cadavre (5). »
Et ne croyez pas qu'aujourd'hui encore
le fier athlète de la Réforme ait quitté son
champ de bataille. Son disciple, M. Lacor-
daire, a grand soin de nous instruire que
cr jamais M. de La Mennais n'a été plus
« puissant qu'aujourd'hui. C'est Achille sous
(1) Essai sur VIndiff., t. I, p 44
(2) Ibid., introd., p. 25.
(3) Revue des deux Mandes , 8Upr.
XUV DISCOURS
ft la tente. M. de La Mennais règne encore :
tf un nouveau parti se forme autour de lui ;
tf des hommes distingués s'unissent pour le
<r soutenir ; plusieurs feuilles religieuses Yoht
(c se constituer plus ou moins ouvertement
« ses champions (1). »
Quand l'erreur parle si haut, pourquoi
la vérité garderait-elle le silence?
Convaincu que la vérité porte avec elle
un caractère d'autorité qui frappe tous les
yeux, indépendamment des formes qu'elle
emprunte et du nom de celui qui en est
l'organe , j'ai pensé que tout prêtre catho-
lique était appelé à défendre l'héritage de
la foi et de la paix publique.
D'autres se sont présentés avant moi dans
la lice. Signalons particulièrement a l'estime
et à la reconnaissance publique les Examens
de la doctrine de M. de La Mennais que
MM. Rozaven et Boyer en ont publiés.
(1) Lettre rapportée dans V Univers religieux,
n. 211.
PRÉLIMINAIRE. XLV
Toute ma prétention, en venant après eux,
fut d'apporter ma faible offrande k la suite
du riche présent qu'ils ont fait à l'Eglise , et
de contribuer, par mon infériorité même ,
à répandre de plus en plus ces excellens
ouvrages. Qu'avais-je de mieux a faire que
de marcher sur leurs traces ? En profitant
de leur travail , mais avec la précaution de
déclarer les emprunts que je leur ai faits,
j'ai suivi l'exemple de M. de La Mennais,
dont les plus belles pages peut-être sont
dues k Pascal , a Nicolle, à Bossuet, a
M. PSfecker lui-même.
Parvenu au terme de ma carrière, je dé-
posé sur le seuil de ma tombe ce nouveau
gage de concorde et de charité , le dernier
sans doute qu'il me sera donné de léguer a
mes concitoyens.
HISTOffiE
DE
LA NOUVELLE HÉRÉSIE
DU XIX« SIÈCLE.
PREMIERE PARTIE.
EXAMB5 DO LIVRE DE M. DE LÀ MEXNÀIS , HTTITCLA *.
ESSAI SUR L*IlfDIFFÉRBEfCB EN MATIÈRE DE REU-
GION , SUIVI DE SA. DÉFENSE , PAR LE MÊME.
LIVBE PREMIER.
su hvnJL iMTiTcii : imài sue ii^raBiFrÂESircB ma lUTitiB
M REUGION.
CHAPITRE L
Rapproohemenê de la nouvelle hêrine avec celle des
pr^enduê Réformée du xvi* êiècle,
Dspms que nous ayions tu là Philosophie
se dédarer hautement l'ennemie de la Re-
T. I. i
s IIISTC^IEB
ligion , les ein^drleïnens aàtqliels la pre-
mière s'était livrée , rindifférence presque
générale où l'autre était tombée , avaient
*
fait perdre Pespérance qu'il pût s'établir
entre les deux rîtaleâ aucun rapproche-
ment.
M. l'abbé de La Mennais entreprit , nous
1* ■ '
es irécènciUer , et de reconstituer
la société par Vuiiion des intelligences. U
rasseihbla toutes leé fôrèës de son esprit et
de son caractère , pour fonder sur une école
philosophique la paix du monde et le salut
de Vqs'enir. Son Essai sur V Indifférence ^
publié k une époque où la Philosophie,
fière de ses triomphes , méditait de nou-
veaux chants de joie sur les dernières ruines
du Christianisme , proclama l'alliance de la
foi et de la raisoh. Un dés disciples les plus
renommés de son école nous déclare en ces
termes là pensée de l'illustre auteur : r Ce
(c sont ces de jUL puissances jalouses queM. de
« La Mennaip , par un hardi <f easein , a tenté
DE LA NOUVCIXE HÉRÉSIE. 5
n de rëduire a Une seule , non pas en dé-
if tiruisant Tune ou Tautre , mais en les con-
4 traignant de partir du même point , de
« suivre une méine voie , quoique sans se
«c confondre , et de se rejoindre enfin dans
« un foyer commun , comme deux branches
« d'une ellipse (1 ). j» Si le dessein était hardi ^
était-il aussi nouveau , aussi original qu'on
a Tair de oous le faire croire? Combien
d'ouvrages publiés chez tous les peuples
savans , dans la vue de faire reconnaître
l'accord de la foi avec la raison! Saint Au-
gustin ne laissait aucun doute à cet égard.
<r L'Eglise , avait dit le saint docteur, s'atta-
« che à mettre bien avant dans l'esprit des
ce hommes cette maxime certaine qu'elle fait
K profession de croire , et qui est le fonde-
ir ment de leur salut , que la philbsophie et
4r la vraie religion ne sont point choses diffé-
(1) M. TaM^é Lacordaire , Cûtuid, sur U Système
phUasoph, de M. de La Mennaû, p. 41. (1 yoI. in-S.
Paris , iS3&. ) Ibid. , p. 140.
.1
4 HISTOIRE
« rentes (1). » Quoi qu'il en soit de cette opî-
nion , que nous nous proposons de discuter,
ailleurs , était-ce Ta Tunique but de l'écri-
vain? et les suites n'ont-elles pas révélé un
dessein plus étendu , conçu avec profon-
deur, poursuivi avec non moins d'audace
que de persévérance , eniécuté avec plus de
succès peut-être qu'il n'eût osé l'espérer?
M. l'abbé de La Mennais ne l'a pas désavoué.
Depuis quinze ans , dit son journal de 1'^-
i^enir j il n'a pas cessé de travailler k régé-
nérer le Catholicisme ; à lui rendre^ sous une
forme noui^elle et avec des progrès nous^eaux^
la force et la vie qui Valaient abandonné (^^
m
Lui et ses confédérés déclarent à la face de
l'univers leur ferme résolution de se dé-
vouer au triomphe de cette noble cause ^ et
de poursuivre , en dépit de toutes les ré-
(1 ) Traité de la vraie Religion,i. l, Bénéd. , p. 751 .
Dans Bibliothèq^iç choisie des Pèreê ^ jton^, XXI ,
p. 128.
(2) Avenir^ supplém, du 2 feyr. , u<> i \t9.
bfc.
DK LA NOUVELLE HÉRÉSIE. ^
sistances , leur "grand œuvre de la régénéra;-
tion religieuse ^ dont le travail fut médité
pendant quinze ans (1).
Pour cela , il ne faut rien moins qu'abattre
tout ee qui existe (2) , reporter sur de nou-
velles bases l'édifice entier de l'intelligence ,
en renversant les doctrines qu'une philo-
sophie niaise et ahsurde avait accréditées ;
persuader à la génération présente que les
preuves adoptées jnsqulei sans^ trop d^ exa-
men pour établir la vérité chrétienne ,
étaient insuffisantes , inociaiplètes , équivo-
ques , absurdes même*; et qu'enfin, après
tant de siècles iUnstréâ par le géflie des Au-
gustin, des Thomas d'Aquin^des Descartes,
des Bossnet, la lumière allait sortir du
chaos.
(1) Avenir y Vi^ 395.
(2) « Renrerêer do fond en comble Tantique br-
H ganisation de la vérité, ail est permis de parier
« ainsi. » Tel a été, suivant M. Lacordair^, l'œuvre
de son maitre. {Considérai, sur le Système, eta. y
p. 147.
0 MISTOIllB
La nouvelle croisade qui devait émanci-
per le genre humain fut proclamée dans
le premier volume de V Essai Sur V Indiffé-
rence.
Toute entreprise humaine a ses commen-
çemens , son progrès et son dénoûment. Ce
n'est point au premier' jour que les projets
se manifestent. Il faut graduer sa marche
pour la mieux assurer. Le volcan prépare
son éruption avant qu'elle n'éclate.
Que M. de La Mennais eût débuté par
4ÇS Paroles d'un Croyant^ Tindignation
43^\J)ilique eût marqué cette, production du
^me sceau jdpnt eU^ a flétri les furibondes
orgies de 93 et le délire des clubs repu-
blicaifis. Gqs rugissemens de la fureur , ces
cris forcenés de haine et de vengeance
contre toute autorité civile et religieuse ,
cette Apocalypse de Satan , comme on Ta
désignée , eût affligé sans doute tous les
cœurs fabnnêtes; elle eut bien moins étonné
dans un siècle accoutumé aux violentes dé-
DK LA I\OIJVfiI«L£ HÉRK6UE. 7
damations des Diderot , des Marat et des
Babeuf. Mais un prêtre signalé parmi' Lss
défenseurs du Christianisme , porté, par la
complaisante admiratipp de 34$^ disciples,
à la suite des Pèr^s de l'Eglise , ofirir tant
a coup un contraste ai révoltant , il y avait
là de quoi surprendre ^t déconcerter Le^
panégyristes içt quiçqnque n'avait ppii^t
porté sur ses compositiofia intérieures un
coup d'çeil ^sez réfléchi'' pour en saisir {(ss
intermédiaires , et attacher 1^ çonséqu^nçi^
aui principes.
Qu'on lise dans l'histoire de l^ Réforme
telle que la racontant , je ne dis pa$ seule-
a^ent nos écrivains catholique^, fn^is }j^
Protçstans- eux-mêmes et ses £)pologistes ,
qu'ors y lise le récit des emportemens de
Luther, après sjai condamnation , en 15^ ,
exhalaqt sans pudeur les plus brutales im-
précations contre ce qu'il y avait alors de
plus révéré sous le ciel ; empruntant les pa-
roles du prophète et les accens de l'inspi-
8 flISTOIRK
ration pour déyouer ses adversaires au
carnage, à Pextermination (1); de pareik
excès fîirentt-iis l'explosion snbite d'un coeur
exaspéré par la contradiction ? On ne laisse
échapper de sa plume de semblables paroles
qae quand elles ont long-temps fermenté.
Le livre delà Liberté chrétienne , plein , dît
Bossuet, de paradoxes dont l'Europe ne
tarda pas k' voir les funestes eflfets (3) , et
pourtant si modéré auprès de Fécrit récent
de M. de La Mennais , avait eu déjà bien
des avant-coureurs qui préparaient il sa^oc-
trine. De l'époque où le livre paiut , remon-
tez a Tannée i 51 7, qui fut le point de départ
du fougueux hérésiarque , comme trois siècles
après , ^ une pareille année 1817 , devait
édore le premier écrit du nouveau réfor-
mateur : suivez ses pas dans la carrière.
D'abord, des propositions hasardées contre
(1) Voyes BoMael, Hisi. deê Vmrimi,, liv. i,
B. XXIT, XXV.
(1) Ihid., B. XXIII , t. lll, p. 75, cdit. in-i*.
DE LA NOUVEtLB BÉRÉSIE. 9
le sentiment commun , des singularités où
il s'étudie en toutes choses h prendre le
contre-pied de l'Eglise (1), et, avec cela, la
protestation que personne n'est plus docile
a sa doctrine , plus soumis à ses décisions (3).
Que le Souverain Pontife, ému des clameurs
qu^excitait déjà la nouveauté de ses systèmes,
en prenne connaissance : c'iest alors qu'il se
montre le plus respectueux. Il lui écrit :
Donnez la pie ou la mort^ appelez ou rap-
pelez ^ approuvez ou réprouvez^ comme il
voua plaira , j'écouterai votre voix comme
celle de Jésus-Christ mêmew(3). «r S'il avait
<r pris la plume , ce n'était pas , à Dieu ne
<r plaise, que cefitîtdansaucunevue humaine,
«r Homme timide et retiré, il avait été traîné
(1) fipssuet, HUt. des Variationê^ n. xxiii, t. III,
p. 72, édit. m-4*.
(2) Hisi, de la Réformation , par de Sekendorf ,
t. I, p. 53. M. de La Mennais, Eaaai sur l'Indiff,,
1. 1, p. 178.
(3) BoBSuet, supr., p. 73. Lutheri opéra, t. I,
ici aiSTOIAK
« par force dans le public, et jeté dans cçs
« troubles plutôt par hasard que de dessein.
ff Ilaavait bien que Jésus-Christ n'avaitbesoin
ir ni de son travail ni de ses services (i ). » Ce-
pendant, ajoute Bossuet, on ressentait dans
ses écrits je ne sais qijioi ^e fier et d'em-
porté (2); à travers jçette feinte modé-
ration, perçait l'orgueU du sectaire; il se
faisait reconnaître ^ux |i;ien^ces adr^^ées
a ses contradicteurs. Jiui pa^rlaitron de ré-
tracter OU- d'expliquer daiis^ un sens plus
exact ceftginqs opinion^ énoncées ^mé-
rairement? Ëijgagé coinme il Tétait, ^n
honneur ne lui permettait pas ^e rç^ur
1er (3\). A.mesniro que le parti grossisfs^it ,
il 1^ prenait d'un ton encore plus haut.
Ce n'était plus un harangueur qui se laissât
emporter à des propos insensés dans la cha-
leur du discours , c'était un docteur qui ^og-
(1) De Sekend(vf, Hist. de la Réform., t. 1, p. 46.
(2) Bossuet , supr.y p. 74.
(3) Luth., Episf.adLeon, X. Bossuet, p. 75.
DE LA NOUVELLK HÉRÉSIB. il
matisait de saog-firoid , et qui mettait en
tbèse toutes ses fureurs (i ). Ses expressions
à regard du pape ont bien changé, r Je ne
c m'arrête pas, dit^il,kce qui plaît ou déplaît
« à réyêquj^ dp Roine; il esthomn^e comqi^e
« les autres hommes. J'écoutp le p^p^ en fa
« qualité ^ pape (2). f ^^w d'autre ^mps il
aurait dit ; Cp.mipe papç,ouij; çQmmepfinc^,
non (3). {i'électeur Frédéric de Sa^ , son
protçpt^ur le pliis déplar^ , c^qyenai^ lui-
niêofie ^u'il allait irop loin ; tout ce g^'il
auraijb ypulu ,* c'était qu'il eût agi avec plus
4e douceur et de circonspecti^on (4). Erqisme
etMéls^ficbfo^lm faisaieii,t les mêmes repro-
ches. Dele^ijcaveu^qn yayQJt dan^ tout son
discofurs les4eux'pF)ai^qjae9 4'vin orguei^ outré,
la moquerÎQ e|t \^, violençeX^s fièvres les plus
(1) Botsaet,p.79. , .
(2) HUt.^dela H^/orm., parde Sekeadorf , p. 59.
(3) Distinction de M. de La iMTennais dans sa cor-
respondance avec Mgr'., résèque dé Rennes." ■
(4) DeSekendorf,p. 449. .
tS RfSTOIRK
violentes ne causent pas de pareils transe-
ports. Et voîlk ce qu'on appelait dans leparti
hauteur de courage. On lui pardonnait tbut,
parce qu*il avait parlé avec un grand éclat
de belles paroles et une heureuse élégance
de la langue maternelle. Ce qui fait dire h
Bossuet , après qu'il a rapporté ces contra-
dictions : cr Quand je considère taht'd*em-
« portement après tant de soumission , je
•f suis en peine d'oîi jwuvait venir ciètte ha-
ie milité apparente à tin honlme de ^e iua-
« tureL Etait-ce dissimulation et ftrtiBcie?
« ou bien est-ce que rorgueil hë se comiaii
<r pas lui-même darhsseé comn^fehcemens , et
K que , timide d'ibôrd , il se èaelie sous son
cr contraire,juéqu*kce'q[n'il ait trouvé Focca-
« sion de se déclarer avec avàrttage (i) ? j»
Que si nous comparons le fond de la doc-
trine : la ressemblance n'est pas moins frap-^
pante , a la seule différence près des matières
quel'espritdu siècle imposait a ses écrivains.
V
(1) Variât. y liv. i, ii. xxvi, p. 77.
Jm LA NOUVELUS HÉRÉSIE. 15
Luther, au dix-neu^ièmc siècle, auraitparlé
de tou( autre chose que des indulgences,
de la justification et du libre arbitre. Trans-
porté parmi nous à une époque d'anarchie
où rien n'est défendu par personne (1)) il
eût commencé à sonder la plaie vive , pro-
fonde , qui ronge la société ; il eût fait tom-
ber de sa plume éloquente une philosophie
nouvelle , hardie , régénératrice , destinée ,
selon son opinion , à sceller dans leurs fon-
demens même l'alliance de la foi et de la
raison (2) , sans trop s'embarrasser si par le
fait il ne renversait pas l'une et l'autre,
mais toujours protestant que quiconque tou-
che à la foi touche a la prunelle de notre
œil (3); et, sur les ruines de tous les an-
ciens systèmes philosophiques et théologi-
qiies, il eût élevé ce quelque chose qui,
(1) M. Lacordaire , p. 200. M. de La Meimais,
Introd. a V Essai sur Vlnêifér.
(2) M. Lacordaire, Considérât,^ p. 80.
(3) JJbid,, p. 36, 93, 371.
14 msTonts
coiilthe parle M. Lacordaire, a Vair de
vis>re et de s* entendre y bien qu'on lie cesse
de nous crier que personne rCy a rien com-
pris (1). Luther, au dix-neuvième siècle.
Serait ce. qu'est M. de La Mennais ; son
premier ouvrage eut été V Essai sur Pin-
différence.
Cependant il était impossible qu'il ne s'é-
levât des doutes, des réclamations. —Le no-
vateur de Wîrlemberg ne permet pas qu'on
l'attaque. « Si on m'attaque, puisque j'ai
If Jésus-Chrisl pour maître , je ne demfeu-
<c rérai pas sans réplique. Pour ce qui est de
tf chanter la palinodie, que personne ne s'y
•f attende (2) ; » et il tient parole par la pu-
blibation de sa Défense^ suivie bientôt d'iihé
nuée d'écrits apologétiques, Réflexions ^
Mélanges , Lettres , où il développe de plus
en plus le mystère de vérité auquel il se pré-
tend appelé. Dans celle qu'il adresse auxévê-
(1) M.Lacordaire, p. 180 et 200.
(2) DeSekendorf, p. 98 .130, 170.
^
DK LA NOtVELLE RÉEÉSIE. IS
qaes , il leur déclare , afin qu'ils n'en pré-
tendent cause d'ignorancci , que sa vocation
spéciale est de publier les oracles de la vé-
rité , de les annoncer ai^ec un mépris magni-^
fifue dteux et de Satan ; et que si on lui de-
tnatffde lès titresf de sa mission, il n'a d'autre
chose à répondre , sinon qu'il Va reçue non
des hommes ni par t homme ^ mais par le don
de Dieu et par la réi^élation de Jésus-Christ.
Sur quoi Bossnet : « Le voilà donc appelé à
tr noéitie titre que saint Paul , aussi immé-
«r diàteinëAt, eitr^ordinairemen t (1 ) . » Pleins
dû Inémé esprit que leur maître , les disèi-
pies de M. de La Mennais répondront k leur
tôûr à la même question ; «r Notre mission ,
ir elle nous yiéht de notre conscience , de là
c foi catholique , des lois de l'Église , dés
tf concile^ , dé là tradition chrétienne (2) ! ;i
Qui oserait combattre le nouvel Ecclésiaste
(i) Hiêt'des Variât,, liv. i, n. xxxvil
(2) Avenir y n, 60.
16 UIStOIRE
( nom que Luther se doiine k lui-même
eu têle de ses ouvrages ), et ces apâtres à
qui le ciel a commandé de régénérer le Ca--
tholicisme déchu ^ d'y ranimer à tout prix la
force et la vie tjui depuis long^tempsT avaient
abandonnéPTelle est la mission qu'ils avaient
k remplir ; et c'est k cette régénération que
lui et les siens n'ont pas cessé de travailler
depuis quinze ans. Luther non plus ne cessa
jamais de tenir ce langage^ il lie voulait que
ramener le Christianisme k sa simplicité pri«
mitive , en le présentant aux intelligences
tel qu'il le concevait eii lui-même , et non
tel que les doctrines surannées de la scolas-
tique et les superstitions des siècles précé-
dens l'avaient défiguré (4 ). Pour cela, il fallait
décrier et les scolastiques et les théologiens
des siècles précédons , sans faire grâce k au-
(i) Yillers , E$aai sur l' Esprit de la ré format, de
Luther, p. 54. Ponce, Essai histor. sur le même
siget, p. 47. Malle ville, 2* Disc, sur le Luthéran.,
p. iôOetsqiv.
K
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE, 17
cun. Tout ce que l'épiscopat et le sacerdoce
catholique comptait de plus vénérable par
réminence des talens et des vertus , chargé
des plus odieuses imputations , n'échappait
au reproche d'ignorance que pour tomber
sous celui de la plus abjecte servilité (1).
La Sorbonne , entre autres , dont l'autorité
s'était fait remarquer avec tant d'éclat aux
conciles de Constance et de Baie , devint
par Ikmême, après qu'elle eut osé censurer sa
doctrine, le point de mire de ses plus véhé-
mentes agressions. Les plus grossières injures
lui étaient prodiguées ; et rien n'est compa-
rable à l'acharnement avec lequel ces soi-
disant apôtres de la charité évangélique
s'exprimaieql; sur cette école fameuse dans
tout le monde chrétien. Toutefois je ne
sache pas que Luther , ni aucun de ses dis-
(1) M. Lacordaire convient que la nouvelle phi-
losophie fîit repoussée par le corps épiscopal et par
les docteurs , ce qui n^ empêcha pas les sectaires de
passer outre. (Con«ûicV.,p. 30. )
T. I. 2
18 »M1IIB
ôples» ait poussé la démence jusqu'à Pacci
d'athéisme.
Oser^û^je le dire? car, même en expri«
mant ici ma pensée avec toute la réaerye
que m'imposent la rigueur des principes et le
respect des convenances , je tremble encore
que des lecteurs médiocrement versés dans
l'histoire de ce déplorable schisme et des
causes qui ramenèrent, ne s'en prévalent
pour autoriser la révolte par laquelle Luther
remplaça la réformation. La face de l'Eglise
était alors si étrangement défiguré^9 la dis-
cipline tout entière si méconnue, Tétude
des sciences ecclésiastiques si fort négligée
par ceux-là même qui se vantaient le plus
haut de leur érudition (i ) , le» distinctions
sur ces matières étaient si subtiles et si em-
barrassées , quHl était bien difficile de se
tenir ferme sur le terrain glissant où l'on s'é-
tait engagé. Un zèle mal éclairé pouvait s'y
(i) Voyez Mgr. Pévéqne de Strasbourg, IH8ci$99,
amicale, 1. 1, p. 69, 85 ; et t. II, p. 354 et suit.
>^
PB LA PfOOVKUA HÉBÉSIE. t9
mépr&àdx^ : je ne parle que des commença-
mens. Or y il e$t prouvé que ceux de Luther
n'txcédaient pas les bornes où s'arrêtèrent
les Erasme , les Gerson , les Pierre d'AUly.
A leur exemple , les esprits pacifiques, yraii
enfiins de l'ÉgHse, sollicitaient avec énergie,
mais sans aigreur , sans emportement , la
râfonne devenue nécessaire tant dans le
cbef que dans les membres ; dût le médecin
plonger le fer au fond de la blessure pour en
M(tirjp«p un mal profond et invétéré (1).
Calaient là y comme parle Bessuet, les farts
4e f Eglise, dont nulle tentation ne pouvait
ébranler la foi ni les arracher de l'unité (3);
mw le nombre en était petit et l'auto-
rité impuissante. Luther s'était d'abord
rangé de ce parti. S'il accusait, c'étaient
(1) Vay9t les témoi^ages de Gill. de Viterbe,
dans VHist. des Conc. Richer, liv. iv, part, ii, p. 8 ; da
eard. Jolien , Episiola I ad Eugen, IV ^ inter opéra
£n. Silv., p. 67 et seq. Bérault-Bereastel , Hitt de
VEgl.yt, XI, p. 95. (Besançon.)
(2) flirt, deê rafiat.,\iy'\,n, 5, t. III in.4^p. 65.
iM HISTÛmE
des abus notoires , crians , avoués pai"
les pontifes et par les conciles, auxquels
on refusait opiniâtrement d'apporter re-
mède (1). Il écrivait à Farchevêque de
Mayence pour lui exposer ses doutes et s'é-
clairer de ses lumières (2) ; il se soumettait
àl'avance aujugementdupapeet de l'Eglise,
h la décision de ses docteurs, consultés par
lui , disait'il , avec la simplicité d'un enfant.
Nul esprit de système ; rien qui ressentît la
prétention d'innover. Il condamne sévère-
ment le zèle indiscret de ses premiers disci-
ples qui avaient pris sa défense, par d'inju-
rieuses représailles, contre le bouillant
Tzetzès (3) , et se plaint que la violence de
ses ennemis , portée (Bossuet en convient) (4)
(1) Maimb., Hist, du Luthéran., t. I, in-4<» , p. 8,
10. Bossuet, liv. v, p. 190.
' (2) Sleidan, Comment,, liv. i, p. 2. De Sekend.,
Hist. de la Réform,, t. I, p. 2o.
(3) De Sekend., Hist, delà Réform.,ji, 41.
(4) Bossuet , Variât,, liv. v, t. III, p. 190.
mt LA KaU\EU4E HÉEÉSIE. SI
jusqu'à Taigreur et rcmportement (1), et la
nécessité de se défendre , l'avaient entraîné*
par-delà les bornes de la modération. Mais
combien les choses étaient différentes !
M. de La Mennais n'avait pas sous les yeux
ces scandaleux désordres dont l'Église était
alors déshonorée. La foi de notre Eglise ca-
tholique était intacte ; sa discipline , sa con-
stitution sainte étaient sorties victorieuses
des'combats que lui avaient portésle schisme
et l'hérésie* Plus de controverse dans le
sanctuaire ; ses ruines se relevaient paisi-
blement sous l'autorité paternelle de ses
évêques , et rien ne retardait le travail ré-
parateur confié aux mains de la sagesse et
de l'expérience. Que s'il laissait quelque
chose encore à désirer du côté de la science,
non moins nécessaire en effet au sacerdoce
que la piété elle-même, le champ de la
science ecclésiastique avait-il été épuisé ? i^e
(1) Luther, t. V, in cap, i ad Galat, Ibid. , foLllO.
Erasme , Episi. ad eard. Sadolet,
HBTOniE
«'ouvrait-il pas , riche de trésors , à la noble
' émulation d'une jeunesse studieuse? mai^-
quait-on de guides sûrs , d'oracles éprouvé»?
Entre les plus illustres Églises du monde
chrétien , se présentait k tous les regards
notre Eglise de France , brillante de génie
et de vertu , forte comme cette tour âe
David dont parle l'Écriture (1) , investie de
toutes parts des mille boucliers que nospon*
tifes ont suspendus k ses murailles. Pourquoi
n'y pas apporter son propre trophée? Poui^-
quoi I au contraire , lancer contre elle les traiter
du Philistin ? Le livre de M. de La Mennâis
était , nous dit-on , une résurrection tèdmi^
tablé des raisonnemens anciens et éternefe
qui prouvent aux hommes la nécessité de la
ibi« Je veux le ci*oîrè; mais ces raisonne-
mens $ nous dit M. Lacordaire, étaient ren-
dus nouveaux par leur application a des
«reurs plus vastes qu'elles n'avaient étédann
(1) Cata. iv/4.
BE LA KOUVSLLB HERESIE.
les siècles antérieurs. Pourquoi ne pas s'en
tenir là? Quel intérêt et quel besoin la
Yéiité chrétienne avait-elle que M. de La
Mennais ajoutât de nouvelles preuves a sa
démonstration? Les anciennes étaient, nous
dit-on, incomplètes^ insiiffisantes , plus pré-
judiciables à la religion qu'elles ne peuvent
lui être utiles. Mais ces preuves , «i dédai^
gnées par la moderne école, c'étaient pouiv
tant les mêmes qui avaient triomphé de l'or-
gueilleuse incrédulité et des sophismeii de
l'hérésâe. C'étaient les seules qui avaient servi
a saint Augustin pour confondre a la fois les
Ariens , les Donatistes et les Manichéens ; à
Bossuet , p'our réduire au silence Claude et
tout son part] . Depuis ces grands hommes ,
il atait été fait des objections nouvelles , et
les erreurs^ devenues plus vastes qu'elles
n'muûiènt jamais été dans les siècles anté^-
riêut% (1)5 Appelaient utie polémique plus
<!} tti ULO0ftA9ke, CtHkM., etc., p. 86.
M HISTOIRE
savante , de plus profonds théologiens , des
philosophes mieux exercés. M. de La Men-
nais s'est présenté dans l'arène, pour y rem-
placer les Augustin , les Thomas d'Aquin ,
les Bossuet , et les faire oublier ! Et ce sont
des prêtres catholiques qui nous tiennent
un pareil langage ! Quel triomphe pour les
ennemis«du nom chrétien ! Ces orgueilleux
détracteurs de nos vérités , a qui nous oppo-
sions , dans la simplicité de notre foi , les
savantes apologies des Tertullien et des
Origène, comme les ayant terrassés à l'a-
vance , ils auront raison désormais de nous
répondre que , de l'aveu de l'un de nos dé-
fenseurs, ces preuves étaient incomplètes,
insuffisantes. Gloire a M. de La Mennais ,
qui en a créé de nouvelles, inconnues à l'an-
tiquité ! Quoi ! le livre de la Cité de Dieu ,
les chefs-d'œuvre des Vives , des Grotius ,
des Abbadie et des Arnaud , avaient laissé
en arrière des raisonnemens oubliés contre
les erreurs et les sophismes de l'impiété ?
DE LA NOUVELLE HERESIE. VA
Quoi ! il Êdlait des preuves nouvelles contre
cette philosophie de nosjours que l'immortel
Pie VI , <{ui en fut le contemporain , appelle
une hérésie universelle (1)? Et Xejlambeau
de la vérité s'était arrêté sur le seuil de l'a-
bîme , attendant que M. de La Menns^is vint
le porter jusqu'au fond? Telles sont pour-
tant les prétentions de M. de La Mennais.
Je le demande encore une fois : rencontreat-
vous rien de pareil chez Luther à ses com-
mencemens ?
Quel est donc l'ordre d'argumens qui
avaient échappé durant tant de siècles à tous
les amis comme à tous les ennemis du nom
chrétien ? C'est la philosophie humaine , la
raison générale du genre humain qui les
fournit à l'apôtre du xix® siècle, v De même
fc que la religion est née de la parole divine,
cr qu'elle repose sur des faits , qu'elle est
tf une autorité , qu'elle a une Eglise ensei-
(i) Bref du 10 mars 1791, dans notre Collect, des
Brefs du pape Pie FI, t. I, p. 94.
M UToms
« gnante et itifâilUble , M. de La Menkuûs â
«r Toulu que la philosophie naquit de la pa«
«r rôle diyine , reposât sur des faits , fut une
^ autorité, eAt une Eglise enseignante et
« infaillible ; il a voulu que ees deux orgm^»
ir nés infaillibles de la Vérité , <Viant mU
« monde les mêmes choses, eussent été
te réunis par le Christ dans une indissoltthU
•e et étemelle unité (1). »
Tel est , au rapport de l'un de ses dâsci*^
pies , de son plus fervent propagateur ^ le
système philosephico^théologiqUe de M. de
La Mennais. te U manquait k FËgUse une
<e philosophie catholique; il n'en existait
¥ pas , et n*en pouvait pas même exister» U
(r fallait bien recourir autétrangéirsi et cette
te nécessité même était heureuse. * La l*ai*
son qu'il en donne ne sera que le dévelop»
pement du principe posé par son maître t
que la foi vient du dehors , et que le genre
(1) M. Lacordaire, QmsiiiNÊ.i eMt^p.U.
DE L.\ ^OWBLLC U£R£SI£. Sf
hamûn en avait été Torgane infaillible;
ff car , ajoote-t-il , la philosophie ne pouvant
«r être dans l'Eglise qu'une préparation k
«la foi , une confirmation et une expli*
«r cation de la foi , il valait mieux s'appuyer
V au dehors qu'au dedans (1). »
Voilà dbnc les philosophes de Tanti*-
qoité païenne transformés en Docteurs de
l'Eglise! ils furent ou les patriarches ou
les interprètes de nos dogmes sacrés ! Avant
le christianisme , c'était la philosophie qui
préparait a la foi ; depuis le christianisme ,
c'est elle encore qui confirme la foi , et qui
en explique les saintes obscurités ; elle qui
suppléait la tradition, constituait l'Eglise
de Jésus -Christ, formait le critérium de
la vérité, le tribunal suprême et unique " ,
de la foi, l'oracle universel du genre hu-
main! Les caractères que nous assignons
à nôtre Eglise catholique comme marques
(1) M. Lnitordairé^ CtmM.,^. 106.
98 HISTOIRE
de son infaillible vérité, à savoir, son unité,
son antiquité, sa perpétuité, ils se trou-
vaient avant elle dans l'autorité de la tra-
dition du genre humain! A quoi bon Jé-
sus-Christ était-il venu sur la terre pour
apporter au monde la lumière , quand elle
existait chez les étrangers ! A quoi bon pro-
mettre k son Eglise sa continuelle assis-
tance , et qu'avait-on besoin de son divin
Esprit? Nos saints Pères furent platoniciens ;
l'école de Socrate et de ses disciples conjîr*
mait^ expliquait suffisamment la foi à la-
quelle ils aidaient préparé Yuni\ersl L'éclec-
tisme prévalut dans la société chrétienne !
Pour peu qu'on ait étudié nos saints Pères,
un simple coup d'œil suffit pour apercevoir
le faux et les dangereuses conséquences de
ce système. Il est réfuté invinciblement par
les doctes ouvrages publiés sur cette ma-
tière, et mieux encore par tous les écrits
des temps apostoliques. Une pareille opi-
nion ne pouvait sourire qu'a l'hérésie, qui
DE LA liOOVSLLE IIÉRÉSIE. SO
s'en est emparée avidement. S'il en était
ainsi, la jeunesse philosophicpie de nos écoles
aurait eu raison de ne voir dans l'établisse-
ment du Christianisme qu'une œuvre hu-
maine où la main de Dieu disparaît. 11 se
réduit à n'être qu'une secte plus heureuse
que les autres , laquelle s'est avancée k tra-
vers des ruines qu'elle n'avait pas faites. Ne
vous y trompez pas : les Docteurs , les con-
quérans du monde , ne furent ni les apô-
tres ni les confesseurs de la foi chrétienne ,
et Jésus - Christ ne joue dans le drame de
la conversion de l'univers qu'un rôle subal-
terne !
Je le confesse , j'ai lu dans le temps avec
quelque attention les livres de Luther; étude
indispensable au dessein exécuté par l'ou-
vrage du Parallèle des résolutions , publié
en i 791 (1 ) , duquel résultent , ainsi qu'on
peut le Toir^ la confrontation la plus rigou-
(4) 1 vol. in-8«, par M.-N.-S. Guillon.
89 ns&jovm
r^use et la re$$emblance la plus fidèle ealra
le& décrets de l'Assemblée constituante et
l'acte de constitution civile du clergé, avec
les sentimens et les expressions de Luther
sur les matières alors controversées. J'af*
firme n'avoir rien lu dans tout l'œuvre de
Luther qui se rapproche de cette opinion
de M, de La Mennais, « que , comme la reli-
gion , la philosophie eût eu une autorité, et
qu'elle fût une Eglise enseignante et infail-
lible^ que jusqu'à Tavénement de Jésus-
Christ parmi les hommes , elles aient tenu
le même langage, appris les mêmesvérités. »
Doctrine aussi dangereuse dans ses consé-
quences qu'elle est fausse et absurde dans
ton principe. Luther ne la soupçonna ja-
mais j il l'a combattue et foudroyée k Ta-
vance. Quelque erronée que fût sa doctrine
sur l'Eglise , il se gardait bien de la confon-
dre avec celle qu'il reconnaissait toujours
être la colonne de la vérité et l'unique fon-
dement du salut. Il disait, et toute la Ré-
DE LA Nomnmji hérésie. SU
ferme lerép4taîl avec lui : Nous n'ayons pas
rAyé qae l'Eglise soit la cité de Platon (1).
Jésns-Ghrist était pour lui ce quHl était dans
le dogme chrétien aux termes de saint Paul,
fapôtrey le pontife de la confession chré-
tienne non révélée avant lui , V auteur et le
consommateur de notre foi; principe unique
de la justification , « qui devait , à la vérité ,
«r venir de Dieu , mais qui enfin devait être
« en nous, parce que, pour être justifié,
«f c'est-a-dire , de pécheur être fait juste et
« agréable a Dieu, il fallait avoir en soi la
tf justice , comme pour être savant et ver-
^ tûeux, il faut avoir en soi la science et
« la vertu (2). » Ce que Luther ne compre-
nait pas; et bien moins encore les Sages du
paganisme , ensei^elisj comme tout le genre
humain, dans l'ombre de la mort^ c'est-à-
dire, de leur ignorance et de leur corruption
(1) Apolog. de la confess, d'Augshourg, t. II ; de
VEglUe,^, 148.
(2) Boasuet, ^am^.^liv. v, n. 1 , p. 66.
naturelles. Quelle honte pour un prêtre ca-
tholique de n'avoir pour précurseur dans
ses paradoxes que les Socin , les Jurieu , les
Bayle et les d'Holbach !
CHAPITRE n.
Nouveau système de théologie , de philosophie ,
de politique , par M, de La Mennuiê,
Ce n'était plus le temps où le sarcasme
tenait lieu du raisonnement , où Ton ne par*
lait du Qiristianisme qu'avec le ton de l'in-
sulte et du mépris. La philosophie, décriée
par ses propres excès , était muette ou res-
pectueuse. Un des écrivains les plus remar-
quables de cette époque affirmait que , non-
* seulement en France, mais d'un bout à
l'autre de l'Europe, un mouvement tout
T. I. 3
•
6A HISTOIRE
contraire a celui du siècle précédent em-
portait les esprits vers la religion (i ). Bo-
naparte avait su le reconnaître et en pro-
fiter: Après lui , ce retour aux idées saines
de la religion et de la morale n'avait fait
que s'accroître et se multiplier. Dans toutes
lés classes de la société , une heureuse ému-
lation faisait éclore sous mille formes les
miracles de la charité, excitait les utiles
institutions , les salutaires réformes , encou-*
rageait la pompe extérieure du culte , et la.
ramenait k son anciehne magnificence. Les
bons exemples n'étaient pas sans influence 9
et le scandale n'eut pas osé se produire im.—
punément. La dévotion se montrait k tons
les regards peut-être avec plus de complai-
sance que la piété elle-même. Si la législa-
tion était timide , elle était suppléée par Tac-
tion bien plus forte , et plus pénétrante àem
mœurs publiques. Qu'il vînt h, se reneontr'ev
(1) M. de Bonald, cité par M. de La Mennaia f
Religion considérée ^ etc., p. 76.
DE LA mUTELLE HÉRÉSIE. SS
des firidaine, des Vincent de Paule, dont le
zèle, tempéré par la miséricorde, retraçât
la TÎTe image de celui dont il avait été dit
qa*U ne foulerait pas sous les pieds le roseau
4 demi brisé ^ et n* éteindrait pas le lumignon
fuijume encore(i ), partout ils étaient accueil-
lis aTec transports , écoutés , du moins avec
Reconnaissance. Dans une disposition aussi
&Torable des-esprits , quels ennemis M. de
LaMennaîs avait-il a combattre? Et quel que
dût être Tobjet de ses attaques , la religion
lui mettait-elle a la main les armes de la
satire et de la colère? M. de La Mennais
semblem'en pas connaître d'autre. Envelop-
pant dans ses généralités et les nations et
les individus, il ne fait grâce h aucuns. An-
ciens et modernes , réformés ou catholiques,
chrétiens insoucians , chrétiens même rc-
U^eux (2) , tous , à l'entendre , sont atteints
(1) Isaïe^ xLii, 3.
(2) Essai sur l'Indiff.j p. 24. Voici comme il en
parle ailleurs ; « Bonnes gens qui se croient rcli-
56 HISTOIRE
de celle lèpre contagieuse , dévorante , qu'il
appelle l'indifférence 5 monslre hideux et
stérile qui conduit directement à toutes
les calamités et à 4:ous.les crimes, et qui ya
précipitant la société tout entière dans la
dissolution et dans la mort. « Qu'apercevez-
« vous de toutes parts , qu'une indifféreince
cf profonde sur les devoirs et sur les croyan-
ce ces, avec un amour effréné des plaisirs et
(( de l'or, au moyen duquel il n'est rien qu'on
w ne puisse obtenir? Tout s'achète , parce
« que tout se vend , conscience , honneur ,
et religion , opinion , dignités, pouvoir^,
« considération , respect même ; va3te nau-
<c frage de toutes les vérités et de toutes les
ce vertus. Quand un peuple arrive à cet état
« d'indifférence, sa fin, n'en doutez pas.
* gieux, qui le sont réellement, et qui, imperturbables
dans leur confiance hébétée en des malheureux qui
se jouent de leur incurable innocence , s'imaginent
faire merveille et sauver la religion. >» La Religion
considérée dans ses rapports, etc., p. 97.
DE L.1 NOli\ELLE ll£R£i»l£. 57
t est prochaine. C'est le signe le moins équi-
tr Yoque de la décrépitude des nations'(i). »
Et c'était au moment même que la so-
ciété , sortie de ses ruines sanglantes , ten-
dait, de son aveu , a la régénération, que le
sinistre prophète en trace ainsi l'inscription
fimèbre sur son tombeau entr'ouvcrt. Il en-
tend le bruit des révolutions qui grondent
dans Favenir et préparent l'inévitable dé-
noûment; il contemple chacun des symp-
tômes de l'incurable agonie qui déjà a
commencé pour elle. Ce qu'il dit des règnes
de Louis XVIII et de Charles X, il le rodira
de*celui de Louis-Philippe. Toujours la phi-
losophie , unie au protestantisme , a creusé
le gQufire ténébreux de l'indifférence, où
le crime , stupidement tranquille , s'endort
entre les bras de la volupté, aux pieds de
l'affireuse idole du néant (2). L'abîme de
'à
l'indifférence appellera l'abîme de l'athéis-
(1) Essai, p. 21, 22, 49, oO.
(2) /&»rf.,p. 21,23.
58 HISTOIRE
tous les esprits vers rindiflférence , les gou<*
me. Maître de la société politique et civile ,
l'atliéisine passera bientôt dans la société
domestique ('!). Luthériens, sociniens , déis-
tes , athées , sous ces divers noms, qui indi-
quent les diverses phases d'une même doc-*
trine , tous poursuivent avec une infatigable
persévérance leur plan d'attaque. « Us nient
(( les mystères du Christianisme, ils nient sa
ce morale , ils nient son auteur, ils nient
ff Dieu , ils se nient eux-mêmes (2). » Indi£-
férence , athéisme , sont pour lui mots syno-
nymes.
Il raconte le délire des opinions , les cris
forcenés de la rage s'aidant également de
la hache du bourreau et de la plume du so-^
phismc : il traîne ses lecteurs aux pieds des
échafauds d'où la philosophie proclamait
l'athéisme, et il conclut qu'aujourd'hui,
grâce au penchant irrésistible qui pousse
(1) Essaiy et Religion considérée j p. 74.
/c»\ "ry
DE LA NOUVELLE UEEÉSIE. 38
vernemens le iavorisent de tout leur pou«
Toir, et, cliose inouïe ! s'efforcent d'entraîner
le Christianisme dans ce système -(i). Ce
n^est donc pas à la France seule , et a la
France bouleversée par ses convulsions po-
litiques, torrens éphémères bientôt écou-
lés, que s'adresse le reproche; il s'étend
à la plupart des nations modcnievS, énet^
i^ées et séduites^ qui succombent sous le far-
deau des institutions humaines et des doc-
trines du néant j nations mourantes ^ oii ]a
société n'£st plus qu'un cadavre (2). Depuis
plusieurs siècles, l'Europe , travaillée par un
fermait' secret de démocratie, nourrissait
dans son sein l'athéisme , qui de tout temps
eu a été le produit ou la source inévitable (5) ;
le dogme absurde , impie , de la souverai-
neté du peuple en est le principe fécond.
;
(1) Essai, p. 137.
(2) Ibid., p. 80, 472.
(3) Und,, p. 80, 51, 381, 387. Religion considé-
rée, etc., p. 354.
40 HISTOIRE .
De là tout ce que nous voyons : la société
assise tout entière sur le volcan de l'athéis-
me 5 dépravation universelle , licence effré-
née dans tous les rangs , égale ignorance du
bien et du mal, oubli profond et mépris
toujours croissant de la religion et de ses
premiers devoirs : ce Non - seulement les
« vertus se sont évanouies ; mais le crime ,
« j'ai horreur de le dire , le crime , sans in-
flf famiè comme sans remords , n'est plus
f^ qu'une simple combinaison de chances ,
If une spéculation vulgaire, un calcul, un
(T jeu dont l'enfance amuse son oisiveté ,
If et qui devient pour elle une habitude
« avant que les passions en aient fait un be-
c<soin(1). Que dire 'd'une sembljible so-
« ciété, de ses doctrines, de ses lois? que
i< dire de ceux qui , possédés de je ne sais
c( quel esprit de vertige , jettent les peuples
« dans cet abîme? »
(1) Essiiiy p. 80, 42 et suiv.
DE LA NOUVELLE UERÉSIE. 41
Si le portrait est fidèle, comment , en
effet, une telle société n'a-t-elle pas déjà
péri, puisque, de son aveu , la seule tenta-
tive de substituer l'athéisme a la religion
a bouleversé de fond en comble la société
en France (i ) ? Quel rayon d'espérance peut
luire encore au sein d'un aussi exécrable dé'
sordre ? que reste-t-il à l'homme de bien ,
s'il en peut exister encore , que se couvrir
la tête de son manteau et désespérer de la
vertu? Or, voilà le mal que produit chez
nous l'indifférence , et auquel il n'est pos-
sible d'échapper désormais que par une
régénération également universelle. Tel est
le vœu hautement proclamé par lui et par
son école.
Qu'est-ce donc que M. de La Mennais en-
tend par le mot indifférence ? Dans une ma-
tière aussi importante , peut-on apporter
trop d'exactitude dans les termes ? Il Tap-
(1) E$êai,i^. 57.
0H m$TimB
pelle (c rextînction de tout sentiment d'a-
ir mour ou de haine dans le cœur, à raÎMa
« de l'absence de tout jugement et de toute
r croyance dans l'esprit (1). » Une pareille
situation est-elle dans la nature? peut-dJn^
devenir générale? Juger, croire^ aimer»
haïr, sont des actes tellement inhérens k la
constitution de l'homme, qu'il est impôt*
sible de l'en dépouiller sans Tanéantir* C'est
là pourtant l'accusation qu'il fait peser 6ur
la plus grailde partie du genre humain* U
peut bien se rencontrer des êtres morts, k
tout sentiment noble et généreux , à toute
curiosité louable sur les intérêts les plus né-
cessaires , a toute affection justç et légitime}
c'est la une apathie brutale et stupide , gpà,
détruit l'homme lui-même , en fait un être
sauvage et isolé, qui a rompu la plupart de$
liens qui l'attachaient au reste de l'univers |
ce que Ton nomme insensibilité ,' qvA esta
(1) Edaai,^, 43.
DE LA KOVVELUi nÉRÉSlE. W
rame ce que la léthargie est au corps. L'in-
différence ne les engourdirait pas au point
d'étouffer en eux les passions impétueuses ,
les inclinations aveugles , les désirs fantas-
tiç[ues. M. de La Mennais les confond per-
pétuellement l'une avec l'autre, le crime
de l'endurcissement avec celui de la tiédeur,
de l'inattention , de la frivolité ; plaies en
effet trop vives et trop communes dans la
société chrétienne, et contre lesquelles le
zèle de nos prédicateurs ne saurait s'armer
de trop de foudres^ mais quels fruits produi-
raient-ils sur leurs auditoires , s'ils ouvraient
sous leurs yeux les gouffres de l'athéisme ,
et les marquaient du sceau de la réproba-
tion?
Nous aurons souvent l'occasion de le/e-
marquer : le vice habituel de M. de 1^^
Mennais est de se jouer des définitions , et
de mettre sa logique .en défaut par ses exa-
gérations ou par ses équivoques.
Que M. de La Mennais, voué par la
44 HISTOIRE
double vocation de son ministère et de son
talent à la défense du christianisme et de
l'unité catholique , eût entrepris de venger
l'un et l'autre des attaques que lui ont li-
vrées l'hérésie et le philosophisme , on ne
pourrait qu'applaudir à ses utiles efforts. On
lui aurait su gré d'ajouter de beaux chapitres
aux chefs-d'œuvre de Bossuet sur cette ma-
tière, à la savante Discussion amicale de
M. l'évêque de Strasbourg, à tant d'excellen-
tes apologies publiées encore de nos jours ,
et qui , nous osons V^flivjxi^Vyiront loin dans
lapostéritéy quoi qu'en puisse dire l'orgueil-
leuse critique des exclusifs admirateurs du
patriarche de la nouvelle école (1). On eût
même aisément pardonné à quelques écarts
d'une jeune imagination impatiente de se
produire, pourvu toutefois qu'elle con-
sentît a ne point se croire infaillible. Bien
loin donc de condamner indifféremment
(1) M. Lacordaire , Considér. sur le Sysi. , p. 36.
DE LA IBOOXLLE HÉRÉSIE. 40
tout ce qui est sorti de la plume de rillustre
éarÎTain , nous eussions été les premiers a
hi déférer le tribut de notre admiration
personnelle. A Dieu ne plaise que nous mé*
connaissons dans un très-grand nombre de
pages de son Essai les brillantes qualités
qui lui ont Talu les éloges d'hommes étran-
gers a son parti. U a même des chapiires
entiers où la Tenté se montre sans mélange,
parée des riches ornemens de l'érudition ,
de l'éloquence et de l'imagination. Indi-
qaons particulièrement ceux où l'orateur
controversiste discute les grandes questions
de la nécessité de la Révélation , de l'insuf-
fisance de la religion naturelle , de la sou-
Teraineté du peuple , de la liberté et de l'é-
gaUté , remarquez-le bien , pour les accuser
d'avoir, dans tous les temps , et chez les an-
ciens et chez les modernes , bouleversé la
société , enfanté tous les crimes et toutes les
calamités, en détruisant les principes de
l'autorité comme ceux de l'obéissance , sans
46 HISTOIRC
antre résnltat que les excès du despotigmé
et de Panarchie (1). Publions-le avec le
sentiment d'une conviction profonde : due
dialectique pressante , féconde et pittores*
que k la fois , rajeunit des' matières ce
semble épuisées par Bossuet. Avec quelle
supériorité elle lutte pour ainsi dire corps
a corps avec le philosophe de Genève , nt
joue des sophismes de Gibbon , de Bolint^
broke, de Bayle, de Jùrieu! Saurin n'a
rien de plus impétueux , Jean- Jacques RoiiiS-^
Seau rien de plus nerveux ni de plus anjj^
mé. A travers ces dissertations philosophie
ques, des tableaux peints a grands traîtt
des ravages de l'incrédulité et des varia*
tîons de Thérésie (2), des caractères pro-
près à l'Eglise catholique (3) et de son an*
torité (4), des vanités humaines, des déi^-
(1) jBwai, t.I,p. 345, 361.
(2) iiîi., t.I,p. 203. .
(3) Ibid.,^, 249.
(4) Ghap. ir.
DB Uk nùtWUM VÈBÉSSE. ^Bf
éets raameii» du chrétien (1), des bienfaits
Al Cbrifltîanlmie et des avantages inappré*
dâbles de la tnorale évan^lique (2). Que
Piastre ëcriiraîn s^en fut tenu à ce langage,
MB lirre n'eût assurément pas trouvé de
censeurs , et n'aurait pas eu besoin d'apolo-
gnte; il n'aurait pas assujetti à des opinions
aibitraires des principes consacrés par la
Tenté et par Pexpériehce , et ne se serait
pas traîné d'erreurs en erreurs jusqu'à cet
excès d'audace ou de démence qui a si-
gnalé ses dernières productions. Mais le
cercle est tracé ; prétendre en reculer les
Kmites : présomption insensée ! Au - delà
cormmence l'erreur. H n'était plus possible,
au îct* siècle , d'inventer iien qui ne fôt
ane répétition ou une parodie. Emporté
sous un horizon étranger, par l'ambition
des découvertes , il s'égare et nous donne
(1) Essai, chap. iz.
(2) Page 319,
JK HISTOIRE
les rêves de son imagination pour des
aperçus réels. Semblable à ces voyageurs
qui y surpris par la nuit , voient les objets di-
vers se dessiner a leurs yeux sous des for-
mes fantastiques , son prisme trompeur jette
sur tous les aspects des couleurs infidèles, et
décrédite par ses exagérations les vérités
les plus irrécusables. Ainsi , prévenu de la
double opinion que la Réforme luthérienne
et le moderne philosophisme ont précipité
l'Europe dans les plus désastreuses révolu-
tions , ce que personne ne lui conteste , il
suppose que l'Europe est tout entière lu-
thérienne, socinienne, déiste, athée (i)«
Le protestantisme conduisait inévitable-
ment k la tolérance universelle ou a l'indif-
férence absolue des religions: doctrine,
culte , morale , tout s'écroule , et l'athéisme
reste seul au milieu de l'intelligence en
ruines (2). Dans ses synodes éphémères , la
(1) Essai, p. 225 et suiv.
(2) Ibid., p. ViC).
mS LA NOWELUB HÉRÉSIE. 49
Réforme proclamait l'abolition de tous les
dogmes religieux et soGiaux(i ), et réalisait ce
que la raison de tons les siècles et l'autorité
de tons les témoignages historiques démon-
traient inexécutable, hors de la nature
comme des voies de la Providence , à savoir,
l'existence d'une vaste société livrée tour à
tour 9 et tout a la fois, aux convulsions du
despotisme , aux fureurs de l'anarchie , aux
extravagances de l'athéisme , sans qu'il pût
eûster d'autre contre-poids à tant de mo-
biles de destruction que des pactes illu-
soires entre la tyrannie et la servitude (2).
Un aussi tranchant ostracisme a besoin
de preuve ; la voici : « U avait été reconnu
% jusque-la que l'Église et tous ses dogmes
«reposaient sur l'autorité comme sur un
«roc inébranlable. Une constante fidélité à
« ce principe fondamental de l'Eglise chré-
(1) Essai, f» \9,
T. I. 4
ao shtodob
» tienne avait garanti l'Europe pendant
ic quinze siècles, non des scandales paasa-
«c gcrs de l'erreur, mais du mortel assonpit-
i< sèment de l'indifférence. On ne yit re^
« naître en son sein cette maladie terrible,
« qu'au moment oii la raison, rebelle k Pan-
«t torité suprême qui l'avait guidée jusqu'à**
« lors, s'efforça de recouvrer la servile in-
ff dépendance dont le Christianisme l'avait
«t affranchie (i).. Aussitôt la multitude des
« sectaires, divisés sur tout le reste, s'unissent
f( pour saper le fondement de toutes les Té^
« rites (2). »
Est-ce bien là le portrait que l'histoire
nous a laissé des quinze siècles qui précé-
dèrent le Luthéranisme ? Sans parler ni des
révolutions politiques , toujours mêlées anx
révolutions religieuses, qui, depuis Constan-
tin jusqu'au dernier de ses successeurs , ne
(i) Za Religion considérée , p. 148.
(2) Ibid.,^. 19.
1MB LA MirVIfiULE HÉRÉSIE* Kl
eeasèrent pas un instant d'agiter l'empire et
FEglise 9 et marquent en caractères de sang
diaciine de leurs annales , ni de cette nuit
profonde qui, de Paveu de tous les écriyains
comme de tous les monumens, s'était appe-
santie sur l'Europe entière, que de vives
j^es portées k ce principe fondamental de
FEglise chrétienne ! Le docte écrivain peut-
fl avoir oublié quels malheureux succès
avait obtenus l'Arianisme, jusqu'à faire de-
mander a saint Jérôme s'il y avait encore
des catholiques dans le monde étonné de
se trouver arien ? Avait-il été reconnu par
lés Donatistes, qui, pendant deux cents ans,
tarent résister aux vertus des plus saints
éfêcpes, k la voix des conciles, aux édits de
h puissance impériale ? Fut-il respecté da-
vantage par Pelage , parvenu a infecter de
•es erreurs l'Angleterre, l'Afrique, Rome
cUe-mème, et a surprendre par ses cap-
tieuses promesses d'obéissance le saint pape
Sezîme? La vérité prévalut Elle triomphera
/
t}2 HISTOIRE
dans tous les temps, soutenue par la toute-
puissante main qui dirige a travers les écueiis
et les tempêtes le vaisseau de l'Eglise. Mais
ses victoires mêmes supposent des combats ;
et ce n'est pas durant son pèlerinage sur la
terre que l'Eglise de Jésus-Christ est desti-
née a goûter les douceurs de la paix. Que
l'on se rappelle encore les violentes hérésies
de Nestorius et d'Eutychès : n'y eut-il là que
les scandales passagers de V erreur? le Ma-
nichéisme , bravant les bûchers et les pro-
scriptions; le Monothélisme, s'appuyant à la
fois sur la chaire patriarcale de Constanti-
nople, sur la protection de l'empereur Hé-
raclius et la faiblesse du pape Honorius, les
Iconoclastes couvrant l'Orient de ruines et
de cendres, poursuivant le fer et la torche
a la main le principe d'autorité jusque dans
les tombeaux. L'islamisme le transporte sur
le trône des Califes. Mutilé depuis plusieurs
siècles dans l'Orient par la jalouse ambition
des Grecs, affaibli dans l'Occident par le
DE LA KOlTiELLE HÉBÉSIE. 35
schisme , il cède aux nombreux assauts que
Wiclef, Jean Hus et les autres précurseurs
de Luther livrent à la foi catholique , pour
disparaître au moment de la Réforme.
Mais si le Christianisme a perdu son prin-
cipal appui , il n'est pas vrai de dire qu'il
fat anéanti , et que la Réforme ait entraîné
h raine de toute religion, de toute morale,
de toute législation divine et humaine , ni
cp'ellc ait &it reculer l'esprit humain jus-
qu'au paganisme (i).
Outre que l'Eglise reverdissait , nourrie
d'une sève plus robuste y retrempée par les
persécutions, et que de ses entrailles déchi-
rées , mais toujours fécondes , sortaient de
nouveaux enfans qui la consolaient de ceux
qu'elle avait perdus, M. de La Mennais en
convient : « Les sectes primitives nées au
V sein de la Réforme tenaient encore for-
« tement à plusieurs vérités principales du
(1) £Miii,p. 68.
54 msTOiuE
<r Chmtianiame ; et malgré les maximes qù
« le proscrivaient, le principe d'autorité de-
« meurait, et y demeurera aussi long-tempe
(c qu'on y croira à quelque chose (1). » On né
détruit pas l'autorité, on la déplace; elle
existe de fait partout où se trouvent dÉ$
dogmes quelconques, un culte quelconque^
une foi quelconque, et la différence n*e9i
jamais que de l'autorité légitime k l'autorité
usurpée. Reprochez à Luther ses ëmp6rt^
mens et ses inconséquences , les excès où la
témérité de ses commencemens a entraîné
l'imprudent hérésiarque , les malhettredn
exemples donnés k un trop grand nomWo
de ses disciples, aussi ardens que leur maître
a innover, k enchérir encore sur lui; dér
plorons la perte de tant d'âmes ; gémissoBs
sur le sort de tant de villes, de tant de pro*
vinces et de royaumes victimes de la séduc»
tion et de l'erreur. C'est bien assez du crime
(1) Essai, t, I,p. 180;
IKB LA NOm/BLUB HÉRÉSIE. S5
de rapMtaaie, sans l'aggraver encore par
une accusatioii qui ne peut tomber que sur
dm ûoidividus, et que l'immense majorité re-
pousse comme calomnieuse. Non, la divine
Providence ne permit point que le naufrage
fut universel. Dire avec M. de La Mennais
^ l'athéisme n'est que la dernière consé*
qœiice de la Réforme ^ que le Protestantisme
n'est qu'une solennelle protestation non-
Mulement contre le Christianisme, mais en-^
core contre toute religion quelconque (1 ) ,
(fast aller contre le témoignage de l'expé-
nence , c'est imiter le farouche stoïcien qui
P9ttait tous les crimes au même niv eau.
Pas un6 communion protestante qui n'ait
dimné le démenti le plus formel à la dénon-
dation, et n'ait repoussé avec horreur la so-
lidarité dont un zèle exagérateur a prétendu
la charger. En Angleterre, les CoUins et les
Tindal faisaient exception a la foi commune,
et trouvèrent au sein de leur propre nation
(1) Esmi, p. 69, et Religion considérée , p. 168.
80 UISTOIRE
de puissans adversaires. L'Allemagne, la
Suisse , les Pays-Bas ont réclamé avec une
égale énergie ; et si l'incrédulité a exercé ,
comme en France, ses ravages dans ces con-
trées , pourquoi repousser de nos^ cœurs le
consolant espoir que ces mêmes contrées,
échappées enfin à la fatale ivresse qui les
tient encore sous le joug de l'hérésie, rom-
pront ce dernier lien pour revenir au sein
de l'unité catholique ? Des malades peuvent
guérir^ les cadavres ne ressuscitent point.
M. de La M ennais est à l'égard de la Ré-
forme ce que fut Jurieu a l'égard des catho-
liques, controversiste impétueux, tour à tour
sophiste et prophète, versant à pleines mains
l'injure et le sarcasme mêlés aux plus si-
nistres prédictions , poussant l'outrage jus-
qu'aux derniers excès de l'emportement,
criant à Tindifférence ou a l'idolâtrie, accu-
sant d'une léthargie stupide et d'un hrutal
assoupissement quiconque ne partageait pas
ses fureurs , et devenu , dit M. de La Men-
/
DE LA KOirVELLE HÉIŒSIE. ^
nais, lefléan de son propre parti (1 ). Le même
écrivain qui bientôt se montrera le plus to-
lérant des hommes, se fait voir ici non moins
intolérant que le fougueux calviniste. Il ne
manque à la parité qu'un Bossuet pour com-
battre le nouveau Jurieu.
La vérité n'admet aucune exagération ;
l'esprit du Christianisme est la modération ,
qui exclut tous les excès , qui tempère jus-
qu'à Fexercice des vertus, et qui recom-
mande la sobriété même de la sagesse (2).
Vous ne savez pas encore de quel esprit vous
étes^ disait Jésus-Christ k ses Apôtres , qui
demandaient à faire descendre le feu du
ciel sur Tinfidèle Samarie (3).
La philosophie se confond dans la pensée
de M. de La Mennais avec la Réforme ; elles
auraient Tune et l'autre engendré Tindiffé-
(1) JE^ot, t. I,p. 199.
(2) Ecoles, f VII, 17. Rom,, xii, 3.
(3) Instruc, pastorale de M. Fér. de Langres,
card. de La Luzerne , p. 25 , in-4<>.
r^ce^ dbjet s{^cial de ses atJaquea. Il ne la
distingue pas de cette fausse sagesse qui aa
distingue essentiellement de Vautre, et à qpk
l'on a donné le nom de philosophisme, tt
eût été plus juste de les séparer, puisqu'ellea
se ressemblent si peu. U y a entre les dew
la même différence qu'entre les m^ts de so-
phiste et de philosophe. M. de La Mennaiv
affecte de n'en reconnaître aucune; et la
philosophie est tout entière l'objet de sw
éternelles récriminations.
Il y a soixante ans , les alarmes de l'écri*
vain sur les progrès de la moderne philoso-
phie eussent été sans doute légitimes. La li*
cence des mœurs l'avait accréditée à la cour t
à la yille, dans les provinces; elle régnait en
souveraine dans la littérature et la science.
Dieu ne lui permit de prévaloir un moment
que pour manifester au monde l'immensité
de son néant(l). Parvenue à Fapogée de sa
(1) M. Lacordaire, ComMr.y p. 23.
k
DE LA NOinnNUUI HÉRÉSIE. Ûè
gloire , elle se vantait d'avoir écrasé la sun
perstiiion chrétienne. Dieu se riait de ses
vains complots ; le Christianisme triompha
de toutes les puissances de l'enfer. La Conn
vention vint, qui se vanta aussi d'avoir aboli
le nom chrétien ; elle se vit forcée de recu-
ler devant le spectre de l'athéisme, et le
Biépris général fit justice de ce simulacre
de religion forgé sous le nom de Culte de
la Raison, M. de La Mennais, à son tour, est
venu crier que tout était désespéré. L'expé-
nence et le succès de ses Uvres en appelé-^
nmt die ses sinistres prédictions j et du sé«-
pulcre même où il prétendait que Tindiffé-r
rence enchaînait les esprits , sortirent des
milUers dé voix attestant que le christia-
nisme vivait indestructible au fond de nos
iMeiira, au fond de nos institutions et de nos
lois, au fond des âmes.
U n'en continue pas moins de £adre le
procès a la philosophie; et sa doctrine à ce
sujet paraîtra sans doute embarrassée à ceux
00 HISTOIRE
de ses lecteurs qui demandent plus de pré"-
cision dans les idées. Il faut bien rétablir
les faits', quand le paradoxe et le sophisme
aflFectent de. les dénaturer et de les con-
fondre.
L'histoire de la philosophie se partage
naturellement en deux époques : la pre-
mière avant le Christianisme , l'autre de-
puis l'établissement du Christianisme : un
caractère commun les unit au même centre.
« Pour arriver au même terme que la phi*
<c losophie antique , c'est-a-dire k l'athéisme
fc d'abord, et ensuite a l'indififérence, qui
«c renferme toutes les erreurs ensemble
« parce qu'elle exclut à la fois toutes les
« vérités (1) 5 la philosophie s'était autrefois
« armée de la raison. » Quels fîirent les fruits
de cet arbre empoisonné? « Dépravation,
i( anarchie universelle, ignorance de tout
(T ce qui constitue l'ordre social j oubli de
(1) Essai 8}ir Vhiiiff,, p; 69,
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. Gi
«r rhumanité dans la guerre comme dans la
«c paix, dans les lois comme dans les. mœurs,
c dans les temples comme au théâtre ; sa-
fr orifices licencieux ou barbares (1). »
Ces reproches , dont on a de tout temps
accablé l'ancienne philosophie, n'étaient as-
surément que trop mérités. Les saints Pères
ne les ont pas épargnés aux Sages de la Grèce
et de fi.ome. Pourquoi? Parce qu'au lieu de
s'éclairer du flambeau de leur raison , ils en
obscurcissaient la lumière par les mensonges
de leur orgueil et les recherches d'une curio-
sité vaine. La seule raison , a dit saint Paul,
aurait pu leur suffire pour connaître ce qui
se peut découvrir de Dieu par l'a'spect visi-
ble de ses divines perfections , manifestées
a tous les yeux par la magnificence de ses
œuvres (2). Ce n'était pas la vérité qui leur
nianquait, c'étaient eux qui manquaient c2
(1) Essai, page 10.
(1) Rom., 1,18, 19.
la vérité^ la retenant captive dans V injustice.
tr Philosophe éloquent, grand homme! »dit
Lactance en parlant de Cicéron , «r au lieu
<^ de te traîner serrilement aux pieds dldo-
v les, méprisable ouvrage de la main des
ir hommes , à la suite d'une multitude égm-
<r rée , que n'employais-tu Teffort de ta puifl-
r santé voix k démasquer Terreur CI)? » Le
crime de lldolâtrie ne fut pas d'i^orer
Dieu, mais, poursuit TApôtre des nations,
de ne pas le glorifier comme Dieu^ de mol-*
tiplier la Divinité bien loin de la nier. « O
ir Athéniens! ;» leur disait-il au milieu de
leur Aréopage, <f il me semble que vous êtes
ff en toutes choses religieux k l'excès , per
r omnia superstitiosoreSj » parce que, non
contens d'adorer les dieux vulgaires, ils
avaient des autels pour celui même qu'ils ne
connaissaient pas (2). Je ne croyais pasqu*il
(1) Biblioth. choisie des Pères y t. III, p. 392.
(2) Act., XVII, 22, 23. Rom., i, 18, 26.
DB LA NOOVRXB nÉHlSglE. €B
At pomble de calomnier la raison humaine
jvsqtt'k dire qu'elle eût refusé jamais ses in-
timesT révélations a la philosophie , quand
dk aurait pu seule l'arracher a ses erreurs.
Le ^rice de Tune et de l'autre était d'être de
lenr natuM impuissantes k découvrir toute
la Tenté. « Concevoir la fausseté du poly-
m thtéinBe , dit encore Lactance , la sagesse
« humaine pouvait aller jusque-la ; pousser
« jtnqu'k la vraie religion , il n'y avait que
«la grâce divine qui pût apporter au genre
« htanain un pareil bienfait (4 ). » Nier la Di-
vinité, mettre en problème son existence
9m. ^sa providence dans le gouvernement de
Pimîvers, ce qui est le crime de l'athéisme,
jamsûs rien de semblable n'a paru et ne pa-
rtStn parmi les hommes. Pas une nation ,
quelque barbare qu'on la suppose , qui s'en
fut readue coupable , ni la philosophie non
(1) Lact., edit. varier, p. 151; Siblioth, choisie
deê fèffBê, t. IH, p. 395,
04 mSTOIRE
plus. Socrate buvant la ciguë, et ses juges
qui rayaient commandée , protestent égale-
ment contre l'athéisme.
* La philosophie n'avait d'autre objet que
l'étude de la sagesse ou des choses divines
et humaines , c'est-k-dire des rapports qui
les lient entre elles. C'était là son institu-
tion j et l'on aura toujours droit à la rappeler
à son étymologie. Tous les esprits spécula*
ti& de tous les âges se sont constamment
ralliés autour de cette bannière sacrée , et
se sont plus ou moins écartés du but qu'ils
se proposaient (1).
Parmi eux , les uns n'ont étudié la nature
de Dieu que par rapport aux choses sensi-
bles dont ils tâchaient de comprendre ro-
rigine et la formation. Au lieu de soumettre
la physique à la théologie , ils ne fondaient
leur théologie que sur leur physique , et les
différentes manières dont ils arrangeaient
(1) D'Olivet, Théologie païenne^ U I,p. 12».
DB LA NOUVELLB HÉRÉftlE. SS
le aystème de runivers disaient leurs diffé-
rentes croyances touchant la DiTÎnité.
D'autres ont fait un pas de plus vers là
oonnaissanœ deia Divinitë; Frappés 4'ad*
miration à la vue de Tordre régulier :^i
règne dans le monde , ils sentirent Ia^ né-
cessité d^une inteUigence souverainement
puissante et sage; ils comprirent qu'dUe ne
pouvait être matérielle ; et s'élevant jusqu'à
ridée de la spiritualité /distinguèrent réel-
lement la cause d'avec l'effet , l'agent d'avec
la matière. H n'y eut qu'un trës«petit nom-
bre qui donnèrent dans le matérialisme gros^
âer, exclusif de toute intelligence divine, tel
^'il s'est reproduit dans les temps moder-^
aes sous la phimpe des Vanini , des Diderot,
des La Metthrie et des d'Holbach. Diago-
1^, soupçonné d^athéàsme^^n^ala^ssé qu'une
mémoire infâme dans la postérité (1). Tkéor
^f»fe dç <!)yrène , surnommé ¥ athée y ensei-
(^) Bruoker, InêtU. pkihi., p. 266.
T. I. 5
e<-#
-l.-..-. .1 HlftTIMniB-
gtilA çpi'Aïufj' àwAt point de. cbëux ^ 86« cot»-
citoy ràto i firèik t . ëclaté v . leur ■. indignatto ti em
lé chaesadt; dé>leiiqr nrillé» iRéfbgîé- à; Is cour
deftoléobée; âU^deDagiis^ ayant^^-éivFMi«-
dîpccéiioii- de. fliafliif ester sa ddctrine 4 il eo
fut pâi :de U0r b (il ). Qnelqufis ^ mis de ces
fihiittsojdieft ont atteint dîterses Tiâritéti auK
yalesl;, bien quPeûa ly» méls^nt de' griiyes «V7
reitrs; eft opfièdèfent av.ècsuccè9ii>iïé. digne
ab >tDlvenf da 1 la . dé^binratitù». « Blendbiié
v;auit |iJDilD8éph€fl>de> llanticpiité là juâdcé
qox) le w eat dvie ^. »»» a dit. un de&^ plus granils
émi[qpfiSidfa:dé»n«Br lièelèr « Plu^ieiicsd'ttiit
}f;t|rtféuic.of»t.a;|çi(bi$ des droiJbsià.']k> reponr
4r ]ihi8aanGe.de»«iaAtoiis ^^fc les diéeouTèrtqs
/4«i»]^kéftaafce$:ai3aq\i(eU£b les ;«( élevées larsui-
«( ^U^té de: ibelfr: igéiiieî. EJr: 4ui« s&it sa «ds
«; jgrap de {liGlrBQnpaçai oie iuront pas suscitét
m^J là : PMiàdenjcer poiir empêcher Védf
^ûam dë^liEk^VeMaidepéiirdaarls les pensée»
(1) Bnicker;'/t»»li^. pHU^opH, p. f 50i
DIE LA ^'OOVBLUI HÉRÉSIE. 87
« deê homiries (4)? " Dieu avait donné la
pbîlosopliib aux Gaoâler, comme la loi aUx
Jtiifr, ponr qtt'ellé servit d'iniroductkm ah
Gtirifltiatâsme (3)/
Tous les législateurs avaient fondé sur le
coite ded dieux et sur les préceptes de la
morale la base de leur constitution et dé
leur gourernemênt; Chez les Grecs , on
s'im^ageintpar les plus rédoùtableb sem^ens,
dâiis lé temple d'Aglaùre , ii maintenir le
culte des ancéNtrès , a combattre jusqu'au dep-
ïàét soupir pour la défense de la religion
etde la piailnne. A Rome,' après que le ma-
térialisme d'Epicnite ie fut fait jour parmi
tak jemiesse frivole (^'enÎTraient les arts
du luxe et de la mollesse , k qui rien dé
Romain lie restait que le nom^ la corruption
déii ihoefiirs' avait pénétré profondément
■ ■ ■ * '
(1) M. le card. de La Luzerne , Instr, . poêior, ^.
p. 21,22.
(2) S. Clém: d Âlex.\ daÀs lA BtBKoth. hkdHè ehê
Pér^#> t. 4, p. 443.
68 msTOiRB
toutes les veines du corps social; symptôme
infaillible de sa prochaine destruction , cause
senle efficace et toute -puissante de rinévi-
table dénoûment. Nul doute que l'indiffé-
rence religieuse n'accélère les progrès de la
décadence chez les peuples oii elle trouve
des élémens de dissolution ; c'est la gangrène
qui achève de plonger dans la mort les
membres déjà viciés par la maladie, ly ,
Sidon , Memphis , Babylone avaient péri ;
nos saints prophètes n'attribuent pas k
cette cause la ruiné de ces opulentes cités.
Numance , Carihage avaient cédé k Tépée
des Romains. Les destinées de la ville eïe/^-
neUe s'accomplissaient indépendaniment des
vices ou des vertus des peuples. Rapporter
k cette seule cause la chute de la république
et de l'empire romain , c'est prendre l'effet
pour la cause , c'est mentir a l'histoire et k
tous les mônumens, c'est dépouiller le Chris-
tianisme des caractères delatoute^puissance
surnaturelle qui finit par le faire prévaloir,
D£ LA XOUVKLLB HÉEÉSIE. 09
en attribuant son triomphe à la décrépitude
où l'on prétend que l'idolâtrie était tombée ,
et lui enleyer l'un de ses plus beaux tropbées,
l'héroïsme de ses martyrs. M. de LaMennaîs
a beau nous dire que le culte , deyenu un
Tain simulacre , ne se liait a aucune croyance
religieuse ; .qu'il n'était conservé que par
habitude , a cause de ses pompes et de ses
fêtes ; que les sages et les grands le ren-
Toyaient avec mépris k la populace, qui vou-
lait des dieux pour complices de ses désor-
dres (1 ) : comme si les chaînes de l'habitude,
des intérêts, des préjugés, des passions,
n'étaient pas assez fortes pour retenir la
populace sous le joug de ses superstitions.
On lui répondra que l'instinct religieux ,
lont froissé qu'il était par la corruption uni-
verselle , ne restait pas sans action , même
sur les classes accoutumées à dominer l'opi-
^^oa et la conduite du peuple (2). Les lois
'i) Essai, ^.i\.
(^) Voy. l'Histoire de l'étabL du Christ,, p. 74.
20 HKTOIRË
et les mœurs pubiiipies soutenaient dt cou-
cert la majesté du cuite aatique , à qui
Ton se croyait redevable de sept câits
années de triomphe et de gloire. Cicéron
ne permettait pas que l'on agitât publi-
quement aucune dispute sur les dieux , de
peur d'affaiblir le respedt qui leur était
dû (i ) ; Auguste ne voulait :pas qu'il y £uLt lâen
innové. Quelque changement que la doc-
trine d'E^^icure eût pu apporter dans les
mœurs de la jeunesse romaine , elle n'influa
pas* tellement sur l'esprit public , qu'elle Taii
poussé jusqu!au mépris de toute religion.
:« Quelle que fut la corruption de Rome »
( dit Montesquieu dans le même chapitre
où il accuse justement la ^cte d'Epicure
d'avoir contribué beaucoup à gâter le ccaur
et l'esprit dés Romains), » tou$ les malheurs
• Non, disaient les paiens , il n'y a rten de surnata-
« rei dans rétablisement du Christianisme, etc. »>
(4) Lactance, dans la Biblioth. choisie des Pères y
t. UI , p. 392.
HE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 71
« ne s'y 4|t|dient pas introduits ; la force de
<c ton institution s'y ^tait conservée au p^iliejui
« des richesses , de la tnoUea^e et dQ la y^qt
« lapté (1). n Ce qu'il applique k la valeur
guerrière peut s'appliquer ^gal^tnent k l'es-
prit religieux ^ témoin ce que les cpi^ttempo-
rains nous raçpnteut de ces teiyips nil^eu-
reux. On a observé avec praisop quq le poçBA^
de Luqrèce , oii la doctrine du qifrïi^risdîsiiie
est exposée en si beaux vers , trouvait a peine
pudiques lecteurs dans tout l'empire (%) ;
^^ndis que les hymnes d'Horace en l'hAiin
^eur des dieux 4^ pays étaient répétés
<i.ans tous les lieux de l'univers , partout
ailleurs ique dans les obscures catacoml^s,
oii les chrétiens dérobaient à VofH des hourr
reaux leurs mystères proscrits. Qu'on lise
X.
dans l'écrivain Y alère^iy|[^iine 1^ nQn)b|reu;i
exemples qu'il cite de la piété envers les
dieux y de la foi aux oracles , aux songes , k
(') Grand, et déçad. des Ram.\ rhap. x.
C^) M. Villemain, Mélanges.
Tlfà .1 ni^TouLK.
tout ce qui était cher a la superstition. Tacite
et Tite-Liye , Polybe et Plutarqùe croyaient
avec ferveur ; et s'indignaient que quelques
esprits forts de teur temps combattissent par
un pyrrhonisme occulte les croyances popu-
laires. A Rome , un temple s'élevait dans l'île
du Tibre en l'honneur de Simon-le-Magi-
cien (i). Les peuples de l'Asie se précipi-
taient en foule sur les pas d'Apollonius dé
Thyane. La magie avait ses pontifes et ses
initiés , ses évocations et ses* mystères ho-
norés delà faveur des maîtres du monde.
Gibbon notis dit que les différens genres de
culte qui régnaient dans le monde romain
étaient tous admis indifféremment, parce
qu'ils étaient tous considérés par le peuple
comme également vrais; par la philosophie,
comme également faux ; par le magistrat ,
comme également utiles (2). x\utant d'erreurs
(1) Simoni Deo. Tiliem. , Mévi, cccllés.^i. 1, p. lOo.
(2) Hist. de la décad. et de la chute de i* Empire
rom,, liv. i, chap. ii.
DB LA MOUlOELIiB HÉRÉSIE. f%
que de mots. S'il en eût été ainsi , le Chris-
tianisme aurait pu s'établir sans conlradic<-
tion et s'étendre à son aise sous le patronage
de la mutuelle indulgence que s'accordaient
les sectes diverses ,m%me les plus opposées.
U n'eût été qu'une religion humaine , et man-
<piait k la fois et aux vues de la Providence,
et à la vérité des prophéties. Quoi donc !
était-ce par indifférence pour son culte que
iVéron donnait le premier signal d'une guenre
d'extermination poursuivie par ses succes-
seurs avec le plus implacable acharnement ?
H^ 'indifférence a-t-elle jamais armé les pas-
^mons humaine's du fer et de la torche contre
1^' ennemi qui se présente pour leur disputer
V empire (1 ) ? Les peuples , a grands flots ,
se précipitent sous leur bannière , nous dit
^I. de La Mennais ^ l'avarice y conduit les
prêtres des idoles ; l'orgueil y amène les
*3ges , la politique les empereurs. N'y eût-il
(4) A'wai,p. 12, 13.
94 m^TOIRE
I
qw ce» seules passions? le fanatisme qu'elles
aUamftient dans tant de cœuRs pouvait-il s'y
alUer atec la froide apathie que l'indifférence
suppose en &it d'opinions, et surtout d'^pÂiv
nions religieuses ? Que Gibbon , aveuglé païf
son ^epticisme calculé, vienne noua direqm
la superstition du peuple n'était mêlée d'ttUr
ciwe haine , d'aucune aigreur théologiqué i
ni enchaînée dans le cercle d'un système
esLclusif ; que les philosophes ^honnea gtms,
regardaient du même oeil toutosles religions
df la terrie ; qu'il leur était fort indifféront
que les Jolies de la multitude prissent teUe
fio^rme plutôt que telle autre (t) : nous ne £eii-?
sons pas à M. de La Mennais l'injure de le
croire de ceux qui veulent que le Chl?istia-r
nism^ se soit établi naturellement , et par jio
seul discrédit où étaient tombées les supers^
titîons antiquesf. La tolérance qui s'accordait
aux divinités étrangères avait ses contra4ic-7
(I) Essai, li. 12, i;^
DE LA NOIiym4*E:#£RÉSlE. fé
ienBn.i «es exceptions; e|; malgré le vœu 4fo
Tibère qui^wsiandàît pour JésusfOuist r^af;
««iClipi«dk(<1 ) , nous ne yoypn^pe^ q^'il »\
obKfiavkù akément mn 4coit de boiurgeQΧif^
dafiaai«ctiiiede0 cités de l'univeiv, pas m^w^
daas oeUe dont i) avait fidt U tM^tre4e,s^
«sQTres les phis extraordinaire^. P/ét^it apr
ÎNiremmeot p^r iodifféir^P^^ <IUj9^1e ¥p)[iip-
«mm Hér^e Qiyjonnajit |e miissacre d»^
prevoiefBriiéi , afin d';9Péwtifr d^ns fpfi bei;<-
ceau la religion du Qiri^t ; que la synagf|gi)e
demandait k grands cris qu'il £àt cruçii^é
pour Tepger la loi de Moïse et l'honoeur du,
temple. Qav^rez toutes les jbis^pires ; jeûnais
con(jurati<w ^i plus uqiapime dans ses agei|s,
ni plus uniforme dansées motifs 9 ,<:'çst la
caHse dfts dieux qui arme et les roi» ei les
peuples. Dajus chacuit des fléaux qui désolent
l'empire romain 5 on croit )ire les ordres du
ciel 4fui demande pour e^^piation le sang
(i) TertuU., jàpolqgct,, oup. v.
76 HiSTomE
des chrétiens. Après Néron , Domittett>
Trajan , Marc-Aurète , Septîme-^yèrt , Ici
plus humains des empereurs, offrent k leur»
dieux les chrétiens en holocauste. Les viltês
entières leur écrivaient , soit pour les re-
mercier des édits de proscription qu'ils ont
rendus contre les chrétiens , soit pour les
exciter à de nouvelles fureurs (1). Le cri
barbare : Les chrétiens aux lions! a fait
tressaillir de joie une multitude ivre de san^,
et qui n'en a jamais assez. On n'épargne ,
même de leur temps, ni âge, ni sexe , ni
condition , ni les services rendus à la patrie.
Les places publiques , les routes , les champs
même et les lieux les plus déserts se couvrent
d'instrumens de torture , de chevalets , dé
bûchers , d'échafauds; la rage des bourreaux
s'étudie à enchérir sans cesse sur elle-même
par l'invention de nouveaux supplices ; les
jeux se mêlent au carnage ; de toutes parts
(3) Rullct, Hist. de l'Etabliss. du Christ., p. 63.
DB LA NOUVKUB HEBBSIK. 7T
on fi'^mpresse pour jouir de l'agonie et de la
mort des innocens qu'on égorge. Ce n'est
poîiil; une persécution de quelques, jours ;
c'est par dtis siècles qu'il faut compter les
souffrances de l'Eglise. On ne peut la suivre,
durmt trois cents années , qu'a la trace du
sang cpi'jelle répand, et à la lu^ur desbûchers
aU«iinés contre elle (1).
Voilà ce que M.^^ de La Mennais appelle
de l'indifférence ! U n'y avait plus , dit-il ,
de* paganisme , plus de philosophie. <c La
ir philosophie , laissant en paix l'idolâtrie,
« ne s'occupait qoe de diriger ses attaques
« ciMitre les vérités* importunes aux passions #
« contre les prineipes de la morale , contre
« hé» peines • ^et les récompenses fiitures ,
« cobtre l'immortalité de l'âme et V^^i^
«V tence de Dieu (3). » U Êiut comptef
éirsiiigeihent sur ' la crédulité de ses lec-
^% y BMiêtW, dUôie dtf« Péri» , p. 244.
Bieti toîff q^ la phUoi^bp^it^ ^îaisiunt M
? idolâtrie y ^ dmgé ^aittaguieir centra
écFit- , p^ titi motAHÀetti ^-àë ee» temp» rèira-'
siècle 4e JufttiïiiëA, 4^^ n'^^téstife' vftw tM»
les efforts de la philoéopUle païenne h^méit
(^'ptitt» ùbjm là lutte du* jpaganisme €t de
l'ËTM^é. fje Obpîstianiybiieet ridôlâtrii^ 6*
pfrësence l-|itt*d«'l'attfrey* dcmune dèuxiennoi*
vtàk ëk ^idp ctos , s'étaient: itfèckvfi lime
fgèiélfltê ^ môr%.^ Hèi dehr oâtâi ^ L'atta<pw let
kf-défeniie ont déployé tbiitéa leuyitciMW^
^1 -Ce» hkmed' cftieitio»^: ifK^ deiôM
^à%fipfé^ii^ k» jEf^to lAéâiMife V ne fimhl
piÉ!( • ^^géèkf dat^iintallJ8> par céiix rd'tdJon.
Eilîl'^^ikHbsdphiey Uée. sm pot^ehiaiiie v eaiti«
p^«hs^i« bi<^n que o^en était farit d^ellesrVB^
vangile venait a prévaloir. Eveillée par le
bruit de sei^ pvédicàtioris et de se» victoires,
vous la voyez redoubler d'efforts , se liguer
DE LA NOUVÉLtE HÉRKSIE. VO
avec rhérësie, faire cajnse comiDune Bttet
les bdttrredux. Saint Justin , dans eê» belk»
ajiôlogiesioù il venge la sainteté du Chtisiiai-
tnitne, combat, avec autant de tadenii ^fUè
de boKttrage^ tes prévention» des «hiifi, les
ealoiôines de» païens et des philosophes,
attaque siir son tréne leur Jupiter souillé
ée crimei înflines, établit la vérité des
devines de la vie lutore f de l'unité de Dieu,
de la'Si-oTidènce, dd libre arbitre. Le phi-
Ufsophe Grescent répondit par un cri de
mon. U Allait venger à leur tour, jpjlrla
movt des (Chrétiens, la- majesté de -ces dieu»
dié* ceaa»^ disaient hautement qu'ils n'é^
tuent que' - des, hoaûnss ou des démcNks.
PUilât f cbmnle récrivïdt l'empereur Anto^
nm- TOX vilks d^Asiey que de la»ser a tscà
dâdm le- toîn de e&âti»p ces hommés' qui
leur refusaient 1^ honneurs divîfns (i), tm
(^) Vnifèz don édit dans Biblioth. ehoiêie déë
P*rM, t. I,p. 313.
80 HISTOIRE
leur iiumolait les chrétiens ; c'était au nom
des dieux que les chrétiens étaient envoyés
à la mort. Celse ramasse , dans un discours
artificieux, tous les mensonges accumulés
contre les chrétiens par la haine publique
ou sa malignité propre , et que la philoso-
phie du xYiii^ siècle se glorifiait d'avoir
inventés : vous croyez, en le lisant^ avoir en
mams \& Dictionnaire encyclopédique. Ori-
gène , en lui répondant , ne laisse rien non
plus à inventer aux siècles qui le suivront.
Oest que le Cfariistianisme , sorti tout entier
de la pensée de son divin auteur ^ eut d'à-
bocd toute sa perfection , et n'eut pas k subir
cette progression que lui suppose M. de La
Mennais et ses disciples (1 ) , dans l'orgueil-
leuse pensée qu'appelés a être les régénéra-
teurs du Christianisme, ils devaient y ajouter
des démonstrations nouvelles.
(1) Esami, 1. 1, p. 1^, Jo; et M. Lacordaire, Con^
sidérât. , etc., p. 36.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 8t
A peine un siècle s'est écoulé : déjà, d*uïi
bout à l'autre du monde , le Christianisme
fixe tous les regards. Le pacte de famille
cjui unit l'hérésie a la philosophie enfante
les sectes. Les plus hautes spéculations de la
métaphysique et de la morale s'empai'ént
cle toutes les intelligences. On y mêle les
ireveries orientales , les pratiques de la magie
^t les superstitions de la Grèce. C'est par Ik
c[u'on veut expliquer les miracles et les
dogmes de la religion nouvelle. Saturnin,
fiasilide, Marcion, Manès, Hermogène,lcs
Talentiniens et les Gnostiques, poussent
l'erreur jusqu'à ses dernières limites. Dieu
avait suscité à son Eglise des vengeurs dans la
personne des Terlullien , des Orîgène, des
Qément d'Alexandrie , des Lactance. Saint
^énée démasque et confond toutes les héré-
•
^*es. Sous Adrien , paraissent Plutarque ,
*^J>ictète , Favorin , Ëlien , Florus : le paga-
^^^me ne manquait donc pas de défenseurs.
^cirien l'avait fait asseoir jusque sur les lieux
T. I. 6
88 msTOBis
consacrés par les plus augustes souvenirs de
la rédemption; Marc-Aurèle le fait monter à
côté delà philosophie, sur son propre trône,
et devient lui-même un Dieu après sa mort.
Capitolin dit « qu'avant la fin de sa pompe
«r fimèbre , le sénat et tout le peuple le nona-
«c mèrent par acclamation, tous à la fois,
(c Dieu propice , ce qui ne s'était jamais fait
ir et n'est point arrivé depuis» Ce fut peu de
« chose de voir les personnes de tout âge ,
<c de tout sexe , de tout état et de tout rang ,
K lui rendre les honneurs divins ; on regarda
«r de plus comme des impies détestables
<c ceux qui, pouvant et devant avoir chez eux
<t son image, ne l'avaient point (i).
M. de La Mennais s'efforce vainement
de justifier ces siècles -là du reproche de
fanatisme , pour le réduire a 'celui de l'in^
différence : il est réfuté par chacun dos
(4) Capitol. inAureHo, De J0I7, Penêéesde'Vefn-
per, MarC'Aurèle Anton. ^ p. xl. (Paris, 4773. ) <
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 85
faits qui en composent l'histoire; il les
passe sous silence , comme pour en anéan-
tir la mémoire. Qu'aura-t-il a répondre au
seul £siit de Julien , et de tant d'efforts ten-
tés par cet empereur , non-*seulement pour
abolir le Christianisme , mais pour rétablir
Pidolâtrie? Sans revenir tout-a-fait au sys-
tème des persécutions sanguinaires (car les
païens eux-mêmes lui en ont reproché , et
ses propres lettres en offrent la preuve) (1),
le sophiste couronné imagina un autre
plan d'attaques. A la tactique vieillie des
calomnies absurdes et dégoûtantes dont on
chargeait les disciples de Jésus-Christ, il
substitua les traits de satire, décochés
comme au hasard , les insidieuses allusions,
les louanges hypocrites, les diffamations,
remplaçant les échafauds par le sarcasme ,
et les proscriptions par le ridicule.
Son amour pour les dieux qu'adore le pa-
(1) Voyez Biblioth. choisie des Pères, 1. 1 , p. 237.
84 HISTOIRE
ganisme s'enflamme de toutes les ardeurs du
prosélytisme. « Que ceux, dit-il, qui ont vu
ou entendu de ces hommes assez sacrilèges
pour insulter aux temples et aux images de
nos dieux, ne forment aucun doute sur la
puissance et la supériorité de ces mêmes
dieux (1). »
Julien avait bien senti que pour conser-
ver l'édifice , il fallait l'asseoir sixt des bases
nouvelles, et que pour mieux combattre la
vérité chrétienne, il fallait paraître s'en
rapprocher. Tel fut le plan qui lui fut con-
seillé , soit par son propre génie , soit par
les philosophes qu'il avait appelés k sa cour,
et qui se partageaient ses faveurs. « Aux
« idées pures et simples d'un Dieu unique ,
c( on substitua les idées platoniques sur la
« divinité ; k un Dieu en trois personnes ,
(( cette fameuse trinité ds Platon , aux anges
(j) S. Cyrill. Alex. Adv. Julian.y liv. x. Bullet,
Hist. de rEtabliss.y etc., p. 279. La Blelterie, Fie
de Julien y p. 350.
%
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 85
« et aux démons, la doctrine des génies
« créés pour remplir l'intervalle entre Dieu
« et l'homme; a l'idée d'un Dieu médiateur,
« la théurgie qui , a force de sacrifices et de
« cérémonies secrètes, prétendait dévoi-
tf 1er l'avenir, et opérer aussi des pro-
ie diges; enfin, à la vie austère des chrë-
tf tiens , des pratiques à peu près sembla-
« ble.s, et des préceptes d'abstinence et
tf de jeûne pour se détacher de la terre
ir en s'élevant à Dieu (1). »
C'était là le système de Porphyre, d'iam-
blique , de Plotin , de Proclus , et de tous
ces Eclectiques qui de l'école d'Alexandrie se
répandirent dans l'Italie et dans l'Orient.
Presque toute la philosophie était donc deve-
nue théologique, dit l'historien des hércsie.s.
Le livre d'iamblique sur les mystères est un
traité de théologie dans lequel le plato-
(I) Thimicis, Jissai sur les Klo(jc8 , chap. xx, t. J,
p. 274. (Kdit. de Paris, 1773. )
86 HfiTonue
nisme est visiblemeiit ajusté sur le Christia-
nisme , et dans lequel , au milieu de mille
absurdités , on yoit beaucoup d'esprit et de
sagacité , quelquefois une morale subli-
me (1). Ils en imposaient principalement
par leur morale , qui tendait à dompter les
passions et à affranchir l'homme de l'em-
pire des sens ; car c'était vers cet objet que
tendait le mouvement général des esprits.
Cette disposition était l'effet d'une fermen-
tation générale causée par le malheur des
peuples , et par les grands intérêts politi-
ques et religieux. Il est faux de dire , avec
M. de La M ennais , que le fanatisme n'y
était pour rien, et que le Christianisme
avait trouvé l'empire dans cet état de dé-
faillante morale ou d'indifférence qui pré-
sage une dissolution prochaine (2).
Il devient évident que l'auteur a pour objet
(1) Pluquet , Dictionn. des Hérésies , Disc, préli-
min. y t. I , p. 138, 157.
(2) Essai, t. I , p. 64.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 87
de ses sinistres prédictions la France et
l'Earope entière. On peut répondre a ses
sombres pressentimens par les aveux même
qui lui échappent : « Que s'il y a moins de
chrétiens , les chrétiens ne sont pas chan-
gés; que les plus pures vertus, des vertus
dignes des premiers siècles , honorent en-
core le Christianisme, et que l'Eglise de Jé-
sus-Christ ne peut perdre , qu'aussitôt , de
ses entrailles déchirées , mais toujours fé-
condes , ne sortent une foule de nouveaux
enfans qui la consolent de ceux qu'elle a
perdus (i). « Toute dégradée qu'elle est par
la corruption de nos mœurs, que l'huma-
nité élève sa voix au milieu de la société :
que de prodiges de courage et de cha-
rité ! Vous l'allez voir * voler , chez les
^ peuples sauvages , au bout du monde ,
«pour les éclairer, soulager leurs maux,
¥ adoucir leurs mœurs, pour étendre le
(1) Essai, t. 1, p. 18.
88 HISTOIRE
tr saint empire de la vérité ; vous la verrez
« descendre au fond des cachots , aller au«
<r devant de^ tortures pour lui rendlre un
■
w éclatant témoignage, et mourir avec joie
ff pour préparer son triomphe (4). ;>
Est-il permis de désespérer d'une so-
ciété où se rencontrent encore des princî^
pes de vie si actifs et si ]^uissans ?
Quelle avait donc été , encore une fois y
l'intention de l'illustre écrivain en nous don-
nant sous un jour aussi faux l'histoire de nos
premiers siècles chrétiens, et en substituant
ses romanesques visions aux monumens
qu'elle nous présente ? Sans attendre même
que les volumes subséquens de son Essai
surrindifférencenousmdimfestent sa pensée,
il la trahit dans vingt endroits de celui-ci .
Son intention était de déclarer à la Raison
humaine une guerre â outrance^ de l'humi-
lier profondément, en la chargeant à la fois
(1) Essai , p. 465 , et Introd,, p. 18.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. W
de tous les crimes de la Réforme protestante
et de la moderne philosophie , source com-
mune de Fathéisme. « Au principe d'auto-
« rite, base nécessaire de la foi religieuse et
tr sociale, on substitua le principe d'examen;
(T c'est-k-dire que l'on mit la raison humaine
«r k la place de la raison divine, ou l'homme
(c à la place de Dieu. L'homme alors rede-
K vint ennemi de l'homme , parce que ,
« souverain de droit dans l'ordre politique
(T comme dans Tordre religieux , chacun
« prétendit de fait k l'empire , et voulut
« établir le règne de sa raison particulière
« et de son pouvoir jparticulier : prétention
« absurde , qui devait aboutir inévitable-
« ment à la servitude politique et a l'anar-
^ chîe religieuse (1). » •
« Pour tirer tes hommes de l'indifférence
« où les jette l'abus de la raison , il n'y a ,
« dit -il, qu'un moyen, c'est de dompter
(1) Essai, p. 65.
90 HKTQIBE
t( cette raison altière, en la forçant dé ployer
« sous une autre si haute et si éclatante
<r qu'elle n'en puisse méconnaître les droits. »
Et cette raison supérieure, règle immua-
ble du vrai, quelle sera*t-elle? Sans doute
celle de Dieu ?-— Oui ; mais la raison de Dieu
manifestée par la raison générale , par le
commun consentement du genre humain.
(c Faites intervenir la raison pour juger si
cr elle doit admettre ou rejeter les dogmes
ce que Dieu nous révèle ; aussitôt le magni-
« fique et immense édifice de la religion,
<c transporté sur cette base fragile , croule
ce de toutes parts , et écrase sous ses ruines
<r la raison présomptueuse qui s'était crue
f( capable de le soutenir (1 ). j»
Ainsi la rai^n est déclarée incapable
d'arriver à la connaissance de Dieu.
Quelle sera donc la règle de nos juge-
mens? Dieu nous a-t-il laissés sans boussole,
k la merci des ignorances et des fluctuations
(1) Essai, Intfod., |>. S, et t. I, p. 49i).
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 9i
de la raison privée? La divine Providence
a ménagé dans tous les temps k la société
humaine un critérium de vérité , une voie
d'autorité qui ne s'égare point, également
toute puissante et infaillible : « L'autorité
« générale prévaut toujours , et nécessaire-
ff ment , sur les autorités particulières qui
.c tendraient à renverser l'ordre, ou par la
c violence ouverte , ou , plus dangereuse-
« ment , par des opinions ; et c'est même
« la raison de la durée perpétuelle de la
« société religieuse , dont l'autorité géné-
c raie , en vertu d'un privilège divin , est a
« l'abri des erreurs (1). ^
c Comment nous assurons-nous de l'exis-
« tence de l'âme dans les autres hommes ,
« si ce n'est par la communication des pen-
«r sées? et la pensée d'autrui ne nous serait-
<r elle pas totalement inconnue, si elle ne
« nous était révélée par la parole? Sans
« cette révélation, notre âme, éternellement
(1) Essai y p. 30.
1K2 HISTOIRE
t
« solitaire, vivrait dans une ignorance abso-
V lue des êlres semblables à elle : or , s'il
(t faut nécessairement que l'homme parle à
c< l'homme pour être connu de lui, corn-
er ment l'homme connaîtrait-il Dieu^si Dieu
«f ne lui parlait point(1 ) ? »
ff Par cela même qu'elle a des bornes, l'in-
•r telligence humaine n'aperçoit rien avec une
«c parfaite clarté. Ce qu'elle ignore, obscur-
cr cit plus ou moins ce qu'elle connaît ; car
« chaque partie ayant des rapports néces-
(T saires au tout, il faut connaître le tout
ff pour connaître parfaitement la moindre
(T de ses parties. De là vient que la raison
<r ne comprend rien pleinement. Une faible
«r et vacillante lueur marque à peine quel-
<r ques légers traits des objets qu'elle consi-
or dère. Incapable d'affirmer, incapable de
K nier , perpétuellement flottante au gré
(( des probabilités contraires sur la vaste
<( mer du doute , ce ne sera pas elle qui
(1) Essai, p. 493.
MB LA KOirVELLE HÉftÉSIE. 95
« affermira la pensée de l'homme jusqu'à la
tr rendre aussi inébranlable que la pensée
« de Dieu ; et néanmoins il le faut , pour
(T que notre intelligence soit véritablement
« l'image de l'intelligence infinie en certi*
ir tudè comme en étendue (i). »
« La religion supplée par la foi h la
«r faiblesse de l'intelligence. Après avoir
V prouvé son autorité divine , elle ordon-
« nera à l'homme de croire ce qu'il ne peut
tr encore comprendre , et elle mettra dans
«r ses croyances infinies dans leur objet, in-
«r finies en certitude , puisqu'elles reposent
« sur un témoignage divin , le même ordre
tr qui existe dans les idées de Dieu; et comme
«r les mêmes vérités sont connues par la
« même foi de toutes les intelligences , il y
« a société entré elles et le grand Etre qui
cf les a créées pour lui (2). )*
(1) Essai, ^. 48i), 486.
(2) Ibid,
94 HISTOIRE
(( NouB ne trouvons en nous-mêmes au-
ff cune vérité ; elles nous viennent toutes
« du dehors. La raison n'est que la capacité
(c de les recevoir , de les reconnaître et de
<r les combiner (1). >
ce De cette sorte , la certitude du témoi-
«f gnage remplaçant la certitude de l'évi-
er dence , l'homme a pu , sans changer de
«( nature , posséder pleinement la vérité
K infinie (2). j»
cr Jésus-^Christ a porté dans notre nature
« le fondement de la perpétuité de la reli-
« gion ; il conserve la vérité dans la pensée
ce de l'homme , comme la pensée même se
«c conserve par la parole transmise (3), »
« Je doute qu'aucun homme crut ferme-
« ment en Dieu, si le témoignage de sa raî-
ir son n'était confirmé par l'autorité du genre
w humain. »
(1) Essai, p. 487.
(2) Ibid., p. 489.
(3) Tbid., p. 180.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 96
V Le Christianisme n'apporta point au
« inonde une Révélation nouvelle , il ne fît
« que développer la foi existante dans l'uni-
« vers; il ne naissait pas, il croissait (i).
Telle est la doctrine théologique qui déjà
se découvre dans le premier volume de 1'///-
différencCy celui de tous qui ait excité la
plus vive sensation ; tous ceux qui Font suivi
n'en étaient que le prolixe développement;
et réduisent tout le système à ces points
principaux : que la raison individuelle est
sans autorité pour servir de règle k nos ju-
gemens; que ni l'évidence, ni le sens in-
time ou la conscience ne nous donnent
point de motifs de certitude ; que l'autorité
de la raison générale ou commun consente-
ment du genre humain est l'unique crité-
rium de la vérité ; que seule elle en est le
tribunal infaillible.
(1) Essai, ^. 289.
96 msTome
Sa théorie politique n'y est pas moins
clairement exprimée :
«r Le pouvoir n'a d'autre principe que
« la force. Quand il n'est pas dirigé par la
« force, il cesse d'être légitime ; il est tyran-
crnie, oppression, domination \iolenle.
« La société chrétienne ne connaît de pou-
« voir que celui dont le dépositaire est prêt
« à s'immoler pour le salut de tous (1).
<c L'homme est si grand, que Dieu seul a
« droit de lui commander ; noble vassal qui
«r ne relève que de l'Eternel. Quand Jésus-
cr Christ apparut au monde , l'homme par-
ie tout était l'esclave de l'homme» Avant lui,
<r nulle part on n'avait l'idée de ce qu'est
tf la royauté ; l'Evangile a proclamé la li-
er berté pour tous les peuples et tous les in*
tr dividus(2). Il fallait que la sagesse même
« de Dieu descendît sur la terre, je ne dis
« pas seulement pour délivrer le genre hu-
(1) Essai y p, 1^6,
(2) Ibid.y p. 413.
DE tA NOIIVELLB HÉRÉSIE. 07
main des calamités qui l'accablaient , mais
pour lui donner l'espérance, pour lui inspi-
rer le désir d'en être affranchi (1).
. tr La société humaine n'est une véritable
«r société que lorsque ses membres, unis par
tr des lois relatives a leur nature intelli-
«r gente , obéissent au pouvoir suprême qui
ff régit tous les êtres intelligens ; car il
tr n'existe de véritable société qu'entre les
« intelligences (2). »
Même doctrine que celle qui sera dévelop-
pée amplement dans ses productions ultérieu-
res : seulement, ce ne sont pas encore ni les
fougueuses déclamations du Mémorial catho'
Uque et des Mélanges religieux et politiques
du même auteur, ni les sarcasmes amers de
iAs^enir^ ni les séditieuses provocations des
Paroles (P un Croyant. Ici déjk,pas une forme
de gouvernement qui n'excite ses outrages ou
(1) Essai y p. 425.
(2) Ibid,, p. /5'47.
T. T.
98 HI6T<»B£
ses alarmes. Toutes les nations modernes
sont minées sourdement par le despotisme
ou par l'anarchie 9 fruits de l'athéisme et des
institutions de néant qui les régiisexit(4).
fc Mais les peuples ont aussi leur intérte » et
« leur orgueil est plus terrible que celui
« d'aucun tyran. De la une hame secrète
« entre le pouvoir qui les gêne et les humi*-
<c lie ; haine qui s'étend du pouvoir a tous les
« agens du pouvoir, à toutes les institutions ,
K à toutes les lois , à toutes les distinctions
« sociales (2). » Où est dans ce conflit per^
pétuel la séciu'ité du gouvernement? où est
le lien de l'obéissance? Aussi, à proprement
parler, n'existe-t-il plus de société. Elle
n'exista réellement qu'au temps du moyen
âge. i< Dans les âges qu'on appelle bai4>are$,
(c le Christianisme avait affermi et tempéré
<c le pouvoir, sanctionné l'obéissance, éta«
(1) £waî,p. 75,4Î^2.
(2) Ibid., p. 345.
DB lA NOUVSUUB HÉRÉSIE. 99
c bU lea vrais rapports sociaux , épuré les
K. BUBurs et souTent suppléé les lois. Alors
«L'hammQ était sacré pour Thomme; le
tt gouvemoment était doux et fort , et le
« peuple libre et soumis (1 )• La société se
• trouvait régie par une puissance infinie
« d-amour (3L).i^ Le souverain pontificat était
à<l2^tête de la> civilisation ; l'harmonie ré-
élût dans toutes les parties du corps social,
liées entre elles par la suprématie univer-
sdlemeat reconnue du siège apostoliqucti
tf Malgré des désordres partiels et de légères
mrdé^iationsj l'Europe s'avançait vers laper-
Mt ii^fitâon QVL le Christianisme appelle les peu*-
JT-ples^comme les individus, lorsque la Ré-
» femie vint subitement arrêter ses progrès
«» et la précipiter dans un abîme où elle
«.s^'enfonce tous les jours, et dont nous ne
« cannaissons pas encore le fond (3). » De
(1) Essai, p. 39, 77.
(2) Ibid.,p.ii.
(3) Ibid., p. 42.
100 msTontE
celte époque , « les gouvernemens et les peu-
«r pies , établis dans une sorte de guerre
r ( faute du contre-poids que leur donnait
ff l'autorité pontificale ) , ont été contraints
ir de se demander des garanties mutuelles ,
« et de chercher leur sûreté dans des pactes
« illusoires ( tels que le traité de Westpha*
K lie ). Telle est la cause qui enfante en
« Europe cette foule de constitutions moitié
If monarchiques , moitié républicaines , vé-
« ritables traités temporaires entre le des-
cf potisme et ranarchie(l). »
On n'a pas oublié que l'étemel cri de
guerre de M. de La Mennais dans ses der-
nières productions était la séparation ab-
solue de l'Eglise et de l'Etat , le renoncement
de la part du clergé au traitement qui lui
est alloué par la Constitution. Dès les pre-
mières pages du livre de V Indifférence y le
nouveau réformateur avait dit : i< Contem-
(1) Ibid.y p. 77; et Religion considérée^ etc.,
p. 148,
DE LA KOUVKLLE HÉRÉSIE. iOi
« plez l'état de la religion : on ne la proscrit
K pas, mais on l'asservit^ on n'égorge plus
erses ministres, mais on les dégrade pour
(T mieux enchaîner le ministère; on lui pro-
ie digue l'outrage et le dédain, et l'injure
K encore plus amère d'une insultante pro-
tf tection. Quelques pièces de monnaie que
« l'avarice qui donne envie a la misère qui
(f reçoit, des hommages dérisoires, des en-
ff traves sans nombre , des lois oppressives ,
K des dégoûts perpétuels et des fers, voilà
<c les magnifiques largesses dont la plupart
f( des gouvernemens ne se lassent point de
« la combler (1). »
Que dans le livre des Paroles d'un
Croyant j il excite les peuples a briser les
liens de la subordination , il n'est que
conséquent. Il avait dit , dès son entrée
dans la carrière , qu'on ne devait rien
à l'homme en tant qu'homme , parce que
(4) /wffod.jp. 26.
102 HISTOIRE
Dieu seul est le principe comme le terrn^
de tous les devoirs (1 ). Qu'il nous fasse acnifi^
ter au dernier jugement (2), c'est pour nous
faire croire que le seul crime de la dureté
envers les pauvres dictera la sentence du
souverain Juge contre les prévaricateurs de
son Évangile : « Parodie aflfreuse ! >i s'écrie
un journaliste. « Non, ce n'est pas la la doo-
« trine de Jésus -Christ (5)! »
M. de La Mennais n'a fait, dans chacun
de ses ouvrages , que se répéter lui-même j
celui-ci contenait, dès son premier volume,
toutes les erreiu*s répandues dans les suivans.
Mais les erreurs étaient inaperçues; la
séduction du talent de l'auteur ne permet-
tait ni a la simplicité de la foi de les soup-
çonner, ni à la sévérité de la critique de les
signaler; et, comme au temps de l'Aria-
(1) Essai, ^. 513.
(2) Ibid., et Paroles d'un Croyant, p. 221.
(3) L'Univers religieux, n<* 190. Réponse d'un
Chrétien auss Paroles d'un Croyant,
AE LA NOUVELLE HERESIE. 10^
nisme, la France, long* temps surprise par
les artifices du langage , éveillée enfin par
la voix apostolique , a pu dire avec les Pè-
res de Rimini : ce Ce qui nous a trompés,
« c'est d'avoir eu trop bonne opinion d'une
«f école qui le méritait si peu('l). »
Qu'est-ce que la certitude? quels en sont
les fondemens ? Qu'est-ce que la raison, l'é-
vidence , l'autorité ? quels en sont les rap-
ports avec la foi? Hautes questions sur
lesquelles l'école de M. l'abbé de La Mennais
va nous donner enfin les lumières qui avaient
échappé jusqu'ici a la sagacité des Bacon ,
des Leibnitz, des Descartes, des Bossuet.
(1) S. Hilaire , Fragm., p. 487. S. Hicroii,, Dia-
log, inter Lucifer et Orihod,, t. IV, p. 30'J. Dans
£iUi9th. choisie des Pères , t. XX > p. 3%.
CHAPITRE m
Des Fondemens de la Certitude, et premièrement de la
Raison.
Pour arriver à ce qu'il appelle le critérium
de la vérité, qu'il fera consister exclusive-
ment dans la raisongénérale,rauteur a com-
mencé par établir son opinion sur la raison
individuelle : opinion dont il fait un dogme ca-
pital , le pivotde son système, la pierre fonda-
mentale sur laquelle reposent en même temps
et la foi catholique et la société humaine. La
mSTOIKE DE LA KOtVELLE HÉRÉSIE. 1CN(
raison est la faculté de percevoir, la vérité »
qui nous est démontrée par les moyens di-
vers que nousavons de connaître. Cesmoyens
sont dans nous et hors de nous ; à savoir :
l'évidence , les sens , le sentiment , le raison-
nementselonlui , autant de sources d'erreur .
Ainsi rien, absolument rien de ce qui porte
sur ces divers moyens, pas même, affîrme-t-il,
notre propre existence , ne peut être légi*
timement admis comme ayant un véritable
caractère de certitude : d'oîi il conclut que
toute philosophie qui recherche le fonde-
ment de la certitude dans la raison indivi-
duelle , conduit nécessairement au pyrrho-
liisme absolu. Quoi donc ! n'y aura-t-il point
pour l'homme de fondement de certitude?
U en existe un autre, solide, inébranlable au
doute,dans la raison universelle, qu'il nomme
l'autorité du témoignage ou le sens commun.
M. de La Mennais ne s'embarrasse pas de
prouver la solidité de ce fondement ; il le
suppose comme un fait incontestable , inhé-
108 tÊSftÙÊKt
treht k là nature de llioiiitte , attesté p» Ul
manière habituelle dont les hommes Se c&Êh
duiscnt. Telle est l'analyse que lui-ttiâtte
expose de son système , réduit k ces qiiatn
propositions :
1 "" La philosophie qui place le prifieifiÉ
de la certitude dans Thomme indiridfiel)
ne peut parvenir à trouver une vérité oef^
taine d'où il déduise toutes les autres, y
compris Texislence de Dieu ;
â^ Celte philosophie ne donne pas à
Iliomme individuel une règle infaillible de
jugement ;
S"" Pour éviter le scepticisme où coniMU;
la philosophie de l'homme isolé , au lien de
chercher en soi le principe de la certitude
rationnelle d'une première vérité^ il ùat
partir d'un fait qui est cette foi inmmwm^
table , inhéretite a Mitre âatore , et adnMttre
tomme vrai ce que tous les hbmmM croient
invinciMemeirt ;
¥ L'ftUtorité mi la misMi générale ^ ie
DB LA NMmOB HÉRÉfllE. Ht
«luwlitanent oaininiiii, wt k règle dw jVh-
gemens de l'homme Mdiyidud. Le Oirislii^
nÎRiie , tfvânt Jésus^Christ , ét»t la raison
génétole manifestée par le témoignage <dm
genre humain; le Christianisme, depws
Jésns-CSirist , développement naturel de
l'intelligence , est la raison générale mani-
festée par le témoignage de l'Eglise.
Une remarque qui n'a échappé à aucun
des adversaires de M. de La Mennais , c'est
que partout dans cet ouvrage , et dans le vo-
eabulaire de la nouvelle école, les mots
sont détournés de leur véritable sens; on
les transporte k d'autres idées que celles où
les enfermait le commun usage. On les mé-
tamorphose par des alliances étrangères et
des significations nouvelles qui les déna-
turent. M. de La Mennais affecte de se
créer une langue comme un système, où
il est difficile de le suivre; et les défini-
tions, non -seulement manquent de clarté
pour la plupart, mais lui échappent, elle
146 mgTOiBE
jettent lui et son école dans de perpétuelles
contradictions (1 ) . ^
Prenons pour exemple la théorie qu'elle
nous donne de la certitude par rapport à la
foi. c< Cette question fondamentale de la
théologie, gu' est-ce que croire? dépend ,
nous dit-elle , de cette question fondamen-
tale de la philosophie^ qu'est-ce que la cer-
titude(^. ;» M. de La Mennais en fait une
question simplement théologique , et la
place tout entière dans la foi. (c La certi-
tude n' est qu' une foi pleine dans une autorité
infaillible. Rien, poursuit-il, de ce qu'affirme
une raison qui peut se tromper, ou une raison
(1) On peut en voir Texposé dans les réfatations
qu'en ont publiées M. Boyer , Examen , p. 36 ;
M. Rozaven, Examen, eia,, p. 112 et 178.
(2) « Je pense que la première de ces questions
o est tout aussi philosophique que la seconde , et
« qu'elle ne dépend pas plus de la seconde que la
a seconde ne dépend de la première. » M. Rozaven,
Examen yi^, 95. Toujours est-il que pour ces messieurs
la question est autant du ressort de la théologale que
de la philosophie.
nB LA NOtiYELLE HÉRÉSIE. 109
faillible^ n'est certain : donc chercher la cer-
titude, c'est chercher une raison infailli*
ble(1).»
Le mot certitude devient donc syno«
nyme de celui d'infaillibilité?
«Que feit-on, demande M. de La
V Mennais , quand on cherche la certi^
« tude? On cherche une raison qui /le puisse
tf pas se tromper dans ses jugemens , une
« raison infaillible en tout et toujours : au-
« trement elle ne serait jamais assurée de
«l'être. » Ainsi, tout ce qu'affirme une
ff raison faiUible peut être faux , et tout
« ce qu'elle nie peut être vrai (2). » Donc
toute intelligence nécessairement finie et
faillible ne peut être assurée de rien. Et
pour elle il n'y a point de certitude , même
sur les choses de la foi. Parce qu'elle peut
(J) Essai ^ t. IL Avertissem.^-p, vu et p. 113.
(2) Ibid.y a Si vous pouvez dire fexisie^ il n'y a
« pas de raison pour que vous ne soyez aussi ipfail-
« lible que Dieu et ses anges. «> M. de La Mennayi
dans M. Boyer, p. 60.
V
se trompée quelquefois y elle n'a jamais In
certitude qu'elle ne &e tj^ompe pas actuel-
lement. Mais parce que toutes les vérités ne
QÀ)us sont pas connues ^ est-ce à dire que
nous n'en connaissions aucunes et que. je
doive errer en tout parce qu'il m'arrive
dTerrer quelquefois ? S'il en est aini» , la cer-
titude n'est qu'un mot vide de sens ; car j^
Mste toujours incertain si je ne me trompe
pa«, incertain s'il existe une autorité à la^
quelle je doive croire, incertain si je crois
en effet , pourquoi et comment. Donc plus
ombre de certitude , profonde obscurité ,
tout l'abîme du scepticisme. Que devient ^
dans cette hypotbèse , la définition vulgaict!
dm mot certitude ? qu'elle est , dans le
sens strict et rigoureux, l'assentiment formes
et inébranlable de l'esprit à une vérité con^-
nue i qu'elle est , selon le langage des phi-
sophes tant anciens que modernes, une
assurance ferme qui tranquillise pleinement
la raison; qu'elle suppose dans Tintelli-
M LA ifoonoLU nimiani. iàA
gmM ime •éeuiité entière et une con*
fidîui ipaifidle que la vérité est telle
fDiW la conçuU (i). Est-^ce qa'îl n'y a
|M » liors 4e la foi, des vérités tdlement
claires et icontestables qu'elles exclnent
tenta espèce de dente et d'hésitation ? liTen.
Ma ntisonf essentiellement et toujours
Inble, ne m'éclaire en rien, l'évidence
n^est ipi'ime loeur infidèle 9 anm sens intime
cp'un guide trompeur. Le moyen de mar-
tk»t dans la nuit, quand tous les flam-
kmnx sont éteints? Point de certitude,
point de foi , toot l'édifice relÂgieux: reste
ttus &Ddemmt. La main qui me l'enièTef
iiUelle une main catholique?
Tandis que toute l'école se travaille k
BOUS rendre intelligible la doctrine de son
msîlsie , voilàque l'on jette dans l'arène une
nvweUe définition de la certitude ! SUe
seau, Midit.y 3, 4. M. Boyer, Eaamen, p. 59.
M. Recevear, p. 45, etc.
IIS HISTOIRC
est « Vunion des esprits dans les divers
« ordres de la pensée ^ sous les lois de diverses
ir autorités légitimes et évidentes (1). » Nou-
veau dédale où ma raison n'entrevoit au-
cune issue.
Tout ce que ces prétendus philosophes
théologiens nous disent de la foi , de l'au-
torité , de l'évidence , du témoignage , de
la raison individuelle ou générale ^ n'est ni
plus légitime ni plus évident.
Au simple énoncé de cette théorie , il eût
suffi, pour la battre en ruines , de répondre
par ces paroles de saint Augustin dans son
plus savant ouvrage : « La Cité de Dieu dé^
« teste une telle manière de douter comme
<r une extravagance, ayant, par les choses
i< qu'elle comprend, par l'entendement et
«r PARLA RAISON, une scicfice , petite à la vê-
te rite, à cause du corps qui appesantit Vâme^
<f parce que, comme dit l'Apôtre, nous sa-
(c vons en partie , mais néanmoins TKJbs-GER-
(4) M. de Lacordaire , Considérai., p. 148.
DE LA KOOTIXE HÉRÉSIE. 115
ctaike; et elle ajoute foi aux sens dans
« L'ÉnDENGB de chaque chose desquels Ten-
f tendement se sert par le corps ; parce que
« ceux qui ne croient pas qu'il faille jamais
V se fier à eux, se trompent d'une manière
V bien plus digne de compassion (1 )• »
Ceux dont le saint Docteur combat ici la
pitoyable philosophie , c'étaient les Mani-
chéens.
(j) CM de Dieu, liv. xix, chap. xviii, traduit par
Huet, Faibl. de V Esprit hum,,ji, 210. Il ajoute un
passage deVEnchiridion, ou Manuel du même samt
Docteur, dans le même sens.
T. I. 8
CHAPITRE IT.
fe
£e système^ de M. de La Mennais lui appartient-Ut
Le but avoué de l'auteur est de décrier la
raison , de la déshériter des nobles privilèges
qu'elle a reçus du Créateur , d'en condamner
tous les actes sous le prétexte qu'éjant bor-
née , donc faillible de sa nature , elle ne
peut garantir aucun de ses jugemens. Ainsi
l'homme n'est pas un ange : donc il faudra
mSTOIRE DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. IIS
le reléguer au-dessous des animaux; Thomme
n'est pas le Tout-Puissant , donc il n'a nulle
puissance. £t de la cette longue énuméra-
tion des grieâ intentés contre la raison hu-
maine dans la foule de livres publiés depuis
Arcésilaiis et Pyrrhon, jusqu'aux sceptiques
modernes (1); autorités mendiées, où il y a,
dit Huet, plus d'ostentation que de vérité (2).
On ne^ dira pas du moins que l'agression
fat nouvelle. Un savant contemporain qui ,
dans son examen de la doctrine de M. de
(1) Arcésilaiis , séduit par les sophismes de Pyr-
Aon, son contemporain, se jeta dans l'excès opposé
à oeloi des dogmaticjues , et osa ayancer qu'il n^y
aiait, dans les choses humaines, ni évidence ni
^rtitude. Sur quoi le sage Rollin : « L'entreprise
« de combattre toutes les connaissances humaines ,
« et de rejeter non-seulement le témoignage des sens,
« quûs aussi le témoignage de la raison , est Ja plus
« hardie qu on puisse former dans la république des
«lettres, » {Hût. anc, t. XII, p. 503) et la plus
téméraire; « car, ajoute-t41 , le scepticisme fut tou-
< jours la ressource de ceux qui ne veulent rien
« croire . »
(2) De la Faxblesêe de VE$prit humain, p. 100.
116 msTOiRfi
La Mennais, a fait preuve d'une érudition
plus solide , remarque avec justesse que le
fonds du système auquel M. de La Mennais
a donné son nom n'était pas de lui, et qu'il
n'a fait que l'emprunter a M. Huet , l'évê-
que d'Avranebes (1). Son seul traité de la
Faiblesse de l' Esprit humain^çvibMé aAmster-
dam après sa mort (2) , suffisait pour repro*
duire ce long inventaire d'exagérations con-
tre la plus noble de nos facultés. Mais le
pieux et savant évêque était bien loin d'en
tirer les conséquences auxquelles M. de La
Mennais s'est livré. Son but était de prouver
que , hors de la foi et de l'autorité de l'E-
(i) M. Fabbé Boyer, Examen de la doctrine de
M. de La Mennais. Paris, J834. Livre excellent, qui
bat en raines tout le système.
(2) En 1722. Huet était mort un an auparavant.
L'abbé d'Olivet , qui en fut T éditeur, nous apprend
qu'il avait été fait concurremment avec l'ouvrage
des Questiones adletanœ, où il affaiblit, en cherchant
à rétendre par-delà toutes bornes, la belle démons-
tration de la vérité évangélique, par son rapproche-
ment avec Tancienne mythologie.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 117
glise» il n'existe nulle part, ni en lui y ni en
aucun autre homme ^ de faculté naturelle
par laquelle on puisse découvrir la vérité
avec une pleine et entière assurance; que la
source de toutes les erreurs , c'est la préci-
pitation de notre esprit, qui nous fait ajouter
foi trop légèrement aux opinions qui nous
sont proposées (1 ) ; d'où il infère l'inutilité
des efforts de l'esprit pour connaître la vé-
rité par le secours de la seule raison , et la
nécessité de reconnaître la bonté de Dieu ,
qui a réparé ce défaut de la nature humaine
en nous accordant ce don inestimable de la
fbi^ qui confirme la raison chancelante et
(1) Préface, p. 9. Ce qu'il entend par découvrir
la vérité avec une pleine et entière assurance , c^est
en avoir une claire et certaine connaissance, par
laquelle^ non-seulement on connaît la vérité, mais on
£Biit encore très-certainement que Ton connaît toute
la vérité. (Liv. n, chap. i, p. 181. ) C'est lavoir, non
plus per spéculum, mais fade ad faciem; ce qui est
réservé à la vision béatifique ou à la plénitude de la
lumière céleste. Saint Aug^tin et saint Thomas ne
désavouent pas cette assertion.
118
corrige cet embarras des doutes qull hmi
apporter à la connaissance des choses (4 ) ; ce
qui l'a engagé dans son acte d'accusation
contre la raison abandonnée à ses seules lu*
mières. Affirmons, sans croire manquer au
respect dû à la mémoire d'un si grand
homme , que l'ouvrage est indigne de lui ;
que ses preuves sont iutiles, ses témoignages
plus qu'équivoques, souvent controuTésj
sa thèse générale mal détendue. La censun
qu'il y fait de Descartes ne pouvait être
goûtée de Bossuet, qui connaissait mieux ce
philosophe , et repoussa l'ouvrage d'un re-
gard. Leibnitz , malgré son admiration pour
l'auteur, mettait sans doute cette produc-
(1) Ghap. Il du livre ii, p. 182. « Ce qui manque ,
« dit-il encore , à la nature humaine pour avoir vue
« parfaite connaiësanoe des choses , la gpràoe de Dieu
« le supplée par la foi ; elle fortifie la faiblesse de la
« raison et des sens; elle chasse Tobscurité des dcraib»
« tes, et soutient r entendement chancelant* » (Lrr. i,
chap. I, p. 12. ) U n'est là nullement question du
genre humain.
M LA MirVHU HteBfB. 119
tîoik âé Haet an nombre de celles à qui il
refimdt son estime (1). L'anleur l'avait c<m«
damné aux ténèbres , et ce fut le zèle peut*
étM indiscret d'an ami qui le mit au jour (2).
C'est renverser la religion que de lui donner
pour appui un pyrrhonisme qui jette Tinter*
dit sur les témoignages de la raison. Mais,
quelque répréhensible que fut l'ouvrage,
vous n'y trouveriez rien , absolument rien ,
qui a^roche de cette proposition fonda-
mentale dans ce manifeste de M. de La
Mennais : que la raison est tellement impuis-
sante qu'elle ne saurait se justifier à elle-
même sa propre existence ; que la vérité lui
vient du dehors , c'est-a-dire du geure hu-
main , qui lui transmet la parole révélée à
l'homme dès l'origine du monde ^ que ses
pensées, ses sensations, ses jugemens, ses rai-
(1) Voy. Pensées de Leibn,, par M. Emery, t. I,
p. 263.
(2) Voy. d'OUvet, Trad. du livre De lu Nature^
des Dieux 9 1. 1, p. 168 et suiv.
190 mSTOIRE DE LA NOUVELLE HÉEÉSIE.
sonnemens, ses sentimens, se terminent à un
doute , a un peut-être (1). Huet ne permet
ni à soij ni à aucun autre homme quelcon-
que , l'absolue dictature de la raison ; il la
sacrifie impitoyablement sur l'autel de la foi:
la piété chrétienne n'agrée point un pareil
holocauste. M. de La Mennais ne l'immole
que pour mettre a sa place une autre idole,
cette raison universelle , inconnue à ce sa-
vant évêque, k qui pas un des secrets de l'an-
tiquité semble n'avoir échappé.
(i) M. Boyer, Introd.^ p. 3.
CHAPITRE T.
Reproches faits h la raison humaine.
Que si M. de La Mennais difi%re tant de
Tévêque d'Avranches dans les conséquences
du système qui semble leur être commun à
Tun et à l'autre , combien il s'en éloigne plus
encore par son langage ! Jamais le dogma-
tisme ne prit un ton aussi tranchant que le
fait la critique du nouveau Pyrrhon. «^ Rien
« de ce qu'affirme une raison qui peut se
« tromper ou une raison faillible n'est cer-
« tain (1 ) , » avait-il dit dès l'avertissement
(1) Essaiy p. 486-595. Avertiss. du t. II, p. vu.
12S BOSTOIRE
de son ouvrage; concluant du particulier
au général : parce qu'elle se trompe quel-
quefois , nécessairement elle se trompe tou-
jours. «Entendez, poursuit-il dans tout le
cours du livre , chaque homme parler de la
raison telle cfu'il t'aperçoit 0n lui-même ; il
en vante les lumières , il en proclame l'in-
faillible certitude. De bonne foi, quelle con-
fiance mérite-t-elle, cette raison si fière avec
si peu dé notife pmir fèlre? Misérable hé-
ritière du péché d'Adam, enveloppée des
ténèbres de son ignorance et de sa corrup-
tion , esclave de ses sens et de ses préjugés ,
éternellement dupe de ses illusions , eHe ne
marche qu^au sein de la plus profonde obscu-
rite , et ne saurait faire un pas sans donner
dans un écueil. Aussi , que de mécomptes ,
que de honteux égaremens , et sans que l'ex-
périence lui profite \ Son histoire , qu^est-
elle , que lliumiliant tables^u de ses chutes
et de ses erreurs ? Rien de fixe ni d'uniforme
dans ses jugemen» : eha^pie individu l'inter-
^
HE LA fimmUM HEBESIE.
pirèta comme il Fentend , et persmine qui
Fentende delà même manière. EUè approuve
et condamne , elle loue et censure au hsn
sârd. Point de croyance, quelque absurde
qu'on la suppose , a qui elle ne fournisse tout
farsenal de ses captieuses subtilités. Elle
dit à l'athée qu'il n'y pas de Dieu , au déiste
que tout est problème dans la religion , au
pUloeophe qu'il s'abrutit à croire ce qu'il ne
comprend pas. Pauvre raison humaine, qui
se croit suffire a elle-même et se fait sa pro*
pre règle , souveraine , indépendante ! Elle
prétend diriger l'homme : il faudrait qu'elle
eommençât par être sûre qu'il existe; sa
pensée est pour elle-même une énigme. Le
peu qu'elle sait lui vient de source étran-'
gère 4 Qui cherche la vérité par sa rai-^
son individuelle, n'embrasse que la nue;
pour être conséquent, il faut douter de
tout (4). »
(i) Emoi 9wr l'JnUféreneê^ t. i, p. 3, 37. iW>.
/èfise, passim. Ainsi dira-t-il dans àeti Ai^néf ?
1S4 « HISTOmE.
i
Telquelevainqueur, de son char de victoire
il chante l'hymne du triomphe , en s'admi*
rant lui-même et insultant aux ruines qu'il a
faites. (T II fallait, poursuit>-il, humilier pro*
«r fondement cette orgueilleuse , la pénétrer
« davantage de l'obligation étroite où elle est
ft de captiver son intelligence sous le joug
<( de la foij il fallait pousser l'homme jusqu'au
« néant , Tépouvanter de lui-même , déses-
« pérer toutes ses croyances , même les plus
« invincibles. »
Est-ce là un vœu, une imprécation ?
La rigueur de cet arrêt, comme on le
voit , n'excepte rien , pas même les croyant
ces les plus invincibles; ni les œuvres de
cette raison si ignorante j si dépravée ,
qui par l'organe des Législateurs rassem-
blait les multitudes éparses pour les domp-
« Les yérités crues avec raveuglement le plus su-
« perstitieux par tel parti , ne sont pas plus vraies
« que ceUes que cherclie à proposer lé parti con-
« traire. » N. 234.
DE LA NOUVELLE HÉEÉ8IE. 19S
ter par le frein de la civilisation ; ni les ad-
mirables découvertes de la science et du
génie, lesquelles, bien que mêlées à des er-
reurs, n'en ont pas moins répandu la lumière
sur leurs traces : astres brillans jetés par la
divine Providence a travers la nuit épaisse
qui les environnait; ni les utiles travaux de
ces bommes, la plupart inconnus de leur
siècle, qui, les uns par leurs doctes veilles,
ont reculé le cercle des connaissances bu- *
maines et Font étendu aussi loin que Dieu
Fa permis, les autres, par leurs sublimes
institutions, ont entretenu ou vivifié les se-
mences de vertu , de justice , d'honnêteté ,
quand elles périssaient parmi le genre bu-
main. Qui est-ce qui a fait tout cela , si ce
n'est la raison ? Vous nous parlez de ses
écarts ; vous oubliez ses bienfaits. Quoi
donc ! la boucbe de Balaam ne s'ouvre-t-elle
que pour maudire ? Vous comptez les liens
dont elle est garrottée. Ouvrez les yeux !
N'est - ce point par le secours des ailes que
tS6 msTOmfi
Dieu lui a données qu'elle a pu s'élancer
dans les cieux, parcourir le monde d'une
extrémité à l'autre, plonger jusque dans ses
abîmes? Prométhée, enchaîné sur le Cau?»
case 9 n'en est pas moins le Prométhée qui
avait su dérober le feu du ciel. Ma citation
est profane; corrigeons cette £iute par la
pensée d'un saint Docteur : « La sagesse ou
la science , n'importe ( ces mots sont ton*
jours synonymes sous la plume de saint Au-
gustin), consistant dans l'union avec Dieu^
et Dieu étant la raison, la vérité souveraine^
à l'homme l'ignorance et la folie, a Dieu la
sagesse j mais la raison tient le milieu entre
la folie de l'homme et la sagesse et la vérité
deDieu(l). i»
(i) Cutn enim sapiens ait Deo ita mente ceujune-
tus ut nihil interponatur quod separet; Beus enim
est veritas ^ nec uîlopacto sapiens quisquam est si non
fferUatem mente eonjungat ^ ne^re non petsumus 4m-
ter stullitiam hominis et sincerissimam Dei veritmr
tem médium quiddam interpositam esse hominis sa-
jManffom. S. hx^.^ De %Hilk. eredenii, cap. xv.
BB LA NomnoMM niBiiésiE. MSr
Hewewemeiit la religion ne nous adresse
pas d'aussi désespérantes paroles.
Dieu, en châtiant rhomme coupable, ne
Ta pomt tout-à-Êiit abandonné. Il l'a chassé
da jardin de délices, mais il ne Ta point
déshérité de son paternel amour. Au sein de
sa disgrâce, l'homme conserve d'asses beaux
restes de ce qu'il fut autrefois, et laisse re-
connaître en lui à quelle image il fut créé
et pour quelles destinées. L'empreinte de
sa suUime ressemblance ayec son auteur
est dégradée , sans doute , Iqs marques de
[ cette dégradation se montrent partout;
mais le brait caractéristique de ressemblance
n'en existe pas moins ; il est da^is l'intelli*
t VIII Bénéd., p. ê, 67. « Lee Ecritures appellent
« Dieu la raison y noa-seulemeat parce qu^il est U
« soarce de toute raison , de toute intelligence et
* de toute sagesse , mais principalement parce que
* isnisoB de Dieu est «impie comme son essence. •
Sadnt Denys Taréop., dans .Bi&/t#/&. choùie des Pèr$s,
^' XlX, p. 4S3. Et qu'est-ce que la raison humaine,
«m éaanatifm de cet^ raison dirinef (îhid.)
1S8
HISTOIRE
gencè. Roi détrôné", qui porte encore sur
le front l'empreinte ineflfaçable de sa gran-
deur passée, il promène fièrement, a travers
les ravages de sa nature , et le souvenir de
sa gloire déchue, et le pressentiment de sa
future réparation. Dieu n'en a point agi
avec lui comme avec l'ange rebelle , qu'il a
précipita dans les enfers en l'y enchaînant
à la nécessité du mal : Le malheureux^ il
n^ aime pas. Dans sa terre d'exil, l'homme
pense a Dieu sans le maudire. Seul de tous
les animaux à qui nos modernes sophistes
aiment tant à le comparer quand ils ne vont
pas jusqu'à le ravaler au-dessous d'eux, seul
il connaît son Créateur, et lui rend un culte*
seul il a la perception de son être et l'in-
telligence de sa pensée; seul il possède le
sentiment, le désir et le besoin de la vérité;
il l'aime et dans lui et dans les autres ; il
la cherche, il l'embrasse avec joie quand
elle se présente a lui ; il la poursuit jusque
dans son ombre ; il comprend sa voix, dit
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE.
19»
saint Augustin , quand elle parle intérieure-
ment à son âme (1). Il n'est donc pas obligé
d'aller la chercher au dehors , ni de la faire
venir de la société^ ni d'interroger le genre
humain , qu'il trouverait muet et sourd à sa
voix. «r
(i) Veritas sine sono inius meniibus loquitur.
(S. Aug.y t. II Bénéd., p. 652.) Haheiin se ipso Ve^
rufn unde non duhiMi^(^Ihid, )
\ r
i\'
, *
• ' i
.«•,.'■ i '
• •
t
•
T. I.
CHAPITRE yi.
Certitude du jugement de la raison individuelle dang
la connaissance de certaines vérités ou des pre-
miers principes^
Il existe , de l'aveu de nos adversaires ,
un ordre de vérités dont notre entendement
a une perceptidn naturelle, invincible, iné-
branlable au doute; vérités nécessaires, qui
sont le fonds commun de toutes les intelli^
gences , et con^ituent ce que l'on appelle
le sens commun; vérités que l'on ne dé*
\ .1
'BlSTOnfi DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. i5l
montre point , au-delà desquelles il est im<^
possible de remonter (1 ). Elles sont de tous les
temps, ou, pour mieux dire, elles sont avant
tous les temps, et seront toujours au-delà
de toute durée compréhensible : d'où vient
que Fénelon , qui a si éloquemment déve^^
loppé ce qu'en -avait dit avant lui Télo-
(i) Par exemple , je ne puis entrer dans nn doute
sérieux pour savoir que le tout est plus grand qu'une
de ses parties ; si deux choses identiques avec ime
troisième sont identiques entre elles; qu'il est im-
possible d*être e£ de n'être pas, etc.
M. de La Mennais : « Nous croyons invincible*
« ment que le soleil se lèvera demain ; qu'en con-
« fiant des semences à la terre , elle nous donnera
« des moissons. Qui jamais douta de ces «hoses? »
Qui ? lui-même ; car il n'ose affirmer que son exis-
tence, donc son propre corps, soit autre chose
qfu'^une chimère, une illusion « Le premier qui adUi
Je suis , a prononcé le plus impénétrable mystère du
symbole des intelligences humaines. { Essai ^ t. II ,
p. 22. Défense de l'Essai _, p. 41. )
J'observerai que les vérités morales but un 'degré
de certitude supérieur à celle des vérités physiques
auxquelles les miracles ont souvent dérogé'. Par
exemple , la rétrocession du jour pour opérer 1«
199 HISTOIRE
quentévéqiie'd'Hippone(l), les nomme idées
universelles , éternelles , immuables. Quelle
en est l'origine et la nature , leurs classifi-
cations, leurs rapports entre elles? Faut-il
croire , avec certains philosophes , qu'elles
sont inhérentes à l'âme, innées dans elle, de
telle sorte qu'elles contiennent originaire-
ment les principes de certaines notions capi-
tales que les sens et l'expérience ne feront qu'é-
défaite des Gabaonites : Stetit j,taque sol in medio
eœli, ei non festinavit occumbere spacio unius
dici, ( Jo8. , X, J3, ) Il n y eut pas de lever de
soleil , puisqu^il n'y eut pas de couchaDt. De
même pour le miracle d^Ëzéchias. ( Isaïe, xxxvn, 8.
J^oy. la Synapse, t. 1, p. 967.) « Tous les exemples
« qui confirment une vérité générale dans Tordre
« physique , ne suffisent pas , dit Leibnitz , pour éta-
« blir la vérité universelle de cette même vérité ;
(Pensées, dans M. Emery, 1. 1, p. 179.) Voyez aussi
M. de Maistre , Considérât, philos, sur le Christian^
p. 88.
. (1) Traité de V Existence de Dieu, 1" part. , n, lu,
p. 174, édiU Paris, 4726. S. August., 2)e serm,
Domini in ^nonte, lib. u, ch. xv. Confess,, lit. xi,
ch. m.
us LA KOUVELLK HÉRÉSIE. Î55
veillerpar suite avec d'autres? ou bien, que
l'âme, entrée dans le corps entièrement vide,
et semblable, selon Âristole, a une table rase
où nuls caractères ne sont écrits, les re-
çoit successivement de ses rapports avec les
objets extérieurs ? Laissons h la métaphysique
à résoudre ces problèmes , si elle le peut (i ).
Qu'il nous suffise d'affirmer , ce que l'on ne
nous conteste pas , que nous portons au-de-
dans de nous la connaissance de certaines
vémës qui forment l'apanage nécessaire de
Ta raison ; que chaque individu de l'espèce
humaine les trouve gravées dans son esprit,
et qu'il ne saurait re reployer sur lui-même
par la réflexion sans les apercevoir , ni les
apercevoir sans être forcé de les admettre,
-^ous les distinguons des connaissances posi-
v'*) ^''oy. Leibuitz, Nouv. Essais sur V Entende-
• Gnt humain, \i. 4; et avant -propos y^ dans Pen-
^^^^ €ie Letbnitz, par M. Emery, t. I, p. 177. On
peut, -voir ces questions clairement discutées dans les-
-^^^9^^ de Philosophie de M. La Romiguière, t- Hy
P- ^"i > 192, 249. Il a épuisé la matière.
L
iit HISTOIRE
tiyes et accidentelles qu'il nous est indiffé-
rent de ne pas acquérir , et que nous ne re-
cevons jamais sans en examiner les titres
auparavant, tandis que, pour les autres,
nous n'en exigeons aucune preuve , aucune
raison ; ce sont des règles essentielles mani*
festées par nos propres lumières , lesquelles,
par le seul rayon de cette raison créée qui
est l'émanation de la raison incréée , nous
servent elles-mêmes k acquérir et k juger
toutes les autres, et k fonderies conséqflen*
ces qui découlent de ces premiers principes.
11 est impossible de parler de l'homme sans
indiquer un Être raisonnable, doué d'intelli*
gence , de la faculté de connaître et de rai-
sonner, (c Dieu , nous dit d'Aguesseau , nous
« a créés capables de voir par lumière ou
« par sentiment , et par conséquent il a
(( voulu que je connusse par ces deux voies.
K Ma raison estk mon esprit ce que mon œil
i< est k mop corps. Celui qui m'a créé rai-
tf sonnable n'a pas voulu que je pusse ré-^
DE LA NOirVBLU HÉRÉSIE. iStS
« sbter à ma raison lorsqu'elle se montre
« a moi dans toute sa clarté (i). » L'ange
de l'école et saint Augustin l'avaient dit
avant l'illustre chancelier (2).
'Que leur répondra M. de La Mennais ?
Que saint Thomas et saint Augustin ont été
des docteurs, mais qu'ils ne sont pas des
conciles.
Mais outre ces vérités sensibles à tous les
yeux, n'est-il donc pas aussi une autre série
de vérités également naturelles et indubi-
tables , qui se découvrent aux intelligences
les plus bornées et dominent les hommes
les moins raisonnables , celles-là qui font la
base delà morale, comme les aûomes gé-
néraux sont la base de la logique? Nommez-
les,avec les Sages d'autrefois, la loi naturelle ,
l'instinct de la conscience , notions cardi-
nales, primitives, empreintes dans toutes les
(1) Méditations philosoph, 11. Descartee, Lettres,
t. I. p. 94. M. Lacordaire , Considér, p. 44.
(2) T. VI, p. 18. Foyez leurs témoJgniages re-
136 HlSTOlfiE
■
âmes ; avec Platon et saint Augustin , ima*-
ges réfléchies de cette lumière substantielle
qui est Dieu et éclaire tout homme venant
au monde (1); feux vivans, traits Inmi-
neux cachés au-dedans de nous, a qtroi il
faut bien reconnaître quelque chose de di-
vin et d'éternel qui se montre avec éctat,
surtout dans les vérités nécessaires (2); avec
le grand Apôtre , le code proposé au genre
humain par le souverain Législateur , im-
primé par ses divines mains au foild de toutes
les âmes, Opus legis scriptum in cordibus (5):
toujours est-il qu'il se rencontre le même
chez tous les hommes, malgré les varia-
tions infinies des opinions qui naissent en
eux, de leurs passions, de leurs distractions
ou de leurs caprices; qu'il s'est fait entendre
cueillis par M. Rozaven, dans sa réponse à M. Ger-
bet, p. 150. Du Voisin , Essai polém. sur la relig.
natur. chap. m , p. 188.
(1) Joann. i. 19.
(2) Leibnitsde M. Emery, t. I, p. 177,
(3) Rom. II, 15.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. IS7
jusqu'aux extrémités de la terre , et ne s'est
pas ressenti de la confusion de Babel; la
même , a-t-on répété des milliers de fois, a
Rome , a Athènes , au cœur de Socrate bu-
vant la ciguë , de Régulus en présence du
féroce Carthaginois , du jeune Scipion ren-
dant kson époux l'étrangère que lui donnait
sa victoire. Alexandre, dans Tivresse de ses
brutales orgies , n'avait pas besoin que les
Scythei^ vinssent lui apprendre son devoir
dans une langue étrangère : il savait de ce-
lui-là même qui instruit les Scythes et les
nations les plus barbares les règles de la
justice qu'il aurait dû suivre (i). Eh ! qui le
lui avait appris k lui , comme au dernier
de ses esclaves? Le maître intérieur qu'on
nomme Raison, qui nous fait penser encore
aujourd'hui comme on pensait il y a quatre
mille ans; qui me donne k moi, comme k
vous, M. de La Mennais, l'idée du désordre,
(1) Mallebranche , Recherche do la Vérité^ dans
«a préface.
tSB HISTOIRE
<le rinjastice et de l'oppression ; érige
Klans mon cœur, comme dans le vôtre, un
autel secret à la vertu , à la religion , à la
piété , quand j'ai le malheur d'eh violer les
saintes lois. Car, pourquoi cette indignation
.naturelle contre tout ce qui les blesse? Ai-je
attendu , pour m'en trouver saisi , la parole
de mon voisin , et moins encore le consen-
tement du genre humain? Pourquoi' ces
vives réclamations de la conscience, c^s re-
mords cruels qui arrêtent l'homme prêt a
s'abandonner au vice , ou qui le punisseiit
lorsqu'il s'est rendu coupable , si déjà l'on
ne portait en soi les principes du devoir, les
règles de la justice pour juger les actions
qui viennent frapper nos sens? Rien n'est
vicieux que pour s'écarter de l'ordre et
bouleverser l'ordre. Tout dépravés qu'ils
sont, les hommes n'ont point encore osé
donner ouvertement le nom de vertu au
vice ; et bien que triomphant dans le mon-
de , le vice est çncore réduit a s'y déguisçir
BE LA NOliV£LIJB HÉRÉSIE. 188
SOUS le masque de l'hypocrisie ou de la fausse
probité, pour s'attirer une estime qu'il n'ose
espérer en se montrant k découvert. Ainsi ,
malgré toute son impudence , il rend un
hommage forcé a la vertu , en voulant se
parer de ce qu'elle a de plus beau pour rece-
voir les honneurs qu'elle se fait rendre (1 ). U
faut donc avoir l'idée de la règle pour juger
ce qui s'en écarte ; et d'oîi peut-elle venir, si
ce n'est , dit l'éloquent patriarche de Con-
stantinople , « du Dieu qui nous a donné la
« raison pour qu'elle dissipe l'ignorance
« de l'esprit , règle le jugement , lui ap-
i< prenne k ne pas se méprendre sur la valeur
ce des choses? 11 nous l'a donnée comme une
(c lumière qui doit nous diriger , comme une
« armure qui nous défende contre les divers
« accidens de la vie. Mais ce don précieux
if de la libéralité divine, nous le méconnais-
« sons, nous en corrompons la sublime ins-
(c titution , nous le mettons sous le joug des^
(i) Fénelon, EarUt, de Dieu ^ chap. iv. «ect. 3p.
t4M) mSTOlAE
<< plus frivoles dissipations ; l'àme , qui en
•f est le siège, est comptée poiir rien. Mais à
« quoi servent des soldats couverts d'armes
« éclatantes d'or , quand le général est em-
«c mené prisonnier ? Vous décorez le vais-
« seau de magnifiques peintures, et vous
■
« souffrez que le pilote soit subniergé (1) ^ *
Ce n'est donc point la faute de la raison
si nous tombons si souvent dans l'erreur.
Est-ce sa faute si votre œil malade n^enr
aperçoit pas la lumière ? Ce n'est pas elle
qui vous trompe , c'est vous qui vous trom-
pez vous-même. Le Soleil de vérité, de qui
émane ce rayon qui luit encore au milieude
vos ténèbres (2) ; il est immuable, infaillible ;
le rayon qui s'en échappe participe à sa
nature , immuable , infaillible comme lui ;
mais vos ténèbres ne la comprennent pas ,
parce qu'elles vous aveuglent. Si l'on ne
(1) Homel. XX in Math., t. XII de la Bibliothèque
choisie des Pères , p. 300.
(2) Joaiin. I. — Lua; venit in mundiim, et dilexerunt
honUnes magls tenehras quant lucem. (Ibîd. ni. i&. )
f
DS LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 141
peut point -dire que Thomine se donne k
lui-même les pensées qu'il n'avait pas , on
peut encore moins dire qu'il les reçoive des
autres hommes , parce qu'il est certain , nous
dit encore Fénelon 9 qu'il n'admet et ne
feut rien admettre du dehors sBnsle trouver
aussi dans son propre fonds, en consultant
au-dedans de soi les principes de la raison
pour voir si ce qu'on lui dit y répugne.
Uyadonc une école intérieure où l'homme
reçoit ce qiiil ne peut ni donner ni attendre
des hommes qui vivent d'emprunt comme
lui. Dans la nuit obscure où le péché nous
a plongés, quelle que soit la faible portée de
notre raison et sa facilité à se laisser trom-
per , quelque variables que soient ses juge-
mens, elle n'en reste pas moins tout ce que.
Dieu l'a iaite. Elle n'en connaît pas moins
tout ce qu'elle a appris du seul véritable
Maître qui enseigne tout, et sans lequel on
n'apprend rien. Les autres maîtres nous ra-
mènent toujours dans cette école intérieure^
149 ff»TOllltE
OÙ il parle seul. « L'âme , quoiqu'unie att
« corps d'une manière fort étroite , ne laisse
n pas d'être unie a Dieu ; et dans le temps
ff même qu'elle reçoit par son corps ces sen-
<( timens yifs et confus que ses passions lui
u inspirent , elle reçoit de la vérité étemelle
<f qui préside à son esprit la connaissance
« de son devoir et de ses déréglemens.
« Lorsque son corps la trompé, Dieu là' it^
t( troinpe ; lorsqu'il la flatte , Dieu là Mésje;
« lorsqu'il la loue et lui applaudit;; Dieù'hiî'
« fait intérieurement de sanglàns reprochëi^
« et il la condamne' par la maniftistajtidil' I
V d'une loi plus pure et plus sainte quéceUé-
<r de la chair qu'elle a suivie (1). » Noti*^
pouvons téfiiser de l'écouter et nous étoill^
dir; maïs en l'écoutant, nous ne pouvons té-
contrédirè. Inspiration faible et moinentlt^
née d'une raison primitive, supérieure, su*^
prême , îthmnable , qui se commuTiiqûë avec
(1) Mallebr., Préface de la Recherche de la Vè-
rite. Descaites , Principes de la Philos. , prèfece.
\
i
\
DB &A NOirVELUB HÉIUÊSIE. 145
mesiire k toutes les intelligences, ma raison
pent faillir , soit dans les points obscurs que
présente la recheirche de la vérité , soit dans
les fausses règles de conduite oiinos passions
nous engagent : elle est infaillible k la lu-
mière de révidence des premiers principes
et de leurs cotisécpiences immédiates (1).
Elle Test au jugement de ses détracteurs eux-
niêmes, qui en appellent à son tribunal dans
toutes les controverses , jusque dans celles où
ils prétendent- là dépouiller de ses titres.
C'est la raison qu'ils invoquent , la raison
qu'ils veûleat convaincre et par les faits et
(^r les raislonnemens ; enfin , pour ruiner
Tempire de là raison , c'est son empire qu'ils
réclâihent (2). EUe Test, au jugement de
■
saint Thomas , même indépendamment de
la foi. Dans l'opinioh' constante du saint doc-
teur/comme dans celle dé saint Augustin y
(1) M. Boyer, Examen, p. 240.
■ * ' ' ' ■
(2) M. de Cârdatllac y J^çons élément, de Philoê,,
t. I, p. 302.
144 III8TOIR£
la raison individuelle ne sera pas, si vous
voulez , le principe absolu de la certitude ^
mais un. principe de certitude. Elle est in-
faillible , non par nature , il n'y a que Diçu
qui le soit , parce que l'Ltre infini possède
seul la connaissance pleine et parfaite de
toutes les vérités ^ elle Test par la commu-
nication qui lui est donnée de certaines vé-
ritéS) non pas de toutes les vérités; TinfailUbi-
lité de l'être fini consistant non k tout savoir,
mais à avoir l'intuition des vérités qui lui sont
connues. Encore une fois; donc, parce qu'elle
se trompe quelquefois,s'ensuit-il qu'elle doive
se tromper toujours? Parce qu'étant homme^
je suis menteur (1), s'ensuit-il que je ne puisse
ouvrir la bouche que pour mentir 7 L'erreur,
comme. li^s. autres misères de l'homme , est
une ^uite , non de sa nature , mais du péché
qui a corrompu sa nature (2). Si donc l'homme
(i) Omnis homo mendaw, p8. çxv, 1.
'(2) S. Aùgu8t., De Fera Religione , cap. Lxvir.
VE LA NOUVELLE DÉRÉSIE. 145
pouyait s'abstenir du péché y il pourrait éga*
lement se préserver de l'erreur; et de même
que^ malgré sa corruption, il peut avoir en
bien des occasions l'assurance qu'il ne pèche
pas , rien n'empêche qu'il ne puisse être
aussi certain qu'il ne se trompe pas en beau-
coup de ses jugemens (1).
Cest ce que démontre péremptoirement le
docteur Angélique , saint Thomas ; et pour
cela il n'a pas besoin d'avoir recours au témoi-
gnage de la foi. U reconnaît dans la raison hu-
maine un principe de certitude , non dans la
raison générale de M. de La Mennais , mais
dans la raison individuelle ; non dans lajbi
qui nous vienne du dehors , mais dans la lu-
mière naturelle que nous tenons de Dieu :
Non abhomine exterius loquentf^ éed a solo
Deo^ quinobis lumen rationis indidit ^ pei'
quodprincipia cognoscimus^ ex quibus orituv
scientiœ certitudo. Dire , avec M. de La
(1) yoyez Dans M. Rozaven, Eûsamen des Doc--
trinesphiloêoph, sur la certitude, p. 142>-lii7.
T. I. 10
148 mSTCMBE
Mennais Bt ses disciples , que la ibi piniti
seule nous donner l'assurance de ce «qa
nous croyons ^ c'est se montrer étranger'
toute philosophie comme à toute théologie
Plus de base à la foi ; car enfin , pour qoSi
soit possible de croire , il faut bien que 1
raison voie qu'elle doit croire. Une raisoi
qui n'aurait en elle * même aucun prinoip<
de certitude serait par là même une raÎMi
incapable de foi, ou du moins d'une foi cor
taine; car la foi certaine suppose la connaôs
sance certaine é^ l'autorité infiiillible à la<
quelle on croit, k L'autorité sacrée de !'£
fx glise elle-même , toute infaillible qu'elL
ir est, nous dit un profond théologien d<
« nos jours, n'est pas pour cela le princip«
« de notre |[oi ; elle en est seulement la règl<
f( et le guide infaillible ; elle nous montra
V ce que nous devons croire , mais nott
« croyons sur l'autorité seule de Dieu (4 )• »
(1) M. RoïAvfth, Espamén,tic.,p. 48.
]>B LA MOVËtUi HÉRÉSIE. 147
Mds n'y a-t-il encore qtte nos Docteurs
dhrétiens qm aient &it Tapologie de la rai-
Mu? Nous savons trop combien M. de La
Mennai» et sa jeune école ont réussi k décré-
diter leur témoi^age. Ils respectent si peu
l'Ecriture saintel pourquoirespecteraient-ils
davantage les Pères de notre Eglise? Ce
qu'ils étudient de préférence , ils ne s'en
défendent point, ce sont ces mêmes écri-
vains que l'Eglise a flétris de ses censures.
£h bien! qu'ils restent condamnés k leur
tour par les mêmes hommes dont ils font
leurs oracles. L'auteur du Christianisme
raisonnable^ Locke, tant vanté par nos
modernes incrédules, consulté sur les prin-
cipes de certitude : a Dieu, répond-il, noils
« a donné la raison comme un oracle qui
€ parle en son nom , que nous devons con-
c sulter en tout temps, et qui peut nous in-
«f struire en toutes sortes de rencontres (1 ). »
(1) Tom. Il, p. 301,
148 HISTOIIUS
Pas un seul de nos sceptiques le. plus ac-
coutumés k déclamer contre. la raison et ses
jugemens, Montaigne a leur tête, Lamothe
Le Vayer, Bayle, Jean-Jacques Rousseau,
qui n'eussent à nous fournir les textes les
plus contraires à ce qu'ils avaient d-abord
avancé le plus témérairement.
La raison n'est dangereuse que par l'abus
que l'on en fait. Elle a ses éclipses comme
la foi ses obscurités. C'est la colonne du dé-
sert, lumineuse d'un côté, ténébreuse de
l'autre, v Le ciel, ô homme! t'a donné un
i< juste , un heureux degré d'aveuglement et
i< de faiblesse dont ta raison est le contre-
ce poids (1). » Mais notre auteur confond à
dessein l'abus avec le principe; la raison
droite , douée de perceptions claires et dis-
tinctes , avec la raison dans l'ivresse , égarée
par les passions, qui, selon l'expression de
(j) Vo'pe, Essai sur r Homme. Pascal, Pensées,
p. 45. Fénélon, Ea^ist. de Dieu ^ p. 202. (édit.
Paris, 1811.)
DE LA KOt'VEIXE IlEAÉSIE. 149
Montaigne , desbauchent si honteusement la
tranqniUité de l'âme et le jugement de l'in-
telligence (1).
Cette parole du philosophe français ne
serait-elle pas la peinture fidèle de l'étrange
argumentation où se jette notre écrivain ?
ANdéfaut du sable mouvant où nous place
la raison individuelle, il nous porte sur un
terrain plus ferme, c'est la raison univer-
selle. Quand la certitude manque à nos
raisonnemens , nous la retrouvons dans Fau-
torité du consentement général; c'est là
qu'elle réside, expression de la parole de
Dieu, infaillible connue elle. Nous avions
cru jusqu'ici que cette prérogative auguste
de l'inÊdllibilité ne se trouvait pas hors de
notre Eglise catholique. C'étaient Ik de ces
doctrines surannées dont M. de La Mennais
vient nous apprendre à secouer le joug.
«A moins de supposer la raison hiunaine
cr infaillible , il n'y a plus de certitude pos-
(1) Essai de Morale^ livre II.
tKù flimaui
« sible; et pour être coftséquent, il faudrait
ff douter de tout sans exception(1 ), ji Eiamnge
supplément qui nous laisse sans point d'tp*
pui , et à la place d'un flambeau , quel qu'il
soit, ne nous présente qu'un nuage d'une
profonde obscurité ! Cette raison générale »
qu'a-t-elle de plus que la raison particulière ,
puisqu'elle n'est que la collection des raisang
individuelles ? quels sont les témoignages tle
son infaillibilité ? quelles en sont les preuves*
quand son histoire dépose tout entière
contre elle? Ce genre humain, où est^il?
qui l'a vu? quel en est l'organe? « Le genre
ce humain , interrogé , se tait d'un silence
(c éternel. Il est mort ou n'est pas né; et les
(c générations qui , s'agitent entre ces deux
a tombeaux condamnés a l'ignorance ne
« connaissent ïii leurs pères ni leur posté*
« rite (2).» Pour découvrir la vérité quelque
part , il faut bien que je la cherche ou que
(1) Essai f t. U, chap. xiv.
(2) M. Lacordaire ^ C(mmd, , p. i70.
DB LA NOUVELLE HÉBÉSIE. ISI
je Fécoute; que j'aille vers elle, ou que je
la laisse venir jusqu'à moi. Mais où aller,
quand je ne rencontre partout que des abî-
mes , quand peut-être je ne suis moi-mêiiie
qu'un fantôme ? Et puisqu'il n'y a plus enfin
de certitude possible^ me voila, pour ctic
conséquent^ réduit à douter de tout^ même
si j'existe !
■1
CHAPITRE VIL
La, raison a la certitude infaillible de son exiitenco.
Extravagance du doute universel. Axiome de Bes^
cartes : je pense , donc je suis. Sophisme de M. de
La Mennais,
De toutes les vérités-, celle qui se pré-
sente la première à la pensée de l'homme
est celle de sa propre existence (1). Peut-on
croire que M. de La Mennais parlât sérieu-
sement quand il a dit que pour la raison de
(1) Fénélon, Traité de l'Existence de Dieu, p. 286
et 8uiv. chap. , intitulé Quatre premières vérités ccT"
tavnes.
mSTOIAB DE LA NOlTbEIXB HÉBÊSIE. 183
rhomme tout était douteux, jusqu'à son
existence} et que, pour en être assuré, il
fdlait d'autre témoignage que celui de son
être tout entier qui le lui atteste ? C'est là
pourtant ce qu'il répète à chaque page, c'est
là tout l'esprit de son système; et il faut
après lui devenir sceptique pour ne pas
tomber dans le scepticisme. Etrange logique
que celle qui dirait : Prenez du poison pour
éviter d'être empoisonné! Mais que peut
rechercher ou découvrir celui qui n'existe
pas? Dès-lors qu'on veut penser, raisonner,
croire, douter même, peut-on, sans une
contradiction qui va jusqu'à Fabsurde, se
demander si l'on existe réellement? C'est là
un fait si généralement vrai que l'on est
forcé de le supposer} même pour le nier :
aussi personne n'est-il asse2 jTou pour le nier
sérieusement. Je sens invinciblement que
j'existe; et comme il est impossible de sen-
tir ce qui n'est pas, il faut donc indubi-
tablement que mon existence soit réelle ,
IM nvMiu
pniscpie sentir n'est autre chose qu'ètam mm
exister. Cette Térité produit en moi nmm
conviction si par£ute qu'il m'est impossiUc
d'en souhaiter ou même d'en concevoir mie
plus grande ; et dès- lors je ne saurais crain-
dre d'être trompé. D'ailleurs, s'est^on avisé
jamais de chercher un critérium de vérité
pour celui qui n'existerait pas ? Ainsi donc ,
ou j'existe , et je veux partir de la comme
d'un point incontestable; ou je n'existe pas,
et alors je n'ai besoin d'aucun moyen pour
arriver k la certitude. Il n'y a pas de miUeu;
car vouloir en douter, ce serait nécessaire^
ment supposer et affirmer même que l'on
n'existe pas(1).
Moi , pyrrhonien , je n'affirme ni ne nie
(1) Voyez M. Boyer, Examen du Syat, de M. de
La Mennais, p. 79. «Tant que Thomme restera
«honuue, quelqiia forcené qu^il puisse être , serft-4ril
« jamaia asses fou pour se croire une chimère ? Non.
« La nature lui défond cet excès de délire ; et il doute
« si peu de son existence qu'il oraint à tout moment
« de la perdre, et qa^il fait tous ses efforts pour te
«^conserver. » M. Receveur. { Observât», etc. f. 53.)
I
1» LA monuA «sftKsn. Ui
mon «nilmcei toitt ca que j'aa prommM
8ID rédoîl; à im peutr^tre. Mai» tous l'avex
dv moiiit ce peutp-ètre : or, fii tous n'existai
pat 9 qu'étes^Yous? Rien; et le rien peut-41
douter? car douter, c'est être quelquo
ehose.
Peut-être que ma vie et mon être tout
entier ne sont autre chose qu'un songe et un
rê^e de la nuit. Donc vous vives et voua
êtes; car le néant ne peut ni rêver ni r^
conter des songes (1). Vous aures de la joie
(1) M. Boyer, Examen du Syit, philos, de M. de La
Ibmmk, p. 79. (1 toI. m-8% Paris, 1834. ) M, Geis
bçt entreprit la défense du système de M. dQ I^
Mennais dans un ouvrage publié sous le titre Des
Docirines philosophiques sur la certitude , semé d^er-
reum ^myeê Yietorieusement réfutées par M. Bo*
zayen, 1 vol. in-8«, Avignon, 1833. Il y convient
^e quiconque douterait s'il existe, s'il y a d'autres
hmmeê , a'^il eai en rapport avec eu», s'il y a un /«m-
gaye, serait déclaré fou. <« Et c'était là, noua dit uq
autre de sea disciples , la conséquence où M. de La
Hennais voulait amener ses lecteurs. » (M. Lacor-
daire , Coneidér,, p. 149. ) La solution doium par
luirmâiae k ao^ proUèmo a &it voir do ^1 o^ié
était la folie.
i
tm «ttTOlEB
du de la souflfrance : les confondress-yous
Funo avec l'autre ? Vous avez faim ou soif :
direz-vous de ce mets que vous savourez,
de ce ruisseau où votre soif vient de s'étan-
cher, qu'ils n'étaient que fantastiques? Un
précipice vient tout k coup s'ouvrir sous mes
pas durant la route où je marche ; met-
trai-je un bandeau sur mes yeux, au risque
de m'y précipiter? Vous persisterez k me
répondre que vous doutez encore que tout
soit douteux, cr Non , vous dira Bayle lui-
flc même , vous ne pensez pas ce que vous di-
« tes; votre doute ne va pas jusqu'à l'anéan-
(T tissement de votre raison. Ce doute même,
« s'il est sincère , est pour vous un axiome ,
<f un fait palpable qui ne me laisse plus contre
«f vous d'autre argument que de dire que l'on
f( ne raisonne pas contre un cerveau dérangé
cf et en délire. »
Poussons plus avant avec M. de La
Mennais.
«r Lepremier qui a dit: Je suis y a prononcé
I
SB LA NOUVEUJE. HÉRÉSIE. tiKT
le plus impénétrable mystère du symbole
des mtelligences humaines. Que sais-je si
je ne suis pas un fantôme , une chimère ,
si mon existence elle-même n'est pas une
illusion? Pour la mettre à couvert des
surprises de mon ignorance , il aurait fallu
commencer par me faire connaître Dieu,
principe unique de toutes les existences.
Hors de cette cause essentielle , primor-
diale de tout ce qui est , ma propre exis-
tence n'est plus que problématique. Tout
ce que ma raison m'en découvre, c'est
que je suis un être contingent , venu dans
le monde pour n'y paraître qu'un mo-
ment, et dont on pouvait bien se passer.
Or, de l'idée d'un être contingent , on ne
déduira jamais son existence actuelle ; et
tous les êtres finis ne pourraient , séparés
de la cause première qui les a faits, ac-
quérir la certitude rationnelle de leur
« existence. Demandez-le aux philosophes
^ et aux théologiens réunis ensemble , les
MB flMMm
« pi'euTes données jnsqa'ici , tant du
• tianisme en général que du dogme pftitr*-
^ tôlier de l'existence de Dieu , que sonfe^
« elles? Toutes insuffisantes, incoïRplèfcei9>
« parce qu'elles portent toutes ( celle da
tr consentement des hommes excepté ) sur
« un principe faux. Donc la supposition aï^
« bitraire de mon existence, philosophie
M absurde, niaise, destructive de toute vé-
« rite , et dont la solution vient abontir au
ir chaos du scepticisme (1). »
Ici l'attaque de M. de La Mennais se di-
rige spécialement contre Descartes, et porte
la discussion sur un autre point de vue, qui
toutefois ne' s'écarte pas du premier.
Descartes a placé son critérium de vérité
dans l'évidence. L'évidence a fait luire à ses
yeux cette proposition : Je pense ^ donc je
suis; car pourrais-je penser si je n'existais
pas? Un pas de plus, et c'en est assez
(1) DlferisB ie VEisai , p. 189 , 183 et «uîv.
f
DE Uk NOmnULB HÉRÉSIE. iilB
pcmr Mrrrer k la démonstration : donc
Diea existe. Ge pas, il Ta fait, et le four
dément est inébranlable. C'était Ik le point
d'Ârchimède; il le saiût, et toute l'école
aj^laudit. Vainement on se récriera après
loi comme de son yivant : r Oser se vanter
«d'ayoir enfin découvert la seule preuve
c de Texistence de Dieu , la seule voie qui
« mène a Dieu, c'est en quelque sorte aecu-
tr ser d'athéisme le genre humain tout en-
ff tier (i). » Le même philosophe de qui
nous empruntons cette objection, résolue
par Descartes lui-même, n'en dira pas moins,
€t des milliers de voix répéteront avec lui :
« Ce grand homme ^ on peut le dire, a régé-
«f néré en quelque manière l'esprit humain,
« lorsqu'il l'a averti de revenir sur tous les
tf jugemens portés dès l'enfance, lorsqu'il lui
r a ordonné de résister aux mouvemens irré-
el) M. de La Romig^ière , Leçfmt iê Fkilo9,, 1. 1,
p. 279. (Paris, 1838.)
MB flMMm
« preuTes données jnsqa'ici , tant du
• tianisme en général que du dogme pftitr*-
41 culier de l'existence de Dieu , que sonfe^
« elles? Toutes insuffisantes, incomplèten^
«t parce qu'elles portent toutes ( celle da
« consentement des hommes excepté ) sur
t tm principe faux. Donc la supposition af-
« bitraire de mon existence, philosophie
« absurde , niaise , destructive de toute vé^
« rite , et dont la solution vient abontir au
m- chaos du scepticisme (1). »
Ici l'attaque de M. de La Mennais se di-
rige spécialement contre Descartes, et porte
la discussion sur un autre point de vue, qui
toutefois ne' s'écarte pas du premier.
Descartes a placé son critérium de vérité
dans l'évidence. L'évidence a fait luire à ses
yeux cette proposition : Je pense ^ donc je
suis; car pourrais-je penser si je n'existais
pas? Un pas de plus, et c'en est assez
(1) Hefense ie rËisài , p, 159 , 183 et suîv.
DE lA NOmnULB HÉRÉSIE. iilB
pcmr «frirer k la démonstration : donc
Dieu existe. Ce pas, il Ta fait, et le £on*
dément est inébranlable. C'était Ik le point
d'Archimède; il le saisit, et toute l'école
applaudit. Vainement on se récriera après
fan comme de son yivant : r Oser se vanter
«tfaToir enfin découvert la seule preuve
c de l'existence de Dieu , la seule voie qui
« mène a Dieu, c'est en quelque sorte accu-
-« ser d'athéisme le genre humain tout en-
«tier (i). » Le même philosophe de qui
I
. nous empruntons cette objection, résolue
^ Descartes lui-même , n'en dira pas moins,
! fit des milliers de voix répéteront avec lui :
« Ce grand homme ^ on peut le dire, a régé-
* néré en quelque manière l'esprit humain,
« lorsqu'il l'a averti de revenir sur tous les
* jngemens portés dès l'enfance, lorsqu'il lui
•f a ordonné de résister aux mouvemens irré-
el] M. de La Romig^ière , Leçfm$ iê Fkihif,, 1. 1,
p. 279. (Paris, 1838.)
100 HISTOIBE
ft fléchis de l'habitude et aux illusions des
« sens; lorsqu'il nous a appris k soumettre les
« préjugés à la raison, à nous méfier de la rai-
« son elle-même (1). » Oui, sans doute, airec
la mesure convenable ; car il est bien loin
de récuser indéfiniment le témoignage de
la raison, et de la dépouiller de son carac-
tère de certitude, quand il a pour base Té-
videncë. Il est étrange que M. de La Men-
nais, qui lui doit son principe, dont il abuse,
ne s'en serve que pour déprécier l'auteur.
Serait-ce que la gloire du grand homme
offusquerait son génie? Descartes règne dans
l'école; il y a détrôné Aristote. Pourquoi
n'aspirerait-il pas à l'honneur d'y régner à
son tour ? et il faut commencer par abattre
le piédestal.
Cette philosophie est niaise^ dangereuse^
autant qu'elle est absurde.
(1) M. de La Romiguière , Leçons de PhUoê, 1. 1,
p. 256. La mémoire de Descartes a été vengée avec
éclat par M. Boyer, p. 281 et suiv.
%
DE LA NOUVELLE HERESIE. 161
Un moment , téméraire censeur ! j'allais
dire : orgueilleux Zoïle ! l'accusation ne s'ar-
rête-pas à Descartes seul; elle rétombe di-
rectement sur deux de nos plus illustres
Saints ; sur l'Eglise , qui a sanctionné leur
doctrine par son suffirage; sur une foule
innombrable de Catholiques , qui rendent
gloire à Dieu de cette preuve nouvelle
ajoutée surabondamment, à toutes les dé-
monstrations de son existence. Le fameux
axiome de Descartes : Je pense ^ donc je suisj
pouvait n'être qu'une réminiscence, ce De
toutes les rencontres que M. Descartes a pu
fûre avec les anciens, dit Baillet dans sa
Vie, il [n'y en a point qui l'ait surpris plus
agréablement que celle de saint Augustin ,
qm, en matière de philosophie, est regardé
comme le chef des académiciens du Chris-
tianisme. 11 fut redevable k un de ses amis
de la remarque qui en fut faite pour la pre-
mière fois en i 640 (i ) ; et notre philosophe
(1) Liv. viii, chap. x, 2« part., p. 53S,
T. I. 11
ÏVK JUUBI'VUIB
Ven reoMTciai dam les teram Uë plus
modeste», ea cotkrentmï h»-iBè»» de n
cenfioniifté (i). Elle résulte «n êÊkt <kB
passages aaivsiis de sanit À«giisfM ^ :
« Noaia smnmes et new «erniaÎBsam que
Aous somnes^ et noiM^ aknoiie netre 4ttte
et nc^e ceiutaMsance | je sais tr&s<4?eftidii
pw xnoi-mêiaM qne je sois , i|ae je ceannss
et qoe j'aîme men ^e* le n'appfi^ietMiers
poinrt ici les argomens des neadâtmeietiflr, nS
qu'ils me disent : Mais m. voas tetts
piez? Car si je me trompe) je sais,
l'on ne peut se timnper si Y&n n'4est. IH10
dofiic ^e je stiis, moi 4p me trompe, emib—
fnent paifr-je «e tromper à creire xpte j^
fi«is, TU quii est certain que je suis, -Afa
»
me trompe? Ainsi, puisque je serais toûjotti'^
mot qui serais trompé , quand 9 sersnt TTar-
^e je me tromperais, H est indobitdble tjtr^
(i) LêUifM, U II, p. ^63.
(î) De Cvoii. Bei, lib. xi, cap. xxvi ( traduct. d^-
Lombert), t. fl, p. 4Ô8 et smv.
Dl LA NOmnELLK HÉEiSDB. 165
]e ne pni» me tromper lorsque je crois que
je suis, eCG« » Par cette argumentation , le
MasÉt évêqm entre de plain-pied dans la
prevre^ nùn pa» seulement de l'existence de
D&eu^ mab de la Trinité» qui en compose la
•ijfBléneuse es^nce» dont Pimage se trouTO
rttéehie dans nos âmes (1 ).
A ponnuift le même raisonnement dans
mt antre de ses livres.
Saint Ansdme a soutenu la même opi-
fllon, wnouvelée par Descartes ; et Leibnitz,
^ la tÊppeMtj est bien loin de flétrir cetter
èodiine deg qualifications à^alsfwrde^ niaise ,
retoinbiait de tout son poid$ dans Ta-
ibétime (3). M. de La Mennais n'ignorait
pas 0an8 doute que cette belle théorie avait
pour auteur le grand évèque d'Hifipone.
ft oKEie la braver;» qui plus est, il a cru, nous
<
(1) lue TriniiatOy Iib. x, cap. x. Fénelon déve-
Isfpéëioqaeninieiit ce« paroles dans son beau cha-
pitre du Doute universel. ( Exist. de Dieu, p. 269
et suiv.)
(2) Pensées de Leihn,, par M. Emery, t. I, p. 82.
164 HISTOIRE
dit son intime confident , M. l'abbé Lacor*
daire , découvrir dans cette doctrine un ve-
nin funeste et caché (i). lia dit que ce n'était
pas à l'évidence, mais au genre humain, à
décider la question; c'est-k-dire qu'il a pré-
féré l'autorité du genre humain, autorité
toute humaine, à l'autorité divine confé-
rée par Jésus-Cbrist à l'Eglise catholique.
Quoi qu'il en soit , car nous n'examinons
pas encore ici la question. Descartes s'en
applaudissait (2) . « Il était si content, dit Bail-*
let, de l'évidence dejla démonstration qu'il
croyait avoir trouvée , qu'il ne faisait point
difficulté de la préférer a toutes celles des
vérités géométriques, son principal titré à
la gloire de génie inventeur. » Parlant de ce
procédé si éminemment philosophique > il
disait : « C'est une chose qui de soi est si
<r simple et si naturelle à inférer de ce qu'on
« doute ^ qu'elle aurait pu tomber sous la
(1) Cofuidér,, etc. pag. 152.
(2) r»e,p. 506.
DB LA NOUVELLE HÉRÉSIE. iOtt
tf plume de qui que ce soit. » A-t-il par
là répudié les autres preuves que Ton tire
du monde physique , ces preuves sensibles ,
en quelque sorte matérielles, dont saint
Paul se sert avec tant d'avantage contre les
épicuriens? Nullement; il repousse l'objec-
tion comme une calomnie dont il s'indigne,
tant dans ses Lettres que dans ses Médita-
tions (i ). Seulement il se borne k cette preuve,
parce qu^elle est la première de toutes et la
plus immédiate qui se présente à l'esprit du
philosophe qui procède avec ordre , et que
l'homme même privé de la vue n'en a pas
besoin pour y croire. Descartes veut prou-
ver l'être d'un Dieu par la vérité de nos
facultés, et la vérité de nos facultés par
l'être d'un Dieu. De cet argument : Je pense ^
donc je suis^ dont chacun de nous porte la
conscience au-dedans de soi , le philosophe
français déduira par une filiation immédiate
sa démonstration de Texistence de Dieu et
(1) Voyez 868 Lettres , t. II, p. S63.
1(16 HKTOUUE
de la spiritualité de l'âme , def de k méta^
physique, pivot de toute la théologieypriune
lumineux ajouté aux anciemies preuves de
la reUgion. Arnaud y voit un rempart in-
vincible contre l'irréUgion et le libertinage;
Bpssuet empreint ces hautes spétulattons
du double sceau de sa puissante dialectique
et de sa sublime éloquence (1); Fénel<m y
répand le charme de sa puissante onction f
Duguet , dans ses Principes de la foi, sait y
découvrir des aperçus nouveaux, et conver-
tir le doute même sur la divinité en ime
démonstration triomphante de son exis-
tence (2). Attaqué du vivant même de Des-
(1) Introd, à la Philos,^ chap. iv.
(2) Duguet , Principes de la foi, 1. 1, p. 45. « Je
« ne puis concevoir l'idée de Dieu qfae je ïie le con-
« çoive* comme un être infiniment parfait; et je ne
« puis le conceYoir ainsi, que je ne comprenne dans
« son idée Pexistence actuelle , parce qu'elle est de
« toutjes les perfections la première et la pluft oswn-
« tielle. t)r, c'est un principe infaillible du raison-
« nement , qu'on doit assurer d'une chose tout ce
« qu'on découvre dans son idée : nous n'avons point
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 167
caftM parla SMiUTtise foi, il avait fini par
ttiaraphfir de la préventioa et da g<^phisBie«
« Paar ne nm dire 4{ae de clair^ » répétait la
âède entier de Bossuet, « ii n'y a rien que
nena concevions plus distinctement que
notre pensée memet ni de propoakion
qui naua puisse êlre plus claire que celle^
là : Je pense, donc je suis. Or, nous ne
powrianB avoir aucune certitude de cette
proposition, si nous ne concevions dis-
tinctement ce que c'est qu'on être, et ce
«pMi c'est que penser; et il ne nous ëuA
point demander que nous expliquions ces
tonneaf parce qu'ils sont du nombre de
ceux qui sont si bien entendus par tout le
mondes qu'on les dbscurcirait en les vou*
dTautre règle pour raisonner juste. Il est donc aussi
fMitaîn qœ Dm existe néceseairement , qu^il est
OBrl«iuquor«xisteBoaAet|seileest nécessairofuent
comprise dans Tidée dNin être infiniment par-
fitiC^ ftUk • Tout ea qwi sailB*sst pas taoim wMde
et concluant.
168 HUTOUC
« lantexpUquer(l). ■ De ce point de dé-
part, l'intelligence, développée pat la médi-
tation , remonte au premier Etre , qui est la
source de son être , et qui produit en elle
le sentiment de son existence et le type de
toute vérité. De là donc la croyance néces-
saire d'un Etre supérieur et la certitude de
nos conceptions, dont il devient lui-même
le garant infaillible. Entraînés invincible-
ment par le sentiment de notre être bomé^
vers une cause infinie qui soit le principe:
de tout ce que nous sommes , nous partons
nécessairement de nous-mêmes, parce que
nous sommes en nous , et qu'a moins de:
n'exister pas, c'est-à-dire, de n'être qu'un.
cadavre ou une brute insensible, il nous est
impossible d'ignorer que nous existons. Est-
il besoin, pour en avoir l'infaillible certitude,
de remonter jusqu'à la première des cau!ses^
qui est Dieu , pour avoir la certitude de nub
(1) Logique Je Porl-Royal , chap. t, p.
Paris, i'76-2.
DB LA NOirVELLE HEEÉSIE. 168
propre existence ? d'attacher immédiatement
Teffet k la cause, la conséquence au prin-
cipe , d'embrasser toute la chaîne des êtres
pour envisager k leur sommet celui sans
lecpiel on sait bien que pas un seul autre
n'ensterait, moins encore pour s'assimiler à
lui , comme on nous accuse d'en avoir la pré-
tention ? Non ; notre raison bornée ne le per-
met pas ; mais toute bornée qu'elle est, elle
saisit cet anneau de la chaîne ; elle s'y recon-
naît , heureuse de s'y tenir suspendue ; elle
ne s'en sépare point, elle ne dit point : Je
suis celui qui est^ qui a en soi le principe
et la nécessité d'être : elle dit simplement
^vec Descartes : Je pense^ je porte en moi
le rayon de la divine intelligence qui m'a
créé à son image; donc je suis^ et la vie
qui m'a été donnée à moi, être contingent,
qui n'étais pas hier et qui ne serai plus de-
main, je ne l'ai reçue que par émanation
de cette plénitude de vie, dont seul il
est la source, et qui n'appartient qu'à l'Etre
seul oécessaire et îorumorteL Que M. de I^
Meanak se récrie z Otez Dieu de funUmrsj^
et Vuni^ers n*é8t plus ^u'uue grande ilb^
êiouj et comme une vague man^estution
d'un doute ùifimj je réponds : L'idée 41e
Texisteûce de Dieu, loin de s'isoler de lidée
de la mieime propre , s'y endiaîne indissp^
Idblement. Mettre la pren^ère en pro^dèmet
c'est également dire que si Dieu n'existait
pusj rien n'existerait : blasphème impie, ezr
travagant aux yeux de De^cartes, qui le x^
pousse de toute la puissance de sa raison cooi-
tre les athées j comme aussi jeter des doutes
sur ma propre existence : criminelle abiuTr-
dite que le même philosophe n'a cessé de re^
pousser contre le!» sceptiques. Loin 4one
d'entrer pour cela d^s une défiance uni-
verselle ^ c'est précisément ce qui nous £ût
conclure avec une pleine assurance qu'il
doit donc nécessairement exister. JDfe pou*
Tant, encore une fois, niçr notre existence
sans exister déjà» tout ce ^ est nécessaire
1» LA nmrmâm hérésie. tri
pour en rendre ndson, Join do now rame»
Qer an doute , MHjniert par Ut même une
certiUnde mébrankdile au doute.
An» tons les défenseurs de la Yérité chré-
tknone que i'Esprit de Dieu a suscités dans
tous lei âges pour le soutien ou l'omemenl
de «on Eglise , n'ayaient-ils songé jamais
à eh«rcher hois de ee cercle les caractères
de rin&flttUe certitude. Ils ne disputaient
pn à lu raison ses inaliénables prérogatives ;
Huds la iroyant dans son origine et dans sa
Muree , ib prenaient dans ses propres élé*
mens tes règles de conduite fondées sur les
fdniéiélemelks quHlspreposdent aaxpe»>
plds. Ib n'en dinsmulaicoit pas les fii&ksses
m les lumteua égaremens ^ tant sTen ùxkU
'Sk ne songent pas k îa désespérera non, «s-
sarément ; ib ne veulent que l'anMuer à
la reconnaissance de ses imperfectkms et
k f aven qaHl y a par-dessin elle une ftai-
ien plus haute & qui elle doit son être et
4« 4q|ai 'dk «fttend son f^rfectâennemont.
m fldSTOllUE
alors que ne Toyant plus les choses L
demi, comme par un miroir et en énigme^.
elle les embrassera telles qu^elles sont , eib
dans leur plénitude. Us ne rejetaient pas lu
force du consentement général des peuples,,
témoin ce qu'en ont dit les Origène , les
Ghrysostome, les Augustin , les TertuUien ^
mais pour déplorer les monstrueuses er-
reurs qu'ils y avaient mêlées , non pour s'en
prévaloir contre l'excellence des autres té-
moignages. Mais non , savant Origène, pro-
fond Augustin , éloquent Ghrysostôme .
sublime Bossuet! vous tous prophètes el
apôtres de l'alliance que Dieu a daign€
contracter avec les hommes pour leur op-
prendre toute vérité^ non , vous n'avez fail
que balbutier ; flétris désormais du nom de
Cartésiens j vous ne soupçonniez pas lea
premiers élémens de la philosophie; vos
preuves sont insuffisantes y incomplètes;
Celse, Porphyre et JuUen l'apostat avaient
eu raison de les juger telles : car voici qu'un
I» LA HOUTELLE HÉRÉSIE. i73
prêtre du dix-neuvième siècle , se qualifiant
l'ayocat du Christianisme, ose prononcer
qu'elles ne sont rien moins que décisives ,
^'elles ne forment, après tout, qu'une
philosophie niaise^ absurde, dangereuse^
et qu'elles retombent de tout leur poids dans
U scepticisme 1 '
... . c.—
CHAPITRE VIIL
II
Certitude rationnelle de M, Je La Mennais.
Toutefois, M. de La Mei^nais accorde
bien que nous sommes dans l'impuissance
absolue de douter jamais de notre propre
existence, mais que nous ne saurions en
avoir une certitude rationnelle , c'est-à-dire
une certitude telle que la raison ne décou-
vre aucune possibilité que ce qui lui paraît
HPSTOIIB I» lA nUVBLLB BJEteB. ITS
rnà smi fion (i)^ et toute ton école s'est
atladbiée opiniataréineiit à cette opinion.
liais comment accorder cette impuissance
de da«ter srree Is possiliilité de Tillusion?
Qttsi l 'veilà, de Toijre aveu, une série de ve-
ntés qpse ne«s sesnmes forcés de cnÂre
parce que la nature mms j centraînt ia«
finciblemeiit 9. qu'elles sont inébranlables
Stt doute ^ et qu'dJes ferment » selon fé*
tran^ expression de l'un de yos adeptes ^
\e$ tolonaes et Hercule de Pesprit (2) ^ au-
ielà desquelles l'intelligence ne saurait
aMnccy d'un pas ; en les ébranlant, on ris-
^f ait de détruire l'intelligence eUenoiême :
et pourtant eela ne prom^ rien^ ne dé'-
momire rien; et y si l'an est conséquent ,
Ctt dûute de tout sans la certitude ratioiH
iMiUe. TièX qu'est-ce que cette certkude ra-
tionnelle peui ajouter à laciectitude absolue^
(2) M. Lacordaire , Conaidér, philos, sur le Syst.
8>sW, SeLa Mennais , p. 48.
1(16 HKTOUUE
de la spiritualité de l'âme , def de k meta*
physique, pivot de toute la théologieypiiMne
lumineux ajouté aux anciemies preuve» de
la religion. Arnaud y voit un rempart in»
vincible contre l'irréligion et le libertinage;
Bossuet empreint ces hautes spétulations
du double sceau de sa puissante dialectiqpœ
et de sa sublime élocpence(l); Fénelon y
répand le channe de sa puissante onctum f
Duguet, dans jses Principes de la foi, sait y
découvrir des aperçus nouveaux, et conver-
tir le doute même sur la divinité en ime
démonstration triomphante de son exis-
tence (2). Attaqué du vivant même de Dm»
(1) Introd, à la Philos,^ chap. iv.
(2) Dnguet , Principes de la foi, 1. 1, p. 45. « Je
« ne puis concevoir Tidée de Dieu qfae je ïie le con-
« çoive -comme un être infiniment parfait; et je ne
« puis le conceYoir ainsi, que je ne comprenne dans
« son idée F existence actuelle , parce qu'elle est de
« toutjes les perfections la |M*einiére et la plus eseen*
« tielle. br, c'est un principe infaillible du raison-
« nement , qu'on doit assurer d'une chose tout ce
« qu'on découvre dans son idée : nous n'avons point
DE LA NOUVEUJB HÉRÉSIE. i77
tioalAttendra-t-elle, pour devenir ration-
nelle, qu'elle ait comparé ses croyances
avec celles du genr% Au/raaz/z? Quelle étude!
^e de recherches ! quel labyrinthe ! et en-
core sans autre issue que le doute I Qui me
répondra de son témoignage , quand je ne
puis compter sur celui de ma raison? A
(piel tribunal évoquerai-je la cause , si elle
vient à subir partage dans les opinions , et
qui jugera en dernier ressort?
T. I. 12
CHAPITRB IX.
%
Accord d9 la roWof» eé de la foi.
Pourtant rien de plus tranchant que
l'assertion de M. de La Mennais , « que la
cr foi n'a pas besoin de la raison; que si
<c Yous faites intervenir la raison pour ap-
i< prendre d'elle si on doit admettre ou
ff rejeter les dogmes que Dieu nous révèle ,
<c aussitôt le magnifique et immense édifice
f< de la religion croul% de toutes parts , et
« écrase sous ses ruines la raison présomp-
HISTOIRE DE LA NOUVELLE IIÉ11É81B. 179
<r tueuse qui s'était crue capable de le sou-
<' tenir (i).» Quoi donc! le Christianisme
ne peut-il supporter les regards de la raison?
C'est s'éloigner également de saint Tho-
mas , de saint Augustin et de la vérité ca-
tholique, que de supposer l'opinion d'un
divorce absolu entre la raison et la foi;
comme si, de leur nature, elles étaient
incompatibles, et que Dieu pût être con-
traire à lui-même. N'est-ce pas lui qui
les a faites toutes deux? Il les a séparées,
comme il a fait la lumière et les ténèbres ,
œuvre de sa souveraine toute-puissance,
pour qu'elles concourussent également à
Futilité <le l'homme. Le Manichéen seul y
voit un élément de discorde , la production
de son double principe. Non, Dieu ne les
a pas faites ennemies l'une de l'autre. Elles
existaient avatit la chute de l'homme ; car
Adam, créé raisonnable et libre, reçut au
même jour l'ordre de croire aveuglément
(1) Essai, t. I, p. 490.
180 HisToms
h la parole de son Créateur. La raison et la
foi ont chacune leur domaine ; les Sages de
tous les temps ont bien su en déterminei
les limites et marquer Tétendue. L'Esprit
saint, en daignant se charger lui-même de
la direction de nos intelligences par la lu-
mière de la Réyélation , a laissé un champ
immense , la nature entière aux recherches
de la raison (1). Il a fait plus encore; il n*a
pas dédaigné de soumettre ses propres ora-
cles a l'examen de la raison. Il s'est réservé
k lui-même le sanctuaire qu'il a défendu
par ime nuée inaccessible ; mais il nous en
abandonne les avenues extérieures. Le Sau-
veur appelle tous les hommes h l'examen
(1) Mundum tradivit disputationi corum. {Eccle-
siast.j III, 44. )
« Telle est la supériorité de la Religion chré-
« tienne sur toutes les autres , qu'elle admet ou re-
« jette Fusage de la raison et de la discussion , sni-
« vant les circonstances, et sous la condition qu'elle
» se renferme dans de justes bornes. » (Bacon, dant^
Emery, t. 11, p. i45. )
DE LA XOLVCLLE HÉRÉSIE. IftI
de sa doctrine , ou du moins des témoigna-
ges qui l'appuient (1). Interrogez les Ecri-
tures^ disait-il aux questionneurs de son
temps ; et telle a été la pratique con-
stante de l'Eglise. Jamais elle n'a interdit
à ses enfans le droit d'user librement de
leur raison ; mais elle n'a jamais permis non
plus que personne en exagérât les préro-
gatives. Pas un de ses Docteurs qui ait songé
a placer le principe de la foi dans la raison ,
pas plus dans la raison collective que dans
la raison individuelle , parce qu'après tout
et n'est toujours qu'une raison humaine,
qu'un principe humain. Le principe de la
foi divine n'est et ne peut être que l'auto-
rité de Dieu même ^ c'est k Dieu que nous
croyons, et c'est l'infaillibilité de sa parole
qui fait seule la certitude de notre foi (2).
(2) Joann., v, 39.
(2) « Aussi tous les tliéologiens catholiques dis-
« ting^ent-ils deux sortes de foi , la foi divine et la
« foi humaine, et par conséquent aussi deux prin-
182 HISTOIRE
Laissez faire M. de- La Mennais^ et après
qu'il aura fait de sa raison générale V ex-
pression de la raison de Dieu même y fondé
rinfaillibilité de cette raison générale sur
» cipes ou fondemens de la fui. La foi divine est
M fondée sur le témoignage de Dieu, témoignage es-
« sentiellemeut infaillible; et, par conséquent, la foi
« qui repose sur ce fondement donne une certitude
« complète. La foi humaine est fondée sur le témoi-
u gnage des hommes , témoignage faillible de sa
M nature , et auquel nous ne pouvons nous fier aveu-
u glément et sans garantie. Ce témoignage peut in-
« duire et induit souvent en erreur, quand on n^use
« pas des précautions que la raison prescrit. Mais il
<c arrive quelquefois qu^il est revêtu des condition»
« qui excluent tout péril d* erreur , et alors on peut
« s'y fier avec assurance. Il s'en suit de là que le
« principe de la certitude que donne la foi divine
u réside dans le témoignage de Dieu , parce que ce
<c témoignage n^est autre que celui de la vérité même ,
« (pli ne peut jamais nous induire en erreur : mais
« que le principe de la certitude que donne quelque-
« fois le témoignage des hommes ne réside pas dans
« le témoignage même , puiscpie ce témoignage est
« failUble de sa nature , et que c'est à notre raison
a de distinguer quand nous pouvons et quand nous
tt ne pouvons pas nous y fier. » (M. Rozaven , Ré^
futation des Doct, philos, de M, Gerbetj p. 253, 254.)
DB &A ROtnrEUJI KéRdBlE. 185
ses rapports avec Dieu , vous Tallez voir,
renversant son propre édifice, Tisoler de
tout rapport at^c Dieuj et affirmer que le
seul système social aujourcPhui possible j est
celui qui ne serait fondé que sur la raison
humaine, sans nul rapport avec Dieu(i).
D'après la doctrine constante des Pères
et des théologiens, la vérité du Christia-
nisme, prouvée par les prophéties et les
miracles, se trouve garantie par une évi-
dence palpable au jugement de la raison ,
invoquée comme arbitre dans chacun des
procès intervenus sur cette matière , sinon
quant au fond des choses, toujours quant
à la validité du témoignage et du raisonne-
ment. A défaut de Févidence intrinsèque
réservée aux jours de la consommation,
nous avons l'évidence extérieure, argw-
mentum non apparentium (2)^ dit l'Apôtre;
sorte de vue intellectuelle que saint Thomas
(1) Avenir f 29 noyembre 1830.
(2) Hebr., xi, i.
184 HISTOIRE
appelle une intuition indirecte^ résultante
des m'otifi de crédibilité que la raison et
l'autorité présentent à la foi. De là l'axiome
de saint Augustin , k que la certitude de nos
« connaissances , c'est la raison qui nous la
ff donne ; et celle de nos croyances , nous la
fr puisons dans l'autorité (1).jb Jésus-Christ,
en nous donnant sa religion, savait bien
qu'elle embrassait un grand nombre de
vérités auxquelles notre raison ne pouvait
atteindre? U savait aussi qu'il y en a d'autres
accessibles à notre raison , indépendamment
de la révélation. Pour toutes, il nous a
donné un double flambeau qui nous sert
dans la nuit où nous marchons ici bas, jus-
qu'à ce terme heureux de notre pèlerinage
où toutes les ténèbres seront dissipées, où
toutes les vérités se manifesteront à tous
les regards , où seront compris tous les
mystères de la divine essence telle qu'elle
(j) Qiiod intelligimus debetnus rationi; quod cre-^
dimus auctoritati. ( De Vtilit, credendi , n. 25. )
H
DB LA NOUVELLE HÉRÉSIB. i8tt
est : videbimus eum sicuti est. Jusque-là y
étrangers sur la terre d'exil, enfans ({ui
trébuchons à chaque pas, depuis le berceau
jusqu'à la tombe, deux guides s'offrent à
nous dans la carrière : pour les vérités su-
périeures à la raison , le flambeau de la foi
qui nous les fait croire sans les comprendre ;
pour les vérités accessibles à la raison, le
flambeau de la raison elle-même qui pèse
les motifi de sa croyance , qui confirme et
perfectionne en nous la connaissance des
choses que nous comprenons. Par exemple ,
et c'est le raisonnement de saint Thomas ,
nous ne comprenons pas le mystère de la
Trinité , et cependant nous le croyons par
la révélation de ce que la foi nous en ap-
prend. Le dogme de l'existence de Dieu,
la raison suffit bien pour nous l'enseigner;
«f mais , ajoute le saint Docteur , la plus
" haute perfection a laquelle l'homme puisse
^ parvenir consistant dans la connaissance
^ de Dieu , il ne peut l'atteindre que par
,166 HISTCMRK
ir l'opération et renseignement de Di^u , qui
« se connaît parfaitement lui-même (1). »
Par là s'établit merveilleusement l'harmo-
nie entre la foi et la raison ; double principe
de certitude dont chacune a son caractère
et ses attributions : la raison prépare la foi
et la justifie ; la foi éclaire la raison , la di-
rige , l'achève.
Saint Augustin développe cette belle éco^
nomic de la bonté divine à l'égard des
hommes dans son traité De t utilité de lafoiy
en réponse aux Manichéens. <r Pour les in-
« telligences vulgaires , pour les simples ,
<r dit-il, la voie de l'autorité 5 pour les sa-
n vans, pour les intelligences cultivées,
ic capables d'embrasser les motifs qui por-
« tent l'esprit humain jusque à V intelligence
(f divine y la voie du raisonnement, le flam-
ff beau de la raison qui discute , compare ,
(j) Q. 14, DeFide, art. 10. M. RozaveD^ Examen,
p. 4 38. f^oy, ILolden, Divinœ fidei Analy sis y cap. vi,
p. 60,édit. Paris, 1767.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 187
ce pèse les raisons, Il est des esprits témé-
« raires , impétueux , qu'il feut comprimer ;
« il est des esprits lents qu'il faut exciter ,
« des ignorans qu'il faut instruire. La mul^
« titude qui manque des moyens et de la
N sagesse nécessaires, lui interdirons-nous
« la connaissance de la religion ? L'y ame-
« ner par degrés , l'introduire de connais-
K sance en connaissance jusqu'au sanc*
« tuaire, voilà notre méthode; en est-il de
K plus raisonnable ? Ainsi aux enfans, au com-
ir mun des hommes , l'autorité , l'Eglise , la
ff foi; aux esprits plus relevés, la raison (1).j»
Par là , les moyens divers de l'instruction
sont appropriés aux intelligences diverses.
A.U temps des saint Augustin, des Origène,
des Clément d'Alexandrie, comme au nôtre,
la méthode d'enseignement se proportion-
nait à la portée de tous les esprits.
« L'autorité requiert la foi et prépare
(1) De rutilUé de la Foi, dans Biblioth. choisie
des Pères, t. XXI, p. 116.
188 HISTOIRE
ff l'homme a la raison ; la raison le conduit
i< k l'intelligence et a la connaissance (1). »
Laquelle des deux , de la raison ou de la
foi , précède l'autre ?
Cette question, soulevée par M. de La
Mennais, est par lui résolue affirmativement
en faveur de la foi. « La foi , dit-il , précède
« la raison (2). »
La question n'aurait rien d'embarrassant,
si l'on n'était parvenu à l'obscurcir par de
captieuses subtilités. La religion commande
à l'homme de croire ce qu'il ne peut encore
comprendre; et dans ce sens, la foi doit
marcher avant la raison. Cela est vrai ; mais
doit-elle marcher sans la raison?
Qui est-ce qui ne convient pas que la
raison n'intervienne dans toutes les ques-
tions non-seulement premières et fonda-
(1) Auctoritas fidem fiagitat et ratio ni préparât ho-
minem : ratio ad intellectum cognitionemque perdu-
cvt. (S. August.^ De ver. Religione , n. 45. )
(2) Essai, t. I, p. 486, J88.
DB LA NOirVILLB HÉRÉSIE. 189
mentales , mais métaphysi({ues et religieuses,
comme dans toutes les connaissances hum ai-
nes ? «r La foi n'entre dans notre âme que par
(T l'intermédiaire de la raison , à moins que
r de vouloir en faire l'instrument aveugle
V et irréfléchi de l'animal (1). » La foi,
{H)ur s'introduire dans le cœur, a besoin
d'être entendue par l'organe de l'ouïe , qui
la fait passer à l'intelligence : Jîdes ex auditu.
Mais,' dans toute question aussi, le raisonne-
ment, opération de la raison, n'est-il pas
également nécessaire? Dans la pensée de
saint Augustin , si clairement exprimée , le
droit et même le devoir de la raison est
d'examiner si elle doit croire avant que de
croire, examiner quelle est l'autorité au
nom de laquelle la religion commande de
croire sans comprendre. Et dans le vrai , si
ce premier acte de la foi n'est pas jugé et
approuvé par la raison , cette foi n'est pas
(1) M. Boyer, Examen, p. d J9.
_^^
A80 HISTOIRE
raisonnable, Quicredit cità^ levis corde e$t{A )i
La raison prend l'homme comme par la
main pour l'introduire dans le sanctuaire
de la Religion , et le laisse sur le seuil. Elle
ne lui permet pas de s'avancer au hasard ^
elle interroge la Révélation elle-même , et
commence par s'enquérir de ses lettres de
créance. Montrer le chemin k quelqu'un ,
l'aplanir devant lui , en ôter les pierres et
les encombres , ce n'est pas le construire ,
c'est seulement le rendre praticable. Selon
saint Augustin , la raison mène à la vérité ,
et en est distinguée comme le guide de
l'aveugle qu'il conduit par la main (2).
La foi précède la raison j et lui prépare
les voies. La proposition est vraie dans ce
sens que la foi , don de la bonté divine , est
aussi la vie de la raison humaine ; qu'elle
agrandit et développe son intelligence;
(1) Eccl,y XVIII, 4.
(2) M. Boyer, Eœamen, p. 121 ; et M. Rozaven
p. 191.
■%
DB LA IVOirVELLB HÊUBSIB. IM
(javelle corrige les saillies de $on înlempé-
rance, réprime les écarts d'une indiscrète
curiosité ; qu'elle assure k la soumission le
mérite et les récompenses promises k la
foi, qui est aussi une yertu. (i).
Elle est fausse et erronée par les con-
séquences que M. de La Mennais et son
école en ont tirées. Pour élever un tronc
à l'autorité , il immole la raison et anéan-
tit la lumière qui nous mène k la Révé-
lation , et ne laisse a sa place que le doute.
M. de La Mennais avait donné l'exemple
de la révolte contre la raison ; ses disciples
(i) « Celai qui croit , dit saint Thomas d' Aquin y
« a un motif safiiBant qui le porte à croire , car il y
« est porté par F autorité de la doctrine divine, con-
« firmée par des miracles ; et , ce qui est encore plus
« efficace , par un mouvement intérieur de Dieu qui
« invite à croire : alors ce n'est point par légèreté
"qu'il croit. Néanmoins ce motif n est pas suffisant
« pour comprendre , ou lui donner Fintelligence ou
^ la science ; et ainsi il y a pour lui lieu de mériter. »
[Sermon, théolog., part, ii, quest. ii, art. 9 : Utrum
crederesit nterUorium. )
i9S A8TOIRB
Font suivi. Sous prétexte qu'elle e%l finie ^
elle est nulle.
Pascal, qu'ils aiment à citer, réfiite tous
les sophismes par ces paroles : « Ce sont
i< deux excès également dangereux, d'exclure
ff la raison , de n'admettre que la raison.
ce Dieu ne prétend pas nous rendre rais^
i< de toutes choses ; il n'entend pas nonjplw
« que nous soumettions notre créance à lui
« sans raison, et nous assujettir avec tyrau-
« nie. Il nous fait voir clairement des mar-
tf ques divines en lui qui nous convainquent
« de ce qu'il est, et des preuves que nous
f< ne puissions refuser (1 ). «
ce Le fini peut-il comprendre l'infini? »
Non sans doute, pas même le concevoir ; car,
par cela même qu'il est l'infini, qu'il échappe
a toutes les intelUgences , il cesserait d'êtire
ce qu'il est, disent tous les Pères, si je pou-
vais définir seulement ce qu'il est. S'ensuit-
(1) Pensées , ch. v, p. 46; etchap. xxviii, p. 235,
«dit. Paris, 171 J.
DS LA NOUVELLE nÉRESIE. 195
îl que tout caché gu'il est , il ne 8e soit pas
fait connaître à ma raison? Saint Paul dit le
contraire^et n'oppose au paganisme que cette
théologie. Ces dogmes, qui sont ceux de la
religion naturelle , ma raison parvient k les
connaître^ mais elle ne peut s'élever jusqu'à
1^ comprendre. U lui est également impos-
able de les nier et de les concilier.
«f Par la foi seule, et sans le secours de
< la raison , l'homme connaît aussi pleine-
v.ment que .Dieu même, n
Hérésie que saint Jean Chrysostome 4
(combattue avec force dans ses éloquentes
homélies contre les Anoméens.
Vous accusez la raison de parler de l'in-
fini sans . le . comprendre : le comprenons-
i^os par la foi ? Pas davantage. La foi £iit
précisément ce que fait la raison ayant elle.
L'unje et l'autre nous obligent a croire l'in-
fini dans toutes les perfections divines , sans
nous le faire comprendre dans aucune.
L'esprit humain ne va point jusquc-lk. Re-
T. I. i. 13
• î. •"
/
i ■
IM iftST6ndt
connaissons ses bornes ; mais ne les éx«gé
ron8pas(1).
K Si l'homme ponyait par lui-même ré-
ff connaître la' vérité de la Révélatiort , t(M
v {fOLérir , par les senles forces de sa rakoij,
« Qrat ce qui est nécessaire an salut , il sersA
«r* complètement indépendant dans sa 9CieilÉ!i!
« comme dans sa fi>i : il ne faudrait jiinÉ fil
« IKeu niEgKse. ^
Quelle confusion d^nsr les idées*! (^i
faut-il pour savoir qu^il' existe un tflfeii
Créateur , que Dieu s'est révélé par Mobe
et par Jésus-Christ? Il su£Sit de faire uss^
de sa raison. Cesr deux vérités conduisètli
k la foi; cflles en sont les prélimittaires
et iïon les objets, c^ La raison serait iiir
(^dépendante! elle n'aurait plus besoin Ya
« de Dieu ni dIEgfise ! Mais , au contrant,
tr S'écrie M; de Trevern dans sa Réponse k
«r M. Bautain y les seuls qui en sentent' lê
(1) M. révêque de Strasbourg, Réfui,deM, Bau^
DE LA XÔU\£LLE HÉBÉSIB. ttSi
tr besoin indispensable sont ceux qui récoh-
« naissent la divinité delaRévélalion; ceux
€ qui ïa rejettent ne s^occupenf point de ses
« préceptes et de ses dogmes. » Eh! depuis
qa&hd suflSt-il de connaître un Créateur,
ei qilPil sT daigné se révéler aux hommes ,
^our acquérir et posséder tout ce qui est né-
cessaire au saluO ]Ve faut-il pas de plus fuir
Té vice , pratiquer les vertus , accomj^lir les
précej^fès du Sauveur? Combien de chré-
nënàr convaincus des vérités de la foi , et qui
îés violent dans la pratique !
€f La vérité entre dans Famé en sôuve-
« ràihé. »
Toujours des géhéf alités , toujours des
■• ■ • ■
équivoques de mots.
Oui , sans doute , il est certaines vérités
qui s'emparent de Pâme en souveraines, telles
■ ■ . " ' ■
que ces vérités naturelles et morales dont il
a été parlé plus haut; et encore à comLien
de controverses n'ont-elles psgs donné lieu au
sein des diverses écoles! itfais, de bonne
i06 HISTOIRE
foi , cette maxime serait-elle applicable à h
raison générale dont jamais on n'avait en*
tendu parler? car voilà où M. de La Men<
nais en- veut venir ; c'est là qu'il place li
critérium , le sanctuaire de la vérité j e
cçmme les mêmes vérités ^ont^ dît-il^ con^
nues par la même foi de toutes les intelU'
gences ^ il y a société entre elles et le grant
Etre qui les a créées pour lui^ et de là rinr
faillibilité du consentement général. Qu'est-
ce que les décisions de la raison géné-
rale en religion , en i^orale , en politiques
Avaient-elles eu jamais la lumière de l'évi-
dence , puisqu'elles n'avaient enfanté jamaû
que les opinions les plus contradictoires?
« La vérité exerce son empire en conser-
<c vant à l'intelligence sa liberté ; car si Tes-
if prit n'est pas libre de refuser , d'acquies-
«f cer à l'évidence , la volonté est toujours
« libre d'écouter ou non son témoignage;
•f et c'est même ainsi qu'en croyant sans y
« être forcé par une évidence intrinsèque et
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. i07
« invincible , l'homme rend volontairement
« à Dieu un hommage digne de lui. »
Mais depuis quand ceux que la force de
leur Maison ,* ou l'atlrait du sentiment, ou
la douce violence de la grâce ont amenés à
croire , accusent-ils leur servitude ? La rai-
son, quand elle s'est bien convaincne des
preuves de la vérité , se croit-elle opprimée
en voyant clairement qu'il faut croire ? Elle
consent à s'aveugler, mais pour Dieu seul ;
a sacrifier ses lumières , mais uniquement k
celui de qui elle les tient. En rend-elle a
Dieu un hommage moins digne de lui , en
reconnaissant que hors de lui il n'y a que
trouble et agitation d'esprit ?
La vérité peut se présenter a l'esprit de
telle manière qu'on doive croire et qu'on
puisse ne pas croire. Alors la foi est un de-
voir , mais non une nécessité ; elle est en
même temps libre et volontaire. Combien
de personnes sont persuadées qu'elles doi-
vent croire sans avoir pour cela la foi ! La
(HjS HISTOIRE
raison en esjb que Tobiet de ■ la foi restant
obscur, l'acte de foi est une ^oumissipn de
potre raison^ laquelle dépend toujours de
notre volonté ; et , quelque convainci^s gu6
nous soyons que nous devons obéir à l'ailt^
rite qui nous commande la foi , l'obéissance
rQste toujours en notre liberté. M. de La
Mennais luirmême le déclare en ces termes:
« Sous l'empire ^Ç^6 de l'évidence ,
§ w
<« l'homme demeure libre , non p^s de se
«r méprendre , mais de se révolter ; jiqn pas
« de ne point voir, mais, de nier ce cpi'il
« voit. Liberté terrible, qui, trop souvent
•f réduite en usage , devient , pour quicqn-
K que sait penser , la preuve la moins équi-
¥ voque du vice originel de notre n^tu-
« re (i)\ »
D^ tous nos Docteurs , saint Thomas est -
après saint Augustin , celui qui a porté le
plus de lumière dans ces questions. Les prin-
(4) fyvi^ml'h^W' (iRtwJ.).p. 17.;
DE LA NOUirj&IXK HEBÉSIK. ^^
c^Cf ^'i]i jéteU^t MUT la f;liéprie de lafpi e^
d/9 Jta certitude , sur les avantages irespectî^
dt la foi et de la raison , répondent à toutes
1^1^ objections. L'accusera*t-on d^être Garr
tfflifn? Indiquons surtout son Coiniqien^
Vaipp 4tt lY^ ch^pjltre de )'£vapgîle de
avilit Jean. J^pus abrégeons, k Trois choses »
dîl-iji, nous conduisent à la foi en Jésus*
Gl^ist : premièrement }a raison naturelle »
9fieQ^^€saent le témoignage de la loi et des
pr#plièftes, troisièmement la prédication
4^9 Apptres, de leurs disciples e% de leurs 4uc*
cesseurs. Celui qui est conduit cpimne par
la main à la fois par ces trois moyens » peut
dire que rien de tout cela n'est le fondement
ou le motif de la foi , et qu'il ne croit ni suf
le fondement de la raison naturelle , ni sur
. celui du témoignage de la loi , ni sur celui
de la prédication , mais uniquement sur
le fondement de la vérité même. La foi doit
être certaine j car celui qui doute en matière
defpi est infidèle. La certitude est commune
t
ÉW HBTOWB
à la science et a la foi; car, de même que la
science est certaine , la foi Test aussi ; elle
l'est même beaucoup plus , car la certitu<le
de la science est fondée sur la certitude de
la raison humaine, qui peut errer , au lieu
que la certitude de la foi repose sur la rai-
son divine , qu'on ne peut contredire. Dé
même que nous avons la certitude de la
science par le moyen des premiers princi]pes
que notre intelligence et notre raison nous
font connaître , nous connaissons aussi lès
principes de la foi par la lumière que Dieu
met en nous. »
Dans cette théorie de la foi , ajoute Tha*
bile réfutateur de M. de La Mennais , saint
Thomas ne dit pas un mot dé la raison gé-
nérale , du consentement commun ou du
plus grand nombre. Est-ce oubli? est-ce
ignorance? est-ce omission coupable? Il
parle , il est vrai , de la raison naturelle , et
la donne pour un des moyens qui nous con-
duit k la foi; mais cette raison naturelle
t
I
m LA HODVELLB BEKÉSIB. 90t
n'est point la raison générale , la raison hu-
maine proprement dite^ comine l'appelle
H. de La Mennais ; car il convient qu'elle
peut errer, quœfalU potes t, et Ton nous
dit que la raison générale est Infaillible.
Mais ce qui est vraiment surprenant , c'est
c[ne , dans la doctrine de saint Thomas ,
cette raison qui peut errer, est pourtant
aussi capable de certitude , et qu'elle obtient
cette certitude, non par le moyen d'une rai-
son supérieure en laquelle elle croit , mais
par la lumière naturelle qui est en elle , et
qui lui fait connaître les premiers principes.
Enfin , bien loin de reconnaître un principe
unique de certitude qui soit identique au
prii^pe de la foi , saint Thomas distingue
expressément le principe de certitude de la
science , du principe de certitude de la foi.
« La foi tire sa certitude d'une lumière que
^ Dieu répand dans l'âme ; la science tire
« la sienne de la lumière naturelle. »
Assurément, si nos nouveaux Docteurs
909 HisiioiLs
r u ■
npus enseignent la vérité , saint Tlunuds en«
SjBignait l'erreur ; et ce Pocteur 4^ ^'Eglise «
appelé depui3 des siècles l'ange de i'écple ,
a joui jusqu'à présent d'une réputation u^ur*
pée (<). •
Ce qui a jeté l'école Lamenaifienne dan«
cette perpétuelle logomachie, c'est la préoc-
cupation d'esprit en faveur du sycflènie de
la raison générale , laquelle a brouillé toutes
les idées sur la certitude et l'évidence. Ainsi
a-t^elle confondu les motife de la foi avec
les objets 4e la foi. Les motifs de lalbi doi-
vent être évidens, les objets de la foi évidem-
ment croyables , et tous les théologiens ca*
tholiques parlent le même langage. En effet,
le mot croyable ne peut s'appliquer q^au:^
objets de la foi, non aux motife, lesquels
doivent être non-seulement croyables , mai^
certainement connus , pour que la foi soit
possible. Les pbJQts de notre foi ne peuvent
pas être évidens par rapport à nous , mais ils
(1) M. HoxaveQ , Examen , p. 378.
DE Lii NOUVELLE HÉRÉSIE. 905
la volonté , qai peut refuser sa soumission k
rÉ
l'autorité la plus évidente et la plus légi-
time. L'autorité est un motif suffisant de foi,
et voilà pourquoi la foi est libre , et que la
science ne l'est pas.
Terminons cette discussion , aride peut-
être, mais indispensable , par ces belles pen-
sées de M. Boyer, dans son examen du sys-
tème Lamenaisien : « La vérité, selon saint
Augustin , est une lumière qui est en nous ,
un rayon, une émanation de la clarté de
Dieu réfléchie dans notre âme, une illustra-
tion de notre raison , ce flambeau allumé à
la lumière de Dieu. Il y a en nous un prin-
cipe intérieur, un moi intelligent, qui cher-
che la vérité, qui arrive jusqu'à elle pour la
Voir, la contempler, se nourrir en quelque
^orte de cette immortelle substance. U y a
Xoin de cette doctrine a cette vérité Lame-
^aisienne répandue dans tout l'univers
^omme ^n océan de lumière , et qui entre
^ians notre âme comme l'air et l'eau dans
n
Uri tâse videf. f^oiir peu qu'oti sbît Vér^ê
dams lès ouvrages de saint Augusûh, ôii ié-
tonti^ii cette doctrine, repifoduité sôiis Miué
formés. A cela fe vient cette liaute mëtapîijr-
sique que Fénelon, Bossùëé et tarit de pltî'-
Fosophës modernes ont puisée dans tes ou-
vrages de ce saint Docteur, (Jui se plut sou-
vérit k asseoir la tliéologié la plus prôfonaê
sur le fond de la philosophie la plus éle-
vée. Je parle de ces vérités éterneltes cpié
rho'mmè ne crée pas, mais qu'il voit, qtfîj
aperçoit, et dont ïe type et le modelé dori
être quelque part. Elles ne sont pas té pfo-
duîl , mais là règle immuable qiii corrigé éi
redressé tous ses jugeiheris. On ne peut l'eî
^ concevoir et s'en former l'idée , saris se re-
préseiïter eh même temps un Èfre supi'êirié,
universel , éternel, en qui elles sont reçues ,
et dont l'entendement est comme là régîbri
où habîlerit en idée tous les êtres réels ou
li'ritéÛigîblés, visibles du invisîBres. lia i^àièbh
j
(îStefhehé et sôû^éi'àiÀè diéÈlièli' étant' fà
f
Itt LA NOUVELLE HÉftiSIE. 1107
source d'où émane toute vérité , notre rai-
son est une émanation de cette suprême
intelligence , une lumière allumée au feu et
à la clarté du Soleil étemel de vérité et de
justice (1). »
m
«
(i) EsanM^i. iùS'iM^
.£•.£ •
I
%*v
LIVRE DEUXIÈME.
COHTIHirATIOTC DU PRiciOKNT. SUE LT.S FOltDBMTJXS DK LA CF.ailTIJ:
^
CHAPITRE L
De l'évidence.
Plein du fi^rdi dessein de renverser de fo)
en comble V antique organisation de la 7)
rité(i)j le Régénérateur de llntelligence
pris à tâche de démolir chacune des pierr
de Fancienne construction. Ses premic
\1) M. Lacordaire , Considér,^^. M7.
HISTOIRE DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. !fe09
coups ont été dirigés contre la raison indi-
viduelle ; il n'épargnera pas davantage Tévi-
dence , autre fondement de certitude. La
raison universelle du genre humain est le
levier qu'il met en action contre le témoi-
gnage de la raison individuelle ; c'est le
même qu'il emploie contre Iç témoignage
de l'évidence. Pour en établir le souverain
empire , il ne craindra pas d'en substituer
Tautorité à celle de l'Eglise catholique ; il
enlève à celle-ci sa base tombée du ciel ,
édifiée par les mains de son divin auteur^
ce qui nous la rend sacrée , à savoir, la certi-
t:ude résultant de l'enchaînement de mcr-
>^illes dont se compose son histoire (1).
En effet , ce qui nous garantit la certitude
^e la vérité du Christianisme et de notre
église , c'est l'évidence des preuves dont la
Maison et l'autorité environnent le sanctuaire
(1) « La Révélation est un fait; elle peut, par
«I conséquent , et doit être prouvée comme les au-
.«« ires faits , et nous pouvons en acquérir la c.erti-
'^ tude de la même manière. » (M. Rozaven, p. 240.)
T. I. 14
^hf
LIVRE DEUXIÈME.
COmimrATIOTf r<V PRiciORNT. SVK LFJi FOIIDBin»S DE LA CKaVlTtJAE
s^
CHAPITRE L
De l'évidence.
Plein du h^rdi dessein de renverser de f on
en comble r antique organisation de la vé-
rité (\)^ le Régénérateur de llntelligence
pris à tâche de démolir chacune des pierre
de l'ancienne construction. Ses premie
VI) M. Lacordaire , Considér,,-^, J47.
HISTOIRE DE LA NOUIXLLE HÉRÉSIE. 909
coups ont été dirigés contre la raison indi-
viduelle ; il n'épargnera pas davantage l'évi-
dence , autre fondement de certitude. La
raison universelle du genre humain est le
levier qu'il met en action contre le témoi-
gnage de la raison individuelle ; c'est le
même qu'il emploie contre Iç témoignage
de l'évidence. Pour en établir le souvei*ain
empire , il ne craindra pas d'en substituer
l^autorité à celle de l'Eglise catholique ; il
enlève a celle-ci sa base tombée du ciel ,
édifiée par les mains de son divin auteur,
ce qui nous la rend sacrée , à savoir, la certi-
t:ude résultant de l'enchaînement de mcr-
"veilles dont se compose son histoire (1).
En effet , ce qui nous garantit la certitude
de la vérité du Christianisme et de notre
Eglise , c'est l'évidence des preuves dont la
raison et l'autorité environnent le sanctuaire
(1) « La Réyélation est un feit; elle peut, par
M conséquent , et doit être prouvée comme les au-
■M ires faits , et nous pouvons en acquérir la certi-
« tude de la même manière. » (M. Rozaven, p. 240.)
T. I. 44
SIO HISTOIRE
de la Révélation. S'il n'y avait point d'évi-
dence , bien moins encore y aurait-il de
certitude. Onne croirait pas, sion ne voyait
pas ce que l'on doit croire. Delà l'essentielle
différence entre la foi et la science : la pre-
mière , assentiment ferme aux vérités qui
nous ont été révélées , que nous croyons sur
la parole de Dieu , oracle infaillible de la
vérité, mais que nous ne voyons pas, et qui
ne seront vues que dans le séjour des Bien-
heureux. La science , nous l'acquérons par
les principes connus par eux-mêmes , vus
intellectuellement, ce que nous appelons la
vue intellectuelle. D'où les théologiens con-
cluent que le principe de la certitude qu^
donne la science n'est autre que Vintuitipn
de la vérité , et que , par une conséquence
ultérieure, nous possédons une infaillible
certitude de la vérité , commencée par la
foi , perfectionnée parla science , pqur être
enfin un jour consommée par la claire vue
de Dieu et de ses mystères. Nous sommes
DB LA NOUVBLLB IIÉBÉ8IB. Sli
donc fondés à p^urler d'évidence et a croire
à 9on îoËdUttiilité (1). M. de La Mennais
aura beau entasser les nuages, il ne per-
suadera à personne que la certitude et les
iBOti& 4pii la fondent soient illusoires.
Elle repose sur quatre colonnes solides ,
inébranlables : l'évidence , le sens intime
ou la conscience , les sens , le témoignage
des hommes limité aux restrictions que la
yérité réclame. De la force et. surtout de
Tasaociation de ces moti&, résulte un faisceau
de lumière inébranlable au doute , qiû dé-
termine les jugemens de la raison , con*-
State la certitude, assure invinciblement le
trioiBphe de la vérité.
IjOs théologiens de la nouvelle école se
sont fhm à brouiller ici toutes les idées. Les
appuis que l'évidence , le sens intime , la
rdation de$ sens prêtent à la certitude , ils
(1) Certitudo quœ est in scientiâ et in intellectu
est es ipsa evidenti» earumi quœ certa eêse dicuntur,
(S. Thomas, 3, d. q. 2, art. 2, q. 3.)
SIS HISTOIRE
^'efforcent à les renverser. Cette théorie ,
si bien démontrée par saint Augustin et saint
Thomas, approuvée par les Docteurs ca-
tholiques , consacrée par l'Eglise , ne fut ,
comme l'autorité de la raison individuelle ,
que le rêve de Descartes, l'œuvre d'une
philosophie niaise , absurde , menant au
5c^^/cûm6. Jusqu'à M. deLaMennais, nous
dit l'écrivain qui se donne pour acteur prin-
cipal dans tout ce qui s'est passé (1 ), on avait
cru que , dans l'ordre philosophique et reli-
gieux , l'évidence se prononçait hardiment
en faveur de l'Eglise cathohque, comme
preuve de son infaillibihté. « M. deLaMen-
ic nais a cru découvrir dans cette doctrine un
« venin funeste et caché; il a ditque ce n'était
ff pas à l'évidence, mais au genre humain de
« juger la question (2). » Ecoutons l'oracle :
Qu'il y ait un moyen d'arriver à la certitude,
ce n'est ni la raison, ni la nature ou l'évi-
(1) M. Lacordaire, Considérât. , p. 34.
(2) Le même , p. J52.
DE LA NOUVBUB HERESIE. SIS
dence de la chose qui le fournit ; la raison me
commande de douter , la nature me le dé-
fend ; ni l'une ni l'autre ne démontrent
rien. Jeté par une fluctuation éternelle entre
le scepticisme et l'erreur , l'homme est dans
l'impuissance naturelle de démontrer au-
cune vérité , et d'admettre certaines véri-
tés. « Une chose qui peut être vraie ou
m fausse, répète avec lui son école entière (1),
« n'est pas certaine. Tout ce qu'affirme
« comme vrai une raison qui peut se trom-
« per peut être faux ; tout ce qu^elle affirme
« comme faux peut être vrai. Dieu et son
« existence , l'immensité et l'harmonie de ses
« perfections , l'âme humaine et ses facultés,
« autant d'énigmes où la foi toute seule pou-
« vait nous apporter la solution ; et la foi
« elle-même deviendra k son tour un fonde-
(4) M. Gerbet, p. 67, etson livre entier intitulé :
Des Doctrines phUosoph. sur la Certitude. M. Bau-
tain, dans V Avertissent, pastoral de M. Tévéque de
Strasbourg, p. 6.
1214 HISTOIRE
i( ment ruineux pour lequel il faudra encore
i< un nouveau point d'appui. Pour qu'il y eût
« certitude , il faudrait qu'il y eût infaillibi-
i< lité ; car il existe une liaison nécessaire
•( entre l'une et Tautre. i»Donc, dansFimpos-
(( sibilité où est tout hoinme de rien affirmer ,
« il doit , pour être conséquent , douter de
w tout* Point de certitude là où il n'y a point
« de jugement infaillible ; et peut - il en
(c exister de la part d'une raison toujours
« bornée et faillible? »
Il est clair que ce sophisme , qui
ébranle la certitude du témoignage de la
raison , n'attaqué pas moins la certitude du
témoignage de l'évidence. Nous y avons
répondu pour ce qui concerne la raison (1).
Il n'a pas plus de force contre l'évidence ,
' a qui il porte une égale atteinte; car s'il
faut douter de tout , puisqu'il est impossible
de rien affirmer , il faut conclure qu'il n'y a
rien de certain rien d'évident. Mais le
(1) Liv. I, chap. vu, p. 152 et suiv.
DE LA IWUVELLB HÉRÉSIE. SIS
moyen de rester suspendu sur cet abîme du
doute? M. de La Mennais nous o£fre un
point d'appui unique , universel , h savoir,
l'infaillibilité du genre humain, ce J'ouvre
« les yeux , je vois que dans l'appréciation
« du vrai , partout les hommes se détermi-
<t nent par le consentement des hommes.
« Point de témoignage certain, s'il n'est con-
« firme par l'autorité du genre humain (1 ). »
Voilà donc à la fin le tribunal de l'in-
faillible certitude ! voilà l'évidence pour
M. de La Mennais !
Puisque M. de La Mennais invoque avec
tant d'assurance le témoignage universel,
il nous sera bien permis de le consulter à
notre tour, et de lui demander à lui-même
les titres qui fondent le privilège de l'infail-
libilité en faveur du genre humain , comme
nous sommes toujours empressé de pro-
(1) Essai, p. 180, 225, 495; t. II, p. 41, 43, 143
et suiv. Défense,}^. 93, 94. M. Lacordaire, Consid,,
p. J54.
Si6 msTOiBE
duire en faveur de notre Eglise les preuves
qui lui en assurent la possession.
L'évidence, nous répond le genre hu-
main par la voix des Sages qui, de tout
temps, en furent les organes et les plus
dignes représentans, consiste à apercevoir
clairement et distinctement la conve-
nance ou la répugnance existant] entre
deux idée». Je vois , par exemple, que deux
et deux font quatre, parce qu'il y a une
convenance évidente , sensible k tous les
yeux, un rapport manifeste d'identité avec
les termes que je compare , et qu'en ajou-
tant un chi£fre de plus , je n*ai plus le même
nombre. Je vois avec évidence que le tout
est plus grand que la partie, parce que
j'aperçois clairement la vérité du rapport
que j'établis entre ces deux objets. Or, il
m'est impossible d'apercevoir clairement,
distinctement, de la convenance entre deux
idées, s'il n'y en avait point réellement,
puisqu'on ne peut concevoir ce qui n'est
BB LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 917
point. Les perceptions claires de mon esprit
supposent donc nécessairement la réalité
de ce qui en est l'objet. Ces principes tien-
nent à la nature , donc à Dieu qui en est
l'auteur. Le sauvage sous sa hutte les croit
comme le savant qui pâlit sur ses livres,
parce que l'un et l'autre ont des yeux pour le
voir. Cette foi invincible est un fait incon-
testable, universel, dont l'infaillible cer-
titude est attestée par un sentiment intime
et par une expérience continuelle. De là
vient que l'évidence est la dernière raison
que Ton apporte en faveur de la vérité , et
la règle infaillible à laquelle on reconnaît
qu'on ne s'égare point. Elle est le fonde-
ment nécessaire et universel sur lequel re-
posent toutes nos croyances; et l'homme ne
peut admettre aucune vérité sans aperce-
voir eW^mm^n^ ouïe rapport immédiat des
idées, ou l'existence et l'infaiUibilité du motif
quel qu'il soit qui le force d'y adhérer (1).
(1) Voy. M. Receveur, Recherches philos., p. 82.
•
918 HISTOIRE
Eh ! n'est-ce pas là ce qu'exprime le seul
nMt d'évidence? Claire vue de l'âme, parce
<^e Actif e âme est douée de la faculté de
voii* Comme notre corps ; ou plutôt notre
âme voit par les yeux de l'entendement
coilime par ceux: du corps. Toutes les fois
'donc que l'esprit voit quelque chose clai-
rement et nettement,' ce qu'il voit n'est pas
Terreur, c'est la vérité. L'évidence est le
caractère qui distingue le vrai du faux (1).
Interrogé dans chacun' des individus dont
se compose l'universalité dti genre humain,
te genre humain n'a point d'autre langage.
Vous l'avez dit , M. de La Mennais : «r Plus
<( l'accord est général , plus la confiance est
« grande ; et la certitude est aussi complète
(1) Le chancelier d^Âguesseau , Méditât, iv. Buf-
fier, TraUé des premières Vérités, chftp. i. MaUe-
btanche, Recherche de la Vérité, t. I, p. 22. M, de
Cardaillac, Elém. de Philos., t. I, p. 306. M. La-
cordaire , Considér.^ p. 10. Dans le système de M. de
La Mèmiaié lui-même , comme dans la doctrine or-
dinaire , r évidence est la dernière raison des choses.
[Ihid.,Yi. 153.)
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 219
<r qu'elle puisse l'être, quand l'accord est
r unanime (1). »
Que si l'on nous demande les preuves de
cette assertion , nous répondons qu'elle est
à elle-même sa démonstration , « que c'est
(f là , ;i comme s'exprime un philosophe mo-
derne , vrai théologien , « la belle préroga-
i< tive de l'évidence , son honneur, sa gloire,
« d'être dans le monde intellectuel ce beau
€< soleil qui se manifeste par lui-même , et
€< qui n'emprunte pas d'une lumière étran-
<r gère la clarté dont il brille , et que c'est
« par là qu'elle mérite d'être appelée le
« premier principe (2). »
Mais notre philosophe s'embarrasse peu
de se contredire lui-même.
« Quelle foi, demande-t-il, pouvons-nous
ajouter à l'évidence ? Elle ne fait que des
dupes. Qui est-ce qui oserait affirmer que
telle chose qui lui semble vraie ne soit pas
(1) Essai sur VIndipr., t. II, p. 143.
(2) M. Boyer, Examen^ p. 210.
lUMI 1115T0IAE
fausse, et réciproquement? Est-il une ques-
tion sur laquelle les hommes ne se soient
partagés, et qui ne présente des motife
également plausibles d'admettre ou de re-
jeter telle opinion? N'est-ce pas au nom de
l'évidence que chacun se dit en droit de dé-
fendre la sienne? Athées, déistes, calvi-
nistes, sociniens, tous crient à l'évidence.
Ce qui est évident pour l'un, un autre le juge
obscur, incertain. De quel droit prétendez-
vous que votre évidence doive céder à la
sienne? Le oui et le non ne se rencon-
trent-ils pas tour à tour dans un même es-
prit avec une égale certitude ? Ce que l'on
affirmait hier sera demain rendu problénîa-
tique. Tous les jours je suis le jouet de mille
illusions, et je me vois k tout moment forcé
de revenir sur mes pas, après avoir cru qu'il
m'était impossible de m'égarer dans mon
jugement. Partout apparences trompeuses ,
nulle certitude ; pas une évidence qui ne
soit démentie par une évidence contraire. »
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 5121
Ne dirait-on pas, a entendre M. de La
Mennais , que nous vivons dans un monde
enchanté , peuplé d'êtres chimériques , et
sans autre réalité que celle dont l'imagina-
tion les revêt , jetés on ne sait comment à
travers des omhres mobiles et changeantes?
La société tout entière ne serait qu'une scène
continuelle d'illusions et d'impostures , où
les objets ne se présentent aux regards que
sous de fausses couleurs, pareils à ces repas
fantastiques que le caprice de nos roman-
ciers fait éclore. Car la conséquence immé-
diate du scepticisme de M. de La Mennais
aboutit à ce dilemme : Ou ce que nous voyons
existe réellement, puisque nous le voyons,
et l'évidence n'a plus pour nous rien d'équi-
voque; ou rien n'existe réellement, et la
nature entière n'est plus k nos yeux qu'une
vaste fantasmagorie. « Peut-être que ma vie
(T et tout mon être ne sont autre chose qu'un
« songe et nn rêve delà nuit. » Que je prenne
en main V Iliade ou V Esprit des Lois ^ que
99Sà HISTOIEJS
mes yeux coq.tejpoplent avec admiration la
coupole de Saint-Pierre ou la colonnade du
Louvr^e, je demanderai s'il exista un Ho-
mère , un Miche]L-Ange , un émule heureux
du Bernin. — Quelle prei^ive en ^yez-vous ?
médira M. de LaMennais.r^- La preuve, c'est
que je les ai dans les mains, sou$ les yeux,
que je les vois, que le seul aspect dç ces
chefs-d'œuvre enflamme mes sens et les ra-
vit, et que je ne verrais, que je ne sentirais
rien de tout cela, s'ils n'existaient pas. De-
mandezr-moi la preuve de la lumière dix
soleil : Milton aveugle ne la voit plus, mais
il la $ient. ]\i moi non plus je n'ai p^s vu la
statue de Pierre-le-Grand k Saint-Pétcrs-
hourg pour savoir indubitablement qu'elle
existe, quand des milliers de témoins attes-
tent que la capitale de l'empire russe pos-
sède ce hardi monument, comme ijious avons
à Paris les statues de Henri IV et de
Louis XIV. Avec les principes de M. de La
Mennais , l'hérétique Marcion n'avaitpas tort
^
DB LA NOUVJBLLfi HÉRÉSIE. 9g|5
de nier que J4»us*Qhmt; pût coaversé ayec
les hoflimes dan^ ^^e chiiif y érUa^Ue » ^%
eût été réellement ^tta^cké à lax^roix, jréçjUie-
ment déposée dans le tombeau ; il f vait r^Upp
de chercher à ez^Uquer les jpiysçères de Fiar
ca^rnatioa et de la rédemption, en les anéim-
tissant par ces subtilités impies : « C'é|taif
«(bien une chair et non une chair, un
•f homme et non ^^ up ho];i^me , un jDjieu
« et non pas un Dieu. » Cajc.epfin, dans ce
temps^là, ce n'était p^s le ténipji^age jçb
genre humain qui pûjt encqre jréiuterle Was-
phémateur; les seuls té^pins capables .^e
constater l'humanité du VerbjB, ce n'étaiepit
que des dépositionj^jp^rtielles, que Tévidenice
résultant du ténioignage de ceux qui Ta valent
vu de leurs yeux , qui avaient mangé avec lui
après 3a résurrection , avaient introduitleurs
mains dans ses blessures ; et cependant l'élpr
quent Tertullien n'en dirait pas mpJLps ay^^p
une invincible assurance : « Si Jésus-Christ
If n'est pas véritablement moTtysa lïàissahce
9A4 HiSTomE
« ne fiit également qu'imaginaire; tous les té-
« moignages qui en constatent le fait, autant
ff de mensonges; sa vie entière, une illusion
ff perpétuelle. Plus d'Emmanuel, plus de
ff Christ , plus de Dieu avec les hommes ;
ff l'histoire tout entière n'est plus qu'un
« problème (1). »
M. de La Mennais ne craint pas de don-
ner le démenti à Tertullien. Respect era-t-il
davantage l'autorité de saint Paul? L'Apôtre
des nations reproche aux philosophes du
paganisme leur ignorance et leur corruption
vraiment inexcusables d'avoir retenu captive
la lumière de la vérité , quand ses rayons
perçaient de toutes parts. Où va-t-il cher-
cher son argument? il prend l'évidence à
témoin de leur impiété. Saint Paul savait
bien assurément quelle était la vertu de la
foi et sa nécessité , puisqu'avant d'intenter
son acte d'accusation contre ces Sages or-
(1) Traité de la chair de J.'C.^ p. 484, édît. de
Rig. Btblioth, choisie, t. II, p. 508.
>
msTonus de la nouvelle hérésie. 9SBi
gueiUeux qui prenaient leur raison seule
pour guide de leurs jugemens, il avait
commencé par déclarer que la justice vient
de la foi, qu'elle se perfectionne dans la
foi y selon qu'il est écrit : le Juste vit de la
Joi(i). Méconnaîtra-t-il pour cela les droits
de la raison humaine ? Tant s'en faut ; car le
grand crime qu'il reproche a ces Philoso-
phes , c'est de n'avoir pas fait usage de leur
raison , même comme suffisante toute seule
pour éclairer leur intelligence etles amener,
par la seule lumière de l'évidence , a la con-
naissance de Dieu et de ses infinies perfec-
tions. Car , poursuit-il , les perfections in-
visibles de Dieu, sa puissance éternelle et
sa divinité , sont devenues visibles depuis la
création du monde, parla connaissance que
ses créatures nous en donnent (2). Ce n'est
donc ni le témoignage du genre humain et
de sa prétendue raison générale , ni même
{\) Rom., 1, 17.
(2) Ibid. 18-22.
T. I. 15
896 HiSTOmË
Fautorilê de la foi, qn^nvciqtie le grand
Apôtre. Rien que leurs yeux suffisaient pour
les initier dans cette première de toutes
les vérités. Ils ont eu des yeux pour ne pas
voir ; et la justice divine a châtié Tavcugle-
ment de leur twxxr par l'aveuglement 4de
leur esprit.
Le même Apôtre, se rencontrant dans
l'Aréopage pour y prêcher FEvangîle de
Jésus-Christ , disait-îl a ces mêmes Philoso-
phes rassemblés autour de lui : « Ayez la
foi; commencez par croire comme de sim-
ples enfans; imposez un silence ahsolu "k
votre raison. » Oest au contraire par leur
propre raison qull les veut ramener au
Dieu qu'ils adorent sans le connaître , en
promenant leurs regards sur le spec-
tacle de la création (1). Mais Dieu ne les
aveuglait que parce que les premiers ib
avaient fermé les yeux a la lumière de l'€vi-
dence , dédaignant de chercher c^lui qu'ils
(1) y^o^.,xvrr, 24,27. •
■H
DS LA^NOîJVELLE'^nÉIUSSIE. 897
anraient trompé comme avec la main et à tâ-
tons ^ quoiqiiil ne soit pas loin de chacun de
nous.
Dire, avec l'école de M. deLaMennais,
que Dieu est trop grand pour être compris
par des intelligences aussi bornées que les
nôtres; qu'à moins d'avoir la plénitude de
la science de Dieu , nous n'en possédons
aucune nolion ; que c'est un Dieu caché ;
que le spectacle de Tunivers ne nous
ofire que des efiets , que des résultats , ce
que l'on nomme des causes secondes , maïs
que de la on ne saurait s'élever jusqu'à
l'existence du premier principe , parce que
la distance entre le fini et l'infini est im-
possible à franchir ; que les cieux racon-
tent vainement la gloire de l'Eternel, parce
qu'ils sont muets pour ceux qui se ferment
les oreilles pour ne pas écouter la voix
de l'Eternel : langage impie ! des prê-
tres de Jésus - Christ , répéter les blas-
phèmes du déiste et de l'athée ! Saint Paul
998 HISTOIRE
se trompait donc en affirmant ce qui vient
d'être lu? Il affirme que l'immensité de Dieu
ne l'éloigné pas de nous , puisqu'il est pro-
che de chacun de nous ; que la Philosophie
humaine aurait pu connaître ce qui peut se
découvrir de Dieu , mais qu'elle fut crimi-
nelle et inexcusable de ne l'avoir pas voulu.
De ce que Dieu est caché , on tire , comme
le païen de l'Aréopage , la conclusion qu'il
est inconnu. Les vrais interprètes de saint
Paul, unFénelon, un Pascal, répondront
par l'hymne de la foi chrétienne : ce O mon
« Dieu ! je passe ma vie à contempler votre
« infini , Je le vois , et ne saurais en douter j
If mais , dès que je veux le comprendre , il
ce m'échappe ; ce n'est plus lui ; je retombe
K dans le fini : j'en vois assez pour me contre-
ic dire et pour me reprendre toutes les fois
et que j'ai conçu ce qui est moins que vous-
« même. Ainsi, c'est un mélange perpétuel
ce de ce que vous êtes et de ce que je suisj
If je ne puis ni me tromper entièrement , ni
H
DE LA NOUVELLE HERESIE. S28
« posséder d'une manière fixe votre vérité .
t< Bien loin de vous méconnaître dans cet
« infini, je vous reconnais a ce caractère né-
K cessaire de l'infini qui ne serait plus Fin-
ie fini si le fini pouvait y atteindre (1). »
Pascal , à son tour , renfermant la preuve
de l'existence de Dieu dans le langage de
la seule philosophie : « On peut hien, dit-il,
« connaître qu'il y a un Dieu, sans savoir ce
« qu'il est. Pour vous en convaincre , je ne
t< me servirai pas de la foi, par laquelle nous
ce la connaissons certainement; je ne veux
If agir avec vous que par vos principes mêmes,
ic Quftie fait ainsi n'entend pas la force de
« la raison (2). »
Saint Paul et tous ceux qui l'ont suivi
étaient donc fondés k croire que l'évidence
des merveilles de la nature ou des mer-
veilles du Christianisme pouvait, soutenue
(1) Traité de Vesist, de Dieu, 2« part., chap. v,
p. 367, 368, édit. Paris , 1811.
(2) Pensie$,f. 46, 50, édit. Parie, 1714.
1
i
5t30 msTOHŒ
par la grâce divine , amener à la foi Denys
Taréopagite , et tant d'autres jusque-la opi-
niâtres dans Terreur (1).
Celse, l'implacable ennemi des Chrétiens,
dirigeait dans un autre sens ses attaques con-
tre l'Eglise naissante. «Cettesoumission aveu-
gle qui vous enchaîne a la parole du maître ,
leur disait-il , n'est que petitesse et travers
d'esprit , un outrage a la raison. » A quoi^f m\
Origènc répondait: «Cette foi, tout aveugle^^ .e
qu'elle est , n'empêche nullement que ceu
qui ne se contentent pas de croire, mais qur -^i
veulent aussi faire usage de leur raison , n'é ^s-
tablissent solidement leur croyance j^ar le^s. s
preuves convaincantes qui se présenten^^ t
d'elles-mêmes à leur esprit, ou que leu
fournit une étude plus approfondie (2). »
Entre la foi qui croit sans examen et 1
raison qui ne se rend qu'à l'évidence , M.
La Mennais pose le néant de son doute uni
(1) Act. XVII. 34.
(2) Advers. Cels.^ Biblioth, choisie, t. II, p. 32.
JC
DE LA MOUVELLE HÉRÉSIE. 8S1
versel, jusqu'à mettre en problème sa propre
existence. « Nul doute , lui objecte un savant
ce théologien,que le sceptique Lamennaisien,
« qui doute de sa propre existence avant d'a-
« voir consulté le genre humain , n'arrive
« a cette conséquence, que le néant peut pen-
if ser , douter s'il pense ou douter s'il rêve;
« et, dans tous les cas, c'est le néant qui
« doute , qui rêve , qui voit tout ce qui n'est
r pas , et qui est quelque chose (1).
Le grand argument de l'école Lamcnnai-
sienne est que, la raison humaine étant trop
bornée pour embrasser l'essence des choses,
nous manquons de preuves pour en con-
naître l'existence. De même pour l'évi-
dence; elle ne se découvre qu'en partie,
donc elle nous échappe en totaUté , et il faut
recourir a la foi pour obtenir quelque cer-
titude. C'est le raisonnement de Hobbes et
de l'école de Spinosa, dont le sceptique
anglais avait été le précepteur.
(9) M. Boyer, Bgamen, p. 77.
258 HISTOIRE
11 est vrai , l'essence de Dieu est en elle-
même incompréhensible, parce qu'il ne
nous est pas possible d'avoir une connais-
sance parfaite de ses attributs; mais son
existence, nous étant annoncée par le spec-
tacle de la nature, par Tidée que nous
avons d'une première cause dont dépendent
toutes les causes secondaires, et par une
foule d'autres preuves également sensibles,
ne saurait être incompréhensible. Certes,
nous ne comprenons ni toute l'économie de
notre corps, ni son union avec l'âme, ni
la manière dont les objets extérieurs agis-
sent sur nos sens ; faudra-t-il hier pour cela
que nous ayons un corps , une âme et des
sens? Il n'y a presque aucune chose dans la
nature qui , sous un certain point de vue ,
ne soit incompréhensible , et dont , sous ce
rapport, on ne pût contester l'existence j
ce et cependant, dit Clarke, il n'y a pas
ce d'homme qui , faisant usage de la raison ,
ce ne puisse s'assurer plus facilement de
DE LA NOU^XLLE HÉRÉSIE. 3S5
«r Fexîstence d'une cause suprême et indé-
«r pendante que de l'existence d'aucune au-
«c tre que ce soit(1). »
Hobbes , matérialiste , a trouvé des apo-
logistes : faut-il s'étonner que M. de La
Mennaîs ait trouvé des défenseurs pour
les opinions qui se rapprochent de celles
du philosophe anglais?
Cependant, malgré cette propension à
douter de tout, l'école Lamennaisienne
convient qu'il y a une évidence qu'il faut
croire. Il est, de son aveu, des principes
universels, inaccessibles au doute; les dé-
truire , ce serait détruire l'intelligence elle-
même. Ils sont certains, ils le sont d'une
évidence intrinsèque. Notre raison les saisit
au premier coup d'œil ; elle les affirme d'une
manière absolue , et ne peut guère s'abste-
nir de les affirmer et de les croire. C'est un
fait , et la vérité des faits ne se prouve pas ;
(1) Demonstr, ofthe Beingh,, etc., propos. 3. Ta-
baraud ; jETû^. du Philos, Angl,,i, ï, p. 194.
9M umfUMA
elle se constate par la simple obsarration.
Point de doute parce qa'il y a certitude :
ce sont là toutes expressions de M. de
La Mennais. Ce n'est pas tout. Les motifs
de certitude admis universellement par la
philosophie et par l'expérience comme irré-
fragahles , on ne les réprouve pas. Permis
de les invoquer dans la recherche de la
vérité, mais sous condition. M. de La
Mennais ne veut pas qu'on juge sur leur
simple rapport , sans qu'au préalable on ait
confronté leur témoignage avec celui de la
raison générale, et que l'on ait reçu d'elle une
sanction indispensable. C'est alors seulement
que l'autorité de l'évidence est légitime. Bien
qu'elle ne donne encore pas une certitude ab-
solue jhïen qu'elle ne soit pas rationnelle, elle
n'en est pas moins réelle^ inébranlable au
doute; elle n'est ni démontrée , ni suscep-
tible de l'être; on l'appelle le fait de la
certitude. ((La condition de l'homme, nous
« êStt le madame bféropbante^ es^ckâdtter
■\
DE LA KOITV'ELLE HERESIE. SStt
«r entre les deux extrémités de l'être et du
r néant, de la certitude absolue que la rai-
(( son nous refuse , et d'un doute également
(f absolu contre lequel notre nature se ré-
tf volte (1). » Il faut revenir aux principes.
Ce que les philosophes disent de la raison,
nous l'appliquons également à l'évidence.
Autant la raison droite est certaine , infail-
lible dans ses vues claires et distinctes,
autant elle peut-êlrc fausse , erronée dans
ses jugemens et ses raisonnemens. L'erreur,
quand elle se rencontre, n'est pas dans
ridée, mais dans le jugement. M. de La
Mennais confond l'évidence qui est dans
les choses avec la certitude qui est dans
l'esprit de l'homme. L'une est immuable,
l'autre variable et faillible ; et ce ne serait ,
dit un métaphysicien de nos jours, que par
un abus manifeste du mot qu'on appellerait
certain ce qui est incertain ou faux. « Il suit
t< de la, ajoute-t-il, que la certitude d'une
(1) Essai, i, II, p. 37.
2IS6 HISTOIBE
cf vérité n'exclut pas le doute ou Terreur en
ff général , mais le doute et Terreur sur telle
« et telle vérité connue avec certitude. La
c( certitude est donc une infaillibilité par-
tf tielle et bornée a cette vérité actuellement
ff vue et aperçue par Tesprit, non cette
« clarté qui exclut le doute ; et en cela elle
K difi(ère de l'infaillibilité absolue, qui est
« l'impuissance totale d'errer ou même de
If douter (1). »
Cette confusion de langage , générale à
tous les écrivains du parti , qui les jette
dans une obscure et contradictoire méta-
physique, tient a Tune des erreurs capitales
du système , savoir qu'il y a connexion né-
cessaire entre la certitude et l'infaillibilité;
comme s'il y avait parité entre l'essence de
Dieu et la nature de l'homme, toujours
séparées Tune de Tautre par tout l'abîme
de Tinfini , malgré les communications que
la première ait daigné faire a Tautre de ses
(i) M. Boyer, Examen ^ p. 60.
DB LA N01IYEU.B IlÉBBfilË. 957
adorables perfections. Il y a donc pour nous
certitude^me y mais en conclure qu'il puisse
y avoir une fausse évidence est un paralo-*
gisme absurde ; il n'y a pas plus de faussa
évidence que de fausse vérité. L'Esprit saint
l'a dit par la bouche de son Apôtre : Quelle
union y a-t^il entre la lumière et les ténè-'
bres (1)? Elles peuvent se mêler; dira-t-on
qu'elles soient identiques ? La lumière luit
dans les ténèbres ^ et nous aidons tous reçu
de sa plénitude. « Quoique les ténèbres ne
<f V aient point comprise^ comme parle le
^ saint Evangéliste , et qu'un trop grand
« nombre d'hommes s'obstinent à marcher
V dans les ténèbres ^ s'ensuit - il qu'il n'y ait
«f point de lumière , ou que celui-là qui s'est
<f appelé lui-même la lumière du monde^ la
«f vraie lumière , ne soit qu'une lumière
If fausse , infidèle ou erronée (2) ? »
Qu'ily ait erreur dans nos jugemens ,1a chose
(i) II Cor. VI, 14.
(2) Joann. i, 5-16. ~vni, 12.
2kB8 DisTomE
est possible ; le cercle de nos facultés est sî
étroit, rhorizon de notre intelligence bordé
de tant de nuages, comme l'abus de la raison
SI ordinaire aux hommes même les plus rai-
sonnables! Les préjugéSjle défaut d'attention
ou de justesse d'esprit , la passion , agissent
avec tant d'empire sur nos décisions ! Cha-
cun se fait de soi-même son oracle et son
dieu : Sua cuique deus fit dira libido. La
certitude s'acquiert, mais avec divers degrés
de confiance proportionnés aux divers de-
grés de probabilité que les objets divers
nous présentent. Parmi les connaissances
que l'homme doit a l'étude, à la méditation,
a la conscience, au raisonnement, il n'en
est qu'une partie a laquelle appartienne ce.
caractère si précieux de certitude absolue; lest
autres ne jouissent que d'un degré de probabi-
lité plus ou moins élevé ; et, comme Tobservf
un moderne métaphysicien, entre la plu
légère probabilité et la certitude se trouvt
un nombre infini de degrés distingués pa
la Bgne ^ sépare la pins grande probaU*
lîté cpn n'est encore ijoe probabinté , de fat
cerâtnde rêeUe, est fort <fificile a détermi-
ner d*mie manière exacte, précise et rigon-
reose; msus il est nn grand nombre de véri-
tésj elles pins importantes surtout, qui sont
si fart au-dessus de cette ligne , que ce dé-
tint de détermination n^altère en rien la
certitude entière et absolue dont elles jouis-
sent (i). Dans ces cas Btigieux, permis a
3\I. de La Mennais de faire le procès a la
:iraSson individuelle, de slnscnre en faux
contre Tévidence elle-même. Une voix bien
^lus forte que la sienne invoque un autre
tribunad, en faveur de qui elle exige une
pleine soumission. Que cette voix tombée
du ciel accuse la raison en lui prouvant que,
conduite par l'orgueil d^une fausse sagesse,
elle ne fiit que Jolie/ qu'elle trace avec les
p. 341.
fUO mSTOIBB
plus vives couleurs le hideux tableau de ses
ignorances et de ses déportemens , comme
l'a fait saint Paul ; qu'elle humilie profon-
dément cette > superbe, qu'elle enchaîne la
rebelle sous le joug de la foi : nous remer-
cierons, avec saint Augustin et tous les Sages,
la bonté divine de nous avoir donné un sup-
plément à sa lumière par l'autorité, non pas
de celle-lk que nous prêche l'auteur de VEs-
sai sur V Indifférence^ vain simulacre, idole
de Dagon , portée par ses mains sur Tautel
du Dieu vivant , mais de celle-là que tous
les siècles chrétiens ont seule connue , qui
nous vient de Dieu et non pas des hommes,
seule infaillible en matière de doctrine. Or,
c'est ici surtout que prévaut la maxime de
saint Augustin , que dans les choses de pure
spéculation, libre à chacun de penser comme
il veut,etque dans les choses de la Religion,
la foi à l'autorité doit avoir le p as sur la raison •
Qu'après cela il y ait des athées^ des déistes^
des cahinistesj des sociniens^ une foule in-
DB LA KOUVEIXB HÉEÉSIE. Mt
nombrable de sectes pullulant au sein de la
société , de même que l'iTraie sera toujours
mêlée au bon grain ; qu'elles s'arment éga-
lement du nom de l'évidence pour com-
battre notre évidence catholique ; qu'en un
mot il soit nécessaire y selon l'expression de
saint Paul, qu'il y ait des hérésies y et il y
en aura jusqu'à la consommation des siècles:
loin que l'on puisse s'en prévaloir contre les
titres légitimes de la raison et de l'évidence;
l'autorité emprunte de la raison elle-mêmp
une égide sûre contre leurs sophismes, et dé-
ifient l'infaillible régulatrice de nos juge-
mens. «La confiance dans l'autorité, comme
«r la confiance dans nos facultés intellectuel-
« les , est une suite de la raison approuvée
« par la raison , et par conséquent raison-
tr nables l'une et l'autre , » a dit le même phi^
losophe que nous citions tout* k -l'heure. Au
reste, la dissidence des opinions ne porte pas
sur les premières vérités; elles se présentent h
tous les esprits avec une clarté qui ne permet
T. I. 16
MB msTOfRtt
k personne de les méconnaître. Qae s^il est
des esprits de travers qui les mettenl en
question , i^rmons, pour l'honneur de Vhv^
manité , que ce n'est pas le plus grand ndiiH
bre : les oiseaux de nuit ne son£ pas les {4lil
communs dans la nature. On n'a jâmai» ouï
dîi*e que les hommes aient été jamais divisft
d'opinion* et de sentiment sur la vérité des
premier» axiomea de la morale , de la xaéitt^
physique^ de la physique, delà géométrie {i)i
La controversé , soit théologique , soit phi«r
losophique , a pour objet les questions em<^
barrassées où Pintelligence, mue p2U* les dif-
férentes causes dont nous avons parlée prend
une direction diverse , trop souvent Êtusse^
Alor& l'évidence immédiate et d'intuition^
pour parler le langage de l'école , se conJ&>nd
avec l'évidence médiate ou de déduction-, et
de raisonnement. C'est par rapporta ceUe»?
ci qu'ont lieu ces déplorable» divergences .o^
(1) M. Boyer, Examen y p. 21G. Voycï le chap. r *
du premier Uvi« , pag:^ 1$0 etsuiv*
DB LA NOt^lMUÉ te^RÉSIE. Mft
les deux parties , à'àetorà antre eUfés tsut lé
principe de la eertitiide de Févidetite, lie
dnptitent que sot le faât de «areir à qtit efie
ipparlient. A peu {^ës mdifëréttte sitt Ié6
matières puremeflaent pbttofserplrrqties , trt-
ténnr» oa polilîqpfteiF, la dffiskm qaf existe
daiH les espritft prend mt caraet ère pins se-
rieum dans les nùrtièrés où la religion et h
eonicîence se trouveivl intéressées^. Et catÈf-
sMBl les vésoadre , si ee n'est par verie d-arti^
iorité ? €Ni en serait-on si chatcân se tr&ytàt
pèf ans de décider d'aspi-ès son sen^ pmg 7
L'expérience ne Fa q«re trop fak voit^;
Or^ quelle antorité phn rêoetâUe qno
celle de Dien liù^nèine ? Qtre Faùtorflépr^
^<H)ce , ce n'est plus une parc^le bnitlainé ^
^ais la parole de Dieu ; elle est donc infail-
lible» La difficulté sera de constater arec
^^Witnde l'authenticité du témoignage qui
^^ fonde et la transmet; et c'est la-dessus
^^Q la raison exerce souverainement son em-
Pfcpe , qu'elle juge les titres de là crayancé ,
S44 msToniE
que le raisonnement les appelle à la discus-
sion , et les résout par ce qui lui paraît être
révidence. Dans tous les systèmes , comme
dans la doctrine ordinaire , Tévidence est la
dernière raison des choses (1)-
Qu'il y ait donc des croyances yraies et
des croyances fausses , des croyances certai-
nes et des croyances incertaines , une foi di-
Tine et .une foi humaine , on ne saurait le
contester. Faute de discerner les unes d'avec
les autres , on se laisse aller à l'erreur ; oh
prend le masque de la vérité pour la vérité
elle-même , Vange de ténèbres pour Vange de
lumière; on se sépare, on secoue le joug de
l'autorité ; une vaine et présomptueuse com-
plaisance pour ses propres idées va jusqu'à
(1) « Au-delà de l'autorité on conçoit toujours cette
« question : Pourquoi telle autorité plutôt que telle
« autre? tandis qu'au-delà de F évidence on ne con-
« coit que le scepticisme , ou bien cette question ri-
« ridicule : Pourquoi telle évidence plutôt que telle
« autre? c'est-à-dire^ pourquoi la lumière plutôt
» que la lumière? » M. Lacordaire, Considérations,
p. 153.
DE LA NOUVELLE HERESIE. 918
s'emporter contre Dieu même, en l'insultant
dans Tautorité qui le représente (1). Chacun
tourne à sa £intaisie la doctrine qu'on lui a
enseignée , comme celui de qui il l'a reçue
l'avait inventée à sa fantaisie (2) , sans qu'il
soit possible de prévoir un terme k cette
malheureuse fécondité . Et par-là s'accomplit
le terrible oracle, qu'il est nécessaire quHljr
ait des hérésies. Au lieu de voir dans cette
diversité d'opinions un argument contre la
certitude chrétienne , Origène y découvrait
pour elle un nouveau triomphe : (^ C'est, dit-
V il, le sort de toutes les bonnes et utiles insti-
« tatioQs,d:'être soumises kdes discussions qui
er amènent-partage dans les sentimens (3). »
Saint Augustin achève la pensée en disant
fr qu'elles onjt au moins cette utilité d'ajouter
V àl'étude et au développement delà doctrine
(i) Sahit Gyinieii , EpiH. lxiv, lxviii.
(2) TertuU. , Presorip.y e. xli. Biblioth, choisie des
PifM, t. m, p. 226.
(3) Advers, Cels., t. II. BMiôth, ohoieie, p. Ii8.
f HP iif^TeAii d^l^ré de clarté «t de préoî*
f «UHi(4)' f» Qu'entrceque ceiafeitalaVériië
f$e (pie cela fait a lacsartitnde eUe-pciéme que
tH)u« fnx aYon^ ? 3^9 #aiats brftcles notis ré-
pimdent qn'irUe repoli aur de^IbndemfinB itoi'*'
^pU^U^ : laîissea tambei^ ce liaiQaûnpitrqiit
i^QyhJic Teau , et Tiinage »'y retracera fidi^
T^hM^ 9ciaQ^ a doaa so|i éndence ;
f^ « 4Jit Î^UM; TbiQiiias t toute science s'ac^
cpi^rt; ^n vertQi de quelques principes con^
i)W p?^ pw^Haameaf et par conaéqucafit'o^u^y
fc'i^t pdur^u^ «il faut quetouficb qw l't>H
^it 9oit vu 011 quelque jèâanièrQ;^ I^nier des
Yéf ité3 ividmïA» » a dit i'arciieYèque de
C4fpl»)?ay d* j^rèa saint Thomas '^.devient une
ejireur auMÎâ^ii^f) qu^ de <;i}oii«&'légèffement
(1) Be verâRelig., ibid., t. XXI, p. 132.
(2) Ps. cxYï, 4. « La vàûlç prouvép féftite tputes
« lea epitoirè qiii lui sont opposées l cpiislqae forme
« qu'elles reyétent , quelque développement qù^eUes
<i rftçoive&i. m M. RssaiEeii , p. 38A« >
M 'Uk MmwxK mimÉsm. tÊÊ
h» wéti^ (pli ne sont pas évidentes (4 ).
Et Fénelov condioait, comme sâiat Au*
fVfttifly ^'ily a un seul et même principe de
cwtitude pour la «ciènce et poor la foi.
L'éeole de M. de La Menaais a chercké à
brouiller ici toutes les idées par dea distine^
tions captieuses et des subterfuges sans fin.
Signalons à l'estime et à la reconnaissance
publique Vexamen qu'en a fait un théolo-
gien moderne , M. Rozaven (2). Sa réfuta-
lion , dirigée en particulier contre M. Ger-
bet , frappe également M. de La Mennais ,
et les laisse l'un et l'autre écrasés sous le
poids de sa puissante dialectique. Il poursuit
pied à pied le disciple dans chacune des
routes du labyrinthe où il s'est engagé , dé-
masque ses sophismes , ses ignorances , ses
contradictions , venge l'autorité de nos saints
(1) Traité de VEœist, de Dieu , deuxième partie ,
chap. I , pag. 283 , édit. Paris , ISil.
(2) Eûffamen d'un ouvrage intitulé : Des Doctrines
philosophiques sur la Certitude ^ par M. Vabbé Ger-
het, p. iOl et soir, (i vol. in-8*, Avignon, 1833. ^
948 msToiu ra la NOfjtEue BiussiE.
Docteurs contre la téméraire arrogance de
ces théologiens d'hier qui osent les accuser
et avoir altéré profondément Venseignemeni
de la théologie y et démontre combien cei
théories nouvelles sont contraires a la doc«
trine catholique.
CHAPITRE II
Certitude du témoignage des sens et du sentiment.
Les mêmes argumens qui repoussent les
objections proposées contre l'éyidence, mi-
litent en faveur du témoignage des sens et
du sentiment.
Ayant M. de La M ennais , Empédocle ,
Métrodore , Leucippe , récusèrent le témoi-
gnage des sens. Pyrrhon et Ârcésilas enché-
rirent sur leurs leçons de scepticisme : ce sont
les Pères de l'école nouvelle. Les sens nous
SItJO HISTOIRE
trompent , ne cesse-t-on de nous dire. Les
sens nous trompent quelquefois, donc ils
nous trompent toujours ; donc ils ne nous
laissent contre leurs illusions d'autre res-
source que celle du doute universel. Et
le même homme qui , dans son Essai sur
V Indifférence ^ proteste si énergiquement
contre ce doute, qa'îiTegaisde c#mme la plus
dangereuse maladie du siècle^ nous y re-
plonge par l'impossibilité d'y échapper.
Saint Augustin foudroie ce raisonnement
dans plusieurs de ses livres ) il le reproche
aux Académiciens comme une extravagan-
ce (4). TertnlBiCii s'exprâme ainrï : k 11 ne
tr nous est pas |Mnrims de ik^citer de la fidé^^
r lité des sens , dé f>e«l- que l'on n'en doute
« aussi en ce qui regarde le Christ, etqiiel'en
c( ne dise peut-être qu'il aura vu fausseâient
«r Satan précipité da ciel, ou qu'il a«ira en^
tr tendu faussement la voit du Pèfe hA rên-
(1) Enchiridion j cap. xx, et De Civitate Dei ,
HIkt. XIX, «ap. 48.
DC LA KOOVBUB flÉ&ifilB. IBt
c dant témoignage (i). m Ce qui fait dire à
l'mi de nos premiers philosophes modernes :
« Sk l'homme était privé de toute sensibi-
« lité j il serait en même temps privé de
« toute intelligence ; il n'aurait idée ni de
« l'univers, ni de l'auteur de l'univers, ni
ff de lui-^mème, ni des rapports qui naissent
tr de ces idées. N'étant pas averti de son
tr eustence propre , comm^it pourrait-il
« soupçonner d'autres existences (3) ? » Mais
rien ici de plus précis cpie les paroles de
Pascal V qui résument toute la question :
«r D'oùjilpprendrons-nous la vérité des faità?
«r Ce sera des sens , ce sera des yeux, qui en
« sent les légitimes jugea , comme la raison
r l'est des. choses naturelles , et la foi des
(1) Zff Animé j cap. vit. ^
(2) M. de La Romiguière , Leçons de Fhilos., t. II,
p. 176; Woy. surtout sa xii» leçon, p. S65 et suîv.,
ou H fxptiqup «Tec une u liuninenae tagaoîAé sa
thqorie des &cultés sensibles , intelligentes et mo-
rales, qui renverse tout le système de M. de La Men-
nais et de son école. .
ittift msTomE
ir choses surnaturelles et révélées, selon les
K sentimens de deux des plus illustres Doc->
« teurs de l'Eglise , saint Thomas et sainte
« Augustin. Ces trois principes de nos con-
fc naissances , les sens , la raison et la foi ,
K ont chacun leur objet séparé et leur éer-
« titiide dans cette étendue ; et comme Dieu
« a voulu se servir de Tentremise des sens
•r pour donner entrée à la foi , ^des ex au-
it ditu y taiit s'en faut que la foi détruise la
« certitude des sens, que ce serait, au con-
ce traire , détruire la foi que de vouloir ré-
ff voqucr en doute le rapport fidèle des
« sens (1). »
Nous attachons le caractère de cebrtitade
au témoignage des sens qui nous attestent
l'existence des êtres ou des faits extérieurs
qui sont à leur portée , toutes les fois que
leur témoignage est soutenu, réglé, uni-
forme , et que la raison ne le contredit pas.
Nous l'éprouvons en nous dès l'âge le plus
(1) Provinciale*, lettre X vin.
1« LA KOUVEUE HÉEÉSIE. 8tf5
tendre et jusqu'à la plus extrême TieiUesse.
« Le plus intrépide sceptique osei^it-il , de
V sang-froid , s'élancer dans un précipice
« qu'il aperçoit à ses pieds, se refuser les
« alimens nécessaires , sous prétexte qu'il
« doit se défier de ses sens qui les décou-
« yrent , et que peut-être il est lui-même
«r un Cuitome ? Voudra-t-il jamais contester
« la réalité du corps qui Tient de le frapper,
« et, s'il Toitl'épée briller sur sa tête ou qu'il
« entende gronder la foudre , rester tran-
«r quille et se croire en sûreté à l'abri de ses
«r doutes frivoles? L'homme sent nécessai-
« rement qu'il a un corps ; il le nourrit , il
tf l'épargne , il le soigne avec précaution ; il
« craint pour lui l'influence des objets exté-
« rieurs qui le menacent , et jamais il ne
« pourra heurter indifféremment tout ce qui
« l'environne ; toute sa conduite et ses ac-
« tiens démontrent pleinement sa persua-
ff sien. Or, quelle peut être la cause de cette
« propension si universelle, de cette croyance
SM nttTonu
« permanente et nécessaire ?Nobre âme elk)-
<r même en ignore l'origine, et ne peut d'âit-
« kurs »'en défaire malgré tous ses effort»,
te Donc c'est Dieu lui-même qui seul en est
r l'auteur et qui la produit en nous pour ré-
ff g)er nos démarches ; et , alors , connntnt
r prétendre qu'elle puisse être poclr nous
ic une source d'erneurs et d'illusidns , sans
(c le%fair e nécessairement retomber sur Dieu
(T même? Ne serait-il pas contraire a sa sa«
« gesse , à sa Téracité , d'abandonner aînsî
«r les hommes , de les entraîner même h des
<r méprises continuellea par uh penchant
«e trompeur et irrésniible ? pouitaitnil ^ sons
« se renoncer lui-même , être la cause de
(c taat d'affections isiefisongères ? NiHat sans
cr doute 9 et nécessiairement il doit ^ en les
«( produisant, nous en garantir l'infaillibilfté^
« ou devenir la cause efficiente de notre il-
K lusion ^ il faut donc , par coiHéqoent f
«r qu'elles aient un prmcipe réel dans les
ff corps qui les occasionent , et que nos sens
DE LA NOmrSLU HERESIE.
M fMSÂMent nou8 tromper, au moins quand
Us nma attestent en général leur existence.
^ Ansû n'est -il aucun motif de certitude
>airo«iéplusuiiiyerselleraent,niplus authen**
- iiqpteoienEt reconnu pour infaillible ; et û
Vaiiftorilté peut jamais nous assurer de rien,
die doit, sans contredit, nous interdire
tMt cbute sur ce point. U suffit de pro^
- Màcer, pour constater un fait , que nous
- Xxfom \XL de nos propres yeux ; et si Ton
- Qi'a point à se défier de notre sincérité ,
toutes les contradictions cessent à Fins^
tant(1)^ >••
lies objections que l'on oppose à ces prin^
^ $es ne peuvent être regardées que comme
subtilités que la moiudre lueur du sens
mmun îaàl évanouir.
Par ei^emple , on vous dira que d'habiles*
(i) M. Receveur, Recherches philosoph., etc.
\>- 63-93; Da^oMeau, Méditai, philos ^^ iv. Berg^er,
•^fologie de la Relig. (art. Certitude j t. II, p. 379).
^ergier y jipologie de la Religion (art. Certitude)^
t: II, p. 370.
9tl6 ttlSTOIRB
géomètres ont affirmé comme certaine telle
proposition que d'autres venus après ont
démentie; qu'avant Copernic, on croyait
généralement et avec certitude que c'était
le soleil qui tournait : aujourd'hui il «est
prouvé que c'est la terre. Eh! qu'importe
que ce soit l'un ou l'autre ? En est-il moins
certain, par le rapport de tous mes sens,
qu'il y a au-dessus de moi un soleil qui m'é-
chauflfe de ses rayons , sous mes pieds une
terre qui fournit à mes besoins ? Parce que
tel géomètre s'est trouvé en défaut , en con-
cluerez-vous qu'il n'y a rien de certain en
géométrie ? Il ne peut y avoir de diversité
dans les opinions , ni d'erreur dans les juge-
mens , que sur la cause ou sur quelques cir-
constances du fait. Le fait en lui-même est
d'une vérité immuable et éternelle.
De même , « le sentiment est , de l'aveu
a de tous les philosophes , une preuve in-
ce contestable des affections qui sont en nous ,
tf et un motif infaillible de juger avec assu-
DE L.4 \UI.\iXLE BÊRÊME. S57
^ rance que nous les éprouvons. 11 faut , en
i effet , que nos affections soient réelles pour
' être ^ntîes ; elles ne sauraient agir en nous
« et sur nous si elles n'existaient pas; et Ton
« ne peut pas supposer que Tàme éprouve
' un sentiment quand elle ne Téprouve pas
« en effet , parce qu elle ne saurait sentir
« et ne pas sentir tout à la fois. Et comment
^ se ferait-il que l'homme ne sentit pas,
^ quand on suppose qu'il sent réellement ?
" Lorsque j'éprouve de la douleur ou de la
" Joie , je ne peux être trompé que dans le
<^ cas oit je n'éprouverais ni douleur ui joie ,
^ or, il est impossible que cela soit jamais ,
^ puisqu*on suppose préalablement que tou-
^ tes ces affections sont réelles. Le doute ici
^ ne peut donc exister sans contradiction j
^ on est obligé de détruire le sentiment pour
* le convaincre d'incertitude , et par conse-
il qaent de le justiBer dès qu'on veut leren-
^ dre suspect, m
T. I. i7
CHAPITRE III.
i
Du témoignage des hommee.
Ce raisonnement s'applique au témoin
gnage des hommes, pour en garantir la
certitude morale et infaillible. Tout est
fondé dans le monde sur cette certitude. Si
nous ne savions pas nous en contenter dans
les choses qui nous importent le plus ,, nôtres
vie serait malheureuse. C'est la^ réflexion,
d'un sage de nos jours, que l'écolç die M* de^
La Mennaiâ regarde comme l'un de ses
mSTOnE DE LA NOLVELLB IIEEÉSIE. 5tJSQ
oracles, ce iVon-seulement l'histoire , les
^ sermens , les attestations , les contrats ,
« les titres deviendraient inutiles et sans
(< force , mais nous ne pourrions en rien
« nous confier a personne. Sachant a quel
« point les hommes différent par l'humeur ,
(( par le caractère , par les passions et les
(T vices , par les préjugés et la tournure de
K leur esprit , je vois qu'ils ne peuvent avoir
«c tous dans le même moment la volonté de
«r former le même complot pour me tromper
K de la même manière, par les mêmes
ac moyens et sur le même objet. Pour cela ,
« il faudrait qu'ils eussent tous ce qu'ils
« n'ont jamais , les mêmes idées , les mêmes
c< motifs, le m^me intérêt, les mém^es vues
« et le même génie ; ce qu'il est impossible
i< de supposer. C'est de ce principe que tire
« sa force un témoignage venu d'un nombre
f( d'hommes considérable; tels sont les té-
<r moignages qui m'assurent de l'existence
«f de la ville de Constantinople , etc. Quand
960 HISTOIRE
K je n'ai pas la fièvre , il m'est impossible
f( de former des doutes sérieux sur ces
« objets (1). »
La Théologie puise dans le témoignage
des hommes une de ses preuves les plus
concluantes pour la divinité du Christia-
nisme. Tous nos Apologistes fondent' sur cet
argument la certitude invincible des faits
racontés par l'Ancien et le Nouveau Testa-
ment. Ce sont des faits publics , importans,
extraordinaires , vraiment surnaturels ,
opérés pour la plupart non dans les ténè-
bres, mais au grand jour, trop sensibles
pour avoir été crus s'ils avaient été faux,
attestés par des témoins nombreux, les plus
dignes de foi , incapables de vouloir trom-
per ^ non moins incapables de se tromper
sur les choses qu'ils ont vues de leurs yeux,
entendues de leurs oreilles, touchées de
chacun de leurs sens, qui consentent a souf-
(]) M. le comte de Maistre , Considér. philos, sur
le Christian, y chap. xiii, p. 8j .
DK LA NOUVELLE IIKRÉSIE. Ml
trir la mort en témoignage de leur foi ; faits
opérés souvent en présence de peuples en-
tiers , soumis a Texamen le plus sévère , aux
enquêtes des ennemis les plus intéressés a
les contredire, et qui en ont triomphé. Il
n'en est pas des faits comme d'une opinion :
les préjugés rétablissent, l'îgnovance l'a-
dopte , l'entêtement la maintient; mais des
faits énoncés conune récen», notoires, pal-
pables, éclatans, racontés comme connus
dans toutes les circonstances, ne s'accré-
ditent pas ainsi , a moins d'être vrais , sur-
tout quand ils devaient rencontrer des
obstacles insurmontables^ changer la foi
des peuples, et faire révolution dans le
monde entier. Les actes qui les rapportent
sont eux-mêmes revêtus des mêmes carac-
tères de vérité que leurs auteurs et leurs
héros. Us excluent absolument et à la ri-
gueur toute possibilité de douter pour qui-
conque ne veut être ni sottement crédule,
ni sceptique jusqti^a l'absurdité. « C'est l'é-
S68 HISTOIRE
« vidence seule qui force la conviction ('!).>»
Les uns et les autres , éyénemens , écrivains,
acteurs, se lient entre eux par une chaîne
indissoluble qui remonte sans nulle inter-
ruption jusqu'à la plus haute antiquité,
traverse les siècles et les domine; témoi-
gnage perpétué d'âge en âge par une
tradition iconstante et toujours uniforme.
S'il y eut jamais quelque chose de prouvé
dans le monde , c'est la vérité des faits dé-
posés dans les livres que nous appelons
l'Ancien et le Nouveau Testament, et l'au-
thenticité de ces mêmes livres; donc , par
une conséquence invincible, la divinité de
la Révélation qui s'y trouve manifestée.
Les adversaires que nous avons a com-
battre ne sont pas de ceux qui nous contes-
tent la vérité des faits sur lesquels s'appuie
la divinité du Christianisme. M. de La
Mennais et son école font la profession de
(1) M. Gerbet. Des Doct . philosoph . sur la Cer-
titude y p. 90.
I» LA .'WU VELUE HÉRÉSIE. 965
croire à la Révélation , tant a celle de Moïse
qu'à celle de Jésus- Christ. Comment se
fait-il qu'ils en ruinent le fondement?
Le fondement du Christianisme , c'est la
Révélation qui en fut faite au peuple visi-
blement Élit exprès pour servir de témoin
au Messie (i ) , comme le Messie se choisit
ses Apôtres pour être ses témoins dans Jé-
rusalem , dans la Samarie , et dans toutes les
contrées du monde où son Evangile devait
être prêché (2). Outre les prophéties prédi-
tes par la première Révélation , accomplies
par Tautre, nous avons, comme preuves des
plus authentiques, les miracles consignés
dans l'une et dans l'autre. Comment M. de
La Mennais et ses disciples en parlent-ils?
Comment se fait-il qu'ils parlent le même
langage que nos antagonistes les plus décla-
rés? r Quelles preuves, demandent -ils,
«f avons-nous à en donner aux mécréans^
(! ) Pascal , Fetiaéea ^ p . 79 .
(2) Matth. XXIV, 14. Act. 1, 8.
264 HISTOIRE
if îinx déistes? quelle garanlîe leur fourni-
« rons-nous de leur vérité? Le récit de l'E-
(f vangile et le témoignage des Apôtres, qui
'( n'étaient ni trompeurs ni trompés? Ne
« seront-ils pas en droit de vous dire tout
« d'abprd que vous faites une pétition de
w principes; que vous tournez dans un cer-
<f de ? La vérité de la Révélation évanffé-
tf gélique qui annonce les miracles ne pou-
« vant pas être prouvée rationnellement par
*f les miracles , et en outre , en établissant
« que les Apôtres, qui étaient hommes, n'ont
•f pu errer ni tromper, vous m'oppos.ez un
« fait aussi extraordinaire que les miracles
« mêmes qu'ils racontent. »
Cet argument, dont les libres penseurs
de l'Angleterre, tels que CoUins, Mandeville,
Tindall et autres ennemis du Christianisme
ne manquaient pas de s'armer , et qu'ils
ont transmis a Fréret , a Diderot et a l'é-
cole philosopliique du xviii^ siècle , de-
vait-il se produire sous des plumes callio-
DE LA ^OUV£LLK HERESIE.
liqucs? Il va droit à ranéantisscmcnt de
loute la foi chrétienne sur la divinité de
Jésus^Christ. Nous croyons Jésus-Christ Dieu
et homme; non pas seulement parce qu'il
Ta dit, mais parce qu'il Ta prouve. Homme,
il a dit : je mourrai; Dieu : je ressusciterai.
Ressuscité en effet, il dira à l'incrédule
Thomas : Mets ta main clans ma plaie^ et
;issure-toi que je suis un homme. Conversant
avec ses disciples, il leur disait : Je suis m<iîtrc
de quitter la vie et de la reprendre. «N'est-ce
pas évidemment une pétition de principes ,
s'écrie le déiste , de prouver la résurrection
de Jésus-Christ par sa divinité, et sa divi-
nité par sa résurrection?» Mauvais logicien!
Jésus-Christ ne dit pas : je suis Dieu parce
que je me déclare Ici , mais je le déclare
parce que je le suis. Il ne dit pas : je suis
Dieu et homme parce que je ressuscite ,
mais je ressuscite parce que je suis Dieu et
homme , et que je le prouve en ressuscitant
les morts et me ressuscitant moi-mcmc. De
206 HISTOIRE
même des Apôtres. Nous ne disons pas : les
Fidèles ont cru sur leur parole qu'ils n'étaient
ni trompeurs ni trompés , mais ils les oA^
réputés tels , parce qu'ils avaient , et que
nous avons comme eux , dans leur témoi-
gnage , les preuves certaines qu'ils ne pou-
vaient ni se tromper ni être trompés. Ce
n'est point parce qu'on a cru aux miracles
que les miracles sont vrais ; on ne les a crus
que parce qu'il a été impossible de ne pas y
croire. Et cette foi , fondée a son* tour sur
l'infaillible certitude des preuves fondées
sur la raison et sur l'évidence, est devenue
la foi de l'univers. « Où donc est dette ter-
« rible pétition de principes, si ce n'est dans
«f l'imagination de nos adversaires? La cer-
V titude des miracles a été dans le temps ,
»< est encore et sera toujours dans l'aveu des
« témoins oculaires, de leurs contemporains,
w dont aucun , même parmi les incrédules , n'a
c< nié leur existence; dans le témoignage uni-
« forme de toutes les communions chré-
DE LA NOUVELLE UÉ^ESIe'. - 967
(( tiennes qui les croient aujourd'hui comme
V ayant toujours été crus, de générations en
fj^énérations ascendantes jusqu'à celle qui
« a vu Jésus-Christ' et ses Apôtres (1). »
(1) M. Té-vêque de Strasb. , Avertissem. en répomû
h M, hautain, p. 23,24.
CHAPITRE lY.
De la raison générale y et du commun consentement
du genre humain.
La certitude et l'évidence renversées dans
chacune de leurs bases , quel rôle la raison
est-elle appelée a jouer dans le domaine de
l'intelligence ? Elle n^est pins pour Thommc
qu'un instrument perfide , qu^in stérile pré-
sent oii la sagesse du Créateur est en défaut,
qu'une lueur infidèle qui ne brille a ses yeux
que pour l'égarer, triste jouet de ses illu-
sions, a qui, comme dit M. de lia Mennais, il
niSTOIllE DE LA \OirVELLB HÊIUSSIE. fiW
ae reste de ressource que de douter de tout,
i qui sa propre existence elle-même est
lin problème, par-lk dégradée au-dessous
même de ranimai, qui du moins a son instinct
pourTéclaireret le diriger. Peu satisfait des
reproches que le scepticisme ancien ou mo-
derne accumula contre elle , on enchérit
sur les vieilles accusations par les termes
les plus dégoûtans; c'est a qui tentera le
trait le plus acéré. Viendront de nouveaux
assaiilans qui, non contens de la dépouiller
de sa plus riche parure, la châtient des
honneurs qu'elle usurpa en la traînant
dans la fange , et lui marquant le front du
Sceau de l'infamie. Entendez un d'entr'cux
e^thalant son courroux contre les adversaires
de la doctrine de son maître : ce Voila donc
'<• encore une fois la raison placée sur Tau tel!
«^ Non, ce n'est pas la raison, mais une pros-
'^ tituée que l'on y a placée contre toute
^< raison, et à l'éternel opprobre de VIncré-
^^ dulité. »*
970 HISTOIRE
L'incrédulité a changé de bannière. Ge
que l'on appelait jusqu'ici les Incrédules, c'é-
taient ces soi-disant Esprits forts qui faisant
irruption dans le sanctuaire de- la Religion,
arrachaient yiolemment le double flambeau
de la raison et de la foi qui en éclairait les
avenues, aspiraient à ne laissera l'entour que
des débris. Aujourd'hui c'est être incrédule
que d'en révérer les oracles , que de s'en
tenir à la tradition de nos pères, et de
. repousser les nouveautés profanes.
Elle est , poursuit-on , la prostituée des
siècles, celle qui « a enfanté, dans son com-
<c merce adultère avec l'esprit d'erreur ,
« toutes les doctrines bâtardes; hideuse pro-
« géniture du mensonge qui a infecté Tes-
« prit humain au moment funeste de sa
<c séduction et de sa dégradation (1). » .
Le Régénérateur des intelligences n'abat
le vieil édifice de la certitude que pour le
(1) De y Enseignement de la Philosophie en France,
par M. Fabbé Bautain^ p. 51.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 87 1
ii*ebâtir sur une plus vaste échelle. Voyons
s'il sera aussi heureux a édifier qu'à détruire;
Toyons si la main de l'homme sera aussi
habile a remplacer l'œuvre de Dieu , que
la main du Tout-Puissant Ta été a le créer.
Cette raison , propre a chacun de nous ,
que l'Auteur de notre être y a déposée comme
principe de certitude , lumière naturelle que
nous tenons de Dieu , a laquelle nous devons
la connaissance certaine des principes né-
cessaires à la conduite de la vie, et d'où
naît la certitude de la science, comme
parle saint Thomas (1 ) , M. de La Mennais
et son école ont déclaré solennellement n'en
plus vouloir; ils renvoient à Dieu son pré-
sent , pour lui substituer un nouveau prin-
cipe de certitude qu'ils vont chercher hors
ue l'homme , hors de Dieu lui-même , si
toutefois il en peut exister dans quelque
r
(1) A solo Deo qui nobis lucem rationis indidii^
pCf quod principia cognoscwnus , ew quihus oritur
^^ientiœ certitudo, (S. Thomas.)
278 HISTOIRE
système quelconque (1). Doute exprimé en
termes précis par Tun des adeptes de Fé-
cole Lamennaislenne ; et le maître lui-même
ne nous laissera pas long-temps dans le doute
de savoir si l'intervention de Diçu est aussi
nécessaire qu'on l'avait pu croire jusqu'ici.
C'est donc hors de l'homme qu^il faut
chercher exclusivement le fondement de 1:
certitude , à la société qu'il faut le deman-
der, du seul genre humain qu'on peut l'ob-
tenir. A la place de la raison particulière
la raison générale; et c'est Ih enfin le cri-
térium , la marque , le caractère distinctiK: »
de la vérité , le tribunal infaillible de nos ju — ^'
gemens , le seul guide capable de régler
(i) « Dans aucun système quelconque, rhoinme
« peut se démontrer la certitude. » M. Gerbet, Doc- -^^"
trines philosophiqtteê ^ p. 90. Et M. de La Maïuuûsr
« L^homme ne peut posséder la certitude qa^autantr -*^
« qu'on connaît avec certitude la raison générale ou-^*^
« le sens commun : or, il ne peut la connaître qu^^*-^
« par le moyen de la raison individuelle, faillible, e ^=?**^*
« par conséquent sans certitude. »
DE LA \(n3 VELLE HÉRÉSIE. 273
marche de notre raison individuelle, et de
nous garantir de ses continuelles méprises.
Les antres motifs de certitude , M. de La
Mennaisne les réprouve pas tout-à-fait, Aais
il ne les admet qu'en partie, et pour les
subordonner à son principe absolu de rai-
son générale. Elle est pour lui la première
des autorités, l'autorité essentielle, celle de
qui tontes les autres relèvent , comme n'en
étant q[ue la conséquence et la manifesta-
tion (1). Rappelons ses paroles : « Le Chris-
« tianisme , avant Jésus-Christ , était la rai-
« son générale manifestée parle témoignage
ff du genre humain ; le Christianisme , de-
tc puis Jésus-Christ , développement naturel
« de l'intelligence, est la raison générale ma-
te nifestéeparle témoignage de l'Eglise (2). »
Qu'est-ce donc que la raison générale , ou
raison humaine proprement dite, tantôt en
liarmonie avec la raison particulière, tantôt,
(1) M. Lacordaire, Consid.,]}, 153.
(2) Défense de rEssaiy préface, p. xcrv.
T. I. 18
274 HISTOIRE
et le plus souvent , en opposition directe ;
tantôt Jbndement et règle de celle-ci^ tantôt
son ennemie la plus déclarée (i ) ? De qud
nofti l'appellerez- vous? Nommez-la raison
de civilisation , la civilisation elle-même, la
méthode d'autorité, l'autorité essentiefie;
raison universelle , consentement générad ,
sens commun : toutes ces qualifications di-
verses lui conviennent ; car l'uniformité des
perceptions et l'accord des jugemens consti-
tuent ce que nous appelons raison générale
ou l'autorité (2). « La raison générale, la
a raison du genre humain et de toutes les
<f intelligences , n'est originairement qu'une
i< participation de la raison de Dieu la plus
«^ générale qu'on puisse concevoir , puis-
er qu'elle est infinie comme la vérité, ou
i< comme Dieu même (5). Elle est le Chris-
<f tianismc même , l'Eglise n'en est que l'in-
(1) T. II, p. 102,140.
(2) Défense, p. 233.
(3) Préface, passim. Essai,]), 125.
WK LA %mjWWMMM JÊÉMÉSŒ. flW
« lerprèle et l'organe (i). Depuis même
« l^mstitalioii de l'Eglise , la fiii dÎTine se-
m T9it impossible sans cette autorité inCùl-
•r lible, distincte de l'Eglise (2). »
Ainsi l'école de M. de La Mennais n'héâ-
fiera pas à dire après lui qne le principe de
la fin réside dans l'autorité de la raison gé-
Bénde (3). Son maître le loi avait appris, que
le ^enro hmnain, comme leniant, a sa foi ,
<|ai est tonte sa raison (4) ; car il doit exister
w «I moyen perpétuel et muTeisel ponr ac-
tf quérir la foi des vérités nécessaires ; il a dû
« exister antérieurement auChristianisme. >
Or ce moyen n'est évidemment dans ses prin-
ripes que la raisim générale (5). Donc l'au-
torité de la raison générale du genre humain
est, dans la doctrine nouvelle, le principe de
certitude fondamental , exclusif, universel.
(!) T. II, Pr4f.,p. 94.
(2) VoyesM. Roiaven , JEjrai»^» , p. i3î.
(3) M. Gerbet, Deê Ceriii. pkiloê.y p. 30.
(4) Essai, ^. 122.
(5) M. Gerbet, Des CeriU. pkilosoph., p. 36.
876 msTOiRE
Ce n'est point assez : Elle est aussi le prin-
cipe de la foi : « Point de foi . aux termes
« de M. de La Mennais , qui ne nous vienne
« du dehors; l'homme ne conçoit rien que
« par la parole (1). Nous ne connaissons
«r Dieu lui-même que par sa parole ou par
<c son Verbe (2) ; et je cjoute qu'aucun homme
K crût fermement en Dieu, si le témoignage
<c de sa raison n'était confirmé par l'autorité
« du genre humain (3). Le genre humain,
fc conduit par sa foi ', s'éleva a la certitude
c< du témoignage de Dieu (4). Unie intimé-
es ment au Verbe divin; elle fut, dans tous les
ff temps, la raison, la parole de Dieu même,
« l'expression de savérité,nlanifestéepar lui
cr au premier homme, transmise de siècle en
(1) Essai, p. 486, 490.
(2) Ibid.
(3) Ihid.y p. 180^ et dans la lettre à iS,, l'Archevê-
que de Pai'is : « La vraie raison n'est que l'esprit
« humain actuellement uni au Verbe oti à l'intelli-
n gence de la vérité. » (P. 29. )
(4) Essai, t. M, ^. 122.
D£ L.\ \OLV£LLE BÊRÊSIE. 877
« siècle , comme un patrimoine impérissa-
« ble; Eglise enseignante et infaillible qui
« s'est conservée d'âge en âge a travers les
« traditions de tous les peuples ; Océan de
«r lumière dont nous sommes pénétrés de
« toutes parts (1). La société est en quelque
« sorte le bassin dont les écoulemens arri-
« vent à chacun de nous par le langage, par
« l'éducation , etc. »
Tel est le pompeux échaffaudage dont
s'étaie le nouvel édifice que l'on a décoré du
nom de philosophie du bon sens. Désormais
toute la certitude du Christianisme repose
sur l'infailUbité du genre humain.
Combien, au simple aperçu, d'hypothèses
de pure imagination dont on a demandé à
l'auteur et à ses disciples la solution , sans
que pas un d'eux ait pu la donner !
Pour la nouvelle école , la raison générale
est tout : certitude, évidence,autorité,Eglise.
(i) Mssai., t. II, p. 15, 120, 129, 20o.
978 DiSTonui
Nous avons déjà eu l'occasion d'apprécier
en passant cette grande idole de M. de La
Mennais ; et le peu qui en a été dit dans cet
ouvrage suffirait peut-être pour en décour
vrir la vanité . Dans d'autres temps cette ex-
travagante conception n'aurait excité que le
mépris ; mais la brillante enluminure dont
le talent du philosophe l'a revêtue en a fait
un système que l'on s'est cru obligé de com-
battre. Les extravagances des Gnostiques
et des Valentiniens ont autrefois obtenu le
même honneur.
Reprenons chacune des parties du fant^is-
tisque édifice. D'abord la raison , dans son
acception la plus étendue, il la définit : « La
(c double faculté de connaître et de raison-
fr ner. » Est-ce que la faculté qui connaît est
différente de la faculté qui raisonne ?
La raison individuelle , à la fois identique
et contraire a la raison générale ; identique
en tant qu'elle est la raison de la société ^
V uniformité des perceptions ^ V accord des JU"
DE LA NOUVELLE DERKSIE. 279
geniens dii genre humain^ la participation
à la raison commune à tous les hommes (1 )j
c'est Taveu que font, en vingt endroits, le
maître et les disciples. ^ Contraire et dans
(c une perpétuelle opposition » : telle est la
doctrine fondamenlale de Tocole entière.
Celle-ci est le critérium de la vérité , l'autre
en est l'antipode. Qn'esl-ceque ce langage?
sinon le froid et le chaud , se contredire ,
se réfuter soi-même, montrer à la fois et
que l'on n'a point de principe assuré , et que
le principe nCsI sans fondement. « ïémé-
tf rair&s architectes , s'écriait saint Hilairc ,
i< qui bâtissent sur un sable mouvant , et
« tombent en s'engloutissant dans se$ i*ui-
« nés ! »
Ils nous disent que « l'homme ne peut
« posséder la certitude qu'autant qu'on con-
(1) « Comment peut-il se faire que dcsjujjemens
« individuels soient tout à la fois des effets de la
« raison et des causes productives de la raison ? »
M. Boyer, Eaame'n, p. 4D.
(T liait avec certitude la raison générale ou
fc le sens commun ; or il ne peut la connaî-
« tre que par le moyen de la raison indi-
(T Tiduelle , faillible en tout et par consé-
« (juent sans certitude. » Comment donc ,
avec ce seul moyen d'une raison faillible ,
d'une raison enveloppée de ténèbres , d'une
riison impuissante , jusqu'à ne pouvoir affir-
mer sa propre existence ; comment , dis-je ,
arriver à la possession d'uAe certitude quel-
conque , a commencer par celle du genre
humain? Ce qui est le plus* près d'elle, n'est
pour elle qu'un écueil , qu'un abîme ou un
fantôme : et ellb prétendrait posséder enfin
la certitude et la vérité par la seule notion
qu'il existe un genre humain et un sens com-
mun ! Plongée qu'elle est dans son ignorance,
comment soupçonner qu'il faille aller a la -
découverte de ce monde inconnu , comment::^^^
s'assurer qu'elle y est parvenue ? « Cette rai-
<f son générale, on en fait un Dieu, puisqu'oi
« lui attribue Tirifaillibilité, qui est une deî
i
DB LA NOU^XLLK HÉRÉSIE. 981
«r perfections de la Divinité ; perfection in-
« communicable comme la Divinité elle-
«r même ; mais c'est un Dieu qui ne peut
« £dre entendre sa yoix immédiatement à
« ma raison ; il ne parle qu'à mes sens , de
« manière q[ue ses leçons infaillibles me sont
« transmises par des sens trompeurs (i ) ! ^
Mais n'importe; le Toilà infaillible, le
Toila Dieu. Tout Dieu ({u'il est, a-t-il changé
de nature? le tout est-il devenu soudaine-
ment si différent de ses parties ? En est-il du
genre humain comme du vaste Océan, ré-
ceptacle de toutes les eaux ou tombées du
ciel ou apportées par les courans partiels ,
et qui , en se confondant avec lui , contrac-
tent une nouvelle saveur, bien que ce soient
toujours des eaux ? Ainsi, le genre humain ne
sera- t-il constamment que la vaste agrégation
des générations passées ou présentes; et sa
raison générale n'est toujours que la raison
(i) M, Rozaven , Examen , p. 249.
. • }
988 msToiRE
indwidualisée ; elle reste donc toujours la
même. La raison de chacun des hommes eu
particulier, étant faillible, ne peut donner
ce qu'elle n'a pas ; comment peut-elle chan-
ger la nature de chacun de ces hommes en
particulier, qui composent le genre humain?
Le chêne qui orne les forêts, n'est pas d'une
autre espèce que le chêne isolé dans la prai-
rie , ni ce dernier différent de celui qui croît
solitaire. Quoi! cette raison individuelle ne
valait^ dans cliaque particulier^ que poi4r
le doute et V erreur ; la voilà devenue tout à
coup infaillible ! Frappée de mort \ sa ra-
cine , comment imprime-t-elle à l'arbre en-
tier un principe de vie et de fécondité
qu'elle n'a pas. L'élément et le germe sont
viciés : ce qui leur ressemble peut-il ne l'être
pas : S'est'clle métamorphosée de la sorte
par sa propre yértu? Elle n'en a que
pour succomber sous le poids de son im-
puissance naturelle. Par l'agrégation des
parties? Mais, chacune d'elles étant finie,
DE LA NOt}V£U4& HÉRÉSIE. 9Q&
iftomée, essentiellement faillible, le tout ne
peut être que fini , borné , essentiellement
Êdllible.
Le Créateur de l'univers a fait , de
lien y le ciel et la terre; il n'a pas produit
d'un seul jet le genre humain tout entier,
mais l'a fait naître , par la succession des
temps , d'un premier homme. Ce premier
honmie, bien que pétri du limon de la terre,
il étale sur son front le signe que Dieu lui
a donné de sa propre lumière (i); et moi, ob-
scur descendant du père de la race humaine,
moi aussi, je ne saurais méconnaître en moi
le rayon de cette divine lumière qui m'est
attestée par tous ses oracles , par mon sens
intime. Fils d'Adam , je fais partie du genre
bumain , je ne l'appellerai pas mon père.
Que je dise à la poudre^ tu es ma mère : j'en-
tends sous cette poudre une voix qui me
crie que je suis fils de Dieu, gui m'a pétri
tout entier de ses dis^ines mains ^ comme parle
(i) Psaîmiy,^.
S84 HISTOIEE
Job (1 ). Mais le genre humain , mais l'univers
ont-ils une voix pour me répondre ? L'hu-
manité tout entière repose obscure , silenr
cieuse dans le passé et l'avenir (2). Le genres
humain ne me montre que ses sépulchres :
({u'il me montre son berceau. Son berceau?
C'est Adam , Phomme individuel , créé à Is^
ressemblance de Dieu; par-delà son ber-
ceau , le néant , rien , ex nihilo. Je voudrais
bien savoir ce que le genre humain a de plus
• que moi , soit dans ses destinées futures,
soit dans ses annales antiques. Mai, du
moins , je montre avec orgueil l'Evangile et
la Révélation. Le genre humain! qu'il voile
. sa face, et qu'il demande grâce pour quatre
mille ans de l'ignorance et de la corruption
la plus dépravée.
M. de La Mennais, personnifiant le genre
humain , retrace a ma pensée la fiction si
véritablement épique du cardinal de Bernis
(1) Joh^ XVII, 14. — X, 8.
(2) M. Lacordaire, Consid.jf, 169.
I
DE LA XatVEIXE HÉRÉSIE. HMS
dans son poème de la Religion vengée^ où
il décrit dans le style d'Homère le Dieu de
Spinosa :
«I
Je yis sortir alors des débris de la terre
Un énorme géant; que dis^e? un monde entier.
Un colosse infini, mais pourtant rég^ulier, etc.
Le monstre déclare qui il est, et termine
son discours par ces mots :
'I
De cet être ignoré , de cet être puissant
Admire, reconnais le principe agissant.
. L'union des esprits forme mon âme entière (1).
Ainsi M. Fàbbé Lacordaire définit-il le
système de Técole Lamennaisienne : l'union
des esprits dans les diverses œuvi^es de la
pensée (2).
Et de fait, avancer que la raison de l'indi--
TÎdu n'est qu'une partie de la raison hu-
maine y et c'est là l'opinion d'un autre des
(1) IChant V, p. 82 et 83, édit. n93.
(2) Considér. , p. 146 , et « L'autorité des faits, dans
« l'ordre physique , engendre Vutiion des esprits ,
« qu'on appelle la science,* Ibid., p. 145. M. Boyer,
Examen, p. 48.
tes mSTOIRE
ilisciples (1 ), n'est pas moins absurde que de
dire que l'âme de chaque individu n'est
qu'une partie de l'âme humaine , que sa vo-
lonté n'est qu'une partie de la volonté hu-
maine. Autant vaut-il ajouter que chaque
corps n'est qu'une portion du corps humain.
Ce qu'était le genre humain d'autrefois ,
le genre humain d'aujourd'hui n'a pas cessé
de l'être. ^ Réunissez , dirons-nous avec
or celui des Modernes qui ait le pkiâ puis-
« samment combattu le système de M. de
If LaMennais, tous les aveugles des Quinze-
ff Vingts , et tous les fous de Charenton :
<c vous n'en verrez jamais sortir ni un voyaht
« ni un sage ; d'où il suit qu'espérer hi cer-
« titude d'une collection de raisons indivi-
tc duelles , faillibles en tout , c'est attendre
cr im effet dont les élémens ne sont nulle
ce part; c'est-à-dire, un effet sans cause.
<( Rassemblez le genre humain, réunissez
« tout ce qu'il y aura jamais de générations;
(1) M. Gerbet, des Doct. philos., p. 129.
%
DE LA NOUVEIXE HÉRÉSIE. llffif
« VOUS n'aurez que des individus faisant por-
ff tion du tout qu'ils composent. Feriez-vous
« un édifice avec des grains de sable (1)? »
Et , par une conséquence ultérieure , on est
contraint logiquement de conclure que le
genre humain n'est qu'un être de raison ,
«pi'une dénomination sans réalité.
Mais non , la raison individuelle ne donne
{MIS ; elle reçoit* De qui? du genre humain?
Vous supposez toujours son infaillibilité,
supposition chimérique , combattue par
toutes les autorités et par tous les raison-
nemens. Principe absurde établi par Pécole
Iiamennaisienne, avec la précaution de dire
qu'il n*a pas besoin (fêtre prouvé^ parce
qu'elle n'a d'autre appui à lui prêter que le
caprice de son auteur.
Appeler la raison générale la raison de
DieUy V expression de sa parole (2), n'est-ce
pas un blasphème autant qu'ime absurdité?
(J) M. Boyer, t,xamen y p. 48.
(2) £m(w,p. 221.
^08 HISTOIRE
La raison de Dieu , sa parole , c'est son in-
faillibilité. Glorieux privilège dont il est
jaloux (1) , et qu'il n'a voulu partager avec
personne; car son Eglise elle-même n'est
infaillible que parce qu'elle est l'Esprit même
de Dieu, jjiarlantpa'rsoil organe, enseignant
par sa parole (2). Donner k la raison géiié-
rale cette attribiition, c'est l'eiilever à Dieu ;
c'est oublier qu'il y a éternellement entre
Dieu ' et l'homme tout l'abîme de l'infini.
Dans la nuit sombre du paganisme , cette
vérité s'était fait jour auprès de quelques
Sages à qui leur raison l'avait apprise. Mettez
• ■ t
(1) Gloriam meam alterinon dabo,,,. Ego wolu^ ,
et non est alius prœter me ,
(2) « Je crois toutes les vérités révélées , et parmi
« elles, Fautorité de FËglise ; parce que Dieu , au-
« teur de la Révélation y est la vérité , et ne peut pas
« plus nous tromper que se tromper lui-même. Cette
« vérité essentielle de la parole divine fait la certi-
« tude de ma foi. Je ne crois l'autorité de FEglise
« que sur ce principe; car je ne crois l'Eglise infaiL
o lible , que parce que Dieu a révélé spn infaillibi-
« lité. » (M. Rozaven, jE^amen, p. 212. )
DB LA KOU^'ELLE HÉRÉSIE. S89
d'un coté tous les honimes ensemble; de
l'autre , Dieu seul ; et demandez à Homère ,
demandez à tous nos prophètes éclairés par
une sagesse bien supérieure, où penchera la
balance, et qui l'emportera ? Quelle pitié qu'il
&ille rappeler à des prêtres ce que la sa-
gesse humaine n'ignore point : qu'il n'y eut
jamais de comparaison légitime entre la
rabon de l'homme et la raison de Dieu.
Telle est pourtant l'ambiguité de leur
langage , qu'à les entendre on serait en droit
de soupçonner qu'il affectent, par une sin-
gulière contradiction, de confondre l'es-
sence incommunicable avec la raison du
genre humain , l'autorité des hommes avec
l'autorité de Dieu.Cetteobservationn^apoint
échappé a la sagacité du profond théologien
qui les a combattus avec tant de vigueur :
ic La raison générale , dit M. Boyer, le té-
cr moignage universel, le consentement com-
K mun, voilà le premier critérium de la
<c vérité ; ce mot est comme une sorte de re-
T. I. 19
ItO HIgTOiRE
« frain dans les éorits de M. de La Mennais.
M D'autre part , il ne cesse de nous dire «pc
'n Diea est la première wiatiÈà et la pvMuèrt
# raison des choses^ «et 4ftt» «'^qiftérâr aYnant
M lui de quelque Térké^ c'est rberrher imi
wir effet sans cause, une c^nsé^ifiice mom
jc principes. Y a-t-â Àonc dieux prenîeBs
# principes de la véorité ? I>ieii /et le §enare
ce humain , Dieu «t «a parole , le genre iui-
jr main et la raison générale (1 }? ^
M. de La Meunais essaie de j^^er «n ]^ont
enr l'abîme qu'il s-eat creusé à luir«iéme.
Encore un pas , et le système s'éclaircit^
let la pensée de M. de La Meunais enfante
une révélation de plus. Quelle révélation ,
^and Dieu! k Le seul système social aU'-
M jouM'hui possible est celui qui ne serait
^ fondé que sur la raison humaine y sans nul
*c RAPPORT avec Diôu (2). » Et voila la régé-
nération promise au monde par la nouvelle
(1) Tjxamen y p. 234.
(2) ^«'(?m>, 29 novembre 18.^0,
^
DE LA NOUVELLE IfÉR^SIi:. 991
école ! que^l'on nous dise si l'école philoso-
phique du XVIII® siècle porta jamais le délire
de ses criminelles espérances jusqu'à pré-
tendre ôter Dieu de la société humaine I
Que M. de La Mennais , tiprès avoir jeté
dans le public son programme de la raison
générale , se fut borné à des rêveries phi-
losophiques où ilest permis à chacun d^errer^
il n^avait d'autre risque a courir que d'être
un mauvais lo^cien. Dans l'impuissance de
bien saisir les caractères de quelque chose
qui n'existe pas , et n'est qu'une abstraction
sans réalité , il pouvait impunément multi-
plier les définitions, comme l'aveugle qui
tâtonne dans les ténèbres. On lui pardonnait
de nommer cette raison générale , raison de
la société , raison de la civilisation , la civi-
lisation elle-même; mais qu'était-elle avant
qu'il y eût des sociétés? qu'ctaît-ellc dans
les sociétés même où il n'y avait pas de
civilisation? Ouvrez Polybe, Thucydide,
Platon; interrogez et les historiens et les
5I9S mSTOTRE
philosophes anciens et modcrhes. Touâ
s'accordent a dire que les premières socié-
tés ne furent que de sauvages agrégations,
comme les voyageurs en ont découvert dans
le Nouveau-Monde, puisqu'on nomme ceux
qui en furent les législateurs. Qu'il se replie
sur les mots de commun consentement, de
sens commun, par lesquels il essaie de
déterminer enfin la notion de la rai-
son du genre humain; nouvelles énigmes.
On ne cessera de lui demander quelle affi-
nité existe entre les mots raison et consen-
tement, entre ce dernier et ce que l'on
appelle sens commun; le mot consentement
indiquant une adhésion à des idées étrangères
que Ton ne peut pas avoir soi-même ; celui de
sens commun supposant nécessairement la
perception intime , uniforn t , îâivariable, de
notions que l'on ne se donne pas , et aux-
quelles on ne peut se refuser , qui s'offrent
d'elles-mêmes a tous les esprits , même les
plus grossiers , et que chaque homme pos-
DE LA XOmXIXE DÉRÉSIE. 5105
sède, comme chaque animal possède son
instinct ; toutefois avec cette différence si
bien sentie par Buffon , qu'il y a plus loin
de l'instinct du plus subtil des animaux h la
raison de l'homme le plus grossier, que
de celle-ci au génie des Ârchiniède et des
Newton. On sera en droit de lui demander
encore si le commun consentement , iden-
tique au sens commun, est le sceau de la
vérité; pourquoi, dans les sociétés humai-
nes, tant de manières différentes de voir
et de sentir ; autant de vérités différentes et
opposées qu'il y a de communs consente-
mens? Était-il possible a M. de La Mennais
de se le dissimuler? Non; il en convient.
La religion seule n'est-elle pas la matière
des controverses les plus disparates? La di-
versité des cultes prouve, selon M. de La
Mennais , la nécessité de l'examen ( donc
l'exercice de la raison individuelle ) , pour
s'assurer laquelle est la véritable. En sup-
posant que l'on veuille ou que l'on puisse
994 lUBTomiâ
se livrer à cet examen , passer en revue les
religions diverses dans lesquelles se parta-
gent les nombreuses populations de l'Eu-
rope , de l'Asie , de TAfrique et du NoicVeau-
Monde , quel en sera le résultat unque ?
L'indispensable nécessité de conclure qu'il
y a autant de communs consentemens qu'il
y a de sectes et de religions ^ de nations et
âe peuplades disséminées sur la vaste sur-
face du globe; autant de communs consen-
temens qui se heurtent, se combattent et
se réprouvent mutudÛement.
Mais l'auteur nous a fait bientôt sorth^ du
cercle des questions de la philosoplûe, peur
nous transporter dans la région de la théo-
logie. Nous l'avons entendu mêler à la
masse confuse , indigeste de ses définhions
arbitraires celle cpii fait de le raison géiié-
raie la raison de Dieu : « La raison générale -==
^ n'est que la raison de Dieu même. » Noils^— -
avons dû commencer par l'examen de cette—
étrange proposition ; les suivantes n'en soitt
DE LA KOLVELLE HÉRÉSIE. 29S
que les corollaires. « La raison générale
« n'est que l'expression du Verbe de Dieu,
K unie à rintelligence , à l'esprit, a la vérité,
<r déposée au sein de la société humaine,
« conservée k travers les âges, soutenue par
f< une tradition constante , perpétuelle. »
Eclairé par sa lumière, le genre humain
fut une Eglise visible f enseignante , « pour-
fc vue » , nous dit toute l'école Lamennai-
sienne , « des caractères d'unité , de perpé-
« tuité , d'universalité que nous assignons à
ce notre Eglise catholique, en un mot, in-
« £siillible comme elle. » C'est la ce qu'ils
appeUeroBtla doctrine d^auiorité résidente
dans le genre humain.
Tel est Fexcàs eii les a portés leur sys-
tème de dépréciation de raison humaine.
Sur le simple énoncé de ces propositions ,
on se demande a quelle ReUgion appartien-
nent ceux qui les professent. Recherchons
avec eux sur quel fondement ils les appuient.
CHAPITRE V.
Suite du précédent.
Descartes et ceux des théologiens catho-
liques qui ont admis sa méthode , soutien-
nent que c'est par la raison donnée à chacun
de nous que l'on acquiert la connaissance
de la Révélation et de l'autorité de l'Eglise,
comme en étant l'interprète infaillible.
Cette doctrine , que nous avons vu être celle
de saint Thomas, de saint Augustin, de
toute TEglise catholique , les Réformateurs
HISTOIRE DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 907
la condamnent ; elle n'est pour la nouvelle
école qu'un système absurde, niais, qui re-
celé le veninfuneste du scepticisme. On aura
tout dit , quand on aura répondu k la doc-
trine adverse : « Cest du cartésianisme. La
ir raison de Thomme ne lui apprend rien.
« Nulle connaissance qui ne lui vienne du de-
• hors; tout chez lui est d'emprunt. Ce qu'il
c sait , il le reçoit de la société par le lan-
« gage, par l'éducation. L'homme ne con*
«( naît rien que par la communication avec
« les autres, rien que par la parole. Re-
« portons-nous à l'origine des choses et sui-
« vpns la série des siècles. L'ordre primitif
ir et général fut que les pères instruisissent
« leurs enfans , et que la foi fut conservée
« par .une tradition générale. Une révélation
c primitive fut donnée à notre premierPère,
« créé dans la plénitude de l'âge avec la.
•r connaissance de la science et de la parole.,
ff Cet ordre établi de Dieu pour conserver
« la vraie Religion étant indépendant de la
.; :
.1
c veloBlé des hommes , ' a dû toii|ouf8 s«b->
ce sister, et n'a pti eeater janiais' d'être olffr*
tf gatetre pour tons* £ii effet, ceitepaMle^.
«dépotée anisein delà Mclélér tfsmtaDÉaMt
«f aux familles patriarcale^ par le pète éiàr
ce genre humain y portée dam téules les psar^
« fies du monde par les fondatens àm iia-^
c« tiens ^ dimseryée d'àga •» âge dan» te»
«- traditions de tous les peuples, a4cè coiUfte
« un océan de lumière répsm'da dââOi^ Ist
(c société. &est là un fait attes«6 paÉ* totis lésr
<f historiens. II Mlait bien c(u'il MiMât tln^
« moyen constant , imitei^sel , d'dcqtM^ritt' laf
« foi qm se doit à IMS , aifjc peuple^ cèâMbe
ff au plus simple enËintr Aasisi lé VoyoMs-^
et mfm maintenu ihvariablemèfif^t pai^ ttne
ff frftditiôh tmiforme, pérpéenelfe. Si Poirdre
« de tradition, reconnu obligatoire poni^
W tous , eut cessé de fait dans le genre hù-
K main , cette unique Voie de connaître la
« Rèligioti eût été à la fois nécessaire et
^ iMpOisî^le. Ây^t Jésus-<}farist , il y atait
DE LA NOirfBlLB UÉRÉSU:. 9W
«donc «n Christianisme, c'était la raison
ir générale manifestée par le témoignage dm
te genre humain. Depuis Jésus-Christ^ le
« Christianisme , développement naturel de
« l'int^ffîgence , est la raison générale , ma^
<r nifestée par le témoignage de TEglise. Le
« témoignage du genre humain était avant
tf Jésus-Christ ce qu'est l'Eglise depuis Jé-
ff sus-Christ. L'Eglise a donc présenté dans
ir tous les temps les caractères de la plus
(T hante autorité visible. Concluons que la
<r Révélation primitive a été pour le genre
tf humain le principe de la foi ; que j d'après
tr l'ordre établi de Dieu , cette Révélation
if dotait être coiinu'e de siècle en siècle par
> voie de tradition; que l'Eglise univer-
fc sellé se composait d'hommes qui confor*
■é Inaient leurs croyances a Fenseignement
c de la tradition des vérité» primitivement
«( révélées. Le Christianisme trouva toutes
flc les vérités établies; il ne naissait pas, il
cr croissait. La logique des nations 4bint
300 HISTOIRE
« aussi rigoureuse que la Vérité même de
ff Dieu, point d'autre certitude que celle
« qui se recueille du témoignage universel.
« Le commun consentement est pour nous
« le sceau de la vérité » et il n'y en a point
« d'autres; donc le genre humain est un
<r tribunal infaillible. »
A ce petit nombre de textes, transcrits
scrupuleusement, se réduisent les cinq vo-
lumes de V Essai et de sa Défense, des écrits
sur la même matière , publiés par ses dis-
ciples les plus célèbres, MM. Gerbet, Beau-
tin, La Cordaire'.
Les voici ramenés à quelques axiomes
capitaux proclamés par eux-mêmes. La foi
vient du dehors ; la raison générale est in-
faillible; le témoignage du genre humain
est le fondement de la Religion ; axiomes par
(1) M. de La Mennais, Essai, p. 39, 486, 490;
t. II, Préf., p, xcrv. Défense, p. 8, 29, 7i, 189.
M. Gerbet, Doctr. philos. y p. 90, 135. Coup d'oeil
sur la Controv. chrét., p. 60 et suiV. M. Lacordaîre,
Considér, , p. 41, 53.
DE LA NOUVELLE nÉRÉSIE. 301
lesquels ils expliquent ces paroles, que la rai-
son générale est l'expression de la société
communiquée par la parole ; qu'elle est la
civilisation , la parole de Dieu , la parole du
Verbe , de tout temps manifestée dans Tu-
niyers.
« La foi vient du dehors , et nous est com-
ff muniquée par la société. »
Nous avions toujours cru qu'elle était un
don de Dieu; avions-nous besoin de nou-
velles théories de la foi pour savoir ce que
le plus simple catéchiste en apprend , que
la foi est une lumière que Dieu répand dans
l'esprit pour lui faire connaître les vérités
qu'il nous a révélées , et nous y faire croire
fermement avec une pleine assurance , même
a celles que nous ne saurions comprendre ,
lesquelles nous sont enseignées par le minis-
tère de son Eglise , seule dépositaire infaillible
de sa parole ; et l'ange de l'école S. Tho-
mas, nous avait appris que, si la foi n'admet
pas un examen par lequel notre raison bor-
SOS mgTOiRE
née démontre ce que l'on croit ; elle admet
l'examen des motifs qui portent a croire ,
par exemple , la révélation divine confirmée
par les miracles*
Mais cette doctrine était bonne pour les
temps d'autrefois; aujourd'hui c'est. la râi--
son générale exprimée par la société, qui
est indifféremment principe ou canal de la
foi. Pour remonter a Adam, premier anneau
de la chaîne sociale , créé dans la plénitude
de rintelligence et de la raison , direz-vous
qu'iljouit dans le paradis du privilège de l'in-
faillibilité ? non ; pas plus que les Anges dans
le ciel ; leur chute l'a bien fait voir. Libres
de faillir, ils n'étaient donc pas infaillibles ?
Tant que la première Êimille fut a elle seule
tout le genre humain , les Patriarches du
genre humain instruisaient avec soin la jeune
postérité croissante autour d'eux , des faits
et des dogmes recueillis de la bouche du
chef de la race humaine; en quoi ils sui-
vaient Tordre établi de Dieu ; et la foi de-
DE LA NmywiuL HÉRÉSIE. aB5
'Venait l'héritage commun ; mais y fut-elle
^ong-temps consenrée ? est-ce que Dieu , en
jtabliamnt cet oi4re, s'était obtigé k le
maintenir inviolable dans la sorîété humai-
ne ? Hélas I Tarbre de la science du bien et
du flial y n £ital k nos premiers parens , était
passé dq jardin d'Eden dans la terre de Texil,
<m il porta toujours ses firuits empcusonnés^
grâce à Tabus de la liberté dans Tusage que
le» hommes en ont fait. Que devient la rai-
son humaine dans une société bientôt en-
traînée , par les passions des hommes , dans
la plus brutale corruption? Abandonnée
aux pères de famille , cette prétendue raison
générale, émancipée des langes delà raison
individuelle , se précipita dans tous les ex-
ces. L'oracle de FEsprit saint fut vérifié a la
lettre , que le nombre des insensés Remporta
toujours sur celui des sages ('I ) ; il arriva ce
qui était Tinévitable conséquence de Tarrêt
(j) Stnltorum in-ftmtns rsi nvmprvs^VuCvW,^ i, 15;
SM msTonus
terrible prononcé contre l'homme prévari-
cateur. « U était comme impossible que les
« traditions primitives ne se perdissent pas
ir ou qu'elles ne s'altérassent pas essentielle-
« ment; d'autant plus que les pères de fa-
« mille n'avaient aucune promesse divine, ni
« d'assistance particulière pour ne point se
« tromper, ni de fidélité pour s'acquitter de
« ce devoir (1). »
Ce qui venait du dehors , dans cette pé-
riodede corruption, était-ce la foi^ après que
le genre humain tout entier fut tombé dans un
état de barbarie et dans une ignorance aussi
. profonde que si jamais Dieu n'eût rien ensei-
gné aux hommes (2)? Ce qui réclamait haute-
ment contre cette violation universelle de
toute loi, que l'Apôtre reproche si énergique-
ment a la gentilité tout entière, et qui rendait
inexcusable l'opiniâtreté dans le mal, c'était
(1) M. Rozayen , Examen^ p. 273.
(2) Lactance, ïurrelin , Bergier, Bossuet , Disc,
sur VUist. univers, j^ p. 362 elsuiv., in-4**.
SB LA NOUA'ELLE HÉHfiSŒ. SOtt
en dedans qu'il agissait, c'était par l'impres-
sion ineffaçable de cette lumière véritable qui
éclaire tout homme venant au monde; flam-
beau toujours allumé au milieu des nations
dispersées, comme parle saint Augustin.
« Non , poursuivait le grand évêque d'Hip-
ir pône, empruntant le langage de nos Livres
ir saints , ce n'est pas au dehors qu'il faut al-
r 1er cbcrcher la vérité : Noli foras ire. Re-
flr pliez-vous sur vous-mêmes ; c'est dans l'in-
ir térieur de votre âme , non dans le témoi-
fc gnage des hommes du dehors , que se fait
ff entendre l'accent de la vérité (1). » Le
Maître de tous les Docteurs le lui avait ap-
pris, que le royaume de Dieu et de sa vérité
n'est pas au dehors^ mais au dedans de
nous (2) ; que c'est la qu'il faut le chercher,
(1) ( De Magistro ) In te ipsum redi; in interiore
homine habitat veritas , i. I. Bened.^p. 773.
(2) Regnum Dei intra vos est y Luc, xvii, 21. C'est-
à-dire que chacun porte au dedans do soi le flambeau
de la raison qui Téclaire, le tribunal de la conscience
qui le juge.
T- 1. ao
306 HISTOIRE
et non dans la multitude, téméraire, em-
.portée et poussant a tout vent de doctrine.
Moins mobiles et inconstantes sont les -va-
gues de rOcéan : l'expérience de tous les
siècles ne Ta que trop confirmé. Par-dessus
ces flots incessamment agités , s'élève Fau-
torité. , phare lumineux posé par la main de
Jésus-Christ , pour éclairer les nations et les
diriger vers le port de la vérité ; phare ac-
cessible a tous les regards , que nulles té-
nèbres ne sauraient obscurcir, contre le-
quel les portes de Tenfer ne prévaudront
jamais.
Mais de qui cela a-t-il été dit , par l'oracle
nxênfie de la vérité? k qui ces magnifiques
promesses ont-elles été ^ faites? est-ce au-
genre humain? Le genre humain, l'univers,
le monde , ces mots sont synonymes dans
r
nos saintes Ecritures , et ne rappellent que
lesanathèmes lancés contre ses scandales (1 ).
Ses annales et ses écrivains ne nous disent
(1) Vœ Mundo à 8candali9, Mattbt; XVlii, 7.
DB LA XOUIXLLE HÉB^SIB. SOT
nvilepart que le genre humain ait été chargé
d'enseigner la vérité , et ne nous parlent que
des hommes chargés d'en être les précep-
teurs. Or les philosophes , qui se vantaient
de l'être, que lui avaient-ils appris?
GHAPITIUB VI.
De l'autorité.
M. de La Mennais sait bien tout ce que
le mot d'autorité a d'auguste et d'impo-
sant pour nous. Il en abuse, en le transpor-
tant à d'autres sens bien éloignés de la com-
mune acception qu'il a dans l'ordre civil
et religieux. Dans l'un et l'autre : autorité ,
puissance, tout vient de Dieu : omnis potes-
tas à Deo. D'où vient que ce qui recom-
mande à nos yeux la raison, c'est que nous y
mSTOUE DE LA NOUVELLE E£RÉSIE. 309
voyons le rayon de la souveraine intelligence
qui en est la source ; de même ce qui nous
enchaîne a l'autorité , ce qui nous la rend
sacrée , ce qui lui prête , par exemple , un
poids si considérable dans la cause de la vé-
rité catholique contre les Protestans , c'est
l'assurance qu'elle a son invincible fonde-
ment dans les promesses que Jésus Christ a
faites à son église ; d'oii nous concluons avec
certitude qu'elle est infaillible.
M. de La Mennais lui-même , dans un
autre de ses écrits , rendra hommage à ce
principe : « Tout l'édifice du Christianisme,
« ses dogmes , son culte , sa morale , repo-
<r sait depuis quinze siècles, et, dans les
te principes catholiques , doit reposer tou-
« jours, selon l'institution de Jésus-Christ,
« sur l'enseignement d'une autorité divine-
ff mentin£B^iliibie(i). »
On ne pouvait ignorer que saint Augustin
et saint Thomas nous avaient laissé , sur la
(1) Delà Religion ooneidirée, oto., p. 304.
iitt HISTOIRE
question de l'autorité , lés écrits les plus Id-
minéux. Nos jeunes théologiens pouvaient-
ils se dissimuler quel poids de tels noins
apjportent danis la balance. Malgré leuré
efforts pour essayer d'en affaiblir ràutôrtié,
soiis le prétexte , disent-ils , que ces saints
r
Docteurs n'étaient pas profondément versée
dans ces matières, ils ont senti qu'il n'était
pas possible de les passer isous silèhcé, iet
voulu se donner le mérite de les aVôîr lus.
âi même il fallait les en croire , ces saints
fiocteurs auraient pensé coiiime eut suf Ifesr
Questions de la certitude, de la foi, de la t*ài-
son et de l'autorité.
Nous avons vu plus haut quelle était la
doctrine de saint Thomas d'Aquin. Écout'otis
à son toiir le grand évêque d'Hippône ': « t)ièu,
pour nous élever vers lui , nous a dôhti^
deux moyens, l'autorité et là rsfiièbh , qui,
loin de se combaltre, se concilient aiséUient
Fùn avec l'autre 3 car eh obéissant à l'au-
torité, on ne «'écarte pas de Ik lufhièré de
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 511
la raison , qui nous fait voir quel est celui à
qui nous croyons (1). »
Voila donc , dans la pensée de saint Au-
gustin , deux principes de certitude bien
distincts l'un de l'autre : l'autorité et la
raison. Avant M. de La Mennaîs, aucun
catholique n'avait pensé qu'il n'existât
qu'un seul principe de certitude. Tous, sans
exception , croyaient que , puisqu'il existé
deux classes de vérités bien distinctes, dont
l'une est l'objet de la science , l'autre celui
dé la foi, c'était une conséquence nécessaire
qu'il doit y avoir aussi deux princiipes de
certitude, Tun pour les vérités de^b/^ l'autre
pour les vérités de science. Tous disaient,
avec saint Augustin : « Ce que nous com-
prenons* nous le devons à la raison- ce que
nous croyons , nous le devons \ Fautôrité :
Quod intellîgimus^ debemus rafioni; quod
çredimus. auctorildti, »
(\) Traduit dans Pensées Hq Pascal, cli. v, p. 45
(Paris, 1714). S. August., Enchirid.^th.. XX.
319 msTOiBE
Que l'autorité soit un moyen plus sûr à la
fois et plus expéditif de parvenir a la con-
naissance de la vérité ; qui le conteste? Saint
Augustin l'affirme sans doute en termes
exprès. Elle seule, dit-il, ébranle les honunes
ignorans; il ne faut que des yeux pour voir
la brillante lumière qui en jaillit de toutes
parts j et pourquoi? Parce que le plus sim-
ple raisonnement saisit sans nul effort l'évi-
dence des moti& qui lient les conséquences
au principe, a savoir, cet enchaînement de
merveilles qui ont porté, selon l'expression
du même saint Augustin, notre Église catho-
lique au plus haut degré d'autorité. Par-là,
l'évidence devient la garantie infaillible de
l'autorité infaillible de l'Eglise . Mais la base,
oii en est-elle? sinon dans la raison. Or,
c'est là ce que le saint Docteur établit par
cet axiome incontestable : la raison et
l'autorité ne sont jamais entièrement sépa-
rées, parce que c'est la raison qui ^^cnsi-
(j) DeverdRiBligione,G\i, xxiv, xxv.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. SIS
dère à quelle autorité il faut croire (1).
Puisque nous sommes redevables de la
science a la raison , et qu'il n'y a point de
science sans certitude, on croyait donc qu'il y a
dans notre raison un principe de certitude.
Les Manichéens affectaient de ne re-
connaître d'autre guide , dans la recherche
de la vérité , que la raison. Leur grief
j>rincipal contre l'Eglise catholique était
qu'elle commandait a ses disciples de
croire aveuglément, sans examen; qu'elle
avait la prétention de conduire a la vérité
par la foi, c'est-a-dire, par la soumission k
l'autorité seule. Même reproche de la part
de Celse, si bien réfuté par Origène. Saint
Augustin y répond par son traité de VUti--
lité de la foi^ ( de utilitate credendij ) oîi il
venge également les droits de la raison et
de l'autorité. Nos Sectaires modernes n'a-
doptent de la réponse du saint Docteur que
. ce qu'elle a de favorable a l'autorité. Ils
(1) J>m% Bihlioih. choisie, t. XXI, p. 120.
Sl4 HISTOIRB
aflfectent a leur tour d'exalter ràutorilé,
comme si nous en méconnaissions les au-
gustes prérogatives , et la prépondérance
sur là raison , nous qiii cesserions d'être
chrétiens , si nous cessions de répéter avec
le même saint Augustin : « S'il n'est point
«f de voie qui mène plus sûrement à là sa-
« gesse et au salut, que de plier sa raison a
« la foi, n'est-ce pas méconnaître étrange-
« ment le bienfait que nous tenons de la
i( protection divine, que de vouloir résister
« à une autorité qui se recommandé pài* dé
« si puissans motife (1)? » Mais liiî vouloir
sacrifier la raison : autre excès non nioiiis
téméraire , au jugement de saint Augustin ,
et c'est là le but constant des efforts du
parti.. Encore à présent, que les savantes
discussions engagées sur cette matière ont
mis a la portée de tous les lecteurs les ou-
vrages de nos saints Docteurs; les disciples
de M. de La Mennais s'opinlâtrent à fermer
(1) iDaœiS Biblioih, choisie,t XXt, chap. nielt vm.
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. SÎé
m
lés yeux. Us ne cessent de reproduire leurs
ârgumèris en faveur de l'aulorité que noui
inè leur contestons point, et se retranchent
derrière les grands noms de saint Augustin i
de saiiit Thomas, de Suarez, et d'autres
théologiens catholiques, pour faire croire
qu'ife -pensaient comme ciix, que c'est noui
qiiî sommes dans l'erreur, et qui nous décla-
rons, aux termes du saint évêque d'Hippone;
les adversaires de la vérité^ coupables d'en-
lever à l'Eglise ce lustre immense^ comMe
^âHe un écrivain de nos jours, suspendu,
hdùs dit-on ; entre le ciel et la terre , pour
unir les intelligences divisées. Quant k là
raison, que nos saints Docteurs assimilent k
l'autorité , bien qu'en la plaçant dans un
rkng inférieur, ils n'en persistent pas moins
a la rendre éuspecte, à eh déprécier les ju-^
geiheilsj k l'anéantir dans ses actes et dani
ses rajjiports avec la foi. Parce que leur maî-
tre a po^ë Jpbiir fondement de sa dôttriiié
ilnfailEbllité du genre hmxLaih, ils poursui-^
816 HISTOIRE
vront sans relâche ce principe absurde, sans
nul égard pour les censures qui l'ont con-
damné ; ils y reviennent sous toutes les for-
mes.
Ce privilège de l'infaillibilité , qui n'ap-
partient en propre qu'a Dieu , Dieu l'a-t-il
donné à d'autre qu'à son Eglise ? L'a-t-il
donné a la raison générale du genre hu-
main ? Quel texte de l'Ecriture M. de La
Mennais alléguerait- il en faveur dé son
assertion ? Oîi verra-t-il que la raison gêné-
ralcj le sens commun du genre humain nous
soit présenté par Jésus-Christ et ses Apôtres
comme l'oracle et l'infaillible tribunal de
la vérité? A qui le souverain Législateur a-t-il
donné la mission et l'ordre de prêcher son
Evangile? A quelques Apôtres, non à la mul-
titude. Qui a-t-il établi le Chef du troupeau,
la colonne et le fondement de son Eglise? On
l'a bien reconnu dans chacune des contro-
verses qui , sous tant de formes différentes ,
ont agité le vaisseau de l'Eglise. Du temps
DE LA NOUYELU HÉIUÉSIE/ 517
de l'Arianisme , le genre humain presque
tout entier, selon l'expression de saint Jé-
rôme, semblait être du côté de l'erreur (1).
Que devenait le Christianisme, s'il n'y avait
eu d'autre autorité, d'autre règle de croyance
que le commun consentement ? D'où le sa-
vait-on? Quiauraitpu le constater? LesAriens
se vantaient d'avoir pour eux le plus grand
nombre, et dans les pays où ils dominaient,
il était impossible de s'assurer du contraire.
Heureusement, Dieu a donné à son Eglise,
pour terminer les controverses , un moyen
beaucoup plus sur que ce consentement si
souvent contesté et si difficile a constater.
On se souvint qu'au concile de Jérusalem ,
où fut débattue la question des cérémonies
lévitiques, saint Pierre prononça; et l'as-
semblée, que fit -elle? Elle se tut (2). Ce
(1) Orhis dehique universus miratus est se esso
jirianum ( Dialog. advers, Lucifer, )
(2) Aet., XY. Tacuit antem omnis muîtiiudo,
(Vers. 15.)
918 mSTÛIBB
n'est point la multitude qui est consultée ,
ce 71'est point elle qui prononce le juge-
ment, ce n'est pas ison autorité qui décide
la question; mais elle reçoit la décision
avec respect, et s'y soumet aussitôt. Les
esprits, jusque -la divisés, s'unissent; il n'y
a plus qu'un sentiment. Qui ne voit qu'alors
ce consentement est un consentement d'o-
béissance? Il est le résultat de l'autorité} il
n'en est pas la source. Ainsi dans la cause
de r Arianisme , ce moyen fut mis en usage
pour en arrêter les progi*ès. Un petit nom-
bre d'évêques s'assemblèrent a Nicée (1).
Par leur organe, l'Esprit saint prononça
que la Consubstantialité du Verbe est un
dogme de notre foi ; et leur décision , pu-
bliée dans toute l'Eglise , devint le centre
de ralliement de tous ceux qui, tenant à
(1) « Car ils n'étaient que 318, tous de Té^lise
« d'Orient, et Ton «ait combien , dan« ce temps, était
« considérable le nombre des évêqucs catholiques.»
M. Roza^en, Ea^amen f'p, 20.
DE LA NOUVELLE HlÉRESIÉ. Sld
la foi catholique, avaient pu être jusqu'à
ce moment indécis sur ce qu'il fallait pen-
ser des questions agitées par les novateiurs.
En vain dira -t- on que les décisions des
Conciles généraux elles-mêmes et celles des
Souverains Pontifes sont fondées sur la
foi ancienne et commune de l'Eglise; que
c'est cet accord qui en fait l'autorité ; que
l'Eglise, lorsqu'elle donne des décisions, ne
fait pas de nouveaux articles de foi, mais
proclame seulement la foi antique , déclare
ce qui a été toujours et universellement
cru, aux termes de saint Vincent de Lé-
ï^ius j donc que l'Eglise elle-même n'est que
la manifestation et le complément de la rai-
son générale. Mais c'est prendre l'effet pour
la. cause , que ^e placer l'autorité dans ce
9piisentement même, au lieu de le recon-
naître dans l'action continue qui produit et
Conserve le consentement. U faut donc bien
^'entendre sur le mot de Vincent deLérins,
H^e ce qui a été cru toujours en tout lieu et
SSO niSTOiBK
par tous y est de foi catholique (1). Mais il ne
faut pas croire que le saint Docteur ait eu
l'idée de présenter sa majsiime comme Tuni-
que règle de la foi catholique, ni même
comme la première ; ce serait prendre une
règle partielle pour la règle unique , et par
conséquent contredire la doctrine catholi-
que. La règle principale et universelle est
la définition de l'Eglise , qui a souvent dé-
cidé des questions long-temps controversées
et douteuses , sur lesquelles les saints Pères
eux-mêmes n'étaient pas d'accord. Il est
donc vrai que, selon la doctrine catholique,
ce n'est point le consentement commun ou
du grand nombre qui est l'autorité, juge
suprême des controverses.
La maxime de saintVincenb de Lérins, qui,
comme parle Bossuet, perce au cœur toutes
(1) Nous avons emprunté cette suite de raison-
nemens à M. Rozaven, dans sa réfutation particulière
de M. Gerbet , fortifie par une décision rendue à
Rome, sous le pontificat de LéonXII. {^Examen,
p. 25 et suiv.)
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 3S1
les hérésies , frappe bien plus directement
enopreM. de La Mennais et son système nou-
veau , inoui dans l'Eglise. Car enfin , d'où
vient ce Donat, et de quel ciel nous est-il
tombé? demanderaient encore Tertullien et
le grand saint Cyprien , en entendant cette
étrange nouveauté? Elle fut inconnue à nos
Pères. Il parle de consentement général
comme sceau de vérité ; et il est seul ; il est
d'hier , avant -hier on ne le connaissait
'3pas (^ )• A peine autour de lui quelques disci^
3ples qui , de son aveu , ne le comprennent
"^pas , Docteurs imberbes , faisant non-seule-
onent profession d'ignorance , mais d'ignorer
onême leur ignorance (2). Le suffrage d'un
» petit nombre de Clercs , est- ce la tout
3e genre humain avec sa raison générale ?
U existerait, ce consentement général, com-
ment encore une fois le découvrir? A quelles
(1) Unde Bonatua aut è quo cœlo ruitf — * Hester-
fiug, Hodiernus , Tertull. p. 635, édit. Rig. Voyez
Ivoire Biblioth. choisie des Pères, t. III, p. 209 ctsuiv.
(2) Unci , Traité de la Faiblesse, p. 12?.
T. I. 21
marques le reconnaître? Queltribnnal en sera
Forgane ? Quels juges prononceront en sop
nom'? Quel chef- en publiera les décisions'
et les fera respecter et obéir (1 ) ? Où est-il ce
genre humain , demande M. Lacordaire lui-
même. Qui l'a vu, qui l'a entendu (2)? Où sont
ses missionnaires , quel est son organe ? Je
vois bien dans TEglisc catbotique ce tribu-
nal, ce chef, ces juges , cette autorité en un^
mot que l'on peut consulter et qui parle ,
qui ordonne , qui agit et se fait obéir. Pour-
quoi? Parce que son divin Fondateur lui a
commandé à! enseigner ^ qu'il a doté son
épouse de sa propre puissance , qu'il en a
garanti l'immortelle durée , qu'il a soumis
toutes les intelligences à ses décisions j et ,
par tous ces moti& , je suis fondé à eroii*e
à l'infaillibilité de l'Eglise catholique. Mois
qui jamais avait osé dire , avant M. de La
Mennais , que ce privilège eût été donné au
(1) M. Boyer, Examen , p. 132.
(2) (7ofM»(ieV., p. 168.
DE LA mOVKXE BÉRÉSIE. '885
genre humain? Quelles promesses de ce
genre lui ont-elles jamais été faites ? De-
mandez-«n la preuye k Thistoire : tout en-
tière elle est muette. De Torigine des choses,
descendez à travers les siècles jusqu'à l'aTé-
nement de Jésus-Christ , en prenant pour
guide non pas les romans que l'on nous
débite ici sur l'origine des sociétés et du
langage , mais les récits bien autrement au-
thentiques de nos saintes Écritures. Elles ne
nous parlent que d'un funeste héritage d'i-
gnorance, decriftie et de malheur, transmis
par le crime d'Adam à sa postérité, que d'un
joug pesant sous lequel le genre humain
tout entier resta courbé pendant quarante
siècles , et dont il ne pouvait être émancipé
que par le sang du divin Rédempteur (1).
Et M. de LaMennais ne nous parle que d'un
(J) Grave jugum super filios Adœ, Eccli., XL, 1.
Voyez dans Boisuet, Elevât, sur le$ Mystères ^ 1. 1,
X). 295 et suiy., juscpi'à la page 330 (Edit. in-12.
Paris , 1 727 ) les suites du Péché originel.
iHM msTomE
patrimoine d'infaillibilité en faveur de ce
même genre humain , initié , nous dit-on , à
tous les mystères de la future Révélation !
Qui croire , de TEsprit saint ou de M. de La
Mennais ? Les mêmes Ecritures nous disent
bien que notre premier Père, au moment
de sa naissance , fut mis en possession d'un
grand nombre de vérités qu'il rendit com-
munes aux familles patriarcales ; et de là les
arts et les sciences répandues dans la société
humaine ; de là ces vastes souvenirs si pro-
fondément empreints dans la mémoire des
hommes comme sur la surface du globe et
dans les entrailles de la terre , pour attester
à jamais la vérité de l'historien qui nous les
raconte. Mais ces lumières primitives ,
vous les allez voir bientôt s'effacer et dispa-
raître dans la nuit épaisse qui d'un pôle à
l'autre s'appesantit sur le genre humain.
Quelques éclairs échappés de la nue ne font
pas Iç jour; et c'est encore l'Esprit saint qui
nous apprend que toute chair avait cor"
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. SM
rompu sa voie (1 ) , et que l'image de Dieu
était devenue, dans le genre humain, ai
méconnaissable , que son divin Auteur se
repent de l'avoir fait, et se résout de le re*
nouvelerpar un déluge. Le genre humain
en devient-il meilleur ? Non. Ses iniquités
passées se reproduisent sous des formes plus
monstrueuses qu'auparavant , quand Dieu
voulut se faire un peuple à part , dépositaire
plus fidèle que le genre humain de la foi
antique partout oubliée , portion bien fai-
ble arrachée à la corruption universelle , et
toujours prête elle-même à y retomber.
Abraham paraît. Le saint patriarche ne dut
pas assurément à l'autorité de la raison
universelle et du commun consentement
la Joi par laquelle il fut justifié^ puisqu'il
lui fallut une vocation particulière pour en
faire le père des crojans (2). Quelle était
encore la situation du genre humain au
(1) Gen., VI, 12.
(2) iloifi.^iV»3, 11.
temps de Moïse , des Prophètes et de tonte
la législation mosaïque? Une nuit profonde,
où toutes les opinions erraient à Taventure,
oit tous les peuples étaient égarés dans
leurs voies; troupeaux sans pasteurs, comme
parie Isaïe (1). Qu'était le peuple juif en
proportion de tout le reste du monde ? Un
faible point perdu dans l'immensité du
globe, retraçant k chaque instant l'image
de cette arche conservatrice de la race
humaine au milieu des eaux du déluge qui
l'avaient envahie tout entière. Aussi le
reconnaissait-il lui-même. Le seul lieu du
monde où Dieu soit connu, c'est la Judée;
et pas une autre contrée n'a reçu du ciel
un aussi précieux bienfait (2). Partout ail-
leurs qu'à Jérusalem , dans un si petit coin
du monde ^ la plus délirante idolâtrie régna
durant une longue suite de siècles, « non-
(1) Isaïe, LUI, 6.
(2) Notus in Judω Deus ps. LXXV, 2. Non
fecU talUer omni natUmi^ ps. CJOLVII, 20.
DE LA NOUVEXLB HÉRÉSIE. TlUf
M seulement, dit l'Apôtre, parmi les na^
« tions en proie à l* impiété et à V injustice j
<c mais parmi les Sages eux-^memes égards
JBC dans leurs oHiins raisonnemens^ coupables
'M et sans excuse de retenir la vérité cap^
> tii^e (i)' » L'histoire de l'humanité, k
chacune de ses époques, ne fournit que
trop de preuves à cette humiliante accusa*
lion. Quels monumens l'érudition de M. dç
La Mennais opposait-elle à l'innombraUe
multitude de témoignages qui la confir»
ment ? Lui-même est obligé d'en convenir^
C'est même sur ce fait incontestable qu'il
établit son système contre l'aveuglement de
la raison, qui, abandonnée à elle-même,
s'est plongée tout entière dans un océaj;!
d'erreurs , où la Religion et la morale
avaient fait avant Jésus-Christ un si déplo-
rable naufrage ; mais, pour nous faire croire
qu'elles s'étaient sauvées dans la raison gé-
nérale comme dans une arche à l'abri des
(1) Rom., i, 18. Eph,,i\, 17.
M8 HISTOIRE
tempêtes, c'est-à-dire, que , bien que chacune
des ""raisons particulières fât sans Dieu et
sans loij le genre humain croyait a Dieu
et professait un Christianisme anticipé;
c^est-à-dire, que tous les membres du corps
individuellement étaient infectés de la cor-
ruption de la mort, et que cependant le
corps était plein de vie. Conçoive qui pourra
^ette théorie. C'est là pourtant tout i'Evan-
^e de M. de La Mennais. Nulle équivoque
dans son langage : « La vérité chrétienne
«r ne naissait pas avec la Révélation évan-
tr gélique ; elle croissait. Jésus-Christ , ve-
«r nant au monde, y trouvait toutes les
n vérités établies (1). La raison, manifestée
«r par le témoignage du genre humain, sup-
<r pléait le Christianisme , avant qu'il n'eût
« paru sur la terre (2). Jésus-Christ, le Verbe
<c de Dieu , uni à l'intelligence, a l'esprit, à
(1) JBMa»,p. 289.
(2) T. II, Préf., p. xciv.
DE LA NOUVEIXE HÉRÉSIE. 3M
« la Térité , avait , dès l'origine de la société
«r humaine , apporté dans notre nature le
« fondement de la perpétuité de sa reli-
« gion (1 ). » Donc, ce n'est pas Jésus-Christ
qui a ouvert au monde les portes du salut ,
reconcilié le ciel avec la terre, fléchi en
itiveur de l'humanité le courroux de Dieu
son père , écarté par son sang l'Ange pré-
posé k la garde du paradis- pour en défendre
l'entrée à la race d'Adam ; et son Apôtre
s'est trompé, quand il a dit que c'était la le
seul nom dans qui il fut possible que les
hommes fussent sauvés (52). Non; la doc*
de M. de La Mennais est plus rassurante.
Ecoutons ses disciples , qui nous en donnent
la clef : « Il suffisait , pour être sauvé , de
ir reconnaître la croyance des premières
« vérités , et tout au moins de l'existence
«I d'un Dieu créateur du ciel et de la terre.
(1) Essai, p. 489.
(2) Nec enim aliud nomen est sub cœh éUUum h(h
minibus in qtio oportQot nos salvos fieri, ^cU, iv^ 2«
V Parce que cette reconnaissance a toujputs
M été regardée par les théologiens catho-
tt liques comme indispensable au salut, U
ir faut bien croire qu'il eùstait avant le
*c Christianisme un moyen perpétuel et unir
«r versel d'en acquérir la foi infaillible (1). »
Or ce moyen, quel était-il? I^a r4isonfé*
néraU du genre humain.
. .Encore l'efficacité de ce. moyen ji(e aéra-
jh9lle pas bornée aux temps qui ont pré*
cëdé la venue du Sauveur. Elle s'étend a
ceux qui l'ont suivie ; car le moyen perpé-
tuel et universel d'acquérir une foi in&il-
lible , l'auteur le déclare esq^ir^ssémeut
dislinct de VaiUorité de VEgJfse^ donc i . 4ajas
la. pensée de l'auteur, même df puis i'instif
tutiôn de l'Eglise , k la foi divine serait ia%-
« possible sans cette autonté infûUible,
«( essentiellement di£(tincte de l'Eglise (2); ^
et il est visible que le genre humain. est ici
(1) M. Gerbet, Doct, philos. , p. 36.
(2) M. Lacordaire, Considér.y p. 42, 43.
DE LA KOUVfiUX HÉRÉSIE. 351
le principe de la foi et du salut. £cout<Mift
un autre disciple , l'Elisée sur qui particu-
lièrement s'est reposé l'esprit de son maître :
« Sans doute , nous dit celui-là , la vérité
K est ce. a quoi adhère la raison humaine }
K mais ce a quoi elle adhère partout ettou-
« jours; ce sur quoi elle n'a 2/arié en aucun
«( lieu ni en aucun temps ^ l'universalité et
« la perpétuité , voila le caractère distinctif
te du vrai. Or, où est l'universalité , sinon
K dans les croyances de tous les peuples?
«on est la perpétuité, sinon dans les
(T croyances de tous les siècles? où sont tous
« les siècles et tous les peuples, sinofi. dans
t le genre humain? L^ genre hupiaio. çst
fc donc le dépositaire df ^ la vérité ;- il en est
ic Toracle infaillible (1). » £t qu'on ne dise
pas queM. Lacordaire désapprouve ultérieii^
rement le système du Maître, jusqu'à le quaU-
ficr de protestantisme. pL'exposer en tettiies
aussi ménagés qu'il le fait en cet endroit ,
(1) M, Rozaven , Eaamen,^, 131 .
S8S BISTOUE
n'est-ce pas en faire l'apologie plutôt qne la
censure? Ce qu'il blâme, c'est la trop grande
extension que M. de La Mennais lui a don-*
née ; mais il la rend plausible par une sorte
d'affectation à l'autoriser par la mauvaise
application des témoignages dont il la for-
tifie (1). Nul Aoute que V universalité et la
perpétuité ne soient le caractère distinctifdu
n)rai; et certes nous sommes fondés à les
revendiquer en faveur de notre Eglise ca-
tholique. Nos Docteurs chrétiens de tous
les temps n'ont pas manqué de faire valoir
pour elle cette preuve, qui la distingue n
éminemment de tout ce qui est humain.
Lisez entre autres un des plus beaux discours
de Mas^on, qui la développe avec éclat (2).
Et qu'est-ce que l'admirable discours de
Bossuet sur l'histoire universelle? qu'est-ce
(1) Comidir., p. 60 et 174. Nous y répondronf
au cliapitre vi.
(2) Carême , t. I. Serm. , Sur la Virité de fo JRe-
BB LA NODVBLU nSlÉSIE. S8S
que le livre de la cité de Dieu de saint Au-
gustin? que la savante démonstration de
cette vérité. Jamais homme de sens ne
songera a l'appliquer au genre humain , bien
que le genre humain se compose de tous les
siècles et de tous les peuples. Mais nous avons
encore d'autres titres de gloire à compter
pour notre Eglise. On les connaît; ils sont
indiqués dans tous les livres. Eh bien ! que
les partisans de l'infaillibilité du genre hu-
main osent ici établir leur parallèle entre
l'Eglise et le genre humain ! Les mettre de
pair l'une avec l'autre est déjaune absurdité.
L'Eglise catholique a pour elle une évidence
de faits solennels , irrécusables , à la portée
de tous, tandis que l'autorité du genre
humain n'a rien qui la constitue qu'une
autorité récente, arbitraire et combat-
tue (1). L'Eglise a pour elle la parole de son
divin Maître ; de sa bouche sacrée est sortie
la promesse que les portes de Venfer ne
(1) M. Lacordaire, Considérai., p. 158.
-préiHZudrorU jamais corUre elle : les portes
de l'enfer l'ont assaillie et se sont brisées.
Qu'elle nous parle de son . infÎEdllibîlité,
certes elle en a le droit; mais le genre hu-
main , oii sont ses titres de créance ? Je de-
mande quel est son organe, personne, ne
jrépond; quel est son chef, ses ministres,
ses miracles, ses sacremens; tout est muet;
seulement on nous dit « que son aotorité
f est un fait ausû bien que l'autorité de
« l'Eglise. — Du moins faut-il le prouver.
•c — Non , nous ne le prouvons pas. —^ Mais
•V si vous ne le prouvez pas , comment donc
ft l'établissez- vous ? — Notre réponse est
«: bien single : nous l'établissons comme
r fait, qu'il faut admettre sans preuves, sons
r peine d'être sceptique ou insensé (1). »
De bonne foi, si nous n'avions à alléguer
dans la cause de notre Eglise que de pareils
raisonnemens, il y a long-temps que les
portes de l'enfer auraient prévalu contre
(1) M. de La Mennais , Essai , !!• vol. , oh. XJV.
DE LA StilbVtaUÉ HÉRÉSIE. iM
elle , et téduit en poudre la colonne de la
"Vérité.
»
On s'efforce de les réunir par une con-
Aeiiion intime qui, en les rapprochant,
laisserait à l'Eglise son incontestable supé-
riorité : « L'Eglise avant Jésus - Christ ,
« raison générale , manifestée par le té-
« moignage du genre humain^ » Par-lh,
Pautorité et Tinfaillibilité de l'Eglise se
communiquaient au genre humain. Autre
contradiction , monstrueuse alliance que
PApôtre foudroyait par ces paroles : k Quelle
* transaction peut-il y avoir entre Jésus**
«r Christ et Bélial (1 ) ? » Dans cette Eglise
amalgamée de la sorte avec les temps d'a-
vant Jésus-Christ , placez k côté d'elle une
autorité autre que la sienne; même en la
déclarant supérieure , vous la dégradez.
Comment une autorité quelle qu'elle soit,
pourrait-elle être plus grande qu'une aiitre
autorité infaillible; l'infaillibilité étant le
(1) Quce convcntfo ChristiadBelial ^u^ Cop. vi,12.
886 HMTOtRfi
terme extrême de Fautorité? Jésus^-Chist
est-il divisé? Son Eglise, pas davantage;
elle est seule on n'est rien« Cessez de l'ap-
peler une^ si vous lui donnez une égale;
sainte^ si vous l'associez au règne de rido*
latrie. Est-ce qu'elle n'existait pas alor»
dans la synagogue et dans le peuple juif?
Oui, sans doute; parce que, concentrée
dans son sanctuaire, elle ne se répandait
point au dehors. Que si l'universalité et la
perpétuité de croyance était, dans le sens de
la nouvelle école, les marques distinctii^es
du vraij et si la raison humaine , incapable
de rien connaître certainement , doit tou-
jours se régler d'après l'accord général et
le consentement le plus universel , le paga-
nisme fut donc alors la religion véritable !
L'idolâtrie possédait seule la certitude iné-
branlable ; les cultes infâmes de Sérapis et
de Molock, d'une Vénus adultère, d'un
Mercure voleur, d'un Jupiter incestueux,
étaient les seuls légitimes, puisque ^euls ils
DE LA NOITVELLE HLRÉ8IE. 357
étaient reconnus dans tous les lieux de l'u-
nivers, un seul petit coin du monde excepté !
Jésus-Christ , le verbe de Dieu uni à l' intel-
ligence j a l'esprit , a la vérité j était uni au
Sabéisme de l'Orient, aux superstitions de
Memphis et de Babylone , aux extravagances
du polythéisme grec et romain ; et l'Eglise
des Démons fut véritablement l'Eglise œcu-
ménique! C'était le peuple hébreu qui avait
tort de préférer ses croyances locales et
solitaires a l'autorité universelle du genre
humain; et Socrate, condamné à boire la
ciguë pour avoir cru a l'unité d'un Dieu ,
était une expiation nécessaire, demandée
au nom de la vérité, puisqu'elle s'exécutait
au nom de la religion universelle*
T.I.
3S2
CHAPITRE yil.
TradUio7i8 primitives conservées dans le genre
humain. ScntUnent des Pères,
Vous vous méprenez, nous répond St. d<
La Mennaîs : l'erreur n'était que dans leis
apparences j la* vérité existait au fond d(
toutes les croyances^toutes dépravées qù'ellei
étaient, elles n'empêchaient pas que, sousl;
grossière écorce de ses superstitions , on n(
retrouvât les vérités primitives que la main^cr:^
de Dieu avait semées dans l'univers,
divine parole, déposée au sein de la société,
transmise aux familles patriarcales par 1(
mSTOniE Dfi LA KOfJVELLE HÉRÉSIE. STO
Pèife du genre humain , portée dans toutes
1(B8 parties de ia terre par les fondateurs des
liatioM , s'est conservée fidèlement , pleine
dé yie et de fécondité dânà îeâ écrits de la
gentilité, dans lés monuttiens et les t^di-
tibns , dans les chants de la poésie , les ré-
cita de rhistbire , lés sehteiicés des {)hiloso-
phes et les mensonges de la mytholb^e, dans
la pompe de ses fêtes publiques , et l'ombre
de ses mystères; poussière sàclrée que fécon-
dait lé Verbe de Dieu , porte ap|)areiiiment
sur le chaos de l'idolâtrie , comme autre-
fdis son esprit sur l'abîme des eaux. « Cela
« posé , nrfus dit-on , quelles futent, quelles
« sont les 'croyances du genrte huihâih? Il
W croît hôtt-seulement k ces maximes pre-
W inières et indémontrables , qui sont là basé
ff de toutes les scieh'ces , mais ehcore à t'exîs-
•r tènce d'un Dieu créateur des choses vi-
<c sibles et invisibles , auquel l'homme ,
cf son ouvrage , doit un culte d'adoration j
ff il croit au bien j au mal , à la punitîton du
CHAPITRE YII.
Tradiiio7i8 primitives conservées dans le genre
humain. Sentiment des Pères.
Vous vous méprenez, nous répoiid M. dl
La Mennaîs : l'erreur n'était que dans le» -^
apparences; la* vérité existait au fond de^^ ®
toutes les croyancesjtoutes dépravées qu'elles -^
étaient, elles n'empêchaient pas que, sous
grossière écorce de ses superstitions , on n<
retrouvât les vérités primitives que la maîi
de Dieu avait semées dans l'univers,
divine parole, déposée au sein de la société,
transmise aux familles patriarcales par h
mSTOniE DE LA KOirVCLLE HÉRÉSIE. 9SS0
Pèife du g^nrë humain , portée dans toutes
llss partleé de ia terré par les fbhdateurs des
tlfttiotift , s'est conservée fidèlemétit , pleine
de vie et de fêcondité dânà îe^ éciits de la
{[èiitilité, daiis lès monûttoens et le^ ti^ddi-
tibiis i dan^ les chants de la poésie , les ré-
cita de l'histoire , les séiiteiicës des ^hiloào-
phés et les mensonges dé la mytholb^e, dans
la pbmpe dé Ses fêtes publiques , et l'ombre
de sesinystëres; pbussière sàclrée que fécon-
dait le VeAë de Dieu , porte ap|>areiiimeni
i
sur le chaoi dé l'idolâtrie , comme àiitre-
ibis sbii esprit sttr l'abîme des eaux, k Cela
«f pbié , rtbbs dit-on , quelles futent, quelles
fc sonit les broyanc'és du genrb huihàih? Il
V cfoît titttt-seulement k ices maximes pre-
-ir inîëres et indéblontrables , qui sont là basé
« de touteèles sciéh'ces , imàis ehcore a t'exîs-
* tëiricè d'un Dieu créateur dès choses vî-
fc sibles et invisibles , auquel l'homme ,
«f son ouvrage , doit un culte d'adoration ;
« il croit au bien j au mal ^ à la punitibh dû
840 msTOiHB
« mal , à la récompense du bien ; il croit
fc que rhomme, aujourd'hui malheureux et
« corrompu, ne l'a pas toujours été ; qu'un
« Réparateur lui fut promis, qui devait, par
« un grand sacrifice , réconcilier l'homme
(c avec Dieu ; il attendit, il salua de loin ce
« Réparateur; et ce Réparateur est Tenu,
fc puisqu'il a cessé de l'attendre ; et l'Eglise
fc catholique , recevant de nouveau par le
«c Christ la parole de Dieu , source primitive
« de ces traditions universelles et perpé-
« tuelles , a confirmé la foi du genre hu-
«c main; et le genre humain, se confondant
« avec l'Eglise catholique répandue partout
ir l'univers, n'a plus eu qu'une voix(1). »
Il est clair, d'après cette théologie, que
l'univers d'autrefois crut les mêmes dogmes
que croit l'univers d'aujourd'hui; que le
genre humain a joui constamment des mêmes
(1) M. Lacordaire , Considérât./^. 43, 44, 171.
Résumant , dans ce peu de lignes , les six ou sept
cents pages de M. de La Mennais à ce si^yet.
DB LA NOrVEIXB DÉBÉSIE. 541
priyiléges que l'Eglise tient de la toute-puis-
sance de Jésus -Christ; que si la vérité
manquait à ces croyances, comme on veut
bien en convenir, elles avaient du moins
pour elles l* unités l'universalité^ la perpé-
tuité; ce qui pourtant s'accorderait assez
mal avec tout ce que les historiens et les
voyageurs nous racontent de peuples anciens
et modernes oîi elles furent autrefois à peine
connues, ainsi que maintenant encore chez
une foule de nations de l'Asie, de l'Afrique
et des deux Amériques ; et ne s'accorderait
pas davantage avec ce que nous savons des
anciennes écoles d'Ëpicure, de Zenon,
d'Aristote lui-même , qui rapportaient tout
à la matière ou k la fatalité; qu'avant Jésus-
Cbritft le dogme de la création du monde
sans le concours de la matière, celui de la
résurrection des morts n'était pas même
soupçonné ailleurs que chez les Juifs. Mais
il faut bien croire, puisqu'on nous V^^rme
avec tant d'assurance, qu'il n'y eut jamais
!Mtt msxfHRe
dans celte cbaîne iraditiqnnellcj iii vide ni
cibiCMrités. Gar4ez*TQU8 donc de prandce à
la letUe le récit que nous font les livrea
aaints an sujet de saint Paul et de son voyage
a Athènes , lorsque , se rencontrant dans la
synagogue et dans l-aréopage , entouré de
Juifs et des philosophes ^e différentes sectes^
pour leur annoncer Jésus-Ghrist et sa ré^
demption , la création du monde par la seule
pacole du Dieu Seigneur unique du ciel el
de la terre, sa Proyidence et la iîiture ré*
snrrection des morts , tous ces beaux-^esprits,
aussi curieux d'antiquités qu'avides de chosef
nnuTelles , se pressaient autour de lui pour
lui répondre : ^ f^ous nous dites de certaines
« choses dont nous n'avons point encore en^
« tendu parler^ nous voudrions bien saiHHr
M ce que c'est(\). » Ce que l'univers tout
entier savait depuis quatre mille ans , Athè^
nés seule l'ignorait !
L'artificieux sophiste mêle ici comme
(!)?Act., xvn, IM%
DE LA Noyyça^ ^résie. S^j!^
p^toijt If) faux ^t le vrai. Sor point de 4ér
p^t ne lui $era point contesté. 11 avait ét^'
fixé par nos Livres saints eux-mêmes , lors^
^'ik repi:ophent en effet aux écrivaii^s du
paganisme d'avoir dérobé aux Livres de ^
loi les types de J^urs fabuleuses histoires (i ).
Et combien de savantes controverses à e»
suj^^t i^'i^vaient- elles pas porté jusqu'au
dernjier degiré d'évidence la conformité de
c#a tràvestissiemens avec nos orignaux sa*-
cré^! IL s'en fallait donc beaucoup que la
découverte en appartînt k M. de La Mennais ;
et tpitt ce pompeux étalage d'une érudition
eiapr^ntée à quelques livres modernes avait
besoin , pour échapper au reproche de pla-»
^^j de s'étayer de quelque chose de plus per*-
çonnel a lui. Il l'a fait par l'énoncé d'une doc-p
trine où personnene lui contestera lapriorité«
Il suppose que quelques traits de lumière
çà et la répandus dans 4a vaste étendue des
(i) Libros îegis de quibusscrufabantur pentes simir-
liêudinem simuîacrorum suorum, I Maca})., irr,4S.
S44 HfSTOIllE
quatre mille ans qui précédèrent le Chris*
tianisme, jetés a tr.ivers la nuit épaisse de
l'idolâtrie, n'en avaient pas été moins suffi-
sans pour en dissiper la profonde obscurité;
que ces faibles ruisseaux égarés de la source,
et traînant après eux un limon impur ^ étaient
tespectables comme la source elle-même;
que quelques fragmens isolés , fugitifs , pro-
clamés à voix basse par des philosophes qui
les expliquaient arbitrairement , et les ré-
servaient au secret de leurs écoles et de leurs
initiations, formaient tous seuls le système
entier de cette Révélation , déposée par la
parole de Dieu au sein de la société , per-
pétuée uniformément k travers toutes les
vicissitudes. Pour cela , il entasse six a sept
cents pages de citations extraites des poètes,
des philosophes, des lois, des historiens
d'une multitude de siècles et de contiées.
K Quand vous lisez cela , » nous dit M. La-
cordaire, « votre vue se trouble à tout mo-
(c ment; le genre humain passe devant vous
DE LA NOVYELLE BÉIUSSDE. 345
«r SOU8 mille costumes divers, en parlant mille
t( langues. Si vous voulez vérifier les textes,
(f les peser, les comparer, saisir la justesse
« des interprétations qu'on en donne; c'est
«r un travail considérable, même pourTar-
(( chéologue le plus instruit; les six cents
H pages vous forceront d'en lire des millions,
tr Si vous ne vérifiez rien , qui vous assure
(( de la portée véritable des textes qui pas-
ft sent devant vos yeux? Car il ne s'agit pas
<r de l'exactitude matérielle, mais de la
« relation d'une i^u de deux phrases avec la
«r pensée intime de peuples anéantis. » Il
est surprenant que ces observations si sim-
ples ne se soient présentées qu'après gua^
torze ans k la pensée du subtil a.dçpte qui
nous les fournit; bien plus surprenant en-
core que ni Jésus^Christ , ni ses Apôtres , ni
aucun de leurs disciples, aient songé jamaU à
imaginer de pareils témoignages en faveur de
la vérité chrétienne ; qu'ils en aient appelé
souvent à Moïse et aux Prophètes , jaqiais à
SéB niSToiftE
rautorité de )a foi du genre humain , ni de
ses traditions. Saint Paul cite aux Grecs un
vers d-ifn de leurs poètes, seulement pour
les mettre en contradiction avec eux-mêmes.
Permis d'employer les dépouilles de l'Egypte
a la décoration du temple , non à sa sUruc-
ture. Ainsi des Pères, dans l'emploi qu'ils
ont fait des textes profanes.
Qu'il existât donc parmi les hommes un
ordre fie vérités généralement reconnues ,
axiomes universels, invariables, placés hors
de la controverse et de la» démonstration ,
on ne le conteste pas , et nous l'avons exposé
dans les commencemens de cet ouvrage :
qu'avec eux, )es principales vérités de la mo-
rale se manifestassent d'elles-mêmes a toutes
les intelligences, parce que le sentiment
s'en trouvait imprimé dans toutes les âmes :
cette proposition est également hors de
doute. C'était la un fonds commun^ oii les
esprits méditatifs venaient puiser leurs étu-
des solitaires sur Thomme et la société.
DE LA NÛU¥flX| HÉRÉSIE. ^f
L$^ naturQ et la raiso^ çeu^e y uflisai^t à Tacr
np p^s^ jami||9 ^întçppg^f: là-de^ua ^ rai-
^OD ^^p^r^le > puisque chacyia eq ^puYa^t fi)
gq^mêf^P k t^tpQigftag^. Poiqt d'inppiç^îiq,!
particulier^, poj<^^ f^^ ^^^ 4WaiUi))iUt4
qui ^ £{; la réyélatioif aux if)divi(|ifs ispl($s,
qfipins encore au gp^t^e humain. Quaqt auif
fait3 iff^pprtan^ > aft-des^w de Vqf 4ip*Mr? *
gui ^yj^i^pf dji frapppf l^agj^ftlîftfi jles çgij:
tçmppraifis» ^a^qé^pire s'en pqf^seryajf; dan^
k PR^^^f^^4 P^^ 1^ canal de la ^adifipn , e{;
sqrya^ ^ prpuyqr l'a^l^^atici^é d^s Ecriture!
qui en contenaient Ij^s api^alqs Iç^ plus £4^7
le^. Toujours exacts, le3 Pèrpi^ 4l^ TEgU^
grecque et latine avai^qt biei^ senti V^'v^ff':
tage que leurs rapproçjiemens .^vec les récits
fies écrivains probes dpnnaiept k la caujs^
^éyapgéUque, en certifiant leur ai^tiquité
qoatrp leg païeqs » qui ]và rçpr^b^^nJt d^
tre japuyeUe. II? ont interrogé lei pQ^»i le*
%]»itt0B sur h Çbrirt >■ pQur y lire ^» w^ûuxi
548 mgTOiHE
non des prophéties ; ils ont fouillé dans les
mystères de la gentilité, pour forcer les dé-
mons à reconnaître la divinité de Jésus-
Christ , mais non pour en faire ses apôtres;
ils ont cité , accumulé tant qu'on voudra, les
textes et les monumens pris aux siècles païens,
*comme médailles , non comme révélations,
moins encore comme fondement même de
la certitude et de la vérité. Même en accré-
ditant Foplhion que quelques philosophes
d'un ordre supérieur, par exemple un Pla-
ton , un Socrate , se fussent élevés par leurs
lumières naturelles on par des communica-
tions directes avec le peuple juif, à dés no-
tions voisines des vérités chrétiennes, îlrestc^
rait à prouver qu'ils en avaient rendu la con —
naissance populaire; ce qui est démenti pa:^
tous les témoignages. Pas un qui n'eût s^
doctrine occulte , qu'ils avaient grand soin
de ne confier qu'à leurs initiés; aussi saint
Augustin affirmait-il que si hors du temple
et dans leurs écples ils s'éloignaient des opi-
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 549
nions vulgaires, rassemblés dans le temple,
aux pieds des mêmes autels , ils s'asservis-
saient aux opinions des peuples; « car tous
« ces hommes, ajoute le grand évêque, n'é-
<c taient pas nés pour convertir les peuples
cr de la superstition des idoles et de la
« vanité de ce monde, au culte du vrai
« Dieu (1). *
Ces antiques traditions , M. de La Men-
nais les a ramassées dans un seul faisceau ,
qui lui sert à composer son argument d'au-
torité en faveur du consentement universel
du genre humain , son critérium de la vé-
rité , le principe unique de la certitude et
le sceau de Finfaillibilité . Sa doctrine à ce
sujet , déjà manifestée dans le premier vo-
lume de V Essai sur l' Indifférence^ il Ta dé-
veloppée prolixement dans toute la suite de
l'ouvrage, et consumera pour sa défense
quatre volumes de raisonnemens et de té-
moignages; raisonnemens sans fin, pour
(1) Deverd Relig,, Bened., 1. 1, p. 748.
prouver qu'il faut se lenir en garde cônlrb
tout raisonnement , et réduire au silencfe la
raison, qui ne raisonne jamais que {ibtit
exter. Cest là le cimeht et tout lé corps dé
son ëdifide. Soùs la commune inspiration de
leur màttre , le^ disciples en foîit la base de
leiir cêirtitùde , sans autre deisiseih (jpië célili
d'ébranler toutes les certitudes. Avec Idi,
ils proclament que lé principe dé la Ibl , 1
fondéinent de toute certitude ; est 'dâitit
ràisijn générale, et ne s'en éloighétit q
parleurs variations, caractère dé tout tbnip
inséparable de l'erreur; tous en foiît là bas
Ue leurs théories. M. Là Cot*dairé lui-mé^é^
'eh l'abandonnant comme erronée ; Wj Vbî
pas htoins une preuve nouvelle dé Iti r^Vé
lâHôh divine (1). C'eit a cellé-la qu'ils àftà^
ehetit le plus grand degré dé certitude ; le
resté , ils l'abandonnent à l'école rëùtih^re
du câtt'ésiànisnie ; ils le dédaignent c'&iiAnh
incomplet, insuffisant, inintelligible, làîàsiifiit
(j) Conêiàérai,, p. 53^.
-9
DE LA NdOVÈLUS HÉRÉSIE. Jfttl
dans renseignement théologiqne un vide qui
né pouvait être fempli que par eux: Ile île
a^en tiennent pas Ik ; ils le dénoncent à VH^
nivers catholique comme ùh vèftin funèète
et taché.
•
M. de La Metinais pouvait bien ^e cbh^
tèiitèr de faire servir les mensonges dé Tàii-
tiquité au triomphe de la vérité chrétienne,
et peu de personnes Fauraient cbnttedit;
ifiais il fallait au pliis puissant génie du
iix* Siècle quelque chose h quoi personne
TÎ'eût encore songé. Quelle gloire de récii-
\eT des limites où s'était arrêtée la pensée
fies plus grands hommes, de se créer un
liorizon sans bornes , par-delà ce qu'àvâiéni
âi[>erfcu les Justin, lés Clément d'Alëxan-
Jdrie , les Eusèbe , les Lactancé , les Thomas
d'Aqiiiri , lés Augustin et les Bossuét ! N^y
àvàit-il pas plus d'audàcé et plus de gloire a
bâtir une église sur la poussièrie des morts ,
iqU'a là bâtir sur le roc ?
Us savaient bien, tous ces grands hommes,
988 HI5T0UE
rhonneur de la raison humaine autant que
de la religion ; ils savaient bien que la phi-
losophie avait pu préparer les voies a la
prédication évangélique ; mais qu'elle avait
laissé ces mêmes voies dans une obscurité
profonde que la seule lumière de l'Evan-
gile était capable de dissiper; que la tradition
orale, canal de la vérité primitive, avait été
bientôt rendue méconnaissable par le limon
impur des superstitions dont elle était sur-
chargée y qu'elle n'avait ])as pénétré dans
tous les lieux; que la tradition écrite,
n'ayant été donnée qu'a un seul peuple pri-
vilégié, n'avait été nulle part remplacée par
la raison générale; que cette tradition écjrite
avait eu elle-même besoin d'une autorité
parlante etenseignante, d'un tribunal chargé
d'en expliquer les oracles. Aussi, toutes les
fois que les calvinistes opposaient Tautorité
de l'Ecriture , comme parole de Jésus -
Christ, suffisante pour résoudre les doutes,
en matière de religion, Bossuet ne s'en con-
DE LA KOUVELLE UERESIE. 3S5
tentait pas, et ne manquait pas de leur ré-
jpondre : * Faites revenir Jésus^Christ , en-
cf seignant, préchant, faisant des miracles;
«r je n'ai pins besoin de l'Eglise; mais aussi,
K ôtez-moi l'Eglise , il me faut Jésus-Christ
ce en personne, parlant, prêchant, décidant
(c mec des miracles et une autorité infailli-
« ble. — Mais vous avez sa parole? — Oui,
ir sans doute, nous avons une parole sainte
fr et adorable; mais qui se laisse expliquer
« et manier comme on veut, et qui ne ré-
tf plique rien k ceux qui l'entendent mal. Je
(f dis qu'il faut un moyen extérieur de se
ce résoudre sur les douteâ , et que ce nloycn
« soit certain (i). » Or, nous l'avons, con-
cluent avec Bossue t tous no^s dix-huit siè-
cles chrétiens ; nous l'avons , cette autorité
une , divine , perpétuelle , infaillible , dis-
tincte de la raison humaine, qui n'est ni
divine , ni infaillible , quoi qu'en puissent
dire M. de La Mennais et ses adhérf^ns.
(1). Conférence avec le ministre Claude.
T. 1. 23
V èipes laYcc la foi^ la foi humaine avec
r foi divine ^ l'infiaiillibilité frônàst par Je-
■
«r sus-C)irist a son Eglise avec la prétendue
« infaillibilité d'une certaine^ raison générale
¥ qu'ils ne sauraient définir. Constannaient
« en contradiction avec eux-mêmes, ik veu-
c lent, disent*ils , prémunir la raison indi^
i. viduelle contre le doute universel , et ils
ff commencent par enseigner que cette raî-
«r ^n* ne peut acquérir sur rien une vérita-
tr ble certitude. Us reconnaissent qu'il est
«: des vérités si claires que Thomme est dans
r la liécessité absolue d'en douter, a moins
« qu'il ne se dépouille de sa propre nature,
f^ €ft' ils cherchent je ne sais oti une certi'-'
«T'Aide plus grande que celle qui ne peut
«r permettre absolument aucun doute. Ils
«r enseignent que nous ne devons pas tenir
(T pour infailliblement certain ce qui est de
« la dernière évidence, et leur système, qui
«r est rejeté par un si grand nombre de gens
«r skges, iis' veulent que nous. le recevions
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 367
ir comme s'il était tl'une certitude infaillible.
« D'après ce système , notre raison indivi-
« duelle , pour arriver a la certitude d'une
« yérité, doit être auparavant certaine d'une
« infinité de choses , elle qui , suivant eux ,
« ne peut être certaine de rien. Ils soutien-
«' nent qu'on ne peut rien prouver -par le
(c raisonnemeM, et j^ publient chaque jour
tr des livres nouveaux, où ils raisonnent sans
tr fin pour établir la vérité de leur vaine
fc philosophie. Ils prétendent ne vouloir
«r s'appuyer que sur des faits , tandis qu'ils
«r ont mis 61i principe que la raison rndîvi-
fc duelle ne peut avoir la certitude d'aucun
« £|it , pas même de^ la {uropna emtfliiM (i)^»
(1) Mandement du 2 août 4834 contre, le deriuer,
ouvrage de M. dé La Meimài», ïnliAiliê': ParioJîfii '
dfun CroytuU. •.•;y.-/^
• * i
; I ■ ■ * * ■ « ■ ■■ ■ • ' ■ ; 1 I ■ . •' '
i • • . . ■ i- w
Tî
I »■ • ... • •• ■ • ■,'•1
* '
/
. .. J . : .I- .. 1 v'-V .1 .f»l ■ f 1
, .•• ■»■!» »»»! !■■ ■■ ' *■■ . f '■ ■ "if 'I;
«^ÀAfrltÂÈ Viii.
"• ,
"' • ■ ■ !.. ï • . . ' ■ ' ' *■ )■!».■.•■• ■■
i . t :
lU4aJWeiw. <^# iiwff êur l' Indifférence^ , jMir
Jf. âe IJa Mennais. jiuiréè euvraiàeê du mé^ne,
- ■■ I . • ■ \ ' ' » * II» • ...».- . . . f - "^
Lt |^rmiif«r 'iBOtpt»f -Atr -VlSêsêU "pur tlk"
différence avait excité dans toutes les classes
dé la société ïa plus vive impression. Le
succès même de l'ouvrage déposait contre
son titre. Il y eut parmi le clergé surtout
une longue et unanime acclamation; l'en-
traînement fiit général, dit M. l'àbbé Lacor-
daire, de son aveu, l'un des acteurs princi-
HISTOULK DE LA NOUVÊLLB BÉRÉSIB. 8tfB
jpaux dans tout ce qui s'est passé (1). De
jeuaes imaginations, étrangères à la langue
de la Théologie , exaltées d'ailleurs par
l'exemple du siècle grandissant autour
d'elles, voyaient dans ce ïivre une résurrec-
tion admirable des raisonnemens antiques et
éternels qui prouvent aux hommes la nécessité
de lafôi(3i). Plus d'autre oracle nécessaire k
consulter pour la créance, et la direction des
mœurs. On disait apparaître a leurs regards,
ainsi qu'autrefois à ceux de Saiil, la Pjrtho-
nisse d'Ettdor^ quij tout en invoquarU une
fois du passé V ombre de Samuel^ évoquait
rniïlefois tous les spectres antiques (5). Elles
crurent comprendre sa philosophie^ bien
qui elles ne la comprissent pas dit tout (A).
Les esprits ne se divisèrent qu'après la pu-
blication du second volume, lorsque M. d«
(d) Con$idêraiian$ , p. 34.
(2) I&trf., p. 32, 36.
t3) Ibid., p. 158. •
(4> /Wd., p. 160.
o60 HISTOIRE
L«'i Mennais eut substitué aux anciennes au-
torités une autorité unique, dont personne
n'avait jamais entendu parler. Avec cette
extension (1), on ferma les yeux sur les pa-
radoxes, déjà pourtant si nombreux et si
frappans, répandus dans le premier. On
avait cédé sans trop de réflexion à l'impres-
sion que produisaient dans les esprits la cha-
leur et l'énergie des tableaux, lu véhémence
des accusations, le pittoresque du style, une
sorte de vigueur dans le raisonnement, 11
n'y avait eu qu'une seule voix pour y recon-
naître un talent vrai, qui semblait s'être
fait de lui-même. Censurer est un besoin
pour tous; c'est un dédommagement .pour
l'orgueil, et aussi une vengeance, dit M. de
La Mennais (2). Le regret du passé , con-
solé par l'espoir de trouver enfin un uen-
geiiPy accueillit avec reconnaissance le cou-
rageux écrivain, qui se présentait avec tant
(1) Considérations,}^, Jo7. •
(2) Religion considérée y eiv .
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 301
d'éclat aux amis et aux ennemis. Personne
cpii ne voulût le connaître; l'admiration
prit partout l'accent de l'enthousiasme. Les
éditions succédaient aux éditions. M. de
Frayssinous recommanda l'ouvrage du haut
de la chaire où il prononçait ses belles con-
férences. Tout k coup M. de La Mennaisse
vit le maître^ le père d'une nombreuse école,
qui lui iwiia pour jamais respect ^ fidélité ^
amour. Les voltimes q[ui ont suivi n'ont pu,
malgré leur évidente infériorité , affaiblir
l'activité de ces sèntimens, et n'ont fait
qu'accroître la renommée de l'écrivain, par
les débats mêmes qu'ils suscitèrent. En ua
geùl jour,' nous dit encore M. Lacordairc,
M. de La Mennais se troussa investi' de la
puissance de Bossuet (1 ).
Ce n'était pas , il fallait bien en convenir,
ni cette rigoureuse précision de doctrine et
de langage qui caractérise si éminemment^
le grand évêque de Meaux , toujours plein
(4) M. I/acordaire, ConêiMrat.^p. 37.
908 Bunomai
de la sàve dé rantiqaîté ^ m cette sfeigMse
lumineuse d'argumentatioh qui ne rlaiawB
rien à l'arbitrailrè, pose les principes et ne
tes invente pâs^ les enchaîne, par la justesse
des définitions et la niéthode graduelle
des déVéleppemens, à- d'infé^Usableci ce^iisé-
quences ; 4i cette souplesse d'îna'ginatîon' et
de 3tyle:^. eâtle in^iitatioA Continua v- qui
nuUe pairt ne #e re^^exU de. la contirainto du
travail) moins encore la délicate . ob^rva*
tiofi des convenani^es., que la religion com-
mande envers tous, ^teté dan& l'arjène des
discussions polémiquea, au sortir de se^^
premières études , sans avoir eu le temps de
les mûrir, dominé par une imagination mé^
lancolique et sombre « égaré par.de: £iuk
modèles,, entre autres par |a lecture du
philosophe de Genève, à qui il affecte de
ressembler par sa manière d'écrire, autant
que par l'ambition du paradoxe (1), M. de
(1) Il le copie souvent , et Ton a remarqué que h
êophUie de Genève n*eftt pat le seul écrivain dont
0K LA NOUVEtXB ttÉUftlK. 3(KS
La Mennais poiivait-il voir les objets autre-
lisent ipilL (raVëts un prisme mfi'dèlê qui les
déhàtiire à ses yeux, connaître l'antiquité
aûtreibent <j[ae pour la travestir avec Pair
de la citer ? Aussi le voyez'-Toùs impatient
de produire quelque chose qui n*ait pas en*-
cdre été iâirenlé , brisait dans sa fougueuse
indépènèaBce les bornes po6^ées par nos*
pèlpes, t&ïAét constamment sous les pieds
Tatitorité t^t civile que f eligiewe , pour
Icd substituer le&nt%iie de je ne sais quelle
autorité ilmagrnaire , caiômtiicfr là science
des âges passés , Uvrer au mépris 1^ monu-
mens de la tradition et les écrits des théo*
logiens et des philosophais; Noofs n'invefn-
tons , nous n'exagérons rien : c'est w cela
seulement qu'il s'est montré conséquent a
M. de LaMennais ait profité/ On retrouverait chez lui
des pa{^ entières de Pascal , de M. Neeker, dans
80B livi^ de l'impofianee de» Opinioni reH^useê;
de NifioUe, de Bossuetv et, quoiqu^il cite beaucoup,
il n'est pas toiigoufs fidèle à indicpier les sources où
il puise.
504 msToiAE
lui-même. On murmurait, mais. tout bas,
contre cette confiance préscuxiptueuse avec
laquelle il prononçait sur l^s questions les
■
II
plus délicates, contre la hardiesse de cer-
taines propositions répandues dans ce liyr«
en assez grand nombre^ autant d'énigitoes
d^nt on attendait impatiemment la solution ,
expliquées depuis par ses chimères, d'infailli-
bilité, de raison générale , de.cominun.con-
sentement et du fait de : l'autorité^ On ne
comprenait pas mieux^e qu'il avançait sur
la révélation primitive, sur l'origine, du.
langage humain ,. assez difficiles à accorder
avec l'Ecriture et la saine philosophie (1).
On s'étonnait bien plus encore des conce»-:
sions qu'il y fait, au pyrrhonisme : que l'éivir
dence , le sens intime , le sentiment , le rai-
sonnement, ne fussent pas des motifs de
(i) Voyez lea .savantes di8CiiS8Î0D8 à oe sij^t, par
M. "Roiaren, Examen, p. 318 et suiv. M. Boyep, p. 43
et suiv. M. Receycur, p. 29 et suiv. M. de Bouald
avait jeté le germe de ce système , que M- de La
Mennais a recueilli pour le dénaturer. . .;i. :
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 3tô
certitude de nos jugemens. Certes, ce n'est
pas avec cet embarras, affecté ou non , que
Bossuet .traite ces matières , bien que pure-
ment philosophiques , mais qui se rappro-
chent si près de la Théologie ; et quand est-
ce que le théologien fait jamais chez lui dis-
paraître l'homme éloquent? Rien donc ne
pouvait autoriser ce rapprochement entre
Bossuet et M. de La Mennais , que pour faire
mieux apercevoir la distance* énorme qui
les sépare. Car ce n'était assurément pas
chez M. de La Mennais qu'il fallait aller
chercher la clarté des définitions, la jus-
tesse dans les preuves , la fidélité dans les
allégations. On lui a reproche son obscurité
de langage , son néologisme , les mots pris
au rebours de l'acception commune , ses
digressions,' ses défauts habituels de logi-
que , le vide de ses démonstrations; et l'oa
en a fourni des milliers de preuves , toul
l'artifice des sophistes. N'attendez pas sur-
tout ni du maître ni de ses disciples le res-
306 ' iWTOinB
péjct filial que la. j^iinesse et l^ «ll^voir de U
profession : commandent pour les fenoDOr-
mées consacrées ptr l'estime «t 1^ vénéra-
tion publiques ; ii» now diront qu^ « le» aur
« ciêns sont toujours entêtés de. leuto mll-r
tr ques doctrines ; que les coips 0nsjeignai|s
«r ne sortent pas des vieilles lOnti^ref 4fK I9
ft scolastique ; que ces he^mmet ne laîfH^
« ront jamais ^trer dans le^rs vieilles %é^
Y tes une idét^ nouvelle (4). ^ De la 9 ce tor^
rent d'injures , renouvelées ^ chaque p9ge ,
contre les aoms les phis ciiers à |a science,
aux lettres, a la Beligion; le ^ee^^ de Jta
diffamation imprimé sur le i^onjt de Pç&-
cartes; la Sorlionue tpjiijb ^ntièi)e ûnovoléfx à
la vengeance de ces prétendus philosophes,
qu'elle avait flétris de ses censures. A l'es^em-
pie de son chef, VécoU de M. de La IVjlen-
naîs ne tarjm pas sur les outrages prodi-
gués à ooi^ Docteurs j un de ces apprenjlji«
(d) Essai, i. II, de la page 31 à 38; et Lettres à
Mgr. l'arche véque de Paris.
DE LA NOfJVSUV HâRâSIE. 867
théologiens Tiendra mettre le scellé sur la
tombe des Beriner, dea Girard ,.^ Barr
^el, dea Pompignan, des Grenitl, des La
Luzerne, pour prooioncer fièrement que, de^
puis Massillon, l'Eglise catholique a manqué
tout-à-fait de ces talensgtUwmt loin dans la
postérité^ et que M» dje La Mennais a seul re-
noué, la chaîne de nos grandi écrivains (1).
Un autre osera bien £»ire la leçon à Bossuet ;
entreprendre de refaire la Conférance f^vec
Claude , et gourmander l'Ângustin français
de la faiblesse de aea raisohnemens dans la
cause du Protestantisme (2).
Cependant. 9 tout en rabattant de Texa^
gératîon des panégyriques, et en faisant la
pattdê la crilique^ il y avait aussi de quoi
{!) M. I^aoordaire, CoimiJfal.^ p. 37.
(2) Ge1i^-1à s'appelle Gë^het , auteur d'une dé-
fense des principes de M. de La Mennais, sous le
titre-: Docirinêà phUùBopkiques sur ta Certifuâe.
M. Bjozaren en a ^it une réfutaiion tf^cejiaatù^ à
laquelle on ne pouvait répondre que par dea injures.
On n'y a pas manqua, foy. lapréfece de son Evanum,
U <*cvA»»°" „i, U test»"*'" ^
cet.-»''"* tout »'«""*"... d'«"
DE LA ROUVELLE HÉRÉSIE. 869
passons k l'écriTain la moitié de son juge^
ment; nous ne sommes pas de son a^is pour
le reste. Le mérite de l'érudition , qualité
indispensable dans ces sortes de matières ,
quand elle est unie à la sagesse de la dialec-
tique , se faisait bien mieux remarquer dans
un autre ouvrage du même genre , mais
conçu dans un tout autre dessein , sous le
titre de Trcdté historique et critique de /V-
lection des évêques (1), contre le système
des élections populaires , décrété par TAs*
semblée constituante , et proposé , de nos
jours , par l'école Lamennaisienne. Mais
l'auteur était sous le joug d'une inculpation
grave : on l'accusait de tenir à une secte
justement repoussée par l'Eglise ; son livre
eût peu de cours. Celui de M. de La Men-
nais fut répandu k profusion dans les sémi-
naires. « On y lisait » , dit encore le jour-
naliste déjà cité , ^ des pages d'une courar
(1) 2 vol. inS*, Paris , 4792; par M. Tabarand ,
prêtre de l'Oratoire.
T. I. SW
570 HISTOIRB
« geuse indignation contre le despotism^^
«r d'alors » ( le despotisme impérial ). La
préface contenait cette note : Quant au
premier article de la déclaration de 1682 ,
j'y tiens autant que qui ce soit. (C'est pour-
tant contre ce premier article que l'auteur
déploie le plus vivement tout l'arsenal de sa
polémique, comme étamX, principe de schisme^
d'apostasie et d' athéisme {\). « Toutefois, il
« y a dans le premier ouvrage une expan-
<c sion d'amourpour la chaire de saint Pierre,
« une soif de son exaltation , qui peut dès-
K lors faire présager le long et vif combat
« que l'auteur livrera pour elle contre ceux
K qu'il croira ses ennemis. » Pourvu qu'elle
n'improuve pas ses opinions.
Quelques publications moins importantes
avaient suivi VInstitution canonique des
éi^êquesj lesquelles furent réunies sous le
titre de Mélanges, On trouve dans ces Mé-
(i) Voyez la Religion Considérée , etc., p. 205 et
suiv. , et tout V Avenir,
M LA NOUVELLE HfclÉSlE. 371
langes bien des articles qui seraient d'élo-
quentes réponses à ce que l'auteur a écrit
dans ces derniers temps, et spécialement
à l'ouvrage qu'il a composé, dit-on, pen-
dant son dernier séjour à Rome , sur cette
même situation de l'Eglise chrétienne (i ).
^1) L'Univers relig., i|. 177, à rarticle : Parûlm
d'un Crayani,
w»
CHAPITRE IX.
■«
ConiinuaHon du précèdent,
U Essai sur V Indifférence présentait un
ouvrage complet; c'était un traité spécial
auquel on pouvait appliquer le mot du poète:
Mole sud stat. Rien n'y faisait sentir le be-
soin d'une suite , rien n'y supposait qu'il fiiit
inacheifé. C'étaient des explications, non
une continuation que l'on demandait à l'au-
teur; et il est plus que douteux qu'en pu-
bliant son premier volume , M. de La Men-
HISTOIRE DE LA NOUVELLE HÉEÉSIE. 375
nais eût bien calculé ce que pourrait être le
second, moins encore qu'il rendît néces-
saires ceux qui devaient venir après. Tran-
chons le mot. M. de La Mennais a sacrifié
à la cupidité de ses libraires , spéculateurs
de renommée, que la vraie gloire de l'écri-
vain intéresse peu, pourvu qu'elle leur rap-
porte. Ce que l'on a publié sous le nom de
Suite au Discours de Bossuet sur V Histoire
universelle j n'est qu'une misérable parodie
de ce chef-d'œuvre ; mais la prétendue con-
tinuation est un œuvre posthume. M. de La
Mennais a vu toutes les éditions de la sienne ;
il les a publiées lui-même sous un titre gé-
néral qui les identifie par le lien de Défense
de l'Essai sur V Indifférence , composant un
ouvrage distinct , en plusieurs volumes. Son
sujet épuisé , qu'avait-il à dire? S'il a voulu
prouver ce que c^est qu'un prêtre^ n'a-t-ilpas
mieux réussi a prouver ce que c'est que Fhom-
jne ? Ce qu'il avait à dire , c'était d'imiter le
noble exemple donné par saint Augustin »
374 fliSTOiEX
dans ses RétiXictationSjiant^oixr corriger que
pour expliquer certains passages de son livre
qui avaient fourni des objections plus ou
moins légitimes contre sa doctrine. « Jen'at-
c( tendrai pas plus long-temps/dit notre saint
<^ Evêque, à me juger moi-même avec la
« sévérité de mes censeurs sur celles de mes
i< opinionsqui,mênieen les supposant vraies^
(( laissent encore douter de la nécessité de
^ les publier, quand elles paraissent fausses
« k d'autres (1). » M. de La Mennais pou-
vait sans honte avouer qu'il s'était trompé.
Ce qui fait l'hérésie , ce n'est pas l'erreur,
mais l'obstination a la défendre. Il avait été
beau k un jeune athlète de jeter le gant au
milieu d'une arène envahie par les ennemis
de la Religion. L'orthodoxie du prêtre ca-
( j ) Differendum esse non arbitror ut opuscula tnea
eum judieiariâ severitaie recenseam y et quod me
offendit vel alios offendere posset ^ velui censorio stylo
dénotent j quœ , ^i non falsa, at certè videantur, sivo
etiam convincantur non necessaria. (Prolog., lib. i.
Rétractât. ^ cap. r, *2, 3.)
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 57<S
tholique élait h couvert de toute, préven-
tion ; son triomphe rejaillissait sur toute la
Religion ; sa gloire restait pure encore , a
travers quelques taches mêlées à des véri-
tés fortes , courageuses , exprimées avec ta^
lent et avec l'ardeur aisément enthousiaste
d'une conviction profonde. Son livre , épuré
de quelque alliage et du langage acerbe
que repousse l'esprit du divin Législateur ,
devenait monument , et plaçait son auteur
parmi les écrivains religieux , s'il ne le pla-
çait pas encore au rang des Pères de V Eglise.
Le seul Discours sur l'Histoire universelle
n'aurait pas suffi peut-être k Bossuet pour
obtenir ce titre de ses contemporains et de
la postérité.
Mais de tels aveux ont toujours été pé-
nibles à l'amour-propre : plaignons M. de
La Mennais de n'avoir pu s'y résoudre.
(( L'Europe , nous dit-on , attendait im^
« patiemment la continuation de son ôu-
K vrage. Enfin, après deux ans d'attente»^
576 HlttTOlAfi
■
K parut la Défense (1). » L'éclair parût dn
nuage, moins pour répandre la lumière, que
pour épaissir Tobscurité. Bien cpie par son
titre il offrît avec lui quelque affinité , il s'en
éloignait évidemment par son objet et par
ses formes. C'était de la polémique snbsti^
tuée a l'éloquence , un système a l'enseigne-
ment consacré par la tradition , et des ques-
tions d'école à des vérités positives qu'il
n'était pas possible de contester impuné-
ment , sans risquer de remettre les princi*-
pes eux-mêmes en problème. Les hautes
questions traitées dans le précédent , quel-
quefois avec une éclatante supériorité de
logique , toujours avec une verve remar-
quable d'éloculion , s'absorbaient dans une
controverse arbitraire , mal soutenue et
vagabonde , souvent inintelligible , et qui
se réduisait a être , non l'apologie de l'ou-
vrage , mais la querelle de l'homme. Ce qui
s'y faisait le mieux sentir, ce n'était plus le
(1) M. Lacordaire » Considérai,, p. 37.
Y
r
DE LA :iiOVTEI.IJS IlÉBittUC. 377
talent de Fauteur, mais la singularité et le
(Ii>gmatisme des assertions , le néologisme
des pensées , la prétention de créer quelque
chose qui eût échappé aux découvertes ou
a l'imagination des devanciers, le désir >de
régner sans rivaux dans le domaine des in*
ielligences , en un mot , l'ambition de se
faire chef de parti.
Les reproches faits a son premier ouvrage
avaient porté principalement sur l'irrégula-
rité du plan , le vague et l'incohérence du
système, la nouveauté d'une doctrine re-
poussée constamment par les croyances
communes , sa tendance au doute universel,
l'aigreur et l'emportement de ses censures,
les atteintes portées à la foi catholique , le
mépris de l'autorité , de l'épiscopat , de la
tradition, et par une conséquence inévita-
ble, le renversement du Christianisme. Com-
ment la Défense répondait-elle a ces alar-
mes? £n enchérissant sur les précédentes
erreurs, en y ajoutant de nouvelles. Le
578 HISTOIRE
commentaire, en leur donnant plus de jour,
mettait a nu le dessein de l'auteur. La doc-
trine occulte, qui ne s'était montrée d'abord
qu'enveloppée de nuages, commençait à se
manifester avec plus de clarté , mais par de
plus alarmantes révélations. Cette raison gé-
nérale identifiée avec la raison de Dieu ; le
genre humain, quoique souillé de tous les cri-
mes de l'idolâtrie , conservant néanmoins la
parole de Dieu, élevé au privilège de l'infail-
libilité; l'autorité d'un consentement général
imaginaire, associée à l'autorité de l'Eglise;
le Verbe de Dieu servant d'organe à la philo-
sophie du matérialisme, de la licence et de
l'impiété ; les haillons du paganisme trans-
formés dans la robe de Jésus-Christ , et le
genre humain porté sur le même trône que
l'Epouse du divin Rédempteur ! un spino-
sisme réel introduit dans la théologie par
l'affinité de cette raison générale, n'étant que
l'esprit humain actuellement uni au Verbe,
avecTâme universelle du philosophe d'Am-
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 879
sterdam : de telles images s'étaient- elles
jamais offertes aux chrétiens, même du
temps où la plus violente eflfervescence des
esprits fiit excitée par la Réforme contre
notre église catholique. 11 fallait, pourren-:
contrer rien de semblable dans l'histoire de
l'Hérésie, remonter jusqu'aux rêveries extra-'
vagan tes des Montan , des Y alentiniens et des
Gnostiques. Prétendre encore que toutes les
preuves données jusqu'ici de la vérité chré-
tienne étaient incomplètes , insuffisantes ,
quel triomphe n'était-ce pas donner a la mo-
derne incrédulité ? Qui donc, si ce n'étaient
les Spinosa , les Bayle , les Collins et les
Tindal, avait jeté des doutes sur la force des
preuves du Christianisme , en les déclarant
insuffisantes , incomplètes? L'Apôtre des na-
tions était donc dans l'erreur, quand il con-
fondait les Juifs par le seul argument des pro-
phéties(l)? Et Jésus-Christ lui-même prêtait-
il le flanc aux contradictions des Pharisiens,
(1) IIPetr.,1, 49.
880 msTODie
quand il leur opposait ses miracles comme
témoignage invincible de sa divine toute-
puissance (1)? Au lieu d'invoquer en sa
faveur le témoignage de Moïse et des Pro-
phètes , que n'en appelait-il à l'autorité du
genre humain y s'il était vrai que le genre
humain, initié tout entier dans la connais-
sance de la Rédemption future , eût été par
cela seul l'oracle infailUble de la véritable Re-
ligion ? Que s'il était vrai que la philosophie
humaine eût été dépositaire des traditions
primitives maintenant enseignées par elle
avec autorité , reposant sur des ^ts, disant
les mêmes choses que l'Eglise catholique ^
pourquoi saint Paul l'avait-il réprouvée en
la flétrissant du nom de Jolie et d'impiété (2)?
Poussons plus loin : A quoi bon ce Calvaire
avec ses opprobres et ses tortures? à quoi
bon tout le mystère de la Rédemption san-
glante du Fils de l'homme, si la raison géné-
(1) Joann., x, 38.
(2) I Cor., 1, 19 et »eq.
DK LA NOITVBIXE 'nbuÉSIE. 881
raie suflbait aux croyances du genre humain?
Si la foi universelle, permanente, aux tradi-
tions générales est le sceau de la vérité et
conséquemment la voie du sàlut : ce qu'il en
faudra conclure , c'est que, depuis comme
avant Jésus-Christ, la plus grande partie du
genre humain sera infailliblement sauvée
sans avoir connu Jésus-Christ; ce qui est une
hérésie formélle,contraire a ce double dogme
de notre foi catholique : que sans la foi
il est impossible de plaire à Dieu^ parce
qu'aucun autre nom sous le ciel n'a été donné
aux hommes y par lequel nous devions être
sauvés; et que personne^ à moins qulil ne re-
naisse de Veau et du Saint-Esprit > ne peut
entrer dans le royaume de Dieu (1). Mais
uon : tout cela, doctrine surannée qu'il
fallait abandonner a la poussière des écoles.
"Tout l'édifice de l'ancienne philosophie de-
vait être renversé de fond en comble. Il
avait fallu, selon M. de La Mennais, refaire
(1) Hebr., xi. — Act., iv^ 42. — Jean., m^ 3.
38S HiSTons
tout le système des connaissances hamaines,
régénérer l'intelligence y renouyeler tout
l'enseignement de la Philosophie et de la
Théologie,Yicié, corrompu jasqu'k nos jours,
soit par des omissions coupables, faute de
s'entendre sur les vrais caractères de la cer^
■
titude i soit par des doctrines- infidèles alh
surdes et niaises , voisines du schisme et de
l'hérésie, tendantes au scepticisme et à
l'athéisme même. Tout le mal venait de
l'influence que' Descartes et Bossuet avaient
prise dans nos écoles.
Le premier, après avoir examiné,, dans ses
profendes méditations , sur quoi repose la
certitude de nos connaissances , en avait dé-
couvert le fendement dans l'évidence (1 ) ,
conséquemment dans la raison, flambeau al-
lumé à la lumière de Dieu , donnée à l'homitie
(1) Pfincipêê de Philoêophie , préfiEicé. Ce bel ou-
vrage , Tabrégé de toute sa doctrine , finit , conme
il avait commencé^ par un appel à la raison , tant de
Tauteur que des autres à ^ui il soumet son livre;
DS LA :«OUVKIliB HÉMSIB. 385
comme l'apanage spécial de sa nature, noble
privilège qni le distingue des animaux et en
&it le cheM'œnYre de la création, le rayon
de la diyine intelligence imprimé sur chacun
de nous par les mains du sage auteur de
notre être. Ainsi avait parlé en vingt en-
droits ce grand homme, le premier des
géomèlres cpii fut jamais. Mais s'il a rendu
les plus éclatans hommages aux prérogatives
de la raison , en méconnaissait-il les imper-
fections? D'abord il ne reconnaissait qu'une
seule autorité inÊdlUble. ir Je ne mets point,
«( dit-il, ici en rang la Révélation divine, pour
tr ce qu'elle ne nous conduit pas par degrés,
« mais nous élève tout d'un coup à une
créance in£adllible (1). ^ Mais, après avoir
posé la borne où s'arrête la raison humaine,
il proclame que , s'il nous arrive souvent
(1) Lettre à Voêoe. Traduction servant de préfiice
au livre des Principeê. de Philosophie. £t ailleurs :
Quamvis forte lumen rationis quam masimè t^rum
et évident aliud quid nohiê suggerere 9idere§ur , toit
S84 niSToniE
d'être égarés par la faiblesse de notre vue et
par la précipitation de notre jugement, il
n'en existe pas moins des principes clairs,
distincts, supérieurs au doute, dont l'évi^
dence nous est démoi}trée par la lumière de
la raison (1).
Bossuet^ dans chacun de ses admirables
ouvrages, établit que Jésns-^Christ a fondé
dans son Eglise une autorité visible, perma-
nente , infaillible , juge souverain dans tout
ce qui regarde la foi, la discipline et les
mœurs, comme étant perpétuellement dirigé
par l'Esprit saint qui lui en a donné l'infail-
lible promesse ; que l'Eglise professe qu'elle
ne ditrien d'elle-même , et qu'elle n'invente
rien de nouveau dans la doctrine , ne faisant
en cela que suivre et déclarer la Révélation
tante fi auctoriiati dwinœ potiùê quàtn proprio nos-
trojudicio fidem esse adhibendam, prœter cœtera^ me-
tnoriœ nostrœ pro sum.mâ régula est infigendum. (Part
prima, n. lxxyi, 1. 1, p. 20, Oper. philos., Amsterd.,
1664. )
(i) Ihid.,n. XXX, p. 7,
f.
DE LA MKrVELU HEBESV.
ditine (1). Déplus, il éublil, snrtoiii dans
• -
8fi Péfiense de la Déclaration dn clergé de
France snr les quatre articles de 1681 , que
IjB; souYerain Législateur , en instituant le
collège apostolique» a placé à la tête de toutes
les églises du monde chrétien un Chef in-
yesti par lui de la plénitude de juridiction,
centre de l'unité catholique, à qui tous doi-
yent obéissance comme à Jésus-Christ lui-
même, dont il tient la place sur la terre.
Qulmporte que son autorité soit supérieure
k celle des Conciles généraux ou qu'elle leur
soit subordonnée ? « Hypothèse en effet plus
ir idéale que réelle, plus chimérique que pos-
sible (2). Ces choses dont on dispute dans
les écoles , il n'est pas, poursuit le grand
é\êque, nécessaire d'en parler, puisqu'elles
(1) Expos, de la doct. de VEglise cath., n. xix,
édit. Paris, 1730; ei Défense, etc., Uv. viii, ch. xiii,
p. 465, traduc. franc.
(2) M. Boyer , Examen de la doctrine de M, de La
Mennais ,^. ÔJ.
T. I. 25
368 mnnu
ne sent pas de la foi catholique (1). L'Eglî^
n^ point prononcé Ik-desslls de jngeinènt
définitif, et permet de discuter libiieméiit
te pour et le contre. Et pas un de se^^iifkné
ipi^ k la suite de ce débat de famillb, ^'ëilë
qu^aitpu être son opinion, tie s'écrit âvéè
l'imtnortel évêque : <f O sainte Eglise! kàJ^
(T des églises et mère de toupies fidèles, é^ffise
ir tïhèisie de Dieu pour uttir èeis eiiOuis Aktà Ik
(« même foi et dans la mêihe' charité^ hôué
é tiendront toujours k toi par le fohd dé fato
k entrailles (2). » Voila le €ai^tésiàirîsittè,Vbl&
le Gallicanisme dont M. de La Metaiiâls et
son école ne cessent de nous épbttyanttsr.
Bescartes et Bossuét ont ouvert l^s voies '4ti
sbépticisme, la mortelle maladie dû dii^
huitième siècle! Leitr doctrine h l'un et kTâu-
tren'apas échappé a la censure de Rome (3).
(1) Bossuet, supra, n. xxii, p. 263.
(2) Bossuet , Serm, sur V Unité.
(3) M. Tabbé Rohrbacher, Lettres d'un anglican,
cité paV* M. de Madrol , p. S3. Hist. secrète dû parti
de M, de La Mennais^ ï vol. iil-8% 1834.
DE LA NUOVBLUr HÉRÉSEE.
Le pbilb86|>he a feumi des ahnes âu inatd^
rialiame de Spinosa; le théologien qui ûi
tomber aux pieds de la vérité cathôliqoe
TWentie et la maréchale de Duras, l'autettf
des i^àriatiafis^ chef-d'œuvre cdnçtl p^t le
gâide, exécuié par tDus les ialetis, BoÊtstlél/
|>itiblamé dèi son vivantanPÈftï bë t/EcLtàil
ttBét qke des sot^hismes à apposer ati itd'-
liis«reGlâtide,danscéite faMeiise Cdnférëtiéé
dit il rappelait saint Aiignstih ailx piri4èl
Èiittc les Dônatisted. Viendra un atitire adepte
4ci la nouvelle école, qui dserà dilrë que BèfS^
stièt, k la coût de Louis XIV, défenseur dd
Ontilitanismè ^ iretraçàit Cratiffiér livrait
i'ëgli^e btigiitane aux ordonnances impies
de Henri Vill. Entraînés par l'atttdHté
3è ces dèu* hoinnies , tdut ce qu'il y a eil
de pieux et de savans théologiens, tant
d'îlius(l*és Docteurs^ si clairvoyans si dU-i
cÉ*nèr rfetteur de la vérité, si z;élés k pori*-
sttivte l'une , k propager l'autre ^ n'aturaiént
pas même soupçonné le venin d'une doc-
S88 nsTOiRB
trine qui recelait dans soii sein Tathéisme !
îl y a plus : Tous en auraient été les com-
plices ! Car, assure M. de La Mennais, et le
reproche s'étend sur tous les défenseurs du
Christianisme : Avant Descartes et Bossnet
comme après , les preuves qu'ils en ont don-
nées, appuyées sur un principe faux, portent
sur une supposition destructive de toute
vérité; elles mènent droit au scepticisme;
elles contiennent tout le fonds de la philoso^
phie cartésienne y absurde^ niaise^ et qui
retombe de tout son poids dans l'athéisme (1 ),
C'était au dix-neuvième siècle qu'était rë^
çervé l'honneur de nous révéler les solides
preuves de l'existence de Dieu et de la vérité
c&tholique si fort obscurcies parles ténèbres
que les doctrines de Descartes et de Bossuet
avaient répandues sur toute la surface de
l'Europe. La vérité chrétienne avait donc
attendu tant de siècles , que M. de La Men^
nais et ses disciples vinssent la dégager
(1) Défense de V Essai sur l'Indiffér.j p. 465.
DE LA XOL'IpELLE HKBÉSIE. 380
de la nuitprofonde où elle était ensevelie (i)\
Peuples chrétiens ! venez, venez vous ranger
autour de la chaire des nouveaux Evangé*
listes. Que vont-ils nous apprendre ? La
■
Défense y 2l peut-être lever tous les voiles
jetés avec ou sans dessein dans les premiens
volumes, éclaircir toutes les difficultés-^'
lever tous les équivoques de langage , ren^
placer les hypothèses par des démonstra<-
tions. Du moins l'auteur appuiera sur
quelques preuves son système nouveau.
Pîon. 11 répondra fièrement qu'il n'a pas
besoin d'en fournir; et il s'est retrancha
opiniâtrement dans les dénégations. U
fallait , selon lui , admettre sans preuues
l'autorité du genre humain (2). M. Lacor^
daire, citant ses propres paroles , ne peut
s'empêcher de trouver étrange cette logique
qui veut être crue sur parole , quand elle a
(1) Aliquos Marcioniias et Valentinianoê libe*
randa Veritas exspeciabat, (TertulUeu , Prœscript,^
(2) Eêèai, t. U, p. 12Î. . ^
MO msTûms
tant de fois et si despotiquement prononcé
ime l'homme qui fait de sa raison ùuUviduéUe
la règle de ses jugemens ^ ne peut arrivet^ à
nan de certain^ et que^ sUl est conséquent^ il
doutera de tout (1)* A qui pouvail-il persua-
des qu'il fallût croire aveuglément à seq
infiiillibilité?
1^ Au reste, si l'illustre auteur se dispensait
si Gomplaisamment de prouyer ce qu'il
avançait, il ne s'embarrassait guère d'être
compris, quand il développait sa pensée.
Sollicité maintes fois de descendre à un
langage plus intelligible, d'accorder ses
perpétuelles contradictions, il était égale-
ment sourd , et coupait court k toutes les
objections nouvelles , en répliquant : f^ous
ne tue comprenez pas. Personne ne l'avait
compris ; personne , ni ceux qui l'attaquaient
après avoir donné cependant une attention
assez sérieuse au livre qu'ils combattaient,
ni même, de l'aveu de M. de La Mennais et de
ses plus intrépides apologistes , ceux qui tQUs
(1) ConMirat., p, 1S4, 156.
\
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 8W
les jours rompaient des lances pour sa cànse»
f Qn ne Fa pas compi^. » Qaoil des
hommes accoutumés, à porter la lamièrà
suc lès questions de la métaphysique la plus
^iKtrase échouaient contre celle-ci! Ce
n'était donc pas même de la métaphysique^
Gâr> tout obscure qu'elle sott dans Hobbies,
dans Spinosa, dans le baron d'Holbach,
elle se laisse pénétrer; et l'antre de Tro-
phonius laisse échapper quelques éclairs
de la fumée obscure q|td en est le fond.
S'il était vrai qu'on ne l'eût pas compris ,
était-ce la faute du lecteur, ou de l'écrivain?
"Ne serait-ce pas qu'il aurait négligé ou re-
fusé de donner à soii ouvrage la première
des quahtés , la plus nécessaire , surtout k
un ouvrage dogmatique, destiné à enseigner
les premiers rudimens de l'intelligence,
la clarté. Pascal a dit que les meilleurs ou-
vrages sont ceux que chaque lecteur croit
qu'il aurait pu faire. L'obscurité d'un ou-
yrage indique que Fauteur ne $'est pas tou-
/.
1
HISTOIRE
jours entendu lui-même, ou qu'il s'enve*
loppe de ténèbi;e8 concertées. Les nouveaux
Docteurs ont leurs raisons pour aimer le
vague et l'équivoque dans les expressions.
Cette manœuvre leur ménage la ressburGe ,
quand ik sont pressés , de dire qu'on ne lest
pas compris (i ) . Ces admirateurs sont les seuk
qui comprennent; les adversaires n'y en-
tendent rien. Un tel ostracisme est le passe-
port des absurdités et des paralogisme!
sans nombre que renferme lé système de la
nouvelle école.
Toutefois, son fondateur s'est fait assez com-
prendre dans ses écrits subséquens» Sa doc^
trine, déguisée a dessein dans son Essai sur
V Indifférence^ n'a pu soutenir long-temps le
masque dont elle s'étaitcouverte.Sonsystème.
de la raison générale n'était que le prélimi-
naire de sa théorie politique en faveur de l'au«-
torité souveraine de la multitude^ son Jour-
nal de V Avenir^ que le commentaire journa-
(1) M. RouiYeii; E^awien^ préf.y p. IJè,
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 305
lier des doctrines contenues dans son livre De
la Religiqndans ses rapports avec V ordre civil j
dontle livre des Paroles d'unCrojantVL^ été ,
à son tour, que la complète manifestation.
Sa doctrine tout entière perçait à l'avance
dans ses brutales réponses au mandement
de M«ï* l'archevêque de Paris, au P. Ventura,
à Tévêque d'Hermopolis j réponses qui sont
autant de fastidieuses répétitions de ce qu'on
lit dans ses autres brochures , où il n'y
a rien de neuf que les sarcasmes viru-
lens et les plus grossières injures. Encore
ces illustres assaillans ont-ils dû à leur di^
gnité la grâce de n'être pas confondus avec
les autres adversaires , k qui l'on n'accorde
qu'une insultante pitié : Tactique familière
au parti, où l'on est convenu et de lutter
avec audace contre les supériorités de rang,
pour avoir l'air de traiter avec elles d'égal
à égal, ou d'écraser les inférieurs par le
silence du mépris, pour faire croire qu'ils
sont en efîet méprisables !
t.
• *
M . Gerbet , un des disciples de M . de La Men-
nais, rendant compte de la Controverse sou-
levée par la Philosophie moderne, et du rple
que la Théologie a voulu y prendre, y voit ui\
grand et puissant développement des idées
auxquelles le Christianisme ne fut jamais
étranger (1). M. Gerbet £^ raison , s'il entend
par-la l'influence que le Sacerdoce eut de
tout temps sur les lumières de la spci^té
contemporaine. Mais , soiis le prétexte d.u
(1) Coup d'œil sur Iq, Çoniro.Vf çJi4:ifiein^^^ p^v
M. l'abbé Gerbet, p. 84, H4, 142.
HKTOIftB DK I.A KOlIVEUiB HEEfiSDB.
H^Dgr^s qu'aumefit £Mt les esprits depuis
tffgf ^iàçl^^ prétendre que renseignement
}héci}Qfîque |i dû prendre une direction
4|oinrell^, contraire k celui qui nous fut
innonis par nos plus vénérables Docteurs ,
ç'esl une prétention qui ne pouvait enfanter
spiel'^iTeuif.Telest rynique résultat qu'aient
ipiiroduit les efforts de l'écrivain, pour pallior
la doctrine de son maître, paîrfaitement
«ppropriée , dit-il , aux besoins des esprits.
Xi'école Lamennaisienne a trop oublié que
le premier besoin de la jeunesse sacerdotalf
était une instruction solide , puisée dans les
antiques traditions, et non pas dans des
ajitèmes arbitraires.
Analysons celle qu'il nous propose dans son
écrit, publié sous le titre Des Doctrines phiUh'
êophiques sur la ceriitudej^ si puissamment
. xéfiité par M. Rozaven. Son vigoureux anta*
goniste lé presse , Finvestit de toutes parts ^
l'accable sous le poids de sa dialectique.
Pour remplir le vide existant dans Ten"*
seignement de la Philosophie et de la Théd^
logie, M. Gerbet remonte a la question fon*
damentale de Tune et de l'autre : Qu'est-ce
gue la certitudes identique , selon lui , k la qpies-
lion qu!est<e que croire; et recherche quelle
est l'essence delà foi divine. Il distingué avec
raison la foi dé la science, veut pour la pre-
mière un témoignage in&illible , la parole
de Dieu, et de- plus, que ce témoignage soit
traoMmis infailliblement : ce qui a eu lieu par
la tradition universelle du genre humain. H
place le principe de foi pour les chrétiens d^ns
l'autorité de l'Eglise , contre le sentiment
des Théologiens catholiques : qui pensent
que l'aulorité de l'Eglise étant elle-même un
des dogmes proposés a notre £bi, il appar-
tient à la raison de juger si elle doit croire
a la Révélation qui* nous l'enseigne. Confon^^
daiit le principe de foi avec les preuves de la
Révélation, il s'en prend au Cartésianisme ,
qu'il affecte de présenter d'une manière in-
eMcte, pour le mettre en opposition avec la
DE LA NOUTBLLfi HÉRÉSIE. Sftf
doctrine catholique. Après ces pFéiiminaires,
il cherche a établir que rinfaillibilité de la
raiaon commune est le principe constitutif
de la raison dans chaque homme , comme
rinfisûllibilité de la raison commune des
Chrétiens est le principe constitutif de la
raison du chrétien; que Tordre établi de
Dieu pour transmettre la connaissance de la
vraie Religion, étant indépendant de lavo-
Ion té des hommes , a dû toujours subsister,
et n'a pas cessé d'être obligatoire pour tous
les hommes; que l'Eglise a dû posséder,
dans tous les temps et dans tous les lieiix, la
{^lus haute autorité lisible ; conséquemment
^^u'elle a présenté avant Jésus-Christ les
mêmes caractères que depuis sa venue, k
savoir, l'unité, l'utiiversalité , la perpétuité.
•Erreur monstrueuse qui l'enferme , comme
son maître , dans l'hérésie de l'infaillibilité
du genre huinain.
Dans l'examen infidèle de la fameuse Con-
férence de Bossuet avec le ministre Claude,
il avance i^e les objections dit Miaistn'j
dédtictions rigoureuses de la doctrinir eartd^
tienne^ étaient^ par conséquent, insohdllM
pour Bossuet cartésien, et que ce préiat il'h
dâ qu'à la maladresse de^Glâude son triMà^
phe et la réputation dont il a joui, d'ïittfft^'¥iëJ
torièusément coÉibattu son ahllagdttàsW(4)v
U juge avec la même sévérité M. Tévêi^
du Puy ( Lefranc de Pôtttpignan )i à i'Mèl-
sîon d'une coBtreverse k peu près sènibliibM
aveè un ministre de Geiiëve (9).
M. l'abbé LaciKtdaire lui accotdê sèif
suffiragé sans nulle restrictiori (3)^ M. HmsI^
ien lui reproche d'éire»le |ilus douvéïit hëH
de la question, d'ignorer oh de mal traddoff
ks textes de nos saints Ddctétirs ^tii l!8ttf-'
battent ses doctrines, et de toinber diti§ dé
perpétuelles contradictions.
(1) Qu'on en lise l'histoire dang M. de Beaueset ,
t. II , p. 19 et 8uiv.
(2) Vofez-enle détail dans M. Rosaven, EsiÊfkkn,
p. 390.
(i) Considérai., p. 94. ■
DE JLA NOUmU HÉRÉSIE.
M. BâttAiK; M. révêqae de Strasboiung
itlÉif cénfié à tet ecclésiastique la directiék
de Pim dé 6éfl sémifi tires. Prévenu que Veà^
seignement que l'on y donnait n'était jpâl
^éïtii dé TEgli^ , le prélat en témoigna ses
lilqttiéludeft pat de charitable^ avertisse^
)AêMi restés sâiis succès; ce qui le dëtenââinà
k bn^agér avet lie Dik*écteur une sorte de
Cioiiféreïice , ftûr le modèle de délié de saitit
Att^thl àtec Pétilien^ et rendue publia
qbe (1). Elle porte sur Içs questions contrif^
Tlfet^ées piir M. de La Metinais. A la pre<-
mièré : Si le raisonnement Suffit pour prou^
tèt Mèc cél*titudé l'etisténce du Créateur
et l'infinité dé sëé perfectièm, M. BatltaiA
répond que la raison keukj par le setd rai-
sôHheiHèntj fie suffit pas; pal*cè qu'étattt trop
K^tarhéé pour comprendre tinis immensité
sans bornes, il lui est également impi()s$ible
dé là comprendre et de la connaître autre-
(1) Par une lettre pastorale de M. réTêq[ue de
Straibôargp, 4 Vol. în-S<>, StraéBoarg, i'834.
• <
ment qne parla foi. C'est, dit*il, anéantir la
foi que d'exalter, comme on le fait, la fi>rc«
de la raison , soit en philMophie , aoit en
■•
théologie.
t( La Révélation mosaïque se prouve-t^lle
avec certitude par la tradition orale et
écrite de la Synanogue et du Christianisme?
ff La preuve qui se tire des miracles de Je*
sus*Christ et de la tradition, en faveur delà
Révélation chrétienne, sensible et frappante
pour les témoins oculaires , a-t-élle con-
servé la même autorité auprès des généra-
tions subséquentes ?
« La résurrection du Sauveur se prouve-
t-elle avec certitude par le raisonnement 7
A ces questions , M. Bautain répolDul né-
gativement , et conclut que la foi doit non-
seulement précéder, mais exclure tout
exercice de la raison.
A la première assertion du Professeur, on
répond par un fait décisif, que confirme
l'autorité de saint Paul, a savoir : que la
DE LA NOWELLB HÉRÉSIE. 401
connaissance de Dieu a été obtenue par un
grand nombre de païens , au milieu de la
nuit épaisse du paganisme» par la seule rai-
son humaine, conyainGue de cette vérité,
par le seul aspect des merveilles de la créa-
tion (1 )• Non , vous n'avez pas besoin d'un
principe plus grand que l'infini pour acqué-
rir l'idée de l'infini, c II est vrai , avait lié-
pondu Fénelon, que je ne saurais épuiser
rinfini, ni le comprendre, c'est-à-dire le
connaître autant qu'il est intelligible. Je ne
dois pas m'en étonner; car j'ai déjà reconnu
que mon inintelligence est finie ; par consé-
quent, elle ne saurait égaler ce qui est infi-
niment intelligible. Il est néanmoins con-
stant que j'ai une idée précise de l'infini; je
discerne trè^-nettement ce qui lui convient
et ce qui ne lui convient pas. Non-seule-
^ment j'ai l'idée de l'infini, mais encore j'ai
celle d'une perfection infinie. Il est donc
Trai, et je ne me trompe pas en le disant,
(1) frayez plus haut , p. 228 et suiv.
T. I. 26
^[ue J6 porte ioojours au-dedaira de moi,
quoique je soi» fini, une idée qm me repré-
sente une chose infinie (1). »
Sur la seconde question : Si la Réf4iMtmm
mosaïque ne se prouve pas ayoc certituds
par la tradition orale et écrite. 4e la Symm-
gogoe et duChriatiainisme j le Prelesseur di^
tiiRgiie danslailéTélation mee^'que lea «réii-
téitde fiiit et les vérités divines, ^u iâ dinriMié
dé oette Révélation^ La raison suffit, ^WTmit
hn/pour constater les premièpce, et; «inUe-
Éumt poitr constater les secondes. Contrer
dkttovi firappante , lui répond fif. Tévéque
de: Strasbourg : « On convient qurs» la U»*
dÂtion otale et écrite prouve ^authenticité
4p^, Livras 4e Moïse, et h vérité tles
fyk$ historiques qui ^'y lisent ; ipar eoâ^
aéqueot celle des plaies d'Egypte y ^ivpa^
sage de la mer Rouge , de la sa«Fçe d'eau
jaillissante du rocher, etc.^ car ce; sont 1^
(les faits historiques* Que fautril de plus pour
(1) Traité de Vexist, de Dieu, 2* part., chap. ii,
p. 2915.
DE LA NOWEIM IIÉRÉSIE. 4M
attester l'inspiration de Moïse? G^estsur ces
faits palpables et merveillenit que les Hé^
breux et les premiers Chrétiens ont reconnu
TaHthenticité du Pentateuque , et Pont prd^
clamée d'une génération II l'autre.
On lui demande si la preuve tirée des ttii»
racles pour établir la divinité de Jésus-Gbriit,
a perdu sa force- avec le temps , et si la tradi-
tion orale et écrite* de* tous les Chrétiens ttt
suffit pas pour rendre cette preuve solidi» ,
contre ceux qui nient la Révélation chrétien-
ne? H répond : Suffisante peut-être pour fe^
fidèles, elle rie l'est pas pour les savans, potir
les déistes , et les incréddies ; qae s'en servir
pour démontrer l'inspiration de l'Evangîlë,
c'est faire une pétition de principes.
Qu'on lise ce qu'un de nos premiers écrivains
Contemporains, des mieux accrédités dans ïe
parti, a écrit sur la certitude du témoignage,
précisément dans la question actuelle (1).
(1) M. de Maîstre, Considérât, phîlosoph, sur le
Christianisme , chap. xiri, p. 83.
4M WMTOME
Avec non moins de lucidité , M. révêqne de
Strasbourg interpelle le moderne Sceptique
pour lui demander oit nous en serions aujour*
dirai, si la tradition orale ou écrite à^aif sidii
quelque altération ; si elle n'avait eu pour ca-
naux que les simples fidèles ; et si elle n'eût
pas été ÏL l'épreuve des discussions de la
science ^t de la critique. Dans Téloignement
où nous en sommes-, il ne nous resterait
qu'une probabilité faible et surannée sur
les miracles de l'Évangile, sur l'authenticité
des Livres saints et leur inspiration , et |Mur
conséquent, sur la promesse d'aspistance
permanente donnée aux Apôtres et à leurs
successeurs (i).
Quant k la pétition de principes repro-
chée a notre argument , M. Bautain a tort
de s'en alarmer j elle n'existe que dans son
imagination, « Dire que l'Eglise enseignante
(1) Averiiaêêfn. de M. l'évéque de Strasbourg, en
Répome à M. Bautain , p. 40. frayez plus haat ,
p. 266 et suiv.
DE LA NOUVELIiK HÉWBSIC. 49K
garantit et sanctionne la tradition sur les
miracles, c'est intervertir l'ordre des idées.
Les miracles établissent la divinité de notre
Sauveur et l'inspiration de ses Apôtres. Leur
prédication verbale et écrite a proclamé
dans l'univers que Jésu&-Christ avait donné
la promesse d'une assistance permanente a
ses Apôtres et k leurs successeurs ; voilà l'o-
rigine de l'autorité spirituelle. L'invoquer ici
pour prouver ce qui la prouve eUe-même»
c'est Ik la pétition de principes^ le plus écla-
tant des cercles vicieux qui heurtç le bon
sens , et trahit un défaut de notions justes
sur les fondemens du Christianisme (i)» »
Pressé enfin sur la question : Si la raison
ne précède point la foi , et si ce n'est point
k elle qu'il appartient de nous conduire k
la foi, M. Bautain échappe par la négative,
.4t s'esquive dans une obscurité- oii.il est
difficile de le suivre ; ressource familière au
parti , pour avoir le droit de dire qu'on ne
(1) Le même, ibid,, p« 25.
406 USTOIRE
les comprend pas. Un seul mot de saint
Paul tranche la diflBiculté z i< Je sais , dit le
grand Apôtre, à qui j'ai donné foi j sçio cui
€redidi(i ). j> Il avait donc la connaissance, k
science certaine des raisons qui l'avaient
porté à croire. Chez lui la rabon avait évi«-
demment précédé la foi. Où en serion^noiis;
si f comme parle saint Augustin , Vé^idence
n'avait contraint l'univers à embrasser in
foi chrétienne? Jésus-Christ avait dit : Si
vous ne croyez pas à mes paroles j du rnoitifi
croyez à mes œuvres (2). Croyez à mes pa-
roles, pourquoi? Parce que mes œuvrqs» qui
sont celles duTout-Pui8sant,attestent que mes
paroles sont celles du Dieu qui est la vérité.
Il n'était pas difficile de reconnaître dans
la doctrine de M. Bautain sa généalogie
directe avec cçlle de M. de La Mennai«. Le
progrès y était sensible. Elle tend a ruiner
tous les fendemens du Christianisme, en
(1) ITim. I, 12.
(2) Joann., x, 38.
DE LA NOUVELLE HÉHESIE. 407
ébranlant ceux de la tradition, la certitude
des miracles , l'autorité de l'Eglise i Ile-
même. Dans son système» il devenait im-
possible de prouver la divinité de la RelU
gion, puisque la raison n'a pas assez de force
ni assez de clarté pour nous guider avec
certitude k la Révélation faite aux Juifs par
Moïse, aux Chrétiens par notre adorable
homme-Dien. Où est l'hérésie , si elle n'est
pas dans les propositions avouées, procla-
mées par M. Bautain : que toutes les preuves
déduites du témoignage des Apôtres et de
l'Eglise ne sonrt , pour la raison incrédule ,
que des témoignages humains, que des dis-
cours humains, n'ayant ni la vertu, ni l'au-
torité nécessaires pour imposer la foi ; qu'il
serait téméraire d'entreprendre de prouver
rationnellement à un déiste la vérité de la
résurrection de Jésus-Christ j que des té-
moins auriculaires ne peuvent obtenir qu'une
probabilité plus ou moins haute , et que ,
comme cette probabilité va sans cesse 8'af-
406 BiSTomE
faiblissant, de main en main, d'une généra-
tion a l'autre, on pourrait soumettre an
calcul cette décroissance graduelle, et dé-
terminer d'ayance l'époque où la probabilité
doit dépérir et s'éteindre ; qu'k moins de
pouvoir bien expliquer ce que c'est que la
nature, il est impossible de juger si les faits
extraordinaires que nous désignons par le
nom de miracles répugnent a l'ordre géné-
ral, ou s'ils n'en sont pas peut-être des ma-
nifestations plus éclatantes, des développe-
mens plus énergiques. Celse , Porphyre ,
Julien, dans l'impuissance de nier les mira-
cles de Jésus-Christ et de ses Apôtres ^ les
attribuaient de même a des causes naturelles
et aux secrets de la magie. Et ces erreurs
ont trouvé des apologistes; on les soutient,
on les propage contre l'autorité du Supérieur
ecclésiastique ; on se révolte à la fois contre
ses paternels avertissemens, et contre l'évi-
dence de ses démonstrations ; on s'opiniâtre
à charger d'outrages et la raison et ses or-
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 408
ganes, la science et ses plus respectables dé-
positaires. On donne le signal aux plus mon-
strueuses erreurs. On viendra nous dire que
FEglise n'est invariable que ne dans Vidée de
« Dieuj éternelle et immuable, du moment
«r que la Révélation l'a fixée dans le cœur
« de rhomme; mais qu'il n'en est pas de
«même de sa 'discipline, laquelle varie,
« se modifie, selon les besoins des temps. »
Ainsi, à l'exception d'un seul dogme , de ce
qui tient essentiellement à la nature ou à
Vidée de Dieu y tout dans la Religion peut
varier et se modifier selon les besoins des
temps. Les dogmes de la spiritualité et de
l'immortalité de l'âme , du péché originel ,
de l'éternité des peines et des récompenses,
les préceptes et les conseils de l'Evangile ,
toutes choses qui ne tiennent pas essentiel-
lement à Vidée éternelle et immuable de Dieu,
peuvent varier et se modifier selon les cir-
constances! De ces modifications progres-
sives dépend la régénération du monde;
410 HI8T<»EB
car c'e^t Ik, nous dit-on, l'enseignexiient^iiii
assure au clergé catholique les moyens U$
plus efficaces pour seconder le mouitemetU
des intelligences!
Quelque égard que nous devions a la pec-
sonne de M. Bautain et de M. de La Men-
nais, pouvons-nous ne pas appliquer a l'un
et a l'autre le jugement que le grand saint
Augustin a porté de l'hérétique en général,
et de celui qui s'est laissé surprendre pars«s
artifices? k L'hérétique est, dit-il, l'homme
ir qui s'engage dans des opinions nouvelles
« et erronées, par quelque intérêt husoain,
« par des vues d'ambition et de glofa*e ; l'au-
cr tre est celui qui s'attache au parti de l'ho-
ir résie, séduit par une fiiusse apparence de
«f vérité ou de piété (1)- »
M. Bautain diffëre de M. de La Mennak
en ce qu'il va plus loin encore. Ce dernier
admet, comme preuve unique de la certi-
tude, le témoignage des hommes, qu'il c«m>-
(1) Dans Bihlioth. chois, des Pères, i, XXI, p. 112.
DE LA NOUVELLE UEIIÉSIE. 411
fond avec celui de Dieu , et veut que sa rè-
gle du sens commun soit la même que celle
de l'Eglise catholique. Le professeur de
Strasbourg ne voit de certitude que dans la
foi divine. S'il y avait des degrés dans l'ab-
surdité, nous dirions que celle du Professeur
alsacien surpasse celle que nous trouvons
dans le système du Philosophe breton. Tous
deux ont voulu humilier et abaisser la rai-
son humaine ; et , au lieu de l'abaisser, ils
Font anéantie (1).
(1) Rèflex, de M, Clavè , en réponse , etc., p. 24.
Strasbourg , 1834.
GHAPITBE XI.
Succès des nouvelles doctrines.
De quel avantage pouvaient être k la Re-
ligion des systèmes qui en bouleversaient
l'enseignement , lui enlevaient tous ses ap-
puis , en dégradaient les défenseurs , don-
naient gain de cause à ses ennemis ?
Cependant ils prenaient faveur ; ils s'ac-
créditaient parmi les personnes à qui un
certain langage de Religion et les appa-
rences du zèle en dissimulaient les dangers.
HISTOIRE DE LA XOrV£LLE nÉRKSIE. 415
Bien que repoussée par le corps épiscopal,
lanouvelle philosophie avait fait néanmoins
de nombreuses conquêtes parmi les ecclé-
siastiques du second ordre (i). Le cri d'a-
larme que faisaient entendre quelques voix
isolées était étoujGTé par les clameurs de l'ad-
miration , publiant en tous lieux que l'écri-
Tain si peu compris n'en était pas moins le
régénérateur des intelligences. Plusieurs de
nos Séminaires avaient adopté son ensei-
gnement , et en faisaient le texte de leurs
conférences. Grand nombre de leurs Direc-
teurs entretenaient correspondance avec le
grand homme. Pas une entreprise littéraire
ou religieuse qui ne se fît sous son patro-
nage. Quelques évoques le consultaient.
Après de tels sufirages, eût-il été permis
d'éleyer le moindre doute sur son ortho-
doxie? C'eût été compromettre la sienne
propre. Les reflets de sa gloire s'étendaient
ftur tout ce qui avait l'honneur d'en appro-
(i) M. Lacordai^ , Considérai,, p. 30.
414 msTOiRG
cher. Se» disciples ne Toulaient pas qv^on
doutât du respect^ de V amour ^ de lafoiy <|lic
leur inspirait celui que Dieu leur avait donné
pour Maître et pour Père. Tel grand-vicaîre
lui promettait sympathie entière dans k
clergé et hors du cierge j et lui garantissait
unanimité desentimens et'd^afFectîonsdèla
part du sacerdoce français (1). L'engoue-
ment allait au point , que les adeptes , et
parmi eux Ton comptait des hommes d'un
esprit distingué, suivaient, avec une docilité
et une bonne foi des plus étonnantes, tous
les changemens qui se faisaient dans sa pen-
sée (2). On affectait de publier que le Pape
Léon Xn accordait a la doctrine la protec-
tion la plus éclatante; qu'une chaire Spé-
ciale avait été créée a Rome pour un savant
Religieux qu'on savait partager les idées
philosophiques de M. de La Mennàîs, et
qui depuis les a publiquement désavouées;
(1) Voyez r Avenir, n, 11.
(2) I/Universreligieu.TyT\, iW,
i
DE LA NOUVELUB HÉRÉSIE. 41S
que lni-mâme allait être incessamment élevé
à la pourpre romaine ; et l'on murmurait
assez haut contre la cour de Charles X, qui
ne s'empressait pas de porter sur le chande-
lier de l'Eglise un prâtre notoirement hos-
tile à son gouvemement. L'épiscopat in^»
certain semblait reculer au-devant de celte
puisscit^ce doctrinale étrangère à la sienne,
qui lui disputait l'autorité de ses jugemens,
et s'arrogeait une dictature sans limites. La
régénération de l'Eglise de France com'^
mençait k ce Sacerdoce né d'hier, qui tout
k coup avait passé de la jeunesse à la viri-
lité , et prétendait par ses seules forces au
gouvernement des intelligences (i).
M. Tévêque d'Hermopolis, alors ministre
de l'instruction publique et des cultes, n'a*^
vouait qu'à voix basse combien il jugeait le
système dangereux. <c Quelques prélats, dit
« le savant et pieux M. Boyer, ont traité
i< jusqu'ici les partisans de ces systèmes
(1) M. Lacordaire , supr.^p, 36, 37.
416 mSTCHRE
< comme les enfans priyilégiés de la.
« On a usé envers eux des plus grands mé*
r nagemens ; on leur a même prodigué des
« faveurs. Ils ont haussé le ton k mesure
cr que l'autorité baissait la voix. Plus on les
ir prévenait d'honneurs et de condescen-
« dances , plus ils redoublaient de fierté et
« d'arrogance (1} . x C'est convenir nettement
que la secte s'était déjà rendue redoutable;
et l'écrivain bien digne de foi que nous ve-
nons de citer en apporte des exemples,
ir Monseigneur l'évêque de Gap sait biep ce
« qu'il en coûte à un prélat vénérable par le
fc double titre du savoir et de la vertu, pour
« avoir eu l'excessive bonté d'entrer en Uce
« avec eux. Un évêque, vénérable par son
fc âge, par un savoir distingué et des mœurs
« irréprochables, ce vieillard s'est vu traîner
fc par ses cheveux blancs dans la fange , et
(i) M. Boyer , directeur du séminaire de Saint-
Sulpice, Examen du Syst, de M, de La Metmais
( préface , p. xviii et xix ) .
DB LA NODVEIXB HfiEÉSIE. 447
« son crime n'était pas autre que d'avoir
« élevé la voix contre eux et signalé leurs
« écarts (1). >» Nous citons un écrivain dont
la bonne foi n'est pas plus contestée que
Té tendue et l'exactitude de sa doctrine.
Les Aumôniers de nos maisons princi-
pales d'éducation (c'étaient alors MM. Ger-
bet.et Lacordaire) s'étaient raingés des pre-
miers sous la bannière du nouvel Athanasé;
M. de La Mennais n'y avait pas d'autre nom.
Rédacteurs de journaux, ils n'y parlaient
que de la doctrine tombée du ciel y des pro-
diges futurs qu'elle devait faire éclore parmi
nous; et malheur à qui osait les contredire !
Une école Lamennaisienne s'établit en Bre-
tagne sous le patronage des autorités civile
et religieuse, alimentée par les passions qui
fermentent dans cette contrée.
Insulter au grand nom de Bossuet , ana-
thématiser ses doctrines / devint le proto-
cole du parti , le texte des déclamations
(4) Prrf/bcd, p. xviH.
T. I. 27"
«18
journalières , le point de mire de qaîconqoe
T^ulait se faire remarquer ; et y jusque ^ans
la chaire de Sorbonne, on entendit un joune
prédicânt vou^ à l'exécration la mémoire
du ^rand érêque et les traditions de J'&
f^é. de France. Dans ces fanatiques homé-
lies, Louis XIV était assimUé k Henri VIH,
Bo«uet k Cranmer. Ces yocifératlot» fè-
tentissaiént de Paru à BruxeUes, oà la {Mo-
tion préparait ses foyers de liberté répnMr
cainé; jusque dans le sanctuaire des lois, où
l'abbé de La Mennais était proclamé le ré-
jgAiératêur du sacerdoce français / juaqtie
dans la chambre de nos représentans , oè il
étaitappelé le dernier des Pères de tÉgHse{\)^
le plus grand génie des temps modernes.
Que de moyens pour propager la dacfarîne I
Des journaux créés ou dirigés par et»t : cen-
tres de ralliement qui triplent en un mo-
ment les forces d'un parti ; le privilège de
(1) Voyez V Histoire secrète du Parti de M, de La
Mennais , par M. de Madrol^ p. 82^ (PiqriSy 1834.)
Dfi LA NOUVELLE HÉRÉSIE^ 419
tout dire avec impunité , d'ejffirayer ses ad-
versaires par la crainte du ridicule ou de la
diffamation ; des émissaires ardens, des pro*
sélytes enthousiastes distribuant sans appel
le blâme ou la louange : tel était le rôle que
le clergé du second ordre s'était réservé, et
qu'il a rempli avec trop d'éclat, Mais l'épis-
copat, dans sa majeure et plus saine partie,
que pensait-il de la philosophie sceptique
et de la théologie erronée de la nouvelle
école ?
CBAPITRii XII.
Jugement de Vêpiscopat français et du saint Siégé
Apostolique.
Ces Juges en Israël , sentinelles vigilantes
préposées par Jésus-Christ même à la garde
de son Eglise, ne manquèrent pas à leur
devoir. Sous le masque de spéculations phi-
losophiques et (ï opinions libres y indifférentes
à la foi ^ ils surent bien démêler les erreurs
graves qui rejaillissaient jusque sur la foi ,
attaquaient dans leurs bases les fondemens
de l'Eglise, provoquaient le schisme, en
introduisant une puissance doctrinale étran*
HISTOIRE DE LA NÛLTELLE HÉRÉSIE. 4Stl
gère k celle dont Jésus-Christ les a con*
stitués dépositaires et juges, troublaient
l'unité sacerdotale , en causant des dissen-
sions violentes dans le cierge (i). A la tête
de ces vigilantes sentinelles , citons en pre-
mière ligne le savant évêque de Gap, qui,
dans ses lettres pastorales , s'empressa de
dénoncer aux Fidèles de son diocèse l'Essai
sur V Indifférence y comme conduisant droit
au schisme et à l'hérésie , rompant la chaîne
de la tradition catholique , introduisant des
nouveautés dangereuses, détruisant la né-
cessité de l'autorité de l'Eglise. Depuis
l'année 1827, M. l'évêque de Saint-Brieuc
s'était porté sur la brèche, : défendant,
comme un autre saint Hilaire dé Poitiers ,
le patrimoine de renseignement épiscopal ,
dénonçant a son Clergé les dangereuses
nouveautés dont on avait réussi à le sur-
prendre, réfutant les erreurs^ et ses efforts
(1) Toutes expressions de. M. Lacordaîre , Consir
n^araient pas été infructueux, bien qiit
plusieurs de ses mandemens n^eusseM pas
été lusj ainsi qu'il s'en plaint ^ ^ après les
présentions de certains prêtres^ qui en déro^
baient la connaissance au public. La yérité
avait fini par se fkire jour; et le digne érê-
que eut la consolation de voir la majeure
partie du Sacerdoce de son diocèse abjùrdr
Ferreur par une déclaration solennelle cte
soumission pleine et entière a l'Encyclique
du pape (4). A leur exemple, d'autres «e
monlnrèrent aussi habiles a le réfuter comme
théoUgiens, qu'à le condamner cos^se
pasteum. Distinguons MM. les évèques de
• (Siffiptres et d'Annecy. Dans le mandemeii^
• queM. Parchevéque de Paris publia hVoc-^
éâsî^n de la movt du pape Léon XIl ^ d ^
qui le sentiment sur M. de La Menna^
s'était manifesté avec éclat, le prélat accusa
cet écrivain « d'ériger en dogmes sefr pro —
tf près opinions , de proclamer sans autorité
(1) |Voyez VAmi de la Religion du 20 août 1834. -
DE LA NOirvinUJi HÉRÉSIE. 489
« comme sans mi^ion au nom dti ciel , àeê
* doctrines subTersives de Tordre que Jé^
«r 8Us*Christ a établi, et d'ébranler la société
« tout entière dans ses fondémens. » .On
sait dans quels termes M. de La Mennaiit
répliqua à son Supérieur ecclésiastique ; eti
termes que J.*J. Rousseau , écrivamt k M. do
Beaumont , eut rougi de laisser échapper de
sa plume. Le détracteur de la raison indi'-
yiduelle, qui ne cesse de la poursuivre
comme faillible en tont^ sait bien faire ex-
ception a la sienne , et veut qu'on la regarde
comme infaillible. « On en croit k peine ses
ir yeux , quand on songe que cet amas d'in-
fr jures , plus dignes d'une rixe de halle
tf que d'une controverse théologique, est
«f tombé sur tous les évêques de Francer,
If d'Irlande , d'Italie , et en général sur tant
« de théologiens de divers pays et surtout
« de notre France (1). »
Il était temps de sortir de cette lof du
{4) M. Boyer, Examen ^ etc. {Préface , p. xxvr).
419 nsTom
n^Taient pas été infructueux, bien qà%
plusieurs de ses mandemens n^eussent pas
été lusj ainsi qu'il s'en plaint ^ d'après les
préventions de certains prêtres^ qui en déro^
baient la connaissance au public. La yérité
avait fini par se fkire jour; et le digne éré-
que eut la consolation de voir la majeure
partie du Sacerdoce de son diocèse abjuretr
Ferreur par une déclaration solennelle de
soumission pleine et entière a rEncycliqiie
du pape (4). A leur exemple, d'autres se
monlnrèrent aussi habiles a le réfuter comme
théoUgiens, qu'à le condamner ecNenme
pasteum* Distinguons MM. les évêques ck
(Siartreft et d'Annecy. Dans le mand«meflft
que M. l'archevêque de Paris publia h Toc-
Msî^n de la mort du pape Léon XII $ de
qui le sentiment sur M. de La Mennais
s'était manifesté avec éclat, le prélat accuse
cet écrivain ^ d'ériger en dogmes se& pro-
ie près opinions , de proclamer sans autorité
(1) |Voyez VAmi de la Religion du 20 août 1834;
DE LA NOimitJI HÉRÉSIE. 419
« comme sans mi^ion au nom du ciel , de§
* doctrines subTersives de Tordre que «Té^
ir sus*Christ a établi, et d'ébranler la société
« tout entière dans ses fondemens. » -On
sait dans quels termes M. de La Mennais
répliqua à son Supérieur ecclésiastique * en
termes que J.*J. Rousseau , écrivant k M. de
Beaumont , eût rougi de laisser échapper de
sa plume. Le détracteur de la raison indi^
yîduelle, qui ne cesse de la poursuivre
comme faillible en toat^ sait bien faire ex-
ception a la sienne , et veut qu'on la regarde
comme infaillible. « On en croit k peine ses
ir yeux , quand on songe que cet amas d'in-
9( jares , plus dignes d'une rixe de halle
« que d'une controverse théologique, est
(f tombé sur tous les évêques de France,
« d'Irlande , d'Italie , et en général sur tant
t< de théologiens de divers pays et surtout
« de notre France (1). »
Il était temps de sortir de cette loi du
(1) M. Boyer, Examen ^ etc. {Préface , p. xxvr).
4M HiSTOIBK
silence que la sagesse commande en cer-
taines occasions, mais qu'elle sait rompre
quand il lé faut. Nos évêques du midi , réu-
nis AU nombre de quatorze, sous la direction
de M. l'archevêque de Toulouse, rédigè-
rent une Censure doctrinale des nouveautés
profanes de l'école Lamennaisienne , ana-
lysées en quarante -huit propositions, et
flétries par eux des notes à' erreur ^ à^hérésiey
de témérité et de scandale. Plus tard , trente^
sept y ont adhéré purement et simplement^
dix autres , en improuvant, défèrent la caus
au saint Siège ; quatorze , sans donner leur*^
adhésion pure et simple , manifestent leuir:=
improbation pour les nouvelles doctrines. ^
L'administration des sièges vacans, au nom —
bre de six, adhère ou improuve. Jamais^ss
tant d'unanimité dans l'épiscopat. La nou-^ —
velle ne tarda pas à s'en répandre dans la -^
Capitale du monde chrétien , et le Souverain -
Pontife, informé delà demande qui lui était
faite de son approbation, n'hésita pointa
Dfi LA NOlTi'EIXE HÉRÉSIE* 4Si6
la donner. Sa Sainteté adressa k M. l'ar-
chevêque de Toulouse un bref du 8 mai
i833, oii il lui témoigne sa gratitude du zèle
qu'il apporte au bien de l'Eglise , et k l'exa-
men des doctrines en question^ déclarées
hérétiques^ erronées^ scandaleuses y témé"
raires. Déjk son vénérable Prédécesseur,
Jjéon XII , avait déclaré son sentin^ent sur
la doctrine politique de la nouvelle école (1 );
mais ce n'était encore qu'une décision pri-
vée , oîi certes il avait , comme Souverain ,
sa part d'intérêt personnel dans une cause
qui s'étend k la société tout entière. L'Eu-
rope chrétienne attendait le jugement doc-
trinal du chef de l'Eglise. Nos évêques de
France, conformément k l'usage de nos
pères, l'avaient sollicité ; et la voix de Pierre
avait déjk répondu k leur vœu par l'Ency-
(1) « Dès 1826 , Léon XII dit , à propos de Tou-
« vrage où M. de La Mennais le faisait roi dés rois :
« Qui lui a donné cette mission ? Certes , ce n'est pas
« moi. Lettre de M. Clausel, dans la Quotidienne an
n 23 août. » M. de Madrol^ Hi9t. secrète, p. 73^ note.
416 msTOiBK
clique du 15 août AS3% adressé a tout l'a-
nivers catholique , où Grégoire XVI rap-
pelle les principes de la subordination aui
puissances , proscrit toutes nouveautés dan^
gereusesy et, par une condamnation au moins
indirecte, fait retomber sur le moderne
novateur tout le poids de la censure épis-
eopale ^[ont il se trouvait frappé (i ) ; seule^
ment, par une condescendance toute pater-
nelle , le saint Père s'abstient de nommer
explicitement les coupables. Bien qu'il dut
les croire suffisamment avertis, il daigne
(1) F'oy. y à ce sujet, les sages réflexions deM. Fabbé
Boyer, préface de son Examen ^ p. xxvii. M. Roza-
ven , témoin oculaire , pnisqu^îl était sur les lieux ,
affirme que TEncyclique fut publiée avec lei solen-
nités accoutumées, le jour de T Assomption de U
très-sainte Vierge. L* Avenir et ses rédacteurs n'y
sont point nommés ; mais leurs erreurs sont exprès^
sèment réprouvées. Et , afin que les rédacteurs ne
pussent pas prétendre ignorance , ou se méprendre
sur les intentions du saint Père , le cardinal-doyen
du sacré Collège fut chargé par Sa Sainteté d'en-
voyer un exemplaire de l'Encylique à M. de La
Mennais^ et de l'accompagner d'une lettre dans la-
DE LA NOUVELLE IIERESIE. 49T
faire parvenir directement a M. de La Men^t
Aais U déclaration de ses sentimehs sur Fen-
semble de ses doctrines et leurs fbnestes con-
séquences. Sa Sainteté avait droit de compter
sur ces protestations d'obéissance sans bor^
nés , tant de fois répétées en fkveur de l'E-
glise mère et maîtresse de toutes les Églises;
de respect filial envers les évêques, pasteurè
et gardiens de la foi. Qui le croirait? Oïl
dispute , on chicane sur le sens et les expres-
sions de la Censure pontificale , de l'Ency-
clique; on s'enveloppe de reserves et dé
distinctions; on fait répandre dans ses
c^elle U lui exposerait en détail quels étaient les
.principes de V Avenir que le saint Sié^e réprouTait.
Le cardinal-doyen s'acquitta de cette commission.
{Eœamen, p. 72. ) Or, condamner l'Avenir^ c'était
condamner les erreurs professées dans les écrits pré-
cédons y puisque ce sont identiquement les mêmes
qu'ils expriment dans la déclaration de leurs doc-
trines , au n. 53 , dans la déclaration du 2 iPévrier
1831 , adressée au saint Siège (ibid,, n. 113 ), et dans
leurs adieux à leurs souscripteurs , du Ip novem-
bro(»Wî^.,395).
4S8 HISTOIRE
joumaus , par ses adeptes en Belgique ,
en France , par des écrits ex-professo , que
FEncyclique n'est pas un jugement doctri-
nal, mais simplement un protocole pour
retarder, s'il se peut, de quelques moments^
la chute des institutions de la vieille Europe.
Pour consoler leur maître de la blessure
que lui a faite l'Encyclique, et se venger
eux-mêmes de l'adhésion qu'ils lui ont pro-
mise, les disciples redoublent de zèle et
d'efforts en faveur de la raisongénérale. Les
écrits se multiplient , les émissaires sont mis
en campagne, les journaux s'aiguisent de
sarcasmes et d'impostures. C'est postérieu-
rement k l'Encyclique du pape qu'ont été
publiés la plupart des écrits en faveur de
ce système du sens commun et de Vinfailll-
bilité de la raison générale^ que le Souverain
Pontife déclare un système trompeur^ et
digne de toute improbation. Alors même que
Rome les condamne , ils osent se vanter que
Rome est pour eux, avec la même arro-
DB LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 499
gance que Luther» condamné par le saint
Siège, l'écrivait à Staupitz. On répond :
« N'en doutez pas que je ne veuille mainte-
« nir la liberté avec laquelle j'ai fondé et
<r expliqué l'Ecriture sainte ; l'Encyclique du
« pape et toutes les menaces que l'on me fait
« ne m'épouvantent point du tout (i). » Ob-
servez encore qu'a cette époque Luther
n'avait point passé le Rubicon.
(1) De Sekendorf. Au lieu du moi Encyclique ,
Lutlier parle de la bulle de Léon X.
CHAPITRE XIIL
Réfutation de M. de La Mennais. MM, de CardaMae^
Receveur y Rozaven, Boyer et autres.
C'était une sainte pratique de tout temps
usitée dans notre Eglise de France, que, du
moment où de graves erreurs s'élevaient ,
on commençât par les déférer au Siège
apostolique. Saint Bernard , prenant la
plume pour réfuter Abailard, ne manque
pas de rappeler cet usage (1), et l'épiscopat
(d) Contra error. AbaiL {prœfat, ad pap. In-
noc. II, p. 644, edit, Mabillon. ^
mSTOIRE DE lA ROmnELLE HÉEÉSIE. 4SI
irançals avait dignement rempli ce devoir
dans la circonstance présente. « Est-il » ,
tktnandait l'éloquent abbé de Clairvauk ,
« nn cœur chrétien qui ne doive repou^sét'
« avec horreur ces profanes nouveautés de
« langage et de conception (i)T » Pln^ d'un
athlète se présenta dans la lice ; et la vé-
rité trouva de àavans dëfenseitrs parmi les
laïques eux-mêmes.
XJn des premiers que Ton vit s'eiigager
sur ce nouveau terrain fut un des profei-
s^rs de l'Université de Paris, aussi recom-
inandable par ïa lucidité de son enseigne^-
ment, que par Taménité de ses mœuri$.
Dans une édition nouvelle de ses Leôoris
ététnentaires de Philosophie^ M. de Cardail-
làb , jaloux de prémunir la jeunesse de nos
écoles contre le danger des systèmes, s'at-
tacha, en passant, a démasquer celui-ci (2).
(1) QuU non horreat profawts navitaies H vocum
et^^sênmum ( Ibid,, p. 645).
(2) 2 vol. in-8% Paris, 1832, chap.xi, p. 329.
4S8 nsTOOUB
Il prouve que le Novateur détruit fous les
principes de la certitude et de l'àutoHté ; il
fait ressortir ses paralogisme», ses contradic-
tions , ses ùtax raisonnenlens ; et , par une
lumineuse dialectique , renverse tcTut l'édi-
fice de cette raison générale du genre hu-
main.
La Faculté de Théologie de Paris n'avait
pas craint de faire connaître toute sa pen-
sée sur les écrits de M. de La Mennais. On
ne le lui a pas pardonné.
Dans cette même Université, si fort dé-^
criée par nos docteurs modernes; où To^^
respire avec l'air, nous disent-ils , l'ignc^ ^
rance et le doute (1) , cloaque impur d'infcf
piété et de corruption (2) , un autre profea^**
seur jetait sur ces doctrines le coup d'œif
pénétrant d'une logique exercée (3).
(1) M. Lacordaire, Considérât., p, 180.
(2) M. de La Mennais , Avenir, n. 10, etc. La ite-
ligion dans ses Rapports, p. 90, 92, etc.
(3) Coup d*œil sur le Syst, de M* de La Mennais ,
par M. Pujol.
DB LA NOtJVlStX& HÉRÉSIE. 4SS
Ailleurs, un jeune cartésien, mais carté-
sien comme l'avaient été Bossuet , Dagues-
seau , Fénelon , vengeait l'honneur de son
école , et , dans un livre publié sous le titre
ô! Observations critiques sur le système de
M. de La Mennais , réhabilitait la raison , la
certitude et l'évidence , ébranlées par le
py rrhonisme moderne (1 ) *
Des théologiens , parmi lesquels nous ci-
terons avec honneur MM. Bâton et Wrindts,
discutaient le principe d'autorité , avec le
bon sens , la sévérité de ton et de style qui
conviennent au langage de la vérité. On ne
leur répondait que par d'insultantes plai-
santeries. Dans un écrit à qui toutefois
il faut reprocher d'excéder trop souvent
les bornes de la charité, la doctrine de
M* de La Mennais était déférée au corps
épiscopal, à l'Eglise de France et au saint
(i) 1 Tol. iii-i2, Besançon , 1821 , par M, fiece*
venr, professeur de philosophie à Besançon, aigour-
d'hui Suppléant à la Faculté de Théologie de Paris.
T. I. 38
454 HISTOIRE
Sîëge , comme destructive du Chrîstia*
nisme (1).
Un écrit bien supérieur k tous ceux-là ,
composé à Rome, et publié en France, a
porté au plus haut point d'évidence la dé-
monstration des erreurs de la nouvelle
école. A Poccasion d'un écrit de M. Gerbet,
apologétique du système de M. de La Men-
nais (2), M. Rozaven combat à la fois le
maître et le disciple, en suit pas à pas la
doctrine philosophico " théologique , la ré-
duit au silence , et , par sa belle méthode ,
par la vigueur de son argumentation , par
la politesse de son langage , reproduit parmi
nous la célèbre Société a qui la science et la
Religion ont dû tant d'utiles monumens.
Mais la vérité catholique allait trouver un
organe encore plus éloquent dans un de
(1) Par M. Tabbé Paganel.
(2) Examen d'un ouvrage intitulé : des Doctrines
philosophiques sur la certitude , par M. l'abbé Ger-
hêi y par J.-L. Rozaven , de la compagnie de Jésus ,
■j vol. in-8®. Avignon , 4833,
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 4SUS
nos plus savans théologiens , nourri k l'é-
cole des Lachétardie , des Wuitasse , des
Tronson, des Emery : M. l'abbé Boyer pu-
blia son Examen de la doctrine de M. de
La Mennais , considérée sous le triple rap-
port de la philosophie y de la théologie et de
la politique (1 ) , et il fut vrai de lui appli-
quer à lui-même ce qu'il dit des bons li-
vres en général : (^ Que ce sont ces eaux de
« la sagesse , ces fleuves de science et de
«r vérité qui vivifient le champ de l'Eglise ,
cr ce beau soleil qui dissipe les ombres de
«r l'erreur plus redoutables que les tene-
ur bres palpables de la nuit (2). » On y vit
la discussion la plus étendue , la plus appro-
fondie , qui eût encore paru sur cette ma-
tière. Un court aperçu de cet ouvrage en
fera sentir la haute importance.
Après une lumineuse exposition du 6ys-
(1) 1 vol. ln-8% Paris, 1834.
(2) Dans XAvii au lecteur, qui précède Tavant*
propos.
430 mftTOnic
tème de M. de La Mennaîs (chap. i), Tan-
leur démontre que ce système est suspect
par sa nouveauté ; sophistique dans se%
preuves et dans son langage (chap. n).
Obscurité générale j termes non définis ou
mal définis ^ questions étrangères mêlées au
sujet principal ; état de la «question mal
posé : tels sont les vices qu'il lui reproche.
Il Taccuse d'être faux et incohérent dans
ses principes (chap. m)» opposé à laraisen
générale , et condamné par la méthode
d'autorité ( chap. v ) ^ inutile aux vues de
l'écrivain (ch^. yi)^ impraticable Çibîd.)^
dangereux dans ses conséquences inévita-
bles (chap. vu) ; contraire, en particulier,
à la doctrine de saint Augustin. Il répond
( chap. m) aux objections ; venge Descartes
des attaques que lui porte M. de La Men-
naie ; conclut que tout le système est en op-
position absolue avec la foi et la doctrine
catholique.
Telle est la marche de ce livre , excellent
D£ LA NOUVELLE HÉRëSHT. 437
tant pouf le fond des choses, que pour la
netteté , l'abondance et la purelé du style.
Honneur donc au Sticerdoce français, qui
n'a pas dégénéré de la gloire de ses përes !
Les Vétérans du Sacerdoce avaient beau
s'effrayer du danger de ces doctrines et lès
signaler à l'autorité épîscopale ; leur nou^
veauté était couverte par Téclat d'un- style
si éblouissant^ auquel on était si peu accou-
tumé dans ces sortes de matières , que leurs
objections les plus solides comme les plus pa-
cifiques étaient comptées pour rien ou ren-
voyées à leurs auteurs avec dédain. Cétaicnt^
répondait-on, des vieillards octogénaires jus-
qu'à l'imbécillité, ne vivant que de quelques
souvenirs d'école , ensevelis dans les vieilles
routines des »ëcles d'autrefoîis. La lumière
s'était fait jour avec M. de La Mennais. La
hardiesse de ses pensées le mettait seul en
harmonie avec la marche et les progrès de
Tesprit du siècle. L'éloquence dans cet écrit
s'élevait à la hauteur de là théologie , pour
438 BISTOIBE
emprunter ses foudres a la nuée qui l'enve-
loppe. C'étaient la d'ailleurs de pures spécu-
lations philosophiques, où chacun est libre
de se faire un système; une région jusque-la
inconnue , pour laquelle il avait bien fallu
créer un langage nouveau. On ne le çomr
prenait pas ; et c'était là en effet le refrain
habituel du parti.
L'esprit de système y était donc à peine
aperçu sous cette brillante écorce. Après
tout, le zèle comme le besoin de la réforme
excusaient des écarts dont l'auteur prévenait
d'ailleurs le danger par l'assurance d'une
soumission sans bornes aux décisions du
corps épiscopal et du saint Siège Apostoli-
que.
Tels étaient les argumens qu'opposaient a
toutes les objections les admirateurs de la
Défense conime ceux de V Essai. M. de La
Mennais leur en fournissait tous les matét-
riaux. Ils ne faisaient que répéter son pro-
pre langage, et s'en contentaient.
DS LA NOUVELLE niflÉSIE. 451)
Impatiens d'abréger la route de la scien-
ce, et bercés de l'espoir d'arriver du pre-
mier pas à l'extrémité de la carrière, nos
jeunes Docteurs durent saisir avidement un
système qui comblait V abîme existant entre
V homme et VEglise^ entre la raison humaine
et la raison divine^ entre V homme et Dieu (1 ).
Telle est la déclaration que nous en fait dans
son dernier ouvrage M. l'abbé Lacordaire ,
comme témoin oculaire. Dociles adeptes, ils
se laissaient entraîner sans nul effort par la
magie d'une puissance irrésistible (2)^ et
qui sait? peut-être le charme dure encore.
(4) M. Tabbé Lacordaire, Con9idérai,, p. i:>5,
300 ; tout le chap. ix.
(2) /&ûl.,p. 31.
• t
<
m t •
CHAPITRE XIV^
Autr9$ écrit» d» M. delà ÉletmaiSy publiée poéU-
rietMrement à l'Essai sur ^Indifférence,
■ ■ 1 ■
Le Ëyre de la Dépense avait plus nui que
profité àVauteur deV Essai sur t Indifférence.
Bien n'y était résolu ni éclairci; mêmes
sophismes, mêmes paradoxes prolixemenl
développés; la fièvre d'imagination que
l'on avait prise pour de l'éloquence s'était
atnortie dans les arides discussions du com*
mentateur. Elle n'avait fait qu'amener de
i
HISTOIRE DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 441
plus profonds dissentimens (1). La surprise
avait fait place au mécontentement. La cu-
riosité trompée se vengeait par l'ennui ou
par la critique. L'indignation assoupie s'é-
veilla h ta lecture des écrits qui succédèrent.
Ce furent , entre autres productions da
^wéme genre , les Lettres à M8^ P arche-
uêque de Paris ^ à M, Vévêque ' JtHermo-
poUsj au R, P. I^enturaj théologien de
Rome^ qui, d'abord séduit par de beaux
dehord, mais bientôt désabusé, avait ha-
sardé quelques observations. Les répliques
de M. de La Mennais avaient soulevé l'es
cœurs les plus indifférens. Les articles insé-
rés dans le Conservateur ^ dans le Drapeau
blanc / les Réflexions sur Vètat de V Eglise
au xvm^ siècle j suivies de Mélanges religieux
et philosophiques , le Mémorial catholique ,
précurseurs du journal de t Avenir ou ses
continuateurs , fatiguaient ses partisans eux-
in^mes pâi* la monotonie des déclamations
(i) M. Lacordaire , Cansidér,, p. 37.
448 BiSTOiufi
contre lesProlestans et les Philosophes, les
diatribes contre la raison individuelle , le&
calomnies convenues au sujet du Cartésia-
nisme et du Gallicanisme « les utopies sédi-
tieuses mêlées k l'hérésie. Il y avait dam
cette politique haineuse une acrimonie qui
désolait tous les amis de la religion ("j]^
C'est l'aveu d'un écrivain qu'il n'accusera
* "y ■
pas d'avoir été son ennemi. M. de Jja Meu-
nais voulut ramasser ces traits épars daps
un, seul faisceau , et publia les deux prpduç-
tions do.nt nous allons rendre cop^ntQ.: Les
ouvrages antérieurs composaient l^premi^e
période delà conjuration dont ceux--ci. pré--
sentent le second acte. ,
Dans le dessein hautement manifesté de
.1 . ).<■ ••■•.■ ■»'.--i^ .»\'
régénérer^ l'intelligence Iifiméiine.^...fXip^^t
nécessairement la. réforme de tout l'ordre
« / «
• •_ • • •
social. La nouvelle école ne se le dissimu-
lait pas.; Une pente naturelle men^t les
esprits des discussions théologiques ^ celles
(4) L'Univers religictM;f.n. 177.
» -j .»
DE LA ^OLV£LLE HÉRÉSIE. 4|5
de la politique. Luther s'y était trouvé porté
par la seule force des choses. Non contente de
tout brouiller dans l'ordre religieux, la Ré*
forme aspirait à tout renQuvçler dans l'ordre
civil et séculier. Elle l'a bien fait voir dans
tous ses livres, publiés à diverses époques,
pour affranchir, disait^elle, les peuples de
la tyrannie du clergé. « Et quand la Réfor^
«rmation, disent ses historiens, n'aurai^
•f rendu d'autre service au monde que ce-
« lui-là , Luther mériterait la reconnaissance
«r de tous le$ princes, aussi bien que de tous
i< leurs sujets. U attaqua constamment le
<r colosse de l'autorité ecclésiastique, qu'il
« renversa dans plusieurs pays(1). » JVoii
moins ambitieuse dans ses vues d'amélioi^a*
tion, I4 secte Lamennaisienne prétend %
l'émancipation de l'humanité; et c'est là le
grand œuvre qu'elle ne cesse de poursuivre.
La question des Indulgences , première
(d) De Sekendorf , HUt, de la Réform,, part, i ,
i). 314 et 315, note.
444 HiSTomc
pomme de discorde jetée dans le sanctuafre
par le novateur de Wirtemberg , était dWe
bien moindre hnportance que celte dé la
certitude en matière de foi ; et si cellé-là
attaquait la tradition dans là croyance du
purgatoire et dé la- justification; celle-ci
avait des conséquence» biea piVis graves^
puisqu'elle sapait dans ses fondement la
tradition et Fautorité de l'Eglise catholique
tout enrtière. Luther du moin» ne prétendait
pa», il s'en vantait du moins, confondre
F«neet l'autre juridiction. 11 avait respecté
la barrière posée par te divin législateur
enftrt^ Tune et l'autre . En relevant 1- autorité
Jkis princes et des magistrats , et leur don-
nant un noui^eau lustre^ il ne voulait m
àttsujétir l'Eglise a leur domination , ni don-
ner \ Fautorité séculière l'empire sur ki (o\
et les consciences (1). C'est ce qu'il enseigne
déetement dans son livre de l'autorité des
(t) DeSekondorf, ffist, de la Réforme. M. deL»
Mennais, Essai sur VlnéUffér, ^ t. I^p. 178.
DE LA NOUVELLE nÊRËglE. MSi
magistrats^ publié en 1534; et quand Mun-
cer, avec ses Anabaptistes, imagina d'4tablir
son empire universel , en commençant son
règne par la destruction des châteaux , le
pillage des églises, l'incendie des monas-
tères et le massacre des magistrats, pro-
mettant aux peuples de l'Allemagne c[u<e la
dernière heure de la tyrannie avait sonné,
et que c'en était fait de toutes les oppres-
sions (1), Luther essaya, par ses prédications
et ses écrits ^ de réprimer ces fanatiques
mouvemens. <« Quel malheur pour l'Europe,
« s'écriait-il , si j'avais l'âme sanguinaire,
«r et si j'étais assez audacieux pour exciter
« des séditions ! Combien de sang n'aurais-je
«. pas fait couler en Allemagne ? » Mais il
était trop tard. C'était lui-même qui avait
donné le branle à tous ces mouvemens sédi-
tieux, et, par sa première révolte, avait
(1) Gatrou, Hiat, dês Anahapt,, 1. 1, p. 26« Sleidan,
Comment,^ lib. iv, ad ann. 1525, t. I, p. diO, dit,
Franco-Farti , dôdO. Meyncrs, Hist, de la Réform^y
p. 14.
448 msTOiRE
rendu inévitables les sanglantes tragédies
dont ses extravagans imitateursallaient don-
ner le spectacle au monde. Il suffisait à
Muncer, h Carlostad, à Storck , de promener
sur les cendres de la Souabe la bannière sur
laquelle le patriarche de la Réforme avait
écrit de sa main : Frères^ vous êtes appelés
à la liberté: P^ocati estis adlihertatemyfra-
très. Il avait beau faire des livres sur le lé-
gitime usage de la liberté. Ses propres actes
et les passions populaires leur donnaient un
caractère tout autrement éloquent et per-
suasif. Luther du moins proteste contre les
insurrections. Nous verrons si M. de La
Mennais , armé du même principe , a res-
pecté les restrictions que le fougueux Apôtre
du xvi*' siècle y avait mises lui-même ; et s*il
avait réservé k ses feuilles de VA\>enir et à
ses Paroles dtun Croyant ses confidenceis
sur les rapports religieux avec l'ordre civil
et politique.
Déjà M. l'abbé de La Mennais avait
DE LA NOUVELLE HÉAÉ8I1. 44f
jeté le masque. Irrité des protestations
que plusieurs évêques avaient faites contre
ses doctrines, et plus encore de la demande
par eux adressée au Roi pour qu'il voulûtbien
faire usage de sa royale autorité , à l'effet de
mettre un frein k ses emportemens séditieux,
M. de La Mennais publia ses Progrès de la
Révolution. C'était un appel à toutes les
passions populaires , un libelle diffamatoire
contre tout ce qu'il regardait comme opposé
à son rêve de civilisation universelle. L'ou-
vrage , déféré aux tribunaux , fut flétri par
une sentence judiciaire. C'était deux ans
avant la révolution de juillet. Profitant de
la disposition générale des esprits en faveur
des principes religieux , et d'un retour sin-
cère k l'unité catholique , il avait imaginé
de se rendre plus agréable encore au Siège
romain , en outrant ses prérogatives les plus
incontestables , et d'enchérir encore sur les
prétentions ultramontaines , abandonnées
de tous les partis. Pour cela, il fallait re-
448 msToiBE
nouveler les idées de Grégoire VII et de
Boniface Y III , faire de Fautorité pontificale
Tunique puissance qui doive régir les hom-
mes; M. de La Mennais Tentreprit. Tout
devait céder a son génie , et la puissance de
Bossuet , et les vieux souvenirs de la France,
et les répugnances de Rome même à s'en-
gager dans une querelle que sa sagesse avait
toujours écartée. Encore lui eût -on par-
donné son exagération d'ultramontanisme ;
mais prêcher l'indépendance absolue ^ ar-
mer les peuples contre tous les gouverne-
mens , outrager la majesté royale sur tous
les trônes, consacrer l'anarchie, anéantir
dans ses bases tout Pordre social: un pareil
projet, trop clairement exprimé, réveilla
les cœurs chrétiens et religieux. On com-
mença enfin a ouvrir les yeux sur les pro-
ductions précédentes , et Ton découvrit que
même V Essai sur V Indiffërence couvait, ^
pour ainsi dire, les doctrines anarchique»
qui devaient éclore plus tard ; que son prin-«
DB LA NOCrVELLB HÉRÉSIE. 4M
cipe fondamental de la raison généralç n'é-
tait qu'une proclamation déguisée de la
souveraineté populaire; son prétendu af-
franchissement de l'Eglise, qu'une révolte
contre les rois et les magistrats ; sa théorie
de liberté indéfinie, qu'une conjuration,
dont le but était le bouleversement de la
société tout entière; qu'en faisant de son
témoignage universel une autorité vivante
et infaillible , c'était forger une institution
rivale de l'Eglise chrétienne; en un mot,
qu'après avoir appliqué aux sociétés civiles
et dans toute sa rigueur, l'axiome : P^ox po-
pulij vox Deij plus tard il se verrait amené
logiquement à l'appliquer k la société reli-
gieuse elle-même. De deux choses l'une : ou
M. l'abbé de La Mennais n'avait pas mesuré
la portée de son principe; et dans ce cas,
que penser^ de cette profondeur de génie
que lui supposent ses partisans? Ou il en
avait calculé toute l'étendue ; et alors , que
penser de la conscience du prêtre qui se
T. I. 29
4U0 HISTOIRE
dit catholique? Voyons si le dilemme va
être résolu par le nouvel ouvrage que nous
allons examiner. Chacun de ses livres sert
en quelque sorte d'introduction à celui qui
va suivre.
Etait-ce celui-là qui devait faire suite a
V Essai sur VIndifférencey et en être le cin-
quième volume , comme l'auteur l'annonce
dans une note (1). C'est la même intempé-
rance de zèle frondeur et haineux, la même
dureté de langage dans la poursuite du Pro-
testantisme, du Philosophisme du dernier
siècle, avec de plus violentes excursions
contre le Gallicanisme. Les révélations s'y
montrent plus à découvert , et la calomnie
s'abandoime sans nulle pudeur aux plus vio-
lons excès.
Ce nouvel écrit, publié en 1826, dix ans
après la publication de V Essaie en était la
véritable continuation. Les questions qui y
sont traitées tiennent au fondement même
(1) La Religion considérée , etc., p. 153 (note).
k
DE LA NOUVELLE HÉRÉSIE. 4Ki
de l'ordre politique et de Tordre spirituel j
aussi Fauteur lui donna-t-il pour titre : La
Religion^ considérée dans ses rapports as^ec
V ordre cwil et politique.
FIN DU PREMIER VOLUME.
TABLE DES CHAPITRES
DU PREMIER VOLUME.
DISCOURS PRELIMINAIRE.
PREMIÈRE PARTIE.
Examen du livre de M. de La Meainais intitulé : Essai sur
V Indifférence en matière de Relgion, suivi de ssl Défense ,
par le même.
LIVRE PREMIER.
DU LIVRE IirriTULé : ESSAI SUR L'iItDIFFéRENCB EV MATIÈRE
DE RELIGION.
liages
Chap. I*' Rapprochemens de la nouvelle hé-
résie avec celle des prétendus réformés du
XVI® siècle i
Chap. IL Nouveau système de théologie , de
philosophie et de politique, par M. de La Men-
nais 33
Chap. III. Des fondemens de la Certitude , et
premièrement de la Raison . 104
Chap. IV. Le système de M. de La Mennais
lui appartient-il? • . 114
4M TABLE
Pages
Ghap. V. Beproches faits à la raison humaine. 121
Ghap. VI. Gertitude du jugement de la raison
indi'viduelle dans la connaissance de cer-
taines vérités ou des premiers principes. . . i30
Ghap. VII. La raison a la certitude infaillible
de son existence. Extrait agance du doute uni-
Tersel. Axiome de Descartes : Je pense, donc
ye «{«M. Sophisme de M. de La Mennais. . . . 152
Ghap. VIII. Gertitude rationnelle de M. de La
Mennais 174
Ghap. IX. Accord de la raison et de la fcn. . . 178
LIVRE DEUXIEME.
COMTUniATION DU PE^ciDENT. SUR LES FONDEMENS DE Ll CERTITUDE.
Ghap. !•'. De FEvidence 208
Ghap. II. Gertitude du témoignage des sens et
du sentiment 249
Ghap. III. Du témoignage des hommes. . . . 258
Ghap. IV. De la raison générale et du consen-
tement du genre humain 268
Ghap. V. Suite du précédent 298
Ghap. VI. De l'autorité 308
Ghan. vil Traditions primitives conserTées
dans le genre humain. Sentiment des Pérès. 338
Ghap. VIII. De la Défense du livre sur Tindif-
férence, par M. de La Mennais. Autres ou-
vrages du même 358
Ghap. IX. Gontinuation du précédent 372
Ghap. X. MM. Gerbet et Bautain. .... 394
Ghap. XI. Succès des nouvelles doctrines. . . 412
k
DES CHAPITRES. 4ttS
lages
Ghap. XII. Jugement de répiscopat français et
du saint Siège Apostolique. 420
Ghap. XIII. Réfutations de M. de La Mennais.
MM. de Gardaillac , Receveur , Rozaven ,
Boyer et autres 430
Ghap. XIV. Autres écrits de M. de La Men-
nais , publiés postérieurement à V Essai sur
l'Indifférence 440
FIN DE LA TABLE DES CHAPITRES.
-\
(^
i
f
:K
n:
r
1
t
r